1k s^ VOYAGE DE L'ASTROLABE. V/cT ESSAI LA NOUVELLE-ZELANDE. CHAPITRE XVII. DECOUVERTE ET HISTOIRE I1E LA. NOUVELLE-ZELANDE, Considérée antérieurement à l'époque qui a mis les nations sauvages de la mer du Sud en rapport avec des peuples civilisés, l'histoire de ces nations se réduit à bien peu chose. Privés de tout autre moyen que celui de la parole pour communiquer leurs idées, ces hom- mes n'avaient même rien imaginé qui ressemblât aux symboles hiéroglyphiques, aux nœuds, aux quipos adoptés par divers peuples encore bien voisins de l'état de nature. Aussi leurs notions du passé n'offrent-elles en général que des traditions très-confuses qui n'ont ni suite ni cohérence. TOME If. 21 37557 290 VOYAGE La Nouvelle-Zélande se trouve particulièrement dans ce cas. Distribues en tribus peu nombreuses, entièrement indépendantes les unes des autres et sou- vent divisées par des guerres sanglantes et destruc- tives , ses babitans étaient restés étrangers à toute forme régulière de gouvernement, tandis que les na- turels des îles de Taïti, Tonga et Hawaii, réunis en monarchies plus ou moins puissantes, conservaient un souvenir plus distinct des exploits de leurs anciens souverains. En effet , dans tous les pays , ce qu'avant la nais- sance de l'écriture on est convenu d'appeler l'his- toire, s'est presque toujours borné à la tradition des faits et des gestes des rois ou des chefs de la nation. Or, la mémoire de ces faits n'a pu se conserver qu'au- tant qu'elle intéressait l'ambition et l'orgueil des dynasties , et qu'en* outre ces dynasties avaient une certaine durée. Chez les Nouveaux-Zélandais , sujets par la nature même de leurs institutions à des révolu- tions continuelles , celte mémoire se bornait presque toujours aux exploits des pères ou des aïeux de la génération vivante; rarement elle remontait jusqu'à la troisième ou quatrième génération. Leurs opinions même touchant leur origine étaient vagues et diver- gentes. Suivant Cook, ils la rapportaient tous à un pays qu'ils nommaient, dit-il, Heawise i. Ne serait- ce pas plutôt Iwiqai signifie à la fois os et tribu, et dont nous signalerons la ressemblance avec le mot > Cook, premier Voyage, III, p. 298. DE L' ASTROLABE. 291 Eve, mère du genre humain, selon la Genèse? Quel- ques-uns, etTouai partageait cette opinion, prétendent qu'ils descendent de deux frères Mawi-Moua et Mawi Potîkij que l'aîné Mawi-Moua tua et mangea le cadet Mawi-Potiki, d'où provient chez eux la coutume de manger les corps de leurs ennemis. D'autres enfin soutiennent que Mawi, chassé de son pays natal par suite de dissensions civiles , s'embarqua avec quel- ques-uns de ses compatriotes, et que guidé par le dieu du tonnerre, Tauraki, il vint s'établir sur les bords du Shouraki l. Il est probable qu'en ce cas il aurait amené des femmes avec lui, bien que la chronique n'en parle pas. Une tradition plus remarquable , et qui nous senir blerait plus positive , est celle que Cook trouva en vi- gueur au détroit qui porte son nom , comme aux en- virons du cap Nord. Elle aurait rapport a une grande contrée située au N. N. O. de la Nouvelle-Zélande, fertile en cochons et nommée Ulimaraa ( qu'il faut lire sans doute Oudi-Mat a 2 , peuple d'un lieu exposé à la chaleur du soleil ). Suivant ceux du cap Nord , leurs ancêtres y seraient allés dans une grosse pirogue, et il ne serait revenu au bout d'un mois qu'une partie d'entre eux 3. Au dire des habitans de Totara-Nouï, un petit bâtiment venant de ce même pays avait touché chez eux, et quatre hommes débarqués de ce navire avaient été massacrés sur-le-champ. Cook ajoute que « Marsden , d'Urville, III, p. 352. — * Grammaf of New-Zealand. , p. 145, 176. — 3 Cook, d'Urv. , III, p. 19. ■il' 292 VOYAGE les habitans de la baie des Iles lui avaient parlé de ce pays àiUlimaraa '. Les Nouveaux-Zélandais auraient- ils en effet conservé quelques notions des îles situées près de la ligne, auraient-ils eu quelques communica- tions avec leurs habitans depuis l'époque où ils furent condamnés à occuper des régions aussi éloignées les unes des autres? C'est un fait à signaler à l'attention des missionnaires établis à la Nouvelle-Zélande ou des voyageurs qui pourront interroger d'une manière pré- cise et détaillée ces insulaires. Durant tout le temps que la Nouvelle-Zélande est demeurée inconnue aux Européens , les générations qui ont occupé ce sol se sont succédées , sans laisser aucune trace de leur existence : aucun monument même ne peut témoigner de leur industrie ou de leurs efforts. Laissant donc de coté cette longue suite de siècles de ténèbres, nous nous hâtons d'arriver à l'épo- que qui fît connaître ces contrées à l'Europe civilisée. A ïasman fut due la découverte de la Nouvelle-Zé- lande ; quittant le chemin frayé pour la première fois par Magellan, et que durant plus d'un siècle presque tous ses successeurs avaient suivi de près , sans s'éloi- gner des deux tropiques, Tasman, dès l'année 1642, poussa ses recherches vers les mers refroidies qui cei- gnent le pôle antarctique. La terre de Van-Di^rnen fut le premier fruit de ses courageux efforts ; mais la dé- couverte de la Nouvelle-Zélande en fut le plus impor- tant résultat. Le 1 3 décembre 1 642 , ce navigateur ' Cook, d'Urv., III, p. 20. DE L'ASTROLABE. 293 aperçut les montagnes de Tavai-Pounamou pour la première fois, un peu au sud du cap Foul-Wind et presque au même endroit ou l Astrolabe vint plus lard attérir sur cette cote orageuse. Il prolongea la terre d'assez près en se dirigeant au N. E. ; le 1 7 , il donna dans le détroit de Cook qu'il prit pour un golfe et qu'il nomma ZeehaarC s-Bocht ; et le 18 il mouilla sur une baie qui reçut le nom de Moordenaar s-Bay , en mémoire de 1 événement funeste qui signala cette relâche l. Les efforts de Tasman pour gagner la confiance et l'amitié des insulaires furent inutiles; les sauvages se précipitèrent sur un de ses canots , tuèrent trois Hollandais et en blessèrent mortellement un qua- trième. Tasman fut obligé de faire jouer son artille- rie et de renoncer à descendre à terre, comme il l'avait projeté. Les vents vielens de l'O. et du N. O. le retinrent encore quelques jours au mouillage ; puis il continua sa route au N. en prolongeant la côte occidentale de Ika-na-Mawi, et le 4 janvier 1643 il découvrit les îlots Manawa-Tawi. Il tenta vaine- ment d'y faire de l'eau , et le 6 janvier il quitta cette terre dont il avait reconnu la côte dans une étendue de plus de 200 lieues 2. Le continent inconnu du Sud était alors la chimère des géographes, et Tasman crut en avoir vu une partie. Il soupçonna même que les terres qu'il venait de dé- couvrir se joignaient auStaten-Land, signalé par Le « Tas: an, d'Urv. , II[, p. 1 et suiv. — a' Tasman, d'Urv. , 111 , p. 12. 294 VOYAGE Maire et Schouten à Test de la terre de feu, et il donna en conséquence le même nom à sa découverte. Mais, comme on ne tarda pas à reconnaître que les terres de Le Maire et Schouten ne formaient qu'une île assez limitée , les côtes vues par Tasman reçurent alors le nom de Nouvelle-Zélande, pour les distin- guer de celles de Le Maire. On ignore quel fut le pre- mier qui leur imposa ce nom ; quoi qu'il en soit , il a prévalu, et c'est celui qui est resté à ces grandes îles australes l. Un vieillard fort âgé des bords du Shouki-Anga raconta, en 1820, aux marins du Dromedary, qu'il tenait de son père qu'à une époque fort ancienne un canot monté par les hommes blancs et armés de mous- quets sans ressorts , était entré dans la rivière. Long- temps après cet événement , un navire s'était perdu sur la côte ; l'équipage d'«m canot étant venu à terre pour prendre des provisions , fut massacré par les naturels. Personne ne vit les débris de ce naufrage 2. Ces traditions auraient-elles quelque fondement? ou bien ne seraient-elles qu'un souvenir confus et altéré par le temps du passage de Tasman sur les côtes de ces îles? Cependant , près de cent trente années s'écoulèrent après la découverte de Tasman , avant qu'on connût autre chose de ces terres que leur existence. Leur forme , leur étendue , leurs productions , les mœurs , les coutumes et le langage de leurs habitans , étaient > Burney , d'Urv. , III, p. 9. — 2 Cruisc, p. 87. DE L'ASTROLABE. 295 encore autant de problèmes pour les géographes-. 11 était réservé à l'immortel Cook de les résoudre. Le 6 octobre 1769, la côte orientale de la Nouvelle- Zélande fut reconnue à bord de l'E/idcavoar, près de la baie Taone-Roa, à l'endroit que Cook nomma cap Young-Nicks l. Six mois d'une navigation laborieuse et intrépide donnèrent à ce grand capitaine le moyen de tracer une carte complète de la configuration de ces côtes. Le premier, il constata que la Nouvelle- Zélande se composait de deux grandes îles d'égale étendue à peu près, et que séparait un canal étroit; il découvrit plusieurs mouillages , savoir : ceux de la baie de Pauvreté, de Tolaga , de la baie Mercure , de la rivière Tamise , de la baie des Iles , du canal de la Reine-Charlotte et de la baie de l'Amirauté. Ses com- pagnons Banks et Solander donnèrent d'utiles ren- seignemens sur les mœurs et les coutumes des habi- tans, comme aussi sur toutes les productions du pays. -Tandis que Cook , au mois de décembre 1769, re- connaissait la côte N. E. de Ika-na-Mawi, le navi- gateur Surville était mouillé dans la vaste baie d'Ou- dou-Oudou, dont il traça un plan estimable pour son temps, mais aujourd'hui bien impartait. Du reste, cette expédition ne rendit guère d'autres services aux connaissances humaines : nous regrettons même d'être obligé de dire que la conduite injuste et vio- lente du capitaine français envers le chef Nagui-Nouï fut peut-être la première cause des actes de cruauté ' Cook, prem. Voy. , III, p. 44 et suiv. 29fi VOYAGE que les Européens eurent à essuyer par la suite de la part des habilans de Wangaroa l . Surville est proba- blement le navigateur dont le nom est resté dans la mémoire des naturels sous le titre de Stivers. Deux ans plus lard son compatriote Marion con- duisait ses navires dans les mêmes parages. Il atlérit devant le mont Egmont le 2i mars 1772; comme Tasman , il prolongea la côte ouest d'Ika-na-Mawi , doubla le cap Nord, et vint mouiller le 4 mai sur la baie des Iles 2. Les vaisseaux français avaient éprouvé des avaries considérables , et Marion voulut profiter des bonnes dispositions des naturels et des beaux bois de mâture qui croissaient dans leurs forêts pour ré- parer ces avaries. Durant quarante jours environ , la bonne intelligence qui régnait entre les insulaires et les Européens ne fut pas un seul instant troublée; la confiance de ceux-ci envers leurs hôtes était parvenue au plus haut degré d'abandon et de sécurité. Mais, dans les journées du 12 et du 13 juin, Marion fut massacré, ainsi que vingt-sept hommes des deux équipages , sans qu'aucun motif eût pu , même en apparence , provo- quer cet affreux attentat de la part des JXouveaux-Zé- landais 5. Déjà Rochon , en donnant au public le récit du voyage de Marion , avait attribué cette catastrophe à l'injuste conduite tenue par Surville deux ans aupara- vant à l'égard de Nagui-Nouï. Son opinion acquerra un i Rochon, d'Urv., III, p. 26 et suiv. — 2 Rochon, d'Urv , III, p. 3i et 32. — 3 Rochon , III, p. 32 et suiv. * DE L'ASTROLABE. 297 nouveau degré de vraisemblance, quand on saura que les habitans de la baie des lies ont déclare d'une voix unanime que Tekouri , l'auteur principal du meurtre de Marion et de ses compagnons, appartenait, ainsi que ses guerriers , à la tribu de Wangaroa. Nagui- Nouï était de ce pays, et peut-être parent de Tekouri; alors la vengeance de celui-ci n'avait rien que de juste et d'honorable , suivant les idées reçues par ces peuples. Il est même possible que Tekouri ne se soit porté à cet acte indispensable de satisfaction , que lors- qu'il aura été bien convaincu que Marion appartenait à la même nation que Surville ; et cette raison pourrait expliquer comment la conduite, en apparence la plus affectueuse et la plus hospitalière de la part de ce chef, fit tout-à-coup place à la plus atroce bar- barie. Quoi qu'il en soit, les Français, à leur tour, ven- gèrent d'une manière éclatante le meurtre de leurs compatriotes; plusieurs villages furent livrés aux flammes ; des centaines de naturels payèrent de leur vie leur perfidie ' ; et encore aujourd'hui leurs des- cendans ne parlent de cet événement qu'avec une ter- reur respectueuse. Ce fut à Marion que les habitans de la baie des lies durent la plupart des plantes potagères dont leur sol est actuellement couvert, telles que navets, raves, oi- gnons, choux 2, etc. Les sauvages en ont gardé le souvenir, et ils en rendent témoignage aux étrangers. i Rochon, d'Urv., III, p. 42 et siiiv. — 2 Rochon, d'Urv. , III, p. 72. 298 VOYAGE Il paraît qu'ils n'ont du les cochons qu'à des voyages beaucoup plus récens. Duclesmeur et Crozet, capitaines des deux navires français, quittèrent la baie des Iles le 1 4 juillet 1772. Cette expédition n'ajouta rien à la géographie de la Nouvelle-Zélande ; mais on dut à Crozet des détails précis sur les mœurs et les coutumes de ses habitans, comme sur les diverses productions du sol. Il est même juste de dire que les observations recueillies par cet officier furent beaucoup plus complètes et plus exactes que celles qui résultaient déjà du premier voyage deCook *. Dans son second voyage, au mois de mars 1773, Cook ramène ses vaisseaux sur les côtes de la Nou- velle-Zélande, et découvre la baie Dusky. Il relâche ensuite dans le canal de la Reine-Charlotte, et v dé- pose cette fois des cochons et des chèvres 2. Cinq mois plus tard il reparait sur la côte de Ika-na-Ma\vi; près de Black-Head il gratifie deux chefs de ces cantons d'une foule d'animaux et de plantes utiles; puis il fait une nouvelle station dans le détroit qui porte son nom 5. De son côté, son compagnon Furneaux mouille à Tolaga, puis au canal de la Reine-Charlotte , où les naturels massacrent dix hommes de son équipage 4. Enfin, Cook mouilla une troisième fois sur ce point, au mois d'octobre 1774, et y passa une vingtaine de jours 5. Les observations des deux Forster jettent une « Rochon, d'Uiv. , III, p. 52 et suiv. — 2 Cook, deuxième Voyage, I, p. i52 et 241. — 3 Ccok, II, p. 99 et suiv. — 4 Cook, IV , p. i3; et suiv. — 5 Cook, III, p. 345 et suiv. ' ' DE L'ASTROLABE. 299 vive lumière sur les productions naturelles de la Nou- velle-Zélande ; mais Tétat moral , politique et religieux des habitons, demeure presque inconnu. Ces deux sa- vans restèrent surtout dans une ignorance complète touchant les idées religieuses de ces peuples I . En février 1777, lors de son troisième voyage, Cook mouille encore dans le canal de la Reine-Charlotte2. Le chirurgien Anderson ajoute quelques détails rela- tifs aux habitudes des naturels, et le capitaine re- marque les idées superstitieuses des Zélandais sur leur chevelure 5. Au mois d'octobre 1791 , Vancouver relâcha à la baie Dusky; mais son séjour dans ce havre n'ajouta presque rien à ce que Cook avait fait. Vancouver ne vit même aucun des habitans de cette contrée. Le général d'Entrecasteaux , en mars 1793, recon- nut les îles des Rois et la côte septentrionale de Ika- na-Mawi, dans une étendue de vingt-cinq milles envi- ron , avec son exactitude accoutumée. On commu- niqua avec les naturels ; mais il n'en résulta aucun document nouveau 4. Le mois suivant, le capitaine Hanson, du Dœdalas, revenant de porter des vivres à l'expédition de Van- couver, enlève deux naturels , Oudou et Touki, dans le voisinage de Wangaroa, et les conduit à l'île Nor- folk. Le but des Anglais était de se procurer de la part de ces insulaires des instructions positives pour ex- > Cook, prem. Voy., III, p. i3i. — 2 Cook, troisième Voyage, I, p. i53 et suiv. — 3 Cook, I, p. 176 et suiv. — 4 D ' Enirccastcaux , I, p. 270 et suiv. 300 VOYAGE traire le chanvre du phormium. Leur espoir, à cet égard, fut trompé ; mais on obtint de Touki et d'Ou- dou des renseignemens curieux sur leur pays. Les bons procédés du gouverneur King envers ces insu- laires devinrent aussi le principe des dispositions favo- rables de leurs compatriotes à l'égard des Européens ' . Le capitaine King eut la complaisance de reconduire lui-même ces deux sauvages dans leur patrie , en no- vembre 17 93. Leurs relations firent connaître qu'a cette époque Moudi-Waï commandait à Oudou-Oudou, Pawariki à Tera-Witi, et Tekoke à Moudi-Motou 2. Deux ans après, en décembre 1795, le capitaine Dell, du Fancy, mouilla sur la baie d'Oudoudou, et trouva Touki et sa femme en bonne santé. Ce fut à peu près vers cette époque que les balei- niers et surtout les pécheurs de phoques commencè- rent à fréquenter les côtes de la Nouvelle-Zélande. On dut à quelques-uns de ces aventuriers la découverte du détroit de Foveaux, qui sépare l'île Stewart de Ta- vaï-Pounamou , la transformation de file Banks de Cook en une simple presqu'île, et la découverte des havres Milford, Chalky, Préservation, Macquarie, Molineux, Williams , Pegazus , etc. Des relations plus fréquentes et plus intimes s'éta- blirent entre les Européens et les Nouveaux-Zélan- dais. On reconnut que si les derniers étaient des hom- mes fiers , irascibles et implacables dans leurs ven- geances, ils pourraient, traités avec douceur, devenir i Marsden, d'Urv., III, p. 284. — 2 Collins , d'Urv. , III, p. 76 cl suiv. DE L'ASTROLABE. 301 des amis sûrs, dévoues el constans. Malheureusement, et cela n'était que trop fréquent , leurs hôtes man- quaient de procédés et les traitaient plutôt en escla- ves qu'en alliés. Ordinairement la terreur des armes à feu comprimait l'indignation des insulaires ; mais dès qu ils en trouvaient l'occasion , ils se hâtaient de ven- ger leurs injures, d'après leurs idées d'honneur , en massacrant leurs ennemis et dévorant leurs corps. Toutefois , il accueillirent , en général , avec joie les Européens, charmés de pouvoir se procurer par eux les outils en fer qui leur étaient si nécessaires. En outre, quand ils eurent commencé à reconnaître la supériorité des armes à feu, ils firent toutes sortes de sacrifices pour en obtenir ; et les premiers fusils ven- dus par les baleiniers et les pécheurs de phoques, tout défectueux qu'ils étaient, furent quelquefois payés au prix de trente ou quarante cochons et de plusieurs centaines de corbeilles de patates l. Tepahi, chef de Rangui-Hou , et l'un des plus puis- sans Rangatiras de la baie des îles , sentit particuliè- rement de quel avantage serait pour lui l'amitié des Européens. Pour en resserrer les nœuds, il exprima le désir de faire un voyage à Port-Jackson ; le capi- taine Stewart consentit à le transporter lui et cinq de ses'fils à l'île Norfolk, d'où ils passèrent, sur le brick le Baffalo, à Port -Jackson (en 1804 ou 1805). Tepahi resta quelque temps dans cette colonie , où il fut comblé d'amitiés et de présens par le gou- i TuTnbull, dliv. . III, p. 87 et 88. 302 VOYAGE verneur King et plusieurs personnes de distinction. Le gouverneur renvoya Tepahi chez lui , sur le na- vire le Lady Nelson, après l'avoir pourvu d'une foule d'outils et d'instrumens utiles. Tepahi demanda et obtint qu'un jeune Anglais nommé Georges Bruce restât avec lui à la Nouvelle-Zélande. Ce jeune homme, ayant par sa conduite mérité la confiance du chef, reçut sa fille en mariage , après avoir été tatoué con- venablement et admis au rang des guerriers. Son in- fluence devint très-utile aux navires anglais qui relâ- chèrent par la suite sur la baie des îles et auxquels il rendit toutes sortes de services. Le capitaine Dalrym- ple, du navire General Wellesley, paya de la plus noire ingratitude les bons offices que Bruce lui avait rendus ; non content de l'entraîner avec sa femme loin de sa patrie d'adoption, il abandonna Bruce à Malacca au mois de décembre 1 808 et vendit sa femme à Pe- nang. Grâce à l'intervention du commandant de Ma- lacca, Bruce put recouvrer sa femme et même se rendre avec elle à la Nouvelle-Zélande. Cependant, il est probable qu'un pareil acte de perfidie dut inspirer aux insulaires une assez mauvaise opinion de la foi européenne '. L'imprudence et la brutalité d'un autre capitaine furent la cause d'un événement bien plus affligeant encore. John Thompson, commandant le navire Boyd, qui comptait charger d'espars à la Nouvelle- Zélande, s'engagea à reconduire plusieurs naturels t Turnbull, d'Uiv., III, p. 88 et suiv. DE L'ASTROLABE. 303 dans leur patrie. Dans le nombre se trouvait le fils d'un des principaux chefs de Wangaroa, nomme Taara, mais plus connu par la suite sous le nom de Georges. Ce naturel étant tombé. malade durant la traversée ne put faire son service. Feignant de ne point ajouter foi à sa maladie, le capitaine Thompson le fit fouetter et maltraiter cruellement. Lorsque le navire fut mouillé à Wangaroa , Taara excita ses com- patriotes à venger l'insulte qu'il avait reçue ; ils tom- bèrent sur l'équipage, le massacrèrent en entier, et dévorèrent leurs victimes au nombre de soixante-dix personnes. Deux femmes et deux enfans seulement échappèrent à cette épouvantable catastrophe. Après s'être emparé du navire , le père de Taara voulut es- sayer son fusil sur le pont , près d'un baril de poudre ; ce baril s'enflamma , fit périr le père de Taara , et mit le feu au navire. Il en résulta que Taara , loin de re- garder sa vengeance comme assouvie , mit encore la mort de son père sur le compte des Européens, et ne cessa de leur en vouloir pour ce motif \. Au moment où le Boijd fut enlevé, Tepahi se trou- vait à Wangaroa pour affaires de commerce , et il tenta de sauver quelques victimes. Mais les habitans de Wangaroa s'y opposèrent, et ses efforts furent in- fructueux. Loin de recevoir la récompense due à ses généreuses intentions , par suite de rapports insi- dieux , et par la ressemblance de son nom avec celui i Turnbult , d'Urv., III, p. 99 et suiv. Marsden, d'Urv., III, p. m- Mcholas, d'Urv., III, p. 588. 304 VOYAGE de Tepouhi, frère aîné de Taara », et chef de Wanga- roa , Tepahi passa d'abord pour l'un des principaux auteurs de cet attentat. Pour en tirer vengeance , peu de temps après , et dans le cours de 1810, plusieurs capitaines baleiniers mouillés sur la baie des Iles réu- nirent leurs forces et attaquèrent File où Tepahi et son peuple étaient établis devant Rangui-Hou 2. L'af- faire fut sanglante pour les naturels ; plusieurs péri- rent , un plus grand nombre fut blessé , et le village fut complètement ruiné. Tepahi lui-même reçut plu- sieurs blessures 5, et fut tué peu de temps après dans un combat contre les habitans de Wangaroa, dont l'affaire du Boyd fut aussi le premier motif 4. Cependant plusieurs Nouveaux-Zélandais avaient suivi l'exemple de Tepahi , et avaient quitté leur pa- trie pour suivre des blancs. Dans ce nombre on re- marque Maounga 5, de Korora-Reka, qui, en 1805 , consentit à se rendre en Angleterre sous les auspices du docteur Savage , et fut présenté à plusieurs per- sonnes de distinction , et même à la famille royale 6. Ce naturel ne répondit point aux espérance de son mentor; de retour dans sa patrie, à Korora-Reka, il fut banni par l'ariki Tara pour un vol qu'il se permit à bord du navire anglais Ferret, et qui fut découvert par Toupe. Défense lui fut signifiée de reparaître à Korora-Reka sous peine de mort 7. « Cruise , p. 161. — 2 Jiendall , d'Urv. , III, p. 227. — 3 Rendait, d'Urv., III, p. 232. — 4 Niclwlas , I, p. ig8. Rendait , d'Urv. , III, p. 122. Marsden, d'Urv., p. 146 et 149. — 5 Savage, d'Urv., III, p. 783 «'t suiv. — 6 Dillon, I, p. 189. — 7 Mchulas , I, p. 43i. D'Urville, II, p. 200. DE L'ASTROLABE. 305 D'autres s'embarquèrent sur des navires baleiniers en qualité de simples matelots , et servirent des années entières sur des navires anglais ou américains , heu- reux quand ils pouvaient rapporter chez eux quelques objets d'Europe en retour de leurs longues fatigues. Tel fut Mawi de Korora-Reka, qui , à peine âgé de dix ou douze ans, s'embarqua sur un de ces bâtimens , vécut long-temps à Port-Jackson, fut utile aux mission- naires , et mourut enfin à Paddington en Angleterre, de la manière la plus édifiante, à la fin de l'année 1816 i. Tel fut encore Doua-Tara, neveu de Tepahi, qui dès l'année 1805 embarqua comme simple matelot sur le baleinier l'Argo , et durant plusieurs années consécutives remplit le même service sur d'autres bâtimens. Ce malheureux insulaire éprouva souvent la mauvaise foi des capitaines anglais. Au bout de quatre années, son mauvais sort l'amena sur les bords de la Tamise , où il resta en butte à la misère et aux maladies. Heureusement, sur le navire qui allait le re- porter à Port-Jackson, il trouva M. Marsden qui le prit sous sa protection ; il arriva à Port-Jackson en février 1810, et resta chez M. Marsden jusqu'au mois de novembre. Alors Doua-Tara s'embarqua sur le baleinier le Frederick , dans l'espoir de retourner chez lui ; mais ce ne fut qu'après avoir encore souffert toutes sortes de traverses et d'injustices , et avoir été contraint de faire un second séjour chez M. Marsden, » Missionnary Registcr, d'Urv. , III, p. 221 et suiv. TOME II. 2 2 -506 VOYAGE qu'il eut enfin, dans l'année 1812, l'avantage de re- voir son pays natal. Sa naissance l'ayant appelé à succéder à son oncle Tepahi , il prit le commandement de la tribu de Rangui-Hou, et porta tous ses soins à inspirer à ses compatriotes le goût des arts utiles, et surtout de l'agriculture à laquelle il se dévoua presque exclusivement *. Cependant la société des missionnaires de l'Eglise, qui avait déjà envoyé des députés sur divers points de l'Oeéan-Pacifique , avait jeté les yeux sur la Nou- velle-Zélande dès l'année 1808. MM. Hall et King accompagnèrent M. Marsden à son retour à la Nou- velle-Zélande en 1810, pour remplir cet objet. Mais la catastrophe du Boyd engagea M. Marsden à sus- pendre pour un temps l'établissement de la mission. Les nouveaux excès en tout genre commis par les Européens sur les Nouveaux-Zélandais ne pouvaient qu'ulcérer de plus en plus ces sauvages contre les étrangers. Ces excès devinrent si crians que M. Mars- den, chapelain principal de la Nouvelle-Galles du Sud, mu par les sentimens de la simple humanité et de l'équité publique, se crut obligé de les signaler à l'attention et. à la sévérité du gouverneur de cette colonie2. Le général Macquarie fit droit à sa requête et promulgua , dans le cours de 1814, un ordre qui assujettissait à toute la rigueur des lois tous les ma- rins anglais qui useraient de mauvais traitemens envers les Nouveaux-Zélandais 5. i Marsden, d'Urv., III, p. 25?. et suiv. — 2 Marsden . d'Urv., HT, p. îor» et suiv. — 3 Missionnary Hvgister, d'Ûrv., III, p. 12g. DK L'ASTROLABE. 307 L'empressement que témoignait Doua-Tara pour introduire la civilisation et les arts utiles parmi ses compatriotes , et la bienveillance qu'il montrait en toute occasion aux Européens , parurent à M. JVIars- den d'un heureux présage pour l'établissement de la mission. 11 se décida à envoyer MM. Kendall et Hall à la baie des Iles , pour sonder les intentions des na- turels et préparer les voies. Ces deux missionnaires s'embarquèrent, le 1 4 mars 1814, sur le navire l'active, dont le maître était M. Dillon, qui le premier dans la suite découvritles vestiges du naufrage de Lapérouse. Ils arrivèrent à Tepouna le 10 juillet suivant, et du- rant les six semaines qu'ils passèrent à la Nouvelle- Zélande, ils purent se convaincre que, loin d'avoir rien à redouter dé la part des naturels , ceux-ci étaient disposés à les recevoir à bras ouverts. Pour gage in- faillible de leurs bonnes intentions , les chefs les plus influens de la baie des Iles, savoir :Shongui, Koro- Koro, Doua-Tara et Touai, s'empressèrent d'accom- pagner les missionnaires à leur retour à la Nouvelle- Zélande. Shongui et Doua-Tara appartenaient à la partie septentrionale de la baie des Iles, tandis que Koro-Koro et Touai étaient établis sur la partie méri- dionale de la même baie l . Pour mettre à profit d'aussi favorables disposi- tions, M.Marsden, dès le 19 novembre 1814, s'em- barqua avec MM. Kendall, Hall et King et leurs familles, afin d'aller les établir à la baie des Iles. Cet ' Kendall, d'Urv., III, p. 116 et suiv. ?.2* ¥ 308 VOYAGE ecclésiastique a donné un récit de son voyage au quel nous renvoyons pour les détails; nous devons nous contenter de dire ici que, le 24 janvier 1825, il acheta, des chefs de Rangui-Hou , une étendue de terrain de 200 acres environ , movennant douze haches. Ce lo- cal devint le siège du nouvel établissement , et pour ainsi dire le berceau des missions futures sur cette partie du globe '. Des cases furent promptement élevées , et les Eu- ropéens destinés à rester à la Nouvelle-Zélande, au nombre de vingt-cinq personnes , furent bientôt ins- tallés dans cette petite colonie 2. Sur-le-champ ils s'occupèrent de défricher et d'ensemencer leurs ter- res, d'enseigner à lire et à écrire aux enfans et de travailler à la conversion des parens. La terre se prêta aux efforts des nouveaux colons , et paya leurs sueurs par d'abondantes récoltes. Il n'en fut pas de même des naturels : tout entiers aux fureurs de la guerre , et dévorés par la soif des combats , ils ne prêtèrent qu'une bien faible attention aux exhorta- tions des chrétiens , et tous leurs désirs ne tendaient qu'à se procurer des fusils et de la poudre pour exterminer plus facilement leurs ennemis. M. Marsden consacra les deux mois qu'il passa dans cette contrée à parcourir les environs de la baie des Iles, et. à faire part aux divers chefs du but et des projets des missionnaires. Il visita successivement i Marsden, d'Urv. , III, p. 132 et suiv. — ' Marsden, d'Urv. , III, 1>. 170. DE L'ASTROLABE. 309 les tribus de Korora-Reka, Kawa-Kawa, Waï-Kadi, Paroa , Kidi-Kidi , Wai-Mate et les bords du lac Mau- pere. Ensuite , accompagné d'une foule de chefs de la baie des Iles , il s'avança jusqu'aux rives de la baie Shouraki et fit connaissance avec plusieurs chefs puis- sans de ces cantons. Partout il fut bien accueilli; presque toujours il trouva les insulaires empressés de posséder dans leur sein des Européens, pour leur ap- prendre les arts utiles et surtout ceux de l'agriculture. M. Liddiard Nicholas accompagna M. Marsden dans ces diverses excursions , et il a publié de son côté un récit de son voyage qui offre le plus vif inté- rêt. M. Marsden fut de retour à Port -Jackson le 23 mars 1815 ». Quelques jours après le départ de M. Marsden, Doua-Tara mourut 2, et ce fut une grande perte pour les missionnaires, qui plaçaient en lui presque toutes leurs espérances pour l'accomplissement de leurs des- seins. Protégées par les autres chefs de Rangui-Hou et surtout par Shongui , leurs propriétés furent ce- pendant respectées, et ils purent se livrer à leurs pieux travaux. Le plus grand obstacle qu'ils éprouvaient dans la réussite de leurs vues , provenait des visites fréquentes que les baleiniers de leur nation faisaient à la baie des Iles , pour se procurer des vivres. Ces navigateurs ne balançaient point à livrer en échange aux naturels des fusils et de la poudre. Comme les i Marsden, d'Un., III, p. i36 et suiv. — a Marsden, d'Urv. , III, l>. 25?. 310 VOYAGE missionnaires se refusaient absolument à ce com- merce , il en résultait que les insulaires réservaient toutes leurs provisions pour les vendre aux balei- niers. Souvent même ils témoignaient, par des actes de violence envers les colons , combien ils étaient mé- contens de ce que ceux-ci se refusaient à leur procurer des munitions de guerre. Le 20 août 1815, les naturels d'une baie voisine du cap Colville attaquèrent les deux navires Trial et Brothers, et s'en rendirent maîtres; mais les Anglais réussirent ensuite à les chasser. Cinq Européens et une centaine de naturels périrent' dans ce combat : il parait que les blancs eurent les premiers torts ». M. Hall ayant trouvé qu'à Waï-Tangui la qualité du sol était beaucoup meilleure, et que le bois était plus facile à se procurer, était allé s'y établir. Mais, à la mort du chef Waraki, les naturels le dépouillèrent d'une partie de ses effets, et il retourna à Rangui-Hou le 15 janvier 1816 2. Non loin du cap Est, les habilans deToko-Malou, le 1 1 mars suivant, font main-basse sur le brick améri- cain l'Agnes mouillé sur leur rade; ils massacrent presque tout l'équipage , et l'Anglais Rutherlord pa- rait avoir été le seul qui ait survécu à cette 'horrible boucherie. Epargné par la compassion de son chef, il est successivement tatoué , marié et naturalisé dans sa tribu; durant dix années entières il se soumet aux i Mission/iary Réguler, d'Un-.. 111, p. 217-240. — 2 lundal/, d'Urv. , III, p. 238. DE L'ASTROLABE. 311 coutumes de ces sauvages, et partage leur singulière existence. Enfin, le 9 mars 1827, il réussit à se sous- traire à sa longue captivité, et reparaît quelque temps après en Angleterre où ses aventures ont été publiées ' . L'école de M. Kendall prend un accroissement assez remarquable. A son ouverture, au mois d'août 1816, elle ne comptait que trente-trois enfans ; en septembre il y en eut quarante-sept; en octobre, cinquante-un; en janvier 1817 le nombre en fut de soixante, et au mois d'avril de soixante-dix, dont moitié d'un sexe et moitié de l'autre. M. Kendall observa que leur faci- lité pour apprendre était au moins égale à celle des enfans anglais2. Au commencement de 1 8 1 7 , une expédition navale, forte de trente pirogues et d'environ huit cents guer- riers, se dirige, sous les ordres de Shongui, vers le cap Nord. Elle s'arrête à Wangaroa pour prendre des vivres ; les habitans de cet endroit ont querelle avec les gens de Shongui, et ce chef est obligé de revenir à la baie des Iles, sans avoir accompli ses desseins 5. Au mois d'avril de cette année, M. Marsden fait porter à la Nouvelle-Zélande six bêtes à cornes par le navire £ Active 4. En février, Shongui, à la tête de huit cents guer- riers , fait voile pour le sud ; il réunit ses forces à celles de Houpa, chef deShouraki, et déclare la guerre i Ruiherford, d'Urv., III, p. 7%i et suiv. — ^ Kendall, d'Lirv. , III, p. 244. — 3 Kendall, d'Urv., III, p. 246. — 4 Missionnary Register, d'Urv. , III, p. 2 43. 312 VOYAGE aux habilans de la baie d'Abondance. Cinq cents vil- lages sont brûles , une foule de naturels sont massa- crés , et les vainqueurs ramènent avec eux plus de deux mille prisonniers de tout sexe et de tout âge *. Dans cette année, les chenilles font des ravages énormes dans les plantations de la baie des Iles ; les naturels consultent le grand-prètre de Kawa-Kawa qui leur ordonne d'élever des arcades sacrées à leur dieu. Les chenilles s'en vont, et les arcades sont conservées comme monumens de l'intervention divine 2. Au mois de mars 1817, Touai et Titari s'étaient embarqués à Port-Jackson sur le brick de guerre le Kanguroo pour visiter l'Angleterre et y recueillir des notions utiles pour la civilisation de leur patrie. Ils ar- rivèrent à Londres au commencement de 1818, et y passèrent huit à dix mois sous les yeux de la société ; ils s'occupèrent volontiers des arts mécaniques , mais ils ne firent que peu de progrès sous le rapport intel- lectuel5. Au mois de décembre ils s'embarquèrent sur le Btuing, avec MM. Butler, F. Hall et J. Kemp, destinés, avec leurs familles, pour la Nouvelle-Zé- lande; ils partent le 27 janvier 1819, et arrivent à Port-Jackson le 27 juin suivant. M. Marsden se décide à accompagner ces deux chefs et les nouveaux missionnaires à la baie des Iles , sur le General Gates , brick américain, et ils arrivent tous à bon port au mouillage de Rangui-Hou, le i Marsden, d'Urv., III, p. 3i2. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 3al. — i Missionnary Register, d'Urv., III, p. 242. DE L'ASTROLABE. 313 1 2 août 18 1 9 !.M. Marsden ne passe cette fois que trois mois à la Nouvelle-Zélande; mais il fonde un nouvel établissement plus considérable que le premier à Kidi- Kidi , sous la protection de Shongui , le plus puissant chef de la contrée. Pour cela, une étendue de terrain de treize mille acres environ est achetée de Shongui , moyennant quarante-huit haches! 2... Une petite sta- tion est aussi établie à Manawa-Oura , sur le territoire de Koro-Koro3. Les habitans de Wangaroa violent la tombe du beau- père de Shongui , et font des hameçons avec les osse- mens du mort. Shongui marche contre les naturels de Wangaroa à la tète de ses guerriers , pour demander satisfaction ; il fait feu sur les sacrilèges, en tue cinq , et l'affaire est ainsi arrangée 4. En octobre, M. Marsden traverse la Nouvelle-Zé- lande, et s'avance jusqu'à l'embouchure de la rivière Shouki-Anga. Il est accueilli à bras ouverts par toutes les tribus de la côte occidentale , et le premier il donne des détails exacts sur ces peuplades. Il assiste à la querelle de Moudi-Waï et de Matangui, chefs de Ka- raka et de Houta-Koura, et visite plusieurs villages le long de la rivière 5. M. Marsden parcourt ensuite Tae-Ame, district fertile et populeux situé dans le sud- ouest de Kidi-K idi , où il trouve un vieillard qui avait vu les vaisseaux de Gook et de Marion6. Il examine la ' Marsden, d'Urv., III, p. 267 et suiv. — = Missionnary Register, d'Urv. , III, p. 3go. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 272-278. — ^Marsden, d'Urv., III, p. 286-293. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. 33o et suiv. — 6 Marsden, d'Urv,, III , p. 372. 314 VOYAGE source deau chaude et le lac Blanc. Le 9 novembre, il quille la Nouvelle-Zélande pour retourner à Parra- matta. A la fin du même mois , Temarangai déclara la guerre à Shongui et à ses amis, pour quelques coquil- lages que les gens du dernier avaient ramassés sur un terrain taboue appartenant à l'autre chef. Il y eut un combat livré, dans lequel trois hommes de Shongui furent tués et huit du coté opposé. Shongui vit en ou- tre toutes ses pirogues brûlées et ses champs de pa- tates ravagés. Quelques jours après, la paix fut con- clue entre ces différens chefs ' . Le 7 décembre, à l'instigation du rév. John Buller, Shongui et les autres chefs de sa tribu rassemblent tous leurs gens à Kidi-Kidi; ils leur enjoignent publi- quement de ne plus commettre de vol, et menacent des chatimens les plus sévères ceux qui se rendront désormais coupables d'un pareil crime 2. En janvier 1820, Temarangai, chef de Tae-Ame, ayant réuni les guerriers de sa tribu à ceux de la baie des Iles et de Wangari , marcha contre Warou , chef de Witi-Anga, pour lui demander réparation de ce qu'une de ses nièces avait été tuée et mangée par les guerriers de Warou. Grâce aux armes à feu dont sa troupe était pourvue , Temarangai eut bientôt le des- sus ; trois ou quatre cents de ses ennemis furent tués et mangés sur le champ de bataille, et deux cent soixante faits prisonniers par les alliés. Ensuite Tema- > J. Butler, d'Un. , III, p. 394. — a J. Buller, d'UlV. , III, p. 398. DE L' ASTROLABE. 315 rangai accorda la paix à Warou , et lui rendit même sa femme et ses enfans qui étaient tombés en son pou- voir !. Dès le mois de février 1820, M. Marsden fait un troisième voyage à la Nouvelle-Zélande sur le Dro- medanj. La dernière quinzaine de mars fut consacrée à visiter de nouveau les bords du Shouki-Anga. Au mois de mai, il parcourut les districts de Waï-Mate, Pouke-Nouï et Tae-Ame. Au mois de juin, il s'embar- qua sur le Coromandel pour la baie Shouraki, et s'a- vança, guidé par Temarangai , jusqu'à la baie Witi- Anga (baie Mercure). En juillet, il navigua sur les ca- naux duWaï-Roa et duWaï-Tamata, visita pour la première fois les tribus établies sur le Kaï-Para, et fit la connaissance du célèbre Moudi-Panga, le plus vail- lant des rivaux de Shongui. Au mois d'août, il tra- versa l'île , et passa de la côte occidentale à la côte orientale, où il arriva près deWangari. En septem- bre , il fut de retour à la baie des Iles. Au mois d'oc- tobre, il retourna à la baie Shouraki, visita une seconde fois les tribus de Mogoïa, de Kaï-Para, remonta le Waï-Roa , atteignit le Shouki-Anga qu'il remonta aussi, et arriva enfin le 25 novembre àWan- garoa, où il s'embarqua sur le Dromedanj pour re- tourner à la Nouvelle-Galles du Sud. M. Marsden re- cueillit encore dans ce voyage une foule d'observations neuves et intéressantes. M. Richard Cruise, capitaine au 84e régiment d'infanterie , fut aussi de ce voyage , « Maisdt-n, d'Urv. , III, p. 4a5 et sniv. 316 VOYAGE et publia une relation de son séjour à la Nouvelle-Zé- lande , qui n est pas sans intérêt sous quelques rap- ports !.. Tandis que M. Marsden se trouvait à bord du Coro- mandel, dans la baie Shouraki , il eut l'occasion de ré- concilier deux chefs puissans de cette contrée, Inaki et Tepouhi, qui s'étaient déclaré la guerre, et qui pa- raissaient fort irrités l'un contre l'autre 2. 11 apaisa également la fureur de l'Ariki contre Mapa, et termina leurs différends à l'amiable 5. Parmi les chefs de la baie des Iles, Shongui s'était élevé au premier rang par sa réputation de bravoure et ses succès dans les combats , par son influence sur ses compatriotes et par ses possessions considérables. La plupart des chefs du cap Nord et de la baie Shou- raki , qui avaient osé lui tenir tète , avaient payé cher leur témérité, et plusieurs tribus avaient été complè- tement exterminées par les guerriers de cet heureux rangatira. Seul, sur la côte occidentale, Moudi- Panga, chef de Kaï-Para, avait pu lui résister avec succès, et quelquefois il avait humilié l'orgueil de Shongui. Dans une affaire sanglante qui avait eu lieu peu de temps avant le désastre du Boi/d, en 1 808 , Shongui fut blessé, deux de ses frères 4 périrent ainsi que la plupart des officiers et des guerriers , et le reste de l'armée ne put trouver son salut que dans la fuite 5* i Marsden, d'Urv. , III, p. 401 et suiv. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 43a. — 3 Marsden, d'Urv. , III, p. 434. — 4 Cruise, p. 129. — 5 Marsden , d'Urv., III, p. 436. DE L'ASTROLABE. 317 Long-temps après cette affaire , les chefs de la baie des Iles réunirent leurs forces et marchèrent de nou- veau contre Moudi-Panga , pleins de confiance en leurs armes à feu. Mais, par un stratagème habile, Moudi-Panga rendit presque nul l'effet de ces armes, et tomba sur ses ennemis qu'il tailla en pièces. De près de mille hommes qui étaient partis pour cette ex- pédition de la baie des Iles , il n'en échappa qu'une quinzaine , le reste ayant été massacré ou fait prison- nier. Il parait queShongui ne se trouva point à ce fu- neste combat l. Maigre ses défaites , Shongui ne renonça point à l'espoir de tirer une vengeance éclatante de Moudi- Panga , et il s'occupa sans relâche d'augmenter le nombre des armes à feu dont sa tribu était déjà pour- vue. Ce motif l'engagea à se maintenir constamment en bonne intelligence avec les capitaines des navires baleiniers qui venaient mouiller à la baie des Iles. Ce fut encore le même motif qui le détermina à accueillir favorablement les missionnaires sur son territoire, pour réparer et tenir toujours en état ses armes à feu , car il était du reste parfaitement indifférent aux avantages de la civilisation, et il se moquait des exhor- tations religieuses de ses hôtes 2. Pour arriver plus promptement à ses fins, Shongui jugea qu'un voyage en Angleterre lui serait fort utile. En conséquence , au mois de mars 1 820 , malgré les représentations de ses parens et de tous les hommes i Marsdcn, d'Erv., III, p. i3f>. — - lUalicrford, d'Urv., III, p. 7 5G. 318 VOYAGE * de son peuple , et avec un courage bien remarquable dans un sauvage , Shongui s'embarqua avec Waï- Kato , l'un de ses guerriers, et M. Kendall, sur le New-Zealander pour se rendre en Angleterre. Il voulait , disait-il, visiter le roi Georges, mais dans le fond son unique but était de se procurer des fusils et de la poudre J . Shongui arriva à Londres dans le mois d'août suivant : le climat de l'Angleterre éprouva cruellement sa santé; cependant il se rétablit, et le 1 5 décembre de la même année il se rembarqua sur le Speke pour s'en retourner chez lui. Durant son séjour à Londres , il fut présenté au roi : M. Kendall m'a assuré qu'en cette occasion Shongui ne parut nullement ébloui de tout le faste qui l'environnait ; il conserva devant le puissant souverain de l'Angleterre la même dignité , le même sang-froid que devant ses compatriotes. Le roi Georges lui fit de riches pré- sens , mais il ne fut vraiment sensible qu'aux armes , à la cuirasse et à l'uniforme qui en faisaient partie. On assure même qu'à son arrivée à Port-Jackson il échangea contre des fusils et de la poudre tous les autres objets de prix qu'il avait reçus du roi et des di- verses personnes auxquelles il avait été présenté a. Pendant son absence , les missionnaires avaient eu quelquefois à souffrir de l'esprit turbulent et de l'avi- dité des sauvages ; cependant ieurs propriétés avaient été généralement respectées. Plusieurs naturels y Missionnary Réguler, d'Uvv. , III , p. ',58. — ? Missionnnarr Iîcgister, d'Un., III, p. 45 5. DE L'ASTROLABE. 319 avaient consenti à leur prêter leurs services moyen- nant une mince rétribution ; leurs cultures avaient pris un développement considérable , et toutes les productions d'Europe avaient réussi à merveille sur ce sol vierge et fécond. En un mot , les élablissemens de la mission donnaient les plus flatteuses espé- rances ». Au retour de Shongui à la baie des lies, qui eut lieu le 11 juillet 1821 , tout changea rapidement de face. Ce chef, irrité de voir que les missionnaires persis- taient dans leur refus de lui vendre de la poudre et des armes à feu , défendit à ses sujets de travailler pour les colons à moins d'être payés en objets de cette espèce ou en argent pour en acheter; en outre il affecta de traiter ces étrangers avec plus de rigueur et même de dédain qu'il ne Pavait fait auparavant. 11 en résulta pour les colons une foule de désagré- mens et de persécutions. Cependant Shongui sentit qu'il y aurait de l'imprudence et peu de politique de sa part à les forcer de quitter son territoire, et il finit par tenir une sorte de conduite mixte à l'égard des missionnaires , c'est-à-dire par les tolérer, et même les protéger jusqu'à un certain point contre les vio- lences de ses sujets, sans toutefois leur accorder aucune sorte d'influence ni d'autorité positive 2. Il aimait leur thé, leur café, leur cuisine, et leur faisait souvent l'honneur d'être leur convive. Du reste il reprit avec ardeur ses anciens projets i Reports, d'Urv. , III, p. 453 et suiv. — a lirpnris, idem. Mission' ndry Register, d'Urv., III, p. 45; et suiv. Idem , p. 490. 320 VOYAGE de conquête. Au mois de septembre 1821 , il partit de la baie des Iles à la tète d'une armée de trois mille combattans dont une centaine étaient munis de fusils. Jamais armement aussi formidable n'avait paru sur ces rives éloignées. Les malheureux habitans de la baie Shouraki contre lesquels il se dirigea furent sac- cagés et perdirent beaucoup de monde. Plus de mille guerriers furent tués et trois cents mangés sur le champ de bataille ; de ce nombre fut le brave et gé- néreux Inaki, l'un de leurs principaux chefs. Plus de deux mille prisonniers tombèrent au pouvoir des peuples du Nord l . Shongui , tout en remportant la victoire, éprouva de nombreuses pertes, entre autres il eut à regretter son gendre Tête et le jeune Pou , frère de ce chef2. Dès le mois de février suivant , Shongui se remit en campagne et recommença les hostilités contre les peuplades de la baie Shouraki. Deux de ses pirogues tombèrent au pouvoir de l'ennemi , qui tua et mangea tous ceux qui les montaient. Mais Shongui et ses guerriers exterminèrent près de quinze cents person- nes sur les bords du Waï-Kato 5. En juin 1828 , Touai reparut à la baie des Iles après avoir été absent durant près de deux années. Il avait passé presque tout ce temps dans des guerres continuelles contre les peuplades des environs du cap Est 4. i Reports, dUrv. , III, p. 456. Lcigh, dUrv., III, p. 470. — * F. Hull, d'Urv. , III, p. 462. — 3 F. Hall, d'Frv., III, p. 466. — 4 F. Hall, d'Urv.,III,p. 4«5. DE L'ASTROLABE. 321 Au mois de novembre de la même année, Koro-Koro eut querelle avec Shongui. Cependant il n'y eut point de combat. Le premier en fut quitte pour être cruelle- ment battu et pour voir toutes ses patates volées *. En 1823, MM. Leigh et White de la société de Wesley tentent de s'établir à Wangari , mais ils, trou- vent le pays ruiné et dépeuplé par suite des dernières guerres. En conséquence , au mois de juin , ils fon- dent leur établissement à Wangaroa , sur un terrain qu'ils achètent du chef Georges , de la tribu des Ngate-Oadou. Peu après, MM. Turner et Hobbs viennent se joindre à eux 2. Au mois de juillet, M. Marsden se rendit pour la quatrième fois à la Nouvelle-Zélande sur le navire le Bramplon , et y passa trois mois environ. Il avait rembarqué le 23 août sur le Brampton pour effectuer son retour; mais ce navire fit naufrage dans la baie des Iles le 7 septembre , et M . Marsden fut retenu dans ce pays jusqu'au 14 novembre. Ce jour il fit voile sur le Dragon pour Sydney où il arriva au com- mencement du mois de décembre 3. Lors du naufrage du Bramplon, les naturels mon- trèrent tous des dispositions d'humanité , de probité et de modération , qui eussent fait honneur à un peu- ple civilisé. Ils ne commirent aucune action blâma- ble , et les effets des Européens furent constamment, respectés 4. 1 F. Hall, d'Urv., III, p. 468. — 2 Missionnaty Register, d'Urv., ni, p. 487. — 3 Marsden , d'Urv., III, p. 472 et suiv. — 4 Marsden, d'Urv. , III, p. 479- TOME H. 23 V22 VOYAGE Dans la même année mourut Koro-Koro, le chef le plus influent de la partie méridionale de la baie des Iles ; la mort le surprit comme il revenait d'une expé- dition vers les bords du Shouraki, où son frère Touai lavait accompagné '. Dans la même expédition *périt aussi. Kaï'po, leur oncle , qui n'était qu'un jeune homme quand Cook parut à la baie des Iles , et qui était devenu un beau vieillard et un guerrier célèbre 2. Ce Kaï'po était probablement fils du chef Malou qui commandait à Motou-Doua , et qui périt sous les coups des compagnons de Marion ; .car Touai me ré- pétait souvent que Malou était son grand-père. Pomare, dont le véritable nom était Wetoï , égale- ment oncle de Touai, chef de Mata-Ouwi, et guerrier audacieux et intrépide, poursuivit ses exploits vers le Sud à la tète de cent trente guerriers d'élite. Il s'a- vança, dit-on , jusqu'au détroit de Cook , et revint en faisant le tour de la Nouvelle-Zélande , saccageant et détruisant tout sur son passage 5. Cette étonnante expédition éleva son nom au plus haut degré de gloire parmi ses compatriotes. Touai succède à son frère Koro-Koro , et prend le commandement de la tribu de Paroa. M. H. Williams fonde un établissement à Pahia sous la protection du chef Tekoke. Au mois d'avril 1824, la corvette française la Co- quille paraît à la baie des Iles, amenant de Port- • Marsden, d'Urv., III, p. 482. — 2 Marsdcn, idem. — 3 Cruisc, d'Urv., III, p. 667. Rutherford, d'Urv., III, p. ;52. DE L'ASTROLABE. 323 Jackson M. Clarke et sa famille, TatWariga parent de Shongui, et un homme du peuple nommé Palii. La bonne intelligence ne cesse de régner entre les Fran- çais et les Zélandais. Touai passe la plus grande par- lie de son temps à bord de la Coquille et me donne une ibule de détails curieux. Nous recevons la visite de Shongui, et quelques officiers vont visiter sa tribu, mais ils n'ont guère à se louer de la conduite et des procédés de son peuple. A cette époque, M. Kendall, détaché de la société, vivait à Mala-Ouwi sous la protection de Pomare , et s'occupait à recueillir des matériaux intéressans sur les mœurs et surtout sur la langue des naturels. Six mois après le départ de la Coquille , le 1 7 octo- bre 1824, Touai périt de misère et de maladie % et Touao, son cousin, lui succéda. Mais sa tribu, depuis long-temps un objet de jalousie pour les peuples de Kidi-Kidi, perd toute son influence. Dès l'année sui- vante , les Ngapouïs , joints aux guerriers de Waï- Mate , tombent sur le pà de K ahou-Wera , ravagent ses habitans et les obligent à se disperser , en aban- donnant leur fort si long-temps respecté sous les lois de Koro-Koro 2'. Le 24 janvier 1 825 fut lancé le schooner le Herald, de soixante tonneaux, construit par les missionnaires de Pahia 5. Ce petit navire qui avait de bonnes quali- tés se perdit à l'entrée du Shouki-Anga , le 6 mai 1 828. i Missionnary Register, d'Urv., III, p. 487. — 2 D'Uiville, II, p. 204. — 3 Misslonnar) Register, d'Urv., III, p. 497. 23* 524 VOYAGE En cette circonstance les naturels de ce canton furent bien loin de tenir une aussi belle conduite que les habitans de la baie des lies, lors du naufrage du B vamp ton l. En février 1825, Shongui ayant uni ses forces à celles de ses alliés , marche contre K aï-Para. Ses ar- mes à feu lui donnent enfin la victoire , et le vaillant Moudi-Panga devient la pâture de son féroce rival 2. Néanmoins celui-ci perdit son fils aîné et plusieurs de ses officiers 5. Dans le mois suivant , les habitans de Wangaroa firent main basse sur le baleinier le Mercury qu'ils pillèrent complètement, et l'équipage ne se sauva qu'avec peine à la baie des Iles. Déjà les missionnaires établis sur ce point avaient reçu des outrages de la part des insulaires ; mais le chef Georges étant tombé malade, ils se réfugièrent chez leurs confrères à Kidi- Kidi dans la crainte d'être massacrés 4. Georges mou- rut en avril, et les habitans de Wangaroa rappelèrent les Européens chez eux. Pomare étant allé en 1826, avec ses hommes, sur les bords du Shouraki, dans l'intention de couper des espars pour M. Dillon, maître d'un navire anglais , les guerriers de ce chef se permirent d'outrager les habitans du pays. Ceux-ci s'en vengèrent en tombant à l'improviste sur leurs ennemis. Dans cette affaire i !¥• Williams, d'Urv. , II[, p. 545. — ■>■ Dillon, I, p. 45o. — 3 Missionnary Regisler, d'Urv., III, p. 489. — 4 Missionnarr Résister. d'Urv., III, p. 491. Dillon, I, p. 191. DE L'ASTKOLAIÎK. 32 o le redoutable Pomare succomba sous les coups de Rangui, l'un des chefs du Waï-Kato '. llihi, l'un des plus formidables partisans deShongui, se noya dans le Waï-Tamata, où sa pirogue chavira dans un grain 2. Cette même année , les missionnaires de Pahia curent à souffrir des violences de Toï-Tapou, chef de Shiomi sur le Kawa-Kawa, qui est en même temps le Tohounga ou grand-prètre le plus accrédité de ces contrées 5. A la fin de cette année 1826 , une société commer- ciale, qui avait pris le titre de N ew-Z ealand-Flax-so- ciety, tente de fonder un établissement à la Nouvelle- Zélande pour exploiter en grand le phormium et le bois de construction. Le capitaine Hurd conduit d'a- bord les nouveaux colons à la baie Shouraki; mais les intentions des naturels leur paraissant suspectes, ils se décident à quitter cet endroit, et se dirigent vers le Shouki-Anga. Ce point ne leur promettant pas des avantages suffîsans pour les engager à s'y fixer, les colons s'en retournent sans débarquer, et l'établisse- ment échoue 4. Le 4 janvier 1 827 , Shongui arriva à la tète de ses guerriers dans la baie de Wangaroa pour chasser les Ngate-Po de leur position. Les Ngate-Oudou chez qui les missionnaires étaient établis prirent l'alarme , et leurs chefs s'enfuirent à Shouki-Anga. Quelques t Dillon, d'Urv. , UI, p. 707. — 2 D'Uivillc, II, p. 159. — 3 Madame Williams, d'Urv., III, p. 492 et suiv. — 4 Dillon , I, p. 188. D'Unilte, II, p. 229. 326 VOYAGE partisans de Shongui , voyant les missionnaires aban- donnés par leurs chefs, tombèrent sur leur établisse- ment , le pillèrent complètement et le réduisirent en cendres. Les colons furent heureux de pouvoir opé- rer sans accident leur retraite sur Kidi-Kidi : ce lut ainsi que périt la mission de Wangaroa après avoir duré seulement trois ans et demi '. Après une résistance assez opiniâtre , Shongui s'empara du pà des IXgale-Po , et extermina pres- qu'en entier cette malheureuse tribu. Mais il paya cher sa conquête ; à l'assaut de la forteresse , il reçut un coup de (eu dont la balle lui perça le corps de part en part. Cette blessure le réduisit à la dernière ex- trémité , et le mit pour jamais hors d'état de com- battre 2. La crainte de voir mourir Shongui et la perspec- tive des suites funestes qui pouvaient résulter pour eux de cet événement, placent les missionnaires de la baie des Iles dans l'état le plus inquiétant. Ils se décident à faire passer à Port-Jackson leurs effets les plus précieux, et ils se tiennent tout prêts à quit- ter eux-mêmes la Nouvelle-Zélande , sur le Herald , dès que le danger deviendrait imminent 3. Telle était la position où ils se trouvaient , quand t Astrolabe parut à la baie des lies , au mois de mars 1827. Ce navire venait d'exécuter la reconnais- i Missionnary llegister, d'Urv., III, p. 497 et suiv. — 2 Missionncuy Register, d'Urv., III, p. 5og. — 3 Missionnary Reglsier, d'Urv., III, p. 5n. DE L'ASTROLABE. 327 sauce suivie de plus de trois cents lieues des côtes de la Nouvelle-Zélande ; il avait découvert des ca- naux et des mouillages encore inconnus , et avait souvent communiqué avec les naturels de ces para- ges. L Astrolabe ne passa que cinq ou six jours sur la baie des Iles , et nous ne vîmes guère que Wetoï , neveu et successeur de Pomare, et Maounga , oncle de Ring-George , chef de Rorora-Reka , qui se trou- vaient en partance pour la baie Shouraki. Tekoke de Pahia et son {ils Rangui-Touke étaient déjà en marche avec leurs guerriers I . 31. Davis , l'un {les missionnaires de Pahia , avait voulu former un établissement d'agriculture à Kawa- Rawa et y élever des bestiaux. Les naturels s'y op- posèrent formellement , dans la crainte que ces ani- maux ne profanassent leurs tapons et leurs plantations de patates douces ou koamaras 2. Vers la fin de 1827 , 3TM. Hobbs et Stack rétabli- rent la mission de Weslev sur les bords du Shouki- Anga , dans un lieu nommé Mangounga , non loin de la résidence de Patou-One , chef puissant de ce canton 5. Enfin le redoutable Shongui meurt à Wangaroa , le 6 mars 1828 , des suites de ses blessures. Dans ses derniers momens il montre un grand courage, exhorte ses enfans à l'union , leur recommande les mission- naires , et leur défend d'immoler personne pour ac- i D' initie, II, p. 200 et suiv. — 2 D'Urvillc , II, p. 216. — i Mis- tionnary Réguler, d'Urv., III, p. 539. 328 VOYAGE compagner son esprit '. Son cousin Rewa lui succède dans le commandement de Kidi-Kidi. De grands troubles ont lieu après la mort de ce chef, et les missionnaires sont quelque temps plon- gés dans une cruelle perplexité. Cependant leur si- tuation s'améliore peu à peu , et ils finissent même par obtenir une influence plus marquée sur l'esprit des naturels. Sur la fin de février, les Ngapouïs , commandés par Rewa , menacèrent la tribu de Kawa-Kawa de tout leur ressentiment. Tekoke eut recours aux mis- sionnaires, W. Williams et Davis ; et grâce à leur mé- diation , Rewa se borna à faire une visite amicale au peuple de Kawa-Kawa 2. Quelques jours après la mort de Shongui, une ba- taille avait eu lieu entre les naturels du Shouki-Anga et ceux de la baie des Iles. Ceux-ci avaient eu le des- sous, et les INgapouïs avaient été mis dans une dé- route complète. Ils craignirent que leurs ennemis ne profitassent de leur victoire pour achever de les écra- ser, et ils s'adressèrent aux missionnaires pour leur servir de conciliateurs. MM. H. Williams et Davis réussirent encore à rétablir la paix, le 26 mars, entre Patou-One et ses rivaux 3. Rewa , successeur de Shongui , qui avait toujours témoigné un caractère plus pacifique que ses collè- i G. Clarke, d'Urv., III, p. 5i8. Stock, d'Urv., III, p. 53y. — a R. Davis, d'Urv., III, p. 536. IF. Jlilllams, d'Urv., III, p. 538. — 3 //. JVilliams, d'Urv., III, p. 52 1 et suiv. DE 1/ÀSTROLA.BE. 329 gués , semble disposé à vivre en paix avec tous ses voisins; sa fille s'est mariée à l'un des principaux chefs du Sud , et cette union promet d'être un nouveau gage de bonne intelligence «. Dans ses dernières let- tres écrites de Parramatta , en date du 1er jan- vier 1829, M. Marsden annonce que tous les natu- rels de la baie des Iles se trouvaient en paix les uns avec les autres et même avec les habitans des régions méridionales , et qu'ils faisaient de véritables progrès dans les voies de ^Evangile et de la civilisation. Il venait de recevoir plusieurs fils de chefs des envi- rons du détroit de Cook que leurs parens lui en- voyaient pour les instruire. Toutes ces nouvelles donnent enfin lieu d'espérer que les Nouveaux Zélan- dais pourront un jour renoncer à leurs guerres d'ex- termination pour s'occuper sérieusement des arts utiles et de l'agriculture 2. Nul doute qu'alors ces sauvages seront à même de former une véritable nation, du moins est-il certain qu'aucun peuple dans l'Océanie ne semble réunir autant de conditions favorables pour atteindre ce but. Nota. L'espoir des missionnaires fut trompé. Au mois de mars i83o, la mauvaise conduite d'un capitaine baleinier, que l'on ne nomme pas, fut cause que les habitans du Nord, gui- dés par Oudou-Roa , marchèrent contre les naturels de la partie méridionale de la baie des Iles, réunis sous les ordres de Rewi-Rewi. Le 6 mars, les deux armées en vinrent aux mains ; un combat sanglant eut lieu à Korora-Reka , où péri- • i R. Davis, d'Urv., III, p. 537. — = Marsden, d'Urv. , III, p. 54r. 330 VOYAGE rcnt une centaine d'hommes et un chef nomme Tako. Le sur- lendemain, M. Marsden arriva à la baie des lies, et, de concert avec les missionnaires de Pahia , il réussit à rétablir la paix entre les deux partis ennemis. Elle fut conclue définitivement le 18 1. Les dernières nouvelles des missionnaires, en date des mois d'août et septembre i83o, et février i83i, représentaient les naturels comme mieux disposés que jamais à les écouter et à adopter la religion chrétienne. Ils ont même la satisfaction de conférer de temps en temps le baptême à quelques insulaires dont la foi leur paraît désormais bien établie 2. M. W. Yate avait porté une presse à la Nouvelle-Zélande, et il avait déjà imprimé cinq cent cinquante exemplaires de- divers chapitres tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, en langue du pays. Les naturels étaient, dit-on, fort empressés de se procurer ce petit volume qu'ils nommaient Maore 3. Un nouvel établissement allait être formé à Waï-Mate, sur un terrain fertile et bien arrosé, où les Missionnaires se flat- taient de l'espoir de cultiver avec succès toutes sortes de grains et de productions utiles. Ils se proposaient d'établir une bonne route de communication, pour des chariots, de ce point à Kidi-Kidi, et de construire un moulin à eau. Déjà un pont solide avait été jeté sur une rivière de soixante pieds de lar- geur. MM. Clarke, Hamlin et Preece étaient destinés pour cette nouvelle station, qui promet d'être la plus importante de toutes celles qui ont été formées à la Nouvelle-Zélande 4. « W. Williams , Davis , Marsden, d'Urv. , III, p. 55g et suiv. — 2 Mis- sionnary Register, janvier i83i , p. 5g et suiv. — 3 Missionnary Register, d'Urv. , III , p. 574. — 4 Missionnary Register, février i83i , p. 109 et suiv.; juillet i83i , p. 333. DE LASTROLA.BE. 331 CHAPITRE XVIII. DESCRIPTION GEOGRAPHIQUE DE LA NOUVELLE-ZELANDE. Les géographes sont convenus de désigner sous le titre de Nouvelle-Zélande les grandes îles australes renfermées entre le 164 et le 17 6e degré de longitude à l'est de Paris, qui s'étendent depuis 34° 12' jusqu'à 48° de latitude S. Il s'en faut de beaucoup néanmoins que ces îles occupent la majeure partie de la surface indiquée par cette espèce de trapèze. Leur superficie se réduit à peu près à celle d'une bande de terre de quatre cents lieues terrestres environ de longueur, sur vingt-cinq à trente lieues de largeur moyenne. Cette bande est interrompue vers son centre par un canal ( détroit de Cook ) dont la largeur varie de qua- tre à'vingt-cinq lieues ; elle est en outre disposée de manière à former un espèce d'arc Irès-courbé , dont la concavité se présente au N. O. De cette partie soufflent aussi les vents les plus fréquens et les plus furieux dans ces parages , et il n'est pas douteux que c'est à leur action qu'est due la configuration des côtes 332 VOYAGE de la Nouvelle-Zélande. Sans cesse répétée pendant la durée des siècles , cette action des vents sera par- venue, à la longue , à pratiquer le canal qui sépare cette terre en deux îles , pour laisser en cet endroit un libre cours aux flots* de la mer continuellement chassés vers le S. E. Quant aux noms que doivent porter ces deux grandes îles dans l'idiome du pays , Cook avait déjà annoncé ceux de Tovy-Poenammou et d1 Eahi-No- Mauwe « avec une sorte d'incertitude. V Astrolabe , en 1827, constata qu'au détroit de Cook au moins les naturels désignaient par ces noms les terres situées respectivement au S. O. et au N. E. du détroit '*. Sans doute il y eut une erreur de transcription sur le ma- nuscritde Cook pour le dernier de ces noms ; en outre, pour éviter les inconvénicns de l'orthographe anglaise, j'ai adopté définitivement Tavaï-Poimamou'^ouvYWc australe, et Ika-Na-Mawi pour l'Ile septentrionale. Il est possible néanmoins que ces désignations ne doivent réellement s'appliquer qu'aux districts voi- sins du détroit de Cook , mais nous les emploierons, du moins jusqu'à ce que l'on connaisse positive- ment ceux qui sont usités parmi les naturels. Touai voulait que les habitans de l'ile Nord se nommas- sent Kaïnga-Maodij c'est-à-dire qui habitent dans la patrie, et ceux de l'ile Sud Kaï-Kohoura, man- geurs d'écrevisses. Suivant M. Kendall, le vrai nom i Cook, prem. Voy. , III, p. 201. — 3 D'Uivilk , II, p. 80. Xicholas , d'Urv.,III, p. 628. DK L'ASTROLABE. 333 de l'île Nord était Ika-Nn-Maivi^ et celui de l'autre Kaï-Kohoura. On sait que l'île la plus australe, dé- couverte seulement au commencement de ce siècle , a reçu des Anglais le nom d'île Stewarl. Ainsi qu'on l'a observe de la plupart des terres si- tuées sous une latitude méridionale plus ou moins avan- cée, ces îles jouissent d'une température moyenne, bien plus froide que celle des terres situées dans l'hémisphère septentrional , à une distance égale de l'équaleur. Cependant cetle température est aussi plus constante , et la marche du thermomètre n'offre jamais ces différences qu'on observe dans nos cli- mats d'Europe, entre ses indications en hiver et celles de l'été *. Dans son premier voyage, Cook, au mois de mai , qui répond à notre mois de novem- bre, observa 46° de Fahrenheit à la baie Dusky, et 53° % au cap Foul-Wind, ou bien 7°, 8 et 10°, 8 du thermomètre centigrade. Jusqu'au 6 juin, Forster n'avait point vu de gelée dans le canal de la Reine- Charlotte 2, et il pensait que l'hiver y était fort doux 5. Anderson jugea que les deux saisons devaient y être fort tempérées 4. Pendant tout le mois de mars en 1820 , M. Cruise observa constamment le thermomètre de Fahrenheit à la baie des Iles et à Wangaroa entre 68 et 73°, c'est- à-dire entre 20 et 22° cent. En avril, il descend graduel- lement jusqu'à 60° F. ou 16°, 7 cent. En mai, l'indica- 1 Cook, deux. Voyv, II, p. 107. — 2 Cook, deux. Voy., I , p. 24?-. 3 Cook, deux. Voy., I, 104. — 4 Cook, trois. Vov. , I, p iS5. 334 VOYAGE lion moyenne est de 13°. En juin, de 12° cent. En juillet, la moyenne est la même ; mais le mercure des- cend jusqu'à 5°, dans certains jours. En août, il se maintient entre 12 et 16°; en septembre, il varie dans les mêmes limites ; en octobre , il se soutient entre 1 6 et 1 8° ; en novembre , la station est la même, et il monte une seule fois jusqu'à 25°. Dans les pre- miers jours de décembre, il ne dépassait pas encore 17 et 18°. Le 3 juillet, M. Cruise avait observé de la glace de l'épaisseur d'un schelling I . La Coquille, dans son séjour à la baie des Iles, du 3 au 1 7 avril 1 824 , vit habituellement le thermomè- tre entre 19 et 21°; il ne passa point 24° , et ne des- cendit pas au-dessous de 1 8°. La plus grande diffé- rence observée entre le minimum et le maximum de chaleur dans le cours de la journée a été de 4 à 5°. V Astrolabe en 1827 nous offre une suite d'expé- riences de température bien plus complète. Durant tout le mois de janvier, par 42 et 41° lat. S. , le ther- momètre ne s'élève jamais au-dessus de 18° ; il est ha- bituellement fixé entre 1 5 et 1 6° : le matin , lors du minimum , il ne marque souvent que 12 et 13°. Dans la première quinzaine de février, entre 4 1 et 37° lat. S., le thermomètre se maintient constamment entre 18 et 20°; une seule fois, au mouillage de Houa-Houa , il s'élève à midi jusqu'à 21°, 7. Durant les quinze der- niers jours de février, il occupe la même station entre 36 et 37° lat. S. , tant que nous sommes au large de la i Ci ruise, p. 173. DE L'ASTROLABE. 335 cote ; mais lorsque nous parvenons au milieu des îles de la baie Shouraki, il s'|Iève jusqu'à 21 et 22°. Enfin, durant les vingt premiers jours de mars , entre 34 et 36° lat. S. , sa station habituelle est encore entre 19 et 21°, il s écarte à peine de ces limites, et la tempéra- ture est très-uniforme. Des considérations précédentes , et jusqu'à ce que l'on possède des observations plus suivies et plus po- sitives , on peut conclure que : La Température moyenne DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE, Par 35° 3o' lat. S. pourrait être re- présentée pour chaque mois de Tannée par : ( Pour midi chaque jour) Juillet la0 therm. Août 14 Septembre. . . 14 Octobre .... 17 Novembre ... 17 Décembre ... 18 Janvier 19 Février a 1 Mars 20 Avril 18 Mai i3 Juin 12 Moyenne. . . r4°, 7 La Température moyenne DE PARIS, Par 48° 5o' lat. N. ( connaissance des temps, année 1829) est de : (Pour midi chaque jour) ccnlig. 5,o. . Janvier. 6,5. . Février. 8,5. . Mars. 16,0. . Avril. 18,0. . Mai. 21,0. . Juin. • 25,o. . Juillet. 23,o. . Août. 21,0. . Septembre. i5,o. . Octobre. 9,0. . Novembre. 8,0. . Décembre. 16,7. Ma yen ne. Du premier coup-d'ceil , ce tableau indique que la 336 . VOYAGE baie des Iles , bien que située à plus de 1 3° plus près de l'équateur que Paris , ne jouirait que d'une tempé- rature de 2° plus basse que cette ville. Ce tableau démontre en même temps que le climat de la baie des Iles n'est point sujet en hiver à des froids aussi intenses , aussi prolongés que celui de Paris , de même qu'au fort de l'été les chaleurs sont moins con- sidérables. On objectera peut-être que le tableau précédent n'offre guère que les maxima de température de cha- que mois, comparés dans les deux stations de Paris et de la baie des Iles. Mais il est probable que quand on aura pu se procurer aussi les minima du thermo- mètre pour celte dernière station, comparés aux mi- nima de Paris, ils offriront des résultats analogues. Cette uniformité de température explique pour- quoi les arbres à la Nouvelle-Zélande conservent leurs feuilles jusqu'au milieu de l'hiver, et comment, aux mois d'avril et de mai, on y voit encore en pleine fleu- raison des plantes potagères qui, dans nos climats, sont depuis long-temps desséchées, à une époque correspondante de l'année. Toutefois , on ne doit pas perdre de vue que toutes les indications thermométriques jusqu'à ce jour ob- servées à la Nouvelle-Zélande, ne l'ont été qu'à la mer ou sur la côte. Nul doute qu'en pénétrant à une cer- taine distance dans les terres, on n'observât des cha- leurs plus intenses et des froids plus rigoureux. Quoi qu'il en soit , aucun des voyageurs qui ont visité la Nouvelle-Zélande au milieu de l'hiver, même dans ses DE L' ASTROLABE. 33? parties australes , n'a vu la neige séjourner dans les plaines, ni la glace prendre la moindre consistance. Nulle part dans le monde , les vents ne régnent avec autant de fureur que sur les côtes de la Nouvelle- Zélande, et, si elles avaient été connues des anciens, il est bien certain que c'est là qu'ils eussent établi l'em- pire d'Eole. Sans doute, comme partout ailleurs, les vents doivent être plus redoutables dans les mois d'hiver : cependant il n'est pas de saison de l'année où ils ne puissent assaillir le navigateur. Le temps en apparence le plus beau ^ le ciel le plus pur, ne peuvent offrir de garanties contre leur violence. Souvent , quand ces vents semblent un peu s'apaiser, ils se raniment tout-à-coup pour souffler avec la même fureur, soit du même côté, soit du bord opposé. En un mot, les navigateurs appelés à fréquenter ces côtes orageuses ne sauraient apporter trop de vigi- lance dans leurs manœuvres. Tasman, le premier , éprouva la violence des vents qui régnent dans ces parages. Cook , dans sa belle re- connaissance , manqua plus d'une fois en être la vic- time. Ils mirent Surville à deux doigts de sa perte , et n'épargnèrent point Marion. En janvier , février et mars 1823 , le schooner le Snapper fut accueilli près du détroit de Foveaux par des ouragans furieux : M. de Blosseville a tracé le tableau des temps affreux que ce navire essuya durant les trois mois qui forment l'été de ces contrées australes » . i Blosseville, p. 14 et suiv. TOME II. 24 338- VOYAGE La Coquille, en juin 1823, vit un rude échantillon de ces tourmentes , bien qu'elle ne fùl encore que par 33° lat. S. ; enfin sur V Astrolabe ces bourrasques terribles nous tourmentèrent cruellement, quoique nous fussions alors au milieu de l'été. Cependant nous devons aussi convenir que, depuis le .16 février jusqu'à la fin de mars , nous cessâmes d'éprouver des temps aussi mauvais : par conséquent nous serions disposés à croire que ce serait là l'époque la plus fa- vorable pour la navigation de ces côtes. Nous allons maintenant prçpcéder à la description géographique de la Nouvelle-Zélande , autant du moins qu'il nous sera possible de le faire , par suite des découvertes et des reconnaissances opérées jus- qu'à ce jour. On doit présumer d'avance que nos con- naissances se bornent à peu près au littoral; l'intérieur de ces terres nous est encore inconnu , et. M. Mars- dcn seul a traversé l'île de [ka-Nà-Mawi ; encore ses voyages n'ont-ils eu lieu que dans la portion la plus resserrée de cette île, où elle n'offre guère que douze ou quinze lieues de largeur. Nous allons commencer par les régions australes de la Nouvelle-Zélande , et nous poursuivrons notre description en nous avan- çant progressivement vers le nord. Les premières terres qui annoncent l'approche de la Nouvelle-Zélande du coté du sud sont les Embû- ches , Snares , qui forment un groupe de sept petites îles escarpées , occupant un espace de six milles envi- ron de l'E. N. E. à l'O. N. O. , et situées par 48° 3' lat. S., suivant Vancouver qui les découvrit. DE L'ASTROLABE. 339 La plus grande située au N. E. a trois lieues de cir- cuit, et peut s apercevoir à la distance de huit à neuf lieues par un temps clair. A vingt lieues à i'E. N. E. de ces îlots gisent deux groupes de rochers fort dangereux , éloignés l'un de l'autre de trois lieues , et dont le plus septentrional n'est lui-même qu'à trois lieues au sud de la côte. Cook , en 1769 , passa entre ces deux écueils, et les nomma les Pièges, Traps i. Le cap Sud de la Nouvelle-Zélande de Cook forme aujourd'hui la pointe la plus australe d'une île qui a pris le nom de Stewart , et qui s'est trouvée détachée de Tavaï-Pounamou par la découverte du détroit de Fo veaux 9. Cette île , qui offre un contour de cin- quante à soixante lieues d'étendue , est encore très- imparfaitement connue , et je ne puis dire si elle est habitée. Cook nota simplement que c'était une terre élevée et stérile avec quelques arbrisseaux et arbres. Il y remarqua plusieurs taches blanches qui réfléchis- saient les rayons du soleil 3. Dans une petite carte dressée par M. de Blosseville, en 1826, d'après les indications du capitaine Edward- son, je vois figurer sur la côte de l'île Stewart les îles Longue, Kackahow, Ernest, Fenoua-Ho et Chase, ainsi que les ports Facile , Mason , Williams et Pega- sus. M. de Blosseville rapporte qu'en 1823 M. Ed- wardson trouva un bon abri pour son petit navire i Cook, prem. Voy., III, p. 229. — a Blosseville, p. 24. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 229. ,4' :;<0 VOYAGE dans le port Facile et dans le port Mason. Aux envi- rons du premier , ce capitaine rencontra de l'eau douce, mais stagnante et de mauvaise qualité , des buissons touffus et mêlés de ronces et de fougères , et pas un seul arbre. On tua un grand nombre d'oi- seaux de diverses espèces, et l'on observa des feuilles de phormium de quinze pieds de longueur. Tous les pêcheurs de phoques font un grand éloge de Port- Williams où l'on a huit ou dix brasses , fond de sa- ble '. Sur les bords d'une crique d'eau douce s'étend une grande plaine couverte de beaux arbres du genre des pins qui sont d'une excellente qualité ; mais il n'y a point de phormium. Le détroit de Foveaux sépare File Slewart de la grande île Tavaï-Pounamou. Ce canal a une lar- geur assez uniforme de dix ou douze milles ; mais les îles dont il est parsemé à son entrée comme à sa sortie , et les courans impétueux qui y régnent en rendent la navigation épineuse. L'établissement de la pleine mer, dit M. de Blosseville, est à trois heures après midi , et la marée s'y élève de dix pieds. A l'est , une chaîne de petites îles , îles Bench, qui s'étendent devant le Port-AVilliams , puis un groupe considérable d'autres îles situées au sud de Port-Mac- quarie , barrent presque entièrement, le détroit de Foveaux , et ne laissent guère entre elles qu'un pas- sagede trois ou quatre milles d'ouverture. La grande île Roua-Bouki possède sur sa bande occidentale un pe- i Blossr Cook, prem. Voy., p. 2 38 et suiv. — 2 D'Urville, II, p. 12. 346 VOYAGE et de l'est , niais on courrait les plus grands risques dès qu'il varierait à l'ouest ou au nord l . Bientôt la côte se relève en falaises escarpées et peu boisées pour courir au N. E. 1ji N. l'espace de vingt milles environ. Elle s'abaisse encore par 41° 25' la t. S. , se relève de nouveau et court presque droit au nord jusqu'à la Pointe des Rochers de Cook, par 40° 56' lat. S. Cette pointe est élevée, boisée, peu saillante , et reconnaissable seulement par quelques rochers situés tout près de terre 2. Au-delà la côte se dirige au N. E. dans une étendue de trente-cinq milles jusqu'au cap Farewell ; elle prend un ton moins sauvage, les mouvemens du sol s'adoucissent, parfois même on aperçoit des grèves de sable d'un aspect agréable 5. Par 40° 35' lat. S. un bassin considérable se mon- tre sur la côte ; mais V Astrolabe qui n'en passa qu'à deux milles et demi, trouva son entrée barrée par des brisans , et le nomma pour ce motif Havre Barré 4. Nous devons rappeler que Cook n'avait observé aucun indice d'habitans sur toute la côte occidentale de Tavaï-Pounamou , depuis la baie Dusky jusqu'au cap Farewell 5. L'Astrolabe, qui examina la côte avec soin dans un développement de près de cent cinquante milles, n'en vit pas davantage. Jusqu'à quatorze milles à l'E. S. E. du cap Fare- well règne une bande de terre étroite qui se termine ■ D'Vrville, II, p. i5. — 2 D'Uiville, II, p. 16. — 3 D'Uiville, II, p. 17. — 4 D'Urville, idem. — 5 Cook, prem. Voy. , III, p. a5o. DE L'ASTROLABE. 347 en une pointe basse et sablonneuse '. Cette pointe forme avec le cap Stephens l'entrée de la baie Tas- man , reconnue pour la première fois par l'Astrolabe qui lui trouva quarante milles de largeur de Test à l'ouest sur quarante -cinq milles de profondeur du nord au sud. Le bassin du Massacre, situé immédia- tement au sud de la pointe des Sables, est encore im- parfaitement connu 2. L'expédition de l'Astrolabe fit connaître deux bons mouillages sur la cote occidentale de la baie Tasman , savoir l'anse de l'Astrolabe et celle des Torrens. Il est probable qu'elle en contient d'autres , notamment derrière l'île Pépin et dans la baie de Ooisilles. La baie Tasman offre de belles forets et de nombreux torrens d'une eau très-limpide. Elle est terminée dans le sud par une vaste plaine qu'environnent dans le lointain d'énormes montagnes couronnées de neiges éternelles. Les Français observèrent sur ses bords deux villages que les habitans leur nommèrent Skoï- Tehe et Maï-Tehe 5. Celte grande baie communique par un canal , le bassin des Courans , et par une passe étroite et fort dangereuse , la passe des Français , avec la baie de l'Amirauté. La passe des Français sépare de la grande terre l'île d'Urville, longue de vingt milles environ sur cinq ou six milles de large. Cette île est très-montueuse et couverte de forêts ; cependant elle i D'Urville , II, p. 19. — 2 Cook , deux. Voy. , I, p. 221. — 3 D'Ur- ille, U, p. 20 et suiv. 348 VOYAGE offre quelques villages sur sa bande orientale. Au nord elle est terminée par le cap Stephens, et accom- pagnée de quelques petites îles *. La baie de l'Amirauté qui vient à l'est de celle de Tasman a quinze milles environ de largeur sur une profondeur à peu près égale. L'étendue du bras qui se dirige au S. O. des îles Gaimard est encore in- connue. Sur les bords de cette baie les terres sont gé- néralement fort acores 2. Les caps Jackson et Koamaro , distans l'un de l'autre de huit milles , forment l'entrée du canal de la Reine-Charlotte, si bien connu par les diverses relâ- ches du célèbre Cook 5. Une foule de criques et d'an- ses v présentent des mouillages meilleurs les uns que les autres. Ce canal s'enfonce à vingt-cinq milles au loin dans les terres , et pénètre peut-être plus avant encore ; il ne serait pas impossible qu'il se réunît à quelque ramification de la baie de l'Amirauté ou de la baie Cloudy. Le canton qui entoure ce canal porte le nom de Totara-Nouï. Il est assez peuplé, Cook eut de fréquens rapports avec ses habitans, et l' Astrolabe en 1827 vit leurs feux 4. Cook en 1770 estima leur nombre à quatre cents 5. Dans son second voyage , il en vit à peine le tiers 6 *, cependant, peu de jours après son départ, ces sauvages massacrèrent dix hommes de l'équipage de Furneaux , et le lieutenant Burney i D'Urvdle, II, p. 47 et suiv. — ' Cook, prem. Voy. , III, p. 242 et suiv. D'Urville, II, p. 68. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 200, 2o5. — 4 D'Urville, II, p. 69. — î Cook, prem. Voy. , III, p. 207. — 6 Cook, deux. Voy., I, p. 267. DE L'ASTROLABE. 349 estima à quinze cents ou deux mille le nombre des sau- vages qu'il trouva rassemblés dans l'anse des Nigauds par suite de cet attentat l. D'immenses et profondes forêts environnent les bords du canal de la Reine- Charlotte ; le terrain en est montueux ; Forster y re- cueillit plusieurs substances d'origine volcanique 2. Depuis le cap Koamaro, la côte qui est fort abrupte court l'espace de vingt-deux milles au S. S. O. jus- qu'à l'entrée de la baie Cloudy qui a cinq milles en- viron d'ouverture. Tout est encore inconnu dans cette baie qui doit offrir, comme celles de la Reine-Char- lotte et de l'Amirauté , des havres sûrs et commodes pour les navires. J'eusse été bien curieux de les visi- ter à cause du mont Tako5 situé sur ses bords, et près duquel se trouverait le Pounamou , au dire des habi- tans de Tera-Witi 4. Le cap Campbell , situé à douze milles à l'E. S. E. de cette baie, forme l'extrémité N. E. de Tavaï-Pou- namou , et se termine par une pointe basse que pré- cède un terrain plus élevé 5. A partir de ce cap la côte fuit au S. O. , et nous sommes contraints de nous contenter de ce que nous a dit Cook qui ne la vit que de loin et fort imparfaite- ment 6. A vingt-deux lieues du cap Campbell , Cook fait mention d'une terre qui lui parut être une île située i Cook, deux. Voy. , IV, p. i4:- — D Cook, prem. Voy., III, p. 208. Deux. Voy., I, p. 245. Trois. Voy. , I, p. 184. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 210. — 4 irUnnlk, II, p. 80. — 5 D'Uiville, II, p. 72. — <> Cook, prem. Voy., III, p. 210. 350 VOYAGE sous une cote fort élevée et à laquelle il donna le nom de Lookers-On , parce qu'il y reçut la visite d'une soixantaine de naturels qui s'approchèrent de son navire et se contentèrent de l'examiner sans vouloir l'accoster > . Une chaîne de montagnes fort hautes suit la direc- tion de la côte à une certaine distance dans les terres, et Cook signale un pic plus élevé que les autres som- mets situé par 42° lat. S. environ 2. Par 43° 45' lat. S. , Cook rencontra une terre assez considérahle , à peu près circulaire et médiocrement haute, qu'il crut séparée de Tavaï-Pounamou , et à laquelle il donna le nom d'île Banks 5, Ce navigateur lui assigna vingt-quatre lieues de tour, et malgré sa stérilité apparente, les fumées qui s'en élevaient vin- rent lui confirmer qu'elle était habitée. Des voyages plus récens ont prouvé que cette île prétendue tenait réellement à la terre par un isthme bas et sablonneux que Cook ne put apercevoir 4. Depuis la presqu'île de Banks , dans une étendue de plus de vingt lieues , la reconnaissance de Cook laisse beaucoup de vague sur la nature de la côte. 11 ne s'en rapprocha que par 44° 30' lat. S. , où il trouva qu'elle était fort basse à la mer, d'une apparence très- stérile , et sans aucun indice d'habitans 5. Ensuite jusqu'au cap Saunders , sa navigation nous i Cook, prem. Voy., III, p. 218. Deux. Voy. , II, p. g5. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 216, 219. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 220. — 4 Blusset-Me, p. 18. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 111. DE L'ASTROLABE. 351 apprend encore peu de chose , seulement que les terres sont largement entrecoupées de vallées et de montagnes '. Cook place le cap Saunders sur sa carte par 45° 55' lai. S. , et il en parle comme d'une pointe* ronde, élevée dans le sud , près de laquelle la côte semble former deux ou trois bons mouillages contre les vents du S. O. et du N. O. 2. Par 46° 24' lat. S. environ , la carte de Cook indi- que un enfoncement sous le nom de havre Molineux, et son texte annonce qu'il vit des fumées aux envi- rons. On ne possède encore aucune donnée sur la nature de la côte entre le havre Molineux et l'ile Roua-Bouki. Elle est probablement dépourvue de tout accident remarquable. La petite carte de M. de Blos- seville donne au havre Molineux une configuration propre à en faire un mouillage intéressant , si le bras- siage est bon. Nous venons de terminer la revue complète de Ta- vaï-Pounamou , et cette revue démontre que nos con- naissances sont bornées au littoral, où souvent même elles sont fort incomplètes. La côte occidentale de cette grande île est déserte; ce n'est qu'à l'est du cap Farewell d'une part , et à l'est du cap Ouest de l'au- tre , que les habitans commencent à paraître. Sans aucun doute cela tient aux vents furieux de l'ouest qui désolent la côte occidentale, et en rendent le sé- jour peu agréable à l'homme ; tandis que les hautes montagnes de l'intérieur protègent la côte orientale « Cook, prem. Vov., III, p. 22',. — a Cook, prem. Vov., III, p. ii5. 352 VOYAGE contre la violence de ces vents. Cette disposition na- turelle du sol doit en outre établir une grande diffé- rence entre la température habituelle de ces deux côtes : nous en éprouvâmes nous-mêmes les effets lors de notre navigation sur V Astrolabe en 1827. Avant de passer à l'île Ika-Na-Mawi , nous dirons d'abord quelques mots du détroit de Cook qui la sé- pare de Tavaï-Pounamou. Ce détroit , qui a près de trente lieues de large entre les caps Farewell et Borell , affecte une direc- tion générale du N. O. au S. E. , en se resserrant promplement et graduellement pour former une es- pèce d'entonnoir qui n'a guère plus de dix milles de large dans l'endroit le plus resserré , entre le cap Poli-Wero et le morne des Eboulemens. Au-delà de ce point il s'élargit de nouveau avec rapidité , et n'a pas moins de quarante milles d'ouverture à son entrée du côté du sud , entre les caps Kawa-Kawa et Campbell. On sent bien qu'une telle configuration jointe aux vastes bassins situés sur ses côtes , surtout sur les bords de Tavaï-Pounamou, doit y rendre les ma- rées très-violentes et fort irrégulières , particulière- ment dans l'endroit le plus étroit. C'est ce qui a lieu effectivement , et cela rendrait la navigation de ce dé- troit fort dangereuse si ses côtes n'étaient pas aussi saines ; les seuls écueils que l'on y connaisse sont , les rochers à fleur-d'eau situés à deux ou trois milles au S. O. du cap Koamaro, les brisans aune demi- lieue au large du cap Jackson , et le banc de l'entrée à quatre ou cinq milles au large de la pointe des Sables. DE L'ASTROLABE. 353 Le ilôt arme dans le détroit de Cook du S. E. au N. O. avec une grande rapidité , et le jusant s'en retourne du N. O. au S. E. avec une violence plus grande encore. Nous allons attaquer l'île du Nord au cap Kawa- Kawa , puis nous nous dirigerons à l'ouest et au nord comme nous avons fait pour Tavaï-Pounamou. Le cap Kawa-Kawa , situé par 41° 37' lat. S. , qui forme l'extrémité méridionale de Ika-Na-Mawi , est composé de montagnes élevées et fortement acciden- tées qui se terminent au sud en une pointe obtuse. Cette poinle est accompagnée par une lisière étroite d'un terrain plus bas et par quelques rochers aigus éloignés à peine d'une ou deux encablures du rivage ». Immédiatement à l'ouest du cap , la côte remonte di- rectement au nord l'espace de seize milles pour for- mer un des côtés de la vaste baie Inutile 2. La baie Inutile , large de vingt milles environ sur dix de profondeur, est entièrement ouverte aux vents du sud , et le ressac est si violent au rivage que le ca- not de V Astrolabe ne put y trouver un point où l'on pût débarquer en sûreté. Le fond de cette baie est occupé par un terrain fort bas où se trouve un lagon. A une grande distance dans l'intérieur, de hautes mon- tagnes offrirent aux marins de V Astrolabe des feux si vifs et si permanens qu'ils restèrent indécis si ces feux n'appartenaient point à quelque volcan. Le cap Toura-Kira forme la pointe N. O. de la baie Inutile 5. i D'Urville, II, p. 78. — ■>■ Cook, deux. Vov. , II, p. i34. — 3 D'Ur- ville, II, p. 72 et suiv. TOME II. 25 S.i VOYAGE Entre le cap Toura-Kira et la partie méridionale du cap Poli-Wero, la côte forme un nouvel enfoncement où l'Astrolabe crut apercevoir des îles et des pres- qu'îles '. Tehi-Noui et Koki-Hore m'assurèrent qu'il s'y trouvait de bons mouillages, et que leurs compa- triotes habitaient sur les bords de cette baie : les mis- sionnaires de Pahia me confirmèrent l'existence de ce' havre. En novembre 1773, Cook mouilla sur cette baie qui parut à Forster s'enfoncer si avant dans les terres , qu'il douta si le cap Poli-Wero n'était pas une île séparée d'Ika-Na-Mawi. Les environs sont occupés par des montagnes noirâtres , fort élevées et presque nues °. Tout ce pays prend le nom de Tera-Wili. Toute la portion de côte comprise entre le cap Poli-Wero et le cap Borell est encore fort mal con- nue. On sait seulement que sa direction , après avoir été l'espace de douze ou treize lieues le N. N. E. , court ensuite au N. N. O. , à quelque distance de l'île Entry. Cette île, située près de terre, est d'une éléva- tion moyenne , et se voit facilement de l'entrée du ca- nal de la Reine-Charlotte. Suivant Toupe-Koupa , près de l'île Entry, deux bras de mer s'enfoncent très-avant dans les terres et forment de vastes bassins où les navires trouveraient d'excellens mouillages , et dont les bords sont cou- verts de magnifiques forêts de koudi , kaï-kalea et au- tres bois de construction 3. i D'Uri'ille, II, p. 72. — a Cook, deux. Voy. , II, p. 98, r35. — 3 Toupe-Koupa, d'Urv. , III, p. 779. DE L'ASTROLABE. 355 Par 39° 48' lat. S., M. de Blosseville place sur cette côte l'entrée d'un port considérable qu'il nomma Tara-Nake l, dont il est question dans le récit de Ru- therford 2. Il n'est pas encore décidé si ce havre est bon ou mauvais , on sait seulement qu'il reçoit une rivière qui vient de l'E. S. E. , et que ses rives sont couvertes de bois d'une excellente qualité. Ce havre de Tara-Nake ne serait-il pas identique avec les canaux indiqués par Toupe-Koupa ? Le cap Borell est un des quatre grands caps d'Ika- Na-Mawi, et le mont Egmont, en langue du pays Pouke-e-Aupapa, qui le couronne, forme un pic isolé très-remarquable 5. Les premiers navigateurs avaient cependant fort exagéré son élévation en l'assimilant au pic de Ténériffe, s'il n'a réellement que 7000 pieds, d'après les mesures de M. Simonoff. Le pays qui l'en- vironne est plat, boisé et d'un aspect agréable. Des feux furent observés par Cook , et Marion aperçut les habitans sur la côte. Sur la partie nord du cap Borell, une pointe termi- née en pain de sucre s'avance au large, et tout au- près sont de petites îles que Cook nomma îles du Pain de Sucre. Désormais la côte fuit au N. N. E. , et l'on n'en connaît rien dans une étendue de plus de vingt lieues, jusqu'à la pointe Albatros, que Cook annonce tout simplement être élevée et escarpée, en ajoutant que sur sa partie septentrionale et derrière i Blosseville, p. 10. — ■>■ Rulherford, d'Urv., III, p. -jSi. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 178. Deux. Voy., III, p. 344. Idem , V, p. 24. 25' 356 VOYAGE une petite ile , île Gannet , la côte semble former un bon mouillage r. Ne serait-ce pas là l'embouchure d'une grande rivière, Waï-Pa, dont la source, est voisine du montEgmont? M. de Blosseville y place le havre de Waï-Kato, qui est rempli de bas-fonds 2, et que je renvoie plus loin au nord. La pointe Alba- tros est probablement aussi cette montagne que Tas- man mentionne par 38° lat. S. , et qu'il prit d'abord pour une ile. A dix-huit milles au nord d'Albatros- Point se trouve Woody-Head, autre pointe couverte de bois , et qui s'élève doucement de la mer jusqu'à une hau- teur considérable 3; c'est derrière cette pointe que je place l'embouchure du Waï-Kato , rivière célèbre du pays, qui, au dire des habitans du nord, s'enfonce à une distance considérable dans les terres , et dont les eaux arrosent des cantons fertiles et très-peuplés 4. Les tribus de ces contrées jouissaient d'une haute ré- putation de bravoure et de férocité; long-temps en guerre avec elles , Houpa n'avait pu en obtenir la paix qu'en donnant sa fille en mariage à leur chef 5. Près de l'embouchure de ce fleuve est situé le pâ de Waï- Kato, qui, en 1827, sous le commandement de Ka- nawa, semblait être le chef-lieu des peuples de ce district 6-, Du reste, toutes ces positions ne sont guère que conjecturales. i Cook, prem. Voy., III, p. 176. — 2 Blosseville, p. 10. — 3 Cook , prem. Voy., ni, p. 176. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 3 40, 36a , 388. — 5 Nicholas, I, p. 3o,4. — « D'Unù/lr, II, p. i6ç). DE L'ASTROLABE. 357 A partir de Woody-Head , la cote d'Ika-Na-Mawi commence à courir assez régulièrement au N. N. O. jusqu'au cap Reïnga ; elle est en outre généralement occupée par des dunes de sable de l'aspect le plus triste et le plus lugubre. Par 37° lat. S. doit se trouver l'entrée de la baie de Manoukao, qui s'enfonce fort avant dans les terres , et de concert avec le canal de IVJogoïa réduit la partie N. O. d'Ika-Na-Mawi à une presqu'île qui ne tient à la partie méridionale de cette ile que par un isthme de deux milles de largeur. Suivant M. de Blosseville, le bassin de Manoukao est obstrué par des bancs nom- breux , et reçoit les eaux de deux rivières I . M. de Blosseville, d'après la carte des mission- naires, place par 36° 38' lat. S. l'entrée de la baie de Kaï-Para , qui ne serait que le confluent de quatre ri- vières assez considérables qui viennent se décharger sur ce point dans la mer. La première de ces rivières arrive du nord, en prolongeant la côte de près, et se nomme le Waï-Roa; la seconde, appelée le Kotamata, a sa source près du Wangari ; la troisième découle de TE. et la quatrième du S. E. 2. Le havre de Kaï-Para offre de six à seize brasses d'eau, fond de vase, mais on ne sait si l'entrée en est praticable. Ce bassin est en- vironné de dunes hautes et sablonneuses 3. A vingt-six lieues au N. N. O. du Kaï-Para , et par 35° 32' lat. S., se trouve l'embouchure du Shouki- i lilossaille, j>. 9. — 2 Marsden, d'Urr. , III, \>. 404. — 3 Blosseville, p. 8 et 9. 558 VOYAGE Anga, rivière importante, et dont les rives sont bien peuplées. Il n'est pas douteux que ce canal ne soit le False-Bay de Cook *. Par malheur, son entrée est oc- cupée par une barre sur laquelle il n'existe que neuf pieds d'eau à basse mer , autrement il offrirait un excellent mouillage, et d'autant plus intéressant que le cours de la rivière est navigable pour de grands na- vires , fort avant dans les terres 2. L'établissement de la marée sur la barre, dit M. de Blosseville, est à 91' 30', et elle marne de sept à dix pieds. A trois milles de l'embouchure et sur la rive méridionale de la rivière, on trouve le pà de Widia. M. Marsden vante la fertilité de plusieurs sites le long du Shouki-Anga. Depuis cet endroit jusqu'au cap Reïnga , dans un développement de soixante-quinze milles , la côte n'offre qu'une suite de dunes de sables blancs, de l'as- pect le plus triste et le plus rebutant 3; le mont Ohoura seul,' situé par 34° 50' lat. S. , rompt l'unifor- mité de cette terre stérile , qui sur ce point n'a que quelques milles de largeur, ce qui réduit encore à une presqu'île toute la partie dlka-Na-Mawi qui reste vers le nord. Enfin le cap Reïnga (cap M aria-Van- Diemen de Tasman ), situé par 34° 27' lat. S. , et par 170° 16' long. E., nous ramène sur les parties les mieux con- nues de Ika-Na-Mawi. Nos descriptions seront désor- « Cook, prem. Voy. , III, p. 178. — 3 Blossanlfc , p. 8. Dillon , II, p. 272. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 172 et 174. DE L'ASTROLABE. 359 mais beaucoup plus précises, quant à la nature de la côte et des mouillages qui s'y trouvent placés. Avant de passer outre , nous ne dirons qu'un mot des iles Manawa-Tawi, petit groupe situé par 34° 12' lat. S. et 169° 48' long. E., et qui se compose de trois ilôts accompagnés de plusieurs rochers dépouillés ' ; l'un d'eux est cependant habité et cultivé en certains endroits. L'étendue du groupe entier n'est pas de plus de six milles en longueur, suivant d'Entrecas- teaux 2. En langue du pays, tawi exprime la suite des lames qui viennent se briser à la plage , et manawa indique un souffle violent. La réunion de ces deux mots fait allusion à l'effet des fortes houles poussées à la plage par la tempête , et indique le ressac violent qui règne communément sur ces rochers isolés au milieu des flots 3. Du cap Reïnga au cap Otou, la direction générale de la côte est E. */4N. E. ; elle est escarpée et d'une hau- teur médiocre. Entre Reïnga et Olahe, la terre se creuse en une espèce de baie ouverte à tous les vents de la partie du nord 4. Au S. O. du cap Otou se trouve une petite anse ouverte aux vents du N. O. et environnée d'une plage de sable: sur ses bords et du côté oriental est situé le village de Pakohou. Le cap Otou ou cap iNord fait partie d'une pres- qu'île de cinq ou six milles de circonférence, nommée par les naturels Moudi-Wenoua, et qui termine au i Cook, prem. Voy., IU, p. 168. — 2 D'Entrecasieaux , I, p. 270. — 3 Grammar of New-Zealand, p. 174, 211. — 4 D'Un'ille, II, p. 190. 360 VOYAGE nord Ika-Na-Mawi, en ne tenant au reste de Hic que par un isthme étroit et sablonneux », Ce cap est si- tué par 34° 24' lat. S., et 170° 41' long. E., et peut se voir de huit à dix lieues de dislance. Un îlot situé près de sa partie orientale porte le nom de Moudi-Motou 2. MM. Marsden et ÎNicholas ont vanté la beauté du paysage et la belle tenue des plantations aux environs du cap Nord 5. La côte court au S. '//, S.O. l'espace de six milles; elle creuse ensuite de manière à former une petite anse dans un endroit nommé Pa-Reïnga-Reïuga. On m'a dit qu'il s'y trouvait un bon mouillage, mais je ne sais rien de plus positif à cet égard. Désormais la côte, jusqu'au mont Ohoura , n'est plus qu'une suite de dunes de sable d'une blancheur éblouissante , et sa concavité forme cette vaste baie que Cook nomma Sandy-Bay, et sur laquelle on trouve fond jusqu'à une grande distance de terre 4. Immédiatement au sud du mont Ohoura, se trouve la baie Nanga-Ounou, dont le fond doit presque at- teindre la côte occidentale de Ika-ÏNa-Mawi , et qui offrirait un excellent mouillage si elle n'était ouverte aux vents du N. au N. N. E. Une presqu'île étroite , terminée par la pointe Kari- Kari et de petites iles , sépare la baie de iNanga- Ounou de celle d'Oudou-Oudou, où Surville mouilla le » Cook, prem. Voy., III, p. 167. — a D'Unnlle, II, p. i8y. — 3 yicholas, II, p. 210. Marsden, d'Urv., III, p. 208 et 209. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 164. D'Vrvillc, II, p. i8y. DE I/ASTRQLA.BE. 361 premier '. Cette baie est encore moins sûre que la précédente, puisqu'elle est plus ouverte aux vents du N. E. Deux rivières navigables se déchargent sur sa côte méridionale ; elle est environnée de beaux bois de construction, et ses bords sont peuplés. La pointe Surville termine cette baie à l'est. A onze milles au S.O. */4 O. de la pointe Surville, se trouve l'entrée de la belle baie de Wangaroa , large a peine d'un quart de mille à son ouverture , mais qui s'élargit bientôt en un vaste bassin de cinq ou six mil- les de longueur, où pourraient mouiller toutes sortes de navires, par six et dix brasses d'eau 2. Le fond de la baie se termine par des marécages , mais au nord et au sud les côtes sont escarpées et présentent en re- gard l'une de l'autre deux montagnes fort remarqua- bles. Au S. S. O. se trouve l'embouchure d'une belle rivière, qui conduisait à l'établissement qu'avaient formé les missionnaires de la société de Wesley, dans la tribu des INga-Te-Oudou. La tribu de Georges ou Taara habitait les bords de ce fleuve , nommé dans le pays Kamimi 5 ; dans la partie de l'O. habitaient les Nga-Te-Po, qui furent exterminés par Shongui en 1827 4. Suivant M. Nicholas, rien n'est plus pitto- resque , plus admirable que la vue des sites voisins de l'entrée de Wangaroa. La petite île Didi-Houa , située à trois milles de l'entrée de cette baie , contribue à la défendre de la i Cook, prem. Voy., III, p. 162. D'Urville, II, p. ig3. — 2 D'Urvillc, II, p. 194. — 3 Cruise, p. i58. Blosscville , p. 7. — 4 Missionnary liegis- tcr, d'Urv. , III, p. 498. 362 VOYAGE houle du large , et l'on peut mouiller entre elle et la terre r. A cinq ou six milles à lest de Didi-Houa, vient un groupe d'une quinzaine d'îlots de quatre milles d'é- tendue ; le plus grand , qui n'a pas plus de trois ou quatre milles de circuit, se nomme Motou-Kawa , et celui qui le suit , beaucoup plus petit , se nomme Pa- nake. Tous deux sont habités; en 1795, le premier était gouverné par Tea-YVariki , et le second par son fils 2. Entre ce groupe et la terre est un canal à peine large d'un demi-mille, praticable pour de petits navi- res seulement. M. de Blosseville dit qu'on peut mouil- ler par huit ou neuf brasses sous la plus grande de ces îles. A seize milles à l'E. !/4 S. E. de l'entrée de Wan- garoa, se trouve la pointe INgatoka-Rarangui qui peut se reconnaître à trois rochers situés sous terre. Qua- tre milles plus loin est le cap Wivia qui est une des pointes de l'entrée de la baie des Iles. Contre ce cap sont trois petits îlots dont le plus au large , qui porte le nom deTiki-Tiki, n'est qu'un rocher noir, dépouillé et planté debout comme une pyramide. La baie des Iles n'a pas moins de dix milles d'ou- verture entre les deux caps Wivia et Rakau-Manga- Manga, sur une profondeur moyenne de huit milles. Ouverte comme elle l'est aux vents du N. E., elle se- i D'Unnlle, II, p. 194 et 195. — a Cook, prem. Voy. , III, p. »49- Blosseville , p. 7. D'L'n'ille, II, p. ig5. DE L'ASTROLABE. 363 rait peu sûre si les nombreuses îles et presqu'îles qui s'y trouvent dispersées ne formaient d'excellens mouil- lages pour les navires I. Sur la côte du nord, se trouve la petite anse de Rangui-Hou, fort commode pour les petits navires qui s'y tiennent toujours en appareillage. Suivent les îlots de Tepahi, puis le port de Tepouna, beaucoup mieux fermé que le précédent. Sur la côte occidentale, on remarque d'abord le canal de Kidi-Kidi, impraticable aux navires, mais très-utile pour les communications en pirogue avec l'intérieur ; l'île Motou-Roa avec les îlots dépouillés qui raccompagnent à l'est, et l'entrée de la rivière Waï-Tangui. Enfin, sur la côte du sud- est se trouvent l'embouchure du Kawa-Kawa, celle du Waï-Kadi 2, une presqu'île fort avancée qui forme de bons mouillages sur sa côte occidentale dans les anses de Korora-Reka et Mata-Ouvvi, et que termine la pointe Tapeka. L'anse de Paroa ne peut recevoir que des embarcations , mais la baie Manawa est très-sûre et fort commode pour des navires qui ne dépassent pas trois ou quatre cents tonneaux , car des bancs de sable situés devant l'entrée en interdisent l'accès à de plus forts bâtimens. Une nouvelle presqu'île fort étroite sépare la baie Manawa de la baie Rawiti où Marion mouilla le premier. Celle-ci forme un vaste bassin abrité des vents du large par les îles Motou- Arohia , Motou-Doua , Motou-Kiakia et une foule d'autres qui ont valu à cette baie le nom que Cook lui 1 Cook, prem. Voy. , III, p. i5(). — ? Cruisc, p. 35. 364 VOYAGE donna. Enfin, une longue terre haute , aride, sauvage et abrupte, s étend depuis ces îles jusqu'au cap Rakau. La baie des Iles est un des points les plus peuplés de la Nouvelle-Zélande. En partant du cap Wiwia on rencontre successivement le village de Rangui-Hou, naguère commandé par Tepahi , puis par Doua-Tara, et le premier endroit où s'établirent les missionnaires; Tepouna qui appartenait à Sliongui; Kidi-Kidi situé au fond du canal de ce nom appartenant au même ran- gatira, et chef-lieu des missions ; Pahia soumis à Tc- koke qui possède aussi aujourd'hui un florissant éta- blissement ; Mata-Ouwi , que gouvernait Pomare ; Korora-Reka, résidence de King-George et de plu- sieurs Anglais, ouvriers ou marins, fixés dans ce can- ton l ; Kahou-Wei a, jadis commandé par Koro-Koro et TouaiJ, aujourd'hui abandonné ; quelques cases au fond de la baie Manawa ; enfin les ruines de Koro- Kawa près l'isthme de Tangata-Mate où périt Marion. Jadis on voyait aussi un village sur Motou-Doua, mais il fut ruiné la première fois par les compagnons de Marion, et dans ces derniers temps il a partagé le sort de la tribu de Paroa. En outre on doit citer les villages de Waï-Tangui , Shiomi , Kawa-Kawa et Waï-Kadi 5, situés à quelque distance de la côte et sur les rivières ou canaux du même nom. Le Waï-Kadi se termine par une rivière nommée Wai-Kino , navigable pour des canots l'es- i D'Unùlle, II, p. 224. — 2 D'Uiville, II, p. 198. — 3 Nicholas, I, y>. a5o. DE L'ASTUOIABE. 365 pace de trois milles , et là on trouve le village où ré- gnait Kawera-Popo en 1820 ». En 1829 les chefs les plus influens de la baie des Tles étaient Rewa à Kidi- Kidi, Toï-Tapou à Shiomi, et King-George à Korora- Reka. Le capRakau-Manga-Manga, qui est une pointe très- haute et très-saillante en mer, a près de lui trois petits ilôts en forme de coin dont le principal a reçu des na- turels le nom de Kokako. Il est percé par une arcade naturelle où Ton trouve cinq brasses d'eau et sous laquelle les canots peuvent passer en temps de calme 2. Après ce cap la cèle court à peu près uniformé- ment au S. J/4 S. E. jusqu'au cap Wangari, haute, escarpée et peu accidentée. Dans cet espace de qua- rante milles de longueur, je citerai seulement les villa- ges de Wanga-Maumau, Wanga-Oudou, la presqu'île Motou-Aro, et le pâ Ika-Nake entouré de rochers de l'aspect le plus imposant et le plus curieux 5. Vis-à- vis ce dernier lieu , à dix milles de terre et par 35° 28' lat. S., sont les îlots inhabités et sauvages de Tawiti- Rahi ; l'un d'eux vu du sud semble être une tour im- mense et inaccessible 4. Par 35° 51' lat. S. se trouve le cap Tewara, remar- quable par sa hauteur et ses pitons déchirés en forme de stalactites cvlindriques. Derrière la presqu'île dont ce cap fait partie est la bonne baie de Wangari qui t Cruise, p. i34. — i Cruisc , p. 207. D'L'nillc, II, p. 187. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. i85 et 186, 449 et 45o. — 4 Cook, prem. Voy., III. p. 145. îrUrvdle, II, p. 184. i85, 188. 366 VOYAGE communique par une passe étroite au fleuve du même nom '. Le cap Tewara, avec la pointe nord de l'île Otea, forme l'entrée de la baie Shouraki qui a plus de soixante-dix milles de profondeur sur une largeur moyenne de vingt à vingt-cinq milles. Devant l'ouver- ture de ce golfe sont les îlots de Moko-Inou, le Fanal , le Navire, les îles élevées de Moro-Tiri et Taranga, et le rocher escarpé de Toutourou ">-. Une plage basse et sablonneuse règne depuis la ri- vière Wangari jusqu'au cap Tokatou-Wenoua que domine un morne de médiocre hauteur 3. Ici le canal de la baie, naturellement resserré, est encore diminué en partie par l'île Shoutourou, d'environ dix milles de circuit , couverte de bois et couronnée par une cime fort élevée que Ton distingue de toutes les parties de la baie 4. Entre les presqu'îles Malte-Brun et Buache , la baie Gaultier contient plusieurs îlots et sans doute de bons mouillages. Entre la presqu'île Buache et l'île Tiri- Tiri-Matangui est un canal sûr qui conduit à un vaste et beau bassin , bordé à l'ouest et au nord par une côte nue et déserte, au sud par l'île Rangui-Toto, et à l'est par les îles Motou-Tabou , Koura-Kia et Otata. La baie Tofino s'enfonce peut-être fort avant dans les terres 5. i Cook, prem. Voy., III, p. 144. D'Urville , II, p. i5i et suiv. — a D'Unillc, II , p. 144. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. i43. — 4 D'Ur- ville, II, p. i56 et suiv. — 5 D'Urville, II, p. i58. DE L'ASTROLABE. 367 Entre Rangui-Toto et la presqu'île Taka-Pouni eommence le beau eanal de l'Astrolabe qui court ensuite dans une étendue de vingt-cinq milles entre la côte de la grande terre et les îles de l'ouest , avant d'aboutir dans la baie Shouraki. Dans ce canal , de- vant File Rangui-Toto d'une part et l'embouchure du Mogoïa de l'autre, s'élève la petite île Koreha dont le pilon conique surmonté par un cratère bien dessiné et environné de cendres et de pierres ponces annonce l'origine volcanique *. Le canal du \Vaï-Tamata se dirige à l'ouest et dé- bouche dans un vaste bassin séparé par des isthmes fort étroits de la mer occidentale et d'une branche du K aï- Para 2. Le Waï-Mogoïa se dirige au sud et conduit à un isthme de deux milles seulement de large qui sépare ce canal du fond du bassin de Manoukao 3. Le canton de Tamaki s'étend sur la rive méridionale du canal de l'Astrolabe, et sa population diminue tous les jours par les incursions des peuples du Nord ; MM. Mars- den et INicholas virent encore ce pays fort peuplé en 1820 , et M. Cruise trouva que les femmes de ces contrées étaient supérieures à toutes celles qu'il avait vues jusqu'alors, par leurs agrémens extérieurs, l'har- monie de leur voix et la grâce de leurs mouvemens. Ce même voyageur représente la place de Mogoïa comme n'ayant pas moins d'un mille de long sur un i Cruise, p. 11b. D'Liville, II, p. i63, 167. — 2 n'Unnlle, II, p. 166. — 3 n'Unille, II, p. 172. Loilin, d'Urv. , II, p. 274 et suiv. 368 VOYAGE demi-mille de largeur. Sa population était considéra- ble, ses cases plus grandes et plus ornées que partout ailleurs. Chaque famille occupait un enclos entouré de palissades; ces enclos étaient séparés par des ruelles très-propres ; sur un coteau voisin et de nature volca- nique était situé le pâ ou la citadelle. En février 1827 rien de tout cela n'existait plus J ; au même endroit M. Lottin et ses compagnons n'observèrent que des huttes qui semblaient n'être que des abris temporaires. A treize milles à l'E. S. E. du Mogoïa coule le Waï- Roa dont l'embouchure est obstruée par des bancs de sable. La grande et verdoyante île Waï-Heka borde au nord et au nord-ouest le canal de l'Astrolabe , tan- dis qu'à l'est lile Po-Noui le divise en deux branches. Celle qui coule au nord est la seule praticable pour les navires , et débouque dans la baie Shouraki près du rocher Tara-Kaï, en formant un bon mouillage sous Waï-Heka. La branche orientale est en partie occupée par l'îlot Pakii et le rocher Kara-Mouramou; des bancs obstruent le reste de ce passage 2. En 1820, un pà existait encore sur Waï-Heka , oc- cupé par une population considérable 3; mais l'Astro- labe a trouvé ces lieux déserts. Au nord et au sud du cap Waï-Mango règne une côte, nommée Ware-Kawa, triste et en apparence peu fertile. Vers le fond du golfe , elle se termine par des < Cruisc , p. 226. — a 1)1 ni/le . ïl, p. 177 et 178. — 3 Cruise , p, 217. DE L'ASTROLABE. 369 terrains fort bas et souvent couverts d'immenses fo- rêts de podocarpus l. Enfin on arrive à l'embouchure de la vraie rivière Tamise de Cook, Waï-Kahourounga de V Astrolabe. Cook qui remonta cette rivière à plus de dix milles dans les terres, la trouva navigable pour de petits bàlimens , et bordée de magnifiques forets contenant les plus beaux bois de construction 2. Près de l'embouchure il observa un village construit sur un banc de sable sec et environné de vases molles. La côte E. de la baie , qui porte plus particulière- ment le nom de Shouraki , est en général escarpée et inhabitée, depuis la rivière jusqu'au parallèle de 36° 51' lat. S. Là se trouve une pointe derrière laquelle s'étend un bras de mer; probablement c'est là qu'était situé un village indiqué par M. Marsden , et près de ce village doit couler la rivière Manane que remonta cet ecclésiastique, quand il traversa la presqu'île pour se rendre à la baie Mercure 5. Malheureusement à défaut d'indications précises pour les routes qu'il suivit , soit pour leur gisement , soit pour leur longueur , on ne peut guère former que des hypothèses sur ses voyages. Au nord de cet endroit , une suite d'iles et de pres- qu'îles situées sous la côte de Shouraki forment de bons mouillages qui ont été fréquentés par les navires anglais. Cependant on ne possède point de détails pré- cis sur ces localités. Plusieurs villages populeux exis- 1 D'Urville, II, p. 181. — 2 Cook, prem. Voy. , II, p. 137. 3 Marsden, d'Urv. , III, p. 422. TOME II. 26 370 VOYAGE taient dans ce district lors du passage de M. Cruise en 1820 i. La terre qui borde la baie Shouraki du coté de TE. n'est qu'une longue presqu'île, étroite, mais fort élevée, couronnée de pitons, dont le dernier au nord est le mont Moe-Hao , et qui se termine par 36° 27' lat. S. au cap du même nom 2. A quatre milles au N. O. de ce cap gît le petit îlot de la Passe, et à neuf milles au N. N. E. de ce même cap la pointe méridionale de l'île Otea. Cette île montueuse et très-déchirée dans sa configuration 5 a vingt milles de longueur du nord au sud sur huit milles dans sa plus grande largeur de Test à l'ouest. Quelques îlots sont dispersés sur sa bande occidentale : au nord elle est terminée par la pointe des Aiguilles, composée dé rochers aigus et dépouillés. Au nord-est s'élève une petite île aride de quatre ou cinq milles de circuit. Un peu plus petite et tout-à-fait iso- lée gît une autre île , située à onze milles à l'E. S. E. du cap de la Barrière 4. L Astrolabe n'observa aucun indice de population sur l'île Otea ; néanmoins , sui- vant M. Psicholas, en 1814, elle était encore la rési- dence d'un chef puissant nommé Koreo 5. A cinq ou six milles au S. S. E. du cap Moe-Hao , l'on voit sur la côte un enfoncement désigné dans la carte de Cook sous le nom de Port-Charles ; à douze milles au S. S. E. du Port-Charles, la carte de Cook 1 Cruise, p. 222. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. i4i. D'Urville, II, p. 182. — 1 D'Uiville, U, p. 184. — 4 D'Un'ille, II, p. 142 et suiv. — 5 yicholas , I, p. 390. DE L' ASTROLABE. 371 indique un autre enfoncement plus considérable qui serait peut-être ce port-Trial où les navires Trial et Brothers furent attaqués en 1316 par les naturels du pays '. Au sud de cette dernière anse règne une pointe très-saillante, accompagnée de plusieurs îlots rappro- chés de terre , que Cook nomma îles Mercure. Un groupe d'îles plus considérable, situé au nord et plus au large , mérite d'être exploré de nouveau 2. Immédiatement au sud de la pointe Mercure se trouve l'entrée de la baie Witi-Anga qui offrit un bon mouillage à Cook par cinq et six brasses d'eau. Ce navigateur trouva le pays habité , mais inculte et sté- rile. Il n'y observa qu'un demi-acre de terrain planté en citrouilles et patates douces. Un petit courant d'eau, qu'il nomma rivière des Huîtres, coule près de l'entrée du havre, sur la côte méridionale ; le fond de la baie se prolonge lui-même en un chenal qui pénètre fort avant dans les terres , et dans lequel se déchar- gent plusieurs torrens qui descendent des monta- gnes 3. Au commencement de l'année 1820, les habi- tans de cette contrée furent en grande partie extermi- nés par Temarangai et ses compagnons 4. La côte qui vient à la suite de la baie Mercure est très-imparfaitement connue; on sait seulement, par le récit de Cook , qu'elle est peuplée et bordée d'îlots peu considérables. Par 36° 59'lat.S., et à cinq milles de la i D'Uiviile, lll, p. 236, 240. — 2 D'Urville, II, p. 142. — 3 Cook, prem. Voy. , III, p. 1 1 3, 12g. — 4 Marsden, d'Urv. , III, p. 425 et suiv. 2G' 372 VOYAGE terre, gît un groupe de rochers nus, déchirés cl poin- tus , que ce navigateur nomma les Aldermans « . Au S. S. E. de ces îlots , et à quinze milles de la côte, par 36° 17' lat. S., est située l'île Touhoua, qui a cinq ou six milles de circonférence 2. A cinq milles au sud de la partie orientale de Touhoua s'étend la chaîne des brisans sur lesquels V Astrolabe faillit périr le 1G février 1827, à la suite d'un ouragan furieux 5. Au S. S. E. et à dix-sept milles environ de Touhoua, vient l'île Haute de Cook , devant laquelle se trouve , sur la grande terre , un cap rond et élevé. Suivant les missionnaires, précisément au sud de L'île Touhoua , existerait une baie Tauranga , dont l'entrée est fort étroite; mais en s'élargissant considérablement à l'in- térieur, elle offre un très-bon mouillage pour les pe- tits bàtimens , et ses rives sont couvertes de peuples 4. A vingt-cinq milles environ et au S. E. ]/4 E. de l'île Haute , doit se trouver file Basse de Cook , qu'il ne disait éloignée que de quatre milles de la côte. La plus grande incertitude règne sur la géographie de cette partie de la Nouvelle-Zélande ; les indications de Cook sont fort vagues 5, et l'Astrolabe, tourmentée par des temps affreux qui la mirent à deux doigts de sa perte , ne put éclaircir les doutes qu'il avait laissés 6. A vingt milles à l'O. JX. O. du mont Edgecumbe, nous rentrons dans l'exploration de V Astrolabe. De- i Cook, prem. Voy. , III, p. io5. D'Urville, II, p. 140. — 2 D'Urville, II, p. i3g. — 3 D'Urville, II, p. i32. — 4 Prévue Biharmique , d'Urv. , III, p. 71 3. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. io3. — 0 D'Ui'vill^ II, p. 129 et siiiv. DE L'ASTROLABE. 37 â puis cet endroit , la côte offre , dans l'étendue de neuf nulles, une falaise escarpée, sauvage et inhabitée; puis tout-a-coup elle fait place à un terrain bas , très- uniforme , et bordé par une belle grève de sable. Cook observa dans cet endroit de nombreux villages , bien fortifiés et entourés de palissades l. L 'Astrolabe , qui prolongea cette plage à moins de deux milles de dis- tance , ne put rien distinguer à cause de la pluie et de la brume 2. Le mont Edgecumbe est un sommet conique , situé à trois milles du rivage , et d'une élévation médiocre. Mais son isolement au milieu d'une plaine immense le rend fort remarquable. Au N. N. E. de ce mont, et à dix milles de distance, se trouve Hle Motou-Hora , qui n'a pas plus de trois milles de circuit , bien qu'elle soit dominée par un piton d'une grande hauteur ; à cinq milles à l'O. lj4 N. O. de cette île, gît un groupe de rochers à fleur d'eau, fort dangereux; mais entre ces rochers et Motou-Hora d'une part , et la côte de l'autre, le passage est sur par dix et quinze brasses d eau , et il a cinq milles de largeur 3. Au N. 1fi IST. E. et à dix-huit milles de Motou-Hora, s'élève l'île Pouhia-I-Wakadi , couverte de fumées épaisses, et de quatre ou cinq milles de tour. C'est un volcan en activité , qui a été visité par les missionnai- res de Pahia 4. >i Cook ni V Astrolabe n'ont donné de détails » Cook, prem. Voy., III, p. 104. — 2 D'Unille, H, p. 128 el 129. — 3 D'Uiville, II, p. 127 et 128. — 4 D'Uivillc, II, p. 12G, 23a. 374 VOYAGE sur l'étendue de côle qui règne depuis Motou-Hora jusqu'au cap Runaway , seulement r Astrolabe re- marqua que , dans l'espace de vingt milles environ , cette côte est fort basse près de la mer , avec trois ou quatre plans de montagnes qui s'élèvent l'un au- dessus de l'autre dans l'intérieur '. Puis, quand la terre commence à courir au N . N. E. , elle devient plus raide. Ces régions doivent être fort peuplées , puis- que Cook vit un jour jusqu'à quarante-cinq pirogues pleines de monde qui s'avançaient à la fois sur son navire. Le vaste enfoncement terminé à l'ouest par le cap Moe-Hao et à Test parle cap Runaway, reçut de Cook le nom de Plenty-Bay ou baie d'Abondance. Ce na- vigateur trouva, en mars 1770, ses côtes bien peu- plées , et il crut comprendre qu'elles reconnaissaient les lois d'un cbef puissant nommé Teralou, dont l'au- torité s'étendait depuis Witi-Anga jusqu'au cap Mata- Mawi, dans une étendue de plus de quatre-vingts lieues 2. Depuis dix ou douze ans, ces peuplades ont beaucoup souffert des incursions de Shongui, Koro- Koro et Pomare, et plusieurs villages naguère flo- rissans ont complètement disparu. Le cap Runaway, situé par 37°33'lat.S. et 175° 48' long. E., estformé par une presqu'île élevée, presque entièrement détachée de la terre, et terminée au nord par une pointe fort déliée. A l'est , la côte est haute, escarpée, et à sept milles de distance elle offre une » D'Urville, II, p. 127. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 293. DE L'ASTROLABE. 375 anse assez creuse. Sept milles encore plus loin à l'esl , se dessine le cap Wanga-Parawa en pointe fortement prononcée et dirigée vers Test. Immédiatement après, la côte fuit au sud l'espace de six milles et forme une baie assez profonde, qui porte le nom de Waï-Tepori et aux environs de laquelle Cook observa une grande population l. Les babitans de celte contrée passent pour être industrieux , adonnés à l'agriculture et moins guerriers que ceux du nord. Le cap Est de Cook n'est éloigné que de huit milles de cette baie, et son véritable nom est Waï-Apou. La petite île Houana-Hokeno qui se trouve tout auprès n'est qu'un morne arrondi , stérile et inaccessible, lié au cap par une chaîne de brisans2. Le cap Waï-Apou gît par 176° 19' long. E. , et par 37° 42' lat. S. A la suite du cap Waï-Apou, la côte court au S. S. O. , en formant des anses et des plages de sables par intervalles. Les terres voisines de la côte sont médio- crement élevées 5, mais elles sont dominées à Tinté- rieur par de hautes montagnes , parmi lesquelles on distingue la cime élancée du mont Ikau-Rangui; c'est bien certainement l'un des points culminans de Ika- Na-Mawi , et nous l'avons vu de la mer à plus de soixante-dix milles de dislance 4. La baie Toko-Malou , où mouilla Cook , située par 38° 9' lat. S. , n'est qu'une anse assez prononcée dans i Cook, prem. Voy., III, p. 98. D'Urville, II, p. \i5. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 97. D'Urville, II, p. 117. — 3 D'Urville, II, p. 114. — 4 D'Urville, II, p. 116. 376 VOYAGE la côte, mais fort peu abritée contre les vents et la houle du large !. Oroua était chef de ce pays en 1 827. La pointe du sud de Toko-Malou se termine en une presqu'île assez saillante 2. A douze milles au sud se trouve la petite baie de Houa-Houa , qui présente un meilleur abri contre tous les vents, ceuxduN.E. exceptés. Le pays environ- nant est pittoresque et bien peuplé. Les cochons étaient si abondans sur cette partie de la cote, qu'en 1827 on pouvait s'en procurer à discrétion pour des couteaux ou un peu de poudre. Près de la pointe sud sont deux rochers percés en arcades par les Ilots de la mer 3. A huit milles de celte baie, le cap Gable, vu du large, présente l'aspect du pignon d'une maison; à vingt milles au S. O. de ce cap vient l'entrée de la baie Taone-Roa, qui n'a pas été revue depuis Cook. Ce capitaine ne l'ait pas l'éloge de ce mouillage, mais il dit que le pays lui parut fort peuplé, et que le ter- rain s'élevait en amphithéâtre jusqu'à des montagnes fort hautes situées dans l'intérieur 4. La côte, dans l'étendue de dix-huit milles au S. S.O. de la baie Taone-Roa , est escarpée et boisée. Puis on arrive à la presqu'île Tera-Kako , longue de quinze milles du nord au sud , avec une largeur moyenne de cinq milles de l'est à l'ouest. Son élévation est médiocre et son sommet se termine en un plateau très-uni, qui fil i Cook, prem. Voy., III, p. 83. — 2 D'Urville, II, p. ni. — 3 D'Ur- villc, II, p. 96 et suiv. — 4 Cook; prem. Voy. , III, p. 61. D'Vnnlle , II, p. 93. DE L'ASTROLABE. 377 donner à sa pointe orientale le nom de cap Table par Cook. À bord de l'Astrolabe , on fut dispose à penser que Tera-Kako pouvait être séparé de la grande terre par un canal resserré ; c'est un fait à constater, tou- jours est-il sûr qu'elle ne peut s'y réunir que par un isthme bas et étroit ' . La petite île Tea-Houra , située au sud de Tera- Kako, n'en est séparée que par un canal d'une demi- lieue de large , presque entièrement barré par des brisans 2. Tea-Houra forme la pointe N. E. de la vaste baie d'Hawke , qui n'a pas moins de quarante milles d'ou- verture. Les détails en sont encore inconnus , le vent n'ayant point permis à l'Astrolabe de suivre le rivage d'aussi près qu'on l'eût désiré, et Cook , qui paraît l'avoir prolongée de plus près , n'en a laissé qu'une description très-vague 5. On peut présumer cepen- dant que l'anse formée entre la presqu'île Tera-Kako et la terre offrirait quelques mouillages. Dans la partie N. E. de la baie d'Hawke la terre est médio- crement élevée; elle parait s'abaisser à l'O. et au S. O. où elle offre des sites agréablement acci- dentés et d'un aspect fertile. Quelque rivière con- sidérable doit se décharger dans cette baie , et l'As- trolabe , par 39° 33' lat. S., crut voir une île où Cook n'indiqua qu'une presqu'île. Du reste, il est certain que la baie d'Hawke tout entière exige une i D'Uiville, II, p. 92. — a D'Uiville, II, p. 92. — 3 Cook, prem. Voy. , III, p. 70 et suiv. 378 VOYAGE nouvelle exploration pour être bien connue '. Le cap Mata-Mawi , situé par 39° 41' lat. S., et 174° 48' long. E., termine au S. O. la baie d'Hawke ; c'est une pointe élevée, dépouillée et taillée à pic , en forme de coin posé sur le côté ; deux rochers aigus et pareillement nus en sont tout voisins; des brisans se prolongent au large de sa partie septentrionale, jusqu'à près d'un mille de distance 2. Dans une étendue de onze milles, au S. S. O. de ce cap, la cote, en partie formée de grèves sablonneuses, offre un aspect assez agréable. Par 39° 51' lat. S., gît l'ilot Motou-Okoura , couronné par un pà dont les cases sont échelonnées sur la pente du monticule ; derrière cet îlot, la côte forme une crique où l'on pourrait probablement mouiller, car une pointe assez avancée la défend des vents du S. O. et du S. 5. A partir de ce point, la terre continue de courir assez uniformément au S. S. O., sans offrir aucun ac- cident remarquable; seulement, de 40° 10' à 40° 20' lat. S. , elle forme une saillie peu sensible et fort émoussée , qui paraît répondre au Black-Head de Cook. Ce capitaine vit des villages tout le long de la côte 4. Par 40° 32' lat. S. gît le cap Topolo-Polo , formé par une pointe peu élevée que couronne un piton conique et d'origine évidemment volcanique. Une petite anse i D'Urville, U, p. 89 et suiv. — 2 Cook, prein. Voy. , III, p. 75. D'Unnllc, II, p. 89. — 3 D'Unille, II, p. 87 et 88. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 77. D'Unille, II, p. 86. DE L'ASTROLABE. 37!) loul-à-fait ouverte aux vents du S.E. l'accompagne dans le S. l. Depuis le cap Topolo-Polo, la direction de la côte devient S.O. V^S»? pendant près de quarante-cinq mil- les; toujours médiocrement élevée, elle est d'ailleurs dominée par de hautes montagnes à l'intérieur. Quel- quefois le rivage s'abaisse et présente des sites plus agréables 2. Castle-Point de Cook, situé par 40° 57' lat. S., est un rocher saillant en mer, presque détaché de la côte, et qui offre quelque ressemblance de loin avec un château-fort. Un ilôt noir , plat et alongé , se trouve sous la côte , à un mille au nord de Castle-Point 3. Treize milles plus loin, et par 4 1° 9' lat. S., se trouve la pointe Tehouka-Kore, formée par un terrain bas, boisé et, habité. Sur la carte de Cook, cet endroit porte le nom de Pointe Plate 4. De ce point jusqu'au cap Kawa-Kawa , dans une étendue de plus de cinquante milles , la côte court au S. O., et à l'O. S. O., sans rien offrir de particulier au navigateur. Les montagnes s'élèvent à mesure qu'on se rapproche du cap Kawa-Kawa, et le rivage n'est qu'une lisière étroite d'un terrain bas, où se distin- guent ça et là quelques fumées 5. Partout la mer brise avec force sur cette plage uniforme 6. Après avoir parcouru toutes les côtes de la Nou- t D'Urville, II, p. 85. — * D'Urville, II, p. 84. — 3 D'Urville, II, p. 84. — 4 D'Urville, II, p. 83. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 2i5. — <> D'Urville, II, p. 81. 380 VOYAGE velle-Zélande , nous allons maintenant exposer le peu que Ton connaît de la topographie intérieure de Ika- Na-Mawi , car tout est encore inconnu dans Tavaï- Pounamou. Il faut même convenir que les données que nous possédons sur la première de ces deux îles sont encore bien vagues et bien incomplètes ; cepen- dant nous nous empressons de les consigner : notre travail aura du moins le mérite d'être le premier, et peut-être déterminera-t-il d'autres voyageurs à le per- fectionner en fixant leur attention sur une matière qu'ils auraient pu négliger sans ce précédent. En partant du nord , on voit que les environs de Moudi-Wenoua sont habités et contiennent plusieurs villages ; mais Pakohou , près du cap Otou , est le seul dont le nom soit parvenu à notre connaissance. Les sables stériles qui viennent au S. E., et qui bordent Sandy-Bay, doivent être déserts. La tribu commandée par le puissant Poro habite probablement les bords de la baie Nanga-Ounou. Les bords de la baie de Wangaroa étaient occupés par deux peuplades peu importantes; les Nga-Te-Po au N. O., et les Nga-Te-Oudou au S. E. La première fut exterminée en 1827 par Shongui , qui prit posses- sion de ce territoire , et à la même époque les Nga- Te-Oudou quittèrent leur résidence pour chercher un asile parmi leurs alliés de la rivière Shouki- Anga. Le Shouki-Anga , qui se jette sur la côte occiden- tale, est une rivière considérable, dont le cours se di- rige du N. E. au S. O"., et dont les rives sont occupées DE L'ASTROLABE. 381 par diverses tribus : ees tribus sont cantonnées dans plusieurs villages dont je vais donner les noms d'a- près M. Marsden. A trois ou quatre milles de l'embouchure , et sur la rive gauche du fleuve, est le village de Widia, si- tué dans une riche et fertile vallée. Mou-Ina le gou- vernait en 1 8 1 9, et Temanguina, prêtre des pointes du Shouki-Anga , y résidait l . A huit ou neuf milles plus loin , on rencontre le village de Widi-Nake, situé au fond d'une crique d'eau salée qui se jette dans la rivière ; derrière sont de hautes moutagnes. Aux environs l'on voyait encore un autre beau village , au milieu d'une riche et grande vallée , et près d'une chute d'eau de vingt pieds de hauteur. Là demeurait, en 1819, le chef de la tribu , et M. Marsden compta dans cet endroit une centaine d'enfans en âge de recevoir l'instruction 2. Le village de Witi-Waï-Iti gît à dix milles environ plus loin sur les bords de la rivière. Le chef de cet en- droit était Tara-Heka, et son pà était situé sur un pi- ton d'où l'on avait une vue magnifique du Shouki- Anga et des alentours 5. Près de Witi-Waï-Iti , une rivière venant du sud, et qui se nomme Pounake-Tere, se jette dans le Shouki- Anga. Plusieurs villages sont situés sur les bords du Pounake-Tere, entre autres ceux d'Otaïti et de Ran- gui-Waka-Taka. La rivière est belle, et serait naviga- r Marsden, d'Urv., III, p. 33g. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 343 et suiv. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 3/fg. 382 VOYAGE ble pour de petits navires. M. Marsden y observa de nombreux champs de patates l. A quelque distance au-dessus de Witi-Waï-Iti , il parait que le Shouki-Anga se divise en deux branches, dont l'une se dirige au nord, et conduirait au village de Tepapa que commandait Patou-One. Ce chef s'occupait avec zèle de la culture du blé 2. Au confluent des deux rivières est une petite île , dont la surface n'est que d'une acre, et qui contient ce- pendant un petit village rempli d'habitans. L'autre branche, qui court au N. E. , mène aux villages de Karaka et de Houta-lvoura, commandes en 1819, le premier par Ware-Madou, et le second par Moudi-Waï. Karaka est situé au pied de hautes mon- tagnes couvertes de bois , qui séparent le district du Shouki-Anga de celui du Waï-Mate. Houta-Koura est un endroit populeux situé dans une fertile vallée 3. A l'est du Shouki-Anga , et dans l'intérieur des terres , vient le territoire de Waï-Mate, naguère sou- mis à Shongui, et défendu par un pà très-fortifié. A deux ou trois milles de Waï-Mate, le fameux lac Maupere déploie ses eaux tranquilles dans une éten- due de huit à dix milles de circuit; il est très-poisson- neux et nourrit beaucoup de canards sauvages. Le Kidi-Kidi n'en passe qu'à deux ou trois milles et en découle peut-être 4. A mi-chemin du lac , à Waï-Mate, i Marsden, d'Urv., III, p. 35i. — j Marsden, d'Urv. , III, p. 355, — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 336 et suiv. — 4 yicholas, I, p. 346. Marsden, d'Urv., III, p. 166. Butler, d'Urv., III, p. 3gg. DE L'ASTROLABE. 383 est un hameau qui appartenait aussi à Shongui, et qui était entouré de cultures. Sur la route de Waï-Mate à Kidi-Kidi , et à deux ou trois milles du premier pâ , se trouvait le village de Tareha , situé sur les bords d'un cours d'eau douce , el environné de plantations ». Enfin Kidi-Kidi, établi près d'une belle cascade d'eau douce 2, est situé sur la côte orientale, au fond d'une crique d'eau salée. Sur les bords du canal est le village de Motou-Iti, que commandait le chefShou- raki. La reconnaissance de Cook , qu'il nous a fallu adopter pour esquisser sur notre carte la côte occi- dentale de Ika-Na-Mawi , ne donne que trente-un milles de largeur à cette île , devant Kidi-Kidi. Cepen- dant les distances données par M. Marsden assigne- raient une bien plus grande étendue à ces contrées. Sans doute la fatigue , les privations et les mauvais chemins que cet ecclésiastique eut à parcourir , lui firent trouver la route deux ou trois fois plus longue qu'elle ne l'était réellement. En général, pour placer les lieux qu'il indique, j'ai été obligé de réduire les évaluations itinéraires de M. Marsden dans le rapport de cinq à deux. Dans le S. O. de Kidi-Kidi, et h une vingtaine de milles , commence le territoire de Tae-Ame , qui con- tient plusieurs villages. L'un d'eux est situé près d'une très-haute montagne nommée Pouke-Nouï , et Tou- i Marsden, d'Urv. , III, p. 164. — » Marsden, d'Urv., III, p. 162. 384 VOYAGE hou en était le chef. Temarangai commandait dans un autre endroit ' . Le territoire de Tae-Ame , qui paraît s'étendre jusqu'aux environs de Wangari, est en général fertile, hoisé et bien arrosé. On y rencontre un espace couvert de traces volcaniques toutes récen- tes , et l'on v voit une source d'eau chaude d'une teinte rougeâtre , et d'où s'exhalent des vapeurs qui répan- dent une odeur sulfureuse. A trois ou quatre milles de cette source est un lac , dont les eaux de couleur blanchâtre sont chargées de matières bitumineuses. Tout à l'entour le sol offre un aspect stérile et tour- menté, comme on le remarque communément dans le voisinage des volcans en activité. Grand nombre de pierres semblent avoir subi une sorte de vitrifica- tion 9. Près de Kidi-Kidi est le village d'Okoura, com- mandé par Waï-Tarou 3. A deux ou trois milles de Pahia est celui de Waï-Tangui , situé sur la rivière de ce nom, et dont Waraki était le chef en 1815 4. J'ai déjà parlé des villages situés sur les bords du K aï-Para et du Shouraki ; il ne me reste plus à men- tionner que le village de Te-Poua-Rahi situé, suivant M. Marsden, à quelques milles dans l'intérieur, sur la côte Shouraki, et qui domine par sa position le beau bassin de ce nom. C'est d'après M. de Blosseville que j'ai indiqué le lac Roto-Doua , n'ayant point d'autorité suffisante i Xicholas , II, p. 8o. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 375 et suiv. — 3 Marsden. d'Urv. , III, p. 365. — 4 Kendall , d'Urv., III, p. 23 1. DE L'ASTROLABE. 38 •> pour le placer ailleurs. Cependant je crois fort qu'il doit être plus voisin de la côte , autrement les guer- riers de la baie des Iles n'auraient guère pu s'enfoncer aussi avant dans les terres pour aller massacrer ses habitans. Ce lac avait, dit M. Blosseville, de soixante à soixante-dix milles de circonférence , ce qui est pro- bablement exagéré ; sa profondeur est de vingt à vingt- six brasses, ses eaux sont douces, alimentées par une dizaine de rivières et par une source d'eau chaude placée au N. E. La petite île Mokoïa, située au milieu de ce bassin , a trois milles dans sa plus grande éten- due. Enfin , au sud du lac , s'élèvent plusieurs collines volcanisées , au pied desquelles l'eau bouillonne sou- vent l. Ces faits , joints aux diverses observations que nous avons déjà citées touchant la baie Inutile, l'île Pouhia-I-Wakadi , et le canton de Tae-Ame , annon- cent que Ika-Na-Mawi a fréquemment éprouvé l'ac- tion des volcans. Tout le reste d'Ika-Na-Mawi est encore inconnu , et du premier coup-d'œil on voit que c'est la partie la plus considérable ; c'est une belle carrière à explorer, et il y a de quoi tenter des voyageurs curieux et déter- minés. Le plus difficile est de se faire transporter sur les lieux ; une fois qu'on s'y trouvera , il restera peu d'obstacles à surmonter. Les Zélandais sont naturel- lement hospitaliers , et l'expérience de MM. Marsden, INicholas, Cruise, Cunningham, et des divers mis- sionnaires qui ont visité ce pays, démontrent qu'on < Blosseville , p. 1. TOME II. 2 7 386 VOYAGE peut voyager au milieu des anthropophages de la Nouvelle-Zélande avec autant et plus de sécurité qu'on ne le ferait aujourd'hui en certaines contrées de l'Europe. DE L'ASTROLABE. 387 CHAPITRE XIX. DES HABITANS DE LA NOUVELLE-ZELANDE. I. RAPPORT PHYSIQUE. Les voyageurs qui visitèrent ces grandes îles aus- Deux races. traies remarquèrent sans peine dans leur population deux variétés assez distinctes. Les individus qui appar- tiennent à l'une de ces variétés sont des hommes bien faits, d'une taille élevée, qui dépasse souvent cinq pieds quatre pouces. Leur teint n'est guère plus foncé en couleur que celui d'un Sicilien ou d'un Espagnol très-brun ; leurs cheveux sont longs , plats , lisses et quelquefois châtains , leurs yeux sont grands et bien fendus ; enfin ils ont peu de poil sur le corps. Les hommes de l'autre variété sont plus petits , plus trapus, et généralement plus larges de carrure; leur couleur est aussi foncée que celle des mulâtres , et souvent bien davantage; ils ont des cheveux crépus, une barbe frisée ; enfin leurs yeux sont plus petits , *7* 388 VOYAGE plus perçans , et toutes les parties de leur corps sont beaucoup plus velues *% Les assertions de Touai et de quelques autres na- turels m'avaient porté à croire, en 1 824 , que la variété de couleur foncée était plus répandue dans les con- trées méridionales, tandis que les individus d'un teint plus clair étaient plutôt affectés à la partie nord d'Ika- Na-Mawi. Le voyage de V Astrolabe m'a prouvé que j'étais dans l'erreur ; nous avons trouvé sur les bords de la baie Tasman , par 41° lat. S., des naturels tout aussi blancs, tout aussi bien faits qu'à la baie des Iles. Les babitans de Houa-Houa ne le cédaient non plus en aucune manière , sous les rapports pbysiques , à ceux des contrées plus septentrionales. Loin de partager l'opinion de Crozet 2 touchant l'o- rigine de ces deux races , je crois au contraire que la race des individus plus foncés en couleur est celle des véritables aborigènes ( Aùroj^oye; ) du pays, de ceux au moins qui y ont paru les premiers. Les blancs sont de la race des conquérans , et sont arrivés beau- coup plus tard dans ces contrées. Cette opinion , du reste, se rattache à un système particulier sur la po- pulation des îles de l'Océanie, que je compte dévelop- per plus amplement lorsque je m'occuperai de ce sujet à la suite du voyage proprement dit 5. Du mélange continuel de ces deux races, on sent bien qu'il a du résulter une foule de nuances diverses i WUrville, II, p. 25, 26. Sainson, d'Urv., II, p. 25o. Revue Britan- nique, d'Urv. , III, p. 722. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 52. — 3 Voyez la note à la fin du volume. DE L'ASTROLVlîE. 383 dans la constitution, le teint et les caractères physi- ques des habilans de la Nouvelle-Zélande. Ce sera une de ces nuances , sans doute celle qui participait à peu près également des deux races primitives , que Crozet crut devoir signaler comme une troisième es- pèce d'hommes vraiment distincte , d'autant plus qu'il nous a semblé exagérer les caractères des races blan- che et noire. Du reste, nous convenons avec ce navigateur que Conformation tous ces insulaires sont généralement beaux, bien pris s"H,ale- dans leur taille, doués par la nature de membres vigoureux et bien proportionnés. Tous ont les dents superbes, les mains fortes, la voix haute, et le ventre peu proéminent l . Le caractère de leur figure est presque aussi varié que celui des Européens, et comme l'observe M . Quoy, nous nous plaisions , à bord de l' Astrolabe , à leur trouver des ressemblances avec les grands hommes de l'antiquité. Plusieurs, comme le dit M. Sainson, pré- sentent ce type de figure qu'on remarque si communé- ment dans la race juive 2 ; peut-être aussi leur manière de disposer la barbe contribue-t-elle à leur donner cette ressemblance. Il n'est pas douteux que la coutume qu'ont prise i Crozel, d'Urv., III, p. 52. Cook, prem. Voy. , III, p. 261. Deux. Voy., ni, p. 365. Trois. Voy., I, p. 196, 197. VUrville, III, p. 18. Savage, p. 16. Nicholas , d'Urv., III, p. 585, 5g5, 6i3. Cruise, p. 7. D'L'rvdle, III, p. 657. Gaimard, d'Urv., II, p. 275. Quoy, d'Urv., II, p. 283. B.c.vuc Britannique, d'Urv., III, p. 722. — 2 Sainson, d'Urv., II, p. 25o. 390 VOYAGE ces insulaires de s'enduire le corps et le visage d'huile de poisson et d'ocre, jointe à leur exposition habi- tuelle aux intempéries de l'air, ne fasse, à la longue , contracter à leur peau une couleur plus foncée qu'elle ne le serait s'ils suivaient les mœurs européennes. Cro- zet avait déjà observé, en 1773, un jeune homme d'un teint très-clair, et une jeune fille aussi blanche qu'une Française. Moi-même , en 1824 , je remarquai une jeune fille de chef qui eût fort bien pu passer pour une Espagnole médiocrement brune. M. Cruise a vu des hommes avec les cheveux rouges « . Femmes. Les femmes sont loin d'être aussi bien que les hommes ; elles sont , en général , proportionnellement courtes et ramassées dans leur taille; elles ont les cuisses et les jambes fort grosses , les seins très-forts , et les traits du visage sans expression 2. En outre , les privations qu'elles ont à subir à la fin de leur gros- sesse, et les épreuves cruelles auxquelles elles sont exposées au moment de leurs couches 3, font dispa- raître , dès leur premier enfant , le peu de fraîcheur et d'attraits qu'elles pouvaient avoir étant filles. Sous ce rapport, les jeunes esclaves sont en général plus favorisées que les femmes des chefs , et cela tient probablement à ce qu'elles sont beaucoup moins su- jettes à avoir des enfans. Quelques-unes parmi elles, par leurs traits réguliers et gracieux, leurs longs che- veux noirs , leurs yeux vifs et pleins d'expression , i Cruise, p. 3o8. — 2 Cook , deux. Voy., I, p. 25o. Forster , d'Urv. , III, p. 22. — i'Marsden, d'Urv., III, p. 196. DE L'ASTROIAIïE. 301 leur pétulance el leur enjouement , pourraient passer pour fort agréables, en dépit de leur teint foncé et de leur tatouage *. M. Nicholas a fait un grand éloge des grâces et des attraits des deux belles-sœurs de Doua-Tara 2. Bien que ces insulaires soient exposés aux plus Maladies. étranges vicissitudes de température , proportion gar- dée, ils n'éprouvent pas plus de maladies, peut-être même ils en éprouvent moins que les Européens5. Celles auxquelles ils sont le plus sujets, sont les dou- leurs d'entrailles, les maux de tête et les maux d'yeux 4, les catarrhes, les marasmes5, les pustules suppuran- tes 6, les phthisies et diverses espèces de fièvres 7. Les Européens leur ont apporté la maladie vénérienne, qui cause souvent de grands ravages chez eux 8. Crozet convient qu'il n'avait observé à son arrivée à la Nouvelle-Zélande aucune trace de ce mal funeste, et que les matelots français durent le communiquer aux naturels 9 ; mais il est indubitable que les habi- tans du détroit de Cook furent redevables de ce fléau aux marins anglais. Ainsi les deux nations n'ont rien à se reprocher a ce sujet Jo. i Crozet, d'Urv. , III, p. 53. Savage, p. 18. Cruise, d'Urv. , III, p. 659. Gaimard , d'Urv., II, p. 275. Prévue Britannique , d'Urv., III, p. 723. — 2 Mcholas, d'Urv., III, p. 592. — 3 Cook, prem. Voy. ,111, p. 280. Deux Voy., III, p. 372. — 4 Kendall , d'Urv. , III, p. 229. Nicholas, d'Urv. , III, p. 620. Cruise, d'Urv., III, p. 658. — 5 Blosseville, d'Urv., III, p. 697. — 6 Lesson, Voyage médical, p. 118. — 7 Cruise, d'Urv., III, p. 669. — 8 Cook, deux. Voy., I, p. 276 et suiv. Trois. Voy., I, p. 179. Savage, p. 90. Cruise, d'Urv., III, p. 663. — 9 Crozet, d'Urv., III, p. 54. — 10 Forster, Cook, deux. Voy., I, p. 276 et suiv. V 392 VOYAGE Les superstitions des naturels louchant la cause des maladies , et le traitement qu'ils font subir aux mala- des , quand le mal est arrivé à un certain degré d'in- tensité , ne leur permettent presque jamais d'en ré- chapper. Longévité. Ces hojnmes sont sujets à une foule de privations ; cependant, contre l'ordinaire de ce qu'on observe parmi les nations sauvages , ils parviennent souvent à une grande vieillesse '. Dans ce cas, leurs facultés se conservent d'une manière étonnante ; leurs cheveux ne tombent point et blanchissent très-peu 2 ; leurs dents s'usent plus qu'elles ne se gâtent , et les rides de Tàge se cachent sous les dessins du tatouage. Plu- sieurs de ces avantages paraissent tenir à la salubrité du climat , qui a été souvent remarquée 5. H. CARACTERE. Préventions Les premiers voyageurs nous ont représenté les des Européens. Nouveaux-Zélandais sous des couleurs peu flatteuses, et l'on doit convenir que ceux-ci y ont donné souvent lieu ; mais cela a tenu principalement à la conduite des Européens eux-mêmes envers ces enfans de la na- ture 4; à leurs mauvais procédés, surtout à leur igno- i Crozet, d'Urv., III, p. 53. Cook , prem. Voy. , III, p. 281. Savage, p. 17. Nicholas, II, p. 38. Blosseville , d'Urv., III, p. 696. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 658. — 3 Savage, p. 88. — 4 Cook, deux. Voy., I, p. 252. III, p. 36o. Surville , d'Urv., III, p. 28 et suiv. Savage, p. 89. yic/iolas, II, p. 162. D'L'rville, III, p. 577. Rendait, d'Urv., III, p. 122. Marsden^ d'Urv., III, p. 109 et suiv. — p. 21 3. — p. 369. Cruise, d'Urv., IH, p. 671. D'Urville, III, p. 673. DE L'ASTROLABE. 3!)3 rance complète des coutumes et des usages de leurs hôtes. Ainsi, quand les Nouveaux-Zélandais reçoi- vent la visite de personnes étrangères, ils ont cou- tume de les accueillir par une sorte de parade mili- taire , qui ressemble plutôt à un défi ou à une provo- cation qu'à toute autre chose. Forster nous en cite un exemple tort remarquable dans la visite que le chef Teï-Ralou rendit à Cook à Totara-Nouï '. Alors il est de rigueur que les étrangers rendent cette espèce de salut avant que d'en venir, de chaque côté, à une libre communication 2. Loin de se conformer à cet usage , les Européens ne répondaient souvent à cette cérémonie , qu'ils pre- naient pour une insulte , que par des boulets , ou du moins par des balles. Si quelque naturel succombait dans la lutte , ses parens et ses amis étaient obligés , par les lois de l'honneur et de la religion , de sacrifier à leur tour des Européens pour apaiser l'esprit du mort 5. Qu'on joigne à cela toutes les occasions où les Eu- ropéens pouvaient, sans même s'en douter, offenser ces insulaires dans leurs opinions religieuses , et l'on se fera une idée des suites funestes qui pouvaient en ré- sulter 4. De là, sans doute, les catastrophes san- glantes qui signalèrent souvent l'apparition des blancs dans ces climats ; de là l'opinion de barbarie , de féro- i Cook, deux. Voy., I, p. 261. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 182, 289. Deux. Voy., I, p. 260. Cruise , p. 114. — 3 Savage, p. 8g. — 4 D'Urvillc, II, p. 217. 39 i VOYAGE cité et de perfidie , qui resta si long-temps attachée au caractère du INouveau-Zélandais '. Les quatre attentats les plus graves qu'on ait pu re- procher à ces peuples peuvent se justifier, ou du moins s'excuser jusqu'à un certain degré. L'attaque des natu- rels contre les compagnons de Tasman , dans laquelle périrent quatre Hollandais , eut certainement pour motifs l'ignorance et la défiance où se trouvaient les insulaires sur les intentions et même sur la nature de leurs hôtes. Il est très-probable qu'ils les prirent pour des esprits mal faisans et ennemis , surtout quand ils virent que ces étrangers ne répondaient point à leurs saluts et à leurs questions 2. Le massacre des dix matelots de Furneaux , dans le canal de la Reine-Charlotte, fut occasioné par un malentendu , dans lequel les Anglais eurent peut- être les premiers torts ; au moins montrèrent-ils beau- coup d'imprudence dans cette circonstance 5. Quant à la mort funeste de Marion et de ses com- pagnons, il est indubitable que la conduite inique de Surville envers Nagui-Nouï en fut la première cause 4, surtout si, comme les habitans de la baie des Iles s'accordent à le dire aujourd'hui, Tekouri , l'auteur de ce massacre , était le compatriote et peut-être le parent de Nagui-Nouï. N'est-il pas possible aussi que quelque acte de violence inconnu commis par les Fran- < Dillon, I, p. 2?. 3. — 2 Tasman, d'Urv., III, p. 8 et suiv. — 3 Cook deux. Voy. ,1V, p. 146. Trois. Voy.,I, p. 162 et suiv. — kSuriille, d'Urv., III, p. 28 et suiv. Crozet, d'Urv., III, p. 41 et suiv. DE L'ASTROLABE. 395 çais ait en outre provoqué ces affreuses représailles de la part îles sauvages ? ? Il est bien avéré aujourd'hui que le désastre du Boyd lut causé par la conduite imprudente du capi- taine Thompson , et par ses violences envers Taara ou Georges , fils du principal chef de Wangaroa. La vengeance des naturels occasiona la mort de Thomp- son et de tous ses compagnons 2. Nous pourrions encore citer la conduite infâme des capitaines du Jefferso?iet du King-George à l'égard de l'ariki Tara et de sa femme 5, du capitaine du Panamatta envers les habit ans de la baie des Iles 4, et des pirates qui enlevèrent le Fenus envers diverses tribus de la Nouvelle-Zélande 5. Maigre les préventions fâcheuses qui régnaient dès- Moral. lors contre les Nouveaux-Zélandais , on voit Banks , Forster et Anderson rendre successivement justice à leurs bonnes qualités , tout en mentionant leurs dé- fauts. Le premier dit que ces hommes lui ont paru être d'un caractère doux et affable, et il vante leurs bons procédés à l'égard les uns des autres, entre al- liés et amis bien entendu 6. Forster dit positivement que cette nation est hospitalière et généreuse, qu'elle i Cook, deux. Voy. , III , p. 357. Marsden , d'Urv. , III, p. 3? 2. B'Ur- ville, II, p. 237. Gaimard, d'Urv , II, p. 280. Quoy , d'Urv., II, p. 286. Dillon, d'Urv., III, p. 705. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 111, 112, i5o. Nicholas , d'Urv., III, p. 588 et suiv. Dillon , I, p. 214 et suiv. — 3 Nicholas, II, p. 164. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 11 1 , 1 13 , 140 et suiv. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. i83. — G Cook, prem. Voy., III, p. 162. 396 VOYAGE connaît les sentimens de bienfaisance et d'humanité , que les guerriers y sont intrépides et hardis, et qu'en général les individus ont un jugement sain, du goût et de l'industrie '. Enfin , Anderson fait remarquer la vive affection qu'ils portent à leurs parens et à leurs amis , et les marques de sensibilité qu'ils donnent lors- qu'ils viennent à les perdre 2. Les communications fréquentes que les Européens ont eues avec ces contrées depuis une quarantaine d'années, surtout les voyages de M. Marsden et les rapports des missionnaires ont fait connaître d'une manière plus positive le caractère de ces insulaires 3. Tous s'accordent à dire que si les Nouveaux-Zélandais sont fiers , orgueilleux, jaloux les uns des autres, très- irritables , terribles et implacables dans leurs ven- geances 4; ils sont cependant sensibles5, généreux, sincères , probes 6, hospitaliers 7, amis fidèles 8, dé- voués et constans, et surtout parens tendres et affec- tueux 9. M. Nicholas dit en propres termes que, dans les relations privées, il n'est pas d'homme plus aimant, que le Nouveau-Zélandais *o, et il vante leur bonne foi entre gens de la même tribu l r . i Cook, deux. Voy., I, p. 279. II, p. 125. — 2 Anderson, d'Urv. , III , p. 24. — 3 Savage , p. 3. — 4 Cook, deux. Voy. , III, p. 353. Trois. Voy., I, p. 204. — 5 Savage, p. 37 , 38. — 0 Nicholas, I, p. 246. — 7 Cook, prem. Voy., III, p. 266. Crozei, d'Urv., III, p. 36, 37. — s Col- liris , d'Urv., III, p. 84. — 9 Savage, p. 43. Nicholas, I, p. 180. D'Urv., III, p. 632. Marsden, d'Urv. , III, p. 21 3, 241. Davis , d'Urv. , III, p. 486. W. Yate, d'Urv. , III, p. 542. Blosseville , d'Urv., III, p. 696. \ew-Zealanders , d'Urv., III, p. 771. — 10 Nicholas, II, p. 3o6. — 11 Nicholas, II, p. 5g. DE L'ASTROLABE. 397 Tout cela doit s'entendre particulièrement des hom- mes de la classe des rangatiras : car ceux du peuple , par une suite naturelle de leur position dépendante , sont plus avides, plus dissimulés, et se portent plus facilement à des actions criminelles pour satisfaire leurs penchans. Bien que ces hommes soient généralement doux , Colère, honnêtes , obligeans et même complaisans dans leurs relations habituelles, ils s'emportent facilement, et dans ces momens on les voit passer tout-à-coup à des transports de colère et de rage qui semblent leur ôter entièrement l'usage de leur raison ï . Cela arrive sur- tout lorsque leur vanité est blessée ou qu'ils croient leur dignité offensée. Cependant , quelque redouta- bles qu'ils paraissent dans ces occasions , il est rare qu'ils se portent à des voies de fait; surtout si l'on op- pose à leur rage beaucoup de calme et de sang-froid2. Alors ils s'apaisent rapidement et se montrent aussi doux, aussi paisibles qu'ils étaient turbulens l'instant d'auparavant 5. Ces transitions sont si subites, si éton- nantes, que l'on serait tenté de croire que leur fureur n'est souvent qu'artificielle 4, et qu'ils n'en font la dé- monstration que pour sonder le courage de leur enne- mi, et voir quelle impression leurs menaces pourront opérer sur son cœur. Eux-mêmes sont les premiers à vous dire en riant que toutes leurs provocations et i Cruise, p. 170. — 2 Cook , deux. Voy. , III, p. 565. Cruise, p. 5i"j. Madame Williams , d'Urv. , III, p. 492 et suiv. New-Zealanders , d'Urv. , III, p. 768. — 3 Xicholas, I, p. i85. — 4 Nicholas , d'Urv., III, p. 5 7 g. 398 VOYAGE leurs insultes n étaient que angaraka , plaisanterie , et à vous assurer qu'ils n'avaient aucune intention hostile. Il est nécessaire que les Européens qui ont affaire à ces naturels connaissent cette disposition de leur ca- ractère , afin d'agir en conséquence. Les missionnaires nous ont cité une foule d'exemples de ces fureurs sou- daines et éphémères, et ils ont appris à ne pas y atta- cher plus d'importance qu'elles n'en méritent. Je n'en citerai qu'un seul cas dont j'ai été moi-même témoin. En 1 824, nous ramenions de Sydney dans sa patrie Taï-Wanga, petit-neveu de Shongui. Ce jeune homme était gai et facétieux ; ses plaisanteries et ses grimaces amusaient beaucoup les gens de l'équipage, qui se plai- saient quelquefois à lui faire des niches. Cela réussit durant un temps , mais un matelot s'étant avisé de saupoudrer de farine un vieil habit que ce naturel rapportait de Port-Jackson, et qui lui servait à faire le gentleman, cette espièglerie le mit dans une colère épouvantable. Dans sa rage, il s'arrachait les cheveux, trépignait, proférait mille menaces, et pleurait comme un enfant; il finit par lancer son habit à la mer. J'eus connaissance du désespoir de Taï-Wanga, je le fis ap- peler, et le questionnai : il me répondit qu'il n'était pas juste de le traiter ainsi, attendu qu'il était rangalira de naissance, que c'était bon pour son compagnon Pahi qui n'était qu'un esclave ; et qu'à son arrivée chez lui il se vengerait de ces insultes. Je tâchai de l'apaiser, et défendis sévèrement aux matelots de le molester davantage. Mais ce qui consola le mieux le pauvre DE L'ASTROL/VBE. 399 Taï-Wanga, ce fut de recevoir une bonne capote grise qu'il endossa à l'instant même pour remplacer son vieil habit : car il sécha sur-le-champ ses larmes, et reprit toute sa bonne humeur. Ce naturel avait conçu beaucoup d'affection pour moi ; comme j'avais témoigné le désir de faire une longue incursion dans l'intérieur, il s'était offert à me servir de guide et d'otage parmi ses compatriotes. Il revint même deux ou trois fois à bord , malgré la distance de Kidi- Kidi au mouillage , pour me renouveler ses offres de services ; mais des raisons particulières m'empêchè- rent d'exécuter mon projet. Ces hommes montrent beaucoup de courage ' dans les combats ; ils savent affronter la mort avec intrépi- dité 2, et, bien qu'ils soient convaincus que les résul- tats les plus ordinaires de ces guerres sont pour eux d'être tués et dévorés par leurs ennemis , ils savent envisager de sang-froid cet instant fatal, et ils en par- lent entre eux comme d'une chose assez naturelle 3. La vengeance a pour eux les plus grands attraits, Gûnérosiié. et ce sentiment est même fondé sur des idées supers- titieuses de l'ordre le plus extraordinaire : cependant, on les voit quelquefois se montrer généreux envers leurs ennemis vaincus. Ainsi, malgré les insultes graves qu'il en avait re- çues, Temarangai pardonne àWarou, lui rend sa femme et ses enfans tombés en son pouvoir, et fait ' Cook, prem. Voy. , III, p. 52. Savage, p. 17. — a Cook , deux. Voy., V, p. 282. — 3 Marsdeti, d'Urv., III, p. 444. iOO VOYAGE même présent à son ennemi d'un fusil pour le consoler de la mort de son père r . Koro-Koro, si violent de son naturel, si passionné pour les combats, afin de célébrer le retour de son frère Touai dans sa patrie, suspend sa vengeance contre deux chefs du Shouraki qui avaient tué un de ses pa- rens 2. Le féroce Taara, altéré de sang et de carnage, et consommant la ruine du Boyd et de son équipage , se souvient néanmoins des bons procédés d'un jeune mousse à son égard; il l'accueille et lui conserve la vie 5. Un chef du Shouraki avait fait prisonniers deux fils de Pomare et deux autres personnages importans de leur tribu , dont il avait eu beaucoup à se plaindre. Peu de temps après , il leur rendit la liberté , et leur fournit même une pirogue pour retourner chez eux 4. La paix cependant ne fut point une condition de cette faveur, ce chef savait en outre que par cette action il allait renforcer le nombre de ses ennemis. Touai me montra un jour un prisonnier qu'il avait ramené d'une de ses expéditions vers les contrées mé- ridionales , c'était un personnage de distinction dans sa tribu. Au lieu de le tuer , comme il en avait le droit , Touai lui avait donné une femme et une mai- son , et cet homme était en quelque sorte devenu l'a- gent de Touai dans ses affaires de commerce avec les Européens. i Maisden, d'Urv., III, p. 428. — = Marsden, d'Urv. , III, p. 278. — 3 yicholas, d'Urv. , III, p. 5gi. — 4 Dillon, d'Urv., III, p. 700, 709. DE L'ASTROLABE, joi La confiance des Zélandais dans la parole de leurs ennemis a quelque chose de noble, et prouve qu'ils ont une idée positive du droit des gens *. Kahoura, chef des guerriers qui avaient tué les marins de Fur- neaux , n'hésite pas à se mettre à la discrétion de Cook , et se repose sur le pardon que ce navigateur lui accorde 2. On voit Temarangai marcher seul, sans crainte et sans défiance à la suite de M. Marsden, au milieu de peuplades où il venait de porter le fer et le feu , et qui avaient toutes sortes de motifs pour se venger de lui 5. Les chefs de Wangaroa , coupables du meurtre des Anglais du Boijd, osent se rendre à l'invitation de M. Marsden et l'accompagner sur son navire 4. Ces insulaires aiment souvent à rire; leur esprit est porté à la plaisanterie , et l'un de leurs plus grands amusemens est de copier dans leurs gestes la tournure et les manières des Européens , ce qu'ils font d'une façon très-comique et avec un véritable talent 5. Toutefois leur extérieur est habituellement sérieux, grave et réfléchi ; on ne retrouve pas chez eux cette mobilité , cette légèreté qui semblent caractériser la plupart des sauvages des îles de l'Océanie, particuliè- rement ceux de Taïti. Les Zélandais sont actifs , in- dustrieux G, susceptibles de constance et d'applica- tion 7. On les voit quelquefois poursuivre leurs pro- 1 Cook, deux. Voy. , III, p. 35o. — 2 Cook, trois. Voy., I, p. 169 et suiv. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 420 et suiv. — 4 Marsden, d'Urv. , III, p. l54. — 5 Savage, d'Urv. , III, p. 784. Cruise, p. r3. — G Nicha- las, II, ]), 5o. — 7 Marsden, d'Urv., III, p. i3r. TOME II. 28 102 VOYAGE jets durant des années entières , travailler pendant tout ce temps à se procurer les moyens de réussir ; enfin les mettre à exécution au moment où ils semble- raient les avoir oubliés depuis long-temps. Ainsi Doua-Tara consent à se livrer trois ou quatre fois de suite à la discrétion des baleiniers anglais , malgré la triste expérience qu'il avait acquise de leur mauvaise foi ; il s'abaisse aux fonctions pénibles de simple matelot, afin de réussir dans ses projets de ci- vilisation pour son peuple , et surtout pour se procu- rer les moyens d'introduire la culture du blé dans son pays i.. Animé par des sentimens bien différens, Shongui poursuit durant douze ou quinze ans ses projets de vengeance et de destruction contre Moudi-Panga et le peuple de Kaï-Para. Il caresse les baleiniers qu'il n'aime point , il accueille les missionnaires dont il mé- prise la religion 2, et dont il paralyse constamment les desseins ; enfin il quitte son peuple et se dépouille de sa puissance pour aller jusqu'en Angleterre, tout cela dans le seul but de se procurer de la poudre et des fusils 3. Muni de ces précieux objets qu'il a recueillis au prix de tant de maux, de fatigues et de privations , Shongui revient chez lui ; il marche contre son en- nemi, et consomme sa vengeance 4. M. Kendall , qui servait de guide à cechefintré- i Marsden, d'Urv. , III, p. 252 et suiv. Nicholas, d'Urv., III, p. 578. — 5 D'Urville, m, p. 676. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 638. — 4 Mis- sionnary liegister , d'Urv., HT, p. 489. ■S' DE L'ASTROLABE. 403 pide , m'a raconté qu'au moment de sa présentation à Georges IV, Shongui ne parut nullement ému du faste et de la pompe qui l'environnaient , et qu'il con- serva autant de calme et de sang-froid en face du monarque européen , que s'il se fût trouvé avec un de ses collègues de la Nouvelle-Zélande. La nature semble avoir doué ces hommes de dis- intelligence, positions égales à celles des Européens pour tous les arts mécaniques ' . Les missionnaires ont vanté leur aptitude à toutes sortes de métiers , comme charpen- tier, scieur, maçon, forgeron 2, armurier, etc. , et ils ont observé que les enfans , pour apprendre à lire et à écrire , déploient une facilité au moins égale à celle des enfans anglais 3. Ils s'entendent très-bien aux affaires de commerce. M. INicholas nous représente Pomare comme un né- gociant habile, intelligent et rusé ; il admire surtout sa constance et son activité pour accroître , par tous les moyens qu'il peut inventer, ses ressources en poudre et en armes à feu 4. En général ceux qui ont eu des relations fréquentes avec les Européens sont de- venus extrêmement défians et fort difficiles dans leurs opérations commerciales, cela provient de ce qu'ils ont été souvent trompés. Cependant en ayant soin de stipuler d'une manière très-ponctuelle ses conditions, avant de conclure avec eux aucune sorte de conven- i Cook, trois. Voy., I, p. 2o3. Kendall, d'Urv., III, p. 124. Davis, d'Urv. , III, p. 486. — 2 Cruise, p. 182. — 3 Kendall, d'Urv., III, p. 244. — 4 \irholas, I, p. 241; d'Urv., III, p. 602. 28* iOi VOYAGE tion , il est rare qu'ils se montrent infidèles à leurs engagemens *. Affections. Quoique le Nouveau-Zélandais aime à voyager et s'aventure facilement et avec confiance vers des con- trées lointaines, il conserve toujours une tendre affec- tion pour sa patrie, il en parle souvent avec attendris- sement, et quand il revoit les côtes qui l'ont vu naître, il se livre à des transports de joie en reconnaissant les diverses parties de son île 2. Il n'est pas de voyageur qui n'ait rendu justice à l'affection extraordinaire que ces naturels portent à leurs enfans , à leurs parens et à leurs amis 5. Sensi- bles aux bienfaits et aux marques d'amitié qu'ils ont reçus , ils en gardent religieusement le souvenir, et l'on peut compter sur leur reconnaissance. A la mort d'une personne qui leur est chère , ils s'abandonnent aux regrets les plus vifs , h la désolation la plus pro- fonde. C'est ce sentiment , poussé à l'excès , qui les porte en ces circonstances à se déchirer cruellement le visage et le corps avec des pierres ou des coquilles tranchantes 4. Dans leur opinion , ce n'est qu'en fai- sant jaillir leur propre sang et le mêlant aux larmes qu'ils répandent , qu'ils croient témoigner dignement toute la douleur qu'ils éprouvent. Ils ne peuvent s'i- maginer que les Européens, plus modérés dans leurs témoignages de deuil , aient des sentimens d'affection bien sincères et bien profonds 5. ' Nicholas, II, p. i5g. — 2 Cruise , p. 18. — 3 Marsden , d'Urv. , III, p. 290. D'Vrville, II, p. i54 ; III, p. 674. — 4 Anderson , d'Urv., III, p. 25. Marsden, d'Urv., III. p. 349. — S Marsden, d'Urv., III, p. 385, 4 ta. DE L'ASTROLABE. i05 Ils s'abandonnent aussi aux regrets les plus vils, quand ils se séparent de leurs parens et de leurs amis pour une longue absence. M. Nieholas, qui fut sou- vent frappé de l'affection des parens pour leurs en- fans et des marques de douleur amère qu'ils donnaient en se séparant deux, fait remarquer que Pomare seul lui parut insensible aux tendres sentimens de la na- ture , et se sépara de son fils sans verser une larme , sans donner aucun signe d'émotion l. Cette froideur offre un singulier contraste avec la sensibilité tou- chante que montrèrent d'autres chefs non moins distingués, tels que Shongui, Inaki 2, le père de Maounga 55 etc., en se séparant de leurs enfans ; sur- tout avec la douleur et le désespoir qu'éprouva Hie- toro en apprenant la mort de son neveu à Port- Jackson 4. Les récits de MM. Marsden, Nieholas, et des missionnaires, démentent formellement l'opinion que Forster avait émise touchant la conduite des Zélandais envers leurs femmes 5. Loin d'être violens et brutaux envers elles, il parait qu'ils sont en général affectueux, et qu'on voit très-rarement les hommes se porter à des excès blâmables envers le sexe le plus faible , à inoins d'y être provoqués par quelque puissant motif. Ce que Forster raconte de l'insolence des enfans en- vers leurs mères parait être également dénué de fon- i yicholas , II, p. 19g. — 2 Cruise, p 233. — i Savage, p. 41. — 4 ('mise, p. 238. — 5 Cook, deux. Voy. , II, p. 120; V, p. 2S2. Nieho- las, d*Urv., III, p. 607. Mcholas, II, p. 3u2. Marsclcn, d'Urv. , III, 1'. 47»- 106 VOYAGE dément. Il se pourrait que dans l'exemple unique que mentionne ce voyageur il eût été dans l'erreur, et que la femme dont il est question n'ait point été la mère de l'enfant , mais seulement une esclave de la maison. Les premiers voyageurs ont été souvent in- duits en erreur, en confondant de simples esclaves avec les femmes ou les filles des chefs. C'est par suite d'une méprise semblable que plu- sieurs navigateurs ont répété les uns après les autres que ces peuples s'empressaient de prostituer leurs femmes et leurs filles aux marins européens, moyen- nant des bagatelles de toute espèce. Le fait n'était pas exact. Nulle part les femmes mariées ne se montrè- rent moins accessibles qu'à la Nouvelle-Zélande, et les compagnons de Marion avaient déjà fait cette observa- tion. Ces naturels n'offrent jamais aux Européens que des filles et presque toujours de la classe du bas peuple et des esclaves. Ordinairement les chefs d'un certain rang ont toujours éprouvé une vraie répugnan- ce à livrer leurs propres filles aux désirs des étran- gers, sans pourtant y attacher aucune idée criminelle ou illicite 1. Les chefs de Mogoïa se seraient crus po- sitivement déshonorés , en prostituant leurs filles aux Européens 2. Un sentiment qui fait beaucoup d'honneur à ces sauvages , est leur profond respect pour la vieillesse. Aux repas, aux conseils, dans toutes les occasions so- lennelles, les places d'honneur sont réservées aux i Cruise, p. 172. — = Cntise, d'Urv. , III, p. 654. DE L'ASTROLABE. 407 vieillards. Les jeunes gens les écoutent avec respect; quoique les chefs parvenus à un certain âge résignent d'eux-mêmes leur pouvoir et le commandement de la tribu à leurs fils ou à leurs neveux, néanmoins ils conservent la plus grande influence au conseil, et il est rare qu'on décide jamais aucune entreprise sans les consulter > . Ce respect pour l'âge s'étend jusqu'aux hommes du peuple et même aux esclaves ; on voit des chefs nourrir des individus de cette classe bien qu'ils n'en retirent aucune sorte d'utilité et uniquement pour leur âge avancé2. Leurs dispositions hospitalières ont été attestées HosPitalilé- par tous les voyageurs sans exception 3, mais les re- lations de M. Marsden en fournissent sans cesse des preuves irrécusables; et la réception qu'il éprouvait partout où il portait ses pas, nous rappelle en quelque sorte les mœurs des anciens patriarches 4. On peut citer également le voyage de cet Américain , Clarke , qui se rendit par terre et tout seul des bords duShou- raki à la baie des lies. Partout il fut bien accueilli , comblé de politesses , et l'on avait même soin de lui donner des guides pour lui indiquer le chemin qu'il devait suivre 5. Les naturels qui avaient visité la colonie anglaise se plaisaient à dépeindre l'égoïsme et l'avarice des Eu- ropéens , en opposition avec la générosité des Zélan- i Savage, p. 29. — 2 yicholas, I, p. 160. Blosseinlle , d'Urv., III, p. 696. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 671. — 4 Marsden , d'Urv., UI, p. 327 , 357. — 5 Cruise, p. 249. 406 VOYAGE dais. Tenana, à son retour de Port-Jackson, faisait observer à ses compatriotes qu'en ce pays on pouvait mourir de faim à la vue de vivres de toute espèce, sans que personne vînt vous rien offrir l. Taï-Wanga pre- nant à discrétion des patates cuites dans la pirogue de Shongui, me les offrit ainsi qu'aux canotiers, et pour mieux nous déterminer à les accepter, il ajoutait qu'à la Nouvelle-Zélande ce n'était pas comme à Port-Jack- son , et qu'il n'était pas nécessaire de donner de l'ar- gent pour avoir de quoi manger. Quand ces naturels ont prononcé à des étrangers les mots : Aire mai, aire mai"2, on peut compter sur un bon accueil de leur part , car chez eux cette invita- tion est sacrée et inviolable. Tant que ces mots ne sont point sortis de leur bouche, leurs intentions sont sus- pectes 5. Du moins, les voyageurs peuvent agir en con- séquence, et c'est à eux de se retirer s'ils n'ont pas obtenu le salut favorable. Les fréquens rapports des Nouveaux-Zélandais avec les Européens, et l'introduction des armes à feu , ont modifié leur caractère d'une manière peu avanta- geuse. Ils sont devenus dissimulés , avares , défîans , exigeans et arrogans 4. De tous les peuples de la Nou- velle-Zélande que j'ai eu l'occasion de fréquenter, au- jourd'hui les plus vicieux et les moins sociables m'ont paru être ceux de la baie des Iles, et parmi ceux-ci les plus insupportables appartiennent aux tribus de > Nicholas, I, p. 35o. — » Nichclas, I , p. 127. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 656. — 4 D'UrviUe, III, p. 673. DE L'ASTROLABE. 409 Rangui-Hou et de Kidi-Kidi, tout-à-fait corrompues par le commerce continuel des Européens, et par les munitions de guerre dont ils sont devenus posses- seurs ". On sent que je ne veux point parler du com- merce des missionnaires, mais bien de celui des balei- niers anglais et américains, gens en général grossiers, brutaux, sans mœurs et souvent sans bonne foi. III. CONSTITUTION POLITIQUE. Rien ne rappelle mieux les anciens clans d'Ecosse Rangs. ou les septes de l'Irlande, que les peuplades de la Nou- velle-Zélande'^. Chaque tribu n'est en quelque sorte qu'une grande famille qui reconnaît un chef5, auquel tous les autres membres prêtent plutôt déférence et respect qu'une véritable obéissance. Les rangatiras ou nobles ont d'autant plus d'influence ou de crédit qu'ils tiennent de plus près au chef, et qu'ils ont plus de domaines et d'esclaves. Il y a des rangatiras de tous les ordres , depuis celui qui possède de grandes pro- priétés et beaucoup d'esclaves, jusqu'à celui qui ne possède que son titre de simple guerrier. J'ai cru re- marquer que quiconque était par sa naissance indé- pendant , pouvait prendre le titre de rangatira , sans cependant rien affirmer de positif à cet égard. Le peu- ple se compose des esclaves 4, des enfans d'esclaves, i Cruise, p. 58. D'Uiville, II, p. 233, 238. — a Savage, p. 26. — 3 Cook, deux. Voy. , III, p. 37 t. — 4 Revue Britannique, d'Urv., III, p. 722. Chefs. 110 VOYAGE et probablement de ceux qui, par des malheurs arrivés à leur famille, ou par suite de condamnations encou- rues, sont obligés de se mettre au service d'un autre afin de pouvoir exister. Les chefs principaux, rangalira-rahi ou ranga- ti?a-?iouï, m'ont toujours paru indépendans, chacun dans leur tribu , et la diriger à leur gré sans recon- naître d'autorité supérieure à la leur. Il peut arriver sans doute qu'un chef soit influencé , même dominé dans sa conduite et dans ses actions par un chef plus puissant ou plus énergique , mais c'est une simple af- faire de circonstance et non pas de droit. La même chose a lieu en Europe quand le chef d'un petit Etat est contraint de subordonner sa volonté à celle d'un monarque plus puissant. M. INicholas avait cru découvrir que tous les chefs de la partie nord d'Ika-J\a-I\la\vi reconnaissaient trois chefs supérieurs qui portaient le titre d'ariki 1 : mais ce titre ne s'accorde en général à la baie des Iles qu'aux prêtres, et n'entraîne aucune idée de pouvoir. Sur les bords du Shouraki et dans les contrées méri- dionales , il parait qu'effectivement certains chefs le prennent, peut-être parce qu'à leur autorité de chef ils joignent le caractère de prêtre. Du reste, si le titre d'ariki confère quelque distinction aux chefs qui en sont revêtus, je suis porté à croire qu'elle serait plutôt honorifique que positive J. Ce titre répondrait en quel- que sorte à ceux de doyen, primat, ancien, président, i yicholas, d'Urv., III, p. 5g8 et suiv. — * Cruise , p. 220. DE L'ASTROLABE. ill parmi nous. En effet, ce sont presque toujours des chefs fort avancés en âge qu'on en a vus décorés. L'autorité des chefs sur leurs subordonnés immé- diats est elle-même fort indéterminée et souvent d'une nature équivoque l. Elle dépend bien plutôt de l'in- fluence que le chef a su obtenir sur l'esprit de ses compatriotes que d'aucun droit légal et explicite 2 . Cette influence peut s'obtenir ou par des exploits si- gnalés dans les combats , ou par une haute réputation de sagesse et d'expérience comme prêtre et prophète, ou bien par de grandes possessions en terres et en esclaves. On sent bien que la dernière de ces condi- tions a presque toujours eu pour origine les conquêtes faites à main armée. Dans l'état de paix , les chefs ne paraissent avoir presque aucun moyen direct pour se faire obéir de leurs sujets5 ; dans ce cas, leur autorité se trouve à peu près restreinte aux privilèges du tapou, qu'ils peuvent im- poser à leur gré : c'est une sorte de veto dont les ef- fets sont, chez ces peuples, beaucoup plus importans qu'on ne le penserait au premier abord, ainsi qu'on le verra plus tard. En guerre, l'autorité du premier des chefs de la tribu prend un grand degré d'extension , elle devient presque absolue , et les guerriers lui ac- cordent une obéissance passive 4. Le droit de succession à l'autorité passe ordinaire- i Marsdcn, d'Urv., III, p. 199. — a Nicholas, d'Urv., III, p. 599. Quqy, d'Urv., II, p. 284. — 3 Cook, deux. Voy., III, p. 371. Nicholas, II, p. 141. — 4 Marsdcn , d'Urv., III, p. 199. il 2 VOYAGE ment du frère aîné aux cadets, et revient ensuite aux enfans des aînés >. Chez toutes les nations du nord, il ne parait pas que les femmes soient susceptibles d'occuper le rang suprême ; les hommes même qui ne peuvent conduire leurs guerriers au combat, par suite de blessures ou d'infirmités, résignent le pouvoir, et cèdent leurs droits à celui de leurs païens qui peut remplir ces fonctions 2. Dans les régions méridiona- les , le contraire semble avoir lieu, car on cite des femmes en possession de l'autorité supérieure ; la puissante Hina-Mate-Oro en offrait un exemple 5. Sans doute, en ce cas, c'est le rangatira-para-parao qui con- duit les guerriers aux combats. Malgré la vénération profonde que ces insulaires ont pour la valeur guerrière , et bien qu'elle soit pour eux la plus éminente des vertus, peut-être même la seule qu'ils estiment en ce inonde, le préjugé de la naissance est si puissamment établi chez eux qu'il est impossible à un homme de la dernière classe de par- venir au rang de noble ou rangatira. Aussi les chefs faisaient observer aux missionnaires qu'il était fort inutile d'instruire les enfans du peuple, attendu qu'ils devaient rester dans la même classe que leurs parens, mais qu'il était fort bon de donner de l'éducation aux enfans des chefs 4. Il m'a semblé néanmoins que le dernier des guer- i Cruise, d "Urv. , III, p. 665. — 2 Cook, deux. Voy. , I , p. 266. D'L'r- v.Ue, III, p. 681. — 3 Kenâall, d'Urv. , 111 , p. 23;. Marsdcn, d'Urv., III, p. 3i5. — 4 Marsdcn, d'Urv. , III, p. 199. DE 1/ASTROLA.BE. 413 riers pouvait, par ses exploits, devenir rangati) a-pa- ra-parao, c'est-à-dire généralissime de l'armée ou lieu- tenant du chef principal dans le commandement des guerriers, titre qui confère un grand pouvoir en temps de guerre , mais qui laisse cependant celui qui en est revêtu au-dessous des rangatiras de naissance. Tel était Koupanga près du chef Kaï-Waka , à Pa-Ika- >'ake ' ; Inaki à Mogoïa, près de Toupaïa 2; Shongui à Kidi-Kidi , près de son frère Kangaroa tant qu'il fut envie, et Toupe près de son frère Tara à Korora- Reka 5. Les rangatiras sont très-fiers de leurs prérogatives ; Étiquette. ils ne manquent jamais d'instruire les Européens de leur propre dignité en les abordant 4, et demandent ensuite aux étrangers quel est leur rang. Il était curieux de voir avec quelle promptitude , avec quel discerne- ment ils savaient établir parmi les personnes de notre équipage des assimilations aux divers ordres de la so- ciété chez eux. Le capitaine était le rangalira-rahi, le second le rangatira-para-parao, les divers officiers rangatira, les autres personnes de Jetât-major sans autorité, les élèves et les maîtres, rangatira-iti, et les autres hommes de 1 équipage tangata , tangata-ili ', tanirala-wari et kotiki, suivant qu'ils étaient officiers- mariniers , matelots ou domestiques. Ils s'efforçaient d'abord de conserver leur rang en affectant une supé- riorité grotesque à l'égard des Européens des derniè- i Marsden, d'Urv. , III, p. 186. Xicholas, II, p. 5. — * D'Urville, II, p. 173. — i Xicholas, d'Urv., III, p. 600, 611. — 4 Xicholas, II, ]). ■>. 16. lïlrville, III, p. 681. 414 VOYAGE res classes ; mais comme ces Européens, tout inférieurs qu'ils étaient aux yeux des chefs pour le rang , leur montraient bientôt des objets qui étaient pour eux de véritables trésors, ces orgueilleux rangatiras ne tar- daient pas à dépouiller leur fierté et à déroger en se familiarisant avec les simples matelots. Toutefois, dès qu'ils se retrouvaient à terre et parmi leurs sujets , ils reprenaient toute leur importance , et dans ce cas il était rare qu'ils eussent voulu compromettre leur di- gnité avec des Européens trop au-dessous d'eux. Les chefs de la Nouvelle-Zélande sont si chatouil- leux sur l'article de la préséance et du rang l, qu'ils vivent dans une rivalité continuelle , dans un état de jalousie poussée à l'excès les uns à l'égard des autres. La médisance, la calomnie, les mensonges les plus grossiers ne leur coûtent pas à l'égard de leurs rivaux, et ils excitent sans cesse le courroux des Européens contre eux. C'est un fait qui a été observé par une foule de voyageurs 2. Ce fut cet odieux sentiment qui porta Tara et Toupe à accuser, près des Anglais, leur rival Tepahi d'avoir dirigé l'attentat commis sur le Boyd , accusation qui lui devint si funeste ainsi qu'à son peuple 5. J'ai ra- conté tous les efforts que tentèrent les chefs de Houa- Houa , et Shaki à leur tète , pour me porter à massa- crer des chefs étrangers qui étaient venus me rendre visite 4. i yicholas, d'Urv., III, p. 600. jri'rville, III, p. 6S0. — = Cook, trois. Voy., I , p. 159. Yicholas , I, p. 296. — 3 Nicholas, II, p. 76. — 4 D'Ui- iille , II, p. 100 et suiv. DE L'ASTROLABE. 415 Scrupuleux observateurs du cérémonial, ces natu- rels n'abordent jamais un cbef qu'en le traitant de rangatira; mais ils apostrophent un homme du com- mun par répithcte de Tangata, homme, et plus sou- vent À" oro, jeune garçon. Il était plaisant de voira bord les jeunes filles esclaves courir après les person- nes avec lesquelles elles s'étaient familiarisées , en ré- pétant à chaque instant : E A oro. ( E est le signe de lappellatif.) La guerre est aux )eux des Nouveaux-Zélandais Motifs l'état le plus honorable pour l'homme, et toutes leurs de guerre. pensées sont presque toujours dirigées vers les moyens de la faire avec succès *. Le motif ordinaire ou du moins le prétexte apparent de toutes leurs guerres est toujours de réclamer de leur ennemi une satisfaction, outou, pour une offense réelle ou supposée de la part de cet ennemi 2. S'il consent à donner cette satisfac- tion , l'agresseur se retire 5 ; sinon les fureurs de la guerre continuent jusqu'au moment où l'un des partis est complètement défait ou exterminé. Quand les deux partis viennent à faire la paix, il est bien rare que l'un des deux n'offre pas un dédommagement à l'autre en guise de satisfaction, et ce gage ou outoa parait seul susceptible de consolider la paix d'une manière stable. Après la guerre que Shongui et Temarangai eurent ensemble en 1820, et, où le premier perdit vingt piro- 1 Cruisc, d'Urv., III, p. 640. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 283, 295, 3 16, 414. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 336. J. King , d'Urv., III, p. 3g3. Madame Williams, d'Urv., III, p. 4p3. 416 VOYAGE gués ; son ennemi , en faisant la paix , lui offrit une pirogue de guerre en guise ftoiitou pour sceller leur réconciliation *. Dans leurs disputes avec les Euro- péens, et même après qu'elles sont terminées, on les voit presque toujours réclamer oulou comme une chose qui leur est due. Les Zélandais poursuivent avec une constance opi- niâtre leurs projets de vengeance; un fils ne pardonne jamais l'injure faite à son père. La nécessité seule pourra le forcer à la laisser impunie durant un temps, mais il en tirera satisfaction dès qu'il en verra la possi- bilité '*. On sent bien qu'avec de pareilles dispositions ces peuples ne peuvent jamais vivre dans un état pai- sible 5 ; aussi sont-ils continuellement sur leurs gar- des 4, et l'on trouve bien rarement un guerrier zélan- dais qui ne soit pas armé de toutes pièces. Ces gens ne peuvent concevoir que les Européens n'aienl pas les mêmes opinions 5, et Taara se refusait à croire que les Anglais eussent renoncé à toute idée de vengeance contre lui en punition de l'attentat qu'il avait commis sur le Boijd&. Les guerres fréquentes où ces peuples sont engagés et la faiblesse des tribus sont cause qu'elles se réunis- sent d'ordinaire plusieurs ensemble pour former des ligues offensives et défensives contre leurs ennemis 7. Jadis les tribus de la baie des Iles et celles de Shou- i Cruise, p. 58. — 2 Marsden , d'Urv. , IH, p. 4:'). — 3 Missionnarj Register, d'Urv., III, p. 529. — 4 Cook, trois. Voy. , I, p. 174, 17 5. — 5 W. Williams, d'Urv., III, p. 547- — 6 Marsden, d'Urv., III, p. 485. — 7 Quoy, d'Urv., II, p. 284. DE L'ASTROLABE. U7 ki-Anga s'unissaient habituellement avec celles du Shouraki pour aller ravager les peuplades de la baie d'Abondance et du cap Est. Dans les dernières an- nées, les deux premiers peuples allaient combattre chaque année contre ceux du Shouraki et du Waï- Kato, ligués ensemble '. Dernièrement les guerriers de la baie des Iles en sont venus aux mains avec ceux du Shouki-Anga ; enfin on a vu des tribus combattre isolément l'une contre l'autre, comme quand Shongui alla attaquer les habilans de Wangaroa, quand Tema- rangai entra sur les terres de Kidi-Kidi 2, quand Moudi- Waï et Matangui eurent querelle ensemble 3, etc. Dans les guerres importantes où il s'agit du sort de plusieurs tribus réunies, avant d'entrer en campagne, tous les chefs d'un certain rang se réunissent en un conseil solennel, etdélibèrent gravement sur les avan- tages et les inconvéniens de la guerre 4. Ils parlent l'un après l'autre avec noblesse et dignité , debout et en marchant , et leurs discours sont toujours écoutés dans le plus profond silence 5. Ces conseils durent quelquefois des journées entières ; ils ont lieu en plein air; les chefs sont accroupis sur leurs genoux, en for- mant le cercle , et se tiennent dans un grand recueil- lement 6. Les prêtres y sont appelés et y exercent souvent une grande influence. On a reproché à ces insulaires leur perfidie et leurs 1 TTUnnUe, U, p. i65. — = J. Butler, d'Urv., III, p. 3g/,. — 3 Mars- den , d'Urv. , III, p. 33i et suiv. — 4 Savage, p. 28. — 5 Marsden, d'Urv., IU, p. 322. W. Williams, d'Urv., III, p. 55c). — 6 Marsden, d'Urv., III, p. 409. TOME 11. 29 il 8 VOYAGE ruses pour tâcher de surprendre leurs ennemis. II est cependant certain qu'un chef se met rarement en campagne sans avoir envoyé à ses ennemis des messa- gers pour leur signifier ses intentions, pour leur ex- poser les motifs qui lui ont fait prendre les armes , et leur demander s'ils sont disposés à lui donner satis- faction de l'injure ou du grief qui leur est imputé , ou bien s'ils sont déterminés à en venir à un appel aux armes ' ; de la réponse faite aux envoyés dépend or- dinairement le parti que prendra l'assaillant. Quand la guerre a été déclarée suivant les formes requises, et que l'ennemi s'est refusé aux réclamations qui lui ont été adressées, les assaillans se dirigent par mer ou par terre vers les contrées qu'ils veulent at- taquer. On a vu , dans les dernières années, les peu- ples du nord d'Ika-Na-Mawi lever des armées de deux ou trois mille combattans, quantité prodigieuse, eu égard h la faible population de chaque tribu , aux dis- tances à parcourir, et au peu de ressources dont les troupes pouvaient disposer dans le chemin 2. Lorsque ces troupes sont en marche, elles campent sous des huttes en branchages et en fougères , que chaque tribu construit pour son usage ; ou bien les guerriers se couchent en plein air et sur la terre quand ils sont favorisés par le beau temps 3. Le poisson sec et la racine de fougère sont h peu près les seules pro- visions dont ils font usage en ces circonstances , 1 Marsden , d'Urv. , III, p. 3c>8. — 2 Cruise, d'Urv. , III, p. 667. — 3 Cook, piem. Voy. , III, p. 278. Rutherford, d'Urv. , III, p. 753. DE L'ASTROIABE. 419 comme les plus faciles à se procurer et à transporter. Quands ils sont vainqueurs , ils se dédommagent aux dépens des vaincus de la diète forcée à laquelle ils ont été assujettis. Quelquefois des bandes nombreuses d'esclaves sont employées à porter à de grandes distances les provi- sions nécessaires *, puis on les renvoie dans la tribu quand on n'a plus besoin deux. Leurs campagnes de guerre se passent le plus sou- Combats. vent en escarmouches, en embuscades, où ils tâchent d'attirer l'ennemi et de lui faire le plus de tort possi- ble 2. Cependant ils en viennent quelquefois à des batailles rangées , dans lesquelles ils déploient un grand acharnement et beaucoup de vaillance 5, bien qu'ils soient le plus souvent réduits à combattre corps à corps. En effet , après avoir employé leurs lances, ils en viennent immédiatement sapatoa et au mere\\ c'est à la tête principalement qu'ils cherchent à se porter des coups 5. Quelques-unes de ces affaires ont été si meurtrières , que sur douze ou quinze cents combatlans de chaque coté il est resté plusieurs cen- taines de morts sur le champ de bataille 6. Quand le combat est bien acharné, les femmes elles- mêmes y prennent quelquefois une part active, bien que cela ne soit pas habituel 7. ■ Cruise, d'Urv.,III, p. 653. D'Urville, III, p. 679. Rutlierford, d'Urv., IU, p. 754. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 666. — 3 Savage, p. 28. — 4 Nicholas , I, p. 198. — 5 Cruise, p. i38. — 6 Marsden , d'Urv., III, p. 3i3, 427. Rutherford, d'Urv., III, p. 757. — 7 Marsden, d'Urv., III, p. 335. 29" Ï20 VOYAGE Au moment d'en venir aux mains , comme prélude indispensable du combat r, les guerriers exécutent leur chant de guerre , et ils s'accompagnent de cris , de gestes et de grimaces plus horribles les unes que les autres 2. Surtout, il leur arrive souvent de faire sortir leur langue de leur bouche d'une manière ex- traordinaire, et de relever leurs paupières au point de montrer tout le blanc de l'œil qui forme alors un cer- cle tout autour de l'iris 5. Cette attitude de la figure humaine est , suivant eux , l'emblème de la gloire , oudou; aussi c'est celle qu'ils donnent habituellement à leurs figures sculptées 4. Le plus souvent ils n'accordent point de merci aux hommes qui tombent entre leurs mains au milieu du combat5, surtout si ce sont des chefs de quelque dis- tinction. Alors ces malheureux sont presque toujours assommés et dévorés sur le champ de bataille. Les femmes et les enfans sont réduits en esclavage , et emmenés par les vainqueurs en guise de butin 6. Quand Shongui s'empara du pâ des JNga-te-po , à Wangaroa , il n'épargna aucun des habitans , et les esclaves seuls eurent la vie sauve 7. Ces hommes sont tellement convaincus que le sort des prisonniers qui tombent entre leurs mains dé- i Cook, prem. Voy. , III, p. i52, 9.89. — 2 Cook, deux. Voy., V, p. 286. Savage, p. 68. Rutheiford, d'Urv. , III, p. 732, 757. — 3 Cook, prem. Voy., UI, p. 290. Anderson , d'Urv., III, p. 24. — 4 Cook, deux. Voy., I, p. 264. — 5 Cook, trois. Voy., I, p. 175. Nicholas , d'Urv., III, p. 633. — 6 Reports, d'Urv., III, p. 456. — 7 Missionnary Remisier, d'Urv., III, p. 529. de l'astrolabe; 421 pend complètement de leur caprice , qu'un jour des naturels qui venaient d'arrêter un déserteur du Dro- medary, sur la demande du capitaine , en le remet- tant aux Anglais, demandèrent à l'officier comman- dant s'ils ne pouvaient pas actuellement tuer leur pri- sonnier ». Il est probable qu'ils l'eussent ensuite rôti et mangé sans scrupule. Quand la tribu offensée croit avoir tiré une ven- geance suffisante de son ennemi , ses guerriers se retirent , après avoir partagé entre eux les prisonniers et le butin qu'ils ont faits dans le cours de la guerre 2. Souvent les tempêtes dispersent et submergent leurs frêles pirogues , et le triomphe des vainqueurs est plus d'une fois troublé par les revers que les élémens leur suscitent. Naguère, quand les Zélandais ne combattaient qu'avec leurs armes nationales , telles que la lance, le casse-tête, \epatou, le mère, etc. , les chances de la guerre étaient à peu près balancées, et les diverses tribus avaient alternativement le dessus ou le dessous ; mais depuis l'introduction des armes à feu , que le hasard a fort inégalement réparties parmi eux, les tribus du nord , beaucoup plus favorisées dans ce par- tage, ont un avantage immense sur les peuplades du Shouraki, et surtout sur celles de la baie d'Abon- dance et du cap Est. Chaque année, ies premiers font des incursions chez les malheureux habitans des contrées du sud , et malgré la résistance que ceux-ci ■ Crtu'se, [>. >\?.. — 2 Marsden , d'Urv., III, p. 21 5. 422 VOYAGE s'efforcent d'opposer aux ravages de leurs ennemis, ils finiront par être complètement exterminés ', à moins qu'à leur tour ils ne réussissent à s'approvision- ner de ces armes qui leur sont aujourd'hui si fatales. Panapati. Ces peuples ont une si haute idée de la valeur guer- rière , qu'aux yeux de Touai , dans toute l'Europe , l'homme le plus illustre , le plus digne de ses respects et de son admiration, était Bonaparte, dont il avait entendu raconter les exploits. A son passage à Sainte- Hélène , Touai avait été présenté à ce grand capitaine, et il se rappelait souvent ce jour, comme un des plus glorieux de sa vie. Quand Shongui vint nous rendre visite, escorté de ses principaux guerriers , j'en re- marquai un que sa haute taille, ses formes athléti- ques et son attitude belliqueuse faisaient distinguer parmi tous ses compagnons. Je demandai son nom à Touai, il me répondit que ce guerrier se nommait Hihi, et il ajouta avec emphase qu'il était le Panapati de la Nouvelle-Zélande. Je ne compris pas d'abord ce qu'il entendait par cette épithète ; mais il proféra le mot Sainte-Hélène , et je vis bientôt qu'il proclamait Hihi le Bonaparte de la Nouvelle-Zélande , et par là il m'en faisait dans son idée l'éloge le plus brillant. Ce Hihi est le même qui, l'année suivante , se noya dans les eaux du Waï-Tamata, pendant qu'il combattait contre les habitans du Shouraki. Kevue. H paraît qu'à certaines époques de l'année les chefs passent la revue des hommes en état de porter les i Cruise, d'Urv. , III, p. 666. D'Urville, II, p. i65. et punitions. DE L'ASTROLABE. 123 armes dans la tribu. Les guerriers sont rangés par compagnies de cent hommes , et chaque compagnie est commandée par un rangatira; de sorte que ce mot rangatira désigne aussi une compagnie de cent guerriers. Un chef a cinq, six, dix rangaliras sons ses ordres , suivant qu'il a cinq , six cents ou mille guerriers à conduire aux combats. Cette revue a toujours lieu lorsque la tribu va se mettre en campa- gne, et elle est opérée par les soins du rangatira para- parao , sous les yeux du chef principal ' . Quand un chef vient à commettre quelque action Déllls contraire aux coutumes du pays ou au droit reconnu, ses voisins se rassemblent et le punissent, soit en le dépouillant en tout ou en partie de ses propriétés , soit même en le maltraitant et le battant2. Dans ces occasions, son peuple partage ordinairement son sort, et subit aussi les conséquences de sa faute. Souvent aussi les chefs décident leurs querelles par un appel aux armes, par une sorte de jugement de Dieu , qui a lieu devant les chefs des nations voisines et leurs guerriers rassemblés, pour servir à la fois de conciliateurs ou de juges, suivant que les coutumes du pays le permettent. M. Nicholas nous a tracé une description fort intéressante d'un de ces tournois, dans la circonstance où Hinou accusa Wiwia d'avoir séduit sa femme, et le traduisit devant l'assemblée so- lennelle des guerriers de la baie des Iles 3. i Nicholas, d'Urv. , III, p. 606. — 2 Savage, p. 3o. — 3 Nicholas, dUrv., III, p. 607 et suiv. i2i VOYAGE C'est faire une grande insulte à un rangatira que de le traiter de voleur, taehae1, et il s'en formalise d'une manière étrange. Cependant la probité de ces nobles personnages ne répond pas toujours à cette extrême susceptibilité; il en est qui résistent difficile- ment à l'occasion quand elle se présente à eux 2. La peine du talion parait être la plus usitée parmi ces sauvages. La mort doit être payée par la mort , le sang par le sang , et le vol par le pillage 3. Ils sont plus rigoureux pour l'adultère , puisqu'il entraîne la peine de mort pour les deux coupables 4. Suivant M. Ni- cholas ils distingueraient cependant le cas où le crime serait commis chez l'homme et celui où il serait com- mis chez la femme. Dans le premier cas , la femme serait seule mise à mort ; dans l'autre ce serait l'homme K D'ailleurs il est des circonstances où Té- poux offensé se contente de renvoyer la femme infi- dèle à ses parens. D'ordinaire les coupables sont cités devant un con- seil de chefs 6? jugés et exécutés séance tenante. Le bannissement de la tribu est souvent infligé aux indi- vidus convaincus de vol ou d'adultère. Il paraît qu'en certaines occasions, après avoir subi la peine de mort, le corps 7 ou du moins la tète 8 des vo- i Madame Williams, d'Urv., III, p. 492. — 2 Savage, p. 3i. Nicholas, U, p. 146. D'irville, III, p. 5g4. D'Urville, II, p. 176. — 3 Marsden , d'Urv., in, p. 336. Dillon, d'Urv., III, p. 704, 710. — 4 Savage, p. 3o. Marsden, d'Urv. , III, p. 18g. — 5 Nicholas , d'Urv., III, p. 5g3. — 6 Marsden, d'Urv., III, p. 170, 434. — 7 Nicholas, I, p. 227. Mars- den, d'Urv., III, p. 189. — s Cruise , p. 94. * DE 1/ASTKOLA.BE. 425 leurs est suspendue à un poteau en forme de croix. Les formalités du jugement ne sont guère admises qu'à l'égard des coupables d'un certain rang; car pour les esclaves et même pour les hommes du peuple privés de protection , le caprice des chefs est la loi suprême *. IV. OCCUPATIONS. Nous avons déjà parlé de l'existence des Nouveaux- Zélandais en temps de guerre ; dans l'état de paix, leur vie est bien moins agitée , et ils jouissent de beau- coup de loisir. Leurs occupations sont peu réglées, ils mangent et dorment le plus souvent quand l'envie leur en prend 2. Le principal soin du chef ou de son premier lieu- tenant est de veiller à la défense du pâ. Les autres rangatiras surveillent la culture de leurs champs , et y prennent souvent part avec leurs femmes et leurs serviteurs. Mais comme leurs plantations sont tou- jours fort peu étendues , il en résulte que ce travail demande peu de temps. Quelquefois ils vont à la chasse ou à la pêche; sou- vent ils se plaisent à fabriquer artistement divers ob- jets en bois ou en pierre, comme coffrets, flûtes, casse- têtes, etc., ou bien des hameçons en nacre ou en os. Ils excellent dans ce genre de travaux, ils exécu- . 1 Marsden, d'Urv. , III, p. 475. — 2 yicholas, II, p. 3 11. 4 2 fi VOYAGE lent des bas-reliefs très-réguliers et d'un fini admira- ble, tout bizarres , tout monstrueux que soient d'ail- leurs les sujets qu'ils représentent. Quand on fait attention que la plupart de ces ouvrages exécutés avant l'introduction du fer dans ces îles, l'ont été par conséquent avec de misérables instrumens en pierre ou coquillages , on ne peut s'empêcher d'admirer l'in- dustrie de ces insulaires, et surtout leur patience surprenante. On trouve souvent les chefs assis sous le vestibule de leurs cabanes , au milieu de leur peuple, et les es- claves leur apportent de temps en temps des patates ou de la racine de fougère. Les femmes assistent à ces réunions et y participent gaîment et sans restriction '. Enfin les chefs aiment à jouir entre eux des plaisirs de la conversation ; alors ils se mettent en cercle, ra- content les exploits de leurs pères , leurs propres combats , leurs voyages , discutent paisiblement sur des sujets relatifs à l'agriculture , au commerce et à la religion. Ces hommes parlent avec gravité l'un après l'autre , et il leur arrive très-rarement de s'interrom- pre mutuellement. Les enfans, dès l'âge de cinq à six ans, assis sur les genoux de leurs pères , assistent à leurs réunions et même à leurs grands conseils. Ils s'y montrent fort attentifs , et s'habituent de bonne heure à méditer sur les objets qui , suivant leur manière de voir, doivent influer sur leur honneur et leurs intérêts. » Nicholas, II , p. 3 12. DE L'ASTROLABE. 427 Les femmes , de leur coté , mènent une vie beau- coup plus laborieuse que les hommes ; car ce sont elles qui sont particulièrement chargées d'exploiter les cultures, de ramasser les coquillages l, d'apporter les vivres et l'eau dans les maisons. Enfin elles sont en outre exclusivement employées à extraire le chan- vre du phormium et à en faire des nattes de différen- tes qualités 2. On a observé que ces naturels faisaient habituelle- Repa ment deux repas ; l'un au lever du soleil 3, et l'autre peu de temps avant son coucher. Par une exception remarquable à la coutume invariable de plusieurs au- tres peuples de la Polynésie, aucune loi n'interdit aux femmes de manger avec les hommes 4. Sou- vent , il est vrai , elles prennent leurs repas à part , mais c'est uniquement parce qu'elles le trouvent plus commode. Les esclaves ne peuvent manger avec les personnes de condition libre 5. Les hommes du peuple , ou les rangatiras des der- niers rangs , mangent sans aucune cérémonie ce qu'ils ont pu se procurer pour leurs repas. Chez les chefs d'un certain rang, les vivres sont apportés par les es- claves , et chaque famille reçoit sa portion parti- culière dans une corbeille qui ne peut servir qu'une seule fois 6. Personne ne peut toucher à la portion i Marsden , ^'Urv. , ni, p. 324. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 2q5. Deux. Voy., V, p. 35o. Crozet, d'Urv., III, p. 53. Marsden, d'Urv. , III, p. 373. — 3 Crozet, d'Urv., III, p. 60. Nicholas , I, p. 276. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 296. — 5 Cruise, d'Urv., III, p. 642. llutherford, d'Urv., III, p. 737. — C llutherford, d'Urv., III, p. 733. 428 VOYAGE de son voisin. S'il y a des étrangers conviés au repas, ceux-ci emportent les mets qu'ils n'ont pu consom- mer ». Dans les festins d'apparat , une ration de patates ou de pommes de terre, jointe à une portion de cochon ou de poisson, forme ordinairement la part de chaque personne '2. De temps en temps les esclaves font cir- culer des courges pleines d'eau ; chaque convive hoit à même , ayant soin de ne point porter les lèvres au vase , mais faisant couler l'eau dans leur houche 5. C'est ce qu'on appelle boire à la régalade en certaines provinces de la France. Des feuilles de fougère leur tiennent lieu de vais- selle et leurs doigts de fourchettes. Cependant, admis à la table des Européens , ces hommes s'accoutument facilement et promptement à se servir des assiettes , des verres , des cuillères , des couteaux et des four- chettes. Outre les deux repas d'habitude , ces insulaires mangent plusieurs fois par jour. En général ils sont grands mangeurs 4, et supportent difficilement la faim 5. Sommeil. Les Nouveaux-Zélandais ont ordinairement dans un coin de leur cabane une petite plate-forme rectan- gulaire, ou un monceau de fougère qui leur sert de lit. Souvent aussi , et cela se pratique toutes les fois % > Cruise, d'Urv. , III, p. 642. Ruiherford, d'Urv., III, p. 743. — ïMarsden, d'Urv., III, p. 346. Ruiherford , d'Urv., III, p. 736. — 3 Ruiherford, d'Urv., III, p. 738. — 4 Crozet, d'Urv., III, p. 61. — j yicholas, II, p. 2. DE L'ASTROLABE. 129 qu'ils couchent plusieurs ensemble dans une case, un morceau de bois arrondi. est placé dans le milieu de la cabane et occupe toute sa longueur. Ce morceau de bois sert d'oreiller aux naturels qui s'étendent des deux cotés, tout nus en été et recouverts de leurs nat- tes en hiver ». Du reste, en cette dernière saison même, ces cases ferment si bien que le moindre feu suffît pour y entretenir une chaleur presque semblable à celle d'un four. Ces sauvages veillent quelquefois fort avant dans la nuit en été; quand il fait froid ils se couchent de meil- leure heure, et dans toutes les saisons ils sont debout au point du jour. Ces peuples sembleraient posséder quelques no- Astronomie. lions grossières d'astronomie, au moins d'uranogra- phie. Doua-Tara racontait à M. Nicholas que ses com- patriotes passaient souvent plusieurs heures à con- templer les étoiles. Ils ont assigné à chacune d'elles des noms particuliers 2; ces noms rappellent certaines traditions anciennes et en grande vénération dans le pays. Durant l'été, ils consacrent des nuits entières à étudier les mouvemens célestes, et à veiller le moment où telle ou telle étoile va paraître à l'horizon. S'il leur arrive de ne pas voir paraître l'étoile qu'ils attendent à l'instant présumé , ils s'inquiètent de son absence , et ils ont recours aux traditions que leurs prêtres leur ont transmises à cet égard 3. i Marsden, d'ïïrv. , III, p. io,5. — 2 Savage, p. 21. — 3 Nicholas, I, p. r,i. 430 VOYAGE La ceinture d'Orion se nomme chez eux fPaka ou la pirogue. Ils croient que les Pléiades furent autre- fois sept de leurs compatriotes qui , après leur mort , se fixèrent dans cette partie du ciel , et chaque étoile représente un de leurs yeux, la seule partie de leur être désormais visible. Les deux groupes d'étoiles que nous nommons nuages magellaniques sont pour eux Firaboa et Aretc, et diverses opinions supersti- tieuses sV rattachent. Enfin une autre constellation porte le nom de X Ancre « . Les PSouveaux-Zélandais savent très-bien reconnaî- tre leur direction , durant le jour, par la position du soleil , et la nuit par celle des étoiles. Guidés par le même moyen, ils indiquent avec une grande exacti- tude le gisement de leur ile , lorsqu'à la mer on les interroge à cet égard 2. Voyages. Ils aiment beaucoup à voyager, et ils se rendent souvent à des distances considérables de leurs rési- dences et pour de longs intervalles de temps 3. Le plus souvent leurs voyages ont pour but quelque com- merce; ils vont échanger des nattes , des pounamous contre des vivres, des armes ou d'autres objets 4. D'autres fois ces voyages ont une fin politique 5 ; ce sont des députés envoyés par leurs chefs pour solliciter l'al- liance d'autres tribus et les inviter à leur porter se- cours dans leurs projets de guerre, ou bien ils vont de- i Nicholas, I, p. 5a. — 2 Cruise, d'Urv. , III, p. 636. — 3 Marsden , d'Urv., III, p. 34o.— 4 Kendall, d'Urv., III, p. 126. — 5 Marsden, dTrv. , III, p. 473. DE L'ASTROLABE. 431 mander satisfaction pour des outrages commis p^r des membres de ces tribus sur des individus appartenant à celle de l'envoyé; ou bien, espions déguisés, ils vont pour examiner les forces , les mouvemens et les dis- positions de l'ennemi. Enfin plusieurs de ces sauvages se décident à visiter des contrées éloignées , unique- ment par des motifs de curiosité. Malgré l'esprit soupçonneux de ces peuplés et l'é- tal habituel de guerre où ils vivent , les voyageurs sont ordinairement bien reçus , et. même fêtés et réga- lés par les tribus dont ils traversent le territoire. Les devoirs de l'hospitalité sont généreusement accomplis envers ces étrangers; on leur fournit des guides, mais on exige qu'ils ne séjournent pas plus de temps qu'il n'en faut pour terminer leurs affaires I . V. MARIAGE. A la Nouvelle-Zélande , les jeunes gens se marient Décepce. de bonne heure, ordinairement entre vingt et vingt- quatre ans. Quels que soient les excès auxquels la cupidité et le désir de se procurer des objets de fabri- que européenne puissent porter les femmes zélan- daises à l'égard des étrangers , dans leurs rapports habituels , les deux sexes semblent vivre entre eux avec beaucoup de retenue , chose remarquable chez un peuple aussi près de l'état de nature. i Cook , trois. Voy. , I , p. 176 et 177. 432 VOYAGE Banks a fait l'éloge le plus sincère de la décence et de la modestie des femmes ». Les voyageurs n'ont jamais observé , dans ces contrées , ces assemblées de débauche et de corruption, ces traits de cynisme et de lubricité publique , si fréquens chez les habitans de Taïti et de Hawaii. Un préjugé établi chez ces natu- rels leur fait regarder comme infâme toute espèce de relation intime entre un chef et ses esclaves 2, et ce préjugé , quelle qu'ait été son origine , a dû puissam- ment contribuer au maintien de la morale publique. Toutefois il est certain que les jeunes filles , tant qu'elles ne sont point mariées, peuvent accorder leurs faveurs à qui leur plaît. Aucune idée de crime n'est attachée à leurs galanteries , pourvu que les conve- nances de rang soient observées 3. Je ne sais ce qui a lieu pour les enfans qui proviendraient de liaisons illicites , et quels seraient leurs droits. Peut-être les filles s'arrangent-elles de manière à prévenir ces sortes de cas; peut-être les pères consentent-ils à épouser celles qui ont donné le jour à leurs enfans. Quand je questionnais Touai à ce sujet , je ne pouvais en obte- nir de réponse précise ; il avait seulement l'air de re- garder comme une monstruosité impossible qu'un père pût abandonner ses enfans , en disant qu'un homme ne pouvait jamais abandonner sa chair et son sang. Fidélité Du moment où la femme s'est engagée envers un conjugale, homme, toute espèce de relation intime avec tout au- i Cook, prem. Voy., III, p. 267. — * Lesson, Voyage médical, p. 119. — 3 Mcholas, d'Urv., III, p. 5g5. Critise, d'Urv. , III, p. 65g. DE L'ASTROLABE. 133 tre homme lui est sévèrement interdite '. Il n'est peut- être pas de pays au monde où les femmes soient plus sincèrement pénétrées de cette obligation et où elles y restent plus scrupuleusement assujetties , lors même qu'en violant leurs devoirs elles sauraient échapper à tous les regards2. Elles poussent si loin le senti- ment de la fidélité conjugale , que les malheureuses esclaves qui venaient vivre à bord de nos navires , et qui ne faisaient aucune difficulté de se livrer à tous les hommes du bord , sans distinction de rang ni d'âge , du moment qu'elles avaient contracté un en- gagement particulier avec quelques personnes de l'é- quipage, leur devenaient tout aussi fidèles que si elles eussent été leurs véritables épouses 3. Ni prières, ni promesses, ni présens ne pouvaient les engager à vio- ler la foi promise , et le mot tapou était l'unique ré- ponse qu'elles opposaient à tous les efforts que l'on tentait pour les rendre infidèles. Déjà Forster avait fait la même observation 4. Quant à la cérémonie du mariage en elle-même, Fiançailles. les opinions sont divisées sur ce chapitre. La plupart des voyageurs ont assuré que l'homme peut choisir parmi toutes les jeunes filles qui sont libres, et le con- sentement des plus proches parens de celle-ci lui suf- fit , quelles que soient d'ailleurs les dispositions delà future 5. Le jeune homme en est quitte pour faire les i Nicholas, d'Urv., III, p. 5g5. Cruise, d'Urv., III, p. 65g. — 2 D'Ur- viUe, III, p. 686. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 655. — 4 Cook , deux. Voy-, II, p. m. — 5 Cruise, d'Urv. , III, p. 665. D'Uiville, II, p. 2 3o. hutherford, d'Urv., III, p. 748. tome ir. 3o 434 VOYAGE cadeaux d'usage aux parens , puis il emmène chez lui celle qui a fixé son choix. Cette manière de choisir et d'emmener sa future est sans doute un peu cavalière et ne ressemble guère à ce que m'avait raconté M. Kendall touchant la même cérémonie. Souvent, disait ce missionnaire , le jeune homme choisit sa future tandis qu'elle est encore fort jeune, et va la demander à ses parens. Si ceux-ci con- sentent à l'union , il applique sa main sur l'épaule de sa future, en signe d'engagement, ce qui correspond parfaitement à ce que nous nommions jadis fiançail- les. Lorsque la jeune personne est nubile , accompa- gné de ses amis, l'époux va la chercher au logis de ses parens et remmène chez lui. Deux ou trois parentes de la future sont désignées pour l'accompagner et veiller sur elle jusqu'à la consommation du mariage. Alors c'est à l'époux à obtenir par adresse ou par per- suasion les faveurs de sa belle; pour éprouver l'amour de son mari, celle-ci le fait soupirer des jours et des nuits entières, dit-on. Dès qu'il est heureux, il appelle les gardes de la jeune fille qui, après s'être assurées du fait , se retirent ; leurs fonctions cessent, et elles s'en retournent chez elles. De ce moment seulement le ma- riage est définitivement ratifié. La version de Doua-Tara aurait quelque rapport avec la précédente, sans supposer cependant une déli- catesse aussi raffinée. 11 disait simplement que l'amant doit se procurer d'abord le consentement des parens de sa future. S'ils le donnent et que la jeune fille ne pleure point à la proposition qui lui est faite , le ma- DE L'ASTROLABE. -i :\ riage a lieu sur-le-champ ; mais si elle pleure la pre- mière fois qu'il fait sa visite et qu'elle persiste dans ses refus à la seconde et à la troisième visite, le galant est obligé de renoncer à ses desseins «. Probablement c'est cette façon de se marier que M. Kendalla désignée dans sa grammaire sous le nom de Adou-Kangay épousailles par serment, de adou faire la cour, et kanga serment. Touai m'assura que c'était ainsi qu'il avait été obligé d'en agir pour obtenir la main de sa femme Ehidi, et qu'il avait en outre fait présent a ses parens de trois fusils, de deux esclaves, de trois canots et d'une portion de terre. Déjà Banks avait fait touchant la conduite à tenir envers les jeunes filles , et les égards qu'il fallait leur témoigner pour obtenir leurs faveurs, une observation qui donnerait lieu de penser que les assertions de M. Kendall et de Doua-Tara ne seraient pas dénuées de fondement 2. Peut-être ces égards extraordinaires et cette déli- catesse extrême pour des sauvages , mentionnés par M. Kendall, ne s'observent-ils qu'envers les femmes d'une haute naissance ; tandis que pour les autres la demande et les présens aux parens de la future suf- fisent tout simplement pour obtenir sa main. Quoi qu'il en soit , il est certain que dans le choix de leurs femmes , surtout de la principale , les chefs font beau- coup plus d'attention au rang et à l'influence de la i Kendall, d'Urv., III, p. 12 3. — 2 Cook , prem. Voy., III, p. 267, ifts. 3o* IU VOYAGE iàmille à laquelle elle appartient qu'à sa jeunesse ou à sa beauté. Touai me répétait souvent que sa femme qu'il chérissait tendrement appartenait à l'une des plus nobles familles de la Zélande. Shongui avait aussi beaucoup d'affection et de considération pour sa pre- mière femme , qui était aveugle et dépourvue d'at- traits personnels , mais qui était d'une naissance illustre. Polygamie. Ordinairement les époux vivent ensemble de bonne amitié , et les querelles sont rares entre eux «. Si le mari veut prendre plusieurs femmes , ce qui lui est permis 9, il est obligé , disait Touai, de fournir à cha- cune d'elles un logement , et rarement il arrive que deux femmes habitent ensemble. Quelques rangati- ras opulens ont eu jusqu'à dix femmes, comme Ta- rcha _); Shongui en avait sept, Koro-Roro trois ; mais Touai n'en avait jamais pris qu'une seule, et quand je lui en demandai la raison , c'était , disait-il , pour ne pas faire de peine à Khidi. Parmi ces diverses femmes , il en est toujours une qui occupe le premier rang , et c'est celle qui sort de la famille la plus distinguée. Elle participe seule aux honneurs et aux dignités de son mari, et ses enfans sont destinés à succéder au père dans ses possessions et dans son pouvoir 4. Les chefs épousent souvent plusieurs sœurs à la i liulherford, d'Urv. , III, p. 75o. — 2 Cook, trois. Voy. , I, p. 17 S. Savage, p. 44. — 3 Marsden , d'Urv., III, p. 164. — 4 Xicholas , 1, p. 177. Marsden, d'Urv., III, p. 407. Cruise , d'Urv., III, p. 665. Revue Jlritanrtique, d'Urv., III, p. 723. DE L'ASTROLABE. -437 fois. Tepahi , quoique très-âgé et paralytique , avait épousé les quatre sœurs , et avait en outre plusieurs autres femmes ' . Rulherford épousa à la fois les deux filles de son chef Emaï, Eshou et Epeka 2. Toute espèce de relation est sévèrement interdite entre les personnes de famille noble et les esclaves 5. Le traitement barbare que Tepalu fit subir à sa propre fille, en la renfermant durant des années entières dans une cage étroite, démontre à quels excès l'orgueil no- biliaire offensé peut se porter même sur les plages sauvages de la Nouvelle-Zélande 4. Rutherford assure néanmoins qu'un chef peut épouser une esclave, mais qu'il est exposé à être dépouillé de ses biens pour avoir violé la coutume. L'enfant d'une esclave est esclave , quand même son père serait un chef 5. Nous avons déjà annoncé que les rangatiras ne semblaient voir qu'avec une sorte d'horreur toute es- pèce de communication inlime avec leurs esclaves 6. S'il arrivait cependant , me disait Touai , qu'un chef vînt à avoir un enfant d'une de ses esclaves , sous peine d'être déshonoré aux yeux des siens , il serait obligé de l'épouser. Pour cela il lui donnerait la li- berté ou l'achèterait 7, et irait ensuite la demander à ses parens avec les formalités requises. Nous ferons observer d'abord qu'une telle manière d'agir démon- trerait un scrupule d'honneur bien étonnant pour de i Savage , p. 44. — 2 Rulherford, dHJrv. , III , p. 749. — 3 Nichoîas, d'L'rv., III, p. 601. Rutherford, d'Urv., III, p. 750. — 4 Savage, d'Urv. , III, p. 782. — 5 Rutherford, d'Urv., III, p. 750. — 6 Lesson , Voyage médical, p. 119. — : Dillon, II, p. 284. 438 VOYAGE pareils hommes; qu'ensuite, fut-elle sérieusement obli- gatoire par les coutumes du pays, elle n'obligerait les chefs qui se trouveraient dans ce cas qu'autant qu'ils le voudraient bien. En effet, comme ils sont maîtres absolus de la vie de leurs esclaves, on sent bien qu'un rangatira serait toujours libre de faire disparaître la malheureuse fille dont il aurait abusé plutôt que de se laisser contraindre à l'épouser, si cela ne *lui conve- nait point. Du reste il arrive souvent que des chefs épousent leurs prisonnières de guerre « , et c'est peut- être en ces occasions qu'ils les mettent en liberté et en font la demande à leurs parens. M. Dillon nous apprend que certaines prêtresses, et il cite Wanga-Taï pour exemple , sont d'une dignité trop éminente pour honorer de leur main un homme de leur nation 2. Alors elles jettent le mouchoir aux Européens qu'elles veulent bien gratifier de leurs fa- veurs. Cela rappelle naturellement le cas d'exception tout semblable où se trouve à Tonga-Tabou la Ta- ?naka, dont aucun homme ne peut devenir l'époux avéré. Reste à savoir si la conduite adoptée par Wan- ga-Taï n'est pas un pur effet de son caprice, et n'a pas pour but de donner à ses compatriotes une plus haute opinion de son caractère sacré ; peut-être pareille res- triction n'avait-elle jamais eu lieu avant l'apparition des Européens dans ces contrées. L'adultère entraîne presque toujours la peine de i Marsden, d'Urv., IU, p. 32i. Cruise, d'Urv., III, p. 665. — 2 Dillon, I, p. 223. DE L'ASTROLABE. i 30 mort pour la femme qui s'en rend coupable T. Cepen- dant le mari se contente quelquefois de la répudier et de la renvoyer chez ses parens quand il craint leur ressentiment 2. Bien que ce ne soit pas une loi inexorable , une né- Suicide. cessité impérieuse qui les porte à cet acte , comme au Bengale et dans l'Inde, cependant on voit souvent les femmes des chefs de la INouvelle-Zélande renoncer à la vie lorsqu'elles perdent leurs époux. D'ordinaire elles mettent fin à leurs jours, et se pendent à un ar- bre; cette action est toujours admirée et applaudie par leurs amis et leurs propres parens, comme la plus grande preuve d'attachement qu'elles puissent donner à la mémoire de leur mari 5. Quand Touai se décida à faire un voyage en Angle- terre, son frère Koro-Koro désirait qu'il emmenât sa femme avec lui; M. Kendall voulait l'en dissuader, représentant combien la position de cette femme de- viendrait fâcheuse si son mari venait à périr dans le voyage ; Koro-Koro se contenta de répliquer qu'en pareil cas la femme de Touai ferait très-bien de se pendre, suivant la coutume des Nouveaux-Zélandais 4. Quoique cette action soit bien plus rare de la part des hommes, on en a vu qui n'ont pas voulu survivre à la perte d'une femme tendrement aimée , ou d'un i Kendall, d'Urv., III, p. 123. Rutherford, d'Urv. , III, p. 700. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 36o. Cruise, d'Urv., III, p. 665. — 3 yicholas , d'Urv., m, p. 626. Cruise, d'Urv., III, p. 665. F. Hall, d'Urv., III, p. 468, 469. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 723. — 4 Kendall, d'Urv., III, p. 2 33. 440 VOYAGE parent chéri. Shongui tenta, dit-on, deux fois de se pendre à la mort de son frère Kangaroa r. Si la loi du pays n'oblige point formellement la femme à se détruire à la mort de son mari, elle lui interdit du inoins de se remarier avant qu'elle ait re- levé les os du défunt ; car ce n'est que de ce moment qu'elle a acquitté tous ses devoirs envers son époux. Il parait même qu'après ce délai, elle ne peut contrac-- ter de nouveaux liens sans imposer une sorte de ta- che sur sa réputation ; pour la conserver intacte, elle doit rester fidèle à la mémoire de son mari a. Pour empocher que la veuve ne profane cette mémoire par un mariage illégal, les paréos du défunt poussent quelquefois la barbarie jusqu'à l'immoler à cette crainte 3. La femme qui viole les coutumes de son pays en se remariant avant le délai prescrit, est punie de sa faute en se voyant dépouillée de tout ce qu'elle possède par ses voisins. On en voit un exemple frappant dans la personne de la veuve de Tara, malgré son haut rang, et dans celle de King-George, son second époux, qui partagea le châtiment qui lui fut infligé 4. Les femmes sont très-sensibles aux reproches que leurs maris leur adressent , et il leur arrive quelque- fois d'aller se pendre immédiatement après en avoir reçu 5. Touai m'a assuré qu'une femme à qui il arri- i Kendall, d'Urv., III, p. 234. — 2 Rendait, d'Urv., III, p. 237. — 3 F. Hall, d'Urv., III, p. 468. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 286, a88. — 5 Collins, d'Urv., III, p. 81. DE L'ASTROLABE. 141 verait de lâcher par mégarde un pet devant son mari, irait sur-le-champ se pendre , et il me raconta un l'ait de cette nature récemment arrivé. Les missionnaires n'en avaient aucune connaissance, non plus que du cas lui-même. J'ai d'autant plus de peine à admettre cette excessive délicatesse, que les jeunes esclaves qui vivaient avec nos matelots à bord ne se gênaient en aucune façon sur ce point. Quand une femme est près d'accoucher , elle de- Couches. vient tapou ; elle est en conséquence privée de toute communication avec les autres personnes, et reléguée sous un petit abri temporaire qui a été préparé pour elle. Là, elle est servie, suivant son rang, par une ou plusieurs femmes qui sont tabouées comme elle. Cet état d'exclusion de la société dure quelques jours après l'accouchement. La durée précise de cette es- pèce de quarantaine et les formalités que la femme doit subir pour reparaître librement dans la société sont encore inconnues. On a remarqué que les femmes de ce pays cessent de bonne heure d'avoir des enfans » ; cela tient sans doute aux travaux pénibles auxquels elles sont as- sujetties , surtout aux privations qu'elles ont à subir pendant leur grossesse et au moment de leurs couches. VI. ENFANS. Par suite des préjugés adoptés par ces peuples , la Naissance. > Nïcholas , II, p. 3or. / 142 VOYAGE mère devant être reléguée dans les derniers jours de sa grossesse loin de son habitation, sous un simple abri de branchages et de feuilles presque entièrement exposé à la pluie , au vent et aux ardeurs du soleil ; c'est là naturellement que le nouveau -né vient au monde; c'est là qu'il doit rester encore plusieurs jours après sa naissance exposé à toutes les intempéries de la saison i. Suivant M. Nicholas, les femmes accouchent en plein air, devant une assemblée de personnes des deux sexes et sans pousser un seul cri. Les assistans épient avec attention l'instant où l'enfant arrive au monde , et s'écrient à sa vue : Tane Tane. La mère elle-même coupe le cordon ombilical, se lève ensuite , et reprend ses travaux ordinaires, comme si de rien n'était 2. Si d'une part des épreuves aussi rigoureuses doi- vent emporter au moment de leur naissance plusieurs de ces enfans , il faut convenir , d'un autre côté , qu'elles doivent affermir la constitution de ceux qui peuvent y résister, et leur donner de bonne heure cette force de corps , cette vigueur de tempérament et cette aptitude à endurer toutes sortes de privations, qui leur deviendront si nécessaires par la suite dans l'existence active et pénible à laquelle ils sont destinés. Crozet , en voyant tous ces insulaires grands , ro- bustes et bien faits , soupçonnait presque que l'on ne conservait point les enfans qui venaient au monde i Marsden, d'Urv., III, p. 195. — 3 Mcholas , II, p. 172. Marstlcn , d'Urv., III, p. 196. DE L' ASTROLABE. 443 faibles ou difformes «. Celte conjecture ne s'est point vérifiée , et les missionnaires n'ont rien découvert qui annonçât quelque chose de semblable dans les coutu- mes du pavs. Sans doute il est certaines occasions où l'on ne se fait aucun scrupule de détruire les enfans , surtout quand le nombre des filles dépasse le désir des parens 2. Alors c'est la mère elle-même qui fait périr son enfant aussitôt qu'il est né, en appuyant fortement son doigt sur la partie supérieure du crâne 3, à l'en- droit nommé font ane lie. Mais cela est indépendant de la conformation de l'enfant. Quoi qu'il en soit , les personnes difformes et contrefaites sont fort rares à la Nouvelle-Zélande -, dans le grand nombre de ceux que nous vîmes pendant tout le voyage de Uslro- labe, qui peut bien se monter à deux ou trois mille, nous n'observâmes qu'un bossu que M. Sainson a dessiné. Les missionnaires avaient déjà remarqué que ces Baptême, insulaires avaient une espèce de baptême 4, et la for- mule en avait même été rapportée dans le vocabulaire dressé sur les matériaux fournis par M. Kendall. Touai, que j'interrogeai à ce sujet, me dit que, cinq ou six jours après la naissance de son fils, cette cérémonie avait été accomplie par la mère, assistée de ses amies. Toutes ces femmes aspergent l'enfant au front avec une branche trempée dans de l'eau , et c'est en ce mo- i Crozet, d'Urv., III, p. 53. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 664. — 3 Revue Britannique , d'Urv., III, p. 7 2 3. — 4 Nicholas, d'Urv., III, p. 583. D'Urville, III, p. 682 et suiv. 444 VOYAGE ment qu'on lui impose le nom qu'il doit porter par la suite * . Ce nom est une aiï'aire importante et sacrée pour ces peuples , il fait pour ainsi dire partie de leur être qu'il représente d'une manière intellectuelle. Ils en changent cependant en quelques circonstances extraordinaires, et alors le baptême est, dit-on, re- nouvelé 2. Touai ajouta qu'au moment où l'on baptise l'enfant, on plante aussi un arbre qui devient l'emblème de son existence ; la croissance et la taille de l'arbre ont un certain rapport prophétique avec l'âge du nouveau- né et le développement graduel de ses facultés. Si l'arbre prospère et devient vigoureux , c'est d'un heu- reux augure pour l'enfant ; si, au contraire, il dépérit et meurt, les parens regardent cet événement comme du plus fâcheux présage pour l'objet de leur ten- dresse. H en résulte, suivant Touai, entre les diverses circonstances de l'existence humaine et celles de la vie d'un arbre , certaines allusions singulières qui se reproduisent parfois dans leur langage. Éducation. Les enfans reçoivent toutes sortes de soins de la part de leurs mères qui sont pour eux des nourrices tendres et fort attentives 3. Quand les femmes de ce pays veulent sevrer leurs enfans, suivant M. Edward- son, elles se frottent l'extrémité du sein avec la partie de la tige du phormium voisine de la racine, qui est fort amère 4. i Cruise, d'Urv., III, p. 664. — a D'L'iville, III, p. 683. — 3 Savage, p. 44- Cruise, d'Urv., III, p. 6f>4- Revue Britannique, d'Urv., III , p. 27'!. — 4 Blosscvillc , p. 29. DE L'ASTROLABE. 445 Les pères eux-mêmes s'accoutument à porter de bonne heure leurs enfans sur leur dos , à jouer avec eux, et à mâcher les alimens qui seraient encore trop durs pour leurs petites dents ». Le plus grand plaisir qu'un Européen puisse faire à un Nouveau-Zélandais, homme ou femme , c'est de s'occuper de son enfant , de le caresser et de lui faire quelques présens 2; c'est peut-être le meilleur moyen pour gagner sur-le-champ son amitié. Les enfans croissent paisiblement sous les yeux de leurs parens , sans être assujettis dans le bas âge à aucune espèce de contrainte 3, de leçons ou d'exerci- ces particuliers. Nonobstant la liberté illimitée dont ils jouissent , il est juste d'observer qu'ils sont en gé- néral joyeux , d'une humeur égale , et d'un caractère aimable. Ils ne sont point sujets à ces caprices bizarres, à ces dispositions fantasques qui rendent tantd'enfans maussades et haïssables dans nos sociétés civilisées. Ils s'accoutument promptement à la vue des étran- gers , et recherchent leur société sans cependant se rendre importuns ni indiscrets 4. Quand ils sont arrivés à l'âge où ils peuvent dé- ployer leurs petites forces , les filles se forment peu à peu , sous la direction de leurs mères , aux travaux qui seront un jour l'apanage de leur sexe; les gar- çons s'attachent plus particulièrement à la société de leurs pères, ils les suivent aux assemblées publiques, i yicholas, d'Urv. , III, p. 632. — 2 Cook, deux. Voy. , I, p. 25g. Crozel, d'Urv , III, p. 53. — 3 Savage, p. 45. — 4 Kendall, d'Urv., III, p. 124. 446 VOYAGE à la chasse , et même quelquefois à la guerre I . Sous leurs yeux , ils se dressent à l'exercice de la lance , du patoii, du mère, et ils apprennent de bonne heure les chants et les danses guerrières du pays 2. Le jeu favori des enfans était celui du poï. Le poï est une balle en étoffe du pays, garnie intérieure- ment avec le duvet d'une certaine plante semblable au jonc , et à laquelle pend un bout de corde. On envoie la balle en l'air, et l'adresse consiste à la retenir par le bout de corde tandis qu'elle retombe 3. Du reste les jeunes Zélandais ont bientôt adopté tous les amusemens des jeunes Européens ; aujourd'hui ils savent jouer à la toupie, au volant, au cerf-volant, etc. ; ils sont surtout passionnés pour ce dernier divertis- sement, auquel ils ont donné le nom de pakaukau. Adoption. Les adoptions paraissent fréquentes chez les Nou- veaux-Zélandais 4, car j'ai vu souvent des jeunes gens donner le titre de père à des hommes âgés qui n'a- vaient point d'enfans , et avoir pour eux le respect et le dévouement de véritables fils. Du reste j'ignore s'il existe pour cela quelque formalité préliminaire. Il est certain, du reste, que chez eux l'adoption confère tous les droits de la paternité effective ; la preuve s'en trouve dans ce chef qui pressait M. Marsden de lui envoyer un de ses fils pour l'adopter en place du sien qui était mort à Port-Jackson , et laisser à cet étran- i Marsden, d'Urv., III, p. 348. — 2 Anderson , d'Urv,, III, p. 25. Cruise, d'Urv., III, p. 66.',. — 3 Mcholas, I, p. 3t8. — 4 D'Urville, II, p 170. DE L'ASTROLABE. 447 ger ses titres et ses domaines , au préjudice de ses hé- ritiers naturels '. Ceci nous conduit à faire une autre observation. Bien que les chefs aient en général beaucoup d'affec- tion pour tous leurs en fan s , néanmoins ils ont tou- jours une prédilection marquée pour ceux qui pro- viennent de la femme principale , et surtout pour l'aîné. En effet, c'est lui qui est destiné à succéder à son père; sur lui seul reposent, en quelque sorte, les espérances de la tribu tout entière 2. Les autres en- fans sont censés rangatiras de droit, et prennent rang entre eux, d'abord suivant la dignité de leur mère, ensuite par rang d'âge. VII. MOKO OU TATOUAGE. On appelle moko, ou tatouage, ces dessins bizarres que les Nouveaux-Zélandais impriment sur leur vi- sage et sur les diverses parties de leur corps 3. Cet usage est généralement répandu parmi tous les insu- laires de l'Océanie , mais ceux de la Nouvelle-Zélande se distinguent en creusant en véritables sillons cet ornement qui partout ailleurs n'entame que la super- ficie de la peau 4. Ils emploient pour l'exécuter une manière de taille au ciseau , au lieu d'une simple suite de piqûres, comme le font les autres peuples. Ils pa- raissent aussi attacher à cette décoration des idées de i Marsden, d'Urv., III, p. 41 3. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 407. — 3 Crozet, d'Urv., III, p. 63. — 4 Coçk, prem. Voy., III, p. 269. 448 VOYAGE distinction et de privilège bien plus positives qu'à Taïti, Tonga-Tabou, Hawaii, etc. Opération. L'opérateur commence par tracer sur la peau avec du charbon les dessins qu'il a l'intention d'exécuter *; puis il prend un instrument composé d'un os d'alba- tros , ajusté à angle droit à un petit manche en bois de trois ou quatre pouces de long, dans la forme d'une lancette de vétérinaire. L'os est tantôt simple- ment tranchant à son extrémité , tantôt aplati et muni de plusieurs dents aiguës comme un peigne. Il appli- que cet instrument contre la peau, et frappe avec un petit bâton sur le dos du ciseau pour le faire pénétrer dans l'épidémie et l'entailler d'une manière suffisante, en suivant le dessin préparatoire. On conçoit que le sang doit couler en abondance, mais l'opérateur a soin de l'essuyer à mesure avec le revers de sa main ou avec une petite spatule en bois. A mesure que la peau est entaillée, la couleur ou le moko est introduite dans la coupure au moyen d'un petit pinceau. Elle se com- pose de charbon pilé2, de manganèse, suivant Ni- cholas, ou enfin d'une teinture végétale3. Après quoi le patient reste taboue durant trois jours 4. Rien n'est plus douloureux à subir que cette opéra- tion, il faut quelquefois plusieurs mois pour terminer un moko 5; les suites en sont souvent plus pénibles que l'opération elle-même 6, à cause des plaies qui en i Savage, p. 46. IVicholas, II, p. i53. Croise, p. 133. — 2 Revue Bri' tannique, d'Urv. , III, p. 722. — 3 Crozei, d'Urv. , III, p. 63. Marsden, dTrv., III, p. 3 10. — 4 Rutherford, d'Urv., III, p. 740. — 5 Savage, p. 46. — 6 NichSlas, I, p. 36o. Blossevillc , d'Urv., III, p. 6<)5. DE L'ASTROLABE. '.'.'.) résultent et que certaines circonstances peuvent en- venimer d'une manière effrayante. Les naturels nous exprimaient par des gestes très-significatifs les dou- leurs intolérables que l'opérateur leur faisait éprou- ver quand il venait à attaquer le bord des lèvres, le coin de l'œil, et surtout la cloison des narines. Les jeunes gens ne subissent guère les premières opérations du moko avant l'âge de vingt ans; il est rare aussi qu'ils soient admis à cet honneur avant d'a- voir assisté à quelques combats. Il est impossible de prétendre à aucune considéra- tion, à aucune influence dans sa tribu, sans avoir été soumis à cette opération. Le jeune homme qui s'y re- fuse , quand même il appartient à une famille distin- guée , est regardé comme un être pusillanime , effé- miné , et indigne de participer aux honneurs militai- res l ; aussi est-il fort rare que ce cas se présente. Cet usage semble généralement répandu dans toute la Nouvelle-Zélande , et les habitans du détroit de Cook nous ont paru aussi vains de leur tatouage que ceux des parties septentrionales d'Ika-Na-Mawi. Cet ornement est interdit aux koukis , aux hommes Signe du peuple , et même à ceux qui n'osent se présenter aux c,e ià2 VOYAGE avec orgueil quelques dessins bizarres gravés sur son front ; comme je lui demandais ce qu'ils avaient de si remarquable : « La famille de Koro-Koro, reprit-il, a seule, dans la Nouvelle-Zélande, le droit de porter ces dessins; Shongui, tout -puissant qu'il est, ne pourrait pas les prendre, caria famille de Koro-Koro est beaucoup plus illustre que la sienne. » Un Zélan- dais, considérant un jour le cachet d'un officier an- glais , vit des armes gravées sur ce cachet , et sur-le- champ il demanda à l'officier si c'était le moko $e » famille '. Ces dessins leur tiennent aussi aujourd'hui lieu de signature 2, comme cela se pratiqua lors du marché que M. Marsden contracta avec le chef Okouna , quand il voulut acquérir un terrain pour la mission. Lorsque les Européens eurent apposé leur seing au bas du contrat, le moko d'Okouna y fut appliqué en guise de signature , et ce fut Shongui qui se chargea de le tracer 5. Toupe-Koupa avait coutume de dire que son nom était représenté par un des dessins par- ticuliers de sa figure 4. Effets Tout bizarre , tout grotesque que soit au premier du moko. abord l'effet de ces dessins sur une figure humaine, je dois convenir, et l'on en sera sans doute surpris, que l'œil s'y accoutume promptement, et finit par trouver que l'aspect n'en est point du tout désagréa- ble. Il y a plus, il me semblait que ces marques im- i Cruise, d'Urv. , III, p. 656. — ^ D'Unille, II, p. 227. — 3 Nicholas, II, p. 193. Marsden , d'Urv., III, p. i33 et suiv. — 4 New-Zealandei s » d'Urv., m, p. 776. DE L'ASTROLABE. 453 primaient au visage de ces hommes un caractère de noblesse et de dignité très-prononcé ; ils suppléaient en quelque sorte au défaut dornemens étrangers et ù la nudité habituelle de leurs corps. Par un sentiment involontaire et dont j'aurais eu souvent peine à me rendre compte, ceux de ces naturels dont le visage n'était point tatoué me paraissaient effectivement dune condition inférieure et destinés à être les esclaves de ceux qui avaient reçu leurs insignes. En outre, l'opération du moko, en donnant au sys- tème cutané un surcroît d'épaisseur et de solidité , rend ces insulaires plus en état de résister aux piqûres des moustiques , aux intempéries des saisons , aux coups de leurs ennemis, en un mot à tous les accidens auxquels l'homme sauvage est incessamment exposé. Les souillures de la saleté , les traces des maladies et jusqu'aux rides de la vieillesse sont peu sensibles [ sur ces peaux gravées , endurcies et fréquemment ointes d'huile. Enfin ces décorations étranges ont l'a- vantage d'annoncer sur-le-champ et d'une manière authentique le rang de chaque individu, et de lui assu- rer la considération à laquelle il a droit. VIII. ESCLAVES. Les esclaves se composent des prisonniers faits à la guerre, de leurs enfans, et des individus libres qui, • Cruise, d'Urv., III, p. 657. 454 VOYAGE par des malheurs imprévus ou comme punition de certains crimes, ont été réduits à cette triste condition. Dans ces contrées, comme chez les anciens peuples de la Grèce et de l'Asie , il paraîtrait que la condition d'esclave imprime une sorte de tache indélébile à ceux qui ont été obligés d'en subir l'humiliation. Aussi les malheureux réduits en servitude par leurs ennemis cherchent-ils rarement à se soustraire à leur triste des- tinée ', bien que cela leur soit souvent assez facile, eu égard à la surveillance peu sévère que l'on exerce sur eux , aux forêts et aux déserts dont la Zélande est semée. Ils se résignent à leur position , et deviennent quelquefois des membres fidèles de leurs nouvelles tribus, soit par alliance, soit par adoption, soit par le simple effet de l'habitude et de la nécessité. Occupations. Les esclaves ou serviteurs travaillent de concert avec les femmes et sous leur direction à la culture des champs ; ils vont à la pêche , ce sont eux surtout qui font cuire les alimens et les présentent à leurs maî- tres 2. Cette dernière fonction leur a fait donner, dans ces derniers temps, le nom de kouki (corruption de l'anglais cook ou cuisinier}, au lieu de wari, servi- teur , qu'ils portaient plus habituellement aupara- vant 5. Aujourd'hui les chefs tirent parti de leurs jeunes esclaves du sexe féminin , en les envoyant à bord des navires européens pour trafiquer de leurs charmes i W. Williams , cTUrv., III, p. 5 3o. — 2 Marsden, d'Urv. , III, p. 199. - 3 D'Unille, III, p. 679. DE L'ASTROLABE. 455 avec les gens de l'équipage; Ces pauvres malheureu- ses sont obligées de rapporter à leurs maîtres le fruit de leur prostitution, ou elles courraient le risque d'être maltraitées par eux l. Bien que la vie des esclaves soit entièrement à la Condition, discrétion de leurs maîtres ?, et que ceux-ci puissent les mettre à mort sans plus de difficulté qu'un Euro- péen n'en éprouverait à assommer son chien ou son àne 3j et sans qu'il en résultât pour eux des suites plus fâcheuses ; cependant la condition de ces infor- tunés n'est pas aussi pénihle qu'on pourrait se l'ima- giner. Quand ils ont une fois recueilli et préparé de quoi manger pour leurs maîtres, ils peuvent le reste du temps danser, chanter et se divertir à leur fan- taisie 4. Certainement leur sort est beaucoup moins à plaindre que celui des malheureux noirs condamnés à servir les Européens dans les colonies , et à épui- ser du matin au soir leurs forces dans un travail acca- blant et sans cesse renaissant , pour satisfaire à la cu- pidité de leurs maîtres. Sous ce rapport , le Nouveau- Zélandais, tout sauvage qu'il est, se montre un maître plus humain ; il maltraite rarement son esclave , malgré le mépris qu'il lui porte , et la différence des hommes libres aux esclaves est si peu sensible aux yeux d'un étranger, qu'il nous était souvent fort diffi- cile de distinguer les uns des autres 5. i Cook , deux. Voy., I, p. i5i , 271; V, p. 35r. Cruise, p. i^o, 172. D'L'nille, II, p. 174. Quoj , d'Urv., II, p. 287. — 2 Marsden , d'Urv. , III, p. 475. — '• J. Butler, d'Urv., III, p. 400. — 4 D'Urvillc, III, p. 67g. — â Xicholas, d'Urv., III, p. 600. 156 VOYAGE Pour les esclaves qui onl été libres , le plus grand malheur de leur état doit consister dans le souvenir de leur ancienne dignité et dans le sentiment de leur humiliation actuelle. Pour ceux qui sont nés dans l'es- clavage, le premier de ces tourmens n'existe point, par conséquent l'autre est à peine sensible; aussi sem- blent-ils en général fort indifférens sur leur situation. Pour les uns et les autres , il est pourtant une consé- quence terrible de leur condition, c'est dëtre à chaque instant exposés à être sacrifiés aux obsèques des principaux chefs de la tribu en général et de leurs maîtres en particulier • . Nous reviendrons plus tard sur ce chapitre. IX. HABITATIONS. Les habitans de la Nouvelle-Zélande, si actifs , si industrieux à d'autres égards, sous le rapport de l'ar- chitecture étaient restés bien au-dessous des peuples Cases. de Taïti, de Tonga et même de Hawaii. Les maisons des rangatiras des dernières classes et des hommes du peuple ont rarement plus de sept ou huit pieds de long sur cinq ou six de large, et quatre ou cinq de hauteur. Celle qu'habitait Koro-Koro dans le pâ de Kahou-Wera n'était pas plus spacieuse 2. Une per- sonne ne saurait se tenir debout dans ces cabanes. Elles sont construites avec des pieux rapprochés les i D'Urville, II, p. 242. — = Cruisc, p. 49. DE L'ASTROLABE. 457 uns des autres et entrelacés de branches plus minces; ces treillis sont en outre recouverts extérieurement et intérieurement de tapis épais en forme de paillassons fabriqués avec diverses plantes marécageuses , et no- tamment avec les feuilles longues et flexibles du typha; une pièce de bois plus forte forme le faîte du toit qui est composé des mêmes matériaux que les parois, et qui imite assez bien celui des chaumières de paysans en Normandie ou en Bretagne , à cela près que le dos en est plus arrondi. Les cases des chefs sont plus grandes , elles attei- gnent quelquefois de quinze à dix-huit pieds de long sur huit ou dix de large, et six de hauteur l . Alors, à l'intérieur, des piliers soutiennent le toit , et la char- pente de la maison, dont la coupe horizontale est un rectangle régulier, se compose de pièces de bois écar- ries , artistement assemblées à tenons et à mortaises , et chevillées. A l'une des extrémités existe en guise de porte une ouverture qui n'a pas plus de trois pieds de hauteur sur deux de large, et qui se ferme par un bat- tant à bascule ; ce battant consiste en une planche ou une natte épaisse de la même dimension que l'ouver- ture. A côté et un peu plus haut que la porte, est per- cée la fenêtre qui a deux pieds en carré et qui ferme également par un treillis de jonc 2. • Cook, prem. Voy., III, p. 276. Nicholas, d'Urv. , III, p. 5g4. D'Ur- ville, II, p. 235. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 276. Trois. Voy., I, p. 199. Crozel, d'Urv., III, p. 58. Savage, d'Urv. , III, p. 783. Cruise , d'Urv. , III, p. 638. BhsscviUe , d'Urv., III, p. 697. Revue Britannique, d'Urv. , III, p. 714. 458 VOYAGE Du coté où se trouve la porte , le toit se prolonge en dehors de la paroi de trois ou quatre pieds de lon- gueur, de manière à former une espèce d'appentis ou d'auvent , où se tiennent habituellement les maîtres de la maison; c'est aussi là qu'ils prennent leurs repas, car un préjugé religieux leur défend de manger dans l'intérieur de leurs maisons '. Les maisons des chefs sont ordinairement ornées de figures sculptées, tant au dehors qu'au dedans; souvent une de ces grotesques figures est placée près de la porte , et semblerait en être le dieu lare ou pé- nate , s'il n'était à peu près reconnu que les habitans ne rendent à ces statues aucun culte , et n'ont même pour elles aucune sorte de vénération particulière. Seul, Rutherford a prétendu que ces effigies sont pla- cées à la porte des chefs pour en interdire l'entrée aux esclaves , ou hommes du peuple , qui seraient punis de mort en cas d'infraction à cette règle 2. Quelque- fois les châssis des portes et des fenêtres sont formés de planches épaisses artistement travaillées en bas- reliefs 5. Les maisons du fils et du neveu de Pomare, à Mata-Ouwi, offraient un exemple remarquable de ce genre de luxe. Le plancher de la maison est formé par de la terre rapportée bien battue , et rehaussée de dix ou douze pouces au-dessus du sol environnant 4 ; un petit carré i Cook, prem. Voy. , III, p. 277. yicholas, d'Urv., III, p. 596. — lUulierford , d'Urv., III, p. -j 38. — 3 yicholas, I, p. 110. — 4 Crozet , d'Urv., III, p. 58. DE L'ASTROLABK. 459 creux, quelquefois environné de pierres, indique la place du foyer, et la fumée n'a d'autre issue que la fe- nêtre , ou la porte quand la fenêtre manque. Aussi ces cases sont-elles toujours fort enfumées à l'intérieur, et l'habitude qu'ont les naturels de vivre dans cette atmosphère doit beaucoup contribuer à rembrunir leur teint. Un simple tas de feuilles de fougères ou de typha leur sert de lit ; quelquefois ces feuilles sont arrêtées dans une espèce de cadre en planches bien assemblées, d'environ six pieds de longueur sur deux de large ; leurs nattes leur servent de couverture1. D'ailleurs ces cas.es sont si chaudes par elles-mêmes , qu'en hi- ver, et par le plus grand froid , le moindre feu suffit pour en élever singulièrement la température. » Crozel, d'Urv. , III, p. 5g. 460 VOYAGE Le mobilier de ces maisons se borne à quelques instrumens grossiers en pierre ou en os , à des cor- beilles pour les provisions 1 ; à des courges pour con- tenir leau douce, et à des nattes en phormium ou en jonc; ces dernières sont suspendues aux parois 2. Les objets plus minces, comme bameçons, aiguilles, poin- çons, etc., sont contenus dans de petits coffrets taillés »^o m' WW H dans un bloc de bois massif, souvent ingénieusement travaillés, en forme de pirogues et ornés de bas- reliefs. Les maillets à battre la fougère restent d'ordi- naire sous le vestibule 5. Les chefs d'un rang élevé, quand ils ont une nom- breuse famille , possèdent plusieurs cases enfermées d'une seule palissade; ces palissades, destinées à abri- ter les maisons contre le vent et la pluie , ont quel- quefois douze ou quinze pieds de haut, et sont garnies d épais paillassons en feuilles de typha 4. » Cook, trois. Voy., I, p. 200. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 5g.- 3 Cook, prem. Voy., III, p. 277. — 4 Cook, prem. Voy. , III, p. 277. DE L'ASTROLABE. 461 Sans contredit, c'est pour la construction des ma- Magasins gasins publics , surtout pour ceux qui sont destinés à contenir leur substance favorite, les koumara, que ces peuples réservent toute leur habileté ' . Ces édifices atteignent quelquefois de vingt-quatre à trente pieds de longueur, sur douze ou quinze de largeur, et dix ou douze de hauteur. Cruise nous dépeint un de ces magasins, à Waï-Kadi, comme élevé de quatre pieds au-dessus du sol, environné dans tout son pourtour d'une galerie ornée d'une foule de bas-reliefs bien exé- cutés , et il ajoute que pour le construire on avait fait venir l'architecte des bords du Shouraki 2. Les maga- sins de koumara que j'observai en 1 827 à Kawa- Kawa fixèrent toute mon attention par leur propreté et l'élégance de leur construction 5. H est vrai que les insulaires de Waï-Kadi et de Kawa-Kawa possèdent aujourd'hui des instrumens en fer qui facilitent beau- coup l'exécution de ces grands travaux ; mais la des- cription que fait Crozet de l'état où il trouva leurs ma- gasins atteste qu'ils y portaient déjà toute leur indus- trie. Son récit, en outre , démontre de la part de ces peuples un esprit d'ordre et de prévoyance publique fort remarquable. « Trois magasins, dit-il, occupaient l'espace que laissaient entre elles les deux rangées de maisons dont se composait le village ; le premier renfermait les armes de toute nature. Des provisions en tout genre , telles que patates , racines de fougère , i Cruise, d'Urv. , III, p. 638. — 2 Cruise, p. 27. — 3 D'Unille, II. p. 2 18. ulilics. t 162 VOYAGE poissons et coquillages cuits et desséchés , et gourdes remplies d'eau, occupaient le second magasin. Enfin le troisième était réservé pour tous les instrumens de pêche, le chanvre à fabriquer les filets, les pa- gaies, etc. J » Quoique les maisons des Nouveaux -Zélandais soient communément rectangulaires, M. Nicholas en observa une de forme circulaire à la baie Shouraki , près le village de Houpa2. C'est aussi là qu'il vit un bâtiment de quatre-vingts pieds de longueur, divisé en deux par une cloison qui régnait dans toute son éten- due, et ce voyageur supposa qu'il était destiné à loger des cochons 5. Outre les cases permanentes que nous avons dé- crites et qui exigent un certain temps et quelque tra- vail pour les élever, ces insulaires en construisent qui sont purement temporaires et en simples branches d'arbre , pour les mettre à l'abri quand ils sont en marche pour combattre , quand ils vont à la pèche , ou qu'enfin une raison quelconque les force à sé- journer à une certaine distance de leur résidence ha- bituelle 4. Ces abris les garantissent parfaitement du vent et de la pluie. Les cabanes qu'occupent ces naturels dans l'état de paix sont ordinairement disséminées dans la cam- pagne par hameaux peu considérables , et placées à la portée de leurs plantations de patates douces et de ' Crozet, d'Urv., III, p. 56 et suiv. — 2 Nicholas, I, p. 401. — 3 Nicholas, I, p. 4o5. — 4 Ciok, trois. Voy., I, p. i56. Marsden , d'Urv., III, p. 3 2 8. DE L'ASTROLABE. m pommes de terre ; en outre, chaque tribu a son pdy ou village fortifié , dans lequel tous les membres de la tribu viennent se retrancher à l'approche de l'ennemi. Ces pas, par la manière dont ils sont placés et Pas fortifiés, annoncent, de la part des Nouveaux-Zé- °" lorlcrcsscs- landais, beaucoup de discernement et de sagacité. Les descriptions de Cook et de Crozet prouvent que l'ar- rivée des Européens ne leur a rien appris à cet égard , et qu'au contraire l'introduction des armes à feu leur a beaucoup fait perdre de leur industrie primitive. Une funeste expérience leur a fait connaître que ces for- teresses , imprenables avec leurs armes habituelles, étaient devenues insuffisantes contre l'atteinte des balles K Presque toujours ces forts étaient établis sur des pointes de terre avancées en mer, ou sur des rochers escarpés et presque inaccessibles. A main d'homme, on avait achevé de rendre impraticables les parties les plus faciles à gravir. Une double ou triple rangée de fortes palissades , avec des fossés intermédiaires , ceignait le village ; une seule porte fort étroite don- nait accès dans la forteresse, et se trouvait défendue par une plate-forme élevée à quinze ou vingt pieds au- dessus du sol , et capable de recevoir au besoin une vingtaine de combattans. On y montait par un pieu solide et entaillé dans toute sa longueur ; cette espèce ■ Cook, prem. Voy. , III, p. 92, 120; deux. Voy. , I, p. 242, d'Urv. , III, p. i5 et suiv. Nicholas , I, p. 174. Marsden , d'Urv., III, p. i65, 416. Cruise, p. 46. D'Urville, III, p. 686. Gaimard, d'Urv., II, p. 281. i.'uor , d'Urv., II, p. 284. 464 VOYAGE de cavalier était en tout temps munie de projectiles , comme pierres, piques et javelots ; au moindre soup- çon d'attaque de la part de l'ennemi , des sentinelles y faisaient sans cesse une garde vigilante ', En outre , au-devant du pâ , en guise d'ouvrage avancé , régnait d'ordinaire une enceinte également palissadée , et défendue par un fossé capable de rece- voir trois , quatre ou cinq cents hommes , suivant la force de la tribu. Cette espèce de bastion protégeait l'entrée du pâ, et on ne l'abandonnait pour se réfu- gier dans le fort que lorsqu'on y était contraint par une force supérieure 2. Dans l'intérieur du pà, chaque famille avait son habitation particulière, et l'on y voyait en outre les magasins d'armes , de vivres et d'instrumens de pê- che. Par la disposition du terrain , ces cases , éche- lonnées sur la pente d'un monticule , et plus ou moins rapprochées du sommet, suivant la dignité des pro- priétaires , étaient toujours tenues avec propreté , et présentaient un coup-d'œil pittoresque. Ces sauvages ne souffrent jamais d'ordures autour de leurs maisons , et , plus avancés sur ce point que beaucoup de peuples civilisés , ils ont toujours soin de réserver, dans la partie la plus reculée et la plus escarpée du village, un lieu public de commodités 3. Au sommet du pâ de V aï-Mate , M. IXicholas re- i Cook, prem. Voy., III, p. 292. Crozet, d'Urv. , III, p. 55 et suiv. Nicholas, d'Urv., III, p. 336. — 2 Crozet, d'Urv., III, p. 55. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 85. Crozet, d'Urv. , III, p. 5g. Nicholas , I, p. 355. DK L'ASTROLABE. ÎP..S marqua une sorte de plate-forme élevée à cinq pieds au-dessus du sol et ornée de sculptures. Cette estrade servait de trône à Kangaroa : c'était de là qu'il don- nait ses ordres à son peuple, et lui dictait ses volon- tés. Une seconde plate-forme se trouvait près de la première , et servait exclusivement à la reine douai- rière, mère de Kangaroa l. Jadis les Nouveaux-Zélandais , retranchés dans leurs pas , bravaient les assauts de leurs ennemis et soutenaient quelquefois des sièges de plusieurs mois. Combien d'exploits ignorés !... Combien de traits de vaillance, combien de prouesses ont dû éclater parmi ces peuples guerriers, pour être condamnés à un éternel oubli ! . . . . L'adoption des armes à feu a mis un terme à ces luttes prolongées , comme naguère en Europe elle détruisit tout-à-coup la supériorité et l'in- fluence de nos chevaliers bardés de fer et d'acier. X. XOURRITURE. La base de la nourriture des Nouveaux-Zélandais, Racine leur aliment de tous les jours , en un mot celui qui de fougère répond au pain pour les nations de l'Europe , au riz pour celles de l'Orient, à la cassave pour une foule de peuples de l'Amérique, c'est la racine d'une espèce de fougère qui ressemble fort à la nôtre , et qui couvre de ses feuilles ramifiées tous les coteaux • Nicholas, d'Un. , III, p. i65. TOME II. ,'J2 iiiH VOYAGE incultes et déboisés ». Cette fougère a reçu des natu- ralistes le nom de pteris esculenta, et c'est la même qui, dans toute 1" Australie, fournit aussi l'aliment habi- tuel des indigènes. C'est peut-être l'unique trait de ressemblance que les fiers insulaires de la Nouvelle- Zélande aient avec les misérables créatures clair- semées sur la surface de la Nouvelle-Hollande. Comme les racines de cette plante s'enfoncent pro- fondément en terre , les Zélandais se servent pour les arracher de pieux aiguisés et munis d'une espèce d etrier afin d'y appuyer le pied , ce qui leur donne tout-à-fait la forme d'échasses 2. Ils mettent en bottes ces racines qu'ils laissent sécher quelques jours à la chaleur du soleil; une fois desséchées, elles se con- servent plus ou moins long-temps sous le nom de nga doue. Quand on veut s'en servir, on présente la racine au feu pour la griller légèrement , puis on la bat quelque temps sur une pierre avec un petit maillet particulièrement destiné à cet emploi pour la ramollir. C'est à cet état que les naturels la mâchent entre leurs dents : en temps de disette et à défaut d'autre nourriture ils avalent tout ; autrement ils se contentent de la mâcher jusqu'à ce qu'ils en aient ex- trait tout le principe nutritif et sucré, et rejettent la partie fibreuse 3. i Cook, prem. Voy., III, p. 278. Crozel, d'Urv. , III, p. Sg. Savage, p. 57. Nicholas, d'Urv., III, p. 5g4. — 2 Crozel, d'Urv., III, p. 64. — 3 Cook, deux. Voy., II, p. 120. Trois. Voy., I, p. 202. Crozel, d'Urv., III, p. 60. Savage, p. g. Sainson , d'Urv., II, p. 258. Piuiherford , d'Urv. , III, p. 736. DK L'ASTROLABE. ii;7 M. ÏNicholas trouve à celte racine chaude un goût ^loux et agréable, et dit qu'après un long séjour dans l'eau elle dépose une substance glutineusc qui ressem- ble à de la gelée > . D'autres Européens en ont mangé, avec plaisir, et les Anglais qui se fixent dans ces con- trées éloignées s'accoutument promptement à ce genre de nourriture. Un jour que je visitais avecTouai le pâ de Kahou-Wera , je voulus goûter de cette racine , et ce chef m'en choisit dans une corbeille un morceau qu'il m'assura être de la meilleure qualité. Un goût faiblement mucilagineux, une pâte visqueuse, du reste parfaitement insipide , et une consistance coriace, fu- rent tout ce que je sentis , et il me fui impossible d'a- valer le morceau que je portai à ma bouche. Touai , au contraire , qui venait de déjeuner copieusement avec moi , en mangea sur-le-champ plusieurs mor- ceaux avec une satisfaction évidente , et il m'assura que c'était fort bon , bien qu'inférieur pour la qualité à notre taro , pain . Quoi qu'il en soit, les esclaves mangent rarement autre chose que de la racine de fougère, et dans toutes les circonstances possibles , c'est la ressource immé- diate de toutes les classes de la société. Ces insulaires en font des récolles considérables qu'ils conservent en magasin 2 toutes prêtes à leur servir d'approvi- sionnement en cas de siège de la part de leurs enne- mis, ou de provisions de campagne quand ils vont les attaquer sur leurs pirogues. i Nichoias, JTiv. , III, p. 59/,. — 2 Crozet, dl'iv., III, p. 57. 32' 468 VOYAGE Outre \ejjteris esculenta , il est une autre sorte de fougère en arbre que Forster nomme aspidiam far-* calam , et que les botanistes modernes ont appelée cijathea mcdallavis , qui fournit aux insulaires un aliment plus substantiel que la précédente. C'est la partie inférieure de la tige , voisine de la racine , qu'ils font cuire dans leurs fours en terre. Andcrson com- pare cette substance cuite à de la poudre de sagou bouillie, mais sa consistance est plus ferme. Cette fougère est beaucoup moins commune que l'autre; je n'ai point eu occasion de l'observer ni de goûter de cet aliment : ainsi je ne puis point prononcer sur sa qualité. Suivant Forster, la moelle de cija- thea porterait à Totara - Nouï le nom de mama- gou , tandis que la racine de fougère se nommerait po/igaï i. Patate. La patate douce, convolvulus batatas, nommée par les Zélandais hoamara , était le végétal le plus généralement cultivé dans ces contrées, avant que les Européens en eussent fait la découverte. Cette racine, inconnue dans les autres îles de la Polynésie, était-elle propre au sol de la Nouvelle-Zélande , ou bien y avait- elle été importée à une époque qui nous est demeurée inconnue? C'est ce qu'il serait difficile de décider aujourd'hui. Toutefois , les superstitions dont sa cul- ture est environnée sembleraient lui assigner une ori- gine étrangère et rappeler en même temps les précau- tions minutieuses qu'imaginèrent ceux qui l'introdui- i look, deux. Voy., II, p. 120. DE L' ASTROLABE. 169 sirenl dans le pays, pour en assurer la propagation et. la conservation. Nonobstant les diverses plantes que les Européens ont introduites dans Ika-Na-Mawi, la patate douce est demeurée pour les habitans de cette île le mets le plus délicieux , l'aliment le plus délicat parmi tous ceux qu'ils connaissent. Soit qu'ils veuillent faire honneur à des étrangers, soit qu'ils doivent se régaler entre eux, la patate douce forme la base principale de leurs fes- tins. Il est certain que les hommes du peuple n'en mangent que dans les occasions solennelles , ou bien quand ils peuvent piller les magasins de leurs enne- mis. On doit convenir que cette racine est d'une excellente qualité dans la Nouvelle-Zélande , et nulle part je n'en ai mangé qu'on puisse comparer à celles qui croissent dans ce pays l. Quoique ces insulaires fissent beaucoup moins d'usage des racines de Y arum escalentnm , ta?o, cette plante existait chez, eux avant l'arrivée des Eu- ropéens, et ils la cultivaient en certains endroits. C'est cette plante que Banks cite, dans le premier Voyage de Cook , sous le nom â'eddas 2 , et que le capitaine lui-même nomme cocos 3. Nous ne savons point quelle était la racine qu'il désigne par le nom d'igname , attendu que nous ne pensons point que le dioscorea sativa fût connu de ces peuples. Les habitans de la partie septentrionale d'Ika-Na- Pommes Mawi doivent certainement les choux , les navets , les > Savage, p. 54. — a Banks, d'Urv., III, p. i5. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. i5~. de terre , HO VOYAGE oignons au long séjour que Marion fit parmi eux ' ; tandis que ceux des contrées plus au sud doivent ces utiles plantes à Cook et aux navigateurs qui l'ont suivi. La pomme de terre, qui a été nommée kapana , a été introduite plus lard; sa saveur et la facilité de sa préparation la firent promplement apprécier par ces sauvages ; ils cultivèrent cette racine avec le plus grand soin , et elle est devenue si abondante sur cer- tains points de l'île du Nord, que les navires peuvent s'en procurer à vil prix des provisions considérables. Il est douteux qu'elle soit répandue avec autant de profusion sur Tavaï-Pounamou, et les habitans de la baie Tasman n'en possédaient encore que de très- petites plantations lors du passage de l'Astrolabe. Animaux. Les seuls quadrupèdes vraiment indigènes étaient le chien et le rat. La chair du premier était regardée comme une friandise 2, et les naturels mangeaient aussi celle du rat 5. (Jn chef, ayant remarqué un jour que l'espèce d'Europe était plus grosse que celle de son pays, témoigna le désir qu'on l'introduisît à la Nouvelle-Zélande pour accroître ses ressources ali- mentaires 4. La race du chien natif est aujourd'hui devenue rare dans les cantons du nord , surtout dans ceux que fréquentent les Européens. On connaît tous les efforts que tenta à diverses re- prises l'illustre Cook pour enrichir cette contrée de i Crozel, d'Urv., III, p. 72. D'Urville, II, p. 237. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 95, 25i. Deux. Voy., I, p. a56. Trois. Voy. , I, p. 202. Crozet, d'Urv., III, p. 60. Savage, p. 61. Dillon, I, p. 249. — 3 Crozet, d'Urv. , III, p. 7 3.-4 Cruise, d'Urv., III, p. 661. DE L'ASTROLABE. 471 chèvres et décochons ». Il est probable que c'est à lui que les Nouveaux-Zélandais doivent ces derniers animaux. Leur espèce n'a pas tardé à se propager avec une grande rapidité, et le récit du voyage de l'As- trolabe prouve à quel point elle est devenue abon- dante aux environs du cap Est. Quelle que soit son abondance , sa chair n'est jamais un aliment habituel , même pour les chefs. Ils ne s'en permettent l'usage qu'en certaines solennités 2, et les hommes du peu- ple prennent bien rarement part à ce régal , h moins que ce ne soit aux dépens de l'ennemi. Les Zélandais réussissent à prendre aux lacets ou oiseaux. à l'affût pendant la nuit certaines espèces d'oiseaux, surtout la grosse colombe, nommée koukoupa 3, qui habite les forets ; des canards , des cormorans , des albatros et autres oiseaux de mer 4. Le premier de ces volatiles offre un excellent mets. Mais ces ressour- ces sont bien éventuelles. Dans ces derniers temps, les Zélandais ont reçu des Européens les poules qu'ils nomment kakatoaa, et ils commencent à les élever : ils n'en font cependant pas un grands cas comme ressource alimentaire ; mais ils aiment beaucoup les coqs pour leurs longues plumes flottantes, surtout pour leur chant qui les égaie 5. Leur affection pour cet oiseau est telle qu'ils en ont souvent à bord de leurs pirogues dans leurs i Cook, deux. Voy. , I, p. 258. — 2 Nicholas, I, p. 217. Cruise, d'Urv., III, p. 661. — 3 Nicholas, I, p. 35a. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 278. Trois. Voy., I, p. 202. Crozot, d'Urv., III, p. 60, 67. Ru- therford, d'Urv., III, p. 181. — 5 Cruise, p. 34. 472 VOYAGE excursions militaires. Mais à terre ces animaux leur causent de grandes inquiétudes, en profanant étour- diment leurs sépultures et autres lieux voués au lapon 1 . Comme étant sujets au même crime , les cochons sont ordinairement tenus loin des villages et des lieux consacrés. Le même motif leur a fait s'op- poser aux efforts des missionnaires pour introduire les bêtes à cornes dans leur île 2. Poissons. Dans le règne animal, la mer seule pourrait offrir à ces sauvages une ressource plus constante et plus assurée. Leurs côtes nourrissent d'incroyables quan- tités de poissons de la plus belle espèce et de la chair la plus exquise 5. Au moyen de leurs immenses filets, de leurs lignes et de leurs hameçons , ces hommes réussissent à se procurer des pèches abondantes. En été, ils mangent le poisson tout frais, après l'avoir vidé et fait rôtir sur les charbons, ou cuire dans leurs fours en terre, enveloppé de feuilles vertes. Aux approches de l'hiver, ils en dessèchent des pro- visions considérables, pour leur servir durant la mau- vaise saison , surtout diverses espèces de raies et de chiens de mer 4. Ils mangent de grand appétit ce pois- son sec, bien que les vers y pullulent ^ Leur prépa- ration se borne à le tenir durant quelques jours ex- posé à l'ardeur du soleil, sur des plate-formes plus ou moins élevées au-dessus du sol. i Marsden, d'Urv. , UI , p. 192. — 2 D'Urvillc, II, p. 29.3. — 3 Cook , preui. Voy., III, p. 253. Deux. Voy., III, p. 372. Trois. Voy. , I, p. 193. Turnbull, d'Urv., III, p. 98. Savage, p. 59. — 4 Nicholas , I, p. 269. Ruthetford, d'Urv., III, p. 75o. — à Nicholas, I, p. 267. DE L'ASTROLABE. 173 Les coquillages de toute espèce et les crustacés qui abondent sur leurs côtes leur offrent encore une ressource journalière , dont ils savent tirer un grand parti i. Quand il arrive que quelqu'un des immenses céta- cés qui vivent dans ces parages vient à échouer sur leurs rivages , sa chair est regardée par les Zélandais comme l'un des mets les plus délicieux. Ils accourent en foule sur le corps du monstre marin, et festoient à ses dépens durant plusieurs jours, même quand sa chair corrompue répand déjà une infection suffisante pour en repousser l'Européen le moins délicat. On a vu des tribus rivales se livrer des combats sanglans pour se disputer la possession d'une baleine échouée2. Le goût des Zélandais pour la chair de ce cétacé per- siste chez ceux même qui ont participé aux douceurs i Cooh, prem. Voy. , III, p. 254 et 255. Trois. Voy. , I, p. i94- — ' Marsden, d'Un. , III, p. 269. 4 74 VOYAGE de la civilisation '. La chair du requin ou man^o n'esl pas moins estimée 2. Crozet, Cook et Anderson avaient déjà observé que ces naturels savouraient avec un plaisir extrême le suif et la graisse des veaux marins. Les huiles de poisson puantes, leur écume même , étaient pour eux une friandise très-recherchée 3. Chair Enfin, par une barbarie qui les séparait de toutes humaine, les autres tribus de la race polynésienne et qui les rangeait au même niveau que les races noires océa- niennes, les Nouveaux-Zélandais mangeaient avec dé- lices la chair de leurs ennemis tués dans le combat. La superstition entrait , il est vrai , pour beaucoup dans ces horribles festins, et l'on aurait aimé à croire qu'ils n'avaient lieu qu'à la suite des combats et dans un but religieux. Malheureusement les derniers ré- cits des missionnaires ne nous permettent guère de douter que ces naturels n'égorgent quelquefois leurs esclaves de sang-froid et dans l'unique intention d'as- souvir, aux dépens de leurs victimes, leurs mons- trueux appétits. Ces exemples sont rares , mais ils suffisent pour démontrer que la religion seule n'esl pas la cause de ces affreuses coutumes 4. Il faut même que ces festins aient un grand attrait pour eux, carTouai, à demi-civilisé par un long séjour chez les Anglais , tout en convenant que c'était une > Cruise, d'Urv., III, p. 654. — = D'Unillc, II, p. g5. Dillon , I, p. 178. — i Cook, trois. Voy., I, p. 166, 202. Crozet, d'Urv., III, p. 61. — 4 Cruise, d'Urv., III, p. 662. DE L' ASTROLA.BE. 475 fort mauvaise action , avouait qu'il éprouvait le plus grand plaisir à manger la chair de ses ennemis , et qu'il soupirait impatiemment après 1 époque où il pourrait de nouveau se procurer celte jouissance. Il assurait que la chair de L'homme avait absolument le même goût que celle du porc ; dite porka — comme du cochon — me disait- il avec le plus grand sérieux. Dans ce moment pourtant , il se trouvait à une table bien servie où rien ne manquait à ses désirs. Ordinairement ces sauvages se contentent de man- ger la cervelle des corps qu'ils dévorent et rejettent le reste de la tète *. M. Nicholas cite néanmoins une circonstance où Pomare et ses compagnons man- gèrent jusqu'aux tètes de six hommes qu'ils massa- crèrent sur le territoire de Doua-Tara 2. La chair d'une femme ou d'un enfant est ce qu'ils connaissent de plus délicieux 3 ; suivant eux, la chair • des Nouveaux-Zélandais est bien préférable pour le goût à celle des Européens ; ils attribuent cette diffé- rence au sel dont ceux-ci font un grand usage 4. Quelques voyageurs ont observé que ces hommes mangeaient une espèce de gomme verte dont ils pa- raissaient faire un grand cas. On ne sait pas encore bien quel arbre le fournit. Crozet et ses compagnons en goûtèrent, et lui trouvèrent une qualité fort échauf- fante; elle fondait facilement dans la bouche 5. i Cook, prem. Voy. , III, p. 188. — a .\icltolas, I, p. 295. — 3 Cruise, d'Urv., III, p. 662. — 4 Marsden, d'Urv. , III, p. 383. Cruise, d'Urv., III, p. 662. — 5 Crozet, d'Urv., III, p. 60. 476 VOYAGE En général ces insulaires , surtout les esclaves , ne font aucune difficulté de manger les entrailles et tou- tes les parties des animaux que les Européens rejet- tent ' ; ils dévorent avec avidité le biscuit pourri 2 ; enfin plusieurs d'entre eux se régalent avec empres- sement de la vermine dont leur tête est souvent co- pieusement garnie 3. Dans leurs alimens , les Zélandais ne se servent jamais de sel , ni d'aucune sorte d épicerie 4. Ils n'ai- ment point les viandes ni les poissons salés des Euro- Boisson, péens. Un fait fort remarquable, c'est qu'ils ne con- naissaient aucune sorte de boisson spiritucuse ' , et ne buvaient jamais que de l'eau. En général ils détes- tent toutes les liqueurs fortes des Européens 6 ; mais ils savourent avec délices toutes leurs boissons su- crées, comme thé, café, chocolat, et sont très-friands de sucre. Ce n'est qu'à la longue el par une sorte d'éducation nouvelle qu'ils peuvent s'accoutumer à l'usage du vin et du rhum ; encore dans ce cas renon- cent-ils rarement à leur sobriété habituelle , et s'a- donnent-ils très-rarement à l'ivresse. C'est un vice du moins qu'ils ne partagent point avec toutes les au- tres tribus polynésiennes, familiarisées avec ses effets par un usage immodéré du kava 7. La plante qui i Mcholas, I, p. 67. — 2 Cook , deux. Voy., Il, p. l32. Cruise , d'Urv., III, p. 661. — 3 Cook, trois. Voy., I, p. 202. Mcholas, d'Un., III, p. 398. Rutherford, d'Urv. , III, p. ^So. — 4 Savage , p. 60. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 280. Savage, p. 17. — G Cook, deux. Voy., I, p. 246. Crozet, d'Urv., III, p. 61. Cruise, p. i3 ; d'Urv., III, p. 655. — 7 Kendall, d'Urv., III, p. 123. DE L'ASTROLABE. 477 donne cette boisson , dn moins une très - voisine ( le piper excelsum ) , croit cependant à la Nouvelle- Zélande, où elle porte le même nom; mais les naturels n'en font aucun usage l. 31. H. Williams m'assura, il est vrai, qu'ils faisaient quelquefois une liqueur spiritueuse avec les baies d'une espèce d'arbrisseau [concilia scirmentosa, Forster); mais des naturels que j'interrogeai à ce sujet me dirent au contraire que ces fruits étaient un poison , ce qui rend ce fait au moins très-douteux 2. La cuisine de ces peuples est en général fort sim- Cuisine, pie, et se réduit à faire rôtir au four ou griller leurs alimens 5. Dans le dernier cas, il suffit de les placer quelque temps sur des charbons ardens , et c'est le moyen qu'on emploie pour les petites pièces, comme oiseaux , poissons , coquillages , ou bien quand le temps dont on peut disposer ne permet pas de les préparer avec plus de soin. Le poisson , une fois nettoyé , est enfilé dans une broche en bois fichée en terre près du foyer; on a soin de la tourner de coté et d'autre jusqu'à ce que le poisson soit cuit 4. Quand il s'agit de pièces plus importantes, et même pour faire cuire à la fois une plus grande quantité de patates douces , de taros ou de pommes de terre, ils 'ont recours à leurs fours 5. Ce sont des trous circu- i D'UrviUe, II, p. 23i. — 2 D'L'ivillc, II, p. 23a. — 3 Cruise , d'Urv., III, p. 661. BlossevUle, d'Urv., III, p. 69S. — 4 Cook, prem. Voy. , III, p. 118, 279. Sicholas , I, p. 237. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 279. Trois. Voy., I, p. 2o3. Crozcl, d'Urv., III, p. 60. Cruist* d'Urv., III. p. fifir. 478 VOYAGE laires , creusés en terre , de deux pieds de diamètre sur un ou deux pieds de profondeur. Quand les na- turels veulent s'en servir, ils commencent par les rem- plir de pierres et ordinairement de galets qu'ils pré- fèrent à tout autre pour cet usage. Les pierres une fois chauffées à rouge, on retire tous les tisons , en ne laissant que les charbons et la braise que l'on en- toure de broussailles trempées dans l'eau, et que l'on recouvre d'un lit de feuilles vertes. Sur ce lit sont placés les pièces de viande , le poisson et les patates que l'on veut apprêter; ces objets sont encore recou- verts de feuilles vertes , et quelquefois d'une natte grossière en paille. On jette deux ou trois pintes d'eau par-dessus, puis on recouvre aussitôt le four de terre. On laisse cuire le tout, et quand on juge qu'il s'est écoulé pour cela un temps suffisant , on ouvre le four et l'on retire les mets « . Préparés suivant ce procédé, leurs vivres ont un goût délicieux. Je n'ai jamais mangé rien de meilleur que leurs patates douces et leur porc cuit de cette ma- nière 2. On ne pouvait reprocher à la viande d'autre desagrément que d'être un peu charbonnée à l'exté- rieur 5. Les naturels la découpent ensuite avec des couteaux faits de coquilles de moules. Chaque maison a toujours près d'elle un ou plu- sieurs fours de cette espèce pour le service de ses ha- ' bitans. Comme nous l'avons déjà mentionné, la cuisine i Xicholas , I, p. 326, 35a. Blossaille, d'Urv., III, p. 6y8. Iiulhcrford , d'Urv., III, p. 736. — ■ Cmise, d'Urv., IU, p. 661. — 3 Nieholas , I, p. 353. DE L'ASTROLABE. 479 est du ressort habituel des esclaves , et c'est de là qu'ils ont pris le nom de lwnki. Dans les familles qui n'ont point d'esclaves , les femmes sont chargées de ces fonctions, qui ont quelque chose d'humiliant aux yeux des hommes. Ils ont encore une manière fort simple d'apprêter le poisson et qui équivaut à le faire bouillir. Après l'avoir nettoyé , ils l'enveloppent dans plusieurs feuilles de chou ; ils le placent sur une pierre plate chauffée d'a- vance , et ont soin de le tourner de temps en temps, de façon que la vapeur qui s'exhale des feuilles opère l'effet de l'eau bouillante. Ainsi préparé, le poisson, dit 31. Savage, a un excellent goût l. Comme en beaucoup d'autres lieux , les sauvages de la ÏNouvelle-Zélande allument du feu en faisant tourner verticalement et rapidement un morceau de bois dur dans un trou fait dans une pièce d'un bois plus mou ; ce mouvement ressemble à celui du mous- soir à chocolat 2. Le premier de ces morceaux de bois se nomme kau-oure, et l'autre kau-weti^. XI. HABILLEMENT. Dans l'usage ordinaire de la vie, l'habillement pour les deux sexes se réduit à deux nattes carrées en chan- vre de phormium , d'un tissu assez grossier, mais i Savage, p. 60. — 2 yiicholas, I, p. 324. — 3 Grammar of Xc\\>- 7.r Savage, p. 6g. — a Cook, prem. Voy. , III, p. 271. Crozet, d'Urv. , III, p. 62. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 272. Savage, p. 48, 68. Cruise, d'Urv., III, p. 638, 658. Quoj, d'Urv., II, p. 286. Revue Britannique , d'Urv., III, p. 722. — 4 Cook , prem. Voy., UI, p. 273. Cruise, p. 25. — 5 Savage, p. 70. — 6 Cook, prem. Voy., III, p. 2 7 3. Deux. Voy., I, p. 262 et suiv. ; V, p. 283. Trois. Voy., I, p. 197. Crozet, d'Urv., III, p. 63. Nicholu, d'Urv., III, p. 686, 6ro. DE L'ASTROLABE. 481 seau nommé kuvi. Cette dernière espèce de nattes est la plus estimée, et ne se fabrique qu'aux environs du cap Est où se trouve le kiwi « . Ils ne portent aucune espèce de chaussure ni de coiffure 2, mais les chefs ont soin de relever leurs che- veux vers le sommet de la tète, et de les réunir en une touffe reployée comme le chignon que portent les femmes en certaines contrées d'Europe5. Trois ou quatre plumes blanches , fichées sur ce chignon , sont l'attribut spécial des chefs ou des guerriers d'un rang- distingué , et le complément nécessaire de leur grand costume 4. Les jeunes filles coupent leurs cheveux ou les laissent flotter sur leurs épaules 5 ; les femmes mariées ont seules le droit de les attacher sur le som- met de la tète 6. Le rouge semble être la couleur privilégiée parmi ces peuples. Suivant Rutherford, les guerriers seuls avaient le droit de porter la natte rouge 7. Les femmes seulement se servent des nattes noires , et les esclaves n'ont ordinairement que des nattes d'un tissu fort grossier, assez ressemblant à notre étoupe. i Les enfans restent entièrement nus jusqu'à l'âge de huit ans environ 8 • sous leur natte inférieure, les jeu- nes filles portent souvent une ceinture d'herbes forte- ment parfumées, et à cette ceinture est suspendue une i Cruise, d'Urv., III, p. 656. — 2 Cruise , d'Urv , III, p. 658. — 3 Crozet, d'Urv., III, p. 61. Savage, p. 4g. — 4 Cook , deux. Voy. , II, p. 87. — 5 Cook, prem. Voy., III, p. 274. Crozel, d'Urv. , III , p. 62. — ■ 6 Crozet, d'Urv., III, p. -J5. — : TiuiherforJ , d'Urv. , III, p. 748. — 8 Savage , p. 53. TOME Ff. 33 482 VOYAGE petite touffe de feuilles très-odoriférantes , qui sert comme de dernier rempart à leur modestie *. En opposition à la coutume suivie par diverses peuplades de la mer du Sud, qui pratiquent l'incision du prépuce pour l'empêcher de recouvrir le gland , comme ceux des îles Tonga, par exemple, Banks avait observé que les Zélandais tenaient beaucoup à ne jamais laisser à découvert cette partie du corps. Pour empêcher que cela n'arrivât, une petite corde suspendue à leur ceinture leur servait à nouer la peau du prépuce au-dessus du gland. En effet , cette par- tie semblait être la seule de leur corps qu'ils fussent soigneux de cacher ; ils se dépouillaient sans aucun scrupule de tous leurs vètemens, excepté de la cein- ture et du cordon ; mais ils paraissaient fort confus lorsque , pour satisfaire leur curiosité, les Européens les priaient de dénouer le cordon, et ils n'v consen- taient jamais qu'avec des marques de répugnance et. de honte très-prononcées 2. Bien que les hommes n'attachent aucun sentiment de honte à quitter leurs vètemens devant les femmes, celles-ci se tiennent toujours couvertes 5 : surtout elles ne quittent jamais leurs nattes de dessous ; car elles paraissent attacher peu d'importance à laisser voir leur gorge. Nous avons déjà fait la remarque i Cook, prem. Voy., III, p. S4. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. 272. — Nous lisons dans la relation de Porter qu a Nouka-Hiva , dans les îles Marquises, les insulaires éprouvent un sentiment de honte semblable à laisser voir la même partie, bien que l'inrision soit pratiquée chez eux. — 3 ('mise, d'Un., III, p. 65g. DE L'ASTROLABE. 483 quelles montraient en général beaucoup plus de ré- serve et de modestie que dans les autres îles de la Polynésie '. Aujourd'hui ces insulaires sont jaloux de se procu- rer des vètemens européens ; quand ils ont pu obtenir quelques méchantes guenilles , ils croient , en s'en affublant, acquérir une haute importance. Le vieux Moudi-Waï suppliait M. Marsden de lui envoyer une chemise de flanelle rouge , un bonnet de nuit et une paire de lunettes , ajoutant que cela suffirait pour faire de lui un grand homme 2. On ne peut cependant s'empêcher de convenir que le costume des Nouveaux-Zélandais a une sorte de dignité sauvage et naturelle qui impose aux yeux de l'étranger 3. Ces hommes perdent beaucoup en adop- tant les habillemens européens, dans lesquels ils sem- blent étriqués et rapetisses 4. Presque tous les voyageurs nous ont dépeint les Nouveaux-Zélandais comme moins propres que les babitans des autres archipels de la Polynésie; cela vient de ce qu'ils se baignent et se lavent moins fré- quemment, et c'est assez naturel , eu égard à la tem- pérature beaucoup plus froide de leur pays 5. Il en ré- sulte qu'ils sont bien plus sujets à la vermine 6, et leur chevelure en est habituellement pourvue. Les fem- mes sont souvent occupées à donner la chasse à ces i Cook, prem. Voy. , III, p. 274. Blossevillc , d'Urv. , III, p. 6g5. — * Marsden, d'Urv. , III, p. 355. — 3 Nicholas , d'Urv., III, p. 585. — 4 Cruise, p. 12. — 5 Cook, prem. Voy. , III, p. 85 , 268. — 6 Cook, deux. Vov., I, p. 254. Cruise, p. 7. 33* 484 VOYAGE dégoûtans insectes , et elles se font un régal de cro- quer tous ceux qui leur tombent entre les mains. XII. ORNEMENS. Outre les plumes dont nous avons déjà fait men- tion , les hommes et les femmes garnissent souvent leur chevelure de dents de requin, de morceaux de bois , de petits coquillages , et des bagatelles qu'ils ont pu se procurer de la part des Européens *. Leurs oreilles sont percées depuis l'âge le plus tendre 2, et reçoivent de même divers objets, suivant le goût et les movens des individus , comme morceaux de bois sculptés, dents humaines, pierres précieuses, rou- leaux d'étoffes, plumes d'albatros 5, etc. Nous ferons observer cependant que les pendans d'oreilles les plus précieux sont formés des dents tranchantes d'une espèce de requin. M. Cruise assure que cet ornement est exclusivement réservé pour les personnes d'un certain rang, et qu'il est rigoureuse- ment interdit aux esclaves 4. Il est certain que ceux qui en sont décorés y tiennent singulièrement, et je les ai vu refuser des objets d'un très-grand prix à leurs yeux qu'on leur offrait en échange. Le motif de leur attachement à ces dents tenait-il à un sentiment religieux, ou bien au souvenir des personnes qui les i Savage, p. 5r. — 2 Savage, p. 53. — 3 Cook, piem. Voy., III, p. i-jS. Crozet, d'Urv. , III, p. 62. — 4 Cruise, d'Urv., III, p. 6.Ï9. DE L'ASTROLABE. 186 leur ont données ou transmises '? M. Marsden attri- bue cet attachement au premier de ces deux motifs. Touai disait que le prix de ces dents dépendait de leur rareté et de la difficulté de s'en procurer; M. Kendall les considérait simplement comme des souvenirs d'a- mitié sacrés pour eux. Pour moi , je crois que tous ces motifs peuvent se réunir dans l'opinion de ces hom- mes pour faire de ces dents des bijoux aussi précieux. En guise de pendans , ces sauvages portent aussi aux oreilles un petit poisson desséché, syngnatkus hippocampus, sans doute à cause de sa forme bi- zarre 2. Cook fait mention d'un naturel qui avait la cloison du nez percée et traversée par une plume dont les deux bouts s'avançaient sur les joues 5. Anderson en ob- serva quelques-uns chez lesquels la partie inférieure de ce cartilage était percée d'un trou 4. Nous croyons cependant que cet usage, si fréquent parmi les races noires, était fort rare à la Nouvelle-Zélande. Ces sauvages portent des colliers , et pour les fa- briquer ils emploient de préférence des petits mor- ceaux de roseau, d'os et de sertulaires, ivangaroa, dont ils assortissent les couleurs de manière à pro- duire l'effet le plus agréable 5. C'est aussi au cou qu'ils suspendent ces ligures bizarres en jade vert, pou- namou, auxquelles ils attachent un grand prix G, « D'Uiville, II, p. 172. — 2 yicholas, II, p. 83 . — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 275. — 4 Cook, trois. Voy., I, 198. — 5 Cook, trois. Voy., I, p. iyS. Savage, p. 5i. — C Cook, prem. Voy., III, p. 27.5. Crozct , d'Urv., III, p. 62. Savage, p. 11. i86 VOYAGE quoiqu'il paraisse certain que ce prix tient plutôt au souvenir des personnes d'où viennent ces objets qu'à aucune notion vraiment religieuse ' . A l'angle supérieur de leur natte de dessus, et près de l'endroit où ses deux bouts se rattachent devant la poitrine, suivant le rang de l'individu, sont aussi suspendues de petites baguettes recourbées de deux ou trois pouces de long, en serpentine ou en dents de sanglier. Quand un chef terrasse sous ses coups un guerrier de quelque distinction , il ajoute d'ordi- naire les décorations du vaincu à celles qu'il portait déjà. Ils ont quelquefois des bracelets de la même ma- tière que les colliers. Mais l'attribut spécial du guer- rier zélandais , l'instrument qui ne le quitte presque jamais , en paix comme en guerre , c'est le me?e7 cette espèce de casse-tète court et ovale , en serpentine , granit, basalte, ou en os de baleine, qu'ils portent suspendu au poignet droit avec un petit cordon. Chez eux il est le substitut naturel du poignard et du cuchillo chez les Italiens et les Espagnols 2. Comme tous les insulaires de la Polynésie, les Zé- landais ne croient avoir fait une toilette complète qu'après s'être oints copieusement sur toutes les parties du corps, et surtout le visage et les cheveux , d'huile de poisson 5. En outre, ils se barbouillent fréquemment i Cruise, d'TJrv. , III, p. 639. Revue Britannique , d'Urv. , III, p. 72J. — 2 Savage, p. 5a. Nicholas , d'Urv., III, p. 586. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 268. Crozet, d'Urv., III, p. 6t. DE L'ASTROLABE. 487 la ligure de rouge d'ocre , kokohai , qu'ils ont délayé dans cette huile '. En cet état, leur approche est sou- vent importune à l'Européen en salissant tous ses vête- mens de ce fard désagréable, et leur communiquant une odeur qui n'est nullement suave 2. Les guerriers ne se présentent jamais au combat qu'après avoir relevé leurs cheveux en touffe au som- met de la tète , les avoir ornés de plumes blanches , et s'être complètement frottés d'ocre délayée dans l'huile de poisson 5. Cette grande toilette est de ri- gueur avant de se livrer à l'acte le plus solennel et le plus glorieux de leur existence , suivant leurs idées sur l'honneur. XIII. INDUSTRIE. L'industrie de ces peuples a pour objets principaux la culture de leurs champs de patates, la pêche, la construction des maisons, des canots et des divers instrumens de guerre et de pèche -, enfin la fabrication des nattes. C'est aux femmes que sont dévolus la plupart de ces travaux 4-, car les hommes, et les guerriers parti- culièrement, croiraient déroger s'ils vaquaient aux i Cook, prem. Voy., 111, p. 270. Deux. Voy. , I, p. 263. Savage, p. 52. — » Cook, trois. Voy., I, p. 202. — 3 Cook, deux. Voy., II, p. 217. Mchotas, II, p. 19. Cruise, d'Urv., UI , p. 658. Blosseville, d'Urv. , III, p. 695. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 723. — 4 Collins , d'Urv., III, p. 7»- i88 VOYAGE fondions domestiques , surtout à celles qui ont trait à l'agriculture, à la pêche et à la fabrication des nattes. Mais ils travaillent volontiers à celle des instrumens de guerre qui se rapportent à leur profession. Agriculture. Quand ces naturels ont l'intention de planter un espace de terre en patates , pommes de terre ou au- tres productions, ils commencent par mettre le feu aux broussailles ou aux arbres qui couvrent le sol ! , ce qui occasione souvent d'immenses incendies '-'■ ; puis ils remuent la terre avec des bêches ou des pieux en bois de diverses formes , suivant qu'elle est plus ou moins compacte 5. Ils entourent le champ de haies , l'ensemencent , et ont soin d'en enlever de temps en temps les mauvaises herbes. Les voyageurs ont vanté la belle tenue de ces plantations , surtout de celles de patates douces , qui sont traversées par de jolis sen- tiers et enceintes de palissades fort propres 4; cer- tains préjugés religieux se rattachent à leur culture. M. Marsden fait le tableau le plus agréable des plan- tations de Shongui à Waï-Mate en 1815 5. Le climat est si tempéré et le sol si fertile, qu'on peut obtenir dans l'année deux récoltes de patates 6. Le moment de la récolte est une réjouissance pour la tribu qui célèbre ordinairement cette époque par i Nicholas, I, p. 342. — 2 Cruise , p. 254. — 3 Cook , prem. Voy., III, p. 287. Savage, p. 55. Kendall, d'Urv. , III, p. 118. Marsden, d'Urv. , III, p. 280, 3oo, 3oi. Davis, d'Urv., III, p. 5i4. Cruise, d'Urv., III, p. 669. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 286. Banks, d'Urv., III, p. i5. Savage, p. 55. Nicholas, I, p. 171 , 245, 333. — S Marsden, d'Urv., III, p. 166. — 6 Savage, p. 57. Cruise, p. 263. DE L'ASTROLABE. 480 des festins et des danses auxquelles tous ses membres prennent part *. Dès qu'on les a retirées de terre , les patates sont étendues sur les plate-formes dressées à huit ou dix pieds au-dessus du sol, et soigneusement recouvertes de fougère 2. Quand elles sont sèches, on les ramasse dans les magasins qui ont été préparés pour cet objet. Les plus petites sont toujours réservées pour semer 5. Pour transporter et conserver les patates et les pommes de terre, ils se servent habituellement de petites corbeilles en feuilles vertes de phormium ; elles contiennent de huit à trente livres de patates 4, mais leur mesure moyenne et la plus commune est de dix-sept livres 5. Quelles que soient les dispositions et l'aptitude des Zélandais pour la culture des terres, cette culture, avant l'arrivée des Européens , n'avait jamais lieu que sur une très-petite échelle ; les patates douces et les taros qui en étaient les seuls objets , loin de leur offrir un aliment habituel, pouvaient tout au plus leur suf- fire dans quelques-unes de leurs solennités. Aujourd'hui même , malgré les efforts et les encou- ragemens des missionnaires et les facilités qu'a pro- curées à ces naturels l'introduction des instrumens en fer de toute espèce , les défrichemens sont encore très-bornés. Les plantations se réduisent ordinaire- ment à de petits morceaux de terre de peu d'étendue, i Cruise, d'Lrv. , III, p. 644. — 2 Savage, p. 56. Nicholas, I , p. 3i5. - i Savage, p. 55. — 4 Savage, p. 56. — 5 Dillon, I, p. 193. 490 VOYAGE et nullement en rapport avec leurs besoins et la ferti- lité du sol. Les penchans belliqueux de ces insulaires leur donnent de l'éloignement pour les paisibles tra- vaux de l'agriculture. En outre , ils redoutent les ir- ruptions de leurs voisins qui se réuniraient pour les dépouiller, s'ils étaient tentés par le pillage d'une ré- colte abondante. Cette considération sera long-temps un obstacle à leurs progrès; c'était ce motif que m'al- léguait Touai , toutes les fois que je lui reprochais d'avoir aussi peu de champs de patates et de pommes de terre. Outre la patate douce, les naturels cultivaient aussi primitivement le taro, et les courges qu'ils mangeaient tant qu'elles étaient tendres , et dont ils fabriquaient la plupart de leurs vases '. Toutes ces productions étaient rares sur l'île méridionale 2. Quelquefois encore , ils cultivaient le phormium tenax 5, en prenant des rejetons et les plantant trois à trois à certaine distance les uns des autres dans les terrains marécageux 4, à peu près comme l'on cultive les cannes à sucre dans les colonies. Mais ils se don- naient rarement cette peine , attendu qu'ils aimaient mieux se contenter des plantes de cette espèce qui croissaient naturellement. D'après ce que nous venons de dire des cultures de la ÏNouvelle-Zélande, on voit que ces insulaires avaient i Cook, prem. Voy. , III, p. 237. Banks, d'Urv., III, p. i5. Crozet , d'Urv., III , p. 64. — 2 Cook, deux. Voy., I, p. 256. — ! Crozet, d'Urv., III, p. 64. — 4 Collins, d'Urv., III, p. 8r. DE L'ASTROLABE). 491 une idée très-positive du droit de propriété. En effet chaque tribu , chaque famille connaît parfaitement les limites de son territoire , et ceux qui voudraient y porter atteinte seraient exposés au ressentiment des propriétaires '. Tous les navigateurs ont successivement admiré le Pèche. travail et les dimensions immenses des filets employés par ces sauvages. En effet, plusieurs de ces filets at- teignent jusqu'à trois ou quatre cents brasses de lon- gueur , sur quinze ou vingt pieds de largeur 2. Ils remplacent le liège par de petits morceaux d'un bois blanc fort léger , et le plomb par de petits cailloux très-lourds 5. Les filets les plus précieux sont en chanvre de phormium 4 , mais ils en ont aussi en jonc pour des pèches d'une nature particulière , et ils se servent très-adroitement des uns et des autres. Avec lecorce de l'arbre mangui-mangai , ils fa- briquent des espèces de paniers ou filets circulaires semblables à nos verveux, et qui sont employés par- ticulièrement pour pécher sur le lac Maapere 5. Des rangées de piquets plantés dans l'eau indiquent les limites respectives des espaces où chaque tribu a le droit exclusif de pécher. Leurs membres sont fort pointilleux sur ces prérogatives, et la moindre infrac- tion peut entraîner des guerres sérieuses G. Ils pèchent à la ligne avec succès , malgré l'imper- i Nicholas, 11, p. 32i. — 2 Cook , prem. Voy., III, p. i5g, 286. Blos- saille, d'Urv. , III, p. 698. — i Crozet, d'Urv. , III, p. 65. — 4 Savage, p. 58. — S yicholas, d'Urv., III, p. 6o5. — 6 Nicholas, I, p. 235. 492 VOYAGE feclion de leurs hameçons dont le corps est un mor- ceau de nacre ou autre coquillage taillé ou poli avec une pointe en os acéré, munie d'une barbe. Les lignes sont en chanvre de phormium , d'une durée et d'une force extraordinaires ' . Les hameçons portent le nom de mat au. Enfin , si l'on en croit Rutherford , ils sont si habi- les plongeurs , qu'ils sont capables d'aller surprendre le poisson à de grandes profondeurs et de le saisir sans autre moyen que leur adresse et leur agilité '2. Pirogues. \\ esi certain que c'est dans la construction de leurs pirogues que ces insulaires avaient poussé le plus loin leur industrie ; car nous avons déjà fait observer que leurs maisons étaient toujours d'une construction fort mesquine et ne répondaient guère à leur intelligence naturelle. On remarque deux sortes de pirogues : les unes longues de vingt à trente pieds seulement sur deux ou trois de large , et destinées à porter de dix à vingt personnes, appartenaient à des particuliers ou du moins à certaines familles, et d'ordinaire chaque tribu comptait un grand nombre de ces pirogues. Les au- tres atteignent jusqu'à soixante et quatre-vingts pieds de longueur , sur cinq à six de largeur , et quatre de profondeur5, et peuvent porter jusqu'à quatre-vingts et cent hommes. Ces dernières sont réservées pour i Cook, prem. Voy., III, p. 286. Crozel, d'Urv., III, p. 65. Savage, p. 58. — 2 Rutherford, d'Urv. , III , p. 744- — '6 Cook, prem. Voy. , 111 , p. 93. DE L'ASTROLABE. 493 les combats , et appartiennent à tonte la tribu qui en possède rarement plus de trois ou quatre a la fois ». Une des pirogues de Tepere deWangaroa avait pins de soixante -douze pieds de longueur, et contenait soixante-sept personnes '^. Du reste, toutes ces pirogues sont semblables par la forme générale et par les détails de la construc- tion. Elles se composent d'un énorme tronc de koudi, creusé intérieurement dans toute sa longueur, et sur- haussé de chaque coté par une planche d'un pied de largeur environ, adroitement cousue au corps de la pirogue dans toute sa longueur. La couture est en outre remplie par du chanvre ou des broussailles, et calfeutrée avec une espèce de résine 3. Ces pirogues sont pourvues de bancs pour les ra- meurs, qui se servent toujours de pagaies bien taillées, et susceptibles d'ajouter, par l'élasticité du bois, à la force d'impulsion qu'on peut leur donner 4. Une pierre fort pesante sert d'ancre 5. Les voiles, qui sont trian- gulaires , se composent de nattes en paille cousues ensemble 6. Ces pirogues manœuvrent fort bien , et peuvent filer sept nœuds dans une belle mer. On a vu des armées de plusieurs centaines de guerriers exécuter des voyages de quatre ou cinq cents milles i Cruzel, d'Urv., III, p. 66. — 2 Kendall, d'Urv., III, p. 22g. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 282. Savage, p. 62. Cruise, d'Urv., III, p. G68. Ruiherford, d'Urv., III, p. 760. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 284. Crozet, d'Urv., III, p. 66. Marsden , d'Urv., III, p. i6y. — 5 Savage, p. 63. — 6 Cook, prem. Voy., III, p. 284. Deux. Voy., I, p. 255. Trois. Voy., I, p. 201. 494 VOYAGE le long de la côte sur ces frêles embarcations r. Les pirogues de guerre sont ordinairement sur- chargées de bas-reliefs, très-adroitement exécutés sur l'avant et sur l'arrière et quelquefois tout le long de leurs plats-bords 2. Les ornemens de la poupe et de la proue sont particulièrement remarquables par la forme et la main-d'œuvre 3. Celui de l'avant saille en forme d'éperon en dehors de l'embarcation, et se relève de quatre ou cinq pieds. Celui de l'arrière a de douze à quinze pieds de hauteur, deux de large, et un pouce ou deux d épaisseur. Ils sont l'un et l'autre chargés de bas-reliefs du goût le plus bizarre , et entièrement découpés à jour 4. Ces pirogues sont en outre ornées de touffes de plumes, de poils et de feuillages de diverses sortes. Quelquefois elles sont réunies deux à deux, et une douzaine de ces doubles pirogues peut former une puissante escadre. Souvent deux familles se réunissent ensemble pour armer une pirogue ordinaire. Dans ce cas , un treillis sépare L'intérieur en deux parties , pour empêcher que les effets et les marchandises des deux familles ne se confondent ensemble 5. Aussitôt que ces naturels mettent pied à terre, ils ont soin de tirer aussi leurs pirogues sur le rivage, et quelquefois ils les traînent à une dislance considéra- ' Ruthcrford, d'Urv. , III, p 76o. — * Cook, prem. Voy., III, p. 28I. D'Un'ille, II, p. i5 1. — 3 Cook, trois. Voy. , I , p. 2o3. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 283. Ruiherford. d'Urv., III, p. 760. — S Sawrgê; p. 63. DE L'ASTROLABE. 40.5 o blc de la mer, pour éviter quelles ne soient volées par leurs ennemis. Pour construire ces pirogues , ainsi que leurs mai- sons, les naturels ne pouvaient employer, avant l'ar- rivée des Européens , que des instrumens en pierres de jade , granit ou basalte, taillées et emmanchées en forme de haches, ciseaux et herminettes '. Il leur fallait un temps et une patience infinie pour venir à bout de ces ouvrages 2. Aujourd'hui, grâce à l'acqui- sition du fer, ces travaux sont devenus bien moins pénibles pour eux. Pour peindre leurs pirogues et leurs maisons à l'huile et à l'ocre, les naturels se servent d'une espèce de pinceau fait avec une touffe de plumes 3. Leurs armes principales sont les lances , les casse- Armes. tètes et les haches d'armes 4. Les lances sont de tou- tes sortes de formes et de longueurs. Il en est qui ont jusqu'à trente pieds de long , en bois très-dur, pointues à une extrémité, avec un bouton arrondi à l'autre bout. Quelquefois elles sont garnies d'os acérés, d'autres fois la pointe est munie de fortes barbes qui rendent très-dangereuses les blessures qu'elles font 5. Quelques-unes de ces lances n'ont que cinq ou six pieds de long, et le bout le plus pesant est alors garni d'une espèce de masse 6. Enfin , il en est de plus légères que l'on lance au moyen d'une i Crozel, d'Urv., III, p. 66. Savage, p. 70. — 2 Marsden , d'Urv., III, p. 3i;, 3i8. — 3 yicholas, I, p. 35g. — 4 Cruise, d'Urv., III, p. 668. — 5 Coak, prem. Voy., III, p. 287. Savage, p. 66. — fi Mcholas , d'Urv., III, p. Ï87. 496 VOYAGE corde fixée au bout d'un bâton, à peu près comme on fait d'une pierre avec la fronde. Les casse-tètes sont en jade, basalte, os de baleine, ou simplement en bois dur, suivant les moyens de l'individu *. Ces armes ont la figure d'un ovale de dix-huit ou vingt pouces de long sur quatre ou cinq de large; elles sont plus épaisses dans le milieu et tranchantes sur les bords; leur manche est percé d'un trou pour recevoir un cordon qui sert à les suspen- dre au poignet. Les Zélandais s'en servent quand ils en viennent aux mains dans le combat '^, surtout pour assommer les esclaves qu'ils veulent sacrifier. Cet instrument porte spécialement le nom de mère, et l'on peut dire que c'est vraiment l'arme nationale du Nou- veau-Zélandais , car un homme de distinction ne mar- che presque jamais sans son mère 3. Les haches d'armes ont ordinairement cinq pieds de long; elles sont en bois dur, et terminées à une extrémité par une sorte de quart de cercle de huit pouces de rayon et tranchant sur les bords, tandis que l'autre bout se termine en pointe. Ainsi , cette arme peut servir tour à tour de hache et de pique. C'est avec celle-là que, dans le combat, les naturels coupent la tête de leurs ennemis 4. Quelques-unes sont terminées simplement par une masse plus ou moins épaisse, arrondie, anguleuse, ou contournée en forme « Cook, d'Urv., III, p. 68. — 2 Savage, p. 66. Xicholas, d'Urv., III, p. 586. Ruilierford, d'Urv., III, p. 73a. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 28S. filosse\ùlle , d'Urv , III, p. 694. — \ Anâerson , d'Urv., III, p. 2/(. Savage, p. 66. DE L'ASTROLABE. i97 de bec ou de crochet. Toutes portent indistinctement le nom de patou. Souvent aussi les chefs portent une espèce de hal- lebarde de cinq ou six pieds de long, un peu aplatie par un bout, et terminée de l'autre en façon de fer de lance aplati , travaillé avec art et enrichi de touffes de plumes de perroquet l. Quelques-uns portent encore de longues côtes de baleine artistement ciselées sui- tes bords , parfaitement polies , et dont l'aspect rap- pelle celui d'un long sceptre a. Nicholas nomme le premier de ces instrumens Aeni5, et Rangui de Shou- raki m'a dit que le sceptre en os de baleine prenait le nom de patou-waïroa. Il m'a semblé que ces deux armes servaient en même temps de moyens d'attaque et d'insignes de commandement pour ceux qui les possédaient. Tous ces instrumens étaient parfaitement exécutés; ils avaient un poli admirable et souvent étaient enri- chis de bas-reliefs très-artistement travaillés. Ces ou- vrages faisaient d'autant plus d'honneur à l'industrie des naturels qu'ils n'avaient autre chose pour les exé- cuter que des outils en pierre ou en coquilles 4. Ceux qu'ils estimaient le plus étaient en jade , et l'on ne peut qu'admirer l'adresse des sauvages pour donner promptement le tranchant à ces outils et même y pra- tiquer des trous pour y passer des cordons. Nous i Cook, prem. Voy. , III, p. 128. — 2 Cook, prem. Voy. , III, p. r/t6, 288. U'L'ivillc, II, p. 171. — 3 Nicholas, I, p. rg3. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 285. Sat-age, p. 70. Nicholas, d'Urv. , III, p. 587. TOMi: II. 34 198 VOYAGE supposerons volontiers avec Banks qu'ils n'en venaient à bout qu'en les frottant avec de la poussière de la même matière 1 . Outre les javelots dont nous avons parle, les seuls projectiles de ces naturels étaient les pierres , dont leurs pas , leurs retranchemens et leurs pirogues étaient toujours abondamment pourvus 2. Il est digne de remarque que ces insulaires ne con- naissaient l'usage ni de l'arc 3, ni du bouclier 4, ni de la fronde 5. Aujourd'hui que ces peuples ont reconnu l'immense supériorité des armes a feu , ces deux objets , la pou- dre et des fusils , poudra et pou , sont devenus le but constant et presque unique des vœux du Zélandais et de ses demandes aux Européens. Ce sont les pre- miers mots qui sortent de sa bouche, quand on lui de- mande le prix d'un objet quel qu'il soit. Si vous le refusez, sa figure s'attriste; si vous lui donnez quelque espoir, l'inquiétude , le désir et l'avidité se peignent sur ses traits. Je ne sais vraiment pas ce qu'il serait capable de faire pour se procurer ces articles si ar- demment désirés G. Il ne faut pas perdre de vue que ces sentimens tiennent à l'idée de pouvoir, au moyen de ces armes , détruire et dévorer plus facilement son ennemi. Les fusils à deux coups surtout sont devenus pour i Cook, prem. Voy. , III, p. 286. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 287. 3 Crozet, d'Urv. , UI, p. 67. Quoj, d'Urv. , II, p. 285. New-Zealan- rs, d'Urv., UI, p. 773. — 4 Savage, p. 67. — S Cook, prem. Voy. , , p. 127. — 6 D'Urville, II, p. io5. — 3 dei III, p. 127. DE L'ASTROLABE. 4!).» eux les objets les plus désirables du monde ■ ; ear ils peuvent tuer deux hommes à la lois : aussi ces armes ont reçu pour ce motif le nom de pou doua tança ta, fusil à deux hommes. Nous avons déjà dit que les belles nattes se fabri- Nattes, quaient avec le chanvre extrait du phormium. Les na- turels coupent les feuilles de cette plante et les appor- tent chez eux par paquets ; à cet état les feuilles por- tent le nom de koradi. On les racle fortement avec de grandes coquilles de moules, et on achève de séparer le chanvre de la paille avec les ongles des orteils que Ton laisse croître exprès pour cet objet. Les sauvages ont imaginé des peignes qui ressemblent plus ou moins à ceux dont se servent les tisserands pour achever de nettoyer le chanvre. Une fois préparé, il prend le nom de mouka, et c'est en le laissant exposé plusieurs jours à la rosée qu'il acquiert enfin cette blancheur éclatante que les Européens ont souvent admirée 2. Avec le mouka , les Zélandais fabriquent leurs nat- tes. Pour cela ils emploient un métier fort simple qui consiste en un châssis rectangulaire de la dimension de la natte. Les fils de la chaîne sont attachés aux deux extrémités du châssis , à des distances plus ou moins rapprochées les uns des autres; puis la trame est alternativement conduite à la main au travers de ces fils au moyen d'une espèce d'aiguille qui leur sert de navette 3. i D'Uiville, II, p. i7a. — -2 Cook, preni. Voy. , III, p. a58. Cmz'ei, d'Urv., III, p. 67. Blosscrille , p. 9. — i Cook, prem. Voy. , III, p. '■>:>. Crozci, d'Urv., III, p. 67. Savige, p. fig. :?.f >00 VOYAGE Les nattes des Zélandais sont de différentes dimen- sions et de tissus très-variés; dans les unes, les fils ne sont point tordus , tandis qu'ils le sont dans d'autres dont le tissu est alors beaucoup plus compacte l. Elles sont souvent ornées de bordures à dessins, dont les fils sont en grande partie formes de cheveux ou poils de chien peints de diverses couleurs, réunis et tordus plusieurs ensemble. Quelques-unes de ces nattes ont jusqu'à douze et quinze pieds de longueur sur cinq ou six de largeur ; quand elles sont en outre d'un tissu très-fin et enrichies de bordures et de dessins , elles ont dû coûter cinq ou six mois de travail et sou- vent davantage 2; plusieurs femmes travaillent quel- quefois ensemble à la même natte 5. Les étoffes papyriformes des Taïtiens et des autres habitans de l'Océanie m'ont paru totalement incon- nues des Zélandais ; cependant Cook assure quils en fabriquaient quelquefois en très-petite quantité, et comme ornement 4. Ils font souvent des nattes en peaux de chien cousues ensemble, mais il est rare que ces peaux ne soient pas au moins doublées en nattes ordinaires de phormium. Leurs aiguilles sont en os, et leur fil en chanvre qu'ils tordent sur leurs genoux ou avec un métier très-simple. XIV. MUSIQUE ET DANSE. [ostruméns. Les instrumens de musique de ces sauvages se i Savage f p. 53 , 69. — 2 Nicholas , d'Urv. , III , p. 6o5. — 3 Nickolos , I, p. 192. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 257. DE L'ASTROLABE. ,01 bornent à deux ou trois espèces de (lûtes dont ils tirent seulement des sons avec le souffle des narines. Les unes sont des tubes de six ou sept pouces de long ouverts aux deux extrémités , pourvus de trois trous d'un côté, et d'un seul de l'autre \. D'autres sont composées de deux pièces de bois réunies her- métiquement par des liures très-serrées, de manière à former un tube renflé dans le milieu, où se trouve un seul trou assez large. On souffle par un des bouts , tan- dis qu'en fermant plus ou moins l'autre on obtient di- verses modulations. D'autres flûtes ont enfin des trous de chaque côté outre ceux des deux bouts. Le plus sou- vent ces instrumens sont en bois; quelquefois cepen- dant ils sont en os humains, et presque toujours ornés de gravures bizarres artistement exécutées , et d'in- crustations de nacre 2. Les Zélandais tirent de ces flûtes des sons plaintils et assez doux quoique discordans 5, et les compa- gnons de Marion les ont vus danser au son de ces instrumens 4. J'ai aussi observé entre leurs mains des espèces de lyres grossières à trois ou quatre cordes qui ne rendaient qu'un son sourd et peu agréable. Ils se servent de la trompette marine, murex tri- tonis , percée d'un trou, en guise de cornet pour s'appeler à de grandes distances , et pour exciter leur ardeur dans le combat 5. i Cook, prem. Voy., III, p. 9.91. Crozet, d'Urv. , III, p. 68. — * Cook, deux. Voy., I, p. 2-68. Savage, p. 83. — 3 Cruise , p. 212. — 4 Crozet, il'L'rv., m, p. 68. — 5 Cook, deux. Voy., I, p. 264. 502 VOYAGE chants. Leurs chants sont plus varies que leur musique instrumentale, et mieux appropriés aux sentimens qu'ils veulent exprimer; ils sont en outre accompa- gnés de gestes très-expressifs qui ajoutent beaucoup h la signification des paroles. Sous ce rapport, Forster reconnaît chez les Nouveaux-Zélandais une supério- rité très-marquée sur tous les autres peuples de la mer Pacifique. Leurs accens, dit-îl, semblent animés d'une étincelle de génie ; et ces avantages sont à ses yeux de fortes preuves de la bonté de leur cœur l. Ces naturels ont des chants particuliers pour cé- lébrer les plaisirs de l'amour * , les fureurs de la guerre 3, les traditions de leurs aïeux 4, la perte de leurs parens et de leurs amis morts, ainsi que leur absence 5. Ils en ont aussi de satiriques pour exciter le rire aux dépens de certaines personnes qu'ils pren- nent pour objet de leurs plaisanteries 6. Enfin , il est des circonstances où ils improvisent en quelque façon des chansons pour célébrer l'arrivée des étrangers, ou toute espèce d'événement qu'ils ont jugé digne de leur attention. Souvent ils accompagnent ces chants en battant la mesure sur leur poitrine , de manière à s'en faire une espèce de tambour. L'effet n'en serait pas désa- gréable, s'il n'était pas toujours croissant, de manière à produire à la fin un bruit si violent et des effets > Cook, deux. Voy., III, p. 36g. — 2 Savage, p. 81. — 3 Look, preni. Voy., III, p. 93. — 4 Anderson, d'Urv. , III, p. 25. — 5 Savage, p. 83. Mcliolas, d'Urv., III, p. 58o. — ti Savage, p. 84. DE L'ASTHOIAHK. ,n ! si pénibles, que l'on serait tenté de craindre pour le salut de celui qui exécute cette singulière musique '. Quand ils sont réunis plusieurs ensemble, l'an d'eux commence le chant qu'ils veulent exécuter, et vers la fin de chaque couplet tous les autres font chorus en battant leurs poitrines 2. Ces chorus ont souvent lieu pour un refrein commun h tous les cou- plets ; d'autres fois c'est seulement la fin même des couplets qu'on répète en chœur. Savage crut remarquer que les Zélandais avaient deux chants pour saluer le lever et le coucher du soleil. Le premier roule sur un air joyeux, et s'exé- cute , les bras tendus en avant , comme pour saluer l'astre du jour, et tous ces gestes annoncent une joie sans mélange : le chant du soir s'accomplit au con- traire d'un ton dolent, la tète baissée, et toute l'ac- tion qui s'y joint exprime le regret que fait éprouver l'absence du soleil 5. Le chant qu'ils adressent à la lune est plaintif, et les gestes qui l'accompagnent sont un mélange de crainte et de vénération 4. M. Kendall, dans la Grammaire imprimée à Lon- dres en 1 820 , a rapporté plusieurs de leurs chants , ïFaï-Ata, qui ne manquent ni d'harmonie ni d'inven- tion 5. Pour échantillon de cette poésie sauvage, je ne citerai ici que la pièce suivante à laquelle M. Kendall a joint une traduction anglaise 6. A mon tour j'ai fait i Savage, p. 81. — 2 Savage, p. 22, 82. — $ Savage, p. 21 , 22, 82. — 4 Savage, p. 22. — 5 Cook, piem. Voy. , III, p. 290. — 6 Grammem of yew-Zealand, p. 107. 504 VOYAGE en sorte d'en rendre fidèlement le sens en français : (£. taka to r mt ki te tiou tnaraiigaï 2 vo'wua mai ai koina,a onu anga, lai ni ii' a n ci ki te poulie ki rrr otou. <Ê tata te wiounga te tai ki a taiiua, Cti a koe, e taoua , ko unoiia, ki te tmnin. Hun i o moi e kaqou , e touriki, <£ takoii'e e o ino tokou nei rûn gui , fia tai ki reiro, akou ranani aittaki. Le fort et irrésistible vent qui souffle du nord orageux a fait une impression si profonde sur mon esprit, en pensant à toi, à Taoua, que j'ai gravi la montagne jusqu'au sommet le plus élevé pour être témoin de ton départ. Les vagues rou- lantes vont presque aussi loin que Stivcrs '. Tu es entraîné vers l'est , loin au large. Tu m'as donné une natte pour la porter par amour pour toi, et ee souvenir de ta part me ren- dra heureux quand je la nouerai sur mes épaules. Quand tu seras arrivé au port où tu veux aller, mes affections y seront avec toi. Je regrette vivement de n'avoir pu me procurer la traduction du fameux hymne Pihe, qui s'exécute dans toutes les occasions solennelles , surtout au commen- cement du combat , avant le sacrifice et dans toutes les cérémonies funéraires 2. M. Nicholas cite aussi quelques exemples fort cu- rieux de leurs chants, comme ceux où l'on dépeint » C'est un homme qui , dit-on , a visité la baie des Iles avant le capitaine Cook. Tout me porte à croire que par ce nom ils veulent désigner Surville. — -- D'Urville, III, p. 687 et suiv. DE L'ASTROLABE. 505 les ravages dune tempête parmi les plantations de patates , la mort d'un naturel surpris par son en- nemi, ete. ». Ce même voyageur a remarqué aussi que dans les pirogues les naturels règlent le mou- vement de leurs pagaies sur un chant dont les paroles sont: Cruise , d'Urv. , III, p. 63g.' — 3 Cook, deux. Voy., II, p. 88. — 4 Savage, p. 85. D'Undlle, III. p. 690. DE L'ASTROLABE. ,07 de lassitude par les gestes frénétiques et les violens efforts auxquels ils s'abandonnent en ces sortes d'oc- casions ». Les femmes prêtèrent les danses qui retra- cent les plaisirs de l'amour 2, tandis que les guerriers n'estiment que celles qui ont trait aux exploits mili- taires. Cependant les femmes et les jeunes filles se joignent aussi aux danses militaires. Je me suis sou- vent amusé à considérer les efforts qu'elles font pour imiter l énergie des hommes , autant que peut le leur permettre la faiblesse de leur sexe. XV. MESURES. Les Zélandais mesurent le temps par jours, ou plutôt par nuits , pô ; par lunes , marama ; enfin par années,. tau. Suivant Collins , la période tau se com- posait de cent lunes 3. En général ces supputations étaient fort inexactes , et il était difficile d'obtenir l'é- poque précise d'un événement déjà éloigné , quand cette époque dépassait vingt ou trente lunes. Alors ils ont plus souvent recours à quelque circonstance im- portante et à peu près simultanée qu'ils citent pour rappeler la date de l'événement en question. C'est ainsi qu'en 1 824 j'appris que Shongui devait alors avoir environ cinquante-deux ans , en rappro- chant sa naissance de la mort de Marion. Car on me i Savage, p. 85. Sainson , d'Urv. , II, p. 253. Gaimard, d'Urv., II, p. 255. — 2 Gaimard, d'Urv., II, p. 280. — 3 Collins, d'Urv., III, p. 81. 508 VOYAGE répondit positivement qu'à l'époque de cette catas- trophe , Shongui se trouvait encore dans le ventre de sa mère *. D'après le calcul de ce chef en lunes ou marama, je lui aurais donné cinquante-six ans : en- core il faudrait pour cela regarder les lunes comme des mois , en retranchant la différence pour tout cet intervalle , c'est-à-dire deux ans environ ; sa suppu- tation donnerait cinquante-quatre ans, compte très- voisin de la vérité. Quand ces hommes veulent tenir note du temps écoulé , ils le font au moyen de petits morceaux de bois ou de petites pierres qu'ils ajoutent l'une à l'autre, jour par jour, et lune par lune. Les dis- tances itinéraires s'estiment, par terre comme par mer, par journées et demi-journées de marche. Pour les distances plus petites, et surtout pour mesurer les pro- fondeurs de la mer, les naturels emploient le koumou, ou mesure de dix brasses suivant M. Kcndall : cepen- dant j'ai vu désigner aussi de ce nom la simple brasse, qui est pour eux la mesure la plus naturelle. Ils se servent aussi quelquefois de la longueur du corps humain avec le bras droit alongé devant lui ; témoin ce naturel qui mesura un navire européen en s'éten- dant sur le pont, et se relevant successivement pour connaître quelle était sa longueur de l'arrière à l'a- vant. Tel fut aussi le moyen qu'employa Shongui du cap >'ord pour mesurer la longueur du Dromedari; en 1820 2. On ne leur connaît pas d'autres mesures de capa- ' Missionnavy Regùter, d'Liv. , III, p. 45l. — 2 Critise, p. 116. DE L'ASTROLABE. 500 cité que les corbeilles en feuilles de koradi , qui leur servent à transporter et à conserver leurs patates; leurs dimensions varient, mais la moyenne est du poids de dix-sept livres « . XVI. RELIGION. Nous aurions à traiter actuellement de l'article le plus curieux et le plus important chez ces sauvages, c'est-à-dire de leurs opinions religieuses et du culte qu'ils rendent à la divinité. Malheureusement nous sommes loin de posséder des documens suffîsans sur cette matière. Comme il est arrivé pour tous les peu- ples sauvages, les notions des Zélandais sur la divinité et sur ses attributs positifs offrent jusqu'à présent une grande confusion et un dédale presque inextricable. La plupart des voyageurs qui ont visité cette contrée n'avaient qu'une connaissance trop imparfaite de la langue , pour parvenir à des résultats satisfaisans tou- chant un sujet par lui-même aussi abstrait , aussi em- brouillé. Enfin les missionnaires établis depuis douze ou quinze ans parmi ces peuples auraient pu nous procurer des détails assez intéressans ; mais la nature même de leur institution, la tournure de leur esprit, et il faut bien le dire, le peu d'étendue de leurs lumières et leur défaut d'éducation , les ont jusqu'à présent em- pêchés d'aborder franchement cette matière. M. Ken- i Villon , I, p. ig3. 510 VOYAGE dall seul, plus éclaire que la plupart de ses collègues, eût pu se livrer à ce genre de recherches; mais il était circonvenu par l'idée fixe de trouver dans les opinions religieuses des ISouveaux-Zélandais une analogie cons- tante avec les dogmes judaïques; c'était dans l'Ancien Testament qu'il allait chercher l'origine des cou- tumes , des emblèmes et même des expressions mys- tiques des Nouveaux-Zélandais. On sent combien une pareille disposition devait nuire aux recherches de ce missionnaire. Sans doute il parvenait quelquefois à des rapprochemens surprenans , à des allusions sin- gulières : mais on sait à quels écarts peut se porter une imagination préoccupée sans cesse d'une idée sys- tématique. D'ailleurs M. Kendall a quitté depuis long- temps ces contrées , il lui a donc fallu renoncer à ces observations. Aujourd'hui MM. H. et W. Williams seraient seuls capables de les poursuivre avec quel- que succès; mais cette étude entrera-t-elle dans leurs vues et dans leurs idées ? C'est ce dont je doute très- fort. En attendant qu'un observateur aussi judicieux qu'assidu veuille se donner la peine d'étudier sur les lieux même cette matière à fond , nous allons offrir au lecteur tout ce que nous avons pu recueillir de plus complet et de plus positif sur ce sujet dans les divers voyageurs , dans nos entretiens avec les mission- naires , enfin dans nos propres communications avec les Zélandais. Le tableau que nous allons présenter aura du moins le mérite de mettre sur la voie et de fixer sur ce chapitre intéressant l'attention de ceux DE L'ASTROLABE. 511 qui nous suivront dans ces parages, avec plus de moyens pour atteindre le but de leurs recherches. Les ÎNouveaux-Zélandais donnent à leurs dieux le Aiouas. nom générique ^ A loua 1 , et quelques savans ont cru trouver l'origine de ce mot dans celui de Dewa *^, qui exprime aussi le nom de dieu dans le sanscrit, d'où il a passé dans le malais. Il m'est impossible de donner une idée précise de ce qu'ils entendent par atoua, ni de leur théogonie. Suivant MM. Marsden et Kendall, leur religion serait purement métaphysique , et ils ne reconnaîtraient qu'un seul dieu tout-puissant 3, éternel , immatériel et présidant à la conservation du monde en général 4, à peu près tel que le Jupiter des Grecs. Mais comme cette divinité suprême resterait en quelque sorte étrangère aux destinées particulières des diverses par- ties de l'univers et à celles des hommes , ils reconnaî- traient en outre une foule d'autres divinités subal- ternes chargées de présider aux élémens , aux diverses localités et à toutes sortes de fonctions spéciales 5. A travers toutes ces ténèbres , j'ai cru démêler en eux l'idée d'un dieu supérieur à tous les autres , unique et essentiellement spirituel 6. Ensuite les autres divi- nités seraient h peu près, à leurs yeux, ce que sont les bons et les mauvais anges pour les chrétiens , ce i Crozetj d'Urv., III, p. 68. — a Sicholas, II, p. 288. — 3 \icholas, d'Urv., III, p. 5 80. Cotise , d'Urv., III, p. 660. — 4 Turnbull, d'Urv., III, p. 93. rAosseville, d'Urv , III, p. 698. — 5 Cook , deux. Voy., V; p. 283. l'ursler, d'Urv., III, p. 21. Nicholas , d'Urv., III, p. 58 1. — 6 Cook, prcni. Voy., III, p. 296. 512 VOYAGE qu'étaient pour les anciens les bons et les mauvais gé- nies. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces insulaires ont la plus profonde vénération pour les esprits de leurs parens et de leurs chefs trépassés, auxquels ils accordent communément les honneurs et le titre d'«- toua ' . En certaines occasions , ils accordent aussi ces honneurs à leurs premiers chefs, même de leur vi- vant. Shongui était souvent traité ôHatoua par ses compatriotes 2. 11 est également certain que ces peuples n'adorent jamais de dieux en bois ou en pierre. Ces effigies hi- deuses que l'on observe entre leurs mains , et aux portes de leurs cabanes et de leurs tombeaux 3, ne sont que des emblèmes , des signes mystiques qui ne peuvent pas être considérés comme de vraies idoles 2, pas plus du moins que les effigies de saints vénérées par les rites de la religion catholique 4. Il en est de même de ces pounamous qu'ils portent au cou et dont ils font un grand cas. Sans doute ils y attachent quelques idées superstitieuses, mais ils ne leur accordent aucun culte positif 5. Forster avait con- sidéré ces pierres comme des amulettes , et il raconta qu'elles étaient connues sous le nom de tiki chez les Zélandais : aussi les comparait-il aux tii des Taïliens 6. Il est possible qu'à Totara-Nouï ces emblèmes por- i Mavsden , d'Urv. , III, p. 329. — a Rendait , d'Urv., III, p. 246. Marsden, d'Urv., III, p. 329. — î B. IVoodd , d'Urv., UI, p. 226. Ken- dall, d'Urv., III, p. 246. Marsden, d'Urv., III, p. 442. Quoy , d'Urv., II, p. 285. — 4 Crozet, d'Urv., III, p. 69. — 5 Missionnary Register, d'Urv., III, p. 220. — 6 Forster, d'Urv., III, p. 21, DE L'ASTROLABE. :>i* tassent le nom de tihi, mais je ne crois pas que cette désignation soit en usage chez les peuplades du INord. Il faut observer en outre que tihi signifie aussi voir, et qu'il peut y avoir eu confusion. J'ai déjà dit que, suivant les uns, Mawi-Moua et Mawi-Potiki , leurs deux principales divinités, étaient deux frères dont le premier tua et mangea le cadet ; d'où dériverait leur habitude de manger le corps de leurs ennemis tués dans le combat. Suivant M. IXicholas, le premier des dieux, le vé- ritable Jupiter des Zélandais, serait Mawi-Banga- Bangui, dont le nom signifie littéralement Mawi, habitant du ciel. Tipoko , dieu de la colère et de la mort, marche immédiatement après lui; comme le plus redoutable, c'est celui qui aurait le plus de part aux hommages des hommes. Towaki, suivant d'au- tres Taaraki < (peut-être plus exactement Tau-ïVati), comme maître direct des élémens , jouerait aussi un rôle important. C'est au courroux de ce dieu que sont dus les orages et les tempêtes : dans un coup de vent violent quessuya M. INicholas dans la baie Shouraki , les naturels décidèrent que le dieu de Houpa était nouï nonï kadidif très-courroucé contre ce chef2. Après ces trois divinités seulement, marcheraient Mawi-Moua et Mawi-Potiki, dont le premier n'a guère eu d'autre emploi que de former la terre , tant, qu'elle est restée au-dessous des eaux, et de la tenir i Marsden, d'Urv., III, p. 353. Nwholas, d'Uvv., III, p. 58i. — Mcholas , I, p. 3go. TOME II. Vj 514 VOYAGE toute prête à être attirée à la surface au moyen d'un hameçon qui la tenait attachée à un immense rocher. Mawi-Potiki la reçut ainsi préparée des mains de son frère, l'entraîna à la surface de l'eau et lui donna la forme qu'elle a aujourd'hui : il préside en outre aux maladies humaines, et le plus important de ses privi- lèges est de pouvoir donner la vie que Tipoko seul peut retirer ». Connu sous le nom seulement de Mawi, ce dieu joue un très-grand rôle dans les opi- nions superstitieuses de ces peuples ; car on conçoit facilement que les fonctions des trois Mawi peuvent se confondre et se réunir sur un seul et même être dans leurs idées. Suivant Forster 2, Mawi était aussi adoré aux îles de la Société; suivant M. Ellis , Mawi n'aurait été qu'un prophète très-célèbre dans ces mêmes îles 3. Enfin, selon Mariner, Mawi, nouvel Atlas, supportait la terre, et ses mouvemens occa- sionaient les tremblemens de terre 4. Heko-Toro , dieu des charmes et des enchante- mens , perdit jadis sa femme; il alla la chercher en plusieurs endroits inutilement , et ne la trouva enfin qu'à la Nouvelle-Zélande. Au moyen d'une pirogue suspendue au ciel par les deux bouts, ces deux époux rejoignirent leur demeure céleste , où ils brillent en- core sous la forme d'une constellation 5. Serait-il vrai que les Zélandais croient que le pre- i Nicholas , d'Urv., III, p. 58 1. — a Cook, deux. Voy. , V, p. i43. — 3 IV. Ellis, Polynes. Research., II, p. 53 et suiv. — 4 Mariner, Account of Tonga, II, p. no. — 5 Nicholas, d'Urv., III, p. 582. DE L'ASTROLABE. 61 S miier homme fut créé par le concours des trois Mawi , que le premier eut la plus grande part à cette œuvre, et qu'enfin la première femme fut formée d'une des côtes de l'homme?... Ce serait un rapprochement hien singulier avec les traditions de la Genèse. Ce qui rendrait cette analogie plus remarquable encore , se- rait le nom à' lui, que ces insulaires donnent aux os en général , et qui pourrait bien n'être qu'une corrup- tion du nom de la mère du genre humain, suivant les écrits de Moïse 1. L'histoire de Rona qui tomba dans un puits , s'ac- crocha à un arbre et fut ensuite transporté dans la lune , où on le voit encore aujourd'hui , est moins re- marquable. Elle rappelle cependant les contes de bonne femme accrédités en certains pays, touchant l'homme dans la lune 2, man in the moon 3, et dé- montre qu'aux deux bouts du diamètre de la terre , l'esprit humain a le même penchant aux fables les plus ridicules , aux croyances les plus absurdes. Ce serait peut-être le meilleur argument à opposer au sys- tème de ceux qui veulent que la race humaine ait eu autant de berceaux distincts que de nuances marquées dans sa constitution et dans son organisation phy- sique. Les naturels ont des dieux qui président à cer- taines localités , comme celui qui habite la caverne des iles Manawa-Tawi 4 , celui qui préside aux deux i Xicholas, d'Urv., III, p. 582. — 2 Savage , p. 21. BlosseviUe, d'Urv., III, p. 699. — 3 Nicholas, d'Urv., III, p. 583. — 4 Rendait l, d'Urv., III, p. 2 36. ôlf» VOYAGE rochers de l'embouchure du Shouki-Anga, etc., '. M. Marsden nous apprend de quelle manière ce der- nier Atoua, offensé par les marins du Cossack, se vengea de l'outrage commis envers les rochers sacrés, en causant la perte de ce navire 2. La première fois que les Zélandais virent les Euro- péens , ils les prirent aussi pour des divinités ou des esprits armés du tonnerre et des éclairs 5. Ces insu- laires désignent tous les Européens , ou plutôt tous les bjancs, par le nom générique de pakeha. Je n'ai jamais pu savoir d'où cette désignation tirait son ori- gine; ce qui m'a surpris, c'est qu'elle m'a semblé adoptée sur les divers points delà Nouvelle-Zélande, et cela donne lieu de croire que cette dénomination existait, même avant les voyages de Cook. Les INou- veaux-Zélandais avaient donc depuis long-temps con- naissance d'une race d'hommes distincte de celle à la- quelle ils appartenaient. Tout récemment, ces sauvages ont souvent accordé les honneurs divins à nos montres , dont le mouve- ment et le mécanisme surpassent la portée de leur in- telligence, et qu'ils ne peuvent considérer que comme des êtres surnaturels 4. M. Marsden demandait un jour à un insulaire com- ment il se figurait l' Atoua; celui-ci répondit : a Comme une ombre immortelle 5. » Quand j'adressais la même i Marsden, d'Urv. , III, p. 342. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. 475. — i Blosseville , d'Urv., III, p. 699. Dillon, d'Urv., III, p. 706, 709. — 4 Nicholas, d'Urv., III, p. 5g6. D'Urville, II, p. 178. — 5 Marsden, d'Urv., III, p. igfi. DE L'ASTROLABE. 517 question à Touai; ce chef disait que l'Atoua élail un esprit , un souille tout-puissant , en laissant échapper tout doucement son haleine pour mieux exprimer sa pensée. Cependant les Zélandais croient que l'Atoua revêt quelquefois une forme matérielle. Par exemple, ils sont convaincus qu'une personne , attaquée d'une maladie mortelle, est tombée au pouvoir de l'Atoua, qui s'est introduit dans son corps sous la forme d'un lézard , et qui lui ronge les entrailles *, sans qu'il soit possible à aucun pouvoir humain de lui résister 2. En général l'aspect du lézard impose à ces hommes une frayeur superstitieuse très -remarquable , et pour rien au monde ils ne voudraient toucher à ce reptile 3. La présence de l'Atoua s'annonce le plus souvent, dit-on, par un sifflement bas et sourd. Du moins c'est ainsi que celui de Kaï-Para révélait son approche, au dire du prêtre Moudi-Akou 4. On sait que la même opinion régnait à Taïti. Les roulemens du tonnerre leur inspirent une ter- reur religieuse , ce bruit présage les batailles 5. Les naturels s'imaginent que l'Atoua , sous la forme d'un immense poisson, produit ce bruit, et ils lui adressent des prières pour le supplier de ne point leur faire de mal non plus qu'à leurs amis. Cette opinion n'aurait- elle pas son origine dans les explosions volcaniques , i Mcholas, d'TJrv., III, p. 623. Ciiiise , d'Urv. , III, p. 660. Rendait, d'Urv., III, p. 234. — 2 Nicholas, II, p. 3o3. Leigh , d'Urv., III, p. 471- — i yicholas , II, p. i25. (mise, p. 320. — 4 Marsden , d'Urv., III, p. 442. — 5 H. Williams, d'Urv., III, p. 525. 518 VOYAGE 0 fréquentes sur leur île, surtout sur Pouhia-i-wak&di, située au milieu des eaux , et dans cette fable on re- trouverait encore le germe de celles qui furent jadis accréditées chez les Grecs, sur Encelade, Typhon, Brimée, etc. Le nom à'Ika-Na-Mawi \>our l'île sep- tentrionale semble avoir trait à l'existence du poisson monstrueux. A cette fable se rattache sans doute l'opinion bizarre qu'ils se sont formée relativement à l'origine du poa- namou, le jade vert qu'ils emploient à la fabrication de leurs outils et de leurs ornemens les plus précieux. Déjà Cook avait appris qu'on le ramassait dans un grand lac situé à une ou deux journées des bords du canal de la Reine-Charlotte. Il provient, disaient-ils, d'un poisson qu'on harponne et qu'on traîne au ri- vage, où il se change par la suite en pierre. Ce lac se nomme Tavaï-P ounamoii , et ce serait ce lieu qui au- rait donné son nom à file méridionale *. 31. fSicho- las , trente années plus tard , trouva la même opinion accréditée parmi les habitons de Moudi-Wenoua 2. Les IXouveaux-Zélandais sont parfaitement disposés à reconnaître et à adorer le Dieu des chrétiens , mais pour cela ils ne veulent point renoncer à leurs propres Atouas. Ils conviennent même que le Dieu des blancs peut être tout-puissant hors de la Nouvelle-Zélande ; mais ils se refusent à croire que leurs dieux soient impuissans dans leur propre pays 3. En outre ils ne i Cook, trois. Voy. , I, p. 177. — 2 Niclwlas, d'Urv. , III, p. 627. — 3 Marsden , d'Urv., III , p. 421. Missionnary Register, d'Urv., III, p. 489. DE L'ASTROLABE. 519 sauraient concevoir que ce soit le même Dieu qui ait formé les blancs et eux-mêmes '. Quelques-uns s'ima- ginent que rintroduelioii du Dieu des blancs a excité la jalousie et le courroux des Alouas du pays qui ont fait périr quantité de naturels a. Enfin , la coqueluche ayant l'ait des ravages terribles à la baie des Iles en 1828, les naturels ont attribué ce fléau à la colère du Dieu des chrétiens, et lui ont reproché d'être un Dieu cruel , ajoutant qu'avant son arrivée tous les habitans parvenaient à un grand âge, mais que depuis qu'il avait paru chez eux , tous , jeunes comme vieux , suc- combaient sous ses coups 5. En certaines occasions, surtout quand ils redoutent la colère de leurs dieux , les Zélandais leur adressent des prières 4. Crozet avait cru remarquer qu'ils se ré- veillaient vers le milieu de la nuit pour se mettre sur leur séant et marmotter quelques mots qui ressem- blaient à des prières 5. Us ont une prière pour invo- quer le vent quand ils sont en calme 6. Dans une vio- lente tempête , Toupe adressait de ferventes prières à l'Aloua pour calmer les élémens , et paraissait placer une grande confiance en son existence, tandis que son compagnon, Temarangai, doué d'une dose de foi moins grande, s'abandonnait au désespoir 7. D'autres fois , au lieu de prier l'Atoua, ils le chargent d'injures et i Marsdcn , d'Urv., III, p. 248, 443. — » Leigh, d'Un., III, p. 471- D'L'iiiltc, II, p. i63. — 3 Kemp, d'Urv., III, p. 54:- — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 414. Cruise, d'Urv., III, p. 660. New-Zealanders , d'Urv.» III, p. 775.— S Crozet, d'Urv., III, p. 69. — 6 Cruise, d'Urv., III, p. 6(>o. — 7 Marsden, d'Urv., III, p, 212. 520 VOYÀGK d'imprécations , comme s'ils comptaient par là l'el- Irayer et le chasser; en un mot ils semblent employer contre lui une sorte de conjuration ». La prêtresse Wanga-Taï, à ce que rapporte M. Dillon , pria les dieux de la Nouvelle-Zélande de protéger la navigation de son bâtiment, quand il quitta la baie des Iles 2. Prêtres. Pour correspondre avec la Divinité , pour l'apaiser par des prières, pour expliquer ses volontés, ces peu- ples ont des prêtres qu'ils nomment arikis aux en- virons de la baie des Iles , mais dont le véritable nom parait être tohounga , d'un mot qui signifie concevoir , comprendre. Ces tohoungas sont toujours consultés dans les occasions importantes ; leurs décisions sont d'un grand poids dans toutes les entreprises , et pour rien au monde les naturels n'oseraient s'opposer aux volontés (jue l'Atoua leur intime par la bouche des tohoungas 5. Ces hommes ont aussi le pouvoir de prédire l'avenir, et leur influence devient d'autant plus positive sur leurs concitoyens que leurs prédictions se trouvent plus souvent vérifiées par l'événement. Ils jouissent du privilège de pouvoir calmer les orages , apaiser les vents 4, arrêter les maladies 5, chasser cer- tains maux, etc. , etc. Les prêtres ayant le don de prophétie , sans doute c'est par quelque prédiction de ce genre que l'on peut expliquer le trait singulier qu'a raconté M. Cruise, i Kendall, d'Urv. , III, p. 245.— 2 Dillon , I , p. 24a. — 3 Furster, d'Urv. , III, p. 21. Dillon , d'Urv. , III, p. 706. Revue Britannique, d'Urv., III, p. 720. — 4 Nicholas, II, p. 718. — 5 //. Williams, d'Urv., III, p. 535. DE L' ASTROLABE. 521 au sujet de Tepere, l'un des chefs de Wangaroa. Ce chef demandait à l'un des officiers du Dromedary quand ce navire reviendrait à la Nouvelle-Zélande , et l'Anglais lui répondit : « Dans douze lunes. — Alors » je ne vous reverrai jamais, car je mourrai avant cette » époque. » Toutes les personnes de sa famille , sur- tout les femmes, s'écrièrent : « Oui, oui, avant douze » lunes Tepere sera mort. » Ce chef entendait de sang-froid cet étrange arrêt et semblait y être préparé, bien qu'aucun motif ne parût devoir justifier son ac- complissement aux yeux de l'Anglais ". Le prêtre le plus célèbre de la baie des Iles dans ces derniers temps était Toï-Tapou , chef de Shiomi , qui était consulté dans toutes les circonstances les plus importantes ou les plus délicates 2, A Shouki- Anga, Te Manguina jouissait d'une réputation plus grande encore comme grand -prêtre des pointes de l'embouchure de ce fleuve. Il avait un pouvoir ab- solu sur les vents et sur les flots , et ces attributions lui valaient une haute influence parmi ses compatrio- tes. Ce qu'il y a de singulier, c'est que Te Manguina semblait lui-même convaincu de son propre pouvoir sur les élémens , et de sa communication immédiate avec la Divinité 5. Souvent les chefs unissent à leur autorité civile et militaire les fonctions du sacerdoce. Pour ajouter à la considération dont sa personne était déjà entourée , i Cruisc, p. 261. — 2 D'i'rville, II, p. 2i5. — 3 Marsdcn , d'Urv., III, p. 3',o, 342. 522 VOYAGE Shongui fit un voyage à Moudi-Wenoua , et s'avança jusqu'à la caverne des Esprits, près du rocher Reinga. Après cette espèce de pèlerinage, sa réputation comme prêtre et prophète acquit un nouveau lustre, et Touai m'assura qu'il avait institué de nouvelles cérémonies jusqu'alors inconnues à ces peuples. Le fait est très- croyahle, et peut expliquer jusqu'à quel point les rites et les opinions religieuses peuvent varier dans ces îles, même chez des tribus voisines. Les fonctions des prêtres sont héréditaires » ; les pères sont chargés d'enseigner à leurs en fans les céré- monies et les fonctions de leur ministère. Touai me disait un jour que Touao, son cousin, avait hérité de son père le titre d'Ariki , mais qu'il était loin d'avoir ses connaissances et son influence. Par suite de la vénération qu'ils ont pour les divini- tés de toutes les nations, aux yeux des Zélandais tout homme qui a des rapports avec Dieu devient pour eux un être inviolable , quelle que soit d'ailleurs sa religion. C'est à ce titre qu'ils ont toujours respecté la personne des missionnaires , même dans les momens où leur colère et leur fureur, parvenues au plus haut degré d'exaspération , semblaient disposer ces sauva- ges aux derniers excès. Médecins. Comme dans presque toutes les peuplades encore dans l'enfance de la civilisation , là les prêtres unis- sent à leurs fonctions particulières celles de médecin. Dès qu'une personne tombe dangereusement malade, i Marsden , d'Urv. , III, p. 3; 8. DE L'ASTROLABE. 523 le prêtre médecin est appelé et ne quitte plus son ma- lade qu'il ne soit guéri ou enterré. Ses moyens cura- tifs se bornent le plus souvent à des prières à l'Atoua, à des jongleries de diverses natures , surtout à faire observer rigoureusement les préceptes du tapou 1. Cependant ils prescrivent souvent une diète abso- lue qui peut être quelquefois salutaire au patient, mais qui en d'autres occasions suffit pour le tuer. Les fièvres chroniques sont fréquentes dans ces pays ; les naturels n'ont aucune idée ni de leurs causes ni de leurs effets 2, et ils les attribuent simplement aux ra- vages d'un feu intérieur. Pour l'éteindre , ils laissent le patient exposé à toute la rigueur de la saison et lui l'ont prendre de l'eau froide 5, ce qui ne tarde pas à aggraver son mal. Les médecins sont responsables de ce qui peut ar- river au malade. Quand celui-ci appartient au premier rang de la tribu , celle responsabilité devient très-sé- rieuse, s'il vient à mourir. Alors un conseil est chargé d'examiner la conduite du médecin; on passe en revue les moindres circonstances de la maladie , et , si l'on venait à découvrir que le médecin , par ignorance ou par malveillance , eût manqué à quelques-unes des lois du tapou, il serait exposé à un châtiment sévère. Dans ce dernier cas, il courrait fort le risque de payer sa faute de sa tête, et pourrait bien être sacrifié à l'es- prit du défunt, pour apaiser son ressentiment 4. i Marsden, d'Urv. , III, p. 377. Kemp , d'Urv , III, p. 5i3. — = Ren- dait, d'Un-., III, p. 234. — 3 Kendall, d'Urv., III, p. 2 36. Marsden, d'Urv., III, p. 378. — 4 Rutherford, d'Urv., III, p. 745. 524 VOYAGE Un jour, dans le canal de la Reine-Charlotte, Cook observa une fille occupée à faire chauffer des pierres. Curieux de savoir l'usage auquel elle les destinait, il resta près d'elle. Dès que les pierres furent suffisam- ment chaudes , elle les retira du feu et les donna à une vieille femme assise dans la cabane. Celle-ci en fit un monceau qu'elle recouvrit d'une poignée de cé- leri , puis d'une natte grossière ; ensuite elle se tint ac- croupie sur ce tas de pierres comme sur une chauffe- rette , et ramassée comme un lièvre dans son gîte. Cook pensa que c'était un remède pour guérir quel- que maladie , contre laquelle la vapeur du céleri pou- vait être un spécifique , d'autant plus que la vieille femme lui parut indisposée '; Tout ce qui a trait à l'art de guérir se nomme ran- gea , et les médecins sont en conséquence nommés ta?igata-rongoa. Ils ont quelque idée des opérations chirurgicales, et savent extraire adroitement les poin- tes des lances qui ont pénétré dans les chairs , en fai- sant de profondes incisions avec des coquilles tran- chantes. Waidouas. Les Zélandais ont des idées bien plus positives touchant l'immortalité de l'ame et son existence future qu'on ne l'attendrait de leur état de civilisation. L'ame ou esprit qu'ils nomment waidona est un souffle inté- rieur, parfaitement distinct de la substance ou enve- loppe matérielle qui forme le corps. Au moment de la mort , ces deux substances , jusqu'alors étroitement > Cook, deux. Voy. , III , p. 37 1. DE L'ASTROLABE. 525 unies , se séparent par un déchirement violent. Le waidoua reste encore trois jours après la mort à pla- ner autour du corps », puis il se rend directement vers une route fictive qui s'étend d'un bout à l'autre de l'île Ika-iSa-Mawi , et qui aboutit au rocher Reinga (Dé- part), vraiTénare de ces peuples 2. Là, un Àtoua emporte dans les régions supérieures du ciel ou le séjour de la gloire , rangui, la partie la plus pure du waidoua, tandis que la partie impure est précipitée dans les ténèbres, Po-nauï ou Po-kino. Du reste , il ne faut pas croire qu'aux mots de pur et im- pur , ces hommes attachent aucune idée positive de crime et de vertu , ou de bien et de mal. Pour eux , ces distinctions morales sont vides de sens, ils ne con- naissent que l'honneur et le déshonneur, la gloire ou la honte. L'un est pour le vainqueur, l'autre pour le vaincu 3; superstition terrible, et dont il est facile de saisir tout de suite toutes les conséquences. C'est bien là le cas de s'écrier : Vœ vie fis/.. En effet, ils sont intimement convaincus qu'en dé- vorant le corps de leur ennemi, non-seulement ils détruisent sa substance matérielle, mais qu'en outre ils absorbent, ils assimilent à leur ame, à leur esprit, la partie immatérielle , le waidoua de ce même en- nemi. Leur propre waidoua reçoit un nouveau degré de gloire et d'honneur par cette aggrégation , et plus un chef aura dévoré d'ennemis d'un rang distingué i //. Williams, d'Urv., III, p. Six. D'Unnlle, II, p. 229. — 2 Collins, d'Urv., III, p. 81. — 3 Cook, trois. Voy., I, p. 175. Ô2G VOYAGE dans ce monde , plus dans l'autre son waidoua triom- phant sera heureux et digne d'envie. Du reste , ils n'ont qu'une idée très-vague du genre de bonheur dont ils jouiront dans cette existence fu- ture *. Il parait cependant qu'ils le font principale- ment consister dans de grands festins en poissons et en patates , et dans des combats où les waidouas élus seront toujours vainqueurs 2. Les waidouas des morts peuvent communiquer accidentellement avec les vivans ; le plus souvent ils le font sous la forme d'ombres légères, de rayons du soleil 3, de souffles violens 4, etc. Ces apparitions sont très-fréquentes , et rien ne pourrait persuader à ces naturels que ce ne sont que des illusions de leur ima- gination. Il en résulte que ces hommes éprouvent , à l'approche des tombeaux , la même terreur religieuse que nombre d'Européens dans les classes du peuple. Okouna n'osa jamais approcher de la tombe d'un mort, dans la crainte de voir apparaître son waidoua 5. Ces naturels s'imaginent que le siège de l'ame est. dans l'œil gauche, et les chefs pensent que cet œil , à son tour, est représenté par une étoile particulière du lirmament. Ainsi leur esprit ou waidoua a pour repré- sentant un astre du ciel ; de là une foule d'allusions entre l'état de cette étoile et celui du waidoua dont elle est l'image 6. L'astre acquiert ou perd de son éclat, ' Savage, p. 24. — 2 Rendait } d'Urv. , III, p. 236. — 3 Marsden, d'Urv., UI, p. 329. — 4 Cruise, d'Urv., III, p. 647. — 5 Cruise, p. 186. — 6 Kendall , d'Urv. , III, p. 235. DE L'ASTROLABE. 527 suivant ([lie le chef est plus ou inoins favorisé par la fortune, el son waidoua est soumis aux mêmes modi- lications. D'autres imaginent que cet astre ne paraît, qu'à la mort du chef qu'il représente. Nos aïeux ne erovaient-ils pas aussi naguère qu'une constellation ou une étoile du ciel présidait à la destinée de chaque homme sur la terre? Et les anciens Grecs, les anciens Romains ne voyaient-ils pas dans certaines constella- tions l'emblème de leurs souverains ou de leurs héros décèdes? C'est pour mieux anéantir le waidoua de son en- nemi que souvent un chef , au moment où il vient de terrasser un rival redouté, lui arrache l'œil gauche et l'avale. D'autres se contentent de boire le sang fu- mant de leur ennemi, pour éviter la fureur du wai- doua vaincu , persuadés que par cette action ce wai- doua s'identifie avec celui du vainqueur, et dès-lors ne peut plus lui être nuisible l. XVII. CÉRÉMONIES ET COUTUMES DIVERSES. Le tabou ou plus correctement tapou , à la Nou- Tapou. yelle-Zélande, est une superstition bizarre et vraiment caractéristique pour tous les peuples de la race poly- nésienne , depuis les grandes îles qui nous occupent jusqu'aux îles Hawaii , en suivant une zone inclinée à la méridienne, et dont les habitans parlent tous une langue commune dans son origine. i Marsden, dl'rv. , III, p. 3o5. S28 VOYAGE Sans nul cloute , le but primitif du tapou fut tou- jours l'intention d'apaiser la colère de la Divinité et de se la rendre favorable, en s'imposant une privation volontaire , proportionnée à la grandeur de l'offense ou à la colère présumée du Dieu en question *. Proba- blement il n'est guère de système de religion où cette croyance n'ait pénétré , où elle n'ait été caractérisée pardesactesplusou moins extravagans. En tous temps, en tous lieux , l'homme a presque toujours fait son Dieu à son image, et lui a prêté naturellement ses pas- sions et ses caprices. Il a jugé d'ailleurs plus facile et plus prompt d'expier ses crimes et ses offenses envers la Divinité par des privations temporaires qui dégé- nèrent souvent en une vaine forme, que de chercher à lui plaire en devenant meilleur et en faisant du bien à ses semblables. Il est inutile de citer des exemples de cette déplorable erreur, l'histoire religieuse de tous les peuples n'est guère qu'un long et triste recueil de toutes les folies de l'homme. Plus que tout autre habitant de la Polynésie, le Zé- landais est aveuglément soumis aux superstitions du tapou , et cela sans avoir conservé en aucune façon l'idée du principe de morale sur lequel cette pratique était fondée. Il croit seulement que le tapou est agréa- ble àl'Atoua, et ce motif lui suffit. En outre il est con- vaincu que tout objet , soit être vivant, soit matière inanimée, frappé d'un tapou, se trouve dès-lors au pouvoir immédiat de la Divinité, et par là même inter- ? Marsden, d'Urv., III., p. 440, 4',rt. DE L'ASTROLABE. 528 dit à tout contact profane. Quiconque porterait une main sacrilège sur un objet soumis à un pareil interdit provoquerait le courroux de l'Atoua, qui ne manque- rait pas de l'en punir en le faisant périr, non-seule- ment lui-même, mais encore celui ou ceux qui au- raient établi le tapou ou en faveur desquels il a été institué. Cest ainsi que l'Atoua se vengea, dit-on, sur M . Nicholas du sacrilège que cet Anglais avait com- mis en maniant un pistolet taboue pour avoir servi au cbcf Doua-Tara, à l'époque de sa mort. Mais le plus souvent les naturels s'empressent de prévenir les effets du courroux céleste en punissant, sévèrement le coupable. S'il appartient à une classe élevée , il est exposé à être dépouillé de toutes ses pro- priétés , et même de son rang, pour être relégué dans les dernières classes de la société. Si c'est un homme du peuple ou un esclave , il peut arriver que la mort seule puisse expier son offense. Pour concilier certaines idées de justice avec le respect du aux réglemens du tapou, Touai me disait que ses compatriotes avaient arrêté que les étrangers seraient excusables d'y manquer, quand ils se trou- veraient pour la première fois chez eux, mais que leurs fautes ne seraient pas tolérées dans un second voyage. Un mot du prêtre , un songe ou quelque pressen- timent involontaire donne-t-il à penser à un naturel que son dieu est irrité ; soudain il impose le tapou sur sa maison , sur ses champs , sur sa pirogue , etc. , c'est-à-dire qu'il se prive de l'usage de tous ces ob- lOME II. 36 530 VOYAGE jets, malgré la gène et la détresse auxquelles cette privation le réduit. Tantôt le tapou est absolu et s'applique à tout le monde , alors personne ne peut approcher de l'objet taboue sans encourir les peines les plus sévères. Tan- tôt le tapou n'est que relatif et n'affecte qu'une ou plusieurs personnes désignées r. L'individu soumis personnellement à l'action du tapou est exclu de toute communication avec ses compatriotes, il ne peut se servir de ses mains pour porter ses alimens à sa bouche. Appartient-il à la classe noble, un ou plu- sieurs serviteurs sont assignés à son service , et parti- cipent à son état d'interdiction ; n'est-il qu'un homme du peuple, il est obligé de ramasser ses alimens avec sa bouche , à la manière des animaux 2. On sent bien que le tapou sera d'autant plus so- lennel et plus respectable qu'il émanera d'un person- nage plus important. L'homme du peuple, sujet à tous les tapons des divers chefs de la tribu , n'a guère d'autre pouvoir que de se l'imposer à lui-même. Le rangatira , selon son rang , peut assujettir à son tapou ceux qui dépendent de son autorité directe. Enfin la tribu tout entière respecte aveuglément les tapous imposés par le chef principal. D'après cela, il est facile de prévoir quelle res- source les chefs peuvent tirer de cette institution pour assurer leurs droits et faire respecter leurs volontés. C'est une sorte de veto d'une extension indéfinie, dont ' Marsdéii\ d'I'rv. , III. p. i68. — ■> Nicholas, dVrv. , III, p. 624. DK L'ASTROLABE. 531 le pouvoir est consacré par un préjugé religieux de la nature la plus intime. Aux siècles d'ignorance , les foudres spirituelles du Vatican n'eurent pas des effets plus rapides , plus absolus sur les consciences timo- rées des chrétiens, et leurs décrets n'obtenaient pas une obéissance plus complète que ceux du tapou à la Nouvelle-Zélande. A défaut de lois positives pour sceller leur puissance , et de moyens directs pour appuyer leurs ordres , les chefs n'ont d'autre garantie que le tapou. Ainsi qu'un chef craigne de voir les co- chons , le poisson , les coquillages , etc. , manquer un jour à sa tribu, par une consommation impré- voyante et prématurée de la part de ses sujets , il im- posera le tapou sur ces divers objets , et cela pour tel espace de temps qu'il jugera convenable. Veut-il écarter de sa maison , de ses champs , des voisins im- portuns , il taboue sa maison, ses champs '. Désire- l-il s'assurer le monopole d'un navire européen mouillé sur son territoire, un tapou ? partiel en écartera tous ceux avec qui il ne veut point partager un commerce aussi lucratif. Est-il mécontent du capitaine, et a-t-il résolu de le priver de toute espèce de rafraîchisse- mens , un tapou absolu interdira l'accès du navire à tous les hommes de sa tribu. Au moyen de cette arme mvstique et redoutable , et en ménageant adroi- tement son emploi , un chef peut amener ses sujets à une obéissance passive. Il est bien entendu que les chefs et les arikis ou i Omise, d Y\\., III, p. G3S. — ■> Cruise, p. 88. 36* 532 VOYAGE prêtres savent toujours se concerter ensemble pour assurer aux tapous toute leur inviolabilité. D'ailleurs les chefs sont le plus souvent arikis eux-mêmes , ou du moins les arikis tiennent de très-près aux chefs par les liens du sang ou des alliances. Ils ont donc un intérêt tout naturel à se soutenir réciproque- ment. Le plus souvent , le tapou n'est qu'accidentel et temporaire. Alors certaines paroles prononcées , cer- taines formalités en déterminent l'action, comme elles en suspendent le pouvoir et en terminent la durée. Nous n'avons que très-peu de données à l'égard de ces cérémonies, il est sans doute réservé aux mission- naires de lever un jour les ténèbres dont cette ma- tière est encore enveloppée. Seulement il m'a semblé que pour détruire l'effet restrictif du tapou , le principe de la cérémonie con- sistait dans l'action d'attirer et de concentrer sur un objet déterminé, comme une pierre , une palate , un morceau de bois , toute la vertu mystique , étendue d'abord sur les êtres taboues , puis à cacher cet objet dans un lieu à l'abri de tout contact de la part des hommes ». Jusqu'aujourd'hui M. Nicholas seul nousacilé un exemple de ces rites mystiques , ceux dont il fut té- moin quand Wiwia, après beaucoup d'instances, con- sentit à se dessaisir en sa faveur du peigne taboue qui avait servi à ce chef pour se couper les cheveux 5. < D'Undlle, III, p. 685. — * Nicholas, d'Urv., III, p. 619. DL L'ASTROLABE. 533 Mais il faudrait plusieurs exemples de cette nature , surtout il faudrait des explications motivées de ces différées rites pour se former une idée exacte des opi- nions religieuses de ce peuple. Certains objets sont essentiellement tapou ou sa- crés par eux-mêmes, comme les dépouilles des morts, surtout de ceux qui ont occupé un rang distingué. Dans l'homme la tète l'est au plus haut degré , et par conséquent les cheveux qui lui appartiennent. C'est une importante affaire pour un de ces sauvages que de se couper les cheveux l ; quand cette opération est terminée, on veille avec un soin extrême à ce que les cheveux coupés ne soient pas abandonnés dans un lieu où l'on pourrait marcher dessus. L'individu tondu reste taboue durant quelques jours et ne peut tou- cher ses alimens avec les mains 2. M. Savage qui io norait la véritable cause de cette restriction l'attri- buait à un motif de propreté 3. H en est de même de la personne qui vient d'être tatouée , car l'opération du moko entraine également un tapou de trois jours 4. C'est pour la même raison que ces insulaires ne peuvent souffrir aucune sorte de provisions dans leurs cabanes , surtout de celles qui viennent d'être animées , comme viande , poisson , coquillages , etc. ; car si leur tête venait à se trouver, même en passant , sous un de ces objets, un pareil malheur pourrait en- traîner des suites funestes pour eux 5. M. Savage, le i Cook, trois. Voy. , I, p. 176. Cruisc , p. 14. yicholas, d'Urv., III, p. 6a5. — a Cruisc, d'Urv., III, p. 656, 660. — 3 Savage, p. a3. — 4 Rulherford, d'Urv., III, p. 740. — 5 hulherford , d'Urv , III, p. -37. 0 34 VOYAGE premier, remarqua que ces sauvages ne s'asseyaient qu'avec beaucoup de répugnance sous des filets char- gés de pommes déterre l. Les premiers Européens qui les visitèrent mirent à profit cette superstition pour se débarrasser de l'importunité de leurs hôtes. Pour cela ils n'eurent qu'à suspendre au plafond de leurs cabanes un morceau de viande; de ce moment les naturels n'eurent garde d'en approcher 2. Ce préjugé est tellement enraciné chez eux que certains chefs faisaient quelquefois difficulté de descendre dans les chambres des navires , parce qu'ils redoutaient qu'on ne vint en ce moment à passer par-dessus leur tète, en se promenant sur le pont. Jamais il ne leur arrive de prendre leurs repas dans l'intérieur de leurs maisons , et ils ne peuvent souffrir que les Européens prennent cette liberté chez eux 5. Si ceux-ci ont besoin de se rafraîchi]', ils sont obligés de sortir de la cabane pour avaler même un verre d'eau. C'est un crime que d'allumer du feu dans un endroit où des provisions se trouvent déposées 4. Un chef ne peut pas se chauffer au même feu qu'un homme d'un rang inférieur 5- il ne peut pas même al- lumer son feu à celui d'un autre, etc., etc., sous peine d'encourir le courroux de l'Aloua 6. i Savage, p. 23. — » Cruise, d'Lrv., III, p. 647. — 3 Marsden , d'Urv. , III, p. 196. lUuherford, d'Urv., IU, p. 74g. Nicholas, d'Urv. » III, p. 596. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 376. — 5 D'Uivillc, II, p. 82. — 6 Marsden, d'Urv., III, p. 44». DE L'ASTROLABE. 535 Les malades atteints d'une maladie jugée mortelle ', les femmes près d'accoucher sont mis sous l'empire du tapou -'-. Dès-lors ces personnes sont reléguées sous de simples hangars en plein air, et isolées de toute communication avec leurs parens et leurs amis. Cer- tains alimens leur sont rigoureusement interdits; quelquefois ils sont condamnés plusieurs jours de suite à une diète absolue 5, et croient que la moindre in fraction à ces règles causerait à l'instant même leur mort. Les malades riches sont assistés par un cer- tain nombre d'esclaves qui, de ce moment, partagent toutes les conséquences de leur position 4. Pauvres, ils sont réduits à la situation la plus déplorable, et contraints de ramasser avec leur bouche les vivres qu'on leur porte. L'accès des cases ou des malades taboues est aussi rigoureusement interdit aux étran- gers qu'aux habitans du pays 5. Cest ainsi que M. JNicholas nous dépeint l'état où se trouva Doua-Tara du moment où sa maladie fut déclarée mortelle. L'Atoua s'était établi dans son esto- mac , et nul pouvoir humain n'eût pu l'en chasser 6. Doua-Tara était rigoureusement séquestré de toute communication avec les profanes, et M. INicholas eût été massacré sur-le-champ s'il eût voulu violer le ta- pou?. Par une exception spéciale, M. Marsden ne put jouir de ce privilège qu'à son double titre d'ariki i Marsden, d'Urv , III, p. 196, 418. — 2 Nichoîas , d'Urv., III, p. 5«)6. Nicholas , II, p. i3o, 166. — 3 Marsden, d'Urv., III, p. 2o3. — 4 Savage, p. 24. — 5 Nicholas, I, p. 358. — 6 Nicfiolas , d'Urv. , III , l>. 6î3. — 7 Nicholas, II, p. 167. ,:U, VOYAGE cl de tohounga; encore, cela n'eût peut-être pas suffi s'il n'eût menacé les naturels de canonner Rangui- Hou dans le cas où ils eussent persisté dans leurs refus l. L'Atoua, disaient-ils, était occupé à dévorer les en- trailles de Doua-Tara , et ce chef périrait, mate moe, dès quelles seraient toutes dévorées 2. Pour mieux le soustraire à tout rapport avec les étrangers , ses amis voulaient d'avance le transporter sur l'ile isolée où il devait être inhumé : mais Doua-Tara les en empêcha au moyen d'un pistolet dont il était armé et dont il les menaçait quand ils voulaient s'approcher de lui. Quel- que temps avant sa mort , ses femmes et ses parens veillaient autour de lui et attendaient en silence le mo- ment où il allait expirer. Le prêtre ne le quittait point non plus; il veillait à l'accomplissement de toutes les cérémonies requises en pareille circonstance, et ne permettait pas que rien se fit sans son entremise 3. Ils croyaient en général que la mort de Doua-Tara avait été causée par les prières de Ware qui s'était ainsi vengé de ce chef pour les coups de fouet qu'il en avait reçus 4. 8 Tous les ustensiles qui ont servi à une personne du- rant sa maladie sont taboues et ne peuvent plus servir à nul autre au monde; ils sont brisés ou déposés près du corps du défunt. A la mort de Doua-Tara, les mis- sionnaires furent obligés de renoncer aux vases dans ' Marsden , d'Urv., III, p. 2o3. — 2 Nicholas , II, p. 170. — 3 \icho- las , II, p. 180. — 4 \icholas , II, p. 217. DE L'ASTROLABE. 537 lesquels ils lui avaient apporté des vivres ou des po- tions >. Tout homme qui travaille à construire une pirogue, une maison, est soumis au tapou ; mais en ce cas l'in- terdiction se réduit à lui défendre de se servir de ses propres mains pour manger; il n'est pas exclu de la société de ses concitoyens '2. Les plantations de patates douces ou koumaras sont essentiellement tapou , et l'accès en est soigneusement interdit à qui que ce soit durant une certaine période de leur crue. Des hommes sont préposés à leur garde et en éloignent tous les étrangers. De grandes céré- monies accompagnent toujours la plantation et la ré- colte de ces précieuses racines 3. Pour les planter, les chefs se revêtent de leurs plus beaux atours, et procèdent à cette importante opéra- tion avec toute la gravité possible. Un de ces chefs voyant un jour le ciel sillonné de nuages blancs , dis- posés d'une façon particulière, fit observera M. Ken- dall que TAtoua plantait ses patates dans le ciel, et qu'en sa qualité d'Atoua sur la terre il devait imiter l'Atoua du ciel en ces occasions 4. Lorsque je visitai le village et les forets de Kawa- Kawa, toutes les instances, tout le crédit du mission- naire qui m'accompagnait ne purent obtenir des natu- rels la permission de nous laisser passer en vue de ces cultures sacrées 5. ■ Nichâtes, d'Urv. , III, p. 625. Marsden, d'Urv., III, p. 2o5. — * Nicholas, d'Urv., III, p. 5g6 , 624. — 3 Croise, d'Urv., III, p. 63g, 645. - '1 Kenda/l, d'Urv., III, p. 246. — 5 D'L'ivillc, II, p. 216. 538 VOYAGE On se condamne au tapou , au départ d'une per- sonne chérie, pour attirer sur elle la protection de la Divinité '. On voit que la mère de Shongui se taboua lorsque ce chef partit pour l'Angleterre , et une femme était chargée de la faire manger2. Alors le tapou re- présente assez bien ce que quelques dévots catholi- ques entendent par le mot de vœu. Quand une tribu entreprend la guerre , une prê- tresse se taboue, elle s'interdit toute nourriture du- rant deux jours ; le troisième , elle accomplit certaines cérémonies pour attirer la bénédiction divine sur les armes de la tribu 5. Il est des saisons et des circonstances où tout le poisson qu'on pèche est tapou 4, surtout quand il s'a- git de faire des provisions d'hiver 5. Là on retrouve le but politique qui fit instituer les carêmes et autres in- terdictions semblables en Europe et ailleurs. Un jour M. Kendall ayant offert du porc à Wa- raki qui était venu le visiter tandis qu'il dînait, ce chef en mit un morceau entre ses dents , fit une lon- gue prière et le jeta ensuite. Puis il dit qu'il allait manger comme à l'ordinaire 6. C'est par le tapou que les Zélandais scellent un marché d'une manière inviolable. Quand ils ont ar- rêté leur choix sur un objet qu'ils n'ont pas le moyen de payer sur-le-champ, ils y attachent un fil en pro- ' Marsden, dlrv. , III, p. 207. — a Cruise, p. 45. — 3 Cruise, dTiv.. III, p. 660. — 4 Leigh, d'Urv. , III, p. 471. — 5 Mavsdcn , d'Urv. , III, p. 268. — 6 Kendall, d'ï'iv., III, p. 23i. DE L'ASTKOLABE. ,.,,.i féranl le mol tapou; on est certain qu'ils viendront le reprendre du moment où ils pourront en livrer la valeur « . Le tapou joue ainsi le rôle le plus important dans l'existence du Nouveau-Zélandais. Il dirige, déter- mine ou modifie la plupart de ses actions. Par le ta- pou, la Divinité intervient toujours dans les moindres actes de sa vie publique et privée, et Ton sent quelle influence une telle considération doit avoir sur l'ima- gination d'hommes pénétrés dès leur plus tendre en- fance d'un préjugé aussi puissant. M. Nicholas m'a paru être le premier voyageur qui ait bien saisi toute la valeur et toutes les conséquences du tapou chez les INouveaux-Zélandais. Voici dans quels termes il s'exprime sur cette institution : « Pour suivre la va- leur du mot tabou dans ses acceptions nombreuses et variées, il faudrait détailler minutieusement toutes les circonstances de l'économie politique de ce peuple , tache au-dessus de mes forces. Il règle non-seulement leurs institutions, mais encore leurs travaux journa- liers , et il y a à peine un seul acte de leur vie auquel cet important dissyllabe ne se trouve mêlé. Bien que le tabou les assujettisse, comme on a pu voir, à une foule de restrictions absurdes et pénibles , il est néan- moins fort utile par le fait dans une nation si irrégu- lièrement constituée. En l'absence des lois, il leur offre la seule garantie capable de protéger les per- sonnes et les propriétés en leur donnant un caractère i Cruise, p. 8. D'Urv. , III, p. 655. 510 VOYAGE authentique que personne n'ose violer. Sa puissante influence peut même arrêter les pillards les plus cruels et les plus avides ' . » Makoutou. Les iSouveaux-Zélandais croient fermement aux enchantemens qu'ils nomment makoutou 2. C'est une source intarissable de craintes et d'inquiétudes pour ces malheureux insulaires, car c'est à cette cause qu'ils attribuent la plupart des maladies qu'ils éprou- vent, des morts qui arrivent parmi eux3. Certaines prières adressées à l'Atoua, certains mots prononcés d'une manière particulière , surtout certaines grima- ces , certains gestes , sont les moyens par lesquels ces enchantemens s'opèrent 4. ÏNouvel argument pour at- tester que partout les hommes se ressemblent plus qu'on ne le pense! Toutes les fois que les missionnaires, pour démon- trer aux naturels l'absurdité de leurs croyances tou- chant le tapou et le makoutou, leur ont offert d'en braver impunément les effets dans leurs propres per- sonnes, les Zélandais ont répondu que les mission- naires en leur qualité d'arikis et protégés par un dieu très-puissant, pourraient bien défier la colère des dieux du pays , mais que ceux-ci tourneraient leur courroux contre les habitans, et les feraient périr sans pitié , si on leur faisait une semblable insulte. songes. Les songes , surtout ceux des prêtres, sont d'une i Mcho/as , d'Urv., III, p. 633 et 634. — 2 DiUon, d'Urv. , III, p. 706. — 3 Marsden, d'Urv. , III, p. 3i5. Kemp , d'Urv., III, p. 5 12. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 43r). Hall, d'Urv., III, p. 432. Madame Williams, d'Urv., III, p. 4g5. DE L'ASTROLABE. .541 haute importance pour les décisions de ces sauvages. On a vu des entreprises concertées depuis long-temps, arrêtées tout-à-coup par l'effet d'un songe, et les guerriers reprendre le chemin de leurs foyers au mo- ment où ils se repaissaient de l'espoir d'exterminer leurs ennemis et de se régaler de leurs corps. Résis- ter aux inspirations d'un songe serait une offense di- recte à l'Àtoua qui l'a envoyé ' . M. Dillon ne put se débarrasser des importunités d'un naturel qui voulait s'embarquer sur son navire pour se rendre en Angleterre, qu'en assurant à cet homme qu'un songe lui avait annoncé qu'il périrait infailliblement s'il entreprenait ce voyage2. Les Zélandais rendent de grands honneurs aux Funérailles. restes de leurs parens , surtout quand ils sont d'un rang distingué. D'abord on garde le corps durant trois jours , par suite de l'opinion que l'ame n'abandonne définitivement sa dépouille mortelle que le troisième jour après le trépas. Ce troisième jour, le corps est revêtu de ses plus beaux habits , frotté d'huile, orné et paré comme de son vivant. Les parens et les amis sont admis en sa présence, et témoignent leur douleur de la mort du défunt par des pleurs, des cris, des plaintes et notamment en se déchirant la figure et les épaules de manière à faire jaillir le sang 5. Plus encore i Marsden, d'Urv., III, p. 420, 421. — 2 Dillon, I, p. 240 et 241. — 3 Cook, prem. Vov., III , p. 118, 297. Crozel, d'Urv., III, p. 54. Andcv- son, d'i.'rv., III, p. 25. Rendu II, d'Urv., III, p. 119, 235. Marsden , dl'rv., III, p. 412. ylcholas, d'Urv., III, p. 622. ëtaelc, d'Urv., III, p. 51 c. Uuiherford, d'Urv., III, p. 745. •542 VOYAGE que les hommes , les femmes sont assujetties à ces de monstrations cruelles de sensibilité. Malheur à celles qui viennent à perdre consécutivement plusieurs pro- ches parens : leur figure et leur gorge ne seront du- rant long-temps qu'une plaie sanglante , car ces dé- monstrations se renouvellent plusieurs fois pour cha- que personne. Au lieu de laisser le cadavre étendu tout de son long , comme en Europe , les membres sont ordinai- rement ployés contre le ventre et ramassés en pa- quet ». Le corps est ensuite porté et inhumé dans quelque endroit isolé, entouré de palissades et ta- boue. Des pieux, des croix >■ ou des figures sculp- tées et rougies à l'ocre , annoncent la tombe d'un chef : celle d'un homme du commun n'est indiquée que par un tas de pierres 3. Ces tombes portent le nom de oudoii pa , maison de gloire. On dépose sur la tombe du mort des vivres pour nourrir son waidoua ; car bien qu'immatériel , il est encore, dans la croyance de ces peuples, susceptible de prendre des alimens. Un jeune homme à toute extrémité ne pouvait plus consommer le pain qu'un missionnaire lui offrait , mais il le réserva pour son esprit qui reviendrait s'en nourrir, disait le moribond, après avoir quitté son corps et avant de se mettre en route pour le cap IN'ord 4. i hendall, d'Urv., III, p. 119. Cruise, d'Un., III, p. 643. — 2 Cook , prem. Voy., III, p. 194. — 3 Savage, p. 24. Xicholas, 1, p. 327, d'Urv., III, p. 593. Cruise, d'Urv., III, p. 645. Elosseville , d'Urv., III, p. 696. — 4 Leigh , d'Urv., III, p. 471. DK L'ASTROLABE. 543 Un festin général de toute la tribu termine ordi- nairement la cérémonie ; on s'y régale de porc , de poisson et de patates , suivant les moyens du défunt. Les parens et les amis des tribus voisines y sont conviés ' . Le corps ne reste en terre que le temps nécessaire pour que la corruption des chairs leur permette de se détacher facilement des os. Il n'y a pas d'époque fixe pour cette opération; car cet intervalle paraît varier depuis trois mois jusqu'à six mois , et même un an. Quoi qu'il en soit, au temps désigné, les personnes chargées de cette cérémonie se rendent à la tombe , en retirent les os , et ont soin de les nettoyer avec soin : un nouveau deuil a lieu sur ces dépouilles sa- crées , certaines cérémonies religieuses sont accom- plies 2 ; enfin les os sont portés et solennellement dé- posés dans le sépulcre de la famille. Dans ces sépul- cres qui sont des caveaux ou des grottes formées par la nature, les ossemens sont communément étendus sur de petites plates-formes élevées à deux ou trois pieds au-dessus du sol 3. Il paraît qu'il y a des circonstances où les cadavres ne seraient point inhumés , et où ils seraient conservés dans des coffres hermétiquement fermés , ou déposés immédiatement sur des plates-formes, comme cela eut lieu pour le père de Wiwia 4 , pour cet enfant que i Kendall, d'Urv., III, p. 119. — » Kenda.ll, d'Urv., III, p. 228. (ruise, d'Urv., III, p. 645. D'L'niltc, II, p. ilo. — 3 Marsden , d'Urv., III. p. 324. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 197. 644 VOYAGE M. Cruise vit k Kawera-Popo ', et sans doute aussi pour le corps que Koro-Koro montra à ce voyageur 2. Probablement cela ne se pratique que pour les corps qui ont été préparés après la mort, et dont on ne craint point la putréfaction ; tandis que, pour les au- tres , on attend que la cbair puisse se délacber des os par un séjour suffisant dans la tombe. Non-seulement les restes des morts sont essentiel- lement taboues , mais en outre les objets et les per- sonnes employés dans les cérémonies funéraires sont assujettis au tapou le plus rigoureux 5. Avant de rentrer dans le commerce habituel de leurs compa- triotes, ils ont k subir des purifications particulières dont la nature et les détails nous sont encore in- connus. i Cruise, d'Urv., III, p. 646. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 6/,3. — '■ D'VrviUe, II, p. 221 ; ITT, p. 685. DE L'ASTROLABE. ,,., La cérémonie de relever les os des morts joue le plus grand rôle chez ces sauvages. Les paréos n'ont acquitté leurs devoirs envers leurs enfans, les enfans envers leurs parens , et les époux entre eux , qu'après avoir accompli cette indispensable opération i. D'a- près l'idée que j'ai pu m'en former, l'enterrement ne serait qu'un état provisoire pour donner au corps le temps de se dépouiller de sa partie corruptible et im- pure; pour le défunt , l'état de repos définitif n'aurait lieu que du moment où ses os seraient déposés dans le sépulcre de ses ancêtres. Ces naturels bravent les périls les plus grands , les fatigues les plus pénibles pour rendre ces devoirs à une personne qui leur est chère , quelle que soit la distance où elle aura péri , pourvu seulement qu'ils aient l'espoir de réussir. Les parens ont toujours eu soin de réclamer les os de leurs enfans qui sont morts pendant leur séjour à Port- Jackson 2, et la possession de ces dépouilles chéries apaise considérablement leurs regrets. C'est faire un outrage sanglant à une famille, à une tribu, que de violer la tombe et de profaner les restes d'un de ses membres. Le sang seul peut payer une pareille insulte , et l'on connaît la vengeance terrible que Shongui exerça sur les habitans de Wangaroa, qui s'étaient permis de violer la tombe de son beau- père 3. Les cadavres des hommes du peuple sont enterrés ' Maisden, d'Urv. , III, p; 289. — 2 Marsden, d'Urv., III, p. V>7- — I Kantien, d'Urv., III, p. 286, 294, i55, 356. tome ir. \\- ,IT, VOYAGE sans cérémonie. Ceux des esclaves ne peuvent jouir de ce privilège; ordinairement ils sont jetés à l'eau » ou abandonnés en plein air 2. Quand les esclaves ont été tués pour crimes vrais ou prétendus, leurs corps sont quelquefois dévorés par les hommes de la tribu 5. Une des coutumes les plus extraordinaires de la Nouvelle-Zélande, c'est qu'à la mort d'un chef, ses voisins se réunissent pour venir piller ses propriétés , et chacun s'empare de ce qui lui tombe sous la main. Quand c'est le premier chef d'une tribu qui vient à mourir, la tribu tout entière s'attend à être saccagée par les tribus voisines 4. Aussi c'est pour elle un mo- ment d'alarme et de désolation universelle; à moins qu'elle ne soit puissante et quelle ne compte un grand nombre de guerriers disposés à la défendre, la mort d'un chef entraîne souvent la ruine de sa peuplade 5. Peut-être les ennemis ou les voisins d'une tribu choi- sissent-ils de préférence cette occasion pour l'oppri- mer, parce qu'en ce moment, outre la perte de son chef qui doit naturellement affecter son moral , un devoir religieux et indispensable commande à ses en- fans et à tous ses parens de se livrer à un deuil absolu, et les empêche par conséquent de veiller à leur propre défense. ' Cook, prem. Voy. , III, p. i85. ( rozet , d'Urv., III, p. 54. F. Hait, d'Urv., III, p. 467. — 2 Cruise, d'Urv., III, p. 6.|5. — 3 Cruise , p. 184. JJlosseiille , d'Urv., III, p. 696. — 4 //. Williams, d'Urv., III, p. 5i(i. G. Clarke, d'Urv., III, p. 5ao. Stock, d'Urv , III, p. 54o. D'Urvilie, II, p. a3o, — 5 Rendait, d'Urv.. III, p. a3(). DE L'ASTROLABE. 547 D'après les idées de ces hommes sur la nature de Anthropopha- l'ame , on conçoit facilement que le plus grand ou- sic- trage qu'un Zélandais puisse l'aire à son ennemi est de le dévorer après avoir réussi à le mettre à mort, puis- que par cette action non-seulement il détruit l'être actuel , mais il anéantit la partie spirituelle , le wai- doua de son ennemi , qu'il fait servir à l'accroissement de son propre waidoua. A cette superstition , la plus horrible sans doute de toutes celles que l'homme a pu se créer , l'on doit attribuer l'habitude qu'ont con- tractée ces peuples de manger les corps de leurs ennemis. Sur le champ de bataille, les cadavres des chefs les plus distingués , bien que desséchés par 1 âge ou les infirmités , seront toujours mangés les premiers et de préférence aux corps plus appétissans des jeunes guerriers d'un rang obscur. Ceci démontre que les préjugés superstitieux et les plaisirs de la vengeance dirigent ces sauvages dans leurs festins barbares bien plus encore que les simples besoins de l'appétit phy- sique '. A cet égard, nous partageons complètement les idées de Forster , Savage , Nicholas , Marsden , Kendall, etc. 2 Ces naturels si empressés de se repaître de la chair de leurs ennemis , interrogés par les Européens s'ils mangeaient aussi quelquefois les corps de leurs amis ou de leurs parens , ont toujours répondu à cette ques- tion avec les signes d'une indignation non équivoque3. i Cook , deux. Voy., V, 287. Scu-nge, p. 35. Nicholas, II, p. 68. — 2 Cook, prem. Voy., III, p. 2 63. Deux. Voy., II, p. tp8. — 3 Cook, prem. Voy., III, p. 186. Trois. Voy., I, p 17 5. 37* 548 VOYAGE Ils ne pouvaient concevoir comment on leur adressait une pareille question , mais ils ne concevaient pas davantage l'horreur que les Européens témoignaient en apprenant que les Zélandais mangeaient la chair de leurs ennemis '. Ils ont souvent répondu qu'il n'y avait aucun mal à manger son ennemi quand on l'avait tue , et que cela valait beaucoup mieux que de laisser pourrir son corps ou de le voir dévorer par les ani- maux >■. Un jour que je m'entretenais avec Shongui et Touai deces coutumes inhumaines, le premier me fit observer ivre un grand sang-froid qu'il n'y avait rien d'extraor- dinaire à cela ; que tous les êtres du monde en agis- saient de même; que les grands poissons de la mer mangeaient les petits ; que les oiseaux mangeaient les insectes , que les hommes mangeaient les animaux , que Dieu lui-même mangeait les hommes fcn faisant allusion à leur opinion particulière sur la cause de la mort); qu'ainsi il était tout naturel que l'homme mangeât son ennemi ". La plus grande calamité qu'une famille ou une tribu puisse éprouver, est de voir tomber son chef au pou- voir de ses ennemis, et d'apprendre que son corps a été mangé par eux 4. Ceux-ci ne se contentent point de cet acte de vengeance, mais ils réservent la tète du chef vaincu qu'ils préparent suivant un procédé qui i Marsden, d'Urv. , III, p. ai5. — 3 Cook, deux. Voy. , II, p. 12D et 126.— 3 Marsden, d'Urv., III, p. 383. — 4 Marsden, d'Urv., III, p. 2i5, 445. DE L'ASÏttOIABE. 549 leur est propre, afin de la garder comme un trophée de leur victoire ». Pour conserver les tètes de leurs ennemis, les ISou- Moko mokaï. veaux-Zelandais les vident et les font chauffer douce- ment à la chaleur de leurs fours en leure, de manière à l'aire évaporer totalement les principes gazeux et pu- tréfiables; puis ils les exposent durant plusieurs jours à la chaleur du soleil '■>-. Il faut beaucoup de précau- tions pour réussir complètement dans cette opération, et quelques-uns d entre eux sont renommés pour ce genre d'industrie"'. Du reste, ces tètes, une fois conve- nablement préparées, retiennent tous les traits qu'elles avaient du vivant des personnes auxquelles elles ap- partenaient ; les cheveux , la barbe et les sourcils restent intacts 4, et l'on ne remarque qu'un léger ra- cornissement dans les parties cartilagineuses, comme les oreilles et le nez. Elles peuvent aussi se conserver pendant un temps indéfini , pourvu qu'on ait soin de ne point les exposer à l'humidité. Ces tètes portent dans le pays le nom de moko-mo- kaï, des deux mots : moko, tète tatouée, et mokaï, pauvre, misérable; ainsi la réunion de ces deux mots exprime l'état d'avilissement dans lequel sont tombées ces tètes naguère si distinguées. En effet , ces sauva- ges ne se donnaient jamais la peine de préparer les i Cooh, prem. Voy., III, p. 291. — a Cruise , p. 5o. — 3 Cook , deux. Voy., IV, p. 137. D'Uiville, ]I, p. 210, 241. Revue Britannique, d'Urv. , III, p. 721, 722. — 4 Cook, prem. Voy., III, p. 191. Marsden, d'Urv., III, p. 2S2, 3ao. Fauherford, d'Urv., III, p. 753. 560 VOYAGE tètes dépourvues de tatouage, qui ne leur offraient aucune sorte d'intérêt. Quand une famille ou une tribu apprenait, que l'en- nemi avait préparé et conservait la tête de son chef, c'était pour elle une consolation dans sa détresse. Si elle gardait l'espoir de lutter avec succès contre l'ennemi , elle n'avait point de repos qu'elle ne l'eût contraint par la force des armes à lui rendre celte précieuse dépouille. Sinon, par des présens ou des of- fres avantageuses , elle faisait en sorte de le détermi- ner à lui donner cette satisfaction. Ainsi les mol. Depuis que les Européens se sont montrés curieux d'acquérir ces tètes conservées , les naturels en ont fait un objet de commerces. On sent bien que la nou- velle destination qu'ils ont donnée à ces trophées n'a pas du contribuer à rendre leurs guerres ni moins fré- quentes, ni moins sanglantes. Non content de manger le corps de son ennemi et de préparer sa tète en moko-mokaï , le Nouveau-Zé- landais se plaît encore à transformer les ossemens de sa victime en toutes sortes d'objets, tels que flûtes, hameçons, fourchettes et ornemens divers. Puis il les conserve comme des monumens authentiques de sa vengeance, ou il les vend aujourd'hui aux Européens moyennant des prix plus ou moins élevés, suivant le rang de l'individu auquel ils avaient appartenu. Suivant M. Marsden, il existerait parmi eux une convention bien extraordinaire. Lorsque deux armées ou deux troupes en sont aux mains et que le chef de i Marsden, d'Urv., III, p. 3o3. — i Criïtsé, d'Urv. , EH, p. 643. Rutherford, d'Urv., III, p. -:>2. 552 VOYAGE lune des deux vient à succomber sous un coup mor- tel, l'ennemi pousse aussitôt le cri: «A nous l'homme!» A ce cri fatal , les guerriers dont le chef a été tué li- vrent son corps, quand bien même il serait tombé dans leurs rangs. Les deux armées se retirent en si- lence , chacune de son côté, et vont consulter les dieux pour savoir s'ils doivent continuer la guerre. Dans ce cas, le vainqueur réclame aussi la femme du chef qui a succombé, et M. Marsden ajoute qu'elle ne fait aucune difficulté de se livrer à ses ennemis, car elle désire partager le sort de son mari , surtout si elle lui est sincèrement attachée. Les enfans eux-mêmes sont souvent obligés de subir la même destinée '. Sacrifices. Le parti vainqueur procède alors au sacrifice qu'il doit faire à ses dieux. L'ariki ou grand-prêtre , de con- cert avec les chefs , se charge d'apprêter le corps du chef, tandis que la prêtresse et les femmes des chefs sont chargées des mêmes fonctions sur le corps de la femme. Ces corps sont dépecés, placés sur les feux et rôtis. Certaines parties sont réservées pour être of- iertes aux dieux avec des prières et des rites particu- liers. De temps en temps les arikis prennent de petits morceaux de cette chair sacrée et la mangent avec beaucoup de recueillement ; c'est pendant ce temps qu'ils consultent les dieux sur l'issue de la guerre ac- tuelle. Si les offrandes sont accueillies favorablement, le combat recommence ; sinon , quelle que soit sa su- ' Marsden, d'Urv., III, p. 3o4, 3i .',. DE L'ASTROLABE. périorité , le parti vainqueur renonce à combattre da- vantage , et reprend le chemin de ses loyers. Tandis que les arikis accomplissent leurs cérémo- nies, les chefs sont assis en cercle autour des victimes, la tète cachée dans leurs nattes, et gardant un pro- fond silence pour éviter de troubler ces augustes mys- tères ou de jeter sur eux un regard profane. Ils sont convaincus que l'Atoua punirait sévèrement le moin- dre acte de mépris ou de négligence de leur part. Quand les cérémonies sont terminées, les restes des corps sont distribués entre les chefs et les principaux guerriers, suivant leur nombre. Tous mangent de cette chair avec une satisfaction très-visible \. Le premier chef réserve aussi des morceaux de cette chair pour les distribuer à son retour à ses amis; car c'est la plus haute marque de distinction, la faveur la plus signalée qu'il puisse leur faire 2. Lorsque la distance est trop grande pour qu'on Rakau tapou. puisse espérer de rapporter cette chair sans être gâ- tée , ils ont imaginé une sorte de substitution ou plu- tôt de transubstantiation d'une nature fort remarqua- ble. Le prêtre met en contact avec la chair consacrée un morceau de bois qui prend le nom de rakau ta- pou, et l'y laisse un certain temps durant lequel il ré- cite diverses prières; puis il retire ce bois , l'enveloppe soigneusement dans une natte , et durant tout le temps qui doit s'écouler jusqu'au retour, une personne tabouée est commise à la surveillance de cet objet sacré. ■ Uarsden, d'Urv., III, p. 3o4, 3i.',, 3i5. — 2 Dilhn , I, p. i5i. 554 VOYAGE Lorsque la troupe se trouve de retour dans ses foyers, on apporte, soit un morceau de porc, soit des patates, soit des pommes de terre; l'ariki retire le ra- kau tapou de ses enveloppes , le met de nouveau en contact avec ces vivres , en répétant ses prières mys- tiques. Quand tout est terminé, le rakau tapou est jeté dans les broussailles ou dans un lieu où il ne soit point exposé aux regards ni au toucher des profanes. Les vivres ont reçu la vertu des viandes sacrées , et les naturels qui sont restés au village s'en régalent avec autant de joie et de satisfaction mentale que s'ils se repaissaient de la chair même de leur ennemi. Du moins c'est ce que m'assurait gravement Touai quand il me donnait ces détails. Esclaves Quand un chef ou quelque personne de distinction immolés, vient à mourir en temps de paix , des sacrifices hu- mains ont aussi lieu. Un ou plusieurs esclaves, sui- vant le rang du défunt , sont immolés sur son corps. En cela ces naturels paraissent avoir un double but , d'abord d'apaiser le waidoua du défunt et d'arrêter l'effet de son courroux sur ceux qui lui survivent, ensuite le désir d'offrir au mort les moyens d'être servi dans l'autre vie comme il l'était dans celle-ci *. Lorsque le fils de Pere-Ika mourut à Parramatta chez M. Marsden, cet ecclésiastique fut obligé d'inter- poser son autorité pour empêcher les compagnons de ce jeune homme de sacrifier deux ou trois jeunes i Marsden, d'Urv. , III, p. 285. Cruise, d'Urv., III, p. 642. IV. Wil- liams, d'Urv. , in, p. 53 1. DE L'ASTROLABE, 5 35 esclaves qui se trouvaient avec eux à la Nouvelle- Galles du Sud pour apaiser l'esprit du défunt '. Les esclaves destinés à être offerts en sacrifice sont ordinairement assommés d'un coup de mère par un parent du défunt , et celui-ci a soin de choisir le mo- ment où sa victime semble ne pas se douter du sort qui lui est réservé '1. Pour diminuer l'horreur d'une telle action , les Zélandais ont soin de répéter que l'on choisit communément pour cet objet les esclaves qui ont commis quelque mauvaise action, comme vol, en- chantement 5, ou bien ceux qui ne peuvent ou ne veu- lent point travailler 4. L'esclave qui a maudit son maître ne peut éviter d'être sacrifié; car on croit que c'est l'unique moyen d'apaiser l'Atoua et d'échapper à la malédiction profé- rée par la malheureuse victime. Les corps des esclaves immolés à la mort des chefs et en leur honneur devraient être à la rigueur déposés près de ces derniers et subir le même sort , mais il ar- rive souvent que les sacrificateurs préfèrent les man- ger ; dans ce cas ils cèdent probablement à leur sen- sualité plutôt qu'aux dogmes de leur religion. C'est le cas de faire remarquer que si la vengeance et la superstition furent sans doute les premiers mo- tifs qui portèrent ces malheureux peuples à faire des sacrifices humains , la disette singulière d'animaux i Cruise, p. 3o8. — a Cruise, d'Urv. , III, p. 643. F. Hall, d'Urv., III, p. 462, 466. IV. Williams, d'Urv., III, p. 534. — 3 Cruise, p. 97. F. Hall, d'Urv., III, p. 492. King, d'Urv., m, p. 392. Marsden, d'Urv., III, p. 474. — 4 IV. Williams, d'Urv., III, p. 53o. Ô3G VOYAGE qui caractérise leurs îles dut pour beaucoup entrer dans le maintien de ces nouvelles cérémonies, à dé- faut d'autres victimes propres à y figurer. Accueil. Lorsque ces naturels ont à recevoir un étranger, un parent ou un ami de distinction qu'ils n ont pas vu depuis long-temps , le personnage le plus important de la tribu s'avance au devant de lui avec une bran- die d'arbre à la main, et débite d'un ton grave et mo- déré une harangue plus ou moins longue, mélangée sans doute de complimens sur son arrivée , et de prières aux dieux pour lui accorder « protection l. » Ce n'est qu après avoir rempli cette formalité qu'il donne le salut (sho?igui) à son hôte, et souvent celui-ci répond par un discours semblable à celui qui lui a été adressé. M. Nicholas, se trouvant à Panake avec Touai, ob- serva la tante de ce chef qui s'avançait à la rencontre de son neveu, à la tète de sa famille. Tous marchaient en ordre , dans un profond silence et un grand re- cueillement, tandis que la tante récitait des invoca- tions ou prières à la Divinité 2. M. Cruise nous a représenté Koro-Koro recom- mandant l'équipage du Dromedavy aux soins de Te- tone , chef du Shouki-Anga, où ce navire devait se rendre, par un discours grave et solennel. Tetone répliqua par un autre discours qu'il débita en mar- chant et gesticulant avec véhémence pour donner plus de force à ses paroles 5. i Cook, deux. Voy, I, p. i85. Marsden, d'Urv., III, p. 38o. — ■ Nicholas, I, p. n5. Marsden, d'Urv., III, p. i44. — 3 Cruise, p. 71. DE L'ASTROLABE. , ,7 Tous les voyageurs ont remarqué que ces naturels parlaient avec facilite et énergie ; leur organe est so- nore, leur maintien simple et aisé, et leurs gestes ont une dignité naturelle très-remarquable l. Ces discours sont toujours écoutés de la part du peuple avec une attention parfaite et dans un profond silence2. Leurs saints ordinaires, d'hoiflme à homme, sont pour l'arrivée : aïre mat f(L — viens ici en bonne santé; pour le départ : aiVt atnit ra, — va-t-en en bonne santé ; ou tho na va, — reste ici, suivant que la personne à laquelle on s'adresse arrive, s'en va ou reste 3. Quand deux troupes de guerriers se rencontrent par hasard , les deux chefs s'avancent ordinairement l'un au-devant de l'autre, s'adressent la harangue ac- coutumée, et quand ils ont reconnu que leurs disposi- tions sont mutuellement amicales, les guerriers des deux troupes exécutent tour à tour une danse guer- rière, à la suite de laquelle ils jettent leurs lances. Depuis qu'ils ont des armes à feu , ils les déchargent, dans ces circonstances : c'est aussi le signal d'une réconciliation définitive , quand ils veulent terminer une querelle 4. La danse guerrière et le simulacre de combat sont toujours de rigueur, lorsqu'une troupe de guerriers en marche veut témoigner sa haute considération à un chef, à une tribu , à des Européens auxquels ils vont i Nicholas, d'Urv., III, p. 6oS et suiv. Cruise, p. i65. — 5 Cruisc , p. 166. Marsden, d'Urv., III, p. 3a2, 33a et 333. W. Yate , d'Urv., III, p. 5+2. — * Nicholas, I, p. 1S2. — 4 Nicholas , I, p. 128. Marsden, d'Urv., III, p. 149. H. Williams, d'Urv., III, p. 5?.8. 558 VOYAGE rendre visite l. Ces malheureuses représentations , faussement interprétées comme des menaces et des provocations par les Européens , ont souvent donné lieu de leur part à des actes d'hostilité très-fàcheux. En lisant la relation du premier voyage de Cook , des exemples de cette nature se représentent à chaque instant. • Saint La phis grande marque de considération et d'atta- shongui. chement qu'un Zélandais puisse vous donner, est le salut qu'il nomme slwngui , c'est-à-dire , de Trotter le bout de son nez contre le vôtre 2. Comme tous les voyageurs, je pensais d'abord que ce salut bizarre se bornait à l'attouchement des nez; mais M. Kendall m'expliqua que ce contact n'était qu'un simple acces- soire extérieur, et que la base du salut consistait de la part des deux personnes à exhaler doucement leur haleine et à la confondre. Leur haleine est en quel- que sorte l'emblème sensible de leur waidoua , une émanation directe de leur ame , et il serait difficile de donner une juste idée de l'importance qu'ils attachent à cette partie immatérielle de leur être. En effet , j'ai souvent examiné ces naturels quand ils se saluaient, et j'ai reconnu la vérité de l'assertion de M. Kendall. Lorsque je voulus en demander la raison à Touai , il se contenta de me répondre : brea- they haleine, comme il le faisait toujours par une sim- ple parole , quand il ne pouvait me développer sa i Marsden, d'Urv. , III, p. l5i, i56, i57, 322, 33g. Cruise , p. i/,o. Rutherford, d'Urv. , III, p. 759. Gaimard, d'Urv. , II, p. 254, 275- — » Collins, d'Urv. , III, p. 84 , 85. Saimon , d'Urv., II, p. 256. DE L'ASTROLABE. 5ô9 pensée d'une manière satisfaisante. Puis , par des signes et des gestes , il indiquait que les souffles des deux personnes se confondaient ensemble. Au reste, il faut convenir que ces sauvages n'accor- dent jamais cette marque d'estime et d'attachement d'une manière légère ou irréfléchie , comme les Eu- ropéens le font pour leurs saluts ordinaires, et même pour leurs accolades l. Le plus souvent, ils s'exa- minent quelque temps, ils semblent étudier leurs sentimens mutuels , quelquefois même ils parlent d'objets indifferens avant d'en venir au shongui, et ils ne se livrent jamais à cet acte qu'avec une gravité et un recueillement qui peuvent paraître ridicules h l'é- tranger mal instruit, mais qui ont quelque chose de solennel pour celui qui connaît l'objet de ce salut. J'ai vu Touai et Shongui , les premiers chefs des deux tri- bus rivales de Kidi-Kidi et de Paroa, dans la baie des Iles, s'examiner attentivement et causer un moment ensemble , puis se livrer toul-à-coup à ce témoignage authentique et sacré de leur union. Quand M. Marsden annonça à Te Koke , chef de Pahia , la mort du fils de ce chef arrivée à Port-Jack- son et dont il venait de recevoir la nouvelle, Te Koke se fit indiquer l'endroit de la lettre où se trouvait le nom de son fils, il y appliqua son nez, et après lui toutes les personnes de sa famille; puis, il se mit à gémir durant plus de deux heures sur cette perte cruelle 2. i ycw-7.calander% , d'Urv. , Fil, p. 77S. — 1 (ruine, p. 1 \ 7. 5fiO VOYAGE Lorsque ce salut s'accorde à des parens, à des amis dont on a été long-temps éloigné , il est toujours ac- compagné de soupirs, de gémissemens et même de cris plaintifs qui durent d'autant plus long-temps que l'af- fection est plus vive de part et d'autre ' . Les voyageurs se sont plu à nous citer une foule d'exemples de ce genre , et à retracer les marques de sensibilité mani- festées par ces sauvages en ces occasions 5. Moi-même je fus témoin de l'entrevue de Taï-Wanga avec son oncle Shongui après une absence de dix-huit mois, et j'avoue que j'en fus véritablement touché 3. Souvent l'excès de cette sensibilité les porte à se déchirer la fi- gure et diverses parties du corps, pour mieux témoi- gner leur joie du retour d'une personne chérie, comme ils le feraient de leur douleur pour sa mort, tant ces naturels sont persuadés qu'ils ne sauraient assez té- moigner la vivacité de leurs affections , sans faire couler leur sang i. Le mot shongui doit s'écrire e'kongui, suivant la forme grammaticale , et c'est de là que le fameux chef de Kidi-Kidi tirait son nom. Ainsi la réunion des deux mots shongui et ika signifie littéralement saint du poisson. On doit se rappeler que les Zélandais ac- cordent les honneurs divins à certains poissons mons- trueux. Ces hommes si pointilleux sur le salut shongui, n'a- i Savage t p. 43. Nicholas , I, p. 212. Cruise, d'Urv. , III, p. 636 et 637. Ruiherford, d'Urv., III, p. 737. — 2 Marsden , d'Urv., III, p. 281. — 3 D'Uiville, III, p. 674. — 4 Anderson, d'Urv., III, p. 25. Marsden, d'Urv., HT, p. 145, i55. DE L'ASTROLABE. 561 raient aucune idée du baiser ordinaire des Européens. Ils semblaient même ignorer complètement cette ca- resse entre personnes de sexe différent. Leurs noms propres comme ceux des anciens Grecs Noms propres, sont presque tous significatifs, et expriment tantôt un animal , une plante , un poisson ; tantôt quelque qualité du corps et de lame; quelquefois, enfin, ils rappellent un exploit , une circonstance remarquable pour l'individu qui le porte. Voici de nombreux exem- ples de ces diverses sortes de désignations *. Tawa , espèce d'arbre; Koudi, autre espèce d'ar- bre; Ngarara, reptile; Kiwi, espèce de casoar; K au- tan, pou; Tafa, oiseau de mer; Ika, poisson; Ma- nou, oiseau ; IVe, chenille, etc. À ara-Tete, irascible ; Shouraki , qui marche vite ; Doudou, caché; Didi, en colère; Widi, qui tremble de fureur; Tourna, qui regarde d'un air menaçant; À a/iï, qui foule aux pieds ; Ahi-Tou, cri d'un certain oiseau; etc. Dipùo, nom d'une certaine plage; Pakii-Koura , arracher d'une terre rouge (le père de cet individu avait été tué au moment où il arrachait de la racine de fougère sur une terre rouge); Tau-Tahi , né la pre- mière année du mariage; Tau-Nga-Oudou , né la dixième année du mariage; Tanii, borgne; Hihi , rayons du soleil ; Kai-Koumou, qui mange les mem- bres de son ennemi; Doua-Tara , tombe fréquentée par les oiseaux de mer ; Tepahi, le vaisseau ; TFare- i Kenda.ll, d'I rv., III, p. 244. tomi. h. 38 662 VOYAGE Oumou , maison pour cuire les vivres ; Moudi-FJ'aï, eau située à l'extrémité; Patou-One , combat sur la plage, etc. C'est commettre la plus grave insulte envers une personne que d'appliquer son nom à quelque objet (jue ce soit. Quand cela arrive et que la personne of- fensée en a le pouvoir, elle ne manque jamais de s'en venger en détruisant ou en pillant les objets qui ont reçu le nom ainsi profane. Shongui détruisit un jour tous les cochons de Wangaroa , parce qu'un naturel dans sa colère avait donné le nom de Shongui à un de ces animaux. M. Clarke, se rendant à la Nouvelle-Zélande sur lu Coquille , en 182 i , avait eu la fantaisie de donner à un beau chien qui l'accompagnait le nom de Pomare ; mais Taï-Wanga le prévint que les amis de Pomare ne manqueraient pas de tuer son chien dès qu'ils auraient connaissance de cette profanation. Alors M. Clarke donna à cet animal le nom de Pahi , l'es- clave attaché à Taï-Wanga. Tout esclave qu'était Pain , il était facile de voir que cela ne lui plaisait nulle- ment, et quil ne voyait pas d'un bon œil l'animal qui portait son nom. Un esclave ayant donné le nom de Tapa-Tapa , femme du chef Tekoke , aux patales de Kawa-Kawa , les habitons de cet endroit tremblèrent dans la crainte que leurs voisins ne vinssent leur enlever leurs pa- tates ». i W. Williams, d'Urv., III, p. 534. DE L'ASTROLABE. 563 Ce dernier exemple donnerait lieu de penser que, dans un pareil cas, non-seulement la personne in- juriée, mais encore tous les étrangers ont le droit de punir un semblable délit. Sans doute ils sont per- suadés qu'une telle profanation est un crime grave envers l'Atoua , et qu'on ne saurait trop en prévenir les conséquences. XVIII. LANGAGE. Ainsi qu'on a pu le remarquer déjà par les mots que nous avons eu occasion de citer dans le cours de cet Essai , la langue des Nouveaux-Zélandais n'est nullement dure ni désagréable; dans la bouche des femmes , elle a une douceur particulière. Cependant elle acquiert une énergie et une expression vraiment remarquables dans les discours animés que les chefs prononcent dans leurs assemblées ou dans leurs né- gociations politiques. Sans doute, comme toutes celles des peuples sauvages qui ont toujours ignoré une foule d'idées et d'objets devenus familiers aux nations civilisées , cette langue est très-bornée quant au nom- bre des mots qui la composent. Néanmoins elle a plus de ressources qu'on ne serait d'abord disposé à lui en supposer : au moyen de particules heureusement appliquées , les différens termes du discours se trou- vent convenablement modifiés. Il en résulte qu'elle n'a point de déclinaisons ni de conjugaisons propre- ment dites; sous ce rapport, elle ressemble beaucoup 38* 561 VOYAGE à la langue anglaise en Europe et à quelques langues orientales, comme le malais. 11 est certain que le malais nous a paru être la lan- gue la plus rapprochée du nouveau-zélandais , et il est incontestable que Tune des langues a reçu de l'au- tre certains mots par des communications d'une date déjà bien éloignée. Cependant le nombre des mots vrai- ment communs aux deux langues est beaucoup moin- dre qu'on ne le pense généralement. Sur plus de quinze cents mots cités dans la grammaire anglaise de MM. Kendall et Lee, je n'ai guère pu en trouver plus de cinquante qui appartinssent réellement au malais : or c'est à peine un sur trente. Du reste, lors de la discussion des langues de l'Océanie, nous reviendrons plus en détail sur ces rapprochemens. Aujourd'hui nous allons nous borner à offrir au lecteur un simple aperçu du génie et des élémens de la langue que par- lent les insulaires de la Nouvelle-Zélande. Ils ont toutes nos voyelles , quelquefois même ils prononcent distinctemeni l'a des Français ; pourtant Vu de la grammaire doit presque toujours avoir le son de notre ou. Les diphtongues sont, aï, eï, oï, au et ou. Quant aux consonnes, elles se bornent à d, k, m, «, p, r, t, et w prononcé à peu près comme dans l'anglais ; enfin ng gutturale , qui a chez eux le même son que dans le malais et dans plusieurs langues de l'Orient. Les mots ont rarement plus de deux syllabes, et se ter- minent à très-peu d'exceptions près par des voyelles, ce qui donne à ce langage une nuance de douceur et de simplicité qui offre quelque analogie avec l'italien. DE L'ASTROLABE, 565 Les substantifs sont indéclinables, et, comme dans la plupart des langues européennes, leurs cas ou rôles dans le discours sont indiqués par des particules qui les précèdent, savoir : no au génitif, Àv au datif, eau vocatif, et /à l'ablatif; nga, devant un substantif, dé- signe le pluriel. Les substantifs comme les adjectifs n'admettent point de genres ; généralement ceux-ci se placent après les noms. Les comparatifs et les super- latifs se forment encore par des particules placées devant ou après les adjectifs que l'on veut modifier. Les pronoms sont assez compliqués , et ceux de la première personne admettent deux espèces de plu- riels comme deux espèces de duels ; ainsi a/iau, moi, a un premier pluriel tatou , nous tous , en parlant de toutes sortes de personnes indistinctement , et un se- cond , matou , quand il s'agit seulement de toutes les personnes dont je veux parler; il a de même un pre- mier duel taoua , nous deux, pour moi et la personne à qui je parle, et maoua, pour moi et la personne dont je parle. Il en est de même des autres pronoms per- sonnels et de tous les pronoms possessifs. Le verbe est un mot invariable , et dont les temps divers ne sont exprimés que par des particules placées devant ou après la racine constante. Quant aux per- sonnes , elles sont indiquées par les pronoms per- sonnels qui suivent toujours le verbe, excepté au futur où il les précède. Ainsi pour kaï, manger, on aura ha kaï, l'action même {Je manger ; c kaï ana va oki au , (ra aki n'est qu'une espèce de complément pour ajouter de la 566 VOYAGE force à 1 enonciation , qui, le plus souvent, esl sup- primé dans la conversation), je mange; c luiï ana taoua toi et moi nous mangeons. f\oa haï Kf tatou, nous tous (indistinctement) avons mangé ; ni okt ta c kaï ai, il mangera. La particule ana est le signe du présent, koa celui du passé, et aï, celui du futur. La langue anglaise présente un cas très-analogue. De la racine aire , aller , on fait aire mai, arriver ; et Ton dira, c aïrc mai koooua, nous deux arrivons, koa taï ht mai maoua, moi et celui dont je parle arri- vâmes (ici, par irrégularité taï est substitué à aire). î\a okt ratou t aive mat aï, ils arriveront. Quand on ajoute le mot waka devant le verbe, il l'épond parfaitement à notre mot faire en français. Ainsi de rongo , entendre, on fera waka rongo , faire entendre; de kitea, voir, waka kitea y faire voir, montrer; de ma tau, connaître, wakama- tau , faire connaître, enseigner. Souvent on place ce même mot waka devant les adjectifs dans le même but ; comme ma , blanc, waka ma, faire blanc, blan- chir, et (au liguréj faire honte, couvrir de confusion; mahana, chaud , waka ma/iana, faire chaud , chauf- fer; lata, près, ivaka tata, rendre près, approcher; tapou, sacré , waka tapou, rendre sacré , consacrer, etc. Ce mot waka est un de ceux qui rendent le plus de services à la langue des Zélandais. Les adverbes et les prépositions répondent aux nôtres ; quant aux conjonctions, elles sont peu nom- breuses. Les phrases sont presque toujours simple- ment énonciatives , et ces hommes ignorent les artifi- DE L'ASTROLABE. 561 ces du discours qui se sont introduits dans les Langa- ges plus perfectionnés. Ils emploient volontiers la simple négation ka ore (qu'on doit, prononcer à peu près kashiolè) pour non. Mais pour l'affirmative ils répètent presque toujours la phrase interrogative. Ainsi à ces questions : Es-tu allé à ïf'angaroa? Aimes-tu le pain des Européens? ils répondront : Je suis allé là, j'aime ce pain. La forme passive des verbes leur étant inconnue , leurs propositions ont toujours la tournure active, à moins qu'ils ne trouvent un mot avec la signification naturellement passive, ce qui arrive quelquefois : comme wera , brûlé, pau, consumé ; poudi, affligé; poka , couvert; touai, distribué; ngaro , caché; nguengue , fatigué; noa, délivré, etc. 1 Malgré la pauvreté de leur langue , les Zélandais trouvent le moyen d'exprimer toutes leurs idées et même celles que leur inspire la vue d'objets jus- qu'alors étrangers pour eux. Je suis disposé h croire que celui qui en aurait fait une étude suffisante , et qui pourrait la comprendre parfaitement, y trouverait des beautés d'une nature particulière. Mais c'est un ouvrage de longue haleine et qui exigerait des com- munications longues et assidues avec ces peuples singuliers. XIX. NUMÉRATION. En 1824, un grand nombre d'essais et de question-, i Ciammar of Ncw-Zca/and, ]). 227, 191, 19a, 194, 217, 22g, 23o, i85. t 568 VOYAGE adressées aux naturels de la baie des lies m'avaient conduit à penser que les Psouveaux-Zélandais, par une exception unique sur le globe, avaient adopté la numération ondécimale ou par onze. Tous les offi- ciers de la Coquille que je rendis témoins de mes expériences partagèrent alors mon opinion, et je crois que quelques-uns d'entre eux, au moins MM. Lesson et Blosseville, l'ont déjà consignée dans quelques écrits rendus publics. Cependant cette opinion n'était qu'une erreur, et la coutume qui y donna lieu parait limitée aux habi- tans de la baie des lies. Car toutes les expériences que j'ai faites sur d'autres insulaires, dans le voyage de V Astrolabe, m'ont convaincu que ces naturels, comme tous ceux du reste de la Polynésie, emploient la numération décimale. Tâchons de mieux expliquer notre pensée : D'abord il est certain que les noms des dix pre- miers nombres sont partout à la Nouvelle-Zélande. i Talii. 6 Ono. i Doua. 7 Witou. 3 ïodou. 8 Wadou. 4 Wa. g Twa. 5 Dima. io Nga oudou. Souvent la particule ka se place devant le nombre, et l'on a ka tahi, ka doua, etc. Cette particule équi- vaut à peu près à notre il y a, ou c'est. Parvenus à dix, les habitans de la baie des îles qui avaient placé dix cailloux, dix haricots, en général dix DE L'ASTROLABE. 569 objets, en plaçaient constamment un onzième qu'ils nommaient te /eau, et disaient ka te /eau. Puis, poul- ies nombres suivans , ils disaient ha te kau ma ta/ii, ma doua, etc. ( ma signifie avec, ensemble) jusqu'à doua te kau. Ils avaient ensuite todou te kau, wa te kau, etc., jusqu'à rau, qui se trouvait être le nombre ka te kau , répété autant de fois qu'il y avait d'unités dans ce nombre même ou onze fois. Par suite de ce système, il est certain que ka te kau valant onze , celui qui eût promis ka te kau ma uni parka ( 1 1 et 4 ) , eût été obligé de livrer quinze cochons , comme celui qui eût demandé trente-cinq mesures de patates en eût reçu ka taîwu t( kau ma ÎUUta (3 fois 11 et 2). En un mot, c'eût été le véritable système de numération ondécimale. De là notre er- reur touchant la manière de compter de ces hommes. Mais, dans le voyage de l'Astrolabe, je m'assurai qu'à une certaine distance de la baie des Iles, à la baie Shouraki , déjà le nga oudou. et le te kau signifiaient absolument la même chose, dix; plus loin vers le sud, au détroit de Cook, la dernière désignation te kau était tout-à-fait inconnue. Voici ce qu'on doit conclure de tout cela ; et dès 1824 M. Kendall me donna la même explication, qu'alors je ne jugeai pas à propos d'adopter. Le mot propre pour représenter le nombre dix est nga ou- dou, et te kau signifiait simplement que les dix objets étaient bien comptés , mis à part ; c'était en quelque sorte un repaire à côté de ces dix objets pour indi- quer que la dizaine s'y trouvait. Il paraît qu'à la baie 570 VOYAGE des Iles, avec le temps, ce repaire fit partie avec le nombre lui-même, et devint une onzième unité qui s'ajoutait à chaque réunion de dix objets. C'est ainsi qu'en certains cantons de la France , les marchands ont encore l'habitude de donner le treizième pour chaque douzaine; et, en d'autres, un vingt-sixième pour chaque quarteron ou lot de ving-cinq objets. Un étranger qui verrait accorder ce treizième ou ce vingt-sixième objet, pourrait commettre une erreur semblable à celle qui résulta de nos observations à la baie des Iles. Du reste, les >~ouveaux-Zélandais emploient mano pour mille ; mais à dix mille cesse leur numération , car ils se servent pour exprimer ce nombre , ou plu- tôt tout nombre très-considérable et au-dessus de leurs moyens de calcul, du terme indéfini tini, qui veut dire en général beaucoup plus de mille. Une expression proverbiale fort usitée chez eux est celle-ci : lu a lllaï-tlato te tini o te ÏOHgata, ki a '.UUtHû tr mano; sur le Waï-Kato (rivière il y a dix mille habitans, sur le Kawia (autre rivière) il y en a mille '. XX. POPULATION. Les documens que nous possédons sur ces grandes îles sont beaucoup trop bornés pour que nous pui>- > Cramwar of Xew-Zealand, p. 19. DE L'ASTROLABE. 571 sions apprécier d'une manière exacte leur population. Forster ne porta qu'à cent mille le nombre total de leurs habitans ». Mais il est hors de doute que cet observateur disposé à l'exagération pour d'autres ar- chipels, et notamment pour les îles de la Société, élait resté au-dessous de la vérité pour la Nouvelle- Zélande. M. Kendall m'a souvent, dit que Ika-Na- Mawi pouvait compter un million d'habilans; j'ai ra- conté que M. H. Williams estimait ce nombre à cinq cent mille 2 ; enfin M. Nicholas le réduisait à cent cin- quante mille 5. Pour moi, je pense qu'en prenant pour Ika-Na-Mawi le chiffre deux cent mille, on ne pourra pas commettre une grande erreur. Quant à Tavaï-Pounamou, on ne peut guère lui donner plus de cinquante mille habitans. Il en résulterait que la population de la Nouvelle-Zélande entière pourrait monter à deux cent cinquante mille âmes. L'intro- duction des armes à feu a été funeste à certaines par- ties de cette contrée. Les habitans du Shouraki et des rives de la baie d'Abondance jusqu'au cap Est en ont souffert d'une manière cruelle, et des cantons na- guère occupés par une population nombreuse sont aujourd'hui presque entièrement déserts. INous devons faire observer que le tableau que nous venons de tracer des coutumes, de l'industrie et des cérémonies des Nouveaux-Zélandais , doit particuliè- rement s'appliquer aux habitans de la partie septen- i Cook, deux. Voy., V, p. 204. — » B'I'nille, II, p. a3t. — 3 Nicho- las, d'Urv., III, p. 6'ir. 572 VOYAGE trionale de lka-Na-Mawi , les seuls jusqu'aujourd'hui que les Européens aient eu le moyen d'étudier avec quelque succès dans leur vie privée et dans leurs ins- titutions politiques. Tout porte à croire néanmoins que toutes ces observations peuvent convenir à tous les habilans de IkaOsa-Mawi indistinctement, à quel- ques exceptions , à quelques nuances près ; car tous ces insulaires, parvenus au même degré de civilisation et réunis par peuplades presque semblables, avaient dû adopter des institutions à peu près identiques. En franchissant le détroit de Cook , en arrivant sur le sol de Tavaï-Pounamou , on ne tarde pas à reconnaître une différence énorme, différence due à la fois à la faiblesse relative des tribus qui habitent cette dernière île et à la stérilité du sol qu'elles occupent l. Cette dif- férence parait devenir d'autant plus grande qu'on s'a- vance vers le sud, puisquà la baie Dusky Cook ne trouva plus que des familles isolées réduites à l'exis- tence la plus misérable. Toutefois c'est la même race d'hommes qui peuple la surface entière de ces îles dans une étendue de quatre cents lieues du nord au sud ; ils emploient les mêmes armes, les mêmes vète- mens ; ils parlent la même langue, et leurs habitudes au fond sont les mêmes. Je le répète, toute la diffé- rence parait consister dans une dégradation conti- nuelle dans la force des tribus , dans les arts in- dustriels et agricoles, en même temps que la latitude augmente. Nul doute que les parties septentrionales i D'Urville, II, p. 40. DE L'ASTROLABE. 573 de Ika-ÎNa-Mawi, qui sont aussi les plus tempérées, n'aient été peuplées les premières, et les contrées plus australes le furent successivement par des tribus chas- sées de leur territoire, et réduites à chercher un asile en des régions encore inhabitées, moins favorisées par la nature et soumises à un climat plus rigoureux. 574 VOYAGE CHAPITRE XX. rRODLTTtON'S l)F l.V NOi;VEI.LF.-/.F. r.A Mil . I. REGNE MINÉRAL. Le sol entier de la Nouvelle-Zélande est montueux et fort irrégulier ; on y rencontre rarement des val- lées d'une certaine étendue. Cependant Ika-Na-.Alawi offre des districts où le terrain est plus uniforme ; dans d'autres parties, les ondulations du sol, quoique nombreuses et rapprochées , sont moins brusques , et leur pente serait assez douce pour se prêter sans peine à toutes sortes de cultures. Bien qu'on trouve des montagnes sur toutes les parties de sa surface , il est une foule d'endroits où ces montagnes s'abaissent par degrés et semblent offrir des sites agréables, des stations susceptibles d'être occupées par des peuples civilisés. C'est ce que nous avons observé sur les bords de la baie Hawke, de la baie d'Abondance, de la baie Shouraki , et sur certains lieux voisins du cap Est. DE L'ASTROLABE. 575 Il n'en est pas de même de Tavaï-Pounamou ; lous les voyageurs se sont accordés à représenter cette île comme une chaîne de hautes montagnes entassées les unes sur les autres , de l'aspect le plus sauvage et le plus repoussant : souvent leurs cimes sont couron- nées de neiges éternelles , leurs flancs sont escarpés et dépouillés, tandis que leurs hases seulement sont re- vêtues de verdure sur la côte occidentale. Presque toujours ces montagnes descendent à la mer en pente brusque , ce qui rend l'abord de ces plages inaccessible. Dans les baies situées dans le détroit de Cook, la côte offre quelquefois des lisières de terrain plus pra- ticables. 11 est probable qu'il en est de même sur la côte orientale. Enfin , quel que soit l'aspect que pré- sentent au navigateur les cimes sourcilleuses de l'inté- rieur, peut-être les efforts des voyageurs futurs dé- couvriront-ils dans ces régions inconnues , des vallons rians , des cantons favorisés par la nature, dont nous ne soupçonnons pas même l'existence. Quant aux documens géologiques et minéralogi- ques que nous possédons sur ces contrées australes , ils sont encore fort incomplets. Banks eut été par sa position, ses connaissances, et par suite des nom- breuses relâches que Cook fit dans son premier voyage, celui qui aurait pu recueillir le plus de don- nées sur ce chapitre, et il ne nous a rien laissé. Crozet, sans être naturaliste, fut le premier qui donna quelques détails sur la constitution géologique de la Nouvelle-Zélande. Il rencontra , dit-il, des traces de volcans, de la lave mêlée de scories , du basalte, de 576 VOYAGE la pierre ponce , des blocs de ces verres noirs qu'on sait n'être qu'une fusion de matières vitrifiables au feu du volcan , des terres cuites sous forme friable , comme le tripoli '.Aux environs de la baie des Iles , il trouva cà et là des blocs de marbre blanc et de o marbre rouge jaspé, du granit à base de gabbre à lames plus ou moins noires, du quartz cristallise, des pierres à feu , du silex , des agathes calcédoineuses , des cailloux cristallisés intérieurement, d'autres trans- parens. Près du cap Nord, il avait observé une fon- taine dont les eaux très-limpides, en dégouttant du rocher, avaient la propriété de pétrifier les objets qui s'y trouvaieut plongés. On avait découvert de l'argile propre à faire de la poterie ; partout on avait remarqué de l'ocre d'un très-beau rouge. Enfin Crozet avait aussi fait attention au jade vert dont les naturels fa- briquaient la plupart de leurs instrumens, mais sans connaître le lieu d'où ils le tiraient 2. Forster rapporte que les rochers et les pierres qui formaient la belle cascade de Dusky-Bay, étaient du granit, du saxum et une espèce de pierre de talc brune et argileuse, dispersée en couches, et com- mune à toute la Nouvelle-Zélande 3. Il nous apprend que les pierres de la plupart des collines du canal de la Reine-Charlotte sont de na- ture argileuse et contiennent quelquefois des veines de quartz blanc. Sur quelques-unes des montagnes, i Crozet, d'Urv., III, p. 69. — a Crozet, d'Urv. , III, p. 70. Rochon Voyages, p. 367. — 3 Cook, deux. Voy. , I, p. 173. DE L'ASTROLABE. \7 7 sont de vastes couches de différentes pierres de corne et d'ardoises argileuses. Il ramassa en outre sur le ri- vage des pierres à feu , des cailloux, des morceaux de basalte noir, ferme et pesant , et de petits mor- ceaux de pierre ponce blanchâtre. Il aperçut aussi, en certains endroits, des couches de saxum noirâtre, compose d'un mica noir et compacte, entremêlé de petites particules de quartz. L'ardoise argileuse lui parut souvent rouillée, ce qui lui fit soupçonner la présence du fer '. La montagne entière qui sépare l'anse des Indiens de l'anse des Cormorans , est composée , dit ce natu- raliste , d'une argile talqueuse, ou pierre de talc , qui tombe en morceaux , et se divise en lames par son ex- position au soleil et à l'air. Sa couleur est blanche , grisâtre, et un peu teinte d'un sale jaune rouge, peut- être à cause des particules de fer qu'elle contient 2. Bien que le jade vert ou pounamou des naturels fut ordinairement apporté de l'intérieur, Forster décou- vrit sur la petite île Motou-Aro , dans le canal de la Reine-Charlotte, des veines perpendiculaires et quel- quefois obliques de cette pierre, d'environ deux pou- ces d'épaisseur, au milieu des couches de pierres de talc grisâtre dont on a déjà parlé 5. Suivant Anderson, les bases des montagnes, dans le même canal, du moins dans la partie qui regarde la cote, sont d'un grès cassant et jaunâtre, qui prend i Cooh, deux. Voy. , I, p. 244. — * Cook , deux. Voy., II, p. no. — 3 Cook, deux. Voy., V, p. 1 r et 12. TOME 11. ^9 578 VOYAGE une teinte bleue aux endroits où il est battu par les (lots. Ses couches sont horizontales ou obliques, et il contient de légères veines d'un quartz grossier, peu éloignées les unes des autres , et qui affectent la même direction que le grès. Le terrain qui recouvre ce grès est jaunâtre, il ressemble à de la marne et a un ou deux pieds de profondeur l . Cook observa beaucoup de sable ferrugineux dans la baie Mercure 2. M. Nicholas nous apprend que le bleu employé par les habitans de la baie des Iles, pour former leur tein- ture de mokOf était un oxide de manganèse, qui se trouvait sur les bords de la rivière Kawa-Kawa, et qu'il fallait creuser assez avant pour L'extraire 5. Sur les bords du lac Maupere, il observa des stalactites, du quartz et des morceaux de cristal incrustés dans des roches 4. Dans ces arcades naturelles si fréquentes le long delà Nouvelle-Zélande, M. Cruise assure qif'on ren- contre souvent des échantillons de cristal 5. La description que fait M. Marsden des rochers qui environnent le pa de Ika-Nake, près de Wangari, donnerait, lieu de penser que quelques-uns de ces ro- chers seraient des basaltes en cristaux bien pronon- cés 6. Dans l'espace de plusieurs milles, sur la rive sud-ouest de la rivière Shouki-Anga, il remarqua que la plage était jonchée de pierres arrondies, de diverses i Cook, trois. Voy. , I , p. 184. — 2 Cook, preni. Voy. , III , p. 25y. — 3 Xicholas, II, p. i53. — 4 Nichoïas, II, p. 201. — 5 Cruise, p 207. — 6 Marsden, d'Crv., III, p. 186. DE L'ASTROLABE. 579 grosseurs, depuis un jusqu'à six pieds de diamètre '. Dans le district de Tae-Ame, ce même ecclésias- tique visita une source d'eau chaude qui répandait une odeur sulfureuse, et dont la surface était cou- verte d'une écume semblable à de l'ocre rougeâtre. Les pierres des environs étaient dures et pesantes , probablement basaltiques. A peu de distance de cette source et près d'un petit lac dont les eaux sont blanchâtres, toute la nature du pays porte l'empreinte récente des volcans. Le sol des environs est spongieux , humide et blanchâtre comme de la terre de pipe. Un bois entier de pins a été consumé par l'action du feu 2. Rutherford a déclaré positivement, et il est le seul qui ait observé ce fait, que plusieurs veines riches de charbon de terre se montraient sur les flancs des montagnes de l'intérieur de l'ile Ika-Na-Mawi. Il fait aussi mention de bancs d'écaillés d'huîtres, qu'il a vus à la profondeur de trois pieds sous terre et à dix milles de distance de la côte. Les naturels, ajoutait-il avec sa simplicité caractéristique, ne pouvaient expli- quer comment ces coquilles se trouvaient en cet en- droit. Rutherford racontait aussi qu'auprès du cap Est était une plaine d'un mille carré environ, dont la surface est couverte d'herbe, mais qu'au-dessous elle présente une poussière d'une couleur jaune brillante comme du soufre. Cette poussière cautérise la peau, » Marsden, d'Urv., III, p. 353. — 2 Marsden , d'Urv. , III, p. 37 5 et suiv. 39" f»80 VOYAGE elle esl tant soit peu chaude, et se rencontre jusqu'à la profondeur de plusieurs pieds ' . Tous les voyageurs, et M. 3Iarsden particulière- ment, ont vanté la fertilité du sol qui, dans les plaines , est en général composé de débris végétaux , mêlés de sable. 'Sur les coteaux dépouillés, il est communément argileux. Enfin, dans les terres sub- mergées et sur le bord des torrens , à basse mer , c'est une vase molle qui couvre quelquefois de grands espaces de terrain. INous avons déjà parlé des traces de volcans qui existent sur un grand nombre de points, comme dans le canton de Tac-Ame, sur les bords du lac Mokoïa, dans le canal de l'Astrolabe, sur les îles Rangui-Toto et Koreha, dans la baie Inutile, sur les bords du canal de la Reine-Charlotte. L'île Pouhia-I-Wakadi est un petit volcan en activité. Tout annonce que des voyages plus étendus dans l'intérieur, surtout dans l'île Tavaï-Pounamou, en feront connaître de plus remarquables. Il faudra aussi des recherches plus suivies et des ex- périences plus scrupuleuses pour déterminer quelles sortes de métaux ces grandes îles australes peuvent offrir à l'industrie humaine. En attendant que les progrès de la civilisation ou les efforts des voyageurs viennent un jour étendre nos connaissances sur cette matière, je vais joindre ici l'exposé des observations géologiques recueillies i Rutherford, d'Urv., III, p. 7 ', 3 . DE L'ASTHOLA-BE. à81 par mon savant compagnon, M. Quoy, sur le sol de la Nouvelle-Zélande : « La Nouvelle-Zélande, comme toutes les grandes terres , doit , dans sa constitution géologique , recon- naître plusieurs systèmes de formations. Les latitudes qu'elle oecupe vers le sud ne permettant point le dé- veloppement de celte vigoureuse végétation qu'on voit dans la zone torride embrasser le sol et le recouvrir d'humus depuis le bord de la mer jusqu'au sommet des plus hautes montagnes, il serait facile à l'observa- teur qui aurait le temps de parcourir celte île, de l'étu- dier sous ses rapports géologiques. Nous allons don- ner une idée succincte des points divers que V Astro- labe a parcourus et où elle a relâché. » Du cap des Vents contraires au détroit de Cook , la cote est raide, inabordable et sans ports. Les monta- gnes y sont très-élevées , et descendent jusqu'au bord de la mer. La plupart se dessinent en pitons sans former de longs sommets à crêtes , ce qui me fait soupçonner dans plusieurs une origine volcanique. Une entre autres se distinguait par cinq digitations en forme de main , qui couronnaient son sommet , d'où le nom de Cinq-Doigts qui lui fut donné. » Le large détroit qui sépare en deux la Nouvelle- Zélande présente sur l'île sud la baie Tasman qui, par son ouverture et son étendue , pourrait plutôt passer pour un golfe. Une anse de ce vaste enfoncement donna refuge a l'Astrolabe, et en prit le nom. Son contour offre de petites montagnes à sommets arron- 582 VOYAGE dis , la plupart bien boisées, quelques-unes seulement recouvertes de. fougères très-épaisses. Elles sont for- mées de granit à grains moyens avec mélange de peg- matite violette à gros grains. Comme dans tous les terrains granitiques l'eau sort de toutes parts. Il ap- partient aussi à cette formation d'offrir des côtes sai- nes que les vaisseaux peuvent aborder de fort près. » La pointe nommée de Séparation est aussi grani- tique , et il est probable que depuis ce lieu jusqu'à l'anse de l'Astrolabe les falaises grisâtres qu'on aper- çoit au loin sont de même nature. » Non loin de là, dans cette même baie Tasman, nous avons trouvé sur le bord de la mer un bloc de roche pétrosiliceuse talcifère verte , percée d'un trou, et qui servait d'ancre à une pirogue. Les environs ne pré- sentant aucuns débris de cette substance , nous igno- rons d'où les naturels la tirent. » Au fond de la baie Tasman est le passage des Fran- çais qui conduit dans la baie de l'Amirauté. Il est res- serré entre deux collines fort élevées, très-raides, couvertes de bois , mais qui dans certains points de leurs escarpemens permettent de reconnaître des cou- ches très-obliques et quelquefois verticales , d'épais- seur variable , d'une roche talqueuse phylladiforme violette ou verdatre passant quelquefois au jaspe. Ces couches barrent en partie le passage, et, s'élendant sous les eaux , elles rendent le mouillage très-peu sur. On conçoit en effet que lorsque les ancres tombent dans la ligne des couches elles ne peuvent mordre, et les forts courans qui régnent dans ce lieu entraînent DE L'ASTROLABE. 583 le navire dans ions les sens, ainsi que cela arriva an noire. En général , dans les fonds schisteux, il n'y a qu'une direction dans laquelle la tenue soil bonne, c'est celle où l'ancre est transversale an sens des couches. Encore, le reversement de la marée peut-il détruire cette disposition. Ce que nous disons ne doit être con- sidéré que dune manière Tort générale , car un acci- dent quelconque de terrain, une pointe de rocher peu- vent rendre dans tous les sens la tenue bonne pour le moment. » Ecs contours de la baie Inutile sont volcaniques. Il en est de même des terres que nous côtoyâmes pen- dant un à deux jours après en être sorti. Elles offrent des pitons isolés , noirs , peu élevés , et qui , dans plusieurs points, ne paraissent pas encore assez dé- composés pour que de grands végétaux s'y dévelop- pent. » Les échantillons que nous recueillîmes pendant une relâche de quelques heures à la baie ïolaga sont de grès calcaire, sorte de Macigno dont les rochers assez peu élevés de ce lieu sont formés. Par la décomposi- tion et l'action de la mer ils présentent de ces perfo- rations en forme de pont , qu'a figurées Cook dans ses voyages , et que nous avons retrouvées dans un sol semblable sur la Nouvelle-Hollande, à la baie Jervis. » La colline au pied de laquelle se trouvent quelques maisons parait entièrement composée d'une argile sa- blonneuse assez peu minéralisée , contenant des co- quilles fossiles difficiles à reconnaître. Cependant 584 VOYAGE Mi Regley, naturaliste du Jardin du Roi, a distingué des univalves et des bivalves. C'est le seul point de la Nouvelle-Zélande, où nous ayons abordé, qui nous ait offert des fossiles. » J'ai lieu de croire, par des échantillons amassés au fond de la baie des Brèmes , que les montagnes noires et déchiquetées qui l'entourent, comme les Pauvres- Chevaliers , la Poule et les Poussins de Cook , sont de nature ignée. Les blocs entassés sans ordre sur le rivage étaient formés d'agrégats assez solides de sco- ries boursoufflées et de fragmens de basalte. » Près de l'extrémité de file nord de la Nouvelle-Zé- lande, la mer pénètre fort avant dans les terres qu'elle .; découpées de diverses manières. C'est ce que Cook, qui n'en a connu que l'entrée , a nommé assez impro- prement rivière Tamise. La mer n'y est pas profonde. Le sol est peu élevé , coupé en falaises abruptes re- couvertes d'épaisses fougères. Une seule île assez grande était bien boisée sur ses flancs, de larges espaces nus laissaient apercevoir des coulées de la- ves en scories. Sur la grande terre à droite, près de la cote, nous vîmes une quantité de petits pitons coniques isolés , vraies miniatures de volcans bien anciennement éteints et recouverts d'une végétation herbeuse. Ils étaient formés d'une brèche volcanique assez peu consistante de tuffa ou pépérino , avec des fragmens de basalte et, je crois, d'obsidienne. » Les îlots peu élevés qui forment la baie des Iles, et les terres environnantes qui le sont davantage , ont pour base un pétrosilex terreux se délitant faci- DE 1/ ASTROLABE. 585 lemenl, et affectant dans sa cassure une sorle de forme rhomboïdale. » On trouve encore sur les côtes de la Nouvelle- Zélande des ponces flottantes en assez gros morceaux. » Des missionnaires anglais nous donnèrent des échantillons de serpentine imparfaitement schistoïde d'un vert noirâtre sans indication précise de localité. Ils y ajoutèrent du soufre cristallisé et des efflores- cences de sulfate de soude provenant de la petite ile Blanche située dans la baie d'Abondance, et qui est en ignition. Nous en avons vu sortir une fumée abon- dante. » II. RÈGNE ANIMAL. Avant la découverte de ces îles par les Européens, elles ne nourrissaient que deux sortes de quadru- pèdes, le chien et le rat. Le premier appartenait a l'espèce répandue dans les diverses îles de l'Océanie; l'autre était un peu plus petit que le rat commun d'Eu- rope. Dans le globe entier, nulle autre contrée d'une aussi vaste étendue n'avait offert une disette aussi complète : c'est un fait fort remarquable dans l'his- toire des migrations des grandes races animales. Quel est le quadrupède indiqué dans la grammaire zélandaise sous le nom de tito, puisque le chien est koudi et le rgt More » ? i Gramniar of New-7.ealand, p. 214- 586 VOYAGE Aujourd'hui les cochons sont répandus sur presque toute File septentrionale, et dans beaucoup d'endroits ils vivent à l'état sauvage. Les missionnaires ont ré- cemment introduit aux environs de la baie des lies , les chats , les chèvres , les brebis , et même les va- ches. Mais les scrupules religieux des insulaires, rela- tivement aux réglemens du tapou, s'opposent à la propagation de ces espèces. Les mammifères amphibies étaient plus abondans et plus variés. Les côtes les plus australes donnaient particulièrement asile à de nombreuses légions de phoques , de l'espèce P. Ursina de Linné. Les ba- leines et diverses espèces de marsouins fréquentaient les mers qui baignent ces îles. Tous ces animaux ont beaucoup diminué depuis une trentaine d'années , par suite des visites continuelles des baleiniers et des pécheurs de phoques. Jusqu'aujourd'hui les Européens n'ont pas observé sur ces terres d'autres reptiles qu'une petite espèce de lézard. Cependant les habitans ont quelques notions de serpens venimeux. Certains rapports de leur part font aussi mention d'un lézard monstrueux qui vit dans certains cantons de l'intérieur, et qui enlève et dévore quelquefois leurs enfans. Ce bruit n'est-il qu'un conte populaire , analogue à celui du coppir chez les Australiens? Ou bien leurs rivières nourris- sent-elles quelque reptile du genre du crocodile ou du caïman? • Parmi les animaux terrestres qui vivent à la Nou- velle-Zélande , sans contredit c'est la famille des oi- DE L'ASTROLABE. 583 seaux qui présente le plus grand nombre d'espèces. Ces îles ont déjà offert aux naturalistes une trentaine d'espèces bien caractérisées. Les plus communes sont le philédon à cravate, une ou deux colombes, un moucherolle, un earouge à caroncules, des cailles, des alouettes, des mésanges, etc. Les plus remar- quables sont un gros perroquet à plumage sombre (Psittacus nestor) , une belle colombe à plumage écla- tant, le glaucops cendré, et surtout cette espèce naine de casoar qui a reçu le nom iïapterix, et qui est encore imparfaitement connue. Cook inclique aussi des faucons et des chouettes qui diffèrent peu des espèces d'Europe. A cela nous devons joindre les oiseaux de mer, tels que pétrels , albatros , huitriers , fous , mouettes , sternes, cormorans, pingouins, hérons, bécassines et canards. Ces derniers étaient abondans sur les ri- vières et les lacs de l'intérieur. Les naturels avaient trouvé le moyen de les prendre au piège, ainsi que les pigeons et les perroquets. Ils chassaient les apté- rix au flambeau, et les forçaient à la course avec leurs chiens. Ils mangeaient la chair de ces divers oiseaux , mais ils n'élevaient aucune espèce pour s'en faire une ressource alimentaire. Le gros perroquet qu'ils nomment kaka, et le phi- lédon à cravate qu'ils appellent touï, étaient les seuls oiseaux qu'ils se plussent quelquefois à nourrir, le premier pour sa forme et son plumage , l'autre pour sa disposition à siffler et chanter, à peu près comme le merle ou l'étourneau en Europe. 588 VOYAGE Nous ne savons pas trop ce que Cook entendait par ses poules des bois de la baie Dusky; mais il est probable que c'étaient simplement des poules d'eau ». Rien n'est plus mélodieux que le chant du ?no- qaeur, et nul oiseau n'est plus familier que le mou- cherolle. Les insectes sont excessivement rares. Je crois qu'un de nous a observé un seul papillon diurne, et nous n'avons remarqué que quelques petites espèces nocturnes. Les coléoptères recueillis se sont bornés à trois ou quatre espèces de médiocre dimension. Ainsi, cette grande tribu du règne animal, si nombreuse en espèces sur les continens , à la Nouvelle-Zélande n'est encore représentée que par de très-petites espèces appartenant aux familles des fourmis, des sauterelles, des araignées et des mouches. Les moustiques et les mouches de sable , avec une espèce très-voisine de notre mouche bleue de la viande '-*, nous ont paru être les seuls insectes impor- tuns ou malfaisans 5. Forster se plaint beaucoup des mouches de sable noires qu'il nomme tipula alis in- cnmbentibus. Elles étaient fort nombreuses à la baie Dusky, et leurs piqûres causaient des démangeaisons insupportables. Le mille-pieds, dit-on, se trouve sur les ilôts Ma- nawa-Tawi, et non pas sur la grande terre 4. Enfin les relations de M. Marsden ont mentionné une espèce « Cook, deux. Voy., I, p. 164. — 2 Nicholas, II, p. 3 7. — 3 Cook, prém. Voy., II, p. 2 53. Deux. Voy., I, p. 211. Trois. Voy., I, p. ig5. — 4 Nicholas , I, p. 77. V DE L'ASTROLABE. 589 de chenille qui fait quelquefois de grands ravages dans les plantai ions de patates douces des naturels. Les coquilles marines sont nombreuses et variées, principalement dans les genres onehidie, turritelle, ancillaire, murex, fuseau, struthiolaire , modiole, moule, haliotide, patelle, monodonte, telline, etc. Je n'ai pas connaissance qu'on ait trouvé sur ces grandes îles aucune coquille vraiment terrestre : les ampullaires habitent sur les bords fangeux des tor- rens , et même sur ceux que la marée couvre et dé- couvre alternativement. Les crustacés sont abondans en divers points, et surtout sur les côtes de Tavaï-Pounamou , puisque les habitans ont tiré leur nom kaï-kohoura de cet ali- ment; kohoura signifiant homard en langue du pays. Les naturels font cette pèche en plongeant le long de la côte , et dégageant avec les pieds ces animaux du fond où ils se tiennent cramponnés ». La vraie manne des insulaires de la Nouvelle-Zé- lande est cette profusion de poissons d'excellente qua- lité qui se rencontre sur presque tous les points de ces iles. Nous citerons notamment les espèces qui appartiennent aux genres spare , scombre , serran , trigle, labroïde , raie, etc. D'autres se rapprochent beaucoup des soles , des carrelets , des morues , des mulets, des congres et des anguilles de nos climats 2. On y trouve aussi diverses espèces de squales dont i Cock, prem. Voy. , III, p. i5^. — = Cooh, prem. Voy. , III, p. 255. Trois. Voy., I , p. 193. 590 VOYAGE plusieurs individus atteignent d'énormes dimensions. M. Marsden nous apprend que le lac Maupere est très-poissonneux , mais on ignore quelles sont les es- pèces qui l'habitent. Je dois à M. Quoy la note suivante touchant les animaux divers que l'on rencontre à la Nouvelle-Zé- lande : « La Nouvelle-Zélande, par son isolement et sa po- sition reculée vers le sud , possède dans ses produc- tions des caractères qui lui sont propres. Sa végéta- tion a une physionomie toute particulière , et diffère totalement de celle de la Nouvelle-Hollande, terre la plus voisine , et avec laquelle on aurait pu lui sup- poser de grands rapports. Le règne animal n'offre pas moins de différence dans ses divisions. Les mammi- fères sont presque nuls : car le chien et le rat peuvent y avoir été apportés par les premiers habilans ; le chien surtout dont la race médiocre et abâtardie semble n'a- voir pu s'isoler de l'homme pour redevenir sauvage. Il parait que le cochon, qu'on trouve maintenant en assez grande abondance sur quelques points , est une acquisition moderne due aux Européens. Ainsi cette nombreuse famille de marsupiaux , qu'on rencontre d'une manière non interrompue dans les îles d'Asie , les Moluques, la Nouvelle-Guinée, qui pullule dans la Nouvelle-Hollande , s'est arrêtée à l'ile de Van- Diémen. » Les oiseaux, moins bornés dans leurs migrations, sont cependant peu nombreux , et ne présentent pas DE L'ASTROLABE. 6ÏM cette diversité qu'on trouve à la Nouvelle-Hollande. Bien qu'il v ait des genres communs aux deux terres, l'ensemble est cependant spécial à la Nouvelle-Zélande. Ainsi, par exemple, il paraît y avoir peu d'oiseaux de proie. Le glaueope à caroncules , le philédon à cra- vate , un nouveau tangara , le grimpereau que nous avons nommé hétéroclite, l'oiseau connu sous le nom d'aptérix , sorte de casoar à long bec grêle , notre genre anarrynque parmi les échassiers, peut-être le sphénisque nain, etc., sont des êtres qui n'appartien- nent qu'à cette île. Elle a de commun avec d'autres contrées d'avoir des philédons , des cailles, des alouet- tes , des moucherolles , des mésanges , des fauvettes , des stournes , des synallaxes , des tourterelles , des cormorans , des huitriers; un étourneau à caroncules, espèce unique dont il faut aller chercher l'analogue en Amérique; un gros perroquet qui, dans sa forme toute particulière, a de la ressemblance avec celui de Madagascar; enfin des perruches. Excepté ces der- nières et une colombe à reflets métalliques , ces oi- seaux sont remarquables par la teinte sombre de leur plumage. De ces divers genres, représentans de ceux qu'on trouve dans les terres environnantes , celui des perroquets est sans contredit le plus extraordinaire , comme paraissant étranger au milieu de tous les au- tres, et sous une latitude aussi rigoureuse. Mais, s'il est vrai qu'il y ait de ces oiseaux au cap Horn , on ne doit point s'étonner de trouver des perruches à l'ile Macquarie, située par 55° latit. S. On remarque que la nature a donné à quelques-uns de ces animaux ô92 VOYAGE de la même famille un duvet et des plumes plus four- nis , afin de résister à l'intempérie des saisons. C'est, ce qu'on voit très-bien sur le kakatoès blanc de Port- Jackson comparé avec celui des Moluques ou de la Nouvelle-Guinée. » Sauf quelques petites espèces de lézards, nous ne connaissons point d'autres reptiles. Il est cependant probable qu'il existe des batraciens dans les'lieux fa- vorables à leur développement. D'après des rapports assez vagues de naturels , Cook a cru reconnaître le crocodile , ou du moins une grande espèce de lézard. Ce fait qui n'est pas incroyable demanderait cependant à être confirmé. Sans jamais avoir rencontré de ser- pens , il nous a paru évident qu'il y en avait , et même de venimeux , par les gestes d'effroi que faisait le Zé- landais Cocaco, qui a navigué avec nous , lorsque nous lui présentions de ces reptiles conservés dans lesprit-de-vin. Il indiquait précisément que leur mor- sure faisait enfler. Nous n'avons pu savoir si c'était un serpent de terre ou de l'espèce qui vit dans la mer, et dont la queue est élargie en même temps que com- primée. » Certains parages abondent en poissons ; d'autres semblent en être dépourvus. La rivière Tamise est le lieu où nous en péchâmes le plus à la ligne. Ils appar- tenaient à la famille des spares , et étaient de fort bon goût. Nous ne fûmes pas heureux lorsque nous jetâmes la seine dans la baie des Iles. Les énormes dimensions que les naturels donnent à ces sortes de filets sem- blent bien indiquer que le poisson n'est généralement DE L'ASTROLABE. 593 pas très-commun. Celui que nous obtînmes apparte- nait aux scombres , aux serrans , aux trigles , aux la- broïdes , aux squales , et presque tous des espèces nouvelles. Nous signalerons un petit poisson d'eau douce voisin des galaxies , qui infeste l'aiguade de la baie des Iles. Il est si gluant de sa nature qu'il s'intro- duit facilement dans les seaux et les tonneaux , et peut faire gâter l'eau lorsqu'il vient à se corrompre. » Malgré ses vastes baies , ses découpures , ses pla- ges et ses rochers battus par la mer, la Nouvelle-Zé- lande n'offre pas à ses habitans de grandes ressour- ces dans ses autres productions marines. A l'exception des haliotides , des struthiolaires, rares dans les col- lections avant le voyage de P Astrolabe; de notre nou- veau genre ampullacère s encore plus recherché, la classe des mollusques ne fournit aucun autre aliment. Sous le rapport de l'histoire naturelle , au contraire, cette terre encore peu explorée, nous a offert de nom- breuses espèces nouvelles, soit en mollusques, soit en annelides. Nous citerons quelques localités pour faciliter les recherches de ceux qui viendront après nous. » L'entrée du détroit de Cook par la baie Tasman nous a donné dans ses vases le buccinam raphanus 2 , et une belle espèce d'ancillaire. Nous avons trouvé peu après dans l'anse de l'Astrolabe un grand nombre de i Ampullaria avellana, Lînn., dont il n'y avait que deux individus dans Pari.'. — ' Fusus raphanus , Lk., mais qui est un vrai buccin d'après l'exa- men de l'animal. TOME il. 4° • ) 94 VOYAGE turritelles roses, qu'il faut draguer, d'énormes moules vertes dont les naturels ne font point usage , des mé- sodesmes , des vénéricardes , de jolies modioles en- chevêtrées dans leur byssus cotonneux , et cachées sous les rochers. Sur les redoutables rochers de la passe des Français nous avons recueilli le purpura haustum seulement figuré dans les belles Planches de Martyn; le troque de Cook et celui qu'on nomme empereur, coquille rare et très-recherchée des ama- teurs. Le buccinum testiduneum abonde sur les plages caillouteuses de la baie des Iles; c'est de là aussi que viennent les struthiolaires, dont les naturels entassent les débris près de leurs demeures après en avoir mangé L'animal. Nous ne connaissons point la localité précise de ce buccin qui doit probablement habiter les rochers battus par les flots. Partout dans ces mêmes lieux on rencontre des patelles, des patelloïdes, des monodontes , des calyptrées , des crépidules , quel- quefois des vermels , de nombreuses variétés d'osca- brions et une foule d'autres mollusques à coquilles, qu'il serait trop long d'énumérer dans un simple aperçu des choses principales que présente cette con- trée. Nous ajouterons cependant encore que la baie de Tolaga est un lieu où les haliotides semblent plus particulièrement se plaire , comme [es nérites dans la baie des Brèmes. Ce n'est même qu'à cette extrémité de la Nouvelle-Zélande , se rapprochant davantage des contrées chaudes , que nous avons trouvé ce dernier mollusque. Il y était en grand nombre. » Quant aux mollusques terrestres, ils sont à peu DE L'ASTROLABE. ,:>., près nuls sur les divers points du littoral que nous avons parcourus. » Les crustacés qui, dans les pays tempérés, four- nissent ordinairement par leur nombre une nourri- ture abondante, n'offrent ici que de petites espèces seulement remarquables pour le naturaliste. Les do- minantes étaient des crabes , des pagures , des porce- laines, quelques plagusies. » Les mêmes remarques s'étendent aux oursins. Sous des latitudes aussi peu chaudes on ne doit pas s'attendre à rencontrer un grand nombre de zoophy- tes, surtout de ceux qui frappent par leur éclat ou leur grandeur. Aussi notre drague n'amenait-elle que des polypiers flexibles de petite taille , qu'on ne pouvait étudier qu'à l'aide d'une loupe. La mer rejetait sur les plages , de même que dans nos contrées , d'assez nom- breuses médusaires. » Les insectes sont tellement rares sur les bords de la mer que je ne puis indiquer que quelques papillons et une espèce de cicindelle recueillie sur la plage de la baie Tasman. » Tl résulte de ce rapide examen que l'intérêt des pro- ductions de la Nouvelle-Zélande dans le règne animal, tient moins à leur variété , à leur abondance ou à leur éclat, qu'à ce quelles ne sont pas encore bien connues des naturalistes ou répandues dans les collections. » in. REGNE VÉGÉTAL. La végétation de ces îles est riche et variée. On y .',90 VOYAGE rencontre de belles forets dont les arbres conservent leur feuillage pendant l'hiver, et plusieurs de ces ar- bres offrent d'excellens bois de construction. Les collines dépourvues de bois sont en général tapissées par la fougère comestible, Pteris esculenta, dont les tiges rameuses et entrecroisées forment des fourrés de quatre ou cinq pieds de haut presque impénétra- bles. Ces localités sont d'une monotonie désolante pour le botaniste; mais s'il dirige ses pas sur les bords de la mer, sur les rives des torrens , dans les ravins humides , surtout dans les forets ombragées par de grands arbres, ses récoltes deviennent plus abondan- tes , et bon nombre de plantes encore peu connues viennent s'offrir à ses regards. Dans le tableau rapide que nous nous proposons de tracer de la végétation de cette contrée, nous allons prendre pour base le beau travail que M. Achille Richard vient de terminer sur cette matière : Forster, le seul naturaliste qui eût jusqu'à ce jour essayé de tracer le tableau de la végétation de la Nouvelle-Zélande, ne mentionna que 174 espèces de plantes propres à ces îles, dont une vingtaine étaient des Cryptogames appartenant seulement aux familles des Fougères et des Lycopodes. Agardh décrivit plus tard diverses Algues rapportées par Banks, et le professeur Hooker a récemment décrit une foule de Cryptogames recueillies par Menzies , médecin et botaniste de l'expédition du capitaine Vancouver. M. Richard, dans son Essai, a réuni à ces divers DK l/ASTROLABE. 597 documens toutes les plantes nouvelles rapportées par H Astrolabe , et il en résulte aujourd'hui pour la Nouvelle-Zélande une Flore de 380 espèces , dont *2\ I sont des Phanérogames. Sans doute plus d'un botaniste sera étonné au pre- mier abord de voir qu'une terre située par la latitude la plus tempérée, et dont la surface est au moins égale à celle de l'Italie en y joignant la Sicile, n'ait offert aux recherches des voyageurs qu'un nombre d'es- pèces aussi borné, tandis que de petites îles en Eu- rope en présentent souvent un nombre double ou même triple. Cet étonnement augmentera quand on apprendra que la Nouvelle-Zélande, loin d'être une terre aride et stérile , offre le plus souvent un sol fé- cond et bien arrosé, et qu'il est généralement tapissé d'une riche et brillante verdure. Mais il faut regarder comme un fait à peu près constant que , dans les Flores locales, les nombres des espèces ne suivent point précisément les rapports des surfaces du sol, mais qu'ils sont bien plutôt en raison inverse des dis- tances des localités aux trois grands continens de l' Ancien-Monde , du Nouveau et de l'Australie. Ce n'est que lorsque cette distance devient peu considé- rable que l'influence des surfaces du sol peut agir plus directement sur le chiffre des espèces, qu'on peut appeler l'exposant de la Flore. Les îles de France et de Bourbon , dans la mer des Indes , nous paraissent être les seules qui sortent de celte règle générale, attendu que les exposans de leurs Flores sont infiniment plus élevés que ne sem- 598 VOYAGE blerait l'annoncer leur grande distance aux lerres de l'Asie ou de l'Afrique. A la Nouvelle-Zélande, le rapport des Cryptogames aux Phanérogames est celui de 158 à 211 , environ de 3 à 4, et l'on doit faire attention que, dans ces Cryptogames , ne sont point comprises ces plantes presque microscopiques qui grossissent démesuré- ment les Flores des pays mieux connus. Ce fait vient confirmer ce que j'avançais dans un Mémoire sur les Fougères de l'Océanie , publié en 1 825 , que la végé- tât ion primitive du globe terrestre dut se composer de Lichens et de Mousses, et que le nombre des Phanérogames est en général d'autant moins consi- dérable, par rapport à celui des Cryptogames, que les terres sont d'une formation plus ou moins récente. Nous ne dirons rien de ces Jungermannies , dont le nombre des espèces s'élève jusqu'à 27 ; elles pro- viennent presque toutes des récoltes de Menzies, et, nous n'en avons nous -même observe que deux ou trois espèces au plus dans le détroit de Cook et dans les autres lieux que nous avons visités. Il faut sup- poser que les ravins humides et les roches refroidies de la baie Dusky sont autrement fertiles en Hépa- tiques que les contrées plus septentrionales de la Nouvelle-Zélande. Mais nous ferons remarquer le nombre des Fou- gères aujourd'hui connues dans ces îles et qui se monte déjà à 45 espèces. Son rapport à celui des Phanérogames est donc de 45 à 21 1, environ '/sj ce qui est parfaitement d'accord avec ce que j'avais DE L'ASTftOLABE. .,«.10 observé pour la plupart des îles de fOcéanie. Il faut ajouter à cela que plusieurs de ees Fougères sont iden- tiques ou du moins analogues à la Nouvelle-Zélande et dans les légions intertropicales. Bien quelles soient déjà portées au nombre de 29, les Algues nont été qu'imparfaitement étudiées , et Ton ne peut douter que ce nombre s'accroîtra beau- coup pour l'observateur qui voudra faire des recher- ches plus assidues et qui pourra visiter à loisir les plus riches localités. Nous recommanderons le nou- veau genre Màrginaria établi par M. Richard, que nous avions fait figurer très-exactement par M. Lau- vergne, mais dont les échantillons se sont trouvés égarés dans le cours du voyage. La division des Monocotylédones n'offre rien de remarquable que la prédominance des Graminées et des Cypéracées déjà signalée dans notre Mémoire sur les Fougères , et l'extrême disette des espèces dans les autres genres et même dans les autres familles. En effet , les Graminées et les Cypéracées sont encore représentées par les exposans 1 9 et 1 5, tandis que les Joncées et les Orchidées, les plus riches à la suite, sont réduites à 4 , et que le plus grand nombre n«offre plus qu'un type unique. Cette division s'accroîtra sans doute par les recherches des voyageurs, mais nous doutons que son exposant soit jamais plus que doublé. Là comme partout ailleurs, dans les Dicotylédo- nes , les composées ou synanthérées occupent le pre- mier rang de la Flore et comptent 27 espèces. Mais la 600 VOYAGE dégradation est rapide; car les Ombellifères , Epacri- dées, Myrtacées et OEnothérées qui suivent immédia- tement n'en comptent cpie 9, 8, 7 et G; trois autres familles n'en ont que 5, 4 et 3 ; douze familles sont réduites à 2 espèces ; enfin , les vingt qui restent ne sont plus représentées que par le type unique. Parmi ces familles si pauvres en espèces , nous citerons no- tamment les Rosacées, les Malvacées, les Borraginées, et les Apocinées plus ou moins riches en représentans sur les autres points du globe. La Flore de la Nouvelle-Zélande a cela de commun avec celle des terres équatoriales , que les plantes annuelles y sont rares et peu nombreuses ; les espèces vivaces sont plus fréquentes ; enfin , les végétaux li- gneux et même arborescens occupent le rôle le plus important. Jusque dans les lieux découverts, les Fou- gères et les Lycopodes couvrent bien plus souvent le sol qu'aucune plante herbacée. Certainement c'est avec celle de l'Australie que la Flore de la Nouvelle-Zélande a le plus de rapports, relativement au nombre des espèces; mais le ton gé- néral de la végétation se rapproche plus de celui des îles de l'Océanie intertropicale pour la forme des Fougères, pour \e faciès général des plantes, surtout pour la teinte verte et prononcée des arbres qui for- ment les forets. Bien qu'elle soit séparée de l'Europe par le dia- mètre entier du globe, Ja Nouvelle-Zélande nous offre 17 espèces de ce continent, savoir : Typha angusti- folia , Scirpus lacastris , S. acicularis , Triticam DE L'ASTROLABE. 601 repens , J une as communis , J. marilimus, Rumex crispus , Chenopodium mantimum , Sahola fruti- cosa , Plantage major, Convolvulus sepium , C. soldanclla, Soîichus oleraceus, Gnaphalium lutco-al- bum, Ranu?wuhis acris, Àrenaria média, Alsine média. Dans la plupart des lieux où j'ai observé ces plantes, il est impossible de supposer qu'elles y aient été importées depuis la découverte , comme les pom- mes de terre , les choux , les raves , les oignons , etc. On est donc conduit à penser que les mêmes causes qui amenèrent le développement de leurs germes sur le sol européen purent aussi déterminer leur appari- tion sur les plages de la Nouvelle-Zélande. Le nom- bre de ces espèces est le douzième du nombre total des Phanérogames , et il s'élèvera jusqu'au dixième , si l'on y joint les Festuca litloralis, Phalaris phleoï- des, Apium graveolens et Tillœa muscosa mention- nées par Forster. C'est un fait digne de toute l'atten- tion du botaniste, dans la distribution des races végé- tales sur la surface du globe terrestre. A la Nouvelle-Zélande, le ÏVeinmannia racemosa représente le IV. parvi/lora de Taïli ; le Piper exccl- sum remplace le P. methijsticum ; le Convolvulus soldanella le C. peltalas ; le Gahnia procera tient lieu du G. shœnoïdes , XEuphorbia glauca de YE, Atolo; les Me trosideros diffusa, fonda et lomentosa, du M. villosa, le Cymbidium autumnale du C. cly- peolum, X Urtica ferox deï ' V '. ruderalis , etc. Si l'on comparait la végétation de la Nouvelle-Zélande avec celle de la Nouvelle-Calédonie, on trouverait de plus 602 VOYAGE grands rapports ; ce qui est assez naturel , attendu le rapprochement de ces deux terres et une différence moins grande dans la nature du sol et dans celle du climat. Maintenant voici comment les diverses plantes se distribuent sur le sol de la Nouvelle-Zélande. Sur les bords de la mer, on trouve les suivantes: Festuca liltoralis , Agrostis piocera, Tri tic am re- pens , Juncus maritimus , Caria? ia sarmentosa , Avicennia resinifera , Calyslegia soldanella, Gna- p hali uni luteo-album , Senecio îieglectus , Petrose- linum prostratam , Euphorbia glauca , etc., plus ou moins fréquemment. Mais le Polygonum pros- f rat uni est certainement Tune des plus communes , elle couvre avec profusion les dunes et les rochers maritimes. Les Wahlenbergia gracilis, Lobelia alata , Sa- molus littoialis , et Petroselinum filiforme préfèrent les lieux ombreux et humides. D'immenses étendues de coteaux arides et décou- verts sont presque exclusivement occupées par les Pte- risesculenta et Lycopodium a" ' Uivillœi. Mais lorsque le sol est moins desséché, dès qu'il est traversé par des filets d'eau plus ou moins abondans , on voit bien- tôt s'y presser en tapis serrés les espèces suivantes , savoir : les divers Dracopht/llum, les deux Leplo- spermum , le Leptocarpus simple x , les Pimelea, X Epacris pauciflora et le Leucopogon Forsteri, et sans contredit, ces plantes jointes aux Guallheria antipoda et Andromeda rupestris constituent la DE LASTROLA.BE. 603 grande masse de la végétation zélandaise; ee sont elles qui viennent constamment frapper les regards du na- turaliste, dès qu'il sort des sables maritimes, des forets épaisses ou des coteaux envahis par la fougère comestible. Quelques espaces de terre tout-à-fait dénués de verdure sur les hauteurs, sont tapissés par les grands lichens des genres S tic ta, Cenomijce et Stereocau- lon. Ce cas est particulièrement fréquent sur les co- teaux qui dominent l'anse de l'Astrolabe dans le dé- troit de Cook. Dans les ravins humides, et à l'ombre des grands arbres, vivent les deux Cy athées et la plupart des nombreuses Fougères observées à la Nouvelle-Zé- lande. Là aussi habitent ces espèces plus remarqua- bles et jusqu'aujourd'hui particulières à ces îles, telles que les Genivstoma rapestris, Viscum antarcticum, Panax arboreum, Aralia Schefjlera, Cussonia Les- sonii, Zanthoxylum N ovœ-Z eelaiidiœ , Tiichilia mo- nophylla , Suttonia aastralis , Piper excelsum, Car- podetus se? ratas, Corynocarpas lœvigata. Quant aux arbres qui composent les profondes forets dont le sol est quelquefois couvert, nous ne pouvons guère citer que le Podocarpus dacrydoides propre aux terres basses et marécageuses , le Dacry- dium cupressinatn , le Podocarpas zamiœfolias de Richard , et le Phyllocladus rhamboidalis qui affec- tionnent les coteaux et les terres élevées. Le Metro- sideros lucida et le Dodonœa spathalala habitent, aussi les forêts. Le Melici/thus ramiflorus dont le 604 VOYAGE port et le feuillage rappellent parfaitement le Moras alba de l'Europe méridionale , se trouve le plus sou- vent près des cabanes des naturels. Nous n'avons observé qu'une seule fois, sur les bords argileux du Waï-Tamata, l'arbuste gracieux que M. Richard a nommé Asler furfaraceas. Nous n'avons vu également qu'une seule fois , près du vil- lage de Kahou-Wera, la plante que ce botaniste a désignée sous le nom ftApèiba australis, et qui ren- trerait dans un genre que l'on avait cru jusqu'ici con- finé sur les terres de l'Amérique méridionale. Le chiffre actuel de 380 est encore loin de repré- senter toutes les espèces qui doivent entrer dans la Flore de la Nouvelle-Zélande ; il reste surtout bon nombre de plantes arborescentes à connaître , attendu que la plupart n'avaient déjà plus de fleurs ni de fruits lors de notre passage. Nous ne doutons pas que le nombre des Phanérogames qui croissent dans ces iles ne puisse être un jour doublé , et il ira faci- lement à quatre ou cinq cents. Ce résultat est direc- tement celui qu'avait annoncé l'illustre Forster, à une époque où il avait à peine observé le quart de ce nombre d'espèces ». Avant que les Européens eussent apporté sur ces les une foule de plantes alimentaires de nos climats , la patate douce, Convolvulas batatas , le taro, Arum esculentum , les courges et la moelle de la grande • Cook, deux. Voy., V, p. 1 54. 1 DE L'AST&OLABE. 605 fougère, Cyathea mednllaris , étaient les seules subs- tances végétales réellement comestibles; car la racine du Pteris esculenta n était vraiment propre qu'à l'u- sage des naturels , tant elle était coriace et insipide. Us mâchaient , dit Crozet , une sorte de gomme verte qui avait un goût échauffant. M. Nicholas nous instruit que cette gomme provenait du Koadi, le seul arbre du pays qui en produise. C'est aussi celui qui donne le meilleur bois de construction , il atteint les plus grandes dimensions «. M. Richard l'a rangé parmi les Podocarpus , je crois plutôt qu'il appartient au genre Araucaria , ou qu'il en est du moins très- voisin , attendu que les missionnaires m'ont assuré que son fruit était une espèce de cône comme celui du cyprès. M. JNicholas cite un grand arbre fort touffu, pro- bablement le Karaha d'Anderson 2, dont les feuilles d'un vert foncé ressemblent assez à celles de l'oran- ger. Ses fruits , encore verts , imitent la forme de l'o- live , et deviennent jaunes en mûrissant. Ils contien- nent une amande d'une consistance onctueuse et d'une odeur désagréable. Cuites comme les patates , ces amandes sont mangées avec plaisir par les naturels , quoique leur goût ne puisse plaire à un Européen 5. Un autre arbre produit des fruits en forme de cône, d'une saveur chaude , épicée , et assez agréable , que les habitans aiment beaucoup 4. Un bel arbre très-touffu produit un fruit sembla- 1 Nicholas, I, p. 3o5. — 2 Cook, trois. Voy., I, p. 186. — 3 Nicho- las, T, p. 23s. — 4 Nicholis, I, p. 232. tî06 VOYAGE ble à la cerise, pour la couleur el la forme. Les natu- rels le regardent comme vénéneux ; son goût est très- amer et désagréable l. Serait-ce le maï-tao d'An- derson 2? M. Nicholas parle encore d'une espèce d'arbre d'un bois très-léger, plein de moelle , à* feuilles inci- sées , et dont l'écorce fibreuse sert aux naturels pour confectionner leurs plus fortes lignes de pêche. Comme il ajoute que cet arbre se trouve à Taïti , et que les insulaires en font des étoffes 5; je suppose que ce doit être une espèce à' Hibiscus , à moins que ce ne soit le Mer as papy ri fera que Cook a indiqué à la baie des Iles , mais que je n'y ai jamais observé. Avec l'infusion de l'écorce d'un arbre nommé ffinou, les Zélandais teignent leurs étoffes en noir 4. Le Tawa ressemble au sycomore pour le feuillage ; le Rewa- reua au hêtre pour le grain du bois. L'écorce du ÏVao est une sorte de liège. Le Kaï-katea et le Koa sont de grands arbres 5. Une espèce que M. Nicholas nomme Snpplc-jack (probablement une sorte de liane très-forte), se trouve partout dans les forêts, et rampe à des distances de cinquante à soixante pieds de l'en- droit d'où sa tige sort de terre 6. Le Kaï-katea [Podocarpus daci ydoides , Rich.) habite de préférence les terrains marécageux et inon- dés en hiver. Il parvient aux plus grandes dimensions, et c'est l'arbre qui avait particulièrement fixé les regards i Mcholas, I, p. 281. — 2 Cook, trois. Voy., I, p. 186. — 3 Mcholas, l, p. 309. — 4 Mcholas, I, p. i'to. — S Nicholas, II, p. 245. — 6 Mcholas , II, p. 2/ffi. DE L'ASTROLABE. 007 de Cook dans son premier voyage '. On a reconnu par la suite que son bois était trop cassant pour être utilement employé en mâture. On ne sait pas bien quel est celui que ce voyageur décrit comme avant une fleur écarlate qui semble être l'assemblage de plusieurs fibres. Il est probable néan- moins que ce doit être quelque Metrosideros 2. On sait quel parti son équipage sut tirer des feuil- les du Tetragonia expansa, bouillies en guise d'épi- nards , ainsi que du céleri et d'une crucifère qu'An- dersen nommait Cochlea/ia, et qui est le Lepidiam oleraceum de Forster. Cook et ses compagnons employaient en guise de thé la décoction des feuilles du Melalcaca scoparia qu'il nommait, pour ce motif, plante à thé. Anderson assurait positivement que ce végétal pourrait rempla- cer le thé qui vient de la Chine et du Japon 3. S'il en était ainsi, cette production pourrait devenir une branche de commerce importante, attendu que cet ar- brisseau est l'un des plus communs de la JNouvelle- Zélanfle. Cook faisait encore un cas tout particulier des jeu- nes pousses du Dacrydium caprcssinum qu'il em- ployait en guise de spruce. En les mêlant avec du moût de bière et de la mélasse , il en composait une boisson qu'il jugea très-salutaire a son équipage 4. Les compagnons de Cook assaisonnaient en guise 1 Cook, prem. Voy., I, p. 256. — Cook, prcm. Voy., I, p. 255. 3 Cook, irais. Voy., I, p. 187. — 4 Cook, deux. Voy., I, p. i5t). r>08 VOYAGE de chou-palmiste les^ommités du Dracœna anstralis, auxquelles ils trouvaient le goût de l'amande et un peu de la saveur du chou i. C'est le Ti des naturels dont la racine cuite était très-douce 2. Privés comme nous l'étions de tous végétaux frais , nous avons souvent mangé avec plaisir , sur l'Astro- labe , tant en soupe qu'en salade , les jeunes plantes du Sonchus oleraceus qui croissait en abondance près de la passe des Français. Forster recueillit à Totara-Nouï une espèce de poi- vre dont le goût ressemble à celui du gingembre 3. C'est le Piper excelsum , nommé par les habitans Kawa-kawa, comme à Tonga, mais avec lequel ils ne savaient point faire de liqueur spirilueuse. i Cook, deux. Voy., I, p. 189. — 1 Gramivar 0/ New-Zealand, p. ai2. — 3 Coo/i, deux. Voy., I, p 248. DE L WSTKOLAIÎE. B09 Ce naturaliste rencontra dans les bois du même district une plante qu'il nomma Areca sapïda, d'après Solander, et dont la tige offrait aussi une espèce de chou-palmiste ». Toutefois je doute fort que cette plante soit un véritable Areca, et je pense plutôt qu'elle doit se rapporter au genre Zamia. Le Phormium tenax et son beau tissu soyeux sont aujourd'hui généralement connus. Nous nous con- tenterons de dire que la Nouvelle-Zélande est la véri- table patrie de ce beau végétal. Il croit de préférence sur les bords des torrens; mais on le trouve aussi sur les rochers maritimes. Les naturels mentionnent diverses espèces d'ar- bres, comme le Dimoa, le Totara, Poudi-kovea, Ta- nakea, Akc, Angiu, Ka-Ika, Kaï-katoa, Karangou, Koiiton-oiitoii, Mae-oe, Maïde, Miro, Pâte (avec le- quel on allume du feu par le frottement), Poatou- haiea, Tara-ide, Toupaki, Toupou-toapou (espèce de manglier), ïFarangui, etc. C'est aux recherches des voyageurs à venir qu'il est réservé de prononcer sur la véritable nomenclature de ces diverses espèces. Cook et Marion, les premiers , introduisirent dans la Nouvelle-Zélande plusieurs plantes européennes , qui y réussirent parfaitement , et se propagèrent en- suite naturellement sur diverses parties de file Ika- Na-Mawi. Depuis une quinzaine d'années que les mis- sionnaires se sont établis sur le sol de cette île, le nombre de ces plantes s'est bien accru. Dans un demi- t Cçok, deux. Voy., III, p. 3',;. TOMC It. ji MO VOYAGE DE L'ASTROLABE. siècle , il en sera de ces contrées voisines de nos anti- podes , comme de toutes les terres où les Européens ont formé des colonies ; leur Flore aura subi des modi- fications considérables , aux espèces réellement indi- gènes se seront mêlées ces nombreuses plantes dont les semences, confondues avec d'autres graines plus utiles , participent aux soins qu'on donne à ces der- nières, et réussissent le plus souvent beaucoup mieux dans leur nouvelle patrie. C'est désigner assez claire- ment les céraistes, anagallis , sflene, bidens , plan- tains et diverses sortes de graminées qu'on trouve au- jourd'hui dans tous les lieux cultivés en Amérique , en Asie, et même dans l'Australie. Il est donc extrê- mement important de fixer le plutôt possible l'état de la végétation primitive dans ces contrées lointaines, afin d'éviter à la géographie botanique de nombreuses sources d'erreur. Sous ce rapport , l'Essai rédigé par M. A. Richard sur les récoltes faites par M . A. Lesson et par moi-même à la Nouvelle-Zélande, mérite donc tout l'intérêt des botanistes. En outre je suis bien aise de leur annoncer que dans le même été où j'explorais les côtes de la Nouvelle-Zélande, mon ami M. Allan Cunningham , savant et infatigable botaniste de Port- Jackson , passa deux mois à parcourir ces terres aus- trales , et pénétra h de grandes distances à l'intérieur. Sans doute cet habile naturaliste publiera un jour le résultat de ses observations , et son travail laissera peu de chose à désirer sur les richesses végétales de la Nouvelle-Zélande. FtN PU DEUXIÈME VOLUME ET f>F [.'ESSAI SUR I.A NOUVFXLr.-ZEI.ANDF.. NOTICE SUR LES ILES DU GRAND -OCÉAN Cite a la Sorictc oe €>fojjrnpl)ir oc flarts , Dans sa «canre ou 5 janntcr 1832. Comme je l'ai déjà annoncé dans la relation du voyage de l'Astrolabe ' , j'avais réservé pour le dernier volume de cet ou- vrage le Mémoire où je comptais présenter mes idées touchant les peuples qui habitent le Grand-Océan , et la nomenclature suivant laquelle je me proposais de classer les nombreuses îles qui s'y trouvent disséminées. Mais la publication du Voyage de l'Astrolabe a été déjà retardée bien au-delà de ce que je pouvais attendre, et les expressions qu'il me faudra quelque- fois employer dans le cours de ma narration m'ont paru être de nature à donner lieu à une explication préliminaire pour être i Cet ouvrage est à sa trente-troisième livraison pour la partie historique et à sa sixième pour la partie zoologique. Trois volumes de ma relation ont vu le jour; la Zoologie, ainsi que la Botanique, sont à leurs premières parties. Je dois déclarer que, depuis que j'ai pris la haute surveillance de cette entreprise, elle marche avec une activité peu commune et des soins qui mé- riteront, je l'espère, les suffrages du public. 4i" si 12 VOYAGE bien comprises du lecteur. A cette considération , déjà assez puissante pour me déterminer, vient s'en joindre une autre non moins importante. Dans votre dernière séance vous avez entendu avec intérêt la lecture d'un Mémoire dans lequel M. de Rienzi vous a développé ses opinions sur le même sujet; dès- lors j'ai cru devoir rompre le silence que je me proposais de garder, et vous exposer à mon tour le résultat de mes médita- tions. On voudra bien remarquer que je ne prétends imposer mes idées à personne; elles sont le fruit de dix années d'études, de recherches et d'observations, dont la plupart ont été faites sur les lieux mêmes : toutefois, je conviens qu'elles ne consti- tuent encore qu'un système. L'expérience, et surtout les faits recueillis par les voyageurs qui me suivront, décideront s'il mérite d'être préféré aux autres. D'abord , à L'exemple du célèbre Malle-Brun , et sans autre modification qu'un léger changement déjà adopté par M. Brué dans la terminaison du mot, nous désignerons par Océonie l'ensemble des îles, grandes ou petites, éparses sur la surface du Grand-Océan, nommé par diflciens navigateurs Océan Pa- cifique. A l'ouest, les limites de l'Océanic seront le détroit de Ma- lacca , la mer de la Chine, les côtes orientales de Formose, des îles Liou-Kiou et du Japon; au nord, elle sera terminée par le quarantième degré de latitude septentrionale; à l'est par les côtes de l'Amérique , et au sud par le cinquante-cin- quième degré de latitude méridionale. Il est évident que ces trois dernières limites sont purement systématiques, attendu qu'on ne trouve plus d'habilans dans toute cette surface, au- delà du vingt-troisième degré de latitude nord, du cent dixième degré de longitude ouest, et enfin du quarante-septième degré de latitude sud. Parmi les nombreuses variétés de l'espèce humaine qui oc- cupent les diverses îles de l'Océanie , tous les voyageurs, sans exception , en ont signalé deux très-différentes l'une de l'autre, et les traits aussi nombreux qu essentiels qui les caractérisent, DE L'ASTROLABE. 813 tant au moral qu'au physique , exigent sans cloute qu'on les regarde comme appartenant à deux races distinctes. L'une de ces races offre des hommes d'une taille moyenne, au teint d'un jaune olivâtre plus ou moins clair, aux cheveux lisses, le plus souvent hruns ou noirs, présentant des formes assez régulières, des membres bien proportionnés; on Les trouve habituellement réunis en corps de nation et quelquefois en monarchies considérables. Du reste, cette race offre pres- que autant de nuances diverses que la race blanche qui habite l'Europe, race nommée caucasique par Duméril, eljapétiquc par Bory de Saint-Vincfnt. L'autre race se compos^ d'hommes d'un teint très-rembruni, souvent couleur de suie , quelquefois presque aussi noir que celui des Caffrcs , aux cheveux frisés, crépus, floconneux, mais rarement laineux, avec des traits désagréables, des for- mes peu régulières, et les extrémités souvent grêles et diffor- mes. Ces hommes vivent en tribus ou peuplades plus ou moins nombreuses, mais presque jamais ils ne forment un corps de nation, et leurs institutions n'atteignent jamais le degré de perfectionnement que l'on remarque quelquefois parmi les hommes de la race cuivrée. Toutefois, les noirs de l'Océanie offrent dans leur couleur, leurs formes et leurs traits, tout au- tant de variétés que l'on peut en observer parmi les nom- breuses nations qui habitent le continent africain , et consti- tuent la race éthiopienne de la plupart des auteurs. Bien que ce ne soit pas ici le lieu de présenter dans son entier le système que nous nous sommes créé sur la ma- nière dont l'Océanie a dû se peupler, ni de l'appuyer par des raisonnemens plus ou moins plausibles, nous devons cepen- dant déclarer que nous considérons la race noire comme celle des véritables indigènes, au moins de ceux qui ont occupé les premiers le sol de l'Océanie. Les hommes d'un teint plus clair appartiennent à une race de eonquérans qui , provenant de l'ouest, se répandit peu à peu sur les îles de l'Océanie, et y fonda successivement des colonies plus ou moins considéra- 614 VOYAGE blés. Souvent elle expulsa ou détruisit complètement les pre- miers possesseurs du sol ; d'autres fois les deux races vécurent ensemble en bonne intelligence, et leurs postérités se confon- dirent par des unions multipliées. Enfin il put arriver que les étrangers trouvèrent la place encore vacante. De là cette foule de nuances diverses qui caractérisent les babitans de cha- que archipel, sans compter celles qui ont eu pour causes les climats, les habitudes, le régime alimentaire, en un mot toutes les circonstances dues aux diverses localités. Toutefois, parmi les hommes de la première race, on re- marque tout de suite deux divisions bi?n prononcées. En effet, toutes les peuplades, sans exception, qui occupent les îles les plus orientales de l'Océan Pacifique , depuis les îles Hawaii jusqu'aux îles de la Nouvelle-Zélande d'une part, et de l'autre depuis les îles Tonga et Hamoa jusqu'à l'île de Pâque , sem- blent sortir d'une même origine, et ne former qu'une seule grande famille dont les membres se trouvent dispersés à des distances immenses les uns des autres. Le teint, les traits de la physionomie et les formes, ont toujours des rapports plus ou moins intimes : la langue est partout exactement la même. Tous ces peuples sont esclaves de la superstition du tapou, presque tous sont adonnés à l'usage du kava, et celui de l'arc et des flèches leur est inconnu. Enfin ils ont tous des disposi- tions plus ou moins prononcées pour les arts de la civilisa- tion ; même avant l'arrivée des Européens, plusieurs d'entre eux étaient réunis en gouvernemens réguliers; on trouvait chez eux des dynasties affermies sur le trône, des castes avec leurs privilèges respectifs ; une religion avec ses rites, ses prê- tres et ses sacrifices; des lois, des us et des coutumes scrupuleu- sement observés , enfin une étiquette qui, pour la rigueur et les détails , ne le cédait en rien à celle des nations les plus ci- vilisées de l'Europe ou de l'Asie. La seconde division de la race cuivrée a rapport aux hom- mes répandus sur cette immense chaîne de petites îles qui ont reçu des navigateurs les noms de Groupe de King'smill , îles DE L'ASTROLABE. 615 Gilbert , Marshall , Carolines , Mariannes , jusqu'aux îles Pelew inclusivement. Ces insulaires diffèrent principalement des Oeéaniens de l'Orient par une couleur un peu plus fon- cée, par un visage plus eflilé, des yeux moins fendus et des formes plus sveltes. Ils paraissent aussi étrangers au tapou. La langue varie d'un archipel à l'autre, et diffère complètement de celle qui est commune aux nations de l'autre division. Les seuls traits de conformité entre les deux divisions sont la distribu- tion de la société en castes, l'absence de l'arc et des flèches pour armes offensives, et l'usage du kava sur quelques îles; mais dans celles de l'Occident le kava est remplacé par le bétel et l'arck. Cela posé , nous allons passer aux divisions que nous avons adoptées pour l'Océanie. Ces divisions principales et fonda- mentales sont au nombre de quatre. La première sera l'Océanie orientale, à laquelle nous con- serverons le nom de Polynésie , déjà adopté par divers géo- graphes; mais nous en limiterons l'acception aux peuples qui recounaissent le tapou, parlent la même langue et forment la première division de la race cuivrée ou basanée. La seconde division composera l'Océanie boréale, et com- prendra toute la seconde division de la race cuivrée. Comme elle n'est composée que d'îles très-petites, dont les plus impor- tantes sont Gouaham dans les Mariannes , et Baubelthouap dans les îles Pelew , nous lui imposerons le nom de Micronê- sie , qui ne diffère que par la terminaison de celui qu'a pro- posé M. de Rienzi. La troisième division présentera l'Océanie occidentale, et renfermera toutes les îles communément connues sous le nom d'îles des Indes-Orientales. De fortes présomptions autorisent à croire que de ces îles sortirent primitivement les hardis navigateurs qui prirent possession des deux premières divisions de l'Océanie. Nous lui laisserons le nom de Malaisie, déjà em- ployé par quelques auteurs, et dont nous pensons que l'initia— tive est due à M. Lesson. 6I« VOYAGE Enfin la quatrième division sera l'Océanie australe, formée parla grande île de la Nouvelle-Hollande et toutes les terres qui l'environnent, jusqu'aux limites de la Micronésie et delà Polynésie. Comme elle est la patrie de la race noire océa- nienne, elle recevra le nom de Mélanésie. Déjà M. Bory de Saint-Vincent avait proposé de désigner une variété des noirs de l'Océanie par le nom de Mèlaniens , et nous avons conservé volontiers cette désignation en lui donnant une ac- ception beaucoup plus étendue. Les Mèlaniens ou Mélanésiens occupent, sans contredit, la partie la plus considérable des terres océaniennes, mais la population de ces grandes îles est loin d'être en rapport avec leurs vastes dimensions. Nous allons actuellement revenir sur chacune des divisions de l'Océanie, tracer leurs limites respectives, et faire con- naître leurs subdivisions en indiquant rapidement les traits caractéristiques des peuplades qui les composent. Une ligne inclinée, par rapport à la méridienne, partant de l'extrémité N. O. des îles Hawaii, passant entre les îles Viti et les îles Tonga , et se prolongeant dans l'ouest de la partie la plus australe de la Nouvelle-Zélande, sera la limite occiden- tale de la Polynésie; et toutes les îles situées «à l'est, jusqu'à l'île de Pâque inclusivement, feront partie de cette grande division. Ainsi la Polynésie comprendra l'archipel de Hawaii ou des îles Sandwich ; celui de Nouka-Hiva , ou des Marquises; les îlesPomotou, ou l'archipel Dangereux ; celui deTaïti, ou de la Société ; celui de Hamoa, ou des Navigateurs ; celui de Tonga, ou des Amis; enfin les grandes îles de la Nouvelle-Zélande. En outre , on devra y joindre une foule d'îles semées en dehors de ces archipels, comme les îles habitées de Fanning, Roggewein,Mangia, Savage, Rotouma, Niouha, Waï-Hou ou Pàque, Chatam , etc., et plusieurs îles désertes comme Pal- myras, Christmas, Pylstart , Sunday, Macauley, Curtis , et les îlots situés au sud de la Nouvelle-Zélande. Comme nous l'a- vons déjà dit, toutes ces îles sont habitées par des hommes DE L'ASTROLABE. 617 dont l'origine est évidemment commune, attendu qu'ils ont entre eux les plus grands rapports, tant au physique qu'au moral , que leur langue est la même, et qu'ils sont tous assu- jettis aux réglcmcns mystérieux et inviolables du tapou. Il est certain que les peuples de Hawaii , de Taïti et de Tonga étaient ceux qui avaient fait le plus de progrès vers la civilisation ; des monarchies régulièrement constituées, et qui paraissaient avoir un certain degré d'ancienneté, des castes sé- parées les unes des autres par des privilèges distincts , des cou- tumes invariables et des cérémonies religieuses célébrées avec appareil, sans que leur principe en soit bien connu, attes- taient que ces hommes avaient depuis long-temps quitté l'état de nature pour former des sociétés étendues. D'ailleurs les ré- cits des anciens voyageurs , tels que Mendana, Schouten et Tasman, sont là pour démontrer que leurs coutumes, leur in- dustrie, leurs rapports sociaux et leur langue n'ont point Aarié depuis deux siècles et même davantage. Les Nouveaux-Zélandais, au contraire, placés sur une terre bien plus étendue , et doués par la nature d'un tempérament plus robuste , d'un caractère plus énergique et d'une plus grande aptitude pour les arts et les métiers de la civilisation , étaient restés plus voisins de leur état primitif. Réunis seule- ment en peuplades peu considérables, ils n'accordaient à leurs chefs qu'une autorité incertaine et souvent précaire ; chez eux tous les arts étaient encore dans l'enfance, et la guerre seule occupait presque exclusivement tous les instans de leur exis- tence. L'âpreté du climat, la pénurie de ressources alimen- taires dans le règne végétal, l'étendue même de leur sol ont dû contribuer à retarder les progès des Nouveaux-Zélandais vers la civilisation ; mais tout donne lieu de penser qu'aussi- tôt qu'ils s'en occuperont sérieusement ils prendront un essor plus rapide que tous les autres peuples de la Polynésie. Ainsi l'on a vu les habitans de l'Europe septentrionale , comme les Fiançais, les Anglais et les Allemands, à peu près sauvages il y a vingt siècles , sortir promptement de leur état de barbarie , 618 VOYAGE égaler et dépasser enfin les nations du Midi , qui les avaient si long-temps traités avec dédain a cause de leur ignorance. L'état politique des insulaires d'Hamoa, aux formes athléti- ques , est presque inconnu, mais la relation de Lapérouse donne lieu de présumer qu'il se rapproche beaucoup de celui de Tonga. La forme du gouvernement aux îles Marquises a de grands rapports avec celui des îles de la Société, mais il est plus simple et plus patriarcal. D'autres îles de la Polynésie, comme Mangia , Waï-Toutaki , Waï-Teroa , Oparo , sont à peu près dans le même cas. Enfin les habitans des îles Basses, ou Pomotou, situées dans l'est de Taïti , dénués d'institutions et dispersés en petites peuplades , vivent dans un état peu dif- férent de celui qui est propre aux tribus Mélanésiennes, et of- frent peut-être la transition entre les deux races. La Micronésic embrasse le groupe de King'smill , les îles Gilbert, les îles Marshall, ou îles Radak et Ralick, les Ca- rolines , les Mariannes , les îles Pelew, et en outre les îles inha- bitées comprises entre le Japon et l'archipel d'Hawaii, là* plupart réunies sous les noms d'archipel d'Anson et d'archipel de Magellan sur la carte de M. Brué. Cette longue chaîne de petites îles n'offre point une population homogène comme celle qui habite les terres de la Polynésie; le langage, les coutumes et la forme du gouvernement varient d'un archipel à l'autre, et le tapou , ce caractère moral, essentiel à la fa- mille polynésienne, paraît être inconnu des Mieronésiens, au moins sa puissance n'est pas la même. Toutefois, une res- semblance générale dans le teint, leurs cheveux noirs, leur physionomie plutôt effilée qu'arrondie, leurs formes souples et flexibles, et la douceur habituelle de leurs mœurs et de leur caractère semblent leur assigner une origine commune. Sui- vant nos conjectures, ce serait aux habitans des Philippines que les Mieronésiens pourraient se rapporter, et leur première patrie dut être dans les îles de Lueon ou de Mindanao. Si l'on en excepte les îles Pelew, celles des Mariannes et l'île Ua- lan , les mœurs , les coutumes et les idées religieuses des Mi- DE L'ASTROLABE. 6(9 cronésiens sont encore peu connues, et l'on doits'en rapporter aux récits incomplets des premiers missionnaires espagnols, ou bien aux souvenirs du vieux Torrès de Gouaham, successi- vement recueillis par MM. Chamisso et Frcycinet. La Malaisie otlïira toutes les îles que M. Brué a désignées dans sa carte sous le titre d'îles des Indes-Orientales, savoir : les îles de la Sonde, les Moluques et les Philippines. Ces terres sont connues depuis long-temps des Européens, et divers au- teurs ont écrit sur les coutumes de leurs habitans. La langue tagale est celle de Lueon ; la langue bisaie est celle de Minda- nao , et l'on suppose généralement que la langue malaise est celle des îles de la Sonde et des Moluques. Il paraît néanmoins que le malais était commun seulement aux peuples des rivages de la mer, car dans l'intérieur des grandes îles, comme Bor- néo , Célèbes et Guilolo , on parle d'autres langues, ou du moins des dialectes tout différens du malais vulgaire. Déjà l'on savait que le javan différait essentiellement de cette langue. Les Malais ont un teint jaunâtre plus ou moins foncé, une taille moyenne, peu d'embonpoint, le corps souple et agile, les yeux un peu bridés, les pommettes saillantes, les cheveux plats et lisses, et très-peu de barbe et de poil. Ils sont adonnés à l'usage du bétel et de l'opium ; le riz est leur nourriture ha- bituelle. L'islamisme a pénétré chez eux, mais dans les terres les plus orientales de cette division, il s'est mêlé et confondu dans l'esprit des naturels avec leurs superstitions primitives, et les habitans éloignés des côtes à Ceram , Célèbes et Bornéo , sui- vent encore aujourd'hui leurs croyances particulières. La Malaisie se divisera naturellement en deux parties; l'une sera composée des îles de la Sonde et des Moluques où règne la langue malaise, et l'autre réunira les Philippines où les langues tagale et bisaïe sont en usage. La Mélanésie est séparée de la Malaisie par une ligne qui passerait à l'ouest de l'île Waigiou, de la pointe occidentale de la Nouvelle-Guinée et a l'est des îles Arrou ; de la Micronésie 620 VOYAGE par une ligne légèrement oblique à la direction de l'équateur en fléchissant vers le sud dans l'est, enfin de la Polynésie par une ligne flexueuse qui , partant de la partie orientale de Santa-Cruz, s'avancerait jusqu'à l'est des îles Viti et se diri- gerait ensuite au sud-ouest entre la Nouvelle- Hollande et la No u velle-Zélande . L'île de Van-Diémen ou Tasmanie sera l'extrémité méri- dionale de la Mélanésie ; l'île immense de la Nouvclle-Hol - lande, qu'à l'exemple des Anglais nous appellerons le plus sou- vent Australie , en est la partie la plus importante, puisqu'à elle seule elle pourrait constituer un continent. La Nouvelle- Guinée et les îles qui s'y rattachent en forment encore une portion considérable; on doit enfin y comprendre les îles de la Louisiade, de la Nouvelle-Bretagne, de la iNouvclle-Irlande, l'archipel de Salomon , celui de Santa-Cruz ou Nitendi, les Nouvelles-Hébrides, les îles Loyalty, la Nouvelle-Calédonie, enfin l'archipel Viti. Toutes les nations qui habitent cette grande division de l'Océanie sont des hommes d'une couleur noirâtre plus ou moins foncée, à cheveux frisés ou crépus, ou quelquefois presque laineux, avec un nez épaté , une grande bouche, des traits désagréables et des membres souvent grêles et rare- ment bien conformés. Les femmes sont encore plus hideuses que les hommes, surtout celles qui ont nourri , car leur gorge devient aussitôt flasque et pendante, et elles perdent sur-le- champ le peu de fraîcheur qu'elles devaient à leur jeunesse. Les idiomes très-bornés varient à l'infini et quelquefois dans la même île. Ces noirs sont presque toujours réunis en peuplades très-faibles dont le chef jouit souvent d'une autorité arbitraire , et qu'il exerce parfois d'une manière aussi tyrannique que la plupart des petits despotes africains. Bien plus reculés vers l'état de barbarie que les Polynésiens et les Micronésiens , on ne trouve chez eux ni forme de gouvernement, ni lois, ni cé- rémonies religieuses régulièrement établies. Toutes leurs ins- titutions paraissent être encore dans l'enfance; leurs disposi- DE L'ASTROLABE. G 21 tions et leur intelligence sont aussi généralement bien infé- rieures à celles de la race cuivrée. Il est vrai que plusieurs de ces peuples sont encore très- imparfaitement connus. Ennemis naturels des blancs, ils ont toujours montré une défiance opiniâtre et une antipatbic pro- noncée contre les Européens} ceux-ci ont presque toujours eu lieu de se repentir de leurs communications avec ces hôtes perfides. Aussi ni Cook, ni Bougainville, ni aucun des navi- gateurs qui leur ont succédé n'ont eu avec les Mélanésiens ces relations de bonne amitié qu'ils se plaisaient à entretenir et à multiplier avec les peuples plus bospitalicrs de la Po- lynésie. Jusqu'aujourd'hui nous devons nous en tenir aux doeumens que nous ont transmis Mendana sur les îles Santa-Cruz et Salomon; Carteret sur Santa-Cruz ; Cook sur Mallicolo , Er- romango et Tanna ; Labillardière sur la Nouvelle-Calédonie et les Papous de Waigiou ; MM. Frevcinet et Duperrey sur ces mêmes Papous et sur ceux de Dorei; M. Dillon sur les babitans de Viti , de Vanikoro et de Nitendi ; enfin les navi- gateurs de l'Astrolabe sur les noirs de Viti, Vanikoro, de la Nouvelle-Irlande et de Dorei. Les insulaires de l'Australie et de la Tasmanie ont été décrits d'une manière assez exacte, et il est résulté de ces descriptions que ces hommes sont pro- bablement les êtres les plus bornés, les plus stupides et les plus essentiellement rapprochés de la brute. Nous pensons que, parmi les nombreuses variétés de la race mélanésienne , celle qui doit occuper le premier rang est celle qui habite les îles Viti. En effet , malgré leur férocité et leur penchant au cannibalisme, ces naturels ont des lois, des arts, et forment quelquefois un corps de nation. On trouve parmi eux de très-beaux hommes; leur langue est plus riche, plus sonore et plus régulière que dans les îles de l'Ouest , et leur habileté dans la navigation ne le cède pas à celle des hommes de l'autre race. Dans ce nombre, nous avons trouvé des indi- vidus doués d'une dose d'intelligence et de jugement fort re- 622 VOYAGE marquable pour des sauvages. Mais il est évident qu'ils de- vaient ces avantages à leur voisinage du peuple Tonga , et aux fréquentes communications qu'ils avaient eues avec la race polynésienne. On doit en dire autant des peuples de Nitendi , des îles Hébrides et des îles Salomon , qui ont eu aussi des rapports plus ou moins intimes et fréquens avec les Polynésiens, car on voit ces derniers s'étendre jusque sur les îles Rotouma , Anouda, Tikopia , et même Taumako , situées tout près des îles occupées par les Mélanésiens. A Vanikoro, nous avons pu nous-mêmes nous convaincre des relations fréquentes qui existaient entre les deux races, comme des unions plus intimes qui en étaient souvent les suites. De là ces nombreuses nuan- ces observées par divers navigateurs dans toutes ces îles , et qu'ils ont réunies ordinairement sous les trois désignations de nègres, mulâtres et blancs. Les premiers étaient les Mélané- siens, les derniers des Polynésiens, et les mulâtres des Hybrides, issus du croisement des deux races noire et cuivrée. Ce mé- lange a été observé sur la Nouvelle-Irlande et les îles voisi- nes; il est probable qu'il existe encore plus loin vers l'occi- dent sur les côtes de la Nouvelle-Guinée. Il est bon de remarquer que les Mélanésiens paraissent être d'autant plus bornés dans leurs institutions qu'ils ont eu moins de communications avec les Polynésiens. Ainsi les ha- bitans de la Nouvelle-Irlande, de la Nouvelle-Bretagne, de la Louisiade et des côtes méridionales de la Nouvelle-Guinée, sont bien inférieurs aux peuplades qui habitent les îles situées plus à l'est. Cependant tous les Mélanésiens (les Australiens et les Calédoniens exceptés ) connaissaient l'usage de l'arc et des flèches ; plusieurs savaient même fabriquer des vases en terre. Ils devaient probablement ces notions à leurs voisins de l'oc- cident. Enfin ceux qui occupent le dernier degré de cette race sont évidemment les habitans de l'Australie et de la Tasmanie. Etres chétifs et misérables , réunis en faibles tribus , étrange- DE L'ASTROLABE. 623 ment disgracies par la nature, et réduits par la pauvreté de leur sol comme par leur indolence et leur stupidité à une existence très-précaire , ils parlent des langues extrêmement bornées qui varient presque de tribu à tribu , et n'offrent d'a- nalogie avec aucune de celles dont les règles sont mieux éta- blies. Toute leur industrie se réduit à fabriquer des filets, des lances, de misérables pirogues d'écorce , et des manteaux en peaux à'opossum ou de kongarou. Quelques-uns savent cons- truire des buttes en écorces d'arbres assez bien closes, d'autres desimpies abris avec des branches couvertes de broussailles; mais il en est qui , toujours errans et vivant en plein air, se contentent , durant leur sommeil , d'abriter leurs épaules sous un morceau d'écorce arraché à l'arbre voisin. Ces hommes n'ont d'autres traces d'idées religieuses que des notions vagues touchant l'existence de malins génies toujours disposés à les tourmenter, et le sentiment, confus d'une vie nouvelle qui les attend après leur mort. Nous devons faire observer qu'un grand nombre d'Austra- liens sembleraient se rapprocher des Polynésiens par leur cou- leur simplement basanée , mais l'examen le plus léger de leurs traits et de leur conformation suffit pour les replacer dans la race noire à laquelle ils appartiennent. Ces Australiens sont au reste des Mélanésiens ce que les Hottentots sont h la race éthiopienne. On doit même convenir qu'il existe de grands rapports entre les Hottentots et les Australiens. Quelque dégradée, quelque misérable que nous paraisse l'espèce humaine considérée dans cet état, nous pensons que c'est là l'état primitif et naturel de la race mélanésienne , sauf les difformités physiques qui résultent des privations alimen- taires sur un sol aussi ingrat que celui de l'Australie. Le sort de ces êtres s'est un peu amélioré sur les côtes plus fertiles de la Nouvelle-Guinée et des îles voisines, leur extérieur est moins hideux, et leur intelligence s'est un peu développée. Cependant ce n'est qu'en arrivant sur les îles où les Mélanésiens ont pu avoir des communications avec les Polynésiens qu'on voit leur fi 24 VOYAGE race quitter peu à peu son type primitif et recevoir une foule de nuances diverses. Il paraît qu'à la Nouvelle-Calédonie où la nature du sol se rapproche de celle de l'Australie , malgré la proximité de cette terre avec celles de Tanna et d'Erromango, le caractère mélanésien a subi des modifications peu sensibles. Aussi Labillardière avait naturellement rapproché les Nou- veaux-Calédoniens des Tasmaniens Nous devons ajouter qu'à notre avis la race mélanésienne dut occuper dans le principe la plupart des îles de l'Océanie. On observe encore aujourd'hui à Taïti, dans les basses classes, des individus qui , pour la couleur , les formes et les traits du visage , se rapprochent beaucoup du type mélanésien. Cook trouva même à Taïti une tradition qui constatait qu'une tribu entière de noirs très-féroces vivait encore dans les montagnes de l'île, peu de temps avant son arrivée. C'était probablement les tristes débris des primitifs possesseurs du sol, et les hommes du peuple dont nous venons de parler sont des métis issus du mélange des vaincus avec la race des conquérans. Les habitans de plusieurs des îles Pomofou ne paraissent être qu'une race mixte due à un semblable mélange. A ia Nouvelle-Zélande , il existe une quantité d'insulaires dont les traits, la couleur et la stature se rapportent parfaite- ment au caractère des Mélanésiens de la INouvelle-Calédoiiic et des Nouvelles-Hébrides. Dans la Micronésic , on retrouve également des traces de cette fusion des deux races, surtout dans les îles les plus orien- tales, dont les haliitans paraissent quelquefois appartenir pres- que autant à l'une des races qu'à l'autre. A Ualan, comme à Taïti, les hommes des dernières castes, savoir les neas et les pcnnmaï , étaient bien inférieurs à ceux des hautes classes, et quelques individus se rapprochaient du type mélanésien. Dès la découverte des Carolines , le père Cantova raconle qu'on trouvait à Hogoleu et à Ioulai quelques noirs et beau- coup de mulâtres. DE L'ASTROLAHE. 625 Le capitaine Lutke, de la marine russe, vient de trouver au milieu même des Carolines, une île haute , l'île JPounipct, en- tièrement habitée par des hommes noirs. Enfin il est aujourd'hui presque avéré que les Alfourous de Timor, de Céram et Bourou , les Negritos del monte ou Actas de Mindanao, les Indios desPhilippines, les Ygolotcs de Lùçon, les NegriUos de Bornéo, les noirs de Formose, des Andamans, de Sumatra, de Malacca et ceux de la Cochinchine , nommés Moys ou Kemoys, appartiennent à celte même race primitive de Mélanésiens qui durent être les premiers occupans de l'Oeéanie. Ils y vécurent en petites tribus et dans un état très-voisin de celui de nature, jusqu'à l'époque où ces îles furent envahies par de nouveaux peuples également arrivés de l'occident , et appartenant à la race jaune ou cuivrée. La première irruption, qui fut sans doute considérable , donna lieu aux colonies po- lynésiennes sur toute l'étendue des îles les plus reculées vers l'est. Des migrations postérieures et probablement partielles peuplèrent successivement les îles de la Micronésie. Nous n'hésitons pas à croire que les Polynésiens sont arri- vés de l'occident et même de l'Asie ; mais nous ne croyons point qu'ils soient des descendais des Hindoux actuels. Ils ont eu probablement une origine commune avec eux , mais les deux nations étaient déjà séparées depuis long-temps , quand une d'elles alla peupler l'Oeéanie. Il en est de même des conséquences que divers voyageurs ont tirées des rapports observés entre les Polynésiens et les Malais. Sans aucun doute ces deux nations ont eu jadis des relations ensemble, de longues recherches nous ont fait dé- couvrir environ soixante mots qui sont évidemment communs entre les deux langues , et c'en est assez pour attester d'ancien- nes communications. Mais il y a trop de différence dans les rapports physiques pour qu'on puisse supposer que les Poly- nésiens ne soient qu'une colonie malaise. Les hommes qui m'ont paru avoir le plus de rapports avec la race polynésienne ont été, dans la Malaisie, les habitans de TOME II. 42 626 VOYAGE l'intérieur de Célèbes, nommés Alfourous. Ce dernier mot avait à l'instant réveillé dans mon imagination l'idée d'hom- mes au teint noir, aux cheveux crépus, au nez épaté, en un mot de véritables Mélanésiens. Qu'on juge donc de mon éton- nement, en voyant des individus dont le teint, les formes et les traits de la physionomie, me rappelèrent involontairement les figures que j'avais observées à Taïti , à Tonga et à la Nou- velle-Zélande. Ces rapports me parurent si frappans, si com- plets , que j'engageai vivement le gouverneur Merkus qui m'accompagnait, à faire des recherches suivies sur les coutu- mes , les idées religieuses et la langue de ces peuples, car ils parlaient un idiome tout différent du malais. Si la langue des Alfourous de Célèbes présentait plus de rapports avec le polynésien que le malais lui-même , je ne balancerais pas à croire que Célèbrs fut un des berceaux de la race polyné- sienne , ou du moins l'une de ses stations principales dans sa marche de l'ouest vers l'est. Sous ce rapport, l'étude approfondie des Dayaks ou Eïda- hans de Bornéo et des Battus de Sumatra ne serait pas moins importante. Déjà le voyageur Nicholas a signalé les rapports nombreux qui existaient entre les coutumes des Battas et des Nouveaux-Zélandais '. Il y a tout lieu de croire que les Micronésiens ont dû prin- cipalement leur origine aux îles de Luçon et de Mindanao; des colonies chinoises ou japonaises ont pu accidentellement ar- river sur quelques-unes de ces îles, et leur postérité se sera confondue avec celle des Tagales. Quant aux Papous, bien qu'ils ne soient peut-être encore qu'une belle variété de la race mélanésienne, certaines observa- tions feraient soupçonner qu'ils seraient venus plus récemment « Déjà les vocabulaires donnés par M. Marsden indiquent que les dia- lectes des B atlas et des Lampoons ont beaucoup plus de rapports avec la langue des Polynésiens que le malais proprement dit. h DE L'ASTROLABE. 627 des régions occidentales , peut-être des îles Andaman , de Cey- lan ou même de Madagascar. Une des plus fortes raisons pour la croire étrangère aux régions qu'elle occupe aujourd'hui, c'est qu'on la trouve toujours confinée aux rivages de ces terres, et qu'avec les Papous, ou du moins tout près d'eux, on trouve de véritables Mélanésiens qui portent le nom iïArfakis , Al- fourous ou Endamcnes. Du mélange des Papous, des Alfourous et des Malais, il résulte une foule de nuances diverses qui dé- routent à chaque instant les calculs de l'observateur. Mais on peut remarquer que les Papous proprement dits n'occupent qu'une très-petite partie des côtes de la Nouvelle-Guinée, et je pense qu'ils ne s'étendent guère à l'est de la grande baie du Geelwinck. Plus loin ce sont de véritables Mélanésiens comme ceux qui habitent la Nouvelle-Bretagne , la Nouvelle-Ir- lande, etc. D'après cet exposé, il est facile de voir que je n'admets point cette multiplication de races adoptée par quelques auteurs mo- dernes. Revenant au système simple et lucide de l'immortel Forster, si bien continué par mon savant ami Chamisso, je ne reconnais que deux races vraiment distinctes dans l'Océanie , savoir : la race mélanésienne qui n'est elle-même qu'un em- branchement de la race noire d'Afrique , et la race polyné- sienne basanée ou cuivrée, qui n'est qu'un rameau de la race jaune originaire d'Asie. Et qu'on me permette de remarquer , en passant , que je ne vois sur toute la surface du globe dans l'espèce humaine que trois typ'es ou divisions qui me paraissent mériter le titre de races vraiment distinctes : la première est la blanche plus ou* moins colorée en incarnat, qu'on suppose originaire des environs du Caucase, et qui occupa bientôt presque toute l'Europe, d'où elle s'est ensuite répandue sur les diverses parties du globe. La seconde est la jaune , susceptible de prendre diverses teintes cuivrées ou bronzées ; on la suppose originaire du plateau cen- tral de l'Asie, et elle se répandit de proche en proche sur tou- tes les terres de ce continent, sur les îles voisines, sur celles de 028 VOYAGE l'Océanie, et même sur les terres de l'Amérique, en passant par le détroit de Behring. La troisième est la race noire qu'on suppose originaire de l'Afrique qu'elle occupa dans sa majeure partie , et qui se ré- pandit aussi sur les côtes méridionales de l'Asie, sur les îles de la mer des Indes, sur celles de la Malaisic , et même de l'O- céanie. Nous n'agiterons point ici la question de savoir si ces trois races ont un égal degré d'ancienneté , ou bien si elles appar- tiennent à trois créations ou formations différentes et successi- ves '. Mais nous ferons remarquer que la nature ne les dota point d'une égale manière sous le rapport moral ; on dirait qu'elle voulut, dans chacune de ces races, fixer aux facultés intellec- tuelles de l'homme des limites fort différentes. De ces différences organiques , il dut naturellement résulter que partout où les deux dernières races se trouvèrent en con- currence , la noire dut obéir à l'autre ou disparaître. Mais quand la blanche entra en lice avec les deux autres, -elle dut dominer , même quand elle se trouvait bien inférieure en nombre. L'histoire de tous les peuples et les récits de tous les voyageurs offrent à chaque instant l'accomplissement de cette loi de la nature. On n'a presque jamais vu une nation de la race jaune soumise aux lois d'une peuplade de noirs , ni les blancs courbés sous le joug des hommes des deux autres races, sauf un petit nombre de circonstances où la force numérique se trouvant hors de toute proportion devait l'emporter sur la supériorité morale. La nation juive est peut-être la seule qui fasse uae exception à cette règle générale. Vous voyez, Messieurs, que les divisions que je propose pour les îles de l'Océanie offrent des différences essentielles avec celles qui vous ont été indiquées par un infatigable ' Nous dirons seulement que nous partageons l'opinion qui fait remonter ces trois races à une même souche primitive, et place leur berceau commun dans le plateau central de l'Asie. lue DE L'ASTROLABE. 629 voyageur, M. de Rienzi. Sans m'érigcr en juge de son sys- tème, et tout en proclamant qu'il a su, dans son intéressant mémoire, présenter une foule de Faits curieux louchant les peu- ples de l'Océanic , il me semble , si je puis m'exprimer ainsi, que son système est plus artificiel et le mien plus naturel. La nomenclature de M. de Rienzi, reposant sur des divisions pu- rement géométriques , offre sans doute des coupes plus régu- lières; mais la mienne, assujettie à des rapports plus ou moins intimes , mais toujours positifs, entre les peuplades qui com- posent chaque division, aural'avantagederappeleravccsa dési- gnation la nature et le caractère propre de ses habilans. Ainsi l'on saura sur-le-champ que je veux traiter des peuples cuivrés, parlant une langue commune et esclaves du tapou, ou des peu- ples cuivrés, parlant des langues diverses et étrangers au ta- pou, ou enfin des noirs de l'Océanie , suivant qu'on verra paraître dans mon récit les désignations de Polynésiens, Mi- cronésiens et Mélanésiens. Les limites que j'ai dû m'imposer dans cette notice ne m'ont point permis d'entrer dans les détails relatifs à chaque archi- pel, à chaque île de l'Océanie , ni aux noms que je me propose d'adopter. C'est un sujet que je réserve pour la discussion rai- sonnée qui accompagnera la carte générale de l'Océanie à laquelle je travaille en ce moment, de concert avec mon brave et savant compagnon de voyage, M. Lottin. Nota. Après avoir composé cet écrit, j'ai relu avec attention l'article publié en 1825 par M. Bory de Saint- Vincent sur Y Homme, et pour la pre- mière fois, j'y ai vu que M. Guvier ne reconnaissait que trois variétés dans l'espèce humaine, auxquelles il donne les noms de caucasique ou blanche, mongolique ou jaune , élhiopique ou nègre. Il est assez remarquable que douze années d'études et d'observations et près de soixante mille lieues par- courues sur la surface du globe m'aient ramené aux opinions que ce célèbre physiologiste avait adoptées depuis long-temps , sans que j'eusse connaissance des écrits où il les avait consignées. Seulement si, comme l'avance M. Bory, G30 VOYAGE DE L'ASTROLABE. M. Cuvier ne sait à laquelle des trois races rapporter les Malais, les Améri- cains et les Papous, je ne balancerais pas un moment à rapporter les deux premiers peuples à la race jaune et les Papous à la race noire. J. D'URVILLE. Paris, ■>' décembre i83i. TABLE. Pages. Chapitre XII. Traversée de Port-Jackson à la baie Tasman, el séjour à l'anse de l'Astrolabe. i Chapitre XIII. Traversée de l'anse de l'Astrolabe à la baie Houa- Houa. 44 Chapitre XIV. Traversée de la baie Houa-Houa, jusqu'au départ de la baie Wangari. i ' i Chapitre XV. Exploration de la baie Shouraki ; découverte du canal de l'Astrolabe. i56 Chapitre XVI. Séjour dans la baie des Iles. 198 Notes. 247 Chapitre XVII. Découverte et histoire de la Nouvelle-Zélande. 289 Chapitre XVIII. Description géographique de la Nouvelle-Zélande. 33i Chapitre XIX. Des habitaus de la Nouvelle-Zélande. 387 I. Rapport physique. 387 Deux races, 387. — Conformation générale, 38g. — Femmes, 3go. — Maladies, 3gi. — Longévité, 392. II. Caractère. 3ga Préventions des Européens, 392. — Moral, 395. Colère, 397. Générosité, 399. — Intelligence, 4o3. — Affections, 4»4- — Hospitalité , 407. III. Constitution politique. 4»9 Rangs, 409. — Chefs, 410. — Étiquette, 41 3. — Motifs de guerre, 41 5. — Combats, 419- — Panapati, 422. — Revue, 422. — Délits et punitions, 4^3. IV. Occupations. 4*5 Repas, 427. — Sommeil, 428t — Astronomie, 429. — Voyages, 43o. V. Mariage. 43 1 Décence, 43i. — Fidélité conjugale, 432. — Fiançailles, 433. — Polygamie, 436. — Suicide, 439. — Couches, 441. VI. En/ans. 44 1 Naissance, 441. — Baptême, 443. — Éducation, 44 4. — Adop- tion, 446. fi32 TABLE. VII. Moko ou tatouage. 447 Opération, 448. — Signe de distinction, 449. — Effets du moko, 452. VIII. Esclaves. 453 Occupations, 454. — Conditions, 455. IX. J/abilations. 456 Cases, 456. — Magasins publics, 461. — Pas ou forteresses, 463. X. Nourriture. 465 Racine de fougère, 465. — Patates, 468. — Pommes déterre, 469. — Animaux, 470. — Oiseaux, 471. — Poissons, 470. — Chair humaine, 475. — Boisson, 476. — Cuisine, 477. XI. Habillfueni. 470 XII. Ornement. 484 XIII. Industrie. 487 Agriculture, 488. — Pèche, 491. — Pirogues, 492. — Armes, 49^- — Nattes, 499. XIV. Musique et danse. 5oo Instrumeas, 5oo. — Chant, 5oa. — Danse, 5o5. XV. Mesures. 507 XVI. Religion. 5o9 Atouas, 5n. — Prêtres, 5îo. — Médecins, 522. — Waidouas, 5a4. XVII. Cérémonies et coutumes diverses. 527 Tapou, 527. — Makoutou, 54o. — Songes, 540. — Funérailles, 54i- — Anthropophagie, 547. — Moko-mokaï , 549. — Sacrifices, 552. — Rakau tapou, 553. — Esclaves immolés, 553. — Accueil, 556. — Salut shongui, 558. — Noms propres, 56 1. XVIII. Langage. 563 XIX. Numération. 567 XX. Population. 570 Chapitre XX. Productions de la Nouvelle-Zélande. 574 I. Règne minéral. 574 II. Règne animal. 585 III. Règne végétal. 5q5 Notice sur les Iles du Grand-Océan. 611 fin de la taule.