c< J3* VOYAGE L'ASTROLABE. LE VOYAGE DE l'aSTKOLABE, 12 VOLUMES GRAND IN-8°, ÔOO l'LANCUES OU CARTES, se compose des parties suivantes : Première JGDiotston. Histoire du Voyage , rédigée par M. Dumont d'Urville ; 5 volumes grand in-8, papier grand-raisin superflu ; avec plus de ioo Vignettes en bois ou en taille-douce , 5 Cartes grand in-folio , et un Atlas d'au moins 24° Planches lithographiées sur demi-feuille jésus-vélin. Météorologie, Magnétisme, Température de la Mer, etc., Mémoire rédigé par M. Arago, de l'Académie des Sciences i volume grand in-8. Betutième Dioigton. Botanique. Texte par MM. Lesson jeune et A. Richard ; i volume grand in-8 ; Atlas de 8o Planches au moins en taille-douce, la plupart coloriées, sur demi-feuille jésus-vélin. ^troisième Hiuiaioit. Zoologie , rédigée par MM. Quoy et Gaimard ; 5 forts volumes grand in-8 , avec Atlas de aoo Planches au moins, gravées en taille-douce, imprimées en couleur , relevées au pinceau ; sur demi-feuille jésus-vélin. (ffituatrième jQrotmm. Partie Entomologique , rédigée par M. Latreille , de l'Académie des Sciences; i volume grand in-8, avec 12 Planches en taille-douce, im- primées en couleur et relevées au pinceau, sur demi-feuille jésus-vélin. Cinquième Bioisiort. HïDROGRArHiE. Atlas d'environ 53 Cartes ou Plans, gravés par les soins du gouvernement, suivi d'un volume de texte, rédigé par M. Dumont d'Urville. IMPRIMERIE DE .1. TASTU. VOYAGE LA CORVETTE L'ASTROLABE (Exécute par or&rc ïm Uoi, PENDANT LES ANNÉES 1826-1827-1828-1829, SOCS LE COMMANDEMENT DE M. J. DUMOINT D'URVILLE, CAPITAINE DE VAISSEAU. Pot Orbonnance &c Sa iflajcsté. HISTOIRE DU VOYAGE. TOME TROISIÈME. PARIS J. TASTU, EDITEUR-IMPRIMEUR, N" 36, RUE DE VAUGIRARD. 1831 PIECES JUSTIFICATIVES LA NOUVELLE-ZÉLANDE. /AVERTISSEMENT. La fin du volume précédent a été consacrée à un Essai sur la Nouvelle-Zélande, renfermant la décou- verte, l'histoire et la topographie de cette contrée, et tout ce que l'on connaît des mœurs , des coutumes et de la religion de ses habitans. Pour tracer ce tableau, il a fallu, outre mes observations particu- lières, avoir recours à celles de tous les voyageurs qui m'ont précédé. Ces observations se trouvaient éparses dans vingt ouvrages divers, pour la plupart écrits dans une langue étrangère et encore totalement ignorés en France. Il m'a semblé que plus d'un lecteur serait satisfait de trouver réunis dans un seul volume ces divers documens dont plusieurs sont d'un vil intérêt pour ceux qui se plaisent à étudier la race humaine dans l'enfance de sa civilisation. J'ai donc recueilli avec soin tout ce qui a été écrit jusqu'à ce jour de plus TOMIÎ III. 37558 2 AVERTISSEMENT. remarquable sur la Nouvelle-Zélande : tout en tra- duisant, j'ai laissé à chacune de mes autorités sa teinte particulière , sans chercher à embellir , ni même à corriger son style , persuadé que la simplicité, la naï- veté et même l'imperfection du récit d'un voyageur sont souvent pour le lecteur la meilleure preuve de sa sincérité. Ce recueil, ou, si l'on veut, cette compilation que je donne sous le titre de Pièces jus- tificatives, pourra donc être aussi considérée comme la Collée lion des Chroniques de la Nouvelle-Zélande. Quant aux personnes qui regarderaient d'un œil de dédain ces longues narrations touchant un peuple sauvage, séparé de notre Europe par le diamètre entier de la terre, et tout-à-fait en dehors de sa civi- lisation et de ses arts ; je ne saurais trop leur répéter qu'un jour viendra certainement où ce peuple jouera un rôle important sur la scène du monde. Alors du moins on saura quelque gré à l'homme qui le pre- mier se sera occupé de rassembler ces fragmens et de jeter quelque lumière sur les premières époques de l'histoire de la Nouvelle-Zélande. Bien que je me sois assujetti à reproduire le plus fidèlement possible le texte des voyageurs , j'ai cru qu'il m'était indispensable de ramener les noms propres à une ortographe uniforme; autrement il 2 r, r g AVERTISSEMENT. 3 en serait résulté une confusion inextricable pour les désignations des personnes et des lieux. Pour arriver à un résultat satisfaisant, la grammaire zé- landaise rédigée en 1820 par le professeur Samuel Lee, d'après les matériaux recueillis par M. Kendall, m'a été de la plus grande utilité. En l'étudiant atten- tivement, j'ai pu rétablir presque toujours l'identité d'une foule de mots destinés à désigner la même chose, et cependant écrits par les divers auteurs de manières toutes différentes les unes des autres ; de même il m'a été possible de différencier convenable- ment des termes écrits de la même manière , et qui devaient cependant avoir diverses formes pour re- présenter des objets divers et des sons vraiment dis- tincts, malgré leur ressemblance apparente. VOYAGE L'ASTROLABE. PIÈCES JUSTIFICATIVES SUR LA NOUVELLE-ZELANDE. ■a 9 *~» VOYAGE DE ÏASMAN. Nous allons extraire de l'excellent ouvrage du capi- taine Burney tout ce qui a trait aux découvertes de Tasinan sur les côtes de la Nouvelle-Zélande , d'après le journal même de cet habile navigateur. « Le i3 décembre 1642, notre latitude fut 4^° io'S., et notre longitude 1880 28'. Vers midi, nous vîmes une grande et haute terre à quinze milles environ dans le S. S. E. Nous gouver- nâmes dessus , mais le vent fut faible et variable. Le soir nous eûmes de la brise et nous mimes le cap à l'est. 6 PIECES JUSTIFICATIVES. •> Le i4 à midi, nous étions à deux milles environ de la côte ; nous avions 42° 10' lat. S. et 1890 3' long. C'est une terre haute et double. Nous ne pouvions apercevoir le sommet des montagnes, à cause des nuages épais qui nous le cachaient. Nous fîmes route le long de la côte au nord , en la suivant de si près que nous pouvions voir briser les lames au rivage. A deux milles de distance les sondes nous donnèrent cinquante-cinq brasses, sable gris. Le soir et durant la nuit, il fit calme, et nous eûmes un courant de PO. N. O. , qui nous faisait appro- cher la côte, tellement que nous mouillâmes notre ancre de dé- troit par vingt-huit brasses , fond de vase. » Le i5 au matin, au moyen d'une brise légère, nous déra- pâmes et nous nous écartâmes du rivage , en faisant route au nord. A midi, notre latitude fut 4i° 4°' S. et notre longitude 1890 49'. Nous n'aperçûmes ni habitans ni fumées sur la terre, et nous pouvions distinguer que près du rivage la terre était nue. » Le 16 nous eûmes peu de vent. Latitude à midi, 4»° 58' S. Au coucher du soleil, la variation fut 90 23' N. E. L'extrémité nord de la terre en vue nous restait à l'E. 1^4 N. E. Nous gou- vernâmes au N. E. et à l'E. N. E. Dans le second quart nous eûmes fond à soixante brasses , beau sable gris. » Le 17 au soleil levant, nous étions à un mille environ de terre et nous vîmes des fumées qui s'élevaient en différens lieux. A midi, latitude estiméee 4°° 32' S.; longitude 1900 47'. Durant l'après-midi nous cinglâmes à l'E. 1^4 S. E., le long d'une terre basse pleine de dunes de sables , avec des sondes de trente brasses , sable noir. Au coucher du soleil , nous mouillâmes par dix-sept brasses , près d'une pointe de terre sablonneuse , au dedans de laquelle nous apercevions une grande baie ouverte , de trois à quatre milles de large. De cette pointe de sable , un écueil ou banc de sable s'étend à la distance d'un mille environ à l'E. S. E. sous l'eau , à six, sept ou huit pieds de profondeur. Quand vous avez dépassé ce banc , vous pouvez donner dans la baie. La variation est ici de9°N. E. PIECES JUSTIFICATIVES. 7 » Le 18 au matin nous levâmes l'ancre et gouvernâmes sur la baie , précédés par notre chaloupe et un canot du Zeehann qui allaient à la recherche d'un bon mouillage et d'une aiguade. Au soleil couchant, il fit calme, et l'ancre fut jetée par quinze brasses , bon fond de vase. Une heure après le coucher du soleil , nous vîmes plusieurs lumières sur la terre , et quatre embarcations qui venaient du rivage vers nous. Deux d'entre elles étaient nos propres canots. Les gens qui montaient les autres nous appelaient d'une vois forte et rude. Nous ne com- prîmes pas ce qu'ils disaient, cependant nous les hélâmes en guise de réponse. Ils répétèrent plusieurs fois leurs cris , mais sans s'approcher plus près que la portée d'un jet de pierre. Ils jouaient aussi d'un instrument qui faisait un bruit semblable à celui d'une trompette mauresque, et auquel nous répondîmes en sonnant de notre trompette. Ceci eut Lieu plusieurs fois de ehaque côté. Quand il fit tout-à-fait nuit, ces gens nous quit- tèrent. Nous fîmes bonne garde toute la nuit et tînmes nos ca- nots prêts. » Le 19 au matin , un canot des naturels , monté par treize hommes , s'approcha de notre navire, mais à la distance d'un jet de pierre seulement. Ils nous appelèrent plusieurs fois , mais leur langage ne ressemblait en rien au \ oeabulaire des îles Salomon qui nous avait été remis à Batavia par le général et le conseil. Ces hommes, autant que nous pûmes en juger, étaient d'une taille ordinaire, ils avaient les os samans et la voix rude. Leur couleur est entre le brun et le jaune. Leurs cheveux sont noirs, liés sur le sommet de la tète, à la façon des Japo- nais, et surmontés d'une grande plume blanche. Leurs embar- cations étaient de longues et étroites pirogues réunies deux à deux , et recouvertes de planches pour s'asseoir. Les pagaies avaient plus d'une toise de long et se terminaient en pointe. Leurs vètemens semblaient être en nattes ou en coton ; mais la plupart d'entre eux avaient la poitrine nue. «Nous leur montrâmes du poisson, delà toile et des couteaux, pour les décider à s'approcher de nous ; mais ils s'y refusèrent 8 PIECES JUSTIFICATIVES. et s'en retournèrent à la fin vers le rivage. Sur ces entrefaites f les officiers du Zeehann vinrent à notre bord, et nous réso- lûmes d'approcher de la côte avec nos navires, vu qu'il y avait bon mouillage et que les habitans semblaient désirer notre amitié. Aussitôt que nous eûmes pris cette résolution , nous vîmes sept embarcations qui venaient de terre. L'une d'elles, montée de dix-sept hommes , arriva très-promptement et alla se placer derrière le Zeehann. Une autre portant treize hommes vigoureux s'approcha à un demi-jet de pierre de notre navire. Ils se hélèrent plusieurs fois les uns les autres. Nous leur mon- trâmes encore , comme auparavant , de la toile blanche ; mais ils restèrent immobiles. Le maître du Zeehann, Gérard Jans- zoon , qui se trouvait à notre bord, donna ordre à son canot armé par un quartier-maître et six matelots de se rendre sur leur navire pour recommander aux officiers de se tenir sur leurs gardes, et, dans le cas où les naturels l'accosteraient, de ne pas permettre à la fois à un trop grand nombre d'entre eux de monter à bord. Quand le canot du Zeehann déborda de notre bâtiment, les naturels dans les pros ou pirogues les plus voisines de nous , appelèrent à grands cris ceux qui se trouvaient derrière le Zee- hann et firent avec leurs pagaies un signal dont nous ne pou- vions deviner la signification. Mais quand le canot du Zeehann fut tout-à-fait au large, les pirogues qui se trouvaient entre les deux navires coururent dessus avec impétuosité et l'abordèrent avec une telle violence qu'il tomba sur le côté et se remplit d'eau. Le premier de ces traîtres, armé d'une pique grossière- ment aiguisée , donna au quartier-maître Cornélius Joppe un coup violent dans la gorge, qui le fit tomber à la mer. Alors les autres naturels attaquèrent le reste de l'équipage du canot avec leurs pagaies et de courtes et épaisses massues que nous avions d'abord prises pour des parangs grossiers, et les taillè- rent en pièces. Dans cet engagement, trois des hommes du Zeehann furent tués et un quatrième blessé à mort. Le quar- tier-maître et deux matelots se mirent à nager vers notre na- vire, et nous envoyâmes notre canot qui les recueillit en \'\c. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 9 Après le combat, les meurtriers prirent un de nos hommes morts dans leur pirogue , un autre des morts tomba à l'eau et coula. Ils laissèrent aller le canot. Notre vaisseau et le Zee- kann firent feu sur eux avec les mousquets et les canons, mais sans les atteindre, et ils pagayèrent vers le rivage. Nous en- voyâmes notre canot pour ramener celui du Zeehann , nous y trouvâmes un homme mort et un autre blessé mortellement. » Après cet événement, nous ne pouvions plus établir de relations amicales avec les naturels, et il n'y avait pas d'es- poir de se procurer chez eux de l'eau ni des vivres. Ainsi nous levâmes l'ancre et appareillâmes. Quand nous fumes sous voiles, vingt-deux de leurs pirogues partirent de terre et s'avancèrent sur nous. Onze étaient pleines de monde. Quand elles se trou- vèrent à la portée de nos canons, on leur tira deux coups, mais sans effet. Le Zccliann fit aussi feu et atteignit un homme de la pirogue la plus avancée qui était debout avec un pavillon blanc à la main et que le coup lit tomber. Nous $• tendîmes le bruit de notre mitraille sur leurs pirogues , mais nous ne savons pas quel en fut l'effet ; seulement il les força d'opérer tout-à-coup leur retraite vers la côte où ils demeu- rèrent tranquilles et ne revinrent plus contre nous. » Nous appelâmes cette baie Moordenaars Bay (Baie des Meurtriers). La partie où nous mouillâmes est située par 4o° 5o' lat. S. et long. iyi° 3o\ La variation est o° 3o' N. E. En quittant Moordenaar's Bay , nous gouvernâmes à l'E. N. E. ; mais pendant la nuit nous courûmes des bordées, par vingt- six et quinze brasses. «Nous avons nommé cette terre Staten Land en honneur des états-généraux. Il est possible qu'elle se joigne à Stalen Land*, * Savoir : le Staten Land à l'est de Tierra dcl Fuego , découvert et ainsi nommé par Schouten et Le Maire. Mais le Staten l.aïul de Tasmau ayant été nar la suite reconnu pour être une terre séparée de celle qu'avaient décou- verte Schonten et Le Maire , ce nom fut changé peu de temps après en clin de Nouvelle-Zélande qui lui est resté 10 PIECES JUSTIFICATIVES. mais le fait est incertain. C'est un très-beau pays et nous sup- posons qu'il fait partie du continent inconnu du Sud. » Le 20 au matin, après avoir navigué l'espace de trente milles dans la baie, nous vîmes la terre presque tout autour de nous. Nous pensions d'abord que l'endroit où nous avions mouillé appartenait à une île et que nous trouverions un passage dé- gagé (vers l'est) pour le grand Océan du Sud; mais à notre grand regret, nous trouvâmes qu'il en était autrement. Le vent venait de l'ouest , nous fîmes tous nos efforts pour revenir contre la direction du vent par la route que nous avions suivie. A midi , nous fûmes par 4o° 5i' lat. S. et 1920 55' long. Dans l'après-midi il fit calme et le courant portait avec force dans la baie. Tout autour de nous, la terre semblait d'une bonne qualité; au rivage elle est basse , mais elle s'élève dans l'inté- rieur. Nous trouvâmes des fonds de vase par soixante , cin- quante, et quinze brasses, à un mille et demi ou deux milles de la côte. Toute la soirée , nous eûmes des vents légers. » Le 21, au second quart de nuit, la brise s'élevant à l'oueJt, nous fîmes route au nord. Nous trouvâmes que la côte de la terre du nord courait au N. 0. Dans la matinée, il commença à souffler bon frais. Après le déjeuner, nous virâmes de bord et counimes sur la côte du sud. Vers le soir, nous nous plaçâmes sous le vent d'une petite île que nous mîmes au N. N. 0. par rapport à nous, et nous laissâmes tomber l'ancre par trente- trois brasses, fond de sable et coquilles. Nous avions près de nous d'autres îles et des mornes. Ici notre latitude fut de 4o° 5o' S. et notre longitude 1920 '5f. Le vent souffla avec tant de violence dans la nuit que nous mouillâmes une autre ancre et calâmes les mâts de perroquet. Le Zeehann en fit autant. » Le 22 et 23, le coup de vent continua avec force du N. O., accompagné d'un temps très-brumeux. Le Zeehann faillit ne pas tenir sur ses ancres. » Le a4 au matin, il fit calme. Les officiers du Zeehann vin- rent à bord de notre navire et proposèrent, si le temps él 1< PIÈCES JUSTIFICATIVES. 11 vent le permettaient , d'examiner s'il n'y avait pas un passage dans cette baie , vu qu'on avait observé que la marée montante venait du S. E. » Le 25, le temps devint encore très-sombre et nous restâmes à l'ancre. »Le 26 au matin, le vent vint de l'E. N. E. Nous mîmes sous voiles et fîmes route au N. et ensuite au N. N. 0., dans l'in- tention de contourner cette terre par le nord. » Le 27, nous eûmes une forte brise du S. 0. A midi, notre latitude fut 38° 38' S.; longitude 190° l5'. Après-midi, nous gouvernâmes au N. E. (pour rapprocher la terre). Variation 8°2o'N. E. » Le 28 à midi, nous vîmes une haute montagne dans l'E. 1^4 N. E., que nous prîmes d'abord pour une île; mais nous reconnûmes que ce n'était qu'une partie de la grande terre, et la côte ici , autant que je pus le remarquer, court nord et sud. Cette montagne est par 38° lat. S. Notre latitude à midi, par estime, fut 38° 2'. La longitude 192° 23'. A cinq milles de la côte, nous eûmes des sondes par cinquante brasses , beau sable mêlé d'argile. Dans la nuit le vent fut violent. » Le 29 , nous eûmes grand frais de vent. Latitude à midi, 37° 17' S. » Le 3o, le temps se modéra, le vent à l'O. N. 0. A midi , notre latitude fut 370 S., longitude 191° 55'. Nous fîmes route au N. E., et le soir nous revîmes la terre dans le N. E. et N. N. E. ; c'est pourquoi nous gouvernâmes plus au nord. » Le 3i à midi , nous trouvâmes notre latitude de 3G° 45' S., et notre longitude 1910 46'. La côte ici court S. E. et N. O. Cette terre est élevée en quelques endroits; et en d'autres cou- verte de dunes de sable. Le soir nous étions à trois milles de terre. Dans la nuit nous eûmes des sondes par quatre-vingts brasses. » 1er janvier i643. C'est une côte unie, sans écueils ni basses ; mais il y a un grand ressac au rivage. Latitude à midi 36° 12' S. •> Le 2 et le 3 , on court au N. le long de la côte. 12 PIÈCES JUSTIFICATIVES. » Le 4- Ce malin nous étions près d'un cap et nous avions une île dans le N. 0. 1/4 N. Nous hissâmes le pavillon blanc pour appeler à bord les officiers du Zeehann , et nous résolû- mes d'aller sur l'île chercher de l'eau et des légumes. Nous trouvons un fort courant portant à l'ouest et une grosse mer du N. E., ce qui nous fait espérer de trouver un passage libre vers l'est. Le soir nous étions près de l'île , mais nous ne pûmes savoir si nous pourrions nous procurer ici les objets dont nous avions besoin. » Le 5 au matin , nous eûmes peu de vent et une mer calme. Vers midi , nous envoyâmes Francis Jacobsz dans notre cha- loupe, et le subrécargue M. Gillemans dans le canot du Zee- hann vers l'île, pour essayer s'il serait possible d'y faire de l'eau. Le soir ils revinrent et rapportèrent qu'ils étaient allés dans une petite baie sûre , où l'eau douce descendait en abondance d'une haute montagne; mais qu'à la côte il y avait un grand ressac qui rendrait cette opération pénible et dangereuse. En faisant le tour de l'île pour découvrir s'il n'y avait pas d'endroit plus commode sur la plus haute montagne de l'île , ils virent trente-cinq personnes d'une très-grande taille et armées de bâ- tons et de massues. Ces gens appelèrent les Hollandais d'une voix forte et rude. Ils faisaient de très-grandes enjambées en marchant. Sur d'autres parties de l'île , on vit quelques indi- vidus çà et là , qui , réunis à ceux qu'on vient de mentionner, parurent former toute ou presque toute la population de l'île. Nos gens ne virent point d'arbres, et n'observèrent aucune terre cultivée, excepté auprès de la source d'eau douce où se trouvaient quelques carrés de terre verdoyante et d'un aspect agréable ; mais ils ne purent discerner quelle espèce de légu- mes ce pouvait être. Deux pirogues étaient tirées à la plage. «Le soir, nous mouillâmes par quarante brasses, bon lond, à une portée de mousquet de l'île (sur la bande du nord). »Le 6 au matin , nous mîmes les pièces à eau dans les deux canots et nous les envoyâmes au rivage. Comme ils ramaient vers la terre, ils virent des hommes de haute taille postés en PIECES JUSTIFICATIVES. t3 différens lieux , avec de longs bâtons à la main comme des pi- ques , et qui hélaient les nôtres. Il y avait devant l'aiguade un violent ressac qui rendait le débarquement difficile ; entre une pointe de la grande île et une petite île élevée et escarpée, le courant était si violent que les canots pouvaient à peine l'étaler. Pour ces diverses raisons , les officiers tinrent conseil ensemble, et ne voulant pas exposer le salut des canots et des hommes, ils revinrent aux vaisseaux. Avant de les voir opérer leur re- tour, nous avions tiré un coup de canon et bissé un pavillon poul- ies rappeler à bord. Nous nommâmes cette île Drie Koningen Eyland (île des Trois Rois), ce jour étant celui de l'Epi- phanie. Elle est par la latitude de 34° 20' S. et longitude 1900 4°'- » Le soir Tasman mit à la voile et poursuivit son voyage vers les Iles des Amis. (// Chonological Histoiy, etc.; by Burncy. Part. III , pag. 72 et suiv.} 14 PIÈCES JUSTIFICATIVES. VOYAGES DE COOK. Les Voyages de cet illustre navigateur étant entre les mains de tout le monde, nous nous sommes presque toujours bornés à donner exactement l'indication des passages cités, lorsque nous nous sommes appuyés sur l'autorité de ce capitaine ou sur celle de ses com- pagnons. Un petit nombre de ces passages cependant nous ont paru de nature à être rapportés textuelle- ment , soit par leur importance , soit pour être plus fa- cilement comparés aux observations faites par des voyageurs plus modernes. Nous avons toujours em- ployé la traduction française , édition in-quarto , pu- bliée, 1er voyage en 1774, 2e voyage en 1778, et le 3e voyage en 1785. PREMIER VOYAGE. Au sujet des plantations des naturels dans la baie Toko-Malou ( Tegadou de Gook ) , on lit : M. Banks aperçut quelques-unes de leurs plantations où le terrain était aussi bien divisé et labouré que dans nos jardins PIÈCES JUSTIFICATIVES. 15 les mieux soignés ; il y reconnut des patates douces , des eddas qui sont très-connus et fort estimés dans les Indes orientales et les îles d'Amérique, et quelques citrouilles : les patates douces étaient plantées sur de petites collines, quelques-unes dispo- sées par planches, d'autres en quinconce, et toutes alignées avec la plus grande régularité. Les eddas avaient été placés sur un sol plat , mais aucun ne paraissait encore au-dessus de terre, et les citrouilles étaient placées dans de petits creux , à peu près comme en Angleterre. L'étendue de ces plantations variait depuis une acre jusqu'à dix ; en les rassemblant toutes , il pa- raissait y avoir i5o à 200 acres de terrain cultivé dans toute la baie, quoique nous n'y ayons jamais vu cent Indiens. Chaque district était environné d'une haie composée ordinairement de ronces qui étaient entrelacées les unes si près des autres, qu'une souris aurait eu peine à passer au travers. (Tome III , pug. 83.) Voici comment Cook décrit les pas de la baie Witi- Anga, lorsqu'il y mouilla en novembre 17G9 : Après déjeuner, j'allai avec la pinasse et l'yole, accompa- gné de MM. Banks et Solander, au côté septentrional de la baie, afin d'examiner le pays et deux villages fortifiés que nous avions reconnus de loin. Nous débarquâmes près du plus petit, dont la situation était lu plus pittoresque qu'on puisse imagi- ner ; il était construit sur un petit rocher détaché de la grande terre, et environné d'eau à la haute marée. Ce rocher était percé , dans toute sa profondeur , par une arche qui en occu- pait la plus grande partie ; le sommet de l'arche avait plus de soixante pieds d'élévation perpendiculaire au-dessus de la sur- face de la mer, qui coulait à travers le fond à la marée haute. Le haut du rocher, au-dessus de l'arche, était fortifié de pa- lissades à la manière du pays ; mais l'espace n'en était pas assez vaste pour contenir plus de cinq ou six maisons; il n'était ac- 16 PIECES JUSTIFICATIVES. cessible que par un sentier escarpé et étroit, par où les habi- tans descendirent à notre approche, et nous invitèrent à mon- ter; nous refusâmes cette offre, parce que nous avions envie d'examiner un fort beaucoup plus considérable de la même espèce , situé à peu près à un mille de là. Nous fîmes quelques présens aux femmes , et sur ces entrefaites nous vîmes les In- diens du bourg vers lequel nous allions, s'avancer vers nous en corps au nombre d'environ cent, y compris les hommes, les femmes et les enfans. Quand ils furent assez près pour se faire entendre, ils firent un geste de leurs mains en nous criant Heromaï (lisez Aire mai); ils s'assirent ensuite parmi les buis- sons près de la grève : on nous dit que ces cérémonies étaient des signes certains de leurs dispositions amicales à notre égard. Nous marchâmes vers le lieu où ils étaient assis , et quand nous les abordâmes , nous leur fîmes quelques présens, en deman- dant permission de visiter leur heppah ( lisez pa); ils y con- sentirent avec la joie peinte sur leur visage , et sur-le-champ ils nous y conduisirent : il est appelé TVharre Touwa ( sans doute JVare-Tawd), et il est situé sur un promontoire ou pointe élevée qui s'avance dans la mer, sur la côte septentrio- nale et près du fond de la baie. Deux des côtés lavés par les flots de la mer sont entièrement inaccessibles; deux autres côtés sont contigus à la terre : il y a depuis la grève une ave- nue qui conduit à un de ceux-ci , qui est très-escarpé ; l'autre est plat. On voit sur la colline une palissade d'environ dix pieds de haut , qui environne le tout et qui est composée de gros pieux, joints fortement ensemble avec des baguettes d'o- sier. Le côté faible, près de la terre, était aussi défendu par un double fossé , dont l'intérieur avait un parapet et une se- conde palissade ; les palissades de dedans étaient élevées sur le parapet près du bourg, mais à une assez grande distance du bord et du fossé intérieur , pour que les Indiens pussent s'y promener et s'y servir de leurs armes. Les premières palissades du dehors se trouvaient entre les deux fossés , et elles étaient enfoncées obliquement en terre, de manière que leurs extré- PIECES JUSTIFICATIVES. 17 mités supérieures étaient inclinées vers le second fossé ; ce fossé avait vingt-quatre pieds de profondeur, depuis le pied jusqu'au haut du parapet ; et tout près et en dedans de la palissade in- térieure, il y avait une plate-forme de vingt pieds d'élévation, de quarante de long- et de six de large; elle était soutenue par de gros poteaux , et destinée à porter ceux qui défendent la place, et qui peuvent de là accabler les assaillans par des dards et des pierres, dont il y a toujours des tas en cas de besoin. Une autre plate-forme de la même espèce, et placée également en dedans de la palissade, commandait l'avenue escarpée qui aboutissait à la grève ; de ce côté de la colline , il y avait quel- ques petits ouvrages de fortification et des buttes qui ne ser- vaient pas de postes avancés, mais d'habitations à ceux qui, ne pouvant pas se loger faute de place dans l'intérieur du fort, voulaient cependant se mettre à portée d'en être protégés. Les palissades, ainsi qu'on l'a déjà observé, environnaient tout le sommet de la colline , tant du côté de la mer que du côté de la terre; mais le terrain, qui originairement était une monta- gne, n'avait pas été réduit à un seul niveau , mais formait plu- sieurs plans différens qui s'élevaient en amphithéâtre, les uns au-dessous des autres , et dont chacun était environné par une palissade séparée; ils communiquaient entre eux par des sen- tiers étroits qu'on pouvait fermer facilement, de sorte que si un ennemi forçait la palissade extérieure, il devait en empor- ter d'autres avant que la place fût entièrement réduite, en sup- posant que les Indiens défendissent opiniâtrement chacun de ces postes. Un passage étroit d'environ douze pieds de long, et qui aboutit à l'avenue escarpée qui vient du rivage, en forme la seule entrée : elle passe sous une des plates-formes ; et quoi- que nous n'ayons rien vu qui ressemblât à une porte ou à un pont, elle pouvait aisément être barricadée , de sorte que ce serait une entreprise très-dangereuse et très-difficile que d'es- sayer de la forcer; en un mot, on doit regarder comme très- forte une place dans laquelle un petit nombre de combattans déterminés se défend aisément contre les attaques que pourrait tome in. 2 18 PIECES JUSTIFICATIVES. former avec ses «armes tout le peuple de ce pays. Eu cas de siège , elle paraissait être bien fournie de toutes sortes de pro- visions, excepté d'eau : nous aperçûmes une grande quantité de racines de fougère, qui leur sert de pain, et de poissons secs amoncelés en tas ; mais nous ne remarquâmes pas qu'ils eussent d'autre eau douce que celle du ruisseau qui coulait tout près et au-dessous du pied de la colline. Nous n'avons pas pu savoir s'ils ont quelque moyen d'en tirer de cet endroit pendant un siège , ou s'ils connaissent la manière de la con- server dans des citrouilles ou d'autres vases ; ils ont sûrement quelque ressource pour se procurer cet article nécessaire à la vie, car autrement il leur serait inutile de faire des amas de provisions. Nous leur témoignâmes le désir que nous avions de voir leurs exercices d'attaque et de défense ; un jeune In- dien monta sur une des plates-formes de bataille , qu'ils ap- pellent Porara , et un autre descendit dans le fossé ; les deux combattans entonnèrent leur ebanson de guerre , et dansèrent avec les mêmes gestes effrayans que nous leur avions vu em- ployer dans des circonstances plus sérieuses , afin de monter leur imagination à ce degré de fureur artificielle qui , chez toutes les nations sauvages, est le prélude du combat. (Tome HT , pag. s.'i.'i. et suù>.~) C'est ainsi que Cook représente les naturels de la baie des Iles, quand il y mouilla en novembre 1769 : Nous aperçûmes plusieurs villages au côté occidental de la baie, tant sur les îles que sur la terre de la Nouvelle-Zélande, et plusieurs pirogues très-grandes s'avancèrent vers nous ; elles étaient remplies d'Indiens qui avaient meilleur air que tous ceux que nous avions vus auparavant. Ils étaient tous vigou- reux et bien faits ; leurs cbeveux noirs étaient attacbés en touffes au sommet de la tête et garnis de plumes blancbes. Dans cha- cune des pirogues il y avait deux ou trois chefs , dont les vêle- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 19 mens étaient de la meilleure espèce d'étoffe et recouverts de peaux de chiens, de manière qu'ils présentaient un coup- d'œil agréable. La plupart de ces Indiens étaient marqués de moko , comme ceux qui étaient venus auparavant au côté du vaisseau. Leur manière de commercer était également fraudu- leuse, et, comme nous négligeâmes de les punir ou de les effrayer, un des officiers de poupe, qui avait été trompé, eut recours, pour se venger, à un expédient qui était à la fois cruel et comique. Il prit une ligne de pêche , et quand l'homme qui l'avait friponne eut approché sa pirogue très-près du côté du vaisseau, il jeta son plomb avec tant d'adresse, que l'ha- meçon saisit le voleur par le dos; il tira ensuite la ligne; mais l'Indien se cramponnant sur sa pirogue , l'hameçon rompit à la tige et la barbe resta dans la chair. ( Tome III , pag. i48.) En décembre 1769, Cook recueillit la tradition sui- vante de la bouche des habitans du cap Nord de la Nouvelle-Zélande. Voyant que ces insulaires étaient si intelligens, nous leur demandâmes en outre (par Tupia) s'ils connaissaient quelque autre pays que le leur; ils répondirent qu'ils n'en avaient jamais visité d'autres, mais que leurs ancêtres leur avaient dit qu'au N. 0. 1/4 N. ou au N. N. 0. , il y avait une contrée fort étendue, appelée Ulimaraa , où quelques-uns de leurs compa- triotes étaient allés sur une grosse pirogue; qu'il n'en revint qu'une partie, et qu'ils rapportèrent qu'après un passage d'un mois, ils avaient vu un pays où les habitans mangeaient des cochons. Tupia, s'informant alors si ces navigateurs avaient ramené quelques cochons avec eux, ils répondirent que non. Il faut remarquer que quand ils faisaient mention des cochons , ils n'en décrivaient pas la figure , mais ils les désignaient seule- 20 PIECES JUSTIFICATIVES. ment par le mot booah , nom qu'on leur donne dans les îles de la mer du Sud. ( Tome III, pag. 162. ) Deux mois plus tard, il retrouve la même tra- dition dans la baie de la Reine-Charlotte (détroit de Cook). Quand nous fûmes sous voiles, le vieillard Topaa vint à bord pour nous dire adieu , et comme nous désirions toujours d'apprendre si, parmi ce peuple, il s'était conservé quelque tradition de Tasman , Tupia fut chargé de demander au vieil- lard s'il avait jamais entendu dire que quelque vaisseau pareil au nôtre eût visité son pays. Il répondit que non , mais il ajouta que ses ancêtres lui avaient dit qu'autrefois il était arrivé en ce même endroit un petit bâtiment venant d'une contrée éloignée appelée Ulimaraa , et dans lequel il y avait quatre hommes qui furent tous tués lors de leur débarquement. Lorsqu'on lui fit des questions sur la position de cette terre éloignée, il montra le nord. Les Indiens des environs de la baie des Iles nous avaient parlé ftUIimaraa , en nous disant que leurs ancêtres l'avaient visité. Tupia nous avait entretenus aussi quelquefois de ce pays, sur lequel il avait quelques notions confuses qui lui avaient été transmises par tradition , et qui n'étaient pas fort différentes de celles de notre vieillard, etc. ( Tome III , pag. 2o3. ) DEUXIÈME VOYAGE. Forsler lui-même, cet observateur si assidu et si ju- dicieux , n'avait presque rien découvert de leurs opi- nions, ni de leurs cérémonies religieuses. « Tupia , le seul qui pût faire une conversation suivie avec PIECES JUSTIFICATIVES. 21 les Zélandais, découvrit bientôt qu'ils reconnaissent un Etre suprême; ils croient aussi à quelques divinités inférieures; leur système de polythéisme répond à celui des Taïtiens, et doit être de très-ancienne date , et tirer son origine de leurs ancêtres communs. Nous n'avons pas observé, à la Nouvelle- Zélande, une seule cérémonie qui parût avoir le moindre rap- port à la religion , et je n'ai remarqué que deux choses qui semblent en avoir un éloigné. La première est le nom à'Atuée (plutôt 7om?), l'oiseau de la divinité, qu'ils donnent quelque- fois à une espèce de bouvreuil ( Cerlhia circi/inata"). On croi- rait que ce nom suppose la même vénération qu'on a pour les hérons et les martins-pècheurs à Taïti et aux îles de la Société; mais je ne puis pas dire qu'ils nous aient témoigné le moindre désir de conserver la vie de cet oiseau plutôt que des autres. La seconde chose c'est l'amulette de pierre verte qu'ils portent sur la poitrine et qui est suspendue à un collier ; elle est de la grosseur de deux écus , et sculptée de manière qu'elle ressemble à une figure humaine. Ils l'appellent Etée-ghéc (lisez TWi), ce qui, sans doute, équivaut à YEtée taïtien ( qu'on doit pro- noncer Tihi ). A Taïti et sur les îles voisines , Etée signifie une image de bois représentant une figure humaine , érigée sur un bâton dans les cimetières en mémoire des morts, mais pour laquelle on n'a aucun respect particulier. Il paraît qu'on fait usage du Tée-ghéc de la Nouvelle-Zélande dans la même vue; mais il n'est pas plus révéré, car quoiqu'ils ne voulussent pas le vendre pour des grains de verre, cependant ils ne man- quaient pas, dans le détroit de la Reine-Charlotte, de nous le céder pour une demi-verge de drap ou de serge rouge. En outre, ils parent souvent leur col de plusieurs rangées de dents humaines que nous prîmes pour des trophées de leur valeur, puisque c'étaient les dents des ennemis qu'ils avaient tués. Nous n'avons aperçu parmi eux ni prêtres, ni jongleurs d'aucune espace , ce qui explique pourquoi ils sont si peu superstitieux. » ( Tome II , pag. i3o. ) 22 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Le même observateur s'exprime ainsi au sujet des habitans de la Nouvelle-Zélande : « Le visage des naturels y est tatoué , et leur teint est encore rembruni par l'usage où ils sont de le tatouer, ou plutôt de le découper en sillons réguliers, qui empêchent un peu la barbe de croître; en général, ils sontd'une grande taille, robustes et formés pour la fatigue ; leurs membres sont bien proportionnés et bien liés, excepté les genoux qui sont fort élargis, parce qu'ils s'appuient trop sur leurs jambes dans leurs pirogues; la taille des femmes est communément mince, il n'y en a qu'un petit nombre dont les traits soient supportables; leurs genoux sont aussi larges que ceux des hommes , et elles sont très-mal- traitées par leurs maris, qui les chargent de tous les travaux pénibles, comme chez tous les sauvages. Cette nation est hos- pitalière et généreuse ; les guerriers y sont intrépides et hardis; leur inimitié est implacable et cruelle, et leur vengeance est telle, qu'ils mangent leurs captifs; en général, les individus ont un jugement sain , du goût et de l'industrie. » ( Tome V \pag. 2i5 et suiv. ) TROISIEME VOYAGE. On lit ce qui suit sur les dispositions de ces insu- laires : Mes observations et les détails que m'ont donnés Taweika- roua ( lisez Tawaï-Oroua") et d'autres, prouvent que les habi- tans de la Nouvelle-Zélande vivent dans des transes conti- nuelles ; la plupart des tribus croient avoir essuyé des injustices et des outrages de leurs voisins , et elles épient sa«s cesse l'occa- sion de se venger. Ils aiment beaucoup à manger la chair de leurs ennemis tués dans les batailles, et le désir de cet abomi- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 23 nable repas est peut-être une des principales causes de leur ardeur dans les combats. On m'a dit qu'ils attendent quelque- fois bien des années un moment favorable, et qu'un fils ne perd jamais de vue l'injure faite à son père. Pour exécuter leur horrible dessein, ils se glissent pendant les ténèbres au milieu de leurs ennemis ; s'ils les surprennent , ce qui , je crois, arrive peu, ils leur donnent la mort à tous, et ils n'épargnent pas même les femmes et les enfans. Lorsque le massacre est achevé, ils mangent les vaincus sur le lieu même où s'est passée la boucherie, ou ils emportent autant de cadavres qu'ils le peuvent, et ils s'en régalent ensuite chez eux avec une bru- talité trop dégoûtante pour la décrire ici. S'ils sont découverts avant d'avoir exécuté leurs sanguinaires projets, ils s'enfuient ordinairement à la sourdine; on les poursuit, et on les atta- que quelquefois à leur tour. Us ne connaissent point cette mo- dération qui donne quartier ou qui fait des captifs, en sorte que les vaincus ne peuvent mettre leurs jours à couvert que par la fuite. Cet état perpétuel de guerre , et celle manière de la conduire , si deslructh e de la population , les rend très-atten- tifs, et il est rare de rencontrer, le jour ou la nuit, un Zélan- dais qui ne soit pas sur ses gardes. Il est impossible de rien ajouter aux motifs qui excitent leur vigilance; la conservation de leur vie et leur bonheur en dépendent; car, selon leur sys- tème religieux , l'ame de l'homme dont le corps est mangé par l'ennemi est condamnée à un feu éternel, tandis que les âmes de ceux dont les corps ont été arrachés des mains des meur- triers , ainsi que les ames de ceux qui meurent de mort natu- relle, vont habiter avec les dieux. Je leur demandai s'ils man- geaient ceux de leurs amis qui étaient tués à la guerre, mais dont les corps ne tombaient point au pouvoir de l'ennemi. Ils parurent étonnés de ma question ; ils me répondirent que non ; ils témoignèrent même une sorte d'horreur sur l'idée qu'elle présentait. Ils enterrent communément leurs morts; mais, s'ils ont tué plus d'ennemis qu'ils ne peuvent en manger, ils les jettent à la mer. ( Tome I, paff. ij4- ) 24 PIECES JUSTIFICATIVES. Voici les observations recueillies, en février 1777, par le chirurgien Anderson sur le même sujet : Les diverses tribus sont souvent en querelle , ou plutôt elles y sont toujours; car la multitude de leurs armes et leur dextérité à s'en servir annoncent que la guerre les occupe prin- cipalement; ces armes sont des piques , des palous , des halle- bardes et quelquefois des pierres. Les piques sont d'un bois très-dur; leur longueur varie de cinq à vingt et même trente pieds; ils lancent les plus courtes comme des dards. Le patou ou le mère a la forme d'une ellipse , sa longueur est d'environ dix-huit pouces; il a un manche de bois, de pierre, d'os ou de jaspe vert, et c'est l'arme sur laquelle ils comptent le plus dans les batailles. La hallebarde ou la longue massue a cinq ou six pieds de longueur ; l'une de ses extrémités se termine en pointe et offre une tète sculptée; l'autre est large ou aplatie, et elle présente des bords tranchans. Avant de commencer l'action, ils entonnent une chanson guerrière ; et ils observent tous la mesure la plus exacte; leur colère arrive bientôt au dernier degré de la fureur et de la fré- nésie; ils font des contorsions horribles de l'oeil, de la bouche et de la langue , afin d'inspirer de la terreur à leurs ennemis ; on les prendrait pour des démons plutôt que pour des hommes, et cet affreux spectacle glacerait presque d'effroi d'intrépides guerriers qui n'y seraient pas accoutumés. Ils ont une autre habitude plus horrible et plus déshonorante pour la nature humaine ; ils coupent en morceaux un ennemi vaincu lors même qu'il n'est pas encore mort, et , après l'avoir rôti , ils le mangent, non avec répugnance, mais avec une satisfaction extrême. On est tenté de croire que des hommes capables de pareils excès n'ont aucune commisération ou aucun attachement pour ceux de leur tribu : cependant on les voit déplorer la perte de leurs amis d'une manière qui suppose de la sensibilité. Les PIECES JUSTIFICATIVES. 25 hommes et les femmes poussent des cris attendrissans, lorsque leurs parens ou leurs amis ont été tués dans les batailles , ou sont morts d'une autre manière : ils se découpent le front et les joues avec des coquilles et des morceaux de pierre; ils se font de larges blessures d'où le sang sort à gros bouillons et se mêle à leurs larmes : ils taillent ensuite des pierres vertes auxquelles ils donnent une figure humaine; ils mettent à cette figure des yeux de nacre de perle , et ils la portent à leur cou pour se sou- venir de ceux qui leur étaient chers. Leurs affections paraissent si fortes, qu'au retour de leurs amis, dont l'absence n'a pas été quelquefois bien longue, ils se découpent également le visage et poussent, dans leur transport de joie, des cris frénétiques. Les enfans sont accoutumés de bonne heure à toutes les pratiques bonnes ou mauvaises de leurs pères : un petit garçon, ou une petite fille de neuf à dix ans, fait les mouvemens , les contorsions et les gestes par lesquels les Zélandais plus âgés ins- pirent de la terreur à leurs ennemis : ils chantent la chanson de guerre, et ils observent très-exactement la mesure. Les Zélandais chantent, sur des airs qui ont une sorte de mélodie, les traditions de leurs aïeux, leurs batailles, leurs victoires, et même des sujets assez indiflêrens. Ils sont pas- sionnés pour cet amusement, et la plus grande partie de leur temps y est employée : ils passent aussi plusieurs heures de la journée à jouer de la flûte. Quoique leur prononciation soit souvent gutturale, leur langue est loin d'être dure ou désagréable, et si nous pouvons établir ici une opinion d'après la mélodie de quelques-uns de leurs chants, l'idiome de la Nouvelle-Zélande a certainement une grande partie des qualités qui rendent les langues harmo- nieuses : il est assez étendu ; on imagine bien toutefois qu'on le trouvera pauvre, si on le compare à nos langues d'Europe , qui doivent leur perfection à une longue suite de travaux , etc. ( Tom. I, pag. 2o5 et suiv.^) 26 PIECES JUSTIFICATIVES. VOYAGE DU CAPITAINE SURVILLE. Voici l'article du journal de Monneron, subré- cargue du vaisseau, le Saint-J ean-Bapliste , relatif au séjour que fit le "capitaine Surville à la Nouvelle-Zé- lande. Cet officier reconnut cette grande île le 12 décembre 1769, par la latitude australe de 35° 37' : les vents ne lui permirent pas de trouver un mouillage avant le 17, jour où il jeta l'ancre dans une baie qu'il nomma Lauriston, du surnom du gouver- neur Laws. Le lendemain Surville descendit à terre, le chef du village vint au devant de lui sur le bord du rivage. Les in- sulaires étaient épars de côté et d'autre; ils tenaient à la main des peaux de chiens et des paquets d'herbes qu'ils haussaient et baissaientalternativement, dans l'intention sans doute de lui rendre hommage; c'est ainsi que se passa en espèce de saluta- tion la première entrevue : le jour suivant la réception fut bien différente , les Indiens étaient en armes et par troupes. Le chef était venu dans sa pirogue au devant de Surville pour l'en- gager, par signe , à l'attendre sur le bord du rivage , parce que les Indiens étaient dans de vives alarmes sur la descente à terre PIÈCES JUSTIFICATIVES. 27 d'une grande partie de l'équipage de son vaisseau. Surville se conforma à ce qu'il désirait à cet égard; mais, lorsque le chef lui fit la demande de son fusil, il s'y refusa. Le chef, sans se rebuter du peu de succès de sa première demande , pria cet of- ficier de lui prêter son épée pour la montrer aux gens de son village. Le capitaine ne fit aucune difficulté de lui remettre cette arme; le chef, satisfait, accourut la montrer aux insu- laires qui paraissaient attendre avec inquiétude le dénouement de cette entrevue. Le chef harangua à haute voix, et avec cha- leur; ce^nombreux attroupement; et dès ce moment il s'établit, entre les insulaires et l'équipage du vaisseau , un commerce qui procura des vivres et des secours de toute espèce aux malades. Ce chef demanda à Surville la permission de l'accompagner à bord de son vaisseau pour en examiner la construction : ce ca- pitaine y consentit; mais, dès que le canot commença à s'éloi- gner de la côte , le cri des femmes et les alarmes des Indiens dé- terminèrent Surville à le ramener promptement à terre, où cet officier fut témoin de l'affection sincère de ce peuple envers leur chef. L'illustre Cook côtoyait alors la Nouvelle-Zélande , il releva même la baie où était Surville, sans se douter qu'un vaisseau français eût abordé avant lui à cette île alors peu connue. On lit dans la relation de son second voyage : « Lorsque je pro- longeais (en décembre 17G9), sur l'Endcavour, la côte de •> la Nouvelle-Zélande, le capitaine Surville était-mouillé dans » la baie Douteuse, sans que j'en eusse par les insulaires aucune » connaissance. » Surville éprouva une tempête dont il est mention dans le journal de Cook, qui lui fit perdre ses ancres; son vaisseau courut de grands dangers, mais cet habile marin savait, dans ces grandes circonstances, déployer avec un sang-froid imper- turbable toutes les ressources de son art. Aussi avait-il la con- fiance de son équipage à tel point qu'il n'était pas intimidé à la vue des plus imminens dangers. Au commencement de la tempête , la chaloupe où étaient 28 PIECES JUSTIFICATIVES. les malades tenta inutilement de gagner le vaisseau. Elle ne put pas même revenir au village , elle fut jetée dans une anse qu'on nomma pour cette cause anse du Refuge. Elle fut obligée d'y rester tout le temps de la durée du coup de vent. Nagui- noui , chef de ce village , accueillit et reçut les malades dans sa maison. Il leur prodigua tous les rafraîchissemens qu'il fut en son pouvoir de leur procurer, sans vouloir accepter aucun sa- laire de ses soins généreux. Ce ne fut que le 29 qu'il fut prati- cable à la chaloupe de se rendre au vaisseau ; la tempête avait fait perdre à Surville le canot qui était amarré derrière le vais- seau; il le vit échoué sur le rivage de l'anse du Refuge. Ce capitaine l'envoya chercher, mais les Indiens plus alertes s'en emparèrent et le cachèrent si bien , que toutes les perquisitions furent inutiles ; on soupçonna que les Indiens avaient coulé ce canot dans une petite rivière que l'on remonta , et que l'on descendit à diverses reprises. Surville , irrité de la perte de son canot, fit signe à quelques Indiens qui étaient auprès de leurs pirogues de s'approcher. Un d'entre eux accourut, il fut arrêté et conduit à bord ; les autres moins confians prirent aussitôt la fuite. On poursuivit cette hostilité en s'emparant d'une pirogue et en brûlant toutes celles qui étaient sur le rivage. On mit le feu aux maisons et aux villages; et, après avoir ainsi porté l'ef- froi et la désolation dans ces contrées , Surville quitta la Nou- velle-Zélande sans prévoir que cet injuste châtiment aurait les suites les plus funestes pour les Européens qui auraient le mal- heur d'y aborder. Infortuné Marion , voilà la vraie cause de votre mort et du massacre des Français qui vous ont suivi ! Ne cherchons pas d'autres motifs; il est bien douloureux pour nous d'être encore forcés de les aggraver. Notre qualité d'his- torien nous impose le devoir de tout dire, et cette tâche est cruelle lorsqu'elle peut servir à accuser d'injustice et d'ingrati- tude un habile navigateur et un marin d'une haute distinction. Il faut donc que je fasse connaître au lecteur que l'Indien qui fut arrêté, était le chef Naguinoui, qui avait reçu les malades dans sa maison avec autant d'humanité que de désintéresse- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 29 ment, et encore dans une circonstance infiniment critique; car la tempête, qui dura trois jours, avait mis le vaisseau à tout moment dans, le danger de se perdre à cette côte. On aurait sans doute pu connaître plus particulièrement par ce chef les productions et les mœurs des peuples de la Nouvelle-Zélande. Mais on ne trouve, dans les journaux du Saint-Jean-Baptiste , que la date de sa mort, à la vue des îles de Jean-Fernandès , le 12 mars 1770. Le journal de Potier de l'Orme, que nous avons sous les yeux, nous apprend qu'il commandait la cha- loupe où étaient les malades avec le chirurgien Duluc , lorsque Naguinoui offrit si généreusement sa maison pour y déposer les malades et leur donner tous les secours que cette contrée pouvait offrir. Après avoir fait un bel éloge de l'humanité de ce chef, qui passait pour avoir dans le pays une grande auto- rité, il ajoute : « Je fus très-surpris de voir que l'Indien qu'on » conduisait à bord, pieds et mains liés, était ce chef qui, à » mon arrivée à l'anse du Refuge, m'avait fait apporter du pois- » son séché, sans exiger de paiement, avec l'air du monde le » plus compatissant. Cet infortuné ne m'eut pas plutôt reconnu, » qu'il se jeta à mes pieds, les larmes aux yeux, en me disant » des choses que je n'entendais pas, et que je pris pour des » prières, d'intercéder en sa faveur et de le protéger, parce qu'il » m'avait rendu service dans une circonstance où j'en avais le » plus grand besoin. Je fis pour cet homme tout ce qui était en » mon pouvoir pour lui montrer qu'on ne voulait pas lui faire » de mal. Il me serrait dans ses bras , et il me montrait sa terre » natale qu'on le forçait d'abandonner. Heureusement pour » moi, le capitaine le fit mener dans sa chambre de conseil, » car il me faisait peine de voir cet homme alarmé du sort » qu'on lui préparait. » On conçoit qu'il devait être très-in- quiet , car lorsqu'il fut plus rassuré , il apprit à Potier de l'Orme que, lorsqu'ils font des prisonniers, ils les saisissent parla touffe de cheveux qu'ils portent sur le sommet de la tète , et les tuent d'un coup de leurs assommoirs sur la tempe. Ils partagent entre eux par morceaux le cadavre pour en faire un horrible festin. 30 PIECES JUSTIFICATIVES. Ces cannibales sont extrêmement voraces. Naguinoui désirait non-seulement tout ce qu'on lui offrait, mais il allait encore auprès des matelots, sollicitait et mendiait les restes de leurs vivres. Il paraissait cependant regretter sa nourriture primitive, la racine de fougère : on a remarqué qu'il avait les dents très- petites , et qu'il éprouvait une grande difficulté à rendre le son de IV. ( Voyage aux Indes orientales , etc. , par Rochon, 1807, pag. 382 et suiv.) PIÈCES JUSTIFICATIVES. 31 VOYAGE DU CAPITAINE MARION. M. l'abbé Rochon donna en 1783 la relation dé- taillée du voyage du capitaine Marion , d'après le jour- nal du lieutenant Crozet qui prit le commandement du Mascarin après la mort de M. Marion. C'est de cette relation que nous allons extraire tout ce qui a rapport au séjour de cet infortuné navigateur sur les cotes de la Nouvelle-Zélande, ainsi que les observations qui furent alors recueillies sur les productions de ce pays et les mœurs de ses habitans. On verra qu'elles avaient été faites avec beaucoup de discernement et d'exacti- tude , encore que l'expédition commandée par Marion fût presque uniquement commerciale. Le capitaine Marion commandant les vaisseaux le Mascarin et le Casfries venait de la terre de Van-Diémen , quand il se dirigea sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Ce fut le a4 mars 1772 qu'il atterrit à la hauteur du mont Egmont de Cook, qiii lui parut aussi élevé que le pic des Aeores et près duquel il vit des hommes et plusieurs feux. 32 PIECES JUSTIFICATIVES. Le 3i il revit la terre par 36° 3o' lat. S. ; puis il longea la côte à une ou trois lieues de distance , faisant route au nord et par vingt-six à quarante brasses de fond. De violens coups de vent du N. à l'O. l'obligèrent à éloi- gner la terre. Le 4 avril il eut connaissance des Rois. Un nouveau coup de vent le renvoya au large. Le i3 au matin il s'approcba de la plus grande île des Rois à une lieue de dis- tance. Il y vit des hommes d'une grande taille, et d'agréables bouquets d'arbrisseaux. Le i 6 il laissa tomber l'ancre sur une mauvaise rade dans la partie septentrionale de la Nouvelle-Zélande. Les navires man- quèrent tomber à la côte; ils furent obligés d'appareiller en hâte en laissant leurs ancres , qu'ils ne revinrent chercher que le aC. Enfin, le 3 mai, les navires se trouvèrent devant la baie des Iles, près le cap Rrett de Cook. Désormais nous allons laisser parler le lieutenant Crozet : « Lorsque nous fûmes à deux lieues de distance dudit cap , nous eûmes connaissance de trois pirogues qui venaient à nous. Il ventait peu et la mer était belle. Une des pirogues s'appro- cha de notre vaisseau ; elle contenait neuf hommes. On les en- gagea par signes à venir à bord ; on leur envoya diverses ba- gatelles pour les y déterminer. Ils y vinrent avec un peu de dif- ficulté et parurent, en montant dans le vaisseau, n'être pas sans crainte. M. Marion les fit entrer dans la chambre du con- seil, et leur offrit du pain. Il en mangea le premier, et ils en mangèrent aussi. On leur présenta de la liqueur; ils en burent avec répugnance. On les engagea à se dépouiller de leur pagne, et on leur fit présent de chemises et de caleçons, dont ils paru- rent se laisser habiller avec plaisir. On leur fit voir différens ou- tils, tels que haches, ciseaux et herminettes. lisse montrèrentex- trêmement empressés de les avoir; ils s'en servirent dans le mo- ment, pour nous faire voir qu'ils en connaissaient l'usage. On leur en fit présent. Ils s'en allèrent peu de temps après, très-satisfaits de notre réception. Dès qu'ils furent un peu éloignés du vais- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 33 seau , nous les vîmes quitter leurs chemises et leurs caleçons pour prendre leurs premiers vètemens et cacher ceux qu'ils avaient reçus de nous. Ils abordèrent ensuite les deux autres pirogues, dont les sauvages n'avaient pas osé s'approcher du vaisseau : ils parurent les rassurer et les engager à venir aussi nous voir. Ils vinrent effectivement et montèrent sur le vais- seau, sans témoigner ni crainte ni défiance. Il y avait parmi eux d<>s femmes; on leur donna du biscuit et quelques autres bagatelles. » Le soir, le vent étant augmenté, les pirogues se retirèrent à terre. Cinq ou six de ces sauvages restèrent de leur bonne vo- lonté à bord du vaisseau. On leur fit donner à boire et à man- ger; ils soupèrent même avec nous, et mangèrent de tous nos mets avec beaucoup d'appétit; ils ne voulurent boire ni vin ni liqueur. Ils couchèrent dans le vaisseau. On leur arrangea des lits dans la grande chambre; ils dormirent bien , sans marquer la moindre défiance. Cependant on les veilla toute la nuit. Parmi ces sauvages était le nommé Takouri, un de leurs chefs, dont on aura occasion de parler dans la suite, lequel témoignait beaucoup d'inquiétude toutes les fois que le vais- seau s'éloignait un peu de la côte pour courir des bordées, en attendant le bateau que nous avions envoyé le matin à terre. Ce bateau revint vers les onze heures du soir. L'officier nous rapporta avoir trouvé une baie dans laquelle il y avait un vil- lage considérable et un enfoncement très -étendu, où il pa- raissait y avoir un beau port , des terres cultivées, des ruis- seaux et des bois. » Le 4 mai, nous mouillâmes entre des îles et nous y restâmes à l'ancre jusqu'au il duditmois, que nous mîmes de nouveau sous voiles pour entrer dans un port beaucoup plus assuré. C'est celui que M. Cook avait nommé Port des Iles. »Le 12 mai, le temps étant fort beau et les vaisseaux en sûreté, M. Marion envoya établir des tentes sur une île qui était dans l'enceinte du port, où il y avait de l'eau et du bois, et qui présentait une anse très-abordable vis-à-vis des vaisseaux; il tome m. 3 ** '. M PIECES JUSTIFICATIVES. y fit transporter les malades, et y établit un corps-de-garde. Les naturels nomment cette île Motou-Aro *. » A peine fûmes -nous mouillés, qu'il nous vint h bord une quantité de pirogues, qui nous apportèrent du poisson ; ils nous témoignèrent l'avoir pècbé exprès pour nous. Nous ne savions quel langage parler à ces sauvages. J'imaginai par basard de prendre le Vocabulaire de l'île de Taïti , que nous avait remis l'intendant de l'Ile-de-France. Je lus quelques mots de ce Vo- cabulaire, et je vis avec la plus grande surprise que les sau- vages m'entendaient parfaitement. Je reconnus bientôt que la langue du pays où nous étions était absolument la même que celle de l'île de Taïti , éloignée de plus de six cents lieues de la Nouvelle-Zélande. A l'approcbe de la nuit, les pirogues se re- tirèrent et nous laissèrent à bord huit ou dix sauvages qui pas- sèrent la nuit avec nous, comme si nous étions leurs camara- des et que nous fussions connus d'eux de tout temps. » Le lendemain , le temps étant très-beau , il nous vint beau- coup de pirogues remplies de sauvages qui nous amenaient leurs enfans et leurs filles. Ils vinrent sans armes et avec la plus grande confiance. En arrivant dans le vaisseau, ils commen- çaient par crier Taro : c'est le nom qu'ils donnent au biscuit de mer. On leur en donnait à tous de petits morceaux et avec une certaine économie , car ils étaient grands mangeurs , et en si grand nombre que , si on leur en eût donné suivant leur appé- tit, ils eussent bientôt achevé nos provisions; ils nous appor- taient du poisson en très-grande quantité, et nous le donnaient en troc de quelques verroteries et de morceaux de fer. Dans ces premiers jours, ils se contentaient de vieux clous de deux à trois pouces ; par la suite , ils devinrent plus difficiles , et de- mandaient, en échange de leurs poissons, des clous de quatre * Ou M. Crozet se trompe dans son journal touchant le nom de cette île, ou elle a changé de nom depuis ce temps. Il est certain qu'elle se nomme aujourd'hui Motou-Doua ou Motou-Rona , car les naturels confondent souvent le son du d avec celui de IV. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 35 ou cinq pouces. Leur objet, 'en demandant ces clous , était d'en faire de petits ciseaux pour travailler le bois. Dès qu'ils avaient obtenu un petit morceau de fer, ils allaient aussitôt le porter à quelque matelot, et l'engageaient par signes à le leur aigui- ser sur la meule ; ils avaient toujours soin de ménager quelques poissons pour paver à ce matelot le service qu'il leur rendait. Les deux vaisseaux étaient pleins de ces sauvages; ils avaient un air fort doux et même caressant. Pen à' peu ils connurent tous les officiers des vaisseaux et les appelaient par leur nom. Nous faisions entrer dans la chambre du conseil les chefs seulement, les femmes et les filles. Les chefs étaient distingués par des plu- mes d'aigrettes ou d'autres oiseaux aquatiques, plantées dans leurs cheveux au sommet de la tète. » Les femmes mariées se reconnaissaient à une espèce de tresse de jonc qui leur liait les cheveux au sommet de la tète. Les filles n'avaient point cette marque distinctive ; leurs che- veux tombaient naturellement sur le cou , sans aucune tresse pour les attacher. C'étaient les sauvages eux-mêmes qui nous avaient fait connaître ces distinctions, en nous faisant enten- dre par signes qu'il ne fallait pas toucher aux femmes jmariées, mais que nous pouvions en toute liberté nous adresser aux filles. Il n'était pas possible en effet d'en trouver de plus fa- ciles. » Dès que nous eûmes connaissance de ces distinctions, on en fit passer l'avis dans les deux vaisseaux , afin que chacun fût circonspect à l'égard des femmes mariées , pour conserver la bonne intelligence avec des sauvages qui nous paraissaient si aimables, et ne pas les indisposer contre nous. La facilité d'avoir des filles fit que nous n'eûmes jamais le moindre re- proche de la part des sauvages au sujet de leurs femmes, pen- dant tout le temps que nous vécûmes avec ces peuples. «Lorsque nous eûmes bien fait connaissance avec eux, ils nous invitèrent à descendre à terre et à venir les visiter dans leur village; nous nous rendîmes «à leur invitation. Je m'em- barquai avec M. Marion dans notre chaloupe bien armée, 3* 36 PIECES JUSTIFICATIVES. avec un détachement de soldats. Nous parcourûmes d'abord une partie de la baie, où nous comptâmes vingt villages com- posés d'un nombre suffisant de maisons pour loger quatre cents personnes; les plus petites pouvaient en contenir deux cents. » Nous abordâmes à plusieurs de ces villages. Dès que nous mettions pied à terre, les sauvages venaient au-devant de nous sans armes , avec leurs femmes et leurs enfans. Nous nous fîmes des amitiés réciproques ; nous leur offrîmes de petits présens auxquels ils parurent très-sensibles. Des chefs de quel- ques-uns de ces villages nous faisaient des instances très-pres- santes pour nous engager à monter avec eux. Nous les sui- vîmes. » Peu de jours après notre arrivée dans le port des Iles , M. Marion fit diverses courses le long des côtes et même dans l'intérieur du pays, pour chercher des arbres propres à faire des mâts pour le vaisseau le Cas tries. Les sauvages l'accompa- gnaient partout. Le 23 de mai, M. Marion trouva une forêt de cèdres magnifiques, à deux lieues dans l'intérieur des. terres et à portée d'une baie éloignée d'environ une lieue et demie de nos vaisseaux. » Nous fîmes aussitôt un établissement en cet endroit; nous y envoyâmes les deux tiers de nos équipages , avec les haches, les outils et tous les appareils nécessaires , non-seulement pour abattre les arbres et faire les mâts , mais encore pour aplanir les chemins sur trois petites montagnes et un marais qu'il fallait traverser pour amener les mâts au bord de la mer. » Nous établîmes des barraques de correspondance et de communication sur le rivage le plus voisin de l'endroit où était notre atelier : c'était à ce poste que nos vaisseaux en- voyaient tous les jours leurs chaloupes, avec les provisions pour les travailleurs qui étaient cabanes à deux lieues de l'in- térieur du pays. » Par ce moyen, nous avions trois postes à terre, l'un sur 1 île Motou-Aro , au milieu du port où étaient nos malades PIÈGES JUSTIFICATIVES. 37 sous des tentes, notre forge où l'on forgeait les cercles de fer destinés à la nouvelle mâture du vaisseau le Castries , enfin toutes nos futailles vides avec nos tonneliers; car c'était sur cette île que nous faisions notre eau. Ce poste était gardé par un officier avec dix hommes armés et les chirurgiens destinés au service des malades. Un second poste était sur la grande terre , au bord de la mer, à une lieue et demie des vaisseaux , pour servir d'entrepôt et de point de communication avec notre atelier de charpentiers, établi à deux lieues plus loin dans le milieu des bois. Ces deux derniers postes étaient égale- ment commandés par des officiers, ayant sous eux des hom- mes armés pour la garde de nos effets. » Les sauvages étaient toujours parmi nous dans ces differens postes et sur nos deux vaisseaux; ils nous fournissaient, en échange de clous , du poisson , des cailles , des pigeons ramiers et des canards sauvages; ils mangeaient avec nos matelots, ils les aidaient dans leurs travaux : et toutes les fois qu'ils met- taient la main à l'œuvre, on s'en apercevait bien , car ils sont généralement forts, et leur aide soulageait beaucoup nos équi- pages. » Nos jeunes gens , attirés par les caresses des sauvages et par la facilité de leurs filles, parcouraient tous les jours les vil- lages, faisaient même des courses dans les terres pour aller à la chasse des canards, en menant avec eux des sauvages qui les portaient, dans les marais et au passage des rivières, avec la même facilité qu'un homme fort porterait un enfant. Il leur est arrivé quelquefois de s'écarter fort loin , de parvenir chez des sauvages d'un autre canton, d'y trouver des villages beau- coup plus considérables que ceux qui étaient dans notre port. Ils y ont trouvé des hommes plus blancs qui les ont bien reçus, et sont revenus pendant la nuit au travers des forêts, accom- pagnés d'une troupe de sauvages qui les portaient lorsqu'ils étaient fatigués. ■> Malgré ces preuves d'amitié de la part des sauvages, nous étions toujours un peu sur nos gardes , et nos bateaux n'allaient 38 PIECES JUSTIFICATIVES, jamais à terre que bien armés; nous ne laissions pas aborder nos vaisseaux par les sauvages avee leurs armes. Mais enfin la confiante s'établit au point que M. Marion ordonna de désar- mer les cbaloupes et les canots, lorsqu'ils iraient à terre. Je fis tout ce qui dépendit de moi pour faire rétracter cet ordre; et, malgré les caresses des sauvages, je n'oubliai jamais que notre devancier, Abel Tasman , avait nommé baie des Meurtriers celle où il avait atterré dans la Nouvelle-Zélande. Nous igno- rions que M. Cook l'eût visitée depuis , et reconnue tout en- tière ; nous ignorions qu'il y avait trouvé des anthropophages , et qu'il avait failli être tué dans le même port où nous étions mouillés. » 11 est bien étonnant que ces sauvages qui , l'année précé- dente, avaient vu un vaisseau français et un vaisseau anglais, qui avaient traité avec eux, et devaient nécessairement avoir eu de ces vaisseaux, du fer, des toiles et autres effets d'Europe, ne nous aient jamais rien laissé apercevoir de tout cela , et ne nous aient pas donné à comprendre qu'ils avaient déjà vu d'au- tres vaisseaux que les nôtres ; il est vrai que les effets même que nous leur donnions tous les jours ne reparaissaient plus, et que nous n'en trouvions jamais aucunes traces en parcourant leurs villages et en visitant leurs maisons. » M. Marion , parvenu à la plus grande sécurité , faisait son bonbeur de vivre au milieu de ces sauvages. Quand il était dans le vaisseau, la ebambre du conseil en était toujours pleine; il les caressait, et, à l'aide du Vocabulaire de Taïti, il tachait de se faire entendre d'eux ; il les comblait de présens. De leur côté, ils connaissaient parfaitement M. Marion pour le chef des deux vaisseaux : ils savaient qu'il aimait le turbot, et tous les jours ils lui en apportaient de fort beaux. Dès qu'il témoignait désirer quelque chose , il les trouvait toujours à ses ordres. Lorsqu'il allait à terre tous les sauvages l'accompa- gnaient avec un air de fête et des démonstrations de joie ; les femmes , les filles , les enfans même , venaient lui faire des ca- resses : tous l'appelaient par son nom. PIECES JUSTIFICATIVES. 39 » Le nommé Takouri , chef du plus grand des villages du pays , lui avait amené sur le vaisseau son fils âgé d'environ qua- torze ans, qu'il paraissait aimer beaucoup, et l'avait laissé passer la nuit dans le vaisseau. » Trois esclaves de M. Marion avaient déserté dans une pi- rogue qui submergea en arrivant à terre : Takouri fit arrêter ceux qui ne s'étaient pas noyés, et les ramena à M. Marion. » Un sauvage était entré un jour par le sabord de la sainte- barbe , et avait volé un sabre : on s'en aperçut ; on le fit monter abord, on le dénonça au chef qui le réprimanda beaucoup, et pria de le mettre aux fers comme un matelot qui y était. On le renvoya sans correction. » Nous étions si familiers avec ces hommes , que presque tous les officiers avaient parmi eux des amis particuliers qui les sui- vaient et les accompagnaient partout. Si nous étions partis dans ce temps-là, nous eussions rapporté en Europe l'idée la plus avantageuse de ces sauvages: nous les eussions peints dans nos relations comme le peuple le plus affable , le plus humain, le plus hospitalier qui existe sur la terre. » Le 8 juin , M. Marion était descendu à terre, toujours ac- compagné d'une troupe de sauvages. 11 y fut accueilli avec des démonstrations d'amitié plus grandes encore que de cou- tume : les chefs des sauvages s'assemblèrent , et , d'un commun accord , le reconnurent pour le grand chef du pays; ils lui pla- cèrent au sommet de la tête, dans les cheveux, les quatre plumes blanches qui distinguaient les chefs. Il revint sur son vaisseau , plus content que jamais de ces bons sauvages. » Dans le même temps , le jeune sauvage que j'avais pris en affection, qui venait me voir tous les jours et me témoignait beaucoup d'attachement, vint me visiter: c'était un jeune homme beau, bien fait, d'une plivsioiioinie douce et toujours riante; il avait ce jour-là un air de tristesse que je ne lui avais pas encore vu. Il m'apporta en présent des armes, des outils et des ornemens d'un très-beau jade que je lui avais témoigné désirer. Je voulus les lui paver par des outils de 1er et des mou- 40 PIECES JUSTIFICATIVES. choirs rouges que je savais devoir lui faire plaisir : il les refusa. Je voulus lui faire reprendre ses jades ; il ne le voulut pas. Je lui offris à manger : il refusa encore, et s'en alla fort triste. Je ne l'ai plus revu. » Quelques autres sauvages, amis de nos officiers, accoutu- més à venir les visiter tous les jours, disparurent de même. Nous ne fîmes pas assez d'attention à cette singularité. Il y avait trente-trois jours que nous étions dans le port des Iles , et que nous vivions dans la meilleure intelligence avec les sauvages, qui nous paraissaient le meilleur peuple qu'on put voir; nous nous répandions tous les jours dans les campagnes pour recon- naître le pays , étudier les productions , et chercher si nous ne découvririons pas quelques métaux ou autres objets de com- merce. M. Marion avait fait des courses très-éloignées dans son canot, et avait visité différentes baies habitées par d'autres sauvages qui tous l'avaient bien accueilli. » Enfin , le 12 juin , à deux heures après-midi , M. Marion descendit à terre dans son canot armé de douze hommes, em- menant avec lui deux jeunes officiers , MM. de Vaudricourt et Le Houx, un volontaire et le capitaine d'armes du vaisseau , en tout dix-sept personnes. Le nommé Takouri , chef du plus grand village, un autre chef et cinq ou six sauvages qui étaient sur le vaisseau, accompagnèrent M. Marion dont le projet était d'aller manger des huîtres, et donner un coup de filet au pied du village de Takouri. » Le soir, M. Marion ne vint point, à son ordinaire, coucher à bord du vaisseau. On ne vit revenir personne du canot : on n'en fut pas inquiet; la confiance dans l'hospitalité des sauva- ges était si bien établie parmi nous qu'on ne se défiait point d'eux. On crut seulement que M. Marion et sa suite avaient couché à terre dans nos cabanes , pour être à portée de voir le lendemain les travaux de l'atelier qui était à deux lieues dans l'intérieur du pays, occupé à la mâture du vaisseau le Cas- tries. Cette mâture était fort avancée , et une partie des ma- tériaux était déjà transportée assez près du rivage. Les sau- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 41 vages nous aidaient tous les jours à ees transports très-fa- tigans. » Le lendemain, i3 juin, à einq heures du matin, le vaisseau le Castries envoya sa chaloupe faire de l'eau et du bois pour la consommation journalière , suivant l'usage établi entre les deux bâtimens qui envoyaient ainsi alternativement tous les jours pour la provision commune. A neuf heures, on aperçut à la mer un homme qui nageait vers les vaisseaux; on lui en- voya aussitôt un bateau pour le secourir et l'amener à bord : cet homme était un des chaloupiers, qui s'était sauvé seul du massacre de tous ses camarades assommés par les sauvages. Il avait deux coups de lance dans le côté , et était fort maltraité. Il raconta que lorsque la chaloupe avait abordé la terre , sur les sept heures du matin , les sauvages s'étaient présentés au ri- vas-e sans armes, avec leurs démonstrations ordinaires d'amitié ; qu'ils avaient même, suivant leur coutume, porté sur les épaules, de la chaloupe au rivage, les matelots qui avaient craint de se mouiller; qu'ils s'étaient montrés à l'ordinaire bons camarades; mais que les matelots s'étant tous séparés les uns des autres pour ramasser chacun leur paquet de bois , alors les sauvages, armés de casse-tétes , de massues et de lances, s'étaient jetés avec fureur par troupe de huit ou dix sur chaque matelot, et les avaient massacrés; que lui , n'ayant affaire qu'à deux ou trois sauvages , s'était d'abord défendu et a\ait reçu deux coups de lance : niais que voyant venir à lui d'autres sauvages, et se trouvant plus près du bord de la mer, il s'était enfui et caché dans les broussailles; que de là il avait vu tuer ses camarades; que les sauvages, après les avoir tués, les avaient dépouillés, leur avaient ouvert le ventre , et commençaient à les hacher en morceaux , lorsqu'il avait pris le parti de tenter de gagner un des vaisseaux à la nage. » Après un rapport aussi affreux, on ne douta plus que M. Marion et les seize hommes du canot, dont on n'avait au- cune nouvelle, n'eussent éprouvé la même fin que les onze hommes de la chaloupe. Î2 PIECES JUSTIFICATIVES. » Les officiers qui restaient à bord des deux vaisseaux s'as- semblèrent pour aviser aux moyens de sauver les trois postes que nous avions à terre. •> On expédia aussitôt la chaloupe du Mascarin, bien armée, avec un officier et un détachement de soldats commandés par un sergent. L'officier avait ordre d'examiner le long de la côte s'il ne découvrirait pas le canot de M. Marion et sa chaloupe ; mais il lui était surtout commandé d'avertir tous les postes, et d'aller d'abord au débarquement le plus voisin de l'atelier des mats, pour porter promptement à ce poste le plus nombreux et le plus important secours, avec l'avis de ce qui venait de se passer. L'officier découvrit en chemin la chaloupe du Castries et le canot de M. Marion échoués ensemble sous le village de Takouri, et entourés de sauvages armés de haches, sabres et fusils, qu'ils avaient pris dans les deux bateaux, après avoir égorgé nos gens. » L'officier, pour ne rien compromettre, ne s'arrêta pas à cet endroit où il aurait pu facilement dissiper les sauvages et re- prendre les bateaux ; il craignait de ne pas arriver à temps au poste de la mâture. Il se conforma à l'ordre qu'il avait reçu d'y porter promptement du secours, avec l'avis des événemens tra- giques de la veille et du matin. » Je me trouvais heureusement au poste; j'y avais passé la nuit; je n'avais pas dormi; et sans savoir rien du massacre de M. Marion , j'avais fait faire bonne garde. J'étais sur une petite montagne , occupé à diriger le transport de nos mâts , lorsque , vers les deux heures après midi , je vis paraître un détachement marchant en bon ordre avec des fusils armés de baïonnettes, que je reconnus de loin, à leur éclat, pour n'être pas les armes ordinaires des vaisseaux. » Je compris aussitôt que ce détachement venait nous an- noncer quelque événement fâcheux. Pour ne point effrayer nos gens, dès que le sergent qui marchait à la tète fut à la portée de la voix, je lui criai d'arrêter, et je m'approchai pour apprendre seul ce dont ir pouvait être question. Lorsque j'eus PIECES JUSTIFICATIVES. 13 entendu ce rapport, je détendis au détachement de parler, et je me rendis avec lui au poste. » Je fis aussitôt cesser les travaux, rassembler les outils, les armes; je fis charger les fusils, et partager entre les matelots tout ce qu'ils pouvaient emporter. Je fis faire un trou dans une de nos barraques pour enterrer le reste ; je fis abattreensuite la barraque, et donnai ordre d'y mettre le feu, pour cacher sous les cendres le peu d'outils et ustensiles que j'avais fait enterrer , faute de pouvoir les emporter. » Nos gens ne savaient rien des malheurs arrivés à M. Marion et à leurs camarades; j'avais besoin, pour nous tirer d'em- barras, qu'ils conservassent leur tète. J'étais entouré de sau- vages armés, et je ne m'en étais aperçu qu'au moment où le détachement m'avait joint, et après que le sergent m'eut fait son rapport. Les sauvages, rassemblés par troupes, occupaient toutes les hauteurs. » Je partageai mon détachement que je renforçai de matelots armés de fusils , partie à la tète précédés du sergent , et partie à la queue; les matelots, chargés d'outils et d'effets, étaient au centre; je faisais l'arrière-garde. Nous partîmes au nombre d'environ soixante hommes; nous passâmes au travers de plu- sieurs troupes de sauvages, dont les difierens chefs me répé- taient souvent ces tristes paroles : Ta/; ou ri nui te Marion, c'est- à dire, le chef Takouri a tué Marion. L'intention de ces chefs était de nous effrayer, parce que nous avons reconnu que chez eux, lorsque le chef est tué dans une affaire, tout est perdu pour ceux qui le suivent. » Nous fîmes ainsi près de doux lieues jusqu'au bord de la mer où les chaloupes nous attendaient , sans être inquiétés par les sauvages qui se contentaient de nous suivre sur les côtés , et de nous répéter souvent que Marion était mort et mangé. J'avais dans le détachement de bons tireurs qui , entendant dire que M. Marion était tué, brûlaient d'envie de venger sa mort, et me demandaient souvent la permission de casser la tète à ces chefs qui semblaient nous menacer. Mais il n'était pas temps 44 PIÈCES JUSTIFICATIVES. de s'occuper de vengeance; dans l'état où nous étions, la perte d'un seul homme était irréparable, et, si nous en avions perdu plusieurs , les deux vaisseaux ne fussent jamais sortis de la Nou- velle-Zélande. Nous avions d'ailleurs un troisième poste , celui de nos malades, qu'il fallait encore mettre en sûreté. J'arrêtai donc l'ardeur de nos gens, et je leur défendis de tirer, leur promettant de donner carrière à leur vengeance dans un mo- ment plus favorable. » Lorsque nous fûmes arrivés à notre chaloupe, les sauvages semblaient nous presser de plus près. Je donnai ordre aux matelots chargés de s'embarquer les premiers ; puis, m'adres- sant à un chef des sauvages , je plantai un piquet en terre à dix pas de lui , et je lui fis entendre que si un seul sauvage passait la ligne de ce piquet, je le tuerais avec ma carabine, dont je fis la démonstration de vouloir me servir. Je leur dis d'un ton menaçant qu'ils eussent tous à s'asseoir. Le chef répéta docile- ment mon commandement aux siens , et aussitôt les sauvages , au nombre d'environ mille hommes, s'assirent tous. ' Je fis successivement embarquer tout le monde , ce qui fut assez long , parce qu'il y avait beaucoup de bagage à mettre dans la chaloupe; que ce bateau chargé tirant beaucoup d'eau ne pouvait accoster la terre, et qu'il fallait entrer dans la mer pour s'embarquer. Je m'embarquai enfin le dernier, et aussitôt que je fus entré dans l'eau , les sauvages se levèrent tous ensem- ble , forcèrent la consigne , jetèrent le cri de guerre , nous lan- cèrent des javelots de bois et des pierres qui ne firent mal à personne. Ils brûlèrent nos cabanes qui étaient sur le rivage, et nous menaçaient avec leurs armes qu'ils frappèrent les unes contre les autres en jetant des cris affreux. » Aussitôt que je fus embarqué , je fis lever le grapin de la chaloupe. Je fis ranger tous nos gens de manière à ne pas embarrasser les rameurs. La chaloupe était si chargée et si pleine, que je fus obligé de me tenir debout à la poupe , la barre du gouvernail entre mes jambes. Mon intention était de ne pas faire tirer un coup de fusil, mais de rejoindre prompte- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 45 ment le vaisseau , pour envoyer ensuite la chaloupe sur l'île Motou-Aro relever le poste de nos malades, notre forge et notre tonnellerie. » A mesure que nous commençâmes à nous éloigner du rivage, les cris, les menaces des sauvages augmentaient, de sorte que notre retraite avait l'air d'une fuite. Les sauvages entraient dans l'eau, comme pour venir attaquer la chaloupe. Je jugeai alors , avec le plus grand regret , qu'il était important et nécessaire à notre propre sûreté de faire connaître a ces malheureux la supériorité de nos armes. Je fis lever les rames; je commandai à quatre fusiliers de tirer sur les chefs qui pa- raissaient plus agités et animaient tous les autres ; chaque coup fit tomber un de ces malheureux. La fusillade continua ainsi pendant quelques minutes. Les sauvages voyaient tomber leurs chefs et leurs camarades avec une stupidité incroyable ; ils ne comprenaient pas comment ils pouvaient être tués par des armes qui ne les touchaient pas , comme leurs casse-têtes et leurs massues. A chaque coup de fusil, ils redoublaient leurs cris et leurs menaces ; ils s'agitaient horriblement sans changer de place; ils restaient sur le rivage comme un troupeau de bêtes. Nous les eussions détruits jusqu'au dernier, si j'avais voulu faire continuer la fusillade. Après en avoir fait tuer malgré moi beaucoup trop , je fis ramer vers le vaisseau, et les sauvages ne cessèrent de crier. » Dès que je fus arrivé à bord du Mascarin, j'expédiai aussitôt la chaloupe pour aller relever le poste de nos malades. Je fis embarquer un détachement commandé par un officier, avec ordre de renvoyer à bord tous les malades , les officiers de santé et tous les ustensiles de notre hôpital, d'abattre les tentes, de faire autour de notre forge un retranchement pour la nuit, avec les pièces à l'eau ; de poser une sentinelle avancée du côté du village qui était sur la même île; de veiller exactement et de prendre garde surtout aux surprises; car je me défiais de quelque entreprise de la part des sauvages sur l'établissement de notre forge, où nous avions des fers très-propres a les 46 PIECES JUSTIFICATIVES. tenter. Je donnai en même temps à l'officier des signaux de nuit, avec promesse de lui envoyer promptement du secours au cas qu'il fût attaqué. » Les malades furent heureusement ramenés sur les vaisseaux vers les onze heures de la nuit, sans aucun accident. Les sau- vages rôdèrent toute cette nuit aux environs du poste; mais voyant que nos gens faisaient bonne garde, ils n'osèrent rien entreprendre, ayant essayé à les surprendre. » Le lendemain , i4 juin , j'envoyai sur l'île un second déta- chement avec deux officiers. Nous n'avions point encore notre provision d'eau ni de bois pour continuer notre voyage. Après ce que nous venions d'éprouver de la part des sauvages, il y aurait eu beaucoup de difficulté à faire cet approvisionne- ment sur la grande terre. L'île Motou-Aro , placée au milieu du port, à portée de nos vaisseaux , nous offrait du bois à dis- crétion , et un ruisseau d'eau douce assez commode pour rem- plir nos pièces; mais il y avait sur cette île un village de trois cents sauvages qui pouvaient nous inquiéter. Je donnai ordre à l'officier qui commandait ce poste de réunir tout son monde et d'attaquer le village de vive force, en cas que les naturels parussent disposés à nous inquiéter, de le brûler et de nettoyer entièrement l'île pour assurer notre aiguade. » Après midi, les sauvages se présentèrent en armes assez près du poste et firent des démonstrations de menaces, comme défiant nos gens au combat. On se mit aussitôt en disposition de les recevoir; on marcha à eux sans tirer, la baïonnette au bout du fusil; ils s'enfuirent dans leur village; arrivés à la porte, ils y tinrent ferme et jetèrent des cris affreux. » Le chef Malou, maître du village, qui était un de ceux avec lesquels nous avions vécu plus familièrement, était ac- compagné de cinq autres chefs de différens villages, ou guer- riers principaux; ils s'agitaient prodigieusement, excitaient de la voix, et par le mouvement de leurs armes, les jeunes guer- riers à avancer sur nous, mais ils n'osèrent. » Nos gens en ordre de combat s'arrêtèrent à la portée du PIÈCES JUSTIFICATIVES. 17 pistolet de la porte du village ; là ils commencèrent la fusillade, tuèrent les six chefs; aussitôt tous les guerriers prirent la fuite au travers du village pour gagner leurs pirogues. Le détache- ment les poursuivit la baïonnette dans les reins, en tua cin- quante, culbuta une partie du reste dans la mer et mit le feu au village. Par ce moven , nous restâmes maîtres de l'île ; nous n'eûmes qu'un seul homme de blessé par un javelot , assez gra- vement , à la partie supérieure du nez , au coin de l'oeil. » Après cette expédition, nous rembarquâmes notre forge, nos fers , nos pièces à eau , et je fis retirer entièrement le poste. Je renvoyai ensuite couper les fougères qui étaient sur l'île , dans lesquelles les sauvages auraient pu se cacher pour nous surprendre; car ces fougères étaient hautes de six pieds et fort épaisses. Je donnai ordre d'enterrer les sauvages tués dans le combat, avec l'attention de leur laisser à tous une main hors de terre , pour faire voir aux sauvages que nous n'étions pas gens à manger comme eux nos ennemis. J'avais recommandé à nos officiers de faire leurs efforts pour nous amener quelques sau- vages vivans , et de tâcher de prendre des jeunes gens des deux sexes ou des enfans; j'avais même promis aux soldats et aux matelots cinquante piastres pour chaque sauvage qu'ils pour- raient amener vivant. Mais ces insulaires avaient eu soin de mettre en sûreté , avant le combat , leurs femmes et leurs enfans qu'ils avaient fait passer sur la grande terre. Nos soldats tentèrent d'arrêter et de lier des blessés qui ne pouvaient fuir; mais ces malheureux étaient enragés et mordaient comme des bêtes féroces; d'autres rompaient comme des fils les cordes avec lesquelles on les avait liés; il n'y eut pas moven d'en avoir un seul. Cependant, le vaisseau le (astrics n'avait encore ni mât de beaupré, ni mât de misaine. Il n'était plus question d'aller chercher notre belle mâture de bois de cèdre que nous avions trouvée sur la grande terre , et qui nous avait coûté des travaux infinis pour la tirer de la forêt où nous l'avions abattue. Nous fîmes des mâts par un assemblage de plusieurs petites pièces de 48 PIECES JUSTIFICATIVES. bois que nous trouvâmes dans nos vaisseaux, et nous reraâ- tâmes enfin le Castries. » Il nous fallait sept cents barriques d'eau et soixante-dix cordes de bois à feu pour les deux bâtimens ; il ne nous restait qu'une seule cbaloupe pour ces travaux : nous les achevâmes peu à peu dans l'espace d'un mois. » J'envoyais tous les jours la chaloupe sur l'île pour faire al- ternativement un voyage à l'eau , et l'autre au bois. Je faisais escorter les travailleurs par un détachement qui revenait tous les soirs coucher à bord du vaisseau. » Un jour que la chaloupe était restée à terre plus tard que de coutume, les sauvages y passèrent en nombre de la grande terre sur l'île, par un côté où ils ne pouvaient être aperçus. La sentinelle, qui était placée sur une hauteur, vit venir à elle un homme portant un chapeau et habillé en matelot , mais qui marchait comme un homme qui se glisse et ne veut pas être aperçu. La sentinelle lui cria d'arrêter : c'était un sauvage qui, ne comprenant rien à ses cris , continua de s'avancer. La senti- nelle reconnut le déguisement, lui tira un coup de fusil et le tua. Aussitôt on vit paraître une multitude de sauvages; le dé- tachement s'avança, leur donna la chasse, et en tua plusieurs qu'on trouva vêtus des habillemens des officiers et des matelots qu'ils avaient tués précédemment; les autres se rembarquèrent dans leurs pirogues, et depuis cette tentative inutile les sau- vages ne parurent plus. » Depuis le jour où M. Marion avait disparu, nous voyions des vaisseaux les mouvemens continuels des sauvages qui s'é- taient retirés sur les montagnes : nous distinguions clairement leurs sentinelles placées sur les parties les plus élevées de ces montagnes, d'où elles avertissaient toute la troupe du moindre de nos mouvemens. Ils avaient toujours les yeux tournés sur nous, et nous entendions parfaitement les cris de ces senti- nelles qui se répondaient les unes aux autres avec des voix d'une force surprenante. Pendant la nuit, ils faisaient des signaux avec des feux. PIECES JUSTIFICATIVES. 49 » Lorsque les sauvages passaient en troupes à la portée de l'artillerie de nos vaisseaux , nous leur envoyions de temps en temps quelques coups de canon, surtout pendant la nuit, pour leur faire connaître que nous étions sur nos gardes ; mais comme ils étaient hors de la portée de nos canons, ils n'en éprouvaient jamais l'effet, et il était à craindre qu'ils ne s'en- hardissent à mépriser notre artillerie. » Une de leurs pirogues, dans laquelle il y avait huit ou dix hommes, passa un jour à portée du vaisseau le Castries, qui d'un coup de canon coupa la pirogue en deux , et tua quelques sauvages; les autres gagnèrent la terre à la nage. » Cependant nous n'avions pas de certitude sur le sort de M. Marion, des deux officiers qui l'avaient accompagné le 12 de juin à terre, et de quatorze matelots qu'il avait emmenés avec lui dans son canot, tant pour conduire ce bateau que pour donner un coup de filet. Nous savions seulement, par le rap- port du matelot échappé le jour suivant du massacre des cba- loupiers, que les onze hommes tués dans cette horrible trahison avaient eu le ventre ouvert après leur mort, et que leurs corps avaient été partagés par quartiers et distribués entre tous les sauvages complices du massacre. Le matelot qui avait eu le bonheur d'échapper avait vu, au travers des broussailles où il s'était caché , cette scène d'horreur. » Pour nous éclaircir sur le sort de M. Marion et sur celui des compagnons de son malheur, j'expédiai la chaloupe avec des officiers de confiance et un fort détachement , au village de Takouri, que les sauvages nous avaient dit avoir tué M. Ma- rion, où nous savions qu'il avait été à la pèche, accompagné de ce même Takouri, et où nous avions vu son canot, ainsi que la chaloupe, échoués, portés à terre , et entourés de sau- vages armés. Je donnai ordre aux officiers de faire les perquisi- tions les plus exactes, d'abord à l'endroit où l'on avait vu les jours précédens nos bateaux échoués; puis de monter dans le village, de le forcer s'il était défendu , d'en exterminer les ha- bitans, de fouiller scrupuleusement toutes leurs maisons pu- tome m. 4 50 PIECES JUSTIFICATIVES. bliqucs et particulières, d'y ramasser tout ce qu'ils pourraient trouver avoir appartenu à M. Marion ou à ses compagnons d'infortune, afin de pouvoir constater leur mort par un procès- verbal; de finir leur expédition par mettre le feu au village, d'enlever les grandes pirogues de guerre qui étaient échouées au pied du village, de les amener à la remorque au vaisseau , ou de les brûler au cas qu'ils ne pussent les amener. » La chaloupe partit bien armée de pierriers et d'espingoles. L'officier qui commandait aborda d'abord l'endroit où nous avions vu nos bateaux échoués. Ils n'y étaient plus; les sau- vages les avaient brûlés pour en tirer le fer. Le détachement monta en bon ordre au village de Takouri. Les traîtres sont lâ- ches à la Nouvelle-Zélande comme ailleurs : Takouri s'était enfui ; on le vit de loin , et hors de la portée du fusil , portant sur ses épaules le manteau de M. Marion , qui était d'un drap d'Angleterre de deux couleurs, écarlate et bleu. Son village était abandonné; on n'y trouva que quelques vieillards qui n'avaient pu suivre leurs camarades fugitifs, et qui étaient assis tranquillement à la porte de leurs maisons. On voulut les prendre captifs. Un d'eux , sans paraître beaucoup s'émouvoir, frappa un soldat avec un javelot qu'il avait à côté de lui. On le tua , et l'on ne fit aucun mal aux autres qu'on laissa dans le village. On fouilla soigneusement toutes les maisons. On trouva dans la maison de Takouri le crâne d'un homme qui avait été cuit depuis peu de jours , où il restait encore quelques parties charnues, dans lesquelles on voyait les impressions des dents des anthropophages. On y trouva un morceau de cuisse hu- maine qui tenait à une broche de bois, et qui était aux trois quarts mangée. » Dans une autre maison , on trouva le corps d'une chemise qu'on reconnut avoir été celle de M. Marion. Le col de cette chemise était tout ensanglanté, et on y voyait trois ou quatre trous également tachés de sang sur le côté. Dans différentes au- tres maisons, on trouva une partie des vêtemens et les pistolets du jeune M. de Vaudrieourt, qui avait accompagné M. Ma- PIECES JUSTIFICATIVES. 51 rion à la fatale partie de pêche. Enfin , on trouva des armes du canot et un tas de lambeaux des Lardes de nos malheureux ma- telots. » Après avoir fait une visite exacte dans ce village, et avoir rassemblé toutes les preuves de l'assassinat de M. Marion et de ses camarades, ainsi que les armes et effets abandonnés par les sauvages , on mit le feu à leurs maisons, et le village entier fut réduit en cendres. » Dans le même temps, le détachement s'aperçut que les in- sulaires évacuaient un autre village voisin beaucoup mieux fortifié que les autres. Le nommé Piki-Ore en était le chef. Nous avions de forts soupçons que ce Piki-Ore était complice de Takouri. Le détachement se transporta aussitôt à ce village, qu'on trouva entièrement abandonné. On en visita toutes les maisons. L'on y trouva, comme au premier, beaucoup d'effets provenant de nos bateaux , et des lambeaux des bardes de nos gens massacrés. On trouva entre autres, dans la maison de Piki- Ore, des entrailles humaines, bien reconnues telles par un de nos chirurgiens, lesdites entrailles nettoyées et cuites. On ré- duisit en cendres ce village. » En descendant , pour se rembarquer, nos gens poussèrent à l'eau deux pirogues de guerre, les mirent à la traîne derrière la chaloupe, et les emmenèrent à bord du vaisseau. Nous en tirâmes les planches et les bois qui pouvaient nous être utiles. Le corps de ces pirogues étant d'environ soixante pieds de lon- gueur, ne put être embarqué : on les brûla. » Le i4 juillet 1772 , les vaisseaux le Castries et le Mascarin, commandés par MM. Duclesmeur et Crozet, quittèrent la Nouvelle-Zélande pour continuer leur voyage dans la mer du Sud. {Nouveau Voyage à la Mer du Sud, etc., 1 7 8 .H , pag. 43 et suie. ) 4* r>2 PIECES JUSTIFICATIVES1. REMARQUES GENERALES SUR LES SAUVAGES DE LA NOUVELLE- ZELANDE. « Je remarquai avec étonnement, parmi les sauvages qui vin- rent à bord du vaisseau dès les premiers jours, trois espèces d'hommes, dont les uns, qui paraissent les vrais indigènes, sont d'un blanc tirant sur le jaune : ceux-ci sont les plus grands, et leur taille ordinaire est de cinq pieds neuf à dix pouces; leurs cbeveux noirs sont lisses et plats ; des hommes plus basa- nés et un peu moins grands , les cheveux un peu crépus; enfin de véritables nègres à têtes cotonnées , et moins grands que les autres , mais en général plus larges de poitrine. Les premiers ont très-peu de barbe et les nègres en ont beaucoup. » Il y a toute apparence que les blancs sont les indigènes. La couleur de ceux-ci est en général comme celle des peuples mé- ridionaux de la France. J'en ai vu trois ou quatre qui avaient les cheveux rouges. Il y en avait parmi eux qui étaient aussi blancs que nos matelots; et nous avons vu souvent sur nos vaisseaux un grand jeune homme bien fait, de cinq pieds onze pouces, qui eût pu passer pour un Européen , par sa couleur et par ses traits. J'ai vu une fille de quinze ou seize ans aussi blanche que nos Françaises. » En général ces trois espèces d'hommes sont beaux et bien faits , la tète d'une belle forme , de grands yeux, tous des nez aquilins de belle proportion , ainsi que la bouche ; les dents belles et très-blanches, le corps bien musclé , les bras nerveux , les mains fortes, la poitrine large , la voix extrêmement haute, peu de ventre , presque imberbes , les jambes bien propor- tionnées, un peu grosses, les pieds larges, les doigts bien écartés. » Les femmes ne sont pas si bien à beaucoup près ; elles sont en général plus mal de figure, courtes , la taille fort épaisse, les mamelles volumineuses, les cuisses et les jambes grosses , d'un PIECES JUSTIFICATIVES. 53 tempérament qui paraît fort amoureux , au lieu que les hom- mes paraissent en général avoir une grande indifférence pour elles; ils leur font faire tous les travaux domestiques et péni- bles. Ce sont elles qui vont chercher dans les champs les pa- quets de racines de fougères arrachées par les hommes ; elles portent l'eau du bas des montagnes au haut des villages; elles ramassent seules les moules et autres coquillages au bord de la mer; elles seules se mêlent de la cuisine , font cuire les mets et les servent aux hommes , sans en manger avec eux ; enfin elles sont, dans cet état d'avilissement , les servantes plutôt que les compagnes de leurs maris. » Ce sont sans doute ces travaux pénibles auxquels elles sont assujetties, qui les rendent épaisses et difformes. J'en ai vu néanmoins quelques-unes très-jeunes qui étaient jolies ; elles paraissent de bonnes mères, et témoignent de la tendresse pour leurs enfans. Je les ai vues souvent jouer avec eux , les cares- ser, mâcher de la racine de fougère , la dépouiller de ses fila- mens, et la tirer ensuite de la bouche pour la mettre dans celle de leur nourrisson. » Les hommes même m'ont paru avoir de l'amitié et de la complaisance pour leurs enfans. Le chef Takouri amenait quelquefois sur nos vaisseaux son fils âgé d'environ quatorze ans, d'une jolie figure, qu'il paraissait aimer beaucoup. » Je n'ai pas vu un grand nombre d'enfans parmi ces sauva- ges. A voir ces hommes tous grands , robustes et bien faits , on pourrait soupçonner qu'ils ne conservent pas les enfans qui viennent au monde faibles ou difformes. » J'ai remarqué que les hommes et les femmes parviennent à une grande vieillesse; qu'ils conservent, dans l'âge le plus avancé, tous leurs cheveux qui blanchissent peu , et leurs dents qui s'usent plus qu'elles ne se gâtent. Nous n'avons trouvé aucune apparence qu'ils fussent sujets à la petite- vérole et au mal vénérien ; ils sont en général malpro- pres et se lavent peu, mais on ne leur voit aucune tache, aucune marque ou cicatrice sur la peau. Il y a\ait dans notre 54 PIECES JUSTIFICATIVES. équipage plusieurs matelots attaqués de maux vénériens, qui ont eommuniqué avec les filles du pays. » Chez un peuple comme celui de la Nouvelle-Zélande, qui est dans un état de guerre continuelle , séparé par petits villa- ges doublement palissades, entourés de fossés, et construits sur des hauteurs presque inaccessibles, on conçoit que le premier état est celui de guerrier. Nous n'avons remarqué» chez les sauvages de distinction que pour cet état. Il n'est de considération que pour ceux d'entre eux qui savent le mieux employer le casse-tète , et manier la massue ou la lance. » Ceux parmi les guerriers qui peuvent compter le plus d'actes de férocité ou de trahison , ont seuls droit de porter quatre plumes à la tête , de se graver horriblement la peau du visage , les fesses et les jarrets; ce qui est parmi ces peuples la suprême distinction. Il faut sans doute avoir tué et mangé bien des hommes pour y parvenir. «Lorsqu'un homme ordinaire, une femme ou un enfant meu- rent, on jette leurs cadavres à la mer; on enterre un guerrier, et sur la motte de terre qui couvre son cadavre on plante des lances et des javelots qui sont les trophées. » Lorsque leurs parens meurent, ils en font le deuil pendant plusieurs jours. Ce deuil consiste à s'égratigner le visage et toutes les parties du corps, pour marquer la douleur; à s'as- sembler dans la maison du défunt pour pleurer et jeter des cris de désespoir ; à raconter ses actions et à redoubler de hur- lemens à la fin de chaque récit. » Une terre habitée par des hommes qui sont toujours en guerre et qui n'estiment que l'art de détruire leurs semblables, ne saurait être bien peuplée. Il m'a paru que l'intérieur du pays était désert, qu'il n'y avait de population que sur les bords de la mer , dans les ports. » Ces hommes féroces aiment néanmoins la danse, et leur danse est on ne peut pas plus lascive ; ils dansaient sou- vent sur le tillac de nos vaissaux , et ils dansaient si lour- dement , que nous avions peur qu'ils n'enfonçassent notre PIECES JUSTIFICATIVES. 55 pont. En dansant ils chantent alternativement des chansons guerrières et d'autres lascives. Quelques personnes de nos vais- seaux ont cru s'apercevoir que ces hommes naturels avaient des goûts qui choquent la nature , même dans l'usage de leurs femmes. Les deux sexes ne connaissent pas la pudeur, et quoi- qu'ils soient à demi vêtus pour se garantir du froid , ils se met- tent sans façon tout nus dès qu'ils ne le craignent pas. DESCRIPTION DES VILLAGES DE LA NOUVELLE-ZELANDE. » Ces villages sont tous placés sur des pointes de terre escar- pées et avancées sur la mer. Nous remarquâmes que dans les endroits où la pente du terrain était douce , elle avait été rendue escarpée à mains d'hommes. Nous avions beaucoup de peine à y gravir , et les sauvages étaient souvent obligés de nous donner la main pour nous soutenir et nous aider à mon- ter. Arrivés au sommet , nous trouvions d'abord une première palissade formée de pieux plantés droits, enfoncés solidement dans la terre, et de sept à huit pieds de hauteur, la terre bien battue et gazonnée au pied de la palissade ; ensuite on rencon- tre un fossé de six pieds de largeur sur cinq à six pieds de pro- fondeur environ : ce fossé est seulement du côté de la terre par où l'ennemi pourrait venir. On rencontre ensuite une se- conde palissade qui, comme la première, sert de clôture ;'i tout le village, et forme un carré long. Les portes d'entrée ne sont pas vis-à-v is les unes des autres. Après être entré dans la première enceinte , il faut aller beaucoup plus loin , par un sentier étroit, chercher l'entrée de la seconde palis- sade. Ces portes sont très-petites. » Du côté où ils craignent d'être attaqués, ils ont une espèce d'ouvrage avancé extérieur , également bien palissade , et en- touré de fossés , qui peut contenir quatre à cinq cents hom- mes. Cet ouvrage, qui n'est qu'un carré bien palissade , est placé hors du village, à portée d'en défendre l'entrée. En de- 56 PIECES JUSTIFICATIVES. dans du village , à côté de la porte, est une espèce d'échafaud élevé de vingt-cinq pieds, porté sur des pièces de bois solide- ment enfoncées dans la terre, et de dix-huit à vingt pouces de diamètre. Ils montent sur cette espèce de cavalier par une pièce de bois entaillée en forme d'échelon. Dans tous les temps, ils y ont des amas considérables de pierres et de jave- lots; et lorsqu'ils craignent quelques ennemis, ils y établissent des sentinelles. Ces échafauds sont d'un espace capable de contenir quinze ou vingt guerriers. Ces deux ouvrages avancés sont ordinairement placés à la porte la plus extérieure, ser- vant à la défendre et à empêcher le passage du fossé. » L'intérieur du village est composé de deuxlignesde maisons rangées à la file des deux côtés des palissades qui en forment la clôture. Chaque maison est accompagnée d'un appentis qui sert de cuisine. C'est sous cet appentis que les sauvages man- gent : ils ne prennent aucun repas dans leur maison. L'espace qui sépare ces deux files de maisons, et qui est plus ou moins large , suivant la commodité du local, est une espèce de place d'armes qui s'étend d'un bout du village à l'autre dans toute sa longueur. Cette place d'armes est plus élevée d'environ un pied que le sol sur lequel sont établies les maisons particulières. Cette élévation est formée par des terres rapportées et battues: on n'y voit point d'herbes, et toute la place est tenue d'une grande propreté. Tout cet espace entre les deux files des mai- sons n'est coupé que par trois bâtimens publics dont le premier et le plus près de la porte du village est le magasin général des armes. A quelque distance de là on trouve le magasin des vi- vres; plus loin encore est placé celui des filets, de tous les ins- trumens pour la pèche , et même de toutes les matières néces- saires pour les fabriquer. A l'extrémité à peu près du village, on trouve de gros poteaux charpentés en forme de potences, qui servent à sécher les provisions avant de les renfermer dans le magasin. Au centre de cette place d'armes est une pièce de sculpture en bois représentant une figure hideuse, fort mal travaillée, dans laquelle on ne connaît qu'une tête informe, PIÈCES JUSTIFICATIVES. 67 des yeux, une grande bouche semblable à la gueule d'un cra- paud, d'où sort une langue d'une longueur démesurée : toutes les autres parties du corps sont encore plus informes, à la ré- serve des parties génitales, tantôt d'un sexe, tantôt de l'autre, qui sont beaucoup plus marquées. Celte pièce de sculpture fait partie d'un gros pieu enfoncé profondément dans la terre. » Nous entrâmes avec les cbefs des sauvages dans le premier magasin qui est celui des armes ; nous y trouvâmes une quan- tité surprenante de javelots de bois, les uns simplement affilés en pointe , les autres taillés en langues de serpens , et ces entail- lures multipliées le long de la pointe du javelot de la longueur d'un pied ; d'autres, garnies de pointes très-affilées, faites avec des os de baleine ; nous y trouvâmes des assommoirs ou mas- sues d'un bois très-lourd , et des côtes de baleine plus lourdes encore; des fSnces qui paraissent faites sur le modèle de nos anciennes hallebardes, propres à percer d'un côté et à assommer de l'autre, lesdites lances toutes d'un bois très-dur et assez bien sculptées; des casse-têtes de pierre ou d'os de baleine, ces casse-têtes très -polis, bien affilés et proprement sculptés; des manches de fouets garnis à une extrémité d'un bout de corde propre à lancer de petits javelots, comme on lance une pierre avec la fronde; des espèces de haches d'armes en bois dur, et d'une forme assez bien imaginée pour tuer des hommes. » Dans le même magasin nous trouvâmes leurs amas d'outils communs, tels que haches, herminettes, ciseaux, tous de dif- férentes pierres très-dures , de jade , de granit et de basalte. Ces magasins ont en général vingt à vingt-quatre pieds de longueur, sur dix à douze de largeur. L'intérieur de ce magasin est garni d'une file de pieux en forme de piliers qui supportent le faîte du toit. C'est contre ces piliers que les sauvages rangent toutes leurs armes en faisceaux , qualité par qualité. •> Dans le second magasin où les sauvages rassemblent leurs vivres en commun, nous trouvâmes des sacs de patates, des fagots de racine de fougère suspendus, différens poissons tes- tacés, cuits, tirés de la coquille , enfilés par des tresses de jonc , 58 PIECES JUSTIFICATIVES. et suspendus à l'air; une quantité de tronçons de gros poissons de toute-espèce , cuits, enveloppés et liés par paquets dans des feuilles de fougère, et suspendus; une grande abondance de calebasses très-grosses toujours remplies d'eau pour la provi- sion de tout le village. » Ce magasin est à peu près de la même forme et grandeur que celui des armes. »Le troisième magasin contient des provisions de cordes, de lignes pour la pêche, de filasse pour faire les cordes, de fils et de joncs pour faire des filets; une quantité immense d'hameçons de toutes grandeurs, depuis les pluspetitsjusqu'auxplus grands; des pierres taillées pour tenir lieu de plomb aux lignes de pêche, et des morceaux de bois travaillés pour tenir lieu de liège. C'est dans ce magasin qu'ils renferment toutes les pagaies de leurs pirogues de guerre ; c'est là qu'ils fabriquent leurs fi- lets, et, lorsqu'ils sont achevés, ils les portent à l'extrémité du village, où chaque filet en forme de seine aune cabane séparée. » Ces magasins publics , ainsi que les maisons particulières, sont tous également faits de pièces de bois bien équarries et bien assemblées par tenons et mortaises, et chevillées; ils forment pour l'ordinaire un carré long. Au lieu de planches pour former les parois de leurs maisons, ils se servent de pail- lassons très-bien faits, qu'ils appliquent doubles et triples les uns sur les autres , et qui les mettent à l'abri du vent et de la pluie : des paillassons forment également le toit de la maison , mais ces derniers sont faits avec une espèce d'herbe fort dure qui croît dans les marais, et qu'ils emploient avec beaucoup d'adresse. Chaque maison n'a qu'une porte d'environ trois pieds de hauteur et de deux pieds de largeur, qu'ils ferment en dedans avec une bascule de bois semblable à celle de fer qui sert à fermer nos barrières en France. Au-dessus de la porte est une petite fenêtre de deux pieds en carré, garnie d'un treillis de jonc. L'intérieur de leur maison n'a point de plancher : ils ont seulement la précaution d'y éleverle terrain d'environ un pied, de le bien battre afin d'éviter l'humidité. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 59 Dans chaque maison on trouve un carré de planches bien assemblées, d'environ six pieds de long sur deux pieds de large. Ces planches sont garnies de sept à huit pouces d'herbe ou de feuilles de fougère bien sèches sur lesquelles ils se cou- chent : ils n'ont pas d'autre lit. Au milieu de la maison il y a toujours un petit feu pour en chasser l'humidité. Ces maisons sont très-petites ; la plupart n'ont que sept à huit pieds de lon- gueur sur cinq à six de largeur. Les maisons des chefs sont plus grandes; elles sont ornées de quelques morceaux de bois sculptés, et les piliers de l'intérieur le sont aussi. » Les seuls meubles que nous ayons trouvés dans ces maisons, sont des hameçons de nacre et de bois garnis d'os; des filets, des lignes à pécher, quelques calebasses pleines d'eau , des ou- tils de pierre semblables à ceux que nous avions trouvés dans les magasins communs; des manteaux et autres vètemens sus- pendus le long de leur cloison. » Tous les villages que nous avons parcourus pendant deux mois que nous avons séjourné dans la baie des Iles, nous ont paru être construits sur le même plan , sans une différence bien remarquable. La construction et la forme des maisons particu- lières, ainsi que celle des chefs, est la même dans tous les \il - lages : ils sont tous également palissades , et placés sur des hau- teurs escarpées. A l'extrémité de chaque village, sur la pointe la plus avancée à la mer, on trouve un lieu public de commo- dité pour les habitans. NOURRITURE. » Nous avons remarqué que la base do la nourriture de ces peuples est la racine d'une fougère absolument semblable à la nôtre, avec la seule différence qu'en quelques endroits celle de la Nouvelle-Zélande a sa racine plus grosse, plus longue, et sa palme plus élevée. » Après avoir arraché celle racine, ils la font sécher pendant 60 PIECES JUSTIFICATIVES. quelques jours, suspendue à l'air et au soleil. Quand ils veu- lent la manger, ils la présentent au feu , la font griller légère- ment, la brisent entre deux pierres, et la mâchent dans cet état pour en tirer des sucs qui m'ont paru farineux ; ils mangent jusqu'aux filamens ligneux lorsqu'ils n'ont pas autre chose à manger; mais lorsqu'ils ont du poisson, des coquillages ou quelques autres mets , ils se contentent de mâcher la racine de fougère et ils en rejettent tous les filamens. » Ces peuples vivent également de poissons et de coquillages principalement; ils mangent des cailles, des canards et autres oiseaux aquatiques dont leur pays abonde , diverses autres espèces d'oiseaux , des chiens , des rats; enfin ils mangent leurs ennemis. » Les Nouveaux-Zélandais n'ont aucune espèce de vase propre à cuire leur viande. L'usage général de tous les villages que nous avons parcourus, est de faire cuire leur viande et leur poisson dans une espèce de four souterrain. Dans toutes leurs cuisines, on trouve un trou de la profondeur d'un pied et demi, sur deux pieds de diamètre; ils mettent au fond de ce trou des pierres, sur ces pierres des bois qu'ils allument, sur ces bois de nouvelles pierres plates qu'ils font rougir; et sur ces dernières pierres, ils étendent leur viande ou leur poisson qu'ils font cuire. » Ils se nourrissent également de patates et de calebasses qu'ils font cuire comme leur viande. Leur manière de manger est malpropre. n Je les ai vus manger également une espèce de gomme de couleur verte, dont ils paraissent faire grand cas; je n'ai pu savoir de quel arbre ils la tirent. Quelques-uns de nous en ont mangé , en la faisant fondre dans la bouche. Nous l'avons tous également trouvée d'une qualité très-échauffànte. » Nous avons remarqué que les sauvages font régulièrement deux repas par jour, l'un le matin , et l'autre au coucher du soleil. Comme ils sont tous forts et robustes, grands, bien faits et de bonne constitution , on doit croire que leur nourriture PIÈCES JUSTIFICATIVES. 61 est fort saine ; et je crois devoir répéter ici que la racine de fougère est la base de cette nourriture. » En général, ils nous ont paru grands mangeurs; quand ils venaient dans nos vaisseaux , nous ne pouvions les rassasier de biscuit, dont ils s'accommodaient fort. Lorsque nos matelots mangeaient, ils s'approcbaient d'eux pour avoir une partie de leur soupe ou de leur viande salée. Les matelots leur abandon- naient ordinairement le fond de leurs gamelles , que les sau- vages avaient grand soin de nettoyer parfaitement. Ils étaient avides de graisse et même de suif. Je les ai souvent vus prendre le suif qui servait pour les plombs de sonde et autres usages du vaisseau , et le manger comme un mets excellent. » Ils étaient très-friands de sucre ; ils buvaient avec nous du tbé et du café , et estimaient ces boissons , suivant qu'elles étaient plus ou moins sucrées. Ils ont la plus grande répu- gnance pour le vin , surtout pour les liqueurs fortes; ils n'ai- ment pas le sel et ne s'en servent point; ils boivent beaucoup d'eau, et, en les voyant ainsi altérés, j'ai pensé que ce besoin de boire continuellement était causé par leur nourriture sèche de racine de fougère. HABILLEMENT. » Les sauvages de cette partie du monde ne portent jamais aucune espèce de coiffure ; ils relèvent tous leurs cheveux en touffe au sommet de leur tête , les lient avec un morceau de corde ou de tresse, et les coupent en forme de brosse à un ou deux pouces au-dessus de la tresse. A défaut de ciseaux pour cette opération , ils se servent d'une coquille de moule ou d o- reille de mer, qu'ils rendent tranchante en l'aiguisant. » Les hommes et les femmes s'enduisent les cheveux d'huile de poisson , et les poudrent avec de l'ocre rouge pulvérisée. Plu- sieurs d'entre eux ne poudrent ainsi que la place du toupet ; les chefs ornent leur tête de plumes blanches. » Les femmes mariées se coiffent de même que les hommes ; 62 PIECES JUSTIFICATIVES. les filles laissent tomber naturellement leurs cheveux sur le cou, et les coupent de manière qu'ils ne passent pas la naissance des épaules. » Les jeunes femmes se peignent les lèvres de noir, sans doute pour faire paraître davantage la blancheur de leurs dents. » Les hommes ont les oreilles percées comme les femmes, et tous les ornent également de quelques coquillages bien dé- pouillés et brillans, de la couleur du burgau , ou de plumes, ou de petits os de chiens. » Quelques-uns portent au cou des morceaux de jade d'un assez beau vert, de différentes formes, unis, gravés, sculptés. Quelques-uns de ces jades sont chatoyans; ils portent quelque- fois des coquilles nacrées , des morceaux de bois, des plumes en paquet. » Les femmes portent des colliers faits comme des chapelets, composés de morceaux cassés à longueur égale de dentales blanches alternativement et de tuyaux vermiculaires noirs; d'autres portent des colliers de petits noyaux très-durs, d'un fruit que je n'ai pas connu. » Les hommes et les femmes portent sur les épaules un man- teau attaché par le moyen d'une tresse , autour du cou , et qui tombe jusqu'à la ceinture. Ces manteaux sont d'une petite pièce de toile grossière , sans couture, faite exprès pour cet usage; ils ne couvrent exactement que les épaules et les reins, et laissent toute la poitrine et le ventre découverts. » Outre ce manteau, ils ont une espèce de pagne de même tissu , qui leur enveloppe les reins et les cuisses , et tombe jus- qu'au mollet de la jambe. Ce second vêtement est, comme le premier, commun aux hommes et aux femmes; il est lié et retenu autour des reins par une ceinture large de quatre doigts. Ces ceintures sont quelquefois de la même étoffe et quelquefois de jonc artistement tressé. » Les sauvages ont imaginé une autre espèce de vêtement, qui est un manteau de pluie. Ce manteau est fabriqué de filasse grossière , dont les bouts assez longs débordent de trois ou PIÈCES JUSTIFICATIVES. G 3 quatre pouces par-dessus le tissu; c'est ce côté de l'étoffe, ainsi hérissé de longues niasses comme d'un poil , que les sauvages mettent en dehors pour recevoir la pluie, et la laisser couler comme sur un toit. Ce manteau est long et couvre à peu près tout le corps. » Les chefs sont distingués par des manteaux et des cottes d'un tissu plus fin. J'ai remarqué en général que les chefs seuls avaient des manteaux fort bien travaillés, avec des lanières très- fines de peaux de chiens, adroitement rapprochées les unes des autres, avec symétrie dans les couleurs, et paraissant ne faire qu'une seule et même peau. Us mettent le poil en dedans et sur leur peau lorsqu'il fait froid ; ils le mettent en dehors lorsqu'il fait chaud. » Mais la manière la plus frappante que les chefs de ces sau- vages aient imaginée pour se distinguer, a été de se graver le visage et les fesses de la manière la plus hideuse; ils se font sur le front , sur les joues et jusque sur le nez , des dessins par de petites piqûres dans lesquelles, au moment où le sang sort, ils s'incrustent dans l'épidémie de la poussière de charbon qui ne s'efface plus. Ils s'étudient à imaginer des dessins qui les ren- dent plus affreux et leur donnent un air plus effravant. Tous ces dessins sur les visages des différens chefs sont extrêmement variés, mais ils ont tous les fesses gravées sur un même dessin ; ils tracent sur cette partie, en traits également ineffaçables, une ligne spirale très-nette , dont le premier point, partant du centre de la partie la plus charnue, en embrasse successive- ment toute la circonférence. «Ils ont également à chaque jarret deux petites gravures noi- res, dessinées très-correctement en forme d'S. Ces chefs se faisaient un plaisir de nous montrer toutes les gravures qu'ils portaient sur le corps; ils en paraissaient même fiers et glo- rieux. 04 PIECES JUSTIFICATIVES. INDUSTRIE. » L'industrie de ces peuples sauvages se réduit, à peu de chose près , à quatre objets : à se procurer une nourriture frugale , un logement simple contre les injures du temps , un habille- ment de nécessité dans un climat plus froid que ne semble le comporter la position de leurs îles ; enfin à se palissader et se garantir des invasions de leurs semblables , même à les atta- quer et à les détruire. » J'ai dit que la base de leur nourriture était de la racine de fougère. Cette racine s'enfonce naturellement très-profondé- ment en terre ; pour l'arracher , les sauvages ont imaginé une espèce de bêche pointue, semblable à un levier aiguisé par une extrémité, auquel ils appliquent et lient fortement avec une corde un morceau de bois qui leur sert à appuyer du pied sur le levier, en même temps que les bras agissent dessus pour l'en- foncer profondément et lever de grosses mottes. » Ce levier ne pouvant avoir une certaine largeur à l'extré- mité qui s'enfonce dans la terre , deux hommes se réunissent avec chacun leur instrument , et s'accordent dans leur travail pour lever ensemble une même motte. Cette espèce de bêche ressemble assez à une échasse, dont le sous-pied serait placé à la hauteur de deux pieds et demi environ. » Ces peuples ont un commencement d'agriculture; ils culti- vent quelques petits champs de patates semblables à celles des deux Indes ; ils cultivent aussi des calebasses qu'ils mangent lorsqu'elles sont petites et tendres; et, lorsqu'elles sont mûres, ils les vident et les font sécher , et s'en servent pour porter et conserver de l'eau ; ils ont de ces calebasses qui contiennent jusqu'à dix ou douze pots d'eau. » Ils cultivent aussi des aloès-pites et une espèce de roseau qui étant parvenu en maturité, leur donne, par le rouissage qu'ils emploient, une filasse propre à faire leurs tissus, et des cordes PIÈCES JUSTIFICATIVES. 65 pour différens usages ; ils se servent dans ces cultures du même instrument dont je viens de parler , et de quelques morceaux de bois aiguisés et taillés assez proprement en forme de plan- toirs. Il m'a paru que toute l'agriculture se réduisait a ces deux ou trois objets; ils ne connaissent aucune espèce de graines. Hors quelques champs très-petits plantés en patates, calebasses, aloès et roseaux très-petits , tout le pays m'a paru en friche , et ne présente que des productions naturelles et agrestes. Je n'ai rien vu qui eût l'air d'un verger; je n'ai même pu entrevoir le moindre fruit cultivé ou sauvage. » Le poisson étant , après la racine de fougère, la principale nourriture des sauvages, c'est particulièrement sur la pèche que leur industrie s'est exercée. Sans fer et sans aucun autre métal, ils font, avec des nacres et divers autres coquillages, des hameçons de toute grandeur, et travaillés a\ ce beaucoup d'a- dresse. Leurs lignes de pèche, leurs filets de toute espèce, sont noués avec le même art que ceux des plus habiles pêcheurs de nos ports de mer; ils fabriquent des seines de cinq cents pieds de longueur; ils suppléent au défaut de liège pour la partie su- périeure du filet, par des morceaux de bois blanc très-léger, et au plomb pour la partie inférieure qui doit traîner sur le fond, par des cailloux roulés très-pesans, renfermés dans une gaîne à jour dont ils garnissent le bas du filet. » Ils fabriquent des seines avec du jonc, et d'autres avec un fil bien tordu, et teint en rouge à l'huile de poisson. Les nœuds de ces seines sont exactement semblables à ceux de tous nos filets. «Tous les villages situés dans l'intérieur du port des Iles où nous étions mouillés, possédaient une quantité considérable de pirogues. Ces bateaux qui ne sont qu'un tronc d'arbre creusé, nous parurent généralement bien faits, d'une coupe avantageuse pour la marche, bien travaillés, et la plupart chargés de sculptures. Le plus grand nombre de ces pirogues porte vingt à vingt-cinq pieds de longueur sur deux pieds et demi à trois pieds de largeur. Leur usage principal est pour la tome m. 5 66 PIECES JUSTIFICATIVES. pêche. Chaque pirogue porte ordinairement sept à huit hommes. » Indépendamment de ces bateaux qui paraissent appartenir à divers particuliers , chaque village possède en commun deux ou trois grandes pirogues de guerre , destinées pour l'attaque. J'en ai mesuré de ces dernières qui avaient soixante pieds de longueur sur six de largeur, quatre de creux : le fond d'un seul tronc d'arbre , surhaussé d'une planche cousue adroitement sur chaque bord, la couture bien enduite de résine, et toute la pirogue peinte en rouge à l'huile. Ces bateaux de guerre sont chargés de sculptures très-élevées à la poupe et à la proue. «Les sauvages se servent de pagaies au lieu de rames pour conduire leurs pirogues. Ces pagaies sont parfaitement bien taillées et contournées avantageusement pour ajouter , par l'élasticité de la pale, à la force du coup qui frappe le fluide. Ces pagaies pourraient, à certains égards , servir de modèles aux avironneries de nos ports. Celles des chefs qui gouvernent ordinairement les pirogues sont sculptées assez agréablement du côté opposé à celui qui frappe l'eau. » Ce qu'il y a d'étonnant dans l'industrie des sauvages pour la construction de leurs bateaux, de leurs pagaies, dans leurs sculptures, enfin dans tous les ouvrages, c'est qu'ils n'ont pas de fer ni aucun autre métal qui puisse le remplacer; ils n'ont par conséquent aucun des instrumens dont se servent nos ou- vriers. Ils y ont suppléé par des pierres très-dures aiguisées et taillées en forme de fers de haches , de ciseaux , d'herminettes. Les pierres qu'ils emploient à cet usage sont principalement le jade et le basalte. C'est assurément une grande industrie que de remplacer le fer par des matières si brutes et si différentes de ce métal. » Les bateaux de la Nouvelle-Zélande sont tous d'un bois de cèdre admirable dont le pays est couvert. En suivant la mé- thode des expériences de M. Duhamel sur la pesanteur respec- tive des bois, j'ai reconnu que le cèdre de la Nouvelle-Zélande, PIÈCES JUSTIFICATIVES. <;7 fraîchement coupé , ne pesait par pied cube qu'une livre et demie de plus que le pin de Riga de première qualité. » J'ai dit que les sauvages se nourrissaient de coquillages. Cette espèce de nourriture n'exige aucune industrie; ce sont les femmes et les filles qui vont journellement les ramasser au- tour des roches dans la mer. Pour cette opération elles s'enve- loppent d'un tablier de jonc fait en forme de paillasson , pour garantir leur cotte de l'eau de mer ; elles ont à leur ceinture un cabas de jonc dans lequel elles ramassent les coquillages et les portent dans leurs villages. »Ces sauvages ne connaissent d'autre chasse que celle du filet et du lacet coulant; ils y prennent des cailles, des canards sau- vages, des pigeons ramiers d'une très-grosse espèce , et divers autres oiseaux dont je parlerai ci-après ; ils ne connaissent pas l'usage de l'arc et de la flèche. » J'ai déjà parlé de l'industrie des sauvages austraux dans la formation et la disposition de leurs villages, dans la construc- tion de leurs magasins publics et de leurs cabanes particulières ; celle 'qu'ils emploient à la fabrication de leurs vêtemens em- brasse un plus grand nombre d'objets. Ils cultivent des plantes à filasse; ils ont l'air de les faire rouir. Après le rouissage, ils les battent pour en détacher les parties ligneuses ou dures ; ils peignent leur filasse avec des peignes faits de grandes coquilles de mer; ils ont une espèce de rouet pour tordre leur fil, un moulinet très-grossier et très-simple pour doubler les fils. Ils ont aussi un fil composé de cinq à six brins de cheveux : ce fil est fort. Enfin, ils ont un métier qui paraît être le commence- ment de celui de nos tisserands, qui leur sert à faire des toiles d'un tissu bien serré et d'un bon usage. » Les sauvages de la Nouvelle-Zélande sont dans un état de guerre continuelle; leurs villages palissades, entourés de fossés, plantés sur des pointes déterre très-escarpées, prou- vent qu'ils craignent des ennemis, et que tous sont au moins sur la défensive. Cet état de guerre a tourné leur industrie vers la fabrication de toute espèce d'instrumens propres à détruire 5* 68 PIECES JUSTIFICATIVES. leurs semblables ; elle y a employé la pierre , le bois et les os- semens des animaux. Leurs casse-têtes sont de pierre , ordinai- rement de basalte et quelquefois de jade. Leurs lances, leurs javelots, leurs piques, sont d'un bois très-dur et pesant; leurs massues ou assommoirs sont de bois et de côtes de baleine; leurs trompettes de guerre sont de bois et font un bruit désa- gréable , semblable à celui de nos cornes de berger. Tous ces instrumens meurtriers sont sculptés et travaillés avec soin. Ces sauvages en ont une quantité considérable. » Outre ces instrumens destructeurs, l'industrie des sauvages leur a donné deux ou trois espèces de flûtes dont ils tirent, par le souffle des narines , des sons assez doux , mais discordans. Je les ai entendus jouer de ces instrumens, surtout le soir, lors- qu'ils sont renfermés dans leurs villages, et il m'a paru qu'ils dansaient quelquefois au son de ces flûtes. RELIGION. » Nous n'avons pas séjourné assez long-temps à la Nouvelle- Zélande , et j'y ai toujours été trop occupé des besoins de nos vaisseaux pour y avoir pu acquérir des notions suffisantes sur le culte et la croyance des sauvages. Je suis néanmoins fondé à croire qu'ils ont une religion. » i°. Ils ont dans leur langue un mot qui exprime la divinité: ils l'appellent l'Atoua; ils lui donnent un nom qui veut dire , celui qui secoue la terre. » 2°. Quand on leur a fait des questions à ce sujet, ils ont levé les yeux et les mains au ciel, avec des démonstrations de res- pect et de crainte, qui indiquaient leur croyance d'un Etre su- prême. »3°. J'ai dit qu'on trouvait au centre de tous les villages une figure sculptée qui paraît être la représentation du dieu tuté- laire du village. On trouve dans leurs maisons particulières les mêmes figures sculptées comme de petites idoles , et placées dans des lieux distingués. Plusieurs sauvages portaient au cou PIÈCES JUSTIFICATIVES. 69 de ces mêmes figures sculptées en jade et en bois. Ces figures sont hideuses ; elles présentent presque toutes une langue d'une longueur démesurée : elles ont un air effrayant; et si ce sont là les images de la divinité de ces sauvages , elles prouveraient qu'ils la regardent comme un être malfaisant. Il est possible que dans leurs opinions toutes ces figures ne représentent que des génies auteurs du mal et différens de la divinité. » 4°. J'ai remarqué que les sauvages qui venaient souvent coucher dans nos vaisseaux avaient l'habitude de se recueillir vers le milieu de la nuit , de se mettre sur leur séant , de mar- motter quelques mots qui ressemblaient à une prière; ils se ré- pondaient les uns aux autres , et semblaient psalmodier. Cette espèce de prière durait ordinairement huit ou dix minutes. » 5°. Lorsque les sauvages se trouvaient dans nos vaisseaux, au moment où nous faisions la prière, ils n'en paraissaient pas étonnés; ils prenaient l'attitude des matelots et semblaient s'unir à eux pour prier. » (Nouveau Voyage à la Mer du Sud , etc. , 1783 , page 54 et suiv. ) PRODUCTIONS DE LA NOUVELLE-ZELANDE. « Dans les différentes courses sur 1rs Iti es qui environnent le port des Iles, j'ai trouvé çà et là des blocs de marbre blanc, du marbre rouge jaspé, qui indiqueraient qu'il y a dans cette île quelque dépôt de la mer autour du noyau de l'ancienne terre, du granité dont la base paraît être du gabbre à laines plus ou moins noires, parsemées d'une substance blanche qui est pulvérulente et terne dans les uns, brillante et solide dans les autres ; du quartz cristallisé , des pierres à feu , du silex , des agathes calcédoineuses, des cailloux cristallisés intérieurement, d'autres transparens, semblables à ceux que l'on trouve aux Indes sur la côte de Malabar. A la première anse où nous avons mouillé et perdu des ancres, j'ai trouve une fontaine 70 PIECES JUSTIFICATIVES. dont les eaux très-limpides dégouttaient d'un rocher, et m'ont paru avoir la propriété de pétrifier. J'y ai ramassé un débris de crabe pétrifié , des cailloux dont le noyau était fort dur, et les couches extérieures, qui se levaient par feuilles, n'avaient pas encore acquis la même dureté , quoique de nature pier- reuse. J'y ai vu des masses de silex liées ensemble par un ci- ment naturel fort dur, et formant de très-gros blocs. Enfin , nous avons trouvé partout de l'ocre d'un très-beau rouge , ce qui annonce que la terre contient du fer. » Quoiqu'il paraisse que le jade soit commun à la Nouvelle- Zélande , puisque les sauvages en ont presque tous des haches , des ciseaux, des figures gravées, des ornemens d'oreilles , je n'ai pu voir le lieu d'où ils le tirent; j'ignore s'ils le trouvent dans des rivières en forme de cailloux , ou si la nature l'a placé dans des carrières. Ce jade est d'un beau vert à demi-transpa- rent, plus foncé que les jades connus dans les autres parties du monde. Il s'en trouve des morceaux chatoyans qui sont d'une couleur changeante très-agréable. C'est avec le jade, qui est une des pierres les plus dures , que les Nouveaux-Zélandais sculptent tous leurs ouvrages. » Les terres qui environnent le port des Iles présentent un mélange agréable de plaines, de coteaux, de vallons et de montagnes. Partout où il n'y a pas de forêts, la terre est cou- verte de fougères; celles qui croissent au bord de la mer et sur les montagnes ont huit à dix pieds de hauteur. Ce sont ces grandes fougères que les sauvages préfèrent pour eu arracher les racines, qui sont grosses comme le pouce , et dont ils font la base de leur nourriture. » Leurs forêts sont composées d'une assez grande variété d'ar- bres , parmi lesquels je n'ai reconnu qu'un très-beau myrte fort odorant qui s'élève à trente et quarante pieds , le gaïac , le sassafras et divers arbres à bois rouge , dont un ressemble au bois de natte à petites feuilles de nos îles de France et de Bourbon. Nous en avons tiré de bonnes courbes pour le ra- doub de nos vaisseaux. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 71 » Mais l'arbre qui domine toutes les forêts , est un cèdre à feuilles d'olivier. J'ai fait abattre de ces cèdres qui avaient plus de cent pieds de tige depuis la terre jusqu'à la naissance de leurs branches , et jusqu'à cinquante-deux pouces de dia- mètre. Les arbres sont très-résineux : la résine en est blanche, transparente , et rend une odeur agréable d'encens lorsqu'on la brûle. Il m'a paru que ce cèdre était l'arbre le plus commun et le plus haut du pays : il a de l'élasticité , et je l'ai jugé très- propre à faire des mâts de vaisseau. «Les forêts sont claires en quelques endroits, en d'autres elles sont embarrassées de beaucoup d'arbrisseaux dont quel- ques-uns sont épineux, et d'une liane très-commune qui s'é- lève jusqu'au sommet des plus hauts arbres. » Au reste, quoique nous fussions à la Nouvelle-Zélande en juin et juillet , qui sont les mois les plus froids dans cette partie australe du monde, je n'ai vu aucun arbre qui eût perdu les feuilles. Les forêts étaient aussi vertes qu'elles le sont en France dans le milieu de l'été. Il y avait néanmoins de petites gelées de temps en temps; et j'ai vu l'eau des marais prise le matin, de l'épaisseur de deux ou trois lignes; mais le soleil fondait cette glace légère une heure après son lever. Je n'ai pas \u tomber de la neige dans les plaines : je n'en ai aperçu que sur les mon- tagnes les plus élevées. J'ai remarqué que les pluies venaient ordinairement de l'E. et du N. E. , ce qui est le contraire de notre climat de France. » Les marais sont pleins de joncs et de gladioles. On trouve dans les terres pierreuses, sur la pente des coteaux qui ne sont pas brisés , une grande quantité d'une espèce de mauve assez haute, dont les sauvages tirent une filasse soyeuse très-belle, un tithymale à feuilles de cyprès, qui ressemble à un arbris- seau; différentes sortes de bruyères; des solanums à pommes jaunes et sans épines, une immortelle dorée fort agréable. On trouve dans les terres du voisinage de la mer du céleri de très- bon goût, l'alleluia qui a l'acide de l'oseille, du cresson d'eau à larges feuilles , et la même espèce de mortelle qui se mange à 72 PIECES JUSTIFICATIVES. Madagascar et à l'Ile-de-France. Nous avons beaucoup mangé de ces quatre espèces d'herbages qui abondent dans le pays, et dont l'usage a été salutaire à nos scorbutiques, dans le temps où notre bonne intelligence avec les sauvages nous permettait d'en faire ramasser tous les jours : ils nous témoignaient beau- coup d'étonnement de nous voir manger de ces herbes. » J'avais formé sur l'île Motou-Aro un jardin dans lequel j'a- vais semé des graines de toutes sortes de légumes, des noyaux et des pépins de tous nos fruits, du blé, du millet, du maïs, enfin de toute espèce de graines que j'avais apportées du cap de Bonne-Espérance. Tout réussissait admirablement : plu- sieurs noyaux étaient sortis de terre : le blé surtout poussait avec Une vigueur étonnante. La terre du pays est excellente pour la végétation. Dans les endroits où j'ai été obligé de re- muer la terre pour faire le chemin nécessaire au transport de nos mâts, j'ai trouvé jusqu'à cinq pieds de profondeur une terre noire et végétale , sans aucun mélange. A cette profon- deur, j'ai trouvé la même terre mêlée de pierrailles , et surtout de petits cailloux transparens. » Je ne me suis pas contenté de former un jardin sur l'île Mo- tou-Aro ; j'ai planté des noyaux et des pépins de fruits dans tous les quartiers que j'ai parcourus, dans les plaines, dans les vallons, sur les coteaux et même sur les montagnes; j'ai égale- ment semé un peu partout des différentes espèces de graines, et la plupart des officiers de nos vaisseaux en ont fait autant. Nous avons inutilement engagé les sauvages à semer : nous leur avons expliqué l'usage du blé et des autres grains nourri- ciers, la qualité des fruits dont nous leur faisions voir les noyaux. Ils m'ont paru entièrement brutes sur ces objets. » J'ai trouvé en différens endroits de l'argile très-propre à faire de la poterie. Notre maître canonnier, homme fort ingénieux, a fait monter un tour de potier sur lequel il a tourné, en pré- sence des sauvages, des vases de terre , des écuelles, des assiettes ; il les a fait cuire devant eux. Quelques-uns de ces ouvrages ont parfaitement réussi : il les a donnés aux sauvages qui les PIECES JUSTIFICATIVES. 73 avaient vu tourner et cuire; mais je doute qu'ils mettent à profit cette industrie qui leur donnerait mille commodités. » Je n'ai vu dans le pays d'autres quadrupèdes que des chiens et des rats. Les chiens sont une espèce de renards domestiques tous noirs ou blancs, très-bas sur jambes, les oreilles droites, la queue épaisse, le corps alongé , la gueule très-fendue, mais moins aiguë que celle du renard , le même cri ; ils n'aboient pas comme nos chiens. Ces animaux ne sont nourris qu'avec du poisson : il paraît que les sauvages ne les élèvent que poul- ies manger : on en avait embarqué quelques-uns dans nos vaisseaux. On n'a jamais pu les apprivoiser comme nos chiens: ils étaient toujours traîtres et mordaient souvent. Ce serait unv espèce dangereuse à conserver dans un lieu où l'on voudrait élever ou garder des volailles; ils les détruiraient comme de vrais renards. » Les rats sont de la même espèce que ceux qui se trou- vent dans nos champs et dans nos forêts : les sauvages les mangent. »]\ous avions sur notre vaisseau quelques cochons, des mou- tons du cap de Bonne-Espérance, et des cabris, dont la vue causait le plus grand élonnement aux sauvages toutes les fois qu'ils venaient abord; ils les regardaient avec la plus grande surprise, ce qui prouve qu'ils n'ont point de tels animaux dans leur pays. Ils n'avaient également jamais \ u de poules ni de ca nards domestiques; ils paraissaient fort étonnés d'en voir dans nos cages. Ils n'ont absolument aucun animal domestique que leurs chiens. » On trouve sur leurs marais des canards sauvages, des sar- celles et des poules bleues semblables à (elles de Madagascar, des Indes et de la Chine, mais d'un bleu plus foncé. On voit dans leurs forêts de très-beaux pigeons ramiers de la grosseur d'une grosse poule; leur plumage est magnifique , d'un bleu changeant et doré. Ces oiseaux sont un gibier excellent. On trouve dans les mêmes forêts de très-gros perroquets dont le plumage est noir, varié de bleu el de rouge; des loris de la pe- 74 PIÈCES JUSTIFICATIVES. tite espèce, dont le plumage est fort beau, semblable à celui des loris de l'île de Gola. » Les terrains découverts sont peuplés de grives noires à huppes blanches, d'étourneaux , d'alouettes, de cailles très- abondantes, du même plumage que les nôtres, mais plus grosses, de merles de différentes couleurs, de lavandières et de culs-blancs. » Sur les bords de la mer, on rencontrebeaucoup de corlieux, de bécassines de mer, des cormorans , des aigrettes blanches et noires, semblables à celles de France , et un oiseau d'un très- beau noir, de la grosseur de la bécasse de mer, avec le bec et les pattes d'un rouge vif. Tous ces oiseaux de terre et de mer sont bons à manger, excepté les aigrettes qui sont trop sèches. On y trouve également des envergures , des fols blancs à ailes noires, que les marins ont nommés manches de velours, des goélettes grises et d'autres blanches. Ces trois espèces d'oiseaux de mer sont trop secs, coriaces et huileux, pour pouvoir être mangés. » J'ai remarqué que les premiers jours de notre arrivée, tous les oiseaux du pays paraissaient familiers, se laissaient appro- cher au point qu'on les tuait avec des pierres et à coups de bâ- ton. Lorsque nos jeunes gens eurent chassé au fusil pendant quelque temps , le gibier devint farouche : les sauvages pou- vaient encore en approcher, mais il fuyait de très-loin nos chasseurs. » Le poisson est très-abondant à la côte de la Nouvelle-Zé- lande ; on y pêche beaucoup de barbots excellens, des bars, des congres, une quantité incroyable de maquereaux plus gros que ceux des côtes de France, mais très-bons; beaucoup de vieilles de différentes couleurs, des morues en moindre quantité, deux espèces de poissons rouges comme l'écarlate , que je n'ai pas connus ailleurs, dont une espèce est ordinairement grosse comme une morue. » Tous ces poissons sont bous. Il y a apparence que dans les différentes saisons de l'année on trouve sur ces côtes du poisson PIÈCES JUSTIFICATIVES. 75 de passage; et je suis persuadé que la pèche doit être beaucoup plus abondante dans le détroit qui sépare les deux grandes îles de la Nouvelle-Zélande. Dans les rochers qui bordent les côtes, on pêche beaucoup de homards, des crabes et des coquil- lages de toute espèce, semblables à ceux que nous avons trouvés dans la baie de Frédéric-Henri, aux terres deDiémen. Nous n'avons rencontré ni pingouins ni loups marins sur cette côte. Au large, à quelque distance de la terre , on voit beaucoup de baleines et de marsouins blancs dont on pourrait faire la pêche. » (Nouveau Voyage à la mer du Sud, etc., 1783, pag. 100 et suiv. ) t m 76 PIÈCES JUSTIFICATIVES. EXTRAIT DE L'OUVRAGE ANGLAIS, DE COLLIINS, INTITULÉ An accoant of the English Colony in New-South-lfa/cs , etc. London, 1804, page 34i et suiv. Le navire le Dœdalus , capitaine Hanson , après avoir porté des vivres à l'expédition de Vancouver, revint à Port-Jackson le 20 avril 1 793. Quelques jours auparavant il se trouvait sur la côte N. E. de la Nou- velle-Zélande, et, conformément aux instructions qu'il avait reçues , il enleva deux babitans de cette contrée pour apprendre aux colons de Norfolk le moyen d'ex- traire le chanvre du phormium qui croissait en abon- dance sur cette île. Ces deux naturels restèrent six mois à cet établissement. Comme ils habitaient chez le lieutenant-gouverneur, et sous ses propres yeux , il réussit à se procurer par eux quelques renseigne- ment sur la Nouvelle-Zélande et ses habitans. Voici en substance ce qui fut communiqué à ce sujet par le gouverneur King. Oudou-Kokodai-Toua-Mahoua , au moment où l'on s'em- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 77 para de lui, avait environ vingt-quatre ans; sa taille était de cinq pieds huit pouces; ses formes athlétiques; ses traits sem- blables à ceux d'un Européen, et fort intéressans. Il appartient au district de Tera-Witi, qui, suivant la carte de Touki , l'autre insulaire, porte bien le même nom, mais ne gît pas aussi loin vers le sud que la position d'Ika-Na-Mawi , nommée Tera-Witi par le capitaine Cook, car nous sommes sûrs que la résidence de Touki est voisine de la baie des Iles. Tous les deux en outre s'accordaient à dire que leurs résidences respec- tives n'étaient éloignées l'une de l'autre que de deux jours de marche par terre, et d'un jour seulement par eau. Oudou est proche parent de Pawariki qui est le principal chef de Tera- Witi : il avait deux femmes et un enfant dont le sort semblait l'inquiéter vivement. Chaque soir, pour ainsi dire, à la chute du jour, lui et Touki déploraient leur absence par une espèce de chant plaintif qui exprimait leurs regrets et avait quelque chose de touchant. Touki-Titari-Nouï-Warc-Païro est du même âge que Ou- dou , mais il est plus petit de trois pouces; il est trapu, bien conformé; il a, comme son compatriote, un teint olivâtre, et des cheveux noirs etépais. L'un et l'autre ontles lèvres tatouées. Les traits de Touki sont plus beaux et plus agréables; son nez est aquilin et ses dents sont belles. Il est natif du district de Oudoudou (dans la baie Doubtless), et son père en est le tanga- roa ou grand-prêtre; cet office est héréditaire dans sa fa- mille. Outre son père qui est un homme très-âgé, il a laissé une femme et un enfant. Il prenait un vif intérêt au sort de toutes ces personnes, ainsi qu'à celui de son chef Moudi-Waï, qu'il représentait comme un excellent homme. Touki l'empor- tait sur Oudou, tant pour les dispositions que pour les ma- nières, bien que le dernier à quelques égards ne manquât pas de bonnes qualités : mais parfois il se montrait tout-à-fait sau- vage. Oudou, en véritable patriote, pense qu'il n'existe point de pays, de peuple, ni de coutumes qu'on puisse comparer aux 78 PIECES JUSTIFICATIVES. siennes ; c'est pourquoi il était bien moins empressé de s'ins- truire de tout ce qu'il voyait, que son compagnon Touki qui attachait un grand prix à mériter l'estime de tous ceux qui l'en- touraient. A l'exception des momens qu'il consacrait à gémir sur l'absence de sa famille et de ses amis, il était joyeux, sou- vent facétieux et très-intelligent. A l'époque où ils furent enlevés de la Nouvelle-Zélande , Touki se trouvait en visite chez Oudou ; voici comme ils racon- tent cet événement. Le Dœdalus parut en vue de l'habitation d'Oudou \ La curiosité et peut-être l'espoir de se procurer du fer déterminèrent le chef Pawariki , Touki et Oudou avec son père, une de ses femmes et le prêtre , à s'approcher du na- vire. Quelque temps après, ayant été jointe par d'autres piro- gues , celle qui portait Touki et Oudou se hasarda le long du bord. Le lieutenant Hanson , dont ils louent beaucoup l'affabi- lité, les invita à monter; nonobstant l'avis de leurs amis, ils se prêtèrent à cette invitation , tant leurs yeux étaient fascinés, pour se servir de leur expression , par les choses curieuses qu'ils virent ; ils eurent même la hardiesse de descendre dans le navire, où ils mangèrent quelques mets. Cependant le vaisseau faisait route. L'un d'eux ayant vu les pirogues derrière, ets'étant aperçu que le navire les quittait , ils devinrent furieux de dou- * Le Dœdalus parut en vue de l'habitation d'Oudou, et se remontra le lendemain matin, mais à une grande distance de la grande terre, quoiqu'il fût près de deux îles habitées que Touki, sur sa carte, nomme Motou-Kawa et Panake. La curiosité et le désir d'avoir du fer engagèrent le chef Pavva- riki , Oudou , son frère , une de ses femmes et le prêtre , à lancer leur pirogue à la mer. Ils se rendirent sur la plus grande des deux îles , où ils se joignirent à Tea-Waraki , chef de l'île Motou-Kawa, et beau-père d'Oudou , et au fils de ce chef qui gouverne la petite île nommée Panake. Ils restèrent quelque temps près du navire, avant que les pirogues où se trouvaient Touki et Ou- dou se hasardassent le long du bord; mais on leur donna des outils en fer et d'autres articles , etc. {Narrative by Liddiard Nicholas, etc., t. II, pag. 355.) PIÈCES JUSTIFICATIVES. 79 leur et brisèrent les fenêtres de la chambre pour se précipiter à la mer, mais on les en empêcha. Tant que les pirogues furent à portée de les entendre , ils avertirent Pawariki de se hâter de retourner à terre , de peur d'être aussi saisi. Quelque temps en- core après leur arrivée à l'île Norfolk , ils restèrent fort tristes , évitant de donner aucune espèce de renseignement sur le lin de phormium ; à cet égard leur opiniâtreté était égale au soin que nos gens se donnaient pour obtenir ces lumières. Par la suite on découvrit qu'ils n'agissaient ainsi que dans la crainte d'être retenus pour être employés à ce travail. Au moyen de bons traitemens et d'une grande indulgence pour leurs goûts, on rendit bientôt ces insulaires plus sociables : surtout quand on leur eut promis qu'aussitôt qu'ils auraient appris à nos femmes à travailler le lin , mouha hia rakou , ils seraient ren- voyés chez eux. Alors ils se prêtèrent très-volontiers à donner tous les renseignemens en leur pouvoir ; mais en définitif ces renseignemens se bornèrent à très-peu de chose. Il se trouva que dans leur pays cette opération était particulièrement du res- sort des femmes : comme Oudou était guerrier et Touki prêtre, ils firent comprendre au gouverneur que la préparation du lin n'avait jamais fait partie de leur éducation. Quand ils commencèrent à se faire entendre , non-seulement Touki fut très-empressé de faire des questions sur l'Angleterre, dont il apprit fort bien à connaître la position sur unecartr coloriée, ainsi que celle de la Nouvelle-Zélande , de l'île Nor- folk et de Port-Jackson , mais il devint aussi très-communicatif touchant son propre pays. Voyant qu'il ne pouvait pas s'expli- quer parfaitement , il traça une esquisse de la Nouvelle-Zé- lande avec de la craie sur le plancher d'une chambre qu'on lui réserva pour cet objet. Le gouverneur, le capitaine King, ayant comparé cette ébauche avec le plan que le capitaine Cook fit de ces terres, il reconnut pour l'île septentrionale une ressem- blance suffisante pour faire de cet essai un objet de curiosité : et l'on persuada à Touki de tracer son plan sur le papier. Lorsqu'il l'eut terminé au pinceau , il y fit par la suite diverses 80 PIECES JUSTIFICATIVES. corrections et additions ; les noms des districts et les autres re- marques y furent insérés d'après lesrenseignemens qu'il donna durant les six mois qu'il demeura ici. Suivant la carte et les documens obtenus de Touki , l'île Nord de la Nouvelle-Zé- lande, sa patrie , est divisée en huit districts gouvernés par leurs chefs respectifs et par d'autres qui leur sont subordonnés. Le plus grand de ces districts est Shouraki , dont les babitans sont dans un état de guerre perpétuel avec les autres tribus. Cepen- dant il y a des intervalles de paix , pendant lesquels ils se ren- dent visite, et font entre eux des échanges de lin et de jade vert dont ils fabriquent des haches et des ornemens. Touki nia avec opiniâtreté que tous les Nouveaux-Zélandais fussent canni- bales; ce n'était pas sans une grande difficulté qu'on pouvait l'amener à parler de ce sujet, et même à y faire la moindre at- tention; mais quand il le faisait, c'était pour en exprimer la plus grande horreur. Cependant, il en vint enfin à confesser que tous leshabitans de Pounamou, l'île méridionale, et ceux de Shouraki mangeaient les ennemis qu'ils prenaient à la guerre ; ce qui fut confirmé par Oudou, car son père avait été tué et mangé par le peuple de Shouraki. « Nonobstant la probité habituelle de nos hôtes, particu- lièrement de Touki, dit le capitaine King, je suis disposé à croire que ces horribles banquets se pratiquaient généralement dans toute l'étendue des deux îles. » Ils nous dirent que les classes inférieures sont entièrement subordonnées à leurs supérieurs; et l'on en pouvait juger par la grande déférence que Touki eut toujours pour Oudou. Rangatira-tiki-tiki signifie un chef principal ou un homme pourvu d'une grande autorité. Cette attribution supérieure est désignée par la répétition du mot tiki-tiki: ce titre semble hé- réditaire. Tanga-roa ou tohounga est un prêtre; son autorité en plusieurs circonstances est égale et quelquefois supérieure à celle du tiki-tiki. Ratigatira-poudi , un rhef inférieur ou gentilhomme. Tanc-moukaï ', un laboureur. PJÈCES JUSTIFICATIVES. . 81 Touchant les coutumes et les manières de ces peuples , voici les documens que le gouverneur fit passer à l'auteur. « Les Nouveaux-Zélandais enterrent leurs morts. Ils pensent aussi que le troisième jour après l'enterrement le cœur se sé- pare du corps. Cet événement est annoncé par un léger souffle de vent qui en donne avis à un Atoua ou divinité in- férieure qui plane sur la tombe , et emporte l'ame dans les nuages. Sur sa carte, Touki a tracé une route imaginaire qui traverse Ika-Na-Mawi dans toute sa longueur, savoir : depuis le détroit de Cook jusqu'au cap Nord, que Touki nomme Te Reinga. Tandis que l'ame est reçue par le bon Atoua , un mau- vais esprit est aussi tout prêt à emporter la partie impure du cadavre par la même route, vers le Te Reinga, d'où il le pré- cipite dans la mer. » Le suicide est très-commun parmi les Nouveaux-Zélandais. Il a souvent lieu pour le puis léger motif. Ainsi, une femme qui a été battue par son mari ira peut-être se pendre immédia- tement après. Nos deux naturels semblaient parfaitement au courant de cette manière de terminer leur existence, car ils menaçaient souvent de se pendre, si on ne les renvoyait pas chez eux. Du reste, comme ils ne faisaient ces menaces que dans leurs momens de mélancolie, ils finirent bientôt par en rire eux-mêmes. » Ils paraissent n'employer aucune autre division du temps que les révolutions de la lune , qu'ils comptent jusqu'au nombre de cent ; et ils appellent cette période tahi tau , c'est-à-dire un tau ou une centaine de lunes. C'est ainsi qu'ils calculent leur âge , et supputent tous les autres événemens. »Oudou et Touki convenaient tous les deux qu'on pourrai 1 obtenir une grande quantité de lin travaille pour des bagatelles, comme des haches, des ciseaux, etc. Ils disaient que dans la plupart des lieux le lin croissait naturellement en abondance; qu'en d'autres endroits on le cultivait en séparant les tiges par la racine, et les plantant trois à trois dans chaque trou, à la dis- tance d'un pied les unes des autres. Du reste, ils accordaient tome ni. 6 82 . PIECES JUSTIFICATIVES. une préférence marquée aux plantes à lin de l'île Norfolk , tant pour la qualité que pour la quantité du chanvre. » Ces naturels, ajoute le gouverneur King , nous donnèrent encore bien d'autres renseignemens ; mais dans la crainte de commettre quelque erreur, je me dispense de les rapporter. Il est vrai que nous nous communiquions assez bien nos idées, en mélangeant ce qu'ils savaient d'anglais avec ce que nous avions appris de leur langage, et par ce moyen ils pouvaient se faire entendre suffisamment pour les choses ordinaires. Mais je ne pourrais répondre de l'exactitude des détails qui exigeaient un plus grand développement. » On sait que le gouverneur King accompagna lui-même Oudou et Touki à la Nouvelle-Zélande. Voici ses observations durant ce voyage : « Après avoir doublé le cap Nord de la Nouvelle-Zélande , le 12 novembre 1793, quatre jours après notre départ de Nor- folk, nous vîmes plusieurs maisons et un petit pâ sur une île située près du cap Nord, que Touki nomma Moudi-Motou. Bientôt après, nous découvrîmes un pâ ou forteresse très-con- sidérable , sur une colline élevée et arrondie, précisément en face de la baie. Il en sortit six grandes pirogues qui se dirigè- rent vers le navire. Aussitôt qu'elles se trouvèrent à portée de la voix, Touki fut reconnu par ceux qui les montaient; bientôt nous comptâmes sept pirogues montées par vingt hommes chacune. Ces pirogues s'approchèrent sans hésiter, et les naturels qui montèrent à bord furent enchantés de retrouver Touki, dont les premières et les plus vives questions eui'ent pour objet sa famille et son chef. A cet égard , il reçut les détails les plus satisfaisans d'une femme qui était parente de sa mère. Son père et le chef étaient encore inconsolables de la perte de Touki. On remarquera que, encore qu'il y eût plus de cent insulaires, tant à bord que le long du navire, Touki borna ses caresses et sa conversation à la parente de sa mère et à un ou deux chefs. Ceux-ci se distinguaient par les dessins de leur visage, moke, aussi bien que par les respects que leur témoignaient les mokaïs PIECES JUSTIFICATIVES. 83 ou serviteurs qui pagaient dans les pirogues , et que leurs chefs battent quelquefois sans pitié. Je donnai des ciseaux, des hachettes et autres objets aussi agréables, à ceux que Touki me désigna comme des chefs subalternes , et qui étaient de sa connaissance. Bientôt le commerce s'établit. Des morceaux de vieux fer furent donnés pour une quantité de lin travaillé , de nattes, patous-patous, lances, ornemens de jade, pagaies, hameçons et lignes. A sept heures du soir les naturels nous quittèrent, et nous fîmes route pour la baie des Iles, où nous avions compris qu'était la résidence de Touki , et dont nous étions éloignés de vingt-quatre lieues. Vers les neuf heures , une pirogue montée par quatre hommes arriva près de nous , et ils sautèrent à bord sans aucune crainte. Après souper, Touki et Oudou demandèrent aux étrangers quelles étaient les nouvelles du pays, depuis qu'ils avaient été enlevés. Pour sa- tisfaire à ce désir, les quatre étrangers commencèrent un chant, dans lequel chacun d'eux prit part, tantôt employant des gestes fiers et sauvages , tantôt baissant la voix suivant la na- ture des événemens qu'ils avaient à raconter. Oudou, qui prê- tait la plus grande attention au sujet de leur chant, fondit tout- a-coup en larmes, au récit d'une irruption que la tribu de Shouraki avait faite sur le territoire de Tera-Witi , district de Oudou , et dans laquelle le fils du chef et trente guerriers avaient été tués. Il se trouva trop ému pour en entendre da- vantage; il se retira dans un coin de la chambre afin de se li- vrer à toute sa douleur, ne s'interrompant quelquefois que pour proférer des menaces de vengeance, » Attendu le calme , on fit peu de chemin durant la nuit. Le i3 , au point du jour, on aperçut une quantité de pirogues qui venaient du pà. Dans la plus grande se trouvaient trente-six hommes et le chef, qui debout faisait des signaux avec empres- sement. Quand la pirogue se fut approchée, Touki reconnut ce chef pour être Ko-Tekoke, c'est-à-dire le tiki-tiki, ou chef principal du pà. Le vieux chef qui semblait avoir environ soixante-dix ans, n'avait pas un seul trait du visage qui ne fût 6' 84 PIÈCES JUSTIFICATIVES. couvert de lignes spirales. A son arrivée à bord , il embrassa Touki avec beaucoup d'affection. Puis Touki me le présenta; après la cérémonie. du sliongui, c'est-à-dire de coller son nez contre le mien , il détacha son kahou ou manteau, et le plaça sur mes épaules. En retour je lui donnai un manteau de flanelle verte, orné de larges raies. Peu après, sept autres pirogues, montées chacune par plus de vingt hommes ou femmes, arri- vèrent le long du bord. D'après le désir de Touki , la poupe fut tapou, c'est-à-dire que l'accès en fut interdit à tout autre que le vieux chef. Il m'eût fallu retenir le navire quelques jours de plus pour attendre la fin du calme ou un vent du nord. Si j'avais pu atteindre en quatre jours de voyage depuis Norfolk le lieu où habitait Touki , certainement je l'y eusse débarqué : mais cela ne pouvait avoir lieu puisque c'était déjà le cinquième jour que nous étions en mer; je me serais cru sans excuse si j'eusse retenu le navire plus long-temps qu'il n'était nécessaire pour débarquer mes hôtes dans un lieu sûr, et d'où ils pou- vaient facilement rejoindre leurs résidences. » Malgré les nouvelles que Touki avait reçues et la confiance qu'il semblait placer dans le vieux chef, j'avais cependant res- senti d'abord une vive inquiétude pour nos deux amis : j'ex- primai même à Touki les craintes que j'avais que tout ce qu'on lui avait dit ne fût qu'une invention de Ko-Tekoke et de ses gens pour se rendre maîtres d'eux et de leurs effets. Touki à cette observation répondit avec une noble confiance que tiki-tiki no eteka, c'est-à-dire qu'un chef ne trompe jamais. Par l'organe de Touki je témoignai au chef combien je désirais qu'ils se rendis- sent à Oudoudou ; j'ajoutai que dans trois mois j'y reviendrais moi-même, que si je trouvais que Touki etOudou y fussent ar- rivés en sûreté avec leurs effets , alors je retournerais à Moudi- Wenoua , et ferais de grands présens à Ko-Tekoke , en outre de ceux que j'allais lui faire sur-le-champ ainsi qu'à ses gens, pour la peine qu'ils allaient avoir de reconduire mes deux amis chez eux. J'eus tant de motifs pour être convaincu de la sincérité du vieillard, que je crus que ce serait lui faire injure que de le PIÈCES JUSTIFICATIVES. 85 menacer d'une punition s'il manquait à son engagement. La seule réponse que fit Ko-Tekoke , lut de placer ses deux mains des deux côtés de sa tète , et, après m'en avoir fait faire autant, de joindre son nez au mien. Nous restâmes dans cette position, je crois, environ trois minutes, durant lesquelles le vieux chef marmotta quelques mots que je ne compris point. Ensuite il fit la même cérémonie avec nos deux amis , une danse suivit, enfin les deux derniers joignirent leur nez au mien , et ils me dirent que Ko-Tekoke était maintenant devenu leur père et qu'il allait les conduire lui-même à Oudoudou (ce qu'il exécuta très-fidèlement). » Tandis que je préparais les cadeaux que je voulais leur faire, Touki (et je fus alors bien convaincu qu'il était prêtre), Touki avait rangé les Nouveaux-Zélandais en cercle autour de lui. Au centre était le vieux chef, et Touki raconta ce qu'il avait vu durant son absence. En certains endroits de son récit, ils poussaient des cris d'admiration. Craignant de voir sa véracité révoquée en doute quand il leur dit qu'il n'avait mis que trois jours pour venir de l'île Norfolk, il leur montra un ebou , en leur assurant qu'il avait été coupé cinq jours auparavant dans mon jardin. Cette preuve convaincante occasiona une excla- mation générale de surprise. » Tout étant désormais prêt pour leur départ, nos deux amis demandèrent que Ko-Tekoke pût voir faire l'exercice à feu aux soldats. La requête venant d'eux-mêmes, je n'eus point d'ob- jection à faire. Mais je saisis cette occasion pour expliquer au cbef, par nos procédés envers lui et ses deux compatriotes, que notre désir et notre intention étaient de vivre en bons voisins et amis avec tous les habitans d'Ika-Na-Mavvi ; ajoutant que nous ne nous servions de nos armes que quand nous étions offensés. «Environ cent cinquante Nouveaux-Zélandais s'assirent sur le pont à bâbord, tandis que le détachement manœuvrait du côté opposé. Après avoir fait l'exercice et trois décharges de mousqueterie, deux coups de canon furent tins, l'un à boulet, 86 PIECES JUSTIFICATIVES. l'autre à mitraille, ce qui leur causa une grande surprise. » Ensuite nous nous séparâmes, Touki et Oudou firent de tendres adieux à chacune des personnes du bord , et me rap- pelèrent la promesse de retourner les visiter, ajoutant qu'alors ils retourneraient avec leurs familles à l'île Norfolk. » Le respectable chef, après s'être donne beaucoup de peine pour prononcer mon nom et me faire connaître le sien , des- cendit dans sa pirogue. En poussant au large , ils furent salués de trois acclamations auxquelles ils répondirent de leur mieux, sous la direction de Touki. Deux heures après leur départ, nous fîmes voile. Après un passage de cinq jours de la Nou- velle-Zélande à l'île Norfolk et une absence de dix jours de cette dernière place, je fus de retour dans l'après-midi du 18 novembre 1793. » PIÈCES JUSTIFICATIVES. 87 OBSERVATIONS DE TURNBULL SUR LA NOUVELLE-ZÉLANDE. Les observations suivantes, qu'on trouve en forme d'appendice à la suite du Voyage de Turnbull, liront paru offrir d'autant plus d'intérêt qu'elles remplissent pour ainsi dire la lacune qui existe dans l'histoire des Nouveaux -Zélandais, depuis l'époque où l'illustre Cook exécuta sa belle reconnaissance , jusqu'au temps où les missionnaires vinrent s'établir parmi ces peu- ples , et fixer positivement notre opinion sur leurs coutumes extraordinaires. Voici la traduction fidèle de ce morceau. La nécessité, du reste, étant la mère de l'invention, quelques baleiniers s'ouvrirent une nouvelle carrière sur les côtes de la Nouvelle-Zélande , et leurs efforts furent couronnés d'un très-grand succès. Nonobstant le caractère féroce qui avait été assigné aux na- turels, avec le temps quelques-uns de nos compatriotes se ha- sardèrent à descendre à terre avec beaucoup de précaution : ils trouvèrent les habitans sur leurs gardes, mais en même temps sans dispositions hostiles, à moins qu'ils n eussent été 88 PIECES JUSTIFICATIVES. provoques par des outrages. Quelque bornés qu'ils fussent dans le principe , ces rapports s'étendirent bientôt à une communica- tion active ctamicale; et presque tous les capitaines qui touchè- rent à ces côtes eurent lieu d'être satisfaits de l'accueil qu'ils reçurent. Quand quelqu'un de ces capitaines passait ensuite à Port-Jackson , le gouvernement de cette colonie s'empressait de recueillir toute sorte de renseignemens sur les Nouveaux- Zélandais. Ils déclarèrent d'une voix presque unanime, qu'en employant des moyens légitimes , on pourrait beaucoup obtenir de ces peuples : ils ajoutèrent qu'un chef revêtu d'un grand pouvoir et d'un crédit considérable résidait près de la baie des lies , qu'en tout temps il avait paru sensible aux avan- tages mutuels d'une liaison amicale , et qu'il possédait les qua- lités qui pouvaient y imiter. D'après le témoignage uniforme de tant de personnes respectables, on lui envoya à diverses reprises plusieurs espèces de bestiaux et toute sorte d'articles nécessaires à un peuple qui désire faire des pas vers la civili- sation. Ces rapports d'amitié duraient depuis long-temps lorsque le chef exprima le désir de rendre une visite avec ses cinq fils à son généreux patron. Un capitaine nommé Stewart s'empressa de le satisfaire à cet égard; et comme il n'allait pas directement à Port-Jackson, le chef fut débarqué à l'île Norfolk. Nous allons rapporter les détails de son arrivée et de son sé- jour à Port-Jackson , dans les propres termes de la Gazette de Sydney, journal officiel de cette colonie. « Tepahi ayant exprimé le désir de visiter Son Excellence, le capitaine Stewart l'a conduit avec ses cinq fils à l'île Norfolk, où ils ont reçu toute sorte d'attentions de la part du comman- dant et des habitans. Après y être restés quelque temps, ils ont été accueillis à bord du navire de S.M.leBuffa/o , pour être transportés à Port-Jackson. A leur arrivée, Tepahi a été pré- senté par le capitaine Houstin à Son Excellence et aux officiers du palais du gouvernement, où ce chef a, continué de demeurer durant son séjour dans la colonie. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 89 » Il paraît avoir environ cinquante ans; sa taille est de cinq pieds onze pouces et demi , et ses formes athlétiques. Sa figure a de l'expression et de la dignité, quoique bien défigurée par un tatouage complet. » Peu après son arrivée, plusieurs naturels s'assemblèrent dans le voisinage de Sydney, pour l'enterrement de Kerrewaï, dont la mort avait été occasionée par la blessure qu'une lance lui avait faite au genou, et qui s'était envenimée ; son corps avait été apporté ici la veille au soir dans une espèce de coffre en morceaux d'écorce. Les funérailles terminées, un simulacre de combat eut lieu : un naturel nommé Blcvvit fut placé à l'écart comme une victime offerte à la vengeance , pour recevoir le châtiment d'une blessure désespérée qu'il avait faite au jeune Baker. L'animosité de ses assaillant était extraordinaire; leur parti était de beaucoup le plus puissant , et pleins de confiance dans leur supériorité, ils se prévalurent à tous égards de leur nombre. La volée des lances était rarement de moins de six à la fois, et elles étaient dirigées avec une précision qui semblait devoir être suivie de quelque résultat funeste. Lorsqu'ils en tu- rent envoyé environ ceni soixante-djx , dix des plus vigoureux sauvages se placèrent si près du coupable qu'ils l'ein ironnèrent de tous côtés, et lui envoyèrent à la fois leurs armes de l'avani et de l'arrière. L'activité et la présence d'espril de L'accusé re- doublèrent avec le dangt r : il reçut cinq lances sur son faible bouclier, et réussit à parer les autres d'une manière presque miraculeuse. Un de ses amis , furieux de ce qui se passait , dé- cocha sa lance et en reçut dix en retour. Blewit renvoya vers ses assaillans une de leurs Lances , qui traversa le corps du vieux Whitaker. La mêlée devint alors générale , mais elle se ter- mina sans aucun autre accident. •> Tepahi, qui était présent avec plusieurs de ses fils, regar- dait avec mépris le combat de ces naturels; souvent il montrait beaucoup d'impatience de l'intervalle qu'ils mettaient entre leurs décharges, et par signes les invitait à se dépêcher ; il ne considérait Vhclomati que comme un accessoire inutile, puisque 90 PIÈCES JUSTIFICATIVES. la main suffisait pour détourner et changer la direction de tontes les lances du monde. Néanmoins il loua beaucoup le womcra ou bâton à jeter, car il convenait que, par suite de son élasticité, l'arme recevait un grand surcroît de vitesse. Il fut évidemment affligé de voir le corps du vieillard percé par la lance, et sans doute il eût tiré vengeance de cette action sur son auteur s'il n'en eût été empêché par les instances des spectateurs. Les naturels s'étaient formé des idées extravagantes sur le compte de cet étranger ; ils redoutaient de s'en approcher, et l'évitaient autant qu'il leur était possible; mais on ne saurait dire si ce sentiment tenait à une sorte de déférence pour le rang qu'ils lui supposaient, d'après les attentions qu'on lui té- moignait , ou bien s'il ne tenait qu'aux craintes superstitieuses excitées par son apparition , bien que la dernière conjecture soit la plus probable. Un de ses fils conversant familièrement avec un groupe considérable de naturels touchant l'usage de la lance, ceux-ci convenaient généralement de la justesse de ses remarques. Il les pria de lui en prêter une , qui lui fut aussitôt présentée ; mais dès qu'ils virent cette arme entre ses mains, ils s'enfuirent tous, hommes, femmes et enfans, et les protestations les plus amicales ne purent les déterminer à revenir avant que l'étranger eût quitté la lance. On ne peut supposer que les dispositions prononcées de Tepahi pour la civilisation , pussent trouver un spectacle agréable dans les manières d'une race dégradée qui depuis tant d'années avait dédaigné les bienfaits de cette civilisation. On ne peut pas non plus imaginer que l'implacable vengeance exercée sur un malheureux pour un crime que les coutumes de sa nation l'avaient conduit à commettre, pussent en aucune manière se concilier avec les sentimens de justice de ce chef. » Si l'on en croit les rapports des capitaines des baleiniers dans la mer du Sud , les abondantes provisions de patates , l'assis- tance pour se procurer l'eau et le bois, ainsi que l'accueil hos- pitalier et la protection qu'ils ont constamment reçus de la part de Tepahi , toutes les fois qu'ils ont mouillé dans la baie PIÈCES JUSTIFICATIVES. 91 des Iles , donnent lieu de croire que le résultat de sa visite sera d'assurer la continuation de ses bons procédés vis-à-vis des ba- leiniers de la mer du Sud, et de procurer de nouveaux avan- tages pour l'avenir. Le caractère de Tepahi fut ainsi décrit par un colon très- respectable qui l'avait souvent vu , et semble l'avoir observé avec beaucoup de discernement. « Tepahi, dit l'observateur, paraît être un homme d'un ju- gement supérieur; il aimait beaucoup à faire des questions, et examinait avec attention les diverses manufactures établies dans la colonie. Il admirait particulièrement l'art du eordier et du tisserand , et il exprimait le regret profond qu'il avait de ce que ces métiers ne fussent point connus dans son pays. Il faisait des observations très-fines et très-justes sur les lois et la police de la colonie, et paraissait désirer ardemment d'emmener avec lui quelques artisans qui pussent introduire chez son peuple les avantages de la civilisation. Avec une seule pomme de terre qu'on lui laissa , il y a quelques années, on dit qu'il a su remplir le pays de cette utile racine, dont il avait eu la sagesse d'apprécier toute la valeur. Il en inspectait personnel- lement la culture, en conservait pour semence, et recueillait des méthodes pour la planter en grand dans son district. Il est maintenant en état de fournir aux navires européens cet im- portant article de nourriture. » Le chef et ses enfans restèrent quelque temps ici. Lors de leur départ, afin de cultiver une connaissance dont le début semblait tant promettre , le gouverneur fit équiper convena- blement un navire colonial , pour les renvoyer chez eux d'une manière honorable, etlescomhla de présens. Cependant, du- rant la traversée le chef tomba malade, et un jeune homme de l'équipage reçut l'ordre de lui donner des soins. Tepahi fut si content de l'attention de ce jeune homme, qu'ilsupplia instam- ment le capitaine du navire de le laisser avec lui. Le capitaine ayant reçu du gouverneur l'ordre de se prêter à tous les désirs du chef , consentit volontiers à sa demande. Le jeune homme 92 PIECES JUSTIFICATIVES. lui-même se trouva bien disposé à accepter l'invitation du chef; par là, suivant toutes les apparences, devait s'établir une liaison qui promettait les plus importans résultats. Le jeune homme vécut constamment sous le toit de son bien- faiteur ; quand il connut la langue du pays , le chef lui donna sa fdle en mariage, et l'Anglais devint son agent et son inter- prète près tous les navires qui vinrent mouiller dans la baie. Tandis que tout marchait ainsi au gré du chef et du jeune homme, et suivant les intérêts des deux nations, il survint un de ces déplorables événemens qui font presque rougir un An- glais de trouver un compatriote dans le coupable. Afin de pouvoir rapporter plus exactement, et sans crainte d'aucune erreur, cette triste aventure , nous allons citer les pa- roles mêmes du journal de Calcutta , dans lequel elle se trouve racontée. (10 mai 1809.) « Nous allons rapporter en substance , dit l'écrivain , le triste récit qui va suivre , dont les acteurs sont : un Anglais nommé Bruce, une princesse de la Nouvelle-Zélande , fille de Tepahi, et un capitaine du nom de Dalrymple. » Georges Bruce , le fils de Jean Bruce, premier commis de M. Wood, distillateur à Limc-House , est né à Londres, en 1779, dans la paroisse de Ratcliffe-High-Way. En 1789, il embarqua à bord du vaisseau de la compagnie des Indes-Orien- tales , le Royal- Admirai 1 capitaine Bond , en qualité de mousse du maître d'équipage. Il partit de l'Angleterre pour la Nou- velle-Galles du Sud, et arriva en 1790 à Port-Jackson, où, du consentement du capitaine Bond, il quitta le vaisseau et resta en ce pays. » A Port-Jackson , Bruce entra dans le service de la marine coloniale; il fut employé pendant plusieurs années sous les licutenans Robins, Flinders et autres, à explorer les côtes, à reconnaître les ports, caps, rochers, etc. Pendant ce temps, Bruce eut plusieurs aventures qui n'entrent pas dans le plan de ce récit. Après avoir été ainsi employé plusieurs années sur les bàtimens d'exploration, il fut transféré sur le Ladf -Nelson, PIÈCES JUSTIFICATIVES. 93 capitaine Simmons, navire équipé tout exprès pour reconduire chez lui Tepahi, roi de la Nouvelle-Zélande, qui était venu faire une visite au gouvernement anglais à Port-Jackson. Le roi s'embarqua sur ce bâtiment, et le Lady-Nehon fit voile pour sa destination. Pendant la traversée , Tepahi tomba dan- gereusement malade, et Bruce fut désigné pour le soigner; il sut si bien s'en acquitter à la grande satisfaction du roi , que celui-ci l'honora de sa faveur spéciale. A leur arrivée, le roi demanda avec instance qu'on permît à Bruce de demeurer avec lui à la Nouvelle-Zélande; le capitaine Simmons y consentit, et Bruce fut reçu dans la famille de Tepahi. » Bruce employa les premiers mois de son séjour dans la Nouvelle-Zélande à explorer le pays, à apprendre la langue , et à prendre connaissance des mœurs et des coutumes du peu- ple. Il trouva le pays sain et agréable, plein de sites romanti- ques, agréablement entrecoupé de collines et de \ allées cou- vertes de bois. Les habitans étaient hospitaliers, francs et sin- cères ; quoique grossiers et ignorans , cependant ils n'adoraient ni images , ni idoles, ni quoi que ce soit fabriqué par la main de l'homme; ils ne reconnaissaient qu'un Etre suprême et tout- puissanl. » Comme le roi se proposait de placer le jeune Anglais à la tète de son armée, il était d'abord nécessaire qu'il fût tatoué; car, sans avoir subi cette opération, il ne pouvait être considéré comme guerrier. En conséquence Bruce se soumit avec courage à cette opération douloureuse, et sa figure offre aujourd'hui un véritable chef-d'œuvre de l'art du tatouage. » Cette formalité préliminaire une fois remplie , Bruce fut reconnu guerrier du premier rang, naturalise comme jNou- veau-Zélandais, reçu au sein de la famille royale et ho- noré de la main de la princesse Etoki , la plus jeune fille de Tepahi, âgée de quinze à seize ans. Sa beauté naturelle a sans doute été très-grande, mais l'art a tellement travaillé à l'augmenter encore, que tous les charmes de la nature, toute 94 PIECES JUSTIFICATIVES. la douceur de l'expression primitive, ont disparu sous les traits du tatouage. » Bruce devint ainsi le principal membre de la famille du roi, et fut investi du gouvernement de l'île. Six ou huit mois après son mariage les navires anglais, Vlnspector, le Ferre/, un baleinier de la mer du Sud et plusieurs autres, relâchèrent à la Nouvelle-Zélande pour se procurer des rafraîchissemens. Tous éprouvèrent l'influence heureuse d'avoir un compatriote et ami à la tète des affaires dans l'île. Ils furent libéralement pourvus en poisson, végétaux, etc. » Notre Anglais et sa femme jouissaient du bonheur domesti- que dans toute son étendue, d'une santé parfaite, d'une liberté illimitée, et vivaient dans l'abondance de tout ce qu'ils pouvaient désirer. En outre, Bruce se flattait de l'espoir d'introduire la civilisation parmi le peuple au milieu duquel une singulière destinée l'avait conduit pour passer le reste de ses jours. Tandis qu'il se livrait à ces espérances, le navire le Gêner al-JVelles- ley toucha, il y a douze à quatorze mois , sur un point de l'île où Bruce et sa femme se trouvaient alors par hasard. Ce lieu était à une certaine distance de la résidence du roi. Le capi- taine Dalrymplc s'adressa à Bruce pour l'aider à lui procurer une cargaison d'espars , et lui demanda des échantillons des principales productions de l'île; ce que Bruce fit avec plaisir. Le capitaine Dalrymple proposa ensuite à Bruce de l'accom- pagner au cap Nord éloigné de vingt-cinq à trente lieues de l'endroit où il était; on lui avait dit qu'il pourrait y trouver de la poudre d'or, et il sentait que Bruce pourrait lui être fort utile dans cette recherche. Ce ne fut qu'avec une extrême ré- pugnance, et après les instances les plus vives, que Bruce con- sentit à accompagner le capitaine Dalrymple; ce ne fut non plus que sous l'assurance solennelle que celui-ci le ramènerait et le débarquerait à bon port à la baie des Iles. Il s'embarqua donc avec sa femme sur le Genci al- IVelles lef, en représentant toutefois au capitaine Dalrymple les dangers qu'il courait en emmenant la fille du roi hors de l'île; mais ses craintes furent PIÈCES JUSTIFICATIVES. 95 calmées par les assurances réitérées que le capitaine Dalrymple lui donna de le ramener sans faute avec sa femme à la baie des Iles, où ils s'étaient embarqués. Dès qu'ils furent abord, le Wellesley fit voile pour le cap Nord où l'on arriva bientôt, et où l'on descendit à terre. Ayant trouvé qu'il avait été très- mal informé, relativement à la poudre d'or, le capitaine remit sous voiles pour retourner à la baie des Iles ; mais le vent étant devenu contraire , et étant resté tel durant quarante-huit heures, on tomba sous le vent de l'île. Le troisième jour, le vent devint plus favorable ; mais le capitaine Dalrymple n'essaya point de regagner la terre , et fit route pour l'Inde. Bruce lui fit alors de douces représentations, et lui rappela ses promesses; mais le capitaine Dalrymple répliqua : « Qu'il avait bien autre chose à » songer qu'à retenir inutilement le navire en le reconduisant » à l'île avec sa riche cargaison ; qu'en outre , il avait en vue » pour Bruce une autre île bien meilleure. » » En arrivant aux îles Fidji ou îles du Bois de Sandal, le capitaine Dalrvmple demanda à Bruce s'il voulait descendre à terre et rester sur ces îles. Celui-ci refusa , à cause du carac- tère féroce et sanguinaire des habitans. Le capitaine dit qu'il choisirait quelque autre endroit, et en même temps enleva à Bruce plusieurs petits présens que lui et ses officiers lui avaient faits à la Nouvelle-Zélande ; puis il les distribua aux natu- rels de Fidji qui entouraient le navire dans leurs pirogues. » En quittant ces îles, le IVellesley se dirigea vers Sooloo ; il visita deux ou trois îles dans le passage, mais les bornes de ce récit ne permettent point de détails sur les événemens qui y eurent lieu , bien qu'ils ne fussent pas dépourvus d'intérêt. Après avoir demeuré quatre ou cinq jours à Sooloo , ils firent route pour Malacca , où ils arrivèrent au mois de décembre dernier. A Malacca , le capitaine Dalrymple et Bruce descen- dirent à terre. Ce dernier s'empressa de se rendre chez le gou- verneur ou chez l'officier-commandant du lieu , pour lui porter ses plaintes; mais, comme il était déjà tard quand il descendit à terre, il ne put voir personne que le lendemain 96 PIECES JUSTIFICATIVES. matin. Pendant ce temps, le capitaine Dalrymple avait quitté la rade de Malacca , et fait route pour Penang, en laissant Bruce à terre et emmenant sa femme à bord du W ellesley . » Bruce instruisit l'officier-commandant à Malacca de sa po- sition , et lui témoigna le désir de rejoindre sa femme et de re- tourner avec elle à la Nouvelle-Zélande. Le commandant s'ef- força de le consoler; il lui conseilla d'attendre avec patience à Malacca, que quelque navire y relâcherait probablement sous peu de temps dans la traversée du Bengale à la Nouvelle- Galles méridionale , et qu'il pourrait s'y procurer un passage pour lui et sa femme; en attendant, il lui promit d'écrire à Penang pour demander que sa femme fût renvoyée près de son mari à Malacca. Au bout de trois ou quatre semaines , on reçut la nouvelle de l'arrivée du capitaine Dalrymple à Penang. Bruce, avec la permission de l'officier-commandant, quitta Malacca pour se rendre à Penang sur le brick-canonnière le Scourge, où à son arrivée il trouva que sa femme avait été vendue au capitaine Ross. Introduit chez le gouverneur de Pe- nang, celui-ci lui demanda quelle satisfaction il exigeait pour tous les mauvais traitemens qu'il avait subis. Bruce répondit que tout ce qu'il désirait était qu'on lui restituât sa femme , et qu'on lui procurât son retour à la Nouvelle-Zélande. Par l'en- tremise du gouverneur, sa femme lui fut rendue ; et il retourna avec elle à Malacca, dans l'espoir d'y trouver le passage qu'on lui avait promis pour la Nouvelle-Galles du Sud ; mais comme il n'y avait pas d'apparence de voir paraître aucun navire des- tiné pour cette contrée , on lui ©ffrit pour lui et sa femme un passage en Angleterre, sur des vaisseaux delà Compagnie qui revenaient de la Chine dans leur patrie. En se dirigeant sur l'An- gleterre , Bruce espérait y trouver facilement des occasions pour la Nouvelle-Galles du Sud ; mais les vaisseaux, dans leur retour de la Chine , ne jetant l'ancre dans la rade de Malacca que pour quelques heures, et cela durant la nuit, il ne put réussir à partir sur aucun des bâtimens de cette flotte. Il pria alors le commandant de Malacca de lui procurer un passage PIÈCES JUSTIFICATIVES. 97 sur le Sir Edouard Pellew pour Pcnang, où il espérait encore rejoindre les vaisseaux de la Compagnie. A son arrivée, il trouva effectivement la flotte de la Compagnie, mais ne pou- vant fournir la somme de quatre cents dollars qu'on lui de- manda, il fut obligé de renoncer à passer en Europe. N'ayant aucun moyen de se procurer cette somme , il est venu sur le Sir Edouard Pellew au Bengale. Ici, lui-même et sa femme, la compagne affectionnée de ses malheurs, ont été reçus de la manière la plus hospitalière; et par toutes sortes d'attentions on s'est efforcé de leur faire oubl, t toutes les peines et les souf- frances qu'ils ont endurées. Des occasions se présenteront pro- bablement d'ici à quelques mois, pour obtenir un passage à la Nouvelle-Galles du Sud, d'où ils se rendront sans aucune dif- ficulté à la Nouvelle-Zélande. » N'ayant voulu interrompre le cours de la narration précé- dente par aucun objet qui n'y eût pas un rapport immédiat, nous allons maintenant donner un aperçu des productions na- turelles de la Nouvelle-Zélande. Cet aperçu aura quelque prix, en ce qu'on le doit à un homme qui a long-temps résidé dans le pays, et qui a eu de nombreuses occasions de s'assurer des faits dont il parle. Bruce, notre autorité actuelle, rapporte que la Nouvelle- Zélande abonde en diverses espèces de bois de construction, parmi lesquelles se trouvent le pin et le sapin : les forets sont d'une grande étendue, et peuvent être regardées comme iné- puisables. Le chanvre et le lin, qui sont l'un et l'autre indigè- nes dans le pays, y croissentavec profusion. D'immenses plaines sont entièrement couvertes de ces plantes, dont quelques-unes sont cultivées, mais dont la plus grande partie sont abandon- nées à leur état naturel. L'arbre qui produit le benjoin se ren- contre aussi dans plusieurs parties de l'île . On sait qu'il existe dans l'intérieur des mines de différens mé- taux. On s'en est procuré des échantillons, mais par suite de l'ignorance complète des habitans dans la métallurgie et tous les arts des nations civilisées, ces mines sont restées sans être tome m. 7 98 PIECES JUSTIFICATIVES. exploitées. Le minerai de fer s'y trouve en grande abondance, et c'est lui qui fournit aux naturels la substance dont ils se pei- gnent et dont ils colorent leurs pirogues. Les choux, les pommes de terre, les patates douces , les ignames, les panais, les navets, les carottes, etc., croissent dans leurs jardins. Ils ont une plante qui ressemble à la fou- gère, qui porte une grosse racine farineuse. Une fois rôtie, c'est un aliment agréable et sain , qui remplace parfaitement le pain. Ils ont aussi des arbres à fruits, dont quelques-uns sont indigènes et les autres exotiques. L'oranger et le pêcher y ont été apportés du cap de Bonne-Espérance, et y réussissent à merveille. Le cochon et la chèvre ont été récemment apportés à la Nouvelle-Zélande , et ces deux races s'y sont propagées rapi- dement. Les côtes possèdent du poisson de plusieurs qualités, en abondance et dans toutes les saisons de l'année. En été elles sont visitées par des bancs entiers de maquereaux , et en hiver elles sont peuplées par d'immenses bandes de harengs. L'île est baignée par plusieurs belles rivières qui abondent en poisson , dont quelques espèces sont connues en Europe, tandis que d'autres semblent propres aux contrées de la mer du Sud. Les rivages des fleuves et des lacs sont fréquentés par des ca- nards et des oies sauvages ; mais il est à remarquer qu'ils n'ont aucune espèce de volatile à pieds palmés à l'état domestique. Le seul quadrupède terrestre est une espèce de renard, et leur seul reptile est un lézard paresseux et engourdi. Les débuts dont je viens de faire mention offraient, suivant toutes les apparences, tant d'espérances à la grande cause de la civilisation en général, que les sociétés des missions pour l'Afrique et l'Orient s'étaient déterminées, à la recommanda- tion du chapelain de la Nouvelle-Galles du Sud, à envoyer trois personnes à la Nouvelle-Zélande , pour s'y établir en qua- lité d'artisans. Mais l'aventure tragique que nous venons de rapporter produisit un tel effet sur les esprits des naturels, qu'avant que ces intentions bienveillantes pussent être mises à PIECES JUSTIFICATIVES. 99 exécution , ils commencèrent de leur côté à se livrer à une juste vengeance pour le traitement que Bruce et sa femme avaient éprouvé. C'est encore de la Gazette de Sydney que nous allons extraire les détails de ce fâcheux et déplorable événe- ment. « Le vendredi, 2 mars i8io, est arrivé le navire colonial King-George , capitaine Chace , chargé de peaux et d'huile , qui est resté dix-huit jours devant l'entrée de la baie des Iles. M. Chace a été détourné d'entrer dans cette baie parla nou- velle qu'il a reçue de l'Ann, capitaine Gwynn, qui naviguait de concert avec l'Albion , capitaine Skelton ; cette triste nouvelle avait rapport à la prise du Boyd par les Nouveaux-Zélandais sous les ordres de Tepahi, et au massacre de toutes les per- sonnes qui se trouvaient à bord, à l'exception d'un jeune garçon, de deux femmes et d'un enfant, événement qui a eu lieu dans l'endroit nommé Wangaroa , à vingt milles environ de la baie des Iles. L'Ann avait eu connaissance de cette mal- heureuse nouvelle par une lettre de M. Berry du City of Edinburgh , laissée à un chef de ses amis nommé Terangui *, qui l'a remise au capitaine Gwynn. » Par cette lettre on annonçait que le capitaine Thompson avait fait marché avec Tepahi pour une provision d'espars; l'exécution de ce marché avait été différée durant quelques jours sous des prétextes plausibles ; enfin le perfide chef, de concert avec son fils Maïtaï, avait déterminé le capitaine Thompson à envoyer deux de ses embarcations avec leurs équipages vers une partie éloignée de l'île , sous le prétexte d'aller chercher les espars. » Peu après le départ des canots, dans un desquels le capi- taine Thompson se trouvait lui-même , les passagers et les ma- rins qui restaient sur le navire furent attaqués. Après avoir as- sassiné ceux qui se trouvaient sur le pont, Tepahi, prenant un porte-voix, invita six marins qui s'étaient réfugiés dans le * On avait écrit incorrectement Tarrahee. 100 PIECES JUSTIFICATIVES. gréement à descendre, avec promesse de leur conserver la vie s'ils voulaient détacher les voiles des vergues. La terreur les porta à obéir ; mais ils furent sur-le-champ garrottés , envoyés à terre pour être égorgés et dévorés, destinée qu'ils eurent à subir après des souffrances prolongées. » Le City of Edinburgh fit voile pour Taïti, après avoir déli- vré de captivité les quatre personnes que l'on a mentionnées, mais sans avoir pu se procurer à la Nouvelle-Zélande les es- pars qu'on comptait y prendre , à cause de l'effervescence qui régnait encore parmi les naturels. DESTRUCTION DO NAVIRE LE BOYD. La copie suivante de l'intéressante lettre laissée à la Nou- velle-Zélande par le City of Edinburgh, et transmise par le capitaine Swan , par la voie de l'île Norfolk , contient le récit original de la catastrophe du Boyd. « Tous les maîtres des navires qui fréquentent la Nouvelle- Zélande sont prévenus de ne pas admettre à leur bord un grand nombre de naturels à la fois, car ils pourraient bien être surpris et enlevés en un instant. » Cette pièce a pour objet de certifier que, pendant notre sé- jour dans cette baie, nous avons fréquemment entendu parler d'un navire enlevé par les naturels dans un havre du voisinage nommé Wangaroa , et appris que l'équipage avait été tué et mangé. Afin de constater la vérité de ce rapport , et pour sauver le petit nombre de personnes qu'on disait avoir échappé au massacre général , M. Berry, accompagné de M. Russel et de Matengaro (l'un des principaux chefs de la baie des Iles, qui nous offrit ses services), se dirigea vers Wangaroa, avec trois canots armés, le dimanche 3i décembre 1809. A leur arrivée, ils trouvèrent les tristes restes du Boyd, capitaine John Thomp- son , que les naturels avaient brûlé jusqu'au ras de l'eau , après PIÈCES JUSTIFICATIVES. 101 en avoir emporté tout ce qui pouvait avoir quelque valeur. Par la belle conduite de Matengaro , nos compatriotes réussi- rent à sauver un garçon , une femme et deux enfans, les seuls qui eussent survécu à cette horrible catastrophe. Suivant les in- formations les plus satisfaisantes, le complot fut entièrement dirigé par ce vieux scélérat de Tepahi , qui avait reçu à Sydnev tant d'amitiés si peu méritées. Ce malheureux navire qui venait pour se charger d'espars, fut enlevé trois jours après son arrivée. Dès le second jour les naturels dirent au maître que le lende- main ils lui montreraient les espars. Le matin Tepahi arriva de Tepouna et monta à bord; il n'y resta que quelques mi- nutes, puis il descendit dans sa pirogue; mais il demeura le long du navire qui fut bientôt entouré d'un grand nombre de pirogues qui paraissaient s'y réunir pour commercer; peu à peu un grand nombre de naturels s'introduisirent à bord et s'as- sirent sur le pont. Après le déjeuner, le maître quitta le navire avec deux canots pour aller examiner les espars; alors Te- pahi, qui avait attendu le moment convenable, donna le signal du massacre. En un instant, les sauvages, qui semblaient pai- siblement étendus sur le pont , fondirent sur les gens de l'équi- page , désarmés et dispersés sur le navire , pour vaquer à Leurs divers travaux. La plus grande partie fut massacrée sur-le-champ, et plusieurs étaient à peine terrassés qu'ils furent coupés par morceaux, encore tout vivans. Cinq ou six matelots se réfugiè- rent dans le gréement. Tepahi, ayant pris possession du navire, les héla avec un porte-voix , et leur ordonna de déverguer les voiles, de couper les agrès, avec la promesse qu'on ne leur fe- rait point de mal; ils exécutèrent cet ordre, puis ils descen- dirent; alors Tepahi les amena à terre dans une pirogue et les tua sur-le-champ. Le maître était allé à terre sans armes, aussi fut-il bientôt dépêché. Les noms de ceux qui ont échappé à ce désastre sont madame Morlcv et son enfant, une autre femme, et Thomas Davis, jeune garçon. Les naturels du dis- trict des Espars, dans cette baie, se sont bien comportes, au-delà même de toute attente; ils semblent désolés de ce mal- 102 PIECES JUSTIFICATIVES. heureux événement. Redoutant la colère du roi Georges, ils ont demandé des certificats de leur bonne conduite , pour les exempter de sa vengeance. Mais, après cette affaire, personne ne doit se fier à un Nouveau-Zélandais. » Nous certifions en outre que nous avons donné à Terangui, porteur du présent, un petit canot à fond plat, en récompense de sa bonne conduite et pour l'assistance qu'il nous a donnée pour nous procurer une cargaison d'espars. • Donné à bord du navire le City Edinhurgh. » Capitaine Siméon Pattison. A la baie des Iles, le 6 janvier i8ro. » S. Pattison, maître , Alexandre Berry, subrecargue , J. Russe l , 2e maître. » Terangui s'est très-bien comporté, ainsi que toute sa tribu ; c'est pourquoi je lui ai donné plusieurs gallons d'huile. Je suis arrivé ici le 17 janvier, et reparti le 28 du même mois 1810. » W. Swain, du navire Cumberland. » Sydney Gazette , feb. 17, 1810. — Pour confirmer la triste nouvelle reçue par le capitaine Chace du Kîng-George, tou- chant l'enlèvement du Boyd à la baie des Iles , et les atrocités qui ont accompagné cet affreux événement, le capitaine Wil- kinson déclare qu'il a eu plusieurs fois la crainte d'être attaqué par les naturels de la baie Mercure. En conséquence il s'était dirigé vers la baie des Iles dans l'espoir d'y jouir de la protec- tion de Tepahi , mais la conduite de celui-ci lui fit connaître qu'il ne pouvait avoir que des intentions hostiles. Un détache- ment envoyé à l'eau fut un jour entièrement enveloppé par des naturels en armes, qui tentèrent de s'emparer des armes du ca- not; ils n'en furent empêchés que par les précautions qu'on avait eu soin de prendre. » PIÈCES JUSTIFICATIVES. 103 La pèche de la baleine et des phoques est une des princi- pales sources de fortune à Port- Jackson qui , par le fait , est l'entrepôt de cette partie du monde. Quand la dernière vint à languir dans les détroits de Bass, les spéculateurs tournèrent leurs regards vers l'île voisine de la Nouvelle-Zélande où l'on savait qu'abondaient les phoques. Il n'y eut pas de baie, de crique et de rivière, qui ne fût examinée par des pêcheurs déter- minés , et leurs efforts furent récompensés par une ample réus- site. Des liaisons constantes et amicales s'établirent entre eux et les naturels , et furent avantageuses aux uns et aux autres. C'est avec un grand regret, néanmoins, que nous décla- rons que plusieurs équipages de canots et des compagnies de pécheurs ont été dernièrement attaqués et massacrés par les na- turels qui dévoraient ensuite les corps de ceux qui avaient péri. Plusieurs Nouveaux-Zélandais, suivant l'exemple de leur chef Tepahi , se décidèrent à visiter Port-Jackson; quelques- uns même vinrent jusqu'en Angleterre pour voir notre métro- pole. En outre, leur vigoureuse constitution leur permettait d'être utiles à la manœuvre des vaisseaux dont les équipages avaient été très-affuiblis par la maladie, la désertion ou d'autres motifs. Un d'eux particulièrement, nommé Moïangui, amené par un médecin de Port-Jat kson , fut, à son arrivée à Lon- dres, présenté au comte Fitz-William. Ce seigneur le traita avec la plus grande bonté , et au moment de son départ lui fit donner tout ce qui pouvait lui être utile ou agréable à son re- tour dans sa patrie. Il serait à désirer que tous, les Nouveaux-Zélandais qui re- tournent ainsi parmi leurs compatriotes pussent rapporter a\ i ( eux des objets de leur goût, et c'est un acte de bienveillance publique de la part des gentlemen de l'Angleterre que de leur faire présent des articles qui peuvent inspirer à ces peuples une haute idée de notre supériorité nationale. C'est l'espoir d'amé- liorer leur situation qui les conduit à quitter leurs familles et leurs pénales. Les récits qu'ils font, les trésors qu'ils rap- 104 PIÈCES JUSTIFICATIVES. portent chez eux , tout à la fois produisent des imitateurs et font naître des dispositions amicales dans le cœur de leurs con- citoyens. Ces rapports d'amitié auraient l'avantage de faire con- naître en peu de temps les richesses cachées du pays , d'exciter chez les naturels un esprit d'activité et d'industrie , et les amè- neraient au point de déployer leurs talens de manière a pouvoir se procurer les objets qu'ils désirent avec tant d'ardeur. Entre autres exemples, le fait suivant peut être cité comme une preuve que les Nouveaux-Zélandais ne sont point un peu- ple barbare tel qu'on les a représentés, à moins qu'ils n'aient été provoqués par de mauvais traitemens. Quand le célèbre Palmer eut fini le temps de sa déportation , de concert avec quelques autres , il acheta une prise espagnole , et fit voile de Port-Jackson pourla rivière Tamise, à laNouvelle-Zélande, avec l'intention d'y prendre une cargaison de bois de construction. A son arrivée dans cette rivière , son navire se trouva en si mau- vais état qu'il fallut le tirer à terre pour lui faire subir une ré- paration complète avant de prendre sa cargaison. A cause du défaut d'ouvriers et de matériaux, il eût fallu l'abandonner en- tièrement sans l'assistance obligeante des naturels, et sans l'heu- reuse arrivée d'un vaisseau de neuf cents tonneaux qui venait pour le même objet. Le capitaine de ce dernier navire , avec une générosité qui lui fait beaucoup d'honneur, donna à M. Palmer et à tous ses compagnons , tous les secours qui dépendaient de lui sous le rapport des munitions, etc., et les insulaires, mus par le même sentiment de bienveillance, les mirent dans le cas de poursuivre leur voyage. L'autre navire resta encore plus de deux mois au mouillage , et il n'éprouva pas le moindre acte d'hostilité , excepté dans une seule circonstance où l'on pilla la tente de l'officier qui était chargé à terre de surveiller ceux qui travaillaient au bois. Mais il paraît aussi que trois ou quatre de nos compatriotes, convicts libérés de Botany-Bay, qui avaient déserté le navire , mais qui furent repris par la suite , lurent les complices et très-probablement les principaux insti- gateurs de ce mauvais coup. Un mousse du navire, qu'on laissa PIÈCES JUSTIFICATIVES. 105 à terre pour veiller aux pièces à eau , resta une semaine en- tière au milieu des insulaires sans être inquiété. C'est une forte preuve qu'ils sont capables de résister même à une forte tenta- tion pour le vol , puisque ces pièces étaient cerclées en fer. Du reste, en pareille occasion les chefs et les autres naturels comptent sur des présens pour les services qu'ils rendent. Les principaux chefs et ceux qui avaient des objets à ven- dre en recevaient toujours le prix convenable. Un petit mor- ceau de fer de six à huit pouces de long, aiguisé aux deux bouts, et fixé à une espèce de manche, de manière à leur servir de hache, procurait une quantité de poisson suffisante pour nourrir durant un jour l'équipage entier composé de cent hommes. Il y avait constamment des patates et des pommes de terre en abondance. Nous devons nous flatter encore de l'espoir que la bien- veillance soutenue de nos compatriotes rétablira l'amitié qui a été un instant détruite, et renouera les liens de cette communi- cation qui d'une part promettait la civilisation d'une si vaste contrée , et de l'autre ouvrait de nombreuses sources à l'indus- trie. Nous formons des vœux ardens pour qu'il en soit ainsi. C'est un pays fertile en ressources, et qui deviendrait d'un grand rapport s'il était cultivé convenablement, etc., etc. {A Voyage round the JVorld , etc. By John Turnbuil, i8i3 , pag. 491 et suif. ) 106 PIÈCES JUSTIFICATIVES. EXTRAITS DU MISSIONNARY REGISTER. Le Missionnary Régis ter est un ouvrage périodique qui paraît mensuellement en Angleterre, et dont l'objet est de faire connaître les opérations et les progrès des missionnaires anglais dans toutes les contrées du globe. Une grande partie de ces feuilles , comme on peut s'y attendre, est consacrée à des vœux et des prières pour la réussite des missions, à des recensemens sur le nombre des prosélytes , des souscripteurs et des mem- bres des diverses sociétés, etc. , surtout de la part des missionnaires eux-mêmes, à des rapports verbeux , chargés de citations des livres évangéliques et remplis de détails minutieux sur leurs travaux. Mais souvent on y trouve aussi des documens fort intéressans pour la géographie , sur des régions qui n'ont guère été vi- sitées jusqu'à ce jour que par ces pieux députés du christianisme. La Nouvelle-Zélande surtout est dans ce cas : les voyages de M. Marsden ont peut-être jeté plus de jour sur l'étal moral et politique, et principa- PIECES JUSTIFICATIVES. 107 lement sur l'intérieur de ce pays, que toutes les rela- tions précédentes. Il est impossible de ne pas prendre le plus vif intérêt au récit naïf et véridique des pénibles excursions de ce courageux ecclésiastique au travers de peuplades aussi redoutables. C'est pourquoi nous n'avons pas hésité à donner en entier la traduction de ces voyages. Nous y avons ajouté tous les passages du Missionnary Registe)- qui nous ont paru offrir un rapport même indirect avec les mœurs ou l'histoire du pays. Lettre de M. Marsden au secrétaire de la Société des Missionnaires de l'Eglise. Parramatta , New -South- Wales , août 16, i8i3. Mon cher Monsieur, Je suis heureux de vous annoncer que j'ai dernièrement reçu des nouvelles de Doua-Tara, et qu'il se porte bien. Tous les navires qui ont touché chez lui depuis son retour, ont été en sûreté , et ont été approvisionnés de tout ce que le pays peut leur fournir. Deux jeunes gens , fils de deux chefs, sont arrivés de la Nou- velle-Zélande par le dernier navire. J'attends sous quelques jours l'un d'eux qui doit demeurer chez moi durant quelque temps. La voie semble s'ouvrir par degrés pour une mission dans la Nouvelle-Zélande. Les naturels s'occupent de leurs cultures; ils ont maintenant beaucoup de maïs, de cochons , de patates et autres végétaux. Le blé que j'envoyai il y a quelques mois pousse très-bien. Doua-Tara connaît parfaitement la culture du maïs et du froment. Le pain sera d'une merveilleuse res- 108 PIÈCES JUSTIFICATIVES» source pour ces pauvres insulaires, et contribuera à empèchei leurs guerres civiles. Déjà j'aurais tenté d'y établir la mission , sans la malheureuse affaire du Boyd ; mais j'ai eu peur qu'il n'arrivât aux mission- naires quelque accident dont j'eusse été blâmé. J'ai l'intention d'enseigner aux deux chefs qui sont mainte- nant chez moi les travaux de l'agriculture , et de leur apprendre à faire des haches et des bêches..... S'ils peuvent acquérir un jour ces utiles connaissances , la Nouvelle-Zélande deviendra un grand pays. Je désirerais que la Société pût m'envoyer pour les naturels un certain nombre de haches , houes, bêches, scies, couteaux communs , hameçons , aiguilles , aussitôt qu'il lui sera possible ; en outre, quelques pots de fer et d'étain et un moulin à bras pour moudre leur blé. Ces objets seront d'une valeur infinie pour eux , et produiront le meilleur effet. Ils donneront un fort cochon pour une petite bêche, et un sac de patates pour un petit morceau de fer qu'ils puissent fixer au bout d'un man- che pour leur servir de hache. Je pense que le lin naturel de la Nouvelle-Zélande serait un bon article de commerce. On pourrait s'en procurer en quel- que quantité que ce soit, etc. (Missionnary Régis ter , nov. i8i4, pog- 463.) PIÈCES JUSTIFICATIVES EN FAVEUR DES NOtJVEAUX-ZELANDAIS . Lettre officielle du Révérend Samuel Marsden à S. E. le gouverneur Macquaric , sur la conduite criminelle de plu- sieurs maîtres de navire vis-à-vis les Nouveaux-Zélandais . ier novembre 181 3. Excellence , La violence infâme et les cruautés exercées sur les naturels de la Nouvelle-Zélande, les fraudes et les rapines commises PIECES JUSTIFICATIVES. 109 sur leurs petites propriétés par les maîtres et les équipages des différens navires qui touchent sur ces îles pour se ravitailler, ont été , long-temps avant que Votre Excellence fût appelée à l'honneur de commander cette partie des domaines de S. M., soumises à l'examen du pouvoir exécutif de cette colonie pour les réprimer. Non-seulement les sentimens de la simple huma- nité et de l'équité publique envers ces peuples si maltraités, exigent qu'on adopte des mesures pour prévenir autant qu'il sera possible la récidive des actes d'oppression , de rapine et de meurtre, dont ils ont eu de temps en temps à souffrir de la part de nos gens, à la honte éternelle de notre nom et de notre na- tion : en outre, la vie et les propriétés des sujets de S. M., qui seraient exposés aux dangers les plus imminens de la part des naturels offensés et exaspérés , quand ces navires se trouve- raient forcés de toucher sur ces îles, soit pour prendre des vi- vres, soit pour tout autre objet, réclament toute l'attention de Votre Excellence. Les naturels de la Nouvelle-Zélande n'ont pas d'autre moyen de se faire justice , que la loi des repré- sailles; de même que toutes les nations non civilisées, ils auront recours à cette loi toutes les fois qu'ils se sentiront outragés ou opprimés. Le sort funeste du Boyd et du Parramatta, des ca- pitaines et équipages de ces navires, et de plusieurs équipages de canots appartenant à divers bâtimens, fut occasioné par les cruautés gratuites des Européens. Il est rare qu'on ait, en cette colonie, le moyen de punir les coupables. Les navires qui visitent la Nouvelle-Zélande , après avoir complété leur car- gaison , s'en retournent le plus souvent en Europe ou en Amé- rique , sans toucher à Port-Jackson. C'est pourquoi ceux qui ont maltraité les naturels de ces îles ont été ou détruits ou mas- sacrés au moment même par leurs ennemis furieux , ou bien ont pu s'échapper avec impunité. Il y a quelques mois, j'ai été instruit que M. Lasco Jones, maître du King- George, s'était comporté avec beaucoup d'in- justice et de cruauté envers un des Nouveaux-Zélandais em- barqués sur son bord , avant de le débarquer à la baie des Iles. 110 PIECES JUSTIFICATIVES. Comme M. Lasco Jones vient d'arriver en ce port , je sollicite humblement Votre Excellence de faire examiner la conduite de M. Jones, avant son départ de Sydney, et de me permettre de produire contre lui les témoignages nécessaires pour com- pléter les renseignemcns qui m'ont été communiqués. Je suis parfaitement persuadé que Votre Excellence désire protéger l'innocent et punir le coupable ; que les naturels de la Nouvelle-Zélande vous trouveront toujours prêt à leur prêter toute votre assistance et à protéger, autant que possible, leurs personnes contre l'insulte et la violence, et leurs petites pro- priétés contre la rapine et le pillage. Bien que ces peuples ne posséder! pas grand'chose , ce peu cependant constitue tout leur avoir. Les Européens n'ont point le droit de débarquer sur leur île pour détruire leurs plantations de patates et autres végétaux, les dépouiller de leurs vêtemens , les maltraiter, et , les massacrer quand ils osent résister à une oppression si ini- que. Outre l'accusation que je veux former contre M. Lasco Jones , je désirerais présenter deux ou trois témoins dignes de confiance, qui ont séjourné à la Nouvelle-Zélande, et sont instruits de la position des naturels , afin qu'ils déclarent , pour éclairer Votre Excellence , ce qu'ils savent du traitement que les Nouveaux-Zélandais ont reçu des maîtres et des marins des navires. Quand ces renseignemens et ces dépositions au- ront été soumis à l'examen de Votre Excellence , elle jugera quelles espèces de défenses pourront être imposées aux maîtres des navires destinés pour la Nouvelle-Zélande , et quelles ins- tructions leur pourront être données. Si les naturels de la Nouvelle-Zélande étaient traités avec justice et humanité par les Européens, si leurs personnes et leurs propriétés étaient protégées contre la fraude et la violence , je suis persuadé que toute espèce d'hostilités et de meurtres ces- serait de leur part , et il s'ensuivrait bientôt des rapports d'amitié entre eux et la colonie, qui seraient très-profitables à cette dernière. C'est une race d'hommes noble et capable de toute espèce d'amélioration morale. Ils apprendraient bientôt PIÈCES JUSTIFICATIVES. 111 nos arts et acquerraient le goût de l'industrie. J'en suis com- plètement convaincu par la connaissance que j'ai acquise de leur caractère et de leurs qualités. (Missionnary Register , nov. i8i4> pog- 465.) Comme on a beaucoup cherché à décréditer les Nou- veaux-Zélandais à l'occasion du massacre qu'ils ont fait des équipages du Boy d et du Parramatla, nous allons insérer les deux dépositions suivantes pour qu'on puisse appré- cier exactement les faits. DEUX DÉPOSITIONS TOUCHANT LE MASSACRE CONSOMME PAR LES NOUVEAUX- ZELANDAIS SUR LES ÉQUIPAGES DU BOYD ET DU PARRAMATTA. Palais-do- Justice , Parramatta, vendredi, i novembre i8i3. Déposition de John Bcsent , relative à la perte du Boyd. Après avoir prêté serment, dépose qu'il est arrivé sur le King-Gcorgc (navire appartenant à Port-Jackson) à la baie des Iles, en mars 1812; le maître ayant maltraité quelques- uns des Nouveaux-Zélandais , le déposant craignit que le navire ne fût enlevé et l'équipage massacré : alors, jugeant qu'il se- rait plus sûr pour lui d'aller à terre et de vivre avec les natu- rels, il quitta le navire, et demeura un an sur l'île. Durant son séjour parmi les naturels, il reçut les détails suivans sur la perte du Boyd , par la bouche d'un des fils des chefs, qui par- lait très-bien l'anglais , ayant fait deux voyages à bord duStar, capitaine Wilkinson. Quand le Star appareilla de Port-Jackson pour l'Angleterre, le capitaine Wilkinson obtint du capitaine Thompson, maître du Boyd, qu'il prendrait le chef et son compagnon à bord du Boyd, avec la promesse de les débar- quer à la Nouvelle-Zélande , où il allait chercher des espars. 112 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Le chef raconta au témoin que le capitaine Wilkinson, avant son départ pour l'Angleterre, lui avait payé sa part pour l'huile et les peaux provenant de la pèche du Star, que de cet argent il avait acheté des habillemens, etc., et qu'il avait reçu des présens de plusieurs personnes de Port-Jackson et un mousquet du capitaine Wilkinson. Il raconta au témoin que le capitaine Thompson l'avait lié sur le gréement, l'avait fait fouetter, et lui avait retenu tous ses effets. Quand le Boyd fut arrivé à la Nouvelle-Zélande , le jeune chef fut fouetté dans la haie et renvoyé aussitôt à terre. Les naturels s'étaient procuré une portion considérable de la charge d'espars avant que le chef eût reçu ce traitement, et le déposant vit ces espars, tandis qu'il était à la Nouvelle-Zélande , avec les débris du Boyd. Lorsque le capitaine Thompson eut fouetté le chef et enlevé ses effets, les naturels ne voulurent plus l'aider à se pro- curer les espars, ni aller près du bord. Le capitaine Thomp- son débarqua alors avec l'équipage du navire pour prendre les espars, ne laissant à bord que deux hommes, outre les passa- gers. Au moment où il débarquait, Tepouhi, chef principal de Wangaroa , s'avança vers le capitaine Thompson , lui repro- cha d'avoir fouetté son fils, et lui dit qu'il allait le tuer. Aus- sitôt il l'assomma d'un coup de hache , et le reste de l'équipage ne tarda pas à être massacré. Il apprit en outre au déposant que Tepahi , alors chef de la baie des Iles, et son peuple, n'avaient pris aucune part à la destruction du Boyd. Palais-de- Justice , Parramatta, 10 novembre i8i3. Déposition de John Besent , relative à la perte du schooner Parramatta. Après avoir prêté serment, dépose que, pendant son séjour à la Nouvelle-Zélande , il a reçu les renseignemens suivans tou- chant la perte du schooner Parramatta. PIEGES JUSTIFICATIVES. 113 Leschooner Parramatta, ayant quitté Port-Jackson, relâcha à la baie des Iles pour besoin urgent de vivres et d'eau. Les naturels lui fournirent du porc , du poisson et des patates au- tant que le navire put en prendre. Aussitôt que le schooner eut reçu ces rafraîchissemens, les naturels en demandèrent le paiement. L'équipage du schooner jeta les naturels par-dessus le bord, fit feu dessus et leva aussitôt l'ancre. Le témoin vit trois des naturels qui avaient été blessés avec du petit plomb par les gens du schooner Parramatta. Un coup de vent furieux étant subitement survenu, jeta le bâtiment à la côte entre le cap Brett et le district de Tara, où le témoin en vit encore les dé- bris en mars dernier. Après le naufrage du nav ire , les naturels massacrèrent l'équipage pour se venger de sa trahison et des coups de fusil qu'ils en avaient reçus. (Missionnary Register, hoc i8i3, pag. 4^7-) En l'année 1814, M. Marsden acheta le brick Active pour le compte de la Société; et le 14 mars de la même année, MM. Kendall et Hall s'embarquèrent à bord de ce navire , pour se rendre à Hobart-Town , et de là à la Nou- velle-Zélande , afin de tout préparer pour l'établissement de la mission. Ces deux missionnaires étaient particuliè- rement recommandés à Doua-Tara , chef de la baie des lies, et parfaitement disposé à adopter les mœurs et les arts des Européens. C'est là qu'on parle aussi pour la pre- mière fois de Touai qu'on dépeint comme un beau jeune homme de dix-sept ans, qui accompagna dans ce voyage M. Kendall, avec lequel il avait vécu quelque temps, et à qui il s'était sincèrement attaché. Les instructions suivantes furent données par M. Mars- den à M. Dillon , maître de l'Active , qui était déjà allé à la baie des Iles et connaissait les naturels de la Nouvelle- Zélande. Son eqpipage était composé de doux Taïtiens, tome m. ^ 114 PIÈCES JUSTIFICATIVES. un Owhyhien , un Nouveau-Zélandais , un Européen né à la Nouvelle- Hollande, un Américain, un Suédois, un Norwégien , un Prussien , un Anglais et un Irlandais. INSTRUCTION PODB LE CAPITAINE D1LLON. Sydney, 9 mars 1814. Monsieur, Vous vous rendrez en toute hâte à la rivière Derwent avec le brick Active, et livrerez les provisions embarquées sur ce navire à la personne autorisée pour les recevoir. Après avoir débarqué votre cargaison, vous vous rendrez, dans le plus court délai possible, à la baie des Iles, sur la côte de la Nou- velle-Zélande. A votre arrivée vous établirez des relations ami- cales, particulièrement avec Doua-Tara, Tara, Kowiti, Koro- Koro , et tout autre chef qui pourra contribuer au succès du voyage. Son principal objet est de former des rapports d'amitié avec les naturels de la Nouvelle-Zélande. Vous ferez tout votre possible pour prévenir toute espèce de querelle entre les naturels et les gens de votre équipage. Si Doua-Tara ou tout autre chef désire venir à Port-Jackson , vous le recevrez à bord quand vous serez au moment de partir. S'ils désirent envoyer quelques-uns de leurs enfans pour être instruits ici, ou bien un ou deux jeunes gens, vous pourrez les amener. Je désire que les naturels soient traités avec la plus grande douceur durant votre séjour, et qu'on emploie tous les moyens que la prudence pourra suggérer pour gagner leur confiance. Vous leur an- noncerez que mon intention est de leur faire une visite quand le navire retournera chez eux , et que je désire qu'un chef se rende à Port-Jackson , afin que je puisse prendre avec lui des mesures dans leur intérêt à tous. A l'égard des objets que vous pourrez rapporter sur le na- PIECES JUSTIFICATIVES. llo vire , cela doit dépendre des circonstances. Je désirerais que vous apportassiez autant de chanvre que vous pourrez, et telle quantité d'espars et de bois de construction que vous et M. Hall le jugerez convenable ; du porc , si Ton peut s'en pro- curer, et du poisson salé ; de la résine ou toute autre sorte de productions du pays. Je désire que vous chargiez de patates. Il sera mieux de les laisser dans les corbeilles où les naturels les apportent , car je pense que c'est le meilleur moyen de les con- server. Le dimanche, je désire que M. Kendall lise les prières de l'église à bord, quand le temps le permettra. Et quand vous serez arrivé à la Nouvelle-Zélande, je désire que ce jour soit rigoureusement observé , qu'on n'achète ni ne vende rien du- rant ce jour, mais que tous les marins se tiennent propres et ne travaillent point. MM. Hall et Kendall feront tous leurs efforts pour vous aider à trouver une cargaison pour le navire , afin de dimi- nuer les dépenses, et j'espère que vous aurez pour eux toute sorte d'égards, et rendrez leur situation aussi douce que possi- ble. Si MM. Kendall et Hall désirent rester quelques jours en- core après que le navire sera prêt , vous aurez la complaisance de vous y prêter, afin qu'ils puissent prendre toutes leurs me- sures pour l'établissement futur, et recueillir tous les docu- mens nécessaires pour servir de guides à la société des mission- naires de l'église. Samuel Marsden. P. S. Je désire que vous ne souffriez aucune espèce de com- merce particulier avec les naturels , ni que les naturels soient introduits à bord du navire par qui que ce soit, sans votre autorisation spéciale. Pour prévenir autant que possible toute sorte de querelle, vous ne permettrez pas qu'aucune femme du pays monte à bord , eu égard à l'objet particulier du voyage. ( Missionnary Register , fcvr. 1 8 1 5 , [>ag. 1 02 . ) 8* 116 PIECES JUSTIFICATIVES. VOYAGE DE MM. KENDALL ET HALL A LA NOUVELLE-ZELANDE. (Extrait du Journal de M. Kendall.) Lundi 23 mai i8i4- — L'Active appareilla de la rivière Derwent pour la baie des Iles. Après un heureux passage, nous mîmes à l'ancre près Tepouna le vendredi 10 juin. Doua- Tara se trouvait à sa campagne; mais, apprenant qu'un navire était dans la baie, il vint à Tepouna, et nous rendit visite. Nous lui remîmes une lettre de M. Marsden qui lui causa la plus vive satisfaction , et il fut enchanté de l'arrivée des armes qu'on lui avait promises. M. Hall et moi l'accompagnâmes à son principal pâ (ou ville) appelé Rangui-Hou. Il consistait en plusieurs cabanes d'environ cinq pieds de haut , sept de large et huit à dix de long. Nous fûmes aussitôt entourés de plusieurs naturels, hommes, femmes et enfans , qui se comportèrent à notre égard de la ma- nière la plus amicale; et leur amitié augmenta de plus en plus par les visites que nous leur renouvelâmes. Les tohunga- rakau (ouvriers du bois ou charp entier ■*) eurent de grands égards pour M. Hall. Les enfans qui avaient d'abord peur de m'approcher, aussitôt que j'eus gagné leur confiance, accou- raient après moi pour me toucher la main. Dans les magasins de Doua-Tara furent déposés le rhum , le thé, le sucre, la farine , le fromage et deux caisses de vête- mens européens. Un de ces endroits n'avait point de serrure, et bien que l'habitation de Doua-Tara en fût distante de seize milles , tous ces objets restèrent parfaitement intacts. Dans plusieurs petits enclos entourés de palissades à Rangui- Hou et autres lieux, nous découvrîmes plusieurs cochons qui paissaient. Cet animal est très-abondant ici. Une hache ou un bon morceau de fer suffira pour acheter un et quelquefois deux cochons d'une belle taille. Le sol est très-bon près Tepouna, nonobstant la nature montueuse du pays. Les terres cultivées PIECES JUSTIFICATIVES. 117 produisent des patates, des choux, des navets, des carottes , des oignons, etc. Les parties qui ne sont pas cultivées sont gé- néralement couvertes de fougères i3 juin i8i4« — Nous fîmes une promenade avec Doua- Tara pour visiter sa campagne. En passant près d'un pà ap- pelé Tepouke , quelques-uns des habitans nous touchèrent amicalement les mains, et nous invitèrent à manger avec eux. Après avoir causé quelque temps, nous continuâmes notre route au travers de marais et de coteaux très-élevés. Aux envi- rons nous ne remarquâmes aucun bois de quelque grandeur. Les sommets des coteaux étaient généralement fertiles. Quan- tité de bonne eau se trouve en tous lieux. Enfin nous arri- vâmes à la métairie de Doua-Tara. Dans un enclos il avait semé du froment qui s'élevait déjà à cinq ou six pouces au- dessus de la terre. Ses gens étaient fort occupés à défricher d'autres terres , pour planter des patates et semer deux bois- seaux de froment que nous lui avions remis au nom de M. Marsden. Doua-Tara est chef de quatre districts; son territoire est étendu. Il a quatre cenls guerriers sous ses ordres; un de ses amis, nommé Waï, en a deux cents; son oncle Kangaroa trois cents, et sou oncle Shongui six cents. Shongui est un guerrier, mais de dispositions très-douces, et n'a que très-peu de chose du sauvage. Il commande à dix-sept tribus ; son intel- ligence est remarquable, et il désire vivement s'instruire dans les arts des Européens. Il nous a montré un mousquet qu'il a lui-même garni et monté; et ce travail lui fait d'autant plus d'honneur qu'il n'a eu personne pour le guider. Il possède plu- sieurs de ces armes. Les naturels se procurent ces armes meur- trières, ainsi que le plomb et la poudre, par les navires qui touchent sur leurs côtes. i 5 juin 1814. — Le brick James-Haye entra dans la baie — Nous fûmes bientôt visités par le vieux chef Tara suivi de sa femme et d'un serviteur. Je lui remis une lettre de M. Mars- den. Tara pria le capitaine de conduire le navire à Korora- 118 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Reka, sa résidence, sur l'autre côté de la baie des Iles, environ à dix milles de distance de Tepouna , ce qui fut fait. Le navire fut bientôt entouré d'une foule de pirogues; j'accompagnai Tara et sa société au rivage. En retour du bon accueil qu'ils avaient reçu à bord , on me fit présent de cinq corbeilles de pa- tates. Ici nous reçûmes l'accueil amical que nous avions déjà éprouvé ailleurs. Nous observâmes les naturels occupés à leurs travaux journaliers. Un jour Tara et environ quarante natu- rels (hommes et femmes) travaillaient avec zèle à préparer un coin de terre afin de planter des patates pour l'année suivante. Les uns remuaient la terre , d'autres enlevaient les racines et les broussailles qu'ils ramassaient en tas, et d'autres les rédui- saient en cendres. Tara semble avoir environ soixante- dix ans. Il commande aux habitans de dix-sept endroits. 17 juin. — Wetoï, qui porte aussi le nom de Pomare, m'in- vita à aller à son pà. Ayant accepté son invitation, il me pro- posa de visiter le lieu où l'on pourrait se procurer du bois de construction pour le navire, si je voulais l'accompagner. Nous partîmes dans l'après-midi , avec sa pirogue manœuvrée par ses gens. Le jour était très-beau. Après avoir pagayé plu- sieurs milles, comme il commençait à se faire très-tard, tout le monde descendit au rivage. Nous fîmes un bon feu , et je dormis à côté de Wetoï, n'ayant pour lit que de la fougère sèche et son kahou ou manteau, et que la voûte des cieux pour abri. La nuit fut tranquille et l'atmosphère très-pure, les étoiles brillaient d'un éclat particulier : c'était un vrai moment pour la contemplation , la prière et les louanges ! Je mentionne ce fait avec un grand plaisir parce que les na- turels de la Nouvelle-Zélande ont élé représentés comme une race très-dangereuse, dans laquelle on ne peut placer aucune confiance. S'ils avaient eu cependant la m oindre en vie de me faire du mal, je n'avais aucun moyen de défense. J'avais deux fusils de chasse, mais ils n'étaient pas charges. Wetoï le savait bien, car il les avait plusieurs fois déchargés , si bien que ces armes ne pouvaient servir qu'à augmenter la tentation de ces hom- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 110 mes; et, si quelque chose peut l'exciter, certainement ce sont des mousquets Le matin , de bonne heure , nous marchâmes au bois. Shou- raki et les hommes qu'il avait avec lui s'étaient empressés d'a- mener deux beaux espars au bord de l'eau. Cette opération fut pénible, parce que ces arbres croissent à deux ou trois cents verges de la rivière : mais ces hommes vigoureux eurent bien- tôt tracé un sentier pour les traîner. Vers dix heures et demie du soir nous eûmes terminé notre excursion. Le bois était éloi- gné de quatorze milles ou davantage de l'Active. On y trouve- rait des cargaisons d'excellent pin. Une pièce que les naturels avaient coupée avait près de quatre-vingt-dix pieds de long. Dimanche 19 juin. — Dans la soirée nous visitâmes le Ka- pingui, place appartenant à Wetoï. Les naturels montrèrent des intentions amicales Dimanche S juillet. — De très-bonne heure, quelques na- turels apportèrent au navire plusieurs espars qu'ils s'étaient procurés la semaine précédente , et proposèrent de nous les vendre Durant tout ce temps , Doua-Tara et ses amis avaient été ac- tivement occupés à couper du koradi (le lin dans son état na- turel) de l'autre côté de la baie. Ils en apportèrent plusieurs charges de pirogues vers un point de la baie, près duquel se trouvait un bon mouillage pour le navire. 5 juillet 1814. — J'assistai aux funérailles de Tautorou ; c'é- tait un naturel qui était mort le 3. Le cadavre fut proprement enveloppé dans les habillcmens qu'il avait portés avant sa mort. Les pieds, au lieu d'être étendus, comme c'est l'habitude en Angleterre, furent rapprochés du corps, de manière qu'on ne pouvait les distinguer. J'entendis les lamentations amères des femmes et le chant funéraire ou l'hymne des hommes. Je fus té- moin d'un simulacre de combat qui faisait partie de celte céré- monie , et par manière de clôture , la compagnie qui se compo- sait de deux ou trois cents personnes se régala de patates douces. Les femmes, qui étaient au nombre desix, se tailladèrent la figure, 120 PIECES JUSTIFICATIVES. la poitrine et les épaules avec des coquilles aiguisées, jusqu'à ce qu'elles fussent inondées de sang-. 11 juillet. — J'allai à la demeure de Tara pour prendre congé de mes amis. J'invitai Tara, Shouraki , Wetoï et Kaï- Tara à m'aecompagner à Port-Jackson ; mais ils refusèrent tous d'y aller. 12 juillet, — Tara, Toupe , Wetoï et Shouraki, voyant l'Active prêt à partir, vinrent nous dire adieu. Ils déjeunèrent avec nous dans la chambre , et furent présens à la prière du matin que je fis avec M. Hall De Korora-Reka, l'Active fut conduit à une rivière près de Tepouna sur la baie des lies. Dinftinchc ij juillet. — Je lus les prières de l'Eglise aux- quelles assistèrent Doua-Tara , Shongui et quelques autres na- turels. La femme de Shongui, cinq enfans et quelques amis vinrent à bord visiter ce chef qui n'en avait pas bougé depuis qu'il s'y était présenté. Quelque temps auparavant j'avais dit à Shongui que je désirais voir Dipiro et Douinga , ses deux petits garçons; en conséquence, on leur permit de rester sur le na- vire avec leur père. Sa femme et le reste de la famille s'assirent sur le rivage , à peu de distance du bâtiment. 22 juillet. — Le capitaine annonça qu'il allait quitter la baie. Plusieurs naturels vinrent à bord pour prendre congé de Shongui, Doua-Tara, Tinana et Ponahou , qui s'étaient em- barqués pour la Nouvelle-Galles du Sud. La femme de Shon- gui et Dehou , femme de Doua-Tara , pleuraient amèrement. Le soir, deux frères de Touai, qui venaient d'arriver à la baie des lies d'une partie éloignée de la Nouvelle-Zélande, où ils se trouvaient depuis quelques mois pour affaire de com- merce, vinrent à bord tout juste pour voir leur parent avant son départ. Leur entrevue fut très-touchante. Ils s'embrassè- rent mutuellement et pleurèrent ensemble pendant long- temps. 23 juillet. — Les vents contraires nous forcèrent à retourner à Tepouna dont nous avions fait voile la veille. M. Hall lut PIÈGES JUSTIFICATIVES. 121 les prières de l'Eglise, le dimanche 24, en présence de Shon- gui , Doua-Tara , Rakou et quelques autres naturels, qui se comportèrent tous parfaitement bien durant le service. 25 juillet. — L'Active mit à la voile pour Port- Jackson. Shongui consentit enfin à ce que Dipiro, son fils aîné, âgé de huit ans environ , embarquât avec nous. Koro-Koro , frère de Touai, fut reçu à bord : c'est un chef, et sa résidence est à Paroa, sur la partie sud de la baie des Iles. Vers une heure après midi , le navire étant sous voile , je fus jeté à la mer par la bôme ; je n'avais jamais essayé de nager, et je ne sais ce qui serait arrivé, si les naturels d'une pirogue qui m'avaient vu tomber ne fussent accourus à mon secours, et ne m'eussent sauvé de ce danger. 26 juillet. — Shongui, Koro-Koro, Dipiro el Ponahou ont essayé, ens'amusant, d'apprendre l'alphabet. Shongui y a pris tant de plaisir qu'il a assuré qu'il étudierait tous les jours. J'a- \ais avec moi quelques cartes de lettres et de monosyllabes, comme celles qu'on emploie dans les basses classes des écoles du docteur Bell. Je promis à chacun des naturels un hameçon pour chaque page qu'il pourrait lire correctement à mon arri- vée dans la Nouvelle-Galles du Sud. Ils en furent très-satisfaits, et mon petit pupille , Dipiro , sembla transporté de joie à l'idée de posséder quelques richesses qu'il pourrait montrer à sa mère et à son oncle Kangaroa , à son retour dans sa patrie. Lundi 11 août. — U^iétive jeta l'ancre à Port-Jackson. (Missionnary Remisier, mars i8i5, pog. 1 55.) REMARQUES FAITES PAR M. K. END ALT- SUR LES UABITANS DE CES ILES, LEURS COUTUMES ET LEURS MOEURS. On a dit que peu de navires ont quitté les côtes de la Nou- \elle-Zélande sans y avoir perdu une partie de leur équipage. C'est une grave accusation sans doute, mais à l'exactitude de la- quelle je ne puis croire. Quand les Nouveaux-Zélandais seront provoqués par des outrages ou de mauvais trailemens , nul 122 PIECES JUSTIFICATIVES. doute qu'ils ne se vengent avec la dernière fureur; mais je n'ai point appris qu'ils aient été généralement les premiers agres- seurs, si jamais ils l'ont été. Ils ont au contraire, en diverses circonstances incorrectement rapportées dans les journaux an- glais, beaucoup souffert de la tyrannie et de l'indigne conduite de ceux qui, pour le nom qu'ils portent, devraient se distin- guer par des sentimens de douceur et d'humanité , avant d'en venir à une funeste vengeance. On sait que le capitaine Thompson avait fouetté Taara *, un des chefs de Wan- garoa , avant la destruction du Boyd. L'île de feu Tepahi à Tepouna avait été ravagée, les maisons consumées par le feu, et plusieurs hommes, femmes et enfans tués à coups de fusil, avant que les naturels massacrassent quelques marins du na- vire Nav-Zealander. D'après les meilleurs renseignemens que j'ai pu obtenir, il ne paraît pas que Tepahi eût pris la moindre part à l'attentat commis sur le Boyd, bien qu'il eût été accusé d'y avoir participé avec les chefs du pays, Tepouhi, Père et Taara. Les capitaines anglais qui se réunirent pour venger la mort de leurs compatriotes , paraissent avoir été induits en erreur par quelques naturels , ennemis de Tepahi. Des person- nes respectables qui le virent après l'affaire du Boyd , et aux- quelles il fit beaucoup d'honnêtetés, ont assuré que Tepahi était un ami sincère des Européens. J'ai vu une personne à Tepouna qui m'a appris que plu- sieurs de nos marins, en venant prendre des vivres dans la baie, avaient l'habitude de duper et de friponner les naturels. Il dé- clara que, si les Anglais commerçaient de bonne foi, les natu- rels seraient enchantés de leur fournir tout ce qui leur serait nécessaire. Il est certain qu'ils ont un grand désir de vivre en paix avec nous. Ils disent que nous introduisons chez eux les * Taara était malade depuis cinq jours à bord du Boyd, quand il en- tendit dire au capitaine Thompson qu'il allait le jeter par-dessus le bord. On le fit sortir de son lit à coups de fouet. On dit que quand son père rencontra le capitaine Thompson à terre, il le lua. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 123 patates, les choux, les navets, etc., et les outils de toute es- pèce dont ils ont continuellement besoin. Une autre considé- ration agira très-puissamment sur le peuple de la Nouvelle- Zélande, et tendra à leur inspirer beaucoup de respect pour l'Angleterre. Ils aiment beaucoup le pain. Quand une fois il y aura assez de blé semé pour que les naturels en apprécient toute la valeur, ils nous estimeront encore davantage. Peut- être un jour la Nouvelle-Zélande offrira-t-elle d'amples provi- sions de cette denrée à ceux de nos navires qui toucheront à la Nouvelle-Zélande LesNouveaux-Zélandais sont ennemis des liqueurs fortes. Je ne crois pas que l'a va-root, qui a fait tant de mal aux naturels de Taïti, croisse ici. Un jour que Wetoï et Touai m'accompagnaient dans une excursion , je reprochai au dernier d'employer quelques mau- vaises paroles qu'il avait apprises des marins; Wetoï me loua ouvertement. Il répéta les blasphèmes des Anglais, en disant : Ce n'est pas bon. Oui et non, disait-il, voilà les mots qu'il faut employer. Ponahou, Dipiro et Shongui ont appris l'al- phabet en cinq ou six jours. Le dernier a aussi écrit différentes copies de lettres, et je vous en envoie quelques-unes. Les Nouveaux Zélandais paraissent a\ oir plusieurs divinités, cependant je ne sache pas qu'ils leur rendent aucun culte parti- culier. Doua-Tara dit que le contrat de mariage s'opère de la ma- nière suivante. Quand un jeune homme s'attache à une jeune femme , et qu'il désire l'épouser, il consulte d'abord les païens, les frères et les sœurs de la bile, car il lui faut leur consente- ment. S'ils le donnent, et que la jeune fille ne pleure point, elle devient immédiatement sa femme. Mais si elle pleure la première nuit qu'il lui fait sa \isitc, ou bien , si en lui réité- rant sa visite une seconde ou une troisième fois, elle continue d'en faire autant, il faut qu'il renonce à son dessein. La simple fornication n'est pas considérée comme un crime; mais l'adul- tère est puni de mort. 124 PIECES JUSTIFICATIVES. Il n'y a pas de doute que le langage des Nouveaux-Zélandais, des Taïtiens et même de la plupart des naturels des îles de la mer du Sud, ne soit radicalement le même. J'ai observé qu'un Nouvcau-Zélandais pour comprendre un naturel deTaïti, Bora- boraou Owhyhi, n'avait besoin que de très-peu de jours. M.John Eyre qui a été plusieurs années sous la protection de la Société des missionnaires de Londres, m'a obligeamment donné un vo- cabulaire contenant quelques milliers de mots , et qui deviendra d'un grand secours pour moi ou tout autre serviteur de la So- ciété. Les naturels prononcent avec peine les lettres c,g, h,j\ x et z. Us articulent très-bien le reste de l'alphabet anglais. Dans mon petit vocabulaire de leur langage, je me propose de subs- tituer le /• au c Les hommes sont intelligens, et plusieurs d'entre eux sont industrieux et pleins de jugement, très-propres à l'agriculture et aux arts mécaniques, dès qu'on voudra leur procurer les moyens de s'instruire. Les femmes emploient une partie de leur temps à faire des kahou ou manteaux , des nattes, etc., et apprendraient volontiers, je n'en doute point, à filer, tricoter et manier l'aiguille. Les enfans sont éveillés , actifs et spirituels : ils cessaient de me regarder comme un étranger après ma pre- mière apparition parmi eux. En me voyant, ils avaient cou- tume de dire: How do you, M. Kenclarro? Ils m'offraient ensuite les petits paquets de chanvre ou de fil qu'ils avaient pré- parés de leurs propres mains , et demandaient en retour des ha- meçons, des clous et des boulons. C'est avec vérité qu'on a dit que les Non veau x-Zélandais sont une noble race d'hommes. Ils ont besoin de notre amitié (Missionnary Régis ter, avril 181 5, pag. 190.) PIÈCES JUSTIFICATIVES. 125 M. Marsden, dans une lettre du mois de septembre 1814, donne des détails intéressans sur les chefs et leurs occupa- tions à Parramatta : Je vais vous donner les noms des chefs qui sont aujourd'hui à Parramatta et ceux de leurs serviteurs. Doua-Tara , chef, possède une grande influence. Shongui, oncle de Doua-Tara , commande à dix-sept dis- tricts. Koro-Koro , chef belliqueux , sur la côte opposée de la baie. Todai , frère de Koro-Koro, très-beau jeune homme d'un heureux caractère , apprend l'anglais très-vite. Son père était prêtre. Dipiro, fils de Shongui , joli garçon. Warak.ii, homme du peuple. Mawi , idem , lit et écrit l'anglais. Pahi , serviteur de Doua-Tara. Tinana , beau jeune homme qui apprend à faire des clous, etc. Waï-Atou, homme du peuple. Je vous enverrai des échantillons de l'écriture de Mawi. En ce moment il fait une copie de l'ordre général donné par le gé- néral Macquarie , relativement aux naturels des îles de la mer du Sud , et je la joindrai à ma lettre. Pour donner à la Société une preuve de l'adresse de ces in- sulaires, je lui ai adressé un buste de Shongui. Quelques-uns des chefs sont tatoués. Je dis un jour à Shongui que j'avais besoin d'envoyer sa tète en Angleterre , et qu'il devait me donner la sienne ou en faire une semblable en bois. Il me de- manda un morceau de fer, en fit lui-même un instrument de cinq pouces de long, semblable à un ciseau de menuisier, et l'emmancha. Puis il prit le bout d'un vieux poteau , et il en eut bientôt fait le buste que j'ai enfermé dans la caisse qui vous est 126 PIÈCES JUSTIFICATIVES. adressée. Les traits et les dessins du visage sont exacts et le tout lui ressemble bien. Son visage est un peu plus plein, ce qui tient à ce que le pieu s'est trouvé trop mince \ Sliongui a un beau caractère; il paraît très-affable dans ses manières, fort bonnête , et s'est toujours bien comporté dans tous les temps. Ses districts sont situés dans l'intérieur, à quel- que distance de la baie des Iles. Il avait commencé à cultiver le blé que j'avais envoyé à Doua-Tara. Koro-Koro babite la côte. Il possède plusieurs pirogues de guerre. Il me dit qu'il entreprend quelquefois, pour son com- merce , des voyages de quatre mois ; dans ses pirogues il va du cap Nord au cap Sud de la Nouvelle-Zélande. Il représente le cap Sud comme très- froid et très-orageux, et dit qu'en cer- taines saisons il y a beaucoup de neige et de grêle. Souvent je m'amuse beaucoup des détails qu'ils me donnent sur leur pays et leurs coutumes. Touai apprend très-vite. Il est d'un grand secours à M. Ken- dall pour la langue. Par ses capacités naturelles comme par * Le buste de Shongui est d'une exécution extraordinaire. Tous les mem- bres peuvent le voir à la maison de la Société. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 127 l'influence de ses amis et de ses parens , il peut rendre de grands services à la mission. Il y a quelques jours, après la prière du soir, un de mes enfans m'apprit que Touai était en état de ré- citer la prière dominicale. J'en fus très-su rp ris , et le priai de répéter ce qu'il savait. Aussitôt il en récita très-distinctement une grande partie. Je lui en expliquai le sens, et il parut bien le saisir. S'il plaisait au Seigneur, dans son infinie bonté, de lui faire connaître le chemin de la vie, il deviendrait un grand homme. Après avoir conversé avec lui quelque temps sur la re- ligion , je lui dis qu'il serait un prêtre , et que puisque son père avait été un prêtre de la Nouvelle-Zélande , il serait un prêtre anglais. Cela lui fit grand plaisir. Il est très-souvent près de M. Kendall qui lui est très-affectionné. Des deux côtés l'amitié paraît sincère. Les chefs en venant à Port-Jackson ont posé, j'ose le croire, de fermes bases pour la mission, et garantiront le salut et le bien-être de ceux qui y sont employés. Si j'étais jeune et libre, je m'offrirais moi-même à cette tâche. Elle ferait mon bonheur et ma joie. Les chefs sont tous heureux avec nous à Parramatta, et leurs facultés prennent une rapide extension. En contemplant les différens ouvrages étendus dans les boutiques des serruriers et des charpentiers, les filatures, les métiers de tisserand, les ateliers de briques et la construction des maisons, ainsi que les opé- rations de l'agriculture et du jardinage , il s'opère un effet mer- veilleux dans leurs esprits, et leurs facultés naturelles sont sti- mulées par le désir d'améliorer la condition de leur pays. L'espoir de la visite que je dois leur faire les flatte très-agréa- blement. Maintenant je consacre tout le temps que je puis passer avec eux à les entretenir de tous les sujets qu'il semble utile de leur apprendre , surtout de ceux qui ont trait à la re- ligion, au gouvernement et à l'agriculture. A l'égard de la religion , je leur parle de l'institution du sabbat établie par Dieu lui-même; et ils voient que nous l'ob- servons avec une attention particulière. Ce jour, dans la ma- 128 PIECES JUSTIFICATIVES. tince , ils voient passer la revue et faire l'appel des prisonniers qui vont ensuite à l'église. Ils voient aussi se rendre à l'église les soldats, les officiers et la plupart des habitans de Parra- inatta. Comme j'ai beaucoup d'affaires à juger comme magistrat, ils assistent souvent à ces séances. Ensuite je leur explique les dif- férons crimes que chacun a commis et les punitions qu'ils ont encourues; les uns sont condamnés à la prison pour un mois, et d'autres pour un temps plus long , suivant la gravité de leurs délits. Quant à l'agriculture , ils visitent les diverses métairies, ob- servent alternativement le travail de la charrue , de la pioche , et de ceux qui battent le blé , etc. Puis , quand ils sont de re- tour, ils me disent qu'ils passeront des nuits entières à raconter à leurs amis ce qu'ils ont vu; et que ceux-ci se boucheront les oreilles avec les doigts pour dire : « Nous avons assez écouté de vos contes incroyables , et nous ne voulons pas en entendre davantage ; ils ne sauraient être vrais. » Je suis parfaitement convaincu que les chefs, et particuliè- rement Doua - Tara et Shongui qui commande à dix -sept districts , s'appliqueront sérieusement à l'agriculture , s'ils peu- vent obtenir des pioches et des haches. Je vous enverrai la liste de ces objets par le capitaine Bunker. MM. Kcndall et Hall vous écrivent aussi pour vous soumettre leurs vues et leurs in- tentions. {Missioiinaiy Rcgister , avril iSi5 , pag. 197.) Comme une preuve positive de la proteetion que le gouverneur Macquarie est disposé à accorder aux efforts de la Société , Son Excellence , à l'occasion du retour des colons et des chefs à la Nouvelle-Zélande , désigna M. Ken- dall pour magistrat résident à la baie des Iles , et proclama l'ordre suivant : PIÈCES JUSTIFICATIVES. 129 Au palais du gouvernement, Sydney, New-South-Wales, 9 novembre 1814. DÉPARTEMENT CIVIL. Sur la représentation qui a été faite à S. Ex. le Gouverneur, que les commandans et matelots des navires qui touchent ou trafiquent sur les îles de la Nouvelle-Zélande, et plus spécia- lement sur la partie vulgairement appelée Baie des Iles, ont été dans l'habitude d'outrager et de maltraiter les naturels de ces lieux, en s'emparant par force de plusieurs d'entre eux, et les traitant à d'autres égards avec une sévérité dé- raisonnable et inexcusable, au grand préjudice des avantages mutuels qui résulteraient d'une conduilc plus sage et plus libé- rale envers ces hommes : Son Excellence désirant protéger les naturels de la Nouvelle-Zélande et de la baie des Iles dans tous leurs droits et privilèges légitimes, aussi bien que tous les ha- bitans de chacune des dépendances du territoire de la Nouvelle- Galles du Sud, ordonne et arrête en conséquence qu'aucun maître ou marin d'un navire ou bâtiment appartenant à un port anglais , et qui touchera à la Nou\ elle-Zélandc , ne pourra désormais déplacer ou emmener aucun des naturels sans avoir auparavant obtenu la permission du chef ou des chefs sur le district desquels les naturels ainsi embarqués se trouveraient résider. Cette permission devra être certifiée par écrit de la main de M. Thomas Kendall, magistrat résident à la baie des Iles, ou magistrat temporaire jusqu'à nouvel ordre pour les- dils districts. Il est aussi ordonné et arrêté, par l'autorité ci-dessus, qu'au- cun maître de navire ou bâtiment appartenant à la Grande- Bretagne ou à une de ses colonies , ne débarquera aucun ma- rin ou toute autre personne de son bord, dans aucune des baies ou havres de la Nouvelle-Zélande, sans avoir auparavant obtenu la permission du chef ou des chefs de l'endroit, cer- tifiée par le magistrat résident, comme dans le cas ci-dessus. tome m. 9 130 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Toute négligence ou désobéissance à ces ordres, parles maî- tres ou marins appartenant aux navires ou bâtimens commer- çans ou ayant des rapports quelconques avec la Nouvelle- Zélande ou les îles adjacentes, assujettira les coupables à être poursuivis suivant toute la rigueur de la loi. Ceux qui retour- neront en Angleterre sans toucher ici, seront dénoncés au se- crétaire d'État de Sa Majesté pour les colonies, et les docu- mens nécessaires seront transmis pour les faire juger et punir là aussi bien que s'ils fussent venus en ce territoire. Dans le but de donner à ces ordres leur plein effet, Son Ex- cellence a arrêté que les chefs suivans de la Nouvelle-Zélande, savoir : Doua-Tara, Shongui et Koro-Koro, sont investis du pouvoir et de l'autorité convenables à cet objet. Ils jouiront de la déférence qui leur est due par toutes les personnes que ces ordres pourront concerner, touchant la permission de dé- placer ou d'emmener quelqu'un des naturels de la Nouvelle- Zélande ou des îles adjacentes, ou d'y débarquer des marins ou tous autres individus. Par l'ordre de S. Ex. le Gouverneur, John Thomas Campbell , secrétaire. (Missionnary Rcgister, septemb. i8i5 , pag. 479-) EXTRAIT D'UNE LETTRE DE M. SAMUEL MARSDEN AU RÉVÉREND J. PRATT, SECRÉTAIRE DE LA SOCIETE. Parramalta, 3o décembre 1814. .... Ce sera une grande affaire pour moi d'encourager autant que possible l'agriculture parmi les chefs. Quand ils pourront, par ce moyen, fournir à leurs besoins, ils seront plus disposés à renoncer à leurs habitudes guerrières, et à s'oc- cuper des arts de la civilisation. Doua-Tara est bien convaincu que, s'il peut seulement se PIÈCES JUSTIFICATIVES. 131 procurer du fer, dans trois ou quatre ans l'île entière sera ap- provisionnée de pain. Il dit qu'il n'y a pas long-temps que les patates y furent apportées pour la première fois; maintenant elles sont cultivées partout, et sont devenues une bénédiction pour les naturels. Un seul cochon fut déposé sur le rivage par M. Tumbull , maître d'un baleinier; maintenant ils en ont un grand nombre et ils en prennent beaucoup de soin. Je lui ai envoyé, à diverses reprises , du blé ; mais , ou il a été perdu à bord, ou il ne lui a pas été remis. Quand il vint ici la première fois, je lui en donnai pour semence. Il expliqua aussitôt aux chefs de sa connaissance la valeur du blé , et leur en donna à tousunecertaineportion , n'en gardant qu'un peu pour lui. Les chefs mirent le blé en terre et eurent diverses conférences à ce sujet. Mais quand il fut près de mûrir, ils pensèrent que Doua- Tara leur en avait imposé, et leur avait débité de belles his- toires comme un voyageur. Ils examinèrent la racine : mais n'y voyant pas pousser le grain , ainsi qu'ils s'y attendaient , comme aux patates, ils mirent le feu à leur récolte et la brûlèrent en entier. Doua-Tara fut très -affligé de cette circonstance, et de voir qu'il n'avait pu les persuader. Il recueillit son propre fro- ment , le battit et le montra aux chefs : mais ceux-ci ne purent pas encore croire qu'on put en faire du pain. A cette époque le Jeffcrson , baleinier, arriva dans la baie des Iles, commandé par un M. Bains, à qui j'avais donné une lettre adressée à Doua-Tara , pour recommander ce maître à sa bienveillance : alors Doua-Tara emprunta un moulin à poivre à M. Barns, pour montrer à ses compatriotes qu'avec du blé moulu il pour- rait faire du pain. Mais le moulin se trouva trop petit pour qu'on pût obtenir une quantité de farine suffisante pour dé- truire ces préventions. Par l'Active j'envoyai à Doua-Tara une nouvelle provision de blé et un moulin à blé. Aussitôt qu'il l'eut reçu, il se mit à moudre du blé : quand les chefs virent sortir la farine, ils poussèrent des cris de joie. Il me conta qu'ensuite il leur fit un gâteau dans la poêle à frire, et leur en donna à chacun un morceau, pour les convaincre réellement 9" 132 PIECES JUSTIFICATIVES. que le blé pouvait faire du pain. Ce qui lui procura une bien vive satisfaction. Doua-Tara avait environ deux acres et demie de blé qui poussait au moment où l'Active fit voile de la baie des Iles. Durant près de cinq ans il avait eu à combattre tous les préjugés de ses compatriotes relativement à ce genre de culture. Les pois avaient été aussi arrachés par les chefs, qui s'attendaient à les trouver attachés aux racines comme les patates. Toute leur ambition est dirigée vers des instrumens d'agri- culture. Je les conduisis un jour chez un fabricant de bas, pour leur montrer comment ils se font. La vue du métier les étonna beaucoup ; mais Doua-Tara me dit qu'ils avaient be- soin de pioches et non pas de bas , et qu'ils pouvaient se passer de bas pour le moment, pourvu qu'ils pussent avoir du pain — (Missionnary Register , septemb. i8i5, pag. 483.) ÉTABLISSEMENT DE MM. KENDALL , HALL ET RING A RANGUI-HOU , A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. (Suivant le récit de M. Marsden.) Avant de quitter définitivement la Nouvelle-Zélande, je voulus obtenir et assurer, autant que possible, un établisse- ment légal pour les Européens que je désirais laisser dans l'île. A cet effet, une demande fut adressée aux deux neveux de feu Tcpahi, propriétaires du terrain que possèdent aujourd'hui les Européens, et de la ville voisine de Rangui-Hou, pour savoir s'ils voudraient vendre la pièce de terre sur laquelle nous avions commencé à bâtir, et étendre la position déjà assignée à cet emploi. Ils étaient païens de Doua-Tara. J'allai avec eux et les colons fixer les limites du terrain qu'ils con- sentaient à vendre , et je l'achetai pour le compte de la Société des missionnaires de l'Eglise. Nous ne pûmes en déterminer l'étendue exacte , à défaut des instrumens nécessaires pour le PIÈCES JUSTIFICATIVES. 133 mesurer; mais comme il est situé entre certaines limites natu- relles spécifiées dans l'acte, je pensai que cela était de peu d'importance. Je crois qu'il contient plus de deux cents acres de terre. Le contrat fut dressé , et le terrain publiquement cédé aux Européens le vendredi 24 janvier t8i5, en présence d'une foule de chefs de différens districts qui s'étaient assemblés à Rangui-Hou, pour prendre congé de l'Active. Je saisis cette occasion pour leur annoncer qu'actuellement que ce terrain appartenait aux Européens, les naturels pouvaient désormais, en pleine liberté, venir de toutes les parties de la Nouvelle-Zélande pour se procurer les objets qu'ils vou- draient acheter ou faire fabriquer. Je leur dis en outre que le forgeron leur ferait des haches, des pioches, et tous les autres outils dont ils auraient besoin ; mais que , sous aucun prétexte, il ne réparerait les pistolets, les mousquets ou autres instru- mens de guerre, quand même ce seraient ceux du plus grand chef de l'île. Oudi-Okouna, l'un des chefs dont nous avions acheté la terre, déclara publiquement qu'elle n'était plus à eux, mais qu'elle était devenue la propriété spéciale du peuple blanc , et qu'elle était labourée pour leur usage. La signature du contrat ou de l'acte contient tous les traits qui sont tatoués sur la face du chef, suivant leur bizarre et cu- rieuse coutume de la couvrir de figures et de dessins. Trois jours auparavant, madame King était accouchée d'un beau garçon qui fut présente et baptisé publiquement au mo- ment même où le contrat de ce sol nouvellement acheté rece- vait son exécution. Toutes ces circonstances, dans une telle occasion, étaient particulièrement intéressantes pour nous, et resteront long- temps gravées dans la mémoire des naturels. Le prix payé pour la terre fut de douze haches ! Oudi- Okouna est un homme fort intelligent et très-affectionné aux Européens. C'est le chef de Rangui-Hou, où résident les co- 134 PIECES JUSTIFICATIVES. Ions. C'est la ville la plus considérable et la plus peuplée de toutes celles que nous avons vues, et elle contient plus de deux cents cabanes. La femme du chef est aussi une femme agréable qui a fait de véritables progrès pour la propreté et les soins extérieurs avant notre départ; elle consacre une bonne partie de son temps à assister de tout son pouvoir les femmes euro- péennes. Oudi-Okouna me pria de lui envoyer des vêtcmens pour le jour du sabbat, car il ne jugeait pas convenable d'assister au service divin dans son costume naturel ; et je le lui promis. COPIE D'UNE CONCESSION DE TERRE A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. Le contrat est conçu clans les termes suivans : Que tous ceux auxquels les présentes seront présentées sa- chent que moi, Oudi-Okouna, roi de Rangui-Hou, sur l'île de la Nouvelle -Zélande, moyennant douze haches qui m'ont été payées et remises personnellement par le révérend Samuel Marsden deParramatta, dans le territoire de la Nouvelle-Galles du Sud, j'ai donné, cédé et vendu ; et par ce présent acte, je donne , cède etvends au comité de la Société des Missionnaires de l'Eglise pour l'Afrique et l'Orient, instituée à Londres, dans le royaume de la Grande-Bretagne , et à leurs héritiers et successeurs , en entier la pièce ou le morceau de terre situé dans le district de Oshi, dans l'île de la Nouvelle-Zélande, terminé au sud par la baie de Tepouna et la ville de Rangui- Hou , au nord par une crique d'eau douce , et à l'ouest par une route publique dans l'intérieur, avec les droits, privilèges et appartenances qui en dépendent. Et cela libre et franc de toutes taxes, charges, impositions et contributions quelcon- ques, ce territoire étant devenu leur propriété absolue et spé- ciale pour toujours. En témoignage de quoi , au présent acte ainsi fait et conclu , PIÈCES JUSTIFICATIVES. 135 j'ai apposé ma signature, à Oshi , sur l'île de la Nouvelle- Zélande , ce vingt-quatre janvier , l'an du Christ mil huit cent quinze. Signatures du contrat. Le chef a signé le contrat d'une manière aussi curieuse qu'o- riginale. Il y a déployé l'adresse qui caractérise ses compa- triotes, en y appliquant la copie minutieuse et soignée des des- sins qui composent le tatouage de sa figure. On voit ici le fac-similé de sa signature : Les témoins de cet acte furent M. John Liddiard Nicholas, gentleman, qui avait accompagné M. Marsden de Port-Jack- son, et M. Thomas Kendall, un des colons de la Société. A ces signatures est jointe celle d'un Nouveau - Zélandais , qui paraît être la copie d'une partie du dessin qui se trouve sur son visage. Les personnes ci- après désignées sont restées à Rangui-Hou : M. et madame Kendall, un domestique et trois garçons; M. et madame Hall et un garçon : M. et madame King et deux gar- 136 PIÈCES JUSTIFICATIVES. çons : ceux-ci appartiennent a la Société. Deux scieurs et un forgeron pris à louage. M. Hanson et son fils sont restés pour leur propre compte. M. Hanson senior commande l'Active. Depuis, j'y ai envoyé les femmes du forgeron et de l'un des scieurs, l'autre n'étant pus marié, et deux enfans. J'ai aussi laissé avec les colons trois ouvriers déserteurs, poul- ies assister jusqu'au retour de l'Active, et j'en ai ramené trois avec moi. J'en avais trouvé six a la Nouvelle-Zélande. Le nom- bre total des Européens à Rangui-Hou, en y comptant les hommes, les femmes et les enfans, est de vingt-cinq personnes. ( Missionnary Régis t er , août 181 G, page 38y.) RELATION DU PREMIER VOYAGE DE M. MARSDEN A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. Je suis ravi de vous annoncer mon heureux retour de la Nouvelle-Zélande à Port-Jackson , après avoir complètement rempli l'objet de mon voyage et après une absence de quatre mois.... Je vous communiquai dans une occasion antérieure mon in- tention positive d'accompagner les nouveaux colons à la Nou- velle-Zélande pour les aider à s'établir, et leur donner tous les moyens d'acquérir de l'influence parmi les naturels. J'avais, durant plusieurs années, étudié le caractère des Nouveaux- Zélandais, en ayant toujours eu quelques-uns chez moi; et je n'étais pas sans quelques craintes à leur égard, quant à ma sûreté personnelle et à celle des personnes qui devaient m'accompagner. Plusieurs habitons de la Nouvelle- Galles du Sud, d'après les horribles massacres auxquels les naturels de ces îles s'étaient souvent livrés, pensaient que nous ne re- viendrions jamais. Mais ces personnes n'avaient pas assez fait attention aux provocations des Européens envers les naturels, car il est bien avéré que les premiers ne croyaient pas qu'il y eût de crime à massacrer ou piller ces insulaires sous le PIECES JUSTIFICATIVES. 137 plus léger prétexte , et souvent par un esprit de cruauté gratuite. Depuis que j'ai fait connaissance avec ces peuples, je les ai toujours considérés comme la plus belle et la plus noble race de payens connus dans le monde civilisé. J'ai toujours été per- suadé que si l'on pouvait introduire chez eux les arts de la ci- vilisation et la connaissance de la religion chrétienne, on en ferait une grande nation. Je suis encore plus confirmé dans cette opinion depuis que je les ai visités, car je les ai trouvés on général encore plus civilisés que je ne le supposais. Tandis que je me préparais à mon départ pour la Nouvelle- Zélande, M. John Liddiard Nicholas, gentleman qui était venu s'établir dans la colonie depuis deux ans, se présenta pour m'aecompagner, et j'acceptai volontiers son offre. Nous embarquâmes à bord de/' Active, le samedi, 19 novembre t8i4> et sortîmes du port de bon matin ; mais le vent contraire nous força de laisser retomber l'ancre près de l'entrée de la baie. Nous y fûmes retenus neuf jours. Le lundi 28 , nous levâmes l'ancre et fîmes route. Le nombre des personnes embarquées à bord de l'Active, y compris les femmes et les enfans, était de trente-cinq. M. Han- son,le maître ; sa femme et son fils; MM. Kendall, Hall etKing avec leurs femmes et cinq enf&ns; huit Nouveaux -Zélandais, deux Taïtiens , quatre Européens de l'équipage du navire; en outre, M. Nicholas, moi, deux scieurs, un forgeron et un con- vict déserteur qu'on trouva caché à bord. Nous emmenions aussi un cheval , deux jumens, un taureau , deux \aches, quel- ques brebis et de la volaille de diverses espèces, destinés pour l'île. Les vaches et le taureau avaient été donnés du troupeau de Sa Majesté, par le gouverneur Maequarie, ainsi que je l'ai déjà dit. Rien de remarquable n'arriva durant le voyage. Arrivée au cap Nord. Le i5 décembre. — Nous vîmes les Trois-Rois; ce sont quel- 1S8 PIÈCES JUSTIFICATIVES. ques petites îles éloignées de douze lieues environ dans le nord de la Nouvelle-Zélande. Nous les rangeâmes de près dans l'après-midi. Comme je désirais rester un jour près du cap Nord, nous l'approchâmes dans la soirée avec une légère brise et vîmes la terre avant le coucher du soleil. Toute la nuit nous eûmes peu de vent. Le matin suivant, au point du jour, nous étions au plus à quatre lieues de la côte, et gouvernâmes dessus jusqu'à huit heures. Je désirais avoir une entrevue avec les chefs pour leur expliquer l'objet de mon voyage , leur présenter les colons et préparer toutes choses pour garantir leur bien-être à venir. Entrevue amicale avec les naturels du cap Nord. Après déjeuner, le canot fut mis à la mer pour visiter le rivage. J'y fis embarquer Doua-Tara , Shongui , Koro-Koro , Touai et Tinana , tous chefs que nous avions à bord , et point d'Européens ; je les chargeai d'établir des relations amicales avec les naturels, et de nous rapporter quelques pro- visions. Le canot était bien armé , afin qu'ils fussent en état de se défendre si on les attaquait. Avant que le canot eût atteint la terre, une pirogue s'ap- procha de l'Active avec quantité de poisson ; peu après sur- vinrent un chef et son fils qui venaient du rivage , et montè- rent sur-le-champ à bord. Dans leur pirogue se trouvaient quelques hommes fort beaux. Je demandai au chef s'il avait vu Doua-Tara que j'avais envoyé à terre ; il me dit que non , et aussitôt il me montra un couteau de poche fixé à une corde autour de sa ceinture. Il y attachait un grand prix, et m'ap- prit que Doua-Tara le lui avait donné long-temps auparavant. Je fus enchanté de rencontrer un chef qui connaissait notre ami Doua-Tara. Comme nous paraissions sur le point d'atteindre le but de notre visite , je leur dis mon nom qu'ils paraissaient bien con- naître. Aussitôt ils s'informèrent d'un jeune homme de leur PIECES JUSTIFICATIVES. 139 pays, qui avait habité chez moi quelque temps auparavant. Son frère était dans la pirogue, et il fut charmé de me voir. Il me fit beaucoup de questions sur le compte de son frère , et je lui donnai tous les détails qui étaient en mon pouvoir. Dès lors nous fûmes délivrés de toutes craintes, car les na- turels s'empressaient de nous témoigner tous les égards qui dé- pendaient d'eux. J'appris au chef que nous avions besoin de quelques cochons et de patates. Il me pria d'envoyer quel- qu'un de mes hommes dans sa pirogue à terre, ajoutant qu'il nous renverrait immédiatement ces objets. J'ordonnai à un Nouveau-Zélandais de V Active d'aller dans la pirogue, car je ne jugeai pas prudent d'envoyer avec eux un Européen. Le chef et son fils restèrent à bord. Ils parurent très-satis- faits de la confiance que nous leur montrions. J'expliquai au chef le but de notre voyage ; je lui annonçai que /' Active con- tinuerait de les visiter de temps en temps, et que MM. Ken- dall, Hall et King allaient s'établir à la baie des Iles, dans l'in- térêt général de leur pays. Je lui remis aussi une copie im- primée des instructions du gouverneur Macquarie aux maîtres de navires relativement aux naturels, et je lui en expliquai le sens qu'il parut comprendre et beaucoup approuver. Je l'enga- geai à montrer ces instructions à tous les capitaines des bâli- mens qui pourraient toucher chez lui, pour lui servir de sauve-garde. Il reçut ces instructions avec un vrai contente- ment. Bientôt d'autres pirogues arrivèrent auprès de V Active et ap- portèrent en abondance le plus beau poisson que j'eusse jamais vu. Le pont en fut couvert. Nous avions, tant à bord que le long du navire , une foulo de naturels qui se conduisaient fort bien. Nous trafiquâmes avec eux pour avoir des lignes pour la pèche et d'autres objets de curiosité. Avant que Doua -Tara et les autres chefs revinssent avec le canot, une grande pirogue de guerre se montra en vue. Elle était chargée de beaux hommes, et voguait fort vite. Quoique la mer fût un peu houleuse, et que nous fussions à une cer- 140 PIÈCES JUSTIFICATIVES. taine distance de terre , il était amusant de voir avec quelle fa- cilité elle glissait sur le sommet des vagues. Un des principaux chefs était dans cette pirogue avec plu- sieurs de ses guerriers, ainsi qu'un jeune homme de Taïti, connu sous le nom de Jem par les Européens; je l'avais vu quelques .années auparavant à Parramatta, où il avait jadis résidé long-temps chez M. M'Arthur. Ce Taïtien avait épousé la fille du chef, et sa femme se trouvait dans la piro- gue. Il fut très-surpris de me voir, et je ne le fus pas moins de le rencontrer ici d'une manière aussi inattendue. Jem avait l'habitude de me rendre visite à Parramatta , et connaissait par- faitement ma situation dans la Nouvelle-Galles du Sud. Comme il parlait très-bien anglais , je lui expliquai complètement l'ob- jet de mon voyage à la Nouvelle-Zélande, et quels étaient nos plans pour l'avenir. Il fut très-content de savoir que des Eu- ropéens allaient habiter l'île. Ce jeune homme , qui était doué de beaucoup d'intelligence et d'activité, semblait avoir obtenu toute la confiance de son beau-père et jouir d'une grande influence au cap Nord. Je fis, à lui , à son beau-père et aux principaux guerriers, quelques présens qu'ils reçurent avec reconnaissance. Dans la conversation , je leur fis observer que les Nouveaux- Zélandais s'étaient rendus coupables de grandes cruautés en- vers les Européens, particulièrement ceux du Boyd. Ils ré- pliquèrent que les Européens avaient été les premiers agres- seurs en infligeant des châtimens corporels aux chefs. Je leur dis aussi que M. Barns, maître du Jejferson, balei- nier, m'avait appris qu'ils avaient agi avec perfidie à son égard en tentant de détruire les équipages de deux canots de son navire, quand il se trouvait dernièrement au cap Nord, en compagnie avec le King-Gcorge. Je leur dis que j'étais très- affecté de ces rapports; et que, s'ils continuaient à se conduire ainsi, aucun navire européen ne viendrait les visiter. En réponse à ce reproche, le Taïtien et les chefs soutinrent que les maîtres du Jcfferson et du King- George s'étaient les premiers mal PIECES JUSTIFICATIVES. 141 comportés à leur égard. Les naturels étaient convenus de livrer cent cinquante paniers de patates et huit cochons pour un mousquet. Les patates et les cochons furent remis et partagés entre les deux navires; après quoi le Taïtien et l'un des chefs montèrent à bord du King-George pour chercher le mousquet qui fut livré. Mais le maître du King- George exigea une plus grande quantité de cochons et de patates, le chef fut retenu à bord , et le Taïtien renvoyé à terre pour aller chercher les pa- tates et les cochons. Le premier chef répondit qu'il avait renir pli son engagement pour le fusil en livrant cent cinquante pa- niers de patates et huit cochons, et qu'il n'en donnerait pas d'autres. Le chef qui avait été retenu prisonnier à bord du King- George était le frère du premier chef, et se trouvait alors à bord de V Active. Le Taïtien fut donc renvoyé à bord du King-George pour dire au maître qu'on ne pouvait pas lui don- ner plus de patates ni de cochons, et le prier de relâcher le chef qu'il avait injustement détenu. Le maître refusa de le faire, et retint aussi le Taïtien prisonnier. Deux ou trois jours après, on les transféra tous deiiK à bord du Jefferson ; ils y res- tèrent encore trois ou quatre jours, puis ils fuient rachetés moyennant cent soixante-dix paniers de patates et cinq co- chons. Les naturels étaient furieux, et vivement alarmés pour le salut de leur chef, attendu que les navires demeurèrent quelque temps hors de vue. Après que les cochons et les pa- tates furent livrés , deux canots allèrent reconduire à tern- ie Taïtien et le chef. Une foule de naturels s'étaient rassemblés sur le rivage pour les attendre. Ils ne furent pas plutôt débar- qués que les naturels firent feu sur les canots, et il n'est pas douteux qu'ils n'en eussent sur-le-champ massacré les hom- mes, s'ils l'avaient pu, pour se venger de leur perfidie. Le Taïtien me dit qu'il avait été impossible d'empêcher les insulaires de tirer sur les canots. Le chef parla avec beau- coup de chaleur et d'indignation du traitement qu'il avait éprouvé. Je leur assurai que le roi Georges et le gouverneur Macquarie puniraient tous les actes de fraude et de cruauté 112 PIECES JUSTIFICATIVES. commis par les Européens, toutes les fois qu'ils en seraient ins- truits. Puis je leur remis les instructions du gouverneur aux maî- tres des navires , et leur en expliquai le contenu; il fut très- bien compris du Taïtien qui à son tour l'expliqua aux autres. Je leur dis que l' Active les visiterait constamment , et que par ce moyen ils pourraient facilement obtenir justice du gouver- neur de la Nouvelle-Galles du Sud. Je les engageai à ne jamais se porter a l'avenir à des actes de violence envers les Euro- péens, mais de porter leurs plaintes au gouverneur. Ils paru- rent satisfaits de cette explication, et promirent de ne point faire de mal aux équipages des navires qui viendraient cbez eux. Je leur dis que les maîtres du King-Gcorge et du Jefferson seraient traduits en justice pour rendre compte de leur con- duite quand ils seraient à Port-Jackson, car j'informerais le gouverneur Macquarie de ce qu'ils avaient fait. Tandis que le cbef principal et ses gens étaient encore à bord, le canot revint avec Doua-Tara et ses compagnons. Doua- Tara et le premier chef semblèrent être d'anciennes connais- sances, et se témoignèrent mutuellement beaucoup d'amitié. Ils se firent les salutations les plus affectueuses : Doua-Tara , désormais très-riche, relativement à ses amis, leur fit divers présens, ainsi que les autres chefs qui étaient venus avec moi de Port-Jackson. Doua-Tara ramena la conversation sur les coups de feu qui avaient été tirés sur les canots du Jefferson , et leur enjoignit très-positivement de ne point maltraiter les Eu- ropéens à l'avenir : mais de porter leurs plaintes au gouver- neur de la Nouvelle-Galles du Sud. Cette journée fut une des plus agréables et des plus intéres- santes que j'eusse passées. Jamais je n'ai éprouvé plus de plaisir et de contentement que dans cette circonstance. Avant le soir, nous eûmes une assez abondante provision de poisson , de cochons et de patates. Je fis connaître aux naturels que j'allais me rendre tout de suite à la baie des Iles. Ils nous prièrent instamment de res- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 143 ter un jour de plus, promettant de nous apporter une plus grande quantité de poisson , de cochons et de patates. Je leur répondis que nous n'avions plus besoin de rien ; mais que je les visiterais à mon retour à Port-Jackson , et que s'ils vou- laient me préparer du chanvre, je le leur achèterais. Le chef me promit d'en tenir de prêt. Quand la soirée fut arrivée , ils prirent congé de nous de la manière la plus amicale; ils ren- trèrent dans leurs pirogues pour retourner à terre très-satisfaits en apparence de l'accueil qu'ils avaient reçu à bord de l'Active, ainsi que d'avoir appris que ce navire les visiterait, et que des Européens allaient s'établir sur leur île. Les iles Cavalles. Quand les naturels nous eurent quittés, nous fîmes voile, et poursuivîmes notre route avec une belle brise. Pendant la nuit le vent tomba , et le matin le peu qui régna fut contre nous, tellement que nous ne fîmes que peu de chemin le long de la côte. Les bois et les coteaux nous offraient un bel aspect , et sur tous les points du continent on voyait les fumées des feux allumés par les naturels. Tout le jour le vent fut le même. Le jour suivant nous courûmes des bordées et dépas- sâmes l'entrée du havre de Wangaroa, où le Boyd fut détruit; mais nous ne pûmes doubler les Cavalles, qui sont quel- ques petites îles habitées, situées à quelques milles du con- tinent. Les naturels nous apprirent qu'il y avait un passage sûr entre elles et la terre. Nous nous efforçâmes d'y pénétrer, mais ce fut en vain , à cause du vent contraire. Entretien amical avec les habitons. Comme nous n'étions pas loin des Cavalles , je voulus en vi- siter les habitans, et le canot fut mis à la mer dans ce but. MM. Nicholas, Kendall, ainsi que Koro-Koro et Touaï, m'ac- compagnèrent au rivage. Aussitôt que nous eûmes débarqué , 144 PIECES JUSTIFICATIVES. tous les naturels s'enfuirent pour se cacher dans les bois, ex- cepté un vieillard qui, étant estropié, ne put s'échapper. Il parut alarmé jusqu'au moment où il aperçut Koro-Koro. Je lui fis cadeau de quelques bagatelles, et en retour il m'offrit un pa- nier de poisson sec que je ne voulus point accepter. Koro- Koro nous quitta pour aller à la recherche des naturels. M. Kendall s'assit avec le vieux sauvage qui était très- fatigué d'avoir aravi la colline. M. Nicholas et moi , nous allâmes a la recherche de Koro-Koro, mais nous fûmes quelque temps avant de pouvoir le découvrir. Il était allé trouver ses parens qui habitaient cette île. Enfin, nous le rejoignîmes, il avait rencontré un des hommes de sa tribu. Sur ces entrefaites, les naturels commencèrent à se remettre de leur alarme et à sortir peu à peu de leurs cachettes. Touchante rencontre d'un chef et de ses parens. Tandis que nous conversions avec Koro-Koro et quelques- uns des naturels , il aperçut sa tante qui s'approchait de nous avec quelques femmes et des enfans. Elle avait un rameau vert autour de sa tête, un autre à la main et un jeune enfant au bras. Quand elle fut à une centaine de verges, elle commença une lamentation plaintive , et sa tête était inclinée comme si elle était accablée par le chagrin le plus violent. Elle s'avança à pas lents vers Koro-Koro. Celui-ci gardait un profond silence, immobile comme une statue, et appuyé sur le bout de son fusil. A mesure que sa tante avançait, elle criait très-haut, et pleurait à chaudes larmes. Touaï , frère de Koro-Koro , sem- blait très-affecté : et , comme s'il eût eu honte de la conduite de sa tante, il nous dit : « Je ferai comme un Anglais; je ne crierai point. » Koro-Koro resta sans mouvement jusqu'au moment où sa tante se trouva près de lui ; alors ils rappro- chèrent leurs têtes, la femme se soutenant sur un bâton et lui sur son fusil. Dans cette position ils pleurèrent long-temps, et répétèrent tour à tour quelques phrases courtes que nous PIECES JUSTIFICATIVES. 145 supposâmes être des prières; puis ils continuèrent à pleurer, et les larmes coulaient par torrens le long de leurs figures rem- brunies. Il était impossible de les voir sans être profondé- ment ému. Pendant ce temps, la fille de la tante de Koro-Koro était assise aux pieds de sa mère ; elle pleurait aussi , et toutes les femmes joignaient leurs lamentations aux siennes. Nous pen- sions que c'était une manière extraordinaire de manifester leur joie : mais nous reconnûmes par la suite que c'était une coutume générale à la Nouvelle-Zélande. Plusieurs de ces pauvres femmes se décbiraient la figure, les bras et la poitrine, avec des coquilles ou des cristaux acérés, jusqu'à ce que le sang jaillît par torrens. Quand leurs larmes et leurs gémissemens eurent cessé , je fis quelques présens aux femmes. Touai était resté assis pendant tout ce temps, s'efforçant d'étouffer ses sentimens parce qu'il avait déclaré qu'il ne crierait point. Bientôt nous fûmes rejoints par plusieurs jeunes et beaux hommes. Parmi eux s'en trouvait un qui était fils d'un chef de l'île. A son aspect, Touai ne fut plus maître de ses sensations, et courut à lui; ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre, et pleurèrent ensemble. Quand ils eurent fini leurs salutations, et terminé certaines cérémonies, nous entrâmes en conversation avec eux, et leur demandâmes pourquoi ils s'étaient tous enfuis dans les bois. Ils nous répondirent qu'ils avaient conjecturé, en nous voyant dé- barquer, que nous allions faire feu sur eux. Ces gens furent ravis de voir que nous étions leurs amis. Ils firent tout ce qui dépendait d'eux pour nous être agréables. Au bout de quelques heures nous retournâmes à l'endroit où nous avions laissé M. Kendall causant seul avec le vieillard. Nous fûmes suivis par une foule de naturels. Nous passâmes une journée fort amusante, car tout au- tour de nous était neuf et intéressant, surtout les habitans. Du sommet des Cavallcs, la vue du continent, de l'Océan tome m. 10 14(> PIECES JUSTIFICATIVES. et des nombreuses petites îles disséminées sur sa surface, est la plus délicieuse qu'on ait jamais vue, au moins à mon avis. Quand nous arrivâmes, nous trouvâmes que M. Kendall avait reçu la visite de plusieurs naturels qui l'entouraient pai- siblement, et qu'il s'était fort amusé pendant notre absence. Le soir, nous retournâmes à bord, accompagnés du fils du cbef et de quelques chefs du continent, qui restèrent toute la nuit à bord. Motifs de guerre entre Wangaroa et la baie des Iles. Le jour suivant nous restâmes encore en calme; nous avions passé plus d'un jour et d'une nuit à tenter de conduire le navire ou autour des îles, ou entre les îles et la terre. Nous étions éloignés de cinq lieues environ de Wangaroa, le havre où le Boyd avait été détruit et son équipage massacré, et à une lieue du continent. Cette partie de la Nouvelle-Zélande appartenait au cbef Sbongui , alors à bord de l'Active, et l'un de ceux qui étaient venus me voir à Port-Jackson. Doua-Tara et Shongui m'avaient souvent parlé de la guerre sanglante qui avait eu lieu entre les peuples de Wangaroa et ceux de la baie des Iles, depuis la catastrophe du Boyd jus- qu'à ce moment. Pendant leur séjour à Port-Jackson , ils avaient toujours redouté que les chefs de Wangaroa ne profi- tassent de leur absence pour attaquer les gens de la baie des Iles. Ici nous apprîmes qu'il n'y avait point eu de troubles pendant leur absence. Quand le Boyd eut été détruit , Tepahi , cbef de la baie des Iles, qui avait visité Port-Jackson où il avait été fort bien ac- cueilli , fut accusé d'avoir participé à cet épouvantable massa- cre. En conséquence, les baleiniers qui se trouvaient à cette époque sur la côte et qui vinrent peu après à la baie des Iles, se réunirent et envoyèrent sept canots armés avant le jour, pour attaquer l'île de Tepahi. Ils débarquèrent, tuèrent tous les hommes, femmes et enfans, qui se trouvèrent sur leur che- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 147 min ; dans cette attaque , Tepahi reçut sept coups de feu et mourut peu après. Doua-Tara et Shongui déclarèrent toujours que Tepahi était innocent du crime pour lequel il périt. Wangaroa est éloigné de quarante milles au nord de la baie des Iles. Tepahi avait coutume de commercer avec les gens de Wangaroa, et il s'y trouvait avec une cargaison de poisson , le jour même où le Bord fut pris. Tout l'équipage avait été massacré quand il ar- riva , excepté cinq hommes qui se trouvaient dans le gréement. Il les prit dans sa pirogue, et les mit à terre pour sauver leur vie. Mais comme il avait été suivi par les habitans, les cinq hommes lui furent enlevés de force et mis à mort sur-le- champ. Tel fut le récit des Nouveaux -Zélandais qui les premiers visitèrent la Nouvelle-Galles du Sud. Ils déclarèrent positivement que Tepahi était innocent de la destruction du Bpyd. Les habitans de la baie des Iles , en conséquence de la mort de leur chef Tepahi , déclarèrent la guerre à ceux de Wanga- roa. Plusieurs combats sanglans eurent lieu, et la guerre de- vait probablement continuer. M. Marsden désire établir la paix. J'avais souvent dit à Doua-Tara et à Shongui qu'il était dans l'intérêt de toutes les parties de faire la paix, et que je dé- sirais qu'elle s'établît avant que je quittasse la Nouvelle-Zé- lande. Doua-Tara exprima des doutes sur l'accomplissement de ce projet. Je lui dis que je crovais en venir à bout, si je pouvais obtenir une entrevue avec les chefs, et que mon dessein était de visiter Wangaroa a mon retour , et de tenter ce qu'il y avait à faire. 77 débarque et visite le camp de Wangaroa. Le jour suivant le calme persista et nous contraignit de met- io" 148 PIÈCES JUSTIFICATIVES. tre à l'ancre. Je fis une nouvelle visite sur les Cavalles , et là j'appris que les chefs et tous les principaux guerriers étaient venus assister aux funérailles d'un homme de distinction mort quelques jours auparavant, et qu'ils étaient en ce moment campés du côté opposé à l'endroit où, nous étions mouillés. A cet avis, je retournai en hâte à bord, et me consultai avec Doua- Tara. Je lui dis combien j'étais désireux d'élablir la paix, maintenant que les Européens devaient demeurer avec eux : que ce serait à la fois assurer le salut des Européens et contribuer au bien général du pays. Je lui témoignai le désir de visiter le camp de Wangaroa, et d'entendre ce que les chefs auraient à dire à ce sujet. Comme il n'avait plus revu ces gens , depuis le désastre du Boyd , que sur le champ de bataille, il fut quelque temps indécis. Je 6s tout ce que je pus pour l'en- gager à tenter l'événement. Ce n'était pas pour lui qu'il crai- gnait, mais il avait peur de ce qui pourrait m'arriver , ou à quelqu'un de mes compagnons. A la fin il consentit à descen- dre à la côte avec moi. Shongui et Koro-Koro voulurent bien nous accompagner. MM. Nicholas, Kendall, King et Hanson s'offrirent à en faire autant. Nous prîmes avec nous dans le canot plusieurs mousquels chargés. Le rivage où nous allions débarquer appartenait ù Shongui et était occupé par ses hommes. Quand nous approchâmes de terre, nous vîmes les chefs de Wangaroa, avec leurs guerriers, campés sur une éminence élevée à notre gauche, et leurs bannières flottantes. Le pied de cette colline était baigné par la mer. Aussitôt qu'ils nous virent débarquer, et nous n'en étions alors éloignés que d'un demi- mille environ, ils saisirent leurs lances, plantèrent leurs pa- villons et coururent de toute leur force. Doua-Tara prit une paire de grands pistolets et me dit de le suivre lentement, car il allait s'approcher d'eux assez près pour leur adresser la pa- role ; et ils n'avaient pas de moyen de l'éviter, puisqu'il n'y avait pas d'autre chemin pour s'esquiver, à cause de la mer. Nous marchâmes tous ensemble derrière Doua-Tara, envi- PIEGES JUSTIFICATIVES. 149 ronnés d'une foule immense d'hommes, de femmes et d'en- fans de la suite de Shongui. Quelques-uns des principaux chefs couraient en divers sens, pour dégager le chemin et empêcher la foule de nous presser. Bientôt Doua -Tara revint vers nous et me dit de marcher en avant. En conséquence, je doublai le pas, et nous fûmes promptement en présence de ceux de Wangaroa qui s'étaient arrêtés pour nous recevoir. Ils se for- mèrent sur deux rangs, et nous marchâmes au milieu d'eux. Une vieille femme que je pris pour une prêtresse , faisait un très-grand bruit, et secouait un pavillon à mesure que nous avancions. Suivant leur coutume, tous les chefs étaient assis par terre, et les guerriers debout avec leurs lances droites; celles-ci étaient longues de quinze à vingt pieds et au-delà. Ils étaient aussi armés de leurs bâtons. Doua -Tara s'arrêta à quelque distance des chefs qui étaient assis , avec un pistolet à la main. Quand je fus arive près des chefs , Doua-Tara déchar- gea son pistolet , puis il donna ordre à ceux de notre parti de décharger leurs armes , ce qui fut fait. Ceux de Wangaroa déchargèrent aussi leurs mousquets , et je regardai ce prélude comme d'un augure favorable pour mon projet. Vraie cause de la destruction du Boyd. L'un des principaux chefs qui ont détruit le Boyd avait été à Parramatta et me connaissait. Il était resté long-temps à bord des baleiniers , et parlait assez l'anglais pour se faire compren- dre. Il est connu des Européens sous le nom de Georges. Je fis quelques présens aux chefs ; après avoir causé sur divers su- jets, et particulièrement sur le but de ma visite à la Nouvelle- Zélande , je leur demandai ce qui les avait porté à détruire le Boyd et à massacrer son équipage. Deux d'entre eux rappor- tèrent qu'ils se trouvaient à Port -Jackson quand le Boyd y toucha, et qu'ils y furent embarqués par M. Lord pour revenir chez eux : que le premier chef, Georges, était tombé malade à bord, ce qui l'avait mis hors d'état de faire son service de 150 PIECES JUSTIFICATIVES. simple matelot. Pour ce motif il fut sévèrement châtié, on lui refusa sa ration , on le menaça de le jeter par-dessus le bord, et il reçut plusieurs autres avanies, même de la part des matelots. 11 fit ses représentations au maître , et demanda à ne point être soumis à une punition corporelle, assurant qu'il était chef dans son pays, ce qui ne tarderait pas à être prouvé à son arrivée dans la Nouvelle-Zélande. On lui répliqua qu'il n'était pas chef, et on se permit à son égard plusieurs termes injurieux qu'il mentionna , et qu'emploient trop souvent les marins anglais. Quand il arriva à Wangaroa , son dos était déchiré de coups; ses amis et ses gens se décidèrent à ven- ger les insultes qu'il avait reçues. Il assura que s'il n'avait pas été traité avec tant de cruauté, il n'aurait jamais touché au Boyd. D'après les détails que ces chefs et leurs gens donnèrent sur le désastre du Boyd, Tepahi paraît n'avoir pris aucune part à ce malheureux événement; eux seuls en furent les auteurs. Ce fait étant exactement vrai, et je ne vois aucun motif de récuser leur déclaration , Tepahi et son peuple furent d'innocentes vic- times, et leur mort devint la source de beaucoup de sang versé. Depuis cette époque, une foule d'individus ont péri, tant de la baie des Iles que de Wangaroa. Je n'ai jamais passé devant l'île de Tepahi sans pousser un soupir. Aujourd'hui elle est dévastée, complètement déserte; elle est restée dans cet état depuis la mort de ce chef; on n'y distingue plus que les ruines des petites habitations, que le feu gouverneur King avait eu la complaisance de lui faire bâtir. Je me flatte que les Européens qui trempèrent leurs mains dans cette fatale expé- dition, ignoraient alors qu'ils punissaient un innocent. Je sup- pose que l'erreur, s'il y en eut , comme je suis porté à le croire f provint de la ressemblance entre les noms de Tepahi et du chef de Wangaroa qui eut la principale part à l'a catastrophe du Boyd, et qui se nommait Tepouhi. Je vis ce chef, et conver- sai avec lui à ce sujet. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 151 Une nuit passée dans le camp de Wangaroa. Ayant complètement satisfait ma curiosité touchant la perte du Boyd, et expliqué à ces peuples le motif du voyage de l'Ac- tive à la Nouvelle-Zélande, comme la nuit approchait, je trou- vai que je ne pouvais pas accomplir le grand projet que j'a- vais, c'est-à-dire de faire la paix, sans passer plus de temps avec eux. C'est pour quoi je résolus de rester toute la nuit dans leur camp. Shongui avait donné l'ordre à ses gens de préparer à souper pour nous, à un mille environ de l'endroit où nous nous trou- vions. Je dis aux chefs que nous allions rendre visite aux gens de Shongui , et que, quand nous aurions pris notre repas, M. Nicholas et moi, nous reviendrions passer la nuit dans leur camp , afin de pouvoir converser plus long-temps avec eux. Ils y consentirent volontiers ; pour nous donner une mar- que distinguée de leur considération , ils nous divertirent du spectacle d'un simulacre de combat, d'une danse de guerre et d'un chant de victoire, avant que nous revinssions vers les hommes de Shongui. Quand ce fut fini , nous prîmes congé et retournâmes au lieu où nous avions débarqué , accompagnés d'un grand nombre de naturels. Les serviteurs de Shongui avaient pré- paré nos patates et nos provisions. Doua-Tara, avec la compa- gnie qui était venue avec nous, retourna à bord de l'Active, laissant M. Nicholas, Shongui et moi, passer la nuit dans l'île. Nous nous assîmes par terre pour souper; mais nous fûmes presque étouffés par les naturels qui nous entourèrent de si près que je fus obligé de tracer un cercle et de leur commander de ne pas le dépasser. Nous fûmes très-contens de ces peuples , ils le parurent éga- lement de nous, et manifestèrent tout leur désir de nous servir. Au bout d'une heure , nous retournâmes au camp de ceux de Wangaroa , qu'ils avaient reculé à un demi-mille au- 152 PIECES JUSTIFICATIVES. delà de la place où nous avions eu notre première entrevue avec eux. Ils avaient pris leur nouvelle position sur une pièce de terrain uni dont j'estimai la surface à cent acres à peu près. Ils nous reçurent très-cordialement. Nous nous assîmes parmi eux, et les chefs nous entourèrent. Je ramenai la conversation sur la destruction du Boyd, dans le but d'effectuer une réconciliation entre eux et les habitans de la baie des Iles ; persuadé qu'il serait d'une grande importance pour la mission d'établir la paix entre les partis ennemis. Les chefs me dirent dans quel état se trou- vait maintenant le Boyd; ils me promirent de me livrer les ca- nons et tout ce qui avait appartenu à ce navire, si je voulais aller dans leur baie. Ils avaient déjà porté, disaient-ils, quelques canons au rivage, et ils y porteraient les autres. Le chef Georges me dit que son père et cinq autres avaient péri à bord du Boyd, quand il prit feu. Son père avait fait porter sur le pont une partie de la poudre et quelques-uns des mousquets ; il essayait la pierre d'un fusil pour voir s'il ferait feu, quand une étincelle enflamma la poudre, mit le Boyd en feu et tua tous ceux qui étaient auprès. Georges me pressa d'aller dans son havre. Je lui répondis que je le visi- terais probablement avant de quitter la Nouvelle-Zélande, si le vent me le permettait; mais que je ne pouvais y aller pour le moment, eu égard à la quantité de nos vivres et au nombre de personnes qui se trouvaient à bord de V Active. Je lui parlai alors au sujet de la paix. Je lui représentai com- bien il serait préférable dans leur intérêt et dans leur bonheur de tourner tous leurs soins vers l'agriculture et l'amélioration de leur pays, plutôt que de continuer à combattre et à s'entre- tuer, maintenant qu'ils voyaient s'établir au milieu d'eux les Européens dont ils pourraient obtenir du blé pour ensemencer leurs terres, et des outils pour les cultiver. Je les assurai qu'ils recevraient des Européens toutes sortes de secours pour améliorer leur état présent , et que s'ils voulaient seulement s'appliquer à la culture de leurs terres, et renoncer aux guerres PIECES JUSTIFICATIVES. 153 et aux meurtres, ils deviendraient un peuple puissant et for- tuné. Georges répondit qu'ils ne se souciaient pas de combattre davantage , et qu'ils étaient prêts à faire la paix. On parla beau- coup de la Nouvelle-Zélande el de Port-Jackson que Georges avait visité. Je tâcbai de bien pénétrer son esprit des avantages supérieurs dont nous jouissions par notre manière de vivre dans nos maisons, etc., ce qu'il savait bien; j'ajoutai que ces avantages leur deviendraient communs en peu de temps s'ils cultivaient leurs terres , et s'instruisaient dans les arts utiles, qu'ils auraient désormais l'occasion d'acquérir par le moyen des colons européens. 11 parut sentir tous ces avantages, et exprima le désir de suivre mon avis. Nous étions entourés par tous les autres cbefs et leurs gens pendant notre conversation. Comme il se faisait tard, ces gens commencèrent à se retirer vers le reste de la troupe divisée en plusieurs groupes. Vers onze heures, M. Nicholas et moi nous nous enveloppâmes dans nos manteaux, et nous nous disposâmes à dormir. Georges me fit coucher à ses côtés , sa femme et ses enfans étaient à sa droite, et M. ISicholas près de moi. La nuit était claire, les étoiles brillaient au ciel, et la mer paisible s'étendait devant nous; de nombreuses lances fichées debout en terre nous en- touraient, et des groupes de naturels étaient étendus de tous côtés sur l'herbe, comme un troupeau de moutons, attendu qu'il n'y avait là ni tentes ni huttes pour les abriter. Je con- templais notre situation actuelle avec des sensations et des sentimens que je ne; puis exprimer. Environnés de cannibales qui auraient massacré et dévoré nos compatriotes, je m'émer- veillais des mystères de la Providence, etc. Vers trois heures du matin, je me levai et me promenai dans le camp pour examiner les divers groupes de naturels. Quel- ques-uns, pour me parler, sortaient la tète de dessous leurs kahous, qui ressemblent à des ruches d'abeilles. Quand le jour vint, nous contemplâmes les hommes, les femmes et 154 PIÈCES JUSTIFICATIVES. les enfans endormis de toutes parts comme des animaux. J'avais ordonné au canot de venir nous reprendre à terre au point du jour, et bientôt après Doua-Tara arriva dans le camp. La paix établie entre W angaroa et la baie des Iles. Alors j'invitai les chefs à venir déjeuner à bord de l'Active , ils acceptèrent sur-le-champ cette invitation. Nous partîmes tous avec le canot, et plusieurs pirogues poussèrent au large au même instant pour aller à bord du navire. D'abord à cause de l'affaire du Boyd, j'eus quelque doute que les chefs vou- lussent se hasarder sur l'Active, dans la crainte d'y être déte- nus quand ils seraient une fois en mon pouvoir : mais, loin de montrer aucun signe de frayeur , ils se rendirent à bord avec une confiance très-marquée. Je fis part à Doua-Tara du dessein que j'avais de leur faire quelques présens. Il me dit que quel que fût l'objet que je donnerais à l'un d'eux, il faudrait en donner un semblable à chacun des autres; chaque article devait leur être ainsi dis- tribué, en commençant par le plus âgé. Les haches, les ha- meçons , les estampes , etc., que je voulais leur donner, étaient prêts. Après le déjeuner, les chefs s'assirent dans la chambre, en grande cérémonie, pour recevoir les présens. Je pris place d'un côté de la table et eux de l'autre. Doua-Tara était de- bout, et prenait chaque article séparément. MM. Kendall, Hall et King, ainsi que le maître de V Active et son fils, furent l'un après l'autre présentés aux chefs. On leur expliqua en même temps quelle sorte de fonctions chacune de ces per- sonnes était appelée à remplir ; savoir: que M. Kendall ins- truirait les enfans; M. Hall construirait les maisons, les ca- nots, etc.; que M. King fabriquerait les lignes de pêche, et M. Hanson commanderait F Active qui serait employé à ap- porter de Port-Jackson les haches et tous les autres articles né- cessaires pour la culture des terres et l'amélioration du pays. PIECES JUSTIFICATIVES. 155 Quand on eut terminé la cérémonie de donner et recevoir les présens , j'exprimai l'espoir qu'il n'y aurait plus de guerre, mais qu'à dater de ce moment ils se réconcilieraient les uns avec les autres. Doua-Tara, Shongui et Koro-Koro secouèrent la main des chefs de Wangaroa, et pour signe de réconcilia- tion ils se saluèrent mutuellement en se touchant le nez. Je fus ravi de voir ces gens amis , et je souhaite sincèrement que cette union ne soit jamais rompue. Aussi je considérai comme bien employé le temps durant lequel nous avions été arrêtés par les vents contraires. Les chefs prirent ensuite congé de nous, très-satisfaits de nos attentions pour eux, et promirent de ne plus maltraiter à l'avenir les Européens. Arrivée à la baie des //es. N'ayant plus rien à faire, et le vent devenant favorable, dans l'après-midi nous dérapâmes, fîmes route pour la baie des Iles, et atteignîmes l'entrée du havre. INous rencontrâmes une pirogue de guerre appartenant à Koro-Koro qui réside sur la partie méridionale de la baie. Dans cette pirogue se trou- vaient le fi Is de Koro-Koro et une partie de ses serviteurs. Ils furent enchantés de revoir leur chef. Celui-ci laissa son fils à bord, et s'en retourna immédiatement à terre dans sa pirogue. Vers trois heures après midi, le mercredi 22 décembre, nous mouillâmes sur la bande nord du havre, à environ sept milles de l'entrée, dans une anse vis-à-vis la ville de Rangui- Hou où Doua-Tara avait coutume de résider. L Active fut aussitôt environné de pirogues. En allant à terre, Doua- Tara et Shongui trouvèrent en bonne santé leurs parens et leurs amis, qui versèrent des larmes de joie de leur retour; les femmes se déchirèrent de la même manière que celles des Ca- valles, avec des coquilles et des cristaux, jusqu'à ce que le sang ruisselât. Ce fut en vain que je tentai de les en dissuader, elles considéraient cette action comme la plus forte preuve 156 PIECES JUSTIFICATIVES. de leur affection. Le jour suivant, nous débarquâmes les che- vaux et le bétail, et désignâmes le local pour l'établissement des colons. On travailla à le dégager des broussailles, et on disposa pour y élever des maisons une pièce de terre contiguë à la ville des naturels, et désignée parDoua-Tara et les chefs de l'endroit. On reçoit une visite en règle de Koro-Koro. Samedi, sur les huit heures du matin, Koro-Koro qui ha- bite à neuf milles environ de la station des colons, vint nous offrir ses respects. Il était accompagné de neuf pirogues rem- plies de ses guerriers, avec quelques femmes et des enfans. Les pirogues s'avancèrent en ordre sur un seul rang, les pavillons flottans; nous hissâmes nos couleurs dès que nous les aperçû- mes. Quelques-uns des officiers du chef dirigeaient debout tous les mouvemens, tant par des ordres verbaux que par les signaux qu'ils exécutaient avec leurs larges patous ornés de plumes , qu'ils tenaient à la main et dans un mouvement continuel. Koro-Koro était revêtu de son costume national, ainsi que son frère Touaï , peints d'ocre rouge en leur qualité de guer- riers , et parés de plumes dans leur chevelure. Leur ensemble offrait un aspect tout-à-fait belliqueux. Ils s'avancèrent en toute hâte vers l'Active , et se tinrent dans un ordre très-régu- lier, chacun frappant sa pagaie au même instant, si bien que tous ces mouvemens ne faisaient qu'un seul et même coup. Lorsqu'ils approchèrent, ils se mirent à chanter leur hymne guerrier et à faire des gestes et des menaces, comme s'ils étaient résolus à attaquer le navire. Ils furent salués par une décharge de treize petits canons. Le chant de victoire fut alors entonné dans les pirogues, et leur représentation militaire terminée. Alors Koro-Koro , avec les chefs qui l'avaient accompa- gné , monta à bord , et nous fit divers présens de la manière la plus polie. Quantité de chefs d'autres districts se trouvaient PIECES JUSTIFICATIVES. 157 aussi sur le navire. Koro-Koro nous les présenta tous l'un après l'autre ; il insista sur les attentions particulières que chacun de nous lui avait prodiguées durant son séjour à Port-Jackson, et regretta que la pauvreté de son pays ne lui permît pas de recon- naître notre politesse suivant ses désirs. Il se donna beaucoup de soin aussi pour expliquer aux autres chefs dans quel but MM. Kendall , Hall et King venaient résider dans la Nouvelle- Zélande. Doua-Tara et ses amis furent présens à cette visite, et aidèrent à diriger les cérémonies et les formalités nécessaires pour recevoir convenablement Koro-Koro et sa suite. Divertissement. — Combat simulé. Il avait été convenu entre Doua-Tara et Koro-Koro, sans que nous en fussions instruits, que quand le dernier viendrait nous présenter ses respects, nous serions régalés d'un simulacre de combat. Après avoir pris quelques rafraîchissemens , on se prépara à descendre à terre. Koro-Koro devait feindre une attaque sur les gens de Doua-Tara et prendre la place d'assaut. Quantité de pirogues pleines de monde et appartenant aux au- tres chefs vinrent nous joindre. Au moment ou Koro-Koro quitta V Active, M. Nicholas, les colons et moi descendîmes avec lui. Doua-Tara avait rangé tous ses guerriers en bataille, armés de leurs lances et de leurs instrumens de guerre. Les pi- rogues de Koro-Koro s'avancèrent vers le rivage dans le même ordre de bataille où elles s'étaient approchées de V Active. Un chef appartenant à Doua-Tara , et tout-à-fait nu , courait en armes et avec fureur le long du rivage; il poussait des cris horribles, et défiait ses adversaires de débarquer. A mesure que les pirogues approchaient de terre, ceux qui étaient de- dans redoublaient leurs cris et leurs gestes menaçans. Enfin, ils sautèrent de leurs pirogues à la mer, et, réunis en une troupe serrée, ils commencèrent l'attaque. Les hommes de Doua- Tara firent retraite en toute hâte, et les autres les avaient poursuivis à une distance considérable, quand les fuyards fai- 158 PIECES JUSTIFICATIVES. sant tout-à-coup volte face , attaquèrent à leur tour leurs as- saillons. La mêlée devint alors générale. Plusieurs femmes étaient au fort du combat : parmi elles la vieille veuve de Te- pahi qui n'avait guère moins de soixante-dix ans , et la femme de Doua-Tara armée d'un patou de sept pieds de long, fabri- qué avec la mâchoire d'une baleine. Elle brandissait cette arme au milieu de la mêlée, et s'élançait au travers des hommes dans leurs diverses évolutions, soit qu'ils marchassent en avant, soit qu'ils battissent en retraite. Les deux partis coururent et luttèrent jusqu'à s'épuiser de lassitude ; les uns furent terrassés et les autres foulés aux pieds, puis ils se for- mèrent en une troupe serrée, poussèrent ensemble des cris de victoire, et exécutèrent une danse guerrière qui termina cette représentation. Pendant l'action , Doua-Tara comman- dait un parti et Koro-Koro l'autre. On fait voile pour le district du bois de construction. Lundi, 26 décembre i8i4- — Comme il n'y avait point à Rangui-Hou de bois propre à la construction des bâtimens nécessaires pour l'établissement, je me déterminai à conduire l'Active dans le district où il s'en trouvait; j'appris que c'était à vingt milles de distance environ, sur la côte opposée de la baie, et au bord d'une rivière d'eau douce. Cette résolution devait épargner une dépense considérable, et nous fournir tout d'un coup de ce qui était nécessaire. Ainsi je donnai l'or- dre de débarquer tout le fer et les divers autres articles, pour les confier aux soins de Doua-Tara. La volaille fut mise à terre ; les scieurs et les forgerons, ainsi que le jeune M. Han- son , quittèrent aussi V Active. Je leur ordonnai de cons- truire , avec l'aide des naturels , une cabane de soixante pieds de long sur seize de large, pour recevoir les colons et leurs familles. Quand nous revînmes du district du bois, les natu- rels nous parurent disposés à nous assister de tout leur pou- voir. PIECES JUSTIFICATIVES. 159 Je reconnus que nous étions bien pauvres en haches et autres objets d'échange : car les présens que j'avais faits au cap Nord et le long de la côte , avaient beaucoup réduit notre provision. Nous avions aussi oublié d'apporter du charbon de terre de Port-Jackson, inconvénient auquel je ne savais trop com- ment remédier, car l'on ne pouvait rien faire , ni acheter aucune provision des naturels, sans haches et sans instru- mens de charpentier. Je n'eus pas d'autre parti à prendre que de dresser la forge et de faire faire du charbon de bois, afin que le forgeron pût se mettre au travail et fabriquer des haches et autres objets du goût des insulaires. En conséquence je priai quelques naturels d'aider au forgeron à faire du charbon et à monter sa forge, pendant le voyage de F Active. Mardi, 27 décembre. — Après avoir donné les ordres que je jugeai nécessaires, nous levâmes l'ancre, et fîmes voile pour le district du bois , emmenant avec nous tous les colons et leurs familles. fisite au chef Tara. Ce district appartenait à un autre chef nommé Tara qui pa- raissait âgé de soixante-dix ans. Tara est le chef principal de la partie méridionale ; c'est un homme qui exerce une grande influence. Je jugeai qu'il serait prudent de lui rendre visite pour lui demander la permission de couper le bois dont nous avions besoin. En conséquence, arrivés près de son village, nous descendîmes, MM. Nicholas, Kendall , King et moi, pour- le saluer, et je pris avec moi un jeune parent du chef, âgé d'environ dix-sept ans, qui avait été près de neuf ans absent de la Nouvelle-Zélande , et qui avait passé la dernière partie de ce temps chez moi, à Parramatta. 11 avait aussi vécu plusieurs années à l'île Norfolk, chez un M. Drummond qui s'était montré fort bienveillant pour lui. Quand nous dé- barquâmes, je trouvai Tara assis sur le rivage, avec quelques- uns de ses chefs et avec les hommes de sa tribu. Il nous reçut 160 PIECES JUSTIFICATIVES. très-cordialement, et versa beaucoup de larmes, particuliè- rement en revoyant son jeune parent ; plusieurs autres l'imi- tèrent et pleurèrent à chaudes larmes. Je lui présentai une hache, une herminette et quelques ciseaux, avec d'autres ba- gatelles. Il répondit qu'il n'avait pas besoin d'autre faveur de moi que celle de ma compagnie, ayant souvent entendu par- ler de moi à ceux de son peuple et à d'autres. Je lui expli- quai que le but de ma visite était de lui demander son agré- ment, afin de couper du bois dans son district, pour bâtir les maisons des Européens à Rangui-Hou. 11 témoigna désirer vivement qu'ils voulussent bien venir habiter avec lui. Je lui fis observer qu'ils ne pouvaient le faire pour le moment-, et qu'ils devaient rester avec Doua-Tara par suite de notre an- cienne connaissance avec ce chef, mais qu'avec le temps quel- ques Européens viendraient vivre avec lui. Tara nous donna la permission de prendre tout le bois dont nous aurions besoin. Il m'apprit que le blé qu'il avait reçu de l'Active dans son précédent voyage, était en pleine croissance. J'allai le visiter, et le trouvai presque mûr. Comme V Active continuait de faire roule , que la nuit ap- prochait, et qu'on m'avait dit que nous étions k plusieurs milles de l'endroit où nous pourrions mouiller, je voulais prendre congé; mais le vieux chef ne voulut point y consentir avant que nous eussions pris quelque nourriture. 11 ordonna à ses esclaves de préparer le plus vite possible quelques patates douces: suivant eux, c'est l'aliment le plus exquis. En quel- ques minutes , un panier de ces racines cuites fut prêt et servi devant nous. Le chef s'assit près de nous , avec ses femmes et quantité d'hommes, de femmes et d'enfans. Il ne voulut point manger avec nous, et ne le permit à aucun de ses gens ; quand nous le quittâmes, il ordonna qu'on mît deux paniers de pa- tates douces dans notre canot. Je l'invitai à venir à bord de l'Active, ce qu'il promit, et nous lui fîmes nos adieux, très- reconnaissans de l'accueil que nous avions reçu de lui et de son peuple. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 161 Arrivée à Kawa-Kawa. Mercredi 28 décembre i8i4- — Ce matin nous reçûmes la visite d'un grand nombre de naturels de différens districts. Je fis marché avec quelques-uns des chefs inférieurs pour une cargaison d'espars. L Active était mouillé à douze milles en- viron de la rivière d'eau douce où croissaient les pins : comme il ne s'y trouvait pas assez d'eau pour recevoir le navire, je la remontai avec MM. Nicholas et Hall, pour visiter les bois ; sur les bords de cette rivière, nous trouvâmes un village con- sidérable nommé Kawa-Kawa. Quand notre arrivée fut con- nue, nous fûniÇs bientôt environnés de naturels qui rivali- saient de soins à notre égard. Aucun de nous ne conçut plus d'inquiétude que si nous eussions été au milieu d'Euro- péens. En dix jours environ notre cargaison fut embarquée, et nous fûmes prêts à retourner à Rangui-Hou. Pendant que les naturels étaient occupés à couper du bois, M. Nicholas et moi, nous visitâmes différens lieux, à plusieurs milles à la ronde; nous passâmes une nuit avec un vieux chef qui nous donna des détails sur le séjour du capitaine Cook à la baie des Iles. En ee temps, lui-même était encore un jeune homme. Il nous montra l'endroit où les Européens avaient planté leurs tentes, lavé leur linge, fait l'eau du navire et coupé leur bois, et il rapporta plusieurs faits qui eurent lieu à cette époque. Retour à Rangui-Hou. 6 janvier i8i5. — Notre cargaison étant prête , nous levâmes l'ancre , et fîmes voile de Kawa-Kawa pour Rangui-Hou. Quand nous arrivâmes, la cabane que j'avais donné ordre de construire était presque terminée. Mon intention était, aussi- tôt que les colons et leur bagage seraient débarqués en sûreté, de faire voile, soit pour Wangaroa , soit pour la rivière Ta- tome m. 1 1 162 PIECES JUSTIFICATIVES mise, suivant que le vent nous le permettrait. Plusieurs natu- rels de Wangaroa avaient visité V Active depuis que la paix avait été rétablie entre eux et la Laie des Iles. Départ pour ff^aï-Mate. Lundi 9 janvier. — Comme la cabane pour recevoir les colons ne pouvait être terminée avant quatre ou cinq jours, je convins avec Shongui de visiter un de ses villages dans l'inté- rieur, éloigné de trente-cinq milles environ de Rangui-Hou. M. Nicholas s'offrit à m'accoinpagner. Le matin , de bonne heure, Sbongui, Doua-Tara, sa femme et plusieurs cbefs vin- rent nous prendre à bord de l' Active dans une pirogue de guerre. Nous devions d'abord gagner le fond d'une branche occidentale du havre , et de là nous rendre à pied à un lieu nommé Waï-Mate , où le village est bâti. Après le déjeuner, nous quittâmes l'Active et entrâmes dans la pirogue, qui était très-grande et commode. Seize personnes pouvaient pagayer de chaque bord. Nous pouvions à notre choix nous asseoir ou nous courher. Ces pirogues naviguent avec rapidité, et offrent aux passagers un moyen de transport fort agréable. Il y en a qui ont quatre-vingts et quatre-vingt- dix pieds de long. Une pirogue plus petite nous suivait, avec quelques-uns des serviteurs de Shongui. Vers onze heures, nous atteignîmes le fond de la baie que nous jugeâmes distant de quinze milles de l'Active. Nous débarquâmes dans un champ de patates appartenant au frère de Shongui , nommé Kangaroa , chez qui nous devions prendre quelques rafraîchis- semens avant de poursuivre notre voyage. Doua-Tara et sa femme étaient déjà partis pour leurs fermes. Les serviteurs étaient tous occupés, les uns à planter les patates , d'autres à les faire rôtir. Comme j'entendais à une petite distance le bruit d'une forte cbute d'eau , j'allai la visiter tandis que les patates cui- saient, et je vis une rivière d'eau douce se précipitant sur PIÈGES JUSTIFICATIVES. 163 un banc de rochers qui barrait son lit d'un bord à l'autre. J'estimai la hauteur de la chute à neuf pieds perpendiculaires : l'eau serait assez abondante pour faire agir des moulins de tout genre. Une portion unie de roc solide barrait com- plètement la crique d'eau salée, et formait une écluse sem- blable à plusieurs de nos écluses artificielles en Angleterre. L'eau semblait provenir de sources régulières, attendu que les bords de cette rivière n'offraient point , comme à la Nou- velle-Hollande, d'indices de pluies violentes. Des deux côtés la terre semblait d'une bonne qualité. Après avoir pris quelques alimens, nous nous mîmes en route pour Waï-Mate. Durant les trois ou quatre premiers milles, nous passâmes au travers d'un pavs riche et généralement uni. La terre était dégagée de bois , et eût été facilement labourée. Elle me parut être une bonne et forte terre à blé ; des fou- gères la couvraient en entier. Pendant les six milles suivans, la terre était de qualités variables, tantôt bonne, tantôt ro- cailleuse, quelquefois marécageuse, et d'autres fois mêlée de gravier. Tout cet espace, pris en masse, formerait un bon établissement d'agriculture. Il est baigné par plusieurs beaux torrens qui sont rarement à plus d'un mille de distance les uns des autres, et que bordent en divers endroits des pins im- menses et d'autres bois de construction. Quand nous eûmes fait près de dix milles, nous entrâmes dans une superbe forêt, où j'observai les plus beaux pins que j'eusse jamais vus. Nous en mesurâmes un qui avait plus de trente pieds de tour, il s'élevait probablement à plus de cent pieds, sans porter une seule branche. A celte hauteur, il sem- blait encore presque de la même épaisseur qu'à sa racine. Visite au village du chef Tarcha. Tandis que nous traversions ce bois , nous rencontrâmes une femme de chef, qui fut enchantée de nous voir. Le nom de son mari était Tarcha , et c'était un fort bel homme. Il s'é- 164 PIECES JUSTIFICATIVES. tait trouvé à bord de l'Active quelques jours auparavant ; il me raconta alors que, peu de temps avant, l'équipage d'un ca- not appartenant à un baleinier était entré dans ses cbamps, à la baie des Iles, pour voler ses patates; il avait placé son père et quelques-uns de ses gens pour les veiller, mais les Européens avaient tué à coups de fusil , son père , un bomme et une femme. Il se mit ensuite en faction lui-même, et tua trois Eu- ropéens. Je compris que ces Européens appartenaient à un baleinier nommé le New-Zealander. Peu après la rencontre de la femme de Tareba , nous arri- vâmes dans son village , situé sur les bords d'un beau cours d'eau douce , et entouré de beaucoup de terre fertile. Nous de- mandâmes combien il avait de femmes, et l'on nous répondit dix. Tareba était absent, mais ses femmes nous prièrent ins- tamment de partager leur repas. Il y avait beaucoup de servi- teurs des deux sexes. Nous nous rendîmes à leurs désirs; Sbongui ayant tué un canard sauvage, nous l'avions sur- le-champ apprêté, tandis que les serviteurs de Tareha pré- paraient une quantité de patates pour toute la compagnie. Nous nous arrêtâmes deux heures dans ce village. Les habi- tans avaient beaucoup de beaux cochons, mais point d'autres animaux, excepté des chiens. Les Nouveaux-Zélandais sont des hommes très-joyeux. Nous fûmes régalés d'une danse et d'une chanson , et ils se montrèrent très-gais tout le temps que nous demeurâmes avec eux. Arrivée à Waï~Male. Nous prîmes congé d'eux , un peu avant le coucher du soleil, et continuant notre voyage, nous arrivâmes au village de Shongui juste à la nuit tombante. Nous fûmes reçus avec les plus vives acclamations par son peuple, dont une partie versait des larmes de joie. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 165 Description de H^aï-Mate. Ce village contient environ deux cents maisons. Il est situé sur le sommet d'une colline presque inaccessible , et il est très- bien fortifié , tant par l'art que par la nature. Trois tranchées très-profondes ont été creusées sur les flancs de la colline, l'une au-dessus de l'autre , et chacune d'elles est défendue par une palissade d'arbres entiers ou fendus, de douze à quinze pieds de hauteur. Nous entrâmes dans cette singulière forte- resse par une porte étroite , et Shongui nous fit voir comment il défendait sa place en temps de guerre. 11 avait un petit ré- duit secret où il pouvait se cacher pour faire feu sur l'ennemi. Dans l'enceinte de cette place , chaque petite cabane est pa- lissadée. Quelques-unes des maisons de pierre, destinées à re- cevoir les lances ou les provisions, ont trente pieds de long sur vingt de large, et sont bien bâties. Les toits sont en chau- me, et les bords ont quelquefois une saillie de trois pieds en dehors, pour en écarter la pluie et tenir la maison sèche. Au centre de la forteresse, au sommet même du mont , une plate-forme de six pieds de long sur trois de large s'élève à six pieds de terre sur un seul poteau formé d'un tronc d'arbre solide. C'est là que s'asseoit le chef pour son plaisir ou pour affaire; par exemple, lorsque les circonstances exigent qu'il consulte sa peuplade. De cette place, la vue commande sur toute la région environnante, dans toutes les directions. Près de la plate-forme est une petite cabane élevée à quatre pieds de terre, longue de trois pieds et de deux de large, avec une petite figure placée sur le côté gauche de la porte. Cette figure n'excède pas un pied de hauteur. Au devant se trouve un siège où se place la femme du chef quand elle mange ; ses provisions sont déposées dans ce petit édifice. On passe la nuit à Waï-Male^ Vers neuf heures, on nous annonça (pic la chambre où 166 PIECES JUSTIFICATIVES. nous devions coucher élait prête. Quelques nattes propres avaient été étendues sur le plancher pour nous servir de lits. Nous nous enveloppâmes dans nos manteaux, et nous nous couchâmes. Plusieurs naturels étaient étendus par terre en di- vers sens , les uns à l'abri , les autres en plein air. Nous avions • passé une journée très-agréable, et nos longues promenades nous avaient préparés à un profond sommeil, bien que nous fussions privés de lit de plume. On visite le lac d'eau douce de Maupcre. Mardi 10 janvier 181 5. — Le malin, de bonne heure, nous nous levâmes dans l'intention de visiter un lac d'eau douce, nommé Maupere, distant de cinq milles environ du village. Nous nous mîmes en route accompagnés de Shongui , de plu- sieurs chefs et d'une foule de serviteurs. Notre chemin tra- versait une forêt composée de diverses espèces de bois, entre autres de pins magnifiques. Nous ne pouvions contempler ces merveilleuses productions de la nature sans une respectueuse admiration. Notre route vers le lac traversait des terrains très-féconds; bientôt nous arrivâmes à un petit village où les gens de Shon- gui travaillaient à préparer leur terre pour planter les pa- tates. Il y en avait une très-belle récolte presque mûre. La terre était sèche et fertile, et les patates très-farineuses; je n'en ai jamais vu de plus belles ni de cultivées avec plus de soin. Quand nous eûmes marché près de deux milles , nous arri- vâmes au lac. Il peut avoir quinze milles environ de circon- férence. On nous apprit qu'il se déchargeait dans une ri- vière qui coule vers la côte occidentale de la Nouvelle-Zé- lande, et qui n'est éloignée du lac que dune heure de mar- che. Au nord de ce bassin , la terre paraissait très-bonne. Nous nous amusâmes durant deux heures environ à examiner le lac et les terrains qui en dépendent. Puis nous retournâmes au der- PIECES JUSTIFICATIVES. 167 nier village, où nous dînâmes avec un canard sauvage, des patates et quelques provisions que nous avions apportées. Shongui avait tué ce canard dans le lac. Ensuite nous retour- nâmes a la forteresse, où nous passâmes la nuit. Etendue et culture du district de Shongui. Le peuple de Shongui paraît très-industrieux. Hommes et femmes se levaient à la pointe du jour; les uns étaient très-occupés à faire des corbeilles pour les patates , d'autres à préparer du lin ou à tisser des nattes. Personne ne restait inactif. Shongui et son frère Kangaroa possédaient une grande étendue de terre, semblable à un des comtés d'Angleterre. Elle s'étend de la côte orientale à la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande ; elle est bien arrosée. Nous remarquâmes beaucoup de terrains très-propres à la culture. Shongui avait, près du village où nous étions, une pièce de terre qui me parut de quarante acres environ , toute entourée de palis- sades avec des traverses pour en défendre l'accès aux cochons. Une grande partie était plantée en navels, en patates douces et pommes de terre parfaitement cultivées. On n'y laissait pousser aucune mauvaise herbe, mais avec une patience et un travail incroyables on arrachait tout ce qui eût pu faire tort à la ré- colte. Leurs ustensiles d'agriculture sont principalement en bois; les uns ont la forme d'une bêche, d'autres celle d'une pince. Ils ont un grand besoin de haches, de pioches et de bêches pour retourner la terre. S'ils pouvaient s'en procurer, leur pays prendrait un tout autre aspect. Sans le fer, l'homme ne saurait défricher et dompter une terre inculte dans une certaine étendue. Les Nouveaux-Zélandais, à cet égard, ont lait tout ce qu'on pouvait attendre de la force et de l'intelli- gence de l'homme, dans leur position. Shongui me montra un coin de terre cultivé en blé d'une grande beauté, et provenant de la semence que j'avais envoyée 1G8 PIECES JUSTIFICATIVES. sept mois auparavant. Il était presque mûr; l'épi était épais et bien plein. Ce chef en faisait un grand cas, car il avait appris à en connaître la valeur pendant le peu de mois qu'il avait résidé à Parramatta. J'avais aussi envoyé un peu de graine de lin d'Angleterre. Il avait été semé, et était venu bien supérieur à celui que j'avais observé dans la Nouvelle-Galles du Sud. Sbongui nous traita, durant cette visite à son village, avec tous les égards et l'bospitalité que ses moyens lui permirent. Il avait tué deux cochons, et tout ce qui nous en fut néces- saire fut préparé selon notre propre coutume. On revoit le villave de Tareha. Mercredi il janvier i8i5. — Ce matin, de bonne heure, nous prîmes congé de cette singulière forteresse et du peuple qui l'habitait, avec le projet de déjeuner au village de Tareha distant de cinq milles environ. Shongui ordonna à ses servi- teurs d'emmener avec eux deux beaux cochons, pour les be- soins du navire. Nous arrivâmes au village de Tareha un peu avant sept heures , et nous fûmes honnêtement reçus. Les feux furent allumés et on prépara le déjeuner. Nous fûmes ici joints par plu- sieurs naturels que nous n'avions pas encore vus. Tareha n'était point de retour. Quand nous eûmes fini de déjeuner, M. Nicholas et moi , je fis du thé pour les femmes de Tareha et de Shongui, qui nous entouraient. Elles refusèrent toutes d'en prendre; Shongui me dit qu'elles étaient tabouées , et qu'il leur était défendu de rien prendre autre que de l'eau. Je pressai Shongui de per- mettre à une de ses femmes qui avait un petit enfant d'un mois environ, et qui nous avait suivis depuis son village, d'en prendre un peu. Il me répliqua qu'elle ne pouvait pas le faire, car si elle le faisait, l'enfant mourrait. J'étais pleinement con- vaincu que ce refus de prendre du thé était fondé sur quel- PIEGES JUSTIFICATIVES. 169 ques notions superstitieuses , car elles étaient toutes passion- nées pour le pain et le sucre. Je leur distribuai ce qui en res- tait , et Shongui but le thé avec tous les autres chefs. Retour à bord de V Active. Au bout de deux heures environ nous nous dirigeâmes vers l'anse où nous avions laissé la pirogue de guerre, le lundi matin. La distance que nous eûmes à parcourir était de dix milles en- viron. Notre troupe se composait de vin«t-cinq personnes, tons Nouveaux-Zélandais, excepté M. Nicholas et moi. En trois heures nous atteignîmes la pirogue. Ici nous nous arrê- tâmespour dîner, puis nous fîmes route vers l Active. Quand nous ne fûmes plus qu'à sept milles du navire , nous rencontrâmes Doua-Tara dans sa pirogue de guerre , avec un renfort de provisions, particulièrement de thé , sucre et pain. Il craignait que nous n'eussions besoin de ces articles , attendu que nous avions déjà été absens un jour de plus que nous ne comptions en quittant l' Active. Quand Shongui et Doua-Tara furent près l'un de l'autre, ils tirèrent chacun un coup de fusil, cérémonie qui passait à leurs yeux pour une marque de politesse. Ces deux pirogues de guerre étaient presque semblables, et les naturels eurent envie d'essayer leur force et leur habileté, pour voir laquelle irait le plus vite. Shongui commandait l'une et Doua-Tara l'autre. Elles marchaient si rapidement qu'il était impossible déjuger, parfois, laquelle aurait l'avantage. Nous nous amusâmes beaucoup de l'adresse des naturels et de l'accord parfait avec lequel ils maniaient leurs pagaies. Dans chaque pirogue un homme donnait le signal pour chaque coup, et il changeait à chaque instant : quelquefois les coups de pa- gaies étaient lents et alongés , d'autres fois vifs et précipités. En peu de temps nous atteignîmes V Active. 170 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Les colons débarquent à Rangui-Hou. Le lundi matin , avant de quitter le navire, j'avais recom- mandé aux colons et à leurs familles de débarquer avec tous leurs effets dès que le bâtiment serait prêt pour les recevoir. A mon retour, je trouvai M. Kendall et toute sa famille à terre, et tous les préparatifs faits. pour que MM. Hall et King pussent les suivre. Comme je me proposais de faire voile pour Wangaroa ou pour la rivière Tamise aussitôt que l'Active serait débarrassé, j'allai à terre afin de faire les dispositions nécessaires pour mon départ. Quand je débarquai, on m'informa qu'un chef nommé Ware, neveu de feu Tepabi , était furieux contre sa femme et l'avait battue, pour avoir trouvé un clou en sa possession. Le clou avait excité la jalousie de Ware , et il avait voulu savoir com- ment elle se l'était procuré. Elle répondit qu'un homme de V Active le lui avait donné en présent. Ware ne put s'imagi- ner qu'aucun homme eût voulu faire à sa femme un cadeau d'un aussi grand prix, si sa conduite n'avait été repréhensible. Je craignis que cette désagréable affaire n'eût des conséquen- ces sérieuses , si l'esprit du chef n'était rassuré sur la chas- teté de sa femme. Je fis demander Doua-Tara , et me con- sultai avec lui : il fut arrêté que nous ferions appeler l'homme qui passait pour avoir donné le clou à la femme du chef, et que s'il était convaincu d'une action malhonnête , il serait mis au cachot à bord. Une enquête publique eut lieu à ce sujet , en présence des chefs et de plusieurs habitans, sur la plage où ils ont coutume d'exécuter leurs danses et leurs exercices guer- riers. La femme de Ware et l'Européen accusé furent con- frontés ; la femme se défendit avec beaucoup de chaleur; elle avoua qu'elle ne pouvait prouver l'identité de l'homme qui lui avait donné le clou , mais qu'elle l'avait reçu en pur pré- sent. Après un long examen, elle fut acquittée d'une voix PIÈCES JUSTIFICATIVES. 171 unanime par les chefs, à la satisfaction de toutes les parties. Je saisis cette occasion pour les assurer que si quelqu'un de l'Active les insultait ou les maltraitait , il serait puni. Quand cette affaire fut terminée , M. et madame Hall fu- rent débarqués, ainsi que le reste des provisions. Le matin suivant {vendredi i3 ), M. et madame King descendirent aussi à terre, puis le navire fit de l'eau et du bois pour reprendre aussitôt la mer. On fait voile pour la rivière Tamise. Vendredi l3 janvier 181 5. Vers trois heures du soir, nous fîmes voile pour sortir de la baie. J'avais pour escorte Doua- Tara, Koro-Koro , et vingt-cinq autres Nouveaux-Zélandais ; c'étaient de fort beaux jeunes gens, sur lesquels on pouvait compter; plusieurs d'entre eux étaient les fils des principaux chefs des deux côtés de la baie. Nous suspendons le récit de M. Marsden, pour donner ici la revue de l'équipage de V Active au moment de son départ pour la rivière Tamise , telle que nous l'a donnée M. Nicholas. « Peut-être, ainsi qu'il le remarque, n'eut-on jamais l'occasion d'en voir une aussi singulière. » Revue de l'équipage du brick l'Active, lorsqu'il quitta la baie des Iles pour la rivière Tamise , le \i janvier i8i5. Thomas Hanson , maître , Anglais. Alexander Ross, contre-maître, Écossais. Patrick Schaffery, matelot, Irlandais. Thomas Hamilton, idem. John Hunier , charpentier, né de parens anglais à la Nouvelle-Galles du Sud. Rev. S. Marsden, passager, Anglais. John Liddiard Nicholas, idem. 172 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Nouveaux- Zêlandais embarqués à bord pour escorte. Doua.-Ta.ra , chef de Tepouna. Koro-Koro , chef de Paroa. Te Rangui et Touai , frères de Koro-Koro. Tara-M anoure , garçon de dix ans , fils de Koro-Koro. Temarangai, chef de lkau-Rangui , à vingt milles à l'ouest de Tepouna. Tawa , fils de feu Tepahi , par une femme prisonnière fille d'un chef et prise à la rivière Tamise. Waïdoua, neveu de Shongui. Oudi-Okouna , neveu du feu chef Tepahi. Tohou , fils de Moka , chef sur la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande , opposée à la baie des Iles. Aroa, fils d'un prêtre de W aï-Mate. Inga , fils de Tou , chef de Paroa. Inaki , petit-fils de Waraki , chef de la rivière Waï- Tangui. Pito-Rehou , fait prisonnier dans sa jeunesse par Koro- Koro à la rivière Tamise. Kahi, fils de Mahou, chef à Kawa-Kawa. Mawi, marin. Porodi , neveu de Shongui. Tepero , homme de Koro-Koro. Tiko-Katawiti, Kouhou , Moudî-Wenoua , F guerriers appartenant à Doua- Titi-Koue , [ Tara. Tanga , ToUKI-ToURA , Waraki , marin. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 173 Pahi, marin. Pounai, marin, natif de Taïti. Tou , marin , natif de Borabora. En tout : Gens civilisés 7 Sauvages (ainsi qualifiés). . . 28 Total 35 Tentative pour atteindre TVangaroa. M. Marsden poursuit ainsi : J'étais dans l'intention, si le vent le permettait, de faire voile d'abord pour Wangaroa, attendu que nous y avions été invités par plusieurs des habitans, qui étaient venus à Rangui- Hou depuis que les nôtres y étaient établis. En môme temps, je jugeai qu'il serait prudent de prendre avec moi un nombre d'hommes suffisant, dans le cas où quelque querelle viendrait à naître, soit à Wangaroa, soit à la rivière Tamise, ou sur tout autre point de la côte où nous pourrions toucher. Quand nous fûmes dehors, le vent fut bon pour Wangaroa, et nous nous dirigeâmes vers ce point; mais quand nous arrivâmes près des Cavalles, le vent changea tout- à-coup, et nous con- traignit de mouiller entre ces îles et le continent , à cinq lieues environ au sud de Wangaroa. Nous y restâmes toute la nuit. Peu après que nous fûmes mouillés , trois pirogues arrivè- rent des Cavalles. Quelques-uns de ceux qui les montaient vinrent à bord, et y restèrent jusqu'après le coucher du so- leil; quand ils furent partis, il manqua au charpentier le ci- seau avec lequel il travaillait. Doua-Tara en fut très-cour- ♦ 174 PIECES JUSTIFICATIVES. roucé , car nous étions convaincus que quelquvun des naturels l'avait pris. Le canot fut aussitôt armé par les hommes de Doua-Tara, et il s'avança vers une des îles. Je priai Doua- Tara, s'il trouvait le voleur, de ne point le maltraiter, mais de se borner à reprendre le ciseau. Une heure après ils revin- rent, sans avoir pu trouver le voleur, car ils avaient débar- qué sur une autre île, à cause de l'obscurité de la nuit. Samedi i4 janvier i8i5. Au point du jour, une pirogue vint nous annoncer qu'on savait où était le voleur, et demander du secours pour s'en emparer; mais je jugeai plus sage de laisser tomber l'affaire que de retarder notre voyage. Nous avions déjà levé l'ancre pour nous avancer vers Wangaroa, avec une petite brise qui venait de se déclarer; mais le calme ne tarda pas à revenir, et nous obligea à mouiller de nouveau. Dans l'après-midi , le vent souffla joliment frais , mais direc- tement contre nous, et avec l'apparence de s'établir dans cette direction , de manière à nous défendre d'entrer dans le havre de Wangaroa. On laisse porter pour la rivière Tamise Je me déterminai , en conséquence , à m'avancer vers la ri- vière Tamise, et nous laissâmes porter vers cet endroit dès que l'ancre fut levée. Le même soir nous passâmes devant l'en- trée de la baie des Iles, avec une jolie brise qui dura toute la nuit. Dimanche i5 janvier. Ce matin nous n'étions pas loin des Pauvres-Chevaliers, qui sont de petites îles éloignées de quelques lieues de la grande terre. Vers dix heures , on distingua une pirogue qui venait de la terre à bord de l'Active. Doua-Tara fit mettre tous ses hommes sous les armes, et leur ordonna de rester couchés sur le pont, de manière à ne pouvoir être aperçus quand la pirogue serait le long de l'Active. Lorsqu'elle accosta, on vit qu'elle ne con- tenait qu'un vieux chef, trois hommes et une femme; on leur jeta PIÈCES JUSTIFICATIVES. 175 une corde pour se retenir. Le vieux chef s'approcha inconti- nent du navire, avec l'intention de monter à bord. Il n'avait pas aperçu les Nouveaux-Zélandais qui se relevèrent tout-à- coup, comme il montait l'échelle; les uns lui présentèrent leurs mousquets et les autres leurs lances. Cette vue l'alarma si fort qu'il se jeta dans la pirogue et la fit presque chavirer : il y resta même quelque temps couché, sans pouvoir se remettre de sa frayeur. En même temps les Nouveaux-Zélandais faisaient un bruit effroyable. Le vieux chef vint ensuite à bord, bien content de voir un si grand nombre de ses amis ; il rit beaucoup du tour qu'on lui avait joué. Après avoir conversé quelque temps avec nous, et appris qui nous étions et quelles étaient nos vues, il nous quitta fort content de sa visite. Nous n'allâmes pas loin sans être accostés par une autre pi- rogue , venant d'un autre point de la côte et pleine de très- beaux jeunes gens. Ils savaient où nous allions; car un d'eux avait visité l'Active , tandis qu'il était mouillé à Kawa-Kawa, et avait demandé la permission de nous accompagner à la rivière Tamise, ce que je Lui avais accordé. En ce moment , nous nous trouvions près d'une très- haute partie de cette côte nommée par le capitaine Cook Bream- Head. Le chef de ce district, avec son fils, avait visite l'Ac- tive durant son séjour à Kavva-Kavva. Je lui avais fait pré- sent de quelques bagatelles , entre autres d'une pièce d'in- dienne rouge et blanche, et je l'avais informé que je comptais visiter la rivière Tamise. Aussitôt que nous eûmes dépassé Bream-Head, le vent soufflant très -frais, nous aperçûmes deux pirogues qui faisaient tous leurs efforts pour rejoindre le navire. Une d'elles avait un signal de reconnaissance. Je priai le maître de venir en travers. Quand les pirogues furent ac- costées, je vis que, dans celle qui portait un pavillon, se trou- vait le fils du chef que je viens de citer, et que ses couleurs étaient la pièce d'étoffe que j'avais donnée à son père. 11 nous pressa beaucoup d'aller à terre pour visiter son père; je lui fis observer que nous ne pouvions nous arrêter, à cause du vent 176 PIECES JUSTIFICATIVES. qui nous favorisait, mais je lui promis d'aller le voir au retour. Le jeune homme nous pourvut d'une quantité de brèmes et autres poissons qu'ils avaient dans leurs pirogues. Après avoir reçu cette abondante provision , nous nous dirigeâmes vers la rivière Tamise , et le soir même nous doublâmes le cap Rodney , l'une des pointes du bâvre; nous vîmes aussi que le cap Colville , qui forme l'autre pointe , est fort élevé , et n'est pas éloigné de moins de vingt lieues. Lundi 16 janvier i8i5. Au point du jour, nous étions fort avancés dans le havre, où se trouvent plusieurs îles sur les côtes orientale et occidentale. Vers onze heures nous arrivâmes vis-à-vis la résidence du chef principal , Houpa , dont nous avions souvent entendu parler. D'après les récits, nous savions que c'était un homme aussi redouté que considéré et jouissant d'une très-grande autorité. Bientôt nous vîmes une pirogue de guerre pleine d'hommes, qui s'avançait vers le navire. Nous mîmes en panne. Quand ces gens furent près de nous, ils restèrent sur leurs pagaies, exami- nèrent l'Active et nous annoncèrent que Houpa était dans la pirogue. Je l'invitai à monter à bord , ce qu'il fit avec un de ses fils. Houpa est un des hommes les plus forts et les mieux faits que j'aie jamais vus. Il fut grandement surpris de voir à bord un si grand nombre de Nouveaux-Zélandais et si peu d'Euro- péens. Nous avions avec nous un chef nommé Temarangai , très-lié avec Houpa, et qui était depuis quelque temps à bord de l'Active. Il informa Houpa de ce que nous étions, lui ajoutant qne nous venions à la rivière Tamise pour le voir, lui et son peuple ; il lui apprit également que quelques Eu- ropéens s'étaient établis à la baie des Iles pour instruire les naturels. Je fis quelques cadeaux à Houpa, et en retour il fit prendre dans sa pirogue deux belles nattes pour me les offrir. Il exprima le désir que nous vinssions mouiller près de sa résidence. Je lui dis que mon intention était d'aller visiter son village à notre retour de la rivière; mais que je voulais pro- fiter du vent favorable pour aller plus loin. Il nous indiqua la PIECES JUSTIFICATIVES. 177 route à tenir , et nous prévint que nous toucherions si nous venions trop sur la droite. Après avoir conversé avec plusieurs des naturels qui se trouvaient à bord, il prit congé de nous, espérant nous revoir à notre retour, et nous fîmes voile pour l'embouchure de la rivière. Nous étions alors sur la partie occidentale du havre , à quatre lieues à peu près de la rivière. Il n'y avait pas une heure que Houpa nous avait quittés, quand le vent souffla très- fort; l'eau était si agitée que nous ne pouvions distinguer le chenal. Lorsque nous fumes presque au fond du havre, il était pleine mer, et la sonde ne donnait que trois brasses de fond. Comme il n'y avait pas d'apparence que la violence du vent se modérât, nous prîmes le parti de courir des bordées au vent et de regagner un fond plus considérable , avant que la mer vînt à descendre. Alors nous étions sur la côte orien- tale et peu éloignés de terre. Nous louvoyâmes durant plu- sieurs heures, et le soir nous mouillâmes par quatre brasses d'eau. Il plut toute la nuit, et le vent souffla très-fort. Le golfe est ici très-ouvert, et il n'y a point d'abris pour les vais- seaux, ce qui rend ce mouillage fort dangereux. Mardi 17 janvier. Vers quatre heures du malin, comme la tempête augmentait, nous levâmes l'ancre pour nous élever au vent, s'il était possible, et nous mettre sous la terre ; car l'en- droit où nous étions n'était nullement sûr, dans le cas où le na- vire eût chassé sur son ancre. La mer était si houleuse et l'Ac- tive si agité, que ceux des Nouveaux-Zélandais qui n'étaient pas encore allés à la mer sur un bâtiment , furent très-alarmés et se crurent perdus. Vers six heures du soir, la tempête s'apaisa et nous mouillâmes de nouveau à deux milles de la côte occi- dentale, en face d'un grand village. Quoique les habitans nous eussent vus toute la journée, ils n'avaient pas osé se hasarder dans leurs pirogues , à cause du vent. Quand nous eûmes laissé tomber l'ancre , le canot fut mis à l'eau , et dix Nouveaux-Zélandais furent envoyés au rivage pour ouvrir une communication avec les habitans. Peu après tome m. 12 178 PIECES JUSTIFICATIVES. que le canot eut touché la plage, nous entendîmes un grand bruit. Doua-Tara fut inquiet, car le canot ne revint pas aussi vite qu'on s'y attendait. 11 eut peur que quelque altercation ne se fût élevée entre les habitans et les gens du canot; et il dé- clara que si ceux-là avaient maltraité quelques-uns des siens, il leur déclarerait immédiatement la guerre avec toutes les forces qu'il pourrait rassembler. Une heure après la nuit venue, les hommes du canot revinrent sains et saufs : ils rapportèrent qu'ils avaient été reçus très-poliment, et que le bruit que nous avions entendu n'était que des cris de réjouissance. Ils nous dirent qu'il y avait à terre quantité de beaux cochons et de pa- tates , objets dont nous avions grand besoin. Comme l'Active était plein de monde, ce renseignement me détermina à visi- ter le village le matin suivant. On débarque à la rivière Tamise. Mercredi 18 janvier i8i5. Le matin de bonne heure, un chef nommé Piti , neveu de Houpa , vint auprès de l'Active. C'était un très-bel homme, vigoureux et au printemps de la vie , avec des manières douces et une contenance aussi noble qu'intéressante. Je l'invitai à monter à bord. Le chef Tema- rangai était bien connu de Piti. Après les salutations accou- tumées, et quand nous eûmes causé de notre voyage et de toutes les affaires qui s'y rapportaient, autant qu'il en était à la connaissance de Temarangai , je lui donnai on peu de bis- cuit dont ils sont tous très-avides ; je lui montrai du grain en épi qui avait cru à la Nouvelle-Zélande, chez Shongui ; je lui appris que le biscuit se faisait avec cette graine et lui en don- nai un peu. Il témoigna un vif désir d'apprendre à la cultiver; il demanda combien il fallait de mois pour la semer et la ré- colter, et exprima le désir d'essayer s'il ne pourrait pas en faire croître dans son canton. Je lui fis présent de quelques objets, et, accompagnés de M. Nicholas , nous descendîmes à terre, escortés par douze de nos Nouveaux-Zélandais. Les naturels PIÈCES JUSTIFICATIVES. 179 nous reçurent avec toutes sortes de marques d'amitié. Les femmes et les enfans étaient nombreux, mais les jeunes gens l'étaient moins. Nous en demandâmes la raison ; on nous ré- pondit que la plupart étaient à la guerre , et qu'il n'en restait qu'un petit nombre dans le village, en outre des vieillards et des prisonniers faits dans le combat. Ici nous remarquâmes que les Nouveaux- Zélandais ven- daient leurs prisonniers de guerre , ou les gardaient comme esclaves pour les faire travailler. Evénemens de la rivière Tamise. Plusieurs des naturels de la baie des Iles avaient apporté avec eux quelques objets de commerce; les uns des clous, d'autres de petits morceaux de fer en barre, d'autres des plumes, des bameçons, et divers articles de nulle valeur pour des Européens, mais d'un grand prix pour eux. Tout le vil- lage fut en mouvement. Les habitans de tous les quartiers se rassemblèrent comme pour une foire. Quelques-uns appor- tèrent à vendre des nattes et divers autres articles, si bien que la journée entière présenta une scène fort animée; plu- sieurs objets furent achetés et vendus à leur manière. Quand la foire fut terminée, les femmes nous régalèrent de danses et de chants. L'une d'elles avait une fort belle natte qu'un chef de Rangui-Hou , qui était venu avec nous, dési- rait se procurer pour sa femme. Il avait apporté une boîte de plumes fort joliment apprêtées. La moelle de la tige ayant été enlevée , il ne restait plus que la partie extérieure à laquelle tiennent les barbes , et il en résultait que ces plumes se balan- çaient gracieusement au moindre souffle, quand on les plaçait sur la tête. Le chef ouvrit sa boîte en présence des femmes; plusieurs avaient envie des plumes; et de son côté, il convoi- tait la belle natte. Quand il eut placé avec goiii deux on trois plumes dans les cheveux de plusieurs femmes, celle à qui ap- partenait la belle natte, ebarmée de l'effet élégant de cette 12* 180 PIECES JUSTIFICATIVES. nouvelle parure , devint très-avide d'en posséder une sem- blable. Le chef lui demanda à acheter son vêtement : elle resta quelque temps indécise. A la fin il plaça un certain nombre de plumes à ses pieds; elle ne put résister à cette tentation; elle se dépouilla à l'instant de son manteau, et le livra au chef en échange des plumes. Le chef, à son retour, offrit à sa femme ce précieux ornement. M. Nicholas m'accompagna au village fortifié de Houpa. Il était situé sur une très - haute colline , presque à un mille de l'endroit où nous étions. Sous plusieurs rapports, il est semblable à celui qui appartient à Shongui et que nous avons déjà décrit. Nous n'y trouvâmes pas d'hommes, il était resté à la garde de quelques femmes , dont l'une était une des épouses de Houpa. Elles nous dirent que les hommes étaient allés à la guerre. Là se trouvaient quelques cochons fort gras et de belles plantations de patates. Les femmes refusèrent de vendre des cochons, parce qu'ils appartenaient aux hommes partis pour la guerre. La femme de Houpa me dit qu'elle en avait un très-gros qui lui appartenait en propre et dont elle pourrait me faire présent, si je pouvais attendre qu'on l'attra- pât, car il était en ce moment à paître. Elle envoya ses servi- teurs avec un de mes hommes pour le chercher, mais ils re- vinrent sans l'animal. Je fis présent à cette femme d'un peu d'indienne et de quelques autres bagatelles. Elle était très- contrariée de ce que nous ne pouvions attendre le cochon ; mais il ne nous était pas possible de nous arrêter plus long- temps; ainsi nous quittâmes ce site romantique. Le visage, les bras et la gorge de cette femme étaient couverts de cica- trices qu'elle s'était faites récemment, à l'occasion de la mort de l'un des fils de Houpa. C'était une belle et grande femme. Houpa ne réside point là maintenant. Les pieux de la for- tification sont couverts de diverses figures sculptées, comme des têtes d'hommes ; quelques-uns sont surmontés d'un bonnet rond, comme on en voit sur plusieurs portes cochères en Angleterre ; ils ont environ quatorze pieds de haut. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 181 Peu de temps après que nous eûmes quitté la femme de Houpa , nous reçûmes un message de Doua-Tara , pour nous informer qu'il venait nous chercher au rivage. Nous rencon- trâmes le canot, et Doua-Tara débarqua. Le chef Piti arriva au navire au même instant, et nous pria de nous rendre à la partie supérieure du village, où il résidait. Du navire il y avait envi- ron deux milles de marche. Nous acceptâmes son invitation , et ordonnâmes au canot de nous suivre. En arrivant, nous trouvâmes quelques-uns des plus beaux hommes et des plus belles femmes que j'eusse vus à la Nouvelle-Zélande. Ils étaient bien habillés et nous reçurent très-cordialement. Dans le nombre se trouvaient trois neveux de Houpa , et leurs femmes, qui portaient de belles nattes travaillées avec goût. Ces nattes, descendant des épaules jusqu'aux pieds, leur donnaient un aspect vraiment gracieux. J'avais apporté quelques ciseaux, dorures, toiles de couleur, etc., dont je fis cadeau aux chefs et à celles de leurs femmes qui étaient présentes. On nous pré- para quelques corbeilles de patates, et, pour nous amuser, on exécuta des danses et des chants auxquels les chefs et leurs femmes prirent part, et où ils déployèrent la force de leurs corps et celle de leurs voix. Il était près de cinq heures du soir ; nous prîmes donc congé et retournâmes à bord de l'Active pour dîner. A peine venions- nous de nous mettre à table , que l'on vint m'annoncer que deux pirogues s'approchaient avec les chefs et leurs femmes. Je montai sur le pont pour les recevoir et les inviter à dîner avec nous; ils acceptèrent volontiers. Je dis aux chefs que j'avais besoin de patates et de cochons pour le navire; mais comme les hommes auxquels ils appartenaient étaient allés à la guerre, je ne pus en acheter , et me déterminai en conséquence à faire voile le soir même pour la baie des Iles. Mes com- pagnons désiraient beaucoup me voir rester, et me disaient de prendre à terre tout ce dont j'aurais besoin , sans m'inquié- ter de ce qu'on en dirait. Je leur répondis que je ne voulais rien voler, ni rien prendre par force aux habitans; que j'a- 182 PIÈCES JUSTIFICATIVES. ehèterais ce que je pourrais , mais ne prendrais rien qu'en le payant; Ils me pressaient de rester et de me procurer des pro- visions, ce que j'aurais fait si j'eusse cru y réussir sans faire de tort aux naturels; mais j'étais convaincu, d'après ce que l'on m'avait dit à terre, que cela serait impossible, à moins que les propriétaires ne fussent présens. On fait voile de la rivière Tamise. Aussitôt que nous eûmes dîné , je priai le maître d'appareil- ler immédiatement. L'ancre fut promptement levée et le navire sous voiles. Les chefs et leurs femmes restèrent encore, ne vou- lant pas nous quitter. Ils exécutèrent plusieurs danses sur le pont. A la fin je fis rentrer les femmes dans les pirogues , mais les chefs ne témoignèrent nullement l'intention de s'en aller et recommencèrent une autre danse; sur quoi les femmes s'élancè- rent de leurs pirogues sur le pont, et s'unirent aux danses et aux chants qui durèrent jusqu'à ce que nous eussions fait beau- coup de chemin. Alors ils se virent obligés de nous quitter ou de nous suivre à la mer. Quand ils furent redescendus dans leurs pirogues, les vingt-huit naturels que nous avions à bord commencèrent à chanter et à danser à leur tour pour divertir les chefs et leurs femmes, qui pendant tout ce temps se tinrent sur leurs pagaies. Aussitôt que la danse fut terminée sur le pont, les naturels recommencèrent dans leurs pirogues, et continuè- rent jusqu'à ce que nous ne pussions plus les entendre. Alors ils élevèrent leurs mains en l'air et retournèrent au rivage. Un des chefs promit de visiter Port- Jackson, et d'aller à la baie des Iles pour voir Doua-Tara avec qui il avait échangé quelques présens. Durant notre court séjour en ces lieux, ces peuples nous montrèrent les plus grands égards, et firent tout ce qui dépen- dait d'eux pour nous divertir. Je donnai à plusieurs d'entre eux du blé pour semaille qui, j'espère, leur deviendra utile : je leur dis qu'ils pourraient se procurer par les Européens des PIECES JUSTIFICATIVES. 183 haches et des outils à Rangui-Hou. Il n'est rien qu'ils ne don- nent pour des haches. Doua-Tara , avec sa garde en armes, lui-même habillé à l'européenne et portant une épée au côté , inspirait beaucoup de respect à ces chefs quand il se trouvait à terre. Je me flatte que notre visite à la rivière Tamise aura cimenté l'amitié des chefs de Rangui-Hou avec ceux de ce district; et que si a l'a- venir quelques colons européens sont envoyés à la rivière Tamise , ils seront bien accueillis par les naturels. Je fus en- chanté de la conduite de ce peuple, mais je regrettai sincère- ment de n'avoir par revu Houpa. Le vent était contre nous et si fort, que nous ne pûmes atteindre sa résidence, et nous fûmes obligés de poursuivre notre route. Comme le temps que j'avais à passer à la Nouvelle-Zélande était limité, je ne pou- vais attendre un changement de vent. Arrivée à Bream-Bay. Jeudi îy janvier 18 15. Ce matin nous vîmes le cap Rodney, à sept lieues de distance environ. Comme il y avait peu de vent, nous ne l'atteignîmes qu'à midi, et nous nous dirigeâmes vers la baie de Brcam en suivant la terre de près. Le terrain en général est uni. Un bouquet de pins se montre derrière les bords de la baie. Quand nous eûmes atteint Bream-Head , Jcs naturels nous dirent qu'il y avait un havre au fond de la baie, dans lequel se déchargeajt une rivière d'eau douce qui venait de l'intérieur. Nous fîmes voile jusqu'à l'entrée de ce havre. Le maître de V Active dit que ce serait un lieu très-sûr pour servir de mouillage à un navire , attendu que par sa position il est complètement à l'abri de la mer. Nous demandâmes s'il n'était jamais entre de navire en ce havre; les naturels nous dirent que, long-temps auparavant, le Vénus de Port-Jackson y avait mouillé quelque temps. Ils nous apprirent en outre que le Vénus s'était présenté au cap Nord , où il avait enlevé deux femmes , qu'il en avait aussi 184 PIÈCES JUSTIFICATIVES. enlevé une à la baie des Iles, une sur une petite île vis-à-vis Bream-Head, et une à Bream-Cove ; que de là ils étaient allés à la rivière Tamise, où ils avaient attiré Houpa et l'une de ses filles, dans le dessein de les emmener aussi. Cependant, quand le Vénus appareilla de la rivière Tamise, la pirogue de Houpa suivit le navire, et celui-ci, saisissant un instant favorable, sauta pardessus le bord et fut repris par les siens, mais aucune des femmes ne reparut. Le Vénus était un brick appartenant à MM. Campbell et Cie de Calcutta ; il avait été enlevé au port Dalrymple par quelques convicts qui se trou- vaient à bord , et qui s'enfuirent avec leur proie. Tels sont les crimes horribles que des Européens , qui portent le nom de chrétiens , commettent envers des nations sauvages ! Nous passâmes la nuit à l'ancre dans la baie Bream , car je souhaitais voir le chef qui réside aux environs, et dont le fils nous avait fourni du poisson à notre passage, en allant à la rivière Tamise. Nous nous mîmes à pêcher, et en peu de temps nous prîmes une quantité de brèmes et d'autres poissons. Je m'attendais à voir le chef, mais le navire n'avait pas encore été aperçu. On appareille de Bream -Bay. Vendredi 20 janvier. Au point du jour nous fîmes voile; peu de temps après avoir dépassé Bream-Head, nous fûmes aperçus de terre , et une pirogue s'en détacha pour venir à bord. Aussitôt qu'elle fut près du navire, je reconnus que le chef qui s'y trouvait était celui que je désirais voir. 11 nous dit que la veille au soir il n'avait pas vu le navire, parce que lui et ses hommes travaillaient dans leurs champs de patates. Moiangui, le jeune homme mentionné dans le récit de M. Savage sur la Nouvelle-Zélande, et qui accompagna ce gentleman en Angleterre, à son retour de la Nouvelle-Galles du Sud, se trouvait aussi avec ce chef. 11 s'informa de plu- PIECES JUSTIFICATIVES. 185 sieurs personnes qu'il avait vues en Angleterre , et qui lui avaient fait amitié. Le chef désirait beaucoup que nous retournassions au rnouil- lage pour un jour; il m'assura qu'il avait beaucoup déco- chons et de patates , et qu'il fournirait à tous nos besoins. Je lui répondis que je ne pouvais retarder le navire, puisque le vent était bon, et qu'il me fallait continuer; je lui donnai un peu de blé pour semer, quelques clous, et un chat qu'il emporta à terre, enchanté de cette acquisition, et regrettant seulement que je ne pusse m'arrcter assez pour lui donner le temps de m'offrir quelque chose en retour. Peu après leur départ, le vent varia et resta incertain tout le jour. On débarque au district de Kouhoupa. A six heures après-midi nous étions arrivés à deux lieues du rivage. La mer étant paisible et tout annonçant une belle nuit, je me déterminai à rendre visite au chef. Le canot fut sur-le-champ mis à la mer, et M. Nicholas m'accompagna. Nous n'avions dans le canot que des Nouveaux-Zélandais ; le soleil était couché avant que nous eussions atteint le rivage. Les naturels aperçurent bientôt le canot , et l'un d'eux, de- bout sur une roche, agitait un pavillon pour nous indiquer le lieu où nous devions accoster. Il y avait en travers de ce havre une barre, sur laquelle la mer brisait avec une grande violence. Quand nous approchâmes , il nous parut impossible que le canot pût franchir ce ressac. Deux pirogues s'avan- cèrent au travers des vagues , comme si elles eussent défié les rocs menaçans et les lames mugissantes qui roulaient sur elles à grand bruit , pour nous montrer l'endroit où nous pouvions débarquer avec sûreté. Quand le canot arriva près de terre , une foule de naturels descendus dans la mer s'en saisirent, et le traînèrent en sûreté au rivage. La résidence du chef était sur le côté oriental du havre; 186 PIECES JUSTIFICATIVES. mais nous fûmes forcés de débarquer à l'ouest, à cause du ressac, et nous traversâmes l'eau dans une pirogue. Cet endroit était environné de toutes parts de rochers brisés, qui ressemblaient plutôt aux ruines d'une abbaye qu'à un ouvrage de la nature; les uns formaient de vastes arcades, quelques autres de profondes cavernes, plusieurs avaient l'ap- parence de vieux clochers , d'autres semblaient des tronçons de colonnes massives; en un mot, ces singulières ruines, formées par le temps, les tempêtes et les flots de la mer, pré- sentaient l'un des plus curieux spectacles qui se puissent voir. Une foule nombreuse d'hommes, de femmes et d'enfans vint à notre rencontre ; le chef et Moiangui furent ravis de notre visite-. Le chef qui était venu à bord était l'officier- général, ou celui que les Nouveaux- Zélandais appellent l'homme du combat. Nous en trouvâmes un plus élevé en au- torité que notre ami et à qui nous fûmes conduits ; il était assis par terre , une natte propre était étendue près de lui pour moi et M. Nicholas. Le général resta debout pendant tout ce temps, avec une lance à la main. Le chef principal était un homme très-âgé , avec une longue barbe grise et peu de che- veux sur la tête; son extérieur était, cependant agréable. Koro- Koro, qui était venu avec nous, lui raconta toutes les mer- veilles qu'il avait vues à Port-Jackson, les égards qu'on avait eus pour lui , les trésors de notre pays , et le but dans lequel l'Active était venu à la Nouvelle-Zélande. Le vieux chef rit beaucoup, nous adressa plusieurs questions, et exprima le désir que nous restassions le jour suivant. 11 nous fit servir du porc, et donna quelques paniers de poisson salé pour les hommes. Nous restâmes jusqu'à une heure, puis nous prîmes congé, après avoir passé une soirée fort agréable. Les habitans nous reconduisirent heureusement au travers du ressac , et nous nous dirigeâmes vers le navire. En ce moment il était hors de vue, et nous ne pouvions pas même entendre le bruit des coups de fusil qui devaient servir de signaux; mais nous distinguions la lumière du coup qui PIECES JUSTIFICATIVES. 187 servit à nous diriger vers le navire. La brise s'étant élevée, nous fîmes voile. On atteint Rangui-Hou. Samedi 21 janvier i8i5. Le matin, nous eûmes le cap Brett en vue. Comme nous faisions voile le long de la côte, nous reçûmes la visite de dix pirogues, qui nous apportèrent quantité de poisson. Vers trois heures après midi nous mouil- lâmes dans la baie; nous trouvâmes tout l'établissement en bon état. L'aspect des édifices déjà construits et de ceux en construction, les scieurs, les forgerons, et autres ouvriers au travail, lui donnaient déjà une apparence de civilisation. Je venais de terminer toutes les opérations que j'avais jugées nécessaires à l'établissement de la mission , quant à te qui avait trait aux rapports des colons avec les naturels; et dans une étendue de près de deux cents milles de la côte, j'avais ouvert des communications avec les chefs dans tous les différens dis- tricts, et leur avais fait connaître notre projet. Us paraissaient tous sensibles aux bienfaits qu'ils allaient recevoir du séjour des Européens parmi eux; une perspective plus flatteuse ne pouvait jamais se présenter pour éclairer ce coin du globe, mais c'est une tâche qui a besoin d'être poursuivie avec zèle. On va à Kawa-Kawa pour chercher du bois de construction. Comme l'achat de V Active, le gréement, les provisions et les gages des matelots , avaient déjà coûté des frais considéra- bles, je jugeai que ce serait un devoir pour moi d'employer tous les moyens qui étaient en mon pouvoir pour faire face , au moins en partie, à ces dépenses. Je me déterminai à porter à Port-Jackson tout le chanvre que je pourrais me procurer par les naturels, et à charger le navire de bois. 11 n'est pas encore décidé si le chanvre est susceptible ou non de devenir un objet de commerce. Le bois de construction sera bien d'une 188 PIÈCES JUSTIFICATIVES. certaine importance, mais ne pourra défrayer toute la dé- pense des navires. Si le chanvre avait de la valeur, avec le temps, il est probable que ces deux objets rempliraient à peu près ce but. La difficulté matérielle que j'avais à surmonter était de me procurer une cargaison, ayant presque épuisé mes objets d'é- change, soit pour acheter des provisions, soit en cadeaux aux naturels. Les Nouveaux-Zélandais travaillent quand ils sont payés, mais ils ne font rien pour rien; et prétendre se pro- curer une cargaison sans leur assistance eût été chose impos- sible. Des sabords de charge furent ouverts dans le navire', et il fut prêt pour recevoir le bois de construction. Au bout d'une semaine, il fit voile pour Kawa-Kawa , le district du bois. J'avais peu d'objets d'échange, ce qui causa quelque délai; car le forgeron n'était pas capable de fabriquer assez vite tout ce qui était nécessaire. Plusieurs chefs s'engagèrent à fournir un nombre convenu d'espars. Ils me prièrent d'aller avec eux pour leur désigner les arbres que je voulais faire cou- per ; je le fis , et en quinze jours nous eûmes notre cargaison à bord. Probité des naturels. Je les trouvai tous de la plus exacte probité dans leurs mar- chés, et quelques-uns parmi eux me tirent crédit jusqu'à ce que le forgeron eût terminé les haches pour le paiement. Nous n'eûmes aucun démêlé avec eux pendant tout notre séjour à cette rivière , pourtant nous n'avions aucun moyen de défense contre un nombre d'hommes aussi considérable que celui qui habite ces districts ; nous étions au contraire complètement à leur discrétion. Je ne leur imposai aucune contrainte, mais je les laissai monter à bord en tout temps et en quelque nombre que ce fût, les jours du dimanche exceptés, où nous avions le service divin. Un certain nombre de chefs vivait constamment avec nous , ainsi que plusieurs de leurs serviteurs. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 189 Nous n'éprouvâmes que deux vols de peu d'importance tandis que le navire fut dans la baie. Un des chefs découvrit un homme du peuple avec deux li- vres de fer environ , et me l'amena. Le chef était furieux contre lui. Je fis mettre l'homme au cachot jusqu'à ce que Tara, le chef principal , vint à bord. A son arrivée , il fut informé du délit, et demanda que le voleur fût conduit sur le pont; à son approche , Tara s'élança vers lui avec une bûche à la main, et l'eût assommé sur la place, si je ne lui eusse sauvé la vie en le faisant esquiver de l'Active et sauter dans une pi- rogue. Le chef lui ordonna de quitter son territoire et de n'y plus remettre les pieds. Je perdis plus tard deux rasoirs. Les chefs en apprenant cette circonstance en parurent affectés, et me dirent qu'ils es- péraient que je ne soupçonnais aucun d'eux d'un tel crime , attendu qu'un chef était certainement incapable de voler. Ils pensaient que j'avais été trop indulgent en permettant à leurs serviteurs de venir à bord, car on ne pouvait se fier à eux; mais ils m'assurèrent que si le voleur était jamais découvert, en quelque temps que ce fût, il serait mis à mort. Ils me présentèrent, comme dédommagement, ^jne natte de prix, l'une des plus belles que j'eusse vues, ajoutant que tant que je resterais dans leur district, je n'éprouverais aucune perte à laquelle ils ne fissent en sorte de remédier. Ils furent tous chagrinés de ce vol , et l'un d'eux resta deux jours et deux nuits assis sur le pont, sans vouloir venir manger dans la chambre , déclarant qu'il était honteux d'une pareille con- duite. Le vol et l'adultère sont des crimes punis de mort. En re- montant la rivière Kawa-Kawa, j'observai sur le sommet d'une très-haute colline une croix romaine , et demandai aux naturels ce que cela signifiait : ils répondirent que c'était pour pendre les voleurs. Ils commencent par les tuer, puis ils lais- sent leurs cadavres suspendus jusqu'à ce que le temps les dé- truise. 190 PIECES JUSTIFICATIVES. Conversations avec les naturels. Pendant notre séjour à Kawa-Kawa , j'eus plusieurs conver- sations intéressantes avec les chefs, relativement à la nature des crimes et des punitions ; je leur fis remarquer qu'il n'y avait point de comparaison entre l'homme qui vole une patate et celui qui tue. Pourtant la punition était la même chez eux , car ils mettent aussi hien un homme à mort pour le vol d'une patate que pour un meurtre. Un chef a pouvoir de vie et de mort sur son peuple. Ils pa- rurent fort étonnés quand je leur dis que le roi George n'avait pas le pouvoir de faire mourir un homme, quoiqu'il fût un roi bien plus puissant qu'aucun de ceux de la Nouvelle-Zélande. Je leur expliquai la nature d'un jury anglais ; je leur dis que personne ne pouvait être mis à mort en Angleterre , à moins que douze gentlemen n'eussent examiné le cas d'un prisonnier accusé d'un crime quelconque. Si les douze gentlemen le dé- claraient non coupable , le roi George n'avait pas le pouvoir de le mettre à mort; et si les douze gentlemen le déclaraient coupable , \# roi George avait encore le droit de lui pardonner, si telle était sa volonté royale. Ils répliquèrent que ces lois étaient fort bonnes, et l'un d'eux demanda quel serait le gouverneur que nous leur enverrions. Je répondis que nous n'avions pas l'intention de leur en en- voyer aucun , mais que nous désirions qu'ils se gouvernas- sent eux-mêmes. Je leur citai certains crimes que nous punissions de mort, et d'autres du bannissement, et leur dis que les punitions étaient constamment réglées sur la nature de l'offense. Je leur dis que si un homme avait deux femmes en Angle- terre , quand même il serait un gentleman, il serait banni de son pays. L'un des chefs était d'avis qu'il valait mieux n'avoir qu'une femme; car lorsqu'il y en avait plusieurs, elles se querellaient toujours. D'autres dirent que leurs femmes PIECES JUSTIFICATIVES. 191 étaient leurs meilleures surveillantes, et qu'ils ne pourraient pas avoir leurs champs de patates cultivés sans le secours de leurs femmes ; que pour cette raison seulement ils pensaient que c'était une bonne coutume d'en avoir plusieurs. Ces con- versations avaient quelquefois lieu en présence des femmes , et elles étaient généralement de l'opinion qu'un homme ne devrait avoir qu'une femme. Quelques-uns des chefs soutenaient qu'il y avait trop de rois dans la Nouvelle-Zélande, et que s'il y en avait moins, il y aurait moins de guerres et qu'ils vivraient plus heureux. Je leur dis qu'il n'y avait qu'un roi en Angleterre : mais qu'en même temps il y avait plus de gentlemen qu'à la Nouvelle-Zé- lande , mais qu'aucun de ces gentlemen ne pouvait tuer un homme sans le payer de sa propre vie , ni déclarer la guerre à un autre sans la permission du roi George. C'est pourquoi il n'y avait ni combats ni meurtres particuliers en Angleterre, comme chez sux. Dans l'équipage du navire, j'avais un jeune naturel de la Nouvelle-Zélande, qui avait vécu quelques années à Port- Jackson , et qui était un fort bon interprète. Il me suivait ha- bituellement pour expliquer tout ce que les naturels n'avaient pas bien compris. Avec son aide , je me procurai tous les ren- seignemens que je désirais touchant les îles et les habitans de la Nouvelle-Zélande; et je pus leur communiquer beaucoup de connaissances utiles, tandis que j'étais parmi eux : car nos conversations avaient généralement trait à la religion , au gou- vernement civil, à l'agriculture ou au commerce. Ils mon- traient toujours une grande curiosité à s'informer de ce qui était relatif aux autres parties du globe. Visite à Waï-Kadi. Peu après notre arrivée à Kawa-Kawa , un chef nommé Wivvia vint à bord de V Active pour me prier de visiter son établissement, ce que je promis de faire aussitôt que je pourrais 192 PIÈCES JUSTIFICATIVES. quitter le navire. Ce village est situé sur les bords d'une ri- vière d'eau douce, nommée Waï-Kadi, à douze milles environ de l'endroit où nous étions mouillés , au fond d'une des baies. Le village prend son nom de la rivière. Ayant complété notre cargaison, j'informai Wiwia que je l'accompagnerais pour visiter son peuple. Le matin suivant , sa pirogue fut prête, et nous fîmes route pour Waï-Kadi. Nous fûmes joints par une autre pirogue dans laquelle se trouvaient un coq et une poule. Je fus surpris de voir ces vo- lailles : ayant demandé d'où elles provenaient , on m'ap- prit qu'elles appartenaient au premier chef, Tara, qui les avait envoyés dans ce pays pour la raison suivante. Tara avait bâti une cabane neuve qu'il avait tabouée pour un emploi sacré. Il avait défendu au coq de monter sur le toit , mais ce fut en vain; aucun des moyens qu'il imagina ne put prévenir cet accident : c'est pourquoi il avait renvoyé les deux volatiles pour avoir profané son édifice sacré! Ces animaux avaient été donnés à Tara quand l'Active vint pour la première fois à la Nouvelle-Zélande. Tandis que nous étions à Kawa-Kawa, Tara et sa femme avaient parlé de ce coq et de cette poule , et m'apprirent que la poule avait fait plusieurs œufs; elle les avait couvés quelque temps , puis le coq et elle avaient brisé les œufs et les avaient tous gâtés. Les naturels ajoutèrent qu'ils allaient chaque jour visiter les œufs, tandis quelapoule couvait, et ils voulurent connaître la raison pour laquelle ces animaux les avaient détruits. Je leur dis que la poule ayant taboue les œufs, avait été très-irritée de ce qu'on y eût touché ; c'était pour cela que le coq et elle, dans leur rage, les avaient détruits. Ils parurent très-étonnés, et eurent un long entretien à ce sujet; ils firent aussi de nombreuses questions touchant la manière d'élever des poulets. Je leur dis qu'ils ne devaient désormais toucher en aucune manière aux œufs , parce que , s'ils le faisaient, ils seraient encore détruits. Je ne doute pas qu'ils ne se conforment scrupuleusement à mon avis. Les deux pirogues marchèrent de compagnie pendant trois PIECES JUSTIFICATIVES. 193 nulles environ, puis nous entrâmes dans un petit village sur la partie orientale du havre, pour voir quelques amis de Wi- wia. Tandis que nous étions là , il vint à pleuvoir très-fort. Après nous être arrêtés deux heures environ , durant lesquelles on prépara plusieurs corbeilles de patates, nous partîmes pour Waï-Kadi. La pluie tombait à flots; je fus bientôt trempé, malgré mon manteau et mes autres vètemens. Le vent et la marée étaient contre nous, et l'eau de la rivière s'était gonflée par l'effet des dernières pluies, si bien que nous ne faisions que peu de progrès. Quand nous eûmes encore fait quatre milles, nous arrivâmes à un autre petit village sur le côté oc- cidental du havre. Le chef vint nous inviter à descendre à terre; mais je m'y refusai , car j'étais aussi mouillé que si j'a- vais été plongé dans la rivière. Le chef, malgré la violence de la pluie , s'approcha de notre pirogue dans l'eau , car il désirait savoir ce que nous allions faire , et Whvia avait à lui annoncer beaucoup de nouvelles qu'il avait recueillies à bord de V Active. Il nous pressa beaucoup de prendre quelques rafraîchissemens chez lui , mais j'avais trop froid , et j'étais trop mouillé pour quitter la pirogue. Kn lui disant adieu , Wiwia me dit : Ce chef est un grand roi; donnez-lui un clou. Je satisfis à cette de- mande , et lui donnai quelques clous ; alors il s'en retourna au rivage, enchanté de ce présent. Nous continuâmes notre route pour Waï-Kadi ; mais plus nous remontâmes la rivière, plus le courant nous devint con- traire, si bien qu'à la fin les hommes ne purent même l'étaler avec leurs pagaies Alors ils furent obligés d'approcher la côte, de sortir de la pirogue et de la traîner. Malgré tous leurs efforts, ils ne purent atteindre le village. Un peu après que la nuit fut venue, n'étant plus qu'à un mille du village et la pluie continuant toujours, nous débarquâmes pour marcher. Nous avions à traverser quelques terrains bas et marécageux, sub- meVgés en plusieurs endroits. Je suivais mes guides, quel- quefois enfonce dans la vase jusqu'aux genoux , et quelquefois trébuchant dans des trous profonds et remplis d'eau. A la fin , tome m. i3 194 PIECES JUSTIFICATIVES. je découvris un feu qui étincelait comme une étoile, paraissant et disparaissant à courts intervalles. C'était le signal que le village était proche; Wiwia était resté un peu en arrière, et je marchais avec un de ses officiers. Avant d'entrer dans le village, il héla les habitans , et leur annonça mon arrivée. Plusieurs de ces gens avaient visité l'Active. Nuit passée à JVaï-Kadi. Je cheminai vers l'endroit où j'avais vu la lumière, pour me procurer un abri contre la pluie. Aussitôt que je fus arrivé à la hutte, je m'y introduisis par une petite porte de deux pieds huit pouces de haut. J'y trouvai plusieurs femmes et des enfans, avec quelques serviteurs de Wiwia. Au centre de la hutte se trouvait un petit feu fait d'une poignée de branches allumées, autour desquelles les enfans tout nus étaient cou- chés. Quelquefois ce feu flambait un moment, puis il s'étei- gnait. La cabane était plus remplie de fumée qu'une chemi- née, car elle n'avait d'autre issue que la petite porte. Cet étrange groupe de naturels fut charmé de me voir. Je quittai tous mes vêtemens , car j'étais excessivement mouillé et tout transi. Les enfans coururent chercher un peu de bois à brûler. Wiwia m'apprêta deux nattes propres, pour m'envelopper et me servir de lit, et un morceau de bois pour oreiller. Les femmes et les enfans s'occupèrent de ranimer le feu et de sécher mes hardes. Je trouvais la fumée très-gènante , mais je pensai qu'il serait plus prudent de tolérer cet inconvénient que de m'exposer à gagner un refroidissement en dormant dans une cabane sans feu. Wiwia me dit qu'il ne pouvait rester dans celle-ci à cause de la fumée ; comme je ne voulus point la quitter, il se retira dans une autre cabane à lui , et me laissa avec ma société qui m'entretint une grande partie de la nuit, me parlant de ses chefs et de leurs intérêts. Les enfans et les femmes furent très-polis et très-attentifs , et firent tout ce qu'ils purent pour rendre ma situation agréable. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 195 Quand ces sauvages dorment, ils s'étendent par terre avec une légère couverture, quelques-uns même n'en ont pas. Un arbre est placé au centre de la cabane et dans toute sa lon- gueur, qui est de trente pieds environ. Les naturels se cou- chent de chaque côté de l'arbre ou la tête appujée dessus. Alors je n'avais avec moi ni Européens, ni d'autres hommes que ceux de Wiwia. Mon but était d'acquérir sur le caractère de ces naturels une connaissance aussi exacte qu'il m'était possrme, tandis que j'étais dans leur pays ; et je ne pouvais le faire quelquefois qu'eji sacrifiant les douceurs et les avantages de la vie civilisée. Je n'avais aucune appréhension pour ma sûreté personnelle , car je n'avais jamais reçu la moindre in- sulte d'aucun d'eux. Traitement des malades. Vers minuit, Wiwia vint à ma hutte, et me dit qu'une de ses femmes était fort mal, ainsi que son petit enfant; il avait peur qu'elle ne mourût, et il m'invita à prier pour elle dans la matinée : ce que je lui promis de faire. 11 semblait s'intéresser vivement à cette femme. J'avais entendu une per- sonne pleurer amèrement durant la nuit, comme si elle eût été très-faible et souffrante; et parfois un petit enfant pleurait aussi. Le matin, de bonne heure, je me levai et visitai la pauvre femme. Je la trouvai couchée avec un petit enfant de trois jours , exposée en plein air, et n'ayant pour tout abri qu'un mince entourage de roseaux contre lequel le vent et la pluie venaient battre. C'est là qu'elle avait passé toute la nuit, malgré la tempête. Elle était d'une pâleur effrayante, et sem- blait près d'expirer. Je lui adressai quelques paroles. Elle par- lait à peine, mais elle sourit faiblement, et parut reconnais- sante de mon attention pour elle. Je m'agenouillai près d'elle , avec Wiwia et quelques-uns de ses gens, et offris mes suppli- cations au Père des miséricordes en sa faveur. Elle comprit le sens de ma prière sans en connaître les paroles , car les Nou- i3* 190 PJECES JUSTIFICATIVES. veaux-Zélandais pensent que tous leurs maux leur viennent d'un être supérieur auquel ils ont coutume de s'adresser en cas de malheur. La pauvre femme ayant besoin d'alimens, je lui offris un morceau de biscuit ; mais elle me fit entendre qu'il lui était dé- fendu de rien manger autre que des patates. Je parlai à Wi- wia qui me dit que Dieu serait irrité si elle mangeait du bis- cuit. Il le prit, et répétant dessus plusieurs paroles, il le plaça sous la tête de la malade; il me dit que la présence„de*Dieu était maintenant dans ce biscuit, mais que sa femme ne pou- vait pas le manger. Je regrettai que la pauvre femme eût été toute la nuit ex- posée à l'air, car c'en était assez pour la faire mourir. J'appris que c'était la coutume chez les Nouveaux-Zélandais, quand une personne était malade, de la transporter hors de sa ca- bane, et de la laisser en plein air, de peur de souiller leurs maisons par sa présence. C'est pour ce motif que ces peu- ples ne mangent ni ne boivent dans Leurs maisons, mais tou- jours en plein air. Les Nouveaux-Zélandais considèrent leur Dieu comme un esprit ou une ombre intelligente. Comme je demandais à l'un d'eux à qui Dieu était semblable , il me dit que c'était une ombre immortelle. Du reste, dans leurs maladies ils souffrent beaucoup de la superstition qui les contraint à rester en plein air; quelquefois ils refusent, des journées entières, de prendre ni eau ni alimens, dans la conviction que, si un ma- lade en prenait, il mourrait certainement. Avant ma visite à Waï-Kadi , j'avais été souvent frappé de l'air maladif et du visage flétri des jeunes femmes qui avaient eu des enfans ; maintenant je l'attribue aux refroidissemens et aux maux qu'elles ont gagnés à l'époque de leurs couches. En passant au travers du village , je vis un petit enfant tout nu, couché par terre, et plusieurs personnes présentes. Un chef m'annonça que c'était son enfant, et qu'il n'avait que deux jours; il me désigna la mère qui marchait à quelque dis- PIECES JUSTIFICATIVES. 197 tance. Elle eût été très-probablement aussi couchée près de lui, si elle eût été malade. L'enfant paraissait très-bien por- tant. Je mentionne ce fait comme une preuve que les hommes et les femmes, dans ces temps de danger, sont exposés à des souffrances inconnues aux sociétés civilisées. Soin des morts. A peu de distance de l'endroit où la femme malade de Wi- wia était couchée, il y avait une petite cabane et une plate- forme élevée au-dessus. Wiwia m'y conduisit, il me dit que son père avait été tué dans le combat, et que son corps avait été enveloppé et déposé sur la plate-forme , où il devait rester jusqu'à ce que les os se séparassent de la chair. Je ne pouvais voir aucune partie du corps, parce que la couverture avait été entortillée à l'entour, et non étendue dessus, comme nous le pratiquons pour nos morts. A la Nouvelle-Zélande, les chefs après leur mort sont communément placés sur une plate-forme dans un terrain sacré, et j'en ai vu plusieurs. Les naturels n'aiment point à visiter l'endroit où sont leurs amis morts ; d'ordinaire ils ont soin de placer aux environs quelque figure affreuse pour épouvanter ceux qui approchent du lieu où ils reposent. Je fus très-surpris que Wiwia eût son père si près de lui et au centre du village. Ce village est situé dans une riche vallée; la terre en est très-bonne et propre à la culture. J'y remarquai plusieurs pins superbes. Wiwia me pressa instamment d'envoyer quelques Européens résider à Waï-Kadi. Il désignait le terrain où leurs maisons seraient bâties , sur le bord de la rivière ; il vantait les avan- tages dont ils pourraient jouir , la richesse du sol pour les pa- tates et le voisinage de l'eau. Je lui dis qu'avec le temps ses désirs pourraient être exaucés; mais qu'il fallait d'abord que nous vissions comment les habitans de la Nouvelle-Zélande se conduiraient vis-à-vis des Européens à Rangui-Hou. S'ils 198 PIÈCES JUSTIFICATIVES. étaient bien traités, ajoutai-je, on y en enverrait davan- tage. Départ de TVaï-Kadi. Alors il désira m'accompagner à Port- Jackson : je lui ré- pondis que le nombre de personnes que j'avais déjà consenti à prendre était tout ce que V Active pouvait contenir; mais que je lui donnerais des recommandations pour lui procurer un passage prochain , s'il avait encore envie de venir me voir. Il fut satisfait de cette promesse, assurant qu'il en profi- terait. Je lui représentai alors que le navire devant quitter Kawa- Kawa ce jour même , il fallait que je le priasse de me donner une pirogue pour m'en retourner. Il répliqua qu'il ne me lais- serait pas partir sans m'offrir deux ou trois cochons. A l'instant il dépouilla tous ses vêtemens, s'élança dans la rivière avec un chien et un petit garçon, et la traversa en les soutenant d'une main au-dessus de l'eau et nageant de l'autre. Quand il eut mis pied à terre, il s'enfonça dans la forêt, suivi du chien et de l'enfant, et revint peu de temps après avec trois cochons qu'il jeta dans la pirogue. Alors tout fut prêt pour mon re- tour : il me fit présent de quelques nattes, et me dit qu'il allait m'accompagner au navire. Quand je fus dans la pirogue, il y embarqua un de ses fils, joli garçon de neuf ans environ. Je lui demandai ce qu'il vou- lait en faire. Il prétendit qu'il voulait le conduire à Rangui- Hou, pour le mettre chez M. Kendall, afin que celui-ci pût l'instruire. Je lui répondis que la maison de M. Kendall n'é- tait pas encore prête ; mais qu'aussitôt qu'elle le serait , et que M. Kendall pourrait le prendre chez lui , je lui parlerais , et que j'étais sûr qu'il recevrait son fils. Cette promesse le con- tenta. PIECES JUSTIFICATIVES. 199 Rapports entre les chefs et leurs peuples. Il ne sera pas inutile de consigner ici une conversation que j'eus avec deux chefs, Toupe et Temarangai , quelque temps après cette course, par rapport à l'école de M. Kendall. Il avait déjà commencé à instruire les enfans, et il avait reçu dans son école deux beaux garçons, qui étaient les fils d'un homme du peuple de Rangui-Hou. Ces chefs observèrent qu'il était inutile de rien enseigner à des enfans du peuple, attendu qu'ils n'avaient ni propriétés , ni serviteurs , et qu'ils ne pour- raient jamais s'élever à un rang plus élevé que leurs parens , ma s qu'il serait très-bien d'instruire les enfans des chefs. D'après ce que j'ai pu apprendre, il paraît qu'il n'y a point de classe moyenne dans le peuple de la Nouvelle-Zélande, mais qu'ils sont tous chefs ou esclaves à un certain degré. Toutefois les chefs ne donnent point leurs ordres indistincte- ment à tous leurs gens avec cette autorité qu'emploient les maîtres vis-à-vis des serviteurs dans les sociétés civilisées. Ceux-ci ne paraissent point non plus forcés à leur obéir. Il est vrai que les chefs ont le pouvoir de mettre à mort un de leurs hommes pour motif de vol ; mais comme ils n'ont point les moyens de récompenser les services de leurs infé- rieurs, ils ne peuvent ordonner à leurs sujets collectivement de cultiver leurs terres. En temps de guerre ou de péril public, ils peuvent leur enjoindre de se ranger sous leurs ordres, et ils sont obligés de le faire : les chefs inférieurs sont aussi contraints de suivre leurs supérieurs avec leurs gens sur le champ de bataille. Les chefs ont des domestiques pour préparer leurs provisions, les suivre dans leurs pirogues, cul- tiver leurs champs, ou remplir tout autre service manuel, et tous ceux-ci sont entièrement soumis à leur autorité. Retour à Kawa-Kawa. Je pris enfin congé du peuple de Wiwia, et retournai à bord 200 PIÈCES JUSTIFICATIVES. de V Active qui avait mis sous voiles, mais qui avait été obligé de mouiller de nouveau , à cause de la marée qui était con- traire , et si forte que le navire ne pouvait l'étaler avec la brise légère qui régnait. Mauvaise conduite de quelques marins. A mon retour, quelques-uns des chefs m'informèrent que le baleinier Jeffcrson était arrivé et avait mouillé dans l'anse près le village de Tara ; il y avait eu une querelle sérieuse entre les gens du bord et le chef Tara, qu'ils avaient me- nacé de tuer. Ils déclarèrent en outre que s'il arrivait quelque chose à Tara, le Jefferson serait détruit et l'équipage massa- cré ; ils me suppliaient d'aller à bord et de prendre connais- sance des motifs de la querelle. Je partis affecté de cette nou- velle, et leur dis que j'allais me rendre à bord du Jeffcrson; que si l'on avait fait du mal à Tara , le coupable serait trans- porté à bord de l'Active et conduit à Port-Jackson, pour être puni par le gouverneur Macquarie. Je pris la plus grande hache de charpentier que nous eussions à bord, pour en faire présent à Tara, sachant bien que rien ne lui serait plus agréa- ble, et je me rendis dans une pirogue à son village. Je le trouvai chez lui , et en lui offrant la hache, je lui racontai ce que j'avais appris. 11 déclara qu'il était allé à bord du Jef- ferson, et qu'on lui avait mis un pistolet sur la gorge, avec menace de le tuer. Je le priai de m'accompagner pour me dé- signer la personne qui l'avait outragé. 11 lit avancer sa piro- gue et partit, accompagné de son père et d'un autre chef. Quand il arriva à bord, il montra l'homme qui avait menacé de tirer sur lui, et exposa la cause de leur querelle : mais comme l'affaire finit par s'arranger entièrement à la satisfaction du chef et de ses amis , il n'est pas nécessaire d'en dire da- vantage à cet égard, sinon qu'il me parut que tout le tort était du côté des Européens. Je restai toute la nuit à bord du Jefferson : le matin sui- PIECES JUSTIFICATIVES. 201 vant, comme je me promenais sur le gaillard d'arrière avec le second maître, je vis un des chefs dans une colère épouvan- table , et Toupe , frère de Tara , désignant la tète du mât et en même temps faisant des signes à quelques-uns des naturels, comme s'il voulait leur faire pendre quelqu'un. J'allai aussitôt vers le maître et lui demandai la cause de ce tumulte. Le chef qui était si furieux montra un jeune homme armé d'une épéc , et dit que cet homme avait frappé plusieurs fois sa femme avec cette arme; qu'ayant voulu s'y opposer, il en avait reçu lui-même plusieurs coups. J'engageai le chef à se calmer, et lui promis que l'homme serait puni s'il avait eu tort. Je m'adressai au jeune homme à l'épée, qui me répondit d'une manière fort insolente , et employa un langage très-inconvenant envers moi comme envers son officier; il refusa aussi tout rapprochement avec le chef, bien que celui-ci et sa femme ne lui eussent pas donné le moindre sujet de plainte. Je dis au chef que je dénon- cerais la conduite du jeune homme au gouverneur Macqua- rie, qu'on allait chercher M. Kendall , qui était nommé par le gouverneur pour recevoir leurs plaintes contre les Européens; (ju'il les déposerait sur le papier et que je les porterais à Port- Jackson , ce qui fut exécuté. Ils assistèrent à l'enquête quand le jeune homme fut conduit devant M. Kendall comme ma- gistrat, et ils furent très-satisfaits de ce qui eut lieu. Je demandai à Toupe pourquoi il avait désigné la tète du mât au moment de la querelle. 11 me dit qu'il iccommandait alors à ses compatriotes de ne faire de mal à personne à bord qu'à l'homme qui avait frappé le chef et sa femme de son épée, et de le pendre à la tète du mât. Les maîtres des navires devraient être très attentifs à ne pas confier une épéc aux mains d'un jeune matelot étourdi et mé- chant , surtout parmi des nations sauvages. Les naturels qui se trouvaient alors à bord du Jeffcrson, quand cette affaire eut lieu, auraient pu s'en emparer sur-le-champ. On devrait aussi leur défendre à tous, le chef du canton seul excepté, de mon- ter à bord ; et il faudrait apporter le plus grand soin à ce 202 PIÈCES JUSTIFICATIVES. qu'aucun d'eus ne fût insulté, quand ils se trouvent à bord. Avant cette époque , j'avais souvent eu des entretiens avec les chefs au sujet de la perte du Boyd ; et je leur avais repré- senté l'injustice de mettre à mort l'innocent avec le coupable, comme avaient fait en ce cas ceux de Wangaroa. Ils conve- naient parfaitement que le coupable seul devait être puni ; et ce qui me fit le plus de plaisir, fut de voir que Toupe incul- quait fortement cette même idée dans l'esprit des naturels , en leur recommandant de ne maltraiter personne à bord du Jef- ferson , que l'homme qui avait commis l'offense. Retour à Rangui-Hou. Tous les différends étaient apaisés, j'attendais l'arrivée de l'Active, qui fut bientôt en vue et vint mouiller non loin du Jefferson. Nous comptions prendre notre eau en cet endroit, puis nous rendre à l'établissement de Rangui-Hou. Tandis que F Active prenait sa cargaison à Kawa-Kawa, nombre de femmes venaient chaque jour à bord. Je leur disais que je ne permettrais à aucune d'elles de rester durant la nuit à bord, à moins qu'elles ne fussent avec leurs maris. Chaque soir on faisait la visite , et si l'on trouvait quelques femmes sans leurs maris, on les renvoyait à terre, quelquefois assez mécontentes. Durant mon séjour à bord du Jefferson , je reconnus parmi les femmes plusieurs de mes vieilles connaissances. Elles riaient et me disaient qu'elles n'étaient pas à bord de l'Active main- tenant, et que le Jefferson n'était pas taboue ; que quand la nuit venait , sur ce vaisseau il n'y avait point de Maï-auta, signifiant littéralement qu'il n'y avait point d'ordre de s'en aller. Je leur répondis que j'étais fort mécontent du maître et de l'équipage , de ce qu'on leur permettait de rester toute la nuit sur le navire. Le jour suivant, j'accompagnai M. Kendall à Rangui-Hou dans la baleinière du Jefferson. (Missionnaiy Résister, déc . 1816 , pag. 5oo.) PIECES JUSTIFICATIVES. 203 CARACTERE ET MALADIB DE DOUA-TARA. Je trouvai Doua-Tara très-mal. C'était un véritable contre- temps pour moi. Je voulais le voir, mais la superstition des naturels ne me le permit point. Ses gens lui avaient donné une garde et ne souffraient pas que personne approchât de lui. Il était si mal, qu'on s'attendait à le voir mourir incessam- ment. Je les suppliai à plusieurs reprises et durant deux ou trois jours de m'admettre près de lui ; mais ils avaient taboue l'enclos où il était couché , et n'osaient permettre à personne d'y pénétrer. J'en fus très-morlifié , et je compris qu'il ne de- vait rien boire ni manger durant cinq jours. Je retournai aux personnes qui en prenaient soin : elles ne consentirent à me parler qu'au travers de la palissade , et me refusèrent de nou- veau tout accès. Je leur dis alors que j'allais conduire l'Active près de la ville et la faire sauter s'ils ne voulaient pas m'ad- mettre. Ils répondirent que j'étais maître de le faire si je le jugeais convenable. Voyant que je ne pouvais ni les persuader par mes prières, ni les intimider par mes menaces, je m'adres- sai au chef, neveu de Tepahi , qui possède la plus grande in- fluence et l'autorité principale dans cet endroit; je lui dis comment on m'avait refusé durant plusieurs jours l'accès près de Doua-Tara, ajoutant que ce chef n'avait ni vin, ni thé, ni sucre, ni viande, ni pain , toutes choses auxquelles il était habitué, et que, s'il ne prenait point de ces alimens , il allait mourir. Je lui déclarai en outre que j'étais décidé à tirer avec les gros canons de V Active sur la ville, dès que je serais de retour à bord. 11 témoigna son regret de ce qu'on n'avait pas voulu me laisser voir Doua-Tara , et me pria de venir avec lui, pour voir ce qu'il serait possible de faire. Quand il fut près de l'enclos, il parut très-alarmé, marcha à pas très-lents, et se parla à lui-même, comme s'il redoutait quelque juge- ment de la divinité : il fit des signes à quelques-uns des gardes • juilui parlaient au travers des palissades, leur représenta l'ef- ■20i PIECES JUSTIFICATIVES. fet destructeur des canons sur la ville et l'impossibilité où l'on était de s'en garantir. Après 'plusieurs consultations entre ceux qui assistaient Doua-Tara et les messagers qui étaient venus avec le chef, on m'accorda la permission demandée. Quand j'entrai dans l'enclos, Doua-Tara était couché sur le dos, la face tournée vers le soleil qui était brûlant ; je le trou- vai avec une forte fièvre, la langue très-enflée, et souffrant de violentes douleurs d'entrailles auxquelles, suivant toute appa- rence, il ne devait pas survivre. Je trouvai près de lui deux de ses femmes , son beau-père , le prêtre et plusieurs de ses servi- teurs. Il parut très-content de ce que j'étais venu le voir. Je lui demandai s'il avait quelque chose à manger ou à boire; il répondit qu'il n'avait rien que des patates et de l'eau. Je lui dis qu'il aurait tout ce qu'il désirerait, et je lui fis donner une provision de thé , de sucre , de riz et de vin ; il me témoigna sa reconnaissance. Je lui procurai le plus tôt possible du vin et de l'eau dont il but quelques gorgées. Il mangea aussi un peu de riz et prit du thé , ce qui sembla le ranimer. Doua-Tara avait eu l'intention de fonder une nouvelle ville avec des rues régulières, à l'imitation de celles des Euro- péens, et il avait désigné un terrain particulier pour l'église. J'étais allé pour l'examiner. La situation en était délicieuse, sur une colline qui s'élevait en face de l'entrée du havre , à huit milles de distance environ, et qui dominait toute l'éten- due de la baie. Il me rappela ce projet, et témoigna l'es- poir de se trouver bientôt mieux, et de pouvoir tracer le plan •de la ville avant mon départ. Je lui dis que je serais tout prêt à l'assister, que j'espérais le voir se rétablir, et je lui recom- mandai de prendre autant d'alimens qu'il se pourrait. Alors on me donna la permission de le voir en tout temps. J'y retournai le jour suivant, je trouvai qu'il parlait plus aisé- ment, et j'espérais qu'il pourrait guérir. Le jour d'après, il alla plus mal, mais il fut pourvu de tout ce qu'il pouvait désirer par MM. Kendall , Hall et Ring, qui lui offrirent de tout leur cœur leur assistance. Nous étions obligés de laisser PIÈCES JUSTIFICATIVES. 205 tous les vases dans lesquels on apportait des vivres pour Doua- Tara ; car les naturels disaient que si, on les retirait, Doua- Tara mourrait aussitôt. 11 était lui-même pénétré de cette idée, tant la superstition jette de profondes racines dans l'esprit humain quand une fois elle y pénètre !... Tout s'était passé jusqu'alors à la Nouvelle-Zélande à mon entière satisfaction, et rien ne pouvait m'être plus pénible que la maladie actuelle de Doua-Tara ; elle ine chagrinait d'autant plus que c'était sur la sagesse , le zèle , l'industrie et l'influence de cet homme obligeant, que j'avais compté pour obtenir une foule d'avantages dans cette contrée. Nos espérances ne de- vaient probablement pas être accomplies, puisque je n'avais qu'un très-faible espoir de le voir se rétablir. Autant qu'il était possible d'assigner à sa maladie des causes naturelles , je l'at- tribuai à ses travaux. Doua-Tara était un homme d'une grande force physique, avec un esprit actif et intelligent ; à son retour à la Nouvelle-Zélande, il s'occupa nuit et jour de mettre ses projets à exécution. Son grand objet était l'agriculture. 11 cal- culait qu'en deux ans il pourrait cultiver assez de blé pour tout son peuple et donner de la semence aux autres chefs; dans peu de temps, il comptait en transporter à Port-Jackson, en échange du fer et des autres objets dont il aurait besoin. Dans ce but , il avait visite ses différentes terres , jusqu'à près de qua- rante milles de distance de Rangui-Hou; il avait désigné les terrains qu'il avait l'intention de défricher et de cultiver, et il avait assigné la tâche de ses hommes , après m'avoir de- mandé combien de terre un homme pouvait défricher par jour à Port-Jackson. Il était rarement chez lui, mais toujours dans ses champs, excepté quand il vint avec moi à la rivière Tamise. D'après ces considérations, je crains que sa mort ne soit une grande perte pour son pays. Du moins , il emporte la gloire d'avoir introduit l'agriculture chez ses compatriotes et préparé la voie à leur civilisation. Quand il vint à la Nouvelle-Galles du Sud, en août der- 206 PIECES JUSTIFICATIVES. nier , sur V Active , il emmena son beau - frère avec lui , et le laissa chez moi, désirant qu'il pût s'instruire dans les arts utiles. Ce dernier a seize ans environ , c'est un très-beau et très- intelligent jeune homme , parfaitement bien disposé et fort industrieux. Il marchait immédiatement après Doua -Tara pour le rang et lui succédera dans ses domaines. Je désire qu'il reste avec moi jusqu'à ce qu'il sache l'anglais et qu'il ait ac- quis la connaissance de l'agriculture. Il est chaque jour au travail , soit comme charpentier, soit comme cultivateur; et j'ai l'espoir que si Doua-Tara succombe, il sera bientôt en état de le remplacer. J'ai chargé aussi quelqu'un de lui apprendre à lire avant qu'il s'en retourne. Le vendredi 25 février , V Active fut prêt à prendre la mer; Doua-Tara était toujours dans un état en apparence voisin de la mort. Mon temps se trouvait limité par les ordres du gouverneur Macquarie, je ne pouvais rester pour voir l'issue de sa maladie. J'étais du moins heureux de songer que ceux que je laissais derrière moi lui procureraient de tout leur cœur ce qui lui serait nécessaire, et feraient tout ce qu'ils pour- raient pour rétablir sa santé, car ils étaient pleins d'affection pour lui et prenaient le plus vif intérêt à sa conservation. Nous sommes fâchés d'annoncer la mort de ce jeune homme qui promettait tant. La nouvelle de cet événe- ment est arrivée depuis les dépêches de M. Marsden ; mais nous n'avons rien à ajouter aux réflexions que M. Marsden faisait à la vue de sa mort probable et pro- chaine. (Missiunnajy Register , août 1S16 , pag. 33o. ) DÉPART DÉFINITIF DE RÀNGUI-HOU. Samedi 26 février i8i5. Ayant tout terminé relativement aux colons, je m'embarquai avec M. Nicholas. Ce matin nous levâmes l'ancre et fîmes voile. PIECES JUSTIFICATIVES. 207 J'avais permis à dix Nouveaux-Zélandais de m'aecompa- gner à Port-Jackson ; il y avait huit chefs ou fils de chefs et deux serviteurs. Ils étaient tous embarqués le vendredi, et leurs amis se rassemblèrent de tous côtés pour leur dire adieu. Plusieurs chefs vinrent aussi nous reconduire jusqu'à l'en- trée de la baie. Cela donna lieu à beaucoup de pleurs et de lamentations. MM. Kendall , Hall et King étaient aussi à bord. Les chefs parlèrent d'une manière très - affectueuse , et déclarèrent que si Doua -Tara mourait, ils protégeraient les Européens, et que personne ne leur ferait de mal. Plusieurs sollicitèrent la faveur de venir avec moi à Port-Jackson ; je fus obligé de les refuser, tant parce que nous n'avions pas de place, qu'a cause des frais considérables qu'entraînent leur passage et leur retour à la Nouvelle-Zélande , ainsi que le séjour que le navire peut faire à Port- Jackson. Je leur dis qu'en tout autre temps je leur ménagerais un passage, mais qu'il fallait que ce fût par tour : ils se contentèrent de cette promesse. La femme du chef principal pleura beaucoup et se déchira la figure , les épaules et la poitrine , jusqu'à ce que le sang ruis- selât. Elle promit de ne boire ni manger pendant cinq jours et cinq nuits ; mais assura qu'elle resterait assise dans sa ca- bane, et dormirait en priant pour nous durant tout ce temps. C'est une femme très-agréable , qui parle un peu anglais et aime beaucoup les Européens. Elle et son mari Tara me sup- plièrent de leur envoyer deux ou trois Européens pour vivre avec eux ; mon intention est de leur envoyer un couple marié quand V Active y retournera, si j'ai des nouvelles favorables de l'établissement et si je trouve des sujets convenables. Nous étions arrivés près des Pointes , quand les pirogues s'en allèrent avec nos amis en larmes; mais nous fûmes obligés de remettre à l'ancre jusqu'au changement de la marée. Tandis que nous étions mouillés , nous reçûmes la visite d'un chef de la rivière Tamise qui venait d'arriver. Vers midi nous appareil- lâmes, et fîmes roule pour le cap Nord. 208 PIECES JUSTIFICATIVES. Débarquement au cap Nord. Dimanche 27 février 18 15. Vers midi nous vîmes la terre. J'étais déterminé à y débarquer pour y passer un jour, suivant ma promesse, si le vent le permettait. En conséquence, je priai le maître de gouverner sur le cap. Lundi 2.8 février. Durant la nuit le vent avait été contraire, et ce matin nous étions à quatre ou cinq lieues de la côte et le vent venait de terre. Le navire avait dépassé la pointe N. E. où je voulais toucher ; comme nous ne pouvions l'atteindre, nous courûmes des bordées sous toutes voiles ; vers dix heures, une pirogue se dirigea vers V Active, elle venait d'un endroit de la côte différent de celui où habitait le chef que je voulais voir. Quand les naturels furent arrivés, ils m'apprirent que le chef avait rassemblé une grande quantité de chanvre tout pré- paré pour moi; et que Jem , le Taïlien , était dans le pays, à quatre milles environ de chez eux. Je priai le principal de ces naturels d'envoyer sa pirogue à terre, et de faire annoncer à Jem, par un messager, mon arrivée ; il le fit immédiatement, et rentra lui-même à bord , en me demandant la permission d'al- ler à Port-Jackson. Je ne pus me rendre à son désir, à cause du défaut de place. Peu après, il vint une autre pirogue dans laquelle je des- cendis à terre , accompagné de M. Nicholas et du chef qui était resté sur le navire. Nous débarquâmes à un petit village près de la plage. Le ressac était violent , et l'endroit où nous abor- dions rocailleux. Il me sembla qu'il y avait du danger. Mais, pleins de confiance dans le savoir et l'habileté des naturels à manoeuvrer leurs pirogues, nous nous lançâmes au travers du ressac, et arrivâmes au rivage sans autre accident que quel- ques éclaboussures des lames. Nous trouvâmes ici quelques jolies petites habitations, avec des jardins parfaitement culti- vés, proprement enclos et bien tenus; des patates, des igna- mes, etc., toutes plantées en couches séparées, et où l'on n'eût pu trouver un seul brin de mauvaise herbe. PIECES JUSTIFICATIVES. 209 En passant au travers du village , je remarquai une tète d'homme plantée sur un pieu , devant une cabane. Le chef s'es- quiva en silence derrière moi ; prit la tête et la porta dans la hutte. Il ne vit pas que je l'observais , et par la précaution qu'il mettait dans cette action , je conclus qu'il désirait que je ne m'en aperçusse pas. Pour ce motif, je fis semblant de ne pas le voir et passai outre. Le messager avait été expédié de ce village vers Jem le Taï- tien, mais il n'était pas encore de retour. Nous cheminâmes pen- dant environ deux milles dans l'intérieur, par le chemin où nous comptions voir arriver Jem, suivis d'un nombre consi- dérable de naturels. Sur notre route , nous vîmes quelques belles plantations de patates et d'autres végétaux. Les femmes paraissaient avoir eu peu de relations avec les Européens; la plupart d'entre elles se tenaient d'abord à l'écart , et s'enfuyaient quand nous leur adressions la parole. Enfin nous fûmes hélés par quelques naturels, qui nous apprirent que Jem avait pris une autre route et qu'il venait le long de la plage. Nous retour- nâmes aussitôt du côté de la mer. Sur notre route, nous rencontrâmes le fils du chef. Il était revêtu des indiennes que j'avais données à son père, quand nous allions à la baie des Iles. C'était un fort beau jeune homme. Il me représenta les ordres imprimés du gouverneur que j'avais remis à son père. Ils étaient enveloppés et couverts avec le plus grand soin , pour les conserver propres. Il me pria de lui don- ner passage jusqu'à Port-Jackson et j'y consentis. Il me dit que son père désirait me voir et m'attendait au fond de la baie , à trois milles de distance environ. Je me mis en route pour le voir, et je rencontrai Jem le Taïtien , qui me dit que le lin était prêt. Alors il était presque nuit, et le vent soufflait de terre avec force, de sorte que l'Active ne pouvait approcher. J'eus peur qu'il ne fût entraîné au large , c'est pourquoi je jugeai prudent de regagner le bord le plus tôt possible. Dans ce but nous retournâmes au premier village. Sur notre route , nous rencontrâmes deux femmes appuyées tome ur. i4 210 PIÈCES JUSTIFICATIVES. sur un rocher, qui pleuraient et se lamentaient amèrement. Je leur en demandai le motif, et j'appris que leur mari était le chef qui avait demandé à passer à Port-Jackson. Je leur dis de ne pas se désoler, puisque je ne pouvais pas le prendre, le navire étant plein. Quand nous arrivâmes au village, je fis observer aux naturels que j'avais besoin d'une pirogue pour nous reconduire à bord. Sur-le-champ ils en lancèrent une à l'eau et la remplirent d'hommes. La mer était extrêmement houleuse, et V Active était à une grande distance de terre. Je m'attendais à trouver quelque difficulté à regagner le navire; mais comme les naturels n'y voyaient aucun danger, je m'efforçai de me convaincre que mes craintes étaient sans fondement : j'entrai donc dans la piro- gue qui eut bientôt traversé le ressac furieux et gagné V Active. Quelques-unes de ces pirogues ont quatre-vingts pieds de long, et il est admirable de voir avec quelle adresse les naturels les manœuvrent dans une mer houleuse. Avant de quitter le rivage , j'informai Jem que V Active res- terait toute la nuit en panne, si le vent ne l'entraînait pas au large ; et qu'au matin nous gouvernerions sur terre pour visi- ter son beau-père , et recevoir à bord le lin qu'il avait préparé. Le vent étant resté le même toute la nuit , nous ne pûmes rallier la terre, mais nous étions tout-à-fait dans la même position que la veille au soir. Du reste , Jem vint de bonne heure avec un message du chef qui m'invitait à me rendre à terre. Je le priai de retourner et de dire au chef que la mer était trop grosse , que je n'étais point habitué à leurs pirogues et qu'en conséquence je n'osais m'y hasarder; mais que s'il avait du lin à m'envoyer, le navire'attendrait jusqu'à ce que j'eusse reçu sa réponse. En même temps, je lui fis passer un présent de quel- ques instrumens tranchans que j'avais réservés exprès pour lui. Trois heures après, Jem revint avec une provision de patates et environ trois cents livres pesant de lin , et un jeune garçon que le chef me priait de conduire à Port-Jackson ; Jem voulait aussi y aller avec nous , pour s'en revenir au premier voyage PIÈCES JUSTIFICATIVES. 211 de V Active à la Nouvelle-Zélande. Je ne voulais point frustrer les espérances de ce chef qui me témoignait une si grande con- fiance en me remettant son fils, ainsi je permis à l'un et à l'autre de rester sur le navire. Puis nous mîmes immédiatement à la voile et fîmes route avec une belle brise pour Port-Jackson. Jem me dit que le fils aîné du chef que j'avais vu à terre avait beaucoup d'envie de venir, mais que sa mère n'avait pas voulu y consentir. J'avais maintenant douze naturels passagers à bord , sans compter ceux qui faisaient partie de l'équipage. On quitte définitivement la Nouvelle-Zélande. C'était avec la plus vive satisfaction que je quittais la Nou- velle-Zélande , et je n'y avais pas éprouvé le plus léger acci- dent, la moindre insulte ou provocation. J'avais complètement rempli l'objet de mon voyage , et j'étais satisfait de mes recher- ches, relativement au véritable caractère et aux dispositions de ces insulaires ; j'étais pleinement convaincu qu'il n'y avait point d'obstacles réels à leur civilisation , ni à l'introduction du christianisme parmi eux , et que sous le rapport des efforts humains, il n'était besoin que d'une prudence ordinaire de la part de ceux qui voudraient se dévouer à cette entreprise hu- maine et charitable. On éprouve une furieuse tempête. Rien de remarquable n'eut lieu dans la traversée, jusqu'au 20 mars. Alors nous fûmes assaillis par une tempête furieuse du sud-ouest, accompagnée de tonnerre et d'éclairs, qui nous força à mettre à la cape pendant près de deux jours. Nous n'étions pas loin alors des côtes de la Nouvelle-Hollande. Quelques-uns des Nouveaux-Zélandais furent très-alarmés ; ils s'attendaient à voir à chaque instant le navire brisé en pièces, particulièrement le chef Temarangai; il pleura beau- •i4* 212 PIÈCES JUSTIFICATIVES. coup , disant qu'il ne reverrait plus sa femme ni ses enfans, et il priait le capitaine de retirer tous les canots des mâts (vou- lant parler des voiles) , car ils allaient tuer V Active. Toupe , d'un autre côté, fut tout-à-fait calme pendant le coup de vent; il disait que ni le tonnerre , ni les éclairs , ni le vent ne pour- raient détruire le navire tant que moi et lui serions à bord , et il exhortait Temarangai à ne point s'effrayer, l'assurant qu'il était en sûreté. Malgré tout ce que pouvait dire Toupe, les craintes de Temarangai durèrent autant que le coup de vent, et il ne put reposer ni jour ni nuit. Toupe avait coutume de prier beaucoup, et quelquefois il voulait que quelques natu- rels se joignissent à lui. Il avait une forte confiance dans un certain être suprême ; il avait coutume d'appeler l'objet de son culte le dieu de la Nouvelle-Zélande. Je fus très-malade pen- dant la tempête, et je sortis rarement de ma cabane. Toupe venait s'asseoir près de moi, et portait sa main sur diverses parties de son corps, adressant en même temps des prières à son dieu. Toupe est d'un caractère élevé, supérieur, et le même dans toutes les circonstances. Durant la tempête, il dé- ploya un calme et une constance remarquables. On atteint Poi-t-Jackson. Nous fûmes entraînés par le coup de vent à plus de deux cents milles au nord de Port-Jackson. Quand il cessa, le vent devint favorable, et nous mouillâmes à Sidney-Cove, le mercredi 23 mars i8i5. Conclusion. Je vais terminer ce récit en faisant observer que les chefs de la Nouvelle-Zélande sont une race de gens belliqueux et très-fiers de leur rang et de leur dignité; ils paraissent n'a- voir jamais oublié ni une faveur ni une offense; ils conser- vent un souvenir agréable des Européens qui se sont mon- trés honnêtes à leur égard , et ils ont le plus souverain mépris PIECES JUSTIFICATIVES. 213 pour ceux qui les ont injuriés. Ils paraissent vivre en paix et en bonne intelligence, quand ils sont sous les lois d'un même chef; je n'ai point vu de querelle tandis que j'ai été chez eux; ils sont affables pour leurs femmes et leurs enfans; je n'ai jamais vu frapper une femme , ni même observé aucun genre de violence à leur égard. Les colons me dirent qu'ils n'avaient jamais vu de querelles parmi les habitans de Rangui-Hou pen- dant tout le temps de leur résidence , et je pense que les disputes sont rares parmi ceux de la même tribu ou du même village. Sur la partie méridionale de la baie des Iles, j'ai appris qu'on n'avait fait aucun mal aux Européens , depuis le temps du capitaine Cook. Les deux frères chefs, Tara et Toupe , sont des hommes du meilleur caractère, et qui ne souffriraient ja- mais qu'on se permît le moindre acte de violence envers les Européens. Ils citaient souvent les outrages qu'eux et leurs sujets avaient éprouvés de la part des Anglais, et rapportaient que le maître d'un navire avait tué dernièrement deux de leurs hommes. Nonobstant cet outrage , ils ne s'étaient point ven- gés sur ces Européens, et ils mentionnaient le fait comme une preuve du vif désir qu'ils avaient de cultiver notre amitié. Ils m'assuraient que je ne devais pas avoir la moindre appréhen- sion pour la sûreté de l'Active tant qu'il serait mouillé chez eux. En réponse , je leur dis que ce navire serait constamment employé pour leur avantage, et dans le but d'améliorer la po- sition de leur pays; qu'ils devaient le considérer comme ap- partenant à la Nouvelle-Zélande, et qu'il n'y viendrait jamais dans l'attente de retirer aucun profit particulier de ses voyages. L'un des chefs répliqua qu'il était parfaitement convaincu de cette vérité , attendu qu'ils n'avaient rien à don- ner. Je leur recommandai de récolter et de préparer autant de lin qu'ils le pourraient pour le retour de V Active, qui aurait lieu dans trois mois, et je leur dis que je leur enverrais en échange tous les articles dont ils auraient besoin. Ils pro- mirent de le faire. J<- suis convaincu que sans un navire on ne peut faire beau- 214 PIECES JUSTIFICATIVES. coup de bien aux naturels de la Nouvelle-Zélande; par ce moyen seulement on peut assurer l'existence des Européens fixés sur ces îles, et travailler positivement à la civilisation de ce peuple, en procurant aux chefs de fréquentes occasions de visiter Port-Jackson , où ils se feront une habitude de nos coutumes , et goûteront les douceurs de la vie civilisée. Ils ac- querront plus de connaissances utiles dans un mois de rési- dence à la Nouvelle-Galles du Sud , qu'ils ne le feraient pen- dant un long espace de temps dans leur propre pays , tout en ayant des Européens parmi eux. Le seul aspect de nos mai- sons, de leur ameublement, de nos édifices publics, de nos magasins et des greniers de S. M. , ainsi que de nos arts et de notre culture , agrandirait tellement la sphère de leurs idées , qu'ils n'en perdraient jamais l'impression. Quand je conduisis Toupe et Temarangai visiter notre hô- pital général, leur étonnement fut vivement excité ; ils en pri- rent aussitôt les dimensions afin de pouvoir raconter ce qu'ils avaient vu , et ils convenaient que leur pays était dans un grand état d'ignorance, et qu'on ne savait y exécuter aucun ouvrage. Nonobstant la remarque de Toupe, les naturels sont une nation trop active et trop industrieuse pour se contenter de la simple résidence de quelques^ Européens isolés parmi eux, ils désireraient être fréquemmeut visités et pourvus d'instru- mens aratoires. Le fer est aujourd'hui le seul article qu'ils es- timent , si l'on en excepte les armes à feu ; ils sont hardis, té- méraires, capables d'entreprendre des choses difficiles. Par le défaut de fer ils ont peu de moyens de cultiver leurs terres, et ils ne possédaient pas une seule espèce de graine avant l'arrivée de l'Active. Ils n'ont point de commerce avec les autres na- tions ; c'est pourquoi l'unique profession que ces peuples sui- vent, à proprement parler, est celle de la guerre. Il n'est pas rare, pour les habitans du cap Nord, d'aller à la guerre par terre jusqu'au cap Est, à une distance de près de trois cents milles. C'est une grande entreprise , quand on réfléchit qu'il n'y a ni PIECES JUSTIFICATIVES. 215 routes régulières, ni ponts sur les rivières, et combien il y a peu de ressources dans un pays aussi peu cultivé que la Nou- velle-Zélande. Jem le Taïtien me dit que dans les cinq dernières an- nées, il était allé trois fois à la guerre , avec mille hommes, jusqu'au cap Est. Quand ils sont arrivés sur le territoire de ceux qu'ils vont piller, les fruits de leur expédition se bornent à quelques nattes ou quelques prisonniers de guerre. Tandis que V Active était mouillé dans la rivière Tamise , nous remarquâmes une quantité de pirogues sur la plage. Ayant demandé d'où elles venaient, on m'apprit qu'elles ap- partenaient à quelques guerriers qui vivaient sur la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande , et qui les avaient trans- portées par terre pour aller à la guerre avec quelques autres tribus, jusqu'au cap Est. J'avais un grand désir de visiter leur camp , situé à trois milles environ de notre mouillage, et de voir des hommes capables d'entreprendre une opération si hardie et si pénible, avec de pesantes pirogues, dans un si long intervalle de terrain montagneux et embarrassé. Doua- Tara me recommanda de ne pas visiter de camp , assurant qu'il n'y aurait pas de sécurité. Je lui sus gré de cet avis, et le suivis. Les Nouveaux-Zélandais sont tous cannibales; ils ne parais- sent pas avoir la moindre idée que ce soit un crime. Quand je leur en témoignais mon horreur, ils répondaient qu'ils avaient toujours eu la coutume de manger leurs ennemis. Je n'ai pu m'assurer s'ils mangeaient toujours la chair humaine comme un mets, par goût, et de sang froid; il me semble qu'ils le font seulement pour se venger de quelque grave injure. Autant que j'ai pu me former une opinion sur cette horrible coutume, je suis disposé à croire que les Nouveaux- Zélandais n'attachent pas plus l'idée du mal à l'action de manger leurs ennemis, que les nations civilisées à celle de pendre un criminel; en même temps, ce malheur entraîne, à l'égard des parens de celui qui est dévoré , une disgrâce 216 PIECES JUSTIFICATIVES. semblable à celle qui résulte en Europe pour une famille de l'exécution publique d'un de ses membres. Quand je leur re- présentai que cette barbare et inhumaine coutume était tout- à-fait inconnue en Europe, et qu'elle était même une honte pour leur nation , ils parurent surpris. Shongui , qui est un homme d'une grande influence, m'assura que, puisque je lui avais appris que c'était un mal, lui et les siens désormais ne s'en rendraient plus coupables , et d'autres qui étaient pré- sens donnèrent la même assurance. Je saisis toutes les occa- sions qui s'offraient à moi , pour pénétrer leurs esprits de l'hor- reur que cette pratique excitait parmi les autres nations, ainsi que de la honte et de l'effroi qu'elle attachait à leur nom. Il est à propos de remarquer que, bien que nous ayons été affectueusement accueillis sur tous les points de la côte où nous avons louché, cependant je recommanderai aux maîtres de na- vires qui visitent la Nouvelle-Zélande de se tenir beaucoup sur leurs gardes , à moins qu'ils ne puissent compter sur la bonne conduite de leur équipage. Les Nouveaux -Zélandais ne peu- vent être insultés impunément, ni traités comme des êtres sans jugement ; mais ils se vengeront de tout leur pouvoir des ou- trages qu'on se permettra envers eux. Je considère tout navire qui mouillera à la baie des Iles comme autant en sûreté que dans le havre de Port-Jackson , quand bien même il arriverait quelque différend entre les natu- rels et l'équipage ; mais dans toute autre partie de l'île , je ne répondrais de rien. Quand je prends en considération ce que j'ai vu de ces insu- laires, et les fréquens entretiens que j'ai eus avec eux sur divers sujets, je suis fortement porté à croire qu'ils seront bientôt rangés parmi les nations civilisées , surtout si l'on pourvoit au besoin qu'ils ont d'instrumens de fer. Je pense aussi que par leur industrie à couper du bois, à préparer du chanvre ou à recueillir tout autre article que leur contrée pourra produire dorénavant, ils pourront, en grande partie, balancer les frais qu'ils nécessiteront; mais je le répète, sans l'aide du fer,, ce PIÈCES JUSTIFICATIVES. 217 peuple ne s'élèvera jamais au-dessus de sa condition ac- tuelle.... Samuel Marsden. ( Missionnary Register, décemb. 1816, pag. 5i8.) MASSACRE A LA NOUVELLE-ZELANDE. La nouvelle suivante a été apportée de la Nouvelle-Galles du Sud par le Zébra , sloop de guerre qui est arrive à Ports- moulh le 10 décembre. Nos lecteurs auront appris par le récit précédent à ne pas accorder une foi implicite à des rapports de cette nature; mais à attendre de plus amples informations, avant de condamner la partie accusée. On doit remarquer avec satisfaction, et surtout les amis des Nouveaux -Zélandais, que ces navires restèrent un mois, sans doute , dans une sûreté parfaite à la baie des Iles , où les colons de la Société des missionnaires de l'Eglise sont établis. Un na- vire nommé le Brothers apporte la nouvelle funeste du massa- cre de plusieurs personnes de son équipage, et de celui du Tryal par les Nouveaux -Zélandais, à la distance estimée de cent cinquante milles au S. E. de la station des Missionnaires à la baie des Iles , dans un lieu entre la rivière Tamise et la baie Mercure. Le Tryal appareilla de Sydney pour les Marquises le 23 mai, avec l'intention de toucher à la Nouvelle-Zélande , et de s'y réunir au Brothers qui était parti peu de jours auparavant avec le projet de recueillir du chanvre. Ces navires restèrent un mois à la baie des îles; de là ils suivirent leur route au S. E., commerçant avec les naturels sur leur passage. Ils firent un court séjour dans un havre qui parut n'avoir pas encore été fréquenté par les Européens, et le nommèrent havre Tryal. Ils furent accueillis amicalement par les naturels qui promirent de leur amasser beaucoup de chanvre pour le leur livrera leur retourdu Sud. Les navires s'avancèrent 218 PIECES JUSTIFICATIVES. vers le détroit de Cook , qui sépare l'île du Nord de celle du Sud, et après avoir parcouru une grande étendue de la côte, ils retournèrent au havre Tryal. Les naturels n'ayant pu se pro- curer le chanvre qu'ils avaient promis, on convint de quitter ce mouillage le lundi 21 août; mais les navires furent attaqués à midi le jour précédent , et les ponts furent envahis par un nombre immense de naturels. On rapporte qu'il s'ensuivit un combat sanglant; les deux navires furent repris par les équipages, avec une perte d'hom- mes considérable, après avoir été plusieurs heures au pouvoir des naturels. ( Missionnary Register, décerné. 1816, pag. 523. ) FIGURES DE LA NOUVELLE-ZELANDE. N'est-il pas étrange que des hommes d'un extérieur aussi noble et d'une intelligence naturelle aussi grande , n'aient pu imaginer rien de mieux que les figures grossières représentées ci-contre ! La première de ces figures est taillée dans un morceau de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 219 jade, espèce de pierre verle. M. Savage, dans son Récit sur la Nouvelle-Zélande, en a donné une gravure. On les rencontre fréquemment dans ce pays. Elles sont très -communément portées au cou par les chefs et leurs femmes, particulièrement dans les temps de danger. On dit a M. Nicholas qu'on ne les fabriquait que dans la partie de l'île située près du cap Est, la plus orientale de l'île du Nord. M. Savage dit que cette figure est l'image d'une divinité pro- tectrice qu'ils croient habiter dans la lune; cette planète est en conséquence l'objet favori de leur adoration. D'après une tradition , la lune est la demeure d'un homme qui, à une épo- que fort éloignée , fit une visite à la Nouvelle-Zélande , et qui porte encore un vif intérêt au bien-être de ce pays et de ses habitans. Il est possible que les Nouveaux -Zélandais s'imaginent re- connaître sur le disque de la lune quelques traits de ce gro- tesque visage. Mais que dirons-nous de la bizarre figure sculptée dans un morceau de bois, et qui soutient une bouche énorme avec ses mains? « La figure sculptée en bois, dit M. Nicholas, est très- singulière et telle que je ne me souviens pas d'en avoir jamais 220 PIECES JUSTIFICATIVES. vu. Pourtant j'en achetai plusieurs tandis que j'étais chez eux; car, nonobstant la main d'œuvre qui doit leur coûter beau- coup de travail, ils n'y attachent que peu de prix. » MM. Marsden et Nicholas diffèrent l'un et l'autre de M. Sa- vage , sur la destination de ces sortes de figures. M. Marsden dit qu'il n'a pu découvrir que les Nouveaux-Zélandais eussent aucune image de leurs divinités , comme en ont les autres na- tions sauvages; cependant il savait bien, sans doute, qu'ils avaient des figures du genre de celles dont nous venons de parler. M. Nicholas nous écrit : « Je diffère de l'opinion de M. Sa- vage , qui veut que ces figures représentent une divinité; car, quoique les Nouveaux-Zélandais soient superstitieux au plus haut degré , je ne pense pas qu'ils aient d'idoles. Je leur ai demandé , en voyant des figures en bois et en pierre , s'ils les considéraient comme des représentations de Y Atoua , et ils ont constamment nié qu'il en fût ainsi. Ce qui tend à me confirmer dans mon opinion , c'est la facilité avec laquelle ils les vendaient. » Nous ne pouvons , du reste , être tout-à-fait du même avis. La superstition a toujours conduit à la fabrication de repré- sentations imaginaires , non pas peut-être de l'Etre-Suprême , comme Y Atoua ou l'ombre immortelle des Nouveaux-Zélan- dais , mais de quelques attributs de l'Etre-Suprême, ou de quel- ques êtres subordonnés , bons ou mauvais. Les lares ou dieux familiers des anciens payens étaient de cette nature , et quel- que chose de ce genre semble se retrouver en tous lieux, suivant que l'ignorance et la superstition aveuglent l'esprit humain. ( Missionnarj Register, dccemb. 1816, pag. 5'i4. ) PIECES JUSTIFICATIVES. 221 NOTE SCR MAWI, JEUNE NOUVE AU-ZELANDAIS , MORT A PADDINGTON , LE 28 DECEMBRE l8l6. (Extrait d'un Mémoire écrit par le Rév. Basil Woodd. ) Suivant toute apparence, ce jeune homme naquit à la Nou- velle-Zélande vers l'année 1796. Il était parent du grand chef Tara , qui ^jouit d'une grande autorité sur la partie méridio- nale de la haie des Iles. Vers 180G, deux navires étant venus mouiller dans cette haie , l'un des capitaines dont Mawi parlait avec beaucoup d'é- loges , représenta avec tant de chaleur les avantages de la reli- gion et de la civilisation , et inspira tant de confiance au père de Mawi , que celui-ci lui confia son fils , alors âgé de neuf à dis ans, pour l'emmener avec lui. Mawi dit adieu à ses parens qu'il ne revit plus , car quelques mois après ils furent emportés par une maladie épidémique qui, apportée d'un district éloigné de l'île, fit périr une quan- tité d'insulaires. Mawi parlait toujours de son père comme d'un homme qui avait appris de son capitaine à adorer le vrai Dieu, et il espérait le revoir dans un lieu où il ne s'en séparerait plus. Ce capitaine remit Mawi entre les mains de M. Drummond, à l'île Norfolk, qui le traita comme un de ses enfans, et lui fit apprendre à lire et à écrire. Quelques années après, M. Drum- mond et sa famille passèrent à Sydney, et en février 1812 ils s'établirent sur une ferme près de Liverpool. M. Drummond fit donner à son pupille toutes les connais- sances religieuses, et il l'occupa aux divers travaux de l'agri- culture. Mais ce genre de vie parut ennuyeux au caractère actif et entreprenant du jeune Mawi. Il était avide de voir du pays et d'acquérir de nouvelles connaissances. Il passa peu de temps après à l'école de Parramatta , sous la surveillance de M. Mars- 222 PIECES JUSTIFICATIVES. den, où il fit la connaissance de M. Kendall dont il reçut les leçons, et pour lequel il conçut l'amitié la plus tendre et la plus inviolable. Il accompagna MM. Marsden et Kendall dès leur premier voyage à la Nouvelle-Zélande et leur servit d'interprète. Ce fut alors qu'il revit pour la première fois son parent Tara et ses compatriotes. Quand M. Marsden quitta la Nouvelle-Zélande, en fé- vrier 181 5, après y avoir établi les missionnaires, il y laissa Mawi pour les assister dans leurs travaux, comme ayant résidé long-temps à Parramatta et connaissant très-bien les coutumes anglaises. Mais ayant entendu beaucoup parler de l'Angle- terre, et dévoré par un désir sans bornes de s'instruire, il ob- tint de ses amis la permission de visiter cette île favorisée. En août i8i5, il embarqua sur le baleinier Jefferson , et n'ayant pas d'argent pour payer le voyage, il fit à bord les fonctions d'un simple matelot. Le voyage dura dix mois, et il arriva dans la Tamise au mois de mai 1816. Le capitaine du navire, ne sachant comment se débarrasser de cet étranger dépourvu d'amis et d'appuis, le présenta à la maison de la Société. Le comité décida qu'il serait mis sous la protection de la Société , et il fut remis à M. Basil Woodd chez qui il arriva le lundi soir 10 juin 1816. Celui-ci le confia à une famille honnête qu'il chargea de le nourrir et de le loger, et l'envoya à l'école de M. Hazard, homme pieux et intelligent. Mawi montra beaucoup d'appli- cation et fit de rapides progrès; sa conduite fut édifiante... Mais on sera bien aise d'entendre à ce sujet le récit même du révérend Basil Woodd. « En peu de temps l'intelligent jeune homme répondit am- plement aux soins et aux dépenses de la Société. » Il déploya une grande douceur et humilité d'esprit, une soif ardente pour toutes les connaissances utiles, une soumis- sion parfaite aux avis de ses instituteurs et une noble ambition de devenir utile à sa patrie. Il prenait beaucoup de plaisir à PIÈCES JUSTIFICATIVES. 223 fréquenter la maison de Dieu , à écouter les conversations reli- gieuses, à lire des livres utiles et à suivre les écoles. » Parfois, dans les écoles du dimanche, il s'occupait de l'instruction d'une classe de petits garçons, pour apprendre de quelle manière il pourrait enseigner aux enfans de la Nou- velle-Zélande. » Il fut surtout charmé un jour que je le conduisis visiter l'école des filles de Bcntinck, dirigée avec toute la simplicité du système d'éducation du docteur Bell. Il parut le comprendre assez pour essayer d'instruire sur le même plan. » Durant ma résidence annuelle à Drayton-Beauchamp , je ne pus le suivre avec le soin que je désirais. Aussitôt après mon retour, mon premier soin fut de me rendre chez M. Hazard et de demander comment allait Mawi. M. Hazard me fit un rap- port très-satisfaisant sur notre jeune ami. Je trouvai qu'il avait fait des progrès merveilleux, et que sous l'obligeante surveil- lance de son instituteur il avait dépassé toutes mes espérances. Il avait acquis la connaissance des premiers principes du dessin et de la perspective , et avait tracé divers plans et devis pour la construction des maisons. Il me donna des échantillons de ces divers ouvrages, et j'en envoie quelques-uns au comité de la Société. » Un jour on lui demandait s'il voudrait demeurer en An- gleterre, il répondit sur-le-champ avec beaucoup d'expres- sion : « Oh! non, je ne puis pas faire de bien ici, mais j'en » puis faire un peu dans mon pays. » » Dans les mois d'octobre et novembre , il se trouva fréquem- ment mal. M. Hazard lui dit : « Vous feriez bien de rester à la » maison un jour ou deux , jusqu'à ce que vous vous trouviez » mieux. » Sa réponse fut : « Non, Monsieur, je ne suis jamais » aussi content qu'à l'école. » » M. Hazard m'assure qu'il ne l'a jamais vu en colère , et que dans toutes les circonstances il manifestait un esprit d'humi- lité, de patience et de soumission, qui eût fait honneur à plu- sieurs de ceux qui portent le nom de chrétiens. 224 PIECES JUSTIFICATIVES. » Quoique en général silencieux et réservé , il était toujours très-communicatif avec son instituteur ; il semblait avoir beau- coup de considération pour lui, et il lui disait souvent avec des yeux étincelans de joie : « Ob! Monsieur, je penserai sou- » vent à vous , même quand j'en serai à plusieurs milliers de » milles. » » Il était fort remarquable qu'il ne manifestât pas le moindre intérêt ni la moindre curiosité pour tous les spectacles qui atti- rent le peuple. Quand il apprit, le 9 novembre, que le lord maire de Londres passerait dans les rues en grande pompe, suivi d'hommes armés, de musique, de pavillons, etc., et que ce serait un spectacle tel qu'il n'aurait pas d'autre occasion d'en voir un semblable , il ne se soucia nullement d'aller à West- minster pour ce jour. Mais s'il était invité à aller visiter une nouvelle école , un examen d'enfans, une assemblée de société pour la bienveillance chrétienne, la distribution des Bibles et le soutien d'une mission chez lespayens, alors il était tout cœur et tout zèle. » Un ami que j'avais chargé de le surveiller , qui le menait avec lui à la chapelle et le plaçait souvent dans son banc (M. Short), m'a rapporté qu'il ne l'a jamais entendu employer de termes indécens , que jamais un de ces mauvais mots si communs aux marins n'est sorti de sa bouche , et qu'il n'a jamais prononcé le nom de Dieu qu'avec crainte et respect. Il paraissait aussi prudent dans ses paroles, plein de franchise et de simplicité. » La température humide et brumeuse de novembre éprouva cruellement la constitution de Mawi. Il contracta une toux dangereuse, et pendant un temps il éprouva les symptômes ordinaires d'une prompte consomption. Je le confiai aussitôt aux soins d'un médecin de mes parens,M. Charles Woodd ; et en peu de temps je vis avec joie que, grâces à ses soins, tous les symptômes alarmans avaient disparu complètement. Comme il était évident que notre atmosphère humide et froide ne lui convenait nullement , je jugeai à propos de demander à la So- PIECES JUSTIFICATIVES. 225 ciété son retour dans sa patrie par la première occasion. » Le jour de Noël, Mawi se plaignit de maux violens à la tête et dans les reins, et il se trouva si mal, qu'il garda la maison. Le jeudi matin, je fus informé que son visage était considérablement enflé, et que les symptômes de la dyssenterie s'étaient montrés. » Le vendredi matin , immédiatement après mon déjeuner, je me rendis à son logement. La nouvelle que j'avais reçue était très-alarmante. Je montai les escaliers, et je fus témoin du spectacle le plus affligeant et le plus effrayant que j'aie ja- mais vu. Le plancher de la chambre était teint du sang de mon pauvre ami, et lui-même en était couvert. Il semblait tout- à-fait exténué, parlant très-bas et avec une extrême difficulté. Le séjour de sa chambre était très- dangereux. Sa maladie me parut tout-à-fait inexplicable. Parmi les nombreux cas que j'avais observés, je n'en avais jamais vu aucun de ce genre. Je courus aussitôt chercher M. C. Woodd qui s'était offert à le traiter gratuitement, et le priai de se rendre le plus tôt possible près de Mawi. Il arriva le premier et m'envoya demander à une école voisine où je me trouvais. Quand j'entrai dans la chambre il dit : « Il est dangereux pour vous d'être ici. C'est une fièvre » putride des plus rapides et des plus malignes que j'aie jamais » observées. » Le fait était que, si je puis m'exprimer ainsi, tout son être se décomposait. Son sang coulait par tous les pores, par la bouche, le nez, les oreilles, les yeux. En appro- chant de lui, j'observai que sa peau était couverte de taches pourprées, et que le sang paraissait même se mêler à sa respi- ration. Je me retirai un moment avec le médecin, et envoyai tout de suite quelques cordiaux au pauvre malade. » M. Woodd revint ensuite près de lui , et il entre dans des détails fort touebans sur les marques de piété, de constance et de résignation que ce malheureux insulaire donna dans les derniers momens de son existence. Le soir il se retira. « Peu après, comme sa maladie empirait, Mawi tomba dans le délire , mais par intervalles il revenait à lui , et dans ces tome m. i5 226 PIÈCES JUSTIFICATIVES. momcns il semblait occupé à prier Dieu de toute son ame. » Le matin suivant, il parut un moment un peu ranimé : il était tranquille , résigné et content. Il avait éprouvé à la lettre une sueur de sang, mais elle s'était beaucoup apaisée. Deux personnes étaient près de lui , et baignaient souvent son visage avec du vinaigre , ce qui semblait le rafraîchir. » Vers cinq heures du matin , un de ses assistans lut auprès de lui les prières du service pour la visitation des malades. Il semblait écouter avec attention et fut tout-à-fait absorbé dans la prière; mais la nature était presque épuisée. Il resta dans cet état jusqu'à sept heures et demie environ , puis la mort ferma ses yeux, le 28 décembre 181G. » Je n'ai qu'une observation à ajouter, qui m'a beaucoup surpris ainsi que mes amis. L'opinion de Mawi était que les Nouveaux-Zélandais n'ont point d'idée d'un Etre-Suprême ; qu'ils ne rendent aucun culte religieux aux figures grotesques qu'on trouve en leur possession , et que ces figures bizarres et difformes n'ont aucun rapport à une idée religieuse. Je l'ai sondé souvent à ce sujet ; et tout ce que j'ai pu découvrir, est qu'ils croient en un mauvais esprit, nommé Atoua, qui les tourmentait beaucoup en embrouillant leurs filets et chavirant leurs pirogues. » Basil Woodd. ( Missionnary Register ,fêv. 1817, pag. 7 1 .) EXTRAITS DU JOURNAL DE M. KENDALL Depuis le mois de mars 18 15 jusqu'en janvier 18 16. 23 mars i8i5. Temangai et Koura-Koura , deux chefs de Wangaroa , nous ont rendu une visite avec leurs gens. J'avais envie de retourner avec eux à Wangaroa pour faire des obser- vations sur la place et sa population ; je m'étais disposé à ce voyage et j'avais préparé mes provisions et mes effets; mais mes amis deTepouna m'en empêchèrent et me supplièrent ins- PIECES JUSTIFICATIVES. 227 tammcnt do rester avec eux. Pour motif principal de leur ré- sistance à mes projets , ils rappelèrent que quand le Boyd fut capturé, Tepahi , leur dernier chef, fut traité comme chef du complot; les capitaines et les équipages des baleiniers tuè- rent plusieurs de leurs gens et détruisirent leur île ; que si je venais à être tué à Wangaroa , ils en souffriraient encore le reproche et la punition, quoique innocens, comme il était arrivé à Tepahi. Je ne pouvais que me rendre à un raisonne- ment aussi fondé ; car je suis plus que jamais convaincu que Tepahi, loin d'avoir trempé dans l'affaire du Boyd , quant au meurtre de l'équipage, jcua alors un rôle très-honorable et digne d'éloges. Il fit descendre les malheureux marins du grée- ment avec l'intention de les sauver , et il eût réussi dans ce projet, s'il n'en eût été empêché par Tepouhi et Taara, qui les lui arrachèrent par force. Les naturels de Wangaroa , tout en avouant leur propre cruauté , affirment tous que quand ils massacrèrent les marins, Tepahi se couvrit les yeux avec la main et versa des larmes. Il ne se joignit point à eux dans leur horrible festin. J'ai donné ces détails pour faire voir que le peu que Tepahi connaissait de la civilisation lui avait été néanmoins très-utile dans un moment si critique. Le peuple de Tepouna désire vivement voir son innocence reconnue aux jeux de la nation anglaise. Mardi "Si. Une pirogue est revenue de la rivière Tamise ; son équipage a tué et mangé trois hommes et fait prisonnières une femme et cinq jeunes filles, qu'ils comptent garder comme es- claves. La tête d'une des malheureuses victimes a été expo- sée dans notre établissement. Elle avait été préparée par les naturels jaloux de la montrera leur retour à leurs amis, comme un trophée de la victoire qu'ils avaient remportée sur leurs en- nemis. Les colons ont prié les naturels de l'emporter et de l'en- terrer. 8 avril. J'ai assisté à une cérémonie de deuil. Les parens de cinq naturels qui étaient morts depuis quelque temps, mais l5' 228 PIECES .JUSTIFICATIVES. dont les corps avaient été relevés ou déterrés , pour en conser- ver les os, s'étaient rassemblés pour pleurer sur ces restes. Les cris et les gémissemens ordinaires en ces occasions se firent entendre. La figure et la gorge des parens en deuil furent, comme de coutume, inondées de sang. Les Nouveaux-Zélan- dais ont l'habitude de relever les corps de leurs amis après la mort. Ils nettoient les os et rejettent la chair. Les os d'une personne du peuple sont nettoyés au moins une fois; mais les os d'un chef sont relevés à quatre ou cinq reprises et définiti- vement mis dans une corbeille. Ils sont conservés comme des reliques sacrées. Les enfans sont conduits près des os de leurs ancêtres pour y verser des larmes , afin de perpétuer leur mé- moire. La manière dont les Nouveaux-Zélandais prennent soin de leurs morts est particulièrement dégoûtante. Ils trans- portent le cadavre d'un parent l'espace de plusieurs milles sur un cercueil , un mois ou deux après sa mort. Il n'y avait qu'un mois que trois des personnes dont il est question étaient mortes. Le crâne est découvert , tandis que les assistans pleurent. Peu de semaines après le départ de M. Marsden, il s'éleva entre le chef Koro-Koro qui nous avait accompagnés de Port- Jackson, et Okida , autre chef d'un territoire voisin de Wan- garoa, une querelle qui eut des suites sérieuses. Un jour les hommes de Koro-Koro, en passant par le district d'Okida, avaient pris quelques patates sur une ferme de la côte ; pour s en venger, les propriétaires eurent recours aux armes. Un des hommes d'Okida fut tué et enterré dans son propre champ. Peu de temps après, Okida rassembla son peuple, et venant à la baie des Iles , il fit une descente sur le terrain de Koro- Koro. La propriété de celui-ci et plusieurs cochons sur une île adjacente, appartenant à Pomare, furent détruits. Un pou- lain dont M. Marsden lui avait fait cadeau fut aussi tué. Les Nouveaux-Zélandais auront des guerres entre eux , mais je ne crains point qu'ils persécutent les colons tant que nous conserverons notre neutralité e7 JOURNAL REVEREND SAMUEL MARSDEN , Durant saiseconde visite à la Nouvelle-Zélande, de juillet à octobre 1819. Embarquement pour la Nouvelle-Zélande. 29 juillet 1819. Mercredi au matin, nous nous embarquâmes pour la Nouvelle-Zélande, à bord du Gcncral-Gates , brick américain que j'avais frété pour me transporter, moi, le ré- vérend M. Butler et sa famille, MM. Hall et Kcmp et ma- dame Kemp , ainsi que Touai , Titari , une femme de la Nou- velle-Zélande qui avait demeuré quelque temps avec son mari à Parramatta , et trois artisans avec leurs familles. Nous ren- contrâmes, à dix milles environ de l'entrée de Port-Jackson, Te Rangui , frère de Touai, qui s'était embarqué à bord de l'Active , pour venir voir son frère à Parramatta. Tous faisaient partie de l'établissement de la Nouvelle-Zélande, et montaient à vingt-deux personnes, hommes , femmes et enfans. Nous ne fûmes pas long-temps en mer, sans être pour la plupart très-malades. Les deux premiers jours furent favora- bles , bien que les vents fussent légers : ensuite nous rencon- trâmes des vents variables et souvent très-forts contre nous, avec une grosse mer; si bien que notre passage fut, sous ce rapport, très-dur, très-désagréable, et fort pénible pour tous ceux qui étaient sujets au mal de mer. 268 PIECES JUSTIFICATIVES. Arrivée au cap Nord. 10 août 1819. La nuit dernière, vers minuit, le maître con- clut, d'après son estime, que nous étions près du cap Van- Diemen , le point le plus sud du cap Nord de la Nouvelle- Zélande ; il sonda et trouva fond à dix brasses. Aussitôt il reprit la bordée du large pour deux heures environ, et courut ensuite sur la terre ; avant le point du jour, nous en étions près. Nous eûmes alors une belle brise , modérée et favorable ; au retour du jour, à notre grande satisfaction, nous eûmes une vue très-rapprochée du cap Nord , et aperçûmes ensuite les feux des naturels sur différens points de la terre. Nous prolon- geâmes la côte tout le long du cap Nord. En peu de temps , nous fûmes entourés d'environ qua- rante pirogues pleines de pêcheurs , a quelques-uns desquels nous parlâmes; nous apprîmes qu'ils ne pouvaient avoir au- cune communication avec nous, attendu qu'ils étaient taboues. Ils ne péchaient rien autre que des empereurs (espadons); tout le poisson de ce genre qu'ils prenaient était taboue, et ils ne pouvaient pas en disposer, car ildevaitètre réservé pour leur provision d'hiver. Nous vîmes sur le rivage un grand nombre de plates-formes dressées pour faire sécher leur poisson. Je m'in- formai du chef et de Jem le Taïtien , et j'appris qu'ils étaient à terre. Il semblait y avoir environ deux cent cinquante à trois cents hommes dans les pirogues; mais comme ils étaient ta- boues, ils ne pouvaient avoir avec nous aucune communica- tion particulière. Le temps continua d'être beau et le vent bon, jusqu'à ce que nous eussions dépassé le cap. Vers le soir, il tomba par degrés, si bien que dans la nuit du mercredi nous ne fîmes que peu de chemin. Aux Cavallcs. 12 août. Vers midi, la brise fraîchit et devint assez jolie , de PIECES JUSTIFICATIVES. 269 manière que nous arrivâmes vis-à-vis les îles Cavalles avant le coucher du soleil, et nous eûmes alors la visite de plusieurs pirogues. Dans l'une d'elles était le chef Okida , dont le fils avait passé un an chez moi à Parramatta et venait d'y retour- ner sur l'Active. Il demanda à rester à bord jusqu'à notre ar- rivée à la baie des Iles, ce qui lui fut accordé. Okida nous apprit qu'ils rassemblaient leurs gens pour aller à la guerre avec les habitans de Wangaroa , et que Shongui allait quitter la baie des Iles vendredi matin avec ses pirogues de guerre et ses guerriers, pour se joindre à ceux du continent devant les Cavalles. Okida nous apprit que le démêlé entre Shongui et le peuple de Wangaroa provenait de ce qu'une baleine avait été jetée par les flots sur le rivage qui appartenait à Shongui, et que le peuple de Wangaroa l'avait mangée; cet aclc était considéré comme un vol public , et Shongui se met- tait en campagne pour punir la tribu de Wangaroa de cet at- tentat. A Rangui-Hou. Vers minuit , le General-Gates mouilla heureusement devant Rangui-Hou , par douze brasses ; aussitôt , et malgré une heure aussi avancée , les naturels tirèrent plusieurs coups de fusil pour nous saluer. Plusieurs d'entre eux , avec le pilote, se ren- dirent sur-le-champ le long du bord , mais nous ne voulûmes point les recevoir jusqu'au matin ; en conséquence , nous les priâmes de retourner à terre , et d'informer les gens de l'éta- blissement de notre arrivée , ce qu'ils firent. i3 août 1819. Au point du jour, le navire fut entouré de na- turels. Quelques-uns des colons vinrent à bord, et nous ap- prirent que tout allait bien. Notre rencontre procura une satis- faction sincère à tous ceux qui s'intéressaient à la mission. Quand nous considérions les plages de la Nouvelle-Zélande, et les naturels se pressant en foule autour de nous, nos cœurs s'enflammaient, et nous nous regardions comme arrivés sur la terre promise. 270 PIECES JUSTIFICATIVES. Arrivée de Shongui pour une expédition guerrière. Vers onze heures du matin, Shongui arriva avec ses piro- gues de guerre et ses combattans, faisant route pour Wanga- roa. Il nous reçut très -cordialement ainsi que tous les chefs qui l'accompagnaient. Je lui dis que nous avions appris son projet d'aller combattre contre le peuple de Wangaroa, et je lui représentai la folie d'être continuellement en guerre les uns avec les autres. Plusieurs des chefs subalternes me pressèrent de parler à Shongui pour l'engager à renoncer à cette entre- prise , ajoutant qu'ils désiraient vivre en paix; quelques-uns d'entre eux me prièrent d'emmener Shongui à Parramatta , dans l'espoir que cette mesure tendrait au repos général. J'employai toute espèce d'argumens avec Shongui pour le dissuader de combattre. Il ne fit qu'en rire, et dit qu'il était bien difficile de complaire à mes désirs; il ajouta néanmoins qu'il ne combattrait point tant que je resterais à la Nouvelle- Zélande, et qu'il m'accompagnerait à Port-Jackson, si j'ap- prouvais ce voyage ; que pour le moment il allait suspendre ses projets contre le peuple de Wangaroa ; qu'il lui fallait toute- fois se rendre sous peu de jours près de cet endroit, pour relever les os de son beau-père ; mais qu'il ne combattrait point, et que je pourrais aller avec lui, si cela me convenait. Je lui répondis que je le ferais si j'en pouvais trouver le temps. Shongui est un homme des manières les plus douces, et pa- raît posséder un jugement supérieur. Des pirogues continuèrent d'arriver pendant la plus grande partie du jour à Rangui-Hou , jusqu'à ce que le rivage fût couvert de naturels. Difficulté de débarquer les bagages. i4 et iS août. De bonne heure dans la matinée, nous corn- PIECES JUSTIFICATIVES. 271 mcnçâmes à débarquer nos bagages, et nous continuâmes du- rant les journées du i4 et du l5. Nous eûmes beaucoup de dif- culté à le faire, au travers de la multitude de naturels qui couvraient le rivage , avides comme ils l'étaient de nous voir et d'examiner ce que nous portions. Ils nous prêtèrent toute es- pèce de secours pour transporter les effets dans la maison des- tinée à les recevoir, et nous ne perdîmes pas dans ces deux jours un seul article, que je sacbe, excepté un mouchoir de soie qui me fut enlevé dans ma poche. Quand je m'en aperçus, j'en instruisis Shongui , qui au bout de dix minutes me le rap- porta. Je ne m'informai pas qui l'avait pris, mais je laissai Shongui arranger l'affaire. Durant ces deux jours, nous des- cendîmes tout notre menu bagage et plusieurs des objets pesans , le temps étant fort beau. Dans la soirée du t5 , il survint un violent coup de vent qui enleva les canots de F Active et du General -Gates sur leurs amarres et les mit en pièces. Ce fut un accident fâcheux pour nous; car il ne nous restait plus qu'un canot en état, appar- tenant au General- G ates , et qui n'était pas assez fort pour transporter à terre notre gros bagage. 16 août. Ce matin nous résolûmes de construire un ponton de vingt-quatre pieds de long sur dix de large, pour débar- quer les effets les plus lourds et pour l'usage général. Le coup de vent durant encore aujourd'hui, avec une pluie violente, rien n'a pu se faire : comme nous étions confinés chez nous, nous délibérâmes sur l'utilité de former immédiatement un nouvel établissement, où les opérations de l'agriculture s'exé- cuteraient sur une grande échelle. Rivalité des chefs Shongui et Kora-Koro au sujet des nouveaux colons. Dans la soirée, Koro-Koro, frère deTouai, arriva. Rival de Shongui, il commande une grande étendue de côtes, sur la partie sud de la baie des Iles. Les deux chefs furent bientôt in- 272 PIÈCES JUSTIFICATIVES. formés de nos intentions de former un nouvel établissement , et chacun d'eux se montra également jaloux de nous posséder dans sa juridiction. Shongui déclara qu'il nous laisserait le choix de toutes ses terres , et nous en céderait telle quantité que nous désirerions : Koro-Koro était prêt à en faire autant. Au reste , il fut arrêté que nous irions le lendemain matin à Kidi-Kidi, district à douze milles^ environ de Rangui-Hou , où Shongui possède ses principales cultures de patates et de pommes de terre. 17 août 1819. En conséquence , après avoir mis les naturels à couper du bois pour notre ponton , et donné les instructions nécessaires aux charpentiers, moi, le révérend John Butler et MM. F. et W. Hall, nous partîmes avec Shongui , dans sa pi- rogue de guerre, pour Kidi-Kidi ; nous y arrivâmes dans l'après- midi , et nous procédâmes sur-le-champ à l'examen du pays. Kidi-Kidi choisi pour le siège du nouvel établissement. J'avais examiné cette portion de terre et celle qui s'étend à quatorze milles plus à l'ouest, quand je vins à la Nouvelle- Zélande en i8i5, et j'avais regardé ce district, parmi tous ceux que j'avais vus dans l'île , comme celui qui promettait le plus pour un nouvel établissement. Le sol en est riche , le ter- rain uni , dégagé de bois, facile à travailler avec la charrue, et bordé par une belle rivière d'eau douce; les communica- tions par eau, libres et ouvertes pour toutes les parties de la baie des Iles; le mouillage sûr pour les navires de toute espèce de charge, jusqu'à deux lieues de l'établissement. Shongui nous dit que nous étions entièrement maîtres de prendre au- tant de terre que nous en avions besoin, de chaque côté de la rivière, puisqu'elle lui appartenait en propre à une très-grande distance. Ainsi nous résolûmes de fixer en cet endroit le prin- cipal établissement, car nous ne pouvions douter que ce sol fertile ne convînt à toute espèce de culture et ne nous rendît un produit abondant. En conséquence, nous dîmes à Shongui PIECES JUSTIFICATIVES. 273 que ce serait là que nous nous établirions , avec son appro- bation. Il fut enchanté de notre résolution, ainsi que tout son peuple. Après nous être promenés dans la campagne jusqu'à la brune, nous retournâmes au village de Shongui , où nous de- vions passer la nuit. A la porte de notre cabane, nous trou- vâmes une belle truie de cent quarante livres environ , que Shongui se proposait de tuer et d'apprêter pour notre souper, avec quantité de patates et de pommes de terre : mais comme nous avions emporté avec nous une quantité suffisante de pro- visions , nous le priâmes de ne pas tuer cette bête, et ce fut avec quelque difficulté que nous le décidâmes à la laisser vivre. La terre était humide par suite des fortes pluies qui avaient eu lieu : celle que nous avions reçue dans notre traversée par eau , autant que notre marche au travers de la fougère mouil- lée, avait trempé nos habits. Aussi, en entrant dans la hutte où nous devions passer la nuit, nous les ôtâmes pour les faire sécher. Après avoir pris les rafraîchissemens nécessaires, nous pas- sâmes la soirée dans une agréable conversation avec Shongui et ses gens, qui étaient partie dans la cabane avec nous, partie autour de la porte; puis nous lûmes un chapitre, nous chan- tâmes un hymne , et après avoir adressé nos actions de grâces au Dieu tout-puissant, pour la tendre protection qu'il nous accordait, et pour la sûreté et la tranquillité dont nous jouis- sions au milieu de ces cannibales, nous nous couchâmes en paix pour reposer jusqu'au matin. 18 août. Nous nous levâmes vers trois heures, chantâmes un hymne, et offrîmes à Dieu notre prière du matin. A quatre heures, après avoir déjeuné, nous traversâmes la ri- vière , afin d'examiner le terrain de la rive opposée. Là nous fûmes gratifiés de la vue d'un beau pays , d'une grande étendue et bien dégagé pour la culture, quoique le sol, en divers points, ne paraisse point aussi riche que la terre que nous avions parcourue la veille au soir. Tout bien considéré, tome m. 18 274 PIECES JUSTIFICATIVES. nous restâmes pleinement convaincus qu'il n'existait pas de po- sition plus convenable dans aucun district adjacent à la baie des Iles. Près de l'endroit où nous nous proposons de fonder la nouvelle ville, se trouve une belle cascade qui serait très- propre à faire marcher un moulin à blé, à scier, ou pour tout autre objet, sans courir les risques ni les dépenses d'élever une écluse, ce qui est d'un intérêt majeur. A Kidi-Kidi, on peut faire venir autant de blé qu'il en faudra à l'établissement d'ici à plusieurs années, soit pour nourrir les enfans des naturels dans les écoles, soit pour les Européens appartenant à la mission. Avant notre départ, nous désignâmes le terrain où nous souhaitions que notre magasin public fût construit, et nous priâmes Shongui d'y dresser des cabanes temporaires , pour re- cevoir nos bagages et les ouvriers que nous avions amenés de Port-Jackson. Il mit aussitôt ses gens à la besogne. Voyant maintenant nos intentions remplies touchant l'ob- jet de notre visite à Kidi-Kidi, le soir nous retournâmes à Rangui-Hou, dans la pirogue de Shongui, qui nous recon- duisit avec une extrême satisfaction. Mécontentement de Koro-Koro. Koro-Koro resta à Rangui-Hou avec Touai , jusqu'à notre retour, afin de connaître si nous nous déciderions à former un établissement dans sa juridiction. Quand nous arrivâmes, il fut impatient de savoir si nous avions été contens de la terre que nous avions vue, et si nous en étions venus à la résolution d'y former un établissement. Nous lui dîmes que la terre était bonne à Kidi-Kidi, et que pour ce motif nous nous y établi- rions. Il en fut très-affecté, et dit que Shongui allait main- tenant l'exterminer, lui et son peuple. Nous lui répondîmes que Shongui nous avait promis de renoncer à combattre , si nous voulions nous établir dans son district, et qu'il résiderait lui-même avec les Européens. Koro-Koro répliqua que Shon- gui pouvait bien faire de belles promesses, mais que nous ne PIÈCES JUSTIFICATIVES. 975 voyions pas au fond de son cœur; il nous lit entendre qu'il ne croyait pas un mot de ce que Shongui disait, quelques belles paroles qu'il put donner. Koro-Koro nous rapporta alors nom- bre d'exemples de la manière dont Shongui l'avait autrefois trompé ainsi que d'autres chefs, et il soutint que ce qu'il avait déjà fait, il était capable de le faire encore. Nous nous efforçâmes d'apaiser Koro-Koro ; mais ce fut en vain. Il dit qu'il ne serait parfaitement satisfait, qu'autant que les Européens se partageraient également entre lui et Shongui; mais que c'était un trop grand sujet d'affliction pour lui que de voir tous les Européens résider avec Shongui. Il fit un appel très-pressant à nos sentimens, et appuya sa requête par tous les argumens qu'il put trouver. Nous apportâmes tous le plus grand empressement aie consoler dans son affliction. M. Butler et moi nous lui promîmes de l'accompagner avec Touai le joui- suivant, à Paroa où il réside, et d'examiner sa terre , ajoutant que si nous trouvions une place convenable pour un établis- sement, nous y bâtirions pour lui et pour Touai une maison ; qu'un ou deux Européens y résideraient pour le moment avec lui, jusqu'à ce qu'il en arrivât d'autres d'Angleterre, et qu'alors nous remplirions ses vœux autant qu'il serait en notre pou- voir. Cette promesse le consola un peu , mais fut loin de le sa- tisfaire entièrement. Visite à Koro-Koro, au village de Paroa, 49 août 1819. M. Butler et moi nous allâmes à Paroa avec Koro-Koro , qui fut assez tranquille durant la lra\ ersée. Touai n'avait pas encore vu ses païens et ses amis; c'est pourquoi il nous accompagna avec son frère Te Rangui. Lorsque nous fûmes arrivés à Paroa , Koro-Koro remit sur le tapis la question d'un établissement sur le district où il ré- sidait. Il nous dit qu'il y avait une belle étendue de terre, nommée Manawa-Oura, qu'il nous donnerait, et que nous pour- rions visiter le lendemain matin. Nous tâchâmes de le convain- 1S* 276 PIÈCES JUSTIFICATIVES. cre qu'il était impossible, pour le moment, de former aucun établissement d'une certaine étendue dans les limites de sa ju- ridiction. Il fut très-courroucé, et nous dit qu'il était traité avec une grande ingratitude ; que son frère Touai avait été long-temps éloigné de lui et de ses amis — qu'il était allé en Angleterre — qu'il avait ramené les blancs avec lui — et qu'a- près tout cela il ne pouvait jouir de l'avantage d'en avoir quelques-uns établis sur son territoire — que c'était un acte d'une grande injustice, et tel que nous n'aurions pas dû nous en rendre coupables. Son frère Te Rangui se joignit à lui dans les reproches qu'il nous faisait, et ils finirent par s'échauffer tous les deux à un haut degré. Situation pénible de Touai parmi ses compatriotes. Touai prit notre parti , et fit en sorte de convaincre Koro- Koro que nous n'avions pas les moyens, pour le moment, de lui fournir des Européens. Celui-ci entra alors dans une vio- lente colère contre Touai , et Te Rangui se joignit à lui. Koro- Koro déclara à Touai qu'il pouvait aller s'établir à Rangui- Hou, ou avec Shongui , ou partout ailleurs où il lui plairait ; car il ne se souciait plus de lui , puisque sa requête relative- ment aux Européens ne pouvait être exaucée. Touai pleura et fut très-affligé ; M. Butler et moi nous ressentîmes aussi du chagrin pour tous les deux. Après une longue conversation et de vifs reproches de la part de Koro-Koro , nous nous reti- râmes pour prendre quelque repos. M. Butler et moi nous restâmes convaincus que nous ne pouvions nous dispenser de faire quelque chose pour Koro- Koro. Nous avions aussi pitié de Touai. Il désirait mener une vie civilisée, etrenonceraux habitudes et aux habillemens de son pays; mais il faisait observer qu'il ne pourrait atteindre ce but tant qu'il n'aurait pas un ou plusieurs Européens pour le sou- tenir. Le ridicule dont il serait couvert aux yeux de ses com- pagnons , s'il restait seul, le forcerait à se conformer à leur PIECES JUSTIFICATIVES. 277 habillement et à vivre suivant leurs coutumes, ce qu'il avait beaucoup de répugnance à faire. Touai est un bel homme , éclairé, bien disposé, et qui fera tout ce qui dépendra de lui pour seconder les vues de la So- ciété. Sa famille est de la première distinction; l'influence et l'autorité de son frère s'étendent le long de la côte , presque jusqu'à la rivière Tamise, et celle de ses amis depuis le cap Nord jusqu'au cap Est. Nous nous sentons très -intéressés au bien-être futur de Touai , et nous devons lui donner toute es- pèce de secours. 20 août 1819. Ce matin, Koro-Koro était plus calme et paraissait tout-à-fait réconcilié avec nous. Il nous fit beaucoup d'amitiés et nous exprima son regret de la vivacité avec laquelle il nous avait parlé la veille au soir. Nous lui assurâmes que nous l'assisterions de tout notre pouvoir. Réception de Touai par ses amis. Comme nous nous étions rendus sur le Gêner ai-Gates , à la résidence de Koro-Koro, où le maître avait l'intention d'appa- reiller pour reprendre la mer, nous restâmes à bord toute la nuit. Koro-Koro nous accompagna avec Touai depuis Ran- gui-Hou. Comme il savait que le navire allait mouiller vis-à- vis d'un de ses établissemens , il avait défendu à ses hommes de venir à bord du General-Gatcs jusqu'au jour suivant. Il était nuit quand nous mouillâmes. Nous fûmes hélés du rivage par un des officiers de Koro-Koro; alors Te Rangui répondit, et apprit au peuple que Touai était arrivé; il eut soin d'expé- dier sur-le-champ des messagers dans les différens districts pour annoncer à leurs habitans le retour de Touai. Une députation de chefs fêtait arrivée , depuis peu de jours, des bords de la rivière Tamise à Waï-Kadi. Quelque temps auparavant, ils avaient tué un des cousins de Touai , et crai- gnaient que le père du jeune homme et Koro-Koro ne vou- lussent venger sa mort. Touai fit aussitôt partir un envoyé 21 8 PIÈCES JUSTIFICATIVES. pour Waï-Kadi , afin d'annoncer aux chefs qu'un pardon général leur serait accordé, et que s'ils jugeaient à propos de venir lui présenter leurs respects, leurs personnes seraient sacrées. Le lendemain , le bâtiment fui entouré par les chefs et leurs amis, qui venaient voirTouai. Quelques-uns pleuraient de joie et tous lui souhaitaient une bonne arrivée. Des chefs de la rivière Tamise nous rencontrèrent le jour suivant à Rangui-Hou. Après déjeuner, nou§ nous embarquâmes pour Manawa- Oura , pour y examiner le terrain propre à un établissement , accompagnés de Koro-Koro et de plusieurs de ses gens. Au fond d'une belle baie , nous trouvâmes une pièce de terre unie et de bonne qualité, entourée de collines, et dont le sol était généralement riche. Comme c'était la meilleure position poul- ie bois, l'eau et la qualité du sol , nous décidâmes d'y former un petit établissement. Le havre fournit avec profusion le meilleur poisson, et il y a un mouillage pour ies navires. Il y a de bonne eau douce, et c'est une situation très-favorable pour une école. Koro-Koro fut très-satisfait de notre choix. C'est là que Touai compte établir sa résidence. Il donna l'ordre de rassembler sur-le-champ les matériaux nécessaires pour y élever une bâtisse temporaire pour les Européens, et nous retournâmes dans la soirée à Rangui-Hou. La distance entre Manawa-Oura et Rangui-Hou est d'environ neuf milles. Opérations à Rangui-Hou. Ce matin nous réunîmes tous les bras que nous pûmes trouver à notre ponton , attendu qu'il nous était impossible de débarquer le reste de notre bagage avant qu'il fût achevé. Nous eûmes bientôt quatorze naturels occupés à scier le bois, et d'autres à couper les courbes. En un mot, tout le rivage présentait une scène de bonheur et de civilisation active — 21 août 1819. Tout notre travail marche bien, et tout est PIECES JUSTIFICATIVES. 279 prêt pour achever le ponton en toute diligence , afin de dé- barquer les objets et de former les établissemens à Kidi-Kidi et à Manawa-Oura. 22 août. Nous nous réunîmes pour célébrer le service divin sur le rivage , attendu qu'il n'y avait pas de local suffisant pour contenir le monde. Nous étions entourés des naturels, et de plusieurs chefs de différens districts , dont quelques-uns de la rivière Tamise 23 août. Aujourd'hui nous avons bâti un hangar pour le travail des charpentiers, sous lequel le service divin pourra être célébré durant notre séjour à Rangui-Hou. Les naturels ont continué à scier le bois et à nous rendre tous les services qui dépendaient d'eux. Visite à Motou-Doua, île appartenant à Koro-Koro. 26' août. J'allai avec Touai et M. Samuel Butler sur une île nommée Motou-Doua , qui appartient a Koro-Koro, et où il réside habituellement. Mon but était de mettre, le jour sui- vant, le monde au travail à Manawa-Oura. Nous arrivâmes vers deux heures, et il se trouva que Koro-Koro était à bord du General-Gates , à deux milles de distance environ* Le pre- mier objet qui frappa mes yeux, fut une tête humaine fichée sur un pieu, au sommet d'un coteau, près du rivage, et non loin de la cabane où nous devions passer la nuit. La figure paraissait très-bien tatouée. Touai me dit que c'était la tête d'un chef près du cap Est, qui avait été tué par les hommes de Shongui, et qu'elle avait été achetée par un de ceux de Koro-Koro. Cette vue excita naturellement dans mon aine des sentimens d'horreur — Comme la soirée était belle, nous fîmes une seconde pro- menade de l'autre côté de l'île. Quand nous en eûmes atteint le sommet , qui est très-élevé , nous eûmes une vue complète du pâ ou forteresse de Koro - Koro , qui est situé sur le sommet d'une autre île, à moins de deux milles de distance. 280 PIEGES JUSTIFICATIVES. Quantité de naturels travaillaient sur cette seconde île. Je fus curieux de la visiter; et quand nous nous trouvâmes vis-a-vis, Touai, M. Butler et moi, nous entrâmes dans une pirogue, et passâmes de l'autre côté. Nous fûmes reçus avec beaucoup de joie par les naturels. Nous trouvâmes la première femme de Koro-Koro , ou la Reine , travaillant ardemment, avec une petite pioche en bois, à bêcher la terre pour recevoir les patates; la femme de Te Rangui y était aussi avec plusieurs autres hommes et femmes. Elles furent très-contentes de la visite que nous leur faisions. La vieille Reine me pria instamment de lui donner une pioche, et tâcha de me faire comprendre combien il lui était pénible de remuer la terre avec un bâton. Je promis de lui accorder l'objet de sa demande. Après avoir passé une heure à peu près avec elles, nous nous en retournâmes , emportant une quan- tité de poissons qu'elles nous avaient donnés. La terre sur cette île était fertile; une partie avait été semée en navets , et une autre partie était déjà plantée en patates. Les femmes retournaient la terre aves des bâtons de deux pieds. de long environ , et de l'épaisseur d'un manche à balai. Elles travaillaient avec zèle , mais faisaient peu de besogne , par le défaut d'outils convenables. Rencontre touchante de Touai avec sa sœur. Quand nous eûmes atteint le rivage, Touai me prévint de l'arrivée d'une de ses soeurs qu'il n'avait pas encore vue de- puis son retour, et il me pria instamment de rentrer dans la pirogue avant qu'elle arrivât , ne se souciant pas d'avoir ici sa première entrevue avec elle. La voyant descendre en hâte de la colline, je priai Touai de l'attendre et de ne pas faire attention à moi : mais il ne m'écouta point et sauta dans la pirogue, en me pressant de le suivre. Je différai jusqu'à ce qu'elle eut gagné le rivage, et alors j'embarquai. Touai fit pousser au large; mais, au même instant, sa sœur s'élança PIECES JUSTIFICATIVES. 281 dans [la pirogue en pleurant, et passa à coté de moi. Elle tomba à genoux et s'accrocha à Touai : celui-ci lui donna le salut ; alors elle laissa un libre cours à ses sentimens , en ver- sant des larmes et poussant de profondes lamentations , ce qui dura près d'une heure. Quand nous arrivâmes à Motou-Doua, elle resta assise et pleura encore long-temps. Touai se com- porta avec beaucoup de décence : il supprima toutes les dé- monstrations sauvages d'une ame sans éducation, et montra cependant à sa sœur tous les sentimens d'une affection tendre et sincère. Je ne pus qu'admirer sa conduite ; et je lui dis de se livrer à toute son affection fraternelle, sans s'inquiéter de ma présence. Je voyais qu'il craignait que la vivacité des sen- timens de sa sœur et les témoignages qu'elle en donnait ne vinssent à ébranler son courage et ne l'amenassent à imiter son exemple, comme il avait fait jadis, dans une autre occasion, quand je visitai pour la première fois la Nouvelle-Zélande. Quand nous eûmes débarqué, nous trouvâmes Koro-Koro et plusieurs de ses gens qui nous reçurent avec politesse. Je lui dis que j'étais venu pour faire éclaircir le terrain à Manawa- Oura, et donner mes instructions pour bâtir le logement né- cessaire aux Européens qui devaient y venir. Il reçut ces nou- velles avec beaucoup de joie, et déclara qu'il voulait m'aceom- pagner lui-même le lendemain matin, et qu'il allait donner à son peuple les ordres nécessaires pour qu'il me prêtât son assis- tance. Quand il vit les pioebes pour remuer la terre, il fut très-content. Après avoir conversé sur divers sujets , nous soupâmes , nous chantâmes un hymne , et nous étant recom- mandés à l'ange de l'Eternel Covenant, nous nous couchâmes pour dormir. Une foule de naturels étaient couchés à l'entour de la hutte et quelques-uns dedans. Comme j'étais fatigué de marcher, je dormis d'un bon sommeil jusqu'au jour. 27 août 1819. Nous déjeunâmes, puis nous partîmes pour Manawa-Oura, situé sur la côte opposée et distant de quel- ques milles. 582 PIECES JUSTIFICATIVES. Esprit de vengeance des naturels. Sur notre route, nous rencontrâmes une très-grande piro- gue de guerre. Je demandai combien elle portait d'hommes; on me dit soixante guerriers avec leurs provisions, quand ils se mettent en route pour la rivière Tamise ou le cap Est, et quatre-vingts hommes dans une eau tranquille. En examinant cette pirogue , je remarquai sur son arrière la tête d'un chef; les traits du visage semblaient encore vivans, et c'était une des plus belles figures que j'eusse jamais vues. Ce chef devait avoir environ trente ans. Ses cheveux étaient longs, disposés en tresses bien peignées et ramenées au som- met de la tête , pour j être réunies par un nœud, et ornées de plumes suivant la coutume des chefs, quand ils sont en grand costume. La chevelure comme la figure brillaient encore de l'huile dont elles venaient d'être enduites. A en juger par la beauté du tatouage , ce chef devait être d'un rang élevé. Je demandai à qui cette tête avait appartenu , on me dit que c'était celle d'un chef qui avait été tué par Shongui au-delà de la rivière Tamise. Il est possible que la mort de ce chef soit un jour vengée par les enfans de ses enfans, si la tribu à laquelle il apparte- nait devient jamais assez forte pour se mesurer avec celle de Shongui ou avec ses descendans. De là, pour plusieurs géné- rations, la source continuelle de nouveaux actes de cruauté et de barbarie , puisque le souvenir des outrages reçus semble à jamais gravé dans l'aine de ces naturels. Je vais mentionner ici un de ces actes de vengeance, dont quelques circonstances sont venues à ma connaissance : Il y a quinze ou seize ans environ , un navire appartenant à Campbell et Cie de Port-Jackson , nommé le Vénus , fut enlevé par des convicts au port Dalrymple. Quand les pi- rates eurent fait le coup , ils firent voile vers la Nouvelle- Zélande , et touchèrent à la baie des lies : là ils enlevèrent la PIÈCES JUSTIFICATIVES. 283 sœur d'un chef nommé Temarangai , et allèrent ensuite la ven- dre pour quelques nattes, sur une île près le cap Est. Elle devint la cause d'une querelle entre deux naturels, et par suite elle fut tuée. Quelque temps après, il arriva des naturels du cap Est à la haie des Iles, qui apportèrent la nouvelle du triste sort de la sœur de Temarangai. Son père était encore vivant, et avant de mourir il fit jurer à Temarangai qu'il vengerait un jour la mort de sa sœur. En 1819, Temarangai m'accompagna à Parramatta ; deux ans après son retour, il fit prendre les armes à sa trihu et appareilla pour le cap Est, afin d'accomplir le serment qu'il avait fait à son père. Il tua le chef de l'île où sa sœur avait été massacrée, emmena sa femme prisonnière, et la donna à son frère avec qui elle vit maintenant. M. Keiulall m'assura que les chefs ont toujours quelque motif direct ou éloigné pour faire la guerre; que ce n'est point dans le simple but de piller ou de verser du sang, mais bien pour obtenir satisfaction de quelque injure commise envers eux ou leur tribu. Détails sur Houra-Touki , l'un des officiers de Koro-Koro. Dans la pirogue dont je viens de parler, je trouvai Houra- Touki, ses deux frères et son oncle, qui tous étaient officiers sous les ordres de Koro-Koro. IIoura-Touki était le premier Nouveau-Zélandais qui eût connu les avantages de la vie civi- lisée. Il avait été transporté, il y a vingt-cinq ans environ, avec un autre de ses compatriotes, sur l'île Norfolk, par un navire qui avait touché à la Nouvelle-Zélande. Le feu gou- verneur King commandait alors sur cette île. Il traita les deux étrangers avec une grande bonté; ils vécurent à sa table et éprouvèrent toute sorte d'attentions de sa part. Il y avait déjà long-temps qu'ils habitaient clic/, le gouverneur , quand le navire baleinier le Brilannia toucha à l'île JNorfolk ; le maître 284 PIECES JUSTIFICATIVES. se chargea de conduire Houra-Touki et son compagnon à la INouvelle-Zélandc. Le gouverneur voulut les accompagner lui-même, pour s'assurer qu'ils seraient bien traités et débar- qués en sûreté dans leur patrie. L'extrême bonté du gouver- neur King , envers ces Nouveaux-Zélandais , a produit l'im- pression la plus favorable sur tous les naturels qui en ont en- tendu parler. Aujourd'hui encore , ils en parlent avec recon- naissance, et demandent des nouvelles de la fille aînée du gouverneur King , dont le nom est Maria , et qui n'était qu'un enfantlorsque Houra-Touki se trouvait sur l'île Norfolk. Quand ce dernier m'en parla, je lui dis qu'elle demeurait actuellement à Parramatta. Il me répondit qu'il voulait aller vivre près d'elle jusqu'au moment de sa mort. Houra-Touki fut enchanté de me voir. Il quitta sa pirogue , ainsi que quelques-uns des chefs qui la montaient, pour nous accompagner à Manawa-Oura. En débarquant à cet endroit , je fis choix d'un petit mor- ceau de terre pour y semer un peu de graine de lin d'Angle- terre ; sur-le-champ on s'occupa de le défricher et de le labou- rer, puis je l'ensemençai. Ensuite je choisis un endroit pour le bâtiment , et je traçai le plan d'une maison de quarante pieds de long sur treize de large , pour les ouvriers. Le soir nous retournâmes à Rangui-Hou. 28 août 1819. Tous les bras ont été occupés, soit à couper du bois pour les constructions projetées, soit à travailler au ponton. Dimanche 29 août. Le service divin a été célébré dans le nouveau hangar, où nous avons pu jouir des bienfaits de la parole de Dieu , sans aucun trouble. Cruelles superstitions des naturels. Après le service du matin, M. Butler et moi nous visi- tâmes le village des naturels et nous conversâmes avec eux. En me promenant près du village, j'eus un entretien avec une jeune femme qui demeure chez M. Hanson, beau-frère de PIECES JUSTIFICATIVES. 285 M. King. Lui ayant demandé si son père était vivant, elle me dit qu'il avait été tué et mangé au cap Nord par les gens de Shongui , et qu'elle était elle-même prisonnière de guerre. J'appris aussi que , depuis qu'elle avait été amenée à Rangui- Hou , on avait résolu de la tuer. Peu de mois auparavant, le frère du chef actuel de Rangui-Hou mourut : son peuple crut qu'il avait péri par l'effet de charmes ou d'enchantemens , car il déclara lui-même que telle était la cause de sa mort. Tawa, fds de feu Tepahi , se trouvait chez moi à l'époque de la mort de cet homme, et il possédait deux esclaves femelles qu'il avait laissées à Rangui-Hou. Quand le frère du chef mou- rut, pour donner satisfaction à son esprit, et l'empêcher de revenir pour les tuer, les parens du défunt sacrifièrent ces deux jeunes femmes qui appartenaient à l'école que di- rigeait M. Kendall. Un autre parent du chef demanda éga- lement la mort de la jeune femme qui vivait chez M. Hanson, comme une satisfaction, afin d'empêcher l'esprit du défunt de venir lui faire du mal. Suivant la coutume du pays , elle était venue se livrer elle-même pour être sacrifiée : mais le chef, avant de mourir, prévoyant qu'il y aurait des victimes immolées pour lui, donna des ordres pour qu'elle ne fût pas de ce nombre ; et c'est ainsi que sa vie fut épargnée. Quand V Active revint à Port-Jackson, les deux jeunes gens qui avaient été chargés de tuer les esclaves de Tawa passèrent sur ce navire. Tawa se trouvait alors avec .moi : M. Kendall me fit part de ce qui s'était passé, dans la crainte que Tawa n'entrât en colère contre ces naturels , quand il apprendrait la mort de ses escla- ves. Les jeunes gens , à leur arrivée , semblèrent aussi fort alar- més; je parlai à Tawa et lui racontai ce qui avait eu lieu. Il fut affligé de la mort de ses esclaves , mais il m'assura qu'il ne montrerait aucun ressentiment aux jeunes gens qui les avaient tuées, étant devenu trop raisonnable pour agir ainsi. Ces dé- tails sont propres à faire connaître les superstitions et le carac- tère de ces peuples. En traversant le village , nous nous arrêtâmes pour causer 286 PIECES JUSTIFICATIVES. avec un homme et sa femme. Quelques coules couvaient de- vant sa cabane , et l'homme me dit qu'elles provenaient de celles que j'avais données à Tara , principal chef de la partie méridionale de la baie des Iles, quand j'y vins pour la première fois. Tara étant mort, sa veuve avait épousé le neveu de ce chef, qui avait succédé à l'autorité de son oncle. Comme il était défendu à la femme d'un chef de se remarier, d'après la coutume établie dans le pays, un détachement de Rangui-Hou était accouru pour la punir de cette infraction aux lois, et l'avait en conséquence dépouillée de tout ce qu'elle possé- dait. Les poules en question faisaient partie du butin que cet homme avait alors rapporté. Nous quittâmes en6n le village, et le service divin eut lieu dans la soirée. Vengeance de Shongui, pour la violation de la tombe de son beau-père. 3o août 1819. A la nuit, je fus appelé par un chef nommé Tawi , qui vint m'apprendre que Shongui avait attaqué un village entre Wangaroa et le cap Nord , et avait tué six per- sonnes ; mais il m'engagea à n'en concevoir ni crainte ni mé- contentement. Je lui témoignai cependant la peine que me causait cette nouvelle. Tawi me raconta le motif du démêlé entre Shongui et ces gens : le père de la femme de ce dernier était mort depuis quelques années; le peuple de ce village viola son tombeau, enleva ses os et en fit des hameçons, dans l'intention perfide d'insulter honteusement aux sentiraens de Shongui et de ses parens; et pour mieux exciter sa colère, ils avaient planté la tète sur un pieu. Shongui me dit qu'il ne partait pas pour combattre, quand il quitta Rangui-Hou, mais seulement pour relever les os de son beau-père. Quand il reviendra , nous saurons si , avant son départ, il avait appris que la tombe sacrée où les os de son beau-père étaient déposés eût été violée. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 287 Arrivée d'une troupe de naturels de la rivière Shouki-Anga. 3i août. Environ soixante personnes, hommes, femmes et enfans, sont arrivées à Rangui-Hou, d'un village situé sur les bords de la rivière Shouki-Anga, éloigné de cinquante à soixante milles. Cette rivière se décharge dans la mer, sur la côte ouest de l'île , à cent milles environ au sud du cap Van- Diémen. Ils ont apporté avec eux quelques cochons pour les vendre, et une grande quantité de patates douces pour leurs païens et leurs amis, dont un grand nombre sont établis à Rangui-Hou. Le teint de ces insulaires est plus ieau que celui d'aucun de ceux que j'avais vus , et on peut dire que c'est une fort belle race d'hommes. Je leur dis que j'avais l'intention de leur faire une visite avant de quitter la Nouvelle-Zélande; ce qui leur fit grand plaisir. Le chef voulut savoir «à quelle époque je ferais ce voyage, assurant qu'il voulait me servir de guide et me porter au tra- \ gré des marais qui se trouvent sur la route. Je lui promis de me mettre en chemin dans un mois, si cela était possible. Il me témoigna son inquiétude que Shongui ne fut mécontent de ce voyage, ce chef pouvant craindre que les navires ne se dirigeassent vers Shouki-Anga , quand la rivière et le havre seraient mieux connus. Je répondis qu'avant son arrivée à Rangui-Hou j'avais déjà formé le projet d'aller le visiter; que j'en avais fait part à Shongui qui l'avait approuvé, et que ce chef n'aurait de mécontentement ni contre moi , ni contre eux, pour la visite que je voulais faire aux habitans des bords du Shouki-Anga. Il parut enchanté que Shongui approuvât ce voyage , et promit de fournir des cochons et des patates à l'établissement qui serait formé à Kidi-Kidi , car il serait là bien plus près de Shouki-Anga. Je lui donnai une bêche, et lui promis quelques hameçons pour son peuple quand j'irais chez eux , promesse qui leur fut agréable à tous. 288 PIECES JUSTIFICATIVES. Visite aux chefs de la partie méridionale de la Baie. 1er septembre 1 8 1 9. M. Butler m'accompagna dans une visite que je fis aux chefs de la partie méridionale de la Baie. Nous arrivâmes à Korora-Reka , la résidence du feu chef Tara , qui avait été , de tout temps , un ami zélé des Euro- péens. Quand je visitai la Nouvelle-Zélande pour la première fois, Tara versa des larmes de joie; lui et sa femme nous témoi- gnèrent la plus grande affection. M. Kendall m'apprit qu'il était mort au mois de novembre dernier, et que, sur son lit de mort r il exprimait toute sa joie de ce que jamais un Eu- ropéen n'avait été tué dans son district. Nous trouvâmes chez lui son successeur, qui depuis long- temps est connu sous le nom de King-George , ainsi que la veuve de Tara, avec plusieurs de leurs gens. Ils furent ravis de joie en nous voyant, et la veuve de Tara me pria de m'asseoirpar terre près d'elle , ce que je fis. Elle me raconta toutes les peines qu'elle avait eues depuis que je ne l'avais vue; du vivant de Tara, ils avaient quantité de bêches , de haches, de pioches, d'hameçons, de faucilles, de patates, de pommes déterre, d'é- toffes, et de poules provenant de celles que je leur avais don- nées; mais ils se trouvaient pour le moment complètement dé- pouillés de tout. Ils n'avaient plus ni clous, ni hameçons, ni bêches, ni haches, ni pioches; et il ne lui restait d'autre étoffe que la natte qu'elle avait sur son corps. Elle pleurait en racon- tant ses malheurs, et parlait d'une manière touchante. C'est une femme d'un cœur naturellement tendre et affectueux, et j'en vis plusieurs preuves lors de mon premier voyage à la Nouvelle-Zélande. Je lui dis que j'avais été informé qu'elle avait épousé King- George depuis la mort de Tara , ce qui était contraire aux coutumes du pays, et que c'était cette infraction à leurs lois qui avait servi de prétexte à ses compatriotes pour la dépouiller de tout ce qu'elle possédait à l'époque de la mort de Tara. Elle PIECES JUSTIFICATIVES. 289 convint qu'elle avait consenti à épouser King-George; mais elle ajouta que jusqu'à ce moment leur union n'avait pas reçu la sanction publique , et que cela ne pouvait avoir lieu d'ici à quelque temps. Quand Tara mourut, elle enveloppa son corps de nattes, et accomplit toutes les autres cérémonies requises en pareil cas; elle avait déposé le corps dans le Oudou-Pâ, ou le sépulcre dans lequel les morts restent jusqu'à ce que leurs os soient définitivement transportés dans les caveaux de famille , appartenant à leur tribu. Elle me montra l'endroit où était le corps de Tara, en me disant qu'elle avait encore ses os à relever avant de pouvoir épouser King-George ; elle comptait remplir cette cérémonie sous peu de temps. Par suite des cérémonies qu'elle avait déjà remplies et de celles qu'il lui restait encore à accomplir , elle était souillée {pollutcd}, et réduite à manger et habiter avec les femmes de la basse classe : mais quand elle aurait relevé les os de Tara , elle serait reconnue par King- George comme sa femme , et rétablie dans son ancien rang. A ce qu'elle m'apprit encore, tout ce que King-George pos- sédait au moment de la mort de Tara, lui avait été aussi en- levé pour avoir consenti à la prendre pour femme. King-George affirma la vérité de ce récit, et se désola de n'avoir ni porc, ni quoi que ce fût à nous donner pour souper que de la racine de fougère ; il regrettait aussi de ne pouvoir nous offrir une maison à l'anglaise pour passer la nuit. Il me rappela toutes les attentions que j'avais eues pour lui à Parra- matta , attentions qu'il ne pouvait me rendre , mais il nous assura que nous serions traités du mieux qu'il lui serait pos- sible. Nous passâmes la soirée très-agréablement avec ces pauvres païens. A la fin , King-George nous annonça que nos logc- mens étaient prêts. Il avait préparé sa cabane du mieux qu'il avait pu. On avait étendu par terre des nattes neuves et pro- pres pour nous servir de lits, et une autre plus belle avait été placée à l'entrée. La cabane pouvait avoir quatorze pieds de long sur dix de large; le feu, allumé au centre, la rendait tomr m. 19 290 PIECES JUSTIFICATIVES. aussi chaude qu'un four, car il n'y avait pas d'autre issue pour la fumée que la porte qui était très-petite, si petite même que je fus obligé de quitter mon habit pour y entrer. Je priai qu'on enlevât le feu , car nous ne pouvions pas en supporter la chaleur ; ce qui fut fait. Quand tout fut prêt, nous nous glis- sâmes dans la cabane , avec King-George , sa femme et son neveu, qui est un très-beau jeune homme nommé Rakou , et qui doit succéder à son oncle. Bien que le feu eût été enlevé, nous transpirâmes en abondance quand nous fûmes couchés; je demandai que la porte restât ouverte pour avoir un peu d'air; caria cabane, par sa construction, était naturellement aussi chaude qu'une ruche. 2 septembre 1819. Quand nous nous éveillâmes, nous vîmes la veuve de Tara , assise près de la porte en dehors , qui atten- dait que nous nous levassions. Quand le jour parut, nous quittâmes volontiers notre gîte pour respirer l'air du matin. Nous chargeâmes Titari de nous préparer à déjeuner. Tandis qu'il s'en occupait , la veuve de Tara , qui était assise sur un tronc d'arbre avec deux ou trois femmes, me pria de me placer près d'elles, ce que je fis. La conversation roula sur Tara et sur mon premier voyage au pays. Une jeune et belle fille était assise près de nous tandis que nous causions. Elle ver- sait en silence un torrent de larmes qui coulaient , le long de ses joues , sur sa natte. Elle resta , ainsi baignée dans ses pleurs, sans parler, car elle était trop affligée. J'appelai M. Butler pour le rendre témoin de cette scène , qui l'affecta tellement qu'il ne put s'empêcher de répandre des larmes. Alors nous nous tournâmes vers King-George qui était assis avec sa femme , Rakou et la mère de Rakou. M. Butler leur demanda s'ils connaissaient Mawi , ignorant alors qu'il par- lait aux parens mêmes de ce jeune homme. La jeune fille était cousine de Mawi, et sa mère était la sœur de la mère de Mawi. Quand elle entendit prononcer son nom , elle éprouva un trouble extrême , elle pleura amèrement ainsi que ses parens , et me dit que sa mère venait de mourir. M. Butler leur ap- PIECES JUSTIFICATIVES. 291 prit que Mawi avait demeuré chez lui, ce qui parut leur causer une grande satisfaction, et ils ne savaient comment ex- primer à M. Butler toute leur reconnaissance. Rakou est un des jeunes gens les plus beaux , les plus grands et les plus agréables qu'on puisse voir dans son pays. Son extérieur prévient en sa faveur, il est plein de noblesse , de franchise et de douceur. Je dis à King-George qu'il ne fallait pas tatouer Rakou; que cela lui ferait tort et lui gâterait la figure. Mais il rit de mon conseil, et déclara que son neveu devait être tatoué, pour avoir un aspect noble, mâle et guer- rier ; qu'il ne serait pas propre à être son successeur avec un visage uni ; et que les Zélandais ne le regarderaient que comme une femme, s'il n'était pas tatouét. Le pauvre Rakou a beau- coup à souffrir avant que sa figure soit gravée comme celle de son oncle. Quand nous eûmes déjeuné avec les provisions que nous avions apportées, nous nous préparâmes à rendre visite à un autre chef nommé Te Koke , sur la côte opposée de la baie, à cinq milles de distance environ, ne sachant pas alors que King- George nous avait fait préparer quelque chose pour man- ger. Lorsque nous lui apprîmes que nous allions le quitter, il nous fit observer que ses cuisiniers étaient allés chercher pour nous quelques patates douces , et que nous ne pouvions pas partir avant leur retour. Nous le priâmes de ne pas nous arrêter : mais il persista à ne pas vouloir nous laisser partir que nous n'eussions participé à son hospitalité. Nous eûmes des motifs de croire que, durant la nuit, il avait envoyé un messager à Pomare, pour demander à ce chef quelques patates douces pour nous traiter; car deux des filles de Pomare arrivèrent de bonne heure , et peu après nous vîmes les serviteurs de King- George qui allumaient un feu a quelque distance. Au bout d'une demi- heure environ, six cuisiniers se présentèrent avec une quantité de corbeilles remplies de patates douces toutes prêtes, pour nous et pour nos gens. King-George exigea que nous prissions le tout, et que nous emportassions dans la piro- *9* 292 PIECES JUSTIFICATIVES. gue ce que nous ne pourrions manger; nous nous confor- mâmes à son désir. King-George témoigna le regret qu'il éprouvait de n'avoir aucun Européen pour demeurer avec lui : il dit qu'il avait besoin d'un charpentier, d'un forgeron et d'un ecclésiastique. Nous lui promîmes qu'un Européen viendrait vivre chez lui dès que nous pourrions lui en destiner un. Quand nous quittâmes Korora-Reka , King-George nous accompagna de l'autre côté de la baie : là nous fûmes poli- ment reçus par Te Koke et son peuple , qui étaient tous oc- cupés à préparer leurs terres pour planter les patates. Te Koke fut enchanté de notre visite , ainsi que sa femme et ses gens. Il me raconta que, depuis que je ne l'avais vu , il avait enterré quatre de ses enfans, et qu'il ne lui en restait plus qu'un qui était parti sur l' Active , pour aller me rendre visite. Je lui dis qu'il était arrivé heureusement à Port-Jackson et qu'il se portait bien , ce qui lit grand plaisir à ce chef et à sa femme. Il té- moigna un très-vif désir d'avoir quelques Européens près de lui : il me désigna un emplacement où une maison européenne serait très-favorablement située , et offrirait de grands avan- tages pour les navires qui viennent mouiller dans la rade , attendu qu'ils pourraient facilement faire leur eau près du rivage, à un ruisseau qui coule dans la baie. Nous lui promî- mes de lui construire une maison , aussitôt que nous le pour- rions , sur le terrain qu'il nous indiquait. Te Koke est le chef du district au bois , et comme il en fau- dra beaucoup pour les bâtimens projetés , il était nécessaire de faire connaissance avec lui. Nous lui promîmes quelques outils d'agriculture dont il avait grand besoin , ceux dont il se servait n'étant que de bois. Il fut très-content de nos pro- visions, et ajouta qu'il viendrait à Rangui-Hou pour cher- cher les objets promis. Après nous être arrêtés deux heures environ , nous nous mîmes en route pour Waï-Tangui , où M. Hall avait autrefois demeuré. Cet endroit se trouvait sur notre route, à trois milles PIÈCES JUSTIFICATIVES. 293 à peu près du village de Te Koke. Quand nous accostâmes, les gens qui nous observaient coururent dans toutes les directions pour annoncer notre arrivée aux habitans. Ceux-ci nous ac- cueillirent avec des transports de joie. La femme du cbef prin- cipal était vivement affectée; son mari était allé à Parramatta pour me rerîdre visite. Je lui dis que son mari se portait bien et qu'il reviendrait par l'Active, ce qui lui causa une grande satisfaction , ainsi qu'aux autres naturels. Ils demandèrent avec empressement que quelques Européens vinssent demeurer ebez eux; mais ils craignaient, d'après ce qui était arrivé à M. Hall quand il s'y trouvait , que personne ne voulût y venir. Leur sol est fertile , et l'on y trouverait, pour établir des moulins, les plus belles cascades que peut-être on ait jamais vues. Nous eûmes tout lieu d'être contens de ces pauvres païens , tant que nous fûmes avec eux. Le soir, pour retourner à Rangui-Hou, nous eûmes un passage orageux , dans une petite pirogue conduite par six na- turels. La mer était houleuse et le vent très-frais. Nous ne laissâ- mes pas d'avoir quelques craintes jusqu'au moment où nous abordâmes à bon port à l'établissement. Nous y arrivâmes à la nuit, très-satisfaits de notre visite aux naturels, et surtout d'avoir réussi à opérer notre retour; car nous avions, depuis quelque temps, désespéré d'atteindre le rivage, ayant eu près de sept milles à faire au travers d'une mer agitée , et dans une pirogue dont les lames couvraient souvent les bords. Shongui tire vengeance de la violation du tombeau de son beau-père. En arrivant, j'appris que Shongui était de retour de son expédition. Je lui en demandai des nouvelles. Voici le récit qu'il me fit : Quelque temps avant son voyage actuel, vers le cap Nord, on lui avait dit que les habitans d'un lieu peu éloigné de Wangaroa avaient enlevé les os du père de sa femme, du tombeau sacré où ils étaient déposés , pour en faire des hame- 294 PIECES JUSTIFICATIVES. çons, ainsi qu'on l'a déjà dit. Mais il ne voulut pas ajouter foi à ce rapport , sans avoir d'abord examiné lui-même le sépul- cre. S'y étant transporté, il n'y trouva plus que quelques côtes et la partie supérieure du crâne qui avait été brisée. Les os des bras et des mains, ainsi que ceux des mâchoires, avaient été mis en pièces et transformés en hameçons. Désormais sûr du fait, il marcha vers le village où demeuraient ceux qui avaient commis le sacrilège ; s'étant approché d'eux , en plein jour et à portée de fusil, il leur déclara qu'il venait poul- ies châtier d'avoir violé le sépulcre où les os de son beau-père avaient été déposés, et d'avoir transformé ces os en hameçons. Ils reconnurent leur tort et la justice de la conduite de Shon- gui : alors , sans entrer dans le village , celui-ci fit feu sur eux et tua cinq hommes; sur quoi le parti attaqué le pria de cesser le feu , alléguant que la mort de ceux qui venaient de succomber était une expiation suffisante pour l'offense com- mise. Shongui répondit qu'il était satisfait , et l'affaire fut ainsi terminée du consentement des deux partis. Shongui s'en revint ensuite , après avoir rendu visite au peuple qui s'était approprié la baleine morte et échouée sur son rivage , et avoir brisé la pirogue qui leur avait servi. Shongui m'interpella , pour savoir si nous ne regardions pas comme un crime grave de profaner les sépulcres des morts , et de faire de pareils outrages à leurs restes , et si ce peuple qu'il venait de châtier, n'avait pas mérité par ses crimes la manière dont il venait de le traiter. Tout en admettant qu'il était juste de punir de pareils outrages , je répondis que j'étais fâché qu'il eût péri du monde , et que je craignais que ce qu'avait fait Shongui n'excitât ses adversaires à venger la mort de leurs amis. Shongui répliqua qu'ils n'étaient pas capables de faire la guerre contre lui , et qu'en conséquence il était tranquille. PIECES JUSTIFICATIVES. 2!)./> Idées et coutumes des naturels à l'égard du vol. 4 septembre 1819. Oudi-Okouna , le chef dont on avait acheté le terrain où se trouve l'établissement actuel, m'ap- prit que M. Kendall l'avait insulté lui et son frère en les chassant de sa maison. Je lui assurai que M. Kendall n'avait pas eu l'intention de l'offenser dans ce moment ; car je m'y trouvais, et j'avais vu ce qui s'était passé. Peu après, je sus que son frère était allé chez M. Hall et lui avait dérobé deux pots de terre. Dans l'après-midi , je rencontrai Oudi-Okouna avec son frère , et leur reprochai ce vol. Oudi-Okouna ré- pliqua que son frère n'avait point volé les pots, mais qu'il les avait enlevés dans l'intention d'amener une explication tou- chant la conduite de M. Kendall ; qu'il réclamait une satis- faction pour l'outrage qu'il avait reçu , et qu'il ne rendrait pas les pots qu'il n'eut reçu cette satisfaction. Je lui dis que M. Hall ne devait pas être puni pour ce qu'avait pu faire M. Kendall , et que les pots devaient être restitués sur-le-champ à leur propriétaire. Oudi-Okouna était disposé à les rendre , mais son frère demanda une hache , non pas à titre de faveur, mais en échange des objets volés. Nous jugeâmes que ce serait ouvrir la porte à tous les vols possibles, que de souscrire à une pareille demande ; ainsi nous lui déclarâmes qu'il était maître de garder les pots , car nous ne les rachèterions pas , puisqu'ils avaient été volés. Oudi-Okouna fut très-choqué de la conduite de son frère , et dans le courant de la semaine suivante ils se querellèrent sérieusement. Oudi-Okouna, pour montrer son mécontente- ment, mit le feu à sa propre maison et la brûla. Puis il quitta Rangui-Hou , déterminé à ne plus revenir près de son frère, tant il avait honte de son larcin , après l'amitié que nous lui avions témoignée ainsi qu'à sa femme. Peu de jours après , M. Butler et moi , tandis que nous nous promenions au travers du village , nous rencontrâmes le frère d'Oudi -Okouna. Il 296 PIECES JUSTIFICATIVES. nous dit qu'il n'avait plus qu'un seul pot qu'il voulait nous rendre; l'autre lui avait été pris par un naturel qui était parti pour l'intérieur du pays. Nous lui représentâmes tout le mal qu'il y avait à voler , et lui répétâmes que c'était un crime que nous n'encouragerions jamais, quelque tort qui en résultât pour nous. Il envoya son fils nous reporter le vase , nous don- nâmes à l'enfant six hameçons qu'il rapporta bientôt en disant que son père ne voulait rien recevoir en retour. C'est ainsi que , par notre fermeté , nous parvînmes à notre but. Nous nous intéressons à Oudi-Okouna , et à la première occasion nous tâcherons d'adoucir son chagrin par quelque preuve d'amitié. Notre ponton n'étant pas terminé, le maître du General-Gatcs apporta le reste des bagages dans une grande pirogue appar- tenant à Koro-Koro. Les caisses étant principalement remplies d'instrumens d'agriculture , il nous était impossible de les dé- barquer sans les ouvrir et exposer leur contenu aux regards des naturels. Un misérable n'estima jamais l'or autant qu'ils appré- cient les instrumens tranchans : c'est une tentation à laquelle ils ne sauraient résister. Nous nous attendions donc à être volés plus ou moins , car nous ne pourrions pas écarter les naturels de la pirogue, ni des coffres quand on les ouvrirait. Nous fûmes obligés d'employer un certain nombre d'entre eux pour transporter les effets au magasin public. II y en avait à peu près la moitié de débarqués , quand le bruit se répandit que les naturels avaient dérobé quelques-unes des haches , des crocs, etc. Aussitôt on arrêta les hommes qui transportaient les objets hors de la pirogue et plusieurs furent accusés de vol, ce qui produisit parmi eux un tumulte et une fermentation gé- nérale. Nous ne pouvions faire vérifier ce qu'ils avaient volé ; mais nous reconnûmes qu'il manquait des haches , des fau- cilles , etc. Nous leur représentâmes combien leur conduite était ingrate, et nous leur dîmes que nous n'étions venus que pour leur faire du bien , qu'ils ne pourraient rien nous offrir que nous n'eussions en abondance dans notre propre pays, et PIÈCES JUSTIFICATIVES. 297 que puisque nous n'avions pas d'autre but que de leur être utiles, nous ne souffririons pas qu'ils nous dépouillassent de ce qui nous appartenait. Je leur dis encore que le roi Georges et les seigneurs de l'Angleterre rougiraient de leur conduite , quand ils apprendraient leurs friponneries ; que je ne per- mettrais à aucun voleur d'aller à Parramatta sur V Active ; que s'ils s'avisaient d'y voler, le gouverneur Macquarie les ferait pendre , et que si quelqu'un d'eux allait à Port-Jackson sur un autre navire , je l'en ferais chasser. Après une longue alter- cation , où les uns déclarèrent qu'il fallait rendre les objets dérobés , et où d'autres prétendaient qu'ils étaient trop pré- cieux pour les rendre , le parti de la justice l'emporta , et ils coururent en tout sens pour les chercher. Une bonne parlie nous fut rapportée le samedi soir et déposée publique- ment sur la place où nous étions assemblés pour discuter cette importante affaire. Notre but était de les convaincre de l'in- justice et de l'immoralité de leur conduite , et de réprimer autant que cela était en notre pouvoir leur penchant pour le vol. Avant de laisser ouvrir les caisses et de permettre aux natu- rels de transporter les outils, j'avais demandé a haute voix à M. Kendall si les naturels ne les voleraient point. M. Kendall avait dit qu'ils ne le feraient point , car il n'avait pas connais- sance qu'on lui eût jamais rien volé. Quand ils furent accusés du vol , Tawa fils de Tcpahi , qui avait demeuré un an à Parramatta, leur reprocha leur conduite, et leur dit que leur vol couvrait de honte M. Kendall, qui avait toujours rendu témoignage de leur probité. A la fin , les naturels dirent qu'ils rendraient tout ce qui avait été pris, excepté la hache qui avait été volée la première; toutefois l'homme qui l'avait prise serait banni de Rangui-Hou, et il lui serait défendu d'y rentrer. Le voleur offrit de rendre sa hache; mais les autres objectèrent que si on lui permettait de rester, il volerait encore, qu'en conséquence ils désiraient qu'il quittât l'en- droit, en emportant la hache volée. 298 PIECES JUSTIFICATIVES. Le reste des bagages fut débarqué heureusement, et les na- turels promirent de rapporter le lundi tous les objets qu'on n'avait pu recouvrer le samedi soir. Ainsi finit cette affaire, à notre satisfaction mutuelle. Je représentai à Shongui tout ce qu'il y avait de honteux dans le crime de ceux qui avaient volé des haches. Il répondit que ces gens n'étaient pas de son peuple , et que c'était fort mal à eux d'en avoir pris un aussi grand nombre : il ajouta avec un sourire que , s'ils n'avaient pris qu'une hache , il n'y aurait pas grand'chose à dire. Cela me prouva que Shongui lui-même n'aurait pas résisté à la tentation , s'il y avait été exposé. Dimanche 5 septembre 1819. Ce matin, de bonne heure, King-George et Rakou, cousin de Mawi , sont arrivés avec leurs parens , et en même temps Pomare avec une partie de sa tribu. Je me promenais sur le rivage quand ils débarquèrent; je leur dis que c'était aujourd'hui le jour du sabbat , et que , par ce motif, nous ne pourrions nous occuper d'aucune affaire avec eux. Ils répondirent qu'ils ne pouvaient pas s'arrêter, car ils n'avaient pas apporté de provisions. Nous leur donnâ- mes nos ordres , puis nous accomplîmes le service divin sous le hangar ; les quatre grands personnages de la Nouvelle- Zélande, savoir Shongui, King-George , Pomare et Rakou, le jeune roi , y assistèrent avec plusieurs autres naturels. Ils se comportèrent tous avec décence. 6 septembre. Ce matin la plus grande partie des objets volés samedi nous fut rapportée. Nous témoignâmes aux na- turels combien nous approuvions l'attention qu'ils avaient eue pour nos remontrances; nous leur recommandâmes d'être à l'avenir honnêtes dans leurs actions : enfin nous récom- pensâmes ceux qui avaient donné des renseignemens sur les objets volés et avaient employé leur influence pour les faire rendre. La bonne intelligence fut bientôt rétablie entre nous et les naturels, et, comme auparavant, ils prêtèrent la main à scier le bois et aux au lies travaux. PIEGES JUSTIFICATIVES. 299 Empressement des Chefs à se procurer des outils. Pomare nous fit de bonne heure une visite avec King- George. On me dit qu'il était fort mécontent que je ne lui eusse pas amené un forgeron, et que, lorsqu'il avait ap- pris qu'il n'était pas venu de forgeron pour lui , il s'était assis par terre et avait versé beaucoup de larmes , ainsi que ses femmes. Je lui assurai qu'il en aurait un aussitôt que nous pourrions le lui procurer. Il répliqua qu'il serait inutile de lui en envoyer un quand il serait mort : qu'il se trouvait actuellement dans la plus grande détresse; ses bêches de bois étaient toutes brisées, et il n'avait pas une seule hache pour en faire d'autres; ses pirogues étaient aussi en mauvais état, et il n'avait ni clous ni vrille pour les réparer; ses champs de patates restaient incultes, et il n'avait pas une pioche pour les défricher, ni un seul outil à fournir à ses gens; par ce défaut de culture, lui et son peuple n'avaient rien à manger. Il me pria de comparer avec le sien le terrain de Tepouna qui appartenait aux habitans de Rangui-Hou et à Shongui, me faisant observer que celui-ci était tout préparé pour la culture , parce que les habitans possédaient un forgeron et qu'ils pouvaient se procurer des pioches. Je tâchai de l'apaiser par des promesses pour l'avenir ; mais il y fit peu d'attention. Il- était si courroucé contre moi, pour ne lui avoir pas amené un forgeron, que de vingt-cinq cochons qu'il avait amenés pour le Gcneral-Gates , il ne voulut pas nous en donner un seul. J'essayai de le distraire de son affliction; et, dans ce but, je lui demandai s'il ne désirait pas aller en Angleterre. Il répondit qu'il ne s'en souciait nullement; il me fit remarquer qu'il n'était qu'un homme de peu de chose à Port-Jackson , et que ce serait pis encore en An- gleterre ; mais que dans son pays il était un grand roi. Nous lui promîmes alors quelques outils; et celle promesse fit l'effet d'un cordial sur un cœur ulcéré. Il demandait avec ins- 300 PIECES JUSTIFICATIVES. tance trois houes, une hache, quelques clous et une vrille. Je lui dis qu'il les aurait. M. Butler, lorsqu'il m'accom- pagna à Korora-Reka , avait été témoin de la détresse où se trouvait King-George faute d'outils, et il nous dit qu'il irait se pendre s'il ne pouvait obtenir une hache. En con- séquence , nous convînmes de donner à ces chefs quinze houes , deux bêches , deux haches , quatre vrilles , quelques clous , douze peignes , deux miroirs , deux ciseaux de char- pentier , et une centaine d'hameçons. Ils reçurent ce présent avec une joie et une reconnaissance extrêmes, et retournèrent dans leurs districts aussi heureux que des rois chargés de butin. 7 septembre 1819. MM. Butler et Francis Hall m'ont accom- pagné à Tepouna , établissement des naturels, situé à deux milles à peu près de Rangui-Hou. La terre en est principale- ment plantée en patates douces, qui forment l'aliment le plus recherché des naturels. La qualité du sol est généralement riche et légère , et bien appropriée à la culture de cette racine. Méthode pénible de cultiver la terre employée par les naturels. Les principaux habitans de Rangui-Hou ont à Tepouna leurs jardins de patates douces. Nous en trouvâmes un grand nom- bre à l'ouvrage dans leurs lots particuliers; les uns se servaient de bêches et de pioches qu'ils avaient reçues de nous; d'autres de bêches de bois à long manche et de la même largeur que la bêche anglaise; quelques-uns, qui n'avaient ni bêches ni pioches , retournaient la terre avec de petites spatules de trois pieds de long. Les bêches de bois et les spatules ne peuvent servir que pour les terres légères et qui ont été déjà travail- lées. Ils ont un autre instrument, de sept pieds de long, acéré comme un piquet; à deux pieds environ de la pointe est assujetti un morceau de bois , sur lequel se pose le pied pour aider à l'enfoncer en terre. Cet outil se nomme koko. Ils arra- PIECES JUSTIFICATIVES. 301 chent avec les mains toutes les mauvaises herbes , et les recou- vrent de terre à mesure qu'ils continuent à bêcher. Les naturels furent enchantés de nous voir , et tous à l'envi réclamaient des bêches et des pioches. Nous regrettâmes beau- coup qu'il ne fût pas en notre pouvoir de satisfaire leurs dé- sirs. Nous voyons avec chagrin les pénibles fatigues qu'ils endurent et le peu de fruit qu'ils en retirent , en travaillant avec leurs grossiers instrumens, En traversant ces champs de patates, nous apprîmes que Shongui possédait un lot très-étendu , et qu'il se trouvait alors dans son jardin. Nous allâmes le visiter, et nous le trouvâmes au milieu de ses gens, qui étaient tous occupés à préparer la terre pour planter. Shongui nous reçut avec une grande po- litesse. Je vis sa femme travaillant avec une spatule , tandis que sa petite fille, âgée de quatre à cinq ans, était assise sur le sillon que traçait sa mère. Je connaissais l'âge de cette enfant; car elle était née dans le pâ (village fortifié) de Shongui, à trente milles environ de Rangui-Hou, la nuit même où j'y couchai la première fois que je vins dans la Nou- velle-Zélande. La femme de Shongui me rappela cette circons- tance, et ajouta qu'elle avait donné le nom de Marsden à la petite, en souvenir de ce que je me trouvais alors chez eux. Cette femme a trente-cinq ans environ , et est tout-à-fait aveugle. Elle perdit la vue par suite d'une inflammation qui lui attaqua les yeux il y a trois ans environ. Elle paraissait bêcher la terre aussi vite et aussi bien que ceux qui voyaient clair : elle arrachait d'abord l'herbe avec les mains, à mesure qu'elle avançait , puis elle la gardait sous ses pieds pour savoir où elle était ; ensuite elle bêchait et recouvrait enfin la mau- vaise herbe avec la terre fraîchement remuée. Je lui dis que si elle voulait me céder sa spatule , je lui donnerais en retour une bêche : cette offre fut acceptée avec empressement , et elle envoya sur-le-champ sa fille porter la spatule a M. Butler, et recevoir en échange la bêche. Quand nous considérions la femme d'un des plus grands 302 PIECES JUSTIFICATIVES. chefs de la Nouvelle-Zélande, d'un homme qui possède d'im- menses et fertiles campagnes , et dont le nom inspire la terreur à tous ceux qui habitent depuis le cap Nord jusqu'au cap Est ; quand, dis-je , nous considérions cette femme travaillant pé- niblement avec une bêche en bois, malgré sa cécité, pour se procurer une modique provision de patates ; ce spec- tacle excitait en nos coeurs des sensations et des réflexions étranges , tout à la fois agréables et pénibles ; elles nous ani- maient des plus purs sentimens de charité. Dans tous les districts que nous avons visités , nous avons trouvé les habitans généralement laborieux , autant que le permettaient leurs moyens ; mais leur industrie se trouvait comprimée par le défaut d'instrumens d'agriculture. Il est inutile que nous produisions d'autre preuve de leur dispo- sition au travail, que celle que nous venons de citer. Si une femme du premier rang, toute aveugle qu'elle est, peut par habitude travailler dans ses champs avec ses serviteurs et ses enfans , à quel point ce peuple ne pourra-t-il point s'élever , quand il aura pu se procurer les moyens d'améliorer sa situa- tion, en perfectionnant la culture des terres! Bruits de guerre contre Shongui. Prix attaché au tatouage. 8 septembre 1819. Ce matin de bonne heure, plusieurs pirogues sont parties de Rangui-Hou pour Wangaroa , par suite des nouvelles qu'on a reçues de la part du peuple que Shongui a dernièrement attaqué. On s'est aperçu que plu- sieurs de nos scieurs de bois sont allés avec eux : le bruit court que dans ces districts les naturels vont passer la revue de leurs forces , et demander satisfaction à Shongui pour la mort des hommes qu'il a tués dans cette affaire. Shongui possède un pâ dans la baie des îles, à deux milles environ de Rangui- Hou; il l'a fortifié pour se préparer à recevoir l'ennemi. Comme ces peuples n'ont aucune sorte de gouvernement régulier, il paraît que tous les crimes sont punis, ou par un PIECES JUSTIFICATIVES. 303 appel aux armes , ou en dépouillant l'agresseur de ses pro- priétés, et en ravageant ses champs de patates. Dans la soirée, Touai et son frère Te Rangui nous firent une visite. Touai nous apprit que son frère Koro-Koro voulait le faire tatouer. Nous lui représentâmes que c'était une coutume extravagante et ridicule ; et que puisqu'il connaissait aussi bien la vie civilisée , il devrait actuellement laisser de côté les coutumes barbares de son pays , pour adopter celles des nations civilisées. Touai répliqua qu'il voudraitbien agir ainsi ; mais que son frère le pressait de se faire tatouer, parce que, s'il ne l'était point , il ne pourrait soutenir son rang et son carac- tère de gentleman parmi ses compatriotes , qui ne le consi- déreraient que comme un être timide et efféminé. Du reste il promit qu'il ne se laisserait point tatouer , à moins d'y être forcé par ses amis. Coutumes de guerre touchant les têtes des chefs tués dans le combat. En temps de guerre , on rend un grand honneur à la tête d'un guerrier , quand il est tué dans le combat , si cette tête est con- venablement tatouée. Elle est prise par le conquérant et con- servée avec respect , ainsi qu'un drapeau chez nous est respecté par le vainqueur quand il est enlevé par un régi- ment. Il est agréable pour les vaincus de savoir que les têtes de leurs chefs sont conservées par l'ennemi ; car quand le con- quérant désire faire la paix , il prend les têtes des chefs et les présente à leur tribu. Si celle-ci désire mettre fin à la con- testation , ses guerriers poussent un cri à cette vue et toutes les hostilités cessent : c'est le signal que le conquérant leur ac- cordera toutes les conditions qu'ils peuvent exiger. Mais si la tribu est déterminée à renouveler la guerre et à risquer les chances d'un autre combat , elle garde le silence. Ainsi la tête d'un chef peut être considérée comme l'éten- 304 PIECES JUSTIFICATIVES. dard de la tribu à laquelle elle appartient , et le signal de la paix ou de la guerre. Si le vainqueur a l'intention de ne jamais faire la paix , il disposera des têtes des chefs qu'il a tués dans le combat en faveur des navires ou des personnes qui voudront les acheter. Alors elles sont quelquefois rachetées par les amis des vaincus et renvoyées à leurs parens encore vivans , qui ont pour ces têtes la plus grande vénération , et se livrent à leurs sentimens naturels en les revoyant et en les baignant de leurs larmes. Quand un chef est tué dans une bataille régulière , les vain- queurs s'écrient tout haut , dès qu'il tombe : « A nous l'homme. » Quand même il tomberait dans les rangs de son propre parti, si le parti qui a perdu son chef est intimidé, il se soumet sur-le-champ à ce qu'on lui demande. Aussitôt la victime est livrée , sa tête est immédiatement coupée , une proclamation publique enjoint à tous les chefs du parti victo- rieux d'assister à l'accomplissement des cérémonies religieuses qui vont avoir lieu. Leur but est de s'assurer par la voix des augures si leur Dieu les favorisera dans la présente bataille. Si le prêtre, après l'accomplissement de la cérémonie, annonce que leur Dieu leur sera propice , ils sont animés d'un nouveau courage pour attaquer l'ennemi ; mais si le prêtre répond que leur Dieu ne sera pas propice , ils quittent le champ de bataille dans un profond silence. La tête qu'ils possèdent déjà est conservée par le chef en faveur duquel la guerre a été en- treprise , comme une réparation de l'injure que lui ou quel- qu'un de sa tribu a reçue de l'ennemi*. Quand la guerre est finie, la tête, proprement préparée, est envoyée à tous les amis de ce chef, comme un sujet de réjouissance pour eux et pour leur prouver que justice a été obtenue du parti agresseur. A l'égard du corps , il est coupé par petites portions et pré- paré pour ceux qui ont pris part au combat , sous la direction immédiate du chef qui retient la tête. Si le chef désire en gra- tifier quelques-uns de ses amis qui ne sont pas présens , de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 305 petites portions sont réservées pour eux : en les recevant , ceux-ci rendent grâces à leur Dieu pour la victoire remportée sur l'ennemi. Si la chair est trop corrompue pour être mangée, à cause du temps nécessaire pour le transport , un substitut est mangé à sa place. Non-seulement ils mangent la chair des chefs , mais ils ont coutume de ramasser leurs os et de les distribuer parmi leurs amis qui font des sifflets des uns et des hameçons des autres. Ils les estiment beaucoup et les conservent avec soin , comme des trophées de la mort de leurs ennemis. C'est encore une coutume chez eux, qu'un homme qui en tue un autre dans le combat goûte de son sang. Il croit que cela le sauvera de la rage du Dieu de celui qui a succombé ; s'imaginant que du moment qu'il a goûté le sang de l'bomme qu'il a tué , le mort devient une partie de son propre être et le place sous la protection de l'Atoua chargé de veiller à l'esprit du défunt. M. Kendall m'informa aussi que dans une occasion Shongui mangea l'œil gauche d'un grand chef qu'il tua dans la bataille à Shouki-Anga. Les Nouveaux-Zélandais pensent que l'œil gauche, quelque temps après la mort, monte aux cieux et devient une étoile du firmament. Shongui mangea celui du chef par une idée de vengeance présente , et persuadé que par cet acte il accroîtrait sa gloire et son éclat futur , quand son œil gauche deviendrait une étoile. D'après tout ce que j'ai pu apprendre , touchant la coutume qu'ont les Nouveaux-Zélandais de manger de la chair humaine, il paraît que cette coutume a pris son origine dans une supers- tition religieuse. Je n'ai jamais appris qu'ils aient tué un homme uniquement pour satisfaire leur appétit ou pour vendre sa tête aux Européens ou à d'autres nations. Les têtes qui ont été préparées et vendues appartenaient à des individus tués à la guerre , et faisaient partie de celles qu'on ne voulait point rendre aux amis du mort. En même temps , je crois qu'il n'est pas prudent aux maîtres des navires ni à personne de leurs tome m. 20 306 PIECES JUSTIFICATIVES. équipages, d'acheter de ces têtes : ear si une tribu venait à con- naître que la tête de son chef se trouve à bord d'un navire, il est plus que probable qu'elle attaquerait ce navire pour la recouvrer , par suite de l'estime et de la haute vénération attachées à ces précieuses reliques. 12 septembre 1819. Ce matin le service divin a eu lieu sous le hangar , sur le rivage ; quelques chefs de districts éloignés y ont assisté. Nous n'avons pas éprouvé le moindre trouble de la part des naturels. Chagrin de Oudi-Okouna apaisé par des présens. Visite de différens chefs. i3 septembre. Oudi - Okouna est venu ce matin pour prendre congé de nous. Il était allé sur le terrain où se trou- vait sa maison qu'il avait brûlée , pour pleurer avec ses amis. Pour exprimer son chagrin , suivant la coutume de son pays , il s'était coupé et déchiré très-grièvement la figure, les bras et d'autres parties du corps ; et ses amis avaient suivi son exemple. Nous lui donnâmes une bêche, une pioche, une hache, une vrille, un miroir, une lime, et deux couteaux, l'un pour lui , l'autre pour sa femme. Ces présens réussirent à calmer sa douleur. Il me déclara qu'il ne reviendrait jamais à Rangui-Hou, mais qu'il allait fixer son domicile près de Te Koke, et il me pressa beaucoup d'envoyer un Européen à Kawa-Kawa pour habiter avec lui et ses amis. Je lui promis d'exaucer ses vœux aussitôt que nous le pourrions. Toutes les fois qu'il tournait ses yeux du côté des instrumens qu'il avait reçus, la joie brillait sur sa figure, et ses chagrins semblaient évanouis. Oudi-Okouna est très-attaché aux Européens , et se montra très- obligeant lors de mon premier voyage à la Nouvelle- Zélande. Nous avons aussi reçu aujourd'hui la visite de plusieurs chefs qui venaient de différens districts. Leur but était d'ob- tenir une bêche ou une pioche , et quelques-uns venaient PIÈCES JUSTIFICATIVES. 307 de plus de vingt milles. Ils nous représentaient leur misère le plus éloquemment qu'ils pouvaient. Nous leur distribuâ- mes trois douzaines de pioches et quelques autres outils, en regrettant de ne pouvoir leur en donner trois cents; mais ce nombre n'eût guère été qu'une goutte d'eau dans un seau. Ils dansaient de joie en recevant ces instrumens , et plusieurs d'entre eux vont immédiatement s'en servir pour tra- vailler , ce qui va accroître considérablement la quantité de blé et de patates à la prochaine récolte ; car c'est actuelle- ment le printemps , saison convenable pour planter ces deux productions. Par là leurs ressources s'en accroîtront , et les colons seront plus abondamment approvisionnés en porc , grains et patates. ■ A mesure que les ressources des naturels augmenteront , leur civilisation marchera dans le même rapport. Ils n'ont be- soin que des moyens de se procurer les avantages de la vie civile. Ils ne manquent ni d'industrie, ni d'intelligence, ni de force corporelle , car ils possèdent ces avantages peut-être à un plus haut degré que toute autre nation barbare. Comme leur climat est en outre, ainsi que leur sol, très-favorable à l'agriculture, il n'est pas douteux qu'ils ne fassent des progrès rapides vers la civilisation. Ce soir, nous eûmes le plaisir de lancer notre canot à fond plat, en présence des naturels réjouis de ce spectacle. Nous estimons qu'il portera vingt tonneaux , et c'est le premier na- vire qui ait été jamais construit sur l'île septentrionale de la Nouvelle-Zélande. Nous ne devons le regarder que comme un grain de moutarde, en comparaison du degré de puissance navale auquel cette contrée peut atteindre , eu égard à l'éner- gie de ses habitans, à leur caractère entreprenant et hardi, à leurs ports, à leurs rivières et à leurs ressources maritimes. Koro-Koro se prépare à partir pour la rivière Tamise. l4 septembre 1819. Ce matin j'ai rencontré Koro-Koro à 20* 308 PIECES JUSTIFICATIVES. Rangui-Hou. Il m'a appris qu'il avait passé la nuit avec Shon- gui à Tcpouna. Connaissant la jalousie qui régnait entre ces deux chefs , je désirai savoir quel était l'objet de sa visite à Shongui. Il me dit qu'il était venu pour arranger cjuelques affaires publiques avec Shongui, avant de partir lui-même pour la rivière Tamise. Ce voyage était une espèce d'ambas- sade de paix , et il comptait emmener avec lui la plus grande partie des hommes de sa tribu. Koro-Koro avait peur que Shongui ne profitât de son absence pour attaquer ceux qu'il allait laisser derrière lui, si la bonne intelligence ne se trou- vait établie entre eux deux avant son départ. Je lui demandai s'ils avaient terminé leurs différen ds à leur satisfaction mutuelle. Il répliqua que, c'était une affaire arrangée, et que Shongui s'était engagé à ne point inquiéter son peuple durant tout le temps de son absence, qui , d'après son calcul, devait durer quatre mois. L'objet de sa visite actuelle à la rivière Tamise , était d'éta- blir la paix entre quelques-uns des chefs de ce district et son oncle Kaïpo. Quelques mois auparavant , le fils de Kaïpo avait été empoisonné, et l'on supposait qu'il l'avait été par quelques-uns des chefs de la rivière Tamise , tandis qu'il s'y trouvait en visite. Kaïpo demandait satisfaction de cette offense réelle ou supposée ; et Koro-Koro partait avec tous ses guer- riers et son oncle pour arranger cette affaire , non pas en combattant , mais en amenant les agresseurs à offrir quelque réparation honorable et conforme aux usages établis. Koro-Koro est un homme très-brave et fort intelligent. Je n'ai pas vu de chef qui sût maintenir son peuple dans un aussi bon état d'ordre et de subordination : cependant il est fatigué des combats, et tous ses désirs tendent à ce qu'il n'y en ait plus à la Nouvelle-Zélande. Nous avons lieu de croire qu'il préviendra la guerre toutes les fois qu'il le pourra. PIECES JUSTIFICATIVES. 309 Visite à Kidi-Kidi. Deuil public avec Tepere. Après mon entretien avec Koro-Koro, je m'embarquai pour Kidi-Kidi , dans notre canot neuf chargé de planches pour le nouvel établissement; j'étais accompagné par M. W. Hall , les trois charpentiers et M. Samuel Butler. Nous arri- vâmes le soir, au milieu d'une foule de naturels joyeux , qui s'empressèrent de transporter tout le bois à l'endroit où nous devions construire le magasin public , la forge , etc. Nous employâmes les naturels à nettoyer le terrain, puis nous traçâ- mes le plan des trois édifices. Le magasin public avait soixante pieds de long, la maison du forgeron trente-six, et son atelier vingt pieds de long sur quatorze de large. Quand le terrain fut désigné , je laissai M. Hall et les charpentiers commencer les bâtimens ; et nous retournâmes avec M. Samuel Butler, dans le canot, à Rangui-Hou. Nous y arrivâmes sur les onze heures du soir. Le bateau rendra les services les plus importans à l'établis- sement , pour les transports de bois , de chaux et de provisions. i5 septembre 1819. Ce matin je rencontrai quelques-uns des naturels qui étaient revenus de Wangaroa , et je leur de- mandai comment ils avaient arrangé l'alfairc dans laquelle Shongui avait attaqué un village de ce district et tué quelques- uns de ses habitans. Ils me racontèrent qu'il y avait eu une très-grande assemblée de naturels de différens cantons , et qu'il s'en trouvait quelques centaines du cap Nord. L'objet de leur réunion était de pleurer et de gémir avec Tepere , chef de Wangaroa , sur la perte de ses gens. Un des chefs de Rangui- Hou m'informa que Tepere désirait que j'allasse le voir à Wan- garoa. Si je ne pouvais y aller, il devait venir à Rangui-Hou avant mon départ pour Port-Jackson. Il désirait obtenir une pioche , une bêche, une herminette et quelques hameçons. Tepere passe pour un homme doux , intelligent , et qui a beaucoup d'éloignement pour la guerre. Il jouit d'une grande 310 PIECES JUSTIFICATIVES. considération parmi ses compatriotes , aussi bien que dans l'esprit des colons. On n'a pas le dessein de demander satisfaction à Shongui pour l'attaque qu'il s'est permise contre le village ; les habi- tans ont eu les premiers torts en profanant le sépulcre de son beau-père, comme on l'a déjà rapporté. Manière dont s'opère le tatouage. En me promenant ce matin au travers du village de Rangui- Hou , j'ai observé Tawi qui tatouait le fils de feu Tepahi sur la fesse et sur la partie supérieure de la cuisse. Cette opération était très-pénible ; elle s'effectuait au moyen d'un petit ciseau fait avec l'os de l'aile d'un pigeon ou d'une poule sauvage. Ce ciseau avait environ trois lignes de large , et était fixé dans un manche de quatre pouces de long , de manière à former un angle aigu et à figurer une espèce de petit pic à une seule pointe. Avec Je ciseau, l'opérateur traçait toutes les lignes droites et spira- les, en frappant sur la tête avec un morceau de bois d'un pied de long, à peu près comme un maréchal ouvre la veine d'un cheval avec la flamme. Un des bouts du bâton était taillé à plat en forme de couteau , pour enlever le sang à mesure qu'il dégouttait des plaies. Le ciseau paraissait à chaque coup traverser la peau et l'entailler comme un graveur taille une pièce de bois. Le ciseau était sans cesse plongé dans un liquide extrait d'un arbre particulier et ensuite mêlé avec de l'eau; c'est ce qui communique la couleur noire, ou, comme ils disent, le Moko. J'observai une chair baveuse qui s'élevait dans quelques endroits qui avaient été taillés presque un mois auparavant. L'opération est si douloureuse que tout le tatouage ne peut être supporté en une seule fois, et il paraît qu'il faut plusieurs années avant que les chefs soient parfaitement tatoués. Têtes de quelques chefs plantées sur des pieux à Rangui-Hou. A mon retour dans le village , accompagné de M. Kendall, PIECES JUSTIFICATIVES. 311 j'observai les tètes de quatre chefs plantées sur quatre pieux , près d'une cabane. Je priai M. Kendall de m'accompagner dans la cabane , pour connaître la cause de la mort de ces quatre chefs et l'endroit d'où ces têtes avaient été apportées. Aux questions que nous adressâmes aux naturels , voici la ré- ponse qui fut faite : Il y a quelques années , un navire de Port-Jackson , nommé le f^énus , toucha à la baie des Iles : l'équipage y enleva une femme appartenant à la tribu de Shongui, et la débarqua ensuite aux environs du cap Est, sur la grande terre. Lorsque Temarangai eut appris le sort de sa sœur, qui avait été enlevée dans le même temps , il envoya des espions vers le cap Est pour s'assurer des circonstances de ce fait, et reconnaître la situation du peuple qui l'avait fait périr. Les espions de Temarangai voyageaient comme des commerçans tout le long de la route; quand ils revinrent, ils apportèrent la nouvelle de ce qui était arrivé à ces deux femmes : l'une avait été tuée et mangée dans une île , et l'autre sur le conti- nent à une plus grande distance. Temarangai se mit en route pour venger la mort de sa sœur, comme on l'a déjà dit, et Shongui le suivit quand il fut prêt. Ils revinrent tous les deux sans s'être rencontrés, et après avoir, chacun de son côté, tiré vengeance des peuples qui avaient commis ces meurtres. Les tètes que nous vîmes à Rangui-Hou étaient celles de quatre chefs que Shongui avait tués dans le combat. Il avait ramené avec lui deux chefs comme prisonniers et rapporté beaucoup d'autres tètes. M. Kendall me dit que Shongui avait mis onze mois à ce voyage, et qu'il était revenu il y avait huit mois, avec beaucoup de provisions de guerre , qui furent partagées entre lui et les chefs qui lui étaient subordonnés. Je ne pouvais m'empècher de réfléchir , avec une douleur mêlée de honte, aux forfaits de mes compatriotes, qui, par ces atrocités, sèment, la guerre , la misère et la mort parmi de 312 PIECES JUSTIFICATIVES. pauvres nations païennes qui ne leur ont jamais fait le moin- dre mal. Seize années se sont bientôt écoulées depuis que le Vénus fut enlevé par des convicts ; et , par suite de cet enlèvement et des crimes que commirent ensuite les pirates , les têtes des pères de famille et des chefs de tribus sont aujourd'hui expo- sées en spectacle à Rangui-Hou, tandis que leurs femmes, leurs enfans et leurs serviteurs, ont été ou massacrés ou livrés à une triste captivité !... Récit de Shongui touchant son expédition au cap Est. • Avant de terminer les observations de ce jour , j'allai au devant de Shongui et de Temarangai. Comme je désirais ap- prendre tous les détails de leur expédition vers le cap Est, je les priai de m'accompagner chez M. Kendall , afin de m'aider de son secours pour les interroger avec soin. Après une con- versation de près de deux heures, je rassemblai les particula- rités suivantes , touchant leur expédition et leurs coutumes. Temarangai avait principalement en vue de venger la mort de sa sœur, ainsi qu'on l'a exposé. Il prit avec lui quatre cents guerriers, et le but de son voyage une fois atteint, il revint avec un petit nombre de prisonniers de guerre. Il fit cette ex- pédition avant Shongui, mais ils ne se rencontrèrent nulle part sur la côte. Shongui avait deux projets : l'un était de venger le meurtre de la femme appartenant à sa tribu, qui avait été emmenée par le Vénus, comme il a été dit; l'autre d'aider Houpa , l'un des chefs de la rivière Tamise, à se venger de trois meurtres qui avaient été commis sur sa tribu , trois années auparavant. Il y avait long-temps que Houpa sollicitait Shongui de l'aider à punir la tribu qui avait massacré ses gens. Shongui quitta la baie des Iles le 7 février 1818 , avec ses guerriers , pour se joindre à Houpa à la rivière Tamise. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 313 Quand ils firent voile de cet endroit, leurs forces réunies montaient à huit cents hommes. A leur arrivée dans les districts où ils avaient le projet de faire la guerre , ceux des naturels qui en eurent le temps s'en- fuirent dans l'intérieur, en abandonnant leurs habitations. Shongui dit qu'ils brûlèrent cinq cents villages. Les habitans sont très-nombreux sur la côte , entre la rivière Tamise et le cap Est. Plusieurs peuples furent attaqués à l'improviste , et n'eurentpas le temps de sepréparcr au combat; c'estpourquoi ils étaient réduits à chercher leur salut en s'enfuyant dans l'intérieur, à mesure que Shongui avançait. Nombre de chefs furent tués , soit par surprise , soit en défendant leurs villes et leurs sujets ; et les tètes de plu- sieurs d'entre eux furent rapportées par le parti vainqueur. Les colons m'apprirent qu'environ soixante-dix tètes avaient été rapportées à Rangui-Hou , dans une seule pirogue. Ils firent aussi deux mille prisonniers de guerre , tant hommes que femmes et enfans , qu'ils ramenèrent avec eux en guise de butin. Ces prisonniers furent partagés entre les chefs et leurs officiers, et faits esclaves. Sacrifices humains offerts aux Dieux durant la guerre. J'étais curieux de savoir si décidément ils mangeaient ceux qui sont tués dans le combat : c'est pourquoi je priai Shongui et Tcmarangai de me faire connaître ce qui avait lieu sur le champ de bataille, quand les ennemis en venaient aux mains , et, en outre, s'ils mangeaient ceux qui étaient tués. En ré- ponse à mes questions , ils firent le récit suivant : Quand le chef de l'un des partis est tué , son corps est aussitôt réclamé par ses ennemis; et, comme nous l'avons déjà dit, si le parti du chef tué est intimidé, le corps est sur-le- champ livré. Si le chef était marié, sa femme est aussi récla- mée, et sur-le-champ livrée aux mains de l'ennemi. Elle est emmenée avec le corps de son mari, et mise à mort. Si elle 314 PIECES JUSTIFICATIVES. aimait son mari, elle se livre volontairement ainsi que ses en- fans; car elle désire que le vainqueur lui fasse subir ainsi qu'à ses enfans le même sort que son mari a éprouvé. Si le parti refuse de remettre la femme du chef, il est de nouveau attaqué par l'ennemi , qui ne renonce au combat qu'après être devenu maître de la femme , ou avoir tout-à-fait remporté la vic- toire. Qand ils ont pris possession d'un chef et de sa femme , après avoir tué celle-ci , les corps sont placés devant les chefs. L'ariki ou grand-prêtre appelle alors les chefs, afin de pré- parer le corps de l'homme pour leur dieu; la prêtresse, qui est aussi ariki , ordonne aux femmes des chefs de préparer également le corps de la femme. Les corps sont ensuite placés sur des feux par les chefs et leurs femmes; car étant taboues, ces corps ne peuvent être touchés par personne du peuple. Lorsque les corps sont préparés, les arikis prennent chacun un morceau de viande dans un petit panier qu'ils suspendent à deux bâtons plantés en terre, comme devant être la nour- riture de leurs dieux ( à qui ils vont offrir leurs prières et qu'ils vont consulter touchant leur guerre actuelle) , afin que ces dieux aient la première part des sacrifices. Tandis que ces cérémonies s'accomplissent, tous les chefs sont assis en cercle autour des corps, dans un profond silence, le visage couvert de leurs mains et de leurs nattes, car il ne leur est pas permis de jeter les yeux sur ces mystères. Pendant ce temps, les arikis prient et prennent de petits morceaux de la chair des sacrifices, qu'ils mangent. Les arikis seuls ont le droit de manger de ces corps consacrés. Quand tous les rits sacrés sont accomplis, les arikis rappor- tent la réponse qu'ont faite leurs dieux à leurs prières et à leurs offrandes. Si ces prières et ces offrandes sont accueillies , le combat recommence immédiatement, et tous en commun se nourrissent de la chair de ceux qui sont ensuite tués. Ils les mangent , non pas tant pour se repaître de leur chair que par gratification mentale , et pour donner une preuve authen- PIECES JUSTIFICATIVES. 315 liquc de leur vengeance amère, aux yeux de leurs ennemis. Désirant connaître si les arikis priaient leurs dieux en secret , au moment où ils accomplissaient les cérémonies en question , je leur fis une demande à ce sujet. Ils répondirent : « Non; mais à voix haute et intelligible, afin que tout le monde en- tende leurs prières; à moins que les arikis ne désapprouvent leurs projets; en ce cas, leurs prières ne peuvent être enten- dues. » Non-seulement les Nouveaux-Zélandais ont peur d'être tous tués dans le combat, s'ils entreprennent la guerre sans la permission de leur dieu, mais leur superstition leur fait crain- dre de succomber sous la fureur de leur propre dieu ou de celui de leurs ennemis. Ils croient fermement qu'un prêtre a le pouvoir de faire périr par des charmes ou des enchantemens ; et c'est à cette cause qu'ils attribuent la mort de plusieurs personnes. Je dois observer ici que je n'avais jamais découvert que les Nouveaux-Zélandais fissent des sacrifices humains à leurs dieux en aucune occasion, avant que Shongui et Temarangai m'eus- sent fait ce rapport. Mais je suis maintenant convaincu qu'ils pratiquent ces cruelles cérémonies. Lorsque j'eus fini cette conversation , je me promenais sur le rivage, quand je rencontrai une jeune femme d'une figure et d'une tournure fort intéressantes. Elle me pria de lui donner une pioche. Je lui demandai qui elle était et d'où elle venait. Elle me dit qu'elle était prisonnière de guerre, qu'elle avait été prise entre le cap Est et la rivière Tamise , et amenée à Rangui-Hou par l'armée de Shongui; et que sa tante, qui était une grande reine, se nommait Hina. A Parramatta j'a- vais entendu parler aux naturels de cette femme, comme pos- sédant un vaste territoire et ayant de nombreux sujets; et M. Kendall, dans sa correspondance avec moi, m'avait par hasard mentionné son nom. Cette jeune femme m'apprit que Shongui avait attaqué leur pays à l'improviste. Elle avait été faite prisonnière dans la ville : son père, sa mère et sept soeurs s'étaient échappés, aucune de ces personnes n'avait 316 PIECES JUSTIFICATIVES. péri. La cause de l'invasion dont elle avait été la victime, était que ses ancêtres avaient tué trois personnes de la tribu de Houpa , et les amis de celui - ci étaient venus pour tirer vengeance de ce meurtre. Ce récit confirmait celui que Shon- gui venait de me faire. Tandis qu'elle me racontait ces particularités , le jeune homme qui l'avait enlevée, dans l'attaque de la ville, était de- bout près d'elle ; elle faisait partie de son butin. Je lui fis obser- ver que lorsque F Active serait de retour, si j'en avais le temps, j'irais visiter son pays. Le jeune bomme dit que si elle allait sur F Active, il la suivrait, et qu'il lui permettrait de voir sa patrie, mais non pas d'y débarquer, de peur qu'elle ne s'échappât. Distribution d'outils aux naturels. i6 septembre 1819. Plusieurs des habitans de Rangui-Hou n'ayant pas encore pu obtenir une hache ou une pioche de- puis la fondation de l'établissement, nous arrêtâmes de leur faire présent de quelques-uns de ces articles , suivant l'étendue de nos moyens. En conséquence, nous priâmes les colons de nous donner les noms de ceux qui étaient à la fois les plus né- cessiteux et les plus méritans. Notre intention fut bientôt connue dans le village , et les na- turels se rassemblèrent en foule autour de l'école publique qui contient en ce moment nos effets. Quand la liste fut complète , je m'occupai de distribuer les présens , assisté par M. Francis Hall et M. Kendall , M. Butler étant retenu chez lui pour cause de maladie. La foule était si grande, que je fus quelque temps sans pouvoir entrer dans l'école. Je leur dis que je serais obligé de m'en retourner s'ils ne voulaient pas me faire déplace. La cour de l'école était toute pleine d'hommes et de femmes qui demandaient une hache ou une pioche : quand il ne put plus y entrer personne , les na- turels se portèrent alors sur les toits mêmes de l'école et sur les maisons voisines. Après avoir distribué vingt- trois pioches et PIECES JUSTIFICATIVES. 317 trente-sept haches, il fallut m'échapper par une porte de der- rière, pour me soustraire aux importunités accablantes de ceux que nous ne pouvions contenter, car nous n'avions pas les moyens de subvenir aux besoins de tous. Jamais mendiant af- famé n'a soupiré avec plus d'empressement après un morceau de pain, que ces pauvres païens ne le faisaient pour une hache ou une pioche ; et rien ne pouvait surpasser le contentement de ceux qui étaient assez heureux pour obtenir un de ces objets. Sans doute, plusieurs centaines de haches et de pioches et des milliers de toftis ontété distribués à ces malheureux peuples depuis la formation de l'établissement. Cependant, tout ce qu'ils ont reçu jusqu'ici n'est guère plus sensible qu'une seule averse passagère qui , dans une contrée stérile et desséchée, tombe sur un coin de terre plus favorisé. Beaucoup d'années devront en core s'écouler avant que chaque naturel puisse posséder une hache ou une pioche , malgré l'empressement que les chrétiens mettent à venir à leur aide. 17 septembre 1819. Je restai la plus grande partie de la jour- née renfermé chez moi , pour éviter les importunités des natu- rels auxquels je n'avais pu donner ni hache ni pioche. Il n'é- tait pas possible de faire un pas sans être environné par eux de tous côtés; les uns assaisonnaient leur demande d'une gros- sièreté sauvage, et les autres d'une politesse touchante. Leur cri unanime est : « Donnez-moi une hache , une bêche ou une pioche. » Pour exciter la compassion, ils montrent leurs mains, et représentent combien leurs doigts ont été écorchés en pra- tiquant des rigoles à eau dans leurs champs de patates. Il est très -pénible d'être obligé de ne pouvoir accéder à leurs de- mandes; car leurs besoins sont réels, et ils sont condamnés à de grandes fatigues , pour ne pouvoir se procurer ces outils si nécessaires à l'agriculture. Quand nous réfléchissons que les seules matières produites par leur pays qu'ils puissent convertir en outils, se bornent à du bois et des coquilles , nous ne devons pas être surpris de 318 PIECES JUSTIFICATIVES. leur dénuement. C'est avec des haches en pierre qu'ils coupent tout leur bois , qu'ils bâtissent leurs cabanes , qu'ils font les palissades de leurs champs de patates, qu'ils fabriquent leurs bêches en bois et leurs spatules , et qu'ils construisent leurs pi- rogues. De là vient qu'ils ne peuvent élever de maisons solides ni durables, finir des clôtures, etc., par défaut de fer. Par la même raison , ils ne peuvent faire non plus que de faibles pro- grès en agriculture. Je pense qu'il y a actuellement dix fois plus de terre en cul- ture dans les districts voisins de la baie des Iles, qu'il n'y en avait en i8i4? quand l'établissement fut fondé. Cette améliora- tion est entièrement due aux outils que la Société a envoyés de temps en temps. Le défaut d'alimens rendit la mortalité très-grande parmi les naturels, dans le premier hiver qui suivit la fondation de l'établissement. Il est agréable de pouvoir dire que dans les deux dernières années, il n'y a eu que peu de morts, grâces à la prudence divine. La raison doit s'en attribuer à l'extension des cultures qui ont offert de nouvelles ressources alimentaires pour les habitans. Les productions et autres douceurs de la vie s'accroîtront certainement avec les moyens de perfectionner l'agriculture dans cette contrée. Les bêches et les pioches seront les objets les plus nécessaires, jusqu'à l'époque où le pays sera pourvu de bestiaux, et où l'on pourra employer la charrue. On pourra facilement tirer le bétail de la Nouvelle-Galles du Sud , et sous peu de temps la charrue pourra être mise en œuvre , attendu que la terre est en général dégarnie d'arbres, et qu'elle n'est guère couverte que de fougères ou de broussailles que l'on peut facilement couper et réduire en cendres. 20 septembre 1819. Un grand nombre de naturels sont ar- rivés de très-bonne heure de districts lointains , quelques- uns de vingt et d'autres de cinquante milles. Ils étaient prêts à nous mettre en pièces pour avoir des pioches et des haches. Un d'eux disait que son cœur se déchirerait s'il n'avait PIECES JUSTIFICATIVES. 319 pas une pioche. Nous étions harassés de leurs importunités , et désolés de ce que nos faibles moyens ne nous permettaient point de subvenir, pour le moment, à leurs besoins. J'ai dit à plusieurs d'entre eux que ce matin même j'avais écrit en An- gleterre pour demander beaucoup de ces instrumens, et qu'aus- sitôt que le navire arriverait, on leur en distribuerait. Ils répon- dirent « que plusieurs d'entre eux seraient au tombeau quand le navire viendrait d'Angleterre ; que les pioches et les haches ne leur serviraient à rien quand ils seraient une fois morts. C'était sur-le-champ même qu'ils en avaient besoin ; qu'ils n'a- vaient pour le moment que quelques outils en bois pour tra- vailler dans leurs plantations de patates. » Ils nous suppliaient aussi de les assister dans leur détresse. Il est extrêmement diffi- cile , et pour mieux dire impossible , de les convaincre par quel- que argument que ce soit, qu'il n'est pas en notre pouvoir de remplir leurs désirs. Il faudrait cinq mille pioches et haches pour les demandes du moment; et il est plus que probable que , lorsque ce nombre serait distribué , il en faudrait encore autant. Le soir, j'allai me promènera Tepouna , accompagné de MM. Kendall et Hall, pour voir quels progrès les naturels faisaient dans la préparation de leurs champs de patates. Nous trouvâmes sur le terrain plus de cent personnes, hommes et femmes, dont le plus grand nombre à l'ouvrage : quelques-uns se servaient de bêches et de pioches qu'ils avaient reçues des magasins des missionnaires, et les autres d'outils en bois. De- puis notre dernière visite, de grandes étendues de terre avaient été défrichées et préparées pour être plantées. Village et famille de Shongui à Tepouna. Shongui a bâti ici un petit village , sur le terrain qu'il cul- tive , pour la commodité de ses ouvriers. Nous allâmes pour le visiter, Shongui était allé à Kidi-Kidi. Nous trouvâmes ses trois femmes à la maison , deux d'entre elles avaient été pri- 320 PIECES JUSTIFICATIVES. sonnières de guerre. Sa femme principale, qui est aveugle, nous dit avec un sourire que Shongui n'était plus si tendre dans ses affections pour elle , depuis qu'il avait pris les deux nouvelles femmes qui étaient présentes. Sa première femme a une fort belle famille. Dans ce village j'observai les têtes de onze chefs plantées sur des pieux , comme autant de trophées de la victoire. J'ap- pris que ces têtes faisaient partie de celles que Shongui rap- porta de sa dernière expédition vers le Sud. Il les avait fait toutes préparer. Les figures conservaient un air fort naturel , à l'exception des lèvres et des dents qui semblaient encore contractées par les dernières souffrances de la mort. Combien ces spectacles doivent être pénibles pour les fem- mes, les enfans et les sujets de ces malheureux chefs, qui sont prisonniers de guerre et travaillent sur le terrain où ces têtes sont exposées! Mon ame se remplissait d'horreur et de dégoût à la vue de ce Golgotha. En revenant au travers des champs de patates, nous rencon- trâmes le chef Rakou, beau-père de Doua-Tara. Je voulais visi- ter le bosquet sacré dans lequel ce dernier mourut, et qui était situé aux environs; mais je compris qu'il était taboue. Je ne voulus point prendre sur moi d'y entrer sans la permission du chef. M. Kendall lui parla et lui fit part de mon désir. Il voulut me montrer l'arbre où sa fille, la femme de Doua-Tara, s'était pendue ; il nous fit voir le lieu où les deux corps étaient dé- posés jusqu'au moment où les chairs seraient décomposées; alors les os doivent être soigneusement recueillis, et portés dans les tombeaux de famille. Que les voies de Dieu sont mystérieuses ! Naguère Doua- Tara se flattait de l'espoir d'élever son pays au rang des na- tions civilisées; il a été renversé comme une fleur, dans ses premières tentatives pour mettre à exécution ces intentions bienveillantes. Le terrain où il voulait élever une église et une ville à l'européenne, est aujourd'hui cultivé et divisé entre plusieurs familles par ses successeurs. Un demi-acre seule- PIECES JUSTIFICATIVES. 321 mont a été réservé pour le consacrer à sa mémoire : il est dé- fendu d'y couper un seul arbre , ni même un buisson ; et pro- bablement avant nous nul pas humain n'avait foulé ce sol , depuis l'accomplissement des dernières cérémonies funéraires en l'honneur de Doua-Tara et de sa fidèle compagne. Tête de femme conservée sur une arcade sacrée. En passant au travers du village de Rangui-Hou, à notre re- tour, je m'arrêtai pour parler au chef Ware, et je remarquai la tête d'une femme sur une arcade sacrée , près de sa maison. Je demandai à qui cette tète avait autrefois appartenu. Ware me dit que c'était la tête de la sœur de sa femme. Sa femme et sa sœur avaient été amenées à Rangui-Hou prisonnières de guerre par Shongui ; l'une et l'autre lui échurent en partage comme esclaves ; de l'une il fit sa femme et de l'autre sa servante. Celle- ci mourut de mort naturelle; au moment où elle décéda , sa femme demanda qu'on conservât la tête de sa sœur, afin qu'elle pût soulager sa douleur en pleurant dessus; et ce fut pour cette raison qu'elle fut préparée. Lors de mon dernier voyage à la Nouvelle-Zélande, je n'a- vais rien vu de semblable à l'arcade sur laquelle cette tête était placée, et je voulus en connaître l'origine et l'usage. M. Kendall et Ware m'apprirent que deux ans environ au- paravant, les chenilles avaient fait de grands ravages dans les plantations de patates douces au moment de leur pousse. Les naturels s'imaginèrent que cette calamité publique leur était infligée par le courroux de leur dieu. Les habitans de Rangui- Hou envoyèrent à Kawa-Kawa chercher le grand-prêtre, afin qu'il pût, par ses prières et ses cérémonies, détourner le terri- ble fléau qui les menaçait. Le prêtre vint et resta plusieurs mois. Il accomplit ses rits religieux ; il enjoignit à chacun des principaux cultivateurs d'élever une arcade à son dieu , et d'y déposer des vivres sacrés pour lui servir de nourriture. En exécution de l'ordre du prêtre, cette arcade et d'autres tome m. 21 322 PIECES JUSTIFICATIVES. furent exécutées. Elle a environ cinq pieds de long, deux de large et onze et demi de hauteur; elle est en outre peinte et ornée de sculptures et de figures diverses, et dedans sont placés les vivres sacrés. Les chenilles ne tardèrent pas à quitter les champs de patates , et les naturels attribuèrent leur départ à l'influence du prêtre et non pas à aucune cause naturelle. C'est par suite de cette circonstance qu'ils ont conservé ces arcades sacrées. M. Kendall me dit qu'auparavant il n'avait jamais observé ni entendu parler d'aucune coutume de cette nature. Visite de quelques chefs de la rivière Tamise. 23 septembre 1819. Ce matin, plusieurs chefs sont arrivés de la rivière Tamise. Quand ils ont débarqué , ils se sont assis en groupe et dans un silence solennel sur le rivage. Peu après, les guerriers de Rangui-Hou accoururent en troupe du village, tout-à-fait nus et comme autant de furies. Ils bran- dissaient leurs lances de la manière la plus menaçante, et fai- saient un bruit affreux. Ils s'avançaient vers les chefs sur le rivage, comme pour les attaquer sur-le-champ. Quand ils n'en furent plus qu'à quelques pas, ils s'arrêtèrent et exécutèrent la danse guerrière , en défigurant leurs traits de la manière la plus effroyable , et poussant en même temps d'épouvantables hurlemcns. Quand ils eurent terminé toutes leurs évolutions martiales, ils retournèrent au village. Alors le chef principal Rakou, vieillard de quatre-vingts ans environ, fit un discours aux chefs de la rivière Tamise, qui, durant toutes ces céré- monies, ne bougèrent pas de leur place. Je demandai ce que signifiait l'action des guerriers , en sor- tant du village avec autant de fureur et les lances en avant, à l'arrivée des chefs de la rivière Tamise. Ils répliquèrent que c'était une marque d'honneur et de respect militaire qu'ils rendaient à ces chefs : le discours que le vieux chef leur adressa ensuite avait pour but de les assurer de sa cordiale amitié ; PIECES JUSTIFICATIVES. 323 il leur dit qu'ils avaient bien fait de lui rendre une visite , ainsi qu'à son peuple, et qu'à l'avenir toute hostilité cesserait entre eux et sa tribu. Je demandai pourquoi les chefs, à leur arrivée, s'étaient ainsi tenus à l'écart ; on me dit que , quelque temps au- paravant, un homme appartenant à une tribu amie de celle de Rangui-Hou, avait été tué par leur tribu; que le peuple de Rangui-Hou était allé venger sa mort, et avait tué deux chefs et deux hommes du peuple. Les chefs qui venaient d'arriver avaient peur que le peuple de Rangui-Hou ne con- servât quelque ressentiment contre eux, et ne les reçûtpas avec les égards convenables. A la fin , une explication complète eut lieu entre eux, et la confiance mutuelle fut en apparence rétablie. Les chefs de la rivière Tamise convinrent que leur tribu avait mérité d'être punie pour le meurtre de l'homme qu'ils avaient tué ; mais ils prétendirent que le peuple de Ran- gui-Hou avait été plus qu'amplement vengé, puisqu'il avait tué quatre personnes de la rivière Tamise , ce qui dépassait les bornes de la justice , et qu'en conséquence c'était eux- mêmes qui se sentaient les plus maltraités. Quand toutes ces affaires furent terminées , ils rentrèrent dans le village pour se régaler avec le chef. Ensuite ils nous rendirent une visite et nous demandèrent une hache ou une pioche ; mais nous ne pûmes donner qu'une hache au chef prin- cipal etun couteau à son fils. Nousétions désolés de ne pouvoir leur donner les outils dont ils avaient tant besoin. Je leur promis d'aller leur rendre visite, quand l'Active serait de re- tour, si j'en avais le temps. Visite à KiJi-Kidi et retour. 20 JOURNAL DE M. W. HALL, De janvier à août 1 8 1 9. 4 janvier 1819. J'ai commencé à récolter le blé qui avait été semé le 12 mai. 16 janvier. J'ai fini la récolte du blé , et je l'ai ramassé chez moi en assez bon état. J'avais près de trois acres en culture , et j'aurai presque quarante boisseaux de grain. Le 3l juillet, M. W. Hall s'embarqua avec Koro-Koro dans son canot pour faire une excursion le long de la côte orientale. A la hauteur du cap Brett, le vent fraîchit et la mer grossit, de manière qu'il fut obligé de se réfugier dans une petite anse à cinq milles de ce cap , où il passa la nuit. Le lendemain il atteignit une petite baie nommée Wanga- Maumau, située à un mille plus loin, et près de laquelle se trouve un village. Ce jour était un dimanche, M. Hall le passa à converser avec les naturels sur les matières de religion. Koro- Koro lui prêta son aide pour expliquer à ses compatriotes les grandes vérités de l'Evangile. Le 2 août, M. Hall voulut continuer son voyage au sud ; mais après avoir ramé quatre ou cinq milles le long de la côte, le ciel se chargea , il tomba de la pluie, et on se hâta 392 PIÈCES JUSTIFICATIVES. d'atteindre un village nommé Wanga-Boudou. M. Hall passa la nuit avec les habitans , et leur prêcha la parole de Dieu. Le lendemain il s'aperçut que les naturels lui avaient volé son gouvernail, il en ajusta un autre en place du mieux qu'il put. Comme il Taisait mauvais temps, il se décida à s'en re- tourner chez lui dans la journée du 4 ? et, après une traversée fort pénible, il atteignit Motou-Doua vers sept heures du soir, accablé de faim et de froid, et trempé jusqu'aux os. EXTRAITS DU JOURNAL DE M. JOHN KING , De juin à septembre 1819. 4 juin 1819. Un jeune homme nommé Toudi-Ika a tué un petit garçon qu'il avait amené prisonnier quelque temps au- paravant de la partie du sud , pour avoir volé des patates douces dans une maison de chef qui était tabouée. Les natu- rels de Rangui-Hou lui coupèrent la tête, tirèrent les en- trailles, prirent le derrière, et le firent rôtir au feu pour le manger. M. Leigh , qui était venu nous voir sur l'Active, vit ce corps sur le feu. Il donna une hache en échange du corps, l'apporta à l'établissement, et l'enterra en présence d'un grand nombre de naturels. En novembre dernier, deux filles furent aussi tuées pour motifs de religion. 20 juillet. Un jeune homme s'est décidé à tuer son esclave, qui est une femme faite, et qui fait partie de l'établissement depuis notre arrivée. Cet homme est un des scieurs de M. Hall , et l'un de ceux pour qui nous avons une affection particulière. La pauvre femme , fatiguée de se cacher, s'est armée de cou- rage pour le moment fatal ; en conséquence elle est venue embrasser nos enfans et faire ses adieux à madame King. Puis elle est allée chez tous les Européens pour leur dire aussi adieu. Enfin elle s'est rendue au village de Rangui-Hou pour recevoir le coup fatal, en poussant des cris sur sa route : mais un blanc lui a donné une hache pour l'offrir à son maître, PIÈCES JUSTIFICATIVES. 393 afin de voir ce qui en résulterait : cela lui a sauvé la vie pour cette fois. Souvent, avant cette époque, elle était venue se cacher dans notre établissement pour se soustraire à la mort. 26 juillet 1819. Il y a quelque temps, un naturel de Rangui- Hou se trouvant absent, son voisin tua et mangea ses co- chons. A son retour, il eut dispute avec ce voisin, et lui tira un coup de fusil , mais il le manqua. Puis il instruisit ses amis du tort qu'on lui avait fait. 29 Juillet. Une troupe de naturels s'est dirigée vers Rangui- Hou pour chercher querelle aux habitans qui ont tué les cochons de leur ami. Ceux de Rangui-Hou ont donné une bonne provision de patates douces au chef, et l'affaire a été arrangée. Dimanche icr août. Peu après le lever du soleil , ayant en- tendu un grand bruit, je demandai ce que cela signifiait. Un naturel me dit que les garçons de l'école emportaient hors de sa tombe le corps de l'enfant que M. Leigh et moi avions enterré le 4 juin. Lorsque je m'approchai de la tombe , les naturels la quittèrent. Je leur rappelai que M. Leigh avait payé pour le corps et pour la fosse ; je leur dis qu'ils n'avaient aucun droit ni sur l'un ni sur l'autre , et qu'en conséquence ils eussent à laisser reposer le corps dans sa tombe. J'envoyai chercher une bêche, puis je recouvris la fosse. Alors pour celle action ils se mirent à me reprocher de travailler le di- manche. Je lus le service divin. M. Kendall pria avec les naturels comme de coutume. Ils ne se comportèrent pas bien. Aussitôt que le service fut terminé, une foule d'hommes et de jeunes gens entrèrent dans l'école, et entraînèrent de force une jeune fille, malgré tout ce que M. Kendall pul dire ou faire. Tou, une des filles qui nous sont attachées, dit aux hommes de s'en aller, de revenir le lendemain et de ne pas faire tant de bruit ce jour-là; mais un homme, d'un coup, la jeta à bas et lui fit des menaces. Pendant le service de l'après-midi , ils ne cessèrent de danser et de pousser des cris hors de l'école ; mais 394 PIECES JUSTIFICATIVES. comme nous y étions habitués, cela nous incommoda peu. Dans la soirée , Tou fit un paquet de toutes ses nattes et de ses vêtemens , et dit à madame King de les brûler, si elle ne revenait point sous quatre jours. Madame King sortit avec elle dans le jardin, par la porte de derrière, car elle avait peur de sortir par celle de devant. La pauvre fille dit qu'elle allait gagner les bois pour la nuit, car elle craignait pour sa vie. Les femmes sont tellement sous le pouvoir des hommes , qu'elles sont traitées avec la plus grande cruauté en plusieurs occasions. 3 août. J'ai appris que Tou et We étaient chez Matangui. Une petite troupe d'hommes est partie pour les ramener. 4 août. Les hommes ont ramené Tou et We. L'un d'eux a épousé We, et sa femme en a été très-courroucée ; mais l'homme a déclaré qu'il tuerait sa femme si elle le querellait. Un autre a pris Tou pour lui. C'est ce qui arrive souvent : quand ces jeunes filles nous deviennent utiles, les hommes nous les enlèvent. EXTRAITS DU JOURNAL DU REVEREND JOHN RUTLER , De novembre 1819 à septembre 1820. 23 novembre 1819. Nous sommes allés à Kidi-Kidi pour examiner les constructions. D'après les bruits qui avaient couru, nous craignions que nos bâtimens n'eussent été détruits par suite d'un combat qu'on disait avoir eu lieu entre Tema- rangai et Shongui. Le rapport était vrai ; mais nous fûmes con- tens de voir que le tort qu'on nous avait fait était beaucoup moins grave que nous le pensions. icr décembre. Shongui et Tareha sont venus de Waï-Matc avec tous leurs guerriers, pour nous voir et nous demander si nous avions éprouvé quelque dommage de la part de leur adversaire Temarangai. Je m'informai du sujet de leur der- nier combat. Shongui répondit que ses esclaves avaient ra- PIECES JUSTIFICATIVES. 395 massé quelques coquillages sur un certain terrain taboue appartenant à Temarangai, mais sans que lui-même en fût instruit. 11 est probable que la valeur du tout n'allait pas à quatre ou cinq hameçons. Pour ce motif, Temarangai et ses gens vinrent voler les patates de Sbongui , et lui déclarèrent la guerre ainsi qu'à son peuple. Il s'ensuivit un combat. Shon- gui ordonna à ses hommes de combattre suivant la coutume de la Nouvelle-Zélande, avec des lances et des pierres, et de ne point se servir de mousquets et de balles , bien qu'ils en eussent un grand nombre. Cependant ses ennemis commen- cèrent avec des haches , des masses et des mousquets, et Shon- gui eut deux de ses hommes tués par les armes à feu, avant qu'il fît faire feu lui-même : mais alors il jugea qu'il était grand temps de commencer. Il y eut bientôt du côté de l'en- nemi huit hommes tués et plusieurs autres blessés : alors les ennemis se retirèrent du champ de bataille. Durant le combat, Shongui eut encore un homme tué ; lui-même et plusieurs autres furent légèrement blessés. Temarangai et ses gens avaient brûlé toutes les pirogues de guerre de Shongui , et ce chef me dit qu'il ne lui restait qu'une fort petite pirogue. Il est certain qu'il a éprouvé de grandes pertes, et ses ennemis ravagent chaque nuit ses patates sur les frontières de ses plantations. Nous nous attendons à voir de nouveaux combats avant que cette affaire soit terminée. Shongui, Tareha et Rcwa ont soupe ce soir avec nous, dans notre atelier de forgerons, qui est notre habitation générale. Après la prière et les grâces , les chefs et leurs hommes ont couché hors de la maison, et nous nous sommes couchés dedans pour dormir, les uns dans des cabanes ou des hamacs, d'au- tres sur des planches qui nous servent alternativement de tables et de lits. Le repos est agréable à l'homme fatigué, et le travail rend doux toute espèce de lit. Toute la nuit le silence et le bon ordre furent observés par les naturels. Je suis allé au village de Temarangai depuis le combat ; ce chef et son peuple nous ont reçus amicalement. J'ai vu quel- 396 PIECES JUSTIFICATIVES. ques cochons qu'ils nous avaient enlevés. Temarangai a offerl de nous les rendre; mais il a dit que son peuple exigerait quelque chose en compensation , attendu qu'il regardait ces animaux comme des dépouilles recueillies à la guerre. En conséquence je refusai de les reprendre. 2 décembre. Ce matin un chef nommé Rewa a su qu'un de ses esclaves avait volé ou aidé à voler des cochons ; il l'a atta- ché à un poteau, et, avec une corde de la grosseur d'une plume, il l'a châtié pour ce vol. Il l'a fait avec une douceur remarquable , car l'esclave se trouvait alors grièvement blessé. Nous fûmes surpris de cet exemple de modération, et M. Hall dit qu'il n'avait encore rien observé de semblable à la Nouvelle- Zélande. Quoique le patient fût nu, à peine la corde laissait- elle sur la peau l'empreinte du coup. Rewa exprima son indi- gnation de la manière la plus expressive pour le vol qui avait eu lieu. Au reste , le jeune esclave avoua non-seulement son crime, mais encore qu'il avait participé à enfoncer la porte de la maison et à dérober une partie des effets. Il déclara en outre que nos scieurs n'étaient pas moins coupables que lui ; ce qui se trouva vrai après l'enquête qui eut lieu. Les scieurs, pour s'excuser, dirent qu'ils avaient enlevé diverses choses de la maison , pour les soustraire aux ravages de Temarangai. C'é- tait une histoire vraisemblable, mais nous n'y ajoutâmes point foi non plus que Tareha. C'est pourquoi il entra dans une violente fureur. Il se mit à bondir, à tempêter et à courir çà et là, et il menaça d'en percer plusieurs à coups de lance, décla- rant que si les voleurs retomhaient une seconde fois dans la même faute, il ne les épargnerait plus. Quelques-uns d'entre eux pleuraient amèrement. Tareha est regardé comme le pre- mier champion de la Nouvelle-Zélande, et les naturels le craignent beaucoup. Il disait qu'on devrait chasser les scieurs de l'établissement; mais comme j'intercédai pour eux, il leur permit de rester et d'aller, comme d'ordinaire, à leur travail. Nous espérons que celte scène produira un bon effet. PIECES JUSTIFICATIVES. 397 3 décembre 1819. Ce matin M. Francis Hall , moi, M. Han- son et trois naturels , nous sommes allés dans la forêt , afin d'abattre trente arbres pour faire des pieux et des traverses. Georges, notre naturel briqueteur et son bomme, sont occu- pés à tirer de la terre pour faire des briques. Tareba est allé à Waï-Mate , et Shongui est resté à Kidi-Kidi. Dans la soi- rée, Koue-Koue est venu avec son peuple à Kidi-Kidi, pour rendre visite à Shonjrui et lui offrir toute son assistance. C'est un bomme d'une force remarquable. 4 décembre. Ce matin les naturels se sont rassemblés autour de notre forge, au nombre de trois cents au moins. Tous leurs discours roulaient sur les moyens de faire la guerre avec succès. Après le déjeuner, nous nous préparâmes à nous mettre en route pour Rangui-Hou. Shongui nous accompagna dans notre canot; mais ses amis ne croyant pas qu'il fût sûr pour lui d'aller seul, armèrent une très-grande pirogue de combat, avec quatre-vingts guerriers , et nous suivirent sur la rade. Quand nous eûmes fait environ trois milles , nous eûmes la rencontre de quelques-uns des amis de Shongui à Waï-Tan- gui, qui lui amenaient en présent une belle pirogue de guerre. En conséquence , lui et ses guerriers s'en retournèrent avec les étrangers à Kidi-Kidi, et nous continuâmes notre route vers l'établissement. Dimanche 5 décembre. Il y a eu service divin , le matin et le soir, chez M. Hall. Shongui , Tareha et leurs guerriers sont arrivés à Rangui- Hou dans l'après-midi. Ils se sont tous très-bien comportés. Dans l'après-midi , Temarangai et Pere-Ika sont arrivés accompagnés d'un intercesseur, pour traiter, avec Shongui et Tareha, au sujet de la guerre. Après une longue conférence, la paix a été établie entre eux. 6 décembre. Ce matin tous les naturels sont retournés chez eux. Les charpentiers et moi-même nous nous sommes rendus à Kidi-Kidi vers cinq heures du soir. A notre arrivée, les 398 PIÈCES JUSTIFICATIVES. naturels ont exécuté un grand shako, ou danse , en réjouis- sance de la paix qui a été proclamée. J'ai fait appeler Shongui, Tareha et les autres chefs, pour leur parler du mal qu'il y avait à voler, et je me plais à dire qu'ils m'ont écouté avec une grande attention. Shongui , qui avait été à Port-Jackson , leur raconta quels châtimens on infligeait aux voleurs dans ce pays. « Je les ai vus, dit-il, avec les fers aux jambes, liés à un poteau et fouet- tés , et j'en ai vu un pendu pour ce crime. » Ils convinrent tous qu'il était fort bien de punir les voleurs ; ils ajoutèrent qu'ils seraient contens que j'eusse une maison pour les renfermer, sans leur donner à manger, avec les fers aux pieds, comme à Port-Jackson ; ou qu'au moins, à défaut de prison , il faudrait mettre les fers aux pieds de celui qui serait surpris à voler, et le laisser au milieu du bois, afin que chacun de ceux qui le verraient pût dire : « Voilà un voleur. » Et qu'alors, disaient-ils, il pousserait des cris jusqu'à en mourir. Je répliquai que je ne ferais point cela de ma propre vo- lonté, mais que s'il m'arrivait de trouver quelqu'un des leurs coupable d'un pareil crime , je les en instruirais sur-le-champ, et leur expliquerais de mon mieux la nature et l'étendue du délit. Après avoir encore conversé quelque temps sur ce sujet, les chefs demandèrent quand je retournerais à Rangui-Hou ; je leur répondis que ce serait le lendemain de bonne heure. Alors ils dirent que si cela nous convenait, ils convoqueraient tous leurs gens, hommes, femmes et enfans, pour leur enjoin- dre de la manière la plus solennelle de ne rien nous dérober. Je fis observer que ce serait très-bien fait; et comme je devais partir de bonne heure, je fixai cinq heures du matin pour la convocation du peuple. Sur quoi je leur souhaitai une bonne nuit et me retirai pour reposer, car il était dix heures du soir. 7 décembre 1819. Au point du jour, nous entendîmes les PIECES JUSTIFICATIVES. 399 chefs et leurs messagers qui appelaient à haute voix tous les hahitans du village, jeunes et vieux. A six heures nous sortîmes de chez nous, et je vis la plus grande réunion d'hommes , de femmes et d'enfans, que j'eusse jamais vue depuis mon arrivée à la Nouvelle-Zélande. Chaque chef mit ses gens en groupe séparé , et ils s'assirent tous par terre en laissant un passage dans le milieu. Quand ils furent tous rangés en ordre et qu'on leur eut fait connaître le motif pour lequel on les avait rassemblés, les chefs se levèrent cha- cun à leur tour, haranguèrent l'auditoire, et menacèrent des châtimens les plus sévères ceux qui se rendraient coupables de vol, les pères comme les enfans , les femmes aussi bien que les esclaves. Quand cela fut fini , tous ceux qui étaient pré- sens exprimèrent aux chefs leur satisfaction pour ce qu'ils venaient de faire ; et, par manière de récompense, je leur dis- tribuai un millier d'hameçons. Ensuite ils se dispersèrent fort paisiblement. Nous allâmes déjeuner, puis nous nous mîmes en route pour Rangui-Hou, et de-là nous nous rendîmes aux salines à Ma- nawa-Oura. 24 juin 1820. Celte semaine, un naturel travaillant dans mon jardin, déterra les pierres sur lesquelles le père de Touai fut rôti et ensuite mangé. Il fut tué dans un combat entre son peuple et celui de Shongui, d'où ce dernier sortit vainqueur. Cet homme raconta l'affaire avec une simplicité vraiment tou- chante, et il ajouta : « Mon père fut tué à cette même époque. » Je causai encore avec lui touchant les maux de la guerre et la coutume révoltante de s'entre-manger. Il dit que c'était l'ha- bitude de son pays de manger ses ennemis. Je lui demandai s'il avait jamais mangé de la chair humaine. Il répondit que non, et que cela ne lui plaisait point. Je voulus savoir pour- quoi. Il répéta seulement : « Cela ne me plaît point. » 19 juillet. A Maupere , il y a un très-beau lac d'eau douce , de six milles de long sur quatre de large. Les na- turels disent que sa profondeur est de deux à six brasses. Il 400 PIECES JUSTIFICATIVES. y a une quantité de canards et d'autres oiseaux sauvages. 26 août. Dernièrement plusieurs esclaves sont morts de faim dans ce district, et leurs corps ont été dévorés par les chiens avant que j'en eusse connaissance. Un d'eux a été tué par son maître pour vol, puis celui-ci l'a mangé avec ses amis. Les chefs s'intéressent plus à leurs chiens qu'à leurs esclaves. A la Nouvelle-Zélande , sous le double point de vue temporel et spirituel , un esclave est l'être le plus misérable de ce monde. (Proceedings of the church Missionnary Society, 1820-1821, pag. 345 et suw.) FIN DE I.A TREMIERE TATlTiE,