fxbxvit^ ^^-^^■^1 ^Vït ICNOVLTON 1^53 m ÀT^^ / Jl VOYAGES D'UN NATURALISTE. 51 4 I ) AVIS DE L'ÉDITEUR. Lorsque f annonçai que les Yoyages d'un Naturaliste, etc. formeroienl six volumesm-8% je n avois point encore examiné les manuscrits de l'Auteur, ni en conséquence pu juger de leur étendue ; c'est pourquoi , d'après la variété des matières dont le Discours prélimi^ mire donne l'exposé ,j'aYois cru pouvoir statuer sur six volumes,: mais le but de l'Auleur étant d'intéresser son Lecteur par un récit soutenu , d'éloigner la monotonie des répétitions , et d'éviter des phrases prolixes et inutiles , il a cru, en employant néanmoins les mêmes ma- tériaux , devoir réduire ses Yoyages à trois volumes , qui seront d'un tiers plus gros que si l'édition eût été continuée à six. Cette nouvelle mesure estd'autantplusdélicate, qu'aux charmes d'une action sans lenteur, ce Livre réunira l'avantage de devenir à la portée de toutes les fortunes. Prix des 3 Tolumes enrichis de 45 planches tant simples que doubles , et de beaucoup de tableaux : 3ofr. fig. en noir; 5o — figures vélin coloriées; 72 — fig. et texte papier vélin. 'v^^'^' ! \ ÏROT^TISPICE Voye^T.111. i^Yje 2^3. Cal>aiies ef Temple des Pliylain^ v«y^' f VOYAGES D*UN NATURALISTE, ET SES OBSERVATIONS Faites sur les trois règnes de la Nature, dans plusieurs ports de mer français, en Espagne, au continent de l'Amérique septentrionale, à Sa'int- Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l'Auteur devenu le prisonnier de 4o,ooo Noirs révoltés et par suite mis en liberté par une colonne de l'armée française, donne des détails circonstanciés sur l'expédition du général Leclerc ; DÉDIÉS à S. Ex. Mgr. le Comte de Lacépède , Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat de l'Institut, etc. * Par m. E. DESCOURTILZ, Ex-Me'decin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur du Lycée Colonial à St.-Domingue. Multa latent in majestate Naturœ! Pline, Hist. nat. Prœm. TOME PREMIER. PARIS. DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 1809. -'A I Deux exemplaires de cet Ouvrage ont ëlé déposés à la Bibliothèque impériale , afin d'en mettre la propriété sous la protection des lois , et chaque exemplaire sera signé de F Auteur. ^ A. S, Ex. Msr. LE COMTE DE LACÉPÉDE, Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, Membre du Sénat, de l'Institut, etc. Mo NSEIGNEUR3 Comme c'est aux grands Génies quHl appartient de protéger les talens naissans , de sourire à leur essor ^ et de les encou- rager par Vinduïgence, fai reçu avec enthousiasme les éloges dont vous avez daigné honorer mes essais. La faveur de votre protection , Mon- seigneur^ m'enhardit à présenter à Votre Excellence^ un Ouvrage dont la Dédicace exprime bien foihlement le voeu de mon coeur. En rendant un juste hommage à votre science profonde , Monseigneur, nesuis-je point Vécho de T immortel Bu ff on? et votre nom célèbre n'est - il pas déjà wy \ couronné dans les fastes de VHistoire jiaturelle ? Quoique Votre Excellence se plaise à ignorer son vrai mérite , quoiqu^ elle cherche à se soustraire aux éloges qui lui sont dus , peut-elle faire taire la voix de la Renommée? Ainsi Von voit dans nos bosquets VhumUe violette se cacher sous le feuillage y mais son coloris et son parfum la décèlent toujours à notre vue et à notre odorat, Cest donc de ma gloire que je m'oc- cupe^ Monseigneur y en suppliant Votre Excellence d'agréer la Dédicace de cet Ouvrage^ comme un témoignage des bontés dont elle n'a cessé de m'honorer. Je suis avec le plus profond respect ^ MONSEIGNEUR, De Votre Excellence Le très'humhle et très-ohéissant serviteur , DESCOURTILZ. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. XJ.OMME ! être privilégié de la Nature , preuve inconteslable d'une Puissance infinie , chef- d'œuvre orgueilleux de la création , rends grâce au destin qui l'a fait roi de l'Univers ; admire en tous lieux les merveilles d'nn Monde formé pour toi; témoin auguste du passé et du présent, adore le Gçnie suprême qui l'a doné de facultés inlellecluelles, parcours l'espace au nioven du pouvoir inconcevable de ton imagination; partouttu feras des pauses d'extase en faveur de l'Ouvrier qui en a conçu le plan, et de son exé- cution si admirablement coordonnée dans son tout. C'est une obligation que tu as contractée en voyant le jour. Quel pins doux devoir que celui de la reconnoissance envers le grand Archi- tecte de l'Univers ! Soulève d'une main confiante et respectueuse le rideau que les BufTon, Linnaeus, Daubenton, Lacépède , Sonnini , etc. ont placé à la porte du temple qu'ils ont consacré à la Nature en pénétrant dans son sanctuaire. Parcours l'édifice plus circonscrit (i) dont le peintre fidèle, I@ (i) Le Muséum d'Histoire nalureiie de Paris», I > vUj DISCOURS Pline français posa les premiers fondemens , et dis-moi si lu es insensible à la vue du tableau imposant et majestueux des ressources infinies du Créateur. Dans cette riche collection , qui n'a pas le droit de fixer ton attention , d'émouvoir tes sens 5 d'enchanter tes regards? Ah ! si tu éprouves ce doux état, rends-en grâce à la INature, et écrie-toi avec Bernardin-de-Saint-Pierre : « U 3) n'est peut-être qu'une vérité pure , intellec- )) tuelle, simple et sans idées contraires, c'est 3) l'existence de Dieu )) ! Soit que tu élèves tes yeux aux voûtes de cet auguste monument, soit que tu les fixes devant toi, soit que lu les promènes autour, la multi- plicité des objets étonnera ta pensée, éblouira toujours la vue; en vain tous ces êtres qui ont existé , ces témoins de la formation du Monde, réclameront-ils ton attention. En vain l'imagina- tion la plus active voudroit-elle embrasser tout ? et raisonner. Cette sublime immensité paralyse les sens , suspend le génie ; on voit, on admire, on se tait; mais le silence le plus profond, un éloquent recueillement deviennent l'hommage le plus pur qu'on puisse offrir à l'Auteur de tant de merveilles. Ici tu vois pour toujours dans le repos, des habilans de l'onde qui ont. été ivrans d'espèces ^ PRÉLIMirsAîRE. ix plus foibles (i) , placés près de leurs \ictime9 fières de leur néant, et semblant insulter à leur impuissant ennemi. Là, des reptiles, ou utiles (2) ou dangereux (3) , dont la vue ne peut plus inspirer de frayeur, mais qui retracent à l'observateur le souvenir de leut- ancienne exis- tence. De ce côté, Fétonnante variété des richesses végétales , la combinaison à l'infini de contex- ture , de nuances dans les bois et dans les ëcorces; les formes bizarres et régulières des fruits et des semences des quatre parties du Monde, qui proclament la toute-puissance du Génie créateur par leurs modifications souvent indéfinies et toujours nouvelles. De celui-ci , des corps dont l'existence sembl^^ moins reconnue , quoique cependant orga- nisés (4) , louent l'homme de son industrie (5) , ou l'accusent de son ambition (6). Plus loin, les ornemens de la couronne des monarques ^ ou les parures brillantes de l'opulence (7). A côté 5 (i) Les squames , etc. . . - (2) Les tortues. (5) Les serpens et crocodiles. (4) Les métaux • (5) Le fer , le plomb , etc (6) L'or, l'argent. (7) Le diamant et les pierres précieuses. X DISCOURS d€s produGiions plus communes dont les avis savent tirer le parti le plus avantageux (i). Yeut-on des objets plus propres à récréer la vue? on trouvera dans les galeries supérieures la réunion intéressante de quadrupèdes vivipares. On consultera pour leurs mœurs et leurs habi- tudes, le fidèle interprète de la ISalure ; on inter- rogera également pour les découvertes plus ré- centes, un Lacépède (2) , un Sonnini ; et grâces à ces continuateurs de l'illustre historien qui siège au temple de l'Immortalité , on complétera une étude d'autant plus attrayante qu'elle se modifie à Tinfini , et devient attachante par son agréable variété. On aimera à considérer lelion pour retrou- ver en lui le roi des animaux, au caractère fier, franc et généreux; on préférera ce noble ennemi, cruel par besoin, au tigre féroce par caractère, et sanguinaire par habitude , ravageant , immo- lant de sa dent meurtrière , lors même que sa faim est apaisée, pour le seul plaisir de détruire et de s'entourer de lambeaux palpiians, ou de ( 1) Agales , jaspes, marbres , gypse, chaux , etc. . . (2) « Lacépède a été reconnu digne de tenir la plume de BiifFon , dit Sonnini 5 elle lui fut confiée , et la postérité confirme ce jugement solennel ». {Voyez le premier volume de l'Histoire naturelle générale et particulière, par Leclerc de BufFon, rédigée par C S. Sonnini. ) .i^ PRELIMINAIRE. %j cadavres et d'ossemens dont la vue seule rappelle sa voracité , et semble lui demander de nouvelles victimes. On examinera avec plus d'intérêt Findustrieux éléphant, l'utile chameau , le cheval , l'âne , ces serviteurs fidèles et soumis aux volontés de l'homme , dont ils partagent les travaux , et à qui ils obéissent volontiers. L'œil sera également flatté de la robe élégante du zèbre, des formes sveltes du cerf, de l'antilope, de la gazelle. On se rappellera avec intérêt les ruses du loup , du renard comme tyrans ; du lièvre , du lapin , comme victimes, cherchant à échapper à ces ingénieux chasseurs; les gentillesses d:e l'adroit écureuil ; la souplesse et l'intelligence de l'imi- tateur de l'homme, du singe dont les espèces sont si variées. Enfm , après s'être arrêté ua moment sur les autres espèces dont la vie privée offre moins de détails communs, on donnera des éloges ou des soupirs aux vrais amis de fhomme, aux chiens , dont les races sont aussi tant multipliées. Cette galerie a-t-elle été suffisamment exa- minée? on trouve dans la suivante la réunion complète des formes, l'élégance des robes , le coloris lustré et inimitable , ce vernis inalté- rable , ces nuances irrisées et chatoyantes qui ne se trouvent que sur h palette de la Nature , et ! I 1 ^ ) i xij DISCOURS qu'elle s'est plue à prodiguer aux colibris , aux oiseaux mouches et aux autres oiseaux , qui tous brillent d'un éclat qui en distingue l'espèce. On y voit aussi les papillons le disputer aux oiseaux pour la richesse de la parure et le brillant du coloris; enfin les insectes et les ma- drépores annoncent au curieux que les Cuvier, les Lamark, les Desfontaines, les Hauys , les Bernard de Jussieu, les Geoffroy, les Faujas de Saint-Fond, etc. n'ont rien négligé pour remplir les vues du fondateur de ce monnaient élevé à la gloire du Dieu de l'Univers. Combien l'homme qui pénètre sous cette voûte imposante, doit être ému d'admiration et de reconnoissance ! Et que ces témoins de la Grandeur suprême doivent puissamment com- battre dans l'impie les sourdes impulsions de l'incertitude ou de i'athéïsme ! Croit-on , après cette contemplation , voir la fin des merveilles de la Nature? Si Ton quitte cet édifice, c'est pour pénétrer sous un dôme plus élevé, plus vaste, plus imposant, dont l'oeil ne peut embrasser ou pénétrer l'immensité , dont les justes dimensions sont inconnues , et qui donne vie à tout ce qui végète , à tout ce qui respire ; c'est pour cela encore que, plein d'une noble émotion , on aime à aller respirer sous le cèdre aniique et sous les autres arbres élégans «srv-^ r-.-'. PRÉLIMINAIRE. xilj et curieux , pour s'y livrer à des réflexions tou- jours pures, et douces à perpétuer. En effet cette extase, qui agrandit i'ame et qui Vélè\e au dessus des passions humaines, est une muetle adoration, un culte en quelque sorte que l'on rend à la Divinité; car l'esprit la retrouve sans cesse dans la multitude prodigieuse de ses œuvres. L'étude de la Nature est immense (r) , inépui- sable et toujours nouvelle. Ses détails variés la magie de ses attraits appellent mêmeratlenlionet l'intérêt de ces hommes oiseux que la fortune ac- cable ; mais malheur à eux , s'ils sont insensibles aux charmes de l'harmonie des prés ou des bois des ruisseaux ou des vallons! Malheur! le plus beau des senlimens est éteint en eux; et (0 La Nature offre tous les jours à l'observateuc de nouvelles merveilles, et son étude depuis faut de siècles n'est encore qu'une ébauche imparfaite. Pour établir une échelle de démarcation entre le gramen et l'arbre de nos forets, dans l'ornithologie entre l'aigle altier et l'agile roitelet, dans les quadrupèdes entre le lion ou l'éléphant et la musaraigne, il a fallu, pour éviter la confusion , composer des nomen- clatures. « Les divisions^ en genres et espèces, dit Sonnini , sont autant de'^alons plantés de distance en distance qui procurent à notre esprit du soulage- ment, à notre imagination des auxiliaires, et à notre mémoire du soutien ». ! i I i ^iv DISCOURS malérielleraent organisés, ils portent par-tout un ennui qu'ils font partager aux autres. Que penser d'une ame qui n'est point émue par la surprise des premières feuilles du printems , qu'une nuit douce , aidée d'une rosée bienfai- sante , a fait éclorre déjà parées des diamans humides de la Nature? Si les premiers accens de Philomèle ou de sa voisine constante, la fauvette babillarde , de cette rivale audacieuse, si le chant soutenu de l'alouette au milieu des airs , si celui plus aigu de la grive ou du merle au milieu des bocages de son parc, si celui égayant du cou- cou sans cesse en mouvement, 04 l'agréable gazouillement de l'hirondelle , et même le simple patois du moineau franc, courtisant avec ardeur la femelle qu'il convoite , n'intéressent point l'opulent, que lui servent les douceurs de la vie champêtre? 11 n'est point digne d'habiter au milieu de la simple INature , et d'en savourer' à son réveil les exhalaisons embaumées , dérobées à raille fleurs des prairies ou des bois par un zéphyr badin. On me reprochera peut-être une partialité que je suis loin de nier, on s'élèvera contre mon enthousiasme pod^ une étude qui fait et mon bonheur et ma consolation depuis les revers dont la fortune m'a accablé; mais que l'homme malheureux se consulte lui-même, et il ap- «4 *lià# PRELIMINAIRE. xv prendra, comme moi, à s'abîmer sans réserve dans le sein d'un Dieu qui n'a jamais repoussé sa créature chérie : ainsi le voyageur, fatigué par un chemin âpre et raboteux , aime à se reposer au {)ied d'une fontaine ombragée, où il doit trouver la fraîcheur , et oubUer , en buvant à cette source pure , le feu brûlant qui le dévoroit. En projetant d'écrire le résultat de mes ob- servations faites dans des pays déjà connus , il y eût eu de la présomption à prétendre ne donner que des choses nouvelles; mais eb considérant la multitude innombrable des productions de la Nature, les diverses modifications sous les- quelles on peut peindre le même objet , j'ai repris courage en réfléchissant qu'un peintre peut obtenir d'une seule tête, d'après la position du modèle, plusieurs dessins produits par la variété de ses contours, et du point d'où le buste est envisagé. D'ailleurs l'étude de la Nature a toujours eu pour moi tantd'atlraits, que j'ai compté, en raison de cet amour, obtenir de cette bonne mère des faveurs qu'elle n'accorde souvent pas toujours a ceux qui osent consulter sa fécondité avec indifférence, ou ceux dont le seul esprit est, p^r des innovations cabalistiques, de rapporter à eux-mêmes la découverte des merveilles qui, I I .aA. xvj DISCOURS parce qu'elles n'éclatent point aux yeux des profanes , n'en existent pas moins dans le réservoir commun de la INature, où d'un pas plus hardi ils ont osé les surprendre. C'est en vain que ces êtres présomptueux veulent cacher l'existence d'une retraite où tout contemplateur peut pénétrer ; d'un livre où tout aspirant peut lire s'il est mu par des vues sages et par des prin- cipes philosophiques. On peut dire avec BufFon : (( Que l'amour de l'étude de la Nature suppose, » dans l'esprit, deux qualités qui paroissent )) opposées 5 les grandes vues d'un génie ardent » qui embrasse tout d'un coup d'oeil , et les )) petites attentions d'un instinct laborieux qui )> ne s'attache qu'à un seul point ». J'ai éprouvé d'une manière distincte ces deux mouvemens à la vue de pays inconnus où toutes les produc- tions de la Nature devenoient nouvelles pour moi, et où tous les individus qui l'embellissent venoient éblouir mes yeux étonnés, pour me jeter bientôt dans une extase où mes facultés devenoient impuissantes. Mais bientôt saisi de ce noble désir de rendre hommage à l'Auteur de ces merveilles , mon intention étoit écoutée , et mon esprit étoit de nouveau susceptible d'em- brasser ces intéressans détails. Telle est la pas- sion dominante qui m'a toujours entraîné vers cette étude chérie. Waturellement PRÉLIMINAIRE. xvij Naturellement enclin aux observations de ce genre , il me restoit , après Pexamen rigoureux de diverses collections d'Histoire naturelle , à établir des objets de comparaison entre la Nature vivante et la Nature morte , à laquelle un art imposteur veut en vain conserver les grâces et la fraîcheur. Ces préparations, d'ailleurs fort utiles €t fort intéressantes, ne peuvent supporter le parallèle, et elles sont, malgré les ressources de l'art , si éloignées de la perfection et de la vie , que je dirai avec Bernardin-de-Saint-Pierre : (( Nos livres sur l'Histoire naturelle n'en sont que » le roman , et nos cabinets que le tombeau )). Les voyages devinrent donc l'unique objet de mes désirs. Ils m'offroient l'occasion d'ob- server en grand, et d'admirer la magnificence de la Nature dans l'immense variété des tempé- ratures des climats, et de leurs productions spéciales. Les voyages, en réunissant l'utile à l'agréable , épurent nos mœurs et nous ins- truisent; ils nous apprennent à pouvoir apprécier nos connoissances , et ils parviennent souvent à persuader l'observateur de l'imperfection de ses recherches, et qu'il est non point inven- teur , mais seulement l'ouvrier adroit du grand Architecte de l'Univers. Tout le monde lit avec plaisir les voyages, ils concourent à l'instruction de la jeunesse^ Tome I. ^ I I .m4k. xviij DISCOURS l'élude n'en est point applicante, c'est un délas- sement en quelque sorte après des occupations plus sérieuses ; et heureux qui s'instruit en s'a musant ! car, en laissant au courageux voya- geur le soin de tracer des routes nouvelles, on profite sans peine et sans fatigue de ses heureuses découvertes , et c'est alors cueillir des roses sans épines. On apprend toujours avec un nouvel intérêt à connoître les lois, les mœurs , les coutumes des peuples étrangers pour établir des comparaisons, réfuter des systèmes , mettre à profit des leçons souvent utiles. On acquiert dans ces lectures, des connoissances topographiques qui conduisent insensiblement à la science utile et agréable de la Géographie universelle. «Moi, dit Sonnini, )) (Courrier de l'Europe, n». 3i2. 1808.) qui )) bientôt serai le doyen des voyageurs de )) France , et peut-être de l'Europe, moi qui ai )) passé quinze années de ma vie à visiter les )) quatre parties de la Terre , j'avoue que je ne )) connois point de lecture qui m'instruise et me )) plaise autant que celle des voyages; j'aime à )) trouver dans les relations des autres ce que je :» n'ai pu observer ou apprendre moi-même , et )) dans leurs entreprises , ce qu'il ne m'est plus )> permis d'exécuter (i) )). (i) Ce savant profond est sur le point d'ajouter aux PRÉLIMINAIRE. xk Les arts et la science doivent trop à cet obser- vateur zélé pour que ses sectateurs n'adoptent point un système à la propagation duquel on se livre volontiers. Nous répéterons également d'après lui : a Qu'on aime à suivre le voyageur )) dans ses courses lointaines , à devenir son )) compagnon par la pensée , à s'associer à ses )) dangers ; on s'intéresse vivement à son sort ,. )) on partage ses peines, ses fatigues^ ses plaisirs, )) et l'on s'enorgueillit de ses succès. Les relations )) des voyageurs offrent en général beaucoup )) de variété ; les événemens y sont mêlés aux )) observations, et les accidens, les aventures )) viennent tour à tour affliger l'ame sensible , ou )) égayer la narration par des récits qui n'ont )) rien d'imaginaire; on y rencontre tout l'attrait )) qu'inspire le roman, joint a la vérité de )) l'histoire ». On voit d'après cette profession de foi , combien il me tardoit de mettre en pratique la théorie que j'avois acquise. Il falloit voir beaucoup^, et revoir souvent pour ne point m'égarer dans les conjectures, pour éviter le labyrinthe de la différens Voyages dont il a enrichi lesbibHolhèques, un nouvel ouvrage en ce genre qui sera du plus grand intérêt, et formera le pendant du Vojage du jeune Anacharsis dans l'ancienne Grèce. 2 ^ I I rx DISCOURS science. Aussi l'espoir d'acquérir faisoit des plaisirs de mes peines- et comme le mystère excite naturellement la curiosité ^ mon travail augmentoit d'assiduité en raison des difficultés que j'éprouvois dans mes recherches, et des doutes qui s'élevoient pour mes nomenclatures. En cueillant une fleur, par exemple, je la croyois classée par la seule inspection de ses formes , de sa corolle ou de son calice, lorsque l'examen des étamines et du pistil la reportoit dans une autre classe. INouvelle gloire à acquérir, mais qu'une cruelle incertitude rendoit souvent dou- teuse. OLinnœus! combien souvent tu me fus utile! et qu'il est juste de transmettre ton nom à la postérité! C'est une foible dette qu'acquitte envers toi un des amateurs de l'Histoire na- turelle. Combien de fois , en consultant tes immortels écrits, j'ai abrégé mon travail; et de quelle utilité tes leçons ont été pour Tordre de mes décou- vertes , autant que pour soulager ma mémoire ! La merveilleuse concordance de ta méthode réunit des objets qui paroissent étrangers entr'eux , et pourtant en qui une attention soutenue finit par découvrir des rapports incontestables. La ^iature moins restreinte que notre imagination, arrive au même but par des chemins différens, dont la recherche désole et trouble notre intel- PRÉLIMINAIRE. xxj ligence ; mais, loin de nous trouver humiliés de ce défaut de pénétration , que cette incapacité soit pour nous le motif louable d'un hommage respectueux envers l'Etre des êtres, moteur de ces merveilles , et pour qui les problèmes n'exis- tent pas. Milita latent in majestate Naturœ ! <( Que de merveilles nous sont cachées dans la )) INature » ! Mais revenons au motif qui m'a fait rassembler les observations faites pendant le cours de mes voyages. Je devois publier séparément, après les avoir soumis à l'approbation de l'Institut , plusieurs ouvrages que j'ai depuis réunis au journal de mes vovages , et que j'offre au public sous le titre des Voyages d'un Naturaliste , et ses Observations faites sur les trois règnes de la Nature^ etc. (i). La relation de ces Yoyages qui comprend trois gros volumes, au lieu de six petits, ainsi que l'annonça leprejnier 4 (i) Quelqu'un peu versé dans l'étude de l'Histoire naturelle, et ne considérant que le mot , me reprochoit ce titre en prétendant qu'on ne devoit point désigner les trois règnes de la Nature ; cette objection est d'autant plus mal fondée que tous les jours un naturaliste écrit ses voyages, mais qu'il parle sans ordre de matières, et souvent ne classe point ses observations, ou qu'elles n'embrassent point les trois règnes de la JSature, f I I xxij DISCOURS Prospectus , est ornée de planches , de sujets nouveaux , et elle est ainsi classée : J'expose à M. Desdunes -Lachicotte, mon îîôie à Saint-Domingue , mes observations faites en Normandie sur la nature du sol , sur les pro- ductions des pays que j'y ai parcourus , sur les mœurs et l'industrie des habitans; et poyr ne point fatiguer le lecteur par un récit monotone et des relations stériles , je le conduis au Havre , au milieu des campagnes pittoresques qui 'bor- nent la grande roule , et dont je lui donne la description la plus exacte. Comme un auteur ne doit point écrire seulement pour les savans , j'ai cru devoir choisir mon lec- teur parmi les personnes qui n'ont jamais voyagé , afin de lui rendre ma narration utile et agréable. C'est pourquoi il m'accompagne par-tout, dans mes courses au milieu des campagnes; je lui fais admirer les beautés de la Nature , je le ramène sur le rivage delà mer, où, saisi d'un étonne- p[ient respectueux , il admire et se lait. Plusieurs pensées s'élèvent en son ame, à la vue d'un horizon humide qui lui paroît sans fin ; il frémit pour le matelot assez hardi pour se con- fier aux flots qui l'épouvantent par leurs brisans , et qui lui paroissent redoutables ; il adniire le génie de l'homme dans la construction de ces 4emeures flottantes; et l'étonsianie découverte PRELIMINAIRE. sxlij an moyen de laquelle on est parvenu à les di- rigera volonté 5 pour arriver d'un pôle à l'autre , en traversant des ëcueils sans nombre et une roule uniforme, et qui ne laisse apercevoir les traces d'aucun voyageur. En parcourant les rochers du rivage , je rends mon compagnon témoin de la libéralité du Créa- teur envers ses créatures. A deux époques de la journée , le pauvre se transporte en ces lieux , enrichi par des présens que le Ciel lui envoie ; il ramasse en abondance du poisson , des crusta- cées que les flots ont rejetés pour lui de leur sein 3 il en nourrit sa famille , ses enfans , et sou- vent même, au moyen d'une mesure qu'une main prodigue a comblée, il peut en vendre une partie qui lui devient superflue par l'espou' d'une nouvelle marée. Je fais part de quelques observations relatives aux pêches de la rade , et aux ruses qu'emploient les crustacées , pour se soustraire aux pièges de leurs persécuteurs. J'ai occasion , au retour de ces promenades instructives , d'examiner plus à loisir les objets dont je donne la description. Je me suis parti- cuUèrement attaché à la rendre aimable, afin de captiver mon lecteur, a On regrettera toujours , )) dit M. Saignes , de quitter d'agréables rela- » tions qui nous enchantent , pour chercher chez » les secs et arides nomenclateurs , cette partie ! ! '■ I xxlv DISCOURS )) technique , qui est à la science ce que la )) Grammaire est à l'éloquence et à la poésie, ce :» que le squelette est à l'homme animé. Si vous ')) voulez m'instruire , il faut mêler quelques )) charmes à vos leçons )). Je me suis donc fait un devoir de me confor- mer à d'aussi sages principes^ heureux, si j'ai suivi cette route agréable que tout le monde aime à parcourir ! Afin de détruire la monotonie de mon récit, et de diversifier les objets que je traite , je donne quelques détails sur la position du Havre , que les Anglais bombardèrent plusieurs fois pendant mon séjour. J'offre également les fruits de mes promenades d'observations aux environs du Havre, deHon- fleur , et je donne avec le plus grand soin la description exacte des sites enchanteurs com- muns dans ce beau climat, tels que la côte des Ormeaux , celle d'Egouville , et la côte de Grâce. J'ai aussi occasion de citer quelques anec- dotes particulières , propres à piquer la curiosité ^ je décris plusieurs collections d'Histoire natu- relle; je promène mon lecteur dans les agréables vergers de M. Poulet , négociant. De là , je le conduis à Honfleur pour y étudier avec moi les mœurs et coutumes du pays, y admirer les curieux effets de la marée montante, y prendre mr^Mj PRÉLIMINAIRE. XXV part sur le gazon à un diverlissement cliani- pêlre, et y jouir d^un tableau attendrissant d'un bon père fêté par ses enfans. Mais comme les effets naissent des contrastes , mon journal me rappelle le funeste équinoxe du mois de septembre de cette année. Ce fidèle dé- positaire me fournit les détails affreux de ravages inouis qui désolèrent, à cette époque calami- teuse , le Havre et ses environs. Et comme le calme succède toujours aux tempêtes, je raconte les joutes qui se font sur Feau en certains jours de fête, je décris celle des canots armés, de vi- goureux rameurs, celle du fameux mât de Cocagne. Enfin, après la description de quelques poissons de la rade, ne pouvant trouver pas- sage sur un bâtiment, je renonce pour le mo- ment au projet de m'embarquer, et je retourne en Gâtinais , où je trouve à observer chez mon père le caractère aimable et intéressant d'une fouine devenue familière. Je m'y livre alternativement à un travail plus utile , sur la culture du safran de cette province; et quoique cette plante bulbeuse ait été décrite avec détails par l'illustre Duhamel , je trouve à ajouter à son mémoire mes observations, et surtout des dessins fidèles qui ' manquoient à l'histoire de cette plante si précieuse au com- merce ^ lesquelles planches servent mieux ! I 'À^ xxYJ DISCOURS l'inlelligence , que les meilleures et les plus exactes descriptions que Fon peut faire à ce sujet. Après quelques idées générales , je considère le safran depuis l'époque de son importation dans le Câlinais , et j'en donne la description 5 j'établis la différence qui existe entre celte plante utile et le colchique , avec lequel les fraudeurs savent le sophistiquer; jHndique sa culture, et le terrain qui lui est propre ; les caractères aux- quels on doit reconnoître les bons oignons, la différence de leur robe, et la température qui leur convient. Je fais connoître la manière de préparer la terre qu'on lui destine , et l'époque à laquelle se font les labours; je désigne le tems qui est le plus propice au plantage , et les moyens à em- ployer pour préparer les oignons, et les disposer à une prompte végétation. Je décris le développement de ces oignons, et leur floraison; je dénonce les animaux qui les ravagent , et dont la dent meurtrière détruit en un moment les espérances du diligent culti- vateur. Je passe ensuite aux travaux de la seconde et de la troisième années , qui comprennent l'arra- chis des oigrions, et l'usage qu'on en fait. Arrive '.Wji #4 ■*■»!# ■ i^ T PRELIMINAIRE. xxvij le moment de la récolle de celte fleur autant intéressante pour les sens, que sous le rapport du produit qu'on en retire. Je décris avec soin sa cueillette, son épluchage , sa dessication , et le produit annuel qu'on obtient de celui auquel on reconnoît les qualités exigées. Je rends compte des maladies auxquelles l'oignon est en but , telles que le fausset ^ le tacon et la mort. Je développe les propriétés du safran comme béchique, liistérique et emménagogues,diapho- rétique, cordial, alexitère, céphalique et ophtal- mique; comme stomachique, hépatique, car- minatif et détersif; enfin comme résolutif, anodin et assoupissant. Je le considère enfin sous le rapport des arts , et j'évalue les frais de culture d'un arpent de terre à safran. Ce mémoire est terminé par des notes additionnelles sur sa culture, et des détails historiques. Je me rends ensuite à Paris d'où je fais route pour Bordeaux , en exposant mes observations faites pendant la route. Arrivé à Bordeaux, j'étudie les mœurs et coutumes des habitans de cette ville ; puis embarqué à bord du vaisseau anglo-américain l'Adraslus , j'y écris mes re- marques sur les usages bizarres et peu sensuels lii ! xxviij DISCOURS des naturels de la IXouvelle- Angleterre (i). Après avoir reconnu le Platé-de-Blaie ^ ^l attendu long-tems le capitaine et les passagers pour mettre à la ^oile, on appareille pour la tour de Cordouan. Pour mettre mon néophyte au fait de la navi- gation , je l'instruis des principaux mouvemens du bord; c'est pourquoi je ne passe point sous le silence un fort coup de vent que nous es- suyâmes au dëbouquement, afin d'avoir occasion de lui citer les diverses manœuvres qui se font pour soustraire un vaisseau aux dangers dont il est menacé par la tempête ; je lui raconte divers faits extraordinaires, douteux quelquefois pour (i) J'ai reçu avec reconnoissance les avis d'un cen- seur distingué qui me reprocha de parler souvent de , moi et de nos repas du bord , mais je crois devoir lui observer ici que je suis le voyageur, et qu'en ma quahté d'observateur, je dois un compte fidèle de ce que j'ai vu , éprouvé , senti. Car quel héros pouvoîs-je mettre enjeu, si ce n'est moi?..! ne suis-je point le narrateur? Quant aux repas du bord, ils sont sur un bâtiment américain , si dîfférens de ceux qu'on prend à terre, que le lecteur ne peut me faire connoître des usages nouveaux pour lui; et que la principale occupation dans les traversées est , dans l'oisiveté qu'on éprouve, de se quereller sans raison, ou de songer même à table , au repas qui doit suivre. J'en appelle à cet égard aux personnes qui se sont embarquées» PRÉLIMINAIRE. xxk ceux qui n'ont pas voyagé , mais dont on ren- contre de fréquens exemples. Ne me contentant point de restreindre mon journal à des observations météorologiques , je donne à connoître le genre de vie qu'on mène sur un vaisseau dans un voyage de long cours , les plaisirs qu'on sait s'y créer, les amusemens que chacun imagine pour éloigner l'ennui , suiie inévitable de la monotonie. En parcourant le vaisseau pour visiter les lignes qu'on laisse a la traîne ^ j'aperçois de gros poissons , et aussitôt d'appeler mon néo- phyte pour les lui faire examiner , et lui faire part de mes réflexions à leur égard 5 tout en l'entretenant sur ce point, le vent souffle, et la mer moutonne sous le poids et les bonds d'une troupe de souffleurs que j'aperçois à l'horizon. Une autre fois , c'est une bande nombreuse et fugitive d'adroits poissons volans qui quittent leur élément pour tromper la dorade dans sa poursuite acharnée. Une dispute s'élève , et je me vois forcé d'en parler , et d'entrer dans d'autres détails qui ne paroissent superflus qu'à ceux qui les con- îioissent, mais qui font partie de l'histoire d'une traversée. Ces anecdotes souvent piquantes ne délassent -elles pas quelquefois le lecteur, trop souvent ennuyé d'un journal où il n'est question I I tL. Il' [1 nt^ DISCOURS que de beau teins , pluie et vent ^ hrume épaisse ) et d'autres observations monotones et minutieuses , qu'on ne doit point regarder comme capables de captiver un lecteur? Je raconte le baptême du Tropique , dont mon néophyte surtout attendoit le récit avec l'impatience de quelqu'un qui clierche à s'ins- truire ; il prend également intérêt à la punition exercée cbntre les matelots indisciplinés ; il me questionne sur les trombes de mer , et j'a- chève de l'entretenir sur ce point en découvrant terre , et apercevant à l'horizon le phare de Charles-Town. Je fais débarquer avec moi mon néophyte , et je le promène dans les rues de la ville pour en connoître les usages, et étudier les moeurs de ses habilans; il a entendu parler des quakers et des^ méthodistes : je lui établis la différence qui existe entre ces sectes ; et lorsqu'il s'est bien pénétré de ces notions instructives , je le vois encore re- venir 5 et semblant désirer une autre étude. Je l'examine, et je lis dans ses yeux son désir d'aller contempler la INature au milieu des cam- pagnes, pour établir des comparaisons , y donner la chasse aux oiseaux qu'il veut con- noître , aux papillons qu'il désire conserver , faire la recherche des plantes dont je dois grossir son herbier; mais, tout en augmentant son butin, PRELÏMIP^AÏRE. xx^ je lui irace avec fidélité les tableaux des sites les plus pittoresques , le genre de ces campagnes primitives , et les endroits destinés à la course , amusement favori des Anglo-Américains. Au retour ^ je lui fais connoître un sauvage du Canada, qui , comptant sur les droits de l'hospitalité, est entré familièrement dans une maison où je me trouvois, pour apaiser la soif qu'une chaleur excessive a fiit naître en lui. J'entretiens aussi ce lecteur des autres pro- ductions du pays , utiles aux arts , et favorables au commerce , telles que Varbre à cire y Vèrahlé d sucre , etc. 5 et tout en lui rappelant plusieurs anecdotes sur les mœurs des bons habitans de ces pays fortunés, je lui parle d'un sauvage de la Caroline, artiste sans art, mais qui, par une rare faveur de la Nature, a composé et peint à l'huile un tableau dans lequel il s'est repré- senté au milieu de ses campagnes. Désirant de l'instruire , et profitant de sa bonne volonté , je conduis mon néophyte dans des endroits qu'il n'a point encore visité. Une excursion ornithologique devient d'abord le but de notre promenade 5 mais après avoir fait une ample collection d'oiseaux nouveaux pour lui, je trouve et saisis l'occasion de lui faire examiner un boiciningua qu'un particulier de Charles-Town conserve depuis long-iems, sans lui donner à manger. î » xxxij DISCOURS Loin d'avoir épuisé l'étude des productions naturelles du pays, le besoin de voyager sous d'autres climats nous fait embarquer sur une goélette anglo-américaine , dont le capitaine est digne , par la pureté de ses mœurs et la loyauté de ses actions, de vivre au tems du monde primitif. INous faisons voile vers l'île de Cubes ; et notre bon capitaine , après nous avoir prodigué pendant la traversée tout ce qui pouvoit nous la rendre agréable, poussa la générosité jusqu'à nous choisir secrètement à terre des logemens plus commodes que les cabanes étroites que nous avions à son bord. Je donne la description des côtes arides de l'entrée de Cuba, et mon néophyte, d'abord attristé par ces tableaux peu aimables, sourit à celle de l'intérieur de la baie de Saint-Yago , qui offre le paysage le plus riche et le plus pittoresque. Un pilote espagnol étant venu à notre ren- contre , nous fournit l'occasion d'étudier ses manières,* et de le questionner sur les mœurs et usages des habitans de cette île. Après nous avoir fait mouiller en lieu de sûreté , nous mettons pied à terre, et nous escaladons une côte richement boisée, au sommet de laquelle se trouve la maison du commandant du fort qui protège v.-r?ç,. PRÉLIMIINAIRE. xxxiij protège la baie, et dont les batteries sont for- midables. Après une réception aussi honnête qu^obli- geante , nous descendons la côte , et remontons à notre bord pour faire * voile vers Saint- Yago, qui se trouve au fond de la baie. Il tarde à mon néophyte de me voir visiter l'intérieur de la ville; aussi n'ayant rien de plus h cœur que de le satisfaire, je mels pied à terre, et je parcours les rues de Saint- Yago , j'étudie les mœurs , les usages de ces Espagnols , et quelques notions intéressantes deviennent le fruit de mes observations, que je me plais à répéter à mon néophyte qui attend mon retour avec impatience. En admirant les ressources précieuses que fournit cette île pour les besoins de la vie, je fais quelques courses ornithologiques que j'ai soin d'entre -mêler de parties de pêche, et de chasse aux insectes et aux papillons de cette île. Je reviens dans la ville , où j'étudie avec soin le caractère des padres ^ et où je prends note des cérémonies religieuses qui se pratiquent pendant la semaine Sainte et le jour de Pâques. Le besoin de nous rendre à Saint-Domingue , me fait profiter d'une frêle embarcation qui m\ transporte au milieu des flots écumans de la mer en furie : enfin , après une tempête hor- TOME I. 3 I ^^,1^ DISCOURS rible, je débarque à Saint-Domingue; tel est le sommaire de mon premier Folume. Si le lecteur ouvre mon second Yolume , et qu'il daigne me suivre dans mes observations, il me verra débarquer à Saint-Domingue, m'y entourer de personnes capables de nVinstruire , et de me donner des renseignemens sur le climat, les lieux , et l'histoire du pays; comme il me semble que c'est la première élude à la- quelle on doive se livrer, je me fais raconter par tin ancien colon l'histoire de l'île d'Haïti, depuis sa découverte par Christophe Colomb jusqu'à nos jours , que les traditions nous ont transmise. Alors, pénétré de ces vérités, je parcours le pays avec plus d'intérêt; ici je retrouve au milieu d'un peuple heureux , ces bons caciques qui ne connoissoient leur auto- rité que de nom , et s'en servoient pour faire planer autour d'eux le bonheur et la confiance; là , je crois voir des groupes de ces insulaires attendre leur existence des libéralités de la îSature , sans s'astreindre à un dur et pénible travail ; parmi eux se trouvent des pêcheurs , des chasseurs , tandis que les plus âgés vaquent aux soins de l'intérieur. Arrive-t-on à l'époque d'une fête célèbre? elle est sincèrement chômée; car ces peuples n'ho- noroient pas seulement des lèvres leur dieu PRÉLIMINAIRE. xxxv imaginaire, mais par leurs actions 5 et si quel- ques ridicules, ordinaires à ces tems reculés, prësidoient aux cérémonies religieuses, il faut être indulgent pour ces détails accessoires inventés par l'inexpérience et la bonhomie de ces peuples , auxquels on pourroit répondre par des cérémonies de nos jours non moins ab- surdes, quoique consacrées par des peuples policés : au reste , le principal motif dans les pieuses réunions des insulaires d'Haïti, étoit d'y adorer un objet dont ils connoissoient la puis- sance sans pouvoir la comprendre , et c'est envers le soleil , ame et source sacrée des trésors de la Nature, qu'ils devenoient respectueux , et à qui ils olFroient leurs plus purs hommages. Comme de tout tems l'esprit trompeur du fanatisme a subtilisé lès cœurs foibles ou trop confians, il se trouva à Haïti, dès son état pri- mitif, des êtres plus astucieux que le com- mun des insulaires, et qui, par un intérêt per- sonnel , inspirèrent une terreur panique à ces naturels débonnaires pour en obtenir des hon- neurs , des rangs et de la fortune 5 c'est pourquoi une secte s'éleva , et commença à prophétiser en un langage mystique et barbare, et abusant de la crédulité du peuple , elle lui fit voir ce qui n'exisloit point, et fascinant leurs regards inti- midés , elle s'annonça en l'apport direct avec un 3 ^. H ' 1 xxxvj ( DISCOURS dieu qu'elle créa , et dont elle osa se déclarer l'interprèie. De là une confiance absolue , un respect universel pour ces hommes adroits aux- quels les naturels d'Haïti donnèrent le nom de hutios^ on prêtres indiens. Afin de grossir leur parti, les bulios asso- cièrent à leur autorité suprême ceux des Indiens en qui ils reconnurent des principes conformes aux leurs; et afin d'opposer au peuple deux freins puissans , ils crurent convenable de revêtir ces derniers d'une autorité civile, subordonnée néanmoins à celle des ministres de la divinité. De là la division des peuplades et leur dénom- brement; de là l'élection de cbefs pour les gou- verner 5 auxquels on donna unanimement le nom de caciques. J'indique le partage de ces gouvernemens indiens; je décris leur paix intérieure, leurs mœurs douces, leur délicieuse existence au milieu de campagnes ravissantes et embellies par leur union ; mais comme le bonheur tient à peu de chose , et qu'un rien , dit Florian , le fait évanouir, ces peuplades fortunées, vivant au comble de leurs voeux, sont troublées, dispersées, anéanties par la corruption de nations féroces dont elles ne peuvent éviter le joug , et dans les pièges desquelles une confiance trop aveugle les fai^ précipiter. Je donne alors des détails hislo- PRELIMINAIRE. xxx^ij riqnes sur la clécouverle de l'île d'Haïti par Christophe Colomb , cause innocente des mal- heurs qui depuis en ont fait le séjour du crime , de Fambition et des attentats; et comme ces détails , quoique connus , intéressent néanmoins mon néophyte qui les ignore , il me presse de continuer mon histoire relative à Fexpédilion de Christophe Colomb : il me demande comment un homme aussi bon a pu laisser commettre des crimes aussi révoltans. 11 frémit avec moi , en traversant la rivière, des massacres qui lui rap- pellent des souvenirs pleins d'amertume , et lui font répandre même quelques larmes; car il est sensible. Bientôt, en continuant mon récit, nous parcourons les lieux signalés par des événemens transmis à la postérité ; il apprend avec douleur la mort de Christophe Colomb , protecteur infortuné des bons insulaires , et par cela même devenu la victime de Fenvie et de Fambition de ses successeurs altérés par la soif de For et du sang. Il voit avec regret Bovadilla et Ovando suc- céder à Christophe Colomb , et gémit d'une autorité despotique et féroce qui semble pro- noncer aux Indiens la malheureuse destinée qui leur est réservée. En vain Ferdinand^ par un arrêt humain , veut arrêter les exploits homicides et sanglans des tigres Bovadilla et Oçando-^ Il *J ► %x%\iï] DISCOURS iii la voix de la ^Nature, ni celle de leur mo- narque ne peuvent se faire entendre à ces cœurs pervers et ulcérés : ils tracent leur route dans l'île au milieu des cadavres ou des corps foibles et palpitans, des femmes, des enfans et des vieil- lards qu'ils ont fait massacrer. De l'or ! de l'or !.. voilà leurs cris de rage , et rien ne peut étouffer ces cris impérieux ; ils font donc supplicier tout ce qui ne peut servir à leur procurer ce métal funeste qu'ils retirent, par des crimes, des entrailles fécondes d'une terre qui semble re- gretter de s'être entr'ouverle. Enfin des divisions intestines s'élèvent parmi les Espagnols de l'expédition de Christophe Colomb , après le massacre général des Indiens d'Haïti , et ces Européens ont à leur tour à com- battre (les ennemis puissans , des forbans sans aveu , et mus par de semblables projets d'une ambition démesurée , enfin les flibustiers dont je fais connottre les mœurs et la vie privée. M'étant aperçu à des soupirs bien louables ^ que ces récits fatigans ont attristé l'a me de mon néophyte , je cherche à délasser son imagination, en l'enlrainant au milieu d'une belle campagne; mais comme y arrivant subitement , l'état de son cœur ne lui permettroit point d'en apprécier les beautés, d'en saisir les nuances, d'en respirer les parfums , je le conduis d'abord au milieu PRÉLIMINAIRE. xxxk d'une Nature déserte où je donne le tems à ses pensées de s'adoucir , et après avoir côtoyé et visité la halte aride de mon hôte , M. Desdunes- Lachicotte , je conduis mon néophyte au lagon Peinier, appelé cirque des Bambous, où la Nature est parée de tous ses charmes , et où elle se montre dans tout son éclat aux yeux de l'amateur passionné. La vue d'une riante verdure harmonise bientôt tout son être, sensible désormais aux parfums de ces fleurs qui bientôt égayent son imagination 5 mais comme une transition subite de la douleur au plaisir seroit un contraste trop pénible, je conduis mon néophyte sous des ajoupas abandonnés et célèbres , l'un par les soupirs d'un amant malheureux et l'autre par sa consécration à l'amour paternel. Enfin , après les dernières larmes données aux plus touchans souvenirs , je permets à mon néophyte de s'aban- donner à la contemplation. Cet être sensible, toujours reporté par son cœur a désirer quelques notices sur les anciens habitans du pays, m'engage à lui parler au moins du colon européen qui a succédé à l'In- dien insulaire , et des troubles long-tems per- pétués de la conquête d'Haïti. Je cherche à satisfaire sa juste curiosité par le parallèle du colon modeste et du colon ambitieux. Je lui H XL DISCOURS transmets ensuite les renseignemens qui m'ont été donnés par mon hôte sur le caractère des créoles de nos jours, sur les mœurs et usages de cette nouvelle génération. J'ouvre ensuite mon journal, et mon néo- phyte y lit mes observations sur la nature du clirnal de Saint-Domingue; et après quelques remarques météorologiques, je le fais voyager pour l'instruire. 11 m'accompagne dans ma route du Cap; il est aussi ardent que moi à saisir et admirer les choses nouvelles qui s'offrent à ses yeux. Il suit dans les airs les oiseaux et les papillons, sur la terre, les insectes et les reptiles; il étudie la végétation , et son cœur reconnois- sant s'attendrit à la vue des ressources qu'offre la INature , même au milieu des déserts. JNous nous arrêtons sur les habitations les plus dignes de nos remarques , et nous mettons de ce nombre celle de l'Etable appartenant à la famille Rossignol-Desdunes, celle de MM. Ros- signol-Grammont et Descahaux , entourées par des colonnades imposantes de palmiers qui s'y élèvent avec grâce et majesté au milieu de haies de citronniers garnissant l'intervalle de ces arbres. Après avoir reconnu le bourg des Gonaïves , et y avoir fait quelques observations sur la nature du sol , sur s€s productions et sur les mœurs des PRELIMINAIRE. i.l] liabitanSjnous continuons notre route an milieu d'une riche Nature qui donne une ample latitude a notre contemplation; les sites devenant de plus en plus pittoresques par la diversité de leur exposition, je me plais à les décrire à mon néo- phyte qui, ainsi que moi, en fait son profit. Il jette un regard inquiet sur la montagne des Escaliers , qu'il doit franchir au milieu d'écueils et de rochers âpres et roulans. Mais il est dé- dommagé de ses fatigues et de ses peines, à la vue du bourg enchanteur de Plaisance, qu'il rencontre au revers de ce morne rocailleux. Il traverse avec moi la rivière du Limbet, dont les eaux basses et limpides bouillonnent a leur rencontre de rochers posés çà et là au milieu de son lit. Enfin , après d'autres re- marques, nous arrivons au Cap. Je l'engage à ne point me suivre dans la villo pendant les premiers jours qui seront consacrés à mes affaires personnelles. Mais mon néophyte , qui a l'ame grande et le cœur bon, s'est inté- ressé à ce qui me regarde, et ne veut plus me quitter; je le conduis donc chez M. Roume, agent du Gouvernement français , homme ins- truit, et avec lequel on ne peut que^profiter; mais des affaires imprévues m'appelant à l'Arû-" bonite, mon néophyte, qui est devenu mon ombre, y retourne avec moi, en formant le s I > XLlj DISCOURS projet de revenir au Cap, pour y tirer parti des entreliens de M. Roume sur l'histoire naturelle. De retour aux Gonaïves, après avoir donné mes premiers soins aux affaires qui m'y ont appelé, je conduis mon néophyte à une tannerie située au milieu d'un bocage enchanteur. C'est en rentrant que je reçois de Toussaint-Louver- ture la levée des séquestres mis injustement sur nos habitations 5 je fais un voyage au Port- au-Prince pour entrer de suite en possession. Tour à tour trompé par les chefs noirs de l'ar- rondissement, et leurré par les offres perfides de nos nègres , j'accorde une confiance trop prématurée , dont j'ai lieu de me repentir , étant à peine fixé sur notre habitation. Je m'y livre néanmoins à une passion domi- nante , à la chassa , qui en ces lieux favorisés offre tous les agrémens en ce genre. îSéanmolns, possesseurs de grandes propriétés affermées , et dont nous ne touchons point les revenus, nous vivons dans une pénurie universelle 3 et c'est pour le bonheur de mon néophyte que j'aime à lui faire apprécier Finstabilité des choses hu- maines, et la bizarrerie de la prédestination. Résigné au milieu de cette infortune , je n'en bénis pas moins l'Auteur de la INature, et c^st pour me consoler de ces épreuves amères, que PRÉLIMir^AIRE. yLHJ je reprends mes exercices. Je décris le site pitto- resque d'une fabrique coloniale, observée au milieu du Grand-llet. Je cache derrière moi mon néophyte , et il prend part secrètement à l'entreiien que j'ai avec des solitaires que la vue d'un nouvel être auroit pu intimider. Le bon Isidore , Fun d'eux , me conduit à sa bananerie , y étanche ma soif dans une feuille fraîche de celte plante précieuse. Il déplore ensuite les ravages de l'épizootie de sa hatte* Je retourne sur l'habitation pour visiter le beau verger Rossignol, situé dans les bas de FArtibonite, et j'y trouve le propriétaire en but, ainsi que moi, aux vicissitudes humaines. Je fais admirer à mon néophyte un beau trait d'hospitalité de M. Desdunes-Lachicotte , qui nous raconte les dangers auxquels il a été exposé , comme blanc , au milieu des noirs révoltés et ennemis de sa couleur. Je propose à mon néophyte une seconde pro- menade au lagon Peinier, et nous y découvrons une nouvelle inscription erotique. Je l'emmène le lendemain au bourg du Gros-Morne, pour eu connoître le climat, et j'ai lieu, pendant mou séjour en ce canton, de lui faire le parallèle de Fexislence qu'on mène au milieu des mornes où la température est salutaire, avec celle de la %m ■ xLlv DISCOURS plaine, où la chaleur anéantit les facultés au lieu de les vivifier. Après ce voyage , un long séjour sur Phabita- lion de FEtable me permet d'y étudier les mœurs des animaux de toute espèce , dont la présence embellit ce séjour , et c'est en me livrant avec ardeur à leur poursuite , que je trouve à décrire les'diverses chasses qu'on peut leur faire, et les pèches qu'on y pratique pour aller cher- cher les habilans de Fonde jusqu'au milieu d© leur retraite. Les observations que je cite à cet égard ne sont point des répétitions plagiaires, car elles me sont personnelles. Un voyageur seul peut parler avec certitude des mœurs d'animaux qu'il étudie journellement. Aussi l'histoire que j'en offre est nouvelle, et n'a aucun rapport avec la description de sujet dont le nom seul étoit connu. J'ai eu soin, pour le plaisir de mon lecteur , d'éviter des descriptions arides et sco- lastiques, hérissées de termes baroques et scien- tifiques qui seroient déplacés dans un voyage , et remplaceroient , par un ennui involontaire, l'intérêt soutenu qu'un auteur doit chercher à inspirer. Désirant faire de ces Yoyages un ouvrage ins- tructif, je répète à mon néophyte jusqu'à mes observations mentales 3 et après lui avoir transmis PRELIMINAIRE. xly des détails intéressans sur la guerre du Sud , suscitée par Toussaint - Louverture, chef des noirs , contre Rigaud ■, général en chef des hommes de couleur, j'arrive successivement à l'étude des haras de Saint-Domingue, où les pratiques, en raison du climat, diffèrent de celles d'Europe. Je donne des renseignemens sur les bours-équiors y sur les chevaux d'allure y sur les bâtards anglais y sur les hattiers ma- quignons y suv l'éducation des chevaux p(?«z^/r^5^ sur la castration des poulains ; les précautions à prendre pour leur éviter le tétanos dans cer- taine circonstance de leur vie 5 j'indique les herl>es nuisibles dont les pâturages sont trop souvent infestés. Je relate et soumets quelques observations sur la puissance fécondatrice des étalons , sur la perfection des races, sur les inconvéniens des pâturages humides pour les poulains , sur la police qu'exercent les étalons envers leurs ju- mens , sur l'imitation de ces dispositions par les bours-équiors, sur les mulets de Saint- Domingue , et enfin sur la nature des épizooties connues dans cette île. Mon néophyte se rappelant du joli petit animal dont je donne le dessin (page 4^ du llème yolume ) , me demande de nouvelles notes sur les cabriîs domestiques, sur les maladies •^ V ^ 1>'^ «iW xLYJ DISCOURS auxquelles ces quadrupèdes sont assujetlîs; quels sont les remèdes à opposer aux épizooties qui en désolent l'espèce. Je termine mon récit en lui disant qu'à Futilité des cabrits , à la qualité de leur chair, on peut comparer le cochon appelé tonquin , dont on fait dans l'île une grande consommation. Bientôt je quitte ces paisibles occupations, pour faire voyager mon néophyte au milieu des orages , le transporter ensuite sur un sol boule- versé par les tremblemens de terre; je l'égaré, après avoir échappé à ces désastres , au milieu d'autres campagnes où il est en but aux oura- gans. Plus loin il essuie avec moi les ravages d'un débordement. A ces fléaux de la Nature, je fais succéder les inconvéniens qu'offre le séjour de la plaine, où l'on a à redouter les scorpions , les araignées à cul rouge, les araignées crabes, les bêtes à raille pieds , les chiques , les tiques et les autres insectes sinon tous venimeux , au moins im- portuns. Je fais aussi part à mon néophyte des expériences que j'ai eu occasion de répéter sur les lézards et les autres reptiles de Saint- Domingue; des dangers auxquels est exposé le botaniste au milieu des poisons végétaux qui se rencontrent communément. Mais^ pour ne plus PRELIMINAIRE. xi.vlj alarmer mon néophyte, je cesse de lui retracer les inconvéniens de l'île, et je lui en fais appré- cier ensuite les rares avantages. Je lui soumets en conséquence le tableau des ressources qu'offre St.-Domingue, sous ie rapport des subsistances ; des manufactures qui y sont établies , ou qu'on pourroit y établir , d'autres avantages qu'on pourroit retirer de la cochenille, des vers à soie, des épices, des laines et des abeilles. Je conduis ensuite mon néophyte au milieu d'un jardin , et il reconnoît avec moi qu'on peut adapter les charrues à la culture coloniale. Je le rends témoins des récoltes du riz, de celle du coton , du sucre , du café , de l'abattis des bois propres aux constructions et à la teinture. Quelques petits voyages donnent lieu à de nou- velles observations sur les usages de la colonie , sur les chasses du pays , et sur les raz de marée. Mon néophyte me suit un autre jour sur les habitations Guyot et Robuste y puis à Saint- Marc , chez M. Tussac , où il admire avec moi la h^Q Flore des Antilles ^ à laquelle ce zélé natura- liste travaille depuis quinze ans j c'est alors qu'il saisit avec empressement le double avantage de faire la route du Gap avec M. Tussac , et d'y revoir M. Roume. Ce voyage devient instructif xLvnj DISCOURS en raison des remarques qui ont peine alors k échapper aux regards de trois observateurs. Arrivé au Gap , je conduis mon néophyte au jardin de botanique de l'hôpital des Pères, d'où il contemple avec un juste enthousiasme la position de la rade. Je le mène ensuite à l'agence du gouvernement, pour le faire présenter avec moi par M. Roume aux naturalistes qui y sont attachés , et qui à leur tour nous annoncent chez M. Daubertès, possesseur d'un cabinet d'his- toire naturelle oii se trouvent réunies toutes les coquilles que fournissent les côtes de Saint- Domingue, riches en ce genre de production. Je repars pour les Gonaïves, où je trouve l'ordre de me rendre sur-le-champ aux monts Gibao , pour donner l'étal de la situation de ces mines anciennement exploitées. Quelle joie pour mon néophyte, qui n'avoit encore pu faire aucun essai minéralogique ! Dans le voyage , nous trouvons à joindre l'utile à l'agréable ; c'est pourquoi tout en effleu- rant les rochers métalliques que la Nature semble vouloir retenir dans son sein , nous admirons la beauté de tous les sites de la partie espagnole , et Fimmcnsité de la chaîne des montagnes du Gibao. INous visitons les anciennes minières comblées depuis un tems immémorial. Ce voyage, et une collection de minéraux que je parviens PRÉLIMINAIRE. xux parviens à me former', me donnent les moyens d'offrir aux minéralogistes les tableaux de la géologie de Saint-Domingue, que je fais précé- der d'instructions sur la manière dont les naturels d'Haïti, et par suite les captifs espagnols exploi- toient les mines , et comment encore aujourd'lmi ]es orpailleurs recueillent , au moyen de sébiles , le sable aurifère que charrient plusieurs rivières. Nous quittons ce théâtre devenu le tombeau de tant de malheureux Indiens , pour porter nos pas dans la campagne , avec l'intention d'y sur- prendre l'Espagnol simple et paisible, de le suivre dans l'intérieur de son ménage, et d'y jouir avec lui d'une paix délicieuse qu'aucune passion ne vient troubler. Je saisis au retour l'occasion d'entretenir mon néophyte , des salines de la partie espagnole, et de celles de la partie française ; je le conduis sous des voûtes sombres qui inspirent la terreur, et où au milieu de grottes pittoresques il admire de belles stalactites menaçant de leur poids énorme les stalagmites mamelonnées qu'elles ont déjà formées; je l'introduis au milieu d'antres plus redoutables , et où des feux souterrains conspirent pour ébranler la terre , et l'embraser de ses flammes dévorantes : c'est après l'examen des soufrières que se terminent nos courses minéralogiques. De retour à l'Arlibonite, mon néo{i»hyte veut Tome I, 4 ■L^hi^ ^ >ifm^^ VJF^^m^'imT:'^ L DISCOURS y partager mes contrariétés et les vexations que les noirs exerçoient alors envers les proprié- taires blancs. C'est au milieu de ces traverses que F adjudant-général Huin , député en France par Toussaint-Louverture , vient prendre mes dépêches sur l'habitation de FEtable où il sait nous faire respecter j et menace , en notre pré- sence j nos noirs de toute la rigueur des lois, s'ils persistent dans leur insubordination. Cet officier-général m'emmène avec lui au Port-au-Prince , et pendant la route me recom- mande à tous ses amis : c'est à cette faveur que je dus l'analyse des sources puantes de la Croix- des-Bouquets. M. Huin ayant ordre d'aller s'embarquer au Cap, il veut que j'assiste à son départ , et m'emmène avec lui • c'est là que je reçois de Toussaint-Lou- verture le sauf-conduit qui devoit protéger mes courses d'Histoire naturelle*^ Quelques anecdotes sur l'originalité des matelots , sur le caractère des colons de Saint- Domingue j quelques réflexions sur la situation du pays 5 un trait de la fidélité d'un chien 5 un autre qui prouve rattachement d'un aras 5 un exemple de piété fdiale ; enfin une notice sur les eaux de Boines , terminent le second Folume de mes Koyages, Soudain je quitte les campagnes habitées, pour conduire mon néophyte au sein d'une nature sauvage, dont la sombre verdure glace PRÉLIMIINAIRE. I.J les sens de terreur, et inspire une sombre mé- lancolie. 11 frëmit avec moi du morne silence qui attriste ces lieux déserts , et il ne Tenlend interrompre que par des rugissemens sourds qui, sans être bruyans et toniirueux , alarment l'imagination. Bientôt il voit s'élancer du mi- lieu d'épines un monstre hideux qui le menace de sa Rireur; ce monstre est le Crocodile de Saint-Domingue , qu'on y appelle Caïman, et dont l'histoire commence le troisième Volume de mes Voyages. Je n'entrerai dans aucun détail sur le som- maire des treize chapitres qui composent ce mémoire; il me suffira de dire que j'en ai retiré toute la partie anatomique , étrangère au récit d'un voyageur , et dont je réserve la pu- blication pour les savans et les anatomisles : je me suis principalement attaché dans cet Ou^ vrage à décrire les mœurs du Caïman avec exac-^ titude, et à raconter plusieurs faits qui furent le fruit de .mes observations. Je donne connoissance à mon néophyte, des préludes de l'amour du reptile ; je lui expose quelques détails sur son accouplement , et sur l'âge auquel il peut produire; et à la faveur de nos promenades réitérées, je lui fais remarquer successivement les soins du mk\e et de la femelle avant et après la ponte. Bientôt mon curieux néophyte déterre avec 4 ^ j,\l DISCOURS moi les ceufs de ces reptiles , et impatient d'en connoîtré le développement , il les ouvre pour examiner la* position du reptile sous cette enve- loppe crétacée. Une étude constante, et des observations multipliées nous fournissent des détails sur ses mœurs , sur les ruses qu'emploie le reptile , et sur la perfection de son organe olfactif. Mon néophyte trouve trop d'intérêt dans cette contemplation pour ne pas m'engager à lui fournir les moyens d'examiner de plus près le terrible amphibie; il me propose d'attaquer l'animal , et je profite de son ardeur pour le di- riger dans les diverses chasses qu'on fait aux Caïmans : mon néophyte n'y trouve pas toujours de l'agrément , mais le désir de s'instruire le fait surmonter avec courage les difficultés qui se rencontrent, et les dangers auxquels on est exposé dans ces attaques périlleuses. Armé de prudence, il se méfie à l'approche de touffes de roseaux qui recèlent un dangereux ennemi; c'est pourquoi notre chasseur se tient sur la défensive , et toujours prêt à faire feu au moindre mouvement du Caïman qui souvent brave im- punément plusieurs décharges. Mon néophyte est studieux , et voulant mettre à profit tous les instans qu'il passe avec moi à Saint-Domingue , il me propose tous les soirs une promenade nocturne, dans laquelle nous pourrons, à la faveur des ombres de la nuit, PRÉLIMINAIRE. LÎij assister aux rassemblemens des nègres, sans nous y faire connoîire , et étudier par ce moyen les mœurs des habilans de Guinée qui on^ été transportés a Saint-Domingue. Ce projet nous réussit , et nous procura suc- cessivement des renseignemens exacts sur les Dunkos et les Aradas ^ amans jaloux et em- poisonneurs 5 sur ceux de Fida _, dont les femmes tatouées sont néanmoins coquettes malgré cette mutilation; sur les nègres à^Essa^ sur ceux si cruels A^Urba^ sur ceux à\Amina qui croient à la Métempsycose, et parmi les- quels on voit des mères éperdues, le dirai-je? ô Nature ! des mères dénaturées porter sur leurs enfans une main homicide, pour les dérober à la honte de l'esclavage! Les nègres Ibos nous présentent des mœurs plus douces , et des exemples d'un amour cons- tant et sincère ; vient ensuite Fétude des nègres de Beurnon y sévères observateurs de leurs principes pieux et favorables à la pudeur qui, parmi eux, est regardée comme la première vertu des femmes. Nous remarquons que les nègres Mozam- biques professent la religion catholique qui leur a été communiquée par les Portugais; mais qu'il se rencontre parmi ces Africains une secte de vaudoux y espèce de conpulsionnaires y dont les principes religieux sont diamétralement opposés à ceux des Mozambiques devenus catholiques. m m m •liii'i ' 1 DISCOURS Un autre groupe des nègres que nous obser- vons dans ces rassemblemens nocturnes , nous fournit des détails sur la sépulture des rois de DaJiomety sur la barbarie des nègres de celte nation envers leurs prisonniers ; sur la coquet- terie toujours naturelle aux femmes, et qui porte celles de Dahomet à se parfumer avec excès j enfm sur d'autres faits relatifs aux moeurs et coutumes de ces peuples de l'Afrique. En nous glissant d'un ajoupa à l'autre, nous apercevons des Ahréens y des Crêpéens ^ et des jissianthéens y rassemblés autour du feu , et occupés à y faire boucaner l'épi de maïs qu'ils préfèrent à toute nourriture. Nous apprenons d'eux que les nègres de leur nation sont idolâtres , qu'ils consultent leurs fétiches dans les circons^ lances critiques; qu'ils ont la peau et les che^ veux diversement colorés par le secours d'un art grossier: un d'eux rappelle à ses camarades leur coutume de conjurer les flots avant de livrer une bataille , et de tirer un heureux ou un fâcheux pré^ sage du calme ou du courroux des vagues qu'on va consulter. Cet orateur naïf décrit avec l'exac- titude de celui qui se reparte sur la scène, les ai-mure^ des généraux et de leurs soldats 5 4a pré- caution de ces derniers à l'égard des prisonniers qui seront faits dans le combat. Il adopte, comme Crêpéen ^ la coutume que pratiquent ces peuples d'enfouir leur argent avant la ba- taille qu'ils ont à livrer. Bientôt quittant les "^'JH^M« PRELIMINAIRE. lv horreurs de la guerre, ce fidèle narrateur, au secours d'une mémoire prodigieuse , naturelle à tous ceux de son pays , se reporte k des occu- pations plus douces , et décrit les chasses et les pèches auxquelles se livrent généralement les Aliréens , les Crêpéens , et les Assianthéens pendant la majeure partie de la journée. Il ter- mine son récit par quelques instructions rela- tives aux mœurs des Popéens très-cérémonieux envers leurs supérieurs. A peine avons-nous quitté cette société , joyeuse de pouvoir se reporter par la pensée en un pays qu'elle regrette, que nous observons un groupe de Phylanis , nouveaux Juifs, et dont la destinée est de mener une vie errante. Ces modestes Afri- cains , simples dans leurs mœurs , voyagent avec de nombreux troupeaux, et fournissent aux peu- plapes des pays qu'ils parcourent, un laitage gras et pur, que leur loyauté ne leur permettroit pas d'altérer au moyen d'un liquide étranger. INous admirons l'union intime de ces nègres bons et caressans , et regrettons que ces qualités aient dégénérées depuis qu'ils ont connu des peuples policés. L'un des Phylanis présent , Valpha (i) (l) Grand prêtre et sacrificateur. Ce brave benjamin d'une douceur angélique, et comme vieillard, habitué à recevoir avec résignation les insultes de jeunes nègres pervers , me fit don par suite de tablettes de taches de bambou, suï: lesquelles il traça à l'aide d'une baguette fen- due, et de l'encre composée de jus de citron et de siliques xvj DISCOURS de leur secte , et vieillard octogénaire, apprit à ses enfans qui l'entouroient, que ceux de sa religion vivoient en Guinée au milieu de la paix et de la bonne intelligence ; qu'on y infligeoit une puni- tion exemplaire aux enfans qui manquoient au respect dû aux vieillards 5 que leur religion avoit beaucoup de rapport avec celle des Juifs ; en effet, après avoir décrit leur temple mobile , il parle des cérémonies qui s'observent dans les jours de fête, et du sacrifice du bélier qui a lieu au fameux jour à' Jtudcbiché y en commémoration du sacrifice à^ Abraham. IXous quittons avec d'autant plus de regrets la réunion des bons Phylanis , que mon néophyte et moi, nous surprenons avec indignation plu- sieurs aveux de nègres de DiaboUy cruels et féroces par habitude autant que par caractère. Ces monstres immolent à leurs dieux, d'après le conseil de leurs prêtres, les étrangers qu'ils surprennent sur leurs terres , tandis qu'ils tolèrent parmi eux l'assassinat de leurs pareils. Nous ne sommes pas plus heureux en pro- longeant notre marche , puisque nous ren- controns une assemblée de Congos nègres , qui semblent réunir en eux tous les vices contraires à d'acacia , les dogmes de sa religion que je regrette bien de n'avoir pu rapporter en Europe. Ces lignes écrites dans le sens opposé à notre usage , offroient des caractères, hiéroglyphiques très-variés et très-curieux.^ PRÉLIMIINAIRE. lmJ la soclëlë. INéanmoins nous nous cachons avec soin à quelques pas du cercle de ces Guinéens , pour entendre plusieurs anecdoiesqui concernent celte peuplade rustre et cruelle. Enfin, après avoir recueilli des instruciions propres à faire connoître la secte des vaudoux , fameuse par ses opérations ridicules , par ses prédictions emphatiques et ses menaces diabo- liques , nous terminons nos observations sur les mœurs et coutumes des Guinéens transportés à Saint-Domingue, par l'histoire des nègres nés dans cette colonie. Suivent immédiatement le dénombrement de diverses peuplades guinéennes, et le résultat des nuances produites par lés com- binaisons du mélange des blancs avec les nègres. Je dois autant à l'attachement que me porte mon néophyte , qu'au désir de l'instruire de la révolution du pays , les détails de ma captivité ; et comme un récit qui ne m'eût été que per- sonnel , n'eût point servi à son instruction , je l'introduis premièrement à la cour de Toussaint- Louverture, et je lui fais connoître le caractère impérieux de ce chef africain, et celui non moins entreprenant du substitut de ses pouvoirs, de Dessalines enfin. Je rappelle l'empire arbi- traire des noirs avant l'arrivée du Capitaine- Général Leclerc , je lui fournis des anecdotes sur le règne de Toussaint-Louverture y et sur son projet d'indépendance , qu'une hiérarchie de pouvoirs fit conjecturer long-tems auparavant. i tVûj DISCOURS Je retrace à mon néophyte les preuves de la rivalité existante entre Toussaint-Louverture et M. Roume, agent fidèle au Gouvernement français, et par cela même, en but aux vexa- tions du premier; je dépeins les mœurs de la cour du chef noir , et je mêle à mon récit des anecdotes secrètes de la vie privée de Toussaint- Louverture et de Dessalines , qui me sont ou personnelles , ou dont j'ai connu les principaux acteurs. Toussaint-Louverture projette au Cap de rendre la colonie indépendante, et ordonne le massacre de tous ceux qui seroient dans le cas de s'opposer à Fexécution de ses vastes projets. 11 sacrifie son neveu Moyse y général commandant la partie du nord , pour s'être permis quelques réflexions contre l'indépendance , et en faveur de la métropole. Dessalines instruit de l'arrivée de l'expédition française , par une correspondance qu'il fait intercepter, se rend au bourg de la Petite-Ri- vière de l'Artibonite, où il harangue les soldats et les cultivateurs. Bientôt les blancs deviennent la couleur proscrite , et leur tête est mise à prix ; le Cap est incendié , on arrête tous les blancs , et on ordonne leur massacre. Ces détails toujours pénibles à répéter, se trouvent très-circons- tanciés dans le troisième Volume , et ma plume en ce moment refuse de tracer de nouveau de& horreurs aussi révoltantes I Vpo'tei PRELIMINAIRE. nx Je n'ai rien omis dans le rëcit de ces barbares persëc allons contre les blancs , parce que je me -suis rappelé , comme un auteur moderne , « que )) les hommes et les enfans se plaisent aux récils » des aventures lamentables : les voyages pé- )) nibles et périlleux , les longues souffrances , )) les catastrophes , sont des sources de plaisir )) pour celui qui lit ou qui écoute ; plus le héros 5) est malheureux, plus le lecteur est satisfait: )) le mérite littéraire est presque nul dans ces 3) sortes d'ouvrages ». En effet, j'ai souvent re- connu que les voyages purement scientifiques n'intéressent qu'un petit nombre de lecteurs, tandis que ces mêmes voyages variés par des anecdotes , sont à la portée de tout le monde. On y verra à combien de périls j'ai été exposé, et si je dois bénir la Protection invisible dont la toute-puissance prévalut toujours sur le crime , et se plut tant de fois a déjouer les projets insensés de mes barbares ennemis. Ah ! dans l'excès de ma juste reconnoissance je m'écriois souvent avec Joad : Celui qui met un frein à la faveur des flots Sait aussi des méchans arrêter les complots. Soumis avec respect à sa volonté sainte , Je crains Dieu , cher Abner , et n'ai point d'autre crainte ! En effet , une confiance absolue en l'Auteur des destins, m'a souvent fait contempler la mort sans pâlir, tandis que les athées qui m'en- touroient, versoient des larmes et se livroient au désespoir. Quelles éloient leurs ressources , et XX DISCOURS quel éloit leur soutien en ces momens cala- rniteux?...! * J'arrache mon néophyte au théâtre sanglant des massacres du bourg de la Petite-Rivière, pour l'emmener avec moi , existant par miracle, dans les hautes montagnes des Cahaux , où l'on me confie la direction des ambulances de l'armée noire. Toujours captif au milieu des grandeurs dont on m'a revêtu, dénué de tout, malgré une abondance dont on devoit me croire le dispen- sateur, je traîne des jours malheureux, et suis sans cesse exposé aux poignards de nègres qui ont juré ma mort, et qui me tendent continuellement des pièges dans lesquels ils doivent m'immoler. Devant jouir d'une liberté absolue, je suis conduit au fort trop fameux de la Crête- à-Pierrot , où l'ordre est donné de me faire sauter avec la pou- drière. C'est là que la Toute-Puissance qui veil- loit sur moi, se signala par des merveilles, et sut me soustraire sain et sauf aux feux croisés dirigés sur moi dans ma fuite vers l'armée française. Ces dangers imminens n'étoient point les der- niers qui m'étoient réservés, et rendu au milieu des Français mes compatriotes , j'y retrouve des noirs qui exercent contre moi tous les ressorts de la plus affreuse vengeance , et malgré mes pré- cautions, je suis empoisonné ! Mes ennemis punis , et ma santé étant rétablie , je reprenois le cours de mes observations sur l'Hisloire naturelle^ PRELIMINAIRE. i.^ lorsqu'un nouvel orage polilique commença à gronder. Le général Thouvenot , chef de l'état- major - général, ami et protecteur des arts, ordonne mon départ pour la France , afin de mettre nos manuscrits à l'abri d'une nouvelle insurrection, et qui éclata au moment où le canon de notre départ se fit entendre; nos voiles corn- mençoient à peine à s'enfler que l'attaque du Port-au-Prince eut lieu, et que le feu y fut mis de toutes parts. Mon néophyte quitta ainsi que moi avec regret un aussi beau pays , et encore nouveau pour les observateurs, mais il se consola par l'espoir de mettre à profit le reste de son voyage. Le hasard nous servit 5 car au lieu de débarquera Toulon , lieu de notre destination , les Anglais nous ayant donné la chasse , nous fûmes con- traints de mouiller en la rade de Cadix , avec l'espoir flatteur de traverser l'Espagne dans son plus grand diamètre , pour nous rendre à Paris. Après une quarantaine toujours prescrite aux passagers qui arrivent des pays chauds , je n'ai rien de plus pressé que de fiire connoître au studieux néophyte qui m'accompagne , l'inté- rieur de Cadix ; nous en visitons aussi les envi- rons ; nous y faisons plusieurs remarques sur les mœurs et usages des habitans , et après un assez long séjour pour bien connoître ce pays, nous nous mettons en route pour Madrid. En traversant T Andalousie^ la Manche If 'ht L7.ij DISCOUP^S célèbre par les exploits de Don Quichotte^ et là Çastille-Nouvelle y nous faisons des remarques fort intéressantes sur la nature du climat , et sur les habitudes des Espagnols qui habitent ces contrées. La ville de Madrid nous donne asile un certain tems que nous employons le mieux possible en observations. JNous quittons cette ville , et nous prolongeons nos études sur l'Espagne , en traversant la Yieille- Castille et la Biscaye (i). Nous arrivons au passage du pont de limites jeté sur la Bidassoa , et nous pénétrons sur le territoire français où , par un sentiment naturel aux cœurs sensibles , j'éprouvai une douce émotion en retrouvant une patrie que je croyoisne plus revoir. Enfin, après des détails curieux sur les usages et les mœurs des habitans des Landes des environs de Bor- deaux qu'un événement nous oblige de visiter, nous nous rendons à Paris où je fais mes adieux à mon néophyte, avec l'espoir qu'il se rappel- lera quelquefois de nos entretiens ; c'est la seule (i) J'ai ajouté aux descriptions topographiques un tableau itinéraire qui remplacera la carte d'Espagne , devenant inutile pour la connoissance des pays qile j'avois à parcourir. La première colonne de ce tableau donne des instructions géographiques, la seconde indique les lieux , et dans la troisième, le voyageur voit d'un coup d'oeil les posades qu'il doit choisir de préfé- rence , et apprend en même tems à connoître les pro-« ductions du pays indiqué. PRELIMINAIRE. Lxiij recompense que j'exige de lui pour tous les soins que j'ai donnés à son instruciion. Mon tems, dansées voyages, éloit consacré aux progrès de l'Histoire naturelle, et j'ai cherché par là à iniiler le travail de l'abeille qui n'a d'autre désir que de déposer son butin dans la ruche commune. J'ai tâché de \ rassembler et de décrire avec le plus d'exactitude possible, les objets variés et dignes d'être remarqués dans mes difFérens voyages, et j'ai toujours vu avec des yeux admirateurs ces chefs-d'œuvres de la Nature, dans l'espoir de faire partager à mes lecteurs mon juste enthousiasme pour leur divin Auteur. J'ai dû , comme principal héros de ces voyages , tracer mon histoire. (cCar on aime à parler )) de soi, dit Montaigne, et ceux qui censurent )) le plus amèrement les écrivains à ce sujet ^ )) privés du talent d'écrire , occupent sans cesse )) les sociétés de leurs principes et de leurs )) actions)). « On doit à cet égard >, dit Gresset, )) s'honorer des critiques, mépriser les satires, )) profiter de ses fautes, et faire mieux)). Je demanderai donc grâce pour quelques termes francisés qui m'ont paru mieux rendre le sens de la chose , et mon intention semble justifier cette licence. Je ne serai point disert , mais je serai vrai, et mes récits seront comme ceux des voyageurs devroient toujours l'être. J'ai cru devoir ajouter dans le cours de ma ! i I ni '', Il imw xxiv DISCOURS, etc. narration, des notes instructives demandées par des personnes qui n'ont point fait de voyages sur mer; ce qui m'a forcé de répéter avec quelque modification des descriptions déjà connues. On trouvera peut-être étrangère à l'Histoire naturelle une digression sur la musique? mais qui n'est plus ou moins sensible à ses douceurs?.! {( Interrogeons les animaux mêmes, ditGresset^ )) interrogeons le peuple ailé des airs , le peuple )) muet des ondes, le peuple fugitif des forêts et » des rochers , et lotis se montreront sensibles à )) l'harmonie (i) )). Consultons maintenant la classe des êtres raisonnables, et pour nous rapprocher davantage de la simple INature, choisissons le tableau d'une nourrice qui cherche à endormir son enfant au berceau ; y parviendra- telle avec des menaces?,, apaisera-t-elleles pleurs de son nourrisson en le grondant?.! Ses chants seuls sauront le calmer en berçant mollement son imagination pure. Tel est le pouvoir indicible de l'harmonie! Enfin j'ai voulu instruire , intéresser et être utile, y suis-je parvenu? c'est ce que l'avenir me prouvera. Heureux , si j'ai acquis des droits à l'indulgence de mes lecteurs ! (i) Voyez le savant discours de Gresset sur les pouvoirs de l'harmonie. TOYAGES ^ri^ltv:* VOYAGES D'UN NATURALISTE. iXPRÈs un orage violent (i) , lorsque les gouttes <î'eau commençoient à filtrer moins précipitam- ment du chaume de notre retraite; alors que les moutons, sortant de leur abri, commençoient k bondir en cherchant leur pâture, le ciel épuré reprenant son azur éblouissant, et le tonnerre sourd ne s'annonçant plus qu'au lointain, M. Desdunes Lachicotle, oncle de mon épouse, Çi) Ces orages sont connus dans les Antilles, sous le nom de travade ou tornado. Ces pluies des pays chauds >sont toujours accompagnées de tonnerre. Le ciel , quoique paroissant serein , laisse pourtant apercevoir à l'est un petit nuage noir porteur de ia foudre et des éclairs. Ce nuage amoncelé s'étend lorsqu'il doit pleu- voir ^ alors s'élève un tourbillon de poussière, et incon- tinent le firmament s'obscurcit. L'éclair sillonne les nues , et le tonnerre se fait entendre. Les cataractes du ciel entrouvertes , il tombe une pluie abondante pendant l'espace de deux heures environ 5 après lequel temps l'horizon s'éclaircit , et le ciel reprend son azur. Tome I. B jg VOYAGES et noire bon hospitalier à Saint-Domingue, me voyant soupirer en suivant des yeux un couple de pigeons en amour , chercha à me distraire d'une pensée accablante qui agitoit alors mon cœur. Ainsi, pour calmar mon impatience, et soulager mes maux par un récit, il me pria, au Bom de Tamitié que je lui portois, de lui racon- ter tous les événemens remarquables d'un voyage que i'avois entrepris, pour débattre auprès du oouvernementles intérêts de sa famille , devenue la mienne. Après lui avoir dépeint l'état cruel d'un époux et d'un père au moment d'une sépa- ration, peut-être éternelle, je commençai ainsi , à l'aide de mon journal. Vendredi n^ mai 1798, à quatre heures du matin, il fallut se séparer. Après avoir étroite- ment serré sur mon cœur la jeune épouse qui m'étoit chère, j^ la quittai en silence, pour aller encore jouir une fois avant mon départ, à la vue du sommeil paisible de notre bel enfant, à peine âgé de six mois. Les petites jambes en l'air, une main appuyée sur les bords de son berceau , l'autre sur l'oreiller, je considérai quelques ins- tans l'état de repos dû. à une ame aussi pure. Qu'il étoit beau ! Son teint animé des plus fraîches couleurs, sa bouche entr'ouverte laissant échap- per une paisible respiration, ajoutoient encore à mes justes regrets. Je ne voulois point troubler D'UlS NATURALISTE. 19 jon sommeil, et je ne pouvois me résoudre à le quitter, sans le serrer encore une fois dans mes bras paternels. Je cédai à mon doux penchant , mais avec tant de modération que le pauvre en- fant ne se réveilla pas. La mère de mon épouse et moi, nous mon- tâmes en voiture, où j'entendis avec peine les conversations bruyantes des voyageurs. Leurs plaisanteries grossières me fatiguoient , car j'é- tois attendri. Bientôt hors des barrières des Champs-Elisées , nous arrivâmes à Neuilly , dont , pour la seconde fois, j'admirai la hardiesse du pont. Nous traversâmes le Pecq et Saint-Ger- main-en-Laye, au milieu d'une affluence considé- rable de peuple ; c'étoit un jour de marché. Ayant d'arriver à Meulan , nous vîuies à droite de la grande route une pente escarpée garnie de vignes, pièces de blé, plantes légu- mineuses et fourragères. En sortant de cette ville, le paysage change tout à coup ; il devient plus riant , et son aspect plus agréable. La rive gauche offre un pays de plate forme, orné de prairies naturelles , que baigne la Seine serpentante , et et qu'ombragent de longues allées de saules, qui réfléchissent leurs rameaux déliés dans l'onde du fleuve. De hauts monts hérissés de rochers escarpés bordent aussi l'horizon lointain. Quel- ques chaumières éparses çà et là diversifient la B2 \ ^è Voyages nature du paysage. On voit aux environs de cèè habitations fortunées, cerisiers, amandiers, ormes et noyers , dont les rameaux et la verdure différemment nuancés Contrastent élégamment avec l'émail de la prairie , dont ils relèvent la bigarrure et l'éclat par leur couleur uniforme. On remarque aussi sur ces coteaux des réduits paisibles au milieu d'un bois sombre, dont l'as- pect charma ma mélancolie, cette volupté du malheur. La rive de ces coteaux moins boisée sert de pâture à la lourde génisse , à la chèvre légère et lascive, ainsi qu'au paisible agneau, qu'on Voit brouter autour des sommités du feuil- lage nouveau. Quelques garennes isolées décorent aussi le coteau enrichi d'une source précieuse qui se trouve sur le bord de la route , et qui jaillit du sommet d'un rocher couvert de mousse. Ici , sur le bord d'un fossé , le jaune palissant, de la funeste tithymale s'éteint auprès de la pâ- querette bigarrée , et de la vive couleur du pori- ceau. Là, j'aperçois, au milieu d'un tapis d'une verdure uniforme, s'élever une belle lampsane , qui prête à mon imagination une douce allégorie. Bientôt mes yeux suivent les ondulations purpu- rines d'un sainfoin en fleur, qui fixe mes regards et mes pensées. Le paysage, en sortant de Mantes, est sec , sérieux et aride. Il n'a plus l'aspect gracieux de D'UN NATURALISTE. ai celui des environs de Meulan. 11 a cependant ses beautés , et offre à la vue de vastes champs de blé et un riche vignoble. En quittant Boulé ^ on admire un pays élégamment boisé. A la gauche de la route, un coteau y offre les taillis les plus agréables, tandis qu'à la droite, s'élève un parc couvert de hautes futaies. La Seine baigne les murs du château, et la rive du jQeuve est parse- mée de gros têtards de saules. Après le dîner que nous fîmes h Bonniéres , nous voyageâmes pendant une heure , en voyant de belles prairies où la pâquerette, l'adonis , les renoncules, l'espargoute, Forvale , et tant d'autres plantes champêtres étalent leurs brillantes cou- leurs. La rive opposée de la Seine est bordée de bocages touffus , où l'on voit le charme et l'ormeau unir leurs rameaux , et les confondre avec ceux de l'épais coudrier. On y remarque les sentiers parsemés de fleurs de toute espèce j l'humble pervenche, la vipérine et le lierre terrestre en font Fornement. La col- line escarpée offre à l'œil du curieux spectateur des carrières ouvertes , divisées par couches bien distinctes de marne, d^argile et de silex, dont les bancs forment des stries de toutes couleurs. Un sentier étroit, obstrué par les nouvelles pousses et tiges des haies d'aubépine , conduit k la sommité, et perfectionne ce ravissant tableaiu B a 22 VOYAGES Au milieu de cet intéressant séjour, que la Seine baigne de son onde à peine frémissante, se dessinent des languettes de terre qui forment des péninsules amplement garnies de marsaults , coudriers et osiers sauvages. Non loin de ces réduits silencieux ,^ on distingue, au ^nilieu de l'eau, des rets de pêcheurs constrjaits en osier, et qui, par leurs contours irréguliers , détruisent la monotonie de cette glace liquide qui en ce lieu semble y couler sans murmure. Les environs de Yernon font plaisir à voir. Les rejets des bois qui se trouvent en am- phithéâtre en sortant de Gaillon , offrent , par leur étendue considérable , un coup d'oeil im- posant, et sont renforcés à la sommité par une large bordure de haute futaie. C'est là que Ton commence à rencontrer des plantations de poi- riers et de pommiers dont on fait le cidre, cette liqueur agréable et rafraîchissante. En arrivant au pont de Vaudreuil , se trouve à droite dans une vallée profonde un site en- chanteur. La Seine s'y subdivise en deux bran- ches qui se rejoignent , après avoir formé par leur embrassement une île tapissée d'un beau gazon. Cette île décrit un ovale régulier. Sa rive est bordée de marsauhs dispersés çà et -là en grand nombre, et négligemment plantés. On rencontre de superbes vergers entourés D'UN NATURALISTE. s3 de liaies vives. C'est là que le cultivateur foule • aux pieds le genêt éclatant, tandis que d'uiie main il cueille des fruits qui servent à ëtan- clier sa soif et calmer ses besoins. A la gauche du pont de Yaudreuil , l'art veut ennoblir la nature en lui prêtant ses ciseaux , et la conformant à des régularités trop austères. Un vaste château s'y trouve environné de longues et antiques allées qui y aboutissent en tous sens. De hauts frênes composent et dessinent ces co- lonnes, dont le couronnement verdoyant et délié est véritablement imposant. On y cultive la gaude (i) , plante pyramidale , qui donne une teinture jaune-du plus bel éclat, et dont on fait des envois considérables à l'étranger. On remarque dans ces parages des acres de terre plantés de chardons à foulons pour les manufac- tures voisines de drapsd'Elbœuf etde Louviers. On y cultive en plein champ des asperges , arti- chaux, oignons, et autres plantes potagères. On traverse ensuite la forêt du Pont-de-F Arche , plantée de hêtres en grande partie : elle a près de sept mille arpens. Nous repartîmes de Rouen samedi 26 mai, à » ■ . ■"" " ' ' " " ' " '-* (t) Reseda luteola foliis siinplicibus , îanceolatis 5 integris. Linn» 645. B A ■i iill"li ^4 TOYAGES cinq heures du matin (i). C'est une ville assezi mal bâtie , mais bien située , et agréable par ses, promenades publiques 5 intéressante par sou port, où Ton commence à voir des goélettes et autres bâtimens de cabotage. La grande route , en sortant de la ville poiir se rendre au Havre, est plantée de doubles allées d'ormes non élagués. Les campagnes riveraines de la route sont cham- pêtres 5 et offrent de chaque côté un coup d'oeil différent. On voit à gauche de grasses prairies traversées et arrosées par la Seine. De l'autre, une colline très-haute ornée de beaux vergers , de potagers féconds , et d'agréables maisons de plaisance. Nous traversâmes la forêt de la Valette, très- dangereuse par la fréquence des assassinats qui s'y commettent. INous arrivâmes à Barentin , village à quatre lieues au delà de Rouen. 11 est (i) Cette ville, capitale de la Normandie, est la patrie de plusieurs grands hommes, parmi lesquels ou compte Pierre et Thomas Corneille , Jouvenet , Nicolas Lémerj, Eontenelle et autres. On y remarque un pont de bateaux qui s'ouvre pour laisser passer les vaisseaux. C'est auprès de cette ville que sont les eaux minérales de Saint - Paul , à 24 lieues sud - ouest d'Amiens, 68 nord-est de Rennes, 4.2. nord par ouesl d'Orléans, 41 nord-est du Mans, 28 nord-ouest de Pairis, long. 18 deg. 45, 20. Lat. 49 ^^g* ^^3^ 4^'^ D'UN NATURALISTE. ^5 çîlué dans un fond richement boisé, et entouré de collines rapides. On y voit de belles planta- lions de poiriers et pommiers pour le cidre. On cultive dans ce pays, pour prairies artificielles, du trèfle au lieu de sainfoin. On y remarque de belles cochoises, parées avec une propreté qui devroit être enviée du reste de toutes les femmes de la campagne. JNous passâmes dans Yvetot , bourg com- merçant, où se trouvent plusieurs tuileries. Les dehors en sont variés en plantations d'arbres propres à la construction. On y voit beaucoup de cochoises en grand costume , la plupart occu- pées à filer du coton pour les manufactures de Rouen. On échardonne les blés dans ce pays, avec des pinces en bois très-longues , larges et plates à leur base. De jeunes agneaux bondissant près de leur mère , et des génisses suivant à pas lents les vaches qui les ont nourries , font la richesse des propriétaires , et l'ornement des pâtu- rages de ces lieux. Nous y vîmes un nombre pro^ digieux d'élèves. Plus loin , la grande route traverse une futaie de cinq rangs d'arbres de front , de quatre cents toises de longueur, et égale de chaque côté du chemin. Ces voûtes romantiques portent un abri bien précieux pour le voyageur fatigué. Cette chaussée dépend d'un château nommé Nanç-* #* ^n # 26 VOYAGES teau. Les puits ont cent vingt-cinq pieds de profondeur, d'après le rapport d'un ingénieur de la marine qui voyageoit avec nous. Bolbec est traversé par un courant d'eau qui prend sa source près de la grande route. Cette espèce de canal sert à faire tourner les moulins. II est utile également aux teinturiers , tanneurs et manufacturiers d'indienne. Le grand chemin d'Arfleur, village situé à deux lieues du Havre, se trouve dans un creux, entre deux amphithéâtres de maisons de plai- sance parfaitement boisés. Dans ce pays , la plus petite chaumière a son parc qui en dépend. De hautes futaies contournent l'extérieur du do- maine , tandis que les arbres fruitiers sujets à la maraude et au pillage , ornent l'intérieur , et sont attenans à la maison du propriétaire , pour une plus parfaite surveillance. Les maisons y sont bâties en silex concassé , de sorte que le crépis qui les unit ne cachant pas la teinte du caillou 5 il semble voir des murs construits en poudingue. INous approchions du Havre de Grâce , lorsque nous rencontrâmes des voitures chargées de meubles et autres effets , et des groupes d' ha bi- lans qui, fuyant leurs maisons, altoient chercher leur salut dans la fuite. L'enfance et l'adolescence iiiarchant les premiers , avoient, malgré cette jLi D'UN NATURALISTE. ^7 calamité , la physionomie de l'enjouement ; l'âge viril qui les suivoit hâtoit le pas en sanglotant, tandis que les vieillards s'efForçoientde suivre en silence leurs enfans, leurs amis qu'ils ont vu naître. On nous apprit que les Anglais se dispo- soient à bombarder la ville. Le lendemain de mon arrivée au Havre (le dimanche 27 mai 1798) , je sortis l'après-midi pour me transporter sur le rivage cle la mer. Je goûtai son eau pour la première fois. La marée commençoit à remonter , et jeta sur les galets une quantité considérable d'étoiles de mer, de varechs et de fucus, que mes yeux avides convoi-v tèrent bientôt pour ma collection d'histoire na- turelle. Nous aperçûmes à regret que le nombre des vaisseaux de la station anglaise étoit augmenté , ce qui nécessairement devoit prolonger l'em- bargo, et ne permettoit plus d'entrevoir l'époque du départ de deux goélettes anglo-américaines , sur l'une desquelles j'espérois un passage. Je fus consolé de ce contre-tems, lorsque j'appris que le capitaine de la Julienne ne vouloit point révéler aux passagers le lieu de sa destination, et que celui de la Sophie , de peur d'être inquiété par les Anglais, ne vouloit recevoir à son bord que des anglo-américains. Vous n'avez donc qu'un parti à prendre^ continua le commissaire prin- ^8 • VOYAGES cipaldela marine, auquel j'avois été recommande par le ministre, c'est de retourner à Paris, et •d'en repartir pour Bordeaux, oii il \7ient d'ar- river deux vaisseaux neutres qui n'y feront pas long séjour. Cependant, malgré ce nouvel espoir, nous ne pûmes renoncer à celui de nous embar- quer au Havre. Les Anglais -par leur station opiniâtre en la rade, empêchant les courses des pêcheurs, nous ne pûmes manger encore que des limandes et des homards. Je regrettois d'autant plus cette pénurie , que je brûlois d'essayer mon pinceau , dont l'emploi m'avoit été conseillé pour l'in- térêt de mon journal. Je fis, toute la journée du mardi 29 mai, de nouvelles tentatives pour obtenir un passage sur le vaisseau la Sophie ; mais j'eus la douleur de voir mes démarches vaines. Cependant je re- grettai moins ce passage en examinant la Sophie , brick tellement petit et incommode pour les passagers , qu'à peine pouvoit-on se promener sur le pont , tant il étoit embarrassé d'ustensiles propres à la navigation. On m'apprit en outre que nous y serions fort mal nourris pendant la traversée. Quoique tous ces inconvéniens soient supportables pour celui qui aspire au bonheur d'un prompt retour , cependant il fallut se rési- gner, et renoncer à ce nouveau projet. D'UN NATURALISTE. tig Le soir, j^acceptai Foffre qa'on me fit d'as- sister au départ de deux frégates françaises. Je saisis avec empressement ce spectacle nouveau pour moi. Comme on détendoit les voiles , un homme tomba à la mer; déjà on ne le voyoit plus , lorsqu'une embarcation qui vole à son secours le réchappe à l'instant. Je vis avec plaisir la contenance noble et imposante de ces frégates, qui d'abord sortirent lentement des bassins du Havre. Leur démarche encore peu assurée leur faisoit fendre tranquillement et sans résistance Fonde calme et sans écume, qui pressoit molle- ment leurs flancs. Leur mouvement étoit à peine sensible à l'œil, mais bientôt elles arrivèrent en pleine mer, et les flots mu gissans commencèrent à les presser, et à se rassembler en montagnes autour d'elles. Bientôt ces masses énormes , na- guères si tranquilles dans leur mouvement uni- forme , commencèrent à être poussées fortement par le vent, et voguant avec célérité , elles échap- pèrent bientôt aux yeux des nombreux spec- tateurs. On nous dit le lendemain que probablement ces deux frégates avoient été rencontrées par les croiseurs anglais , qui ne quittoient pas les pa- rages voisins ; car on entendit de terre , depuis trois heures du matin jusqu'à neuf, un feu roulant. On ne coanoissoit point epcore les résultats de \ 3o VOYAGES ce combat naval. Curieux de découvrir en pleine mer nos frégates , je dirigeai mes pas vers les phares de la Hêve , et dans mon cbemin je côtoyai la mer agitée. J'aperçus d'abord deux frégates qui sembloient en ramener une au Havre , lors- qu'une bordée de la batterie de terre fit virer les trois bâtimens , qui disparurent en un clin d'oeil , en continuant le feu le mieux nourri jusqu'à, deux heures de l'après-midi , sans qu'on ait pu connoître l'issue de ce nouveau combat. Je revins par un chemin creux très -profond , site romantique en pente tortu euse , étroite et très-sombre. Le soleil ne pouvoit échauffer cet endroit, sans cesse rafraîchi par les fontaines qui en arrosent les bords garnis de divers espèces de géranium et de fougère, dont le feuillage élégant cède avec grâce au souffle du moindre vent. La triste armoise occupe aussi quelques parties de ce terrain , au miHeu duquel on rencontre un donjon bâti sur un mur en ressif, qui se trouve enterré et confondu dans une palissade de sureaux. On arrive par ce chemin enchanteur à Saint- Adresse, village situé à une lieue du Havre, qui s'étend vers la mer, et où l'on rencontre par- tout des fontaines bordées de larges bardannes , de l'élégant arrête-boeuf, de l'odorant marrube, de l'ache ombelHfère et de la mauve purpurine. rÉL D'UN NATURALISTE. 3i Les liabitans de ce pays sont presque tous pêcheurs. Nous apprîmes que les deux belles frégates, à la sortie desquelles j'avois assisté , ayant ren- contré les Anglais 5 se battirent pendant douze heures avec eux. La vaillance éprouvée du capi- taine Peuvrieux 5 qui les conimandoit , fut encore mise à répreuve. Déjà tout couvert de blessures honorables, il réunit à sa grande valeur les qua- lités de bon marin. Il ne voulut pas amener pavillon, mais sa frégate hors de combat, criblée par les boulets et faisant de Teau , fut échouer sur le rivage d'Yves. On nous servit des chevrettes (i) et des or- phies (2) . Ce dernier est un poisson long et étroit , dont l'arête supérieure de la mâchoire , den- telée en scie de même que l'inférieure, est beaucoup plus longue que cette dernière. Ce poisson est très -délicat 5 ses arêtes qui sont en petit nombre sont d'un beau vert d'aiguë marine. L'après-midi, je fis le tour des bassins du Havre avec le commissaire de la marine, qui m'an- nonça que pour la sûreté des vaisseaux neutres , (i) Ou salicoque, ou bouquet; gibba squilla. Petit crustacé de mer, armé d'une grande corne au front. (2) Esoce orphie ; esox bellona. Lacépède, tom. Y, pi. VII, no. I. 3^ VOYAGES et crainte de leur incendie en cas de bombar-» dément , il alloit les faire passer à Honfleur. Cette nouvelle m'affligea ^ parce que le bâtiment sur lequel nous avions le projet de nous embar- quer ëtoit compris dans ce départ. Je me donnai encore toute la soirée beaucoup de mouvement pour assurer notre départ. J'allois de vaisseau en vaisseau accabler de questions ceux qui étoient à bord , puis enfin je repris ma promenade ordinaire vers le rivage. Une flotte anglaise étoit aux prises avec le fort de Savenelle, qu'elle assiégeoit vivement. Le feu qui coni'- menca à six heures du soir se faisoit encore entendre à minuit. Non loin de la rive du Havre , cette belle scène d'horreur étoit contemplée par tous les habitans. Chaque coup sourd du canon , chaque bordée anéantissoit , faisoit pal- piter le cœur des pères, parens et amis, qui, du rivage considérant ce choc impétueux, adressoient des vœux au Ciel pour les combattans qui leur étoient chers. Le lendemain matin , j'allai sur le bord de la mer. Le feu de la veille duroit encore 3 mais nous apprîmes avec satisfaction que le fort avoit, par ses ripostes , fait plus de mal à la station qu'il ne lui en avoit été fait. J'aperçus un vaisseau à trois mâts faisant voile vers le port. C'étoit un bâtiment de la Nouvelle- Angleterre D'UN NATURALISTE. 33 Angleterre , dont on signala le pavillon. On envoya une trentaine de chaloupes pour le haler, car la marée étoit basse. Il venoit de Phila-' delpbie , et il étoit chargé de riz et ^e tabac. J'appris du capitaine kii-méme qu'il étoit adressé à M. Delahaie, négociant au Havre. Il me fixa Fépoque de son départ , mais ne put me dire s'il se chargeroit de passagers. Je conçus donc le projet de m'adresser à M. Delahaie', car ce bâtiment nous convenoit infiniment mieux que les deux autres prêts à mettre à la voile. Ce négociant me laissa dans la même incertitude attachée aux évènemens de guerre. Fatigué du séjour de la ville , je voulus visiter les environs du Havre. Après avoir examiné les remparts que baigne la mer, j^aîlai chercher la solitude vers la côte des Ormeaux , ainsi nommée par la grande quantité d'ormes qu'on y voit s'élever. On aperçoit de cette côte la Seine con- fondre ses eaux douces à l'onde salée de la mer. On y cultive des pommes de terre , non butées comme dans le Gatinais, mais par sillons régu- liers. On les façonne avec une mare à manche très-long, de sorte que les cultivateurs ne tra-^ vaillent point dans cette posture fatigante, insé- parable de la forme raccourcie que l'on pratique dans le Gatinais , où les habitans ont dans leurs travaux le corps courbé jusqu'à terre. T0M]S I. Q M! 34' VOYAGES La côte disposée en plusieurs étages douce- ment inclinés, est formée de diverses galeries.. Dans le bas on remarque des prairies artificielles^ en trèfle, luzerne, entremêlées de pièces de terre en lin , î)lé et plantes légumineuses 5 à mi- €Ôte , se trouvent les portes d^enlrée des parcs qui font la décoration de cet endroit charmant. Dans les galeries supérieures s'élèvent les Mtimens de plaisance élégamment bâtis , et qu'ombra- « leur de cette partie des vers mollusques de rEncyclo-- pédie , par ordre de matières. i ^ '48,' VOYAGES la forme d'un sein coupé net h sa base. Cet ani-* mal s'adhère par cohésion aux pierres et cail- loux les moins en vue, et il y reste ainsi, comme mie plante parasite sur F arbre, aux dépens de qui elle \it, à la différence près que l'anémone ne demeure ainsi implantée que pour y attendre sa proie , dont elle peut se passer pendant deux ans, ainsi que me Fa certifié M. Lefebvre, con- trôleur de la marine en ce pays, qui en a con- servé dans de l'eau de mer pendant ce laps de tems , et qui les en a retirées encore vivantes. L'anémone de mer a une consistance molle et flasque. Quand on la presse , il en sort beau- coup d'eau dont elle tire apparemment toute la partie nutritive. J'en vis de la grosseur du pouce, d'autres infiniment plus grosses. L'anémone au mouvement des vagues se dilate par le sommet de sa convexité , elle s'étend et étale toute sa beauté. Ce que dans les fleurs radiées l'on nomme fleurons y l'anémone les emploie pour saisir la proie dont elle se nourrit : ce sont autant de bras. Enfin, je revins chez mon hôte, après avoir admiré de toute mon ame ces merveilles tous les jours renaissantes , et qui échappent à tant de regards indifférens. Ayant appris d'un passager d'Honfleur, qu^un bâtiment porteur de dépêches, alloit sous quatre jours mettre à la voije pour la Kouvelle- Angle- terre^ D'UN NATURALISTE. 49 terre, et que ses provisions étoient faites, je me présentai chez M. Poupel, commissaire de la marine, pour le prier de mettre à exécution la recommandation que lui avoit faite le ministre de s'intéresser à notre départ. Il me reçut avec son aménité habituelle, mais j'eus la douleur d'apprendre la cessation de ses fonctions. Il est généralement regretté , et lui-même paroît souf- frir de ne plus être utile à sa patrie. Nous nous embarquâmes à onze heures du matin, ma belle -mère et moi, sur le passager d'Honfleur. La mer étoit houleuse, les flots bal- lottés avec impétuosité se blanchissoient , après s'être soulevés et brisés vers le sloupe, qui lais- soit derrière lui un sillon d'écume. On remarque» dans le passage d'Honfleur, qu'à la jonction des eaux de la Seine à celles jde la mer, la majeure partie des passagers éprouvent incontinent des nausées, des maux de cœur, et enfln n'obtiennent de soulagement à l'incommodité qu'on nomme le mal de mer ^ qu'après avoir vomi. Aussitôt les tintemens d'oreilles et les étourdissemens cessent, comme par enchantement. Cette traversée a cela de particulier, que même d'anciens marins naviguant depuis quinze et vingt-ans, et qui ont fut le voyage des Indes sans éprouver aucune incommodité delà mer, se plaignoient aux flots de leur inconstance, qui les rendoit tous malades. Tome ï. j) I So VOYAGES Nous finies cette traversée de trois lieues en mie heure , et descendîmes au Cheval-Blanc , chez, des hôtes très-préYenans.Cetteauberge,recherchée par sa situation , borde la rade, et esi effleurée par les pavillons de tous les bâtimensquiarrÎTentdu Havre à Ronfleur. INous y avions sans cesse le flux et reflux à observer de notre appartement. Que le bruit de ces vagues renaissantes estmajes- tueux ! Souvent séparées l'une de l'autre, elles^ semblent se poursuivre, et voltigent comme des brisous sur le sable, qu'au milieu de l'eau même elles ont laissé à sec il y a quelques heures, pour rejoindre la masse d'eau qui se trouve devant eux. Par une merveille digne de la nature, les t oiseaux aquatiques, tels que les mouettes, goé- lands et autres, profitent des instans où le sable est à découvert pour s'y reposer de la fatigue de leur natation , et faire la chasse aux petits crabes , chevrettes et autres crustacés marins, qui veulent en vain échapper à leurs recherches en s'enseve- lissant dans le sable ; ils ne peuvent se soustraire aux yeux de ces tyrans volatils , qui les dévorent sans pitié. Nous fumes témoins de nos fenêtres d'un spectacle bien intéressant pour les voyageurs , mais dont les répétitions journalières ont émoussé la curiosité des habitans du pays , quoique ce- pendant beaucoup d'entr'eux ne se lussent poln« IHIIII Sï D'UN NATURALISTE. de radmirer. A la marée montante, nous dis- tinguâmes à une très-grande dislance, du côté du Havre, une trentaine de petits points noirs séparés, lesquels, en grossissante leur appro- che , nous furent reconnoître une escadre de barques de pêcheurs poussée avec la rapidité de l'éclair par le torrent des flots de la marée mon- tante. Chacune de ces barques se rendoit a di- verses destinations , mais leur commune habi- tude est de ne point se séparer jusqu^à la hauteur d'Honfleur , d'où la division prend la direction qui lui convient. L'œil à peine pouvoit suivre celte flotille dans sa course légère et précipitée. Notre contemplation fut interrompue par les cris d'un jeune enfant qu'un groupe de peuple fit entrer à l'hôtel. A peine âgée de six ans, ,€ette jolie créature jouoit avec un de ses cama- rades qui le fit tomber à la mer. La peur d'être grondé par son père électrisa les puissances mo- trices de cet enfant, au point qu'il gagna seul sans secours et je ne sais comment , l'escalier de pierre par lequel on descend à bord des bâtimens. Ce jeune enfant étourdi par sa chute, autant que par le concours de spectateurs qui lui fai- solent mille questions à la fois , ne pouvoit s'ex- primer de manière à donner des renseignemens D 2 1 I il m Ml -5^ VOYAGES convenables sur le nom de ses père et mère, lî n'éloit connu de personne , cependant il n'excita pas moins la compassion de nos hôtes , qui lui prodiguèrent les soins les plus désintéressés. Ils fermèrent les portes 5 de peur que personne n'entrât et ne fut témoin de leur bonne œuvre, qu'ils disoient eux-mêmes n'être qu'un devoir bien doux. Us firent allumer un grand feu pour réchauffer l'enfant transi et tout mouillé. Ils le changèrent de vêtement : le linge le plus blanc fut choisi. On lui fit avaler du vin chaud avec beaucoup de peine , car il avoit perdu connois- sance 5 puis , à force de questions faites aux voisins , l'enfant fut reconnu. Nos hôtes allèrent préparer la mère sur cet événement, afni qu'elle ne grondât pas son fds sur-le-champ , de peur d'une nouvelle révolution qui pourroit avoir des suites funestes. Cependant , grâces aux soins qui lui furent prodigués , le petit espiègle qui avoit avalé beaucoup d'eau de mer , la vomit heureusement après avoir pris le vin chaud. 11 est inutile de dépeindre la situation de la mère , qui vint a la rencontre de son enfant. Tremblante et en sanglotant, quoiqu'assurée que son fils avoit échappé au danger, elle embrassa avec transport l'être foible que Dieu lui avoit conservé si miraculeusement j et après avoir D'UN NATURALISTE. 53 comblé de remercîmens les hôtes qui s'en défen- doient, celte bonne mère partit avec son enfant bien enveloppé dans une couverture. Ayant appris dans la journée que le capitaine que nous cherchions nous avoit croisé , et qu'il ^ étoit au Havre pour vingt-quatre heures, nous prîmes le parti de l'attendre; et pour charmer notre ennui, nous allâmes l'après-dîner admirer les beautés de la côte de Grâce , ainsi appelée ^ parce qu'à son sommet est établie une chapelle célèbre dans le pays par l'affluence de voyageurs qu'elle attire des quatre coins de la terre. Elle est vouée à Notre-Dame de Grâces. Tous les marins après de longs voyages, ou hors des nau- frages auxquels ils ont échappé, viennent rem- pHr leur vœu aux pieds de la mère du Rédempteur du monde. Quelques jours auparavant , il étoit venu un matelot qui , seul ayant échappé d'une manière miraculeuse à un naufrage certain , en se vouant au moment de l'immersion de son vaisseau à Notre-Dame de Grâces , pmmit d'aller en pèlerinage visiter les lieux qui lui sont con- sacrés , si par sa puissante intercession il oblenoit de l'Arbitre des destins une existence dont ses compagnons étoient déjà privés. Cet homme , sévère observateur d'un vœu si solennel, fit à pieds cinq cents lieues pour l'accomplir, et con- sacra le souvenir de sa délivrance par un tableaii. I 'il IiTttc "'^ZZi 54 VOYAGES historique qu'il plaça à la suite de tant cVantres qui en font F ornement. On fait beaucoup de dentelles à Honfleur. Toutes les femmes y sont occupées la majeure partie du jour j les unes se servent de tambours , d'autres de grosses peîottes qu'elles tiennent sur leurs genoux. Nous allâmes à bord du brick la Sopbia , où nous trouvâmes le capitaine qui nous y attendoit^ et nous proposa un thé avec beaucoup d'ins- tances. 11 nous reçut avec une affabilité peu com- mune aux anglo-américains, et nous fit l'offre de sa complaisance pendant la traversée , si le consul consentoit à ce qu'il nous prit à son bord. INous voguâmes donc encore sur les flots de l'incertitude. Les pêcheurs inquiétés dans leurs sorties par îes bâtimens de la station anglaise , laissoient les marchés dans une pénurie désolante. Cepen- dant , comme voyageur curieux , je m'aperçus qu'il est un moyen d'oublier la disette, et j'usai du grand mobile pour satisfaire ma fantaisie. Soudain , je vis arriver turbot (i) , truite saumo- (i) Ou Rhombe , Pleiironectes maximus , Linn ; Pleiironectes oculis sinistris , corpore aspero , Arted. , Gronov. 5 Rhombus maximus asper , non squamosus , "Willughb. : en Angleterre, Turbot et Bretj et dans la ISÎormandie, Bertouneau, suivant Valmont Bomare. £^ D^UN NATURALISTE. 55 iié^; (i), éperlans (2), soles (3) , huîtres et clie- vrettes. La volaille à Honfleury est hors de prix : nous y bûmes de très-mauvais cidre qu'on nous servit, je crois , pour nous forcer à demander du. vin vieux de Bordeaux , qui coûte beaucoup plus cher, et qui par conséquent remplissoit mieux les vues de l'hôte. Les fruits y sont délicieux. Rien n'égale le parfum de ceux récollés sur les côtes , et qui y reçoivent l'action bienfaisante des rayons du soleil. Les abricots qu'on nous servit éloient d'une saveur incomparablement plus délicate et plus embaumée que ceux trop vantés de Paris et de Montreuii taéme. On me donna des graines de melons. On sait (i) Salmo laciistris, Lin.; salnio caudâ bifurcâ , inaculis solum nigris , sulco longitudinali venlris , Arted. ; salmo caudâ sub bifurcâ , maxillis cequalibus , jateribus et capite maculis minulis , nigris crebiis , Gronov. ; Trutla lacustris , Jonston , Willughb; Trulta salmonata ; Parvus salmo , Charl. ; Trutta dentata , dorso et capite diliitè ex viridi caerulescentibus, ma- culis nigris undique et in pinnâ adiposâ adspersa , Klein : en Angleterre, Salmon - Trout 5 en Aiie- magne , Torel. (2) Osmerus eperlanus. (3) Pleuronectes solea, Linn. Pleuronectes maxiliâ superiore longiore , oculis à sinistrâ , corpore oblongo , squamis ulrinque asperis , Arted. ; Buglossusseu solea ^ Willughb. 3 etc. D i 56 VOYAGES que ces productions d'Hoiifleiir jouissent d'une haute réputation , et elle est bien acquise. L'air pur qui alimente leur végétation donne à ces fruits une supériorité à laquelle ne peuvent pas prétendre ceux venus dans les clapiers des envi- rons de la Capitale. Je vis chez M. Lelievre , an- cien capitaine de vaisseau , un de ces melons pe- sant trente-deux livres 5 il étoit savoureux et exquis ; quelques-uns de cette grosseur , néan- moins rare, furent vendus jusqu'à trois louis, et de suite dépêchés pour la Capitale. Le prix com- mun des melons ordinaires est depuis trois jus- qu'à six et sept francs, mais j'ai eu occasion d'observer que les petits, toutes proportions gardées, sont d'une qualité inférieure à ceux d'une plus belle espèce. Nous repartîmes pour' le Havre le 23 juin^ après une résidence de trois jours à Ronfleur 5 nous profitâmes de la marée de cinq heures du matin, espérant avoir plus de fraîcheur dans notre traversée , mais elle fut longue et ennuyeuse par les fréquentes bordées qu'il fallut courir j en un mot, le vent devint si contraire que nous louvoyâmes pendant trois heures devant la rade, sans pouvoir entrer. Je fus reçu avec beaucoup d'égards par le jiouveau commissaire de la marine, à qui j'allai faire ma visite et présenter mes félicitations. H ^UÊà D'UN ÏSfATURALISTE. 5y m'engaga à aller voir le contrôleur de ce corps, chez lequel j'aurois 5 me dit-il, à examiner un assez beau cabinet d'histoire naturelle. Je me présentai donc , sous les auspices de M. Leroi , chez M. Lefebvre. Combien nous appréciâmes ensemble les charmes irrésistibles de l'histoire naturelle, superbe science, lorsqu'elle ramène le contemplateur à la source de ces merveilles , autant qu'elle est futile lorsqu'on la restreint à classer, d'après des systèmes connu s et combattus, les échantillons des chefs-d'œuvres de la nature, dont l'être qui réfléchit ne peut et ne doit voir la pompeuse structure, qu'en versant des larmes d'admiration et de reconnoissance. Le cabinet fut ouvert, et M. Lefebvre com- mença sa démonstration par la conchyliologie» 11 me présenta quelques coquillages assez rares, tels que le scalata (i) , l'œuf (2) , la griffe , espèce de bénitier de Saint-Sulpice (3) , le râteau des îles (i) Coquille imivalve de la famille des vis. Elle est composée de sept spirales , ou orbes. Les petites sont communes dans le Golfe adriatique, dit M. Dargen- viile ; aussi ces coquillages rares, parce que les Indiens les recherchent pour leurs ornemens les plus précieux, ne sont-ils estimés que quand ils ont plus d'un pouce de hauteur. (2) Testacé du genre des porcelaines. (5) Coquille de la famille des Peignes. w 58 VOYAGES Scechelles (i),lemarteau (2), la couronne d'Ethio- pie, etc. Les madrépores y sont en petit nombre , mais bien conservés 5 j'y remarquai un superbe pinceau (3) , un très-bel abrotanoïde, le millet (4) , d'assez belles pétrifications , quelques reptiles , tels que crocodile, caïman, le serpent devin, €t un caméléon conservé dans l'esprit-de-vin ; j'y trouvai aussi un groupe d'oiseaux, parmi les- quels se voyoient une frégate (5) , de petites perruches, le jaseur de Bohême (6), un courli rouge d'Amérique (7). J'examinai aussi une très-belle pointe de Narval, et quelques poissons de mer , tels que le coffre triangulaire (8) , la courte-épine (9), la lune (10), la baudroie (i) Coquille bivalve du genre des huîtres. (2) Ostreum mallei forme , espèce d'huitre appelée Crucifix par les Hollandais. (3) Penicillus marinus, zoophite ressemblant en quelque sorte aux pinceaux des peintres. (4) Madrépore. (5) Hirundo marina major; apus rostro adunco 5 Barr. (6) Garrulus boëmicus. (7) Ou flamand. (8) Ostracion tricornis. (9) Diodon Attinga, Linné. (10) Tetraodon iriola, Linné. D'UN NATUHALÏSTE. . Sij petile (i), le long nez, espèce de requin (2) ; M. Lefebvre possède siirloiit beaucoup de plu- miers et d'habillemens de sauvages , ainsi que des carquois , et leurs flèches empoisonnées. Ce naturaliste venoit de recevoir une collec- tion de peaux d'oiseaux de l'île de la Trinité, ainsi que des insectes et de fort beaux papillons. La richesse des couleurs de ces derniers renou- velle mon admiration pour ces merveilles si com- munes dans la nature. Qu'il est beau de voir qu'une poussière aussi subtile que celle qui re- couvre les ailes transparentes et friables de ces légers volatils, soit susceptible de se maintenir ainsi rangée par nuances; et que des atomes aussi délicats soient revêtus d'un coloris aussi cons- tant dans les espèces qu'il est élégant, tandis qu'au moindre contact tout est confondu , et que les figures , naguères agréables par la diversité de leurs couleurs, rentrent en un instant dans le néant d'où Dieu les a tirés ! Je reconnus beaucoup de papillons semblables à ceux de France , tels que celui du chou , du navet, le nacré, la belle- dame, la petite-tortue, (i) Tachée, Lophius ITIstrio, Linné. (2) Espèce de chîen de mer, qui a pour caraclère tme nageoire derrière l'anus , sans avoir les trous dCvS lempes , et an pli de chaque côté de la queue. I €o VOYAGES le citron , etc. Dans les scarabées , j'y relroii^/ai î@ monocéros , le bupreste , le dermeste , le scorpion , les scolopendres et les capricornes, etc. Dans les quadrupèdes je remarquai un paresseux (r), et dans les cétacés un très-beau priape de baleine. M. Lefebvre remit à un autre jour l'inspection des oiseaux qu'il venoit de recevoir, parce que les caisses n'étoient point déballées. J'allai déjeûner chez un Hambourgeois , M. Randon de Lucenay, que j'avois rencontré en loge, et qui voulut bien m'offrir des lettres de re- commandation pour Philadelphie. Il accomplit sa promesse avec une latitude bien généreuse, puis- que , sans me connoître , il marquoit au négociant auquel il m'adressoit, de m'avancer les fonds dont je pourrois avoir besoin , et que dès ce mo- ment il les regardoit comme avenus pour son compte. Ce procédé délicat est commun aux amis de notre ordre, et j'ai eu occasion pendant mes voyages de me féliciter plus d'une fois de &ire partie de cette respectable association. * On nous servit un breuvage très-agréable , et dont M. Randon de Lucenay me donna la com- (i) C'est un antropomorphe , ou animal à figure humaine. On divise ces animaux en didactyles, c'est à dire , pourvus de deux doigts; en tridactyles , et pentadactjles 3 ou pourvus de trois ou cinq. ^ D'UN NATURALISTE. Gi poslùon que voici : dans une pinle d'eau bouil- Jante, on jeile un quarteron environ de graines d'hieble (i) et autant de sucre. L'infusion bien combinée, on passe le tout au travers d'un linge, avec expression , et l'on obtient de ce mélange un snop pourpre qu'on laisse refroidir , et auquel on ajoute une demi-bouteille de vin de Bordeaux. On trempe des rôties de pain dans ce breuvage , que je trouvai très-bon. La jeune femme, M"^« . Ptandon de Lucenay , afin d'ajouter encore à la bonne ré- ception de son mari, sortit avec lui dans le par- terre, pour m'y composer suivant l'usage de leur pays , malgré l'ardeur du soleil, un bouquet qu'ils vinrent m'offrir. Je sortis confus de toutes leurs lionnêtetés. Je fus le lendemain matin chez M. Lefebvre, qui m'avoit attendu pour faire l'ouverture de sa caisse. Le premier oiseau qui frappa ma vue, me rappela la richesse des moyens du Créateur. Ce- toit un colibri d'une très-petite taille , et babillé des plus vives couleurs. Quel merveille que ce plumage! quel vernis inaltérable recouvre ces pennes dorées ! quels reflets cliatoyans, quelles ondulations diverses! On ne distingue point dans cet assemblage le composé des couleurs. Celui <^ui les implanta dès leur état de molécules orga- (^) Sambucus Ebulus. Linn. 585, I .6-2 YOYAGES .niques, n'a point recours à la moîelle , et à Fessai des nuances. Le vernis qui donne un cciat si bril- lant aux plumes de toutes couleurs {yersi colores) de ces oiseaux charmans, n'a point à redouter qu'une sécheresse l'écaillé, que l'humidité le dé- truise, n'en altère l'éclat, ou que le froissement divise ce qui est inséparable. 11 n'est aucune pré- paration humaine qui puisse rendre à la vue le velouté scintillant de la gorge de cet oiseau , où se trouvent réunislatopase, le rubis, l'hyacinthe, i'émeraude et le saphir. Je vis un autre oiseau , doot le blanc pur du plumage n'est altéré que par une étroite ligne noire qui sert de cravate à l'oiseau. C'étoit un crabier de petite espèce , dont la grosseur est celle de notre pluvier 5 ses pattes et son bec sont d'un rose vif. M. Lefebvre développa ensuite des gorges de gros-bec. Quelle belle réunion de couleurs dis- tinctes! Ce ne sont plus, comme dans le com- posé du colibri , des reflets chatoyans et irisés. Le génie fécond du Créateur est trop incommen- surable pour ne pas se multiplier à l'infini. Ce, sont des touffes de plumes qui présentent des taches de diverses teintes éclatantes. On y voit briller successivement le noir de jayet près le blanc éblouissant, à côté du jaune vif, puis une trace orangée bordant la tache plus foncée^ ^^jSÊk D'UN NATURALISTE. • 63 Cniin le rouge de feu couronnant cette réunion magnifique et inimitable. M. Lefebvre passa à une infinité d'autres es- pèces toutes différentes. Les oiseaux de proie , tyrans du foible , sont parés de couleurs sombres , et repoussent bientôt les regards qui préfèrent le doux éclat de Finnocence; il semble qu'on soit plus intéressé à la vue de leurs victimes. J'assistai l'après-midi à une pêche du rivage bien intéressante pour l'observateur déiste. Lorsque , deux fois le jour , la marée se retire ^ elle laisse sur le sable à découvert ou dans les interstices de rocs caverneux , des coquillages qui n'ont pu être entraînés par le reflux , ô Sa- gesse infinie ! ô libéralité journalière ! c'est là que les liabitans pauvres des ports de mer vienuvent réclamer de l'Auteur de la nature une subsistance , dont l'étonnant bienfait n'a jamais été interrompu. Ce Père des pères ordonne aux flots de jeter deux fois le jour , et repousser loin d'eux homards^ crevettes, crabes , étrilles , tour- teaux 5 poissons , etc. , qu'il destine à ceux de ses enfans accablés d'indigence. Forcée d'obéir à la voix de son puissant maître, la mer parsème exactement ses rivages. On voit des familles entières marquées au coin de Finfortune, attendre leur repas d'un reflux secourable , et trouver i£3 VOYAGES dans ces lieux une nourriture qu'elles n'ont qu'à ramasser. u D'autres font une cueillette de varecbs , qu'ils brûlent pour obtenir des cendres le sel de soude. En visitant la fourrée d'un pêcheur occupé a ramasser le produit du reflux , il m'offrit un animal très-singulier par sa forme, et féroce par ses mœurs. Tyran de la rocaille, il est l'effroi des homards, crabes, etc., et en détruit une grande quantité par la succion. C'est une espèce de séclie, qu'on appelle vulgairement cha- trouïlle (i). [Planche II.] Cet animal est d'une consistance semblable à celle de la raie , c'est à dire , charnue et cartila- gineuse. Sa tête est armée de huit ramifications (i) C'est le poulpe 5 Octopus, dont M. De Lamarck donne l'analyse suivante : Corps charnu , obtus infé- rîeurement , osselet dorsal, très-petit, corps contenu dans un sac non ailé ; bouche terminale faite en bec de perroquet , et entourée de huit bras égaux munis de ventouses sessiles et sans griffes. Le poulpe donne ainsi que le calmar , loligo , dont le corps est pourvu de membranes ou ailes , une liqueur noire qu'il lance contre ses ennemis. II rejette aussi une humeur rouge qui lui donne cette couleur lors- qu'il est cuit , ce qui arrive en cet état à tous les poissons mous. 4 qui .< j . p. 6^4 Pouliie Octopus , a/y)e/^e' mt/(/airefne/itÇ\\A^^oxn]lo au Ifavrtt^ . f ^:..ji^ gf A V.J JU D'UN NATURALISTE. 65 qui lui servent de bras pour s'emparer de sa proie. Ses yeux sont saillans , et sa bouche est remplacée par des cavités multipliées au long de ses bras, au moyen desquelles il opère une suc- cion parfaite , et fait arriver , par des canaux appropriés, le sang que doit élaborer son esto- mac. Ses viscères sont renfermés dans une poche qui elle-même est contenue , et roule dans une autre qui lui sert de tégument extérieur. La chatr ouille est très-irrascible , et sait se veno^er de ses agresseurs j c'est pourquoi , lorsqu'on l'inquiète, et qu'elle se voit dans l'impossibilité de se soustraire aux agaceries de son persécuteur elle lui témoigne son désir de vengeance , en lui lançant avec vivacité une matière noire sem- blable à l'encre, et qui peut même, au besoin, y suppléer (i) ; mais je le répète, ce n'est qu'à la dernière extrémité que la clxatrouille emploie ce moyen de défense. La chatrouille nage avec une agilité éton- nante, à l'aide de ses huit bras , ce qui la rend difficile à être saisie dans l'eau. Il est dangereux de se baigner dans les parages qu'elle fréquente , (i) C'est de cette liqueur qu'on obtient la sepia , couleur noirâtre qu'on met , particulièrement à Rome , en bâtons comme l'encre de la Chine , et qui est plus douce à la vue. Tome I. E I 01 06 TOYAGES car elle est prompte à saisir une jambe , et a y eommeiicer une succion qui affoiblit prompte- ment. 11 est difficile de s'en débarrasser lorsque- l'adhésion de cohésion est établie, à moins d'in- terrompre Feffet du vide en la coupant en deux. M. l'abbé Dicquemarre, célèbre naturaliste du Havre , entendit un jour de foibles cris en se promenant vers le rivage ; il court au bruit , et aperçoit un enfant ceint par un de ces animaux , et dont il ne pouvoit se débarrasser. Les pêcheurs ont soin de les tuer, à mesure qu'ils les ren- contrent^ car ils font une grande consommatioii de coquillages, et diminuent sensiblement la récolte de ces journaliers. . . je fis, le mardi 17 juillet, connoissance avec deux jeunes gens , amateurs des beaux arts. L'un, M. Yillain , arrivoit d'une expédition aux îles TénérifFe, la Trinité, Saint - Thomas et Puer- torico , dirigée et sous les ordres du capitaine Baudin. M. Yillain avoit accompagné plusieurs naturalistes , envoyés par le gouvernement pour • recueillir les productions naturelles de ces pays, et fournir à leur retour des observations utiles. Le second , M. Poulet , fils d'un armateur du Havre , digne du beau nom d'ami, et qui, à des talens distin gués en peinture et musique , joignoit vn bon cœur , et surtout une modestie rare. Comnie je m'étois proposé d'enrichir à moft L. "^W D'UN NATURALISTE. 67 retour mes cabinets d'histoire naturelle de pro- ductions recueillies dans mes voyages , et de costumes annexés à mes journaux , M. Poulet voulut bien guider au kvis mes pinceaux encore novices, tandis que M. VilJain perfectioilha en moi i'art d'empailler les oiseaux. 11 se servoit d'une pommade conservatrice , dont l'usage étoit dan-^ . gereux par les poisons subtils qui eîi font le composé ; je la remplaçai donc par une autre que j'imaginai , et dont j'obtins les plus heureux résultats -, la voici : Pommade conservatrice Four tout corps corruptible du règne animal Huile essentielle de térébenthine . . . | I. Huile d'olive 2 y Chaux vive en poudre ^ y^ Sel d'alun en poudre subtile ...... ^ ly. Camphre dissous in alcohol. ...... 5 ly. Aloës succotrin z y Herbes aromatiques en poudre subtile. Pug. L J^avois des chances à courir, des pertes à essuyer. Je pouvois être réduit h interrompre ma collection par la pénurie d'objets nécessaires. Le besoin éveille le génie, et ne pouvant me procurer au Havre des yeux d'émail pour les oiseaux que je me proposois d'empailler^ je crus E 1 1 i es VOYAGES devoir les remplacer par d'autres, exécutes an moyen de cire à cacheter de diverses couleurs-. Par exemple , pour obtenir les yeux du crabier, on présente une épingle à un bâton de cire jaune, enflammée, au feu d'une bougie, et non d'une chandelle qui la noirciroit ; on en détache assez, pour avoir une masse de la grosseur de l'oeil qu'on veut imiter. Cette pâte arrondie se , forme d'elle-même, ayant soin de tourner dou- cement l'épingle entre ses doigts dans le sens horizontal. Lorsque le globe a acquis sa perfec- tion , on le laisse refroidir 5 après quoi, on ajoute un point de cire noire dans le milieu de l'orbite. Cette goutte résineuse se convexe d'elle-même , et imite parfaitement la visière de l'oeil de l'oi- seau. Cet œil achevé, on retourne l'épingle, et on en fait autant à l'autre extrémité; après quoi, on coupe le laiton par le milieu, et on a une paire d'yeux. Quant aux yeux d'une seule couleur , on se contente d'enduire l'épingle de cire noire de la grosseur d'un grain de chenevis. On présente près de la flamme de la bougie cette petite sphère, qui par la chaleur s'arrondit, pourvu qu'on tourne un peu l'épingle entre ses doigts, et qu'on la plonge aussitôt dans un verre d'eau froide qui conserve sa forme, en fixant et resserrant toutes ses parties. D'UN NATURALISTE. 69 La journée du 20 juillet fut consacrée à faire une partie de chasse avec M. Randon dé Lu- cenay. Nous côtoyâmes la mer jusques à Arfleur, qui est distant du Havre de sept quarts de lieue. Nous étions à la poursuite d'oiseaux de mer, lorsqu'il nous arriva une singulière aventure. Fatigués de l'excessive chaleur, et apercevant un bâtiment assez considérable que nous prîmes pour une auberge , nous résolûmes d'y faire halte , et de nous y rafraîchir. Ce bâtiment étoit un magasin à poudre, dans lequel la sentinelle commit l'imprudence de nous laisser pénétrer, armés de nos fusils. A peine , en présence du chef du poste, on s'empara de nous, et l'on nous désarma, comme agens de la station anglaise. Cependant, ne voulant point être plus long-teras en butte aux menaces de nos gardiens , je dé- ployai mon sauf-conduit et ma commission , à la faveur desquels on nous rendit la liberté , après nous avoir accordé des rafraîchissemens , et blâmé de notre imprudence. En retournant au Havre , la marée étant basse , nous trouvâmes beaucoup de hérons. J'en tuai un , et plusieurs alouettes de mer qu'on ren- contre par bandes sur le bord des ruisseaux , dans les prairies voisines du rivage. Je montai le soir à la côte d'Egouville , et me présentai à la maison de campagne de M. Poulet E 3 •o VOYAGES où j'eus l'honneur de faire connoissance avec le père, autant respectable par son âge , qu'esti- mable par sa sévère moralité. Je fus touché de l'union qui rapproche sans cesse l'un de l'autre les cinq enfans. Les deux frères étant musiciens, non s fîmes quelques trios, après l'exécution des- quels on proposa une promenade dans l'intérieur du. jardin. Cette habitation, agréable par son antique verdure et ses couverts sombres , est .embellie à une des extrémités par un, pavillon d'été, qui sert de salle de lecture et de concert. Il est hexagone, et domine la rade, de manière à en former le plus commode observatoire pour le peintre et le marin. Après avoir admiré de très - beaux dessins faits par M. Poulet fds aîné, je me disposai à des- cendre la côte, mais ce fut en vain que je voulus partir seul 5 MM. Poulet père et fds, en me com- blant d'amitiés, vinrent me reconduire jusques à moitié chemin , précisément au coup de canon de retraite delà station anglaise. On sait que c'est un usage pratiqué par les marins en station , de tirer un coup de canon au lever et au coucher du soleil. En saluant l'aurore, il semble indiquer l'heure du travail, comme à l'approche delà nuit il annonce un repos prochain. Le samedi 4 août , M. Poulet fds aîné , étant venu nous inviter de la part de son père à aller iL:&AB D'UN INATUÎIALISTE. ^r >«llH€rle lendemain à la côte, j'aljai le reconduire j ^t nous nous égarâmes le long du rivage , où pour- tant je rencoîitr^îi un pécheur à qui j'aclieiai, moyennant une somme très-modique, unassez bel esturgeon , ainsi qu^in turbot et des craljes, JXous ramassâmes ensuite des étoilescle mer, des lépas, à la faveur de la marée basse, ainsi que des pyrites martiales cloisonnées de la plus grande beauté, de même que l'espèce de ludus beJmon- îii (i). Je revins, chargé de trésors précieux pour le naturaliste contemplateur. Le dimanche matin 5 août, nous montâmes la €Ôle d'Egouville pour aller dîner chez M. Poulet ^ dont 1^ campagne solitaire offre les points de "vue les plus pittoresques. On nous reçut dans, le Kiost, d'où, l'on découvre la pleine mer à .très- peu de distance. INous restâmes long-tems à con- sidérer cette immense étendue qui suit tous les jours les ordres de la nature, et jamais ne passe les limites qui lui ont été fixées. Nous admi- aâmes cet élément terrible et redoutable pou r l'être malheureux qui se prive spontanément du bon- heur de mettre toute sa confiance en celui qui ne trompe que par des Inenfîj^its. (i) Pierre pesante, ordinairement caicaire, traversée de cloisons spatheuses , pyriteuses ou séléniteuses ^ ce qui lui donne une surface composée d'angles et d@ compartimens polygones. E 4 VOYAGES Nous fumes reçus comme nous Pavions de- mande, avec amitié et franchise, et point avec cette fastueuse cérémonie qui altère le plaisir d'être à la campagne. Le bon papa M. Poulet , vêtu selon la saison , nous montra son petit do- maine qui réunit Futile à l'agréable. On y voit, au milieu d'épaisses charmilles qui établissent un double mur de clôture , de longues allées de pom- miers très-touifus dont on obtient le cidre, et qui par la réunion de leur cime donnent beaucoup d'ombre. C'est au centre, sur des tapis de gazon ^ qu'on voit paître la vache de la maison. Plus loin , c'est une bande de cannetons qui s'éloignent de leur vivier, pour aller paître la verdure. Au bout de chaque allée de poiriers , on pénètre dans de très-jolies tonnelles de charmilles consacrées à l'amitié, à la lecture ou à la méditation. Elles sont si inaccessibles aux rayons du soleil , et même à lagrande clarté du jour , qu'on y prend souvent , entre famille, des repas frugaux et champêtres. Le nôtre fut très-agréable par l'union des cinq enfans qui ont entp'eux , jusque dans la moindre chose, les prévenances de la plus pure amitié. On oublie jusqu'à l'âge du père et de la mère, qu'on y voit avec sensibilité folâtrer avec leurs chers enfans. Le lendemain, nous passâmes l'après-midi à Honfleur^ M. Charles Poulet fils aîné et moi j il ^X^ D'UN NATURALISTE. 73 me présenta chez M. Lelievre, commandant anciennement les bâtimens de son père, qui nous reçut avec affabilité. Il nous lit voir avant le souper ses melonnières , desquelles il fait une assez belle spéculation par sa correspondance avec la Capitale. Nous repartîmes le vendredi matin, après avoir pris plusieurs vues de Honfleur (i). Nous eûmes à notre retour à dîner la famille Poulet, à qui nous ménagions le coup d'oeil d'une joute qui eut lieu sous nos fenêtres. Au milieu de frégates couvertes d'un peuple immense , on ouvrit dans le bassin une joute entre six bateaux destinés à rivaliser entr'eux de vîtesse dans un trajet à parcourir. Les nacelles deux par deux , et élégamment ornées , voguoient sous l'effort de six vaillans rameurs vêtus de blanc , et ceints d'écbarpes de laine écarlate. Le but de la joute étoit de doubler, dans l'impétuosité de la course , un arc de triomphe posé au milieu du bassin, sur deux bateaux. Les aspirans étoient encouragés par une musique guerrière qui stimuloit leur ardeur. Le signal du départ étoit annoncé par un coup de canon. La colonne d'air à peine ébranlée , on voyoit dans chaque nacelle six rameurs brusquer à l'envi (i) Je ne puis les ajouter à ce recueil^ elles ont élé brûlées à Saint-Domingue. i 74 VOYAGES leur mouvement unanime, ayant à leur tête un patron commandant, muni d'une lance garniede rubans, et près de lui, le porte-étendart. Il étoit permis aux patrons de heurter les barques de leurs lances, et d'entraver par ce choc leur marche rapide. Les vainqueurs furent reçus avec joie et ap- plaudisemens ; et parés des prix qui leur avoient été décernés, ils passèrent au milieu d'un cortège nombreux, au bruit des fanfares et des salves d'artillerie. INous vîmes lancer la frégate la Yaîeureuse. Dégagée à coups de hache du Ber qui la rete- ïioit,elle entr'ouvrit majestueusement Fonde du bassin , qui frémissoit et écumoit en blanchissant sous son pesant fardeau. J'observai près de là avec intérêt l'inslinct merveilleux d'un chien barbet, qui a su profiter des soins donnés à son éducation. Un maître couvreur, ayant besoin d'un outil qui étoit aubas d'une échelle très-haute, envova son chien lui chercher. Cet animal intelligent le rapporta , en montant les échelons avec rapidité. Le samedi i8 août, la famille Poulet nous proposa une partie d'Honfleur, qui fut acceptée. [Notre traversée fut très-courte et fort heureuse , quant aux influences de la navigation sur nos tempéramens. Nous fumes reçus chez M. Le- Jk. \ étBtÊ D'UN NATURALISTE. 7^ ]ievre, dont j'ai déjà parlé avec celte afFabilité iialurelle à l'iiomme de bien , franc et loyal. On eut pour nous toutes sortes de bontés , et pour nous dédommager de la privation de chasse im- posée par une défense récente, on forma le projet, pour le lendemain, d'un repas cham- pêtre au milieu d'un verger. Le soir, en visitant le jardin , je fus puni de ma curiosité qui me porta à faire la dégustation des baies du bois Gentil (i). Leur saveur acre et caustique me causa une cuisson semblable à celle produite par le poivre de Guinée. Cette exaspération dure l'espace de douze heures. Le dimanche 19 août, nouspartîmes de grand matin, comme il est d'usage dans une partie de campagne, afin de jouir des agrémens que la sim- plicité y fait éclorre , et qui sont les délices de l'homme simple. Notre marche étoit imposante par la quantité de personnes composant notre petite caravane. (i) Daphne mezereum. , Linné 609. Cet arbuste donne des baies ovales semblables à celles du myrte ^ mais contenant un suc très-caustique : elles rougissent en mûrissant. Prises à l'intérieur, elles causent de^ douleurs d'entrailles insupportables, accompagnées de diarrhées. On les emploie dans les appâts qu'on destine à la destruction des bêtes puantes 5 et , par un des phé- nomènes de la nature, les oiseaux qui en mangent n'en sont point incommodés. 76 YOYAGES L'avant - garde, à l'instar d^une partie de la société , montée sur l'animal sobre et honteux , ou sur des chevaux, s'étant munie de parasols pour afFoiblir la réverbération d'un soleil brû- lant, suivoit ainsi que les autres la montagne, non sans fatigue, mais qui étoit oubliée par Tes- •poir d'un plaisir complet. L'alégresse accompagnoit ks héros de cette fête. Nous trouvâmes, chemin faisant, des sites délicieux dont nous prenions les croquis, enfin une route si champêtre, si isolée, qu'Honfleur et ses environs peuvent être regardés comme le pays du peintre et de l'homme de goût. Nous arrivâmes à la cour de la ferme (i) par des chemins si sombres , que nous y ressentîmes de la fraîcheur, malgré la grande chaleur du jour, et tant silencieux que le calme, qui les fait rechercher par tout être sensible , n^étoit interrompu que par les cris joyeux de la caval- cade et des piétons. Une table simple , quelques bancs placés près d'une chaumière au milieu de la cour , et sous le couvert d'énormes pommiers peu élevés , et dont les branches chargées de fruits se recour- (i) C'est ainsi qu'on appelle les vergers clos de haies , au milieu desquels se trouvent çà et là de rus- 1 ■ i 'i liq 1 ues ciiaumieres. \ ïrv 1 0 il . L^ iaL D'UN NATURALISTE. 77 boient vers la terre , furent les premiers prépa- ratifs de notre délicieux repas. Quelques pièces froides , l'amitié cpii les présentoit, la contrainte qui *n étoit bannie , toutçs ces prérogatives attachées au séjour des chamjHs , ajoutoient en- core au doux plaisir de se voir réunis. Chaque convive , de sa place et sans même se tenir debout 5 pouvoit cueillir des fruits au dessus de sa tête. Ce qui rendoit cette halte plus intéres- sante encore , et rapprochoit ce repas de celui de r homme naturel , c'est qu'à quelques pas de nous 5 on voyoit chevaux , boeufs , moutons , les uns étendus sur l'herbe , les autres la broutant , et autour d'eux, pêle-mêle, des outils ara- toires. Yoilà de véritables fêtes champêtres, et non point celles parisiennes , qui n'en ont le nom que parce qu'on y trouve quelques guir- landes de verdure , mais régularisées par l'art ^ et dépourvues des grâces de la nature.^ La gaieté et la simplicité des assistans attirèrent bientôt autour de nous la lourde génisse et sa mère ; les oiseaux domestiques , le dinde et ses petits ramassoient avec soin les miettes de pain , tandis que de jeunes porcs accouroient en bon- dissant entr'eux, et se disputant les débris de notre table. Ce spectacle où l'homme corrompu ne sait trouver rien de charmant, étoit délicieux pour moi, et parfaitement conforme à mes goûts» 78 VOYAGES Deux enfans du fermier égayèrent la couver^ sa lion par leurs saillies naturelles. Je pensois, ô mon fils y au premier langage de ton enfance ! Quelques partie^ de barres , un peu d^ mu- sique que nous fîmes sur le gazon en nous servant pour pupitres du corps des {t)mmiers , alloîent terminer la fête , lorsque la mélodie fut interrompue par le bruit du canon. P^ous nous portâmes vers la mer, et nous aperçûmes là station anglaise vivement aux prises avec les défenses redoutables du Havre, qu'ils assiégeoient depuis plus d'une heure. Le feu éloit roulant et si nourri , qu'un coup n'attendoit pas l'autre j et il y avoit réplique des deux partis. Nous fumes témoins de cette belle horreur, et très- bien placés pour en admirer, sans aucun ris- que, les effets, s'ils étoient moins funestes. Le feu de chaque coup m'échappoit pas^ nos regards attentifs , et inquiets de connoître l'issue du combat. La fumée tourbillonnante de la poudre évaporée formoit au dessus des batteries de petits nuages , qui bientôt agités par le vent se dissipoient pour se confondre à Fathmosphère. Le bruit des bordées mugissant avec majesté , et appelant la vérité de l'écho de notre côte , remplissoit nos esprits de crainte et d'amer- tume. î^ous quittâmes cet effrayant spectacle pour D'UN NATURALISTE. 79 aller dans notre salle de verdure manger du pain ^ et du lait caillé préparé proprement dans une large et grosse terrine commune. Debouts pour la plupart à ce repas pris à la hâte, nous cou- ronnâmes la fête par un retour au frais, et guidés pas le clair de lune qui laissoit admirer la libéralité du Créateur, qui s'est véritablement complu à former , pour le contemplateur , les chemins , pittoresques qui nous conduisirent à Honfleur. Nous repartîmes le lundi matin, après avoir visité les moulins à cidre , composés de deux meules horizontales que pressent un arbre à écrou* • Le jus de ces fruits tombe dans une met sem- blable à celle du pressoir à vin, d'où il découle dans des poinçons destinés à le recevoir. 'Nous arrivâmes pour le dîner chez M. Poulet ^ où on tïous servit des huîtres de la Héve, si larges que trois couvrent une assiette; elles sont excellentes. Je sus de M. Poulet, qui en en- voyoit autrefois à Paris à des amis, que chaque huître rendue à sa destination revenoit a trois livres. Le soir , s'éleva un orage qui me retint à cou- cher à la côte. 11 se renouvela trois fois , et dura dix-huit heures, sans discontinuer et s'affoiblir en aucune manière: ilétoit si effrayant, que d'après le rapport des anciens de la ville, oun'enéprquvs^ A.. 1.4âSSEB 8a VOYAGES jamais de tel. Les coups redoubles elrëpétëspar les éclîbs de la côte faisoient trembler la maison qui nous réfugioit. Le tonnerre tomba en une infinité d^ endroits , sur des affûts de canon , sur la fontaine du grand quai au Havre , sur des pom- miers qui furent fracassés , sur des masures qui furent ébranlées j usques dans leurs fondemens , enfin dans la mer, qui s-ouvrit avec peine pour le recevoir. Le samedi 25 août , nous fûmes témoins d'une fête donnée par ses enfans , à M. Poulet père, et relative à son élargissement à Fépoque de la terreur. Les jeunes gens me prièrent de faire quelques vers, afin d'intéresser la fête, et je me félicitai de trouver F occasion de prouver, ma reconnoissance à cette famille respectable.^ A la fmde chaque couplet chanté en sanglotant, on posoit une couronne sur la tête du bon papa , blanchie par les années , et chaque acteur atta-» choit à son habit une pensée. Je ne pus tenir à cette scène attendrissante , et j'admirai avec émotion cet exemple de piété filiale. Le père , en versant un torrent des douces larmes du sen- timent, vint m'embrasser, etm'ouvrant son sein, sans pouvoir articuler, il me remercia par estes des beaux momens que je venois de lui aire passer. Nous complétâmes la fête par une partie de chasse D'UN NATURALISTE. 8i chasse où nous fîmes des prodiges d'adresse et dont nous revînmes courbés sous le faix de notre gibier. A notre retour, nous fûmes témoins d'une punition infligée à deux marins rebelles aux ordres qui leur avoient été transmis par leurs supérieurs. Cette sorte de punition s'appelle la calle humide. Elle consiste , au coup de canon qui en est le signal, à précipiter du haut d'une vergue dans la mer le patient attaché perpendi-- culairement à une corde, comme on le faithori-^ zontalement d'un lièvre qu'on met à la broche. A peine plongé dans l'eau, on l'en retire promp- tement en le hissant à bord. Ils n'éprouvèrent que la contrariété d'être mouillés, si c'en est une en été. Au reste, pour se consoler mutuellement, les deux déserteurs allèrent aussitôt noyer dans le vin le souvenir de leur ignominie, et s'eni- vrèrent tous deux. Le lundi lo septembre, en me promenant sur le bord de la mer, j'aperçus les tristes débris de trois bâtimens qui venoient d'échouer sur le ri- vage, n'ayant pu résister à l'intempérie désas- treuse de l'équinoxe. Je m'avançai sur la jetée pour bonsidérer de plus près ce spectacle d'hor- reur. Un navire partagé , les tonnes de cidredonlil étoit en partie chargé voguant sur les flots, tandis que de petites barques alloient à leur rencontre^ Tome I, p g2- VOYAGES le niailre du bâtiment déplorant son triste smt; ces tristes effets excitèrent en moi une pitié bier*' naturelle. Les matelots moins intéressés à cette' perte, réparoient le temps perdu, et oubliant le danger passé qui ne leur avoit pas permis de prendre aucune nourriture, ils se disputoient entr'eux du fruit qui complétoit la cargaison du navire. On les voyoit mordre avec voracité dans des pommes flottantes au gré des eaux , tout en plongeant pour s'emparer des effets du bâtiment, que leur pesanteur retenoit entre deux lames. Ces désastres n'étoient que les préliminaires des suites de ce funeste équinoxe , qui s'annonça sous les caractères les plus effrayans. Un temps sombre et lugubre, un vent impétueux et ter- rible, un brouillard épais, puis successivement une pluie rapide, tous ces avant-coureurs d'un fàclieux événement annonçoient la tristesse de la nature. Les vaisseaux n'étant plus en sûreté dans le port , donnoient à craindre, dans leurs oscil- lations forcées, qu'ils ne fussent brisés. L'Onde salée, rebelle pour la première fois aux ordres de son Maître, franchissoit la jetée avec fracas, et engloulissoit sous ses volutes écumantes les maisons de la rade. Tous les lieux étoient inondés, et les vagues altières se promenoient tranquillement, après leur effet furieux, dans les D'UN NATURALISTE. 83 rues du Havre. Les habitans affiioës, courant eà et là , portoient sur leur visage abattu l'em- preinte de l'inquiétude. On ëtoit obligé, pour marcher à pieds secs, de profiter de planches égarées qui à l'aventure voguoient sur la surface de l'eau. Je fus du nombre des curieux, et j'allai con- sidérer cette belle scène d'horreur. Le vent étant trop impérieux pour pouvoir se tenir sans sou- tien sur les digues, on se cramponnoit à des pièces de bois de marine, ou autres objets stables. C'est là que je vis de très-loin en pleine mer s'avancer avec orgueil des montagnes d'eau, diminuantdevolumeàchaque ascension ondulée venir enfin se briser contre les digues où nous nous trouvions, et par leurs époudrins nous sub- merger , sans qu'une course pût nous être salu- taire, tant leur vélocité s'attachoit à nos pas. Le tonnerre qui malgré le temps froid gron- doit sans éclairs, l'impiété , la coupable impiété qui ne pouvoit se taire, l'eau des bassins dépas- sant de beaucoup leur niveau, tous ces fléaux, inconnus jusqu'alors, me firent rentrer en moi-, même , reconnoître la foiblesse humaine , et plaindre les êtres téméraires qui osent insulter à la Puissance divine, qui dirige à son grêles effets de sa vengeance. Les maisons mal assujéties trembloient dans F 2 ■ «• • lin TZl 84. VOYAGES leurs fondemens. Le verre même ne pouvant résister a ces éruptions fougueuses, voloit par éclats ; l'ardoise se déta choit à chaque pas , et me- nacoit le passant de sa chute incisive et funeste. La mort aussi frappa des victimes : dix mate- lots conduisant un sloupe touchoient à la rade, et se félicitoient déjà d'avoir échappé au danger ëminent qui les poursuivoit depuis leur départ. Les habitans sur la jetée les croyoient aussi dans le port , lorsqu'un coup de vent fit faire capot à l'embarcation. Tout l'équipage se mit à nager, mais ne put dompter la furie des vagues dont ces marins étoient le jouet; et après avoir vaine- ment lutté avec effort^ contre les flots, perdant haleine, et d'ailleurs effrayés parles cris de pitié des spectateurs, jugeant de leur péril sans pou- voir ]eur porter de secours, tant la mer étoit fu- rieuse, ils furent tous engloutis. Il ne resta d'eux que dix chapeaux qui rappeloient aux assistans leurs devoirs envers des familles éplorées qui perdoient leurs protecteurs. On vit long-tems ces malheureux, en perdant leurs forces, dé- chirés par des lames contraires, s' avançant vers une mort assurée , lever encore leurs bras impuis- sans vers le ciel, et implorer de la terre un se- cours qu'on ne put leur donner. La mer vagabonde en dépassant ses limites, les franchit aussi pour aller ravager les champs D'UN NATUfxALISTE. SS cultivés, et daus le retour impétueux et brusque de ses vagues mugissantes, elle entraîna au mi- lieu de ses gouffres et loin du rivage, soixante moutons, leur parc qui fut déraciné, et le pauvre berger qui pourtant eut la force de regagner la terre à la nage. Le reste fut perdu, sans qu'il en ait paru aucun vestige. Le soir du troisième jour, quel contraste! J'allai m'asseoir sur le bord de la mer devenue calme, et tout à-fait revenue de sa furie. Je con- templai avec enthousiasme le coucher du soleil dorant une partie des flots frémissans , et non soulevés comme le matin par le vent qui étoit alors très-doux. Le ciel azuré n'étoit plus sil- lonné d'éclairs, un calme parfait avoit succédé au tumulte des flots, et les,sens rassurés goûtoient un repos nécessaire: les fleurs flétries reprenoient leur fraîcheur, et le chant des oiseaux célébroit le retour du beau tems. En réfléchissani sur la terrible puissance de l'Auteur de la nature, j'étois pénétré de ses bienfaits qui dépassent de beaucoup sa juste colère, lorsque je vis revenir de la pèche quantité de petites barques rappor- tant, selon leur coutume, une abondance qui n'est jamais ralentie. Je profitai aussi des libéra- lités du reflux pour ramasser une quantité consi-^ dérabîe de productions marines, parmi lesquefles. wmm YOYAGES se trouvèrent les zoophytes sertulaires (i) , le fongipore rameux (2) , le fucus vert (3) , et la den- drile violette (4)- J'appris le soir un événement bien remar- quable , arrivé près d'Honfleur le premier jour de l'équinoxe, et qui condamne ceux qui re- fusent de croire à la prédestination. Au milieu des vagues en fureur on aperçut de la jetée du port de cette ville un bâtiment qui paroissoit être dans le plus grand danger. La mer étoit si houleuse que les marins d'ailleurs très-officieux , reconnoissant Timpossibililé de le sauver , et la presque certitude de chavirer eux-mêmes, refu- sèrent à la première instance , mais s'y décidèrent enfin d'après le vœu unanime des habitans. Après avoir fléchi le genou devant le Dieu des mers , après avoir imploré sa protection puissante, ces hommes généreux s'embarquèrent (1) L'espèce appelée, par M. Pallas, docteur ea médecine , la cuscute de mer. (â) C'est une production marine à Polipîer. (3) Plante marine de l'ordre des cryptogames , c'est à dire , cachant leurs fruits dans l'aisselle ou l'étendue de leurs feuilles : elles végètent au fond de la mer, et prennent, d'après leurs formes, différentes déno- minations. (4) C'est une espèce de fucus. ;-;5EjSfSiiî D^UN NATURALISTE. dans une goélette, un canot n'ayant pu soutenir Ja secousse des vagues sans être englouti , et volèrent au secours des naufrages, tandis qu'au- tour d'eux sombroient des pêcheurs et leurs barques , à la vue de leurs femmes et de leurs «nfans réduits au désespoir. Tous les spectateurs formoient des vœux pour la réussite de cette entreprise périlleuse , et suivoient des yeux chaque lame, si inconstante, que le bâtiment paroissoit à chaque instant devoir être englouti. Mais le ciel protégeoit leur résolution : ils arrivèrent au bâtiment qui n'avoit plus de conducteurs. Il paroît que le voyant hors de manœuvre, les matelots se seront ris- qués sur la chaloupe qui aura coulé , car on n'a plus entendu parler d'eux. Ne pouvant ramener ce bâtiment tout dé- membré dans la crainte qu'il ne leur devienne funeste, soit par un choc violent, soit par sa masse qu'il falloit traîner, ils le laissèrent voguer au hasard , et reprirent route pour Honfleur. Tout à coup ils entendirent des cris percans quoiqu'étouffés , et aperçurent ! ! ! ... un homme échevelé luttant contre les flots , et prêt à perdre courage. Les marins allèrent à lui , et eurent le bonheur de lui sauver la vie. Cet homme, si étonné de se voir hors de péril, avoit perdu la parole. Ce ne F 4 7 \ ^^ZI. f S8 VOYAGES fut qu'après quelques instans de repos qu'il leur dit qu'il combattoit contre les flots , et luttoit avec la mort depuis cinq heures de tenis , et que quatre de ses compagnons avoient péri avec leur chaloupe qui avoit chaviré. Quelle prédes^ tination merveilleuse ! Le samedi 22 septembre , on nous servit à diner des lamprillons (i) d'une délicatesse extrême, et des poires de Tambroise (2), les plus beaux fruits que j'aie jamais vu , et de la gros- seur d'une bouteille. L'après-midi au milieu d'une fête , les matelots furent appelés à une joute singulière. Un mât enduit de suif pour le rendre glissant sôrtoit horizontalement du sabord d'un vaisseau. Au bout éloit arboré un drapeau , dont la prise devenoit le signal de la victoire. Ge mât (3) étoit à douze pieds au dessus de Feau, afin que les athlètes ne se fissent pas de mal. Les uns au premier pas , d'autres phis avant ne pouvant conserver leur équilibre sur un cylindre si glissant , tomboient de toutes les posi- tions dans l'eau, et reparoissoient aussitôt, puis- (i) Petromyzon marinus, Linné 5 ou la Piycka. - (2) Pyrus sativa, fructu autumnali suavissimo, in ore liquescente, Tourn. Inst. 6i(j, (3) Appelé mât de Coeagne. % '••^biStt m I i D'UN NATURALISTE, 8g qu'ils étoient tous plongeurs. D'autres à denx pas du drapeau cbanceloient, et au lieu de la conquête de l'étendard, alloient cacher leur honte en plongeant au fond de l'eau , et reparoissant plus loin, sembloient y laisser jusqu'au souvenir de leur inaptitude. 11 y en eut un cependant plus heureux que les autres 5 tremblant d'abord, mais ne se pressant pas, il atteignit l'olpjet de tant de peines, le détacha du cable, le lança dans l'espace fier de sa victoire , et plongea noblement dans l'eau, puis reparut avec le signe de son triomphe au milieu d'applaudissemens universels , et d'une musique guerrière qui célébra son adresse.' On termina la fête par un combat naval et une descente , enfin par une prise de place, dont on fit la fiction pour exercer les troupes. Un de mes pêcheurs habitués m'apporta pour dessiner plusieurs poissons de mer au nombre desquels se trouvoient , le crapaud (i) , le cou- gre (2) , l'orphie (3). Dans l'estomac du premier (i) ScorpcEna horrida , Linné. Ce poisson a la tête aussi volumineuse que le corps. (Tome 1er. , pi, ^^ % 2). (2) Murœna conger, Linné. Poisson apode et anguilliforme. (3) Ce poisson appelé aiguillette en Bretagne , est aussi nommé bélone. On le pêche depuis mars jusqu'en ««I « go VOYAGES je trouvai de petits crabes entiers à moitié di- gérés 5 et dans le congre plusieurs crevettes (i). Ainsi ces aniniaux destructeurs des espèces au dessous d'eux , subissent la même loi , et sont dévorés eux-mêmes par le premier requin qui les rencontre. J'y remarquai aussi le rouget (2), poisson très-délicat , et très-reconnoissable par îa structure de sa tête ; la loche de mer (3) aux reflets dorés et brillans. Ce même pêcheur m'engagea à aller examiner chez lui deux pois- sons trop gros pour être transportés. Le premier étoit une roussette (4) de la famille des chiens juin , à la clarté des flambeaux , au moyen de fouanes ou dards en râteaux. (i) La crevette franche ou chevrette , ou salicoque, Gibba squiila , est un petit crustacé de mer plus menu» que la squiile que l'on fait cuire comme les écrevisses. (2) Mullus barbatus, Linné. ( 5 )' Ou aphye marine. Gobius aphya , Linné ; Aphua cebites, Willughb. , Bellon. 5 Gobius uncialis , Pinnâ dorsi secundâ ossiculorum septemdecim , Arted. (4) Ou chat marin ayant une nageoire derrière l'anus, et des trous aux tempes. Par une prévoyance admirable de la nature , cette espèce vorace ne fait que neuf à treize petits à chaque portée. Elle attaque jusques aux pêcheurs lorsqu'elle est affamée. Sa chair a le goût de musc. C'est avec leur peau teinte en vert ou autre couleur, que se fait le galluchat dont les gaîniers font un grand usage. D'UN NATURALISTE. 91 de mer, à peau rude et sans écailles ; et l'autre, la taupe de mer (i) , animal de six pieds et demi de longueur , ayant trois rangées de dents , et pesant deux cents livres. Ces poissons dont la chair est peu estimée se vendent aux pauvres gens encore assez cher 3 enfin la mustelle (2). J'augmentai le soir ma collection de poissons en allant sous la Hêve y attendre l'instant de la marée. Je rapportai le maquereau (3) , poisson très-connu et très-recherché pour sa délicatesse ; la squille-mante, dont on fait beaucoup de cas (4) ; le coquet (5) , intéressant par la variété de ses couleurs changeantes. Plus riche en parure qu'en saveur , le coquet cache sous des dehors brillans (i) Ce nom lui est donné au Havre par les pêcheurs • c'est un chien de mer (pi. 3 ) qui a beaucoup de res- semblance avec le très-grand de l'Encyclopédie , par ordre des matières , plane. 7 , fig. 19 , à la différence cependant que la taupe de mer n'a sur les côtés que quatre évents ou boutonnières (Expiracula) et deux nageoires dorsales. (2) Mustela vulgaris , Rondel. , Willughb.» Gadus mustella , Linné • Gadus dorso diplerygio, sulco magno ad pinnam dorsi primam, orecirrato, Arted. , Gronov.^ à Venise , Donzelina , sorge marina ; en Angleterre ^ Wistle-fish. (5) Scombrus, scomber, Linné. (4) Squilla marina. (5) Poisson du genre du clupeo "'QILi 9^ VOYAGES une chair insipide. Le chien de mer (i), poisson dont la peau est employée par les menuisiers 5 il se vend à vil prix aux pauvres gens. Le bar (2) , dont les gourmets font grand cas. La lune (3) qui porte sur chacun de ses flancs , au milieu à peu près et au dessous de l'épine dorsale, une tache circulaire d'un brun vert de la forme de la lune lorsqu'elle est à son plein. Ce disque est, ainsi que celui de l'astre nocturne, environné d'un cercle d'un jaune pâle, qui l'éclairé et dessine plus nettement la principale tache. On voit ça et là une quantité immense de petites marques que l'on peut comparer aux étoiles. La vielle (4) , dont la chair est peu délicate j sa robe est un assemblage merveilleux de nuances et de dessins dlfferens. Le coloris en est éclatant, et on y admire sans mélange plusieurs des cou- (i) Le griset dont les caractères particuliers sont, six évents ou boutonnières de chaque côté, et une seule nageoire dorsale. (2) Poisson recherché par les gourmets. (3) Zeus faber. (4) Ou tanche de mer, poisson du genre du labre. Labrus tinca, Linn. Labrus rostro sursùm reflexo , caudâ in extremo circulari, Arted.; Turdus duode^ cimus, in provinciâ vulgô Vielle , Gesner , Rondel.; Turdus vulgatissimus 5 Tinea marina venetis, "Wil- lughb. : en Angleterre, WrasejOld-wife et Gwrach» D'UN NATURALISTE. 93 leurs primitives. Enfin le lièvre ( tome I^"^. , pi. 4,nM). J'étois occupé à dessiner ces divers poissons, lorsqu'on vint m'apprendre qu'il n'éloit plus pour moi d'espoir de partir par le Havre , et qu'on me conseilloit de profiter d'un parlemen- taire qui alloit faire voile de Bordeaux pour Charles-Tv\n. Il fallut se décider à changer de projet , et comme je pouvois disposer de quel- ques jours, j'allai au sein de ma famille y passer untems, dont moitié fut consacrée à commencer un ouvrage qui m'avoit été demandé sur la culture du safran , et qui depuis mon retour a été accueilli avec indulgence par l'Institut, aux lumières de qui j'ai eu l'honneur de le soumettre. J'eus également occasion d'observer une fouine privée dont je dois parler ici, bien persuadé qu@ ce récit ne pourra qu'intéresser le lecteur. I n 94 VOYAGES .^. VIE PRIVÉE DE FOLLETTE. VJe n'est plus de Fanimal carnassier, méfiant ^ farouche , évitant les regards des hommes , du tyran des basses-cours et des colombiers dont j'ai à décrier les sanguinaires habitudes ; plus soumis et plus doux , Findividu dont je veux parler est afiPable , caressant et attaché principa- lement aux personnes de la maison où il reçoit l'hospitalité. Badin, excitant dans ses folâtres exercices , ilforce le phlegmatique Carlin à ré- pondre à ses jeux , en sautant par dessus , grimpant, lui léchant le museau, enfin lui se- couant les oreilles comme pour mieux le sortir de sa froide indifférence. A cela près de quelques coups de pattes qu'il reçoit toujours en bonne part , sans riposter , il décide le chat lui-même à quitter cette torpeur engourdie qui le rend si maussade à un certain âge, et l'oblige à partager sa gaieté. La fouine dont la description devient inutile parce qu^elle est trop connue , cet animal à tête 3 O et D'UN NATURALISTE. gS fine et triangulaire , au corps souple et alongé ^ aux jambes très-courtes, à Fœil pénétrant, ^if et rusé, à queue noire et touffue pour mieux contraster avec le brun-gris cendré de sa robe, au bond léger, galope ou saule plutôt qu'elle ne marche. Pourvue d'ongles très-aigus, elle grimpe avec facilité le long des murs, et va chercher à exercer son empire dévastateur dans les basses-cours ou colombiers, dont la plus petite ouverture assure un accès certain à cet animal souple, et qui s'alonge à volonté. Mais ce n'est que dans l'obscurité que la fouine se met en marche. Ses sanglantes exécutions se font la nuit lorsque tout repose, et que son œil n'a plus à redouter celui de Fhomme. C'est un très-bon chasseur, point d'affût , car elle n'en a guère la patience comme le chat ^ mais par surprise. Le bruit qui accompagne ses incursions, lui fait souvent tort; elle n'a point la modération , ni la prudence de la belette et du putois 5 que lui importe? elle est agile , et peut impunément braver le danger. En attendant ces risques à courir, la voilà dans le poulailler qui reconnoît sa proie, étrangle sans miséricorde, pille, mange les œufs dont elle est particulièrement fort avide; n'a de pitié ni pour les âges, ni pour les sexes; inonde de sang le théâtre de son carnage ^ et entraîne au loin une I i i\m¥ g6 VOYAGES partie de ses victimes , dont elle cesse le trans- port aux approches du jour , et dès les premiers momemens qu'elle entend dans la maison. Elle se retire alors en paix dans les greniers si c'est l'hiver, et y jouit du prix de sa cruelle victoire, en contemplant avec joie le monceau de ses victimes. Gomme les bêtes fauves de rapine , elle a lo- gement d'hiver et logement d'été. Ainsi l'hiver, étant la terreur des basses-cours et des colombiers ou elle exerce un ravage complet, l'été, elle devient, dans les bois qu'elle habite, le tyran puissant et féroce des peuplades ailées et des quadrupèdes. Elle surprend l'oiseau sur ses ccufs !...... et voila toute une famille éteinte !... Egalement l'effroi des garennes, elle tes dépeuple en peu de tems dés lapereaux , et même des vieux lapins qu'elle surprend au gîte, et sur lesquels elle s'élance en s'y cramponnant avec opiniâtreté jusqu'à l'entière effusion de leur sang. Si on lui donne la chasse au basset, quoique plus agile et plus légère que le chien , elle ne se fie pas à la rapidité de sa course , et sait fort bien, par prudence, échapper au lancer, et tromper les poursuites en s' élançant de terre dans un arbre creux pour faire perdre le train à ses per^ sécuteurs, ou bien, à défaut de cette retraite, en se branchant dans un arbre. Des chiens arrivent au pied, D^UN NATURALISTE. (yj pied , mais elle insulte à leur impuissance , semble les mépriser, les nargue avec dédain, jusqu'à ce que le chasseur, accourant aux aboiemens redoublés de sa meute, la punisse à son tour et de son manque de prévoyance, et de sa témérité. Si le coup de feu n'a fait que la blesser, et que les chiens fondent sur elle pour la déchirer^ elle les mord et s'élance sur eux avec fureur, se défendant jusqu'à la dernière extrémité avec le même courage et la même in- trépidité. Voilà donc un animal en liberté , très-irras» cible, vengeur du plus léger outrage, agresseur même en certains cas ; eh bien ! qui le croiroit ? la fouine à qui im célèbre naturahste refuse la familiarité , cet animal tyran par caractère a su le plier, et provoque par ses caresses les bonnes grâces de ses maîtres. Le chien lui-même , cet ami fidèle et sensible , ne témoigne pas plus d'affection que cette fouine dont j'écris la vie , et qui est âgée de quatre ans, et apprivoisée depuis l'âge de six mois. Elle n'a point l'arrière trahison du singe que la domesticité captive ne fait que mas- quer ; insensible aux caresses , n'obéissant qu'au châlmient, il n'aime son maître que par spécula- tion de gourmandise. Cette fouine au contraire , n'a pas besoin du ton impératifnécessaire envers le quadrumane pour s'en faire obéir j celui de la Tome L q il i i VOYAGES douceur coïncide mieux aveC ses principes. Au seul mot de Follette , elle accourt sur-le-champ comme le chien le plus fidèle et le plus attentif à la voix qui Fa appelée. Si c'est un étranger , elle le flaire , cherche à s'assurer de ses intentions , et pour se les rendre favorables , elle le lèche dou~ cernent sans d'abord s'abandonner , puis retourne à l'un de ses habitués , comme pour s'assurer de lui si elle peut sans crainte se livrer à l'inconnu. Qu'il l'appelle alors sans crainte de refus , elle y vole, et reçoit des alimens qu'elle avoit d'abord refusés de sa main étrangère. Elle les mange devant lui , et fait mille singeries , voulant par là le remercier , et lui indiquer sa recon- noissance. Elle va ensuite retrouver ses maîtres ^ c'est alors qu'elle redouble de caresses , qu'elle affecte même de leur prouver qu'ils sont plus aimés encore , voulant par ces manières aimables dissiper jusqu'au moindre soupçon de jalousie. Gb verra par les traits suivans, que Valmont Bomare a prononcé trop tôt, d'après Buffon , sur le caractère de cet animal. (( La fouine , dit-il , prise jeune , s'apprivoise )) à un certain point , mais elle ne s'attache pas )) et demeure toujours assez sauvage pour qu'on )) soit obhgéde la tenir enchaînée. M. de Buffon » en a élevé une qui s'est échappée plusieurs » fois de sa chaîne : les premières fois , elle ne ?tîTJ 'D'UN NATURALISTE. x)q 1) s'ëloîgnoil guère et revenoit au bout de quel- )) ques heures , mais sans marquer de la joie )) sans attachement pour personne ; elle deman- ^^) doit cependant à manger comme le chat et le )) chien. Peu à peu elle fit des absences plus )) longues 5 et enfin ne revint plus. Elle avoit )) alors un an et demi , âge apparemment au- )) quel la nature avoit pris le dessus , dit M. de )) BufFon. Elle mangeoit de tout ce qu'on lui )) donnoit, à l'exception de la salade et des )) herbes. On a remarque qu'elle buvoit frë- )) quemment, qu'elle dormoit quelquefois deux )) jours de suite, qu'elle étoit aussi deux ou )) trois jours sans dormir , et que pour lors elle » étoit toujours dans un mouvement continuel. )X Tout ceci suppose un animal agile , éveillé » jaloux de sa liberté. Les vieilles fouines eher- )) Chent toujours à mordre , et refusent toute » autre nourriture que la chair crue )). Je vais commenter une partie de ces observa- tions par d'autres. Nous avions remarqué que Follette n'aime point l'esclavage , et que le moindre Hen qui en est le symbole, l'inquiète et la tourmente j c'est pourquoi dans les premiers jours on la laissa parfaitement libre dans les chambres. Elle n'a- busa point de notre confiance, si ce n'est un jour qu'après avoir volé un perdreau dans ma G 2 ■ï-00 VOYAGES ■ carnassière, le sentiment de Fobjet de son pen- chant naturel lui ayant dit sûrement d'aller manger au loin sa rapine, elle s'éloignoit déjà fière de sa proie, lorsqu'im passant qui lui fit peur la lui fit lâcher. Elle se déroba bientôt à nos regards, et l'ivresse de respirer un air libre la rendit pour cette fois sourde à nos voix. Plus de Follette ! Désolation universelle. Tous les «ens de la maison sont sur pied , mais ou peut- elle avoir été, se demande-t-on ? Où laisscrt-elle les traces de son passage? Peut-être a-t-elle ren- contré un frère, une sœur pour la guider dans sa marche incertaine? Son pied léger a déjà franchi les murs et les toits, et Ton n'entend plus le bruit trop sourd du grelot de son collier. Pourquoi ne lui avoir pas attaché plutôt une petite sonnette, se disoit-on? n'avoir pas prévu un semblable événement? La consternation de- venoit générale; il sembloit qu'avec elle, elle ^mportoit tous les agrémens de la maison. Déjà deux jours s'étoient écoulés , deux jours de deuil, deux jours de regrets 5 en vain le tambour en avoit publié la fuite à tout le village : un des habitans vient annoncer qu'une fouine qui paroit inquiète et pousse de petits cris, se promène sur son toit , oi\ elle va et vient de long en large , sans sembler vouloir changer de destination. Bïos. en- fans, les plus alertes, sont les premiers rendus à D'UN i^ATURALISTE. i8r ]a maison du villageois. Follelle avoit déjà en- lendu leur voix qu'ils n'avoient pas encore paru. Agitée, chercbant de tous côtés à reconnoîlre d'où venoient ces sons cliéris , quelle fut sa joie dès qu'elle reconnut ses jeunes bienfaiteurs ! Le trait n'est pas plus prompt que son élan vers eux 5 elle a parcouru le toit avec la rapidité de Féclair , s'élance vers les enfans , et par une plainte parti- culière et jusqu'alors inconnue, réservée siirement aux circonstances d'attendrissement, elle leur té- moigne alternativement le plaisir de les revoir en les léchant sans repos, et sautant d'une épaule à l'M^tre pour mieux manifester toute l'ivresse qu'elle ressentoit d'avoir retrouvé ses deux petits amis. Voilà , je crois , des preuves d'in- térêt, d'attachement, de joie et de sensibilité. Follette sent fort bien l'heure du repas arriver,, et comme ce sont les trois époques du jour ou elle est admise en pleine société , et qu'elle est. très-sensible à cette faveur, elle la réclame dès le premier coup de la cloche en se présentant au treillage de son angar , où elle est en pleine li- berté. Elle manifeste son désir par un petit cri plaintif qui se change en murmure si on tarde à lui ouvrir, preuve incontestable d'une famiba- rité volontaire. Cependant, quoique grondant Jort, elle ne conserve aucun ressentiment, et sa colère s'évanouit aussitôt qu'on se présente pour G 3 102 VOYAGES îa prendre; et loin de chercher à mordre, elle joue incontinent, et lèche son hbérateur. A peine introduite dans la salle à manger dont elle a prestement fait le tour pour s'assurer des loca- lités, elle témoigne sa joie de se trouver en aussi bonne compagnie , premièrement à Carlin , son favori ; le caresse, l'excite, et en redoublant, sa gaieté semble lui reprocher cet abord glacial si peu digne de ses démonstrations amicales; enfin , Carlin s'animant peu à peu , réfléchit en bâillant qu'il faut jouer aussi , se prête à tous les caprices de Follette, qui, se huchant sur son dos, se laisse ainsi promener , maisififti lèche les oreilles , ou lui cherche les puces pour se mettre au niveau de sa complaisance. (Tom. I^^^, pi. Y.) Elle renouYelle ensuite connoissance avec les chats, pas aussi badins, et en reçoit le plus souvent des coups de griffes , qu'elle supporte sans se revancher. Un seul est son ami, et se plaît à mignarder avec elle , et faire assaut de gentillesses ; mais Follette , la trop aimable Fol- lette , de Favis général , a toujours plus de grâces , plus de souplesse , plus de délicatesse , et jamais les culbutes forcées où le chat, toujours dans son caractère, cherche à blesser, ne son- geant plus qu'il joue. Répondant à la voix comme le chien, elle ^'élance sur k table dès qu'où lui permet j, D'U'JN r^ATURALISTE. io3 et passe clans rintervalle des plats avec une dextérité et une vitesse surprenante. Elle n'a point de réserve pour certains alimens 5 elle mange de tout, mais elle affecte des préférences pour certains mets dont elle est très-friande. Par exemple , elle aime passionnément le laitage , surtout lorsqu'il est sucré. Le riz au lait , les crèmes au café 5 chocolat et autres, les crêpes , gaufres et sucreries en général. Un morceau de sucre lui étant présenté , on pourroit par ce moven la faire suivre par- tout , et oÎ3tenir même des supplications particulières. Lécher plus ou moins doucement , annonce plus ou moms d'affection , plus ou moins de reconnoissance. Elle aime beaucoup le pain tendre en bou- lettes , les noix , les fruits , le fromage à la crème (p'elle lape surtout avec avidité j la viande , le poisson , ks sauces de toute espèce ; les légumes , comme haricots, épinards, cardons, salsifis et autres, lui sont bons, et satisfont son goût et son appétit. Elle mange des salades récemment assai- sonnées ou confites , telles que laitue , romaine , cresson, escarole, chicorée sauvage, céleri et autres 5 enfin elle est omnivore. Follette a un goût particulier pour la rhu- barbe ; il y en avoit sur une table , en infusion dans un pot à l'eau; elle s'élança d'abord avec empressement pour y introduire le museau , et G 4 io4 VOYAGES boire à même 3 on îa laissa faire pour s'assurer de ce caprice singulier : puis l'ayant repoussée ^ elle revint toujours à la charge, remontant adroitement et avec célérité le nouet de linge qui la renfermoit, à l'aide de ses pattes de devant, se tenant, à l'exemple du singe , sur celles de derrière. On fut obligé de se fâcher pour î'empécher d'être plus long-tems importune, et de lui montrer le fouet dont elle est fort craintive. Follette s'accommode très-bien de l'usage des trois services , elle mange peu , mais elle aime à goûter de tous les plats. Sautant d'une assiette à l'autre , elle rend une visite intéressée à chaque convive -, et pour salut d'abord , elle le lèche afin d'être autorisée à choisir dans son assiette tout ce qui peut lui être agréable. Elle attire avec sa patte le morceau qu'elle a choisi , ou le mange tout bonnement sans le déplacer, et fait ensuite des culbutes pour payer son écot. Après le potage qu'elle lape fort lestement, elle mange ragoûts et entremets ^ suce fort délicatement les petits os qu'elle finit par cro^ quer, moudre et avaler. Quand on lui donne du raisin, elle en témoigne sa joie par mille gentillesses en le mangeant, gentillesses qu'on aime à fixer et à suivre des yeux , et qui n'ont point l'inconvénient de rejicontrer la maussade lof» D'UN NATURALISTE. et hideuse figure du singe , imitateur par excel- lence. Follette est si bonne de caractère g;u'elle se laisse retirer de la mâchoire le manger , même en trituration , par le grave Carlin qui bat en retraite et l'emporte très-phlegmatiquement , le tout sans rumeiu' de part et d'autre. Souvent même, devenue plus audacieuse, elle paie Carlin du même front , qui par représaille use envers elle de la même douceur. Quand elle n'est pas troublée dans sa mastication , elle s'en acquitte avec grâce , mâchant très-vîte , et toujours aux écoutes , non point tant par crainte que par une suite de son caractère vigilant et sensible. Si le mets est un de ceux qu'elle préfère , elle le prend sur un autre ton j ce n'est plus cette dou- ceur d'habitude pour les alimens ordinaires , mais elle gronde d'un ton de colère, et a parfois un cri aigu et très - fort , sans méchanceté pourtant, quand bien même on voudroit lui ravir. Son intention n'est que de faire peur. Elle lape pour boire , parce qu'elle a la ba- bine ou lèvre inférieure moins longue que la supérieure. Un jour au dessert, elle nous donna la co- médie. Après avoir visité tous les plats , et en avoir mangé ce qui lui plaisoit (car on la laisse agir à son aise ) ^ elle arriva à une assiettée do ïo6 VOYAGES de noix ; comme elle en est très-friande , on crat qu'elle alloit en manger. Comment va-l->elle les casser, disoit l'un ; ce ne sera point en les frap- pant à terre ou avec une pierre , comme le singe, disoit l'autre ; elle trompa toutes les conjectures^ €t après avoir ôté une à une toutes ces noix , elle se coucha en boule dans l'assiette où elle resta plusieurs momens bien tranquille , puis s'échappant en sursaut sans qu'on ait fait le moindre mouvement, on s'aperçut qu'elle avoit uriné dans ce nouveau berceau où son extrême propreté ne lui permettoit pas de rester plus long-tems. Lorsqu'après les repas on veut la rentrer dans sa loge , elle prévoit cette contrariété , et cesse d'accourir à la voix qui l'appelle avec plus d'instance que de coutume; mais, afin d'inté- resser l'action , on met Carlin à sa poursuite', qui , tout en jouant , parvient à la coiffer ; on va la prendre alors sans peine. La pauvre Follette désolée fait ses adieux à celui qui s'en empare , le lèche, et paroît toute confuse d'être éloignée de la société. Pressentant sa captivité prochaine , elle ne veut plus manger de ce qu'on lui offre, tant elle a le coeur gros , et tant elle aime la compagnie , et craint la solitude. A peine la porte de sa retraite est -elle ouverte , qu'elle s'élance des bras de celui qui la porte , et court ^.JBtt * D'U?^ NATURALISTE. 107 cacher sa honte dans son foin d'où elle ne repa- roît plus à ses yeux. Elle s'y recouvre si bien, qu'on ne peut plus retrouver le même trou qui lui a servi d'entrée , et quoiqu' inquiète par caractère , elle se laisse approcher , bercer dans ce foin , défiant au chercheur le plus habile d'être plus rusé qu'elle , et étonnée toujours d'être enfin découverte. Alors elle se reconnoît vaincue , et se laisse prendre sans remuer. . Il paroît que se mettre en boule , en se roulant sur elle et jouant avec sa queue, est un de ses grands amusemens , car on la voit presque toujours occupée à ces exercices , même lorsqu'elle est seule : elle entremêle alors avec ses pattes , linge , papier et tout ce qui se trouve auprès d'elle , afin de se rendre invisible , ou- bliant que son mouvement la décèle toujours. Je l'ai examinée plusieurs fois dans sa loge, où je la voyois , soit dormir , ou jouer , ou se baigner , ce qui l'éloigné bien du caractère moral des chats. Elle fait des bonds très-vifs au- tour du vase qui contient l'eau, y trempe une patte , puis l'autre , enfin d'un saut la voilà dedans , d'un autre dehors , se secouant , et pre-^ nant mille élans plus gracieux les uns que les autres. A l'exemple du chat 5 elle joue avec la souris îo8 VOYAGES qu'elle a prise , mais n'est point aussi cuelle que ce tyran domestique qui lui donne mille morts par ses jeux perfides , en lui laissant et ravis- sant tour à tour l'espoir de la vie. Follette com- mence à lui appliquer le coup de dent , et après sa mort joue avec , comme elle le feroit de tout autre objet. Elle sait fort bien distin- guer un doigt qu'on lui présente d'un morceau de cliair , car elle le lèche , le mâche douce- ment pour jouer et en faisant la bascule , mais ne mord jamais. La fouine, ainsi que le renard , marche le nez au vent 5 aussi distingue- t-elle , même avant d'être introduite dans le salon quand il y a un étranger parmi nous. Elle devient plus timide , et est alors plus avare de ses gentillesses 5 car cette arrivée imprévue l'intrigue au point, dès son entrée dans l'appartement , de la faire tenir ïong-tems debout, appuyée sur ses pattes de derrière , pour examiner le nouveau visage , en penchant l'oreille comme pour mieux fixer son attention, et ne perdre aucun des mouvemens de l'inconnu 3 bientôt elle reprend ses habitudes. Livrée à elle-même dans un corridor dont tous les appartemens étoient fermés , elle sut distinguer la porte de la maîtresse , gratta , et. se plaignit jusqu'à ce qu'on lui eût ouvert j ce D'UN NATURALISTE. 109 qui détermine une familiarité purement volon- taire y et nullement contrainte. Ce qui prouve qu'elle n'agit point matérielle- ment, et qu'elle sait fort bien distinguer les gens de la maison, c'est que dans un grand cercle de beaucoup de dames toutes parées, sa maîtresse s'étant cachée parmi la société, Follette ne fut pas un seul instant la dupe de cette supercherie 5 elle alla droit à elle sans être appelée , redoubla ses caresses, lui annonçant que par-tout elle sauroit la reconnoître, et lui témoigner son atta- chement pour elle. En vain voulut-on par des déplacemens réitérés , par l'absence même de sa maîtresse, chercher à surprendre son instinct et le mettre en défaut, les déplacemens devenoient inutiles à la reconnoissance , et l'absence ne faisoit que lui causer de vives inquiétudes et la plus sèche froideur. Elle étoit taciturne, dé- ploroit son malheur , tapie sous quelque fauteuil , et y restoit constamment jusqu'au retour de l'être qu'elle chérissoit. Sa, présence ranimant à l'instant sa gaieté et sa confiance , elle sortoit de son état taciturne pour aller témoigner à sa aiiaîtresse sa joie de la voir de retour. Follette aime beaucoup à se tenir sur la tête de ses privilégiés , elle y reste immobile quelques instans , ayant la forme d'un casque dont sa ™il r lîo VOYAGES queue forme la crinière. Elle passe ainsi d'une têle à l'autre , et lorsqu'elle est vis-à-vis le cordon de la sonnette , elle s'élance 5 et quoique sus- pendu et très- petit, elle se retient au gland. Le son une fois produit, lui causant proba- blement quelque plaisir , elle s'y laisse pendre et fait autour du cordon vingt tours de passe- passe pour occasionner de nouvelles secousses, et produire de nouveaux sons. Follette quitte bientôt ce genre d'amusement, et grimpe en un clin d'oeil au plus haut des jalousies , d'où elle redescend avec la plus grande adresse. Quelquefois de l'endroit le plus élevé elle se plaît, à la manière des chats, à se laisser tomber sur ses pattes , par un mouvement spon- tané qui fait prendre à son corps le centre de gravité. Sa souplesse est telle qu'elle forme aisément un nœud de son corps. Elle se moule plusieurs fois autour des barreaux d'une chaise, avec une telle promptitude que l'œil peut à peine suivre ses mouvemens. D'autre fois, diversifiant son exercice pour nous le rendre plus agréable , elle écarte les jambes, et cache sa tête sous sa queue qui la recouvre , de manière à faire croire que c'est une boule. Au moindre bruit elle change tout à coup de position , et se trouve subitement sur ses pattes. Alors qu'elle est ainsi disposée à JH D'UN NATURALISTE. ut Jblalrer , elle provoque , et agace les animaux (juaiid ils ne veulent pas jouer , saute, repasse ) a remis sur sa culture un Mémoire » accompagné de planches, dont vous » avez désiré que nous prissions con- )) noissance. Ce Mémoire est rédigé )) avec ordre et clarté, et il satisfait à )) ce qu'on désire de savoir sur son » objet, etc. » Dès ce moment je ne balançai plus à publier mon Mémoire , et ma timide in- certitude prenant le caractère d'une ré- solution fondée, je me décidai à l'offrir au Public, sous les auspices deM"". Pieyre^ Préfet de mon département, qui voulut bien me faire l'honneur d'en accepter îa dédicace. ^ rsmu. CULTURE DU SAFRAN DU GATIISAÏS (i). Xdées générales. La propagation de la culture du Safran depuis quelques années, mérite Fatten- tion des spéculateurs. 11 n'est point un agricul- teur journalier, dans le Gatinais surtout, qui ne fasse des sacrifices pécuniaires et manuels pour tirer l'essence des soins exigeans que demande la culture de cette plante lucrative. L'homme aisé et propriétaire y consacre une portion de son terrain ; et l'indigent, dans l'espoir de soulager son état de misère , se prive , économise et afferme à un prix considérable les terres propres à ce genre de culture. 11 est bientôt au niveau de ses affaires , par l'avantage qu'il en retire. (i) J'avois dédié ce Traité au Préfet du départe- ment où est située la terre de mon père, lorsque des circonstances m'obligèrent de réunir tous mes manuscrits au journal de mes voyages. Je prie donc ce magistrat de vouloir bien trouver ici TexpressioB de mes regrets et de ma reconnoissance. s 124 VOYAGES Cette culture , qui ne peut avoir lieu en grand parce qu'elle exige beaucoup de bras, est parti- culièrement en vigueur dans les pays peuplés j elle ne peut donc être tentée avantageusement que par des pères de famille laborieux, qui trouvent à occuper d'une manière utile tous les individus qui la composent; car elle assujétit à des détails minutieux , seuls possibles à celui qui y trouve un intérêt personnel : c'est assez faire connoître que l'habitant bourgeois doit exclure de ses projets cette importante spéculation qui lui deviendroit trop dispendieuse. Le célèbre Duhamel, dans ses Elémens d'agri- culture, entre dans beaucoup de détails sur la culture de cette plante bulbeuse; mais des ob- servations particulières tant sur la nature de l'oignon, que sur l'utilité et l'inconvénient de le perpétuer; d'un autre côté, la facilité où. j'étois, en suivant dans le Gatinais les travaux des jour- naliers, d'ajouter au mémoire des dessins pour ne rien laisser a désirer au lecteur ; toutes ces considérations m'ont déterminé à suivre les traces d'un aussi bon modèle, et à recueillir après lui les particularités échappées à la rapidité du vol de ce savant observateur. Quelques réflexions politiques furent également un des points qui m'y décidèrent. Je vais suivre dans son plan, Duhamel. Pline, *'J? Jlk. . DTIX J^ATURALISTE. 12^ dit-il , fait mention du Safran d'Afrique , de celui de Sicile , de celui d'Asie 5 mais il ignoroit encore la culture de celui des Gaules. La Rochefoucault 5 qui a écrit au siècle dernier sur le Safran cultivé dans FAugoumois, dit qu'il y en avoit peu dans cette province avant i520; mais que les habitans déjà reconnoissoient tout l'avantage de sa culture , d'après le produit lu- cratif des récoltes des bonnes années, qui pay oient largement la valeur du fonds de la terre. Importation du Safran dans le Gatinais; Si l'on en croit nos vieillards du Galinais , le Safran y a été transporté, et sa culture tentée par un seigneur de Boines, qui l'apporta d'Avignon. Quoi qu'il en soit , ils conviennent unanimement que sa culture y est recherchée de mémoire d'homme. Elle y faisoit de sensibles progrès depuis la destruction du gibier, malgré la pénurie de bras ; mais ce produit avantageux cessera bientôt de l'être autant, si, comme autrefois , les safraniers sont obligés d'entourer leur terrain, puisqu'à cette époque les échalas sont, indépen- damment d'un prix exorbitant, d'un entretien dispendieux. Est-ce un mal pour l'intérêt des autres cultures?... Pourtant le seul désavantage de celle du Safran, est qu'elle détourne beau- coup de bras 3 ce qui nécessairement fait un -^- ^. mX. iiG VOYAGES déficit en raison de la pénurie dans laquelle on s'en trouve. Le Safran du Gatinais est estimé supérieur à celui du Languedoc, duPoitou, d' Angleterre, d' Al- lemagne, d'Italie, et même de la Normandie , etc. Aussi les négocians en ce genre ont-ils soin de mêler avec lui celui d'une qualité itiférieure, qui s'empreint bientôt de son odeur pénétrante , et le décharge du réhaut de sa couleur. Cette supério- rité paroîtroit venir de ce qu'on ne fume point dans le Gatinais les terres à Safran. Description du Safran. Je transcris ici la des- cription de Duhamel, qui ne peut être faite plus exactement. Mathiole , dit-il , a nommé cette plante crocum; Jean Bauhin et Dodonée l'ont appelée crocus ; Garpar Bauhin, dans son Pinax, et Tournefort l'ont appelée ci^ocus sativus ; enfm Park , et Ray dans son Histoire des plantes , lui ont donné le nom de crocus sativus autumnalis. Cette plante, ainsi que ses pistils desséchés , sont connus en français, sous le nom de Safran. C'est celui prescrit dans les Dispensaires de médecine, et tant recherché par les habitans du Word. Le Safran (planche YI ) est une plante bulbeuse. Sa bulbe ou oignon est solide et charnue. Celles qui sont bien formées ont en- :.^ l '^ .9'z. /' C2 ■ Maladie driTaiisset.^ .leTaiisset .5.1a3Iort4.Sclérote desSafi D'UN NATURALISTE. 127 ^?iron , non point seulement un pouce de diamètre sur un pouce et demi de hauteur, comme dit Duhamel, mais au moins le double. Elle est aplatie en dessous et en dessus; on y voit un enfoncement à peu près semblable à celui où est placée la queue d'une pomme. (Planche IX ^ tig. 1ère N, La substance de cet oignon est recouverte de plusieurs enveloppes sèches, de couleur fauve ^ formées par un nombre de filamens posés paral- lèlement les uns aux autres : ces enveloppes se nomment la robe de Foignon. (Planche YI, h). Dans une cavité qui est au milieu, et à la partie supérieure de l'oignon ( planche IX , fig. V, ûja) , on aperçoit une , deux ou trois pyramides de couleur fauve et brillante (pi. IX, fig. IV, «a) ; et sur les côtés du même oignon ^ on en voit encore de plus petites (planche IX, fig. IV, bb) : c'est de ces endroits qu'on peut regarder comme des boutons , qu'on voit sortir les feuilles , les fleurs , et même les caïeux ; et quand on enlève les enveloppes coniques (pi. IX, fig. IV, c) qui forment ces boutons, on aperçoit un mamelon de même figure , qui , étant coupé suivant sa longueur , paroît être un petit oignon contenu dans le gros , et qui renferme les ru- diraens de la plante. (Planche IX, fig. vu, aa). Le corps de la bulbe (pi. IX, fig. vi et vn) • 128 VOYAGES conpé en diffërens sens , paroît être d'une subs- tance uniforme , et assez semblable à la chair d'une pomme. Dans le mois de septembre , quand les pluies d'automne commencent à humecter la terre, sortent les racines de la base de la bulbe (planche Yl y dd) ', les mamelons, dont je viens de parler , s'alongent , et la fleur commence à se dégager de la robe ou des enveloppes de l'oignon. ( Planche IX , fig. ii ) . Le bouton de la fleur enveloppé d'une coiffe mince formée de plu sieurs membranes (pi. YI , ee) , et porté sur un pédicule , s'élève pour gagner la superficie de la terre ; à mesure que le pédicule s'alonge, ce bouton se dégage de sa coiffe , et se montre sous la forme d'un corps ovale (pi. IX, fig. Il) , long d'un pouce et demi ou deux pouces, dont le diamètre est de cinq à six lignes; il est supporté comme sur un pédicule par un tuyau (planche YI,/) qui a an plus une ligne de diamètre. Ce tuyau est la partie inférieure de la fleur , et cette fleur s'élève au dessus du terrain d'environ deux pouces. Cette partie fistuleuse de la fleur s'évase con- sidérablement par le haut , où elle se divise en six grandes parties qui étant rassemblées forment le bouton ( planche YI , ^ ) dont nous avons parlé. Elles se séparent ensuite les unes des autres MCSfc ^.z: P. ^ *,!>... MiS?-'^' ■\ ■% \i \. \|j %y iil if/ ^Êl mL m^ ■ 1 ri > ^ Pi H w^ 1 II f ^L i^^É^Jf m h <"""'^iHi ■' 1 n Analyse du Safran, demi ■ (^raîuieur nahn elle ^if;i!f, .T. ' D'UN NATURALISTE. 129 autres (/z), elles s'ëcartent, et quand la fleur est épanouie (f et X'), chaque découpure (////) paroît un grand pétale ovale, de sorte que cette fleur ressemble alors à une petite tulipe fort pointue par le bas. Comme la couleur de cette fleur est d'un gris de lin violet fort tendre , les champs qui en sont garnis sont agréables à la vue. Souvent la fleur est bessonne, et porte alors dix et même douze pétales , et le nombre des stigmates , qui augmente en même propor- tion, a quatre, cinq et jusqu'à six flèches. Trois de ces découpures sont un peu plus grandes que les trois autres j elles ont environ deux pouces de longueur , sur un pouce de largeur ; on aperçoit dans l'intérieur de la fleur, des étamines (planche VU, bbb) qui prennent leur origine des découpures de la fleur; ces étamines sont composées d'un fllet blanchâtre qui porte un sommet long de cinq à six lignes , formé de deux capsules qui , en s'ouvrant suivant leur longueur, répandent une poussière d'un jaune très-vif Le pistil ( planche YII , a ) est composé d'un embryon (c) sur lequel repose la fleur : il est ovale , et a environ un demi-pouce de longueur - il est supporté par un filet qui part de la bulbe même, et qui enfile toute la longueur du pédi- cule {(1) qui est fisluïeux. Cet embryon qui est; Tome I. I ^ r- i\ a i3o VOYAGES d'une forme triangulaire 5 devient, quand la fleur est passée , une capsule à trois loges qui renfer- ment plusieurs semences rondes : le style qui est unique , enfile la partie étroite de la fleur (/) , et quand il s'est élevé dans le disque de quatre à cinq lignes, il se divise en trois grands stig- mates de quinze à dix-huit lignes de longueur. (Planche YII, ^). Le style (a) est blanc, les stig- mates sont d'un rouge vif et brillant 5 ils sont assez longs pour excéder un peu les échancrures du pétale. Ils sont plus menus à leur origine que vers leur extrémité où Ton remarque des canne- lures assez fines. On verra dans la suite que ce sont ces stigmates qui fournissent seuls la partie vraiment utile du Safran. Si l'on arrache un oignon dans le tems de la fleur, on voit les feuilles de cette plante depuis le nombre de deux jusqu'à huit (planche YI, 771 m , et planche IX. , figure 11 , ô ) qui sont ren- fermées par les mêmes enveloppes que la fleur. ( Planche YI, ^, et planche IX, c) . Elles sont très- étroites , pointues , glabres , d'un vert foncé , et ont dans toute leur longueur de dessus une ligne blanchâtre. Peu de tems après que la fleur est passée, ces feuilles sortent de terre (pi. YUI); elles sont à la fin de l'hiver, période de leur accroissement , longues d'un ou deux pieds. Elles représentent une espèce de petite gouttière^ D'UN NATURALISTE. i3i car elles sont creusées en dessus, et elles forment en dessous une arête. La partie des feuilles qui est en terre, est jaunâtre^ celle qui est hors de terre est d'un vert éclatant, de sorte que les champs de Safran paroissent pendant tout Fhiver couverts d'une très-belle verdure. Ces feuilles jaunissent au printems , et peu à peu elles se dessèchent : on les arrache alors ^ et, pendant tout Tété, les champs de Safran que Ton voit bien cultivés, semblent être dénués de toute yégétation. Les petits mamelons de la troisième année ( planche VllI, a âf) attachés dessus les oignons de la seconde {bb) , eux-mêmes végétant des débris de l'oignon épuisé de la première ?innée (c), et qui ont donné naissance aux fleurs et aux feuilles , grossissent peu à peu pendant l'hiver : l'oignon qui les porte se fane, se dessèche, et devient aride à mesure que les nouvelles bulbes font des progrès ( planche VIII, c ) ; de sorte qu'au printems on trouve deux , trois ou quatre nouveaux oignons implantés sur les débris de l'ancien, qui est presqu'anéanti. C'est par rap- port à cette multiplication qu'on est obligé de trois en trois années de relever les oignons pour les diviser. On voit, parce qui vient d'être dit, qu'on I 2 i32 VOYAGES peut établir pour le caractère du Safran, d'avoir, en place de calice , une coiffe membraneuse composée d'une seule pièce. Le pétale est unique; par le bas il forme un tuyau menu qui se divise à son extrémité en six grands segmens ovales. On aperçoit dans l'intérieur trois grandes éta- mines qui prennent leur origine du pétale , et qui sont beaucoup plus courtes que les décou- pures du pétale. Ces étamines sont formées de filets menus et de sommets composés de deux capsules longues, dans lesquelles la poussière fécondante est renfermée. ' Le pistil est formé d'un embryon oblong , d'un style filamenteux qui s'élève à la hauteur des étamines, et de trois stigmates plus larges par leur extrémité que par la base, et striés sui- vant leur longueur. L'embryon devient une capsule à trois loges, qui renferme plusieurs semences arrondies. (W^. i). Or toute l'analyse du Safran d'après le cheva- lier Lamark , dans sa Flore française , se réduit à faire connoître qu'il a les fleurs distinctes, dis- jointes, bissexuelles , pétalées; que son ovaire est sous la corolle; que la corolle en est polypétale , composée de six pétales 5 que la fleur a trois éta- mines , que la corolle est régulière et symé- •'mmmm 1. Le Colcliiqne .^ , Sa^r d^^roTiJezfr naùtre/k^. 3.1a Cartbimif D'UN NATURALISTE. i33 trique, que les trois stigmates sont grêles, roulés et qui ne recouvrent point les ëtamines (^). Culture du Safran. Je reprends mon récit. Terrain qui lui est propre. Les terres fines, meubles ou glaiseuses ; les grouettes noires , sur- tout épierrées , sont celles les plus convenables à la végétation du Safran , qui ne se plaît pas dans les terres trop fortes, dans les sables ni dans les terrains humides. 11 lui faut de huit à neuf pouces de fond. Il pullule plus avantageusement dans une terre noire, légère où les oignons plus gros que par-tout ailleurs ont jusqu'à deux pouces de (*) La différence qui existe entre le Safran , et le colchique d'automne qui lui est comparable pour la forme extérieure ( planche XI), se réduit aux carac- tères génériques suivans : fleur liliacée, ayant un seul ovaire chargé de trois styles, la corolle fort longue, dont le tube nait immédiatement de la racine 5 une tige plate, comprimée et striée dans sa longueur; un spath d'où s'échappent deux et quelquefois trois tiges ; chaque fleur composée de trois pistils distincts et non réunis , terminés par trois stigmates peu apparens , et de six élamines , en quoi le colchique diffère du Safran qui n'en est pourvu que de trois. Celte plante qui fleurit en automne avant son feuillage, qui né paroît qu'au prlntems suivant, au nombre de quatre feuilles semblables à celles du lis blanc, se trouve dans les prc. on fappelle dans le Gaiimis ailleau ^ et dans d'autres endroits mort aux chiens. 13 i34 VOYAGES diamètre et sont vigoureux et bien nourris. Mais ^ si cette espèce de terre favorise la perfection de l'oignon 5 une terre roussâtre développe beaucoup plus de fleurs, qui d'ailleurs deviennent plus belles aux dépens de l'oignon. (IN*^. 2 ). Qualité des oignons. On remarque égale- ment, dit Duhamel, que dans le même terrain se rencontrent deux espèces d'oignons 5 les uns larges et aplatis donnent plus de caïeux ; les autres arrondis donnent plus de fleurs. On a vu sur un seul de ces derniers , trois germes et onze fleurs. L'oignon meurt tous les ans , et c'est le nouveau caïeu qui le remplace. 11 se noue donc vers le mois de décembre , et à sa parfaite crue , laisse sous lui l'ancien oignon dont il a tiré toute la substance. Différence dans les robes. Il est des oignons dont la robe est de couleur fauve 5 d'autres dont la nuance passe successivement de cette teinte foible au rouge , et rouge brun foncé ; cela paroît n'influer en rien sur la qualité de l'oignon , et cette différence semble dépendre des veines de terre d'où ils ont été tirés. Souvent un seul oignon donne dix caïeux. Température convenable. Le faux dégel et la grande gelée sont très-contraires au Safran, En 1 789 , dans l'hiver si rigoureux de cette année,, "% D'UN NATURALISTE. i35 îes oignons gelèrent, et leur multiplication n'of- frit aucun avantage; en sorte que, pour réparer cette perte considérable, on eut beaucoup dé peine à trouver de quoi replanter. ( N'^. 3 ). Préparation de la terre. On donne trois façons à la terre qu'on destine au Safran. On se sert de houes ou de mares, d'après les usages des différens pays; on laboure, ou plutôt on fouette la terre jusqu'à neuf à dix pouces de pro- fondeur, de manière à la rendre plus poreuse que le terrain qui l'environne , dont elle dépasse de beaucoup le niveau. On a soin de la rendre pour ainsi dire grumeleuse, et même pulvéru- lente , à force de Tépierrer et de l'émotter. Ce n'est pas que de petites pierres , jusque de la grosseur d'une noix , nuiroient prodigieusement à la sortie de la tige du Safran , puisque la force végétative lui en fait souvent déranger de beau- coup plus fortes , mais ce sont des efforts inutiles qu'on a soin de lui épargner. Une motte lui fait beaucoup plus de tort en ce qu'elle est plus divi- sible, et qu'elle adhère à ses parties latérales. (No. 4). . Epoque des labours. La première façon qu'on appelle hiverner ou le marage , suivant les pays, se donne depuis Ja Saint-André , la Saint- Martin jusqu'à Noël. 14 i'IlH P ."^ i36 VOYAGES La seconde façon qn'on appelle hiner on rafraîchir les terres, dans tout le mois d'avril, ou au plus tard dans le commencement de mai. La troisième façon qu'on nomme recouler ow rehiner^ se donne à la veille du plantage (N^. 5). Le plantage a lieu de la mi-juillet jusqu'au 8 septembre, d'après les dispositions plus ou moins favorables de la saison. On ne fume point la terre en Gatinais, comme dans FAngoumois , avec le fumier pourri de brebis , bœufs et che- vaux, n'excluant que celui de porcs; mais, lors- que le terrain est une fois préparé et planté, il est piqué aux quatre coins de défenses ou brandies d'épines qui servent à indiquer qu'on doit s'abs- tenir de marcher dessus , ne connoissant point , avant la sortie des fleurs , la direction des sillons parallèles dont l'intervalle sert aux safraniers à à poser leurs pieds pendant la cueillette. Lors donc que la terre est bien ameublie et bien disposée par trois bons labours, on plante les oignons comme il suit : îe cultivateur ouvre sur une des rives du terrain, une tranchée ou sillon de sept pouces de profondeur dans toute la longueur du champ ; une femme ou enfant le suit, et range à mesure au fond de la tranchée , les oignons sur leur base , à un pouce les uns des autres. Au bout du rayage le mareur en ouvre \m autre à six pouces de distance, et jette a D'UN NATURALISTE. ï3j mesure la terre du second sillon , pour combler le premier , et recouvrir les oignons qui se trouvent alors sous six pouces de terre. La grande habi- tude des safraniers dans la direction de cet ou- vrage, fait qu'ils ne se servent jamais de cordeau pour la plantation , et cependant les raies se trouvent toutes régulièrement parallèles; ce qui donne un très-joli coup d'oeil à l'époque de la sortie des fleurs. Des cultivateurs plantent leur Safran aussitôt qu'il est arraché, et croyent devoir à cette pra- tique une plus belle floraison : d'autres qui ont arraché les oignons en juillet ne les replantent qu'en septembre, parce qu'ils prétendent qu'étant ainsi desséchés, ils sont moins sujets à se pourrir. Comme nous ne voyons point , dit Duhamel , pourquoi les oignons pourriroient plutôt la pre- mière année qu'on les met en terre que la seconde et la troisième, nous, inclinerions pour la pra- tique des premiers. Cette réflexion est toute naturelle , et des safraniers versés dans cette culture, que j'ai questionné sur ce point, sont pleinement de l'avis de Duhamel , d'après leurs remarques dont ils m'ont fait part. (N''. 6). Préparation des oignons. Les uns ne dé- robent point le Safran ; d'autres dépouillent l'oignon de cette enveloppe au moins inutile, parce qu'alors ils sont plus à même de découvrir s il-J i38 VOYAGES ia mort ou carie, de Textirper dans les moins gangrenés , et de rejeter ceux sans remède , bien faits pour désoler une plantation en com- muniquant à leurs voisins cette maladie pesti- lentielle. Quoique La Rochefoucault soit d^avis de diviser les gros oignons en autant de caïeux qui s'y rencontrent pour multiplier le nombre , néan- moins on n'obtient par cette méthode aban- donnée, cette pratique délaissée, que des rejetons imparfaits; et l'on préfère en général une petite quantité d'oignons , bons , parfaits et bien constitués, à une plus grande d'une qualité médiocre et inférieure. Développement des oignons. Un tems calme , serein et sans pluie, développe de l'oignon du Safran des racines en assez grand nombre 5 et dès que les premières pluies d'automne ont pénétré la terre, on voit bientôt poindre la fleur. On donne alors , entre les sillons , une légère façon de deux pouces au plus de profondeur , évitant bien de couper les fleurs naissantes avec la houe ou la mare. Floraison. C'est vers les premiers jours d'octobre , époque d'une grande surveiflance parmi les safraniers, que les fleurs sortent de terre. Les bras sont tous en activité pour les D'UIN JNATURALISTE. 139 recueillir , et ne leur point donner le tems de trop s'évaporer. Le développement s'opère quelquefois si subitement, que celui qui vient de passer dans un sillon n'est point arrivé au bout de la pièce , qu'il est obligé de parcourir de nouveau les mêmes raies pour y cueillir les fleurs écloses depuis son passage. (]N°. 7). Les feuilles (planche YIII, eeee) paroissent après la floraison, et recouvrent la terre, pen- dant l'hiver , d'un tapis vert qui plaît à la vue , et qui devient le gîte des lièvres si la safranière n'est point entourée. C^est alors qu'ils font beau- coup de dommages , car leur dent meurtrière suspend la végétation, et empêche le dévelop- pement de l'oignon. Animaux nuisibles. Les lièvres et les lapins ne sont pas les seuls animaux à craindre 5 les taupes qui fouillent des souterrains , les rendent praticables aux rats , mulots et souris , qui sont très -friands des oignons; c'est pourquoi les safranières situées près des maisons sont le plus souvent endommagées. Ce feuillage éteint sa verdeur sous l'influence du soleil du printems ; c'est alors , vers la fin de mai, qu'on l'arrache pour le faire sécher, et le donner l'hiver suivant aux vaches qui en sont fort friandes. Ces feuilles cèdent facilement i^ i4o VOYAGES à la main, la base près roignon en étant déjà décomposée (^). (]No. 8). Travaux de la seconde année. Yers la mi- juin environ , on donne au même cliamp la première façon ou raclage , de trois à quatre pouces de profondeur. La seconde se donne à la fm du mois d'août , et c'est vers la fm de sep- tembre que se donne la troisième, qui n'est qu'une sarclée de deux pouces de profondeur. Travaux de la troisième année. Les mêmes dispositions de culture ont lieu pendant trois années consécutives, et ce n'est qu'à la quatrième, dans les mois de juin , juillet et août, qu'on ar- rache les oignons. Arrachis des oignons. On se sert de la mare pour découvrir, dans chaque rangée, les oignons avec la plus grande précaution; c'est pourquoi on établit la tranchée un peu au devant de la place où ils ont été posés. Le mareur est suivi d'enfans qui les déterrent , et (*) L'herbe s'arrache à la fin de mai , lorsqu'elle est sèche. On la laisse faner, puis on la ramasse. Elle convient aux vaches, et ajoute à la quantité et à la bonté de leur laitage. L'arpent fournit environ soixante gerbes de dix livres la première année , et cent gerbes les deux années suivantes. Quatre jours suffisent à un ouvrier pour arracher, faner et botteler le fourrag© d'un arpent de Safran. D'UN NATURALISTE. t^t les transportent dans des paniers au bout du champ , où ils les mettent en tas reposer environ six semaines. D'autres les replantent presqu'aus- sitot après avoir été arrachés. Ceux-ci les dé- robent ; ceux-là conservent leur enveloppe qni , comme nous Favons déjà observé , est au moins inutile. Usage qu'on fait des oignons. Ce n'est plus dans le même champ que peuvent se replanter ces oignons à Safran 5 ils ont épuisé par leur séjour trisannuel tout le suc nourricier du ter- rain , qui ne peut être propre à une semblable culture qu'après un repos de quinze ou vingt ans. On emblave ordinairement les arrachis de Safran en avoine mêlée avec du sainfoin , et quand ces plantes ont exercé la terre pendant neuf ans, on y plante ordinairement de la vigne, ou bien de l'orge, puis du froment. Duhamel observe que l'intervalle de vingt ans seroit bien moins long, si l'on étoit dans F usage de restaurer ces terres épuisées en les fumant 5 mais l'inno- vation fut de tout tems proscrite par les paysans : ensorte qu'on ne peut résoudre d'une manière positive celte probabilité. Ce n'est point la première année que la terre a épuisé en faveur des oignons une partie de ses sucs nourriciers , elle en possédoit bien au delà de leurs besoins 3 aussi, ne prenant que l'habitude t42 yoyages de son influence végétative , ils donnent moins de fleurs que Tannée suivante, où les oignons ont commencé à se multiplier. Ce n'est que la troisième année que la récolte moins abondante, les fleurs plus grêles, annoncent que la terre a JDesoin de repos. Cest pourquoi Ton a bien soin d'arracher les oignons dans la quatrième année. La multiplication des caïeux est telle , que Far- rachis d'un demi -arpent produit en oignons de quoi planter un arpent et plus. La Rochefoucauït annonce que six boisseaux en ont produit treize en deux ans, et que cinq boisseaux en ont produit vingt en quatre ans. Observations. La rigueur des hivers si fu- nestes au Safran est la cause que les oignons sont plantés aussi profondément en terre; car, dans un pays où Ton n'auroit point à redouter l'in- fluence des gelées, il sufliroit de les mettre à. trois ou au plus quatre pouces sous terre. Remarques sur la température. Un grand hâle, depuis le premier juin jusqu'au vingt-cinq, annonce une récolte abondante. Quand il pleut en juiflet et août, on a peu de Safran à la récolte suivante. Récolte du Safran. Un automne beau, sec et chaud protège le développement des fleurs du Safran, tandis que cette saison, venteuse, trop pluvieuse et froide, en ralentit la floraison. D'UN NATURALISTE. i43 Ainsi , si vers la fin du mpis de septembre le lems chaud est accompagné de pluies douces, les fleurs se forment et pointent à vue d^ceil , et leur parfaite sortie n'attend même point le déclin du soleil qui les a vu naître. Le matin , au réveil du diligent cultivateur , les champs , comme recouverts d'un tapis gris de lin violet , lui annoncent l'abondance, sourient à son travail, et promettent de récompenser largement ses peines et son labeur. Mais c'est l'époque aussi où cette culture exige sa plus grande vigilance ^ voilà les derniers soins qu'elle nécessite : il n'a pas de repos , pour ainsi dire , à espérer soit le jour, tems delà cueillette, soit la nuit destinée à éplucher les fleurs. Malgré toute cette sollici- tude , ils sont souvent contrariés pendant cette récolte, et à la veille d'une complette abondance que la fécondité semble leur promettre. Ces malheureux journaliers éprouvent des pertes de leur abondance même^ car, pendant la cueillette , un gros vent souvent meurtrit les fleurs , et une pluie les pourrit. C'est ce qu'on a éprouvé dans la même récolte en 1 8o5 , où après un semblable fléau, c'est à dire les fleurs d'abord contusées par le vent, ensuite pourries par une forte pluie qui en contrarièrent la cueillette, les fleurs ne se gardoient au plus que cinq heures , et faute de bras pour les éplucher en si peu de tems , i44 VOYAGES en raison de ce que cette récolte se rencontra avdc celle de la vendange tardive, on en perdit une grande quantité qu'on fut obligé de jeter, sans le moindre espoir d'aucune spéculation. Cours du prix du Safran. Cette disette eni- péclia le Safran de monter. Comme il tire sa valeur de son abondance , et qu'en général plus il est rare , moins il est cher , il ne valut donc au commencement de 1806 que de 42 à 5o liv. , tandis que les années précédentes où il y en eut en abondance, il valut jusqu'à 96 liv. et même cent francs la livre. C'est une remarque assez particulière. La cause qui en est toute simple, provient de ce que plus les récoltes sont abon- dantes, plus les levées en sont recherchées, et l'exportation considérable; il y a donc spé- culation et concurrence de la part des com- merçans; ce qui tourne toujours au profit du vendeur. Lorsqu'il arrive des années où les fleurs se succèdent graduellement, on a bien le tems de tout ramasser et de tout éplucher, parce qu'a- lors les vendages finies, les safraniers n'ont plus d'autre smn que celui de cette récolte. En cette même année de 1806, les 5 et 6 janvier, je vis ramasser encore, dans le Gatinais, des fleurs en quantité dans les paroisses de Boesse , Echilleuses , Boines, Bouilly, Vrigny et Bouzonville3 fleurs de D'UN NATURALISTE. 145 decaïeux écloses après les premières gelées, et dont la sortie fut favorisée par un intervalle moins rigoureux. Dans une année ordinaire, la fleuraison dure environ trois semaines. Les huit premiers jours on récolte peu, les huit jours suivans abondam^ ment, ce qu'on appelle la force^ et les huit der^ mers ne sont employés, pour ainsi dire, qu'à glaner. Description de la cueillette. Hommes, femmes et enfans, les paniers aux bras, sans au' très instrumens que les ongles, vont plusieurs fois le jour aux safranières dans la force de la fleur, et seulement deux fois par jour, le matin avant la rosée, et le^soir dans les huit premiers et les huit derniers. Chacun d'eux prend son sillon, et pour cueillir plus commodément sans endommager les fleurs qui n'ont point encore paru, ils posent chaque pied dans les rangées ou intervalles latéraux de la raie des fleurs, et à l'aide des ongles, ils coupent le pédoncule ou queue de la fleur au niveau de la terre, c'est à dire bien au dessous de son bassin : quand ils en ont une poignée, ils la déposent dans le panier sus- pendu à leur autre bras. Si la grandeur du terrain comporte, pour cette cueillette , plus que chacun son panier, les hommes ont des hottes qu'ils rempHssent, et indépendamment, ils ont au Tome L j^ 5i i46 VOYAGES bout du champ un âne, avec de vastes paniers qui servent à en transporter une bien plus grande quantité. Epluchage dit Safran. Les fleurs qui ne sont pas encore épanouies, et en qui il n'y a point eu ou très-peu de déperdition deprincipg odorant, sont aussi les plus faciles à éplucher. 11 faut les eueiUir promptement, car elles passent très-vite. D'après la fraîcheur et la bonne qualité des fleurs du matin, on doit croire qu'elles poussent bien plus dans la nuit que dans tout autre tems. On a soin, en rompant la fleur, de rompre aussi le pistil qui est au milieu; car en restant, il feroit pourrir l'oignon, en lui communiquant sa décomposition. Lorsqu'on a trop de fleurs pour les éplucher en une seule séance, on étend le surplus sur un plancher, afin de pouvoir les conserver d'un jour à l'autre 5 car elles ne pourrissent poiùt chaque année comme en i8o5 , au bout de cinq heures de cueillette. 11 faut néanmoins avoir bien soin de ne point les laisser en tas, autrement elles s'échauffent, s'amolHssent, et deviennent plus incommodes aux éplucheuses pour la sec- tion. Que de chansons ! que de contes dans ces réunions villageoises ! Tous les éplucheurs, au- tour d'une tabie, prennent à mesure à la masse des fleurs posées au milieu , en détachent le pistil D'UN NATURALISTE. i^^ cîe chacune en pesant sur Je pédoncule avec l'ongle gauclie , et retirent les stigmates ou flèches delà main droite, après qu'elles ont été rompues et séparées du pistil par cette section. Chacun met en tas devant lui les flèches , ou stigmates du pistil , et jette sous la table la corolle et les étamines comme inutiles. Il y a assaut de diligence, et souvent les meilleurs travailleurs acquièrent une double réputation auprès de leurs amantes. Les plus adroits éplucheurs coupent le pistil très-peu au dessous de la trifu r cation , et laissent par ce moyen au rebut avec la corolle la base , ou style (fig. VII,a),quiestunfiletblanc,lequeî n'ayant ni odeur ni couleur, ôte au Safran de sa qualité. Les marchands cependant aiment à voir un peu de ce blanc, qui annonce qu'on n'a point frelaté le Safran avec dusafranum. Souvent la présence d'étamines , ou rognures de pétales qui se moisissent et communiquent une mauvaise odeur au Safran, suffisent pour en diminuer le prix. Chaque éplucheur peut faire sa livre de Safran vert par jour, et il en faut cinq livres de vert pour une livre de sec. (No. g). Les gros safraniers ne pouvant suffire avec leurs enfans à éplucher seuls leurs revenus, louent des bras pour le tems de la récolte, et paient ou à la journée ou au poids. Dans certains K 2 f4^ VOYAGES pays on donne de 5 à 6 sous pour chaque livré de Safran vert, mais dans les tenis ou les bras sont rares , le prix va de 4o à 5o sous ; en 1806 on exigea, jusqu'à 6 francs. Dessigation du Safran. A mesure que le Safran est épluché , on Texpose à trois ou quatre pouces au dessus de charbon couvert de cendres chaudes , sur un tamis de crin , pour Fy dessécher lentement. Une trop prompte évaporation, comme on le conçoit bien, enlèveroit tout le principe odorant volatil. On le remue de tems entems, à mesure qu'il se dessèche. I^ fuméele décolore ou plutôt altère sa couleur. (N». 10). Cette opération se fait sous des manteaux de cheminée^ car Fodeur, malgré toutes les précau- tions que Ton prend pour sa moindre dissipa- tion, s'exhale encore de manière à incommoder ceux qui restent dans la chambre. L'expérience n'en a que trop malheureusement prouvé le danger, par la mort d'un garçon droguiste qui s'étoit endormi sur un sac à Safran. Si cette odeur modérée est favorable aux filles attaquées de chlorose ou pâles couleurs , elle devient dan- gereuse, comme j'en ai vu plusieurs exemples > aux femmes récemment accouchées, à qui elle occasionna des pertes qui cessèrent bientôt dès que j'eus fait détourner la cause de ces accidens. 11 est des pays où on fait dessécher le Safran D'UN NATURALISTE. 1^9 dans des terrines, mais nécessairement îe vernis ^ et même l'usage auquel ces vases ont ser\'i, doit lui faire contracter un goût et une odeur défavo- rables. Lorsque le Safran est parfaitement sec et entièrement dépourvu de son humidité, on le met dans des boîtes fermant hermétiquement;, d'autres négligent cette utile précaution , et îe renferment dans des sacs de toile serrée , et lorsqu'on est prêt à le vendre , les hommes de peu de foi l'exposent à l'humidité pour le faire peser davantage. Produit annuel. La première année , un arpent produit de quatre à cinq livres de Safran sec; mais la seconde et la troisième, il en donne de quinze à vingt, et même vingt-cinq. Qualités exigées du Safran. Le Safran est réputé bon, lorsqu'il est bien sec, d'un beau rouge vif pourpré, sans mélange d'étamines ou de pétales, et surtout lorsqu'il n'est point so- phistiqué avec du safranum. Celui du Gatinais est d'une qualité si supérieure , que les hardes des paysans qui en ont épluché et serré dans leurs armoires, en sont empreintes plus de six mois après. On profite de cette vertu communicative pour l'allier et le mélanger avec celui d'une qualité inférieure et inodore, ( N^. 11). K3 î5o VOYAGES Maladies des oignons. On reconnoît trois maladies sujettes à attaquer les oignons de Safran , savoir j i^. le fausset, 2^. le tacon, et 3^. la mort. Le fausset ou tuette ( expression du Gati- nais ) est une excroissance creuse en forme de tube qui se développe près du caïeu. On l'ap- pelle ainsi , à cause de sa forme grêle et conique. ( Planche IX, fîg. i^®. <2, et lig. 11 ). Devenant parasite pour Foignon , le fausset vit à ses dépens, et altère sa substance. Cette déperdition nuit par conséquent à la formation des caïeux, et en diminue le nombre par-tout où il se rencontre. Cette -maladie fort heureusement se propage très-peu; et dans un quartier de terre à Safran , où existent cent soixante boisseaux, à mille oignons environ par boisseau, on rencontre au plus cent oignons qui en soient attaqués. Il pa- roît que cette maladie dérive du taconé , et qu'elle n'attaque que les oignons frappés de cette der- nière infirmité. Duhamel croit le fausset égale- ment produit par le taconé. Cause. Le fausset, dit cet observateur, est produit par une surabondance de sève qui occa- sionne une espèce de tumeur anévrismale. Remède. Le seul moyen d'obvier à cet incon- vénient est l'extirpation de ce tube, si l'oignoiï n'est point trop gâté. 1 D'UN NATURALISTE. î5î Le tAcon (Planche X 5 fig. m.) Est une es- pèce d'ulcère qui attaque la partie bulbeuse de l'oignon, et jamais ses enveloppes. Quand le mois de mai est humide , cette espèce de carie ou putréfaction se développe et fait de plus rapides progrès , surtout dans les terres glaises .JLes ter- rains secs et pierreux 5 ou grouettes, y sont moins sujets. Le tacon s'annonce par une tache brune ou bistre qui se convertit bientôt en ulcère ron- geur, lequel décomposant chaque jour, par corrosion , la substance de l'oignon , parvient de la circonférence au centre. Le coeur une fois at- taqué, décide de la mort de l'oignon. (N*'. 12). Cause. U paroît que le tacon , ou taconé , pro- vient d'une surabondance d'humidité. Remède. Le seul est l'amputation des parties corrompues. Onlaisse dessécher l'oignon, puis on peut le replanter. La Rochefoucault veul qu'on plante à part tous les oignons attaqués et rendus sains , assurant que l'année suivante ils seront presque tous guéris. Cette précaution me paroît inutile , car si la tendance à la corruption n'existe pas parmi des oignons restaurés après avoir eu un principe de cette carie , à plus forte raison ne doit-on point craindre l'épidémie au milieu d'oignons sains et tous bien constitués. K 4 i52 VOYAGES La MORT (Planche IX /fîg. m.) Se reeonnoii à des symptômes incontestables; c'est ime ma- ladie contagieuse qui fait les plus grands ravages. Jusqu'ici la cause n'en est point reconnue indu- bitable , malgré les assertions de Duhamel , que je citerai plus bas. Ce qu'il y a de certain, c'est que passé la mi-mai , l'oignon n'est plus sous l'empire de la mort; il ne la redoute qu'au moment du développement du germe, c'est à dire depuis la pousse des premières lignes jusqu'au premier pouce; alors il est sauvé, plus de danger pour lui : cependant , s'il en a été menacé , il ne donne l'automne suivant qu'une fleur pâle, frêle, lan-^ guissante; pourtant il produit ses caïeux pour l'année suivante. La mort frappe premièrement la robe, elle perd alors sa couleur gaie pour revêtir des habits de deuil; une couleur violet-noir est celle qui suc- cède à la première d'un jaune cendré; elle hé- risse toutes côtes ou bandes transversales de petits fdamens âpres, rouges, qui non seulement attaquent les voisins, mais même traversent d'une raie à l'autre. ( Planche IX, fig. ni. aa. aa ), La robe Q)b) ou enveloppe étant déjà détruite, la mort est bientôt aux prises avec l'oignon qu'elle décompose, dont elle consomme à son funeste passage toute la substance. Son empire lie s'annonce que trop sûrement par des manquer D'UN NATURALISTE. i53 dans les terrains, des espaces dégarnis de ver- dure ; car les feuilles , dès le principe de celle maladie, jaunissent et se dessèchent les pre- mières, comme tirant leur entrelien du centre de l'oignon qui est déjà détérioré. Bientôt il désole tous ses voisins , et les infecte de sa con- tagion mortifère , devenant le noyau et le foyer de celte épidémie dévastatrice. 11 suffit d'un seul oignon gâté pour ravager en un an au moins six et même huit pieds de diamètre. Les progrès de cette épidémie ne s'arrêtent qu'à la pousse du Safran , c'est à dire à son premier dévelop- pement végétatif; cette éruption lui rend la vie. Le soleil aussi purifie ces oignons quand ils ne sont pas gâtés sans ressource. Une remarque confirmée par l'expérience prouve que toute terre à Safran sur laquelle rampe , avant les façons , de la vrille ou petit liseron, annonce qu'il n'y a pas d'oignons de morts 'y car la mort fait périr ces plantes , tandis qu'elle n'attaque pas les ponceaux , ou pavots' rouges. (]N°. i3). Cause. Elle n'est provoquée ni par insectes, ni mousse , ni plantes parasites : elle est encore inconnue. Remède. Il n'est donc point d'autre moyen d'empêcher la progression des ravages de la mort^ qu'en interceptant toute communication î5à VOYAGES avec les oignons circonvoisins par des trancliées circulaires, rejetant sur le terrain maudit la terre de ces tranchées , qui seule suffiroit pour porter la désolation , étant déjà empreinte de ce •vice préjudiciable et contagieux , tel qu^au bout de quinze et même vingt ans , il produiroit le même effet sur des oignons sains qu'on viendroit à planter dans le même terrain y primitivement théâtre de la mort. Ce qu'il y a de particulier , c'est que des pommes de terre plantées dans un terrain où il y avoit eu de la jnort , ont été retirées pourries. La maladie ne vient donc point d'un corps étranger , mais bien de l'influence commu- niquée à la terre par la désorganisation de l'oignon. Voyons ce qu'en dit Duhamel. Observations. Duhamel a observé plusieurs états difFérens d'après les progrès de cette épi- démie. Les oignons du noyau , par exemple , dit- il 5 étoient totalement détruits ; leurs enve- loppes d'un brun terreux -, une quantité de corps glanduleux d'un rouge obscur de la gros- seur de fèves 5 le corps de l'oignon réduit en substance terreuse , où l'on ne voyoit que la trace des fibres de la bulbe. Les oignons de la circonférence les moins attaqués de la maladie n'avoient d'autre marque de la contagion que quelques filets violets qui D'UN NATURALISTE. iraversoient les membranes de leurs tégumens. Quelques autres avoient sur leurs tégumens ou entre les lames qui les forment , quelques corps glanduleux, et on n'apercevoit sur les enveloppes de ces oignons que quelques taches violettes. Les oignons qui ëtoient à la partie moyenne , c'est à dire entre le centre et la circonférence des endroits infectés , étoient dans un état mitoyen de maladie -, mais la terre étoit entièrement tra- versée par des filets violets extrêmement déliés et aisés à rompre. Comme je ne trouvois ces corps glanduleux et ces filets violets que dans les endroits infectés, je soupçonnai qu'ils pouvoient être la cause, ou du moins l'effet de la maladie. Ces corps glandu- leux ressemblent à de petites truffes , mais leur superficie est velue, leur grosseur n'excède pas celle d'une noisette (planche YIII, fig. iv) : ils ont l'odeur du champignon, avec un retour ter- reux; les uns sont adhérens aux oignons de Safran, et les autres en sont éloignés de deux à trois pouces. Les filets sont ordinairement d'un fil fin et de couleur violette, velus comme les corps glandu- leux ; quelques - uns s'étendent d'une glande à l'autre , d'autres vont s'insérer entre les tégumens des oignons, se partagent en plusieurs ramifica- tions, et pénètrent jusqu'au corps de la bulbe ^ i56 VOYAGES sans paroître sensiblement y entrer. Ils forment dans cette route une infinité d'anastomoses et de divisions , et sont parsemés de petit nœuds ou. ganglions, qui ne paroissent être autre chose qu'un amas de laine qui recouvre les corps glan- duleux et les filets. Ces observations m'ont fait penser, continue Duhamel , que les tubercules sont des plantes pa- rasites qui se nourrissent de la substance de l'oignon, et qui, comme les truffes, se multi- plient dans l'intérieur de la terre, sans se mon- Irer à la superficie. 11 paroît certain que cette espèce de truffe se nourrit aux dépens de l'oignon du Safran, puis- que ses racines pénètrent ses enveloppes , et s'at- tachent à sa propre substance qui dépérit à pro- portion du progrès que ces racines font sur l'oignon. Si l'on joint à ceci une autre observation, qui est, que cette maladie fait presque tous ses progrès pendant les trois mois du printems, je ne crois pas qu'on puisse douter que cette plante parasite (^) n'en soit la véritable cause , puisque c'est en cette saison que les racines végètent et s'étendent le plus. Pour m'assurerde ce fait, j'ai ' ' « (*) Celle plante parasite est aujourd'hui très-bien connue. Vojez Bulliard , histoire des clxampignons. 1 D'UN NATURALISTE. 1^7 planté quelques tubercules de la mort dans des pois 011 j'avois planté de la terre saine des oignons de différentes fleurs 5 en un an de tems , ces tu- bercules se sont multipliés dans ces pots, et ont attaqué les oignons que j'y avois plantés. J'ai depuis ce tems-là trouvé cette même plante pa- rasite qui faisoit le même dommage à des hièbles, de l'arrête-bœuf, à des plants d'asperges, etc Cette petite truffe se nourrit , comme on le voit, de plusieurs plantes d'espèces fort diffé- i^entes. Elle n'attaque point les plantes annuelles , ïîi celles qui n'ont leurs racines qu'à la super- ficie de la terre. Mais, d'un autre côté, mes observations détruisent tout le merveilleux de la maladie dont il est question : il est naturel que cette plante parasite s'étende circulairement page 81, C'est la sclerote des Safrans de PersooHj synopsie T19. Cette plante parasite , dit BuUîard , est la plus petite des espèces de ce genre 5 c'est aussi la seule qui ait de véritables racines : elle s'attache particulièrement aux bulbes du Safran cultivé dont elle s'approprie la subs- tance , et qu'elle fait périr promptement : aussi est-elle connue des cultivateurs sous le nom de mort du Safran, Il y en a de diverses grosseurs. Leur chair est ferme , rouge en dedans comme en dehors, et la chair paroît formée de petites écailles placées en recou- vrement, ainsi qu'on le voit plane. IX, fig. IV ^ grossie par la loupe. i58 VOYAGES autour des oignons malades , puis qu'elle fait ses progrès par Talongement de ses racines , et par la production de nouveaux tubercules. Si un oignon malade , ou une pellée de terre établit la maladie dans un champ sain, c'est qu'on y transporte en même tems la plante contagieuse : tout cela se passe, pour ainsi dire, en secret , puisque cette plante ne se manifeste point au dehors. On parvient à arrêter ses progrès par une tranchée, parce qu'on empêche les racines meurtrières de s'étendre; et c'est en effet le seul moyen que l'on prisse employer pour empêcher que cette maladie mortelle ne gagne tout un champ de Safran. PROPRIÉTÉS DU SAFRAK Le Safran considéré sous le rapport de LA MÉDECINE , a dcs vcrtus en grand nombre ; il est, Béchique , hystérique , diaphorétique , cor- dial, céphalique, ophtalmique, stomachique, carminatif , détersif , résolutif et assoupis- sant, etc. Nous allons l'examiner succinctement sur toutes ces qualités , qu'il possède à un très-haut degré. Comme béchique. C'est un bon expectorant, €t recommandable dans l'asthme humide et 1 D'UN NATURALISTE. 159 coiîvulsif, ainsi que dans les embarras du pou- mon. Rivière ordonne avec succès aux asthma- tiques un scrupule de Safran en poudre dé- layé dans du vin^ et Boyle, dans la même maladie, le prescrit en poudre ou en pilules, à la dose de 8 à 10 grains, avec un peu de sirop de violette , le soir en se coucliant. Infusé dans du lait, on le donne avec avantage en petite dose dans les affections du poumon, s'il n'y a point complication d'hémoptysie ou crachement de sang 5 car il exciteroit certai- nement une hémorragie pernicieuse , par sa vertu irritante et ses principes volatils , acres , huileux , aromatiques et salins , qui enflamment le sang, liquéfiant les humeurs, échauffent Fun et Fautre, et les rendent acrimonieux. C'est cette vertu contraire en ce cas , qui le rend recommandabîe dans les suppressions des règles, surtout en le combinant avec des préparations de Mars. Comme hystérique et emménagogue. On en met infuser une pincée dans les liqueurs emmé- nagogues , bouillons ou boissons ordinaires , infusions théiformes, contre la jaunisse ou chlo- rose. Il provoque donc puissamment les règles retardées ou suspendues , ou coulant trop len- tement. Lorsque les lochies vont mal , on Fadministre PIEÎI m iQo VOYAGES également, il enlève la cause de ce retard, comme apéritifs et calme en même tems tous les ac- cidens à craindre , comme nervin. Comme dïAphorétique. Dans les maladies hypocondriaques y et lorsqu'il est besoin de 230Usser à la peau , comme dans les fièvres érup- tives 5 malignes , la petite vérole , la rougeole , l€s fièvres miliaires, lorsque l'éruption a peine à se faire, que la tête se prend, qu'il y a affection cérébrale , et coina , alors on le mêle avec le camphre , et il devient sudorifique. On l'ordonne comme diapliorétique , mêlé à la squine , dans la goutte et les rhumatismes. Comme cordial et alexitère. On l'emploie avec beaucoup d'avantage dans les maladies pestilentielles et putrides. (N^. i4)- Comme céphalique. Dans les affections du cerveau , et la plupart des maladies du genre nerveux qui sont accompagnées de mouvemens convulsifs , contre lesquels il agit comme anodin. Comme ophtalmique. On mêle sa teinture à l'eau de rose et de plantain dans les collyres prescrits, pour préserver les yeux des influences funestes de la petite vérole, ainsi que de la chassie. On le mêle à des huiles douces, pour faire un liniment dont on frotte les yeux dans la petite vérole çonfluente;> afin de les conserver. Un certain D'UN NATURALISTE. i6r certain praticien heureux le faisoit infuser dans de la crème jusqu'à ce qu'elle ait pris la teinture, et en frottoit le visage dans la petite vérole pour empêcher qu'elle ne cavât trop. Comme stomachique. Le Safran est la base de l'élixir de garus , puissant remède pour les estomacs froids, foibles , délicats et pares- seux. Dans les coliques venteuses et indigestions, la dose est d'une cuillerée mêlée avec deux fois autant d'eau. 11 est à observer que ce remède échauffant prodigieusement, il faut savoir en modérer l'usage. Le Safran est également la base du scuba , liqueur stomachique. Gomme hépatique. Le Safran est ordonné avec succès pour lever les obstructions du foie. Comme carminatif. Il pousse puissamment les flatuosités. Comme détersif. On l'emploie dans les gar- garismes résolutifs, lorsque les effets de l'esqui-- nancie sont lents , ou qu'il y a obstruction aux amygdales 5 alors ces gargarismes se préparent avec le safran , le lait , les figues grasses , la véronique mâle , la brunelle et la pervenche. Pour l'extinction de voix on prescrit avec succès le remède suivant : Prenez une pincée de Safran , faites bouillir dans un poisson do Tome L L iPWi i62 VOYAGES lait , et le faites prendre au malade, le plus chaud possible. Comme résolutif et anodin. On Femploie lorsqu'il s'agit d'apaiser l'inflammation des tumeurs, de la goutte et des rhumatismes, dans les cataplasmes de mie de pain et de lait qu'on ordonne à ce sujet ^ mais à plus forte dose, lors- qu'il s'agit de résoudre des tumeurs dures et squirreuses. Enfin comme assoupissant. Le Safran, re- connu narcotique par expérience, n'est qu'ano- din et assoupissant pris à petite dose 5 et ce qu'il y a de particulier, c'est qu'il est estimé comme le meilleur correctif de l'opium. Pris en trop grande quantité, à la dose de trois gros, par exemple, il cause la pesanteur de tête, ensuite le sommeil, puis des ris immodérés et convulsifs qui se terminent par la mort. JXotA. Son usage habituel, quoique d'une saveur très-amère, le rend moins pernicieux 5 car les Polonais dans leurs alimens en mettent jusqu'à une once, sans en éprouver aucun ré- sultat fâcheux. Le Safran, en un mot, est pour les Polonais ce que l'opium est pour les Turcs , qui graduellement arrivent au point de le prendre impunément. On peut^ s^ps habitudlp contractée, en user D'UN NATURALISTE. i63 quelquefois sans danger à la dose d^un scrupule jusqu'à un scrupule et demi. Il y a des pays où on le mêle avec le pain : en Italie, on en met dans la soupe et dans tous les ragoûts. On pourroit cependant s'en abstenir dans ce pays chaud, où son usage n'est point utile comme dans les pays froids. On tire, par des procédés chimiques, la tein- ture et l'extrait de Safran 5 mais beaucoup de médecins préfèrent son usage en substance ou en infusion, à ces préparations de l'art qui d'ailleurs sont moins faciles à se procurer dans les campagnes. On demandera peut-être pourquoi le Safran, sagement administré, est nervin , anti-convuïsif , et pourquoi à forte dose il excite des convul- sions , et devient si funeste? L'auteur du Dic- tionnaire raisonné et universel de matière médi- cale offre la solution de ce problême. C'est apparemment, dit-il, qu'à dose modérée il fait couler modérément l'esprit animal; au lieu qu'à forte dose, il occasionne un flux immodéré des esprits. Les stigmates de Safran, dit M. Vogel, ré- pandent une odeur suave, provoquent le som- nieil, égayent l'esprit, et excitent les jeunes gens à la joie. Schulz. prael. in disp. br. 236. Ils ra- niment les esprits, suivant M. Pringle , Trans. L 2 i6i VOYAGES pliilos. ; et résistent fortement à la putréfactîcHi * ils rendent Farine rouge, apaisent les douleurs et les convulsions; procurent Fécoulement des- règles 5 favorisent l'accouchement , modèrent la toux ; mais il faut éviter de les prescrire à trop forte dose , ils deviennent un poison. On a des observations qui prouvent leurs mauvais effets j dans Zacut de Portugal , Prax. adm. , lib. m, observ. i44; dans BorelL, lib. iv, observ. 30y 35; dans Stenzel. , de Anod. virt. ven. §. xxxiv* On lit in Comm. Norimb. 1735 , pag. 29.0 ^ qu'une cuillerée entière de Safran avalée avoil occasionné un vomissement énorme, et a voit fait rendre ensuite une quantité considérable de vers. Amatus de Portugal, curât, raed., cent. V, pag. 71 , et Hertodt , crocolog., ont ol)servé que le Safran communiquoit sa couleur aux fétus des hommes et des brutes. Réduit en poudre, et répandu sur les excoriations des enfans , il les guérit , suivant Baeumler. C'est dans ce siècle qu'on a découvert que le Safran contenoit une huile élbérèe , mais en petite quantité. Le Safran , dit Chomel , entre dans la thé- riaque, dans l'élixir de propriété de paracelse, xlans l'éhxir de garus , dans les tablettes de Safran de mars composées , la poudre d'hiar- rhodon, le çaithridatj la confeciion d'hyacinthe^ D'UN NATURALISTE. i65 Fhîëraprica de Gallen , les trocliisques de cam- phre 5 les pillules dorées , et dans les pilkiles pour la gonorrhëe de Char as. Le Safraî^ r.oNSiDÉRÉ sous le rapport DES ARTS. Propre aux amidonniers. On peut l^iire de Irès-bel amidon avec Poignbn de Safran ; mais ïe prix en seroit trop cher par la quantité d'oi- gnons qu'on seroit obligé de se procurer pour cette manipulation à laquelle il est plus sage de renoncer. Propre aux peintres et teinturiers. Les stigmates de Safran fournissent une belle tein- ture, mais dispendieuse et difficile à fixer. Les peintres et architectes l'emploient pour le lavis des plans et l'aquarelle. Propre aux confiseurs et dans les offices. Il entre dans les crèmes, les gaufres, les biscuits, pastilles , conserves , scubac , etc. Sous LE rapport DE l'iNTÉRÊT PUBLIC ET DE l'intérêt particulier , la culture du Safran est également importante. Sous LE RAPPORT DE l'ïNTÉRÊT PUBLIC. Parce qu'elle fournit une branche de commerce assez étendue , dont l'objet est entièrement d'expor» talion. Il se consomme en France au plus la L 3 %. i66 VOYAGES millième partie du Safran qui s'y récolte aux usages indiqués plus haut. Sous LE RAPPORT DE l'iNTÉRÈT PARTICULIER. Parce qu'elle est extrêmement avantageuse pour le cultivateur et le propriétaire locataire du terrain, ainsi qu'on le voit d'après le tableau suivant. Au Safran succède ordinairement dans le Gatinais le sainfoin. Ce gramen , trouvant une terre meuble préparée par de fréquens et pro- fonds labours , pousse des racines étendues qui en trois ou quatre années non seulement lui rendent, mais même accroissent sa fécondité par l'engrais qu'elles procurent ; au point qu'on y récolte jusqu'à trois moissons de blé consé- cutives , sans repos et sans autre engrais. Ainsi une pièce de terre consacrée à cette culture produit en neuf ou dix ans trois récoltes abon- dantes en blé , trois ou quatre récoltes de sain- foin 5 au moins équivalentes à trois récoltes de blé de mars, et en outre trois récoltes de Safran, de manière que les récoltes de Safran sont toul l'excédant du produit net. Frais de culture d'un arpent de terre A Safran pendant trois ans. L'arpent de terre à Safran loué l'un dans Pautre 80^, au lieu de 12^ environ pour cul- D'UN NATURALISTE. 167 ture ordinaire, est payé, pour trois années de jouissance 240 ^, 11 faut pour le plantage G^o boisseaux d'oignons, qui font 160 mines, à vingt sous le boisseau contenant environ mille oignons 64o Contribution à 9 ^ par arpent l'un dans l'autre 27 Frais de cueillette et d'ëpluchage, à supposer qu'on ait besoin de journaliers , pour cinquante-cinq livres de Safran en trois ans, à quarante sous la livre ... iio Total des débourses pour trois années de récolte 1017 ^ Produit de trois récoltes de Safran. La première récolte donnant environ 5 ^ La seconde , produit moyen , . . 25 La troisième , produit moyen ,.25 Font . . . . . . 55^ Les cinquante-cinq livres de Safran sec, l'une dans l'autre à 5o^, font . . . 2750 ^ Voilà le fonds de la terre triplé en une année pour le safranier propriétaire. On voit, d'après L 4 i68 VOYAGES cet exposé , qu'il n'est point d'exploitation dont le bénéfice puisse être comparé- à celle du Safran. Le propriétaire locataire des terrains qui sont propres à cette culture , participe aussi aux avantages qui en résultent ; car il les estime généralement huit fois aussi chers que s'ils étoienî en culture ordinaire. iikTi D'UN NATURALISTE. NOTES. (No. i) Xjes graines contenues dans Fovaire , dît M. Delataille-Desessarts, ne mûrissent point assez dans le Gatinais; c'est pourquoi on en néglige la ré- colte pour la multiplication de l'espèce , d'autant plus qu'on la régénère au moyen des caïeux dont le dév*e- loppement est plus sensible, et l'accroissement plus prompt. Cependant , si l'on veut par disette d'oignons avoir recours à ce moj^en, on laisse une partie du champ de Safran sans en cueiUir la fleur, et deux mois après sa défloraison, on coupe le pédicule au dessous de l'ovaire, qui forme une capsule triangulaire qui renferme le fruit. On la fait sécher au soleil pour la semer ensuite. On arrache les oignons provenus de cette graine trente mois après qu'ils ont été semés , et ils rapportent presque toujours la même année. (No. 2) Le seul engrais convenable aux safranières, ainsi que l'observe M. Delataille-Desessarts, c'est le marc de raisin que l'on étend sur le sol, un mois avant le premier labour. On prétend que cette sorte d'engrais préserve l'oignon de ses maladies habituelles, ou du moins qu'il en devient le palliatif. C'est à tort que ce même observateur dit que les terres à blé et celles où la vigne vient d'être arrachée , ne sont pas trop conve- nables aux plantations de Safran 5 puisque rien n'est î-o VOYAGES plus propre à recevoir cette plante bulbeuse qu'un airachis de vignes ou de chenevis. (No. 3) Plus on plante creux, et plus les fleurs et îes tiges sont belles et vigoureuses, et moins la gelée a d'empire sur les oignons. Il faut que le froid passe le dixième degré, pour qu'il gèle à sept pouces de pro- fondeur. Les faux dégels seuls peuvent être défavo- rables aux oignons en ce qu'en les plaçant entre deux giaces, ils se fendent et pourrissent en peu de tems. Les vieux oignons gèlent plutôt que les nouveaux, parce que la proéminence de leurs caïeux supérieurs el l'effort annuel de la végétation les rehaussent par an de huit à neuf lignes , et les portent bientôt presqu'à la superficie de la terre. (No. 4) Le sol préparé à recevoir les oignons, on les dérobe et on les expose au soleil pendant quelques jours, pour en absorber l'humidité superficielle , et les planter ensuite dès le commencement de juillet. (No. 5) Le recoulage, façon qui se donne au com- mencement de septembre , est destiné à enlever les herbes; c'est pourquoi il faut profiter d'un tems bien sec pour cette opération; car, par un tems humide, a se fait des mottes qui empêchent la fleur de sortir. Les safraniers les plus expérimentés donnent une autre façon vers la mi-aoùt. Ils disposent le terrain en billons de quatre à cinq pouces de hauteur exposés au midi, et après un mois les rabattent. Outre que la terre est plus ameubHe, elle reçoit des influences bénignes du soleil , qu'elle communique ensuite par mtus-susception aux oignons qu'elle renferme en son sem, et les dégage par sa porosité de l'humidité con- traire, dont la concentration est funeste aux oignons. D'UN NATURALISTE. 171 (No. 6) L'opération du plantage peut se faire en six jours par arpent, avec deux personnes. Il faut 12 oignons pour meubler un pied carré ; ce qui fait 145,200 oignons par quartier , et 580j8oo par arpent; ce qui fait environ 1260 oignons épluchés par bois- seau, et 5o4o par mine. On emploie 29 mines pour un quartier, et 116 pour un arpent. (No. 7) La supériorité des fleurs du Safran du Gatinais , sur celles de la Beauce , sont dans les pro- portions de 8 à 10, c'est à dire que l'on comptera 8000 flèches par livre de Safran vert du Gatinais, et 1000 flèches de Safran de Beauce pour égale quantité. (No. 8) Les taupes ne mangent pas les oignons, mais pratiquent des passages aux mulots qui en sont très-friands. La diminution du gibier est bien favorable aux safraniers , qui n'ont plus alors besoin de clorre leur terrain. Il faUoit soixante-quinze bottes de charniers p ar -^ d'arpent de terre , ce qui fait trois cents bottes pour un arpent. Le charnier vaut de dix-huit à vingt francs les vingt-cinq bottes, ce qui fait deux cent- quarante francs pour entourer un arpent de Safran, cuire douze journées d'un homme pour appointer et planter le charnier. Les petits scolopendres , ou bêtes à mille pieds , sont aussi des animaux dévastateurs, et s'attachent particulièrement aux racines de l'oignon. (No. 9) 11 faut à peu près huit éplucheurs par arpent de Safran. On doit leur recommander de ne point travailler ayant les pieds dans le déchet inu- tile qu'ils jettent ordinairement sous la table, autre- Î72 VOYAGES ment ils sont attaqués d'enflure. C'est ainsi qu'îF arrive aux emballeurs par la poussière des étamines. Il faut éviter d'éplucher le Safran recueilli par «n tems de pluie , car il fait des flèches une pâte qui en détériore la qualité. (No. 10 ) Lorsque le dessus du Safran blanchit, étant sur le tamis, c'est qu'il est assez sec d'un côté- alors on le retourne. Quand il se brise au toucher, c'est preuve que la dessication est parfaite. On le met alors hors de l'humidité entre deux papiers, et non du linge qui la conserve. Certains paysans mettent quelques gouttes d'huile dans leur boîte, et le remuent; cela lui donne un rouge plus vif, mais lui ôte de son parfum et de son velouté. L'opération de la dessication doit être lente. Il faut éviter la fumée et un trop grand feu. Trois quarts d'heure suffisent pour sécher une livre de vert; il faut deux poinçons de charbon pour faire sécher cent livres de Safran. La vapeur concentrée fait enfler les yeux. (No. Il) Le Safran d'Asie, surtout celui du Mont-Liban, rivalise seul le Safran du Gatinais, réputé le meilleur de tous , soit par les soins de sa cuhure , soit par la qualité identique du terrain. Viennent après les Safrans de Portugal, d'Espagne, d'Italie, du Comtat d'Avignon, du Languedoc et du Quercy; enfin le dernier, pour la qualité, est celui de Normandie. Lorsqu'il s'agit d'emballer le Safran pour le faire passer à l'Etranger, on doit observer que plus il-est pressé dans les sacs , et moins il est susceptible de D'UN NATURALISTE. 173 s'évaporer. D'autres le mettent dans des barils bien clos et enduits extérieurement de goudron. Le Safran expédié pour les Grandes - Lides , se recouvroit d'huile dans des boîtes de fer-blanc ; main- tenant on l'emballe dans des caisses de bois de chêne , hermétiquement rejointes , et garnies inté- rieurement d'un double papier qui retient l'humidité ambiante , et attire celle superflue ; puis on met cette caisse dans une autre, et le Safran arrive avec son parfum , et est alors recherché des Indiens. On paye aux commissionnaires vingt-quatre francs , pour le double emballage en toile , d'un ballot d'uu quintal. Plus deux ^ pour -^ de commission, outre les frais de transport et les droits d'exportation. Souvent les marchands de Safran le sophistiquent avec du carthame (i). Le carthame diffère du chardon par les caractères distinctifs suivans : c'est une espèce de chardon à fleurs flosculeuses , dont chaque est semblable , et porte un style divisé en trois flèches, qui ne différent des stigmates du Safran qu'en ce qu elles ne sont pas portées par un filel blanc, qu'elles sont plus petites, plus courtes, moins aplaties et sans odeur. ( planche XI , fig. m ). On le sophistique îiussi en faisant bouiUir des flèches et du sablon fin qui se colle et adhère aux (1) Le carthame offiôinal ; carthamus tinctorius, Linnée. Carthamus foliis ovatis integris serrato - aculeatis. Lin. MilL Dict. !N°. 1. Gars. Vol. 5, t. jS. Carthamus officinaruiu flore croceo , Tourn. 457. Cnicus sativus S. Carthamus ofiici- narum. Banh. Pin. 378. Carthamus sive cnicus. J. B. 3, 75. Raj. Hist. 3o2. 1Sΰ. 1. Cnicus vulgaris. Clus. Hist. 2 , p. ^52. Cnicus S. Carthamus, Dod. Pempt. 362. Lob. le. 2^ p. 19 , yulgaireraent le Safr^w bâtard. ( VI. XL }, yS 174 VOYAGES fleurs, mais qui s'en détache à mesure qu'il se dessèche. Une autre manière est d'y mêler du fil de la même couleur , mais cette sophistication est facile à recon- noîlre par la souplesse des brins, comparativement à l'état de friabilité des véritables flèches. Les frau- deurs le ressassent encore avec un peu de vermillon dans un sac, mais cette fraude est punie des galères. (No. 12) Il faut extraire le tacon, et ne pas s'exposer à planter des caïeux qui en sont infectés. On guérit souvent les oignons du tacon, en les mettant pendant quelques jours dans du marc de raisin sec qui en pompe l'humidité superflue. M. Delataille-Desessarts parle de l'emporte-pièce des jardiniers, composé de deux cilyndres mobiles et rentrans, pour enlever les oignons taconés, mais il faut tant de précautions pour ne pas couper les Oignons latéraux et circonvoisins que cette pratique ne peut être mise en usage que par des journaliers adroits et intefligens. (No. i5) L'oignon frappé de la mort, comme l'observe avec justice M. Delataille-Desessarts, dé- composé à son centre , et converti en déliquium infect et visqueux, est ordinairement pétri d'une terre glatte et grasse qui prend sa couleur rousse. Les corps glanduleux adhérens aux oignons frappés de la mort, sont durs, compactes, velus et d'une couleur pourpre foncé. Leur substance est composée de petits poils serrés, et qui ont le tissu et la contex- ture de l'étofFe du chapeau. Le tacon diff*ère de la mort en ce que c'est une cane sèche que furent les insectes, et que les oignons D'UN NATURALISTE. 175 qui en meurent sont attaqués d'une espèce de ver- moulure ou poudre assez grossière, au lieu que la robe de l'oignon frappé de la mort ne renferme plus en son sein qu'une décomposition bulbeuse très-humide, visqueuse, infecte, et remplie d'insectes. M. Delataille-Desessart observe à tort qu'il croit avoir découvert que la maladie de la mort étoit occasionnée par un principe de putréfaction qui se trouve dans quelques veines de terre , et à certaine profondeur. Les raisons qu'il allègue sont , i^. que plus on enterre ces oignons, plus ils sont sujets à la maladie; 20. que des oignons mis dans de la terre prise dans un endroit oii régnoit cette maladie , ne la gagnent pas si l'on a eu soin de faire sécher cette terre au soleil pendant quelques jours, et qu'ils y périssent bientôt sans cette précaution, preuve de l'influence de l'humidité superflue , et non de la terre: Il s'ehsuit de là que l'influence aqueuse si funçste aux oignons de Safran, de la température plus ou moins humide d'une année , dépend la maladie ap» pelée la mort ; et que l'oignon trouve plus d'humi - dite à une certaine profondeur qu'à la superficie qui est bientôt desséchée par l'air et le soleil , tandis que l'humidité reste permanente à la profondeui' moyenne, qui est le séjour des oignons. 3o. Ajoute M. Delalaille, dans les pays méridio- naux où on enterre le Safran à moins de profondeur, cette maladie y est à peine connue, et n'y fait des ravages que dans les terres naturellement humides (donc que c'est l'humidité permanente à six pouces de profondeur , expérience confirmée par les oignons qui végètent et fleurissent sur des cheminées saas le 176 VOYAGES secours d'aucun arrosement ni de terre), il n'est donc besoin à la terre que de garantir l'oignon d'une sécheresse infertile , en entretenant seulement autour de lui un peu de fraîcheur. La comparaison existe dans les années pluvieuses et les années sèches. Une preuve encore de l'induction de mon assertion , c'est qu'on ne doit pas attribuer cette maladie à des veines de terre ; c'est que, d'après M. Delataille, §. III, page 02 , les oignons de Safran étant un peu séchés et essuyés pour enlever les principes de putréfaction dont ils pourroient être couverts , et étant ensuite plantés avec des oignons sains, ils ne leur commu- niquent point la maladie. 40. Qu'une terre infectée de mort, dont on aura ôté avec le plus grand soin les corps glanduleux , et dans laquelle on aura planté des oignons sans l'avoir fait sécher, leur communiquera la maladie, sans pourtant découvrir aucune trace de ces corps glanduleux, etc. 5 que ces prétendues tubéroïdes ou truffes sont toujours adhérentes aux côtés de l'oignon , au dessous , et que l'on n'en découvre aucune au dessus. , Ces corps glanduleux se conservent des années " entières en terre, sains et sans se décomposer 5 il paroît même que les insectes ne les recherchent pas. Les oignons attaqués de la mort nourrissent deux espèces d'insectes; une espèce d'arlison ou ver dessi- cateur et de petits scolopendres. Les premiers, de la grosseur d'un grain de blé, sont d'un blanc trans- parent l'hiver , et acquièrent une couleur pourpre l'été. Leur tête, armée de deux cornes, a toujours ,çpîte couleur. Leur corps est arnjé de six pattes. 11^ déposent Uh« 1 D'UN NATURALISTE. 177 déposent leurs œufs en nombre infini dans Tinte'- rieur de l'oignon malade. Ces œufs éclosent au mois de mars, et les petits qui en sortent, vivent de l'oignon putréfié dont ils provoquent la corruption, lis passent ensuite dans la partie saine , si elle est humide, et finissent par la corrompre aussi. L'hu- 4ïiidité et ces insectes sont donc la cause de la mort. (No. 14) C'est un puissant cordial, et son usage est précieux pour le mal de mer qu'il modère. Oa en prend un scrupule infusé dans un verre de viu de Madère ou d'Espagne le malin, autant le soir, pendant le tems que cette incommodité dure. Notes historiques sur le Safran, d'après M, Delataille - Desessarts . ^ Des traditions anciennes nous apprennent que les 'J jriens et les Sydoniens l'employoient pour peindre en jaune doré l'étoffe dont on se servoit en Asie pour faire les Voiles des nouvelles mariées, qui se déroboient aux yeux les premiers jours du mariage, surtout pendant la cérémonie nuptiale. Ils s'en ser- voient aussi pour leurs parfunas , les alimens et la médecine. Ils tiroient alors leur Safran du Mont- Liban, où l'on en cultivoit, surtout sur les bords dii fleuve Eleulhère , nommé par les Romains Vallania. ^ Les Tyriens levoienl encore leurs Safrans en Cilî- cie, où, d'après le rapport de Quint-Curce dans le troisième livre de son Histoire , il croissoit en telle abondance , qu'il a donné son nom à la forêt et à la ville de Coryce. Cette ville éloit considérable ; les Romains entretenoient toujours une flotte dans son port , et tous les ans , en automne , on y célébroit Tome I. ]yj. 178? VOYAGES, .^ fes noces du dieu Bacchus. Les prêtres et sacrifîca- tem-s étoient couronnés de fleurs de Safran. Les Egyptiens et les Hébreux l'employoïent dans leurs alimens. Homère et Virgile l'on chanté dan& leur description des feux de l'Aurore. Les prêtres en ornaient leur tête dans le temple de Vénus. Les auteurs et poètes anciens nous disent quoff faisoit usage du Safran dans les sacrifices , les spec- tacles et les festins. Pour cela , on le faisoit infuser dans de l'eau pour l'aspersion des temples , des^ théâtres et salles de festins. Pline rapporte que Ton se couronnoit k table de cette fleur 5 que son évaporation neulralisoit les vapeurs- du vin, et que les Cybarites buvoient du Safran avant de se livrer à La débauche de Bacchus ou de Vénus. A Rome les aruspices , les femm.es et les petits- maîtres ne portoient de bonnets y de chaussures et d'habits que de k couleur de Safran ; d'où ils nom- mèrent cet habillement complet, crocota • de là, suivant Piaule, l'adjectif crotarius ; Cicéron et Ovide attestent les mêmes assertions. Les Grecs l'employoient aussi , quoique pendant long-tems ils y aient substitué, à cause des guerres et du défaut de commnnication , l'holocrysson ou l'Ose de Calabre , espèce d'églantier qui fournit une graine de laquelle on obtient une teinture d'un jaune doïé. 1 D'UN NATURALISTE, Î79 DÉPART POUR BORDEAUX. Ij'instant du départ de FAdrastus, vaisseau parlementaire , devant mettre à la voile pour Charles-Tov^n , étant fixé , je m'arrachai une seconde fois du sein de ma famille, et me rendis à Paris pour faire route vers Bordeaux. Nous partîmes de la Capitale vers les sept heures du matin , par un brouillard très-épais qui me dispensera jusqu'à filois de décrire les lieux que nous avons parcourus , savoir- Etampes, Orléans, Baugenci, et Blois où nous couchâmes dans une auberge de beaucoup d'apparence , mais bien peu digne de la haute réputation que lui donne la trompeuse renommée. Ces viUes d'ailleurs connues , n'ont rien produitde nouveau à mes actives observations. Le lendemain 27 octobre, nous déjeûnâmes à Amboise , village situé sur les bords de la Loire , et au milieu du paysage le plus cham- pêtre et le plus pittoresque. Nous dînâmes à Tours, dont la beauté des environs est si juste^ ment renommée. La nature , qui y déploie avec prodigalité les richesses de la végétation, lui a M 2 Jm tSô VOYAGES fait donner le nom de jardin de la France. Oa toit à l'entrée de la ville, à la droite de la grande route , le superbe couvent de INoirmoutier , immense par l'étendue de ses bâtimens , où étoient logés tous les ouvriers nécessaires aux réparations accidentelles de ce superbe édifice, î^ous couchâmes à Sainte -Maure, où nous essuyâmes un orage assez violent , malgré l'arrière -saison. Le 28 , nous dînâmes à Châtelleraud , dont la coutellerie délicate est recherchée. A peine des- cendu de voiture , je me vis seul assailli de plus de vingt marchandes qui crioient conti- nuellement à mes oreilles , en m'ofFrant cha- cune une douzaine de couteaux à la fois. J'étois si excédé et tant étourdi de ces instances réi- térées par un commun intérêt, que ne sachant comment m'en débarrasser , je leur fis voir un couteau qui me suffisoit. A peine l'eurent- elles vu , qu'une marchande sauta dessus , et l'arracha de mes mains , sans attendre mon approbation , pour aller le faire repasser. Je fis courir après elle , et je fus obHgé de me fâcher pour qu'elle me le rendît. Cependant cette première fougue , imaginée pour exciter l'envie des voyageurs à la vue de tant d'espèces différentes , étant passée , j'en choisis au moins un de mon goût. D'UN NATURALISTE. iSi Nous soupâmes à Poitiers , ville déserte par la suppression des nombreux monastères qui y enlretenoient un commerce vivant , et une grande consommation. On y vit à bon marché. Nous eûmes la curiosité d'y demander du vin blanc paillé qui est assez bon. Il se fait ainsi : On choisit dans de vieilles vignes le plus beau raisin qui , sur toutes choses , doit être- cueilli à la rosée du malin , et s'il se peut , avant le lever du soleil. On en étend une couche sur le pressoir , et on la recouvre d'un lit de paille^ surmonté lui-même d'un autre lit de raisin ainsi de suite, jusqu'à ce que le marc soit re- connu suffisant. On exprime légèrement cette liqueur première qu'on entonne aussitôt. Ce vin^ mis en bouteille au mois de mars , acquiert une qualité si parfaite qu'on le fait passer dans le •pays pour du vin de Champagne, titre peut-être trop avantageux, mais qualité qu'on pourroit légèrement jtnodifier lorsqu'il a été préparé par les procédés décrits. On n'achète dans ce pays de la moutarde que h soir. Alors on entend des hommes ceints de sangles de cuir , et portant de grands pots ^ pousser dans les rues un certain cri qui les fait reconnoître. Le 29, nous passâmes le matin par Manies, remarquable par ses belles prairies. Le viIJa<^e 1^ %$^ TOYAGES est affreux quant aux bâtimens , recouverts d© tuiles semi - cylindriques , dont la pesanteuF charge les toits de manière à en fatiguer la charpente. Cet usage a de plus rinconvénient d'exposer les passans à être blessés par la chute de ces tuiles retenues par de grosses pierres posées au bord des couvertures pour faire poids , et qui tombent au premier coup de vent. L'usage de ces toits est si invétéré, que les maisons qu'on y bâtit encore sont revêtues de ces masses co- lorées. Ce village qu'arrose la Charente, offre à son entrée un très- joli coup d'oeil par de petites îlettes ou oseraies qni se trouvent au milieu de cette rivière. Le terrain , en sortant du village , est si pierreux qu'à peine on aperçoit la couleur rousse de la terre. C'est là où l'on voit com- mencer le labour des bœufs, réunis par un joug qui leur tient la tête en respect. Souvent ils^ sont guidés par un enfant. Les bouviers sti- mulent leur ardeur au moyen d'un aiguillon fiché au bout d'un très-long bâton, lis ont avec ces animaux indoîens un langage tout particulier. La marche de ces bœufs est lente. Souvent on les voit traîner des charrettes très-étroites. Après avoir traversé une belle forêt de mar- ronniers , nous dînâmes à Buffec , pays très- giboyeux. On y cultive par sillons le maïs , ou blé de Turquie» D'UN NATURALISTE. i83 Nous sonpâmes à Aiigouléme , terrain re- nommé par les Iruffes qu'il produit. La ville est située sur une éminence très-élevée. Nous ne pûmes y entrer , parce qu'il étoit trop lard ; c'est pourquoi nous couchâmes dans ses faubourgs. Le 3o , nous dînâmes a Barbezieux , dont les volailles ont une réputation bien méritée. C'est €n sortant de cet endroit que commencèrent les chemins si mauvais, que nous eûmes jusqu'à Bordeaux. 11 falloit arriver à Boisverd, et nous tirer d'mi mauvais pas dû à la négligence de cette partie de la grande route. L'accident ar- rivé la veille par le renversement d'une diJi- ^ence , et dans laquelle deux malheureux voyageurs furent mutilés , nous obligea de traverser les Bourgeons des ventes au moyen de dix chevaux , qui eurent néanmoins beaucoup -de peine encore à enlever des mauvais pas notre dihgence. Enfin , après de longues peines , nous arrivâmes à Chevanc€au pour y souper. Ce pays est extrêmement giboyeux , et la chasse y est libre comme dans les environs de Bordeaux. J'y aurois acheté un chien braque de superbe race, mais la longueur de notre voyage me fît remettre au retour celte acquisition , si son «naître n'en avoit pas disposé. Le3i, nous commençâmes â voir de belles -M 4 i84 VOYAGES forêts de pins près de Carvagnac. ISons dînâmes à Gusac , après avoir rencontré d'horribles che- mins. On nous fit embarquer alors pour traverser la Dordogne, et arriver à Saint André. Nous couchâmes à la Bastide, et le I^^ no- vembre apercevant Bordeaux au delà du rivage de la Garonne, nous la passâmes à huitheuresdu raatin, et entrâmes enfm à Bordeaux. Cette ville située sur les bords de la Garonne , est très-com- merçante, et n'a rien des villes de province. Le prix des comestibles y est exorbitant, car les Bordelais qui sont très-recherchés dans le choix de leurs alimens, y font faire bonne chère à leurs hôtes. Sur le bord de la Garonne qui donne mouil- lage à des sloops , goélettes , briques et autres bâtimens de cabotage, autour d'une vaste enceinte sont situées des galeries dans le genre de celles du Palais Royal à Paris , et habitées de même par des marchands de touteespècejcelétabhssement se nomme bourse. Les Bordelais sont gais, galans et somptueux. Les ventes publiques s'y font au son des trompettes. On y admire la structure de la superbe salle de spectacles. Le lendemain de notre arrivée , jour des Morts, après avoir fait venir des huîtres vertes (i) , très- (i) Pour donner aux huîtres la couleur verte. D'UN NATURALISTE. i85 communes en ce pays, nous allâmes entendre Torganiste de l'église Saint-Dominique , dont le talent supérieur et la composition élégante ti- rèrent le meilleur parti possible de l'excellent jeu d'orgue qui décore ce temple. Les cérémonies du culte religieux s'y font avec beaucoup de dé- cence, et même avec somptuosité. 11 y avoit encore au milieu de la grande nef un mausolée qui avoit servi, ainsi que tous les attributs qui ornoient les piliers et le portique, à célébrer la mémoire des défunts. La rigueur de la saison fut encore obligée de produire des roses pour les petits maîtres du cours , et des fraises pour les j^jourmets. On nous »' ' ■ ' ■ - dit Valmont - Bomare , les pêcheurs les enferment le long des bords de la mer dans des fosses profondes de trois pieds , qui ne sont inondées que par les marées hautes à la nouvelle et pleine lune, y lais- sant des espèces d'écluses par où l'eau reflue jusqu'à ce qu'elle soit abaissée de moitié. Ces fosses ver- dissent, soit par la qualité du terrain ,♦ soit par une espèce de petite mousse qui en tapisse les parois et le fond, ou par quelqu'autre cause qui nous est in- connue; et dans l'espace de trois à quatre jours, les huîtres qui y ont été enfermées, commencent à prendre une nuance verte. Mais , pour leur donner le tems de devenir extrêmement vertes, on a fatten- tion de les y laisser séjourner pendant six semaines ou deux mois. I 1 ' 1 h' ':' ^H 1 1 1 ï86 VOYAGES servit d'excellentes figues noires, et des raisins anquet frugal , suivre tous ses mouvemens dsim D'UN NATURALISTE. 20S la rëparliiion de la dorade. Je ne puis mieux comparer cette muette attention qu'à celle d'un singe auquel on fait gagner , par la patience, un fruit ou autre objet digne de sa friandise , en le lui présentant, puis le retirant, et le trompant ainsi jusqu'à l'épuisement de ses gentillesses. Notre vaisselle diminuoit chaque jour par l'emportement des convives , qui assouvissoient souvent leur colère et leur dépit en frappant la pauvre faïence. Aussi voyoit - on la plupart se servir de morceaux d'assiettes et de verres écornés 3 mais tous ces légers inconvéniens se fussent oubliés à Fapparution de bons mets que nous avions appris à ne plus connoître. Le sou- venir du pain, ce riche trésor de la nature, nous donnoit tant de désirs qu'on n'osoit en parler qu'avec projet d'en manger jusqu'à satiété au premier abordage; car on ne nous distribuoit que du vieux biscuit moisi et rongé de vers. Ces galettes servoient de repaires aux araignées qu'on avaloit souvent sans attention, tant la gloutonnerie précipitoit les mouvemens fie la mastication. ^ L'eau verte et pourrie , n'étant poiiît filtrée , n'offroit qu'une saveur infecte et dégoûtante , et le séjour bourbeux de petits insectes à mille pieds , dont nos dames surtout avoient horreur. 2o6 VOYAGES La yiande salée et rance qui avoit déjà fait plu- sieurs traversées , et afiPronté tant de différentes températures étoit tellement gâtée , fétide et décomposée, que Féquipage la refusoit 5 mais, comme notre douceur et notre extrême subor- dination étoient reconnues , on nous la faisoit passer par bouchées de la grosseur d'une noix dans une pâtée appelée soupe , dont elle servoit à faire le bouillon doublement engraissé par les vers corrompus qu'on y rencontroit. Ce potage en un mot étoit un composé de cette eau, cette charogne et ce biscuit émietté. Cependant nous avions payé de manière à être bien nourris , sans la foiblesse du capitaine voué à la discrétion de négocians qui, seuk faisant table av€C lui, se réservoient tous nos bons morceaux. ^ Pourtant on nous régaloit quelquefois , pour détruire l'uniformité du service, avec des pois à brebis bouillis tout simplement dans de Feau , de crainte que le beurre ne causât effervescence dans notre estomac délabré, en le surchargeant de bile, et le forçant de rendre un comestible, dont Je célèbre cook avoit réellement et indis- pensablement besoin pour faire les coulis et les rôties au beurre de messieurs nos gouvernans qui étoient au nombre de six , savoir , trois négocians , et trois capitaines 4e vaisseaux marchands. ' • D'UN NATURALISTE. 207 Ces rusés personnages se coalisèrent dès le^ premier jour de noire traversée , et connoissant, comme anciens navigateurs , les subterfuges à employer envers d'innocens passagers , avoient refusé d'être de nos tables , et s'étoient fait nommer commissaires afin de se réserver les liqueurs et vivres de choix, et d'en garnir le coffre de réserve, dont le nègre du capitaine avoit seul la clef Cette usurpation étoit outrée , puisque tous les passagers avoient apporté à la masse la somme mdiquée pour être également nourris pendant toute la traversée 5 cependant nous n'avions pas le droit de réclamer aucune provision; et soit qu'on fut incommodé ou non , on n'avoit pour tout potage que de la soupe et des pois, et pour changer, des pois et de la soupe que nous rece- vions encore avec résignation , tout en humant l'odeur embaumée des mets de nos commissaires , qui avoient soin de dîner avant nous, afin de prendre plus librement leur café. Un jour cependant, la patience d'un com- pagnon de notre infortune échappa. Il ne put endurer plus long-tems de semblables vexations. 11 épioit ces scènes scandaleuses, et plein de fureur , il alla prendre sur le fait le capitaine et ses amis, qui faisoient bombance avec notre dessei't, notre liqueur et notre café. On le mo- 2o8 VOYAGES lesta, et les cinq partisans du capitaine prenant un ton mielleux, dirent assez haut, pour que le capitaine Fentendit , qu'aucun individu à bord d'un bâtiment n'avoit le droit d'insulter le capi- taine, qui avoit seul la police, et un pouvoir illimité sur son équipage et les passagers , au point qu'il pouvoit exercer la haute poHce, et faire jeter à la mer tout réfractaire à ses ordres. INous trouvâmes ce règlement atroce ; et notre député, observant que cette mesure criminelle étoit contraire aux lois de l'honneur et de la justice, se préparoit à une nouvelle harangue, lorsqu'on lui imposa silence , en le renvoyant comme un écolier honteux ! . . . Le lundi 2 décembre, nous eûmes bon vent le matm, et filâmes six noeuds en bonne route 5 le soir, survint une petite pluie qui nous donna du calme. Eclairé dans mes rêveries par le flambeau delà nuit, c'est a. la faveur de sa pâle clarté, que j'esquissai les nuits de ma traversée , petit recueil de réflexions morales. Mardi 3 décembre , je diversifiai mes occu- pations en composant un quatuor pour ins- trumens à cordes, et que nous exécutâmes à bord. Pourquoi toujours se plaindre ? Vantons donc aujourd'hui les faveurs de nos gouvernans , et rendons justice à leur complaisance. Nous eûme§ D'UN NATURALISTE. aog ei\mes au moins de cette mauvaise soupe , et qui plus est, comme faveur très-grande, des pommes de terre à discrétion. Nos commissaires vouloient sûrement s'assurer, par cette amélioration, si nous consentirions à favoriser leurs projets d'une nouvelle route j car il y eut à notre table de la surabondance, et l'on nous servit, pour douze convives de notre banquet , quatre anchois et du dessert. Quel excès de générosité ! Mercredi 5 décembre , l'excessive chaleur orça e capitaine de faire mettre la tente, sans laquelle il étoit impossible de rester sur le pont Nous tuâmes plmiems pailles-en-cul (i). Oa mit la chaloupe à la mer pour les aller chercher mais on ne put en rapporter que deux , les autres étant déjà trop loin du bâtiment. Le plu- mage du mâle ne diffère du blanc éblouissant de celui de la femelle, qu'en ce qu'il a quelques taches noires de plus sur le dos. Leur chair est huileuse et peu estimée. Tout périt dans la nature, me disois-je, en voyant notre énorme vaisseau fendre avec fierté (.) Le paiUe-en-cul,oupaiIle-en-queue, oufélu- en-cu, ou oiseau des Tropiques , phaëton œthereus. de Lmné. Oiseau palmipède, qui annonce aux na- vigateurs leur enlrée sous la zone torride. Ils se nourrissent de poissons qu'ils enlèvent à la surface des mers. Tome I, O ^^^ VOYAGES les vagues mugissantes; tout périt, excepté Faîne de rhomrae! Notre charpente, aussi peu solide que celle de notre navire , doit également un jour succomber sous le poids du tems. Les tempêtes éprouvent la résistance de sa force matérielle, comme nous sommes le triste jouet des passionsj Un écueil peut le briser; la mort ensevelit avec elle toutes nos passions. Que de justes réflexions on peut faire ainsi à bord lorsqu'abandonné à sa destinée, on vogue au dessus d'abîmes sans- fond ! ^ Le jeudi 6 décembre , je trouvai à mon réveil les peaux de mes pailles-en-cul rongées par les rats. Le mâle surtout avoit la tête presque toute mangée; cependant, avec du soin, il y avoit du .xemède, aussi m'occupai-je à les réparer. Nous fdâmes jusqu'au soir huit nœuds, avec- un roulis insupportable. Vendredi 7 décembre , aussi bonne route , aussi bon vent; mais la vue quoiqu'intéressante d'une quantité immense à^poissons volans {i), ne put me tirer de l'aîTaissement dans lequel me jeta le ïiial de mer. Tout me devenoil indifférent ;-et la. CO Mucxe volant. Exocetus volitans, Linné. Le jaoi exoœtusve^M dire qui va dormir dehors parœ^ qu'on croyoit que ce poisson avoit la faculté daiieir dormir sur le rivage. D'UN NATURALISTE. an nature pour quelques tnomens perdit à mes yeux tous ses cliarnies. Le seul souvenir de L. L euJ pu apporter un repos bienfaisant à ces anxiétés douloureuses. Samedi 8 décembre , k mer commença de bonne heure à moutonner , c'est à dire qu'on aperç.u les flots , en se brisant mutuellement se blanchir, et former des époudrins que l'on compare en ce cas à la blancheur de la neige. Tout en examinant des pailles-en-cul qui ro- doient autour de notre bâtiment, ainsi que des poissons volans poursuivis par leur ennemi juré, la dorade, nous en prîmes une. Ce pois- sou (I), dont la robe élégante ne peut être imitée par le pmceau le plus habile, change de couleur lorsqu'il est hors de l'eau j et à mesure qu'il (I) Spams aurata, Knné. Ce poisson du genre du Spare qui, dans l'eau, est sacs contredit le plus beau poisson de la mer, paroît , entre deux lames, re- velu d'or sur uu fond vert azuré. Il aime le chaud et est meilleur en été qu'en hiver. Sa chair est Manche , un peu sèche , mais ferme et de bon goûf Cest le plus léger de tous les poissons. La dorade" poursuit sa proie avec tant d'acharnement, que sou- vent elle se précipite sur un hameçon auquel on a adapté un corps et des ailes, pour imiter le poisson volant dont elle est très-friande. £^i2 TOYAGËS approche de sa mort, les teintes" s'altèrent , sre confondent , s'éclipsent , enfin finissent par s'ef- facer presqu' entièrement d'une manière bien sensible , en passant successivement par une infinité de nuances. Ce poisson ne nous étant point destiné, il fut servi à la table des gou- vernans qui, en ma qualité de docteur du bord, en envoyèrent à moi seul une tranche. Malgré la chaleur excessive, il y eut un défi entre le capitaine et un passager. Il s'agissoit de mettre, avec le fusil, une balle dans une planche placée au haut des hunes. Tous deux, novices dans Fart de tirer au blanc, ils n'approchèrent même pas du but. Quel fut l'étonnement des Anglo-Américains , lorsqu'ils nous virent , un Plantais et moi , traverser cette même planche avec une chandelle posée sur la charge de notre fusil , en guise de balle de plomb ! Dimanche 9 décembre , on m'appela de grand matin pour tirer des pailles-en-cul quivoltigeoient stupidement au dessus de notre bâtiment. J'en tirai deux que je blessai, et qui tombèrent dans l'eau près d'un troisième qui , inquiet sur leur triste sort , essayoit de les faire voler en se don- nant pour exemple 5 mais ils ne purent y par- venir. Je regrettai de les avoir tirés , étant dans rimpossibihté , cette fois, d'aller les chercheF à cause du gros t,en^s. ^p^ 213 D^UN NATURALISTE. Lundi lo décembre, ayant calme plat, plu- sieurs passagers voulurent , par une chaleur insupportable , se baigner à la mer. Les plus adroits plongèrent a des profondeurs considé* râbles ; mais la vue d'un requin dissipa leur bande joyeuse , et arrêta leur ardeur pour cet exercice salutaire. On mit la chaloupe à la mer , afin de poursuivre le cruelanthropophage; mais, arrêtée dans sa marche par des bancs de raisins du tropique , elle ne put le rejoindre. Ces varechs étoient rempHs de petits poissons de toute espèce, qui trouvoient probablement leur nourriture , et un refuge dans cejs plantes marines. Nous eûmes vers midi une brise assez légère , et le capitaine, en prenant hauteur (i) , nous iinnonça que nous étions à vingt lieues du tropique. Cependant soit mauvaise disposition , soit par excès de table, notre capitaine étoit malade d'une violente indigestion. 11 m'appela dans le cabinet bacchique (s), et là, après avoir fait l'éloge de (i) C'est mesurer avec un octant l'élévation du soleil sous l'horizon, à midi. L'octant ou secteur con- tient un huitième de cercle , c'est à dire 45°. Qj) C'est ainsi que nous appelions la salle à manger de nos commissaires. 0 3 ■iij^' 2ï4 VOYAGES. mon extrême complaisance^ avoir su me dis- tinguer des autres passagers , il m'engagea à prendre le punch tous les jours à pareille heure, si cela m'ëtoit agréable; qu'à l'avenir, lorsque je ne pourrois me rendre à son invitation , il m'enverroit néanmoins par son nègre le bol qu'il me destinoit. Je le remerciai en acceptant son offre, dans l'intention d'être utile aux autres passagers. Mardi 1 1 décembre , un de nos six gouver- nans, M. Y^^^^ homme immoral au dernier degré , faisant ses délices du tourment des autres, fatiguant nos oreilles tout le jour de chansons obscènes et du triste récit de ses prouesses, sans ménager la pudeur des dames j M. Y^^^^ ennemi de l'harmonie musicale, athée enfin , et jaloux de nous voir prendre plaisir à exécuter les quatuors concertans que j'avois composés, résolut de nous troubler, et pour cela , payant quelques calfats ( i ) pour frapper à coups redoublés au dessus de nos têtes, il des- cendit lui-même avec effronterie auprès de nous- , muni de deux quarts vides qu'il frappoit à tour de bras de deux énormes marteaux. Nous ne lui cédâmes en rien, et continuâmes , sans prétendre (i) Calfater, c'est garnir de poix et detoupes les ^ feples dïm vaisseau. VPVJS NATURALISTE. sïS y trouver d'autres cLarmes que celui de mé- priser un homme de sa sorte. Honteux de notre résistance , il fut obligé de céder , et se retira furieux de se yoir ainsi joué. Cette gentillesse donna lieu à une très-vive explication, où tous les gouvernans firent apprécier leur véritable caractère , inextricable jusqu'alors. Ils se coali- sèrent entr'eux, en jurant de s'opposer à l'avenir A ce que nous fissions de la musique qui finissoit par les étourdir. Le capitaine craignant les suites de cette altercation , eut la prudence , afin de contenter tout le monde, de nous assigner le matin pour nous livrer à nos doux exercices. L'ordre de police à cet égard fut ponctuellement exécuté. IVos sordides spéculateurs (i) employ oient , ^près leurs orgies, le reste de la journée à cal^ cuîer le produit de leurs cargaisons 5 et Favarice n'aime point h être troublée dans ses opérations mystérieuses. Mercredi 12 décembre , nous eûmes une mer houleuse , et un mauvais vent qui nous obligea à faire fausse route. Jeudi i3 décembre, nous aperçûmes deux (i) J'excepte de ce nombre MM. P. .... . de Bordeaux, dont l'amabilité du caractère étoit eiitiè- Fement opposée à la rusticité des autres marins. o 4 r*iKi- T,r-, m6 voyages bâtimens allant à la pêche de la baleine. La chaleur excessive et l'agitation des flots s'op- posèrent à nos réunions pour la musique, au grand contentement de notre antagoniste. Même dîner , on plutôt supplément de mal- propreté avec intention • nous trouvâmes des cheveux en quantité dans tous les plats qui nous furent servis. On s'en prit au cook qui s'excusa , et nous fûmes obligés, faute d'autres alimens, de manger les propres bouchées que ces cheveux enveloppoient , et à qui ils avoient communiqué certains autres mélanges encore plus dégoûtans. Le soir , la mer étant moins rude , les ma- telots se proposèrent entr'eux des danses de caractère. Comme ils étoient tous de nations différentes , les uns sautoient comme les Turcs, d'autres comme les Russes ; ceux-ci prenoient je genre allemand , et ceux-là adoptoient le rite anglais. Ces pas exécutés au son de cris aigus , formoient une cacophonie qui nous recréa, à défaut d'une plus douce harmonie. Vendredi i4 décembre, il plut abondamment pendant toute la journée, et nous ne filâmes que six nœuds. Samedi i5 décembre, nous eûmes le vent debout, c'est à dire absolument contraire. Dimanche i6 , la nuit fut périUeuse , mais 3:ious échappâmes au danger 5 et malgré le roulis D^UN NATURALISTE. 217 et le tangage (i), nous filâmes sept et quelque- fois huit nœuds. Lundi 17 décembre , le roulis se fit encore éprouver toute la matinée. On supprima nos déjeuners , vu la pénurie des vivres j en sorte que nous ne faisions plus qu'un très-mauvais repas le soir à quatre heures. 11 fallut bien se résigner à cette nouvelle injustice, ne pouvant attendre de procédés délicats d'aussi égoïstes personnages que nos gouvernans. Nous aperçûmes autour du bâtiment une quantité considérable d'oiseaux de tempête (2). Cet oiseau est celui que Brisson appelle le pétrel; il n'est pas plus gros que l'hirondelle d'Europe, et c'est le plus petit de tous les palmipèdes. Cet oiseau, dit Mauduit, affronte, comme les autres pétrels, la rigueur des mers glacées, et sV avance aux plus grandes hauteurs; mais, soit instinct qui l'avertit de son peu de force, soit sensations plus fines que celles des autres oiseaux du même genre, il est le premier à prévoir les (i) Le tangage est roscillation fatigante du vais- seau de l'arrière à l'avant , et de l'avant à l'arrière. (2) Cest le pétrel de Brisson. PI. enl. 995. Procel- laria avis ; Plautus minimus procellarius. Le plumage supérieur du corps est noirâtre , l'inférieur et le de- vant de la tête sont d'un cendré brun. 2îB VOYAGES tempêtes, et à chercher un abri contre îeur violence : c'est cet avantage qui lui a fait donner le nom d'oiseau de tempête. Lorsque les nau- tonniers , surtout ceux du Danemark , qtii sont très -habitués au phénomène que présentent ces animaux indicateurs ; lors , dit Mauduit, que les marins voyent , la mer étant calme , ces oiseaux se réunir, voler en troupes dans le sil- lage du vaisseau , sous son abri , ils se regardent comme assurés d'être bientôt exposés à un gros lems , qui ne tarde jamais en effet à succéder à l'apparition des petits pétrels. Mardi i8 décembre, la contrariété des vents nous obligea de faire fausse route. Mercredi 19, nous aperçûmes de grand matin ^ du côté des Bermudes , un corsaire , puis sur les dix heures, un bâtiment neutre qui nous accosta. Après l'avoir attendu en panne (i) , notre capi- taine l'interrogea, et il résulta de ces questions qu'il étoit parti depuis quatorze jours de Phila- delphie, qu'il laissa dans le deuil à cause d'une maladie épidémi^ue qui venoit d'enlever quatre mille âmes. Nous envoyâmes à son bord pour (i) Mettre un bâtiment en panne, c'est contreba- lancer avec les voiles la puissance du vent qu'on met en opposition ; ce qui oblige le bâtiment à rester en place. D'UN NATURALISTE. 219 obtenir des provisions, et j'eus le regret de ne pouvoir lui faire remettre une lettre que je tenois prête, en cas de sa destination pour France , mais nons apprîmes qu'il alîoit à l'île Cayenne. Nous filâmes, le reste du jour, six nœuds en bonne route. On ne sauroit croire quel plaisir on res- sent, dans une traversée, de rencontrer un nou- veau visage : il semble que cette satisfaction fasse naître l'espérance d'une plus prompte arrivée. Jeudi 20 décembre , au milieu de la chaleur insoutenable qu'on éprouve sous la ligne, je souffrois doublement de cette incommodité , étant forcé, comme médecin, d'aller dans les soutes visiter les nombreux malades que j'avois à voir tous les jours; cependant le désir de soulager l'humanité soulFranle, me fit surmonter tout obstacle, et je m'efforçai de répondre à la con- fiance qui m'étoit accordée. Nos gouvernans vivoientdans l'abondance; et nous, victimes de notre subordination, nous étions dénués de tout. Le tems étoit arrivé de secouer cette torpeur engourdie ; et notre conseil décida qu'on feroit dans la sainte-barbe , a l'époque où , après le coucher du soleil, on va prendre fair sur le pont, une descente pour enlever les pre- miers comestibles qu'on pourroit y rencontrer* Le besoin seul, et non point im désir de ven- 1^ a^ô VOYAGES ^eance , devoit conduire nos pas en ce magasin , trésor de nos oppresseurs , et fermé à notre sou- plesse abusée. Trois jeunes gens d'entre nous, privés déjà par de longs jeunes de la fraîcheur de leur âge , au cou roide et décharné , au visage abattu 5 furent choisis pour exécuter notre projet. Pourquoi donc eussions-nous retardé le moment qui devoit nous assurer une toute autre existence? S'agissoit-il d'un larcin? n'étoit-ce point de nos propres provisions dont nous allions nous empa- rer? On s'y décida. Les uns faisant sentinelles et renvoyant en commission sur le pont ceux des mousses qui se présentoientàla chambre , d'autres ouvroient la trappe, tandis que le pourvoyeur sans lumière ta toit dans l'obscurité parmi le beurre , la chandelle; mais au tact, il sa voit dis- tinguer les objets qui pouvoient nous convenir, et en remplissoit ses poches. Un jour pourtant que nos sentinelles de l' avant-poste donnèrent le signal de retraite, un de nos envoyés d'une taille gigantesque voulut néanmoins, avant de remonter, utiliser sa démarche, mais plonge son bras au milieu d'un baril de beurre rance, et l'en retire dans un état infect! Cependant, digne de notre confiance, il ne perd pas la carte; et pour réparer sa méprise, il se précipite sur les provisions de nos gouvernans qu'il reconnoît trop tard, et rapporte une quantité de pruneaux , D'UN Naturaliste, ^^i noisettes, figues, et, ledirai-je, unepomponelîe d'anisette qui servit à boire à la conversion de nos tyrans. Nous avions passé le matin le tropique du Cancer^ et la veille, selon Fusage, les matelots préparèrent la cérémonie du baptême de mer. Cette coutume consiste (i) à habiller de peaux de moutons un matelot qui a une voix forte et sépulcrale,, de répandre ensuite sur ses bras et sur sa tête des plumes de volaille qui y sont maintenues par du goudron, dont ces parties du corps sont enduites. Cet acteur ainsi disposé , monte, sans être aperçu, au plus haut des dunes, et c'est du haut des airs qu'il imite la voix impé- rieuse de Neptune, qui tonne contre les néophvtes navigateurs qui ne se sont pas encore conformés à ses lois. Les vieux marins cherchent à plaider la cause des nouveaux voyageurs^ et promettent des sacrifices propitiatoires, a A demain , leur )) crie Neptune, où, s'ils ne sont convertis, ils )) seront avec moi au fond des eaux » ! Le lendemain de grand matin, le vieux Nep- tune revêtu du même costume, mais accompagné de ses quatre anges enduits seulement de gou- dron et de plumes , paroit au plus haut du hunier , (i) Je décris cette cérémonie pour ceux qui n'onî point voyagé. .221 VOYAGES et demande d'une voix menaçante si les néophytes sont dans de bonnes dispositions 5 on lui répond que oui: « Qu'ils s'avancent, s'écrie -t-il à l'aide )) d'un porte-voix , et que je sache s'ils sont dignes )) d'être soumis à mon empire )) ! On les place en- semble, puis les anciens marins s'éloignent en cercle autour d'eux. Tout à coup une averse affreuse tombe sur leur tête 5 et voilà le baptême de mer auquel aucun passager ne peut se sous- traire lorsqu'il est en bonne santé, à moins de récompenser largement les matelots qui aspirent à ce bénéfice. Vendredi 21 décembre, les grandes chaleurs du tropique nous ôtant beaucoup de vent, nous ne filâmes que trois noeuds. La mer calme me permit un entretien avec deux habitans du Haut- Languedoc, vrais dans leurs descriptions, si j'en juge par leur franchise. Ils me firent un pompeux éloge d'un village enchanteur , dont les environs délicieux offrent aux amateurs de la belle Nature des retraites assurées contre le tourbillon du monde. Ce village s'appelle Mazanet^ et est situé près de la ville de Castres, département de Tarn et Gironde. Les rues de cet endroit sont bombées à leur milieu , et protègent, par leur pente rive- raine des maisons, l'-écoulement de ruisseaux d'une eau vive et pure qui prend sa source dans les montagnes voisines ^ qui en sont arrosées. La * ^ m &^x. f (Àzhrul Tlialie Pillât Galère, pô/^ x^ûz?/izte Je l'ûr^^e Jâj^ V/?ûlmyi^ D'UN NATURALISTE. 223 nature s'est complue, me disoient ces Languedo- ciens, à parer ces fertiles coteaux. L'homme ami de ]a paix, trouve, dans le silence des bois, à contenter ses goûts. La chasse et la pêche ne laissent rien à désirer. Les vivres et les fruits y sont en si grande abondance, qu'on les achète à bas prix. Pour donner la dernière touche à leur récit attrayant, ils me firent la description d'une înaison de campagne d'un deleursamis, tellement entourée de fontaines , que dans chaque appar- tement se trouvent plusieurs robinets qui, dans l'été, sont d'un grand avantage pour y entretenir une fraîcheur naturelle et bienfaisante. L'office même et la cuisine font usage de cette eau limpide. Un matelot , en puisant de Feau de mer pour laver le pont, recueillit dans son seau une ga- lère (i) (tom. i^"^. , pi. Xin.) qu'il s'empressa de ni'apporter. Son corps auquel l'animal donne diverses formes à volonté, en le dilatant ou le »— ■■!»■■ ■.■■■,— ...- Il ■■■ , II.WI ■■ !■— ■^^-■, ■■- — lOl ■.■- ■.■■-! I,, ■! ■■■— Ma (i) La galère ou frégate est un mollusque du genre des holothures qui se rencontre sur les côtes de l'Amérique, et plus souvent en pleine mer. On l'appelle aussi vélette ou vessie de mer , et moucien au Brésil , dit Valmont - Bomare. Lorsqu'on la ren- contre sur ces côtes , on doit infailliblement s'attendre à une tempête. C'est la thalie , thalia des mollusques de l'Encyclopédie , par ordre de matières. mp 224 VOYAGES concentrant, est transparent et forme de mem- branes minces .et cartilagineuses , remplies d'air qui le soutiennent sur l'eau , et le font flotter sur l'onde au gré du ^ent et des flots. On n'aperçoit à cet holothure aucune ouverture ni viscère. 11 est parfaitement semblable, pour la conformation, à une vessie de carpe dont il diffère cependant en ce qu'au sommet de sa partie longitudinale il est surmonté d'une crête, ou large bandelette gaufrée et striée, qui remplace les nageoires dor- sales des poissons, et qui sert de voilure à cet animal singulier. Laissant apercevoir la moitié de son corps hors de Feau, sur laquelle il vogue tranquillement, et aux ondulations de qui il s'abandonne, il est muni pour leste, depuis une des extrémités jusques vers le milieu du corps en de&sou'S, de suçoirs sans nombre, longs et fili- formes, qui par leur réunion composent un poids beaucoup plus volumineux que le reste du corps. Toute cette chevelure glutineuse , et riche par les couleurs bleue , rose , lilas et nacrée qui la décorent , traîne dans l'eau , et adhère puissam- ment aux corps solides lorsque l'animal en ren- contre. Les deux extrémités de la galère ressemblent à deux seins que l'animal fait mouvoir à l'instar des phalènes. Ces deux tettins, si je puis leur donner cette expression ; sont d'un bleu azur. Quelques muscles M ^-i- D'UN NATURALISTE. 2^5 muscles cartilagineux, utiles à la contraction des parties de Tanimal , tapissent la crête supé- rieure que j'ai déjà comparée à la nageoire dorsale des poissons. Elle est frangée d'une lisière rose glacée de nacre. La galère porte avec elle un poison si caus- tique et si pénétrant, qu'à peine Fa-t-on tou- chée , l'on ressent une cuisson insupportable , jusque là que l'enflure qui en est le résultat, est accompagnée d'inflammation. Pour prévenir ses suites funestes, on écrase sur la partie offensée une gousse d'ail , ou , ce qui vaut mieux , on la recouvre de linges imbibés d'alkali volatil fluor étendu d'eau, qui neutralise promptement les effets de ce venin. On prétend que ce poison est SI subtil et si corrupteur , qu'il décompose et dénature la chair des poissons qui en ont mangé , sans pour cela les faire mourir. J'aperçus près du gouvernail un poisson bien intéressant par ses couleurs; c'est le pilote (i) , où poisson conducteur. 11 se rencontre fré- quemment sous l'équateur. 11 a de cinq à six pouces de long, sur un de largeur. Il est d'une couleur brunâtre avec reflets dorés, ce qui lui donne beaucoup de rapport avec la tanche pour les nuances. 11 est ceint dans sa longueur de sept (0 Gasterosteus ductor, Linné, Tome ï. ) ^^6 T OTAGES bandes transversales noires. On V appelle pilote ^ parce qu'ordinairement il accompagne le vais- seau 5 et semble indiquer la route à tenir. On le voit aussi devancer le requin , avec lequel il a , dit-on, des rapports intéressés^. Dimanche 23 décembre , nobs filâmes quatre nœuds avec vent arrière. INous rencontrâmes un bâtiment allant à Saint- Thomas. Il étoit à la cape (ij depuis son départ de Philadelphie. Anglo-américain , ce pavillon sembloit promettre sûreté et protection à un de ses compatriotes. Il avoit d'amples provisions, et nous en étions dénués j c'est pourquoi , sous les auspices du beau sentiment d'humanité presque toujours honoré sur mer, nous le priâmes de venir à notre se- cours. Le capitaine eut la barbarie de profiter de notre détresse pour nous faire payer une paire de dindes, six gourdes (2). INous eûmes bon vent pendant la nuit, et filâmes six nœuds. Lundi 24 décembre , comme nous avions acheté du capitaine inconnu quelques barils de (i) Mettre à la cape , c'est ne se servir que de h. grande voile, portant le gouvernail sous le vent pour laisser aller le vaisseau à la dérive, et ne poin<: l'exposer 5 avec un plus grand nombre de voiles , à une résistance souvent capable de le faire sombrer. (2) La piastre gourde vaut 10^ sous de notre KELonnoie. *. D'UN NATURALISTE. 2 2' farine , on voulut la mellre en œuvre ; c'est pourquoi les dames, comme plus recherchées dans la propreté ^ se chargèrent de la convenir en pains; mais on nous avoit trompé, et cette larine contenoit très-peu de froment , beaucoup de pois et du sable, ce qui nous donna un pain noir, gommeux et terreux. 11 falloit qu'il fut bien mauvais , puisqu'avec notre appétit dé- vorant nous lui préférâmes le biscuit. On attri- bua ce défaut à la trituration; et pour réta])îir à cette farine une réputation bien éventuelle , on la destina à faire des beignets. Ils furent trouvés détestables, et ne remplissant en aucune manière le but qu'on s'étoit proposé , de flatter plus agréablement notre palais. Enfin, l'esprit gastro- nome se reposant pour quelques momens , on désespéra de pouvoir employer avec fruit ce précieux comestible. Mardi 25 décembre , nous eûmes un coup de vent assez violent. Nos directeurs étoient tous francs-maçons, et m'avoient invité à partager la dissection d^un bon dinde farci , tué en l'honneur de la Saint- Jean. Le dirai-je sans honte! mes intestins fatigués par des mets grossiers , se réjouissoient déjà de reprendre leurs douces habitudes, et, dans leurs transports immodérés, refusoient les rations communes. J'attendols avec impatience l'heure du dîner ; mais je ne 2^8 VOYAGES &ais si on redouta ma censure, je ne fus appelé qu'au dessert pour trinquer avec des liqueurs de la Martinique. Je refusai sèchement , et re- montai de suite sur le pont , en disant que j'étois à jeun. Les Sibarites déjà étourdis par la fumée enivrante du Champagne , ne reconnurent que trop tard leur grossièreté. La nuit, ils se permirent des plaisanteries, en introduisant secrètement et sans bruit dans la chambre des dames , deux gros chiens et Trn cochon. Ces pauvres animaux tant rebutés, tant battus le long du jour, goûtant en ce moment une paix inhabituelle, allèrent se placer dans les cabanes, auprès de nos belles dormeuses; mais tout à coup un cri de l'animal fangeux Jette l'alarme au milieu du sexe timide. Deux d'entre ces dames, moins épouvantées, enviant les cabanes hautes , se levèrent en tremblant , et reconnoissant le mauvais tour qu'on leur a voit joué, voulurent faire déguerpir les chiens; mais ceux-ci se trouvant bien et mollement couchés , commencèrent à montrer les dents. 11 fallut beaucoup de petites précautions, beaucoup de paroles douces pour obtenir d'eux , au bout d'une heure d'invitations infructueuses, qu'ils allassent sur le pont encourir encore les caprices du public, qui se plaisoit méchamment à les battre , en riant d'un procédé qui n'a rien de spirituel. D'UN INATURALISTE. 229 Mercredi 26 décembre , pour m'engager à oublier rincivilitë qui m'avoil été faite , le capi- taine me sachant amateur d'histoire naturelle , me fit cadeau d'une boîte faite par les sauvages de la Nouvelle-Angleterre. Le dehors est forme de plumes de porc-épic , colorées de manière à former divers dessins. L'intérieur est d'une ^corce fine et d'un jaune orangé. Le génie gastronome tenta une nouvelle fois de trouver mie propriété à celte farine détes- table; c'est pourquoi on la livra à un nègre célèbre dans l'art de faire le plum-pouding. Ces mets chéri des Anglais n'exige point une préparation difficile. 11 s'agit de réunir au centre d'une certaine quantité de farine des amandes ^mondées, des prunes, des figues, des raisins, et, pour épices, de la cannelle et du girofle. On enferme ce mélange dans un linge , et on le met cuire, pendant quelques minutes, dans le pot au feu, jusqu'à ce que la farine soit suffisamment humectée et cuite. Alors, avec du beurre, du sucre et du vin de Madère , on fait une sauce dont on arrose les tranches du plum-pouding. Jeudi 27 décembre , nous n'étions qu'à quatre-vingts lieues de Saint-Domingue, et on nous promettoit d'y relâcher; mais un des di- recteurs qui avoit décidé le capitaine à débarquer P 3 >ll!li! ^3o VOYAGES à Charîes-Town, éteignit la foible ïuenr de no^ espérances. INous dinâmes a^'ec de la morue sèche , et seulement bouillie dans de Feau, sans beurre ni sauce, et quelques pommes de terre gâtées ou germées qu'on se disputoit sans rire. Un coup de vent rompit l'écoute du grand hunier. Yendredi 28 , nous eûmes un mât endom- magé par le coup de vent de la nuit; mais nous filâmes huit noeuds en bonne route. îSous fûmeî^ tourmentés pendant notre sommeil par la pi- f[ùre incommode et douloureuse de marin- gouins(i), et les traces venimeuses de ravels(2)9 (]ui aiment à parcourir le visage ou toute autre partie du corps mise à découvert , en y dé- (i) Ces insectes sont de Tespèce du cousin^ culejc. (2) Le ravet; scarabeus minor domesticus, spadi- cens. C'est une espèce de blatte; blalta americana , înalè olenlissîma. Cet insecte volant , commun à bord des vaisseaux et en Amérique, est semblable au han- neton privé de ses aiïes , mais son corps est plus aplati r le corps des mâles est caché sous des ailes, tandis que celui des femelles est à découvert. Ces in- sectes nuisibles rongent tout, et savent pénétrer dans. les lieux les mieux fermés , en y laissant des taches d'une humeur infecte et caustique. Les ravets ont pour ennemis puissans les guêpes ichneumones et les araignées. D'UN NATURALISTE. 23f posant une liqueur caustique qui devient le germe d'une érosion cuisante. Samedi 29 décembre , nous devions nous venger aujourd'hui sur un de nos dindes, de nos privations journalières 5 et comme c'étoit pour nous une fête, que l'espoir d'un meilleur repas, pour ajouter plus de solennité à la cérémonie des funérailles , on me fit composer une marche funèbre pour conduire à la cuisine , après lui avoir fait faire trois fois le tour du bâtiment, îe gros dindon que nous avians si bien en- graissé. Les commissaires du banquet , au nombre desquels j'avois été nommé , se réservèrent pro- visoirement le sang de l'animal pour en com- poser un mets languedocien que je trouvai très- bon. C'est le sang d'une ou plusieurs volailles, qu'on met frire avec un peu de beurre, de l'ail , de l'oignon et de la sarriète hachée. On ajoute, pour sauce , des jaunes d'oeuf battus dans du vinaigre (i). Nous étions à la veille d'éprouver un dan- gereux accident. Un de nos chiens languissant de faim et de soif sous une température aussi brûlante, eutles symptômes premiers d'une rage confirmée. On prévint les suites funestes de (») Ce mets s'appelle sangueûte. P A I 232 VOILAGES, celle maladie affreuse, en jetanl à la mer l'animal alteinl de F hydrophobie. Dimanche 3o décembre, il s'éleva vers midi un coup de venl si violent , que qualre hommes pouvoient à peine diriger la barre. Je n'ai parlé que de la mort du dinde ; mais , pour con- noître les suites de sa destinée , il me suffira de dire que les associés payeurs se retirèrent en tapinois dans un coin du bâtiment, et mangèrent sans mot dire, et bannissant toute générosité , la fameuse pièce de résistance qui disparut en un instant. Nous ressentîmes d'autant mieux les douceurs d'un semblable repas , qu'à nos côtés , pommes de terre et pois faisoient le fonds du dîner des autres passagers. Lundi 3i décembre, nous rencontrâmes deux bâtimens faisant route pour la Jamaïque. On mit r Adraslus en panne , et on hissa deux pa- villons pour leur donner le signal du pourparler. Soit crainte ou méfiance, les deux vaisseaux continuèrent leur route en cherchant à nous éviter. Je devrois passer sous le silence un trait d'égoïsme qui n'a point d'exemple. ]Nos di- recteurs furent assez inhumains, pour me refuser un peu de vin que me demandoit un conva- lescent pour faire une rôtie au sucre. Mardi le^. janvier, nous voguions sur les iL Ih D'UN NATtRALISTE. ^33 flots de l'incei litude , puisque notre capitaine plus occupé de son plaisir que de son devoir, ayant négligé de prendre hauteur avec exactitude, ne connoissoit plus le véritable point. Nous vîmes l'oiseau appelé par les marins le corsaire. Il annonce les attérages; ce qui doubla l'inquiétude de nos mauvais pilotes^ qui ne se croyoient point aussi près de terre. Mercredi i janvier , la nuit fut orageuse , et les éclairs répétés embrâsoient l'horizon ; cependant la mer étoit calme , et nous n'eûmes que de la chaleur. Le matin , nous avions aperçu près de notre bord un cachalot (i) de quarante pieds environ. Jeudi 3 janvier , jamais le lever du soleil n'offrit un spectacle plus imposant. Les couleurs riches et brillantes des nuages amoncelés vers l'horizon, décoroient de ses plus beaux vêtemens l'aurore renaissante. Dans le lointain , une cou- ronne de nuages où l'on voyoit le beau jaune cuivré , le rouge d'airain marbré, et bordé de bleu noir jaspé , enrichissoit ce tableau ra- vissant. Pour disque du centre de la couronne, on remarquoit un ciel d'un beau bleu uniforme et sans tache , que les couleurs foncées envi- Ci) Cesl le plus grand cétacé, après la baleine du Groenland. '^ •" ^34 VOYAGES ronnantes rendoient encore plus tendre. Quelques raies vertes et fauves jaspoient le dessous de ces transparens vaporeux. Près de Fazur, au milieu du nuage cuivreux , étoit le croissant de la lune renaissante , tandis que les premiers jets lumi- îiejix du soleil sortant de l'onde , venoient dorer et éclairer ce dais merveilleux. On reconnut à Feau de mer devenue tiède , que nous étions dans le golfe de Babama. Son courant devant nous être favorable, nous nous en félicitâmes. Les fréquentes rumeurs qui eurent lieu à bord depuis le jour de notre embarquement, ayant souvent occasionné des actions de dépit , notre vaisselle se trouvoit si fort diminuée , cju'on fut obligé de nous servir la soupe dajis un plat à barbe. Vendredi 4 janvier , on sonda sans succès. La sonde , au moyen de laquelle on détermine la profondeur de Feau, est un cylindre de plomb, concave à sa base , qu'on enduit de suif propre è retenir le sable des rivages. Les bons marins reconnoissent, à la seule inspection des particules arénacées , les parages où ils se trouvent. Pour s'en servir, on jette à la mer, et on laisse filer cet instrument attaché à une certaine quantité de brasses de cordages. Gomme il y avoit erreur de calcul , nous ne pûmes trouver le fond. D'UN 'NATURALISTE. ^35 îl survint, vers les cinqlieuresderaprès-midi, lin coup de vent si violent qu'on mit le bâtiment il la cape. Quelques voiles déchirées, tous les cordages en désordre , et roulés à la hâte sur le pont , ofTroient le spectacle le plus lugubre. Ce n'éloit plus rimposant Adrastus , fendant avec fierté Fonde écumante; rien d'aussi morne que l'intérieur d'un gros bâtiment privé de ses voiles^ et devenu le jouet de la tempête. ^ La mer à minuit étoit si grosse , qu'une seule iame, après avoir inondé la chambre des dames, entra dans la nôtre , et renversa par sa commotion un des passagers qui , dans sa chute voulant se retenir à une colonne de nos cadres déjà ébranlés par le roulis , fît le petit Samson , et écroula nos cabanes. Une autre vague, non moins terrible, a^ant redoublé cet horrible fracas, nous nous crûmes tous perdus. J'avois déjà disparu aux yeux des spectateurs , qui s'empressèrent de me porter des secours , étant enseveli sous les débris des cabanes , matelas , bouteilles , et surtout étouffé par le poids énorme du passager qui couchoit au dessus de moi, et qui, se trouvant bien, oublioit qu'il en écrasoit un autre. Samedi 5 janvier , la tempête subsistoit encore , et la mer étoit si houleuse que nous fûmes obligés de rester au lit, ne pouvant debout conserver l'équilibre. On sonda encore infructueusement ; r* sM VOYAGES ainsi nous étions sans cesse à la veille de nous perdre par rinconséquence de notre capitaine qni oublioit, au milieu des jeux, et son devoir €t les dangers éniinens auxquels il nous exposoit pour avoir négligé le calcul des latitudes. La tourmente augmenta , et les vents déchaînés déchirant les voiles, on mit une seconde fois à la cape. Rien ne pouvoit arrêter les mouvemens violens et convulsifs du gouvernail; on futobhgë de l'amarrer. Le navire à la merci des flots et des vents, inondé de vagues sans cesse renais- santes, rouîoit dans tous les sens, et sembloit annoncer une perte prochaine. Dimanche 6 janvier, la tempête continuoit sans apaiser sa furie, lorsque, près de notre bord, nous aperçûmes toutà coup au milieu d'un brouillard épais un bâtiment à trois mâts, aussi maltraité que le nôtre , tantôt englouti sous l'onde amère, tantôt revomi par ses vagues inconstantes, €t élevé subitement à des hauteurs prodigieuses. Ce vaisseau , jouet comme l'Adrastus de la tem- pête la plus affreuse, nous fûmes réduits à la per- plexité de passer ainsi la nuit sans pouvoir diriger le bâtiment^ et craignant un choc qui nous eût fracassé l'un ou l'autre. Cependant accablés de iatigue, nous noushvrions déjà aux douceurs du premier sommeil lorsqu'une secousse nous fit tressaillir. Deux fîots opposés, heurtant la carène y D'UN NATURALISTE. 237 tirent sauter le bâtiment si haut qu'il retomba sur son flanc , et resta dans cette position incom- mode et dangereuse, jusqu'à ce qu'une nouvelle lame vintlui faire reprendre sa position naturelle. Lundi 7 janvier, le vent se calma , et la mer quoiqu^encore grosse, étoit moins redoutable. Nous revîmes le bâtiment à trois mâts, qui nous accosta sans danger. C'éloit un vaisseau mar- chand, sur son leste, venant du nord des Etats- Unis , et faisant même route que nous vers Charles-Town , où le capitaine vouloit relâcher^ après y avoir été provoqué par l'un des négo- cians de notre bord. J'eus occasion de voir plusieurs trombes (i), (i) Tipho , aut sipho. La trombe aqueuse est, selon Valmont-Bomare , un météore extraordinaire qui paroit sur la mer, qui met les vaisseaux en danger, et qu'on remarque très-souvent dans les tems chauds et secs : c'est une nuée condensée , dont une partie se trouvant dans un mouvement rapide et circulaire , comme autour d'un axe, causé par deux vents qui soufflent directement et impétueusement l'un contre l'autre , tombe par son poids , et prend la figure d'une colonne tantôt conique , tantôt cjlindrique : elle tient toujours en haut par sa base, qui n'imite pas mial le pavillon d'une trompette. Les trombes sont creuses en dedans et sans eau , parce que la force centrifuge pousse hors du centre les parties internes. Plusieurs parties aqueuses se détachant de la circonférence, t 238 VOYAGES mais fort heureuse ment assez éloignées de nous, pour que nous n'ayons point à les redouter. !Nous étions d'ailleurs dans l'impossibilité de les dissoudre, et de nous opposer à leurs ravages en tirant contre elles des coups de canons , puisque notre bâtiment n'étoit que parlemen- taire, et par conséquent point muni de pièces d'artillerie. Nous vîmes aussi quatre requins dans le sillage de notre bâtiment; mais, filant huit nœuds, la rapidité de notre course s'opposa à ce qu'ils mordissent au hameçon , qui est une espèce d'émérillon. A minuit , nous fumes réveillés en sursanî par un coup de canon qu'un vaisseau lira près de nous. Le boulet passa à quelques pas du timonnier . 11 falloit voir nos spéculateurs déplorer déjà la perte des fonds immenses qu'ils av oient à bord. Jadis satiriques , ils avoient en ce mo- ment Foreille bien basse , et étoient consternés forment la pluie qui tombe tout autour du tourbillon : lorsque le vent inférieur est plus fort , la trombe se trouve emportée et est suspendue obliquement à la nuée ; alors ou entend un bruit sourd et mêlé de sifîlemens. Par-tout où ce tourbillon tombe , il cause de grandes inondations par la prodigieuse quantité d'eau qu'il répand : il amène même quelquefois de la grêle , et les dégâts qu'il produit sont affreux. (Con^iultez l'Histoire de l'Académie , années 1727, iftyj et 1741). JÉMÉÉM D'UN NATURALISTE. 23() dans l'embarras des ricliesses, par la crainie de trouver un corsaire dans notre agresseur. On en vint à Fabordage, et nous apprîmes tous avec un vif intérêt que le bâtiment inconnu n'étoit que dénué de vivres , et qu'expédié de Londres, il avoit déjà près de quatre-vingt-dix jours de traversée. Le capitaine, nous exposant la triste situation de son équipage harassé par les tempêtes habituelles qu'il avoit essuyées , nous apprit qu'il étoit réduit à une ration insuffisante^ et que, dans la crainte que nous ne lui échap- pions , il n'eut pas le tems de faire retirer le boulet du canon ; que son intention , nullement hostile , n'étoit que de faire mettre notre bâtiment en panne. Ce vaisseau étoit armé en guerre et marchandises. Mardi B janvier, nous trouvâmes enfin terre à vingt brasses , et nous découvrîmes le beau phare de Charles-Tov^^n (tom. i^*^. , plane. XIY), situé isolément au milieu d'une antique forêt de pins , au dessus desquels il s'élève de plus des trois quarts de sa, hauleur. Nous vîmes voltiger autour de notre bâtiment des canards de toute espèce, des cormorans (i), des chevaliers (2), (i) CorvLis aquaticus , aut Phala crocoràx ; oiseau aquatique, dont on distingue deux espèces qui se nourrissent de poissons. (^) Totanus, oiseau aquatique du genre du Bécasseau, ^ I 24o VOYAGES des moueiies (i) , des goilands (2) , et autres oiseaux qui fréquentent les attérages. Nous en tuâmes plusieurs ; mais ayant vent arrière j et toutes les \oiles étant dehors, nous ne pûmes mettre la chaloupe à la mer pour les aller chercher. Un pilote côtier vint à notre rencontre dans sa barque élégante pour nous faire éviter la barre (3), et nous conduisit vis-à-vis de Charles- Tovrn, où nous mouillâmes assez près de l'Em- barcadère, après nous être félicité d'avoir été assez heureux pour échapper aux dangereux rescifs de la baie. Le port de celte ville peut recevoir en sa rade jusqu'à trois cents voiles, et les plus gros navires y entrent en tout tems avec leur chargement. (i) Gavia , nom donné à des oiseaux de mer, à pieds palmés, du genre des goilands, mais moins grands. (2) Lariis 5 c'est l'oca-marina crocalo des Italiens. Oiseaux de mer ictyophages. Ils sont sur les rivages ce que les vautours sont pour l'intérieur des terres , destinés à purger la terre des débris d'animaux morts , qu'ils se disputent entr'eux, avec des cris aigus. (3) Banc de sable qui barre un port, et souvent devient un dangereux écueil. Celle de Charles-Towii est renommée par des naufrages fréquens qu'on y essuie. Mercredi f M *^~M D'UN NATURALISTE. ^4î ^ Mercredi 9 janvier , après le visite de TAdrastus, je descendis à Charles-Town , viJJe capitale de la Caroline méridionale , avec le capitaine , afm de m'assurer d^ni logement. <îuel fut mon ëtonnement dans un pays inconnu , d^y trouver de nouvelles mœurs, de nouvelles coutumes et tous visages étrangers , d'y ren- contrer autant de nègres que de blancs ! J'avoue que la vue de ces Africains dans l'état d'escïa^ vage, me fit d'abord impression. 11 règne dans l'intérieur de la ville le silence le mieux observé ; et les Anglo-Américains sérieux par caractère^ et non titrbulens comme les Français, marchent dans les rues sablées, la tête baissée, et exclu^ sivemeiit préoccupés de leur commerce. Lorsque deux d'entr'eux se rencontrent, un salut de la main fait avec réserve, mais avec sincérité, équi- vaut en ce^cas à notre accueil affable, mais trop souvent politique (i). La température de Charles-Town (2) modérée (1) Quand, dans une société, une personne en saluant refuse la main à une autre , elle lui déclare par là son inimitié. (2) Cette ville se trouve au confluent de deux rivières navigables , la Cooper et l'Ashlej, et sert d'entrepôt à toutes les productions de la colonie qui doivent être exportées. Tome ï. q i m^ i ( 1 m M jj - 1 1 1 a42- VOYAGES toute Fannée , offre cependant plusieurs varia- tions dans la journée 5 ce qui la rend très- mal-saine. Il faudroit volontiers changer trois- fois le jour de costume plus t)u moins chaud, inconvénient qui donne naissance à une mfmité de maladies produites par une transpiration interceptée. Nous n'étions qu'au commencement de janvier , et cependant beaucoup d'arbres étoient couverts de verdure et de fleurs. Les chaleurs de l'été y sont insupportables , et infi- niment plus accablantes qu'à Saint-Domingue, ou une brise réglée vient trois fois le jour rafraîchir l'atmosphère, et dissiper les miasmes combinés bar une évaporation torride, et des exhalaisons souvent morbifiques. Peu familier avec le langage du pays , et bien néophyte encore dans la traduction de l'anglais, je souffrots d'entendre parler à mes oreilles, sans pouvoir comprendre même les cris des marchands, dont les intonations sont variées à l'infini. ^ Les rues de Charles - Tow^n sont correctes, mais souvent remplies d'immondices. On y marche avec difficulté sur un sable épais. Les maisons pour la plupart couvertes en bois ou essentes, qui réverbèrent moins la chaleur que la tuile , sont construites en planches. Celles des habitans riches ont des façades du goût k D'UN NATURALISTE. ^43 plus moderne, à colonnes et galerie tournante , et d un style régulier. Mais ces palais modestes élevés sans maçonnerie, sont, ainsi que la chau- mière du pauvre, exposés k être détruits en un instant par l'incendie. Nous traversâmes le bel emplacement de la boucherie, où la viande me parut fort belle, et surtout bien nettement divisée. Les bouchers propres k l'excès, poussent la précaution jusqu'à scier les os, afin que le morceau qu'on leur achète soit coupé régulièrement. Ils tuent tous les jours, et ne font jamais reparoître la viande tuée de la veille , ayant la commodité de la èaler , et de la mettre en barils pour l'usage des vaisseaux. On voit sur chaque cheminée un ou plusieurs ménages de turkey-buzzard (i) , espèce de vau- (I) Dinde-buse, ou Urubu; c'est le vautour du Brésil, de M. Brisson, et des planches enluminées 1875 Buse àfîgure de paon, dansCatesby,. Hernandez et Nieremberg lui donnent le nom d'Aura , et François Ximénès, celui de Tzopiloth ou Tropillot; c'est le cosquauth de la Nouvelle-Espagne. Margrave dit que les Brasihens le nomme Urubu. Cet oiseau , dit M. Mauduit, se trouve dans différentes régions de l'Amérique. Les sauvages de la Guiane l'appellent Ouroua ; les créoles et les voyageurs l'ont appelé Mar- chand : on le trouve aussi en Afrique. Kolbe le nomme Aigle du Cap. 244 VOYAGES tours appelés vulgairement cinq paounds (6}, valeur de l'amende infligée à Taudacieux qui en tueroit un. Ces oiseaux sont ainsi respectée par les services réels qu'ils rendent en enlevant, dans la ville et aux environs , tous les animaux morts et débris corruptibles , dont ils font leur unique nourriture. Yoit-on une poule expi- rante 'j elle ne reste pas long-tems sur la place sans être dépecée. Ces oiseaux, durant le jour occupés sans cesse à faire leur tournée , fondent par légions, et se disputent la proie qui dis- paroît en un instant. Les turkey-buzzards sont si familiers , qu'on pourroit en tuer volontiers à coups de bâton. J'avois un grand désir de me procurer un de ces animaux ; mais je n'étois point du tout disposé à payer cinq louis environ d'amende , ce qui m'engagea d'attendre une occasion favorable. Les dames anglo-américaines , jalouses d'imiter les Françaises dans leurs costumes, sont à la piste des bâtimens arrivant de France , pour en réclamer les modes du jourj et c'est une spécu- lation sûre que peut faire un capitaine, s'il a des fonds à convertir en pacotille. J'examinois la tournure d'une de ces dames lorsqu'en de- tournant une rue, je vis à mes pieds deux négresses (2) Euviroa 120 fraucs» D'UN ISATURALISTE. 5245 accroupies, occupées à fumer avec de longs ca- lumets; c'est le cas de dire que ce ne fut pas pour moi une agréable surprise. La chaleur étant excessive , et harassés des courses faites en vain pour trouver une pension convenable, nous fûmes assez heureux pour rencontrer un Français obligeant qui , nous ayant reconnus pour des compatriotes nouvellement débarqués , s'offrit d'être notre interprète , et nous procura un asile bien famé , et qui nous parut tenu par de bien honnêtes gens ; c'étoit une pension américaine. L'hôtesse, M^^^. Ramadge, ofFroit pour contraste une taille colossale , avec des manières mignones et enfantines. Cette dame ne savoit quelle contenance garder , ni comment s'expliquer 5 enfin notre interprète , qui parloit anglais , nous développa ses in- tentions. A peine fûmes-nous installés, qu'un jeune nègre vint nous ofFrir des fruits de l'Amérique. Pour mieux disposer les acheteurs, il les char- moit par les accens mélodieux de sa voix céleste. Quoique bien envieux de goûter à ces pro- ductions nouvelles pour moi , je pris encore plus de plaisir à exercer son talent , et à lui faire répéter un rondeau anglais , original par sa composition. Après lui avoir aclieté des ba- nanes, figues bananes, patates, ananas, etc. 5 Q3 m t 246 VOYAGES je le congédiai en le récompensant de manière à l'encourager. Je ne pus juger de la bonté de ces fruits imparfaits , et je me réserve d'en parler lors de mon séjour à Saint-Domingue. Je sortis pour connoître l'intérieur de la ville , et je vis que lès femmes de qualité font le matin leurs courses a pied. Elles ont une démarche lente et grave , et sont suivies d'une ou plusieurs jeunes négresses. Les voitures sont très-légères et aérées ; elles sont traînées* par des chevaux , que des nègres conduisent. On voit peu de cabriolets , mais des charabans d^une délicatesse extrême. Les rues sont garnies de trottoirs , et d'arbres dont les fleurs ont quelque rapport avec celles du lilas de France. Cet arbre est l'azédarach (i) , dont les * branches lisses et droites forment une très-belle tête. Les levées du bord de la mer sont construites en ostracites (2) , et la consommation d^huîtres en ce pays est si grande, qu'on se sert le plus communément pour bâtir , de chaux d'huîtres. (i) Melia azedarach , foliis bipinnatis , Linné. Voyez mon Traité des plantes usuelles des Antilles , plantes assoupissantes. (2) Ecailles d'huîtres devenues fossiles. i''' u^. D'UN NATURALISTE.. 247 En rejoignant notre pension , je rencontrai le convoi d'un nègre. Les pleureurs deux à deux marclioient devant et derrière le corps, qui étoit porté sur un chariot rouge traîné par un seul cheval. ( Tom. i^\ , pi. XY. ) En visitant les temples consacrés au service o«/io^ sauvage y ou dictame de J^irginie. On me fit voir aussi un tableau peint à l'huile , et de la composition d'un jeune sauvage de dix- huit ans, qui, sans avoir appris, a fait ce chef- œuvre. Le style en est original, et le coloris lout particulier; mais il se rapproche tant de la nature, c{u' on ne peut s'y méprench^e. Ce sauvage (j) Aristolodiia x^nguicida , Linn. D'UN NATURALISTE., ^79 s^esl peint, sortant du milieu d'une caverne en- foncée dans un bois sombre et solitaire ; il est vêtu d'une peau de cliat-tigre qui lui recouvre seulement les parties nobles , tandis que le reste de son corps est à nu. Ce héros est armé de ilèclies et d'un arc; il se prépare à entrer en chasse. Je sortis dans les environs de Cliarîes-Tov/n îe dimanche 27 janvier 1799 , et j'y rencontrai des tableaux encore dignes de la nature primitive. L'esprit d'union qui anime ces habitans for- tunés leur donne une confiance mutuelle dont ils ne sont jamais déçus, et qui ne peut être altérée que par les principes dégradés d'étrangers qui s'y avilissent par une conduite oiilrageante. J'errois de bois en bois pour augmenter ma collection , et je traversois une grande roule bordée d'une épaisse forêt de sapins, lorsque j'aperçus un groupe de voyageurs au moment de leur réveil. Couchés à la belle étoile , les uns sur des sacs d'autres sur des peaux , ils avoient passé la nuit dans ce lieu agreste, une nuit tranquille et bonne, n'ayant à redouter aucun danger, pas même la voracité de quelques chats- tigres et ours qu'on voit assez communément dans le pays, mais qui ne sont jamais agresseurs. Voici à ce sujet une anecdote qui prouve leur limidilé. Un ami de M. R^^^, n'ayant pu croire k s 4 ^Bo Y O Y A G E S ce naturel doux, si opposé à la nature de ces animaux , après avoir aperçu dans un arbre un ours quiy ëtoit grimpé, chargea un des canons de son fusil avec de la poudre seulement. 11 ajuste Tours; etFexplosion l'intimida tellement, qu'il se laissa tomber comme mort du haut de l'arbre, en sorte qu'on l'emmusela, et qu'il fut transféré à la ville, tout honteux de sa captivité: niais revenons aux voyageurs. S'en rapportant à la fidélité publique, ils avoient leurs chariots dé- telés, et leurs chevaux paissoient tranquillement près de là , abandonnés dans les bois à leur dis- crétion. Je fus témoin du repas frugal des voyageurs quiparoissoient vivre dans la meilleure inteiligence, et burent à la ronde dans la même coupe. En rentrant dans la ville , je remarquai dans les rues sablées de petites chèvres à cornes droites , recourbées en arrière au sommet, et à poil court et varié en couleurs, qui me parurent être une espèce de chamois, ainsi que des va.ches qui y cherchent jour et nuit leur nourrilure. Le soir, selon la coutume du pays, on nous servit, après le thé, des huîtres dont on ne mange qu'à souper. On m'apprit l'arrivée d'un parlementaire de Saint-Domingue, qui publioit, comme nouvelle du jour, que Toussaint-Lou- veruire, général en chef à Saint-Domingue, •t< DUJN INATURALISTE. 281 Voiiloii rendre celle colonie indëpendanle de lOLit gouvernement. J'a\ois formé le projel d'aller chasser à l'habi- ta lion de M. de Garadeux, distante de quelques milles de Charles -Town; mais je ne pus Feffec- tuer, ayant appris le départ d'une goélette pour Saint-Yago de Cuba, île espagnole, dont les communications avec Saint-Domingue étoient très -fréquentes. J'allai voir le capitaine, M. Tho- mas-Payne, armateur de ce bâtiment, qui me conduisit à son bord. Cet homme doux et franc me reçut avec l'aménité qui le caractérise, et agit envers moi avec beaucoup de désintéresse- ment j car il ne me demanda pour passage que la moitié de la somme qu'exigeoient d'autres ca- pitaines, m'observant que nous ne j^our rions partir que sous quelques jours, ayant à faire ré- parer la voilure de sa goélette, la Galatée. Je profilai du tems qui me restoit à passer à Gharies-Town , pour relier ma partie de chasse avec M. de Garadeux , qui voulut bien m' envoyer sa pirogue et six nègres rameurs pour me trans- porter à sa délicieuse habitation, célèbre par sa solitude et sa position. C'est une île que la mer baigne de toutes parts, et qu'une antique foret d'arbres de tout genre couvre de son épais et si- lencieux ombrage. INous y mouillâmes à quatre heures de l'après-midi avec une mauvaise marée, 282 VOYAGES et comme le vent nous étoit contraire , les rameurs redoubloient de courage au milieu de chants africains. JNous fûmes reçus au sein d'une somptueuse abondance, et je trouvai chez mon hôte tout ce cjoipeut charmer la monotonie de la solitude; la liberté et une bibliothèque parfaitement choisie. M. de Garadeux , flattant mon goût pour l'his- toire naturelle, voulut bien s'offrir comme pilote dans l'intérieur de ses bois qui m'étoientinconnus. Chasseur très-adroit, il se promit aussi de jouter à qui rapporteroit chaque jour le plus de vic- times ; j'acceptai cette promesse avec reconnois- sance, et le lendemain de grand matin, nous nousmîmes en marche avec MM. R^^^ , M. de Garadeux , et ses deux fils. A peine eûmes-nous pénétré sous la voûte odo- rante de hauts sapins, que mon hôte tua près de moi un écureuil volant (i) , très-rare, me dit - il ^ en ces parages. 11 étoit de la grosseur d'un rat , avoit de petites oreilles arrondies , surmontées d'un poi' roux ; les poils de sa moustache étoient (i) Cest le p:)]alniiclie- Sciurus volans , Linn. 5 Mus ponticus aut scylhicus , Sciiirus-ve quem volantem cogiiomûiaDt , Gesiier — Sciurus americanus volans, Ray; le Flyingsquirrel des Transact. phil , ann 1735 , €fc d'Edwards. (Tom. ler^ pi XVI.) DU]N NATURALISTE. 283 roidcs et d'un beau noir j sa queue très -garnie n'éloit point aussi longue que celle de l'écureuil vulgaire 5 sa tête arrondie étoit munie par devant de quatre dents incisives 5 les molaires se trou- voient au fond de la mâchoire 5 ses pattes étoient garnies jusqu'aux pieds d'une membrane qui se continuoit au long de ses flancs, en sorte que quand l'animal est étendu, il a le contour d'un mouchoir carré, ces membranes minces qu'il peut tendre et mouvoir à volonté par l'action de ses pattes, ont la propriété de le soutenir assez en l'air pour qu'il puisse facilement voler d'un arbre à un autre (i). Les pattes de devant sont pourvues de quatre doigts, celles de derrière, de cinq, garnis d'ongles arqués et très-aigus ; son poil de couleur gris cendré, est presqu'aussi doux que celui de la taupe , et soyeux comme lui. L'écureuil volant a les habitudes de celui d'Europe , sans pour cela avoir les caractères suffisans pour le comprendre sous la même classe , puisqu'il dort presque tout le jour, et ne (i) Ce n'est pas qu'il puisse soutenir un long vol, mais la vibration de sa membrane augmentant la sur- face de son corps, sans pour cela ajouter à son poids, il se trouve en équilibre quelques instans, au bout desquels il céderoit au poiut de gravitation, s'il ne rencontroit un corps solide pour le recevoir. C'est donc plutôt un saut qu'un vol. 1 •• ^H VOYAGES va à la maraude que pendant la nuit. Ils se nour- rissent de fruits, d'amandes, et surtout des jeunes pousses de pin, du bouleau et de Fërable. Ces animaux font quatre petits, qui souvent deviens nent, ainsi que leurs père et mère, la pâture d'autres animaux moins indolens qu'eux, des putois (i) qui les surprennent dans leur sommeil, et les étranglent sans miséricorde. Ce qui paroîtroit rapprocher Fécureuil volant de la chauve- souris, ce sont beaucoup de ses îiabitudes, et une partie de sa conformation^ la femelle étant pourvue, ainsi que la chauve- souris, de mamelles destinées à la nourriture de ses petits; mais, d'autres caractères principaux l'en éloignant, on a conservé au polatouche le ï^om d'écureuil volant. Le polatouche est susceptible de s'apprivoiser; on en voit même à Charles-Town dans plusieurs maisons , où on les nourrit ainsi que ceux d'Europe , dont pourtant ils n'ont pas les gen- tillesses , leur caractère étant froid et indifférent. (0 Le putois rayé; Putorius striatus. C est le puant, ou bête puante de l'Amérique septentriouale , ou' zonWe. Les habitans des bords de l'Orénoque l'appellent Mapurita, et les Indiens, Mafutiliqui. M. de BufFon a classé ce putois i ajé parmi les mouffettes , dont il reconnoît quatre espèces qui sont , le coase ou jsquie- palti des Mexicains, le conépate, le chinclie et la zorille. D'UN INATURALÎSTE. ^85. Nous rencontrâmes assez près de là l'ajoupa cFun nègre libre et solitaire , dormant la moitié du jour, et employant Fautre partie à aller pêcher, et à se nourrir d'huîtres dont on voit autour de son petit domaine les monceaux de coquilles. Uvit, sans travailler, des libéralités de la nature , ou ne travaille que lorsqu'il s'agit de renouveler ses tengas , et d'acheter du tabac à fumer. La position de cet hermitage est si pitto- resque, que je regrettai bien mes pinceaux, et surtout mon crayon que j'avois oublié, avec lequel au moins j'eusse pu prendre l'esquisse de cette nature sauvage. Parmi les oiseaux que je rapportai, je dis- tinguai une bécasse ^ un choucas ^ des trou- piales , des houveraux , un robin _, un tro^ glodyte^ la fauvette deNew-Yorl; y V oiseau du mûrier y et deux très-petits oiseaux-mouches . La bécasse (i) de Gharles-Town est beaucoup plus petite que celle d'Europe , mais sa chair est non moins estimée; le plumage est absolument le même. Elle aime les endroits solitaires et hu- mides ; son vol du départ n'est point aussi bruyant que celui de notre bécasse d'Europe , et elle file à rez-terre comme la caille. Elle paroit (i) C'est la bécasse des Savannes , pi. enl. 8^5 ^ si commune à Cajenne. t 286 VOYAGES peu mëfîanle ; car, m'ayaot aperçu de fort loin , à ce que j'ai cru remarquer par un premier crochet qu'elle fit pour m'éviter, après un second qui lui fit reprendre la même direction , elle vint s'abattre auprès de moi , et se glissa si bien sous l'herbe , que je ne puis l'y retrouver de suite. Cependant, après beaucoup de tours et de recherches, elle me partit , et je la tuai. Le choucas (i) qui n'est pas plus gros que la tourterelle , et dont le plumage noir offre des reflets variés et irisés. Cette espèce de corneille a des habitudes conformes aux autres oiseaux de ce genre. Ils volent par troupes ainsi que les corneilles , adoptent de vieilles masures pour retraite, \ivent en société avec beaucoup d'ac- cord ; ont un attachement remarquable pour leurs petits , qu'ils nourrissent ainsi qu'eux de grains, devers et autres insectes. On les habitue facilement à la domesticité ; j'en vis un dans les rues de Charles-Town , si attaché à son maître qu'il alloit rejoindre dans les champs ses amis ou ses frères , y passoit souvent plusieurs jours • mais fidèle à la reconnoissance , il revenoit tou- jours. Il aimoit à dérober, ainsi que les oiseaux de cette classe. (i) Ou choucas-choucetle , mouedula, de Vahnont- î3oiaare. D^UN rsATURALISTE. 287 Des bouvereaux (i) Yioletsetàbec rond de la Caroline , parmi lesquels se trouvoit le gros-bec de la Louisiane , non point comme il est décrit par certains auteurs , mais avec les caractères sui- vans : la tête , la gorge , le dos et le dessus de la cpieue d'un noir de velours 3 un hausse-col d'un blanc éblouissant , le ventre fauve-marron , le dessous de la queue fauve-blanchâtre j le bec et l'iris noirs ; les pieds fauves. Cet oiseau casse les noyaux les plus durs. IXe seroit-ce point plutôt le carouge de Cayenne , planche enlum. 607. Un robin (2) dont le plumage supérieur est d'un beau gris, ainsi que le dessous du bec 5 la têtegri- velée de taches noires, le poitrail et tout le plu- mase du ventre d'un marron clair très-brillant, le bec jaune ombré de noir à son extrémité , et ayant de chaque côté de la mandibule inférieure une tache blanche à sa base ; l'iris noir , et les pieds gris. Cet oiseau est d'un manger exquis ; il est de la grosseur de notre litorne , et a à peu près les mêmes habitudes. ( I ) Oiseaux de la classe des bouvreuils. (2) Espèce de grive dont la chair est très- esUmee. \m.i f s88 VOYAGES Un troglodyte (i) , et la fauvette de New- Yorck (2) , dont le plumage supérieur est d'un marron clair ,. celui du ventre , blanc tacheté de guillemets noirs en cheverons brisés , et disposés régulièrement 5 le bec et les pieds de couleur cen-- drée , et l'iris noir. Plusieurs oiseaux du mûrier qiie j'ai déjà décrit , enfin deux jolis oiseaux-mouclies dont voici le signalement : le premier (3) un peu plus gros queForseau-mouche vulgaire^ a la gorge et; le devant du cou d'un rubis éclatant , avec des reflets d'or ^ tout le plumage de son dos a des nuances d'un vert-doré, changeant en cuivre de rosette ; celui du ventre est blanchâtre ; les ailes d'un noir-violâtre 5 les pennes latérales de la queue d'un brun-pourpré , le bec et les pieds noirs. Cet oiseau est assez commun. Le second (4) , qui se trouve dans les Antilles , ( 1 ) Oiseaux propres aux deux Continens , regulus dictus troglodytes. (2) Ou fauvette tachetée de la Louisiane, pi. enl. 752. (3) Oiseau-mouche à gorge rouge de la Caroline, de M. Brisson; c'est le colibri de Catesbj , tom. m, pi. 36, fîg. 6 . le cohbri à gorge rouge d'Edwards. (4) Oiseau-mouche huppé de Cajenne , pi. enl. 227, fig. 15 ou colibri huppé d'Edwards. . a la. D'UN NATURALISTE. ^89 a la tcte surmontée d'une huppe à étages, c'est à du-e , plus élevée au milieu que sur les côtés; elle est d'un vert-doré , très-brillant et chalo^ant; le plumage supérieurestd'un vert-noiràtre, avec des reflets de cuivre-rosette; l'inférieur est cen- dré-brunâtre, mais verdâtre latéralement; les pennes sont d'un noir-violet, avec des reflets dorés. Son bec est long , pointu comme une alêne , et ses pattes n'ont que la grosseur d'une épingle; elles sont très-courtes. Ils se nourrissent- du suc des fleurs d'où leur vient le nom de mel- lisuga. Ces oiseaux ne se trouvent à FAmérique septentrionale que dans la belle saison. Favoris du printems , ils courtisent la fleur récemment épanouie; mais légers etinconstans, ils voltigent de Tune à l'autre ainsi que Fabeille, dont ils dis- putent le larcin. Ces oiseaux sont si petits que souvent ils se dérobent aux regards, en pénétrant dans rintérieur de certaines fleurs. Leur vol pro- duit un bourdonnement semblable à celui d'uix rouet à fder. Lorsqu'ils sont las, ils se reposent sur un arbre ou sur un pieu voisin , et y restent quelques minutes, puis retournent aux fleurs. Les oiseaux-mouches ne sont pas méfians, et Ton en approche très-facilement ; mais aussi ils sont colères et querefleurs. L'impatience est le mobile de toutes leurs actions, ils se chamaillent entr'eux ; et lorsque la dispute est terminée Tome I, T ago VOYAGES ils vont se percher sur la première branche, et encore agités par la colère, l'extension des mus- cles flëcliisseurs du cou leur fait -vibrer la tête pendant plusieurs minutes. Quand les oiseaux- moucbes approchent d'une fleur, s'ils la trouvent fanée et sans suc , ils se vengent de leur méprise en la dépeçant à coups de bec. L'araignée-crabe est l'ennemie particulière de ces charmans oiseaux. Ce tyran hideux qui choisit pour retraite des trous pratiqués par des crabes, d'où lui vient son nom , mène une existence opposée à ces volatils. U araignée- crabe traîne §ur terre son odieuse vie , tandis que l'oiseau- inouche passe les nuits et les jours perché on dans les airs. L'insecte sanguinaire en détruit néanmoins beaucoup à la faveur de ses toiles élastiques 5 et comme elle est vagabonde , et qu'elle n'a point de demeure fixe , elle destine ses pièges supérieurs aux oiseaux et aux insectes y tandis que ceux de terre enveloppent les animaux rampans, ou certains autres scarabés. 11 est éton- nant de voir un tissu aussi léger porter un corps aussi matériel que celui de l'araignée-crabe (i) ^ très -friande des œufs des oiseaux-mouches , qui ont bien de la peine à les soustraire à leur perfide ,^_ „ I ■ ,..-.,. Il I- t (ï) Voyez mes observations faites à Saiiit-Dominga© sur cet insecte. D'UN NATURALISTE. ^gi ravisseur. Ces oiseaux placent ordinairement leur nid dans une bifurcation cachée par le feuillage; ils l'enduisent au dehors d'une mOusse assez sem' blable au corps de l'arbre, pour qu'on puisse le confondre avec son ëcorce , et le prendre pour une exostose. L'intérieur est tapissé d'un duvet mou et léger; il n'a qu'un pouce de diamètre, et contient deux œufs de la grosseur d'une graine de chenevis. Les ailes des oiseaux-mouches, lorsqu'ils vol- tigent , s'agitent avec tant de vitesse qu'on ne peut les fixer, et qu^au milieu d'un vol soutenu on les croit immobiles dans les airs. On diroit que la nature s'est plue à réunir, dans leur plu- mage , le coloris des pierres précieuses, puis- qu'on y retrouve la topase, le saphir, le rubis et Fémeraude , qui, malgré leur mélange dans la robe éclatante de ces oiseaux, laissent néan-» moins distinguer leur feu vif, et leur brillant vernis. Nous revinmes chargés de butin, et nous trou- vâmes bon feu chez M. de Caradeux, qui reçoit splendidement , puisque dans son salon , qui n'est pas très-spacieux , se trouvent deux cheminées vis-à-vis l'une de l'autre, encombrées d'arbres entiers, qui y entretiennent un feu d'autant plus ardent que la plupart de ces bois sont résineux. Comme on nepourroit point supporter une aussi T 2 à D,g^ VOYAGES chaude température , il est dans l'usage, afin d'éta- blir dans les apparteraens un courant d'air con- tinuel , de faire tenir les croisées et les portes ouvertes. Pendant qu'on recevoit à Charles-Town au bruit du canon l'ambassadeur Pickny, de retour d'une mission importante , et que le peuple dans son ivresse le traînoit avec enthousiasme dans son char , une épouse a voit à pleurer la perte de son époux. Ce bon père de famille pressentit sa mort très-prochaine , mais ne put en détourner le coup d'après Tordre précis d'assister a la fête. Canonnier de la milice , un mal-adroit mit le feu tandis que ce père malheureux bourroit; le coup partit, elle mit en pièces. Cet homme, triste et rêveur en allant a son poste , dit a sa femme un adieu qui la troubla. Cette mère étoit enceinte de deux mois. Le passage de Fambassadeur Pickny, qui avoit occupé avec son escorte tous les bateaux du Ferri , nous empêcha de nous rendre à Charles-Town ; c'est pourquoi nous fîmes une seconde partie de chasse. Je tuai d'un seul coup douze sparas (i). J'eus aussi deux pics ponctués de taches blanches sur un fond noir. Le premier a le sinciput et l'occiput d'un (i) Linotte brune d'Edwards. D'Ur^ NATURALISTE. 293 ronge éclatant que partage une bande grisâtre, toutes les plumes du dos et les couvertures des ailes grivelées avec symétrie de raies noires en zigzag sur un fond blanc; les plumes roides de la queue traversées dans leur longueur par im tuyau d'un noir foncé , au long duquel abou- tissent de chaque côté des raies transversales de la même couleur. Le bec et les pattes sont noires. Ce pic rayé est à peu près gros comme le pic-vert d'Europe. Le second infiniment moins gros , et dont ïa taille n'excède pas celle de la mésange char- bonnière 5 a le sinciput décoré seulement d'une tache rouge, circulaire et régulière, les plumes du dos d'un gris -noirâtre, les ailes noires et ponctuées de taches blanches parfaitement rondes , et disposées avec autant de régularité que celles du plumage de ïa pintade. Ce pic a îe bec et les pieds noirs. Deux fort jolis petits oiseaux, l'un appelé dans îe pays ini-jaune ., et l'autre tête-rouge. Le mi-jaune qui est de la grosseur du roi- telet, a le plumage supérieur olivâtre , l'inférieur blanc- grisâtre, la tête surmontée d'une huppe d'un jaune d'or , entourée de plumes noires rabattues; le bec, les pattes et l'iris noirs, le dessus de la queue noirâtre , et le dessous blanc. T 3 ifi il 294 'VOYAGES La Téte-Rouge, ainsi nommée , parce que cet oiseau a sur le milieu de la tête une touffe de plumes d'un rouge vermillon éclatant. Le reste du plumage et les pattes de la même couleur que le premier, dont il a les habitudes, la sta- ture et la grosseur. Ces deux espèces d'oiseaux paroissent vivre entr'eux avec beaucoup d'in- telligence. On les rencontre toujours près Fun de Fautre , s'appeler pour partager une larve ou autre insecte qu'ils cherchent , à l'exemple des grimpereaux, au long de l'écorce des arbres. J'ai d'abord cru que cette conformité de plu- mage annonçoit une même espèce , et je sup- posois voir dans ces deux intimes amis le mâle et la femelle j mais je me suis assuré depuis que dans les femelles de l'un et l'autre individu ^ les couleurs sont seulement moins vives. Nous rencontrâmes l'ajoupa d'un nègre mar-- ron (i), ou plutôt un amas de feuillage, recelant une peau qui lui servoit de lit, et du tabac. 11 avoit fui à notre approche, et étoit près de là en embuscade , espérant se venger de M. de Caradeux, qui déjà avoit voulu le faire prendre. (i) Ou fugitif. Lorsqu'un nègre a fait une faute pour laquelle il craint d'être puni, il abandonne son maître , et se retire dans ies bois où il vit caché , et se livre souvent alors au désespoir et au brigandage. ' D'UN NATURALISTE. 295 Ce vil assassin étoit couclié dans un fosse couvert de broussailles , lorsque je passai auprès en poursuivant un fort bel écureuil. Il étoit armé d'un fusil , et dans l'espoir de s'emparer du mien , il me mit doucement en joue , tira trois fois , et trois fois la pierre refusa de faire feu. M. de Caradeux qui se trouvoit du côté opposé , et qui pouvoit à peine me distinguer, tant la barbe- espagnole abondoit en ce bois , me plaisantoit sur le peu de valeur de mon fusil , tandis que moi-même je lui faisois la même observation ^ lorsqu'il s'écria d'une voix forte , pour inti- mider le coupable : (( Marchons au bruit , c'est mon nègre marron ! )) Il voulut s'écliapper , le traître étoit trop lâche; nous fondîmes avec im- pétuosité sur lui , nous le désarmâmes ^ et il fut livré à la rigueur des lois. )n hôte vint le soir me reconduire jusqu'au bac 5 et chemin faisant, nous chassâmes encore^ J'approchai, sans être vu, d'un grand duc à longues oreilles (i). Je le tirai, et de la cime d'un arbre Irès-élevé il tomba jusqu'au milieu de la hauteur ; mais il s^y retint au moyen de ses serres et d'une bifurcation. Le corps ren- (i) C'est le grand duc de Virginie, qui a les plumes réunies en faisceau sous la forme d^oreilles, lesquelles partent de la base du bec, . T 4 '^9^ VOYAGES versé, les ailes étendues , je lecroyoisà moi, et je le contemplois d'un œil observateur , lorsque ranimant ses forces , et agitant ses ailes , mou- vement que je croyois devoir précéder son dernier soupir, il reprit son vol, à mon grand étonnement, et alla s'abattre, ou plutôt expirer peu loin de nous dans des marais. Cet aigle de la nuit, tyran des êtres animés qui l'environnent, ne peut supporter l'éclat da jour, et n'exerce son empire que dans les ténè- bres. Son cri plaintif interrompt par intervalle le silence de la nuit, et annonce aux oiseaux épou- vantés la présence de leur destructeur. S'ils cèdent à l'effroi et qu'ils cherchent à fuir, aussi- tôt ils deviennent la proie de ses serres aiguës. S'ils restent en repos, ils évitent, au moins pour cette fois, le déchirement de leurs entrailles* mais ce n'est qu'un retard, et s'ils ne changent d'asile, ils deviennent tôt ou tard la victime de leur ennemivigilant,quise repaît abondamment d'oiseaux, de reptiles, d'insectes, et même de mulots dont il ne digère que la partie substan- tielle , pour en extr^ûre ensuite le poil et les oa qu'il vomit. Les grands ducs sont souvent les agresseurs, d'oiseaux de proie diurnes qui leur sont supérieurs: en force, et leur* valeur toujours leur fait rem^ porter la victoires Ils volent le jour à fleur da D'UN NATURALISTE. 297 terre et à peu de distance, en raison de la singu- lière conformation de leurs yeux , mais la nuit ils ont le vol plus hardi, et planent légèrement dans l'espace. Enfm, de relobr à Charles-Town, j'appris le mercredi 6 février 1799 , que notre bâtiment ne pouvoit mettre à la voile pour cause d'un vent défavorable. Le lendemain il y eut en rade une bourrasque qui fit craindre Fécliouement de deux bâlimens prêts à entrer dans le port, et qu'on annonça être à la barre. Ils avoient été forcés d'y jeter l'ancre de miséricorde , de peur de naufrage sur les côtes ; ces marins passèrent toute la nuit dans la douloureuse crainte que leur cable ne rompît, tant le vent étoit violent et la mer agitée; mais heureusement le calme succéda à la tem- pête , et les deux bâtimens vinrent mouiller dans le port. Cherchant à augmenter mes observations, j'eus occasion de connoîtreune singulière coutume de la Nouvelle-Angleterre : je suppose qu'un homme ait à craindre les mauvais traitemens d'un autre, il va trouver le magistrat , et déclare son ennemi ; dès ce moment, étant sous la protection de la loi, elle ne peut être enfreinte sans la punition qui en est le résultat. Si donc l'homme qui s'est fait assurer , reçoit des coups de canne de l'homme suspect, ce dernier est tenu à des dommages et 29^ VOYAGES iîUëréts^ que si au ]ieu de canne il s'est servi crmi loiiet, il n'est plus assujetti à Famende, et que le battu est déplus baffoué et couvert de honte. Une autre coutume consiste à obéir à la vois d'uneostentation déplacée. Les Anglo-Américains mettent du luxe jusqu'à embellir le cercueil qui doit pourrir avec eux. Les gens rieliesle font pré- parer à une certaine époque de leur vie , et le placent sous leur lit, ou dans un grenier. Il est d'un acajou superbe, bien nuancé, bien poli et recouvert de plaques d'argent sculptées. Un de ces cercueils coûte ordinairement de cent vin<^t piastres gourdes. Cependant le jour de notre départ approchoit, et quoique les vents ne fussent point favorables, nous éprouvâmes leur inconstance, et allâmes prendre possession de nos cabanes à bord de la Galatée. Après avoir passé la nuit auprès du fort, on leva l'ancre le mardi 12 février, et le pilote nous ayant quitté avec un excellent vent, nous pronos- tiqua une très-courte traversée. Nous vîmes au départ cinq requins acharnés à la poursuite de notre bâtiment, mais nos lignes n'étant point encore préparées , nous ne pûmes en prendre. Le bon vent et la marche rapide de la Galatée servi- rent bien nos désirs. Il est imj)ossible d'exprimer les attentions du D'UN NATURALISTE. 29g capitaine pendant noire mal de mer. Que le pre- mier de l'Adraslus perdoit au parallèle ! Celui de la Galatée étoit aux petits soins, et nous pro- diguoit toute sorte de douceurs. 11 nous o&oit sans cesse des fruits secs, des fruits confits ou du vin de Madère, ou bien encore de la bonne eau de vie de Cognac; il faisoit préparer, pour les dames , du thé ou une limonade cuite aiguisée d'un peu de rhum^ et paroissoit offensé lorsque nous n'acceptions pas. Le bon capitaine Payne nous raconta l'iiistoire d'un de nos passagers, son compatriote, qui se lenoit toujours seul, et avoit continuellement les yeux fixés sur la mer. Cet étranger s'étoit rendu recommandable par un trait de bienfaisance peu commun dans un siècle où l'on préfère à la vertu l'usage de tous les vices, et qui mérite d'être cité. Dans les tems malheureux de la révolution française, ou le blé étoit rareetoccasionnoituiie disette générale , un inconnu réduit au désespoir , arrêta le soir en tremblant, dans une rue de Paris, un particulier bien vêtu, et lui demanda la bourse ou la vie. (c Arrête, lui dit sir F^^^: malheureux, que fais -tu? tu n'es pas un vo- leur )) ! Puis cherchant aie ramener de son erreur : (( Parle; confie-moi, poursuit sir F^^^, le sujet de ta peine? as-tu des besoins? peut-être pour- 3oo VOYAGES rai-je les soulager )>. Le coupable honteux bais- sant la vue, laissa tomber ses armes et écbapper des -sanglots 5 en avouant à sir F^"^^ qu'il étoit garçon cordonnier , et qu'il ne gagnoit pas assez pour faire subsister ses neuf enfans. Sir F^^^, voulant s'assurer de la vérité du fait, se fit con- duire par l'indigent chez un boulanger où il ïogeoit, et où il reconnut l'autlienticité de l'aveu du coupable. SirF^^^, enchanté de l'occasion qui se présentoit de faire une bonne action , remit d'abord à l'indigent une pièce d'or pour le souper de sa famille infortunée, et promit au père de revenir le lendemain. Sir F^^"^ tint sa parole , et acheta une petite boutique dans laquelle il installa le cordonnier. Ce don que lui permettoit son opulence , retira du crime le malheureux père de famille, que la nécessité força de sortir une seule fois des bornes de la probité. On sait qu'au mal de mer succède ordinaire- ment une faiai insatiable ; nous nous mîmes donc tous à l'œuvre , et chaque passager voulut préparer un plat de sa façon. En qualité de chasseur , je me réservai pour les salmis , tandis qu'uQ colonel, M^^. S^a^, nous fit des crêpes excellentes et très-délicates. Elles avoienl pour- tant un cMfaut, c'est que le second capitaine, buveur renommé , en tenant le flacon d'eau D'UK NATURALISTE. 3or de vie, avoit feint un roulis pour en verser davantage dans la pâtej à eeîa près, nous les trouvâmes fort bonnes. Vers la fin du jour, au moment du coucher dix soleil où la brise se lève sur mer, un jeune mousse qu'on avoit envoyé dans les hunes pour parer quelcpies cordages, tomba à l'eau. Ses cris ré- clamoient du secours , lorsque son père qui tenoit la barre du gouvernail, d'abord incertain s'il devoit la quitter , oublia son devoir pour obéir à la nature. Des cordes jetées en abondance lui firent surmonter l'opposition des flots, et lui servirent d'échelle , au moyen de quoi il échappa à une mort certaine. Dès qu'il fut sorti de l'eau , on voyoit avec attendrissement son père sexagénaire, croyant à peine à son bonheur, s'en assurer en pressant fortement son fils contre son cœur; ivre du plaisir d'avoir retrouvé le trésor qu'il alloit perdre, il pleuroit et sourioit tour à tour. Leur union est si grande, qu'avant même cet événement , lorsqu'ils étoient libres de leur tems , on voyoit toujours le- fils couché sur le pont auprès de son vieux père, tandis que celui-ci lui racontoit de petites histoires, ou lui apprenoit quelques chansons anglaises souvent interrompues par des embrassemens unanimes. Tous les passagers prirent beaucoup de part à la délivrance de cet intéressant enfant. 1' 3o2 VOYAGES Nous ramassâmes sur le pont un poisson volant qui y tomba au milieu de son élan , ne pouvant le prolonger. Tout le monde sait que ces poissons n'ont la faculté de voler que tant qu'ils ont les ailes mouillées; qu'à mesure qu'elles se sèchent , leur course se rallentit , et qu'enfin ils tombent comme une masse aussitôt que l'eau s'en est évaporée. C'est à cette chute que les dorades les attendent , et les poursuivent toujours avec avantage ; s'ils ont eu le bonheur d'échapper quelques momens à la poursuite de leur ennemi juré, iJs reprennent un second vol, et souvent alors, en déviant leur direction, ils s§ délivrent de leur persécuteur. D'après les calculs sûrs de notre capitaine, excellent marin, on jugea la terre très-près, et on mit en panne , de peur d'aller pendant la nuit faire naufrage sur les côtes. Sa conjecture étoit vraie; car, au point du jour, ayant repris la route, nous aperçûmes au bout de deux heures les îles Caïques. Nous rencontrâmes une goélette venant du Cap , île de Saint - Domingue , et qui nous assura la parfaite tranquilhté de la colonie. IXous aperçûmes, le samedi 23 février, le môle Saint -Nicolas : qu'il m'en coûta de détourner îa vue de cette terre habitée , lieu de notre destination î Le capitaine lui-même regrettoit, f D'UN NATURALISTE. 3o3 ainsi que moi, la suspension de commerce entre Jes Etats-Unis et la France^ car il eût fait à Saint-Domingue une belle spéculation sur sa cargaison j c'est pourquoi il regardoit , avec des yeux de désir et de regret , ces montagnes imposantes et majestueuses. La vue d'un bâtiment nous obligea à faire côte vers l'île de Cuba, dont l'abord a quelque clîose de sinistre. C'est une cbaîne de montagnes qui se prolongent en tous sens plus loin que la vue peut s'étendre , et dont la hauteur est barrée souvent par des nuages qui les environnent. Ce bâtiment éloit un corsaire anglais qui , au moyen* de deux coups de canon , nous força de Lisser le pavillon, et d'amener. Le capitaine envoya à notre bord pour fouiller les malles des passagers. Les deux officiers s'adressèrent d'abord à moi, et je tremblois pour des paquets du gouvernement dont j'étois porteur, lorsqu'aux mots de goddem you frant'2: , on les appela sur le pont. J'eus donc le tems de soustraire ces paquets et de recouvrir ma malle principale des attributs de la franclie maçonnerie. Les inspecteurs anglais traitèrent plus n nomiuatum , C. B. , Tourn. -, MiUum africaiium. (2) Viande coupée en aiguillettes ^ frottée de jus de citron et séchée au soleiL ^^23 D'UN NATURALISTE. 3, nipporlentles fruits de celte sévère économie en fa- veur deJeur parure , quoique toujours incomplète et mal ordonnée. Les hommes de Saint- Yago ont à leurs souliers des boucles d'or si matérielles et si larges dans leurs dimensions, qu'elles recouvrir roient volontiers le double de leurs pieds. Leurs habits de soie, linon , ou d'étoffes des Indes, ont des boutons du même métal non moins gros- siers, de même que les pommes de leur longiies cannes. Le plus riche propriétaire de Saint- Yago, dans un dîner prié où il m'avoit invité, ainsi que beaucoup de Français, fit servir, pour trente personnes environ, uuq copieuse oille et du chocolat. Quel contre-tems pour un gas- tronome ! Une des incommodités de ïa ville est d'aller chercher Teau douce à une rivière distante de Saint-Yago de deux lieues, et d'où on la trans- porte soit dans des dames-jeannes portées par des mulets, ou bien. dans des tonneaux conduits par des pirogues. Les bœufs dont on se sert pour charrier les marchandises du port, ont les naseaux fendus, au travers desquels on passe une courroie pour les conduire. Les hommes et les femmes portent au cou de 3.4 TOYAGES très-longs chapelets ; et les dernières , pour aller à réalise, sont tenues à un costume religieux, qui consiste à n'avoir qu'un jupon noir, et un Yoilede la même couleur, sous lequel la plupart n'ont point de corset, et la gorge est découverte. Cette coquetterie plaît, surtout aux jeunes Es- pagnoles, qui aiment passionnément les hommes, et surtout les Français, à cause de leurs manières galantes et aimables auprès d'elles, ayant soin de soulever par méprise ce voile importun , et de déceler , aux regards avides de leurs admirateurs , des appas naissans qu'une tendre émotion sou- lève , et dont la vue achève bientôt leur conquête. Les jeunes Espagnoles sont très-libres, et ne trouvent que du plaisir à sourire aux jeunes gens, et à les fixer. Je ne puis concevoir que dans un pays où l'on se flatte de suivre ponctuel- lement les préceptes de la religion chrétienne, on tolère cet excès d'indécence et d'irrévérence pour les lieux saints. Les femmes à l'église se tiennent accroupies , les moins riches sur une natte, et les plus distinguées sur un tapis que porte leurs esclaves. Le peuple au milieu de l'office, en signe de repentir et par une humble componction, se frappe la poitrine à coups redoublés, assez forts enfin pour que le lieu saint en retentisse. ÎSous achetâmes de très-bonnes oranges, de D'UN INATURALISTE. 3^5 Farcahaie, et des sapotilles (i) que leur saveur exquise et parfumée fait regarder comme le meilleur fruit des Antilles. Je me procurai aussi de la cassave^ on nomme ainsi un composé farineux qui sert de pain aux nègres : il est tiré de la racine de manioc (2) dont on a exprimé tout le suc 5 qui est un poison subtil. On fait sé- cher cette racine au four ; et après l'avoir broyée, on la met cuire entre deux plaques de fer rondes , et rougies au feu. Ce mets tant estimé des Créoles 5 se trempe dans les sauces, mais ne peut perdre son goût, selon moi désagréable, en un tnot semblable à l'odeur d'urine de souris. Quel fut le mortel assez hardi pour approprier cette plante vénéneuse aux besoins de ses semblables ! Il faisoit très-chaud, et nous prîmes, en re- montant à bord, un punch froid, composé de jus de citron (3) qu'on trouve sur les haies d'en- tourages , de sirop et de tafia. On a pour presser ces citrons, et ne point se poisser les (i) Achras , Linné 5 Sapota , Plum. 5 Manitambou des Caraïbes ; voyez au Traité des plantes usuelles , à la fin de cet ouvrage. (2) Voyez ce mot, Traité des plantes usuelles. (3) C'est le fruit du citronnier sauvage des Antilles. Il est rond , d'un jaune paille ; l'écorce en est lisse : ii û'est pas plus gros qu'une moyenne pomme d'apis. X 3 326 VOYAGES mains de leurs parties acides et éthérées une machine fort simple qu'on pourroit , sur un modèle plus grand, faire servir en France à l'expression des groseilles pour les limonades. Ce sont deux plans, du bois le plus dur, parallèles et joints par une fiche à charnière à l'une des extrémités , de manière à pouvoir faire le levier à l'autre bout. Le plan supérieur est muni, in- térieurement vers le milieu , d'un relief ou cabochon circulaire et convexe, destiné à s'em- boîter dans une cavité de même capacité qu'offre le plan inférieur, la cavité étant perforée de plusieurs trous pour l'écoulement du jus de citron. C'est dans ce creux qu'on met la moitié d'un citron coupé en deux; puis appuyant dessus la partie supérieure , le moule saillant exprime exactement tout le jus du citron dont il ne reste plus que le marc, c'est à dire les pulpes et la peau qui, parfaitement retroussée, recouvre le cabochon. Toutes ces petites expériences ne suffisoient point pour m'ôter le désir d'aller m'instruire dans les bois des environs de la ville, en y con- templant cette nouvelle nature; je priai donc le capitaine de me prêter son grand canot à voiles pour aller reconnoître les îles voisines; et profitant d'une belle matinée , je me fis accompagner de deux bons rameurs, puis nous 3-27 D'UN NATURALISTE. partîmes. La mer étoit calme, et l'air pur em- . baume du parfum des fleurs, nous reportoit aussi le chant des oiseaux du rivage. Nous abor- dâmes bientôt à l'ouest; et en mettant pieds à terre, je commençai ma récolte. Le bord de la mer, ombragé de mangliers chargés d'huîtres (i), ■étoit couvert de coquilles fossiles et d'oursins. Ces espèces de mangliers qui croîssent par^ touffes, comme les marsauts d'Europe, s'élèvent a la hauteur d'environ vingt à vingt-cinq pieds; leur écorceest d'un gris-rougeâtre. Cet arbre se plaît dans les endroits marécageux du bord de la mer; et son écorce est fébrifuge (2). Ce man- ^glier , qui est une espèce de palétuvier , est couvert d'huîtres adhérentes à ses racines arquées, qui s'élèvent au dessus du terrain où il se reproduit; aussi qu'à celles de ses branches susceptibles d'être baignées dans l'eau de mer , à la marée montante. Les huîtres déposant leur frai sur ces arbres , on en voitconstammentde toute grosseur , et qui sont très-estimées. Ce mangiier se repro- (i) Appelé par les Indiens Guaparaiba , et par les Portugais Mangue verdadeiro , mangiier noir, véri- table ou salé. Selon IN icolson , Candela americana ; selon Pison , Mangue guaparaiba ; Mangles aquatiqua de Plumier ; Rhizopora de Linné. (?,) Voyez Traité des plantes usuelles des Antilles. X ^ 328 y OTAGES duit d'une manière remarquable; on voit pendre des branches latérales une infinité de brins composés de filamens rassemblés , lesquels , ar-^ aivés à terre, s'y couchent avec le tems, y prennent racines que l'humidité provoque •, et forment autant de mangliers qui se perpétuent de le même manière. Les racines de ces arbres sont tellement entrelacées qu'elles s'étendent au loin dans la mer, qu'elles s'opposent à l'abordage des chaloupes, et servent d'asile à certains pois- sons et aux crustacés. Je m'enfonçai dans les bois, et lé premier oiseau que je tuai fut un yapou (i). Tout le plumage supérieur de cet oiseau est d'un noir brillant, excepté le croupion, les tégumens de îa queue et des ailes qui sont d'un jaune d'or; l'iris est d'un beau bleu; la pupille noire, ainsi que les pieds; le bec d'un jaune plombé. Cet oiseau qui vole par bandes, est du genre des troupiales. Le second bipède que je me procurai, fut un langara noir d'Amérique (2), à peu près de la grosseur du scarlatte, ou cardinal du continent (i) C'est le cassique jaune du Brésil, des pi. enl. 184 5 la pie du Brésil , de Belon , appelée à la Guiane par le% Français, Cul-jaune, (2) PI. enl. 179, fig. 2. D'UN NATURALISTE. 329 lie la Nouvelle- Angleterre, que j'ai décrit plus haut; le bec et les pieds du tangara noir sont, ainsi que tout son plumage, d'un beau noir; ce qui le fait appeler communément négrillon : les couvertures de ses ailes sont seules marquées d'une tache blanche. Ces oiseaux se nourrissent de baies et d'insectes 3 ils n'ont point de ch^nt mélodie. En allant ramasser un colibri que j'avois sur- pris voltigeant autour d'un karatas (i) , et pom- pant le suc de son nectaire , je vis s'échapper près de moi un assez gros serpent que je ne pus ajuster. Tout en travaillant à ma collection , je cher- chois à préparer une agréable surprise au capitaine par quelques pièces de gibier dignes de figurer sur sa table; mais je ne pus me procurer que deux ramiers (2). Je les surpris occupés à ra- masser des graines de manglier dont ils sont friands. Leur bec rouge est blanc à son extré- mité; les jambes sont rouges, les ongles gris; l'iris est jaune , une membrane blanche entoure leurs yeux; le plumage du sommet de la tête est (1) Agave ; voyez, aux plantes usuelles des Antilles. (2) Ou plutôt Pigeon à la couronne blanche, de Catesbj; Columba capite albo. Pigeon de la Jamaïque, de M. Brissou, Il niche dans les rochers. 33o VOYAGES blanc 5 entouré d'une bande de couleur pourpre à reflets irisés. Le cou chatoyé le bleu, le vert, et le cuivre de rosette; le reste du corps est gris- bleu d'ardoise, les ailes et la queue de couleur brune. Ces oiseaux ne sont pas méfians, car j'avois tué le premier, que le second ne pensa même pas à s'envoler; il est .vrai que je me îrouvois en un endroit sauvage, et si peu fré- quenté par les hommes, que peut-être cette solitude ne fut-elle jamais troublée par leur pré- sence destructive. Je tuai de mes deux autres coups une tourte (i), et la tourterelle de la Jamaïque (2). La première a le plumage supérieur d'un marron cendré rembruni , îe front et la poitrine d'un pourpre-vineux à reflets violets-dorés 5 les ailes sont tachetées cà et là de marques ou écussons d'un noir-violâtre; les pennes sont d'un cendré foncé, bordées de blanc; la queue est étagée et varice, des plumes du milieu aux latérales, de cendré-brun et de noir ; les yeux sont entourés d'une peau bleuâtre; l'iris est noir; le bec de cette même couleur ; les pieds rouges , et les ongles bruns. ^ (i) C'est la tourterelle de la Caroline , pi. enl. ij5 ^ de Catesbj; ou le picacuroba du Brésil , de Marcgrave; oiseau commun aux îles Antilles. (2) PI. enl. 174. DUN NATURALISTE. 33i La tourterelle, de la Jamaïque , et .qu'on trouve même à l'île de Cubes par troupes innom- brables , est moins grosse que la tourte , c'est à dire de la taille du pigeon biset. Le bec et les pieds sont rouges, le dessus de la léte et la gorge bleu ; sous chaque œil se trouve une petite bande blanche; le plumage supérieur marron- ardoisé, et l'inférieur d'un brun-vineux. Enfin, j'eus pour dernière pièce un batimore (i). Je me fatiguai inutilement dans l'espoir de faire une meilleur chasse qui , dans ces parages , est plutôt pénible qu'amusante , en ce qu'on est obligé de marcher au milieu de halliers presque impénétrables , et dont les épines défendent l'entrée. On s'égare souvent à travers des pin- gouins (2) dont les longues feuilles, dentelées et armées de pointes aiguës, sont redoutables et punissent les pas indiscrets. Leur centre , repaire des serpens qui sont les seuls des ani- (i) Icterus , oiseau du genre des troupiales. Il est de îa grosseur du moineau franc; la tête est noire et ponctuée de trois taches blaiiches ; les ailes et la queue sont également du noir le plus brillant , chaque penne pourtant étant bordée d'un liseret blanc , le ventre et le dos sont d'un bel orangé ; les pieds, le bec et les ongles sont de, couleur plombée. On appelle cet oiseau petite- dame-anglaise dans certains quartiers de l'île. (2) Voyez Plantes usuelles. 332 VOYAGES 4! maux qui peuvent en rampant y pénétrer sans danger , n'est jamais foulé par aucune autre espèce animée ; aussi emploie-t-on cette plante sauvage à faire des entourages qui mettent un domaine à Fabri des maraudeurs. Le pingouin est susceptible de culture, mais il se multiplier oit trop, si on ne détruisoit à mesure les jeunes pousses pour ne conserver que le centre; car, indépendamment que les jeunes plants lèvent irrégulièrement et ne s'alignent point , ils oc- tîupent infructueusement un terrain qui peut être mieux employé. Je me rendois au canot par un chemin beau- coup plus agréable, lorsque j'aperçus, au milieu d'une touffe de verdure , un point rose qui fixa mon attention. C'étoit un oiseau, au caractère tranquille et peu turbulent , qui ne voltige quo le tems nécessaire à saisir le moucheron dont il fait sa nourriture , pour rentrer ensuite dans le repos qu'il chérit. Cet oiseau est le charmant todier (i), commun aux contrées du IXouveau- Continent. Il est de la grosseur du roitelet d'Europe ; son bec long , droit et aplati hori- zontalement , ainsi que celui des oiseaux de ce genre , estbrun-rougeâtre à sa partie supérieure , (i) Todier, ou perroquet de terre. Todier de Saint-^ Bomingue , de Brisson, des pi. enl 585 , fîg- 1 et a. D'UN NATURALISTE. 333 tandis que l'inférieure est rouge 5 les pieds sont gris; le coloris du plumage est d'un ensemble doux et élégant; le dos est d'un vert- bleuâtre dans le mâle, et d'un vert de pré dans la femelle. L'un et l'autre ont la gorge et les côtés d'un rose vif et nuancé 5 le plumage inférieur d'un blanc teint de jaune, avec des reflets de couleur dé rose ; le dessous de la queue d'un jaune-paille ; les pennes des ailes et de la queue vertes à l'extérieur , et cendrées en dedans. Cet oiseau silencieux se tient le bec en l'air, et agite légèrement sa tête , ainsi que les colibris , au moindre étonnement. Il se creuse en terre un trou circulaire qu'il garnit de mousse de coton et de plumes, où il dépose quatre œufs gris, avec des marques dorées. Mon coup de fusil ayant fait envoler la femelle en train de pondre, je fus assez heureux pour trouver son nid, mais il n'y avoit que deux œufs. Je passois au dessous d'un palmier, lorsque j'aperçus voltiger de branche en branche deux oiseaux qui m'étoient inconnue , je tirai le mâle ; c'étoit un palmiste (i). Cet oiseau du genre du merle est beaucoup moins gros : sa taille n'excé- doit pas celle de l'alouette ordinaire ; sa tête noire •(i) PI. enl. 539, fig. I , ou palmiste à tête noire de M, Briàsoii. 334 VOYAGES étoit tachée de trois points blancs placés entre Fceil et la base du bec; son dos étoit d'un vert- olivâtre y la gorge et le cou d'un beau blanc ; la poitrine et le plumage inférieur grisâtre tirant sur le blanc ; les pieds étoient d'un gris cendré. Je ne pus me procurer la femelle, qui me parut, a très-peu de chose près, du même plumage. Les oiseaux palmistes fréquentent les arbres de ce nom , et y construisent leurs nids. . On estime leur chair assez délicate , mais je la trouvai très-ordinaire. Ils se nourrissent de riz , de baies et d'insectes. ÎSons nous embarquâmes dans le canot, et nous nous rendîmes à Saint- Yago de Cuba , avec la brise du large. Que la nature est prévoyante dans ses inconcevables combinaisons! Le sol brillant de la zone torride ne pourroit , sans un amendement, supporter aucune créature vivante; c'est pourquoi , afm de tempérer cette chaleur étouffante, il s'élève régulièrement soir et matin deux brises , l'une venant de terre , et l'autre de mer ; leur approche attendue rétablit l'équilibre dans les humeurs , et semble apporter une plus douce existence. Les fruits aussi n'y sont pas substantiels comme en Europe ; ils seroient contraires avec celte qualité, en épaississant la lymphe au lieu de h. délayer. Ceux de la zone torride n'ont pas D'UN NATURALISTE. 335 les sucs si rapprochés ; ils sont pour la plupart aqueux , et contiennent des principes élastiques et rafraîcliissans , ou bien ils sont acides et propres à prévenir la corruption , et les maladies inflammatoires. C'est pourquoi les corrossols, le melon d'eau , les ananas , Feau du coco , son amande même , et la canne à sucre mâchée , font le plus grand plaisir quand on a chaud. On a de plus les citrons verts dont on fait des limo- nades; et comme ce jus, quoique tempéré par l'eau, seroit trop acide et point agréable, on l'édulcore avec du sirop de batterie si commun dans le pays. Nous accostâmes la Galatée , où le capitaine me reçut avec son aiïabilité ordinaire. 11 fut très- sensible au peiit cadot que je lui apportai, et pour faire valoir le proverbe , la sauce lui coûta plus que le poisson, car il saisit avec empres- sement cette occasion pour ordonner un dîner très-délicat , où le Bordeaux , le Madère , et les liqueurs de M"^^. Amphoulx ne furent point oubliés. Je descendis le soir à terre avec le capitaine, et j'assistai au rosaire. C'est une procession qui se fait aux flambeaux tous les vendredis : un simulacre de J.-C. crucifié est porté en triomphe par quatre soldats, au milieu d'un peuple im- mense quij accompagné d'un violon et d'une f 336 VOYAGES basse, chante des strophes plaintives. On enlend avec d'autant plus de plaisir cette psalmodie , que les Espagnols en général sont parfaitement organisés pour la musique 5 on peut du moins le croire lorsqu'on a vu , ainsi que moi , trois pauvres ou même quatre , chanter en parties différentes pour intéresser les passans à leur sort. Pro sanctd Maria j pro sanctâ Trinitate^ sont ordinairement les motifs qu'ils varient à l'infmi, dans des modulations justes, savantes et très-harmonieuses. Le dimanche 10 mars, nous nous prome- nâmes après là messe sur le rivage, où nous foulâmes aux pieds des bancs de corail blanc oculé et de méandrites. Je visitai une campagne nouvelle , et les bois des mornes dont la ville est environnée. Les haies y sont garnies de lianes à réghsse (i) qui font le plus joli effet , tant par la diversité de leur feuillage élégant , que par le coloris brillant de leurs petites graines , qui furent pendant un tems recherchées en Europe pour en faire des ornemens , tels que chaînes de montres, colliers, bracelets, etc. Tout en con- sidérant les nouveautés de cette natm-e, je fus surpris d'un étrange étonnementj naguères le (i) Orobus scandens, Plum. Voyez au Traité des plaulçs usuelles. fléau D'UN NATURALISTE. 337 fleaudesêtressoimiisàriiomme, qui nepouvoient alors échapper à mon adresse sans être frappés de mon plomb mortel, il se fît une telle révo- lution dans mes systèmes sanguins et nerveux , que Foiseau le plus gros pouvoit me défier impunément. Il m'est arrivé de tirer à bout# touchant les oiseaux les moins farouches, et de ne pas même les étonner, au point qu'après mon coup de fusil , ils ne remuoient pas des branches où ils étoient perchés , et continuoient à me regarder, comme insultant à ma mal^ adresse. Je ne sus d'abord à quoi attribuer cet enchantement ; et c'étoit vraiment le cas de croire à un sortilège : tantôt je croyois mon fusil liiussé, mais le donnant à tirer à un autre que moi , le blanc étoit criblé , et me jetoit dans le plus grand étonnement. Enfin la chose étoit SI plaisante , que je tirai quatre coups à cinq pas de distance sur ces gros vautours familiers, dont j'avois d'abord trouvé l'espèce à Charles- Town , sans les faire désemparer d'un cadavre auquel ils étoient acharnés. Comme j'usois inutilement ma poudre et mon plomb , je résolus * de suspendre mes excursions jusqu'à nouvel ordre ; et je fis route vers la Galatée , où Von m'attendoit à dîner. ' Les Espagnoles de moyen rang sont irès^ curieuses. J'en trouvai cinq à bord, venues Tome I. Y ii venoient chercher mes vêtemens D'UN NATURALISTE. 353 V(5temens pour se reposer de leur frayeur, puis en étoieiit chassés par de nouvelles lames qui excitoient de leur part des hurlemens eiTroyables. Il fallut pourtant saisir un mieux pour m'endor- mir dans cette situation. Enfin, échappés miraculeusement à la fureur encore altière des vagues en courroux ; k demi- noyés dans notre barque légère , poursuivis avec acharnement par des bâtimens ennemis , nous aperçûmes avec grande joie , au réveil de cette nuit orageuse , les premiers mornes de Vîle de Saint-Domingue. La mer encore violemment agi^ îée dans tous les sens , étant moutonneuse et bruis- santé, écrâsoit, de ses flots blanchis d'écume, les flancs de notre petite embarcation , qui voîti- geoit à la moindre secousse. Ainsi , du fond d'abîmes profonds nous reparoissions bientôt au sommet de lames couvertes d'époudrins d'un beau blanc de neige , et nous côtoyons la terre , tandis qu'un gros vaisseau à la cape , hormis un foc , cherchoit son salut en s'éloignant de Vile de la Gonave, de peur d'échouei;sur les ressifs. Après l'orage , dit-on , vient le beau tems : en effet , après la plus douloureuse des nuits , avec quelle joie je vis ces montagnes élevées chargées de la plus riche verdure! Les papillons de l'île venoient nous visiter^ et les oiseaux, parleur Tome l. ^ ^ *i VOYAGES ramage , nous faisoient oublier le souvenir de nos peines. Les grands gosiers (i) , les fréga- tes (2) _, les coupeurs d'eau (3) _, les aigrettes (4) > saluant notre réduit flottant , voltigeoient autour, et nous accompagnant dans notre course légère, nous servoient comme de conducteurs. Je fis grâce à ces hôtes aimables, en faveur de leur bon accueil. Une de mes lignes ayant été avalée par un re- quin de moyenne taille , on profita du moment OLi il rodoit autour de la chaloupe , pour le faire entrer dans un nœud coulant ; et , par ce moyen , il fut presque hissé sur le pont ; mais n'étant pris que sous une aile , il fit tant de mouvemens qu'il glissa , et s'échappa de son lacet. Nous éprouvâmes du calme à l^'instant de (i) Ou Onocrotale, ou pélican; Onocrotalus aut pelicanus. (2) Hirundo marina major; apus rostro adunco, BaiT. , aut fregftta ; voyez son histoire plus bas , à Saint-Domingue : c'est un oiseau à pieds palmés, et du genre du Fou. (3) Larus rostro insequali ; Rhincops de Linneeus; PiotLis, Phalacrocorax , de certains auteurs; ou bec en ciseaux , Rygcliopsalia de Catesbj. (4) Pi. enl. 901 , Ardea alba minor, Aldr. Egretta. Oiseau erratique du genre du héron. D'UÏNI NATURALISTE. 355 pënélrcr dans la rade du Port-au-Prince ; c'est pourquoi nous fumes obliges de mouiller à deux ïieues de la ville , à Tapproclie de la nuit , à cayse des dangereux ressifs qui l'environnent. Je considérai avec plaisir , dans notre état de repos 5 la fumée de plusieurs sucreries que les alarmistes , même h Saint-Yago de Cuba , m'a- voient assuré être anéanties. Fin du premier Volume. n •r TABLE Des matières du Tome premier. /TITRE DÉDiCATOiRE à S. E. Mgr. le grand Chan- celier de la Légion d'Honneur. Page 5 Préface. ' 7 L'Auteur fait part à M. Desdunes Lachicotte , son hôte à Saint-Domingue , de ses observations pendant le cours de son premier voyage. 17 Description des travats. idem. Départ de Paris. 18 Description pittoresque des campagnes qui aw)isinent la grande route qui conduit au Havre de Grâce. 19 Arrivée au Havre de Grâce. Démarches faites pour obtenir un passage. Départ de deux frégates françaises. Promenades d'observations. Description de la chevrette et de l'orphie. Canonnade du fort Savenelle. Nouvelle incursion dans les campagnes des environs du Havre , et description de la côte des Ormeaux d'où l'on découvre à l'horizon la côte de Grâce, au bas de laquelle se trouve le pays d'Honfleur. 33 Autre promenade au village appelé le Nouveau- Monde. ' 38 Desci-iption de la côte d'Égouville. 4-0 Promenade aux fqrts de la Héve, et description du cabinet d'histoire naturelle et des phares. /^i 27 28 29 3o 32 TABLE. 35^ ïlelonr an Havre par le rivage. Page 44 Description des parcs ou fourrées des pêcheurs. 45 Ruses des crabes. rn Des lépas et des anémones de mer. id. Visite à M. Poupel, commissaire de la marine, et traversée du Havre à Honfîeur. Effets curieux de la marée montante. Anecdotes d'un enfant qui tomba à la mer. Description de la côte de Grâce. Coutumes du pays d'Honlleur. Visite à bord du brick la Sophia; et poissons de mer. id. Qualité des melons d'Honfleur. . 55 Retour au Havre. • 5g Visite à M. Leroi, nouveau commissaire de ma- 49 5o 5t 55 54 nne. y id, 60 61 65 64 66 Cabinet d'histoire naturelle de M. Lefebvre. Réception affable d'un Hambourgeois. Collection d'oiseaux de M. Lefebvre. Libéralité du Créateur envers les pauvres. Description du poulpe. Entrevue de MM. Villain et Poulet. Pommade conservatrice pour tout corps corruptible. 6j Imitation d'yeux .d'émail pour les oiseaux. 68 Aventure de chasse. g^. Première /visite à la côte d'Egouville, chez M. Poulet , négociant fet ancien armateur. jq Visite des parcs ou fourrées; „j Site délicieux de la maison de campagne de M Vow l^t- id, ÏNou veau voyage à Honfleur avec M. Poulet, fils aîné. 72 Retour au Havre; joute sur l'eau entre des canots de 73 frégates. 358 TABLE. ï'régate lancée. Page 74" Partie champêtre à Honfleur. id. Retour au Havre , et orage violent. yo Un bon père fêté par ses enfans. 80 Cale humide. 81 Désastres qui précédèrent l'équinoxé de septembre, id. Détails sur cet équinoxe mémorable. 82 'Fin de la tempête ; cueillette de fucus. 86 Anecdote d'un naufragé. ^ id. Du lamprillon. - 88 Joute du mât de cocagne. id. Du crapaud , du congre et de l'orphie. 89 Du rouget , de la loche de mer et de la roussette. 90 De la taupe de mer et de la mustelle. 91 Du maquereau , de la squille mante et du coquet. 92 J'^u chien de mer gris, du bar, de la lune, et de la vielle. id. Du lièvre. c)3 Vie privée d'une fouine devenue domestique. 94 Culture du Safran du Gatinais. 118 Avant - propos. 1 19 Idées générales. - i55 Importation du Safran dans le Gatinais. I25 Description 'du Safran. 12G Différence du Safran et du Colchique. i33 Culture du Safran , et terrain qui lui est propre. icL Qualité des oignons , différence des robes , et tem- pérature convenable, i54 Préparation de la terre, époque des labours. i35 Plantage, i36 Préparation des oignons. . jSy Développement des oignons, et leur floraison^ i3S TABLE. 359 Page 159 Animaux qui nuisent au Safran. Travaux de la deuxième et troisième années j ai- rachis des oignons. Usage qu'on fait des oignons. Remarques sur la température. Recolle du Safran. Cours du prix du Safran. Description de la cueillette, Epluchage du Safran. Dessication du Safran. Produit annuel. Qualités exigées du Safran. Maladie des oignons, le fausset. Le tacon, — La mort. Propriétés du Safran, comme bécliique. Comme hystérique et emménagogue. Comme diaphorétique, cordial, alexitère, céplialique"^, et ophtalmique. jg^ Comme stomachique , hépatique , carminatif , et détersif. ^q^. Comme résolutif, anodin , et assoupissant. 162 Le Safran considéré sous le rapport des arts. i65 Frais de culture d'un arpent de terre à Safran. 166 Notes additionnelles sur cette culture. i6q Notes historiques sur le Safran. jrjj Départ pour Bordeaux. jrj.,g Description pittoresque de la route. j8o Arrivée à Bordeaux. 38 / Embarquement à bord de l'Adrastus. 186 Coutumes des Anglo-Américains. " id, Reconnoissance de la forteresse appelée Paté-de-Blaie , et arrivée à Pouillac, î88i 140 14 1 142 id- 144 145 H6 148 149 id, i5o i5i et i52 i58 i59 fc/"iMf"di 36o TABLE. Détails SLirprenans sur une explosion de poudre k canon. Page i88 Attente du capitaine pour mettre à la voile. i8g Son arrivée et celle des passagers. jMotre débouquement. Description du Lock. Coup de vent du 17 novembre. 190 19a ici. Evénement d'un matelot ballotté par deux lames en: ig5 m 200 20I 200 id. id. 204 id. opposition. Tempête de la hauteur de Madère. Sacrifice du mouton après le gros tems. description de la foëne. Occupations cîes matelots sous les vents alises. Détails sur notre existence à bord de lAdrastus. Du thon à longues oreilles. Du poisson du soleil. Du raisin du tropique. Vue d'un cctacé appelé souffleur. Prise d'une dorade. Intempérance, résultat de notre pénurie d'alimens. 204 Nourriture grossière à laquelle nous étions con- damnés. 2o5 'Nos plaintes à ce sujet peu écoutées. 208 Remarques sur le paille-en-cul. 20() Du muge volant. aïo De la dorade. 2n Effets de la percussion de la poudre. 212 Utilité des octants. 213 Caractère d'un anti-mélomane. 214 Nouvelles vexations exercées envers les passagers. 216 Danses de caractère. id. De l'oiseau de tem.pête. 217 36i id. TABLE. Rencontre d'un bâtiment neutre. Descente dans la Sainte-Barbe. Baptême du tropique. Conférence sur Mazanet, village du Languedoc. • ^22 -Ue la frégate , genre des mollusques. 225 Du poisson appelé piVo^e. ^^^ Rencontre d'un bâtiment. g Réunion pour le Saint-Jean. 22 Plaisanteries grossières envers les dames de notre bord. Cadeau d'une boîte faite par les sauvages. Recette du plum-pouding. Cou^ de vent du 28 septembre. Occupations du bord. Mets languedocien , appelé sanguette. Trait d'égoïsme le plus révoltant. De l'oiseau appelé le corsaire. Description d'un soleil levant. Reconnoissance du golfe de Bahama. Sur la sonde des attérages. Désastres de notre chambre produits par un coup 7e* vent du 4 janvier. ^35 Sur les trombes de mer. . ^5 Phare de Charles-Town. 23q Barre de Charles-1 own. 240 Détails sur la ville de Charles-Town , et les mœurs et usages du pays. Du Turkej-buzzard. Observations sur les coutumes du pays. Découverte d'une pension honnête. Chant d'un jeune nègre. Voitures du pays. 228 229 id, 23o 23 r id. 232 233 id. 254 id. 36: TABLE. Page 247 id. id. 253 Cérémonie funéraire. Instructions sur les Quakers. Température de Charles-Town. lie cerf vendu à la boucherie. Rencontre de M. R. . . , mon parent. Excursion ornithologique. Des sparas, rossignols, cardinaux et troupiales. 2^4 Moralité du troupiale. 256 Visite à M. de Morphj, consul espagnol. 257 Harangue philantropique d'un Quaker. Sur le lieu destiné à la course. Sur le geai bleu du Canada. Sur la nompareille et les epeiches du pays. Sur la perdrix de la Nouvelle- Angleterre'. Remarques sur l'oppossum. Embarquem,ent pour une course d'histoire relie. Pe l'écureuil , appelé le suisse. De celui appelé le petit-gris. Du merle gris. De l'oiseau appelé le mûrier. De l'arbre à cire. De férable à sucre. Caractère d'un sauvage. Mœurs d'un sauvage de la Caroline , et son adresse. 275 Coutumes anglo-américaines. id. De l'oiseau royal, et du canard d'été. 274 Du boiciningua. 276 Tableau peint par un sauvage. 278 Confiance des Anglo-Américains. 279 Observations sur les ours du pays. 280 Des petites chèvres, appelées Cabrits. id. 258 259 id. 260 id. natu- 263 267 268 269 id, 272 28a 285 id. 285 287 TABLE, 363 Partie de chasse à l'habitation de M.de Caradeux. P. 28 1 Du polatouche. Découverte de l'ajoupa d'un vieux nègre hbre. De la bécasse de l'Amérique septentrionale. Du choucas. Des bouveraux, et du robin. Du troglodyte, delà fauvette de New-York, et des oiseaux-mouches. " 288 Mort funeste d'un père de famille. 2^2 Des sparas et des pies. id. Du mi-jaune et de la tête-rouge. 293 Embuscade d'un nègre marron. 294 Du duc à longues oreilles. 2q5 Coutumes bizarres de la Nouvelle-Angleterre. 297 Embarquement à bord de la goélette la Galatée, capitaine Pajrne. 208 Prévenances de ce nouveau capitaine. 200 Beau trait d'humanité d'un de nos passagers. id. Trait d'amour paternel. 5oi Reconnoissance des îles Caïques, et vue du môle Saint- Nicolas, île de Saint-Domingue, 302 Visite du corsaire anglais le Pélican. 3o5 Description des côtes de l'île de Cuba. 304 Rencontre d'un pilote espagnol. 3o5 Description de la baie. 5o6 Visite de soldats du fort. 307 Démarches auprès du commandant du fort , et obser- vations. 3o8 Remarques sur l'intérieur des maisons espagnoles, et les costumes. 5oq Débarquement à Saint -Yago, observations sur les mœurs et coutumes du pays. 3ii 364 TABLE. De l'arbre à pain, et de la liane à eau. Page 5î3 Description du Warf. 5i^ Et des environs de la rade. 5i5 Observations sur les marchés du pays. 3i6 Erix exorbitant des logemens. 5i8 Démarche infructueuse auprès d'un capitaine français partant pour Saint-Domingue. id. Trait généreux de notre ban capitaine Thomas I^ajne. 3i^ Nouvelles remarques sur les usages des Espagnols. 32 r De l'ooille. Du Tassau , et des confitures sèches. Coutumes des habitans. Des sapotilles, du manioc, et des citrons. Promenade dans une île voisine. ' Du manglier. Du japou , et du tangara noir d'Amérique. Du karatas et des ramiers de Cuba. De la tourte et de la tourterelle. Du pingouin. Du todier. De l'oiseau palmiste. Remarques sur les fruits et la température. Observations sur la procession appelée rosaire. Promenade sur le rivage. Effets singuliers du climat. Galanterie des padres envers les dames. Visite de dom E***, padre très-instruit. Nouvelles bontés du capitaine Pajne. Poissons de la rade. Cérémonies religieuses du dimanche des m.eaux. id, 322 325 325 32^ id. 328 329 35o 33 r 332 353 354 335 336 357 858 559 340 341 Ra- 542 TABLE. 3G5 Accident imprévu. n ^ rt Cérémonies du jeudi Saint et du jour de Pâques id Joule des chaloupes. Anecdote de deux matelots anglo-américains. 345 Adieux au capitaine Pajne- notre départ pour Saint- Domingue. Description de notre nouveau bâtiment. Notice sur le rocher des Rivaul. Coutumes du pays. Caractère de nos passagers. Gros tems de la nuit. Vue de Saint-Domingue. 047 348 Hg id. 35o 35r 553 Tin de la Table. DE l'Imprimerie de J.-L. Chanson, rue et Maison des Malliurins , n 10. 05(.9'--! F soi