VOYAGE L'ASTROLABE. PIECES JUSTIFICATIVES. DETAILS LE TROISIEME VOYAGE DE M. MARSDEN A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. %o: y r~)*& Le i3 février 1820, M. Marsden fit voile de Port-Jackson sur le Dromedary, capitaine Skinner, qui allait charger d'es- pars à la Nouvelle - Zélande , pour le compte du gouverne- ment. Il atteignit la baie des Iles le 27 du même mois. A partir du i5 mars , une quinzaine de jours fut consacrée à visiter le Gambier ou Shouki-Anga , en compagnie de quel- ques officiers du navire et de M. Hall. Sur le rapport qui fut fait , le capitaine Skinner se déter- mina à conduire le Dromedary au Gambier. M. Marsden l'ac- compagna. Après avoir examiné l'entrée de la rivière durant plusieurs jours , on ne jugea pas prudent de la tenter avec un aussi grand bâtiment. tome m. 26 37559 402 PIECES JUSTIFICATIVES. M. Marsden étant revenu à la baie des Iles, se décida à faire un tour dans l'intérieur; en conséquence il quitta le Drome- dary le icr mai , pour s'avancer vers le sud-ouest, en compa- gnie de quelques gentlemen du navire. Près de Kidi-Kidi, ils trouvèrent un chef puissant , nommé Waï-Tarou , qui fut en- chanté de voir M. Marsden. De Kidi-Kidi , ils allèrent visiter les districts de Waï-Mate , Pouke-Nouï et Tae-Ame. Ils pas- sèrent dix jours dans cette excursion, et trouvèrent la contrée riche et fertile. Kaï-Tara, l'un des chefs de Tae-Ame, avait été à Port-Jackson, et avait beaucoup amélioré ses terres. Le Coromandel , capitaine Downie , étant arrivé sur la baie pour le même objet que le Dromedary, et allant chercher sa cargaison à la rivière Tamise ; M. Marsden embarqua sur ce navire le 7 juin, avec Temarangai qui avait demeuré chez lui à Parramatta, et en qui il avait beaucoup de confiance. Touai fut aussi de la partie. Le 12 au soir, après une traversée ora- geuse, le bâtiment mouilla sous le cap Col ville! Après avoir consacré une semaine à l'objet de son voyage parmi les natu- rels, tandis que le Coromandel embarquait des espars, M. Mars- den employa trois semaines à visiter les baies et les criques si- tuées sur le côté oriental de la rivière. Il y trouva un grand chef nommé Tepouhi qu'il avait autrefois connu, et qui lui fit un accueil cordial. Tepouhi et Tourata sont deux puissans chefs de cette région ; l'un et l'autre beaux , bien faits et d'une grande taille. Le premier chef ou ariki , comme le nomment les naturels, a son pâ ou village fortifié, sur une pointe de terre élevée, située à la jonction de deux rivières d'eau douce, dont les eaux réunies forment la rivière Tamise. Le 12 juillet, M. Marsden quitta le Coromandel , dans le but de visiter le Waï-Kato, rivière de l'intérieur, où la popu- lation est, dit-on, très-considérable. Certaines raisons l'ayant empêché d'exécuter ce projet, il résolut de visiter la baie Mer- cure, située dans l'Océan , au sud du cap Col ville. Après avoir donné huit jours à ce voyage, il revint à la Tamise, passa sur la rive occidentale , et se dirigea vers Kaï-Para , sur la côte PIECES JUSTIFICATIVES. 403 occidentale de la Nouvelle-Zélande, au sud-est du Gambier. Il partit pour cette expédition le 25 juillet; il remonta une rivière nommée Waï-Roa qui tombe dans la Tamise, puis le Waï-Tamata qui se jette dans le Waï-Roa : ce sont de belles et larges rivières. Le 26, ils étaient à cinquante milles du navire, et fort avant sur la route de Kaï-Para. Ayant ren- contré le 27 une pirogue de naturels montée par Kouhou , un des cbefs de Kaï-Para, ceux-ci prirent à bord M. Marsden et l'un des officiers du Coromandel , et leur firent remonter le Waï-Tamata six à buit milles plus baut. Alors ils débarquè- rent dans un endroit d'où ils pouvaient apercevoir les hautes dunes de sable de la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande, distantes de dix-huit à vingt milles en apparence. Ils atteigni- rent Kaï-Para dans la soirée , et revinrent à la pirogue le jour suivant. L'eau était agitée et le vent contraire ; cependant le 26 l'équipage, composé de jeunes et beaux naturels, ayant pa- gayé avec ardeur durant plusieurs heures le soir, on arriva dans un lieu nommé Mogoïa , qui appartenait au chef înaki. Cette place était éloignée de trente milles environ de l'endroit où ils s'étaient embarqués, et située sur une rivière qui, comme le Waï-Tamata, se jette dans le Waï-Roa. Le 1er août ils regagnèrent le Coromandel '. Touchant ce voyage, M. Marsden dit : « Je viens de passer vingt jours hors du Coromandel , et du- rant ce temps j'ai dormi tout habillé , le plus souvent en plein air dans un canot ou une pirogue. Le temps a été fréquem- ment très-humide et orageux. J'ai traversé plusieurs marais, criques et rivières , depuis la baie Mercure , sur la côte orien- tale, jusqu'à Kaï-Para sur la rive occidentale. Cependant, par la grâce de Dieu, il ne m'est arrivé ni accident, ni affaire fâcheuse; mais au contraire, j'ai eu tout lieu d'être content, et je suis rentré à bord du Coromandel en parfaite santé. « J'espère que ma visite à ces différentes tribus leur sera avantageuse par la suite. Partout je me suis efforcé d'expliquer aux naturels qu'il n'y avait qu'un seul vrai Dieu vivant, etc.. 2G* 404 PIECES JUSTIFICATIVES. Ils désirent tous voir des Européens résider chez eux, «Temarangai, mon compagnon constant, recommandait par- tout aux chefs de renoncer aux combats. Il leur rappelait com- bien de fois leurs femmes et leurs enfans avaient souffert les horreurs de la faim , quand leurs récoltes de patates et de pom- mes de terre avaient été détruites par suite de leurs différends; combien de leurs femmes étaient restées veuves , et de leurs enfans orphelins. Ils convenaient des funestes suites de la guerre; mais ils disaient qu'il y avait certains chefs qui ne voudraient point y renoncer, et que leurs pères et leurs grands-pères avaient toujours été des guerriers. » Inaki avait accompagné M. Marsden à bord du Coroman- del ; ce dernier avait eu le bonheur d'effectuer une réconcilia- tion entre ce chef et Tepouhi, et d'arranger d'autres querelles parmi les naturels. Le 12 août, M. Marsden quitta le navire pour retourner à la baie des Iles. Traversant la Tamise, qui en cet endroit a quinze milles environ de large, il passa sur la côte occiden- tale, et dans la soirée atteignit Mogoïa , distant du Coroman- del de quarante à cinquante milles. Le mauvais temps l'empê- chant de retourner à la baie des Iles par mer, il se décida à s'y rendre par terre. Comme il ne pouvait suivre la côte est de la Nouvelle-Zélande, à cause des rochers et des rivières, il reprit le chemin de Kaï-Para, sur la côte de l'ouest, pour re- prendre vers l'intérieur , et contourner ainsi les baies et les ri- vières. Temarangai l'accompagna encore, quoiqu'il eût à traverser des districts avec lesquels il s'était trouvé en guerre. Dans cette seconde visite à Kaï-Para, M. Marsden rencontra différens chefs qui lui firent tous un accueil amical. 11 eut sur- tout une discussion fort intéressante avec Moudi-Panga , l'un des plus grands guerriers de la Nouvelle-Zélande, et le rival de Shongui. Il y resta jusqu'au 21 , puis il s'embarqua sur le Kaï-Para, et descendit jusqu'à l'entrée du havre. Outre le Kaï-Para , deux autres rivières viennent encore se décharger dans ce havre. L'une d'elles se nomme le Kotamata ; elle prend PIÈCES JUSTIFICATIVES. 40Ô sa source près de Bream-Head , sur la côte orientale, et n'est séparée que par une langue de terre fort étroite , d'une rivière qui se décharge dans un petit havre, un peu au sud de Bream- Head ; il en résulte une communication facile entre les deux côtes opposées de la Nouvelle-Zélande. La troisième rivière qui tomhe dans celle de Kaï-Para, se nomme Waï-Roa, et ne doit pas être confondue avec la rivière du même nom , qui se jette dans la Tamise. Le cours de ce Waï-Roa occiden- tal, dans l'espace de trente milles environ, est le nord-ouest, c'est-à-dire parallèle à la côte dont il est si voisin , que le bruit du ressac peut s'entendre dans toute cette étendue. Ce cours offre ainsi un passage commode vers le Gambier ou Shouki-Anga. De ce point, qui n'est qu'à six milles de la côte, le cours de la rivière passe au nord, ensuite à l'est. En remontant ce fleuve, M. Marsden visita Tetoko et Tourou , deux puissans chefs, ennemis de Shongui, mais désireux de vivre en paix et de cultiver leurs terres. Après avoir remonté le Waï-Roa aussi haut que la marée se faisait sentir, un peu plus loin , le 26 au matin , ils quittèrent la pirogue , et mar- chèrent à travers un pays plus élevé, vers Wangari, sur la côte est, à douze milles au nord de Bream -Head. Ils y arrivèrent dans l'après-midi du jour suivant, et Temarangai se retrouva alors avec ses amis et ses alliés. Sur leur route, ils avaient contemplé avec douleur la ruine et la dévastation que les par- tisans et les alliés de Shongui avaient portées dans ces régions. De Wangari, M. Marsden se rendit à la baie des Iles, partie par eau , partie par terre. Il arriva dans cette baie le 4 septembre, près de trois mois après avoir quitté le Coromandel '. Le Prince-Régent , schooner du gouvernement , venant d'ar- river de Port- Jackson, M. Marsden s'embarqua dessus le 17 sep- tembre, pour retourner à la Nouvelle -Galles du Sud. Le schooner était si encombré d'espars, et il rencontra un si mau- vais temps au large du cap Nord , que le capitaine rentra dans la baie pour alléger le navire. M. Marsden avait tellement 406 PIECES JUSTIFICATIVES. souffert de l'humidité, du mal de mer et du défaut de repos, qu'il se décida à attendre le retour du Dromedary a Port- Jackson. Mais apprenant qu'il ne mettrait pas à la voile avant six semaines, il voulut employer ce temps à visiter de nouveau les différentes tribus des côtes de l'est et de l'ouest. Le 3o oc- tobre, M. Butler et quelques autres s'étant réunis à lui à Kidi- Kidi, ils se mirent en route; ayant touché à Wangari, ils atteignirent Mogoïa le 3 novembre. Ayant quitté cet endroit le jour suivant, pour visiter le Coromandel , mouillé à quarante milles de distance dans la Tamise, ils eurent beaucoup de mauvais temps dans le Waï-Roa. Ils retournèrent à Mogoïa le 9 , et consacrèrent plusieurs jours à explorer les rivières du voisinage. S'avançant ensuite vers la côte occidentale, M. Mars- den rendit une troisième visite aux peuples de Kaï-Para. Le 17, M. Butler remonta le Kaï-Para pour retourner à la baie des lies ; tandis que M. Marsden prit sa route accoutumée par le Waï-Roa occidental. Quittant la rivière au point que nous avons cité, le 22 il atteignit le Gambier. Ayant renouvelé connaissance ici avec ses anciens amis, il remonta la rivière, et se rendit par terre à Wangaroa , où il s'embarqua le 25 à bord du Dromedary. 11 écrit à cette occasion : a J'ai été absent du navire cinq semaines et un jour ; durant cet intervalle, j'ai parcouru , d'après mon calcul, environ six cents milles, tant par terre que par eau , et quelquefois dans les plus mauvais cbemins qu'on puisse imaginer. C'est une ebose à laquelle on doit naturellement s'attendre , attendu que le pays, sous ce rapport, est encore dans son état primitif. Point de marais desséebés , point de pont sur les rivières et les criques. Les broussailles obstruent souvent les sentiers. Un Nouvcau-Zélandais n'est nullement embarrassé pour traverser les lacs, les marais ou les rivières. Il passe les uns à gué, et traverse les autres à la nage, sans la moindre peine. » PIECES JUSTIFICATIVES. 107 OBSERVATIONS FAITES PAR M. MARSDEN DORANT CE VOYAGE. Affection des naturels pour leurs enjans. En parlant du chef Waï-Tarou , M. Marsden dit : C'est un proche parent de Temarangai et un chef puissant. Deux de ses (ils ont demeuré chez moi à Parramatta : l'un y est mort, l'autre est revenu avec moi sur le Dromedary. Il est aujourd'hui très -malade, et il n'y a guère d'espoir qu'il ré- chappe. Waï-Tarou fut très-content de, me voir. Il me pria de lui permettre de m'accompagner à Port-Jackson , pour aller cher- cher les os de son fils, et les rapporter dans leur sépulture de famille. 11 chérissait singulièrement cet enfant; c'était le fils de sa principale femme , et il le regardait comme son héritier. Il pleurait amèrement en pensant à lui , et il me dit qu'il des- cendait d'une des premières familles de la Nouvelle-Zélande. Il avait auprès de lui un beau garçon , qui était son plus jeune fils : je le lui montrai, et tâchai de le consoler, en lui représentant que celui-ci serait son héritier. Il remarqua que la mère de ce garçon n'était pas de la noble famille dont sortait la mère de celui qui était mort, et que c'était pour ce motif qu'il le re- grettait autant. Je fus sensible à son affection, car elle était extrême. Le fils qui était malade était un jeune homme de dix-sept ans. Je vis qu'il était trop bas pour conserver aucun espoir de rétablissement. Quand je causais avec lui, il disait : « Mes yeux seront bientôt éteints dans la mort. Je ne saurais vivre davan- tage à la Nouvelle-Zélande : c'est un mauvais pays, je ne l'aime point ; les chefs sont toujours occupés à se combattre et a se piller mutuellement. C'est un pays , en outre, où il n'y a ni thé , ni sucre, ni riz, ni pain ; je ne saurais manger de ra- cines de fougère , je dormirai bientôt dans la tefre. » Je n'ai 408 PIÈCES JUSTIFICATIVES. jamais vu personne parler d'une manière plus louchante que ce jeune homme ; il pleurait sur la condition dégradée de son pays, et semblait avoir peu d'envie de prolonger son exis- tence. Il était rare, quand j'allais voir Waï-Tarou, ou qu'il venait me voir, que la mort de son fils ne fût pas le sujet de sa conver- sation. En tout temps, il exprima le désir que les os de ce fils fussent rapportés à la Nouvelle-Zélande : comme il se trou- vait lui-même indisposé à cette époque , il demanda , s'il ne pouvait y aller lui-même , que je permisse à sa femme de faire ce voyage. Je lui promis, à mon retour, de lui envoyer ces restes , si personne ne venait les réclamer. Partout les Nou- veaux-Zélandais attachent un grand prix aux ossemens de leurs amis morts. Un conseil de guerre des naturels. Sur la route de Kidi-Kidi à Waï-Mate , qui en est à dix ou douze milles, M. Marsden rencontra une foule de na- turels qui lui demandaient où il allait. Il écrit à ce sujet : Quand nous les eûmes satisfaits, ils nous apprirent sur-le- champ que l'Atoua était à Waï-Mate. Je ne pus comprendre ce qu'ils voulaient dire par là, car ils semblaient tous vive- ment occupés de l'Atoua. J'imaginai que quelque chef était mort ou sur le point de mourir, attendu qu'il y avait beaucoup de personnes assemblées à Waï-Mate. Nous arrivâmes en ce lieu vers le soleil couchant, dans une habitation appartenant au chef Tareha. Nous y trouvâmes la réunion de naturels la plus nombreuse que j'eusse jamais vue. Tareha nous reçut très - cordialement , et nous procura une bonne cabane , et quantité de patates pour nous et nos por- teurs. Là se trouvaient, avec leurs guerriers, quelques-uns des chefs des tribus depuis Shouki-Anga, sur la côte occidentale PIECES JUSTIFICATIVES. 409 de la Nouvelle-Zélande , jusqu'à Bream-Head , sur la côte est. Nous nous promenâmes autour des différens groupes, car ils s'étaient formés en corps séparés. Nous trouvâmes une assem- blée de chefs assis en cercle , et plongés dans une profonde consultation. Nous apprîmes que les chefs de différentes tribus s'étaient réunis pour entreprendre une expédition militaire, et que chaque tribu devait fournir un certain nombre d'hommes. Le concours du peuple et le mouvement qui en résultait ressemblaient plus à une foire de campagne qu'à toute autre chose. Je demandai quel était le motif d'une si nombreuse réunion de chefs et de districts aussi éloignés. On me raconta qu'avant la destruction du Boyd , qui eut lieu il y a dix ans à peu près, Shongui et sa tribu déclarèrent la guerre aux habitans de Kaï- Para ; qu'alors il fut défait, et perdit un grand nombre de ses officiers et de ses hommes , parmi lesquels étaient deux de ses frères ; et que les chefs de la tribu de Shouki-Anga avaient con- voqué cette assemblée pour former une expédition contre Kaï- Para , et venger la mort de ceux qui avaient péri dans cette funeste guerre. J'appris aussi que depuis sa défaite, Shongui n'avait cessé de réunir des munitions pour se mettre en état de renouveler la guerre contre les peuples de Kaï-Para , et qu'il avait laissé des ordres à ses officiers pour commencer les hos- tilités peu de mois après son départ pour l'Angleterre. Nous passâmes la soirée à converser avec les différens grou- pes. Ils semblaieut tous fort joyeux et satisfaits. Ils se réga- laient à leur manière , et ils mangèrent avec du poisson quel- ques centaines de corbeilles de patates et de pommes de terre. Le tumulte dura toute la nuit, plus ou moins fort. Quand nous nous retirâmes à une heure avancée, nous laissâmes les chefs encore assemblés en cercle au même endroit où nous les avions trouvés et poursuivant leurs délibérations. Depuis notre arrivée , nous n'avions cessé d'entendre de grandes lamentations du côté d'une métairie qui semblait éloignée d'un mille de nous. Quand nous en demandâmes la 410 PIECES JUSTIFICATIVES. cause, on dit que c'était là qu'était l'Atoua, et ce fut tout ce que nous pûmes en savoir. Ces lamentations continuant sans interruption, nous résolûmes de visiter l'Atoua le lendemain matin , pour connaître quel était cet objet dont tout le monde semblait si occupé. Nous nous levâmes au point du jour et nous parcourûmes le camp. Nous trouvâmes encore les chefs assis en cercle. Us semblaient n'avoir pas bougé de leur position, depuis le mo- ment de notre arrivée près d'eux la veille. Après avoir fait un tour et pris congé des chefs, nous quittâmes cette sin- gulière assemblée, dans l'intention de déjeuner chez le fils de Shongui , qui avait demeuré chez moi à Parramatta et dont le village était tout proche. Nous nous proposions de visiter l'Atoua , car les lamentations continuaient et les cris avaient redoublé. Quand nous arrivâmes, nous trouvâmes notre hôte avec sa mère et ses sœurs , au milieu de leurs gens. La femme de Shongui nous fit un accueil très-cordial , et donna des or- dres pour qu'on nous préparât sur-le-champ quelques provi- sions. Tandis que nous étions occupés à converser ensemble, une troupe de gens en armes se montra sur le bord du bois, près d'un champ de patates qui se trouvait entre eux et nous. Ces guerriers étaient nus et s'étaient mis dans une attitude défensive. Aussitôt que le fils et les filles de Shongui les eu- rent aperçus, ils coururent saisir leurs armes. D'abord je ne sus pas s'il s'agissait d'un combat réel ou feint; mais quand je vis que les filles de Shongui ne chargeaient leurs armes qu'à poudre, je fus convaincu que ce n'était qu'un simulacre. Quand les deux partis furent prêts et rangés en ordre de ba- taille, ce qui fut bientôt fait, ils commencèrent le combat. Les femmes chargeaient et déchargeaient leurs mousquets avec une ardeur vraiment guerrière, et semblaient prendre beaucoup de plaisir à cet exercice. Je ne doutais pas que dans une bataille réelle elles n'eussent montré autant de cou- rage et d'activité. Les hommes combattaient avec leurs lances et leurs patous. Dans la mêlée, ils se terrassaient les uns les PIECES JUSTIFICATIVES. 41 1 autres, et faisaient prisonniers de guerre ceux qu'ils pouvaient entraîner hors du champ de bataille. Quand ils se furent di- vertis quelque temps de eette manière, ils terminèrent le tout par une danse guerrière ; puis nous prîmes notre déjeuner. Le détachement qui parut dans le bois appartenait à Shouki- Anga , et était venu au congrès général. Déification d'un chef mort. M. Marsden poursuit ainsi : Nous prîmes congé de la famille de Shongui et allâmes voir l'Atoua , près de qui les lamentations continuaient. A notre arrivée, nous trouvâmes un chef mort assis dans tout son appareil. Ses cheveux avaient été arrangés suivant la coutume, ornés de plumes et d'une guirlande de feuilles vertes. Sa figure était propre et luisante, car on venait de la frotter d'huile, et elle avait conservé sa couleur naturelle. Nous ne pourrions dire si le corps s'y trouvait tout entier ou non ; car des nattes le couvraient jusqu'au menton. 11 avait l'as- pect d'un homme vivant, assis sur un siège. J'en avais vu un quelque temps auparavant, dont la tète avait été arrangée de la même manière , et le corps desséché et conservé aussi bien que la tête. Ce chef, au moment où il mourut, était un jeune homme âgé de trente ans environ. Sa mère, sa femme et ses enfans étaient assis devant lui, et à sa gauche les crânes et les os de ses ancêtres étaient rangés sur une ligne. Je m'in- formai du lieu où il était mort, et l'on me répondit qu'il avait été tué, quelques mois auparavant, dans une- bataille à la rivière Tamise. C'était de ce chef qu'on m'avait tant parlé le jour précé- dent sous le nom d'Atoua. Les Nouveaux-Zélandais semblent nourrir l'opinion que la divinité réside dans la tête d'un chef, car ils ont toujours la plus profonde vénération pour la tête. S'ils adorent quelque idole, c'est certainement la tête de leur 412 PIÈCES JUSTIFICATIVES. chef, autant du moins que j'ai pu me faire une idée de leur culte. Dans la circonstance actuelle, une foule de personnes étaient venues d'une grande distance pour consoler les parens en deuil et rendre leurs hommages aux restes du défunt. Ses parentes se déchirèrent, suivant leur coutume, jusqu'à ce que le sang coulât de leur visage , de leurs épaules et de leur gorge. Plus ils maltraitent leurs corps, plus ils pensent montrer leur amour pour les amis qu'ils ont perdus. Quand je leur disais que les Européens ne se déchiraient point ainsi pour leurs morts, mais qu'ils se contentaient de les pleurer, ils répli- quaient que les Européens n'aimaient point leurs amis comme le font les Nouveaux-Zélandais , qu'autrement ils feraient comme eux. Empressement des naturels à s'instruire. Pour preuve de cette disposition , M. Marsden raconte ce qu'il observa dans sa visite à Tae-Ame : Nous trouvâmes un jeune homme nommé Rahi , qui avait habité quelque temps chez moi à Parramatta, très-malade et sans espoir de rétablissement. Il venait de revenir sur le Drome- dary ; c'était un fort beau jeune homme, plein de santé à notre arrivée à la Nouvelle-Zélande : mais ce n'était plus mairftenant qu'un squelette. Il était attaqué de maux d'en- trailles, probablement occasionés par le changement de nour- riture et de' logement, et par la nécessité de reprendre ses anciennes habitudes. Trois des jeunes gens qui avaient vécu chez moi à Parramatta et qui étaient revenus par le Drumedary, sont morts ; deux d'en- tre eux étaient des garçons robustes et pleins de santé. Au mo- ment de sa mort , Rahi possédait trois nattes qu'il chargea son père de m'envoyer aussitôt qu'il ne serait plus ; je les reçus, PIECES JUSTIFICATIVES. 413 avec la nouvelle de sa fin , à la baie des Iles. Dans le cours de cette année, il est mort sept naturels qui habitaient chez moi quand elle a commencé : quatre à la Nouvelle-Galles du Sud , et trois à la Nouvelle-Zélande. Ces jeunes gens appar- tenaient aux premières familles de la haie des Iles. Quand j'ai conversé avec les parens de ces jeunes gens, j'ai été vivement frappé de la patience et de la résignation avec lesquelles quelques-uns d'eux supportaient leur malheur. Un deâtprincipaux chefs, ^ cnant d'apprendre que son fils était mort à Parramatta , se rendit à bord du Dromedary avec sa femme. Ils pleurèrent beaucoup. C'était leur fils unique et un beau jeune homme. Le père me pria de n'être pas inquiet à cet égard, remarquant que puisque son fils devait mourir, il était heureux que cela fût arrivé à Parramatta ; car il était sûr que dans sa maladie il n'avait manqué de rien de ce qui pouvait lui faire du bien. Sa femme dit qu'elle restait sans enfans; qu'ils avaient de grandes terres , mais point d'héritier ; et ils me prièrent de leur envoyer un de mes fils qu'ils adopteraient pour le leur et qui hériterait de leurs possessions. Tous deux désiraient ardemment que les os de leur fils fussent transpor- tés à la Nouvelle-Zélande , pour être déposés dans le tombeau de leur famille, et ils demandèrent que l'un d'eux eût la per- mission d'aller les chercher à la Nouvelle-Galles du Sud. La mort de ces jeunes gens semble avoir attaché plus que jamais les Nouveaux -Zélandais aux Européens , quoique je ne puisse en expliquer la raison. J'aurais pensé qu'il en serait plutôt résulté un effet contraire. Malgré la mort d'autant d'enfans de chefs, d'autres s'empressent d'envoyer leurs enfans à Port-Jackson. Quand je leur ai dit que je craignais de leur accorder cette permission de peur de les voir péjrir, ils m'ont répliqué qu'ils consentaient à courir le risque de voir mourir leurs fils , pourvu seulement que je leur permisse d'y aller. Koro-Koro , frère de Touai , a un très-beau garçon d'environ huit ans, qu'il me suppliait avec instance d'emmener à Port- Jackson. Quand je lui fis observer que j'avais peur de le perdre, 414 PIECES JUSTIFICATIVES. attendu que l'enfant mourrait probablement, il répondit : « Je prierai pour mon fils dans son absence comme je faisais pour Touai ; alors il ne mourra point. » Quoique les Zélandais n'aient point d'idée d'un Dieu de miséricorde tel que nous le représente la révélation divine, pourtant ils sont fermement persuadés qu'ils peuvent apaiser la colère de leur Dieu pat- leurs prières. Effets destructeurs des superstitions des naturels. Dans sa première visite à la Tamise , M. Marsden écrit à cette occasion : Nous visitâmes plusieurs anses où quelques habitans avaient récemment leur domicile, mais nous n'en vîmes pas un seul. Leurs pas étaient tous en ruines, et ils venaient d'être brûlés ou détruits. Nous vîmes quelques restes de ceux qui avaient été tués. Touai me montra du doigt la plage qui , quelques mois seulement auparavant, disait-il, était couverte de corps morts, comme la boutique d'un boucher. Cette tribu avait été entièrement détruite, à l'exception de deux ou trois individus qui avaient eu le bonheur de s'échapper. J'appris que c'était Koro-Koro qui avait dirigé cette guerre d'extermination. Le prétexte fut qu'un proche parent de Koro-Koro avait été empoisonné dans une visite qu'il avait faite à la rivière Ta- mise. C'était le fils de Kaïpo, mieux connu des Européens qui visitent la baie des Iles , sous le nom du Vieux Benny. Le jeune homme ne mourut point à la Tamise, mais il y fut pris de mal. Touai fut envoyé de la baie des Iles pour le ra- mener, et il mourut dans la pirogue avant d'atteindre sa mai- son, Kaïpo sacriha ensuite plusieurs personnes en son hon- neur; puis la guerre commença contre la tribu soupçonnée sur les bords de la Tamise. Ces gens se croient obligés, par suite de leurs préjugés, de PIECES JUSTIFICATIVES. 415 venger la mort de leurs parens, soit qu'ils aient succombé dans le combat, soit qu'ils imaginent qu'ils ont péri par le poison ou par un enchantement. M. Marsden dit du chef Tepouhi : Il m'annonça qu'il était dans une grande inquiétude; les chefs de la côle occidentale de la Tamise, distinguée sous le nom de tribu de Houpa, lui avaient dernièrement fait la guerre, et avaient tué plusieurs de ses guerriers, parmi les- quels se trouvait son frère ; il s'attendait à les voir sous peu renouveler leur attaque. La plupart de ses cochons avaient, disait-il, été tués et ses patates détruites; et lui-même et son peuple étaient réduits à la dernière extrémité. Je lui té- moignai l'intérêt que je prenais à ses malheurs , et je fus vrai- ment peiné de voir la triste position où il se trouvait, ainsi que sa tribu. Je lui promis de voir les chefs de la côte occi- dentale, et d'user de mon influence sur eux pour les amener à une réconciliation. Il me fit observer qu'ils étaient trop puis- sans pour lui, attendu que leurs amis de la baie des Iles leur fournissaient des armes et des munitions; qu'il n'était pas ca- pable de leur résister, et qu'il croyait que leur résolution était de le dépouiller et de le chasser de ses terres, attendu que rien autre chose ne pourrait les contenter. Pâ de Tepouhi sur la rivière Tamise. Ce pâest situé à l'embouchure d'une rivière d'eau douce, sur une belle éminence qui, des deux côtés, domine le cours de la Tamise. La vue y est très-étendue. Il y a une grande plaine occupée par de bonnes terres de chaque côté et en arrière du pâ , qui serait très-propre à la culture du blé. Une crique d'eau salée , d'environ cent verges , s'étend depuis la grande rivière jusque derrière le pâ , où elle se termine par un ruisseau d'eau 416 PIÈCES JUSTIFICATIVES. douce ; la crique était navigable pour de petites barques à l'en- droit où je la traversai. Une bataille eut lieu quelques mois auparavant sur ses bords, et un cbef y fut tué d'un coup de fusil. Les naturels me montrèrent la place où il se trouvait, et le buisson derrière lequel l'ennemi s'était cacbé quand il fut tué. Lorsque nous arrivâmes au pâ, il était trop tard pour pousser jusqu'à la Tamise. Après avoir pris quelques rafraîchis- semens, le soir je me procurai une pirogue, et je remontai le ruisseau d'eau douce qui coule entre quelques collines élevées. En certaines occasions, ce torrent roule dans la crique un volume d'eau considérable. La terre , sur ses bords , est très- ricbe, et pourrait être facilement labourée avec la charrue. Dans la vallée qu'il traverse, je rencontrai une foule de natu- rels qui revenaient du travail , et avec lesquels je rentrai dans le pâ. Il s'y trouvait alors un frère de Tepoubi et plusieurs autres cbefs; Tepoubi était absent. Je passai la nuit à converser avec eux sur les funestes suites de la guerre , et les avantages d'un gouvernement civil, de l'agriculture et du commerce. Le frère de Tepoubi semblait être un bomme très-doux et très-intelli- gent; il témoigna combien il blâmait la conduite de plusieurs des chefs qui étaient toujours occupés à combattre et à rava- ger les habitans. Temarangai m'apprit que ce chef n'allait ja- mais à la guerre, tant elle lui déplaisait. La nature et l'art se sont réunis pour faire de ce pâ une place très-forte. Elle est encore protégée par des fossés très- profonds et par une haute palissade en bois fendu. Dans la manière habituelle aux sauvages de faire la guerre , cette place eût pu défier les efforts de quiconque eût voulu l'atta- quer; mais elle cesse d'offrir une défense assurée contre un ennemi armé de mousquets. Les habitans me montrèrent les endroits où les balles avaient frappé leurs cabanes, et ils dé- claraient qu'il leur était impossible, avec leurs lances, de ré- sister à l'effet des armes à feu . Si le gouvernement britannique voulait jamais former un PIÈCES JUSTIFICATIVES. m établissement à la rivière Tamise, le terrain sur lequel ce pu est situé serait, à mon avis, le meilleur point à choisir de tous ceux que j'ai vus. Il possède plusieurs avantages locaux fort importans. On le rendrait facilement imprenable. Il com- mande l'entrée de la rivière d'eau douce , une grande étendue d'excellente terre à cultiver l'environne , et l'on s'y procurerait facilement du bois de construction. Bien que les navires ne puissent remonter jusque-là, cette station est ce- pendant plus à portée du havre où les vaisseaux peuvent mouil- ler en toute sûreté, que tout autre point. De petits navires de cent à cent cinquante tonneaux pourraient même entrer dans la rivière, et venir mouiller en face de cette place. Pâ de rarihi ou chef principal , à la rivière Tamise. Celte place, qui porte le nom de Houpa, est située à la jonc- tion de deux rivières d'eau douce, dont les courans réunis forment la Tamise. Sur une pointe de terre que les deux riviè- res environnent presque entièrement , s'élève le pâ du chef principal ouariki, comme l'appellent les naturels. Le pâ était rempli de monde qui nous accueillit sur le rivage avec de grandes acclamations, et nous conduisit à l'ariki qui était assis au milieu de sa famille. C'était un homme âgé de soixante- dix ans, suivant toute apparence, bien fait et d'une grande force musculaire. Sa mère était encore vivante, avec trois générations après elle. Les maisons des naturels étaient beaucoup plus grandes et mieux bâties qu'aucune de celles que j'avais vues à la Nouvelle-Zélande. L'ariki en fit préparer une pour nous loger, ainsi qu'une cinquantaine de naturels qui nous avaient aidé à remonter la rivière. Le jour suivant était un dimanche ; nous restâmes dans le pâ et je passai une bonne partie de cette journée à converser avec les naturels sur les œuvres de la création — Tema- rangai me servait d'interprète. tome m. 27 418 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Un chef blessé. Dans la première visite que fit M. Marsden à Kaï-Para , il écrit : Nous trouvâmes le père du chef couché sous un abri ; il était hors d'état de se lever , par suite d'un coup de lance qu'il avait reçu long-temps auparavant. Kouhou et deux autres qui nous accompagnaient versèrent beaucoup de larmes et firent de grandes lamentations sur lui. La place où il était couché et même le terrain à quelque distance de son abri étaient taboues. Sa femme et une jolie petite fille étaient dévouées à lui donner leurs soins. On ne permit de fouler ce sol sacré à personne autre qu'à moi et à M. Ewels qui m'avait accompagné depuis mon départ du Coromandel . Nous nous assîmes par terre près de ce malheureux guerrier. Il me montra sa cuisse : la chair en était gangrenée, et il ne pouvait plus la remuer. Nous lui don- nâmes un peu de thé qu'il aimait beaucoup. Les naturels sem- blaient tous prendre beaucoup de part à ses douleurs. Nous passâmes la soirée à converser sur les affreuses cala- mités de la guerre , les avantages de l'agriculture et du com- merce , objets sur lesquels ils paraissaient vivement désirer de s'instruire. Kouhou montrait une grande aversion pour la guerre, improuvait la conduite de plusieurs de ses compa- triotes, et racontait comment le peuple de Kaï-Para avait été ravagé et maltraité par la guerre ; qu'ils avaient combattu plu- sieurs années contre les Ngapouïs et les tribus de la baie des Iles; et qu'en ce moment même les Ngapouïs étaient encore sur le district de Kaï-Para égorgeant et pillant ses habitans. Je déplorai ces calamités publiques, et leur témoignai l'espoir que, quand un plus grand nombre d'Européens résideraient parmi eux, ils mettraient un terme à leurs disputes continuelles. Le lendemain matin , M. Ewels et moi nous nous dirigeâmes vers les montagnes de sable , accompagnés d'un des chefs, afin PIECES JUSTIFICATIVES. 419 d'avoir une vue de l'Océan occidental et de ses rivages. Nous passâmes par un pâ situé sur un terrain très-fortifié , mais le chef nous dit qu'ils ne pouvaient plus le protéger contre leurs ennemis, depuis que les armes à feu avaient été introduites à "a Nouvelle-Zélande; il nous montra l'endroit d'où les ennemis avaient fait feu sur eux dans le pà, et fit l'observation que la distance était trop grande pour faire usage de leurs lances. Les dunes de sable sont très-élevées , et de leurs cimes on jouit d'une vue très-étendue vers la mer et vers l'intérieur. On n'y rencontre aucune végétation, et le sable s'y joue au gré des vents qui l'agitent ; ces dunes ont plusieurs milles de large et s'étendent le long de la côte à droite et à gauebe , au-delà des limites que l'œil peut atteindre. Nous retournâmes ensuite au village. A notre arrivée, nous trouvâmes que Koubou et les deux jeunes gens qui avaient fait tant de lamentations amères sur le cbef blessé , la veille au soir, s'étaient déchirés jusqu'à ce que leurs visages fussent couverts de sang, et avaient renouvelé leurs gémissemens douloureux. Koubou me supplia de prier notre Dieu pour le pauvre mal- heureux souffrant; je promis de le faire, et leur dis qu'il n'y avait qu'un seul Dieu , et que notre Dieu était aussi le leur. Je me rendis sous l'abri du malade et m'agenouillai près de lui. Il se traîna sur ses mains et s'étendit à mes côtés; ayant décou- vert sa cuisse et posé sa main sur la partie souffrante , il me regarda d'un œil plein d'espoir, comme s'il pensait que je pouvais le guérir. Sa conduite me rappela celle de Naaman. ( Missionnary Registcr, septembre 18^2, page38y et suivantes. ) SDITE DU JOURNAL DE M. MARSDEN , DANS SON TROISIEME VOVAGE A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. 19 juillet. Nous nous levâmes de très-bon matin et nous préparâmes pour notre voyage. Nous avions à marcher assez 27' 420 PIÈCES JUSTIFICATIVES. long-temps avant de pouvoir nousprocurer une bonne pirogue. Nous traversâmes deux villages : e'était au troisième que nous devions nous embarquer. Tandis que l'équipage de la pirogue travaillait a la lancer et à tout préparer pour le départ, les habitans du village s'assem- blèrent autour de nous, et parmi eux se trouvait un vieux prêtre très-considéré ; ce prêtre eut avec mon ami Temarangai une conversation très-intime , qui dura quelque temps ; celui- ci y prêta toute son attention et parut à la fin très-agité. Je lui demandai de quoi il s'agissait. Il m'apprit que le prêtre lui avait annoncé qu'il avait vu son esprit dans la nuit, qu'il avait eu aussi une entrevue avec l'Atoua , que celui-ci l'avait averti que si Temarangai m'accompagnait à la baie Mercure , il mourrait sous peu de jours , car il avait tué deux chefs la der- nière fois qu'il y était allé , et le Dieu de la baie Mercure le tuerait maintenant , s'il y retournait; c'est pourquoi le prêtre lui recommandait de renoncer à ce voyage. Temarangai me parla alors de son expédition contre la baie Mercure , dont il revenait le matin même où M. Kendall fit voile pour l'An- gleterre. Les prisonniers de guerre et les têtes de chefs que j'avais vus à Rangui-Hou ce même jour avaient été amenés de la baie Mercure. Par ce récit, je conçus qu'il pouvait y avoir quelque dan- ger pour Temarangai à m'accompagner, attendu que le peuple de ce district pourrait profiter de sa position et le faire périr. C'est pourquoi je lui demandai s'il ne craignait pas que le peuple de la baie Mercure ne le tuât et ne le mangeât, s'il y allait avec moi. Il répliqua qu'il ne craignait pas du tout les habitans, qu'ils n'abuseraient point de leur avantage; mais qu'il redoutait que leur Dieu ne le fît mourir, d'après ce que le prêtre lui avait dit. Je répondis que s'il ne craignait que leur Dieu et non pas d'être tué et dévoré par les habitans, je veil- lerais à ce que ce Dieu ne lui fît point de mal : car le Dieu qui serait avec nous serait le vrai Dieu et il prendrait soin de nous deux. Sur cette garantie, Temarangai dit qu'il oserait courir PIÈCES JUSTIFICATIVES. 421 les risques du voyage. Quoique son esprit se soit bien éclairé et qu'il reconnaisse l'absurdité de plusieurs des coutumes superstitieuses de ses compatriotes, pourtant j'ai eu souvent l'occasion d'observer que sessentimens retenaient encore l'em- preinte de ses anciennes superstitions, toutes les fois qu'une circonstance importante venait les rappeler dans son imagina- tion. Quand j'ai voulu raisonner avec lui et lui représenter combien étaient insensées et absurdes ses craintes relativement au mal que l'Atoua pouvait lui faire ou à ses amis, il répondait qu'il me convenait très-bien de parler ainsi , à moi dont le Dieu était bon , et sur qui l'Atoua de la Nouvelle-Zélande n'avait aucun pouvoir; mais que lui et ses concitoyens se trou- vaient dans une position très-différente ; que leur Dieu était toujours irrité, et que dans sa colère il pourrait leur dévorer les entrailles. Lorsque Temarangai eut en partie surmonté ses craintes, nous embarquâmes pour Houpa, avec une forte marée pour nous. Les hommes pagayèrent avec vigueur toute la journée; nous remontâmes la rivière très-agréablement, et nous ne nous arrêtâmes que vers le soir, où nous descendîmes sur le rivage pour quelques instans. Nous allumâmes du feu et arrangeâmes un panier de patates à la façon des naturels, nous n'avions pas les moyens de faire cuire autre chose : ma chaudière ayant été oubliée par mégarde au moment du départ, je n'avais qu'un petit pot d'étain pour subvenir à tous mes besoins. Aussitôt que nous eûmes pris quelques rafraîchissemens, nous conti- nuâmes à remonter la rivière jusqu'au point du jour , où nous arrivâmes devant un petit village. La nuit fut sombre et froide, avec un peu de pluie. Nous nous arrêtâmes au village, quel- ques hommes descendirent à terre et appelèrent les habitans qui allumèrent un feu; puis nous débarquâmes et primes notre résidence dans une de leurs huttes. Je conjecturais que j'étak sur les bords de la rivière. 20 juillet. Lorsque le jour parut, je fus étonné de me trouver sur les bords d'une crique, où étaient deux petits villages. Le 422 PIECES JUSTIFICATIVES. chef de l'endroit était un très-beau jeune homme de seize ans environ. Son nom était Wao , et son père , à ce qu'il m'apprit, avait été tué dans la bataille. Tout le terrain autour de nous était d'une excellente qualité, et les naturels le préparaient pour les prochaines plantations. Je communiquai à Wao mes projets de voyage , et il dit qu'il voulait m'accompagner. Il nous fit présent de quantité de belles patates et d'un beau cochon. Je visitai le pâ de son père défunt, qui n'est plus maintenant habité; c'a été une place considérable et fortifiée : j'y observai plusieurs tombeaux; quelques-uns s'élevaient au-dessus du sol, ornés de peintures, de sculptures et de plumes. Nous déjeunâmes dans ce village ; nous tuâmes notre cochon, et le fîmes rôtir tout entier pour notre voyage. Les habitans du village furent très-satisfaits de notre visite, et je leur fis à tous de petits cadeaux d'hameçons. La femme principale du village avait une petite maison d'une verge en carré environ, très- proprement bâtie , peinte et ornée de plumes , dans laquelle elle déposait la nourriture sacrée pour son dieu ; celui-ci était debout sur un poteau près de la cabane. Là nous rencontrâmes un chef de la baie Mercure, nommé Toua-Roro. Je lui de- mandai combien il nous faudrait de temps pour aller à cette baie; il répondit : « Deux jours, » et ajouta qu'il nous servi- rait de guide. Après déjeuner, nous quittâmes le village, et en une heure environ nous atteignîmes au -dessus de Houpa les bords d'une des principales branches de la Tamise , appelée le Manane. A quatre milles environ plus haut, se trouve un pâ sur une très- haute colline rocailleuse, nommé Tepoua-Rahi : il domine une grande étendue de la Tamise , avec ses forêts et ses immenses plaines, aussi bien que les montagnes de l'arrière. Ce fut jadis une place forte, et elle est encore habitée. Nous traversâmes le Manane à gué, au pied de la colline; l'eau nous montait à la poitrine, et le courant était très -rapide. Quatre Nouveaux- Zélandais me portaient sur leurs épaules en toute sûreté ; ils PIECES JUSTIFICATIVES. 123 suât si accoutumés à l'eau , que les rivières et les marais ne leur présentent aucune difficulté. J'avais avec moi quatorze chefs cl leurs serviteurs; de sorte que je ne craignais de rencontrer aucune espèce d'obstacle à mon chemin, que je ne pusse facilement surmonter avec leur assistance. Le pays commença à devenir très-montucux et couvert de grands arbres, dont quelques-uns formaient des espars d'une hauteur et d'une beauté singulières. Les bois s'étendaient au- delà de la portée de l'œil, à droite et à gauche de notre route. Le cours du Manane suit un ravin profond dans la montagne , au pied de quelques pitons coniques très-élevés. Il nous fallut traverser trois fois son lit à gué. Notre route au travers du bois suivait précisément la crête de la montagne. Le bois peut avoir trois milles de large à l'endroit où. nous le traversâmes; quant à sa longueur, je ne puis m'en former une juste idée, attendu que je n'en pouvais apercevoir la lin , même lorsque j'eus at- teint la terre haute et découverte du côté opposé. De ce point, comme le pays est entièrement dégagé au-delà du bois , les hauteurs qui entourent la baie Mercure se décou- vrent aisément. Elles paraissent être à seize milles de distance environ , situées sur les contours d'une plaine intermédiaire qui , en général , est passablement unie , couverte de fougères , et complètement dépourvue de bois. Dans cette plaine, il y a au pied des hauteurs qui dominent la baie Mercure quantité de sources naturelles dont les eaux réunies forment le Ma- nane. Les naturels m'apprirent que les espars, dans le bois immense opposé à la plaine qui conduit à la baie Mercure, pourraient être transportés par le Manane dans la Tamise. Mais comme je n'eus pas l'occasion de vérifier ce fait , je ne puis rien dire à cet égard. Le bois de construction est de bonne qualité, s'il est facile à faire. La journée était fort avancée quand nous atteignîmes la plaine. Nous marchâmes jusqu'à ce que le soleil fût couché : alors nous nous arrêtâmes et nous nous préparâmes à passer la 424 PIECES JUSTIFICATIVES. nuit. Les esclaves qui portaient les provisions étaient très-fati- gués. Il n'y avait point de cabanes dans la plaine, ni aucunes habitations. Nous fûmes en conséquence obligés de prendre notre logement en plein air. J'étais très-harassé , n'ayant point reposé de la nuit précédente, et venant de faire une longue journée de marche ; si bien qu'en ce moment je ne trouvais rien de plus désirable que de me reposer sur un monceau de fou- gère, ou de quelque manière que ce pût être. il juillet. Nous nous levâmes au point du jour, et nous nous remîmes aussitôt en route. Je me sentis bien remis par l'utile repos que je venais de prendre durant la nuit. Nous marchâmes environ deux heures; puis nous nous assîmes, nous fîmes du feu, et préparâmes notre déjeuner. La journée fut très- favo- rable , et la marche dans la plaine agréable ; car la route était généralement bonne , à l'exception de quelques petits marais occasionés par quelques sources. Le sol de cette plaine est, en majeure partie , très-propre à la culture, et recevrait faci- lement la charrue. Après que nous eûmes marché quelques milles , nous aper- çûmes cinq jeunes femmes qui venaient au travers de la plaine. Aussitôt qu'elles nous découvrirent, elles furent alarmées et prirent la fuite. Un des nôtres courut après elles et les rattrapa. Alors elles s'arrêtèrent pour nous attendre : elles nous appri- rent que Nene, l'un des principaux chefs, était parti pour une expédition guerrière vers le sud ; mais que sa femme était chez elle, ainsi que Warou, chef contre lequel Temarangai s'était trouvé en guerre au commencement de cette année. Après avoir répondu à nos questions, ces femmes coururent en avant, afin de prévenir les habitans de notre arrivée. Quand nous eûmes atteint les hauteurs qui dominent la baie Mercure, située à un mille au-dessous, je m'assis par terre sur la cime d'une des plus hautes sommités , afin de prendre une vue de l'Océan, des îles et de la grande terre. La perspective est très-étendue. J'observai une île au large, éloignée d'une quinzaine de lieues au plus du continent , d'où s'élevaient PIÈCES JUSTIFICATIVES. 425 d'immenses colonnes de fumée. Je priai Temarangai de me donner quelques détails à l'égard des îles el des montagnes de la côte et de l'intérieur qu'il connaissait parfaitement. Il satis- fit à mes questions, puis il me fit le récit de sa dernière visite à la baie Mercure. S'étant assis lui-même à côté de moi, il commença par me raconter que la dernière fois qu'il vint à la baie Mercure, ce fut pour une expédition militaire, dont il expliqua les motifs de la manière suivante : Quelques années auparavant une de ses nièces fut enlevée de Bream-Head par un brick de Port- Jackson , et ensuite vendue à un chef de la baie Mercure, nommé Shoukori , qui y réside encore , et elle devint son es- clave. Shoukori, et un autre chef nommé Ware, eurent que- relle entre eux; par suite, sa nièce fut tuée par Warou, ou quelqu'un de sa tribu , rôtie et mangée. Quelque temps après, Temarangai fut instruit du sort de sa nièce; et il se sentit obligé de venger sa mort, tant pour l'honneur de sa tribu que par un sentiment de justice pour la mémoire de sa parente , aussitôt qu'il se sentirait en état de demander satisfaction à Warou. Environ seize années s'écoulèrent , avant qu'il se sentît assez fort pour déclarer la guerre à ce chef. Une sœur de Te- marangai avait été enlevée par le même vaisseau à la baie des Iles, et avait eu la même destinée vers le sud; il avait déjà vengé sa mort. En janvier dernier 1820 , il passa la revue de ses forces qui consistaient en six cents hommes : deux cents de sa propre tribu , deux cents de la baie des Iles, et deux cents de Bream-Head; ces quatre cents derniers étaient auxiliaires. Avec cette troupe, il marcha sur la baie Mercure, et aborda sur une île située à son embouchure. Warou vint dans sa pi- rogue pour savoir ce qui l'amenait dans la baie Mercure. Te- marangai répliqua que Warou avait tué, rôti et mangé sa nièce , qu'il était venu pour lui demander satisfaction de cette insulte, et qu'il désirait savoir quelle espèce de satisfaction il était prêt à lui donner. Warou répondit en ces termes : « Si c'est là l'objet de votre expédition , la seule satisfaction que je 426 PIÈGES JUSTIFICATIVES. sois disposé à vous donner, sera de vous tuer, de vous rôtir et de vous manger vous-même. » Temarangai trouva ce langage le plus grossier et le plus insultant du monde ; il en fut très- offensé, et répliqua que puisque telle était la résolution de Warou, leur dispute serait vidée par un appel aux armes. Warou répondit qu'il était prêt à combattre ce jour-là même. Temarangai remarqua qu'il ne voulait pas combattre ce jour même, mais que le lendemain il irait au-devant de lui. Wa- rou y consentit, et Temarangai me montra du doigt le terrain qu'ils avaient choisi pour leur rencontre. C'était un espace uni, vis-à-vis l'endroit où mouilla jadis le capitaine Cook. Le jour suivant, les deux partis se trouvèrent au lieu et à l'heure fixés. Quand ils eurent déployé leurs forces , Temarangai donna ordre à ses hommes de ne faire feu qu'au moment où il en don- nerait le signal. Il avait trente-cinq mousquets, tandis que Wa- rou ne comptait que sur ses lances et ses patous. Warou fit sa première charge avec une volée de lances, et Temarangai eut un officier blessé. Alors il ordonna aux siens de faire feu : vingt des hommes de Warou tombèrent roides morts à la première décharge, et parmi eux étaient deux chefs, l'un nommé Nou- kou-Panga, père de Warou, et l'autre Hopo-Nikou. Au mo- ment où ces deux chefs tombèrent, les hommes de Warou se débandèrent, et s'enfuirent du champ de bataille. Temarangai commanda aussitôt à ses hommes de faire halte , et de ne pas poursuivre l'ennemi qui s'enfuyait. Il était content du sacrifice qui avait eu lieu, attendu que deux chefs avaient été tués; et il ne voulut pas verser plus de sang. Les alliés furent méeon- tens de sa douceur; un conseil de guerre fut convoqué par les chefs , et ils censurèrent la conduite de Temarangai , pour n'a- voir pas profité de l'avantage qu'il avait remporté. Us préten- daient que si Temarangai se contentait de la mort des deux chefs pour la mort de sa nièce, néanmoins Warou devait être châtié pour le langage insolent qu'il avait tenu à leur première entrevue , quand il avait dit qu'il voulait tuer, rôtir et manger Temarangai; langage tel, qu'un chef ne doit jamais l'employer PIECES JUSTIFICATIVES. 427 en parlant à un autre chef; et ils demandèrent que l'attnque lut immédiatement renouvelée. Temarangai désira d'abord connaître les dispositions de Warou ; son père ayant été tué, il pensait qu'il en viendrait facilement à des conditions de paix. C'est pourquoi il sortit du camp, pour aller à la recherche de Warou qui s'était enfui avec ses guerriers. Temarangai tomba sur la femme et les enfans de Warou et sur quelques-uns de ses amis , au nombre de trente ; il les conduisit dans son camp , sous l'assurance de leur sûreté personnelle. Il de- manda où étaient leurs provisions de patates; et la femme de Warou les lui ayant indiquées, il s'y rendit avec ses hommes pour s'en procurer. Temarangai voulut savoir de la femme et des amis de Warou s'il était disposé à faire la paix ; on lui répondit qu'il ne l'était pas. Le jour suivant, tandis que les chefs étaient occupés à délibérer ensemble dans le camp , ils s'aperçurent que Warou avait rallié ses forces, et descendait à leur rencontre. Aussitôt ils coururent à leurs armes ; en très- peu de temps ils tuèrent un grand nombre d'ennemis avec leurs mousquets, les mirent en déroute, et les poursuivirent dans leur fuite. Plusieurs se précipitèrent à la mer et y périrent; quatre cents environ restèrent morts sur le champ de bataille, et deux cent soixante furent faits prisonniers; deux cents échurent en partage aux chefs de la baie des Iles, et nous les vîmes débarquer à Rangui-Hou le 2 mars : soixante demeurè- rent au pouvoir des chefs de Bream-Head. Warou fut alors complètement vaincu, et s'en alla dans les bois avec le peu d'hommes qu'il avait sauvés. Quand la bataille fut terminée, Temarangai alla à la recherche de Warou , et l'ayant à la fin trouvé , la conversation s'engagea entre eux. Temarangai lui demanda s'il voulait se soumettre , et lui rappela le langage in- solent qu'il avait tenu à leur première entrevue. Warou re- connut qu'il était vaincu ; il dit qu'il n'avait pas d'idée que les mousquets pussent produire de pareils effets , et qu'il les avait jusqu'à présent méprisés comme instruments de guerre ; mais il avoua qu'il lui était impossible de leur résister, et qu'en consé- 428 PIECES JUSTIFICATIVES. quence il se soumettait. Il demanda à Temarangai s'il pouvait lui donner quelques nouvelles de sa femme et de ses enfans. Celui-ci lui apprit qu'ils étaient dans le camp , et que s'il vou- lait l'accompagner, ils seraient remis sains et saufs entre ses mains. Warou témoigna à Temarangai sa reconnaissance de ce qu'il avait épargné leurs vies , et l'accompagna au camp , où sa femme et ses enfans lui furent aussitôt remis. Il fit observer que la mort de son père l'avait rendu fort malheureux , et supplia Te- marangai de lui donner quelque chose en dédommagement de cette perte. Temarangai lui donna un mousquet qui le satisfit , et les autres chefs lui firent quelques présens. Ensuite Warou retourna chez lui avec sa femme, ses enfans et ses amis qui avaient été en sûreté sous la parole d'honneur de Temarangai. Celui-ci m'apprit que les vainqueurs restèrent trois jours sur le champ de bataille , vivant de la chair de ceux qui avaient été tués , et firent ensuite voile avec leurs prisonniers et les pi- rogues de Warou , pour la baie des Iles , où ils arrivèrent trois jours après le Dromedary. Quand j'eus pris note du récit de Temarangai , il me de- manda si je comptais l'envoyer en Angleterre. Je lui dis que je le ferais. Il témoigna la crainte que quand ces choses se- raient publiquement connues en Europe , il ne fût mis à mort lorsqu'il irait par la suite sur un navire anglais. Je lui assurai que la coutume de manger la chair humaine était condamnée par toutes les nations, et que, sous ce rapport, les Zélandais étaient redoutés partout ; mais en même temps que les Euro- péens ne le tueraient point à cause de cette coutume. Il con- vint qu'elle était très-mauvaise, mais il ajouta qu'elle avait été de tout temps pratiquée à la Nouvelle-Zélande. On me permettra de remarquer ici que je notai les particula- rités de cette affaire , tandis que j'étais assis sur la hauteur , et qu'à mon retour sur le Coromandel, je revis mes notes, avec Temarangai à mes côtés, afin de rapporter les faits, d'après ses propres expressions , aussi correctement qu'il m'était pos- sible. PIECES JUSTIFICATIVES. 429 Quand nous eûmes fini cette intéressante conversation, nous descendîmes de la colline au village; nous visitâmes d'abord la résidence du chef principal , Nene , dont la femme nous fit un accueil cordial ; elle destina une de ses meilleures cabanes à notre usage , et une natte neuve pour me servir de lit. Une grande abondance de provisions fut aussitôt préparée pour toute notre bande, et nous passâmes le reste de la soirée fort agréablement. La plupart des habitans vinrent nous voir. Il y avait un grand nombre de femmes et d'enfans, mais beau- coup d'hommes étaient à la guerre. Je fis mettre tous les enfans sur une file, et leur donnai à chacun un hameçon , qu'ils re- çurent comme un grand cadeau. Je fis à la femme de Nene un présent de quelques outils pour son mari lorsqu'il revien- drait de la guerre. Aucun navire , à ma connaissance , n'a visité la baie Mer- cure depuis le capitaine Cook. Il y avait là un vieux chef que je vis et qui se rappelait fort bien le passage de ce naviga- teur. Les naturels manquent d'outils de toute espèce , ne recevant jamais la visite des Européens. On pourrait s'y pro- curer des provisions pour les navires, car il y a quantité de patates et de porcs. Nous demandâmes à la femme de Nene des nouvelles de Warou. Elle nous apprit qu'il était parti pour la guerre , mais que son frère Ware était chez lui. Ces deux chefs étaient les adversaires de mon ami Temarangai; il m'engagea alors à voir Ware et à opérer entre eux une réconciliation définitive. Il ne l'avait pas vu depuis le jour du combat. Je lui promis de rendre visite à Ware le lendemain matin , et de voir ce qu'il dirait; ce qui parut apaiser l'esprit de Temarangai. Je lui demandai s'il ne craignait pas que Ware ne se prévalût de son avantage , maintenant qu'il était seul. Il répondit qu'il n'en avait pas de crainte ; mais qu'il désirait avoir une occasion de parler de leurs querelles passées , et qu'il pensait que si je parlais à Ware, il serait aisé d'effectuer une réconciliation. 22 juillet. Ce matin de bonne heure, nous eûmes une quan- 430 PIÈCES JUSTIFICATIVES. tité de visites. Ware vint en grand costume avec une troupe de ses amis. Ils s'assirent par terre en cercle et suivant leur rang". Tous étaient étrangers pour moi. Temarangai vint me dire à l'oreille, en me le montrant du doigt, que Ware était arrivé. C'était un homme très-vigoureux et bien fait; il était richement vêtu, suivant la coutume de son pays, et ses cheveux étaient proprement noués au sommet de la tête. Il avait à la main un patou-patou de six pieds de long environ et fait avec un os de mâchoire de baleine. Tema- rangai me pria de le prendre par le bras, de m'avancer avec lui vers Ware, et de lui faire part de ses désirs. Sur-le-champ je m'empressai de le satisfaire. Je dis à Ware que j'avais sou- haité le voir pour lui exprimer, en mon nom et en celui de Temarangai , le désir que nous avions qu'une amitié réci- proque pût à l'avenir subsister entre eux, et que j'espérais qu'il était également disposé à une réconciliation. Il répondit qu'il désirait vivement se trouver avec Temarangai sur le pied de paix. Ils traitèrent ensuite en public de cette affaire; il fut décidément arrêté que Ware enverrait une personne de dis- tinction résider avec Temarangai, et que de son côté celui-ci enverrait un des siens habiter avec Ware. Alors Ware se leva et prononça un discours, pour annoncer à son peuple qu'il n'existait plus aucun démêlé entre les deux chefs, et que dé- sormais ils devaient vivre sur le pied d'amis. Ware m'offrit son patou-patou que j'ai envoyé au muséum de la société , par lea capitaine Downie du Coromandel. Temarangai parut lui- même très-content des observations que fit Ware dans son discours, et l'un et l'autre semblèrent enchantés de ce qui venait de se passer. Je fis à Ware présent de quelques outils , et l'invitai à venir voir le Coromandel. Il s'excusa en disant que sa femme était près d'accoucher, et qu'il ne voulait point s'absenter de chez lui de peur d'accident; mais qu'aussitôt qu'elle serait délivrée, il viendrait. Il ajouta que c'était aussi son intention de rendre une visite à Temarangai dans deux ou trois mois. Je dis à PIECES JUSTIFICATIVES. 431 Ware que puisqu'il avait un si grand besoin d'outils, il de- vrait employer ses gens à faire des nattes, et les envoyer a Temarangai qui me les ferait passer; qu'alors je les achèterais et leur enverrais quelques outils en fer. Tous approuvèrent cette proposition , et Temarangai promit d'être leur agent à la baie des Iles. Je désirais beaucoup rester deux jours avec ce peuple ami- cal ; mais avant le milieu du jour, la nature du vent com- mença à annoncer de la pluie. Je craignais que, s'il en tom- bait beaucoup , il ne me devînt impossible de repasser la rivière Manane. En conséquence, je voulus m'en retour- ner sans délai, et communiquai mon intention aux naturels. Ils me pressèrent fort de rester quelques jours avec eux ; mais comme ils convinrent que je ne pourrais plus repasser la ri- vière, s'il tombait beaucoup d'eau, cette considération les fit céder à mes désirs. Aussitôt ils nous fournirent plus de provi- sions que nous ne pouvions en consommer. La femme de Nene désigna deux de ses esclaves pour aider à porter ce que les nôtres ne pouvaient prendre, et nous prîmes congé. Ils nous accompagnèrent jusqu'à la hauteur en chantant et en dansant. La nous rencontrâmes un chef et sa femme appartenant à Tepoua-Rahi (le pâ dont nous avons déjà parlé), qui nous accompagnèrent dans notre retour. Nous atteignîmes avant la fin du jour l'endroit où nous avions déjà campé, et nous y passâmes la nuit , après avoir dressé un abri de broussailles et de fougères, pour nous préserver de la pluie qui commençait à tomber. 23 juillet. Aussitôt que le jour revint, nous nous prépa- râmes à partir. La femme du chef de Tepoua-Rahi et son es- clave avaient disparu : ayant demandé ce qu'elles étaient de- venues, on m'apprit qu'elles étaient reparties de très-bon matin , pour préparer notre repas au pâ , où le chef nous invi- tait à dîner à notre passage. Nous y arrivâmes à deux heures environ , et trouvâmes que notre hôtesse s'était procuré une 432 PIÈCES JUSTIFICATIVES. quantité de provisions pour nous traiter, et avait rassemblé ses esclaves pour nous servir. Je remarquai sur ce pâ plu- sieurs tombeaux peints, sculptés et ornés de plumes. Quel- ques-uns avaient coûté beaucoup de travail. L'un d'eux, qui était situé près de l'endroit où nous dînions, attira mon atten- tion. Je demandai à qui il était, et j'appris qu'une des femmes du cbef , qui avait été tuée par une explosion de poudre à canon, y était déposée. Au moment où nous arrivâmes, un vieux cbef venait de mourir, et plusieurs personnes étaient rassemblées pour pleurer sur son corps. Après que nous eûmes dîné, nous prîmes congé de ce cbef hospitalier et de sa femme , et dirigeâmes nos pas vers la rési- dence de Wao, où nous comptions passer la nuit. Wao, moi- même et trois de nos compagnons, y arrivâmes à l'entrée de la nuit, très-fatigués, ayant eu à faire une longue journée de marebe. Nous ne revîmes le reste de notre bande que le len- demain matin au point du jour. Ils s'étaient trouvés trop ba- rassés pour continuer la route et étaient restés en ebemin. 24 juillet. Comme la marée nous favorisait pour descendre la rivière , nous prîmes congé de ce beau jeune bomme , qui semble posséder toutes les qualités nécessaires pour devenir un grand bomme et un membre utile de la société , s'il pouvait se procurer les moyens de s'instruire. Je l'invitai à venir à bord du Coromandel, et il accepta de bon cœur. Sa résidence était éloignée du navire d'environ soixante-dix milles, suivant mon calcul. Réconciliation entre des chefs ennemis. Lorsque je me vis de retour à bord du Coromandel, où je me retrouvai avec Inaki, je désirai m'acquitter de la promesse que j'avais faite àTepoubi, de tàcber d'arranger leur querelle. Afin de juger le meilleur moyen à prendre pour atteindre ce but, je priai Inaki de m'exposer le motif de leur inimitié. Il raconta que, quelque temps avant leur démêlé, son père se PIECES JUSTIFICATIVES. 433 trouvait sur la rive orientale de la Tamise , dans une pirogue qui chavira, et qu'il se noya, ainsi que tous les hommes de l'équipage; il apprit plus lard que leurs corps, ayant été entraînés au rivage, avaient été pris et mangés par Tepouhi et ses gens. En conséquence de l'insulte faite aux dépouilles de son père, il avait déclaré la guerre à Tepouhi. Je convins que, si le fait était vrai , la conduite de Tepouhi était très- blàmahle; mais en même temps, je leur fis observer qu'en s'égorgeant les uns les autres, ils ne faisaient qu'accroître leurs calamités; et je témoignai à Inaki le désir qu'il se trouvât avec Tepouhi à bord du Coromandel, et qu'il voulût bien entendre ce que l'autre aurait à dire touchant l'accusation portée contre lui. Inaki consentit à cette proposition , et, le lendemain ma- tin , le capitaine Downie eut la complaisance d'envoyer dans son canot M. Anderson pour prendre Tepouhi, qui revint avec lui le jour suivant. Aussitôt qu'Inaki aperçut Tepouhi dans le canot, il sauta dans une pirogue et s'en alla à terre. Je commençai à craindre qu'il ne voulût point revenir. Quand Tepouhi fut à bord, je lui fis connaître ce dont Inaki l'accu- sait : il me dit qu'il savait bien qu'Inaki l'accusait, lui et son peuple, d'avoir mangé son père et ses gens, mais que la charge était fausse; que les corps n'étaient point venus au rivage, mais avaient été détruits dans l'eau. Il ajouta que l'auteur de ce rapport était l'Ariki ; ses esclaves et ceux de l'Ariki s'étaient disputés au sujet d'un peu de paille et de coquilles. Il avait pris le parti de ses gens, et l'Ariki avait défendu les siens, d'où s'était suivie une querelle entre eux : pour se venger, l'Ariki avait propagé le rapport en question ; Inaki et son peuple, y ayant ajouté foi, lui avaient déclaré la guerre, et avaient tué son frère et plusieurs autres guerriers de sa tribu. Tepouhi n'espérait point qu'Inaki revînt à bord ou consentît à entrer en arrangement avec lui. Toutefois, au bout d'une heure environ, Inaki revint. Quand il monta sur le pont, Tepouhi y était assis , et Inaki alla s'asseoir du côté opposé. L'un et l'autre restèrent long-temps sans ouvrir la bouche. tome m. 28 434 PIÈCES JUSTIFICATIVES. J'allais leur adresser la parole, quand Temarangai me pria de ne point parler, mais de les abandonner à leurs propres pen- sées. Temarangai et Tourata, assis sur le pont, observaient leurs regards qui décelaient le combat de leurs passions. A la fin, l'un d'eux rompit le silence et s'adressa à l'autre. Ils don- nèrent alors un libre cours à leurs sentimens. Ils se firent mu- tuellement des reproches, s'avancèrent l'un vers l'autre avec fureur, et se provoquèrent par des insultes en apparence plei- nes de mépris et d'ironie. Parfois ils semblaient prêts à se frapper l'un l'autre. Alors Temarangai et Tourata hasardèrent de temps en temps quelques mots. Après avoir proféré tout ce qu'ils avaient à se dire , ils s'apaisèrent peu à peu , et en vinrent enfin à se réconcilier. Alors le capitaine Downie les fit descendre dans sa chambre , où ils mangèrent et burent ensemble au grand contentement des deux partis. A mon retour à bord du Coromandel , le capitaine Downie m'apprit qne l'Ariki voulait tuer Mapa, chef inférieur de la baie ; car il voulait avoir sa tête. Mapa était accusé d'avoir volé une natte appartenant au fils de l'Ariki. L'Ariki, durant plusieurs jours, avait été occupé à faire des lances et à aiguiser ses instrumens de guerre. Tourata me dit de même que l'Ariki voulait tuer Mapa. Celui-ci me pria d'intercéder près de l'A- riki en sa faveur; en conséquence je priai Tourata d'aller trouver l'Ariki de ma part et de lui dire que je désirais que sa querelle avec Mapa s'arrangeât sans en venir aux mains, et je priai Tourata d'user aussi de tout son crédit près de lui. Peu de jours après, je reçus un message de l'Ariki, par la voie de Tourata et de Temarangai, qui m'apprenait qu'il ne voulait pas mettre à mort Mapa; mais que leurs griefs seraient jugés dans une assemblée publique. Au bout de quelques jours, de très-bon matin, Mapa vint à la porte de ma cabane; je me levai et lui demandai ce qu'il désirait : il m'apprit que son en- trevue avec l'Ariki allait avoir lieu dans la journée , et me pria d'y être présent. M. Hume le chirurgien et M. Halliard le secrétaire du capitaine , après le déjeuner, descendirent avec PIECES JUSTIFICATIVES. 435 moi dans un des canots, accompagnés de M. James Downie. Mapa, qui était resté le long du bord, nous suivit avec ses amis dans seize pirogues. L'Ariki était à trois milles de distance en- viron, à l'entrée d'une des anses. Quand nous arrivâmes, l'A- riki était préparé à nous recevoir. Les hommes de Mapa étaient tous armés, ainsi que ceux de l'Ariki , quelques-uns de fusils, les autres de lances, de patous et autres instrumens de guerre. Mapa mit ses pirogues en ligne , puis tous ses hommes sautè- rent à l'eau entièrement nus, et coururent en troupe serrée, comme des furieux , avec leurs lances en avant , vers le rivage où les hommes de l'Ariki étaient rangés. Après qu'ils eurent terminé leurs évolutions militaires et leur danse guerrière, le parti de l'Ariki exécuta la même cérémonie. Les charges contre Mapa furent ensuite discutées en public par les chefs des deux partis, et plusieurs d'entre eux parlèrent avec chaleur : ces dis- cours étaient écoutés avec attention par les deux partis et se prolongèrent pendant un temps considérable. Nous comprîmes que l'Ariki exigea et obtint une pirogue et un esclave de Mapa , en réparation de son crime ; et l'affaire fut ainsi com- plètement terminée. Tous les différends entre les chefs de la Tamise étant ainsi arrangés, et l'harmonie rétablie, je me décidai à quitter la Ta- mise le jour suivant. Inaki me promit de me fournir une bonne pirogue et de m'accompagner à la baie des Iles. J'étais en- chanté qu'aucune dispute n'eût eu lieu entre les Européens et les naturels, et j'espérais que la bonne intelligence continuerait de régner entre eux jusqu'au départ du Coromandel. Détails sur Moudi-Panga, l'un des chefs de la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande. A Kaï-Para , sur la côte ouest de la Nouvelle-Zélande , M. Marsden , lors du voyage qu'il y fit accompagné de Temarangai , se trouva avec Moudi-Panga , chef distin- 28* 43b' PIÈCES JUSTIFICATIVES. gué, et ce qu'il en dit sera lu avec beaucoup d'intérêt. Ce chef est considéré comme un des plus grands guerriers de la Nouvelle-Zélande; et j'avais souvent entendu parler de sa renommée par Doua-Tara, Touai et d'autres. Il avait été le rival de Shongui et de sa tribu , durant ces vingt dernières années. Avant le naufrage du Bord à Wangaroa en 1809, Shongui marcha contre Moudi-Panga avec de grandes forces. Moudi-Panga le défit , tua deux de ses frères, le blessa, tua la plus grande partie de ses officiers et de ses guerriers, et le ré- duisit à chercher son salut dans la fuite. Les chefs du sud de la baie des Iles réunirent ensuite leurs forces, et allèrent atta- quer Moudi-Panga. Comme ils comptaient sur leurs mousquets et non sur leurs armes ordinaires, les lances et les patous, Moudi-Panga usa de ruse avec eux : quand les deux armées furent sur le champ de bataille , Moudi-Panga , sachant que ses adversaires étaient armés de fusils , ordonna à ses hommes, au moment où l'ennemi avancerait et serait sur le point de faire feu , de se laisser tomber à plat contre terre , et aussitôt que leurs armes seraient déchargées, de courir à leur rencontre. Ce stratagème réussit; la volée de l'ennemi passa au-dessus de ses hommes , qui s'élancèrent aussitôt sur ceux de la baie des Iles , les mirent en déroute et tuèrent une quantité de leurs chefs, parmi lesquels le père de Wivia et celui de King-George : les chefs qui s'échappèrent n'eurent d'autre ressource que la fuite, et ne ramenèrent avec eux que quinze hommes, le reste ayant été tué ou fait prisonnier. J'ai souvent entendu ces mêmes chefs parler de cette bataille. Moudi-Panga est un homme d'un esprit vif et pénétrant , et toujours avide de s'instruire par des observations utiles. Son regard est fier, spirituel et perçant; son corps d'une taille moyenne , mais robuste et actif. Il peut avoir environ cin- quante ans; si j'en juge d'après sa physionomie pleine d'expres- sion et son attitude martiale , il ne peut manquer de comman- der le respect à ses compatriotes. PIECES JUSTIFICATIVES. 437 J'avais tant entendu parler de ce chef depuis nombre d'an- nées , que je fus enchanté de me trouver avec lui. Il me dit que sa résidence était encore à quelque distance; mais qu'il était venu pour me présenter ses respects , aussitôt qu'il avait appris mon arrivée, et qu'il espérait me voir à son village. Je lui répondis que je lui étais très-obligé d'une attention aussi mar- quée , et que je lui ferais ma visite le jour suivant. Le lendemain matin, aussitôt que nous eûmes déjeuné, je me préparai à rendre à Moudi-Panga sa visite. Plusieurs des principaux chefs m'accompagnèrent. En une heure environ , nous arrivâmes à la résidence du fils de Moudi- Panga, Kahou, qui fut très-content de nous voir et nous supplia de dîner avec lui. Comme j'avais consacré cette journée à des visites, je n'eus pas d'objection à lui faire. Le dîner fut aussitôt préparé, et de la fougère fraîche fut étendue sur la terre pour nous servir de tapis. Kahou est un fort beau jeune homme , et il n'y a pas long-temps qu'il est marié. Sa résidence est dans une riche vallée, dont le sol est très-propre à la culture des patates et des pommes de terre ; on en prépara en abondance pour notre dîner. Quand le dîner fut fini , nous poursuivîmes notre route vers la demeure de Moudi-Panga. Chemin faisant, nous passâmes par un pâ très-beau et très-fortifié , appartenant à Ma-Wete, et traversâmes ensuite plusieurs plaines fertiles. Dans l'une de ces plaines, un combat avait eu lieu deux mois auparavant, et un chef y fut tué. Quand nous arrivâmes chez Moudi-Panga , il était prêt à nous recevoir. Ses enfans étaient tous habillés et leurs têtes ornées de plumes. Sa femme principale avait revêtu sa belle natte en peau de chien. Moudi-Panga avait préparé un tronc d'arbre pour me servir de siège , et l'avait recouvert d'un cous- sin de broussailles en guise de tapis. Il me témoigna l'extrême satisfaction que lui causait ma visite, me régala d'un énorme cochon , et fit aussitôt préparer des provisons pour mes com- pagnons. 438 PIECES JUSTIFICATIVES. Alors nous entrâmes en conversation et parlâmes des guéries qui avaient eu lieu entre la tribu de Shongui et la sienne. Il me dit qu'il ne désirait faire la guerre à personne ; mais qu'il était forcé de combattre pour sa propre défense et celle de son peuple; qu'un détachement de la tribu de Sliongui était en ce moment même occupé à piller et massacrer les habitans , et qu'il craignait d'être obligé d'en venir à un appel aux armes. Ce chef, aussi bien que la plupart des autres, désirait une forme régulière de gouvernement, qui pût leur garantir la sûreté de leurs personnes et de leurs pro- priétés. Temarangai leur expliqua comment le gouvernement de Port-Jackson était dirigé; qu'il n'y avait qu'un seul roi , qui était le gouverneur Macquarie ; qu'il empêchait toute espèce de combats d'avoir lieu ; qu'il avait appris qu'en Angleterre le roi Georges en faisait autant; mais aussi long-temps qu'il y aurait autant de chefs à la Nouvelle-Zélande, les guerres seraient con- tinuelles. Il dit que le capitaine Downic du Coromandel avait écrit au roi Georges, pour le prier d'envoyer un vaisseau de guerre à la Nouvelle-Zélande; il pensait que, quand il serait arrivé, ce serait un grand avantage pour le pays, car il empê- cherait les peuples de la baie des Iles d'aller à la rivière Tamise et à Kaï-Para, pour piller et massacrer les habitans. Moudi-Panga désira savoir si le vaisseau viendrait dans la rivière de Kaï-Para : je lui répondis que cela dépendrait de la nature du havre; que si l'entrée en était bonne et le havre sûr, je ne doutais pas qu'il n'y vînt, mais que s'il y avait une barre à l'entrée de la rivière, le navire ne pourrait pas y entrer. Il ht observer qu'on trouverait quantité de beaux espars sur les bords de la rivière dans son district, si les navires pouvaient y venir, ce qu'il désirait ardemment. Il souhaitait encore que quelques Européens pus- sent habiter chez lui , pour le bien de son peuple. Je lui dis que cela dépendrait beaucoup de la nature de la rivière et du havre ; mais que jusqu'à ce qu'on les eût examinés, on ne pou- vait rien statuer à cet égard. La résidence de Moudi-Panga est très-belle, en vue du PIÈCES JUSTIFICATIVES. Vi9 fleuve Kaï-Para; le sol à l'entour est très-bon, quoique lé- gèrement sablonneux et tout-à-fait dégagé de pierres. Autant que j'ai nu en juger, il y croîtrait de beau blé et de bonne orge. Le pays oil're les vestiges récens d'une grande population , mais qui parait maintenant bien réduite. Frayeur de la colère divine générale parmi les naturels. M. Marsden, dans la personne de Temarangai, donne un exemple de l'empire affreux que la superstition a sur l'esprit de ce peuple. Le fait eut lieu quand il se trouvait à la rivière Tamise. Lorsque nous fûmes de retour à bord du Coromandel , Te- marangai vint à moi dans une grande agitation. Je voulus en savoir le motif. Il m'apprit qu'étant venu à la rivière Tamise dans une autre occasion, un cbef lui avait donné un mère, l'un de leurs instrumens de guerre , pour l'échanger contre une hache; ce mère était d'une matière à laquelle ils atta- chent un grand prix. Temarangai ne put obtenir en retour des Européens qu'une petite hache qu'il ne jugeait nullement comparable pour le prix. Le chef fut furieux contre Te- marangai , et lui envoya dire que s'il ne lui procurait pas une hache , il chargerait un de leurs prêtres de le faire mourir par enchantement. Temarangai m'assura qu'il mour- rait indubitablement, si le chef mettait sa menace à exécu- tion , et me pria de lui donner une hache pour lui sauver la vie. Je tâchai de le convaincre de l'absurdité d'une telle me- nace, mais ce fut en vain : il persista à soutenir qu'il mour- rait, que le prêtre avait ce pouvoir, et commençai tracer les lignes d'enchantement sur le pont du navire , pour me mon- trer comment cette opération s'exécutait. Il ajouta que le mes- sager attendait sa réponse dans une pirogue le long du bord. Voyant qu'il était inutile de raisonner avec lui , je lui donnai 440 PIÈCES JUSTIFICATIVES. une hache, ce qui le combla de joie , et il la remit au messa- ger, avec la prière pour le chef d'être satisfait, et de ne plus rien faire contre lui. Un naturel me dit un jour que son Dieu le tuerait, parce que j'avais allumé mon feu au sien , sans intention de ma part de lui faire aucun mal ; d'après le trouble dont il paraissait agité, je suis sûr qu'il pensait que tel serait son destin. En même temps, il est plus que probable que le même individu eût tué et mangé son semblable sans aucun remords. Je n'ai jamais vu un seul Nouveau-Zélandais qui n'ait con- sidéré Dieu comme un être vindicatif, toujours prêt à les punir, et même à les faire périr pour la moindre négligence dans leurs cérémonies. C'est pourquoi ils s'efforcent , par toutes sortes de mortifications et de privations , de prévenir sa colère. Un chef, avec lequel j'étais très-lié, brûla sa maison qu'il avait construite très- proprement , et ornée de sculptures faites avec soin, dans l'espoir d'apaiser la colère de son dieu. Quelque temps auparavant, j'étais allé lui rendre visite, j'avais passé toute la nuit chez lui , et j'admirai la propreté de sa cabane : quand je revins, il n'en restait plus de traces; et lorsque je lui en demandai la raison , il me dit qu'il l'avait brûlée pour apai- ser son Dieu !... Dans ses visites à la cote occidentale de cette île , M. Marsden trouve les esprits des naturels tourmentés par les mêmes terreurs superstitieuses de la colère divine. Au sujet d'un entretien qu'il eut avec Moudi-Panga et d'autres chefs, il dit : La superstition avait un pouvoir étonnant sur l'esprit des naturels avec qui je me trouvais alors. Les arbres et les vieux troncs, toute espèce de buissons , aussi bien que leurs foyers et leurs cabanes , étaient tous taboues. Ils tremblaient qu'au- cune partie de mes provisions , préparées ou non préparées, PIECES JUSTIFICATIVES. 441 ne touchât à leurs objets taboues , et m'assuraient qu'ils mour- raient si cela arrivait, car Dieu les tuerait. Les chefs et leurs (Vînmes étaient aussi taboues. Ils ne pouvaient toucher une pa- tate ni aucune espèce d'aliment avec leurs propres mains; mais si personne n'était près d'eux pour les servir, ils s'é- tendaient par terre, et saisissaient leurs alimens avec leur bouche. J'entrai en conversation avec Moudi-Akou , leur premier prêtre, au sujet du tabou, et je tâchai de leur représenter quelles privations absurdes ils enduraient, d'après l'idée bi- zarre qu'ils se faisaient de la divinité. Je leur dis qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, et que le Dieu qui avait fait les blancs les avait aussi créés; qu'il ne serait jamais irrité contre eux, parce qu'ils se seraient servis de leurs mains pour manger leurs vi- vres; que s'il avait voulu qu'ils ne s'en servissent point pour ce qui leur serait utile, il ne les eût point formés avec leurs mains ; qu'il ne serait point non plus courroucé de ce qu'ils bussent à ma coupe, de ce qu'ils fissent cuire à mon feu leurs patates, ou qu'ils me permissent de me servir du leur, et qu'ils pouvaient aussi manger dans leurs maisons sans offenser la divinité. Je leur racontai que Pomare, roi de Taïti , naguère tabouait aussi comme eux toute espèce d'objets; mais qu'il avait main- tenant renoncé à cette coutume absurde , et agissait en tout point comme les blancs; que Dieu pourtant n'était point irrité contre lui, qu'il n'était point mort; et qu'enfin Dieu ne se fâcherait pas davantage contre eux, s'ils en faisaient autant. Ils m'écoutaient avec une surprise visible, et me faisaient une foule de questions. Je leur expliquai ce que Dieu leur avait défendu de faire , et ce qui.le mettait en courroux ; qu'il serait fâché contre eux , s'ils volaient les patates , les cochons d'un autre; s'ils séduisaient la femme de leur prochain ; s'ils massacraient et mangeaient un de leurs compatriotes ; que c'é- taient là des crimes qui allumeraient la colère divine, et leur attireraient les châtimens du ciel. Ils convenaient sans peine que c'étaient là des crimes; mais ils alléguaient que notre Dieu 442 PIECES JUSTIFICATIVES. et le leur étaient bien différens. Ils convenaient également que je pouvais violer leurs tabous, manger dans leurs maisons , ou préparer mes vivres à leur feu ; que leur Dieu ne me punirait point, mais les ferait mourir pour mes crimes. Je leur demandai s'ils savaient quelque chose du Dieu de Kaï-Para , ou s'ils avaient quelque communication avec lui. Ils répliquèrent qu'ils l'avaient souvent entendu siffler tout bas. Je demandai à Moudi-Akou si lui, comme leur prêtre, avait quelque communication avec leur Dieu. Il dit aussi qu'il l'avait entendu siffler, et il imita les sons qu'il avait produits. Je répliquai que je ne pouvais ajouter foi à ce qu'ils avan- çaient tous, à moins que je ne l'entendisse moi-même. Ils affir- mèrent que ce qu'ils avaient dit était vrai, et que tous les ha- bitans de la Nouvelle-Zélande savaient que c'était la vérité. Je persistai dans mes doutes, et dis au prêtre qu'à moins que je n'entendisse l'Atoua moi-même, je ne pouvais croire que lui ou toute autre personne l'eût jamais entendu , et que j'étais prêt à l'accompagner partout où je pourrais m'assurer de la com- munication qui existait entre lui et l'Atoua. Il dit alors que l'Atoua était dans les broussailles, et que je ne pourrais pas l'entendre. Je répondis que je le suivrais dans les broussailles. Quand il vit que je le pressais de la sorte, il avoua qu'il n'y avait point de Dieu à Kaï-Para. Il avait entendu dire qu'il y en avait un à Shouki-Anga ; mais pour eux ils n'en avaient point. Il me pria de lui donner un de mes dieux, disant qu'il le mettrait dans une boîte , afin de l'avoir toujours avec lui. Je n'avais jamais vu d'idole , ni entendu jusqu'alors dire que les Nouveaux-Zélandais eussent aucune idée d'un Dieu matériel. En réponse à cette demande, je lui dis qu'il n'y avait qu'un seul Dieu vivant, qui avait créé le monde et toutes les choses qu'il renferme, et que si je lui faisais un Dieu, ce serait en bois, ou toute autre substance qu'on pourrait facilement brûler ou détruire. Ils sourirent tous de l'idée de brûler un Dieu , et sentirent évidemment l'absurdité d'une idole maté- rielle. PIECES JUSTIFICATIVES. 443 Que Satan' ait la permission * de pratiquer quelque décep- tion orale pour soutenir son domaine spirituel (car il est le dieu de ee monde) , et maintenir les sombres ténèbres de la superstition qui aveuglent généralement l'esprit des pauvres païens, c'est ce que je ne puis décider. Je n'ai pas rencontré de Nouveau-Zélandais, même parmi les plus éclairés d'entre eux , qui ne croie fermement que leurs prêtres sont en commu- nication avec la divinité; et plusieurs, tant de leurs prêtres que d'autres, m'ont dit qu'ils avaient entendu leur Dieu. C'est un sujet d'une nature si mystérieuse , que je ne puis me déci- der à croire ni à rejeter ce qui est si universellement accrédité à la Nouvelle-Zélande. Je ne prétends pas connaître jusqu'où l'influence de Satan peut s'étendre sur une nation barbare et sans civilisation. Nous continuâmes à causer très -avant dans la soirée, et à discuter sur leurs idées touchant la divinité , sur le tabou , et les diverses superstitions qui les font prodigieusement souffrir. Temarangai fit observer qu'il y avait un trop grand nombre de prêtres à la Nouvelle-Zélande , et qu'ils écrasaient le peuple de tabous et de prières , jusqu'à outrance. Il rappela l'exemple du prêtre qui avait voulu lui persuader de ne pas m'accom- pagner à la baie Mercure, disant que l'Atoua de cet endroit lui avait révélé qu'il tuerait Temarangai sous quatre jours ; mais qu'en conséquence de mes promesses il m'avait suivi, et était revenu en bonne santé : ce qui prouvait la fourberie du prêtre. Temarangai plaidait fortement contre le tabou, bien qu'en même temps son esprit fut torturé par cette superstition. Il ne peut s'accoutumer à l'idée que notre Dieu soit aussi le leur. Il répétait souvent que notre Dieu était bon , et n'avait pas besoin de tabou; mais que le Dieu de la Nouvelle-Zélande était méchant. Temarangai expliquait au peuple nos coutumes, nos ma- * Ne perdons point de vue que c'est un chef de missionnaires qui parle ainsi. 444 PIECES JUSTIFICATIVES. nières et notre religion , autant qu'il en était capable. C'est un homme fort intelligent, et en même temps d'un esprit très- observateur; ayant résidé quelque temps avec moi à Parra- matta, il a acquis de grandes connaissances. Quand il trouvait que nos observations étaient trop au - dessus de la portée des superstitions de son pays, il disait : « Lorsque vous aurez envoyé des missionnaires à Kaï-Para, et que les babitans se- ront plus instruits , ils renonceront au tabou. » Après que nous eûmes conversé, à notre satisfaction mu- tuelle , jusqu'à minuit environ , nous nous retirâmes pour nous reposer; mais les naturels ne me laissèrent pas beaucoup dor- mir : ils m'appelaient l'un après l'autre , et m'adressaient quel- que question sur les sujets dont nous avions parlé. Sur la pratique de manger la chair humaine durant la guerre. Mon ami Temarangai avait fait partie de quatre expéditions guerrières contre Kaï-Para, dans deux desquelles il avait été battu. Plusieurs de ses amis avaient été tués, et dans le nom- bre son grand-père qui , après sa mort, avait été rôti et mangé par le parti vainqueur, pour gratification mentale. Quoique Temarangai eût été en guerre avec la plupart des cbefs de ces districts, cependant il fut traité avec le plus grand respect par- tout où il porta ses pas. Les diverses batailles et les lieux où ils avaient successivement combattu , ceux qui avaient eu le dessus et ceux qui avaient succombé, tels étaient les sujets de conversation les plus fréquens entre eux ; et en outre , ce qu'é- taient devenus les corps des cbefs , s'ils avaient été enterrés ou mangés. Je n'ai pas vu de famille qui n'ait eu quelqu'un de ses mem- bres tué dans un combat, et ensuite mangé par l'ennemi. Si , par les chances de la guerre un chef tombe dans les mains d'une tribu qu'il a opprimée ou insultée, il est certain que les vainqueurs le rôtiront et le mangeront; après avoir dévoré sa chair, ils conservent ses os dans leur famille , comme un sou- PIECES JUSTIFICATIVES. 445 venir de son sort, et les transforment en hameçons, en sif- flets et ornemens de divers genres. La coutume de manger les ennemis est universelle. L'origine de cette coutume est main- tenant trop ancienne pour qu'on puisse l'assigner. C'était un sujet continuel de conversation dans les principales familles que je visitais; quoiqu'ils en parlent généralement avec une horreur et un dégoût marqués, pourtant ils s'attendent tous à ce que ce sera leur sort définitif, comme cela a été celui de leurs aïeux et de leurs amis. Partout où j'allais , s'il arrivait qu'il en fût question , je leur représentais combien leur carac- tère national souffrait dans l'opinion de toutes les nations civi- lisées, à cause de l'horrible coutume de s'entre-manger, et que le genre humain les regardait avec la plus grande horreur, attendu qu'aucune coutume de ce genre n'était tolérée dans les autres pavs. Plusieurs d'entre eux regrettaient que ce fût l'habitude de leur contrée , et faisaient observer que quand ils seraient mieux instruits, ils y renonceraient : mais que ce n'était pas une chose nouvelle, et que de tout temps elle avait été pratiquée à la Nouvelle-Zélande. Si le chef d'une tribu est tué et mangé , ceux qui lui survivent regardent cet événement comme le plus grand malheur qui puisse leur arriver , et à leur tour ils saisissent la première occasion pour se venger de la même manière. De cette façon , leurs haines réciproques sont continuellement alimentées, et la guerre devient leur étude et leur profession. Entretiens avec les naturels touchant la religion. M. Marsden tâcha, dans ses conversations avec Moudi- Panga et ses amis , de leur expliquer les traits de la révé- lation divine qui étaient le plus à leur portée. La soirée du samedi fut consacrée à cette occupation , et il en donne le récit suivant : Nous passâmes la soirée à causer longuement sur l'immor- 446 PIECES JUSTIFICATIVES. talité de l'ame et la résurrection des corps. La première est une doctrine universellement reçue parmi eux ; mais ils ne peuvent comprendre la dernière, quoiqu'ils n'en récusent point la possibilité. Je leur représentai l'heureuse mort des justes, ajoutant que quand Dieu leur révélait qu'ils allaient mourir, ils n'étaient nullement effrayés; qu'ils se trouvaient heureux de penser qu'après cette vie ils allaient habiter le même endroit que leur Dieu. Mais ce n'est pas le cas des Nouveaux-Zélandais; quand ils s'aperçoivent qu'ils vont mou- rir, ils sont très-effrayés et ne souhaitent point mourir. Les naturels avouaient que c'était toujours ce qui arrivait à leurs compatriotes, et qu'ils redoutaient constamment la mort. Je les assurai que quand ils comprendraient le livre de Dieu qu'il avait donné au peuple blanc, et que les missionnaires leur donneraient et leur apprendraient à connaître, alors ils n'auraient pas plus de frayeur de mourir que ceux des blancs qui sont bons. Ils saisissaient parfaitement la différence qui existe entre l'homme qui redoute de mourir et celui qui n'en est pas effrayé. Ils disaient que toutes les âmes des Nouveaux- Zélandais, au moment de la mort, se rendaient dans une grotte au cap Nord, et que de là elles descendaient dans la mer, pour aller dansTautre monde. Les privations et les mor- tifications que ces misérables païens souffrent, d'après l'idée qu'ils attachent au crime, et par suite de leurs frayeurs, sont nombreuses et pénibles : à moins que la révélation divine ne leur soit communiquée, ils ne trouvent point de remède qui puisse affranchir leurs esprits des liens de la superstition , sous l'empire de laquelle plusieurs d'entre eux tombent malades, languissent, et finissent par périr. Ils n'ont point d'idée d'un Dieu de miséricorde qui puisse leur faire du bien ; mais ils vivent dans l'appréhension funeste d'un être invisible qui , sui- vant leur croyance , est toujours prêt à les tuer et à les dé- vorer , et qui les tuera s'ils négligent un iota dans une de leurs superstitieuses cérémonies. Boire un peu d'eau à ma coupe, quand ils sont taboues par le prêtre, serait regardé PIECES JUSTIFICATIVES. 447 comme une offense à leur Dieu , suffisante pour le porter à les mettre à mort. Quand je leur disais que mon Dieu était bon , qu'il prenait soin de moi jour et nuit, partout où j'allais; que je ne craignais point sa colère , et qu'il m'écoutait toujours quand je lui adressais mes prières , ils disaient qu'ils n'avaient point de Dieu semblable , et que le leur ne faisait que punir et tuer. Le jour suivant étant un dimanche , M. Marsden leur fit connaître qu'il restait un jour de plus avec eux , et il écrit au sujet de la manière dont ce jour se passa : Moudi-Panga et plusieurs autres vinrent de bonne heure passer la journée avec moi. Quoique ces pauvres païens n'eus- sent jamais entendu parler du jour du sabbat , je fus pour- tant naturellement conduit à leur parler de la création du monde et de l'institution de ce jour sacré , etc., etc Quand je me trouvais embarrassé pour la langue, Temarangai me servait d'interprète, et, par ce moyen, je fus généralement compris. Moudi-Panga fut tellement touché des différens sujets de la conversation, qu'il resta avec moi tout le dimanche, aussi bien que plusieurs des chefs, et ne me quitta qu'au moment où je partis le jour suivant. Il avait passé la nuit dans la même cabane que moi, où il me fut à peine possible de fermer l'œil, à cause de leurs» fréquentes conversations. La cabane était remplie d'hommes, de femmes et d'enfans, et contenait plus de quarante persof nés. Deuil pour les morts. A cet égard, M. Marsden dit des naturels de la rivière Gambier : La dernière fois que je visitai cette place , le fils de Mou- Ina , chef principal , le fils de son frère et quelques autres 448 PIÈCES JUSTIFICATIVES. chefs de distinction, étaient allés vers le sud, pour une expé- dition guerrière. Maintenant ils étaient de retour. Dans cette expédition , Mou-Ina et son frère avaient eu leurs fils tués. A mon arrivée, je fus d'abord conduit à deux des princi- pales femmes qui étaient dans une profonde désolation. L'une était la belle-fille de Mou-Ina, dont l'époux avait été tué et mangé à Tara-Nake , dans un engagement contre le peuple de ce district, et l'autre était la sœur de son défunt mari. Elles étaient ensemble sous un toit à l'écart , poussant de profondes lamentations et pleurant amèrement. L'une avait une coiffe de deuil faite d'une toile rouge , avec une frange autour en poil de chien blanc, de trois pouces de long, qui pen- dait sur son visage et le cachait en grande partie. Cette coiffe était en outre bordée d'un ruban fait avec une étoffe de l'Inde. Sa belle-sœur était costumée de la même manière, seulement sa coiffe était en étoffe de Taïti. Elles semblaient livrées à la plus profonde douleur. Se désolant, comme dit saint Paul, ainsi que des gens sans espoir, elles me firent signe de m'asseoir près d'elles, ce que je fis. Aussitôt qu'elles furent en état de me parler, elles me racontèrent la fatale cause de leur désolation. Tandis que nous conversions ensemble, un homme en vigie au sommet du pâ s'écria qu'une grande pirogue étrangère remplie de monde s'approchait du rivage. Mou-Ina, avec la conque suspendue à son bras, donna au%itôt le signal de l'alarme; alors ses guerriers coururent aux armes dans toutes les directions , et ceux qui étaient avec mm. se ceignirent les reins, prêts à combattre ou à prendre la fuite, suivant que les circonstances en décideraient. Tous restèrent dans cette agi- tation jusqu'au moment où la pirogue fut assez près pour reconnaître ceux qui la montaient et d'où ils venaient. Quand ils eurent mis pied à terre, on trouva que c'étaient des alliés, qui étaient venus de deux journées de distance pour consoler ceux qui avaient perdu leurs amis dans la dernière expédition, et pleurer avec eux. Les femmes reprirent leur habillement de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 449 deuil, et se rassirent au même endroit où j'avais été conduit à mon arrivée. Leurs amis, qui étaient venus pour les visiter, s'assemblèrent en cercle, et commencèrent leurs pleurs et leurs lamentations. Ils poussèrent de grands cris une bonne partie de l'après-midi, et semblaient aussi accablés de douleur que ceux qui étaient réellement en deuil. Pâ de Moïangui. Dans le passage que fit M. Marsden de Wangari à la baie des Iles , il trouva un pâ très-romantique qu'il décrit ainsi : Le soir à la brune , nous atteignîmes le pâ où réside Moïan- gui , ce cbef qui accompagna M. Savage en Angleterre , il y a douze ans environ. Le nom du pâ est Pâ-Ika-Nake. Il est assis sur la cime d'un piton conique très-élevé, et entouré d'eau à très-peu de chose près, au moment de la marée haute. Il paraît inaccessible de tous côtés , à l'exception d'un seul pas- sage étroit. Aussitôt que les naturels virent la pirogue au pied du pâ , ils se jetèrent au passage avec leurs lances à la main , comme s'ils allaient combattre un ennemi. Nous leur dîmes qui nous étions; alors ils nous firent signe d'aller de l'autre côté du pâ où nous pourrions mettre pied à terre, et nous invitèrent à passer la nuit avec eux. Cette invitation fut acceptée de grand cœur, car nous souffrions du froid, de la faim et de la fatigue. Dès que nous eûmes débarqué , on nous conduisit au pas- sage ; je n'aurais pu le gravir sans secours, tant il était étroit et escarpé. Quand j'eus atteint le sommet, je vis une foule d'hommes , de femmes et d'enfans, assis autour de leurs foyers et faisant rôtir des chevrettes , des crabes et de la racine de fougère : il faisait alors tout-à-fait noir. Au pied du pâ , le rugissement de la mer dont les vagues roulent avec fracas dans de profondes cavernes; les précipices élevés qui nous tome irr. 29 450 PIECES JUSTIFICATIVES. entouraient; le mont dont la cime et les flancs étaient couverts de huttes, et les groupes des naturels conversant autour de leurs feux , tout cela faisait naître en moi des idées neuves et étranges ! Plongé dans ces réflexions, je contemplais l'état de mes compagnons actuels. Je m'étais assis au milieu d'eux; une femme remit entre mes mains un homard qu'elle venait de faire rôtir , d'autres me préparèrent de la racine de fougère. Comme j'étais très-affamé, je fus très-satisfait de mon sou- per, nonobstant la manière dont il était cuit et servi. Moïangui n'était pas chez lui, et je ne connaissais aucun des naturels. Le pà était sous la garde d'un officier qui fut très- honnête , ainsi que tous les habitons. Ils mirent à notre dis- position une de leurs meilleures cabanes, et je m'y étendis jusqu'au matin. Temarangai les amusa jusqu'à une heure très- avancée du récit de notre voyage et des accidens qui nous étaient arrivés dans notre marche. C'est un lieu romantique. Les côtés qui regardent la mer ont l'apparence d'une abbaye en ruines, et les roches brisées semblent autant de colonnes massives que le temps a minées et détruites. {Missionnary Registcr, octobre 1822 ^pag. 432 et sui\>.*) M. Kendall, l'un des premiers colons de la baie des Iles à la Nouvelle-Zélande, accompagné de Shongui et de Waï-Kato, deux chefs du pays, a fait voile de cette baie le 2 mars 1820, à bord du Ncw-Zcalander , capitaine Munroe. Après une lente traversée, ils sont arrivés dans la Tamise, le 8 août, par la route du cap Horn. Des deux chefs qui ont accompagné M. Kendall, le nom de Shongui est familier à tous nos lecteurs. C'est un des prin- cipaux chefs de la Nouvelle-Zélande; il est à la tête d'une tribu puissante qui possède une grande étendue de terre près de la baie des Iles. Nous avons mentionné la vente qu'il a faite à la société de treize mille acres de terre. Il a un air mâle, et PIECES JUSTIFICATIVES. 451 ressemble beaucoup au buste sculpté par lui-même dont on a donné la gravure. Shongui a environ quarante-cinq ans; sa mère, qui est encore vivante et très-àgée, dit à M. Kendall que son fils était né peu après le départ du capitaine Cook de la baie des Iles. Shongui et sa tribu ont toujours été amis des colons; son nom a été souvent cité dans les rapports de M. Marsden et des missionnaires. Il comprend un peu l'an- glais, mais ne le parle pas, car il a presque toujours vécu avec son peuple, et ses rapports avec les colons ont eu prin- cipalement lieu en sa langue maternelle. Feu Doua-Tara était le fils de la sœur de Shongui. Waï-Kato est un des chefs de Rangui-Hou à la baie des Iles. Son âge est d'environ vingt-six ans. Il a un air mâle et franc. Il entend assez bien l'anglais, et peut se faire com- prendre , ayant eu plus de rapport avec nos compatriotes que Shongui. Waï-Kato et Doua-Tara avaient épousé les deux sœurs. Touai et Titari appartiennent à d'autres tribus que ces deux chefs, et ils habitent maintenant chacun au milieu de leurs peuples. Les vues et les désirs qui ont conduit Shongui et Waï-Kato à visiter l'Angleterre vont être mieux développés par eux-mêmes, comme M. Kendall les transcrivit sous leur propre dictée , sans j rien mêler du sien : « Ils désirent voir le roi Georges, connaître le nombre des hommes de son peuple, leurs occupations, la bonté du sol qu'ils cultivent. Leur désir est de rester un mois en Angle- terre, puis de s'en retourner. Ils voudraient emmener au moins cent Anglais avec eux. Ils ont besoin d'une troupe d'ouvriers pour creuser la terre et chercher du fer , d'un renfort de forgerons, de charpentiers, de missionnaires, qui apprennent à parler la langue de la Nouvelle-Zélande pour se faire entendre. Ils désirent aussi vingt soldats pour protéger leurs propres compatriotes, les colons, et au moins trois officiers pour maintenir les soldats en .bon ordre. Les colons doivent emmener du bétail avec eux. Il y a quantité de terres *9' 452 PIECES JUSTIFICATIVES. vacantes à la Nouvelle-Zélande qui seront volontiers cédées aux colons. » Telles sont les paroles de Shongui et de Waï- Kalo. ÇMissionnary Rcgister, août 1820 , pag. 326.) Après avoir résidé quelque temps à Cambridge avec M. Ken- dall , les deux chefs Shongui et Waï-Kato sont revenus à Londres. Ils ont bientôt, comme leurs compatriotes, subi l'influence d'une température dangereuse pour les insulaires de ces parages. Waï-Kato est rétabli , mais il y a de sérieuses craintes pour la vie de Shongui. Ses poumons sont gravement attaqués; pourtant il faut espérer qu'avec l'aide de Dieu et les soins qu'on lui donne, il pourra résister jusqu'à ce qu'un climat plus chaud puisse le rétablir entièrement. Sa Majesté a eu la bonté de donner audience à ces deux chefs, et les a accueillis avec une courtoisie et une bienveil- lance extrêmes; elle leur montra l'arsenal du Palais-Royal. En cette circonstance , M. Lee profita de la présence de ces deux chefs et de M. Kendall, ainsi que des nombreux maté- riaux recueillis par ce missionnaire, pour compléter sa gram- maire nouvelle-zélandaise sur des principes scientifiques. Cet ouvrage a deux cent trente pages, dont cent trente en gram- maire et exercices, et cent en vocabulaire; il était imprimé à la fin de l'année 1820. (Missionnary Rcgister, décemh. 1820, pag. 499«) M. Kendall, ainsi que les chefs Shongui et Waï-Kato , s'em- barquèrent à Sheerness, à bord du Spekc , navire de transport pour les convicts, capitaine Macpherson, le i5 décembre 1820, pour retourner à la Nouvelle-Zélande. Ils arrivèrent en mai suivant dans la Nouvelle -Galles du Sud, firent voile pour la Nouvelle-Zélande sur le JVestmoreland, le 4 juillet 1821, et arrivèrent à la baie des Iles le n juillet de la même année. {Missionnary Rcgister , fevr. 1821, pag. yg,févr. 1822, Paë- 9?>i/"M« i8-i2,pag. 248.) PIECES JUSTIFICATIVES. 463 M. Kcndall et les chefs Shongui et Waï-Kato sont arri- vés de Port-Jackson à la baie des Iles, le 1 1 juillet 1821. Il s'est suivi beaucoup de mal de cette visite de Shongui en Angleterre : ses passions guerrières ont été exaltées par la possession des armes et des munitions que ce voyage lui a permis d'amasser; car il paraît avoir échangé à Port-Jackson contre des fusils et de la poudre tous les présens qu'il a reçus en Angleterre. Des hostilités de la nature la plus formidable ont été commencées contre d'autres tribus, et les missionnaires de Kidi-Kidi, forcés d'être témoins des plus affligeantes scènes de cruauté et de carnage, ont en outre enduré plusieurs insultes et outrages. (Missionnary Registcr, juin 1822, pag. 247.) On lit dans un des ouvrages imprimés par la Société des Missionnaires de Church Society , sous le titre de Re- ports ou Proceedings , les détails suivans sur la conduite que tint Shongui envers les Européens aussitôt qu'il fut de retour à la Nouvelle-Zélande. A cette époque, les deux établissemens avaient fait de grands progrès; on était sur le point d'établir une autre école à Kidi- Kidi; quelques jeunes naturels de Rangui-Hou commençaient à lire et à écrire ; on avait déjà adouci quelque peu leurs mœurs sauvages. Les missionnaires pouvaient se promener dans tous les environs sans aucune crainte; ils se proposaient , dès qu'ils sauraient mieux la langue , d'aller prêcher autour de l'ile. Déjà ils avaient dressé une dizaine de naturels à exploi- ter une ferme, à faire des palissades, entretenir un jardin, soigner les cochons, les vaches, les chevaux, etc. Huit d'entre eux savaient couper et scier le bois. Tous ces naturels étaient nourris par les missionnaires, ils se conduisaient bien et fai- saient de grands progrès. On peut se faire une idée des succès de l'agriculture, 454 PIÈCES JUSTIFICATIVES. en voyant la liste des productions obtenues a Kidi-Kidi : Froment. Laitue. Persil. Prunes. Avoine. Chicorée. Vigne. Menthe. Orge. Asperges. Fraises. Poivre. Pois. Cresson. Framboises. Sauge. Fèves. Oignons. Oranges. Riz. Ivraie. Échalolles. Citrons. Soucis. Houblon. Céleris. Pommes. Lilas. Navets. Melons. Poires. Roses. Carottes. Betteraves. Pèches. OEillets. Radis. Brocolis. Abricots. Et plusieurs espèces Choux. Citrouilles. Cerises. de fourrages. Pommes de terre. Concombres. Amandes. Tous les Européens qui avaient visité cet établissement, avaient exprimé leur surprise de voir tant de terrain défricbé et en plein rapport, des jardins si bien entrenus, et le tout en aussi peu de temps. Les naturels de l'intérieur venaient souvent visiter les missionnaires et montraient le plus grand désir de s'instruire. Enfin tout allait si bien qu'on avait déjà conçu les plus bautes espérances ; mais le retour de Shongui changea totalement la face des affaires. Sans doute tous ceux qui furent témoins des peines qu'on prit pour le combler de faveurs, seront surpris qu'il ait pu rapporter d'Angleterre à la Nouvelle- Zélande un cœur exaspéré contre la société. A son arrivée Shongui instruisit ses compatriotes de ce qu'il avait vu. « Le » roi d'Angleterre, dit-il, a beaucoup de fusils, de munitions » et de soldats ; je lui ai demandé s'il avait ordonné de ne pas » me donner des armes , il m'a répondu que non. Cependant les - missionnaires ont écrit pour défendre qu'on m'en donnât; » ces mêmes missionnaires, dans leur pays, ne sont que des » malheureux, des esclaves du roi Georges. «> Il n'en fallut pas davantage pour enflammer ces sauvages insulaires; et dès-lors plus de respect pour les apôtres de la mission. Les ouvriers PIÈCES JUSTIFICATIVES. iS5 quittent leur travail. Shongui leur a défendu de taire rien pour rien. Ils demandent à être payés si les missionnaires ont besoin d'eux ; ils exigent de la poudre, des fusils, ou de l'ar- gent pour en acheter. En même temps , une femme parente de Shongui lui apprit, ainsi qu'a ses autres amis, que pen- dant son absence mademoiselle Puckcy, enfant de douze ans, avait dit à la fille de Shongui que, quand celui -ci reviendrait, elle voulait lui couper la tète et la faire cuire dans le pot de fer. Cette femme parvint par là à mettre le comble à l'irritation des naturels. Depuis ce moment, il ne se passa pas un jour que les missionnaires n'eussent à se plaindre de leurs rapines et de leur brutalité sauvage. Un jour , ils enfonçaient les palis- sades et enlevaient les bestiaux et les volailles ; une autre fois, ils entraient dans la maison, jetaient la porte à bas, si elle n'était pas ouverte, et volaient ensuite tout ce qui leur tom- bait sous la main. Il y eut des momens où les colons furent en danger de perdre la vie; heureusement un chef les protégea par son influence et son autorité. Shongui n'ayant paru chez les missionnaires que quelques jours après son arrivée, fut questionné sur les motifs étranges d'une pareille conduite; il parla de l'histoire que sa fille lui avait contée et de l'opiniâtreté que les missionnaires mettaient à ne pas lui fournir des armes et des munitions. Ils eurent en- core à souffrir quelque temps de la présence des partisans de Shongui , jusqu'à ce que l'esprit de vengeance qui l'animait l'eût mis à la tête d'une expédition guerrière qu'il projetait depuis long-temps pour aller ravager les bords de la rivière Tamise. Les travaux de cet armement extraordinaire don- nèrent encore lieu à des vexations cruelles pour les mission- naires. Enfin Shongui parut dans la baie des lies le ô septembre 1821. Quelques jours auparavant, il avait fait manœuvrer dans la rivière plusieurs de ses pirogues, afin de les exercer à tous les mouvemens dont la rapidité demande le plus d'adresse. Les embarcations longues et étroites , montées par cinquante 456 PIÈCES JUSTIFICATIVES. ou soixante hommes, sont mues avec une vitesse extraor- dinaire. Le lieu du rendez -vous général était Wangaroa à cent milles environ du lieu de l'action. Il n'y avait jamais eu de pareil armement à la Nouvelle-Zélande. Il était vraiment affreux de les entendre parler du ravage qu'ils se promettaient de faire : ils voulaient tuer, massacrer, détruire tout sans merci, ce qui est le plus haut degré de gloire pour un Nouveau-Zé- landais. Il y avait sur la flotte un prêtre très-vieux , qui avait songé que toutes les pirogues devaient être mises en pièces par la tempête; s'il eût fait le même rêve une seconde fois, l'expé- dition ne serait pas partie. Dès que Shongui et ses partisans eurent quitté la baie des Iles, les missionnaires retrouvèrent la paix et la tranquillité. Ils étaient cependant inquiets, en songeant au retour de ces Cannibales qui devant la victoire à la supériorité de leurs armes , après s'être abreuvés du sang de leurs ennemis , allaient rentrer dans leurs foyers plus altiers et plus féroces que jamais. Shongui était parti de la baie des Iles avec trois mille com- battans, parmi lesquels on en comptait cent armés de fusils. La bataille qu'il livra aux habitans de la Tamise et de la baie Mercure réunis fut épouvantable. Un grand nombre périt des deux côtés, mais Shongui sortit victorieux et revint en grand triomphe à Kidi-Kidi. Lui-même et Waï-Kato ont raconté qu'ils tuèrent mille de leurs ennemis, dont trois cents furent rôtis et mangés avant de quitter le champ de bataille. C'est là que Shongui tua de sa propre main un chef avec qui il était revenu de Port-Jackson , et qui plusieurs fois lui avait témoi- gné le désir de se réconcilier avec lui. Il lui coupa la tête, fit couler le sang dans le creux de sa main , et s'en abreuva pour satisfaire une vengeance que rien ne pouvait éteindre. En guerre , ils ne font point de quartier aux hommes. Lies femmes et les enfans sont faits prisonniers et distribués entre les chefs. Après leur retour, ils tuèrent plus de vingt esclaves, les firent rôtir et les mangèrent. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 457 Difficultés récentes de la Mission. On a rapporté des preuves de l'espoir que donnait la Mission au retour de Shongui d'Angleterre. Le comité ajoute dans son rapport : Mais le retour de Shongui changea tout-à-coup la face des choses ! Qu'il ait rapporté à la Nouvelle-Zélande un esprit ulcéré contre les colons, c'est une chose qui a dû paraître fort surprenante à ceux qui ont vu les soins qu'on s'est donné pour lui être agréable; mais après toutes ces politesses, cette nou- velle disposition de son caractère a été cruellement ressentie par les colons restés à la baie des Iles, durant son absence. La manière dont Shongui fit connaître son changement fut très-affiigeante. Apprenant à son arrivée que le commerce des mousquets et de la poudre avait cessé de la part des co- lons, s'imaginant en outre que, si tous ses désirs n'avaient pas été entièrement satisfaits en Angleterre , c'est qu'on n'avait pas écrit des lettres en sa faveur, il se tint durant quelques jours à une certaine distance de l'établissement de Kidi-Kidi. Les scieurs de bois, qui avaient jusque-là travaillé paisible- ment et avec zèle, imitèrent sa conduite et quittèrent leur besogne; insistant pour être payés, soit en poudre et armes à feu, leurs articles favoris, soit en argent, afin de pouvoir s'en procurer par les baleiniers. Comme on ne put les satis- faire, tous quittèrent l'ouvrage, excepté deux, et il devint nécessaire d'en former d'autres. Un des colons écrivit en octo- bre : a Depuis plusieurs mois , ils avaient cessé de deman- der ces objets; mais depuis le retour de Shongui, comme il a rapporté avec lui une quantité d'armes à feu, les naturels, sans exception, nous ont traités avec mépris; ils se sont accoutumés à entrer dans nos maisons au gré de leur caprice ; à. demander des vivres; à voler ce qui se trouve sous leurs mains; à briser les palissades de nos jardins, et à enlever des 458 PIECES JUSTIFICATIVES. canots du navire tout ce qu'ils peuvent attraper. Si M. Mars- den s'était alors trouvé parmi eux, quelle que soit l'estime qu'il mérite pour ce qu'il a fait, je pense qu'il n'aurait pas échappé à leurs outrages. » Le grand objet du voyage de Sliongui paraît mainte- nant avoir été d'accroître ses moyens de conquête sur ses compatriotes. Quand il arriva à Port-Jackson , il v trouva quatre chefs de la rivière Tamise , qui étaient passés sur le Coromandel pour se rendre en Angleterre. M. Marsden prit des mesures pour les empêcher de poursuivre leur voyage, et Shongui, sans doute pour ses propres desseins, les dissuada fortement d'aller en Angleterre, à cause des effets pernicieux du climat sur sa santé et celle de ses compatriotes. Mais déjà il méditait une expédition formidable contre les dis- tricts auxquels appartenaient ces chefs. C'est de cette expédi- tion qu'un des colons écrit : « L'expédition dernièrement armée à la baie des Iles , dont Shongui est le chef, est vraiment formidable. Je juge qu'elle se compose de cinquante pirogues au moins, et de plus de deux mille hommes, dont un grand nombre armés de mousquets avec des munitions. Ils ont le projet de tout dé- truire de fond en comble, si notre Dieu ne les en empêche point. Le cœur saigne en pensant à la désolation qu'ils mé- ditent. Un autre cultivateur écrit : « La plus grande partie des naturels sont allés avec Shongui à la rivière Tamise , pour une expédition guerrière. On ima- gine que c'est la plus forte armée et le plus grand nombre de fusils qui soient jamais sortis de la baie des Iles. Leur résolution est de détruire hommes, femmes et enfans, les tribus qu'ils sont allés attaquer n'étant pas en état de se défendre, à défaut de ces mêmes armes. » PIECES JUSTIFICATIVES. 159 Un missionnaire appartenant à une Société amie , alors en visite clans la baie , dit à ce sujet : « C'est avec beaucoup de regret que je vous annonce qu'il n'est résulté aucun bien de la visite de Shongui et de Waï- Kato en Angleterre : ils ont renoncé à leurs babillemens eu- ropéens , et se sont mis en marche pour massacrer et ravager la plus grande partie de l'île. On a reçu des nouvelles qui an- noncent qu'ils ont tué , et probablement mangé plusieurs cen- taines d'hommes. » M. Francis Hall s'exprime ainsi touchant ce triste état de choses : « Shongui jouit de la plus haute considération parmi son peuple, comme un guerrier illustre et heureux; il y a plus, ils le regardent comme un dieu ; mais il n'a pas toujours le pouvoir d'arrêter leur violence, comme nous l'avons éprouvé dans les derniers troubles. Leurs succès dans les combats, les avantages qu'ils ont retirés de la mission , et leurs rapports avec les navires les ont gâtés. D'après ce que j'ai vu dernière- ment des dispositions des naturels, je suis porté à croire que si Shongui fût mort en Angleterre, non -seulement toutes nos propriétés, mais encore toutes nos personnes eussent été sa- crifiées à la superstition de ces peuples. » Le même écrivait au sujet des cultures exécutées par M. Kemp et par lui : « Nous avons dans notre jardin des arbres fruitiers d'Eu- rope, et des végétaux de plusieurs sortes... Nous avons coupé des asperges grosses comme le doigt que j'ai semées de graine dans le même temps Nous avons plus de trois acres d'aussi beau froment qu'on ait jamais vu, et une acre et demie d'orge, 460 PIECES JUSTIFICATIVES. qui suffiront pour notre famille l'année prochaine, s'il nous est permis de les récolter. » M. Butler disait de ses cultures à Kidi-Kidi : <• J'ai sept acres de blé et six d'orge et d'avoine qui poussent admirablement bien. » {Missionnary- Regùter, décerna. 1822, pag. 628.) EXTRAIT DU JOURNAL DE M. FRANCIS HALL, TENU A KIDI-KIDI. 19 décembre 1821. Trois des pirogues de guerre de la tribu de Moudi-Waï, du district de Shouki-Anga , sont revenues de la rivière Tamise , où, depuis plusieurs mois, elles semaient en tous lieux la mort et la destruction. Ceux qui les montaient ont débarqué à un demi-mille environ de l'établissement pour prendre quelques vivres, puis ils ont continué leur route pour retourner cbez eux , à notre grande satisfaction. Ils avaient avec eux plus de cent prisonniers de guerre, qu'il était facile de distinguer à leur contenance abattue; quelques-uns de ces captifs gémissaient et pleuraient avec amertume , une femme surtout, devant laquelle ils avaient, avec une cruauté tout-à-fait sauvage, planté la tête de son père au bout d'un bâton; la malheureuse s'était assise par terre en face de cette tête, et les larmes coulaient par torrens le long de ses joues. Nous vîmes plusieurs autres tètes fichées sur des bâtons au tra- vers du camp, et nous apprîmes qu'ils en avaient beaucoup d'autres renfermées dans des corbeilles. Ces pirogues apportaient la nouvelle de la mort du chef Tête, beau-fils de Shongui, qui avait été tué dans le combat. Tête était l'homme le plus civilisé , le plus décent , le plus adroit et le plus industrieux que nous eussions rencontré parmi les Nouveaux-Zélandais. Son frère Pou, qui était un PIÈCES JUSTIFICATIVES. 4G1 très-beau jeune homme, est aussi au nombre des morts. Ces nouvelles oceasionèrent une grande affliction dans la famille. On surveilla la femme de Tête et son frère Matouka , pour les empêcher de mettre fin à leurs jours. La femme de Pou se pendit en apprenant ces nouvelles, et celle de Shongui avait tué un kouki ou prisonnier de guerre, suivant leur coutume en ces sortes d'occasions. 20 décembre. Ayant appris que la femme de Shongui allait tuer un autre esclave, nous nous transportâmes à la hutte où elle se trouvait avec la femme de Tête et son enfant. Elles pleuraient toutes amèrement. Nous trouvâmes qu'elles n'a- vaient point tué le garçon, et nous espérons, d'après ce que M. Shepherd et moi lui dîmes, qu'elles ne le feront point. Je lui ai fait présent d'une hache pour cela. 21 décembre. Aujourd'hui Shongui et son peuple, avec quelques autres tribus , sont arrivés portant les cadavres de Tête et de Pou. La plupart de ce que nous étions d'Euro- péens se rendit au lieu où ils débarquèrent, à un quart de mille environ, pourvoir ce qui allait se passer; mais nous fûmes bien fâchés de ce que notre curiosité nous eût conduits à assister à de telles scènes d'horreur. Une petite pirogue , qui co'ntenait les corps morts, s'appro- cha la première du rivage : les pirogues de guerre et les pri- sonniers faits dans le combat, au nombre de quarante à peu près, s'étaient arrêtés à peu de distance. Peu après, les jeunes gens débarquèrent pour exécuter le chant et la danse guer- rière ordinaire au retour des combats : ils hurlaient, bondis- saient, brandissaient leurs lances, et levaient en l'air lestâtes de leurs ennemis avec une expression révoltante. Mais cela n'était encore que le prélude de l'affreuse cérémonie qui allait avoir lieu et dont nous n'avions nulle idée. Il y eut un intervalle d'un silence lugubre. Enfin les piro- gues s'ébranlèrent lentement et accostèrent le rivage. Alors la veuve de Tête et les autres femmes s'élancèrent vers la plage dans un accès de rage , et mirent en pièces les sculptures qui 462 PIECES JUSTIFICATIVES. ornaient la proue des pirogues. Puis se jetant dans une des pirogues, elles précipitèrent à l'eau plusieurs des captifs et les assommèrent, à l'exception d'un garçon qui s'échappa à la nage. Ensuite la veuve furieuse, se dirigeant vers une autre pirogue , entraîna dans l'eau une femme captive , et lui brisa la cervelle avec la masse qui sert à écraser la racine de fougère. Nous nous éloignâmes de cette scène d'horreur, où notre entremise ne pouvait être d'aucune utilité. Nous apprîmes qu'après notre départ, Shongui tua de sa propre main cinq personnes. En tout, il y eut dans cette soirée neuf personnes massacrées, qui furent ensuite mangées par les chefs et le peuple. C'est une coutume pour ces peuples barbares de faire ces sacrifices, en guise de satisfaction, pour leurs amis tués au combat. Les prisonniers de guerre, hommes, femmes et enfans, sont très-nombreux , mais surtout dans ces deux dernières classes. On a dit qu'ils montaient à près de deux mille , et ils ont été particulièrement distribués entre les différentes tribus de la baie des Iles. Ces sauvages sont maintenant plus que jamais altérés de sang; ils parlent de repartir bientôt, et projettent de ravager l'île entière. Dans cette expédition, ils ont accompli tout le mal qu'ils avaient annoncé. Le pauvre Inaki a été tué et mangé : ils ont rapporté sa tête, ainsi que celles de plusieurs de ses compa- gnons. Néanmoins Inaki lésa reçus plus chaudement qu'ils ne s'y attendaient. 22 décembre. Durant la nuit dernière, les nombreux natu- rels qui nous environnaient nous ont fait moins de mal que nous ne devions nous y attendre. Plusieurs des tribus éloi- gnées sont paisiblement parties ce matin , après avoir fait d'a- bord un grand monceau de tous leurs vieux kakahous et y avoir mis le feu. C'est leur habitude , quand ils retournent dans leurs foyers , de brûler tous les vêtemens qui leur ont servi dans le temps qu'ils ont tué des hommes. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 463 Parmi les prisonniers de la tribu de Shouki-Anga , qui est partie ce matin, se trouvait une belle femme, avec un joli garçon son fils, qui était vraiment très-bien, et passait pour le rejeton d'un officier du Coromandel. Le chef à qui elle appartenait menaçait de tuer l'enfant; c'est pourquoi madame Butler, par un sentiment d'humanité, le prit sous sa protec- tion. MM. Kentp et Shepherd descendirent à la pointe pour voir le corps de Tête. Shongui était tout occupé à fabriquer une caisse avec des morceaux de pirogues ornés de plumes et de sculptures, suivant leur habitude, pour y déposer les corps des deux frères Tête et Pou. Une partie des corps de ceux qui ont été tués hier rôtis- saient alors sur un feu à une petite distance, et d'autres mor- ceaux de chair humaine déjà cuits étaient dans des corbeilles par terre. Sbongui eut l'audace de leur en offrir à manger, disant que c'était meilleur que du cochon. Les naturels fai- saient cuire, au pied de la colline située derrière nos maisons, des morceaux d'une des pauvres femmes qui avaient été mas- sacrées : ils avaient coupé la tète et l'avaient fait rouler le long de la colline; plusieurs autres s'amusèrent ensuite à jeter dessus de grosses pierres jusqu'à ce qu'ils l'eussent mise en pièces. Puis ils la laissèrent prendre à M. Puckey qui l'enterra. On nous a rapporté que, parmi les esclaves qui ont été emmenés hier à Waï-Mate , une femme ne pouvait suivre les autres, soit qu'elle fût fatiguée, soit qu'elle fût estropiée. Elle fut en conséquence tuée et mangée. C'est la coutume de la Nouvelle-Zélande ! 24 décembre. Shongui est venu à l'établissement ce matin pour la première fois depuis son retour de la guerre : son but était de réunir les naturels qu'il pourrait trouver pour tirer à terre une de ses grandes pirogues. Il m'a aperçu dans la cour, s'est approché de moi, en me disant : « Comment vous portez-vous? » Puis il a sur-le-champ tourné d'un autre côté , et s'en est allé. Peut-être pensait-il que j'allais lui parler des meurtres qu'il venait de commettre. Il n'agit plus avec cette 464 TIECES JUSTIFICATIVES. franchise et cette loyauté qu'il déployait avec nous , mais il est taciturne et dissimulé. 29 décembre. Nous avons reçu le triste avis que Shongui et ses gens ont tué et mangé encore d'autres prisonniers; ce qui , à notre connaissance, porte à dix-huit le nombre de ceux qui ont été massacrés de sang-froid depuis leur retour du combat. Les corps de Tête et de Pou ont été déposés près de la ri- vière, à environ un demi-mille de l'établissement. En remon- tant la rivière , on n'a pas voulu permettre à notre canot de passer devant cet endroit, à cause du tabou. Il nous a fallu descendre à terre, quitter le canot, et transporter nos objets par terre. Nous avons vu les entrailles des pauvres créatures qui ont été tuées flotter sur les eaux de la rivière! 3i décembre. Nous avons vu plusieurs tètes humaines plan- tées sur des pieux , et la peau tatouée de la cuisse d'un homme clouée sur une planche pour sécher; elle est destinée à servir de couverture à une giberne. Les naturels ont planté deux tètes sur une haute palissade, en face de notre demeure. 10 janvier 1822. La femme de Tête tente actuellement de se laisser mourir de faim : elle n'a rien mangé depuis plusieurs jours. \5 janvier. Trois des femmes de Shongui , qu'il a capturées dans la dernière guerre , se sont enfuies, et il est allé à leur re- cherche. Akou , la belle-fille de Shongui, qui a dernièrement tenté de se tuer, est venu faire panser son bras; elle paraît plus contente, et j'espère qu'elle n'essaiera pas une seconde fois de se détruire. 16 janvier. Shongui a retrouvé ses fugitives. Nous sommes bien aises de voir qu'il n'en ait tué aucune, comme nous avions lieu de le craindre. i5 février. Les naturels se préparent actuellement à une très-grande expédition, pour venger la mort de Tête et celle de Pou. Plusieurs centaines de guerriers se sont rassemblés ici de plusieurs parties éloignées ; ils doivent se réunir aux Ngapouis et aux différentes tribus de la baie, dès que leurs pirogues PIECES JUSTIFICATIVES. 465 seront prêtes , pour former un des plus grands arméniens qu'ait jamais vus la Nouvelle-Zélande. Ils sont campés sur des coteaux autour de l'établissement; jusqu'à présent ils nous ont peu inquiétés, bien qu'il fassent un bruit épouvantable. 18 février. La tribu de Shongui , craignant que quelqu'une des tribus puissantes , aujourd'hui rassemblées, ne ravage ses champs de patates, a développé tout l'appareil de ses forces par des marches et contre-marches, et ces démonstrations ont pro- duit l'effet qu'il désiraient. 19 février. Les guerriers sont sur le point de partir. Ils sont très-méchans. 25 février. Ils se sont tous embarqués aujourd'hui pour commencer leur oeuvre de désolation. 27 mars. Nous avons appris que deux pirogues des guerriers ont été détruites et ceux qui les montaient ont été tués et mangés. Ils formaient l'arrière-garde du corps de l'armée et avaient débarqué pour ramasser de la racine de fougère, lors- qu'ils ont été surpris et taillés en pièces. 8 juin. Touai avec ses frères Koro-Koro et Terangui et Wil- liam fils de Koro-Koro sont arrivés ici. Touai a été absent, pour la guerre, durant près de deux ans : il a couru les plus grands périls et a reçu plusieurs blessures. La guerre semble faire ses délices : il dit que quand tous les peuples de l'Est seront exterminés on attaquera ceux du Nord. Je lui fis, avec toute la réserve possible , des représentations sur la folie et la cruauté d'une pareille conduite. Il cita plusieurs de ses mer- veilleux exploits : une fois entre autres il fut bloqué dans une place fortifiée durant un temps considérable : pendant vingt jours, il n'eut rien à boire ni à manger : ses ennemis sem- blaient si assurés de le prendre , qu'ils avaient préparé le bois pour le faire rôtir : mais il fut délivré de cette situation cri- tique par ses amis de la baie Mercure. Il a cinq femmes. Les chefs passèrent la soirée avec nous; et Touai, pendant nos prières du soir, se joignit à nous et récita l'oraison dominicale qu'il sait très-bien. tome m. 3o 466 PIECES JUSTIFICATIVES. îo juin. Touai est venu nous voir ce matin avant son dé- part. Nous lui avons donné deux haches , une herminette , une pioche, cinq limes , deux ciseaux de menuisier, un couteau, deux paires de ciseaux et quelques hameçons. Sa figure est tatouée et il paraît fort maigre. Il se propose , à ce qu'il paraît, de retourner à la guerre dans trois mois. 29 juillet. Rewa et plusieurs autres chefs sont de retour de la guerre; ils ont rapporté avec eux les corps de neuf chefs qui ont été noyés dans une pirogue qui a chaviré par la houle. Les tribus de la baie des Iles ont exercé de grands ravages et fait beaucoup de prisonniers. Déjà deux de ces infortunés ont été tués et mangés. Nous sommes environnés de scènes de désolation : les femmes pleurent leurs maris morts dans les combats; les captifs dé- plorent leur éternelle et cruelle servitude; il y en a d'autre qui se réjouissent de l'heureuse arrivée de leurs parens et amis. Shongui est tout glorieux; il dit que dans un endroit, sur les bords du Waï-Kato, son armée a réussi à tuer quinze cents individus. 7 août. Il y a eu plusieurs coups de fusil tirés ce matin ; Shongui devant relever les os de son beau-fils , ces coups de fusil avaient pour objet de chasser l'Atoua. Nous nous propo- sions d'assister à cette cérémonie ; mais nous apprîmes que Shongui avait tué deux esclaves et qu'on allait les manger, ce qui nous fit rester chez nous. Ces déplorables victimes étaient assises l'une près de l'autre sans soupçonner le sort qui les menaçait, quand Shongui leur lâcha son coup de fusil, dans l'intention de les tuer d'un seul coup ; mais la malheu- reuse femme ayant été seulement blessée tenta de s'échapper : elle fut bientôt rattrapée, et sur-le-champ on lui brisa la cer- velle. 8 août. Un chef d'un très-mauvais naturel est entré chez nous et a dit que nos bestiaux ayant endommagé ses patates , il fallait que nous lui donnassions deux haches ou bien qu'il allait tirer dessus. Il a pris son fusil et est parti pour exécuter PIECES JUSTIFICATIVES. it;7 sa menace ; mais son frère l'a ramené, et nous avons été con- traints de céder à sa demande et de donner une hache à son frère pour la peine qu'il s'est donnée. lo août. Nakoura, un naturel qui est dernièrement revenu de la guerre, est mort cette nuit. M. Kemp et moi nous lui donnâmes des soins avant qu'il restât couché ; nous lui fîmes prendre quelque chose de chaud et lui préparâmes un feu. Il parlait avec force et clarté; bien qu'il nous dît qu'il allait mourir dans la nuit , nous ne pouvions imaginer qu'il fût si près de sa fin. On a dit qu'en une occasion il avait tant mangé de chair humaine, qu'il ne s'était jamais trouvé bien depuis ce moment. Ce pauvre malheureux fut abandonné dans ses derniers momens par ses compatriotes. Us allaient jeter son corps dans la rivière; mais pour une légère gratification que nous leur offrîmes, ils creusèrent une fosse pour l'enterrer. 22 août 1822. Te Aïre , parent de Shongui et chef de quelque importance et d'un caractère affable , se trouvant dan- gereusement malade, à douze milles environ de distance, je suis allé le voir. Ses poumons sont attaqués et il crache beau- coup de sang. Nous lui avons mis des vésicatoires et donné un peu de thé, ce qui lui a fait grand plaisir. 23 août. Nous avons soigné la mère de Shongui qui est âgée de plus de cent ans : elle est à l'extrémité. Un des fils de Shon- gui est aussi très-mal. En revenant chez nous, nous vîmes sur la route un grand nombre d'ossemens blanchis au soleil, qui étaient ceux des esclaves tués et mangés. 21 octobre. Un pauvre enfant de six ans environ , qui avait été amené prisonnier de guerre , a été aujourd'hui tué et mangé près de l'établissement. 22 novembre. J'ai pansé les blessures d'une femme qui s'é- tait, par mégarde , endormie trop près du feu, où elle faisait cuire sa racine de fougère. Elle s'était brûlée d'une manière épouvantable. 26 novembre. Le chef Watihou, qui ne s'était pas rétabli de- puis son retour du combat de Waï-Kato , est mort. Je l'avais 1 ~* JO 468 PIÈCES JUSTIFICATIVES. soigné durant plusieurs mois. On l'avait ramené de Waï-Mate peu de jours avant sa mort. Deux de ses femmes ont clé tuées à coups de fusil par Te Aire son père : une d'elles était la femme la plus belle et la plus intéressante que j'eusse vue dans la Nouvelle-Zélande. Plusieurs esclaves ont été massacrés; et plusieurs naturels ont accouru pour prendre part à l'horrible festin qui en sera la suite. 3o novembre. Koro-Koro ayant dit que Shongui avait volé quelques-uns de ses cochons, plusieurs pirogues bien armées et bien manœuvrées sont parties d'ici pour aller en tirer ven- geance sur lui et sur son peuple. Il n'y a pas eu de combat, mais Koro-Koro a reçu de rudes coups sur la tête et a failli perdre l'œil qui lui reste; ses ennemis ont aussi emporté toutes ses patates. n décembre. La pauvre jeune femme dont j'ai parlé le 22 du mois dernier, est morte aujourd'hui. Sa mort a sans doute été hâtée, sinon occasionée, par la superstition des naturels, qui n'ont pas voulu la laisser sous l'abri de sa cabane, mais l'ont exposée à un soleil accablant. Une troupe de mauvais sujets qui revenaient précisément de voler les patates de Koro-Koro, l'ont environnée dans ses derniers momens, et par leurs rail- leries et leurs grimaces l'ont insultée sans pitié a son dernier soupir. Peu de jours après le départ de M. Hall, qui eut lieu le 3 ou le 4 décembre 1822 , Tiki , la principale femme de Watihou , a été trouvée morte; elle s'était pendue, et laissait quatre en- fans orphelins. On demanda pourquoi Te Aire avait tué deux de ses autres femmes; les naturels répondirent qu'on l'avait fait pour les empêcher de devenir les femmes d'autres hommes. ( Missionnarj' Register, novemb. i82.3 , pag. 5o4« ) EXTRAIT D'UNE LETTRE DES MISSIONNAIRES. g janvier 1822. Shongui est venu ce matin pour faire panser ses blessures; car il vient d'être tatoué de nouveau sur la PIECES JUSTIFICATIVES. 460 cuisse qui est très-enflammée. Sa fille aînée, la veuve de Tête qui a succombé dans l'expédition , s'est tiré un coup de fusil chargé de deux balles qui ont percé la partie charnue de l'é- paule. Elle avait l'intention de se tuer, mais nous présumons que dans le mouvement opéré pour pousser la gâchette avec l'orteil, la bouche du fusil s'est dérangée de l'endroit fatal... Hier ils ont tué d'un coup de fusil une autre pauvre esclave, et l'ont mangée. C'était une fille de dix ans environ. Le frère de Tête lui tira un coup de pistolet, et ne fit que la blesser; alors un des petits-enfans de Shongui l'assomma d'un coup sur la tète! Nous avions appris la mort de cette fille; quand nous allâmes panser la blessure de la veuve de Tête, nous lui demandâmes si cela était vrai ; elle répondit en riant qu'ils avaient grande faim , et qu'ils avaient tué cette fille pour la manger avec des patates douces; elle disait cela avec tout aussi peu d'embarras que s'il se fût agi de tuer une poule ou une chèvre. ( Missionnary Rcgister, janv. i8a3 , pag. 68.) Par des lettres du 20 et du 26 février 182?. , M. Leigh con- firme les nouvelles que nous avions déjà données des expédi- tions turbulentes et sanguinaires des naturels; mais il ne sent pas pour cela sa confiance ébranlée pour s'établir parmi eux. Une station à Oudoudou, près du cap Nord, environ à cent milles de la baie des Iles, lui avait été recommandée par Shon- gui , et les chefs de ce district qui se trouvèrent alors dans la baie appuyèrent la recommandation. Son intention avait été de s'établir à la baie Mercure , près la rivière Tamise ; mais Shongui lui dit de renoncer à ce dessein, attendu qu'il avait le projet de massacrer tous les peuples de ces régions ! Un extrait d'une des lettres de M. Leigh sera lu avec regret et horreur, spécialement par ceux qui virent ces chefs en An- gleterre, et conçurent des espérances favorables sur leur ca- ractère et leurs intentions. <■ Bientôt après son arrivée, Shongui fut informé qu'en son 470 PIECES JUSTIFICATIVES. absence un de ses parens avait été tué par quelques-uns de ses amis de la baie Mercure et de la rivière Tamise. Ce rapport n'était que trop vrai. Sur-le-cbamp Shongui déclara la guerre à ceux-ci, bien qu'ils fussent aussi ses parens. Le chef qui était de la baie Mercure , et avec qui Shongui était venu de la Nouvelle-Galles du Sud à la Nouvelle-Zélande, désirait vive- ment une réconciliation; mais ce fut en vain. La guerre seule pouvait satisfaire Shongui. Il eut bientôt rassemblé trois mille combattans, et se mit en marche. Le combat fut affreux, et plusieurs périrent des deux côtés : enfin Shongui remporta la victoire, et retourna en grand triomphe à la baie des Iles. «< A mon arrivée à la Nouvelle-Zélande , j'appris que Shon- gui et ses gens tuèrent mille hommes, dont trois cents furent rôtis et mangés sur le champ de bataille! Shongui tua le chef ci-dessus mentionné; puis il lui coupa la tète, égoutta le sang dans sa main et l'avala! C'est de Shongui et de Waï-Kato eux- mêmes que je tiens ce fait qu'ils racontaient avec le plus grand orgueil. « Shongui et Waï-Kato ont tué depuis leur retour de la guerre plus de vingt esclaves qu'ils ont rôtis et mangés. » Shongui et ses amis sont retournés à la guerre. Depuis que j'ai débarqué , non moins de mille combattans ont quitté la baie pour aller à la rivière Tamise, et non moins de deux mille, autour de nous, se préparent à marcher sous peu de jours vers le même endroit. Shongui est à la tête de cette armée, et combattra avec elle. » ( Missionnary Réguler, août 1822 , pag. 35i. ) EXTRAIT DU JOURNAL UE M. LEIGH. 20 août 1822. Un jeune homme fortement attaqué de con- somption me demanda si le Dieu de l'homme blanc était un Dieu bon. Quand je lui eus répondu que oui, il fit observer que le dieu du Nouveau-Zélandais était un dieu méchant; car il PIÈCES JUSTIFICATIVES. 471 dévorait leurs entrailles, et les faisait beaucoup souffrir. « En outre, ajouta-t-il, notre dieu ne nous donne ni pain, ni ha- bits, ni bonnes maisons , comme fait le vôtre. » Une tribu s'oppose à ce que des Européens s'établissent chez elle, et voici la raison qu'elle donne : « Si les blancs ve- naient vivre avec les Zélandais, ils amèneraient avec eux le Dieu de l'Europe qui tuerait toute la tribu : depuis que les blancs sont arrivés à la baie des Iles, beaucoup de Nouveaux- Zélandais sont morts, et leur Dieu est très-irrité contre nous. » 3o août. Dans un des villages des naturels, un jeune homme tomba malade. On lui envoyait de temps en temps du thé et du pain ; mais quand il crut sérieusement qu'il allait mourir, il annonça à la personne qui lui apportait ces alimens, que cette fois il ne mangerait point le pain , mais qu'il allait le réserver pour son esprit qui viendrait le manger après avoir quitté son corps, et lorsqu'il se mettrait en route pour le cap Nord. 3 septembre 1822. Un Européen demandait à un chef ma- lade : « Priez-vous Dieu de vous rendre la santé? — Non, nous n'avons pas un dieu bon ; notre dieu est un méchant es- prit. Il ne nous donne pas de vivres. Il nous rend malades. Il nous tue , etc. Je rencontrai dernièrement quelques naturels qui venaient de pécher. Je désirai leur acheter un peu de poisson. Quand je leur en fis la proposition , ils répondirent qu'ils ne pou- vaient pas m'en céder du tout, attendu que c'était le premier qu'ils eussent pris cette année dans cet endroit, et qu'ils de- vaient le manger sur le premier endroit du rivage où ils al- laient aborder ; mais que si , à mon retour, je désirais en avoir, ils retourneraient pêcher, et qu'ils m'en donneraient en plus grande quantité. (Missionnary Register, avril 182 3 , pag. 198. ) 472 PIÈCES JUSTIFICATIVES. DETAILS SDR LE QUATRIÈME VOYAGE DE M. MARSDEN A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. Le révérend Samuel Marsden , avec le révérend Henri Wil- liams et sa famille, s'embarquèrent à Port-Jackson pour la Nouvelle-Zélande , à bord du Brampton , capitaine Moorc, le 23 juillet i823, et touchèrent à Rangui-Hou le 23 août. M. Marsden rembarqua à bord du Brampton pour la Nou- velle-Galles du Sud le 5 septembre. Le navire fit naufrage dans la baie des Iles le 7 septembre , mais personne ne perdit la vie. M. Marsden fut retenu dans ce pays jusqu'au t4 no- vembre, où il s'embarqua sur le Dragon, avec le révérend Jobn Butler et sa famille, et M. et madame Côwell; ils arrivèrent à bon port à Sydney, au commencement de dé- cembre. ( Missionnary Registcr , juin 1824 , pag- 277. ) M. Marsden employa à cette visite un peu plus de quatre mois, depuis la fin de juillet de l'année dernière jusqu'aux premiers jours de décembre. Nous allons extraire de son journal divers passages qui répandront un nouveau jour sur le caractère des naturels et les progrès de la Mission. PIECKS JUSTIFICATIVES. 473 Misère et cruautés du paganisme. Une pirogue de guerre arrivant du sud a aceosté le navire. Sur l'arrière, j'ai observe le corps d'un homme mort enveloppé dans des nattes. La pirogue était pleine de monde. Toutourou , un des chefs de Waï-Kadi , s'y trouvait , et semblait épuisé de fatigue et de privations : il avait naguère demeuré chez moi à Parramatta, et il fut très-ému en me voyant; cependant il ne sortit point de la pirogue, et resta dans sa posture de deuil. Que de souffrances ces pauvres païens ont à endurer sous l'empire du prince des ténèbres! Dans l'après-midi, tandis que nous nous promenions sur le rivage, il arriva une autre pirogue de guerre , où nous apprîmes qu'il se trouvait deux chefs morts : quand ils furent à une petite distance de terre , ils s'assirent tous en silence dans la pirogue en pleurant , et du rivage les femmes commencèrent aussi à pousser des cris et à faire un grand bruit. Ces pauvres créatures se désolent, comme si elles étaient sans espoir. — Rewa , le chef le plus puissant après Shongui, venait, accompagné de quelques autres chefs , du Waï-Kato où ils étaient allés comme ambassadeurs, pour faire la paix avec les tribus de cette rivière. Le Waï-Kato est une contrée très-po- puleuse de la Nouvelle-Zélande. Plusieurs personnes appar- tenant à ces districts étaient venues avec ces chefs. Rewa est marié et a cinq enfans. Lors de sa dernière expé- dition guerrière , il ramena chez lui une autre femme , ce qui affligea beaucoup la première. Elle ne put supporter l'idée de voir deux femmes à Rewa. Dans l'absence de ce chef, sa seconde femme eut un fils : dans le même temps, sa première femme était aussi enceinte, et peu après elle accoucha égale- ment d'un garçon. Celle-ci fut si courroucée de ce que la se- conde femme eût un fils, qu'elle détruisit son propre enfant. Peu de temps après la seconde femme mourut aussi. Quand Rewa fut instruit de ces événemens , il en fut vivement affligé, 474 PIECES JUSTIFICATIVES. et pleura amèrement. L'infanticide n'est pas commun à la Nouvelle-Zélande, surtout pour les garçons. Us sont très-atta- chés à leurs enfans , et en prennent un grand soin. La femme de Rewa fit périr son enfant uniquement par dépit et pour se venger de ce que son mari avait pris une autre femme. On craint que Rewa ne fasse ur. sacrifice humain pour dissiper ses inquiétudes. — M. Kcmp m'apprend que Rewa vient de tuer une jeune femme en holocauste pour la mort de sa seconde femme. Son fils vint l'appeler tandis que nous conversions ensemble. Peut- être était-ce pour accomplir cette cérémonie sanglante!... Quand ces rits barbares seront-ils abolis?... Cette jeune femme était une prisonnière de guerre, prise dans la dernière expé- dition contre la rivière Tamise. — Rewa vient de me rendre visite, revêtu de son grand cos- tume , et m'a fait cadeau de deux nattes. Il m'a raconté qu'il a tué une jeune femme; mais il a donné ordre qu'on l'enterrât et qu'on ne la mangeât point. La pauvre femme était accusée de deux crimes : l'un , de n'avoir pas rendu les soins conve- nables à sa maîtresse durant ses couches; l'autre, d'avoir ac- compli les rits funéraires envers sa maîtresse, puis d'avoir mangé avec ses propres mains avant d'avoir été purifiée de la souillure qu'elle avait contractée en touchant un corps mort. Ce dernier acte est regardé comme un très-grand crime vis-à-vis de leur Dieu. Pour ces motifs, il était nécessaire qu'elle fût sacrifiée , tant pour apaiser l'esprit de la morte que pour le salut des vivans. Ni persuasion, ni récompenses, ni promesses, ne peuvent arrêter ces cérémonies sanguinaires!... Rewa sembla tout-à-fait tranquille quand il eut fait cette offrande. Je lui avais cité l'ancienne condition des Taïtiens et leur conduite actuelle, j'espérais que les Nouveaux-Zélandais les imiteraient. — J'ai demandé ce que l'on avait fait du corps de la jeune femme qui avait été sacrifiée hier, et l'on m'a appris qu'il avait été préparé et mangé par les naturels du Waï-Kato, bien PIECES JUST1EICATIVES. 475 que Rewa m'eut dit qu'il avait donné des ordres pour qu'il fût enterré. Avant d'aller me couelier la nuit dernière, j'entendis les naturels qui dansaient et qui chantaient près de l'endroit où la jeune femme avait été tuée. Je suis persuadé qu'ils se préparaient à dévorer la victime. — La femme de Waï-Kato m'a dit qu'elle me donnerait un esclave. C'est le fils d'un chef qui a été tué dans le combat , et qui fut alors fait prisonnier. J'ai accepté cette offre , dans l'es- poir de racheter cette pauvre créature du plus cruel esclavage. Un esclave n'a aucune garantie pour sa vie : son maître peut le tuer quand cela lui plaît, et il le traite tout-à-fait au gré de ses passions. — Waï-Kato m'a amené le garçon dont sa femme m'avait fait présent. En le questionnant, je trouvai que son père avait été tué à une grande distance au sud de la rivière Tamise , époque à laquelle il fut fait prisonnier de guerre; puis il fut pris une seconde fois et amené à la baie des Iles. Je me pro- pose de l'emmener avec moi dans la colonie , et de lui donner quelque instruction; peut-être pourra-t-il se rendre utile à son pays par la suite, si la Providence veut le permettre. Notions superstitieuses des nature/s. Un navire américain , le Cossack , a dernièrement fait nau- frage en sortant de la rivière Gambier, sur la côte occidentale de la Nouvelle-Zélande, que les naturels nomment côte du Shouki- Anga. La perte de ce navire a été le sujet de longs entretiens parmi les Nouveaux-Zélandais. Un chef me donna les raisons suivantes de cet événement : il y a sur le bord méridional de l'entrée du havre deux rochers qui sont regardés comme sacrés, étant la résidence du dieu des vents et des vagues. Les matelots du Cossack n'eurent point de respect pour ces ro- chers, mais ils les frappèrent avec leurs marteaux. Les naturels les avertirent de ne pas agir ainsi, et les prièrent de ne pas y toucher; car s'ils le faisaient leur Dieu serait irrité. Les ma- An PIÈCES JUSTIFICATIVES. rins ne tinrent aucun compte des paroles des naturels. Quand le Cossack en sortant passa sur la barre , le dieu des rochers se glissa sous le fond du navire : dans sa colère, il se mit à danser, et fit bondir le navire comme une balle. Le maître laissa tomber les ancres; mais le dieu furieux coupa les ancres (non pas les câbles) au fond de la mer, et secoua le navire jusqu'à ce qu'il fût brisé en pièces. Le Cossack n'aurait point éprouvé d'accident si les matelots n'avaient point provoqué la fureur du dieu des vents et des vagues en frappant les ro- chers sacrés. C'est une opinion généralement admise par lés Nouveaux-Zélandais. Quand je visitai cette rivière et que j'ap- prochai de ces rochers, ils me prièrent de ne point y toucher, de crainte que je ne mourusse. Telle est la superstition actuelle de ce peuple. Remarques sur le caractère des naturels. J'ai eu une conversation avec Ware-Porka sur l'état actuel de la Nouvelle-Zélande. C'est un chef d'une grande influence, et considéré comme un des plus braves guerriers de ce pays. Il désire la paix, et m'a prié de parler à Sliongui à ce sujet. Si Shongui voulait renoncer aux combats, la plupart des chefs de la baie des Iles semblent disposés à s'occuper de leurs cul- tures et de leurs affaires domestiques. Leur intelligence s'ac- croît par degrés; mais il leur manque un objet assez important pour exercer leur activité et leurs capacités. J'ai recommandé à plusieurs d'entre eux de diriger leur attention vers la cons- truction d'un navire de cent vingt tonneaux environ , qui leur servirait à entretenir une communication régulière avec Port- Jackson. S'ils voulaient fixer leur attention sur l'agriculture et le commerce, ces arts leur fourniraient une matière suffi- sante pour occuper leurs esprits; ils accroîtraient par là tout ensemble leurs besoins et les moyens d'y satisfaire. Jusqu'au moment où quelque chose de ce genre aura été adopté , je ne puis concevoir comment leurs guerres pourront avoir un TOGES JUSTIFICATIVES. 477 terme. Quand ils ont perdu un proche parent dans un com- bat, leurs esprits s'appesantissent sur la mort de leur ami, car ils n'ont rien pour les occuper. S'ils sont en état de venger sa mort, ils tentent de le faire le plus tôt possible, sinon ils songent à leur perte durant des années entières et ils en gar- dent le deuil; enfin, s'ils peuvent un jour en obtenir satis- faction , tant qu'ils vivent ils n'en laissent point échapper l'occasion. Ils ne connaissent point l'oubli pour les outrages qu'ils ont reçus ; pour eux , c'est un devoir envers leurs parens défunts que de punir ceux qui ont causé leur mort, quand bien même ils auraient succombé par les suites ordi- naires de la guerre. Si ces hommes avaient des rapports régu- liers avec les nations civilisées, et des objets d'une certaine importance pour occuper leurs âmes, la force de leurs affec- tions naturelles et de leurs notions superstitieuses diminuerait par degrés, et leurs ressentimens s'apaiseraient. Il faut espérer que la génération actuelle aura des idées et des sensations différentes, car elle sera mieux instruite des arts de la civili- sation et moins accoutumée à leurs habitudes guerrières. — J'ai eu un long entretien avec Rewa , le premier pour le rang après Shongui. Il avait appris que son frère avait été tué dans le combat, et, si cette nouvelle était exacte, il se voyait obligé d'aller venger sa mort sur-le-champ. Je lui représentai les calamités de la guerre , et combien il vaudrait mieux pour eux de cultiver les arts de la paix. Il répliqua que son cœur était si brisé en songeant à son frère , qu'il ne pouvait pas se consoler, et qu'avant d'éprouver aucun repos il fallait qu'il eût satisfaction. Je lui dis que je croyais que les chefs de la baie des Iles pourraient se réunir pour construire un bâti- ment, et que, dans ce cas, je leur ferais avoir un permis de navigation. Plusieurs d'entre eux désiraient aller à Port-Jack- son , et ils pourraient alors le faire quand cela leur plairait. Il répondit que les chefs ne pourraient jamais s'accorder pour avoir un navire, car chacun d'eux voudrait en disposer sui- vant son gré ; il fit observer aussi qu'ils ne permettraient jamais 478 PIEGES JUSTIFICATIVES. aux missionnaires de vivre ensemble , attendu que chaque chel voudrait qu'ils habitassent dans sa tribu. Les Nouveaux-Zé- landais sont doués de jugement et de réflexion, et ils tâchent de découvrir le motif de toutes les actions d'un homme. C'est pour eux un proverbe ordinaire de dire que « l'on peut voir l'extérieur d'un homme, mais non pas son intérieur; » et sou- vent ils me faisaient observer , après que j'avais causé avec quelques-uns de leurs compatriotes : « Vous les entendez bien parler, mais vous ne savez pas ce qui se passe au fond de leurs cœurs. » Quand il plaira à Dieu de leur accorder la connais- sance de sa grâce et de son amour, ils deviendront un peuple étonnant. Ils étudient la nature de l'homme avec l'attention la plus assidue, et s'efforcent de découvrir son véritable carac- tère d'après l'ensemble de sa conduite. Ils détestent un carac- tère grossier et violent. Entre eux, ils vivent en général en paix et en parfaite harmonie. Je n'ai pas vu d'homme, de femme ou d'enfant en frapper un autre tant que j'ai été dans l'île. Exemple des Taïtiens compris par les Nouvcaux-Zélandais. Tawa , le fils du feu chef Tepahi , très-beau jeune homme qui avait demeuré avec moi à Parramatta plus de douze mois, me fit des questions sur les motifs pour lesquels les mission- naires ne vendaient ni fusils ni poudre aux naturels*. Je répon- dis qu'ils avaient reçu l'ordre des gentlemen qui les avaient expédiés d'Angleterre, de ne point vendre ces articles, et qu'aucun missionnaire ne pouvait se permettre de le faire à la Nouvelle-Zélande. Comme plusieurs des chefs qui étaient pré- sens avaient été à Port-Jackson , je fis observer que là aucun ecclésiastique ne vendait ni mousquets ni poudre. Ils savaient que je n'avais point de fusils dans ma maison , et qu'ils n'en avaient jamais vu un seul chez moi quand ils y étaient venus. Ils confirmèrent la v érité de ce que je disais. J'ajoutai que nous ne nous mêlions point du gouvernement à la Nouvelle-Zé- PIECES JUSTIFICATIVES. 479 lande; ils faisaient ee qu'il leur plaisait, et les missionnaires devaient jouir du même privilège. Tawa dit que cela était juste , et fit la remarque suivante : « Nous sommes actuel- lement dans le même état que lesTaïtiens il y a quelque temps. Les Taïtiens ne demandaient que de la poudre et des fusils, et ne voulaient rien autre chose ; aujourd'hui qu'ils sont mieux instruits, ils n'en demandent plus. Les Nouveaux-Zélandais ne s'en soucieront plus aussi quand ils seront plus éclairés ; avec le temps cela viendra, mais il faut leur donner le temps de s'instruire. » Il ajouta qu'il était allé à la guerre quelque temps auparavant , mais qu'il n'y retournerait point. Tous les chefs acquiescèrent aux observations de Tawa. Je fus charmé de voir que leurs esprits s'étaient éclairés, et qu'ils eussent commencé à considérer ce sujet sous un point de vue aussi juste. Je déclarai que les remarques de Tawa sur la conduite des Taïtiens étaient fort exactes, et je leur dis que le brick Queen Charlotte, qui la veille avait fait voile de la baie des Iles, appartenait au jeune roi Pomarc; que lesTaïtiens avaient envoyé à Port-Jackson de l'huile et divers autres articles, en échange desquels ils recevaient du thé , du sucre , de la farine et les habillemens nécessaires; qu'avec le temps les Nouveaux- Zélandais pourraient avoir aussi à eux un navire pour se pro- curer du sperma-céti, des espars, etc., qu'ils pourraient ven- dre à Port-Jackson ; et que plusieurs d'entre eux pourraient harponner les baleines, ayant été long-temps employés à bord des baleiniers. Quand ils posséderaient un navire , ils se mettraient au niveau des Taïtiens et renonceraient à leurs cruelles guerres. Ils témoignèrent un grand plaisir à l'idée seule d'avoir un vaisseau à eux , pour les mettre en état de se procurer les objets dont ils avaient besoin. Indices satisfais ans parmi les naturels. Après le naufrage du Bramplon , on débarqua sur l'île Mo- tou-Roa une quantité considérable de vivres et de provisions. 480 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Je descendis sur l'île et priai les naturels de protéger à la fois les gens de l'équipage et leurs propriétés : ils m'assurèrent qu'ils allaient monter la garde nuit et jour , et que je pouvais comp- ter que rien ne serait perdu. M. Butler m'informa qu'il y avait eu quelque altercation parmi les naturels, au lieu du naufrage, mais que King-George et les chefs du bord avaient apaisé le différend, et que tout était parfaitement tranquille. Je fus très- content de ce rapport , et de voir qu'une nation sauvage , dont plusieurs de ses membres étaient si pauvres et si misérables qu'ils ne possédaient pas seulement un clou, put s'abstenir du pillage , en dépit de la tentation violente que devait offrir à leur avidité naturelle le naufrage de tant de propriétés impor- tantes. Je ne pense pas qu'on puisse offrir une preuve plus forte des progrès que ces pauvres païens ont faits vers la civi- lisation , que le respect qu'ils conservèrent pour les Européens et pour leurs propriétés dans une circonstance aussi déplo- rable. Nous étions tous, ainsi que nos effets, tant à terre qu'à bord , complètement en leur pouvoir. Ils eussent pu à chaque instant se défaire de nous , et il n'est pas douteux qu'ils n'eus- sent pris ce parti , si les missionnaires n'avaient pas été établis parmi eux et n'avaient pas gagné leur confiance et leur affec- tion. C'est le cas d'observer que, durant les neuf dernières années, c'est-à-dire depuis le premier établissement de la Mis- sion jusqu'au moment actuel, aucun Européen n'a reçu d'in- jure de la part des naturels dans toute l'étendue de la côte comprise entre le cap Nord et la rivière Tamise , bien que les habitans eussent été souvent provoqués et maltraités par les maîtres et les marins des navires qui les avaient visités. Les Missions ont rendu un service important sous ce rapport. Un navire peut aujourd'hui entrer et mouiller dans la baie des Iles, avec tout autant de sécurité qu'à Port-Jackson. Le temps viendra, sans doute , où les habitans de la Nouvelle-Zélande avanceront non-seulement vers la civilisation , mais encore vers la connaissance et le culte du seul vrai Dieu, et le monde chrétien aura alors sujet de se réjouir et de louer le Seigneur. ' PIECES JUSTIFICATIVES. 18 1 Le capitaine Moorc, du Brampton , m'apprit qu'il avait quitté le navire échoué et transporté tous ses bagages sur l'île Motou-Roa; que les chefs du bord s'étaient tous bien compor- tés; que dans une circonstance cinq ou six cents naturels avaient entouré le navire dans leurs pirogues , et semblaient disposés à être turbulens ; que King-George avait prié le capi- taine de rester tranquille et de ne se mêler de rien ; qu'alors King-George avait adressé aux naturels un discours qui avait duré plus d'une heure. Il leur représenta les suites funestes des actes de violence ou de pillage qu'ils pourraient commettre, en leur rappelant le Boyd et ce qui suivit la destruction de ce navire : puis il prit l'épée du capitaine et leur dit qu'il tuerait le premier homme qui tenterait de monter sur le navire. Par sa présence et sa fermeté, l'ordre et la paix furent rétablis, et le capitaine Moore put emporter du bord tout ce qu'il désira sauver. Le capitaine Moore me dit que, s'il eût fait naufrage sur les côtes de l'Angleterre, les Anglais se fussent montrés mille fois plus importuns que n'avaient été les Nouveaux-Zélandais. J'ai passé la journée à converser avec les naturels touchant leurs guerres, leur religion et leur pays, d'une manière fort intéressante. Quelques-uns des chefs ont beaucoup voyagé dans l'intérieur , et ils décrivaient plusieurs endroits où le ter- rain était uni et le sol fertile durant des journées entières de marche ; ils décrivaient de hautes terres couvertes de neige, des lacs intérieurs et des sources chaudes situées dans le Sud , avec une grande population. Toutes leurs belles nattes et leurs sculptures se font dans les contrées du Sud, qui sont encore inconnues aux Européens. Touai devient le chef de sa tribu. Je suis allé visiter la tribu de Touai , accompagné par le révérend H. Williams et M. Kemp : la distance de Kidi-Kidi est de neuf milles environ par eau. Nous trouvâmes un nombre immense de femmes et d'en fans TOME III. 3i 482 PIÈCES JUSTIFICATIVES, chez eux. Touai , ainsi que son frère Koro-Koro , son oncle Kaïpo et les combattons étaient allés à la guerre. On avait reçu la nouvelle que Kaïpo avait été tué dans le combat et que Koro-Koro était décédé de mortnaturellc. Kaïpo était un jeune homme quand le capitaine Cook visita la Nouvelle-Zélande : c'était actuellement un très- beau vieillard et un grand guer- rier. Sa veuve et sa fille étaient revêtues de leurs habits de deuil et assises l'une près de l'autre, gardant un profond silence et dans une grande désolation. Toute la tribu était fort affectée de la perte de son chef. Les naturels me dirent que Touai se trouvait sur une petite île peu éloignée de la Tamise, où il atten- dait le moment où il pourrait rapporter le corps de son frère à la baie des Iles. Ils me prièrent de revenir pour voir le corps ^lc Koro-Koro quand il serait au village. Un des frères de Touai , qui était présent, me raconta que celui-ci était si contrarié de ces guerres continuelles, qu'il était déterminé à quitter la Nouvelle-Zélande. Maintenant que Koro-Koro qui était si passionné pour les combats n'est plus, peut-être que Touai qui va être le chef de sa tribu usera de son influence pour les en détourner; son frère puîné, qui aime le repos, secondera certainement Touai, si celui-ci sou- haite de vivre en paix. Mais, par malheur, quand les autres chefs ne peuvent décider leurs amis du voisinage à les seconder dans leurs expéditions, ils se réunissent pour couvrir ceux-ci de honte en les accusant de lâcheté. Ils me pressèrent fort d'envoyer un missionnaire pour s'éta- blir dans leur district; ils disaient que depuis long-temps on leur en promettait un, et ils soutenaient qu'ils v avaient des droits, puisque Koro-Koro était allé le premier à Parramatta pour les chercher, et que Touai avait ensuite été le premier en Angleterre. Jusqu'aujourd'hui aucun missionnaire ne s'est établi parmi eux , parce que tous les guerriers du Nord et de la baie des Iles, dans leurs courses, ont coutume de passer par cet endroit, ce qui les incommoderait fort et les exposerait à être pillés; car les Nouveaux-Zélandais ressemblent beaucoup p i k c es .1 1 1 s il fic a ri v es . 48 3 aux soldats en temps de guerre, qui se plaisent trop souvent à piller et à détruire les propriétés. J'espère qu'un jour viendra où un missionnaire pourra leur être destiné, et résider en sûreté dans leur tribu qui compte un grand nombre d'enfans. Si Touai revenait avant mon départ, je pourrais savoir quelles sont ses .intentions aetuellement que son frère est mort. Il pourrait se rendre fort utile à ses compatriotes. Heureuses dispositions de IV aï-Kato . J'ai été très-satisfait d'apprendre que Waï-Kato s'était bien comporté envers les missionnaires depuis son retour d'Angle- terre. J'ai eu plusieurs conversations avec lui sur la situation de la Nouvelle-Zélande. Il m'a dit que plusieurs milliers de naturels avaient été tués depuis son retour; et qu'à la demande pressante de Shongui , il l'avait accompagné vers la rivière Tamise dans son expédition contre Inaki. Les scènes de car- nage et de cannibalisme qui eurent lieu pendant et après la bataille où Inaki fut tué, furent si affreuses et lui firent tant d'horreur, qu'il ne put manger durant près de quatre jours. Il s'exprimait avec énergie sur le cannibalisme de ses compatrio- tes, et déclara qu'il ne retournerait plus à la guerre. Shongui l'avait sollicité de l'accompagner dans sa dernière expédition contre Roto-Doua , mais il s'y était refusé. Il ajouta que les Nouveaux-Zélandais ne renonceraient jamais à combattre, et qu'il ne voulait plus vivre dans ce pays ; il me demanda si je lui accorderais quelque protection dans le cas où lui et sa famille viendraient à Port-Jackson. Je lui en fis la promesse. Il dit qu'il avait vu Shongui depuis son retour, et que celui-ci lui avait annoncé que son intention était d'entreprendre une autre expé- dition contre Tara-Nake aussitôt que j'aurais quitté la Nou- velle-Zélande , mais qu'il attendrait pour cela mon départ. Il me demanda si j'avais vu Shongui et si nous étions amis : je lui répondis que nous nous étions vus et que nous étions bien ensemble. Il pensait que notre discussion h Port-Jackson avait 3i" 484 PIÈCES JUSTIFICATIVES. pu rompre notre amitié , et il témoigna le plaisir que lui cau- sait notre réconciliation. Il désirait que les Anglais vinssent prendre possession du pays , car il était convaincu que les ca- lamités publiques ne cesseraient que du moment où il existe- rait un pouvoir suffisant pour arrêter les maux de la guerre. J'ai entendu plusieurs chefs exprimer le même vœu. Quant à Waï-Kalo et à plusieurs autres chefs, ils avaient honte de ne point prendre part à une expédition , quand ils étaient convoqués, quelque éloignés qu'ils fussent des com- hattans, car ils étaient traités de lâches en agissant ainsi. Ce- pendant le premier était résolu à quitter le pays plutôt que d'être forcé à combattre. Waï-Kato s'occupe maintenant de la culture de sa ferme , ainsi que du soin de sa femme et de sa famille à laquelle il est fort attaché. A notre arrivée à bord du Bramplon , je lui fis cadeau d'une bêche et de quelques instrumens tranebans, ce dont il fut très- reconnaissant. Je lui assurai que s'il n'allait pas à la guerre, il aurait chaque année une couverture ou quel- que autre article de valeur en présent. Je m'informerai de sa conduite, et si j'apprenais qu'il se fût appliqué à l'agriculture, je me souviendrais de lui. Waï-Kato est retourné à terre , bien satisfait de notre entrevue; son courage srétait ranimé. Depuis son retour d'Europe, il a eu le temps de réfléchir à ce qu'il avait vu et entendu ; il paraît en avoir beaucoup probté. Je fus content de plusieurs de ses observations. Il désirait qu'un missionnaire fut envoyé à la rivière Tamise, et dit que dans ce cas il irait y demeurer. Je lui répliquai que cela ne pou- vait avoir lieu pour le moment, mais que dans quelque temps on pourrait s'en occuper. Georges de Wangaroa. A Wangaroa je m'entretins avec Georges de l'affaire du Boyd. Il me dit qu'il avait été méprisé et insulté par différentes tribus pour avoir détruit ce navire, et que cet événement lui PIÈCES JUSTIFICATIVES. 485 avait Causé beaucoup de soucis, attendu que ses voisins n'a- vaient pas voulu se réconcilier avec lui. Il disait qu'il avait en- vie de visiter encore une fois Port-Jackson, mais qu'il avait peur d'être pendu s'il y allait. Il pensait qu'il pourrait main- tenant s'y hasarder, attendu qu'il avait quelques Européens dans son établissement qui lui serviraient d'otages; car, s'il était pendu , ses gens pendraient à leur tour les Euro- péens. Il me demanda si je veillerais sur lui dans le cas où il risquerait ce voyage. Je lui en fis la promesse, et déclarai que le gouverneur de Port- Jackson ne le ferait point pendre, parce que le capitaine du Boyd, le premier, l'avait fait fouetter. Georges répondit qu'actuellement qu'il était mieux instruit , il ne commettrait plus une semblable action ; que cependant il n'irait pas encore à Port-Jackson , mais que la fille de son frère y accompagnerait madame Leigb , et que si elle n'était point pendue, il ferait ensuite lui-même ce voyage. En conséquence, il fut arrêté que la nièce de Georges partirait avec madame Leigh; mais son père était très-inquiet de savoir si elle ne serait pas pendue. Il disait : « Nous sommes réconci- liés avec vous , mais nous ne pouvons pas croire que vous le soyez avec nous ; vous demanderez des sacrifices pour ceux qui ont péri sur le Boyd. •> Parmi eux c'est une loi d'exiger la vie pour la vie; et ils ne croient pas qu'on puisse apaiser le courroux de la Divinité autrement que par des sacrifices humains. Usera impossible de détruire les craintes de ce peuple jusqu'au moment où ils auront acquis la preuve que nous ne voulons point venger la mort des hommes du Boyd. Leur reli- gion ne leur permettrait point de laisser un pareil attentat im- puni, et ils ne sauraient s'imaginer que la nôtre puisse nous le permettre. Le lendemain matin la nièce de Georges nous accompagna , après avoir fait de tendres adieux à ses amis qui pleuraient tous. Son père était très-alarmé sur son compte, et nous accompagna au navire; il me demanda à plusieurs reprises si elle ne serait pas pendue à son arrivée dans la Nouvelle-Galles 486 PIECES JUSTIFICATIVES. du Sud. Je lui assurai le contraire; il me pria , si cela arrivait, de lui renvoyer son corps afin qu'il pût voir ses os. Avant que nous missions à la voile , Georges vint de Wan- garoa pour me voir ainsi que M. Lcigh. Je suis bien aise qu'il soit si attentif pour les missionnaires. C'est pourtant l'homme qui, quatorze ans auparavant, détruisit l'équipage du Boyd , et devint l'effroi de tous les Européens, qui vil aujourd'hui avec les prédicateurs de l'Evangile. Une maison de mission- naires est élevée en vue du lieu même où les hommes de l'équi- page furent tous dévorés par ces cannibales!... ( Missionnary Rcgistcr, novemb. \%i.\} pag. 5io et suiv.} M. Davis, en parlant des Nouveaux-Zélandais avec qui il se trouvait à Parramatta en 1823 , écrivait : « Nous avons quelquefois sept ou huit de ces insulaires avec nous. Ils sont affectueux , honnêtes et sincères. J'en ai souvent entendu parler comme d'un peuple traître et perfide, mais je crois que ces rapports sont mal fondés, et ils le prouvent; car s'ils ont quelque mécontentement contre M. Marsden qu'ils estiment comme leur père, ils le lui disent sur-le-champ sans hésiter. » Il ajoute un peu plus loin : « C'est une race d'hommes distinguée et capable d'appren- dre toute sorte de choses. Quelques-uns savent lire passable- ment. Nos enfans les aiment tendrement; ils caressent leurs faces tatouées qui les amusent beaucoup. Les naturels restent assis des heures entières pour recevoir les leçons de nos enfans. » Un peu plus tard , il disait : « J'ai eu quelques Nouveaux-Zélandais à instruire durant PIEGES JUSTIFICATIVES. 187 un certain temps, et il m'est agréable de vous dire que j'ai été très-content de leur conduite et de leurs dispositions. Ils ap- prennent fort vite à lire et à écrire, et ils se montrent appli- qués et reconnaissans de l'instruction qu'on veut bien leur donner. C'est un peuple très-intelligent, et qui paraît suscep- tible d'apprendre en peu de temps tous les arts utiles à la civi- lisation. Nous avons maintenant ici avec nous neuf beaux jeunes gens et un petit garçon. Le matin , je leur montre à lire jusqu'à dix beures, puis je les fais travailler hors de la maison jusqu'à deux heures; ils vont dîner, et ensuite je leur montre à écrire. » (Missionnary Register,fét>. 1826 , pag. 100.) MM. Leigh et White, dans l'année 182.°), voulurent s'établir à Wangari, à soixante-dix milles au S. E. de la baie des Iles, et s'y rendirent dans cette intention. Mais ils reconnurent que , par suite des dernières guerres, les habitans avaient été dé- truits, ou s'étaient enfuis dans les bois. En conséquence, ils se fixèrent à Wangaroa , où ils achetèrent du chef Georges, par l'entremise de M. Marsden , le terrain nécessaire pour leur station. Peu après, M. et madame Turner et M. Hobbs vin- rent se joindre à eux. Toutes ces personnes appartiennent à la "Société des missionnaires de Wesley. ( Missionnary Régis ter,févr. 1 826 , pag. 101.) Touai vient de mourir : après de cruelles souffrances, il a quitté cette vie le 17 octobre 1824. (Voyez ci -contre le portrait de ce chef.') Le capitaine Lock, du Mary, alors mouillé dans la baie, apprit qu'il était très-mal à terre, n'ayant d'autre ressource que de l'eau et de la racine de fougère. Sa tribu avait considérablement souffert des troupes de pillards qui étaient tombées sur elle des diverses parties de la baie. Le capitaine l'envoya chercher dans son canot, pour lui procurer les secours de la médecine et une nourriture con- venable. Mais il était trop tard , Touai mourut à bord. Sa 488 PIECES JUSTIFICATIVES. tribu tua un esclave pour empêcher sa mort, et quatre autres furent sacrifiés pour apaiser ses mânes ! ( Missionnary Registcr, juin 182G , pcig. 3o4- ) PIECES JUSTIFICATIVES. 489 En février i825, Shongui quitta la baie des lies avec quatre cents hommes environ , et alla se joindre à un nombre beau- coup plus considérable, afin de venger sur le peuple de Kaï- Para la perte qu'il avait éprouvée quelques années aupara- vant, avant que sa troupe fût pourvue de mousquets. Ces armes seules lui ont assuré cette fois-ci la victoire; mais il a perdu son fils aîné , qui était un beau jeune homme âgé de vingt ans , avec- plusieurs autres chefs. Les missionnaires par- lent ainsi de l'esprit guerrier de ces naturels : « Le grand cri des naturels est : « Qui nous donnera des » mousquets, du plomb et de la poudre? » Parmi eux, per- sonne ne cherche Dieu, ni son Christ, ni le salut de son ame. Ils sont sans pitié pour leurs esclaves et ceux que leur caprice rend leurs ennemis. Pour un mousquet, un Nouveau -Zélan- dais s'assujettira aux travaux les plus pénibles durant plusieurs mois. Dans le fait, c'est son idole : il l'estime au-dessus de tout ce qu'il possède : pour une telle arme, non-seulement il cé- dera ses esclaves, mais il prostituera même ses enfans aux ma- rins affligés de maladies honteuses. » M. Williams écrivait en 1824 : « Les naturels pensent qu'il y a une grande différence entre notre Dieu et le Dieu de la Nouvelle-Zélande ; mais ils se con- tentent de considérer qu'il est fort bien à nous d'observer les ordres de notre Dieu , et qu'ils doivent rester soumis à la juri- diction du leur. » Le 31 mars 1825 , le même missionnaire mandait : « Nos visites aux naturels ont lieu comme de coutume ; ils s'intéressent assez généralement aux passages historiques de l'Ecriture ; mais ils sont tout-à-fait insensibles à la nécessité de la rédemption , autant même que les animaux le pourraient être. Un dimanche , nous demandâmes à un chef que nous visi- 490 PIECES JUSTIFICATIVES. tions, pourquoi son peuple n'était pas venu assister à nos ins- tructions, attendu qu'il était prévenu de notre arrivée : il répondit que ses gens ne se souciaient point de ces sortes de choses, qu'ils ne s'occupaient que de manger, boire et combattre; il les avait prévenus, mais ils n'avaient pas voulu venir : si nous étions venus pour leur parler de toute autre chose, ou leur donner des objets de commerce, nous les au- rions vus accourir en foule Lorsque nous leur parlons de l'œuvre de la rédemption , ils disent qu'ils ne peuvent rien comprendre à cela , et sur-le-champ ils se retirent dans leurs cabanes. » Au sujet des dispositions de Shongni envers les mis- sionnaires en 1825 : « Quoiqu'ennemi déclaré du christianisme, Shongui est généralement sur un pied amical avec les missionnaires. Ce- pendant il est sujet à d'étranges boutades. M. Shepherd ayant éprouvé quelque violence de la part des habitans de Kidi- Kidi , les missionnaires firent des recherches à ce sujet, et re- présentèrent à Shongui que si l'on agissait ainsi à leur égard , on ne permettrait pas à d'autres Européens de venir s'établir chez lui; mais il témoigna à cet égard l'indifférence la plus complète, et se contenta de répondre : « Vous êtes libres de vous en aller ou de rester. » Au commencement de l'année 182a, la mauvaise conduite des naturels et les violences qu'ils exercèrent envers les mis- sionnaires de Wangaroa obligèrent ceux-ci à chercher un asile pour un temps chez leurs confrères de la baie des Iles. Déjà , dans le mois de juin de l'année précédente, ils s'étaient portés à des menaces suivies d'un commencement d'exécution envers le navire qui portait les députés de la Société des mis- sionnaires de Londres, lorsqu'il toucha dans leur rade. Sans l'arrivée du chef Georges et de M. White qui parurent tout-à- coup dans la baie, il est probable que le navire eut été enlevé. PIECES JUST1EICATIVES. 491 Enfin, au mois de mars 1826, ils firent main basse sur le ba- lcinier le Mercury, de Londres, qu'ils pillèrent entièrement. Le navire fut perdu , et l'équipage se sauva comme il put à la baie des Iles, beureux d'avoir échappé à la mort. Le même jour, MM. White et Turner, missionnaires de Wangaroa , furent attaqués par les naturels et cruellement maltraités. M. White écrivait à cette même époque : « Georges, l'un de nos principaux ebefs, est dangereuse- ment malade. Au cas où il mourrait, il a demandé que les na- turels de Sbouki-Anga vinssent nous dépouiller de tout ce que nous possédions, et peut-être nous tuer, comme outou ou sa- tisfaction pour la mort de son père qui périt lors de la prise du Bord, et pour qui , dit-il , il n'a pas encore eu satisfaction. Ses frères m'ont souvent répété qu'à sa mort nous serions ka- wati , brisés ou dépouillés de toutes nos propriétés. La de- mande de Georges est considérée comme la volonté dernière d'un homme qui va entrer dans le monde des esprits, et elle s'adresse à des êtres pour qui rien n'est plus doux que la ven- geance, et qui , je n'en doute pas, seront enchantés d'exécuter un tel vœu. » Les missionnaires restèrent à Kidi-Kidi jusqu'au 27 juin. Georges de Wangaroa mourut en avril. Mais les naturels pa- rurent effrayés de l'idée de perdre les missionnaires ; et comme les affaires prirent un meilleur aspect , on se décida à conser- ver cette station le plus long-temps possible. ( Missionnary Régis ter, mars 1826 , pag. 160 et suiv. ) M. Hall écrivait en 1825, au sujet des charmes ou sor- tilèges chez les Nouveaux-Zélandais : Un jour, M. King et moi , sur notre route à Kidi-Kidi , nous débarquâmes près d'une source d'eau fraîche pour prendre un peu d'eau , et nous lûmes alarmés en voyant que nous avions 492 PIECES JUSTIFICATIVES. presque poussé le canot sur trois cadavres étendus l'.un contre l'autre au bord de l'eau , au travers de quelques broussailles. Ces malheureux avaient été massacrés dans la matinée ou la veille au soir. Près de ces corps était un gros paquet de bois, et un endroit préparé pour les faire cuire; une pirogue était mouillée à peu de distance, et portait des marques sanglantes, mais nous ne vîmes point de naturels. Quand nous arrivâmes à Kidi-Kidi, les babitans nous dirent que ces cadavres étaient ceux de trois esclaves qui avaient été sacrifiés pour avoir exercé le makoutou sur un chef, c'est-à-dire pour avoir pratiqué un sortilège, ou avoir fait de mauvaises prières qui avaient causé sa mort. C'est ainsi que plusieurs de leurs prisonniers de guerre perdent la vie par suite de leurs idées superstitieuses. » La scène suivante, suscitée en 182(> aux missionnaires de Pahia par l'ariki Toï-Tapou et naïvement racontée par Mmc Williams, donne un exemple des inconvéniens que les Européens avaient souvent à essuyer parmi les sauvages turbulens de la Nouvelle-Zélande : Un chef très-importun , nommé Toï-Tapou , qui réside a deux milles environ d'ici , a tout mis en désordre dans l'habi- tation. Au lieu de frapper à la porte , comme d'ordinaire , pour être introduit, il a sauté par-dessus la palissade faite en taihepa, ou en petits pieux de bois. M. Fairburn lui a dit qu'il était un tangata kino, un méchant homme; qu'il était venu comme un tangata taehae, un voleur, et non pas comme un rangatira , un gentleman , en escaladant la palissade. Sur- le-champ le chef se mit à trépigner et à gambader comme un fou, en attirant autour de lui les voisins par les cris et le vacarme qu'il faisait. Il agitait son mère ( instrument de guerre en pierre verte que chacun d'eux porte caché sous sa natte), et brandissait sa lance en sautant comme un chat, et la dirigeant avec fureur contre M. Fairburn. M. Williams lui dit qu'il se PIÈCES JUSTIFICATIVES. 183 comportait fort mal, et refusa de lui toucher la main : le sau- vage, cartel il paraissait vraiment alors, se dépouilla pour combattre, ne gardant sur lui qu'une simple natte, semblable à relie 29 Cruautés et superstitions des naturels. Quand l'armée de Shongui prit le pâ où s'étaient réfugiés un grand nombre deshabitans de Wangaroa, hommes, femmes etenfans furent tous massacrés, sans distinction d'âge ni de sexe. Il y eut des chefs qui voulurent épargner quelques victimes; mais Shongui donna des ordres pour que personne n'échappât à ce massacre , excepté les esclaves qui passèrent au service de la tribu de Shongui. Pendant le temps que les jeunes gens que nous avions envoyés pour avoir des nouvelles de Shongui passèrent sur ces lieux , plusieurs naturels de Wan- garoa furent arrachés de leurs retraites et mis à mort : ils eurent l'affreux spectacle de voir les corps de ceux qui avaient péri taillés en pièces et mangés par leurs compatriotes devenus semblables à des chiens qui rongent une carcasse : ils virent ces malheureux cannibales se préparer à dévorer de jeunes enfans, dont les tètes avaient été brisées sous les yeux même de leurs pàrens. Les scènes d'horreur qui eurent lieu sont im- possibles h. décrire, et, malgré les assertions de nos jeunes naturels, nous avions peine à croire à de pareilles horreurs. Nous apprîmes que les naturels de Wangaroa avaient été dé- truits, comme satisfaction pour la mort de la femme ds Shon- gui , et pour consoler son esprit de cette perte. — Parmi les naturels, il y a encore beaucoup d'agitation , et il nous est difficile de nourrir l'espoir qu'ils puissent rester long -temps en paix. Des deux côtés il y a tant d'outrages à oublier, tant de morts d'amis et de païens à venger, dont quelques-uns datent de plus d'un siècle, que sans les pro- messes de la parole de Dieu pour l'époque glorieuse où les hommes ne connaîtront que la justice et renonceront à la guerre, il nous faudrait désespérer de voir ces peuples chan- ger de sentimens. Quand nous demandons aux chefs dans quel temps cesseront leurs guerres, ils répondent : « Jamais! » En effet, c'est la coutume qu'une tribu qui perd un homme ne tome m. 34 530 PIÈCES JUSTIFICATIVES. puisse s'apaiser sans une satisfaction , et dans ce cas la mort seule d'un homme peut expier la mort d'un autre. Le révérend W. Williams communique les faits sui- vans : Dans un village près de Rangui-Hou , nous apprîmes qu'une esclave avait été tuée d'un coup de fusil par son maître. Nous rencontrâmes ce chef qui justifia sa conduite, en alléguant que cette femme était depuis long-temps malade , et qu'elle ne pouvait plus gagner sa nourriture ; c'est pour cela qu'il l'avait tuée par" derrière tandis qu'elle était assise par terre. Il n'y avait pas long -temps que nous étions de retour, quand nous apprîmes un second exemple de la cruauté révoltante si sou- vent pratiquée chez ce peuple. Un jeune garçon fut assommé d'un coup de mère ou hache en pierre , pour avoir volé des patates douces. Souvent les esclaves ne sont pas plus consi- dérés que des bêtes fauves; et leur condition est si dégradée, qu'une fois qu'un homme a été fait prisonnier, il refuse de s'échapper, quand bien même il en aurait les moyens, parce qu'il est regardé avec mépris par ses propres amis. — Une troupe de guerriers de notre voisinage, qui quittèrent la baie il y a deux mois, sont revenus, amenant avec eux plu- sieurs esclaves. Leurs cruautés à l'égard des malheureuses créa- tures contre lesquelles ils se dirigèrent furent aussi horribles que jamais. Autant que nous avons pu en apprendre, ils n'a- vaient de projet fixe contre aucun peuple particulier; mais étant tombé sur une troupe isolée appartenant à un détache- ment qu'un de nos puissans chefs de la baie des Iles condui- sait dans son propre district sous sa protection , ils en tuèrent plusieurs, et firent autant de prisonniers qu'il leur fut possi- ble. Aussitôt qu'ils furent de retour, la première nouvelle que nous en eûmes, fut qu'ils avaient tué sur-le-champ une es- clave de la manière la plus féroce qu'on puisse imaginer; ils PIECES JUSTIFICATIVES. 531 avaient coupé des morceaux de ses cuisses et de ses bras , sans l'avoir mise à mort auparavant, et s'étaient ensuite régalés de i son corps. Cette femme était innocente, et elle fut massacrée, à ce qu'on nous dit, pour satisfaction d'un commerce adul- tère de la part de son maître. — Ware-Porka, chef à Wangaroa, ayant perdu son frère unique, Tourna , j'allai voir le cadavre quand il fut tout-à-fait en état, suivant les règles strictes de leur superstition. Le défunt était placé dans la posture d'une personne assise; sa personne entière, à l'exception du haut de la figure, était cachée sous différons vètemens. Par-dessus tout était un habit de sergent presque neuf : derrière étaient placés les deux fusils qui lui avaient appartenu. Quelques-uns de ses parens travaillaient avec activité à bâtir une maison destinée à recevoir ses restes, tandis que les autres étaient assis à l'entour, et poussaient, les plus tristes lamentations. Ce sont des espèces de chants géné- ralement exécutés dans ces sortes d'occasions. Ware-Porka n'avait touché à aucune nourriture depuis la mort de son frère, et il avait l'intention de n'en prendre aucune jusqu'à ce que la cérémonie fût terminée. On suppose que l'esprit du mort vol- tige à l'entour de son corps et à une certaine distance, durant trois jours; ensuite le cadavre est déposé en grande cérémonie dans l'endroit où il doit rester jusqu'à l'expiration du deuil. C'est une pratique commune de tuer un ou plusieurs esclaves dans ces occasions, pourservir de compagnons au défunt sur sa route au Reinga ou lieu des esprits partis; l'on proposa d'en tuer un dans cette circonstance , mais Ware-Porka et le père du chef s'y opposèrent. Deux jours avant que Tourna expi- rât, on supposa que son esprit s'était enfui (sans doute il avait perdu connaissance); alors ses amis poussèrent un cri, pen- sant que c'était le moyen de le rappeler. Tourna raconta qu'il était allé au cap Nord , tandis qu'il semblait mort ; mais qu'une petite fille, morte quelque temps auparavant, l'avait rencon- tré sur la rampe par où l'on descend dans le Reinga , et lui avait dit de revenir dans quelques jours. La cérémonie fut 34¥ 532 PIECES JUSTIFICATIVES. continuée le joui- suivant sur l'éminence tabouée du village, .l'éprouvai un vif sentiment de pitié pour ces pauvres créa- tures dont la désolation paraissait profonde, mais qui gémis- saient comme des gens sans espérance. Tourna était un véri- table sauvage : quelques années auparavant, à la mort d'un parent, d'un coup de massue il tua une esclave, tandis qu'elle lavait du linge à la porte de M. Hanson , malgré les efforts de MM. Kendall el King pour la sauver. La preuve qu'il y a eu du changement depuis ce temps, c'est qu'il n'y a eu personne de sacrifié pour lui. — Shongui, se trouvant à bord d'un navire, fut saisi d'une violente douleur au genou , et son peuple s'imagina qu'il avait été ensorcelé par un chef de la rivière Tamise : sa perte fut en conséquence jurée. Quelques-uns de ces malheureux , alté- rées de sang , proprosèrent de tuer tous les esclaves de Shongui qui sont très-nombreux : il s'opposa fortement à ce qu'on sa- crifiât personne à cause de lui , et il dit à ses esclaves de cher- cher leur salut dans les bois. Mais Oudou-Roa , l'un des parens de ce chef, vovant passer une de ces malheu reuses avec une charge de bois sur le dos, la tua d'un coup de fusil, et sur- le-champ un autre chef assomma un jeune garçon avec son merc de pierre. — Nous sommes allés assister à la cérémonie qui se pratique pour déplacer les os d'un chef. Elle a lieu quelques mois après la mort, et, à ce que je suppose, quand il s'est écoulé un temps suffisant pour que la chair se soit séparée des os. Ceux-ci avaient été dérangés de leur situation primitive : c'étaient les restes de trois individus j el on les avait placés sous une cou- verture, avec les têtes seules exposées à la vue. La cérémonie commença par le pilic ou hymne funéraire, qui fut d'abord chantée par les vieux guerriers les plus renommés, puis répétée par une troupe de personnes plus jeunes. Quand ce chant fut terminé , douze à quinze personnes armées de longues lances s'avancèrent et dirigèrent leurs lances vers un centre com- mun , en avant soin de les pointer et de les retirer, à mesure PIÈCES JUSTIFICATIVES. 533 que plusieurs chefs se présentaient tour à tour devant eux pour parler. C était une espèce de conseil de guerre, et l'objet des discours était de délibérer s'il fallait attaquer un établis- sement dans le voisinage, qui appartenait à l'un des chefs alors occupés à combattre à la ri» ière Tamise ; mais il parutqu'iln'y eut rien de décidé , bien qu'il y eût eu plusieurs discours pro- noncés. Du reste, plusieurs orateurs firent mention des mis- sionnaires en termes peu respectueux, insinuant que le pillage de nos maisons serait une fort bonne affaire. — J'ai visité Wangari avec M. C. Davis. La plupart des habitans ont quitté leurs demeures, car ils s'attendent à voir arriver une troupe pour les piller, afin de venger une querelle qui s'était élevée entre les deux principaux chefs. La querelle fut engendrée par une liaison adultère , et c'est le motif habi- tuel de toutes les petites brouilleries qui s'élèvent continuel- lement entre les tribus voisines les unes des autres et les diffé- rentes familles de la même tribu. En cette circonstance, deux esclaves avaient été blessés si cruellement, qu'ils avaient failli en périr : l'un avait eu le corps percé d'une lance, et l'autre avait reçu une large entaille à la tête. Ils n'avaient aucun rap- port avec l'affaire en question , mais ils furent maltraités ainsi pour les méfaits de leurs maîtres. — Il y a peu de jours, le capitaine Duke du navire Sisters nous fit part d'un exemple révoltant de cruauté dont il fut témoin. Un chef nommé Toi avait une esclave qui s'était en- fuie quelques jours auparavant. A la fin il la trouva assise au milieu de quelques naturels à Korora-Rcka , trèsqjrès de la maison de son maître, il l'entraîna, la lia à un arbre, et la tua d'un coup de fusil. Le capitaine Duke apprit le fait, et sortit pourvoir ce qui en était; alors il trouva le corps de la jeune fille tout préparé pour être cuit au four des naturels, les grands os des bras et les jambes avaient été coupés. En ré- ponse à ses questions, les naturels répondirent que cette affaire ne le regardait pas, et qu'ils étaient maîtres d'agir comme il leur plaisait. M. Duke retourna chez lui , appela à son secours 534 PIECES JUSTIFICATIVES. M. Earl , artiste de Port-Jackson , qui, pour le moment, de- meurait avec lui ; puis étant rétournés sur le terrain avec deux bêches, ils emportèrent le corps sans opposition. — Nos naturels à Kawa-Kawa sont encore retombés dans un état d'inquiétude générale pour un motif bien ridicule , mais qui, dans ce pays, est cependant la cause d'une foule de maux. Une vieille femme, dans un transport de colère, a appelé les patates douces de Kawa-Kawa du nom de la femme de Tekoke. Elle se nomme Tapa -Tapa, et, suivant les cou- tumes de la Nouvelle-Zélande , tout parti qui en a la force a le droit de venir sur la place et d'emporter les patates ainsi dé- signées : aussi tous les habitans sont aujourd'hui rassemblés, s'attendantaux visites habituelles de leurs voisins en pareil cas. C'est un motif semblable qui amena il y a quelque temps la destruction de tous les cochons dans la tribu de Wangaroa. Un jeune chef eut querelle avec son père, et appela les co- chons du village du nom de Shongui. Celui-ci n'en eut pas plutôt connaissance, qu'il rassembla ses gens, tua et emporta soixante-dix cochons de Wangaroa. — Un enfant du voisinage se noya, tandis que son père était absent avec une troupe de pillards. La mère fit de grandes lamentations, et pria ses voisins de tuer quelqu'un pour servir de compagnon à son fils, sur sa route au Rcinga. Une vieille esclave, qui craignait pour sa vie, se sauva et se cacha parmi les fougères : sur quoi une autre femme, parente du défunt, appela l'esclave en lui promettant d'être épargnée si elle ve- nait. La pauvre créature se montra ; aussitôt on appela le frère de l'enfant mort, qui assomma sur-le-champ l'esclave avec une masse à écraser la racine de fougère. — Un détachement est revenu du sud; ceux qui le com- posent surprirent une petite troupe d'habitans près la rivière Tamise , ils les tuèrent tous ou les firent esclaves. C'est la sa- tifaction qu'ils cherchent, chaque année, à obtenir pour la mort de leurs parens; et, par suite de ce funeste système, la population du pays décroît généralement. PIECES JUSTIFICATIVES. 535 — Le samedi soir, 8 décembre 1827, il nous arriva un cour- rier de Ka>va-Kawa pour nous informer que Tckokc , notre chef principal, et plusieurs autres, étaient fort mal et dési- raient nous voir. Hier matin, 9 décembre, M. Fairburn et moi nous allâmes pour tâcher de leur administrer tout à la fois les secours temporels et spirituels. Nous trouvâmes le vieux chef, ainsi que son fils et sa femme , couchés dans un bois épais , sans aucun abri sur leur tète , exposés le jour à la chaleur la plus étouffante , et la nuit aux brouillards les plus dangereux. Le chef et son fils souffraient cruellement d'une maladie épi-* démique; les femmes n'étaient pas si mal. Après leur avoir donné quelques remèdes et leur avoir appliqué quelques vési- catoires, je leur parlai des choses de Dieu : ce fut peine per- due. Oh ! quand viendra le temps où ces pauvres créatures seront favorisées d'une oreille attentive à nos discours! Après avoir fait en sorte de suppléer à leurs besoins, et comme je prenais congé d'eux, la femme de Tekoke me dit à l'oreille : « Nous avons envoyé chercher le sorcier pour prononcer des paroles sur nous, a6n de chasser notre mal hors de nous. Est-ce bien ou mal fait? » Je leur dis que le sorcier ne pour- rait rien du tout pour eux, qu'ils étaient dans l'erreur; mais que s'ils croyaient en Dieu , celui-ci seul pourrait tout en leur faveur. La manière dont la femme de Tekoke me faisait con- naître qu'elle avait envoyé chercher le sorcier était une preuve évidente que sa confiance dans les superstitions de son pays commençait à chanceler. — 22 février 1828. M. Williams et moi nous sommes allés à Kawa-Kawa visiter les naturels dans l'affliction. Nous les trou- vâmes rassemblés et fort occupés à fortifier leur place et à ramasser leurs vivres. Les pauvres malheureux semblaient très- pensifs, quelques-uns d'entre eux surtout, quand nous leur parlâmes des bénédictions qui sont le partage de l'homme qui croit dans le Christ. Tekoke nous dit qu'il ne désirait avoir ni querelle ni combat avec les Ngapouis, mais qu'il souhaitait uniquement qu'on le laissât tranquille chez lui. 11 ajouta qu'il 63G PIÈCES JUSTIFICATIVES. continuerait de résider sur la colline où il se trouvait , près de son fort; que lui et son peuple allaient y former un village; qu'il allait y construire un local pour le culte public , afin que nous pussions les y trouver tous réunis quand nous viendrions pour les instruire. Ils nous déclarèrent que , quand les Nga - pouis viendraient, ils ne songeraient à combattre que quand ceux-ci auraient tué au moins quatre de leurs chefs. Ils nous supplièrent de prier Dieu en leur faveur, afin qu'il ne disposât pas les cœurs des Ngapouis contre eux. Ces pauvres malheureux assurèrent qu'ils allaient aussi prier Dieu eux-mêmes. Ils nous supplièrent encore de nous trouver avec eux, s'il était possi- ble, quand les .Ngapouis arriveraient , pour tâcher de faire la paix avec eux. Après nous être consultés ensemble sur ce sujet, nous leur promîmes de revenir, s'il était possible, quand 1< ■> Ngapouis paraîtraient. Cela parut rassurer un peu leurs esprits abattus. Nous étions aflligés sincèrement de voir la détresse de ces pauvres gens. Quand nous fûmes de retour dans la soirée, nous apprîmes que quelques-uns des Ngapouis étaient arrivés à Korora-Rcka , et se proposaient de se rendre à Kawa-Kawa le lendemain matin. En conséquence, nous nous préparâmes à les accompagner. Le lendemain de bonne heure, nous dispo- sâmes notre canot, et nous épiâmes les mouvemens des natu- rels, car nous pouvions les distinguer facilement avec une lunette d'approche. Quand nous les vîmes se mettre en mou- vement, nous entrâmes dans notre canot accompagnés par le révérend W. Williams, et nous ramâmes après les pirogues. A notre grande satisfaction, nous remarquâmes qu'une seule pirogue se dirigeait sur Kawa Kawa et que les autres s'en retournaient. Nous les eûmes • bientôt rejoints, et nous vîmes que presque tous les principaux chefs se trouvaient dans cette pirogue et semblaient avoir des intentions pacifi- ques. Quand nous arrivâmes à Kawa-Kawa , nous trouvâmes tous les habitans rassemblés, revêtus de leurs habits de guerre et en armes. Après avoir été instruits de la nature de la visite des chefs Ngapouis, le peuple de Kawa-Kawa s'apprêta à les PIECES JUSTIFICATIVES. 537 recevoir avec toutes sortes d'honneurs. Un simulacre de com- bat eut lieu; puis les naturels se rassemblèrent, et Tekoke fit le premier discours. Il expliqua à ses hôtes pourquoi il avait fortifié son pâ ; il leur fit part des bruits qui avaient circulé, et leur déclara quelle était sa résolution s'ils persis- taient à vouloir sa ruine. Rewa , le grand chef des Ngapouis, parla après lui. Il dit à Tekoke que ni lui ni son peuple n'avaient de mauvais desseins contre lui , mais qu'il désirait vivre en paix. Plusieurs autres chefs firent aussi des discours qui furent tous dans le même sens. Quand ils eurent fini, Tekoke les conduisit tous chez lui, et nous les quittâmes très-conlens et disposés à se régaler ensemble. Ainsi finit, de la manière la plus satisfaisante, cette affaire qui avait été pour nous la cause de beaucoup de craintes et d'inquiétudes. Oh ! que d'actions de grâces ne devons-nous pas au Seigneur pour tant de faveurs! Il y a de plus brillantes espérances pour voir la paix établie parmi les naturels qu'il n'v en a jamais eu. Shongui et Ware- Oumou étaient les principaux chefs des expéditions pour la rivière Tamise, mais ils ne sont plus; et Rewa, qui leur a succédé , semble aujourd'hui disposé à faire la paix avec tous les partis. Sa fille s'est mariée à l'un des principaux chefs des contrées du Sud, et je pense que cette union produira un bon effet. Si la paix se fait, une vaste carrière s'ouvrira dans le Sud pour les missionnaires. {M. R. Dam.) — iNous avons remarqué (22 février 1828) une pirogue qui débordait de la rive opposée, et qui se dirigeait vers Kawa- Kawa ; apprenant qu'elle portait les principaux chefs de Waï- Mate qui allaient faire la paix avec Tekoke, mon frère, M. Da- vis et moi, nous préparâmes le canot, et fîmes route avec les naturels, pour voir le résultat de cette affaire. Nous fûmes en- chantés de voir que tout se terminait à l'amiable. En cette occasion, nous eûmes de grands motifs de reconnaissance, en 338 PIECES JUSTIFICATIVES. voyant que nos prières avaient été si promptement exaucées. Il y eut une circonstance digne d'attention : mon père et M. Davis avaient remonté hier la rivière, et Tekoke leur avait dit qu'il allait prier notre Dieu pour affaiblir les cœurs, waka ngoi hore, des Ngapouis , afin qu'ils ne fussent pas disposés à l'attaquer; et il nous pria d'en faire autant. La manière dont la conférence eut lieu entre ces chefs nous rappelait les as- semblées des anciens. Quand les chefs de Waï-Mate débar- quèrent, les naturels de Kawa-Kawa, au nombre de trois cents , partagés en deux bandes , exécutèrent un combat simulé qui dura quelques minutes : puis tous s'assirent par terre en se formant en demi -cercle; alors Tekoke se leva le premier pour parler, marchant ça et là, comme un homme qui fait une harangue. Il déclara aux Ngapouis qu'ils pourraient venir l'attaquer quand ils voudraient, mais qu'il était trop vieux, qu'il n'essaierait point de leur résister, et qu'il mourrait dans sa place. Un des chefs de Waï-Mate répondit que Tekoke n'a- vait rien à craindre de leur part, qu'ils n'avaient point de sujet d'inimitié contre lui : deux autres parlèrent encore, puis l'assemblée fut dissoute; chacun se retira de son côté, et Tekoke prépara lui-même une case pour ses hôtes. ( Révérend W. Williams. ) ( Missionnary Register, décemb. 1828 , pag- 6i3 et j«ù'.) Vers la fin de juin 1827 , la mission de Wesley (John Hobbs et John Stack, missionnaires; Luke Wade, assistant) fut réta- blie, mais sur le côté de l'île opposé à son ancien siège à Wangaroa. Elle est maintenant sur les bords du Shouki-Anga, et le comité en parle ainsi qu'il suit : >< La population des en- virons monte à quatre mille personnes ; les différentes tribus ayant leurs villages sur les bords d'une belle rivière navi- gable, on peut en canot les visiter facilement et prompte- ment. Les missionnaires se proposèrent d'abord de se fixer à Waï-Hou, à l'endroit même où ils débarquèrent, près de PIECES JUSTIFICATIVES. 539 la résidence de Patou-One , chef ami, d'une grande influence et de beaucoup de talent, et à trente-deux milles environ de l'embouchure de la rivière. Mais ils trouvèrent ensuite néces- saire de se retirer à six milles plus bas dans la rivière , dans un lieu nommé Mangounga , où leur projet est d'élever des bâti— mens convenables, et de fonder un établissement en règle. De là ils feront des visites chez toutes les tribus du voisinage, pour instruire les naturels dans les vérités importantes du christianisme , et les déterminer autant que possible à placer leurs enfans sous la surveillance des missionnaires. ÇMissionnary Begister, mars 1829, pag. 127.) DETAILS SUR LA MORT ET LES FUNERAILLES DE SHONGCI. ( Extrait du Journal de M. Stack , en date du 12 mars 1816.) Patou-One , qui vient de revenir de Wangaroa , m'a rendu visite ce soir. Je lui ai parlé de Shongui; il m'a donné divers détails que j'ai écoutés avec intérêt, attendu qu'ils ont rapport à la fin de ce chef extraordinaire. Je m'aperçus que Patou-One en parlait d'une manière très-affectueuse. Quand lui et ses gens arrivèrent à Pinia où était Shongui , ils le trouvèrent dans un tel état d'émaciation , qu'ils en furent très-affectés ; suivant leur coutume, ils pleurèrent tous ensem- ble, puis ils dirent à Shongui qu'ils craignaient de le voir mourir bientôt ; il répondit à cela par la négative , disant qu'il ne s'était jamais senti mieux. Après être restés assez, long- temps pour lui rendre leurs hommages, ils allaient s'en reve- nir quand Shongui fut tout-à-coup pris de mal ; alors ils ré- solurent d'attendre le résultat de cette crise. D'après son grand affaiblissement, jugeant qu'il allait passer, Shongui dit à ses amis : « Je mourrai bientôt, mais pas aujourd'hui. » Il de- manda sa poudre à canon : quand on la lui eut apportée, il dit : " Ka ora koutou — Cela va bien pour vous, — » en s'adres- 540 PIECES JUSTIFICATIVES. sant à ses enfans. Ce même jour (5 mars) il légua à ses enfant ses mère ou haches de combat , ses mousquets , et la cotte de mailles qu'il avait reçue du roi Georges IV. Après avoir ar- rangé ces affaires, il parla de la conduite des naturels après sa mort , et il assura que , suivant toute apparence , ils se con- duiraient avec amitié envers ceux qui allaient lui survi- vre, en disant : « Koxuai ma te liai hai mai ki a hou tou? haorel — Qui est celui qui voudra vous manger tous? Per- sonne ! » Il employa ses derniers momens , dans la matinée du G du courant, à exhorter ses compagnons à avoir du courage, et à repousser toute espèce de force , quelque grande qu'elle fût , qui tenterait de marcher contre eux ; il leur déclara que c'é- tait là toute la satisfaction, outou, qu'il exigeait ; ce qui suppo- sait qu'on lui avait adressé la question suivante : « Quel est celui qu'il faudra tuer en satisfaction de votre mort? » Cette abominable coutume d'honorer les morts par des sacrifices hu- mains existe encore à la Nouvelle-Zélande. Ses lèvres expi- rantes proféraient ces mots: <« Kia toa , Icia toa. — Soyez braves , soyez braves. » Aussitôt que Shongui eut rendu le dernier souffle , tous ses amis, dans le pâ de Pinia , commencèrent à trembler pour leur propre compte; car ils ne savaient pas si les naturels de Shouki-Anga n'allaient pas tomber sur eux, et les envoyer tenir compagnie à leur chef mort , dans les contrées de la nuit. Pour prévenir tout soupçon de leur part, les naturels de Shouki-Anga ordonnèrent à leurs gens de rester tranquilles dans leurs cases, tandis qu'ils se rendraient au pâ pour venir préparer le corps de Shongui : à leur approche , bien qu'ils eussent pris ces précautions, ils s'aperçurent que les habitans du pâ frissonnaient de peur, comme des feuilles agitées par le vent, jusqu'à ce que Patou-One et ses compagnons eussent dis- sipé leurs craintes, car elles étaient sans fondement. Le désir de tenir la mort de Shongui cachée jusqu'à ce qu'il fût enterré, de peur que leurs ennemis ne vinssent les atta^ PIECES JUSTIFICATIVES. 541 quor, engagea ses enfans «à l'ensevelir, ou plutôt à le déposer mit le ivahi-tapou ou sur l'endroit sacré, le jour même qui suivit sa mort. Mais Patou-One leur en fit des reproches en disant : « Ce n'est que d'aujourd'hui que j'ai connu des gens qui veulent enterrer leur père vivant. » C'est pourquoi on at- tendit quelques jours pour l'ensevelir; durant ce temps, on rendit tous les honneurs que les Nouveaux-Zélandais sont sus- ceptibles de rendre aux dépouilles du célèbre Shongui. Les naturels passèrent tout ce temps à faire des harangues, à pous- ser des cris, à se déchirer, à danser, à tirer des coups de fusil. Voici ce que M. Samuel Marsden écrivait en date du 1er janvier 1829 , de Parramatta , au sujet de la Nouvelle- Zélande : Les naturels sont maintenant en paix les uns avec les autres. Les chefs de la baie des Iles , ceux de la rivière Tamise , et ceux qui habitent encore plus au sud , sont maintenant unis. L'Evangile commence à exercer son influence sur quelques- uns d'entre eux , et ils font de véritables progrès dans la civili- sation. Il m'est arrivé ce matin un chef du détroit de Cook, qui vient voir s'il pourrait obtenir un missionnaire. Il m'en- voya , il y a deux ans, un de ses fils, âgé de cinq ans à peu près, bien que je n'eusse jamais vu le père. J'avais renvoyé cet enfant, il y a quinze jours, pour voir son père, ignorant que celui-ci dût lui-même venir ici. La Nouvelle-Zélande est maintenant de toutes parts prête à recevoir l'Evangile et les arts de la civilisation. J'avais derniè- rement chez moi une vingtaine de Nouveaux-Zélandais de la côte occidentale qui ne sont pas encore tous repartis. Il n'y a pas de doute que la Nouvelle-Zélande ne devienne une nation civilisée. ( Missionnarr Regis/er, juin 1829 , pag. 284. ) .542 PIECES JUSTIFICATIVES. extraits de quelques lettres des missionnaires , en l'année 1828. Vives affections des naturels. J'ai visité Rangui-Hou. Le rivage entier était couvert d'é- trangers, venus dans des dispositions amicales des bords du Waï-Kato , appartenant à la tribu des Ngatc-Marou , qui der- nièrement a causé tant de craintes à la baie des Iles. A la nuit, Titore, chef de Waï-Mate, vint pour les voir, et saluer son frère Rapou , qui était allé à Waï-Kato pour une mission de paix. A son arrivée, Titore resta assis dans un morne silence, la tête couverte de sa natte , et remuant son corps çà et là , ressemblant presque à un hérisson qui se serait roulé par terre. Quelque temps après, quelques-uns des habitans de la colline, mal intentionnés, se levèrent, et s'en allèrent pour enlever les cochons de leurs hôtes : Titore s'y opposa, sans quoi j'ignore quelles eussent pu être les suites de cette tentative. Puis Titore monta sur une petite éminenec qui dominait la plage, et sou- haita la bien-venue à son frère dans une sorte de chant mé- lancolique, mais en même temps vraiment touchant. Pendant toute sa durée , il se promenait d'un pas lent et solennel sur la crête de la colline; puis , quand il eut fini, tout-à-coup il s'a- dressa aux étrangers, et continua de leur parler avec grâce durant plus d'une heure. Ses gestes étaient parfaitement natu- rels, et par conséquent très-agréables : sa voix était forte, mais bien modulée, et son langage abondant et fleuri. Je pris un vif intérêt à toute cette scène, qui certainement était la plus romantique dont j'eusse été jamais témoin. Quand tout fut ter- miné, et que le salut eut aussi été donné suivant les formes, Titore se précipita vers l'endroit où son frère était assis , et il s'en suivit une entrevue très-touchante , attendu qu'il avait à lui communiquer la mort d'une sœur à laquelle ils étaient tous les deux tendrement attachés. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 543 Certainement les Nouveaux-Zélandais sont doués de senti- mens extraordinaires; sentimens, j'en suis convaincu, qui produiraient les plus heureux effets, si dès l'enfance ils eussent été heureusement cultivés et convenablement dirigés. o ( Révérend TV. Yate. ) Manières sauvages des naturels i On a observé une troupe nombreuse qui débarquait à Ko- rora-Reka, et l'on a supposé que c'étaient des guerriers de Oudou-Roa et de Kaïra, de Wangaroa et de Mataudi : car nous avions appris que Oudou-Roa méditait une attaque sur les tribus de Waï-Tangui, Waï-Kadi et Kawa-Kawa. Le len- demain, au point du jour, l'armée fut en mouvement; d'a- bord nous ne pûmes découvrir leurs intentions ; mais nous les vîmes bientôt gouverner spr Waï-Tangui : des ordres furent donnés pour fermer toutes les issues de nos habitations , excepté deux que l'on pouvait fermer au dernier moment. Toï-Tapou fit son apparition , et nous engagea à être bien sur nos gardes , attendu que les intentions de ces gens étaient mauvaises. Après le déjeuner, nous nous décidâmes à rendre une visite à cette armée; en conséquence nous armâmes une pirogue de guerre appartenant à Toï-Tapou qui se trouvait à la place, et nous nous dirigeâmes vers les étrangers : leurs ennemis s'étaient en- fuis, et ils n'avaient trouvé qu'un esclave qu'ils avaient tué. Nous conversâmes avec Kaïra , et nous fûmes contens de trou- ver parmi eux nos amis Ware-Porka et Waï-Kato ; ils étaient disposés en notre faveur, et s'opposaient évidemment aux pro- jets du vieillard. Tandis que nous nous trouvions avec cette troupe, il arriva un accident que nous n'oublierons jamais , 'tant nous sommes peu certains de vivre une heure de plus ! Waï-Kato nous mon- trait le fusil que le roi lui avait donné. Ayant observé que les deux coups étaient armés, je pris l'arme pour lesmettre au repos; 54 i PIECES JUSTIFICATIVES. mais en touchant le ressort, le coup partit : dans ce moment, Toï-Tapou récitait une harangue près de moi , et sa tête ne se trouvait guère qu'à un pied de la bouche du fusil quand le coup partit. Il se retourna , et me dit que j'avais manqué de le tuer. Je le savais bien , et je rendis grâces à Dieu de ce que cela n'était point arrivé. L'arme était dans une position pres- que perpendiculaire; mais j'étais assis par terre et il était de- bout. S'il était arrivé un malheur, nous l'eussions probable- ment payé de nos vies. Nous retournâmes ensuite à Pahia, et à deux heures dans l'après-midi nous eûmes la satisfaction de voir toutes les pirogues sortir à la voile de la baie, pour se rendre à Wan- garoa. Les naturels déchargèrent leurs armes en passant près de l'établissement, et en retour nous tirâmes deux coups de pierrier; mais, malgré nos inquiétudes générales, ils s'en allè- rent paisiblement. ( Révérend H. Williams. ) Visite, aux naturels sur la cote du Sud-Est. Le Herald est revenu aujourd'hui, 18 avril 1828, du Sud, avec quarante cochons environ et le quart d'une cargaison de patates. Les hommes de ce navire étaient en bon train de le remplir, mais ils furent obligés de revenir plus tôt qu'ils ne le désiraient. Leshabitans du Sud semblent vivre dans un état bien plus triste que ceux de la baie des Iles ; ils ne sont point disséminés ça et là comme ceux-ci, mais ils sont réunis dans des forteresses, et continuellement dans la défiance de leurs voisins. Le 12 avril, le Herald était entré à Touranga. Le havre parut tout-à-fait désert, car il n'y avait qu'une pirogue en vue, et les naturels étaient occupés à commercer avec un brick mouillé aux environs, pour se procurer de la poudre. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 545 Détails sur le naufrage du Herald. 8 mai 1828. M. Hobbs est arrivé avec la nouvelle que le Herald avait fait naufrage à Shouki-Anga , mais que l'équi- page et M. Fairburn étaient sains et saufs à terre. Un petit navire s'était perdu deux jours auparavant et se trouvait à la côte à quelques milles au nord du Herald. Je me mis sur-le- champ en route avec mon frère et M. Hobbs pour Kidi-Kidi ; là M. Kemp se joignit à nous, et nous continuâmes notre che- min pour Shouki-Anga. 9 mai. Nous arrivâmes à l'établissement Wesleyen de Man- gounga, où nous apprîmes de nouveaux détails. A l'embou- chure de la rivière Shouki-Anga se trouve une barre sur laquelle les navires passent généralement sans accident; mais quelquefois la mer y brise d'une manière affreuse. Depuis deux jours le Herald se tenait au large, attendant une circons- tance favorable , parce que la houle était très-grosse. Le 6, un peu avant le coucher du soleil , il gouverna sur la barre avec un bon vent et l'espoir d'être bientôt rendu au mouillae-e: mais, une fois parvenu sur la barre, le vent tomba tout-à- coup, et l'abandonna au pouvoir des brisans ; il tomba sur les rochers. La nuit approchait , et comme l'équipage n'avait qu'un sort terrible en perspective , chacun commença à songer à son salut. Pendant ce temps, le canot, qui avait été mis à la mer tandis que le navire tenait encore sur ses ancres, fut entraîné par la violence du ressac; deux hommes qui se trou- vaient dedans furent obligés de se sauver à la nage. M. Fair- burn quitta ensuite le navire et n'atteignit le rivage qu'avec beaucoup de peine, épuisé qu'il était de lassitude. Le maître et l'équipage se tinrent suspendus au gréement jusqu'au lende- main matin , où la mer se retira assez pour les laisser descen- dre à terre. Du reste, en arrivant au rivage, ils ne trou- vèrent guère de pitié dans les naturels, qui leur arrachèrent la plupart de leurs vêtemens et les menacèrent d'en venir encore TOME ni. 35 546 PIÈCES JUSTIFICATIVES. à de plus grandes extrémités. Aussitôt que la mer se fut suffi- samment retirée , les naturels allèrent au navire et le dépouil- lèrent de tout ce qu'ils purent emporter; non contens de cela . ils hachèrent le navire de la manière la plus honteuse ; ils coupèrent tout le gréement et toutes les garnitures de la chambre, et ne laissèrent rien d'entier que la carcasse. M.Mair et l'équipage restèrent auprès du navire pour tâcher de les arrêter; mais ce fut en vain. En conséquence, peu après notre arrivée à Mangounga , ils s'en vinrent dans un canot, jugeant inutile de rester plus long-temps à bord. 10 mai. Nous sommes descendus vers les pointes du havre, à vingt milles de distance environ. Nous avons visité le navire à marée basse et l'avons trouvé dans un état déplorable : car bien qu'une grande partie de sa quille fût échouée près du corps du bâtiment, dont elle avait été séparée par le choc con- tinuel des vagues sur le rivage, cependant la méchanceté des naturels lui avait encore causé plus de dommage. Du reste, c'est un grand bonheur que ceux qui le montaient aient échappé , non-seulement à la fureur des flots, mais encore aux cruautés des naturels. Comme notre troupe était forte , les na- turels n'osèrent pas approcher de nous; mais à notre retour nous passâmes par leur établissement, et nous vîmes quelques- uns des principaux coupables. Ils eurent peu de chose à dire pour justifier leur conduite : le pillage des menus objets était permis d'après leurs propres idées; mais ils convinrent que le dommage fait au navire était une mauvaise action. Du reste, suivant leur habitude , les chefs rejetèrent le blâme sur d'autres chefs non soumis à leur autorité. il mai. Nous passâmes le dimanche à Mangounga, où nous fîmes le service, matin et soir, dans la maison de M. Hobbs. 12 mai. Ce matin , avant que nous pussions nous mettre en route pour nous en retourner, Patou-One , le chef de cette partie de la rivière , vint chez nous avec une forte troupe de naturels: il nous dit qu'il allait demander satisfaction au PIECES JUSTIFICATIVES. 547 peuple des pointes pour le mal qu'il avait fait au navire, mais en même temps il désirait avoir notre sanction et nos ins- tructions. L'affaire étant ainsi déférée à notre jugement, nous ne pûmes leur donner notre approbation, bien que les naturels des pointes méritassent certainement d'être punis. Nous leur dîmes qu'en qualité de missionnaires, nous ne pouvions leur conseiller une pareille démarche , que nous étions venus seu- lement pour annoncer le nom de Dieu ; que nous étions affligés de la conduite dont nous avions été témoins, mais que nous devions abandonner le reste à notre Dieu. Ils dirent que nous étions un étrange peuple; à la fin il fut arrêté que M. Hobbs les accompagnerait le jour suivant, pour terminer l'affaire à l'amiable. ( Révérend H. TVilliams. ) {Missionnarr Register, octobre 1829, page 458 et suiv.} Voici quelques extraits des lettres écrites par les Mis- sionnaires en 1829. L'année dernière il y a eu une grande mortalité parmi les naturels des environs, jeunes comme vieux. Au printemps passé , plusieurs sont morts de la coqueluche : l'ennemi du genre humain a profité de ces événemens pour irriter l'esprit des naturels contre nous. Souvent ils nous ont dit qu'avant notre arrivée dans ce pays ils vivaient fort long-temps; mais qu'aujourd'hui tous meurent , j eunes comme vieux ; et la raison qu'ils en donnent, est que notre arrivée parmi eux leur a ap- porté différentes maladies. Ils disent que notre Dieu est un Dieu cruel , parce que plusieurs d'entre eux meurent , et que c'est lui qui les tue. Si nous pouvions leur persuader qu'ils vivraient toujours et ne mourraient point, nul d'entre eux ne manque- rait de venir h nous , et de dire que notre religion est bonne ; tous l'embrasseraient. Mourir et quitter ce monde , est pour 35* .J48 PIECES JUSTIFICATIVES. les Nouvcaux-Zélandais le plus affligeant de tous les événe- mens. ( M. Kcmp. ) Durant les deux dernières années, j'ai été bien aise de voir les naturels manifester plus de dispositions à cultiver le grain ; l'année dernière, j'ai acheté d'eux de quarante à cinquante boisseaux de blé pour des couvertures, car cela seul peut les engager à cette culture. Jusqu'à présent ils ne veulent pas se donner la peine de le cultiver pour leur propre usage , attendu que leur nourriture ordinaire leur coûte beaucoup moins d'embarras. Je les ai encouragés par tous les moyens possibles; et comme ils estiment beaucoup les couvertures, j'espère qu'ils étendront cette culture sur une plus grande échelle ; je leur ai promis que nous achèterions pour des couvertures tout le blé qu'ils pourraient semer. Taï-Wanga se porte bien , ainsi que sa femme ; leur famille s'accroît : ils ont déjà trois enfans. Trois de mes naturels se sont mariés, et tout, en général, va bien. Comme j'ai commencé à bâtir pour moi-même une habita- tion plus solide, mon ami Taï-Wanga se propose d'en faire autant, et j'ai l'espoir qu'avec notre assistance il en viendra à bout. {M. fi. Davis.) Depuis l'époque où nous mouillâmes dans la baie Paroa, vis-à-vis du village où habitait Thomas Touai , de grands et nombreux changemens ont eu lieu.' Le pauvre Touai n'est plus : sa tribu est presque éteinte; le petit nombre de ceux qui existent encore, dispersés parmi les autres tribus, ne sont guère plus considérés que des esclaves. Il reste à peine quel- ques vestiges du peuple de Kaï-Para qui fut naguère si nom- breux. Dans le même intervalle de temps, Wangaroa a été complètement dépeuplé et repeuplé par une tribu différente : Pomare, Ware-Oumou et le fameux Shongui , après avoir fait PIECES JUSTIFICATIVES. 549 périr par l'épée plusieurs autres chefs que j'avais jadis connus , ont terminé leurs jours de la même manière. Au milieu de tous ces événemens , nous avons pu nous maintenir dans notre position. Quoique souvent menacés par ces pauvres sauvages, une invisible main les a empêchés d'accomplir leurs menaces. Durant ces dernières années, un changement très- remar- quable a eu aussi lieu parmi les naturels. Des écoles ont été établies ; plusieurs enfans et adultes ont appris à lire et à écrire. L'Evangile a été prêché en plusieurs endroits, et nous en at- tendons d'heureux effets ; quelquefois les chefs écoutent nos instructions avec attention. ( M. Clarke. ) Nos naturels se comportent généralement bien , et font des progrès considérables dans la lecture, l'écriture et le calcul : ils ont acquis une grande connaissance de l'Ecriture, et cette connaissance semble avoir de l'influence sur leurs actions. Quanta de véritables conversions, jusqu'à ce moment il y a peu de choses à dire. Durant les trois dernières années, cette Mission a fait des progrès rapides; et, bien que nous soyons encore sujets à certaines épreuves, nos espérances sont flat- teuses. ( M. R. Davis. ) (Missionnary Régis ter, jévr. i83o,/jtf°\ n4 et suiv.*) SOCIETE DES MISSIONNAIRES DE l'e'gLISE. Rangui-Hou, sur la côte N. de la baie des Iles, fondée en 1810. — John King, James Shepherd, assistans. — Deux ser- vices le dimanche et un le vendredi au soir : visites aux natu- rels le dimanche et parfois dans la semaine : grande indifférence de la part des naturels pour les intérêts spirituels. — Ecoliers , 550 [PIÈCES JUSTIFICATIVES. vingt-trois hommes et garçons, dix femmes; la plupart stu- dieux : les chefs principaux s'instruisent; des progrès. — La translation de la mission à Tepouna n'a pas été effectuée, at- tendu qu'on songe à la réunir à d'autres pour les fortifier. Kidi-Kidi, sur une rivière qui se jette dans la haie des Iles, vers sa partie occidentale : 1819. — W. Yatc : James Kcmp , G. Clarhc , James Harnlin, C. Baker, assistans. — Il manque une chapelle : quand tous se rasscmhlent, le nombre excède cent : visites régulières aux naturels, aussi loin que Waï- Mate, éloigné de dix milles : plus ou moins d'opposition à l'Evangile, et disposition a écouter les instructions relatives au temporel. Ecoliers, cinquante hommes et enfans , vingt- trois filles : conduite en général très-satisfaisante. Une distri- bution publique de récompenses pour bonne conduite a excité un vif intérêt; soixante-huit garçons ou filles y assistaient : les prix les plus distingués étaient un couteau, une paire de ciseaux, une trompette ou un peigne : les naturels ont été enchantés de leurs prix, et les Missionnaires de leur bonne humeur. Pahia, sur la partie méridionale de la baie des Iles : à seize milles au S. E. de Kidi-Kidi, et à la même distance par mer au sud de Rangui-Hou : 1823. — II. TVilliams, W. Williams : Richard Davis, TV. Fairburn, W. Puchey, assist. — Une cha- pelle de quarante pieds de long sur vingt de large , avec un local qui en dépend , de quarante pieds de long sur douze de large, fut ouverte en septembre 1828. « Pour cette partie du monde, écrit M. II. Williams, c'est un bel édifice, et qui excite l'admiration et les louanges des naturels. » — Ecoliers, soixante-un hommes ou enfans, trente-deux du sexe féminin. — W. Williams compose un dictionnaire. Les litanies ont été traduites. Des douze missionnaires employés dans ces stations, tous sont mariés, excepté MM. Yate et Puckey : tous les hommes mariés ont des enfans, en tout vingt-huit mâles et quatorze de l'autre sexe. M. Davis, en retournant à son poste, s'est embar- qué avec sa femme, le révérend A. N. Brown , madame Brown PIÈCES JUSTIFICATIVES. 561 et madame Hart, en avril, pour la Nouvelle-Zélande. L'Ac- tive a été acheté et expédié pour remplacer le Herald qui s'est perdu. SOCIETE DE VESLEY. Mangounga, sur le Shouki-Anga, 1827. —John Hobbs , James Stack, M. et madame White sont en route pour re- prendre leurs travaux. (Missionnaiy Register, j'anv. i83o, pag. fc et suiv.) EXTRAITS DU JOURNAL DU REVEREND WILLIAM YATE. $ février 1829. Matapo , l'un des chefs de Tae-Ame , a tué une esclave ce matin. La raison qu'il a donnée de cette action a été que l'esclave avait pratiqué un charme sur Tekoke , chef de Kawa - Kawa , et avait causé sa maladie. Quand Matapo l'eut tuée, ce vieux coquin de Tareha la fit rôtir et la mangea. J'ai déjà signalé Tareha comme l'homme le plus barbare de l'île : il a tué et mangé trois personnes depuis que je suis à la Nouvelle-Zélande. 16 février. Pawe, l'un de nos grands personnages, est mort ce matin à W aï-Mate , après une maladie lente et pénible. C'était un naturel de manières fort agréables ; mais il n'a jamais donné les moindres signes de conversion. Ses amis nous ont envoyé demander une couverture pour envelopper le corps avant de l'inhumer. Rien chez eux n'excite plus leur attention que la vénération pour les morts. 18 février. Je suis allé à la résidence de Pawe qu'on avait dit mort : je le trouvai en vie ; mais il expira peu d'heures après mon arrivée. L'endroit était taboue; on ne permettait à personne d'approcher de lui. Néanmoins je n'eus aucun égard à ce qu'on me dit; mais je m'avançai vers un petit hangar; je lui fis un peu de thé, et tâchai de profiter de l'occasion. Un 552 PIECES JUSTIFICATIVES. grand nombre de naturels étaient présens dans l'attente de sa mort : ils se montrèrent tous attentifs. Je passai près de quatre heures avec eux. 26 février. J'ai visité Waï-Mate, et je suis allé dans sept résidences; mais je n'ai pas rencontré autant de naturels que je m'y attendais, parce qu'ils étaient fort occupés à dégager les Lois. Du reste , j'ai trouvé pour trois heures d'occupation dans ces différens endroits. 27 février. J'ai visité les naturels de Tako , grand établisse- ment sur la côte, à douze milles environ de Kidi-Kidi. Wata, le chef de l'endroit, était allé à Wangaroa pour voir Oudou- Roa qui' est indisposé : sa femme se trouvait chez elle, ainsi que toute sa famille. Je n'étais jamais venu dans cette place, et elle n'avait encore été visitée que deux fois par les Euro- péens. La réception qu'on me fit fut très-gracieuse. La vieille dame gronda ses esclaves d'une manière terrible , pour avoir été si long-temps à faire cuire des vivres pour moi et mes hommes. Je parlai à cinq groupes différens, et leur annonçai les trésors incompréhensibles du Christ. Quand j'eus traversé la rivière pour m'en retourner chez moi , je rencontrai une troupe qui venait du côté du Sud. Titore , l'un des chefs de Waï-Mate, se rendait à l'endroit que je venais de quitter, et portait attaché au sommet d'une lance un petit morceau de bois en guise de souvenir de feu Pawe. Titore, en sa qualité de porteur, était taboue, et n'osait pas manger jusqu'au mo- ment où il aurait remis l'objet de son message à la personne à laquelle il était destiné. Je lui offris un morceau de pain d'épice que j'avais dans ma poche; mais quand il le vit, il s'enfuit comme s'il eût vu un serpent. 10 mars. Une centaine de naturels sont passés par Kidi- Kidi en toute hâte pour se rendre à l'habitation de feu Koi- Koi ; ils se proposent d'en enlever tous les vivres, à cause de certaines mauvaises paroles que le vieux homme a prononcées au moment même de sa mort. Nous ne disons jamais rien pour les détourner de ces sortes d'actions, car elles sont conformes aux PIECES JUSTIFICATIVES. 553 coutumes du pays, et ce serait chose absolument inutile que de nous immiscer dans leurs réglemens , excepté quand leur vie en dépend. 19 mars 1829. J'ai visité les naturels au bas de la rivière, et j'en ai rencontré une troupe forte de deux cent cinquante environ : ils étaient fort pressés, car ils marchaient au pillage , et ils n'ont point voulu m'écouter du tout. 20 mars. Ware-Pou et Hane, deux anciens serviteurs de l'établissement , se sont mariés ce soir. Probablement ils font très-bien; leur mariage n'est point une affaire terminée à la hâte; il y a plus de douze mois qu'ils y songent. l4 avril. Je suis allé à Waï-Mate, à Pouke-Nouï et Mau- pere : j'ai rencontré des troupes de naturels fort nombreuses, et j'ai prêché dans dix-sept villages différens. Les naturels ont fait plusieurs bonnes observations sur ce que je leur avais dit lors de ma dernière visite. 12 mai. Le vieux Wata, homme très-vénérable et chef de Tako, est descendu à l'établissement, suivant la promesse qu'il nous avait faite samedi dernier, et nous a vendu vingt- quatre corbeilles de maïs d'une excellente qualité. Il avait amené vingt-quatre esclaves avec lui pour porter ce grain , par un très-mauvais chemin , l'espace de plus de quatre milles. Le paiement a été deux de nos meilleures couvertures. i3 et 14 mai. J'ai visité les naturels de Waï-Mate et de Ahou-Ahou. J'ai parlé à quinze groupes formant trois cent cinquante personnes environ. Sur mon chemin, j'ai rencontré la femme de Titore : elle allait à Kidi-Kidi pour me prier de me transporter vers son mari qui est très-mal; c'est un homme d'une haute importance, et qui ne le cède qu'à Rewa seu- lement pour le rang. Je le trouvai couché au bord d'un petit torrent sans autre toit que celui des cieux. Je le saignai et lui donnai quelques remèdes, en lui conseillant d'aller sous quel- que abri. Il répondit qu'il ne pouvait pas le faire, qu'il était sous le tapou, et qu'en conséquence il n'oserait pas y aller. •Si j'allais maintenant, disait-il, dans une maison , l'Atoua 554 PIECES JUSTIFICATIVES. serait très-courroucé ; il ferait passer cette pierre au travers de mes côtes; il la ferait entrer dans mon cœur, et je mourrais. Tel que je suis, continuait-il, il y a des balles dans mon corps, une dans mon bras, une autre dans ma cuisse et une troisième dans mon gosier. » Je tâchai de lui faire entendre raison sur une croyance aussi absurde ; mais il était si superstitieux qu'il se montra sourd à -tout ce que je dis à ce sujet. Quand je l'eus saigné, il dit : « Là, c'est bon. Maintenant il y a un trou ; peut- être l'Atoua permettra-t-il aux balles de sortir de mon corps, et je vivrai. » Avant de continuer mon chemin , je lui fis bouillir un peu de thé qu'il prit : cela le rafraîchit sensible- ment; son abattement disparut, et il se sentit beaucoup mieux. Il n'y a rien dont un Nouveau-Zélandais soit plus recon- naissant que les petits soins qu'on lui rend pendant qu'il est malade. Tout ce que nous pouvons faire en ce genre, aux riches comme aux pauvres, ne peut manquer de nous en faire des amis. i5 mai. Aujourd'hui j'ai été témoin d'une scène telle que je n'en avais jamais vue jusqu'à ce moment à la Nouvelle- Zélande. Une foule de naturels sont venus dans l'établisse- ment et ont été fort turbulens. Du reste, ce n'était pas à nous qu'ils en voulaient , et leur conduite était justifiée par les cou- tumes du pays. Un des jeunes gens de M. Baker était allé dans l'intérieur, et pendant ce temps avait épousé une jeune fille qui demeure chez M. Clarke. Cette fille, depuis quelque temps, avait été mise à part pour son beau -père; en consé- quence, elle ne pouvait épouser personne autre sans s'exposer non-seulement elle-même à la mort, mais aussi son mari. Après s'être mariés, ils revinrent à Kidi-Kidi. Deux jours après, la tribu entière vint pour emmener l'épousée, et pour donner à l'époux une sévère correction : ils n'osèrent pas se porter à de plus grandes rigueurs à cause du rang dont il jouit parmi eux. Les naturels se montrèrent fort indisciplinés en cherchant la mariée : la présence de Rcwa ne put les em- pêcher de sauter par-dessus nos palissades, et de courir tout PIÈCES JUSTIFICATIVES. 555 au travers de nos propriétés pour découvrir où la femme s'était cachée. A la fin, ils trouvèrent sa retraite, la battirent, et remmenèrent en triomphe avec eux. Ensuite tout se passa très-bien ; mais l'affaire aurait pu devenir sérieuse, car le frère de la fille l'ajusta avec son fusil, et allait lui brûler la cervelle si un ami ne lui eût arraché son arme. Elle ne sera pas mal- traitée davantage; mais je ne sais pas si on lui permettra de retourner avec son mari, ou bien si on la réservera pour son beau-père. ier et S juin. Une troupe considérable est venue du Sud pour rendre visite à Revva. En leur faisant la politesse habi- tuelle, son fusil a crevé et sa main a été grièvement blessée. En conséquence de cet événement, tous ses vivres, ses cou- vertures, et ses autres possessions, lui ont été enlevés par ses amis , comme une marque de leur mépris. 11 et 12 juin. J'ai visité les habitans de Waï-Mate. Il s'y trouvait une foule de naturels qui s'y étaient rassemblés de toutes les parties de l'île, pour prendre part au festin donné par le peuple de Waï-Mate à l'occasion de la translation des os de Patou. J'eus là une excellente occasion de leur adresser la parole , et ils se montrèrent tous attentifs. EXTRAITS DU JOURNAL DD REVEREND W. WILLIAMS. •2 juin. Rewa s'est blessé grièvement la main avec un fusil • dont le canon a crevé. 11 était nécessaire d'amputer trois doigts, et je lui proposai de lui faire l'opération; mais les naturels étaient si superstitieux que chacun d'eux s'y opposa. On me donna même à entendre que, si je lui avais taillé la main, une troupe d'étrangers qui venaient d'arriver du Sud auraient probablement été taillés en pièces par la tribu de Rewa , en expiation de l'accident qui lui était arrivé. Dimanche 21 juin. Le malin esprit est aux aguets, surtout maintenant, pour aigrir les naturels contre nous au sujet de 556 PIECES JUSTIFICATIVES. leurs maux temporels. Ils disent qu'avant notre arrivée parmi eux, peu de personnes mouraient avant la vieillesse, et que nous leur avons apporté des maladies dont ils deviennent les victimes à tout âge. Cela a été aujourd'hui le principal sujet de la conversation entre eux et nous. i4 juillet. Je suis allé à Kavva-Kawa. Je me suis beaucoup entretenu avec deux naturels qui venaient d'arriver du Waï- Kato, escortés d'une troupe nombreuse, pour commercer avec les habitans de la baie des Iles. Je leur ai tracé une esquisse de notre message, et ils semblaient en avoir déjà quelque idée. Ils ont dit qu'une femme du Waï-Kato était allée dernière- ment au ciel, et avait rapporté que c'était un très-bon endroit; qu'il y avait une foule de peuples qui vivaient en paix. Quand ils avaient entre eux quelque légère querelle, ils avaient pour combattre des paquets de jonc au lieu de fusils, et en place de mère en pierre des feuilles de phormium. 24 août 1829. J'ai remonté la rivière Waï-Kadi, accom- pagné par M. Yate. Le vieux Torou , le chef principal , était malade. Il a remarqué, comme beaucoup d'autres ont fait, qu'il était malade pour n'avoir pas fait assez d'attention à nos kara- « kia (prières), et il a demandé avec une sincérité apparente ce qu'il devait faire. 25 août. Ce matin , un prêtre d'une certaine célébrité fai- sait du mouvement parmi nos naturels. Il leur expliquait le pouvoir vocal de leur dieu Witi ; ce n'était autre chose qu'une # sorte de sifflement que le prêtre faisait sortir de sa tête par un tour de ventriloquie. Nous lui dîmes qu'en Angleterre cer- tains hommes pourraient faire parler une huître ou même un homme mort, mais que pour cela on ne les appelait point des dieux. Alors je demandai : « Pourquoi, si celui-ci est un dieu, ne guérit-il pas vos malades? — Le dieu du pays, répondit l'individu, est mort depuis que vous êtes venus ici, et il ne peut plus rien faire. » Cela ressemble en quelque chose à l'oracle de Delphes , qui cessa de prophétiser lors de la pre- mière promulgation de l'Evangile. PIEGES JUSTIFICATIVES. .557 Dimanche 20 septembre. Je suis allé, avec M. Shcphcrd , visiter quelques naturels du voisinage qui étaient, pour la plus grande partie , fort occupés à travailler à leurs filets. Waï-Kato , qui a été en Angleterre avec Shongui , est tout aussi superstitieux qu'aucun de ses compatriotes, et pour rien au monde ne négligerait un seul de ses tapous. Un filet neuf donne lieu à beaucoup de cérémonies. La mer entière, dans le voisinage immédiat de Rangui-Hou , est maintenant sacrée pour ce motif, et nulle pirogue n'a le droit d'y passer sous quelque prétexte que ce soit. Waï-Kato eût volontiers empê- ché mon canot de revenir le lendemain , et je n'eus la permis- sion de passer qu'en promettant de gouverner aussi loin du filet qu'il me serait possible. Le canot de M. Yate, qui venait de Kidi-Kidi, fut obligé de s'en retourner sans atteindre Ran- gui-Hou. Le lendemain, ayant passé outre en dépit du tapou avec M. Kemp , pour aller voir M. Sbepberd qui était fort mal , ces deux missionnaires et les hommes de leur équipage furent fort maltraités. Waï-Kato, pour sa justification, allé- gua que nous avions nos jours sacrés, que nous étions fâchés quand on les violait, et qu'ils avaient le droit d'en faire autant. 22 octobre. M. Hamlin est venu de Kidi-Kidi dans un canot pour voir madame Kemp qui est tombée dangereuse- ment malade : il lui a fallu passer à un demi-mille de Waï- Tangui où les naturels préparent un grand filet à maquereau. La mer à une certaine distance tout à l'entour est sacrée. Comme le naturel le plus intéressé dans ce filet est d'un carac- tère turbulent , il conçut le projet de nous causer de l'inquié- tude; et, suivi d'une cinquantaine d'hommes de son parti, il accourut en toute hâte à notre établissement. De leur côté, les gens du canot de M. Hamlin , voyant ce qui se passait à terre , forcèrent de rames comme s'il y allait de leur vie , et atteignirent notre plage juste à temps pour se mettre en état de défense contre leurs agresseurs. Ceux-ci s'élancèrent sur le canot, dans l'espoir d'y trouver quelque butin; car, d'après leurs lois, il leur eût été légitimement acquis. Leur recherche Ô58 PIECES JUSTIFICATIVES. ayant été inutile, ils attaquèrent alors l'équipage du canot, et plusieurs d'entre nous crurent devoir intervenir. Le résultat de cette querelle fut que Marou-Po , le chef, fut terrassé par un des naturels de Kidi-Kidi, et son mousquet et sa giberne jetés à la mer. Ce ne fut qu'après la fin de cet engagement que je connus l'arrivée de M. Hamlin. De pareils incidens pourraient causer quelque inquiétude à plusieurs de nos bons amis d'Angleterre ; mais nous sommes obligés de nous y rési- gner fréquemment. 3 novembre. Je suis allé avec mon frère à Mounga-Neri , l'endroit où. se pèche le maquereau, près de la pointe S. E. de la baie des Iles. Presque tous les naturels de ce canton s'y sont rendus, et c'est un endroit très-commode pour les visiter. A minuit, nous atteignîmes une petite île qui n'en est qu'à quatre milles, et nous y dressâmes notre tente pour la nuit. Le lendemain matin , nous nous trouvâmes au milieu de di- verses troupes de naturels appartenant à presque toutes les tribus avec qui nous sommes en relation : ils se sont tous ras- semblés sur un espace d'un mille environ. Leur conduite a été généralement satisfaisante. 3o novembre. Nous avons enterré notre jeune naturel Ro- bert qui a dernièrement reçu le baptême. Sa mort n'a pas excité beaucoup d'intérêt parmi les habitans : ils sont bien aises de penser qu'il est allé au ciel, sans souhaiter pour eux- mêmes une semblable bénédiction. 16 décembre. Je suis allé à l'établissement des naturels à Wangaï. Il est un point de vue sous lequel les Nouveaux- Zélandais diffèrent de beaucoup d'autres païens : d'ordinaire ils ne chicanent point sur ce que nous leur disons ; mais tout en acquiesçant à nos paroles d'une manière souvent agréable pour nous, ils conservent une apathie semblable à celle qu'on retrouve si souvent dans notre propre patrie. Aujourd'hui ma conversation avec les naturels eût frappé un nouveau-venu , mais je n'ose pas en concevoir un grand espoir. 21 décembre. Un homme et une femme viennent d'être PIÈCES JUSTIFICATIVES. 559 massacrés, sous le prétexte qu'ils ont ensorcelé plusieurs per- sonnes qui sont mortes dernièrement. Une autre femme a rêvé que telle avait été la cause de leur mort, et ce songe a été suffisant aux veux d'un naturel. Les corps ont été portés à Korora-Reka, le mouillage ordinaire des navires, où ils ont été rôtis et mangés. (Mùsionnary Register, octobre i83o , page 467 et suiv.) Le révérend W. Williams écrit en date du 5 mars 1830 : Les naturels des environs se sont rassemblés durant quel- ques jours à Korora-Reka, sur le côté opposé de la baie et à deux milles environ de notre établissement, dans l'attente d'une attaque des habitans réunis de Wangaroa, Rangui-Hou et Kidi-Kidi. Ayant appris ce matin qu'Oudou-Roa, cbef des assaillans, était arrivé, nous pensâmes que nous ferions bien de nous rendre près des deux armées pour tâcher de les détourner du mal. Avant débarqué à Korora-Reka, nous pas- sâmes par-dessus la colline, et nous trouvâmes les ennemis qui se régalaient des koumaras ou patates douces qu'ils venaient d'arracher d'un jardin près duquel ils avaient abordé. Toï- Tapou , notre voisin, était occupé à débiter une harangue, dont le but était d'empêcher Oudou-Roa de se porter à de plus grands excès, et de l'obliger à se contenter d'avoir ravagé les plantations de koumaras, en satisfaction du langage indé- cent que l'autre parti s'était permis. Toutefois Oudou-Roa semblait être toujours aussi déterminé à marcher sur Korora- Reka le jour suivant. Le révérend H. Williams décrit ainsi leur entrevue avec les chefs : Nous trouvâmes Toï-Tapou, au milieu du conseil, récitant 560 PIECES JUSTIFICATIVES. une harangue. Aussitôt que nous parvînmes en vue de ces guerriers , ils nous reçurent de la manière la plus gracieuse et nous firent faire place. Nous nous plaçâmes de manière à leur adresser la parole , d'après le désir qu'ils nous en témoignèrent eux-mêmes. Après avoir réclamé le silence , afin que tout le monde pût entendre, nous nous exprimâmes aussi librement avec eux que nous l'eussions jamais fait, et rien n'était plus satisfaisant que l'attention qu'ils porlèrent à nos paroles. En- suite ils firent défiler leurs troupes pour que nous pussions juger de leur force. Toï-Tapou , qui appartient à l'autre parti , les admira beaucoup , et s'écriait avec un sentiment d'orgueil, en montrant du doigt les différentes tribus : « Celles- là sont à moi! et celles-là aussi sont à moi! » Au bout de deux heures, nous nous en allâmes, espérant qu'il n'arriverait aucun malheur. 6 mars i83o. Vers neuf heures, nous avons entendu plu- sieurs décharges de mousqueterie à Korora-Reka. A l'aide de nos lunettes , nous pouvions observer des personnes courant dans toutes les directions, et des pirogues chargées de monde quittant le rivage pour se diriger vers les navires. Sur-le- champ , M. Davis et moi nous nous embarquâmes dans le canot; et après avoir communiqué avec le capitaine King à bord du Royal- Sovereign , nous allâmes à terre pour essayer de faire cesser le feu. Nous débarquâmes sur le théâtre du combat; mais nous ne pûmes voir aucun chef de distinction, attendu qu'ils étaient tous cachés par les palissades et les re- tranchemens. Les deux partis étaient à vingt-quatre verges environ de distance l'un de l'autre. Je fis autant de bruit qu'il me fut possible, mais ce fut en vain. Je m'avançai vers notre vieil ami Toï-Tapou qui se reposait sur ses armes à l'autre bout de la plage. Je fis en sorte de lui persuader de m'accom- pagner vers l'armée ennemie pour l'engager à se retirer; mais il ne voulut pas bouger. Un jeune chef, nommé Touai-Angui, fut chargé de m'accompagner. Rewa s'avança vers moi , et fit signe à ses troupes de cesser le feu. Quand nous fûmes près P1ECKS JUSTIFICATIVES. 561 du champ de bataille, nous apprîmes que plusieurs d'entre eux étaient tués et blessés. Je fus conduit devant Oudou-Roa , qui pouvait à peine parler : du reste, une foule de guerriers m'environnèrent et portèrent toute leur attention à ce que je voulais leur dire. Ils convinrent de la justesse de nos argu- mens , et reconnurent que Satan les avait poussés à cette mauvaise action. Peu après, plusieurs personnes descendirent des navires dans les canots pour visiter le champ de bataille : plusieurs étaient morts, d'autres mourans , et le nombre des blessés ne fut pas connu. Il y eut une chose qui m'étonna beaucoup , en cette circonstance , dans la conduite de ces hommes. Un quart-d'heure après que le feu eut cessé, un grand nombre de guerriers de chaque parti se mêlaient in- distinctement avec leurs ennemis , et nous trouvâmes que des parens , des enfans et des frères avaient combattu les uns contre les autres. A cette occasion, M. Davis écrit : Hélas! quel jour d'horreur et de détresse! Hier au soir, nous avions quitté les deux partis avec le désir apparent de faire la paix ; mais eu matin, entendant le feu et jugeant que le combat avait commencé , nous lançâmes notre canot à la mer, et nous nous rendîmes vers les navires. Comme le Royal Soveieign, capitaine King, n'était mouillé qu'à deux ou trois cents verges du lieu de l'action , nous nous dirigeâmes de son coté. Je montai à bord. M. Williams se rendit au rivage où il débarqua, et fit son possible pour arrêter le feu; mais il fut obligé de rentrer dans son canot, attendu que les deux partis faisaient un feu très-vif. Ce fut une démarche très-périlleuse de la part de M. Williams, et il courut de grands risques d'être tué. Le pont du Royal Sovcreign présentait un déplo- rable spectacle d'horreur et de désespoir : plusieurs des blessés avaient été transportés à bord et gisaient étendus sur le tillac , tome m. 3G 562 PIECES JUSTIFICATIVES. mutilés et ensanglantes; le chirurgien était occupé à panser leurs blessures, assisté par tous les hommes de l'équipage qui pouvaient lui donner la main. En outre des blessés, il y avait un grand nombre de femmes et d'enfans qui du village s'é- taient enfuis sur le navire pour y chercher leur salut. A la requête urgente du capitaine , je restai sur le navire pour l'as- sister dans ses rapports avec les naturels. On s'attendait à voir les habitans abandonner leur village et s'enfuir vers les vais- seaux pour réclamer la protection des Européens; et dans ce cas, ils y eussent été probablement suivis par les vainqueurs. Aussi les navires furent mis en état de défense, et l'on se pré- para à tout événement. Mais il n'y avait pas long-temps que j'étais à bord , quand les assaillans se retirèrent et s'en allèrent dans toutes les directions. Alors je descendis à terre avec les capitaines King et Dean. Un spectacle affreux s'oinit à nos regards, car il y avait près de cent personnes tuées ou blessées. Peu après que nous eûmes débarqué , les assaillans eurent la permission de venir reprendre leurs chefs morts et blessés , mais ils laissèrent les cadavres des esclaves tués. Comme ils avaient encore laissé le corps d'un chef de peu d'importance, un des chefs du village accourut, lui ou- vrit le ventre avec une hache, et prit un petit morceau de foie : on me dit que c'était une offrande pour le dieu de la Nouvelle-Zélande. Après avoir rendu visite aux deux armées et être restés avec eux jusqu'à minuit environ , nous revînmes chez nous. Dimanche 7 mars i83o. Au point du jour, je fus réveillé par un bruit de coups de fusils venant de Korora-Reka , qui cessa avant le lever du soleil. Sur les sept heures, nous vîmes les pirogues d'Oudou-Roa qui traversaient la baie, se diri- geant sur Motou-Roa. Toute la journée, il arriva des piro- gues de Korora-Reka avec des hommes , des femmes et des enfans qui apportaient avec eux tout ce qu'ils possédaient. Le service fut retardé à cause des blessés. Au dehors, les naturels faisaient beaucoup de bruit; mais leur conduite fut pacifique. PIECES JUSTIFICATIVES. 568 A trois heures après-midi, nous observâmes que les maisons de Korora-Reka étaient en feu , et toutes les pirogues quit- tèrent le rivage en prenant diverses directions. Au soleil cou- chant, Oudou-Roa vint avec Toï-Tapou sur notre plage pour camper auprès de nous : un moment après arriva Rewa avec sa famille. Tout était en désordre, et divers bruits circulaient sur les intentions des Ngapouis. (M. TVilliams.) S mars. Plusieurs de nos naturels revinrent de leur pâ de Kawa-Kawa pour observer les mouvemens de l'ennemi. Nous leur dîmes que nous tâcherions d'obtenir la paix , s'il était possible : cette assurance parut leur faire plaisir, mais ils doutaient que leurs ennemis fussent disposés à s'y prêter. Au même instant , un navire parut en vue , et il se trouva qu'il venait de Port-Jackson , amenant sur son bord notre vieil ami M. Marsden avec une de ses filles. L'arrivée de M. Marsden fut accueillie avec joie par les Missionnaires comme par les naturels ; car sa présence pouvait fortement contribuer à l'accomplissement du but qu'ils se proposaient , le rétablissement de la paix. M. Marsden décrit ainsi qu'il suit l'état des choses à son arrivée : Quand j'arrivai à la baie des Iles , je trouvai les Mission- naires dans une grande agitation ; car les naturels étaient armés les uns contre les autres et réunis en corps nombreux. Le 6 du courant, un combat avait eu lieu sur le rivage opposé , dans lequel il y avait eu soixante-dix hommes tués ou blessés : les cadavres étaient encore étendus sur la plage. Mon arrivée dans un moment aussi critique fut d'un vif intérêt pour les Missionnaires, car ils espéraient que j'aurais assez d'influence sur les tribus en guerre pour rétablir la paix entre 36* 564 PIECES JUSTIFICATIVES. elles. Des messagers avaient été expédiés de différens côtés aux amis et aux alliés respectifs des deux partis, et l'on s'at- tendait à voir arriver sous peu de jours quelques milliers d'hommes à la baie des Iles. Quelques chefs vinrent aussitôt me rendre leur visite, et me prièrent d'intervenir entre eux. Les deux partis étaient également nos amis, et je connaissais parfaitement les principaux chefs de chaque côté. Je promis d'aller le lendemain, avec le révérend H. Williams, visiter les deux camps, et d'écouter ce que chacun des deux partis aurait à dire. En conséquence, le 9 de bon matin, nous nous dirigeâmes vers le camp de ceux qui avaient remporté la vic- toire, et nous en fûmes reçus avec la plus çrande cordialité. Sur- le-champ, nous nous occupâmes de l'objet de notre mission. Après une longue discussion , qui fut soutenue par les chefs avec beaucoup de chaleur et d'énergie, il fut convenu que nous nous rendrions au camp de leurs ennemis pour leur ren- dre compte de ce qui avait eu lieu dans cette séance. Les deux camps étaient éloignés de quatre milles environ. A notre arrivée , nous fûmes reçus avec beaucoup de respect par les chefs , et nous les trouvâmes disposés à écouter tout ce que nous avions à leur dire. Le révérend H. Williams exposa l'affaire. Après divers débats, il fut arrêté que nous nous ren- drions avec un des principaux chefs sur l'île Motou- R.oa , dis- tante de cinq milles à peu près, et sur laquelle était campée une troupe considérable de leurs amis, afin de connaître leurs sentimens. Nous y consentîmes, et nous fîmes aussitôt route vers cette île. A notre arrivée, nous trouvâmes le rivage cou- vert de pirogues de guerre et les naturels préparés à com- battre. Nous restâmes quelques heures au milieu de cette armée; plusieurs des chefs parlèrent avec beaucoup de force et de dignité : cependant ils cédèrent à nos désirs, et même nous autorisèrent à nous diriger vers le camp de leurs ennemis et à leur faire quelques propositions amicales. Quand tout fut arrangé, nous revînmes chez nous vers neuf heures du soir. Les conditions de la paix ne sont pas encore définitivement PIECES JUSTIFICATIVES. 505 fixées. Je n'ai cessé de négocier pour la paix depuis mon arrivée, et j'espère qu'elle sera bientôt établie. Je n'ai pas beaucoup d'inquiétude pour les Missionnaires, car les deux partis sont très-bien disposés pour eux; mais ils ne s'étaient pas encore vus dans une position si critique, et jusqu'à ce moment la paix régnait autour d'eux. Je pense que, quand ce différend sera apaisé, leur influence se répandra :m loin : plusieurs des cbefs éloignés apprendront qui nous sommes et quel est l'objet que nous nous proposons. L'origine de la guerre actuelle provient de la conduite infâme du maître d'un navire baleinier. Les chefs prétendaient que, puisque la guerre ne provenait pas d'eux, mais bien d'un Européen, les Européens, comme nation, devaient être res- ponsables de ses conséquences. Ils désiraient savoir quelle sa- tisfaction nous leur offririons pour la perte de ceux de leurs amis qui avaient été tués; qu'ils étaient en droit de demander satisfaction ; qu'il était juste que les Européens la leur don- nassent; que cette querelle ne leur était point personnelle. Je répondis que tout ce que je pouvais faire était d'écrire en Angleterre pour empêcher le retour du maître dans la Nou- velle-Zélande. Ils me prièrent de n'en rien faire; ils désiraient se saisir de sa personne ; et ils s'en saisiraient, s'il revenait chez eux ; puis ils se procureraient eux-mêmes la satisfaction qui leur est due. La conduite immorale de quelques-uns des baleiniers est épouvantable. M. Williams continue ainsi : o, mars i83o. M. Marsden et moi nous sommes allés au pâ où les naturels de Kawa-Kawa étaient rassemblés. La plus grande attention fut donnée à ce que nous avions à dire, et il fut unanimement décidé que Korora-Reka serait livré au parti opposé, comme satisfaction pour Shongui et tous ceux qui avaient été tués. Le cri général était la paix! Nous poussâmes ensuite vers Korora-Reka, où les habitans parurent désirer la 56b' PIECES JUSTIFICATIVES. paix, et il fut convenu que Tareha et Titore nous accompa- gneraient vers Oudou-Roa , qui était sur Motou-Roa. Le vent étant favorable, nous fûmes bientôt rendus, et nous eûmes une conversation très-satisfaisante. Tous, à l'exception d'un ou deux , semblent disposés à la paix. îu mars. Au point du jour, les Oudi-Kapana traversèrent l'établissement. Ils s'arrêtèrent un moment pour écouter les nouvelles et pour voir M. Marsden. Après le dîner, j'allai à Korora-Reka pour voir Oudou-Roa qui venait d'arriver de Motou-Roa. Il dit qu'il était inutile, pour faire la paix, d'at- tendre que tout le monde fût rassemblé , et il semblait douter de la sincérité de ses adversaires. n mars. Après le déjeuner, Rewa, M. Marsden et moi, nous nous dirigeâmes vers le pâ. A la demande de Rewa, nous hissâmes le pavillon blanc pour annoncer que nous ve- nions traiter de la paix. A notre arrivée, tout le monde se rassembla. Je leur dis que nous étions venus pour recevoir leurs instructions, quant au message dont nous allions nous charger près d'Oudou-Roa, et savoir s'il serait de paix ou de guerre. Maintenant le moment pressait. Avant que la foule se fût rassemblée, les chefs répliquèrent que nous avions raison; mais qu'il était nécessaire qu'Oudou-Roa députât quelque chef vers le pâ, et qu'ensuite l'un des chefs du pà se rendrait du côté des ennemis. Ce point étant arrêté, nous allâmes à Korora- Reka , où nous trouvâmes Oudou-Roa avec d'autres chefs. Ils parurent consentir à cette proposition; mais ils attendaient l'arrivée de Mango et de Ka-Kaha , les deux fils de Shongui , ce chef de Tako qui avait été tué ; car c'était à eux qu'ap- partenait désormais le droit de tirer vengeance de la mort de leur père. Je dis à Oudou-Roa que nous étions fatigués d'aller et venir ; mais lui et les autres répondirent que nous ne devions pas nous fatiguer, mais prendre de la force et du courage. Il ajouta que , si ces deux jeunes gens arrivaient dans la nuit, il nous enverrait une pirogue, et que la paix serait conclue le lendemain matin. PIÈCES JUSTIFICATIVES. .-j67 t3 mars. Au déjeuner, Toï-Tapou arriva, et parla de la nécessité de faire la paix, ajoutant que les tribus éloignées allaient arriver, et qu'alors personne ne pourrait plus les retenir. Dimanche i4 mars. Toï-Tapou et Rcwa insistaient pour que la conférence eût lieu avee Oudou-Roa et les autres chefs à Korora-Reka, attendu qu'on voyait plusieurs pirogues pous- ser au large de Motou-Roa. C'est pourquoi je m'y rendis moi- même , et je saisis l'occasion de parler aux naturels de leur condition actuelle et des offres de paix éternelle faites par Jésus-Christ. Tous parurent disposés pour la paix. Le soir, le service eut lieu comme de coutume. Ware-Moui vint du pâ , et semblait fort inquiet du retard apporté à la conclusion de la paix. 16 mars. Après le déjeuner, M. Davis et moi, nous allâmes à Motou-Roa pour voir Ka-Kaha et Mango , les fils de Shongui. Au milieu de la baie, nous recueillîmes le vieux Kossin qui s'était embarqué dans une frêle pirogue, et qui eût certainement chaviré si nous n'étions venus à son secours. Les naturels de Motou-Roa parurent disposés à écouter tout ce que nous voulions leur dire. Avant de les quitter, nous apprî- mes d'eux qu'ils mettraient en mer le lendemain matin , et se porteraient peut-être vers la rivière. 17 mars. Au lever du soleil, nous observâmes un grand nombre de pirogues, dont plusieurs se dirigeaient vers l'entrée de la rivière. Nous mîmes à l'eau deux canots portant chacun un pavillon blanc, et nous poussâmes vers les pirogues qui venaient d'aborder la terre. 18 mars. Les naturels qui étaient montés hier avec nous au pâ pour faire la paix, sont descendus ce malin avec quelques- uns de ceux du pâ pour se rendre à Korora-Reka et ratifier la paix. Nous les accompagnâmes dans nos deux canots, comme hier, et les naturels nous montrèrent toutes sortes d'égards : les discours furent beaucoup plus convenables qu'ils ne l'avaient été la veille. 566 PIECES JUSTIFICATIVES. M. W. Williams raconte ainsi comment la paix fut conclue : iq mars. Les dispositions des naturels pour la paix ayant été bien reconnues, et les deux partis manifestant un désir égal de mettre tin aux hostilités, il avait été arrêté qu'une assem- blée générale aurait lieu aujourd'hui, suivant la coutume du pays. De bonne heure , nous observâmes plusieurs pirogues qui se dirigèrent de Korora-Reka vers Kawa-Kawa , et sur- le-champ nous allâmes avec nos deux canots à leur rencontre. Leur troupe montait à trois cents hommes environ qui s'a- vancèrent jusqu'à un mille du camp ennemi : les ambas- sadeurs de paix, au nombre de trois, s'avancèrent sous le pâ avec nous. En débarquant , nous nous dirigeâmes vers les principaux chefs : alors tout le monde s'assit par terre, en laissant un petit espace pour permettre aux orateurs de mar- cher en avant et en arrière , suivant leur constante habitude. D'abord un des ambassadeurs s'avança, et déclara que la paix ne seraitpus regardée comme solide, attendu qu'aucun chef de son peuple n'avait été tué comme satisfaction pour Shon- gui ; qu'il serait effrayé de rester dans sa propre résidence, et qu'il irait habiter à Kaï-Para , rivière du sud-ouest. Cet orateur fut suivi par plusieurs autres , dont les uns parlèrent à propos et les autres d'une manière moins sensée. Quand ils curent fini, les différentes tribus défilèrent sur un terrain en pente, et il y eut une danse de guerre. C'était la plus grande réunion de guerriers que j'eusse j..mais vue , car elle montait à mille hommes environ dont plus de la moitié était armée de mousquets. Les trois ambassadeurs restèrent toute la nuit dans le pâ : cette partie de la cérémonie devait être répétée le jour suivant par les hommes du pâ. 18 mars. Les ambassadeurs sont revenus ce matin avec trois autres du pâ ; ils ont passé par notre établissement, et nous les avons accompagnés à Korora-Reka. Une scène semblable à celle d'hier a eu lieu. La ratification définitive de la paix, PIECES JUSTIFICATIVES. 569 autant que nous avons pu le comprendre, s'est accomplie de la manière suivante : un chef du parti d'Oudou-Roa a récité un long chant avec un petit bâton à la main ; et après avoir fini, il a rompu le bâton , et l'a jeté aux pieds d'un des ambassa- deurs du parti opposé. Cela signifiait que les hostilités étaient rompues. Puis le dernier chef répéta les mêmes paroles, et jeta son bâton brisé aux pieds du premier orateur. Les naturels parlent de cette paix comme opérée par les Européens, et je pense que la présence de M. Marsden y a eu beaucoup d'influence. EXTRAITS DU JOURNAL DE M. STACK. (De la station Wesleyenne de Mangounga, sur le Shouki-Anga. ) Ngatoumou et son frère Ware-Kana nous ont rendu visite. Ngaro , fils de l'un d'eux, fut singulièrement mortifié de ce que nous adressions particulièrement nos discours à son père et à son oncle, et il nous demanda pourquoi nous ne le con- sultions pas. Nous lui répondîmes qu'il n'était qu'un jeune homme , tandis que son père était avancé en âge. Alors , se tournant vers son père , il dit avec un rire moqueur et malin : « Quoi ! est-ce que ce vieux pourri vaut mieux que moi? Les jours de sa jeunesse ne sont-ils pas passés, tandis que je suis maintenant dans ma primeur? Je suis donc son supérieur et non pas son inférieur. » — Je suis allé a Ware-Hou pour voir ce que les naturels nomment l ' Eahounga , ou fête en l'honneur des morts, dans l'espoir de pouvoir leur parler de la résurrection des corps : mais mon attente fut trompée par l'esprit d'indifférence que les naturels apportèrent à tout ce que je leur dis, et parce que je n'y rencontrai point les Ma-Oure-Oure, tribu du Waïnia. Les morts étaient placés sur un rang sous un hangar; ceux dont les corps étaient entiers étaient dans la position d'une 570 PIECES JUSTIFICATIVES. personne assise; les tètes des autres étaient placées de ma- nière à paraître encore unies au reste du corps : le tout formait un spectacle affreux. Patou-One pria la sœur de sa défunte femme de me montrer une pierre qui s'était trouvée dans la poitrine de sa sœur; elle y était tombée d'un rocher voisin de l'endroit où le corps était déposé : mais Patou-Onc prétendait que cette pierre avait été transportée par enchantement dans le corps de sa femme, et qu'elle avait été la cause de sa mort. Je fis tout ce que je pus pour lui démontrer le ridicule de cette absurde opinion : mais cela ne fit que l'irriter; et il était si peu disposé à regarder ce qu'il venait de dire comme une fable, qu'il croyait aussi qu'un chiffon plein d'ha- meçons avait été introduit dans le corps de sa femme de la même manière. Combien ils sont disposés à croire au men- songe ! mais combien ils sont incrédules pour les paroles de la vérité et de la sagesse! Voyant que tous mes raisonnemens avec eux étaient inutiles , je me promenai vers l'endroit où sont déposées leurs provisions, et je comptai quatre cent soixan- te deux corbeilles de patates destinées à être distribuées à ceux qui viennent en visite, à mesure qu'ils arrivent. Patou-One se plaignit de mon peu de générosité, de n'avoir pas apporté avec moi une bonne provision de vivres européens pour leur en faire part. Cependant, loin que je profitasse de l'énorme quan- tité de vivres qu'ils avaient préparés, si je n'avais pas eu soin d'apporter quelque chose avec moi, j'aurais pu m'en re- tourner à jeun. Dimanche. Ce matin, j'ai prêché en anglais à l'Horeke, d'après Luc, XVI, 3. Ayant rencontré sur le port Te Tao- Nouï , Moudi-Waï , son père , et d'autres qui passaient la journée dans l'oisiveté, je tâchai de leur expliquer ce que je venais de dire à mes compatriotes. TeTao-Nouïme regarda d'un air très-expressif, et dit : « Les Nouveaux-Zélandais ressem- blent à cet homme, n'est-ce pas? » en faisant allusion au Riche. Je répondis par l'affirmative, en ajoutant : « On trou- verait aussi bien des blancs à qui ce portrait conviendrait PIECES JUSTIFICATIVES. 571 également. » Il se mit alors à ricaner, et dit : « Ha ! ha ! » d'un air qui signifiait : Pourquoi donc nous désigner, nous autres Zélandais, comme des médians? Lui et son père vou- lurent savoir d'où venait notre connaissance sur la condition des esprits après la mort; et sur ce que nous n'avions pas vu le feu de l'enfer de nos propres yeux, ils se prirent à rire de ce que nous y ajoutions foi. Te Tao-Nouï dit : « Vous autres missionnaires, vous êtes une troupe de vieilles femmes. Qu'un esprit du monde invisible vienne à l'Horeke ou à Mangounga et nous déclare qu'il a vu les choses dont vous parlez, alors nous le croirons; mais tous les renseignemens que nous avons reçus jusqu'à ce jour à ce sujet ont été directement opposés aux vôtres. Que mange-t-on dans le monde des esprits? » Comme on lui répondit que les organes de l'appétit physique ayant péri avec le corps, il n'était plus besoin de nourriture, il 6t les questions suivantes : « Comment vivent-ils? comment entendent-ils? quelle est leur occupation? Si un brave guer- rier vient à mourir, comment pourra-l-il exercer sa vaillance? S'il n'y a point de places à assiéger, faut-il qu'il devienne pacifique? Ah! vous êtes une troupe de vieilles femmes! Vous ne faites rien autre chose que de vous tenir chacun dans les limites de votre résidence. N'y a-t-il pas de canons, là? n'y a-t-il pas de peuples à combattre? » Je parlai ensuite de la résurrection des morts, et l'on fit les remarques suivantes : « Combien de personnes sont déjà revenues d'entre les morts? les avez-vous vues? » Ayant répondu que non, ils se mirent à rire de tout leur cœur, en disant : « Oh! en vérité, vous l'avez seulement entendu dire à quelque autre. » Alors je leur parlai du jugement; mais je ne réussis pas mieux à vaincre leur légèreté. «Je reviendrai demain à vous, dit l'un d'eux, et vous me jugerez : cet homme sera condamné, parce qu'il a une bouche de travers. » Le pauvre vieux Moudi-VVaï a été attaqué d'une inflam- mation de poumons. Les naturels s'attendent tous à le voir mourir, et il le croit lui-même. Ses instrumcns de guerre ont 572 PIECES JUSTIFICATIVES. été tous placés près de lui, de sorte qu'en cas de mort il puisse emporter leur esprit avec lui dans l'autre inonde. Le vieux Moudi-Waï est mort : sa mort a été annoncée par treize coups de pierrier du fort de l'Horeke. Hélas! pauvre vieillard! Il y a quelques semaines, il pouvait encore rire de la mort et de l'avenir; mais aujourd'hui il voit que tout cela est vrai , et que toutes ses anciennes opinions n'étaient que des erreurs. Combien il est affligeant de penser qu'il est mort aussi ignorant à l'égard de Dieu que les bêtes qui vien- nent à périr! Je suis allé à Pari-Mata pour voir le cadavre de Moudi- Waï. Suivant la coutume , le corps était assis et enveloppé d'une couverture; la tête était somptueusement ornée de plumes, après avoir été d'abord bien frottée d'huile; son visage était couvert; sur ses genoux était une corne à poudre; près de lui étaient déposés ses fusils et un os de baleine, son arme nationale. A ses côtés était assise sa plus jeune femme, morte, attendu que la nuit dernière, dans le premier accès de sa douleur, elle s'était pendue : le corps de celle-ci était revêtu d'une couverture et sa tète ornée de plumes. Les autres femmes de Moudi-Waï étaient assises et pleuraient près de son corps : ses enfans, ses frères et ses sœurs, ainsi que d'autres parens et amis, semblaient tous dans la désolation. Bien qu'il ne dît pas grand chose, Te Tao-Nouï semblait vivement affecté. Une femme esclave s'était pendue, mais elle avait été sur-le-champ enterrée. J'avais là une belle occasion de déclamer contre l'artificieuse subtilité des Tohoungas; je leur représentai l'insuffisance de leurs efforts pour guérir Moudi-Waï, et leur folie en attribuant à un agent surnaturel ce qui ne provient souvent que de leur propre imprudence , et de ce qu'ils négligeaient les uniques moyens qui pourraient leur sauver la vie. La vérité de mes remarques fut reconnue, et les naturels parurent admettre l'exactitude de mes paroles. Environ neuf cents naturels sont passés dans leurs pirogues, le long de la rivière, pour se rendre à la place de Moudi- PIÈGES JUSTIFICATIVES. ,573 Waï : ils offraient un aspect vraiment formidable. L'Horekc les salua de quatre coups de canon : de leurs pirogues, les naturels répondirent par deux coups et par une décharge de mousquets dont plusieurs étaient chargés a balle. Nos naturels semblaient vivement soupçonner ces étrangers de ne pas venir dans des intentions amicales. 11 est certain qu'il existait entre eux une défiance réciproque : aussi s'abstinrent-ils du simu- lacre de combat qui leur est habituel quand ils se rencontrent, et ils se contentèrent de la danse. Les cris et les déchiremens furent très-multipliés, car la plupart de ces gens étaient d'une manière ou d'autre alliés à Moudi-Waï, et ils semblaient tous agir comme s'ils avaient perdu une personne de grande importance pour eux-mêmes. (Missionnaij Register, août t83oj pag. 37 4 et suiv . ) G mai i83o. Depuis l'affaire de Korora-Reka, les naturels d'ici ont été très-paisibles, bien qu'ils soient sur leurs gardes. Il v a cinq semaines environ, une troupe de Mataudi marcha vers le Sud pour tirer vengeance de la mort de Shongui , le principal chef qui succomba dans cette occasion : ils tuèrent beaucoup de personnes, en tombant dessus par trahison et quoiqu'on fût en paix. Cet événement peut amener de grands troubles et la mort de bien du monde. Toutefois je me réjouis de voir que les divers partis nous témoignent tous les égards possibles et reçoivent volontiers nos paroles, etc. (Rév. H. Williams.) 18 juillet. J'ai visité les naturels de Korora-Reka. Une troupe d'hommes qui appartiennentà cet endroit, et qui ontpris part à la dernière guerre, étaient sur le point de partir pour le Sud avec l'intention de combattre tous ceux qu'ils rencon- treraient, bien qu'ils ne soient en guerre avec aucun peuple de ce canton. On dit que ces guerriers se proposent d'obtenir satisfaction pour un de leurs chefs qui a péri dans l'affaire de Korora-Reka : comme ils ne sont pas dans le cas d'exiger cette 574 PIÈCES JUSTIFICATIVES. satisfaction du peuple qui a tué ce chef, ils se proposent d'exercer leur vengeance sur une nation innocente et moins capable de leur résister. Ainsi, tandis qu'autour de nous nous recevons quelque encouragement à nos efforts, on peut voir que plusieurs de leurs coutumes barbares sont aussi suivies que jamais. (Rév. H. Williams.') Le révérend W. Yate a remporté une presse avec lui , à son retour de la Nouvelle-Galles du Sud à la Nouvelle- Zélande, en juillet 1830. Ce missionnaire écrit, en date du 1er septembre suivant, qu'il est occupé avec James Smith à imprimer quekpues hymnes en langue du pays. Déjà , pendant son séjour à la Nouvelle-Galles du Sud , il avait tiré cinq cent cinquante exemplaires d'un petit volume de traductions en langue de la Nouvelle-Zélande. Ce volume comprenait les trois premiers chapitres du livre de la Genèse, les huit premiers chapitres de l'Evan- gile selon saint Matthieu , les quatre premiers chapitres de l'Evangile selon saint Jean , les six premiers chapitres de l'Epitre de saint Paul aux Corinthiens, des portions de la liturgie, du Catéchisme, et dix-neuf hymnes. Les natu- rels, dit M. Yate , étaient fort jaloux de se procurer ce petit volume qu'ils nommaient JMaore, et quelques-uns d'entre eux consentaient à travailler un mois entier pour en posséder un exemplaire. (Missionnary Régis t er , janvier i83i , pag. 54 et suivA PIECES JUSTIFICATIVES. 57* VOYAGE M. LIDDIA11D NICHOLAS, A LA NOUVELLE-ZELANDE. Lors du premier voyage que fit en 1814 M. Mars- den, pour établir les Missionnaires à la Nouvelle- Zélande, il fut accompagné par un habitant de la Nouvelle -Galles du Sud, nommé John Liddiard Nicholas. L'objet que se proposait M. Nicholas était de visiter cette contrée encore si peu connue, surtout d'étudier les mœurs , les dispositions , et le caractère des N ouveaux-Zélandais, jusqu'alors presque toujours représentés sous les couleurs les moins favorables. En 1817, il livra au public le résultat de ses obser- vations, sous le titre de Narrative of a Voyage to Xew-Zeala?td, performed in ihe years 1814 and 1815, etc. Cet ouvrage, agréablement écrit, rempli d'observations piquanles et de descriptions fidèles des lieux et des individus, offre une lecture fort inté- ressante ; il a surtout le mérite d'être écrit sans pré- ventions ni préjugés ; l'auteur a su rendre justice aux 576 PIÈCES JUSTIFICATIVES. bonnes qualités des Nouveaux-Zélandais sans dissi- muler leurs défauts et leurs odieuses pratiques. En un mot , nous ne craignons pas de dire que c'est l'ou- vrage le plus remarquable qui ait encore paru sur cette partie du globe, et l'on ne saurait trop le re- commander à ceux qui désirent se former une idée exacte de ce pays. Pour nous, bornés par les limites de notre travail et la quantité de matériaux que nous avons à présenter sur cette matière, nous nous con- tenterons de donner ici la traduction des passages les plus curieux, surtout de ceux qui sont de nature à mieux faire connaître la Nouvelle-Zélande et ses habitons. A l'occasion du séjour de Tepahi à Sydney, on lit les anecdotes suivantes. {Pag' 9 et suiv. ) Un jour, comme un gentleman de la colonie se moquait de Tepahi pour s'être défiguré le visage d'une manière si bizarre (par le tatouage), ce chef spirituel lui riposta par un mot piquant, en lui disant qu'il n'était pas moins ridicule de se mettre de la poudre et de la graisse dans les cheveux, pratique qu'il jugeait beaucoup plus absurde que le tatouage. Tepahi ne pouvait concilier la rigueur de notre Code pénal avec ses propres idées de justice, qui étaient certainement dictées par de vrais sentimens d'humanité. Un homme envoyé dans la colonie comme convict, ayant volé quelques cochons, fut condamné à mort. Tepahi, instruit du crime et du châti- ment, se révolta contre le dernier comme étant d'une cruauté inutile et d'une injustice extrême. Raisonnant à cet égard avec une logique naturelle, il dit que si l'homme avait volé une hache, ou toute autre chose d'une utilité essentielle, il eut PIECES .JUSTIFICATIVES. 577 mérité la mort; mais non pas pour un cochon , attendu que la faim seule l'avait probablement entraîné à cette action. 11 s'in- téressa chaudement en faveur du coupable, et pria instam- ment le gouverneur de lui accorder son pardon , tandis qu'il dînait un jour à la table de S. E. avec une nombreuse com- pagnie. Mais on lui dit qu'il était impossible d'accorder ce' pardon, parce que l'homme avait agi en violation directe des lois de son pays, qui assuraient à chacun la possession de sa propriété et punissaient de mort tous ceux qui se rendaient coupables de vol. « Alors, dit Tepahî, pourquoi ne pendez- vous pas le capitaine ***? » en montrant du doigt le comman- dant d'un vaisseau dont je ne me rappelle pas le nom , mais qui se trouvait en ce moment à table. « Le capitaine *** est venu à la Nouvelle-Zélande; il est venu à terre, et il a volé (taeliae) toutes mes patates. Pendez donc le capitaine ***. » La compagnie s'amusa beaucoup de la force et de la justesse du raisonnement de Tepahi, tandis que le capitaine fut tout honteux de voir sa conduite si brusquement dénoncée, car il avait réellement agi comme le chef l'avait assuré. 11 avait en- voyé à terre l'équipage d'un canot avec l'ordre d'arracher les patates de Tepahi, ce qui fut exécuté sans qu'on offrît à ce chef aucune espèce d'indemnité. M. Nicholas trace les portraits suivans des chefs Doua- Tara, Shongui et Koro-Roro. (Pag. 23 et suiv.) Doua-Tara, qui se trouvait alors dans la fleur de l'âge, était un homme d'une stature élevée et majestueuse, d'une grande force musculaire et d'une expression de visage prononcée : son maintien noble et plein de dignité semblait très-propre à sanc- tionner son autorité, tandis que la vivacité de son regard dé- celait, même pour un spectateur indifférent, le rang élevé dont il jouissait parmi ses compatriotes. Outre les traits réguliers et expressifs qu'il avait reçus de la nature, le visage de Doua- tome m. 37 578 PIECES JUSTIFICATIVES. Tara formait, à d'autres égards, un contraste agréable avec celui des autres chefs, car il n'était point défigure par les mar- ques dégoûtantes du tatouage, et nulle part cet extrava- gant usage n'avait gâté les dons de la nature. Son teint n'était pas plus foncé que celui d'un Espagnol ou d'un Portugais, et ■ses traits en général se rapprochaient du caractère européen. Du reste, quels que fussent ses avantages personnels, j'étais encore plus frappé de la noblesse et de l'agrément de ses ma- nières : en effet elles étaient non-seulement extrêmement dé- centes et convenables, mais encore polies, agréables et pleines d'affabilité; c'est plus qu'on n'eût pu attendre d'un homme qui avait vécu si peu de temps avec des êtres civilisés, encore étaient-ils de la classe la plus grossière , celle de simples mate- lots. Doua-Tara, de même que Pierre-le-Grand , s'il était permis de comparer le chef obscur d'une tribu sauvage avec le puissant empereur d'une nation formidable, s'occupait avec un zèle infatigable de toutes sortes de travaux ; mais c'était sur- tout l'agriculture qu'il désirait introduire chez son peuple; il n'épargnait aucune peine pour réussir à leur en enseigner les principes. Il avait l'avantage de pouvoir parler l'anglais qu'il avait appris sur les navires où il avait servi, ce qui lui était fort utile pour l'exécution de ses projets. Shongui, chef d'un rang plus élevé et d'un pouvoir plus considérable que Doua-Tara, dans le voisinage duquel il ré- side, s'était décidé d'après ses représentations à l'accompagner à Port-Jackson. Cet homme n'annonçait pas une vigueur égale à celle de Doua-Tara ; il avait une physionomie plus tranquille et une figure plus belle, abstraction faite du tatouage qu'il avait subi ; mais cette figure n'avait point ces traits sévères et pro- noncés qui donnaient un caractère si décidé à celle de Doua- Tara. Tandis que l'esprit de ce dernier chef se dirigeait plus particulièrement vers l'agriculture et les moyens d'en connaî- tre tous les procédés, le génie de Shongui montrait une pré- férence évidente pour les arts mécaniques, et il donna quel- ques preuves extraordinaires de ses talens et de son adresse. PIECES JUSTIFICATIVES. 579 Cet homme avait la réputation d'être un des plus grands guer- riers de son pays. Pourtant ses dispositions naturelles étaient douces et bienveillantes; et, pour un observateur attentif , il semblait plutôt né pour des habitudes pacifiques que pour les hasards de la guerre. Le troisième chef, qui se nommait Koro-Koro, était tout- à-fait l'opposé des deux précédens pour le caractère et les penchans; son ame semblait avoir été jetée dans un moule tout différent. Méprisant les arts d'une paisible industrie à laquelle ses compagnons s'appliquaient avec tant de zèle, la guerre seule faisait ses délices. C'était vers la guerre que se dirigeaient tous ses vœux avec une impatience avide et un enthousiasme sauvage, qui dégénérait quelquefois en une violence sans bor- nes. 11 ne lui arrivait jamais de raconter les batailles qu'il avait livrées, les victoires qu'il avait remportées, sans éprouver des transports d'une joie furieuse. Quand on le priait de faire en- tendre le chant de la guerre et de figurer une attaque sur l'en- nemi, ses gestes et ses manières peignaient le dernier degré de la frénésie; une fureur sauvage s'emparait de tous ses sens; tout son être frémissait de rage ; ses yeux respiraient une horrible férocité. En un mot , subjugué par une passion effrénée , Koro-Koro semblait alors le démon hideux de l'insatiable ven- geance. Pourtant, quoique son ame fût livrée aux penchans de la guerre, il n'en faut pas conclure qu'il fût incapable d'é- prouver l'influence d'affections plus douces. Souvent au con- traire les larmes du repentir coulaient de ses yeux quand il avait offensé quelqu'un dont il avait éprouvé la bienveillance , et les expressions de sa reconnaissance , ardentes et sincères , ne laissaient aucun doute sur les vives émotions dont son cœur était susceptible. Bien des fois j'ai vu moi-même ce cœur turbulent céder à de tels sentimens. Quoiqu'il ait été à peu près impossible de le dissuader de «es projets favoris et de ramener son imagination à des idées pacifiques, cependant un reproche qu'il savait mérité pouvait calmer à l'instant la fougue de ses passions, et même lui faire éprouver toute l'a- 37* 580 PIECES JUSTIFICATIVES. mertumc du remords. Furieux à l'extrême quand oh l'avait provoqué, sa rage ne connaissait point de bornes; mais s'il était bien traité, il se montrait honnête et affectueux. Telle était sa fidélité, que lorsqu'il avait une fois accordé son amitié, on pouvait se fier à lui pour toujours. Il offrait dans sa per- sonne un bon échantillon du caractère de la plupart de ses compatriotes. Comme Shongui , il avait le visage complète- ment tatoué, et le derrière de son corps portait aussi les traces désagréables de cette opération ridicule et vraiment sauvage. Sans être beaux ni réguliers, ses traits étaient agréables et intéressans, quoique en même temps ils trahissent trop souvent les transports déréglés d'un caractère indomptable. (Page 53.) Le. soir, les chefs nous régalèrent d'une chan- son , dont les paroles avaient été composées par la fille de feu Tepahi. Le sujet en était la visite de son père à Port- Jackson. C'était un air plaintif et mélodieux , et ressemblant assez à nos chants sacrés qu'il me rappelait malgré moi, par ses tons bas, lents et étendus; mais, d'après la constante répé- tition des mêmes mots , il devait renfermer peu d'idées et les allusions ne pouvaient être variées. Il se divisait en deux par- ties, que les chefs chantaient séparément; puis les autres na- turels faisaient chorus avec eux, à certains intervalles; mais ils terminaient toujours tous ensemble. Le chant et la danse paraissent être les amusemens favoris de toutes les nations sau- vages , et les peuples de la Nouvelle-Zélande sont particulière- ment passionnés pour ces deux arts. (Pages 55 et saiv.^j Les Nouveaux-Zélandais, d'après ce que nous avons pu en apprendre par Doua-Tara, ont quelques idées confuses d'un Etre-Suprême; mais leurs superstitions sont en général des plus absurdes et des plus extravagantes. En ou- tre, ils admettent un grand nombre de divinités inférieures, à chacune desquelles ils attribuent des privilèges et des fonctions particulières. Suivant leurs idées, l'une préside aux élémens, l'autre aux oiseaux de l'air et aux poissons de la mer; et il y en a une foule d'autres dont les devoirs sont si multipliés et si PIECES JUSTIFICATIVES. 581 compliqués., qu'il faudrait un volume entier pour les détail- ler. En outre de ces dieux , dont l'idée leur a été suggérée par des objets matériels, ils en ont encore beaucoup d'autres qui dérivent des affections de leur ame : c'est ainsi qu'ils ont déi- fié les diverses passions du cœur humain , comme la colère, la douleur, la joie, etc., qui rentrent ainsi dans leur système de théogonie. Le premier de leurs dieux se nomme Mawi-Ranga-Rangui. C'est la divinité suprême dont ils ignorent complètement les attributions et la dignité, mais qu'ils ont placée à la tète des autres par un certain sentiment intérieur. Tipoko , le dieu de- là colère et de la mort , vient ensuite , et c'est celui qu'ils pa- raissent le plus empressés d'apaiser. Towaki ( qu'il faut peut- être lire Tou wati}, le dieu qui préside aux élémens, suit par ordre de succession , et suivant eux il occupe un poste fort im- portant. Après celui-ci vient Mawi-Moua, dont le pouvoir et les fonctions sont assez limités. L'emploi qu'ils lui ont assi- gné a été de fabriquer la terre au-dessous de la mer. Quand elle a été terminée , il a dû l'attacher avec un hameçon à un grand rocher ; puis , la laissant ainsi toute prête a être tirée en haut, sa tâche cesse. Alors Mawi-Potiki, autre dieu d'un grand pouvoir, lui succède et vient tirer à la surface de l'eau l'ouvrage que son compagnon a terminé. Outre cet emploi , Mawi-Potiki exerce d'autres fonctions d'une grande impor- tance , et il est revêtu d'attributions d'un ordre plus élevé que celles qui distinguent les dieux les plus puissans, le pre- mier de tous lui-même à peine excepté. La surveillance et la direction de toutes les maladies de l'homme sont du res- sort de Mawi-Potiki; c'est même lui qui jouit exclusivement du plus important de tous les privilèges, du pouvoir de don- ner la vie , quoiqu'il ne puisse la retirer, attendu que ce der- nier droit appartient à Tipoko. Ces êtres importans sont immé- diatement suivis par une divinité d'une nature fort triste, celle des larmes et de la douleur, qu'ils nomment Heko-Toro. Les Nouveaux-Zélandais ont une tradition curieuse à son égard. 582 PIECES JUSTIFICATIVES. Ils racontent que ce dieu, par un accident malheureux, ayant perdu sa femme, descendit du ciel, plongé dans la plus grande consternation, pour la chercher. Après l'avoir inutilement de- mandée en plusieurs autres endroits, il eut enfin le honneur de la trouver à la Nouvelle-Zélande où elle s'était égarée long- temps auparavant. Charmé de l'avoir rencontrée , Heko-Toro la plaça aussitôt dans une pirogue, et, par le moyen de deux cordes qu'il attacha aux deux houts , ils furent en un instant enlevés jusqu'au ciel. Là , pour signaler leur réunion, ils fu- rent changés en un groupe d'étoiles nommé Rangui, que les naturels affirment être le couple en question. Parmi les nombreuses traditions des Nouveaux-Zélandais, il en est deux fort remarquantes. La première a rapport à la créa- tion de l'homme, et a été transmise de père en fils au travers de toutes les générations. Ils croient que le premier homme a été créé par les trois dieux Mawi-Ranga-Rangui ou Toupouna (grand-père), Mawi-Moua et Mawi-Potiki; mais c'est à la première de ces divinités qu'ils accordent la plus grande part dans cette œuvre. Ils croient aussi, ce qui est le plus curieux, que la première femme fut formée de l'une des côtes de l'homme; et pour rendre cette coïncidence encore plus frappante , leur terme général pour os est uv/qui, dans notre opinion, pour- rait être une corruption du nom de notre première mèr£. Ce nom leur aurait été communiqué dans le principe par quelque moyen que nous ignorons , et conservé sans être bien altéré dans le nombre de leurs traditions grossières. Quant à l'autre tradition , ces hommes racontent, suivant le récit de Doua-Tara, que jadis, lorsque la lune ne donnait au- cune lumière et que les nuits étaient enveloppées de ténèbres complètes, un certain individu de leur pays, nommé Rona, sortit de nuit pour aller chercher de l'eau dans un puits du voisinage. Au retour, en cherchant son chemin à tâtons , il lui arriva de se heurter les pieds par accident, et il fut si es- tropié qu'il ne put revenir chez lui. Dans cette position, comme sa douleur lui arrachait des plaintes et qu'il tremblait de peur, PIECES JUSTIFICATIVES. 583 la lune \inl tout-à-coup à paraître; alors il saisit un arbre ot s'v accrocha pour tâcher de se sauver; mais ses efforts furent vains, car la tradition rapporte que l'arbre fut arraché jus- qu'aux racines et emporté, avec l'homme qui y était suspendu, dans la région de la lune , où il fut replanté et où il existe en- core aujourd'hui avec Rona. Le lecteur, je pense, aura peine à croire qu'il existât chez les Nouveaux-Zélandais une histoire si semblable à celle de notre homme dans la lune , Man in the moon ; cependant Doua-Tara affirma positivement que cette tradition leur était propre, ainsi que celle qui précède, et je n'ai jamais eu de sujet de suspecter sa véracité. D'après sa dé- claration, ses compatriotes considèrent toute violation du pou- voir de leurs dieux comme une horrible impiété, et ils croient fermement à leur présence en tous lieux. La partie des cieux où ils se tiennent tous se nomme Te Kainga Atoua, et on la représente comme étant d'une grande beauté. Les naturels y rattachent aussi les idées de tous les plaisirs bizarres que leur imagination sauvage peut enfanter. Doua-Tara m'a encore raconté que la pratique suivante était invariablement suivie chez les Nouveaux-Zélandais. Quand il leur naît un enfant, on le porte au tohounga ou prêtre, qui lui répand de l'eau sur la figure avec une certaine feuille qu'il tient à la main. Ils pensent que cette cérémonie est non-seu- lement avantageuse pour l'enfant, mais que l'omission en se- rait suivie des plus funestes conséquences. Dans ce dernier cas, ils croient que l'enfant serait exposé à une mort immédiate ; ou , s'il lui était permis de vivre , qu'il ne croîtrait qu'avec les dispositions les plus perverses et les plus vicieuses. (Page G5.) Doua-Tara nous dit qu'il était impossible à un voleur d'échapper au châtiment à la Nouvelle-Zélande ; car si les hommes ne pouvaient le trouver, la vigilance de la divinité qui voit tout était sûre de le découvrir. Pour cela il fit usage des paroles suivantes, qui sont non-seulement expressives, mais même éminemment poétiques. « h'Atoua ou Dieu, dit-il, M lève sur le voleur comme une lune dans son plein ; il se pré- Ô84 PIECES JUSTIFICATIVES. cipite dessus avec la rapidité d'une étoile tombante , et le tra- verse comme la balle qui sort de la bouebe du fusil. » Tel était le sens exact des termes qu'il employa , autant que je pouvais saisir son langage , et je fus vraiment frappé d'une description si extraordinaire. M. Nicholas décrit ainsi l'exécution de trots des chan- sons des Nouveaux - Zélandais ; je ne citerai point les paroles qui sont incorrectement transcrites, et que je ne pourrais rétablir dans leur vraie valeur. {Pag. 62 et suiv. ) Toutes les chansons des Nouveaux-Zélandaissont accompa- gnées de mouvemens dont quelques-uns sont extrêmement gra- cieux et convenables. J'en vais citer ici trois. La première d'ordinaire s'exécute alternativement par trois ou quatre per- sonnes qui chantent en même temps. Tous sont rangés sur une ligne et font chorus immédiatement avant la finale. Pendant le chorus ils s'abandonnent à une foule d'attitudes aisées, mais dont aucune n'a la moindre apparence malhonnête capable d'offenser le spectateur le plus difficile. Je n'ai pu me faire ex- pliquer le sens de celte chanson. J'ai été plus heureux pour la suivante : elle décrit les rava- ges occasionés par la violence du vent de N. E. {Marangaï). Leurs patates sont détruites; ils en plantent de nouvelles; et, plus heureux cette fois , il expriment leur joie en les récoltant avec les mots ha, kaï, haï! ha , haï, haïl « Mangeons-les! man- geons-les! » qui terminent léchant. Il s'exécute toujours dans leurs festins, comme au temps où l'on plante les patates. Gé- néralement il est accompagné de danses, de gestes et de mou- vemens qui représentent l'action de planter les patates et en- suite de les retirer de terre. La troisième chanson n'est jamais accompagnée de danses; elle est sur un air bas, doux et plaintif , qui n'est pas sans har- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 585 monic et qui a quelque rapport avec notre plain-cliant. Le su- jet en est un homme qui s'occupe à sculpter une pirogue tan- dis que ses ennemis s'approchent du rivage dans une autre pi- rogue pour l'attaquer. Pour se cacher, il s'enfuit dans les hroussailles ; mais il est poursuivi, atteint, et sur-le-champ mis à mort. Plusieurs des expressions de ce chant ont, à un degré marque, une douceur naturelle, et il y règne un certain ton de mélancolie touchante. Les naturels l'exécutent alternati- vement, et l'effet n'en est pas sans intérêt pour un observateur philanthrope. Il est remarquable que presque toutes les chansons que l'on chante à la Nouvelle-Zélande sont composées par certaines tri- bus qui habitent la partie de l'île nommée par les Européens cap Est. Les habitans de ce canton semblent seuls s'être appro- prié les faveurs des Muses, et peuvent être exclusivement con- sidérés comme les bardes de leur pays. Voici comment il décrit les guerriers de Wangaroa. {Page 129 et suiv. ) C'était certainement un spectacle grand et intéressant. Ces guerriers sauvages, qui montaient au nombre décent cinquante hommes aussi beaux qu'on en pût trouver en aucun pays, étaient campés sur une éminenec qui s'élève à une hauteur considérable, sous la forme d'un piton conique. L'un d'entre eux avait une taille au-dessus de six pieds; leurs membres charnus, leur maintien décidé, et leur démarche ferme et mar- tiale, leur donnaient justement droit au titre de guerriers. Leur aspect général se trouvait encore relevé par la variété de leurs costumes , qui consistaient souvent en plusieurs pièces parfaitement assorties. Les chefs, pour se distinguer des hommes du commun , portaient des manteaux en poils de di- verses couleurs, attachés à leurs nattes et qui pendaient par- dessus, à peu près comme les vestes de nos hussards. Il ne man- 586 PIECES JUSTIFICATIVES. quait au costume des simples guerriers que les manteaux de poils pour le rendre aussi riche que celui de leurs supérieurs ; car sous tout autre rapport il était semblable et quelquefois même plus brillant. Plusieurs portaient des nattes, enrichies de bordures chamarrées et décorées en outre avec un art qui témoignait à la fois en faveur du goût et du talent de celui qui les avait fabriquées. D'autres avaient des nattes encore plus belles, car elles avaient le poli du velours , un lustre éclatant et des dessins d'une rare élégance. Toutes ces nattes étaient en lin du pays, et quelquefois rougies avec de l'ocre, ce qui produisait un effet agréable et particulier. Chaque indi- vidu en portait deux et souvent davantage ; celle de dessous était toujours liée autour du corps avec une ceinture dans la- quelle était placé le patou-patou. C'est leur principal instru- ment de guerre, et les naturels le portent en tout temps, non moins pour se tenir tout prêts à l'attaque et a la défense, que comme un ornement indispensable. Il n'y a rien d'extraordi- naire à cela; cette coutume se retrouve dans tous les pays, ci- vilisés ou non, et il n'y a de différence que dans la nature des armes en usage. Du reste, le guerrier de Wangaroa est tout aussi fier de son grossier patou-palou , que l'officier le plus glorieux peut l'être de son sabre traînant. A l'exception des chefs, un petit nombre seulement étaient tatoués ; mais tous avaient leurs cheveux proprement peignés et réunis au sommet de la tête par un nœud orné de longues plumes blanches de mouettes. Plusieurs portaient des décora- tions qui ne pouvaient manquer de rappeler leur férocité guer- rière : c'étaient les dents des ennemis qu'ils avaient tués dans le combat, que plusieurs d'entre eux mettaient en guise de pendans d'oreilles , comme des trophées de leurs sanglantes victoires. Mais ils portaient aussi des ornemens moins révol- tans pour l'observateur civilisé; et j'en observai quelques-uns en jade vert fort curieux. Ceux qu'ils estiment le plus offrent l'imitation grossière d'une figure humaine travaillée avec une certaine adresse; ils les portent suspendus sur la poitrine. PIECES JUSTIFICATIVES. 587 Leurs armes sont aussi variées que leurs costumes et leurs décorations; et l'on n'en trouverait pas deux qui eussent exac- tement la même figure et les mêmes dimensions. Le plus grand nombre portait des lances de diverses longueurs et de for- mes différentes , bien que dans leur ensemble on pût remar- quer quelque ressemblance générale. Plusieurs étaient armés de lances courtes destinées à tenir lieu de mousquet, en usage dans d'autres pays pour attaquer l'ennemi à une certaine dis- tance, et ces naturels savent les darder avec une grande adresse. Les lances longues, dont la pointe est armée d'un os de baleine très-acéré , leur servent quand ils combattent de près. Quel- ques-uns portaient des bacbes de guerre, ainsi qu'un instru- ment qui ressemble à une hallebarde de sergent, et dont le sommet est orné de grosses touffes de plumes de perroquet. D'autres brandissaient dans leurs mains de longs casse-têtes en os de baleine, et tous portaient le patou-patou , instrument dont les dimensions ne sont pas fixes , bien qu'elles soient com- munément de onze ou douze pouces de long sur quatre de large. Pour la forme , il ressemble assez bien à un battoir, mais il est aiguisé sur les bords ; et un seul coup de cette arme suffit pour fendre le crâne le plus dur. Ils s'en servent pour assommer leurs ennemis en combattant corps à corps , et nulle arme ne peut mieux remplir ce but. Ces casse-têtes sont, ou en os de baleine, ou en jade vert, ou bien en une pierre d'une couleur foncée, susceptible d'un grand poli. L'habileté qu'ils déploient dans la fabrication de ces armes est réellement surprenante, et je suis convaincu que le meilleur de nos ouvriers, aidé des ou- tils nécessaires, n'exécuterait pas avec plus de perfection un de ces instrumens que ne le font ces sauvages, sans autres moyens qu'une coquille ou une pierre acérée. 588 PIÈCES JUSTIFICATIVES. M. Nicholas rapporte, ainsi qu'il suit, la catastrophe du Boyd, sur le récit que lui en fit Georges. ( T. 1 , pag. 144 et suiv.) Georges déclara que lui et un autre de ses compatriotes, se trouvant ensemble à Port-Jackson , ils convinrent tous les deux avec le capitaine Thompson de travailler à la manœuvre pour gagner leur passage chez eux. Mais il arriva, dit-il, qu'il se trouva tellement malade durant le voyage, qu'il lui fut entiè- rement impossible de remplir son service. Le capitaine ne voulant pas ajouter foi à sa maladie, et attribuant l'inac- tion de Georges plutôt à sa paresse qu'à son indisposition , le menaça , l'insulta et finit par le maltraiter. Georges se plai- gnit d'un traitement aussi rigoureux ; mais il ne fit qu'exas- pérer de plus en plus le capitaine, qui était d'un carac- tère violent. Ce fut en vain que l'autre lui fit observer qu'il était un chef dans son pays et qu'il avait droit à certains égards, en même temps qu'il lui représentait sa maladie comme étant la seule cause qui l'empêchât de travailler. Le capitaine, fu- rieux, ne fit aucune attention à ces observations; mais traitant Georges de kouhi (homme du peuple) , il le fit garrotter sur le passe-avant et fouetter cruellement. Ce traitement humiliant de la part du capitaine fit perdre aux hommes de l'équipage toute espèce de considération pour Georges; durant le reste du voyage il fut en butte aux sarcasmes et aux railleries des matelots qui le tourmentèrent, assura-t-il, de toutes les ma- nières possibles. On imaginera facilement quelle profonde impression un pa- reil traitement avait dû produire sur un esprit comme celui de Georges, et la vengeance qu'il médita fut aussi terrible qu'i- névitable. Quoique je n'aie pu découvrir s'il conçut son infer- nal projet durant le voyage même, ou bien s'il ne le forma qu'après, j'imaginerais presque qu'il l'avait médité avant d'al- ler à terre, puisqu'il dit avec beaucoup d'énergie au capitaine, lorsqu'il se moquait de lui de ce qu'il se donnait pour un chef, PIECES JUSTIFICATIVES. 589 qu'il reconnaîtrait la vérité de son assertion en arrivant clans son pays. Du reste, cela pouvait avoir été dit dans l'intention simplement d'assurer le capitaine du fait, et c'était une ré- ponse assez naturelle à son incrédulité et à ses railleries. Mais il est une circonstance plus forte qui nous conduit à penser que Georges avait formé son horrible complot tandis qu'il était encore à bord. En arrivant à la Nouvelle-Zélande, le capitaine, entraîné probablement parles suggestions de Georges, con- duisit son navire à Wangaroa. Aucun navire européen n'était encore, à ma connaissance, entré dans ce havre ; mais comme il se trouve sur le territoire même du chef qui avait été si maltraité, on peut croire que celui-ci le recommanda pour mieux assurer l'exécution de son projet. Il ne voulait pas con- venir devant nous qu'il eût lui-même recommandé ce havre au capitaine comme le plus favorable pour compléter sa car- gaison ; mais, d'après ses réponses évasives, je suis entièrement convaincu que ce fut lui qui l'entraîna vers cet endroit. Une fois le navire mouillé dans sa baie, le capitaine, ajouta Georges, le renvoya à terre, après l'avoir auparavant dépouillé de tous les objets anglais qu'il possédait , et même de ses pro- pres vètemens; si bien , qu'il fut reçu par ses compatriotes dans un état de nudité presque complet. Sur-le-champ il leur ra- conta toutes ses souffrances et les traitemens inhumains qu'il avait essuyés à bord; ces détails les remplirent d'indignation , ils se décidèrent unanimement à en tirer vengeance, et l'idée seule de massacrer le capitaine et l'équipage et de s'emparer du navire put satisfaire leur fureur. Georges promit de leur en faciliter les moyens, et l'œuvre du carnage se préparait tan- dis que les malheureux dévoués à en être les victimes ne soup- çonnaient pas même cet infernal projet. La conduite imprudente et téméraire du capitaine Thomp- son favorisait les idées de vengeance que sa brutalité avait excitées contre lui, et cette conduite ne se manifesta que d'une manière trop évidente. Sans réfléchir un moment sur le carac- tère du sauvage, dont la passion dominante est le sentiment i 500 PIECES JUSTIFICATIVES. de la vengeance, et sans considérer que sa propre tyrannie avait provoqué de la part de ces hommes les plus insignes re- présailles, il eut l'audace de laisser son navire sans défense, et, sans autre escorte que l'équipage d'un canot , de se diriger vers le rivage où l'attendait une cohorte de cannibales furieux et prêts à l'exterminer. Le dénouement de cette sanglante tra- gédie fut prompt. A peine eut-il mis les pieds à terre, qu'il fut assommé et massacré parTepouhi; et ses malheureux ma- telots, partageant son triste sort, furent tous dépouillés par les barbares qui parurent aussitôt revêtus des habits de leurs vic- times et marchèrent au navire pour consommer le carnage. Ils arrivèrent à bord encore altérés de sang et brûlant du désir de compléter leurvengeance : ils'ensuivit un massacre universel de tout ce qui restait de marins et de passagers sur le navire. A l'ex- ception de quatre individus, pas un homme, une femme ou un enfant de tous ceux qui avaient quitté Port-Jackson , n'échappa à la fureur de leurs impitoyables assassins. En vain ces infor- tunés cherchaient à se cacher, ils étaient bientôt découverts et entraînés hors* de leurs retraites pour endurer les plus affreux tourmens. Vainement quelques-uns des matelots s'étaient en- fuis sur le gréement , dans l'espoir que leurs vies pourraient être épargnées quand la fureur des sauvages serait apaisée : ils eurent le même sort que leurs infortunés compagnons. Us étaient descendus, à la demande de Tepahi qui , le matin même de cette affreuse journée, était arrivé de la baie des Iles à Wan- garoa,et ils s'étaient placés sous sa protection. Mais, bien que ce vieux chef fît tout son possible pour les empêcher d'être égorgés, ses efforts furent impuissans, et ils succombèrent sous ses yeux, victimes de cette dernière scène de sang et d'hor- reur. Je me trompe , cette scène ne fut pas la dernière , car il y en eut encore une autre dont l'humanité frémit, ainsi que celui qui la raconte. Ces sauvages, non contens de la vengeance qu'ils venaient d'accomplir , et fidèles à leur caractère connu de cannibales, se rassasièrent des cadavres de leurs victimes, en dévorant leur chair ensanglantée jusqu'à PIÈCES JUSTIFICATIVES. 591 ce que leurs appétits féroces fussent complètement assouvis. Les quatre personnes qui échappèrent au sort fatal de tous leurs compagnons furent une femme, deux enfans et le mousse de la chambre. Tous, à l'exception du dernier, eurent le bon- heur de se soustraire aux recherches des barbares jusqu'au moment où leur fureur fut apaisée. En conséquence , quand ils furent découverts, ils furent épargnés et traités avec une certaine douceur. Le mousse de la chambre , pendant le voyage , s'était mis en faveur près de Georges par divers actes d'amitié, et eut dans cette occasion le bonheur d'obtenir la plus précieuse des récompenses pour lui, la conservation de sa vie. Ce chef, reconnaissant des bons offices qu'il avait reçus de ce jeune homme, l'accueillit avec affection, tandis qu'il réclamait sa protection et qu'il s'écriait d'un ton lamentable : « Georges, vous ne voudriez pas me tuer; » car il lui répondit d'un ton qui prouvait que, malgré toute sa cruauté, il était susceptible de reconnaissance : « Non , mon garçon , je ne vous tuerai point; vous êtes un bon enfant. » Et il le prit sous sa protection immédiate. (Pci'e 175.) La case de Doua- Tara ou , s'il est permis de s'exprimer ainsi, son palais, différait peu de celle de ses sujets; elle ne s'en distinguait que parce qu'elle avait été construite sur une plus grande échelle et qu'elle était entourée d'un en- clos plus vaste. Elle avait environ vingt pieds de long, quinze pieds de large et huit de hauteur, avec un faîte en forme de toit , et elle était construite en pieux entrelacés de branches. La porte, comme dans toutes les autres, était si étroite, qu'il n'était possible d'y pénétrer autrement qu'en rampant sur les pieds et sur les mains. L'intérieur n'offrait aux regards que quelques pierres rapprochées pour servir de foyer. La fumée n'ayant pour s'échapper d'autre issue que la porte, ce triste édifice était rempli d'une vapeur étouffante et formait, avec ses malheureux hôtes, un tableau complet de l'état de bar- barie. Mais l'abjecte misère de ces cabanes était en quelque sorte 592 PIECES JUSTIFICATIVES. compensée par les hangars intérieurs qui étaient aérés , éclai- rés et agréables par comparaison. C'est là que les naturels prennent constamment leurs repas ; car c'est pour eux une rè- gle invariable de ne jamais manger dans leurs maisons , et leurs motifs pour observer cette loi sont fondés sur des superstitions d'une nature effrayante. (Page 180.) Les deux sœurs de la femme de Doua-Tara se faisaient remarquer parmi leurs compagnes, l'une par sa beauté extraordinaire , l'autre par sa gaîté et la vivacité de ses ma- nières. La première paraissait n'avoir que dix-sept ans et eut pu , même en Angleterre où tant de personnes aspirent à la palme de la beauté , y conserver de justes prétentions. Ses traits réguliers, doux et attrayans, étaient d'une délicatesse charmante, dont l'effet se trouvait encore relevé par l'éclat et la douceur de son regard; et ses joues, légèrement colorées de la teinte rosée de la santé , pouvaient se passer du secours du fard , au- quel nos beautés les plus célèbres sont si empressées de recou- rir. Sa taille était svelte et gracieuse, en même temps que la simplicité naturelle de ses manières donnait un nouvel inté- rêt à ses charmes. Son espiègle sœur était beaucoup plus âgée, puisqu'à mon avis elle n'avait pas moins de quarante ans , et elle était si gaie, qu'elle riait continuellement. Dans le fait, elle semblait être la bonne humeur en personne. Par l'effet que ses saillies produisaient sur ses compagnes , dont les regards se dirigeaient sur nous , il nous était facile de voir que les Pakeha ou hommes blancs étaient l'objet de quelques remarques ex- traordinaires et provoquaient de sa part les plaisanteries les plus piquantes. Je ne puis douter qu'elles ne fussent de la na- ture la plus libre, car tous nos inouvemens donnaient lieu à de grands éclats de rire. PIECES JUSTIFICATIVES. 593 Après avoir raconté comment Doua-Tara se contenta de punir de trente coups de fouet Warc qui s'était rendu coupable d'adultère avec sa femme , M. Nicholas ajoute {page 185) : Probablement jusqu'alors il n'y avait pas eu d'exemple d'a- dultère où l'un ou l'autre des doux coupables eût éebappé à la peine de mort, tant l'horreur de ces peuples est grande pour un crime qu'ils considèrent comme le plus odieux de ceux qu'on peut commettre. Du reste, il est digne de remarque qu'ils font une distinction curieuse quant à la culpabilité des deux parties. Si le commerce criminel est découvert dans la case de la femme, l'homme est sur-le-champ déclaré le séduc- teur et comme tel condamné à mort, tandis que la femme en est quitte pour une forte correction ; mais si le contraire a lieu , et si la femme est surprise dans la cabane de l'amant, elle est alors condamnée à perdre la vie, car on suppose qu'elle a séduit l'homme qui est à l'abri du châtiment. (Page 188.) Comme nous nous promenions le long du rivage, j'observai au pied d'un arbre une pièce de hois fichée en terre , avec des sculptures grossières et peinte en ocre rouge. Désirant connaître dans quel but elle se trouvait placée en ce lieu , je m'avançais de ce côté, quand mon compagnon s'arrêtant tout-à-coup, et criant tabou-tabou, me fit entendre qu'un homme se trouvait enterré en ce lieu et me pria de n'en pas approcher. Je jugeai à propos de me soumettre à cette injonction , bien qu'en connaissant l'emploi de cette pièce de bois, ma curiosité fût encore plus vivement excitée. Le mot tabou , dans la langue de ces peuples, signifie sacré; et la coïncidence des nations sauvages et civilisées, pour la vénéra- tion qu'ils accordent aux lieux où reposent les morts, ne peut manquer d'intéresser le philosophe qui veut étudier le cœur humain. L'alarme du jeune homme qui m'accompagnait prouve que les Nouveaux-Zélandais sont très-scrupuleux sous tome m. 38 594 PIECES JUSTIFICATIVES. ce rapport, et qu'ils considèrent comme une profanation sa- crilège toute visite faite au tombeau , quand le corps y est une fois déposé et que les rites funéraires sont accomplis. En parlant de la racine de fougère , il s'exprime ainsi {page 190) : Cette racine est pour les Nouvcaux-Zélandais une produc- tion inappréciable, car elle forme la principale base de leur nourriture. Ils n'ont jamais songé à vivre seulement de patates ou koumaras , qu'ils considèrent plutnl comme des friandises capables de leur procurer parfois un mets délicieux que comme un aliment susceptible de les sustenter babituellement. La fougère croît dans toute l'île, au point de couvrir la plus grande partie du sol ; et d'après l'air de vigueur et de santé des naturels, je suis porté à croire que cette racine est très-nour- rissante. Leur manière de la préparer est fort simple : après l'avoir exposée au feu assez long-temps pour la chauffer suffi- samment, ils la retirent, et la battent avec un maillet jusqu'à ce qu'elle soit tout-à-fait ramollie et qu'on puisse la mâcher. Une fois^qu'ellc est ainsi préparée , les cuisiniers la servent par poignées aux chefs et autres personnes, qui la mâchent jusqu'à ce que toute la matière nutritive et sucrée en soit ex- traite ; alors ils rejettent la partie fibreuse, ils en prennent d'autre, et continuent ainsi jusqu'à ce que leur appétit soit satisfait. La racine de fougère chaude a un goût doux et agréable, et lorsqu'elle séjourne dans l'eau, elle dépose une substance qui ressemble à de la gelée. (Page 21 5.) Quoique une grande partie des Nouveaux- Zélar.dais ne se fassent aucun scrupule de voler toutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion, cependant, par une étrange anomalie , le terme de voleur (jangata tac haé) est le plus grand reproche qu'on puisse leur faire, et c'est à leurs yeux l'épithète la plus injurieuse. (Page 222.) De même que Tara, Tekoke nous reçut avec PIÈCES JUSTIFICATIVES. 595 des signes évitions de plaisir et do bienveillance, bien que ses manières n'oussont point ce caractère engageant de politesse natusellc qui était si frappant dans le vénérable Tara. Du reste, son maintien assuré inspirait la confiance, et sa figure ouverte et pleine de franchise annonçait que la nature no l'avait pas formé pour trahir lés projets d'un cœur artificieux; rien dans ses traits n'indiquait le moins du monde la fraude ou le mensonge, mais chacun pouvait y lire clairement l'expres- sion de la candeur et de l'honnêteté. Il était plus robuste de sa personne qu'aucun de ceux que j'eusse vus, et tous ses mem- bres offraient des formes parfaitement symétriques , en même temps qu'ils semblaient capables d& résister à toutes sortes d'exercices : ses larges épaules étaient recouvertes d'une grande peau en poils de diverses couleurs, et sa belle figure, à la fois tranquille et hardie, régulière et imposante, eût pu fournir à Phidias, si Tekoke eût vécu de son temps, un modèle digne des talens de cet artiste inimitable. (Page 239.) Dans ce pays, on ne pense pas qu'il y ail d'inconvenance de la part des femmes à faire les premières avances, ou même à accorder leurs faveurs avant la cérémo- nie du mariage. Tant qu'elles sont filles , elles sont exemptes de toutes les entraves que la délicatesse leur impose chez les nations civilisées; mais après le mariage tout privilège de 00 genre leur est interdit. (Page 25t.) La maison de Wivia à Waï-Kadi était la plus grande que j'eusse encore vue , car elle avait vingt-sept pieds de long, dix-huit de large et neuf de hauteur. La porte n'étail pas plus grande qu*e celle des autres cases ; mais elle était dé- corée de quelques bas-reliefs curieux. Près du village étaient quelques plantations de pommes de terre et de koumaras bien cultivées. La précision avec laquelle les plantes étaient rangées, les soins minutieux que l'on apportait à arracher les mauvaises herbes , la propreté des palissades cl la commodité des bar- rières et des sentiers eussent fait, on Angleterre, honneur au goût du plus habile cultivateur. 38" 596 PIECES JUSTIFICATIVES. (Page 254-) A Waï-Kadi chacun était curieux de considé- rer ma montre; mais le mouvement leur parut être une chose si étonnante , qu'ils jugèrent que ce ne pouvait être rien moins que le langage d'un dieu; et la montre elle-même, considérée comme un atoua , devint pour eux tous l'objet d'un profond respect. (Page 35o.) Dans ce village (près Waï-Mate), comme dans tous les endroits que j'avais visités , les naturels étaient confon- dus du mouvement de ma montre, et le chef et ses cliens dé- cidèrent d'une voix unanime que c'était X atoua ; en consé- quence, je fus regardé comme un personnage surnaturel. (Page 272.) A l'égard^ de leurs maisons, les Nouveaux-Zé- landais observent encore plusieurs autres pratiques supersti- tieuses, en outre de celle qui prescrit de n'y prendre aucun aliment ; elles ont toutes pour motif la crainte d'offenser Ya- toua , qui les punirait de la plus terrible vengeance s'il leur arrivait de souiller leurs cabanes par certaines actions qu'ils regardent comme profanes. C'est pour cela que, non-seule- ment ils ne mangent jamais dans leur enceinte quand ils sont bien portans, mais que même, quand ils sont malades, ils ne réclament point ce privilège, et qu'ils n'en useraient point quand on le leur accorderait. Alors on les transporte sous un hangar élevé dans l'enclos , quelque rigoureux que soit le temps. C'est là qu'ils prennent tous les alimens qu'on leur pro- cure, puis on les rapporte chez eux quand ils ont fini. C'est aussi sous ces abris temporaires que les femmes font leurs cou- ches, s'il fait mauvais temps ; mais comme le climat en général est fort doux, l'accouchement a d'ordinaire lieu en plein air. Pendant le temps qu'un naturel est occupé à'bâtir ou à répa- rer une cabane, il est assujetti au tabou-tabou, qui, dans ce cas, est une espèce de quarantaine, pour ce qui regarde son traite- ment en particulier, bien qu'elle ne s'étende point à ses rap- ports avec les autres, car ils. continuent d'être libres et sans restrictions. Il ne doit pas toucher à ses vivres lui-même, il a des personnes pour les lui donner, si c'est un chef; mais si PIECES JUSTIFICATIVES. 597 ce n'est qu'un kouki ou homme du commun, ses vivres sont déposés par terre, et il est obligé de se baisser et de les ramas- ser chaque fois avec la bouche, en répétant cette pénible opé- ration jusqu'à ce que son repas soit terminé. Sous aucun pré- teste que ce soit, il ne peut se servir de sa main ; car si dans ces circonstances solennelles il les portait à sa bouche , suivant leurs idées, Vatoua le ferait périr par quelque maladie de lan- gueur. L'individu qui se trouve dans ce cas est toujours péné- tré lui-même de cette idée , et se soumet de bon cœur à ces pratiques, tellement que la force est inutile pour lui faire ob- server une règle aussi importante. Fatigué de ma course et vexé de ne pouvoir entrer dans la maison pour faire mon repas et y jouir d'un meilleur abri con- tre la pluie, je m'emportai avec beaucoup d'aigreur contre ces superstitions inhospitalières. Comme Touai , jusqu'alors, nous avait témoigné une préférence marquée pour les coutumes eu- ropéennes , en s'y conformant à bord autant qu'il le pouvait faire, je lui dis en raillant que le tabou-tabou n'était qu'une plai- santerie. Mais je vis bientôt que les opinions adoptées dans l'enfance et nourries jusqu'à l'âge mûr sont aussi difficiles à ar- racher de l'esprit d'un Nouveau-Zélandais que de celui d'un Européen. En effet , rétorquant adroitement mon argument , Touai répondit :« Ce n'est point du tout un jeu ; l'homme de la Nouvelle-Zélande dit que toutes les prières (karakia} de M.Marsden, le dimanche, ne sont que des plaisanteries. — Oh! non, repris-je, ce n'est point une plaisanterie; mais c'est bon (maïlaï^). — Eh bien ! répliqua l'opiniâtre raisonneur, si vos karakia ne sont point une plaisanterie , notre tabou-tabou n'est point une plaisanterie non plus. » C'est ainsi qu'il résolut la question, en nous laissant libres d'apprécier notre système, tandis que lui-même et ses compatriotes continueraient de res- pecter le leur. (Page 282.) Tandis que nous faisions roule pour le vais- seau , j'observai un des hommes de la pirogue qui portait sou- vent ses doigts à sa tète et puis à sa bouche; enfin ne pouvant 598 PIÈCES JUSTIFICATIVES. plus douter du motif de ses gestes, je découvris qu'il se réga- lait lui-même avec les essaims de vermine qu'il avait nourris, et que sa tète sale était devenue une ressource régulière pour son estomac plus sale encore. (Pages 286 et suivS) Tara et Pomarc déjeunèrent avec nous dans la cabane. Le premier, dans sa manière de manger, ob- servait une règle qui le distinguait de l'autre ; il prenait le riz dans le plat avec une cuillère et le versait dans sa main avant de le porter à sa bouche ; pour boire son thé , il mettait sa main devant ses lèvres et répandait le tbé dans la paume avant de l'avaler, évitant avec soin de toucher avec ses lèvres aucun des vases qui lui servaient à boire ou à manger. J'essayai de le l'aire renoncer à cette absurde pratique et lui dis qu'il lui con- viendrait bien mieux de manger comme nous; mais il secoua la tète avec un air d'indignation , en répondant qu'il était Ariki et tabou-tabou ; mais que Toupc et Pomare, qui n'étaient que des koukis , pouvaient manger suivant notre manière. Cette épithète méprisante était une insulte à la dignité de Pomare qui maniait son couteau et sa fourchette avec toute la dexté- rité d'un Européen. Désirant éprouver son caractère, je lui dis en riant qu'il était un kouki/ son orgueil en fut sur-le- champ offensé , il cessa de nous copier et commença à imiter Tara. Mais il n'était pas insensible aux traits du ridicule, et nos railleries le firent bientôt renoncer à cette extravagance et manger comme nous. D'après la déférence particulière que l'on accordait à Tara, il paraîtrait qu'il occupait un rang élevé au-dessus des autres chefs de cette partie de la baie ; mais je ne pus constater exac- tement jusqu'à quel point ceux-ci reconnaissaient son autorité. Du reste, autant qu'il me fut possible de me former une opi- nion sur l'état de la société parmi ces hommes, il me semble que ce peuple existe à présent sous une espèce de système féo- dal , analogue en quelque sorte à celui qui prévalut en Ecosse jusqu'à une époque assez récente. Les Arikis peuvent requérir les services des chefs inférieurs en temps de guerre ; mais je n'ai PIECES JUSTIFICATIVES. 599 pu m'assurer si ors derniers tiennent leurs terres sous certaines conditions. La partie de la Nouvelle-Zélande dont je traite ici, c'est-à-dire depuis les Cavalles jusqu'à la rivière Tamise, est sous la direction de trois arikis ou chefs principaux, qui sont Kangaroa , sur la partie N. E. de la baie des Iles ; Tara , sur la partie du S. E. , qui s'étend jusqu'à Bream-Bay; et Houpâ, dont la juridiction, qui est très-considérable, s'étend sur tout le pays compris entre ce dernier endroit et la rivière Tamise. Mais je suis porté à croire qu'en plusieurs occasions le pou- voir de ces arikis sur les chefs subalternes n'est guère que no- minal; car, bien qu'il soit formellement avéré, il arrive sou- vent que les différentes tribus se font la guerre entre elles sans consulter leurs arikis respectifs, et agissent sous plusieurs rap- ports d'une manière tout-à-fait indépendante de leur autorité. D'après cela, il est probable que les chefs ne tiennent point leurs terres comme fiefs des arikis, mais qu'ils consentent tout simplement à reconnaître leur pouvoir, sans pour cela s'y soumettre plus qu'il ne convient à leurs caprices ou à leurs intérêts. L'autorité de plusieurs de ces chefs eux-mêmes est fort étendue; ils ont une suite nombreuse de cliens tout dé- voués à leurs intérêts, et prêts à leur sacrifier leur vie au besoin pour prouver leur fidélité. Nous fûmes instruits que ce n'était point la coutume que les arikis s'adonnassent eux-mêmes à la guerre, mais que cha- cun d'eux avait son général ou homme de combat , comme le désignait Doua-Tara , qui d'ordinaire était un de ses plus proches parens. Ce commandant en chef, d'après les rensei- gnemens qu'où nous donna, est un personnage très-important; il prend toutes les mesures relatives à la guerre avec une auto- rité illimitée; il est chargé de passer la revue des forces, et prend soin de les tenir toujours prêtes à marcher au besoin. Au combat, il se trouve toujours à leur tète; et c'est de là qu'il dirige leurs mouvcinens , suivant le système de discipline qu'il lui a plu d'adopter; fidèle à son poste, il ne songe jamais à le quitter, jusqu'à ce qu'une défaite totale pu une victoire GOO PIECES JUSTIFICATIVES. complète ait mis fin au combat. Par les usages positifs du p«'tys, les arikis se trouvantainsi débarrassés de toute participation à la guerre, leur temps est ordinairement consacré à l'agriculture et à l'économie politique de leur peuple. Tel est le cas de Kan- garoa , dont le frère Shongui remplit les fonctions de généra- lissime de toutes ses forces; tel est aussi Tara, qui au carac- tère de chef unit celui de prêtre, et laisse le commandement de ses troupes à son frère Toupe, homme très-propre à rem- plir une pareille charge. D'après ce que j'ai pu apprendre , le pouvoir des chefs est en général absolu : les vies et les biens de leurs tribus sont entièrement soumis à leur volonté. Je crois cependant que, dans quelques districts, ce pouvoir se trouve limité par cer- taines règles, et surtout par l'influence de l'opinion publique. C'est ainsi qu'à Rangui-IIou plusieurs koukis possèdent des terres d'une manière tout-à-fait indépendante. Ces terres sem- blent être autant de biens substitués, dont la propriété est garantie à leurs maîtres et passe à leurs descendans, sans que le chef ait en rien le pouvoir de les en dépouiller. Les arikis et les chefs regardent avec un souverain orgueil tous ceux qui leur sont inférieurs pour le rang, et ne les considèrent que comme des créatures abjectes, créées uni- quement pour obéir à leurs ordres absolus. Mais pour leur rendre justice, je dois faire observer qu'ils ne traitent jamais leurs cliens avec cruauté, et que leur orgueil ne les entraîne en aucune circonstance à des actes de sévérité ou d'oppression. Ils vivent entre eux dans une harmonie parfaite ; bien qu'ils considèrent leur différence de rangs comme insurmonta- ble, elle ne porte en rien atteinte à cette union. Les chefs semblaient très -jaloux de déployer leur importance à nos yeux , et dans leurs conversations ils ne manquaient jamais de la rappeler en termes pleins de la plus absurde vanité. La conduite des hommes du peuple n'était nullement ré- servée en présence de leurs chefs; ils parlaient et agissaient avec tout autant de liberté que s'ils eussent été absens. Cela PIECES JUSTIFICATIVES. 601 me semblait être une prouve de ce qu'ils n'étaient point traités avec dm clé. D'ailleurs, bien qu'ils cultivent la terre, qu'ils arrachent la racine de fougère et qu'ils la préparent pour leurs maîtres, cependant leur travail ne paraît jamais être l'effet de la contrainte, et ils s'en acquittent avec tant de gaieté et de bonne humeur, qu'il semble plutôt être pour eux un plaisir qu'une obligation. Les chefs sont bien supérieurs aux hommes des basses classes pour la propreté de leurs personnes; mais cela peut tenir à leur exemption de travail et à leur état d'indépendance, qui n'imposent aucune fatigue à leur corps, non plus qu'à leur ima- gination. Tous les mâles de la famille d'un chef ont le titre de rangatira , et ils ont d'ordinaire des domestiques pour leur service particulier. Ils se marient avec les femmes de leur classe, mais aucun sexe ne peut jamais former le nœud con- jugal avec les houhis. Les chefs et les rangatiras, dont les moyens suffisent à l'entretien de plus d'une femme , se per- mettent toujours d'en avoir plusieurs. Mais toutes ces fem- mes, excepté la principale, sont généralement employées à des fonctions laborieuses. Je suis disposé à croire que les chefs les prennent plutôt pour le service de leur maison que pour les charmes de leurs personnes ou pour les agrémens de leur société. En effet, on ne peut guère envisager ces femmes sous un autre point de vue que celui de servantes chargées de tra- vaux pénibles, puisqu'elles n'ont pas d'autre privilège que celui d'un esclavage plus distingué. Il est curieux de voir en quels termes M. Nicholas parle de Pomare, dont la réputation devint quelques années après si célèbre à la Nouvelle-Zélande {pag. 309 el suiv. ) : Nous trouvâmes que Pomare était un homme d'un caractère bien extraordinaire : il nous fut plus utile pour nous procurer 602 PIECES JUSTIFICATIVES. le bois de construction, que tous les autres chefs ensemble ; et nulle part au monde je n'ai vu un homme qui montrât une avidité plus impatiente pour les affaires mercantiles. A cet égard ses capacités étaient fort grandes; c'était un excellent juge pour plusieurs articles de commerce , et il eût donné son opinion sur une hache tout aussi bien qu'un Européen. Tout en la maniant avec une sorte d'extase, au moment qu'il en de- venait possesseur, ses yeux semblaient se repaître de la contem- plation d'une acquisition aussi précieuse. Il était détesté de tous les autres chefs, et si l'on eût pu s'en rapporter à leurs assertions , Pomare aurait mérité leur exécration et celle de qui que ce fût au monde. Mais comme on l'a déjà observé, ces chefs, rivaux jaloux les uns des autres, sont toujours disposés à se calomnier mutuellement, et leur témoignage, pour cette raison, ne peut inspirer une grande confiance. Ce chef, quoique su- bordonné à Tara, n'avait que très-peu de déférence pour ce vénérable ariki : souvent il bravait son autorité, et il mani- festait à tout propos un esprit d'indépendance plus marque qu'aucun des autres chefs. Les Nouveaux-Zélandais ont cou- tume de préserver de la corruption , par une méthode cu- rieuse, les têtes de leurs ennemis tués au combat. Ce procédé, à ce que j'appris, consiste à enlever la cervelle , puis à dessé- cher la tête de manière à laisser la chair entière ; mais pour le pratiquer, il faut un degré peu commun de savoir et d'expé- rience. Un jour M. Marsden adressa quelques questions à Po- mare sur les moyens qu'il employait dans cet art barbare où il s'était acquis une réputation de supériorité marquée sur ses compatriotes.. Il ne voulut y faire aucune réponse di- recte, sachant que c'était une matière à laquelle nous ne son- gions qu'avec horreur, et attendu qu'il lui eût fallu entrer dans des détails révoltans pour nos habitudes. Mais mon ami lui ayant demandé s'il pouvait lui procurer une tête ainsi con- servée, Pomare songea tout-à-coup qu'il pourrait recevoir une hache pour sa peine , et cet espoir détermina cet homme inté- ressé, non-seulement à entrer dans une explication très-dé- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 003 taillée sur sa théorie , niais encore à nous offrir do nous donner un exemple de son procédé. Il allait, ajoutait-il, tuer à coups de fusil des gens qui avaient fait périr son fils, si nous vou- lions lui donner pour cela de la poudre; puis il rapporterait leurs tètes et nous montrerait tout ce que nous désirions savoir sur l'art de les conserver. On sent bien que cette proposition sanguinaire arrêta tout-à-coup toutes nos questions. Ce chef ne laissait échapper aucune occasion de faire parade de ses qualités personnelles et de l'autorité considérable dont il jouis- sait. Il se targuait sans cesse de ses talens militaires, mépri- sait ses rivaux et s'élevait au-dessus de tous les autres héros de la Nouvelle-Zélande. (Page 329.) Les arbres de cette forêt (entre Kidi-Kidi et W aï-Mate) n'étaient guère variés et ne consistaient prin- cipalement qu'en deux espèces, mais quelques-uns étaient les plus grands que j'eusse jamais vus , et que probable- ment on pût trouver dans aucune partie, du monde connu. Une espèce de pin, nommée par les naturels totara , excita notre étonnement par le volume et la hauteur à laquelle elle parvient. Nous en mesurâmes quelques arbres auxquels nous trouvâmes trente et trente-trois pieds de circonférence, et qui atteignaient cent pieds et plus sans porter de branches, avec un tronc parfaitement droit. La quantité de bois massif qu'un de ces arbres peut fournir est immense. Le totara a une écorce singulière , qui devient fort épaisse'et se partage dans toute sa longueur en bandes horizontales séparées les unes des autres par des intervalles de deux pieds environ. Sa feuille est petite et étroite , et je n'ai vu suinter de cet arbre aucune goutte de résine ou de térébenthine. Les naturels font des pirogues avec les plus petits individus de cette espèce. Le tawa, autre espèce de pin , sans être aussi grand que le totara, croît aussi dans cette forêt en abondance, et y parvient à une hauteur considérable. Cet arbre a également une feuille petite et étroite, mais sou écorce est mince et presque unie : il porte une bai< que mangent les naturels. 604 PIECES JUSTIFICATIVES. M. Nicholas décrit ainsi qu'il suit le pà de Waï-Mate {pag. 336) : Une forte palissade , en gros pieux plantés les uns près des autres et hauts de vingt pieds , formait la première enceinte qui entourait la ville. L'entrée était une poterne de cinq pieds de haut et de deux de large, accompagnée au dehors de quel- ques tètes humaines sculptées, qui respiraient un air de ven- geance et semblaient menacer les assaillans. En dedans de la palissade, et à la toucher dans toute son étendue, régnait une forte clôture d'osier que les habitans avaient élevée pour ar- rêter les lances de leurs ennemis; mais à certains intervalles ils avaient pratiqué des meurtrières afin de pouvoir faire un feu de mousqueteric sur les assaillans. A une petite distance de ce solide rempart, et dans l'intérieur, était un espace de trente pieds de large environ, où l'on avait creusé un fossé : une fois rempli d'eau , il défendait le côté de la colline qui était le plus accessible à l'extérieur. Derrière ce fossé, ils avaient élevé un talus escarpé sur lequel se trouvait un second rang de palis- sades de la même hauteur et de la même force que le premier. Le fossé qui avait au moins neuf pieds de largeur défendait une issue fermée par une autre poterne; entre celle-ci et la dernière qui donnait dans la ville , régnait un espace intermé- diaire de quatre-vingts pieds de large, à l'extrémité duquel la colline était taillée à' pic dans une hauteur de quinze pieds en- viron. Au sommet s'élevait un autre rang de palissades qui entourait le pâ et complétait ses fortifications. Au centre de la ville, on nous montra le siège ou trône de Kangaroa. Il était d'une forme curieuse et s'élevait sur un pi- lier à six pieds environ au-dessus du sol, enrichi de dessins grotesques en bas-reliefs. Pour l'aider h j monter, il y avait aussi un degré qui servait en même temps d'escabeau. C'était de ce trône que le chef, élevé au-dessus de son peuple, don- nait ses ordres et dictait ses lois avec autant d'autorité que le potentat le plus absolu en Europe. Près de ce siège en PIÈCES JUSTIFICATIVES. 005 était un autre exclusivement réservé pour l'usage de la reine douairière, mère de Kangaroa , et tout auprès une petite caisse pour contenir les provisions de Sa Majesté. (Page 343.) Les naturels nous apprirent que le lac de Maupcre abondait en poissons, et nous montrèrent deux pa- niers de forme circulaire qui leur servaient pour les prendre. Ces paniers étaient faits avec l'écorec de l'arbre appelé mangui- mangui , et babilement travaillés; la bouebe du panier se ré- trécissait comme celle d'une souricière, de sorte que le poisson qui v était une fois entré n'en pouvait plus sortir. Il ressem- blait fort à ceux que nos paysans fabriquent en Angleterre pour attraper les anguilles. (Page 3q2.) Houpa, qui semblait avoir h peu près le même âge que Tara , était le vieillard le plus beau et le plus vénérable que j'eusse jamais vu : par sa stature il dépassait le plus grand de ses compatriotes; et s'a force, bien qu'affaiblie par l'âge, était encore extraordinaire. Ses traits avaient un air sérieux et pensif qui annonçait un esprit porté à la réflexion ; dans tout son maintien régnait une gravité solennelle qui , plus encore que son baut rang, servait à le distinguer de tous les autres, et commandait ce respect et cette vénération qu'il était impossible de lui refuser. Houpa, d'après ce que nous apprîmes de nos guerriers, était de beaucoup le ebef le plus puissant que nous eussions encore rencontré ; son autorité s'étendait depuis la Tamise jus- qu'à Bream-Bay, étendue considérable dans ce pays pour re- connaître le pouvoir d'un seul individu. En opposition avec la coutume suivie par les Arikis, il commandait toujours ses guerriers en personne , et, malgré son âge avancé , il était re- gardé comme un des hommes les plus braves de la Nouvelle- Zélande : son nom était formidable pour toute la partie sep- tentrionale de l'île. (Page 4o6.) Doua- Tara m'assura que pour compléter une natte de grande dimension et du goût le plus soigné , il fallait au moins deux ou trois ans de travail. 60G PIECES JUSTIFICATIVES. ( Tome II , page 18.) Les chefs peuvent en tout temps re- quérir les services des hommes de leur trihu , qui se rassem- blent et se préparent pour leur obéir sans jamais demander pour quel objet ils sont appelés; ils montrent le plus grand dévouement à leurs chefs , et sont toujours prêts à marcher aux scènes de sang et de carnage , ou à s'occuper des travaux plus doux de l'état de paix. Il est bon de remarquer qu'un dénom- brement ou plutôt une revue de toute la population adulte et mâle, a lieu à certaines époques fixes de l'année : alors les ran- gatiras qui sont tous traités avec le plus grand respect aident à dénombrer les koukis de la même manière qu'un sergent compte les soldats de sa compagnie. M. Marsdcn , qui entre autres renseignemens reçut de Doua-Tara une description exacte de cette cérémonie , la rapporte ainsi dans une lettre à un ami : « Les chefs passent la revue de tous leurs hommes à certaines époques de l'ailnée ; la grande revue a lieu après la récolte des patates. Le terrain d'où l'on a retiré les patates est dégagé des pierres et des mauvaises herbes, puis tout aplani; alors tout le monde s'y assemble, hommes femmes et enfans. Les hommes sont placés par rangs comme dans un régiment, et sur cinq, six ou sept hommes de profondeur, suivant la vo- lonté du chef. Alors un des principaux officiers ou rangatiras commence à les dénombrer , non pas en les appelant par leurs noms, mais en passant devant les rangs et les désignant par leurs numéros. A la tète de chaque cent hommes il place un rangatira et continue ainsi jusqu'à la fin , en laissant un rangatira à chaque cent hommes : ainsi dix rangatiras répon- dent pour mille hommes. Jamais les femmes et les enfans ne sont soumis à cet appel. » {Tome II, page 28.) Les quatre hommes qui avaient été de notre compagnie étaient tous rangatiras, ainsi que Touai prit soin de nous l'apprendre ; car ces naturels ne négligent jamais de vous faire connaître leur propre dignité et celle de leurs amis ; je pense qu'il n'y a pas de pays au monde où l'orgueil de famille soit plus dominant qu'à la Nouvelle-Zélande, sans ex- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 007 ccptor l'Espagne elle-même «avec ses grands hautains , ni l'Al- lemagne avec ses barons vaniteux. En opposition à ce qu'avait avance Forster, M. Ni- cholas fait la remarque suivante [loin. II, pag. G6) : Loin d'être insolcns et indisciplinés , j'ai au contraire ob- servé qu'à la Nouvelle-Zélande tous les enfans des deux sexes sont soumis et obéissans envers leur mère d'une ma- nière remarquable ; et pendant tout le séjour que j'ai fait dans ce pays, je n'ai pas vu un seul exemple de conduite indécente. Outre le témoignage de mes propres yeux, touchant leurs dis- positions douces et traitables , aux nombreuses questions que j'ai faites à cet égard, jamais on n'a répondu que les enfans fussent dans l'habitude de traiter leur mère avec mépris. Quand ils seraient disposés à le faire, je n'ai pu m'apercevoir non plus qu'ils fussent protégés par leur père, contre le châ- timent dû à ce manque de respect. ( Tome II, pages 92 et suif. ) Le dimanche matin, 5 février i8i5, le bruit courut à bord parmi les naturels qu'un grand combat allait avoir lieu, dans le courant de la journée, entre Wiwia, le chef contre lequel Koro-Koro venait de diriger ses forces, et Hinou , le chef dont Wiwia avait séduit la femme. Comme Temarangai déclara qu'il voulait demeurer spectateur neutre de ce combat, je n'hésitai point à l'accompagner, d'au- tant plus qu'il me garantit que je ne courrais aucun danger. Nous entrâmes enfin dans celte petite capitale (Waï-Kadi), et nous n'y trouvâmes qu'une scène de tumulte et de confu- sion ; clic était remplie d'hommes armés qui couraient de toutes parts avec un air farouche , au milieu de tous les préludes d'un engagement sauvage. Là , je reconnus notre ami Toupe, ainsi que deux autres chefs de ma connaissance, Koue et Hou : ils étaient assis sur le toit d'une maison; et Toupe, dès qu'il m'aperçut, me fit signe d'aller m'asseoir à côté de lui. De 008 PIECES JUSTIFICATIVES. cette station d'honneur, car elle était considérée ainsi , j'eus l'avantage de voir toute la force des combattans des deux par- tis. Directement en face de l'endroit où nous étions assis, se trouvait un vaste enclos séparé de nous par le Waï-Kadi; c'est là qu'était campé Hinou avec ses gens. Cette troupe, qui mon- tait au moins à deux cents hommes , se composait de diverses tribus commandées par leurs chefs respectifs. Ces hommes, as- sis par terre et dispersés en groupes, écoutaient avec attention un vieux guerrier qui s'était levé pour adresser la parole à Wi- wia et à ses compagnons. Dans ce vieillard, qui semblait être un véritable champion de tribu, je contemplai un exemple curieux de l'éloquence populaire du pays. Sa fougue martiale et ses gestes me firent conjecturer qu'il opinait encore pour la guerre, et les auditeurs ne laissèrent pas que d'être influencés par sa harangue. Tout en marchant , ou plutôt en courant çà et là le long de la palissade qui bordait le côté opposé de la rivière, il proférait ses paroles avec une violente indignation; et nous pouvions les entendre distinctement, la distance qui séparait les deux partis n'étant pas de plus de cent verges. Parfois il secouait la tête comme pour appuyer son raisonne- ment ; il brandissait sa lance comme s'il eût voulu exterminer d'un seul coup Wiwia et toute sa troupe ; en un mot , le vété- ran semblait entraîné par son ardeur pour le combat. Le plus profond silence régna, et quand il eut fini sa fougueuse allo- cution , deux des guerriers de notre côté se levèrent pour lui répliquer. Les personnes désignées pour cet objet par l'assentiment gé- néral furent Toupe et Temarangai , qui répondirent au vieil- lard avec un accent et des manières aussi douces et aussi con- ciliantes que les siennes étaient violentes et emportées. Du reste, ils parurent plaider leur cause avec une fermeté grave et décidée , et le parti opposé ne cessa de les écouter avec l'at- tention convenable. Leurs discours ne furent point prononcés en même temps; mais Toupe, se levant le premier, fit sa ré- ponse qui ne dura que quelques minutes. Quand il se fut ras- PIECES JUSTIFICATIVES. (509 sis, Temarangai le remplaça et parla un peu plus long-temps; mais il employa un ton aussi graeieux, aussi persuasif que son compagnon, et il semblait appuyer ses raisons avec quelque chaleur. Je fus frappé du sang-froid et du bon ordre qui furent observés des deux côtés, tandis que ces harangues furent pro- noncées. Temarangai ayant fini, je m'attendais à ce qu'il n'y aurait plus de discours, mais que les deux partis allaient s'é- lancer l'un sur l'autre et employer le patou-patou au lieu de la langue. Du reste, ce n'est pas ce qui arriva; car ils paru- rent décidés à terminer leur querelle par ce dernier instru- ment, résolution qui me causa un véritable plaisir ; j'aimais beaucoup mieux trouver en eux des dispositions aussi conci- liantes, que de satisfaire ma curiosité par le spectacle d'un combat. Un autre guerrier du parti d'Hinou répliqua aux discours de Toupe et de Temarangai; se levant du milieu du groupe qui l'environnait , il s'avança vers l'endroit où le vétéran avait parlé , et commença sa harangue , modèle d'élo- quence naturelle. Dans la manière de cet homme régnait un ton d'aisance et de dignité qui le distinguait sur-le- champ des autres orateurs. Il parla durant un temps con- sidérable ; je ne pouvais m'empêcher d'admirer la gracieuse élégance de son maintien et la convenance parfaite de ses gestes. Tenant d'une main son patou-patou, il marchait de çà et de là le long de la rivière d'un pas ferme et plein de dignité; une natte unie, attachée sur son épaule droite, lui descendait jusqu'aux pieds avec une sorte d'abandon plein de noblesse et rappelait assez bien la toge romaine à l'imagi- nation de l'observateur, tandis que sa stature majestueuse et la parfaite symétrie de ses formes complétaient l'illusion. Son dis- cours, quoique prononcé avec énergie, ne semblait nullement inspiré par un esprit de violence ou d'hostilité; et bien que le sens m'en restât inconnu , attendu le peu que je savais de leur langue, cependant, à la manière dont il était proféré , je ne doutai point qu'il ne fût d'une nature conciliante. A cet orateur, qui certes méritait bien ce titre puisqu'il en tome m. 3q i (ÏIO PIECES JUSTIFICATIVES. possédait toutes les qualités à tin degré éminent, succédèrent Toupe , Temarangai et deux autres chefs de notre parti qui parlèrent chacun à leur tour. Puis on entendit un troisième orateur du côté opposé , qui n'offrit rien de remarquable dans sa manière ni dans son élocution. La harangue de cet homme fut la dernière qui fut prononcée. Alors je demandai à Toupc quel était le résultat de ces débats oratoires, et il me dit que les deux partis en étaient venus à un arrangement amical. Quelques formalités préliminaires, a ce qu'il paraît, avaient eu lieu entre Wiwia et Hinou avant mon arrivée; et quoique le vieux guerrier représentât avec force la nécessité de recou- rir immédiatement aux armes, je suis persuadé que ses argu- mens furent réfutés par les autres orateurs qui n'étaient point enflammés par le même esprit d'hostilité implacable. Je n'avais pas encore vu Wivvia , mais il s'avança alors vers moi d'une façon très-amicale , suivi de cinq ou six de ses guer- riers; il me toucha la main avec beaucoup de cordialité, puis il s'en retourna et se confondit avec ses gens. Cet homme dont l'intrigue illégitime était la cause de tous les discours que je venais d'entendre et de toutes les démonstrations dont j'avais été témoin , était l'aimable et galant Lothario de ces contrées. Il semblait être âgé de trente-cinq ans environ ; sa taille était moyenne, mais sa figure était gracieuse et ses formes très-bel- les. Une jolie natte, ornée de plumes, était liée autour de sa ceinture, et laissait à nu le haut de son corps qui était copieu- sement enduit d'huile et d'ocre rouge ; ses cheveux étaient pro- prement liés sur le sommet de sa tète et surmontés d'un large peigne, aussi blanc que l'ivoire, fabriqué avec un os de céta- cée et travaillé avec goût. Ses joues étaient peintes en rouge , ce qui donnait à ses yeux du feu et de la vivacité, et formait un contraste curieux et d'un bon effet avec sa barbe noire et touffue. Sa tournure était bien capable d'exciter l'attention des dames de son pays , qui le considéraient comme le vrai mo- dèle d'un homme du bon ton. Toupe m'apprit que les guerriers qui suivaient Wivvia et Hi- PIÈCES JUSTIFICATIVES. f,l( non lui appartenaient, bien qu'en eette circonstance ils eus- sent été obligés d'embrasser des intérêts contraires, parce que les chefs inférieurs dont ils dépendaient immédiatement les avaient placés en opposition les uns aux autres. Mais je con- jecturai qu'il voulait seulement dire que ces guerriers recon- naissaient l'autorité de son frère Tara, qui était Ariki, et que lui-même étant son général , avait en conséquence un certain pouvoir sur eux. Tous les différends étant désormais arrangés à l'amiable, ils voulurent couronner leur réconciliation par un copieux ban- quet. Toupc me conduisant du côté d'Hinou , un des naturels me fit traverser la rivière sur ses épaules, tandis que nous étions suivis d'autres gens qui portaient une quantité de patates à Hinou. Wiwia les envoyait en présent à son adversaire, qu'il savait à court de provisions, pour célébrer cette joyeuse circonstance. Je trouvai Hinou avec son fils Temoudi , assis au milieu de son camp et environné des guerriers de sa propre tribu ou de celles de ses alliés. Après avoir passé au milieu d'une file de ces gens, j'arrivai près du chef; et après avoir mis mon nez en contact avec le sien, suivant la cérémonie d'usage, à sa prière je m'assis près de lui. Il n'y avait entre ce chef et Wiwia aucune ressemblance , ni pour la figure ni pour la tournure. Quoiqu'il une époque plus reculée de sa vie il eût dû être un homme de bonne mine, Hinou n'avait plus rien alors dans sa personne qui pût lui garantir l'attachement d'une femme dont la fidélité ne dépendait que des impressions extérieures. Toute sa vigueur avait disparu devant le progrès insensible des années , et il n'était pas surprenant que sa femme, qui ne se croyait liée que par le plaisir des sens, eût préféré son rival, alors dans la fleur de l'âge et doué de tous les attraits personnels' les plus admirés dans le pays. Le fils de Hinou était presque aussi âgé que Wiwia , et Hinou lui-même ne devait pas avoir moins de soixante-dix ans ; sa barbe , aussi blanche que la neige, couvrait sa poitrine, et lui donnait une gravité patriarcale. 39* (>12 PIECES JUSTIFICATIVES. Je restai assis quelque temps avec Hinou . qui ne proféra pas une parole; mais il me regardait fixement, comme pour juger d'après les traits de mon visage de la nature de mes intentions: puis jo me levai et allai me réunir aux différens groupes dis- persés dans l'enclos. Tous ces naturels s'amusaient beaucoup de me voir, et me priaient avec leur empressement ordinaire de m'asseoit parmi eux. Us examinaient mes bottes et mes habits avec une attention minutieuse, et nul article de mon costume n'échappait à leurs remarques. Je trouvai qu'il était assez désagréable d'être assujetti à cet impertinent examen, car ils se pressaient autour de moi de manière à me mettre en contact avec leurs /toutous (poux), dont je n'avais déjà eu que trop souvent l'occasion de me débarrasser. Cependant je n'au- rais pu leur refuser cette liberté qu'en les repoussant d'une manière péremptoire, et c'était une mesuré à laquelle je ne jugeai pas qu'il fût prudent de recourir. Quelques-uns débou- tonnaient mon habit et insistaient pour voir ma poitrine*; puis ils se regardaient l'un l'autre, comme s'ils voyaient en moi une créature autrement organisée qu'eux-mêmes et tout- à-fait extraordinaire dans sa conformation , et ils proféraient certaines paroles à mesure que leur admiration se trouvait excitée par quelque nouvel objet d'étonnemcnl. Tandis que je leur faisais voir ma montre, dont le ressort ne manquait pas d'occasioncr leurs exclamations habituelles de surprise, les chefs s'écriaient avec leur ton d'orgueil naturel : Iti iti tan- gata, voulant nous faire entendre par là que les personnes dont je satisfaisais la curiosité n'étaient que des gens du com- mun auxquels je n'aurais pas dû faire attention. Mais je ne me prêtai point à cette exception peu généreuse, et l'injuste vanité des chefs ne put me porter à priver les pauvres koukis d'un spectacle qui intéressait tant leurs supérieurs. Au milieu d'un de ces groupes, j'observai un homme qui était né con- Leur but en cela était de s'assurer, à ce que j'imagine, s'ils devaient me considérer comme un homme ou comme une femme. PIECES JUSTIFICATIVES. 618 (refait; son dos était voûté, ses jambes tortues, et sa taille si rapetisser qu'il avait presque l'air d'un nain. Ce fut le seul exemple de difformité semblable que je découvris parmi ces peuples; car leurs membres sont en général parfaitement tour- nés, et leurs personnes ne peuvent guère offrir d'autres traits à blâmer que ceux qu'ils se font eux-mêmes, ou par suite de leurs superstitions en temps de deuil, ou dans le but extrava- gant d'ajouter à leur beauté naturelle. Sur ces entrefaites, une bande de cuisiniers préparaient les corbeilles de patates que Wiwia avait envoyées; elles avaient été d'abord toutes apportées au milieu du camp , sous la direc- tion d'un des chefs de Wiwia , et réunies ensemble. Après certaines cérémonies, qui consistaient partie dans la répé- tition de quelques paroles que je ne puis comprendre , partie en divers mouvemens exécutés sur l'ensemble des cor- beilles, elles furent distribuées avec ordre aux différentes tribus. De tous les guerriers rassemblés pour cette circonstance, je n'en vis pas un plus remarquable que Ware , l'homme qui avait séduit la femme de Doua-Tara , et qui se présentait pour la seconde fois à nous depuis qu'il s'était échappé du navire. Bien qu'il ne fût pas costumé comme ses compatriotes, son extérieur n'en était ni moins formidable ni moins imposant; aucun de ces guerriers n'avait un air plus martial, un maintien plus déterminé : vêtu d'une jaquette et d'un pantalon de ma- telot, il portait un mousquet, et une giberne était suspendue à son côté. Il me tendit la main ; et ne jugeant pas qu'il fût politique en cette occasion de manifester le moindre souvenir de son crime en repoussant sa politesse, je lui donnai la mienne comme si j'eusse tout-à-fait oublié sa conduite passée. J'entrai sans façon en conversation avec lui, et lui fis quelques questions sur les gens de ce canton et sur son avis touchant ce qui venait de se passer. Temarangai survint et ne toucha la main de Ware qu'avec une sorte de répugnance; il lui repro- cha même sa conduite dans les termes les plus durs. Ware lui- 014 PIECES JUSTIFICATIVES. même m'expliqua le sens de ces expressions; et les épitliètcs qui lui furent adressées annonçaient toute l'indignation de l'autre, et l'horreur qu'il avait de Warc à cause du crime qu'il avait commis. Cependant Temarangai , me voyant disposé à converser familièrement avec Ware, adoucit peu à peu son ton. M'ayant demandé si Ware était maïtaï (bon), je répon- dis qu'il avait mal agi , mais que j'espérais qu'à l'avenir il se comporterait mieux ; sur quoi il se réconcilia sincèrement avec Ware, et pour preuve il appliqua même son nez con- tre celui de Ware. Comme je conversais avec ces deux chefs, je fus accosté par un homme, nommé Rcko , qui avait été à l'île Norfolk et à Port-Jackson : il me demanda avec empressement des nouvelles du gouverneur King et des capitaines Piper et Brahyn qu'il se rappelait parfaitement, et il voulut savoir si ces personnes étaient encore dans la colonie. La quantité de feux allumés par les cuisiniers, qui dé- ployaient toute leur activité, produisit une fumée si suffocante que, pour en éviter l'incommodité, je m'empressai de quitter au plus vite le camp. Ayant traversé de nouveau la rivière , je rejoignis Wiwia et ceux de son parti. Je les trouvai occupés à se régaler des patates qui avaient été distribuées dans des corbeilles aux différens groupes étendus sur le sol, et qui dé- voraient leur kaï kaï avec leur appétit ordinaire. J'offris au chef un peu de biscuit; mais il ne put y toucher, car il se trouvait en ce moment sous l'influence du tabou, et il lui était interdit de prendre lui-même ses vivres. Du reste, il chargea quelqu'un de ses gens de le lui réserver pour l'époque où il serait délivré de cette quarantaine mystique, et il se proposait alors de gratifier son palais de celte rare friandise. Un des guerriers, homme d'une stature imposante et d'un maintien plein d'expression, était singulièrement costumé. A sa cein- ture était attachée une natte doublée en plumes d'oiseau de diverses couleurs et réunies en un tissu épais; une autre natte pendait librement et avec grâce sur son épaule droite, et par- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 615 dessus tout se trouvait uni- pièce d'indienne rouge, taudis qu'on inoircau de cette même étoffe lui ceignait le front; sa chevelure était ornée de longues plumes blanches comme la neige placées en tout sens, et d'une manière si extraordinaire, qu'elles produisaient l'effet le plus bizarre et le plus comique; ses joues étaient peintes en rouge, et il portait à la main une énorme pique de fer, avec un long patou-patou suspendu à sa ceinture. Ainsi équipé, il marchait ça et là d'un grand air d'importance, tenant sa tête aussi roide que le grenadier le mieux discipliné, et réglant tous ses mouvemens d'après une sorte de cadence militaire qu'il modifiait au gré de la circons- tance, car elle devenait grave , véhémente ou précipitée, sui- vant que le cas l'exigeait. Comme j'allais lui toucher la main, je voulus flatter sa vanité, et je lui dis qu'il était nouï nouï maïtaï (très-beau). Il reçut ce compliment comme un tribut dû à sa haute importance, et me regardant avec beaucoup de bienveillance, il me dit à son tour que j'étais nouï nouï maïtaï Youropi (un très-bon Européen). Les chefs se distinguaient principalement des guerriers su- balternes par leurs manteaux en peau de chien; les poils, diversement colorés, présentaient un aspect très-curieux par les dessins étranges que formait leur réunion. Quelques-unes de ces peaux étaient coupées par morceaux carrés blancs comme de la neige, d'autres en longues bandes tachetées, et leur mélange formait toutes sortes de dessins qui diffé- raient pour la forme, la couleur et la dimension : cependant il était évident que, dans tous ces vêtemens, on avait eu plus d'égard au faste et à l'éclat qu'au goût et à l'uniformité. Peut- être une peau de panthère donne-t-elle l'idée la plus juste de ces costumes, encore n'offrirait-elle qu'une image impar- faite de leur variété grotesque. Effectivement j'observai dans cette journée, chez les naturels, un plus grand étalage de toilette et de décoration que je n'avais encore vu ; c'était aussi la plus grande réunion de guerriers que j'eusse jamais remar- quée, car elle était au moins double de celle des guerriers de G16 PIECES JUSTIFICATIVES. Wangaroa, au milieu desquels nous avions passé la première nuit lors de notre arrivée. Quand les deux partis se furent suffisamment régalés, comme une formalité nécessaire à la réconciliation qui allait avoir lieu, ils se préparèrent à exécuter leurs évolutions militaires. Hiuou rassembla tous ses gens et les forma sur deux divisions; l'avant-garde , armée de lances d'une immense longueur, se précipita sur les palissades en poussant de grands cris comme de coutume , et fut suivie de près par l'autre division. Après avoir fait halte , les guerriers se rassemblèrent en une phalange com- pacte, et les chefs prirent place suivant leur rang et le nom- bre des hommes qu'ils commandaient respectivement. Ils dé- ployaient leur impétuosité accoutumée, et poussaient d'é- pouvantables mugissemens , comme dans les représentations de ce genre auxquelles nous avions déjà assisté. Mais il était vrai- ment effrayant de voir avec quelle fureur ils feignaient de char- ger leurs ennemis supposés : les chefs se montraient toujours aux premiers rangs et à l'endroit le plus périlleux, et par leur exemple excitaient l'ardeur de leurs guerriers ; leurs passions étaient poussées à un point tel que la scène, sans être ensan- glantée , semblait respirer le carnage , et que ce spectacle qui n'était qu'un simulacre de combat offrait presque tout l'effet de la réalité. Deux fois ils firent cette charge épouvantable , puis ils se mirent à danser et à chanter l'ode guerrière; enfin l'exaltation de cette troupe fut adoucie par trois femmes, qui, venant se joindre à la danse, aux applaudissemens de cette assemblée, firent cesser bientôt l'horrible désordre, et par leurs gracieux mouvemens fixèrent toute l'attention des guer- riers. Quand elles eurent terminé leur danse , la troupe ainsi calmée alla s'asseoir au milieu de l'enclos. Comme c'était le tour de Wiwia de figurer dans une semblable représentation guerrière , il rangea tous ses hommes en ordre de bataille , les conduisit au bord de l'eau comme avait fait son adver- saire, et leur fit exécuter, autant que possible, des évolutions semblables à celles qui avaient eu lieu du côté opposé. PIECES JUSTIFICATIVES. G 17 Cette représentation furieuse des forées respectives des deux partis étant désormais terminée de chaque côté, les orateurs se levèrent de nouveau et réclamèrent l'attention de l'assemblée. Le premier fut le vétéran , qui se représenta avec une nouvelle véhémence , soit que les évolutions guerrières qui venaient d'a- voir lieu eussent excité toute son ardeur, soit qu'il trouvât que ses compatriotes s'étaient montrés trop pusillanimes, en bor- nant leur énergie militaire à un combat simulé ; c'est ce que je ne puis décider : ce qu'il y a de certain , c'est que de véhément seulement qu'il était au début de sa harangue , il devint tout-à- fait insultant à mesure qu'il parlait, et qu'il finit par bondir sur le champ de bataille, écumant de rage et de fureur. Wiwia lui répondit par un discours d'une certaine étendue, ainsi que deux autres orateurs qui lui succédèrent. A la fin le chef qui avait été outragé, Hinou, s'étant levé de son siège avec une gra- vité vénérable, prononça un discours avec beaucoup de dou- ceur; c'était probablement une leçon touchante qu'il donnait à son rival, sans accompagnement d'aucuns symptômes de repro- che ou d'indignation. Wiwia lui répondit avec une douceur égale; puis ses trois femmes jugèrent à propos d'interposer les effets de leur éloquence, comme médiatrices entre les deux par- tis, bien qu'il n'y eût déjà plus d'inimitié entre eux. Elles par- lèrent d'un ton fort animé , et les guerriers les écoutèrent tour à tour avec un silence attentif; elles employèrent un ton très- résolu, qu'elles accompagnaient de gestes expressifs ou de re- gards courroucés contre Hinou, et qui ne semblaient guère jus- tifiés par l'indulgence dont celui-ci venait de donner la preuve. Les harangues, ou plutôt les plaintes (je suppose plutôt ces dernières) de ces insolentes femmes terminèrent les cérémonies de cette singulière conférence; la réconciliation ainsi con- sommée, les parties ne gardèrent plus vis-à-vis l'une de l'autre que les sentimens d'une amitié réciproque. Il serait heureux pour les habitans de ce pays que tous leurs différends pussent ainsi s'arranger à l'amiable. Quelque grands que soient leurs penehans pour la guerre, pourtant je suis disposé à croire 018 PIECES JUSTIFICATIVES. qu'ils ne sont pas insensibles aux charmes de la paix, et que souvent, comme dans cette circonstance, ils terminent leurs querelles par un pardon mutuel. Cette disposition a sou- mettre à la force de la raison la fougue de leur ressentiment, même au dernier degré de rage, et lorsque leurs passions semblent trop furieuses pour se calmer, est une forte preuve en faveur du grand caractère intellectuel de ces peuples. Peut- être est-ce l'argument le plus puissant pour établir la supério- rité de l'esprit humain sur l'instinct de la brute , que de voir le sauvage susceptible de cette transition inattendue. Hinou et ses compagnons quittèrent le champ de bataille et s'en allèrent chacun chez soi. Certes il fut heureux pour Wiwia que ses ennemis eussent renoncé à l'attaquer, car l'a- vantage, quant au nombre, était évidemment de leur côté. Dès qu'ils furent partis, nos guerriers se dispersèrent aussi. Charmé du spectacle auquel je venais d'assister, je rassemblai mes gens et j'entrai dans la pirogue avec Toupe , qui désirait m'accom- pagner à bord du navire. Comme nous descendions la rivière , le soleil se couchait derrière des montagnes éloignées, et à la lueur de ses derniers rayons je pouvais distinguer les guerriers de la Nouvelle-Zélande qui défilaient sur les coteaux en sens divers. Joint aux détails romantiques de la scène et aux circons- tances qui s'y rattachaient, ce spectacle était si imposant et si bizarre, qu'il excita toute mon admiration tant qu'il fut sous mes yeux : aujourd'hui même je ne puis le rappeler à mon imagination sans éprouver les mêmes sentimens. (Tome II , pages 119 et suiv.} Désirant acheter le peigne que Wiwia portait le jour de sa conférence avec Hinou , je lui dis, en revenant de Waï-Kadi , de l'apporter à bord du na- vire, et que je lui en donnerais toute sa valeur. Il le fit, et bien que je lui eusse donné la veille un croc en échange, dont il avait été content , il voulut attendre jusqu'au lendemain pour me livrer le peigne. La cause de ce délai était tout à la fois sérieuse et solennelle. Ce chef, à ce qu'il paraît, attachai l à ce peigne une importance sacrée d'une nature peu coin- PIECES JUSTIFICATIVES. G19 munc : craignant de se rendre coupable du crime de profa- nation en s'en dessaisissant avec la même précipitation que de tout autre objet moins important , il jugea à propos d'attendre un certain temps, et de ne le remettre entre mes mains qu'avec les cérémonies convenables. Lorsque le moment fut arrivé, Wiwia , suivi de trois cbefs qui devaient l'assister dans cette formalité , me pria de descendre dans la chambre pour rece- voir le peigne suivant nos conventions. Il est nécessaire que je fasse observer ici que Wiwia était reconnu par ses compa- triotes sous le double titre de prêtre et de chef, ce qui lui était commun avec Tara et quelques autres. Comme il allait agir sous le premier de ces caractères , il prit un maintien plus grave que de coutume, et se prépara d'un air très-sérieux à ses fonctions mystiques. Il commença la cérémonie par me prier de tenir les paumes des mains ouvertes devant lui, puis il les joignit; et saisissant l'un de mes doigts d'une main, il trempa l'autre dans un bassin d'eau, et croisa ma main droite sur elle, en répétant pendant tout ce temps, d'un ton de voix précipité et avec une volubilité extraordinaire, certaines pa- roles que je supposai être des prières. A mesure qu'il les réci- tait, ses facultés semblaient de plus en plus maîtrisées par un vif enthousiasme , et jamais le génie de la superstition ne trouva un sujet plus dévoué ni plus ardent. Ensuite il déposa de la salive sur ses doigts et croisa les paumes de mes mains , en continuant de parler avec rapidité et en apparence absorbé- dans les rites importans qu'il célébrait. Cela fait , il prit un morceau de poisson sec , et l'ayant légèrement appliqué à mes mains, il le porta sur-le-champ à la bouche des trois chefs qui l'assistaient; chacun d'eux en mangea un petit morceau, et celte portion de la cérémonie fut répétée par trois fois. Alors on en vint à la conclusion qui était de me mettre en possession du trésor vénéré; un des chefs s'approchant de "Wiwia d'un pas solennel , prit le peigne sur sa tète et me le remit sans pro- férer une parole. Ainsi finit celte singulière cérémonie, sans laquelle il m'eût été impossible d'obtenir le peigne , attendu 620 PIÈCES JUSTIFICATIVES. que le chef n'eût pu en disposer d'une autre manière. J'al- lais déposer l'objet ré\éré dans ma cassette; mais Wiwia me dit que je ne devais pas le placer en cet endroit, et comme je ne voulais pas céder, il insista, me pria de l'envelopper soigneusement dans du papier , et me montrant une armoire au-dessus de ma couchette , il me somma d'y déposer le peigne et nulle part ailleurs. Je n'éprouvai point de répu- gnance à me rendre à cette injonction positive , et ma com- plaisance lui causa un plaisir tout particulier, car son pro- fond respect pour cet objet subsistait encore après qu'il avait cesse d'en être possesseur. Ce peigne fut le seul de ce genre que j'aie observé dans l'île ; mais le capitaine Cook en men- tionne un semblable porté par les peuples de la partie méri- dionale. Il était effectivement curieux sous le double rapport du goût et de l'habileté de l'exécution, et les personnes aux- quelles je le montrai par la suite ne purent s'empêcher d'ad- mirer le talent d'invention extraordinaire du sauvage qui l'a- vait fabriqué. ( Tome II, page 126.) Doua -Tara nous informa qu'un ani- mal très-destructeur se trouvait dans l'intérieur du pays; qu'il faisait de grands ravages parmi les enfans, attendu qu'il les emportait pour les dévorer, toutes les fois qu'il en trouvait sur son chemin. La description qu'il en donnait répondait exac- tement à celle de l'alligator; mais je doute que cet animal ou tout autre d'une espèce aussi formidable puisse exister à la Nouvelle-Zélande. Le chef n'avait jamais vu cet animal lui- même; mais il tenait ce récit d'autres personnes, et il paraît très -probable qu'on en avait imposé à sa crédulité. {Tome II, page i3i.) Je dois remarquer qu'à la Nouvelle- Zélande les maux d'yeux sont très-communs, et je les attribue- rais à ce que les naturels dorment fréquemment en plein air, exposés à de fortes rosées et toujours la tête découverte. Je les ai vus maintes fois se relever le matin avec les cheveux et la barbe tout humides. Je suis seulement surpris qu'ils puissent conserver leur santé, en considérant les privations PIECES JUSTIFICATIVES. 021 cruelles et nombreuses auxquelles ils sont exposés; mais l'ha- bitude suffit pour aceoutumer l'homme à toutes sortes de con- ditions, et même pour lui donner la force d'endurer le plus pénible état de souffrances. (Tome II, page i36.) Le 9 février un des parens de Oudi- Okouna mourut ; une foule de naturels se rassemblèrent à Te- pouna pour assister a l'enterrement, et il y eut de longues con- iérenees pour discuter comment les obsèques seraient réglées. D'après cet empressement à s'occuper de l'enterrement, il pa- raîtrait que les Nouveaux-Zélandais ne laissent pas leurs morts plus long-temps au-dessus de la terre, quand une fois le souffle de la vie est éteint, qu'il n'est nécessaire pour régler les formalités de leurs funérailles. Curieux d'observer leurs céré- monies en cette circonstance , nous nous rendîmes en hâte à l'endroit où le corps était déposé , à un mille environ de Ran- gui-Hou. A notre arrivée , nous trouvâmes plusieurs naturels déjà sur les lieux. Le corps du défunt était enveloppé dans les vètemens qu'il portait au moment de sa mort : Iqs pieds et les genoux semblaient rapprochés du corps comme on l'avait pra- tiqué pour le naturel qui mourut à bord; et le tout était étroi- tement lié avec une ceinture et placé sur une planche entre deux pieux qui avaient servi à l'apporter en cet endroit \ Quoi- que le cortège fût considérable , il y avait peu de personnes en deuil ; et de toutes celles qui se tenaient auprès du cada- vre, je ne vis que la veuve de Tepahi et une autre femme qui parussent affectées. Elles pleuraient amèrement et veil- laient avec soin à ce que nous n'approchions pas trop du corps; elles nous disaient avec une inquiète précaution qu'il était ta- bou-tabou, et nous témoignaient par des signes expressifs combien elles craignaient de nous voir dépasser certaines li- mites prescrites. Les autres naturels qui étaient présens pre- Les naturels font, en diverses parties de l'île, une espèce de bière pour transporter leurs morts, et ils la décorent de sculptures qui représentent des figures obscènes ou des actions indécentes. 1 622 PIÈCES JUSTIFICATIVES. riaient, j'en suis persuadé, peu d'intérêt à cet événement, bien qu'ils eussent tous, inscrites sur leurs figures, les hideuses mar- ques de la douleur. Un jeune homme qui était probablement proche parent du défunt avait le visage déchiré d'une ma- nière effroyable et versait d'abondantes larmes. En m'ap- prochant de lui, je remarquai tout-à-coup un changement bien extraordinaire, car il se mit à sourire avec une légèreté et une étourderic qui prouvaient que sa douleur ne consistait que dans les marques extérieures qu'il en donnait. Je lui tou- chai la main; du simple sourire qui lui était d'abord échap- pé , il passa à un rire aux éclats, et sa conduite contrastait si fort avec son extérieur, que je ne savais plus comment l'expli- quer : je conjecturai que les plus grands témoignages de chagrin, pour quelques-uns de ces naturels, n'étaient que de pures formalités commandées par une coutume depuis long- temps établie. Cette opinion ne pourrait cependant point s'ap- pliquer aux Nouveaux-Zélandais en général; car il n'est pas de peuple qui ressente plus vivement la perte de leurs parens et amis; et leurs deuils, quoique assujettis à des formes exté- rieures, n'en sont pas moins sanctionnés par leurs cœurs. Les femmes, excepté les deux premières dont j'ai fait mention , ne montrèrent aucune sorte de regret dans l'exemple en question. Elles ne firent que rire et parler sans la moindre réserve et sans s'inquiéter en aucune façon de la cérémonie. Plusieurs d'entre elles me demandèrent des clous et me prévinrent qu'elles avaient du fil qu'elles désiraient me vendre. Il n'y avait pas long-temps que nous étions là , quand nous vîmes approcher du rivage une pirogue chargée de patates. Parmi les personnes qui s'y trouvaient , je remarquai la femme d'Okouna, qui sembla tout aussi peu affectée de la perle du parent de son mari , que la plus indifférente des autres dames. En débarquant , elle se mit à rire et à jouer avec la même vi- vacité, et l'on ne remarquait aucun symptôme de chagrin ni dans son maintien ni dans sa conduite. Toutes les personnes de l'assemblée commencèrent alors à allumer les feux et à pré- PIÈCES JUSTIFICATIVES. f>23 parer les provisions pour satisfaire leur appétit avant de se mettre en route avec le eorps pour le lieu de l'enterrement. Il nous fut défendu d'aller jusqu'en cet endroit par les réglcmcns absolus du tabou , autorité que nous n'osâmes attaquer et que nous ne jugeâmes pas même prudent de mettre en ques- tion, quoique nous eussions espéré dans le principe assister à toutes les cérémonies usitées dans leurs enterremens. Nous ne pûmes savoir s'il y en avait eu quelques-unes d'exécutées sur le corps avant notre arrivée ; mais comme nous nous en re- tournions dans la pirogue de Kawiti et que nous doublions la pointe de terre qui sépare cet endroit de la ville, nous vîmes que deux hommes emportaient le cadavre sur leurs épaules avec des perches, tandis que trois ou quatre autres naturels formaient tout le cortège. Eu égard au petit nombre de per sonnes qui restaient à la fin des funérailles, je supposerais que la majorité de l'assemblée ne voulut point y assister, ou plu- tôt que cela lui était défendu comme à nous, par les supers- titions du pays. En parlant de la maladie de Doua-Tara, M. Nicholas dit : ( Tome II, page 170.) Le 21 février je fis un second effort pour le voir; mais il fut également infructueux. Ayant de- mande dans quel .état il se trouvait, la seule réponse qu'on me donna fut que YAtoua rongeait maintenant ses entrailles et que le chef serait mate moe (tué) , aussitôt qu'elles seraient toutes dévorées. Cette persuasion , beaucoup plus encore que le mal dont ils sont atteints*, accélère la mort de ceux qui tom- bent malades à la Nouvelle-Zélande. Leurs esprits en sont tel- lement frappés, que lorsque les symptômes deviennent réel- lement dangereux , ils pensent que toute espèce de remède se- rait impie ; et quelque affligés qu'ils soient de la perte de leurs amis ou de leurs païens, il ne leur arrive jamais de murmurer 624 PIECES JUSTIFICATIVES. contre le mystérieux vautour qui les ronge insensiblement au gré de son appétit. ( Tome II, page 173. ) Le 22 février, en revenant à la ville, je vis une foule de naturels assis en cercle autour de quelques corbeilles de patates rôties. Dans le nombre je remarquai un homme qui était obligé de se baisser contre terre pour ramas- ser avec sa bouche chaque morceau , et qui évitait scrupuleu- sement de toucher avec ses mains les vivres qu'il prenait. Cela me fit sur-le-champ connaître qu'il était taboue ; je lui en de- mandai la raison, attendu qu'il semblait jouir d'une bonne santé, et qu'il n'était atteint d'aucun mal qui put le placer à l'écart des autres personnes. J'appris qu'il était taboue parce qu'il construisait une maison et qu'il ne pouvait être affranchi des entraves du tabou que quand il aurait fini. Comme cet homme n'était qu'un kouki, il n'avait personne pour l'assister, ce qui l'obligeait à se soumettre à une manœuvre aussi pénible pour se nourrir et ne point enfreindre les règles superstitieu- ses du tabou. Le tohounga ou prêtre lui avait signifié que., s'il osait seulement porter un doigt à sa bouche avant d'avoir fini l'ouvrage qu'il avait entrepris, Vatoua punirait infailliblement son impiété en s'insinuant avant le temps marqué dans son es- tomac et en le dévorant pour le chasser de ce monde. Ce malheureux semblait tellement redouter cette fin prématurée, qu'il tenait ses mains à l'écart, comme si elles n'avaient jamais dû servir à toucher la nourriture ; il ne souffrait pas même qu'aucun mouvement de leur part les rapprochât le moins du monde de sa bouche, de sorte que cet organe était obligé de remplir une double fonction en agissant pour les membres que la superstition avait paralysés. , Ayant quitté ce groupe quand ir eut terminé son banquet, je passai près de la cabane où demeurait Warc , le frère d'O- kouna, et je le trouvai fort occupé à couper les cheveux de sa femme. 11 exécutait cette opération avec un morceau de pierre tranchante que les minéralogistes nomment obsidienne ou verre volcanique; il coupait les cheveux de devant presque P1KCES JUSTIFICATIVES. 625 ras et laissait ceux de derrière la tète de toute leur longueur. Quand il eut terminé sa tâche qui lui demanda un certain temps, eu égard à la précision qu'il observa , il ramassa tous les che- veux coupés avec le plus grand soin, et les porta hors des li- mites de la ville pour les jeter au vent. Comme je lui demandais la raison de cette précaution , il me dit que les cheveux étaient taboues et ne pouvaient rester dans la ville sans provoquer la colère de l'Atoua qui, dans un pareil cas, détruirait la per- sonne à la tête de laquelle ces cheveux avaient appartenu. J'al- lais ramasser une des pierres dont il s'était servi ; mais il me somma de ne pas y toucher, en ajoutant qu'elle était aussi ta- bouée, et que la divinité furieuse de la Nouvelle-Zélande ne manquerait pas de faire tomber sa vengeance sur ma tète cou- pable, si j'osais seulement porter un doigt sur cet instrument saccé. Riant de sa superstition, je commençai à me récrier contre son absurdité; mais, comme avait fait Touai en sem- blable occasion, il prit sa revanche en tournant en ridicule nos karakia (prédications), et en même temps il me pria de prêcher sur la tête de sa femme , comme s'il eût voulu l'exor- ciser. Sur mon refus , il se mit à le faire lui-même , mais il ne put se défendre de quelques éclats de rire involontaires. J'ob- tins de lui, sans aucune dilïïeulté, une des pierres qui ne lui avaient point servi ; car aucun tabou ne pouvait s'opposer à ce qu'elle passât entre les mains d'une personne étrangère. ( Tome II , page 182.) Quand M. Kendall voulut remporter le flacon qui contenait le vin, tous les assistans s'y opposèrent avec indignation ; Doua-Tara lui-même pria qu'on le laissât, déclarant que ce vase était taboue, et que l'Atoua qui était dans son corps allait le tuer plus vite si l'on emportait le fla- con. Pour le délivrer de cette frayeur absurde, le mission- naire complaisant consentit à laisser le vase ; il fit une nouvelle visite au malade deux heures après, et lui apporta un peu de riz auquel il ne fit que goûter, car il était trop mal pour pou- voir prendre la moindre nourriture. M. Kendall en offrit un peu à la femme principale du chef, ainsi qu'à l'enfant qu'elle tome m. 4o 026 PIECES JUSTIFICATIVES. allaitait , tous deux eri grand danger de mort ; mais il ne put la décider à en manger. Elle dit qu'elle était t;ibouée,ct le prê- tre s'y opposa pour la même raison. (J'orne II, page 187.) Cet homme extraordinaire (Doua- Tara), dont la grandeur d'aine brilla d'un éclat si remar- quable au milieu de la barbarie dont il était environné, mou- rut peu de jours après notre départ de l'île. Sa première femme, Dehou, inconsolable de sa mort, se pendit presque immédia- tement après. M. Kcndall, dont je tiens ces détails, m'assura dans sa lettre que toute sa famille, ses parens et la population entière de Rangui-IIou , applaudirent à cette preuve déses- pérée de dévouement conjugal. Il paraît du reste, d'après les récits subséquens des missionnaires, que c'est une pratique commune à la Nouvelle-Zélande, que la femme se détru^c à la mort de son mari. • Le 25 mars 1819, comme Doua-Tara se trouvait à toute extrémité, on réclama de ce chef des pistolets qu'on lui avait prêtés. M. Nicholas en tira un ; et comme Doua-Tara l'avait chargé jusqu'à la gueule, M. Nicholas se blessa assez grièvement. ( Tom. \\,pag. 191.) Je saignai beaucoup , et M. Marsden , étant venu à mon se- cours, lava et banda ma plaie : mais les naturels, loin de té- moigner aucun regret de cet accident, ne firent que me re- procher mon impiété pour avoir osé manier un pistolet qui était taboue , et ils considérèrent ma blessure comme une juste punition de l'Atoua courroucé, qui n'avait pu contempler un acte aussi criminel sans donner sur-le-champ une preuve de sa vengeance. Wiwia, se glorifiant de sa sainteté comme prêtre, me dit avec un grand air de confiance que cela ne lui serait point arrivé ; et le vieux Tara , également fier de sa pureté sa- cerdotale, déclara qu'il aurait bien certainement échappé à cet PIÈGES JUSTIFICATIVES. f,27 accident, mais que moi qui n'étais point tohounga, je n'avais eu que ee que je méritais. ( Tome II , page 219.) Jem (le Taïtien) décrivait les peu- ples du cap Est comme beaucoup plus ingénieux et plus labo- rieux que toutes les autres tribus de la Nouvelle-Zélande. Leurs maisons, disait-il, sont plus grandes et mieux construites, et leurs plantations plus considérables que partout ailleurs dans l'île; en outre, c'était chez eux que se fabriquaient les plus belles nattes, ainsi que les instrumens de guerre les mieux finis. Parmi ces derniers , le patou-patou en jade est le plus remarquable : mais je trouvai qu'à l'égard de cette substance , Jem , quoique éclairé sous d'autres rapports, partageait l'opi- nion absurde qui régnait parmi les naturels. Ils assurent que le jade provient de la substance intérieure d'un poisson qui , bouilli sur le feu, se dissout en un liquide glutineux , se mo- dèle ainsi sous la forme du patou-patou, et prend ensuite une consistance solide par son exposition à l'air. Il est surprenant qu'une pareille croyance soit aussi généralement admise dans la Nouvelle-Zélande, quand son absurdité serait si facilement démontrée par le témoignage du peuple qui fabrique ces ins- trumens; mais il paraîtrait que ces peuples eux-mêmes main- tiennent cette erreur par quelques motifs d'intérêt particulier. Jem observa aussi que les peuples de l'Est, bien que très-nom- breux , n'avaient point un caractère belliqueux , et préféraient des habitudes paisibles et réglées au genre de vie hostile et pillard adopté par la plupart de leurs compatriotes. Mais ces dispositions jointes aux ressources produites par leur talent et leur industrie supérieure, ne servaient qu'à les exposer davan- tage aux incursions de leurs voisins rapaces qui conspiraient pour les dépouiller des propriétés qu'ils n'avaient pas le cou- rage de défendre. ( Tome II , page 234-) D'après les récits des missionnaires qui ont visité la baie des Iles au milieu de l'hiver, et d'après nos propres observations durant notre séjour au milieu de Télé, je ne crains pas d'affirmer qu'il n'y •'■ peut-être pas de 4o' fi 2 8 PIÈCES JUSTIFICATIVES. pays au monde qui puisse se vanter d'un climat plus beau et plus régulier que cette partie de la Nouvelle-Zélande. Bien qu'il ne soit éloigné que de onze degrés du tropique et qu'on été les rayons solaires y tombent presque verticalement, cepen- dant, dans les mois les plus ebauds de l'année, nous trouvâ- mes que la ebaleur n'était jamais excessive ni nuisible à la vé- gétation ; l'air avait une douceur et une influence salutaires qui agissaient puissamment sur le corps humain. M. Kendall, qui avait un thermomètre, me fit observer qu'il n'avait pas vu le mercure, durant son séjour à terre, au-dessus de 74° n» au-dessous de 63°. 11 m'informa aussi que lors de sa première visite dans ce pays , qui eut lieu en hiver, le froid ne fut nul- lement rigoureux ; les plantations restèrent aussi vertes et aussi florissantes qu'elles l'eussent été chez nous à la fin du prin- temps ou au commencement de l'été. Cet aspect fertile et ver- doyant ne fut point diminué par les chaleurs de l'été; car il y avait de temps en temps de douces averses qui venaient rafraî- chir la terre, et nous éprouvâmes aussi trois ou quatre jours d'une pluie continuelle. C'est pourquoi la végétation ne per- dit pas un moment cette riche fraîcheur si agréable à la vue du spectateur, et de toutes parts la nature offrait l'aspect le plus attrayant. On doit conclure de ces observations que le climat de la Nouvelle-Zélande est doux et tempéré, et par conséquent favorahle à la culture de toutes les productions que le sol est capable de recevoir. (Tome II, pages 277 etsuiv.*) En considérant l'état social, tel qu'il est établi à la Nouvelle-Zélande, nous trouvons trois ordres qui s'élèvent par gradations successives au-dessus des gens du peuple. Ces ordres sont, en commençant par les plus bas, les Rangatiras, les Chefs et les Arikis. Les rangatiras ré- clament le pas sur le peuple, ainsi que plusieurs privilèges po- litiques, en conséquence de leur alliance avec les chefs; les derniers, quoique héritant de souverainetés indépendantes, sont néanmoins obligés par les conventions du pays de prêter leurs services à l'ariki ou chef principal , quand celui-ci juge PIECES JUSTIFICATIVES. 629 à propos de faire la guerre, n'importe d'ailleurs que les motifs on soient justes ou non. Les koukis ou la classe inférieure, quoique de beaucoup les plus nombreux, comme cela arrive en tout pays, sont maintenus par chacun de' ces ordres dans un état de vassclage complet, bien qu'en certaines circonstances ils aient un droit indépendant sur le terrain qu'ils occupent. (Tome II, pages 288 et suiv.^) Dans la partie de Sumatra qui borde le détroit de Malacca , il existe un peuple qui a con- servé son caractère national depuis les premiers temps de son origine jusqu'au moment présent. Ses coutumes et ses institu- tions, dans leur ensemble, sont semblables à celles des Nou- \ caux-Zélandais et presque identiques avec elles. Le peuple dont je vais parler est celui des Battais. Prenant d'abord en considération leurs formes respectives de gouvernement, nous les trouverons, à très-peu de chose près, complètement sem- blables. L'autorité supérieure réclame une certaine soumission des nombreux petits chefs, tandis que les derniers sont à tous égards indépendans les uns des autres et jouissent d'un pouvoir absolu sur la vie et les propriétés de leurs sujets. Dans le pays des Battas comme à la Nouvelle-Zélande, les femmes sont ad- mises à la succession ; il y a aussi une classe semblable à celle des Rangatiras, qui descend des Raïas ou chefs, et forme les branches cadettes de leurs familles. C'est pourquoi le gouver- nement des Battas, considéré sous toutes ses faces, approche plus du système de politique en vigueur à la Nouvelle-Zélande que celui même des Malais. Dans les kampongs ou villages fortifiés de ces peuples , nous retrouvons presque la forme exacte des pas de la Nouvelle-Zélande. Construits comme ceux- ci sur un terrain élevé, ils sont fortifiés par de larges remparts plantés en broussailles. En dehors de ces remparts règne un fossé, de chaque côté duquel s'élève une haute palissade en bois de camphrier. Le tout est environné par une haie de bam- bous piquans qui, parvenue à une certaine époque, devient si épaisse, qu'elle dérobe entièrement la vue de la ville à l'œil du spectateur. Les natifs de Batla , guidés par le même pen- 630 PIECES JUSTIFICATIVES. chant pour la guerre et la rapine , vivent comme les Nou- veaux-Zélandais dans un état d'hostilité perpétuelle les uns à l'égard des autres. Il semble aussi qu'il y ait un certain rapport entre ces deux nations à l'égard de leurs systèmes de mytho- logie. Les Battas reconnaissent trois divinités pour gouverner le monde, et leurs noms sont liatara-Gourou , Sora-Pada et Mangala-Roulang. La première de ces divinités peut prendre rang avec le dieu principal des Nouveaux-Zélandais Mawi- Rangui-Rangui; et, touchant les deux autres, ils ont absolu- ment les mêmes idées que ces derniers insulaires ont sur le compte de leurs dieux Tauraki etMawi-Moua, l'un ayant pou- voir sur l'air, entre la terre et le firmament, et l'autre sur la terre. Le peuple de Batta reconnaît, comme les Nouveaux- Zélandais, un grand nombre de divinités inférieures qu'ils ont investies d'une autorité locale, et ils entretiennent quelques notions vagues de l'immortalité de l'aine. Outre ces traits de ressemblance caractéristique, je dois faire observer que les Rattas , aussi bien que les habitans de la Nou- velle Zélande, dévorent les corps morts de leurs ennemis, pra- tique qui , toute odieuse qu'elle soit pour tout homme civilisé, place ces deux nations au même degré de barbarie. C'est le même principe de vengeance qui les porte l'une et l'autre à cet excès d'inhumanité; mais les cannibales de Ratla surpas- sent encore à nos yeux ceux de la Nouvelle-Zélande en mons- truosité, car non-seulement ils se repaissent de la chair des ennemis qu'ils ont tués dans le combat, mais encore ils met- tent à part les cadavres de leurs criminels pour les partager par morceaux et satisfaire à leurs appétits. Dans leurs institu- tions domestiques, ces peuples se rapprochent également des Nouveaux-Zélandais : les hommes , qui sont maîtres de prendre autant de femmes qu'ils en peuvent entretenir, mènent une vie oisive, en comparaison de ces femmes qui sont obligées de faire toute la besojrne et sont traitées comme de véritables esclaves. Elles sont tenues précisément dans le même état d'humiliation qu'à la Nouvelle-Zélande où, bien que l'homme prenne plu- PIECES JUSTIFICATIVES. fi31 sieurs femmes, parmi celles-ci la principale seule jouit de quelque privilège. A Batta, l'adultère est puni de l'exil, et, en certains cas aggravans, de la mort. La manière de s'habiller en ec pays est la même qu'à la Nouvelle-Zélande ; leur habille- ment consiste en une étoffe de coton qu'ils fabriquent eux- mêmes, liée autour de la ceinture, tandis qu'une autre pièce de la même étoffe, attachée aux épaules, tombe le long du corps. Ces étoffes sont peintes de diverses couleurs : les Nou- veaux-Zélandais teignent généralement les nattes de dessous en ocre rouge; les plus belles ont des bordures où trois ou quatre couleurs sont assorties avec beaucoup de goût et d'adresse. Les Battas sont certainement plus avancés en connaissances que les Nouveaux-Zélandais ; ils ont une langue écrite. Ils ont dressé le cheval et le buffle à les servir, et ils ont quelques idées de commerce. Cependant, en dépit de ces avantages qu'ils doi- vent uniquement à certaines circonstances locales , leur carac- tère s'élève à peine au-dessus de celui des peuples les plus sau- vages. En traçant ce tableau de comparaison entre deux na- tions si peu connues , je ne prétends pas affirmer que les Nou- veaux-Zélandais descendent du peuple Batta , mais qu'ils sont leurs contemporains, et qu'ils ont dû avoir une même origine continentale. ( Tome II, page 299. ) Bien que je pense que le nombre de 100,000 (estimé par Forster) puisse représenter la population de toute la Nouvelle-Zélande , cependant je supposerai qu'elle s'élève à i5o,ooo. Nous trouverons alors que l'île Ika-na-Mawi ou du Nord, qui contient 16,742,400 acres carrées, aura pour l'entretien de chaque individu une superficie de 70 à 80 acres, après en avoir prélevé un tiers pour les rivières, les marais et les montagnes qui ne sont pas susceptibles de culture. ( Tome II, page 3oo.) Voici les principales causes qui s'op- posent à l'accroissement de la population à la Nouvelle-Zé- lande : l'état de dégradation où sont toutes les femmes; la po- lygamie généralement pratiquée par les classes supérieures ; leurs funestes superstitions ; en outre le peuple n'est poin 632 PIECES JUSTIFICATIVES. réuni sous un seul chef, mais divisé en petites tribus indépen- dantes gouvernées par leurs chefs respectifs, dont les rivalités les entretiennent dans un état d'hostilité perpétuelle les uns envers les autres. (Tome II, pages 3o6 et jhjV.) Mais dans les relations sociales etdomestiques , où la nature du cœur humain peut se montrer dans toute sa vérité , nul homme n'est plus aimable que le Nouveau -Zélandais. Placé au milieu de sa famille et de ses amis, il paraît doux , affable et affectionné : loin d'exercer une autorité rigoureuse sur ceux qui dépendent de lui, sa conduite envers eux est certainement pleine de douceur et d'aménité , quelque abjects et quelque insignifians qu'ils soient d'ailleurs à ses regards. Sous ce rapport les chefs de la Nouvelle-Zélande se distinguent particulièrement des classes supérieures des îles Tonga qui traitent souvent le peuple avec une cruauté in- digne, témoin Finau, le roi de ces îles , qui fit tuer d'un coup de fusil un kouki ou plébéien, sans le moindre motif qui pût justifier un pareil acte. Jamais on n'a vu des arikis ou des chefs subordonnés, à la Nouvelle-Zélande, tremper leurs mains dans le sang de leurs cliens d'une manière aussi peu ex- cusable; s'il arrive que ceux-ci commettent des fautes, leurs chefs les punissent avec douceur et modération , et ne les met- tent à mort que pour les crimes qu'ils regardent comme odieux. Les sentimens les plus tendres de la parenté, sage inspiration de la nature , se font remarquer dans toutes les classes de ce pays, dans les plus humbles comme dans les plus élevées. Les chefs portent leurs enfans sur leur dos, en les retirant du sein de leurs mères dès l'âge le plus tendre, pour qu'ils ne soient pas un embarras pour elles dans leurs laborieuses occupations. Il faut faire observer aussi que les hommes s'entendent très- bien à nourrir leurs enfans et qu'ils ont un talent particulier pour les soigner. Je n'ai jamais vu de père plus tendre pour son enfant, que le chef Wiwia semblait l'être pour un beau garçon qu'il apporta sur son dos dans une visite qu'il nous fit : il déploya les attentions les plus grandes pour cette petite PIÈCES JUSTIFICATIVES. (i33 créature, tandis qu'elle était suspendue par les bras autour de son cou et qu'elle semblait complètement heureuse des soins de son père. Dans l'intérieur de leurs tribus, ces peuples ne se portent jamais à des actes de fureur sans y être provoqués par des motifs très-sérieux , leurs dispositions naturelles étant d'une humeur égale et pacifique; mais quand ils forment des coali- tions partielles, la circonstance la plus triviale est capable de les porter à une violence effrénée. Le courage surnaturel, cet attribut caractéristique de toutes les nations sauvages, leur est propre à un degré éminent , et il n'est jamais adouci ni tempéré par la pitié. Sur le champ de bataille il est rare qu'ils accordent ou attendent quelque merci ; et quand le combat est terminé, leur vengeance n'est pas satisfaite qu'ils ne se soient montrés de véritables barbares en dévorant leurs victimes, le dernier des outrages que l'homme puisse faire à l'humanité. ( Tome II, pages 3og et suiv. ) Les superstitions les plus grossières régnent à la Nouvelle-Zélande, et le mot tabou décida très-souvent les actions d'une race entière. Pour sui- vre la valeur de ce mot dans ses acceptions nombreuses et di- verses, il faudrait détailler minutieusement toutes les cir- constances de l'économie politique de ce peuple , tâche au-des- sus de nos forces. Non-seulement il règle leurs institutions, mais encore leurs travaux journaliers ; et il y a à peine un seul acte de leur vie auquel cet important dissyllabe ne se trouve mêlé. Bien qu'il les assujettisse, comme on a pu voir, à une foule de restrictions absurdes et pénibles, il est néanmoins fort utile par le fait dans une nation si irrégulièrement constituée. En l'absence des lois, il leur offre la seule garantie capable de protéger les personnes et les propriétés, en leur donnant un caractère sacré et authentique que personne n'ose violer. Sa puissante influence peut même arrêter les pillards les plus cruels et les plus avides. Ce serait un bonheur pour les naturels, s'ils pouvaient tous être sous l'égide de cette garantie mystérieuse; mais ce n'est pas là ce qui a lieu , la protection qu'il assure se borne seulement à un certain ordre de personnes qui peuvent 634 PIECES JUSTIFICATIVES. la révoquer à leur gré, bien qu'en diverses circonstances le tabou affecte la masse entière de la population. Cette supersti- tion sert en grande partie à consolider le pouvoir limité des arikis sur les chefs inférieurs; par exemple, si un ariki juge convenable de tabouer un navire qui vient dans le havre, au- cun des autres ne pensera à avoir la moindre communication avec lui ou à lui fournir des provisions, tant que la défense subsistera. La même chose a lieu à l'égard de toute autre chose que les arikis veulent exclure de l'usage commun ; et des prohi- bitions de cette nature , une fois qu'elles sont généralement établies, ne peuvent être enfreintes sous aucun prétexte. Quand ils vont à la guerre , je suppose que le tabou est suspendu pour un temps, ou qu'il permet leurs hostilités ; mais comme le tohounga ou prêtre est l'arbitre de toutes leurs superstitions, il a soin, sans aucun doute, de les accommoder au gré et peut- être même suivant les intérêts de ses compagnons. Les Nou- veaux-Zélandais ne font point d'idoles et n'ont aucune forme extérieure de culte ; leurs idées d'un pouvoir suprême se*mon- trent seulement dans les superstitions que nous avons mention- nées, et l'on peut dire que c'est dans le seul mot tabou que consistent toute leur religion et toute leur moralité. PIECES JUSTIFICATIVES. G 35 VOYAGE DE M. RICHARD CRUISE, A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. Quand M. Marsden fit sa troisième visite à la Nouvelle-Zélande, en 1820, sur le Dromedary , M. Cruise commandait le détachement qui fut em- barqué sur ce navire. Cet officier écrivit le journal de son voyage , et le publia , en 1 823 , sous le titre de Journal of a ten month's résidence in New-Zea- land, by Richard A. Cruise, captain in the 82 th- regim. foot. Cet ouvrage est loin d'être écrit avec la même élégance et d'offrir le même intérêt que celui de M. Nicholas. Cependant, comme il porte le cachet de la vérité dans toutes ses parties, et qu'il donne des détails utiles sur les mœurs du peuple zélandais, nous en avons aussi extrait les passages remarquables, pour confirmer par un nouveau témoignage le tableau que nous en avons tracé. (Page 3.) Il est bon d'observer ici qu'il y a à la Nouvelle- Zélande deux sortes d'arbres qui , par la taille énorme à la- 636 PIECES JUSTIFICATIVES. quelle ils parviennent sans porter de branches, sont regardés comme propres à donner des mâtspour de grands navires : l'un est appelé par les naturels kaï-katea, et l'autre koudi ou kouri. Le kaï-katea se trouve dans les terrains bas et marécageux , fréquemment sur le bord des rivières , et par cela même il est facile à se procurer. Il porte une feuille comme l'if et une baie rouge. Le koudi , auquel leshabitans de l'île donnent une pré- férence marquée , croît dans les terrains secs, et souvent sur le sommet des plus hautes montagnes; sa feuille, quoique beau- coup plus grande, ressemble assez à celle de notre buis; il produit un cône et fournit de la résine en abondance. Quel- ques-uns des arbres de koudi , que nous mesurâmes, s'élevaient à cent pieds au-dessus de terre sans porter une seule branche et avaient une touffe considérable; d'autres, moins élevés, avaient des troncs de quarante pieds de circonférence. (Page 6.) Sous le rapport de la dignité héréditaire , le plus distingué de nos passagers était un jeune garçon de quinze ans, nommé Dipiro, (ils du chef Sliongui. Mais le plus remarqua- ble pour l'extérieur était Hicloro, homme de quarante-cinq ans , à ce que j'imagine. 11 avait six pieds deux pouces , et les traits de sa figure étaient parfaitement beaux. Quoiqu'il fût bien tatoué, l'air de bonté et môme de beauté de son visage n'était point détruit par cette affreuse opération. {Page il.) Si l'on demandait aux naturels (tant qu'on était à la mer) de quel côté leur pays se trouvait situé, à toute heure du jour ils montraient l'est avec toute l'exactitude d'un compas; et quand la nuit les étoiles étaient visibles, ils dé- ployaient la même intelligence. {Page 19.) A notre arrivée à la baie des Iles , quand on permit aux pères, aux frères, etc., de nos naturels de monter à bord, la scène qui eut lieu ne saurait se décrire ; les mous- quets furent mis de côté , et toute apparence de joie s'évanouit. Ces peuples extraordinaires ont l'habitude de se livrer, en re- voyant leurs amis, aux mêmes démonstrations que lorsqu ils prennent congéd'eux. Ils joignent leurs nez et restent dans cette PIECES JUSTIFICATIVES. 037 position au moins une demi- heure; pendant tout ec temps ils sanglottent et gémissent de la manière la plus pitoyable. S'il y a plusieurs amis rassemblés autour de la personne qui vient d'arriver, le plus proche parent prend possession du nez, tan- dis que les autres se suspendent à ses épaules, à ses bras et à ses jambes , et se tiennent en mesure avec le principal pleureur, si l'on peut le désigner ainsi, dans les divers temps de ses la- mentations. Cela fait, ils reprennent leur gaîté accoutumée et entrent dans les détails de ce qui leur est arrivé durant leur séparation. Comme il y avait neuf Nouveaux-Zélandais qui venaient d'arriver et plus de trois fois ce nombre de person- nes pour les recevoir, leurs cris firent un bruit affreux, et il en résulta un spectacle si étrange pour tout le monde à bord, qu'on eut beaucoup de peine à maintenir l'équipage attentif à la manœuvre, dans un moment aussi important. Le petit Di- piro, qui dans la traversée s'était souvent vanté d'avoir le cœur trop anglais pour crier ainsi, fit tous ses efforts pour s'en em- pêcher, en voyant approcher son père Shongui. Mais ses pre- mières habitudes l'emportèrent bientôt sur sa résolution , et il manifesta peut-être plus de désolation que les autres. Il y avait quelque chose de fort respectable dans la tournure de Shongui; il était de sa personne fort bel homme et il était revêtu d'un uniforme d'officier anglais. Quoiqu'il fût un des plus puissans chefs de la baie des Iles et le guerrier le plus brave et le plus audacieux , il était loin d'être le plus exigeant de ceux aux- quels on permit de monter à bord. Tandis que plusieurs autres tâchaient de pénétrer de force dans la chambre, Shongui resta sur le pont avec son fils et ne tenta d'aller nulle part sans y être invité. Nous apprîmes que le New-Zealandcr , navire baleinier qui allait faire voile pour l'Angleterre dans deux jours, allait emmener Shongui et M. Kendall, l'un des missionnaires. Cette résolution ne plaisait point aux autres : leur petit établisse- ment avait été formé dans le district de Shongui, sous sa pro- tection , et il était difficile de pré\oir quelles seraient pour (538 PIÈCES JUSTIFICATIVES. eux les suites de son absence. On avait employé en vain tous les moyens possibles pour le dissuader de quitter son pays ; il avait toujours répondu « qu'il mourrait s'il ne faisait pas ce voyage ; que s'il allait une fois en Angleterre, il était certain de sj pro- curer douze mousquets et un fusil à deux coups. » Ce dernier article, dans l'opinion d'un Nouveau- Zélandais, surpasse en valeur toutes les autres possessions de la terre. (Pages 27 et suiv.^) Le magasin des patates ou loumaras est toujours le bâtiment le plus considérable et le mieux construit du village; celui du village deWiwia avait environ vingt pieds de long sur huit de large et cinq de hauteur; il était tout neuf et semblait avoir exigé plus de soins pour sa construction que la plupart de ceux que nous eûmes l'occasion de voir par la suite. Après ces magasins, sous le rapport de l'apparence, vien- nent les résidences des chefs. Elles sont bâties sur le sol; le plancher et l'aire qui se trouve vis-à-vis sont proprement bat- tus ; mais ces maisons sont très-basses, et nous en trouvâmes rare- ment où l'on pût se tenir debout. La petite porte d'entrée, qui est l'unique ouverture pour la lumière et l'air, n'est pas mieux pro- portionnée à la taille du maître ; ces cases ont un vestibule et des ornemens en sculptures , auxquels une teinture rouge donne un certain air de luxe; la quantité des sculptures indique souvent le rang du propriétaire. Les cases des hommes du peu- ple sont misérables et ne valent guère mieux que de simples abris; mais la pratique de dormir en plein air est si scrupu- leusement suivie, qu'il faut un bien mauvais temps pour con- traindre les Nouveaux -Zélandais à recourir au couvert de leurs maisons. Ils dorment dans la posture d'une personne as- sise avec les pieds ramassés sous eux, ce qui joint au tissu gros- sier des nattes dans lesquelles ils s'enveloppent, leur donne du- rant la nuit l'aspect de ruches rangers par groupes dans un village. Quand nos bagages furent apportés hors des canots, ils fu- rent placés sous le vestibule du magasin , et taboues ou consa- ( PIÈCES JUSTIFICATIVES. 639 crés contre toute espèce de violation par Wiwia qui était un prêtre. Il est digne de remarque que, bien que plusieurs Nou- veaux-Zélandais, en venant à bord de nos vaisseaux, ne se fassent aucun scrupule de voler quand ils voient la possibilité de n'être pas surpris, cependant quand un Européen va parmi eux et qu'il se confie avec ses effets à leur protection, il peut placer une con6ance entière dans leur bonneur et leur pro- bité. (Page 3i.) Vers la fin de notre séjour parmi eux, quand les naturels eurent l'occasion de voir nos gens danser, ils ob- servèrent avec dérision que jamais deux hommes blancs ne re- muaient leurs bras et leurs jambes de la même manière. ( Page 3?..) Nous passâmes près de quelques morceaux de terre cultivés, où étaient plantées des patates et des pommes- de-terre, et qui étaient entourés d'une grossière palissade. Mais notre guide nous défendit de nous en approeber, et nous indi- qua que ces terrains étaient taboues ou consacrés. (Pages 36 et su.it>.*) Mercredi 2 mars 1820. Quand nous mouillâmes dans la baie des Iles, nous apprîmes que les tribus de Temarangai et de quelques autres chefs étaient employées à une expédition guerrière à la rivière Tamise. Leur prochain retour nous fut annoncé par un naturel qui vint à bord ce ma- tin et qui excita d'abord une certaine curiosité. Il portait un habit bleu , un pantalon , des bottes et un chapeau retapé, avec une longue plume blanche. Cela , joint à ce qu'il était très-peu ta- toué , le faisait ressembler à un officier étranger : quand il fut à bord , il s'adressa en anglais aux personnes qui l'envi- ronnaient. A déjeuner, il se comporta tout-à-fait comme un gentleman, et nous dit que son nom était Touai et qu'il était le frère cadet du chef Koro-Koro, à qui appartenait la ma- jeure partie de la baie de Paroa; il s'excusa de ne pas nous avoir rendu sa visite plus tôt, sur ce qu'il ne faisait que d'arri- ver de la veille au soir du cap Nord, où Koro-Koro et lui étaient allés pour accomplir les cérémonies de deuil habi- tuelles sur le corps d'un proche parent qui était mort en cet 640 PIECES JUSTIFICATIVES. endroit, et dont ils avaient rapporté les restes avec eux. Aussitôt que l'expédition de la rivière Tamise entra dans la baie, quelques-uns de nos messieurs allèrent à sa rencon- tre. La flotte était composée d'environ cinquante pirogues, dont plusieurs avaient de soixante-dix à quatre-vingts pieds de long, et peu moins de soixante. Leurs proues, leurs bords et leurs poupes étaient joliment sculptés et ornés d'une in- finité de plumes; elles portaient en général deux voiles faites en nattes de paille. Elles étaient remplies de guerriers qui se levèrent et poussèrent des cris à mesure que notre canot pas- sait près d'elles , en montrant plusieurs têtes humaines comme trophées de leur victoire. La conversation de Touai , durant le déjeuner, fut une pa- rade continuelle des atrocités qu'il avait commises dans une excursion qu'il avait faite deux mois auparavant avec Koro- Koro vers la rivière Tamise ; il insistait avec un plaisir marqué sur une prouesse de son généralat, durant lequel il avait blo- qué une petite troupe de ses ennemis dans un défilé d'où ils ne pouvaient s'échapper, ce qui lui permit d'en tuer successive- ment vingt-deux à coups de fusil, sans qu'ils pussent faire la moindre résistance. Pour nous inspirer une plushaute opinion de ses principes religieux, il remarqua que bien que tous les morts eussent été dévorés par sa tribu, ni lui ni ses frères ne man- geaient de chair humaine et ne combattaient le dimanche. Quand on lui demandait pourquoi il n'essayait point de diri- ger l'esprit de son peuple vers l'agriculture, il disait que c'était impossible. « Si vous parlez à un Nouvcau-Zélandais de travail- lerai s'endormira ; mais parlez-lui de combattre, il ouvrira ses yeux aussi grands qu'une coupe à thé ; son imagination est toute portée vers la guerre, et pour lui les combats ne sont que des jeux. » {Pages 4* et suiv. ) Parmi les femmes ramenées prison- nières de guerre , l'une excitait un intérêt particulier par sa jeunesse et sa beauté. Tandisquc les autres prisonnières con- versaient entre elles, elle était assise à l'écart, silencieuse, et TIÈCES JUSTIFICATIVES. 011 comme abîmée dans sa douleur. Nous apprîmes que son père, qui était un chef de quelque importance à la rivière Tamise, avait été tué par l'homme dont elle était devenue la eaptive, et nous le remarquâmes assis à une petite distanec de son cs- elave durant la plus grande partie de la journée. Ce naturel était frère de Tawi , le principal chef de Rangui-Hou , et c'était un jeune homme de la plus belle apparence. Les scènes ex- traordinaires dont nous fûmes témoins nous retinrent à Te- pouna jusqu'au soir, et comme nous nous préparions à retour- ner à bord, nous fûmes attirés vers la partie du rivage où se trouvaient les prisonnières par les cris et les lamenta- tions les plus douloureuses. Nous y vîmes îa jeune et intéres- sante esclave dans un état qui aurait attendri le cœur le plus insensible. L'homme qui avait tué son père, lui ayant ensuite coupé la tête, l'avait conservée par un procédé particulier à ces insu- laires. Il la tira d'un panier où il l'avait jusqu'alors cachée, et la jeta dans le sein de la malheureuse fille. Aussitôt, dans un transport de frénésie qu'on ne saurait décrire, elle saisit celte tète , en pressa le nez inanimé contre le sien , et la tint dans cette position jusqu'à ce que ses larmes l'eussent entièrement inondée. Puis elle plaça la tète par terre , et avec un morceau de coquille tranchante, elle se défigura entièrement, d'une manière si choquante , qu'en peu de minutes ilne lui resta au- cune trace de sa beauté première. Elle commença d'abord par se déchirer les bras, puis la poitrine, et enfin le visage; chaque incision suffisait pour faire jaillir un ruisseau de sang; mais elle semblait tout-à-fait insensible à la douleur, et elle continua son opération avec un courage héroïque. Le sauvage dont la cruauté avait donné lieu à cet affreux spectacle s'amusait évidemment de l'horreur qu'il nous ins- pirait. Saisissant là tête par les cheveux qui étaient longs et noirs, il offrit de nous la vendre pour une hache; il la tour- nait en divers sens pour en mieux faire ressortir tous les avan- tages, et comme il ne se présenta aucun acquéreur, il la remit tome rrt. 41 642 PIECES JUSTIFICATIVES. dans le panier d'où il l'avait tirée. Les traits de cette tête étaient aussi réguliers qu'à l'état de vie, et quoique la fille fût une personne formée, la tète de son père semblait avoir appartenu à un homme jeune et vraiment beau. A quelques toises de cette scène d'horreur était un prison- nier que le partage du butin avait séparé de sa famille captive comme lui; il pressa le nez d'un enfant contre le sien, tandis que ses femmes, assises autour de lui, s'unissaient à ses lamen- tations, et pratiquaient avec une coquille, sur leurs person- nes, la même opération que la jeune fille venait d'exécuter. Les esclaves sont assujettis par leurs maîtres à des travaux péni- bles; ils sont nourris comme le reste de la famille, sans avoir cependant le droit de manger avec les personnes libres, et leur existence est toujours fort précaire. Quand un membre de la famille d'un chef vient à mourir, un certain nombre d esclaves, proportionné au rang de la personne, sont sacri- PIECES JUSTIFICATIVES. G43 fiés pour apaiser l'esprit du mort. On nous montra une femme qui avait été deux fois désignée pour un pareil sacrifice; mais chaque fois instruite d'avance du sort qui l'attendait, elle s'y était soustraite en se cachant dans les bois jusqu'à la fin des cérémonies. Leur manière d'infliger la mort en pareil cas est peut-être l'une des coutumes les plus humaines du pays : l'existence de la victime est terminée par un coup sur la tète , asséné par un casse-tête en pierre nommé mère. L'exécuteur chargé de cet office par la tribu ne peut s'y refuser, et la victime est im- molée sans qu'on lui fasse connaître le sort qui lui est ré- servé. ( Page 48. ) Le corps (d'un mort) était d'abord enveloppé de nattes, mais Koro-Koro le tira de la pirogue où il était dé- posé et le dépouilla. Les tempes étaient ceintes d'une guir- lande de feuilles, et les cheveux ornés de plumes d'alba- tros; les genoux étaient rapprochés du corps, et la tête ap- puyée dessus. Le ventre était affaissé, et les entrailles en avaient été certainement retirées, bien qu'on n'aperçût au- cune marque d'incision ; les membres avaient été racornis par suite du procédé employé pour empêcher la putréfaction , dont il n'y avait pas la plus légère apparence malgré le temps considérable qui s'était écoulé depuis que l'individu était mort. {Pag. 5o.) La coutume de conserver les têtes des vaincus est universelle parmi ces insulaires; ils les portent avec eux à la guerre, d'abord comme trophées, puis en cas de paix, pour les rendre au parti à qui elles ont été enlevées, l'échange mutuel des tètes étant toujours un des premiers articles de leurs traités. Maintenant ils les vendent aux Européens pour des bagatelles. (Pag- 77-) Wangaroa est un lieu romantique d'une beauté singulière. Près de la pointe du nord est un gros rocher percé qui présente l'aspect d'une arcade gothique ; la mer roule ses flots au travers , et d'un temps calme les canots peuvent y pas- ser. L'entrée de Wangaroa n'a pas plus d'un demi-mille de 4i¥ 644 PIECES JUSTIFICATIVES. large, et de la mer il est impossible de l'apercevoir, mais il y a grand fond jusqu'à toucher la terre de chaque côté, et quand on est dedans , c'est un des plus beaux havres du monde. Les plus grandes flottes pourraient y mouiller, et elles y seraient à l'abri de tous les vents. (Pages 107 et suiv. ) Vendredi is. avril 1820. Nous trouvâ- mes les naturels, particulièrement les femmes qui travaillent plus que les hommes, très-occupés à récolter leurs koumaras ou patates douces. Le commencement de la récolte des kou- maras est la grande époque qui marque le retour de l'année, et le soin de les ramasser fait suspendre tout autre genre d'oc- cupation. Elle est précédée parla bénédiction du prêtre pour sa réussite, et terminée par le tabou qu'il impose sur les ma- gasins où cet aliment sacré est déposé, pour en défendre l'accès à tout étranger. Même dans les invasions destructives des Nou- vcaux-Zélandais, il est quelquefois arrivé que, tandis que tout autre objet avait été pillé, la superstition du tabou avait protégé les koumaras contre la profanation. Une des per- sonnes du navire fut présente à la récolte (aha-rahi^ du peuple de Shongui ; elle fut célébrée dans un bois où l'on avait dégagé d'arbres un espace carré, au centre duquel trois grands piliers fichés en terre, dans la forme d'un triangle, supportaient une pile immense de paniers de koumaras. La tribu de Tepere de Wangaroa avait été invitée à prendre part aux réjouissances, qui consistaient en plusieures danses qui furent exécutées autour de la pile, et suivies d'un festin splendide. Quand les hommes de Tepere s'en allèrent, ils re- çurent en présent autant de koumaras qu'ils purent en em- porter. Lorsque les naturels s'asseoient pour prendre leur repas, les esclaves placent la portion de chaque personne devant elle, dans un petit panier neuf fabriqué avec une espèce de jonc; ces paniers ne peuvent servir deux fois. A la fin du repas cha- cun emporte le reste de la portion de vivres qui avait été placée devant lui. PIÈGES JUSTIFICATIVES. G45 Les réjouissances sont les mêmes quand on plante les kou- maras que quand on les récolte ; pendant tout ce temps le ter- rain est rigoureusement taboue, aussi bien que les individus chargés de le cultiver : ils ont des cases temporaires, élevées sur le sol même, dont ils ne peuvent dépasser les bornes, de jour ni de nuit, jusqu'à ce que leurs travaux soient terminés. Les naturels veillaient avec tant de soin à ce que nous n'ap- prochassions pas de ces terrains taboues, qu'ils postaient des personnes tout exprès pour nous avertir et nous conduire, souvent en faisant de grands circuits , au lieu où nous voulions aller. (Page ii2.) Nous vîmes près du sentier la tête, le bras droit et une petite partie de la poitrine d'un enfant mort de- puis quatre jours environ. Quand on en eut informé Kiwi- Kiwi , le frère du chef King-George de Korora-Reka , il dit que c'était l'enfant d'un kouki , qui était mort de maladie peu de jours auparavant, et que les restes que nous voyions étaient ce que les chiens n'avaient pas encore dévoré. Nous tentâmes de lui représenter la convenance d'enterrer ce dégoûtant ob- jet; mais il parut toul-à-fait offensé de la proposition, en disant que si c'était l'enfant d'un rangatira ou gentilhomme, il eût été déposé dans un terrain taboue avec toutes les céré- monies requises, mais qu'on ne pouvait pas accorder à un kouki l'honneur même d'être enterré, et qu'il dérogerait à son rang en s'écarlant , à cette occasion , des coutumes de son pays. (Page 12G.) Quand le corps est resté assez long-temps en terre pour que la chair soit décomposée, les amis du défunt relèvent les os, les nettoient, et les recueillent dans une cor- beille, en ayant soin de mettre le crâne par-dessus tout; ils les déposent dans le tombeau de la famille. Ces tombeaux sont rigoureusement taboues, et leur violation n'est jamais oubliée ni pardonnéc. En relevant les os, les personnes de la famille pratiquent aussi la cérémonie de pleurer et de se déchirer, et tout est terminé par un grand festin 640 PIECES JUSTIFICATIVES. (Page 127.) Quand une personne meurt, tous ceux qui ont un mousquet le déchargent en guise de salut à l'esprit qui s'en va. (Page i35.) Tandis que nous errions au travers du vil- lage de Kawera-Popo , par hasard et sans être vus , nous entrâ- mes dans le lieu des sépultures. Au centre de l'enclos s'élevait une espèce de plate-forme couverte d'un toit comme une mai- son , et sur laquelle étaient placées plusieurs petites pirogues. Dans l'une d'elles se trouvaient les restes d'un enfant envelop- pés dans une natte, sans être tout-à-fait décomposés; et dans une autre était un monceau d'ossemens avec un crâne placé par-dessus. Les naturels disent que les corps de ceux qui meurent sont enterrés jusqu'à ce que la chair se détache des os ; mais ce que nous vîmes dans cette journée , joint à d'autres motifs, prouve suffisamment qu'il y a des exceptions à ces pratiques, et que chez ce peuple extraordinaire il règne , dans la façon dont ils disposent de leurs morts, la même mobilité qu'on observe dans plusieurs de leurs autres coutumes. Il était évident que les restes de l'enfant, qui n'était pas tout- à-fait décomposé, n'avaient jamais été enterrés. Koro-Koro n'aurait pas non plus pris tant de peine dans l'exemple qu'on a cité plus haut pour empêcher la putréfaction du corps de son ami, si l'on avait dû le mettre en terre. On avait observé à Shouki-Anga la partie supérieure du corps d'une femme dans un état parfait de conservation, tandis que le reste n'a- vait pas été conservé à cause de la décomposition qui avait eu lieu immédiatement après la mort. M. Marsden vit aussi le père de Wiwia placé sur une plate-forme, précisément de la même manière que l'était l'enfant en question. (Page i83. ) Nos messieurs trouvèrent les habitans de la baie des Iles dans la plus grande alarme , car ils s'attendaient à une invasion prochaine de la part dn chef de Kaï-Para ( Moudi-Panga), district de la côte occidentale. Ce guerrier était représenté comme infiniment supérieur à tous ses com- PIÈCES JUSTIFICATIVES. Gi7 patriotes par la taille et la force corporelle, et il était à la tête d'une tribu puissante et très-nombreuse. Son approche avait occasioné une consternation extraordinaire; toute la popu- lation mâle de la baie des Iles était sous les armes. (Pages 186 et suie. ) La persuasion que les morts peuvent reparaître est universelle parmi les Nouveaux-Zélandais ; ils s'imaginent qu'ils entendent la voix de leurs parens défunts quand le vent souffle avec force; toutes les fois qu'ils passent près de l'endroit où un homme a été tué, chacun a coutume de jeter une pierre sur la place , et la même pratique est observée par tous ceux qui visitent au cap Nord une caverne, paria- quelle les esprits des morts sont censés passer dans leur route vers l'autre monde. Il est bon de faire observer ici qu'ils attachent les plus fu- nestes conséquences à l'action de manger dans leurs maisons. Une fille de King-George se trouvant très -malade, on ftii portait parfois des alimens du bord , et on recommanda à ses parens de ne l'envoyer en aucune manière au grand air} mais cette injonction ne fut point suivie, et par le plus mauvais temps elle était obligée de quitter sa cabane toutes les fois qu'elle allait manger. Ils croient que ceux qui entrent dans une maison où quel- que morceau de nourriture animale se trouve suspendu sur leur tète, ne courent pas des dangers moins grands; un pi- geon mort ou un morceau de porc suspendu au plancher étaient une meilleure sauve-garde contre leur importunité qu'une sentinelle. En dernier lieu, ceux de nos gens qui demeuraient à terre l'employaient avec le plus grand succès pour se débar- rasser des naturels. Bien que leurs superstitions soient inviolablement suivies par ces hommes quand ils sont à terre, du moment qu'un Nouveau-Zélandais monte à bord , il s'en considère comme entièrement dégagé , et il se conforme aussitôt à nos coutumes et à nos manières. 648 PIECES JUSTIFICATIVES. M. Cruise raconte ainsi qu'il suit l'alarme que causa l'invasion de Poro et de ses gens dans la tribu de Georges à Wangaroa, tandis que le Dromedary se trouvait mouillé dans cette baie pour charger des espars de Koudi. [Pages 192 et suiv.) 3 août 1820. Le soir on vit plusieurs feux dans un marais à l'extrémité méridionale du havre , près de l'embouchure de la rivière Kamimi. Les naturels dirent que c'était le camp du chef Poro du cap Nord, ajoutant qu'un grand combat allait avoir lieu ; mais après de nombreuses questions, on ne put s'assurer d'une manière satisfaisante si l'attaque allait avoir lieu sur le peuple de Georges ou sur celui de Tepcre. Les ha- bitans semblaient vivement alarmés, et aucune de leurs piro- gues n'osa s'aventurer vers cette partie du havre. 4 août. La même inquiétude et la même ignorance sur les intentions de Poro ont régné parmi les naturels. Tepcre est venu de bonne heure à bord , et ne s'en est allé qu'à la nuit. Il était évidemment dans une grande anxiété, et la peur, plutôt qu'aucune affaire, semblait le retenir sur le navire. Dans la soirée, les feux de Poro ont disparu, et les naturels ont rapporté qu'il s'était avancé sur les bords du Kamimi, vers le ■district de Georges. 5 août. Dans l'après-midi le charpentier et Georges sont venus a bord ; le premier a annoncé que l'apparition de Poro avait plongé Georges et sa tribu dans les plus grandes alarmes; toute espèce de travail avait cessé depuis quelques jours, et l'on faisait toutes sortes de préparatifs pour repousser le for- midable agresseur. Quand Poro se remit en marche le troisième jour, il se di- rigea au travers des bois vers le pâ de Georges , et prit posi- tion sur une colline précisément en face, qui n'en est séparée que par le Kamimi, guéable en cet endroit, et par une vallée intermédiaire, d'un demi-mille de large. Le mouvement de la PIECES JUSTIFICATIVES. G4ï) tribu de Poro au travers des bois ne put être aperçu des Eu- ropéens, mais du moment qu'ils en sortirent jusqu'à eelui où ils oeeupèrent la colline éloignée d'un mille à peu près, leurs opérations furent visibles. Sur la lisière du bois , ils laissèrent leurs femmes , leurs en- fans, leurs koukis, leurs bagages et leurs habits, et s'avancè- rent vers le sommet de l'éminence , en trois divisions qui mar- chaient avec rapidité , et ne portaient absolument rien que leurs armes. Leurs corps étaient entièrement nus et peints en rouge, leur cheveux liés au sommet de la tête et huilés, et leurs figures barbouillées d'une espèce de peinture bleue , assez commune en quelques parties de la Nouvelle-Zélande. En arrivant au sommet de la colline, ils exécutèrent la danse de guerre, et poussèrent des cris pour défier leurs ennemis ; en- suite le bagage se mit en route et ils formèrent leur camp. La danse de guerre et les cris furent sur-le-champ répétés par le peuple de Georges du côté opposé; les hommes étaient peints en rouge et armés, et plusieurs femmes semblaient costumées delà même façon pour rendre l'aspect de leurs forces plus im- posant. Durant la nuit on observa le plus profond silence; au moindre bruit les hommes couraient aux armes, et Tepouhi fit souvent tirer des coups de fusil, afin de prouver à ses en- nemis que sa propre tribu était pourvue de ces armes redou- tables. Le lendemain malin , le charpentier annonça son intention d'aller au camp de Poro pour s'assurer de l'objet de sa visite, et Wetoï, le naturel de Shouki-Anga qui nous avait déjà donné plusieurs preuves de sa fidélité, ayant quelques païens dans l'armée de Poro , s'offrit à l'accompagner. Georges s'op- posa fortement à cette démarche , prétextant le danger per- sonnel auquel le charpentier allait s'exposer ; enfin il fut con- venu que Houdou , frère de Georges, se joindrait à l'ambas- sade. Comme ils approchaient du camp, Houdou fut subju- gué par ses craintes, et saisissant le charpentier par son habit, il le conjura , mais en vain , de ne pas aller plus loin 650 PIECES JUSTIFICATIVES. La réception fut, suivant la coutume du pays, gracieuse et pleine de dignité. Les députés trouvèrent Poro assis au mi- lieu de ses plus proches parens, tandis que les guerriers de sa tribu, munis de leurs armes, formaient un cercle autour de leur chef et des étrangers. Poro interrogé sur l'objet de sa visite, répondit qu'il était venu voirie vaisseau et les hommes blancs , et converser avec eux; que si Georges avait le dessein de s'y opposer, il combattrait contre lui, mais que dans le cas contraire, ses intentions étaient amicales. Lorsqu'on lui eut annoncé qu'il ne serait apporté aucun obstacle à ses communi- cations avec le Dromcdarj-, la paix fut proclamée par une danse guerrière, répétée plusieurs fois par les deux partis; de eba- que côté les femmes agitaient leurs nattes et poussaient le cri : Aire mai — viens ici- Peu après , Georges traversa la rivière et alla offrir deux haches à Poro, mais on remarqua qu'on ne lui donna rien en retour. Cette entrevue , jointe à ce que Georges n'avait qu'une centaine de guerriers, tandis que son adversaire avait le dou- ble de ce nombre, prouva que Georges, par cette démarche , reconnaissait la supériorité de Poro. v De la crainte la plus abjecte Georges passa tout-à-coup au ton et à la conduite d'un conquérant. En arrivant à bord, il ne daigna pas faire attention à Tepere , qui se trouvait sur le pont, et qui n'avait pas encore fait sa paix, et se tournant vers quelques hommes de la tribu de ce dernier, il leur ordonna, de la manière la plus péremptoire, en présence de leur chef, de quitter à l'instant le vaisseau. Tepere gardait un profond silence; mais comme c'était de la part de Georges un trait d'insolence qu'on ne pouvait pas laisser passer, un des officiers lui signifia qu'aussi long-temps que les naturels se comporteraient décemment, ils resteraient à bord tant qu'il leur plairait, et qu'il n'avait aucun ordre à donner à ce sujet. Cet avis produisit l'effet désiré, et pendant le reste de sa visite il se conduisit lui-même très-bien. Tepere resta à bord PIECES JUSTIFICATIVES. 651 jusqu'à la nuit, et ne s'en alla qu'avec une répugnance visible. Dimanche 6 août. Dans la soirée , un canot qui était allé chercher Poro , revint amenant ce chef, son fils et ses petits- fils, et un matelot des îles Marquises qui s'était établi dans son district. La terreur du vieux chef était extrême, il trem- blait comme la feuille en approchant du navire, et l'on assura qu'avant de quitter son camp il était si alarmé pour sa sû- reté , que YVetoï fut obligé de rester en otage dans le camp jusqu'à son retour. Pour empêcher qu'aucune espèce de pil- lage n'eût lieu durant son absence, Poro taboua la propriété des blancs, dont la cabane était voisine de son camp, et il envoya cinquante personnes de sa tribu pour aider les Euro- péens et les gens de Georges à transporter un espar. 1 août. Dans l'après-midi on déchargea les canons, et quoique ce fût un spectacle tout-à-fait nouveau pour les peu- ples du cap Nord, leurs marques de surprise furent bien au- dessous de ce que nous pouvions attendre en pareil cas. Le petit-fils du chef, qui était un grand garçon, fut si alarmé, qu'il ne cessa de crier durant ce feu, malgré les rebuffades fréquentes et quelquefois sévères qu'il recevait de la part des hommes de sa tribu qui se trouvaient placés près de lui. Dans l'après-midi, Poro, ayant reçu plusieurs présens, se remit en route pour son camp , accompagné par quelques personnes du vaisseau. En nous dirigeant vers le Kamimi, nous rencontrâmes le père de Tepere dans sa pirogue; une conversation eut lieu entre lui et Poro , et pendant ce temps ce dernier se tint debout dans le canot, montrant fréquem- ment son mère. Ce geste nous fut expliqué comme un signal de paix, et par la suite nous apprîmes que la tête du frère de Tepere, qui était restée au pouvoir de Poro depuis que celui- ci l'avait tué dans un combat , allait être rendue à sa famille. Poro se fit un point d'honneur d'atteindre son camp quelque temps avant les gentlemen du navire. Quand nous arrivâmes, nous le trouvâmes assis avec sa famille, en face de sa cabane, qui était située presque au sommet de la colline : le reste de la G52 PIECES JUSTIFICATIVES. tribu était debout, les armes à la main, à cent verges envi- ron plus bas. A un signal de leur chef, ils s'élancèrent avec une grande rapidité vers l'endroit où nous étions assis avec Poro , en poussant des cris et brandissant leurs lances; puis ils s'arrêtèrent et exécutèrent les danses de guerre, en s'animant jusqu'à un tel degré de frénésie, qu'une personne étrangère à leurs manières eût imaginé que c'était le prélude de quelque acte de violence. Leurs armes étaient des lances, des baïonnettes attachées à des bâtons semblables à des piques, des patou-patous, des mère et douze fusils, qui donnaient un haut degré d'impor- tance à la force de la tribu. Ceux qui étaient présens parais- saient, en général, de très-jeunes hommes, et d'une haute taille; ils étaient complètement nus, et outre le rouge d'o- cre, commun aux autres tribus de la Nouvelle-Zélande, leurs visages et leurs corps étaient barbouillés de taches d'une cou- leur bleue. La danse de guerre terminée, ils continuèrent à regarder fixement les étrangers durant quelques minutes, tan- dis que Georges leur déclinait nos noms et tâchait de leur expliquer nos différentes fonctions. Pendant la conférence, un chef, debout, veillait à ce qu'ils ne nous importunassent point, et quiconque dépassait la limite imposée était traité par ce chef d'une manière rude et sévère. Sur un autre si- gnal de Poro , ils se retirèrent précisément de la même ma- nière qu'ils s'étaient avancés, et, déposant leurs armes, ils re- prirent leurs occupations habituelles. Le camp était établi sur le revers gauche de la colline, et consistait en quatre longues cabanes construites en pieux , et si bien couvertes de roseaux, qu'elles étaient impénétrables à la pluie. Chaque hangar pouvait contenir cent personnes; la cabane des chefs était aussi près du sommet de la colline que pouvait le permettre la nature du sol, tandis que les au- tres étaient élevées à droite et à gauche sur le penchant du mont. Il paraissaity avoir de trois cent cinquante à quatre cents personnes dans le camp, y compris plusieurs femmes; et ils PIECES JUSTIFICATIVES. G53 semblaient avoir en abondanec des vivres qu'ils devaient avoir apportés avec eux. S août. Ayant appris que quelques gentlemen du navire voulaient visiter son camp dans la journée, Poro, par politesse pour eux , retarda son départ qui devait avoir lieu dans la matinée. Après avoir fait exécuter la danse de guerre par ses gens, il les partagea en deux corps, et leur fit simuler un combat. Les attaques entre les deux partis opposés con- sistaient en une suite de charges ou d'engagemens sans ordre ni métbode ; en en venant aux mains, chaque guerrier choi- sissait son homme et le combattait. Dans cette représenta- tion , Poro, qui doit avoir passé la soixantaine, déploya autant d'activité et de vigueur que le plus jeune guerrier de sa tribu. Les Anglais quittèrent Poro dans la soirée, charmés de ce qu'ils avaient vu, et ce chef se prépara à retourner le lendemain dans son district, après avoir témoigné sa grati- tude pour les attentions et la générosité des hommes blancs à son égard. g août. De bonne heure dans la matinée, Poro s'est mis en route pour son pays. Il avait exprimé la crainte qu'un plus long séjour n'épuisât ses provisions, et bien qu'il y eût cinq jours de marche jusqu'à son territoire, il avait fait apporter à des esclaves , non-seulement assez de vivres pour la subsis- tance de sa tribu jusqu'à son retour, mais encore les maté- riaux nécessaires pour construire les huttes. (Page 2i5.) Ces naturels (de la rivière Tamise) étaient en apparence bien supérieurs à tous les Nouveaux-Zélandais que nous avions vus jusqu'alors. Ils étaient mieux faits, d'une plus grande taille et d'une forme plus athlétique. Leurs pirogues étaient plus grandes, et plus riches dans leurs ornemens et leurs sculptures. {Page 229.) Nous demandâmes à Te ta ta , le jour suivant, pourquoi il nous avait fait la veille au soir sa visite à une heure aussi avancée; il répondit que les deux jeunes filles qu'il avait emmenées étaiertt des filles de chefs. Lui-même les avait ame- 654 PIÈGES JUSTIFICATIVES. nées à bord; mais, à son retour dans sa tribu, il avait été si sévèrement réprimandé pour cette action, que pour sa propre sûreté il avait été contraint de venir les reprendre. Il dit que toutes les filles qui étaient venues à bord du navire étaient des esclaves; mais que les chefs s'étaient crus déshonorés en per- mettant qu'on disposât de leurs filles de la même manière. Leur opinion , à cet égard, était certainement bien différente de celle de plusieurs des chefs de la baie des Iles, qui entraî- naient leurs sœurs et leurs filles à bord des navires, du mo- ment de leur arrivée, satisfaits qu'elles devinssent le partage des Européens du dernier rang comme des classes les plus élevées. (Page 235.) Dans le mois de septembre, à l'inexprimable surprise des insulaires, deux baleines qui étaient entrées dans la baie des Iles, furent attaquées par les canots de deux navires baleiniers et dépecées. Quand l'huile en fut extraite, on laissa la carcasse flotter à la surface de la mer. La chair de la baleine étant considérée par ces peuples comme une friandise du premier ordre, ils accoururent de tou- tes les parties de la baie pour s'en repaître. Une foule de que- relless'élevèrent sur le corps du cétacée.Les jeunes filles même, qui vivaient comme servantes chez les missionnaires et parta- geaient leur nourriture, abandonnèrcntleur service pour pren- dre place sur la carcasse de la baleine, ou stipulèrent qu'on leur en achèterait des morceaux pour leur consommation. {Page 269.) 28 novembre 1 820. Une jeune naturelle, fille d'un chef, avait vécu depuis quelques mois avec le soldat qui était cause de la mort deWilliam Aldridje, et on jugea convenable de l'éloigner du navire. Elle ne céda à cet ordre qu'avec beau- coup de répugnance. Depuis le moment où le malheureux sol- dat avait été mis au cachot , elle s'était tenue, à ses côtés et n'a- vait pas cessé de pousser des cris : comme on lui avait dit qu'il serait infailliblement pendu, elle avait acheté du lin des na- turels le long du bord et en avait fait une corde, déclarant que si tel était le sort de son amant , elle terminerait son exis- PIECES JUSTIFICATIVES. 055 tencc de la raûme manière. D'après les coutumes de son pays, il n'y a pas le moindre doute qu'elle n'eût exécuté son projet. Quoique chassée du navire, elle resta le long- du bord dans une pirogue depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, et ni remontrances ni présens ne purent la décider à s'en aller. Quand le Dromcdary retourna à la baie des Iles, elle nous sui- vit par terre; et reprenant son poste près de la partie du na- vire où elle supposait que son amant était emprisonné, elle y resta même par le temps le plus affreux, et recommença ses lamentations habituelles sur le sort qui lui était réservé jusqu'à notre départ définitif de la Nouvelle-Zélande. %' (Page 274O 3 décembre. En prenant congé du navire, les femmes qui avaient vécu avec les personnes du bord prati- quaient la cérémonie de pleurer et de se déchirer avec des co- quilles, tout comme elles l'eussent fait en se séparant de gens qui auraient eu des droits plus légitimes à leur tendresse. La douceur du traitement qu'elles recevaient des Européens, com- parée avec la conduite de leurs compatriotes, avait gagné leur estime et leurs affections. D'ailleurs, outre le regret qu'elles éprouvaient à se séparer d'hommes avec qui elles avaient si long-temps vécu, elles devaient songer aux privations et aux misères de la vie sauvage, et aux traitemens humilians et souvent cruels des hommes avec qui elles allaient se re- trouver. {Page 307.) Quand un naturel veut faire un marché, il examine l'article que l'Européen lui offre, une hache par exemple,avec beaucoup d'attention etde sagacité; s'il la trouve à son goût, il tire un fil de sa natte, qu'il attache autour de la hache, en déclarant en même temps qu'il l'a tabouée. Puis il la rend au propriétaire jusqu'au moment où il peut lui en donner la valeur. (Page 307. ) Leur boisson universelle est l'eau ; par poli- tesse ils prennent quelquefois du vin et du grog, mais avec répugnance. Georges de Wangaroa fut la seule exception que nous pu- G56 PIECES JUSTIFICATIVES. mes observer, mais ses habitudes avaient été corrompues par son séjour sur un de nos navires. Il aimait réellement les li- queurs fortes dont une petite quantité le rendait ivre, et dans cet état il était très-violent. {Page 3o8.) L'action de couper les cheveux s'associe à une étrange superstition; celui qui l'a subie doit s'éloigner pendant quelques jours de la société de sa famille, et pendant ce temps il est taboue. Ces sauvages se coupent les cheveux avec une coquille presque ras au sommet de la tête, tandis qu'ils les laissent longs par derrière : ils attachaient un grand jirix aux peignes et aux ciseaux que nous leur distribuiîmes. {Page 3io.) Certaines particularités dans la forme du moko (tatouage) distinguent les membres de chaque famille. Les naturels demandaient souvent à un gentleman du Dromcdary, qui avait un écusson gravé sur son cachet, si c'était là le moko de sa tribu. {Page 3iG.) Aire mai, ou viens ici , est le salut de paix ou d'amitié. Quand ce mot n'est pas prononcé à l'approche d'un étranger, les sentimens des naturels ne sont pas d'une nature favorable envers lui. {Page 3 18.) L'emu se trouve à la Nouvelle-Zélande, bien que nous n'ayons jamais eu le bonheur d'en rencontrer. Les naturels vont le chasser aux ténèbres avec des feux qui attirent ces oiseaux et des chiens qui les tuent. Leurs plumes sont noi- res, plus petites et plus délicates que celles de l'emu de la Nouvelle-Hollande. Une natte ornée de ces plumes est le cos- tume le plus dispendieux qu'un chef puisse porter. {Page 32o.) La justice, parmi les Nouveaux-Zélandais, s'administre d'une manière sommaire. Ceux qui sont allés à Port-Jackson se sont toujours récriés fortement sur la manière froide et réfléchie avec laquelle les blancs mettent à exécution les sentences prononcées par la loi. Ils regardaient toute es- pèce de punition corporelle comme un raffinement de cruauté; et leur argument général était : « Si un homme vole, tuez-le, et il ne pourra plus voler; et s'il faut le tuer, assommez-le au PIÈCES JUSTIFICATIVES. 657 montent même où il commet le crime; mais ne le gardez pas une semaine entière à languir après le sort qui l'attend. » (Page 3ui.) Les lieux où les personnes meurent et ceux où leurs restes sont déposes sont marqués de la même manière. Un pieu peint en rouge est planté en terre, et il est surmonté d'une figure humaine grossièrement sculptée. (Pages 277 et juiV.) Les habitans de la Nouvelle-Zélande sont en général grands, actifs et bien faits; leur teint est brun, leurs cheveux noirs, tantôt droits et tantôt frisés; ils ont de très-belles dents. Ilyaunc différence frappante, pour la stature et les formes, entre les rangatiras, c'est-à-dire les chefs ou la classe la plus élevée, et ceux qui sont koukis ou esclaves de naissance. Plusieurs des derniers sont presque noirs et au-des- sous de la taille moyenne. Les Nouveaux-Zélandais offrent au- tant de variétés dans leurs traits que les Européens : il y a peu de caractère national dans leur figure qui , avant l'âge du tatouage, peut passer pour être régulière et agréable ; du moins plusieurs de ceux que nous vîmes avant d'avoir subi cette opé- ration avaient un beau visage. Les dessins du tatouage varient suivant les différentes tribus. Quand un individu a atteint sa vingtième année , il n'est pas considéré comme un homme s'il n'a pas subi cette pénible cérémonie. Il la supporte avec un courage surprenant , et on la renouvelle de temps en temps , à mesure que les traits s'affaiblissent , jusqu'à l'âge le plus avancé. Hietoro, qui retourna à la Nouvelle-Zé- lande sur le Dromedarjj allait être tatoué de nouveau à son arrivée; et quand nous dîmes à Wetoï , qu'un long séjour avec nous avait à demi anglicisé , qu'il ne devrait pas adopter cette affreuse coutume de ses compatriotes, il répondit « que s'il ne s'y soumettait pas, il serait méprisé et peut-être traité comme une femme. » L'inflammation qui suit l'opération est si consi- dérable, que celle-ci ne s'exécute jamais que graduellement. Des mois et quelquefois des années entières s'écoulent avant que la figure soit complètement tatouée : du reste, quoique cette opé- ration défigure les naturels dans leur jeunesse, elle cache com- TOME III. 42 658 PIÈCES JUSTIFICATIVES. plètement les ravages de la vieillesse. Les tètes chauves sont très-rares, et nous n'en avons vu qu'un seul exemple; plu- sieurs hommes très-âgés descendent dans la tombe sans avoir un seul cheveu gris. Benny, un des chefs de la baie des Iles, qui, disait-il, était déjà un homme fait lorsque le capitaine Cook y parut, n'avait pas un seul cheveu gris sur la tête. Leur habillement consiste en une natte fabriquée avec du lin du pays, qui est soyeux et fort beau , et adroitement tissu par les femmes. Ils en portent une sur leurs épaules, tandis qu'une autre du même tissu et de la même matière est soute- nue autour de leurs reins par une ceinture. En hiver, pour la nuit ou les temps humides, ils emploient une sorte de natte très-grossière, qu'ils nomment kakahou; elle est très-chaude , impénétrable à la pluie et assez large pour envelopper tout le corps. Leur tète est toujours nue, même au plus fort de l'hi- ver, ce qui explique les maux d'yeux auxquels plusieurs d'en- tre eux sont sujets ; mais ces maux affectent rarement leur vue qui est singulièrement perçante. La femme du chef Pomarc formait exception à cet avantage général. Elle demanda de l'eau pour ses yeux ; quand on lui en eut donné, elle remarqua « que si elle ne voyait pas aussi bien que le reste de ses com- patriotes, au moins elle avait la satisfaction d'avoir cela de commun avec le roi Georges; » faisant par-là allusion à notre dernier monarque, le seul prince souverain dont le nom soit connu de ces peuples. Quand les hommes font des exercices violens, ils se mettent tout nus et ne gardent que leurs ceintures , qu'ils ceignent très- serrée autour de leur corps. L'embonpoint dans cette partie du corps est une chose inconnue pour eux ; et quand ils le voient chez les Européens, ils le tournent en ridicule. Quand ils vont à la guerre ou qu'ils désirent paraître dans toute leur beauté, ils se peignent le corps en rouge avec une composition d'huile et d'ocre; leurs cheveux sont aussi huilés, réunis en touffe au sommet de la tète et ornés de plumes de mouettes ou d'alba- PIECES JUSTIFICATIVES. 659 tro&. Ordinairement ils portent aussi à eliaque oreille une touffe «1rs plumes les plus cotonneuses de ces oiseaux. Leurs oreilles sont toujours percées dès l'enfance , particu- lièrement chez les femmes. L'ouverture en est graduellement élargie au moyen des morceaux de bois qu'on a soin d'y pas- ser : plus elle devient grande , plus grand est l'ornement qui en résulte. La classe supérieure y suspend la dent d'un poisson fort rare sur cette côte ; et les personnes autorisées à porter cette distinction sont si pointilleuses sur ce chapitre, que les koukis n'oseraient en aucune circonstance usurper ce pri- vilège. Ils portent encore , attaché au cou avec une corde et pen- dant sur la poitrine , un morceau de talc vert , sculpté , et représentant une figure qu'on ne saurait appeler humaine. Us v attachent beaucoup de valeur , non pas pour aucun motif superstitieux, mais pour son ancienneté , et parce que c'est un meuble héréditaire dans la famille. L'habillement des femmes est précisément le même que celui des hommes. Pour ceux-ci , la nudité en aucun temps, ni en aucun cas , n'est regardée comme indécente ; mais il est bien rare de voir les femmes manquer à la pudeur sous ce rapport. Elles sont légère- ment tatouées sur la lèvre supérieure, au milieu du menton et au-dessus des sourcils. Quelques-unes ont quelques traits sur les jambes; une femme que l'on vit à Shouki-Anga, et qui passait pour être venue d'un lieu très- éloigné dans le Sud , avait sur la poitrine des dessins qui ressemblaient aux anneaux d'une chaîne; en outre, une des esclaves de Koro-Koro était presque autant tatouée qu'un homme. Les Nouvelles -Zélan- daises sont aussi belles que les femmes des parties méridionales de l'Europe, bien faites, et en général jolies. Avant le mariage, le concubinage ne passe point pour un crime, et ne porte aucun obstacle à des engagemens plus respectables; mais après le mariage, ce sont des épouses fidèles et affectionées, et des mères passionnées pour leurs enfans. Elles supportent avec la plus grande patience la conduite violente de leurs maris 42* (ifiO PIECES JUSTIFICATIVES. qui, ne considérant les Femmes que comme des êtres d'une na- ture bien inférieure à la leur , les traitent souvent avec une grande brutalité. Il serait difficile de définir quelle est leur religion. Ils ont d'innombrables superstitions sans être idolâtres. Ils croient que les chefs après leur mort iront dans un lieu de bonheur; mais que les koukis n'ont pas d'existence au-delà de ce monde. Ils adressent des prières au soleil , à la lune , aux étoiles, et même aux vents quand leurs pirogues sont surprises par le calme ou par la tempête; mois leurs prières émanent de circonstances purement accidentelles , et ne sont assujetties à aucune forme régulière , à aucun temps assigné pour leur culte. Ils croient à un Etre-Suprême , désigné par le nom iVAtoua, incompréhensible pour eux, auteur du bien et du mal, divinité qui les protège dans le danger ou les détruit par la maladie. Un homme , nue fois parvenu a un certain pé- riode d'une maladie incurable, est sous l'influence de l'Atoua qui a pris possession de lui , et qui sous la forme d'un lézard déchire ses entrailles. Alors il n'est plus permis de donner aucun secours humain , aucun remède au patient; il est em- porté hors du village, et on le laisse mourir. Celui qui a eu les cheveux coupés est sous la charge immédiate de l'Atoua; il doit s'éloigner du contact et de la société de sa famille et de sa tribu ; il n'ose point toucher lui-même à ses vivres , une autre personne est chargée de les porter à sa bouche , et de quelques jours il ne peut reprendre ses occupations habituel- les, ni fréquenter ses compagnons. Toutes les fois qu'un guerrier part pour la guerre, une femme âgée, une espèce de prêtresse s'abstient de nourriture durant deux jours; et le troisième, quand elle est purifiée et inspirée par l'Atoua, après diverses cérémonies, elle prononce des paroles magiques pour le salut et le succès de celui qu'elle envoie au combat. Mais les attributions de l'Atoua sont si vagues, son pouvoir et sa protection tellement indéfinis , et parmi les naturels eux- mêmes il y a si peu d'accord touchant sa nature, qu'il est PIÈCES JUSTIFICATIVES. 661 presque impossible de découvrir chez eux rien qui ressemble à un système de théologie. Leur nourriture générale est le koumara ou la patate douée ; la racine de fougère rôtie et battue, le taro indigène qui est fort doux, la pomme de terre , le chou et le poisson qu'ils prennent en abondance. Ils le sèchent en détail et sans sel , et il reste bon durant plusieurs mois. Ils consomment une im- mense quantité de moules ; ils mangent quelquefois du porc , mais ce n'est que dans les grandes occasions , et généralement ils réservent ces animaux pour les vendre aux Européens. Les cochons rôdent à l'état sauvage dans les bois , et les naturels ne les attrapent qu'avec peine et à l'aide des chiens, qu'ils mangent aussi quelquefois , et qu'ils considèrent comme un mets délicat. Les chiens et les rats sont les seuls quadrupèdes naturels dans l'île ; les premiers ont la forme de notre renard, mais varient pour la couleur; et les derniers sont tellement au-dessous du rat d'Europe pour la taille, qu'un chef exprima le désir qu'on en emportât d'Angleterre chez eux pour amé- liorer la race et en faire un meilleur mets. La plante du taro , qui a été importée de Taïti , «st cultivée par un petit nombre de naturels avec un grand succès. L'appétit de ces hommes est très-grand ; ils cuisent leurs mets d'une seule et même ma- nière , savoir au moyen de pierres chaudes couvertes de feuil- les et de terre , de manière à former une espèce de four. Ap- prêtés de cette façon , il est certain que leurs végétaux et leurs coquillages ont un excellent goût. Ils sont très-avides de notre biscuit. Bien que celui du Dromcdary fût tellement rempli de vermine que personne parmi nous ne pût en manger, les tri- bus du voisinage livraient volontiers en échange leurs patates et les autres plantes comestibles introduites dans leur île par le capitaine Cook. Du reste, insoucians de l'avenir, ils avaient bientôt consommé leurs petites provisions, et vivaient ensuite dans une misère relative. Quoiqu'ils n'ignorassent point toute notre horreur pour le cannibalisme, ils n'ont jamais nié que ce fût une de leurs cou- (562 PIECES JUSTIFICATIVES. tûmes; au contraire, ils n'exprimaient que trop souvent leur prédilection pour la chair humaine. Dans un homme on n« peut manger que les membres, tandis que, la tète seule exceptée, le corps entier d'une femme ou d'un enfant est un mets dé- licieux pour eux. Outre l'équipage du Boyd , d'autres Européens ont été de temps en temps les victimes de leur férocité. Mais ils repré- sentent la chair des blancs comme fade et insipide comparée à celle de leurs compatriotes , et ils attribuent son infériorité à la coutume universelle que nous avons d'employer du sel dans nos alimens. C'est par suite de motifs superstitieux qu'ils dévorent leurs ennemis tués dans les combats; mais il y a tout lieu de croire que leur anthropophagie s'exerce en d'autres circons- tances. Durant notre séjour parmi eux et sous les yeux même des Européens , il y a eu des femmes esclaves massacrées pour des crimes trop légers pour justifier une pareille sévérité. Comme leurs corps étaient aussitôt dépecés , lavés et transportés dans un lieu où ils pouvaient être mangés commodément, et comme les naturels eux-mêmes ne craignaient pas de men- tionner publiquement le festin projeté, il est à présumer qu'ils se plaisaient à satisfaire par-là leurs effroyables goûts. A l'exception du marin du Catherina , aucun Anglais ne fut témoin d'un acte de cannibalisme durant notre visite à la Nouvelle-Zélande , et les naturels prirent toutes sortes de précautions pour nous les cacher; mais les missionnaires ont pu en observer les préludes immédiats, et ils ont acquis des preuves irrécusables de son existence. D'après les remarques qu'ils nous ont fournies, et d'après l'aveu des naturels eux- mêmes, il est tout-à-fait impossible que les personnes les plus incrédules du Dromedary soient retournées en Angleterre sans avoir acquis la ferme conviction que l'anthropophagie existe à la Nouvelle-Zélande, non-seulement comme superstition, mais comme gratification d'un appétit féroce. PIÈCES JUSTIFICATIVES. (>G3 Les relations fréquentes qui ont lieu entre les équipages des navires européens et les femmes du pays, comparées avec le petit nombre de fruits d'un pareil commerce qu'on a pu trou- ver dans l'île, ont fait présumer que l'infanticide y régnait à un haut degré. Durant notre séjour à la Nouvelle-Zélande, nous n'avons vu que deux individus de cette classe, et on ne nous en a mentionné que deux autres. De ceux que nous vîmes l'un était un enfant, le fds d'un marin d'un navire baleinier, et l'autre une jeune fille adulte , de seize ans environ , et dont le père était un habitant de la Nouvelle -Galles du Sud. L'un et l'autre étaient de jolis enfans ; la dernière, quoique élevée en commun avec les sauvages, avait tout-à-fait l'air anglais, à cela près que son teint était fortement brûlé du soleil. C'était une jolie fille, et à cette époque elle vivait à bord d'un bâti- ment baleinier. Ce commerce illicite a communiqué à quelques-unes des femmes de l'île cette maladie que les Européens transportent dans toutes les parties du monde où ils séjournent, et nous ob- servâmes à la baie des Iles quelques exemples déplorables de ses funestes ravages. Les femmes niaient devant nous le crime d'infanticide , quant aux résultats de leur commerce avec les Européens, et elles déclarèrent qu'elles en prévenaient les suites par un ac- couchement prématuré. Cela peut être vrai, attendu que les autres navires ne sont jamais restés dans l'île qu'un temps fort court ; mais comme plusieurs femmes n'ont quitté le Dro- medary qu'à une époque très-avancée de leur grossesse , il sera curieux pour ceux qui nous suivront de rechercher si ces en- fans sont vivans, et dans ce cas il y aura lieu d'espérer que l'humanité des Européens prendra des mesures pour améliorer leur condition. Dans les familles, quand le nombre des filles excédait de beaucoup celui des garçons, on a su que la mère , frustrée dans son attente, avait sacrifié ses enfans du premier sexe. Une fille de Pomare nous assura que tel aurait été son sort 664 PIECES JUSTIFICATIVES. sans l'autorité de son père qui s'y opposa ; et une femme de Rangui-Hou , bien connue des missionnaires, fit successive- ment périr trois enfans du sexe féminin au moment même qu'ils venaient au monde. Cet acte barbare s'opère par la mère elle-même qui enfonce son doigt dans la partie du crâne nommée \a fontanelle sur l'en- fant nouveau-né , et cause ainsi sa mort d'une manière immé- diate Bien que l'infanticide ait lieu lorsqu'il y a excès de filles , pourtant dans leur manière d'élever les enfans, dans la ten- dresse remarquable et les soins attentifs que leur prodiguent les parens, on n'a jamais observé de leur part aucun exemple de partialité pour le sexe; mais comme les hommes constituent la force et l'importance d'une tribu , la naissance d'un garçon est saluée avec orgueil et ravissement par la communauté; il reçoit le nom d'un oiseau, d'une rivière, d'une île, ou bien de quelque partie du corps humain ; son front est orné d'une guirlande des baies rouges d'un arbre nommé kara-manga , qui passe pour posséder des vertus particulières, et les person- nes de sa tribu profèrent sur lui des prières, afin qu'il soit fort , agile à la course et invincible au combat. L'enfant n'est pas plutôt sevré qu'une grande partie de son éducation est dé- volue aux soins du père; il apprend à passer ses bras autour du cou de son père, et à rester ainsi des journées entières, en- dormi ou éveillé, suspendu aux épaules et recouvert de la natte de son père, et il en devient le compagnon fidèle dans ses plus longs voyages ou dans ses occupations les plus péni- bles. Si l'enfant est un garçon , dès l'âge le plus tendre on lui enseigne l'usage des armes, la danse de guerre, comment il faut manœuvrer une pirogue et réciter le chant qui accompa- gne cette manœuvre, il apprend enfin à suivre son père et à l'ai- der dans ses excursions. Le premier succès du jeune homme à la guerre est considéré comme un heureux présage de ce qu il fera par la suite. Dipiro , fils de Shongui , pour avoir tué d'un coup de fusil un homme au cap Nord, avant d'avoir at- PIECES JUSTIFICATIVES. 665 teint sa quatorzième année, avait acquis une grande influence dans sa tribu. La pluralité (les femmes parmi les chefs est générale; mais il y a une distinction décidée entre la principale femme et les autres. L'union d'un chef avec sa principale femme est politi- que : elle est la fdle d'un chef, sinon supérieur, au moins égal pour le rang à l'homme qu'elle épouse; et le fruit de cette union, quant au droit d'hérédité, a le pas sur les enfans des autres femmes, qui ne sont guère que des servantes, par rapport à cette première femme. L'ordre de succession marche du frère au frère et retourne au fils aîné du frère aîné. Les femmes in- férieures sont souvent choisies parmi les prisonnières de guerre; mais dans ce cas leur flétrissure disparaît devant le rang du mari, et les enfans naissent rangatiras ou gentlemen. L'infidélité dans la femme d'un chef est quelquefois punie par la mort des deux coupables ; mais il y a bien des cas où le grand pouvoir du père de la femme a empêché le mari de se porter à cette extrémité. Dans le cas d'une mort violente ou prématurée pour le mari, c'est la coutume du pays que la femme principale se pende. Les naturels nous ont désigné et nous ont fait observer comme des lieux sacrés ceux où ce dernier témoignage de dévoûmenl conjugal eut lieu de la part de la femme de Doua-Tara , sous la protection immédiate de qui les missionnaires s'établirent pour la première fois à la Nouvelle-Zélande, et de la part de la femme du frère deTepere, qui fut tué dans une bataille près de YVangaroa. Lorsqu'un chef conçoit quelque goût pour une femme, les inclinations de celle-ci sont rarement consultées. On a vu des cas où la femme a été enlevée avec une violence brutale par son futur et avec une résistance apparente de la part de ses pa- rens; mais un arrangement amical ne tardait pas à suivre cette action. Même pour le choix de la femme principale, le con- sentement seul du père suffit. D'après tout ce que nous avons pu apprendre de leurs guer- 666 PIECES JUSTIFICATIVES. rcs, rarement il y a un combat en règle et de quelque durée entre les deux partis, ni de grandes preuves d'un courage personnel. Le parti surpris est celui qui a le dessous ; et il n'est pas de fatigues ni de privations que ces peuples ne puissent souffrir avec résignation pour tomber à l'improvislc sur leurs ennemis quand ils ne sauraient leur résister. Les naturels de Rangui-Hou nous décrivaient un jour une attaque heureuse qu'ils firent contre une tribu du cap Nord, de laquelle ils allaient tirer vengeance du meurtre commis sur la personne d'un des leurs : ils dirent qu'ils arrivèrent avec le jour dans leurs pirogues au pied du pâ ennemi; mais ils fu- rent découverts par les babitans qui descendirent au bas de la colline pour leur demander qui ils étaient et ce qu'ils dési- raient. Alors ils s'annoncèrent pour des étrangers qui avaient beaucoup souffert du mauvais temps et que la nécessité avait contraints de chercherun abri et l'hospitalité sur leurcôte. Les habitons du cap Nord, d'abord défians, ne furent rassurés que lorsque leurshôtes eurent montré différens articles de commerce qu'ils commencèrent à échangercontre des provisions; cepen- dant ceux -ci ne purent trouver l'occasion de mettre leur pro- jet à exécution, qu'après avoir continué pendant quelque temps leur commerce et lorsqu'on leur eut préparé des vivres pour leur déjeuner. A la fin , à un signal convenu , ils tombèrent sur les malheureux qui les recevaient sans défiance, et en tirèrent une ample vengeance. Tel est le caractère général de leurs guerres ; cependant il y a eu diverses exceptions. Les naturels de la baie des Iles atta- quèrent ouvertement un chef de la côle occidentale, qui les mit en déroute. Le carnage fut très-grand : plusieurs des frères de Shongui furent tués, et la tribu de Wiwia, frère aîné de Hie- toro, fut presque entièrement exterminée. Mais dans ces der- niers temps la supériorité des tribus de la baie des Iles et des environs, due à la quantité d'armes à feu que leurs membres possèdent, a fait trembler le reste des habitans et les a rendus la terreur et le fléau de la Nouvelle-Zélande. Chaque printemps PIÈCES JUSTIFICATIVES. 667 ils préparent une expédition pour aller ravager leurs ennemis. Ils sont continuellement les agresseurs, et jamais ils ne sont at- taqués chez eux. En effet, bien qu'il ne se passât pas une se- maine sans qu'ils vinssent nous raconter que quelque puissant chef allait tomber sur eux pour les envahir, et qu'on fît toute sorte de préparatifs pour le repousser; toutefois, après avoir recueilli tous les renseignemens possibles, le fait était qu'au- cune démarche hostile n'avait été dirigée contre eux durant tout notre séjour, à moins que ce ne soit lors de la bataille de Kai-Tara, qui eut, dit-on, lieu quelques jours avant notre départ. D'ailleurs le rapport qui nous en fut fait n'avait pas tous les caractères de l'authenticité. Il est vraiment surprenant à quelle distance ces naturels s'é- loignent de chez eux et combien de temps ils peuvent rester absens dans leurs excursions guerrières. Pomare était parti pour une de ces expéditions avant notre arrivée à la Nouvelle-Zé- lande, et à l'époque de notre départ l'on ne savait pas où il était. Quand le schooner le Prince- Régent était à la rivière Tamise, les habitans nous dirent qu'ils l'avaient vu; mais que depuis long-temps il était parti pour le sud. Quoique sa tribu semble avoir marché seule dans cette circonstance, en général ces expéditions se composent des forces réunies de trois ou quatre chefs. Chaque chef est absolu dans sa tribu , et chaque tribu est indépendante des tribus voisines. Jusqu'à présent les armes à feu entre les mains des Nou- vcaux-Zélandais ne sont pas en général très-dangereuses : ils s'en servent très-maladroitement, ajustent rarement leur objet, à moins d'en être tout près, et perdent un temps considérable à choisir le lieu et le moment favorables pour tirer. Nous les avons vus , pour tuer un pigeon ( oiseau très-familier à la Nou- \elle-Zélande), grimper sur l'arbre où il était posé, avec une précaution et une adresse qui leur sont particulières, et appro- cher le bout du canon à un pied de l'oiseau, avant de faire leu. Leurs armes sont essentiellement mauvaises, et les ressorts en sont détestables; car les baleiniers les apportent unique- G 08 PIECES JUSTIFICATIVES. ment pour les vendre. En outre, leur ignorance touchant la manière d'en prendre soin et l'humidité de leurs maisons, les mettent bientôt hors d'état de servir. Enfin, quoique jaloux à l'excès de se procurer de la poudre, ils ne songent guère aux balles et emploient des pierres à la place. Quelleqùe soit, du reste, leur maladresse à se servir de ces armes, telle est la terreur gé- nérale qu'inspirent leurs effets, qu'aujourd'hui la force d'une tribu dépend, a leurs yeux, moins du nombre de ses guer- riers que de celui des mousquets qu'elle peut présenter. Quand Poro entra sur le district de Georges, son peuple frappé d'é- pouvante représenta l'ennemi comme ayant douze mousquets ; et le nom de Koro-Koro, que l'on sait posséder cinquante de ces armes, n'est prononcé qu'avec terreur à deux cents milles de la baie des Iles. Dans cette partie de Pile, les pas ou forteresses ont été bien abandonnés ou négligés depuis l'introduction des mous- quets. Les armes primitives du peuple étaient le merc ou un court casse-tête qu'ils portaient à la ceinture , la lance qui était longue et pointue aux deux bouts , le patou-patoit ou hache de combat en bois, et un long casse-tète en os de ba- leine et curieux par son travail, mais très-rare parmi eux ; ces armes ont cessé d'être estimées comme moyens de défense. Maintenant ils attachent la baïonnette , la hache et la hachette au bout d'un bâton, mais leur grande confiance repose sur le mousquet. La plus grande pirogue de guerre que nous ayons vue avait quatre-vingt-quatre pieds de long, dix pieds de large et cinq de profondeur, et appartenait à Tareha , de la tribu de Shongui. Elle était construite avec un seul tronc de koudi creusé, et surmontée de planches de deux pieds de hauteur solidement attachées au corps de la pirogue avec des morceaux de chanvre qui servaient à les maintenir ensemble. Les coutu- res étaient garnies avec du jonc pour empêcher les voies d'eau. A l'avant comme à l'arrière s'élevait un pieu de quinze pieds de hauteur couvert de bas-reliefs peints en rouge et dé- PIECES JUSTIFICATIVES. Gfi9 coré d'une quantité do plumes noires ainsi que les eûtes de la pirogue. Le chef, assis sur l'arrière , gouvernait la pirogue que fai- saient mouvoir les forces réunies de quatre-vingt-dix hommes nus. peints eï ornes déplumes; trois autres , debout sur des bancs, réglaient les coups des pagaies , en répétant avec des gestes violens une chanson que chacun de ceux de la pirogue accompagnait. La pirogue , mue avec une étonnante rapidité, laisait jaillir avec force l'eau de chaque côté; et nous avons observé d'autres pirogues de guerre qui traversaient la baie des Iles sans danger, par des temps où l'on eût regardé comme imprudent d'exposer les canots du navire à la mer. La consomption, de violens rhumatismes et les maux d'yeux semblent être les maladies régnantes à la Nouvelle-Zélande; plusieurs naturels meurent d'inflammation des poumons ou des entrailles. Mais quoiqueTeperenous ait dit que, quelques années auparavant , une fièvre contagieuse eût emporté un grand nombre d'individus de sa tribu, nous ne pûmes observer rien de semblable. L'aspect du pays, dans les parties que nous avons visitées, excepté à Kidi-Kidi et sur le bord occidental de la rivière Tamise, est en général montueux et richement varié de bois qui sont toujours verts. Ces bois sont rarement très-étendus, et les terrains intermédiaires et découverts sont revêtus de broussailles et de fougères; mais il doit s'y trouver des plantes nourrissantes , puisque les bestiaux que nous apportâmes s'y engraissèrent. Il y a très-peu d'herbe naturelle; l'eau «st abondante et extrêmement bonne. Les naturels cultivent les terres basses et boisées, où le sol est excellent ; ils ne s'occu- pent jamais de défricher un sol qui serait ingrat. Leur unique instrument pour l'agriculture est la pioche en bois; contens du produit des morceaux de terre naturellement labourables qui se trouvent disséminés sur leurs districts , les naturels sup- pléent au déficit de leurs vivres avec du poisson et de la racine de fougère. Il y a une grande variété d'oiseaux que l'on tue 670 PIECES JUSTIFICATIVES. rarement, excepté pour leurs plumes, comme on l'a déjà ob- servé; il n'y a point d'autres quadrupèdes que le chien et le rat; il n'y a point de reptiles. Le cochon , jusqu'aujourd'hui le seul animal importé chez ces peuples, et qui leur a été laissé par différentes personnes qui ont visité l'île, a beaucoup multi- plié ; mais ils ne suffisent pas encore aux demandes des navires baleiniers. L'avidité de ces insulaires pour se procurer des ar- mes à feu surpasse toutes les bornes de la prudence : vingt co- chons, peut-être tout ce que possédait la tribu, ont été livrés pour un mousquet qui ne valait pas dix schellings. On a publié un vocabulaire de leur langage , tous leurs mots se terminent par des voyelles et ne sont difficiles ni à appren- dre, ni à prononcer. Quelques-uns de nos hommes le parlaient assez bien avant de quitter la Nouvelle-Zélande. Pour échan- tillon de son harmonie générale, nous allons donner la prière suivante, que les naturels adressent au vent quand ils sont surpris par le calme à la mer. 01] ii» noui, -.'.1)11» roa Sljou pou, £ibi-iiibi. ilibia tau pai baro «Liti, parera rrra ftokoia, Ijomai te sljait. On a vu par ce journal que durant un séjour de dix mois à la Nouvelle -Zélande des relations constantes ont eu lieu c»tre les hommes du navire et les naturels , et que diverses personnes exécutèrent des excursions dans l'intérieur et le long de la côte, sans aucunes suites fâcheuses. D'après mon expérience personnelle, c'est une justice que je dois aux Nouveaux- Zélandais d'ajouter mon témoignage particulier en faveur de leur caractère. Deux officiers du détachement du 84e régiment étant pourvus d'un canot particulier con- duit par deux soldats, et ayant beaucoup moins de motifs pour les retenir à bord qu'aucune autre personne du Dro- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 671 mcdary, liront diverses parties de chasse ou promenades dans le pavs, qui les mirent en rapports journaliers avec les naturels qui se montraient toujours disposés «à les assister dans le moin- dre de leurs désirs. Quand le mauvais temps ou d'autres rai- sons nous obligeaient à. chercher un abri ou des vivres chez eux, un appel à leur hospitalité ne fut jamais fait en vain. Sans cesse à leur merci , s'ils eussent voulu nous maltraiter, jamais au contraire une seule insulte ne fut faite à personne de notre petite réunion; jamais la moindre bagatelle ne fut dérobée, et nous éprouvâmes souvent de leur part des actes de générosité et de désintéressement qui eussent fait honneur à un peuple civilisé. La destruction du Boyd prouve à quels excès ils peuvent être amenés par l'avarice et de mauvais traitemens. Mais si dans cette circonstance ils satisfirent à ce désir de vengeance qu'ils regardent avec vanité comme inhérent à leur nature et héré- ditaire dans leurs tribus, il faut convenir aussi que depuis cette époque différons maîtres et équipages de navires ont commis sur eux de grands outrages qui n'ont été suivis d'aucunes re- présailles. Cette patience de leur part peut s'attribuer à ce qu'ils sont maintenant convaincus qu'il serait impolitique et dangereux pour eux d'insulter un peuple qui doit leur inspirer l'idée d'un pouvoir infiniment supérieur au leur, eu égard au grand nombre de vaisseaux qu'il peut envoyer sur leurs côtes. On leur a toujours persuadé que bien que le massacre de l'é- quipage du Boyd soit resté impuni, un autre attentat sur les blancs serait suivi du châtiment le plus prompt. Tant qu'ils seront convaincus, comme ils l'étaient par la force numérique du Dromedary, qu'il y a une force capable de punir un ou- tuige, il est raisonnable de penser, d'après ce que nous avons nous-mêmes éprouvé, que les Européens pourront aller en sû- reté parmi eux; confier leurs personnes et leurs propriétés à l'honneur de ces peuples, et par une conduite amicale et une libéralité modérée s'assurer de leur part les dispositions les plus bienveillantes. r.72 PIÈCES JUSTIFICATIVES. VOYAGE DE M. DUPERREY. Le lieutenant de vaisseau Duperrey, de la marine française , commandant la corvette la Coquille , parut à la baie des Iles le 4 avril 1 824 , et y passa quinze jours au mouillage. Durant cette relâche, il y eut des rap- ports continuels et de la nature la plus amicale entre les Français et les naturels, et plusieurs officiers firent une excursion intéressante jusqu'à Kidi-Kidi, station principale des missionnaires anglais sur ce point. Sans doute M. Duperrey a réuni de curieuses observations sur les Nouveaux-Zélandais , et il nous en fera peut- être part dans la publication de son Voyage. Par mal- heur cette publication n'est pas très-avancée, et tout annonce que la partie relative à la Nouvelle-Zélande sera encore long-temps attendue. J'ai donc été con- traintde renoncer à citer au nombre de mes Pièces jus- tificatives les observations de M. Duperrey, comme je l'ai été pour celles de M. Freycinet à l'égard de la Nouvelle-Hollande. Je faisais partie de l'expédition de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 673 la Coquille, et à cette même époque je m'occupai sans relâche de recueillir des documens sur les mœurs des Nouveaux-Zélandais. Lechef Touai , qui parlait assez couramment l'anglais, et qui m'était sincèrement atta- ché, me fut alors d'une grande •tilité, et passa souvent des journées entières renfermé seul avec moi dans ma cabane pour répondre à mes questions , avec une extrême complaisance et une intelligence remar- quable. Je dois aussi des renseignemens utiles à M. Kendall, le seul des missionnaires qui se soit oc- cupé de recherches scientifiques. Ce sont ces divers matériaux, vérifiés pour la plupart dans mon voyage de 1827, que je donne en partie dans ce volume sous le titre d 'Observations personnelles, et que l'on a déjà trouvés en substance dans mon Essai sur la Nou- velle-Zélande. Observations personnelles. Les tours que les Européens ont si souvent joués aux Nou- veaux-Zélandais , la manière honteuse dont la bonne foi de ces hommes a été cent fois surprise par les baleiniers, les ont rendus singulièrement défians dans leurs marchés. Avant de conclure un échange de quelque importance, ils examinent long-temps les objets qu'on leur présente ; la moindre marque dans une hache, quelque différence de couleur et de grosseur dans le grain de la poudre et dans les armes suffisent pour les leur faire refuser. Jamais ils ne voulurent prendre en échange les mousquetons de la Coquille à cause des capucines qui , disaient-ils, les empêchaient de viser juste. Parmi les dupe- ries piquantes que ces naturels avaient éprouvées de la part des tome ni. 43 (>7i PIÈCES JUSTIFICATIVES. baleiniers, Touai me dit un jour que ces aventuriers, non contens de leur apporter des poudres avariées, y avaient sou- vent mêlé des graines de chou , et que les insulaires étaient restés aussi confondus qu'indignés en voyant qu'elles ne pre- naient point feu. Ces hommes si cruels, « sanguinaires envers leurs ennemis, sont susceptibles des sentimens les plus tendres, et l'on pour- rait citer une foule de traits touchant leur attachement et leur dévouement à l'égard de leurs parens et de leurs amis. Quoiqu'il y eût près de neuf mois écoulés depuis que la veuve de Koro-Koro avait perdu son mari, lorsque quelques offi- ciers de la Coquille allèrent lui rendre visite, ils trouvèrent cette femme dans sa cabane, livrée à la douleur, aux larmes, et dans un état de désespoir semblable à celui qu'a souvent décrit M. Marsden. Ces officiers ont assuré que c'était un spec- tacle vraiment digne de pitié, d'autant plus qu'il ne parais- sait pas y avoir d'affectation dans la conduite de cette mal- heureuse femme. Taï-Wanga se trouvait dans le même canot que moi lorsque nous rencontrâmes les pirogues de Shongui, et qu'il revit ses parens et amis après une absence de quinze à dix-huit mois. Je tenterais en vain de décrire les preuves d'affection et de sen- sibilité que donna en cette occasion ce pauvre garçon. Durant plus d'une heure son cœur resta gonflé d'émotion , et des lar- mes d'attendrissement coulaient de ses yeux. Touai m'a cité l'exemple de quelques chefs qui s'étaient tués de désespoir à la mort d'une femme tendrement chérie, et de la part de la femme la chose est encore plus fré- quente. Il suffit qu'un ornement ou un objet quelconque leur vienne d'un ami ou d'un parent pour qu'ils y attachent le plus grand prix. Il m'est souvent arrivé de marchander des dents de re- quin qu'ils possédaient à ce titre, et quelque séduisantes que fussent mes offres pour eux, jamais je n'ai pu les déterminer à s'en dessaisir. Ce peuple singulier est outré dans tous ses PIECES JUSTIFICATIVES. 675 senlimens, et porte tout à l'excès, son amour et son dévoue- nu'ut comme sa haine et sa vengeance. Lorsque le navire le Cossack fit naufrage à l'embouchure de la rivière Shouki-Anga, loin de profiter de leur avantage pour opprimer les Européens , les habitans de la rivière eu- rent pour eux toutes sortes d'attentions, et leur procurèrent des pirogues et des esclaves pour transporter leurs provisions lorsqu'ils voulurent se rendre à la baie des Iles. En retour les chefs se contentèrent de tous les objets que le capitaine du navire voulut bien leur abandonner. Shongui, qu'on doit plutôt prononcer Chongui , était le chef suprême de la tribu de Kidi-Kidi , plus connue sous le nom de Ngapouïs , et le rangatira le plus puissant de ceux qui habitent la baie des Iles. Malgré ses longues communications avec les missionnaires, malgré un voyage en Angleterre, il ne renonça à aucune de ses cruelles pratiques , et se montra toujours également vindicatif, également féroce. Du reste c'était un fort bel homme, plein de dignité, mais dont le re- gard annonçait la fausseté et la méchanceté : son nom devrait s'écrire E'ongui-lka , qui signifie littéralement salut poisson, par allusion sans doute au poisson qu'adorent les Nouveaux- Zélandais. Instruit par les traitemens que les baleiniers avaient sou- vent fart éprouver à d'autres chefs, Shongui, plein de défiance pour ces étrangers, ne se rendait ordinairement à bord de leurs navires qu'accompagné paraune suite imposante. C'est ainsi qu'il vint nous rendre visite sur la Coquille; il était monté- sur une de ses plus grandes pirogues de guerre , entouré de ses principaux officiers et de ses plus braves guerriers, tous ar- més et prêts à le secourir en cas de danger. On lui offrit un logement commode pour la nuit, mais il n'en voulut pas, et préféra camper en plein air avec sa suite sur la plage voi- sine. Bien que le père de Shongui fût aussi rangatira , il n'ap- partenait pas cependant aux premiers rangs de sa tribu , et 4 V 676 PIECES JUSTIFICATIVES. c'était principalement à sa bravoure personnelle que son fils avait dû sa puissance et son influence sur toutes les tribus du nord d'Ika-Na-Mawi. A ses fonctions de premier cbef il avait d'ailleurs uni celles de prêtre et de prophète, et cela avait acheva de lui concilier la considération publique. Il avait même fait un pèlerinage à la Caverne-Sacrée , près du cap Reinga, et à son retour il avait, dit-on, institué des cérémonies jusqu'alors inconnues à ces peuples. Néanmoins Touai, en parlant de lui, ne manquait jamais de rappeler que la famille de Shongui était moins ancienne (pie la sienne , et il reprochait en outre à son rival quelques petites faiblesses, surtout celle de ne marcher aux combats qu'avec la cotte de mailles et le bouclier donnés par le roi Georges à Shongui, tandis qu'an brave guerrier ne doit avoir d'autre bouclier que sa lance. Shongui ne voulut jamais se rendre aux efforts des mis- sionnaires pour l'engager à adopter le christianisme. Il mé- prisait une religion dont l'esprit et les dogmes contrastaient d'une manière si extraordinaire avec les idées qu'il avait nourries depuis son enfance touchant la gloire et les honneurs dont l'esprit de l'homme était susceptible dans ce monde comme dans l'autre. Il ne tolérait ces étrangers que pour les services qu'ils pouvaient lui rendre dans les arts mécaniques; depuis long-temps surtout il avait témoigné le désira M. Mars- den d'avoir un armurier pour réparer ses mousquets et les en- tretenir en bon état. M. Glarke, que nous transportions en 1824 avec sa famille à la baie des Iles, avait été annoncé à Shongui à ce titre. En effet, le premier métier de M. Clarke avait été celui d'armurier et de serrurier; mais, dans sa nou- velle condition de missionnaire, il avait pris un ton et des prétentions bien au-dessus de celles d'un simple ouvrier, et je \ is bien qu'il ne se ravalerait jamais à ses premières fonctions. Shongui qui se faisait une fête de le recevoir eut lui-même assez de jugement pour en tirer la même induction la première fois qu'il le vit, et le chagrin qu'il éprouva de voir encore une PIECES JUSTIFICATIVES. fi77 fois ses espérances renversées rendit un peu froid l'accueil qu'il lit à M. Clarke. ■ C'était un bon ouvrier que je voulais, dit » Shongui, et non pas un ariki de plus; j'en avais déjà trop. » Pins raisonnable que ses collègues , M. Kcndall s'était con- cilié l'atFection de Shongui et de tous les Zélandais en vivant au milieu d'eux sans défiance, et en remettant à leur disposi- tion tous les outils qui pouvaient leur être utiles. En outre, il me parut avoir, à l'égard de leur conversion, des idées bien plus saines que ses collègues. Il soutenait que le temps n'é- tait pas encore venu d'en faire des chrétiens ; que tou- tes les importunités des missionnaires ne servaient qu'à en- nuver les insulaires, et qu'on devait pour le moment se borner à gagner leur confiance, à apprendre leur langue, et à leur faire voir peu à peu le ridicule et l'abus de leurs coutumes. Enfin M. Kendall était le seul jusqu'alors qui se fût occupé de recueillir des doeumens sur ce peuple extraordinaire ; sous ce rapport on doit regretter qu'il n'ait pas pu prolonger son séjour dans ces contrées. M. Kcndall était lui-même fort attaché à Shongui, dont il faisait constamment l'éloge, en affirmant que hors du champ de bataille c'était le meilleur homme du monde, Un jour que nous parlions ensemble du caractère de ce rangatira célèbre, comme j'étais peu disposé à croire tout le bien que m'en di- sait M. Kendall , pour preuve de la férocité naturelle et réflé- chie de Shongui, je citai l'affreux trait de barbarie rapporté par les missionnaires même de Kidi-Kidi. M. Kendall répli- qua que cet événement avait été raconté d'une manière peu exacte : Shongui n'avait jamais eu le dessein de sacrifier ces malheureux captifs; mais sa belle-fille, dont l'époux avait péri dans le combat , après avoir accablé son beau-père de re- proches , lui demanda le sang des prisonniers. Sur son refus, cette femme impitoyable, assistée d'un ou deux de ses parens , alla elle-même mettre les prisonniers à mort durant la nuit. M. Kendall ajoutait que Shongui fut très-contrarié de cet évé- nement. Ce missionnaire me répétait souvent que ce chef était 67 8 PIECES JUSTIFICATIVES. celui auquel il se fierait le plus volontiers , et que plus d'une fois il avait eu occasion de reconnaître la sincérité de son atta- chement et la solidité de ses sentimens. Quoique Touai se fût donné beaucoup plus de soins que Shongui pour imiter les manières et la tournure des Euro- péens, au fond il n'avait pas mieux profité de son voyage en Angleterre, sous le rapport des principes. Il était tout aussi adonné qu'aucun de ses compatriotes aux goûts , aux coutu- mes et aux superstitions de son pays. Plus adroit seulement, plus insinuant et plus jaloux de faire sa cour aux Européens, Touai prenait un grand soin de déguiser sa conduite et ses sen- timens sous des dehors de civilisation, et ce sauvage possédait parfaitement la sagacité convenable à un courtisan de pro- fession. Aussi, durant notre séjour sur la baie de Paroa , nous n'eûmes qu'à nous louer de ses procédés et même de ses prévenances. Toujours guidé par son unique mobile, il espé- rait obtenir de nous beaucoup de poudre et de fusils. Quant à Titari, son compagnon , lorsque je lui en demandai des nou- velles, Touai me répondit que c'était un mauvais sujet; qu'il avait commis un crime et qu'il avait été obligé de le bannir de la tribu. Sans être bien sûr de la nature de ce délit, il me pa- rut que ce devait être un vol. Touai avait tellement acquis les manières européennes, que la première fois qu'il se présenta à bord dans ses vêtemens de gentleman et m'adressa la parole, je le pris pour un Anglais qui s'était établi à la Nouvelle-Zélande et qui s'était fait ta- touer, comme cela arrive quelquefois. Je dois convenir que ce chef ne cessa de déployer, pour toutes les personnes de la Co- quille, une complaisance infatigable. Capitaine, officiers et matelots, tous n'eurent qu'à se louer de lui; et j'ai souvent ad- miré le tact et la finesse dece naturel pour apprécier ceux à qui il avait affaire et saisir les moyens d'être bien accueilli de tous. Dans la langue des Nouveaux-Zélandais le véritable nom d'un esclave ou prisonnier était tao reka-reka, et d'un servi - leur warî. Aujourd'hui ils sont plus fréquemment désignés sou$ PIECES JUSTIFICATIVES. 07 o le nom de kouài, qui est une corruption du mot anglais cook cuisinier; parce que l'emploi principal des esclaves e.st de pré- parer la nourriture de leurs maîtres et de faire cuire leurs ali- mens. Ces malheureux m'ont paru être traités assez doucement et sont quelquefois dévoués sincèrement à ceux qu'ils sont obli- ges de servir. Du reste, l'autorité des maîtres à l'égard de leurs esclaves est absolue , et ils ont sur ces derniers droit de vie et de mort. Quand je demandais à Touai ce qu'on ferait à un ran- gatira qui tuerait un esclave sans motif, il convenait qu'on ne lui ferait rien; mais il ajoutait que ce serait une mauvaise action et que ce motif seul empêcherait de la commettre. Un des chefs de la baie des Iles me montrait un jour un de ses es- claves accroupi à ses pieds et attendant ses ordres en silence, et ce chef racontait avec orgueil que son esclave avait été jadis un des guerriers les plus distingués du Shouraki. En effet, cet infortuné portait sur sa figure toutes les marques exclusive- ment affectées aux rangs distingués, et je ne pus m'empêcher de le plaindre de n'avoir pas été dévoré sur le champ de ba- taille, comme ses confrères, plutôt que d'avoir été réduit à la honte de servir son ennemi triomphant. Les guerriers mènent ordinairement leurs esclaves à la guerre pour transporter leurs provisions et préparer leurs vivres : quelquefois même ils leur donnent des armes pour combattre. Touai me montra un de ses esclaves qu'il avait ramené de la baie Witi-Anga. Au lieu de le tuer, comme c'est assez la cou- tume, il lui avait donné la vie, et quelque temps après la li- berté, et même une femme pour vivre avec lui. Quoique cet homme fût rangatira dans sa patrie, il s'était sincèrement atta- ché à Touai ; c'était son homme d'affaires pour tous les marchés à conclure avec les Européens, et il accompagnait son maître aux combats. Touai me fit entendre qu'il serait désormais sans considération dans sa propre tribu , et c'était ce motif qui l'a- vait ainsi attaché aux intérêts de Touai. On doit faire observer que les égards et les préférences que les navigateurs ont témoignés, sans le savoir, à des esclaves ou 680 PIECES JUSTIFICATIVES. à des hommes du peuple en présence et au préjudice des chefs, ont été souvent des motifs de jalousie et d'indignalion pour ceux-ci ; car ces insulaires sont très-fiers de leur rang et de leurs prérogatives, et tout attentat contre ces droits serait pour eux une de ces insultes graves que le sang seul peut payer. Les es- claves qui n'ont rien à perdre et qui n'ont qu'à gagner en ces cir- constances, sont presque toujours les premiers à se livrer aux étrangers et à leur montrer des égards et des prévenances qui leur méritent la reconnaissance de leurs hôtes. C'est donc avec les esclaves ou avec les gens du peuple que les Européens for- ment d'ordinaire leurs premières relations, ce qui manque ra- rement d'indisposer les chefs. La même chose à peu près aurait lieu chez nous si des personnes d'un rang élevé , allant visiter un palais ou un château , faisaient beaucoup d'amitiés aux do - mestiques et les comblaient de présens, sans avoir égard ni faire attention aux maîtres de la maison. C'est un inconvénient d'autant plus difficile à éviter pour les navigateurs, que sou- vent les esclaves ne sont distingués des chefs par aucune mar- que extérieure; mais il donne l'explication de procédés qui ont souvent paru surprenans et bizarres de la part des chefs des nations sauvages. La conduite des hommes de l'équipage est encore souvent un grand sujet de discorde entre les navigateurs et les tribus sauvages; quelque surveillés qu'ils soient, quelque recom- mandation qu'on leur fasse, ces hommes sont persuadés que les sauvages sont faits pour obéir à toutes leurs volontés , pour céder à tous leurs caprices , et le plus souvent ils agissent con- formément à cette opinion. C'est un fait que je n'ai eu que trop d'occasions de remarquer, et qu'il est encore très-difficile de prévenir, si les officiers n'ont pas constamment les jeux sur les actions des matelots; car cette classe, sans être cependant ni méchante ni cruelle , est généralement peu disposée à écouter la voix de la raison et des sentimens. Dans ce cas , le mieux estde diminuer, autantque possible, les rapports des ma- telots avec les sauvages des îles où l'on se trouve en relâche. PIÈCES JUSTIFICATIVES. <;81 Pour remplacer les matelots morts ou déserteurs, ou pour se procurer un renfort de bras utile à leurs opérations, les ba- leiniers anglais ou américains ont souvent pris sur leurs navi- res des sauvages de la Nouvelle-Zélande. En général, ces na- turels ont été durement traités , et les blancs les regardent à peu près comme des esclaves dont ils deviennent maîtres ab- solus. Enfin, quand ils en ont tiré toutes sortes de services, ils les abandonnent au premier endroit venu, sans ressources et sans aucune sorte d'indemnité pour leurs longs services. Chez ces peuples essentiellement guerriers, il est indispen- sable que le chef puisse mener lui-même ses combattans au champ de bataille. Ainsi dans la tribu de Kahou-Wera, près de laquelle nous étions mouillés, Koro-Koro n'ayant laissé qu'un fils à peine sorti de l'adolescence, son frère Touai avait occupé depuis sa mort le rang suprême. Touai avait pourtant un frère plus âgé que lui ; mais comme ce frère était d'une santé chancelante, il avait lui-même renoncé aux privilèges du commandement. Touai nous répétait sou- vent qu'il allait partir pour la guerre, autrement ses con- citoyens cesseraient d'avoir pour lui aucune espèce de consi- dération , malgré les droits de sa naissance. Touai paraissait lui-même disposé à remettre l'autorité suprême au fils de Koro- Koro, dès que l'âge de celui-ci le lui permettrait. Au sommet du pâ de Kahou-Wera , dans une petite case destinée à cet usage, lorsque Touai était absent, se tenait constamment un guerrier de confiance, un rangatira chargé de surveiller tous les mouvemens qui se passaient aux environs. Touai m'assura qu'en temps de guerre il ne pouvait guère s'en écarter lui-même , et que c'était là son poste , comme autrefois c'était celui du grand Koro-Koro. Quand j'allai avec lui visi- ter son pâ, l'ariki Touao , son cousin , était de garde à la porte ; il vint nous reconnaître avec sa lance à la main , escorté de deux guerriers, et demanda de loin qui nous étions. Le chef Touai lui répondit que c'était le rangatira para-parao du vaisseau français. Ce mot para-parao veut dire qui commande ; 682 PIECES JUSTIFICATIVES. ils désignent ninsi le lieutenant d'un navire européen , parce qu'ils ont observé qu'il commandait plus souvent aux matelots que le capitaine lui-même. D'ailleurs chez eux le rangatira para-parao est ordinairement aussi le lieutenant militaire du chef principal , le commandant spécial des guerriers. Pour obtenir de Touai des détails plus positifs sur la céré- monie du baptême , je profitai d'un moment où ce chef, re- connaissant de quelques présens que je lui avais faits, me parut mieux disposé que jamais en ma faveur, et prêt à répondre à mes questions d'une manière plus satisfaisante que d'ordi- naire. Je ferai observer que c'est une marche indispensable à suivre pour quiconque voudra s'instruire avec quelque suc- cès des coutumes et des opinions de ce peuple singulier, que de procéder avec beaucoup de circonspection, de paraître en- trer dans ses opinions, et même de les respecter et de les ad- mirer jusqu'à un certain point , car ces hommes sont très-sen- sibles au mépris et aux dédains des Européens, et par tous les moyens possibles ils cherchent à se soustraire à des senthnens aussi humilians pour leur vanité. Au début de l'entretien, Touai ne cherchait qu'à éluder mes questions, soit par un «je ne sais pas — I don't /enow,» assez froid, soit en alléguant que ces cérémonies n'étaient que des niaiseries bonnes seulement pour des sauvages, soit enfin en prétextant que cela ne devait avoir aucun intérêt pour moi. Bientôt, devenu plus complaisant, il répondait à mes ques- tions, il est vrai, mais souvent il débitait tout ce qui lui pas- sait par la tète , fort indifférent au fond à ce que ces documens fussent vrais ou faux. Après l'avoir interrogé sur le baptê- me , et lui avoir récité les mots attribués par la grammaire à cette cérémonie, il répondit même d'abord qu'ils étaient conformes à ce qu'on pratiquait en pareil cas. Enfin, pressé de m'en donner la signification en anglais, comme j'étais sur- pris de ne trouver aucun sens à sa traduction , il finit par con- venir qu'effectivement ces mots ne signifiaient rien , et qu'il ne savait pas où l'on avait pu les recueillir. Ce fut alors seule- PIECES JUSTIFICATIVES. 68 •> ment qu'après de nouvelles instances, il consentit à me don- ner les paroles baptismales, telles du moins qu'on les avait employées à la naissance de son fils , avec les rits qui furent suivis dans cette cérémonie, car il est très-probable que ces rits comme ces paroles varient de tribu à tribu, et peut-être dans les familles de la même tribu, suivant le caprice des arikis ou de ceux qui dirigent la cérémonie. Cinq jours après la naissance de l'enfant, la mère , assistée de ses amies et de ses parentes, le déposa sur une natte, et cette natte est soutenue sur deux monceaux de bois ou de sa- ble. Toutes les femmes , l'une après l'autre , trempent une bran~ cbe dans un vase rempli d'eau, et en aspergent l'enfant au front. C'est en ce moment qu'on lui impose son nom; le nom est une affaire sacrée pour ces peuples , et à leurs yeux il fait en quelque sorte partie d'eux-mêmes. Cependant ils en changent quelquefois pour perpétuer le souvenir d'une circonstance, d'un exploit remarquable dans leur vie. Ainsi en mémoire du lieu où périt de maladie Koro- Koro , à Witi-Anga , à la suite d'un combat, son frère Touai prit le nom de Kati-Kati , mais l'ancien a prévalu. Il est ar- rivé le contraire à l'égard de Pomare, dont l'ancien nom Wetoï était presque oublié, comme des chefs King-George et Georges, dont les noms primitifs étaient inconnus des Euro- péens, etc. , etc. Dans ces occasions, assurait Touai, il fallait que la cérémonie du changement de nom fût consacrée par un nouveau baptême. Voici les paroles employées au baptême du fils de Touai , d'après sa propre diction et conformément à notre prononcia- tion. Quant à la valeur de chacun des mots séparément, je ne puis en répondre, car ce chef l'ignorait lui-même, et ne pouvait distinguer les syllabes isolées de celles qui devaient être réunies en un seul mot. D'ailleurs il arrive souvent que cer- taines alliances de mots donnent au composé une valeur toute différente de celle qu'ils ont par eux-mêmes : 684 PIECES JUSTIFICATIVES. (tokou taaama. Que mon enfant 3 tôt Ijict. soit baptisé. j Ai te parau>a. Comme la haleine, > &\a bibi. puisse-t-il être furieux, \ itiu nçjoui' \)\a. puisse-t-il être menaçant. iâo te tama. Qu'à cet enfant j Met, kani. la nourriture soit fournie eti, te œcta Ce toto rot al tDano, tOano, uiano, roaito, iflai toki -oumi e. TOME III. Ha bibi toit, fia ngou'ta ton, (ko vocioci tou, fio ma roana Coue touc toue fia taka Haro poubt aï fia taka te roaro. pi pi ra ou e boit ko i e fli pi Ra ou c bou ko t e. fie kott kotta, Ce oubou 0 te ariki pi pi ra ou e bou ko t c <Ê tapou (Ê tapou tou mata tara roa (6 ngaro <£ ngaro tou ki tana e tu>a. <£ nva 44 fi 90 PIECES JUSTIFICATIVES. (6 ma tou kouo ki te matai UJcro u>ero. tOero votre, te toro o moi ta, {Veto Ijia , ki taï \)ïa , UJaka rama, uuika roroo te tara ki a taï, JRe ko tiitji inauaiua reka «Le manama ki o tou. A] aï, Ijo i, Ija ! Ajoï, Ijoï, l)a ! itia ouiiou, l)aï Ijoï 1)0 ! 3ki iki 3 M iki ii'oro iuara lîo taï tonçio roo 3 totwo. et le patou-patou , qui est pour tous les naturels de la Nouvelle-Zélande ce que le poignard et le couteau sont pour les Italiens et les Espagnols. Ils ne lancent jamais la longue pique : rarement ils lancent la petite; mais alors ils s'approchent aussitôt et engagent le combat avec le patou-patou, qui est fait avec un os de baleine ou un mor- ceau de la pierre verte qu'ils nomment pounamou. Les enfans sont très-gais , se témoignent beaucoup d'amitié , PIECES JUSTIFICATIVES. 695 cl déploient dans leurs exercices une agilité remarquable ; ils s'amusent à faire des cerfs-volans, des fouets, d'autres jouets et de petites pirogues; ils dansent ensemble et s'exercent à la fronde. Les jeunes gens ne sont réputés hommes laits que lors- qu'ils atteignent l'âge de vingt ans; alors s'ils ont appris à se servir de la lance etdu patou-patou,ets'ils ont une certaine cor- pulence, on les tatoue entièrement et ils sont proclamés guer- riers. Souvent l'opération du tatouage auprès des yeux leur cause des douleurs inouies dont les suites leur font perdre la vue. ( Hommes et femmes, tous ces insulaires sont également mo- destes ; ils observent en ce point la régularité la plus scrupu- leuse , et sont toujours complètement couverts par leurs habillemens qui consistent en une natte grossière faite de phormium, et barbouillés d'oerc rouge ; ils mettent par-dessus, dans les jours froids et pluvieux, une seconde natte faite avec lécorec d'un arbre nommé ohe : la première est l'ouvrage des femmes et l'autre celui des hommes. Leurs cheveux sont réunis en un nœud sur le sommet de la tète ; dans des occasions parti- culières, les hommes se parent de grandes plumes blanches qu'ils placent horizontalement dans ce nœud, et ils en at- tachent en même temps à leurs oreilles. Les hommes se parent également de guirlandes de fleurs rouges et blanches et de verdure, placées avec un goût tout particulier. Le rouge est la couleur préférée, et partage avec les branches vertes l'avan- tage d'être le symbole de la paix. Ces ornemens de feuillages ne sont portés d'après aucune idée religieuse , ce sont de sim- ples décorations. Les sauvages ne peuvent souffrir la couleur blanche ni la noire, ils se couvrent de peintures et s'ornent de fleurs à l'approche d'un étranger , qu'ils accueillent par ees mots : Miti arowi, en même temps qu'ils frottent leur nez contre le sien , cérémonie fort désagréable pour celui-ci , mais seul gage de sa sûreté. La polygamie est permise : dans l'ab- sence de leurs époux, les femmes prodiguent leurs faveurs sans aucune distinction ; le mari se trouve même flatté de 698 PIECES JUSTIFICATIVES. toutes les attentions qu'un blanc veut avoir pour sa femme. Le grand âge est l'objet du plus profond respect : un chef même donne la nourriture à un homme de basse classe que la vieillesse a privé de ses facultés; mais aucun sentiment d'affec- tion n'est le mobile de ces bons procédés. Cependant nulle part les lois de l'amitié et les liens de la parenté ne sont plus respectés. Les hommes vivent généralement quatre-vingts ans et les femmes quatre-\ ingt-cinq et quatre-vingt-six. A la mort d'un chef, sa tribu se rassemble et se livre à la joie ; on mange des oiseaux, des anguilles, des pommes de terre, mais ni en- trailles ni viande crue. Une demi-heure après la mort, la tête* est coupée et on s'occupe de la conserver. Le corps, placé dans une caisse qui est mise debout dans une maison bâtie tout exprès, y reste deux ans entiers; ensuite on enlève les os pour le* brûler; le coffre passe à un nouvel occupant. Les hommes du peuple et les esclaves sont enveloppés, après leur mort, dans leurs propres nattes, et jetés comme des chiens dans un trou creusé derrière les cabanes; quelquefois, mais bien rare- ment, les amis du défunt viennent pleurer sur sa tombe pen- dant environ une demi-heure, ensuite on ne s'en occupe plus pendant long-temps. Il arrive fréquemment que le corps d'un défunt de cette classe est enlevé et mangé pendant la nuit, mais c'est un crime puni de mort. Si ce cadavre reste enterré ^ on enlève les os au bout d'un certain temps et on les brûle. Les os des ennemis vaincus ne sont pas consumés par le feu ; on en fait des hameçons, des flûtes, et d'autres objets qu'on porte comme trophées. La mort exerce particulièrement ses ravages sur les enfans de l'âge de. deux ans ; on observe pour eux les mêmes cérémonies que pour les chefs ; les femmes sont également traitées de la même manière, à l'exception des es- claves qui sont brûlées immédiatement. Les principales maladies de ces insulaires paraissent être l'éléphantiasis et le pian, infirmité très-commune dans les An- tilles; elle paraît avoir pour cause une extrême indolence et 1 habitude de rester assis sur les cendres dans les cabanes. On PIECES JUSTIFICATIVES. 697 \oit des naturels privés do leurs pieds et de leurs mains; leur eorps est dans un état affreux de maigreur, et les extrémités tombent en pourriture. 11 y a aussi parmi eux beaucoup de Scrofuleuz. Quoique les maux d'yeux soient communs par les suites du tatouage et de la fumée des habitations, cependant la cécité est rare avant le grand âge, et elle ne frappe géné- ralement que les femmes. Les maux de dents et la surdité sont inconnus. Lorsqu'un membre est cassé ou démis, ils le remet- tent dans sa position naturelle, le fixent avec des attelles et des feuilles de palmier, et l'exposent deux fois par jour à la vapeur d'herbes mouillées jetées sur le feu. Ils choisissent , pour bâtir leurs villages, le penchant d'une colline faisant face au point du rivage où l'on peut débar- quer de ce côté , et enlèvent tout ce qui pourrait les empê- cher de voir arriver les pirogues et les navires. Leurs maisons sont propres et solides ; elles ont seize pieds de hauteur , dix de largeur et trente de longueur : le plancher, élevé d'un pied au-dessus du sol, est couvert d'une espèce de claie en lianes; ils y laissent de petites ouvertures dans lesquelles ils allument du feu lorsque le temps est froid et humide. Quand quelqu'un tombe malade , ou lorsqu'une femme est sur le point d'accou- cher , on construit une petite cabane particulière à quelques toises des autres maisons ; on y met le feu dès qu'elle n'est plus occupée. Les jardins sont placés en général à une certaine dis- tance des maisons; on y cultive des pommes de terre, des choux, et d'autres plantes potagères introduites par les Euro- péens. On conserve les pommes de terre pendant la saison de l'hiver, par le même procédé qu'emploient les Irlandais. Les hommes chassent , pèchent , bâtissent les maisons , cons- truisent les pirogues et travaillent au jardin; mais ils aime- raient mieux mourir que de porter leurs provisions : les fem- mes sont chargées de tous les fardeaux. Pendant la belle saison ils tuent des albatros, des poules sauvages, des phoques, des rats, etc., etc. Ils fument ces animaux et les conservent entiers, enfermés dans des sacs pendant plusieurs mois. Ces provision^ G 98 PIECES JUSTIFICATIVES. d'hiver sont à l'abri des rats sur une plate-forme établie au sommet d'un poteau bien lisse auquel ils montent à l'aide d'une échelle mobile. lisse procurent du feu en frottant vive- ment un bâton pointu dans une rainure du même bois , dont la poussière s'enflamme dans un instant. Leur procédé, pour préparer les alimens, consiste a rôtir la viande ou le poisson sur le feu, ou bien ils creusent un trou dans la terre, y font chauffer une grande quantité de pierres, enveloppent ce qu'ils veulent faire cuire dans des herbes vertes et recouvrent le tout avec de la terre. L'équipage du Snapper axait adopté ce moyen pour faire cuire son pain a l'aide de pierres rougics. Leurs pirogues bien construites et décorées de sculptures résistent difficilement à une grosse mer ; mais lorsque l'eau est calme et unie, les rameurs leur impriment une grande vitesse. Les pirogues de guerre sont généralement simples , et ont de soixante-dix à cent pieds de longueur : c'est aussi le nombre des combattans et des rameurs; elles marchent avec une promp- titude extraordinaire. Les grands filets de pêche ont de un à deux milles de longueur et entre dix à douze pieds de hauteur: ils sont faits avec les fibres du phormium , sans aucune prépa- ration. La mer est très-poissonneuse. On trouve de l'eau douce presque partout , mais elle n'est pas toujours d'un goût agréable. Le pays est infesté de rats; on n'y rencontre aucun reptile venimeux. On voit fréquem- ment de petites chauve-souris, des iguanes, des lézards, beau- coup de moustiques, de grosses mouches, des abeilles, des criquets et des sauterelles. La vue d'un lézard alarme les in- sulaires, quoiqu'ils mangent souvent des animaux plus sales. Ce peuple n'avait pas encore de cochons à l'époque du voyage du Snapper. M. Edwardson leur en a donné plusieurs dont ils ont pris le plus grand soin ; ils paraissaient sentir toute l'im- portance de ce présent. Leshabitans de Tavai-Pounamou croient qu'un Etre-Suprême a tout créé, excepté ce qui est l'ouvrage de leurs mains, et qu'il ne leur fera aucun mal. Ils l'appellent Maaouha (sans PIECES JUSTIFICATIVES. 699 doute Mawiy Roekou-Nouï-Etoua est un bon esprit qu'ils supplient nuit et jour de les préserver de tout accident. Kow- lioula est l'esprit ou Et ou a , qui gouverne le inonde pendant le jour, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Ils ap- pellent à haute voix Rockou-Nouï-Etoua et Kowkoula à leur secours. Rockiola est l'esprit nocturne, la cause de la mort, des maladies et de tous les accidens qui peuvent arriver pen- dant les heures de son règne ; c'est pour cette cause qu'on s'a- dresse à lui et à Rockou-Nouï-Etoua pendant la nuit. Il existe des traditions fabuleuses au sujet d'un homme ou d'une femme qui habite dans la lune. Les choses belles et curieuses qu'ils voient entre les mains des Européens leur font regarder ceux-ci comme des espèces de diahlcs ou d'esprits (Etouas*). Ils observent les blancs avec la plus grande attention, et épient leurs démarches. La dissimu- lation, qui gâte chez eux quelques heureuses dispositions, leur caractère vindicatif et leur esprit rusé les rendent sensibles à la moindre offense; il est alors très-difficile de les apaiser. Si un chef reçoit un présent moins considérable qu'un autre chef, ou si l'on fait un cadeau à un homme du peuple, la colère du premier ne connaît plus de bornes. Cette susceptibilité rend trop pénible la position d'un étranger qui traite avec ces peu- ples, et qui , à tout événement, doit chercher à plaire à tous. C'est au manque d'une sage politique qu'il faut attribuer la mort de plusieurs blancs. On peut citer parmi les nombreuses victimes de la férocité des insulaires le capitaine Tucker et l'équipage de son canot ; cinq hommes du canot du Sydney-Cove , bâtiment pêcheur, tués par Hunneghi, chef d'Owaï, dans la partie orientale du détroit de Foveaux; quatre hommes de la goélette Brothers massacrés au havre Molineux; plusieurs matelots du gênerai Gates ; enfin trois Lascars du brick Matilda qui avaient dé- serté pour cause de mauvais traitemens : trois autres qui fu- rent épargnés enseignèrent aux naturels la manière d'attaquer les Européens pendant les fortes pluies, lorsque les fusils ne 700 PIÈCES JUSTIFICATIVES. peuvent pas servir, et de plonger pour couper les câbles des navires pendant la nuit. James Coddell, ancien matelot du Sydney-Cave, avait été pris à l'âge de seize ans, et en avait passé autant avec les natu- rels de Tavai-Pounamou, lorsque Je Snapper l'amena à Port- Jackson , où les officiers de la Coquille l'ont vu. Cet homme, qui avait épousé une jeune insulaire nommée Tougui-Touki , s'était tellement familiarisé avec le genre de vie de ces sauva- ges, qu'il était devenu aussi franc cannibale qu'aucun d'eux. 11 avait embrassé leurs idées et leurs croyances, ajouté foi à leurs fables, s'était plié à tous leurs usages, si bien que l'on aurait pu croire que la Nouvelle-Zélande était sa véritable pa- trie. Son caractère vil et rusé l'avait fait favorablement ac- cueillir des naturels. Dans les premiers rapports qu'il eut avec M. Edwardson, il avait eu de la peine à se faire comprendre, et avait tellement oublié sa langue maternelle qu'il pouvait difficilement servir d'interprète. Il était regardé comme fort dangereux ; mais en ne lui accordant pas une trop grande con- fiance on parvint à tirer de lui beaucoup de services. Nota. Les noms propres Ohe , Maahoua , Rockou-Nouï- Etoua, Kowkoula et Rockiola ne se trouvent point dans le Vocabulaire des missionnaires, et je soupçonne fort qu'ils sont écrits d'une manière incorrecte , ainsi que le salut Miti arowi. ( Note de M. d'Uivtllc. ) PIECES JUSTIFICATIVES. 701 VOYAGE DE M. DILLON. M. Dillon, commandant le navire de la Compagnie des Indes, le Research, envoyé à la recherche des dé- bris du naufrage de Lapérouse, toucha à la baie des Iles de la Nouvelle-Zélande , d'abord en allant à Va- nikoro, au mois de juillet 1827, puis à son retour, au mois de novembre de la même année. Ses deux relâ- ches furent très-longues ; l'une fut de plus de trois se- maines , et l'autre dépassa quarante jours. Ce marin , sans doute , aurait pu nous procurer d'utiles rensei- gnemens sur les Nouveaux-Zélandais , d'autant plus qu'il possède , dit-il , parfaitement leur langue et toute leur confiance, et qu'il avait déjà fait cinq ou six voyages parmi eux. Cependant sa narration n'offre presque aucuns détails importans sur ce sujet, et je n'ai pu en extraire qu'un petit nombre d'articles dignes de quelque intérêt. Il est vrai que M. Dillon promet de donner plus tard une description complète des cou- tumes civiles et religieuses de ce pays : espérons qu'il tiendra sa promesse. 702 PIECES JUSTIFICATIVES. Nous citerons toujours l'édition française de la nar- ration de M. Dillon, intitulée Voyage aux Iles de la Mer da Sud en 1827 et 1828, etc., par le capitaine Peter Dillon. Paris, 1830. M. Dillon raconte, ainsi qu'il suit, l'accueil que fit à son arrivée à Korora-Reka , le 1er juillet 1827 , l'un des chefs de ce village aux deux naturels de la rivière Tamise, Bryan Borou et Morgan Mac-Marragh , qui l'avaient suivi sur son navire à Calcutta. Nous ferons observer en même temps que ces deux noms n'étaient point les véritables noms de ces deux naturels , mais deux sobriquets ridicules que M. Dillon leur avait imposés , à l'imitation des capi- taines baleiniers qui ne manquent jamais de remplacer les noms ordinairement harmonieux des insulaires par les désignations les plus triviales et les plus mal sonnantes. ( T. I,pag. 182 et suiv.) Notre conversation prit ensuite une tournure politique . Il ir'apprit qu'il était neveu de Pomare*, chef puissant et pro- priétaire de ce port, que mes amis de la rivière Tamise (rivière du pays ) avaient tué , il y avait environ dix ans. Il ajouta qu'un des fils de Pomare avait également été tué avec environ deux cents guerriers , et qu'il se préparait contre les tribus de la Ta- mise une expédition, composée de tous les chefs du nord qui s'étaient coalisés pour exterminer tous les Borou et les Mac- Marragh. Il me demanda ensuite où étaient les deux jeunes gens du pays de la Tamise , que j'avais emmenés sur le Saint- * M. Dillon a écrit ce nom très-incorrectement, Bou marray. Pomare se compose de deux mots,po, nuit, et mare, rhume. On a dit quelque part que ce chef zélandais prit ce nom d'après celui du souverain de Taiti alors ré- gnant; il se nommait auparavant Weloi. PIECES JUSTIFICATIVES. 703 Patrick. Quand je lui eus appris. qu'ils étaient avec moi , il me dit : • Livrez-les nous pour être tués et mangés sur-le-champ. • Il était revêtu de la natte de guerre , avec un manteau de peau de chien, jeté négligemment sur ses épaules. En ce moment sa physionomie prit un air de férocité impossihle à décrire; ses veux sortaient de leurs orbites et exprimaient le désir le plus ardent de saisir des malheureux qui n'avaient commis d'autre crime que d'appartenir à une tribu avec laquelle il était en guerre. Je n'ai pas besoin de dire que je déclarai à ce canni- bale que les jeunes gens en question étaient sous la protection du pavillon et des canons anglais, et ne seraient pas molestés tant qu'ils resteraient sur le vaisseau ; que là ils étaient tabou; que quand ils seraient à terre, on pourrait les traiter confor- mément aux lois de la Nouvelle-Zélande; mais que les inten- tions qu'il avait manifestées à leur égard , me feraient apporter du soin à choisir le lieu où je les mettrais à terre. J'ordonnai alors qu'on fît monter sur le pont mes amis Bryan Borou et Morgan Mac-Marragh. Ils se présentèrent à l'escalier du vaisseau et entamèrent une conversation avec l'homme qui venait de se montrer si avide de les dévorer. Le chef leur parla avec autant de sang-froid que s'il n'eût pas témoigné le désir de se régaler de leur chair, chose dont , à en juger par les pré- paratifs qui avaient été faits dans sa pirogue, il paraissait avoir eu l'idée avant de venir auprès du vaisseau. Il s'exprima avec le plus grand respect sur le compte du père de Bryan, et dit que deux des fils de Pomare avaient été faits prisonniers dans une bataille avec d'autres personnages d'importance apparte- nant à sa tribu et emmenés en esclavage; que peu de temps après le père de Bryan avait ordonné qu'on leur rendît la li- berté , et leur avait fourni une pirogue pour les ramener dans leur pa>Ts; qu'en ce moment ils se trouvaient à deux journées de marche dans l'intérieur, mais qu'ils viendraient rendre vi- site à Bryan aussitôt qu'ils seraient informés de son arrivée. Le vaisseau étant amarré , je permis à ce chef de venir à bord. Brvan Borou et lui se prirent par la main et avancèrent 704 PIECES JUSTIFICATIVES. leur tète jusqu'à ce que leurs nez se touchassent ; après quoi ils s'entretinrent des exploits des compatriotes de Bryan dans les dernières guerres. L'accueil que fit King-George, chef de Korora-Reka, à ce même Bryan Borou, n'est pas moins curieux. ( T. I , pag. 195.) Le 4 juillet. Je reçus dans la matinée la visite de la reine Tourourou, de son frère Mao un ga, et de son fils le roi George, qui était de retour à Korora-Reka. A peine le roi George était-il monté sur le pont, qu'il s'in- forma de Brvan Borou. Celui-ci, que j'eus beaucoup de peine à y déterminer, consentit enfin à se présenter. Le roi George s'approcha de lui et l'embrassa tendrement , ce que fi- rent aussi sa mère et Maounga; après quoi il adressa un long et éloquent discours à Bryan Borou et à Mac-Marragh , pour les prier, à leur arrivée dans la Tamise, d'informer leurs amis que lui et les chefs du Nord n'avaient pas oublié la perte de Pomare, et que son intention était de partir pour leur pays dès que la récolte des patates serait rentrée , c'est-à-dire au mois de janvier suivant, pour tirer vengeance de la mort de Pomare et de plusieurs autres de ses amis, qui avaient été tués dans la bataille livrée l'année précédente. Il avoua en même temps que la bataille dans laquelle Pomare avait péri s'était donnée en plein jour; qu'il n'y avait pas eu de trahison noc- turne, et que tout s'était passé loyalement. Il fit ensuite présent à Bryan Borou de quelques corbeilles de patates , l'assurant qu'il avait la plus grande estime pour son père, et qu'il était extrêmement peiné que les lois de la Nouvelle-Zélande l'obli- geassent à rechercher sang pour sang , et à faire la guerre aux amis de ce jeune prince. On sera bien aise de trouver ici comment les naturels PIKCES JUSTIFICATIVES. 705 de korora-Keka racontèrent à M. Dillon les circonstances qui causèrent el suivirent la mort de l'infortuné capitaine Marion. ( T. I,pag- 200 et suiv.) Maounga (qui a pris le nom de King-Charlcy) ayant men- tionné le nom de Marion , je jugeai à propos de m'enquérir des circonstanees qui avaient amené le massacre de ce naviga- teur dans la baie même où je me trouvais. Voici ce que j'ap- pris : le capitaine Marion, dans le cours d'un voyage de dé- couvertes, relâcha à la baie des Iles, où ses bâtimens jetèrent l'ancre à un endroit nommé aujourd'hui la Baie du Vaisseau, et situé derrière l'île de Paroa , l'une de celles qui bordent la côte depuis le cap Brctt jusque vers la pointe de Tapeka. La reine Touroulou dit qu'elle se souvenait parfaitement bien du massacre ; qu'il y avait à bord du bâtiment de Marion une femme européenne nommée Micki* , laquelle avait avec elle un enfant; mais je ne pus comprendre de quel sexe il était. Micki était descendue à terre à Paroa pour laver du linge, et des gens de la tribu de Wangaroa lui en dérobèrent différentes pièces. Une rixe s'éleva ensuite entre les matelots et les natu- rels, au sujet de quelques poissons pris dans un filet. Micki fut très-effrayée et se sauva à bord du vaisseau dans un des ca- nots. Sur ces entrefaites, le capitaine Marion , ignorant ce qui se passait, était descendu à terre; il fut tué. La nouvelle de cet événement ne tarda pas à arriver aux vaisseaux , et deux cents hommes débarquèrent armés de fusils. Les naturels, se fiant sur leur nombre, leur firent face hardi- ment. Le patou-patou et le javelot n'avaient pas beau jeu con- tre les balles de fusil, et les gens de Wangaroa, qui tombaient par douzaines, ne concevaient pas comment cela arrivait, ne pouvant apercevoir l'objet qui les blessait. A la fin ils s'enfui- rent sur la grande terre et prirent poste dans un endroit for- * Il faut peut-être lire Maiki, nourrice, en langue du pays. «TOME III. 45 700 PIECES JUSTIFICATIVES. t i fié. Ils supposaient qu'ils s'étaient battus contre des esprit», qui soufflaient du feu et de la fumée sur eux par la bouche avec de gros tubes de fer. Ils donnèrent au fusil le nom de pou qui lui resta et qui, dans leur langue, signifie souffler. Les Fran- çais les poursuivirent sur la grande terre et en massacrèrent un nombre considérable. L'homme qui avait tué le capitaine Marion se nommait Te Kouri (le Chien) ; il était natif de Wangaroa , et il est assez re- marquable que la tribu de Wangaroa fut la première et la dernière à faire du mal aux Européens. Les bardes du pays ont composé plusieurs chansons sur cette bataille et sur la mort de Marion. Il y est souvent fait mention de Micki et de son enfant. J'avais, en diverses occasions, en- tendu chanter ces chansons; mais je n'en avais pas jusqu'alors compris le sens. Quand les naturels apprirent que M. Chaigneau était un compatriote de Marion, ils lui donnèrent le nom de Marion, et continuèrent toujours à l'appeler ainsi. (^Tome I , page 222. ) 12 juillet. Au nombre des spectateurs était un orateur femelle, prêtresse du rang le plus élevé, et jouissant dune grande considération parmi les tribus environ- nantes. Elle se nommait Wanga-Taï. Cette femme était regar- dée par ses compatibles comme au-dessus du commun des mortels, et ils lui supposaient une puissante influence sur la déité qui, d'après leur croyance, gouverne les âmes dans l'au- tre monde. On lui prêtait aussi le pouvoir de makoutou, c'est- à-dire d'ensorceler les gens et de les faire mourir par ses sorti- lèges quand il lui plaisait. C'était en même temps une espèce de sibylle; et, dans toutes les expéditions contre les ennemis, on la consultait sur le résultat qu'elles devaient avoir; on appre- nait d'elle le jour le plus propice pour mettre à la voile, ainsi que le jour et l'heure où , pour être agréable h la déité dont elle était l'organe , il convenait de livrer bataille. Comme de raison, elle exerçait l'empire le plus absolu sur l'esprit des na- turels, et ses oracles touchant l'issue d'une campagne ne pou- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 707 \ aient manquer de s'accomplir souvent, par suite de la dé- lia née ou de la confiance qu'elle avait donnée aux guerriers, selon que son caprice ou son intérêt la portait à désirer ou à craindre le succès d'une entreprise. (3n assure que celte prêtresse aime beaucoup les Européens, et elle en donne une preuve assez évidente , en choisissant tou- jours un époux parmi eux. Sa personne est regardée comme trop sacrée pour qu'il s'établisse des relations intimes entre elle et des individus de sa nation. ( Tome I , page 228 et suiv. ) l3 juillet. Vers midi la prê- tresse Wanga-Taï revint nous voir. Elle était accompagnée des deux fils de feu Pomare, qui avaient désiré s'entretenir avec Brvan Borou. Quelques autres chefs faisaient partie de sa suite. Tous embrassèrent tendrement Bryan Borou , et dé- plorèrent, en versant d'abondantes larmes, la malheureuse affaire qui avait rompu l'amitié des deux familles, et les for- çait de chercher à avoir le sang des amis de Borou. Les fils de Pomare racontèrent la mort de leur père à peu près de la manière suivante : ils commencèrent par me de- mander si je me souvenais d'une circonstance de mon dernier voyage sur le Saint-Patrick , pendant que j'étais en charge dans leur Tamise. Voici de quoi il s'agissait : j'avais, ainsi qu'ils me le rappelaient par leurs questions, demandé à leur père, qui faisait alors une tournée dans la baie des Iles, d'a- mener avec lui deux mille hommes pour me couper du bois de mâture, attendu que les gens de la Tamise m'assistaient avec trop de lenteur, et je lui avais promis, dans le cas où il parviendrait à compléter ma cargaison en deux mois, de lui faire présent de cinq fusils et de deux barils de poudre. Cette espèce de marché avait été conclu a la grande satisfaction du père des deux jeunes narrateurs *. * Il est certain que ce marché dut parfaitement convenir à l'avide Pomare, ainsi qu'à ses cruels compagnons; mais on doit faire observer que M. Dillon ne pouvait provoquer un meilleur moyen pour consommer la ruine des malin u- 45* 708 PIÈCES JUSTIFICATIVES. Pomare était en effet parli , avec plus de deux mille hom- mes tous armés, pour les bords de la rivière Tamise, afin de faire couper mon bois. A leur arrivée, ils trouvèrent que j'a- vais mis à la voile pour le port où j'étais en ce moment avec le Research. En conséquence ils remontèrent la Tamise dans leurs pirogues jusqu'au point où cette rivière cesse d'être na- vigable; de là ils avaient traversé par terre le pays de Borou, et y avaient été reçus d'une façon très-hospitalière. Pomare avait alors invité avec instance les gens de la tribu de Borou à l'assister dans une invasion qu'il projetait du pays de Waï- Kato , mais les Borou l'avaient refusé, et l'avaient prié de re- tourner paisiblement sur son territoire. En conséquence il re- descendit la rivière pour gagner les îles Barrière , rendez-vous général de ses forces. Là , un de ses chefs nommé Tawaï dé- clara qu'il ne s'en retournerait pas sans avoir tué quelqu'un , parce qu'il avait la plus grande envie de faire un repas de chair humaine. Tawaï s'en fut donc débarquer sur la grande terre, mais une troupe d'hommes du canton, qui avaient soupçonné son dessein, était en embuscade près du rivage, et le tua ainsi que tous ses guerriers. Pomare attendit pendant quelques jours le retour de Tawaï; ne le voyant pas revenir, il en conclut qu'il lui était arrivé quelque accident, et il alla à sa recherche. En pénétrant avec sa pirogue dans une crique étroite, dont les bords étaient très -escarpés, il fut subitement assailli par une décharge de mousqueterie accompagnée d'une grêle de flèches et de pierres que lançaient sur lui un parti embusqué des deux côtés de la crique. Avant que les gens de Pomare pussent atteindre aux endroits commodes pour débarquer, ils furent presque tous tués. Il n'y eut que lui, son fils aîné et quelques-uns des sieDS qui purent mettre pied à terre. Pomare reçut une balle dans la cuisse et tomba sur un genou; alors les ennemis accouru- reux habitans de la haie Sliourati , déjà si maltraités par ceux de la baie des Iles. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 700 rent en masse pour l'attaquer; il eu tua deux avec sou fusil double; mais, avant d'avoir pu recharger, il lut tué lui-même, et on lui coupa la tête. Ainsi périt Pomare , sous les coups d'ennemis dont il n'a- xait pu reconnaître la présence que par les soudains et terri- bles effets de leurs fusils et de leurs javelots. Ses ennemis con- servèrent sa tète , mais ils dévorèrent son corps, ainsi que celui de son lils aîné qui était mort en combattant avec intrépidité aux côtés de son père. Les deux fils de Pomare qui me racontaient la mort de leur père étaient aussi présens à cette affaire. En cherchant à fuir pour gagner la côte, ils avaient été faits prisonniers. L'un d'eux était grièvement blessé de trois coups de hache. On les emmena dans l'intérieur où on les vendit comme kou/as ou esclaves. Le père de Bryan les délivra de servitude peu de temps après, et leur fournit une pirogue avec des vivres pour les mettre à même de retourner chez eux, en les priant de ne pas oublier cet acte de bonté, si son fils arrivait dans leur havre. Bryan ne contesta pas la probabilité de leur histoire ; mais on ne put le déterminer à débarquer avec ces jeunes gens. ( Tome I, page 237.) J'ai souvent eu des entretiens avec les sauvages. Ils m'ont tous dit que la première fois qu'ils avaient vu des Européens, ils les avaient supposés descendus des nua- ges , et s'étaient figuré qu'ils ne pouvaient avoir d'autre des- sein , en venant dans leur pays , que d'enlever leurs provisions et d'emmener leurs femmes et leurs enfans en esclavage. Cette idée était fondée sur l'habitude générale de ces insulaires d'en- lever les femmes et les enfans de leurs ennemis dans leurs ex- péditions guerrières, tandis que lorsqu'ils vont rendre une vi- site amicale aux habitans d'une île voisine ou d'un pays étran- ger, leurs femmes et leurs enfans les accompagnent d'ordinaire. M. Dillon raconte aussi la visite que lui fît Shongui à son retour à la Nouvelle-Zélande ; il est bon de rappeler 710 PIECES JUSTIFICATIVES. que cette visite eut lieu tout au plus quatre mois avant la mort de ce chef célèbre. ( Tome II , page 263. ) 1 3 novembre 1827. Vers dix heures du matin je reçus la vi- site de Shongui, ce chef puissant qui avait fait, quelques au- uées auparavant, le voyage d'Angleterre, et avait eu l'honneur d'être présenté au roi Georges IV. Il avait alors promis à Sa Majesté d'aholir le cannibalisme à son retour dans son pays. Il ne tint pas cette promesse ; car depuis cette époque il aida à tuer et à manger un grand nombre de ses semblables. Il arriva à bord de mon vaisseau , accompagné de sa famille et des chefs sous ses ordres , dans deux belles pirogues de guerre. Quoique presque exténué des suites d'une blessure qui l'entraîne gra- duellement au tombeau , il a encore l'air imposant. La férocité et la ruse brillent dans ses petits yeux perçans, et l'ensemble de ses traits annonce un vrai sauvage , mais un sauvage chez lequel il y a quelques lueurs d'intelligence. Sa blessure est fort singulière : une balle de fusil lui a percé le corps d'outre en outre, en traversant les poumons; elle a laissé un trou à la poitrine et un autre au dos. L'air sort par ce dernier trou, avec un bruit qui ressemble un peu à celui de la soupape de sûreté d'une machine à vapeur. Shongui en fait lui-même un sujet de plaisanterie. Au reste, quoiqu'il ne souf- fre pas beaucoup , on voit clairement qu'il n'a pas long-temps à vivre , et il paraît en être persuadé lui-même par la précipi- tation avec laquelle il se dispose à entrer en campagne, comme généralissime de tous les chefs du nord, pour une expédition contre les tribus de la Tamise. En arrivant à bord, Shongui embrassa très-tendrement Bryan Borou , et lui exprima , en termes fort touchans , son regret d'être obligé de faire la guerre à son père qui, disait-il, était un homme très-bon. « Mais, ajouta-t-il, la mort de Po- mare doit être vengée, et il faut absolument sang pour sang. » PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7 11 LA NOUVELLE-ZELANDE. (1829.) Extrait de la Revue Britannique. Dans un recueil littéraire justement estimé, et qui parait mensuellement à Paris, sous le titre de Revue Britannique, se trouve un article \n° 59, mai 1830) relatif à la Nouvelle-Zélande. Il ne nous apprend presque rien de nouveau sur cette contrée; mais il nous donne quelques détails sur les habitans de la baie d'Abondance , et ces détails confirment tout ce qui a été écrit jusqu'à ce jour sur les mœurs et le ca- ractère de ces insulaires. C'est pour cette raison prin- cipalement que nous allons le rapporter ici en entier. La Nouvelle-Zélande, composée de deux grandes îles dont la circonférence n'est guère moins considérable que celle des Iles-Britanniques, fait partie de l'Australie ou Océanie , que les géographes modernes considèrent comme une cinquième partie du monde. Elle peut se partager en trois divisions prin- cipales, savoir : l'Archipel-Orienlal, que l'on regardait autre- fois comme appartenant à l'Asie ; le grand continent de la Nouvelle-Hollande et son appendice, la terre de Van-Diémen ; et les mille îles de la Polynésie , parmi lesquelles se trouve la • 712 PIKCES JUSTIFICATIVES. Nouvelle-Zélande. Le récit suivant d'un officier du brick le Hawes fera voir combien les insulaires de la Nouvelle-Zé- lande sont encore barbares. Cette barbarie contraste avec l'ap- titude aux arts de la civilisation , manifestée par les insulaires des Sandwich , de Taïti, et de quelques autres groupes d'îles de la Polynésie. Le 17 novembre 1828, je partis de Sydney comme second du brick le Hawcs, de cent dix tonneaux et de quatorze hom- mes d'équipage; ce brick était commandé par le capitaine John James, qui avait aussi avec lui douze matelots que nous devions débarquer, soit aux îles des Antipodes, soit à celles de Bounty. Après avoir laissé dix de ces matelots aux Antipodes et deux à Bountv, nous fîmes voile pour la Nouvelle-Zélande, but de notre voyage entrepris dans des vues commerciales. Nous touchâmes à la baie des îles au mois de décembre, pour faire du bois et de l'eau , et nous nous dirigeâmes vers le cap de l'Est, éloigné environ de cinq cents milles. Dès que les indigènes nous aperçurent , ils vinrent en foule dans de larges canots. Nous avions pris à notre bord, dans la baie des lies, un Anglais qui nous servait d'interprète : ce fut en vain qu'il chercha à leur persuader de faire des échanges. Nous fûmes très-surpris de ce refus; car ces peuples sont très-avides de tout ce qui vient d'Europe. Mais le mystère fut bientôt éclairci : notre interprète nous dit qu'ils commençaient leur chant de guerre, et se préparaient à attaquer le navire. Déterminés à faire une vigoureuse résistance, nous cou- rûmes aussitôt aux armes, et nous découvrîmes notre pièce de canon. Mais n'espérant réussir qu'autant qu'ils surpren- nent leurs victimes, les insulaires s'enfuirent avec la plus grande précipitation dès qu'ils s'aperçurent que leurs inten- tions nous étaient connues. L'objet de notre voyage ne pou- vant être atteint sur ce point, nous levâmes l'ancre, et, lon- geant la côte , nous allâmes à quelques milles plus loin à la baie de Plentv. Les insulaires y sont en grand nombre; ils sont belliqueux, voleurs et perfides. Notre capitaine permit à quel- PIECES JUSTIFICATIVES. 713 ques-uns des principaux chefs de venir à bord : il eut pour eux beaucoup d'égards , espérant ainsi les disposer à trafiquer avec nous. Sa conduite adroite lui réussit; nous obtînmes en deux jours autant de lin que nous en désirions. Nous, fûmes continuellement sur nos gardes pendant ces deux jours, car les insulaires firent plusieurs tentatives pour surprendre le navire; mais notre vigilance, excitée par l'avis que notre interprète nous avait donné si à propos, déjoua leurs projets. Nous retournâmes dans la baie des Iles arrimer nos marchandises , et faire de la place pour nos provisions. Lors- que nous eûmes achevé le tonnelage de nos barils, nous allâ- mes à quelques milles de là à un endroit nommé Tauranga, situé à l'entrée de la baie de Plenty. Tauranga offre un bon port pour les petits bâtimens ; à marée basse, il y a trois brasses d'eau. Le pays est montagneux, coupé par des bouquets de bois si agréablement jetés çà et là , qu'il ressemble à un parc dessiné par une main habile. Les montagnes sont couvertes de verdure; chaque vallon est arrosé par un ruisseau qui tantôt serpente paisiblement dans un silence délicieux , et tantôt, ar- rêté par des débris de rochers ou par des arbres , semble s'ir- riter de ces obstacles, se gonfle et s'échappe en cascades suc- cessives. Nous apprîmes qu'on trouvait dans ce lieu beaucoup de cochons sauvages : leur chasse devant nous retenir assez long-temps, nous jetâmes l'ancre. Nos entrevues avec les insu- laires confirmèrent, du moins en apparence, ce qu'on nous avait dit de leurs dispositions amicales, et, pendant quelques jours, nous obtînmes des vivres en suffisante quantité; mais cela dura peu, car au bout de sept semaines nous n'avions encore que sept tonneaux de pommes de terre et trois de viande préparée. Noire interprète recommanda au capitaine d'envoyer une barque à Walki-Tanna ( qu'il faut peut-être écrire IVariki- Tanci), établissement situé à environ cinquante milles de Tau- ranga où nous étions, l'assurant qu'il y trouverait des vivres en abondance. 71 i PIECES JUSTIFICATIVES. En conséquence, la barque fut gréée, et je fus changé du commandement. Le lendemain matin je partis avec notre in- terprète et un homme de l'équipage. A minuit, nous jetantes l'ancre dans une petite baie qui est en avant de l'établissement. Au point du jour, nous remontâmes la rivière, et, à un quart de mille environ, nous nous trouvâmes en face du pâ ou village. Ce pâ, comme tous ceux que j'ai vus dans la Nouvelle- Zélande , est situé sur une montagne escarpée et de forme conique. Sa force naturelle est encore augmentée par une es- pèce de parapet en terre. On y arrive par un sentier tournant et très-étroit que les Européens ne peuvent gravir sans dan- ger, tandis que l'habitant de la Nouvelle-Zélande court nu- pieds sur les rocs les plus hérissés de pointes avec une extrême légèreté. Des insulaires rassemblés au lieu de notre débarquement nous saluèrent de leur aire mai', parole d'amitié qui veut dire : Venez ici. Notre interprète les ayant informés de l'objet de notre visite, leur joie devint excessive; ils dansèrent et chan- tèrent autour de nous en faisant les gestes les plus bizarres, et ils déclarèrent qu'ils nous rendraient tous les services qu'ils pourraient. Ils nous conduisirent à l'habitation de leur chef par le sentier dont j'ai parlé. C'était une petite hutte faite de pieux enfoncés en terre ; les parois et le toit étaient de roseaux arrangés de façon à ne pas laisser pénétrer la pluie. La seule ouverture qui donnât du jour et de l'air était une petite porte de roseaux à coulisse et à peine assez large pour laisser passer un homme. La hauteur de cette hutte ne permettait pas que l'on s'y tînt debout. Elle était entourée d'une espèce de ga- lerie ornée de sculptures grossières, peintes en rouge, ce qui désignait le rang et la famille du chef. Les huttes des autres membres de cette peuplade sont tout-à-fait misérables , et res- semblent à des toits à porc. Ils ont l'habitude de dormir en plein air, et il faut que le temps soit bien rigoureux pour les forcer à chercher un abri dans ces cahutes. Ils dorment assis les jam- bes pliées sous eux, et ils sont couverts d'une natte de jonc ; * PIECES JUSTIFICATIVES. 715 en sorte que pendant la nuit ils ont l'air tic petites meules de foin éparpillées sur le revers de la montagne. Le chef auprès duquel on nous introduisit se nommait Nga- rara ou le Lczard. Il était grand , bien fait, d'une forte Staline et d'un aspect imposant. Tout son corps était tatoué. Nous le trouvâmes assis devant sa hutte, ayant une belle natte sur les épaules. Sa figure était barbouillée d'huile et d'ocre rouge. Ses cheveux, arrangés à la mode du pays, étaient attachés sur le sommet de la tète, et ornés de plumes de poe , oiseau très- remarquable. Dès qu'il fut informé de ce que nous désirions, il nous montra un assez grand nombre de beaux cochons qu'il consentait à nous céder. Je le priai de les envoyer par terre à 1 endroit où notre navire était stationné ; mais il répondit que cela lui était impossible, attendu qu'il était en guerre avec quelques-unes des tribus intermédiaires. Je ne vis d'autre moyen que de retourner à notre bâtiment, la barque étant trop petite pour transporter ces provisions. Malheureusement le vent était contraire et la mer très-houleuse; nous étions obli- gés de courir des bordées et de nous tenir au large. La nuit survint; le vent fraîchissant au nord-ouest, nous prîmes des ris , et notre petite barque se soutint mieux que nous n'aurions pu l'espérer; mais au point du jour nous nous trouvâmes tel- lement sous le vent de la rivière, que nous fûmes forcés de re- tourner à Walki-Tanna. Le vent s'étant calmé, nous prîmes nos rames, et, à trois heures après midi, nous étions revenus au même point que nous avions quitté la veille. Le capitaine m'avait dit de lui envoyer, par terre, un homme avec un guide , si j'étais retenu par les vents ou par quelque autre cir- constance. Voyant que le vent se fixait au nord-ouest et qu'il n'était guère probable que la barque pût rejoindre le bâtiment, je priai notre interprète d'y aller par terre. Il refusa ainsi que mon matelot, n'osant ni l'un ni l'autre se fier aux insulaires qu'ils pourraient rencontrer. Je me décidai donc à y aller moi- même ; j'engageai un des chefs de cette tribu à venir avec moi, et nous nous mimes en route le lendemain à la pointe du jour. 716 PIECES JUSTIFICATIVES. Je trouvai le pays montagneux, coupé de nombreuses ri- vières, dont il nous fallait souvent côtoyer les bords pendant des milles entiers avant de trouver un endroit guéablc; ce qui alongea de beaucoup notre route. Le lin croît en abondance sur ces rives; on y voit de petites pièces de terre cultivées, qui produisent des choux, des pommes de terre, des panais, des carottes, une petite espèce de navet, des melons d'eau et des pèches. La culture de l'oranger y a été introduite avec assez de succès. Les arbres les plus remarquables sont le kaï-katea et le koudi : ils s'élèvent tous les deux à une hauteur prodi- gieuse et sans une seule branche ; ils seraient excellens pour l'aire des mâts de grands vaisseaux. Le kaï-katea se trouve dans les endroits marécageux et sur le bord des rivières; sa feuille paraît être persistante et ses baies sont rouges. Le koudi, qui lui est préféré, croît dans les terrains sablonneux; il a un très- beau feuillage, et contient beaucoup de résine. Une grande partie du voyage se fit à travers les sables, ce qui le rendit très-pénible. Enfin, après avoir marché pendant deux jours et deux nuits, en évitant avec soin la rencontre des insulaires, nous arrivâmes auprès de notre bâtiment. Je donnai à mon guide une couple de tomahauks et un peu de poudre, ce dont il parut satisfait. Dès que notre capitaine sut que nous avions trouvé des provisions à Walki-Tanna , il leva l'ancre, et se dirigea vers l'établissement devant lequel nous arrivâmes la nuit suivante. Les habitans parurent joyeux de nous revoir; ils vinrent à nous dans de grandes barques, nous apportant d'a- bondantes provisions de porc que nous leur achetâmes sans aller jusqu'au mouillage. INgarara vint à bord, et nous traita avec une apparente cordialité. Son peuple semblait animé des mêmes sentimens, et, conformément aux ordres qu'il en avait reçus, il se tint à distance de notre navire. Nous rangeâmes nos provisions sur le pont le mieux qu'il nous fut possible, afin qu'il en tînt davantage ; et, le vent fraîchissant au sud-est, nous retournâmes dans la baie de Tauranga pour tuer et saler nos cochons; mais la quantité n'étant pas suffisante, nous mîmes PIECES JUSTIFICATIVES. 717 encore une fois à la voile pour Walki-Tanna , où nous arri- vâmes le dimanche 1er mars 1829. Le temps étant superbe, nous jetâmes l'ancre entre l'île de Maltora (ne serait-ce pas V otou -If-ira'.' ) et l'île principale. A peine étions-nous arri- ves que les insulaires vinrent en grand nombre; nous n'avions besoin que de vingt porcs, et ce fut tout ce que nous leur achetâmes. Le lundi 2 mars , à six heures du matin , la barque fut en- \ nvee à terre avec un officier et huit hommes , y compris l'in- terprète , pour tuer et préparer promptement nos porcs à une source d'eau chaude qui se trouvait sur la côte à peu de distance du vaisseau. A une heure après midi, nous les hé- lâmes pour qu'ils vinssent dîner. Comme ils ne nous enten- daient pas, le capitaine alla les trouver, et me laissa, avec trois hommes , le soin du bâtiment , ne se méfiant nullement des in- tentions perfides des insulaires. Ngarara était alors à bord avec dix ou douze des siens. Je remarquai plusieurs fois qu'ils par- laient avec chaleur du kaï-pauke (le bâtiment), et, soupçon- nant quelque trahison, je dis au commis aux vivres, qui était un Taïticn , de sortir les sabres et de surveiller Ngarara, que je vis redresser son arme. A ce signal, ses hommes se précipi- tèrent sur les haubans du grand mât , ayant chacun un fusil qu'ils avaient caché dans leurs canots. Dans ce moment cri- tique nous n'avions pas de pistolets sur le pont, et je sentais bien que, si l'un de nous descendait pour les chercher, Ngarara en profiterait pour commencer l'attaque. Comme nos fusils avaient été placés dans la hune de misaine, non-seulement pour qu'ils fussent plus en sûreté, mais aussi crainte de sur- prise, j'ordonnai à l'un de mes hommes d'y monter et de tirer sur Ngarara; mais comme il n'était pas convaincu aussi bien que moi des mauvais desseins des insulaires, il refusa d'obéir. Il n'y avait pas cependant un moment à perdre : je restai moi- même dans la hune en ordonnant d'avoir l'œil au guet. Mal- heureusement mes hommes m'éeoutèrent peu , disant que je méditais la mort d'un innocent, et ils continuèrent à plaisan- 718 PIECES JUSTIFICATIVES ter entre eux. Mais dès que Ngarara me vit dans la hune oc- cupe à dénouer les fusils, il tira sur un des nôtres qui était à trois pas de lui et qui s'amusait à jouer avec un sabre; la balle passa au travers de sa tête , que Ngarara lui coupa aussi- tôt avec son mère , sorte de petite massue qui se termine par un caillou aiguisé. Tous les siens sautèrent alors sur le pont, et les deux pauvres matelots qui nous restaient furent massacrés. Les insulaires tirèrent ensuite sur moi sans m'alteindre; mais au moment où j'armais mon fusil, Ngarara m'envoya dans le bras droit une balle qui brisa l'os. Quand ils me virent tom- ber dans la hune, ils commencèrent leur danse de guerre en faisant d'horribles hurlemens , puis ils se mirent à piller le na- vire. Quoique je fusse presque accablé par la douleur , je re- marquai que, dans la chaleur du pillage, ces misérables n'a- vaient aucun égard pour l'autorité de leur chef; et, comme ils ne voulaient point lâcher prise, quelques-uns furent tués sur la place. Leur diligence à remplir leurscanots futextrème. Ngarara ordonna à un des siens de venir me prendre; cet homme, ne pouvant y parvenir à lui seul, appela à son aide, et je fus traîné dans un des canots. Le soleil était couché; ces sauvages firent force de rames pour entrer dans la baie avant la nuit , ce qui alors est extrêmement dangereux. Nous y arrivâmes sans accident, quoique nous eussions à passer sur un brisant. Quelques-uns des canots trop chargés, principalement ceux qui l'étaient de nos armes et de nos munitions, chavirèrent; les insulaires parvinrent à se sauver, mais ils perdirent et leur butin et leurs canots. J'ignorais le sort du capitaine et celui de l'équipage ; je croyais même qu'ils avaient tous été taillés en pièces, et je me voyais la seule victime qui eût survécu. Destiné à souffrir de la part de ces cannibales les plus horribles tortures avant qu'ils assouvissent sur moi leur passion pour la chair humaine, j'aurais dû regarder avec indifférence la perte de leurs canots ; mais malgré l'agonie de corps et d'esprit dans laquelle j'étais, je vis avec ravissement cet acte de justice. Quand nous fûmes PIÈCES JUSTIFICATIVES. 719 arrivés à L'établissement , les femmes nous entourèrent en chantent, en dansant, en faisant toutes les démonstrations d'une joie extravagante, et en louant leurs héroïques maîtres de l'action courageuse que, dans leur opinion , ils venaient de faire. Lorsque les indigènes eurent débarqué leur butin, ils allumèrent de grands feux autour desquels ils se réunirent. La lueur des flammes faisait voir de plus en plus leurs horribles contorsions. Ils paraissaient discuter avec violence : j'enten- dais assez leur langage pour comprendre que j'étais l'objet qui les occupait si vivement. Mon sort me parut inévitable; la plu- part des sauvages demandaient ma mort : l'on en ordonna au- trement. Je dus mon salut au chef qui m'avait servi de guide et qui intercéda pour moi , promettant que, si ma rançon n'ar- rivait pas à une époque fixée , ce serait lui-même qui me tue- rait; mais qu'un fusil valait bien mieux que ma personne. Ce raisonnement décida les insulaires à différer ma mort. Alors il me conduisit dans sa hutte. Tous les événemens de cette pénible journée se retraçant tour à tour à ma pensée, j'offris à Dieu des actions de grâces pour ma délivrance mira- culeuse, et j'implorai sa miséricorde. Je passai les deux premières nuits sans fermer l'œil; tout ce que j'avais éprouvé, et la douleur que me causait mon bras, ne m'en laissaient pas la possibilité. Mes plaintes importu- nèrent mon hôte, au point qu'il me mit hors de sa hutte ; je me traînai sous une espèce de hangar qui était tout auprès. Pendant ces deux jours personne n'avait songé à me soulager; enfin je trouvai un morceau de cuir, que je plaçai comme une éclisse autour de mon bras ; puis , déchirant mon bas pour me servir de bandage, mon hôte le serra contre ma blessure, et j'allai plusieurs fois la laver à la rivière, où l'un de mes gar- diens m'accompagnait. La balle avait traversé l'os, et il restait encore du plomb que je ne pouvais extirper. Le second jour de ma captivité, me trouvant du côté du pâ qui fait face à la baie , la vue d'une goélette attira mon attention. Lorsqu'elle fut proche de notre misérable navire, dont presque tous 720 PIECES JUSTIFICATIVES. les agrès avaient été enlevés , je vis les insulaires l'aban- donner en toute hâte et la goélette chercher à le remorquer hors de la baie. Je suppliai ces misérables de me mener à bord, leur promettant ma rançon et des indemnités ; ils furent sourds à mes prières. On concevra mieux que je ne pourrais l'exprimer ce que j'éprouvai en voyant s'éloigner ces deux vaisseaux qui pouvaient seuls m'assurer quelque chance de salut. Je tâchai donc de me résigner à mon sort puisqu'il était inévitable; mais l'amour de la vie et cette pensée que je venais d'échapper à un plus grand danger firent rentrer dans mon ame un rayon d'espoir. Ce qui m'arriva le lendemain n'était cependant pas de nature à diminuer mes mortelles anxiétés. Un des indigènes m'apporta la tète d'un de mes in- fortunés compagnons : c'était celle du Taïtien qu'ils avaient préparée avec beaucoup de soin et tatouée. Ils conservent ainsi un grand nombre de têtes, et c'est même une de leurs branches de commerce ; je frissonnai à l'idée que la mienne ne tarderait pas à en faire partie. Le matin du quatrième jour de ma captivité, je fus vive- ment alarmé en voyant les insulaires se réunir autour de moi. J'en demandai la raison : c'était , me dirent-ils , le peuple de Tauranga , tribu voisine, qui venait les attaquer avec des forces supérieures aux leurs. Peu après ,'Ngarara parut tenant le sextant du capitaine; il me le donna en me disant d'observer le soleil et de l'instruire si véritablement la tribu de Tauranga s'avançait vers la sienne. Le refuser m'eût été fatal ; il ne l'était pas moins de mal pro- phétiser. Toutefois réfléchissant , d'après le caractère bien connu de ces insulaires, que la nouvelle du pillage de notre bâtiment devait avoir excité la cupidité des peuplades voisi- nes, j'obéis aux ordres de Ngarara , j'observai la hauteur du soleil et demandai un livre , que j'eus l'air de consulter atten- tivement. « Oui , lui dis-je , la tribu de Tauranga s'avancera vers ton peuple avec des intentions hostiles. — Et quand? » me demanda-t-il. Mon agitation était extrême, je savais à peine PIÈCES JUSTIFICATIVES. 721 cv que je disais et lui répondis : « Domain. » Il parut content de moi et se prépara à une défense vigoureuse. Les naturels construisirent, du côté de la rivière et au pied du pâ, une es- pèce de rempart en terre de quatre pieds de hauteur, sur lequel ils placèrent nos caronades et nos pierriers, et ils at- tendirent avec impatience et sans crainte l'aurore du jour suivant. Elle paraissait à peine que j'entendis une décharge de mousqueterie. Ngarara, se précipitant dans ma hutte, m'an- nonça que l'attaque de ceux de Tauranga avait lieu ainsi que je l'avais annoncé. Sa confiance en mes prédictions ne con- naissait plus de bornes; il me supplia de lui dire s'il serait vainqueur. Je lui répondis que oui, ce qui inspira une nou- velle ardeur à son peuple, parmi lequel ma première prédic- tion s'était promptement répandue. L'ennemi était alors de l'autre côté de la rivière ; il avait commencé un feu très-vif, auquel ceux de Walki-Tanna répondaient vigoureusement. Un d'eux me conduisit derrière l'établissement, pensant que j'y serais moins en danger ; ma vie était devenue un objet de sollicitude. J'entendis bientôt après le bruit d'un de nos ca- nons, puis ensuite des chants de victoire ; cette décharge avait produit une telle frayeur parmi les assaillans , qu'ils s'étaient enfuis dès qu'ils l'avaient entendue. Ngarara vint à moi suivi de plusieurs chefs, m'appelant Atoua (Dieu). On coupa la tête des blessés ennemis restés prisonniers ; on enleva et. nettoya l'intérieur des corps; on les fit cuire , et l'avidité que montrè- rent ces sauvages, hommes et femmes , à cet horrible repas , me persuada qu'ils préfèrent la chair humaine à toute autre nourriture. Comme leur manière de conserver les tètes pendant plu- sieurs années, sans que les traits subissent la moindre altéra- tion, peut exciter quelque curiosité, j'en rendrai compte ici. Lorsque la tète a été séparée du tronc et toutes les parties in- térieures enlevées, on l'enveloppe de feuilles et on la met dans un four en pierre , que l'on a assez fortement chaude et que l'on enfonce dans la terre en le recouvrant d<- gazon. La clia- tome ni. jC} 7 22 PIECES JUSTIFICATIVES. leur est modérée et fait évaporer doucement l'humidité, qu'on essuie avec soin jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; après quoi on expose la tète assez long-temps à l'air pour que la siccité soit parfaite. Les traits, les dents , les cheveux de quelques-unes de ces têtes sont comme lorsqu'elles étaient pleines de vie , et restent dans cet état pendant des années entières. L'usage de conserver les tètes est commun dans toute la Nouvelle-Zélande : ce sont leurs trophées de guerre. Quand elle cesse , ils rendent ces têtes aux parens afin que la paix soit durahle. Ils les donnent maintenant aux Européens pour un peu de poudre à canon. Les insulaires que j'ai vus sont gé- néralement grands , bien faits, actifs; ils ont la peau basanée, les cheveux noirs et souvent bouclés , les dents blanches et ré- gulières. Ils sont divisés en deux classes : les Rangatiras ou chefs avec leur famille et leur parenté ; les Koukis ou esclaves, qui sont presque tous noirs, d'une stature plus petite, et pa- raissent être d'une autre race. Avant qu'ils soient tatoués , les traits de l'habitant de la Nouvelle-Zélande sont agréables , quelquefois même d'une beauté remarquable. Quand un jeune homme arrive à l'âge de vingt ans, il doit se soumettre à cette opération pénible, ou bien il est considéré comme un être sans courage. Généralement ils la supportent avec fermeté. On s'y prend ainsi : le patient pose sa tète sur les genoux de celui qui doit le tatouer, et qui commence par tracer les lignes particulières à sa tribu. Un petit ciseau , fait d'os de poisson, incise un peu jusqu'aux chairs; on applique ensuite sur ces incisions une préparation de charbon. L'inflammation qui en résulte est telle qu'on est obligé de s'y prendre à plusieurs reprises et qu'il faut des mois entiers avant qu'un homme soit complète- ment tatoué. Les femmes se soumettent à cette opération, mais on leur fait moins d'incisions qu'aux hommes. Le vête- ment de ces insulaires consiste en deux nattes d'un lin soyeux et artislcment travaillé par les femmes ; l'une de ces nattes est jetée sur l'épaule , l'autre est attachée par une ceinture autour PIÈCES JUSTIFICATIVES. 723 du corps. Lorsque le temps est mauvais, ils portent une grande natte qui 1rs couvre entièrement. Leurs cheveux sont huilés, réunis en touffe sur le sommet de la tète et ornés des plumes du poe. Quand ils vont combattre, ils se peignent le corps d'huile et d'ocre rouge. On perce les oreilles aux enfans des deux sexes et on agrandit progressivement le trou en y intro- duisant de petits bâtons, car plus ce trou est grand, plus il est regardé comme un ornement. Les classes supérieures y sus- pendent la dent d'un poisson rare, et celte marque de distinc- tion est telle qu'un kouki n'oserait se la permettre. Ils portent aussi autour du cou une image grotesque gravée sur du talc vert : ils paraissent y tenir beaucoup , car on la garde , dans une même famille , pendant des générations entières. L'habil- lement des femmes est semblable en tout à celui des hommes. Généralement elles ont le maintien modeste ; leur teint res- semble à celui des Italiennes : elles sont belles , bien faites, et supportent avec une douceur et une patience extraordinaires les brutalités de leurs maris. Epouses tendres et fidèles , elles aiment passionnément leurs enfans. Toutefois il existe parmi elles un usage dont la seule pen- sée fait frémir. Lorsque le nombre des filles dépasse celui des garçons, la mère elle-même, dès la naissance de son enfant, le tue en appuyant fortement son doigt sur la partie du crâne appelée la fontaine; mais la plupart de ces mères voient sans doute avec horreur une coutume aussi révoltante. La pluralité des femmes a lieu dans les classes supérieures, mais il existe une grande distinction entre l'épouse principale et les autres. Celle-ci étant toujours la fille d'un chef, c'est la politique qui décide de ces sortes d'unions. Ses enfans l'emportent sur ceux des autres femmes , qui ne sont auprès d'elle guère mieux que des domestiques. A la mort du chef, l'épouse principale se pend ordinairement, et cette action porte avec elle un carac- tère sacré. Il ne m'arriva rien d'intéressant jusqu'au 9 mars. Mais ce jour-la j'appris, contre toute attente, et avec une joie impos- 46' 724 PIÈGES JUSTIFICATIVES. siblc à décrire, que ma rançon était arrivée. Cette délivrance extraordinaire était due aux événemens suivans. Quand le capitaine quitta le bâtiment pour aller sur la côte, la première chose qu'il aperçut lut un insulaire emportant les sabres de nos gens; et lorsqu'il eut rejoint ceux-ci, il apprit qu'effectivement ils avaient été dépouillés de leurs armes. Il donna aussitôt l'ordre de détacher la chaloupe, mais les rames n'y étaient plus : on vit, sur un des rochers, l'insulaire qui les avait prises et qui les tenait encore. Nos gens le pour- suivirent avec tant de vigueur qu'il jeta les rames et s'enfuit. Comme ils revenaient vers la chaloupe, les sauvages cachés derrière les rochers tirèrent sur eux, et ne leur rirent heureu- sement aucun mal. Ils avaient à peine quitté le rivage qu'ils s'aperçurent que les insulaires s'étaient emparés du brick : ils étaient sans armes; par conséquent il était inutile de songer à sauver le bâtiment. Ils s'avancèrent en pleine mer , se diri- geant vers le nord-ouest en faisant force de rames, et ils eurent l'heureux hasard de rencontrer la goélette la Nouvelle-Zélande, capitaine Clarkc, venant de Sydney, et qui les reçut à son bord. Ce capitaine, apprenant le sort de notre bâtiment, résolut de le reprendre, ce qu'il fit ainsi que nous l'avons vu. Les lam- beaux de chair humaine répandus sur le pont, les débris du feu qu'on y avait allumé, ne laissèrent pas de doute que les malheureux restés à bord n'eussent été dévorés par ces canni- bales. La goélette rentra dans le mouillage de Tauranga. Là, on apprit que j'étais encore vivant et prisonnier à Walki- Tanna. Le capitaine envoya deux chefs porter des fusils pour ma rançon; ils allèrent par terre, et arrivèrent le 9 mars. Je partis aussitôt avec eux : ma faiblesse me rendit encore ce voyage plus pénible que la première fois. J'eus beaucoup de peine à traverser les montagnes couvertes de fougère tellement mouillée par la rosée que je ne pouvais m'y reposer. Mes guides me procurèrent cependant quelque soulagement en faisant dans le sable des trous dans lesquels je me couchais jusqu'à ce que le froid et le frisson m'obligeassent à marcher PIECES JUSTIFICATIVES. 726 de nouveau ; il nous fallait aussi faire de nombreux détours pour éviter les insulaires. Après trois jours et trois nuits d'une marche pénible, nous atteignîmes Tauranga , où j'eus le bon- heur inexprimable de retrouver mon eapitaine et mes cama- rades , et où nous nous racontâmes tous les événemens qui s'é- taient passés depuis notre séparation. Nous arrivâmes le i5 mars dans la baie des Iles. Le capi- taine me mena à terre auprès du révérend M. Williams, mis- sionnaire établi dans ces parages; mais, n'étant pas médecin, il ne put me donner d'autre secours qu'une poudre pour em- pêcher l'excroissance des chairs. Je partis pour Sydney le 17 , à bord de la Nouvelle-Zélande , et nous arrivâmes le 25, ayant ainsi passé vingt -trois jours sans aucun secours des gens de l'art. On extirpa de mon bras trois plombs et plusieurs es- quilles; la blessure était en si mauvais état que le chirurgien voulait faire l'amputation; je n'y pus consentir. Je passai trois mois à Sydney pendant lesquels ma blessure se guérit ; mais désespérant de pouvoir jamais me servir assez bien de mon bras pour continuer mon service dans la marine , je retour- nai en Angleterre où j'arrivai après une traversée de quatre mois et demi. ( United Service Journal.} 726 PIECES JUSTIFICATIVES. OUVRAGE INTITULE NEW-ZEALANDERS. Les matériaux de ce recueil sur la Nouvelle-Zélande étaient prêts depuis un an environ , mais leur impres- sion a été retardée par des circonstances indépendantes de ma volonté. Sur ces entrefaites, j'appris qu'un ou- vrage venait de paraître en Angleterre sur ce même objet et sous le litre de New-Zealanders , London, Charles Knigth, Pallmall East. 1830. Je réussis à me le procurer à Portsmoulh, dans le voyage que je fis en Angleterre pour y conduire le roi Charles X et sa famille. Un examen rapide de cet intéressant ouvrage m'eut bientôt convaincu que je venais d'être devancé dans le travail que je projetais sur ces îles australes. Seulement, au lieu de présenter, comme je le fais, un tableau des mœurs et des coutumes des Nouveaux- Zélandais, et de réunir ensuite en un volume, par extraits détachés, tous les matériaux qui existent sur PIÈGES JUSTIFICATIVES. 727 ces peuplades : l'auteur anglais a fondu ces divers documens dans le cours de son ouvrage dont le corps est principalement formé par le récit d'un Anglais nommé Rutherford, qui est resté long-temps pri- sonnier chez les sauvages. Je ne discuterai point ici à laquelle de ces deux méthodes on doit donner la préférence , mais je reconnaîtrai que l'ouvrage anglais m'a paru excellent sous tous les rapports ; il est aussi complet qu'on peut le désirer , et l'auteur a puisé aux meilleures sources. Si j'avais eu connaissance de ce travail avant de commencer le mien , je me serais pro- bablement contenté d'y ajouter mes propres obser- vations. Mais ayant terminé mes recherches, et la marche que j'ai adoptée pouvant avoir son utilité, j'ai cru devoir poursuivre mon premier plan; d'autant plus qu'il répondait mieux au titre sous lequel je l'ai annoncé, de Pièces justificatives ou de Collection des Chroniques de la Nouvelle-Zélande. D'ailleurs on y trouvera textuellement le récit des intéressantes ex- cursions de M. Marsden dont on ne rencontre que des extraits fort succincts dans le Neiv-Zealanders. J'ai extrait, au reste, de ce dernier ouvrage deux épisodes remarquables, savoir : la captivité de Rutherford dans la Nouvelle-Zélande et le voyage de Toupe-Koupa en Angleterre, et j'en donne ici la traduction pour com- pléter la série de mes Pièces justificatives. Histoire de Rutherford. Rutherford, suivant son propre récit, était né à Manches- ter vers l'an 1796. 11 prit la mer, à ce qu'il assure , ayant ;"t 728 PIÈCES JUSTIFICATIVES. peine dix ans et après avoir jusqu'alors travaillé comme ou- \ rier dans une fabrique de coton de sa ville natale : il paraît qu'ensuite, et durant plusieurs années, il se retrouva fort peu en Angleterre et même à terre. Il servit long-temps à bord d'un vaisseau de guerre , sur la côte du Brésil, et il prit part à l'affaire de Saint-Sébastien en août 18 13. A son retour d'Es- pagne dans sa patrie, il passa à bord d'un autre vaisseau du Roi destiné pour Madras, sur lequel il se rendit ensuite en Cliine par la route de l'Est, et il séjourna près d'un an à Maeao. Dans le cours de ce voyage , son vaisseau toucha à plusieurs des îles du grand archipel de l'Inde, et entre autres aux îles Bashec , qui avaient été peu visitées. A son retour des Indes, il embarqua à bord d'un navire chargé de eonvicts pour la Nouvelle-Galles du Sud ; puis il (it deux voyages sur des bâtimens de commerce aux îles de la mer du Sud. Ce fut dans le premier de ces voyages qu'il vit pour la première fois la Nouvelle-Zélande , son navire ayant touché à la baie des Iles, dans sa traversée d'Angleterre à Port-Jackson. Sa se- conde campagne commerciale dans ces mers eut lieu sur le Magnet, schooner à trois mâts, commandé par le capitaine Vine ; mais ce navire ayant relâché à Hawaï , Rutherford tomba malade et fut laissé sur cette île. Du reste s'élant ré- tabli , au bout de quinze jours environ , il fut reçu à bord de V Agnes, brick américain de six canons et quatorze hommes d'équipage , commandé par un certain capitaine Coffin, alors occupé au commerce des perles et de l'écaillé de tortue, dans les îles de l'Océan-Pacifiquc. Ce bâtiment, après avoir touché sur divers autres points, à son retour de Hawaï , accosta la côte orientale de la Nouvelle-Zélande , dans le dessein de relâ- cher à la baie des îles pour y prendre des rafraîchissemens. Le f> mars 1816, nos navigateurs se trouvèrent en vue des îles Barrière, situées devant l'entrée de la rivière Tamise , et par conséquent à quelque distance au sud du port où ils comp- taient aller. C'est pourquoi ils remirent le cap au nord; mais ils n'avaient pas élé loin dans cette direction, quand il corn- PIECES JUSTIFICATIVES. 729 mcnça à souiller un coup de vent du M. E. qui, joint au cou- rant , non-seulement les mit dans l'impossibilité d'atteindre la Laie des lies , mais leur fit même dépasser l'embouchure de la Tamise. Ce coup de vent dura cinq jours, et, quand il cessa, ils se trouvèrent à quelque distance au sud d'une haute pointe de terre, qui , d'après la description de Rulherford, doit être cer- tainement celle à laquelle le capitaine Cook donna le nom de cap Est. Ruthcrford l'appelle tantôt cap Est, et tantôt cap Sud-Est, et la représente comme la partie la plus élevée de la côte. Elle est presque située par la latitude de 3y° 4a' S. La terre précisément devant eux se creusait en une large baie. Le capitaine ne se souciait nullement d'y entrer , pen- sant qu'aucun navire n'y avait encore mouillé. Cependant nous ne doutons guère que ce ne fût la baie même où Cook toucha d'abord , à son arrivée sur les côtes de la Nouvelle- Zélande , au commencement d'octobre 17G9. Il la nomma baie de Pauvreté et la trouva située par 38° 42' L. S. La baie où se trouvait Rutherfbrd doit avoir été du moins fort près de cette partie de la côte; et sa description correspond exac- tement à celle que Cook nous donna de la baie Pauvreté. «Elle était , dit Rulherford, en forme de demi-lune, avec une plage de sable tout autour et au fond une rivière d'eau douce ; celle-ci a une barre à son embouchure, ce qui la rend navigable seulement pour des canots. » Il fait mention aussi de l'élévation de la terre qui en forme les côtés. Tous ces dé- tails sont aussi mentionnés par Cook. Le nom même qui lui est donné par les naturels , tel qu'il est. rapporté par l'un d'eux, n'est pas tellement différent de celui que donne l'autre, qu'il n'est pas hors de vraisemblance que les deux ne re- présentent le même nom exprimé également d'une manière inexacte. Cook l'écritTaone-Roa, et RutherfordTako -Mardo *. Il parait que cette baie Tako-Mardo de Rulherford doit être la baie Toko-Malou de l'Astrolabe, située à quarante milles au N. N. E. de la haie Taone-lloa. ( \ote de M. d'Unùlle. ) 730 PIECES JUSTIFICATIVES. Le plus léger examen des vocabulaires des langues sauvages, tels qu'ils ont été recueillis par les voyageurs et les naviga- teurs, prouvera facilement l'imperfection avec laquelle l'o- reille saisit les sons auxquels elle n'est point habituée , et dé- montrera les erreurs auxquelles on est exposé en essayant de représenter les mots d'un langage que l'on ne comprend point, d'après la simple prononciation des naturels. Malgré la répugnance qu'éprouvait le capitaine à donner dans cette baie, par suite de son ignorance de la côte et de ses soupçons sur les dispositions des babitans, l'équipage se déter- mina enfin à y relâcher, attendu l'extrême besoin d'eau où l'on se trouvait, joint à ce qu'on ne savait point si le vent permettrait de gagner la baie des Iles. En conséquence on mit à l'ancre, au large d'une pointe de récifs située précisément au-dessous d'une terre élevée qui formait un des côtés de la baie. Aussitôt qu'on eut laissé tomber l'ancre, le navire fut environné par un grand nombre de pirogues qui arrivaient de tous les points de la baie, et dont chacune était montée et manœuvrée par une trentaine de femmes. Très-peu d'hommes se montrèrent dans la journée ; mais bon nombre de femmes restèrent à bord toute la nuit , occupées principalement à voler tout ce qui leur tom- bait sous la main. Leur conduite alarma vivement le capitaine, et toute la nuit on fit une bonne garde. Le lendemain matin un chef, que l'on dit se nommer Emaï, arriva à bord, dans une grande pirogue de guerre de soixante pieds de long envi- ron et portant plus de cent naturels. Ils étaient approvision- nés d'une quantité de nattes et de lignes de pêche fabriquées en lin blanc et fort du pays, qu'ils paraissaient empressés de vendre aux hommes de l'équipage. Quand ce chef eut été quelque temps à bord, il fut convenu qu'il retournerait à terre avec auclques hommes de sa tribu , dans le canot du navire, pour se procurer une provision deau. Le capitaine tenait beaucoup à faire cet arrangement, car il répugnait à envoyer aucun de ses hommes à terre, désirant les garder tous à bord pour la défense du navire. Au bout du PIECES JUSTIFICATIVES. 731 temps nécessaire, le canot revint chargé d'eau, qui fut sur-le- champ embarquée ; puis le chef et ses hommes furent expédiés de nouveau pour le même objet. Pendant ce temps, le reste des naturels continuait d'apporter des cochons à bord en très- grande quantité. A la fin du jour, environ deux cents de ces animaux avaient été achetés, avec une provision de racine de fougère pour les nourrir. Jusqu'à ce moment, aucune inten- tion hostile n'avait été manifestée par les sauvages , et leurs relations avec le navire portaient l'empreinte de l'amitié et de la cordialité, si toutefois on met de côté leur penchant à dé- rober un certain nombre des objets précieux et tentans que leur montraient leurs hôtes civilisés. Sous ce rapport leur con- duite semblerait presque prouver qu'ils n'avaient encore formé aucun projet pour attaquer le navire, attendu qu'en pareil cas il n'est guère probable qu'ils se fussent donné la peine de vo- ler de faibles portions de ce dont ils auraient espéré se rendre maîtres en totalité. D'un autre côté , une pareille infraction aux lois de l'hospitalité ne se serait guère accordée avec ce sys- tème d'honnêteté perfide qu'ils ont coutume d'employer pour endormir les soupçons de ceux qu'ils sont à la veille d'égorger. Au reste, durant la nuit les vols se renouvelèrent et devin- rent plus inquiétans; car on s'aperçut dans la matinée que quelques-uns des naturels avaient non-seulement dérobé le plomb sur l'arrière du navire, mais qu'ils avaient coupé plu- sieurs cordages et les avaient emportés dans leurs piregues. Ce ne fut aussi qu'au point du jour que le chef revint avec sa se- conde cargaison d'eau ; et l'on s'aperçut alors que le canot du navire, qu'il avait emmené avec lui, faisait beaucoup d'eau. Le charpentier l'examina, et reconnut qu'une grande partie des clous qui tenaient ses bordages avaient été arrachés. Dans le même temps, Rutherford surprit un des naturels occupé à voler le plomb de soude. « Comme je le lui arrachais des mains , dit Rutherford dans son récit, le sauvage grinça des dents et me menaça de son tomahawk. Alors le capitaine paya le chef pour l'eau qu'il avait apportée, en lui donnant deux 732 PIÈCES JUSTIFICATIVES. mousquets, de la poudre et du plomb , les armes et les muni- tions de guerre étant les seuls articles que ces peuples voulus- sent recevoir. En ce moment il se trouvait environ trois cents naturels sur le pont, et Emaï au milieu d'eux; chacun était armé d'une pierre verte, suspendue à une ceinture passée au- tour de leurs reins. Ils appellent cette arme un mère y c'est une pierre d'environ un pied de long, aplatie, de forme oblongue, tranchante sur les deux bords et terminée par une poignée : ces sauvages s'en servent pour tuer leurs ennemis, en les frap- pant sur la tète. On vit alors des fumées s'élever de plusieurs sommets, et les naturels semblaient se rassembler sur le rivage de tous les points de la baie. Le capitaine fut très-effrayé , et il nous pria de larguer les voiles et de nous hâter de terminer notre dîner, car il avait l'intention de remettre sur-le-champ à la voile. Aussitôt que nous eûmes dîné, nous montâmes sur les vergues et je m'occupai de larguer le foc. En ce moment, personne autre que le capitaine et le coq ne se trouvaient sur le pont, le premier maître étant occupé à charger quelques pistolets dans la salle à manger. Les naturels saisirent cette occasion pour commencer à attaquer le navire. D'abord le chef se dépouilla de la natte qu'il portait en guise de manteau ; et, brandissant son tomahawk, il entonna le chant de guerre. Alors tous les autres jetèrent aussi leurs nattes, et, désormais complètement nus, ils se mirent à danser avec une telle vio- lence, que je crus qu'ils allaient enfoncer le pont du navire. Le capitaine était alors appuyé contre le capot; l'un des sau- vages se glissa à l'improvistc derrière lui , et lui asséna sur la tête trois ou quatre coups de casse-tête qui le tuèrent à l'ins- tant. Le coq, voyant le capitaine attaqué, courut à son secours; mais il fut aussitôt assassiné de la même manière. J'étais alors assis sur le bâton du foc , les yeux baignés de larmes et trem- blant de frayeur. Peu après je vis le maître qui accourait par l'escalier du capot; mais avant d'arriver sur le pont, il lut frappé sur la nuque du cou , comme l'avaient été le capitaine et le coq. Il tomba sur le coup; mais il ne mourut pas tout PIECES JUSTIFICATIVES. 733 de suite. Une foule de naturels se précipitèrent dans la cham- bre, tandis que d'autres y entraient par les fenêtres, et que d'autres travaillaient à couper les rides des haubans et des étais. Dans cet instant, quatre hommes de notre équipage s'é- lancèrent à la mer de dessus la vergue de misaine; mais ils furent ramassés par quelques pirogues qui venaient de terre, et eurent aussitôt les pieds et les mains liés. Alors les naturels montèrent dans le gréement; ils traînèrent en bas le reste des hommes de l'équipage et les firent tous prisonniers. Un des chefs me fit signe de venir à lui : j'obéis à l'instant, et me rendis à ce chef. Nous fumes alors placés tous ensemble dans une grande pirogue , avec les mains liées. Les Nouveaux-Zélandais nous fouillèrent et nous enlevèrent nos couteaux, nos pipes, nos boîtes à tabac, et divers autres objets. Les deux cadavres et le maître blessé furent jetés dans la pirogue avec nous. Le maître poussait d'affreux gémissemens et semblait à l'extrémité, le casse-lète lui ayant entamé le cou à deux pouces de profon- deur. Durant tout ce temps, un des naturels qui était assis dans la pirogue avec nous, essuyait avec sa langue le sang de la plaie. Sur ces entrefaites , plusieurs femmes qui étaient restées sur le navire sautèrent à l'eau et nagèrent vers le rivage, après avoir coupé le câble du bâtiment, si bien qu'il s'en fut en dé- rive et vint échouer sur la barre, à l'embouchure de la rivière. Les naturels n'eurent pas l'adresse de larguer les ris des voiles; mais ils coupèrent la toile le long des vergues, en y laissant tenir le reste des bandes de ris. Les cochons que nous avions achetés furent, en grande partie, tués à bord et portés morts à terre dans les pirogues. D'autres furent jetés tout vivans par- dessus le bord et voulurent se sauver à terre à la nage; mais plusieurs furent tués à l'eau parles naturels, qui leur sautaient sur le dos et les frappaient à la tête avec leurs rnerc. Plusieurs des pirogues arrivèrent à temps; chargées du butin fait à bord; quantité de naturels se querellèrent touchant le partage de ces dépouilles; ils se battirent et s'enlretuèrent. J'observai aussi qu'ils brisèrent nos pièces à eau, pour s'emparer des cercles 734 PIÈCES JUSTIFICATIVES. de fer. Tandis que tout cela se passait, nous fûmes retenus dans la pirogue; niais à la fin, quand le soleil fut couché, ils nous conduisirent à terre dans un de leurs villages, où ils nous attachèrent à plusieurs petits arbres. Le maître avait rendu le dernier soupir avant que nous fussions à terre, de sorte qu'il ne restait plus que douze de nous en vie. Les trois corps morts furent alors emportés et pendus par les pieds à la bran- che d'un arbre, afin que les chiens ne pussent pas y toucher. Une quantité de grands feux furent allumés sur le rivage pour éclairer les pirogues qui ne cessaient d'aller de terre au navire, et du navire à terre, durant toute la nuit, bien qu'il ne cessât de pleuvoir la plus grande partie du temps. » Lecteur compatissant, s'écrie Rutherford, considère main- tenant la triste situation où nous étions réduits ; notre navire perdu, trois de nos compagnons déjà massacrés, et le reste d'entre nous attachés chacun à un arbre , épuisés de faim , de froid et d'humidité, et sachant que nous étions entre les mains de cannibales. Le lendemain matin je remarquai que le ressac avait fait passer le navire par-dessus la barre ; qu'il se trouvait alors à l'embouchure de la rivière et échoué près de l'extré- mité du village. Tout ce qu'il contenait ayant été emporté, vers dix heures du malin les sauvages y mirent le feu; ensuite ils se rassemblèrent tous dans une pièce de terre inculte près du village, où ils restèrent quelque temps debout; mais, à la fin , ils s'assirent tous , à l'exception de cinq , qui étaient les chefs, pourlesquclson réserva unegrande place au milieude l'as- semblée. Les cinq chefs , au nombre desquels était Emaï , s'ap- prochèrent de l'endroit où nous étions ; après s'être consul- tés quelque temps ensemble , Emaï me détacha, ainsi qu'un autre de mes camarades, et nous ayant conduits au milieu du cercle, il nous fit signe de nous asseoir, et nous obéîmes. Quel- ques minutes après, les quatre autres chefs vinrent aussi dans le cercle, amenant avec eux quatre autres de nos hommes, qu'on fit asseoir par terre entre nous. Alors les chefs marchè- rent en avant et en arrière dans le cercle, avec leurs merc à la PIÈCES JUSTIFICATIVES. 735 main , et ils continuèrent de parler ensemble durant quelque temps, mais sans que nous comprissions ce qu'ils disaient. Du- rant tout ce temps le reste des naturels garda un profond si- lence ; ils semblaient écouter leurs chefs avec une grande attention. A la fin, un des chefs parla à l'un des naturels qui était assis par terre; celui-ci se leva sur-le-champ, prit à la main son nasse-tête, et alla tuer les six hommes qui étaient liés aux arbres. Les malheureux jetèrent plusieurs fois des cris en luttant contre les dernières souffrances de la mort; et, à chaque cri, les naturels poussaient de longs éclats de rire. Nous ne pûmes nous empêcher de pleurer sur le triste sort de nos camarades, sans savoir, en même temps, si notre tour n'al- lait pas venir tout de suite. Plusieurs des naturels , en voyant nos larmes, se mirent à rire et nous montrèrent leurs mère. » Quelques-uns d'entre eux creusèrent alors huit grands trous de forme ronde, d'environ un pied de profondeur chacun; ils y jetèrent ensuite une grande quantité de bois sec et le cou- vrirent de beaucoup de pierres. Ils mirent le feu au bois, qui continua de brûler jusqu'à ce que les pierres fussent chauffées à rouge. En même temps quelques-uns d'entre eux étaient occupés à dépouiller les corps de nos compagnons morts; après les avoir d'abord lavés dans la rivière, ils les coupèrent par morceaux pour les faire cuire ; puis ils les portèrent sur plu- sieurs branches vertes qui avaient été arrachées aux arbres et étendues par terre, près des feux, pour cet objet. Les pierres une fois chauffées à rouge, les plus gros morceaux de bois en- flammés furent retirés de dessous les pierres et jetés au large; des branches vertes, après avoir été d'abord trempées dans l'eau, furent placées tout autour des pierres, tandis qu'on les cou- vrait avec quelques poignées de feuilles vertes. Les morceaux de chair furent ensuite placés sur ce tas de feuilles , et une quantité d'autres feuillesles recouvrirent; après quoi une natte en paille fut étendue par-dessus chaque trou. Enfin, trois pin- tes d'eau environ furent répandues sur chacune de ces nattes , 73G PIECES JUSTIFICATIVES. et cette eau, en coulant sur les pierres, produisit une épaisse fumée; puis le tout fut à l'instant couvert de terre. » Ils nous donnèrent ensuite un peu de poisson rôti à manger, et trois femmes furent employées à nous faire griller de la ra- cine de fougère. Quand elle fut rôtie, ces femmes la mirent sur une pierre et la battirent avec un morceau de bois, jusqu'à ce qu'elle fût devenue molle comme de la pâte. Du reste, en se refroidissant, elle se durcit et prend la consistance du pain d'épice. Nous ne mangeâmes que fort peu des mets qu'on nous donna; ensuite les femmes nous conduisirent dans une cabane et nous donnèrent à ebacun une natte et de l'herbe sèche pour nous servir de lit. Nous y passâmes la nuit , et deux des chefs dormirent avec nous. » Aussitôt qu'il fit jour, le lendemain matin , nous nous re- levâmes ainsi que les deux chefs, et nous allâmes nous asseoir en-dehors de la maison. Nous y trouvâmes une quantité de femmes occupées à fabriquer des corbeilles en feuilles de lin vertes; quand elles furent terminées, quelques-unes furent destinées à recevoir les corps de nos camarades, qui avaient cuit toute la nuit , tandis que d'autres furent remplies de pa- tates préparées par un procédé semblable. Je remarquai quel- ques enfans qui arrachaient la chair des os de ces cadavres, avant qu'on les retirât du feu. Peu après, les chefs s'assem- blèrent et s'assirent par terre; les corbeilles furent pla- cées devant la multitude, et ils les partagèrent sur-le-champ aux assistans , à raison d'une corbeille pour un certain nombre de personnes. Ils nous envoyèrent aussi une corbeille de pata- tes et un morceau de viande qui ressemblait à du porc ; mais au lieu d'en manger, nous frémîmes à la seule idée d'une cou- tume aussi barbare , aussi horrible , et nous abandonnâmes ces mets a l'un des naturels. Rutherford et ses camarades passèrent une seconde nuit de la même manière ; puis le matin suivant ils se mirent en route, accompagnés par cinq chefs, pour l'intérieur du pays. Quand ils quittèrent la côte, il fit la remarque que le navire PIECES JUSTIFICATIVES. 7 37 brûlait encore. Ils étaient escortés par environ quarante natu- rels chargés du butin dn malheureux bâtiment. Il calcula que cejourils marchèrent l'espace de dix millcscnviron ; la marche était très-fatigante par le défaut de routes régulières et la nécessité de se frayer un chemin au travers d'une suite de bois et de marais. Le village où ils s'arrêtèrent était la rési- dence d'un des chefs, dont le nom était Rangadi et qui à son arrivée fut reçu par environ deux cents des habitans. Us arri- vèrent en masse, et, s'agcnouillant autour de lui, ils com- mencèrent a pousser des cris et à se déchirer les bras, le visage et d'autres parties du corps avec des morceaux de cailloux tranchans, qu'ils portaient autour du cou, jusqu'à ce que le sang coulât en abondance de leurs plaies. La maison du chef où Puitherford et ses compagnons furent logés était la plus vaste du village ; quoique très-basse, elle était longue et large, et elle n'avait pas d'autre issue qu'une ouverture qui fermait au moyen d'une porte à coulisse, et qui était elle-même si basse que pour y passer il fallait ramper sur les genoux et les mains. Deux forts cochons et une quan- tité de patates furent préparés de la manière qu'on vient de décrire : quand ces vivres furent prêts , une portion en fut assignée aux esclaves qui ne peuvent jamais manger avec les chefs, et les derniers s'assirent par terre pour prendre leur repas, avec les blancs placés devant eux. Le banquet n'eut pas lieu dans l'intérieur de la maison , mais en plein air; et l'on suspendit à des poteaux pour un autre repas ce qui ne fut pas consommé alors. Un des plus grands préjugés des Nouveaux-Zélandais, est l'aversion qu'ils éprouvent à voir sus- pendre au-dessus de leurs tètes quelque sorte de mets que ce soit; c'est pour cela qu'ils ne peuvent souffrir qu'on apporte aucune espèce de vivres dans leurs maisons; mais ils placent constamment ces objets dans un certain espace proche leurs cabanes , que quelques écrivains ont nommé la cuisine, en ce qu'il leur sert à la fois pour faire cuire leurs vivres et pour les y manger. TOME nr. 47 738 PIECES JUSTIFICATIVES. Ruthcrford dit que les figures grossières placées sur la porte des cabanes des chefs ont pour objet d'interdire aux esclaves l'accès de ces cabanes en l'absence de leurs propriétaires , et qu'une mort immédiate serait lé châtiment d'une pareille offense. Ce sont ces effigies que quelques voyageurs ont prises pour des idoles. Ruthcrford prétend que les corbeilles dans lesquelles les provisions sont placées ne servent jamais deux fois. Les cale- basses sont le seul vase qu'ils emploient pour contenir leurs liquides; quand ils boivent avec ces vases , ils ont soin que leurs lèvres n'y touchent point, mais ils lèvent la tète en l'air et font couler la liqueur dans leur bouche. Après dîner, ils se placent sur un rang pour boire, un esclave va présenter la ca- lebasse de l'un à l'autre, et chacun tient sa main sous son men- ton, tandis que l'esclave lui verse la liqueur dans la bouche. Ils ne boivent rien de chaud ni de tiède. Leur unique boisson paraît être l'eau ; et leur aversion prononcée pour le vin et les spiritueux a été remarquée par presque tous ceux qui ont ob- servé leurs coutumes. Le dîner fini, Ruthcrford et ses compagnons passèrent la soirée assis autour d'un grand feu ; pendant ce temps, plusieurs des femmes, qu'il décrit comme agréables, s'amusaient à jouer avec les doigts des étrangers, tantôt ouvrant leurs chemises pour considérer leur poitrine, tantôt leur tâtant le gras des jambes. « Cela nous fit penser, dit Ruthcrford, qu'elles nous examinaient pour s'assurer si nous étions assez gras pour être mangés. Le grand feu qui avait été allumé pour chauffer la maison ayant été retiré , nous nous étendîmes pour dormir suivant leur manière ordinaire. Mais, bien que le feu eût été éteint, la maison resta pleine de fumée, attendu que la porte était fermée et qu'il n'y avait ni cheminée ni fenêtre pour lui donner issue. Le matin, quand nous nous levâmes, le chef nous rendit nos couteaux et nos boîtes à tabac qu'on nous avait pris dans la pirogue lors de notre captivité; puis nous déjeu- nâmes avec des patates et des coquillages qu'on avait fait PIECES JUSTIFICATIVES. 739 cuire pondant que nous étions au bord de la mer, et qu'on avait apportés dans des corbeilles. La femme et les deux fdles d'Emaï arrivèrent, ce qui occasiona une nouvelle céré- monie de gémissemens; quand elle fut terminée, les trois dames vinrent me voir ainsi que mes compagnons. Bientôt elles curent envie de quelques petits boutons dorés que j'avais à ma veste ; Emaï me fit signe de les couper, je lui obéis sur-le- champ et les présentai aux femmes. Elles les reçurent avec joie, et, me touchant les mains, elles s'écrièrent : L'homme blanc est très-bon. Tous les naturels s'étant assis par terre en cercle , nous fûmes conduits au centre, dépouillés de nos vetemens et couchés sur le dos ; puis chacun de nous fut retenu par cinq ou six naturels, tandis que deux autres commencèrent l'opération du tatouage sur nos personnes. Après avoir pris un morceau de charbon et l'avoir écrasé sur une pierre avec un peu d'eau, de manière a former un liquide épais, ils y trempèrent un ins- trument fabriqué avec un os à bord tranchant comme un ci- seau, et façonné en forme de pioche; puis ils l'appliquaient sur-le-champ contre la peau, en frappant dessus deux ou trois fois avec un petit morceau de bois. De cette manière, il en- trait dans la chair comme aurait fait un ciseau , et faisait cou- ler une quantité de sang qu'ils avaient soin d'essuyer à mesure avec le revers de la main, pour examiner si l'impression était as- sez nette. Dans le cas contraire, ils appliquaient une seconde fois le ciseau à la même place. Du reste, ils employaient divers instrumens dans le cours de l'opération ; quelquefois ils se ser- vaient d'un ciseau fait avec la dent d'un requin, quelquefois d'un autre qui avait des dents comme une scie. Ils en avaient aussi de différentes grandeurs, suivant les diverses parties du travail. Tandis que je subissais cette opération , je ne bougeai nullement et ne poussai aucun cri ; mes camarades au con- traire criaient horriblement. Quoique les opérateurs fussent adroits et expéditifs, je restai quatre heures entre leurs mains. Pendant l'opération, la fille aînée d'Emaï essuya plu- sieurs fois le sang de ma figure avec du lin préparé. Quand 47" 740 PIECES JUSTIFICATIVES. tout fut terminé, clic me conduisit à la rivière pour que je" pusse me laver , car cette opération m'avait rendu complète- ment aveugle, puis elle me ramena près d'un grand feu. Alors les sauvages nous rendirent tous nos habits , à l'exception de nos chemises que les femmes gardèrent pour elles-mêmes, et nous observâmes qu'elles les portaient en plaçant le devant derrière. De ce moment , nous fûmes non-seulement tatoués, mais encore ce qu'ils appelaient taboues, ce qui signifie sacrés, ou condamnés à ne toucher aucune sorte de provisions avec nos mains. Cctétatdc choses dura troisjours; pendant ce temps nous fûmes nourris, par les filles des chefs, des mêmes vivres et aux mêmes corbeilles que les chefs eux-mêmes et que les personnes qui nous avaient tatoués. Au bout de trois jours, les enflures occasionées par l'opération s'étaient considéra- blement apaisées, et je commençai à recouvrer la vue : mais il se passa six semaines avant que je fusse tout-à-fait bien. Pen- dant ma maladie je ne reçus aucune sorte de secours médical ; mais les deux filles d'Emaï se montrèrent fort attentives pour moi; elles s'asseyaient fréquemment à mes côtés, et m'adres- saient souvent la parole dans leur langage, auquel du reste je ne comprenais pas encore grand'chose. » Rutherford déclare que dans la contrée où il se trouvait les hommes étaient ordinairement tatoués sur la figure, sur les hanches et sur le corps; quelques-uns l'étaient jusqu'aux ge- noux. Il n'était permis qu'aux plus grands chefs de l'être sur le front, le menton et la lèvre supérieure. 11 ajoute que plus il-. sont tatoués, plus ils se croient honorés. Rutherford demeura dans ce village environ six mois, ainsi que les autres hommes qui avaient été faits prisonniers avec lui et n'avaient point été mis à mort. Un seul, nommé John Watson , bientôt après leur arrivée sur ce point , avait été emmené par un chef nommé Nene. Une maison leur fut assi- gnée pour leur logement, et les naturels leur donnèrent aussi une marmite qu'ils avaient prise sur le bâtiment pour faire cuire leurs vivres : cet ustensile leur devint fort utile. Il était PIECES JUSTIFICATIVES. 741 taboue , de sorte qu'aucun esclave ne pouvait manger de ce qui avait été cuit dedans, et on l'avait taboue, à ce que nous supposons) parce que l'on imagina que c'était le moyen le plus sur pour empêcher qu'on ne le volât. A la fin , les blancs se mirent en route avec Emaï et un autre chef pour continuer leur voyage plus avant dans l'intérieur; l'un d'eux seulement, dont le nom n'a pas été donné, resta avec Rangadi. Etant ar- rivés dans un autre village, dont le chef se nommait Parama, un autre blanc , appelé John Smith, fui laissé chez lui. On doit se rappeler que le nombre de ceux auxquels on avait conser- vé la vie était de six, si bien que trois d'entre eux ayant cha- cun une destination, comme on a vu, il n'en resta plus qu'un même nombre ensemble, y compris Rutherford. Quand ils eurent fait encore douze milles., ils s'arrêtèrent à un troisième village et y restèrent deux jours. « Nous fûmes traités avec beaucoup de bonté, dit Rutherford, par les naturels de ce village. Le chef, dont le nom était Wana , nous fit cadeau d'un gros cochon que nous tuâmes suivant l'usage de notre pays, au grand étonnement des Nouveaux-Zélandais. J'obser- vai qu'un grand nombre d'enfans recueillaient le sang qui en découlait dans le creux de leurs mains, et le buvaient avec la plus grande avidité. Leur manière ordinaire de tuer un cochon est de le noyer, pour éviter de perdre son sang. Les naturels se mirent à racler le poil en tenant l'animal au-dessus du feu , et le vidèrent aussi, ne demandant que les entrailles pour leur peine. Nous le fîmes cuire dans notre marmite que les es- claves qui nous suivaient avaient apportée avec le reste du bagage appartenant à notre troupe. Il ne fut permis a personne de prendre de ce cochon, à moins que nous-mêmes n'en dispo- sassions, et seulement en faveur des personnes qui apparte- naient à la famille d'un chef. En quittant ce village, nous lais- sâmes avec Wana un de nos camarades nommé Jcfferson qui, en se séparant de nous, me serra la main et s'écria les larmes aux yeux : « Dieu vous bénisse tous les deux ! nous ne nous rever- rons jamais ! » Nous continuâmes notre voyage en compagnie 742 PIECES JUSTIFICATIVES d'Emaï, de sa famille et d'un autre chef. Après avoir marché l'espace de deux milles sans que personne proférât une parole , nous arrivâmes au bord de la; rivière. Là nous nous arrêtâmes et allumâmes du feu : les naturels chargés du bagage étant arri- vés au bout d'une heure environ, apportant avec eux des patates et du poisson sec , nous fîmes cuire notre dîner de la manière habituelle. Ensuite nous traversâmes la rivière où nous n'eû- mes de l'eau que jusqu'aux genoux , et nous entrâmes aussitôt dans un bois au travers duquel nous continuâmes à cheminer jusqu'au soleil couchant. En sortant de la foret, nous nous trouvâmes au milieu d'un terrain cultivé où nous observâmes des pommes de terre , des navets , des choux, des taros (racine ressemblant à l'igname), des melons d'eau, et des koumaras ou patates douces. Peu après, nous arrivâmes à une autre rivière, et sur l'autre bord se trouvait le village où résidaitEmaï. Etant entrés dans une pirogue, nous nous rendîmes au village de- vant lequel se trouvaient plusieurs femmes qui s'écrièrent en nous voyant approcher, et en agitant leurs nattes : Aire mai 1 aire mai ! c'est-à-dire soyez les bienvenus. Alors nous fûmes conduits à la maison d'Emaï qui était la plus grande du village et bâtie de la manière ordinaire , avec des murailles formées de grands pieux recouverts de tapis de jonc qui com- posaient aussi le toit. Un cochon fut tué et préparé avec des koumaras pour notre souper; puis nous étant assis autour du feu, nous nous amusâmes à entendre chanter plusieurs des femmes. En outre, une jeune fille esclave fut tuée, et mise à rôtir dans un four en terre, comme nous l'avons déjà décrit, pour servir au festin du lendemain , en l'honneur du retour du chef chez lui. Nous passâmes cette nuit dans la maison du chef, mais le lendemain matin nombre de naturels furent em- ployés à nous construire une cabane de la même forme que celle qui servait au chef, et presque de la même dimension. Dans le courant de la journée, plusieurs autres chefs arrivèrent au village, accompagnés de leurs familles et de leurs esclaves, pour féliciter Emaï sur son retour , ce qu'ils firent suivant leur PIÈCES JUSTIFICATIVES. 743 coutume. Dans le nombre, quelques-uns apportèrent une quantité de melons d'eau, et ils m'en donnèrent ainsi qu'à mon camarade. EuGn ils s'assirent tous par terre pour l'aire leur festin , après que plusieurs grands cochons et quantité de corbeilles de patates, de taros et de melons d'eau eurent d'a- bord été apportés devant les convives par les gens d'Emaï. Les cochons, après avoir été noyés dans la rivière et apprêtés, avaient été rôtis avec les patates. Quand ceci fut mangé, le four qui avait été chauffé la veille au soir fut ouvert, le corps de la jeune esclave en fut retiré, et les naturels s'en régalèrent avec le plus grand plaisir. On ne nous invita point à en .pren- dre notre part, car Emaï savait que nous avions déjà refusé- une fois cette espèce de mets. Quand le repas fut achevé , les restes furent ramassés et emportés par les esclaves des différens chefs , suivant la coutume constamment observée en semblable circonstance à la Nouvelle-Zélande. » La maison que le chef avait fait bâtir pour Rutherford et son compagnon fut prête au bout d'une semaine environ ; ils y établirent leur résidence, et on leur permit de vivre suivant leurs propres habitudes autant que les circonstances où ils se trouvaient pouvaient le permettre. C'est dans ce village que Rutherford habita pendant le reste du temps qu'il passa à la Nouvelle-Zélande. ' Rutherford déclare positivement , et il est la seule a utorité à cet égard, que plusieurs riches veines de charbon de terre se montrent sur le revers des montagnes dans l'intérieur de l'île septentrionale, bien que les naturels ne brûlent autre chose que du bois. Il assure avoir aussi observé des bancs de coquilles d'huîtres, à trois pieds au-dessous de la surface du sol, et à la distance de dix milles de la côte. Les naturels, ajoute-t-il avec une simplicité caractéristique , ne peuvent expliquer comment cela a pu arriver. Rutherford , dans un entretien , rapporta aussi qu'il y avait une plaine d'un mille carré environ, près du cap Est, dont la superficie était couverte d'herbes, mais qui au-dessous offrait jusqu'à la profondeur de plusieurs pieds une 744 PIÈCES JUSTIFICATIVES. poussière d'un jaune brillant comme du soufre, caustique en l'appliquant sur la peau , et tant soit peu chaude. Suivant Rutherford , les cochons errent à l'état sauvage dans les bois , et on les chasse avec des chiens. Il fait mention aussi de quelques bètes à corne dans l'intérieur, qui seraient provenues de celles qu'auraient laissées sur l'île les navires de découverte. Rutherford déclare que, durant son long séjour, il devint très-adroit, à l'imitation des naturels, a attraper les oiseaux avec des lacets, et qu'il a pris aussi des milliers de perruches vertes avec des lignes de cinquante pieds environ de lon- gueur. Les Nouveaux-Zélandais sont d'excellens plongeurs, et Ru- therford assure qu'ils vont attraper avec la plus grande adresse les poissons vivant dans les eaux les plus profondes. Le point de l'île septentrionale de la Nouvelle-Zélande où se trouvait le village qu'il fut obligé d'habiter, ne saurait être fixé bien exactement, d'après le récit qu'il donne de son voyage de la côte jusqu'à cet endroit. Il est cependant évident qu'il était situé trop avant dans l'intérieur pour qu'on pût, de cet endroit , apercevoir la mer. « Durant la première année qui suivit notre arrivée au vil- lage d'Emaï , dit Rutherford, nous passâmes notre temps prin- cipalement à pécher et à chasser; car le chef avait un excellent fusil de chasse à deux coups et quantité de poudre et de plomb à canard, qu'il avait emportés de notre navire; il avait cou- tume de me confier cette arme toutes les fois que j'avais envie d'aller à la chasse, bien qu'il m'y accompagnât rarement lui- même. Nous étions généralement assez heureux pour rappor- ter plusieurs pigeons sauvages, oiseau très-commun à la Nouvelle-Zélande. A la fin , il arriva qu'Emaï et sa famille se rendirent à une fête, dans un autre village situé à quelques milles du nôtre. Mon camarade et moi nous restâmes à la maison, avec un petit nombre d'esclaves et la mère du chef, femme âgée qui était malade et assistée par un médecin. Dans PIÈCES JUSTIFICATIVES. 715 ce pays UB médecin demeure jour et nuit avec ses malades, et ne les quitte que quand ils sont guéris ou morts. Dans ce dernier cas, il est traduit devant une cour d'enquête, com- posée de tous les chefs, à plusieurs milles à la ronde. En l'absence de la famille , mon camarade vint à prêter son cou- teau à un esclave pour couper des joncs, avec lesquels il comptait réparer une maison. Cela fait, le couteau lui fut remis. Peu de temps après, lui et moi nous tuâmes un co- chon ; nous en coupâmes une partie en morceaux et la mîmes dans notre marmite avec des patates que nous avions aussi pelées avec nos couteaux. Quand elles furent cuites, la vieille femme malade nous pria de lui en donner quelques-unes, ce que nous fîmes en présence du docteur, et elle les mangea. Le lendemain matin elle mourut, et le chef, avec le reste de sa famille, revint immédiatement chez lui. Le cadavre fut d'a- Lord porté dans une pièce de terre inculte, au milieu du vil- lage. Là, il fut assis contre un poteau , avec une natte par- dessous , et recouvert jusqu'au menton par une autre natte. La tête et le visage étaient enduits d'huile de requin; une feuille de lin verte était attachée autour de la tête, et l'on y avait fiché plusieurs plumes blanches; car c'est la couleur que l'on préfère à toute autre. Ensuite ils élevèrent autour du corps une cloison en branchages, ressemblant en quelque sorte à la cage d'un oiseau, pour empêcher les chiens, les cochons et les enfans d'en approcher. Ces opérations terminées, on ne cessa de faire des décharges de mousqueterie pendant le reste du jour, en mémoire de la vieille femme. Sur ces entrefaites, les chefs et leurs familles de plusieurs milles à la ronde faisaient leur apparition dans notre village , amenant avec eux leurs es- claves chargés de provisions. Le troisième jour après la mort, tous les naturels, au nombre de quelques centaines, s'age- nouillèrent autour du cadavre; après avoir dépouillé leurs nattes, ils commencèrent à crier et à se déchirer, de la même manière que nous l'avions observé à l'arrivée des différées chefs dans les villages par où nous avions passé. Après avoir consa- 746 PIECES JUSTIFICATIVES. cré quelque temps à cette cérémonie, ils s'assirent tous par terre pour se régaler avec les provisions même qu'ils avaient apportées. Le lendemain matin les hommes seuls formèrent un cercle autour du corps mort, armés de lances, mous- quets, tomahawks et mère, puis le docteur se montra et se mit à marcher en avant et en arrière au milieu de l'assemblée. A cette époque , mon compagnon et moi nous avions déjà beaucoup appris de leur langage ; comme nous prêtions l'o- reille à ce qu'on disait, nous vîmes que le docteur racontait les circonstances relatives à la maladie et à la mort de la vieille femme ; ensuite les chefs commencèrent à s'informer minutieu- sement de ce qu'elle avait mangé dans les trois jours qui pré- cédèrent sa mort. A la fin, le docteur s'étant retiré du cercle, un vieux chef s'avança, avec trois ou quatre plumes blanches plantées dans les cheveux. Quand il eut fait quelques tours dans l'assemblée, il prit la parole et dit qu'à son avis la mort de la vieille femme venait de ce qu'elle avait mangé des patates pelées avec le couteau d'un blanc , après qu'on s'en était servi pour couper des joncs destinés à réparer une mai- son ; pour ce motif, il pensait que le blanc auquel le couteau appartenait devait être immolé, ce qui serait un grand hon- neur à la mémoire de la femme décédée. Plusieurs des autres chefs donnèrent leur assentiment à cette proposition , et il parut qu'elle allait être adoptée par le conseil. Pendant ce temps, mon compagnon tremblait de tout son corps, et la peur lui ravit la parole. Alors je m'avançai au milieu du cer- cle et je leur représentai que si l'homme blanc avait mal fait de prêter son couteau à l'esclave, c'était uniquement par igno- rance des coutumes du pays. En même temps je m'approchai d'Emaï pour lui adresser la parole et le supplier d'épargner les jours de mon compagnon , mais il ne bougea pas de l'en- droit où il était assis, et continua de pleurer la perte de sa mère, sans me répondre, ni paraître faire attention à ce que je disais. Tandis que je lui parlais , le chef aux plumes blan- ches s'avança vers mon camarade, et l'assomma d'un coup de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 747 son mcrc sur la tête. Du reste, Emaï ne voulut pas permettre qu'on le mangeât, bien que je n'aie pu connaître quel fut pour eela son motif. En conséquence , les esclaves ayant creusé un tombeau pour lui , il fut enterré d'après mes instructions. Quant au cadavre de la vieille femme, il fut enveloppé dans plusieurs nattes et emporté par Emaï et le docteur, sans qu'il fût permis à personne de les suivre. J'appris cependant qu'ils l'avaient porté dans un bois du voisinage, et qu'ils l'y avaient enterré. Ensuite de cela, les étrangers quittèrent tous notre vil- lage et s'en retournèrent chacun chez eux. Environ trois mois après, le corps de la femme fut relevé et porté au bord de la ri- vière, où les os furent nettoyés et lavés, puis renfermés dans une caisse préparée pour cet emploi. La caisse fut ensuite attachée au sommet d'un poteau , à l'endroit où le corps avait d'abord été déposé. Cet espace fut entouré d'une palissade de trente pieds de circonférence environ , et l'on y planta une figure de bois pour annoncer que ce terrain était taboue ou sacré, et que l'accès de cette enceinte était interdit à qui que ce fût. Tel est, à la Nouvelle-Zélande, la manière régulière d'enterrer tous ceux qui appartiennent à la famille d'un chef. Quand un esclave meurt, on creuse uit trou et le corps y est jeté sans aucune cérémonie. Dans la suite, jamais il n'est déterré, et l'on n'y fait aucune attention. Ils ne mangent jamais ceux qui meu- rent de maladie ou de mort naturelle. » Ainsi , demeuré seul parmi ces sauvages , et sachant par le meurtre de son camarade combien sa propre existence était précaire, exposé comme il l'était à tout moment à se trouver en butte à leur fantasque cruauté, Rutherford, comme on peut bien l'imaginer, dut trouver sa captivité de jour eh jour plus insupportable. Un des plus grands désagrémens qu'il eut à éprouver, provint de l'usure de ses vetemens : il les rapiéça comme il put pendant quelque temps; mais au bout de trois ans environ de séjour dans le pays , ils se trouvèrent tout-à- fait hors de service.' Alors tout ce qu'il eut pour s'habiller se borna à une natte blanche en lin , que le chef lui donna ; elle 748 PIECES JUSTIFICATIVES. lui couvrait les épaules et tombait jusqu'aux genoux. Ce fut là, dit-il, son unique vêtement, et il fut obligé d'aller nu-tèle et nu-pieds, car il n'avait ni chapeau, ni souliers, ni bas. Sa vie, d'ailleurs, semble avoir été semée de peu d'incidens dignes d'être cités ; et nous sommes porté à croire qu'il passa généra- lement son temps à chasser et à pêcher, comme auparavant. Durant les seize premiers mois de sa résidence dans le village, il tint compte des jours au moyen de coches sur un bâton; mais quand il fut obligé par la suite de voyager avec les chefs, il négligea ce moyen de noter le cours du temps. « A la fin , il arriva un jour, dit son Journal, que tandis que ntfcus étions tous rassemblés pour prendre part à un festin dans le village, Eruaï me fit approcher de lui, en présence de plu- sieurs autres chefs; et, après leur avoir parlé de mon activité à la chasse et à la pêche, il termina en leur disant qu'il dé- sirait m'élever au rang de chef, si je voulais y consentir, ce que je fis sur-le-champ. Alors mes cheveux furent coupés par devant avec une coquille d'huître, comme l'étaient ceux des chefs. Plusieurs chefs me firent présent de quelques nattes, et promirent de m'envoyer le lendemain quelques cochons. De ce moment je revêtis une natte» enduite d'huile et de rouge d'ocre, semblable à celles que portaient les autres chefs. J'eus aussi la tête et le visage barbouillés de la même composition par la fille d'un chef, qui m'était entièrement étrangère. Je re- çus en même temps un beau mere en pierre, que je portai en- suite constamment avec moi. Einaï m'invita à prendre deux ou trois femmes, attendu «pue c'est la coutume des chefs d'en prendre autant qu'il leur est agréable, et je consentis à en prendre deux. Environ soixante femmes furent amenées devant moi; aucune ne me plut, et je ne choisis aucune d'elles. Alors Emaï me dit que j'étais taboue pour trois jours, et qu'a l'ex- piration de ce terme il me conduirait au camp de son frère, où je pourrais trouver quantité de femmes qui me plairaient. En conséquence , au jour fixé nous allâmes chez son frère, où l'on nous présenta plusieurs femmes; mais ayant jeté les yeux PIECES JUSTIFICATIVES* 740 sur les deux filles d'Emaï, qui nous avaient suivis et étaient as- sises sur l'herbe, je m'approchai de l'aînée et lui dis que je la choisissais. Aussitôt elle poussa des cris et s'enfuit; mais deux des naturels avant jeté leurs nattes la poursuivirent et la ra- menèrent bientôt. D'après l'ordre d'Emaï, j'allai à elle et m'emparai de sa main. Les deux naturels la lâchèrent, et elle me suivit tranquillement vers son père, la tète penchée vers la terre et ne cessant de rire. Alors Emaï appela son autre fille, qui vint aussi en riant; et il m'invita à les prendre toutes les deux. Je me tournai vers elles et leur demandai si elles consentaient à venir avec moi; elles répondirent toutes les deux ia pea, c'est-à-dire oui , ou j'y consens. Emaï leur si- gnifia qu'elles étuient tabouées pour moi et nous ordonna de retourner tous trois ensemble à la maison , ce que nous fîmes, accompagnés par plusieurs naturels. Nous n'étions que depuis quelques minutes au village, quand Emaï et son frère y arrivèrent aussi; le soir Emaï donna une grande fête au peuple. » Durant la plus grande partie de la nuit, les femmes ne ces- sèrent d'exécuter une danse nommée kani-kani, et qui n'a guère lieu que quand elles sont rassemblées par troupes nom- breuses. Lorsqu'elles l'exécutent , elles se tiennent toutes sur un rang, et plusieurs d'entre elles agitent des mousquets sur leurs tètes. Leurs mouvemens sont accompagnés par le chant de plusieurs hommes; car il n'y a aucune espèce de musique en ce pays. » La plus âgée de mes femmes se nommait Eshou, et la plus jeune Epeka. Elles étaient toutes deux jolies, douces et d'un bon caractère. Désormais j'étais obligé de manger avec elles en plein air; car elles n'eussent pas consenti à prendre leurs repas sous le toit de ma maison; c'eût été contraire aux usa- ges du pays. Quand je devais m'absenter pour un certain temps, j'avais coutume d'emmener Epeka avec moi, et de laisser Eshou à la maison. Les femmes des chefs, à la Nou- velle-Zélande, ne sont jamais jalouses les unes des autres; 750 PIÈCES JUSTIFIC2VTIVES. elles vivent au contraire ensemble dans une grande union. La seule distinction qui règne parmi elles, est que la plus âgée est toujours considérée comme la première femme. Dans le cas du mariage, il n'y a pas d'autre cérémonie que celle que j'ai men- tionnée. Tout enfant issu d'une femme esclave estesclave comme la mère, quand même le père serait un chef. Une femme sur- prise en adultère est sur-le-champ mise à mort. Plusieurs chefs prennent des femmes parmi leurs esclaves; mais quiconque épouse une femme esclave peut être impunément dé- pouillé , tandis que celui qui prend une femme dans la fa- mille d'un chef est à l'abri de toute espèce de pillage; car les naturels n'oseraient piller une personne de ce rang. A l'égard des vols ordinaires, la coutume est que si celui qui a dérobé quelque chose peut le tenir caché durant trois jours, l'objet volé devient alors sa propriété ; et le seul moyen qu'ait l'offensé d'obtenir satisfaction est de voler à son tour le voleur. Si le vol est découvert dans le délai des trois jours, le voleur doit restituer l'objet dérobé; mais dans ce cas même, il reste im- puni. Bien que les chefs soient à l'abri de toute déprédation de la part de leurs inférieurs , ils se livrent souvent au pillage les uns envers les autres , ce qui occasione parmi eux des guerres fréquentes. » Tous les naturels, dit Rutherford, sont assaillis de vermines qui habitent dans leurs cheveux et se nichent aussi dans leurs nattes. Leur manière de les détruire est d'allumer un grand feu, d'yjetcr une quantité débroussailles vertes cl d'étendre leurs nattes au-dessus. La fumée oblige la vermine à se réfugier à la surface ; les femmes s'empressent alors de donner la chasse à ces insectes avec leurs deux mains et les dévorent de grand cœur. Quelquefois deux ou trois femmes s'occupent de cette chasse sur une même natte, » Les Nouveaux-Zélandais préparent leur poisson en le trempant plusieurs fois dans l'eau salée, et le faisant sécher au soleil. Ils font d'abord cuire, suivant leur coutume, les grands coquillages, puis les retirent de leurs coquilles, les at- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 751 tachent ensemble et les font sécher à la fumée ; ainsi proparés , ils se mangent comme du vieux fromage, et peuvent se gar- der des années. Les koumaras ou patates douces sont aussi préparées de la même manière, et alors on les mange comme du pain d'épice. Les naturels ramassent leurs pommes de terre dans des corbeilles faites en feuilles de lin vert, et les conser- vent ainsi tout l'hiver. Du reste, il y a trois mois de l'année où les naturels ne se nourrissent guère que de navets, et à peine boivent-ils durant tout ce temps. » Ruthcrford nous donne quelques détails sur un voyage qu'il fit un jour avec le chef Emaï. « Je pris, dit-il, ma femme Epcka avec moi; nous étions accompagnés par environ vingt femmes esclaves pour porter nos provisions; chacune d'elles, outre la provision nécessaire à sa propre consommation , por- tait sur ses épaules environ trente livres de patates, et condui- sait devant elle en même temps un cochon qu'elle tenait par une corde attachée aux jambes de devant de l'animal. Les hommes ne voyagent jamais sans leurs armes. Notre marche avait lieu tantôt par eau et tantôt par terre ; en continuant de cette manière, au bout d'un mois environ, nous arrivâmes dans un endroit nommé Tara-Nake , sur la côte du détroit de Cook, où nous fûmes reçus par Otako , chef puissant qui était venu des environs du cap Sud. Dans cette rencontre nous nous saluâmes les uns les autres de la manière accoutumée en faisant toucher nos nez, et il y eut aussi, comme de coutume, beaucoup de cris et de gémissemens. Là je vis un Anglais nommé James Mowry, qui me dit avoir été jadis mousse à bord d'un navire appelé le Sidney-Cove. Ce navire avait touché près le cap Sud lorsque l'équipage d'un canot dont il faisait partie fut envoyé à terre pour commercer avec les naturels. Les Anglais furent bientôt attaqués et tous massacrés, lui seul excepté; il dut son salut à sa jeunesse et à la protection de la fille d'Otako qu'il épousa par la suite. Il y avait à cette époque huit ans qu'il se trouvait dans le pays, et il s'était si bien habitué aux coutumes rt à la manière de vivre des naturels, qu'il avait résolu de ne 752 PIÈCES JUSTIFICATIVES. jamais les quitter. Il était âgé de vingt-quatre ans , joli garçon, d'une taille moyenne, et il avait été bien tatoué. Mowry avait été aussi proclamé chef, et avait souvent accompagné les natu- rels dans leurs combats. Il parlait leur idiome, et avait perdu en partie l'usage de sa propre langue. Il me dit qu'il avait su la prise de notre navire, et il me donna des détails sur la mort de Smith et de Watson , deux de mes infortunés compagnons; à mon tour je lui racontai mon histoire et les aventures qui m'étaient arrivées. « Le village de Tara-Nake est situé au bord de la mer; les manières et les coutumes des habitans y sont les mêmes que dans les autres parties de l'île. Nous y restâmes six semaines; et pendant ce temps je guettai attentivement les navires qui pourraient passer par le détroit; mais je n'eus jamais le bon- heur d'en apercevoir un seul. Du reste, j'avais soin de cacher mes intentions à Mowry, car il était trop attaché aux naturels pour que je pusse me fier à lui. » En quittant Tara-Nake, nous fîmes route le long de la côte; après un voyage de six semaines nous arrivâmes au cap Est, où nous rencontrâmes un grand chef, nommé Pomare , et ap- partenant à la baie des îles. Il nous dit qu'il résidait dans le voisinage de M. Kcndall le missionnaire. Il avait environ cinq cents guerriers avec lui et plusieurs pirogues de guerre, dans l'une desquelles je remarquai un coffre qui portait le nom du capitaine Brin, du navire de la mer du Sud Asp. Ses gens avaient aussi avec eux bon nombre de mousquets avec des canons polis, quelques petits barils de poudre et une grande quantité de patates et de nattes de lin. Ils avaient pillé et mas- sacré presque tous les peuples qui habitent entre le cap Est et ]a rivière Tamise , et tout le pays tremblait au nom de Pomare. Ce guerrier fameux nous montra les têtes de plusieurs des chefs qu'il avait tués dans cette expédition, et il avait, disait-il, l'intention de les rapporter avec lui à la baie des Iles, afin de les vendre pour de la poudre à canon aux navires qui tou- chaient en cet endroit. Ce chef et ses compagnons ayant pris PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7.53 congé do nous et tait voile avec leurs pirogues , nous quittâmes aussi le eap Est le jour suivant, et continuâmes notre route pour revenir chez nous, marchant tout le jour, et la nuit campant dans les bois, où nous dormions à l'cntour de grands feux et à l'abri des branches d'arbres. Ce fut ainsi que nous arrivâmes au bout de quatre jours dans notre village, où je fus reçu avec beaucoup d'allégresse par Eshou, l'aînée de mes deux femmes. J'étais bien fatigué de mon voyage, ainsi que mon autre femme Epeka qui m'avait accompagné.» Pour préparer les tètes humaines, suivant Rutherford, on vide d'abord entièrement la cervelle , et on arrache la langue et les yeux, puis les narines et l'intérieur du crâne sont bour- rés de lin. A l'endroit où la tête a été séparée du corps, la peau du -cou est réunie comme l'ouverture d'une bourse, en laissant un espace assez grand pour y faire entrer la main. Puis on l'enveloppe dans un paquet de feuilles vertes, et dans cet état on l'expose au feu jusqu'à ce que l'humidité en soit bien évaporée; après quoi on rejette les feuilles et on laisse la tête suspendue à la fumée , de manière à donner à la chair une consistance dure et coriace. Les cheveux et les denU restent en place , et le tatouage de la figure demeure tout aussi net que dans l'état de vie. Ainsi préparées, ces têtes peuvent se con- server toujours si on les tient au sec. Il paraît, en effet, que par cette exposition à un feu de bois ces têtes sont imprégnées* d'acide pyroligneux, et c'est ce qui les met désormais à l'abri de toute décomposition. Durant un certain temps après son retour du détroit de Cook, l'existence de Rutherford paraît n'avoir offert aucun événement remarquable. « A la fin, dit-il, un jour il arriva d'un village voisin un messager qui annonça que tous les chefs à plusieurs milles à la ronde allaient sous trois jours se mettre en route pour un endroit nommé Kaï-Para, près de la source de la rivière Tamise, et distant de deux cents milles environ de notre village. Ce messager apportait aussi une demande de lapartdesautreschefspourEmaï, qui le priaient de se joindre à tome ru. ^8 754 PIEGES JUSTIFICATIVES. eux avec ses guerriers. Il répondit qu'il se rallierait à eux à Kaï-Para dans le temps indiqué. Nous comprîmes que nous allions combattre à Kaï-Para contre un certain nombre de cbefsde la baie des Iles et de la rivière Tamise, en vertu d'une convention arrêtée avec les chefs de notre voisinage. En con- séquence tout fut préparé pour notre voyage aussi prompte- ment qu'il fut possible : les femmes s'occupèrent sur-le-champ de fabriquer une grande quantité de corbeilles neuves pour transporter nos provisions. Dans ces sortes d'expéditions, chaque guerrier doit se procurer ses armes , ses munitions , ses provisions et les esclaves nécessaires pour les porter. D'un autre côté, le bu'.in que fait chaque famille est pour son propre compte, et elle ne doit au chef que ce qu'elle juge convena- ble de lui accorder. Les esclaves ne sont point forcés de eom- hattre, bien que dans la mêlée ils accourent souvent au secours de leurs maîtres. » Quand le jour de notre départ fut arrivé, je me mis en marche avec le reste de l'armée, muni de mon mère, d'une paire de pistolets, d'un fusil de chasse à deux coups, de pou- dre, déballes, et d'une grande quantité de plomb à canard, que j'emportai pour tuer du gibier le long- du chemin. J'étais accompagné par ma femme Epeka, qui portait trois nattes neuves pour nous servir de lit; ces nattes avaient été fabriquées •par Eshou durant notre voyage a Tara-Nake. Les guerriers et les esclaves qui marchaient avec nous montaient en tout à cinq cents personnes environ ; mais à mesure que les esclaves étaient débarrassés des provisions qu'ils portaient, on les ren- voyait à la maison , attendu qu'on n'en avait plus besoin. Dans le voyage, si nous arrivions dans un village ami , nous y pas- sions la nuit, sinon nous campions dans les bois. Quand les provisions que nous avions apportées avec nous furent toutes consommées, il nous fallut en dérober partout où nous pou- vions en trouver. Notre voyage, eu égard à la saison pluvieuse qui régnait alors, fut plus pénible que de coutume. Nous em- ployâmes cinq semaines pour atteindre Kaï-Para, où nous PIÈCES JUSTIFICATIVES. 755 trouvâmes environ onze cents autres naturels campés au bord d'une rivière. A notre arrivée , des cabanes lurent sur-le- cliamp construites pour notre troupe , et il y en eut une des- tinée pour moi et ma femme. On nous désigna aussi deux femmes esclaves pour arracher les racines de fougère, ramas- ser les coquilles et pécher le poisson pour notre nourriture, car ce fut là nos seules provisions durant tout notre séjour en cet endroit, excepté quand j'allais de temps en temps au bois pour y tirer quelques pigeons ou un cochon sauvage. » Du côté opposé de la rivière, qui avait au moins un demi- mille de large , et qui pourtant n'avait pas plus de quatre pieds de profondeur, étaient campés environ quatre cents ennemis qui attendaient des renforts. En attendant, des courriers se rendaient continuellement d'une armée à l'autre pour porter des messages concernant la guerre. L'un d'eux nousappritqu'il y avait dans son parti un homme blanc qui avait entendu par- ler de moi et désirait me voir; il ajouta que les chefs qui dési- raient aussi me voir me donneraient la permission de traverser la rivière pour me rendre près du blanc , et que je pourrais en- suite m'en retourner sans être inquiété , si je le jugeais conve- nable. En conséquence, du consentement d'Emaï, je traversai la rivière; mais on ne me permit point d'aller en armes, ni même de mener ma femme avec moi. Quand j'arrivai sur le bord opposé, plusieurs des chefs vinrent me saluer à la ma- nière ordinaire, en appliquant leur nez contre le mien, puis j'allai m'asseoir au milieu d'eux , à côté de l'homme blanc , qui me dit que son nom était John Mawman , qu'il était originaire de Port-Jackson, et qu'il avait déserté du Tecs , corvette de guerre , tandis qu'elle était mouillée dans cette île. Depuis ce moment il s'était réuni aux naturels, et il vivait maintenant chez un chef nommé Rau-Mate, dont il avait épousé la fille, et qui résidait dans un lieu nommé Shouki-Anga , sur la côte occidentale, à cinquante milles de la baie des Iles. Il me ra- eonta qu'il était peu de temps auparavant à la baie des Iles, et qu'il avait vu plusieurs des missionnaires anglais. Il me 48* 756 PIECES JUSTIFICATIVES. dit aussi qu'il avait appris que ces naturels avaient derniè- rement pris un navire dans un endroit nommé Wangaroa, qu'ils l'avaient pillé et l'avaient ensuite laissé aller en dérive; mais que l'é<|uipage s'était échappé dans les embarcations et avait repris le large. C'est a ce même endroit que l'équipage du navire le Boyd fut massacré quelques années auparavant. » Tandis que je me trouvais avec ces gens, on amena un esclave devant un des chefs; sur-le-champ celui-ci se leva, frappa l'esclave avec son mère et le tua. Ce mère était différent des autres, car il était d'acier. Le cœur fut tiré du corps de l'esclave aussitôt qu'il expira, et fut sur-le-champ dévoré par- le chef qui l'avait tué. Je demandai quel était ce chef, et l'on m'apprit qu'il se nommait Shongui ; c'était un des deux chefs qui avaient été en Angleterre, et qui avaient été présentés en cepavsà plusieurs personnes de distinction, dont Shongui avait reçu plusieurs présens de prix, entre autres un fusil à deux coups et une armure complète, qu'il avait par la suite portée dans plusieurs batailles. Sa raison, me dit-on, pour tuer cet esclave qui lui appartenait, était qu'il avait volé cette ar- mure et qu'il s'enfuyait avec elle à l'ennemi, quand il fut ar- rêté par un détachement campé sur la lisière du camp. C'a été le seul exemple de vol que j'aie jamais vu puni à la Nou- velle-Zélande. Quoique Shongui ait hahité deux ans parmi les Européens, je le considère encore comme un des plus fé- roces cannibales de son pays. Il protège les missionnaires qui viennent sur son territoire, uniquement pour ce qu'il peut re- tirer d'eux. » Je revins vers mon parti. Le lendemain matin, de bonne heure, l'ennemi se retira à la distance de deux milles de la ri- vière; alors les gens de notre parti jetèrent sur-le-champ leurs nattes et se mirent sous les armes. Les deux armées ensemble possédaient environ deux mille fusils, qui avaient été principa- lement achetés des navires anglais et américains de la mer du Sud , qui touchent à l'île. Nous traversâmes la rivière ; arrivés vers le côté opposé, je m'établis sur un petit tertre à un quart PIÈCES JUSTIFICATIVES. 757 de BÎHe de l'endroit où notre troupe fit halte; de sorte que j'avais de là une vue complète de l'engagement. Je ne fus point requis de combattre moi-même , mais je chargeai mon fusil à deux coups, et, muni de cette arme, je restai à mon poste avec ma femme et les deux filles esclaves assises à mes pieds. Alors le commandant en chef de chaque armée s'avança de quelques verges, et chacun se plaçant en face de ses troupes, entonna le chant guerrier. Quand il fut terminé, les deux trou- pes exécutèrent la danse de guerre, et chantèrent en même temps, d'une voix aussi forte qu'il leur était possible, en brandissant leurs armes en l'air. La danse achevée, chaque armée se forma sur une ligne de deux hommes d'épaisseur, tandis que les femmes et les enfans se tenaient à dix verges environ de l'arrière. Alors les deux corps s'avancèrent à une centaine de verges l'un de l'autre, cl là ils déchargèrent leurs mousquets. Un petit nombre d'entre eux, pour faire feu, porta l'arme à l'épaule , mais pour la plupart ils tenaient simplement le fusil à la position de la charge. Ils ne tirèrent qu'une seule fois; ensuite jetant leurs mousquets derrière eux, où ils fu- rent ramassés par les femmes et les enfans, ils tirèrent leurs mere et leurs casse-têtes de leurs ceintures ; puis , tous en- semble, entonnant le chant de guerre delà manière la plus lu- gubre , les deux partis en vinrent aux mains. De la main gauche ils saisissaient leur ennemi aux cheveux , tandis qu'ils cherchaient à lui couper la tête avec la main droite. Pendant ce temps, les femmes et les enfans les suivaient de près en poussant les cris les plus affreux que j'eusse jamais entendus. Ces derniers recevaient des mains des guerriers les têtes de ceux qui avaient succombé aussitôt qu'elles étaient tranchées, et ceux-ci couraient s'emparer ensuite des cadavres au travers des ennemis; mais il arrivait souvent qu'ils s'emparaient de corps qui n'avaient point appartenu aux têtes qu'ils avaient coupées. La mêlée ne durait que depuis quelques minutes quand l'ennemi commença à battre en retraite , et fut poursuiv i par nos gens au travers des bois; quelques-uns des ennemis, 758 PIÈCES JUSTIFICATIVES. dans leur fuite, traversèrent la colline où je me trouvais, et l'un d'eux, en passant, me lança un dard barbelé qui m'attei- gnit en dedans de la cuisse gauche. Deux femmes le retirèrent au moyen d'une incision qu'elles firent tout autour .avec une écaille d'huître ; l'opération laissa une plaie de la largeur d'une coupe à thé ordinaire, et quand elle fut terminée, je fus trans- porté au travers de la rivière, sur le dos d'une femme, jusqu'à ma cabane ; là , ma femme appliqua sur la bles- sure quelques herbes fraîches qui sur-le-champ arrêtèrent l'effusion du sang, et rendirent ia douleur beaucoup moins violente. » Bientôt nos gens revinrent victorieux , ramenant avec eux plusieurs prisonniers. Tous ceux qui sont pris dans les com- bats, chefs ou non , deviennent les esclaves de ceux qui les ont pris. Un de nos chefs avait été tué d'un coup de fusil par Shon- gui , son corps fut rapporté et déposé sur des nattes devant les cabanes. Vingt tètes furent plantées sur de longues lances au- tour de nos maisons, et un nombre presque double de cada- vres furent placés sur les foyers pour les faire cuire suivant la coutume. Notre armée ne cessa de danser et de chanter toute la nuit, et le lendemain il y eut un grand festin, dont les corps des tués et la racine de fougère firent les frais, pour célébrer la victoire que nous avions remportée. Le nom du chef dont le corps était déposé devant nos cabanes était Wana ; c'était un de ceux qui avaient pris part à l'enlèvement de notre navire. Son corps fut ensuite découpé en plusieurs morceaux , et empaqueté dans des corbeilles recouvertes de nattes noires, et mises à part dans une des pirogues pour être transportées avec nous le long de la rivière. Outre Wana, il y eut encore cinq autres chefs tués de notre côté, savoir : Nene , Wari , Tome- Touï , Ware-Oumou et Rau. Du côté opposé , trois chefs fu- rent tués, savoir : Charlaï, le fils aîné de Shongui, et deux fils de Moudï-Waï, chef puissant du Shouki-Anga. Leurs têles lurent rapportées par nos gens comme des trophées de la guerre, et préparées à l'ordinaire. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 759 Nous quittâmes Kai-Para sur un grand nombre de piro- gues, et nous descendîmes la rivière jusqu'à un endroit nommé Shouraki, où résidait la mère d'un des chefs qui avaient été tins. Quand nous arrivâmes en vue de celle place, toutes les pirogues se réunirent et les guerriers qui les montaient enton- nèrent riivmne funéraire. Durant ce temps, plusieurs des co- teaux vis-à-\is de nous furent couverts de femmes et d'enfans dont le visage était barbouillé d'ocre et la tète ornée de plu- mes blanches, et qui agitaient leurs nattes en l'air, en criant de toutes leurs forces: Aire mai, Aire mai './.c'est le salut par lequel ils accueillent les étrangers chez eux. Quand le chant funé- raire fut termine, nous débarquâmes de nos pirogues que nous hâlâmes à terre , et tous nos hommes complètement nus exé- cutèrent une danse; puis ils furent accueillis par une autre troupe de guerriers qui arriva de derrière la colline , et ils figurèrent ensemble un simulacre de combat qui dura vingt minutes environ. Ensuite les deux bandes allèrent s'asseoir autour de la maison qui appartenait au chef du village, et de- vant celte maison l'on plaça les corbeilles qui renfermaient le corps mort. On les ouvrit toutes, et la tête ayant été retirée et ornée de plumes, fut placée au-dessus de l'une de ces cor- beilles, tandis que les autres têtes qui avaient été enlevées dans le combat furent plantées sur de longues lances, en diverses parties du village. Pendant ce temps, la mère du chef qui avait péri se tenait sur le toit de la maison , tournant continuelle- ment la tète, se tordant les mains et poussant des cris sur la perle de son fils. » Le corps mort ayant été peu de jours après enterré avec les cérémonies accoutumées, nous nous préparâmes tous à nous en retourner chez nous. Shouraki est un des endroits les plus délicieux de la Nouvelle-Zélande, et j'y ai observé plus de terres cultivées qu'en aucun autre pays. Tandis que je m'y trouvais , je vis une esclave manger une partie de son propre enfant, qui avait été tué par le chef son maître. J'ai eu con- naissance de plusieurs exemples où des femmes de la Nouvelle- 7 GO PIECES JUSTIFICATIVES. Zélande avaient mangé leurs enfans aussitôt qu'ils étaient nés. » Leurs pirogues, dit Rutherford, sont construites avec des pins de la plus grande dimension ; ces pièces de bois qui ont gé- néralement quarante à cinquante pieds de long, sont creusées dans toute leur étendue, alongées à chaque extrémité par d'au- tres pièces de bois de huit pieds de long et exhaussées de chaque côté par des planches de deux pieds de largeur. Ces pirogues portent une figure à l'avant, et leur arrière s'élève de près de dix pieds au-dessus de l'eau ; cette partie est bien sculptée, ainsi que la figure de devant et tout le corps de la pirogue. Les côtés sont ornés de morceaux de nacre incrustés dans les bas-reliefs , et au-dessus règne un cordon de plumes. Dans l'intérieur et dans toute la longueur de chaque pirogue sont des bancs où deux hommes peuvent s'asseoir de front. Ces embarcations arment environ cinquante pagaies de chaque bord, et plusieurs d'entre elles portent jusqu'à deux cents personnes. Quand ces naturels pagaient , le chef se tient debout et les anime par une chanson à laquelle ils se joignent en chœur. Ces pirogues roulent beau- coup et peuvent filer jusqu'à sept nœuds; leurs voiles sont des nattes en paille et taillées dans la forme de voiles latines. Les naturels font leur cuisine à bord de ces pirogues, mais ils des- cendent toujours à terre pour manger. Ils s'avancent souvent jusqu'à trois ou quatre cents milles le long de la côte. » Maintenant nous avons rapporté toutes les aventures que Rutherford s'est rappelé lui être arrivées durant sa résidence à la Nouvelle-Zélande, et il ne nous reste plus qu'à raconter la manière dont il s'échappa à la fin de ce pays. C'est ce que nous allons faire dans ses propres termes. « Peu de jours après notre retour du Shouraki, nous fûmes alarmés à l'aspect de plusieurs colonnes de fumée qui se mon- traient sur diverses montagnes; les naturels couraient aussi de tous côtés dans le village, en criant : Kaï-pouke , ce qui signi- fiait qu'un navire était sur la côte. A cette nouvelle, je lus ravi de joie; de concert avec plusieurs guerriers et suivis par une troupe d'esclaves chargés de nattes et de patates et condui PIECES JUSTIFICATIVES. 761 sant devant eux des cochons pour vendra aux gens du navire, Emaï et mai sur-le-champ nous nous mîmes en route pour Toko-Malou ; en deux jours nous arrivâmes en cet endroit, malheureux théâtre du désastre de notre bâtiment et de son équipage, dans la journée du 7 mars 1816. Je ne tardai pas à distinguer le navire à vingt milles environ de la côte, car le vent qui soufflait avec Force de terre l'empêchait d'en appro- cher. En attendant, comme la nuit arrivait, nous campâmes et nous nous mîmes à souper. Je remarquai que plusieurs des habitans portaient encore au cou et aux poignets plusieurs des bagatelles qu'ils avaient volées à bord du navire. Comme Emaï et moi soupions ensemble, un esclave vint avec une corbeille neuve qu'il plaça devant moi , en disant que c'était un présent de la part de son maître. Je lui demandai ce qu'il y avait dans la corbeille, et il m'apprit que c'était un morceau de la cuisse d'une jeune esclave que l'on avait tuée trois jours auparavant. Je lui ordonnai d'ouvrir la corbeille, ce qu'il fit, et cette viande avait tout-à-fait l'apparence d'une pièce de porc qui avait été cuite au four. J'en fis présent à Emaï qui la partagea entre les chefs. » Les chefs tinrent conseil et décidèrent que, si le navire entrait dans la baie, ils s'en empareraient et massacreraient l'équipage. Le lendemain matin il parut bien plus près de terre qu'il ne l'était la veille; mais les chefs craignaient encore qu'il ne vînt point au mouillage ; en conséquence ils résolurent de m'envoyer à bord pour l'attirer vers la côte, et je promis d'agir suivant leurs désirs. J'étais alors revêtu d'un manteau déplu- mes , d'une ceinture, d'un turban, et armé d'une hache de combat dont la lance était fabriquée avec une pierre assez sem- blable à du verre vert, mais si dure qu'elle pouvait résister au coup le plus violent du meilleur acier ; la poignée était d'un bois noir, dur, joliment sculpté et orné de plumes. Dans ce costume je m'embarquai dans une pirogue , accompagné par le fils d'un des chefs et par quatre esclaves. Quand nous fûmes arrivés le long du bâtiment, qui se trouva être un brick amé- 762 PIECES JUSTIFICATIVES. ricain , commandé par le capitaine Jackson, employé à com- mercer au travers des îles de la mer du Sud et destiné en ce moment pour la côte de la Californie, je montai sur-le-champ à bord et me présenlaiau capitaine qui, en me voyant, s'écria aussitôt : «Voilà un Nouveau-Zélandais blanc. » Je lui dis que je n'étais point un Nouveau-Zélandais, mais un Anglais; alors il m'invita à descendre dans sa chambre où je lui fis le récit de mes aventures et de toutes mes infortunes. Je l'instruisis du danger auquel son navire serait exposé s'il mouillait dans cette partie de l'île ; et je l'engageai à reprendre le large le plus promptement possible , en le priant de m'emmener avec lui , attendu que c'était la seule chance que j'eusse jamais rencon- trée de pouvoir m'échapper. Pendant ce temps, le fils du chef ayant commencé ses vols sur le navire, les hommes de 1 équi- page l'avaient attaché, l'avaient fouetté avec les araignées d'un de leurs hamacs , puis l'avaient renvoyé dans sa pirogue. Ils auraient aussi fouetté les autres, si je n'eusse intercédé pour eux, réfléchissant qu'il y avait peut-être encore quelques-uns de mes infortunés compagnons vivans, à terre, sur lesquels les naturels auraient pu se venger. Le capitaine consentit à me prendre à son bord , et la pirogue ayant été laissée en dérive , nous reprîmes le large. Pendant les seize premiers mois de mon séjour à la Nouvelle-Zélande , j'avais compté les jours au moyen de coches sur un bâton ; mais ensuite j'y avais renoncé. Je sus cependant que le jour que je fus emmené de l'île était le 9 janvier 182G ; ainsi j'étais resté prisonnier chez ces sauva- ges dix ans entiers moins deux mois.» Le capitaiuc Jackson donna ensuite à Rutherford tous les vètemens dont il avait besoin , et celui-ci, en retour, lui fit présent de son costume national et de sa hache d'armes. Le navire se dirigea vers les îles de la Société, et mouilla à Taïti le 10 février. Là Rutherford entra au service du consul an- glais, qui l'employa à. scier du bois. Le 26 mars iï fut marié à une femme de distinction qui se nommait, dit-il, Novvaï-Roua, par M. Pritchard, l'un des missionnaires anglais. Tandis qu il PIECES JUSTIFICATIVES. 7C3 résidait dans cette île, il fut aussi employé comme interprèle par le capitaine Pcachy (lisez lïecchcy), du sloop de guerre le Blossom, alors employé à l'exploration de ces îles. Du reste, brûlant du désir de revoir son pays natal, il embarqua le G janvier 1827 à bord du brick Macquaric, commandé par le capitaine Hunter, et destiné pour Port-Jackson. En prenant congé de sa femme et de ses amis, il leur fit la promesse de revenir dans l'île sous deux ans; « promesse que j'ai l'intention de tenir, dit-il, si cela est en mon pouvoir, et je désire y termi- ner mes jours. ■> Le Macquarie atteignit Port-Jackson le 19 fé- vrier, et Rutherford raconte qu'il y rencontra une jeune femme qui avait été sauvée du massacre du Boyd , et qui lui fit le récit de cette catastrophe. C'était probablement la fille de la femme que M. Berry transporta à Lima. Il trouva aussi à Port- Jackson deux navires prêts à opérer leur retour en Angleterre, avec une réunion de personnes qui avaient tenté de former un établissement à la Nouvelle-Zélande , mais qui avaient été contraintes de renoncer à ce projet, à ce qu'il comprit, par la conduite perfide des naturels. Il s'embarqua à bord du Sydney- Paeket, commandé par le capitaine Taylor, qui loucha d'a- bord à Hobart-Town, sur la terre de Van-Diémen , et, après un séjour de quinze jours environ , fit voile pour Rio-Janeiro. A son arrivée dans cette ville, il entra au service d'un M. Har- ris, Hollandais. M. Harris, ayant appris son histoire, le pré- senta à l'empereur Don Pedro , qui lui fit plusieurs questions par un interprète, et lui fit présent de quatre-vingts dollars. Il lui offrit aussi de l'emploi dans sa marine; mais Rutherford refusa , préférant retourner en Angleterre sur la frégate Blan- che, alors sur le point de mettre à la voile, et sur laquelle il obtint un passage à la recommandation du consul anglais. A l'arrivée du navire à Spithead , il le quitta sur-le-champ, et se rendit à Manchester, sa ville natale , qu'il n'avait pas revue depuis la première fois qu'il s'était embarqué en l'année 180G. Depuis son retour en Angleterre, Rutherford gagnait par- fois son entretien en accompagnant une caravane ambulante 764 PIECES JUSTIFICATIVES. de curiosités, on montrant son tatouage, et racontant quel- que partie de ses aventures extraordinaires. L'éditeur de ce volume eut plusieurs entretiens avec lui , en janvier 1829, quand il se laissait montrer à Londres. C'était évidemment un homme d'une grande intelligence, et doué d'un véritable talent d'observation. Il repassa son journal entier avec beaucoup de soin, en expliquant les passages difficiles, et communiquant certains détails dont nous avons profité dans le cours de cette narration. Ses manières étaient douces et polies : il aimait les enfans, et se plaisait à leur expliquer les causes de sa singu- lière apparence; c'était aussi un homme très-sobre d'habitude. Il souriait à l'idée de voir ses aventures publiées, et fut charmé qu'on fit son portrait, quoiqu'il fût bien pénible pour lui de PIÈCES JUSTIFICATIVES. 765 poser devant l'arliste, avec le haut du corps découvert, dans un temps de gelée très-rigoureuse. En masse , il semblait avoir contracté beaucoup de la confiance du peuple avec lequel il avait si long-temps vécu , et il était en quelque sorte hors de son élément au milieu de la contrainte des relations sociales et des occupations monotones du peuple anglais. Il lui était fort pénible de se montrer pour de l'argent, et il ne s'y prêtait guère que pour acquérir une somme qui , jointe à ce qu'il avait reçu pour son manuscrit , lui permît de retourner à Taïti. Nous n'avons plus eu de nouvelles de lui depuis cette époque, et il est probable qu'il a réalisé ses projets. Il assurait qu'il ne balancerait point à aller à la Nouvelle-Zélande ; que ses anciens compagnons croiraient très-volontiers qu'il avait été emmené de force ; que , d'après la connaissance qu'on avait de leurs coutumes, on pourrait l'employer avec beaucoup de succès à commercer avec eux; et que s'il ramenait avec lui un forgeron et beaucoup de fer , il pourrait acquérir la plupart des productions les plus précieuses du pays, particulièrement l'écaillé de tortue, qu'il considérait comme l'objet le plus important pour une spéculation commerciale. Histoire de Toupe-Koupa. Ce fut au commencement de l'année 182G que le docteur Traill rencorflra Toupe-Koupa ; il avait été appelé pour visiter ce sauvage, attaqué de la rougeole à Liverpool. M. Traill le trouva logé chez un capitaine Reynolds de l'Urania, navire marchand de la mer du Sud, appartenant à MM. Staniforth et Gosling de Londres, sur lequel il était venu de son pays natal. La manière dont ce sauvage se présenta au capitaine Reynolds est très-extraordinaire, et dénote vivement l'intrépidité et l'énergie de son caractère. Tandis que l'Urania naviguait au travers du détroit de Cook, qui divise en deux îles les terres qui constituent la Nouvelle-Zélande, on observa 766 PIÈCES JUSTIFICATIVES. trois grandes pirogues contenant ensemble soixante-dix à quatre-vingts naturels, qui faisaient voile pour le navire. Cela causa une vive alarme à l'équipage qui, du reste, se disposa à recevoir chaudement les sauvages, dans le cas où leurs inten- tions deviendraient hostiles. Quand la plus grande pirogue vint à approcher, un des naturels qui la montaient se tenait debout, et par signes, comme par quelques mots de mauvais anglais, il exprimait que son désir était d'être reçu à bord. Ce naturel était Toupe-Koupa. Sa requête fut rejetée par le capitaine Reynolds qui craignait quelque trahison; mais lors- qu'il eut remarqué qu'il n'y avait point d'armes dans la piro- gue , il la laissa accoster le navire. Alors le sauvage déterminé, quoique le capitaine s'obstinât encore à ne pas le recevoir, s'élança du milieu de ses compatriotes, et fut en un instant sur le pont. La première chose qu'il fit, après être monté à bord , fut d'ordonner aux pirogues de se retirera une certaine distance. Son but était de montrer que ses intentions étaient entièrement pacifiques. Puis, par des signes non équivoques, il demanda au capitaine des armes à feu. Cette demande ayant été refusée, il annonça sur-le-champ le projet qu'il avait formé de se ren- dre, en dépit de toute résistance, en Angleterre. «Je vais en Europe, dit-il, pour voir le roi Georges. » Embarrassé de cette résolution, le capitaine, après avoir tenté en vain de lui per- suader de rentrer dans sa pirogue , ordonna à la fin à trois de ses plus robustes matelots de le jeter par-dessus le bord. Il sa- vait que tous les Nouveaux-Zélandais nagent fort bien , et les pirogues étaient encore à une petite distance. Mais Toupe de- vina son intention ; sur-le-champ se jetant tout de son long sur le pont, il s'accrocha à deux barres de fer avec tant de force, que, pour l'en détacher, il eût fallu employer une vio- lence qui répugnait à l'humanité du capitaine Revnolds. Quand cette lutte eut cessé, le chef, car on ne pouvait plus douter que tel ne fût son rang, se sentant fermement établi à bord , annonça à ses gens dans les pirogues qu'il était en route pour l'Europe, et leur ordonna de retourner à terre. Ceux-ci PIÈCES JUSTIFICATIVES. 7Q7 obéirent à l'instant. Durant quelques jours , ïe capitaine Rey- nolds lit diverses tentatives pour le débarquer sur différons points de la côte voisine , mais les vents l'empêchèrent d'effec- tuer eette résolution. Pour cette raison , voyant qu'il ne pou- vait faire autrement, il renonça à l'espoir de se débarrasser de son hôte importun , et se décida à rendre son existence à bord du navire la plus douce possible. Peu à peu les ma- nières du Nouveau -Zélandais lui concilièrent le respect et l'attachement des matelots , et ils étaient ensemble sur le pied le plus amical avant que le navire arrivât à Lima. A Monte-Video, il survint un incident qui rendit indissolubles les liens de l'amitié entre Toupe et le capitaine Reynolds. Celui-ci tomba à la mer, et eût péri sans l'intrépidité de Toupe. Ce naturel s'élança à la mer après lui, et l'ayant saisi au moment où il coulait, il le soutint d'une main sur l'eau , tandis qu'il nageait de l'autre , jusqu'à ce qu'on eût pu les dé- couvrir du bord. Après cette aventure, l'attachement de Toupe et du capitaine Reynolds devint si fort, que le docteur Traill raconte qu'à Liverpool le premier semblait tout inquiet quand le capitaine restait absent une heure ou deux de plus que de coutume ; et dans la crainte de voir son ami et protecteur s'é- loigner de lui , il avait retiré le bagage du capitaine dans sa propre chambre. D'un autre côté , la conduite du capitaine Reynolds envers l'étranger, de l'entretien duquel il se trou- vait ainsi chargé, était marquée par des soins et une bienveil- lance qui lui faisaient le plus grand honneur. Bien qu'il fût sans emploi et que ses ressources fussent très-modiques, il les partageait avec son ami , et il avait constamment résisté avec fermeté aux propositions réitérées qu'on lui avait faites de montrer Toupe pour de l'argent. Dans le temps de sa maladie particulièrement, Toupe reçut les soins les plus attentifs du capitaine et de sa femme. Sans la présence presque conti- nuelle du capitaine, le pauvre chef serait resté presque sans appui, même après son arrivée en ce pays; car bien qu'il pût comprendre quelques mots d'anglais, quand on lui parlait, il 768 PIECES JUSTIFICATIVES. n'avait pas acquis une connaissance suffisante de la langue pour pouvoir s'exprimer, même pour les besoins les plus ordi- naires; et le capitaine Reynolds, qui conversait avec lui dans sa langue maternelle, lui était en conséquence essentiellement nécessaire comme interprète. Quand le docteur Traill fut appelé près de Toupe, il le trouva, comme nous l'avons déjà dit, attaqué de la rougeole et assisté d'un chirurgien qui l'avait vacciné quelques jours auparavant. Des saignées et des vésicatoircs appliqués à pro- pos firent céder heureusement la maladie, et le malade fut bientôt complètement rétabli. Toupe resta à Liverpool quel- ques semaines après son rétablissement, et pendant ce temps il faisait de fréquentes visites au docteur Traill ; ainsi ce gent- leman eut les occasions les plus favorables d'observer son ca- ractère et ses manières, et d'obtenir de très- précieux rensci- gnemens touchant ses compatriotes. Toupe-Koupa semblait être encore dans la fleur de l'âge, bien qu'au moment où il entreprit son aventureuse expédition il eût laissé son fils aîné, disait-il, à la tête de sa tribu pendant son absence. Sa figure était agréable et annonçait de l'intelli- gence, quoiqu'elle fût si bien tatouée qu'à peine y restait-il le moindre espace qui eût conservé sa couleur primitive. Qui plus est , toutes les parties de son corps étaient couvertes de ces dessins; ses bras nerveux et bien conformés étaient surtout sillonnés par un grand nombre de simples lignes noires , et ces lignes, disait-il, indiquaient le nombre des blessures qu'il avait reçues dans le combat. Son caractère était généralement doux et facile, mais il lui échappait parfois des boutades qui rappelaient l'humeur capricieuse et irritable du sauvage. Une fois , tandis qu'il se trouvait à bord , un matelot vigoureux l'in- sulta avec intention; aussitôt il s'élança sur cet homme, Je saisit par le col et par la ceinture, etaprèsl'avoir tenu quelques momens suspendu sur sa tète, il l'étendit sur le pont avec une grande violence. Du reste, de pareils emportemens de sa part semblaient fort rares. En société ses manières étaient tout-à- PIECES JUSTIFICATIVES. 7G9 fait exemptes de gène, et dénotaient cette aisance naturelle à un homme accoutumé à inspirer de la considération. Toute- fois , pénétré de l'idée qu'il devait se conformer aux coutumes du pays où il se trouvait, il était constamment sur ses gardes pour observer la conduite de ceux qui l'environnaient, et gé- néralement sa manière de les imiter était admirablement prompte et exempte de toute gaucherie. En prenant sa leçon, pour ainsi dire, son habitude était de tenir les yeux sur celui qu'il considérait comme la principale personne de la compa- gnie. A table, bien qu'il fût ordinairement servi le premier, à titre d'étranger, il ne commençait jamais à manger, sur- tout si le plat était nouveau pour lui , à moins qu'il ne vît les autres se servir de leur cuiller, ou de leur couteau et de leur fourchette. Il comprit bientôt l'usage des verres à laver les doigts et des serviettes; une fois il avala cependant l'eau des premiers , mais il ne retomba jamais dans la même erreur. Le motif pour lequel Toupe avait entrepris le voyage ex- traordinaire , où il débuta d'une manière si déterminée , était le même qui dans ces dernières années attira en Angleterre plusieurs autres de ses compatriotes. Il venait, comme il en est convenu lui-même , pour se procurer une provision d'ar- mes à feu. Aucun chef de la Nouvelle Zélande, parmi ceux dont il a été question jusqu'à eejour,nesauraitlui être comparé sous le rapport du pouvoir et de l'importance, si nous devons en croire les détails qu'il a donnés sur l'étendue de ses do- maines. Quand on lui montra son pays natal sur une carte, il le reconnut tout de suite ; quand on lui demanda où était le terrain où il résidait, il représenta ses Etats comme embrassant toute la partie méridionale de l'île Nord, qui en serait déta- chée par une ligne tirée depuis la pointe de Sugar-Loaf , sur la côte de l'Ouest, jusqu'au cap Turn-Again sur la côte orien- tale; et cette étendue ne formerait guère moins du quart de l'île entière. Il déclarait que sa principale résidence était l'île Entry, située à peu de distance de la côte, sur la rive sep- tentrionale du détroit de Cook, et presque en face de l'entrée tome m. 49 7 70 PIECES JUSTIFICATIVES. du canal de la Reine-Charlotte. Précisément vis-à-vis de cette petite île, un canal spacieux et profond pénètre, dit ce chef, fort avant dans les terres. Il décrivait aussi un autre canal, qui n'est pas tout-à-fait aussi étendu , et qui pénètre dans la terre située à l'Est, entre Le cap Tera-Witi et le cap Palliser. Cette partie de la côte fut très-imparfaitement explorée par Cook qui , dans le fait, ne l'a guère figurée que par conjecture; et depuis ce temps on n'a eu aucun détail à cet égard. Toupe assurait que les bords de ces mers intérieures étaient cou- verts jusqu'au bord de l'eau de pins magnifiques de l'espèce du koudi. Toupc avait été l'une des principales victimes dans le nom- bre de ceux qui avaient souffert des invasions de Shongui, lors- que ce chef belliqueux fut de retour d'Europe avec une ample provision d'armes, et des projets ambitieux de conquêtes qui ne tendaient à rien moins qu'à subjuguer l'île entière. La par- tie la plus voisine des domaines de Toupe n'est pas éloignée de moins de quatre cents milles de ceux de ce puissant et infa- tigable capitaine; en effet leurs Etats étaient séparés l'un de l'autre par la longueur presque entière de l'île. Aussi rien ne peut donner une idée plus exacte des projets de conquête de Shongui, que de montrer qu'elles l'avaient conduit à avoir pour ennemi un peuple séparé du sien par un intervalle aussi considérable. Cependant le récit de Toupe ne fait pas connaî- tre si Shongui envahit effectivement son territoire; peut-être est-il plus naturel de supposer que, comme cela est ordinaire dans les guerres de ces peuples, ils convinrent d'en venir aux mains sur quelque pays intermédiaire, et de vider leur différend par les armes. Toupe, qui n'avait aucune idée des armes redoutables que son rival allait lui opposer, n'hésita pas un instant à accepter le cartel qui lui fut proposé. Quand même il eût été mieux instruit qu'il ne l'était de l'effet des armes à feu, les usages de la Nouvelle-Zélande ne lui eussent peut-être pas permis de refuser ce défi. Quoi qu'il en soit, les deux chefs en vinrent aux mains, et la défaite de Toupe en \ PIÈCES JUSTIFICATIVES. 771 fut le résultat. Cet événement eut les conséquences les plus funestes pour cet infortuné chef. Poursuivant ses succès, Shongui chassa devant lui son rival vaincu, jusqu'il ce qu'il l'eût réduit à se réfugier avec un petit nombre de ses partisans dans un de ses pas ou châteaux-forts. De cette citadelle, le misérable Toupe, parmi nombre d'atrocités exercées sur son peuple, fut soumis à l'lft>rreur de voir deux de ses enfans taillés en pièces et dévorés sous ses yeux par son impitoyable vainqueur. Bien qu'il fut sans doute accou- tumé aux scènes affreuses de barbarie, si ordinaires dans les guerres de ce pays, cette horrible scène avait fait sur son cœur une impression ineffaçable, et le souvenir de cet ins- tant fatal semblait le poursuivre dans toutes les circonstances de sa vie. En Angleterre , il fut vivement ému la première fois qu'il vit un des fils du docteur Traill, petit garçon de quatre ans environ. Ayant pris l'enfant sur ses genoux, il se mit à l'embrasser et à pleurer; et quand on lui demanda le motif de son affliction , il répondit que cet enfant était précisément du même âge que l'un de ses fils qu'il avait vu tuer et manger; puis, d'un ton et d'un air qui annonçaient toute son émotion, il détailla la manière dont son enfant avait été égorgé. Sa fi- gure prit une expression terrible quand il fit connaître , par un petit nombre de mots proférés à la hâte, et par des signes non équivoques, qu'il avait vu son ennemi arracher les yeux de son enfant et les dévorer. L'accès de sa rage se terminait par des menaces entrecoupées de vengeance , et il était évident que l'espoir de voir arriver le jour où il pourrait satisfaire ce sentiment était désormais le vœu le plus ardent de son cœur. Quoiqu'il fût venu en Angleterre uniquement pour obtenir ,-r«v m les moyens de se mesurer avec son puissant ennemi à armes y.*-*'" égales, il déclarait qu'il était résolu , à son retour, de réprimer les affreux excès que ses compatriotes ajoutent aux horreurs inévitables de la guerre. Ils avaient l'habitude, ainsi qu'il l'a- vouait, de boire le sang fumant de ceux qui succombaient dans le combat, mais il affirmait qu'il ne permettrait plus à 49" 772 PIÈCES JUSTIFICATIVES. son peuple de pareilles actions; lui-même , disait-il, ne man- gerait plus de chair crue, ni ne tuerait personne que dans le combat, car il voulait essayer de vivre à tous égards comme les blancs. Nonobstant les coutumes sauvages dans lesquelles il avait été élevé, il est certain que Toupe donnait souvent des preuves d'un caractère naturellement humain et susceptible d'affection. Il était 5?n outre doué de tant de sagacité et d'in- telligence, que l'on ne pouvait douter que la connaissance qu'il avait acquise de la vie civilisée ne lui fit vivement sentir toute la dégradation des habitans de son pays; mais il est dou- teux qu'il ait assez d'autorité ou d'énergie dans le caractère pour introduire, à son retour, aucunes réformes salutaires parmi ses compatriotes, réduit comme il le sera à ses propres moyens et au milieu de circonstances aussi peu favorables à ses vues. Cependant, durant son séjour en Angleterre, il s'informait attentivement de tous les objets qui pourraient être le plus utiles à son pays. Plusieurs fois le docteur Traill lui fit faire de courtes excursions dans son cabriolet , au travers de la cam- pagne des environs de Liverpool , et dans ces occasions , Toupe lui adressa plusieurs questions qu'il posait avec beaucoup d'in- telligence. Tout ce qui se rapportait à l'agriculture et à l'art du forgeron l'intéressait particulièrement. 11 fut très-surpris de voir comment le blé croissait et se changeait ensuite en fa- rine. Il fut impossible de faire comprendre h Toupe le méca- nisme de quelques-uns des moulins les plus compliqués qu'on lui fit voir; l'unique moyen de communication dont on pou- vait user en ces circonstances était trop borné pour permettre à ses amis de lui donner les explications nécessaires, quand bien même il eût été en état de les comprendre ; mais lorsqu'on lui montra un moulin à eau pour moudre le grain, il saisit facilement comment la chute de l'eau faisait mouvoir la grande roue, et il semblait concevoir aussi de quelle manière ce mou- vement se communiquait à la pierre supérieure. Une autre machine, si toutefois on peut l'appeler ainsi, d'une nature bien différente , et tout-à-fait h la portée de son intelligence, PIECES JUSTIFICATIVES. 773 in> lui causa p;is moins de plaisir et d'étonnemcnt : c'était un arc, car, ce qui est assez étrange, cette arme est tout-à-fait in- connue aux INouveaux-Zélandais , malgré leur passion pour les combats, et quoique l'arc soit par sa simplicité l'arme na- turelle des peuples primitifs. Il essaya de s'en servir à plu- sieurs reprises , et il témoigna un vif plaisir en voyant avec quelle force la flèche pénétrait dans le but. Il ramassa avec soin quelques arcs et flèches dont ses amis de Livcrpool lui firent cadeau, et il en faisait un grand cas; quoiqu'il sentît bien que cet instrument fût loin de valoir le fusil, il voyait cependant qu'il pouvait en tenir lieu jusqu'à un certain point. Sa surprise fut extrême la première fois qu'il vit un homme à cheval. Il demanda un jour quel animal c'était, et il parut stupéfait quand il vit le cavalier descendre à son gré et se pro- mener seul. Il aimait à rappeler combien sa surprise avait été grande en ce moment. Quand ce phénomène lui fut devenu plus familier, il témoigna le désir de monter lui-même à che- val, on le satisfit à cet égard; il fut d'abord enchanté de voir marcher l'animal avec lui , mais il lui arriva de lâcher la bride, le cheval décampa , et le pauvre Toupe fut jeté par terre avec . quelque violence, catastrophe à laquelle il ne s'était nullement préparé. Le docteur Traill le conduisit un jour voir la revue d'un régiment de dragons, spectacle tout-à-fait de son goût. La belle apparence des troupes , leurs évolutions en exécutant une charge, les commandemens avec lesquels s'exécutaient les divers exercices, tout cela arrachait à Toupe les plus vives expressions de surprise et de- joie. Ayant demandé à qui ces hommes appartenaient, on lui dit que c'était au roi Georges; alors il voulut savoir si le roi avait beaucoup d'autres guerriers semblables à ceux-ci ; quand il eut appris qu'il en avait un grand nombre d'autres, il s'écria sur-le-champ : « En ce cas, pourquoi ne donne-t-il pas à Toupe des mousquets et des sa- bres? » ajoutant qu'il paierait généreusement ces objets avec des espars et du lin. Il appelait le lin ariki-kaï] terme que nous 774 PIECES JUSTIFICATIVES n'avons vu mentionné nulle part, koradi étant celui qu'on emploie habituellement. Pourtant on ne put clouter que Toupe ne fît allusion au phormium tenax , à la manière dont il re- connut sur-le-champ un échantillon de cette plante qu'il vit dans une serre. Ravi de joie à cet aspect, comme s'il eût ren- contré un vieil ami, il s'écria tout-à-coup : Ariki-kaï! ariki- kaï! et il rit de bon cœur de voir cette plante cultivée avec soin dans un pot, remarquant qu'elle deviendrait bien plus robuste si on la laissait en pleine terre ; qu'elle était très-com- mune dans son pays, et ne méritait pas du tout le soin que nous en prenions en Angleterre. Il semblait croire que cet échantillon ne signifiait pas grand'chosc, ajoutant qu'il en en- verrait de beaucoup plus beaux de la Nouvelle-Zélande. Quand le docteur Traill et Toupe se promenaient en voi- ture ensemble, ils étaient ordinairement entourés d'une foule de spectateurs, partout où ils s'arrêtaient dans les rues; le chef était enchanté de la curiosité que montrait le peuple, il tirait son chapeau aux curieux, et touchait les mains de plusieurs d'entre eux. Un jour, une jeune fille qui vendait des oranges lui ayant présenté son panier pour l'inviter à en acheter quel- ques-unes, il s'imagina qu'elle lui faisait un cadeau du tout, et il se mita vider la corbeille dans la voiture. Il fut impossi- ble de lui faire entendre raison; c'est pourquoi on lui permit de vider le panier, et l'on paya la femme à son insu. Aussi, à son retour chez lui , il raconta au capitaine Reynolds , avec un air très-satisfait, quelle admiration il avait excitée, et combien le peuple avait été honnête à son égard eh lui faisant des présens. Mais parmi les divers objets qu'on lui offrait, il attachait toujours un bien plus grand prix à ceux qu'il jugeait réel- lement utiles , qu'à ceux qu'il considérait comme purement de luxe. Immédiatement après les armes à feu, les instrumens de fer et les outils d'agriculture étaient les grands objets de son ambition. Les scies, les haches et les ciseaux avaient beaucoup de valeur à ses yeux , ainsi que les couteaux et les fourchettes dont il voulait, disait-il, à son retour, intro- PIECES JUSTIFICATIVES. 77 duire L'usage parmi ses compatriotes. Le docteur Traill lui fit présent d'un couteau de voyage ordinaire a euiller et à four- chette ; la réunion de ces trois pièces en une seule fui un grand sujet d'admiration pour lui, etle ravissement que lui fit éprouver ce présent fut réellement inexprimable. Il ne fut surpassé que par l'extase dans laquelle il fut plongé, quand un autre de ses amis le gratifia de quelques vieux fusils et d'un mousqueton de cuivre ; cette fois il poussa des cris et sauta de joie. On peut citer le fait suivant comme une preuve curieuse de la difficulté qu'il y a de se procurer des renseignemens exacts touchant plusieurs des coutumes et des opinions en vi- gueur chez un peuple dont la condition sociale est très-diffé- rente de la nôtre. Pendant tout le temps que Toupe s'était trouvé avec le capitaine Reynolds, depuis leur première ren- contre à la Nouvelle-Zélande, jusqu'à leur arrivée en Angle- terre , le dernier n'avait jamais pu découvrir si son ami avait quelque notion d'un être ou intelligence supérieure , bonne ou mauvaise. Il se passa même un temps considérable avant que le docteur Traill pût s'assurer de la vérité à cet égard. A la fin , un jour comme ils passaient près d'une église , Toupe demanda à qui était cette grande maison, et on lui dit qu'elle avait été bâtie par les Anglais pour prier le grand Esprit du ciel qui envoie la pluie , le vent et le tonnerre. Cette explica- tion ayant été traduite par le capitaine Reynolds , à l'aide de signes qui imitaient l'acte de la prière, sembla être comprise. Toupe interrogé s'il n'y avait point aussi un grand Esprit dans son pays natal, répondit : « Oh ! oui, plusieurs, les uns bons, d'autres très-méchans , envoyant les tempêtes et la maladie. » Il faisait connaître en même temps, par des signes très-expres- sifs, que ses compatriotes avaient coutume de leur adresser à tous des prières. On le conduisit ensuite à l'église , et il sembla comprendre le but général des cérémonies religieuses , qu'il observa avec une grande attention. On fit quelques efforts pour lui imprimer la doctrine qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, mais le succès de ces tentatives demeura douteux. 77H PIECES JUSTIFICATIVES. Quelques renscignemens fort curieux touchant le mo/co lu- rent accidentellement obtenus de la part de Toupe. L'esquisse de sa tête, dont nous donnons ici une gravure, fut tracée, ç* durant son séjour à Liverpool, par un de ses amis, M. John Sylvester; et Toupe s'intéressa beaucoup aux progrès de son exécution. Mais par-dessus tout il tenait fortement à ce que les dessins de son visage fussent fidèlement reproduits sur le portrait. Ces dessins, assurait-il, n'étaient pas du tout l'ouvrage du caprice, mais ils étaient tracés suivant certai- nes règles de l'art qui déterminaient la direction de chaque ligne. Dans le fait, leur ensemble constituait la marque dis- tinctive de l'individu : il y a plus, Toupe donnait constamment son nom à la marque de sa figure qui se trouvait précisé- ment au-dessus de la partie supérieure de son nez, en disant : « L'homme de l'Europe écrit son nom avec une plume, le nom de Toupe est ici, » en désignant son front. Pour mieux expliquer sa pensée, il traçait sur un papier, avec une plume PIÈCES JUSTIFICATIVES. 77 7 ou un pinceau, les marques correspondantes dans les mokos de son frère et de son fils , et faisait remarquer les différences qui se trouvaient entre ces dessins et le sien. Du reste, cette partie de sa décoration qu'il appelait son nom n'était pas seule aussi familière à l'esprit de Toupe ; chacun des dessins, tant de sa figure que de toutes les autres parties de son corps, était constamment gravé dans sa mémoire. Quand on eut découvert le talent de Toupe dans ce genre de dessin , plusieurs de ses connaissances de Liverpool lui deman- dèrent des échantillons de son savoir-faire, et, durant une quinzaine de jours, tout son temps fut employé à fabriquer des dessins des cicatrices dont sa figure était couverte. La pro- fondeur et la quantité des traits du tatouage indiquaient, di- sait-il, la dignité de l'individu; suivant cette règle, il devait avoir été lui-même un chef d'un rang distingué , attendu qu'il restait à peine le moindre espace de la peau de sa figure dans l'état naturel. Quelques-uns de ses ouvrages représentaient aussi les dessins des autres parties de son corps ; et il traça pour le docteur Traill les mokos de son frère et de son fils aîné , jeune homme qu'il avait laissé, comme nous l'avons déjà dit, pour commander sa tribu jusqu'à son retour. En finissant le dernier, il le tint en l'air, le contempla avec un murmure de contentement affecteux, le baisa plusieurs fois, et fondit en larmes en le remettant au docteur. L'ensemble de ces anecdotes forme la peinture la plus agréa- ble que nous possédions du caractère des Nouveaux-Zélandais ; il démontre ce qu'un peuple doué d'un aussi bon cœur pour- rait devenir, si l'on pouvait améliorer la condition fâcheuse où il se trouve, condition qui dirige la plupart de leurs qua- lités vers un but si funeste , puisqu'elle ne fait servir leur sen- sibilité, leur bravoure, et même leur intelligence et leur adresse naturelle, qu'à l'entretien de leurs haines mutuelles, et à ajouter une férocité nouvelle et un esprit de vengeance plus insatiable encore à leurs guerres perpétuelles. Toupe , une lois soustrait à ces funestes influences, et placé au milieu 778 PIECES JUSTIFICATIVES. des habitudes de la vie civilisée, ne montrait plus que des dispositions douces et affecteuses. Le barbare, qui dans les combats avait tant de fois semé la mort autour de lui, était devenu le compagnon de jeu des enfans et le disciple corn-' plaisant des coutumes les plus paisibles. Personne n'eût mon- tré des dispositions plus naturelles pour tous les avantages de la civilisation. Sa reconnaissance de tous les petits services qu'on pouvait lui rendre était toujours exprimée avec une chaleur et d'une manière qui prouvait qu'elle venait du cœur. Lorsqu'il quitta Liverpool, il fut profondément ému en pre- nant congé du docteur Traill : d'abord il lui baisa les mains; ensuite , oubliant ou dédaignant les nouvelles formes qu'il avait contractées depuis son arrivée en Europe, pour revenir à celles que son cœur jugeait sans doute beaucoup plus expres- sives, il frotta son nez contre celui de son ami, d'après la coutume de son pays, avec une cordialité passionnée. En même temps Toupe assura le digne médecin que , s'il venait jamais dans son pays, il aurait des vivres en abondance, et pourrait remporter avec lui autant de chanvre et d'espars qu'il en désirerait. Le docteur Traill était sincèrement pénétré des avantages que l'on pouvait retirer de la \ isite de Toupe en Angleterre , visite qui nous avait prouvé l'amitié d'un chef aussi puissant, et qui avait donné une preuve si extraordinaire de son carac- tère énergique et entreprenant, en même temps qu'elle avait démontré ses dispositions à cultiver ses relations avec les An- glais; et il s'arrangea de manière à présenter un mémoire sur cette matière au gouvernement. D'après le récit de Toupe, on ne pouvait douter que son territoire ne produisît en abondance du bois de koudi et du lin; et il était très-probable qu'on pourrait se procurer ces deux, productions dans le district de Toupe, avec plus de facilité et de meilleure qualité que dans toute autre partie de la Nouvelle-Zélande. Nous avons déjà lait observer que la plus belle espèce de lin croît seulement sur la partie méridionale de l'île. La difficulté de se procurer PIÈCES JUSTIFICATIVES. 779 le bois de koudi dans les autres parties de l'île, où l'on s'est déjà dirigé pour cet objet, provient de ee que cet arbre croît trop loin dans l'intérieur pour être transporté jusqu'à la mer, ou seulement sur le bord de rivières que les navires d'un fort tonnage ne peuvent remonter. Mais Toupe représentait les deux détroits, qui conduisent du détroit de Cook jusqu'au cen- tre de son territoire, comme assez profonds et assez spacieux l'un et l'autre pour recevoir les plus grands navires, et comme couverts de bois jusqu'au bord de l'eau. La formation d'un établissement de commerce, pour échanger ces objets contre les armes à feu des Européens, était un des projets favoris de Toupe, et ses idées à cet égard étaient certainement assez rai- sonnables. Le capitaine Reynolds , disait-il , achèterait un na- vire et le conduirait à la Nouvelle-Zélande, où Toupe le char- gerait de lin. Le capitaine Reynolds irait vendre ce lin en Europe, et du produit achèterait des fusils, des objets de cou- tellerie, etc. ; et, quand il serait de retour avec ces articles, Toupe lui donnerait une autre cargaison de lin pour sa peine. On a sujet de croire aussi que , si nous ne le faisons point, d'autres nations ne sont pas éloignées de tenter d'ouvrir un commerce régulier avec les Nouveaux-Zélandais. Lorsque le capitaine Reynolds revenait en Europe , il rencontra un navire américain dont le capitaine vint à bord de l'Urania. Après avoir entendu l'histoire de Toupe , il offrit à Reynolds mille dollars s'il voulait faire passer le chef de la Nouvelle-Zélande sur son bâtiment. Par suite de la requête du docteur Traill, un ordre du trésor fut sur-le-champ transmis au capitaine Reynolds pour l'autoriser à recevoir chaque semaine une indemnité pour l'entretien de Toupe, et l'on fil connaître à celui-ci qu'il serait reconduit chez lui aux frais du gouvernement. Du reste il fut arrêté qu'on ne lui fournirait point d'armes à feu, et cela pour des motifs que comprendront suffisamment tous ceux qui sont instruits des suites fatales qui ont résulté durant ces demie- 780 PIECES JUSTIFICATIVES. res années de l'introduction de ces armes à la Nouvelle-Zé- lande. En conséquence, en quittant Liverpool , Toupe se dirigea vers Londres , et peu après on apprit qu'il avait fait voile pour la Nouvelle-Galles du Sud. Le gouvernement eut la bonté de le gratifier de différens inslrumens d'agriculture et d'autres également utiles ; il fut en outre pourvu d'ordres qui invitaient le gouvernement de Sydney à lui remettre différens animaux domestiques. Nous n'avons point eu de nouvelles de Toupe depuis qu'il a mis à la voile pour la Nouvelle-Zélande : mais bien qu'il n'eût point réussi dans l'objet principal de son voyage , il y a lieu d'espérer, d'après le caractère qu'il a montré et la manière dont il a été traité pendant son séjour en Angleterre, que ses rapports avec le monde civilisé n'auront pas été sans une heu- reuse influence sur son existence. Aujourd'hui que Shongui , son ennemi mortel, n'est plus, il a plus de chances de pou- voir vivre en paix ; il lui suffira d'oublier les injures qu'il a reçues, et dans ce cas, même avec les notions imparfaites de civilisation qu'il a acquises durant sa visite en Angle- terre, il pourra devenir le bienfaiteur de son propre pays. PIKCES JUSTIFICATIVES. 781 VOYAGE DE JOHN SAVAGE A LA NOUVELLE-ZÉLANDE. M. J. Savage, médecin, ayant fait en septem- bre 1 805 une visite à la baie des Iles , où il séjourna un mois ou six semaines , publia , a son retour en An- gleterre, dans Tannée 1807, ses observations sous le titre de Sortie Account qf New-Zealand , particu- larly the bayofhlands, etc., London, 1807. Ce récit, écrit avec simplicité, donne une description assez étendue des mœurs, des coutumes, du gouverne- ment et du véritable caractère des Nouveaux-Zélan- dais. Cet ouvrage nous manquait quand nous avons commencé notre travail , et nous n'avons pu en faire mention en sa place naturelle. Quel que soit d'ailleurs son mérite , pour éviter de répéter des faits et des descriptions déjà souvent donnés dans ce Recueil, nous nous bornerons à rappeler ici ce qu'il dit de Te- pouna , ancienne résidence de Tcpabi , et du voyage 782 PIECES JUSTIFICATIVES. de Maounga en Angleterre *. Le lecteur est déjà fa- miliarisé avec le nom de ce naturel , qui a été souvent prononcé dans ces Mémoires, et qui le premier osa se transporter en Angleterre. (Pages 12 et suiv.} La capitale de cette partie du pays (la baie des Iles) qui est située en partie sur la grande terre et en partie sur une petite île, se nomme Tepouna et se compose en tout d'environ cent habitations. Sur le continent, les ca- banes des naturels sont entourées chacune d'un petit morceau de terre cultivée ; mais l'île est réservée pour être la résidence du chef principal et de sa cour, et il n'y a aucune culture. L'île est si escarpée et par conséquent si facile à défendre contre l'ennemi , qu'en temps de guerre elle est fréquemment le re- fuge des naturels ; elle offre tous les avantages d'une forte ci- tadelle , et leur sert en même temps de dépôt général pour les objets de prix, en temps de paix! allais-je ajouter. Mais hélas! ces temps sont rarement connus chez les peuples sau- vages où la population est nombreuse. Tepahi , le chef de l'endroit, possède une maison bien cons- truite sur cette île , et un grand magasin de lances , nattes de guerre, et autres objels de valeur. A peu de distance de la résidence du chef est un édifice soutenu sur un seul pilier, tout-à-fait semblable , pour la forme et la grandeur, à une niche à pigeons. Tepahi y ren- ferma une de ses fdles durant plusieurs années ; nous ap- prîmes qu'elle s'était rendue amoureuse d'un individu d'une condition inférieure, et que cette mesure avait été adoptée pour l'empêcher de déshonorer sa famille. L'espace réservé à la dame ne pouvait lui permettre ni de se tenir debout, ni de s'étendre tout de son long; elle avait une auge où l'on dé- * Partout où le nom de ce naturel a été écrit Moïanguc , il faudra lire Maouuga. PIÈCES JUSTIFICATIVES. 783 posait sa nourriture, lorsque cela était nécessaire, durant sa réclusion, et je ne pense pas qu'on lui accordât aucune autre douceur. Ces privations et la défense d'aucune sorte de com- munication avec elle prouvent que Tepahi était déterminé à offrir un sévère exemple à ses sujets , au moins pour ce qui regardait les jeunes dames de cette partie de la Nouvelle-Zé- lande, qui seraient disposées a se déshonorer elles et leurs fa- milles par des alliances inconvenantes. Cette longue réclusion , avec toutes ses privations , produisit l'effet qu'on se proposait et rendit la princesse obéissante aux désirs de son royal père. Cette cage barbare, qui est ornée de sculptures grotesques, est restée comme un épouvantail pour toutes les jeunes femmes du pays soumis a l'autorité de Tepahi. Les habitations des naturels ont d'ordinaire cinq pieds de haut, les murs en sont formés de claies et tapissés de brous- sailles. Le tout est fabriqué avec une herbe forte en forme de lame, et généralement bien appliquée. L'espace que la cabane occupe est proportionné au nombre des membres de la famille : il n'y a d'ordinaire qu'une porte ou issue, et ces cases ressemblent assez, pour l'aspect, à une ruche. Tels sont les logemens ordinaires des naturels; leurs opéra- tions de cuisine, qui du reste n'exigent ni beaucoup de vases ni de nombreux serviteurs, ont lieu sous un bangar à petite distance de la case. Ce hangar est formé par quatre pieux de cinq pieds de haut, fichés en terre, et qui soutiennent un toit plat en broussailles. ( Pages 38 et suiv. ) Le portrait que je fis de Tareha fut si ressemblant qu'il me donna une grande popularité parmi les naturels, et il en vint plusieurs d'une distance considérable pour le voir. Beaucoup d'entre eux s'offrirent pour m'accom- pagner en Europe; j'en choisis un dont la tournure me plai- sait , pour le conduire en Angleterre : c'était un jeune homme sain et vigoureux , nommé Maounga , de la classe des guer- 78 i PIECES JUSTIFICATIVES. riers, et allié aux familles de la première condition dans ces contrées. ( Pages 94 et suiv. ) Notre départ de la baie fut retardé de plusieurs jours par des vents contraires, après que Maounga et ses amis eurent pris un congé en règle les uns des autres, de sorte que leurs visites se trouvèrent plusieurs fois répétées durant ce délai. Un jour ou deux avant notre départ , je l'avais revêtu d'ha- bits européens; ils étaient grossiers et semblables à ceux que portent les matelots à la mer. Cependant ils lui plurent ainsi qu'à toutes ses connaissances; il paraissait affecter une sorte de supériorité sur ses anciens compagnons, et ceux-ci le con- sidéraient d'un air qui montrait qu'ils le regardaient comme hautement favorisé par la fortune. Maounga supporta le der- nier adieu avec beaucoup de courage , mais à mesure que nous nous éloignions de la terre, son amc était en proie aux plus vifs regrets. Le soleil se coucha dans tout son éclat sur son île natale, et son œil resta constamment fixé sur elle jus- qu'au moment où les ténèbres lui en ravirent l'aspect. Le sou- venir des scènes de son heureuse jeunesse, qu'il abandonnait pour traverser un élément qui offre peu de plaisir et de repos, lui fit plus d'une fois venir la larme à l'œil. Pourtant Maounga voulut être un homme ; il récita son chant du soir et alla se coucher. Durant plusieurs jours encore Maounga regardait avec in- quiétude du côté de l'ouest, où sa terre natale avait disparu à ses regards ; mais il retrouva bientôt son courage, et, non con- tent de s'amuser lui-même, il était un sujet d'amusement pour les autres. Durant la terrible et longue traversée de la Nouvelle- Zélande au cap Horn , Maounga conserva beaucoup de gaieté; son chant du matin et du soir ne fut jamais oublié. Il s'amu- sait avec les matelots, et exerçait souvent à leurs dépens son talent pour les grimaces. La vue éloignée du cap Horn lui causa beaucoup de satis- PIÈCES JUSTIFICATIVES. 785 faction; je crois en effet qu'il commençait à craindre de s'être embarqué sur un monde d'eau , dans le sens littéral de ces mots. Quand nous approchâmes de la terre , et qu'il reconnut qu'elle était couverte de neige, il parut grandement désappointé, et décida qu'il avait fait une sottise en quittant un fertile et beau pays pour une terre qui semblait totalement stérile. Ces sauvages estiment la valeur de la terre par la quantité de patates qu'elle produit, et comme il ne voyait dans ce pays aucune trace de culture, Maounga fut très-satisfait de la quitter, et nous continuâmes notre route vers Sainte-Hélène. Plusieurs des oiseaux de mer que nous vîmes dans la traversée étaient nouveaux pour lui et attirèrent son attention ; les pois- sons volans l'amusèrent beaucoup. Il nageait parfaitement bien, ainsi qu'on peut l'imaginer; comme il faisait très- chaud et que le navire marchait lentement, il se plaisait sou- vent à se baigner. Dans une de ces circonstances , un très- grand requin faillit mettre un terme aux voyages du pauvre Maounga : nous vîmes le danger qu'il courait , nous l'aver- tîmes, et il n'échappa qu'à peine aux mâchoires du monstre vorace. Le requin suivit le navire durant quelque temps ; Maounga le contemplait avec horreur, en prononçant sou- vent les mots : « Kaïore* ika mate mate Maounga — mauvais poisson, tuer Maounga. » A la fin , à sa grande satisfaction , nous touchâmes à Sainte-Hélène. La beauté du climat, les édifices de la ville, et les nom- breux vaisseaux mouillés dans la rade rendaient cette scène in- téressante pour toutes les personnes du bord; mais Maounga en fut complètement enchanté; il dansait, chantait, et s'é- criait à diverses reprises : « Paï ana , maïtaï — très-bon , très- * M. Savage traduit toujours kal ore ou kiooda , comme il 1 écrit, par mauvais; nous ne connaissons cependant qu'un sens de simple négation à la première de ces expressions, car pour celle de kiooda, elle n'existe pas dans la langue, à notre connaissance. (Note de M. d'Unille.J TOME III. 50 786 PIECES JUSTIFICATIVES. beau! » et quand je lui eus annoncé que cette île produisait en quantité d'excellentes patates, je crois qu'il oublia presque son pays natal. Pendant l'intervalle de temps qui s'écoula entre le moment où nous mouillâmes et celui où je le conduisis à terre , la bat- terie de Ladder- Hill fit un salut ; sa surprise et sa peur fu- rent extrêmes. Il se coueba tout de son long sur le pont, se boucha les oreilles, et se crut sans doute à la fin de ses jours. Cependant , comme il vit le feu continuer, et qu'il ne se sentait aucun mal, il reprit par degrés de la confiance et du courage ; mais dans les occasions de ce genre, il témoignait toujours quelque inquiétude, et se bouchait constamment les oreilles en disant : « Mate mate taringa — cela tue les oreilles. » Nous allâmes ensuite à terre, et rien n'échappa à l'attention de Maounga. La quantité des grandes ancres, des canons et des autres objets en 1er l'étonna ; jusqu'alors il semblait ne s'être pas fait une juste idée de notre opulence nationale. Les militaires fixèrent beaucoup sonattention.il avait beaucoup de penchant à montrer du doigt tout ce qui le frappait, soit dans la personne soit dans le costume des individus, et l'uni- forme de la garnison se trouvait particulièrement dans ce cas. Il se permettait quelquefois de telles libertés à cet égard , que, suivant toute apparence, il en eût été rudement corrigé si je n'avais été là pour certifier aux personnes insultées qu'il n'y avait aucune mauvaise intention de sa part, et que sa grossiè- reté tenait uniquement à son ignorance de nos manières et de nos coutumes. Il admirait beaucoup les édifices de Sainte-Hélène; mais quant à l'île elle-même, il n'en avait qu'une très-pauvre opi- nion, et répétait souvent : « Kaï ore outa — mauvaise terre.» La première fois qu'il vit une couple de bœufs, sa surprise fut très-grande, car il n'avait pas d'idée d'un animal de cette taille. Peu après, il vit un homme à cheval, ce qui lui fit tant de plaisir, qu'il se mit à rire de tout son cœur, et quand l'ani- mal se mit en route d'un pas modéré, Maounga l'accompagna PIECES JUSTIFICATIVES. 787 dans le vallon; puis il revint, et me témoigna qu'il aimait beaucoup cette façon de se faire porter. La musique du régi- ment L'enchantait; il avait une passion très-prononcée pour toute espèce de musique, et je l'ai vu en extase en entendant un violon. Tout était nouveau pour lui , et presque tout lui plaisait. Je le présentai au gouverneur Patten , qui était, lui dis-je, le chef de l'île. Il fut très-content du gouverneur, et il me disait souvent : Paï ana Tepahi, paï ana. Sainte-Hélène n'offre pas une grande variété d'objets, et, peu après notre arrivée, Maounga préféra le navire à la terre. 11 avait des connaissances à bord, et il prenait beaucoup de plaisir à la pèche à laquelle il était fort adroit. Pendant cette re- lâche, il faillit une seconde fois être dévoré par un requin ; il se baignait un matin quand un de ces voraees animaux parut sur la rade et se trouva bientôt près de Maounga , qui n'attei- gnit le navire que tout juste à temps pour échapper à sa perte. Malheureusement ce monstre des mers fut plus heureux dans une autre occasion. Un officier de dragons, a son retour de l'Inde, devint la victime de sa voracité. Nous continuâmes notre route vers l'Angleterre, et rien n'attira l'attention de Maounga. Du reste, on eut occasion de remarquer combien sa vue et son ouïe étaient supérieures à celles des autres per- sonnes du bord. Maounga entendait distinctement un coup de canon éloigné, et distinguait aisément une voile étrangère, quand personne ne pouvait entendre ou voir ces objets. A la fin , la terre si long-temps désirée , la terre de pro- mission pour Maounga, se montra à ses regards; et l'abon- dante provision de poisson, de viande et de végétaux, qu'on reçut d'un port de l'Irlande , firent sur lui une impression fa- vorable à notre pays. Le nombre des navires, d'après lequel il estimait notre richesse et notre population , était pour lui une" source constante de surprise qui n'eut plus de bornes a notre entrée dans le port de Londres. J'avais des dépèches pour le gouvernement, et de Cork je lus obligé de me rendre à Londres par la route de Dublin et 788 PIECES JUSTIFICATIVES. de Holy-Hcad. Le navire fut retenu plusieurs jours par des vents eontraires, et, pendant ce temps, Maounga regretta mon absence d'une manière très-touchante. A l'arrivée du bâtiment dans la Tamise , j'allai à la ren- contre de Maounga, qui fut très -content de me voir. Le grand nombre des navires et l'aspect de Londres excitèrent chez lui plus d'étonnement qu'il n'en avait jamais éprouvé; mais ces objets firent aussi naître une réflexion qui lui causa quelque chagrin. Il me dit qu'à la Nouvelle-Zélande il était un homme de quelque importance; mais il voyait que, dans un pays comme celui-ci, il ne jouirait plus d'aucune sorte de considération. Pourtant, comme rien n'était capable d'affliger Maounga pendant long-temps, il me suivit au rivage avec gaieté. L'immensité de cette métropole a frappé les hommes les plus éclairés : il ne paraîtra donc pas extraordinaire qu'un pauvre naturel des Antipodes ait été à son aspect dans le plus grand étonnement. Nous débarquâmes dans la partie orientale de la ville, et il nous fallut marcher quelque temps à pied avant de pouvoir nous procurer une voiture : il eut donc, pendant cette promenade r sujet d'admirer tout ce qui s'offrait à ses regards. Les immenses magasins des taillandiers fixèrent particulière- ment son attention. Quand nous passions devant les boutiques où ces marchandises étaient étalées, il me faisait toujours cette observation : « Paï anaouta, nouï nouï to/n' — Bon pays, beau- coup de haches. «Les objets d'une utilité réelle tenaient cons- tamment à ses yeux le premier rang. Les boutiques qui dé- ployaient des objets de toilette et de luxe le faisaient rire , tandis que celles qui offraient des vêlemens de première utilité semblaient lui donner une satisfaction véritable. Dans la partie de la ville que nous eûmes à traverser se trouvaient plusieurs magasins de cette dernière espèce; toutes les fois qu'il en voyait un, il me faisait observer : « Paï ana, nouï nouï hakahou — C'est bon, beaucoup d'habits. » Les marins lui avaient appris le salut familier de : « How do PIECES JUSTIFICATIVES. 789 you do, my boy? — Comment vous portez-vous, mon garçon? » Maounga trouva l'occasion de l'employer pendant sa prome- nade ; car la singularité de sa tournure excitait la curiosité des passans : souvent ils s'arrêtaient pour le considérer. Maounga avait un bon caractère , et toutes les fois qu'il voyait quelqu'un s'arrêter devant lui, il allait à lui, et lui tendait la main en ajoutant : How do you do, my boy? Son aspect effrayait beau- coup ces curieux , et ils s'enfuyaient sans vouloir répondre à son honnêteté. La voiture lui causa beaucoup de satisfaction. Quand les chevaux se mirent en marche, le mouvement sembla lui cau- ser d'abord quelque effroi , mais avec moi il reprit bientôt cou- rage. Il regardait de chaque côté , puis devant; puis il parut pensif. Je lui demandai comment il trouvait notre allure actuelle ; il répondit : « Paï ana, tvare nouï nouï dire — Très- bien , la maison marche très-fort. » Comme nous traversions un grand nombre de rues sur notre route vers mon logement situé à l'extrémité occidentale de la ville, rien n'échappait à ses observations. Les clochers, les boutiques , les passans, les chevaux et les voitures, tout exci- tait de sa part quelque remarque singulière. A propos de la hauteur des clochers , il disait : « Paï ana xvare , tawititawiti pokoura — Bonne maison , aussi loin que les nuages.» Lors- qu'il observait dans un passant quelque effet de vieillesse , blessure ou maladie, il ne manquait pas de dire : « Kaï orc tangafa, ou Kaï orewahine — Mauvais homme, ou mauvaise femme. » Son œil cherchait constamment les objets en fer, les habits ou les vivres. Touchant certaines rues , il observait Nouï nouï tangata , nouï nouï ware, itiitiika, iti iti potatou — Beaucoup d'hommes, beaucoup de maisons, mais très- peu de patates. Je ne pus jamais amener Maounga à prononcer le mot En- gland (Angleterre); en conséquence je lui laissai faire usage, en sa place, de celui d'Europe, qu'il prononça sans difficulté. Quelquefois, sur la route , il faisait la comparaison de ce pays • 790 PIECES JUSTIFICATIVES. avec le sien , et cette idée l'entraînait dans des réflexions mé- lancoliques. Il disait alors : Nouï nouï Youroupi, iti iti Niou- Ziland. Nous arrivâmes à mon logement, où Maounga retrouva mon domestique, qui avait été son compagnon durant la tra- versée, et il parut complètement satisfait. Peu après mon arrivée , je présentai Maounga au comte Fitz-William. Je lui dis que sa seigneurie était un chef, et Maounga entra dans sa maison avec le respect convenable. L'ameublement et les tableaux lui plurent beaucoup, mais il fut tout-à-fait enchanté de l'affabilité du comte et de la com- tesse Fitz-William. Lord Milton et quelques nobles pa- rens de Fitz-William étaient présens, et tous eurent part à l'approbation de Maounga. Il était grand physionomiste et fort disposé à contracter une opinion bonne ou mauvaise des per- sonnes au premier abord. Les traits delà figure de sa seigneurie lui plurent davantage que ccux.de tous les hommes sur lesquels il m'avait jusqu'alors exprimé son opinion. Unbuste en marbre qui représentait sa seigneurie attira toute son attention durant plusieurs minutes; il alla se placer en face dans une chaise, et en contempla les traits avec une grande admiration. Il dit qu'à son retour à la Nouvelle-Zélande il s'efforcerait de graver une figure semblable à ce buste. Toutes les fois que lord Fitz-Wil- liam me tournait le dos , il me disait à l'oreille : «Pat ana Te- pahi — C'est un bon chef; » et il fut aussi satisfait de la com- tesse et de sa compagnie. Les objets d'ornement dans l'ameublement ne faisaient point sur lui autant d'impression qu'on aurait pu l'imaginer : à l'oc- casion des glaces et autres ornernens splendides, il disait sim- plement : « Maïtaï — c'est bien ; » et tandis que je pensais qu'il admirait des objets plus remarquables , je trouvai qu'il comp- tait les chaises. Il s'était procuré un petit morceau de bois , qu'il avait rompu par morceaux pour aider sa mémoire. Il fit cette remarque : « Nouï , nouï tangata Tepahi — Beaucoup d'hommes assis chez le chef.» PIECES JUSTIFICATIVES. 791 Maounga s'en alla très-satisfait de sa visite; il nie pria sou- vent de la renouveler, et s'informait fréquemment de la santé du chef et de sa famille. 11 était très-incommode do conduire Maounga «à des specta- cles publics, ou même de se promener avec lui dans les rues, à cause de la curiosité de Jolin Bull : c'est pourquoi je ne le faisais pas sortir aussi souvent que je l'eusse fait sans cet incon- vénient. Je le menai à la cathédrale de Saint-Paul; les vastes dimensions de cette masse de bâtimens parurent l'étonner. Il contempla avec beaucoup de satisfaction l'intérieur du dôme , mais il s'attacha avec un plaisir infini à considérer les monu- niensde nos grands hommes. Une grande source de divertissemens pour Mouanga était d'observer les passans, en faisant une foule de remarques sur leur figure et leur personne , et souvent il riait de tout son cœur à leurs dépens. Les jambes de bois l'amusaient beaucoup. Un jour il vit un homme qui en avait deux; il m'appela en hâte pour voir ce pauvre malheureux, en disant : « Tangata kadoua pouna poima rakou — Un homme avec deux jambes de bois. » Il détestait le bruit et les criailleries; aussi le tumulte des cris de Londres lui déplaisait fort. Dans ces occasions, il ex- primait son déplaisir en disant : « Kaï ore tangata ou kaï ore waJiine , nouï nouï moum moum moum — Mauvais homme , ou mauvaise femme, fait beaucoup de tapage. » Nos marchés lui causaient beaucoup de satisfaction, en lui faisant connaître que nous étions abondamment pourvus de vivres. Du reste, l'aspect de plusieurs des passans eût suffi pour le délivrer de semblables craintes, à supposer qu'il eût pu d'abord en concevoir. Toutes les fois qu'il voyait passer près de lui un homme opulent, il disait : « Tangata nouï nouï kaï kaï — Cet homme a beaucoup à manger. » Comme il ne voyait aucune apparence de bestiaux ni de terres cultivées, ce fut d'abord un mystère pour lui que d'expliquer comment pou- vait vivre une population si prodigieuse, mais l'arrivée de quel- ♦ 792 PIECES JUSTIFICATIVES. qucs troupeaux de bœufs et de chariots charges de légumes , qui passaient constamment devant notre maison , bannit bientôt toutes ses craintes touchant notre subsistance. J'ai rendu compte des motifs que j'avais eus de renvoyer Maounga si promptement chez lui, et de la manière touchante dont il prit congé de moi. Quand il arrivera dans sa patrie, il sera un homme de haute importance sous le rapport des ri- chesses et des connaissances utiles. L'usage des outils du char- pentier et du tonnelier lui est familier, et s'il reste à la Nou- velle-Zélande , je ne doute point qu'il ne se rappelle sa visite en Europe avec une satisfaction particulière pendant le reste de ses jours. FIT* 1)11 TOME TnOISlKME ET DES PUCES JIÎSTIFtCM'tVFS. TABLE DES PIÈCES JUSTIFICATIVES. Pages. Avertissement. i Voyage de Tasman. 5 Voyages de Cook. i4 Plantations, 14. — Villages fortifies, i5. — Naturels de la baie des Iles, 18. — Traditions, 19. — Notions religieuses, 20. — Dispositions des naturels, 22. Voyage du capitaine Sorville. 26 Voyage du capitaine Marion. 3i Remarques générales sur les naturels, 52. — Description des vil- lages, 55. — Nourriture, 5g. — Habillement, 6r. — Indus- trie, 64. — Religion, 68. — Productions du pays, 6g. Extrait de l'ouvrage de Collins. jG Observations de Turnbull. 87 Extraits du Missionnary Register. 106 Voyage et Remarques de M. Kendall en 1814. ii6 Etablissement des Missionnaires en 18 i5. i32 Premier Voyage de M. Marsden en i8i4- i3G Arrivée au cap Nord, 137. — Aux îles Cavalles, 143. — Visite au camp de Wangaroa, 147. — Arrivée à la baie des Iles, i55. — Visite au chef Tara, i5g. — Voyage à Waï-Mate, 162. — Le lac Maupere, 166. — Débarquement des colons à Rangui- Hou , 170. — Voyage à la rivière Tamise , 171. — Visite à Kou- koupa, i85. — Probité des naturels, 188. — Visite à Waï- Kadi, îgi. — Traitement des malades, ig5. — Maladie de Doua-Tara, 2o3. — Conclusion, 212. tome m. 5i 794 TABLE Note sur Mawi. 221 Extraits du Journal de M.Kendall en i8i5 et 181G. 226 Lettres de Titari et de Touai. 248 Mémoires de Doua-Tara. 202 Second Voyage de M. Marsden en 1819. 267 Arrivée à Rangui-Hou, 269. — Rivalité des chefs Shongui et Koro-Koro, 271. — Kidi-Kidi choisi pour un nouvel établisse- ment, 272. — Visite à Paroa, 275. — Visite àMotou-Doua, 279. — Cruelles superstitions des naturels, 284. — Visite à Korora- Reka, 288. — Idées des naturels à l'égard du vol, 2g5. — Coutumes touchant les têtes des chefs tués au combat, 5o3. — Du tatouage, 5 10. — Sacrifices humains, 3i5. — Famille de Shongui à Tepouna, 3 19. — Détails sur la rivière Shouki- Anga , 525. — Querelle des chefs de Karaka et de Houta- Koura, 33o. — Visite à Widi-Nake, 343. — Tradition des naturels, 352. — Arrivée à Tepapa, 555. — Visite à Motou- Iti, 36i. — Visite à Tae-Ame , 364. — La source chaude et le lac Blanc, 374. — Conversations sur le Tabou, 376. — Départ de la-baie des Iles, 58G. — Conclusion, 588. Extraits des Journaux des Colons en 1819 et 1820. ^91 Troisième Voyage de M. Marsden en 1820. 4°» Affection des naturels pour leurs enfaus, 407. — Un conseil de guerre, 4o8. — Déification d'un chef mort, 4i 1. — Effets des- tructeurs des superstitions, 41 4. — Pas de la rivière Tamise, 41 5. — Visite à la baie Mercure, 419. — Réconciliation entre des chefs ennemis, 45 2. — Détails sur Moudi-Panga, 435. — Frayeur de la colère divine parmi les naturels, 43g. — Entretiens sur la religion, 4-t5. — Deuil pour les morts, 4*7. — Pà de Moïan- gui, 44g. Voyage de Shongui en Angleterre, effets de cette visite. i5o Extraits du Journal de M. F. Hall en 1821 et 1822. 460 Extrait du Journal de M. Leigh en 1822. 4?° Quatrième Voyage de 31. Marsden en 1823. 47'-' Misère et cruautés du paganisme, 475. — Remarques sur le carac- tère des naturels, 476. — Indices satisfaisans parmi les natu- DES PIECES JUSTIFICATIVES. 795 rels, 47g. — ïouai devient le chef de sa tribu , 481. — Georges deWangaroa, 484. Mort de Touai. A 87 Violences de Toï-Tapou. 492 Description de la mission de \Yangaroa. 497 Mort de Shongui. 5i8 Cruautés et superstitions des naturels. 5?$ DÉTAILS SUR LÀ MORT ET LES FUNÉRAILLES DE ShONOUI. 53() Extraits de quelques Lettres des Missionnaires en 1828. 542 Situation des Missions. 549 Extraits du Journal de M. Yate en 182g. 55 1 Extraits du Journal de M. W. Williams en 1829. 555 Combats entre les naturels du nord et ceux du sud de la baie des Iles. 56o Extraits du Journal de M. Stack.. 569 Voyage de M. Liddiard Nicholas. 5y5 Portraits de quelques chefs, 577. — Notions religieuses des Nou- veaux-Zélandais, 58o. — Costumes de guerre, 585. — Catas- trophe du Boyd, 588. — De la racine de fougère, 5g4. — Défense de manger dans les maisons, 5g6. — Privilège des Arikis, 5g8. Portrait de Pomare, 60 r. — Description du pà de Waï- Matc, 6o4. — Revue des guerriers, 606. — Conférences solen- nelles à Wai-Kadi, 607. — Cérémonies au sujet d'un peigne, 618. — Funérailles, G21. — Superstitions concernant le Tabou, 625. — Nature du climat , 628. — État social des Battas comparé à celui des Nouveaux-Zélandais, 629. — Du Tabou, 655. Voyage de M. Richard Cruise. Le Kaï-Katea et le Koudi, 656. — Description des cabanes, 658. Visite de Touai , 65g. — Barbarie d'un guerrier envers sa captive, 64i. — Culture et récolte des Koumaras, 645. — Ré- glemens relatifs aux morts, 645. — Visite de Poro au Dromedaiy sur la rade de Wangaroa, 647. — Attachement des femmes pour les Européens , 654. — Caractère, usages, coutumes et industrie des Nouveaux-Zélandais, 657. 635 V96 TABLE DES PIÈCES JUSTIFICATIVES. Voyage de M. Duperrey. Qn2 Observations personnelles. 6^3 Affection des naturels pour leurs parens, 674. — Shongui, 675. — Touai, 678. —Des esclaves, 679. — Devoirs des chefs, 681. Baptême, 682. — Fidélité des femmes, 686. — Du Pihe , 687 . Observations de M. de Blosseville. 692 Voyage de M. Dillon. n0i Entrevue de Bryan-Borou et Mac-Marragh avec le neveu de Po- mare et Maounga, 702. — Traditions des naturels touchant le massacre de Marion et de ses compagnons, 705. — Mort de Pomare , 707. — Blessure grave de Shongui, 710. La Nouvelle-Zélande (1829). 711 Relâche du Hawes à Tauranga, 710. — A Walki-Tauna, 717. — Enlèvement du navire par les sauvages, 717. — Coutumes des Xou veaux-Zélandais ,721. Outrage intitulé New-Zealanders. 72G Enlèvement du brick l'Agnes par les Nouveaux-Zélandais, 752. — Massacre des Européens, -5i. — Leurs corps sont rôtis et mangés, 736. — Rutherford et ses compagnons sont tatoués, 769. — Rutherford conduit au village d'Emaï, 741. — Son compa- gnon sacrifié pour infraction du tapou, 746. — Rutherford fait chef et marié à deux femmes, 748. — Coutumes des naturels, 750. — Voyage de Rutherford à Tara -Nake, 751. — Sa rencontre avec Pomare ,762. — Voyage à Kaï-Para ,754. — Combat entre les guerriers de Kaï-Para et ceux de Shongui, ~5-. — Station à Shouraki, 759. — Départ de Rutherford de la Nouvelle-Zé- lande, 762. — Portrait de Rutherford , 764. Histoire de Toupe-Koupa, 765. — Son arrivée à bord del'Ura- nia, 766. — Son caractère , 768. — Ses combats avec Shongui, 770. — Sa conduite en Angleterre, 772. — Ses idées sur le Moko, 776. Départ de Toupe-Koupa d'Angleterre, 780. Voyage de John Savage a la Nouvelle-Zélande. 781 Description de Tepouna , 782. — Départ de Maounga pour l'An- gleterre, 784. — Incidens du voyage, 786. — Observations de Maounga durant son séjour en Angleterre, 786. I I>" DE LA TABLE.