y?m * \ 0& »JT T5XS II v^M ni/ / JW5m»^^% .^ _A ^^KJ^. \ \ \ 1 * } K> 'N > 5^ VOYAGE de L'ASTROLABE. //S~ V8' CHAPITRE IX HISTOIRE DE LA COLONIE DE LA NOUVELLE-GALLES DU SUD. Depuis long -temps l'Angleterre avait adopté le raoven de se débarrasser des malfaiteurs qui s'élevaient dans son sein , en les envoyant dans ses possessions d'Amérique. Par cette mesure à la fois sage et philan- tropique, la société se trouvait délivrée d'une classe d'hommes toujours funeste à sa tranquillité ; ces mal- heureux eux-mêmes , éloignés du théâtre de leur dés- honneur, et revenus à de meilleures dispositions, de- venaient souvent des membres utiles de leur nouvelle patrie, et leur postérité, confondue par le temps avec celle des habitans d'origine libre, formait le germe de colonies puissantes. En effet leurs progrès furent TOME I. i5 ') *y r r r d i 5 ô T) 214 VOYAGE rapides ; des contrées naguère couvertes de forets im- pénétrables , et occupées par des tribus éparses et peu nombreuses , nourrirent bientôt des peuples actifs et industrieux. Traités avec équité par leur mère-patrie, jamais ils n'eussent oublié leur origine et fussent restés ses alliés fidèles et obéissans. Mais une politique mal- entendue , un orgueil insensé de la part du gouverne- ment anglais , lui fit perdre les immenses avantages qu'il pouvait retirer de ses colonies; long-temps encore celles-ci endurèrent les mépris et les procédés injustes du cabinet de Saint-James ; enfin leur patience se lassa , l'étendard de la révolte fut levé , leur indé- pendance proclamée, et d'en fans soumis et affection- nés, ils devinrent des ennemis irréconciliables. A dater de ce moment , la Grande-Bretagne dut re- noncer au système qu'elle suivait envers ses criminels ; elle se vit obligée de les renfermer de nouveau sui- des pontons ou dans des maisons de correction. Banks, au retour du voyage qu'il venait d'exécuter avec le capitaine Gook, fit un portrait si séduisant des contrées qui avoisinaient la rade de Botany-Bay et des ressources qu'elle pouvait offrir, que l'on conçut dès- lors l'espoir d'en faire un lieu de déportation. En effet, l'immense intervalle entre ce point et toute autre colonie européenne, la faiblesse extrême et la profonde misère des indigènes , en otant aux condamnés tout espoir d'échapper à leur punition, rendaient cette contrée très-propre à un pareil établissement ; tandis que son admirable situation, à égale distance environ des comp- toirs de l'Inde, de la Ghine et de l'Amérique, lui pré- DE L'ASTUOLABK. 215 sageait pour l'avenir les plus grands avantages pour le commerce et la navigation. Cependant, détournée par d'autres intérêts , l'Angleterre ne put d'abord exé- cuter ce projet; ce ne fut qu'en 1 786 qu'elle commença à s'en occuper sérieusement. Neuf bàtimens, du port de trois ou quatre cents ton- neaux, furent frétés pour transporter les criminels qui devaient former le noyau de l'établissement , les provisions et les munitions nécessaires. Arthur Phil- lip , désigné pour être le gouverneur, mit son pavillon sur la frégate le Sinus, de vingt canons , et le brick Supply (capitaine Bail) devint sa conserve. Cette flottille portait mille dix-sept personnes pour la nouvelle colonie , savoir : cinq cent soixante-cinq hommes condamnés, cent quatre-vingt-douze femmes et les diverses autorités nommées pour la régir et l'ad- ministrer. Celles-ci se composaient , outre le gouver- neur, du major commandant les troupes de marine, destiné à être lieutenant-gouverneur, de l'adjudant- quartier-maître , de quatre capitaines, dont un devait remplir les fonctions déjuge-avocat, de douze lieute- nans, douze sergens, douze caporaux, huit tambours et cent soixante soldats de marine. On mit a la voile le 1 1 mai ; on relâcha à Sainte- Croix de Ténériffe , à Rio-Janeiro et au cap de Bonne- Espérance, où l'on prit des rafraîchissemens , des graines et beaucoup de bétail. Le 7 janvier 1788, la pointe du sud de Van-Diémen fut doublée, et le 20 toute l'escadre mouilla sur la rade de Botany-Bay. Trente-deux hommes seulement périrent dans cette i5* 216 VOYAGE longue traversée, bien qu'un grand nombre fussent malades en quittant l'Angleterre. Pbillip ne tarda pas à reconnaître que le ter- rain qui bordait Botany-Bay n'était nullement propre à devenir le siège de la colonie. Le seul endroit qui eût pu convenir à cet objet, près de la pointe du sud, manquait d'eau douce. Il dirigea ses recherches vers Port-Jackson, qui lui offrit un bassin magnifique et un mouillage assuré pour des flottes entières; ce fut sci' les bords d'une des anses qui font partie de ce bassin qu'il se décida à fonder son nouvel établis- sement. Le 25 Phillip se rendit à Port-Jackson avec quel- ques bàtimens de transport, et le jour suivant , 26 , le capitaine Hunier, du Snius, mit lui-même à la voile. Au même instant les deux frégates du célèbre et mal- heureux La Pérouse laissaient tomber l'ancre sur la rade de Botany-Bay, chacun sait que c'est de ce lieu que l'on reçut ses dernières nouvelles. Aussitôt on s'occupa de dégager le terrain pour élever les tentes , faire les premières plantations , et parquer les bestiaux. Une petite métairie fut promp- tement établie, sous la direction d'une personne ame- née par le gouverneur; pour la première fois on vit bientôt croître sur ce sol le figuier, l'oranger, le poi- rier, le pommier et la vigne. Le gouverneur fit lire en public , par le juge-avocat Collins, lacommissiondeSaMajesté,quilenommait ca- pitaine-général et gouverneur en chef de la Nouvelle- Galles du sud et de ses dépendances ; ainsi que les DE L'ASTROLABE. 217 [étires patentes qui établissaient des Cours eiviles et criminelles sur ee territoire. Ses limites étaientau nord, le cap York, extrémité septentrionale de la Nouvelle- Hollande , et au sud sa pointe méridionale ; à Tinté- rieur et à l'ouest, le 135° degré de longitude orien- tale , et à l'est toutes les îles adjacentes de l'Océan Pa- cifique, comprises entre les parallèles ci-dessus dé- signés. Entraînés par leurs habitudes vicieuses , plusieurs des déportés se livrèrent à de nouveaux crimes , et le premier jugement de la Cour criminelle , qui eut lieu le 1 1 février, ne fit qu'encourager leur audace par son indulgence. Les magasins de la colonie furent pillés ; cette fois une sage sévérité eut des effets plus salu- taires; quelques coupables furent livrés à toute la rigueur des lois ; cet exemple servit de leçon aux autres. La Cour criminelle se composait du juge-avoeat et de six officiers de mer ou de terre ; ses attributions étaient d'examiner et de prononcer sur tous les délits commis dans la colonie, suivant les lois d'Angleterre. Lejuge-avocat rapportait l'affaire par écrit, les témoins à charge et à décharge étaient entendus , puis la Cour jugeait à la simple majorité si l'accusé était coupable ou non. En cas de mort il fallait au moins cinq voix pour condamner ; les sentences ainsi prononcées avaient l'effet d'une décision du jury, et le prévôt-ma^ réchal était chargé de leur exécution par un ordre du gouverneur. La Cour civile consistait dans lejuge-avocat et deux ■21H VOYAGE habitans de la colonie, qui délibéraient el prononçaient sur toutes les affaires litigieuses. La sentence était exé- cutée sur la simple signature du juge-avocat ; mais dans tous les cas on pouvait en appeler par-devant le gou- verneur et par-devant le roi lui-même en son conseil , quand la somme en litige dépassait trois cents livres sterling. En février, le SapplyîvX expédié vers l'île Norfolk pour y former, sous les ordres du lieutenant King, un petit établissement où l'on devait cultiver le lin de la Nouvelle-Zélande. Les naturels se montrèrent d'abord bien inten- tionnés à l'égard des nouveaux venus; aussi le gouver- neur ne négligea rien pour maintenir de si heureuses dispositions. Mais ses ordres ne furent pas exécutés ; les Anglais se comportèrent quelquefois mal à l'égard des naturels; ceux-ci ne tardèrent pas à user de re- présailles. Avril arriva , et les approches de l'hiver se firent sentir. Chacun se mit à l'ouvrage, et, avec l'aide des marins des bàtimens , on eut bientôt construit assez de baraques pour mettre tout le monde à l'abri. Cepen- dant la colonie souffrit beaucoup des ravages du scor- but et des maladies vénériennes qui ne tardèrent pas à se déclarer. Le recensement qui eut alors lieu , d'après les ordres du gouverneur, prouva que l'établissement comptait cinq vaches , deux taureaux , un étalon , trois jumens , trois poulains , vingt-neuf moutons , dix-neuf chèvres, vingt-cinq cochons, quarante-neuf pourceaux, DE L'ASTROLABE. 219 cinq lapins , dix-huit dindons , trente-cinq canards , vingt-neuf oies, cent vingt-deux poules et quatre-vingt- sept poulets. Le 1 5 mai, fut posée la première pierre de la maison du gouverneur. Les naturels devinrent de plus en plus audacieux , ils assassinèrent à diverses époques plusieurs Anglais ; le gouverneur se vit enfin obligé de donner la chasse à ces dangereux voisins , pour les tenir à une certaine dislance de la colonie. La fin de Tannée 1 788 et le commencement de 1 789 furent marqués par de nombreux crimes ; six soldats même prirent part à des tentatives de vols. Il fallut des exemples réitérés pour réprimer ces excès et prévenir les suites funestes qu'ils pouvaient avoir. Le 6 mai, le Sinus, que le gouverneur avait en- voyé au cap de Bonne-Espérance pour chercher des vivres, revint avec cent vingt-sept mille livres de farine, qui furent d'un grand secours; car les blés semés l'année précédente avaient assez mal réussi. Au commencement d'avril 1789, on s'aperçut que quelques grottes, situées sur le bord de la baie, étaient pleines de cadavres des naturels ; bientôt on reconnut que la petite-vérole exerçait ses ravages parmi eux; un grand nombre devinrent les victimes de cette maladie; quelques-uns cependant, qui reçurent les soins des chirurgiens anglais, furent sauvés. On observa avec surprise que toutes les espèces d'animaux qui avaient été réservés pour multiplier, produisirent beaucoup plus de mâles que de femelles. 220 VOYAGE Sur une portée de douze petits cochons , il ne se trouva que trois femelles , et une seulement sur sept che- vaux ; il en fut de même généralement de toutes les autres races d'animaux. Cette singularité fit naître alors de sérieuses craintes , en ce que le manque de femelles pouvait retarder de beaucoup l'époque où l'on pourrait se passer des secours de la mère-patrie. Au mois de décembre la récolte eut lieu ; elle pro- duisit, à Rose-Hill, deux cents boisseaux de blé, trente- cinq d'orge , un peu d'avoine et une petite quantité de maïs , qui fut en entier réservée pour semis. En outre, vingt-cinq boisseaux d'orge furent recueillis dans un petit morceau de terre cultivée à Sydney, nommé la Ferme du gouverneur. Tel fut le premier fruit que les Européens retirèrent de leurs travaux et de leurs sueurs sur cette terre lointaine , qui jusqu'alors n'a- vait vu croître que les végétaux qu'elle tenait des mains de la nature. L'hiver de 1790 fut pénible, car les provisions ti- raient à leur fin ; on ignorait quand il pourrait en ar- river de nouvelles d'Angleterre, et l'on fut obligé de faire des réductions sur les rations en tout genre. Heu- reusement la pèche fournissait de grandes ressources; par ordre du gouverneur, on donna du poisson en ra- tion à raison de dix livres pour remplacer deux livres et demie de porc salé. Pour diminuer encore la consommation de la colo- nie , on fit passer en mars deux compagnies des troupes de marine, cent seize condamnés, soixante-huit fem- mes et vingt-sept enfans^à Norfolk , sur les navires le DE L'ASTROLABE. 221 Sinus et le Supply. Le sol de cette ile s'était montré bien plus fertile que celui de Sydney, et toutes les plantations avaient admirablement réussi. L'inquiétude universelle fut encore augmentée par le naufrage du Sinus , qui se perdit sur les brisans de l'île Norfolk , car c'était sur ce navire que se fondaient toutes les espérances ; c'était lui qui devait aller à la recherche de nouvelles provisions. La ration habituelle déjà bien réduite fut encore diminuée ; tous ceux qu'on put assigner à ce service furent employés à chasser et à pêcher pour la subsis- tance de la colonie. Mais de ces deux moyens le der- nier fut insuffisant , et l'autre presque infructueux. La situation de la colonie devenant de plus en plus alarmante , on prit l'unique mesure qui restait à ten- ter, quelque tardifs que dussent être les secours qu'on devait en attendre. Ce fut d'envoyer le lieutenant Bail, avec le Suppl//, à Batavia , pour y prendre huit mois de provisions pour lui-même, y louer en outre un na- vire qui devait l'aider à porter dans la colonie deux cent mille livres de farine , soixante mille livres de porc, quatre-vingt mille livres de bœuf, et soixante- dix mille livres de riz. Il fit voile le 17 avril, et son retour ne» pouvait avoir lieu que dans six mois !... Enfin le 3 juin , à la satisfaction générale , un navire parut à la côte. À son arrivée au mouillage, il se trouva que c'était le transport Lady Juliana, appareillé de Plymouth le 29 juillet , et chargé de deux cent vingt- deux convicts femelles. On sut alors que l'état d'anxiété où se trouvait ré- 222 VOYAGE duit le nouvel établissement, devait s'attribuer à la fois à la négligence et aux délais du ministère , surtout à un événement des plus malheureux. Deux mois après le départ du navire le Lad y Juliana, d'Angle- terre, le Guardian , de quarante-quatre canons, com- mandé par le lieutenant Riou , avait aussi appareillé, chargé de provisions , qui , jointes à celles du premier navire , eussent suffi pour alimenter la colonie durant deux années. Par malheur le Guardian , en quittant le cap de Bonne-Espérance , toucha contre une île de glace le 23 décembre , et. le choc fut si violent qu'on fut obligé de jeter la plus grande partie de la cargaison à la mer pour empêcher le bâtiment de couler. Par là le navire fut sauvé , il rejoignit le cap au moment même où le Ju liana y arriva , et celui-ci embarqua soixante-quinze barils de farine qui avaient été con- servés. On apprit en outre, par le Juliana, que peu après son départ mille autres convicts allaient être expédiés d'Angleterre , et qu'on levait un régiment de troupes à pied pour le service particulier de la colonie. Ce sur- croit de bouches ne pouvait être que fort à charge dans la circonstance où l'on se trouvait. Heureusement le transport le Justinian, qui arriva bientôt chargé de provisions et d'objets de tout genre, fut d'un grand secours ; dès ce moment on rendit à chacun sa ration complète. Dans les derniers jours de juin, les navires le Sur- prise, Neptune et Scarborough , arrivèrent avec les condamnés et les soldats dont nous venons de parler. DE L'ASTROLABE. 223 La santé de ces hommes avait beaucoup souffert dans le trajet ; le 1 3 juillet l'hôpital ne comptait pas moins de quatre cent quatre-vingt-huit malades. Des terres furent accordées aux officiers et aux sol- dats envoyés d'Angleterre , qui voulaient s'établir dans la colonie. Les convicts libérés, soit par émancipation, soit par pardon , qui désiraient devenir cultivateurs , reçurent aussi des terres à raison de trente acres par individu, et ceux qui étaient mariés, à raison de cin- quante acres, plus dix acres pour chaque enfant né au moment de la concession. La seule condition qui leur était imposée, était d'y résider et de cultiver leur terre, en réservant tout le bois nécessaire aux besoins du service de la marine. Les naturels se montraient assez tranquilles ; ce fut vers le mois de septembre de cette année que Beni- long , chef de la tribu voisine de Sydney, commença à se lier plus intimement avec les Anglais. En novembre il vint même s'établir près du gouverneur, dans une petite maison que celui-ci lui fit construire ; de cette époque date l'union qui régna dans la suite entre les tribus de Sydney et les colons. Dans le cours de l'année 1 790, il mourut cent qua- rante-trois personnes , savoir : deux marins , un sol- dat, cent vingt-trois convicts hommes, sept idem femmes , et dix enfans. En février 1791 , la chaleur fut si étouffante à Rose- Hill, qu'une quantité d'oiseaux et de chauve-souris tombèrent mortes soit au vol , soit des arbres où elles étaient suspendues. 224 VOYAGE Dans le mois suivant , James Ruse , le premier cul- tivateur, après quinze mois de travaux, jugeant qu'il pouvait suffire à ses besoins avec le produit de sa mé- tairie, renonça à ses droits sur les magasins publics. Le 14 juin, le gouverneur donna à la ville fondée près de Rose-Hill , le nom de Parramatta. Durant le reste de Tannée , on vit arriver successi- vement les transports le Mary-Ann, le Matilde, V Atlantic y le Salama/ider , le William et Ann, l'Active 3 le Queen , Albemarle , B ri tan nia et l'Ad- miral-Barrington , qui renforcèrent la colonie d'en- viron mille sept cents convicts , hommes et femmes , et de divers détachemens du régiment de la Nouvelle- Galles du sud. Le navire de Sa Majesté, IcGorgon, de 44 canons, capitaine Parker, arriva le 21 septembre, apportant du cap de Bonne-Espérance, un veau mâle, seize vaches, soixante-huit brebis , onze cochons , deux cents arbres à fruit , et quantité de semences de blé et de légumes, Ce navire apporta aussi un sceau pour la colonie , et une commission qui autorisait le gouverneur à re- mettre d'une manière absolue ou conditionnelle tout ou partie des termes pour lesquels les convicts se trou- vaient transportés. A l'époque du départ du Supply pour l'Angle- terre, le 26 novembre, il y avait déjà neuf cent vingt et une acres de terre défrichées et cultivées. Dans ce mois la mortalité fut si grande qu'il périt cinquante-quatre convicts, cinquante hommes et quatre femmes. La perte totale de l'année, par les maladies, fut de uu DE L'ASTROLABE. 22» fonctionnaire civil , deux soldats , cent cinquante-cinq convicts hommes , huit femmes idem , et cinq enfans. En 1792 on poursuivit avec vigueur la construc- tion des bàtimens en briques, pour remplacer les ba- raques en bois qui commençaient à tomber en ruines. Les vols se renouvelaient d'une manière effrayante, quoiqu'une punition sévère suivit de près le crime. Ce qu'il y eut de plus triste, c'est qu'ils furent souvent oecasionés par la faim , motif qui en tout autre pays eût pu servir d'excuse. Le 24 juillet le transport Britannia apporta pour quatre mois de farine , et huit mois de salaison pour la colonie entière , composée alors de quatre mille six cent trente-neuf individus. On put en conséquence augmenter la ration allouée par semaine à chaque per- sonne. Deux marchés sont élevés, l'un à Sydney, l'autre à Parramatta, sous la direction de deux commis char- gés de veiller à ce qu'on n'y vende , achète ou échange aucuns objets volés. La pierre à chaux est découverte dans l'ile Norfolk; cette utile matière devient d'un grand intérêt pour les habitans de la colonie. Au grand regret de tous les gens de bien, sur la fin d'octobre le gouverneur Phillip fait connaître le désir qu'il a de quitter son gouvernement pour aller rétablir, en Angleterre , sa santé délabrée. Le 1er novembre fut signalé par l'arrivée du brigantin Pkiladelp/u'a, capitaine Patrickson, de Philadelphie, qui, ayant appris au cap de Bonne-Espérance la disette 226 VOYAGE de la colonie , se dirigea vers Port-Jackson avec des provisions en tout genre. Le gouverneur en acheta pour la valeur de 2,829 liv. st. pour les magasins pu- blics ; le reste de la cargaison fut vendu aux divers officiers avec beaucoup d'avantages. Le premier numéraire qui vint dans la colonie , pour l'usage du gouvernement, fut une caisse de dol- lars formant 1,000 liv. st., ce qui facilita beaucoup les menues affaires du commerce. U Atlantic mit à la voile le 1 1 septembre , ayant à bord le gouverneur Phillip et deux naturels, Benilong et Jemmera-Wanik , qui s'étaient attaches à sa per- sonne. Les concessions faites aux cultivateurs s'élevaient alors à trois mille quatre cent soixante-dix acres, dont quatre cent dix-sept et demie en pleine culture, et cent seulement éclaircics. En outre mille douze acres et demie étaient défrichées et cultivées pour les besoins publics. Cela prouve combien un petit nombre de con- victs, travaillant pour leur propre compte, opérèrent de bien plus grands résultais que la masse entière emplovée au compte du gouvernement. Durant l'absence du capitaine Phillip, sa place fut occupée par Francis Grose, major commandant le corps de New-South-Wales , qui fit remplir par des officiers militaires les charges occupées par des civils. En 1793, plusieurs officiers, avec l'autorisation du gouvernement , choisirent des terres à Parramatta et sur les bords de la baie , afin de les cultiver pour leur propre compte. Chaque officier put employer DE L'ASTROLABE. 227 dix convicts : comme on leur permit de les payer en esprits (rhum), les propriétés furent bientôt d'un grand produit. Le 1 0 janvier, le transport Bellona, chargé de pro- visions, apporta cinq colons libres avec leurs familles ; le lieu où ils s'établirent prit le nom de Liberhj-Plains. Le gouvernement anglais leur accordait le passage et la nourriture, les outils propres à la culture, leur fournissait les vivres de la colonie durant deux ans, leur concédait des terres sans aucune redevance et les convicts nécessaires pour les défricher, avec la ration de ceux-ci durant deux ans. i Le 1 3 mars , les deux navires espagnols Descu- bierta et yitrevida, commandés par Malespina et Bustamienlo, et employés à un voyage de décou- vertes dans la mer du Sud , mouillèrent sur la rade. On leur permit de bâtir un observatoire sur la pointe du port, près de la hutte de Benilong, qui leur servait de magasin pour les instrumens. La présence de ces étrangers rompit l'uniformité des événemens à Syd- ney, et devint une source d'amusemens pour ses ha- bitans. Au mois de juillet fut commencée l'érection d'une église de soixante-treize pieds de long sur quinze de large. Elle devait être construite en pierres , chaux et plâtre , et surmontée d'un toit de chaume. Le samedi 23 novembre de cette année , on fit dans les magasins , pour la première fois , des distributions de grains provenant de la colonie ; on éprouva d'abord quelque difficulté pour la mouture ; mais on éta- 228 VOYAGE blit d'autres moulins, el cet obstacle fut bientôt surmonté. A la fin de Tannée, Sydney s'était accru, depuis le départ du gouverneur Pliillip , de cent cabanes et de cinq baraques. Des bateaux de passage établis pour communiquer par eau , de Sydney à Parramatta , furent conduits par des convicls qui avaient fini leur temps ; le prix du trajet fut fixé à un scbelling par personne et autant pour chaque quintal de port du bagage. L'année 1793 vit périr cent cinquante-trois per- sonnes , savoir : sept soldats , deux cultivateurs , soixante -dix -huit conviets mâles, vingt-six idem femmes, et vingt-neuf enfans. Au mois de mars 1794, la colonie se vit encore menacée d'une nouvelle disette; le jour même où Ton faisait les dernières distributions des provisions des magasins , le William de Londres arriva avec onze cent soixante-treize barils de bœuf, et cinq cent sept de lard; et quelques jours après , V Arthur, du Ben- gale, avec diverses provisions. Les défrichemens s'étendirent sur une plus grande échelle , et les plantations de l'île Norfolk réussirent au-delà de toutes les espérances ; King , gouverneur de cet établissement , avait acheté des colons onze mille boisseaux de maïs, en billets tirés sur le trésor; mais le lieutenant-gouverneur G rose ne jugea pas à propos de les accepter, et les cultivateurs découragés abandonnèrent leurs terres pour revenir à la Nouvelle- Galles du sud. Vers la fin du mois de décembre, le DE L'ASTROLABE. 229 lieutenant-gouverneur Grosc quitta la colonie , et lut remplacé provisoirement par le capitaine Paterson du corps de New-South-Wales. Il ne mourut cette année que cinquante-neuf personnes. Au commencement de 1795, le maïs qui mûrissait sur les bords de l'Hawkesbury, promettait au moins trente mille boisseaux de grains. Mais les pluies abon- dantes qui survinrent alors firent tellement déborder le fleuve, qu'elles causèrent de grands ravages aux ré- coltes des fermiers et du gouvernement. Les naturels n'avaient cessé de temps en temps de se livrer à des actes d'hostilité envers les Euro- péens, et même de commettre parfois des meurtres; cependant on les avait jusqu'alors ménagés. Mais au mois de mars leurs déprédations furent si répétées , ils devinrent si audacieux , que le capitaine Paterson fut obligé d'envoyer des soldats armés pour protéger les colons contre leurs attaques. Plusieurs des natu- rels de la tribu de Bédia-Gal , habitante des bois, qui s'étaient montrés les plus âpres au pillage, furent exterminés. Le Providence de 28 canons, capitaine Broughton, arriva d'Angleterre. Le courant l'avait entraîné jus- que devant Port-Stephens, où le capitaine trouva et recueillit à bord quatre misérables individus qui s'é- taient échappés de Sydney, en 1790, et que chacun croyait noyés , d'après le mauvais état du canot qui les portait. L'histoire qu'ils firent servit quelque temps d'aliment à la curiosité publique. 11 parait qu'ayant abordé à Port-Stephens, ils vécurent à la TOME I. l6 230 VOYAGE manière des sauvages : mais la nourriture de ceux-ci n'était nullement de leur goût. Chacun d'eux reçut des naturels un nom et une femme , et deux en eurent des enfans. Les naturels les nourrissaient, et les con- sidéraient comme de malheureuses créatures qui avaient droit à leur protection ; lorsque ceux-ci com- mencèrent à se faire entendre des sauvages , ils leur persuadèrent qu'ils étaient les esprits de leurs ancê- tres ; un de ces hons naturels crut si hien à cette fable, qu'il lui sembla reconnaître les traits de son père dans un des convicts , et il le conduisit au lieu où ses restes avaient été brûlés. Le 7 septembre , le gouverneur Hunter arriva sur le navire le Beliance ; il prit les rênes du pouvoir le 1 1 du même mois. Un des premiers actes de son gou- vernement, fut d'ordonner un recensement exact des personnes et des bestiaux vivans dans la colonie. Il recommanda la culture du maïs sur la plus grande échelle pour la nourriture du bétail , et accepta les billets souscrits par le gouverneur de Norfolk , que son prédécesseur avait refusés. Il ne tarda pas non plus à rétablir dans leurs fonctions les magistrats civils. En novembre , la presse apportée par le gouver- neurPhillip, et dont on ne s'était jamais servi, ayant été mise en activité, les ordres du gouvernement furent désormais imprimés. Dans ce même mois, on acquit la certitude que les bestiaux perdus en 1 788 avaient été retrouvés sur les bords du Nepean. En effet , le gouverneur suivi de DE L'ASTROLABE. 231 MM. Collins, "VYater-House et Bass, qui s'étaient mis en marche pour juger de la vérité par leurs propres yeux , trouvèrent bientôt un beau troupeau de soixante bêtes à cornes paissant dans un agréable et fertile pâtu- rage. Afin de s'assurer si ces animaux étaient bien les mêmes qui étaient venus du Cap, le gouverneur donna l'ordre de tuer un veau. On ne put y réussir, et l'on fut attaqué par un taureau furieux qui conduisait l'arrière- garde ; on se vit obligé de le tuer pour se défendre de ses attaques ; un examen attentif donna la solution qu'on cherchait. Ces animaux , au nombre de deux taureaux et cinq vaches perdus en 1788, avaient sans doute marché vers l'ouest jusqu'au bord du Nepean, et, l'ayant faci- lement traversé , ils s'étaient trouvés dans un terrain bien arrosé et fertile en pâturages , où ils s'étaient établis et avaient promptement multiplié. Il y eut alors des personnes qui proposèrent de faire des tentatives pour ramener ces fugitifs à l'établisse- ment; mais l'avis du capitaine Collins fut de les laisser tranquilles durant quelques années , vu qu'ils pour- raient, comme dans l'Amérique méridionale, devenir un objet de commerce suffisant , non-seulement pour la consommation du pays , mais encore pour son ex- portation. Le gouverneur, goûtant cette raison, se décida à les protéger de tout son pouvoir, et à les garantir de toutes sortes d'injures. Le naturel Benilong était revenu avec le gouverneur Hunter, et durant son absence avait acquis des ma- nières et une sorte d'éducation qui relevaient beau- i6¥ 232 VOYAGE coup au-dessus de ses compatriotes. Il s'absentait souvent du gouvernement, mais quand il revenait, il ne paraissait jamais devant le gouverneur sans s'ha- biller, car il laissait toujours ses vètemens chez lui quand il entreprenait quelque excursion. Immédiatement après son arrivée, son premier soin fut de s'informer de sa femme Gorou-Barrou-Boullo, qu'il trouva unie à Karuey. A la vue d'un très-joli jupon rouge et d'un corset de gros drap accompagné d'un bonnet de la même couleur, elle quitta son amant pour reprendre son ancien époux. IS'éanmoins , peu de jours après , à la surprise générale , on vit la dame débarrassée de toute espèce de toilette, et Benilong était absent. On chercha Karuey, et on apprit alors qu'il avait été rudement battu par Benilong, qui avait assez appris de la méthode anglaise pour faire usage de ses poings en place des armes de son pays , au grand regret de Karuey, car celui-ci eût bien préféré se mesurer sur le terrain avec son rival , armé de la lance et du casse-tète. Karuey étant de beaucoup le plus jeune, et la dame n'étant pas femme à demi, suivit son penchant , et Benilong fut obligé de re- noncer à elle sans plus d'opposition. Il parut satisfait de la correction qu'il avait donnée à Karuey, et fît entendre que, pour le moment, il resterait sans femme, et verrait par la suite à faire un meilleur choix. Vers la fin de cette année , un phénomène extraor- dinaire arriva dans l'Hawkesbury. Quatre fermes eurent leurs récoltes entièrement détruites par une DE L'ASTROLABE. 233 pluie de glaçons. Le blé, qui était encore debout, l'ut mis en pièces , et le grain haché. Les tiges de maïs furent coupées et les épis abattus. Un homme, assez éloigné de toute habitation, fut heureux de pouvoir se mettre à l'abri dans un creux d'arbre. Tous les ar- bres qui se trouvaient sur le chemin de ce grain, et qui eurent le côté exposé à sa fureur, furent maltrai- tés comme s'ils eussent reçu des décharges de mous- queterie. Le temps fut doux durant les deux journées qui suivirent ; néanmoins la glace resta sur la terre en aussi gros morceaux qu'à sa chute. On en trouva quelques blocs, qu'on ne rapporta que le second jour; ils avaient de six à huit pouces de long sur deux doigts au moins d'épaisseur. Cette année vingt-six personnes seulement périrent dans la colonie , quantité beaucoup moindre qu'on n'avait lieu de l'attendre. En 1796, la contrebande des esprits se fit avec une telle activité, et il en résulta tant d'excès dans la colonie, que le gouverneur se vit obligé de prendre à diverses époques plusieurs moyens pour arrêter ces abus. Mais ses efforts furent inutiles ; il ne put empê- cher les navires qui touchaient à Port-Jackson , de débarquer frauduleusement cette denrée dont les convicts étaient si avides et qu'ils payaient à si haut prix. Sur une enquête ordonnée par le gouverneur en mai , on reconnut que les colons des districts de Ponds, Field-of-Mars , Eastern-Farm , Prospect-Hill et Mul- ^rave-Place , s'étaient endettés jusqu'à la valeur de 234 VOYAGE 5,098 livr. sterl., par suite de leur paresse et de leur ivrognerie, qui les entraînaient dans toutes sortes d'excès. Le 20 juin, le gouverneur et sa compagnie furenl visiter le troupeau sauvage , qui se trouva alors composé de 94 animaux. On travailla à construire un palais de justice, et on commença à employer des chariots traînés par des bœufs, pour transporter le bois de construction à Sydney et à Parramatta, ce qui épargna le travail de beaucoup d'hommes. Le recensement des habitons , du bétail , et des au- tres articles[de la colonie, qui eut lieu le 1er septembre de cette année, prouve quels progrès rapides elle avait faits depuis sa fondation , et de quel succès avaient été couronnés les efforts des officiers qui la diri- geaient. Les animaux vivans offrirent un total de 57 che- vaux et jumens ,101 vaches et génisses , 74 taureaux et veaux, 54 bœufs, 1,531 moutons, 1,427 chèvres et 1,869 cochons. Le gouvernement possédait de terre en culture 1,700 acres Les officiers civils et militaires. . . . 1,172 Les fermiers 2,547 Total. . 5,419 La population consistait en 4,848 aines pourlNew- DE L'ASTROLABE. 235 Soulh-Wales et les dépendances, savoir : 3,959 pour le continent, el 889 pour l'île Norfolk. Parmi ceux-là, 321 ne vivaient point aux dépens du gouvernement. Quant aux 3,638 qui tenaient leur subsistance des magasins publics, ils se trouvaient ainsi distribués, savoir : 2,219 à Sjdney, 965 à Par- ramatta, et 454 dans l'Hawkesburv. La dépravation des convicls qui augmentait rapi- dement , et la multiplication de leurs délits , enga- gèrent le gouverneur à faire construire deux grandes prisons de bois à Sydney et à Parramatta. Les mai- sons de ces deux villes furent numérotées et divisées par quartiers. Unbabitant dut surveiller dans chacun de ces quartiers la tranquillité publique, et trois watch- men devaient se relever d'année en année avec l'ap- probation du gouverneur. Benilong, ennuyé de la vie civilisée , était retourné à ses habitudes sauvages ; il supplia le gouverneur de le protéger contre la fureur de ses concitoyens, qui voulaient le faire périr pour le meurtre d'un homme qu'on l'accusait d'avoir tué près Botany-Bay, tandis qu'il protestait de son innocence. Le gouverneur, acquiesçant à sa prière , envoya à Brickfîeld , où les naturels attendaient Benilong, une garde, pour leur expliquer qu'il n'était coupable d'aucun meurtre, et que le gouverneur ne permettrait plus d'approcher de l'établissement à aucun de ceux qui oseraient l'in- sulter. En mars 1797, les naturels exercèrent de grands ravages dans les fermes du nord. Les cultivateurs 236 VOYAGE furent obligés de se rassembler pour se mettre à leur poursuite ; ils les trouvèrent réunis au nombre de cent environ, et les mirent en déroute en les forçant de laisser leur butin. Mais en revenant ebez eux, ils fu- rent harcelés à leur tour par les sauvages ; obligés de faire feu dessus, ils tuèrent cinq hommes et en bles- sèrent plusieurs. Du nombre de ceux-ci, se trouvait Pe-Mul-Waï, leur chef; il fut fait prisonnier, mais il réussit de suite à s'échapper avec une chaîne aux pieds. Le 27 juillet, un jeune naturel, accusé d'avoir com- mis un meurtre, subit la peine du talion, ordinai- rement employée en ces sortes d'occasions. Dans le combat, deux lances percèrent sa main; puis ses amis se précipitèrent sur ses adversaires, les défirent et rompirent leurs lances. Benilong fut encore accusé d'avoir tué une femme indigène, parce qu'elle dit à ses amis, à l'instant de sa mort, qu'elle rêvait que Benilong en avait été la cause ; mais il protesta que cette femme lui était parfaitement étrangère, ne l'ayant jamais vue. Vers la fin de septembre , une visite que l'on fil au troupeau sauvage , révéla qu'il en existait au moins deux, l'un de 67, et l'autre de 170 tètes d'ani- maux . A la fin de cette année , trois écoles pour l'éduca- tion des enfans se trouvaient déjà établies à Sydney. Comme les vacances commencent à Noël, 102 enfans, proprement habillés et accompagnés par leurs maî- tres , vinrent présenter leurs hommages au gouver- DE L'ASTROLABE. 237 neur, qui examina les progrès des élèves les plus âgés, dans récriture, etc. Décembre vit terminer la toiture des nouveaux magasins , la tour qui devait recevoir la cloche qu'a- vait apportée le Reliance, la construction d'un autre moulin à vent, et les baraques des aides-chirurgiens. En janvier 1 798 , les prisonniers, arrivés d'Irlande sur les derniers navires, devinrent si turbulens, qu'il fallut avoir recours aux traitemens les plus ri- goureux pour les fixer au travail. Outre le naturel vicieux de leurs penchans , ils se formèrent l'opi- nion ridicule qu'il existait, à la distance seulement de trois ou quatre cents milles au S. O. de l'établisse- ment, une colonie de peuples blancs où ils pourraient jouir de toute espèce de bonheur sans travailler, pers- pective la plus flatteuse que puissent imaginer des êtres comme eux , aussi fainéans qu'ignorans. Par suite de cette idée, ils formèrent le projet de s'échapper de la colonie, et se proposèrent de l'effec- tuer aussitôt qu'ils auraient pu se procurer une quan- tité suffisante de provisions. Le gouverneur , informé de ces desseins , envoya un magistrat à Tongabbi , où les principaux mécon- tens étaient employés , pour leur représenter le dan- ger auquel une pareille entreprise les exposerait. En outre, il leur annonça que le gouverneur était dis- posé à permettre à quatre d'entre eux d'aller aussi loin que cela leur ferait plaisir , avec autant de pro- visions qu'ils pourraient en porter; que, pour les pro- téger, il ordonnerait à trois autres individus, accou- 238 VOYAGE tumés à courir les forets et connus des sauvages, de les accompagner et de les conduire dans toutes les directions qu'ils voudraient désigner. D'après les renseignemens que l'on prit, il parait que l'histoire de ce prétendu peuple avait pris sa source dans un conte étrange , qu'un convict , qui avait quitté son travail pour vivre avec les naturels , avait recueilli des sauvages des montagnes. L'événement prouva bientôt quel avait été l'effet de cet avis du gouverneur. Il apprit qu'un grand nombre de ces malheureux s'assemblaient pour aller à la re- cherche de la nouvelle peuplade. Une troupe de cons- tates armés fut envoyée pour en arrêter le plus grand nombre possible ; seize furent saisis et emprisonnés. Ils parurent ignorer complètement le lieu où ils voulaient aller. Mais , considérant tout à la fois leur ignorance et leur opiniâtreté , le gouverneur comprit qu'aucun argument ne pourrait mieux les convaincre de leur folie, qu'une correction sévère imposée à ceux qui semblaient les instigateurs du complot. Ainsi sept d'entre eux reçurent deux cents coups de fouet cha- cun, et le reste, après avoir été puni à Parramatta, fut envoyé aux travaux forcés, et bien surveillé. La nécessité de réprimer cette manie d'émigration détermina le gouverneur à les convaincre, par leur propre expérience, des dangers qu'elle entraînait. Ainsi quatre des plus vigoureux furent choisis et pré- parés pour un voyage de découvertes. Ils devaient être accompagnés par trois hommes, qui devaient, lorsqu'ils seraient las de leur excursion , les ramener DE L'ASTROLABE. 239 par les parties les plus difficiles et les plus imprati- cables du pays. Mais ce plan ne lut pas plutôt adopté, (pie le gouverneur apprit cpi'une bande s'était con- certée avec les quatre coquins désignes , pour aller les joindre à un endroit, convenu; là ils projetaient d'assassiner leurs guides , puis de s'emparer des armes et des provisions, et ensuite de poursuivre leur course suivant leur propre caprice. Cet infernal projet fut déconcerté par l'escorte de quatre soldats ajoutés aux guides, et ils partirent tous le 14 de Parramatta. Le 24 les militaires ramenèrent trois de ces mau- vais sujets, qui, à leur arrivée au pied des premières montagnes, se trouvèrent si fatigués de leur voyage, et dégoûtés de la perspective qui s'offrait à leurs re- gards, qu'ils supplièrent les soldats chargés de les aban- donner en cet endroit avec les guides, de les ramener à la colonie avec eux. Un seul homme témoigna le désir de pénétrer plus avant, et fut en conséquence laissé avec les guides. Ceux-ci ne furent de retour à Prospect-Hill que le 9 février, accablés de fatigues et pouvant à peine re- muer leurs membres, tant ils étaient épuisés. Ils avaient erré durant quinze à dix-huit jours dans les forets , les montagnes et les ravins. De beaux pâturages, quel- ques rivières et des terres d'un aspect fertile s'étaient présentés à leurs regards. Ils avaient découvert des carrières de chaux , de sel, de charbon de terre, et communiqué avec des naturels dont Wilson ne put comprendre le langage, quoiqu'il connût déjà celui des naturels des montagnes. 240 VOYAGE Vers cette époque, M. Bass, chirurgien du Ue- liance , revint d'une excursion en canot , qu'il avait faite vers le sud , et qui avait duré douze semaines. Il avait pénétré jusqu'à 40° S. , visité chaque ouverture de la cote ; mais il n'avait trouvé qu'en un seul endroit au S. O. de la pointe Hicks , un havre capable de re- cevoir des vaisseaux. Là il observa aussi l'apparence d'un détroit, ou plutôt d'une mer ouverte entre les la- titudes de 39 et 40° S. , et conjectura que la terre de Van-Diémen devait se composer d'un groupe d'iles si- tuées au S. de la ÎNouvelle-Hollande. Au mois d'avril, le bruit courut, surtout parmi les Irlandais , qu'une vieille femme avait prophétisé l'ar- rivée de plusieurs frégates ou grands navires de guerre français , qui , après avoir détruit l'établissement , dé- livreraient et emmèneraient les convicts. Ce conte ridi- cule fut propagé avec une rapidité incroyable. En conséquence , un des condamnés de la chaîne de Tongabbi jeta sa pioche, et, s'avançant à la tête de ses camarades , poussa les cris de liberté. Ils furent promptement accueillis par ses compa- gnons ; mais un magistrat, qui se trouvait à portée , mit fin au trouble en faisant saisir ce farouche Irlandais, qui ne tarda pas a être lié et récompensé par une sé- vère fustigation. On sut ensuite que la femme que l'on donnait pour la prophétesse en question, était une vieille Ecossaise qui faisait de la bière et la vendait aux ouvriers. Elle avait tout simplement rêvé l'arrivée des Français , et avait conté son songe à un homme qui l'avait ensuite DE L'ASTROLABE. 241 publié comme une prophétie. Tel était le fondement de cette ridicule histoire. Le i4 mai, le brick Nanti lu s arriva de Taïti dans un grand état de détresse. Il ramenait plusieurs des missionnaires de cette île, avec leurs familles. Ceux-ci avaient reçu plusieurs mauvais traitemens des naturels qui les avaient même menacés de leur enlever leurs femmes, ce qui les obligeait à rester à peu près ren- fermés dans leurs palissades. Comme le Naatilus était hors d'état de les recevoir tous à bord , il en resta six ou sept sur l'ile. Les naturels , en mai , renouvelèrent leurs pillages sur les fermes du sud ; ils vinrent en bandes nom- breuses , et brûlèrent plusieurs maisons. Le 6 juin , le gouverneur alla visiter, à cinq ou six milles de Parramatta , un terrain où il établit les mis- sionnaires de Taïti , et quelques personnes libres der- nièrement arrivées d'Angleterre par le Barwell avec leurs familles. A cetteoccasion, Barrington se plaint de ce qu'on ait toujours , jusqu'à ce moment, laissé partir tous les navires d'Angleterre , sans y embarquer quel- ques personnes libres pour la colonie , pour diminuer les inconvéniens d'une société qui n'était, pour ainsi dire, composée que de convicts. Cette observation prouve évidemment que la population libre de New- Soulh-Wales ne se composait guère alors que des fonctionnaires établis dans le pays , et des condamnés qui avaient été libérés ou émancipés. Le 11 octobre M. Bass et le lieutenant Flinders, du R e liane e , mirent à la voile sur un petit bateau 242 VOYAGE ponté, construit à l'île Norfolk, et nommé en consé- quence le Norfolk, que le gouverneur avait fait équiper pour cet objet. Leur mission était de reconnaître le détroit qu'on supposait exister par la latitude du 39° S. entre la Nouvelle-Hollande et la terre appelée jus- qu'alors Van-Diemen Land. Dans le cours de cette année, d'une part la cupidité des fermiers pour se procurer divers objets apportés du debors, et surtout des esprits ; de l'autre, l'empres- sement que mettaient les trafiquans à concentrer ces objets dans leurs mains pour les revendre en détail à des prix exorbitans , devinrent funestes aux pre- miers. Plusieurs d'entre eux s'obérèrent pour des sommes considérables, et se virent obligés de vendre pour ainsi dire à discrétion leurs grains et les produils de leurs terres aux marebands. Malgré l'attention du gouvernement à combattre ces dangereux abus , malgré les mesures tentées par lui à diverses époques pour les réprimer , ses efforts furent inutiles ; voilà l'une des principales causes de l'extrême lenteur des progrès de la colonie. En octobre on jeta les fondemens d'une église en pierre à Sydney ; elle devait avoir cent cinquante pieds de long, et cinquante-deux de large. On se prépara à en construire une semblable à Parramatta, mais dans de moindres dimensions. Benilong, qui eût pu continuer de vivre très-beu- reux dans le palais du gouverneur, préférait la dange- reuse société de ses concitoyens , et ne visitait l'établis- sement que quand il ressentait trop vivement le besoin K DE L'ASTROLABE. 243 de quelques-unes des ressources de la vie civilisée. Il reçut plusieurs blessures telles qu'une seule eût sans doute causé la mort d'un Européen. A la fin de 1 798 , le bétail de la colonie se compo- sait de 44 chevaux, 73 jumens, 163 taureaux et bœufs, 258 vaches, 2,867 cochons, 1,459 moutons, 2,443 brebis, 787 boucs, et 1,880 chèvres. Il y avait en pleine culture 4,659 acres de froment, 1,453 de maïs, et 57 '/? en orge. Le 2 janvier 1 799 , on accorda plusieurs certificats à des convicts qui avaient complété leur temps de dé- portation ; ceux qui désirèrent rester maîtres de leur personne, furent rayés des rôles de ration. Le 1 2 du même mois , MM. Flinders et Bass revin- rent de leur voyage d'exploration à la terre de Van- Diémen sur le Norfolk. Ils reconnurent les lies au nord de Van-Diémen , découvrirent le port Dalrym- ple , passèrent à l'ouest pour se rendre à la rivière Derwent dont ils visitèrent les environs, et revin- rent par l'est aux îles du cap Barren. L'existence du détroit que M. Bass avait déjà soupçonné dans son voyage précédent au port Western , fut ainsi cons- tatée; aussi le gouverneur Hunter jugea-t-il à propos de lui donner le nom de cet intrépide navigateur. Le 1 1 février, les prisons en bois de Sydney furent consumées par les flammes, et tout porte à croire que cet incendie fut prémédité. Pour en prévenir les réci- dives, on s'occupa sur-le-champ de bâtir un nouvel édi- fice en grosses pierres , entouré de murailles très- épaisses. 244 VOYAGE Les sécheresses excessives qui avaient duré si long- temps et avaient causé tant de tort aux moissons , furent suivies en mars de pluies abondantes qui du- rèrent plusieurs jours et ranimèrent en tous lieux la végétation anéantie. Sur les bords de l'Hawkesbury, les crues d'eaux eurent des suites funestes. Cette rivière , en peu d'heures , se gonfla jusqu'à la hauteur de cinquante pieds au-dessus de son niveau ordinaire , et acquit une telle rapidité qu'elle entraîna tout ce qui se trouva sur son passage. Les magasins du gou- vernement, les maisons des fermiers, avec leurs effets et une grande partie des bestiaux, furent submergés et détruits. Plusieurs habitans eurent à peine le temps de se sauver en canots , et cependant il n'en périt qu'un seul. Toute la contrée environnante offrit bientôt l'aspect d'un lac immense. La perte fut d'autant plus grande que les fermiers n'ayant reconnu d'avance aucun symptôme qui pût causer cet accident, ne s'y étaient nullement prépa- rés. Cependant les naturels, qui l'avaient prévu, avaient averti les fermiers, mais ceux-ci n'avaient voulu tenir aucun compte d'un si important avis. Nul doute que l'inondation n'eût été causée par des pluies abon- dantes qui avaient tombé dans l'intérieur des monta- gnes , et qui ne purent trouver d'autre débouché que celui de la rivière dontle lit se trouva subitement grossi d'une manière si extraordinaire. En avril le bruit courut que les équipages de deux bateaux envoyés pour charger du charbon de terre sur les bords de la rivière Hunier, avaient été taillés DE L'ASTROLABE. 245 en pièces par les naturels. Le gouverneur envoya à leur recherche Hacking avec sa haleinière hien armée. Celui-ci tomha sur un fort parti de sauvages aux- quels il demanda ce qu étaient devenus les Européens. Les naturels répondirent qu'ils étaient repartis pour Sydney; mais comme il vit entre leurs mains les voiles, les couvertures des hommes, et leurs divers effets, cette réponse ne satisfit point Hacking. Il les menaça de faire feu sur eux s'ils ne disaient pas la vérité sur- le-champ, et les coucha enjoué. Les sauvages se mo- quèrent de lui, et lui signifièrent que s'il ne se retirait pas en laissant le canot et même celui dans lequel il était venu , ils l'allaient percer lui et ses compagnons , et aussitôt ils se mirent à balancer leurs lances d'une manière très-menaçante. Hacking ajusta son arme sur eux et tira la gâchette , uniquement pour les effrayer, mais au contraire ils n'en devinrent que plus auda- cieux et plus turbulens. Jugeant l'attaque inévitable, il chargea son arme avec du plomb à loup , et leur commanda de se retirer ; mais leur audace croissant toujours, il tira enfin sur eux et en fit tomber quatre, dont un se releva bientôt en prenant la fuite : comme les trois autres restèrent étendus par terre, ils furent très-probablement blessés à mort. Toute la troupe disparut, laissant Hacking se retirer sans danger. On n'entendit plus parler des hommes des canots durant quelques jours, ce qui fit craindre qu'ils n'eussent été assassinés ; mais ils atteignirent heu- reusement l'établissement peu de temps après. TOME I. i~ 246 VOYAGE Durant l'hiver de cette année, les vols, les meur- tres et les crimes de toute espèce devinrent plus fré- quens qu'ils n'avaient jamais été; les magistrats eurent recours à des moyens plus fermes que jamais pour en arrêter le cours ; le dérèglement des femmes fixa aussi leur attention. Au mois de juin la colonie offrait 4,393 acres de terrain semées en blé, et 1,440 en maïs. Certains particuliers possédaient jusqu'à 200 et 290 acres de terre en culture. En vertu des ordres du gouverneur, le 8 juillet, le lieutenant Flinders repartit sur le Norfolk pour explorer avec soin toute l'étendue de côte comprise depuis Port-Jackson jusqu'à la baie Harvey, située par 24° 36' S. Il s'acquitta avec beaucoup de distinc- tion de cette tache délicate, et rentra le 20 août à Sydney, après avoir fait d'importantes découvertes. Il avait eu pour compagnon dans cette excursion un jeune naturel nommé Boungari, très-intelligent, et qui lui fut fort utile dans ses communications avec les sau- vages de la côte. Plusieurs convicts s'étant échappés à diverses re- prises sur les navires qui quittaient Port-Jackson , on fut obligé de visiter avec soin ceux qui mettaient à la voile , et de décréter des punitions sévères contre les officiers ou les marins qui favoriseraient de sembla- bles évasions. Les terres en culture , à la fin de l'année, montaient à 5,465 acres de blé, 2,302 de maïs, 82 d'orge, et 8 seulement d'avoine. DE L'ASTROLABE. 247 Le bétail comptait 39 chevaux , 72 jumens , 1 88 taureaux et bœufs ,512 vaches , 3,189 cochons , 4,781 moutons, et 2,588 chèvres. Au mois d'août 1 800 , on apprit à Sydney la mort deWilson. Depuis qu'il se trouvait dans ce pays , il avait passé la plus grande partie de sa vie dans les bois avec les sauvages. On le soupçonnait fort de leur indiquer les moyens de molester les fermiers avec le plus de succès et le moins de danger possible. Cepen- dant sur la proclamation du gouverneur, il se rendit, et promit de se corriger. Comme il ne pouvait être convaincu que d'un penchant prononcé pour l'oisiveté, on lui pardonna , et on le pourvut même d'un mous- quet et de munitions , pour accompagner ceux qui faisaient des excursions dans les bois. Le reste du temps il allait à la chasse des kangarous et des oi- seaux. Le premier ménure qu'on vit dans le pays fut tué par lui. C'était sa coutume de vivre de la chair des oiseaux qu'il abattait , puis il en apportait les peaux à l'établissement. Il avait acquis sur les naturels des bois une telle influence , qu'il leur avait persuadé qu'il avait été lui- même un homme de couleur de leur race ; il pous- sait le mensonge au point de désigner une vieille femme de leur tribu comme sa mère. Cette pauvre vieille fut assez simple et assez crédule pour recon- naître son fils dans ce vaurien. Les naturels qui ha- bitent les bois ne sont certainement pas aussi rusés que ceux qui habitent le rivage ; ce qui dépend essen- tiellement de leur manière de vivre , l'état social in- *7* 248 VOYAGE fluant beaucoup sur l'exercice el le développement des facultés mentales. Wilson profita de la simplicité des premiers : après s'être donné pour un de leurs com- patriotes , et leur avoir inspiré autant de crainte que de respect pour sa supériorité , il se permit de satisfaire ses désirs, en prenant des libertés intimes avec leurs jeunes femmes. Tout dépourvus qu'étaient ces sau- vages de raisonnement, Wilson éprouva cependant par une triste expérience qu'ils étaient susceptibles de ressentiment. Car, ayant soumis malgré elle une femme à ses passions, les amis de celle-ci profitèrent d'une circonstance où il ne pouvait se défendre, pour lui percer le corps d'une lance. Il finit ainsi sa car- rière , et laissa les naturels dans l'attente de le voir revenir un jour sous la forme d'un autre homme blanc. Le gouverneur Hunter quitta la Nouvelle-Galles du Sud sur le Buffalo, le 28 septembre 1800, empor- tant avec lui l'estime et les regrets de tous les habi- tans, pénétrés de reconnaissance pour les sentimens de justice et d'humanité qui l'avaient toujours animé. La direction de la colonie resta entre les mains du lieu- tenant-gouverneur Gidley King. Au départ du gouverneur Hunter, on comptait dans la colonie 60 chevaux, 143 jumens, 332 bœufs et taureaux, 712 vaches, 4,017 truies, 2,031 co- chons, 4,093 brebis, 725 béliers et 1,455 chèvres; 4,665 acres de terre en blé, 2,930 en maïs et 82 en orge, sans parler de ce qui était cultivé en jardins, patates et autres végétaux. DE L'ASTROLABE. 249 La quantité de terre en culture se trouva moindre que Tannée précédente par suite de la misère des fermiers , provenant autant de leur extrême impré- voyance que du prix excessif des objets en tout genre, et des gages exorbitans qu'ils étaient obligés de payer aux ouvriers. Du reste le gouverneur Hunter laissa la colonie enrichie d'une quantité d'ouvrages , de monumens et d'édifices publics entrepris et exécutés sous sa direc- tion. Il ne négligea rien de ce qui pouvait tendre à sa prospérité , et sut tirer du travail des convicts le parti le plus avantageux. On sera sans doute curieux de voir d'un seul coup- d'œil la série des navires des différentes nations qui vinrent mouiller à Port- Jackson depuis l'établisse- ment de la colonie jusqu'au 21 novembre 1800. Ce tableau donnera une idée assez juste de son impor- tance progressive sous le rapport des relations com- merciales. 250 VOYAGE NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVÉE. DU DÉPART. Supply, conserve de S. M. î5 janv. 1788 Angleterre. Convicts. Syrius, navire de S. M. 26 janvier. Id. Id. Alexander, transport. Id. Id. Id. Scarborough , id. Id. Id. Id. Charlotte, id. Id. Id. Id. Lad y Penrliyn, id. Id. Id. Id. Friendship , id. Id. Id. Id. P rince of fFales, id. * Id. Id. Id. Fis/i-Buru, navire d'ap- Id. Id. Id. provisionnement. Golden-Grove , id. Id. Id. Provisions. Borrow-Dale , id. Id. Id. Id. Syrius, navire de S. M- 6 mai 1789. Cap de Bonne- Espérance. Id. l.ady Juliana, transport. 3 juin 1790. Angleterre. Convicts. Justuiian , navire d'ap- 20 juin. Id. Provisions. provisionnement. Surprise, transport. 26 juin. Id. Convicts. Neptune, id. 28 juin. Id. Id. Scarborough , id. Id. Id. Id. Supply, navire de S. M. 19 septembre. Batavia. Provisions. Il aksamheid , nav. d'ap- 17 décembre. Id. Id. provisionnement hol- landais. Hlary-Ann, transport. 19 juillet 1791 Angleterre. Convicts. Matilda, id. 1" août. Id. Id. Atlantic, id. 20 août. Id. Id. Salamander, id. 21 août. Id. Id. // illiam aud Ann , id. 28 août. Id. Id. Gorgon, navire de S. M. 21 septembre. Id. Vivres et mu- nitions. Active, transport. 26 septembre. Id. Convicts. Queen, id. Id. Irlande. Id. Albemarle, id. 1 3 octobre. Angleterre. Id. Britannia, id. 14 octobre. Id. Id. Admirai Barrington , id iG octobre. Id. Id. Pitt, id. 14 févr. 1792 Id. Id. Atlantic, navire d'appro • 20 juin. Bengale. Provisions. visionnement. 1 Britannia, id. 26 juillet. Angleterre. Id. 1 Royal Admirai, nav. d'ap - 7 octobre. Id. Convicts. provisionnement. DE L'ASTROLABE. 251 NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVÉE. nu détart. Philadeiplùa , brick amé- I" novembre. Pbiladelpbie. Spéculation ricain. commerciale. Kittr, transport. 18 novembre. Angleterre. Couvicts. Hope, américain. Décembre. Rhode-Island. Spéculation. Cheslerfxeld , baleinier. Id. Cap de Bonne- Pour répara- Espérance. tions. IScllona , transport. i5 janv. 1793 Angleterre. Convicts. Ilormuzear, shaw. 24 février. Id. Spéculation. Descubierta, espagnol. 12 mars. Manille. Pour rafrai- chissemens. Atrevida, id. Id. Id. Id. Dœdalus, navire d'appro- 20 avril. Côte N.O. d'A- Provisions. visionnement mérique. lîritannia, id. Juin. Cap de Bonne- Bétail et pro- Espérance. visions. I.oddington, transport. 7 août. Irlande. Convicts. Sugar-Cane , id. 1 7 septembre. Id. Id. Fairy, américain. 29 octobre. Boston. Pour rafraî- cbissemens. William, navire d'appro- 20 mars 1794. Angleterre. Provisions. visionnement. Arthur. 10 mars. Bengale. Spéculation. Dœdalus, navire d'appro- 3 avril. Côte N.O. d'A- Provisions. visionnement. mérique. Indispensable, id. 14 mai. Angleterre. Id. Britannia, id. 3 juin. Batavia. Id. Speedy, id. 8 juin. Angleterre. Id. \Halcyon, américain. 14 juin. Rbode-Island. Spéculation. Hope, id. 5 juillet. Id. Id. Fancy, navire d'approvi- 9 juillet. Bombay. Provisions. sionnement. Resolution, id. 10 septembre. Angleterre. Id. Salamander, id. 11 septembre. Id. Id. Mercury, américain. 17 octobre. Rbode-Island. Id. 1 Surprise, transport. ■iS octobre. Angleterre. Convicts. 1 Experiment. 24 décembre. Bengale. Spéculation. Britannia. 4 mars 1795. Cap de Bonne- Provis. pour Espérance. les officiers. Endeavour, navire d'ap- 3i mai. Bombay. Bétail. provisionnement. Providence , navire de 26 août. Angleterre. » S. M. 2.52 VOYAGE NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVÉE. DU DÉPART. Reliance, navire de S. M. 7 septembre. Angleterre. Munitions. Supply, id. Id. Id. Id. Young Jf'itliam, navire 4 octobre. Id. Id. d'approvisionnement. Sovereign. 5 novembre. Id. Id. Artkitr. i" janv. 1796 Bengale. Spéculation. Ceres, navire d'approvi- 2 3 janvier. Angleterre. Provisions. sionnement. Experimenl. 24 janvier. Bengale. Spéculation. Ottcr, américain. Id. Boston. Pour rafraî- chissemens. Marq. Corntvallis , trans- 11 février. Irlande. Convicts. port. Abigaîl, américain. Février. Rliode-Island. Spéculation. Assistance. 17 mars. Dusky-Bay. » Susan , américain. it) avril. Rhode-Island. Spéculation. Indispensable, transport. 3o avril. Angleterre. Convicts. Ilritannia , navire d'ap- n mai. Calcutta. Provisions. provisionnement. Grand-Turk, américain. 2 3 août. Boston. Spéculation. Prince of If aies, navire 2 novembre. Angleterre. Id. d'approvisionnement. Sylph. 17 novembre. Id. Id. Mercury, américain. 11 janv. 1797 Manille. Pour répara- tions. Supply, navire de S. M. 16 mai. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Britannia, transport. 27 mai. Irlande. Provisions. Ganges, id. 2 juin. Id. Id. Reliance, navire de S. M. 26 juin. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Deptford. 20 septembre. Madras. Spéculation. Xautilus. 14 mai 1798. Otahiti. Missionnaires. Barwell, transport. 18 mai. Angleterre. Convicts. Hun ter. 10 juin. Bengale. Spéculation. Comwall, baleinier. 2 juillet. Cap de Bonne- Espérance. Pour répara- tions. Eliza, id. 4 juillet. Id. Id. Argo, schooner améri- 7 juillet. Maurice. Spéculation. cain. Sally, baleinier. 8 juillet. Cap de Bonne- Pour répara- ; Espérance. tions. DE L'ASTROLARE. 253 NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVÉE. DU DÉPART. Britannia, transport. i 8 juillet. Angleterre. Convicts. Pomona, baleinier. 20 août. Cap de Bonne - Espérance. Pour répara- tions. Sémiramis, américain. Id. Id. Id. Diana. icr octobre. Rhode-Island. Id. Marq. Cornwallis, navire 27 octobre. Cap de Bonne- Bétail. d'approvisionnement. Espérance. Indispensable , baleinier. Id. Id. Pour répara- tions. Rebecca, américain. 5 mars 1799. Id. Spéculation. Xoslra Senora de Beth- 24 avril. Cape-Blanco. Divers articles. léem, prise. Buffalo, navire de S. M. 26 avril. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Albion, navire d'appro- 29 juin. Angleterre. Provisions. visionnement. Hillsborough , transport. 26 juillet. Id. Convicts. Resource, américain. 6 septembre. Rbode-Island. Pour répara- tions. IValker, navire d'appro- 3 novembre. Angleterre. Provisions. visionnement. Plumier, prise. 2 décembre. Cap Corientes. Divers articles. Tlmine. 11 févr. 1800. Bengale. Spéculation. Betsey, baleinier. i3 février. Amérique. Pour répara- tions. Friendsliip , transport. i5 février. Angleterre. Convicts. Speedy, id. Id. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Bell Savage, américain. 7 juifl- Rbode-Island. Pour répara- tions. Porpoise, navire de S. M. 7 novembre. Angleterre. Convicts et pro- visions. Royal Admirai. 22 novembre. Id. Id. Au départ du gouverneur Hunter, deux navires se trouvaient sur les chantiers ; le premier de 1 50 à 1 60 tonneaux, pour le service de Sydney à Norfolk, l'autre, 254 VOYAGE qufdevait porter le nom de Cumberland , de 27 ton- neaux , destiné à être gréé et armé en goélette , pour la poursuite des déserteurs qui avaient coutume d'en- lever les embarcations pour s'enfuir. On s'assura que la construction de ce navire avait coûté la somme de 3,954 liv. sterl., dont la majeure partie fournie par les cotisations publiques. Pour réprimer la fureur des spéculations mer- cantiles sur les esprits , le gouverneur renvoya trois navires du Bengale, chargés de 54,000 gallons d'es- prits et de vin , sans leur permettre de les décharger. La quantité de billon attendue d'Angleterre étant arrivée, le gouverneur prit les mesures nécessaires pour assurer la circulation des diverses monnaies en leur fixant à chacune une valeur légale, et pro- hibant l'exportation aussi bien que l'importation de toute somme en monnaie de cuivre au-dessus de cinq liv. sterl. Au commencement de l'année 1 80 1 , les provisions salées des magasins publics se trouvèrent encore telle- ment réduites, que le gouverneur, dans la crainte d'une nouvelle disette, envoya un navire àTaïti, sous le commandement du lieutenant Scott , pour y acheter et y saler des cochons. Il portait des lettres du gou- verneur à Pomare, roi de cette ile, afin de l'engager à favoriser M. Scott dans sa mission, et à protéger les missionnaires. Mais les présens dont il était pourvu produisirent bien plus d'effet que les lettres sur ce prince sauvage. Dans la crainte des événemens , le gouverneur fit DE L'ASTROLABE. 255 passer l'ordre à Norfolk d'expédier à Sydney toutes les salaisons dont on pourrait disposer, et prit des en- gagemens avec un marchand de l'Inde pour en rece- voir une cargaison complète de bétail et de riz. Au mois de juin , les animaux vivans de l'établisse- ment montaient à 4,766 cochons, 1,259 chèvres, 6,269 brebis, 362 bêtes h corne, et 21 1 chevaux. La population , le 30 du même mois , se composait de 6,508 personnes, dont 961 à Norfolk. Les terres cultivées offraient 5,324 acres en blé, et 3,864 en maïs. Le brick Lady-Nelson, commandé par le lieutenant Grant , arriva sans accident en décembre 1 80 1 . Ce fut lui qui passa le premier par le détroit de Bass , en at- terrissant par 38° latitude S. , 4° plus à l'O. que n'é- taient allés MM. Flinders et Bass sur le Norfolk. Il visita aussi le port Western , où il trouva un excellent mouillage. L'expérience de plusieurs années prouva que la co- lonie ne pouvait acquérir une certaine prospérité que par l'envoi de colons instruits , industrieux et res- pectables. Ceux qui formèrent d'abord le noyau de cette partie de la population, au nombre de 87 indi- vidus , avaient été des convicts émancipés , des marins ou des soldats, classe d'hommes pour la plupart trop adonnés à l'ivrognerie pour triompher d'une habitude si funeste à la nouvelle condition qu'ils avaient em- brassée. Heureusement on se vit obligé de les trans- porter de nouveau en d'autres lieux , eu égard à leur incorrigible conduite. A dater de Tannée 1802, la 256 VOYAGE classe des colons de New-South-Wales acquit de jour en jour des droits à la considération publique , car elle se recruta principalement de citoyens honnêtes du royaume , auxquels on facilita les moyens d'aller s'é- tablir dans la colonie avec leurs familles. En effet, depuis cette époque, aucun navire ne parut à Sydney sans y amener des passagers, et l'on peut juger com- bien ses progrès furent désormais rapides , quand on saura qu'elle était assidûment visitée par des navires venant du cap de Bonne-Espérance, de Batavia, du Bengale, de Bombay, des côtes occidentales d'Amé- rique , de la Chine , etc. , etc. Par suite de ce nouveau système, la colonie com- mençait à offrir un coup-d'œil plus intéressant, et les crimes y étaient devenus moins fréquens , quand les vaisseaux de l'expédition de Baudin vinrent mouiller à Port-Jackson en juin 1802. Chacun a lu avec in- térêt le tableau séduisant que traça le naturaliste Péron de cette colonie naissante , et des espérances que de- vaient faire naître à son avis des progrès si surpre- nans. Sans doute, comme en tant d'autres occasions, cédant aux illusions d'une imagination trop vive , sa plume éloquente fit un éloge outré de cet établisse- ment, de ses avantages, et surtout de la réforme admi- rable , et des sentimens vertueux qui devaient animer les malheureux transportés dans ces climats lointains. L'exposé rapide que nous venons de présenter de la fondation et de l'histoire de cette colonie dans son en- fance, fait voir ce qu'on doit rabattre des pompeuses descriptions de cet écrivain. Notre récit est extrait des DE L'ASTROLAKE. 25? relations détaillées d'Anglais déjà plutôt disposés à ap- plaudir aux opérations de leur gouvernement qu'à les déprécier, et nous avons glissé rapidement sur 1 enu- mération des crimes et des forfaits qui viennent se reproduire dans chacune de leurs pages. Toutefois nous conviendrons volontiers que cet établissement a fait beaucoup d'honneur à l'Angleterre sous tous les rapports. Surtout on ne saurait trop admirer la pa- tience , le courage et le noble dévouement du gouver- neur et des officiers , qui les premiers furent chargés d'une tâche si pénible, et surent néanmoins s'en acquit- ter d'une manière si distinguée. Malgré les privations auxquelles ils se virent réduits, les dégoûts qu'ils avaient à essuyer dans leurs rapports journaliers avec une classe d'hommes si méprisable , et même malgré l'abandon dans lequel leur mère-patrie sembla les laisser languir si long-temps, leur énergie et leur amour pour le bien public et la gloire nationale les firent triompher de tous les obstacles, et imprimèrent dès-lors à la colonie cette heureuse impulsion qui ne devait pas tarder à la rendre digne des applaudisse- mens de l'Europe. Je dirai plus , quoiqu'il m'en coûte de faire un pareil aveu , oui , je dirai que, malgré tous les reproches qu'on peut lui adresser sous d'au- tres rapports , la nation anglaise, dans l'état actuel des choses, est probablement la seule aujourd'hui au monde capable de produire de semblables caractères ; du reste elle est aussi probablement la seule capable de les récompenser dignement ! Les Français furent reçus à Svdney de la manière 258 VOYAGE la plus obligeante. On pourvut à tous leurs besoins avec la plus grande libéralité, et toutes les personnes distinguées de la colonie se hâtèrent de les assis- ter dans leurs travaux et dans leurs recherches, avec un zèle , un empressement , qui ne pouvaient man- quer d'inspirer à leurs hôtes la plus vive reconnais- sance. Cette conduite généreuse et la satisfaction que ceux-ci durent éprouver d'un semblable accueil, après la navigation triste et pénible qu'ils venaient d'ac- complir, durent influencer dune manière puis- sante leur disposition à voir et à juger la scène qui les environnait. Il n'est donc pas étonnant qu'ils se soient plu à nous la représenter dans leurs rap- ports et leurs descriptions sous le coup-dœil le plus favorable. Quoi qu'il en soit, le recensement que cite Péron, et qui eut lieu , dit-il , en 1 802 , nous représente la Nouvelle-Galles du Sud comme peuplée de 13,195 in- dividus, savoir: 370 personnes libres, 3,170 éman- cipés, 5,772 convicts, 2,063 enfans nés dans la co- lonie, 840 soldats du régiment de JNew-South-Wales, outre 980 personnes sur File Norfolk. Dès le 6 mars 1803, une feuille hebdomadaire commença à paraître à Sydney, avec l'autorisation du gouverneur Ring, sous le titre de Sydney Gazette and New-South-fFales Advertiser. Cette feuille, d'abord très-bornée et qui ne paraissait qu'une fois par semaine, s'accrut peu à peu au format grand in-folio, avec six colonnes à la page, et paraissait, en 1826, trois fois par semaine. DE L'ASTROLABE. 259 La ville d'Hobart-Town fut fondée à la fin de 1 803, et celle de Port-Dalrymple en 1804. Le gouverneur Gidley King donna sa démission le 1 3 août 1 806 ; il eut pour successeur le capitaine Bligh, déjà célèbre par la révolte de son équipage sur le na- vire le Boiuitj/, et la navigation hasardeuse qui en avait été la suite. Ce marin farouche se porta sur ce nouveau théâtre à de nouveaux excès , et ne justifia que trop par sa conduite la triste extrémité où s'étaient portés Chris- tiern et ses compagnons. Enfin il réussit si complè- tement à s'attirer l'exécration publique , que pour ar- rêter le cours de ses fureurs, le lieutenant-colonel Georges Johnstone, commandant le régiment de New- South-Wales, de concert avec la plupart des p-ens de considération, fut obligé de le faire arrêter. Il fut traduit devant une cour martiale, et condamné à être suspendu de ses fonctions , comme indigne de les remplir; le colonel Johnstone en fut chargé par in- térim. Malgré les torts de Bligh, on sent bien que le ministère anglais ne put souffrir une pareille infrac- tion à son autorité; il ne pouvait manquer de se trouver offensé dans la personne de son représentant, tout indigne qu'il était de sa confiance. Aussi le co- lonel Johnstone et tous ceux qui avaient participé à la suspension du gouverneur Bligh , encoururent la disgrâce du gouvernement , et furent punis propor- tionnellement à la part qu'ils avaient prise à cet acte de vigueur. 2 60 VOYAGE Les affaires de la colonie furent ensuite successi- vement administrées par le lieutenant-colonel Joseph Foveaux et le colonel William Paterson, tous deux du régiment de New-South-Wales , qui devint ensuite le 102e. Enfin le 28 décembre 1809, le colonel Lachlan Macquarie arriva dans la colonie avec le 73e régiment, et entra en charge le l11 janvier 1810. A cette époque la colonie s'était déjà considéra- blement accrue; on y comptait près de 15,000 habi- tons, dont 4,277 seulement étaient nourris en tout ou partie aux dépens du gouvernement. La terre cul- tivée montait à 21,000 acres, et 74,000 étaient em- ployées en pâturages. Le bétail se composait de 524 chevaux, 593 jumens, 193laureaux, 6,351 va- ches, 4,782 bœufs, 33,818 brebis, 1,732 chèvres et 8,992 cochons. Depuis quelques années, quand les inondations du Hawkesbury ne détruisaient point les récoltes, elles suffisaient à la consommation gé- nérale. De tous les hommes , Macquarie était peut-être le plus capable de diriger un pareil établissement. Doué d'un caractère affable et populaire , exempt de pas- sions et de préjugés, surtout profondément pénétré du désir de faire le bonheur de ceux qu'il était appelé à gouverner, il s'occupa sans relâche des moyens de réussir. Peu après son arrivée à l'auto- rité suprême, la colonie reçut de grands embellis- semens. La ville de Sydney fut distribuée sur un nouveau plan, et coupée par des rues régulières. On DE L'ASTROLABE. 261 fonda cinq nouvelles villes sur les bords de l'Haw- kesbury et de George-River, sous les noms de Wind- sor, Rielnnond, Wilberforce, Pitt et Castlereagh. Les routes de Sydney à Paramatta et au-delà , jus- qu'alors à peine praticables, furent réparées et mu- nies de ponts sur les criques et les torrens. Grâces aux soins du gouverneur, de nombreux troupeaux de bé- tail et de vastes magasins remplis de grains éloignè- rent désormais toute appréhension de disette. On vit paraître en 1811 le premier almanach de y ew-Soath-f fuies; outre d'autres détails curieux touchant la colonie , il offrit chaque année la liste des établissemens et des fonctionnaires civils et mili- taires. Après tant de tentatives inutiles, en 1814 on réus- sit à traverser ces fameuses montagnes Bleues, que Ton croyait un obstacle insurmontable pour pénétrer vers l'intérieur de l'Australie, et l'on découvre les plaines immenses qui occupent les régions situées plus à l'ouest. L'année suivante un dépôt militaire est établi, sur les bords de la rivière Macquarie, sous le nom deBathurst; et, en 1817, on y fonde une ville qui porte le même nom. Quoique éloignée de Sydney de cent trente-six milles, les communications sont facilitées par des routes praticables, et qui permettent même aux plus pesans attelages de transporter les produits de l'intérieur sur les bords de la mer. Les lecteurs pourront se faire une idée de l'accrois- sement rapide que prit la colonie sous l'administration de Macquarie, quand ils apprendront qu'au 19 no- TOME I. l8 262 VOYAGE vembre 1817, la population totale de la Nouvelle- Galles du Sud et de ses diverses dépendances ne mon- tait pas à moins de 20,328 âmes, qui se trouvaient ainsi réparties : Dans la Nouvelle -Galles du Sud, 1C,664, dont 610 soldats et 6,297 conviets, le reste en population libre. Dans la terre de Van-Diémen, 3,114, dont 2,554 dans le Derwent, et 560 à Porl-Dalrvmple. Dans ce nombre on comprend 200 soldats, et on estime le reste des bommes libres à 2,1 18. A New-Castle, à soixante milles au nord de Port- Jakson , 550, dont 70 environ seulement sont libres. Le gouverneur Macquarie ne se contenta pas d'en- richir la colonie d'ouvrages utiles ; il porta aussi toute son attention vers la morale publique , et cher- cha tous les moyens de l'améliorer. Jusqu'alors les conviets émancipés, quoique rendus à la condition d'hommes libres , étaient restés généralement cour- bés sous le poids de l'opinion publique. Ils vivaient séquestrés de la société des personnes d'origine li- bre; ils étaient exclus des fonctions publiques, et leurs droits civils par le fait se bornaient à peu près à être admis à procéder devant les cours civiles. Cet état de choses tenait essentiellement à l'origine même de la colonie, et aux élémens dont sa popu- lation s'était successivement composée. Ainsi qu'on l'a vu , durant les quinze premières années , les grandes propriétés et la majeure partie des intérêts commer- ciaux se trouvèrent concentrés entre les mains d'un DE L'ASTROLAKE. 263 petit nombre d'individus qui , sauf quelques excep- tions, exerçaient des fonctions civiles et militaires, ou les avaient primitivement remplies. Ils ne tardèrent pas à former une sorte d'aristocratie, dont les efforts tendirent de suite à envahir tout le pouvoir et à domi- ner la colonie entière. Jouant sous les premiers gou- verneurs le rôle de la haute noblesse dans une monar- chie , ils se regardèrent comme leurs conseillers natu- rels , et exercèrent la plus grande influence sur leurs délibérations. Aux yeux de ces colons la classe entière des émancipistes (je désignerai ainsi ceux des convicts qui recouvrent leur liberté par pardon ou pour avoir rempli leur temps ) ne méritait aucune considération , et leur orgueil n'eût pu supporter l'idée de les voir un seul instant rétablis sur le même parallèle que les hommes libres. Vainement on eût pu alléguer les exemples très- rares de quelques particuliers , qui , après avoir été convicts , étaient néanmoins parvenus à une certaine aisance et à un état indépendant. Leur succès , dans ces cas mêmes, ne pouvait s'attribuer qu'au patronage et à la protection que leur avaient accordée quelques- uns des membres de cette sorte de junte aristocra- tique, dont ils avaient été les agens dans leurs affaires de négoce ; car ces nobles de nouvelle date auraient cru déroger à leur dignité en tenant boutique et ven- dant publiquement. Ainsi se trouvaient anéanties de fond en comble les vues philantropiques des hommes qui avaient fondé cet établissement. En effet, ils avaient espéré que sur 18* 2G4 VOYAGE ,1e nombre des malheureux qui seraient condamnés à y subir le juste châtiment de leurs fautes , on en trouverait qui, susceptibles encore de quelques sen- timens d'honneur, pourraient revenir à une meil- leure conduite, et par conséquent recouvrer dans leur nouvelle patrie les droits qu'ils avaient perdus dans l'ancienne. Les fondateurs avaient considéré cette terre comme un asile pour le repentir, ou le coupable, pu- rifié de ses fautes, pourrait un jour redevenir un mem- bre utile de la société dont il allait faire partie. Mais l'imprudent orgueil des colons d'origine libre s'attachait au contraire à les frapper d'un éternel sceau de répro- bation ! En vain de longues années d'une bonne conduite et dune honnête industrie semblaient mé- riter à un infortuné, jadis atteint par les lois, un juste retour à l'estime de ses semblables; le terrible titre de convict lui restait à jamais imposé, et sa malheu- reuse postérité semblait enveloppée dans la même proscription que lui; car ces fiers patriciens accordaient presque autant de mépris aux enfans des émancipistes qu'aux émancipistes eux-mêmes. La conséquence na- turelle d'une telle injustice était que cette classe, ainsi dégradée dans l'opinion publique, et ne voyant aucun terme à sa honte, finissait peu à peu par s'y accou- tumer, et ne tentait plus aucun effort pour recouvrer un rang dont elle était à jamais déchue. Ainsi l'on voit aux lieux où ils sont persécutés, les juifs justifier volontairement la réputation qu'on leur donne; les parias de l'Inde vivre contens dans l'état d'abjection où les tiennent les autres castes ; et partout où l'homme DE L'ASTROLABE. 2GS esl esclave, on le voit adopter promptcment tous les vices de sa triste condition. 11 résultait encore de cette proscription qu'un germe éternel de haines et de dis- cordes allait s'établir dans la nouvelle colonie, et ne pourrait manquer de lui devenir un jour funeste, dès que les émancipistes ou leurs enfans se trouveraient assez puissans pour se venger des mépris dont ils étaient l'objet. Pour prévenir d'aussi tristes suites, le sage Mac- quarie s'opposa de tout son pouvoir à l'ambition de la faction dominante. 11 réprima constamment les pré- tentions de ses membres durant tout le cours de son administration. Pour parvenir plus sûrement à son but, il défendit aux militaires d'occuper aucune pro- priété territoriale ou de se mêler d'affaires de com- merce ; il éleva à la dignité de magistrats plusieurs personnes de mérite, bien qu'elles fussent sorties de la classe des convicts ; en outre il ouvrit tous les ports de la colonie à l'importation libre de toute espèce de marchandises et sans aucune restriction. Le sage ad- ministrateur alla plus loin ; il admit à sa table quel- ques-uns des émancipistes dont la belle conduite et les services lui avaient paru dignes de cette marque d'estime. 11 espérait, en donnant un pareil exemple, encourager d'une part le repentir de ceux que la loi avait dû frapper, sans détruire dans leur cœur tous sentimens de vertu , et de l'autre amener à des disposi- tions plus indulgentes, des hommes qui, trop fiers d'une origine sans tache , se croyaient exclusivement appelés aux faveurs du gouvernement. 2 fi G VOYAGE Quoique rien ne lût plus raisonnable et plus hu- main que les vues du gouverneur Macquarie, tous ses efforts pour rapprocher les deux classes qui compo- saient la population libre de Xew-South-Wales n'eurent point de succès ; les colons d'origine libre se trouvè- rent à la fois blessés dans leurs intérêts particuliers et dans leur vanité. L'admission des émancipistes à la protection du gouvernement et aux fonctions de la magistrature , leur enlevait le monopole de la fortune et du pouvoir, objet le plus cher de leurs désirs. Loin de vouloir se prêter à aucun rapprochement avec leurs nouveaux concitoyens, leur éloignement prit encore un caractère plus marqué , et ils s'en firent publique- ment honneur. Quelques-uns poussèrent même l'oubli des convenances envers leur chef suprême, au point de se refuser à ses invitations, pour ne pas se trouver à la même table que des personnes qu'il avait jugées dignes d'y paraître. Ils ne s'en tinrent pas là; pour se débarrasser d'un chef dont ils ne pouvaient plus attendre que le ren- versement de leurs projets, ils le dénoncèrent au mi- nistère, et, dénaturant la pureté de ses intentions, ils prêtèrent à ses actions des motifs honteux. Long-temps son intégrité reconnue et son zèle infatigable dans l'exercice de ses fonctions répondirent suffisamment aux inculpations de ses ennemis. Cependant le cabinet de Londres fut ébranlé par des plaintes si souvent réitérées. Il se crut obligé d'en approfondir la source. Un commissaire du roi , nommé Bigg, fut envoyé en 1819 pour examiner en DE L'ASTROLABE. 267 détail la situation de la colonie et la conduite du gouverneur. Durant deux années environ qu'il passa en ce pays, il ne s'acquitta que trop scrupuleusement de sa mission. Il s'enquit minutieusement de toutes les moindres particularités; il remonta à la source de toutes les fortunes un peu remarquables, et on lui a reproché d'avoir souvent prêté une oreille complaisante à ceux qui étaient connus pour être les ennemis dé- clarés du gouverneur. Ce fut vers ce temps que l'Uranie passa à Port- Jackson , où elle séjourna du 18 novembre au 25 dé- cembre. Durant ce long intervalle, et depuis son re- tour, M. de Freycinet a pu se procurer d'immenses matériaux sur l'état de la colonie à cette époque. Aussi je me contenterai de dire ici qu'il y fut reçu avec une distinction et une générosité remarquables. Le général Macquarie s'empressa de prévenir ses moindres désirs, et procura aux naturalistes de l'expédition les moyens d'exécuter agréablement et utilement une excursion jusqu'à Bathurst. M 31. Quoy et Gaudichaud furent les premiers Français qui passèrent les montagnes Bleues. Outre les dégoûts qu'avaient dû nécessairement cau- ser au gouverneur Macquarie les cabales de ses enne- mis et la présence du commissaire , qu'il ne pouvait guère considérer que comme un espion du gouver- nement, il eut à lutter contre un obstacle plus puis- sant, et qui tenait encore au point de vue sous lequel la mère-patrie s'obstinait à considérer la colonie. A mesure que le nombre des déportés et la po- 2158 • VOYAGE pulation avaient augmenté , la dépense annuelle avait dû s'accroître proportionnellement. Ainsi, en y comprenant les fiais de transport des convicts, de 1 7 88 à 1 797 elle avait été de 1 ,037 ,230 liv. st. , environ 86,435 liv. par an; de 1798 à 1811, elle avait été de 1,634,926 liv., ou 116,709 liv. par an; de 1812 à 1 816, elle avait été de 793, 827 liv., ou 198, 456 liv. par an;en 1816, de 193,775 liv.; en 1817, de 229,152 liv. Cet accroissement progressif devait s'attribuer en par- tie au nombre plus grand des condamnes, mais sur- tout à l'augmentation continuelle de la dépense inté- rieure. Sans doute , avec les progrès qu'avait faits la co- lonie , ses ressources eussent dû suffire à la partie de la dépense indépendante des condamnés , et c'est ce qui fut arrivé , si des lois salutaires l'eussent régie. Mais elle gémissait au contraire sous des restrictions sans nombre qui s'opposaient au développement de ses forces. Ainsi la prohibition établiesur la distillation des grains pour les convertir en esprits , décourageait l'agriculteur qui ne savait où placer l'excédant de ses récoltes sur sa consommation habituelle et ce qui suffisait à l'approvisionnement des magasins publics. D'énormes droits , assis sur la plupart des objets d'exportation, comme bois, lin de la Nouvelle-Zé- lande , charbon de terre , huile de baleine , sperma- céti, etc., paralysaient tous les efforts du commerce. Enfin la navigation se trouvait à peu près anéantie par les privilèges de la Compagnie des Indes, qui s'étendaient presque sur tous les points où les marins DE L'ASTROLABE. 2«9 de la Nouvelle-Galles dû Sud eussent pu conduire leurs navires. Aussi voil-on la dépense réelle, oeeasionée par la co- lonie à la mère-patrie, suivre la progression suivante : en 1812, 176,781 liv. st.; en 1813, 235,597 liv.; en 1814, 231,362 liv., et en 1815, 150,087 liv. Le ministère effrayé recommanda au gouverneur l'éco- nomie la plus sévère. Celui-ci ne vit d'autre moyen de diminuer les charges de l'Etat qu'en devenant plus prodigue des billets de liberté, pour réduire le nombre des individus qu'il fallait entretenir aux dépens des ma- gasins publics. C'est ainsi qu'il réussit à diminuer le chiffre des années suivantes , malgré l'arrivée conti- nuelle de nouveaux condamnés. Mais ces mesures entraînèrent de graves inconvéniens. Un grand nom- bre de ceux qui furent ainsi rendus à la liberté avaient été éprouvés trop peu de temps pour que leur ré- forme fût sincère; ils devinrent des membres fort dangereux de la colonie , et leur émancipation préma- turée donna lieu à de fréquens excès. La police se vit obligée de redoubler de vigilance; malgré ses soins, les vols devinrent si fréquens , qu'un ordre émané du gouvernement conseilla aux particuliers, ainsi qu'aux hommes chargés de conduire des voitures, de ne voyager que de jour. Ces diverses contrariétés firent désirer au général Macquarie de voir arriver le terme de sa longue admi- nistration, et ce fut sans peine qu'il en quitta les rênes le 1er décembre 1821, pour retourner dans sa patrie. Tous les honnêtes gens et tous ceux qui s'in- 270 VOYAGE téressaient sérieusement au bonheur de la colonie, le virent s'éloigner avec le plus grand regret ; les grands travaux, les établissemens utiles , en un mot tout ce que la colonie possède de remarquable, a été entrepris sous ses auspices et rappelle son souvenir. Aujourd'hui le nom de Macquarie dans la bouche des publicistes de la Nouvelle-Galles du Sud, est prononcé comme l'équi- valent de toutes les idées de bonté , de probité et de désintéressement. Quels progrès avait dû faire la colonie sous ce gouverneur, malgré les vices des lois qui la régis- saient , puisqu'au rapport même du commissaire Bigg, en 1820, elle n'offrait pas moins de 9,000 acres de terre cultivées en blé seulement , plus de 30,000 bètes à corne et 200,000 brebis ! Sir Thomas Brisbane, major-général dans l'armée de terre, succéda immédiatement à Macquarie. C'était un homme d'un caractère doux, honnête et distingué par ses connaissances en astronomie. Mais autant Mac- quarie s était montré populaire et accessible à toutes les classes de la société, autant le général Brisbane vé- cut retiré et peu communicatif. Effrayé par les fruits qu'avait retirés son prédécesseur de ses tentatives , il ne se permit jamais d'accorder aucune sorte de faveur publique aux émancipés : sous son gouvernement , ils ne reparurent plus à la table de l'hôtel. Mais les chefs du parti libre y gagnèrent peu de chose : naturelle- ment juste et impartial , M. Brisbane ne leur accorda aucune sorte d'influence , et se contenta de faire exé- cuter les nouvelles instructions qu'il avait reçues DE L'ASTUOIABK. 271 à son départ de Londres , sans prêter l'oreille à au- cune sorte de réclamations. Malheureusement ces ins- tructions étaient basées sur l'économie la plus rigou- reuse. Nonobstant quelques améliorations qui eurent lieu , telles que rétablissement d'un secrétaire colonial et autres autorités nécessaires au bon ordre, d'une ma- gistrature plus libérale, et la suppression de quelques droits onéreux ; les réductions qu'il fallut opérer sur diverses branches de l'administration portèrent un coup fatal à une foule d'intérêts. La plupart des grands projets entrepris sous le gouverneur précédent furent suspendus, et l'on ne put entretenir les édifices qui avaient été terminés. Le major Goulburn, secrétaire colonial, fonction- naire sévère et flegmatique , fut chargé de l'exécution des nouvelles mesures pécuniaires, dont il recueillit tout l'odieux. C'est au milieu de cet état de choses que la Coquille parut à Port-Jackson, au commencement de 1824, et y passa deux mois au mouillage. Malgré la gène où se trouvaient les habitans , les Français furent reçus avec la même politesse que de coutume. Sur le désir que je lui témoignai , le gouverneur Brisbane s'em- pressa de me faciliter les moyens de traverser les mon- tagnes Bleues, et de m'avancer jusqu'à dix milles au- delà de Bathurst. J'y trouvai l'hospitalité chez le major Morrisset, commandant la station, et je pus contem- pler les changemens élonnans qu'avait opérés l'agricul- ture en quelques années dans ces solitudes naguère inconnues aux Européens. 212 VOYAGE Au moment où nous quittions la colonie , on parlait beaucoup de la création d'un conseil colonial , com- pose des principaux habitat» du pays , et qui devait remplir, à certains égards , les attributions du pouvoir législatif. En effet, peu après notre départ, par un acte du Parlement, en date du 19 juillet 1823, qui devait avoirforcedeloidanslacoloniejusqu'aulcrjuillet 1827, l'autorité arbitraire qu'avaient exercée les gouverneurs jusqu'à cette époque, ne tarda pas à être considéra- blement modifiée par divers articles dont nous ne rapporterons ici que la substance. « Un conseil législatif était créé pour la colonie , composé de cinq membres au moins , et de sept au plus , nommés par le gouverneur ou son suppléant, et ratifiés par le roi. » De concert avec le conseil ou avec la majorité de ses membres , le gouverneur avait le droit de faire des lois et des ordonnances pour la paix , la sûreté et le bon ordre de la colonie, pourvu qu'elles ne fussent point contraires aux ordres ou lettres-patentes du roi en son conseil, ni aux lois de l'Angleterre. » Le gouverneur avait seul l'initiative de ces lois et ordonnances ; mais pour garantir leur conformité avec les ordres passés dans le conseil et les lois d'Angle- terre , aucunes d'elles ne pouvaient être proposées par le gouverneur à l'avis du conseil , à moins qu'une copie n'en eût d'abord été soumise au grand-juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, et que celui-ci DE L'ASTROLABE. 273 n'eût transmis au gouverneur un certificat signé de sa main, constatant que la loi proposée n'était point en opposition avec celles de l'Angleterre. » S'il arrivait que la majorité, ou même la totalité des membres du conseil rejetassent la loi soumise à leur approbation, et que cependant le gouverneur ju- geât qu elle était essentielle à la paix et à la sûreté de la colonie , il pouvait passer outre , et ladite loi devait avoir son effet jusqu'à ce que le plaisir de Sa Majesté fût connu. » Par le même acte , se trouvait aussi établie une cour suprême, sous le titre de Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, qui devait être tenue pour le moment par le grand-juge seul ; mais la couronne se réservait le droit de lui associer deux juges avec des salaires raisonnables , pour leur tenir lieu , ainsi qu'au grand-juge , de tous droits et émolumens quelconques. Cette cour, dans toute rétendue de la Nouvelle-Galles du Sud et des îles qui en dépendent, réunissait toutes les attributions des tribunaux du royaume , désignés sous les titres de Bancs du Roi, Cours ordinaires, Echiquier et Chancellerie. Elle avait aussi une juridic- tion ecclésiastique. » La couronne se réservait le droit , de l'avis de son conseil privé , d'introduire, en quelque temps que ce fût, le jugement par jury dans telles parties de la JNou- velle-G ailes du Sud, dans tels cas et sous telles modi- fications qu'il lui plairait de spécifier. » Enfin une nouvelle Corn- était établie sous le nom de gênerai quarter sessions of peace, investie des 274 VOYAGE mêmes pouvoirs que les gênerai quarter sessions en Angleterre ; savoir de prendre connaissance de tous les crimes et délits qui n'entraînent pas la peine de morl, tant sur le territoire de la Nouvelle-Galles du Sud, que sur les vaisseaux mouillés dans ses ports ou destinés pour ce pays , et de les punir par des exten- sions des peines primitives ou par des travaux forcés dont la durée n'excède pas trois années. Elle devait aussi prendre connaissance de toutes les plaintes pour fait d'ivresse, désobéissance, désertion, insubordina- tion ou en général toute conduite désordonnée, et punir les coupables par le fouet ou tout autre châti- ment corporel , sans pouvoir l'étendre à la privation de la vie ou d'un membre , ou enfin en les bannissant sur tout autre point de la colonie, suivant la nature et le degré du crime. » Du reste l'aversion et le mépris que les habitans d'o- rigine libre affectaient envers les émancipistes, étaient portés au plus haut degré. Le commissaire Bigg, dans un long et scandaleux Mémoire , avait exposé minu- tieusement le résultat de toutes ses recherches. Une foule de maisons déjà considérables v retrouvaient la source souvent peu honorable de leur fortune : l'on devine facilement que les émancipistes devaient jouer le principal rôle dans les récits du commissaire. Ces renseignemens pouvaient être utiles au ministère pour fixer son opinion sur la moralité des principaux ha- bitans de la Nouvelle-Galles du Sud, et lui faire con- naître quel degré de considération pouvait leur être DE L'ASTROLABE. 275 respectivement accordé. Mais il était tout-à-fait im- politiquc de rendre publics de tels docuniens ; c'est cependant ce qui a été fait. Plusieurs colons d'o- rigine libre à Sydney s'en étaient procuré des exem- plaires; ils s'empressaient de nous les communiquer et de nous en citer des passages , comme pour justifier leur mépris envers certains individus de la colonie, et nous convaincre qu'ils ne pouvaient sans honte souffrir aucun rapprochement avec eux. Grâce à ce funeste écrit , les haines déjà trop enracinées dans le cœur des habitans ne pourront plus s'ensevelir dans l'oubli, et il servira à les rendre héréditaires. En vérité, quand on réfléchit à la conduite de la Grande-Bretagne, dans cette occasion , ainsi qu'aux entraves dont elle se plaît à charger le commerce et l'industrie de la Nouvelle- Galles du Sud, on serait disposé à croire que, déjà jalouse de progrès aussi rapides , la métropole ne cherche qu'à ralentir l'accroissement de la colonie , et reculer le moment où elle pourrait aspirer à son in- dépendance. Ennuyé des tracasseries qu'il avait à éprouver de la part de ceux qu'il gouvernait , et choqué par cer- tains procédés de la part des chefs des bureaux des colonies à Londres , le général Brisbane à son tour ne fut guère fâché de quitter ce poste en 1825. Au moment de son départ, les opinions furent partagées : un petit nombre de personnes ne cacha pas la joie que leur causait sa retraite. Il faut convenir cepen- dant que la majeure partie des citoyens honnêtes, rendant du moins justice à son intégrité, à sa poli- .276 VOYAGE tesse et à la loyauté de ses intentions , se réunit pour lui présenter publiquement et d'une manière authen- tique l'expression de ses sentimens d'estime et de reconnaissance. DE L'ASTKOIABK. 277 CHAPITRE X. HU ICTI KL 1>E LA COLONIE DE LA NOUVF.LLE-G \ LLES DU SUD. Bientôt sir Thomas Brisbane fut remplacé par le major-général Darling, qui arriva à Sydney à la fin de l'année 1825. Ainsi, quand nous y mouillâmes avec F Astrolabe en décembre de Tannée suivante, il n'y avait qu'un an qu'il était en fonction. Il jouissait de la répu- tation d'un homme juste , mais fort sévère ; et je voyais facilement qu'il était peu aimé. En effet, dans le peu de rapports que j'eus avec lui , il me parut avoir une sécheresse decaraclère, une roideur de manières et une sorte d'austérité , qui doivent d'autant moins convenir dans sa position , que ces sortes de qualités négatives se rencontrent rarement dans les Anglais d'un certain rang, sans être mitigées par des formes gracieuses. Sans doute je ne reçus de la part du nouveau gou- verneur que des politesses , mais je ne retrouvai nul- lement en lui les manières distinguées et la courtoisie de M. Brisbane, encore moins l'obligeante bonté et TOME I. iy 278 VOYAGE les soins affectueux que M. Macquarie prodigua aux officiers de l'Uranie. Le conseil colonial se trouvait établi et se com- posait des principales autorités , de deux grands pro- priétaires et d'un négociant. Loin de répondre aux vœux des habitans, sa composition leur déplaisait beaucoup, et devenait souvent l'objet de leurs plus virulentes récriminations. Car on saura qu'une opposition véritable et bien caractérisée s'était déclarée dans le sein même de la population libre, et se composait de plusieurs person- nes instruites qui, d'un côté, se trouvaient choquées de la hauteur et des prétentions excessives des grands propriétaires , et de l'autre étaient sans doute flattées déjouer un certain rôle comme chefs de parti. Cette opposition se composait principalement des médecins ou des hommes de loi qui consignaient leurs opinions dans deux journaux nouvellement en vigueur, sous les noms & Auslralian et de Monitori L'objet ordinaire de leurs réclamations était d'ob- tenir, pour la Nouvelle-Galles du Sud, une assemblée représentative, le jugement par jury et la liberté de la presse. Le bill, passé en 1823 pour l'administration de la colonie, allait échoir en 1827, et ils se flat- taient de l'espoir que le nouveau serait beaucoup plus libéral, et leur accorderait la plupart des droits civils dont l'Anglais jouit dans la mère-patrie. Comme la classe des émancipistes et de leurs enfans comprenait la plus grande partie de la population , c'était à eux surtout qu'ils s'adressaient le plus souvent pour sti- DE L'\STUOIABE. 279 Miller leurs passions, et les pousser à réclamer le plein et entier exereiee de leurs droits. Soit prudence de leur part , et qu'ils sentissent bien que le temps n'était pas encore venu pour cela, soit simplement indifférence , et qu'ils se trouvassent satisfaits de leur position actuelle, les émancipistes étaient restés tran- quilles et n'avaient encore tenté aucune démarche. Mécontens de cette apathie, les partisans de la réforme les traitaient souvent avec mépris , et se permettaient quelquefois à leur égard les sorties les plus violentes. C'est ainsi qu'on voit dans le premier numéro du Monitor, publié le 19 mai 1826, le rédacteur de ce journal, en faisant sa profession de foi politique, s'ex- primer à ce sujet dans les termes suivans : « Nous avons toujours regretté qu'avec la sanction des magistrats , les noms de plusieurs propriétaires respectables , possesseurs de terres considérables et chefs de famille , n'aient point été portés sur les listes des jurés formées par le shérif, sous le seul prétexte qu'il y a dix, vingt ou trente ans, ils arrivèrent dans la colonie sous le poids de l'infortune. Cependant le fait même, par lequel ils ont pu recouvrer le titre de propriétaires, démontre les intentions du souverain à leur égard. D'ailleurs si leur situation devait les exclure du droit de devenir jurés, elle devrait aussi les priver de celui d'être admis en témoignage. » L'amour du repos et la crainte de la dépense ont empêché cette classe de colons de donner suite à la procédure qu'ils avaient honorablement entamée de- *9* 280 VOYAGE vant la Cour suprême, et cjui sans doute eut fini par les rétablir entièrement dans leurs droits. Une telle conduite de leur part est digne des reproches les plus sévères. Préférer leur argent et une honteuse paresse à leurs droits civils, se contenter de vivre et de mou- rir dégradés à leurs propres yeux et a ceux de leurs enfans , c'est donner à ces derniers un exemple capa- ble de faire rougir les pères , s'ils y réfléchissaient un moment. Nous serons toujours prêts a soutenir les émancipistes , s'ils veulent se soutenir eux-mêmes ; mais ceux qui méprisent eux-mêmes leurs propres privilèges, ne doivent attendre des autres aucune es- pèce d'appui ni d'intérêt. » Celte apostrophe donna lieu à une lettre fort sage et parfaitement raisonnée, qui parut dans le quatrième numéro de ce même journal (9 Juin 182G). i''1 juin 1826. « Monsieur, n'ayant pas eu plus tôt l'occasion de faire attention à un paragraphe du prospectus du Moîiitor, dans le premier numéro, relatif à la portion des habitans qu'il vous plaît de désigner sous le nom iï émancipistes , je prendrai maintenant la liberté de répondre aux observations que vous y avez faites. » Vous les avez accablés, Monsieur, de tout le poids de votre censure. Et pourquoi? Parce que leur amour du repos et la crainte de la dépense les ont, dites- DK L'ASTROLABE. 281 vous , détournés de donner suite à la procédure qu'ils avaient entamée devant la Cour suprême. » Certainement il sied fort mal à l'éditeur du Mo- Mtor de censurer une classe de la population sur son amour pour le repos. Quoi! voudrait -il persuader aux c'mancipistcs qu'il leur convient d'aller saisir le shérif par les épaules, et de le secouer jusqu'à ce qu'il consente à enregistrer leurs noms sur la liste du jury ? Voudrait-il leur conseiller d'assiéger d'une manière tumultueuse le tribunal , et d'arracher par la crainte les décisions de la Cour? Non, monsieur Monitor, les émancipisles savent trop bien ce qui leur est dû. Ils ne suivront point votre avis. Ils ne seront point in- fluencés par de pareils principes. Ils conserveront leur amour pour la paix. » Maintenant , Monsieur , vous me permettrez d'é- tablir, et cela sans crainte d'être contredit, qu'aucune des causes que vous avez assignées, savoir ni X amour de l'argent, ni une honteuse paresse, n'ont de part au délai ou à l'interruption de la procédure si hono- rablement entamée auprès de la Cour suprême, et qui devait sans doute, dites-vous, rendre aux émancipistes les droits dont ils sont privés. Car aussitôt qu'ils furent instruits, par la décision du grand-juge, que les ses- sions qui se tiendraient dans la colonie , seraient éta- blies sur les mêmes principes de lois relatives au jus- qu'en Angleterre , loin de s'abandonner à une cou- pable paresse , une députation nommée dans leur sein se rendit sur-le-champ chez le docteur Wardell et M. l'avocat Wentworth, deux des plus habiles juris- t 282 VOYAGE consultes de la colonie , pour les choisir pour leurs conseils et remettre leur cause entre leurs mains. La cause lut présentée à chaque session devant la Cour par leurs conseils, et chaque fois elle fut rejetée par les objections qu'éleva le conseil opposé, et non pas , vous me permettrez de le répéter , par le désir de la paît des émancipistes de sacrifier leurs droits civils à l'amour d'une honteuse paresse. En outre , il n'y a pas long-temps qu'ils consultèrent encore leurs con- seils sur futilité de poursuivre leur affaire par-devant la Cour suprême ; leur opinion fut que cela devenait entièrement inutile, vu que toute espèce de raison vraie ou supposée, qui eut pu jusqu'à présent les pri- ver de leurs droits, se trouvait tout-à-fait anéantie par le nouveau bill présenté par M. Peel dans le par- lement. Tels sont, Monsieur, les faits que je vous défie de nier. » Quant à la raison qui a empêché les noms de MM. Terry, D. Cooper et R. Cooper, que vous vous plaisez à faire résonner si souvent, d'être portés sur les listes des jurés, je ne saurais en rendre compte. L'acte du parlement que je viens de rapporter n'est peut-être pas encore parvenu aux autorités judiciaires. Alors le gouvernement local peut bien vouloir ne pas s'exposer au risque d'encourir la responsabilité de rétablir les émancipistes dans leurs droits civils, sans avoir auparavant obtenu l'approbation du gouver- nement du rovaume, ou la décision définitive de la Cour. » Quelle que soit la cause de leur exclusion ac- DE L'ASTROLABE. 283 luelle , monsieur Monitor, les éniancipistes se conlen- teront pai Taitement de L'opinion de leurs conseils, et se laisseront guider par leurs avis. Ils conserveront leur amour de la paix. Ils ne se livreront point à une hon- teuse paresse, quand une paisible activité pourra être utile à leurs intérêts , et ils seront toujours prêts à Taire usage de leur argent quand il pourra en résulter quelque chose d'utile au bien public. » Je terminerai , monsieur Monitor, en vous rappe- lant que souvent les bonnes intentions d'un ami indis- cret font plus de tort à la cause qu'il veut servir que toutes les intrigues d'un ennemi déclaré. » ClDSPISANACIFRA. » Le même journal, cherchant à rassurer les colons d'origine libre sur l'influence que les éniancipistes pourraient obtenir dans l'assemblée représentative, fait le raisonnement suivant : « Une assemblée représentative détruirait les moin- dres prétentions des émancipistes, quand bien même ils en auraient : ce qui n'est pas. Quand Edw ardEagar, cet homme d'esprit , était à la tête de ce corps , il fît en sorte de leur communiquer une partie de son juge- ment vif et pénétrant. Mais cinq années d'absence ont l'ait languir les plantes qu'il cultivait , car elles étaient exotiques. Les pounds , les schellings et les pences , vrais produits du sol émancipiste, ont relevé leur tête avec une nouvelle vigueur ; et toute cette végétation ar- 284 VOYAGE lificielle, qui semblait fleurir durant quelque temps , se trouve maintenant dans un état de décadence ra- pide. C'est pourquoi si une Chambre de cent membres allait être maintenant organisée (ce qui ne pourrait avoir lieu au plus lot que dans deux ans), nous prions les émigrans de jeter les yeux autour d'eux, de comp- ter les éraancipistes , et de nous dire s'ils pourraient en trouver plus de cinq pour cent sur leur chemin à la Chambre? Après avoir mentionné 31. R., M. T., 31. C, 31. L. , et 31. H., qui pourrait ensuite se sentir disposé à consumer son temps, s'exposer aux hasards d'une élection , et laisser de côté tous les bons marchés , pour l'amour d'un siège dans le sénat aus- tralien? 3Iais en supposant même que dix émanci- pistes pussent y arriver, que feraient dix individus contre quatre-vingt-dix? Combien sont absurdes alors les craintes et les jalousies des émigrans, en suppo- sant que cinq ou dix individus pussent lutter contre soixante-dix magistrats, et soixante-dix autres émi- grans parfaitement égaux a ces derniers en opulence, en éducation et en talens ? Ainsi , si les émigrans sen- taient bien toute leur propre force, dans cette cir- constance, ils seraient les premiers h convoquer une assemblée du comté , pour demander au Roi et aux deux Chambres une législation populaire. En vérité ce n'est que depuis très- peu de temps que nous nous sommes nous-mêmes bien assurés de leur supériorité h cet égard sur les émancipistes , quand nous vou- lûmes examiner quel serait le nombre de ces derniers, que leur fortune et leurs moyens intellectuels appel- DE L'ASTROLABE. 285 leraienl aalurellement à briguer un siège. Alors les émigrans nous parurent, épais sur la liste. Pour être sineêiv avec nos lecteurs , depuis que nous avons dé- couvert cette grande disproportion de nombre, nous avons cessé d'être si ardens dans nos vœux pour la formation d'une Chambre. Les émancipistes forment au moins les deux tiers de la population actuelle. Mais ils n'offriraient pas une vingtaine de gentlemen, c'est-à-dire de personnes capables d'être membres de la Chambre. Avec l'aide des gouverneurs, le peu- ple a pu jusqu'ici s'opposer assez bien aux prétentions des émigrans ; mais la perspective d'une assemblée représentative, composée de quatre-vingt-dix contre dix, nous a, je l'avoue, causé quelque inquiétude. Cependant si les émancipistes sont assez heureux pour se ménager l'appui d'une vingtaine d'émigrans libéraux , au point d'empêcher le peuple de tomber sous des lois insidieuses et jalouses , c'en sera assez pour maintenir la liberté publique et l'égalité des droits. Sous tous les autres rapports, les besoins croissans du pays demandent des lois d'une nature toute différente que celles qui défigurent aujourd'hui le livre des statuts. Livre , avons-nous dit ! Il n'y a rien de pareil dans le royaume , nos lois coloniales ne sont ni lex terrœ, ni lex scripta. » Plus loin on voit le même publiciste, cherchant à réunir les deux partis contre la haute aristocratie, leur adresser ainsi la parole (ra° 23 , 20 october 1 826) : 286 VOYAGE « Le mur de séparation élevé enlre les émigrans et les émancipistes vient enfin , du moins suivant notre petite manière de voir , d'être en grande partie ren- versé par le choix unanime de quelques personnes, pour former le comité de certaines institutions pu- bliques. Ainsi nous regardons les deux partis des émigrans et des émancipistes, ou des exclusionistes et des colonisles , comme enfin réunis. Ils sont désor- mais Tondus ensemble et forment vraiment le peuple. Il y a un petit nombre d'hommes que, par manière de distinction, nous sommes accoutumés à décorer du titre de faction. Ce parti ne consentira jamais à renoncer à ses prétentions oligarchiques et à se con- fondre avec la communauté. Jadis ils se rendaient for- midables par le crédit qu'ils avaient acquis sur l'es- prit des autorités de Downing-Street*. Mais la liberté de la presse dans la colonie , le dîner public donné à sir Thomas Brisbane, et les adresses du comté aux derniers gouverneurs , ont détruit leur influence. Les ministres ont pénétré le secret de cette famille d'agio- teurs , et leurs perfides intrigues , qui ont toujours tourmenté les gouverneurs de cette colonie , qui ren- versèrent l'un d'eux, ruinèrent presque Macquarie, et déplacèrent sir Thomas Brisbane quelques demi- douzaines d'années plus tôt qu'il ne l'eût été sans eux. Mais la liberté de la presse et le peuple ont tout-à- coup sauvé ce dernier du précipice que la calomnie avait si adroitement creusé sous ses pas. En outre, * Nom de la rue de Londres où sont les bureaux des colonies. DE L'ASTROLABE. 287 le major Goulburn cl sir Thomas , à l'aide de son ami le duc de Wellington , ont l'oreille du Roi, de MM. Peel, Horton et de lord Balhurst, sans oublier le due d'York, aussi bien que sir James Maekintosh, sir Charles Forbes, M. Bright, sir M. Riedley, et d'autres honnêtes gens du parlement. Nous devons donc considérer \& faction, avec son adresse de vingt- deux signatures , comme entièrement anéantie. La fausseté de ses rapports et de ceux du commissaire d'enquête a été enfin complètement prouvée. » Certaines habitudes sont souvent très-déplacées, et ont besoin d'être réprimées. Les colonistes , ainsi qu'on les désigne d'ordinaire, doivent se rappeler qu'ils ne sont plus une portion distincte, mais seulement une partie de la grande communauté. Une Chambre d'assemblée, le jugement par jury ', la taxe et les im- pôts par représentation, un agent honnête et diligent, et plusieurs autres choses trop longues à énumérer, ne sont pas, il faut bien s'en convaincre, des objets plus utiles aux uns qu'aux autres. Ainsi puisque ce sont des choses d'un intérêt général, il ne faut pas qu'à l'avenir un seul parti fasse les démarches néces- saires pour les obtenir. Si une assemblée du comté est jugée nécessaire pour demander au Roi et aux deux Chambres l'exercice de nos privilèges civils , il ne faut pas que cette réclamation soit faite par une seule classe d'individus. C'est aux chefs de la colonie, dans tous les ordres indistinctement , à se mettre en avant dans ces circonstances, ou bien restons pour toujours muets et paralysés. Privé de ces avantages , le peuple réus- 288 VOYAGE sira tout aussi bien que les particuliers les plus opu- lens. Si les derniers ne sentent pas la nécessité du ju- gement par jury, et d'une législation coloniale, le peu- ple s'en passera aussi à merveille. Par là nous ne voulons pas dire que les hommes animés de l'amour du bien public doivent céder la place à ceux qui ne sa- vent pas ce que c'est. Non. Partout les affaires de la politique ne doivent être conduites que par des esprits supérieurs. Ce sont les seuls dont le feu sacré peut ra- nimer les étincelles mourantes du zèle pour le bien public. Mais dans ce cas, ils doivent se présenter de tous les côtés à la fois , et non pas d'un seul parti. La prochaine réunion doit offrir les noms des principaux personnages de la colonie dans tous les rangs et de tous les partis. C'est ainsi que nous pouvons nous ha- bituer à voter ensemble , à penser et à sentir de la même manière. La mesure vraiment utile à la prospé- rité de tous les citoyens sera à la fin jugée telle d'un commun accord , et réunira tous les suffrages. Puisque les colonistes furent les premiers en avant dans les deux dernières assemblées du comté , nous leur re- commanderons aujourd'hui de se tenir en arrière , et de ne pas faire un pas en avant à la prochaine assem- blée , jusqu'à ce que les autres gentlemen de la colonie se soient eux-mêmes prononcés. S'il arrivait que l'in- dolence ou la paresse pût engager ces derniers à rester passifs , et à se contenter du présent état de choses , ainsi soit-il. Le reste de la communauté ne souffrira pas plus qu'eux à proportion : plutôt que d'entretenir plus long-temps deux partis en activité, nous invite- DE L'ASTROLABE. 289 rions les gens du peuple à s'occuper de leurs fermes et de leurs magasins, veiller aux circonstances, ne songer qu'à leurs propres intérêts, s'enrichir aussitôt qu'ils le pourront, et abandonner la colonie à elle- même , etc. , etc. » Dans la feuille qui venait de paraître au moment de notre arrivée, ce journal se permettait une sortie encore plus virulente contre les chefs du parti d'ori* gine libre. (Monitor, ?*°29, 1 dccember 1826. « Les officiers civils sont presque tous à cheval dans leurs départemens respectifs. Mais comme ils possèdent de grandes terres et de nombreux troupeaux, et qu'ils sont accoutumés à participer, avec les gouver- neurs de ces contrées , à l'administration des affaires publiques , ils ont trop de penchant pour l'état de choses actuel , quel que soit d'ailleurs leur méconten- tement , qui souvent s'exhale en murmures et sarcas- mes. Leurs reproches , sans être publics , n'en sont pas moins amers. Pourtant ils se disent en eux-mêmes : « Le général Darling ne sera pas toujours ici; il vaut » mieux pour nous rester pendant un temps privés de » nos anciens privilèges pour assommer le peuple, » que de nous réunir à celui-ci pour obtenir du parle- » ment des institutions qui anéantiraient pour jamais » nos prétentions oligarchiques. » Toutes les aristo- craties, excepté celle de la Grande-Bretagne, je me trompe , excepté celle d'Angleterre (car celles de l'E- cosse et de l'Irlande furent et sont toujours despo- 290 VOYAGE tiques comme celles du reste de l'Europe) : toutes les aristocraties , nous le répétons , excepté celle d'An- gleterre , ont été ennemies de la liberté , depuis le sénat romainjusqu'au siècle où nous vivons. Elles méprisent également le peuple, et, dans leur opinion, ce n'est qu'à leurs dépens que celui-ci peut obtenir quelque avantage. L'homme hait l'égalité. Un riche mendiant ne peut souffrir l'idée de voir son inférieur et son cadet, dans le métier gagner autant de liards que lui , ou vou- loir traiter d'égal avec lui , quand dans leurs orgies nocturnes ils se livrent aux douceurs de l'ivresse , et se moquent de la crédulité de leurs bienfaiteurs. C'est par suite de ce sentiment que les grands d'Espagne vendirent leur pays à Joseph Napoléon, et qu'ensuite ils consentirent à bannir , pendre et incarcérer les patriotes qui avaient chassé les Français de l'Espagne, et rétabli les Cortès. En vérité, il se trouva bien un ou deux Russel parmi eux... Mais espérer que de grands seigneurs puissent hasarder leur fortune, ou même ris- quer la chance de ne pouvoir l'agrandir, pour l'amour des droits civils du peuple , c'est attendre du cœur humain une action contraire à sa bassesse naturelle. Quant à la noblesse française, nous ne pouvons y songer qu'avec un profond sentiment de pitié. Cepen- dant si elle n'avait été entichée du pouvoir à un point si ridicule et si dégoûtant , elle eût pu guider le peuple dans ses délibérations , au lieu de le pousser à cette vengeance atroce qui souillera son nom aussi long- temps qu'il subsistera sur la liste des nations *. Il en * Ici notre Anglais, laissant de coté l'impartialité qu'il se pique de professer, DE L'ASTROLABE. 291 est ainsi chez les seigneurs militaires de la Prusse, et les nobles despotes de la Moscovie, qui ainsi que leurs terres regardent leurs vassaux comme leur propriété particulière. Les nobles en Europe, aussi bien que les riches colons de New-South-Wales , possèdent ou veulent posséder l'oreille du gouvernement. Sembla- bles au regratlier qui réfléchit comment il pourra duper le fermier et augmenter le prix de ses œufs et de ses harengs saurs, sans s'occuper du malheureux, ainsi les puissans du royaume et des colonies calculent comment ils pourront accroître leur influence au meil- leur marché possible. En provoquant la liberté publi- que, en s'unissant au peuple pour solliciter des insti- tutions libérales , ils nivéleraient trop leurs préten- tions. D'ailleurs qui se soucierait de devenir riche , si chaque misérable devait aussi le devenir? Le grand objet de l'homme est de devenir riche exclusivement ; d'avancer, sinon aux dépens des autres (ce qui, de toutes les nuances du bonheur, est la plus flatteuse), au moins à quelque prix que ce soit , pourvu que les autres ne sortent point de leur sphère. Mais avancer avec un million d'autres en richesses , en dignités, en privilèges, n'est qu'une perspective sans attraits. C'est, pourquoi tout peuple sans propriétés , qu'il soit ancien ou jeune, nombreux ou peu considérable, ne doit at- tendre des grands aucun secours pour obtenir Fexer- se livre à la basse jalousie qui d'ordinaire anime la canaille anglaise contre le nom français, et oublie d'une manière trop plaisante que l'Angleterre fut la première à donner aux nations de l'Europe le funeste exemple qu'il re- proche si durement à la France. 292 VOYAGE cice de ses droits civils. Il peut bien se trouver un ou deux esprits d'une sphère supérieure, et doués par la Providence de sentimens plus élevés , mais ils seront bientôt bafoués et calomniés par ceux de leur propre classe. Leurs faiblesses seront mises en musique et chantées en prose et en vers. Les motifs les plus hon- teux seront assignés à leurs démarches , si bien que pour se rendre utiles au peuple , à moins que leur fortune ne soit immense , et leur conduite d'une pureté angélique, ils se verront bientôt dépouillés de la moitié de leur crédit. » De tout cela Ton doit conclure qu'en tous lieux le peuple doit lui-même prendre le soin de ses propres libertés. Il ne doit attendre aucun appui de l'aristo- cratie , ce serait trop espérer de la bassesse de la nature humaine. Le peuple lui-même n'aime la liberté qu'en ce qu'elle contribue à son propre pouvoir et à sa prospérité. C'est par le même motif que l'aristo- cratie déteste la liberté, en ce que chaque pas que le peuple gagne vers le pouvoir est regardé par elle (bien que ce ne soit pas notre manière de penser) comme autant d'enlevé au sien. Pourquoi donc , ô co- lons de New-Sou th-Wales ! vous flattez-vous du vain espoir de voir les Mac-Arthur, les Jamison , les Cox, les Jone , les AVolstonecraft et les Brown , s'avancer pour vous conduire vers le trône et à la barre des deux Chambres ? Renfermés chaque jour avec le gou- verneur, ou l'ami du gouverneur, ou l'ami de l'ami du gouverneur... revêtus des magistratures... promus au rang de membres du conseil ou des comités... mai- 1>K L'ASTROLABE. 293 lies de choisir des terres, quand d'autres ne savent où en trouver, ou ne peuvent s'en procurer quand ils en ont découvert... ayant le pouvoir de faire établir des impôts sur certains produits coloniaux, de ma- nière à élever la valeur de leurs propres domaines par suite même de ces nouvelles taxes... quels insensés vous êtes, ô colons de l'Australie ! d'imaginer que de pareils individus puissent être de vrais patriotes ! Vous pourriez , avec tout autant de raison , vous at- tendre à voir le léopard changer la couleur de ses I taches, et l'Ethiopien celle de sa peau! D'ailleurs, ô stupides cultivateurs ! qu'y a-t-il donc de si remar- quable, dans les noms que nous venons de prononcer, qui puisse vous faire augurer que votre gracieux sou- verain et son auguste parlement prêteront plutôt l'o- reille à ces noms qu'à votre propre voix, qu'à celle au peuple! Des personnages comblés de titres et de dignités, comme les Northumberland , les Norfolk , les Suffolk, les Warwick, les Essex, les Bathurst et les Liverpool parmi les pairs d'Angleterre, et des noms comme ceux des Canning, des Peel, des Mackintosh, des Brougham , des Bright, des Forbes , des Denham et des Ridley dans la Chambre des communes , se sentiront-ils mieux disposés pour votre propre cause, en voyant votre pétition signée par des officiers civils ou ex-civils et ex-militaires , que si elle l'était par des tanneurs , des fabricans de savon , des chapeliers , des cordonniers , des chandeliers , des distillateurs , des brasseurs , des marchands , et de petits proprié- taires de 30 ou 40 acres de terrain? Qui compose la TOME I. 2 0 29 i VOYAGE masse du peuple? La minorité ou la majorité? Hors du royaume il n'y a plus d'aristocratie. S'il s'agit des autres, les sentimens légitimes du cœur humain re- prennent leur cours naturel : nous osons assurer que l'aristocratie elle-même, en portant ses regards sur une autre nation, se sent plus intéressée au sort du peuple qu'à celui de la noblesse. Outre cela, combien la noblesse de la Nouvelle-Galles du Sud doit sembler méprisable aux nobles et aux gentilshommes de l'an- tique et vénérable Angleterre? L'allusion même que nous faisons de nos gueux parvenus à une vraie no- blesse doit exciter leur dérision. Quelle absurdité donc de votre part! petits cultivateurs, marchands et fabricans de Sydney et de Paramatta, vous qui for- mez le corps même de la communauté, qu'il est vain et ridicule d'imaginer que votre voix, dans une assem- blée constitutionnelle du comité de Cumberland, ne sera point écoutée parce que les débris du régi- ment de New-South-Wales, qui se révolta contre le gouverneur Bligh , et les banqueroutiers de l'Angle- terre , maîtres aujourd'hui des plus riches pâturages de la colonie , affectent de se tenir à l'écart de ces assemblées, et sont décidés à y porter obstacle, de peur que le monopole du pain et du poisson , dont ils ont joui jusqu'aujourd'hui par des intrigues de cour et des tripotages politiques, ne leur soit ravi pour toujours par l'établissement du jugement par jury, et d'une assemblée législative de cent ou deux cents membres choisis par vous ! » DE £' ASTROLABE. 295 Au mois de juin ^ une Ici Ire, qu'on avail lieu de sup- poser écrite par M. T5**** p****? ancien juge de la co- lonie, fournil le sujet d'une sortie non moins violente contre les intrigues des grands propriétaires (3Iom'tor, ;/°7, 30 juin 1826). « La lettre infâme rapportée dans l ' Australian , d'après le Morning-Chronicle , démontre l'avantage d'une libre concurrence de la presse dans la Nouvelle- Galles du Sud; elle explique la profonde ignorance dans laquelle les ministres de Sa Majesté restèrent plongés par les faux rapports des démagogues de la colonie et des harpies de Londres , qui leur servaient d'agens, jusqu'à l'époque du rapport de M. Bigg. Nous ne discuterons point ici si ce fut son rapport qui dissipa ces ténèbres , parce que nous allons à la presse , et qu'il nous reste à peine le temps nécessaire pour commenter la lettre en question , qui est évi- demment l'œuvre de cet honnête, sincère , véridique , intègre, ex -juge B**** y****, écuyer, etc., etc Nous pensons aussi que les personnes qui lui ont fourni les faits (car ils sont forgés) sur lesquels il a si adroitement bâti ses hypothèses et tiré ses consé- quences, étaient d'intelligence avec lui. Ce sont tou- jours les mêmes individus qui , bien que leurs terres aient été défrichées et leurs maisons bâties par les convicts, les ont toujours traités avec dureté et bar- barie-, qui, parce que Macquarie, et, après lui, Bris- bane , parlèrent avec humanité au peuple , et le pro- tégèrent dans ses propriétés et ses libertés, tour- 20* 296 VOYAGE nèrent leur animosité contre le gouvernement local lui-même , et ne cessèrent leurs perfides rapports qu'après avoir forcé Macquarie à résigner et obtenu le rappel de Brisbane ; car ils n'avaient point de presse pour les protéger. Maintenant ils intriguent pour pervertir le général Darling, et l'animer contre le peuple de la colonie. Mais le général est trop vieux pour eux. Il connaît trop bien son monde et les allu- res de Downing-Street. Il a vu des assemblées , des dîners et des adresses publiques dans le Derwent. Il a reçu du peuple même d'ici une adresse franche, lovale et sincère ; il lit les papiers de la colonie; il voit et juge par lui-même , et il ne se rangera point du parti de la vieille faction ; il sera pour le peuple en dépit de toutes leurs cabales, etc., etc. » La dissertation suivante sur les avantages d'une assemblée représentative et sur les élémens dont elle pourrait se composer, écrite d'un ton plus modéré, donne une idée assez juste de l'état actuel de la colo- nie et des sentimens de la plupart des habitans sages et raisonnables [JSlonitor, n° 26, 10 novembre 1826). « Nous allons mentionner un fait qui vient d'arriver à notre connaissance. Le maître du navire Fairjleld donna sa parole d'attendre les dépèches du gouver- neur Darling jusqu'à onze heures du matin , le jour qu'il mettrait à la voile. Ce fut un vendredi , le jour même où le révérend Samuel Marsden publia dans V Australian (exclusivement) cette fameuse déclara- DE L'ASTROLABE. 297 lion, par laquelle il condescend à protester de son innocence , pour avoir lait infliger la torture dans une circonstance particulière et spécifiée. Aussitôt que le révérend chapelain et M. John Mac-Arthur eurent remis leurs dépêches à bord ( ce qui eut lieu , nous a-ton assuré, à neuf heures du matin), le maître, comme par un plan prémédité, mit aussitôt à la voile, doubla la Truie et les Cochons, et se trouvait déjà depuis long-temps au large, lorsque les dépêches du gouverneur se trouvèrent prêtes à être envoyées à bord ! Mais il y a encore un autre tour de maître, bon lecteur ! C'a été de prendre votre argent et de ren- voyer à 31. Barnard, afin de lui donner les moyens de se concerter avec lord Bathurst, pour décourager f émigration, mettre le pays dans les fers d'un clergé largement doté, et y introduire des impôts sans acte du parlement ni représentation coloniale. » Nul doute que le Fairfield n'a emporté de bonnes et puissantes raisons pour déterminer le parlement à terminer sur-le-champ la nouvelle charte dans sa pro- chaine session , tandis que nous restons tous endor- mis ici , sans avoir même le courage de demander à notre législateur la remise du droit sur le cèdre. Nul doute que Barnard , le jeune avocat Mac-Arthur, l'ex- juge Field , 31 . John Smith , et une vingtaine de mem- bres du parlement, qui sont chargés des intérêts de la compagnie qui nous a si bien escamoté nos mines de charbon; nul doute que tous ces individus ne s'empressent comme des abeilles à l'arrivée du Fait - fwld à Londres. Il y aura aussi des amis de l'apôtre 298 VOYAGE de l'Australie , animés d'un zèle égal , mais plus purs dans leurs intentions, qui soutiendront la cause de la piété persécutée avec la chaleur du martyre, même avec l'ardeur irrésistible de la charité chrétienne, principe le plus puissant du cœur humain , supérieur même à toutes les autres passions , ainsi que l'ont suffisamment attesté les souffrances des chrétiens à toutes les époque». Ainsi, tandis que nous prenons nos aises à Sydney, que nous songeons à notre pain et à notre beurre avec une prudence plébéienne, et que nous nous payons de quelques réflexions très-sages, comme charité bien ordonnée commence par soi- même — mêlons- nous de nos affaires — laissons agir le gouverneur — nous serons affublés dune continuation de la^ présente charte pour sept autres années. » Le jugement par jury, d'un avis unanime, est re- gardé comme un droit civil et indispensable à appli- quer à toutes les branches de notre jurisprudence. Quant à l'assemblée législative, les opinions sont plus divisées. La grande majorité néanmoins se déclare pour une assemblée élective , mais il y a divers senti- mens sur le nombre des membres dont elle devrait être composée. » Nous avons conversé avec toutes les classes de la société à ce sujet, et nous avons constamment ob- servé que les colonisles ou émigrans voulaient en ré- duire le nombre en proportion exacte de leur rang et de leur influence supposée dans la société. Ceux qui par leur immense fortune sont persuadés qu'ils en sont DE LASTKOLAIÎE. 299 membres de droit , désirent que l'assemblée législative ne dépasse pas le nombre actuel de ses membres. — En tout cas dix ou douze membres seraient déjà trop nombreux à leur avis. La classe suivante pense qu'une vingtaine pourrait être le nombre convenable, et, comme les premiers, répètent les mots de brièveté et célérité comme l'apanage le plus précieux du petit nombre. Beaucoup parler, disent-ils, ne sert arien, et ne fait qu'ennuyer; pour eux la discussion n'est qu'un véritable épou vantail. La troisième classe, com- prenant que si la Chambre législative se bornait à vingt membres , la concurrence pour y entrer serait trop pénible, et leur coulerait trop d'argent, admet avec beaucoup de candeur et de libéralité que vingt , à leur avis, sont un trop petit nombre; et prenant en considération les maladies, la vieillesse , les affaires urgentes et les caquetages , suggère l'idée que qua- rante à cinquante membres ne formeraient pas une réunion trop considérable. — La dernière classe , c'est-à-dire la masse des hommes pensans qui peuvent payer les taxes requises , d'un autre côté penche pour un nombre qui ne serait pas moins que cent ; car ils affirment que s'ils sont au-dessous , les intrigues de la faction et les commérages de famille rendront le peuple la proie de ses sénateurs. » Il y a dans la colonie plus de soixante-dix ma- gistrats , que nous pouvons considérer, sans crainte d'être réfutés , comme très-en état de faire nos lois , tant par leur rang dans le pays , et leur intime con- naissance des coutumes et des ressources du peuple, 300 VOYAGE que par leurs moyens en tout genre. Maintenant nous plierons les vieux colons de jeter les yeux autour deux et défaire attention aux gentlemen de la colonie, quiT sans être magistrats , ne leur cèdent en rien sous les divers rapports de l'éducation, de la fortune, du ta- lent et de la connaissance locale; et nous pensons qu'ils conviendront facilement que cette classe peu! tripler le nombre des magistrats. Il y a donc bien trois cents colonistes capables de devenir les législateurs de la colonie. — Puisqu'il en est ainsi, pourquoi borner le nombre des membres de la Cbambre à moins d'un cent? » L'avantage d'avoir un grand nombre de per- sonnes est évident. Dans les questions importantes on a vu plus de six cents membres se rassembler dans la Chambre des communes. Nous nous rappelons d'avoir entendu L'immortel Fox parler durant quatre heures dans la chapelle de Saint-Etienne. — La nef et les ga- leries étaient pleines. — Cependant quand il s'agissait de voter sur un point qui réunissait tous les suffrages, le mot ordinaire d'assentiment, savoir : Aije! pro- noncé par l'assemblée entière, retentissait comme un coup de tonnerre. En d'autres occasions, nous avons vu la Chambre si peu nombreuse, qu'un membre de- mandant à ce qu'on en fit l'appel , il s'en trouva moins de quarante présens , et il fallut ajourner la séance. Il est permis cependant aux membres de poursuivre leurs travaux quand même il y en aurait moins de qua- rante présens , pourvu que personne ne réclame l'ap- pel. C'est un grand avantage en beaucoup d'affaires DE L'ASTROLABE. 301 ordinaires, et une Coule de bills particuliers passent ainsi sans occuper L'attention d'autres membres que ceux que cela regarde immédiatement. Nous avons vu quantité de bills passer aussi vite que le speaker pou- vait en répéter les paroles , ainsi (pie l'exigent les for- malités de la Chambre. Le speaker , en pareille occa- sion, dit en se levant : « Ce bill est pour tel et tel ob- » jet. — Que ceux qui sont de cet avis disent oui. — » Que ceux qui sont de l'avis contraire disent non. — » Les oui 'l'ont emporté. » L'orateur ne s'arrête jamais pour écouter les oui et les ?ion, sachant bien d'avance qu'il n'y aura point d'opposition. — Ce serait perdre trop de temps que d'en agir autrement à l'égard des petits bills particuliers. Ces bills ensuite vont aux lords, et si aucun membre ne se présente pour les dis- cuter, ils y passent aussi rapidement et reçoivent en- suite l'approbation royale. » Maintenant, bien que dans les questions impor- tantes,telles que les droits sur le cèdre, l'impôt, etc., etc. , il serait fort à désirer d'avoir une Chambre complète pour discuter et débattre tous les pour et les contre, avec toutes les mesures nationales ; cependant , dans une assemblée de cent membres, il ne faudrait pas s'attendre à en voir plus de quatre-vingts réunis à la fois. Il faut laisser une marge de 20 p. °/0 pour les ma- ladies , les mauvais chemins , les affaires particulières , le manque d'avis, et une foule d'autres accidens. Dans les occasions ordinaires , une cinquantaine seulement s'y trouveraient , et pour les bills insignifians d'un in- térél purement local , une demi-douzaine suffiraient 302 VOYAGE pour les faire passer ; de sorte que les fonctions des membres seraient faciles à remplir. » Notez bien que par là nous n'entendons point que ce serait toujours les mêmes quatre-vingts , cin- quante, et six membres qui siégeraient habituellement, et que ce serait les mêmes vingt, cinquante, et quatre- vingt-quatorze membres restans qui s'absenteraient. Non pas. — Il y aurait un changement perpétuel de personnes. Les vingt absens aujourd'hui siégeraient , par exemple , la semaine prochaine , et les vingt ou trente autres, qui étaient restés dans la ville pour faire passer leurs bills favoris qui les intéressaient person- nellement, s'en retourneraient à leur métairie. — Non- seulement nous croyons un pareil état de choses extrê- mement avantageux et propre à rendre les devoirs de la législation extrêmement agréables et parfaitement d'accord avec les intérêts particuliers de chaque ci- toyen, mais encore très-utile pour ranimer l'esprit public et les sentimens populaires. Ce soir M. Wols- tonecraft éclairerait le peuple par un examen sage et judicieux de notre position commerciale. — Demain sir John Jamison retracerait les progrès de l'agricul- ture et de l'horticulture, tout à la fois sous les rap- ports populaires et scientifiques. Un autre jour M. John Mac-Arthur expliquerait à la Chambre comment une heureuse expérience a prouvé que les troupeaux de Saxe , comme les mérinos , s'amélioraient sensible- ment dans le climat uniforme de Cow-Pastares. Dans ces plaines que d'épaisses forets préservent des cha- leurs brûlantes de l'été, aussi bieu que des funestes DE L'ASTROLABE. 303 frimas tic l'hiver, la laine acquiert ce tissu soyeux pour lequel elle est si renommée; tellement que, d'a- près les derniers rapports de Londres, on a reconnu qu'on ne pouvait imiter avec succès, soit à Londres, soit à Edimbourg, les véritables schalls de poils de chameau, qu'avec des tissus de laine d'Australie. M. Lawson, dans la même séance, féliciterait de bon cœur l'honorable membre et ses amis , sur la posses- sion d'animaux si utiles ; mais tout en rendant justice aux louables efforts de ces Messieurs , pour améliorer les laines et mériter à l'Australie une célébrité égale à celle du Thibet et des autres contrées qui nourrissent les chèvres aux poils soyeux, il se sentirait obligé de rappeler à ses confrères de la Chambre , qui comme lui nourriraient des troupeaux de moutons d'une viande savoureuse et bien bardée de graisse , un pro- verbe bien connu : Un tiens vaut mieux que deux tu r auras; qu'en conséquence tout en souhaitant, en bon Australien, toute sorte de succès aux amateurs de laine de Saxe, pour son propre compte, il n'introdui- rait qu'avec circonspection l'année suivante dans ses troupeaux, des béliers qui pourraient bien n'y en- gendrer de trop belles laines qu'aux dépens de la qualité du mouton , etc. , etc. » Telle serait l'heureuse marche que le sénat aus- tralien pourrait imprimer à ses délibérations , en les rendant publiques , et se composant d'un nombre suf- fisant pour en rendre le coup-d'œil imposant toutes les fois qu'on le voudrait. Les dames se rangeraient aussi de notre parti, car lorsque les sessions commenceraient, 304 VOYAGE sans doute les députés ne laisseraient pas chez eux leurs aimables moitiés et leurs charmantes filles. Il s'en- suivrait qu'il y aurait des réunions pour les bals , les concerts, des spectacles pour celles qui aiment la joie; et pour celles qui veulent du sérieux , nul doute que l'archidiacre n'eût assez de zèle pour ordonner aux chapelains d'ouvrir les églises une soirée par semaine. En tout cas nous sommes convaincus que les ministres méthodistes se trouveraient heureux de pouvoir rendre ce service aux belles religieuses. Alors Sydney pour- rait devenir une ville vraiment sociale ; alors les que- relles actuelles seraient toutes oubliées, et l'on ne se rappellerait qu'avec surprise les anciennes discordes de la colonie. Tous les débats politiques seraient bien- tôt adoucis et modifiés par des débats légitimes , et chacun verrait qu'à moins d'une extrême indifférence, il ne pourrait plus arriver aucune convulsion violente dans l'Etal. Des lois sages, la liberté, la prospérité et la sociabilité générale rendraient peu à peu la ISouvelle- Galles du Sud, ce que la Providence l'a destinée à de- venir un jour, une seconde Bretagne dans l'hémisphère austral. » L'article suivant, dans lequel l'auteur développe la faute que commit le gouvernement anglais en voulant fonder une colonie avec des convicts seuls , et en em- pêchant dès le principe les émigrans de se fixer à la Nouvelle-Hollande, n'est pas moins judicieux, et inté- ressera probablement le lecteur. [Monitor, ?i° 27, 17 novembre 1826.) DE L'ASTROLABE. 305 « La question du travail des amvicts, suivant nous, n'a jamais été bien entendue ai par les ministres du roi, ni par les gouverneurs de la Nouvelle-Galles du Sud, et nous croyons qu'elle le fut beaueoup mieux dans le siècle dernier. Mais il est assez ordinaire à nos hommes d'Etat modernes, bien qu'ils possèdent par écrit, dans les rayons de leurs bibliothèques, les opi- nions et les faits de leurs ancêtres, d'oublier, au milieu d'une foule de théories nouvelles, l'expérience du passé, et de regarder les choses qui se passent sous leurs yeux comme des questions nouvelles et difficiles, tandis que plus d'un demi-siècle auparavant elles avaient été déjà éclaircies, comprises, et même mises à exécution. ?sous conjecturons que c'est ce qui arrive aujourd'hui touchant la question du travail des con- viens. Avant que la Nouvelle-Galles du Sud eût une existence comme colonie , tandis qu'elle faisait encore partie de la terra incognita de l'hémisphère austral, le transport des condamnés du royaume coûtait peu de frais à la couronne, et ils ne causaient aucun em- barras. Dès qu'ils étaient une fois arrivés en Amérique, de l'autre bord de l'Atlantique, les colons américains marchands ou cultivateurs s'empressaient de louer les condamnés : ils signaient un acte pour les bien trai- ter, etc. , et la cargaison de chaque vaisseau était bien- tôt disséminée au milieu des bois et des forêts de cet r Etat libre, prospère, actif et bien gouverné. Alors non-seulement on pensait, mais on sentait et on recon- naissait que les convicts séparés de leurs compagnons, domiciliés et traités comme des hommes, ne conver- 306 VOYAGE tiraient point les serviteurs libres , leurs compagnons de travail , en convicts , mais qu'au contraire ceux-ci feraient des autres de bons serviteurs. Les malfaiteurs, isolés et forcés à la réflexion , étaient soumis à l'in- fluence d'un exemple bien puissant en pareil cas; au lieu d'apprendre aux autres a blasphémer, ils rougis- saient bientôt eux-mêmes de le faire. Introduits dans la salle des prières chaque malin au chant du coq, les mœurs simples des puritains gagnaient leur conscience endurcie. C'est pourquoi, il y a une centaine d'années, on savait très-bien que c'était un excellent système d'envoyer des convicts dans un pays où l'agriculture avait pris un grand développement , où le travail de la terre réclamait un si grand nombre de bras, qu'il était de l'intérêt, même du cultivateur de bien les traiter ; où les habitudes vertueuses étaient si profondément enracinées , que des individus isolés se trouvaient in- sensiblement obligés de se plover aux mœurs et aux . coutumes de la masse. Tout cela était connu en An- gleterre , par exemple, par lord North et ses contem- porains; connu en Amérique par les vice-rois, les gouverneurs et leurs contemporains Washington et Francklin. » Quand l'Amérique eut conquis son indépendance, le gouvernement anglais ne sut plus où envoyer ceux de ses criminels qui se trouvaient condamnés à la dé- portation. A la fin, comme une espèce d'enfant perdu, d'aventure romanesque, d'expérience morale et phi- lantropique , on résolut en dernier ressort de les dé- barquer sur les riantes prairies que sir Joseph Banks DE L'ASTROLABE. 307 avait décrites comme environnant une grande baie sur la côte de Me\v-Soulh-\Yalcs, qui lut ensuite désignée sous le nom de Botany-Bay, tant par compliment en- vers sir Joseph , qu'à cause des nombreuses plantes et des Heurs rares et nouvelles découvertes dans son voisinage. Ce nom élégant, comme tous ceux que l'on voit prostituer a de vils emplois , devint bientôt un terme de mépris et de dérision. Botany-Bay, du reste, fit bientôt place à Port-Jackson comme établissement pénal , et ce fut dans l'anse de Sydney que la première flotte des criminels anglais vint jeter l'ancre. Ce fut , dit-on communément , sur le lieu même où vient de bâtir Robert Johnson, dans George-Street , que son père le colonel Johnson , alors officier dans les troupes de marine, a posé le premier le pied d'un Anglais, et hissé le pavillon de la Grande-Bretagne. » Depuis cette époque , c'est sur le sol de la Nou- velle-Galles du Sud que l'Angleterre et l'Irlande dé- barquent chaque année leur population criminelle. Cependant les Washington, les North , les Fox et les Pitt étaient tous morts , et avec eux probablement fut perdue la connaissance ou au moins le souvenir qu'une contrée nouvelle , mais étendue, est la plus favorable pour recevoir, domicilier et réformer des convicts employés à la culture des terres , et qu'il est dans la nature même des choses qu'un établissement pure- ment pénal soit une expérience très-hasardeuse, et que la nécessité seule peut justifier. Ce qui nous fait croire qu'on oublia peu à peu les avantages de trans- porter les convicts dans une contrée libre et agricole, 308 VOYAGE c'est que si le gouvernement fût resté bien pénétré de ce principe, il aurait toujours montré plus de zèle à encourager les colons libres à se hasarder sur le terri- toire de la Nouvelle-Hollande. Il est évident aussi que les ministres, tout entiers aux soins de la guerre der- nière , furent induits en erreur par les rapports con- tradictoires des gouverneurs et des ofliciers civils et militaires. Car ces derniers détestaient les nouveaux venus, les considérant comme des intrus qui venaient leur ravir le monopole des terres , des troupeaux , des esprits et des provisions du gouvernement, etc. , etc. Ils oublièrent peu à peu l'ancienne expérience du ca- binet , adoptant un jour les suggestions de tel individu, et une autre fois celles de tel autre, suivant que les faits établis dans les lettres publiques ou particulières de la colonie semblaient plus ou moins plausibles. Le plus souvent ces prétendus faits étaient d'insignes mensonges. » En conséquence , fermer toutes les avenues de ce lieu de pénitence; le priver de toute espèce de rapport avec les Européens ; décourager ceux qui voudraient s'y établir, excepté les favoris particuliers du gouver- nement, et les personnes incapables de faire ombrage comme les méthodistes : tel fut le système adopté jus- qu'à l'époque où le gouverneur Macquarie fut envoyé dans la colonie. Et bien qu'après cette période, tant à cause des rapports relatifs aux belles laines de la Nou- velle-Galles du Sud, que pour quelques-unes des cir- constances de la rébellion de 1 808 , les ministres aient commencé à se relâcher un peu de leurs principes, et à DE L'ASTROLABE. 309 permettre à des hommes libres d'aller s'y établir; ce- pendant ils n'agirent pas encore sur un plan régulier, ni en vertu d'un principe général. Ils y envoyèrent des colons comme à la bonne aventure, tout juste pour essayer comment cela réussirait. La guerre les occu- ltait trop pour leur permettre de donner à la colonie les soins qu elle réclamait. » S'ils eussent repris leur ancienne coutume d'en- voyer leurs condamnés en Amérique, où, comme nous l'avons déjà démontré, ceux-ci ne pouvaient pervertir les habitans , mais au contraire où ils se corrigeaient; s'ils en eussent bien pesé les conséquences, ils n'au- raient point introduit dans la Nouvelle-Galles du Sud le convie tisme seul , mais auraient eu soin d'y envoyer un fermier libre avec sa femme et ses enfans , pour trois ou cinq condamnés à y déporter, afin de co- loniser cette terre inconnue. Jugez , lecteur, ce que Sydney serait aujourd'hui , si pour chaque millier de convicts débarqués sur ce sol , il y était aussi arrivé trois ou quatre cents femmes condamnées, et en outre un fermier, sa femme et trois ou quatre enfans pour chaque trois ou cinq convicts!... La Nouvelle-Galles du Sud, au lieu de cinquante mille habitans, en comp- terait peut-être un demi-million!... C'eût été la plus brillante colonie créée en si peu de temps dans les an- nales du monde. » Nous pensons donc que ce doit être une maxime admise dans cette branche de l'économie politique, que les obstacles à la réforme des malfaiteurs décrois- sent à mesure qu'ils sont moins rapprochés les uns des TOME I. 21 MO VOYAGE autres , et qu'on les force de s'associer à des personnes d'un caractère supérieur au leur, etc. , etc. » Ecoutons maintenant ce journaliste s'exprimer avec non moins d'énergie et de vérité sur les tristes suites du svstème d'économie introduit dans l'administration de la colonie, à l'arrivée du gouverneur Brisbane. [Monitor, n° 7, 30 juin 1826.) « Rien n'a paralysé la prospérité de la Nouvelle- Galles du Sud autant que l'économie méprisable, im- politique et vraiment coupable, qui fut introduite dans • rite colonie après le départ du gouverneur Mac- quarie. Le zèle avec lequel le major Goulburn pour- suivit sans relâche cette parcimonie ridicule, déplacée, inutile et vraiment stérile , nous donna toujours une fort triste opinion de ses talens en économie politique, bien que nous fussions disposés à avouer que son in- compréhensible manie de mettre à exécution les mes- quines conceptions de M 31. Hume et Bigg attestait son intégrité personnelle. Cet honnête secrétaire fut toujours entiché de feuilles remplies de chiffres dis- posés par chapitres et lignes droites, transverses, diagonales , perpendiculaires et horizontales ; et il se glorifiait beaucoup plus de produire des tableaux, sur le papier, qui déployaient la perfection des combi- naisons arithmétiques et typiques , enrichis des ré- sultats et des totaux généraux et subsidiaires, que de s'attacher aux principes libéraux et élémentaires qui seuls peuvent diriger les travaux d'un peuple DE L'ASTROLABE. 311 actif et industrieux, et s'accorder avec une économie libérale. » Mais sur quels principes de police équitable peut- on prouver qu'une réduction dans les traites du com- missaire , sur le trésor, soit une économie réelle pour le royaume? On a démontré par des calculs mainte fois répétés, et particulièrement dans une dernière bro- chure rédigée avec soin par M. Eagar, et adressée au ministre de l'intérieur, que les convicts employés par le gouvernement à Sydney, le sont à infiniment moins de frais (la dépense du transport comprise), que ces mêmes individus ne l'eussent été dans les galères et les maisons de correction d'Angleterre. D'ailleurs le sens commun démontre que quand la dépense ne se- rait qu'égale, un pays surchargé de population, et dont la classe des cultivateurs a dépassé les moyens d'être employés jusqu'à la valeur de dix millions , trouverait un avantage immense dans la déportation des plus mauvais sujets de cet excédant. » La déportation de médians fabricans en fait de riches consommateurs : il en résulte encore un plus grand avantage, celui de purifier la société en lui en- levant une partie gangrenée , dont la présence est un si grand fardeau pour une vieille communauté , et d'un véritable intérêt pour un jeune Etat. » >ous savons bien , du reste , qu'on répondra à tout cela en avançant que si l'Angleterre a jusqu'à présent obtenu tous ces avantages en dépensant annuel- lement 1 50,000 liv. st. , il ne s'ensuit pas qu'elle ne les aura plus à l'avenir en n'y employant que 1 00 , 000 liv. st. 21* ïl 2 VOYAGE C'est l'argument auquel ont eu recours dernièrement l'inconsidéré M. Hume et le superficiel M. Bigg. Car ils finirent par convenir que les dépenses qu'avait coûtées l'établissement de la Nouvelle-Galles du Sud, avaient été moindres que celles qu'eussent nécessitées la construction et l'entretien des galères et des prisons en Angleterre. M. Bigg ne trouva jamais cela durant son séjour dans la colonie. Mais plus tard il découvrit quelle avait été et était encore d'un grand intérêt pour l'Angleterre ; et qu'en comparant le compte entre la Grande-Bretagne et Sydney d'une part, entre la Grande-Bretagne et les galères et les prisons de Mill- kmk (Tune autre part, la balance était immensément en faveur de la Nouvelle-Galles du Sud. » La raison en est si palpable, qu'il est inconceva- ble comment M. Bigg, qui gagna 1 0,000 liv. st. à pren- dre des renseignemens sur ces objets , ne s'aperçut de cela qu'après la publication deson puéril ouvrage. Pour- tant il est très-clair que les convicts employés comme cultivateurs et comme bergers ne coûtent rien au gou- vernement. En outre les hommes employés par le gou- vernement à Sydney ne lui coûtent rien non plus, parce que les fruits de leur travail , en créant une nouvelle colonie de consommateurs pour les produits surabon- dans de ses manufactures , lui rapportent plus que ne coûtent leur transport, leur nourriture et leur habil- lement réunis. Tout cela est clair et doit frapper au premier abord , car c'est aussi simple que c'est exact. Les convicts entretenus dans les galères et les prisons de la Grande-Bretagne sont une dépense morte. Les DE L'ASTROLABE. 318 produits de leur travail sont une perle et même un mal pour l'Etat : car chaque paire de souliers ou chaque journée de travail laite par un habitant de ees prisons, en enlève 1 équivalent au cordonnier ou au journalier, ou du moins en diminue le taux, dans un état de elioses où les souliers et le travail opéré sur- passent déjà le besoin qu'on en a. » Il s'ensuit donc que chaque millier de pounds que le trésor anglais dépense dans la Nouvelle-Galles du Sud pour encourager la culture des terres ou la pèche de la baleine et des phoques, comme pour trouver de l'emploi à l'excessive population du royaume libre ou convicte (car la population libre est soutenue par les taxes des pauvres à un point qui dépasse tout calcul *), débarrasse la mère-patrie d'un mal pressant, et tend à diminuer les taxes des pauvres , et par con- séquent le nombre des crimes. Les bases d'un journal nous interdisent' des calculs aussi compliqués ; autre- ment nous prouverions volontiers que chaque millier de pounds dépensé par l'Angleterre pour faciliter l'é- migration et le transport à la Nouvelle-Galles du Sud, lui est plus profitable que 2,000 liv. st. épargnées à ses lue note que j'ai trouvée dans un journal anglais {.-lçe, 22 april 1826) justifie parfaitement l'assertion de ce publiciste au sujet des taxes pou: les pauvres : « La somme fournie pour le soutien des pauvres de l'Angleterre et du pays de Galles, pour l'année qui a fini au 3o mars 1826, a été de 6,966, i5i liv. st. 8 s. 6 d. Les taxes des pauvres en Angleterre commeneèreui en lî-'i, bien (pie le premier acte du parlement passé à cet égard ne date rpie de l'année 1 5 7 9 . Depuis relie époque, il parait, en vertu des calcul-. dressés sur des documens authentiques, que ces taxes en suivant une pro 314 VOYAGE taxes pour les pauvres; qu'en conséquence les der- nières épargnes du major Goulburn sur la Nouvelle- Galles du Sud, de 50,000 liv. ou environ, ont em- pêché les taxes des pauvres, en Angleterre, de pouvoir être diminuées de plus de 100,000 liv., comme elles eussent pu l'être en agissant autrement. Il n'a vu l'af- faire que par le trou d'une serrure. Si les ministres du Roi eussent encouragé l'émigration et le transport pour ce pays , sur une grande échelle et par des me- sures positives , les taxes pour les pauvres eussent di- minué dans un rapport qui eût dépassé tout ce qu'on peut imaginer. Car il a été démontré, ^«sXEdinburgh Reviens que quand le salaire du travail a été réduit à un vil prix, tel que quinze heures de travail par jour ne peuvent fournirai] fabricant de bas de Nottingham, gression continuelle sont arrivées à une somme quarante fois plus grande qu'elle ne l'était il y a deux cent cinquante ans. » Les taxes des pauvres en i5}3 montèrent à 17 1,260 liv. st. 10 s. 8 d. 1680 665,562 1698 819,000 1760 i,556,8o4 1783 2,i3i,486 1785 2,180,904 >• Suivant les comptes rendus à la Chambre des communes en 1801 , la dépense annuelle pour les pauvres, durant les dix années précédentes, fut de 3,86i,oio liv. st. Par les rapports présentés à la Chambre des communes en 1802, il parut que la somme entière destinée pour les pauvres de l'An- gleterre et du pays de Galles, de Pâque 1802 à Pàque i8o3, fut de 4,952,421 liv. La charge annuelle pour les pauvres, dans les années 1812, 181 3 et 18 14 , fut de 6,147,000 liv.; et depuis lors jusqu'à 1826, il paraît qu'elle s'est accrue par an de la somme énorme de 800,000 liv. » DE L'ASTROLABE. 31 S une quantité suffisante de nourriture de la plus mé- diocre qualité, en pain ou gruau, pour exister, sans lit ni charbon eu hiver; l eloignement d'un petit nombre d'ouvriers pour un autre pays suffisait à l'instant pour détruire l'immense concurrence pour l'emploi, et re- levait par conséquent le prix des gages à un taux rai- sonnable— » Le plus grand ennemi que ce pays eut jamais, fut le major Goulburn. Ce lut un homme impartial, sur- tout après la seconde année de son arrivée; mais son inflexible avarice ruina presque la colonie : sans l'im- portation d'un certain capital, du à un grand nombre d'émigrans qui commencèrent heureusement à y ar- river, la banqueroute eût été parfaitement complète. Mais les cargaisons apportées d'Angleterre par suite du crédit antérieur qui n'était pas encore éteint, et l'arrivée des nouveaux colons donnèrent aux mar- chands et aux cultivateurs le temps de respirer, et même d'emprunter à Londres, c'est-à-dire de retenir les fonds qu'ils eussent dû y renvoyer jusqu'à ce que de nouveaux canaux fussent ouverts à l'industrie et aux spéculations. C'est ainsi seulement que par un hasard heureux la colonie a pu se relever, que le major n'a pas été brûlé en effigie , et qu'il a pu quitter le pays avec la réputation d'être resté honnête et impar- tial tout en l'opprimant — » Si le gouverneur s'attend à réussir à épargner de 1 argent pour le gouvernement anglais , il se trompe : car nous sommes convaincus quïl ne s'abaissera point aux moyens qui ont caractérisé la dernière adminis- 316 VOYAGE tration. En outre, quand il y aurait recours, le résul- tat n'en serait pas si considérable. La dernière admi- nistration trouva des villes en bon état, des ponts presque tous achevés , et des routes toutes laites et aussi unies que des boulingrins. Mais toutes ces choses sont aujourd'hui en ruines. Tous les édifices publics sont en décadence. Les routes sont ruinées, étant cou- vertes de poussière en été, et de boue en hiver. C'est à tel point que tous les prisonniers de Sydney ne se- raient pas même suffisans pour réparer les nombreux ouvrages que créa l'immortel Macquarie. » On a avancé, dans l'article qui précède, que les dé- penses causées à l'Angleterre par l'établissement et l'entretien des convicts dans la Nouvelle-Galles du Sud, avaient été moindres que celles qu'aurait exigées leur entretien dans les maisons de force ou de correction du royaume. Cette assertion va être complètement prouvée par l'extrait suivant d'une lettre adressée par M. Eagar à M. Peel, secrétaire d'Etat, et queWenth- worth a insérée textuellement dans la seconde édition de son ouvrage sur la îXouvelle-Galles du Sud [tome II , page 158). « Sous le rapport de l'économie ou de la dépense du système, on peut l'apprécier d'une manière exacte en la comparant avec celles qu'ont nécessitées les au- tres systèmes d'inflictions pénales adoptés en Angle- terre, savoir : les pontons, ou gaietés , et les maisons de correction. Par les rapports des comités du parle- DE L'ASTROLABE. 317 ment sur la déportation en 1812, par l'état des prisons en 1819, et les écrits représentés au parlement en 1819, 1821 et 1 823 , nous avons la dépense entière de la Nouvelle-Galles du Sud, et le nombre de ceux qui y ont été transportés. Par le vingt-huitième rap- port des finances , par le second rapport de la justice de la métropole , et par les divers rapports du surin- tendant des galères , enfin dans les rapports au parle- ment, par le comité de la maison de correction de Mill- bank pour 1819 et 1 823 , nous avons la dépense de cet établissement , et le nombre de ceux qui y sont renfermés. Maintenant, pour nous assurer si la Nou- velle-Galles du Sud a été plus ou moins dispendieuse, nous devons apprécier la dépense annuelle de chaque prisonnier dans la colonie et dans le royaume , et com- parer l'une avec l'autre, ou bien estimer ce que le nom- bre des personnes transportées à la Nouvelle-Galles du Sud aurait coûté, si on les avait conservées dans les pontons ou les maisons de correction au même prix que ceux qui s'y trouvent actuellement. La dépense annuelle par tète a été , dans la Nouvelle-Galles du sud, de 1787 à 1797, 28 liv. st. 3 s. 5 d.; de 1797 à 1810, 18 liv. 14 s. 4 d.; et de 1810 à 1821, 25 liv. 5 s. 7 d. Va, y compris la subsistance, l'habillement, la surveillance, le gouvernement civil , les dépenses navales et militaires de la colonie aussi bien que le transport des convicts. La dépense annuelle par tête sur les pontons a été, de 1 787 à 1 797 , 23 liv. st. 1 9 s. 0d.; de 1797 à 1810, 27 liv. 1 s. 8 d. ; et de 1810 à 1 821 , 33 liv. 1 2 s. 0 d. La dépense de la maison de 318 VOYAGE Millbank a été très-grande. La dépense pour l'élever, y compris les intérêts , est montée , quand elle a été en état de recevoir mille personnes, à 571 , 460 liv. st., dont l'intérêt annuel à 4 p. °/0 revient à 22,858 liv. pour la dépense annuelle du logement de mille per- sonnes, près de 22 liv. 17 s. 2 d. pour chacune. La dépense de la subsistance et de la surveillance a été, en 1818, 41 liv. st. 17 s. 2 d. '/2 par tète; en 1820, 38 liv. 15 s. 4d. l/2; et en 1821 , 31 liv. 0 s. 7 d. '/,; moyenne des trois années, 33 liv. 17 s. 8 d. V2 » à la- quelle on doit ajouter l'intérêt de la dépense des bâti- mens, 22 liv. 17 s. 2 d. ; ce qui fait pour la dépense movenne de chaque personne renfermée dans la mai- son de Millbank, une somme de 56 liv. st. 15 s. 0 d. » Après avoir trouvé les dépenses de la maison de Millbank aussi considérables, je nie suis assuré, autant que cela m'a été possible par les documens parlemen- taires, du montant des dépenses des autres prisons, maisons de pénitence et de correction , et je les ai trouvées, comme il suit, en y comprenant l'intérêt des frais pour les logemens, la surveillance, les salaires des officiers , l'habillement et la subsistance. » L'asile pour les abandonnés, moyenne des années 1815, 1816,1817, 1818 et 1819, par tête [premier Rapport de la police de la métropole) , 37 liv. 2 s. 3 d. » L'institution philantropique [deuxième Rapport de la police de la métropole) , 36 liv. 1 7 s. 6 d. » La maison de pénitence pour les femmes à Lon- dres [deuxième Rapport de la police de la métropole), 41 liv. 6 s. 4 d. DE L'ÀOTROLABE. 319 » L'hôpital de la Madeleine {deuxième Rapport de la police de la métropole] , 1 2 liv. 8 s. 0 d. » Maison de correction de Cold-Bath-Fields; prison de ClerkenweU et Tothill-Field , Bridewell, moyenne par tète sans l'habillement [deuxième Rapport sur la police de la métropole), 31 liv. 2 s. 0 d. » Hôpital de Bridewell [Rapport sur les prisons de la ?nétropole), 42 liv. 5 s. 8 d. » Prison et maison de correction de Worcester (Rapport sur les prisons à la Chambre des lords), 28 liv. 2 s. 4 d. l/2, » Prisons , maison de pénitence et maison de cor- rection de Maidstone [Rapport su?- les prisons à la Chambre des lords), 39 liv. 3 s. 10 d. » En prenant la moyenne de ces différentes prisons et de la maison deMillbank, on trouvera une moyenne générale annuelle, par tète, pour tous ces établisse- mens, de 38 liv. st. 14 s. 0 d. » Le tableau suivant montre les dépenses compara- tives des établissemens de convicts de la Nouvelle- Galles du Sud , des pontons et des maisons de correc- tion. La première colonne indique le nombre actuel des condamnés existans dans la colonie pour chaque année ; la seconde contient la dépense entière pour le civil, le naval et le militaire , le transport, l'habille- ment et la subsistance des convicts. La troisième in- dique la dépense que le même nombre de convicts renfermés dans les pontons eût coûté, estimée au même prix par tète que ceux qui y sont détenus coû- tent actuellement. La quatrième colonne enfin montre 320 VOYAGE quelle eût été cette dépense, au taux moyen actuel de la maison de Millbank , des autres maisons de correc- tion et des prisons du royaume. » La dépense moyenne des pontons par tête a été , del787àl797,de231iv.st. 19s. 2d.;del798à 1810, ensuivant un accroissement graduel, de231iv. 19 s. 2 d. à 30 liv. 4 s. 4 d. '/9i moyenne 27 liv. 1 s. 8 d. ; de 1810 à 1821 variant de 43 liv. 7 s. 9 d. 3/4, à 27 liv. 18 s. 7 d. 3/4. La dépense présumée des maisons de pénitence, de 1787 à 1810, qui n'existaient pas alors, a été estimée en proportion de celle des pontons , sur le même taux en excès qui s'est trouvé par la suite entre les dépenses de ces deux systèmes. Ainsi celle des maisons de pénitence , ainsi estimée , eût été , de 1787 à 1797, de 28 liv. st. 10 s. 0 d., de 1797 à 1810, de 31 liv. i s. 0 d.; enfin de 1810 à 1821, 38 liv. 14 s. Od. 322 VOYAGE » La dépense entière de la Nouvelle-Galles du Sud, depuis sa fondation, en 1788, jusqu'en décembre 1821 , a été de 5,301 ,023 liv. st. 10 s. 6 d. , qui ont été em- ployés à transporter et entretenir 33, 1 55 personnes, et à subvenir à la solde du civil, du naval, du militaire et autres dépenses coloniales. Si on eut gardé le même nombre sur des pontons , cela eût coûté à la nation , en y comprenant rétablissement des pontons nécessaires, au nombre de quarante au moins, 7,214,486 liv. 3 s. 0 d. Si on eût voulu les entretenir dans des maisons de correction, non pas sur le plan de Millbank , mais bien dans le système le plus économique , il en fut résulté une dépense, pour la surveillance et la nour- riture seules , de 7,943,221 liv. En outre la dépense pour ériger le nombre de maisons de correction con- venable pour cet objet, qui eût été de quarante au moins, à raison de 450 prisonniers pour chacune, et sur le plan le moins dispendieux , sur celui de la maison de pénitence de Maidstone par exemple , eût été pour le moins de 192,000 liv. pour chacune , et par conséquent pour les 40 de 8,366,640 liv. Ainsi la dépense totale occasionée par ces établissemens eût été de 16,309,861 liv. st. » Dans ce calcul , je n'ai point fait entrer la valeur ou le produit du travail des convicts , parce que le travail qu'ils exécutent dans la Nouvelle-Galles du Sud est beaucoup plus profitable que celui des prison- niers ne peut l'être sur les pontons ou dans les maisons de correction. Dans l'état actuel de la population in- dustrielle en Angleterre , où le nombre des ouvriers DE L'ASTROLABE. 323 est beaucoup trop considérable pour l'emploi qu'on peut leur donner, et les gages nécessaires pour les faire subsister, le travail des convicts ne peut devenir nullement profitable au pays; car si ce travail est né- cessaire ou utile , il eût procuré de l'emploi et les moyens de subsister à un certain nombre d'ouvriers. Le làire exécuter par des condamnés, c'est priver d'ouvrage un nombre égal d'ouvriers libres, et les forcer par conséquent à recourir aux taxes des pau- vres pour leur subsistance ; ainsi l'excès qui en résul- terait sur les taxes des pauvres occasionerait une dé- pense plus grande que ne saurait être toute l'économie qui reviendrait du travail des convicts. Mais en admet- tant que le travail dans les pontons et les maisons de correction ait toute la valeur à laquelle on peut l'es- timer, de quel prix sera-t-il comparé avec les avantages de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud? Cette co- lonie est bien certainement le fruit du travail des con- victs. Elle contient aujourd'hui (en 1824) une popu- lation de plus de 40,000 âmes, qui occupe au-delà de 700,000 acres de terre, et possède plus de 5,000 chevaux, 1 20,000 tètes de bétail, et 350,000moutons. Elle contient cinq villes florissantes , et plusieurs vil- lages , consomme annuellement pour la valeur de 350,000 liv. st. de produits des fabriques anglaises, exporte pour la valeur de 1 00,000 liv. par an, emploie des navires jusqu'à la concurrence de 1 0,000 tonneaux, elrapporte un revenu colonial de plus de 50,0001iv. st. » D'après toutes ces considérations , il est évident que la déportation à la Nouvelle-Galles du Sud a été le 324 VOYAGE système pénal le moins dispendieux de tous. Jusqu'à ee moment , il a produit une économie directe et posi- tive de plus de 2,000,000 liv. st. en le comparant au mode le plus économique , celui des pontons, et de plus de 1 1 ,000,000, comparé à celui des maisons de péni- tence. A l'avenir l'économie sera de plus en plus con- sidérable. Car en prenant la moyenne dans les trois années 1819, 1820 et 1821 , la dépense annuelle par tête dans la ÎNouvelle-Galles du Sud a été de 20 liv. st. 13 s. 7 d. ; dans les pontons, de 30 liv. 6 s. 7 d., et dans la maison de Millbank, de 56 liv. 15 s. 0 d. En outre cette dépense annuelle de 20 liv. st. 1 3 s. 7 d. par tête , pour la N ou velle-G ailes du Sud, ne renferme pas seulement la subsistance et la surveillance des convicts dans la colonie , mais encore la dépense entière du transport, aussi bien que celle du gouvernement de la colonie et des forces navales et militaires ; en un mot , la dépense entière de tout genre que peut occa- sioner la ÏNouvelle-G ailes du Sud au royaume , soit comme établissement pénal , soit comme colonie. La subsistance et la surveillance des convicts prises à part durant les douze dernières années , n'ont pas monté à plus de 1 2 liv. st. 13 s. 6 d. chaque année par tète, et durant les trois dernières années 1819, 1 820 et 1821, à plus de 1 1 liv. 6 s. 0 d. Sur les pontons et dans les maisons de correction , toute la dépense au contraire roulait uniquement sur la surveillance, l'entretien et le logement des prisonniers. » Voyons actuellement de quelle manière s'énonce DE L'ASTROLABE. 323 un autre journal, PAustralian, touchant les mêmes matières , savoir : le jugement par jury et la re- présentation nationale. [N° 143, Il novembre 1826.) « Nous touchons à l'année 1827, dans le cours de laquelle l'acte du parlement pour la Nouvelle-Galles du Sud doit expirer. Cependant il n'y a encore eu au- cune manifestation publique du désir qui règne univer- sellement par toute la colonie , pour réclamer de la législation anglaise une extension de ses institutions en faveur de cette partie des domaines du royaume. Quand l'acte qui régla la charte actuelle de la colonie passa dans le parlement impérial, on entendit géné- ralement que si elle continuait à faire, durant les cinq années où cet acte serait en vigueur, des progrès sem- blables à ceux qu'elle avait faits dans le petit nombre d'années précédentes , les ministres seraient très-dis- posés à se montrer libéraux à son égard. Non-seule- ment ils devaient lui donner le pouvoir de dresser ses lois conformément à l'esprit de la constitution anglaise, mais ils devaient encore lui permettre de les faire exé- cuter par les mêmes moyens et suivant les mêmes for- mes que la mère-patrie. L'opposition d'un petit nom- bre d'individus réussit à reculer de cinq ans l'exercice des droits qui sont inhérens aux sujets de la Grande- Bretagne. Cette opposition, du reste, après avoir dé- chu, s'est enfin évanouie. Il n'y aura ni parti, ni fac- tion , ni même d'individu disposé à entraver les efforts des colonisles, qui n'auront à présenter que leurs pro- TOMF. I. 22 320 VOYAGE pies réclamations, pourvu qu'ils se donnent seule- ment la peine de le faire. » Nous apprenons qu'on se prépare à faire quelques démarches utiles, et qu'il y aune résolution arrêtée parmi plusieurs des personnes respectables, opulentes et influentes de la colonie , de recourir au mode habi- tuel des Anglais pour s'adresser aux premières auto- rités de l'Etat , c'est-à-dire par l'organe d'une assem- blée publique. A moins que les habitans de la Nou- velle-Galles du Sud ne veuillent se soumettre paisible- ment, pour cinq années de plus, à tous les vices d'institutions anti-nationales, h tous les embarras et inconvéniens d'un corps - législatif qui ne peut com- prendre la situation et les besoins de la colonie, qui ne peut que faire marcher les lois à tâtons, sans savoir si elles sont pernicieuses ou utiles , si elles sont con- venables à l'état actuel des choses, ou tout-à-fait en op- position avec chacun des intérêts auxquels elles se rapportent; à moins qu'ils ne désirent voir leurs tri- bunaux accablés sous le poids des affaires comme ci- devant ; ils feront entendre un vœu unanime à l'assem- blée générale, et montreront avec quelle sincérité tous les partis, toutes les classes, toutes les dénominations de personnes se réunissent pour attester que rien au- tre chose qu'une législation représentative, et le juge- ment par jury, ne peut satisfaire les colons, et s'allier avec leurs intérêts. » Ceux qui quitteront désormais l'Angleterre pour venir s'établir ici, comprendront parfaitement que leur liberté et leurs propriétés seront en sûreté; ils place- DE L'ASTROLABE. 827 ront leur confiance dans les autorités locales, quand on leur dira qu'ils trouveront dans le lieu où ils vont, des institutions semblables à celles qu'ils ont laissées, qu'ils continueront de vivre sous les lois anglaises, et sous le même système de justice administrative que celui sous lequel ils ont vécu toute leur vie, et avec le- quel ils ont ton jours été familiarisés. Il est très-essentiel, pour la prospérité du commerce, que les marchands qui ont des rapports avec la colonie, soient bien con- vaincus de l'intégrité de nos Cours de justice. Ils le se- ront dès qu'on leur dira seulement qu'un jury à l'an- glaise sera l'arbitre de leurs discussions, que ce ne sera qu'à un jury à l'anglaise qu'on pourra appeler, et qu'ils pourront avoir autant de confiance dans la jus- tice et l'impartialité de la Cour suprême de JXew-South- Wales , que dans les jurés de Westminster. » Le frivole caquetage qui a privé nos Cours du jury, ne peut l'emporter plus long-temps , si le peuple de la colonie n'est pas trop fainéant pour réclamer son éta- blissement dans les Cours civiles et criminelles ; s'il n'est pas trop paresseux pour rappeler aux ministres anglais que nos villes sont beaucoup plus peuplées , beaucoup plus capables de fournir des jurés que ne l'étaient les villes d'Angleterre , quand les jurés y furent institués pour la première fois » La législation , par représentation , est un droit si généralement reconnu pour appartenir aux Anglais , quelque soit le lieu qu'ils habitent, quelque soit le coin de l'univers qu'ils veuillent coloniser, qu'il serait dif- ficile à la faction qui entoure ici le pouvoir, quand 22* 358 VOYAGE même elle ne serait pas dépouillée de son influence , de disposer le ministère anglais à agir en opposition avec un droii si généralement reconnu. » Le peuple de la INouvelle-Galles du Sud n'a qu'une chose à craindre, et c'est sa propre indolence. S'il n'a- vertit point le parlement anglais qu'il compte être rétabli dans ses privilèges, s'il ne lui déclare point qu'il veut prendre sur lui-même le poids, si toutefois c'en est un, de s'administrer et d'être jugé par ses pairs : doit-il s'attendre à ce qu'on le contraigne à re- prendre ses droits, à ce que les autorités législatives d'Angleterre aillent le chercher dans son obscurité, et lui demander ce qu'il désire' »> L'acte du parlement pour la JNouvelle-Galles du Sud sera remis en vigueur pour cinq années de plus , à moins que le peuple ne se mette en avant, et ne re- présente l'injustice d'un tel procédé. L'assemblée pu- blique dont on parle beaucoup , et pour la convocation de laquelle on doit s'adresser au shérif, peut seule prévenir l'événement que nous déplorerons, s'il a lien, c'est-à-dire la prorogation de la loi actuelle. » Au sujet des droits que le gouvernement venait d'imposer sur les terres à concéder à l'avenir et sur certains rappels qui devaient avoir lieu sur d'anciennes concessions gratuites, on trouve dans le même journal un article plein de sens , quoiqu'écrit dans un style naïf et conforme au langage de son signataire John Biill.iAustralian , n° 152, 13 décembre 1826.) DE L'ASTROLABE. 339 « J'ai été très-ehoqué des menaces qui courent de reprendre la terre de quelques pauvres laboureurs, d'examiner scrupuleusement les bornes de leurs fer- mes, de tracasser, houspiller, inquiéter, et finalement ruiner ceux mêmes qui ont converti ces solitudes en une terre où coulent des flots de miel et de lait. » Si dès le principe on eût suivi le système de tra- casserie qui semble aujourd'hui à l'ordre du jour, la Nouvelle-Galles du Sud serait-elle une grande et impor- tante colonie comme elle l'est? Les ministres de Dow- ning- Street pourraient-ils aujourd'hui récompenser leurs amis et leurs cliens par de larges salaires ou de grasses sinécures à Sydney, en donnant cinq mille pounds par an à l'un , trois mille à un autre , deux mille au vénérable M. ***, et douze cents ou huit cents aune demi-douzaine d'autres? » Le Qaàrterly Review, dans un de ses derniers numéros, s'écriait : « Il est impossible de s'aveugler sur la grande et pro- gressive importance de la Nouvelle-Galles du Sud. Il y a quarante ans à peine que ce pays n'avait pas encore vu la figure d'un Européen, et déjà sa principale cité l'emporte sur les villes les plus propres et les plus étendues de plusieurs de nos comtés en Angleterre. Elle marche de pair avec Yarmouth, Hull , Leilh , Aberdeen, Belfast; elle rivalisera bientôt avec les grands ports de Liverpool, Bristol, Portsmoulh et Devonport. Les causes en sont évidentes; un beau climat, des institutions libérales, exemption de toutes charges , ce qu'un homme gagne est à lui; point de col- lecteurs d'impôts pour fouiller dans nos poches; point ;VèO VOYAGE de taxes pour les pauvres , ni de mendians valides, etc. Naguère les cultivateurs demandaient de la terre, et l'obtenaient sans l'embarras de l'inquisition actuelle pour évaluer le prix d'une truie ou dune paire de cu- lottes. Naguère on lui donnait vingt vaches à soigner en commençant son établissement, et si c'était dans la bonne saison de l'année, avec celles-là il en gagnail d'ordinaire vingt autres pour lui. Naguère le cultiva- teur recevait six, neuf, douze, et quelquefois dix-huit mois de rations pour lui-même , sa famille et ses do- mestiques, et cela n'était point à titre ^indulgence , suivant l'expression moderne; mais bien à titre d'en- couragement pour se montrer industrieux, habiter sur sa propriété, suppléer aux chances fâcheuses, et compenser, sous quelques rapports , l'absence de ses amis et de ses pénates d'Angleterre, ainsi que de toutes les douceurs qui se rattachent au mot de patrie. C'était, en outre , une récompense pour les frais énormes du passage vers cette contrée lointaine. Un Anglais ou un Ecossais songera-t-il jamais à s'expatrier, si ce n'est pour améliorer sa condition , pour parvenir plus promptement à la fortune? pour se procurer de bonne heure une heureuse indépendance pour lui-même et sa famille? enfin pour se mettre à même d'exercer une douce et raisonnable hospitalité envers ceux que la gène et le besoin obligent à chercher des ressources hors de leur patrie? Le difficile, au reste, est de savoir où s'arrêter : ainsi que le goût de la chair humaine s'est , dit-on , introduit chez les sauvages par suite du premier essai qu'ils en firent , de même la première DE L'ASTROLABE. 331 lois que L'homme commence à manier de l'argent, il (lc\icnl do plus en plus exigeant. Le thé, les esprits , le sel et le tabac sont des objets de taxe légitime , et en pareil cas elle fera plus de bien que de mal. Trois de ces quatre objets peuvent se fabriquer chez nous; à regard du thé , la livre à deux schellings fera tout ail- lant de bien dans le pays que si elle n'était qu'à un sehelling. La consommation en diminuera, et Ton s'habituera à notre café de l'île Norfolk et de Moreton- Bay. Les impôts généraux sont mauvais, s'ils n'ont un but d'utilité locale. Je n'approuve que certains droits favorables au pays, et j'espère que le bruit qui court d'un projet pour augmenter le fonds colonial n'est qu'un mensonge. Quoi! le nombre des orphelins se serait-il tellement accru que la recette actuelle de- vint insuffisante? Sans doute on n'exigera pas que les colons de la Nouvelle-Galles du Sud fournissent à l'en- tretien de tous les criminels de l'Angleterre. C'est une affaire de 200,000 Iiv. st. par an. La colonie doit se suf- iire à elle-même, dira-t-on. La chose est impossible, et ce mol n'est qu'une plaisanterie. Le gouverneur est entouré d'hommes trop éclairés pour qu'il puisse songer un seul instant de sang-froid à un pareil projet. Ce se- rait le coup de la mort pour la colonie; ce serait tuer la poule pour avoir l'œuf. Une foule d'habitans, j'en suis sur, vendraient tout ce qu'ils possèdent , feraient leurs paquets , et s'en retourneraient en Angleterre ; et le pays retournerait à son état primitif, insensible- ment , mais sans aucun doute. Car sans aucune des ressources de l'Angleterre , et avec tous ses désavan- 332 VOYAGE tages ; sans la société des femmes et avec une bande de voleurs ; sans aucune représentation , et avec des habits rouges sur les bancs du jury, et un système d'impôts odieux , quel est celui qui voudrait rester ici, qui ne s'en irait pas? Je ne crois pas un mot de ces bruits. Qu'un fonds soit levé pour paver, éclairer et arroser les rues , ce sera discuté un jour ou l'autre , je n'en doute pas. Mais ce n'est pas encore le moment ; nous sommes trop pauvres pour cela. C'est comme si tout l'argent (20,000 liv. st.) apporté par le navire de Sa Majesté, le Success, devait être débarqué au com- missariat , et jeté par la fenêtre de M. ***, la chose ne se ferait pas. Le bruit qui court est aussi absurde. L'an- cien système d'encouragement réussissait parfaite- ment , et a produit des merveilles. Laissons-le durer vingt ans de plus. En attendant, suivant le vieux pro- verbe, vogue la galère, achetons de la terre et du bétail, sans argent )ii valeur. » John Bull. » Voici un autre article non moins fondé en vérité , en raisonnement, sur la nécessité d'encourager les émi- grations de l'Angleterre vers la !Nouvelle-G ailes du Sud , tant dans l'intérêt de la mère-patrie elle-même que de la colonie. Australian, nP 1Ô0, 6 décem- bre 1826.) « D'après le témoignage unanime de plusieurs per- sonnes qui viennent d'arriver dans la colonie , nous apprenons que les réglemens sur la terre ont donné DE L'ASTROLABE. 333 naissance à de grands mécontentemens en Angleterre, et qu'ils tonnent un obstacle direct à l'émigration. Plusieurs personnes qui songeaient sérieusement à se diriger avec leurs familles vers cette colonie ou vers la terre de Van-Diémen, plusieurs même qui étaient sur le point de s'embarquer, ont été si dégoûtées par les conditions vexatoires et impolitiques imposées sur les concessions et les achats de terres, qu'elles ont renoncé à leur dessein de quitter l'Angleterre. C'est précisément ce que nous avions prévu. Il y a excès de population en Angleterre; et, au lieu d'encourager ceux qui étaient disposés à émigrer, on oppose une en- trave directe à leur départ , à moins qu'ils n'apportent du capital avec eux , et qu'ils ne se soumettent à payer presque autant la terre ici qu'ils l'eussent fait en Angle- terre , eu égard à la qualité et à la situation du terrain dans les deux pays. L'administration anglaise entend mal l'état de cette colonie. Nous manquons de popu- lation. Un accroissement de capital, beaucoup de nu- méraire serait à désirer, et sans doute ceux qui peuvent en apporter avec eux sont mieux venus. Mais ceux qui en ont aiment à le placer suivant leurs désirs , et ils doivent naturellement s'attendre à recevoir gratui- tement de la terre, étant venus de 16,000 milles dans cet espoir , et après tout ne la trouvant pas dans un état séduisant , quand ils en prennent pos- session. Le capital, nous le répétons, nous serait très- utile, mais nous manquons d'hommes, nous man- quons de population. Nous avons besoin de paysans qui puissent s'établir à leur aise sur une centaine 334 VOYAGE d'acres de terre chacun, et avec l'espoir d'en obtenu- davantage, s'ils peuvent la cultiver. Nous avons besoin qu'ils habitent la campagne. Donnez aux plus indigens des émigrans qui viennent ici telles facilités qu'ils ont droit d'attendre; donnez-leur la chance d'employer leur industrie , avant que leur patience et leur énergie soient épuisées, avant que leur courage soit abattu par le malheur. C'est une opinion erronée, que de penser que le capital seul doive être un titre pour ré- clamer de la terre ; c'est une opinion plus erronée en- core , que de créer des rentes , de charger les conces- sions de conditions onéreuses , dans l'espoir de tra- vailler à la prospérité de la colonie , ou de contribuer à la culture d'une acre de terre de plus , que si le peu- ple pouvait jouir sans aucune restriction du produit entier de la terre qu'il possède. C'est bien assez de dé- fendre la vente de ces terres, pour certaines raisons ; mais hormis celle-ci, toutes les restrictions sont nui- sibles. Il pourrait être excusable ou même convenable de taxer les absens, de taxer ceux qui obtiennent de la terre uniquement dans l'intention de la vendre , et qui n'ont jamais pensé à la cultiver; mais c'est la pro- position la plus inique qui ait jamais été faite et exé- cutée, que de faire payer aux concessionnaires une rente sérieuse pour la terre, tandis qu'ils mettent tous leurs soins à l'améliorer et à se rendre ainsi des mem- bres méritans de la colonie. Il est impossible, nous le présageons clairement, que les réglemens dernière- ment promulgués restent long-temps en vigueur. Nous annonçâmes qu'ils causeraient un mécontentement DE L'ASTROLABE. 335 universel. — Us ont en ctïet eausé un mécontentement, universel, et même détourné une foule d'émigrans de venir s'établir dans telle colonie. Nous espérons seu- lement que le gouvernement d'Angleterre se sera aperçu de son erreur, erreur dans laquelle il a été in- duit par quelques grands propriétaires qui ont conçu la folie espérance que leurs propres terres hausse- raient de valeur, si les nouveaux venus étaient forcés de payer toutes celles qu'ils recevraient de la couronne. Nul doute que ce moyen n'ait d'abord réussi; mais ces monopoleurs n'ont point réfléchi qu'ils seraient arrivés au même but par une marche différente ; que la valeur de leurs terres se serait tout autant accrue en encou- rageant de nombreuses émigrations , qu'en faisant rançonner çà et là quelques cultivateurs pour chaque acre de terre qu'ils obtiendraient. On ne peut discon- venir que les réglemens n'aient eu l'effet que nous ve- nons de décrire. On ne peut disconvenir que plusieurs familles , qui étaient sur le point de passer dans ce pays, ne soient restées en Angleterre, détournées de leur projet uniquement par les prix injustes et ef- frayans des rentes imposées sur toutes les terres à concéder. » >'ous allons maintenant rapporter en entier les ré- glemens dressés par le ministre des colonies, touchant les concessions à faire , et qui ont donné lieu aux cri- tiques précédentes. [Monitor, ?i° 20, page 155, 29 sep- tembre 1826.) 336 VOYAGE « Pour l'instruction de ceux qui se dirigent vers la Nouvelle-Galles du Sud et la terre de Van-Diémen, comme cultivateurs , on a juge convenable de donner l'aperçu suivant des réglemens que le gouvernement de Sa Majesté a trouvé à propos a" établir pour ré- gler les concessions de terres dans ces colonies. » 1°. On s'occupe d'une division du territoire en- tier en comtés et en cent paroisses. Quand cette divi- sion sera terminée, chaque paroisse contiendra une superficie de vingt-cinq milles environ. On fera une évaluation des terres de toute la colonie et de chaque paroisse en particulier. » 2°. Toutes les terres de la colonie , non concédées jusqu'alors et non appropriées au service public, se- ront mises en vente aux prix ainsi fixés. » 3°. Toutes les personnes qui se proposent d'a- cheter de la terre , devront en présenter la demande par écrit au gouverneur, dans une forme prescrite, qui leur sera délivrée au bureau de l'ingénieur-général, en payant le droit de deux schellings et six pences. » 4°. Toute correspondance avec le gouvernement local , touchant les concessions de terrain , ne peut avoir lieu que par ce même bureau. » 5°. Le prix d'achat doit être acquitté en quatre termes. L'escompte de 10 p. °/0 sera alloué pour les paiemens en argent comptant. » 6°. Lors du paiement de la somme, la concession sera faite à l'acquéreur en droit simple et pour la rente nominale d'un grain de poivre. » 7°. La plus grande quantité de terre, qui sera ven- DE L'ASTROLABE. 337 due à un seul individu, sera de 1,920 acres. La terre sera généralement mise en vente par lots de trois milles carrés, ou 1 ,920 aères. Les personnes quidésirent faire des acquisitions pins considérables, devront s'adres- ser par .écrit an secrétaire d'Etat, en donnant une explication complète de leurs projets et de leurs moyens. ■ 8°. Tout acquéreur, qui dans l'intervalle de dix ans après son acquisition , par l'emploi et l'entretien de convicts, aura soulagé le public d'une charge égale à dix fois le montant de son prix d'achat, sera rem- boursé de cette dernière valeur, mais sans intérêt. L'entretien complet de chaque convict, employé du- rant douze mois par l'acquéreur, sera estimé à seize livres sterling, épargnées à la dépense publique. » 9°. Les terres peuvent aussi être obtenues sans vente, mais à diverses conditions. » 1 0°. Les personnes qui désirent devenir conces- sionnaires sans achat , feront leur demande au gou- verneur du lieu dans la forme assignée , dont il leur sera délivré copie au bureau de l'ingénieur-général , ce moyennant deux sehellings six pences. » 11°. La plus grande concession de terre, qui sera faite sans achat, est de 2,560 acres; la plus petite de 320 acres. » 12°. Aucune concession ne sera faite à personne sans achat, à moins que le gouverneur ne soit certain que cette personne a tout à la fois le moyen et le désir de dépenser, pour la culture de ses terres , un capital égal à la moitié de la valeur qui leur est assignée. 338 VOYAGE » 13°. Une rente de 5 p. °/0 par an, sur la valeur appréciative, sera établie sur la terre concédée sans rente. » 1 4°. Cette rente pourra se rembourser, dans les vingt-cinq premières années qui suivront la conces- sion , par une somme égale à vingt fois sa valeur annuelle. » 15°. Dans le remboursement de cette rente, le concessionnaire pourra y Taire entier le cinquième des sommes qu'il aura épargnées au gouvernement de Sa Majesté, par l'emploi et 1'enlretien de convicts. Et, pour établir cette indemnité , on calculera que le gou- vernement aura épargné seize livres sterling pour chacun des convicts employés par le concessionnaire, et complètement entretenus à ses frais sur sa terre pendant le cours d'une année. » 1 6°. Jusqu'à l'expiration des sept premières années qui suivront la concession sans vente, la rente ne sera point due sur les terres de cette catégorie. » 1 7°. Chaque concessionnaire sans achat devra, à l'expiration du terme ci-dessus mentionné de sept années, prouver devant l'ingénieur-général , qu'il a dépensé pour la culture et l'amélioration de sa terre, un capital égal à la moitié de sa valeur, comme elle fut fixée au temps de sa concession, et cela sous peine de voir sa terre retourner à la couronne. » 1 8°. Aucune concession additionnelle de terre ne sera faite à un particulier, qu'il n'ait employé la dé- pense nécessaire de capital sur les terres qui lui sont déjà concédées. DE L'ASTROLABE. 339 » 19°. Les personnes qui recevront une seconde concession de terre sans achat, seront susceptibles de payer une renie sur les terres comprises dans cette seconde concession , immédiatement après qu'elle a eu lieu. » 20°. Les personnes qui désireront recevoir des concessions de terres sans achat, à des conditions dif- férentes de celles qu'on vient d'établir, doivent sou- mettre au secrétaire d'Etat une exposition par écrit et détaillée des circonstances qui , suivant eux , peu- vent les exempter du cours ordinaire des règles générales. Ruivau des colonies, Dowuing-Street, novembre 1824. » Le débit du bois de cèdre {Cedrylis australïs, Brown) était devenu un objet de commerce assez important pour la colonie , et fournissait un moyen d'existence honorable pour une foule d'ouvriers qui allaient le couper et le scier librement aux lieux où il croissait. Quelques mois avant notre passage à Syd- ney, le gouvernement avait assis un droit de un half- penny (un sou environ) par pied sur ce bois , ce qui avait mécontenté beaucoup de gens. Le Monitor à cette occasion fait les réflexions suivantes. {Monitor, »!• 11, 28 Juillet 1826.) « Avant l'arrivée de sir Thomas Brisbane , d'odieu- ses prohibitions , résultat de la police de nos premiers gouverneurs , existaient sur presque tous les genres 340 VOYAGE de produits bruis , accompagnés de droits et d'impôts vexatoires sur le chargement et déchargement des navires. Le major Goulburn fut assez juste pour sup- primer tout cela; un ordre général fut publié spécia- lement pour ouvrir la côte entière aux entreprenans scieurs de bois : c'est en vertu de cet ordre qu'ils tra- vaillent maintenant. Les riches propriétaires qui pos- sèdent des terres plus voisines de la capitale , réus- sirent à s'en procurer le monopole au moyen de permis. Cette méthode , sous le prétexte d'arrêter le vagabondage et de détruire les retraites des déser- teurs, est remise en pratique. Ainsi, la politique hol- landaise, sous la forme d'impôt sur le cèdre , tâche de nouveau de reparaître dans cette colonie. Mais il faut (pie le gouvernement se rappelle que la Nouvelle- Galles du Sud a cessé d'être un simple établissement pénal, et que nous avons droit à tous les privilèges commerciaux, à tous ceux des plantations de Sa Ma- jesté en Amérique. » Dans un long article de I Australian, où l'éditeur de ce journal discutait L'actif et le passif de la colonie, il es- timait à 4,000,000 de liv. st. son capital entier en terres cultivées, maisons, troupeaux, bétail de tout genre, blé, grain, etc., indépendamment des marchandises en magasin. Si les ressources de la colonie eussent été convenablement dirigées , ce capital eût pu être facile- ment doublé par des valeurs en laine, tabac, sucre, huile de baleine, cuirs, et autres objets d'un grand débit en Angleterre. La dette des marchands de Sydney envers DE L'ASTROLABE. 341 les étrangers pourrait être évaluée à 250,000 liv. st. ; pour y faire race, ils peuvent avoir en ce moment pour 180,000 liv. de valeurs entre les mains, repré- sentées partie par dos marchandises en magasin, et partie par des hillets de divers marchands en gros et eu détail. 60,000 liv. en outre peuvent être repré- sentées par des billets d'autres marchands, du numé- raire en caisse, et des propriétés en terre et en bétail. Enfin les 10,000 liv. restantes pourraient s'imputera l'intérêt du commerce chez les consommateurs. De tout cela, L'éditeur concluait avec assez de rai- son que, malgré l'état de gène où se trouvait alors la colonie, à cause du grand excès de valeur des impor- tations sur les exportations, il n'y avait nullement à redouter une banqueroute pour les marchands étran- gers; que les propriétaires en quelques années d'éco- nomie et de travail pouvaient rétablir avantageuse- ment la balance en leur faveur, et que les marchands de la Nouvelle-Galles du Sud seuls en souffriraient par la stagnation des affaires. La valeur des objets importés annuellement, depuis un petit nombre d'an- nées, n'est pas montée à moins de 350,000 liv. st. ! [Australiaii, n° 123 et 124, 2 et 6 septembre 1826.) La quantité de laine exportée chaque année en Angleterre a suivi la progression suivante : En 1817. . . . 73,000 liv. En 1818. . . . 93,000 En 1819. . . . 100,000 roue i. 2 3 3 1 2 VOYAG E En 1820. . . . 95,891 liv. En 1821. . . . 175,433 La grande différence en plus , de cette dernière année , doit s'attribuer à ce que les habitans de Van- Diémen se décidèrent à envoyer aussi en Angleterre leur récolte de l'année avec celles des années précé- dentes. En partant de celte base , on calculait qu'en 1826 la récolte pourrait être de 130,000 livres, et s'élever jusqu'à 200,000 livres cinq ans après. Dans un rapport fait alors tout récemment à la Chambre des communes, on établissait que la valeur des produits et des manufactures de la Grande-Breta- gne , portés à la Nouvelle-Galles du Sud , avait été, liv. 't. •■ i!. En 1819, de 9,000 li 8 En 1820, 40,000 3 7 En 1821, 84,000 1 » {Monitor, n. fi, 23 juillet 1826.) On peut juger par là combien cet accroissement avait été rapide et prématuré. C'est ce qui avait donné lieu dans la colonie à l'engorgement des marchan- dises dont nous venons de faire mention. Au sujet d'une nouvelle carte de la Nouvelle-Galles du Sud , publiée à Londres en 1 826 par Cross , de Holburn, et gravée par J. Lewin , d'après les travaux de M. Oxlev, le Monitor fait l'observation suivante : DK L'ASTROLABE. 343 « En faisant attention au très-petit espace que la portion explorée de l'Auslralasie occupe, comparée au conlincnt entier, nous sommes obliges de convenir <|ue toutes les théories sur les lacs intérieurs, etc., ne sont fondées que sur les plus frivoles bases. L'Aus- lralasie occupe plus de deux milleniilles géographiques de Longueur et mille huit cents de large. La plus grande étendue delà partie explorée n'excède pas six cents milles du nord au sud , et quatre cents milles de l'est à l'ouest. INous n'avons qu'une connais- sance fort imparfaite du pays, à deux cents milles de Sydney. » ^Nous ne serions pas étonnés si on nous appre- nait (jue nous nous sommes établis sur le plus mauvais coin de Me entière. » [Monitor, n° 6, 23 juin 1826.) Au mois de septembre 1 826 , la colonie comptait 200,000 bêtes à cornes, 500,000 brebis, et 15,000 chevaux. Le bœuf et le mouton valaient six pences environ douze sous) la livre. [Aastralian, n° 139.) Le prix des vivres au marché, le 16 décembre de la même année, était de : blé (le boisseau), 5 s. 6 d. — Maïs (/,, 31 mai 1826. A l'occasion du bal donné par le gouverneur, le jour de la fête du roi d'Angleterre, V Aushalian fait les remarques suivantes, qui donneront une idée du DE L'ASTROLABE. 347 degré de splendeur auquel esl déjà arrivée eetle inté- ressante colonie. (N° 86 , 26 avi il 1 826.) « Peu de personnes imagineraient que dans une communauté qui n'a dû son origine qu'aux circons- tances les plus défavorables , et qui ne date son exis- tence que d'hier (car aux yeux des plus vietix habi- lans, il semble que ce ne soit que d'hier seulement qu'ils ont pour la première fois abordé dans un désert et au milieu des rochers d'une terre inconnue), peu s'imagineraient qu'on put parvenir en ce pays, même chez le gouverneur, à déployer autant de goût et d'élé- gance, à présenter une cérémonie capable de rivaliser avec celles de la même nature qui ont lieu dans la mé- tropole. Les membres de l'administration actuelle du pays ignoraient, et les personnes de l'Angleterre, qui ont acquis le plus de données sur la colonie, ignorent encore qu'une pareille réunion de personnes de mérite et de considération put avoir lieu au palais du gouver- neur le jour de la naissance du Roi. Nous employons les termes de mérite et de considération , comme les plus convenables pour désigner la condition exacte de ceux qui forment la haute société de la Nouvelle-Galles du Sud , et de ceux qui composaient en grande partie le cercle appelé à célébrer la fête du Roi. Les étrangers acquerront une notion plus exacte de l'état de la co- lonie et de la nature de sa société, si on leur dit que la majeure partie de ceux qui se trouvaient invités à cette soirée eussent en Angleterre figuré honorable- ment parmi la petite noblesse , pour ce qui regarde le 318 VOYAGE rang et la dignité. Car Dieu sait que toute autre pré- tention ne serait qu'une pure affectation, et nos amis d'Angleterre trouveraient bien lisible le puéril orgueil de nos grands seigneurs de la JXouvelle-Galles du Sud. » Tout cela prouve beaucoup en laveur de l'amélio- ration delà société de cette colonie; c'est une puissante preuve de son accroissement, que de pouvoir avancer qu'elle compte plus de deux cents membres capables d'être réunis, au besoin, comme des connaissances plus ou moins liées les unes avec les autres , et presque sur un vrai pied d'égalité, et qu'en outre ces deux cents personnes appartiennent à une classe qui, en Angle- terre, pourrait se montrer dans les cercles les plus distingués, bien qu'un très-petit nombre put aspirer à paraître à la cour. » Les possesseurs de ce sol peuvent bien être consi- dérés en masse par ceux qui habitent le royaume , comme des gens indignes d'une vraie considération , sans que nous ayons lieu d'en être surpris. Les pre- mières impressions ne s'effacent pas facilement. La Nouvelle-Galles du Sud sera pour long-temps encore confondue avec Botany-Bay ; il faudra quelque grande ' secousse, quelque événement frappant, quelque cir- constance extraordinaire, pour détruire cette erreur. Des faits comme ceux que nous venons de publier aujourd'hui produiraient de l'effet, s'ils étaient seule- ment pesés par ceux dont le devoir et le mandat sont d'instruire et de guider le peuple anglais. Chaque cour de justice, chaque assise, chaque ville, chaque pa- DE L'ASTROLABE. 349 roisse en Angleterre, contribue à cacher au public le véritable étal de cette colonie ; car dans ce cas le peuple anglais forme son opinion d'après la basse classe qui m- voit qu'une grande prison dans la Nouvelle-Galles du Sud , cette colonie riche et Ton pourrait dire sans rivale. Chaque hameau, chaque recoin de l'An- gleterre contient des individus qui ont des parens dans cette contrée , et qui malheureusement ne se trouvent dans le cas de s'en occuper et d'y faire attention , qu'à cause des fautes de leurs parens ou de leurs amis. Cest ce qui a amené le peuple à n'associer au nom de la Nouvelle-Galles du Sud que les idées d'une prison , et les hautes classes delà société ont elles-mêmes con- formé leur opinion à ces tristes impressions. » La sentence même de transporlation prononcée sur de misérables criminels dans les tribunaux, au milieu d'une foule de spectateurs, remplit leur ame d'idées semblables, et entretient leur erreur. C'est ainsi qu'on doit expliquer l'ignorance du peuple an- glais , l'ignorance de la mère-patrie touchant la véri- table situation d'une de ses colonies qu'elle considère avec la plus grande injustice, uniquement comme un insigne repaire de malfaiteurs , comme un lieu de cor- rection , au lieu de lui accorder le nom et la célébrité qu'elle mérite par ses qualités naturelles , ses avantages essentiels , ses attributs caractéristiques , et nous pou- vons ajouter par le développement précoce et les fruits étonnans dont elle récompense l'industrie humaine. La presse anglaise déviait dissiper ces erreurs , bien (]iic des objets d'un intérêt plus immédiat soient ton- 350 VOYAGE jours à sa disposition, et plus rapprochés d'elle pour satisfaire la curiosité de ses lecteurs. » Comme nous lavons déjà cent l'ois dit, ce n'est que par la voie de la presse qu'on peut produire de grands effets , et que les impressions perma- nentes et dues aux raisons que nous venons d'énu- mérer pourront être détruites , ou du moins neu- tralisées. Mais est-il surprenant que le mérite et la considération de noire communauté , ainsi que son importance, soient ignorés des habitans du royaume, tandis que ces titres étaient ignorés de ses mem- bres eux-mêmes? Nous le répétons, ces titres sont même inconnus ici — Autrement, qui eût pu donner lieu à ces continuelles exclamations de surprise de la part de tous ceux qui étaient présens à cette fête , car je ne crois pas qu'il y eût une seule exception. « Qui » eut pu s'imaginer, s'écriait-on de toutes parts avec » emphase, qu'on eût pu réunir une société aussi nom- » breuse, aussi choisie, tant de dames élégantes, une » si belle compagnie. » Nous autres citoyens de la même ville, habitans de Sydney, nous étions surpris ; mais plus que nous encore les habitans de la campagne prodiguaient leurs expressions d'étonnement. A quoi cela tient-il? est-il un bourg ou même une ville de moyenne grandeur, en Angleterre, qui pût offrir parmi ses habitans , une pareille ignorance de leur existence réciproque, pour ne pas dire un pareil isolement les uns des autres? Il est vrai que les habitans n'ont pas été élevés ensemble. Les dernières autorités vécurent tout-à-fait à l'écart; elles ne donnèrent lieu à aucunes DE L'ASTROLABE. 361 liaisons nouvelles , et même d'anciennes liaisons lurent dissoutes, les anneaux en lurent brisés par de nou- veaux venus et par un accroissement rapide et presque soudain de la population : enfin la communauté cessa presque entièrement d'exister comme société, ou du moins comme une réunion de sociétés. On n'imagine pas même combien l'habitude influe sur les amitiés. Moins vous voyez vos amis , moins vous vous souciez de les rencontrer. Séparés deux d'abord par de sim- ples circonstances accidentelles, vous en restez en- suite éloignés par goût. C'est ainsi que nous pouvons expliquer le défaut de société et les plaintes conti- nuelles que nous entendons sur le défaut de sociabi- lité, dans un lieu où certainement, comme nous ve- nons de le démontrer, se rencontrent tous les élémens qu'on peut désirer pour former des sociétés et cimen- ter des liaisons. » L'exemple, quel qu'il soit, bon ou mauvais, a une puissante influence sur l'homme qui, en dépit de lui- même, a toujours l'esprit imitateur. Ceux qui se trou- vaient placés à la tète de la colonie, nous le redirons sans cesse, ne donnèrent point le bon exemple (il est vrai qu'ils eussent pu alléguer plusieurs excuses pour leur conduite, et en effet quelques-unes de ces ex- cuses étaient fondées). Ils ne se montrèrent point des membres de la communauté , et la société tomba en ruines. Par cela même que les habitans cessèrent de se trouver ensemble , la méfiance , le soupçon et l'en- vie prirent la place de la cordialité, des réunions joyeuses et de ces nombreuses nuances de liaisons qui 3Ô2 VOYAGE unissent les hommes entre eux depuis l'attachement le plus intime jusqu'aux plus simples marques de po- litesse. » Le désir qu'ont les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud , de voir l'état de leur colonie mieux connu en Europe, leur faisait tenir le langage suivant, touchant le séjour de V Astrolabe à Sydney : « Les officiers français de la corvette l'Astrolabe 5 ne sont pas peu étonnes de voir celte colonie si bien pourvue de protection navale. Un vaisseau de 74, et deux autres navires de guerre, à l'ancre sur celte rade, leur présentent un spectacle auquel ils ne s'atten- daient guère. Les visites fréquentes que les puissances étrangères font à cet établissement , feront bien mieux connaître la condition actuelle de cette colonie sur le continent européen , particulièrement chez les Fran- çais et les Russes, qu'elle ne l'est en Angleterre. Chaque récit d'un officier étranger qui entreprend de décrire ce qu'il voit et ce qu'il rencontre ici , sera reçu avec attention dans son propre pays , quoique de pa- reils récits envoyés en Angleterre par des Anglais n'excitent qu'un intérêt bien mince. John Bull n'est guère jaloux de savoir ce qui se passe dans ses colo- nies, tandis que les Français sont curieux à l'infini sur ces matières. Ils se formeront en peu de temps des notions sur la Nouvelle - Galles du Sud, tout aussi correctes , tant sous le point de vue de la statistique que sous celui de la politique, que les Anglais les mieux instruits de ce qui concerne leur DE L'ASTROLABE. 353 patrie. » (Aust) idian , //" 151, 9 décembre 182G.V/ Dans le précédent numéro de la même feuille on lisait encore à ce sujet (G décembre 182G) : u A l'arrivée du navire français de découvertes l Ash olabe, le bruit s'était assez généralement ré- pandu qu'il avait non-seulement visité divers ports et mouillages sur la côte de la Nouvelle-Hollande, mais qu'il venait de hisser le drapeau blanc à King-Georges Sound, à Western-Port et Jervis-Bay, et pris posses- sion de ces lieux , dans le but d'y former des établis- scmens. On ne saurait douter que ce navire n'ait touché sur ces divers points ; et nous sommes disposés à penser que les Français ont cherché à acquérir au- tant de connaissances de la cote qu'il leur a été pos- sible. Mais quant à leur intention d'y former des éta- blissemens, ce n'est qu'un conte dû à ceux qui aiment à inventer des histoires, et qui se plaisent à se jouer de la crédulité de leurs auditeurs. Pas un mot de vrai à cela, d'après ce que nous avons appris. Ils ne tenteraient jamais de planter leur pavillon, soit à Jervis- Bav, soit à Western-Port, puisque ces points sont compris dans les limites du territoire anglais. Mais il ne serait pas fâcheux pour l'Angleterre de voir des colonies françaises ou russes s'établir à des distances raisonnables de ces limites ; ce voisinage ne devien- drait point un sujet de chagrin pour les peuples de cette colonie ; au contraire , il ne pourrait que leur cire avantageux. Il engagerait d'ailleurs l'Angleterre 354 VOYAGE à ne point nous tracasser, et la disposerait en outre à nous traiter, non-seulement avec une douceur ordi- naire, mais même avec magnanimité. Alors elle se déterminerait sans doute à nous donner une constitu- tion de notre goût , que nous pourrions respecter, et que nous apprendrions aux autres à respecter. La métropole aurait peur de se brouiller avec nous, si elle voyait le rejeton d'un pouvoir étranger près de nous ; et le désir quelle aurait d'éviter tous motifs de malentendu avec la colonie serait pour celle-ci une source d'avantages. Sans doute les visites fréquentes que nous recevons des étrangers mettront l'Angle- terre sur le qui vive ; et probablement elle commen- cera à nous trouver d'un plus grand intérêt qu'elle ne l'avait jugé dans ses rêves. » J'ai déjà dit un mot des incendies qui avaient dé- solé les environs de Sydney peu de jours avant notre arrivée ; voici des détails assez curieux à ce sujet : « De grands feux dans les bois sont des choses si ordinaires , qu'il arrive rarement que cela vaille la peine qu'on en fasse une mention particulière. Le plus souvent l'incendie rend service , en ce qu'il contribue à éclaircir de grands espaces couverts de forêts et de broussailles , et débarrasse de beaucoup d'objets nuisibles. Néanmoins les feux qui commencèrent à brûler vendredi soir, et qui attirèrent l'attention gé- nérale par leur grandeur et l'espace extraordinaire du terrain sur lequel ils se développèrent, ont eu de DE L'ASTROLABE. 355 très-sérieuses conséquences pour la plupart des per- sonnes dont la propriété est située dans leur voisinage. Sur la côte du nord , sur la route de Botany, près Li- verpool, et en d'autres endroits, ils ont oecasioné de grands dommages , et sont devenus , pour quelques personnes, la source de pertes considérables et de grands malheurs. On ne connaît encore qu'imparfai- tement toute l'étendue des ravages qu'ils ont causés. M. YVollstonecraft a eu toutes ses palissades consu- mées, et a reçu pour plus de 200 pounds de dom- mages. Un excellent verger et une bonne maison, à King's-Grove, la propriété de M. Lord, de la place Macquarie , ont été réduits en cendres. Plusieurs ponts ont été détruits, ce qui a interrompu les communica- tions en divers endroits, particulièrement à Liver- pool et à Parramatta. Les feux ont sévi avec la der- nière violence partout où ils se sont déclarés , en se propageant avec la plus grande rapidité, et lais- sant à peine aux personnes douées de la faculté de courir assez vite la chance de leur échapper. L'horizon fut complètement obscurci dans une éten- due de plusieurs milles, par les masses de fumée qui s'en exhalaient ; et le navire le Speke , qui arriva dimanche , à une grande distance du rivage , et long- temps avant qu'on pût distinguer la terre , eut son pont couvert de cendre. Plusieurs têtes de bestiaux furent consumées , et on a calculé que le dommage oecasioné par cet incendie a été plus considérable que tout ce qui avait jamais eu lieu dans la colonie , par Miite d'événemens du même genre. Une maison oc- 356 VOYAGE cupée par Milson, marchand de lait, sur la cote du nord , a été brûlée dimanche. Un homme appelé Mac- namara, qui vivait dans le voisinage de W il ber force, a péri par le feu. Sa récolte de blé, sa maison et ses autres propriétés ont été complètement détruites. Lui- même, entièrement perdu durant quelque temps, a été enfin retrouvé sans vie au milieu des broussailles consumées. Il y a eu de grands ravages à la ferme de Petersham. Des palissades qui avaient coûté près de 1 00 pounds , ont été bridées , les arbres à fruit très- maltraités , et une cavalle , montée par Camerton et. estimée plus de 80 guinées , réduite en cendres. L'ha- bitation n'a échappé qu'avec peine à l'incendie. On ne pense pas qu'un seul pont lût resté debout entre Syd- ney et Parramatta, si les serviteurs du gouvernement n'eussent été occupés à temps à dégager les bords de la route à mesure que le feu s'étendait. » Les vents brùlans et les particules pulvérulentes ont affecté désagréablement les yeux de plusieurs per- sonnes. Deux ou trois en ont ressenti de si cruelles souffrances , que le bruit s'est vite répandu qu'une ma- ladie semblable à l'ophtalmie d'Egypte allait combler les calamités du jour, et que ceux qui avaient échappé au catarrhe seraient réservés à un autre malheur, au risque de rester aveugles pour toujours. » [Aastralian, n° 148, 29 novembre 1826.) Huit jours plus tard on lisait dans le même journal : « On peut se faire quelque idée de l'aspect de la DE L'ASTROLABE. 3.57 campagne parce qu'on voit sur la route du Fanal. A la distance d'un Baille du goulet , le spectateur se trouve sur un espacé d'où sa vue ne peut découvrir que des rochers noircis par Faction du l'eu. Chaque arbre, buisson, plante ou brin d'herbe, a été brûlé jusqu'à la racine, et quelque habitués que soient ici les yeux a voir ;!\K L'ASTROLABE. 3(i3 habitues au genre de travail qu'on attend d'eux, qu'au moins on ait soin de les remplacer , et de transporter ici autant de colons qu'on en enlève? Nous saurions gré à l'Angleterre de nous amener de pauvres arti- sans ; mais si cela ne lui convient pas , qu'elle re- nonce à sa misérable économie, et qu'elle fasse passer ces utiles bras, s'il lui plaît, par notre propre pays, pour les diriger ensuite vers les ports, les mouillages, les promontoires et les pays à épices qu'elle prétend coloniser. Qu'elle se garde de priver notre colonie de gens aussi utiles ! qu'elle se garde d'enlraver notre population et notre gouvernement , en les forçant de laisser partir des bras que nous ne pouvons perdre sans éprouver de graves inconvéniens et de funestes suites ! » Le gouvernement anglais imagine , et nous crai- gnons que le nôtre ne partage aussi cette opinion , qu'il fait un grand gain par l'économie ou plutôt la parci- monie qu'il apporte dans ces entreprises. Quelques milliers de pounds , à son avis , suffisent pour mettre la macbine en mouvement ; et plutôt que de les dou- bler, pour l'utilité publique , il renonce au projet qui a occasioné les premiers frais, quand bien même il reposerait sur un bon plan , ce qui du reste est assez rare. Quant à nous , il nous serait agréable de voir des sous-colonies s'établir, si l'on y portait tous les soins nécessaires. La rivalité qui en résulterait se- rait assez compensée par les nombreux avantages aux- quels elle donnerait lieu d'ailleurs pour les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud. Mais ces colonies, 364 VOYAGE nous le répétons, doivent être convenablement for- mées, nourries et entretenues, c'est-à-dire par les ressources de l'Angleterre, par les habitans de l'An- gleterre, et non pas par ceux de la Nouvelle-Galles du Sud. Que Ton tonde des colonies çà et là partout au- tour de nous, mais que l'on donne à chacune les moyens de se développer. Chacune d'elles dans son enfance, chacune délies même dans un âge plus avancé , deviendra une pratique de la notre ; elles s'empresseront de prendre nos produits , surtout à mesure que leurs localités se rapprocheront des tropi- ques. Elles achèteront notre bétail, notre bœuf, notre porc salé, et autres objets nécessaires qu'elles ne pourront trouver que chez nous ou chez notre sœur, la Terre de Van-Diémen. C'est ainsi que nous désirons voir des colonies s'établir et prospérer, non pas naître pour un jour, un été, et puis périr après avoir néanmoins diminué la prospérité et les res- sources de la Nouvelle-Galles du Sud. Nous ne vou- lons point de colonies que le caprice établit et que le caprice abandonne. » Dans ces cas, le mal tient ordinairement à ce que le système adopté pour créer des colonies n'esl fondé que sur des renseignemens très-imparfaits , sui- des notions superficielles de quelque lieutenant pré- somptueux qui affecte de comprendre tout le mé- rite des localités ; avoir exploré une côte et donné son rapport comme quelque chose d'authentique, avoir mis le pied sur un sol nouveau , avoir aperçu une crique ou un ruisseau, vu un brin d'herbe ou le DE L'ASTKOIABK. M ).» Ironc d'un vieux arbre, lui suffisent pour conseiller de former uu nouvel établissement sur quelqu'un de ces points. Deux ou trois expéditions seront armées aussitôt, et après deux ou trois années d'expériences, de travaux et de dépenses inutiles sur le terrain choisi, la place sera reconnue comme toul-à-fait inconve- nable , et sera abandonnée pour quelque autre qui aura bientôt le même sort. » Ce n'est pas agir loyalement avec le peuple an- glais, ni avec les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud. On devrait choisir des hommes vraiment ins- truits et zélés pour reconnaître les côtes , faire des voyages de découvertes et choisir des sites pour éten- dre le pouvoir anglais le long de la côte de la Nouvelle- Hollande. Ceux qui ne pensent qu'à la récompense qu'ils recevront , à la promotion qu'ils auront dans leur service , aux concessions de terre qu'ils obtien- dront, aux troupeaux de brebis ou de bétail qu'ils pourront se procurer en se chargeant de ce travail , ne sont pas dignes d'être chargés d'une pareille mis- sion. Deux essais ont eu lieu, et tous deux ont échoué. Deux établissemens viennent d'être récemment for- més , et tous deux de la manière la plus ignorante. Voilà l'ile Melville, qui avait fait naître les espérances les plus brillantes. Quel a été le sort de cette place depuis que les Anglais l'ont occupée? Quel sera le résultat de ce projet insensé? On venait , disait-on , de découvrir un nouveau canal pour faire couler les richesses de l'Orient dans le sein du royaume. Une nouvelle source s'ouvrait au commerce , et l'on acca- 3G0 VOYAGE Liait d'éloges celui qui avait instruit le ministère de ces avantages. Maintenant il est question d'abandonner Tile Melville. Les misérables humains qui y ont été expédiés, après avoir éprouvé les horreurs de plu- sieurs maladies , après avoir été plusieurs (ois sur le point de périr de faim , après avoir souffert des maux infinis , voient que toute leur peine a été complètement perdue. Les Hollandais ou le diable, ou tous les deux à la fois, pourront maintenant, si cela leur plaît , s'em- parer de l'île Melville et de tous ses embellissemens. » Voilà Moreton-Bav, et nous pourrions y ajouter Porl-Macquarie, car une reconnaissance plus exacte de la côte à cette distance seulement de Port-Jackson, a fait découvrir, dit-on , de riches et fertiles étendues de terre, qui décèlent une ignorance honteuse de la part de ceux qui choisirent Port-Macquarie pour y former un établissement , au lieu de cette portion de côte située à quelques milles plus au nord où l'on vient de trouver une superbe rivière. Mais voilà More- ton-Bay! Cet établissement, deux fois recommencé, n'est pas encore sur le meilleur point. Quelle déplo- rable ignorance! quelle triste et superficielle recon- naissance de la côte ! Une rivière de cinq cents ver- ges de large est restée ignorée , nonobstant les ex- plorations scrupuleuses qu'une demi - douzaine de voyages ont permis d'exécuter ! C'en est assez pour dégoûter des nouveaux établissemens ; c'en est assez pour empêcher de courir après des chimères , tandis que les biens réels nous échappent , pour éteindre la manie des expéditions de découvertes , à moins que le DE L'ASTROLABE. 367 svstème n'en soit amélioré, et qu'elles ne se forment que sous les auspices d'une administration libérale et sous la direction d'hommes d'un génie supérieur. » Ce même journal rapporte dans sa feuille du 2 août 1 826 , l'extrait suivant d'un article de XEaropean Review : « S'il arrivait que les révolutions et les combinai- sons , qui dans notre siècle bouleversent , détruisent et rétablissent si promptement les Etals , pussent un jour amener la ruine ou la décadence de notre gou- vernement de l'Inde-Orientale , cette étonnante ma- chine ; en jetant les yeux sur la position et les contours de la Nouvelle-Hollande , nous nous flattons de l'es- poir que ce serait là le siège d'un pouvoir qui répan- drait son empire ou son influence sur les princes de l'Asie. Ce sera sur cet immense comptoir que le gou- vernement devra jeter les yeux pour renouveler ce commerce qui absorbe tous les produits du royaume , et procure en retour les richesses de vingt autres. C'est en partant de ce vaste continent, séparé par une immense étendue de mer de tout le reste de la terre, mais communiquant promptement par ce même moyen avec les îles presque innombrables de l'Inde et des mers du sud , c'est de là que nous pourrons ouvrir mille sources nouvelles d'un commerce inconnu, et, par le moyen d'une chaîne immense de nations amies, acquérir et consolider un pouvoir nouveau et bienfai- sant dans les latitudes les plus méridionales du globe. 368 VOYAGE En faisant naître des alliés et des sujets d'une célébrité plus moderne dans l'histoire des nations , par l'indul- gence d'un pouvoir vertueux, la politique éclairée d'un gouvernement sage et instruit, et par le courage, la libéralité et la fermeté d'hommes libres, nous pour- rons nous ménager sur les plages sans bornes de l'Australasie, un nom aussi puissant , aussi respecté que celui qui a régné durant cent années sur les des- tinées de l'Inde, et une domination aussi glorieuse , aussi impérissable que celle de la Grande-Bretagne elle-même ! — » Nous avons pensé, en terminant cette longue di- gression sur l'état actuel de la Nouvelle-Galles du Sud , que le lecteur pourrait bien lire avec plaisir l'extrait suivant du Monitor. L'auteur s'est lance soixante-quinze ans plus avant dans les temps, et rend compte des événemens qu'il présume avoir lieu à cette époque dans l'état d'accroissement qu'aura pris la co- lonie. Il sera amusant pour nos neveux de pouvoir vérifier, en 1900, jusqu'à quel degré les prévisions de notre Australien se seront vérifiées, en comparant les circonstances qui auront lieu réellement avec celles qu'il aura annoncées. Extrait des papiers-nouvelles de Sydney. Janvier 1900. « Par des lettres que nous venons de recevoir la nuit dernière, par la malle de Western-Port, nous DE L'ASTROLABE. 369 Mimmos fichés de voir qu'il y a apparence de guerre avec- la Tasmanie. Le bateau à vapeur n'avait mis que sept heures à passer les détroits ; quand il quitta le I amar, une chaise de poste, tirée a toute bride par quatre chevaux , venait d'arriver et d'amener un grand personnage avec sa suite qui montèrent à bord , et qui viennent d'arriver à Parramatta , siège du gouverne- ment. » Morts. Hier, dans sa maison, sur l'Esplanade, est mort John Smith, écuyer, un des plus anciens hahitans de ce quartier de la ville , et qui venait de compléter sa quatre-vingt-sixième année , ayant con- servé l'usage de ses facultés jusqu'au dernier moment. Il se souvenait d'avoir vu arriver le gouverneur Dar- ling en 1 826 , et d'avoir vu abattre la vieille prison qui était placée quelque part vers le milieu de Georges- Streel. » Hier, les actionnaires de la compagnie du canal de Liverpool et Parramatta , dans leur assemblée de semestre, sont convenus d'un dividende de 50 p. °/0 du montant de leur capital. Rien ne peut surpasser le mouvement et l'activité qui régnent sur toute l'étendue de cet utile et intéressant canal. Durant les six der- niers mois , il y a passé plus de cent cinquante mille barils de farine, et trente-sept mille six cents tonneaux de provisions salées. » Hier, au café de la Tontine, on a vendu une pro- priété de trois cent vingt-quatre acres et cinq per- ches , située sur la rivière Acacia , jadis nommée la Crique du sud , et qui a monté à quatre-vingt-douze 370 VOYAGK mille dollars , ayant été achetée depuis plus de vingt- cinq ans. » Avertissement. Le Happij-Union , bateau de poste à vapeur, part chaque dimanche matin du quai Campbell pour la rivière Boyne, touchant pour pren- dre des passagers à New-Castle , à Hastings et à l'île Moreton. Le Happy-lJnion est un très-beau navire de 500 tonneaux et plus ; il tient 1 66 lits et des rafraî- chissemens de tout genre pour les passagers. Il va en trois jours et revient en quatre. » Par la voie de Pile Norfolk nous apprenons que les amusemens d'hiver, à la mode , continuent d'y at- tirer des visites de toutes les parties du continent. Les bals et les soupers se répètent chaque soirée, et la plus grande harmonie règne dans toute l'île. » Nous sommes autorisés à annoncer positivement que la législature de l'Australasie ouvrira sa session le 1er mai. On s'attend à voir paraître la proclamation ce soir dans la Gazette. On s'attend aussi à voir pa- raître une nouvelle nomination de baronnets austra- liens dans la même feuille. » Bureau des diligences, New Piccadilly. Les di- ligences suivantes partent de ce bureau chaque matin à sept heures précises : Y Opossum pour Flinders- Town et Western-Port , prix : 20 dollars en dedans , et 16 en dehors. Le Velocifer pour la ville de More- ton , par Castle-Hill , Coollombi , Jerry-Town et Has- ting's-Bridge , arrive a l'hôtel de Pumice-Stone , rue Haute, à Moreton, à neuf heures du soir; ne passe que trois nuits dehors. — Diligences le matin et le soir DE L'ASTROLABE. 371 pour Balhurst et Parramatta. Pour Emu, tous les après-midis à trois heures du soir. » Treute-six navires sont en ce moment occupés à charger dans nos ports , pour l'Europe. La laine , le coton, le sucre, le café, les cuirs, le suif, les pro- visions salées et le tabac, forment la hase de l'expor- tation. Celle delà laine, nous nous plaisons à l'an- noncer, décroît rapidement. En l'an 1898, elle fut de 22,000,000 liv., et pour l'année qui vient définir, nous avons lieu de penser qu'elle ne dépassera pas 20,000,000 liv. Un changement si surprenant a été occasioné par l'établissement de plusieurs manufac- tures de drap dans ce pays. » Des bateaux à vapeur partent à chaque heure, au son d'une cloche, pour Parramatta et les rives pit- toresques et enchanteresses de Brisbane-Water. Per- sonne ne peut se dispenser de visiter ces lieux char- mans. » Hier arriva le navire à vapeur iVooloomooloo en quarante-sept jours d'Angleterre, par le canal Darien. Il apporte trois cent dix-sept émigrés avec leurs fa- milles. Il a mis en panne quelques heures devant Taïti, et a apporté une malle considérable de cette florissante contrée, pour les marchands de Sydney. Le JVooloomooloo s'est arrêté aussi devant l'île Nor- folk , et y a débarqué deux dames passagères de Lon- dres, qui tiennent un fort beau pensionnat pour les jeunes demoiselles , sur la partie nord de l'île. Il est très-singulier qu'il n'y a que soixante ans elle n'était habitée que par des colons pris parmi les prisonniers 372 VOYAGE de la Grande-Bretagne; après quoi ils furent envoyés à la Nouvelle-Zélande , où ils sont devenus , dans ees soixante dernières années , un peuple puissant , et comme les INouveaux-Zélandais n'ont plus besoin de déportés , le gouvernement anglais s'est déterminé à les envover désormais à la Terre de Feu. » On montre aujourd'hui, sur la place du marché, deux naturels australiens qui ont été recueillis à la suite d'un naufrage, près de l'un de nos établissemens au cap Gloucester. Il y a maintenant cinq ans qu'on n'avait vu aucun de ces noirs à plus de cinq cents milles de Sydney. Les maladies, la nudité et la rigueur croissante des hivers en ont presque éteint la race. Prix d'entrée : 25 cent. » Arriva hier, à sa résidence sur la place du Parc, le lord évèque de Sydney, venant des montagnes Bleues. «Une tentative très - téméraire a été hasardée la nuit dernière par un corsaire de la Nouvelle-Zélande, pour pénétrer dans ce port, et piller les villages des pécheurs dans la baie Walson. Favorisé par l'obscu- rité de la nuit , il avait déjà presque réussi à passer sous les canons du fort Georges , jadis la Truie et les Cochons , quand une sentinelle du 1 4e régiment de ligne australien, alors de garde, ayant donné l'alarme, une seule bordée de la batterie basse coupa le corsaire en deux , et tout l'équipage fut nové. » Théâtre royal, Geor^es-Street. Ce soir, Mac- beth , avec le divertissement de La Pérouse, qui sera répété chaque soir cette semaine. DE L'ASTROLABE. 373 » Il y a eu quarante-six souscripteurs pour XAusr (rahan-Sainf-Lt igert pour les courses qui auront lieu sur le Vieux-Cours, le 2 mai. » On t'ait de grands préparatifs pour la prochaine pêche de sperma-ceti. On s'attend à voir partir cette année coût bàlimens à voiles carrées pour cette pèche , des diverses anses de Port-Jackson. » Quinze navires à vapeur sont maintenant en cons- truction sur les dilïérens quais de la côte du nord. » Le projet d'un pont suspendu, en fd de fer, au travers du canal, qui a, pendant près de cent années, occupé L'esprit des habitans instruits de Sydnev, vient de se ranimer avec un grand espoir de succès. » La population de Sydney, par le dernier cens, s'est trouvée de 287,652 âmes. » Prix du marché. Froment (boisseau de 56 liv.), 25 à 30 centièmes *; maïs (boisseau), 18 à 20 cent.; poules (la couple), 1 2 cent. ; œufs (la douzaine), 6 cent. ; chevaux (chaque), 20 à 50 dollars ; bœufs de travail (la couple), 20 doll. ; mouton gras (stone ou 8 livres), 30 centièmes; bœuf (stone), 30 cent. » A la grande foire de fromages tenue à Richmond la semaine dernière , il n'y a pas eu moins de trois cents tonneaux de cette denrée en vente , et elle a été portée à des prix élevés pour les marchés de l'Inde. » On a calculé que les brasseries de bière seules , dans cette ville, occupent un capital de plus de dix millions de dollars. Cent centièmes font une couronne, environ six francs. tome i. 25 37 1 VOYAGE » Par un gentleman qui vient d'arriver hier par terre de l'île Melvillc en douze jours , nous apprenons que le commerce est très-animé dans celte colonie. Plus de cent cinquante jonques se trouvaient dans le port, achetant nos objets manufacturés en laine et en coton , ainsi que les fers et les quincailleries fabri- quées dans les fonderies de Surry-Hills. Depuis l'ex- pulsion des Européens de Java, et l'indépendance de Cette île importante , le commerce de Port-Cockburn ;i subi un accroissement régulier. » La ville d'Emu a fait des progrès étonnans. Sa population est déjà de 25,000 habitans. » Les colons qui arrivèrent en 1826 étaient au nombre de 65 personnes; en 1 810 elle en comptait 9,542; en 1888, 21,707; en 1890,25,423. » La plupart des navires arrivés l'année dernière avec des émigrés se sont dirigés de suite vers les pro- vinces du sud, ou dans le détroit. On dit qu'ils y pros- pèrent parfaitement, et que de tous cotés des villages et des habitations se sont élevés là où il n'y a qu'un siècle on ne voyait que de mélancoliques forets. » 'Monitor, 7 et > Du reste, la grande division des classes libres ici, sans avoir égard aux spécialités coloniales , est celle des émigrans (emigra?ils), qui sont arrivés libres d'An- gleterre, et des émancipistes iemancipists), qui y sont venus comme convicts , et ont reçu leur pardon ou ont accompli leur temps de condamnation. C'est entre ces deux grandes classes qu'il y a eu tant de sujets de querelle. Une subdivision de la classe des émigrans a reçu le surnom à'exclusiom'stes, pour vou- loir exclure rigoureusement les émancipistes de leur société; tandis qu'à son tour une subdivision des émancipistes a été surnommée le parti des confusio- m'sfes, d'après les efforts qu'ils font pour confondre toutes les classes de la société, au jugement des autres. Comme dans toutes les petites communautés, les que- relles particulières , les caquetages et le scandale ré- gnent dans nos cercles sur la plus grande échelle , ou, pour mieux dire, y ont régné, car à cet égard les améliorations deviennent de jour en jour plus sensi- bles. Mais ceux qui sont tout-à-fait instruits des habi- tudes du pays s'accoutument bientôt à écouter toutes ces balivernes sans y ajouter de confiance , et les ré- pètent uniquement pour dire quelque chose , si bien que ces répétitions peuvent se multiplier à l'infini 378 VOYAGE sans obtenir une ombre de crédit de la part même de ceux qui les débitent. » L'orgueil et la morgue de quelques-uns de nos ullra-aristocrates surpasse de beaucoup celui de la noblesse d'Angleterre. Un de mes bons amis du Yorkshire, commandant d'un navire marchand, ou- bliant les distances et l'étiquette établies dans ce pays, monta un jour chez un de nos éminens jurisconsultes à qui il avait été présenté par hasard peu de jours au- paravant , pour lui faire quelque question peu impor- tante qu'il lit précéder d'un bonjour, Monsieur [good mçrningyM.); sur quoi l'homme de loi, reculant comme si un crapaud s'était présenté sur son passage, répondit avec un air de dédain : Sur ma vie, je ne vous connais point, Monsieur [upon mu li/'e, I dont know you* Sir). Ceci devint ensuite un sujet de plaisanterie pour mon ami qui , lorsque nous venions à nous ren- contrer, ne répondait à mon salut habituel de : Com- ment vous portez-vous? [how d'ye do?) que par un dédaigneux signe de tête, suivi d'un : Sur ma vie, je ne vous connais point, Monsieur. » Un jour que je me promenais avec mon ami, lors de mon premier voyage dans la colonie , il nous ar- riva de rencontrer deux de nos grands personnages ; mon ami accosta Tun. d'eux pour une affaire particu- lière, laissant l'autre seul avec moi. Comme la per- sonne m'était connue de vue, et que je savais qu'elle arrivait dernièrement d'un endroit pour lequel je de- vais me mettre en route le lendemain , je lui demandai sans précaution dans quel état se trouvaient les che~ DE L'ASTROLABE, '.7 0 înins. Mais quelle fut ma surprise, quand mon homme, se rengorgeant avee beaucoup d'importance, répliqua dans les propres termes du jurisconsulte : Sur ma parole, je ne vous connais point, Monsieur [upon ///// troid, ( don't know i/ou, Sir), Etant encore étran- ger à la dignité coloniale, j'en conclus naturellement que quelque mauvais plaisant in avait placardé sur les épaules un P. B., ou quelque autre décoration sem- blable, comme cela arrivait quelquefois, qui m'avait attiré celte marque de mépris. Mais après m'èlre as- suré qu'il n'y avait eu rien de semblable, je com- mençai naturellement à chercher quel pouvait être cet illustre personnage , et à supposer que ce ne pou- vait être moins que le duc de las Sierras, ou le mar- quis d'Aguaro , si l'on ne m'eût assuré par la suite que c'était tout simplement un officier d'infanterie re- traité et établi depuis quelque temps dans la colonie. En ce cas, dis-je, ce doit être une terre fertile en grands sentimens d'aristocratie. Et même en grands sentimens d'honneur aussi , ajoutai-je quelques mi- nutes après, apprenant qu'un de nos meilleurs légi- timés , nouvellement ' élargi d'une réclusion de six mois pour quelque accroc aux lois du parjure, ap- puyait avec chaleur d'un : Sur l'honneur i^upon ho- ?ioui), la vérité d'une assertion qu'il faisait. Oh! c'est très-judicieux de sa part, en vérité, observa un spectateur, de mettre son honneur en gage, car il sait bien que personne ne voudrait de son serment. 380 VOYAGE » Ce fut durant l'administration du gouverneur Maequarie que naquirent ces querelles qui sont restées depuis un germe de discorde dans la colonie. Jugeant qu'elle avait été fondée autant pour la réforme que pour la punition des coupables, il en conclut avec raison que le moyen le plus sur, pour y parvenir, était d ennoblir le caractère des convicts émancipés, eu les rétablissant dans un juste état de considération au milieu de la société. Par malheur, le moyen que suivit le gouverneur Maequarie, pour mettre à exécution ces vues raisonnables et bienveillantes, s'ppposa complètement à sa réussite. Il s'imagina que la volonté seule du gouverneur devait surmon- ter toute espèce d'opposition, et que V autorité de- vait achever l'exécution de ce que la simple expres- sion de son désir ne pouvait obtenir. Mais, en matière d'opinion , l'homme ressemble au cochon. Si vous voulez le faire marcher par force, il recule en arrière du lieu où l'on veut le conduire , et il faut le caresser tout doucement pour venir à bout de le faire avancer en lui faisant croire directement le contraire de ce que vous avez en vue. Le gouverneur Maequarie trouvant une foule de récalcitrans contre ses opinions , au lieu de les amener tout doucement à ses désirs, ou de fer- mer les yeux sur ce qu'on faisait ou disait , et de con- tinuer à inviter paisiblement à sa table ceux des éman- eipistes qu'il en jugeait dignes, laissant au temps et à la raison le soin du reste , commença à regarder tous ceux qui s'opposaient à ses projets comme ses ennemis personnels, et même à les traiter souvent comme tels. DE L'ASTROLABE. 381 Celte conduite lui aliéna eneore plus les esprits ; en autre les attentions plus marquées qu'il témoigna aux membres du corps des éniaueipistes, comparativement aux colons libres, iirent croire à d'autres que son inten- tion était d'élever les émaneipisles au-dessus des émi- grans , et par là même indisposèrent ceux qui auraient probablement soutenu son système. Au contraire, quel a été le résultat d'une conduite toute différente adoptée dans la terre de Van-Diémen par le sage et judicieux Sorell ! Un individu, du corps des émanci- pistes, a été dernièrement choisi pour directeur de la banque , de préférence aux émigrans les plus respec- tables , et cela par un corps de propriétaires dont la majeure partie sont des émigrans libres. Au départ du gouverneur Maequarie, les émancipistes rentrèrent dans le néant, et jamais un seul d'entre eux ne se trouva chez le gouverneur, dans aucune espèce de réunion; aucun même ne se rencontra jamais en société avec lui nulle part, jusqu'au moment où son administration toucha à sa fin, où, par politique, il jugea à propos de changer de manière d'agir. Cette chute soudaine produisit , comme on peut le supposer, un effet très-pénible sur l'esprit du corps entier; je sais que quelques-uns des membres les plus respec- tables ressentirent amèrement cette disgrâce ; car ils se regardèrent par là , eux et leurs descendans , comme destinés à être pour toujours, ainsi que les en- lans de Caïri, une race réprouvée. En effet, ils voyaient leurs enfans même repoussés de la société du gouver- neur, et par là jugés aussi indignes d'égards qu'eux- 382 VOYAGE mêmes. Les choses restèrent en cet état jusqu'à l'ap- parition de l' Australian, journal dont les suggestions déterminèrent le corps des émancipistes à s'opposer à la marche suivie jusqu'alors, d'omettre leurs noms sur les nouvelles listes de magistrats, conformément à la réclamation du commissaire d'enquête, et de les repousser ainsi du sein de la société des gens respec- tables, en opposition cependant au désir évident de ce même commissaire. » Les individus qui passaient pour avoir le plus in- fluencé le commissaire, devinrent les principaux objets de l'attaque, et, aux yeux de leurs ennemis, des motifs personnels lurent évidemment d'un plus grand poids que leur croyance publique et avérée. On commença par établir que les émancipistcs étaient un corps op- primé , foulé par les émigrans , et privé par des moyens illégitimes de ce qu'il regardait comme ses droits. Dans le fait, ni la magistrature ni le conseil ne turent fermés aux émancipistcs par aucun acte légis- latif, le gouvernement local ayant le pouvoir de nom- mer à ces fonctions tout individu , soit émigrant soit émancipiste, qu'il en jugerait digne. Le jury était le seul corps dont ils eussent été jusqu'alors légale- ment exclus. Us furent très-jaloux de lever cet obs- tacle; mais le commissaire qui prévit que ce serait donner naissance à une foule de troubles , que d'ad- mettre les émancipistes ou les émigrans à siéger con- jointement ou séparément dans les juris, conseilla d'en exclure ces deux partis, et de ne les composer, comme auparavant, que d'ofliciers militaires et de la marine, DE L'ASTROLABE. 383 présumes exempts de tous préjugés à l'égard des deux elasscs. Bientôt un autre eri se fit entendre parmi les émancipistes pour réclamer une Chambre repré- sentative ; mais il lui repoussé avec force par les émi- grans , qui nV virent rien que des semences de dé- sordre et de contusion. » Soutenir qu'un privilège illimité basé sur le grand principe anglais , de la propriété seule , puisse confé- rer à un individu le droit de siéger sur le banc des ju- rés, serait une chose absurde dans une population principalement composée de gens qui ont eux-mêmes forfait à la loi. » A l'égard des affaires civiles , celles , par exem- ple , qui ont trait à la propriété , la loi telle qu'elle est actuellement est la mieux appropriée à l'état présent de la société. Si les deux parties y consentent, un jury est convoqué ; mais si l'une d'elles s'y refuse , le cas est jugé par le juge et les deux magistrats assesseurs. Dans les cas de diffamation et les causes criminelles, lesjugemens par jury ne peuvent manquer d'être aussi d'un grand avantage en faisant dépendre la conduite pour siéger comme membres de jury, autant du carac- tère que de la fortune , réduisant le nombre de ces membres dans chaque jury, dans chaque endroit, sui- vant sa population , et permettant aux décisions d'a- voir leur effet à la majorité seulement, et non à l'una- nimité. Si chaque individu de la colonie était appelé comme membre du jury criminel , en raison seulement de sa propriété , il n'y aurait plus de moyen pour con- 11010" la conduite la plus inique, et les suites les plus 384 VOYAGE funestes pourraient en résulter avant qu'on put chan- ger Ja loi. » En outre, ce même privilège accorde comme droit à l'individu qui fut convict, n'aurait jamais la même in- fluence utile sur sa moralité que lorsqu'il n'est considéré que comme une faveur accordée à sa bonne conduite. L'homme qui pourrait le réclamer comme un héritage, du moment qu'il aurait acquis une certaine propriété, veillerait évidemment moins à sa réputation qu'il ne le ferait en voyant que sans réputation sa fortune ne lui servirait à rien. Exiger pour tous les cas douze jurés , serait très-pénible pour tous les districts peu peuplés. D'ailleurs, pour empêcher un seul coquin sur la liste des jurés d'arrêter le cours de la justice , la majorité devrait décider l'affaire , et le chef des jurés certifierait simplement au juge le nombre des voix pour et contre. Du reste , si la propriété était la seule condition à exiger d'un juré dans l'état actuel des choses de la Nouvelle-Galles du Sud , il vaudrait mieux que les décisions n'eussent d'effet qu'à l'unani- mité, vu qu'on aurait ainsi la chance d'avoir un hon- nête homme sur le nombre, dans le cas de pouvoir jeûner assez long-temps pour forcer les autres à se rendre d'épuisement à une opinion équitable. Per- mettre de nommer les jurés sur une échelle étendue serait très-déplacé dans l'état actuel des choses , car il faudrait en ce cas détourner un si grand nombre de particuliers aisés de la surveillance de leurs propres intérêts, et en même temps de la surveillance des cri- minels qui travaillent pour leur compte , qu'il en ré- DE L'ASTROLABE. 385 sullorait des effets très-pernicieux pour la prospérité de la colonie. En outre, les récusations seraient aussi nécessairement si nombreuses que peu d'individus se- raient assez hardis pour ameuter contre eux la foule d'ennemis que soulèverait une pareille entreprise, entreprise qui produirait certainement un effet très- actif, semblable à celui qui était dû aux sons de la Ivre d'Orphée, à cela près que les bâtons et les pierres au lieu de danser aux pieds danseraient à la tète du gueux parvenu (comme les patriotes le désigneraient avec indignation) qui aurait l'impudence de mettre leurs droits en question. » Si les magistrats du comté avaient l'ordre de dresser chaque année une liste de tous les individus de la colonie susceptibles, par leur fortune, de figurer parmi les jurés , en ajoutant des marques distinctives en faveur de ceux qui jouissent d'une bonne réputa- tion , pour assurer leur admission sur la liste, et qu'en outre, parmi les noms même rejetés, le gouver- neur eût encore le droit de choisir ceux qu'il en juge- rait dignes, pour s'opposer à toute espèce de vexation de la part des magistrats , certainement on arriverait à un système de jury très-avantageux pour toute la colonie , et capable de remplir tout le but qu'on en at- tend, jusqu'à ce que l'état de la société permît de n'admettre que la propriété pour toute condition. Ou bien encore, en admettant tous les émigrans, tous les émancipistes jouissant d'un pardon libre ou condi- tionnel dans la colonie, dûment qualifiés par leur for- tune , à siéger comme jurés, ainsi que tous les éman- 386 VOYAGE cipistes libres par servitude, quand leur bonne con- duite les a rendus dignes d'être réintégrés par le gou- verneur dans l'exercice des droits de citoyen, peut-être pourrait-on former un système de jury également sûr et efficace et moins sujet à objections à certains égards que l'autre. Comme on a commencé dernière- ment à n'accorder des pardons dans la colonie que pour une bonne conduite spéciale ou d'importans ser- vices rendus à la société, il n'y aurait pas d'objection raisonnable à élever contre les émancipistes de cette classe comme jurés ; quant à ceux qui sont devenus libres par servitude, dont la fortune et le caractère leur ont donné des titres à la considération , il se- rait également injuste de les exclure puisque ce n'est (maux autres émancipistes libres par servitude consi- dérés en masse qu'on peut faire des objections, et même des objections d'une nature très-réelle. Dans une colonie, en effet , destinée autant à réformer qu'à punir, le gouverneur devrait avoir le pouvoir de réin- tégrer dans tous leurs droits de citoyen , ceux même qui y ont été condamnés, quand leur conduite ulté- rieure les en a rendus vraiment dignes. » Quant à une Cbambre de représentans, si on se rappelle les dissensions amères qui ont si long-temps régné entre les émigrans et les émancipistes , et si l'on fait attention que ces derniers composeraient au moins les quatre cinquièmes des électeurs, il est évident que non-seulement une telle mesure ne tendrait qu'à ra- nimer ces discordes que le gouverneur actuel a presque assoupies, mais encore qu'elle livrerait le corps entier DE L'ASTROLABE. 387 des émigrans à la merci de la l'action des émancipistes. Cependant ces deux objets, savoir une assemblée représentative et le véritable jugement parjurés, ont été sérieusement proposés comme les meilleurs moyens de rétablir l'harmonie. Mais comme les hommes de loi sont des singes, des Iopœans, touchant cette pré- tendue harmonie, nous sommes naturellement dis- posés à admirer quelle raison a pu tout-à-coup pro- duire cette réforme jusqu'alors inconnue dans les principes d'un corps dont la discorde même est le véritable aliment. » Sans doute il n'y aura pas d'homme doué d'un jugement ordinaire qui puisse soutenir honnêtement que, dans un état de société sain, un conseil élu par le souverain puisse être aussi utile et aussi agréable pour la communauté entière, qu'un corps de représentons élu par le peuple ; mais aussi personne n'ose avancer que cet état sain de la société existe aujourd'hui dans la ÏNouvelle-Galles du Sud. Une centaine de membres, au jugement des partisans d'une assemblée élective , est le moindre nombre dont puisse se composer la Chambre, afin de résister à l'influence que le gouver- neur serait plus capable d'exercer sur une moindre quantité, et ils ne se donnent pas la peine de réfléchir un moment aux maux qui résulteraient pour la colonie, dans l'état actuel des choses, de la nécessité où se trouveraient cent des plus riches et des plus opulens de s'absenter chaque année , durant six semaines au moins, de la surveillance des criminels employés pour leur compte, sans parler du tort que leurs propres 388 VOYAGE intérêts souffriraient (rime aussi longue absence de leurs propriétés. Ainsi, les objections à ce système peuvent se résumer ainsi qu'il suit : 1°. La crainte d'exciter de nouvelles dissensions entre deux corps depuis long-temps en discorde dans la colonie, de donner lieu avec les assemblées élec- tives à des rixes et à des attentats , et enfin de placer les non-convicts à la merci des convicts ; inconvénient grave, et qui en fait une épreuve d'une nature si chan- ceuse quelle doit répugner à tout individu sans pré- vention, et doué d'une portion de sens commun sulli- santc pour lui permettre de juger sainement et de peser cet le affaire avec tout le calme, le poids et la i cllexion que réclame son importance. 29. Le défaut d'individus, excepté dans la ville de Sydney ou la portion voisine du Cumberland , assez riches pour supporter le tort que leur absence ferait à leurs intérêts ainsi que la dépense de leur voyage et de leur résidence à Sydney ; d'où il s'ensuivrait que peu des habit ans des lieux plus éloignés étant assez fous pour devenir volontairement candidats à de pareilles fonctions, la représentation presque entière de la co- lonie serait ainsi dévolue aux habitans actuels de Sydney ou des enviions, à moins que les autres ne fus- sent suffisamment indemnisés de leur déplacement , ce qui coûterait chaque année une si forte somme que le public trouverait bientôt qu'ils sont payés trop cher pour avoir le droit de siffler. » Un conseil formé sur une échelle plus étendue que celui qui existe aujourd'hui, est le mode de légis- DK L'ASTROLABE. 389 lation lo mieux approprié à l'harmonie et aux intérêts de la colonie pour plusieurs années encore à venir. Mais ses séances devraient être publiques, ses pro- cédés rapportés , et tous les actes proposés, imprimés el distribués au moins un mois avant la discussion, si bien qu'ils pussent être digérés par le public entier, el leurs vices rendus palpables. Tout corps constitué, quelque populaire qu'il soit, dégénérera bientôt en une ruche de bourdons fainéans, si ceux qui le com- posent ne sont pas convenablement stimulés par l'ai- guillon puissant de la publicité. La conduite des mem- bres du conseil serait ainsi livrée au scrutin, et les motifs de chacun d'eux pour appuyer ou repousser la mesure proposée seraient connus du public. Mais dans son état actuel il continue d être regardé plutôt comme un corps disposé à poursuivre des intérêts particuliers qu'à prendre soin de ceux de la communauté. En ou- tre, la publicité stimulerait les membres qui en sont capables, à déployer leurs talens pour le bien public, et inspirerait au peuple de la confiance dans leurs déci- sions. Il faut espérer que quelque disposition sem- blable fournira des articles dans l'amendement attendu pour notre code colonial. » Bien que la non-participation aux vrais droits po- litiques soit l'objet ostensible des récriminations de nos émancipistes, pourtant la non-participation au même bœuf, au même pudding, à la même table, est le véri- table motif de tout leur mécontentement : beaucoup de bruit pour rien, viuch ado about riothing. » Mais est-ce le corps entier des émancipistes qui TOME i. 26 390 YOYA.GE pousse de si hauts cris à ce sujet? Oh! non, ce sont seulement les émancipistes purs , et par excellence , ou hien ceux qui n'ont été punis ni convaincus d'au- cune offense dans la colonie , et dont les réunions de société sont aussi rigoureusement fermées aux émanci- pistes impurs que les autres sont exclus des tahles des exclusionistes. Lors d'un des dîners publics donnés par les émancipistes purs, il y a quelques années, un tu- multe épouvantable s'éleva parce qu'un proscrit avait réussi à s'v introduire par inadvertance. Assailli d'un cri universel de : Chassez-le, chassez-le! il s'établit au bout de la table , et commença sa soupe, après s'ê- tre adroitement retranché dans sa position en roulant le coin de la nappe autour de son bras, et prêt à en- traîner avec lui tout l'attirail des mets en cas qu'on continuât à le molester. Au repas que ce corps donna aussi à sir Thomas Brisbane, une espèce de comité fut établie pour recevoir tous les billets de demande, et rejeter tous ceux qui avaient été punis ou condamnés par une cour coloniale, afin que Son Excellence ne fût pas exposée à la chance fâcheuse de frotter ses épaules immaculées contre un homme qui eût été flétri par une double condamnation. Ainsi tandis que les éman- cipistes purs n'admettent à dîner avec eux aucun de ceux condamnés dans la colonie, les émigrans purs ne veulent admettre aucun de ceux condamnés au dehors ou au dedans. Bien que la conduite des premiers soit tant soit peu inconséquente, elle démontre au moins d'une manière satisfaisante qu'une portion con- sidérable de cette classe de notre communauté DE L'ASTROLABE. 391 n'est nullement avilie dans ses principes; puisque nous les voyons, par l'effet d'un juste orgueil du au sentiment de leur probité depuis l'expiation de leurs torts , rejeter de leur société tout individu dégradé par une punition coloniale ou un châtiment corporel. Si les effets flétrissants de la fustigation sont aussi vi- vement ressentis , même par une population de con- damnés , ne devrait-on pas prendre tous les moyens possibles d'en supprimer l'usage ? » La coutume suivie en Angleterre ne doit point faire règle ici. Si ce pays continue à être un lieu de réforme aussi bien que de punition pour les coupables, pourquoi continuer à regarder ces criminels comme une race proscrite, même après que leur réforme a eu lieu, que leur temps a été terminé, ou leur pardon obtenu? C'est un système aussi injuste qu'impolitique, parce qu'en élevant un homme dans la société, sous le rapport mo- ral, et lui inspirant un amour-propre raisonnable, on le prémunira puissamment contre la tentation de nou- veaux crimes; car où est celui qui, pénétré d'un juste sentiment d'orgueil personnel , et capable d'apprécier la réputation qu'il s'est acquise, sera porté à se souiller d'une action vile? Appeler cette colonie un lieu de ré- forme , n'est qu'un mot vide de sens aussi long-temps que les réformés continueront d'être considérés comme une race de réprouvés. Je ne vois aucune raison pour exclure un homme qui fut jadis convict , de tous les emplois occupés aujourd'hui par les seuls individus qui ne le furent jamais , si le temps de sa punition a été accompli, et si sa conduite a été méritante. Les heu- 2 G* 392 VOYAGE reux effets qui résulteraient de leur admission à l'é- galité ne sont-ils pas évidens! Ce serait un puissant encouragement pour ceux qui ont déjà commencé à marcher sous de meilleurs principes : tandis que ceux qui sont encore corrompus se sentiraient entraînés avec plus de force vers un changement salutaire, en voyant ceux qui avaient eu autant de tort qu'eux- mêmes, réintégrés parmi les honnêtes gens, et de- venus aussi utiles qu'ils avaient été pernicieux à la so- ciété. » Ce système d'exclusion est en effet étendu à un degré tel que peu de personnes en Angleterre pour- raient L'imaginer; le braconnier, le simple coupable d'opinions politiques , et le voleur, sont tous regardés comme également flétris. Il n'y a point de différence établie entre les crimes les plus odieux et les délits les plus excusables. L'homme qui ne dérobe que pour satisfaire aux tourmens de la faim, ou n'y fut entraîné que par une tentation soudaine , le coquin invétéré , fier de ses cent forfaits , et le malheureux timide et honteux d'un seul écart, sont vus du même œil, trai- tés de la même manière. » Peu, très-peu même, parmi les émancipistes purs, ont des litres pour le banc des jurés : c'est pour- quoi l'élévation de deux ou trois d'entre eux serait de peu d'importance pour le cours ordinaire de la justice, en supposant qu'ils pussent par hasard déshonorer leurs fonctions ; tandis que l'admission de ce nombre sur la liste ordinaire des douze jurés aurait l'avantage de prouver que l'obstacle opposé à leur réhabilitation DE L'ASTROLABE. 393 morale a été détruit. Il est vrai que dernièrement quelques éinigrans libres ont assisté à des dîners don- nes par de riches émaneipistes, niais ils n'y furent guère conduits que par des motifs particuliers d'intérêt, de coinmeree ou de semblable nature; toutefois ce sont des préludes dont on peut attendre avec le temps de plus grands résultats. » Dans l'exacte vérité, notre classe émancipisle forme la portion la plus utile et la plus active de notre communauté. Toutes les distilleries, toutes les bras- series, et le plus grand nombre des moulins et des diverses fabriques leur sont dus; tandis qu'ils n'ont jamais pris part, du moins que je sache, aux nom- breuses contrebandes qui ont terni la réputation de tant d'autres, si fiers d être venus hommes libres dans la colonie. Plusieurs de nos plus respectables négocians m'ont dit que dans les nombreuses affaires d'intérêt où ils se sont trouvés en rapport avec les émancipistes, leur conduite a toujours été très - honorable , quoi que certaines personnes fassent pour infirmer ce mé- rite de leur part , en disant que leurs principes n'ont point changé , que la crainte de la loi et l'intérêt per- sonnel seuls les forcent à se montrer honnêtes. Je sou- tiens que cette opinion est tout à la fois injuste et peu généreuse ; car, hormis ces deux motifs , qui peut re- tenir les dix-neuf vingtièmes du genre humain dans le chemin de l'honnêteté'.' Les principes les plus hon- nêtes ne disparaissent-ils pas souvent du cœur de deux amis intimes quand l'intérêt vient se jeter au travers d'eux comme une pomme de discorde. Aussi long- 394 VOYAGE temps que les hommes réussiront mieux avec de mau- vais sentimens masqués sous des dehors honnêtes, que par une probité avérée (sans compromettre leur cou, ni leurs intérêts particuliers), ils auront peu de scrupule à cet égard. En effet l'honnêteté est autant une habitude acquise qu'un principe bien fixe; quand ces convicls l'auront prise, telle que toutes les habi- tudes bonnes ou mauvaises, elle ne sera pas si vite abandonnée. Quand nous voyons un peuple briller à une époque, comme le modèle de tous les sentimens nobles et vertueux , et dans un autre temps avili par tous les genres de vices et de faiblesses, nous ne voyons en cela qu'un changement d'habitude, et non pas de principes naturellement inhérens à leur es- sence; car tout ce qui est naturel à la constitution hu- maine, comme les passions dont nous sommes généra- lement imbus, ou la couleur de notre peau , restent les mêmes de génération en génération. » {Cannin- gham, tom. U,pag. 108 etsuiv.) DE L'ASTROLABE. 395 CH/VPIÏRE XI DES NATURELS DE LA .NOUVELLE-GALLES DU SI i>. Après avoir lu l'histoire de la colonie anglaise établie dans cette partie de la Nouvelle-Hollande , et vu quels progrès rapides elle a faits dans le court espace de quarante ans , on ne peut manquer de lire avec inté- rêt tout ce qui a trait aux malheureux indigènes qui occupaient seuls ces vastes contrées avant l'arrivée des Anglais. J'ai donc réuni tout ce qui a été écrit à ce sujet, en y joignant quelques documens plus récens, pour former le sujet de ce chapitre. Rien de com- plet , à ma connaissance , n'avait encore été publié en France sur cette matière , je ne pense pas même qu'au- cun voyageur l'ait traitée avec quelques détails. Des notions exactes, sur une race aussi sauvage, aussi dé- gradée , m'ont paru d'autant plus intéressantes à con- signer dans l'histoire , qu'il s'écoulera sans doute un temps peu considérable avant que ces tribus, surtout celles qui avoisinent les établissemens anglais, finissent 396 VOYAGE par s'éteindre entièrement, après s'être par degrés af- faiblies , grâce aux maladies , aux excès et aux maux de tout genre qu'ils doivent à la présence des Anglais parmi eux. Triste et commune destinée des malheu- reuses peuplades auxquelles l'Européen n'a pu ap- porter que ses vices, sans leur communiquer une seule de ses vertus ! Les précieuses relations de Col- lins et de Barrington formeront la hase du tableau que je vais tracer , et auquel j'ajouterai quelques articles extraits des journaux de la colonie et un petit nombre d'observations qui nous sont propres. Collins commence par rendre compte de la manière dont il arriva peu à peu à la connaissance des mœurs et des coutumes des naturels. « Après divers événe- mens fâcheux, dit-il , et un long espace de temps, les rapports d'amitié qu'on avait si vivement désirés avec les naturels , furent â peu près établis : comme on les laissa parfaitement libres , ces insulaires ne tardèrent pas à venir vivre en assez grand nombre parmi les ha- bitans de Sydney, sans gène et sans crainte, à com- prendre leur langage , à s'habituer à leurs manières , à jouir des avantages de leurs vêtemens et de la variété de leurs alimens. On vit de ces insulaires mourir dans les maisons des Européens, et les morts furent remplacés par d'autres qui n'avaient rien observé dans le sort de leurs prédécesseurs qui pût les dé- tourner de rester comme eux en toute sécurité chez leurs hôtes. En géuéral , on les laissa parfaitement maîtres de leurs actions, et rarement on porta obs- tacle à leurs désirs. Car on sentit bien qu'en leur DE L'ASTROLABE. 397 permettant de vivre comme ils l'avaient toujours t'ait, on parviendrait bien plus vite à la connaissance de leurs coutumes et de leurs mœurs , qu'en attendant d'avoir appris leur langage. Aussi toutes les fois qu'ils s'assemblaient pour danser ou pour combattre devant les maisons, on ne les dispersait point; au contraire, ces rassemblemens avaient aussitôt pour spectateurs les personnes les plus distinguées de l'établissement. Cette attention, qui leur paraissait agréable, ne leur ptait pas moins utile; car si quelqu'un d'entre eux était blessé dans le combat, ils avaient coutume de s'adresser aux chirurgiens anglais en qui ils avaient une pleine confiance , et ils montraient un grand cou- rage et beaucoup de fermeté à supporter les opérations de la sonde et du bistouri. » Peu à peu les deux peuples commencèrent à se comprendre mutuellement ; de leurs deux langues se forma un dialecte corrompu et mélangé d'anglais et d'australien, qui seul par la suite servit à leur usage habituel. C'est au moyen de ce langage et d'observa- tions assidues que furent recueillies la plupart des dé- tails suivans sur les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. » GOUVERNEMENT. Les naturels qui habitaient près de Botany-Bay, de Port-Jackson et Broken-Bay, étaient distingués par familles, qui ne reconnaissaient d'autre autorité que celle du plus ancien. C'est ce que l'on eut oc- 398 VOYAGE casion de vérifier peu après la fondation de la colo- nie : car lorsqu'on rencontrait une famille inconnue, le plus âgé s'avançait pour parler aux Européens , et ces vieillards portaient le nom de bitumai ou père, qu'ils donnaient aussi au gouverneur Phillip et h tous ceux des Anglais qu'ils voyaient pourvus de quelque autorité. On découvrit aussi une autre signification dans ce nom de biannai; car on observa fréquemment que des en fans le donnaient à des hommes qui n'avaient jamais été pères. Les renseignemens que l'on se procura pour expliquer ce fait apprirent que, dans le cas où le père vient à mourir, son plus proche parent ou son ami se charge des orphelins qui lui donnent alors le titre de biannai. Chacune de ces familles est désignée par le nom propre du lieu de sa résidence, en y ajoutant la syl- labe gai. Ainsi la côte au sud de Botany-Bay se nomme Gouïa, et le peuple qui l'habite prend le nom de Gouïa-Gal. Ceux qui vivent sur la côte nord de Port- Jackson sont désignés par le nom de Kemmir aï-Gai, parce que cette partie de la baie s'appelle Kemmùaï. Avant que cette dernière tribu fût mieux connue des colons, on entendit souvent Benilong et d'autres naturels en parler comme d'un peuple très-puissant , qui les contraignait d'obéir a toutes ses volontés. Par la suite on vit que cette tribu était la plus nom- breuse de toutes , que ses membres étaient les plus vigoureux des insulaires, et qu'enfin c'était de son sein que sortaient la plupart des singuliers person- DE L'ASTROLABE. 399 nages connus sous le titre de kerredaï et kerve- digane* A cette tribu appartenait aussi le privilège ex- clusif et bizarre d'exiger une dent de chacun des hommes des autres tribus qui habitent la côte, ou de toutes celles qui se trouvent sous leur autorité. L'exercice de ce droit place ce peuple sous un point de vue particulier, et Ton ne peut douter de sa su- périorité prononcée. Plusieurs contestations , ou af- faires d'honneur, ont été différées jusqu'à l'arrivée de quelques-uns de ces personnages; quand ils parais- saient, il était impossible de ne pas remarquer l'in- fluence et l'autorité que leur donnaient leur nombre et leur force physique. Sans doute ils ont pu maintenir cette supériorité depuis un grand nombre d'années, et ce tribut d'une dent qu'ils exigent de tous les jeunes gens des autres familles est probablement le sceau authentique de leur puissance. RELIGION. Quelques théologiens célèbres ont affirmé qu'il n'existait pas au monde un pays qui n'offrit quelque trace de religion; mais tout ce qu'on peut observer de ces insulaires semble démontrer qu'ils forment exception à cette règle. Ils n'adorent ni le soleil , ni la lune, ni les étoiles; bien que le feu soit un objet nécessaire pour eux, ils ne lui rendent pas de culte; ils n'ont également de respect pour aucun animal 400 VOYAGE particulier, oiseau ou poisson. Jamais on n'a observe qu'aucun objet matériel ou imaginaire pût les dé- terminer à faire une bonne action, ou les détour- ner de ce qu'ils jugent criminel. A la vérité , on retrouve parmi eux quelque idée d'une existence future, mais elle est indépendante de toute notion religieuse; car elle n'a nulle influence sur leur vie actuelle ni sur leurs actions. On les a souvent ques- tionnés sur ce qu'ils devenaient après leur mort ; quelques-uns répondaient qu'ils se plongeaient dans la Grande-Eau (la mer) ou qu'ils s'en allaient au-delà ; mais , sans contredit , la grande majorité indiquait qu'ils s'envolaient dans les nuages. M. Collins , con- versant avec Benilong à son retour de l'Angle- terre, où il avait acquis une grande connaissance des coutumes et des mœurs européennes, désirant savoir d'où il supposait que ses concitoyens pro- venaient , lui fit d'abord observer que tous les blancs de Port-Jackson étaient venus d'Angleterre, et lui demanda ensuite d'où étaient venus les noirs ( ou lord). L'insulaire hésita. Sur la question de savoir si ces noirs venaient de quelque ile, il répondit qu'ils ne venaient d'aucune île, mais des nuages (bourou- wi), et que, quand ils mouraient, ils y retournaient. Benilong paraissait vouloir faire entendre que les morts montaient à leur nouveau séjour sous la forme de petits enfans , en voltigeant d'abord sur la cime et sur les branches des arbres, et, suivant lui, en cet état, ils vivaient de petits poissons, leur nour- riture favorite. DE L'ASTROLABE. 401 Les jeunes naturels qui résidaient à Sydney ai- niaienl beaucoup à se rendre à 1 église le dimanche, niais sans s'inquiéter de ce qu'ils allaient y faire. On les voyait souvent prendre un livre et imiter très- adroitement le ministre dans ses gestes (car on ne saurait trouver de meilleurs mimes), riant et jouis- sant quand on applaudissait à leurs grimaces. On a parlé , dans une brochure ou dans une gazette , d'un naturel qui s'était élancé au-devant d'un homme qui allait tirer sur une corneille, et celui qui rap- portait le fait, en tirait la conséquence que cet oiseau était un objet de vénération pour les sauvages. Mais on peut assurer hardiment que , bien loin d'attacher aucune répugnance à voir tuer des corneilles , ils sont très-friands de leur chair, et emploient le stratagème suivant pour les attraper. Un naturel se couche sur un rocher , comme s'il était endormi au soleil , et tient un morceau de poisson à la main. L'oiseau, épervier ou corneille , voyant la proie et l'homme sans mouvement, fond sur le poisson; au moment de le saisir , il est lui-même capturé par le sauvage , qui le jette vite sur des charbons et s'en fait un mets qu'il savoure avec délices. Du reste, disent Collins et Barrington, on ne peut douter qu'ils ne sentent la différence entre le bien et le mal , entre le bon et le mauvais , et ont des termes pour l'exprimer. Ainsi, qu'on leur fasse tort, ou qu'on leur montre une raie puante dont ils ne mangent jamais, ils s'écrient wîn\ mauvais; qu'au contraire on leur rende un service, ou qu'ils voient un kangarou, 102 VOYAGE ils disent boud-jiri , bon. Du reste, les qualités morales sont exprimées par les mêmes termes que les qualités physiques, et paraissent se confondre dans leurs idées. Ainsi leurs ennemis sont wiri, et leurs amis boud-jiri. Si on leur parlait de manger un homme , ils témoignaient une grande horreur à cette idée et disaient que c'était wiri ; en voyant punir ceux qui les avaient maltraités, ils exprimaient leur ap- probation en disant que c'était boud-jiri. Les assas- sinats nocturnes , quoique fréquens chez eux par suite de leurs désirs de vengeance, sont blâmés, tandis qu'ils applaudissent à des actions de bonté et de gé- nérosité dont ils sont capables. Un homme qui ne recevrait pas avec courage une lance, mais s'enfuirait, serait traité de lâche ou dji-roun et de wiri. Mais les notions de ces insulaires touchant le bien et le mal bien certainement ne s'étendent jamais au-delà de leur existence en ce inonde, et ils ne s'imaginent pas que la pratique de l'un ni de l'autre puisse avoir au- cun rapport avec leur étal futur. C'est ce que prouve évidemment leur opinion touchant la manière dont ils doivent quitter ce monde et entrer dans l'autre, sous la forme de petits enfans, qui sera encore celle sous laquelle ils reparaîtront un jour dans celui-ci. STATURE ET EXTERIEUR. Les hommes, comme les femmes, sont générale- ment d'une petite taille , et , dans chaque sexe , très-peu sont bien conformés. Leurs membres sont. DE L'ASTROLABE. i03 longs et grêles , ce qui se remarque d'une manière encore plus frappante chez ceux qui habitent les bois, qui ont moins de ressources, et se trouvent souvent obligés de grimper sur les arbres pour y recueillir du miel ou attraper des animaux. Armés dune petite hache en pierre, ils font sur les troncs d'arbres des entailles suffisantes pour recevoir le gros doigt du pied, et c'est en se tenant de la main gauche, et continuant leurs entailles avec la droite, qu'ils parviennent aussi haut qu'ils veulent, souvent jusqu'à quatre-vingts ou cent pieds. Les traits des hommes sont durs et repoussans; l'os ou roseau qu'ils portent à la cloison du nez, leurs cheveux ébouriffés et leurs longues barbes leur donnent un air effrayant. Les femmes conservent quelque chose de la délicatesse dont leur sexe peut justement s'enorgueillir parmi les nations civilisées; on a même saisi quelquefois le rouge de la pudeur sur leurs joues noircies, et on les a vues s'efforcer de cacher par leur attitude ce que leur nudité eût laissé à découvert. Ils ont le nez aplati , de larges narines , les yeux enfoncés dans la tête et surchargés d'épais sourcils. En outre, ils portent autour de la tête un petit filet de poil d'opossum de la largeur du front, qu'ils rabattent jusque sur les sourcils, quand ils veulent y voir plus clairement. Ils ont des lèvres très-épaisses, avec une bouche d'une grandeur dé- mesurée, mais qui ne s'ouvre que pour laisser pa- raître des dents blanches , unies et très-saines. Plu- 404 VOYAGE sieurs ont les mâchoires très-proéminentes, et l'un deux, nommé le vieux Jf'irang, eût fort bien pu passer pour un orang-outang. La couleur de ces naturels n'est pas toujours cons- tante. On en a vu qui, nettoyés de la fumée et de la crasse qu'on trouve toujours sur leur corps, ont paru aussi noirs que les nègres d'Afrique , tandis que d'autres n'ont offert qu'un teint cuivré comme celui des Malais. Leur tète ne porte point de la laine, même chez les individus noirs , mais de véritables cheveux ; c'est ce qui fut particulièrement observé sur Benilong après son retour d'Angleterre, où l'on avait porté quelque attention à sa toilette. Il se trouva âYdir de longs cheveux noirs. Le noir est en effet la couleur ordinaire des cheveux de ses compa- triotes. Cependant quelques - uns les avaient rou- geàtres. Leur vue est singulièrement bonne : il est vrai que leur existence dépend très-souvent de cet avan- tage ; car un homme qui aurait une vue courte (mal- heur inconnu chez eux) ne saurait jamais se mettre en garde contre les lances qu'ils savent envoyer avec une force et une rapidité étonnantes. Les deux sexes se frottent la peau d'huile de pois- son qui leur communique une puanteur insupporta- ble, mais qui les garantit de l'atteinte des moustiques, dont quelques-unes, fort grosses, mordent ou pi- quent cruellement. Quelques naturels pratiquent cette opération si malproprement , qu'on voit les entrailles du poisson rôtir sur leur tète à l'ardeur du soleil, DE L'ASTROLABE. 405 jusqu'à ce que l'huile en découle sur leur visage et sur leur corps. On apprend aux enfans à se frotter d'huile «lès l'âge de deux ans. Ces sauvages ont divers orneuiens. Les uns, au moyen d'une gomme, se garnissent les cheveux d'os de poissons ou d'oiseaux, de plumes, de morceaux de bois, de queues de chien et de dents de kangarou. D'autres , au sud de Botany-Bay , se tressent les cheveux avec de la gomme, ce qui les fait ressembler à des bouts de corde. Souvent ils se barbouillent de terre rouge ou blanche, employant la première quand ils veulent aller au combat, et Vautre pour se pré- parer à danser. La forme de ces ornemens dépend tout-à-fait du goût de la personne; et plusieurs poussent cet art si loin, qu'ils se rendent vraiment affreux. En effet, peut - on s'imaginer rien de plus horrible qu'une figure huileuse et noircie , avec un large cercle blanc autour de chaque œil , des lignes de la même couleur ondulées sur les bras, les cuisses et les jambes? Quel- quefois barbouillés de noir , avec les côtes marquées par des lignes blanches , ils ont tout-à-fait l'apparence de spectres. Les cicatrices , chez les individus des deux sexes , sont considérées comme des ornemens très-distingués, si bien qu'ils se font des plaies avec des coquilles , les tiennent ouvertes pour laisser la chair se boursouffler sur les bords ; quand la peau vient ensuite à les re- couvrir, elles forment sur leurs corps des marques honorables, figurant des échelons ou des coutures. TOME I. 27 406 VOYAGE Cette opération , qui s'exécute ordinairement dans la jeunesse , laisse des traces durables et qui ne s'ef- facent qu'au déclin de l'âge. Les femmes sont particulièrement assujetties à une opération bizarre : c'est la perte des deux phalanges du petit doigt de la main gauche. Elle a lieu quand elles sont encore très -jeunes, et sous le prétexte que ces phalanges les gêneraient pour rouler leur ligne de pèche autour de leur main. On lie étroi- tement avec un cheveu la seconde articulation, ce qui arrête la circulation du sang, et le bout du doigt tombe ensuite en putréfaction. Très - peu de filles échappent à cette mutilation, et celles qui ne l'ont pas subie sont traitées avec mépris. De leur côté, les hommes, surtout ceux qui ha- bitent la côte, doivent aussi perdre la dent de de- vant, et nous décrirons plus loin cette opération. Du reste, on remarque chez eux très-peu de dif- formités naturelles ; on n'a vu sur le sable qu'une ou deux traces de pieds contrefaits. Il n'y a ni bossus ni tortus; cependant on ne voit nulle part ailleurs des femmes aussi négligentes pour leurs enfans , auxquels il arrive souvent de rouler dans le feu et de s'y brûler horriblement, quand leurs mères dorment près d'eux. Ces peuples sont très-difficiles à éveiller quand ils sont une fois endormis. HABITATIONS. Elles sont aussi grossières qu'il soit possible de DE L'ASTROLABE. 407 l'imaginer. La hutte de l'habitant des bois se forme d'une simple écorce d'arbre, courbée dans le milieu, placée par les deux bouts contre terre, et tout au plus capable d'abriter imparfaitement le malheureux qui s'en sert. Jamais ils ne les transportent avec eux. Sur le bord de la mer, ces huttes sont plus gran- des, formées de plusieurs morceaux d'écorces réunis au sommet , de manière à former une espèce de four avec une entrée , et assez grand pour contenir six à huit personnes. Leurs foyers sont plutôt placés à l'entrée qu'en dedans de la hutte, et son intérieur est en général le trou le plus sale et le plus enfumé. Outre ces cases d'écorces , ils se creusent aussi des cavernes dans les rochers. Au devant de ces grottes, le sol se faisait remarquer par sa fertilité : en creu- sant la terre , on trouva quantité de coquilles et autres débris. Cette découverte devint d'un grand avantage pour la colonie; des coquilles on fit de la chaux , et le reste servit d'engrais pour les jardins. Les naturels s'étendent pèle - mêle confondus, hommes , femmes , enfans , dans ces huttes et ces grottes où ils jouissent des mêmes avantages que la brute dans sa niche, savoir de Fàbri contre le mau- vais temps et des douceurs du sommeil, si aucun ennemi ne vient les y troubler. Ils font très-peu de cas des maisons des Européens, ils n'attachèrent aucun prix à celles que le gouver- neur Macquarie avait eu l'attention de leur faire bâtir; aussi tombèrent-elles bientôt en ruines. Un jour leur 408 VOYAGE chef Boungari, interrogé : Quel cas il faisait des maisons? se contenta de répondre en haussant les épaules : Mari boud-jiri, Massa, 'posse he vain. Très-bien, Monsieur, à supposer qu'il pleuve. ( Can- ningham, 3e édition, tom. II, pag. 6.) Leur sommeil est si profond que la jalousie ou le désir de la vengeance invile souvent leurs ennemis à en profiter pour les assassiner ; on a vu plusieurs exemples de cette perlidie. Un de ces exemples eut cela de remarquable, que le meurtrier, sur le point de percer sa victime, voulut d'abord retirer l'enfant qui dormait entre ses bras , et le porta ensuite à Sydney pour en prendre soin. Comme les naturels n'ignoraient point le danger qu'ils couraient durant leur sommeil, ils faisaient tout leur possible pour ob- tenir des colons de jeunes épagneuls ou des bassets, qu'ils considéraient comme de précieux gardiens du- rant la nuit. FAÇON DE VIVRE. Les naturels de la côte, qui sont le mieux connus, n'ont guère d'autre ressource que le poisson; leur principale occupation est de le prendre, mais les moyens varient suivant le sexe : les hommes emploient le harpon, et les femmes la ligne et f hameçon. Le harpon est une canne de quinze à vingt pieds de long , terminée par quatre pointes barbelées ; les barbes sont des morceaux d'os soudés au bois avec de la gomme. Dans le beau temps , ils se tiennent dans leurs piro- DE L'ASTROLABE. iOi) gués, Le visage près de la surface de l'eau, cl prêts à darder leur proie qu'ils manquent rarement. Les lignes qu'emploient les femmes sont fabriquées par elles-mêmes avec l'écorce d'un arbuste du pays; leurs hameçons sont en écaille d'huître perlière, qu'elles frottent sur une pierre jusqu'à lui donner la forme convenable. Quoique ces hameçons n'aient point de barbes , ils leur servent avec le plus grand succès. Les femmes chantent en péchant à la ligne dans leurs pirogues, qui ne sont que de misérables barques dont les bords sont à peine élevés de six pouces au- dessus de l'eau. On y trouve toujours un petit feu sur de l'herbe marine ou du sable, qui leur sert à faire tout de suite cuire leur poisson quand ils veulent le manger. A l'exception des animaux qui peuvent s'y ren- contrer, les bois n'offrent aux sauvages que très-peu de ressources;- quelques baies, une sorte d'igname, la racine de fougère, les fleurs de différens banksia, et quelquefois un peu de miel : voilà tout ce que leur donne le règne végétal. Les naturels qui vivent dans les bois et sur le bord des rivières sont réduits à chercher d'autres alimens, et forcés à des exercices plus durs pour s'en procurer. Nous avons donné un exemple de ces exercices en ci- tant la façon dont ils grimpent sur les arbres. En outre, ils ont des méthodes pénibles pour prendre les ani- maux au piège. Les sauvages des bois font une pâte avec de la racine de fougère et des fourmis écrasées ensemble, 410 VOYAGE et, dans la saison, y ajoutent les œufs de ees insectes. Très-sales dans leur nourriture, ils dévorent tout ce qui leur tombe entre les mains , même les vers , les chenilles et la vermine. MARIAGE. On a dit qu'il y avait une délicatesse sensible chez les femmes. N'est-il pas choquant de penser que, pour elles, le prélude de L'amour soit la violence, et même une violence de la nature la plus brutale? Ces mal- heureuses victimes d'une passion honteuse et barbare sont, à ce que l'on pense, toujours choisies par les hommes dans une tribu étrangère et même ennemie de la leur. Ainsi le secret est nécessaire, et la pauvre in- fortunée est ravie en l'absence de ses protecteurs. Le barbare alors l'étourdit à coups de casse-tète sur la tète, les épaules, la gorge et toutes des parties du corps , et chacun d'eux fait jaillir un ruisseau de sang ; la saisissant ensuite par un bras , il l'entraîne au tra- vers des bois, des pierres et des troncs d'arbres, avec toute la violence et la vitesse dont il est susceptible. L'amant, ou plutôt le ravisseur, ne fait aucune atten- tion aux rochers , ni aux morceaux de bois qui peu- vent se trouver sur sa route , et ne songe qu'à traîner sa proie au milieu des siens. Là il assouvit sa passion ; et la fille ainsi violée devient la femme de son ravis- seur , et est admise à ce titre dans sa tribu. La tribu de la fille à son tour se venge de cette in- sulte par le système ordinaire des représailles, quand DE L'ASTROLABE. 411 elle en trouve l'occasion. Pour la Femme, elle se sou- mot à son sort , et quitte rarement son mari et sa nou- velle tribu pour une autre. La coutume de ces rapts est si universelle chez eux, que les enfans même s'en Pont un amusement, une sorte d'exercice. Les femmes sont maintenues par les hommes dans le plus grand assujettissement. Si une tribu en voyage rencontre des Européens, les femmes ont l'ordre de se tenir à une certaine distance, et n'en peuvent bou- ger sans permission. La plus légère offense de leur part envers le mari, est punie d'un coup de casse-tète qui ne manque jamais de leur faire jaillir le sang et leur fracture souvent le crâne. Cependant un traitement si barbare semble plutôt fortifier rattachement de la femme que le diminuer, et ces blessures même sont montrées par elles comme des marques d'honneur. Dans un très-petit nombre de cas, les femmes ren- dent ces outrages; après leur dispute, les époux vi- vent en aussi bonne intelligence qu'auparavant. Les hommes ne se bornent point à une seule femme, mais les femmes se vengent en rendant la pareille au mari et souvent en le tuant. Benilong, avant son voyage en Angleterre, avait deux femmes qui vivaient l'une et l'autre avec lui et le suivaient partout. L'une, nommée Barang-Arou, était attachée à lui dès le temps où il fut amené captif à l'établissement; avant même qu'elle mourut, il avait enlevé à la tribu de Botany-Bay, Gorou-Barrou-Boulla, de la manière cruelle que nous avons décrite. Celle-ci continua de rester avec lui jusqu'à son départ pour il2 VOYAGE l'Angleterre. On a compris que tous les naturels des bords del'Hawkesburv ont deux femmes, et généra- lement on trouve plus d'exemples de la pluralité des femmes que de la monogamie chez ces sauvages. Ja- mais on n'a observe qu'il existât dans la famille des enfans des deux femmes. Comme on doit naturelle- ment s'y attendre , les deux femmes sont continuelle- ment jalouses, et se querellent Tune l'autre. Cepen- dant on a cru remarquer que la première, eu égard à la priorité d'attachement, réclamait le droit exclusif aux faveurs conjugales; tandis que la seconde, ou celle du dernier choix , était réduite à devenir l'esclave et le souffre-douleur de la famille. Certainement la pudeur n'était point une vertu dont l'un ni l'autre sexe se tït honneur chez ces sauvages. Pourtant quand les femmes se furent aperçues que les blancs attachaient une idée de honte à se montrera nu, elles devinrent, au moins plusieurs d'entre elles , extrêmement délicates et réservées à cet égard devant les étrangers ; bien (pie la nudité continuât de leur être parfaitement indifférente vis-à-vis des hommes de leur nation. Cependant ces êtres ne sont pas toujours étrangers aux vrais sentimens de l'amour dans toute sa pureté, comme le prouve l'anecdote suivante rapportée par Barrington, qui a beaucoup connu le jeune homme dont il est question. Ce naturel, âgé de vingt-deux ans environ , appartenait à la tribu de Parramatta, et avait deux sœurs , l'une de vingt ans , et l'autre seule- ment de quatorze ans. Un jour qu'il revenait de chasser DE L'ASTROLABE. 118 le kangarou, il ne vit pas ses sœurs venir au devant de lui comme de coutume. Imaginant quelles étaient allées chercher de l'eau ou quelques vivres, sans en- trer dans sa demeure, il se décida à s'asseoir au pied d'un arbre pour se reposer en y attendant leur retour. Le soleil disparut , et la nuit ne tarda pas à étendre ses voiles ; des éclairs très-vifs annoncèrent un pro- chain orage; en peu d'instaqs la pluie tomba par tor- rens , et força le jeune homme de quitter son arbre pour chercher un abri dans sa grotte. Mais à peine y mettait-il les pieds qu'un éclair montra à ses yeux ef- fravés le corps de sa plus jeune sœur baigné dans son sang. Déjà troublé par le combat des élémens, à ce spectacle sa détresse fut au comble ; à genoux près de sa sœur il cherchait à la relever, mais elle ne pouvait l'entendre, car elle avait perdu tout sentiment . Il courut chercher de l'eau pour lui en frotter le visage , ce qui la lit revenir à elle-même. « O mon cher frère! s'écria- t-e;le, notre sœur nous est ravie, et j'ai presque été massacrée pour m'y opposer. Le méchant, après l'a- voir frappée de son casse-tète , s'est saisi d'un de ses bras pour l'entraîner hors de la grotte , je me suis at- tachée à l'autre pour la retenir; mais au moment que le barbare s'en est aperçu, d'un coup de son casse-tète il m'a jetée par terre, dans l'état où vous m'avez trou- vée. » En finissant ce récit, un torrent de larmes inonda ses joues, et son frère ne put s'empêcher de pleurer aussi, en même temps qu'il méditait sa ven- geance, et rêvait aux moyens de l'exécuter. Ils passè- rent la nuit dans ce Irislc entretien. Dès que le soleil 414 VOYAGE vint les éclairer, ils se mirent en route pour chercher la tribu du coupable. Après un voyage dont leur soif de vengeance abrégea la longueur, ils atteignirent les lieux qu'occupait la tribu qu'ils cherchaient. Alors le sauvage aperçut à une petite distance la sœur de celui- là même qui lui avail enlevé la sienne , et qui s'était un peu écartée pour ramasser du bois à brûler. C'était une belle occasion pour se venger; ainsi ordonnant à sa sœur de se cacher, il courut sur la jeune (ille, et leva son casse-tète pour la terrasser et satisfaire son ressenti- ment. La victime trembla, et bien qu'elle connût toute la force de son ennemi, elle s'arma de tout le courage qu'elle put conserver. Elle releva les yeux sur lui, et leurs regards s'étant rencontrés, tel fut l'effet que produisit son admirable beauté sur le jeune homme, qu'il demeura immobile pour la contempler. La pau- vre fille s'en aperçut , et se jeta à ses genoux pour im- plorer sa pitié ; mais avant qu'elle pût parler, déjà le sentiment de la vengeance avait fait place à celui de l'amour. Il rejeta son casse-tète, et la serrant dans ses bras , lui jura une constance éternelle. Sa pitié lui valut l'amour de sa belle, et chacun se vit ainsi payé d'un mutuel retour. Il rappela sa sœur qui aurait elle- même assouvi sa vengeance sur la jeune fille , sans son frère qui lui déclara qu'elle était désormais sa femme. Le jeune homme s'étant informé de sa sœur ainée, sa nouvelle épouse lui apprit qu'elle était encore très- souffrante, mais qu'elle serait bientôt mieux, et ex- cusa son frère sur les moyens qu'il avait employés pour en faire sa femme, sur ce que c'était la coutume DE L'ASTROLABE. 41 > suivie dans le pays : « Mais vous, ajoula-t-elle, vous avea le cœur plus blanc (taisant allusion aux mœurs des Anglais), vous ne me battez point; moi je vous aime, vous m'aimez, j'aime vos sœurs, vos sœurs m'aiment; mon frère n'est pas un homme bon. » Cet aveu sans artifice lui valut l'amour du sauvage et de sa sœur qui étaient venus en ennemis, et ils vécurent ensemble dans une petite cabane que Barrington leur fit élever à un demi-mille de sa propre maison. COUTUMES ET MOEURS. Au moment où la femme accouche , personne ne peut être présent que des personnes de son sexe. Wanï-Wir, sœur de Benilong, s'étant trouvée prise de mal d'enfant tandis qu'elle était en ville, ce fut une occasion favorable de les voir agir dans cette im- portante conjoncture. Quelques femmes qui avaient gagné l'amitié de cette jeune fille en profitèrent, et ce fut d'elles qu'on obtint les détails suivans. Durant l'accouchement une femme était occupée à lui répandre de l'eau froide de temps en temps sur le bas-ventre, tandis qu'une autre, qui avait attaché le bout d'une petite corde autour du cou de Warri-Wir, se frotta les lèvres avec l'autre bout jusqu'à ce que le sang en coulât. Elle ne reçut aucun secours de celles qui l'environnaient , et l'enfant vint au monde par la seule action de la nature; il ne fut reçu par personne au sortir du sein de sa mère. Mais une des Anglaises coupa le cordon ombilical, et lava l'enfant, du con- 41 6 VOYAGE sentement de la mère, bien que les autres femmes du pays s'y opposassent fortement. La pauvre mal- heureuse semblait tout-à-fait épuisée. On vit la femme de Benilong, quelques heures après être accouchée , marcher seule et ramasser du bois pour entretenir son feu. L'enfant, dont la couleur de la peau paraissait roussàtre , était étendu par terre sur un morceau d'écorce. Les enfans nouvellement nés sont transportés par leurs mères sur un morceau d'écorce tendre; aussitôt qu'ils ont acquis assez de force, elles les placent sur leurs épaules avec leurs jambes passées sur leur cou. Instruits par la nécessité, bientôt ces petits êtres s'ac- crochent aux cheveux de leur mère pour s'empêcher de tomber. La teinte rougeâtre de leur peau fait bientôt place à leur couleur habituelle, et ce changement est dû en grande partie à la fumée et à la saleté dans laquelle ces petits malheureux sont entretenus dès le premier ins- tant de leur existence. Les parens commencent aussi de bonne heure à les décorer suivant la coutume na- tionale; car aussitôt que leurs cheveux sont assez longs pour cela, on les garnit d'os de poissons et de dents d'animaux collés avec de la gomme. Des pein- tures de chaux ornent leurs petits membres , et les filles subissent l'amputation bizarre , qu'ils nomment malgoun, avant même d'avoir quitté leur poste sur les épaules de leur mère. A peine âgé d'un mois ou six semaines , l'enfant reçoit son nom. C'est ordinairement celui de quel- DE L'ASTROLABE. î 17 qu'un des objets qui sont continuellement sous leurs yeux , comme d'un oiseau , d'un animal , d'un poisson ; il n'y a pour cela aucune cérémonie accessoire. Les amusemens des en fans sont en petit les exer- cices des hommes faits. Dès l'âge le plus tendre ils s'habituent à jeter la lance et à en parer les coups. A peine âgés de huit ans ils s'amusent à enlever les pe- tites filles , comme leurs pères ont fait pour leurs mères, et ne les traitent guère mieux. De bonne heure, ils aident leurs parens à la chasse et à la pèche. Les enfans sont déjà sensibles aux insultes, et si dans leurs jeux il leur arrive de recevoir d'un cama- rade un coup trop fort , ils le rendent aussitôt dans le même esprit de vengeance qu'à un âge plus avancé. Ils ont beaucoup de talent pour l'art mimique , et se plaisent à contrefaire la tournure du soldat, l'air, l'im- portance d'un officier, et le maintien oisif d'un convict paresseux. Si l'on sourit à leurs grimaces , ils en sont enchantés , et se mettent eux-mêmes à rire aux éclats. A l'âge de douze à quinze ans ils subissent l'opéra- tion qu'ils nomment gna-noung , c'est-à-dire qu'on leur perce la cloison du nez pour recevoir un morceau d'os ou de roseau, ce qui, à leurs yeux, passe pour un grand ornement, bien qu'il rende l'articulation des mots très-imparfaite. Cette opération ne se pra- tique guère que sur les hommes , quoiqu'on ait vu quelques femmes qui l'avaient subie. C'est aussi au même âge que les garçons reçoivent les privilèges qu'ils acquièrent avec la perle d'une des dents de devant. Durant son séjour dans le pays, ■418 VOYAGE Collins vit deux exemples de cet usage dont il a pu , la seconde fois , nous retracer les différentes circons- tances, grâce au crayon d'une personne qui raccom- pagnait. Le 25 janvier 1795 , les naturels s'assemblèrent en grand nombre pour cette importante opération; plu- sieurs jeunes gens, bien connus dans l'établissement pour ne l'avoir jamais subie, allaient être admis au rang d'hommes. Pemoul-Waï , habitant des forêts, et plu- sieurs étrangers vinrent au rendez-vous; mais les prin- cipaux acteurs dans les cérémonies n'étant point arrivés de Kemmiraï, les nuits suivantes s'écoulèrent au milieu des danses ; à cette occasion les sauvages s'ornèrent de leurs plus beaux atours, et déployèrent certainement une singulière variété de goûts. L'un se peignit le milieu du visage en blanc , excepté seulement la barbe et les sourcils ; d'autres se distinguaient par de grands cercles blancs autour des yeux, qui les rendaient aussi affreux qu'on peut se l'imaginer. Ce ne fut que le 2 février que la réunion fut complète. Le soir ceux de la tribu de Kemmiraï arrivèrent, et parmi eux ceux mêmes qui devaient exécuter l'opération. Ils étaient peints aux couleurs de leur tribu, la plupart pourvus de boucliers , et tous armés de casse-têtes , de lances et de bâtons pour les jeter ou ivomeras. Le lieu choisi pour cette représentation extraordinaire se trou- vait sur la pointe de Farm-Cove, et quelques jours aupa- ravant on avait travaillé à le préparer convenablement en le nettoyant d'herbes ,*de broussailles , de branches d'arbre, etc., etc. Il formait un ovale de vingt-cinq DE L'ASTROLABE 419 pieds de long sur seize de large; et il prit le nom de You-Lang. Quand l'auteur y arriva, il trouva ceux de la tribu de kemmiraï debout, et en armes, à l'une des extré- mités du théâtre, et à l'autre bout se trouvaient les enfans destinés à perdre chacun une dent, avec plu- sieurs de leurs amis qui les avaient accompagnés. Alors la cérémonie commença : les hommes armés s'avancèrent en chantant, ou plutôt en poussant un cri propre à la circonstance , et faisant retentir leurs bou- cliers et leurs lances , tandis que de leurs pieds ils fai- saient jaillir la poussière de manière à en couvrir ceux qui les environnaient. Aumoment où ils arrivèrent près des enfans, un des hommes armés, se détachant de la troupe, avança de quelques pas, et, saisissant un gar- çon, retourna vers ses collègues , qui le saluèrent par un cri, montrant en même temps le dessein de recevoir et de protéger la victime. C'est de la même manière que chacun des quinze enfans présens fut tour à tour saisi et porté à l'autre extrémité du You-Lang , où ils restèrent assis , les jambes croisées sous leurs corps , la tète basse et les mains jointes. Quelque pénible que fût cette position, on assura que de toute la nuit ils ne devaient point en bouger ni lever les yeux en l'air, et que jusqu'à la fin de la cérémonie on ne leur donnait aucune nourriture. Les kerredais exécutèrent ensuite quelques-uns de leurs rits mystérieux. Tout-à-coup l'un d'eux tomba par terre , s'y roula en prenant toute sorte d'attitudes loi cées , comme s'il eût été tourmenté par des douleurs 420 VOYAGE inouies, el parut à la fin délivré d'un os qui défait servir pour la cérémonie suivante. Durant tout ce temps il était entouré d'une foule de naturels qui dan- saient autour de lui en chantant à grands cris , tandis que quelques-uns le frappaient sur le dos jusqu'à ce qu'il eût produit l'os merveilleux ; puis il était délivré de toute souffrance. Celui-ci ne se fut pas plutôt relevé , épuisé de fa- tigue et baigné de sueur, qu'un autre à son tour re- commença la même cérémonie , qui se termina égale- ment par l'exhibition d'un os dont il s'était prudemment pourvu d'avance, et qu'il avait caché dans sa ceinture. Cette farce grossière a pour but de convaincre les jeunes gens que l'opération qu'ils ont à subir ne leur causera qu'une faible douleur; car plus les kerredais auront souffert, moins ils auront eux-mêmes de mal à éprouver. Il était déjà tout-à-fait nuit, et l'auteur se retira avec l'invitation de revenir de bonne heure le matin suivant. Au point du jour , il trouva les naturels dormant par petits pelotons détachés, et ce ne fut qu'au moment où le soleil se montra qu'ils commen- cèrent à se relever. Les habitans de la côte nord dor- maient à part; les jeunes garçons dormaient aussi sé- parément , bien qu'on eut dit qu'ils ne devaient point bouger de leur position. Bientôt après le lever du so- leil, les kerredais et leurs compagnons s'avancèrent à pas précipités vers le You-Lang, l'un à la suite de l'autre , poussant des cris en y arrivant, et courant deux ou trois fois tout à l'entour. On conduisit les * \ 1 A ^ V \ \ ^> \> \ \ * N \ ^ \ > \ \ V ;». VOYAGE prirent que la tribu de Douel avait perdu deux jeunes filles qui avaient été enlevées par les sauvages du nord de la baie de Port-Jackson , et par représailles elle avait projeté d'en enlever deux à son tour à ses agresseurs. Un cordonnier de Sydney (c'était notre vaillant Paris) avait déjà sauvé l'une d'entre elles qui vivait en ville avec lui ; non content de cet exploit ga- lant, en preux chevalier il revenait sur le champ de bataille pour délivrer aussi l'autre, lorsqu'il fut obligé de céder au nombre. D'ailleurs , il paraît que tout cela se passait conformément aux usages et eou- i urnes établis , car personne ne se présentant pour ré- clatner la belle affligée, tout rentra dans l'ordre et le silence, et plusieurs tribus firent aussitôt leurs pré- paratifs tic départ. Tandis que les hommes préparaient leurs armes , les femmes entassaient dans leurs sacs en filet leurs provisions de pain ., viandes , poisson , chiffons , jusqu'à des têts de bouteille, etc. Boungari, Bidgi-Bidgi et Cogai nous assurèrent pourtant qu'il y aurait le soir même un marri-corro- bori, c'est-à-dire une danse générale de toutes les tribus rassemblées, et je m'apprêtais à jouir de ce spectacle, plus curieux pour moi que tous les bals de l'Europe : mais ce jour et les suivans nous eûmes un temps affreux , et ces sauvages , ennuyés d'attendre , et peu jaloux de danser quand il fait mauvais temps, se débandèrent et reprirent la route de leurs foyers , laissant comme de coutume la tribu de Boungari et celle de Sydney habiter seules ces régions. DE L'ASTROLABE. 455 Voyons maintenant ce qui se passe quand un sau- \ âge a péri de mort naturelle. Un très-beau jeune homme nommé Boni - Dai mourut d'un refroidissement suivi d'une fluxion sur la figure. On apprit qu'il devait y avoir du sang versé dans cette circonstance : et, quelques semaines après, une troupe considérable de naturels appartenant à différentes tribus s'assembla à Panni-Rong, nom du terrain qu'ils avaient souvent choisi pour leurs com- bats, et qui, dans leur langage, signifie sang. Après avoir dansé et s'être régalés toute la nuit, le lendemain de bon matin , Moroubra et Kol-bi, le premier frère et le second parent du jeune défunt, se saisirent d'un garçon nommé Tarra-Bilong, et avec leurs casse-tètes lui firent chacun une blessure qui lui ouvrit le crâne. La sœur de Boni-Dai prit aussi part à ce rit sangui- naire , en frappant le petit innocent avec une lance courte, et le laissant dans un tel état que les chirur- giens de l'établissement décidèrent, d'après la nature de ses blessures, qu'on ne pouvait guère espérer de guérison. Lorsqu'on lui parlait de cet événement il disait quil n'avait ni pleuré ni gémi comme un en- fant, mais qu'il avait crié kaï-ia à chaque coup qu'il avait reçu : que les personnes qui l'avaient si bien maltraité n'étaient pas ses ennemis , mais qu'il boirait et mangerait avec eux, et les considérait encore comme ses amis. Peu de jours après, un parent de Boni-Dai (un homme âgé) reçut une blessure grave sur le derrière de la tète, à cause de la mort de Tarra- Bilong. La jeunesse , ni le grand Age , les liens de la 3o* 4'56 VOYAC.K parenté, ni ceux de l'amitié, ne semblent opposer d'exception à ces coutumes sanguinaires. Quand la femme deBenilong mourut, il y eut plu- sieurs lances envoyées et plusieurs naturels blesses. Benilong lui-même eut une rude affaire avec AYilli- Miring, et le blessa à la cuisse. Tandis que sa femme était malade, Benilong avait envoyé chercher Willi- Miring pour l'assister en sa qualité de kerredai; celui- ci ne put pas , ou ne voulut pas obéir à sa réquisition. Pour célébrer des jeux funéraires en l'honneur de sa défunte femme, Benilong avait choisi le temps qu'un régal de baleine avait attiré une foule considérable de peuples, dont plusieurs venus du nord parlaient un dialecte bien différent de celui qui est employé aux environs de Port-Jackson. Quelques officiers se trouvant un jour présens à la mort d'un enfant vers le fond de la baie, virent les hommes se retirer à l'écart et se lancer leurs zagaies les uns aux autres avec une grande colère en appa- rence, tandis que les femmes continuaient leurs la- mentations habituelles. Quand le petit enfant de Benilong mourut , il y eut plusieurs zagaies lancées, et à la mort de la mère il répéta plusieurs fois qu'il ne serait point satisfait jus- qu'à ce qu'il eut sacrifié quelqu'un à ses mânes. Un naturel ayant blessé une jeune femme mariée à un autre homme, et, peu de temps après, celle-ci ayant échangé une vie triste et misérable pour la paix du tombeau, cette mort devint le motif d'un combat, Le coupable fut grièvement blessé, et peu après conduit DE L'ASTROLABE. 457 à L'hôpital par celui-là même qui Pavai! mis dans cet état. Un naturel de Bolany-Bay s'élant empare de la femme d'un sauvage de Port-Jackson , il s'ensuivit un combat accompagné de quelques cérémonies in- accoutumées. Le coupable parut escorté d'une troupe considérable de ses amis au sud de Botany-Bay. Plu- sieurs de ses compagnons en armes étaient tout-à-fait étrangers à Sydney ; et le you-lang fut le lieu du rendez-vous. Au soir, les deux partis se mirent à danser, mais sans se mélanger : un d'eux attendant pour commencer (pie l'autre eût fini. Dans leur manière de danser, d'annoncer qu'ils étaient prêts , et même dans leur chant , on remarquait des différences sensibles. • Les naturels dé Sydney parurent avoir quelque crainte que l'événement ne leur fût pas favorable ; car apercevant un officier qui avait un fusil , un d'eux le pressa instamment de faire feu sur ceux de Botanv- Bay s'il lui arrivait quelque chose de désagréable. Quelques autres fusils s'étant montrés, les étrangers furent inquiets et alarmés jusqu'au moment où on les assura qu'on ne les avait pris que pour la sûreté per- sonnelle de ceux qui les portaient. L'affaire commença à dix heures précises du ma- tin. Karuei et Kol-bi s'assirent à un bout du you-lang, tous deux armés d'une lance et d'un womerra , et munis d'un bouclier. Ils demeurèrent assis jusqu'au moment où un de leurs adversaires s'avança vers eux ; alors ils se levèrent aussi et se mirent en garde. 458 VOYAGE Parmi les zagaies qui leur turent lancées, quelques- unes lurent simplement ramassées et deux rendues par eux-mêmes, tandis qu'ils en renvoyèrent d'au- tres avec une extrême violence. L'affaire était terminée avant deux heures après-midi , et avec moins de mal qu'à l'ordinaire. Du reste , on sut qu'il y aurait une nouvelle réunion pour le même sujet. Cette fois , comme dans la plupart de leurs com- bats, le point d'honneur fut rigoureusement ipbservé. Mais les lances ne sont pas toujours les seules armes qu'on emploie dans ces luttes; les discours y jouent souvent un rôle essentiel, surtout quand les femmes sont en scène. Durant ce dernier engagement, quand un mot très-offensant venait frapper leurs oreilles, tout-à-coup les naturels se mettaient en position de darder leurs lances , et puis quelquefois les laissaient retomber par terre sans les envoyer -, mais ils ne man- quaient jamais d'observer scrupuleusement la posi- tion de leur ennemi , et ne lui eussent jamais envoyé leurs traits avant quil se fut couvert de son bou- clier. Ce qu'il y avait de plus extraordinaire , c'était de voir celui qui était exposé aux lances des autres fournir des armes à ses propres ennemis ; car bien des fois , quand une lance tombait derrière lui sans lui faire de mal , on le vovait la ramasser et la ren- voyer négligemment à son adversaire. On n'a point su si cette coutume provenait d'un sentiment de mé- pris ou bien de la rareté des lances. Cette attention scrupuleuse des sauvages au point d'honneur, quand ils combattent loyalement entre DE L'ASTROLABE. 458 feux , esl difficile à concilier avec leurs assassinais per- fides ci nocturnes. \KMES. Leurs armes offensives et défensives sonl la lance, le bâton pour la darder ou womerra, le bouclier et le cassc-tète. Ils ont jusqua huit sortes de lances distinguées par le nombre des barbes , et qui portent toutes des dards différents. Quelques-unes sont simplement pointues , d'autres ont une ou plusieurs barbes, et quelques- unes sont armées de morceaux de coquilles d'huîtres brisées. Du reste, ils sont fort adroits à les envoyer, et frappent souvent leur but à cinquante, soixante et soixante-dix pieds ; ils savent aussi imprimer une grande violence à leurs lances, et quand elles sont bar- belées ce sont des armes vraiment redoutables. Le bâton pour les jeter ou womerra porte trois pieds de long environ, avec un croc à un bout et une coquille à l'autre fixée avec de la gomme. Ce bâton reste à la main quand la lance est partie. Il y en a de deux sortes : l'une est armée d'une coquille qui lui sert de couteau, l'autre a un croc mais sans coquille, et est arrondie pat le bout. C'est avec celle-ci qu'ils déterrent la racine de fougère et l'igname. Leurs boucliers sont de deux espèces : l'une en écorce qui ne peut résister aux coups de lance comme l'autre qui est fabriquée avec un bois solide et durcie 460 VOYAGE au l'eu, mais qui nesl pas aussi usitée à cause de sa pesanteur. Ils ont des casse-tètes ou waddis de plusieurs gen- res ; un d'eux est d'une très-grande dimension; quel- ques-uns sont très-larges et très-longs, et assènent des coups très-pesans, qui souvent suffisent pour fracturer le crâne, et toujours pour terrasser une femme. Ils ont encore un instrument qu'ils nomment ta-warrang. 11 a trois pieds environ, et est étroit, mais il a trois cotés , et sur un d'eux un manche a été pratiqué en le creusant par le feu ; les autres côtés sont grossièrement ornés de lignes courbes et ondu- lées; ils en l'ont usage dans leurs danses en frappant dessus avec un casse-tète. Leurs haches en pierre ont de la réputation parce que de toutes leurs armes ce furent les plus funestes aux Anglais au commencement de la colonie. La pierre qui lient lieu de fer est soudée au manche avec une gomme fort tenace. Leurs instrumens sont ordinairement ornés de gra- vures dont les dessins varient généralement suivant les diverses tribus principales , et servent à les dis- tinguer. On observe la même particularité pour leurs lignés de pèche, leurs (ilels, et même pour leurs danses, leurs chants et leurs dialectes. Ils portent souvent avec eux du feu à cause de la difficulté qu'ils éprouvent pour le rallumer. Quand ils veulent faire du feu , plusieurs se rassemblent en cercle, et, comme c'est une opération pénible, chacun agit à son tour pour remplacer celui qui est fatigué. DE L VSIKOl.ABK. ici Ils parviennent à leur bul en faisant tourner rapide- ment avec les mains une pièce de bois sur un trou pra- tiqué dans une planche jusqu'à ee que le feu y prenne. Ces hommes, d'ailleurs si dépourvus de jugement, montrent sous quelques rapports une adresse singu- lière. On a trouvé certaines ligures de leur façon , tail- lées sur de larges pierres représentant des individus de leur race en diverses altitudes, des pirogues, des poissons et des animaux. Quand on fait attention à la grossièreté des instrumens qu'ils peuvent employer, ces figures offrent un travail bien loin d'être mépri- sable. Les naturels, dans le principe n'avaient aucune idée de l'eau bouillante. Un jour l'équipage d'un canot faisant bouillir du poisson, un sauvage en l'absence des Anglais y porta la main pour en prendre et se brûla , ce qui le surprit beaucoup. SUPERSTITION. Ces peuples obéissent en esclaves à une foule de superstitions. La jonglerie du kemmiraï kerredai lorsqu'il produit l'os pour arracher la dent en est un exemple frappant , et n'est pas le seul. Après sa bles- sure , Kol-bi accompagna le gouverneur Philiip sur les bords de l'Hawkesbury, et rencontra un kerredai qui, avec beaucoup de gestes et de grimaces, prétendit extraire les barbes de deux lances de son côté ; jamais Kol-bi n'avait eu de lances dans le côté, et d'ailleurs pour les retirer, au besoin, il aurait fallu avoir recours 46S VOYAGE au scalpel plutôt qu'aux euchantemens ; ruais le patient fut satisfait et se crut lui-même parfaitement guéri. Lorsque Bou-Roung , jeune naturelle , vivait à Sydney, elle faisait souvent des courses vers le fond de la baie : un jour elle en revint très-mal à son aise , sans aucun symptôme apparent. Interrogécsurla cause de sa maladie, elle déclara qu'une femme kcmmiraï avait uriné dans un sentier où elle devait passer, et attribua l'origine de son mal h ce maléfice. Ces femmes étaient d'une tribu ennemie de la sienne, car elle ap- partenait à celle de Botany-Bay, et quand Bou-Roung leur annonça qu'elle était très-malade, elles se vantè- rent avec orgueil de ce quelles avaient fait. Cependant , l'effet de cette idée bizarre fut telle sur l'imagination affaiblie de Bou-Roung qu'elle ne se rétablissait point, bien que 31. White l'eut saignée. Le mal causé par cette superstition ne put être vaincu que par une su- perstition aussi ridicule qui fit plus souffrir l'opéra- teur que la patiente. On la fit asseoir par terre, sa tète fut ceinte par un de ces cordons que les hommes avaient portés autour de la leur ; on eut soin de placer le nœud au milieu du front , puis une autre fille en prit le bout qu'elle frotta contre ses lèvres pour les écorcher jusqu'à ce qu'elles vinssent à saigner. Celle- ci se mit alors à rejeter le sang qui en découlait en abondance dans de l'eau placée près d'elle, et la pau- vre Bou-Roung crut tout simplement que ce sang sortait de sa tète, et que le cordon le conduisait dans la bouche de l'autre. Cette opération se nomme bi- annaï , et est du ressort particulier des femmes. DE L'ASTROLABE. 463 L'équipage de quelqu'un des canots de la colonie, retenu au fond du port par le vent, eut lieu de con- naître un autre genre de superstition. Les matelots avaient ramassé quelques coquillages, et se prépa- raient à les Taire rôtir de nuit, quand un naturel qui les observait secoua la tète et s'écria que le vent qu'ils attendaient ne viendrait point s'ils faisaient cuire leurs poissons. Son argument n'empêcha point les matelots de faire leur régal , et le vent étant réel- lement resté contraire, ceux-ci à leur tour donnèrent un exemple de leur propre superstition en maltraitant le naturel , et lui attribuant le mauvais vent qui les ar- rêtait. Quand on questionna le sauvage sur cet inci- dent, on apprit qu'ils ne faisaient jamais rôtir leur poisson durant la nuit. Ces sauvages racontent aussi l'histoire d'une roche qui tomba et écrasa quelques naturels qui sifflaient au-dessous; c'est pourquoi c'est une règle invariable pour eux de ne jamais siffler sous un rocher. Ils croient aux esprits , et voici ce que leur cré- dulité en raconte. Lorsque les esprits apparaissent , ils s'avancent doucement, le corps courbé, les bras étendus devant la figure , et saisissent à la gorge la personne qu'ils viennent visiter. Les naturels sont gé- néralement persuadés que celui qui peut dormir près de la tombe d'un mort, peut, en vertu de ce qui lui arrive , être délivré pour le reste de sa vie de toute crainte touchant ces apparitions ; car, durant ce terri- ble sommeil , l'esprit du défunt vient le trouver, le saisit à la gorge , lui ouvre le corps , en relire les en- 464 VOYAGE trailles, les replace ensuite, et referme lu plaie. Ils convenaient en même temps que très-peu d'entre eux avaient le courage de s'exposer aux ténèbres de la nuit, à la solennité des tombeaux et à la visite de l'esprit ; aussi ceux qui étaient capables de cet effort devenaient aussitôt kerredais , et. tous ceux qui en exerçaient les fonctions avaient dû passer par ces épreuves. « Us reconnaissent un bon esprit qu'ils nomment Àoi/a/i, et un mauvais esprit qu'ils appellent Po- toyan. Le premier passe pour veiller sur eux , pour les protéger contre les pièges du dernier, et les aider à recouvrer les enfans (pie l'autre surprend pour les dévorer. D'abord ils se rendent Kovan favorable par une offrande de lances , puis ils se mettent à la re- eberebe de l'enfant perdu ; s'ils le retrouvent , ils en savent gré à Kovan ; mais si le contraire arrive, ils en concluent que quelque chose leur a mérité sa disgrâce. Poloyan rode pendant la nuit pour chercher sa proie, mais la vue du feu le repousse et est une sauvegarde contre ses attaques : voilà pourquoi on ne rencontre jamais les naturels marchant durant lanuit, ni dormant, sans un feu près d'eux. Les naturels de Sydnev font de grands feux , et dorment à l'entour, mais ceux de l'intérieur n'en font que de très-petits. » On peut provoquer Poloyan en l'interpellant ef tournant rapidement autour de sa tète un bâton brû- lant. D'ordinaire il annonce son approche par un sif- flement bas et prolongé , semblable à celui de la brise résonnant au travers des branches d'un arbre : c'est bien certainement alors le sifflement dePotovan. Un DE L'ASTROLABE. 165 habitant de Norfolk profita un jour de celte idée pour débarrasser sa galerie d'un groupe de ces croyans dans le pouvoir de Potoyan ; ils s'y étaient réunis pour passer la nuit, niais le roulement perpétuel et discor- dant de leurs langues ne permettait pas à leur hôte de fermer les yeux. Ne voyant aucune apparence que cela finît , il ouvrit la fenêtre tout doucement , et poussa le merveilleux sifïlet de Potoyan. Un chuchot- lement bas et confus se fit d'abord entendre, et fut suivi d'un silence mortel : ceci annonçait que toutes les oreilles étaient aux aguets. Bientôt le sifflement ayant recommencé, ils se levèrent en sursaut, et dé- campèrent tous delà manière la plus leste, bien réso- lus à ne plus faire leur chambre à coucher de cette même galerie. » {Cunningham, &édit., t. 2, p. 36.) Je tiens de la complaisance de M. Cunningham, botaniste à Sydney, la note suivante touchant deux êtres qu'il regarde comme tout-à-fait chimériques , et qui n'ont d'existence que dans l'imagination des indi- gènes, surtout de ceux qui habitent les environs de Bathurst , savoir : Dans l'eau , le IVar-wi, monstre amphibie qu'ils décrivent comme un crocodile pour la longueur, et qu'ils disent habiter les rivières d'eau douce, d'où il sort quand il lui plaît , pour se saisir des enfans, et qui retourne ensuite sous l'eau pour les dévorer. Sur terre, le Coapù; monstre à forme humaine, qui habite les cavernes des collines rocailleuses. Il a le pouvoir de se saisir des noirs, mais laisse passer les blancs sans leur faire de mal. i6G VOYAGE Ils altachent beaucoup d'importance à l'aspect d'un météore. Le tonnerre et les éclairs leur causent aussi une grande frayeur, niais ils pensent ([n'en chantant certaines paroles, et respirant avec force, ils peuvent les faire cesser. MALADIES. Les naturels qui vivent sur la cote, et surtout ceux qui se nourrissent particulièrement de pois- son , sont sujets à un mal très-voisin de la gale, qu'ils nomment djiball-djiball, et qui devient quel- quefois général. En (791 il fit tant de ravages que plusieurs de ceux qui venaient à rétablissement se trouvaient dans l'état le phis dégoûtant , et tous étaient attaqués du mal à un degré plus ou moins fort *. En 1789, une maladie sévit parmi eux avec tous les symptômes de la petite-vérole. D'après leurs propres récits, elle fit périr un nombre incroyable de person- nes. A ce triste spectacle, un naturel qui résidait alors à Svdney, et qui était allé visiter ses anciens compa- gnons , fut représenté par ceux qui raccompagnèrent, comme livré aux émotions les plus déchirantes. Il par- courait avec anxiété les diverses grottes qu'ils avaient coutume de fréquenter. Le sable n'offrait pas une seule empreinte de pas humains ; les excavations des rochers * Barrington et Collins parlent ici de celle sorte de lèpre si commune chez toutes les races océaniennes, et surtout chez celles de couleur plus ou moins foncée. DE 1/ ASTROLABE. 467 étaient remplies des corps putréfiés des malheureuses victimes de la maladie ; pas un être vivant ne s'offrait à ses recherches» Il semblait qu'en fuyant la contagion, Les naturels n'eussent laissé que des morts pour en- terrer Les morts. Le pauvre sauvage leva ses mains et ses yeux vers le ciel dans un silence voisin de l'agonie, et il la (in s écria : «Tous morts, tous morts!» puis il laissa retomber sa tète en gardant un profond silence pendant tout le reste de son excursion. Quelques jours après il apprit que le petit nombre de ceux qui avaient survécu à cet affreux fléau s étaient enfuis vers le haut de la baie pour en éviter la fureur. Il succomba bien- tôt lui-même victime de son humanité, en prodiguant ses soins à ceux de ses compatriotes qui avaient été recueillis dans la ville. Le mal ne borna point ses effets aux environs de Port-Jackson, car en visitant Broken-Bay on vit en plusieurs endroits le chemin couvert de squelettes , et le même spectacle se repré- senta dans les cavités de la plupart des rochers de cette baie. Quoique la ville de Sydney fût alors remplie d'en- fans dont plusieurs visitaient souvent les naturels qui étaient atteints de cette maladie , aucun n'en fut atta- qué qu'un Indien de l'Amérique septentrionale , ap- partenant au brik le Supply, qui mourut. Les naturels donnèrent à ce mal le nom de gai- gala; on ne peut guère douter que ce ne fût la petite- vérole , car les personnes qui en étaient saisies of- fraient tout-à-fait les mêmes symptômes que les Euro- péens qui ont cette maladie; plusieurs de ceux qui 468 VOYAGE échappèrent en conservèrent des traces , et quelques- uns même les marques sur la figure. Pour se guérir du mal de ventre , jadis ils s'échauf- faient la main de leur haleine et l'appliquaient contre cet endroit du corps en chantant une chanson propre à la circonstance. Ils appliquaient aussi la bouche contre la partie malade, s'arrètant souvent pour souiller, et s 'interrompant quelquefois pour faire un bruit semblable à celui d'un chien qui aboie. Depuis l'arrivée des Anglais, ceux-ci leur ont appris l'usage de la rhubarbe qui leur épargne celte peine. Quand ils éprouvent quelque douleur sur une partie du corps, ils font une ligature très-serrée au- tour de cet endroit, et diminuent ainsi l'intensité du mal en arrêtant la circulation du sang. En général ils se rétablissent •Irès-promptcinent de leurs blessures ; une fracture au crâne ne les arrête même que fort peu de temps. On ne doit guère s'étonner qu'ils reçoi- vent autant de fractures au crâne, quand on saura qu'ils ne visent qu'à la tète avec leurs massues. Les femmes qui sont frappées de celte arme tombent tou- jours par terre , mais cela arrive rarement aux hommes. Leurs communications avec les Européens leur ont fait connaître les maladies vénériennes qui font sou- vent encore de grands ravages chez eux et les rédui- sent quelquefois à l'état le plus pitoyable. DE L'ASTROLABE. il!) PROPRIÉTÉS. Elles se bornent à leurs lances , boucliers , casse- tètes et instrumens de pèche, etc.; ce sont eux- mêmes qui fabriquent ces divers objets qui consti- tuent tout leur véritable avoir. Cependant, quelque étrange que cela paraisse, ils ont aussi quelquefois un véritable domaine. Benilong répétait fort souvent que file Memel ( connue des Anglais sous le nom de Goat-Island), près Sydney-Cove, était sa propriété particulière , quelle avait été celle de son père et qu'il la donnerait à Baï-gôn, son ami intime et son fidèle compagnon. Il semblait tenir beaucoup à ce petit coin de terre , et nommait divers individus qui possédaient également des propriétés héréditaires de ce genre sans aucune opposition. DISPOSITIONS. Il serait bien difficile d'assigner à ces bizarres humains un caractère national , vu qu'ils réunissent les dispositions les plus disparates. L'Australien est tout à la fois cruel et généreux , égoïste et libéral , avide de vengeance et prompt à pardonner, jaloux et confiant, courageux et lâche, sincère et dissimulé. Leur ardeur à se venger par la mort de leur ennemi , aussi bien que la manière barbare dont les hommes traitent les femmes , doit les faire détester des nations civilisées; cependant ils montrent de la constance à TOME I. 3l 470 VOYAGE souffrir la douleur el du courage à combattre seul à seul ou en troupe. Bien instruits du mensonge et de ses effets , ils tâchent de vous convaincre que tout ce qu'ils disent est la vérité, el qu'au contraire tout ce que vous entendez d'autre part est faux. L'amitié et les cha- grins ne leur sont pas étrangers , mais ces sentimens ne sont jamais durables. Aux funérailles d'un jeune naturel, on a vu la figure noircie de son père se couvrir de larmes abondantes et silencieuses ; mais quelques momens après , elle était sèche et ne conser- vait que les rides de la vieillesse. Le soin même de leur propre existence ne va jamais au-delà du moment présent, et pour eux il n'est point de lendemain. Ils mangent et s'endorment; ils s'é- veillent et cherchent leur nourriture ; voilà leur vie. Cependant, il n'est pas rare de voir les femmes, assises dans leurs pirogues durant des heures entières à l'ardeur du soleil, chantant leur petite chanson, et occupées à pêcher ; tandis que leurs maris , étendus près d'elles à quelque distance , dorment tout à leur aise; car si elles ne pouvaient leur fournir au réveil de quoi satisfaire leur appétit , elles risqueraient fort d'être cruellement maltraitées. L'air soumis avec lequel ils abordent ceux qu'ils rencontrent armés, ferait croire à ceux-ci qu'ils n'ont à faire qu'à des amis; mais il en est tout autrement si l'on se trouve sans armes, car on court grand risque d'être attaqué. Ils ont quelques notions légères d'astronomie, mais DE L'ASTROLABE. »Tl aucune de la forme de la terre ; ils croient que durant la nuit le soleil revient au point d'où il était parti le malin précédent. Le respect qu'ils témoignent à la vieillesse, quelle qu'en soit la cause, leur fait beaucoup d'honneur, et ils le poussent au plus haut degré, si celui qui en est l'objet est aveugle ; car, dans ce cas , on ne permet à personne de se tenir devant lui, et, quand il est dans une pirogue, celui qui rame est obligé de se tenir derrière lui. HABILLEMENT. Les femmes , dans le jeune âge , portent un petit tablier de peau d'opossum ou de kangarou , coupé en lanières et pendant de quelques pouces au-dessous de la ceinture. Elles le gardent jusqu'à ce qu'elles soient nubiles et enlevées par un homme ; alors elles le quittent. Il est singulier que des parens qui trouvent convenable de couvrir leurs enfans de ce léger vête- ment , les laissent ensuite aller dans le pur état de nature , en leur donnant eux-mêmes l'exemple d'une nudité complète. Les hommes et les femmes portent rarement aucun vêtement, et, bien qu'on leur en ait souvent donné, ils ont fini toujours par les abandonner. Quelques- uns seulement, habitués à vivre avec les Anglais, se couvrent de guenilles ou se ceignent le corps d'un morceau d'étoffe qui dérobe à peine leur nudité. 3T 472 VOYAGE Les hommes se brûlent souvent la barbe , opération qu'ils regardent comme fort douloureuse. FUNERAILLES. La première chose h remarquer dans ces cérémo- nies est la manière dont ils disposent de leurs morts ; ils enterrent les jeunes gens, ils brûlent les individus qui ont passé lage moyen de l'homme. Benilong brûla le corps de sa première femme, Barang-Arou, qui , à l'époque de sa mort, avait plus de cinquante ans. L'en- terrement de Balouderrai, jeune garçon dont nous avons déjà parlé, fut accompagné de plusieurs cérémo- nies. Un jour, après avoir joui d'une santé robuste, il se trouva extrêmement mal ; sur-le-champ on le trans- porta à l'hôpital , où il reçut les soins de Benilong qui se mit à chanter près du malade et à mettre en prati- que tous les moyens que l'ignorance et la superstition purent lui suggérer. Le patient était étendu par terre, en proie à de violentes douleurs. Benilong appliqua sa bouche contre les diverses parties du corps qu'il crut affectées par la maladie, en soufflant fortement dessus et en chantant. D'autres fois il balançait sur le lit de Ba- louderrai des branches trempées dans l'eau, et en tenant une de chaque main , il semblait apporter un grand recueillement à cette pratique. Le matin suivant, le malade fut visité par un kerredai venu tout exprès de la côte du nord. Cet homme exécuta diverses con- torsions , appliqua sa bouche à diverses parties du corps du malade; à la fin, après avoir souffert en DE L'ASTROLABE. 47 3 apparence de grandes douleurs et après beaucoup d'ef- forts*, il cracha un morceau d'os qu'il s'était procuré d'avance. Là finit la farce, et le kerredai se relira alors pour se régaler des mets que lui avaient donnés les amis du patient. Durant la nuit, la fièvre de Balouderrai augmenta, et, le jour suivant, de bonne heure, il expira. Sa mort fut bientôt annoncée par de grands cris poussés par les femmes et les en fans ; Benilong s'étant rendu au gouvernement , il fut convenu entre lui et le gouverneur que le corps serait enterré dans le jardin de celui-ci. Dans l'après-midi, on le déposa dans une hutte près du lieu destiné pour l'inhumer. Plusieurs natu- rels australiens, les femmes et les en fans, se lamen- taient et poussaient des cris aigus , quand tout-à-coup , sans aucune provocation , deux hommes s'attaquèrent à coups de casse-tète ; en même temps quelques coups furent échangés entre les femmes ; il y eut aussi quelques zagaies lancées , mais évidemment comme une simple formalité de la cérémonie et sans intention de faire mal à personne. A la requête de Benilong, une couverture fut étendue sur le cadavre , et Kol-bi , son ami, resta assis près du corps toute la nuit, sans que rien pût l'engager à s'en éloigner. Ils gardèrent le silence jusqu'à une heure du matin , où les femmes commencèrent à crier, et cela dura quelque temps. Au point du jour, Benilong apporta sa pirogue , et l'ayant coupée de la longueur conve- nable , le corps y fut placé , avec une lance , un harpon , un bâton pour jeter la lance , et une ligne 474 VOYAGE que Balouderrai avait à sa ceinture. Durant tous ces préparatifs , les hommes restèrent silencieux , mais les femmes , les jeunes gens et les enfans poussaient les cris les plus lamentables. Le père était debout, à l'écart , sans occupation et silencieux observateur de ce qui se passait près du corps de son fils ; parfaite image de la douleur profonde et sans affectation. Quand tout fut prêt , les hommes et les jeunes gens aidèrent tous à soulever de terre le corps avec la piro- gue et à les placer sur la tète de deux naturels. Quel- ques-uns des assistans portaient dans les mains des touffes d'herbes qu'ils agitaient en avant et en arrière au-dessus de la pirogue, tandis qu'on la levait de terre , comme s'ils eussent voulu exorciser quelque malin esprit. Aussitôt qu'elle fut placée sur la tète des porteurs, ils se mirent en marche, précédés par Be- nilong et un autre homme , tous deux marchant d'un pas précipité. Maugo-Ran, le père du mort, les suivait armé de sa lance et du womerra , tandis que Beni- long et son compagnon ne portaient que des touffes d'herbes qu'ils agitaient en marchant, tantôt en se retournant et faisant face au cadavre , et tantôt en les secouant au travers des broussailles. Quand ils faisaient face au corps , dont la tête était en avant, les porteurs faisaient un mouvement avec leurs tètes d'un côté à l'autre, comme s'ils eussent voulu éviter les re- gards de ceux qui se trouvaient devant eux. Après s'être avancé ainsi à une petite distance, le compa- gnon de Benilong se détourna un peu du chemin , s'enfonça dans le bois , et sembla regarder avec beau- DE L'ASTROLABE. 175 coup d'attention, comme s'il cherchait quelque chose qu'il ne pouvait trouver, et ne cessa d'agiter les touffes d'herbes qu'il portait dans chaque main. Après cette inutile recherche, tous revinrent sur leurs pas, et marchèrent un peu plus vite qu'auparavant. En se rapprochant du terrain où les femmes et les enfans étaient assis avec les autres hommes, Maugo-Ran envoya deux lances sur eux , mais évidemment de manière à ne pas les atteindre. Ici Benilong prit son enfant, la petite Dilboung, dans ses bras, et la pré- senta au cadavre, tandis que les porteurs cherchaient à éviter sa vue, comme on l'a déjà dit. Bidiai-Bidiai , frère du défunt, petit garçon de cinq ans, fut alors appelé; il vint avec une répugnance très-visible et fut présenté de la même manière que l'autre enfant. Ensuite ils s'avancèrent vers la tombe, qui avait été préparée dans le jardin du gouverneur. On relevadeux fois le porteur qui marchait en avant; mais l'ami du mort, Kol-bi, le porta durant toute la route. Yellou-wai aplanit le fond de la fosse , et y sema de l'herbe ; ensuite il s'y étendit lui-même tout de son long , couché d'abord sur le dos, puis sur le côté droit. A la prière de Benilong, quelques tambours s'étaient rendus à cette cérémonie; ils battirent deux ou trois marches , tandis qu'on préparait la tombe. Cela lui fit beaucoup de plaisir et parfois il montra le mort, puis le ciel , comme s'il voulait indiquer qu'en ce mo- ment il se trouvait quelque rapport entre ces deux objets. En déposant le corps dans la fosse, on eut grand soin de le placer de manière que le soleil dans 476 VOYAGE son cours pût donner dessus , et dans ce but les natu- rels ne manquèrent pas de couper tous les arbustes qui auraient pu s'opposer au passage des rayons de l'astre. On plaça le mort sur le côté droit , la tète vers le nord-ouest. La tombe recouverte de terre, on ran- gea plusieurs branches d'arbustes en demi-cercle du côté du sud , en les étendant des pieds à la tète. Des branches et de l'herbe lurent aussi étendues sur la tète de la tombe et recouvertes par une large planche. Ce morceau de bois semblait jouer un certain rôle dans la cérémonie ; car après avoir tapissé la tombe d'herbe, celui qui l'avait mis en place s'y étendit lui-même de toute sa longueur, la figure tournée vers le ciel. Tout étant fini, la troupe se relira après que les hommes eurent d'abord parlé d'un ton menaçant aux femmes. Kol-bi et Walti-Wal, qui avaient été les principaux acteurs de cette cérémonie, lurent peints en rouge et en blanc sur la poitrine et les épaules, et distingués par le titre de moubaï ; on apprit que cet honneur leur imposait le devoir d'être très-réservés dans leurs alimens. On détendit aux spectateurs de mentionner sous aucun prétexte le nom du défunt; c'est une coutume observée rigoureusement par les naturels toutes les lois qu'il meurt quelqu'un d'entre eux. Telles lurent les cérémonies qui eurent lieu à l'en- terrement de Balouderrai. Quand Barang-Arou Da- ringha, femme de Benilong, mourut, celui-ci se dé- termina à la brûler, et pria le gouverneur, le juge- avocat et le chirurgien d'assister à cet acte religieux. DE L'ASTROLABE. 477 Benilong fut accompagne par ses païens et un petit nombre d'autres naturels, pour la plupart des femmes. Le naturel Collins prépara l'endroit où Ton devait élever le bûcher en creusant la terre avec un bâton , à la profondeur de trois ou quatre pouces ; sur l'es- pace ainsi creusé on plaça d'abord de petits bàlons et de légères broussailles; puis on rangea sur les côtés de plus gros morceaux de bois : le bûcher pou- vait avoir ainsi environ trois pieds de haut , ayant les bouts et les côtés formés de pièces de bois sec , tan- dis que le milieu n'était composé que de broussailles et de branches rompues exprès et entassées. Quand on eut fini d'arranger le bois , on répandit un peu d'herbe sur le bûcher , puis on y plaça le cadavre couvert d'une vieille couverture qui servait à cette pauvre femme, et la tète fut tournée vers le nord. Une corbeille avec les instruments de pèche et d'au- tres petits ustensiles de la défunte furent disposés à ses côtés, et Benilong ayant placé quelques gros mor- ceaux de bois sur le corps , quelqu'un de la troupe mit le feu au bûcher. Comme il était construit en bois sec, il (lit bientôt enflammé, et Benilong lui-même fit observer à ses amis de Sydney une fumée noire qui s'élevait du centre du bûcher où reposait le corps et qui annonçait que le feu l'avait atteint. Le terrain fut abandonné long-temps avant que la dernière bûche fût consumée, et Benilong parut tout le jour plus joyeux qu'on n'aurait pu s'y attendre; il parla de cher- cher une nourrice parmi les Anglaises de la colonie pour allaiter son enfant. I 478 VOYAGE Le jour suivant il invita les mêmes personnes à le voir recueillir les cendres de sa femme; elles rac- compagnèrent au terrain en question où il se rendit seul et sans suite. Là il se tint à la tète de ses com- pagnons dans une sorte de silence solennel et sans parler à personne jusqu'au moment où il eut rempli envers Barang-Arou les derniers devoirs d'un mari. Il avait à la main la lance avec laquelle il se propo- sait de punir le kerredai qui n'était point venu près de sa femme quand elle se trouva mal, et c'est avec la pointe de cetle arme qu'il ramassa en un monceau les cendres et les os calcinés. Alors, déposant sa lance parterre, avec un morceau d'écorce il dressa un tu- mulus qui eût fait honneur au plus habile fossoyeur, arrondissant avec soin la terre, aplanissant les moin- dres inégalités et portant une attention scrupuleuse à donner à celle sorte de monument une forme régu- lière. De chaque côté de la tombe il plaça un morceau de bois, et sur le sommet le morceau d'écorce qui lui avait servi à l'élever. Le travail achevé , il demanda à ses amis si c'était bien, et parut satisfait de leur ré- ponse affirmative. Dans cette circonstance son maintien fut mâle et solennel, et un silence expressif caractérisa sa con- duite pendant toute la durée de cette scène. Les An- glais gardèrent le même silence et l'observaient avec beaucoup d'attention. Rien ne put le distraire de la cérémonie à laquelle il était livré tout entier ; il ne parut pas avoir le moindre désir de la finir plus vite , mais il l'accomplit dans tous ses détails avec un re- DE L'ASTROLABE. 470 cueillement qui taisait honneur à ses sentimcns comme homme; car ce recueillement semblait être l'effet et la preuve d'une affection sincère pour l'objet dont il ne restait plus rien qu'un ou deux fragmens d'os calcines. Quand son triste ouvrage fut terminé, il resta quelques momens debout devant cette tombe, les mains jointes sur sa poitrine et dans l'attitude d'un homme profondément livré à ses pensées. Pour se conformer à la coutume de ne point pro- noncer le nom des morts, deux femmes nommées Barang-Arou le quittèrent pour en prendre d'autres ; l'une d'elles, la femme de Kol-bi, ne survécut à celle de Benilong que fort peu de temps , et mourut d'une consomption quelle gagna en nourrissant une petite fille qu'elle avait au sein à cette époque. Cet événe- ment fit connaître une coutume curieuse mais hor- rible en usage chez ces peuples. La mère mourut dans la ville , et quand on la conduisit au tombeau , son cadavre fut présenté devant la porte de chacune des maisons et des cases où elle avait eu coutume d'entrer durant les derniers jours de sa maladie ; ses porteurs observaient les mêmes cérémonies que celles que nous avions vues aux funérailles de Balouderrai, quand la petite Dilboung et le petit Bidiai-Bidiai furent placés devant son cadavre. Le corps descendu dans la tombe, les spectateurs furent bien surpris de voir le père lui-même placer l'enfant vivant avec la mère. Immédiatement après il jeta dessus une grosse pierre, et la tombe fut à l'instant remplie de terre par les naturels. Cette opération se fit en si peu de temps , d80 VOYAGE que les Européens présens n'eurent ni le temps , ni la présence d'esprit nécessaires pour l'empêcher. Lors- qu'on en parla à Kol-bi, au lieu de la trouver inhu- maine, il la justifia en disant que comme il n'aurait pu trouver personne pour nourrir l'enfant , celui-ci aurait péri d'une mort bien plus cruelle que celle qu'on lui avait l'ait subir. Ces exemples s'étant renouvelés par la suite , on doit penser que ce sacrifice des enfans est une coutume générale chez eux ; du reste on évite ce malheur si l'on peut trouver une nourrice, ou si quel- qu'un s'engage à devenir le père de l'enfant, quand bien même le véritable père serait vivant. LANGAGE. Leur langage est très-agréable à l'oreille , car il est en plusieurs circonstances expressif et sonore ; il n'a certainement nulle analogie avec aucune des langues connues , deux ou trois mots seuls exceptés. Le dia- lecte que parlent les naturels de Sydney non-seule- ment diffère complètement de celui que le capitaine Cook trouva chez les peuples du nord sur les bords de la rivière Endeavour , mais même de celui qui est usité par ceux qui habitent Port-Stephen et par les ha- bitans du sud de Bolany-Bay, même par ceux des bords de l'Hawkesbury. On a vu des sauvages du nord qui ne pouvaient nullement se faire comprendre par ceux de Sydney ; mais ce fait n'est pas si surprenant que de voir des peuples éloignés de cinquante ou soixante DE L'ÀSTKOIARE. 481 milles seulement donner des noms différons au soleil et à la lune. Deux hommes de la même tribu prononcent sou- vent le même mot dune manière différente ; les lettres b et p , g et c particulièrement , sont souvent em- ployées Tune pour l'autre. Leur alphabet ne reconnaît ni s ni v , et quelques-uns de leurs sons exigeraient des caractères particuliers pour les rendre avec plus de précision. Après avoir lu tout ce qui précède, on ne peut s'em- pêcher de convenir de la justesse de l'observation que faisait déjà Collins il y a plus de vingt-cinq ans. «Lors- qu'on a mieux connu les habitudes barbares et les coutumes inhumaines des indigènes de la Nouvelle- Galles du Sud , on a cessé de s'étonner de la faiblesse de leur population. Plusieurs causes contribuent à cet état de choses : la guerre continuelle dans laquelle ils vivent, la façon brutale dont ils traitent leurs femmes , l'horrible et cruelle coutume qu'elles ont de se faire avorter en se faisant fouler le ventre pour écraser l'en- fant, ce qui cause souvent aussi la mort de la mère. Les femmes ont recours à cette opération pour éviter l'ennui de porter leur enfant, et ils la nomment Mibra. La coutume d'enterrer l'enfant avec sa mère , quand il est à la mamelle , lorsqu'elle vient à mourir, est en- core un motif de plus pour empêcher la population de s'accroître. {Collins, p. 451.) Dans les premiers mois de l'année 1 826, et surtout 482 VOYAGE en avril et mai , les naturels de l'intérieur, particuliè- rement du pays d'Argyle , se portèrent souvent à des actes hostiles envers les cultivateurs et les bergers ; ils commirent même quelques meurtres. A cette occa- sion un habitant de la colonie inséra dans le Monilor un article où il affirmait que toutes les mesures de dou- ceur qu'on emploierait vis-à-vis des naturels seraient inutiles et même funestes : qu'en conséquence il fallait avoir recours de suite à des mesures de rigueur pour les épouvanter et arrêter leurs excès. Le rédacteur du Monitor répondit à ces conseils par l'article suivant. (2 juin 1826, n. 37.) « Nous avons inséré une lettre d'un de nos corres- pondans, touchant la conduite à observer à l'égard des indigènes dans les temps d'hostilité , parce que nous aimons les avis, même quand nous croyons la thèse erronée et la conclusion plus que douteuse. Nous sommes d'accord avec l'auteur sur la partie de sa note qui décrit le caractère et les habitudes politi- ques (si toutefois on peut accorder cette épithète à leurs notions confuses d'obéissance politique) des na- turels d'Argyle, ainsi que de ceux de Bathurst, de Hunter's-River et de Cow-Pastures. Au reste, le moyen péremptoire qu'il indique nous déplaît extrê- mement. A l'égard de ceux qui ont à l'employer, il peut être admirablement expéditif et commode, mais sa nature tient de trop près au pouvoir absolu pour nous convenir. Nous sommes, au contraire, pour la modération, la magnanimité et l'oubli, précisément DE L'ASTROLABE. 483 ilans le même rapport que noire pouvoir dépasse celui de ces pauvres noirs , peuple généralement innocent, simple et d'un bon naturel, peuple dont nous avons occupé le territoire sans prendre même la peine de dire aux possesseurs: Avec votre permission; et qui nous ont aidés de leur personne à exploiter les plus belles portions de leur territoire, se contentant en retour de visiter deux ou trois fois par an nos huttes nouvellement construites , et de recevoir avec un sou- rire de satisfaction, comme prix de leurs plus riches domaines, quelques gallons de rak, quelques choux, ou une once de tabac pour le chef et un peu de sucre pour sa femme. Nous nous rappelons d'avoir voyagé seul dans le district d'Argyle, peu de temps après sa dé- couverte ; nous avions établi une case vingt milles au- delà d'une station qui se trouvait elle-même à trente milles de rétablissement le plus voisin et d'un seul côté. Les bergers dans ces temps étaient, complètement à la merci des naturels , et le voyageur isolé l'était encore bien davantage. Cependant l'amour de la paix et la fidélité caractérisaient la conduite de ces tribus bien- veillantes et faciles à contenter. Nous avons souvent été charmés de la confiance absolue qu'ils accordaient à nos paroles , prenant ce que nous disions pour la vérité même de l'Evangile. Cette confiance a duré jus- qu'à l époque où nos bergers, étourdis avec leur ridicule amour des plaisanteries , leur ont raconté tant d'insi- gnes mensonges que maintenant ils vous répondront souvent d'un ton interrogatif : Plaisantez-vous? Néan- moins ces peuples ne se fâchent jamais de ce piège 484 VOYAGE tendu à leur crédulité ; et quelque peu habitués qu'ils aient été à regarder le mensonge comme un sujet légi- time de plaisir et de divertissement, ils s'efforcent pourtant en rivalisant de plaisanterie de se conformer à nos coutumes nationales , et de se montrer aussi con- tens de nos fripons de valets et de bergers, qu'il leur est possible de le feindre. » Nous avons connu personnellement Merangtom (un des bergers tués par les sauvages). C'était un ami des noirs , mais il compromettait toujours l'amitié qu'ils lui témoignaient en prenant de trop grandes libertés avec leurs femmes. Nous ne doutons pas le moins du monde que, dans la circonstance qui amena sa mort, il n'ait violé leurs lois ; ce qu'après tout il n'avait aucun droit de faire. Tant que nous n'aurons pas complète- ment envahi et occupé des déserts aussi éloignés que ceux de Bathurst, et tant que nous dépendrons autant des bonnes dispositions de ces anciens propriétaires du sol , c est aller trop loin que de dire que nous pou- vons impunément traiter leurs lois avec dérision, offenser tous leurs préjugés nationaux , et les exas- pérer à notre bon plaisir pour récompense de toute leur bienveillance. » Quant à l'idée d'amener ces indépendans rôdeurs des forets de l'Australie à recourir a nos lois pour venger leurs injures au moyen des magistrats de dis- tricts, nous prions notre correspondant d'examiner les difficultés d'un pareil plan. Sans interprètes, comment ces simples enfans de la vérité pourraient-ils devant la Cour résister aux détours de nos fdous DE L'ASTROLABE. 185 d'Anglais accoutumes dès leur enfance à la chicane et à couvrir leurs mauvais coups de prétextes plausibles? J'omets de mentionner ici une foule d'autres objections également solides, et qui ne manqueront pas de frapper nos lecteurs. » La feuille suivante du même journal contient des détails très-curieux sur la manière dont la force armée envoyée à la poursuite de quelques-uns des coupa- bles parvint à s'en saisir et à les conduire à Sydney. '9/HW 1826, n. 4.) « Le capitaine Bishop, qui fut dépêché par le gou- verneur, il y a quelques semaines, à la tête d'unetroupe à cheval (désignée , à ce que nous croyons, par le nom de police à cheval), et chargé de pénétrer dans les nouveaux pays assez avant pour parvenir jusqu'à la tribu qui comptait parmi ses membres les auteurs du dernier meurtre de Thomas Taylor, est de retour au quartier-général avec ses gens. 11 surprit la tribu en question , et se saisit de l'assassin et de ses deux com- plices. Les derniers s'échappèrent par la suite, mais le naturel qui perça Taylor de sa lance fut amené en sûreté dans la prison de Sydney où on le garde main- tenant, et nous espérons qu'il subira bientôt son procès pour son crime. Cet homme ainsi que ses deux compa- gnons , avec cette habitude de vérité qui caractérise ces naturels dans leur état primitif, avouèrent les dé- tails du tragique événement. Il paraît que deux ou trois individus de celte classe d'hommes dont l'office, parmi TOME r. 32 iHG \oyagl: les sauvages, est d'arracher ladentantérieure des jeunes gens arrivés à un certain âge, étaient venus des lieux au-delà du lac Georges à Argyle et Boung-Boung, pour satisfaire à cette très-importante coutume natio- nale. Comme ils passaient ou s'en retournaient par la case de madame Sherwin , située un peu au nord du lac Bathurst, ils y entrèrent suivant leur usage , et Taylor avec la courtoisie qui a ordinairement lieu entre les blancs et les naturels d'Argyle , leur offrit toute l'hos- pitalité qui était en son pouvoir. Mais les destructeurs de dents lui demandèrent d'un ton farouche d'autres mets que ceux que le pauvre Taylor avait à leur offrir; dans leurs gestes de colère et de dépit, ils lui montrè- rent un nombre de dents restant de toute espèce bien suffisant pour arracher la chair de ses os. Il eut recours à la mesure qui a toujours été éprouvée comme la plus dangereuse au monde quand il a fallu traiter avec ces sauvages humains, savoir : de commencer à manifester sa terreur, et, ce qui est encore plus dangereux, de s'enfuir. Le sauvage aujourd'hui en prison, sans plus d'embarras , ajusta son arme destructive, et d'un coup fatal perça le corps du malheureux fuyard. Le sque- lette de la main de Tavlor a été vu chez les noirs. Ce témoignage, joint à d'autres indications , a convaincu le capitaine Bishop que le malheureux homme a servi de pâture aux naturels , et qu'ils ont été amenés à l'horrible action de le dévorer par son impossibilité de leur fournir les alimens qu'ils avaient désirés. » Le capitaine Bishop, au reste, avec cette modé- ration humaine et sage qui distingue toujours le véri- DE L'ASTROLABE. isT table brève , était résolu à ne point verser de sang, et à ne faire d'autre mal aux naturels que de se saisir du ehef de la tribu et des trois naturels ci-dessus men- tionnés. Le sort des derniers a été rapporté. On mon- tra au chef les carabines et les sabres de la troupe anglaise qui accomplit en outre ses évolutions rapides, spectacle bien étonnant pour le simple guerrier du sud. On se donna beaucoup de peine pour lui expliquer le pouvoir irrésistible des militaires , si jamais ils étaient obligés d'agir hostilement contre ses sujets armés seu- lement de lances et de waddis. Par bonheur, l'aide d'un interprète intelligent fit que les explications , les menaces , les avertissemens et les offres de bonne amitié du capitaine Bishop en cas de paix , furent clai- rement comprises par le roi bronzé des montagnes neigeuses ; autant que sa contenance étonnée et stu- péfiée d'accord avec ses protestations ferventes de re- pentir sincère pour l'offense commise par ses trois cannibales , pouvait donner de preuves de sa sincé- rité et de la conviction qu'il avait de sa propre inca- pacité comme monarque belligérant , autant le ca- pitaine Bishop fut parfaitement satisfait de la péni- tence royale et de sa bonne foi. Le capitaine Bishop alors , avec beaucoup de politique et une discrète bienveillance , fit entendre à l'humble chef que Son Excellence avait bien voulu lui pardonner. Après cette cérémonie , on congédia le roi sauvage avec les mar- ques convenables et naturelles d'une cordiale réconci- liation. C'est l'opinion de tous ceux qui habitent ce pays neuf, que l'expédition du capitaine Bishop sera 588 VOYAGE suivie d'une paix permanente, les craintes des natu- rels avant été excitées par ces événemens à un degré tel qu'il faudra une génération pour les dissiper. » Si la lettre qui suit n'est pas supposée, elle rend compte d'un fait assez bizarre : l'existence volontaire et prolongée d'une Européenne au milieu des naturels de l'Australie. À l'éditeur du Moràlor. « Monsieur, il peut être intéressant pour quelques- uns de vos lecteurs d apprendre que la femme qui «(happa au naufrage du brick Tn/al sur cette côte, au nord de Port-Maequarie, est encore ou du moins était tout dernièrement encore en vie, et habitait avec une tribu de naturels, ainsi que sa fdle aujourd'hui âgée de douze à treize ans. » Elle fut épousée (ou plutôt possédée) par un homme de la tribu dont elle eut deux enfans , un de chaque sexe. Le mâle , suivant la coutume*, a été mis à mort , la petite fille est vivante. Cette femme fait l'office de corram-gui ou sage-femme près des femmes de la tribu, qui la respectent à ce titre. Ces naturels ont tant de peur qu'elle ne voie un Européen et qu'elle ne soit par là tentée de les quitter, qu'ils ont madi- * Peut-être ne sait-ou pas généralement que les naturels font périr les enfans mâles d'origine mélangée : tel est cependant le fait, qu'il faut sans doute attribuer à la crainte qu'ils ont de la supériorité des êtres procréés par le croisement avec la race blanche. DE L'ASTROLABE. 189 bonre ou lue trois Anglais qu'ils supposaient occupés à la chercher. Sa fille, celle qui lit naufrage avec elle, ajoute celui qui me donne ces renseignemens , sera wignna ou nubile le printemps prochain. » Le naturel dont j'ai obtenu le récit précédent appartient à une tribu établie dans les plaines de Liverpool ; il dit qu'il a souvent vu la femme blanche avec sa fille et sa petite Piccanine. Son histoire est très-bien circonstanciée; il ajoute qu'il a un frère marié dans la même tribu, et qu'il montrera ces femmes blanches à ceux qui le désireront , pourvu que l'on ne tue pas son frère. » (Monito?; 18 août 1826, ». 14.] La narration qui suit, écrite par un colon des plaines de Bathurst et insérée dans l'AustraUan ( 14 octobre 1826, n. 135) peu de temps avant notre passage à Sydney, est encore fort intéressante, en ce qu'elle offre une description tout à la fois récente et exempte de préjugés des mœurs des naturels de l'intérieur. Aux éditeurs de l' Australian. Brucedale, près Bathurst, ?.5 août 1826. « Messieurs, je vous transmets une esquisse des manières et des coutumes des aborigènes de la Nou- velle-Hollande, habitant le pays voisin de Bathurst, où j'ai eu de fréquentes occasions d'observer ces sau- vages en fans de la nature ; j'ai pensé que ces détails WO VOYAGE pourraient intéresser quelques-uns de vos lecteurs, qui, de même que votre humble serviteur, sont admi- rateurs des œuvres de la nature, ou, pour mieux m,ex primer, des œuvres de Dieu. » Les naturels sont en général grands et bien con- formés. Leur chef, qui a reçu le nom de Saturday (samedi), est d'une très-belle figure, bien musclé, et ses membres sont dans les belles proportions ; il paraît connaître sa supériorité sur ses frères de cou- leur. Sa personne pourrait servir de modèle pour une statue d'Apollon. Un autre naturel que j'ai vu, nommé Simday ^dimanche), a un corps moulé d'une manière remarquable , et quand il tient sa massue ou son Avaddi, il ne représenterait pas mal un Hercule. D'après la douceur de leur peau, ces naturels sem- blent en possession dune nourriture abondante. Une petite espèce d'opossum , joli petit animal qui vit des feuilles d'une sorte d'eucalyptus, connu dans la colonie sous le nom de gum-tree , est leur principal aliment; parfois ils chassent le kangarou et se nour- rissent de cigales qu'ils tirent de terre, quand elles sont engourdies. » Les opossums , disent-ils , sont très-gras en été et font un excellent manger. Avec la graisse de ce petit animal, ils se frottent la tète et le ventre, sur- tout quand ils vont combattre. Cela, disent-ils, les rend plus alertes. Les opossums sont très-nombreux et se prennent facilement dans les troncs d'arbres. Les naturels n'ont point de lignes de pèche , chose éton- nante , puisque les rivières ici abondent en poisson , DE L'ASTROLABE. i«)l niais ils l'attrapent quelquefois avec leurs lances. Ils apprêtent leur nourriture en la faisant griller sur le feu. Avec les peaux d'opossums ils se font des manteaux très-chauds, assez larges pour couvrir leur corps en- tier, proprement cousus avec une aiguille en os, et les poils des queues d'opossums. En hiver, ils mettent le côté du poil contre le corps ; en été , ils le retournent. Us sont très-adroits à dépouiller les animaux avec une pierre tranchante, lis ne travaillent ni ne filent, et ce- pendant leur père céleste prend soin de les nourrir. Leur caractère est généralement gai ; ils sont grands chanteurs et ont fait de courtes chansons sur plusieurs hahitans du pays. Dans leurs chansons , quelques-uns sont loués , et d'autres tournés en ridicule ; très- attachés à ceux qui leur montrent quelque espèce d'a- mitié ou d'égards , ils admirent un caractère brave et généreux , mais ont une grande aversion pour ceux qui sont cruels et moroses. Us regardent comme une lâ- cheté de maltraiter ou de tuer les femmes et les en fans à la guerre. Ils pleurent avec amertume la mort de leurs femmes et de leurs enfans tués par nos gens. Les naturels qui ont été détenus à Sydney se ressou- viennent parfaitement des politesses que leur fit le gouvernement ; ils mentionnent particulièrement M. S. Bannister, le procureur-général, et parlent de son humanité à leur égard dans les termes les plus vifs. Je prends ici la liberté de donner mon opinion sur la cause des troubles qui se sont malheureusement élevés entre nous et les aborigènes; et j'attribue la perte de ceux qui périrent des deux côtés h la con- 492 VOYAGE duite imprudente et cruelle de quelques-uns de nos gens. Les naturels sont réellement passionnés pour les blancs, et admirent beaucoup nos arts et notre industrie ; mais ils ont une grande aversion pour les Bushrangers ( vagabonds des bois) ou Croppïs, ainsi qu'ils les appellent. Ces malheureux leur enlèvent quelquefois leurs femmes et leur sont à charge de toutes les manières. » Toutes les fois qu'on jugerait nécessaire de châtier les naturels , il faudrait que ce fût toujours sous l'au- torité d'un officier militaire, ou de quelque personne respectable, autorisée à cet effet et responsable de ses actions. Les cultivateurs ne devraient jamais être autorisés à armer leurs domestiques et à courir sur les naturels. Il n'y a que des mesures défensives qui puissent être justifiées en ces occasions. » Ces naturels ont quelques idées imparfaites de la propriété et du droit de possession ; ils disent, que tous les animaux sauvages sont à eux , que tout ce qui est cultivé ou apprivoisé est à nous ; tout ce que la terre produit spontanément ou sans travail leur appartient aussi. Les choses qu'elle produit par artifice ou par effort sont aux hommes blancs , comme ils nous ap- pellent. Les songes ont un effet puissant sur leur ima- gination et souvent dirigent leurs actions. Ils ont des idées très-confuses d'un bon et d'un mauvais esprit , mais semblent n'avoir aucune notion d'une puissance protectrice. Ils ont parfois les terreurs les plus gran- des d'un mauvais esprit qui hante leurs forêts , et pensent qu'il vient quelquefois , durant leur sommeil, DE L'ASTROLABE. 493 les exterminer et enlever leurs femmes et leurs en- fans. Il est difficile de prononcer s'il y a réellement dans ces bois aucune espèce de créature capable de détruire un homme , et rien de ce genre n'a jamais été vu par aucun des nôtres. Je suis disposé à croire que cet esprit qu'ils redoutent tant et qu'ils nomment Coppir est un de leurs êtres imaginaires. Très-rarement ils réfléchissent ou méditent avec attention; leurs no- tions des objets sont très-grossières , et chaque sensa- tion produite par un effet passé cède promptement la place à une sensation nouvelle. » Leurs lois sont celles de la nature. Ils n'ont. , que je sache , aucun autre code ; leurs chefs pos- sèdent évidemment une grande influence parmi eux , et plus spécialement en temps de guerre. Si les con- naissances marchent progressivement dans l'esprit humain , dans le leur elles ont tout au plus fait le pre- mier pas , et leurs idées ont à peine commencé à éclore. But knowledge lo their eyes lier ample page Ricli with the spoils of tlmc did ne'er ex toi. Mais la science à leurs yeux ne déroula jamais ses pages immenses enrichies par les dépouilles du temps. » De temps en temps les passions de l'amour et de la jalousie tourmentent leurs cœurs ; et l'amitié , ils la connaissent aussi; car quand une personne pour laquelle ils ont une véritable affection meurt ou suc- combe dans un combat , ils pleurent jusqu'au tom- beau la perte de leur ami mort. \\)ï VOYAGE » Ils aiment beaucoup le pain et le lait , le tabac et le sucre , mais ils se soucient peu des liqueurs fortes. J'offris un jour à Saturday un verre de rhum et d'eau , mais il refusa de le boire , et, me montrant sa tète , il me fit connaître qu'il en avait ressenti les effets pernicieux. Ils sont très-jaloux d'être rasés et d'avoir leurs cheveux coupés comme un gentleman ; j'en observai un dans le nombre dont la chevelure était proprement peignée, et qui vient souvent em- prunter un peigne pour cela. » Leur langage se compose principalement de pa- latales. Les naturels, près de Bathurst , ont appris de nos gens une espèce de jargon que ceux-ci em- ployaient avec eux , à leur arrivée ici , en mêlant , à ce qu'ils connaissaient du langage des sauvages d'en bas , quelques mots anglais. C'est ainsi qu'ils ont à leur tour attrapé quelques termes anglais et d'autres du langage des naturels de Sydney ; en s'adressant à nous, ils y mêlent leur propre langue. Les indigènes de cette partie de la Nouvelle-Hollande ne peuvent comprendre ceux du bord de la mer, ni se faire entendre d'eux. Les noms qu'ils donnent aux mêmes objets diffèrent entièrement. » On doit fort regretter que ces naturels, par leurs relations avec les Anglais, aient appris toutes les expressions indécentes et dégoûtantes , si communes dans la bouche des convicts , et aient été plutôt cor- rompus que civilisés par leurs nouvelles connais- sances. Mais ils possèdent dans toute l'étendue du mot une chose du plus grand prix , la liberté; elle DE L'àSTHOLABE. 495 compense en grande partie pour eux les avantages et les jouissances dont les Européens sont favorisés. Ils n'ont que très-peu de soucis, et leur esprit néan- moins est certainement en proie aux craintes et aux terreurs de la superstition. J'observais dernièrement une tribu, qui était venue de Moudjaï pour rendre visite à Saturdav et à ceux de sa tribu ; les nouveaux venus campèrent près de ma maison , et de bonne heure, dans la soirée, j'eus la curiosité de les examiner de près. Ils étaient disposés autour d'un coteau voisin, et parurent très-satisfaits de la visite que je leur faisais. Ils étaient assis par terre autour de plusieurs petits feux (car je ne leur en ai jamais vu faire de grands), très-près les uns des autres , et chaque famille généra- lement a son feu particulier ; mais à quelques-uns de ces feux je ne vis que des femmes et des enfans. En certains endroits , il y avait des groupes d'hommes qui chantaient des chansons ou causaient amicalement; mais je n'ai jamais entendu les femmes chanter. Elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes. Je vis plusieurs de ceux-ci qui avaient trois ou quatre femmes. Magpaï, chef de Moudjaï, en avait cinq, et dans la visite qu'il nous fit quelque temps auparavant il en avait sept. Je fis plus particulièrement connais- sance avec une famille composée du mari , de ses deux femmes et de plusieurs enfans. La favorite se tenait assise près de son mari, appuyée sur son bras , tandis que l'autre était assise près d'un feu , à une petite dis- tance d'eux avec les enfans. J'estimai le nombre entier «les naturels présens à cent cinquante; mais toute la 496 VOYAGE tribu n'était point présente. Les naturels qui ont plu- sieurs femmes en donnent quelquefois une ou deux à un ami qui s'en trouve dépourvu. Il est difficile d'ex- pliquer pourquoi le nombre des femmes dépasse au- tant celui des hommes , à moins que cela ne provienne de ce que les derniers se trouvent souvent entraînés dans des combats où ils perdent la vie. Dans les ba- tailles , ils ne font point de prisonniers ; ils tuent leurs ennemis ou les mettent en déroute. Les femmes sont au reste le jouet de la guerre; celles qu'ils prennent sur leurs ennemis sont rangées parmi leurs propres femmes et quelquefois renvoyées à leur tribu ou à leur famille. Il arrive souvent que les tribus se mélangent. » Il est difficile de (ixer l'étendue de terrain exacte (pie chaque tribu occupe. On pourrait supposer que cette étendue n'excède point un rayon de quarante milles. D'après ce que nous connaissons d'elles, les différentes tribus semblent former une chaîne étendue sur la IN'ouvelle-Hollande ; il y a tout lieu de croire (jue les habitans sont divisés en un grand nombre de petites tribus qui composent les anneaux de cette chaîne , et conservent une espèce de communication les unes avec les autres. » Le nombre des tribus voisines de Bathurst , qui s étendent jusqu'à Wellington -Valley , Coal- River et Lachlan-River, est de huit; en différens temps, nous avons été visités par des individus de chacune d'entre elles. Elles sont connues sous les noms sui- vans , d'après les portions de pays qu'elles habitent le plus : 1° Tribu de Parramatta ou Bathurst; 2° Moue- DE L'ASTROLABE. 497 Moue ou de King's- Valley; 3° Bille-Biarra ; 4° Wel- lington-Valley; 5° Bingoum; (>° Moudjaï; 7° Non- douraï; 8° Pialong. » Les naturels n'ont point d'habitations , mais ils mènent une espèce de vie errante. Quand le temps est très-humide, ils font un abri avec 1 ecorce des arbres, quils coupent et enlèvent très-proprement , et la pla- cent par terre, de manière à se mettre à couvert. J'ai vu quelques hommes avec des chapeaux sur leur tète. Leurs pieds sont toujours nus. Mais je n'ai jamais vu les femmes avoir la tète ou les pieds couverts. Je m'a- musai beaucoup l'autre jour , qui était une très-belle journée d'hiver, de voir Saturday , sa tribu et ses amis étendus par terre, disposés en groupes d'hommes et de femmes , tournant leurs corps aux rayons réchauf- fans du soleil ; ils semblaient jouir de la félicité su- prême, chantant et faisant entendre un murmure joveux durant près de trois heures. Je ne parle que des hommes , je n'ai jamais entendu les femmes chan- ter, mais parfois elles rient de bon cœur. » Les hommes sont beaucoup plus recherchés dans leur nourriture que les femmes. Ainsi, par exemple, une de mes vaches était morte et son corps était sur les bords de la crique ; les femmes des naturels l'ap- prirent, et plusieurs d'entre elles vinrent chercher des morceaux de la vache, mais les hommes n'en voulurent point. Dans tous les cas, j'ai observé que les hommes se servent les premiers, puis les femmes et les enfans prennent ce que les hommes ont laissé ou ce qu'ils ont pu se procurer eux-mêmes. Les 498 VOYA.GK femmes vont souvent sur les arbres pour attraper les opossums, et sont presque aussi habiles à couper l'éeorce et à grimper que leurs vigoureux maîtres. Les garçons , avant d'arriver à l'âge de puberté , sont très-alertes à chercher leur nourriture; de très-bonne heure ils s'exercent à combattre avec leurs casse-tèles, leurs lances et leurs épées de bois. » Les armes employées par les différentes tribus varient considérablement pour la forme et la manière de s'en servir, et il est évident que le choix et l'usage de ces armes dépendent des matériaux que le pays leur fournit. Un naturel de la contrée au-delà des plaines de Liverpool , qui était ici l'été dernier , nous dit qu'il avait vu des naturels avec des arcs et des flèches. » Il parait y avoir parmi eux diverses nuances de constitution; la couleur de leurs cheveux offre de grandes différences. Quelques-uns, après avoir été nettoyés , se sont trouvés avoir les cheveux d'un brun clair. Les tribus des environs ont plusieurs beaux enfans , dont les pères étaient des blancs ; mais ce n'est pas d'eux qu'il s'agit. C'est une habitude géné- rale chez eux de s'accroupir sur des foyers enfumés , qui donne à leurs cheveux et a leur peau une couleur uniforme. » Comme ils n'apprécient point leurs femmes et qu'ils n'ont point pour elles les égards qu'ils devraient avoir, nous ne devons point chercher en elles ces vertus et ces grâces qui ornent le sexe et captivent l'homme dans les sociétés civilisées. Mais au milieu DE L'ASTROLABE. 4»8 de leurs pénibles souffrances , elles poussent la pa- tience et rimmilité au degré le plus éminent, car elles sont en effet assujetties à toutes les misères pos- sibles , et cependant je n'ai jamais vu d'exemple de suicide parmi elles. » Ce n'est que dans les sociétés civilisées que les femmes, celle portion charmante de la création, peuvent être contemplées dans leur perfection ou obtenir la place qui leur est due. Dans l'état de nature, elles ne sont que la pure propriété et les esclaves des hommes ; voilà leur pitoyable condi- tion chez les aborigènes de la Nouvelle-Hollande. Les femmes font tout l'ouvrage et sont faites pour porter tous les fardeaux. Les hommes sont extrêmement indolens et font porter à leurs femmes jusqu'à leurs armes. Les pauvres créatures ont généralement de grands sacs ou de larges poches , suspendues à leurs épaules, dans lesquelles les hommes logent tout ce qui leur est nécessaire. En outre , elles portent leurs jeunes enfans suspendus derrière leur dos. Elles pa- raissent tellement accablées de leurs fardeaux qu'elles ont perdu l'habitude de se tenir droites, et contrac- tent une certaine allure gauche et très-courbée ; tan- dis que, créature plus fière, l'homme marche droit et sans entraves au travers de ses forêts , esclave seule- ment de ses passions. » Les hommes trouvent quelques-unes de leurs femmes très-jolies ; en effet j'en ai vu dans le nombre dont les traits m'ont semblé animés et agréables. Elles ont de grands yeux d'un très-beau brun ou d'un noir >00 VOYAGE foncé , des lèvres minces et de belles dents blanches et régulières. Veulent-elles quelque chose, elles sa- vent accompagner leur demande de regards très-ca- ressans. Quelquefois le son de leur voix est singu- lièrement doux et mélodieux quand il se fait entendre au travers de leurs bois solitaires. On voit peu de ces naturels qui soient affectés de rhumes. Ils semblent généralement jouir d'une bonne santé , mais on doit déplorer que parmi les autres calamités que leur ont apportées les colons, se trouve l'horrible maladie vé- nérienne; il est à craindre qu'elle ne leur cause de longs tourmens , vu qu'ils peuvent souffrir long-temps sans soulagement. J'ai vu quelques-unes des pauvres créatures attaquées par ce mal qui étaient devenues des objets d'horreur. » A mon avis, leurs manières ont beaucoup changé en mieux ; ils ne prennent plus la moindre chose dans les fermes sans permission ; en effet , ils viennent emprunter les pots d'étain, etc., dans les cuisines et les maisons , mais les remettent toujours à leur place en quittant l'endroit. Mon jardin contenant quelques plantations de navets, ils sont très-friands de ces lé- gumes; cependant ils n'ont jamais tenté d'en prendre sans demander auparavant la permission ; même ils de- mandaient le nombre qu'ils pouvaient prendre, en le- vant autant de leurs doigts. » Il n'est permis aux femmes d'entrer dans les mai- sons qu'après que les hommes ont d'abord satisfait leur curiosité et pris ce qu'ils peuvent obtenir. Alors les pauvres femmes font leur humble apparition . Après DE L' ASTROLABE. 501 la dernière récolte, les femmes et les enfans glanè- rent dans mes champs et mangèrent tant de blé, que cet excès de nourriture joint à l'humidité du temps les rendit si malades, qu'ils se roulaient par terre dans leurs souffrances; mais ils furent promptement rétablis. » Ils aiment beaucoup les alimens chauds. Une femme venait de recevoir un pot de lait qu'on lui di- sait de boire. Oui, dit-elle, mais il faudrait d'abord le faire bouillir. Les femmes durant long-temps furent très-effravées à la vue d'un homme à cheval , disant qu'elles prenaient l'homme et le cheval pour un seul animal ; maintenant elles admirent beaucoup les che- vaux. Rien ne plaît tant aux hommes et aux garçons qu'une course à cheval ; ils aiment aussi beaucoup nos chiens ; une femme ici , ces jours derniers , s'était chargée de tous nos petits chiens. »Les colons feront très-bien d'éviter toute espèce de querelle avec les naturels et de les traiter avec dou- ceur , ce sera le moyen d'assurer leur propre repos. C'est être sage que d'être humain , j'en parle d'après ma propre expérience. Nous n'avons jamais éprouvé la moindre insulte de leur part ; ils viennent même nous avertir, dès qu'ils ont vu quelqu'une de nos bêtes égarée. Si jamais les naturels sont traités avec cruauté, il est sûr qu'ils se vengeront sur la première victime sans défense qu'ils rencontreront ; ils attaquent rare- ment et seulement quand ils sont sûrs d'être les plus forts. Il peut résulter un grand bien de nous mainte- nir avec eux sur un pied amical , et on peut obtenir d'eux des renseignemens précieux touchant l'inté~ TOME I. 33 502 VOYAGE rieur. Espérons que puisque le peuple breton fait des progrès si étonnans dans les sciences et les connais- sances , il accroîtra encore son amour pour le genre humain, quelque grand qu'il soit déjà, et retendra aux sauvages habitans des forets. Je me soucie peu d'écrire, et je n'en ai ni le temps ni les moyens; mais les enfans des bois m'intéressent tellement que je ne puis résister au désir que j'éprouve de plaider leur cause. Un jeune naturel est chez nous depuis près de cinq mois et paraît désirer d'y rester et de se rendre utile; il n'appartient point à ceux de Bathurst- C'est un orphelin d'une tribu éloignée ; son père fut tué par les naturels qui emme- nèrent sa mère et sa sœur. Je mentionne ce fait , parce qu'il m'a appris que les sauvages peuvent finir par avoir de la confiance en nous, et je trouve en lui toute la do- cilité des jeunes indigènes. Quelques-uns d'entre eux pourraient être instruits et devenir des serviteurs uti- les et fidèles. Nous avons lieu d'espérer beaucoup d'a- vantages du digne représentant actuel de notre gra- cieux et bon souverain , que l'innocent sera protégé et le coupable réprimé et puni. Grâces à Dieu, la vi- gilance de nos soldats à cheval a mis un frein ici pour le moment aux Bush-rangers. » Nous allons faire suivre cette description des indi- gènes de l'intérieur de la Nouvelle-Galles du Sud par quelques détails non moins intéressans sur les mœurs et les coutumes de ceux qui habitent les environs de la baie Moreton. Quoique éloignés de près de cent cinquante lieues, dans le nord, des naturels de Port- DE ErASTflOLA.BE. 508 Jackson , on sera frappé de la conformité de leurs ha- bitudes , à quelques modifications près. C'est à l'obli- geance de M. Uniacke que je dois le fragment curieux que j'insérerai ici textuellement. M. Uniacke , au mois de novembre 1823 , avait accompagné M. Oxley dans sa reconnaissance de la rivière Brisbane près Moreton- Bav, et ce fut là qu'ils rencontrèrent les deux Anglais Th. Pamphlet et John Finnegam, cités dans ce récit. Ces deux individus échappés dans le mois de mars précédent au naufrage du bateau qui les portait, furent jetés par la tempête sur cette partie de la côte et re- cueillis amicalement par les sauvages chez lesquels ils résidèrent huit mois, ce qui leur avait donné le moyen d'assister à plusieurs des cérémonies et à la plupart des actions de la vie privée de cette race d'hommes. 1er décembre 1 823. — « Celte circonstance me donna aussi le moven de faire connaissance avec les naturels qui , tant dans leurs dispositions que dans leurs manières, étaient très-supérieurs à ceux du voi- sinage de Sydney, même à tous ceux que j'avais pu jusque-là observer dans ces contrées. Leur station principale était à deux milles environ de notre mouil- lage, le long de la rivière Pumice : mais comme le poisson fait la base essentielle de leur subsistance, ils ont différentes huttes à la distance de trois ou quatre milles Tune de l'autre , où ils émigrent de temps en temps suivant que le poisson devient plus ou moins rare. Dans ces voyages les femmes sont obligées de porter les fardeaux les plus pesans, savoir: tous les 33* >0i VOYAGE ustensiles grossiers que les sauvages peuvent possé- der, une bonne provision de racines de fougère qui forme encore une partie de leur nourriture journalière, et souvent en outre deux ou trois enfans. » Du reste, les hommes ne portent rien qu'une lance et peut-être un tison allumé; leur seul travail est d'attraper le poisson , ce qu'ils font avec beaucoup d'adresse au moyen d'une espèce de filet qu'ils em- ploient de la manière suivante. Ils se divisent en deux bandes de quatre, six, huit hommes, chacun ayant deux filets à la main ; alors ils marchent le long du rivage jusqu'à ce qu'ils aperçoivent le poisson au bord de la rivière , ce qu'ils peuvent faire à la profondeur de quatre ou cinq pieds par la longue expérience qu'ils en ont acquise. Aussitôt qu'ils ont choisi un endroit convenable, un petit garçon qui accompagne chaque bande rampe vers l'eau sur ses mains et ses genoux. La bande se divise en formant deux lignes, une de chaque côté de l'enfant à la distance de deux ou trois verges, et dès que le poisson se trouve assez près, le petit garçon lance dessus une poignée de sable pour distraire son attention ; aussitôt les hommes s'élan- cent dans l'eau en formant un demi-cercle autour du poisson, chaque homme se tenant au milieu de ses deux filets qu'il joint à ceux de ses voisins. De cette manière ils manquent rarement leur coup, et prennent souvent du poisson plus qu'ils ne peuvent en consom- mer. Comme ils ne voyagent jamais sans feu, à peine le poisson sorti de l'eau, ils se mettent à le faire rôtir et à le manger sans le vider ni le préparer en aucune DE L'ASTROLABE. 505 manière. Quand ils sont rassasiés , ils rapportent chez eux le reste de la provision pour les femmes et les enfans; ceux-ci ont passé la journée à ramasser de la racine de fougère, qu'ils appellent dingoivi, et en échange du poisson ils en cèdent une partie aux hommes. Leurs huttes sont construites avec de petites branches entrelacées et couvertes de l'écorce du Tea-free ; plu- sieurs d'entre elles sont assez grandes pour contenir dix ou douze personnes, et ils paraissent les tenir très-proprement et en bon état. Quand Pamphlet et ses compagnons arrivèrent au milieu d'eux , ils ne pou- vaient pas plus comprendre que l'eau pût être rendue chaude que solide ; ces Anglais ayant voulu en chauffer un peu dans un pot d'étain qu'ils avaient sauvé de leur naufrage, toute la tribu se rassembla autour d'eux et guetta le pot jusqu'au moment où l'eau commença à bouillir. Alors tous, tant qu'ils étaient, hommes, femmes et enfans , s'enfuirent vers leurs cabanes en poussant des cris affreux , et on ne put jamais leur persuader de revenir jusqu'au moment où ils eurent vu les Anglais jeter l'eau hors du pot et le nettoyer. Ils se hasardèrent alors à revenir lentement, et cou- vrirent soigneusement de sable la place où l'eau avait été jetée ; pendant tout le temps que Pamphlet et son compagnon résidèrent avec les naturels, jamais ceux- ci ne purent se familiariser avec cette opération. » Les femmes tressent une espèce de forte natte ou filet avec des joncs , et chacune d'elles en a une ou deux dans lesquelles elles portent leur poisson , leur dingowi ou toute autre espèce de chose qu'elles peu- 506 VOYAGE vent ramasser. Les filets employés dans leurs pèches sont fabriqués par les hommes avec l'écorce de Y/ioiu- ragong, et au premier abord il est difficile de les dis- tinguer de ceux qui sont faits avec du chanvre. Ils ont aussi des filets dîme bien plus grande taille quand ils vont à la chasse du kangarou. Les deux sexes vont par- faitement nus, à l'exception de petites lanières de peau de kangarou ou d'opossum , dont ils s'enveloppent les mains et les bras ; les femmes n'ont pas la moindre honte de paraître en cet étal devant un étranger. » Ils semblent n'avoir aucune espèce d'ornement, bien qu'ils parussent très-satisfaits des bandes de drap rouge dont nous parions leurs tètes ; quelques plumes rouges de la queue d'un cacatoès noir que je leur distribuai pensèrent occasionerunequerelle. Plusieurs objets d'habillement leur furent donnés , mais ils les emportèrent et les cachèrent constamment à leur arrivée dans leur camp, si bien qu'on ne revit jamais aucun de ces objets du moment où ils en devinrent possesseurs. » Cinq semaines après leur établissement parmi les sauvages , Pamphlet et ses compagnons assistèrent à un combat qui, par suite d'une vieille querelle, eut lieu entre un homme de cette tribu et celui d'une autre distante du camp de cinquante milles. Dans une rencontre qui avait eu lieu trois mois à peu près auparavant, l'homme de la tribu dePumice-River avait reçu un coup de lance au genou , et s'étant rétabli de sa blessure il était allé demander satisfaction. Le ter- rain désigné pour le combat était un petit espace cir- DE L'ASTROLABE. 507 culaire de vingt-cinq pieds de diamètre à peu près sur trois pieds de profondeur, et entouré d'une palissade de petits pieux. La foule assemblée pour assister au combat montait environ à 500 personnes, hommes, femmes et en fan s; les deux tribus avec les étrangères qui leur étaient alliées se rangèrent d'une manière Lies-régulière sur les côtés opposés du cercle : tous étaient bien armés ; plusieurs d'entre eux ayant cinq ou six lances chacun. Alors les deux combattans entrè- rent dans l'arène; après avoir posé leurs lances à terre vis-à-vis les unes des autres et pointe contre pointe, ils commencèrent à marcher en avant et en arrière , se parlant avec feu l'un à l'autre, et faisant de violentes gesticulations comme s'ils eussent voulu exciter leur fureur au degré convenable. » Au moment où ils étaient entrés dans le cercle , les femmes avaient déjà reçu l'ordre de se retirer à quelque distance , et le plus profond silence régnait dans tout le reste de l'assemblée. Au bout de dix mi- nutes environ ils relevèrent leurs lances avec leurs pieds , tenant toujours les yeux fixés l'un sur l'autre , et cela jusqu'à ce qu'ils eussent chacun trois lances qu'ils plantèrent en terre, toutes prêtes pour s'en servir immédiatement. Lorsqu'ils commencèrent à relever leurs lances, un effroyable cri s'éleva du sein des spectateurs assemblés ; immédiatement après ils redevinrent aussi silencieux qu'auparavant. Tout étant prêt, un ou deux des amis de chaque tribu parlèrent dans l'arène durant quelques minutes; aus- sitôt qu'ils eurent iini, l'homme de Ptunice-River en- ')0H VOYAGE voya sa lance de toutes ses forces contre son adver- saire qui réussit à la parer avec une espèce de bouclier de bois nommé heloman, dans lequel cependant elle pénétra de trois ou quatre pouces. L'autre à son tour envoya la sienne , et le coup fut évité de la même ma- nière. Cependant la troisième lance de l1homme de Pumice-River traversa l'épaule de son ennemi qui aus- sitôt tomba par terre. Alors un ou deux de ses amis sautèrent dans l'arène , et ayant retiré la lance la ren- voyèrent à son possesseur, et toute la cérémonie finit par trois bruyantes acclamations. Toute l'assemblée se retira alors dans les cabanes qui avaient été construites à la bâte pour cette circonstance ; le jour suivant ils retournèrent tous au même endroit afin de donner aux amis du blessé le moyen de se venger : mais il pa- rait que personne n'en eut le désir, car chacun des naturels avait blessé son adversaire. Une réconcilia- tion solennelle eut lieu entre les deux tribus, ce qui fut annoncé par des cris de joie , des danses , etc. Trois jeunes gens de chaque tribu furent choisis et envoyés dans l'arène pour lutter ensemble et par forme de di- vertissement. Ensuite les deux tribus se réunirent pour une expédition de chasse qui dura une semaine entière , et pendant laquelle Pamphlet dont les pieds étaient enflés fut consigné à la garde des femmes. » Chacun des individus de cette tribu que j'ai pu voir, au-dessus de l'âge de six ans , avait le cartilage du nez percé d'un trou; plusieurs d'entre eux, spécialement les enfans , avaient de grands morceaux de bois et d'os passés dans ce trou, de manière à boucher entière- DE L'ASTROLABE. 500 ment les narines. Cette opération est toujours exécutée par la même personne , et son office est héréditaire et comporte certains avantages, tels que d'avoir droil à du poisson, du dingowi , etc., que lui fournissent les autres. Cet office était occupé dans cette tribu par le jeune homme que Pamphlet vit au combat , tandis que son père exerçait une charge semblable dans une autre tribu sur le bord méridional de la rivière. Ces tribus sont distinguées l'une de l'autre par les différentes couleurs qu'elles emploient en se peignant le corps. Ceux de la rive au nord de la rivière se noircissent entiè- rement avec du charbon et de la cire qu'ils se procurent en abondance , ainsi que du miel sauvage ; et ceux de la rive du sud se peignent en rouge avec une espèce de terre rouge qu'ils brûlent et qu'ils réduisent en poudre. D'autres font usage d'une préparation blan- che ; après s'être noircis ils s'en barbouillent diverses parties du corps. » Leur chef semble jouir d'un autorité illimitée sur eux. C'était un homme d'une belle taille et d'un âge moyen ; son air était intelligent et spirituel ; il avait deux femmes (ce qui, malgré quelques exemples, ne parait pas du tout commun chez eux). Au reste, une d'elles seulement vivait avec lui sur le pied d'épouse ; l'autre était occupée , tandis qu'il mangeait ou qu'il dormait , à rôder de cabane en cabane et à demander aux autres du poisson , de la racine de fougère , etc. : c'est une espèce de tribut que l'on paie journellement au chef sans murmurer, bien qu'il en résulte que les autres se trouvent souvent à court pour à 10 VOYAGE leurs provisions. Ce chef possède des filets aussi bien pour le poisson que pour le kangarou, mais il s'en serl rarement et seulement pour son amusement ; sa femme ne sort point non plus avec les autres pour ramasser la racine de fougère. La coutume de se faire des inci- sions avec des coquilles aiguisées a lieu ici comme à Sydney, excepté qu'ici la plupart paraissent bien plus profondes , et toutes sont bien plus régulières. Les femmes ont perdu aussi les deux premières phalanges du petit doigt de la main gauche. Ces opérations sont exécutées par le même opérateur qui perce les narines. Pamphletet Finnegam, durant leur séjour dans la tribu, furent régulièrement peints deux fois par jour ; sou- vent ils furent sollicités de se laisser orner davantage, soit en se laissant tatouer, soit en se laissant percer les narines ; mais comme ils témoignaient par leurs gestes que cela ne leur plaisait point, les naturels se désistè- rent constamment, et il ne leur arriva jamais d'exer- cer contre leurs hôtes en aucune occasion le moin- dre acte de contrainte ou de violence. » Durant notre séjour nous n'eûmes qu'une seule fois l'occasion de leur voir quelque penchant pour le vol, quoiqu'ils nous demandassentsouvent toutee qu'ils voyaient , même les habits que nous portions sur le corps. Ce fut au sujet d'une hache qu'ils dérobèrent à nos ouvriers occupés à couper du bois sur le rivage; mais leur ayant signifié formellement que nous vou- lions ravoir cet instrument, ils nous le rapportèrent dès le lendemain : ce petit événement, loin de rompre l'harmonie qui existait entre nous, ne fit que rendre DE 1/ASTKOLAKE. 511 notre confiance mutuelle encore plus complète , car de ce jour nicnie , pour la première fois , plusieurs des naturels se hasardèrent à venir à bord, tandis que jusqu'alors ils s'étaient toujours refusés avec des signes de frayeur aux invitations qu'on leur avait faites; depuis ce moment il ne se passa pas un seul jour sans que nous en eussions dix à douze avec nous. Ils pa- raissaient fort curieux et s'informaient de l'usage de tout ce qu'ils voyaient, mais il fallut du temps pour les décider à manger des mêmes mets que nous : du reste quand ils l'eurent fait une fois , après leur premier essai en ce genre, rien ne fut moins facile que de les satisfaire. Les chèvres et le bouc les frappèrent d'un étonnement particulier ; ils ne pouvaient prendre sur eux d'approcher du dernier dont les cornes semblaient leur inspirer un grand respect , mais ils étaient sans cesse à caresser les chats et à les montrer à leurs com- pagnons à terre pour les leur faire admirer. » Il me fut impossible de rien apprendre, concer- nant leurs mariages , des Anglais que nous trouvâmes avec eux. Au reste , j'ai des raisons de croire qu'ils ne se procurent pas leurs femmes de la manière barbare qui a lieu à Port-Jackson et dans ses environs, car, durant tout l'intervalle de leur séjour qui fut de neuf mois , mes compatriotes ne virent jamais frapper ou maltraiter les femmes, excepté une seule qui le fut par une personne de son propre sexe. Il y a plus, si ce nest parmi les femmes, ils ne furent jamais témoins d'une querelle dans cette tribu , ni parmi les autres qu'ils eu- rent occasion de visiter. Les femmes que je vis, sous 512 VOYAGE les rapports de la beauté personnelle , étaient bien su- périeures aux hommes , même à tous les naturels de cette contrée que j'eusse encore aperçus. Plusieurs d'entre elles sont grandes , droites et bien tournées ; j'en ai remarqué deux particulièrement dont les traits et les formes feraient honneur à plus d'une Européenne. Cette tribu se composait d'environ trente hommes , seize ou dix-sept femmes et une vingtaine d'en fans. » Je n'ai jamais pu m'assurer si les naturels de Mo- reton-Bay avaient quelque idée de religion. Ils n'ont aucun souci ni de bons ni de mauvais génies; les Anglais que nous trouvâmes avec eux n'observèrent jamais rien qui ressemblât a des prières ou à des céré- monies religieuses pendant tout le temps qu'ils passè- rent avec eux. A l'époque de la puberté, les hommes ne se font point sauter une dent de devant , comme cela se pratique d'une manière invariable aux environs de Port-Jackson. » Voici le récit du combat dont John Finnegam fut témoin chez les mêmes naturels, en novembre 1823: « La tribu de Pumice-River, ayant eu querelle avec une autre à la distance de vingt-cinq milles environ dans le sud-ouest , ses membres se mirent en route vers le camp de ces derniers pour terminer leur diffé- rend, et comme je vivais avec leur chef il insista pour que je le suivisse. » En conséquence , nous nous mîmes en voyage un matin , en faisant environ dix ou quinze milles par DE L'ASTROLABE. 513 jour. Noire bande se composait de dix hommes , huit à neuf femmes et quatorze enfans, le roi, son fils et moi. Tous les hommes portaient leurs filets de pêche et 1 eurs lances , les femmes étaien t chargées de poisson , de racine de fougère , etc. Tous en outre , femmes comme hommes, étaient armés de lances et de haches en bois. Le troisième matin nous fîmes halte, et tous les hommes allèrent à la pèche : elle fut très-heureuse ; après un bon repas ils commencèrent à se peindre et à s'orner de plumes. Le chef lui-même commença à me couvrir entièrement de cire et de charbon ; quand ils eurent tous fini leur toilette, nous nous mimes en marche , et en peu de temps nous arrivâmes près d'un grand nombre de huttes élevées pour cette circons- tance. Elles étaient si nombreuses que j'eus de la peine à les compter; chaque tribu (car plusieurs s'étaient rassemblées pour assister au combat) semblait avoir construit les siennes en groupes isolés et séparés les uns des autres. A peu de distance de cette station notre bande s'arrêta. Aussitôt qu'on nous eut aperçus, la foule assemblée poussa de grands cris, et peu après nos compagnons furent visités par plusieurs de leurs amis. Ceux-ci se réunirent aux nôtres pour pousser de profondes lamentations , et toute la troupe se mit à gémir tristement. Peu de minutes après, le chef de la tribu sur le terrain de laquelle nous nous trouvions vint à nous ; après avoir causé quelque temps avec notre chef, il nous désigna la position où nous devions bâtir nos cabanes. » Les femmes de notre tribu commencèrent ce tra- .514 VOYAGE vail ; en moins de deux heures elles eurent terminé cinq ou six huttes assez commodes , sous lesquelles nous nous reposâmes durant cette nuit. Le jour sui- vant, de bon matin, une troupe considérable, dont se trouvaient notre chef et ses hommes , partit pour la chasse du kangarou. Elle ne fut pas très-heureuse, car ils ne purent attraper qu'un kangarou d'une grande taille; cependant ils eurent soin de m'en envoyer un bon morceau de derrière, qui me procura un excellent repas. Je dois observer qu'ici comme en toute autre oc- casion , ils eurent constamment l'attention , soit qu'ils eussent peu ou beaucoup pour eux-mêmes , tant en poisson , kangarou ou toute autre chose , de me donner de leurs provisions autant que j'en pouvais manger. Le même soir, au soleil couchant , tous les hommes de la troupe, munis chacun d'un tison allumé, se rendirent à un mille et demi de distance environ, à l'endroit où le combat devait avoir lieu le jour suivant. Le chef me laissa dans sa cabane avec sa femme et ses deux enfans, et je ne tardai pas à m'y endormir. Du reste , il revint quelque temps après dans la nuit, car je le trouvai cou- ché près de moi en m éveillant le lendemain matin. Après le déjeuner, la cérémonie de se peindre et de se décorer fut entièrement renouvelée. Les préparatifs achevés, nous marchâmes en ordre régulier; notre tribu avait été jointe par plusieurs étrangers , qui semblaient tous enchantés de nous tenir compagnie. Nous nous trouvâmes bientôt sur une étendue de terrain uni , où l'on avait préparé un espace circulaire de quarante pieds de diamètre sur trois environ de DE L'ASTROLABE. 515 profondeur. Les deux partis ennemis se placèrent aux côtés opposés ; tous ensemble Doutaient monter à cinq on six cents personnes. Alors on me laissa sons la surveillance de la femme du chef, à peu de distance de la lice ; mais, poussé par l'envie de mieux voir le combat , je m'en rapprochai malgré les efforts de ma gardienne. Néanmoins elle me suivit en pleurant et criant après moi ; alors un des hommes de notre tribu vint à moi et me conduisit vers l'arène. Là je vis une de nos femmes combattant contre celle d'une tribu étrangère avec des haches en bois et à toute outrance. Ces haches sont des bâtons d'environ trente pouces de longueur, ter- minés à l'une des extrémités par un bouton épais et pesant. Le combat ne fut pas long , car les deux adver- saires semblaient y déployer tout leur acharnement; en cinq minutes environ, leurs tètes , leurs bras et leurs gorges , furent déchirés et meurtris d'une manière affreuse, et la femme de notre parti déclarée vic- torieuse , l'autre ne pouvant plus lui résister. La vic- toire fut annoncée par un grand cri que tout le monde poussa , et les deux amazones sortirent sur-le-champ de la lice , emmenées par leurs amis respectifs. La femme du chef revint encore vers moi et tâcha , par tous les moyens qui étaient en son pouvoir , de me faire retirer ; mais voyant que je persistais dans ma réso- lution, elle alla trouver son mari qui vint aussitôtà moi, et me retirant ma lance, me força de sortir de l'assem- blée. Alors il appela plusieurs autres chefs et me mon- tra à eux. Ils causèrent long-temps , parlant et riant ensemble, très-surpris apparemment de ma couleur et >16 VOYAGE de ma tournure. Notre chef leur parla ensuite assez long-temps , leur demandant évidemment de ne pas me faire de mal , ce qu'ils s'empressèrent aussitôt de promettre par leurs signes. Puis on me remit encore à la femme du chef, qui me ramena à l'endroit où l'on m'avait laissé la première fois avec elle. De là cepen- dant je pus avoir une vue complète du cercle autour duquel la foule était assemblée. » Il me parut que , tandis que je me trouvais avec les chefs , un autre combat s'était engagé ; car je vis un homme emporté par ses amis , qui appartenait à la tribu que j'avais suivie ; le sang coulait en abondance de son côté , où il venait de recevoir un coup de lance. Il fut apporté à l'endroit où je me trouvais et placé sur les genoux de deux hommes , avec quelques peaux de kangarous étendues sur lui. Les hommes , les femmes et les en fans criaient et se lamentaient à la manière du bas peuple d'Irlande. De temps en temps, on le lavait copieusement avec de Teau ; mais la bles- sure était évidemment mortelle , aussi en moins d'une heure il expira. » La femme du chef m'emmena alors à une petite distance du cadavre ; le reste de la tribu se mit tout de suite aie dépouiller ; mais à la distance où j'étais, je ne pus voir de quelle manière ils s'y prirent. En même temps, deux autres hommes venaient d'entrer dans l'arène pour combattre. (Ici je ne dois pas négliger de remarquer qu'avant chaque combat on observait toujours la même pratique qu'a décrite Pamphlet dans celui dont il fut témoin. ) Le troisième combat allait DE L'ASTROLABE. 517 commencer, lundis que les nôtres s'occupaient à dé- pouiller leur compagnon décédé , lorsqu'un épouvan- table cri annonça qu'un incident imprévu venait d'avoir lieu dans l'arène. En effet, ainsi que je l'appris plus tard, les spectateurs s'aperçurent qu'une per- fidie avait eu lieu entre les deux champions , mais je ne pus jamais me faire expliquer en quoi elle avait consisté. » Sur-le-champ rassemblée quitta l'arène , et notre troupe, suivie de ceux qui avaient pris son parti , se forma sur une seule ligne, tandis que de leur part les adversaires en firent autant sur le coté opposé. Le combat devint alors général ; plusieurs ensemble de chaque parti s'avançaient , et , après avoir envoyé leurs lances, se retiraient dans leurs rangs, ainsi que le pratiquent les soldats de l'infanterie légère. D'au- tres couraient derrière des arbres et épiaient le mo- ment d'envoyer leurs lances d'une manière plus sûre. De cette façon , le combat dura plus de deux heures ; pendant ce temps plusieurs combattans rentrèrent dans leurs rangs grièvement blessés , et un autre homme de notre parti fut tué ; mais je n'eus aucun moyen de m'assurer combien l'ennemi avait eu de morts. Les nôtres commencèrent à plier; ce mouve- ment avant été observé par les femmes et les enfans avec lesquels je me trouvais , ils me firent signe de les suivre et décampèrent aussitôt , à l'exception de ceux qui étaient occupés à dépouiller le corps mort. >e pouvant pas courir aussi vite que les autres, je tombai bientôt au milieu de ceux du parti ennemi , TOME I. 34 18 VOYAGE qui, malgré mes craintes , n'essayèrent point de me faire de mal, et se contentèrent de rire et de me montrer du doigt, en passant à côté de moi , avec les mêmes marques d'étonnement que les chefs avaient données dans la matinée. Je regagnai alors les huttes où nous avions couché les nuits précédentes ; mais je n'y trouvai personne. Je m'assis près du l'eu. Vers le soir ils commencèrent à rallier , en petit nombre à la fois. Précisément à l'entrée de la nuit, je vis appro- cher un groupe considérable , qui nie parut porter les corps des deux hommes qui avaient été tués. Ils les déposèrent à vingt verges environ des cabanes et recommencèrent là de grandes lamentations. Le pre- mier cadavre avait été entièrement dépouillé , mais ils n'avaient pas encore eu le temps d'achever de dé- pouiller l'autre. Je voulus m'en approcher, mais je fus aussitôt repoussé par la troupe entière et contraint de retourner près de mon feu. Peu après notre chef et sa femme revinrent et commencèrent à faire sur- le-champ leurs paquets pour décamper. On alluma deux grands feux , les cadavres y furent déposés , et ne tardèrent pas à être consumés ainsi que j'en pus juger par le bruit et l'odeur désagréable qui me frap- pèrent. Cette opération terminée , toute notre troupe décampa ; après avoir marché environ un demi-mille, nous nous arrêtâmes pour la nuit. De très -bonne heure le matin suivant, nous fûmes debout, et toute la journée nous cheminâmes en grande hâte , sans faire halte, ni rien manger. Dans notre troupe se trou- vaient quatre femmes et trois hommes blessés, le der- DE L'ASTROL\HK. 5(9 nierlrès-cruellement; néanmoins ils faisaientlous leurs elïorts , malgré leurs soutTrances , pour se maintenir avee nous. J'avais aussi observé , durant la marche de cette journée , deux hommes dont l'un appartenait à notre tribu et l'autre à une tribu amie , qui portaient chacun un fardeau sur leurs épaules ; ils ne suivaient pas la même trace que nous , mais marchaient dans le bois à une petite distance à l'écart. Curieux de connaî- tre ce qu'ils portaient, plusieurs t'ois je tentai de m'en approcher, mais je fus constamment repoussé par les autres qui observaient mes mouvemens et me criaient de ne pas aller près de ces hommes. Durant ce jour nous parcourûmes à peu près huit à dix milles ; le soir nous arrivâmes sur le bord d'un grand marais , où nous fîmes halte ; les femmes dressèrent tout de suite des huttes , puis elles s'occupèrent de ramasser de la racine de fougère pour tout le monde ; les hommes ne se mêlent jamais que d'attraper le poisson et le gibier. Je logeais comme de coutume avec le chef; à une pe- tite distance de sa cabane, j'aperçus mes deux hommes qui suspendaient leurs paquets à des branches d'ar- bre, et je tentai encore d'approcher d'eux, mais je fus repoussé comme à l'ordinaire. Nous demeurâmes deux jours en cet endroit ; pendant ce temps un grand feu resta constamment allumé au-dessous des arbres, où étaient suspendus les fardeaux sacrés. Le second jour au soir, j'essayai encore une fois de reconnaître en quoi ils consistaient, bien que je soupçonnasse fort que c'étaient les peaux des deux hommes que nous avions perdus. Le vieux chef, me voyant aller 520 VOYAGE de ce côté , courut après moi en me criant de toute sa force de retourner sur mes pas; mais je tins bon, et je réussis à gagner cet endroit. Je jugeai alors de la vérité de mes conjectures ; les deux peaux étaient étendues chacune sur quatre lances et séchaient à l'action du feu ; la peau de la tète était fendue en deux et pendait vers la terre avec les cheveux qui y tenaient encore. Les plantes des pieds et les pau- mes des mains pendaient aussi avec les doigts qui v tenaient solidement. Au-dessous des peaux, plu- sieurs hommes et femmes étaient assis autour du feu et m'invitèrent alors à m'asseoir avec eux, ce que je fis. Ils me donnèrent des bandelettes de peaux de Kangarou pour m'en orner la tète et les bras , et dé- sirèrent m'entendre chanter pour les amuser; mais leur ayant fait entendre que cela n'était pas conve- nable , tant que les dépouilles de nos amis n'étaient pas ensevelies , ils parurent étonnés et bientôt mon- trèrent par leurs signes qu'ils étaient enchantés de mon refus. Je restai assis avec eux une demi-heure environ; la femme du chef vint et me ramena dans sa hutte ; peu après, tous les hommes, parés de peaux de kangarou , et un d'entre eux velu de la vieille jaquette que je portais sur moi , eurent avec une ou deux des femmes une conférence autour du feu, tous portant un tison allumé dans les mains. Au bout d'une demi-heure de consultation, deux de la bande se détachèrent, et, ayant pris les peaux, s'enfoncèrent à toutes jambes au travers des bois, suivis par tous les autres qui poussaient de grands cris et faisaient beau- DK L'ASTROLABE. >2I coup de bruit. De ce moment, je ne revis plus les peaux et je ne sais pas ce quils en firent. Au bout tic trois quarts-d'heurc tous étaient de retour ; celui qui avait pris ma vieille jaquette me la rendit. Le lende- main matin , nous nous remîmes en route et retour- nâmes à Pumice-River par la même route que nous avions suivie pour aller au combat. Ensuite les hom- mes reprirent leurs occupations ordinaires de chasse et de pèche , comme si rien n'était arrivé. » Quant à la possibilité d'amener les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud à l'état de civilisation, ou même à une condition moins sauvage , moins errante que celle à laquelle la nature semble les avoir spécia- lement destinés , c'est un espoir auquel les Anglais paraissent avoir totalement renoncé. L'établissement formé pour l'éducation des jeunes indigènes, dû aux vues bienveillantes du gouverneur Macquarie, a été peu à peu négligé et se trouve aujourd'hui complète- ment abandonné. Malgré la multiplication rapide des Européens sur ce sol étranger , cette race bizarre y poursuit sa triste existence à peu près comme au temps où ses membres en étaient les seuls possesseurs. En elTet le gouvernement anglais ne les tourmente en aucune manière ; pourvu qu'ils ne se permettent rien contre les lois ou la police de la colonie , on peut as- surer qu'ils jouissent encore d'une liberté pleine et entière. Du reste jaloux de m'appuyer à ce sujet d'un témoignage irrécusable , je priai M. Marsden , chape- lain principal de la colonie où il réside depuis plus de 522 VOYAGE trente années, de me donner en peu de mots son opi- nion sur ces peuples singuliers ; il eut la complai- sance de me remettre quelques jours avant mon dé- part la note suivante qui terminera ce que je m'étais proposé d'écrire à ce sujet. « Les observations suivantes sur la conduite des aborigènes de la Nouvelle-Galles du Sud répandront quelques lumières sur le caractère de cette race ex- traordinaire de sauvages. » Benilong fut le premier naturel admis à la table du feu gouverneur Phillip ; cela eut lieu en l'an- née 1788, peu après la fondation de la colonie. Le gouverneur retourna en Angleterre en 1792 et em- mena Benilong , le garda a Londres avec lui jusqu'en 1795 où le feu amiral Hunter fut nommé chef de la colonie. Lorsqu'il quitta l'Angleterre, Benilong l'ac- compagna à la Nouvelle-Galles du Sud. Après son retour il vivait chez le gouverneur et dînait chaque jour à sa table où il continua durant quelque temps de se comporter de la manière la plus décente. A la fin il quitta tous ses vètemens , renonça aux manières qu'il avait acquises et se retira dans les bois qu'il ne quitta plus jusqu'au jour de sa mort. Je l'ai vu souvent errant dans les forêts dans son ancien état de dégra- dation, volontairement assujetti à toutes les privations et les misères de sa tribu ; et il me parut sous tous les rapports ce qu'il était avant que le gouverneur Phillip s'en fût occupé, un sauvage dans toute l'étendue du mot. DE L'ASTROLABE. 523 » Il v eut un autre naturel que je eonnus dès sou enfance, qui appartenait à la tribu de Parramatta. Son nom anglais était Daniel ; c'était un fort beau jeune homme. 31. Caley le botaniste l'avait pris chez lui et le garda quelques années. Quand 31. Caley re- tourna en Angleterre, Daniel l'accompagna et y resta long-temps. Comme 31. Caley était employé par feu sir Joseph Banks, Daniel fut introduit dans les pre- mières sociétés de Londres. Enfin il revint à la Nou- velle-Galles du Sud , et la première fois que je le vis après son retour , il était assis tout nu sur le tronc d'un arbre dans les bois à huit milles environ au nord de Parramatta. Je lui exprimai mon étonnement de le voir en cet état et lui demandai pourquoi il avait quitté ses vètemens pour vivre dans les forets ; il me répon- dit que les bois étaient ce qu'il aimait le mieux. Peu de temps après Daniel rencontra une jeune femme qui était venue libre d'Angleterre, à trois milles envi- ron de Parramatta , comme elle retournait chez son père ; il se permit de l'attaquer et de la violer. Il fut arrêté et exécuté pour ce crime, et mourut comme un sauvage , malgré tous les avantages dont il avait joui dans l'état social de la civilisation. » Pour montrer parfaitement le caractère de ces na- turels , je citerai encore un autre exemple. Un d'eux nommé 31ousquito vivait il y a plus de vingt ans sur les bords de la rivière Hawkesbury où résidaient quelques cultivateurs anglais. Mousquito était un sau- vage forcené, il commit plusieurs pillages et même des meurtres sur les Européens de ce district. A la fin il fut ? 524 VOYAGE arrêté et banni à l'île Norfolk où il demeura confondu avec les convicts condamnés aux travaux forcés. Il resta plusieurs années sur cette île, séparé de tous ses compatriotes. Quand cet établissement fut transféré à Van-Diemen's-Land , Mousquito y suivit les Euro- péens. Quelque temps après son arrivée il s'enfuit dans les bois, se réunit aux naturels de cette île, se rendit encore coupable de plusieurs vols et meurtres , et fut entin pris , lié et pendu. Durant les vingt années qu'il avait été privé de toute communication avec ceux de sa race, on aurait pu croire qu'il avait fait quelques progrès dans la civilisation et acquis quelque ebose des mœurs de l'état social ; mais , suivant toute appa- rence, il vécut et mourut exactement avec le même caractère sauvage qu'on lui avait connu trente ans auparavant sur les bords de l'Hawkesburv. » Je pourrais mentionner plusieurs autres circons- tances où il m'a été facile d'observer des indigènes qui avaient joui de tous les avantages propres à améliorer leurs dispositions naturelles, et qui semblaient n'avoir profité en aucune manière du commerce des Euro- péens. Ces exemples prouveraient tous dans quel état de dégradation ces êtres sont plongés , et combien il v a peu d'espoir de les en faire sortir. Ces sauvages n'ont point de besoins; ils n'ont ni réflexion, ni pré- voyance. Pour eux point de lendemain. Us n'ont ni magasins, ni greniers. Le jour ils rôdent à l'aventure dans les bois, comme les oiseaux dans l'air, et les animaux sauvages sur la terre ; la nuit ils se couchent dans les broussailles, sous un rocher, un arbre ou un DE L'ASTROLABE. 525 morceau d'écoree ou tout autre abri , si le temps est pluvieux ou orageux. Depuis que les Européens habi- tent parmi eux , je n'ai pas eu connaissance qu'un seul naturel ait adopté les manières ou les coutumes de la vie civilisée, se soit occupé de l'agriculture ou livré au plus simple des métiers. Mon opinion est que les in- digènes disparaîtront à mesure que les établissemens européens feront des progrès dans ce pays ; avant un certain nombre d'années , il n'y existera qu'un petit nombre de sauvages, si même il en reste. Ces malheu- reux contractent tous nos maux et tous nos vices , mais aucune des coutumes et des manières qui pour- raient leur être avantageuses. • New-South-Wales , december nlb 1826. » Signed Samuel Marsden. » P. S. J'ajouterai encore à ce chapitre sur les in- digènes de l'Australie, une observation importante pour ceux qui attachent quelque intérêt à l'étude des races de TOcéanie. Tous les renseignemens que j'ai puisés dans les auteurs, les questions et les recher- ches que j'ai moi-même faites sur les lieux, m'ont conduit à penser que ces sauvages n'ont aucune idée d'une pratique commune à tous les peuples de la race vraiment polynésienne, et surtout en vigueur au plus haut degré chez leurs plus proches voisins, les Nou- veaux-Zélandais. On sent déjà que je veux parler TOME I. ?,'i >26 VOYAGE du tabou ou tapou , cette privation volontaire qu'ils ont jugé à propos de s'imposer pour plaire à la di- vinité ou apaiser sa colère, et qui donne une couleur toute particulière à leurs cérémonies et à la plupart de leurs actions. Cette superstition s'est étendue des îles Sandwich aux rives de la Nouvelle-Zélande, mais elle n'a point pénétré dans l'Australie ; et cette raison suffirait pour placer les tribus de ce continent dans un système tout-à-fait à part , indépendamment de mille autres raisons tirées de leur organisation phy- sique , de leur langage et de leurs mœurs. Bien que je sois contraint de remettre à un autre temps ce que j'ai à dire au sujet du tabou et de ses suites , je m'em- presse d'annoncer, touchant l'étymologie de ce mot , une conjecture qui m'a paru fondée. M. Adelbert de Chamisso annonça il y a quelques années , dans son Appendix au Voyage de Kotzebue, que ce mot pa- raissait avoir une origine hébraïque ; mais ce voyageur, lors du séjour qu'il fit à Paris en 1825, m'avoua que cette origine ne s'était point vérifiée. Comme j'en parlais un jour avec M. J. J. Marcel, ce savant poly- glotte me fit observer sur-le-champ qu'en langue arabe le mot tabou signifiait littéralement, ils ont expié. Le motif du tabou est toujours une expiation chez les naturels, et il ne serait pas du tout étonnant que le mot qui désignait le but de l'action ait été par la suite employé pour l'action elle-même. C'est un fait qui se renouvelle chaque jour dans toutes les langues du monde. En conséquence, cette étymo- logie me semblerait assez naturelle, d'autant plus DE LASTROLA.BE. 527 que, lors de la discussion des langues de l'Océanie, je me propose d'indiquer quelques autres mots donl l'origine est évidemment arabe. Voici les observations de M. J. J. Marcel lui-même touchant l'origine du mot tabou . « Le mot tabou peut avoir de l'analogie avec les mots de l'arabe littéral tawboun et tawbou, tawba- toufi et tawbatou, pénitence, repentir, expiation de crimes ou de fautes. Ces mots se retrouvent dans l'arabe vulgaire où l'on a taubak, pénitence, repen- tir ; tàyb , pénitent , repentant. Ce dernier mot est aussi de l'arabe littéral sous la forme de tâyboun et tâybou. » Ces mots ont passé dans la langue persane , où l'on trouve toubah et tawbah, pénitence , repentir, expiation; tâyb , un pénitent, un homme qui se re- pent et qui expie. Ces mots viennent de la racine arabe tâ&k> qui est employée en cent endroits du Koran , et qui signifie proprement , se convertir , changer de vie , être repentant , expier ses fautes. Ce terme s'emploie même pour indiquer que Dieu accorde aux hommes la vertu de se repentir et qu'il agrée leur expiation. » Une expression arabe, dérivée de la même racine arabe, est tabou t, qui signifie proprement un cercueil. » Enfin , taouboun ( la pénitence ou l'expiation ) est encore la lettre du chapitre IX du Koran. » Dans cette espèce d'essai sur la Nouvelle - Galles du Sud , on a du s'a- percevoir que je ne suis entré dans aucun développement touchant la topo- 528 VOYAGE DE L'ASTROLABE. graphie, la physique, l'histoire naturelle, etc. Depuis dix ans bientôt qu'il travaille à la publication de son voyage, M. Freycinet, dit-on, a préparé sur cette matière un travail complet et qui probablement paraîtra incessam- ment. D'ailleurs, je pense qu'il serait aujourd'hui difficile de rien donner de meilleur sur un pareil sujet qu'un excellent ouvrage que je n'ai pu citer qu'une seule fois et dont voici le titre exact : The Picture of Australia • xhibiting New-Holland ', l'an-Diemens Land and ail (lie settlements, front (lie firsl at Sydney, to the last al (lie Swan-Eiver. London, Whittaker, Treaclier and C\ Ave-Maria Lane , 1839. I IN 1)1 ItiMI l'KF.MIKH TABLE. Pages. Discours Préliminaire. i État nominatif des Officifrs et Marins i>e l'Astrolabe. wmv Lettre du Ministre de la Marine a M. Dumont d'Urville. \t i\ MÉMOIRE POUR SERVIR D'INSTRUCTION A M. DUMONT d'TIRVIT.LE. LVII Rapport sur la Navigation DE l'Astrolabe , par M. le chevalier de Rossel. i.xxv Rapport de M. Clvjer. xcvii Rapport de M. Cordier. cvii Rapport de M. Desfontaines. cxiii Chapitre F'. — Traversée de Toulon à Gibraltar. i Chapitre II. — Séjour sur la rade de Gibraltar et traversée jusqu'à Ténériffe. i (i Chapitre NI. — Excursion au Pic de Ténériffe. ag Chapitre IV. — De Ténériffe à la Trinité. 48 Chapitre V. — De la Trinité au Port du Roi Georges. 68 Chapitre VI. — Séjour au Port du Roi-Georges. 8 S Chapitre VII. — Du Port du Roi-Georges jusqu'au départ du Port- Western. 11 fi Chapitre VIII. — De Port-Western à Port-Jackson et séjour en ce port. i38 Notes. 167 Chapitre IX. — Histoire de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud. 21 3 Chapitre X. — État actuel de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud. 277 Chapitre XI. — Des naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. Ï95 FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME* TOME I. 36 Yi \