J mm ^ f a* ÏT V ? J ■—— O ^-^gg o = UJ =S b-1 — ==; o = — 03 -> 1 == ■=0 <-n S bH = UJ = UJ S / VV- U. VOYAGE \£S©Ï L'ASTROLABE. CHAPITRE XXXVI. TRAVERSEE DR GQl'AHAM A AMBOINE ET SEJOUR EN CETTE COLONIE. A quatre heures et demie du matin, le branle-bas »8is eut lieu; à cinq heures et demie, nous levâmes l'an- 3o mai- cre; et, poussés par une brise inégale de TE. S, E. au S. S. E., accompagnée de grains de pluie, nous eûmes bientôt perdu de vue dans la brume les terres de Gouaham *. Mon intention était désormais de rentrer dans les Moluques pour atteindre le mouillage d'Amboine; mais je voulus rendre ma traversée dans les Caro- lines occidentales utile à la navigation. En consé- i Voyei note i. TOME V. 25 38(5 VOYAGE 1828. quence, je me proposai d'explorer le vaste groupe Mai. d'Egoï, indiqué par hypothèse sur la petite ébauche des Carolines par M. Freycinet ; la grande île Yap, le groupe des Matelotas et l'archipel des îles Pelew. Avec un équipage aussi faible que l'était celui de V As- trolabe, il était impossible de songer à faire aucune relâche en ces îles, mais nous pouvions du moins fixer de nouvelles positions par rapport au méridien d'Umata, et ces résultats n'étaient pas sans intérêt. 31. Je gouvernai donc au S. O. jusqu'au jour suivant, où, dans la matinée, le cap fut mis au S. O. '/2 S., et le soir au S. O. '/< S. Nous filons assez régulièrement six nœuds. 1 juin. A quatre heures cinquante minutes après midi, la vigie signale une île basse dans le sud; je gouverne dans cette direction, et, à six heures vingt minutes, nous nous trouvons précisément au nord du monde de cette île et à dix milles de distance. Couverte d'ar- bres , elle me parut avoir à peine un mille d'étendue et trente ou quarante toises d'élévation ; la mer bri- sait avec violence sur sa pointe orientale. Nous don- nâmes à cet îlot le nom de l'Astrolabe; néanmoins il serait possible que ce fût l'île Feis , placée par la même latitude environ sur la plupart des cartes, mais à plus de trois degrés dans l'est de la position où nous l'avons rencontrée l . Dans la crainte de tomber durant la nuit sur d'au- 1 L'exploration du capitaine Lùtkc a démontré que c'était effectivement l'île Feis, et nous lui avons restitué son véritable nom dans notre Atlas. 2 llllli. DE L'ASTROLABE. 387 très terres, nous sommes restés aux petits bords sous i^s. les huniers. Au point du jour, nous avons revu l'île 2Jl dans le S. E. à la même distance, et nous avons couru au sud pour faire passer successivement sur notre parallèle ses deux pointes du N. et du S. A la dis- tance de sept milles et demi, elle a paru à M. Guil- bert, qui l'a examinée des barres de perroquet, toute environnée de brisans. A sept heures, nous avons remis le cap au S. O., et à midi et demi à l'O-, pour courir sur le parallèle des îles Egoï. A trois heures dix minutes après midi, la vigie si- gnale une nouvelle île basse au N. O., et nous met- tons le cap dessus. A quatre heures, elle était visible de dessus le pontr et nous ne lardâmes pas à recon- naître qu'elle faisait partie d'un groupe assez consi- dérable d'îles basses et assises sur un récif commun. Nous prolongeâmes à deux autres milles de distance la partie S. E. de ce groupe; avant la nuit, M. Guil- bert, que j'avais chargé du travail complet des Caro- lines, avait compté jusqu'à treize îlots dans ce groupe, tous bas , couverts de cocotiers , et dont les plus grands n'ont pas plus de un à deux milles de cir- cuit. J'allais remettre le cap au large à six heures vingt minutes du soir, quand nous aperçûmes une pirogue qui se dirigeait vers nous. Comme je désirais avoir des communications avec les naturels et obtenir au moins d'eux le nom des îles en vue, je mis en panne pour les attendre. Ils n'abordèrent la corvette qu'à sept heures, et, quoiqu'il fit tout-à-fait nuit, quatre. 388 VOYAGE 1828. de ces naturels montèrent sur-le-champ à bord. Par Juin. ieur gaieié , leur confiance et leur amabilité , ils nous rappelaient parfaitement les habitans d'Hogoleu, lors du voyage de la Coquille. Ils nous nommèrent plu- sieurs fois, et avec une grande complaisance, toutes les îles qui composent leur petit archipel , au nombre de dix-huit ou vingt; mais, comme il faisait nuit, nous ne pûmes profiter de ces renseignemens. Aussi, sur la carte dressée par M. Guilbert, je me suis contenté de distinguer ces îlots par des numéros d'ordre. Seu- lement, comme le nom d'Elivi revint plus souvent dans la bouche des insulaires que tous les autres, je l'ai imposé provisoirement au groupe entier. Quand nous leur prononçâmes le nom de Yap, ils l'indiquèrent sur-le-champ dans l'ouest ; ils avaient aussi connaissance de Salawal, Feïs, Mougmoug, La- mourek, Iouli, etc. Mais le nom d'Egoï leur était par- faitement inconnu; et quand nous prononçâmes ce mot en montrant leurs îles, ils faisaient un signe de dénégation, en disant : Elivi l. Le mot tamouel, pour chef, est aussi de leur langue, et marnai paraît signi- fier pour eux : bon, c'est bien. Ces bons sauvages m'auraient encore donné de grand cœur une foule d'autres renseignemens , car ils étaient fort communicatifs , et même loquaces, mais nous n'entendions point leur langue, et, comme nous étions dans l'obscurité , leurs gestes étaient même 1 Ce groupe est bien certainement identique avec celui qui a reçu le nom ieUluthii du capitaine. Lutke, et qui se prolonge plus loin au nord que nous n'avons pu le voir. DE L'ASTROLABE. 389 perdus pour nous. Au bout d'une heure, je leur fis 182s. observer que nous nous écartions de leurs îles. Ils Jum nous quittèrent avec un regret marqué, et en nous promettant à diverses reprises de revenir le lende- main matin à bord et de nous apporter de beaux poissons. Nous avons passé la nuit à courir des bordées sous les îles dans une mer très-calme et très-unie. Malgré cette précaution, quand le jour revint, j'eus le regret 3. de voir que le courant nous avait entraînés de près de sept milles dans l'ouest. J'eus beau serrer le vent tribord jusqu'au N. */, E. , nous étions déjà à dix milles sous le vent des îles les plus occidentales. Ainsi, pour ne pas retarder ma route, M. Guilbert ayant terminé son travail à sept heures, je mis le cap à l'O. S. O. pour me rapprocher d'Yap. A six heures du soir, la vigie l'a signalée droit devant nous, et, un moment après, nous l'avons aperçue de dessus le pont sous la forme de trois mondrains peu élevés. Je m'en estimais à dix-huit ou vingt milles de dis- tance; et, comme je devais compter sur vingt ou vingt-quatre milles de courant en vingt-quatre heu- res, dès six heures et demie je fis carguer les basses voiles et restai aux petits bords sous les huniers. La brise fraîchit beaucoup , et nous reçûmes quelques grains de pluie. Mais, à deux heures, le temps se char- 4. gea tout-à-fait -, il survint de fortes rafales avec une pluie de déluge. Comme je tenais à l'exploration d'Yap, j'ai voulu laisser passer ce mauvais temps avant de me rapprocher davantage de la terre. Ce- 390 VOYAGE 1S28. pendant, à huit heures, l'ayant reconnue dans une Juin. courte éclaircie, je laissai porter dessus jusqu'à dix heures , où le mauvais temps m'a forcé de remettre en travers. Enfin, vers onze heures, j'ai fait servir de nouveau , et , de deux heures à quatre après midi , nous prolongions la partie méridionale d'aussi près que le récif pouvait nous le permettre : car de ce côté il s'étend jusqu'à deux milles au large , m$js plus au nord il ne s'écarte guère qu'à un mille de la côte. Lorsque j'eus doublé la pointe méridionale, je ser- rai tout-à-coup le vent tribord pour reconnaître la côte de l'ouest, et, à quatre heures, je mis en panne pour faire une seconde station, la première ayant eu lieu à deux heures. Quatre pirogues, qui depuis long-temps se dirigeaient vers nous, profitèrent de ce moment pour nous rejoindre. Trois d'entre elles ne conte- naient que trois ou quatre hommes chacune ; mais la quatrième , beaucoup plus grande , en portait neuf. Tous ces sauvages montèrent à bord sans aucune dif- ficulté, et ne parurent nullement surpris de nous voir; ces hommes avaient la figure ouverte, la gaieté, et la plupart des manières des autres Carolins ; par les haillons que plusieurs d'entre eux portaient, il était facile de juger qu'ils avaient eu de fréquentes rela- tions avec les Européens. En effet, l'un d'eux, qui parlait un peu espagnol, me cita les noms de six ou huit navires qui avaient paru près de son île, et m'in- diqua un mouillage dans un enfoncement sur la côte de l'est. Cet homme me dit qu'il avait été à Gouaham DE L'ASTROLABE. 391 dans un de leurs grands pros. Il n'avait aucune con- iSas. naissance des îles Elivi -, mais il m'a parlé des îles Juin- Hogoï, situées dans l'E. S. E., et qui sont, dit-il, au nombre de quatre. Il m'a fort bien indiqué les îles Palaos et Matelotas dans leurs directions respectives , mais il m'a dit que les dernières se nommaient Goalou dans sa langue, et que sa propre île s'appelait Gouap. Je serais disposé à croire que go n'est qu'une parti- cule qui signifie c'est ou l'article le, la, comme le ho des Nouveaux-Zélandaîs et YO des Taïtiens. Ainsi, les vrais noms de ces îles seraient Oaloa et Ouap, d'autant plus qu'à Elivi les sauvages prononçaient évidemment Yap. Toutefois, jusqu'à plus ample in- formé, nous adopterons les désignations de Gouap et de Goulou. Ces naturels sont assez bien faits, à peine tatoués; leur teint est fort clair, et plusieurs d'entre eux por- tent des chapeaux pointus comme les Chinois. Leurs pirogues sont absolument semblables à celles des Ca- rolins, à cela près que les deux extrémités se relèvent beaucoup plus, à l'instar des gondoles de Constan- tinople. Ils n'avaient apporté à vendre, ni fruits, ni provisions, ni même aucun objet de leur industrie. Cependant leur île offre l'aspect le plus riant et le plus fertile, surtout dans toute sa partie méridionale qui est basse et presque entièrement couverte de su- perbes cocotiers. De distance en distance, on remar- que sur le rivage de très-grandes maisons avec d'im- menses toits, dans le genre des cases d'Ualan. La partie du nord est plus élevée, bien que les plus hautes 392 VOYAGE 1 828. montagnes ne paraissent pas avoir plus de soixante Juin. à quatre-vingts toises au-dessus du niveau de la mer. Gouap est du reste beaucoup moins étendu qu'il n'avait été figuré sur les cartes d'Arrowsmith et de Freycinet, car il a tout au plus dix milles du nord au sud, et cinq ou six milles de l'est à l'ouest. Il est très- probable que , comme cela a eu souvent lieu pour d'autres évaluations de grandeurs d'îles , les milles espagnols avaient été pris pour des lieues *. Combien il m'eût été agréable de pouvoir mouiller à Gouap, et d'y étudier durant quelques jours les mœurs de ses habitans et les productions du sol!... Mais V Astrolabe n'était plus qu'un hôpital flottant. Un découragement général régnait à bord. Il fallut donc se contenter du coup-d'œil rapide que nous venions de jeter sur ce coin de terre , et poursui- vre notre route au S. '/4S. E., en gouvernant sur les îles Goulou. Au moment où nous fîmes servir, tous les naturels qui se trouvaient à bord sautèrent précipitamment dans leurs pirogues et s'empressèrent de regagner leurs plages. On eût dit qu'ils auraient eu peur que nous ne fussions tentés de les emmener en esclavage. Il est vraisemblable que de pareils tours leur ont été plus d'une fois joués. S. A dix heures un quart du matin, la vigie des barres n'avait encore rien signalé, quand de dessus la vergue barrée, je découvris une petite île basse dans l'O. N. O., et peu après une seconde tout proche, à dix ou ' f-'oycz noie 1. DE L'ASTROLABE. 393 douze milles de distance. Sur-le-champ je mis le cap 18*8. dans cette direction, et, à midi, nous nous trouvions J,1U1- précisément sur le parallèle, et à six milles dans l'est de l'îlot le plus septentrional. Comme le temps était fort orageux, je me décidai à doubler ce groupe par le nord pour explorer la partie située sous le vent, d'autant plus qu'à l'inspec- tion de la carte d'Arrowsmith, il me parut que c'était la moins connue. Bientôt nous ne fûmes qu'à un mille du récif qui entoure ces îlots, et nous le prolongeâmes à cette distance dans une étendue de près de vingt- cinq milles. Les deux îlots du nord ne sont que deux petits plateaux de sable et de corail , couverts d'arbres , et dont chacun a un demi-mille de circuit environ. Nous en passâmes à moins d'une lieue, et nous n'y remar- quâmes aucune trace de population. Tandis que nous prolongions le récif, nous éprou- vâmes des grains violens et tellement chargés de pluie, que nous perdions complètement de vue le brisant, malgré sa proximité, et le navire filait quel- quefois jusqu'à neuf nœuds sous les huniers seuls au ris de chasse. Dans l'ignorance absolue où nous étions de sa véritable direction , ces grains nous causaient une sérieuse inquiétude, et je tremblais qu'un choc imprévu n'arrêtât toul-à-coup d'une funeste manière celte étonnante vitesse. Enfin, à six heures quinze minutes du soir, nous avions atteint la partie la plus occidentale du brisant, et nous avions fixé la position des quatre îlots du 394 VOYAGE 1828. sud. Là, je cessai noire travail sur le groupe de Gou- Jllin- lou, et remis le cap au S. O. pour nous rapprocher des îles Pelew. Dans toute notre pénible campagne, je ne crois pas avoir rencontré un groupe plus dangereux pour la navigation que celui des îles Goulou. En effet, il offre un récif immense, qui n'a pour le signaler que cinq ou six îlots si petits, si bas, si éloignés les uns des autres, que, par un temps de brume ou de grains, on peut se trouver sur les écueils sans avoir vu aucune terre. Dans toute l'étendue de brisans que nous avons parcourue, nous n'avons remarqué que deux cou- pures; mais nous avons présumé qu'il serait facile de pénétrer par ces deux passes au-dedans de leur en- ceinte, et, d'après la tranquillité des eaux intérieures, nous avons jugé qu'un brisant règne aussi vers la partie du vent. Durant les deux journées qui suivirent, il fit très- mauvais temps; le vent souffla avec violence à l'E. S. E., avec des rafales et des lorrens de pluie presque continuels. Cela me contrariait cruellement pour le travail que je comptais exécuter sur les îles Pelew, et je n'en approchais qu'avec une sorte d'anxiété. 7. Cependant, le 7, à six heures du matin, je m'esti- mais à vingt lieues environ dans TE. S. E. d'Angour, et j'avais mis le cap au N. O. pour prendre au moins connaissance de cette île. Qu'on juge de ma surprise, lorsqu'à dix heures , la vigie annonça la terre dans i'O. N. O.; en même temps je l'aperçus facilement de dessus le pont. Cette terre se dessinait sous la DE L'ASTROLABE. 395 forme d'une haute et grande île qui n'était pas éloi- 1823. gnée de nous de plus de sept ou huit lieues. Cette Jum- apparence ne pouvait convenir qu'aux îles du nord, et je reconnus qu'un courant très-fort avait dû nous entraîner considérablement au N. O. , depuis qua- rante-huit heures que les observations nous avaient manqué. On doit par là juger à quels dangers nous aurions été exposés en voulant côtoyer de plus près ces îles durant la nuit. Du reste, je gouvernai à l'ouest pour approcher de la terre. A une heure après midi, les terres les plus orientales deBaubelthouap nous restaient dans le nord à quatre milles de distance , et celles de Coror dans ]'0. N. O. à six milles environ; nous n'étions pas à plus de deux milles et demi des brisans. Comme le ciel était très-couvert et que les grains se succédaient presque sans interruption, je ne jugeai pas à propos d'accoster davantage cette formidable barrière ; et nous continuâmes de prolonger la chaîne des brisans à trois ou quatre milles de distance. Dans les courts intervalles que laissaient les grains, M. Guilbert mul- tipliait ses relèvemens sur les îles, et il réussit ainsi à en lever un plan, incomplet il est vrai, mais qui s'est accordé plus qu'on n'aurait pu l'imaginer avec celui qui nous a été laissé par Macluer. Seulement les di- mensions que ce dernier à assignées à Pililew et An- gour sont un peu plus grandes que sur notre carte; en outre, il indique cinq îles d'égale grandeur sur le récif extérieur entre Earakong et Pililew, tandis que nous n'y avons vu que trois petits îlots. 396 VOYAGE ï82S. La brise, très-fraîche dans la journée, mollit dans Jmn la soirée , et nous laisse presque en calme , à sept milles dans le S. E. de Pililew. Elle varie même au S. E. et S. S. E., ce qui me force à manœuvrer sans cesse toute la nuit pour nous soutenir au vent, dans la crainte d'être entraînés sur les récifs par les cou- rans. s. Le jour vint calmer mes inquiétudes , en me dé- montrant que toute la nuit j'avais réussi à me main- tenir presque au point où nous étions restés la veille au soir. A sept heures trente-sept minutes du matin, nous trouvant précisément à six milles au sud de la pointe méridionale d'Angour, on a observé des an- gles horaires, qui ont lié immédiatement la position des îles Pelew à celle d'Umata. D'après nos déter- minations définitives, cette longitude est de 131° 45' E. ' Les observations de la journée ont prouvé que nous avions eu environ quarante-deux milles de courant au N. O. dans les trois jours écoulés; il est probable que la plus grande partie de ce courant a eu lieu dans les deux premiers jours, car la proximité des terres a dû neutraliser son effet depuis vingt-quatre heures. Nos opérations sur les îles Pelew terminées, je ne songeais plus qu'à rallier le plus tôt possible le dé- troit des Moluques entre Guilolo et Célèbes, en pre- nant connaissance sur ma route des îles Sonsorol, Poulo-Anna, Poulo-Marier, Nevil et Morty. Avec les ' Foyc: noie 3. DE L'ASTROIABE. 397 vents d'E. et les courans de la même partie, je pen- is^a. sais que rien ne me serait plus facile. Mais je fus bien 3uin- désappointé. Il semblait que les îles Pelew formaient la barrière où venaient expirer ces fraîches brises d'E. et d'E. S. E. qui m'avaient poussé depuis Umata. En quittant ces îles, nous n'éprouvâmes plus que des calmes ou de folles brises du N. O. au S. O. avec des courans à l'E. et au S. E. qui nous contrarièrent du- rant dix jours entiers , et nous furent d'autant plus pénibles que ces temps étaient accompagnés de cha- leurs accablantes. Toutefois le nombre des malades diminuait , et leur état s'améliorait sensiblement, à l'exception de deux ou trois, dont la situation était toujours alar- mante. Dès le 9, on ne comptait plus que dix-huit 9. hommes au poste des malades. Dans la journée du 12, la mer fut couverte de sar- 12. gasses (sargassum g?anuliferu?ri), et les observations prouvèrent qu'on avait eu quarante-huit milles de courant en vingt-quatre heures au S. S. E. !.. Durant les trois jours qui suivirent, il y eut de vingt à vingt- cinq milles par jour de courant au S. et au S. S. O. A mon grand regret, ces contre-temps me forcent encore à me rabattre sur les côtes de la Nouvelle- Guinée. Les eaux de la mer sont couvertes de sargasses, lit. de morceaux de bois, de fragmens de végétaux, de fruits, et l'on observe plusieurs hydrophis. Du 15 au 16, le courant nous renvoie de trente ,g. milles à l'E. N. E., ce qui ne nous avance pas. Heu- 398 VOYAGE 1828. reusement le beau temps et le calme de la mer ren- jmn. dent la navigation fort douce. L'équipage se régale chaque jour d'excellens vivres frais , grâce à la libé- ralité de don José Medinilla. 17. Au point du jour, malgré la distance de cinquante à soixante milles, nous vo}rons déjà surgir à une cer- taine distance sur l'horizon, dans toute la partie du sud, la haute chaîne des montagnes qui s'étendent 18. depuis Doreï jusqu'au cap de Bonne -Espérance (Goede-Hopè). L'Astrolabe se retrouve encore une fois précisément sous la ligne; la chaleur est étouf- fante, et dans nos chambres le thermomètre se main- tient jour et nuit à 31° ou 32°. L'eau de la mer est au même degré de température. ,9. En ralliant la terre, je me flattais de retrouver le long de la côte les courans qui portent ordinairement avec tant de violence à l'ouest. En effet, il a été nul du 17 au 18, et du 18 au 19 il a été déjà de vingt milles à l'O. N. O., ce qui nous rapproche enfin du but que nous nous proposons. Mais les médecins viennent de faire une découverte affligeante. Jusqu'à présent nous en avions été quittes pour la fièvre et son triste cortège. Aujourd'hui il a été constaté que Sper était en outre attaqué de la dyssenterie. Que ne devons-nous pas craindre de cette terrible maladie sur des hommes dont le tempérament est à demi- détruit et le moral tout-à-fait ébranlé, au moment surtout de reparaître dans les Moluques où ce mal a toujours été redoutable? Dans la nuit, je réduis la marche de la corvette à DE L'ASTROLABE. 399 un ou deux nœuds, de peur de dépasser les îles Mis- 1828. palu; car je tiens beaucoup à obtenir des angles ho- Juin> raires sur leur méridien , pour lier leur position à celles d'Umata et d'Amboine. Néanmoins, au retour du jour, à l'aspect des mon- 20. tagnes et à la direction de la côte, j'ai reconnu que le courant nous avait déjà fait dépasser ces deux îles. J'ai profité d'une jolie brise de S. S. O. pour gou- verner à l'E. S. E. et me replacer sur leur méridien. A huit heures , nous étions précisément au nord du monde de la pointe O. de la plus occidentale, et à seize milles de distance. La meilleure reconnaissance de ces îles en venant du large est certainement une montagne remarquable par un sommet terminé en forme de croissant, et que j'ai nommée pour ce motif mont Dicéras. Ce mont ne gît qu'à cinq ou six milles à l'est des îles Mispalu, et un navire ne peut les man- quer en venant attérir sur le méridien de cette mon- tagne. Nos deux montres, nos 38 et 83, s'accordaient par- faitement, et donnèrent 129° 49' long. E. pour la pointe ouest des îles Mispalu, dans la supposition où Umata eût été placée par 142° 12' long. E. On doit se rappeler que l'année précédente nous avions trouvé pour ce même point, en venant du havre Carteret, 129» 43' long. E. La moyenne de ces deux longi- tudes est 129« 46', trouvée jadis par d'Entrecasteaux, et que nous avons adoptée défini vement *. ' II est à remarquer néanmoins qu'en parlant de 1420 1 7' long. E. pour Umata, comme nous l'avons adopté en définitive, on aurait 1290 54' pour 400 VOYAGE 1828. Les observations de midi nous prouvèrent que Juin. nous avions eu trente-deux milles de courant à l'O. N. O. en vingt-quatre heures, d'où venait mon mé- compte du matin. Dès huit heures du matin, malgré une brume assez épaisse, les montagnes de Waigiou se montraient déjà dans l'ouest à vingt lieues de distance. Les vents de S. O. ne me permettaient pas plus que l'année pré- cédente de tenter le passage par le détroit de Dam- pier, et il me fallut encore reprendre la route au nord de Waigiou. Du moins je voulus l'utiliser, en traçant les détails des groupes d'Aïou et d'Asia encore incomplètement connus. A six heures et demie du soir, nous avions déjà pris connaissance de l'île Manouaran et de la plus méridionale des îles Aïou , éloignées alors de quinze ou dix-huit milles. Je passai la nuit aux petits bords, sous les huniers. Des clapotis très-bru vans annonçaient de violens remoux de marée. aI- Bien que j'eusse tenu, de préférence à l'autre, la bordée du sud durant la nuit, au jour je m'aperçus que le courant nous avait sensiblement portés dans le nord. A sept heures vingt-cinq minutes du matin , nous étions sur le méridien de la pointe Pigot, et sur le parallèle de l'île la plus méridionale du groupe d'Aïou , Mispalu; et si l'on voulait corriger ce résultat de l'accélération des montres depuis Uinata jusqu'à Aroboine , on trouverait une longitude encore plus forte. La différence du méridien entre Gouaham et Mispalu ou Waigiou a besoin d'être mesurée de nouveau avec beaucoup de précision. DE L'ASTROLABE. 401 à dix-sept milles de distance. Cette île, la plus grande iS-^s. du groupe, est nommée pour ce motif Aïou-Baba Jmn- (aïou père), et n'a cependant pas plus de six ou sept milles de circuit. Je laissai porter au N. O. et N. N. O. pour approcher des brisans, que je prolongeai ensuite à la distance d'un mille environ. Nous comptâmes , dans ce groupe , vingt-trois ou vingt-quatre îles dis- tinctes ; mais plus de la moitié ne sont que de petits plateaux de deux ou trois cents toises d'étendue , couverts par un bouquet d'arbres : trois sont tout- à-fait nues. Le groupe entier a vingt milles du N. E. au S. O. : sa largeur nous est inconnue, attendu que nous n'avons point vu sa limite dans l'O. ; mais elle serait, d'après M. Freycinet, de dix ou douze milles. Nous n'avons vu que de loin la partie mé- ridionale du groupe , de sorte que nous ne répon- dons point de sa configuration , qui doit être plus exacte sur la carte de M. Freycinet. Dans une éten- due de douze milles environ , le récif nous a paru être continu. Sur les îles de l'est, nous n'avons point aperçu d'habitations. Cependant une pirogue, montée par six Papous, s'en est détachée, et s'est avancée jusqu'à un câble du bord : là elle s'est arrêtée , les sauvages nous ont regardés passer en poussant quelques cris , puis ils sont retournés vers la terre. J'aurais été bien aise d'avoir des communications avec ces naturels pour obtenir d'eux les noms de leurs îles; mais en ce moment la brise mollissait beaucoup ; j'ignorais la TOME V. iG 402 VOYAGE 1828. limite et la direction des récifs; et avec un courant Juin- qui portait à l'ouest, je ne me souciais point de rester en panne au vent de cette redoutable muraille : c'est pourquoi je ne voulus point attendre ces insulaires. A midi, nous étions à trois milles au N. E. de la partie septentrionale du brisant; et dans le N. lj% N. E. , nous commencions à reconnaître de dessus le pont, et à la distance de trois milles, les arbres qui couvrent les îles Asia. Ce groupe est éloigné de celui d'Aïoii de quinze milles, et le canal entre les deux paraît fort sain. Tout l'après-midi, il fit calme plat, et le navire cessa de gouverner ; mais le courant, qui avait été de quarante milles au N. N. O. dans les vingt-quatre heures précédentes, continuait de nous entraîner à vue-d'œil dans celte direction. Dès deux heures et demie, nous étions presque à égale distance des deux groupes , et à six heures les îlots du nord d'Aïou venaient de disparaître, tandis que nous n'étions qu'à huit milles des trois îles Asia. Dans le S. O. , les sommets de Rouib et de Waïgiou pointaient sur l'horizon à une distance immense. 22 Vers trois heures et demie après minuit , de faibles brises de S. E. me permettent de gouverner au S. O. pour rallier les îles Vaïag. Nous avons aperçu, dans la matinée, une petite île boisée, d'un mille de circuit, et qui paraît être détachée du groupe d'Aïou. Elle ne figurait encore sur aucune carte , et nous l'avons nommée l'île Isolée. Nous en avons passé à quinze milles de distance. DE L'ASTROLABE. 403 Toute la journée, nous avons eu en vue les som- 1828. mets de Waïgiou et les îles Vaïag et Rouib. Mais Juin- à six heures du soir, n'ayant pu reconnaître les îles Syang et Kyang, nous avons passé la nuit aux petits bords. La mer est calme et belle, comme elle l'est presque toujours dans les Moluques. Le ciel est très-chargé, et il tombe des grains fort 23. épais. Cependant, dans une courte éclaircie , nous découvrons tout-à-coup, dans le S. 0« , une pointe basse, à six ou huit milles de distance, et bientôt nous reconnaissons qu'elle appartient à la petite île Eye; car nous voyons peu après l'île Syang elle-même. Nous doublons ces îles à trois ou quatre milles de distance, à travers des clapotis très-agités et bruyans qui décèlent de forts courans. Ces deux îles sont basses, couvertes de bois, et paraissent exemptes de brisans. Nous nous dirigeons ensuite vers Guebe , de ma- nière à passer entre sa partie N. O. et le cap Tabo. Cette île est extrêmement basse, et n'offre que deux monticules qui, vus d'une certaine distance, sem- blent être deux îles distinctes. La petite île Joyi , située à l'est de Guebe, est entièrement basse et couverte d'arbres. Les terres de Guilolo sont restées toute la journée couvertes de nuages noirs fort épais. Toutefois , ayant reconnu vers six heures le cap Tabo et la petite île Mouhor, je me suis décidé à donner dans le canal. A huit heures, nous doublions, à trois milles de distance, la pointe N. O. de Guebe; puis nous fîmes route au S. O. , avec une faible brise 2G* 401 VOYAGE 1828. de S. E. et des grains de pluie presque continuels. 24 juin. yers jlujt neures du matin, le temps s'éclaircit un peu , et M. Paris put prendre des relèvemens sur le cap Tabo , l'île Mouhor , sur les divers points de Guebe, et même sur la petite île Fobou. Cette der- nière est surmontée par un mondrain , tandis que les terres correspondantes de Guebe sont fort basses. Les vents du sud, dans l'après-midi, m'ont con- traint à courir des bordées à l'ouest de Guebe. Le ciel s'est tout-à-fait dégagé, et nous avons aperçu les hautes montagnes de Guilolo dans l'ouest du cap Tabo. Il m'aurait été bien agréable d'aller au mouil- lage de Fohou ; mais l'état actuel de l'équipage me défend d'y songer. A onze heures du soir, le domestique Sper est mort des suites de sa dyssenterie. Ce jeune homme avait aussi provoqué sa perte par les excès inouïs qu'il avait faits sous le rapport des alimens. 25. Vers sept heures du matin, la vigie a signalé un groupe d'iles dans le S. O.; nous avons gouverné dessus 5 et à dix heures, nous n'en étions pas à plus de un ou deux milles. Nous avons compté sept ou huit îlots , tous bas , boisés et groupés très-près les uns des autres. On voyait confusément au travers des nuages des morceaux de Guilolo , près de la Pointe-aux-Cocos . À trois heures et demie, nous avons commencé à voir de dessus la grande vergue le double sommet de Pisang, à quarante-cinq milles de distance environ. Cette île est vraiment précieuse, comme reconnais- DE L'ASTROLABE. 405 sance, pour la navigation de cette partie des Molu- 1828. ques. Jui»- Nous sommes, pour ainsi dire, obligés de disputer au vent le terrain pouce à pouce, et cette navigation exige une activité continuelle pour profiter de chaque variation dans la brise; mais aussi la vue des terres, le calme des eaux, et l'absence des gros temps, en adoucissent bien les ennuis. Nous approchons lentement du cône de Pisang, 26. tandis que nous laissons à l'ouest les grandes iles Dammer et les îles plus petites de Gourong, à six ou sept milles de distance. Vers huit heures du matin, on a vu une petite pirogue sous voiles , dans le S. E. , à trois ou quatre milles : elle a continué sa roule sans s'occuper de nous. Durant toute la nuit du 26 au 27, qui a été du reste très-belle, une légère brise de S. et de S. S. E. nous a forcés de prolonger à six ou sept milles au nord les îles Pisang, Lawn, Passage et Kekek, sans pouvoir passer entre les deux premières , comme j'en avais le dessein. A huit heures du matin, M. Jacquinot observait 27. des angles horaires, précisément au sud et à neuf milles du rocher situé à l'est des îles Gourong. Nous distinguions parfaitement alors toutes les îles de la veille, et en outre celles de Gourong, Gass, Loukis- song , les sommets d'Oby et un grand piton dans le N. O., qui appartient sans doute à Guilolo et doit être très-voisin de Batchian. Nous nous dirigeâmes vers le détroit formé par 406 VOYAGE 1828. Gass et Kekek ; nous passâmes à cinq milles de cette juin. dernière; puis nous prolongeâmes la partie orientale de Gass à deux ou trois lieues de dislance. Vers deux heures après midi, un korokoro, que nous avions eu en vue depuis midi, passa à deux ou trois encablures à tribord de la corvette, faisant route vers le nord. On remarquait sur ce bâtiment, deux ou trois individus en costume malais qui se tenaient sur la plate-forme , tandis qu'un grand nombre d'hommes nus, et qui nous parurent être des Papous, à la couleur du corps et à la forme de la chevelure , agissaient sur les pagaies. Sur l'avant et sur l'arrière, flottaient des pavillons bleus, avec un triangle rouge entouré de figures bleues semblables aux carreaux du jeu de cartes ; il y avait en outre trois ou quatre de ces carreaux dans l'intérieur du triangle : sur le milieu du korokoro flottait un troisième pavillon blanc beaucoup plus grand et portant vers le centre une sorte de double coutelas dont les tranchans se regardaient. Sans doute le rajah, auquel appartenait cette pirogue , avait adopté pour armoiries le double parang , car on sait que c'est le nom malais des couperets usités parmi ces peuples. Comme de coutume, la musique du tamtam et du goumgoum résonnait continuellement pour charmer les ennuis des maîtres et la fatigue des rameurs. Comme ces navigateurs ne firent aucune tentative pour nous accoster, et que de mon côté j'étais impa- tient de vider le détroit, je passai près d'eux sans m'arrêter. DE L'ASTROLABE. 407 Nous avons ensuite serré le vent bâbord. Le 28 au 1828. matin, nous avons aperçu la chaîne des hautes mon- â8 iui"- tagnes de Ceram, et j'ai voulu gouverner au S. E. pour atteindre la baie de Savaï, que j'eusse bien dé- siré visiter dans l'intérêt de l'histoire naturelle. Mais la brise variable et contraire, le courant de l'est, et, plus que tout cela, l'état des malades, m'ont fait re- noncer à ce désir, et dans l'après-midi j'ai mis le cap sur le détroit de Bourou. En effet, le rapport du médecin m'a convaincu qu'il était urgent de gagner une relâche en pays civi- lisé. M. Guilbert, un des huit ou neuf heureux qui avaient échappé aux fièvres de Vanikoro, venait d'être attaqué de cette maladie; M. Lottin éprouvait une rechute; MM. Quoy, Gaimard et Bertrand étaient toujours souffrans ; M. Dudemaine ne se sentait pas bien. Dans l'équipage, divers individus, comme Bou- lin, Della-Maria, Vigneau, etc., éprouvaient aussi des rechutes. Enfin la dyssenterie poursuivait ses pro- grès. Dans la nuit du 29 au 30, cette maladie enleva 3o. le novice Maille. Dans cette même nuit, nous prolongeâmes les iles Bonoa, Kelang, Manipa, et nous nous présentâmes devant le détroit de Bourou : il soufflait alors une brise très-fraîche du S. S. E. qui soulevait une mer clapoteuse et assez dure. A cinq heures vingt mi- nutes du matin , nous aperçûmes un navire à trois mâts qui, en passant près de nous, hissa le pavillon des Etats-Unis. À dix heures et demie , la brise devint si fraîche, 408 VOYAGE 1S28. que je perdis l'espoir de gagner au vent, et je crus Juin. qU?n va}ajt mieux relâcher à Caïeli, où nous pourrions trouver toutes sortes de rafraîchissemens pour nos malades, que de continuer à lutter péniblement contre un vent contraire. En conséquence, je laissai porter sur la pointe Rouba; nous donnâmes dans la rade, et, à une heure après midi, nous laissâmes tomber l'ancre par trente- cinq brasses, fond de sable vasard, devant le fort pi. ce. Défense. Au même instant, M. Jansens, résident de Bourou, montait à bord. Sa figure, d'abord soucieuse et contrainte, se dérida en voyant nos lettres de re- commandation , et devint tout-à-fait radieuse à l'as- pect de la traduction en hollandais des mêmes lettres faite à Amboine et visée par le gouverneur. Après nous avoir félicités sur notre arrivée et nous avoir offert ses services, il ne nous dissimula pas que, sans ces deux pièces, il eût été fort embarrassé de notre présence, et peut-être obligé de nous signifier Tordre de remettre à la voile sur-le-champ. Cet aveu ne nous surprenait pas : car nous n'avions pas oublié la peine que son prédécesseur avait eue à nous souffrir sur sa rade en 1824, malgré la lettre de son sou- verain. Bien que M. Jansens ne parle que le hollandais, ce qui rend nos communications difficiles et bornées, j'ai compris dans ce qu'il m'a dit que M. Merkus était de retour à Amboine depuis le mois de février dernier, mais qu'il allait en repartir incessamment, M. Paape était résident à Hila, M. Vauturs à Banda, DE L'ASTROLABE. 409 M. Pietermatt à Manado. Une colonie composée de i8ag. vingt-cinq soldats, avec leurs femmes, venait de met- Jum- tre à la voile pour s'établir sur un point de la Nou- velle-Guinée. M. Jansens administre Bourou et Am- blou. Cette dernière île ne compte que cinq cents habitans, et la petite-vérole y causa tout récemment de tels ravages, que tous ceux qui n'en furent pas atteints s'enfuirent à Bourou pour l'éviter. Le rajah et toutes les personnes de sa famille se trouvaient en- core en ce moment chez M. Jansens. On compte à Bourou sept mille huit cents habitans, dont deux mille sont des Harfous. Ceux-ci habitent l'intérieur et les . montagnes , tandis que tous les Malais sont établis ri. cxc. sur le rivage. Les deux peuples sont très-doux et très-faciles à gouverner. Quatre ou cinq mosquées avec leurs minarets pointus annoncent à l'instant l'influence de l'islamisme chez les Malais. Joute la matinée fut consacrée à nous haler plus 1 juillet. 410 VOYAGE 182S. Près du rivage, et à nous amarrer avec cinquante juillet. brasses de la grande touée sur une ancre de poste mouillée par dix-neuf brasses, et quatre-vingts brasses du grelin de gomotou sur l'ancre moyenne mouillée par vingt-trois brasses de l'arrière . La dernière devait nous empêcher d'éviter avec la marée. Vers dix heures et demie, accompagné de MM. Du- pi. CCV. demaine, Sainson et Lesson, j'ai été faire une visite au résident. Ensuite je me suis dirigé vers la rivière, sur le bord de laquelle quatre ans auparavant j'avais recueilli une foule de plantes rares et nouvelles, et de beaux insectes. Je fus surpris de trouver son lit entièrement à sec et les pelouses de ses rives brûlées par le soleil. Moi-même j'étais loin d'être aussi in- gambe que lors de mon passage sur la Coquille. Je m'empressai donc de rejoindre la corvette, où je trou- vai une foule de Malais qui apportaient à vendre des poules, des œufs, et de superbes poissons à très-bas prix. Nous nous retrouvâmes tout-à-coup dans la plus grande abondance , et la chair de cerf vint de nouveau alimenter nos tables sous toutes les formes. Pour ma part, je la trouve très-bonne et très-saine. Le soir, je retournai avec MM. Jacquinot et Sain- son chez M. Jansens, qui m'avait promis le spectacle de quelques danses originales. En effet, ses hôtes d'Àmblou figurèrent successivement sous nos yeux les danses nationales des Malais, des Papous et des pi. ccx. Harfours. Un enfant de douze ou treize ans, issu de M. Jansens et d'une femme malaise, se distingua dans ces sortes de pantomimes. Du reste, par leur carac- DE L'ASTROLABE. 411 tère et leurs mouvemens, ces danses paraissaient 1828. tenir le milieu entre celles des Polynésiens et celles JmltLt des Asiatiques. M. Jansens m'a communiqué le rapport de l'Anglais Grainges, commandant le Manilla-Packet, destiné pour Sincapour. Ce capitaine fit naufrage, le 14 juin 1 825, sur le banc Helena's-Shoal, près de l'île North. Il s'embarqua avec dix-huit hommes dans son grand canot , et son second avec dix-huit autres hommes dans le canot de poupe. Ils traversèrent les Molu- ques : l'équipage du petit canot voulut toucher à Poulo-Popo, mais Grainges poussa jusqu'au détroit de Bourou, dans le dessein d'atteindre Amboine. Les gros vents le forcèrent de relâcher le 30 juin à Caïeli , d'où il envoya son rapport au gouverneur des Mo- luques. Peu de jours après, il se rendit, ainsi que l'autre embarcation, à Amboine, où les naufragés arrivèrent exténués par les chaleurs brûlantes et les pluies excessives qu'ils avaient tour à tour éprouvées. Dans les journées suivantes, de violentes coliques m'ont retenu à bord, tandis que les officiers allaient se promener dans la ville ou chasser sur le rivage, où ils observaient çà et là le tombeau de quelque Malais, à l'ombre des cocotiers et des pandanus. M. Jacquinot a observé des angles horaires, et ces observations ont donné 1° 4' 31" pour différence de longitude entre le fort Défense de Bourou et le fort Vittoria d'Amboine, résultat identique avec celui que trouva M. de Rossel dans le voyage de d'Enlrecas- teaux. 41.2 VOYAGE 182S. Juillet. 5. Je voulais appareiller dans la matinée, et j'avais même commencé à faire virer sur l'ancre, quand le vent a sauté au S. E., et soufflé de manière à annon- cer qu'en dehors il devait être très-frais. Ce motif m'a fait ajourner le départ au lendemain. Le rajah Abdoul m'a raconté que les Papous, dont les Malais de Caïeli redoutent le plus les incursions, viennent des îles Salwatty, Battanta et Gammen-, ce sont des hommes féroces et anthropophages. Les na- turels de Guebe sont, dit-il, aussi Papous et anthro- pophages. Mais les habitans de Ceram et de Guilolo sont des Harfours, hommes pacifiques et point canni- bales; ils se contentent de couper les têtes de leurs ennemis pour les conserver comme trophées de leurs victoires. Oby n'est point peuplé. Abdoul ne connais- sait point les noms de Loukissong, Gass, Kekek, etc., ce qui m'a paru assez étonnant, attendu la proximité où ces îles sont de Bourou *. « Voyez noie 4. DE L'ASTROLABE. 413 A une heure et demie après midi, nous avons mis i8u8. sous voiles , mais la brise était si molle et si variable 6 J,I,llet* que nous n'avons pu faire route qu'à quatre heures. Une heure après, nous avions doublé la pointe Pela, et, à onze heures du soir, la bordée nous avait portés très-près de Manipa. Toute la nuit, nous avons lou- vové dans le détroit contre le vent de S. et S. S. E. Tandis que nous sortions de la rade de Caïeli, ses eaux étaient chargées à une assez grande profondeur d'une incroyable quantité de grosses méduses blan- ches. Leur présence donnait à la baie un aspect tout- à-fait extraordinaire ; on l'eût volontiers prise pour un immense banc à fleur-d'eau parsemé de galets arrondis et blanchâtres, ou bien encore pour un bas- sin couvert de blocs de glace qui eussent commencé à se fondre. Au jour, j'ai reconnu avec joie que le courant nous 7. avait beaucoup favorisés dans nos efforts ; nous nous trouvions déjà très-près de la pointe S. E. de Bourou et de l'île Amblou. Malheureusement les calmes sont survenus, et nous ont retenus toute la journée et la nuit entre les terres d'Amblou et d'Amboine. Nous avons eu des torrens de pluie, avec des vents s. du sud à l'est, qui nous ont encore retenus toute cette journée au large. Dans la suivante, nous nous étions déjà présentés à l'entrée de la baie ; cependant ce n'a été que dans la journée du 10 que nous avons pu définitivement entrer. A huit heures et demie du malin, nous avons rangé à une demi-encablure de dis- tance les rochers de Noessa-Niva, puis nous avons ili VOYAGE 1828. gouverné vers le fort Vittoria. Le capitaine Elgen- juiiict. huizen est venu nous prendre à deux ou trois enca- blures du mouillage , et nous avons laissé tomber l'ancre vers une heure. A deux heures, accompagné de MM. Elgenhuizen, Guilbert, Dudemaine, Bertrand, Sainson et Lesson, j'ai été rendre mes visites aux diverses autorités. Au gouvernement, j'ai d'abord vu M. Merkus qui m'a accueilli avec la plus grande amabilité, et m'a promis de remettre à l'instant à ma disposition tout ce qui pourrait m'ètre utile dans la colonie. En. outre, il m'a annoncé qu'il allait incessamment partir pour Bata- via , et , apprenant que je ne connaissais point cette ville, il m'a vivement sollicité d'y faire une relâche avec V Astrolabe. Comme je représentais à M. Mer- kus le pitoyable état où se trouvait notre équipage et la terrible réputation d'insalubrité dont jouit Ba- tavia aux yeux des Européens, il me répondit que cette réputation était maintenant peu méritée, attendu que depuis vingt ou trente ans Batavia avait totale- ment changé de face, et qu'aujourd'hui le séjour de cette ville, surtout dans le quartier de JFeltevreden, nest pas plus dangereux que celui de la plupart des autres places de l'Inde. Ensuite nous saluâmes tour à tour MM. Morrees, Styman, Paoli, Bourss (nouveau secrétaire), Elgen- huizen, Rumboldt, Vankervern et Lang. Chez ce dernier, nous trouvâmes notre jeune babiroussa en- core vivant, mais dans un état de marasme déplo- rable, qui ne permettait pas despérer qu'il pût en DE L'ASTROLABE. 415 réchapper. M. Lang attribuait le dépérissement de 1828; cet animal à ce qu'il l'avait laissé de trop bonne heure Jl""ef- près d'une jeune truie , avec laquelle il s'était épuisé en efforts prématurés. Le salut national de vingt-un coups de canon fut fait à trois heures, et sur-le-champ rendu coup pour coup. Par la négligence du canonnier, un de nos va- lets alla frapper dans le bastingage du brick Siva, mouillé près de nous, presque aux pieds de la senti- nelle du passe-avant. Heureusement cet accident ne fit de mal à personne. Le Siva est un brick colonial commandé par un lieutenant de vaisseau, et qui arrive en ce moment même de Banda. Tandis que nous nous promenions ensemble à bord, sur les quatre heures, M. Gressien a remarqué trois ou quatre Malais qui apportaient à la tète du pont, et de là lancèrent à la mer un objet très-pesant qui m'a paru être un gros poisson. J'en ai fait part à M. Quoy, qui s'est empressé d'aller voir avec le bot de quelle espèce il pouvait être, et il n'a pas tardé à revenir en le traînant à la remorque. Par une ren- contre bien singulière, il s'est trouvé que ce poisson présumé était un jeune douyong, mammifère amphi- bie encore mal connu, et qui depuis long-temps était l'objet des désirs de M. Quoy. Bien que cet animal fut dans un état de corruption trop avancé pour qu'on pût songer à le conserver, M. Quoy l'a étudié avec soin, l'a fait dessiner par M. Sainson et en a préparé le crâne. A terre, on a appris que ce douyong avait 416 VOYAGE 1S2S. été envoyé à M. Langaker, médecin de la colonie, Juillet. qUi5 n'ayant trouvé personne pour le faire préparer, l'avait fait jeter à la mer, à cause de l'infection qu'il répandait. Nous avons appris aussi que le colonel Styman, sur les recommandations de MM. Quoy et Gaimard et sur mes instances, avait réussi à se procurer deux animaux de l'argonaute, mollusque dont la vraie na- ture excitait vivement l'intérêt et la curiosité des zoo- logistes. Mais il avait eu la faiblesse de les céder à un naturaliste hollandais qui avait passé deux ou trois mois dans la colonie avant notre retour. Cependant nous avions fourni les flacons et l'alcool nécessaires pour les conserver. Plus délicat et plus fidèle à sa parole, M. Lang s'était constamment refusé à toutes les manœuvres de la même personne pour obtenir son babiroussa ; M. Lang se contenta de répondre que cet animal ne lui appartenait plus, et qu'il le re- gardait désormais comme la propriété de V Astrolabe. Nous avons été tous très-sensibles à ce noble et gé- néreux procédé de la part du capitaine Lang, et, si cet ouvrage est destiné à paraître un jour sous ses yeux, je lui renouvelle ici mes remercimens. J'avais été invité à dîner chez M. Morrees avec plusieurs officiers de l'Astrolabe. Cet administra- teur avait réuni à sa table toutes les autorités prin- cipales de la colonie, et nous nous trouvions qua- rante convives environ. Le dîner fut somptueux et fort gai , mais trop long pour moi , car on ne quitta la table qu'à une heure du matin, et je ne pus me DE L'ASTROLABE. 417 sauver à bord qu'a deux heures, extrêmement fatigué. 1828. Par bonheur, je me trouvais à table près de M . Mer- J"ille*- kus, dont la conversation animée, spirituelle et ins- tructive, me fit paraître le temps moins long. Toute étiquette fut bannie entre nous, et nous parûmes nous entendre comme si nous eussions été des connais- sances de vingt ans. En me parlant de son voyage à Batavia , il ajouta qu'il passerait à Manado sur Cé- lèbes, et m'invita à l'accompagner dans cet établisse- ment, en me faisant l'éloge du climat, des produc- tions et du caractère des habitans. Je convenais sans peine du haut intérêt que la relâche de Manado offri- rait à l'expédition, et je ne dissimulais pas même le vif désir que j'éprouvais personnellement de visiter un point de Célèbes , île à peine connue des Euro- péens ; mais j'alléguais toujours l'état de nos malades comme un obstacle insurmontable à la prolongation de nos travaux dans les Moluques. Pour achever de me déterminer, M. Merkus ajouta qu'on lui gardait à Manado deux beaux babi- roussas adultes, et qu'il les remettrait à ma disposi- tion si je voulais l'accompagner à Célèbes, et qu'en outre il mettrait sur pied toute la population du pays pour procurer aux naturalistes tous les objets d'histoire naturelle qu'ils jugeraient dignes de leur attention. De telles offres étaient bien séduisantes; jamais ba- biroussa vivant n'avait encore paru en Europe, et l'on ne possédait même au Muséum aucune dépouille com- plète de ce curieux animal. Je savais que les pro- TOME V. 27 418 VOYAGE i8.a8. fesseurs de cet établissement, et particulièrement juillet. JVJ. Cuvier, tenaient beaucoup à le posséder; à cette époque j'imaginais encore qu'ils nous sauraient quel- que gré de nos efforts persévérans pour être utiles à leurs travaux. Je demandai à M. Merkus s'il ne plaisantait point à l'égard des babiroussas, et s'il était réellement dis- posé à me les céder ; il m'en donna sa parole positive. Dès-lors mon parti fut pris, et je lui dis que j'étais résolu à le suivre à Manado. Il me fit observer seu- lement qu'il devait partir le mercredi suivant 16 juil- let ; je lui répondis que je serais prêt ce jour même, pourvu qu'il donnât l'ordre aux bureaux de me faire sur-le-champ délivrer les objets que je demanderais, et il s'engagea formellement à lever tous les obstacles qui pourraient m'arrêter. M. Merkus m'a confirmé que la corvette et le brick, expédiés dernièrement pour la Nouvelle -Guinée, avaient l'ordre d'y fonder un nouvel établissement, de reconnaître toute la partie occidentale de cette grande île, depuis le cap Welsch jusqu'au cap de Goede-Hoop, et d'en prendre possession au nom de la Hollande. Il m'a laissé entrevoir que cette démar- che était dictée par la crainte de son gouvernement touchant les dispositions de l'Angleterre, et pour ar- rêter ses progrès vers cette partie des colonies hol- landaises. Les établissemens fondés sur la presqu'île Melville, aux portes des Moluques, ont causé de jus- tes soupçons aux maîtres du monopole des épices : ils ont voulu du moins fermer l'accès de la Nouvelle- DE L'ASTROLABE. 419 Guinée à la nation du monde la plus entreprenante. 1828. Les guerres de Java continuent ; elles sont rui- Jull|et- neuses pour les deux nations, et causent de graves inquiétudes aux Hollandais. La liberté du commerce doit être accordée aux Moluques, moyennant cer- taines restrictions; toutefois le monopole sera main- tenu à Amboine pour le girofle, et à Banda pour la muscade. M. Merkus m'a assuré que la seule ville d'Amboine contient au moins dix mille habitans , d'après un recensement fait avec soin depuis deux ans. Pour la première fois j'ai goûté du durion et du ramboutan ; le premier exhale une odeur d'oignon repoussante, et sa saveur m'a paru d'une médiocre qualité; cepen- dant on dit que ce fruit paraît exquis à ceux qui ont pu s'y accoutumer. La saveur du ramboutan appro- che beaucoup de celle du litchi, que je trouve agréa- ble et très-rafraîchissante. Seul parmi toutes les personnes de V Astrolabe, M. Lesson a reçu des lettres de son frère. Mes espé- rances relativement au ministère ont été cruellement déçues. Pas une marque de souvenir pour V Astro- labe, pas un mot d'encouragement. Je comptais avoir quelque faveur à annoncer, et il m'a fallu garder le silence. Mes recommandations n'avaient probable- ment pas paru assez intéressantes pour qu'on dai- gnât s'en occuper. Je me flatte du moins qu'à mon arrivée à l'Ile-de-France ce long oubli cessera, et que j'y trouverai les récompenses des longs et pénibles travaux de l'Astrolabe. 2 7* 420 VOYAGE 182*8 J'ai fait part aux naturalistes et aux officiers de la y juillet, résolution que j'avais prise de suivre le gouverneur Merkus à Manado, et de faire une courte relâche sur ce point avant de quitter définitivement les Moluques. Cette communication n'a point été reçue avec l'en- thousiasme qu'elle n'eût pas manqué d'exciter six mois seulement auparavant. Personne ne s'est permis la moindre objection , mais il m'a été facile de voir que les inquiétudes générales que causait notre sé- jour prolongé dans les Moluques l'emporterait désor- mais sur le désir de visiter de nouvelles contrées, et d'ajouter aux richesses de la mission. Pour détruire cette impression fâcheuse et ranimer le zèle amorti de mes compagnons, il eût fallu que j'eusse eu à leur annoncer quelques marques d'attention du gouverne- ment; mais le silence du passé faisait déjà mal augu- rer des dispositions de l'avenir!... J'ai dîné aujourd'hui chez le secrétaire- général, M. Bourss; la réunion des convives se composait à peu près des mêmes personnes que la veille, mais le repas a été beaucoup moins long, et par conséquent moins fatigant. M. Merkus m'a témoigné sa satisfac- tion de me voir décidé à l'accompagner à Manado; il m'a parlé d'un quadrupède remarquable qui paraît être une nouvelle espèce d'antilope, et il a promis d'en procurer plusieurs individus à notre mission. Le capitaine du Siva m'a fait une visite; nous nous sommes entretenus du détroit des Moluques et de la traversée d'Àmboine à Manado, qui n'offre aucunes difficultés à la navigation que la chance des calmes 11. 12. DE L'ASTROLABE. 421 ou des petites brises du nord. Le détroit de Patience 1828, est lui-même bien plus praticable qu'on ne le pense J»lllet communément. Vers midi, j'ai rendu au capitaine du Siva sa visite. Son navire a été construit à Bantjar, petit port près Kambang sur la côte de Java ; il est très-propre et bien tenu ; mais son artillerie en canons de 6 est beaucoup trop pesante pour son échantillon, et en- combre entièrement les gaillards. Pour la navigation générale des Moluques, cet officier se sert des cartes de Norie, mais il a en outre des cartes particulières manuscrites et très-détaillées qui paraissent être fort anciennes. Sur les six heures du soir, je suis descendu à terre ; après avoir traversé le quartier chinois et fait un tour dans le bazar, j'ai poussé ma promenade solitaire jus- qu'au pont qui se trouve aux extrémités de la ville. Puis je suis revenu par Batou-Gadja. À cette heure de la journée, on jouit d'une fraîcheur délicieuse en parcourant ces belles routes. Partout, en effet, ce sont des allées charmantes, très-propres, bordées de jolies palissades, et des deux côtés régnent, tantôt d'immenses et sombres massifs de sagoutiers , tantôt d'élégantes colonnades d'aréquiers et de cocotiers , tantôt enfin de rians bocages de mangliers, mangous- tans , litchis, bilimbings, canaris, lanzas, papayers, bananiers, etc. La riche et brillante végétation de l'Orient se présente là dans tout son luxe, et les pen sées du voyageur se reportent naturellement aux contes des Mille et une Nuits : en voyant se réaliser 422 VOYAGE i8?8. pour lui des descriptions qui lui avaient paru presque Juillet. fantastiques, il s'attend à voir soudain paraître autour de lui les génies, les fées et les goules; en un mot, tous les êtres dont les noms se sont naturellement associés dans son imagination à cette nature étrangère et somptueuse. i3. J'étais convié avec les officiers de V Astrolabe à un dîner donné par le colonel Styman, où se trouvaient encore rassemblées toutes les personnes de considé- ration de la colonie. M. Paape me raconta que le douyong ci-dessus mentionné avait été pris dans une pêcherie voisine de son habitation à Hila. Ces ani- maux sont rares ; ils habitent les eaux de la mer sur la côte, et ne se réunissent point par troupes comme les phoques. Leur cri est une sorte de gémissement plaintif. M. Paape me parla en outre d'un poisson plat très-singulier : son corps est surmonté d'une énorme nageoire dorsale qui l'a fait appeler par les Malais ikan laer (poisson-voile), parce qu'il se sert en effet de cette nageoire comme d'une voile pour che- miner. Il nous a été impossible de soupçonner à quelle espèce d'animal pouvait se rapporter cette descrip- tion, attendu que M. Paape a déclaré qu'il ne voulait point parler du nautile qu'il connaissait très-bien. Comme à l'ordinaire, le ciel a été généralement chargé, et il y a eu de fréquentes averses. Cette mous- son se distingue évidemment de la suivante par une atmosphère plus épaisse, des pluies plus abondantes et une humidité bien^lus marquée. Cette réunion de circonstances contribue à rendre aussi la température 14. DE L'ASTROLABE. 423 du pays plus modérée de deux ou trois degrés du (M; thermomètre centigrade. Ul A huit heures du matin , je me suis rendu à une revue générale des troupes de la milice et de la gar- nison réunies sur la grande place d'Amboine. Tous ces hommes sont bien habillés et très-proprement pi. cxlix. tenus, et ils manœuvrent avec précision. Cependant il ne reste plus que quelques compagnies de troupes régulières, et tout le reste, à l'exception d'une quaran- taine d'Européens, ne se compose que de recrues du pays. Toute cette milice peut former un corps de six ou huit cents soldats. Toutefois je crois qu'elle ferait triste figure si elle avait à se mesurer contre des troupes européennes, françaises ou anglaises. J'étais invité, pour la soirée, à un bal magnifique donné par les autorités au gouverneur. Mais un ma- laise très-prononcé m'a empêché de m'y rendre; du reste, l'Astrolabe y a été très-dignement représentée par six ou sept personnes de son état-major. Pour moi, je préfère réserver le peu de forces qui me res- tent pour la relâche de Manado. Toutes nos dispositions sont faites, et nous serons 15. prêts à partir demain mercredi, jour fixé par M. Mer- kus, s'il est prêt lui-même. Cependant je ne serais point fâché qu'il retardât son voyage d'un jour ou deux, attendu que je suis affecté d'un gros rhume et d'un violent mal de gorge. Une lettre de M. Merkus m'annonce qu'il ne i&. pourra point mettre a la voile avant le 18, ce qui me donnera le temps de me débarrasser un peu de mon 424 VOYAGE 1828. rhume. En parcourant les feuilles du Courrier que le juillet. gouverneur m'a remises, je lis avec plaisir que les places d'intendans des ports sont supprimées. C'est un petit retour vers le bon sens, et un léger échec à cette funeste bureaucratie qui dévore les ressources de la marine, et s'oppose à la prospérité de ce corps. Quand viendra l'époque où une main ferme et patrio- tique en pourra faire justice complète, ainsi que de bien d'autres abus!... Le babiroussa de M. Lang a été embarqué et placé dans la cage qu'on lui a préparée. i7. MM. Styman, Paape et le résident de Saparoa , m'ont fait une visite à bord. Le dernier m'a raconté qu'on voyait souvent des douyongs sur la cote de Saparoa, et que la chair de cet animal avait un goût semblable à celle du veau. Dans l'après-midi, je suis allé moi-même faire mes visites d'adieu aux diverses autorités de la colonie. C'est ici le cas de rendre de nouveau témoignage de la franche hospitalité, de la cordialité et des poli- tesses de tout genre dont nous avons été l'objet de la part de toutes ces personnes. A quatre mille lieues de sa patrie , il est bien doux de rencontrer de pareils procédés, et ils se gravent dans la mémoire pour n'en jamais sortir J . ' Voyez note 5. DE L'ASTROLABE. 425 CHAPITRE XXXVII. IIÏAVERSEE I) AMUOINE A BATAVIA. 11ELACHE A MANADO ET A B\TAVIA. 182! Tout a été disposé pour l'appareillage; le calme nous a d'abord retenus; puis il est survenu de faibles lS J,,illet* brises d'O. et S. O. qui ne nous étaient pas plus favorables. Cependant le gouverneur s'était rendu à onze heures du matin sur le Bantjar, et une heure après ce navire a mis sous voiles , ainsi que le Siva. Quoi- que contre-cœur, à cause de la faiblesse et du peu d'énergie de l'équipage, je me suis décidé à suivre leur exemple. Après avoir louvoyé jusqu'à quatre heures et demie, une faible brise du N. au N. N. E. nous a enfin permis de sortir de la rade sur les neuf heures du soir. Le Bantjar, grâce à ses voiles de coton , nous gagne sensiblement de vitesse. Au moyen d'une faible brise de l'E. N. E. au S. E., 19. nous mettons le cap sur le détroit de Bourou. La mer est très-unie , et les côtes sont enveloppées par une brume épaisse. A raidi et demi, comme le Bantjar ne se trouvait plus qu'à une encablure de V Astrolabe, je fis mettre le bot à la mer, et j'envoyai quatre petits 42G VOYAGE 1828. pains frais à M. Merkus pour sa lable; c'était la Juillet. friandise la plus recherchée que je pouvais procurer à un Européen dans sa position, d'autant plus qu'il n'existe pas, dans toutes les Moluques, un boulanger qui sache faire de bon pain. A dix heures quarante-cinq minutes du soir, nous avions dépassé la pointe occidentale de Manipa, et nous gouvernâmes au N. N. O. pour le passage d'Oby. ao. Mais les calmes reviennent et nous retiennent long- temps à peu de dislance des hautes terres de Bourou. Durant la nuit, nous poursuivons notre route au ai. nord; et le 21, à neuf heures du matin, le ciel s'étant éclairci, nous reconnaissons visiblement les terres de Lissa-Matula et d'Oby-Major, qui laissent entre elles un spacieux canal de cinquante milles de lar- geur. Le Bantjar se trouvait alors dans l'E. '/4 N. E. , à cinq ou six milles de distance. Notre relâche à Manado avait eu d'autant plus d'attrait pour moi , qu'elle me mettait à même d'exé- cuter la dernière partie de mes instructions, celle qui se rapportait à l'exploration des Moluques. En quit- tant les îles Pelew, mon intention était de me diriger vers cet endroit pour en faire la géographie ; mais on a vu que les vents et les courans s'étaient opposés à ce projet, et la santé délabrée de l'équipage m'avait fait presque renoncer définitivement à ce travail. Le nouvel effort que je venais de tenter dans l'intérêt de l'histoire naturelle, me rappelant dans le passage des Moluques , je voulus utiliser notre traversée au DE L'ASTROLABE. 427 profit de la géographie, et M. Paris fut chargé de 18*8. tous les travaux hydrographiques à exécuter dans le Ju,llet détroit des Moluques, sur Célèbes et à Manado. Nous avons rangé , à quatre ou cinq lieues de dis- **. lance, les côtes d'Oby-Minor, Typa, Mandoli et Tawally. Dans le lointain , on distinguait les pitons élevés de Batchian et de Guilolo. Si j'avais été seul , j'aurais approché bien davantage de ces terres ; mais je tenais à conserver en vue le Bantjar, et le capi- taine de ce navire , qui se souciait très-peu de géogra- phie, aimait mieux se tenir à une distance raison- nable de la terre. Dans la soirée, nous passâmes à poupe du Bant- jar pour envoyer à M. Merkus sa ration de pain habituelle , et nous causâmes un moment ensemble. Je demandai au capitaine quelle serait sa route pour la nuit ; il me répondit le N. '/» O. ; mais il se trom- pait évidemment, car il suivit, comme moi, le N. N. O. pour se maintenir à une certaine distance de la côte. A huit heures dix minutes du matin, M. Jacquinot a3. observait des angles horaires à dix milles de la partie la plus occidentale de Tawally; puis nous fîmes route au N. O. pour rallier la partie septentrionale de Célèbes. Dès neuf heures du matin, nous apercevions les sommités de Matchian , Motir et Tidore par-dessus les îles Latta , à soixante et quatre-vingt milles de distance. Le Bantjar se maintient constamment à quatre 428 VOYAGE 1S2S. ou cinq milles devant nous, et paraît avoir à peu Juillet. pr£s ja même marche que V Astrolabe. Je crois cependant que nous le gagnerions de vitesse, si je pouvais mettre toutes les bonnettes dehors ; mais les manœuvres nécessaires pour les hisser et les amener suivant le temps seraient trop pénibles pour l'équi- page, et j'aime mieux retarder notre marche de trois ou quatre milles par jour. 34. Toute la matinée, malgré la pluie et la brume, nous avons continué de voir les sommets de Ternate et Tidore aux bornes de l'horizon. A onze heures, un grain de pluie nous a dérobé la vue du Bantjar, qui se trouvait à deux ou trois lieues de l'avant, et nous ne l'avons plus revu jusqu'à notre arrivée à Manado. A midi et demi, nous avons commencé à aper- cevoir Tifore; et au coucher du soleil, nous dis- tinguions facilement le mont Klobat de Célèbes sous la forme d'un cône fort régulier. Ainsi, quoique les sommets de Ternate et de Tidore soient éloignés de cent cinquante milles du mont Klobat , par un temps clair, on peut , au milieu du canal , apercevoir tous ces pitons à la fois. C'est un grand avantage pour la navigation de ce passage , et il faut ajouter qu'il n'existe aucun danger, aucun banc dans toute son étendue. 25. Nous poursuivons notre roule aussi vite que le permettent des brises faibles et très- variables. L'é- norme Klobat s'élève peu à peu au-dessus de l'ho- rizon, et les terres de Célèbes, ainsi que de l'île DE L'ASTROLABE. i29 Limbe, se découvrent successivement à nos regards , 182S. tandis que Tifore s'éloigne de nous. Juillet. Dans l'après-midi, une brise plus régulière du S. et du S. S. E. nous favorise, et nous rallions rapidement la pointe N. de Limbe pour donner ensuite dans le détroit de Banka. Mais en approchant de terre, nous trouvons des courans du S. O. si violens , que nous sommes obligés de serrer le vent jusqu'au O. 1jn S. O» pour ne pas être entraînés fort au loin du cap Coffin, pointe N. E. de Célèbes. A six et huit milles , dans l'E. N. E. du mont K lo- bât, sont deux pitons moins considérables qui portent le nom des Deux-Sœurs. A trois milles au N. E. du plus septentrional de ces deux pitons , on re- marque une troisième montagne plus évasée au som- met, et sur laquelle on aperçoit, du côté de TE., une immense cavité à bords aigus , déchirés et dénu- dés , qui annoncent évidemment un ancien cratère de volcan. Ce mont, que j'ai nommé le Volcan, termine Céièbes de ce côté. Il peut avoir environ cinq cents toises d'élévation , et la végétation s'arrête complètement aux deux tiers de sa hauteur, tandis qu'elle s'avance bien plus haut sur le Klobat, qui a une hauteur presque double. A mi-distance environ du sommet du volcan au rivage, dans la direction de l'est, est un petit monti- cule conique, tout noir, entièrement nu, et qui paraît être un cratère récemment éteint. La trace de la lave jusqu'au canal de Limbe est complètement brûlée et dépouillée; il ne serait pas impossible que 430 VOYAGE 182S. sur cet espace il existât encore quelque fumerolle. juillet. Toute cette partie de la côte a été bouleversée par l'action des volcans, et leurs efforts frappent d'autant plus les regards du voyageur, que tout le reste du sol de Célèbes jusqu'à Manado est revêtu de forêts immenses. C'est une contrée qui mérite d'être ex- plorée par un naturaliste , particulièrement sous le rapport géologique. Pour cela , ii devra se diriger sur Kema, où il se procurera facilement les moyens de se transporter par eau dans le canal de Limbe jus- qu'au pied du volcan , et à deux ou trois milles au plus de son sommet. Quant à nous, à six heures du soir, nous nous trouvions précisément à trois milles au nord de l'ile Limbe, et à huit milles dans l'E. N. E. du cap Coffin. Le temps était si beau, la brise si favorable et la lune si brillante , que j'avais grande envie de donner dans le canal de Banka durant la nuit. Mais cette navigation eût été complètement perdue pour la géographie ; je ne connaissais nullement ce passage, et les cartes que je possédais étaient trop inexactes pour leur accorder une grande confiance. Tout bien considéré, je me. décidai à passer la nuit aux petits bords dans cette position. ao. Dès cinq heures, nous laissâmes porter sur le cap Coffin, et, à neuf heures, nous le rangions à un demi- mille de distance au plus. C'est un morne écarri, boisé et médiocrement élevé. Puis nous cinglâmes le long du détroit de Banka, bordé dans le sud par la côte de Célèbes, et au nord par les îles Banka, Ganga, Salice et Kabroukan. DE L'ASTHOIABE. 43 1 Vers midi, nous passions devant le petit village de 1828. Likoupang, où nous vîmes flotter le pavillon hollan- Ju|Ilet- dais; quelques individus s'embarquèrent dans une pirogue comme pour venir nous reconnaître ; mais voyant que je ne jugeais pas à propos de les attendre, ils retournèrent bientôt à lerre. Toutes les îles du détroit de Banka sont boisées et paraissent inhabitées. Les pitons majestueux du Klo- bat et des Deux-Sœurs dominent toute cette partie de Célèbes, qui est en général agréablement diver- sifiée, et composée de vallons et de montagnes peu élevées. Dans le détroit, la mer est aussi calme que dans un bassin. En passant à un mille au sud de Ganga, sur la pointe d'un banc, la sonde nous donna successive- ment 15, 9, 10, 10 et 14 brasses, fond de gravier, puis un instant après elle ne trouva pas le fond à seize brasses. A deux heures, nous doublions à deux ou trois cents brasses de distance le cap nord de Célèbes, et les îles Nain, Mantrau, Siandian et Bou- nakin se découvraient à nos yeux, ainsi que le cône *le Toua-Manado. Poussés par une jolie brise d'E. et de N. E., nous prolongeâmes à une demi-lieue au large l'agréable côte de Célèbes, et, à quatre heures, nous approchions déjà de la pointe nord de la baie de Manado, quand des courans très-rapides, accompagnés de remoux et de tourbillons, vinrent arrêter notre aire. Pour comble d'infortune, à six heures, la brise cessa, ce qui nous livra à la merci du courant. A sept heures, une faible 432 VOYAGE i828. brise du S. E. s'est rétablie, et nous avons couru de juillet. pénibles bordées dans la baie pour gagner le mouil- lage. Heureusement, vers onze heures du soir, une pe- tite pirogue nous accosta : elle nous amenait deux personnes , MM. Barbier et Martin. Le premier a été enseigne de vaisseau dans la marine française, et a fait la campagne de la Sémillante dans l'Inde ; mais il fut renvoyé en 1815 pour cause d'opinion. Aujour- d'hui il commande une petite goélette nommée le Lu- cifer, sur laquelle il fait le commerce dans les Molu- ques. M. Barbier s'est offert très-obligeamment à me servir de pilote pour me guider au mouillage, ce qui m'a été fort utile sur une rade que je ne connaissais point, et où l'on ne trouve de fond par soixante et quatre-vingts brasses qu'à une demi-encâblure du rivage. Il a fallu louvoyer toute la nuit, ce qui a été très- a7. pénible pour notre équipage épuisé. Enfin, à cinq heures dix minutes du matin, nous avons laissé tom- ber l'ancre de bâbord par soixante-dix brasses, et nous avons porté trois grelins sur le Lucifer; puis nous avons travaillé à nous mettre à poste. A huit heures et demie du matin, nous nous trouvions défi- nitivement tenus de l'avant avec une ancre de poste mouillée par cinquante brasses de fond et quatre- vingts brasses de grande touée, et derrière avec le grelin de gomotou et une ancre à jet mouillée sur huit ou dix pieds d'eau. Cette position, dans laquelle il suffisait d'une rafale de l'ouest pour nous jeter à la DE L'ASTROLABE. 433 côte, ne laissait pas que de me causer certaines in- 18*8. quiétudes; mais M. Barbier m'assura qu'on n'avait Juillet, jamais de vents d'ouest violens, particulièrement dans cette saison. Quoique brisé par la fatigue, je me suis empressé de descendre à terre avec MM, Quoy et Gaimard, afin de m'assurer si le gouverneur persistait dans ses intentions bienveillantes pour l'expédition. En pas- sant, je ferai remarque]' qu'à Manado, comme à Bou- rou , le débarquement à marée basse est fort désa- gréable, attendu que le canot est obligé de s'arrêter à près de soixante pas de la grève, et qu'il faut faire tout ce trajet dans l'eau ou sur les épaules des ma- telots. La résidence est accompagnée d'un fort bien re- pi. ccvi. tranché, et muni de plusieurs pièces de canon en bon état. La maison est elle-même vaste, aérée, bien meu- blée, dans une situation agréable, où la vue domine la rade entière. Le gouverneur et le résident, M. Pie- termat, nous accueillirent avec cordialité, et nous con- duisirent sur-le-champ vers les deux babiroussas qui pi. ccxvi. étaient beaux et bien porlans. Nous vîmes en outre plusieurs chevaux, buflles, cerfs, et autres animaux appartenant au résident. M. Merkus m'a renouvelé toutes ses offres de ser- vice, et m'a assuré qu'il avait déjà donné les ordres nécessaires pour que les naturels fussent occupés à nous procurer tous les animaux, serpens, oiseaux, poissons, plantes, etc., que le pays pouvait fournir et qui pouvaient avoir quelque intérêt pour nous. Il TOME V. 28 434 VOYAGE 1828. Juillet. m'a parlé, en outre, d'un lac célèbre dans le pays, si- tué fort avant dans l'intérieur et dont la profondeur était immense. M. Arago, avant mon départ, m'avait affirmé à diverses reprises que rien ne serait plus intéressant pour la physique que d'avoir des expé- riences de température exécutées à de grandes pro- fondeurs dans de vastes réservoirs d'eau douce. Alors je croyais encore que ce savant me saurait quelque gré de mes efforts ; et, malgré l'état délabré de ma santé , je me sentais le courage et la volonté de faire un voyage pénible pour offrir d'utiles do- cumens à ses études. J'exprimai donc à M. Merkus combien des expériences de thermomélrographe , faites dans le lac de Tondano , seraient importan- DE LASTROLA.BE. 435 tes, et je m'informai en même temps des frais que i8a8. pourrait oecasioner une pareille excursion, afin de Jiullet connaître s'ils ne dépasseraient pas mes faibles moyens. Avec la plus aimable complaisance, il s'em- pressa de déclarer qu'il voulait se charger lui-même de me servir de guide dans cette promenade, et que je n'eusse à m'inquiéter en aucune façon des frais ni des moyens de transport, attendu qu'il se chargerait de tout , voulant me laisser tout entier à mes observations. Après lui avoir témoigné ma re- connaissance pour un procédé si généreux, je con- vins avec M. Merkus que le voyage aurait lieu le sur- lendemain 29 juillet. Il promit de s'occuper sur-le- champ des préparatifs de cette expédition. Au premier abord, j'ai été frappé d'étonnement en voyant combien le caractère de figure, la tournure et l'extérieur des habitans de Célèbes près Manado, rap- prochaient bien plus ces hommes des Polynésiens que des Malais. Leur teint est plus clair, leur visage plus arrondi, et leur corpulence plus marquée que dans la famille malaise proprement dite. En un mot, il me semblait retrouver parmi eux plusieurs de ces figures que j'avais déjà observées à Taïti, a Tonga-Tabou ou à la Nouvelle-Zélande, tandis que je ne retrouvais aucun rapport, ni avec les Papous de Doreï, ni avec les Harfours de Bourou, ni même avec les faces équar- ries et osseuses des Malais. M. Merkus m'a assuré que ce peuple était doux, paisible et très-dévoué aux Hollandais. Dans cette partie de l'île, les naturels sont divisés en petites tribus qui reconnaissent dif- 28* 430 VOYAGE 1828. férens chefs, qui parlent souvent des langues diverses, juillet. et sont ou chrétiennes ou idolâtres. M. Merkus m'a appris qu'à peu de distance de Kema, il existait des mines d'or exploitées par les na- turels, qui sont obligés d'en fournir une quantité dé- terminée au gouvernement à raison de seize florins l'once, tandis qu'ils livrent le reste au commerce pour trente et trente-deux florins. M. Pietermat nous mon- tra divers échantillons de cet or, tant à l'état de mi- nerai plus ou moins riche, qu'en poudre, obtenue par les naturels au moyen du simple procédé du marte- lage et du lavage. M. Merkus eut même la complai- sance de me céder un morceau de minerai, dont la base est un bloc de quartz parsemé de veines ter- reuses où l'or se trouve disséminé en paillettes bril- lantes. M. Pietermat a écrit aux chefs de Likoupang et de Kema, pour les inviter à faire chasser des bahirous- sas et des sapi-outangs, et il m'a communiqué leurs réponses qu'il a déjà reçues. Ces chefs protestent de leur parfait dévouement aux ordres du gouverneur, et de l'empressement qu'ils vont apporter à satisfaire ses moindres désirs. J'ai dîné à la résidence avec M. Jacquinot. A mon retour à bord, vers onze heures du soir, on m'a appris que Fabry, l'un de nos dissentériques, avait expiré une heure auparavant. Depuis quelques jours , ce malheureux était à l'extrémité, et cet événement ne m'a point surpris. ag, A mon grand regret, il s'est élevé une brise d'ouest DE L'ASTROLABE. 4 37 assez fraîche qui a amené dans la rade une grosse 1828. houle et une pluie continuelle. Ce vent pousse Far- T'wlW- rière du navire à très-peu de distance du banc, et il suffirait que l'ancre du large chassât tant soit peu pour nous jeter à la côte. Aussi je me déterminai à laisser tomber une seconde ancre avec la grosse chaîne en fer par trente-trois brasses pour reculer ce désas- treux moment. Fabry a été inhumé clans l'après-midi; M. Paris et une dizaine d'hommes de l'équipage ont accompagné son corps jusqu'au tombeau. Le vent d'ouest persistant, j'écris au gouverneur, afin de le prévenir que, si ce temps continue le jour suivant , il me sera impossible de quitter le navire pour l'accompagner à Tondano. M. Merkus répond fort obligeamment qu'il regretterait vivement que le voyage ne pût avoir lieu le lendemain même, attendu que toutes les mesures étaient prises et les ordres donnés sur la route ; mais que si les circonstances l'exigeaient, il le remettrait au surlendemain, car il tenait beaucoup à ce que je fisse cette course. Heureusement, au coucher du soleil, le vent tomba, et durant le reste de la nuit le temps. acheva de s'em- bellir tout-à-fait. Après avoir laissé mes recommandations à M. Jac- quinot pour ce qu'il avait à faire durant mon absence, et avoir spécialement chargé M. Paris de lever le plan de la rade de Manado, à six heures du matin, je me rendis à la résidence, accompagné de MM. Quoy, Gaimard, Guilbert et Sainson. MM. Merkus et. Pie- 29. 438 VOYAGE i»»8. termat nous attendaient, et faisaient expédier en avant juillet. je bagage} ies vivres et les objets nécessaires pour le voyage. Déjà le kapala-balak , ou chef de Kema, venait d'envoyer au gouverneur un beau sapi-outang que ses gens avaient tué à la chasse. Cet animal , de la grosseur d'une petite vache, en a le museau, les pat- tes et l'aspect général , avec deux cornes épaisses et légèrement rabattues sur l'arrière. Cette ressem- blance l'a fait nommer par les Malais sapi-outang, de sapi vache, et outang des bois. Son poids est de deux à trois cents livres, et son obésité est très-remarqua- ble, surtout pour le genre des antilopes, dans lequel il a été rangé sous le nom ftantilopa depressicornis. J'ai remercié M. Merkus de cette importante acqui- sition, et j'ai donné l'ordre aux canotiers de trans- porter sur-le-champ cet animal à bord pour qu'on pût s'occuper de sa préparation. Une population considérable emplissait les cours de la résidence, les uns empressés d'offrir leurs ser- vices, le plus grand nombre sans doute attirés par la curiosité et le désir de voir ces étrangers qui n'a- vaient jamais paru dans leur île, et pour lesquels leur chef souverain , le gouverneur , déployait tant d'é- gards. J'aimais à considérer toutes ces figures, et à y démêler la plupart des traits que j'avais déjà obser- vés dans les diverses peuplades de la Polynésie, sur- tout à Taïti et à Tonga. Combien j'aurais désiré con- naître leur langue, afin de pouvoir les questionner, et obtenir d'eux une foule de renseignemens tou- DE L'ASTROLABE. 439 chant leurs usages, leurs opinions et leurs tradi- 1828. tions!... jHillet- Les chefs faisaient tous leurs efforts pour établir quelque ordre au milieu de celle foule. Ayant observé cependant que nos paquets et nos bagages étaient en- levés comme à l'assaut par des hommes qu'il était impossible de reconnaître, je témoignai à M. Pieler- mat quelque inquiétude sur leur sûrelé; il me ré- pondit qu'à cet égard je ne devais pas avoir la plus légère crainte, attendu qu'aucun naturel n'oserait se permettre de soustraire la plus mince bagatelle des objets qui leur étaient confiés. Ce serait un fait inouï, et qui ne pourrait point d'ailleurs échapper à la sur- veillance des chefs. * MM. Merkus, Pietermat, Guilbert et moi, nous montâmes sur de petits chevaux pleins de feu et d'une allure fort douce, accompagnés de plusieurs domes- tiques à cheval , et suivis par une foule considérable qui nous tenait lieu de cortège. MM. Quoy, Gai- mard, et un capitaine hollandais nommé Rumboldt, avaient préféré faire le voyage en palanquin, sorte de chaise à bras portée sur les épaules de quinze ou vingt hommes qui se relayaient de demi-heure en demi-heure, et qui cheminaient d'un pas très-rapide. Nous traversâmes d'abord la ville de Manado, per- cée de rues larges, bien alignées, et bordées de jolies palissades de sagoutier. Les maisons sont vastes, bien construites , bâties en bois , et exhaussées sur des pieux solides à douze ou quinze pieds au-dessus du sol; cette dernière circonstance leur imprime un ca- 4*0 VOYAGE i8î<8. ractère de grandeur et de simplicité bizarre tout-à- Juiilet. fajt étrange aux yeux de l'Européen. D'énormes esca- liers en bois massif, saillans en dehors de la maison et recouverts par un toit , donnent accès dans les appartenons. La campagne ne nous offre que très-peu de terres défrichées et cultivées ; mais la route, large et com- mode, bien qu'elle ne soit terminée que depuis quatre ou cinq ans, traverse d'immenses forêts. Nous fran- chissons de rapides lorrens encaissés dans des ravins très-profonds; les ponts en bois jetés sur leur lit sont abrités par des toitures bien entretenues , ce qui de loin leur donne l'aspect de ponts chinois. Souvent nous laissons nos chevaux se livrer à toute leur ardeur, et leur galop léger nous entraîne rapidement au travers de cette nature riche et sau- vage. D'autres fois M. Merkus et moi nous les ra- menons à une allure plus modérée, et nous causons paisiblement sur divers sujets de politique , de litté- rature, d'arts ou de sciences ; et je fais la réflexion que c'est probablement la première fois que de pa- reils sujets ont été traités sur cette partie du globe. La beauté du ciel , l'air frais du matin et les cris de joie des naturels, semblaient donner à notre cara- vane l'aspect d'une marche triomphale. Notre première halte a lieu à huit heures et demie à Tawangan, beau village éloigné de cinq milles de Manado, et situé dans le district de Daris, dont le kapala-balak fait partie de notre suite. Les principaux habitans viennent nous souhaiter la bien-venue aux DE L'ASTROLABE. 441 portes du village. Nous montons chez le hokhoum ou 1828. chef de la justice, où nous trouvons un fort bon dé- Jmllet- jeûner préparé par les soins du kapala-balak. Stimulés par la course que nous venons de faire et par l'air frais et piquant du matin, nous y faisons tous hon- neur. Je me régale surtout avec des poissons déli- cieux et de superbes chevrettes de rivière ; cependant il ne manquait pas d'autres mets, entre autres de vo- lailles bouillies ou rôties. Nous remontons à cheval et nous galopons sur un terrain inégal, mais qui s'élève assez régulièrement; et le Klobat, avec son immense piton, commence à fuir derrière nous, à mesure que nous cheminons vers le sud. A dix heures, nous traversons Passan-Gou- lang, petit village tout neuf sur la limite du district de Tondano-Touliang. Une table servie nous attendait encore en cet endroit, mais nous ne nous arrêtâmes que deux ou trois minutes pour boire quelques verres d'eau de coco, puis nous poussâmes jusqu'à un demi- mille plus loin, au petit village de Paoun-Nereng, situé sur le district deTondano-Touli-Mambot. Celte fois le repas était préparé dans un petit pavillon au rez-de-chaussée. Ce fut aussi le premier endroit où les naturels , au nombre de vingt ou trente, habillés de toile blanche, et rangés des deux côtés de la route sur une file, nous reçurent en figurant diverses évolu- tions et combats avec des sabres et des boucliers en bois peint. Bien que le terrain avoisinant, dont une partie est défrichée, paraisse susceptible des plus riches pro- 412 VOYAGE 1828. duits, la population de ces deux derniers villages est juillet. peu considérable, les maisons sont petites et annon- cent peu d'aisance. Au reste, ce fut le seul endroit où nous eûmes la société des principales femmes du pays. M. Pietermat nous les présenta au nombre de dix ou douze. Quoiqu'elles fussent jeunes et assez bien costumées, pas une d'entre elles n'était agréable. Comme si elles eussent été plus maltraitées par la nature que les hommes , leurs traits n'exprimaient guère que la stupidité. Une bouche très-éloignée des narines, un nez court et épaté, des yeux sans aucune expression et très-distans l'un de l'autre, une face aplatie et souvent comprimée du haut en bas : voilà ce qu'on remarquait dans ces pauvres créatures ; or, l'on sait qu'en général, au moins d'après Lavater, ce sont là des indices d'une intelligence très-bornée. Je fis part de mon observation à M. Merkus, qui m'assura que ces femmes sont pour la plupart slu- pides, sales et dégoûtantes. Chaque homme prend autant de femmes qu'il peut en nourrir, et elles sont employées à la culture des champs et à lous les ou- vrages pénibles. Les chrétiens cependant n'ont qu'une seule femme; et, parmi les idolâtres, il n'y a guère que les hommes riches qui en prennent plusieurs. Ces hommes n'ont ni temples, ni idoles, ni prêtres, ni culte proprement dit. Leur religion semble se ré- duire à une espèce de manichéisme comme celui des habitans de Tonga-Tabou; ils croient à des esprits malfaisans auxquels ils adressent des vœux, et en l'honneur desquels ils s'imposent des privations ana- DE L'ASTROLABE. 443 logues au tapou des Polynésiens. En un mot, leurs 1828. empongs ont beaucoup de rapport avec les aloaas de J"1,|et- la Nouvelle-Zélande ou les holouas de Tonga. Les principales fonctions des prêtres consistent dans la divination par le chant et le vol des oiseaux, l'aspect des entrailles palpitantes, etc. ; quelquefois ils plon- gent leur tète entière dans le ventre fumant de la vic- time, puis ils prophétisent, le visage tout barbouillé de sang. Ces prophéties sont d'ordinaire énoncées dans une espèce de langage poétique et cadencé. Étonnant rapport avec ce qui se pratiquait jadis chez les Grecs et les Romains!... Dès avant la conquête, les différentes tribus qui habitent cette partie de Célèbes formaient la fédéra- tion de Manado; dans toutes les affaires de quelque importance, les chefs se réunissaient pour discuter en commun les affaires publiques. Après avoir sub- jugué ces peuples, les Hollandais les laissèrent suivre paisiblement leurs lois et leurs coutumes; seulement ils assujettirent la nomination des principaux chefs ou kapala-balaks à la sanction du gouverneur des Moluques qui peut aussi les destituer; les kapala-ba- laks nomment les hokkoums ou chefs de village avec l'approbation du résident. Aucun de ces emplois n'est héréditaire. Les kapala-balaks eux-mêmes sont sous la discipline immédiate du résident qui les met en prison chez lui au moindre sujet de mécontentement. Aussi rien n'approche de la soumission que ces hom- mes faibles et timides témoignent pour tout Hollan- dais investi de la moindre parcelle d'autorité. Quand 444 VOYAGE 1828. le résident veut faire passer quelque ordre à un chef, Juillet. ji charge un de ses pions de porter sa canne avec Tordre verbal ou par écrit : à la vue seule de ce signe redoutable de l'autorité , le pauvre insulaire s'em- presse d'obéir, comme s'il était en présence même du superbe Européen. Quoique ces hommes soient très- paresseux, et que leur principal bonheur, comme celui des lazzaroni de Naples , consiste à ne rien faire quand ils sont une fois rassasiés, l'influence des Hollandais a obtenu d'eux de cultiver le riz et le café, dont ils fournissent annuellement une cer- taine quantité à la Compagnie à un taux fixé par elle. MM. Merkus et Pietermat me racontaient ce fait comme un des plus beaux résultais de la conquête. Je les écoutais en silence, mais je pensais en moi- même qu'il avait fallu sans doute bien des violences et bien des vexations pour contraindre ces insulaires à un travail réglé, et je ne pensais pas qu'il y eût beau- coup de profit pour ceux-ci à cultiver des produits dont leurs vainqueurs s'étaient arrogé le monopole. Ces réflexions me prouvaient que là aussi quelques individus abusaient de leur supériorité pour s'appro- prier les fruits des sueurs et des fatigues de plusieurs milliers de leurs semblables. C'est, il est vrai, la triste histoire du genre humain sur presque tous les points du globe; mais l'homme qui a une ame s'afflige tou- jours d'en rencontrer des preuves nouvelles. A Paoun-Nereng nous étions à dix milles de Ma- nado et à mi-chemin environ de ce dernier lieu au but de notre voyage. Peu après avoir quitté Paoun-Ne- DE L' ASTROLABE. 44.'> reng , nous entrâmes dans d'épaisses et sombres forêts 1828. que la main de l'homme n'a touchées que pour y JmUet- frayer la largeur de la roule. Les arbres gigantesques qui peuplent ces forets, les arbrisseaux, et les plantes plus faibles qui croissent sous leur ombrage , me rappelaient parfaitement la végétation de la Nouvelle- Guinée; il ne parait pas qu'il existe de différence no- table entre Célèbes et cette contrée, soit pour les pro- ductions du sol, soit pour la température, soit même pour les oiseaux. Ceux-ci seulement m'ont semblé plus rares et moins variés dans leurs espèces qu'à la Nouvelle-Guinée, tandis qu'au contraire les mammi- fères offrent déjà près de Manado de grandes races qui paraissent être étrangères aux terres des Papous, comme le babiroussa et le sapi-outang. Outre le palmier-sagouer ou gomotou [saguerus gomutus Rumph.) d'Amboine, ces forêts produisent en abondance un superbe palmier épineux seulement au sommet et aux aisselles des feuilles. Il ressemble beaucoup au sagoutier, mais son tronc, haut de trente à quarante pieds, est nu, lisse, très-droit, et sur- monté par une belle touffe de feuilles comme le dat- tier. On remarque encore un bel aréquier, dont la cime élancée atteint souvent soixante et quatre-vingts pieds d'élévation, et ressemble singulièrement à celle du cocotier. Le lingoa ou pterocarpus se rencontre à chaque pas , ainsi que le varingni, arbre sacré des Javans. C'est, je pense, la même espèce défaits que celle dont nous avons signalé un individu mons- trueux à Tonga-Tabou , où il est aussi l'objet d'une IM VOYAGE 1828. sorte de culte de la part des habitans. Je n'ai point Juillet. observé de yati ou tek [tectona grandis). La constitution géologique de cette contrée offre généralement un trachyte ou basalte en décomposi- tion, récouvert d'une couche de terre végétale dont l'épaisseur s'élève quelquefois à quinze ou vingt pieds, comme j'en ai pu juger par les tranchées faites le long de la route en certains points. Rarement à la surface le sol est pierreux, et jamais sablonneux. A mesure que nous avançons, les ravins que nous traversons deviennent de plus en plus creux ou en- caissés. Il s'en présente un dont la pente est si ra- pide, que nous sommes tous obligés de mettre pied à terre; au fond, l'impétueux torrent du Manado roule avec fracas ses eaux qui bouillonnent à travers les pi. ccvnr. blocs de pierre dont son lit est semé. Un beau pont, couvert d'un toit et garni de banquettes, conduit à l'autre rive ; comme nous étions en tète de la cara- vane, nous nous assîmes quelques minutes pour l'at- tendre. C'était un spectacle curieux de voir les hom- mes à cheval, les palanquins et les nombreux insu- laires qui nous escortaient , descendre le long de la pente escarpée et sinueuse de la montagne. Au même instant, à la suite d'une pluie légère dont les gouttes liquides venaient de faire briller d'un nouvel éclat les feuilles naturellement lustrées des plantes, un rayon du soleil, furtivement échappé d'un nuage, éta- lait les couleurs variées de l'arc-en-ciel sur un coin du vallon; tandis que le nuage dans sa fuite envelop- pait encore le reste du paysage d'un voile vaporeux. DE L'ASTROLABE. 4 47 182S. Tout cela à Célèbes, dans une île que l'Europe con- naît à peine de nom, et sur laquelle on ne possède JuiHef. que des données vagues et incertaines ! et l'on se fera une idée des réflexions qui venaient alors se pré- senter en foule à mon imagination , et de celles qui se réveillent dans ma mémoire , aujourd'hui même que je décris ces circonstances de ma longue cara- vane sur V Astrolabe. Quand nous eûmes gravi la côte qui domine l'autre côté du Manado , nous nous trouvâmes enfin dans le fertile et beau plateau de Tondano. Là nous traver- sâmes d'immenses rizières , et nous jouîmes d'une température sensiblement plus modérée que celle de la plaine. C'est encore une de ces sensations déli- cieuses réservées à ceux qui visitent les régions équa- toriales, que cette fraîcheur agréable qu'on respire tout-à-coup à une certaine hauteur au-dessus du niveau de la mer, et que l'on peut se procurer souvent en moins de deux heures de temps. Bientôt nous entrâmes dans le beau village de Tonsea-Lama , où je remarquai des tombeaux en pi. ccii. blocs de basalte couverts de figures hiéroglyphiques; malheureusement nous ne fîmes que traverser au galop cet endroit que j'eusse désiré visiter plus en détail. Nous y passâmes de nouveau le Manado, qui est déjà un torrent considérable , bien qu'il sorte â peine du lac de Tondano où il prend naissance. A un demi-mille de la route, on nous fit voir une cascade superbe formée par ses eaux. Là le Ma- nado, jusqu'alors libre dans son cours, est tout-à- 448 VOYAGE i8a8. coup barré par une roche de basalte qu'il a fini par Juillet. percer; le volume entier de ses eaux s'introduit péni- blement par cette issue, et s'élance avec violence, sous la (orme d'une gerbe immense qui s'épanouit, en tombant de plus de quatre-vingts pieds de hauteur pi. ccxj. dans une espèce d'abîme creusé par la nature. Les rochers voisins, les monts d'alentour répèlent le bruit que produit , dans sa chute , cette immense colonne d'eau : il en résultait un grondement sourd et conti- nuel que je ne pouvais distinguer de celui du tonnerre qui se faisait entendre précisément en ce moment, et nous menaçait d'un prochain orage. Penché sur le bord du précipice , je contemplais avec un sentiment inexprimable de plaisir mélanco- lique le mouvement perpétuel et monotone des ondes, leur bruyant fracas, et leur bouillonnement confus au fond de l'abîme creusé pour les recevoir. Les parois de celui-ci étaient formées par des roches noir- cies et dépouillées vers leur base , mais revêtues , dans leur partie supérieure , d'un tapis verdoyant de vingt fougères diverses. M. Merkus me fit remar- quer de jolies salanganes l qui voltigeaient au travers des ondes écumantes et dans les anfractuosilés du précipice. Leur corps d'un bleu satiné en dessous, leurs ailes d'un bleu chatoyant et presque métalli- que, surtout leur extrême légèreté et leur petitesse, donnaient à ces oiseaux une grande ressemblance « On sait que les salanganes sont les oiseaux qui bâtissent ces nids succu- lens tant estimés des Chinois , et connus vulgairement sous le nom de nids d'hirondelles. DE L'ASTROLABE. 449 avec quelques-uns des beaux et brillans papillons r&a». propres à ces mêmes contrées. • Juillet. Par les soins d'un des derniers résidens , un petit pavillon en écorce et en baguettes de sagoutier a été élevé sur le bord du précipice, et offre au voyageur une station commode pour contempler tout à son aise la cascade et ses divers accidens. Tout entier à cet imposant et magnifique spectacle, je trouvais que les instans passaient trop vite à mon gré; mais M. Mer- kus me fit remarquer l'orage qui s'approchait, et m'engagea à remonter sur-le-champ à cheval. Nous galopâmes ensuite avec rapidité le long de belles plantations de café ; nous traversâmes de nouveau Tonsea-Lama, et nous eûmes bientôt franchi le court intervalle qui sépare celte place de Tondano. Comme on l'observe à l'approche des grandes villes de l'Europe , près de Tondano, la route s'élar- git, les plantations et les habitations, devenues plus considérables , annoncent plus d'opulence de la part des habitans. Un corps nombreux de Kapala-Balaks et de Hokkoums vint nous recevoir en dehors de la ville. Nous défilâmes entre deux haies de guerriers pi. ccxir, armés de sabres et de boucliers de bois; puis nous entrâmes dans la ville dont j'admirai la propreté, les maisons vastes et solides , et la nombreuse population , augmentée sans doute par l'affluence des curieux accourus des villages voisins , afin de voir les étran- gers et le gouverneur, qui , pour eux , est une sorte de demi-dieu sur terre. Enfin nous descendîmes de cheval devant la mai- TOME V. 2C) 460 VOYAGE isis. son du gouvernement, agréablement située sur une juillet. petite- île qu'entourent deux bras du Manado , ce pi. eexm. qui en fait une espèce de forteresse. Cet édifice , comme tous ceux du pays, est entièrement bâti en bois, sur d'énormes pieux qui permettent de circuler au-dessous ; mais il est commode, bien tenu, et blan- chi à la chaux extérieurement. Il est confié aux soins d'un ancien employé de la Compagnie, pensionnaire du gouvernement; cet homme, nommé Constance, s'est marié à une femme du pays, et passe paisible- ment, avec sa famille, ses jours à Tondano qui est devenu sa patrie. Le gouverneur m'installa dans une des chambres, et en prit une autre pour lui. MM. Quoy et Gaimard eurent la troisième, et la quatrième fut occupée par MM. Guilbert et Sainson. MM. Pietermat et Rum- boldt allèrent se loger chez le kapala balak. Tous les chefs et les principaux habitans de Tondano accou- rurent pour nous présenter leurs devoirs ; chacun d'eux venait tour à tour nous toucher la main en sinclinant , puis avalait un verre d'arak et se relirait gravement. Celte importante formalité terminée, nous restâmes enfin maîtres de nous-mêmes. Du reste, je ne me sen- tais point fatigué, et je n'aurais eu qu'à me féliciter de ma promenade, si je n'avais échangé, vers le milieu de la route, le cheval que j'avais d'abord monté pour en prendre un plus vif; sans doute celui-ci se mettait plus volontiers au galop, mais quand il n'allait qu'au grand trot, son pas élait si dur, qu'il me fit éprouver DE L'ASTROLABE. -ï 5 1 l'inconvénient ordinaire aux personnes peu aceou- i8a8. tumées à monter à cheval. Juillet. Toutefois, comme nous ne devions dîner qu'à six heures, et que j'étais impatient de prendre une idée du lac et de sa profondeur, je proposai une excursion aquatique au gouverneur qui l'accepta. Nous nous embarquâmes dans de petites pirogues, qui se compo- saient chacune d'un tronc d'arbre creusé intérieure- ment. Déjà nous étions en roule, quand la pluie com- mença à tomber avec violence, et nous força de repa- gner notre gite. Toute la soirée le ciel resta couvert, et il tomba des grains par intervalles, de sorte qu'il fallut renoncer à toute idée d'excursion. Au reste, toujours aimable et empressé de nous être utile, M. Merkus avait donné des ordres aux habitans pour qu'on eût à nous apporter tous les objets d'histoire naturelle que nous pouvions désirer, tels que poissons, co- quilles, insectes, oiseaux, serpens, etc., et la nuit n'était pas arrivée que MM. Quoy et Gaimard étaient déjà encombrés de matériaux à étudier et à préparer. A sept heures, nous nous réunîmes autour d'une table copieusement servie, et à laquelle nous fîmes tous parfaitement honneur. Je distinguai surtout de petits canards du lac d'une chair exquise, de bons poissons, de belles chevrettes d'eau douce, et des choux-palmistes d'un excellent goût. Un sommeil pai- sible couronna dignement celte agréable journée, et fît disparaître le peu de fatigue qu'elle avait pu occa- sioner à quelques-uns d'enlre nous. Lorsque je me levai à six heures du malin, le ther- Zo. *9* 452 VOYAGE {««s. raomètre ne marquait que 19° 9; aussi l'impression juillet. jg iVaîcheur qui en résultait était-elle assez piquante pour nos corps, habitués depuis près de six mois à des chaleurs constantes de 28 à 30°, le jour comme la nuit. Après avoir pris une lasse de café, je m'embarquai pi. dans une pirogue un peu plus grande que les autres, ccxxxiv. ei pourvue d'un tendelet en feuilles de cocotier. Ces pirogues ont le fond presque plat, ce qui les rend très-volages; en outre, MM. Gaimard, Sainson, Rum- boldt et le kapaîa-balak de Tondano se trouvaient avec moi sur l'arrière, de sorte que j'avais peu de fa- cilités pour y manœuvrer les lignes de sonde, le cy- lindre en fonte et les inslrumens nécessaires à mes expériences. Heureusement, pour courir plus à leur aise sur le gibier, MM. Merkus et Guilbert avaient pris chacun de leur côté une petite pirogue. En avant du lac et près de la ville, règne d'abord un espace où l'eau peu profonde n'offre qu'un maré- cage couvert de cypéracées et de hautes graminées du genre arando ou saccharum; eà et là on voit bril- ler les cloches éclatantes d'un beau convolvalus ou les épis purpurins d'un poh/gonum. Après avoir fran- chi ce marais, on se trouve à l'entrée d'un bassin ma- gnifique, parfaitement dégagé dans toute son étendue, et qui n'a pas moins de cinq ou six milles du JX. N. O. au S» S. E., sur deux milles de largeur moyenne. De toutes parts, excepté du coté de Tondano, ses rives, qui sont bien dessinées et quelquefois un peu acores , sont dominées par une chaîne régulière de DE L'ASTROLABE. 4 53 montagnes de cent à cent cinquante toises de hau- i«a«. leur; celles du sud sont volcaniques, ret renferment J'""et- même quelques fumerolles en activité. Cette circons- tance, jointe à la nature et à la disposition des mon- tagnes qui l'entourent aussi régulièrement ,~paraît annoncer que cette grande cavité n'est que le cratère éteint d'un de ces nombreux volcans qui ont boule- versé, ou plutôt qui ont formé la charpente de toute la partie septentrionale de Célèbes. Cinq ou six villages sont dispersés sur les bords de ce lac; sa surface est sillonnée par de nombreuses pirogues de pêcheurs, car ses eaux nourrissent du poisson en abondance. Les oiseaux qui le fréquentent PL ccxvjil. sont des canards, des poules sultanes, des poules d'eau, et surtout des légions de hérons blancs, noirs et gris. Dans toute la partie du nord, près Tondano, le lac n'a pas plus de trois ou quatre brasses de profondeur, puis elle augmente graduellement jusqu'à un mille des bords, vers un endroit que les naturels m'indiquaient comme la mère, l'origine première du lac. Car une vieille tradition conservée dans le pays veut que ce soit de ce point que les eaux du lac jaillirent pour la première fois; aujourd'hui même on y remarque un certain bouillonnement, comme dans les fontaines où l'on voit l'eau sourdre du sein de la terre*. Là j'envoyai le plomb de sonde plusieurs fois, et. ii tomba constamment par saccades de neuf à treize brasses, comme si le fond eût été très-inégal, et même crevassé dans cet endroit. Du reste, voici les résul- 164 VOYAGE i8a8. tais des expériences thermomètre-graphiques que je juillet, renouvelai à trois ou quatre reprises avec le plus grand soin. La température de l'air libre à l'ombre étant de 22°, 6, celle des eaux du lac à la surface était de 25°, 1, et à treize brasses de profondeur de 24°, 2. Du reste, cette profondeur était trop peu considérable pour que ce résultat fût d'aucune im- portance en physique. Mais il s'est trouvé fort mal- heureusement que ce lac, dont on m'avait tant vanté l'immense profondeur, n'a offert nulle part ailleurs un champ plus favorable à mes observations. Le ka- pala-balak, voyant que je désirais vivement rencon- trer un plus grand fond, se saisit d'une des lignes, et eut la constance de sonder dans toute la longueur du lac; sa profondeur se trouva avec une régularité surprenante de douze ou treize brasses , et cela le plus souvent jusqu'à toucher ses bords. Il en résulte que ce lac une fois desséché formerait une vaste plaine très-uniforme* mais il faudrait pour cela que le lit du Manado fût creusé de toute cette profondeur de soixante-cinq pieds jusqu'à la cascade, ce qui n'aura probablement jamais lieu. Le gouverneur et M. Guilbert nous avaient rejoints et étaient entrés dans notre pirogue, où nous nous trouvions maintenant au complet. Le vent fraîchit assez pour^oulever de petites lames courtes et sacca- dées, qui menaçaient parfois de chavirer notre em- barcation trop volage; je n'eusse fait qu'en rire pour mou compte particulier , attendu que la côte n'était pas assez loin pour qu'il m'eût été impossible de Fat- DE L'ASTROLABE. 455 teindre à la nage ; mais il y avait de mes compagnons i8a8. que cette crainte tourmentait davantage et avec raison. Jll,llct Toutefois, nous abordâmes sans accident au fond du lac , devant le village de Passoun ; ce village , bien que construit dans le même genre que les autres, est sale, mal bâti, et présente un aspect plus misérable qu'au- cun de ceux que nous avions vus. Sur toute cette côte, leau du lac est chaude, el le thermomètre s'y élève jusqu'à 33°, 3, tandis que la température de l'air se maintenait à 24°, 5. Plongé dans une source isolée située près du village et à pi. ccxvii. deux cents pas du lac, le mercure monta jusqu'à 42°; enfin M. Merkus m'assura qu'on trouve plusieurs pe- tits cratères fumans dans la montagne qui domine cette partie du lac : indice certain de l'existence des feux souterrains qui agissent encore dans cette con- trée à peu de distance de la croûte terrestre. Les naturels ont coutume de piler leur riz dans de grosses poutres, sur lesquelles on a pratiqué plusieurs trous arrondis, à la suite les uns des autres, de sorte que plusieurs personnes armées chacune d'un pilon peuvent travailler sur la même poutre. On me lit re- marquer une de ces machines dont les deux extrémi- tés étaient ornées de deux figures humaines grossière- sculptées dans le bloc de la poutre; ces deux figures portaient les attributs des deux sexes fortement pro- noncés; l'exécution comme le goût de ces sculptures me rappelaient ce que j'avais si souvent observé dans ce genre à la Nouvelle-Zélande. On m'expliqua que cette machine ne servait qu'en certaines occasions so- 456 VOYAGE 1828. lennelles. En tout autre temps, on se sert de poutres juillet. simplement équarries et garnies de trous arrondis. Notre curiosité une fois satisfaite à Passoun, nos estomacs nous firent songer au retour. MM. Sainson et Rumboldt, peu jaloux de courir de nouveau les risques de la traversée, demandèrent des palanquins, et préférèrent revenir par terre. MM. Merkus, Guil- bért, Gaimard et moi, nous reprîmes notre volage pirogue , et quoique ballottés encore par le vent et la lame , à deux heures après midi nous rentrâmes à bon port à la maison du gouvernement, où nous fîmes un excellent déjeuner. A l'entrée même du lac de Tondano, on voit encore debout d'énormes pieux qui attirèrent mon attention. M. Merkus me raconta que ces pieux étaient les rui- nes du village naguère élevé sur les eaux même du lac, situation qu'avaient choisie les habitans pour se retrancher plus facilement en cas d'attaque. Mais il leur arriva de se révolter contre l'autorité de la Com- pagnie, à l'occasion d'une levée de troupes qu'un rési- dent avait l'ordre de faire parmi eux. Ils se retirèrent sur le lac, et il fallut faire venir du canon de Manado pour les réduire. Depuis cette époque, il leur a été défendu de construire leurs maisons sur les eaux même du bassin ; mais ils les rapprochent autant qu'ils peuvent de la rivière pour jouir de ses avan- tages et communiquer plus facilement avec leur lac ri. ccxiv. chéri. Cette disposition donne à ces habitations un aspect très-pittoresque ; en outre , les deux cornes en bois qui accompagnent ordinairement les deux ex- DE L'ASTROLABE. 457 trémités du faîte sembleraient déceler quelques sou- 1828. venirs d'une origine chinoise. Il est vrai qu'il y a des J"ll|et- Chinois établis à Manado, et ils auront pu très-bien introduire cet ornement dans le pays. La ville de Tondano et son territoire sont divisés en deux districts, qui ont chacun leur kapaîa-balak et auxquels la rivière sert de ligne de démarcation. L'un se nomme Tondano Toali-Ang , et l'autre Tondano Touli-Mambol. Je crois me rappeler que M. Merkus m'expliqua que Tondano se composait des deux mots : ton homme, et dano eau ; mais j'oubliai de demander la signification des autres mots , ou bien elle s'est échappée de ma mémoire. M. Merkus n'estime la population de Tondano qu'à deux mille habitans, ce qui m'a semblé au-dessous de la vérilé. Kema, le plus important des districts de la fédération de Manado, ne contiendrait lui-même que dix mille âmes. Après le déjeuner, une foule de naturels, et sur- tout d'enfans, apportèrent des oiseaux, lézards, co- quilles, papillons, sauterelles, cigales, etc., qu'ils étaient enchantés de pouvoir nous offrir. Le très-petit nombre de coléoptères qu'on m'apporta me donna lieu de penser que cette famille était peu nombreuse et peu riche en espèces dans Célèbes, bien qu'elle y présente quelques individus fort remarquables par leur taille, comme on peut en juger par les deux la- mies et les deux lucanes qui furent remis par un habitant à M. Quoy, et dont celui-ci enrichit ma col- lection. 4*8 VOYAGE 1828. Le ciel était couvert et les sommets des montagnes juillet, voisines enveloppés de nuages. Toutefois, MM. Mer- kus, Pietermat et moi, nous remontâmes à cheval, et nous allâmes visiter une grande étendue de terrain que l'on venait de défricher pour faire divers essais de culture pour le compte du gouvernement. Ce ter- rain se trouve à un mille du lac environ , dans un endroit dégagé d'arbres , où Ton remarquait , à cause de son isolement , un immense varigni. A l'entour de son tronc, je recueillis quelques coléoptères. Je regrettais parfois l'étiquette qui m'enchaînait près du gouverneur, et ne me permettait point d'errer librement et à l'aventure dans les bois pour recueillir des objets ou des observations selon mon goût et mes désirs. Nous traversâmes ensuite une belle plaine couverte de riz de marais, cultivé à la manière des Javans, tandis que tout celui de Célèbes est du riz de mon- tagne, qui offre tout-à-fait l'aspect de nos champs de blé, particulièrement de nos moissons d'orge; puis nous arrivâmes au milieu de riches plantations de café, cultivées par des employés du gouvernement à la manière de Maurice et de Bourbon : car les habi- tans ne se donnent pas autant de soins; mais comme ces arbrisseaux à Célèbes rapportent presque toute l'année, ils s'épuisent promptement, et on les aban- donne pour en planter d'autres. Cette culture ne donne presque aucun travail aux habitans ; ceux-ci sont obligés de fournir une quantité déterminée de café au gouvernement qui le leur paie 1 6 ou 1 8 florins DE L'ASTROLABE. 459 lepikout, c'est-à-dire de 35 à 40 francs le poids de iHiS. cent vingt-cinq livres. Juillet. Assaillis par la pluie, nous nous hâtâmes de rega- gner notre logis, où le mauvais temps nous consigna le reste de la soirée. Mon séjour à Tondano était fort agréable; grâce 3t. aux attentions de M. Merkus, je n'avais qu'à former des désirs pour qu'ils fussent à l'instant accomplis; l'existence m'était douce, et l'influence de la tem- pérature agissait de la manière la plus favorable sur mon tempérament délabré. Si je n'eusse con- sulté que mon goût et mon intérêt particulier, je n aurais donc pas mieux demandé que de céder aux instances de l'aimable gouverneur qui me proposait de rester quelques jours à Tondano ; j'aurais élé bien curieux d'ailleurs de visiter les cratères et les fume- rolles des montagnes du sud. Mais pouvais-je oublier la situation déplorable où se trouvaient nos malades à bord? Un séjour prolongé dans l'atmosphère em- brasée des Moluques ne pouvait qu'aggraver leurs maux et leurs dangers. Il était grand temps de rame- ner V Astrolabe en Europe, et devant des motifs aussi impérieux toute autre considération devait céder. Ainsi, dès six heures du matin, nous nous ache- minâmes vers Manado, et cette fois nous primes l'an- cienne route qui est plus longue que l'autre d'un mille, puisqu'elle en a vingt-un. Mais elle me parut plus douce, et surtout elle offre plus de distrac- tions, car elle est fréquemment bordée de superbes plantations de café et de clos immenses couverts 460 VOYAGE 1828. de riz. Elle traverse aussi plusieurs beaux villages. Juillet. Le premier qu'on rencontre est Koïa, encore très- près des bords du lac; puis on en voit d'autres moins considérables. Au pied du mont Lokong, on passe du district de Tondano Touli-Ang dans celui de To- mohon. Le chef-lieu de Tomohon est une place con- sidérable, agréablement située au milieu de riantes campagnes. Nous nous y arrêtâmes pour déjeuner; nous fûmes accueillis par une nombreuse députation de kapala- balaks et de hokkoums, et nous défilâmes entre deux haies de naturels qui paradaient en cadence avec leurs lances et leurs boucliers, au son des goumgoums, des tamtams, et au bruit des pétards. Notre hôte était le kapala-balak de Tomohon, homme de trente-six ans environ, et qui, à ses fonctions civiles, unissait, nous dit-on, celles de prêtre ou devin. Sur la grande place, et sous les galeries même de la maison que nous occupions, les habitans se réunirent, et exécutèrent diverses pantomimes assez curieuses. Il en est une qui me frappa plus que les autres. Dix- huit naturels, choisis parmi les hommes les mieux faits , avaient revêtu leur antique costume national (ÏHarfour ; un pagne élégant, en étoffe de soie cha- marrée, entourait les reins, et ses deux bouts retom- baient par devant comme les franges d'une écharpe. Un mouchoir entourait leurs cheveux, retenus près du front par une étoffe de couleur passée en guise de bandeau, et surmonté d'un oiseau de paradis, ce qui donnait à cette coiffure un air de noblesse impo- DE L'ASTROLABE. 461 sant. Plusieurs individus avaient des bracelets d'i- voire, et des colliers en verroterie, en bijoux gros- sièrement dorés ou en porcelaine de Chine , et presque tous portaient au-dessous des genoux des jarretières 1828. Juillet. d'un travail élégant , et munies de grelots qu'ils agi- taient vivement en dansant. Tout simple qu'il était, l'ensemble de ce costume donnait à ces naturels l'as- pect le plus curieux ; pour la première fois de ma vie, leurs danses et leurs figures me rappelaient fidèlement les contorsions de nos acteurs sur le théâtre, quand on veut y mettre des sauvages en scène. Dès que les Harfours eurent fini, quarante jeunes pi. ccix. gens , en simple sarong (sorte de blouse habituelle- 462 VOYAGE t&feS, ment portée par les Malais) et pantalon blanc, avec Juillet. une ceinture d'une autre couleur, et un mouchoir cha- marré pour coiffure, prirent leur place; tout en agi- tant leurs lances el leurs boucliers en bois, ils exécu- tèrent avec beaucoup de grâce et une précision re- marquable diverses manœuvres qu'un naturel leur commandait à haute voix. Cet exercice fut clos par une espèce de danse en ronde qu'ils exécutèrent d'un pas cadencé, les mains de chacun d'entre eux placées sur l'épaule de son voisin de droite; cette danse est accompagnée par un chant lent et monotone. Après avoir fait honneur à un excellent déjeuner, nous remontâmes à cheval , et la roule prit bientôt une pente très-raide. Alors nous échangeâmes nos chevaux contre des palanquins, et je trouvai cette manière de voyager fort douce. Dix hommes étaient sur les brancards de ma chaise, et la conduisaient sans fatigue , bien qu'ils eussent à cheminer sur un sol dont l'inclinaison n'était pas de moins de trente degrés. Ce fut ainsi que nous arrivâmes au sommet de Gounong-Empong (mont des Esprits), élevé de trois mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer, suivant M. Reinwartz; ce mont n'est qu'un contre- fort du Lokong, dont le piton nous restait sur la gau- che à une faible distance; sur la droite, on voyait plu- sieurs autres cimes moins élevées que le Lokong, mais qui offrent comme celui-ci autant de cratères, dont quelques-uns fument encore. M. Pietermat m'apprit alors que M. Reinwartz, DK L'ASTROLABE. 403 dans ses voyages aux Moluques, avait passé cinq ou i8-j8. six semaines à Manado, splendidement traité et ma- Juillet. gnifiquemenl payé par le gouvernement hollandais, qui lui avait assigné le rang, le privilège et les émo- lumens de général. Quelle dislance de cette libéralité aux mesquines ressources mises à notre disposition pour nos recherches d'histoire naturelle!... Il est fâcheux pour la science que ce naturaliste fasse atten- dre si long-temps les résultats de ses observations. M. Merkus me communiqua, à notre retour à Manado, quelques-unes des hauteurs barométriques mesurées par M. Reinwartz. Ces mesures auraient donné pour l'élévation au-dessus du niveau de la mer : 2,000 pieds pour le bassin du lac de Tondano , 3,500 pieds pour la cime de l'Empong, 4,000 pieds pour le cratère du Lokong, enfin 6,000 pieds pour le pic du Klobat. De la cime de l'Empong, on jouit d'une admirable vue qui embrasse toute la baie de Manado, ses îles, tout le terrain d'alentour, et se termine aux sommets pi. ccxv. majestueux du colossal Klobat et des Deux-Sœurs. Là je mis pied à terre, pour descendre le long du re- vers de l'Empong jusqu'au village de Lota, où nous de- vions nous arrêter, et qui n'était éloigné que de trois milles et demi. Dans cette rapide course, je recueillis quelques insectes curieux, et notamment un magni- fique charanson » . Ces découvertes me faisaient re- ' Cet insecte est le chlorolopus arrogans, très-bien décrit dans la partie entomologique du Voyage, mais rapporté par erreur à Vanikoro. 464 VOYAGE 1828. grelter de plus en plus de ne pouvoir prolonger mon juillet. séjour à Célèbes. A notre entrée dans le village de Lola, nous fûmes encore reçus avec la pompe ordinaire; mais je remar- quai qu'outre les figures jusqu'alors exécutées dans les autres lieux , à certains refrains , les acteurs se divisaient en quadrilles et formaient des espèces de contre-danses très-courtes. Je demandai à M. Merkus s'il ne pensait pas, comme moi, que ces naturels pou- vaient avoir emprunté ces dernières figures aux Eu- ropéens, mais il me répondit qu'il les croyait propres au pays. On nous servit encore un copieux repas chez le kapala-balak. Sa vaste maison est soutenue sur une immense charpente, et élevée à douze ou quinze pieds au-dessus du sol. J'admirai la grosseur et le nombre des poutres qui entraient dans ces constructions ; il était facile de voir qu'en ce pays le bois de charpente ne coûtait que la peine de le couper, de le tailler et de le mettre en place. Quelquefois les pieux qui sou- tiennent les maisons sont ornées de sculptures fort curieuses, représentant diverses effigies d'hommes, d'animaux ou de reptiles. A Tondano, j'en remarquai quelques-unes qui portaient des figures européennes, coiffées les unes d'un bonnet, les autres d'un chapeau monté. Quelques-unes de ces sculptures accusaient dans leurs auteurs un certain degré de goût et d'habi- leté déjà bien supérieur à celui des nations polyné- siennes , où cet art ne se montre que dans son enfance. DE L'ASTROLABE. 465 1828. Juillet, Lola se trouve sur le district deKarkassen, et n'est qu'à six milles de Manado. Une fois remontés à che- val, nous franchîmes lestement et presque toujours au galop ce trajet, qui a lieu en grande partie sur un terrain uni, agréable à la vue, et souvent occupé par de riantes plantations de café. Enfin, à deux heures et demie environ, nous nous vîmes de retour à la rési- dence. Bien qu'un peu fatigué, j'étais charmé de mon voyage, et des observations que j'avais pu faire sur une contrée dont je n'avais pas la moindre idée. Un babiroussa très-jeune encore, sans cornes, et pris vivant, nous attendait à Manado, et je le fis sur- le-champ porter à bord, ainsi que tous les bagages. Je fus bien aise de pouvoir me reposer de ma course, mais je trouvai une bien grande différence entre la TOME Y. 3.'J 4 60 VOYAGE is28. température du bord et celle dont je jouissais à Ton- Juiiiet. dano. Le thermomètre centigrade dans ma chambre indiquait jusqu'à 31°. En mon absence, M. Jacquinot avait poussé avec activité les travaux de toute nature, et M. Paris avait constamment travaillé chaque jour à lever le plan de la baie qui se trouva presque terminé à mon retour. Mais l'état des malades avait encore empiré; le se- cond-maître Vignale et l'aide-calfat étaient à l'extré- mité. 1 Août. Vers onze heures , le gouverneur est venu nous rendre visite à bord, accompagné de MM, Pietermat, Rumboldt et du chirurgien de la colonie. Il a passé deux heures à bord à examiner nos cartes, nos collec- tions et les dessins de M. Sainson, et nos travaux en tout genre ont vivement excité son intérêt et son admiration. Aux extrémités du monde, il est doux de trouver des personnes capables d'apprécier les efforts que l'on a tentés dans l'intérêt de la science. C'est une réflexion que j'ai faite plus d'une fois, accompagnée de comparaisons assez tristes, lorsqu'à mon retour dans ma patrie, j'ai vu les travaux de V Astrolabe traités avec une indifférence marquée par ceux même auxquels il appartenait d'y rendre plus de justice. Au moment où M. Merkus quittait notre bord, je l'ai fait saluer de treize coups de canon. Dans l'après- midi, un brick de Manille a mouillé sur rade; le pavillon qu'il portait , et qui était celui de Sooloo, ressemblait beaucoup au nôtre, attendu qu'il était entièrement blanc, avec une bande bleue presque im- DE L'ASTROLABE. 567 perceptible le long de la gaine. Aussi, quand VAstro- i«as. labe se montra sur la côte de Célèbes, les habitans la Ao,'lf- prirent pour un gros navire de Sooloo. A cinq heures, je descendis à terre avec plusieurs officiers ; mes compagnons firent une course à cheval avec le résident, mais j'aimai mieux me promener pai- siblement dans le village avec M. Merkus. Nous tra- versâmes le campon (quartier) chinois, où je vis un marché assez actif et bien approvisionné; puis, après avoir parcouru quelques sentiers charmans ombragés par des arbres touffus et par des massifs de cocotiers, nous rentrâmes au logis, où nous fîmes un repas dé- licieux et fort gai. En causant avec l'aimable gouver- neur, je vis arriver onze heures sans m'en apercevoir, et je m'empressai de regagner le bord. Dans la journée, nous avons encore reçu un sapi- outang, des serpens, des poissons, des couscous et autres animaux pour la collection d'histoire natu- relle. La cage que j'avais fait construire pour les babi- 2. roussas s'est trouvée prête, et ces deux animaux ont été transportés à leur nouveau domicile, où ils se sont très-bien trouvés. Ce sont de belles bêtes dans leur espèce, particulièrement le mâle dont les dé- fenses sont complètes, et je me propose d'en prendre tous les soins possibles, afin qu'ils puissent arriver vivans en France ; certain que c'est une des acquisi- tions les plus précieuses que puisse faire le Muséum d'histoire naturelle, d'après les assurances positives de MM. Cuvier et Geoffroy. L'infirmier Berre a été 3o* 468 VOYAGE iSi8. nommé leur gouverneur particulier, sous la haute Août surveillance de MM. Quoy et Gaimard. Ce brave homme n'a pas tardé à se concilier de la part de ses pupilles tous les sentimens d'affection et de soumis- sion dont ils sont susceptibles. Aujourd'hui M. Pietermat m'a montré un sapi-ou- tang tout jeune, pris avec le dernier individu qui nous a été envoyé et qui était sa mère. Ce petit animal res- semble étonnamment à un jeune veau; il est fort doux , et avec du son et du lait on réussira proba- blement à l'élever. Dans la matinée, le second maître de manœuvre Vignale a expiré; chez lui la dyssenterie la plus grave avait succédé aux longues fièvres de Vanikoro; en outre, il s'était permis dans son régime de nourriture divers excès à Amboine, où il s'était trouvé très-bien durant quinze jours. Le Bantjar, qui était allé faire un tour dans un des ports du sud, est venu mouiller, à onze heures, près de nous, et a porté une amarre sur la corvette. Mais à cinq heures du soir, une risée de terre a entraîné au large le Bantjar ^ qui ne s'est plus trouvé retenu que par l'amarre de V Astrolabe. L'effort des deux navires a pesé en entier sur notre grelin de gomotou ; la corvette a été entraînée elle-même au large, ce qui nous a fait craindre que l'ancre mouillée par soixante- dix brasses ne vînt enfin à déraper. Heureusement, avec un peu d'activité, nous avons eu le temps de por- ter une des ancres du Lucifer sur le récif de la côte, et un grelin nous a permis de tenir bon à notre poste. DE L'ASTROLABE. 469 1828. Août. Vers minuit, le vent a brusquement sauté a l'ouest avec des torrens de pluie; la lame du large s'est promptement soulevée, et m'a causé de nouvelles in- quiétudes d'un genre tout opposé. Il est vrai que ce vent a été de peu de durée, et il a repassé à TE. N. E. Cependant c'en est assez pour faire voir que , même en cette saison, il ne faut pas trop compter sur les brises constantes de terre, et qu'il est bon de se pré- cautionner contre les rafales du large, surtout à bord d'un gros navire dont l'échouage pourrait entraîner les suites les plus funestes. Je comptais mettre à la voile dans la matinée, mais 3. les manœuvres nécessaires pour draguer et relever l'ancre à jet, sur laquelle se trouvait le grelin de go- motou, nous ont conduit jusqu'au milieu de la jour- née ; alors le vent a encore soufflé à la partie de l'ouest, et il a bien fallu ajourner le départ. Enfin, vers sept heures et demie du matin, nous 4. levons l'ancre et faisons route le long de la côte de Célèbes. Vers midi, la brise mollit et varie au N. E. et N. N. E. Heureusement le courant nous favorise et nous pousse rapidement dans l'E. Nous rangeâmes de très-près le cap nord. A deux heures et demie, la brise soufflant du S. E., il nous fallut louvoyer dans le détroit,, et, à six heures, nous mouillâmes par dix brasses, fond de sable et gravier, à un mille au N.EN. E. du village de Likoupang. La nuit fut douce et tranquille, et j'observai un singulier effet de phospho- rescence : c'étaient de larges étincelles d'un bleu bril- lant, qui se divisaient tout-à-coup en des milliers d'é- Août. 470 VOYAGE 828. tincelles beaucoup plus petites, mais toujours aussi éclatantes. C'était la première fois que je remarquais ce fait extraordinaire. Ainsi s'est écoulée notre relâche à Manado qui , malgré sa courte durée, a été d'un intérêt majeur pour l'expédition. En effet, elle l'a enrichie de trois peaux de sapi-outang , animal inconnu des naturalistes ; d'une peau de jeune babiroussa, et de deux beaux babi- roussas adultes , espèce de quadrupède connue , mais très-inexactement décrite, et que le Muséum de Paris ne possédait point ; en outre , d'une foule de serpens , oiseaux, poissons, etc., rares ou nouveaux. Elle nous a procuré des renseignemens curieux sur l'état des co- lonies hollandaises dans cette partie de Célèbes, sur la nature du sol, les coutumes et les mœurs des habi- tans, et l'espèce de servitude mitigée dans laquelle ils végètent sous le joug de la Hollande. Je regrette beaucoup de n'avoir pu visiter les mines d'or de To- loc, qui fournissent, dit-on, par an deux cents réaux ou onces d'or à la Hollande, ainsi que quelques-uns des nombreux cratères des environs de Manado. Mais quand l'état des marins de V Astrolabe ne se fût point opposé à un plus long séjour,. je ne sais trop si l'état de ma propre santé m'eût permis ces courses. Mes forces sont encore bien incomplètes , et j'ai besoin de grands ménagemens l. Au point du jour, j'ai envoyé dans la baleinière à Likoupang MM. Quoy, Paris, Sainson, et Barbier qui f Voyez note 6. DE L'ASTROLABE. 471 m'avait accompagné depuis Manado. Pendant leur i8as. absence, tous les préparatifs ont été faits pour l'appa- Aout- reillage définitif. La baleinière est revenue vers neuf heures ; M. Paris m'a rendu compte que le fond dimi- nue de trois ou quatre brasses jusqu'à demi-distance de notre mouillage à terre, puis il augmente de nou- veau jusqu'à dix brasses, qualité de vase, et se sou- tient à cinq et six brasses à moins d'une encablure du rivage. M. Barbier m'a assuré, en outre, qu'à deux milles à l'ouest de Likoupang, se trouve l'embou- Pi. CCxix. chure d'une belle rivière qui n'offre pas moins de cinq ou six brasses de fond jusqu'à une assez grande dis- tance. Ces divers avantages rendent le détroit de Banka d'une grande importance, et il est surprenant que les Hollandais n'y aient pas formé leur principal établissement, plutôt qu'à Manado, dont la baie est si mauvaise et le mouillage si dangereux I. Aussitôt que l'observation de la latitude a été faite, nous avons profité d'une petite brise de sud pour le- ver l'ancre et mettre à la voile; M. Barbier a pris congé de nous , et s'en est allé dans une pirogue du pays. Comme le courant portait avec force au nord, j'ai serré la côte de Célèbes ; nous nous sommes trou- vés sur un espace où l'on voyait des pâtés de coraux à cinq ou six brasses sous l'eau , et à une encablure du navire, l'eau était si décolorée, qu'elle devait cou- vrir un banc dangereux. Des rafales assez brusques du S. S. O. nous ont fait passer si rapidement sur ce « Foyez note 7. 472 VOYAGE i8a8. danger, que nous n'avons pas eu le temps de sonder. Août. Hors du détroit, nous avons trouvé la mer creuse et assez dure, et le courant continue de nous entraî- ner au nord à vue-d'œil. Au coucher du soleil, les sommets de Célèbes étaient déjà loin de nous. Nous avons serré le vent tribord amures, toute la soirée et toute la nuit, jusqu'au S. E. et S. E. 'A S. 6. Dans la matinée, nous avons passé à six lieues au nord de Meïo, et, à midi, nous avons commencé à distinguer au travers de la brume les hautes monta- gnes de Guilolo, dont la forme aiguë semble annon- cer autant de pitons volcaniques. L'une de ces mon- tagnes est surtout remarquable par sa masse et par son élévation. Au coucher du soleil, nous étions à six lieues de la côte, et nous avons pris les amures à bâ- bord pour la nuit. Nous n'avons pas eu moins de trente-huit milles de courant au N. N. E. dans les ving-quatre heures. Cet inconvénient menace de rendre notre traversée lon- gue et pénible, surtout si les vents se maintiennent au S. et au S. S. O. 7. Toute la journée se passe en courant des bords près de Meïo, car le courant nous rejette sans cesse vers cette île. A quatre heures du soir, nous n'étions guère qu'à deux lieues de sa partie orientale. C'est une île peu élevée, bien boisée et d'un aspect agréable. Les sommets de Ternate et de Tidore se sont mon- trés de nouveau à vingt lieues de distance. La grosse montagne de Guilolo, que j'ai déjà men- tionnée, me paraît devoir se rapporter à celle que DE L'ASTROLABE. 473 Schouten désigna sous le nom de mont Gammana- 1828. canor, d'autant plus qu'elle paraît effectivement se Août- trouver vers la partie la plus occidentale de File. La violence du courant diminue, et il ne s'élève plus qu'à seize milles. Aussi, dans le cours de la jour- née, hous gagnons presque une vingtaine de milles au S. S. E., et nous nous rapprochons de Ternate. Mais les sommets de cette île et ceux de Guilolo sont pres- que toujours entourés de nuages, et l'on ne voit dis- tinctement que la petite île Kerry. A sept heures et demie du matin, dans un calme profond, le thermométrographe a été envoyé à deux cent quatre-vingt-dix brasses, sans rencontrer le fond. La température à l'air libre était de 27<>, 3, a la sur- face de la mer de 28°, et à la profondeur énoncée elle a descendu à 1 3°, 7. Cette expérience la plus voi- sine de la ligne, de toutes celles qui ont été faites, offre un intérêt direct, en ce qu'elle prouve que dans le bassin des Moluques la loi du refroidissement existe toujours, mais ce refroidissement est moindre. Sans hésiter, j'en attribue la raison à la proximité des terres qui doivent augmenter la température propre aux couches inférieures de l'Océan. Je regrette de ne pas pouvoir multiplier plus souvent ces curieuses observations ; mais l'équipage est à bout, plusieurs hommes viennent de retomber sur les ca- dres, et ces expériences sont très-fastidieuses pour des hommes qui n'en voient que la fatigue sans en soupçonner l'utilité. Qui sait même si elles seront accueillies avec le degré d'intérêt qu'elles méritent 474 VOYAGE 1828. par ceux même pour qui elles sont spécialement exé- Aoùx- cutées!... 9. A neuf heures du matin, on observa des angles ho- raires sur le parallèle de Ternale et à vingt milles de distance. Les sommets de Guilolo, Ternate, Tidore, Motir et Matchian, se montrent à nos regards, mais ils sont presque toujours environnés de nuages. Ceux de Ternate et de Tidore surtout, à cause de leur élé- vation supérieure, se découvrent très-rarement. Le premier est le plus considérable et le plus haut; mais le pic de Tidore offre un cône bien plus régulier et plus aigu. 10. Obligés de garder la bordée de bâbord pour ne pas m'engager dans les îles avec un équipage sans forces et sans volonté, nous voyons s'éloigner peu à peu tous les sommets que je viens de citer. Mais M. Paris a eu soin de prendre hier et aujourd'hui de nombreux relèvemens sur ces points, et nous avons l'espoir de lier leurs positions d'une manière assez précise à celles d'Amboine et de Manado. 11. Après avoir couru près de vingt lieues dans l'O. S. O., le 12, à une heure et demie après midi, la brise du S. S. O. nous permet de prendre l'autre bordée, et deux heures après nous coupons la ligne pour l'avant-dernière fois. i3. A trois heures et demie, l'aide-calfat Richaud ex- pire. Cet homme ne s'était jamais rétabli de sa fièvre de Vanikoro, et depuis huit à dix jours il avait été saisi par la dyssenterie. Deux heures après sa mort, le corps de Richaud exhalait déjà une odeur si mau- DE L'ASTROLABE. 47Ô vaise qu'on a été obligé de le transporter dans le i8*s. grand canot sur le pont pour l'y laisser jusqu'au rao- Août- ment où il devait être abandonné aux flots. La dyssenterie fait des progrès. M. Guilbert en a été attaqué, et j'en ai moi-même éprouvé quelques symptômes qui ne se sont point aggravés. Un singe, de l'espèce cynocéphale nègre, donné 14. par M. Lang à Amboine, a été trouvé raide mort dans la chaloupe, bien qu'on l'eût vu quelques instans en- core auparavant très-gai et aussi vif que de coutume. M. Quoy attribue sa mort à une attaque d'apoplexie. Nos deux babiroussas mangent bien, dorment beau- coup, et se portent à merveille. Il est vrai qu'on a d'eux les plus grands soins, et qu'outre les restes de légumes et de racines qu'on leur donne, on les gratifie encore soir et matin d'une ample ration de farine de froment détrempée dans de l'eau. Après avoir lutté péniblement durant tous les jours précédens contre les calmes, les brises et les courans contraires, le 16, à six heures un quart du matin, 16. nous reconnûmes les' terres de Xulla-Mangola et de Lissa-Matula du S. O. au N. N. E., dans un éloigne- ment de neuf ou dix lieues. J'avais le plus grand désir de reconnaître ces îles de plus près; mais les brises et les courans contraires m'en éloignèrent constamment, et, le 18 après midi, 18. nous nous retrouvions dans le détroit d'Obi , préci- sément au même point où nous étions un mois aupa- ravant. Il en résulte que nos reconnaissances sur Xulla-Mangola et Lissa-Matula seront fort incom- 476 VOYAGE 1828. plètes. Toute la journée les calmes ont rendu la eha- Août. ieur insupportable. 19. De petites brises de S. S. E. nous permettent de gouverner lentement au S. O., et les courans qui por- tent désormais au S. E. nous favorisent. Au point du jour, nous avons vu à six ou huit milles devant nous un navire que j'ai pris pour le Bantjar. Les som- mets de Bourou se montraient dans le sud au travers d'un horizon fortement embrumé. Grand nombre de marsouins au museau pointu et de beaux scombres se jouaient à la surface des eaux, tandis que des nod- dies, des fous, et quelques frégates voltigeaient au- tour du navire. 20. Au jour, nous avons revu notre navire à cinq ou six milles dans l'ouest, et nous lavons promptement approché. Je le prenais toujours pour le Bantjar; mais à trois heures du soir, comme nous n'en étions plus qu'à trois ou quatre milles, il a mis son pavillon qui nous a fait voir les couleurs de la Grande-Bre- tagne. En outre, il paraît être un plus beau bâtiment que le Bantjar. A midi, nous passions sur le méridien de la pointe S. O. de Xulla-Bessi et à vingt milles de distance. Les terres de Bourou sont restées toute la journée enve- loppées de brume, et le soir seulement, au coucher du soleil , nous avons cru voir une pointe basse qui doit être la partie la plus occidentale de cette île. Au coucher du soleil, la brise du S. et du S. E. s'est enfin établie , et, à partir de ce moment, V Astrolabe a régulièrement filé quatre et cinq nœuds au S. O. et S. O. '/< S. 21. DE L'ASTROLABE. 477 Une des montagnes de Bourou n'a paru qu'un ins- 1828. tant sous le soleil levant dans le N. 70° E. La brise Aoù1, s'est soutenue, et nous avons filé jusqu'à six nœuds au S. S. O. •/» O.; nous avons dépassé le navire qui courait parallèlement à nous, et le soir nous l'avons perdu de vue à deux ou trois milles de l'arrière. De onze heures à minuit, M. Gressien a aperçu la terre courant du S. lj/, S. E. au S., et j'ai reconnu qu'elle devait appartenir à l'ile Wangui-Wangui. Nous avons passé le reste de la nuit aux petits bords, et, à cinq heures et demie, j'ai laissé porter sur le détroit. 22. Poussés par une forte brise, sur une belle mer, nous avons filé sept et huit nœuds. A neuf heures, nous étions sur le parallèle de Kadoupe, et, dès dix heures et demie, je me croyais sur celui de la pointe sud de Bouton, dont un brouillard épais m'avait constam- ment caché les terres. Alors je laissai arriver peu à peu pour doubler cette pointe à distance raisonnable. Dans la nuit, l'anglais avait laissé courir un peu plus près de terre que moi, ce qui lui avait donné trois ou quatre milles d'avance ; mais en trois heures de temps, nous l'avons promptement rejoint. A huit heures et demie du matin, nous passions à une enca- blure environ sous sa hanche de tribord. Nous avons lu sur la poupe le nom de Bombay-Castle; c'est un navire du port de quatre ou cinq cents tonneaux, et qui nous a paru avoir une quarantaine d'hommes d'é- quipage, dont plusieurs sont des Lascars. Déjà j'avais laissé porter jusqu'à l'O. S. O., croyant doubler la pointe sud de Bouton, quand tout-à-coup 478 VOYAGE 1828. j'ai entrevu au travers de la brume, à deux ou trois Août. quarts sous le vent, un gros morne qui m'a prouvé que j'étais encore bien loin de compte, et je me suis hâté de revenir jusqu'au S. S. O. pour ne pas engager V Astrolabe dans la baie ouverte qui forme la côte de Bouton en cette partie de File. L'anglais qui , plus pressé que moi, avait laissé arriver tout plat, recon- naissant aussi son erreur, s'est hâté de serrer le vent jusqu'au sud. Le ciel est très-obscur, la terre chargée de grains, et, pour surcroît de désagrément, à midi même, un grain de pluie qui dure quelque temps nous prive de latitude et nous masque la vue des côtes, bien que nous en soyons à peine éloignés de quatre ou cinq milles. La mer se creuse, et nous fait rouler plus que nous ne l'avions encore éprouvé dans les Moluques. A une heure, le ciel s'éclaircit peu à peu, et je laisse porter successivement au S. O., O. S. O., O., et même à l'O. x\u N. O., pour mieux reconnaître la terre. A quatre heures, n'étant qu'à quatre ou cinq milles de la côte, je reconnais tour à tour les divers points de la côte méridionale de Bouton, surtout l'île du Sud à son étendue, à sa singulière conformation par couches horizontales très-régulières, enfin aux roches à fleur-d'eau qui se trouvent sur sa pointe ouest. Nous employons tout juste une heure à la pro- longer à moins d'une lieue de distance, en filant 6% 3, ce qui donne sa longueur exacte ; et à cinq heures et demie, l'Astrolabe se trouvant sous le méridien de sa pointe occidentale, je pris là mon point de départ DE L'ASTROLABE. 479 pour la nuit : c'est-à-dire que je mis le cap droit à i8a8. l'ouest, route qui devait me conduire vers le détroit Aoilt' de Salayer, en passant à dix milles au sud des brisans de Cambyne. Désormais je pouvais consulter les excellentes car- tes d'Horsburgh, et ma navigation reprenait ce carac- tère de sécurité qui s'attache aux campagnes que l'on est appelé à faire dans les lieux les plus connus du globe, comme l'Inde, l'Amérique ou les côtes de la Méditerranée. C'est ici le cas de faire observer combien les marins ont à regretter que le dépôt de la marine française, malgré les ressources mises annuellement à sa dis- position, reste tellement au-dessous des publications anglaises pour tout ce qui a trait aux documens hy- drographiques concernant l'Inde en général, les Mo- luques et les mers de la Chine, du Japon et des Phi- lippines. A neuf heures et demie du matin, nous avons com- 23. mencé à entrevoir les terres de Salayer au travers d'une brume épaisse qui a persisté toute la journée. Nous avons laissé porter successivement jusqu'à l'O. N. O. '/,0. pour donner dans le canal formé par l'île sud et l'île du milieu. A midi et demi, nous rangions à un mille de distance la pointe nord de la première de ces deux îles, et c'était un beau moment. Chassés par une belle brise d'est, au travers de ce canal étroit, nous voyions fuir avec rapidité les terres de chaque côté, et notre agile corvette semblait se rire des ef- forts de la lame, tandis que des flots d'écume ve- 480 VOYAGE 1828. naient souvent couvrir les rives des deux îles voisines. Août. £n quittant le détroit, je courus l'espace de quinze milles au S. O. •/« O. pour contourner le banc du Mansfield; puis nous revînmes peu à peu sur tribord, et, à quatre heures, nous mîmes le cap à l'ouest et l'y gardâmes jusqu'à minuit. Comme je m'estimais alors 24. à dix milles au sud de l'île Tanakeke, je gouvernai à l'O. l/i N. O. pour passer à quatre milles du banc de Brill. Puis nous revînmes peu à peu sur bâbord jus- qu'à l'O. S. O., filant toujours sept et huit nœuds. A cinq heures quarante-cinq minutes du matin, la mer changea de couleur, un clapotis court et bruyant succéda aux longues lames, et durant quelque temps le fond se fit voir sous la corvette, composé de sable et de pâtés de coraux, par six ou huit brasses. Il était évident que nous traversions en ce moment la pointe S. E. du banc de Laërs. J'ai gouverné ensuite à l'O. N. O. '/< O. pour con- tourner à une bonne distance les îles et les écueils de Kalkoon, en continuant de filer sept et huit nœuds avec le plus beau temps du monde. 25. A cinq heures et demie du matin, j'ai remis le cap à l'O. S. O. Vers sept heures, nous avons vu le Bom- bay-Cas tle à sept ou huit milles devant nous, et, à midi, nous l'avons perdu de vue dans le N. N. O. 11 porte plus à l'ouest que nous; son intention paraît être de reconnaître Solombo, tandis que je me pro- pose de prolonger la côte de Java. 2fit A deux heures après minuit, le cap a été mis à l'ouest. Au jour la brise a molli, et l'horizon est resté DE L'ASTROLABE. 481 couvert d'un brouillard épais et général. Nous avons i8as; rencontré quantité de bateaux javans naviguant sous Aoi,t- pavillon hollandais. Bien que nous prolongions les côtes de Madure et de Java à six ou sept lieues de dis- lance, par trente-neuf brasses de fond, les brumes dont les terres sont continuellement chargées nous empêchent de les voir pendant toute la journée. La brume nous dérobe la vue des terres de Mande- 27. lique, bien que nous n'en passions pas à plus de quatre lieues de distance. Mais à neuf heures, nous commen- çons à entrevoir les sommets de Carimon-Java, et, à midi, nous passions à sept milles au sud de ce groupe. Il est composé d'une île haute assez grande, entourée de plusieurs petites îles basses. Nous avons ensuite constamment gouverné à ÏO. */4 N. O., filant quatre ou cinq nœuds sur la mer la plus tranquille. De midi à deux heures, nous devions passer à six %$. ou sept milles au plus dans le N. O. des écueils de Bumkins. Cependant nous n'en avons eu nulle con- naissance. J'ai ensuite gouverné àl'O. lju S. O. jus- qu'à deux heures après minuit. Alors je suis resté 2y. aux petits bords pour ne pas m'exposer à tomber inopinément sur les écueils de Sedary. A cinq heures et demie, j'ai fait servir au S. S. O. pour rallier la cote de Java que nous dérobait une brume épaisse. Ces brumes éternelles sont l'unique fléau de ces contrées, autrement la navigation n'y se- rait qu'un jeu, et il n'existe pas dans le monde entier de mers plus belles et plus paisibles. Comme nous, trois bricks font leurs efforts pour TOME V. 3l 482 VOYAGE 18&8. avancer vers Batavia, à l'aide d'une faible brise de Août- S. E. Plus heureux, un bateau à vapeur n'en che- mine que plus tranquillement vers sa destination. A onze heures, nous commençons à apercevoir les terres de la pointe Karavan. La brise se rétablit peu à peu, nous forçons de voiles, nous rangeons de très-près dans le sud l'île de Leyde, nous laissons à bâbord les deux bouées de l'est du chenal, et, à six heures, nous mouillons l'an- cre de bâbord, par un fond de sept brasses de vase, sur la «vaste baie de Batavia. A six heures et demie, nous reçûmes la visite d'un canot du slationnaire ame- nant un midshipman, qui vint nous adresser les ques- tions d'habitude , et ce fut l'unique rapport que nous eûmes avec la colonie dans cette soirée. L'élève qui est venu nous faire raisonner se trou- vait dernièrement à Amboine en même temps que nous, et je lui ai adressé quelques questions; mais comme il ne parle que hollandais, nous avons beau- coup de peine à nous faire entendre, et dans ses ré- ponses voici tout ce que j'ai pu comprendre. — Un navire français venant de l'ouest a touché sur la rade, et est reparti, la veille de notre arrivée, pour Bor- deaux. — Le Bantjar n'a pas encore paru , on l'at- tend de jour en jour. — Les fièvres régnent comme de coutume à Batavia. ■ — En ce moment, il n'y a sur rade qu'une corvette de guerre, qui doit partir inces- samment pour la cote méridionale de Java. — La goélette qui faisait partie de l'expédi'ion envoyée sur la Nouvelle-Guinée était revenue à Amboine peu de DE L'ASTROLABE. 483 jours après notre départ, et était repartie sur-le-champ 1828. avec un renfort d'hommes et de vivres : la corvette Ao,lt- était restée à la Nouvelle-Guinée pour rétablissement de la colonie qui a eu lieu sur la côte S. O. La rade de Batavia est certainement spacieuse et pi. ccxx fort belle, mais les terres qui l'environnent de toutes et P1- CCXL parts sont si basses, que le coup-d'œil qu'elle offre de la mer a quelque chose de fort triste : on n'aper- çoit presque rien de la ville elle-même ; à peine si l'on entrevoit les toits de quelques édifices plus considé- rables, et le voyageur qui ne ferait que mouiller sur la rade, sans descendre à terre, n'aurait pas la moin- dre idée de cette superbe cité. Je me rendis à terre à neuf heures et demie, accom- 3,,. pagné de plusieurs officiers de la corvette. Dans les bureaux du port , je fus reçu avec politesse par le commandant de la corvette le Lys, M. Luftemberg, et le commandant du port, M. Hay, tous deux capi- taines de frégate, qui s'empressèrent de m'offrir leurs services, et de me donner les renseignemens que je pouvais désirer. Nous primes des voitures, nous nous arrêtâmes un moment dans la vieille ville pour faire quelques em- plettes ; puis nous nous dirigeâmes sur la nouvelle ville, ou Weltevrede. Chemin faisant , je ne cessais d'admirer la grandeur de la ville , la magnificence des magasins et les charmantes habitations situées le long des nombreux canaux qui traversent cette opulente cité. .J'arrivai devant les bureaux du gouvernement éta- 48 1 VOYAGE 1828. blis sur une place immense. Le premier aspect de ces Aoùl- édifices a quelque chose d'imposant, et répond digne- ment à l'idée qu'on s'est faite de la puissance hollan- daise dans ces régions lointaines. Le capitaine de vaisseau Demann , commandant supérieur de la marine dans les Indes, m'accueillit avec beaucoup de cordialité; il était déjà instruit des principaux événemens de notre campagne, et, malgré sa rudesse -de vieux marin, il s'attendrissait au sou- venir de nos travaux et de nos souffrances à Vani- koro. Enfin il ne fut point satisfait que je ne lui eusse promis de venir dîner, moi et tous les officiers de l'Astrolabe, avec lui à l'hôtel de Provence. Je me suis ensuite rendu chez le secrétaire-général, M. Bousquet, pour lequel M. Merkus m'avait donné une lettre de recommandation. M. Bousquet m'a reçu très-poliment et m'a offert ses services. Alors je lui ai fait part du désir que j'avais d'aller présenter mes de- voirs au commissaire-général, Dubus de Gesignies, à Buy terzorg, si l'on pouvait me fournir des chevaux pour faire ce voyage. MM. Merkus et Demann m'avaient assuré que cela ne souffrirait aucune difficulté, que M. Bousquet s'empresserait de remettre des chevaux à ma disposition, et que le commissaire-général serait peiné d'apprendre que j'eusse passé à Batavia sans aller le voir; qu'enfin Buyterzorg était un lieu digne de toute mon attention, et que je ne pouvais me for- mer quelque idée de l'intérieur de Java qu'en faisant . -cette petite course. Malgré ma faiblesse, je ne deman- dais pas mieux que de la faire; mais les chevaux eoû- DE L'ASTROLABE. 485 taient fort cher; je n'étais point cousu de florins is^s. comme MM. les officiers hollandais, et, pour faire Am" des découvertes, le gouvernement français ne m'ac- cordait pas une obole de plus qu'à ceux de mes con- frères qui allaient tout simplement porter des lettres à un consul ou des fourrages à des troupes. Je jugeai donc à propos d'attendre les effets de la bonne vo- lonté de M. Bousquet. L^air embarrassé que prit ce fonctionnaire, aussitôt que je lui eus fait celte déclaration , me prouva que la chose n'était pas tout-à-fait aussi simple qu'on me l'avait affirmé. M. Bousquet me dit qu'effectivement, peu de temps encore avant mon arrivée, on fournissait sans difficulté des chevaux aux étrangers qui se trou- vaient dans une position semblable à la mienne, mais que depuis les ordres sévères d'économie apportés par le commissaire-général, cela était beaucoup plus diffi- cile. Pour lever cette difficulté, M. Bousquet m'offrit de me conduire lui-même à Buyterzorg; je lui répon- dis que je ferais avec grand plaisir le voyage dans sa société, mais que je ne voulais point l'entraîner dans une pareille dépense , si elle devait retomber à sa charge. Enfin, par manière d'arrangement, il fut con- venu entre lui et moi qu'il allait écrire sur-le-champ au commissaire-général pour lui annoncer mon arri- vée à Batavia, et lui faire part du désir que j'avais d'aller le saluer. La manière dont il répondrait à cette ouverture devait me fixer sur ce que j'aurais à faire. Je rendis une visite au général commandant la place, qui se trouvait être M. Chassé, et au fiscal 486 VOYAGE 1828. M. Vandervines, que je ne trouvai point chez lui; Août. pUjs je me ren(Jis à l'hôtel de Provence où nous nous trouvâmes tous réunis. Les convives de M. Demann élaient l'intendant de la marine, M. Rowloff, le capi- taine Luftemberg, le capitaine Hay, et l'aide-de-camp de M. Demann, jeune lieutenant de deuxième classe. Le repas ne fut point somptueux, mais il fut très-gai, et l'on porta divers toasts aux souverains et aux ma- rins français et hollandais, à l'heureux retour de l'As- trolabe, etc. Nous nous séparâmes à six heures du soir, et à huit heures j 'étais de retour à bord. A Batavia, j'appris par les journaux qu'on remit à ma disposition, le changement du ministère Villèle en celui de Martignac, le renouvellement des Cham- bres et l'affaire de Navarin, avec les nombreuses pro- motions qui l'avaient suivie. Comme bon Français et comme libéral, j'appris avec joie les deux premières nouvelles, surtout en voyant que M. de Chabrol res- tait encore à la marine *. Ennemi naturel de la bar- barie turque et partisan sincère de l'affranchissement des Grecs, j'appris avec joie l'échec que le Croissant avait reçu dans la journée de Navarin ; mais j'avoue que je fus singulièrement étonné de voir tant préco- niser cette escarmouche. Je ne concevais point sur- tout que l'Angleterre, habituée aux exploits de mer, pût prêter sa voix à ce chorus de fanfaronnades. Les « Depuis que je suis dans la marine, M. de Chabrol est, à ma connais- sance, le seul ministre qui se soit occupé sérieusement et en conscience du bien public. S'il eût élé secondé, nul doute qu'il n'eût beaucoup fait poui elle. DE L'ASTROLABE. 487 trois premières puissances maritimes du monde en- xfr2s. tier contre une nation demi-sauvage!... Trois esca- Ao"u dres bien préparées, bien armées, contre un amas confus de bâtimens entassés sans ordre, et montés par des marins indisciplinés et qui ne savaient ce que c'était que de manœuvrer des canons!... Ajoutez à tout cela que les Turcs furent pris au dépourvu, pour ne pas dire davantage!... En vérité, il m'a toujours semblé, et il me semble encore qu'il n'y a jamais eu motif à pousser de tels hourras de triomphe. A voir tout cet étalage, les Turcs n'auraient-ils pas eu le droit de dire : « Il fallait que nos vainqueurs eussent eu grand'peur de nous? » Je me rappelle aussi que je fus très-surpris de ne pas voir dans un seul journal le rapport du chef de la division française. Beaucoup de lettres particu- lières, de récits plus ou moins enflés, voilà tout ce qui frappa mes yeux ; mais je ne me rappelle pas avoir jamais vu le rapport vraiment officiel de cette affaire. Du reste, V Astrolabe était toujours honorée par le ministère d'un oubli complet, et nul de ses membres n'avait eu part aux faveurs du moment. Deux heures à Navarin avaient pesé bien plus dans la balance que nos longues souffrances et nos douloureuses épreuves tant de fois réitérées. M. Lottin a trouvé ici une lettre de M. de Blosse ville : cet officier se trouvait embarqué sur la gabarre la Chevrette que commandait M. Fabré, et qui est venue de Pondichérv à Batavia , deux mois avant 488 VOYAGE 1828. notre arrivée, pour prendre diverses espèces de plan- Août. les qUe pon désire cultiver dans l'établissement fran- çais de Pondichéry. M. de Blosseville entre dans quelques détails curieux sur les rapports de M. Dil- lon et l'effet qu'ils ont produit dans l'Inde, et il an- nonce que la Bayonnaise, commandée par le capi- taine de frégate Le Goarant, a reçu l'ordre de se rendre immédiatement à Vanikoro, uniquement pour visiter cette île , et s'y occuper des recherches rela- tives au naufrage de M. de La Pérouse. 3l Un navire devant partir le jour suivant et se rendre directement à Anvers, je consacrai cette journée en- tière à expédier mon courrier au ministre. Il se com- posait d'un rapport détaillé sur les opérations et les événemens du voyage , depuis le départ de Hobart- Tovvn jusqu'à l'arrivée à Batavia, auquel était joint une proposition fortement motivée d'avancement et de décorations en faveur des diverses personnes de l'élat-major. A mon passage à l'Ile-de-France, j'avais l'espoir de trouver la nouvelle de ces diverses fa- veurs; mais, en cas d'oubli, je désirais que cette dé- marche ouvrît les yeux du ministère, afin du moins qu'à notre arrivée en France, je n'eusse plus qu'à annoncer à mes compagnons la juste récompense de leurs glorieux et pénibles travaux. Enfin, j'adressais au ministre un tableau de M. Sainson représentant la cérémonie de l'inauguration du monument élevé à la mémoire de La Pérouse, sur les rives de Vanikoro, par les marins de l'Astrolabe. Il me semblait alors que la lithographie pourrait à l'instant s'emparer de DE L'ASTROLABE. 489 ce touchant épisode de notre voyage, et annoncer à 1828. la France que la Nouvelle- Astrolabe venait de s'ac- Ac- quitter d'un devoir sacré. Combien j'étais loin de compte!... Sans amis puissans, sans prôneurs, sans compères, devais-je espérer de fixer les regards de gens occupés d'intérêts bien plus positifs!... Pour avoir ma journée entière à ma disposition , j'avais remercié M. Bousquet qui m'avait prié à dîner; mais il renouvela son invitation dans la soirée pour le jour suivant, et il me fallut bien accepter. A. neuf heures du matin, je suis descendu à terre, t septembre. accompagné de MM. Guilbert et Dudemaine. Le capi- taine Hay a reçu mes paquets pour le ministère, et a bien voulu me promettre de les remettre lui-même au capitaine du bâtiment qui met à la voile le jour suivant. Je me suis ensuite rendu à l'hôtel de Provence, où j'ai trouvé M. Diard , naguère voyageur naturaliste du Muséum d'histoire naturelle de Paris, aujourd'hui employé aux cultures de Java pour le compte du gou- vernement hollandais. M. Diard, qui arrivait à l'ins- tant même de Buyterzorg, m'a annoncé de la part du commissaire -général qu'il eût été très- flatté de me voir, mais qu'il ne lui restait plus que cette journée même pour avoir ce plaisir, attendu qu'il partait dès le jour suivant pour l'intérieur de Java. Comme cette excuse n'était du reste accompagnée d'aucune offre de voiture ni de chevaux , je la pris pour ce qu'elle valait probablement, pour une simple civilité, et je me confirmai dans l'intention de quitter moi-même Batavia dès le jour suivant. 400 VOYAGE 1823. J'ai fait mes adieux au commandant Demann, puis Septembre. je su|s venu m'établir jusqu'à six heures à l'hôtel de Provence pour lire les journaux. M. Quoy a remar- qué un beau bœuf de Bantam qu'on amenait pour le service de l'hôtel, et a pensé qu'il pouvait constituer une espèce nouvelle. Afin de lui en faciliter l'étude et la description, je l'ai fait sur-le-champ acheter moyennant cinquante roupies, et conduire à bord. La peau ira au Muséum , et l'équipage profitera de sa chair ». Je me suis informé auprès de M. Diard de ce que pouvait être le succotùo, animal extraordinaire, d'une espèce inconnue, et cité comme indigène de Sumatra. Il m'a répondu que saccotiro était un des noms du tapir dans la langue de Sumatra, et qu'il était impos- sible que cette île contînt aucune grande espèce de quadrupède qui lui fût restée inconnue. M. Diard ajoute qu'en 1819, il envoya en France sur le sapi- outang une note dont il n'a jamais entendu parler; il croit en outre que M. Reinwartz est jusqu'aujour- d'hui la seule personne qui ait pu fournir des rensei- gnemens positifs sur cette belle espèce d'antilope. A six heures et demie, MM. Guilbert, Gaimard, Sainson, Dudemaine et moi, nous nous sommes ren- dus chez M. Bousquet. Le dîner a été splendidement servi, et réunissait un grand nombre de convives. Tous ces messieurs ont paru très-peinés de voir que j'étais décidé à remettre si tôt à la voile ; mais je leur ' On trouvera cet animal décrit dans la partie Zoologique du Voyage, sous le nom de boeuf a fesses blanches, Los leucopijmnus. DE L'ASTROLABE. 491 ai remis sous les yeux le triste état de l'équipage de 1828. l'Astrolabe, et ils ont été contraints de se rendre à la Septembre, force de mes raisons. Pour des hommes bien portans, le séjour de Batavia n'est plus aussi malsain qu'il le fut autrefois ; mais il pouvait devenir fatal aux mate- lots de l'Astrolabe, dont le moral était pour le moins aussi ébranlé que le physique, et qui se seraient ce- pendant livrés à toutes sortes d'imprudences si on les eût laissé communiquer avec la terre. Je pris donc congé de mes aimables hôtes, et, à onze heures du soir, je me rendis à bord, bien déterminé à ne plus remettre les pieds dans Batavia. Les observations faites par M. Jacquinot au mouil- lage, dans les journées du 30 août et du 1er septem- bre, ont donné pour la longitude de ce point 104° 33' 25" E., par la moyenne des marches des montres 83 et 38 conclues à Manado, et en plaçant Amboine par 125° 49' 27" long. E. Ce résultat est parfaitement conforme à la position de la connaissance des temps *.. ' Voyez note 8. 492 VOYAGE CHAPITRE XXXVIII. TRAVERSEE DF. BATAVIA A I. ILE DE FRANCE, ET SEJOUR D\NS CETTE ILE. i8a8. Sur les sept heures du matin, l'ancre est dérapée, 2 septembre, nous faisons voile, et je me dirige par la route qu'Hors- burgh appelle Gi eat-Outer-Channel, entre les îles Poulo-Dapour et Amsterdam, attendu que la brise du S. O. m'empêche de suivre Xlmier-Channel en rangeant constamment la côte, comme j'en avais le désir. A midi, je me trouvais entre les îles Hoorn, Alk- maer et Edam, quand le vent passant au nord m'a forcé à changer de direction, et à gouverner à l'ouest pour tenter le passage entre Amsterdam et la pointe d'Ontong-Java. Nous avons rangé à moins d'une demi- encâblure la balise d'Ontong-Java ; mais à cinq heures et demie du soir, le vent ayant passé à l'O. S. O., nous avons mouillé une ancre à jet à deux milles au sud de la grande Cambuys, par onze brasses fond de vase molle. La chaleur a été très-forte toute la journée : les DE L'ASTROLABE. 493 côtes de Java, eomme toutes les îles qui les bordent, 1828. sont très-basses; et une brume permanente empêche SePtembre- de rien voir de l'intérieur. A six heures, nous avons remis en route avec une 3. petite brise d'E. S. E. qui a varié au N. E. et au N. Après avoir dépassé la pointe de Man-Eaters, nous nous sommes trouvés près d'un lieu couvert de per- ches surmontées d'une touffe de fucus. M. Dude- maine avec le petit canot a trouvé 7, 6, 5, et même 4 brasses d'eau seulement sur cet espace. En même temps, malgré le calme, le courant nous emportait à l'ouest, et nous a fait passer à trente toises au plus de ce haut-fond; il m'a semblé que ce devait être la partie S. E. des bancs d'Ostrich. Après avoir prolongé la côte méridionale de Babi à demi-lieue de distance, j'ai gouverné au S. O. et S. S. O. vers la montagne de Gounong-Aou, et, à six heures vingt minutes du soir, j'ai laissé tomber l'ancre de poste de tribord, par vingt brasses, fond de vase et coquilles, à deux milles au nord de Poulo-Panjong. Au point du jour, nous avons remis à la voile, et 4. j'ai gouverné de manière à contourner la pointe Saint- Nicholas, à moins de deux milles de dislance. Vers midi, la corvette V Astrolabe cinglait dans le détroit entre Poulo-Renjang et la côte de Java , de concert avec le Lansdown, gros navire anglais qui se trouvait mouillé près de nous à Batavia, et avait appareillé en même temps que nous. De ce moment, nous avons reçu la visite de plu- sieurs pirogues qui nous ont successivement aecos- 494 VOYAGE 1828. tés, et qui nous ont vendu quantité de poules, de Septembre. nattes, de rotangs et de racines à très-bon compte. A quatre heures du soir, la brise ayant passé au S. O., je me suis décidé à mouiller à Agner ; mais le courant m'a entraîné dans le nord, et j'ai été contraint de lais- ser tomber l'ancre de bâbord, par dix-huit brasses, fond de sable et coquilles, à trois encablures à l'ouest du gros rocher Cap. Quand on navigue le long des côtes de Java, il faut que les vigies des bossoirs veillent attentivement aux navires mouillés quand on est sous voiles, et à ceux qui sont sous voiles quand on est soi-même à l'ancre. Car ces parages sont à chaque instant sillonnés par des bâtimens de toutes les nations, et sans une grande vigilance on serait exposé à de fréquens abordages. C'était un genre de danger auquel nous n'étions plus habitués depuis que nous avions quitté le détroit de Gibraltar, c'est-à-dire depuis plus de vingt-huit mois. Les parages de la INouvelle-Zélande, des îles Viti, de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Guinée , se- ront encore long-temps à l'abri de cet inconvénient. 5. Le calme m'a enfin permis de poursuivre ma route dans la matinée comme j'en avais le dessein. A neuf heures et demie du matin, M. M oser, maître du port (haveii-master) d'Agner, est arrivé à bord. Il m'a affirmé que les vivres étaient à très-bon marché à Agner, et que je pourrais même y faire de l'eau si je le désirais : la Chrevretle s'y était arrêtée, tant en allant à Batavia qu'en revenant, et s'y était procuré divers rafraîchissemens. Ces raisons m'ont décidé à DE L'ASTROLABE. 495 passer vingt-quatre heures en cet endroit, pour y rem- 1828. placer l'eau consommée depuis Manado, et nous pro- Septembre. curer quelques vivres frais pour nos malades. A une heure et demie après midi, à la faveur d'une petite brise de S. O., j'ai appareillé, et en deux bords je me suis rendu au véritable mouillage d'Agner, sa- voir à un demi-mille au N. N. O. du pavillon, par douze brasses, fond de vase très-molle. Du mouil- lage, le village d'Agner, entouré d'un beau massif de cocotiers et dominé par des coteaux fertiles et d'une hauteur modérée, offre le coup-d'œil le plus agréable Pi. ccxxi. et le plus pittoresque. Après mon dîner, suivi de presque tous les offi- ciers du bord, je descendis à terre, et je visitai suc- cessivement le village, le fort, la rivière, et les canaux de l'aqueduc qui alimente la citerne où l'on puise l'eau des navires. Sur les bords de cet aqueduc, on me montra une petite pyramide blanche élevée à la mémoire de l'amiral Cathcart, mort à Agner en 1788. L'air était embrasé et l'atmosphère étouffante, ce qui diminuait beaucoup le plaisir que la promenade au- rait pu me procurer sur cette agréable plage. A huit heures et demie, je pris congé de M. Moser, et je me retirai sur V Astrolabe. Ce Moser est un homme sans éducation, simple employé de la colonie, exclusivement livré aux spéculations commerciales ; son poste lui rapporte trois cent cinquante roupies par mois, sans parler des profils éventuels '..lia avec > forez note 9. 490 VOYAGE 18a8. lui un lieutenant de troupes qui commande les canon- septembre. nj[ers du fort, tous hommes de couleur, au nombre de trente ou quarante. Le chef malais, qui porte le titre de résident, a été mis aujourd'hui même en pri- son pour avoir assassiné un homme. Le mouillage d'Agner parait être fort bon dans la mousson d'est; cependant il faut prendre ses précau- tions : car il n'y avait pas plus de deux mois qu'un navire anglais, du port de quatre cents tonneaux, s'était perdu à la côte dans le S. O. du fort, et Ton travaillait encore à en retirer les morceaux pour sau- ver le cuivre. Un autre navire de cinq cents tonneaux échoua aussi un peu dans le N. O. du fort, et se fût également perdu sans les prompts secours que lui fît donner M. Moser. Sans doute, ce sont ces raisons qui ont fait négliger, par les Hollandais , une posi- tion si importante à l'entrée même du détroit , et qui serait devenue un point de relâche si utile à tous les navires destinés pour la Chine, les Philippines et les Moluques. Le Bo?nbay-Castle avait passé et mouillé à Agner trois ou quatre jours avant l'as- trolabe. e. Malgré les promesses de M. Moser, nous n'avons reçu que dans l'après-midi les provisions que je lui avais demandées, consistant en quatre petits buffles, une corde de bois, huit tonneaux d'eau, quelques lé- gumes et une vingtaine de balais. Pour tout cela, M. Moser me présenta un compte de soixante pias- tres, que je m'empressai de lui faire compter. Par- tout ailleurs ce prix eût été modéré, mais à Agner il DE L'ASTROLABE. 497 était exorbitant, et le brave Moser nous traita de Turc 1828. à Maure. Septembre. Toute la journée, nous avons vu dans l'O. S. O. une corvette qui nous a paru être le Lys, ce qui est d'autant plus probable que M. Moser avait reçu une lettre du capitaine Luftemberg, qui lui annonçait sa prochaine arrivée. Sa mission était de croiser sur la côte sud de Java, pour empêcher les navires anglais de vendre de la poudre et des armes aux Javans. Dès que le jour a paru, l'Astrolabe a mis sous 7. voiles, à laide d'une petite brise du S. S. E. qui s'est bientôt établie, et le courant nous a entraînés tout près de Cap. J'ai même vu le moment où il faudrait mettre les canots à la mer pour empêcher la corvette d'aller se heurter contre ce rocher, vers lequel un pouvoir magnétique semblait l'attirer. À midi , de petites brises d'O. nous ont permis de nous en éloigner; puis le courant nous a favorisés dans nos bordées contre la brise du S. et du S. S. O., tellement que de dix heures à minuit nous doublions au vent et à bonne distance l'île Krakatoa. Le vent passe au S. E. et même à l'E. S. E., ce s. qui nous permet de poursuivre notre route au S. O. 1/a O. Au point du jour, l'Ile-au-Prince nous restait déjà dans l'est à toute vue, et il fallait que le courant nous eût portés durant la nuit dans l'ouest avec une force prodigieuse. L' Astrolabe reparait sur la mer des Indes, où elle est accueillie par une forte brise de S. E., des rafales, des grains et une mer très-grosse. Mais elle a désor- TOME V. 32 49. à six heures précises. Je m'y suis rendu à cette heure; mais ayant appris qu'on était à table déjà depuis une heure , je suis allé dîner tranquillement chez moi, à ma grande satisfaction. C'est, en effet, une vraie fa- tigue de siéger à table en habits de drap, durant des heures entières, sous un climat aussi brûlant que ce- lui de Maurice. Les Européens auraient bien dû re- noncer à cette triste étiquette, et se contenter des vestes légères de toile blanche qu'ils portent habi- tuellement dans leur intérieur, .et qui forment aussi notre costume ordinaire à bord. La veille , il nous était rentré quatre des hommes 17. qui étaient à l'hôpital , parfaitement guéris , savoir : .518 VOYAGE i8a8. Lorenzi, Blanchet, Long et Divol; mais aujourd'hui octobre, deux nouveaux dyssentériques, Condriller et Gossi, sont allés prendre leur place. En outre, une lettre du médecin en chef de l'hôpital m'apprend la mort du matelot Bertrand, et je le prie de prendre les mesures convenables pour son inhumation. Nous recevons un paquet de Bourbon, dans lequel se trouve une lettre de M. de Cheffontaines, qui ap- prouve les mesures que j'ai prises, et m'annonce l'ar- rivée prochaine de la Bayonnaise à Maurice. Une let- tre adressée à M. Dudemaine nous prouve qu'on a reçu, en France, mes rapports de la baie des Iles et de Tonga-Tabou. Nous apprenons aussi la nomina- tion de MM. Paris et Faraguet au grade d'enseigne de vaisseau par suite de leur tour d'ancienneté, et ils prennent sur-le-champ les décorations de leur nou- veau grade. Cette nouvelle m'est particulièrement agréable pour Paris, qui a toutes les qualités conve- nables pour devenir un bon officier. Je dîne avec plusieurs officiers de V Astrolabe chez M. Telfair. Quoique le plus grand nombre des con- viés soient des Anglais, ces réunions sont agréables, en ce que les deux maîtres de la maison ont le talent de mettre tous leurs convives fort à leur aise. 18. H arrive de nouvelles lettres de Bourbon. J'en re- çois une de M. Le Goarant, commandant de la Bayonnaise, qui m'annonce son départ de Bourbon. M. Quoy apprend sa nomination à l'emploi de second médecin en chef du port de Rochefort, et M. Lesson sa promotion au grade de chirurgien de deuxième DE L' ASTROLABE. 510 classe. Ces deux faveurs sont bien placées, et me t$*». font espérer qu'on ne laissera pas dans l'oubli les offi- 0c,obre ciers de l'Astrolabe, qui ont tant de droits à de sem- blables récompenses. Mon plus ardent désir, surtout, est que M. Jacquinot, en retour de ses excellens ser- vices, soit promu au grade de capitaine de frégate, convaincu que je suis qu'il est le premier officier de son grade, et que le corps de la marine entier n'au- rait qu'à se féliciter de son avancement. Dans la soirée, je fais une longue promenade avec Faillafé, qui me raconte de nouveau toutes ses his- toires de la guerre de Suffren, et me berce de pro- messes. Toutefois, il se borne à me montrer quelques nuages insignifians qu'il veut me faire passer pour des images de navire : il me semble quelquefois lui voir battre la campagne. A trois heures après midi, je me suis rendu chez 19. mon ami Adam, avec qui j'ai dîné. Puis nous sommes montés ensemble dans sa calèche, et nous avons ra- pidement roulé vers la Savanne. Près de la ville, tout est sec et brûlé, mais la verdure reparaît insen- siblement, à mesure que l'on s'élève au-dessus du niveau de la mer. Cependant les campagnes ne sont guère couvertes que de cannes à sucre, ce qui rend, k la longue, leur aspect assez monotone. A la nuit, nous sommes descendus chez madame Cazot, veuve d'un des chirurgiens de l'expédition de Bougainville, qui nous a donné l'hospitalité pour la nuit. Dès le point du jour, nous nous sommes remis en 20. route, et nous arrivâmes bientôt dans ces belles et 620 VOYAGE 1828. sombres forets qui, naguère encore, formaient une Octobre. sorte de barrière entre la partie méridionale de l'ile et les quartiers du nord. Les Anglais y ont fait ouvrir une route commode qui est presque terminée, et qui sera de la plus grande importance pour l'exploitation des propriétés de cette partie de l'île. Après avoir traversé l'habitation de M. Prudhomme et en avoir salué le maître, nous arrivâmes vers midi à la propriété d'Adam, dans le quartier de la Savane. Elle est tout entière consacrée à la culture du sucre , et n'offre d'agrémens que le bon air qu'on y respire et la grande tranquillité dont on y jouit. Adam voyait toujours avec un nouveau plaisir tourner son moulin et couler son vezou (nom du suc de la canne à sucre), et c'était assez naturel. Pour lui c'était l'eau du Pac- tole, puisque ce vezou devait se convertir en piastres. Mais cela m'ennuya bientôt ; j'aimais mieux aller respirer le frais dans les jolis bois d'alentour, et ob- server les beaux végétaux qui les peuplent, ai. Quelquefois aussi j'aimais à converser avec un vieux marin de la connaissance de madame Adam, qui a long-temps habité l'île Rodrigue, et a servi sous les ordres de Baudin qui commanda au commence- ment de ce siècle l'expédition aux Terres australes, dont Péron et Freycinet firent partie. Je me plaisais à lui faire raconter ses aventures , particulièrement celles qui pouvaient fixer mon jugement sur le ca- ractère et les moyens de Baudin. Les documens que j'obtins par cetle voie me confirmèrent dans l'opi- nion que j'avais toujours eue de ce marin. C'était DE L'ASTROLABE. 521 iSs8. un homme de tête et de caractère; sa navigation cou- rageuse le long des côtes de la Nouvelle-Hollande le Oc,obre prouve assez, surtout quand on la compare avec les travaux hydrographiques de ses deux successeurs : mais il fut mal secondé. L'esprit des savans qu'on entassa sous ses ordres ne pouvait sympathiser avec le ton d'un marin accoutumé au despotisme des bords ; ils se liguèrent avec les officiers pour résister de tout leur pouvoir aux prétentions du comman- dant. Celui-ci de son côté, animé par une morgue malentendue, ne sut pas faire à ses compagnons les concessions indispensables dans la position où il se trouvait. 11 crut pouvoir les mettre à la raison par des actes d'autorité déplacés et qui tenaient tout-à- fait de l'arbitraire. De là ce hourra d'imprécations et de récriminations qui ont retenti contre lui, et qui ont même couvert sa mémoire d'une sorte de déshon- neur. Toutefois il faut convenir que, s'il eût vécu, les choses eussent tourné tout autrement; à son retour, Baudin eût obtenu l'avancement et le crédit qui lui étaient dus, et ceux qui ont tant déclamé contre lui se seraient tus , et se seraient même empressés de lui faire la cour, comme cela s'est vu depuis en d'autres circonstances toutes pareilles. Mes compagnons de voyage comprendront parfaitement ce que je veux dire; je n'ai pas la moindre crainte qu'ils me soup- çonnent ici de faire allusion au voyage de VAstrolabe, tant il serait difficile de trouver aucun point de com- paraison entre cette dernière expédition et celles qui l'ont précédée ! . . . 522 VOYAGE 1828. On sait qu'à l'Ile-de-France on nomme en général 22 octobre. orèdes les jeunes feuilles de diverses plantes cuites dans un jus de viande. Les créoles aiment beaucoup ce mets, et j'avoue que j'y pris goût sur-le-champ. Les brèdes les plus communes sont celles qui se font avec les jeunes pousses du solarium ni'grum ou du solanum villas uni, plantes que l'on croit en général malfaisantes en Europe. Les noirs mangent avec dé- lices les brèdes de cleome pentaphylla, que leur odeur fétide a fait nommer brèdes caga. On m'avait souvent assuré qu'on pouvait faire de très-bonnes brèdes avec les jeunes pousses de la fou- gère, que les naturalistes nomment asplenium nidus- avis, et qu'à Maurice on appelle langue de bœuf; cependant je n'avais eu aucune occasion d'en goûter. J'avais prié vivement Adam de me mettre à même d'en juger; il envoya un de ses noirs dans la forêt, et au dîner on servit des brèdes de langue de bœuf, et même une salade de ces feuilles. J'ai trouvé ces deux mets excellens, et j'ai regretté singulièrement de n'avoir pas connu ce ragoût qui m'eût été si utile dans ma longue campagne : je n'aurais point été ré- duit à la dure nécessité de passer des mois entiers privé de toute nourriture végétale fraîche, attendu que toutes les forêts de la Polynésie sont remplies de plantes d' asplenium nidus-avis. On prend les jeunes pousses encore roulées en crosse, on les fait bouillir, on jette la première eau , puis on les assaisonne en soupe avec du lard, ou bien en salade avec de l'huile. Il en est de même des brèdes de songe ou arum escu- DE L'ASTROLABE. 623 lentum, qui sont aussi fort agréables au goût. Je dois 1828. recommander l'emploi de ces végétaux aux capitaines Oclobie- appelés à faire des voyages comme celui de l'Astro- labe, tant pour leur usage que pour celui de leurs officiers et de leur équipage. Sur le désir que j'ex- primai, on me montra aussi des feuilles de faham, plante fort recherchée des créoles pour son agréable odeur, et regardée comme un excellent spécifique contre diverses maladies. Sur-le-champ je reconnus qu'elles appartenaient à une espèce ftepidendrum, et j'ai vu à mon retour que cette plante avait été décrite par M. Du Petit-Thouars sous le nom ftangrœcum fràgrans. Il n'y avait que quelques années qu'on l'avait trouvée à Maurice; jusqu'alors on la croyait exclusivement indigène de Bourbon. J'ai appris avec surprise que les noirs ont, au sujet des anguilles monstrueuses que nourrit le grand bas- sin, des idées toutes semblables à celles de quelques peuples de l'Océanie, touchant les mêmes animaux. Us sont persuadés que ce sont des diables ou esprits, ce qui leur inspire pour eux une terreur respec- tueuse. Quelques-uns de ces poissons parviennent à des dimensions monstrueuses, ce qui suffirait poul- ies rendre redoutables à des hommes nus, indépen- damment de toute idée religieuse. De bon malin je quittai la Savane, et je fus de retour 23. au port à quatre heures du soir. Dans cette course , j'eus encore l'occasion d'observer la différence ex- traordinaire qui existe entre la température des quar- tiers élevés de l'Ile-de-France et celle du mouillage. 524 VOYAGE 1828. Je me suis rendu à l'invitation de M. Le Goarant, a4 octobre. p0ur déjeuner avec lui. Un coup-d'œil rapide jeté sur son bâtiment et sur son équipage m'a bientôt prouvé qu'il avait été bien mieux traité que moi. La bonteuse parcimonie qui avait présidé à l'armement de V As- trolabe ne se montrait point dans les diverses installa- tions de la Bayonnaise. En examinant son cabestan, je poussai un soupir amer en songeant combien une machine pareille nous aurait épargné de peines, de soucis et de fatigues en mainte et mainte circonstance. J'insiste sur ces détails, afin que jamais un capitaine ne se trouve par la suite dans une aussi fâcheuse position. M. Le Goarant répondit avec complaisance aux questions que je lui adressai sur sa campagne. Mais je fus bientôt convaincu que l'on ne s'était nullement occupé à bord de la Bayonnaise de recherches scien- tifiques, ni même de travaux géographiques. J'appris même avec étonnement que M. Le Goarant, dont l'unique mission était de rechercher à Vanikoro les traces du naufrage de Lapérouse, n'avait pas même tenté de pénétrer dans ce mouillage, et qu'il s'était contenté d'envoyer ses canots en reconnaissance. Alors je ne trouvai nullement surprenant que ce capi- taine eût pu conserver son équipage en bonne santé. C'est le cas de rappeler qu'après deux années de la navigation la plus pénible et la plus laborieuse, V As- trolabe n'avait pas un seul malade trois jours avant que les terribles fièvres de Vanikoro vinssent fondre sur nous. DE L'ASTROLABE. 525 La B (lyonnaise fut mal accueillie par les habilans 1828. de Tikopia, et ils ne voulurent point permettre aux Octobie- Français de descendre sur leur île. Cependant le las- car Joe consentit à s'embarquer avec M. Le Goarant, et il se propose d'aller en France. La nouvelle qui m'a été le plus agréable a été d'ap- prendre que les naturels de Vanikoro avaient respecté le monument élevé par V Astrolabe à la mémoire de Lapérouse. Ils firent même quelques difficultés quand les marins de la Bayonnaise s'en approchèrent pour clouer une médaille en cuivre près de celle que j'a- vais fait encadrer auprès de l'inscription. Ce respect de la part des insulaires promet du moins à noire modeste édifice toute la durée dont il est susceptible, eu égard à la nature de ses matériaux. Les symptômes de dyssenterie semblant s'aggraver chez moi, je gardai plusieurs jours le bord, et ne le quittais le soir qu'une heure ou deux pour faire un tour de promenade sur l'île aux Tonneliers. Ce jour je fis remettre à M. Lafitole, gendre et 29. aide-de-camp de M. de Cheffontaines, une caisse en fer-blanc soudée, contenant un nouveau duplicata de mes rapports, et surtout des demandes que j'adresse au ministre, en faveur des officiers de V Astrolabe. Dans l'état valétudinaire où je me trouve, il pour- rait arriver que je vinsse aussi à payer mon tribut à la mort; il serait fâcheux que ce motif empêchât mes compagnons de recevoir les récompenses qui leur sont dues. Vers deux heures de l'après-midi, la frégate por- 3o. 5.26 VOYAGE ïHaS. tant le capitaine de vaisseau Skipsey, qui commande Octobre. Ja division navale anglaise du cap de Bonne-Espé- rance, a mouillé sur la rade. La terre et la rade ont salué son pavillon, puis la frégate a rendu ces saluts. Dans noire marine, jamais un capitaine de vaisseau ne reçoit de semblables honneurs. M. Faillafé vient partager ma promenade du soir, et m'indique encore deux petits nuages qu'il veut me faire passer pour l'annonce de deux navires à trois mâts. Du reste, je suis à peu près aussi avancé, lou- chant sa prétendue faculté, que lors de ma première entrevue avec lui, et mon opinion sur ce singulier personnage est toujours indécise. Est-ce un illuminé de bonne foi , qui croit voir des navires dans les nua- ges, ou bien un charlatan rusé qui, sous le masque de la loyauté et de la simplicité, se joue de la bonne foi de ses compatriotes et s'amuse de leur crédulité? J'avoue que je serais bien embarrassé de décider la question. 3i. Dans la matinée, je suis allé avec M. Le Goarant rendre visite au commodore Skipsey. C'est un petit vieillard de soixante-dix ans, qui parait encore très- vif et très-actif. Le nom de sa frégate est Maidstone; les autres bâtimens de sa division, en rade de Mau- rice, sont le sloop Sparrowhawk, capitaine Pockin- gorne; le brick Helicon, capitaine Stanhope, et le brick Espoir, capitaine G reville. i novembre. C'était la maison Wiehe qui s'était chargée de nous fournir tous les ouvriers et les matériaux néces- saires pour les réparations de V Astrolabe. Le compte DE L'ASTROLARR. 627 a été réglé aujourd'hui, et ne monte pas à trois cents 1S28. "piastres, somme très-modique pour l'Ile-de-France. Novembre. On ne pourra certainement pas reprocher à notre ex- pédition les dépenses qu'elle aura occasionées. 31 M. Le Goarant et Gués, qui déjeunaient avec 2. moi, m'ont annonc î qu'ils s'attendaient chaque jour à voir paraître ici la gabarre la Zélée, commandée par le lieutenant de vaisseau Poutier, et qui conduit à Pondichéry M. de Melay, gouverneur des établis- semens français dans l'Inde. Un capitaine grec nommé Kephala fait beaucoup 4. de démarches pour armer un bâtiment en corsaire, et le conduire en course sur les côtes de la Mer- Rouge. Cette expédition sourit singulièrement à l'es- prit aventureux des jeunes habitans de Maurice; mais beaucoup de personnes pensent que Kephala se bor- nera à aller faire le commerce à Batavia. Cet homme répand le bruit qu'il a levé des cartes de l'archipel grec, qu'il a fait publier h Paris ; mais je suis forcé de répondre à ceux qui m'en parlent que je n'en ai point connaissance. Plusieurs salves de vingt-un coups de canon cha- 5. que ont été tirées par les vaisseaux et les forts an- glais : on m'a appris qu'elles avaient pour motif l'anniversaire du jour où fut découverte la fameuse conspiration des poudres. Dans la soirée, je fais un tour de promenade avec 6. M. Lottin le long de la rivière des Lataniers. Si ce quartier était mieux boisé, il serait fort commode pour venir rêver au bord de la mer, et jouir du spec- 628 VOYAGE i8î8. tacle animé des navires qui entrent dans le port et en Novembre, sortent. 7. M. Singery, à qui je parlais du désir que j'avais de posséder un vocabulaire complet de la langue made- kass pour comparer ses racines avec celles du malais et des idiomes polynésiens , me cita un habitant res- pectable de la colonie comme s'étant occupé fort long- temps de ce genre de travail. En conséquence , je me présentai chez cette personne qui me reçut fort poli- ment , et s'empressa de remettre à ma disposition ses immenses matériaux. J'ai transcrit sur-le-champ, mais par extrait seulement, tout ce qui est relatif au voca- bulaire, et je compte en faire usage lors de ma discus- sion des langues de l'Océanie. Ici je me contenterai de dire que j'ai trouvé dans le madekass beaucoup moins d'affinité avec le malais que je n'en attendais 5 mais, en retour, j'ai reconnu que le madekass se rap- prochait beaucoup du polynésien. Cette occupation me confina plusieurs jours à bord. Je remerciai plusieurs personnes qui m'adressèrent des invitations; car ma dyssenlerie continuant, ces dîners d'apparat étaient trop pénibles pour moi, et je préférais suivre le régime diététique que je m'étais imposé. Mon unique distraction était d'aller le soir à la rivière des Lataniers. ,3 Comme il devait y avoir dans la soirée course de canots sur la rade , les marins de V Astrolabe avant, témoigné le vif désir de participer à cette joute, le grand canot a été remis à leur disposition, et le maître de l'équipage Collinet s'est chargé de sa conduite; il DE L'ASTKOIATiE. 520 était armé par douze de nos hommes. Bien qu'il eût 182s. à lutter contre des embarcations bien plus légères et Novembre.' mieux appropriées à ce genre de concours, nos hom- mes ont fait de tels efforts que leur canot est arrivé le cinquième au but, et a gagné le dernier prix promis, qui était de vingt piastres. La course était de deux mille cent cinquante toises ; elle a été fournie en vingt-six minutes par le vain- queur: notre canot a employé trois ou quatre minutes de plus. Le canot qui a remporté le prix appartenait au second capitaine du port. C'était une embarcation à clin, fort légère, et armée par les hommes les plus vigoureux du Sparrowhawk. Depuis quelques jours , nos charpentiers travail- laient à construire une nouvelle cage plus solide et plus vaste pour nos babiroussas qui se trouvent très-bien du climat de Maurice, et reçoivent journel- lement la visite des curieux de la colonie. Ces gens sont aussi attirés par la manie d'acheter de nos mate- lots des coquilles, des armes, ou des objets d'indus- trie provenant des sauvages de la Polynésie. Je tolère dans les matelots et dans les officiers mariniers celte espèce de négoce , pourvu qu'il ne soit point trop patent, car je crains que d'ici à long-temps ce ne soit l'unique avantage que ces malheureux auront retiré de leur pénible campagne. Quelques matelots même profitent de l'empressement des habiîans de Maurice, pour leur vendre des coquilles qu'ils ont recueillies à Maurice même; et ces amateurs s'en vont, glorieux de posséder quelque chose de V Astrolabe, TOME V. 34 530 VOYAGE ïSaS J'ai reçu la visile du lascar Joe, que la Bayonnaise Novembre. a amené de Tikopia. Je lui ai demandé pourquoi il avait consenti à suivre M. Le Goarant, tandis qui! s'était opiniâtrement refusé à toutes nos instances, et pourquoi les habitans de Tikopia avaient aussi mal accueilli la Bayonnaise. Joe me conta que, peu de temps après notre passage, une maladie épidémique avait attaqué la petite population de Tikopia, et avait fait périr cent quinze naturels en peu de temps : sa femme s était trouvée de ce nombre, et ce motif l'avait engagé à quitter Tikopia pour passer en France, où il espérait que le roi lui ferait des présens. Mais il a changé d'avis depuis quelques jours : il va se diriger maintenant vers Calcutta, d'où il retournera h Tiko- pia , pour rejoindre un fils âgé de dix ou douze ans qu'il a laissé sur cette île. Cette maladie a été aussi la cause pour laquelle les habitans de Tikopia n'ont pas voulu que les marins de la Bayonnaise missent le pied sur leur île ; car ils sont persuadés que cette maladie leur a été donnée ' par le méchant esprit que nous leur avions apporté, et lorsqu'ils ont appris que la Bayonnaise appartenait à la même nation que V Astrolabe y dans la crainte d'un nouveau malheur, ils se sont refusés à laisser les Français descendre sur leur sol. a Joe m'a dit en outre que Nero, chef de Tevaï, lui avait raconté que nos cinq passagers de Tikopia avaient péri dans la nuit orageuse qui suivit leur dé- part de Yanikoro. Il est certain du moins qu'on ne les revit point à Tikopia. Enfin, Joe m'a assuré que notre DE L'ASTROLABE. 531 mausolée était parfaitement tapou pour les habitans 1828. de Vanikoro, et qu'ils n'avaient aucune envie de le Novembre- détruire. Tous nos travaux sont enfin terminés, notre grée- 14. ment a été visité en entier, notre arrimage refait, et le navire a été peint de frais extérieurement et inté- rieurement. Aussi a-t-il maintenant une toute autre tournure, et les habitans ne peuvent plus le recon- naître. J'accorde le 15 et le 16 à l'équipage pour se reposer, et lundi 17, nous devons remettre à la voile. Comme je dînais chez Adam, je m'y suis trouvé avec le capitaine Guilbaud du beau navire de Nantes le Messager de Bourbon. Il a fait sa traversée en quatre-vingt-trois jours, et m'a donné quelques nou- velles de France. Ces navires apportent à lTle-de- France des mules qui se vendent très-bien , car ces animaux remplacent très-avantageusement les escla- ves pour une foule de travaux de force. Or, la rareté croissante des esclaves fait beaucoup hausser leur prix, et les colons font tout ce qu'ils peuvent pour ménager leur existence. Le grand canot a ramené de l'hôpital les hommes t$, de l'équipage qui s'y trouvaient encore, savoir : Rey- naud, Rancurel, Grasse, Boutin, Jean-Jacques, Lis- nard, Vignau et Karavel. Les cinq premiers sont en- core assez mal, et resteront probablement à Bourbon. J'ai dîné chez M. Telfair avec quelques officiers de V Astrolabe; nous y avons trouvé le commandant et les divers capitaines de la division anglaise. Tous ces 34* 532 VOYAGE 1828. officiers nous ont fait beaucoup de politesses, et le Novembre. repas a été assez joyeux. 16. Je passe toute la matinée à parcourir une longue file de journaux du commerce, jusqu'à la date du 12 avril, que m'a envoyés le capitaine Guilbaud. Cette lecture prouve que toutes les faveurs se sont concentrées sur la division du Levant, et que le mi- nistre de la marine n'a pas même songé à V As- trolabe. J'ai terminé dans la journée mes nombreuses visites aux diverses personnes de la colonie dont j'avais reçu des politesses ; aujourd'hui je prie celles entre les mains desquelles tombera ma relation, de recevoir de nouveau tous mes remerciemens. Souvent mon ima- gination franchit les mers, et va se reporter au milieu de l'île hospitalière dont les habitans, en deux cir- constances diverses, m'ont fait un si aimable accueil, et m'ont environné de tant de prévenances et d'at- tentions. 17. Le pilote est venu dans la matinée à bord, et a conduit V Astrolabe hors du trou Fanfaron, Puis elle est restée amarrée vers le fond du port, toute prête à mettre à la voile dès que j'en donnerai l'ordre. Mais le calme a persisté, il est même survenu de la pluie qui a duré jusqu'à quatre heures du soir ; alors je me suis décidé à ajourner l'appareillage au lendemain. • J'ai encore reçu pour le surlendemain une invi- tation à dîner du major Colebrook, l'un des commis- saires d'enquête envoyés par le gouvernement à Mau- rice, pour recevoir les plaintes des habitans et exa- DE L'ASTROLABE. 633 miner la conduite des fonctionnaires. J'aurais été bien 1828. aise de connaître un individu chargé de fonctions Novembre aussi importantes, mais je fus obligé de m'excuser sur mon départ immédiat '. 1 Voycs note 10. 53i VOYAGE CHAPITRE XXXIX. TRAVERSEE DE L ILE-DE-F3 ANCE AU CAP I>E BCNNE-ESrERANCE , LT SEJOUR SUR LA BATE DE LA TABLE. !tj28. Au moyen d'une petite brise d'E. S. E., nous avons î 8 novembre, mis à la voile à six heures du matin ; mais presque aussitôt nous avons touché, ce qui nous a retardés encore une heure. Enfin, nous avons fait définitive- ment route, le pavillon a été dépassé, et nous avons cinglé vers Bourbon. Au large nous avons trouvé une houle du sud très-creuse, et le vent nous a peu favo- risés. m,. Cependant le jour suivant, aux premières lueurs du crépuscule, nous aperçûmes la pointe sud de Bourbon dans l'ouest à huit ou dix lieues de dis- tance. Vers sept heures , nous accostâmes la terre à l'endroit nommé les Cascades, puis nous prolon- geâmes la côte à moins d'une lieue de distance, chas- sés par une forte brise de S. E. A quatre heures et demie, parvenu devant le Barachois, je mis de bonne heure en travers pour attendre le pilote qui se diri- geait vers la corvette, afin qu'il pût me conduire au DE L'ASTKOLAJJE. 535 mouillage. Mais son canot était si mal armé et il ma- 182s. nœuvrait si mal, qu'il ne put nous accoster, et je dé- Novembre* rivai considérablement sous le vent avant qu'il pût nous joindre. J'essayai de courir un bord ou deux pour me relever, mais le courant qui portait au nord était si fort que nous tombâmes de plus en plus sous le vent. Enfin, vers cinq heures et demie, je fus obligé de laisser tomber l'ancre par vingt brasses devant les falaises escarpées du gouffre. Cette position était fort mauvaise, mais le pilote m'assura qu'il fallait attendre la brise de nuit et le reversement de la marée pour regagner le mouillage, car avant ce moment tous mes efforts seraient inutiles. Le capitaine du port, M. Desplanches, ne fut pas plus heureux que le pilote pour atteindre le bord; il eut même beaucoup de peine à regagner la ville, tant son embarcation était mauvaise et mal armée. Certes il y avait une différence énorme, et qui n'était nulle- ment à l'avantage des Français, entre la manière dont les établissemens de la marine étaient tenus à Bour- bon et à Maurice. Ici tout annonçait l'ordre, le soin, la vigilance et l'opulence du gouvernement. Là tout accusait la négligence, l'indifférence et la pauvreté de l'administration. Pas une chaloupe, pas une embarcation ne fut en- voyée pour m'aider à regagner le mouillage , bien qu'on connût l'état de faiblesse où se trouvait l'équi- page de V Astrolabe. En vérité, si je n'avais pas vu le pavillon français flottant vers le bout de la jetée et les maisons de Saint-Denis, j'aurais pu croire que je me f; 5 36 VOYAGE 1S28. trouvais encore dans une des îles de la Polynésie. 20 novembre. ^ tro;s heures el demie du matin , l'ancre a été pi. ccxxrx. relevée, nous avons couru deux longues bordées au large, et, à midi, nous avons laissé retomber l'ancre en tête de rade par dix-sept brasses, fond de sable fin. Sur-le-champ j'ai expédié M. Dudemaine chez le gouverneur pour lui demander des bras et une cha- loupe pour le service de la corvette. En même temps, les cinq malades dont les noms suivent ont été en- voyés à l'hôpital : Reynaud, Rancurel, Grasse, Bou- tin et Jean. La journée s'esl écoulée sans que je reçusse la ré- ponse de ma demande au gouverneur. Nous n'avons enfin obtenu qu'une très - mauvaise chaloupe dans l'état le plus délabré, et même dégarnie de la plupart de ses avirons. 2I. Les matelots Lorenzi, Lecourt et Vignau sont par- lis pour l'hôpital, plus affectés encore par la peur que par la maladie. Chose singulière ! la crainte qui tour- mente le plus Lorenzi, est de mourir en pleine mer et d'être mangé par les poissons. Au moins, en expi- rant sur la terre, il sera enterré et ne sera dévoré que par les vers. C'est là une idée bien digne d'un Italien !... A dix heures, je me suis rendu chez M. de Chef- fontaines, homme poli et d'un caractère très-doux, mais dans lequel j'ai trouvé peu de ressources pour me procurer les moyens de renforcer mon équipage affaibli. Il paraît même singulièrement répugner à prendre sur lui de faire la moindre démarche. Heu- DE L'ASTROLABE. 537 reusement l'ordonnateur, M. Jurien, montre un inté- 1828. rêt plus vif pour la mission de l'Astrolabe ; il m'a Novembie- promis ses bons offices, et m'a assuré qu'il fera tous ses efforts pour nous procurer quelques hommes. Je passai le reste de* la journée au gouvernement, où M. de Cheffontaines mit une chambre à ma dispo- sition, *et je parcourus une longue file de Moniteurs qui achevèrent de me mettre au courant de la poli- tique européenne. Les nommés Bernard, Condriller et Karavel par- 22. tent pour l'hôpital. M. Gaimard est très-malade à terre, M. Gressien est repris par la fièvre, et M. Fa- raguet demande un billet pour l'hôpital. Nous recevons sept hommes du Colibri, et M. Ju- rien a donné des ordres pour nous en procurer encore quelques autres. Notre équipage est réduit au dernier degré d'affaiblissemenl et de découragement; loin de se ranimer par la perspective d'un prompt retour dans leur patrie, le moral de ces hommes semble s'af- faisser de plus en plus. On dirait que leur imagi- nation, toute remplie des dangers qu'ils ont essuyés, est tourmentée par l'idée fixe que l'Astrolabe n'est pas destinée à revoir la France. Si je restais seule- ment dix jours à Bourbon, ils finiraient par aller tous à l'hôpital. Tout étant prêt pour le départ, je devais mettre à 23. la voile; cependant je me suis décidé à relarder l'ap- pareillage de vingt-quatre heures, dans l'espoir que M. Quoy m'a donné que M. Gaimard pourra se trou- ver en état de rejoindre le bord. M. Jurien ayant 638 VOYAGE iSas. témoigné le désir de placer dans la salle du conseil Novembre. co]onial Un des débris du naufrage de Lapérouse, comme souvenir du passage de V Astrolabe à Bour- bon , je lui remets un des grands crocs que nous avons rapportés de Vanikoro*. M. Gaimard se trouvant encore plus souffrant, et s'étant décidé à attendre le passage de la Bai/Vmiaise à Bourbon, pour opérer son retour en France, je ne juge pas à propos de prolonger mon séjour dans cette colonie. La pluie a tombé par torrens jusqu'à deux heures après midi ; dès qu'elle a cessé, nous levons l'ancre et mettons à la voile. En ce moment même nous rece- vons encore quatre matelots qui nous sont envoyés par M. Jurien, qui, joints à ceux que nous avons obtenus, renforcent un peu notre équipage fort affai- bli. Nous laissons quatorze personnes à Bourbon, en y comprenant MM. Gaimard et Faraguet i, Dès que nous eûmes doublé la partie septentrio- nale de Bourbon, nous gouvernâmes au S. O. et S. O. l/i O., autant que le vent pouvait nous le per- mettre. Dans les journées du 28 et du 29, nous passions à quarante-cinq lieues environ des terres les plus mé- 28. ridionales de Madagascar. Le 28 au matin, j'annonçai aux officiers que , pour me conformer à la lettre de mes instructions, je leur demanderais leurs journaux à notre arrivée au détroit de Gibraltar, afin qu'ils 1 / oyez note 1 1 . DE L'ASTROLABE. 539 eussent à les mettre en règle. En outre, pour leur 1828. donner plus de temps, afin de terminer leurs caries, Novembre. je confiai un quart à M. Dudemaine, ce qui les met- tait à six quarts. Par la latitude de 28 à 30°, nous jouîmes d'une température délicieuse, et les rosées redevinrent abondantes durant les nuits. Mais les eaux sont dé- séries, et n'offrent ni poissons, ni mollusques, ni même d'oiseaux. Seulement de nombreux flocons de bacillaires passent le long du bord. Dans un calme plat, par 29° lat. S., le thermomé- 2 décembre. trographe n° 6 est envoyé à trois cents brasses de profondeur, et y reste vingt minutes. De cette expé- rience , il résulte que la température , qui était de 23°, 2 à l'air libre, et de 22°, 7 à la surface de la mer, ne descend à trois cents brasses de profondeur qu'à l4o, 9. Par le parallèle de 30 à 32» lat. S., et depuis le 41° de longitude orientale jusqu'au 32e, je remarquai que la mer, habituellement calme et tranquille dans la matinée , se formait dans la soirée en lames très- creuses et fort longues, sans que l'action du vent y entrât pour rien. Je ne pouvais expliquer ce singulier phénomène que par les effets de la marée. On se rap- pelle que déjà, tandis que nous étions suspendus le long des récifs de Tonga-Tabou, j'avais remarqué que, pendant la durée du jusant, la houle était bien plus prononcée que lorsque la marée montait. Des circonstances semblables ont sans doute lieu dans les mers libres. 540 VOYAGE 1828. Dans la journée du 7, nous essuyâmes un coup de 7 décembre. venl ^'O. S. O. assez violent, qui nous força de rester à la cape durant vingt-quatre heures environ. En outre, du 5 au 8, nous avons eu quarante-cinq milles de courant à l'E., ce qui ne nous avance guère. 9 A sept heures du matin, au milieu d'un calme pro- fond, le thermométrographe a été envoyé à quatre cents brasses sans qu'on ait trouvé le fond. Le ther- momètre indiquait 19°, 2 à l'air libre, et 21°, 3 à la surface. A quatre cents brasses de profondeur, la température s'est trouvée de 13°, 6. Il semblerait que dans ces parages les eaux de la mer, à cette profon- deur, seraient moins froides que dans les zones plus voisines de l'équateur. 10. Dans la soirée du 10 et dans la nuit suivante, un vent très-violent du S. O. souleva encore une mer très-dure, et nous força de remettre à la cape. Les vents d'ouest continuèrent ensuite à souffler durant plusieurs jours de suite, et rétablirent des courans de la même partie *. 15. 11 était à peu près dix heures du matin, quand un brick parut de l'avant, faisant route à contre-bord à nous. Il laissa bientôt porter, et, à onze heures, il passa à une ou deux encablures sous le vent de l'As- trolabe sans mettre son pavillon. En ce moment, dans les bandes que le roulis lui imprimait, nous dis- tinguâmes trente ou quarante tètes de nègres qui pa- raissaient accroupis sur la dunette. Je crus devoir en 1 Voyez note 12. DE L'ASTROLABE. 541 4 «78. Décembre. conclure que ce navire était un négrier qui venait de faire sa honteuse cargaison sur la côte d'Afrique, et qui se dirigeait vers Bourbon pour y introduire ses noirs en contrebande; mais j'admirai l'audace qu'il avait eue de venir passer aussi près de nous. Je n'a- vais point d'instructions touchant les navires cou- pables de ce commerce, et il ne m'appartenait point de changer la nature de ma mission, sans quoi j'au- rais pu facilement lui donner la chasse. Reste à savoir si V Astrolabe aurait pu le gagner, car ce brick sem- blait être bien gréé et bon marcheur; c'est peut-être le motif qui porta le capitaine à payer d'audace. Il poursuivit sa route dans le S. E., où nous ne tar- dâmes pas à le perdre de vue. Le matin, on ne trouve point de fond par cent cin- if, quante brasses. Le thermomètre à 20°, 5 à l'air libre, indique 20°, 9 à la surface de la mer, et 17°, 9 à cent cinquante brasses au-dessous. A cinq heures et demie du soir, on ne trouve pas davantage fond à cent quatre-vingt-dix brasses. A l'air libre, la température est de 22° 4 , à la surface des eaux de 23°, 5, et à cette profondeur de 20°, 5. Ces deux expériences indiquent que le voisinage du continent diminue le refroidissement des couches sous-marines. En effet, notre point ne nous place pas à plus de dix lieues de la côte de Natal, dont je désire prendre connaissance chemin faisant. La brise d'est nous permet de gouverner à l'ouest. 17 A cinq heures du matin, nous reconnaissons la côte d'Afrique au N. O., à la distance de quinze ou vingt 542 VOYAGE 1828. milles. Elle est basse et dominée à l'intérieur par des Décembre, montagnes médiocrement élevées. La partie de la côte devant laquelle nous avons altéri doit être la rivière de l'Infanta, autrement Fish-River suivant les Anglais. La brise fraîchit à l'est, et nous prolongeâmes ra- pidement la côte à la dislance de huit à dix milles. Toute cette partie est médiocrement élevée, et cou- verte par intervalles de sables nus et blanchâtres. A trois heures et demie, la sonde donna soixante- deux brasses, fond de sable gris. A cinq heures, nous commençons à découvrir les petites et basses îles de Chaon ou Bird sous la terre, et, à cinq heures et demie, nous ne passions pas à plus de huit milles au sud du plus grand de ces îlots. Il me fut néanmoins impossible, ainsi qu'à Cannac, placé sur les barres de perroquet, de voir le rocher Doddington, qu'Hors- burgh place, d'après Fitz-Maurice, à six ou sept milles au S. O. de ces îlots; de sorte que nous-mêmes n'eussions pas dû en passer à plus de deux ou trois milles. Nous avons ensuite rangé le cap Recife à deux ou trois lieues de distance, mais les grains nous ont dé- robé la vue des terres à l'approche de la nuit. De trois heures à cinq heures du soir, nous avons vu passer des lits entiers couverts , en apparence , d'une poussière fine et rougeâtre. En l'examinant au microscope, M. Quoy a trouvé qu'elle était formée par des myriades de vibrions très-agiles et pourvus d'un point imperceptible, le seul qui fût coloré dans DE L'ASTROLABE. 543 toute leur substance, qui du reste est entièrement 1828. diaphane. Décembre. La terre d'Afrique s'est montrée confusément au 18. jour à cinq ou six milles de distance. Toutefois , à huit heures un quart du matin, nous avons reconnu dans le nord la pointe sud de la baie Saint-François et les trois pitons qui dominent le cap Das Serras. A six heures du soir, nous avons trouvé soixante- douze brasses, fond de gravier et fragmens de co- quilles. Ce que nous avons vu de la côte méridionale de l'Afrique, hier et aujourd'hui, nous a démontré que les cartes, tant anglaises que françaises, qui existent sur cette partie du monde sont fort incorrectes. On peut dire que cette côte, fréquentée depuis quatre ou cinq siècles, était encore plus mal tracée que beau- coup de parties de la Polynésie. Nous devons espérer que les travaux du capitaine Owen auront fait dispa- raître cette large lacune dans l'hydrographie de l'an- cien continent. Du 16 au 17, il y a eu quarante milles de courant au S. O. •/< S., et du 17 au 13, trente-un milles à l'O. 7* S. O. Puis il a beaucoup diminué. Une brume épaisse nous a dérobé toute vue de terres. Un beau navire à trois mâts, peint à batterie et de la même force que V Astrolabe , parait suivre aussi la même route. La mer est chargée, jusqu'à une certaine profondeur, de chaînons de salpas disposés sur deux rangs, qui atteignent souvent huit ou dix pouces de longueur. On dirait presque, à la~première 19- 20. 2t. 544 VOYAGE 1828. vue des feuilles de zostera ou de caalinia fanées et Décembre, décolorées. A huit heures du soir, les observations faites le matin et notre point nous plaçaient précisément à cinq ou six lieues au sud du Coin du cap des Aiguilles et à moins de quatre lieues de terre. Mais une brume épaisse et générale nous a dérobé toute la journée la vue des terres. Nous avons donc quitté le bassin delà mer des Indes pour cheminer désormais dans celui de l'Océan-At- lantique; c'est un grand pas de fait vers notre patrie. Des grains et des nuages épais m'ont encore beau- coup contrarié pour la reconnaissance des terres du cap de Bonne-Espérance. Cependant, à sept heures du matin, cent trente brasses de ligne filées sans trouver fond m'ont fait penser que j'avais déjà dépassé son méridien. Nous avons remis le cap au nord, et toute la journée nous sommes restés en calme, ou ballottés par de faibles brises variables en tous sens, sous les terres escarpées du Cap. Dans les deux jours suivans, les courans nous en- traînent dans l'ouest, et nous courons des bordées contre des vents assez frais, et des courans violens venant du N. et du N. N. E. pour atteindre le mouil- lage de la baie de la Table. Enfin, le 23 à midi, nous parvenons à doubler la pointe du Lion et à donner dans la passe entre l'île Robben et Green-Point : deux heures après nous mouillâmes en tête de rade par sept bra'sses et demie, fond de sable. 23. DE L'ASTROLABE. 545 Nous trouvâmes sur la rade la corvette la Zélée, 18*8. commandée par le lieutenant de vaisseau Poutier, qui Décembre, portait le gouverneur de Pondichéry, M. de Melay, à sa destination ; la flûte le Madagascar, destinée pour le service de Bourbon, et commandée par l'enseigne auxiliaire Halley, le sloop de guerre anglais le Cro- codile, et une quarantaine de navires marchands de toutes dimensions. C'était la première fois que je me trouvais sur la rade du Cap; je ne cessais d'admirer l'étendue de ce beau bassin et le spectacle imposant qu'offrent les montagnes qui le dominent, si remar- pi. ccxxx. quables par leurs formes bizarres et sévères. J'avais été cruellement contrarié, en 1824, de passer aussi près de celte pointe de l'Afrique, sans pouvoir jeter un coup-d'œil sur sa nature, et j'étais charmé de pouvoir enfin satisfaire ma curiosité, L'Afrique était d'ailleurs le seul continent dont je n'eusse point foulé le sol ; j'avais seulement à diverses reprises prolongé certaines parties de sa côte septentrionale sans y mettre les pieds. Dans la soirée, je fis une visite au consul de France, M. deLailre, qui m'offrit ses services, et que je char- geai du petit nombre de fournitures nécessaires à V Astrolabe. Puis je fis un tour dans le jardin public, qui semble être un charmant oasis au milieu des dé- serts dont la ville est environnée. Là, je retrouvai Jacquemont, voyageur du gouvernement, que j'avais jadis connu à Paris, et qui se propose d'explorer les régions intérieures de l'Inde. Nous nous sommes mu- tuellement félicités de notre rencontre sur la pointe TOME V. 35 546 VOYAGE î8a«. du sol africain; nous avons long-temps conversé de Décembre. sujets scientifiques, comme de la direction à donner aux recherches des navigateurs en général, pour les faire servir le plus possible aux progrès des connais- sances. Dans ses saillies spirituelles et souvent sar- castiques , j'eus lieu de remarquer que Jacquemont avait une assez pauvre opinion de plusieurs person- nages de la capitale qu'on était convenu de placer à la tête des sciences , et sans l'agrément desquels nul ne saurait avoir du mérite ni des lalens. Novice encore dans le métier, je trouvais alors les jugemens de mon compagnon un peu sévères : mais une connaissance plus approfondie des hommes et des choses m'a prouvé qu'ils étaient encore indulgens. 24. Jacquemont est venu déjeuner avec moi, et nous avons passé quatre ou cinq heures à nous entretenir encore des sujets qui nous intéressaient. Ayant es- sayé de le sonder sur les matières qui allaient exci- ter particulièrement son attention dans l'important voyage qu'il entreprenait , il me sembla que la géo- logie et certaines observations thermométriques se- raient particulièrement le but de ses recherches. La philologie dont je lui parlai avec intérêt parut lui être fort indifférente , et les branches d'histoire naturelle étrangères à la géologie ne l'occupaient que très-se- condairement. En tout cas, comme c'était un garçon plein d'esprit et d'un caractère toujours disposé à sai- sir le côté le plus piquant de ce qu'il voyait, je jugeai que sa narration serait d'un vif intérêt, particulière- ment pour les gens du monde. DE L' ASTROLABE. 547 Ensuite j'ai été faire une visite au gouverneur Lo- 1S28. wry-Cole et à sa daine lady Francis, qui m'ont ac- Décembre, cueilli avec beaucoup d'aménité , et se sont sur-le- champ rappelés m'avoir vu quatre ans auparavant à Maurice. Puis, accompagné de MM.Quoy et Jac- quemont, je me suis rendu chez le marchand-natura- liste Villet, qui nous a montré ses collections; nous avons bientôt reconnu qu'elles se bornaient presque entièrement à des produits du continent africain, maintenant bien connus des savans, mais encore re- cherchés par les amateurs. M. Villet nous a raconté qu'un naturaliste hollandais nommé Vanderberg s'é- tait procuré avec beaucoup de peine et de frais un babiroussa vivant, qu'il conduisait à M. Cuvier, au- quel il comptait le vendre fort cher; on lui avait pro- mis, disait-il, au moins vingt mille francs; mais son navire se perdit au fond de Symon's-Bay, et le pau- vre babiroussa s'était noyé, ce qui avait désolé son maître. La peau de l'animal avait été assez mal pré- parée : on n'en demandait cependant pas moins de trois cents piastres. M. Villet fut bien étonné d'ap- prendre que nous possédions à bord deux de ces quadrupèdes en parfait état de santé. Tous les voyageurs qui ont visité le Cap ont en- ■>.%. tendu parler de ces rafales furieuses qui naissent presque subitement sur les sommités de la montagne de la Table, et se précipitent avec une violence ex- trême sur les eaux de la baie^ où elles font souvent courir des risques aux navires qui s'y trouvent mouil- lés. Nous étions destinés à essuyer une de ces impé- 33* 618 VOY/VGE 1828 tueuses bourrasques, et elle devait nous faire courir Décembre, d'assez grands dangers au moment même où nous croyions ne plus avoir rien du tout à redouter de la part des élémens. Toute la matinée nous n'avions éprouvé qu'une petite brise de N. N. O., accompagnée d'un temps superbe. A midi, elle fraîchit en variant successive- ment au N., à l'E. et au S. E. Bientôt le sommet de la Table se couvrit de nuages d'un blanc de neige avec un bord d'une teinte plus obscure; ces nuages ne tardèrent pas à se mettre en mouvement, et à se précipiter par flocons du sommet du mont vers sa base; mais à peine, dans leur course, dépassaient-ils les bords du plateau, qu'après avoir tourbillonné sur eux-mêmes, ils se dissipaient à Tintant sans laisser de traces. Long-temps encore le vent de S. E. ne régna que dans la partie orientale de la baie. Mais à deux heures, il arriva jusqu'à l'endroit que nous oc- cupions, et il nous fit sentir des rafales très-violentes. Elles redoublèrent de violence à quatre heures. J'a- vais déjà soixante-dix brasses de la grosse chaîne dehors ; je mouillai en outre l'ancre de bâbord avec la petite chaîne; alors, sur un fond de huit brasses, je me croyais en sûreté, bien que plusieurs navires eussent déjà déradé. Cependant, à cinq heures, nous commençâmes à chasser; vingt brasses de chaque chaîne filées sur-le- champ nous arrêtèrent un moment. Mais une demi- heure après, la petite chaîne cassa; nous avions déjà quitté le fond de la bonne terre : je me décidai donc DE L'ASTROLABE. 549 à mettre à la voile en filant la grande chaîne par le 1828. bout. Je fis route ensuite entre l'île Robben et Green- Décembre. Point pour prendre le large. Arrivés au milieu de la passe, nous tombâmes en calme plat, et malgré toute la toile que je mis dehors nous ne pûmes pas gagner un pouce. C'était une chose bien bizarre que nous fussions désormais menacés d'être entraînés par les courans sur les récifs de la passe, tandis que la tempête, qui soufflait toujours avec rage sur la rade, continuait d'en chasser de temps en temps quelques navires. Je reconnus alors quelle avait été mon im- prudence de vouloir sortir par la passe de Robben, au lieu de me tenir entre l'île et la terre. Nous pas- sâmes la nuit tout entière sur le qui-vive, et à chaque instant menacés de tomber sur les brisans de Whale, vers lesquels les courans nous portaient à vue-d'œil. Enfin, vers six heures et demie du matin, une petite 26. brise d'ouest s'éleva bien à-propos, et nous recon- duisit fort tranquillement jusqu'au mouillage. Les embarcations du Madagascar et de la Zélée vinrent à notre aide, et nous rapportèrent nos ancres; de sorte que les effets du coup de vent furent bientôt oubliés. Nous en fûmes quittes pour envoyer aux forges de la ville l'ancre qui portait la grosse chaîne pour la faire réparer. Son jas en fer avait cassé par le milieu , et c'était, cet accident qui l'avait empêchée de tenir bon. Sans être des plus furieuses , cette bourrasque fut violente, et j'avoue que le mouvement et le jeu des nuages qui la précédèrent et l'accompagnèrent me ,50 VOYAGE 1828. parurent un des spectacles les plus curieux que l'on Décembre. pUisse voir. Au fort de la tempête, les nuages arrivant par masses énormes et compactes sur le côté oriental de la Table , se divisaient sur ce point en deux pha- langes : l'une se précipitait par flocons rapides vers la rade, flocons qui disparaissaient complètement vers le milieu de la montagne pour n'y laisser régner que des tourbillons d'un vent impétueux -, l'autre pha- lange, s'échappant de l'autre côté de la Table, descen- dait vers la mer entre la Tête-du-Lion et les monlagnes situées plus au sud. Dans tout l'espace de mer com- pris entre Green-Point et la Queue-du-Lion, le long de la côte, on sentait à peine le vent; souvent même on y voyait régner des brises incertaines du N. et du N. O. Quant au phénomène en lui-même, il tient aux localités et à des faits physiques très-faciles à expli- quer. La montagne de la Table est une sorte de limite naturelle entre deux régions atmosphériques très- différentes l'une de l'autre. Toute la partie située au sud, composée de montagnes plus ou moins élevées, conserve une température modérée, et le plus habi- tuellement assez basse; toute la partie située au nord, c'est-à-dire celle qui comprend la ville du Cap, les environs de la rade et la rade elle-même, par la ré- flexion et la concentration des rayons solaires en été sur les sables qui s'y trouvent abondamment répan- dus , devient pour ainsi dire une sorte de fournaise ou foyer de chaleur très-active et permanente. Les brumes épaisses chargées d'humidité, chassées par les vents du S. et du S. S. E. , arrivent jusqu'aux DE L'ASTROLABE. 661 montagnes du Cap sans avoir rencontré d'obstacle 1828. sûr la vaste étendue des flots : là elles s'échappent par Décembre, les deux issues qui leur sont ouvertes; mais aussi- tôt qu'elles parviennent dans l'atmosphère embrasée du Cap, l'humidité qu'elles contiennent est sur-le- champ vaporisée , et l'air seul violemment ébranlé produit ces rafales qui se font sentir dans la direction que les nuages auraient suivie s'ils n'avaient pas été dissipés. Sans doute, si ces tourmentes pouvaient, durer plusieurs jours de suite, la partie de l'atmo- sphère située au nord de la Table finirait par se char- ger elle-même de brumes humides, et cet étrange jeu de nuages cesserait d'avoir lieu. Celui même qui se trouve au sommet de la Table en ces occasions ne voit autour de lui qu'un brouillard humide, épais et pénétrant, accompagné de rafales furieuses et pres- que continuelles. A huit heures du soir, M. Guilbert et moi, nous nous rendîmes au dîner de M. Lowry-Cole, où se trouvaient plusieurs officiers de la Zélée et divers passagers du Madagascar. L'hôtel qu'occupe le gou- verneur est une habitation charmante, entourée d'un joli jardin qui fait partie de celui de la ville. M. Lo- wry-Cole me dit que le commodore Skipsey tenait habituellemeut les bâtimens de sa division sur la rade de Symons, pour ne pas exposer ses officiers aux ten- tations de la ville du Cap, et pour qu'ils fussent plus assidus aux exercices et aux manœuvres fréquentes auxquelles il assujettit les navires placés sous son commandement. Ô52 VOYAGE 1828. Vers dix heures du matin, en compagnie de plu- 27 Décembre. sjeurs officiers de V Astrolabe et de la Zélée, et mon- tés dans deux bonnes voitures de louage, nous nous sommes acheminés vers le Petit-Constance, dont je désirais visiter les vignobles et les celliers. La route que nous suivîmes est fort triste, bordée de terrains bas, sablonneux, et le plus souvent incultes. La vé- gétation particulière à ces plages offre bien des plan- tes intéressantes pour le botaniste, mais dont l'effet général n'a rien de gracieux. Arrivés au Petit-Constance, nous fûmes reçus avec beaucoup de politesse par le propriétaire M . Colyn : il nous montra avec la plus grande complaisance ses beaux vignobles et ses superbes celliers, où repose sur deux rangs de foudres admirablement tenus tout ce qui lui reste de vingt ou trente récoltes de ses pré- cieux vins. Bien que j'eusse eu le soin de prévenir M. Colyn que la curiosité seule nous attirait dans son établissement, et qu'aucun de nous n'avait l'intention de faire d'af- faires avec lui, il n'eut point de repos qu'il n'eût réussi à nous faire asseoir dans son cellier, et à nous faire déguster successivement tous ses vins. Ainsi nous passâmes tour à tour en revue le constance blanc et le rouge, le pontac et le frontignan de Constance ; enfin le léger muscadelle. Tous ces vins me parurent délicieux , surtout les deux premiers , et vraiment supérieurs à nos meilleures qualités en France. Je les trouve même préférables aux vins les plus estimés de la Grèce et de l'Espagne. Mais leurs prix sont DE L'ASTROLABE. 553 aussi fort élevés, attendu qu'ils se vendent au moins i8a8. 200 rixdales, environ 460 francs, l'alverame (mesure Decem,)re- de quatre-vingt-dix bouteilles), et que M. Colyn n'en livre pas à moins d'un alverame à la fois. Le clos du Petit-Constance rapporte de trente à quarante alve- rames par an, et le terrain contigu au clos n'est déjà plus favorable à la culture de cette vigne. Le Grand-Constance, possédé par M. Cloolz, n'en produit pas davantage; le Nouveau-Constance est aussi du même rapport, mais le vin est inférieur à celui des autres vignobles pour la qualité. Chez M. Colyn, on me fit voir un jeune Boschis- man, âgé de douze ou quinze ans, qui, sans être tout- à-fait difforme, avait le type de cette race disgraciée par la nature. En parlant, dans son idiome, il faisait entendre d'une manière très-prononcée ce claquement singulier de langue observé par tous les voyageurs, et qui donne pour désinence à la plupart des mots un son approchant de celui des lettres nq réunies. Du reste, cette articulation parait tenir plutôt à la pro- nonciation nationale qu'à l'organisation particulière de ces hommes , attendu que cet individu ne faisait plus du tout entendre ce son en prononçant des mots étrangers à sa langue. Nous revînmes par une route beaucoup plus agréa- ble que la première; elle est souvent ombragée par de riantes allées de beaux chênes , et bordée de maisons de campagne fort agréables. Nous nous arrêtâmes quelque temps chez M. Farign, riche bras- seur, qui possède une charmante habitation près 554 VOYAGE 1828. de la ville ; et nous fûmes de retour à la ville à quatre Décembre, heures et demie , d'où je me rendis sur-le-champ à bord. 28. Je dînai chez M. Poutier, ce qui me donna l'occa- sion d'examiner son navire. Bien que la Zélée fût un bâtiment comme le nôtre , il y avait une différence inouïe entre la manière dont il avait été armé et amé- nagé et ce qui avait été fait pour notre armement. Cela me rappela encore une fois les tristes épreuves auxquelles mon amour-propre de capitaine avait été souvent exposé sur les rades étrangères : mais je me consolais en songeant du moins que V Astrolabe lais- serait de son voyage quelques traces dans la mé- moire des hommes, tandis que les noms de tant d'au- tres navires si pompeux et si brillans seraient à peine connus, même tant qu'ils seraient en état de servir. Toutefois je ne puis m'empêcher de faire observer à nos ministres de la marine et autres agens supé- rieurs du gouvernement, qu'à l'avenir il sera plus honorable de ne destiner à des missions semblables que des bâtimens armés comme il convient, pour re- présenter dignement la nation française. On peut éco- nomiser sur des navires destinés à porter des lettres à un consul, des chevaux et des fourrages, ou même à faire l'exploration de la Corse ou d'une côte voi- sine; mais quand on doit montrer son pavillon aux extrémités du globe, à des peuples qui souvent ne l'ont jamais vu ; quand un bâtiment est précédé par ce sentiment d'intérêt et de curiosité qui se rattache involontairement aux missions de découvertes , il n'est DE L'ASTROLABE. 655 pas permis de rester au-dessous des baleiniers anglais 1828. qui parcourent les mêmes parages. Décembre. Malgré l'état habituel d'affaiblissement où je me 29, trouvais encore, j'avais résolu de ne point quitter le Cap sans avoir gravi au sommet du fameux mont de la Table. La journée du 29 fut consacrée à cette ex- cursion. Dès quatre heures du matin, je descendis à terre, où je me joignis à MM. Quoy, Lottin, Lesson et Jacquemont; puis nous nous acheminâmes tout doucement vers la montagne. Le vent du sud qui soufflait déjà avec violence, et nous jetait beaucoup de sable aux yeux, découragea M. Quoy dès le commencement; ayant poursuivi notre route, nous nous arrêtâmes, pour déjeuner, près d'une jolie cascade, au tiers environ du chemin. Cela fait, nous nous remimes en marche; la pente est rapide, mais on suit constamment un petit sentier bien frayé, et qui n'offre pas le moindre danger. En bonne santé, je n'eusse vu dans cette course qu'une prome- nade peu pénible ; mais dans l'état d'abattement où je me trouvais, j'étais souvent obligé de me reposer pour reprendre haleine. Quand la gorge par laquelle on arrive au sommet commence à se resserrer, son aspect devient curieux et imposant : l'œil mesure avec étonnement ces énormes assises dont l'ensemble forme deux immenses murailles presque verticales, et l'on examine avec intérêt une foule de. petites plantes que l'humidité fait naître dans les flancs caverneux du rocher. La plaine qui forme la cime de la montagne de la §56 VOYAGE 1828. Table est étendue, très-uniforme, et tapissée d'une Décembre, verdure épaisse. Mais on n'y trouve, ni arbres, ni oi- seaux, ni insectes, et l'on n'y rencontre que très-peu d'espèces de plantes vraiment particulières à cette station. On y jouit du reste de la plus belle vue de la baie de la Table, de la ville et des environs du Cap, de Symon's-Bay et Hout-Bay; l'œil peut, même saisir la plage basse et sablonneuse qui forme la pointe des Aiguilles. Au sommet de la montagne, nous eûmes calme et une chaleur assez forte, bien que la brise d'E. S. E. soufflât avec force dans toute la partie orientale de la baie. Nous nous reposâmes une demi-heure sur le sommet du mont. A onze heures, nous commençâmes à descendre; nous fîmes un second repas près de la cascade, puis nous gagnâmes la ville; et, à cinq heures, je fus de retour à bord, très-faligué de ma course. L'Annuaire du bureau des longitudes assigne à la montagne de la Table du cap de Bonne-Espérance 1 1 63 mètres de hauteur, ce qui lui donnerait 1 06 pieds de plus qu'à la montagne de la Table près Hobart- Town. J'aurais cru cependant celle-ci plus élevée; il est certain du moins que sa cime est d'un accès beau- coup plus difficile; son plateau est aussi d'un bien plus haut intérêt pour le botaniste, et lui offre des plantes plus curieuses et plus rares. Du reste, je demeurai vivement frappé dans cette course des nom- breux traits de ressemblance que la pointe australe de l'Afrique présente avec l'extrémité correspondante DE L'ASTROLABE. 557 de l'Australie, soit pour l'aspect général du terrain t82s. et du rivage, soit pour les rapports surprenans qui Décembre. existent dans la nature, le coloris et la forme des vé- gétaux qui revêtent ces deux contrées. A l'exception de quelques ant/iïa, pimelia, et au- tres espèces peu nombreuses, la famille des insectes est très-peu riche près de la ville du Cap. Le feuillage des protéacées étonne au premier coup-d'œil l'Eu- ropéen par sa singularité, mais il est triste et mono- tone : tout le versant de la montagne du côté de la baie est à peu près dépouillé d'arbres. Vers neuf heures et demie, la corvette la Zélée a 3o. mis à la voile pour Bourbon, en passant par la passe du Nord. M. Quoy m'a parlé d'une tête de cachalot qu'il avait observée devant la porte d'un riche habitant du Cap nommé M. IVIountingh, et il m'a dit que cette personne avait eu l'honnêteté de mettre cet objet à sa disposition s'il désirait l'emporter. Comme M. Quoy a paru croire que ce serait une acquisition intéres- sante pour la science, je me suis empressé de lui déclarer que je la ferais prendre à terre et suspendre le long du bord , attendu que son volume ne per- mettait pas de l'introduire par les écoutilles dans l'in- térieur de la cale. Dès le jour suivant, cette opération fut termi- 3l née. Nous fûmes obligés d'emprunter la chaloupe du Madagascar pour transporter la mâchoire su- périeure, qui était extrêmement pesante et volumi- neuse. Ces monstrueux ossemens furent suspendus 558 VOYAGE 1829. solidement le long des bouteilles de la corvette. 1 janvier. je comptais mettre à la voile, mais de fortes rafales de l'O. et de FO. N. O., accompagnées d'une petite pluie continuelle, m'en ont détourné. Plusieurs des matelots embarqués à Bourbon ont déserté au Cap, et notre équipage est encore une fois très-faible. Le beau navire du commerce le Fils-de-France, arrivé depuis trois jours au Cap, a appareillé à buit heures du soir, et emporte plusieurs lettres de V Astrolabe qui annoncent notre prochaine arrivée, car je me pro- pose de toucher à Sainte-Hélène et à l'Ascension. Nous avons trouvé pour différence de longitude, entre Maurice et le cap de Bonne-Espérance, en adop- tant la moyenne des résultats du n°38, parles mar- ches de départ à Maurice et d'arrivée à l'Ascension, 39° 2' 38" 0. Or, nous avons adopté pour Maurice la longitude trouvée par la Coquille, de 55° 9' 49" E. Celle de la ville du Cap sera donc de 16° 7' 1 1" E. * 1 Voyez note i3. DE L'ASTROLABE. 549 CHAPITRE XL. TRAVERSEE DU CAP DE BONNE-KSrERANC E EN FRANCE. A neuf heures et demie du matin, l'ancre fut le- i&29. vée, et nous fîmes route pour sortir par la passe 2 janvier. du nord , avec une belle brise de sud. A midi, nous étions déjà au large des terres et des îles, et nous gouvernâmes à grandes journées vers Sainte-Hélène. On sait que cette traversée offre rarement des dif- ficultés ; elle fut aussi très-favorable pour V Astrolabe qui fila souvent huit et neuf nœuds. Le nombre des malades était réduit à six , et quatre d'entre eux ne devaient leur mal qu'à leurs im- prudentes galanteries. Aussi l'Astrolabe avait perdu cet aspect dïnfirmerie auquel elle avait été si long- temps condamnée, et chacun de nous rouvrait peu à peu son cœur aux douces illusions de l'espérance. Le 6, je passai une revue générale de mes collée- g. tions d'insectes. Malgré le soin que j'en avais pris, plusieurs individus étaient totalement perdus, et la plupart endommagés par l'humidité. Cette perte était 560 VOYAGE 1829. une suite naturelle de la position de ma chambre qui janvier. se trouvait être la partie du navire la plus exposée à l'invasion des eaux de la mer. Une grande partie de mes livres et de mon linge se trouvait dans le même cas que les insectes. 8. Nos babiroussas continuent de se porter à mer- veille. Leur caractère farouche s'est même adouci d'une manière sensible. Ce matin, leur gardien Berre avait oublié de fermer la porte de leur cage, de sorte qu'ils ont pris leurs ébats dans la cale, et nous com- mencions à nous inquiéter sur la manière dont il leur plairait d'user de leur liberté; mais au bout d'un cer- tain temps de promenade , ils ont été assez raison- nables pour reprendre d'eux-mêmes le chemin de leur cage où on les a renfermés de nouveau. i5. Le 15 janvier, à neuf heures un quart, nous aper- çûmes droit devant nous, dans l'ouest, les deux poin- tes de Sainte-Hélène; une brume fort épaisse nous cachait tout le reste de l'île. Bien que j'eusse pu pas- ser seulement devant Sainte-Hélène sans y toucher, le temps était si beau et l'occasion si favorable, que je ne voulus point priver plusieurs personnes de l'état- major du plaisir qu'elles se promettaient de visiter cette île désormais célèbre par les cendres illustres qu'elle renferme. J'étais bien aise d'ailleurs que MM. Sainson et Lauvergne pussent ajouter à leurs riches porte-feuilles quelques vues de ces lieux inté- ressans. Ainsi, je mis le cap sur la pointe N. de l'île; à deux heures et demie après midi, comme nous nous trou- DE L'ASTROLABE. 561 vions à un mille au vent du Pain-de-Sucre, M. Grès- 1829. sien alla répondre aux questions ordinaires qu'adresse Janvier. la batterie de ce cap. Le médecin et le pilote arri- vèrent à bord vers trois heures vingt minutes, et le dernier nous fit mouiller devant Jame's-Town, à trois pi. ccxxxr. heures quarante -cinq minutes, par vingt brasses, fond de sable noir et vasard. M. Gressien fut sur-le-champ expédié à terre pour annoncer au gouverneur l'arrivée de l'Astrolabe, et lui présenter les lettres du gouvernement anglais. Cet officier fut reçu avec beaucoup de politesse par le gouverneur, qui l'invita à se rendre le jour suivant avec moi dans son habitation de Plantation-House, ajoutant que nous irions ensuite tous ensemble à une course de chevaux, Race-Horse, qui devait avoir lieu sur le plateau de Long-Wood. Dans la soirée, je descendis moi-même dans la ville avec MM. Gressien, Guilbert et Dudemaine, où nous fûmes reçus par M. Solomon, riche négociant de File, qui nous offrit ses services, et nous accompagna dans la promenade que nous fîmes au jardin de la Com- pagnie. Ce jardin est bien tenu , et offre plusieurs plantes curieuses de l'Inde, que l'on est étonné de retrouver au milieu des rochers arides de Sainte-Hé- lène; toutefois il est bien loin de valoir les délicieux bosquets de Plantation-House, que j'avais parcourus en tous sens quatre ans auparavant. La ville était à peu près déserte, tous les habitans étant partis d'avance pour le lieu de la course. On sait que les Anglais sont passionnés pour ce genre de pi.ccxxxii. TOME V. 30 562 VOYAGE 18.29. spectacle, et les habitans de Sainte-Hélène en jouis- jamier. saient pour la première fois. La ville n'avait point changé d'aspect depuis quatre ans que je l'avais vue. Seulement depuis un an envi- ron, l'honnête M. Walker, dont j'avais reçu beau- coup de politesses, avait pris sa retraite, et se trou- vait, remplacé par le général Dallais dont on disait aussi beaucoup de bien. M. Dillon avait passé à Sainte-Hélène trois ou quatre mois avant l'arrivée de l'Astrolabe. x6. Vers neuf heures du matin, six personnes de l'état- major, MM. Quoy, Gressien, Guilbert, Paris, Sain- son et Dudemaine, sont parties pour Long-Wood. Pour moi, inquiet au sujet des risées qui soufflaient parfois avec quelque force de l'E. S. E., et peu ras- suré sur le mouillage que le pilote nous avait fait prendre, je jugeai qu'il serait plus prudent de garder le bord ; d'autant plus que je souffrais assez vivement d'une douleur au pied. Au moment de notre départ du Cap, les marins qui démontaient le cabestan lais- sèrent tomber son chapiteau sur mes pieds , ce qui en meurtrit grièvement quelques doigts, et je souf- frais encore de cette contusion. Vers midi, dans les rafales assez vives qui pas- sèrent, on crut un instant que nous chassions, et je m'apprêtais déjà à mettre à la voile, mais l'ancre tint bon. Nous étions mouillés trop au large; la bonne place est par douze et treize brasses d'eau seulement. Dans le cours de la journée, deux bricks et un na- vire à trois mâts ont mouillé sur la rade. Pour chacun DE L'ASTROLABE. 563 d'eux, le fort d'en haut tirait un eoup de canon pour l'annoncer, et celui d'en bas en tirait un autre pour lui intimer d'envoyer un canot à la batterie de l'en- trée, afin de raisonner, quand il ne faisait aucune disposition pour mettre en panne. Sur les cinq heures du soir, j'ai reçu divers rafraî- chissemens qui m'étaient adressés par le gouverneur, avec un billet fort poli pour m'inviter à passer quel- ques jours chez lui a Plantation-House. A son retour, M. Quoy me dit que M. Dallais l'avait parfaitement accueilli, ainsi que tous ses compagnons; au repas un toast avait été porté en l'honneur du voyage de V Astrolabe et de son capitaine. M. Dallais avait enfin exprimé le vif regret de ne m'avoir pas vu à Long- Wood, assurant que, s'il avait connu que j'étais blessé au pied, il m'aurait envoyé une de ses voitures. Du reste, ces messieurs avaient accompli leur pè- lerinage. Mais les modestes bâtimens consacrés par Janvier. ZG< 504 VOYAGE isag. la longue agonie de l'homme le plus extraordinaire Janvier, ^es temps modernes ont déjà subi de grandes dégra- dations ; dans peu d'années il ne restera peut-être que la place où ils furent. Dans le palais même que Napoléon ne voulut jamais habiter, on a établi une pi. manufacture de vers à soie que dirige un Français, ca- ccxxxiii. pitaine au service de la Compagnie anglaise des Indes. M. Sainson a rapporté quelques dessins des sites les plus remarquables , et notamment du tombeau. La différence des méridiens entre la plage de Sandy- Bay à l'Ascension et la ville de James-Town à Sainte- Hélène, ayant été trouvée de 8° 41' 21" E., il en est résulté que la longitude de cette dernière place doit être de 8° 4' 8" O., résultat presque identique avec celui qui fut conclu à bord de la Coquille I. 17 A deux heures et demie du matin, V Astrolabe reprit sa course, et les terres mon tueuses et tour- mentées de Sainte-Hélène s'abaissèrent rapidement à l'horizon. Vue d'une certaine distance dans le N. N. O., cette île perd beaucoup de cet aspect triste et rebutant qu'elle offre du mouillage. Les yeux se re- posent avec satisfaction sur les bosquets de Planta- tion-House et sur les cultures qui les environnent, comme sur les touffes de verdure qui entourent le pic de Diane. En un mot, Sainte -Hélène cesse d'être ce roc aride, ingrat et brûlé du soleil, tel que l'ont dépeint beaucoup de voyageurs et la plupart des écrivains de nos jours. 1 Voyez note 14. DE L'ASTROLABE. 565 Notre traversée de Sainte-Hélène à l'Ascension 1829 n'offrit aucun incident digne d'être cité ; mais elle fut J«nNUI aussi paisible qu'on puisse le souhaiter. Chaque jour je ne cessais d'admirer combien la navigation des ré- gions voisines de la ligne est plus douce dans l'Océan- Atlantique que dans l'Océan-Pacifique, bien que les indications du thermomètre soient peu différentes. Cet instrument marquait encore constamment 25° dans ma chambre, et souvent plus ; toutefois je pou- vais m'y tenir, et même y travailler sans malaise, tandis que cela m'eût été complètement impossible dans la mer du Sud à la même élévation du mercure. Je pense que cela tient principalement à ce que l'hu- midité de l'air est habituellement plus grande dans ce dernier bassin : cette opinion semble corroborée par l'effet de l'air sur les effets de diverse nature, tels que livres , linge , papiers , qui sont aussi beaucoup plus difficiles à conserver en bon état dans les mers de l'Océanie. A trois heures quarante-six minutes du matin , 2$. l'Ascension s'est montrée droit devant nous, à dix ou douze milles de distance. A onze heures et demie, nous rangions sa pointe septentrionale à trois enca- blure environ, puis à l'aide d'une jolie brise d'est nous prolongeâmes la côte à une encablure au plus, et, à midi, nous laissâmes tomber l'ancre par dix brasses et demie, fond de vase, devant la montagne de la Croix. Un officier de la garnison anglaise qui occupe l'île vint sur-le-champ, de la part du commandant, m'offrir 566 VOYAGE 1S29. Janvier. ses services, et m'inviter, ainsi que toutes les per- sonnes de l'état-major, à dîner à terre. J'appris que le colonel Nicholls était reparti depuis deux mois pour l'Angleterre, et que le capitaine Bâte était le commandant actuel de l'Ascension. A peine eûmes-nous terminé les opérations néces- saires pour amarrer le bâtiment, que toutes les per- sonnes de l'équipage se sont mises à pêcher à la ligne. Pendant toute la durée de notre séjour dans cette baie, on n'a cessé de prendre chaque jour des quantités incroyables de poissons, dont quelques- uns sont d'une excellente qualité. A trois heures après midi, accompagné de plusieurs personnes de l'état-major, je me suis rendu à l'invi- DE L'ASTROLABE. 567 tation des officiers de la garnison. Leur repas était 1829 certainement peu somptueux, et le biscuit comme Janvier, le tafia qui en formaient la base le rendaient même assez frugal. Mais en retour, on ne pouvait rien at- tendre de plus cordial ni de plus affectueux que l'ac- cueil et les procédés de tous ces officiers envers nous autres. Ils mirent tant de franchise, un désir si sin- cère de nous obliger et de nous être agréables, dans toutes leurs manières , que nous fûmes bientôt tous ensemble sur le pied de vieux amis et d'anciens ca- marades. Dans la soirée, le capitaine-commandant Bâte, un lieutenant et M. Triscott , viclualler (fonction qui répond à peu près à celle de munilionnaire), arri- vèrent de la montagne, et rivalisèrent avec leurs ca- marades de soins et d'attentions pour nous. Le lieutenant -colonel Nicholls est reparti pour l'Angleterre le 2 ou 3 décembre dernier par le navire VUndaanted. Il n'avait quitté ce poste qu'avec beau- coup de regret; mais il s'était rendu odieux à la gar- nison par un caractère impérieux et même tyran- nique ; on pense que son rappel a été provoqué par quelques actes arbitraires un peu trop pronon- cés. L'établissement, qui lui doit du reste de grandes améliorations, prend chaque jour de nombreux ac- ri. croissemens , particulièrement sur le sommet de la ccxxxvir. montagne. La colonie se compose de deux cent qua- rante personnes environ, hommes, femmes et enfans. Le réservoir creusé pour les tortues en contient une centaine de diverses grandeurs. M. Bâte m'a promis Ô68 VOYAGE 1829. d'une manière fort aimable d'en remettre chaque jour janvier. une ^ ma disposition, et en outre de nous en donner plusieurs au moment de notre départ. Chacun sait combien la chair de tortue est un mets salubre pour les équipages fatigués par un long séjour à la mer. Aussi j'acceptai de grand cœur l'offre de M. Bâte, et lui en témoignai toute ma gratitude. a4. Plusieurs officiers de V Astrolabe sont allés faire un tour à l'établissement de la Montagne-Verte. Pour moi, j'ai gardé le bord toute la journée, et j'ai passé le temps à parcourir les numéros du Courier an- glais. J'y ai trouvé l'aperçu du voyage de M. Dillon sur le Research, dont je n'avais encore aucune con- naissance. Je me suis aussi assuré par un de ces jour- naux que le navire le Persian était arrivé à Londres le 31 août. Cette nouvelle m'a été particulièrement agréable, en ce quelle m'a prouvé que le ministère avait dû recevoir les rapports, les dessins, les cartes et les mémoires envoyés de Hobart-Town. Ces docu- mens ont dû fixer son opinion sur l'importance de nos travaux, et le déterminer à accorder les récom- penses que je demandais pour mes compagnons; de sorte qu'à mon arrivée en France, je n'aurais plus qu'à m'occuper de la publication. Car il me semble que cette affaire ne souffrira point de difficulté, après ce qui a été fait pour les expéditions de V Uranie et de la Coquille qui, sous aucun rapport, ne sont com- parables à celle de l'Astrolabe. a5. Les deux capitaines Bâte et Payne sont venus me faire une visite à onze heures du malin, et j'ai dû me DE L'ASTROLABE. 569 rendre à leurs pressantes sollicitations pour aller 1829. dîner avec eux. Les officiers qui étaient allés à la J:mvier- monlagne sont revenus, à sept heures du soir, en- chantés de leur promenade. A six heures du matin, MM. Quoy, Jacquinot, 26. Loltin, Paris et moi, nous avons monté à cheval, et, conduits par le capitaine Bâte, nous nous sommes gaiement dirigés vers Green -Mountain. Le chemin m'a paru bien amélioré depuis quatre ans,, surtout la partie qui règne sur l'étendue de la montagne. On a fait de grands travaux aux sources de Dampier, et pi. l'on construit un beau réservoir en pierre qui con- CCXXXix. tient plus de cinq cents tonneaux d'eau; l'eau sera conduite au rivage au moyen de canaux en fonte. Un détachement de la garnison occupe habituellement cette station ; et l'on aime à voir combien il a fallu peu de temps à un petit nombre d'hommes actifs et indus- trieux pour convertir un roc aride et sauvage en une petite colonie, qui offre déjà plusieurs des agrémens et des ressources de la civilisation. L'établissement du sommet de Green-Mounlain a surtout reçu de notables améliorations. Plusieurs éta- a blés et écuries nouvelles ont été bâties. Les cultures ont reçu beaucoup d'extension; quelques arbres frui- tiers et d'agrément commencent à s'élever sur un sol n. qui n'avait jamais vu que des buissons, des fougères ccxxxv. et quelques herbes sauvages. Les poules et les pin- tades, abandonnées par le colonel Nicholls à l'état sauvage , ont prospéré d'une manière étonnante , et dans une promenade que nous fîmes sur le revers de 570 VOYAGE I«29. la montagne, à chaque instant nous en faisions lever janvier. sous nos pieds des bandes nombreuses. On nous montra aussi trois endroits où les Anglais pi. recueillent soigneusement dans des futailles l'eau qui ccxxxvi. filtre goutte à goutte au travers des rochers. L'air que l'on respire sur cette montagne est très-vif; aussi, vers trois heures , nous finies de grand appétit un repas joyeux, dont la chair de tortue fit presque tous les honneurs. Le potage, le bouilli, les ragoûts, le rôti, tout était chair de tortue; et malgré la bonté de ces mets, c'était à peu près pour nous l'histoire des langues d'Ésope. Nous quittâmes la montagne à cinq heures, et à six heures et demie nous fûmes de retour à l'établissement du rivage. 27. Pour répondre de notre mieux aux politesses des officiers de l'Ascension, je me réunis aux officiers de V Astrolabe pour offrir à bord un repas à nos géné- reux hôtes. Ils se rendirent au nombre de huit à notre invitation; le dîner fut très -joyeux et très- animé, et l'on porta de nombreux toasts. Nos hôtes prirent congé de nous à dix heures et demie, après nous avoir fait leurs adieux de la manière la plus affectueuse. 28. Le grand canot est allé prendre à terre, en deux voyages, onze belles tortues données par le capitaine Bâte. Bon gré mal gré, il a fallu me rendre encore au dîner des officiers anglais à deux heures; mais à quatre, je me suis soustrait à leurs instances pour me retenir, et à cinq heures V Astrolabe était sous voiles, faisant route au nord. Il est digne de re- DE L'ASTROLABE. 571 marque que nous quittions cette île précisément au 1829. même jour de l'année que la Coquille le faisait quatre Janvier. ans auparavant. Le résultat des observations de M. Jacquinot a donné, pour la situation de rétablissement de Sandy- Bay, 16° 46' 33" long. O. par la moyenne des mar- ches de départ et d'arrivée de la montre n° 38. Sur la Coquille on avait eu 16° 44' 26" long. O. Nous avons adopté une moyenne entre ces deux résultats, savoir: 16° 45' 30" long. O r. Plusieurs pirates parcourent en ce moment PO- 29. céan-Allantique, et les journaux ont donné les noms de divers bâlimens qui sont tombés entre leurs mains. En outre, le blocus d'Alger pourrait avoir déterminé quelque Barbaresque à tenter la fortune hors de la Méditerranée. Pour n'être pas exposé à une surprise désagréable, je donne des ordres pour que nos armes de toute espèce soient préparées, et pour que nous soyons en état de répondre convena- blement à tout navire de cette espèce qui serait tenté de nous approcher. Je fais faire de l'apprêté pour le cas de combat. Enfin, je prends sur moi de faire don- ner le fil aux sabres et aux haches d'abordage, mal- gréL l'ordre singulier qui défend cette mesure aux capitaines, et les condamne pour ainsi dire à n'avoir que des sabres d'un bois dur au lieu d'armes d'un acier tranchant. Les exercices du canon et du fusil sont aussi repris chaque jour par l'équipage. ' F oyez noie i5. 672 VOYAGE 1S29. Une heure ou deux après minuit, nous avons re- 2 Février. passé la ligne pour la dernière fois, et V Astrolabe a reparu dans l'hémisphère septentrional. Désormais chaque pas qu'elle fait nous rapproche de notre patrie. A cinq heures du soir, un navire à trois mais s'est montré à deux ou trois lieues dans le N. N. E., por- tant pavillon hollandais et courant largue au N. O. Une heure après, il passait à deux ou trois milles au vent à nous; alors il a amené son pavillon hollandais pour en hisser un de diverses couleurs, bleu, rouge et jaune, que personne a bord n'a reconnu. Nous avons poursuivi chacun notre route, nous au N. '/» O., et lui dans l'ouest, et nous l'avons perdu de vue au commencement de la nuit. Ce bâtiment semblait être du port de quatre ou cinq cents tonneaux et percé à batterie, comme V Astrolabe. 3. Grâce aux souffles réguliers de l'alise du S. E., nous atteignîmes le deuxième degré de latitude sep- tentrionale, sans aucune sorte de difficulté ni de fa- tigue. Mais à ce parallèle et par le méridien de 21° 32' à l'ouest de Paris, ces agréables brises cessèrent tout- à-fait, et firent place à des vents très-mous, très- variables, toujours accompagnés de chaleurs assez fortes , et souvent de grains et d'orages ; ce temps règne douze jours entiers , et nous rappelle encore une fois les contrariétés que nous avions si souvent essuyées dans le cours du voyage. 4. A. huit heures du matin, le thermométrographe n° 6 fut envoyé par neuf cent soixante brasses de DE L'ASTROLABE. Ô*î3 profondeur presque verticale; il y resta dix minutes, 1K29. et fut ramené à bord, à dix heures, sans avoir atteint Février. le fond. Le cylindre était complètement rempli d'eau, et laissa échapper un souffle latéral assez marqué quand on dévissa le couvercle» D'après cette expé- rience, la température de l'air libre était de 26°, 3 ; celle de l'eau à la surface de 26°, 9, et à la profondeur ci-dessus mentionnée de 6°, 5. Ce refroidissement est un peu moindre qu'en divers autres cas antérieurs. Mais il serait possible que la pression de l'eau dans le cylindre sur le tube de l'alcool eût empêché le mercure de marquer, le véritable degré de tempéra- ture. Comme je voulais rendre ces expériences compa- rables entre elles, et en obtenir une série régulière, je les poursuivis dans les journées suivantes. Le 5 au matin , le thermomélrographe fut envoyé 5. à cinq cents brasses de profondeur, et l'on eut les résultats suivans : à l'air libre, 26°, 3; à la surface de la mer, 26°; et à cette profondeur, 7°, 6. Après midi, il fut renvoyé à trois cents brasses seulement, et l'on eut, à l'air libre, 28°, 2; à la surface des eaux, 28°, 4; et à trois cents brasses au-dessous, 15». Dans la journée du 6, le malin l'instrument fut 6. envoyé à deux cents brasses, ce qui donna, à l'air li- bre, 26°, 9 ; à la surface de l'Océan, 27°, 1 ; et à cette profondeur, 15°, 9. Puis renvoyé à cent cinquante brasses, on eut à l'air, 27°, 2 ; à la surface, 27°, 5 ; et à cette profondeur, 18°, 5. Dans la soirée, le thermométrographe fut descendu 574 VOYAGE 1829. successivement à cent, cinquante, vingt-cinq et dix Février, brasses. Tandis que la température de l'air se mainte- nait à 26°, 9, et celle des eaux superficielles à 27°, 2; on eut tour à lour, à ces diverses profondeurs, 1 9°, 6 ; 21°, 6; 26°, 4, et 26°, 8. Toutes ces expériences prouvent d'une manière victorieuse la loi de décrois- sement dans la température des couches sous-ma- rines. Il en résulte aussi que les eaux de la mer dans ces parages n'offrent point de couches intermédiaires dont la température soit supérieure à celle de la sur- face; ce qui ne pourrait avoir lieu en effet que par des causes purement accidentelles. Ces expériences eurent toutes lieu du 2 au 3o de latitude septentrio- nale, et sous le méridien de 21° 30' à l'ouest de Paris. 11. Par 5° lat. N. et 22° long. O., nous échappâmes enfin aux calmes désespérans de la ligne , et nous commençâmes à nous acheminer lentement avec de 15. légères brises du JN. N. E. Mais ce ne fut que le 15 fé- vrier, par 6° 30' lat. N., que nous eûmes le véritable vent alise, et que nous pûmes filer cinq, six, et même sept nœuds au plus près. Ce vent nous accompagna 26. jusqu'au tropique, où il nous abandonna aux brises variables. Par 25° lat. N. seulement, nous vîmes flotter des paquets de sargassum (vulgairement raisin du tro- pique^) à la surface des eaux, et cela dura jusqu'au 35° de latitude, où ils disparurent tout-à-fait. a, mais. Dans un calme parfait, par 27° lat. N. et 34° long. O., le thermométrographe fut envoyé à cinq cents brasses parfaitement à pic sans qu'on trouvât le fond. DE L'ASTROLABE. 575 A l'air libre, le thermomètre indiquait 20°, 0; à la i8a9. surface des eaux, 20°, 7 ; et à cinq cents brasses, la Mars- température de ces eaux n'était plus que de 10°, 6. A peine l'instrument était de retour à bord, que le vent de N. O. se déclara, et nous permit enfin de gou- verner en route vers le détroit de Gibraltar. 11 nous poussa rapidement dans les journées du 6 et du 7, comme dans celle du 10; il fut même forcé. Mais nous courions grand largue, et nous prenions facile- ment notre parti. Nous courions à l'est avec une belle brise d'O. 12. S. O. De six à sept heures du malin, nous aperçûmes deux navires, le premier à bonne distance dans le N. O., courant bâbord amures sous ses basses voiles et huniers ; le second , qui était un beau bâtiment à trois mats, tenait la cape bâbord amures sous le grand hunier et le perroquet de fougue, ayant tout le reste serré. A sept heures précises, il ne passa qu'à un mille au plus de nous sans mettre en panne. Comme il ne paraissait avoir aucune avarie, une pareille ma- nœuvre en ces parages me parut bizarre. Je supposai qu'il attendait quelque autre navire pour faire voile de conserve avec lui. Nous étions alors à cinquante lieues environ au N. N. E. de Madère. Au coucher du soleil, je cherchais à découvrir £4. dans l'E. S. E. les terres du cap Saint-Vincent, au travers des brumes épaisses qui couvraient cette par- tie de l'horizon, lorsqu'il se montra tout-à-coup dans le S. E. 74 S. à dix-huit ou vingt milles de distance. Cela me prouva que, contre l'ordinaire, le courant 576 VOYAGE 1829. nous avait jetés depuis midi de près de douze milles Mars. jans ]e nord. Je gouvernai de manière à doubler ce cap à bonne distance dans la nuit. ,5. Dans la journée suivante, nous avions un très-beau temps , et nous cheminâmes rapidement avec une belle brise du S. O. Mais elle fraîchit beaucoup trop, 16. et dès minuit c'était un violent coup de vent, avec des rafales très-pesantes, qui soulevèrent une mer très-courte, très-creuse et très-dure. Comme je m'es- timais déjà assez près et à la hauteur du cap Spartel, je me déterminai à courir de petits bords. Mais à six heures, la fureur de la tempête fut telle que je ne pus garder dehors que la voile d'étai de cape toute seule. A huit heures du matin, le vent était parvenu au plus haut degré d'intensité ; la pluie tombait par tor- rens, les rafales se succédaient avec rage et presque sans interruption, et la mer était horriblement tour- mentée. En un mot, le temps était affreux, et son apparence présageait encore des circonstances plus sinistres. Je commençais à concevoir de graves in- quiétudes sur notre position, bien que je m'estimasse à douze lieues tant du cap Spartel que du cap Tra- falgar, et je déplorais la fatalité qui nous exposait à de nouveaux dangers pour ainsi dire à la vue du port. Tout-à-coup, à huit heures et demie, et comme par enchantement, après une rafale épouvantable, le vent saule brusquement au N. O., l'horizon se découvre, et dans toute l'étendue du N. E. à l'E. nous aperce- vons la terre au travers de la brume. D'après la di- DE L'ASTROLABE. 577 rection que j'avais suivie dans la nuit, je ne cloutai 1829. pas que ce ne dût être la terre d'Afrique, et je forçai Ma,s de voiles au N. Ë. et N. E. l/i E. pour la doubler au vent. Cependant, à mesure que la terre s'éclaircit, sa forme, ses accidens, et surtout ses gisemens, ne pou- vaient se rapporter en aucune manière à la côte d'Afri- que. Pour terminer cette incertitude, malgré le vent et la mer, je mis en panne pour sonder, et nous eûmes trente-sept brasses, fond de gravier!... Plus de doute, nous étions sur la côte d'Espagne, et déjà fort en- foncés dans la vaste baie de Cadix. En effet, nous reconnûmes bientôt les îles voisines de ce port , les tours de garde, et le cap Trafalgar lui-même. Sans perdre un instant, nous serrâmes le vent jusqu'au S. S. E. pour doubler cette dernière pointe, en pro- longeant la côte à trois ou quatre lieues. La corvette chargée de toile, malgré de pesantes rafales et une mer assez dure, se comporta très-bien, et nous appro- châmes rapidement du cap de Trafalgar. Pour causer Terreur dont je viens de parler, il fallait que le courant nous eût portés dans la nuit de plus de vingt milles au nord, au lieu de nous entraî- ner dans l'est, comme je le conjecturais. Je frémis encore en pensant au danger que courut V Astrolabe en cette circonstance. Si les tourbillons de vent, qui régnaient de sept à huit heures et demie du malin, eussent seulement duré trois ou quatre heures de plus, la corvette tombait inévitablement dans la dan- gereuse baie de San-Lucar. Là elle eût été jetée à la TOME V. 37 578 VOYAGE 1829. côte, où sa dernière ressorce eût été de mouiller à la B*ttfc hâte sur les bas-fonds. Mais, en ce cas même, il y a dix à parier contre un que toutes ses ancres n'eussent pu résister à l'effort des bourrasques qui se succé- daient. Sa perte était donc à peu près assurée. C'est une preuve de plus que, dans les circonstances ordi- naires de la navigation, un capitaine fera toujours mieux de pécher par excès de prudence, qu'en accor- dant trop de confiance à son estime. Si j'eusse mis à la cape, dès le commencement du coup de vent, j'au- rais perdu quelques heures de bonne route, il est vrai ; mais je n'eusse point couru ce danger. Quoi qu'il en soit, encore une fois échappée à cette funeste chance, l' Astrolabe doubla paisiblement le cap Trafalgar; elle rangea de très-près la côte d'Es- pagne, doubla à quatre heures du soir la tour de Ta- rifa, et passa, à cinq heures, à cinq milles au sud du rocher de Gibraltar. Puis nous fîmes route dans la Méditerranée, enchantés de ne pas être obligés de recommencer devant Gibraltar l'ennuyeuse croisière de 1826. i7. Le 17, avec un temps charmant, nous filâmes le long des côtes montueuses du royaume de Grenade. A onze heures et demie, le cap de Gates fut doublé à trois ou quatre milles de distance. Désormais notre navigation était loin d'être solitaire, et la mer nous offrait de tous côtés des voiles ; les unes s'avançaient vers le détroit, les autres cinglaient vers l'est; d'au- tres enfin se dirigeaient vers les divers ports dont cette partie de la côte d'Espagne est pourvue. DE L'ASTROIABE. 579 A dix heures du matin, nous passâmes à trois lieues 1829. au sud de Carthagène. De quatre à six heures du soir, ' 3 marê nous contournâmes la pointe du cap Palos à quatre ou cinq lieues de distance. Nous devons faire obser- ver en passant que la comparaison de nos longitudes d'hier, d'aujourd'hui el des jours suivans, avec les relèvemens pris sur les cartes , conduirait à penser que sur la vieille carte de détail du Neplune, comme sur celle de M. Gaultier, qui n'est qu'une copie de la première pour cette partie de la côte, le cap Palos serait situé dix-sept minutes trop à l'est du cap de Gates. C'est un fait important a signaler à l'attention des navigateurs pourvus de bonnes montres. Il serait surtout nécessaire que le navire chargé de faire cette rectification fit au contraire route du cap Saint-Mar- tin au cap de Gates, en passant par le cap Palos, pour décider si les courans n'ont pas influé sur nos résultats. Vers midi, nous doublions le cap Lanau, et au 19. coucher du soleil nous apercevions les terres d'Yvice à toute vue dans VE, S. E. Le 20, le vent nous aban- ™. donna sur la côte N. O. de Majorque, et nous fûmes réduits à courir des bords dans le canal. Je résolus de mettre à profit les calmes déses- pérans auxquels nous étions livrés, pour exécuter, dans les journées du 22 et du 23, deux nouvelles ex- 21. périences de thermométrographe dans le bassin de la Méditerranée. En conséquence, cet instrument fut successivement envoyé à six cents brasses, puis à trois cents, sans rencontrer le fond. La première 57* /)80 VOYAGE 1829. fois, la température de l'air étant de 14°, 2, et celle Mais. (Je la surface de 14°, 7; à six cents brasses, elle ne descendit qu'à 1?°, 6. La seconde fois, l'air étant à 14°, 5, et l'eau à la surface à 13°, 9; à quinze cents pieds de profondeur, la température fut encore à 12°, 7. De ces deux expériences, il résulte que la tempé- rature de la mer ne change point de l'énorme pro- fondeur de trois mille à celle de quinze cents pieds, et qu'en outre la température de cette couche est, à très- peu de chose près, la même que celle de la surface. En effet , dans mon hypothèse, où je fais dépendre le refroidissement , ou plutôt l'uniformité de tempéra- ture des couches inférieures de la mer des eaux ve- nues des pôles, il est évident que la même cause ne peut point avoir d'action sensible dans un bassin presque fermé comme celui de la Méditerranée. La masse des eaux, introduite par le détroit de Gibral- tar, est trop peu considérable, par rapport à celles qui sont dues aux fleuves, aux ruisseaux, aux torrens et aux rosées abondantes des côtes de l'Afrique, pour y établir celte uniformité de température qui paraît régner dans les régions inférieures des mers libres du globe. Nous reviendrons sur ce chapitre, en pré- sentant au lecteur l'aperçu de toutes les expériences exécutées jusqu'à ce moment, pour constater la dis- tribution du calorique dans les couches inférieures des mers. a3 Le 23 dans la matinée, nous aperçûmes aux confins de l'horizon, dans le N. N. O., les sommets neigeux DE L'ASTROLABE. 681 des Pyrénées, et plus au sud une haute montagne is^g. que nous supposâmes être Montserrat ou Monsen. Ma,s Dans la journée du 24, n'ayant pu reconnaître les 24. atterrages de Toulon, je courus sur la terre jusqu'à onze heures du soir, puis je restai en panne. Quand le jour reparut, le vent varia du N. O. au N. E., où a5. il ne tarda pas à souffler avec force, et je reconnus que nous étions déjà sous le vent du cap Siciet. Je réfléchis que nous perdrions un temps inutile à lutter contre les vents et les courans du N. E.* et qu'en outre, en touchant à Marseille, nous trouve- rions bien plus de commodités pour l'expédition des nombreuses caisses d'histoire naturelle destinées pour le Muséum. En conséquence, je fis voile pour Mar- seille; vers onze heures nous doublâmes à quelques toises de distance la pointe orientale de la baie, où nous prîmes le pilote, et à midi nous laissâmes tom- ber l'ancre près de l'entrée du port. Après avoir essuyé quelques difficultés de la part des conservateurs de la santé, à cause des fièvres qui avaient jadis régné à bord, nous obtînmes l'enlrée. Nous apprîmes que la Bayonnaûe était arrivée deux jours avant nous, et M. Gaimard fut une des pre- mières personnes que nous eûmes la satisfaction d'em- brasser. V Astrolabe ne resta à Marseille que le temps absolument nécessaire pour débarquer et emballer les nombreuses caisses que nous avions à expédier à Paris. Puis elle se rendit à Toulon. Là je débar- quai bientôl, ainsi que les personnes désignées pour 582 VOYAGE DE L'ASTROLABE. 1829. travailler avec moi à la publication du voyage. Cepen- Mars. dant je pris encore quinze jours de repos au sein de ma famille, et je n'arrivai à Paris qu'au commence- ment du mois de mai 1829, où je m'occupai sur-le- champ de la rédaction des matériaux recueillis dans le cours de la campagne », t Voyez note 16. FJN. CONCLUSION ET REFLEXIONS SUK LES VOYAGES DE DECOUVERTES La Relation du voyage est terminée , et, pour un certain ordre de lecteurs , ce que je vais ajouter ne pourra bien être qu'un hors-d'œuvre -, quelques-uns même, et ceux-là surtout dont la position manque d'indépendance , pourront traiter mes réflexions de récriminations superflues et inconvenantes. Mais l'o pinion de pareils juges m'est indifférente ; je ne m'a- dresse qu'à ceux qui , doués d'un esprit supérieur et de sentimens nobles et désintéressés , saisissent les choses et les paroles sous leur véritable aspect. Ces derniers font plus de cas d'une pensée généreuse que de toutes les faveurs ; ils me comprendront et me sauront, j'ose le croire, gré de cette courte digression. Ceux qui auront suivi avec quelque attention le ré- cit de la campagne de V Astrolabe , ont dû voir à combien de dangers , à combien de privations furent exposées toutes les personnes qui en firent partie. Ces contrariétés furent telles que, sans la présence ,581 CONCLUSION des deux premiers officiers, MM. Jacquinot et Lottin, qui avaient exécuté comme moi le voyage de la Co- quille , j'aurais souvent hésité à les consigner dans mon journal , dans la crainte d'encourir le risque d'exagération. Malgré cette garantie, j'ai glissé sou- vent sur des circonstances bien critiques de notre navigation , pour ne pas ennuyer le lecteur par la ré- pétition trop fréquente d'incidens qui , tout graves et décisifs qu'ils étaient pour nous, seraient devenus d'une monotonie fâcheuse dans le cours du récit. Sans m'exposer au reproche de présomption, je crois pouvoir assurer que peu de capitaines eussent pour- suivi , dans toute son étendue , le plan que je m'étais tracé d'avance, au travers des obstacles, au milieu des revers contre lesquels j'ai eu à lutter. Satisfaits des grands travaux déjà accomplis , combien , après les désastres essuyés à Tonga-Tabou, n'auraient-ils pas repris la route de nos ports de mer, ou du moins ne se seraient-ils pas bornés à des relâches sans dan- gers sur quelques-unes des îles de l'Océanie! J'ai suivi une autre marche, malgré les pertes es- suyées , malgré la démoralisation évidente de la plu- part des hommes de l'équipage ; j'ai poursuivi avec une constance opiniâtre , d'autres diront avec une aveugle témérité , les travaux que j'avais entrepris. Il ne fallut rien moins que les fatales fièvres de Va- nikoro pour m'empêcher de remplir dans toute son intégrité le plan de campagne de V Astrolabe : encore n'aurais-je pas renoncé au passage du détroit de Tor- 1 es , si l'équipage presque entier n'eût été atteint par ET REFLEXIONS. 585 ce fléau. Avec la moitié de mes hommes j'aurais lenlé l'aventure; reste à savoir si j'aurais réussi. Certes, en agissant ainsi, je ne me dissimulais point toute l'étendue des dangers que je courais -, je savais qu'un seul instant pouvait amener la ruine complète de l'Astrolabe, et cet instant se représenta plus d'une fois sous la forme la plus terrible et en apparence la plus inévitable. Mes compagnons et moi nous em- ployâmes alors tous les moyens que la prudence et le courage peuvent inspirer à l'homme, pour nous tirer de ces mauvais pas. Mais je dois avouer que nous ne dûmes souvent notre salut qu'à un heureux hasard ; mes compagnons , ils me l'ont dit depuis , comprenaient bien que je jouais à chaque instant le tout pour le tout, et pas plus que moi ils ne se fai- saient illusion sur les dangers de notre vie hasardeuse. Mais , dans la position où je me trouvais , je ne croyais pas qu'il me fût permis d'en choisir une autre. Doué d'un caractère fier et peu souple, animé d'un profond mépris pour les moyens qui conduisent aux faveurs , dépourvu de protecteurs , sans aucun cré- dit , sans prôneurs , je n'avais dû jusque - là mon avancement qu'aux efforts les plus pénibles , et quel- quefois à d'utiles services rendus aux sciences. Je comptais sur plus d'un jaloux, et je sentais qu'il me fallait faire dix fois plus qu'on n'eût demandé à tout autre, pour avoir le droit d'élever la voix. Dans ce calcul , ce n'était point à moi que je pen- sais. Je me trouvais déjà magnifiquement traité pour le seul fait d'avoir pu obtenir une mission aussi glo- 686 CONCLUSION rieuse ; mon nom était assuré d'un certain éclat. Je pouvais périr, et avec moi tous mes travaux pou- vaient être anéantis , mais ma mémoire restait encore entourée de cette auréole mystérieuse de considéra- tion et d'intérêt qui se rattache inévitablement au sou- venir des hommes qui succombent dans une noble et généreuse entreprise. Il n'en était point de même de mes compagnons de voyage. Leur part de gloire , déjà bien mince près de celle du chef en cas de succès , devenait à peu près nulle dans l'hypothèse d'un sinistre complet. Que cette fâcheuse éventualité survînt, et rien ne leur revenait de cet enjeu, chaque jour risqué , de cette existence à chaque heure compromise avec la mienne. Je devenais donc en quelque sorte responsable des indemnités qui leur étaient dues pour ces sacrifices presque journaliers ; c'était un devoir sacré pour moi de leur en faire tenir compte au retour, et de m'ac- quitter par là des obligations d'honneur que j'avais contractées envers eux durant tout le cours du voyage. Naguère les ministres qui dirigeaient le département de la marine en France étaient tellement convaincus de cette vérité , qu'ils laissaient aux commandans de ces sortes d'expéditions la latitude d'accorder à leurs officiers les récompenses dont ils les jugeaient dignes, d'après la nature et dans la proportion de leurs ser- vices. C'est ainsi que l'on en agit envers Lapérouse, d'Enlrecasteaux, et même envers Baudin, dont toutes les promotions furent confirmées. Parla, quel puissant ET REFLEXIONS. 587 moyen ne donnait-on pas aux capitaines pour entre- tenir le zèle et l'émulation parmi leurs compagnons? Rien n'eût manqué à mes vœux, si j'eusse eu de sem- blables moyens à ma disposition ; mais je n'étais pas maître de distribuer une seule faveur, pas même d'en faire la promesse.... Toutefois, je ne m'en croyais pas moins virtuellement engagé envers mes collabo- rateurs , et je me flattais de l'espoir que le ministère , prenant en considération les travaux tout extraor- dinaires de l'Astrolabe, s'empresserait de faire droit à mes réclamations. On a déjà vu qu'à mon retour en France j'étais loin d'avoir obtenu ce que j'avais demandé pour mes com- pagnons. Mais afin de parler sur des faits , et surtout de faire apprécier à sa juste valeur la réponse peu loyale qu'on me fit alors , réponse par laquelle on voulait me prouver que les officiers de l'Astrolabe avaient été amplement récompensés , examinons ce qui avait eu lieu. M. Lottin avait été fait lieutenant de vaisseau le 1er juillet 1827, mais en considération de la cam- pagne de la Coquille. Il n'avait d'ailleurs obtenu ce grade qu'après plusieurs autres , inférieurs à lui en mérite comme en ancienneté. M. Gressien venait d'être nommé lieutenant de vais- seau le 30 décembre 1828, mais uniquement en vertu de son tour d'ancienneté , et parce qu'on ne pouvait pas faire autrement. Une foule de sujets bien moins mérilans que lui avaient été l'objet de passe-droits dans les promotions précédentes. 588 CONCLUSION La place de deuxième médecin en chef à Roche- fort avait été donnée au professeur Quoy, unique- ment par suite des besoins du service et de son mé- rite spécial, nullement en considération de l'Astro- labe. Une décoration avait été accordée à M. Gaimard , pour ses travaux sur l' Uranie, au même titre qu'elle avait été donnée à MM. Quoy et Gaudichaud. M. Lesson avait été nommé chirurgien de deuxième classe. MM. Paris et Faraguet , élèves de première classe, avaient été promus au grade d'enseigne de vaisseau à leur tour d'ancienneté , et parce que les réglemens l'exigeaient d'une façon impérieuse. En définitive , on voit que ces faveurs qu'on a fait sonner bien haut se réduisaient uniquement à la pro- motion de M. Lesson , et l'on doit bien penser qu'elle était loin de me satisfaire , d'autant plus que M. Les- son, tout estimable qu'il est, ne figure point au nom- bre des personnes qui ont rendu à la mission les services les plus importans. Je pourrais d'ailleurs ajouter que M. Lesson reçut cette faveur au dé- but même du voyage , plus de deux ans avant que j'eusse jugé à propos de rien demander pour lui. Elle n'était donc nullement accordée à mes réclamations. Les autres n'avaient obtenu tout juste que ce qu'ils auraient eu en restant à terre , c'est-à-dire ce qu'on ne pouvait leur refuser. Aussi , je réclamai sur-le-champ avec la chaleur et l'énergie que donne le sentiment intime de la justice et du bon droit : ET REFLEXIONS. 589 Le grade de capitaine de frégate pour M. Jac- quinot; La croix d'honneur pour M. Lotlin ; Le grade de lieutenant de vaisseau pour M. Guil- bert ; Le grade de commis de la marine entretenu , pour MM. Bertrand et Sainson ; Enfin , trois décorations pour l'équipage ; savoir, pour Collinet , JXivière et Delanoy. Certes , je ne me montrais point trop exigeant , et toutes ces récompenses avaient été mille fois méritées par ceux pour qui je les réclamais. Cependant je n'ob- tins rien, absolument rien!... que des reproches. M. de Neuville, alors ministre de la marine, se montra presque indifférent aux travaux de V Astro- labe. Il n'eut pas même la curiosité de m'interroger sur les accidens et les opérations de notre pénible campagne , et de s'assurer de ma propre bouche jus- qu'à quel point mes prétentions en faveur de mes compagnons pouvaient être fondées. Les bureaux et l'Institut , qui ne voyaient en moi ni un favori , ni même une créature, se montrèrent très-froids, très- insoucians. Seuls, M. de Rossel, par un sentiment d'équité qui lui était naturel, et par intérêt pour les progrès de la navigation, et M. Tupinier, dont l'esprit éclairé pouvait mieux apprécier l'importance de nos travaux , firent quelques démarches actives en faveur de l'Astrolabe. Sans eux , il est probable que , dès le principe , nous eussions été écartés , et cette masse immense de faits et d'observations re- 590 CONCLUSION cueillis avec tant de fatigues et d'efforts , fût restée ensevelie dans un oubli profond. Toutefois , rien ne se décidait ; M. de Neuville ne paraissait plus songer à l'Astrolabe , et j'entrevoyais déjà l'instant où j'allais être obligé de renoncer à ma publication, pour aller. reprendre le service des ports. L'avènement au pouvoir des ministres du 8 août 1 829, époque qui eut de si étranges conséquences pour les destinées de la France , termina cette longue incer- titude. Avant de quitter le ministère , M. de Neuville , fortement stimulé par M. Aimé-Martin, voulut signa- ler la fin de son administration par un acte de jus- tice et de grandeur. Il fit signer au Roi l'ordon- nance de ma nomination au grade de capitaine de vaisseau « , et celle qui arrêtait la publication du voyage de l'Astrolabe sur l'échelle la plus splendide. Je dois à la vérité de déclarer que M. d'Haussez, successeur de M. de Neuville , témoigna d'abord le plus noble intérêt aux personnes qui avaient exécuté le voyage de V Astrolabe. A lui seul nous dûmes la solution définitive des obstacles administratifs qui s'opposaient à l'allocation des indemnités nécessaires a la publication, et peut-être est-ce à lui que la France devra pour ce fait l'exécution de ce monument. Sa « Il faut observer que M. Le Goarant, dont j'ai eu occasion de parler dans ma narration, obtint la même récompense. Alors le miuistère de la marine plaçait le voyage de la Bayonnaise sur la même ligne que celui de l'Astrolabe; certains individus donnaient même hautement la préférence au premier!,... ET REFLEXIONS. 591 ferme volonté valut aussi a M. Jaequinot la croix d'honneur, à MM. Lottin et Gressien la croix de Saint-Louis, h M. Guilbert le grade de lieutenant de vaisseau , et à MM. Sainson et Bertrand l'emploi de commis de la marine. Malheureusement ces récompenses arrivées tardi- vement , distribuées pêle-mêle avec d'autres , unique- ment dues au bon plaisir ,perdirent presque tout leur mérite. Aux yeux de ceux qui en étaient l'objet, elles cessaient d'être le prix des plus généreux efforts ; elles ne leur paraissaient plus être que le fruit de la faveur et des importunités. J'espérais toujours obtenir de M. d'Haussez le grade de capitaine de frégate pour M. Jaequinot et les trois décorations pour l'équipage , qui étaient de- venus le but principal de toutes mes démarches. Mais je vis bientôt la bienveillance de ce ministre se refroidir d'une manière marquée. Probablement il avait reçu des insinuations peu favorables sur la do- cilité de mon caractère et sur la nature de mes senti- mens politiques; on lui avait fait comprendre que je n'étais nullement un homme à favoriser dans le sys- tème alors adopté. Il fallait bien qu'on eût eu de sem- blables griefs contre moi , puisqu'on n'avait pas même jugé convenable de me présenter au Roi, après avoir accompli une expédition comme celle de l'Astrolabe, fait jusqu'alors sans exemple !... Je perdis enfin cou- rage, et je m'occupai assidûment de ma publication. Vers cette époque , il m'arriva une aventure assez plaisante , et qui fixa pour toujours mon opinion sur .592 CONCLUSION ce que Ton est convenu d'appeler le premier corps savant de la France. M. de Rossel, Tunique véritable appréciateur des travaux de V Astrolabe , vint à mou- rir. Sollicité par plusieurs membres de l'Académie des Sciences , je me mis sur les rangs pour lui succé- der ; je fis les humiliantes visites de rigueur en pareille circonstance , et l'on me crut long-temps assuré d'une forte majorité. Mais une coterie puissante me suscita tout-à-coup un concurrent sur lequel je ne comptais pas , et fit si bien qu'il fut élu à une majorité im- mense. Sur la liste des candidats , je ne fus même porté qu'au septième rang. J'aurais , il est vrai , dû me féliciter de ce qu'on avait trouvé six personnes plus dignes que moi d'occuper ce fauteuil ; mais je ne vis dans cette disposition qu'un parti bien pris de m'en éloigner à jamais. En conséquence, je dus me condamner à l'obscu- rité la plus complète , et ne songer absolument qu'à ma publication. Pour le cas où j'aurais été admis à l'Académie , j'avais conçu de grands projets ; j'avais formé le dessein de ressusciter par l'activité dont je me sentais dévoré , la section de l'Institut consacrée à la navigation et à la géograpbie , section si complè- tement nulle depuis long-temps , et susceptible , à mon avis , de tant d'éclat et d'utilité. La place à l'Académie entraînait par suite la place au Bureau des longitudes , occupée par le vieux vice-amiral Rosily , mais qui ne pouvait tarder à devenir vacante. Ces deux places, jointes à ma retraite, auraient pu me former une existence modeste , dont j'aurais su me ET REFLEXIONS. 5 9 3 contenter , et tous mes momens auraient pu être con- sacrés sans distraction aux progrès de la navigation et de la géographie. En effet , M. de Rosily est dé- cédé précisément trois ans après cette époque. Il est inutile de dire que mon heureux rival a encore obtenu d'emblée cette sinécure, et même sans concurrens avoués, au moment même où il exerçait hors du royaume une fonction qui rapporte plus de 1 00,000 fr. par an. Ce cumul de sinécures peut-il être utile aux sciences et au bien public?... Par leur nature , les travaux de V Astrolabe ne pouvaient être vraiment appréciés à toute leur valeur que par un bien petit nombre de personnes en Eu- rope , et , par une fatalité singulière , nul dans l'Insti- tut n'était en état de les juger depuis la mort de M. de Rossel. Je dus donc me soumettre aux conséquences de cette fatalité ; je dus renoncer pour toujours aux modestes indemnités sur lesquelles j'avais compté pour mes vieux jours , et me consoler de mon mieux en songeant qu'un jour du moins la postérité , réfor- mant le jugement de l'Académie , rendrait enfin jus- tice à*mes efforts. Pour cela, il lui suffira , je l'espère, d'examiner avec quelque attention le sillon laborieux qu'a tracé V Astrolabe sur la surface de l'Océanie. Un nouvel événement, bien autrement important dans son principe que l'intrigue académique dont je viens de parler , vint encore m'arracher à mes tra- vaux. Charles X, abusé par des conseils perfides , tenta d'éluder ses engagemens envers son peuple ; une réaction presque aussi prompte que la foudre eut TOME V. 38 594 CONCLUSION lieu ; un trône fut brisé, une dynastie tomba déchue, et une famille rovale se vit expulsée du territoire français. Je n'avais pas hésité un seul instant entre ce que je croyais alors être la cause de l'homme et celle de la nation ; seul de mon corps , j'avais offert mes services au nouveau gouvernement , et l'on me conQa la mis- sion de conduire hors du royaume la famille exilée. Certes, à tous égards, celle mission n'était pas agréable , et je l'eusse volontiers déclinée : mais l'on me représenta que j'étais l'unique officier qui pût la remplir; qu'on la regardait comme la plus haute preuve de confiance qu'on pût me donner, et qu'enfin elle eût été offerte à un officier-général , si tous ne s'étaient prudemment tenus à l'écart. Je cédai, et j'ac- complis cette tâche sans dévier des principes que je m'étais fait une loi de suivre dans tout le cours de ma vie. Sans déguiser en aucune façon la nature de mes opinions, sans m'éloigner sous aucun rapport des devoirs que m'imposait le nouveau pavillon réta- bli par les Français , je sus accorder aux personnes confiées à ma garde tous les égards , toutes les atten- tions , je dirai même toutes les prévenances a*Ues à une grande infortune. Il me sembla ne leur avoir rien laissé à désirer à cet égard : au moment de me quitter, Charles X lui-même et les diverses per- sonnes de sa famille et de sa suite me renouvelè- rent à diverses reprises leurs remerciemens de la ma- nière la plus affectueuse. A mon retour en France, le nouveau Roi me fit à son tour les protestations les plus flatteuses et les plus ET REFLEXIONS. 505 brillantes promesses. Mais la direction que prirent les gouvernans me démontra bientôt que je serais aussi déplacé près d'eux que je l'avais été près de leurs pré- décesseurs. A tort ou à raison , je me trouvai du nom- bre de ceux qui avaient considéré la révolution de Juillet comme autre chose qu'un simple événement, qui l'avaient regardée comme l'aurore d'un gouverne- ment noble, généreux, équitable et fondé surtout sur les idées les plus libérales et les plus désintéressées. L'acharnement avec lequel on s'attacha à consacrer les erremens de la Restauration et de l'Empire ne tarda pas à me prouver que ces espérances n'avaient été que des illusions ; il fallut encore une fois me résigner à la nécessité. Malgré mon désappointement, je voulus tenter de nouveaux efforts en faveur de M. Jacquinot et des hommes de l'équipage; mes demandes furent plusieurs fois reproduites; on ne daigna pas même me répon- dre. Sous la Restauration on se donnait au moins la peine de m'éconduire. Je m'adressai au chef de l'Etat lui-même; ses promesses furent sans résultat. Je re- tournai à M. de Risnv, et cette fois, comme j'étais vivement indigné, je terminais ma requête en ajoutant qu'il ne me restait plus que la publicité pour me jus- tifier du reproche d'indifférence et d'oubli queje savais avoir provoqué de la part de mes compagnons. Trois années et plus se sont écoulées depuis cette époque , un silence prolongé a été l'unique réponse à mes ré- clamations. M. Jacquinot, l'officier le plus distingué de son grade, est resté lieutenant de vaisseau, après 38 L £96 CONCLUSION avoir vu passer plusieurs cadets devant lui, sans au- tres titres que la faveur des hommes du jour. Pas une décoration n'a été accordée aux hommes pour qui j'en sollicitais.... A mon tour, je tiens ma parole, car mon honneur y est intéressé, et je dévoile au public les raisons qui ont empêché mes compagnons de rece- voir les récompenses qu'ils avaient le droit d'attendre. Ils sentiront que les torts ne sont pas de mon côté, mais ils ne comprendront jamais combien mon cœur a été navré de ne pouvoir leur faire rendre justice. C'était l'unique voie que l'autorité pouvait employer pour me punir de mes opinions. On ne l'a pas négli- gée. Au moins les esprits d'une trempe élevée et gé- néreuse apprécieront ma position et me sauront gré des efforts que j'ai tentés. Je sais que des objections d'une nature grave et peu favorable ont cours au ministère de la marine contre les voyages de découvertes. Elles ont été plus d'une fois employées pour atténuer le mérite des tra- vaux de V Astrolabe et ravir aux officiers qui m'ont accompagné les récompenses qui leur étaient dues. Les hommes spéciaux du métier :, c'est-à-dire les es- prits exclusifs , incapables de vues larges et généreu- ses, se plaisent à répéter que ces campagnes sont par- faitement inutiles à la marine, que les bâtimens de guerre, comme ceux du commerce, n'en peuvent re- tirer aucun profit, qu'elles occasionent des dépenses énormes , qu'en conséquence il serait déplacé de les favoriser. Certes , de pareils griefs énoncés avec la confiance ET REFLEXIONS. Af>7 et l'autorité que donnent une réputation acquise et une haute position dans le corps de la marine, ne peuvent manquer de produire, dans cette arme, des préventions défavorables contre les voyages scientifiques. Tous les individus qui se contentent déjuger sur la parole des autres , et cette classe est encore plus nombreuse dans la marine que partout ailleurs , répètent aveuglément que ces voyages sont inutiles; et leur condamnation se trouve ainsi prononcée. Mais c'est un jugement dont il est permis d'appeler au tribunal de la vérité comme à celui de l'honneur national : c'est pour moi une af- faire d'honneur aussi bien que de conviction. Je vais donc reprendre une à une les accusations portées con- tre les voyages de découvertes, examiner leur valeur, et, malgré mon insuffisance, je me flatte de pouvoir les réfuter complètement aux yeux des hommes de bonne foi. Admettons d'abord que ces voyages soient effec- tivement inutiles à la marine, c'est-à-dire que nos na- vires de guerre ou de commerce n'en puissent jamais retirer aucun profit matériel. Serait-ce une raison pour les proscrire? L'honneur que de pareilles entreprises font rejaillir sur des nations entières, le rang qu'elles prennent dans les annales des sciences et de la naviga- tion, et les matériaux qu'elles rapportent pour toutes les branches des sciences, ne seraient-ils pas des mo- tifs suffisans, auprès des gouvernemens éclairés, pour les ordonner et les encourager par tous les moyens possibles? Certes, l'astronomie, la poésie, la littéra- ture, la musique, la peinture, et plusieurs branches 508 CONCLUSION de Thisloire naturelle proprement dite, n'offriront ja- mais à l'homme étroit, qui ne demande que du po- sitif, aucune utilité réelle; et pourtant proscrirons- nous ces sciences et ces arts, détruirons-nous ces ob- servatoires, ces académies, ces conservatoires, ces musées, ces chaires, si largement dotées, qui, dans tous les royaumes de l'Europe , témoignent de l'inté- rêt que leur portent les rois et les nations? L'astro- nome qui découvre une nébuleuse, une comète im- perceptible à la simple vue, ou qui saisit quelque per- turbation inaperçue dans les mouvemens des corps célestes, le chimiste qui fait connaître un corps simple jusqu'alors ignoré, le naturaliste qui accroît le nombre des espèces enregistrées ou qui s'imagine avoir surpris quelqu'un des secrets de l'organisation des êtres, l'écri- vain qui, par des inspirations refusées à ses devanciers ou par d'heureux et nouveaux artifices du langage, fait goûter des jouissances neuves aux amis des let- tres, etc., etc., chacun de ces hommes croit avoir acquis des droits à la reconnaissance de ses conci- toyens , et rarement on a vu de nos jours la fortune trahir leur espoir. Pourtant nul de ces individus n'a couru de dangers , aucune privation ne lui a été im- posée, les élémens conjurés contre lui n'ont point al- téré son tempérament ; c'est en vivant au sein de sa patrie, de sa famille, de ses amis, qu'il est paisible- ment arrivé à cette gloire , à celte douce et confor- table aisance qui viennent le dédommager des rao- mens donnés à l'étude, plutôt qu'aux plaisirs ou à l'oisiveté. ET REFLEXIONS. 599 Si nous nous montrons si généreux pour ces hom- mes dont l'existence a toujours été si facile, n'accor- derons-nous rien à ces navigateurs qui , s'éloignant de tout ce qui leur est cher, se condamnent à un exil de plusieurs années, et dévouant leur vie à une lutte continuelle contre toutes les privations, contre tous les dangers conjurés, se constituent en quelque sorte les mandataires à titre général et spécial de la science, et deviennent souvent ses martyrs? N'est-ce donc rien que de tracer avec exactitude la vraie configuration de côtes entières , jusqu'alors à peine indiquées , de fixer d'une manière précise la position d îles dont les noms sont à peine connus , de retracer à nos yeux étonnés les mœurs, les coutumes, la langue et la re- ligion de peuplades isolées sur les flots d'un immense Océan, d'étudier toutes les races d'animaux qui habi- tent ces terres, et d'en rapporter des échantillons au- thentiques aussi bien que des végétaux singuliers qui les couvrent et des substances inorganiques qui en forment la base?... Ces conquêtes, si précieuses par elles-mêmes, n'acquièrent-elles pas un nouveau prix, quand on réfléchit qu'elles ont été faites au prix de mille sacrifices , de mille périls, qu'il n'a pas suffi de les faire , mais qu'il a fallu les disputer durant des an- nées entières aux nombreuses causes de décomposi- tion que recèle un navire condamné à passer des mois entiers sous les chaleurs humides de la zone équato- riale, ou dans les mers en courroux des latitudes élevées? Mais pourquoi mettre en doute les titres des grands 600 CONCLUSION navigateurs à la reconnaissance des hommes? Les faits ne sont-ils pas là pour répondre à mes questions ? L'o- pinion publique, ce juge le plus impartial des réputa- tions , n'a-t-elle pas de tout temps prononcé à cet égard? Sans rappeler ici les excursions presque fabu- leuses de Pitheas , d'Eudoxus, d'Hannon, de Scyllax et de Néarque , ni même les navigations plus récentes de Magellan, Drake, Tasman, Schouten, Quiros et Dampier , etc. ; parmi les modernes, en Angleterre, les noms de Cook, Vancouver et Flinders, ne sont-ils pas destinés à une glorieuse immortalité, comme en France ceux de Bougainville, Lapérouse, d'Entrecas- teaux? Les amiraux qu'ont illustrés vingt victoires na- vales n'ont pas laissé une mémoire plus honorée que celle deces intrépides navigateurs. Denos jours, etsous nos propres yeux , bien que les faciles navigations de VUranie et de la Coquille ne puissent être comparées aux admirables efforts des courageux marins qui vien- nent d'être cités, les noms de Freycinet et de Du- perrey ne sont-ils pas cent fois plus connus que ceux des chefs actuels de la marine? Ne voyons-nous pas journellement les étrangers, confondant dans une même personne les faits de M, Duperré , l'amiral , et les travaux de M. Duperrey, le capitaine de frégate, lui assigner, comme son plus beau titre à la gloire, sa campagne autour du monde? C'en est assez, je l'es- père, pour démontrer que les campagnes de décou- vertes , indépendamment de toute considération d'u- tilité matérielle , politique ou commerciale , sont, par elles-mêmes, assez honorables, assez importantes ET REFLEXIONS. G01 pour exciter tout l'intérêt , toute l'attention d'un gou- vernement libéral. Mais quel homme assez dépourvu de jugement ose- rait soutenir sérieusement que ces campagnes sont inutiles? Où trouvera-t-on une école plus capable de former de jeunes officiers aux grandes navigations, aux chances les plus diverses et les plus imprévues de leur métier, aux observations les plus délicates en tous genres? Je ne crains point d'affirmer que ceux qui auront fait avec fruit ces pénibles voyages ne regarde- ront plus les navigations ordinaires , les plus longues, que comme de simples et faciles traversées. C'est ainsi qu'après avoir erré pendant deux années entières dans les parages les plus périlleux de l'Océanie, les traver- sées d'Amboine au Cap de Bonne-Espérance et du Cap de Bonne-Espérance en France, malgré les distances, nous offraient moins de dangers que deux journées d'exploration suivie sur des côtes inconnues. J'en ap- pellerai au jugement même des marins les plus spé- ciaux, les plus opposés à tout esprit de progrès et de considération scientifique; les officiers qui ont fait par- tie des dernières campagnes de ce genre ne jouissent- ils pas , et ajuste litre, de la plus haute réputation de talent et de capacité? Ce que je viens de dire des of- ficiers peut également s'appliquer, suivant les rap- ports convenables, aux maîtres et aux simples mate- lots , quand un capitaine a trouvé près des autorités la facilité de composer son équipage d'une manière satisfaisante. En effet , on ne doit pas perdre de vue que tous 602 CONCLUSION les soins , tous les devoirs auxquels un officier est tenu dans le service ordinaire , se représentent égale- ment dans ces grandes navigations, avec cette nuance qu'ici une vigilance infatigable est toujours de ri- gueur, attendu la proximité des côtes inconnues que l'on prolonge. En outre, il y a cette différence, que ces occupations ne deviennent qu'un objet d'un mé- rite secondaire dans le dernier cas. Dans le service habituel , après avoir fait son quart , l'officier peut se livrer au repos , au jeu ou à tout autre délasse- ment ; en reconnaissance, tous ses loisirs doivent être consacrés sans exception aux observations , aux cal- culs et à la construction des caries. Ouelle immense supériorité ne doivent pas acquérir sur leurs collè- gues les sujets capables de se dévouer à une pareille activité ! Nos navires de guerre et de commerce ne vont ja- mais sur ces mers , il est donc inutile de les faire con- naître avec plus de précision. . . Singulierraisonnement, qui n'a pu se loger que dans des têtes bien étroites ! Parce qu'une chose n'a pas lieu pour le moment, parce que son utilité immédiate n'est point en évidence, doit- on conclure d'une manière délinitive contre son impor- tance a venir? Divers Etats indépendans viennent de se constituer sur les rives occidentales de l'Amérique; ils exigent déjà la présence assidue d'une de nos divi- sions navales ; un empire tout entier germe en ce mo- ment sur les plages naguère désertes de l'Australie ; les îles même de l'Océanie s'ouvrent par degrés aux lumières du christianisme et de la civilisation, qui ET REFLEXIONS. GO 3 pourra nous répondre que la France devra toujours rester étrangère aux combinaisons politiques, aux re- lations commerciales qui résulteront sous peu d'an- , nées de ce nouvel état de choses? L'Océan-Pacifique tout entier est annuellement labouré par une centaine de navires baleiniers anglais et américains. Les nôtres, encouragés par de fortes primes , ont déjà tenté celte carrière avec succès. Les marins français qui se for- meraient dans les expéditions de découvertes , ne de- viendraient-ils pas d'utiles et habiles pilotes pour ces entreprises? Pour moi , je pense que leur présence à bord des baleiniers serait d'un avantage plus efficace que les primes même qu'on peut leur offrir, surtout si l'on avait soin de recommander aux capitaines en découvertes, de recueillir avec soin toutes les notions possibles sur les parages et les saisons les plus con- venables à cette pèche. Enfin , malgré nos vœux , la paix peut fort bien n'être point éternelle entre la France et l'Angleterre, ou les Etals-Unis. L'exemple de l'intrépide Porter ne nous a-t-il pas démontré quel tort un seul bâti- ment de guerre bien commandé, adroitement con- duit, peut, causer au commerce dans ces mers? Et no- tez bien que ce commerce n'avait pas acquis, à celte époque, le tiers du développement qu'il a de nos jours. Mais , pour arriver à ce but , il faudrait posséder des officiers et des matelots qui .connussent à fond ce genre de navigation , qui fussent bien pénétrés des res- sources que l'on peut se créer sur les lieux mêmes , et qui pussent surtout naviguer à travers cet immense G04 CONCLUSION Océan , avec autant de calme et de sécurité qu'ils le feraient au milieu des îles du Levant ou des Antilles. Il me semble que je puis actuellement passer aux reproches adressés à ces expéditions , touchant les dépenses excessives qu'elles ont occasionées. Certai- nement je ne défendrai point la campagne de l' dra- me , je sais qu'elle a énormément coûté pour son exé- cution comme pour sa publication , trois fois plus peut-être que celles de la Coquille et de V Astrolabe réunies. Mais cela n'était nullement nécessaire, comme l'ont bien prouvé les deux dernières , sous le double rapport des résultais obtenus et de la beauté des ou- vrages publiés. M. Freycinet a voulu voyager en grand seigneur et avec toutes les douceurs de la vie , voilà tout; mais ce n'est pas là , à mon avis , le but de ces voyages. Je me contenterai de rendre justice, en passant, au bon esprit de M. Duperrey, sous ce rapport; j'écarterai pour le moment les frais inhérens à la publication , article sur lequel je reviendrai , et je me bornerai à examiner les dépenses strictement né- cessaires à un semblable voyage. Le tableau géné- ral des frais occasionés par l'Astrolabe, depuis le mo- ment où elle quitta Toulon, jusqu'à celui où elle ren- tra à Marseille , va devenir la base de ma discussion. Hormis les cas de naufrage et de démâlage, l'Astro- labe ayant à peu près subi toutes les chances de la na- vigation , je pense qu'elle peut fort bien me servir de terme de comparaison. Mon but est de prouver qu'elle n'a pas coûté davantage que ne l'aurait fait un bâti- ET REFLEXIONS. 005 ment du même rang, armé en guerre et employé, du- rant le même espace de temps , au service le plus or- dinaire ' . Je passe sur les 30,000 fr. attribués pour solde et traitement de mer. Sur tout autre bâtiment, cette allo- cation aurait été la même. Que si l'on voulait m'objec- ter que la présence de deux médecins , d'un dessi- nateur, et peut-être d'un officier en sus de l'état- major réglementaire , a été l'objet d'une dépense extraordinaire , je répondrais qu'elle se trouve tout au plus représenter celle qui aurait résulté de quinze ou vingt hommes en surplus dans l'équipage. En effet, terme moyen , nous n'avons jamais eu guère plus de soixante-douze hommes d'effectif, et divers bâtimens de ce genre, comme la D avance , la Dove , VHekla, la Lionne, V Emulation , etc., et V Astvolabe elle- même pour un service subséquent , ont eu quatre- vingts , cent , et même cent dix hommes d'équi- PaSe2- La somme portée à la colonne vivves aurait été certainement au moins égale partout ailleurs, et peut- être supérieure, attendu que nous avons quelquefois nourri l'équipage avec des vivres achetés à vil prix , et que souvent le bois n'a coûté que la peine qu'ont eue les matelots de le couper. Quel est le bâtiment naviguant seulement dans la Méditerranée qui n'aurait pas coûté chaque année ' Voyez le tableau ci-après. 2 Voyez les comptes définitifs de l'exercice i83o. 606 CONCLUSION 400 fr. de pilotage, autant de frais d'ouvriers dans ses relâches au port, 15 fr. de remplacemens pour l'artillerie, 120 fr. pour les médicamens , et 500 fr. pour les hommes à l'hôpital? J'attends paisiblement la réponse des hommes qui ont quelque habitude de l'administration maritime. Il ne me reste plus à considérer que deux chapi- tres, celui des approvisionnemens et celui des dépenses diverses. Celui des approvisionnemens monte à 23,500 fr. environ; il en faut déduire à peu près 10,000 fr. , consacrés à l'achat de trois chaînes-câbles à Port- Jackson et Hobart-Town , chaînes que nous avons rapportées en France. Reste 15,000 fr. , ou 5000 fr. par an. Certes, c'est une somme bien modique pour les remplacemens de grelins, ancres, gréement, peinture , goudron, huile, suif, etc. , etc. Il faut ob- server que nous emportâmes trois jeux de voiles, deux confectionnés et un en pièces. Les deux pre- miers furent entièrement usés, le dernier fut rapporté presque neuf. Combien de navires en feraient-ils au- tant après trois ans de campagne , dont vingt-sept mois sous voiles? Enfin , dans la colonne des dépenses diverses ont été compris les frais relatifs à l'excursion au sommet du pic de Ténériffe, à l'achat des objets d'industrie sauvage destinés pour le Musée naval, et à divers objets d'histoire naturelle pour la collection du Jardin des Plantes : 1,538 fr. Voilà donc le chiffre effectif des dépenses extraordinaires de la mission de V As- ET REFLEXIONS. 607 Irolabel... CeL exposé de chiffres , je pense, doit fermer la bouche à ceux qui se plaignent des frais qu'entraînent ces sortes de voyages. Mais la publication ! dira-t-on. D'abord , ces publi- cations sont tout-à-fait facultatives , et il est permis au ministre de la marine de n'y consacrer tout juste que ce qu'il lui plaira d'argent. Ce n'est pas que je condamne en aucune façon ce qui a été fait pour la Coquille et pour l' Astrolabe. Comme je l'ai déjà écrit quelque part , « ces publications sont des monumens glorieux qui témoignent de l'esprit éclairé des mi- nistres auxquels on les doit , et sous un petit nombre d'années ils seront peut-être l'unique trace qui puisse rappeler avec quelque honneur le passage de ces hom- mes au pouvoir. D'ailleurs ces dépenses, quelque con- sidérables qu'elles soient, sont peu de chose auprès de tant d'autres qui n'eurent pour objet qu'un caprice d'un moment. » Qui pourra calculer ce qu'aura coûté l'obélisque de Luxor pour arriver seulement dans la capitale !... Et qiiand il aura été enfin planté à grands frais sur une de nos places , qu'aurons-nous de plus qu'un bloc de granit antique et très-vénérable sans doute, mais qui n'offrira rien de plus aux méditations de l'archéologue lui-même , que n'aurait fait un des- sin correct et tracé sur une grande échelle, de sa forme, de ses dimensions et des hiéroglyphes qui le couvrent? Je trouve , pour ma part , que ces vieux et gigantes- ques témoins des siècles passés perdent beaucoup de leur valeur quand ils ne sont plus sur les lieux où ils furent élevés. Je pourrais aussi rappeler ce 608 CONCLUSION que coûta le fameux zodiaque qui n'eut qu'à pa- raître dans nos musées pour êlre tout- à -coup dé- pouillé de ce prestige d'antiquité dout il avait été revêtu , et se trouver condamné à l'oubli le plus com- plet. Mais je n'en unirais pas , si je voulais énumérer toutes les dépenses qui ont eu lieu et qui se renou- vellent tous les jours pour des objets plus frivoles encore. Toutefois , soyons juste , il me semble que le mi- nistère de la marine n'est point tenu de publier à ses frais tout ce qui est étranger à l'histoire même du voyage et aux observations nautiques. Il peut laisser à l'Académie des Sciences el à l'administration du Mu- séum le soin de s'entendre avec les ministères dont ces corps dépendent, pour la publication des documens d'histoire naturelle et de physique , s'ils en méritent la peine. C'était ainsi que je l'entendais à mon retour en France , et je ne m'attendais point à ce que la ma- rine fit encore une fois les frais considérables de la gravure des planches de zoologie et de botanique. D'après les raisons que je viens de déduire , raisons fondées en droit et en fait , je pense que tout homme de sens et de bonne foi conclura avec moi que les voyages de découvertes , loin d'être inutiles , sont au contraire du plus haut intérêt pour la marine, et même pour l'honneur national, et qu'ils doivent êlre encouragés par tous les moyens possibles. Aussi, je ne doute nullement qu'aussitôt qu'un homme vrai- ment éclairé viendra reprendre les rênes de la marine, on ne voie bientôt le nouveau pavillon des Français ET REFLEXIONS. 609 flotter au milieu des îles de l'Océanie , et reprendre le cours des opérations qui ont été exécutées durant une dizaine d'années , sous un autre drapeau , avec une distinction vraiment remarquable ! . Un navire au moins sera sans cesse employé à ce genre de travaux, et d'ici à un demi-siècle le monde savant devra à la France la connaissance approfondie de toutes les peu- plades et de toutes les îles disséminées sur l'Océan- Pacifîque , en même temps qu'elle formera une pépi- nière de marins , auxquels ces parages seront aussi familiers que les mers aujourd'hui les mieux connues du globe. Puisque nous en sommes arrivés à cette conclusion, on me permettra sans doute encore quelques conseils dictés par ma vieille expérience , et qui seront peut- être accueillis par le ministre éclairé que j'attends, et qui sera étranger à la morgue et à la présomption trop ordinaires dans les chefs militaires de notre arme. Sans nuire en rien au service , un bâtiment de la i Si M. Ch. Dupin fût resté au ministère qu'il n'a fait qu'entrevoir, il est probable qu'il eût réalisé une partie de ces prévisions. Quelques jours de plus, et du moins il aurait fait rendre une tardive justice à M. Jacquinot, ainsi qu'il m'en témoignait l'honorable désir par sa lettre du 20 novembre i834. Tant il est vrai que les marins eux-mêmes doivent placer une toute autre confiance dans un homme instruit que dans leurs propres chefs!.... En gé- néra!, ceux-ci ont toujours fait plus de mal que de bien au corps de la ma- rine. En effet, pour elfe un bon ministre de ce département, il ne suffit pas d'être marin, il faut avoir acquis des connaissances étendues et variées; et cette condition est cent fois plus importante que la première. Agir autre- ment, c'est à peu près comme si l'on se contentait de prendre un bon maçon pour en faire un ministre des travaux publics. TOME v. 3q (510 CONCLUSION nature de V Astrolabe (c'est ce qui convient le mieux à ces sortes de missions) , pourrait être détaché des stations du Levant ou de l'Amérique. Il lui faudrait un état-major de cinq officiers , y compris le capi- taine , deux ou trois élèves , deux médecins , l'agent comptable et le dessinateur, et soixante-dix hommes d'équipage; bien entendu que, dans ce nombre , il y aurait au moins quinze ou vingt bons matelots , et point de mauvais sujets , comme à bord de V As- trolabe. Autant que possible , la durée de la campagne ne dépasserait point trente mois , attendu qu'au-delà de ce terme l'ardeur et le zèle s'affaiblissent insensible- ment et viennent souvent à disparaître. En outre , il serait bon que six mois d'intervalle eussent lieu entre le retour d'une expédition et le départ de la suivante , pour que les membres de celle-ci pussent avoir con- naissance des travaux et des observations de leurs devanciers, afin d'en profiter et d'éviter des répétitions inutiles. Les capitaines doivent avoir le choix absolu de toutes les personnes destinées à les seconder. Nulle autre condition ne doit être imposée à ces choix que la capacité bien reconnue des sujets sur lesquels ils pourront s'arrêter. Autant que possible, point de per- sonne étrangère à la marine ; l'ignorance des lois du service et de la discipline militaire ne peut qu'en- traîner par la suite de graves inconvéniens, et souvent détruire les plus beaux élémens d'harmonie. Il va sans dire que ces missions elles-mêmes ne doi- ET REFLEXIONS. 611 vent jamais être accordées à des considérations de fa- veur, de camaraderie, ou de haute influence. Des sujets qui auront fait leurs preuves seront seuls appelés à les diriger, ou bien l'on n'obtiendra que des résultats mé- diocres et nullement en rapport avec ce que l'Etat doit en attendre. Heureusement la marine offre en ce moment des garanties sous ce rapport , et il suffit de citer les noms des Jacquinot, des Bérard et des Lottin, des Gressien, des Blosseville, desGuilbert, des Paris. Je suis persuadé d'avance qu'en s'arrêtant jusqu'à nouvel ordre sur cette liste , l'attente de la marine ne sera point trahie. J'accorderai qu'une somme de 30,000 francs soit nécessaire pour l'achat des instrumens et objets pu- rement relatifs aux sciences comme aux dépenses vraiment extraordinaires , faites dans le cours du voyage, et je pense qu'elle sera toujours suffisante , si les capitaines suivent l'exemple de ceux de la Co- quille et de V Astrolabe. Dans le cours du voyage , le capitaine ne devra né- gliger aucune occasion de faire parvenir de ses nou- velles en France , et de rendre compte des opérations accomplies , comme des événemens survenus. A son retour , ses travaux doivent être examinés , afin qu'il soit statué sur leur mérite et sur leur importance. Quant aux matières purement scientifiques , le rap- port de l'Institut sera suffisant. Mais pour ce qui re- garde l'accomplissement des instructions données , je pense qu'il faudrait à la marine d'autres garanties. N'avons-nous pas vu récemment des navigateurs ne 59* fil 2 CONCLUSION pas même représenter leurs instructions en tête de leurs Relations, précaution qui semble cependant in- dispensable pour justifier de la manière dont ils ont rempli leur tâche ' ! Au retour de ces voyages, un ca- pitaine doit pouvoir dire : «Voilà ce que je devais faire, voici ce que j'ai pu faire. » Je voudrais donc qu'une commission , composée de cinq officiers de la marine , fût convoquée par le ministre, peu importe leur grade , pourvu qu'ils fussent en état de juger , et ce ne serait pas toujours les plus élevés en grade qui con- viendraient le mieux à cette fonction. Leur mandat serait d'examiner les travaux du voyage , pour déci- der si le capitaine a rempli d'une manière satisfaisante les instructions qu'il avait reçues en partant , et de prononcer en ame et conscience jusqu'à quel point la publication du voyage pourrait être intéressante pour la marine et pour les progrès de la navigation. Une fois la publication déclarée convenable, une somme qui dépendrait de l'importance accordée aux travaux, mais qui ne pourrait point dépasser 60,000 fr. , serait allouée, pour cet objett par le ministère. L'ou- vrage serait tiré à 500 exemplaires au moins. Le chef de l'expédition , s'il prétendait rédiger lui- même son voyage, serait tenu de le faire clans le cours de deux années , et ne recevrait , durant ce temps , que les appointemens de son grade à Paris. Quand l'ouvrage serait terminé , la marine en recevrait pour « Bien que le voyage de la Favorite n'eût point un but scientifique, M. le capitaine Laplace a senti cette vérité, et nous a présenté ses instruc- tions en tète de sa Relation. ET REFLEXIONS. 613 son compte 150 exemplaires ; 100 seraient distribués entre les personnes de l'état-major , et les 250 qui resteraient appartiendraient au chef de l'expédition. Ainsi en agissent nos voisins d'outremer , et il n'y a que justice en cela ; ainsi sont sans cesse honorable- ment stimulés le zèle et le dévouement des officiers. Ces dispositions, bien entendu, ne préjudicieraient en rien aux récompenses dues aux divers membres de l'expédition , suivant la nature de leurs services. Ainsi il suffirait de détacher annuellement un navire du service insignifiant , si bien qualifié par les ma- rins, de promener le pavillon, et d'assigner 90,000 fr. en trois ans, ou 30,000 fr. par an au budget , pour arriver au but que je propose. Moyennant 30,000 fr. par an , la France aura la gloire de faire explorer, de la manière la plus complète, toute l'Océanie, et de créer une série de voyages qui seront des titres pré- cieux à l'estime et à la reconnaissance des générations futures. Quel est le député assez parcimonieux, assez dédaigneux de la gloire nationale , pour hésiter à vo- ler une pareille dépense, quand il saurait que tel en serait le résultat ? Si je pensais que ces bases dussent être acceptées et suivies avec équité , malgré mon grade , malgré mes quarante-quatre ans , je me présenterais moi- même au nombre des concurrens appelés à courir une semblable carrière. Il me semble que je pourrais encore la remplir avec quelque honneur, avant de me livrer à un repos définitif. Je crois même qu'avec l'ex- périence que j'ai acquise , et après les études opinia- 614 CONCLUSION. très auxquelles je me suis livré depuis mon retour, mieux que personne je pourrais étendre le cercle de nos connaissances sur les îles de l'Océanie. Mais je ne me dissimule point que je suis loin d'être au nombre des favoris du système actuel ; mon austère franchise n'a pas été propre à m'y faire des amis. Heureux même si les vérités utiles que je viens d'énoncer dans ce dernier écrit ne m'attirent pas quelque disgrâce et ne me condamnent pas à une inaction prématu- rée!.... Je suis résigné à tout. Fier du sentiment d'avoir toujours rempli mon devoir en bon Français et en honnête homme , je me soumettrai paisiblement à ma destinée, et j'attendrai de meilleurs temps , si tou- tefois la Providence nous en réserve!... Dans tous les cas, je croirai avoir marqué la trace fugitive de mon passage sur ce globe par quelques travaux ho- norables , et je souhaiterai de bon cœur que jamais d'autres ne fassent plus mal que moi. J. d'Urville. Paris, le ib novembre i834. Nota. Je n'ai pas reçu la plus mince faveur, même hono- rifique , du gouvernement issu de juillet i83o : c'est encore à la Restauration que je devais les indemnités de publication qui m'ont mis à même de prolonger mon séjour à Paris aussi long- temps. Mais, comme il est probable que ces allocations vont m'être enlevées par la marine au Ier janvier i835 , je ne pourrai mettre au jour deux ouvrages importans dont j'avais préparé les matériaux, et qui auraient exigé au moins une année de plus pour leur publication. L'un était le tableau comparé de cent vingt mots pris dans les soixante langues océaniennes aujourd'hui plus ou moins connues, avec des considérations générales sur les rapports et les différences de ces peuples; 616 NOTA. l'autre était le tableau général des îles de l'Océanie, indi- quant l'époque de la découverte et de leur reconnaissance par tous les navigateurs , les divers noms qu'elles avaient re- çus, si elles étaient hautes ou basses, peuplées ou désertes; enfin, leur étendue et leur position géographique d'après les travaux les plus récens et les plus authentiques. C'était ainsi que je comptais compléter le voyage de V Astrolabe j mais pour cela il m'eût fallu trouver de l'encouragement dans ceux qui auraient pu me procurer les moyens de produire. Au moins, en quittant la capitale, ne pourrai-je encourir le reproche d'y avoir passé mon temps dans l'oisiveté, et peu d'individus au- ront certainement aussi laborieusement gagné leur portion du budget. Il faut d'ailleurs observer que les cinq ou six années que j'aurai consumées à Paris dans ces pénibles travaux auront été absolument perdues pour mon avancement. Le jour où je ren- trerai au port, je serai précisément dans la même situation qu'au moment où je reçus mon brevet de capitaine de vaisseau : aussi pourrai-je voir passer sur mon dos tous mes cadets, sans avoir la moindre réclamation à élever. Ce qu'il y a de plus plaisant, c'est que la loi, ou les décisions ministérielles à son défaut, n'établissent aucune différence entre celui qui tra- vaille et celui qui ne fait rien, entre celui qui accomplit sa tâche et celui qui la laisse imparfaite : diligent ou paresseux , capable ou incapable , il suffit qu'un officier s'occupe de tra- vaux nautiques et scientifiques pour être par ce seul fait voué à l'oubli et à une commune réprobation. Pouvait-on déconsi- dérer davantage les voyages de découvertes et ceux qui veulent y prendre part? Espérons qu'un jour , par la réforme de ces NOTA. 617 abus, on rétablira le zèle et l'émulation dans un corps que ses destinées et sa position semblent appeler de préférence à tout autre au progrès universel des connaissances humaines. Alors seulement la marine pourra jouir de tout l'éclat dont elle est susceptible, car alors ses officiers, quittant des voies étroites et routinières, viendront tous avec joie, et chacun suivant ses moyens, apporter leur tribut particulier à la masse générale des lumières. DEFENSES FAITES POUR LE SERVICE DE LA EXÉCUTÉ EN 1826 — LIEUX OU lES DEPENSES SE SONT EFFECTUÉES. Algésiras Ténériffe Port-Jackson Houa-Houa Cap Otou Tonga-Tabou Viti-Levou Amboine Hobart-Town Umata Bourou Amboine Manado Batavia Maurice Anjer Bourbon Cap de Bonne-Espérance. Solde à la mer. CHAPITRE II. Traitement de table. n » 4,3 1 8 5,a 1 6 » ». » 2,218 8,568 98 » » 20,320 98 f. c. » » » » » » 1,170 1,980 1,980 » » » 2,97° » » 1,080 »> » *> 9,180 Pilotage et frais de voyage f. c. » » 486 3a 4o3 60 » » 3i4 62 >» » » » » » » » » >» » »» 1/204 ^4 C1IAP. III. Salaires d'ouvriers. Total. f. c. » » 98 88 » » >î » » » » » n » H » » » » » 1,026 39 >» 1» » » » » i,i25 27 Nota. Souvent les vivres ont été payés à vil prix , moyennant CORVETTE L'ASTROLABE DURANT LE VOYAGE 1827 — 1828—1829. CHAP. IV. CHAP. V. CHAP. VII. CHAP. VIII. CHAP» IX. CHAP. X. — — — — — — Approvision- Artillerie. Médicamens. Hôpitaux. Vivres. Dépenses nemens. Journées. diverses. f. c. f. c. f. c. f. c. f. c. f. c. » » M » n » M » M n » » tjS 97 » >i *» •* n •* I,275 8i 41 71 10,726 89 » *f i37 55 w w i9.l69 40 466 83 » » m » » 11 » » i33 41 y> » »> » >» M » » H 1» 88 29 >» » » i) » » » » » » 555 18 m n » » » »> » » » » 22 27 » » 3,761 i5 » N n n 1 1 5 20 3,75o 88 n » 6,400 28 M 31 3% 22 » » i6,5g5 9 >» » m » » » » y» n >» 65a 97 1» » n » 11 » n n 3* » 46 7 Il M i35 49 1» » 54 5a 19 2t 1,287 73 » » M » » » ■ y* » 421 68 1* » >» » » M M » »i » 569 75 *» » 2,a34 y3 46 09 123 70 i,33a 47 15,424 8 486 18 tt » » » M U >» » 272 95 54 71 » » >J f> • >» » » » i,382 9 221 4o 65 10 « >» » » r> » 559 25 « 268 4 a3,4g7 81 46 39 347 99 i,466 88 62,206 «9 i,538 87 120,935 fr. 62 c. brut des 3 pour 10 0. des objets d'échange dans les pays sauvages. NOTES NOTES. Extraits des Journaux des Officiers de l'Expédition. page 386. Nous eûmes bientôt perdu de vue, dans la brume, les terres de Gouaham. Le 3o mai, nous laissâmes Guam , emportant une grande quantité de vivres de toute espèce , comme nous n'en avions jamais eu , la plupart dus à la générosité du gouverneur. Nous espérons que cette conduite, la même qu'il a tenue pour l'Uranie , lui vaudra, d'après le rapport du commandant, quelque honorable récompense, digne de lui et du gouver- nement. page 3g2. Les milles espagnols avaient été pris pour des lieues. Le lendemain, 3 juin, on fit la géographie d'Yap, grande et belle île entourée de récifs, formée de terrains bas, unis, avec de petites montagnes au centre. On peut dire qu'elle est boisée de cocotiers dans quelques endroits. D'énormes hangars , construits sur le bord de la mer sur des soubassemens qui pa- raissent en pierre , indiquent une civilisation plus avancée et probablement plus d'aisance dans la vie. Un très-grand pros 624 NOTES. et deux plus petits vinrent à bord ; ils communiquent avec Guam et avec les baleiniers, car il y avait des naturels avec des chemises bleues et des mouchoirs d'Europe : l'un d'eux parlait un peu espagnol. Yap paraît avoir un port dans les ré- cifs. Nous n'avons pas vu toutes les Carolines; mais celle-ci, par sa grandeur et la disposition de son sol , nous paraît une des plus fortunées. page 3o6. D'après nos déterminations définitives, cette longitude est de 131° 45' E. Le 7, on fit une grande partie de la géographie des îles Pelew : ce sont les Palaos des Espagnols. Réunies entre elles par des récifs , elles ne semblent former qu'une seule terre assez élevée dans toutes ses parties. Ces îles sont connues des navigateurs par l'intéressante relation du voyage de ï Antelope , commandée par Wilson, qui amena en Angleterre le fils d'un des principaux chefs. Je crois même que c'est lui qui donna à ce groupe le nom de Pelew qu'il a conservé : c'est probable- ment tout ce qui a été agréablement narré par son histoire sur les mœurs de ses habitans qui a déterminé plus tard le lieute- nant Mac-Cluer à aller habiter parmi eux. Ce géographe , connu par de grands travaux sur les côtes de l'Inde et de la Nouvelle-Guinée, aura sans doute éprouvé quelque injustice pour prendre une pareille détermination. Il a été bientôt désabusé des douceurs prétendues de la vie à demi-sauvage , et il a vu combien les moeurs de tous ces insu- laires sont loin de ce qu'on les dit être. La guerre , la rapine et la mauvaise foi s'exercent là dans toute leur rigueur , et sans aucun dédommagement qu'on trouve au moins dans les pays civilisés. Une erreur dans la- quelle sont les Européens , c'est de croire qu'en arrivant parmi ces peuples, ils vont jouir de la haute considération que NOTES. 625 semblent devoir leur attirer leurs connaissances dans les arts utiles : il n'en est rien. Tous ceux que nous avons vus étaient attachés à des chefs qui s'en servaient sans jamais les élever jusqu'à eux; et s'ils obtenaient quelque pouvoir sur le peuple, c'était toujours à l'aide et sous l'influence de ces mêmes chefs. L'état d'étranger et la différence de couleur sont sans doute cause de cette singulière exception que nous avons vue aux Sandwich pour Yong et Wilson , à Tonga-Tabou pour Sin- gleton, à Tikopia dans la personne de Butcher, aux Viti, M. Mac-Cluer ne demeura que quelques années aux Pelew. Un homme aussi actif ne pouvait y rester sans rien faire ; nous lui devons la géographie assez détaillée de ce groupe : il est probable qu'il avait emporté tous les instrumens convenables pour la faire exacte. Comme cette chaîne d'îles n'a point de ports (un seul assez difficile), lorsqu'on est pris de calme trop près de terre, on peut se trouver entraîné par les courans sur les récifs qui la bordent : c'est ce que nous eûmes un instant à craindre , et pendant la nuit. Le vent qui reparut nous tira d'affaire. page 4*2- Attendu la proximité où ces îles sont de Bourou. Cayely sur Bourou est probablement le port des Moluques qui offre le plus joli coup-d'œil. La rade est vaste, en demi- cercle ; au milieu, sur le bord de la mer, est bâti l'établis- sement hollandais protégé par un fort , de chaque côté duquel s'étendent les maisons des Malais. Cinq petites mosquées élan- cées en pyramides quadrangulaires produisent un fort bon effet. Ce village est ombragé par une belle verdure du milieu de laquelle s'élancent de nombreux aréquiers, l'un des arbres les plus élégans du tropique; divers ruisseaux viennent se jeter à la mer. Les montagnes qui couronnent cet établissement tome v. 4° 626 NOTES. sont assez éloignées pour permettre de s'avancer dans la cam- pagne : en suivant un sentier qui est à la droite du fort, on peut pénétrer dans l'intérieur jusqu'à une lieue, dit-on. Le matin, et le soir surtout, on jouit d'une fraîcheur délicieuse sous une allée continue de jacquiers , d'arbres à pain , et d'autres grands végétaux d'une hauteur prodigieuse. On ne peut faire un pas sans voir plusieurs espèces de très-beaux perroquets. Cette île, dont le nom signifie oiseau en malais, abonde en vivres. Les œufs y sont communs et les volailles presque pour rien : cela tient à ce que les Malais en consomment peu, et qu'ils ne peuvent se défaire du superflu avec les navires mar- chands qui s'empresseraient d'y aborder, s'il n'était pas ex- pressément défendu d'en recevoir. Il serait assez difficile au gouvernement hollandais de donner de bonnes raisons de ces prohibitions. Si M. d'Urville n'eût pas pris la précaution de faire traduire en hollandais, à Amboine, le sauf-conduit du roi Guillaume, qui est écrit en français, il est probable que le rési- dent de Bourou , qui n'entend point cette langue , ne nous eût pas reçus. De pareilles difficultés furent faites à la corvette la Coquille. Nous demeurâmes à Bourou sept jours, pendant les- quels les Malais ne cessèrent de nous fournir du poisson et des fruits. page 424- Et ils se gravent dans la mémoire pour n'en jamais sortir. Nous allâmes rendre visite au gouverneur dans sa jolie mai- son de campagne, située à l'extrémité de la ville. M. Merkus est un homme jeune dont les manières sont aussi simples qu'agréables; il parle le français comme sa langue naturelle, et la douceur de sa physionomie inspire la confiance au pre- mier abord. On peut vraiment dire qu'après une heure d'en- tretien on est avec lui comme on y serait toute la vie. Il a le NOTES. 627 talent, ou plutôt le naturel, de faire de manière à ce qu'on ne croit point être avec le gouverneur des îles Moluques; on ne trouve en lui ni la hauteur, ni la réserve insignifiante des per- sonnes de sa classe : il vous donne simplement et avec vérité les renseignemens qu'on lui demande, sans vanter ni exagérer les choses de son gouvernement. — Cette entreprise est bonne. — Cet établissement ne rapporte rien , ou est mal conçu. — Voilà ses paroles; bien différentes de celles de certains gouver- neurs, qui veulent que tout ce qu'ils administrent soit beau et admirable. Quoique M. Merkus ait résidé long -temps dans les Moluques, il en est parti emportant les regrets de tous les babitans d'Amboine , regrets qui se manifestèrent par l'émotion la plus vive dans les toasts qui lui furent portés. Il eût bien voulu nous être utile dans nos recherches d'his- toire naturelle , mais son prochain départ ne lui en laissa pas la facilité, pour Amboine toutefois. Il ne vit d'autre expédient que de proposer à M. d'Urville de venir avec lui sur l'île Célèbes , où son navire était obligé de rester quelques jours pour y faire son chargement, et que là il nous donnerait deux babiroussas , sorte de cochons qui portent des dents recour- bées vers le nez, et qu'on ne connaît point encore en Europe. Le commandant ne balança point à procurer au Jardin du Roi des animaux aussi rares , d'autant plus que ce petit détour de route pouvait augmenter les travaux géographiques. On nous donna à Amboine des renseignemens sur la colonie que les Hollandais venaient de former à l'extrémité sud de la Nouvelle-Guinée, dans le détroit de Torrès , à l'opposite de celle des Anglais dans la Nouvelle-Hollande. Ce n'est même que pour prévenir l'envahissement de la Nouvelle-Guinée, qui touche aux possessions hollandaises par les Anglais , qu'on s'est déterminé à faire un établissement qui ne peut offrir aucun avantage. Il réussira sans aucun, doute dans le dévelop- pement qu'on voudra lui donner, parce que ce sont des habi- tans des Moluques et non des Européens qu'on y a envoyé. L'officier de marine qui va fonder l'établissement est en même 4o- 628 NOTES. temps chargé de faire la géographie de cette contrée. S'il s'en acquitte avec zèle, il déterminera le contour de la Nouvelle- Guinée , et fera ce que les circonstances ne nous ont pas permis de faire; il a avec lui un naturaliste et plusieurs peintres pour le seconder. Ce naturaliste est un Allemand au service de la Hollande, avec un traitement de 24,000 francs, de plus 4<>,ooo francs de crédit et toutes les facilités possibles. Voilà comme on doit entreprendre de faire de l'histoire naturelle dans les Indes. Le professeur Reinwart, qui avait précédé M. Maklot, avait 70,000 francs d'appointemens, et une suite de cent personnes pour faire l'histoire naturelle des possessions hollandaises dans l'Inde. Quel a été pour les sciences le résultat de semblables dépenses? Nous n'en con- naissons encore rien. Après cela , nous n'osons point parler de ce que la France donne aux naturalistes qu'elle fait voyager. Nous ne voulons point parler de nous, puisque nous n'avons absolument rien comme tels. Avant de quitter Amboine, nous dirons que l'expédition a dû , à l'obligeance du capitaine Lang , un jeune babi- roussa, qu'il a eu la complaisance de nourrir pendant un an pour nous; et ce qui est mieux encore, il a résisté aux ins- tances de M. Maklot qui le désirait vivement. Nous n'avons eu à offrir à M. Lang qu'un assez joli fusil à deux coups, le dernier qui restait à l'expédition. page 47°- Mes forces sont encore bien incomplètes, et j'ai besoin de grands ménagemens. La rade de Manado est vaste, mais peu sûre pendant cer- tains temps de l'année où les vents, battant en côte, occa- sionent un ressac qui peut entraîner les navires à la côte, d'autant plus facilement qu'ils sont mouillés par de grandes profondeurs. Célèbes a, dans cette partie, plusieurs petites NOTES. 620 îles , mais disposées de manière à ne point abriter la rade. La plus remarquable est un énorme piton volcanique éteint placé au large, vers l'entrée de gaucbe. Le village de Manado est assis sur le bord de la mer, entre deux montagnes très- éloignées : celle de droite forme une chaîne ondulée dont un rameau se termine à la mer, à une ou deux lieues du mouil- lage; la montagne de gaucbe, isolée de la précédente, est un grand piton volcanique nommé Clabat, semblable à celui dont nous venons de parler. L'intervalle qui se trouve entre ces deux montagnes forme une sorte de plaine ondulée. Les maisons s'étendent à droite et à gaucbe du fort hollan- dais. Elles diffèrent de celles que nous avions vues dans les Moluques, et tiennent d'un genre d'architecture propre à Célcbes, et probablement aux grandes îles de cet archipel dont les Européens n'ont pu trop modifier les coutumes; elles sont grandes, très-élevées sur d'énormes pieux équarris et so- lidement construites : elles sont en planches, avec des fenêtres et très-souvent ornées de sculptures. Celles des chefs sont de vrais édifices, ayant en avant une sorte de péristyle ou appar- tement quadrilatère , dans lequel on pénètre par de grands escaliers qui ont le défaut d'être trop raides; le faîte est très- élevé , en pente raide et couvert de chaume. Les Hollandais se sont conformés à l'usage du pays en élevant ainsi leurs de- meures; c'est ce que l'on voit par celle du résident, qui habite dans le fort un appartement qui domine la rade , et dans lequel on jouit de la fraîcheur agréable des brises de ces contrées. La population du village de Manado est formée de Malais, d'indigènes d'autres îles et de ceux de Célèbes; mais pour voir les vrais habitans de cette grande île , ou les Alfours proprement dits, il faut aller dans l'intérieur et sur les montagnes qu'ils habitent. Là on est tout surpris, comme nous l'avons été, de voir une race d'hommes différente de la malaise, remarquable d'abord par plus de blancheur dans la peau et par la coupe arrondie de son visage. Il y a fort peu d'exceptions pour ce dernier caractère. Leurs yeux sont ovales, bien faits et ne 630 NOTES. tenaient en rien des Chinois , ainsi qu'on peut souvent le re- marquer dans ceux des Malais. 'Leurs cheveux sont noirs, lisses et très-longs, plus encore chez les femmes. Les hommes ont fort peu ou point du tout de barbe. La teinte blanche de leur peau est d'autant plus marquée qu'ils habitent les mon- tagnes, où la température est fraîche et le ciel assez souvent couvert de nuages. Ceux qui se tiennent dans la plaine ou sur le bord de la mer ont une couleur un peu plus foncée, mais qui ne va jamais jusqu'à la confondre avec celle des Malais. Les enfans provenant d'un Européen et d'une Alfour ont des formes très-agréables, comme nous l'a montré une jeune per- sonne remarquable par la beauté de ses yeux. Les Alfours sont petits de taille, bien faits et alertes. Les femmes sont vêtues; les hommes du peuple vont presque nus, une pièce d'étoffe leur cache seulement la partie moyenne du corps : quelques- uns portent une chemise. Les chefs ont pris ou le costume européen dans lequel ils ont l'air empesé , ou sont vêtus à la mahométane, ce qui leur sied bien mieux. Cependant, et ce qui est assez particulier, c'est que ce peuple n'est point maho- métan et ne semble jamais rien avoir connu de l'islamisme; ce qui est le contraire des Malais qui l'environnent de toutes parts. On n'a point pu nous donner de renseignemens positifs sur leur religion ; tout ce que l'on sait, c'est qu'ils n'ont point de culte extérieur et que leur croyance est toute spirituelle. Dans un état de civilisation qui paraît très-ancien, il n'y a pas de doute qu'ils doivent avoir une religion quelconque; le soin qu'ils donnent à leurs tombeaux, dans lesquels les corps sont plies en double , semble en être une preuve. Il faut con- venir que cette religion doit être aussi simple que tolérante, puisqu'elle semble si peu les occuper. Les Alfours des Célèbes ont les mœurs très-douces, et sont bien éloignés de cette férocité qu'on reproche à ceux des autres îles Moluques ou des terres de la Nouvelle-Guinée. Voilà ce peuple dont nous n'avions fait qu'entrevoir quelques individus NOTES. 03 1 dans notre premier voyage sur V Uranie , lorsque nous étions sur Vaigiou. Parmi tant de Malais et d'autres indigènes, nous ne savions à quoi les rapporter, puisque nous dîmes qu'il était possible que ces individus isolés fussent le produit du mélange d'un Chinois avec une femme de ces contrées. Le gouverneur et le résident M. Pietermat voulurent nous faire connaître le lac et la ville de Tondano , situés sur une montagne, à la hauteur de deux mille pieds et à huit lieues de Manado. Ce voyage fut annoncé plusieurs jours d'avance aux habitans, afin que sur la route ils reçussent le gouverneur avec tous les honneurs qui lui sont dus. Ce fut donc pour cette contrée de grands jours de fête annoncés avec- une gravité et une importance rendues toutes particulières par un ancien usage introduit par un Hollandais. Lorsque le ré- sident donna ses ordres à deux chefs pour être communiqués à ceux de l'intérieur, il tenait une grosse canne à pomme d'argent , comme sont celles des tambours-majors. C'était le signe que la missive dont ils allaient être chargés était de la plus grande importance, et que rien ne devait y mettre empê- chement. C'est l'usage, parmi les chefs qui sont sous la dépen- dance hollandaise , de porter une canne à pomme d'argent comme signe de leur pouvoir. Nous partîmes du fort dans la matinée ; le gouverneur, le résident et quelques personnes de l'eudroit étaient à cheval, ainsi que M. d'Urville et deux personnes du bord. M. Gaimard et moi, dont la santé n'était pas encore entièrement rétablie, nous prîmes des palanquins aussi légers que commodes, portés par des hommes; d'autres palanquins vides et des chevaux de main suivaient pour ceux qui voudraient changer de manière d'aller. Cent cinquante hommes, destinés à porter les palan- quins et les divers bagages, suivaient en chantant, courant et poussant des cris; de sorte que, dans des chemins assez étroits, nous étions assourdis par un cortège assez bruyant : quel- ques chefs de cette troupe joyeuse galopaient sur les côtés. Nous marchions dans une route nouvellement faite, très- 632 NOTES. propre, au milieu des bois dont l'ombrage nous abritait de l'ardeur du soleil : les points de vue les plus agréables variaient à ebaque instant. Pendant environ deux lieues, le terrain ne présenta que la plaine ondulée dont j'ai déjà parlé ; nous tra- versâmes divers ruisseaux sur des ponts de bois couverts et parfaitement entretenus; nous passâmes dans des villages dont les chefs venaient recevoir le gouverneur. Dans un nous trou- vâmes un excellent déjeuner que M. Pietermat avait fait pré- parer : tout y avait été porté de chez lui, jusqu'à du vin, qui ne manqua jamais pendant tout le voyage. Là nous chan- geâmes de porteurs, et une nouvelle suite commença une route qui, entrant dans les montagnes, devenait très-pénible pour les hommes. J'avoue que ma philanthropie fut plus d'une fois en souffrance, lorsqu'il fallut monter par de vrais escaliers, et des plus raides , pratiqués dans la montagne. Aussi descen- dais-je le plus souvent que je le pouvais , afin d'alléger ma chaise. Ce petit inconvénient diminuait beaucoup du plaisir que j'éprouvais à contempler si commodément d'aussi beaux paysages. Les descentes étaient tout aussi pénibles pour ces pauvres hommes; je les faisais reposer souvent; les chevaux souffraient également beaucoup dans ces endroits scabreux. A environ une heure de distance du lieu du déjeuner, nous en trouvâmes un autre préparé par les habitans. Le gouver- neur et sa suite avaient passé sans s'arrêter. Les chefs vinrent au-devant de nous et nous saluèrent à l'européenne, en nous prenant par la main. Je me laissai conduire, et montai par une échelle dans l'appartement où était préparé le repas. Je n'y trouvai qu'une seule personne, c'était mon collègue Gaimard, convalescent, assis à une table de vingt couverts, et se faisant servir comme quelqu'un qui avait oublié qu'il avait déjeuné une heure auparavant. A mesure que nous montions, le ciel se couvrit, le tonnerre gronda, et nous essuyâmes une averse que u eurent point nos compagnons, qui nous avaient devancés à cheval heureusement pour eux , car je ne sais comment les chevaux auraient pu se retirer des chemins inondés et instanta- NOTES. 633 néraent salis et glissans. Pour nous, nous étions à l'abri dans nos chaises couvertes : on y est assis si commodément qu'on peut y lire, y dormir et même y empailler des oiseaux, comme je le fis presque constamment au retour. Sur les deux heures après midi , nous étions au haut de la montagne, sur un terrain rougeâtre , profond en terre végé- tale, presque entièrement dépourvu des forêts épaisses que nous venions do traverser : nous étions dans un nuage transparent qui ne donnait point de pluie, et il faisait frais. Nous traver- sions de vastes champs de riz, dont le chaume et les épis étaient de la plus grande dimension. Pour la première fois, nous vîmes des plantations de café régulièrement alignées et fort bien entretenues. Quelque temps après , nous entrâmes dans Tondano. Le gouverneur y avait fait son entrée au milieu des chefs à cheval qui étaient venus au-devant de lui. Il avait traversé deux longues haies d'habitans régulièrement vêtus à l'orientale et armés de boucliers et de sabres; ils exécutèrent des saluts et des évolutions militaires avec beaucoup d'ordre et d'ensemble en jetant certains cris propres à ces peuples. Quoi- que nous vinssions une heure après le«gouverneur, ils demeu- rèrent également sous les armes pour nous recevoir. Les chefs vinrent au-devant de nous, et, dans de légers costumes de naturalistes, qui ne sont cependant pas faits pour en imposer, nous reçûmes à peu près les mêmes honneurs que M. le gou- verneur. Malgré nous, nous étions forcés de nous donner quelque air d'importance, en saluant avec nos chapeaux de paille à droite et à gauche. Un coup-d'œil tout nouveau s'offrit à nous en entrant dans cette sorte de ville dont une partie est encore bâtie sur le lac. La forme des maisons, de belles eaux vives, des ponts couverts, une température fraîche sous un ciel couvert, nous transpor- taient brusquement des chaleurs et .de l'éclat de la lumière propres à l'équateur dans un pays aussi tout nouveau. La mai- son du gouvernement est majestueuse, dans sa construction, par l'épaisseur et l'équarrissage des poutres qui la soutiennent; «34 NOTES. on y montait par un vaste escalier en ébène : elle est entourée d'eau et paraît construite sur pilotis , à la manière de celles des habitans. Nous étions d'autant plus agréablement surpris que nous nous attendions à trouver tout au plus, sur les bords de ce lac, un abri élevé à la hâte pour y passer la nuit. L'activité et la vigilance de M. le résident y avaient fait transporter toutes les choses utiles à l'existence. Dès son arrivée , M. Merkus avait eu la bonté de faire rechercher toutes les productions d'his- toire naturelle que les environs pouvaient fournir; de sorte qu'elles arrivaient de toutes parts , et je n'avais d'autre peine que de les décrire. D'un autre côté, M. Guilbert, officier du bord , chassait les oiseaux du lac pendant que M. Sainson dessinait les vues les plus remarquables. Le lendemain , M. d'Urville, muni d'une sonde de deux cents brasses ? et accompagné de MM. Gaimard et Sainson, alla sonder le lac auquel il ne trouva que quelques brasses de profondeur dans son milieu. On compte à ce lac onze milles de longueur; il a beaucoup moins de largeur : dans une partie de son éten- due, il est dominé par une montagne bien boisée, quoique ses environs soient dépourvus de bois. Rien ne s'oppose a NOTES. 035 croire que c'est un ancien cratère irrégulier, mais aujourd'hui tellement déformé et encombré d'argile , qu'aux environs on a de la peine à trouver des roches pour indiquer le fondement du sol. Les bords sont couverts de roseaux et son milieu de plantes aquatiques. C'est le séjour des hérons et des poules-d'eau. On trouve dans ses eaux deux seules espèces de poissons assez médiocres pour le goût; elles appartiennent spécialement au lac, quoi- qu'elles puissent se trouver dans la rivière qui y prend sa source-, mais d'autres espèces ne peuvent s'y joindre naturelle- ment, parce que peu après Tondano la rivière entière se pré- cipite en cascade de plus de soixante pieds. Jadis toute cette ville était construite sur le lac , et l'on ne communiquait d'une maison à une autre qu'en bateau. Forts de cette disposition , en 1810 les habitans de Tondano eurent des démêlés avec les Hollandais et voulurent secouer leur joug; ils s'armèrent et furent battus. Ce ne fut pas sans peine qu'on en vint à bout; il fallut y porter de l'artillerie et cons- truire des bateaux canonniers. Depuis ce temps, et pour éviter cet inconvénient, on a défendu aux indigènes de construire leurs habitations sur le lac. En effet, la ville s'agrandit sur la terre ferme; et, dans une promenade sur l'eau, je vis les ruines de leurs anciennes demeures. J'en vis aussi d'habitées, telle- ment vieilles qu'elles croulaient de toutes parts et menaçaient de tomber dans l'eau. M. Pietermat m'apprit qu'ils tiennent singulièrement à ces vieux édifices pourris, et qu'on a beau- coup de peine à les leur faire abandonner pour en construire de plus solides : il se rattache à ce goût quelques idées reli- gieuses. Rien ne ressemble plus aux habitations paludiennes du pays dans lequel je suis né, que traverse et que forme la Sèvre niortaise avant d'aller se jeter à la. mer ; et, sur une mon- tagne placée presque sous l'équateur, je retrouvai, pour ainsi dire, les huttes, les roseaux et les eaux marécageuses du dé- partement de la Vendée. 636 NOTES. , Nous demeurâmes près d'un jour et demi à Tondano : ce mot est composé , et signifie hommes de l'eau ou qui habitent l'eau. Nous revînmes par une route différente de la première, qui est tout-à-fait nouvelle et due aux soins de M. Pietermat; cette dernière, qui est l'anciçnne, a un mille de plus (vingt-un milles), et elle est aussi beaucoup plus difficile. Il a fallu pra- tiquer des escaliers par les pentes les plus raides et qui se re- nouvellent très-fréquemment : c'est ce qui avait déterminé le gouverneur, dans un voyage précédent, à en faire construire une autre plus praticable. Nous traversâmes un plus grand nombre de villages que par l'autre côté ; partout nous retrou- vâmes les mêmes danses avec les mêmes repas. Le dernier vil- lage, dont j'ai oublié le nom , parut redoubler d'efforts pour fêter le gouverneur : les danseurs, au nombre de plus de cent, nous représentèrent en plein air, à l'ombre des palmiers, les scènes de l'Opéra. Les costumes à l'orientale étaient aussi élégans et l'espace beaucoup plus développé. Il faut que ces insulaires passent une partie de leur vie dans ces exercices pour les exécuter avec autant de précision, pour se mêler, simuler des combats , et revenir à leurs places en montrant deux longues files d'hommes armés. Je croyais qu'ils étaient facilités dans ces évolutions par l'habitude de l'exercice : je les prenais pour des miliciens qui dansaient; mais le gouverneur me détrompa. Ils ne sont tenus à aucune garde; et s'ils se réu- nissent, c'est pour s'amuser à danser, ce qu'ils font également chez eux; comme ces exercices ont la même mesure, il ne leur en coûte presque rien pour former le grand ensemble. Leur musique est le tam-tam et des cymbales métalliques qu'on frappe de manière à leur faire rendre des sons harmo- nieux. Ils dansent en rond : cet usage pourrait bien leur avoir été donné par les Européens. La maison du chef de ce village, dans laquelle fut reçu le gouverneur, était une des plus grandes que nous ayons vues. L'appartement immense se prolongeait jusqu'au faite ; des ca- napés, ausâi anciens que la conquête de cette portion de l'île, NOTES. 637 donnaient à cette salle beaucoup de ressemblance avec celles de nos plus vieux manoirs. Nous remarquâmes aussi un vase d'argent à col alongé, dont la ciselure était un travail curieux par le dessin : c'était avec de pareils présens que les Por- tugais ou les Hollandais achetaient des chefs la permission de poser le pied sur un sol qu'un jour ils devaient gouverner en maîtres. En sortant de ce village , on traverse de magni- fiques cultures de café; on descend toujours en longeant un peu le bord de la mer. A deux heures, nous étions de retour au fort. Tout le sol que j'ai parcouru est entièrement volcanique, très-anciennement brûlé; ce n'est que dans quelques endroits qu'on trouve sur la route des blocs de basalte dont toute cette chaîne de montagnes paraît formée. Une fois , dans un ravin profond de la route par laquelle nous revînmes, je recueillis des échantillons d'obsidienne noire , un peu poreuse et qui pa- raissait fort ancienne. Nulle part je n'ai vu de coulées de laves bien caractérisées. La plaine et le sommet de la montagne, où se trouve le lac, sont recouverts d'une argile rougeâtre, très- profonde, débris des laves ou plutôt des tuffas qui recouvraient en partie ce sol. Ainsi il serait complètement inutile de re- chercher de l'or ou tout autre métal dans les environs de Ma- nado. L'or, qui est aussi beau que pur et en gros grains aplatis, vient d'endroits plus éloignés : on le trouve à la surface de la terre, ou du moins il ne faut pas creuser profondément. Les chefs sont obligés envers les Hollandais à une redevance en nature de ce métal, qui dépasse, je crois, 200,000 francs. On dit qu'ils ont la sagesse de n'exiger du peuple que ce qui est strictement dû , après quoi chacun est libre d'en vendre aux Hollandais, qui le réduisent assez souvent en lingots, dont ils font le commerce. Les lieux d'où on le retire sont excessivement malsains, et, comme ce doit être, le peuple y est misérable. Une autre branche d'industrie à peine naissante rendra ce pays un des plus florissans des Moluques; c'est la culture du café. Il est de bonne qualité, et ne vient bien que dans 638 NOTES. quelques localités moins brûlantes que présentent les revers des montagnes. Il n'y a que cinq ou six ans qu'on a com- mencé à le cultiver en grand , et déjà les plantations sont dans le plus grand rapport. On peut donner d'autant plus d'exten- sion à ce commerce qu'on ne doit pas craindre de long-temps que la main d'oeuvre n'excède le produit. Tout ce que pourra fournir Célèbes en café sera consommé dans les Indes; et si quelque jour il y avait surabondance, les navires d'Europe viendraient par Java en maintenir le prix à un taux convenable pour offrir un assez grand gain aux propriétaires. Le comp- toir de Manado fournit aussi de bon riz aux îles environ- nantes. La guerre que les Hollandais ont à soutenir contre les insulaires de Java a forcé de chercher partout des soldats; on a essayé d'y faire servir les Alfours. Ces recrutemens, qui ne doivent s'opérer que par des subtilités dans lesquelles les chefs doivent nécessairement entrer, ne peuvent qu'être défa- vorables à la tranquillité des établissemens hollandais, surtout dans des îles dont ils ne possèdent, comme à Célèbes, que de petites portions : les autorités ne les font qu'à regret. Nous vîmes chez le résident un détachement de ces nouveaux soldats qui se regardent comme engagés dès qu'ils ont reçu le moindre effet des Européens; et ce qu'il y a de plaisant, c'est que dès- lors ils se regardent comme chrétiens. Ainsi un chapeau, un mouchoir équivaut pour eux au baptême. Le sultan de Banda a envoyé mille Alfours à Java pour y faire la guerre sous les Hollandais. Je ne dois pas passer sous silence ce que les Européens nom- ment un mariage de Célèbes; c'est la facilité qu'a tout voyageur qui arrive dans ce pays de prendre une femme qu'il garde pendant tout le temps qu'il y réside, moyennant un accord fait avec le père ou les parens plutôt qu'avec la femme elle-même. C'est moins de l'argent qu'on exige que des étoffes ou autres effets plus utiles que l'argent pour ce peuple. La femme reçoit naturellement aussi quelque chose ; mais si elle ne se comporte pas bien, le loueur peut la renvoyer à ses parens, et repren- NOTES. 6 3 'J dre sinon tout, du moins une partie de ce qu'il a avancé. A son départ, la femme devient libre. Et les enfans?.... Les enfans sont probablement abandonnés à l'humanité des deux parties. Les voyageurs ont considérablement exagéré ce qu'il y a de vrai dans cet usage, qu'il faut, je crois, restreindre à ce que nous venons d'en dire : ce qui est certainement bien assez fort. Pendant le temps que nous demeurâmes encore devant Ma- nado , le gouverneur ne négligea rien pour nous procurer ce que les environs pouvaient offrir en objets d'histoire naturelle, comme mammifères, reptiles et poissons tant d'eau douce que de mer. Il donna à l'expédition deux très-beaux babiroussas vivans mâle et femelle, et un troisième que nous empaillâmes après l'avoir mangé. La chair de cet animal est la même que celle du cochon de ces pays. Mais ce qui sera plus agréable aux naturalistes du Jardin du Roi , c'est la découverte d'une antilope qui tient autant de cet animal que du buffle : on la nomme sapioutang ou vache des bois. Il fallut sans doute envoyer beaucoup de gens à cette chasse pour nous en procurer trois individus. On nous apporta aussi un grand nombre de serpens vivans et intacts dont quelques-uns paraissaient très-dangereux. Nous ignorons comment ces insulaires peuvent, au travers des bois et des fourrés, saisir ces animaux sans danger et sans leur faire de mal. Nous devons aussi des remerciemens à M. le résident pour son obligeance particulière, et surtout pour l'empressement qu'il mettait à remplir les intentions généreuses du gouverneur. En cela, nous ne nous sommes jamais mépris; et malgré le caractère communicatif de M. Pietermat, sans la présence de M. Merkus , nous n'eussions obtenu qu'une bien faible partie des choses que nous avons eues, tant la réserve des employés hollandais est grande. En retour, nous n'eûmes à offrir à ces messieurs que des livres; c'est alors que j'aurais voulu avoir à donner au gouverneur plus d'un exemplaire de notre Zoologie de l'Uranie. 640 NOTES. PAGE 47 I • Dont la baie est si mauvaise et le mouillage si dan- gereux. Nous partîmes le 4 août et mouillâmes la nuit vis-à-vis le village d'Alicoupang , dans lequel j'allai le lendemain passer une heure : il n'offre rien de particulier d'avec les autres vil-' lages. Là , comme ailleurs, les volailles, les cochons et tous les comestibles sont à très-bon compte; et, sous ce rapport, l'île Célèbes est d'une grande ressource pour les navigateurs dans les Moluques. Pour donner une idée de ces avantages, il suffira de dire qu'on a quatre ou cinq volailles pour une roupie ou quarante sous. page 49 i- Ce résultat est parfaitement conforme à la position de la connaissance des temps. Ce n'est ni un port ni une rade, c'est la côte de Java en- tourée de bancs, de sables et de vase , marqués par des balises au travers desquelles on navigue avec précaution pour ne pas se jeter dessus; ce qui serait d'autant plus facile que la mer est d'un blanc jaunâtre et que quelques-uns de ces dangers ne dé- couvrent ni ne brisent. Le mouillage est distant d'une lieue et demie à deux lieues d'une côte basse que les arbres seuls font ressortir; c'est là qu'est cette fameuse ville de Batavia, cet ancien boulevard, cette clef, ce magasin général des Indes, lorsque les Hollandais étaient presque seuls en possession du commerce de cette vaste contrée. Une foule d'ouvrages parlent de Batavia; il n'est pas un navigateur dont la relation soit imprimée qui n'en fasse mention. J'en ai lu beaucoup ; mais il paraît que j'en avais perdu le souvenir, car je fus très-étonné de nous voir aussi éloignés de terre au milieu d'une trentaine de navires de diverses nations. NOTES. 641 Il faut deux heures pour entrer dans la rivière , dont les eaux bourbeuses sont resserrées par deux très-longues jetées en bois parfaitement construites; arrivés là, les canots se baient à la cordelle; on descend aux magasins de la marine. Il s'y trouve presque toujours des voitures qui vous conduisent à la nouvelle ville; on les loue pour le jour entier, jusqu'à dix heures du soir, ou pour une demi-journée. La vieille ville , dont les rues sont immenses , n'est plus ha- bitée que par les Chinois et autres gens d'affaires. Par la forme de ces maisons qui se touchent, par l'étalage de ces boutiques qui contiennent mille productions diverses de l'industrie, on se croirait au milieu de ces vastes faubourgs de nos grandes villes commerçantes. La principale rue, ou plutôt la grande route qui conduit à toutes les autres, est plantée d'arbres, et bordée de canaux qui reçoivent les immondices, et où nous voyions cependant le peuple se baigner. Cette disposition rap- prochée des maisons de l'ancienne Batavia, sur un sol bas et coupé de canaux, entouré de fortifications, au milieu d'une chaleur aussi intense, devait en effet la rendre très-malsaine , et détruire les populations que l'appât du gain y faisait s'en- tasser. Aujourd'hui ce n'est plus cela , et , avec quelques précau- tions que doivent prendre les Européens , cette contrée peut itre habitée sans y courir plus de risques que dans beaucoup d'autres. La nouvelle ville est immense, parce que la plupart des maisons sont isolées. Leur grandeur, la beauté de l'archi- tecture, l'éclat de leur blancheur sans cesse entretenue, font de ces habitations comme autant de petits palais entourés de cocotiers, de palmiers, de bananiers, et d'une foule de belles plantes des tropiques. En y pénétrant on voit que tout est dis- posé pour la libre circulation de l'air, afin de ne rien perdre de ces brises salutaires qui soufflent à des heures réglées. La propreté est cette propreté hollandaise qui est passée en pro- verbe, et qu'ils portent partout dan» leurs demeures. Parmi cette quantité de beaux édifices, s'élève celui qui contient tous TOME v. \\ 642 NOTES. les bureaux de l'administration. Il est au milieu d'une place immense. Sa construction est belle, grande et simple. On le doit au gouvernement du général Daendels. Le gouverneur babite Buytenzorg, distant, je crois, de quinze lieues de Batavia. Son palais est moins beau que l'édifice dont je viens de parler. L'hôtel de Provence que nous habitions, tenu par un Fran- çais, ne le cédait à aucune des belles maisons de la ville. Ses dépendances sont considérables. On y arrive par une vaste cour, et derrière la maison est une superbe allée de cocotiers, dont les têtes touffues se touchent et forment comme un long- berceau qu'on a en perspective quand on est à table. Des voi- tures et des chevaux sont prêts pour toutes les heures de la journée; car personne ne va à pied à Batavia. Une visite à deux pas se fait toujours en voiture. Il serait de mauvais ton de faire autrement, et on ne peut faire usage de ses jambes. Il est vrai que la chaleur fait qu'on se laisse facilement aller à ce commode usage. Les Chinois excellent dans la fabrication des voitures; ils imitent dans la perfection celles qui leur viennent d'Europe, et à bon compte. On a bientôt tout vu à Batavia : une demi-journée suffit pour cela. Par un plus grand séjour nous eussions promptement été répandus dans la société; et si M. le gouverneur d'Amboine y fût arrivé, nous eussions été présentés au cercle de l'Har- monie, où se réunissent les personnes de distinction de la co- lonie. Nous eussions vu aussi la demeure du gouverneur, et nous aurions pris connaissance de la beauté de la nature à Java, ce dont les environs de la ville, sales et fangeux, sont loin de donner une idée. page 4î)5- Son poste lui rapporte trois cent cinquante roupies par mois, sans parler de ses profits éventuels. Nous trouvant vis-à-vis le village d'Anjer, le commandant NOTES. 643 y alla mouiller, afin de prendre des vivres qui y sont à bon marché et de compléter notre eau. Les habitans étaient sans cesse le long du bord. Leur position à l'entrée du détroit de la Sonde les rend éminemment commerçans, et fait qu'ils par- lent plusieurs langues, comme le hollandais, l'anglais, l'espa- gnol et le portugais. Anjer est comme tous ces petits comp- toirs qui bordent les côtes de Java, et consiste dans un fort qu'habite le résident, autour duquel viennent se grouper un plus ou moins grand nombre de maisons javanaises. Ce lieu n'est quelquefois pas sans danger dans le mauvais temps; nous y avons vu des débris de navires à la côte. Anjer malgré cela est un endroit très -commode pour s'approvisionner. Son sous-résident me parut un assez drôle de corps. Il venait d'un comptoir hollandais de la côte d'Afrique, et nous parlait très- naïvement de la friponnerie des peuples noirs dont il fallait se défier. «Heureusement, Messieurs, nous disait-il, que j'avais inventé un assez bon moyen pour ne pas être leur dupe dans les marchés que je faisais avec eux sur la poudre d'or. Je la pesais sur une table couverte d'un tapis à très-longs poils; je faisais naître des contestations par suite desquelles je renver- sais les balances, en disant que je ne voulais plus de leur or. Plus ils faisaient d'efforts pour le reprendre avec les doigts, plus il s'en enfonçait dans les poils du tapis qu'ils ne pouvaient secouer. Plusieurs scènes semblables me laissaient le soir dans le soyeux tapis ioo à 200 francs de bénéfice. Ah! Messieurs, que ces noirs sont fripons! Yous ne vous en faites pas d'idée. » page 555. Mais je fus obligé de m'excuser sur mon départ im- médiat. De tout ce qui a été écrit sur l'Ile-de-France, il y aurait de quoi former une petite bibliothèque. Si les usages des habi- tans de cette petite terre, rendez-vous de presque toutes les 044 NOTES. expéditions scientifiques, sont connus, il n'en est pas de même de ses productions naturelles. Je vais causer un peu de ce pays, dans lequel je n'ai presque fait que me reposer et rétablir ma santé que le séjour de Vani- koro avait altérée de même que celle de mes compagnons. Cette île, toute française, quoique sous la domination an glaise, est la plus délicieuse relâche que des Français puissent rencontrer. Sans chercher à analyser les motifs qui peuvent faire agir nos anciens compatriotes, en ne voyant que leurs politesses , leurs prévenances à rechercher les navigateurs qui abordent dans leur île , leurs offres d'hospitalité aussi franches que sans cérémonie, on peut vraiment dire que nul pays sur la terre n'est comparable au leur. Je le répète, c'est le plus agréable lieu de repos qu'on puisse trouver. D'après tout cela , me dira-t-on , c'est donc le lieu par excellence à habiter? Pas plus qu'un autre ; ce sont des Français , riches , aimables, polis, mais c'est une colonie et un petit pays. Il est maintenant à son plus haut point de splendeur. Tous les propriétaires sont riches ou à leur aise. Cet état de prospé- rité un peu factice, qui ne peut durer et n'être avantageux qu'à la génération actuelle, se fonde sur l'abolition totale de la traite et la valeur du sucre. Maintenant tout le sol de Maurice est converti ou va être converti en champs de cannes à sucre. C'est une sorte de fu- reur, on ne connaît que cela. Tous les planteurs sacrifient leurs bois, leurs lieux d'agrémens même à cet effet; les cannes en- vahissent tout et viennent toucher les habitations. Ce qui n'est quelquefois pas sans danger à cause du feu qui prend souvent dans ces plantes. Cette colonie , qui ne faisait autrefois que quelques millions de livres de sucre , en fournit maintenant au commerce plus de cinquante millions qui sont aussitôt enlevés. Il arrive même que des navires s'en retournent à vide. Les esclaves sont d'un prix excessif; c'est la richesse la plus réelle des créoles, car sans eux les terres n'auraient point de NOTES. M h valeur. Aussi le prix d'une propriété n'est-il pas en rapport avec ce qu'elle peut donner de revenu. C'est d'après cela que beaucoup d'individus tentent, en agriculture, les spéculations les plus hasardeuses en achetant fort cher des habitations qu'ils comptent payer parle revenu seul. Quelques-uns réussissent, mais d'autres s'y ruinent par les gros intérêts qu'ils sont obli- gés de payer. Les mécomptes peuvent dépendre aussi des coups de vent qui ruinent les récoltes , et des épidémies qui attei- gnent les noirs. Il n'est pas rare de voir un habitant mener un grand train sur des terres qui ne lui appartiennent plus. On est long-temps dans les colonies avant de déposséder un pro- priétaire. Les habitans de Maurice réclament, avec raison, que leurs sucres jouissent en Angleterre des mêmes avantages que ceux des Indes occidentales qui paient moins de droits. D'après ce que j'ai vu , et ce que m'ont dit plusieurs personnes raisonna- bles, la forme du gouvernement anglais est des plus douces ; elle agit inaperçue et sans les tracasseries que ne manqueraient pas d'occasioner le nôtre, ainsi que cela s'est vu et se voit de temps en temps dans l'île voisine. Et si l'on ne voyait pas çà et là quelques sentinelles habillées de rouge , on se demanderait à quelle nation appartient le centre d'action. Le gouvernement voudrait que les noirs travaillassent moins , et qu'ils eussent des heures de repos bien réglées. Certainement il est beaucoup de propriétaires qui ont assez d'humanité pour tenir à une chose aussi naturelle, et qui entre en même temps dans leur intérêt , puisque c'est ménager les esclaves. Mais peut-on compter sur l'homme qui , ayant acquis fort cher une propriété, cherche à la payer par la plus grande auantité de sucre possible ? Alors les usines vont nuit et jour, et les noirs travaillent presque con- tinuellement. A l'époque de notre séjour, il venait d'arriver un commissaire d'Angleterre, pour veiller avec toutes les pré- cautions possibles à ces divers réglemens de police. Si le voyageur se repose avec plaisir, comme je l'ai fait, dans l'habitation d'un vrai colon, qui regarde l'île comme sa patrie, 646 NOTES. où il élève sa famille et doit finir ses jours; il souffre en pas- sant parmi d'autres terres cultivées à la hâte, pour rendre le plus possible, par des espèces d'aventuriers, débarqués avec la cape et Vépêe, et ne sachant où donner de la tête. Faire leur fortune et s'en aller est le but auquel ils tendent. Avec de tels hommes, quel doit être le sort des esclaves? Je l'ai souvent dit aux personnes que je fréquentais : Pourquoi, messieurs les créoles, vrais habitans, ne cherchez-vous pas dans vos réunions à vous distinguer de ceux qui ne viennent chez vous qu'en passant, puisque vous faites des distinctions et que Port-Louis a deux cercles? car, dans mon opinion, pour les agrémens de la société, il serait mieux de ne point en établir. Du reste, les Anglais et les Français ne se voient point; il règne entre eux une sorte d'antipathie entretenue encore par la différence des usages. 11 est quelques exceptions pour ces heu- reux caractères qui appartiennent plutôt au monde civilisé qu'à telle ou telle nation. Je citerai à cette occasion M. Tel- fair, ancien médecin en chef des armées navales anglaises, qui réunit indistinctement chez lui des membres des deux partis. J'ai trouvé qu'à Maurice les mariages se contractaient bien légèrement. Cela ne tiendrait-il point à la facilité qu'on a de divorcer? On a vu des unions se faire avec des étrangers arrivés depuis quelques mois, un mois, quinze jours, huit jours; on me l'a assuré. Il est résulté de cette légèreté, dans une chose aussi grave, des séparations, des délaissemens et un cas de bigamie. Le luxe de la table et des vêtemens pour les femmes est poussé au plus haut point, et en raison des forts appointemens des employés et de la richesse commerciale. L'Ile-de-France sous ce rapport, ainsi que pour les manières et le bon ton, ne peut être comparée qu'à la bonne société de Paris. La musique fait le charme de toutes les sociétés ; il n'y a point de maison sans harpe ou piano, et je conseillerai à tout jeune homme qui veut aller à l'Ile-de-France d'apprendre cet art d'agrément; NOTES. 647 c'est la meilleure lettre de recommandation qu'il puisse se procurer. Depuis notre dernier voyage à Port-Louis, car c'est la troi- sième fois que j'y viens, il a fait de grandes pertes dans les per- sonnes de M. Mallac, digne de l'Académie française; M. Arri- ghi était connu pour la bonté de son caractère ; M. Pitot était l'ornement de la colonie. Il ne sortait rien que de sage et de sensé de la bouche de cet homme, mort jeune, et qui était aussi poète. Je crois qu'il ne reste plus de remarquable de cette charmante société de la Table-Ovale, que MM. d'Épinay. Mais il serait possible qu'à cette lueur de littérature locale en suc- cédât une autre tout aussi intéressante dans les sciences. Deux jeunes habitans, MM. Desjardins et Bouton, animés d'un grand zèle pour l'histoire naturelle, font tous leurs efforts pour créer une société qui recueillît toutes les productions de cette inté- ressante île, et les fît connaître par un bel ouvrage qui serait comme un monument de ce que peuvent produire ses habi- tans. Je ne doute pas qu'on ne vît réunis ensemble le talent de l'observation et tout le brillant de l'imagination ; ce qui est très-rare. D'après l'obligeant usage dont j'ai parlé au commencement de ce chapitre, mon ami Gaimard, en réunion chez le gouver- neur, fut invité, ainsi que moi, par M. Desjardins, à aller passer quelques jours à la campagne dans le quartier de Flacq. Nous ne nous connaissions point, seulement M. Desjardins nous avait vus quelquefois à l'Académie des Sciences à Paris. En allant à l'habitation, nous déjeunâmes au bord de la ri- vière du Rempart, dans le même lieu où M. Bory de Saint- Vincent a écrit en avoir fait autant il y a vingt-six ou vingt- sept ans. A l'ombre des palmiers rafia, dont les fruits pendent en longues guirlandes, nous bûmes à la santé et au bonheur de ce voyageur. Sans q ue je fusse précisément malade, ma santé était encore bien affaiblie. Je ne pouvais faire une lieue à pied sans être excédé de fatigue; aussi je me proposais dans la demeure de M. Ma- MB NOTES. réchal, dont M. Desjardins a épousé la fille, de me reposer, et de jouir de l'agrément d'une campagne embellie par de belles eaux. Mais le moyen de demeurer tranquille au milieu de la plus jolie bibliothèque scientifique qu'on puisse désirer; au milieu d'un cabinet naissant, recelant une foule d'objets nouveaux et à déterminer; de livres récemment arrivés de France , et qui nous disaient les progrès que faisaient les sciences? Aussi travaillai-je plus que jamais : je dessinais le jour toutes ces productions, et lisais la nuit; nous ne nous interrompions, M. Desjardins et moi, que pour aller manger assez à la hâte. Le souvenir des quinze jours que j'ai passés dans celte agréable solitude me rappellera toujours un calme d'existence dont j'ai joui assez rarement dans ma vie, et sur- tout les politesses de M. Maréchal et de sa famille. M. Desjardins et moi entreprîmes une course sur les récifs du grand port , distant de plusieurs lieues de Flacq. Quoique nous la fissions à cheval, par eau, et un peu à pied, je ne tar- dai pas à ressentir qu'elle était au-dessus de mes forces phy- siques. Arrivés à la grande rivière, et voyant que les brises qui régnaient nous empêcheraient de distinguer les zoophytes que nous allions chercher au milieu des récifs , nous termi- nâmes là notre voyage, en nous rabattant sur les Ilots-aux- Chèvres, sur la plage desquels nous trouvâmes plusieurs mol- lusques nouveaux, et dont j'ai rempli une vingtaine de plan- ches. La quantité de choses que recèle cette île tant explorée est étonnante , surtout parmi les mollusques et les zoophytes. J'ai dessiné plusieurs de ces animaux entièrement inconnus et ornés des plus belles couleurs. Si j'avais eu à ma disposition une embarcation à Port-Louis, j'aurais très-certainement dou- blé les planches coloriées que j'y ai faites. Mais M. Desjardins suppléera facilement à ce que je n'ai pu faire, et dans quelques années il possédera à la campagne toutes les productions de son île. Nous vîmes ensemble diverses particularités d'histoire naturelle , tel que le sol argileux , mélangé de galets de terre , NOTES. 649 qui recèle une grande quantité d'os de tortue. C'est au milieu des terres , à deux lieues au moins des bords actuels de la mer. Il sera toujours très-difficile de dire comment s'est opérée dans un même point la réunion d'une si grande quantité d'os- semens de ces animaux, qui ne vont jamais en troupes nom- breuses, et dont nous n'avons point rencontré de grands débris entassés sur les plages que nous avons eu occasion de visiter dans divers points du globe. Nous examinâmes le puits dit des Hollandais, soupirail très- circonscrit de quelques toises de diamètre, profond de plus de quatre-vingts pieds, et rempli jusqu'au bord d'eau saumâtre. Il est à un quart de lieue de la mer, avec laquelle il commu- nique, tandis que tout à côté est une vaste mare, débris d'un ancien cratère, remplie de poissons, et qui ne reçoit point d'eau salée. Dans ce voyage, j'eus occasion d'examiner le système volca- nique de cette île. Il est partiel, et entre les deux montagnes sont d'assez grandes plaines, qui ont aussi subi l'action du feu; car toute cette terre fut jadis un volcan. Le foyer le plus considérable} comme je l'ai dit ailleurs, se trouve avoir été à Port-Louis, bâti au fond d'un cratère immense, de plusieurs lieues de diamètre, dont on voit encore une portion des parois dans les montagnes de Piter-Boot et du Pouce. Le reste se trouvait dans la rade qu'occupe maintenant la mer. La mon- tagne longue et la petite montagne se sont développées dans ce cratère même, etc., etc. On a douté qu'il y eût des serpens à l'Ile-de-France. Ils n'habitent pas la grande terre, mais les îles voisines. M. Des- jardins en a dans sa collection qui proviennent du Coin-de- Mire, ainsi que des gros lézards du genre scinque. Ces pre- miers ne m'ont pas paru venimeux. Ce Yocher a encore de re- marquable, qu'il recèle une si grande quantité d'une espèce de lièvre, qu'on l'y tue à coups de bâton. Étant au Mapou , à l'habitation de M. Telfair, nous voulûmes nous donner ce G50 NOTES. plaisir; nous y allâmes dans une chaloupe pontée ; le ressac nous empêcha de descendre, et le résultat de notre course fut d'avoir le mal de mer : car je n'ai jamais pu en être exempt, et complètement m'amariner, comme on dit. En vrai amateur des sciences naturelles , M. Julien Des- jardins fait des recherches sur le lieu où gît la tombe ignorée de Commerson , enterré à Flacq ou aux Pamplemousses, et se propose d'élever un monument à ce grand naturaliste. Quelques jours avant notre départ , arriva à Port-Louis la corvette la Bayonnaise , commandée par M. Le Goarant. Ce bâtiment , faisant partie de la station du Pérou, fut expédié de là, dès qu'on apprit en France la découverte qu'avait faite le capitaine Dillon, du lieu où avait péri Lapérouse. Il nous avait suivis pour ainsi dire de près dans plusieurs de nos re- lâches, comme à Bourou, Guam ; il n'avait point ancré à Va- nikoro. Ayant reconnu le monument que nous avions élevé à la mémoire de Lapérouse et de ses compagnons d'infortune, il contourna les récifs de l'île , et s'en revint en Europe. Par conséquent l'équipage, n'ayant point subi l'influence délétère des plages marécageuses de cette île, ne fut point malade comme le nôtre. La Bayonnaise ramenait le lascar qui n'avait pas voulu nous accompagner. Il voulait, disait-il, voir le roi de France. Mais je crois qu'il a changé d'avis , et qu'il retour- nera dans la presqu'île de l'Inde. M. Le Goarant nous apprit qu'après notre passage à Tiko- pia, les habitans de cette petite île, heureux jusque-là, avaient été atteints d'une maladie épidémique qui en avait fait mourir un grand nombre. Le lascar y avait perdu sa femme ; ce qui l'avait décidé à s'embarquer sur la Bayonnaise. Il est naturel qu'ils aient attribué ce fléau à notre passage, bien que nous fussions sans aucun malade à cette époque. Nous devons nous regarder comme heureux de n'avoir point abordé à cette île lors de cette épidémie, que nous aurions pu naturellement gagner, et qui nous eût peut-être mis dans l'impossibilité d'ef- fectuer notre retour. NOTES. G5t Nous apprîmes encore que les cinq Tikopiens qui nous accompagnaient à Vanikoro , et qui en partirent dans une frêle embarcation et par une apparence de mauvais temps, n'avaient point paru à Tikopia. Ces pauvres insulaires, qui nous inspirèrent un si touchant intérêt par leur entreprise hasardeuse, auront sans doute péri dans la nuit de leur sor- tie; car le ciel était chargé de nuages, et la mer sera de- venue mauvaise. Peut-être encore , les courans peuvent les avoir jetés sur quelque autre île , de même qu'il arriva à l'un d'eux étant fort jeune, qui revint mourant de faim des îles Tonga sur Tikopia. Quelle destinée que celle de cet homme qui, long-temps avant qu'il fût né, devait un jour se rattacher à celle d'un navigateur célèbre , et être funeste comme la sienne! Ainsi donc, dans l'opinion des habitans de Tikopia, notre passage parmi eux sera noté dans leur souvenir comme une époque funeste. page 558. Nous laissons quatorze personnes à Bourbon , en y comprenant MM. Gairaard et Faraguel. Sur le point de partir de Maurice, M.Gaimard fut pris de nou- veau par ses coliques qui le firent souffrir de la même manière, sans pouvoir les alléger autrement que par des bains qui ne procuraient qu'un soulagement passager. Il était logé chez M. Adrien d'Epinay, qui eut pour lui toute l'attention et les soins qui font qu'on ne peut jamais s'acquitter envers une hos- pitalité aussi franche et aussi affectueuse. Je me regarde comme redevable d'une partie de cette hospitalité par suite de l'a- mitié qui me lie à M. Gaimard. Voulant déterminer'sur les intestins un effet que nous croyions devoir le soulager, il prit du calomélas comme purgatif: ce médicament ne produisit point cet effet ; mais, par une susceptibilité de la constitution du ma- lade, il se porta sur la bouche, et détermina une inflammation 652 NOTES. qui n'était presque rien lorsque nous laissâmes l'Ile-de-France, le 18 novembre. Deux jours après nous étions mouillés à Bour- bon. M. Gaimard ne souffrait plus de ses coliques, mais le mal de la bouche augmentait ; les gencives, et surtout la langue, étaient fortement enflammées. Il descendit, et alla demeurer chez son ancien collègue et ami M. Chabrier. Il souffrait cruellement , et ne pouvait s'exprimer que par écrit ou par signes. Le commandant d'Urville retarda son départ. Après six jours, M. Gaimard, souffrant toujours beaucoup, et retenu par les instances de M. et de madame Chabrier, se décida à rester. Je fus très-sensible à cette séparation assez brusque. J'aurais entraîné à bord mon ami, s'il n'avait pas été certain de retourner aussitôt que nous par la Bayonnaise , qui n'avait point de chirurgien-major, et que nous ne précédions à Bour- bon que de quinze jours. En effet, il souffrait, il est vrai, mais son mal n'était que local, et j'étais assuré que huit jours après notre départ il serait guéri. Les médecins ne devaient pas lui manquer; car, à mon départ, il en avait déjà quatre auprès de lui. Je ne dirai rien de Bourbon : en sortant de l'Ile-de-France, c'est tomber d'une ville brillante dans le fond d'une cam- pagne. Il y a peut-être moins de commérage, pour l'exercice de la médecine, à Maurice qu'à Bourbon , quoique sous un autre rapport ce premier lieu ne le cède en rien au dernier; car, lors- que nous y étions, le médecin le plus en vogue était un char- cutier nommé Garcin, qui possédait, dit-on, un remède sou- verain contre la dyssenterie. Ce qu'il y a de certain, c'est que notre cochonicide collègue fait très- bien les saucisses. La méde- cine de Leroy y a encore de nombreux partisans. Les hommes sont les mêmes partout et dans tous les temps. Ce qui prouve qu'on peut être assez éclairé sous certains rapports , et être dans l'ignorance la plus complète relativement à d'autres. Il faut toutefois convenir qu'en France , les réglemens relatifs à l'art de guérir et d'administrer les remèdes sont beaucoup NOTES. (i63 mieux entendus qu'en Angleterre, où la médecine a toujours été et est encore empirique. Ce misérable port de Saint-Denis, je veux dire débarcadère, paraît dépourvu de tout; le capitaine du port vint dans une embarcation toute démantibulée, et j'ai éprouvé que, lorsque je voulus me rembarquer par l'écbelle de corde qui m'avait servi à descendre, on me dit que , n'appartenant pas au gou- vernement, le propriétaire venait de l'enlever. Je fus alors obligé de sauter dans le canot. page 54o. Et rétablirent des courans de la même partie. Dans cette traversée, je reconnus que ce qui rendait quel- quefois la mer d'un rouge brun était un genre de zoopbyte , que nous avons nommé fretillaire, long d'une ligne ou deux, anguilliforme, et dont la tête, grosse comme une tête de petite épingle, était de cette couleur. Ainsi, on doit juger combien ils doivent être pressés pour refléter cette couleur par larges plaques uniformes. Jadis sur l'Uranic et non loin des mêmes parages, nous vîmes que cette couleur était due à de très- petits bipbores. Ce sont de semblables phénomènes qui ont donné lieu à la dénomination de mer couleur de sang. PAGE L>3 «8. Celle de la ville du Cap sera donc de 16° V 11" E. Dans dix jours de relâche au Cap, je recueillis assez d'objets d'histoire naturelle de toute espèce pour composer une ving- taine de planches. J'y pris sur le rivage une tête entière de ba- leine. Les pêcheurs prennent de ces cétacés aux environs et dans la rade même, pendant une saison de l'année ; puis ils les portent à terre, où sont des chaudières propres à en extraire l'huile. 654 NOTES. La Table et ses environs s'étant couverts de nuages , il en tomba de terribles rafales qui firent casser une de nos chaînes, et brisèrent le jas de la seconde ancre qui nous tenait, de sorte qu'il fallut prendre la mer. A peine étions-nous sortis de la rade, qu'il faisait calme. La nuit, les courans nous portèrent à deux encablures de la roche à fleur-d'eau qui se trouve entre la terre et l'île Roben , comme pour nous indiquer que là comme ailleurs il devait toujours nous arriver quelque chose. C'est ainsi qu'en sortant du port à l'Ile-de-France , le pilote nous échoua un instant, et que la maladresse de celui de Bour- bon nous fit passer une nuit dehors. page 564. Résultat presque identique avec celui qui fut conclu à bord de la Coquille. La petite ville, construite sur le bord de la mer dans un étroit ravin, seul lieu où l'on puisse débarquer sous le vent, est d'une élégance et d'une propreté remarquables. Les mai- sons, faites en bois, apportées du Cap ou d'Angleterre, sont peintes en vernis, et ressemblent à des décorations de spec- tacle. Elles s'étendent assez loin dans la longueur du ravin, dont les bords secs, arides et couleur de fer fondu, semblent les menacer de leur chute. C'est sur le bord gauche de ce ravin que sont creusés les étroits et scabreux chemins qui conduisent à Longwood. Ils possèdent toute la perfection qu'ils sont sus- ceptibles d'avoir, c'est-à-dire que creusé dans les scories, ils ont, du côté du précipice, un petit mur à hauteur d'appui , propre à empêcher tout accident avec un cheval docile. De ces hauteurs l'œil plonge presque perpendiculairement sur la ville dont on aperçoit tous les détails. A mesure que le ravin se découvre, on voit des casernes et des magasins qui ont servi autrefois à la Compagnie des Indes. Parmi sont de jolies maisons avec de petits jardins parfaite- NOTES. G 55 ment soignés, et dont la fraîcheur et la verdure contrastent singulièrement avec le sol sur lequel on se trouve. Où le ravin finit, tombe de très-haut une petite cascade, dont les eaux se résolvent quelquefois en brouillard avant d'arriver au fond de leur bassin. C'est elle qui fournit le petit ruisseau qui alimente la ville et ses jardins, lequel est ménagé avec beau- coup de soin. Presque tous les pitons de l'île sont garnis de canons et de vigies qui découvrent au loin les vaisseaux. Lorsqu'on a gravi les premières montagnes qu'on découvre du rivage, la scène change, et l'on aperçoit çà et là quelques points couverts de verdure; puis l'on contourne un vaste et profond entonnoir, dont les bords sont souvent taillés en précipice. C'est à la moins concave de ses extrémités qu'est une petite pelouse verte arrosée par un filet d'eau et ombragée de vieux saules pleureurs, où se trouve le tombeau de Napo- léon. Dans ses courtes promenades, il aimait à descendre dans ce lieu, et l'on dit que c'est là qu'il voulut être enterré, dans le cas où son corps ne serait pas rendu à sa patrie. Le tombeau est simple. De larges pierres de taille plates re- couvrent la fosse ras-terre; elles sont entourées d'une balus- trade en fer. Un saule courbé sur la tombe l'ombrage pres- que en entier. Une seconde enceinte ovalaire, en bois, circons- crit un espace assez considérable , entouré de géraniums en fleurs. Plus loin est la petite maison de l'invalide qui garde le monument. Nous gravîmes à pied la colline escarpée pour atteindre notre voiture qui nous attendait sur le chemin, et bientôt nous fûmes à Longwood, situé sur un plateau du haut duquel on découvre la mer. Le temps était humide et froid, des nuages qui arrivaient par intervalles nous enveloppaient; on n'y voyait quelquefois pas à une portée de pistolet. Ce lieu est certainement un de ceux qui reçoivent le plus de vent et de brouillard de toute l'île. Je visitai les appartemens qu'avait habités l'Empereur. Ils sont maintenant abandonnés, et servent abattre du blé. Je. ne voulus point voir la nouvelle maison (>56 NOTES. qu'on lui avait construite un peu plus bas, et dans laquelle il n'a point logé. Le sol sur lequel j'étais, joint aux nuages som- bres et pluvieux que balayaient les vents , donnait à mes idées une teinte sombre que le pèlerinage que je faisais était bien propre à entretenir. Le souvenir de ce qu'avait été ce nouveau Prométhée, dont je voyais les restes occuper un aussi petit espace, était bien fait pour donner lieu aux réflexions les plus tristes sur ce qu'est l'homme et sur sa destinée. Je le voyais tourmenté par son geôlier, que tout récem- ment les habitans de l'Ile-de-France viennent de conspuer et de couvrir de boue, qui auparavant avait reçu des coups de cravache à Londres , avait été chassé de Vienne et bâtonné à Smyrne. J'aurais voulu être seul tout le temps que j'avais à pas- ser dans ce lieu; mais un cavalier vint nous dire que le gou- verneur nous priait d'assister aux courses qui avaient lieu à quelque distance. Comme les Anglais portent avec eux leurs usages et leurs plaisirs, ce qui fait qu'ils sont bien partout, ils ont voulu avoir des courses dans une île dont l'ensemble y prête peu et ne semble former qu'un rocher. Pour cela, il a fallu prendre le sommet des montagnes; encore, dans l'impossibilité de trouver une arène circulaire assez grande , ils l'ont tracée en longueur : ce lieu se nomme Dead-Wood (bois mort). Toute l'île assistait à cette fête, qui dure plusieurs jours, et qui était souvent interrompue par de la pluie et du vent. ïl fallait des longues-vues pour apercevoir les chevaux, dont le point de départ était à deux milles. Il est étonnant de voir la quantité de jolis chevaux qui couraient. Après la course, nous fûmes invités à une collation servie sous une tente. Ainsi , moi qui comptais venir sur ces hauteurs gravement philosopher sur le néant des grandeurs humaines, me voilà tout-à-coup à une table de 80 couverts, au milieu de jolies femmes et de la plus brillante gaieté. J'étais placé à côté du capitaine Pilou, Fran- çais d'origine, qui, en cosmopolite, avait à peu près parcouru NOTES. C.,7 l'univers et résidé long-temps dans l'Inde. Sa conversation était pour moi du plus grand intérêt ; mais il fallait nous quit- ter. Auparavant, il me mena sur le lieu même, dans la jolie maison de M. Seel, qui possède un petit musée, fort pro- prement entretenu, des productions de l'île dont il n'est jamais sorti. Il me donna quelques coquilles fossiles très-inté- ressantes. Il a porté l'ordre jusqu'à faire imprimer ou impri- mer lui-même le catalogue de sa collection. Nous descendîmes les hauteurs, où se trouvent d'assez jolies maisons entourées d'une sorte de pin peu élevé et d'une verdure agréable. Le soir, nous étions abord de V Astrolabe, et le lendemain, 17 janvier, à la mer. page J71. Nous avons adopté une moyenne entre ces deux résul- tats, savoir : 16° 45' 30" long. O. Cette île de l'Ascension , jadis déserte, commence mainte- nant à offrir un coup-d'œil intéressant à l'observateur, et est une preuve de ce que peut un bon système administratif, suivi avec constance, dans les lieux qui semblent le moins propres à être habités. En effet, après être débarqué et avoir franchi une grande plage de sable blanc , on ne voit, tant que la vue peut s'éten- dre, qu'un sol volcanique, rougeâtre, entrecoupé de plaines et de hauts pitons, sur lequel un naturaliste seul peut trouver des traces de végétation. Partout on ne marche que sur des laves ou des tas de scories, qui, dans les plaines, présentent cela de particulier, qu'elles forment des élévations irrégulières, comme si on s'était plu à les relever pour cultiver leurs inter- valles , qui sont composés d'une terre meuble et rougeâtre. C'est absolument l'aspect de certains champs de l'Ile-de-France, où les laves sont relevées en tas pour recevoir des plantations de cannes à sucre. La montagne la plus élevée est à peu près pla- tome v. 42 G.) «S NOTES. cèe au milieu de l'île; les nuages qu'elle attire et fixe à sou sommet y ont décomposé les substances volcaniques, et pro- duit une bonne terre, seul point où la végétation ait pu s'éta- blir. C'est de ce lieu qu'on embrasse parfaitement l'ensemble géologique de l'île, et qu'on voit que tous ces pitons plus ou moins élevés furent des centres d'action, lorsque l'île était dans une conflagration générale. Plusieurs d'entre eux ont encore leur sommet découpé en cratère plus ou moins bien conservé. Un entre autres présente un accident fort remarquable. Vu de haut, ses bords, parfaitement arrondis, ressemblent à la place d'un vaste manège qui aurait été nouvellement foulé. On y aperçoit jusquà la différence des lignes concentriques. Ce cra- tère a très-peu de profondeur, et n'offre qu'une concavité. Cette disposition est certainement due à ce qu'il a autrefois contenu des eaux pluviales qui se seront insensiblement évapo- rées en laissant les traces que nous venons d'indiquer. Ce lieu, que les Anglais nomment, je crois, le Cirque du Diable, a été visité, dans un précédent voyage, par M. d'Urville qui, lors- qu'il était dedans, ne pouvait plus apercevoir la régularité de son ensemble par la grandeur des reliefs. De cette hauteur encore, on se rend parfaitement compte de cette apparence de tas de scories relevées. C'est qu'après qu'elles furent formées, la nature des irruptions fut principale- ment de cendres qui remplirent tous les vallons, les égalisè- rent en forme de plaine, en ne laissant d'apparent que les sommités ou tas. Tout le sommet du piton central et une partie même de ses flancs ne sont formés que de ces cendres agglomé- rées en morceaux de la grosseur du doigt, contenant des sco- ries légères, des ponces et de petites obsidiennes ; c'est ce que les Italiens nomment rapillo. On creuse dans ces massifs, avec la plus grande facilité, des chemins, des excavations, dans lesquelles les habitans se logent momentanément. On re- marque dans ces coupures des nuances de diverses couleurs, toujours dans le brun et le noir, et quelquefois des veines d'ob- sidiennes de quelques lignes d'épaisseur. Elle semble avoir NOTES. i;59 coulé et s'être étendue sur du sable. Il y existe des localités qui contiennent de gros blocs d'obsidiennes noires. Je ne les ai pas vues. Les contours de l'île sont très-déchiquetés; il n'y a point de port proprement dit, et l'on mouille sous le vent. Les plages de sable sont exclusivement formées de débris testacés de coquilles et de madrépores; et dans quelques localités où ont coulé au- trefois des ruisseaux d'eau douce, il n'y en a plus maintenant. Il est résulté des agglomérations de ce sable , qui forment une bonne pierre à bâtir, blanche et très-facile à tailler. Ces madrépores n'existent plus vivans; s'il en existait, on les retrouverait dans la rade, à l'endroit même où l'on débarque : ils ont été recouverts par les irruptions, et il n'est demeuré que quelques lisières que la mer a pulvérisées , et qui forment les plages sur lesquelles les tortues viennent déposer leurs œufs. Ce sont ces animaux qui ont rendu cette île chère aux navigateurs. Elle n'a commencé d'être habitée qu'en i8i5, lorsqu'on transporta Napoléon à Sainte -Hélène. Les Anglais y mirent un lieutenant de vaisseau avec vingt-ejnq hommes , pour em- pêcher que d'autres puissances ne vinssent s'y fixer, et qu'on ne pût de là faire quelques tentatives pour enlever Napoléon de sa prison. Si vraiment tel a été le motif de l'Angleterre pour s'emparer de cette île, il paraîtra toujours mal fondé , et même pusillanime, à ceux qui ont vu Sainte-Hélène et ses for- tifications pour ainsi dire imprenables. Peu à peu le nombre des habitans s'est augmenté, et à l'é- poque où j'y étais il était de 224 individus, tous hommes seule- ment. Ce sont des soldats de marine commandés par leurs offi- ciers ; le gouverneur est un capitaine ; l'état-major est formé de huit ou dix personnes. On a loué, en Afrique, des hommes de couleur qui servent pendant un temps convenu , mais qui ne sont point esclaves. Des officiers, des soldats y ont leurs fem- mes et toute leur famille. Tous les matériaux propres aux constructions, moins les pierres, sont apportés d'Angleterre ou du cap de Bonne-Espé- 42* 660 NOTES. rancc. Il en a été de même pendant long-temps pour les vivres. Aujourd'hui encore, quoiqu'il y ait dans l'île beaucoup de chèvres et de volailles, et quelques bestiaux, la métropole est obligée d'envoyer des vivres salés pour une grande partie de la garnison. Les seuls alimens frais qu'on puisse distribuer sont des tortues, du poisson et des légumes. Le premier établissement, et aussi le plus considérable, est sur le bord de lu mer, au milieu des scories et sur le sol le plus aride que j'aie jamais vu. Il se compose de la maison du gouverneur et des officiers, de quelques autres maisons parti- culières et de grands magasins très-bien construits. Malheureu- sement il n'y a aucune trace d'eau douce sur le rivage, et la petite quantité qu'en possède l'île vient du piton du milieu, distant d'une lieue et demie à deux lieues; on est obligé de la transporter à dos de mulet jusqu'à l'établissement. J'ai déjà dit que le sommet de cette montagne était recou- vert d'une terre végétale profonde, et constamment dans une atmosphère fraîche et humide. Les Anglais y ont établi des cultures parfaitement entendues des légumes d'Europe, qui y prospèrent pour la plupart. On a commencé aussi à y planter des arbres, car il n'en existe pas de naturels à cette terre. Au milieu de ces champs sont des étables pour les bœufs , et plus bas, encore cependant dans la région des nuages, une maison pour le gouverneur et ses officiers, avec ses dépendances. En se transportant promptement dans ce lieu, on laisse le sol brûlant et aride du rivage pour se trouver au milieu de la verdure et des fleurs et dans une température fraîche et agréable. Le spec- tacle qu'on a au-dessous de soi est tout-à-fait saisissant par sa rudesse et sa sauvagerie. C'est l'image de la désolation ; après l'action du feu, il n'est resté que des cratères éteints, des préci- pices, des pitons rougeàtres ou des roches noires. Là, comme partout où ils s'établissent, les Anglais ont commencé par construire des routes commodes, solides, parce qu'ils savent combien cette précaution , de première néces- sité, contribue à la prospérité d'une contrée. Les habitans NOTES. 661 de l'Ile-de-France leur rendent pleinement justice à cet égard. On a donc commencé à l'Ascension par de belles routes coupées dans la montagne. Il y en a même une qui la con- tourne en partie , et qu'on peut appeler route de luxe , à cause de l'état actuel de la colonie. Ensuite, c'est l'eau qu'on s'est occupé de recueillir avec la plus grande économie, parce qu'elle coule, non pas par filet, mais goutte à goutte, dans trois ou quatre endroits et pendant nuit mois de l'année seulement. On a, à cet effet, un grand nombre de tonneaux défoncés par un bout, placés les uns à côté des autres, se communiquant par des conduits et se rem- plissant les uns par les autres. Quelquefois, ce n'est que l'hu- midité du lieu, condensée sur une pierre, dont on reçoit les gouttes qui ne tombent que de seconde en seconde. Cette eau est aérée, salubre et sans mauvais goût. Elle est meilleure que celle de Sainte-Hélène, qui conserve le goût de la terre sur la- quelle elle coule. Le gouverneur actuel, M. Bâte, s'occupe de faire construire sur le penchant de la montagne un vaste réservoir de pierre de taille pour mettre une certaine quantité d'eau en réserve, soit pour la garnison, soit pour les navires qui en auraient un besoin pressant. Dans ce moment même , on ne peut, sans se priver, fournir dix tonneaux d'eau. Celle qu'on donne aux animaux provient de la toiture de l'étable à boeufs, qui est cou- verte d'une toile vernie sur laquelle les nuages se condensent et coulent. Et, comme on a lâché dans la campagne des pou- les , des dindes , des pigeons , des pintades qui sont devenues sauvages, on a poussé la précaution jusqu'à leur mettre à boire dans des lieux solitaires. Certes, ces détails paraîtront minu- tieux. Mais c'est de leur ensemble, qui indique un ordre pour ainsi dire inné, que résultent les succès. Les tortues, richesse propre à cette île, ont, dès le commen- cement de l'établissement, fixé l'attention des colons. On sait qu'auparavant les navires abordaient à. l'Ascension pour y G6'2 NOTES. prendre de ces amphibies, et que les matelots en retournaient sur le dos souvent beaucoup plus qu'ils ne pouvaient en em- porter; ils périssaient dans cette position. Depuis leur arrivée , les Anglais se chargent seuls d'en donner, d'en vendre ou d'en échanger avec les navires qui en ont besoin. Pour cela, ils ont agrandi, sur le bord de la mer, un réservoir naturel, dans lequel l'eau se renouvelle à chaque marée. Il peut contenir en réserve une centaine de tortues. Pendant six mois de l'année, ces animaux semblent accourir de toutes les parties de l'Atlantique pour déposer leurs œufs sur les petites plages sablonneuses de l'Ascension. C'est la nuit qu'ils choisissent pour cette pondaison. Des sentinelles cachées préviennent de leur arrivée , et des hommes armés de leviers les renversent. Comme ce ne sont que des femelles , on a soin de les laisser pondre en partie avant de les prendre , afin de ne pas arri- ver trop promptement à la destruction de l'espèce. Malgré cela, nous en avons eu à bord qui contenaient de quatre à cinq cents œufs. On a la précaution d'écarter tout ce qui pourrait les empê- cher d'aborder, A cet effet, on ne reçoit ni on ne rend le salut, parce que le bruit du canon leur est contraire. On va même jusqu'à empêcher de fumer sur le rivage, parce qu'on s'est aperçu que cela les écartait. Enfin , ces animaux trouvent encore sur les bords de cette île la même solitude qu'avant qu'elle fût habitée. Ils sont tous de la plus grande taille , pesant de quatre à cinq cents livres, souvent davantage : on en aurait même vu de huit cents livres. On en consomme ordinairement huit cents par an. L'espèce est la tortue franche ou mydas, ou tortue verte ( Tes- iudo vendis des naturalistes). C'est un excellent manger pour les marins. Bien accommodé, il a la plus grande ressemblance avec du jeune bœuf. On sait que les tortues ne mangent point à bord, et ne demandent d'autre soin que de leur jeter dessus un peu d'eau de mer, et surtout de les abriter du soleil, qui les dessèche et les tue. Ordinairement on ne mange que NOTES. 663 les chairs qui meuvent, les membres, quelquefois les œufs les plus avancés; de sorte qu'il y a beaucoup de perte, et que la quantité de viande dont on se sert est réduite à assez peu de chose, eu égard à la masse totale de l'animal. J'aurais dû dire, à son lieu , que la température du haut de la montagne diffère toujours de 10 à 12 degrés; que dans la saison des pluies, qui est aussi la plus fraîche, le minimum du thermomètre de Fareinheit est , sur la plage, à 70 degrés, sur la montagne, à 58. C'est probablement alors qu'on peut re- cueillir jusqu'à neuf cents gallons d'eau par jour de toutes les sources. Le gallon est de quatre bouteilles. Dans les autres saisons, le minimum de la chaleur est, sur la plage, de 92 degrés, à la montagne, de 80. Par conséquent, il ne gèle jamais. Jamais non plus on n'a reçu de coups de vent. Quelqu'un de bien instruit m'a dit qu'il n'y avait point de dépenses spéciales pour cette petite colonie , qu'elles étaient prises sur la masse générale qu'occasionent les plus grandes. Le capitaine Bâte, par son air de douceur et de bonté, sem ble être né pour conduire un semblable établissement , qui demande réellement une trempe particulière de caractère; car ce rocher ressemble à l'exil le plus affreux, et le serait eu effet pour tout autre peuple que les Anglais , qui ne saurait pas , comme on dit en terme de marine , s'y installer comme eux. Ce gouverneur et ses officiers agissent sans la moindre cé- rémonie, et sont toujours dans le costume le plus simple, parce qu'il est le plus commode. C'était bien là les gens qui nous convenaient. Ils nous firent toutes les politesses qui étaient en leur pouvoir, et leur table nous était ouverte. Nous eûmes le plaisir de leur donner à dîner, et ils parurent bien s'amu- ser. On porta diverses santés. Quelques - unes furent ap- puyées d'un modeste coup de canon, afin de ne pas effrayer les tortues. Dans celte circonstance, on se relâcha un peu de la sévérité du règlement. Voici la liste des gouverneurs qui se sont succédé depuis le commencement de l'établissement, qui a été formé par : G.64 NOTES. i. Le lieutenant de vaisseau Cappaje , en i8i5, avec 25 hommes. 2. Major Campbell, avec 29 hommes, arrivé en septembre 1821. Parti en mars 1824. 3. Colonel Nicolls, avec 222 hommes, arrivé en mars 1824. Parti en octobre 1828. 4. Capitaine Bâte, avec 224 hommes, arrivé en novembre 1828. PAGE 582. Où je m'occupai sur-le-champ de la rédaction des ma- tériaux recueillis dans le cours de la campagne. Ainsi s'est terminée une des plus périlleuses campagnes des temps modernes ; la plus périlleuse peut-être, lorsqu'on réca- pitule les contrariétés que l' Astrolabe a éprouvées et les terri- bles dangers qu'elle a courus. i°. A la Nouvelle-Zélande, dans la passe des Français, où elle a fortement touché deux fois. Elle pouvait y rester, et l'é- quipage se sauver dans quelques embarcations. 2°. Sur la même île , dans le fond de la baie d'Abondance , où elle fut surprise la nuit par un très-violent coup de vent qui la porta sur des récifs. Là, la perte eût été totale : on n'aurait même jamais su ce qu'était devenue l'expédition. 3°. Sur les récifs de Tonga-Tabou, où elle resta trois jours et demi en perdition. L'équipage se serait sauvé pour tomber entre les mains des naturels, être dépouillé et mener une vie plus misérable que la mort. 4°. La nuit, sur les récifs des îles Viti. Quelques minutes plus tard, et tout était perdu. Peut-être que quelques-uns des meilleurs nageurs auraient pu se sauver, pour demeurer dans une sorte de captivité indéfinie. 5°. Sur la Nouvelle-Irlande, à l'entrée du havre Carteret, par une pluie terrible, V Astrolabe fut jetée sur l'île Leigh. Le naufrage, pendant dix minutes qu'on mit à la doubler, fut des NOTES. 665 plus imminens. Perte du navire et de beaucoup d'hommes. Le reste ne pouvait que mourir de misère sur une terre qui ne produit rien. 6°. Enfin sur les récifs du détroit de Dampier, entre la Nou- velle-Bretagne et la Nouvelle-Guinée, V Astrolabe toucha for- tement. Si elle y fût restée, par le vent qu'il fit, il aurait fallu s'embarquer dans les canots , faire trois cents lieues sous un soleil ardent. Il serait mort beaucoup de monde, et l'expédi- tion eût été en partie perdue. Dans cette énumération, je ne parle ni des mauvais temps, ni des coups de vent, ni des anxiétés qu'on avait quelquefois de se voir engagé sur des côtes inconnues où l'on pouvait être jeté. C'est ainsi que nous passâmes une nuit au mouillage de la baie Tasman , et une autre sous une des îles Viti. Certainement l'équipage de V Astrolabe a eu de grands travaux à faire, de longues fatigues à supporter, puisqu'il a été plus que décimé, et mérite par cela même cent fois les récompenses qu'on devra lui donner. Je serais bien plus satisfait si je pouvais, sans restriction, lui rendre justice, mais il s'en faut de beau- coup que les matelots aient rempli les conditions d'hommes jeunes embarqués de bonne volonté pour une expédition qui, par sa longueur et son but seul, est capable de former un homme quel qu'il soit, et de lui élever le caractère. La ma- nière même dont on s'est conduit à leur égard devait les faire s'attacher à l'expédition. Il n'en fut rien. Avant même les pre- miers dangers, ils désertèrent; ils devaient encore le faire en grand nombre à Tonga-Tabou parmi des sauvages. Deux hom- mes y demeurèrent. Ils devinrent pusillanimes, criards, se plaignant, comme s'il leur avait manqué quelque chose. Jamais équipage ne fut ni mieux traité ni mieux nourri. Lorsqu'on compare ces matelots à ceux qui , au travers de mille priva- tions, contribuèrent à ces grandes et hardies navigations des xve et xvie siècles, on est tenté de regarder ces derniers comme des êtres surnaturels par leur ténacité et leur constance dans l'abnégation d'eux-mêmes. 666 NOTES. Ce n'est pas que, parmi les hommes de l'Astrolabe, il n'y en eût de bons ; mais ils étaient en très-petit nombre. Ces reproches ne s'adressent point aux maîtres qui, partout en général, sont bons; seulement quelques-uns des nôtres étaient un peu trop mercantiles; et, comme je l'ai déjà dit, il semblait réellement qu'alléchés par l'heureux voyage de la Coquille, ils se fussent embarqués seulement pour se promener et recueillir des co- quilles et des oiseaux. Cette fureur me semble portée à un si haut point chez quelques marins de Toulon, qu'une nouvelle expédition scientiBque ne peut plus être faite dans ce port. C'est bien en voyant ce qui s'est passé sur l'Astrolabe, que, dans la manière de conduire les hommes , on est tenté de dii'e que, pour arriver à de bons résultats, il faut justice et sévérité. {Extraits du Journal de M. Quoy.^) RELACHES DE L'ASTROLABE. NOMS Total ARRIVÉE. DÉPART. des DES LIEUX.. . jours. Toulon. • . • . * ■ • » a.5 avril 1826. » r. Algésiras (Espagne). 21 mai 1826. 6 juin. ll 2. Ténériffe (Espagne). 14 juin. 21 juin. 8 3. Sant-Iago (Portugal). 29 juin. 3o juin. 1 4. Port du Roi-Georges 7 octobre. 25 octobre. x9 (Nouvelle-Hollande). 5. Port Western (Nou- 12 novembre. 19 novembre. 7 velle-Hollande). 6. Baie Jervis (Nouvelle- 26 novembre. 29 novembre. 1 3 Hollande). 7. Port-Jakson (Nouvelle- 2 décembre. 19 décembre. 17 Hollande). 1 0 Zélaude). g. Baie Houa-Houa (Nou- janvier 1827. 1 velle-Zélande). 1 Zélande). 1 1 . Baie Shouraki. février 1827. février. 5 12. Baie des Iles. 12 mars. 19 mars. 8 1 3. Tonga-Tabou ( îles des 20 avril. 21 mai. 3i Amis). 14. Havre Car teret. (Nou- 5 juillet. 19 juillet. i5 velle-Irlande). i5. Port Doreï (Nouvelle- 25 août. 6 septembre. 12 Guinée). 16. Amboine (Hollande). 25 septembre. 10 octobre. i4 17. Hobart-Town, île Van- 19 décembre. 5 janvier 1828. »6 Diémen. 18. Vanikoro. 21 février 1828. 1 7 mars. 26 ig. Guam, Mariannes (Es- 2 mai. 3d mai. 7 pagne). 20. Bourou (Colonies bol- 3o juin. 6 juillet. 7 landaises). 21. Amboine (Colonies hol- 10 juillet. -18 juillet. 9 landaises). 22. Manado sur Célèbes 20 juillet. 4 août. 8 (Colonies holland.). 1 RELACHES DE L'ASTROLABE. NOMS DES LIEUX. 23. Batavia (Colonies hol- landaises). 24. Anjer sur Java (Colo- nies hollandaises). a5. Ile-de-France (Angle- terre )• 26. Ile Bourbon (France). 27. Cap de Bonne-Espé- rance (Angleterre). 28. Sainte-Hélène (Angle- terre ). 29. L'Ascension ( Angle- terre). ARRIVEE. 29 août 1828. 29 septembre. 19 novembre. 2 3 décembre. i5 janvier 1829. 2 3 janvier. DEPART. 2 septembre 1828. 18 novembre. 24 novembre. 2 janvier 1829. 17 janvier. 28 janvier. Total général des jours de relâches. Total des jours. 5i 6 10 11/2 6 343 1/, Encore faut-il observer que , dans ce calcul , les jours d'arrivée et de dé- part sont comptés parmi les jours de relâche. En les défalquant, ce qui serait plus exact , il resterait moins de 3oo jours sur une campagne de près de trois ans. Cela provient des longues et pénibles explorations que l'As- trolabe n'a pu accomplir qu'aux dépens du temps qu'elle aurait pu passer bien plus agréablement dans les relâches , et plus fructueusement pour l'histoire naturelle et les autres sciences. ( Extrait du Journal de M. Quoj. ) NOTES. 669 Un mois de séjour à Guam ne rétablit pas entièrement nos malades. Le 3o mai 1828 , nous quittons l'archipel des Ma- riannes , où nous avions reçu, comme en 181g, sur rCJranie, l'hospitalité la plus généreuse de la part du gouverneur, don José de Médinilla. Après avoir traversé les îles Carolines , re- connu l'île d'Yap et les îles Palaos , fait une courte relâche à Bourou, nous arrivons à Amboine, où nous trouvons dans le gouverneur des Moluques , M. Merkus, un second Médinilla. Ces deux hommes, d'un caractère si noble, méritent notre reconnaissance à tous égards, et leur nom ne s'effacera jamais du souvenir de ceux qui ont fait partie des expéditions de rUram'eelde l'Astrolabe. Sur la demande de M. d'Urville, ils ont été nommés l'un et l'autre membres de la Légion- d'Honneur, récompense certainement bien méritée, mais qui probablement ne leur est point encore parvenue. J'arrivai malade à Amboine. Depuis notre départ de Vani - koro la fièvre intermittente ne m'avait presque pas quitte. Le médecin en chef des îles Moluques, M. Lengacker, voulut que je vinsse m'établir chez lui où , pendant notre séjour , il me combla de soins et de prévenances. M. Merkus facilita nos travaux avec toute l'obligeance qui le caractérise. Le capitaine Lang, chef de l'artillerie, nous fit cadeau d'un jeune babiroussa qu'il avait gardé pour nous pendant un an et qu'il avait refusé aux vives instances de M. Maklot. Nous avons eu également à nous louer de l'accueil plein de cordialité qui nous a été fait par MM Moorrees, Styman , Paape, Elgenhuizen , Van Ker- vel, et en général par toutes les personnes de la colonie. M. d'Urville , toujours disposé à favoriser les recherches d'histoire naturelle , accepta avec le ^plus louable empres- sement la proposition que lui fit M. Merkus de l'accompagner à Menado , sur l'île Célèbcs. M. Merkus nous promettait deux babiroussas vivans qui lui étaient destinés. Cette considération «70 NOTES. était extrêmement importante ; et M. d'Urville n'hésita point à faire cette nouvelle relâche , malgré les inconvéniens que pouvait offrir , pour la santé de l'équipage, une navigation prolongée dans les Moluques. M. Merkus , sur le Bantjar , et nous sur V Astrolabe , nous arrivons à Menado le 27 juillet 1828. Je descends immédiate- ment à terre avec MM. d'Urville et Quoy. M. Merkus nous donne les deux babiroussas, mâle et femelle, et nous renouvelle ses offres de services. Il propose à M. d'Urville une excursion au lac de Tondano. Ce voyage offrait une incontestable uti- lité ; il est accepté et fixé au surlendemain, 29 juillet. Ce même jour, avant notre départ , le gouverneur nous fait présent d'un bel animal nommé dans le pays Sapi-Outang , c'est-à-dire vache des bois, que le chef de Kéma lui envoyait à l'instant même. Cet animal qui , par sa forme trapue, res- semble à un jeune buffle, est une antilope remarquable par ses cornes déprimées; elle est sauvage, vit dans les bois, et quoique peu agile , elle devient dangereuse par les blessures qu'elle peut faire avec ses cornes. Notre petite caravane , composée de MM. Merkus, Pieter- mat , d'Urville, Rumboldt, Sainson, Guilbert, Quoy et moi , partit accompagnée d'un nombreux et bruyant cortège. A peine convalescent, à cette époque, je ne voulus pas laisser échapper une si belle occasion de voir l'intérieur de l'île Célèbes. Je pris un palanquin aussi élégant que commode, porté par une vingtaine d'hommes qui se relayaient toutes les demi-heures, et qui couraient rapidement tout en chantant et en poussant des cris joyeux. M. Quoy et le capitaine Rumboldt préférèrent, comme moi, faire le voyage en palan- quin. Tous les autres messieurs étaient montés sur d'excellens petits chevaux. Après avoir traversé la charmante ville de Menado , nous suivons une route large , commode , et nouvellement cons- truite au milieu de belles forêts. De rapides torrens, des ponts en bois fort élégans et couverts , la beauté du ciel , l'aspect et NOTES. 671 la variété du paysage, les hommes à cheval, les palanquins, le costume et les cris de joie de nos porteurs et de notre escorte, tout donnait à notre promenade un caractère à la fois majes- tueux et bizarre. Arrivés au village de Taouangan , nous y sommes accueillis et félicités par les principaux habitans; et là, grâce aux soins de M. Pietermat, nous trouvons un excellent déjeuner : de belles chevrettes, des poissons, des volailles rôties et bouillies, et même du vin qu'on avait eu soin d'y apporter,, Un pareil repas était préparé dans chaque village que nous traversions, et à la manière dont je fis honneur au second , il eût été bien impossible de croire que j'avais déjeuné une pre- mière fois. Les naturels du village de Paoun-Nereng, situé à égale dis- tance de Menado et de Tondano , viennent nous recevoir en grand costume , armés de sabres et de boucliers et exécutant différentes évolutions. Nous vîmes en cet endroit les princi- pales femmes du pays , toutes fort laides et paraissant d'une intelligence très-bornée. A mesure que nous nous rapprochons de Tondano, la végé- tation qui nous entoure devient plus vigoureuse et plus belle : elle nous rappelle ces forêts vierges de la Nouvelle-Irlande et de la Nouvelle-Guinée qui ont si profondément excité notre admiration. Une averse qui eut lieu pendant ce trajet rendit le chemin très-glissant et les fonctions de nos porteurs infini- ment plus pénibles. Après être arrivés au haut de la montagne , nous voyons de belles rizières , des plantations de café , le village de Tonséa- Lama , et à quelque distance de la route la belle cascade de Tondano, si imposante, si pittoresque, et dont M. Sainson enrichit aussitôt son portefeuille. Les habitans de Tondano viennent nous recevoir en armes et dans leur costume oriental. L'entrée de notre caravane dans la ville a lieu d'une manière véritablement triomphale , entre deux longues haies de ces guerriers et au milieu 672 NOTES. d'un grand nombre de naturels accourus des villages voisins. La maison du gouvernement dans laquelle nous descen- dons, située sur une île bâtie en bois et sur pilotis, ressemble en quelque sorte à une forteresse. Elle est propre et bien te- nue. Je m'installe aussitôt dans la chambre qui m'est com- mune avec M. Quoy. Le même jour, et peu d'instans après notre arrivée, les na- turels par ordre de M. Merkus nous apportent un grand nom- bre d'objets d'histoire naturelle. Le lendemain, 3o juillet, je fais avec MM. d'Urville, Sain- son , Rumboldt , et le kapala-balak de Tondano , une excur- sion sur le lac de cette ville que l'on nous dit très-poisson- neux. Les oiseaux que nous apercevons sont des hérons , des canards et des poules d'eau. M. d'Urville fit plusieurs expé- riences thermométrographiques. Le lac n'offrit que quelques brasses de profondeur dans son milieu. Sur toute la côte de- vant le village de Passoun , l'eau du lac offre la température de 33°, 3, tandis que l'air se maintient à 24°, 5. Pendant tout le jour les habitans ne cessèrent de nous appor- ter des animaux de toute espèce. Le 3i juillet , nous quittons de très-bonne heure Tondano et nous revenons à Menado par une roule nouvelle , en tra- versant les villages de Koïa et de Tomohon. Dans ce dernier, où un excellent déjeuner nous est offert, nous sommes témoins d'une danse charmante , exécutée en plein air et à l'ombre de palmiers , par un grand nombre d'acteurs , dont le costume élégant et gracieux et la pantomime animée nous rappelaient les scènes de l'Opéra. Après avoir fait une dernière halte au village de Lota , nous arrivons à Menado , extrêmement satisfaits d'une excursion que les soins de MM. Merkus et Pietermat nous ont rendue si intéressante. C'est encore à ces messieurs que nous devons surtout les nombreux animaux que nous avons recueillis pen- dant notre séjour à Menado. Nous devons également un sou- venir à M. H. Straus , de Francfort , médecin de l'île Célèbes , NOTES. 673 qui accueillit chez lui avec une extrême obligeance notre col- lègue M. Adolphe Lesson. Le séjour que fit V Astrolabe à Batavia fut marqué par une nouvelle qui nous combla de joie : nous apprîmes la chute du ministère Villèle. Le 29 septembre 1828 , nous arrivons dans notre colonie de prédilection, l'Ile-de-France, où nous ne retrouvons plus MM. Mallac , Thomy Pilot et Arrighi. Nous avions certaine- ment grand besoin d'une pareille relâche pour nous faire ou- blier nos fatigues. Nos malades furent mis à l'hôpital ; et plu- sieurs d'entre nous trouvèrent dans les habitans cette hospitalité que je nommerai mauritiennc , et que je n'ai vue nulle part aussi cordiale, aussi généreuse, ausi bienveillante. Quant à moi, je n'oublierai jamais l'accueil que j'ai reçu dans la famille de M. Adrien d'Epinay, avocat d'un mérite reconnu, et sans con- tredit l'un des hommes les plus distingués de Maurice. J'étais à cette époque encore bien faible , et depuis deux jours seule- ment la fièvre m'avait quitté. Chez M. d'Epinay, j'ai été entouré de tous les soins de l'amitié , je dirai même de toutes les préve- nances et de tout le luxe que l'on ne rencontre ordinairement que dans les grandes capitales. Ce jurisconsulte vient tout récemment de mériter la haute reconnaissance de ses com- patriotes par la manière brillante avec laquelle il a accompli la difficile et honorable mission qu'il avait été chargé de rem- ît . . plir à Londres. C est lui qui a été député par la généralité des habitans de l'île Maurice pour aller détruire l'impression fu- neste des calomnies amassées sur la colonie par les ennemis de la nationalité française. Après bien des difficultés, il a réussi à se faire écouter du secrétaire-d'Etat colonial, lord Stan- ley, qui, par la destitution de deux des premiers fonctionnaires publics, a enfin réprouvé solennellement la conduite du gou- vernement local, et donné une éclatante sanction à la conduite patriotique des habitans. Le but principal de cette mission avait été de réclamer les anciens droits de Maurice à une législature coloniale. Ces tome v. 43 67 i NOTES. droits, long-temps niés, ont été adoptés en principe; il ne reste plus qu'à les reconnaître en fait. M. Adrien d'Épinay est parti pour aller rendre compte de sa mission à ses commettans , et je ne doute pas que sa pré- sence dans la colonie , et les concessions favorables qu'il a su obtenir, ne ramènent à Maurice l'ordre, la paix et la pros- périté. Le séjour ou les différentes excursions que je fis aux Pam- plemousses , chez M. Blackburn, grand-juge de la colonie; à Flacq, chez M. Julien Desjardins , naturaliste fort estimable et d'un grand zèle > ; aux Quatre-Cocos , chez madame Le- breton ; au Piton, chez M. Desfontaines; à l'Amitié, cher M. Edouard Pitot ; à Bon - Espoir et à Beau - Manguier , chez M. Telfair, me rétablirent presque entièrement. Je ne saurais me dispenser de mentionner les politesses qui me furent faites par les personnes que je viens de nommer, ainsi que par MM. Prosper d'Epinay , Delisse , Guillemeau , Desnoyers , Gourdel, Arnaud père et fils, etc. , etc. Dans ce voyage, comme dans celui de rUranie, l'Ile-de-France est le point du globe, je me plais à le répéter, où nous avons été accueillis avec le plus d'empressement et de cordialité. Il me reste un devoir plus important à remplir; c'est de relever une erreur accré- ditée par un ouvrage récemment publié , et qui tendrait à faire croire que le commerce des nègres se continuait, il y a quelques années encore, à Maurice. Il est avéré aujour- d'hui, même pour ceux qui ont le plus souvent attaqué les colons de cette île, que depuis 1822 il n'a pas été introduit clandestinement un seul esclave. Les hommes distingués qui, 1 C'est surtout à M. Julien Desjardins et à M. Telfair qu'est due la fondation de la Société d'Histoire naturelle de l'île Maurice. Cette société, qui a devant elle un si bel avenir, et qui compte parmi ses membres MM. Julien Desjardins , Bouton , Bojer , Telfair , Lislet-Geoffioy , Delisse , noms bien connus dans le monde scientifique , a déjà publié des travaux fort importans sur l'histoire naturelle de cette intéressante colonie. NOTES. 075 depuis cette époque, ont tenu les rênes du gouvernement local ont donné, à cet égard, au bureau colonial, des explications et des assurances qui maintenant ont dissipé tous les doutes. A la fin de notre séjour dans cette île, je fus pris de violentes coliques semblables .à celles que j'avais éprouvées à Van-Dié- men et à Guam. Je voulus, cette fois, essayer le calomel : il détermina une inflammation de la langue dont l'intensité de- vint telle qu'il me fut impossible de manger , de boire et de parler, et que je fus obligé de rester à l'île Bourbon, chez le docteur Chabrier. Le départ de V Astrolabe m'affligea beau- coup. Il était difficile de quitter un navire sur lequel j'avais couru des cbances si diverses sans' en être vivement affecté. A Bourbon, mes vieux amis et mesdames Chabrier, Gueit et Négrin me prodiguèrent tous les soins imaginables, et, après mon rétablissement , me firent avec une grâce parfaite les honneurs de la colonie. Je profitai , pour retourner en France , du départ de la Bayonnaise , que commandait M. le capitaine de vaisseau Le Goarant. Cette corvette , qui avait visité après nous les îles de Tikopia et de Vanikoro , nous apprit que le monument élevé par nous à la mémoire de La Pérouse avait été reli- gieusement conservé par les naturels. Je fis-, avec la Bayonnaise, une courte relâche à Madagascar, au cap de Bonne-Espérance, à Sainte-Hélène et à l'Ascension. Je crois devoir signaler un fait assez curieux dont je fus témoin dans une de ces îles. A Madagascar , je vis dans une cabane bien misérable un jeune Malgache qui lisait Horace. Il se nomme Mandihi-tsara (beau danseur); il a été élevé près de Paris, chez M. Morin, à Fontenay-aux-Boses. MM. Schœll et Ackerman nous accueillirent on ne peut mieux ; et ce der- nier me fit présent d'un grand nombre d'oiseaux, de pois- sons, etc., pour le Cabinet d'Histoire naturelle de Paris. Au Cap, je reçus une lettre de M. Desmarest qui me mettait au courant de tout ce qui s'était fait d'important en zoologie depuis notre départ d'Europe. 676 NOTES. Le gouverneur sir Galbraith Lowry Cole et lady Francis furent remplis de prévenances pour nous. Lady Francis, oui a laissé, ainsi que sir Lowry Cole , des souvenirs si honorables à Maurice, est une femme de l'esprit le plus orné, qui parle le français avec une pureté , une élégance «t une facilité que je n'ai jamais vues à un plus haut degré, même dans les meilleures sociétés de Londres. A Sainte-Hélène , je fis deux fois le pèlerinage de Longwood et du tombeau de Napoléon. De Longwood nous allâmes visi- ter la maison de campagne qu'habitait le général Bertrand, et par un sentier étroit et rapide nous arrivâmes au tombeau. C'est là que, sous des saules , enfermée encore sous une grille de fer, repose la victime de V hospitalité britannique '. Le brigadier-général Charles Dallas, gouverneur de Sainte- Hélène , nous invita à passer plusieurs jours à Plantation- House où nous reçûmes l'accueil le plus distingué de la part du gouverneur et de sa famille. Nous fîmes, avec le général et mesdames Dallas, une course charmante au Pic de Diane, dont l'élévation au-dessus du niveau de la mer est de 2,697 pieds anglais. Arrivés au sommet du dernier pic, nous découvrîmes toute l'île, mais la brume vint bientôt la dérober en partie à nos regards. Cette promenade nous plut singulièrement par la mobilité du paysage; et l'on concevra facilement cetteremar- que lorsqu'on saura que nous marchions presque constamment sur la crête onduleuse des montagnes. A chaque instant nous découvrions des champs de verdure et des bouquets d'arbres qui contrastaient agréablement avec les parties nues et arides de l'île. Dans le cabinet d'Histoire naturelle de M. Robert Francis Sealc , nous remarquâmes, parmi d'autres échantillons fort » Je devrais dire, pour être plus juste, la victime du Prince-Régent et de Cas'.lereagh ; car le moment est sans doute venu de ne plus rendre les peuples responsables des crimes ou des rigueurs odieuses dont peuvent se rendre coupables les cbefs de leur gouvernement. NOTES. 677 curieux, une hélice fossile, qui provient des amas coquilliers marins observés par ce naturaliste sur la montagne de Flagstaff- Hill, à 692 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. Partis de Sainte-Hélène le 2 février 1829, nous arrivons le 7 à l'Ascension; le 12 mars au détroit de Gibraltar , et le 19 à Marseille, six jours avant l'arrivée de V Astrolabe. C'est à Marseille, sur les bords de l'Huveaune où je suis né, que vint se terminer notre longue et dramatique navigation. Je ne veux pas consigner ici toutes les réflexions qu'elle a fait naître en moi; je me bornerai à indiquer, en termes bien modérés, quelques-unes des impressions que j'ai reçues. Dans une expédition de ce genre où il y a des périls et des fatigues a supporter, où la constance et l'énergie sont si sou- vent mises à l'épreuve, il faudrait un équipage choisi et entiè- rement composé d'hommes de bonne volonté. Par suite de la mauvaise disposition que M. d'Urville avait rencontrée chez les autorités locales, il s'était vu réduit à choisir un grand nombre de nos matelots dans les prisons de Toulon. Aussi le résultat d'une pareille mesure ne se fit-il pas long- temps attendre; et au premier danger qui se présenta, c'était à la Nouvelle-Zélande , dans la passe des Français , nous eûmes la douleur, je dirai presque la honte, de voir que la plupart de nos hommes étaient d'une pusillanimité qui dépasse tout ce qu'on peut croire. Plus tard, la vue des récifs jointe à celle des sauvages vint augmenter encore cette étonnante poltronnerie; et notre équipage, toujours si bien nourri et si bien traité, de- vint d'une exigence difficile à faire comprendre. Des plaintes nouvelles nous fatiguaient sans cesse. Et cependant il eût été si facile de donner à F Astrolabe des hommes dignes de la mission qu'elle avait à remplir! Un autre inconvénient que nous devons signaler chez nos marins , c'est la fureur de recueillir des objets d'histoire natu- relle, et le soin de les dérober même à nos regards, lorsque faire se pouvait. L'exemple suivant en donnera une idée : des pêcheurs de Port-Western , que nous avions chargés de nous 678 NOTES. prendre des phoques, en apportèrent à bord une douzaine qui étaient fort jeunes et encore vivans. En quelques minutes, ils étaient enlevés et cachés si soigneusement , qu'il n'y eut que les bêlemens étouffés de ces animaux qui nous les firent découvrir. Cependant, malgré les inconvéniens attachés aux voyages de découvertes, malgré le peu d'estime dont ils paraissent jouir auprès d'un bon nombre de personnes faisant partie de la marine militaire , et même parfois de celles qui sont appelées à les récompenser, je me sentirai toujours prêt à recommencer cette vie d'émotions, de luttes et de recherches, dès qu'une nouvelle expédition, dans l'intérêt de la science ou du pays, sera ordonnée par le gouvernement. {Extrait du Journal de M. Gaimard. ) FIN DES NOTES. TABLE Pages. Chapitre XXXI. Séjour à Hobart-Town. i Chapitre XXXII. Notice sur la colonie de Van-Diémen's-Land. 4i CHAprTRE XXXIII. Traversée da Hobart-Town à "Vanikoro. 97 Chapitre XXXIV. Séjour de l'astrolabe à Vanikoro. 142 Chapitre XXXV. Traversée de Vanikoro à Gouaham, et séjour en cette colonie. 23 1 Notes. 289 Chapitre XXXVI. Traversée de Gouaham à Amboine , et séjour en cette colonie. 385 Chapitre XXXVII. Traversée d'Amboine à Batavia. — Relâche à Manado et à Batavia. ,a5 Chapitre XXXVIII. Traversée de Batavia à l'Ile-de-France, et séjour dans cette île. 492 Chapitre XXXIX. Traversée de l'Ile- de-France au cap de F.oune- Espérance, et séjour sur la baie de la Table. 534 Chapitre XL. Traversée du cap de Bonne-Espérance en France. 5.S9 Conclusion et Réflexions sur les Voyages de découvertes. 583 Notes. 621 KIN de i.a table ou CINOUIEME et dlrnifr volume. SUJETS DES VIGNETTES ooîv'Tr.Nci -. DA.NS LES CINQ VOLUMES. JJrcmtfr llolumr. Pages, Médaille de l'expédition. 8 L'île Alboran. 12 Le mont Gibraltar. i5 La tour de Gualmesi i'i Le fanal de Tarifa. ib Groupe méridional des Salvages. 26 Pic de Ténériffe vu des Cagnadas. 35 L'ile de Sal vue de loin. 5 3 Mouillage de La Praya. 58 Baptême de la Ligne. 65 Ilots de Martin-Vaz. 68 Rocher cylindrique sur l'île de la Trinité. 7 o Entrée du Port du Roi-Georges. 87 Tente de l'Astrolabe, au Port du Roi-George«. 93 Forêt du Port du Roi-Georges. 10 1 Tiges de xanihnrrœa et de kingia au Port du Roi-Georges. io5 Chasse au Kangarou. .107 Fête du Roi célébrée à bord. 121 Phoques de Port-Western. i34 Fanal du Port- Jackson. «53 Huit gravures relatives à la cérémonie du gua-noung , de la page i 20 à 4*9 TOME V. 4 I 682 SUJETS DES VIGNETTES. Dnmhne ttolum;. Vue des Cinq-Doigts du milieu. ii Vue de l'entrée du havre Barré. 1 8 Naturels de la baie Tasman accostant l' Astrolabe. 2 5 V Astrolabe en perdition devant le bassin des Courons. 4g Tige de Phormium tenax. 59 Arcades naturelles près Houa-Houa. 107 Volcan de Pouhia-I-Wakadi. 126 Les Aldermans, dans la baie d'Abondance. 141 Côte de l'ile Otea . 143 Pirogue de Nouveaux-Zélandais. i5i Rocher Tara-Kaï , dans la baie Shouraki. 1 80 Iles Tawiti-Rahi , devant la baie Shouraki. i85 Pà ruiné de Kahou-Wera. 199 Case de Nouveaux-Zélandais. 459 Coffret sculpté taillé dans un bloc de bois- 460 Plate-forme pour dessécher le poisson. 473 Tombeau de Nouveau-Zélandais. 544 Tige de dracœna. 609 trotsthn* ttolumi. Buste de Shongui. 126 Figurine en jade. 218 Idole de bois. 219 Portrait du chef Touai, 488 Portrait du chef Shongui. 519 Scène de Nouveaux-Zélandais. 642 Portrait de l'Anglais Rutherford. 764 Le chef Toupe-Koupa. 776 €tuatricmc Dolumr, Le chef Tahofa , à Tonga-Tabou. 3o L'Astrolabe entourée des pirogues de Tonga. 63 Cérémonie du moe-moe. 65 Armes de Tonga. 67 Faï-Toka, à Tonga. 107 SUJETS DES VIGNETTES. 6S3 Pirogue de Tonga à la voile. 1 1 5 Case de Tonga -Tabou. i i 8 Vase à kava. 267 Tambour de Tonga. 286 Un kava à Tonga-Tabou. 35fi Débarquement à Laguemba. 4o5 Portrait de Loua-Lala. 4o7 Toumboua-Nakoro , chef Viti. 427 Pic de Kandabon. 440 Armes des îles Viti. 452 Pirogue du havre Carteret. 5o8 Naturels du havre Carteret. 5 1 1 Crocodile au havre Carteret. 517 Soufflets de Papous. 58o Attaque des Arfakis. 5ç>5 Tombeau papou. 5gg Habitations des Papous. 608 Idoles des Papous. 609 Statuette en porcelaine. 643 Divertissemens à l'occasion d'un mariage chinois. 645 Cinquième tiolume. Vue de Hobart-Town. 52 Le volcan Mathew.. io3 L'île Fataka. 107 L'île Tikopia. 108 Naturel de Tikopia. 1 12 Ile Vanikoro. i34 Pirogue de Vanikoro. i35 Village de Manevai. i53 Femme de Vanikoro. i64 Les canots de l'Astrolabe relevant l'ancre de La Pérouse. i84 Débris du naufrage de La Pérouse. i85 Naturel de Vanikoro. 2l5 Palais d'Umata. 258 Pirogue de Carolins. 262 Habitant de Gouaham. 285 fi84 SUJETS DES VIGNETTES. Mosquée à Bourou. ksçj Tombeau malais à Bourou £ta Babiroussas. 434 Harfour de Manado en costume. 46 1 Maisons de Tondano sur des pieux sculptés. 465 Tombeau de Napoléon à Sainte-Hélène. , .563 Débarcadère à l'Ascension. 566 Pirogues et lac de Tondano. 634 TABLE ALPHABÉTIQUE DES Uoms propm ritfs frans l'Œmjraflf. Abdoul. Vol. V, page 4 12. Adam. "V, 5o5, 5ig, 522. Adèle (ile). IV, 483. Agner. V, 4q4? 642. Agu a-Garcia. I, 46, 181. Aiguilles (banc et cap des). I, 76. — V, 544- Aïou (îles). V, 401 et suiv. Alboran (île). I, 12. Aldermans (île). II, 140, 372. Algésiras. I, 18 et suiv. Amboine. I, lxx. — IV, 624 et suiv., 748 et suiv., 751 et suiv. — V, 4i4 et suiv., 627 et suiv. Anassami. V, 5o8. Anderson. II, 299, 333, 295, 296, 474, 485, 577, 6o5, 606, 607. — III, 24, 25.-^ IV, 289. Anderson. V, 266 et suiv., 269, 275, 278. Anglais (rivière des). I, 100. Annatom (île). IV, 462. Anodda (île). V, 107. Arfak. (monts). IV, 575, 616. tome v. 45 686 TABLE ALPHABETIQUE. Arimoa (île). IV, 565. Arthur. V, i5, 56, 48, 290, 298. Ascension (ile). I, cviif, cxxi. — V, 565 et suiv., 657 et suiv. Asia (iles). V, 402. Astrolabe (corvette). But de sa mission, I, xxvm. — Mode adopté pour la publication du Voyage , xxx et suiv. — Etat nominatif des personnes composant son équipage, xxxiv et suiv. — Lettre du ministre de la marine pour servir d'instruction, xlix et suiv. — Mémoire pour servir d'instruction, rédigé par M. de Rossel, lyii et suiv. — Rap- port sur la navigation de V Astrolabe , par M. de Rossel , lxxx et suiv. — Rapport sur les travaux zoologiques, par M. Cuvier, xcvu et suiv. — Rapport sur les collections géologiques, par M. Cordier, cvu et suiv. — Rapport sur les collections de botanique, par M. Desfontaines, cxin et suiv. — Projet de voyage, 2. — Formation de l'équipage, 7. — Armement, 8. — Départ, 10. — Devant Alboran, 12. — Dans le détroit de Gibraltar, i5 et suiv. — Sur la rade de Gibraltar, 16 et suiv. — Toucbe près de la pointe Ace- buche, 24. — A Ténériffe, 27 et suiv. — A la Praya, 55 et suiv. — Double l'équateur, 65. — Devant la Trinité, 68 et suiv. — Dans les mers antarctiques, 72 et suiv. — Passe entre Amsterdam et Saint-Paul, 85. — Au Port dvi Roi- Georges, 88 et suiv. — Au Port- Western, 126 et suiv. — A la baie Jervis, 1 45 et suiv. — Au Port-Jackson, i55 et suiv. — Réflexions des journaux de Sydney sur le voyage de l'Astrolabe , 552 et suiv. — Départ de Port-Jackson, II, 1 et suiv. — Eprouve des mauvais temps, 5" et suiv. — Explore la côte N. O. de Tavaï-Pounamou, 10 et suiv. — Au mouillage de l'anse de l'Asteolabe, 27 et suiv. — En perdition près du bassin des Courans, 49« — A.u mouillage dans le bassin des Courans, 52 et suiv. — Dans la passe des Français, 66. — Dans le détroit de Cook, 68. — Dans la baie Inutile, 72 et suiv. — Sur la côte S. E. de Ika-na- Mawi, 78 et suiv. — Essuie plusieurs coups de vent près TABLE ALPHABETIQUE. 687 du Cap-Est, i2oetsuiv. — Court le plus grand péril dans la baie d'Abondance, 129 et suiv. — Dans la baie Sbouraki, i44 et suiv. — Sur la côte N. E. de Ika-na-Mawi, 184 et suiv. — Au mouillage de la baie des Iles, 196 et suiv. — Départ de la baie des Iles, IV, 1 et suiv. — Devant Curtis et Sunday, 6 et sviiv. — Sur les récifs de Tonga-Tabou, 20 et suiv. — Au mouillage de Pangaï-Modou, 60 et suiv. — Soutient des combats contre les naturels de Tonga- Tabou, 126 et suiv. — Départ de Tonga-Tabou, 097 et suiv. — Exploration des îles Viti, 099 et suiv. • — Passe de- vant Erronan et Annatom, 460 et suiv. — Exploration des îles Loyalty, 4^5 et suiv. — Découverte des récifs de l'As- trolabe, 474 et suiv. — Fixe la limite septentrionale des récifs de la Nouvelle-Calédonie, 477 et suiv. — Reconnaît le cap de la Délivrance et l'île Adèle, 482 et suiv. — 'Ex- plore les îles Laughlan, 486 et suiv, — Court un danger imminent en donnant dans le havre Carteret, 498 et suiv. — Exploration de la Nouvelle-Bretagne, 52o et suiv. — Exploration de la Nouvelle-Guinée, 54 1 et suiv. — Au mouillage du havre Doreï, 576 et suiv. — Traverse les Moluques, 618 et suiv. — Relâche à Amboine, 626 et suiv. Traversée d' Amboine à Hobart-Town , 654 et suiv. — Mouille sur la rade de Hobart-Town, V, i5. — Traversée de Hobart-Town à Vanikoro, 97 et suiv. — Mouille à Ocili, sur Vanikoro, 140. — Passe du mouillage d'Ocili à celui deMangadaï, 168 et suiv. — Traversée de Vanikoro à Goua- ham, 201 et suiv. — Mouille à Umata . sur Gouaham, 252. — Explore le groupe Elivi, 587. — Gouap. 589. — Les îles Goulou, 592. — Les îles Pelew,'594 et suiv. — Côtoie la Nouvelle-Guinée, 098 et suiv. — f Explore les îles Aïou et Asia, 4oo et suiv. — Traverse les îles Moluques, 402 et suiv. — Relâche à Bourou, 4°8 et suiv. — A Amboine, 4 14 et suiv. — Traversée d' Amboine à Manado, 4^5 et suiv. — Relâche à Manado, /\5i et suiv. — Traversée de Manado à Batavia, 469 et suiv. — Relâche à Batavia, 482 et suiv. — 688 TABLE ALPHABETIQUE. A Agner, 49$. — Traversée d'Agner à l'Ile-de-France, 5o2 et suiv. — A Bourbon, 5o5 et suiv. — Traversée de Bourbon au cap de Bonne-Espérance, 538 et suiv. — Be- lâche sur la baie de la Table , 545 et suiv. — A Sainte- Hélène, 56o et suiv. — A l'Ascension, 565 et suiv. — Tra- versée de l'Ascension en France, 570 et suiv. — Arrivée en France, 58 1. — Dangers encourus, 664 et suiv. Astrolabe (anse de 1'). II, 27 et suiv., 254 et suiv. Astrolabe (canal de 1'). II, i58 et suiv., 367. Astrolabe (brisans de 1'). II, i54 et suiv., 270, 271. Astrolabe (brisans de 1'). IV, 435 et suiv., 728. Astrolabe (récifs de 1'). IV, 474 et suiv. Astrolabe (golfe de 1'). IV, 546. Atata (île). V, 79. Australie I, cxx, 2i3 et suiv. Azata (île). IV, 416. B. Babi (île). IV, 656. Banks. I, 214, 3o6. — II, 5g5, 432, 435, 46g, 482, 498. III, 14. Banks (presqu'île de). II, 35o. Baptiste. V, 257, 262. Barbé. V, 5o6. Barbier. V, 432, 435, 470. Barlow. I, 160, 357. Bass. I, 240, 241. — V, 44- Bass (détroit de). I, 243. Batavia. V, 482 et suiv., 640 et suiv. Bâte. V, 566, 56g, 661. Bathurst. I, 261, 271, 546, 48g. Bathurst (ville de). I, 261, 271, 346, 496. Batoa (île). IV, 5g8, 71g. Batou-Bara (île). IV, 416. TABLE ALPHABETIQUE. (589 Baudin. I. 256 et suiv. — V, 45, 52o. Bea. IV, 345, 55o, 585. Beaupré (îles). IV, 472- Bellanger. IV, i58, 167, 5g5, 616, 748. Bellinghausen. I, xxiv. — IV, 41** Benilong. I, 223, 226, soi, 255, 256, 242, 598, 4°4, 411* 429, 456, 439, 4^6, 569, 472 et suiv., 477, 522. Bennett. V, 509. Benoist (mont). V, 564- Bérenguier. IV, 5o5, 65 1, 652, 661, 667, 672 et suiv., 757. Bernardin de Saint-Pierre. IV, 5i5. Berre. V, 467, 56o. Berthelot. I, 3i, 45. Bertrand. II, 272. — IV, 66, 177, 597, 61 5, 640. — V, 38, 5 16. Bertrand. V, 5i8. Bertrand (île). IV, 555. Bigg. I, 266, 274, 295, 5lO, 5l2. BlNOT. I, 79, 80. Blackburn. V, 5i4, 517, 674. Bugh. I, xvii, xxii. — IV, 181, 204, 25i, 439, 259. — V. 43. Blosseville. II, 557, 55g, 544, 355, 557, 562, 584, 568. — III, 692 et suiv. — V, 487. Blosseville (île). IV, 55 1. Bolle. V, 5 10. Boo (île). IV, 620. Boucher (île). IV, 464. Bougainville. I, xii. — II, 621. — IV, 452, 5oi, 5n, 562, 565, 568. Bougainville (fils). V, 18. Bougainville (mont). IV, 56i. Borell (cap). II, 555. Boungari. I, 246, 4<>8, 442« Bourbon (île). I, lxxxiv. — V, 554 et suiv., 652. Bourou (île). IV, 625.— V, 408 et suiv., 476, 625. 690 TABLE ALPHABÉTIQUE. Bousquet. V, 4^4» 4^9, 49°« Bouton. V, 477? ^74* Bretagne (Nouvelle). I, lxxii, lxxxvi. — IV, 520 et suiv., 737 et suiv. Brini-Warou. V, 1^5, i5i, 137, 176, 322. Brisbane. I, 270, 275, 286, 3go. Britannia (île). IV, 463. Broudou. V, 5i5. Bruce. II, 3o2. — III, 92 et suiv. Bultig (ile). IV, 573. BuRNETT. V, l5, 26, 29I. Bushart. V, 109, m, 114, 118, 120, 5o5, 5l3. Butler. III, 406, 460, 472. Byron. I, XI. C. Calédonie (Nouvelle). I, lxvii, lxxxv. Campbell-Town. V, 65. Campbell (cap). II, 72, 349- Cannac. IV, 19, i32, 366, 482, 489, 55o. — V, 102, 542. Cap (rocher). V, 497» Cap de Bonne-Espérance. V, 544 et suiv., 655. Carimon-Java. V, 481. Carolines (îles). I, lxxii, xcm. Carteret. I, xi. — IV, 497, 754. Carteret (havre). IV, 496etsuiv., 729e! suiv., 704 et suiv. CarthagÈne. V, 579. Castle (pointe). II, 84, 579. Cazot. V, 5ig. Célebes (ile). V, 4^8 et suiv., ^i. Céram (ile). IV, 622. Chabrol. IV, 466. — V, 486. Chabrol (ile). IV, 466. Chalky (baie). II, 542. TABLE ALPHABETIQUE- 691 Chaon. V, 542. Chassé. V, 485. Cheffontaines. V, 5o5, 536. Clermont-Tonnerre. V, 5o4« Clyde (rivière). V, 58. Cocos (îles aux). IV, 5oi et suiv., 701, 732 et suiv. Colebrook. V, 532. CoLLINET. IV, l64, I76. V, 256, 28r, 5^8. Collins. I, 396, 4»o, 428, 481. — II, 507. — III, 76 et suiv. V, 46. Colville. V, 5o5. Colyn. V, 55a. Cook. I, xii, xiii, xiv, xv. — II, 257, 291, 295, 258, 555, 348, 55o, 569, 571, 574, 465, 474, 485, 5oo, 5 18, 524, 572, 578, 587, 592, 606, 607, 609, 621. — III, i4 et suiv., 27, 161, 620. — IV, io3, 179, 180, 182, 25o, 255, 290, 291, 5o8, 552, 412, 452. — V, 2, 43- Cook (détroit de). II, 69, 552. — III, 769, 779. Coquille (corvette). I, 271. — III, 124, 187, 196, 208, 322, 534. — IV, 12, 55i, 547, 552, 554, 575, 579, 58i, 585, 587, 601, 614, 61 5, 654, 655, 679, 75i. — V, 246, 268, 279- Cocrans (bassin des). II, 48 et suiv., 260 et suiv., 265, 547 • Couronne (de). IV, 544* Cowley. I, vin. Croisilles (cap). IV, 547- Crozet. II, 389, 590, 5gi, 442, 4^«, 4^3, 474» 475, 5ig, 575, 6o5. — III, 5i et suiv. Creise. II, 5i5, 555, 367, 590, 461, 4^4-» 52o, 544» 556, 578. — III, 655 et suiv. CuNNINGHAM. I, 574 et Slliv. Curtis (île). IV, 6. Ctjvier. V, 4'8. 692 TABLE ALPHABETIQUE. D. Dagon-Robe (district). IV, 707. Dallais. V, 562. Dalrymple (port). I, lxx. Dampier. I, ix. — IV, 529, 538, 545, 544, 617, 708. Dampier (île). IV, 545, 547. Dampier (détroit de). IV, 557, 738. Darling. I, i54, 277, 289, 296. Davis. III, 212, 216, 327, 486, 5i5, 538, 548, 56i. Delaître. V, 545. Delanoy. V, 14, i45. Demann. V, 484, 486. Demelay. V, 545. D'Entrecasteaux. I, xvih, lxxxvii, xci. — 179, 299. — IV, 69, io3, 120, 180, i85, 251,477,480, 5io, 537, 538, 657, 678, 738. — V, 44, 189,599, 4n. D'Entrecasteaux (canal). IV, 678 et suiv. — V, 1 et suiv., 289, 296, 298. D'Epinay. V, 5i3, 673. Derwent (rivière). V, 56 et suiv., 77, 90. Desfontaines. V, 5i4, 674. Desjardins. V, 647 et suiv. , 674. Desnoyer. V, 5 10, 674. Desplanches. V, 555. Diard. V, 489, 49^' Didi-Houa (ile). II, ig5, 36i. Dillon. II, 507, 524, 438, 52o, 54i, 621. — III, 11 3, 701 et suiv. — IV, 104, io5, 181, 220, 724, 726. — V, 9, 11, i5, 17, 21, 28, 110, n5, 120, i3o, i45, 147, 188, 198, 206, 210, 212, 217, 219, 223, 289, 291, 488, 5o6, 562, 568. Doïf (ile). IV, 620. Doreï (havre de). IV, 576 et suiv., 741 et suiv. Dou (île). IV, 660. TABLE ALPHABÉTIQUE. 093 Doua-Tara. II, 5o5, 507, 402, 429, 434, 529, 535. — III, 107, 114, 116, 119, 123, i3o, i32, i38, 142, 146, 147, i48, i54, i55, 157, 169, 170, 174, i83, 2o3etsuiv., 2i5, 229, 252 et suiv., 320, 525, 568, 36g, 45i, 577, 58o, 582, 585, 59i, 595, 599, 6o5, 606, 620, 625, 625, 626. Douville. V, 5o5. Drake. I, V. Dromadaire (mont). I, i45. Dubus de Gesignies. V, 484. DuDEMAmE. IV, 127, i5i, 157, 161, 175, 365, 366, 367, 588, 3go, 517, 694. — V, 235, 244, 4g5, 5i8, 53g. Dudemaine (île). IV, 556. Duperrey. I, xxv. — II, 62 1 . — III, 672.— IV, 548, 55o, 554, 600, 601, 6i5, 619, 623, 657, 669. —V, 101, 212, 243, 247, 265, 267, 5o4- D'Urville (île). II,'68, 547. D'Urville (île). IV, 554. D'Urville (île). V, 243. D'Urville (pointe). IV, 568. Dusky (baie). II, 547, 576. Dzizia (île). IV, 4i5. E. Edgecumbe (mont). II, 127, 373. Edwards. I, xvn. — IV, 182. — V, 212; 225. Elgenhuizen. V, 626, 628, 655, 649, 65i. — V, 4!4- Elivi (îles). V, 587 et suiv. Elisabeth-Town (ville). V, 56, 5oo. Emaï. III, 75o, 752, 734, 739, 742, 744, 747, 749. Erronan (île). IV, 460. — V, io5. Fabry. V, 456. Faillafé. V, 5n, 5i6, 5 19, 526. TOME V. 4^ 694 TABLE ALPHABETIQUE. Faka-Kana. IV, ioa, io5, 564- Faraguet. IV, i55, 140, i4î, 365, 568, 587, 5go, — V, 2§5, 5i8, 557. Farewell (cap). II, 18. Farign. V, 555. Fataka (île). V, 106. Feïs (île). V, 586. Finau (deCook). IV, 94, <)5, 180, 182, i85, a3i. Finau Ier. III, 652. — IV, g5, 186, 188, 189, 191, 195, 195, 197, 199, 2o5, 2o5, 209, ai5, 258, 245, 266, 277, 5oo, 5 16 et suiv. Finau IIe. IV, 71, 108, 198, 209, 214, 217, 255, 5i5, 517, 5i6, 527. Flinders. I, 24 1, 245, 246. — V, 45. Flores. V, 255, 258, 260, 266, 271, 274. Forster. II, 5g5, 4o5, 455, 468, 5o2, 5i2, 5i4, 576, 588, 596, 604,608, 627. — III, 20, 22, 25, 63i. Foua-nounouÏ-Hava. IV, 91, 106, i85, 184. Foul-Wind (cap). II, 14, 545. Foveaux (détroit de). II, 54o. Français (rivière des). I, 109 et suiv. Frankland. V, 10, 27, 29, 298. Freycinet. I, xxiv, xxx, 267, 528. — 11,621. — IV, 485, 619, 657, 669. — V, 254, a5i, 255, 255, 265, 271, 272, 277, 285, 586, 592, 401 • G. Gable (cap). II, 95, 576. Gaétan. I, iv. Gaimard. I, xcvin et suiv., 5, 8, 18, 29, 57, 48, 95, 96, 97, 100, 109, u5, 114, 127, i52, i34, i55, 1G8, 168, 174, 186, 188, 190, 201, 208. — II, 22, 162, 171, 21 5, 254, 265, 263, 271, 275, 277, 279, 280, 281. — IV, 47? 79? 87, 99, 1 10, 1 12, 129, 545, 565, 400, 428, 442, 45o5 453, TABLE ALPHABETIQUE. 6ÏI5 5o4, 5i i, 5i4, 517, 600, 6i5, 616, 63i, 648, 697 et suiv., 727, 728, 751, 755 et suiv. — V, i3, 14, 20, 25, 26, 36, in, 129, i3o, 144 ■> x^o, i58, 160, i85, 186, 191, 192,, 217, 256, 266, 282, 289, 291, 294, 297, 5oi, 3o5, 3i8, 322, 355, 384, 45i, 557, 58i, 65 1, 652, 634, 647, 65 1, 652. Gaimard (iles). II, 69. Gange. V, 260, 285. Garnot (île). IV, 552. Gemier. V, 498. George-Town (ville). V, 68. Gibraltar. I, i5 et suiv. — V, 578. Gouaham (ile). I, sein, cxi. — V, 25 1 et suiv., 585 et suiv. Gouap (île). V, 589 et suiv., 625. Goulburn. I, 271, 5i5, 54o. Goulou (iles). V, 592 et suiv. Gounong-Api (ile). IV, 655. Grainges. V, 41 J • Grant. I, 255. Gratien. V, 5oi . Gressien. I, io5, 127, i5i, i44« — II» IO- — I^i ^i, 62, 66, 87, 89, 129, i3i, i55, 137, 177, 567, 38 1, 388, 489, 556, 567, 596, 6i5, 658. — V, 144, 146, 149, i58, 171, 177, 184, 195, 197, 199, 2o5, 208, 209, 255, i5i, 275, 3î6, 477, 557, 56i. Grose. I, 226. Guebe (îles). V, 4<>3. Guilbaud. V, 55i . Guilbert. I, 102, 106, 116, i5o, l52, i45. II, 20, 55. IV, m, 148, i5o, i54, i56, 169, 174, 565, 564, 38g, 3g i, 40Ii 421» 4^5 et suiv., 4q4i 499» ^67, 586, 61 5, 658, 751.— V, m, 118, i2i, 127, :3g, 149, 1^7, 177, 184, ig3, 244, 280, 527, 387, 58g, 5g5, 4°7» 47^, 5oi, 55i. Guilbert (île). IV, 555. 696 TABLE ALPHABÉTIQUE. GuiLLEMEAU. V, 674. Guilolo (île). V, 472. Guinée (Nouvelle). I, u, lxix, lxxi, lxxxvii, cxv. — IV, 54i et suiv., 681 et suiv., 709 et suiv. H. Halgan (ile). IV, 468. Hall. III, 238, 267, 2g5, 5gi et suiv., 4$g, 46° et suiv., 491- Hambilton. I, 1 1 5o4, 5i5, 525, 568, 600, 617, 670. — V, 146, 157, 160, 162, 200, 257, 258, 270, 55i, 4o5, 41 1> 427> 4^6, 49r> 519, 571. Jacquinot (ile). IV, 552. Jansens. V, 4°8, 4°9» 4IG- Java. V, 480 et suiv. Jem. III, 140, 141, i42, 2°8, 209, 211, 2i5, 268, 627. Jéricho (ville). V, 62. 698 TABLE ALPHABÉTIQUE. Jervis (baie). I, i^5 et suiv., au. Jobie (île). IV, 570 et suiv. Joe. V, 1 15 et suiv., 525, 55o. Jordan (rivière). V, 5g, 65, 81. JuRIEN. V, 557. K. K.AHOU. III, 457. Rahoura. II, 401. Kahou-Wera (village). II, 198, 201, 2o3, 254,281,284, 528. — III, 279, 481, 548, 681, 686. Raï-Para (baie). II, 557. RaÏ-Para (district). III, 4°3, 4°9? 4*8, 4^6, 444» 4&), *H6, 755. KAÏpo. II, 522. — III, 5o8, 4!4> 4^2, 658. Raïra. III, 523, 545. Rambara (île). IV, 725. Randabon (île). IV, 4^6, 438 et suiv., 707. Rangaroa. II, 465. — III, 117, 162, 167, 25o, 234, 5g9, 6o4 • Rangarou (île). I, 198. Rarakâ (village). III, 55o. Rari-Rari (pointe). II, ig3. Rawa-Rawa (village). II, 212 et suiv., 280. — III, 161, 188, 5o6, 387, 5i5, 534, 555, 556. Rawa-Rawa (cap). II, 78, 555, 579. Relly. V, 7, 9, i5. Rema. V, 456, 4^8, 457- Remmiraï (tribu). I, 418 et suiv. Remp. III, 267, 5i2, 5i5, 548. Rendall. II, 224, 226, 307, 3u, 5i8, 325, 402, 454> 4^5, 485, 5o5, 5io, 5u, 557, 538, 558, 564, 569, 57i. — III, 3, u3, n5, 116 et suiv., 121 et suiv., 129, i35, 137, i46, 1 54, 170, 198, 201, 226 et suiv., 258, 243, 244, 9.45, 261, TABLE ALPHABETIQUE. 699 a85, 29.J, 297, 5o5, 3i 1, 322, 326, 536, 545, 58o, 5g5, 45o, 452, 625, 628, 65y, 677, 687, 689. Kephala. Y, 527. KiDi-Rmi (village). II, 5i5. — III, 272, 5og, 524, 56o, 3go, 5g4, 491? 55o. Ring. I, 218, 248, 259. — II, 5oo. — III, 76 et suiv., 80, 82, i5o, 285. — V, 66. Ring. IV, 665, 669. Ring (John). III, 592 et suiv. Ring-Georges (Port). III, 288 et suiv., 298, 299, 480, 481, 704. Rokako. II, 258, 245. — IV, 4) m» 657. Rol-Bi. I, 45i, 435\ 437? 4^9? 4^7, 46i, 479- Roreha (ile). II, 167. Roro-Roro. II, 204, 255, 257, 507, 52i, 522, 400, 456, 45g, 452, 456, 556.—^ III, 121, 125, 126, i44» J55, i56, 157, 186, 228, 255, 272, 274, 278, 279, 281, 5o8, 3gi, 4*5, 414, 465, 468, 482, 579, 65g, 645> 646> 668, 68t- Rorora-Beka (village). II, 224, 226. — III, 118, 288, 559, 575, 702. Rotzebue. I, xxxm. Rouhou. III, 418, 419- Rrxjsenstern. I, xxiii. — IV, 717. L. Laers. V, 48°- Lafili-Tonga. IV, 72, 81, 92, 216, 244- Lafitole. V, 525. Laguemba (île). IV, 4<>5 et suiv., 691, 698, 706, 708, 721, 725. Laguna. I, 5o, 168. Lake-River (rivière). V, 71, 80. Lang. V, 4'4> 4*6» 628. Laoudzala (ile). IV, 4>9« 700 TABLE ALPHABETIQUE. Lapérouse. I, xvi, 5, 216. — IV, io5, 104, 181, 4n, 4^2, 470,698. — V, 8, 161, 166, 186, 201, 212, 220,224,226, 3o2, 3ig, 55i, 5i5. Latou. V, 70, 90, io5. Laughlan (iles). IV, 487, 728. Launceston (ville). V, 66. Lauvergne. V, 179. Lavaka. IV, 25, 45, 48, 70, 545, 548, 576, 58i, 586. Le Goarant. V, 5i8, 524, 65o, 675. Leigh. III, SgS, 469, 47°5 487* Lesson. I, 11 4- — II, 15g. — V, 5i, 34, 4'9i ^ 18. Lesson (ile). IV, 55 1. , Lestranges. V, 5i6. LlKOUPANG. V, 469, 47 J ■» 64°' Lislet-Geoffroy. V, 509, 674. Longue (île). IV, 543. Longue (ile). IV, 574. Lorenzi. V, 556. Lota. V, 465, 464- Lottin. I, 5, 7,9, 107, n5, i52, 149. — II, 79, 108, i54, 160, 167, 175, 181, 267, 274etsuiv., 568, 629. — IV, 57, 55, 67, 69, 97, 160, 174, 559 et suiv., 582, 4o4 et suiv., 4i°, 495, 496, 52i et suiv., 555, 555, 627, 670, 691 et suiv., 721, 729, 752 et suiv., 757. — V, 102, 127, 129, i54, Ô7, 187, 190, ig5, 199, 255, 487, 5oo, 527. Lottin (île). IV, 545. Loualala. IV, 4°7, 4J5, 42^' Louisiade. I, LXIX. Lowry-Cole. V, 545, 55 1, 676. Loyaltv (iles). I, lxvii, lxxxv. — IV, 465 et suiv. Luftemberg. V, 485, 486, 497- LUTKE. I, XXVI. II, 625. IV, 411- V, 25l, 279, 588. TABLE ALPHABETIQUE. 701 M. Macauley (île). IV, 7. Mace. V, 5i5. Macluer. V, 5g5, 624. Macquarie. I, 260, 262, 265, 267, 269, 5i6, 58o. — II, 5o6. — III, i28etsuiv., 137, i5g, 262. Macquarie (havre). V, 73. Macquarie (port). II, 34 1. Macquarie (rivière). V, 64, 72. Mafanga (village). IV, 118, i56, i5g, i45, 148, 172, ig5, 567, 58g. Mafou. IV, 72, 82, 385. Magellan. I, m. Mai (ile). I, 54- Maille. V, 407. Majorque. V, 57g. Makara. II, i77etsuiv., 181. Maklot. V, 628. Malaspina. I, xix, 227. — • V, 258, 271. Malolo (île). IV, 454. Manado (havre). I, xciv, cxi. — V, 4^» 4^3, 45g, 47°, 628 et suiv. Manane (rivière). III, 422« Manawa-Houra (canton). III, 278, 284. Manawa-Tahi (îles). II, igi, 2g3, 35g. — III, 12. Manby. I, 5. Manevai (village). V, 153,527. Mangadaï (havre de). V, 174 et suiv. Mango (îles), IV, i5. Mangounga (village). III, 538, 55 1, 56g. Manipa (île). IV, 625. Manoukao (baie). II, 167, 276, 557. Marchand. I, xvn. TOME V. 47 li)2 TABLE ALPHABETIQUE. Mariner. II, 5 i/L — IV, 92, 119, 186, 192, 194, 201, 2o5, 21 5, 23 1, 252, 258, 240, 245, 248, 25 1, 255, 268, 272, 287, 298, 5o2, 507, 5io, 526, 529, 555, 555. — V, 45. Marion. I, xiv. — II, 2o5, 219, 237, 280, 286, 296, 564, 594, 47°» Soi, 609. — III, 5i et suiv., 705 et suiv. — V, 41. Mari-Wagui. IV, 95, 94, 182. Marsden. I, 159, 161, 296, 52i. — II, i58, 168, 227, 5o5, 5o8, 5 12, 5i5, 5i5, 52 1, 55o, 569, 58 1, 585,407,446, 485, 488, 5n, 5i6, 555, 55i,:559, 578, 58o, 588, 59o. — III, 106 et suiv., n5, 125, i5o, i56etsuiv., 220, 222, 25o, 245, 248, 252 et suiv., 267 et suiv., 589, 4oi et suiv., 472 et suiv., 54i, 565, 566, 56g, 602, 626. Marseille. V, 58i, 677, Martineng. IV, 56, 62, 149, i5i, 162, i65, 167, 168, 176, 591. — V, 57. Martin-Vaz (îles). I, 68. Massacre (baie du). II, 42, 295. — III, 9. Mata-Mawi (cap). II, 88, 578. Matangui. II, 5i5. — III, 55o, 552, 555, 556. Mata-Ouwi (village). II, 224. Matapo. III, 55 1. Mathew (volcan). V, 102 et suiv., 5o5. Matterer (anse). IV, 565. Maupere (lac). II, 582, 578. — III, 166, 599, 6o5. Maurelle. I, xvi. — IV, 181. Maurice (île). V, 5o2 et suiv., 645 et suiv. Mawi (dieu). II, 291, 5i5, 5i4. — III, 552, 58i, 582, 63o. - IV, 294. Mawi. II, 5o5. — III, 125, 221 et suiv., 290, 587. Medinilla. V, 255, 255, 265, 270, 272, 279, 283, 585. — V, 598, 625, 672. Mediola. IV, 400,404, 4°6, 4t2i 652. — V, 265. MEÏo(ile). V, 472. Melville (ile). I, 160, 557, 558, 565, 574. TABLE ALPHABETIQUE. 703 Merat (île). IV, 565. Merkus. Il, 626. — v, 408, 4*4i 4*7? 4^3, 4^7? 453, 4^5, 457,442? 44^» 4^i, 4^5, 456, 465, 466, 626 et suiv., 672. Milford (havre). II, 544- - MlNDANA. I, V. Mispalu (îles). IV, 617. — V, 5gg. Moe-Hao (cap). II, 182, 570. MOEMBE. V, I76, I78, l8o, l85, 190, 2C-I, 2o5, 221. Moïangui. II, 200, 3o4. — III, io5, 184, 186, 56i,449> 7°4i 784 et suiv. Molard (île). IV, 465. MOLTJQUES (îles). I, LXXII, CXX. Montagu (port). IV, 529. Moreton-Bay. I, 5o2 et suiv. Moro-Tiri (îles). II, i44- Morrees. IV, 625, 627, 65o, 652, 640, 644 1 75i. V, 4i6. Morrell. V, 245, 365 et suiv. Moser. V, 494 et suiv., 645. Motou-Dc-ua (île). II, 257 et suiv. — III, 54, 279. Motougou (île). IV, 45o. Motoxj-Hora (île). II, 127, 575. Motou-Iti (village). III, 56i. Motou-Rawa (iles). II, 188, ig5, 5Ô2, i45. Motou-Roa (île). III, 480, 564. Mou a (district de). IV, 100 et suiv., 218, 55g, 565, 584- Mouala (île). IV, 424? 425, 42^, 722. Moudi-Akou. II, 517. — III, 44 '• Moudi-Panga II, 170, 210, 5i5, 517, 524- — III, 4«4? 456 et svùv., 44°? 44^i 447? ^4^* Moudi-Waï. II, 5i5, 582, 485. — III, 55 1, 555, 535, 557, 554, 555, 460, 571, 572, 758. Moudi-Wenoua (presqu'île). II, 190, 559. Mou-Ina. II, 58i. — III, 559, 542, 557, 448- Mouki. IV, 400, 4«i, 4°3, 4°4? 4°^? 4°7? 72°- 704 TABLE ALPHABETIQUE. Mou-Mouï. IV, 82,91, g3, 184, i85. MOUJVTINGH. V, 557. Mysory (île). IV, 572. N. Nagui-Nouï. II, 394. — III, 28, 29. Namoura (île). IV, i84- Namouka (île). IV, 724. Napoléon. V, 564, 655 et suiv., 676. Nero. V, i3o, i4o, i5o, i52, 168, 323, 55o. Neuman. V, 5x4- New-Town (ville). V, 55, 3oi. Ngarara. III, 715, 717, 720, 721. Nicholas (Liddiard). II, 309, 36i, 570, 391, 396, 4o3, 410, 423, 424, 429, 442, 448, 462, 464, 467, 475, 497, 5o4, 5i3, 5i8, 529, 532, 535, 539, 556, 571, 578, 6o5, 606, 626. — III, i35, 137, i44, *7*i 22°? 575 et suiv. Nicholls. V, 566, 567, 569. Niourou-Lafa (canton). IV, n5, 194, 220. Norfolk (île). I, 220,225, 228,235, 344» — IV, ioo. O. Ocili (havre d'). V, i4o et suiv. OHILA. V, 47, 73, 76, II7, 223. Ohoura (mont). II, 188, 358. Orida. III, 228, 269. Orouna. II, 452, 526. — III, i33, i34, 295, 3o6, 621. Oroura (mont). II, 87, 578. Orocra (village). III, 565. Ong-hea-Lebou (île). IV, 724. Ontong-Java (île). V, 492« Orotava. I, 5i,43, 169. TABLE ALPHABETIQUE. 705 Oroua. II, m, 1 15, 376. Otaïti (village). III, 35 1. Otea (île). II, 142 et suiv., 370. Otou (cap). II, 189, 35g. — III, 82, 94, i58, 208, 268. Oudou. II, 299. — III, 77, 81. Oudoudou (baie). II, 194, 295. — III, 26 et suiv., 77 etsuiv., 469. Oudou-Roa. III, 526, 543, 552, 55g, 56i, 565, 566. Ourema. IV, 597, 5g8, 600, 61 3. OUMBENGA (île). IV, 458, 719. Ounong-Lebou. iv, 447> 44^5 4^o, 4^2, 7 14^ 7 1 77 725. Owen. I, 55. — V, 545. Paape. v, 422» 424* Pahia (village). II, 202 et suiv. — III, 55o. Pa-ika-Nake (village). III, 449- Pakii (canal de). II, 175, 177. Pako. II, 190, 193. Palou. IV, 25, 26, 33, 35, 48, 5i, 52, 57, 71, 73, 100 et suiv., 109, 140, 172, 216, 219, 247, 545, 548, 35o, 559, 562, 564, 370, 375, 576, 58 1. Pangaï-Modou. IV, 60 et suiv., 129, i44> 224, 555, 565, 374, 387. Paoun-Nereng. v, 44 Ii 444- Paris. IV, 7, i35, 429» 4^i, 5o4, 507, 665. — V, 129, i58, i58, i63, 255, 4°4i 427, 4^7» 4^6, 471» 474» 5i8. Paris (île). IV, 555. Parramatta. I, 159, 224, 226, 241. Passoun. V, 455. Patou-One. II, 527, 382. — III, 555, 356, 557, 5a5, 527, 528, 55g, 54o, 546, 570. Pedder. V, i5, 23, 291. 706 TABLE ALPHABETIQUE. Pelew (îles). I, lxxii, xcui. — V, 3g4 et suiv., 624. Péron. V, 2. Perth (ville). V, 66. Phiixip. I, 2l5, 225. Pietermat. V, 433, 436, 43g, 44^, 444i 462, 466, 468. Pisawg (île). IV, 622. — V, 4°4« Pitot. V, 5o5, 5i5, 674* Pléiades (îles). IV, 472. Pomare. II, i65, 169, 522, 524, 4o5, 4o5, 475, 562. — III, 118, 228, 291, 298, 299, 5g8, 601, 667, 685, 687, 702, 7°7* 7°9> 75a- Poro. II, 58o. — III, 554, 648 et suiv. Pouhia-i-Wakadi (île). II, 126, i58, 206, 252, 575. PouKA-Noirï (village). 111, 58o. Poulaho. IV, 5i, 91, 97, 178, 180, 182, i85. Poulo-Panjong. V, 4g5. Pounake-Tera (rivière). III, 55 1. Poutier. V, 527, 545, 554' Praya (la). I, 55, 182. Providence (île). IV, 574. Prudhomme. V, 520. PUCKEY. III, 526, 545, 465. Pumice-River. I, 5i2 et suiv. Q- Quiros. I, vi. — V, 124, 176. Quoy. I, xcvm et suiv., 5, 1 1, 25, 44> l '3, 126, i44-» '67 et suiv., 182 et suiv., 184, i85, 200 et suiv., 207 et suiv., 208, 209, 210. — II, 107, 260 et suiv., 264, 266, 269, 275, 279, 282 et suiv., 589, 58i et suiv., 5go et suiv. — IV, 47» 543 et suiv., 365 et suiv., 577, 579, 590, 5g2, 614, 655, 645, 6g5, 696 et suiv., 728, 729, 754 et suiv., 757 et suiv., 759, 740, 741 et suiv., 748 et suiv., 757. — TABLE ALPHABETIQUE. 707 V, 101, 197, a65, 274, 27^S 278, 282, 291,295,502, 5o4, 5i5, 517, 319, 557, 562, 582, 5847 4I5, 45i, 457, 49°» 5 18, 542, 557, 565, 625 et suiv. Quoy (île). IV, 571. Quoy (pointe). IV, 526. R. IIakou. III, 390, 291, 298. Rangci (de Pahia). II, i46et suiv., 1 54» 186. — III, 497- Raimgui (de Paroa). II, 255, 256, 258. — III, 99, 102, 2^7, 5o5, 465. Rangui (de Tamaki). II, 164, 166, 174, 176, 497- Rangui-Hou (village). III, i52, 170, 269, 285, 5oo, 5 10, 5 16, 565, 586, 592, 455 et suiv., 542, 549, 600. Rangui-Toto (île). II, 160. Kead. IV, 25, 57, n5, n5, 128, 559, 575. Recife. V, 542, Redondo (ile). I, 140. Reine-Charlotte (canal de la). II, 548, 576. Reinga (cap). II, 190,229, 559,525. — 1II,8i,236,55i,676. Reimwartz. V, 462, 465, 490, 628. Reynaud. IV, i55. — V, 241- Rewa. II, 328. — III, 5g5, 596, 474i 477? ^22, ^25, ^24? 527, 528, 557, 554, 56o, 565, 566. Ribourdin. V, 517. Rich (île). IV, 546. Richard. IV, i55, i56, i45, 567, 589, Sgo. Richaud. V, 474* Richmond (ville). V, 61. Roch (Saint). I, 20. Rochers (pointe des). II, 16, 546. Rodrigue. "V, Soi. ROGGEWEIN. I, X. 708 TABLE ALPHABETIQUE. Roi-Georges (Port du). I, 88 et suiv., 186 et suiv., 192 et suiv., 200 et suiv., 35q, 56i. Roissy (ile). IV, 553. RooK(île). IV, 54i. Roos (de). V, 5o5. Rossel (île). IV, 485. Roto-Doua (lac). II, 584- Runaway (cap). II, 125, 574* Rutherford. II, 3io, 437, 4^8, 481, 492? ^79. — IHi 727 et suiv. S. Saavedra. I, IV. Sainson. I, 4» 1 1 4i x^6 et suiv. — II, 247 et suiv., 255 et suiv., 58g. — IV, 548 et suiv., 571 et suiv., 584, 5o4, 582, 607, 61 5, 63 1, 726 et suiv., 750, 756, 751 et suiv., 756. — V, 98, 141, 167, 298, 5 12, 55o, 355, 456, 466, 468, 564- Sainson (île). IV, 556. Salayer. V, 479* Salvages (îles). I, 26. Savage. II, 479, 5o5, 555. — III, 219, 36i, 781 et suiv. Saxembourg (ile). I, 71. Schouten. I, vu. — IV, 55i, 617,681 et suiv. Shaki (de Houa-Houa). II, 97, 100, io5, 109. Shaki (de Waï-Tepori). II, 118, 119. Shongui-Ika. II, 201, 507, 3n, 3i5, 5i4, 5i6, 317, 520, 324, 525, D27, 58o, 4°25 4i3, 4!5, 42°i 4225 4-56, 44°? 45o, 488, 507, 5i2, 522, 558, 545, 548, 55g, 56o. — III, 117, 120, 121, 125, 126, 146, 148, i5i, i65, 166, 167, 168, 169, 216, 25o, 254, 259, 246, 260, 269, 270, 271, 272, 375, 274, 282, 286, 287, 293, 298, Soi, 3o2, 5o5, 5o8, 509, 5n, 5i2, 5i5, 519, 529, 56o, 565, 585, 58;, TABLE ALPHABÉTIQUE. 709 5g5, 597, 598, 409, 458, 45o, 452, 456, 458, 461, 465, 466, 468, 469, 485, 489, 490, 498, 5oo, 5o8, 5 10, 5 12, 5i5, 5i7, 5i8etsuiv., 529, 552, 554, 53g, 54o, 575, 578, 657, 675, 676, 690, 710, 756, 770, 780. Shouki-Anga (rivière). II, 558, 58o.— III, 287, 525 et suiv., 4oi etsuiv., 52i etsuiv., 545. Shc-uraki. II, 585. — III, 1 19, a56, 56i, 562. Shc-uraki (baie). II, i56 et suiv., 566 et suiv., 584. — IH, 80, 104, 176 et suiv., 414, 458, 475, 702, 707, 759. Shoutourou (ile). II, i83, 566. Simonet. IV,; 118, i55, i65, i65, 168, 176, 177, 366, 37o, 592. SlNGERY. V, 5l5, 528. SlNGLETC-N. IV, 24, 42, 44, 48, 6l, 64, 69, 88, 90,92, IOI, i4i, i45» '44? i5i, 171, 56o. Skipsey. V, 526, 55i. Snares (îles). II, 558. Solomon. V, 56i. Sorrel-Town (ville). V, 61. Sper. V, 4°4- Spilberg. I, VII. Staube. V, 507. Stewart (ile). II, 339, 34o. Styman. V, 4ï6. Sunday (île). IV, 8. Surville. ï, xiv. — H, 286, 295, 5g4, 5r>4. — III, 26 et suiv. Syang (île). V, 4»3. Taara (Georges). II, 5o5, 524, 5g5, 400, 416. — III, 122, 149, 1 52 et suiv., 23o, 484 et suiv., 487, 49 !? 588 et suiv., 648, 655. Tabe-Ouni (île). IV, 4'9» TOME V. 48 710 TABLE ALPHABETIQUE. Table (mont). "V, 5o et suiv., 74» Tabou ou Tapotj. I, 525 et suiv. — IL 82, 171, 216, 226, 4n, 44ri 527 et suiv. — III, 168, 192, 202, 2o3, 320, 076 et suiv., 44 ' et suiv., 553, 557, 5g3 et suiv., 5g6, 597, 624, 625, 655, 659, 655, 656. — IV, 275, 277, 3o4 et suiv., 509. — V, 119. Tae-Ame (district). II, 583, 579. — III, 564 et suiv., 571 , 585. Tahofa. IV, 25, 5o, 55, 55, 5g, 48, 58, 64, 71, 74i 82, 87, 89, ni, 112, 127, i55, 142, i44i J58, i65, i65, 170, 171, 172, 216, 217, 255, 544i 349, 555, 556, 566, 568, 570, 58 1, 588. Taï-Wanga. II, 206, 325, 598, 4°^i 56o, 562. — III, 5i5. 548, 674. Taroupou (ile). II, 177. Tamakongxji. V, 1 55, i55, 527. Tamar (rivière). V, 66 et suiv., 78. Tamatam (île). V, 249. Tangaloa (dieu). IV, 291, 2g5 et suiv. Tajngaloa. V, i4g, i55, 176, 188, 190, ig5, 221. Tara. II, 5g5, 4 J4- — III, n5, 117, i5g et suiv., 189, 192, 200 et suiv., 207, 2i5, 221, 246, 286, 288, 289,290,59:"), 598, 599, 600, 611, 619, 626. Tara-Rai (rocher). II, 180. Tara- Weka. III, 54g. Tareha. II, 585. — III, i65, 168, 569, 5g5, 5g6, 5g8, 4°8, 5 12, 522, 55 1, 566, 668, 785. Tarkaï. IV, 82, 92, 95, ig5, 196, 204, 216. Tasman. I, vin, LXiii. — II, 42,292, 594. — III, 5 et suiv. — IV, 178, 179, 422. — V, 41. Tasman (baie). II, 20 et suiv., 248, 547, ^82. — ^"> 7 etsuiv. Taumako (île). V, i55. Tauranga (baie). III, 715. Tavaï-Pounamou (île). II, 54 1 d suiv., 5 18, .5 7 1 , 575. — III, 692 et suiv. TABLE ALPHABÉTIQUE. 711 Tawa. III, 285, 297, 478, 479, t>4i • Tawangan. V, 44°- Tawi. III, 286, 5 10. Tawiti-Rahi (iles). II, 184, 186. Tea-Houra (île). II, 92, 577. Te-Aïre. III, 467, 468. Tehi-Nodï. II, 74, 80, 84, 86, 95, io5, 109. TEKOKE. II, 205, 559, 562. —III, 254, 291, 292, 5l6, 522, 535, 557, 538, 595. Tekouri. II, 297, 594. — III, 55, 5g, 42, 49, 5o, 53, 706. Telfair. V, 5o5, 5o6, 5o8, 5 18, 55 1, 646, 649, 674. Telmoudi. V, 507. Te-Manguina. II, 58i, 52i. — III, 559, 542, 563. Temarangai. II, 5i4, 371, 584, 399, 4OIi 519. — III, 176, 178, 199, 211, 214, 23i, 285, 3n, 3i2, 5i5, 569, 594, 402, 404, 42° et suiv., 425 et suiv., 445, 444-. 45o, 52-j, 609, 61 5, 65g. Ténériffe (ile). I, lix, 27 et suiv., 167 et suiv. Tepahi. II, 297, 5o5, 414, 457. — III, 88, 91, 99, 101, 112, i22,- 146, i5o, 227, 252, 55g, 567, 576, 590, 782, 785. Tepapa (village). III, 555. Te père. II, 192, 495, 52i. — III, 229,509, 644, 648 et suiv., 669. Tepouhi (du Shouraki). II, 5 16. — III, 402, 4i5, 416, 455. Tepouhi (de Wangaroa). III, 112, 122, i5o, 227, 25o, 498 5oo, 5o5, 517, 590, 649. Tepouna (canton). III, 116, 252, 5oo, 3ig, 621, 782. Tera-Kako (presqu'île). II, 92, 5n6. Tera-Nake (district). III, 751. Ternate. V, 472, 474- Te-tao-Nouï. III, 570, 572. Tête. III, 460, 461, 465, 464- Tete-Nouï. III, 55o, 552. Tevai (village). V, i5o, 526. Thermométrocuaphe (expériences du). I, 11, 60 61,66 712 TABLE ALPHABETIQUE. 74, 77, 124. — II, 7. — IY, 5, 662, 665, 664, 666, 668, 671. — V, 454 > 47'3, 499» 559 et suiv. , 575 et suiv., 579- Thomas. IV, 4^, 45, 55, 62, 80, 85, 121, 146, 219, 222, 54i, 547, 58o, 585. Thomas. V, 27, 29, 55. Tiburcio. V, 261, 280. Tidore. V, 472, 474- Tikopia (ile). V, 107 et suiv., 5o4 et suiv., 5i2 et suiv. — V, 525, 55o. Timor (île). IV, 658. Tiri-tiri-Matangui (île). II, i58. Titari. III, 240, 241, 242, 245, 246, 248 et suiv., 267, 290, 45 1, 678. Titore. III, 552, 555, 566. Tofoua (île). IV, 204, 555. Toï-Tapou. II, 2i5, 525, 52i, 492 et suiv., 524, 526, 527, 545, 55g, 56o, 565, 567. Tokatou-Fenoua (cap). II, 157. Toko-Malou (baie). II, 114, 5io, 375. — III, 14/729 et suiv., 761. Tomohon. V, 460 et suiv. Tompkins. V, 5o5, 5 10. Tondano. V, 4M? 449 et suiv., 65i et suiv. Tonga-Tabou. I, li, lxi, lxxxii, cxiv. — IV, 19 et suiv,, 178 et suiv. Tonse a-Lama. V, 447- Topolo-Polo (cap). II, 85, 578. Torrens (anse des). II, 54 et suiv. Tortue (îles). IV, 654- Totoua (île). IV, 429. Touaï. II, 2o5, 254, 507, 5i2, 520, 525, 588, 4oo, 422, 452, 455, 456, 457, 439, 440, 445, 449, 45 1, 467> 474, 485, 4go, 517, 529, 554, 558, 55g. — III, 11 5, 120, 125, 125, 126, 1 44? '56, 255, 240, 246, 247, 25o, 275, 276, 277, TABLE ALPHABÉTIQUE. 713 280, 5o5, 599, 414, 45i, 452, 454, 465, 481, 485, 587, 488, 597, 606, 659, 640, 675, 676, 678, 679, 681, 685, 685, 687, 690, 691. Toubo. IV, 71, 75, 96, 114, 217, 220, 221, 544- Toubo-Malohi. IV, 207, 208. Toubo-Maoufa . IV, 11 5, 182. Toubo-Niouha. IV, 95, 186, 189, 197, 252. TOUBO-TOA. IV, I97, 200, 207, 2l5, 2l4, 2l6, 217, 222. Toudi. II, 25o. — III, 5io. Tougou-Aho. IV, 77, 108, i85, 184, i85, 186, 187, 190, 555. Touhou. III, 58o. Touï-hala-Fataï. IV, 188, 189, 252. Touki. II, 297. —III, 77, 79, 81, 82, 85, 285. Toulon. I, 8 et suit. Toumboua-Nakoro. IV, 4o5, 4i5, 4^, 417, 419, 425, 425, 426etsuiv., 696, 697, 698, 700, 705, 705, 707, 709, 712, 714, 718, 721, 722, 726, 727. Toupe. III, 120, 199, 201, 202, 212, 21 5, 5g8, 600, 607, 611, 618. Totjpe-Roupa. II, 554, 4^2« — III, 765 et suiv. Toupoua (ile). I, 128. Toureng-Toki. IV, 4«8, 4i5, 4^5, 707, 708, 722. Trafalgar. V, 577. Traîtres (îles des). IV, 571. Traps (îles). II, 559. Trinité (île). I, 69 et suiv., i85. Triscott. V, 567. Tryals (îles). IV, 668. TupmiER. IV, 54i. Turnbull. III, 87 et suiv., i5i. Tyermann. V, Sog. U. Ulimaraa (contrée). III, 19, 20. 714 TABLE ALPHABETIQUE. Valiko. V, i88t 190, 192, 221. Vancouver. I, xvm. — II, 299. — V, 44- Vanderberg. V, 545. Van-Diémen (terre de). I, lxxxvii, ex. — IV, 678 et suiv. — V, 1 et suiv., 41 et suiv. Vanikoro (îles). I, lxxxiii, exi, cxvi. — V, 124 et suiv., 3i5 et suiv., 522 et suiv., 355 et suiv., 557 et suiv. — V, 524, 53i. Vanoua-Lebou (île). IV, 719. Vasquez (île). IV, 9. Vatou-Lele (île). IV, 442i 693, 714? 725. Vavao (île). IV, 190, 198, 200, 2o5, 209, 290. Vea. IV, 75, g5. Vea-Tchi. IV, 92, 104, i85, 256, 507, 5ii. VlGNALE. V, 4^6, 468. Villet. V, 545. Viti (îles). I, Lxni, lxxxiv. — IV, 77, iif, 207, 272, 5g8 et suiv., 696 et suiv., 726 et suiv. Viti-Levou (île). IV, 455, 444 et suiv., 699, 715 et suiv., 725, 725. Volcan (île). IV, 558. VOUNA. IV, I90, 2l6. Vulcain (île). IV, 548, 55o. Waï-Apou (cap). II, 116 et suiv., 575. — III, 5i2, 743, 752. WaÏ-Heke (île). II, 178, 568. Waï-Kadi (rivière). III, 191 et suiv., 5g5, 607. Waï-Kahourounga (rivière). II, 180, 56g. Waï-Kato (rivière). Il, 556. — III, 54o, 562, 588, 4;5. WaÏ-Kato. III, 45o, 452, 456, 459, 470, 475, 485, 484, 509, 5i 1, 545, 557. WaI-Kawa (rivière). II, 21 4- TABLE ALPHABETIQUE. 715 W aï-Mate (village). II, 55o, 582. — III, i65, 4o8, 525, 552, 6o5. Waï-Mogoïa (canal). II, 166 et suiv., 172, 274, 277, 367. — III, 404. Waï-Tamata (canal). II, 160, 270, 567. — III, 4°4- Waï-Tangui (village). III, 25 1, 258, 292. Waï-Tarou. III, 565, 58o, 402, 407. Waï-Tepori (baie). II, 119. Waï-TotaÏ. IV, 56, 70, 89, i65, 167, 570, 592. Walker. V, 5Ô2. Walri-Tanna (village). III, 715 et suiv. Wallis. I, XI. Wangari (baie). II, i44 et suiv., 565. — III, i85, 487, 555. Wajngaroa (baie). II, 194, 2o5, 5o5, 5i5, 524, 56i, 58o. — III, 99 et suiv., 112, 122, 146 et suiv., 227, 295, 490, 497 et suiv., 5i6, 52g, 585 et suiv., 645, 648 et suiv., 705. Wanga-Taï. III, 706, 707. Wangui-Wangui. V, 477- Wao. III, ^11, 4^5. Waraki. II, 584, 558. — III, 25 1, 259. Ware. II, 556. — III, 170, 255, 521, 5g5, 6i5, 624. Ware (de Witi-Anga). III, 429 et suiv. Ware-Madou. II, 582. — III, 55o, 555, 556. Ware-Nouï ou Ware-Rahi. III, 522, 525, 567. Ware-Porka. III, 527, 554, 4767 509, 5n, 526, 55 1, 545. Warou. m, 424i 42^, 42^. WELSCH. V, l8, 20, 22, 26. Western (Port). I, 125 et suiv., 207 et suiv., 559. Wetoï. II, 202, 208, 209, 212, 225. -. Wetter (ile). IV, 656. Widia (village). III, SSg. Wiim-Nake (village). III, 545. 716 TABLE ALPHABETIQUE. Wiehe. V, 5a6. Williams (H.). II, 2o5, 212, 229, 322, 328, 477, 5io, 571. — III, 472, 489, 493 et suiv., 5i6, 52i, 544, ^7, 55o, 564, 573, 574. Williams ( W.). Il, 214, 220. — III, 520, 53o, 55o, 555 et suiv., 559, 568. Williams. V, m, 178, 181, 274. Wilson* I, 247. Wilson. I, xxiii. — IV, 184, 290, 292, 402, 421. Witi-Anga (baie). II, 3i4, 371. — III, i5, 240, 4^o et suiv. Witi-waï-Iti (village). III, 549- Wiwia. II, 4^3, 532, 543. — III, 191, ig5, 195, 197, 199, 607 et suiv., 617 et suiv., 619, 626. 632, 638, 666. X. XlJLLA-M ANGOLA. V, 47^- Y. Yate. III, 55o, 55 1 et suiv., 5^4- Z. Zélande (Nouvelle). I, lxi, lxxxh, ex, exiv. — II et III, volumes en entier. FIN DE I.A TADT.E ANALYTIQUE ET DU CINQUIEME ET DERNIER VOf.tJMF..