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N'U8 ' { : té } D A 1 js L A \ 1 À ‘ Po ; ; À ae L'AR À fl . 4 ! : 1: A) 6 Ve r + U k Ah h ‘ HOT , #4 ù ' k ‘Ù \ ‘ : TR \ [LA | ÿ f' » l Ÿ a CT SEEN { { ÿ | $ Û nl Ÿ - ‘ 4 F È : 0 ni À \ “x SUN ) » * n . \ 4 4 } 4 \ n É £ ta 0 sé ” à L L L Ft 0 NE 7 % À \ j k 4 bi $ 7 Re RER re / % ei ns { ( sut É \ ÿ le ) \ ” ja x 5 n À * 4 RE ; = è | L » : 4 PAT À z ÿ à ? 0 4 Le à \ #1 k L ù _ LE - F ‘ Ê ; À J / ! ÿ - [l LU d Ÿ : Be je : ÿ \ | { la: nl , ï ANIES Ls v à LE 4 # e f ï : « Vo \ 3 { } \ A Î ; i \ Ft + ? 5 | j . e ÿ / { nes ' : h z à k À { { ne | “ £ Ÿ 4 É î { LE ) “. Lu ! Î FANS V ! : : ‘ ce f k 4 " 4 a à À { * 7 : 4 ! ' À a Ÿ CES RTE Ÿ ï 4, ñ x : « 4 \ se: AT ï : Î à » \ è ; ; { Ÿ y ÿ £ 5 ÿ 2: ñ Ë 4 ' k ne 2e, — 2 — 2e = > RÉ . £ LE = 2 - = ‘= = , PE = 2 æ. =Z _. 0 E _- r E= ll 2 = 2 — - = - ) : : > < . : ; - _ = > - CE 21 = È Er Se “ = C . 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Providentiam divinam summis laudibus celebrandumn quod inter tot Barbaros , inter tot Muhammeda- norum persecutiones ecclesiam Ethiopicam in Africä per tot secula conservaverit. Discours d'Ernest, duc de Saxe , au père Grégoire. Ludolfi Comment. VOYAGE EN ABYSSINIE. ENTREPRIS PAR ORDRE DU GOUVERNEMENT BRITANNIQUE, EXÉCUTÉ DANS LES ANNÉES 1809 ET 1810 ET DÉDIÉ A SON ALTESSE ROYALE LE PRINCE RÉGENT D’ANGLETERRE, PAR HENRY SALT, ÉCUYER; TRADUIT DE L'ANCLAIS PAR P.-F. HENRY: Accompagné d’un Atlas composé de Cartes, Plans, Inscriptions , Portraits et Vues diverses, dressés et dessinés par l’Auteur, TOME PREMIER. APARES, Curz MAGIMEL, LiBRAIRE POUR L'ART MILITAIRE, rue Dauphine, n°. 9. SRB LV A/R OR RA 1916. DE L'IMPRIMERIE DE DEMONVILLE. SA —. N. 1 PA PSS PRÉFACE DU TRADUCTEUR. {| L, relation suivante est celle du deuxième voyage que M. Salt a fait en Abyssinie, l’un des pays de ka terre où 1l est aujour- d'hui le plus difficile de pénétrer. Il ne faut donc point la confondre avec celle qui est comprise dans la relation des Voyaces pu VICOMTE GEorGE VALEnNTIA, dont j'ai donné la traduction au public (1). (1) Quatre volumes in-8°. avec un atlas composé de cartes, de plans, d'inscriptions anciennes et de vues diverses, dessinés sur les lieux par M. H. Salt. Chez Mues. V°. Lergrrr, Libraire, rue Pavée Sr.- André-des-Arcs, n°. 2, M. Prévost de Genève, l’un des rédacteurs de la Bibliothèque Britannique, a donné une traduction du premier voyage fait par M. Salt seul ; mais cette traduction a le désavantage d’être privée des cartes, elc,, qui accompagnent la mienne. ij | PRÉFACE Les Anglais sont trop attentifs aux pro- grès de leur commerce, pour que la pro- position que sa seigneurie fit, d'ouvrir des communications avec l'Abyssinie, pût être rejetée; et M. Salt s'était trop bien acquitté de sa première mission, pour qu’une en- ireprise du même genre ne lui füt pas con- liée : il en fut donc chargé. L'état des affaires de l'Europe, et le volume considé- rable des présens qu’il devait offrir de la part de S. M. Britannique, à l’empereur ou roi d'Abyssinie, n'ayant pas permis qu'il suivit la voie directe pour se rendre en ce pays, M. Salt a été contraint de faire Le tour dela plus grande partie de l'Afrique, ce qui lui a fourni l’occasion de visiter les colonies portugaises situées sur la côte orientale de cêtte partie du Monde. Des détails curieux sur ces colonies et sur les peuplades qui les environnent sont les ré- sultats de cette visite. Cependant les sciences seules auront à profiter du second voyage de M. Salt, en Abyssinie. Tous ses efforts, pour établir des DU TRADUCTEUR. ui} relations de commerce entre ce pays et l'Angleterre, ont été vains. La cause prin- cipale en est la guerre que les Abyssiniens se font, en partie par l'ambition des chefs, en partie pour des querelles théologiques qui rappellent des temps bien éloignés du nôtre. Ces divisions les empéchent de réu- nir toutes leurs forces pour s'opposer aux progrès des Musulmans, qui non-seule- ment les entourent et leur ferment en quel- que sorte l’acces à la côte de la mer, mais pénètrent en Abyssinie de toutes paris. Ainsi ce peuple, dont l’origine remonte à l'antiquité la plus reculée, ce BANDE qui forme une des branches de ce qu'on peut appeler la grande: famille chrétienne, ce peuple aimable et singulier pour qui l’Eu- rope savante s’est passionnée plusieurs fois, et que, d'après son caractère vif et léger, on pourrait être tenté d'appeler les Fran- çais de l'Afrique, est menacé de perdre sous peu de temps, son indépendance et son existence comme corps de nation. ÀL. Salt, en reyoyant les lieux qu'il avait 4 1V PRÉFACE déjà visités, n’a pas négligé de vérifier les: observations qu'il avait faites, ét 1l a eu la satisfaction, notamment à l'égard des an- tiquités si curieuses d'Axum, d’en recon- naître l’exactitude. Il a ajouté, tant sous le rapport des faits historiques que sous celui des mœurs , de nouvelles remarques à ses remarques précédentes, et il a su, tout en évitant les redites, donner à sa seconde relation la même importance, le même intérêt qu'à la première. Il a aussi complété la reconnaissance de divers points de la côte occidentale de la mer Rouge, commencée par milord Valentia, et il s’est montré, dans cette opération, aussi habile explorateur qu'on l’a déja vu bon observateur. | Le Gouvernement britannique a récom- pensé les travaux de M. Salt par la place de consul général en Egypte, terre clas- 5 SYP'e; sique qu'il a déjà examinée etqui, bien que de nos jours. elle l'ait été aussi par une } ) P foule desayans , formeune mine si féconde, qu'il pourra en exploiter encore quelques DU TRADUCTEUR. \i parles. Il pourra de plus, communiquer delà facilement avec ses amis d'Abyssinie, au premier rang desquels est ce bon ras (vice-roi) Ouelled Sélassé ; mais il n’est que trop probable qu'il y recevra la confirma- tion de la mort de deux de ses com- patrioles qu'il a laissés dans ce pays, M. Pearce, dont le caractère original se retrace d’une manière piquante dans la relation suivante, et M. Colfin dont il y est fait mention aussi (1). Cette triste nouvelle a été transmise à M. Salt par un de ses anciens compagnons de voyage, par le major Rudland, qui lui-même est mort à Surate au mois de décembre dernier. Ce n’est que trop souvent au péril de leur vie, que les voyageurs étendent le do- maine de la science. L’intrépide Mungo- Park et le savant Browne en offrent des exemples remarquables. M. Salt en se rendant à son poste, a passé par Paris. Il a bien voulu y visiter (1) Il paraît que l’un et l’autre ont succombé à une maladie endémique, vj PRÉFACE son traducteur, auquel il a fait éprou- ver, par-là, le plus sensible plaisir. Après avoir été occupé si long-temps à rendre ses deux relations , dans ma propre langue, j'étais devenu pour ainsi dire son compagnon de voyage; et toutes les heureuses qualités qu'il y fait briller ne pouvaient manquer de mw’inspirer pour lui des sentimens qu'une connaissance plus intime a confirmés. J’ai vu, avec satisfac- tion que, quoiqu'il soit un de ceux qui, de nos jours, ont parcouru le plus de terres et de mers, et qu'il ait fait preuve d’une grande érudition, M. Salt est encore un jeune homme, ce qui joint à la situation favorable où il se touve, doit donner de nouvelles espérances à ceux qui s'inté- ressent aux progrès des sciences. Un exemplaire de l'édition originale du second voyage de M. Salt, a été présenté de sa part, à la troisième classe de l’Insti- iut de France, par M. Langles, l’un de ses membres, dont les travaux utiles et les rela- tions nombreuses avec les savans de toutes DU TRADUCTEUR vi les nations, ont renduü le nom célébre en Europe. M. Salt a aussi, pendant son sé- jour à Paris, remis personnellement à la même classe, de la part de milord Valen- tia, un exemplaire particulier des voyages de S. S. Un tel hommage honore égale- ment, sans doute, et celui qui l’a rendu et ceux qui l’ont reçu. Ne sera-ce pas en af- faiblir le prix d’ajouter que milord a dai- gné me faire un semblable présent? Peut- être cet aveu me fera-t-il accuser d’une vanité ridicule. Je n’encourrais pas du moins un tel reproche, si ma reconnais- sance ne l’emportait sur toute autre con- sidération. M. Salt a de nouveau fait preuve de son rare talent dans le dessin des planches qui accompagnent sa relation. Ne s'étant pas borné à ce qui n’est que de pur agrément, il a donné au public une cartenouvelle et com- piète d'Abyssinie, une carte générale de la côte orientale. d'Afrique qui l’une et l'autre sont des plus détaillées, et dressées d’après les meilleures autorités, et enfin plusieurs vu} PRÉFACE à cartes nautiques de divers points de la céte occidentale de la mer Rouge, qui ne peu- vent manquer d'être de la plus grande ulilité aux navigateurs. On s’est bien gardé d'omettre une seule de ces planches, dans la composition de l’atlas joint à la présente traduction; et le tout a été exécuté, par M. Adam, de manière à lui mériter lap- probation du connaisseur qui avait le plus le droit de se montrer difficile, celle de M. Salt lui-même qui a bien voulu aussi Pai- der deses conseils. Quant à moi, j'ai faittout ce dont j'ai été capable; mais je n’ai que trop lieu de craindre que ce n’ait pas été assez. M. Salt a changé, dans sa seconde re- lation, l'orthographe de quelques noms propres, comme, par exemple, celui de Ouelled Sélassé (1) qu'il avait d’abord ap- pelé Ouelleta Seléssé : j'ai dû faire ainsi que lui. De plus, il a supprimé la marque du pluriel, à quelques noms de nation ou _ (4) Ce mot veut dire Fils de la Trinité. DU TRADUCTEUR. IX de tribu, parce qu’ils ne la prennent point dans la langue ou le dialecte original : j'en ai fait autant, à quelques exceptions près. Je m'étais proposé, ainsi que je l'ai dit au tom. I, pag. 19, de mettre en tête de celte traduction un vocabulaire explicatif de plusieurs termes de relation; mais c’eüt été un double emploi, d'après la résolu- tion que j'ai prise ensuite de faire une table des matières par ordre alphabétique. Je crois lavoir rendue aussi complète qu’il était à désirer , et le lecteur y pourra recourir en toute sûreté pour l'explication de mots qui sans cela seraient souvent inintelligibles. Comme je n'ai pas fait un semblable travail pour la première relation de M. Salt, j'ai réparé par une table sup- plémentaire, cette omission involontaire de ma part. J'avais eu l'intention d'insérer dans lappendice du tome 1”. deux passages de Purchas, rappelés par M. Salt; mais après les avoir examinés, j'ai jugé qu'ils n’ap- x PRÉFACE DU TRADUCTEUR. prendraient rien d’essentiel ou de nou- veau au lecteur, qui en conséquence est prié de considérer comme non avenus Îles renvois des pages 79 et 91 du même tome. 029203241209 7 A SON ALTESSE ROYALE LE PRINCE RÉGENT D’'ANGLETERRE. S1rE, * Rien n’est plus digne, peut-être, d’'ex- citer l'intérêt général, que les travaux d'un voyageur dont l'unique objet est d'établir des rapports plus intimes entre des pays lointains, de reculer ainsi les bornes des connaissances utiles, d'étendre les relations de commerce, et de concou- rir puissamment à rendre moins malheu- reux le sort de l'espèce humaine. Le desir que Vorse ALTesse ROYALE témoigné constamment d'encourager les entre- prises de ce genre, non moins que les * Le titre de Sire se donne, en Angleterre, aux Princes de la famille royale. différentes branches de la littérature, n'enhardit à la supplier de permettre que je lut exprime ma vive reconnaissance, en lui dédiant la relation suivante. Mes efforts n'auront pas été vains, si cet hom- mage peut porter l'attention de Vorre ÂALresse Rovace, sur l’état de trouble et de délaissement ou se trouve aujourd’hui l'Abyssinie, s’il peut l'intéresser au sort des habitans de ce pays, au point de l'engager à y faire introduire les arts utiles, et propager d'une facon judicieuse les véritables dogmes du Christianisme. La plus digne récompense de mes tra- vaux serait l'espoir consolant d’être le témoin des changemens avantageux que la bienveillance et la sagesse de Vorre Avresse Royace pourront opérer dans cette contrée lointaine. J'ai l'honneur d’être avec un profond respect, SIRE, DE VOTRE ALITESSE ROYALE, Le très-fidèle et très-obéissant serviteur, BENRY SALT. Londres, le 9 juillet 1014. VOYAGE EN ABYSSINIE. CHAPITRE PREMIER. Départ D'ANGLEYERRE. — Arrivée a MADÈRE, puis au Cap DE BONNE ESPÉRANCE. — Améliorations faites dans cette dernière colonie par les ANGLA1s. — Départ du Car. — Remarques faites dans le Cana ne Mozaw- BIQUE. — Arrivée à l'Ile de ce nom.— Port , fort et moyen de défense de cette Ile. — Visite à Mesuriz, sur le Continent. —— Courses faites danssles environs. — Portrait des Monrous. — Remarques sur la traité des Nègres.— Fidélité des troupes Africaines. —Férocité des Marouas. — Leurs incursions dans la péninsule de Casaceiro. — Tribus voisines de MozAMB8IQUE, vivant en bonne intelligence avec lés PorTuaais. — MEsurir. et ses environs. — Moœurs des planteurs. — Péninsule de Capaceiro. — Variété des productions marines, — Retour à MozAMBIQUE, Pécedeoo Janvier 1809, jem'embarquai à Portsmouth, dans le vaisseau marchand la Marian, que commandait le capitaine Thomas ‘ Weatherhead. J'étais chargé d’une lettre de L, I 2 | VOYAGE S. M. le Roi de la Grande Bretagne pour l'Em- pereur d'Abyssinie , et de présens destinés tant au Monarque qu’à divers personnages de considération dans ce pays lointain. Nous ap- pareillàmes , le 25, de conserve avec la Clo- rinde , vaisseau de S. M., qui convoyait une flotte de navires chargés pour les Indes Orien- tales. À peine fûmes-nous hors du port que nous fümes surpris par un grand vent du nord-ouest, qui, dans le cours de la journée suivante tourna au sud-ouest, et nous con- traignit à mettre en panne. Nous luttâmes contre de terribles coups de vent et une grosse mer durant quatre jours consécutifs , c’esl-à- dire jusqu'au 27. Voyant alors que tous nos efforts étaient vains , et plusieurs vaisseaux de la flotte étant endommagés par la tempête, nous virämes de bord et retournämes vers la rade de Sainte-Hélène, où nous abordâmes sans que la Marian eût essuyé le plus léger dommage. Le lendemain, le vaisseau fut porté jusqu’au Motherbank , et nous eûmes tout lieu d'en rendre grace au Ciel; car il s’éleva, le 31, un véritable ouragan qui ne jetta pas moins de quinze vaisseaux sur le rivage du havre, et qui, si nous étions restés dans le canal , aurait probablement mis fin dès-iors à EN ABYSSINIE. 3 rien d'encourageant ; mais le bonheur que nous eùmes d'échapper à un péril imminent, compensa , jusqu’à un certain point , les dés- agrémens que nous éprouvames. Les vents contraires et le temps orageux se soutinrent jusqu'au 2 mars que nous remimes à la voile avec une flotte qui se rendait au Brésil, sous le convoi du Brilliant, capitaine Smith. Sur les onze heures du matin nous passâmes entre les Aiguilles, et à quatre heures de l'après-midi , nous primes notre point de départ , de la blanche et belle falaise de Saint- Albans. Bientôt après nous perdimes de vue la côte d'Angleterre. Le temps était beau et le vent nous favorisait tellement que le 10 nous traversâmes les vagues roulantes qui distin- guent la mer de Biscaye, et que le 13 nous fümes à vue de Porto Santo. Les montagnes de cette ile sont pittoresques et offrent une grande variété d'effets lorsque le soleil se cou- che derrière elles. Nous eûmes le temps de les admirer , car le vent était faible. Nous ne gagnâmes que le 15 le mouillage de Funchal, sur la côte de l'ile de Madere. La ville de Funchal, vu le grand nombrè de vaisseaux qui étaient mouillés dans le port et dont la plupart appartenaient au commerce de l'Inde, offrait alors , l'aspect de la gaîté. L j 4 VOYAGE Chaque jour, c'était de grands diners ,des spectacles et des bals ; et la sérénité du Ciel ajoutait à la beauté du paysage. Mes remar- ques cependant, ne me font pas juger Ma- dère comme un lieu tres-favorable à la santé des nombreux malades qui s’y rendent, à moins qu'ils ne pratiquent l’abstinence plus que ne le font communément les Anglais. Toutefois mon séjour fut de trop courte durée pour que j'eusse pu me faire une juste idée des mœurs et coutumes des habitans de Madere, ou obtenir de nouveaux renseignemens sur une île qui a été si souvent décrite. Nous partimes le 15 ; et nous vimes, le 20, île de Palme, autour de laquelle, comme de coutume , la mer étant calme, nous primes une tortue qui dormait sur l’eau. Le 10 avril, nous passâmes la ligne ; et le 19 mai, nous approchâmes de la latitude du cap de Bonne- Espérance. Les oiseaux de mer entourèrent alors en grand nombre le navire, et on en attrapa plusieurs en leur jetant une ligne, armée d'un hamecon. On prit aussi trois al- batrosses qui avaient neuf pieds d'envergure. Le 20, nous fümes à vue des montagnes du cap, et le même jour à midi, notre vaisseau jeta l'ancre dans la baie de la Table. La saison était trop avancée pour que ce füt un acte de EN ABYSSINIE. 5 prudence ; mais notre capitaine s’y hasarda, par rapport aux marchandises qu'il avait à remettre à la ville du Cap, et quoique , selon la remarque qu'il en fit sur son journal, ce ne fut pas sans craindre qu'il n'arrivât quelque accident. | Les lettres de recommandation dont j'étais porteur me valurent une réception très-flat- teuse, de la part de son excellence le gouver- neur , lord Caledon , du général Grey, de l'amiral commandant de la station , et de plusieurs aimables familles anglaises qui ré- sidaient au Cap. Un de mes amis me fit aussi lier connaissance avec plusieurs familles hol- landaises des plus recommandables, ce qui ajouta beaucoup à l'agrément de mon sé- jour. De toutes les colonies que j'ai Visitées, je n’en ai trouvé aucune qui soit aussi agréable que celle du Cap. La netteté et la distribu- tion commode des maisons, la salubrité de l'air et l'aspect imposant des montagnes voi- sines font dela capitale de cette colonie une résidence charmante, excepté durant la saison où règnent les vents du sud-est. Les environs offrent de belles promenades et des maisons de campagne agréables. Quiconque se plait dans un paysage dessiné à grands traits, n’en peut trouver nulle part de plus imposant ; 6 VOYAGE | le botaniste peut cueillir jusqu’au pied des murs de la ville du Cap, des plantes dont la variété est extrême ; enfin celui qui aime les plaisirs de la société peut en trouver une qui ne le cède peut-être qu'aux cercles les plus polis de la capitale de l'Angleterre. Les Hollandais paraissent desirer de se lier avec les Anglais, et lorsqu'ils en trouvent un qui rend justice à leur caractère et se fait à leurs manières, il est rare qu'ils n’en appré- cient infiniment la connaissance, et qu'ils ne le traitent avec distinction. Les hommes ins- truits parmi eux sont très-sensibles aux amé- liorations que les Anglais ont faites dans la colonie, et ils paraissent , en plaçant leurs fils dans nos armées de terre et de mer, et en martant leurs filles avec nos compatriotes , très-disposés à cimenter l'union qui subsiste entre les deux nations. Ils ont tant d'urbanité et ils desirent si vivement de couler des jours heureux, que leur société en est en général très- agréable. Enfin leur façon de vivre n’a rien qui doive rebuter quiconque n’a pas un goût exclusif, et elle n’est pas difficile à suivre. La plupart des femmes du Cap sont fort jolies et ont des manières aimables. Comme elles prennent part librement aux plaisirs de EN ABYSSINIE. ; Îa société , leur compagnie est très-agréable. En aucune autre colonie , les parties de cam- pagne n'ont plus de charmes. La douceur du climat les favorise la plus grande partie de l'année , et l'esprit enjoué qui caractérise les jeunes personnes du sexe ne ‘se montre avec plus d'avantage en aucune occasion. Souvent sept ou huit dames et autant d'hommes mon- tent à cheval au point du jour, font six ou sept- milles pour aller déjeuner à une maison de campagne, puis vont diner dans une autre, et finissent la journée par un bal. Comme je ne me propose pas de m'étendre sur les affaires de cette colonie, je me bor- nerai à remarquer en termes généraux qu'elles paraissent s'être améliorées grandement de- puis l’année 1802 que je visitai pour la pre- miére fois le Cap. Cet heureux changement doit être attribué en grande partie à la con- duite judicieuse du lord Caledon qui partoutes ses qualités aimables s'est concilié l'estime des hommes les plus recommandables. Les re- venus se sont accrus presque du double par les encouragemens qu'il a donnés au com- merce ; l’agriculture se perfectionne et s'étend de plus en plus; la charrue anglaise a été in- troduite ; les mérinos multiplient rapide- ment et sont d'une grande utilité; on a adopté ) VOYAGE avec succès dans quelques vignobles, la ma- niere de faire le vin dans les pays situés sur le Rhin; enfin rien ne parait manquer à la colonie qu’un accraissement de population, chose que des maladies qui enlèvent beaucoup d’enfans rendent improbable à moins d'un secours extérieur ; mais tous les efforts de ce genre qu’on a faits jusqu'ici n'ont pas eu l'effet qu'on en avait attendu. C'est un fait curieux que dans toutes les classes d'habitans de la colonie , le nombre des hommes lemporte sur celui des femmés : l’excédant , au total, est de 1600. | ‘Le lord Caledon n'a pas borné ses vues à l'amélioration de la colonie proprement dite, la fait visiter l’intérieur des terres, dans l’es- poir bien fondé qu’on pourrait y faire des dé- couvertes. Il a confié cette mission à un mé- decin , M. Cowan, qui avait fait preuve de beaucoup de talent dans la rédaction du jour- nal d'une expédition au Karrou. À mon ar- rivée au Cap, on venait de recevoir de ses lettres d’une date:récente. Il s'était avancé beaucoup plus au nord qu'aucun des voya- geurs qui l'avaient précédé, et il avait tra- versé un pays riche et fertile, coupé par un grand nombre de rivières, qui toutes cou- 5 laient vers l’ouest. Les habitans qu'il avait EN ABYSSINIE 9 rencontrés lui avaient paru d'humeur paci- fique, etil croyait qu'il ne serait pas impos- sible de les engager à établir des relations avec la colonie. | ; Tous nos préparatifs de départ venaient d'être achevés, lorsque le mardi 29 mai, sur les onze heures du matin, le vent souffla du nord-est ; en même temps il s'éleva une brume épaisse , et la mer devint très-agitée. À midi, après une grosse pluie, le vent fraichit con- sidérablement , et il roula dans la baie de la Table une si terrible houle que notre vaisseau toucha , ce qui dura près de deux heures. La violence des chocs qu'il réçut détacha le gouvernail, et endommagea une partie de la poupe. Notre principal officier qui était à bord fit sur-le-champ hisser des fanaux , et tirer plusieurs coups de canon en signe de dé- iresse. Le capitaine qui était à terre courut au rivage, et quoique le temps füt si obscur qu'il ne pouvait distinguer le vaisseau qu’à la faveur du feu du canon, il parvint à le joindre dans une chaloupe et avec l'assis- tance de son supercargue et de deux capi- taines de vaisseaux marchands. 1l arriva assez à temps pour remédier au mal eten prévenir un plus grand. : Il est facile de juger quelle fat mon inquié- 10 VOYAGE tude durant cet accident qui toutefois nous fut utile , en ce que le retard qu’il occasionna me fit obtenir de l'amiral Bertie , d'après les représentations que je lui adressai relative- ment aux corsaires français qui croisaient dans le canal de Mozambique , un convoi pour la Marian , ce qui par bonheur concourait avec d’autres considérations importantes. Les vaisseaux destinés à ce service furent le Race- horse et le Staunch , brigs de guerre ; com- mandés par les capitaines Fisher et Street. Le premier moffrit obligeamment de me rece- voir sur son bord jusquà Mozambique , ce que j'acceptai avec plaisir ; et le 27 juillet, les trois vaisseaux quittèrent la baie de Simon pour se rendre à leur destination. Je passerai sous silence la première partie de notre tra- versée, durant laquelle il n’arriva rien digne de remarque, si ce n’est que le 5 août, étant par les 33° 58 de latitude , nous essuyâmes un orage des plus violens. Je vais retracer les particularités de notre passage le long du canal de Mozambique. Le 15 août, nous découvrimes la terre entre les caps Correntes et Saint - Sébastien. En approchant de la côte , nous eûmes des sondes de 35 à 25 brasses sur un rivage à pic. Le cou- rant portait là si fort au sud , quil retarda EN ABYSSINIE. IL notre course de soixante milles au moins en vingt-quatre heures. La saison étant avancée et le temps assez indécis, le capitaine Fisher qui desirait de perdre le moins de temps qu'il serait possible, donna le 16 au soir , l’ordre au Staunch et à la Marian de se rendre en droite ligne à Mozambique , tandis que nous longerions la côte dans le Racehorse pour vi- siter Sofala. Le 17, nous vimes le cap Saint- Sébastien , pointe de terre d’une hauteur moyenne, depuis laquelle un rivage sablon- neux et bas s'étend vers le nord-est. Durant le jour , nous longeâmes la côte, à la distance d'environ quatre milles, puis nous passàämes près des îles Bazarouto qui nous parurent jointes les unes aux autres et à la côte, par des récifs de roche. A la nuit , nous gagnâämes la haute mer. Le 18 août, en portant sur la côte , nous obtinmes de bonnes sondes de 20, 15 et 12 brasses , sur le baie de Sofala , et tandis que nous cherchions le port, nous décou- vrimes un long récif de rochers, sur lequel la mer brisait, et que nous supposämes être eelui que les cartes représentent comme étant un peu au sud d’Inancata. Nous le tournä- mes , parfaitement guidés par les sondes, et bientôt après , ayant vu une pointe que nous 12 VOYAGE supposèmes être l'extrémité septentrionale de l'île d'Inancata , nous jetâmes l’ancre par 10 brasses. Le 19, au point du jour, M. Green, le premier lieutenant et moi, allâmes à la re- cherche du port et de la ville de Sofala. Après avoir quitté le vaisseau, nous voguàmes en ligne droite vers la pointe que nous avions supposée être Inancata , ayant des sondes ré- gulières qui décroissaient à mesure que nous avancions. En approchant de la pointe , nous rencontrames des brisans qui s'étendaientàune distance considérable. Nous les tournâmes sur une brasse et demie d’eau. La mer devint en- suite plus profonde, et il se présenta une seconde pointe vers laquelle nous nous diri- geàmes. À peu de distance de celle-ci nous trouvâmes la surface de l'eau très-unie jusqu'à la grève, et en conséquence nous résolumes de débarquer. Un grand nombre de courlis et d’autres oiseaux étoiéfit à béqueter sur le rivage ; mais ils étaient si sauvages qu'ils pri- rent leur vol long-temps avant que nous fus- sions à portée de fusil d'eux. La pointe sur laquelle nous primes terre était couverte de broussailles et de petits ar- bres, principalement des espèces qui croissent dans l’eau salée. La plus commune était celle EN ABYSSINIE. 13 durack de la Mer Rouge , dont Bruce a donné un dessin assez correct. Dans toutes les parties du hallier on remarquait l'empreinte d'un grand nombre de pas d'éléphans, et nous vi- mes les ravages que ces animaux avaient faits depuis peu , parmi les arbres dont quantité avaient été arrachés, dépouillés de leur écorce, de plusieurs de leurs branches et de leurs feuilles , qui avaient été foulées aux pieds dans la vase. À quelque distance de la pointe nous découvrimes un vieux hangar abandonné, les restes d’un feu et quelques débris de pois- son rôti et de noix d'acajou. Près de cette place plusieurs arbres avoient été brülés jus- qu'aux racines, et l’on voyait une sorte de retranchement fait sans doute pour tenir éloi- gnés les éléphans et autres bêtes féroces du- rant la nuit. Peu de temps après nous fimes partir un daim , et nous jugeàmes que les ha- bitans étaient absens. Toutefois n'ayant point d'objet particulier en vue, nous ne crûmes pas qu'il füt de la prudence de nous aventurer plus loin. Nous regagnâmes danc notre cha- loupe , après avoir cueilli quelques échan- üllons de plantes, parmi lesquelles je nom- merai celles-ci : Une nouvelle et belle collec- tion de coribretum , rhizophora gymnorhisa. Lino.; un sonneriata ascida , Linn. supp. ; 14 VOYAGE. un avicennia tomentosa, Linn., (le rack de Bruce) ; une espèce de sapindus, et une autre espèce de diospyros, qui probablement n’a pas encore été décrite. Nous n'avions aucun moyen de déterminer si la langue de terre que nous quittâmes alors et que je nommerai Eléphant point , Pointe des Eléphans , est une île ou fait partie de la terre ferme. Elle forme le cap méridional d'une grande baie, ou d’une ouverture d'’en- viron cinq milles de longueur et de dix ou douze milles d’enfoncement. Comme nous traversions cette baie et à peu près à trois milles à l’ouest-quart-sud de la Pointe des Eléphans , nous renconträmes un récif sur lequel brisait la mer, et qui nous força de * virer de bord ; mais le vent et la marée nous étant contraires , nous fimes si peu de progrès que nous pensämes qu'il valait mieux ployer notrevoileet entrer dansla baie. Nous n'avions ni carte ni renseignemens pour nous guider ; cependant , comme nous pensions que nous pourrions découvrir des édifices sur une terre élevée qui nous restait à environ neuf milles au sud-ouest , et derrière laquelle s'élevait de la fumée , nous gouvernèämes dans cette direction. Nous nous avançämes avec lenteur, et l’eau diminua par degrés de cinq brasses à EN ABYSSINIE. 15 trois , à deux, à une et enfin à trois pieds, au fond de la baie où nous arrivames, après avoir ramé péniblement durant quatre heures. Nous fûmes extrêmement contrariés alors , en nous voyant aussi loin que jamais de l’objet de nos recherches, et en n'appercevant ni ville, ni fort, ni aucune trace d'habitans. Cependant nous entrâmes dans l’embou- chure d’une grande rivière, qui bientôt se partagea entre tant de bras, et dont les bords avaient un aspect si sauvage, qu'il eüt été imprudent de pousser plus loin. Un djengle(1) épais en couvrait entièrement les bords : et les différentes pointes, ou les îles formées par les courans qui s'entrecoupaient , étaient si multipliées et tellement semblables les unes aux autres , qu’une fois engagés dans ce laby- rinthe , 1l nous aurait à peine été possible d’en sortir. En retournant nous vimes deux canots halés sur la côte à gauche. Lorque nous en approchâmes , un naturel du pays qui, à l’ex- ception d'une épaisse couche de vase dont sa peau était couverte , était tout-à-fait nu , et qui tenait une lance à la main, courut, plein d'effroi, se cacher dans un lieu qui ressemblait (1) Voyez le Vocabulaire mis en tête de l'ouvrage. Vote du traducteur. infiniment à un village indien. De grands at: bres ( du genre du ficus), comme les arbres de bañian , paraissaient plantés régulièrement. Nous crümes même distinguer des huttes et diverses personnes qui, de temps à autre pas- saient entre les arbres. Comme nous n’étions pas à une grande dis- tance de la côte, nous appelâmes plusieurs fois en arabe et-en portugais; mais ce fut vaine- ment. Pour engager les naturels à venir vers nous, nous envoyâmes jusqu'aux canots quel- ques-uns de nos matelots, qui entrèrent dans la vase jusqu'à la ceinture. Là ils élevèrent un mouchoir blanc en forme de pavillon , et mi- rent auprès, en signe d'amitié, un couteau grossier et quelques biscuits ; mais nous n’é- tions pas dans notre jour de bonheur , et tant que nous fümes à vue on ne toucha pas au mouchoir. À quelques milles de ce lieu et tandis que nous faisions voile pour sortir de la baie , nous rencontrâmes trois canots remplis d'indigènes, vers lesquels nous nous portàämes pour tirer d'eux quelques renseignemens sur l'objet de nos recherches ; mais avant que nous eussions pu les joindre ils gagnèrent un passage , près d’un massif de grands arbres, entre lesquels ils s’élancèrent , puis ils amarèrent leurs em.- EN ABYSSINIE. i7 barcations au rivage. Leur chef, c’est-à- dire celui que nous crümes l'être, parce qu’il avait la tête couverte, et une pièce de toile bleue sur les épaules, se promer osément sur la grève. Les autres s'empressaient de sortir quelques paquets des canots. Nous arborâmes pavillon anglais, nous fimes flotter nos mou- choirs, et comme les naturels étaient à portée de nous entendre, nous leur criâmes en por- tugais et en arabe , de ne rien craindre et de nous considérer comme amis. Ils parurent nous comprendre, au moins en partie , mais ajouter peu de foi à nos témoignages d'amitié ; car au lieu de nous inviter à prendreterre , ils bran- dirent leurs lances, préparèrent leurs flèches . arrachèrent des branches d'arbres , firent des gestes bizarres, évidemment pour nous dé- fendre d'approcher ; et en même temps ils criaient , dans leur jargon , et nous faisaient signe de nous éloigner. Nous leurs demandèmes plusieurs fois où était Sofala ; mais nous ne pümes en obtenir aucune réponse intelligible. Tandis que cela se passait, d'eux d'entre eux se rendirent hardiment à leurs canots , qui n’é- taient qu’à la portée du pistolet ,etils y prirent leurs bonnets de guerre et d'autres ornemens dont ils se parèrent. Ensuite , pour montrer leur adresse , ils tirérent des flèches de côté, I. 2 18 VOYAGE le long de la grève, faisant en même-temps une infinité de gestes grotesques. Jugeant, qu ‘il était inutile d'attendre plus ÿ ee à nous partimes après avoir fait trois acclamations et tiré un coup de pistolet en l'air, pour voir quel effet il produirait sur les indigènes. Cela ne fit qué redoubler leurs transports. Ils répondirent à nos acclamations, et se mirent à sauter et à courir sur la grève, exprimant plus d'admiration que de terreur. Nous regrettämes beaucoup de ne pouvoir communiquer avec eux; mais comme ils ha- bitent dans le voisinage des Portugais, je ne fus pas surpris de leur conduite ; au con- traire, je fus charmé de les voir en état de résister aux attaques des marchands d’es- claves avec lesquels ils n'ont que trop de re- lations, et pour qui tout me porte à croire qu'ils nous prirent. 1 D'après la stature, la couleur , les ma- nières et le langage de ces Africains, je sup- pose qu'ils sont unis par les liens du sang aux Kafres, dont peu de temps auparavant javais vu une troupe considérable au Cap ; et je considère les uns et les autres comme formant une race entièrement distincte, soit des Nègres soit des Hottentots. Nous fimes voile en ligne droite vers la EN ABYSSINIE. 19 pointe des Eléphans, depuis laquelle, le veñt étant contraire, nous eûmes à traverser une grosse mer jusqu'au vaisseau, que nous ne joignimes qu'à neuf heures et demie du soir. Le Racehorse avait changé de position durant notre absence, manœuvre pendant laquelle il avait longé un autre bas-fond sur trois brasses et demie d'eau. Le capitaine Fisher fit, le soir, une observation lunaire qui con- firma ses calculs, et prouva que la baie que nous avions visitée était réellement celle de Sofala. Le 20 août, le vent était toujours très-va- riable et inclinant fort vers West, le capitaine Fisher ne voulut pas risquer son vaisseau sur une côte évidemment embarrassée de nom- breux écueils qui n'avaient pas encore été re- connus, et en conséquence 1l résolut de faire voile à l'instant même pour Mozambique. Avant que nous fussions sur dix brasses d'eau , nous dépassämes trois autres écueils sur lesquels la mer brisait; ensuite les sondes devinrent régulières, et il n'y eut plus au- cune apparence de danger. Les deux jours suivans, nous continuâmes à ranger le banc de Sofala par douze brasses. Ce banc paraît avoir été formé par la violence des vents de sud-est qui dominent généralement, et souf- 2 * 20 VOYAGE flent directement contre les courans de plusieurs rivières rapides qui se jètent là dans la mer. Les bas-fonds indiqués par les cartes anciennes, se sont augmentés évidem- ment, etil est probable que comme les bancs de sable de l'embouchure du Ganges, aux- quels ils ressemblent infiniment , ils sont sujets à changer de place, de sorte qu'on ne peut user de trop de précautions en rangeant la côte, Nul vaissean ne doit s'aventurer sur moins de douze brasses d'eau, profondeur sur laquelle on peut traverser les bancs en toute sureté (1). Les Portugais connaissent si bien le danger d’en gpprocher de plus près, que jamais ils ne laissent leurs vaisseaux de haut bord le tenter , et qu'ils entretiennent toutes leurs communications avec Sofala, par de petits vaisseaux côtiers de Mozambique. Le nombre des baleines que nous rencon- trâmes sur le banc de Sofala fut très-consi- dérable, plusieurs fois nous en remarquâmes vingt ou trente en, même temps; quelques- (1) Le capitaine Tomkinson, qui remonta ce canal quel- ques mois avant nous, dans le Caledon, brig de guerre, a remarqué, dans son journal, «que c’est depuis le com- » mencement de mai jusqu’au milieu d'août, la meilleure » route pour les vaisseaux qui vont dans l'Inde; » opinion que nos remarques ont confirmée pleinement. EN ABYSSINIE. 21 unes passaient tout près du vaisseau, d’autres s'élevaient tout-à coup, faisaient une sorte de ronflement et jetaient de l'eau comme une fontaine. Quelquefois elles paraissaient se poursuivre réciproquement, nageant avec des mouvemens impétueux et désordonnés, s’é- levant momentanément en ligne droite hors de l’eau , éclatantes comme des colonnes d'ar- gent, puis retombant sur le dos, et frappant enfin de leurs énormes nageoires la surface de la mer, ce qui faisait un bruit presque semblable à celui du canon (1). Nous füûmes portés à croire que c'était le temps où elles multiplient leur espèce, ce qui peut faire présumer que c’est seulement à cette saison qu'elles fréquentent le banc de Sofala; mais quelque fut l'instinct qui les portät à se rassem- bler , c'était un spectacle aussi intéressant qu'extraordinaire, que la réunion de ces lourdes masses (2),.qui s’agitaient tumul- (1) Voyez la description du leviathan, dans le livre de Job, chap. XLI. — Cum sublatus fuerit, timebunt angel, et territi Ppurgabuntur » > expressions qui peut être sont applicables au cas présent. (2) C'était des individus de l’espèce du balæna physalus, que recherchent rarement les pêcheurs à cause de leur force et du peu d’huile qu'ils donnent. 29 VOYAGE tueusement dans l'eau, comme des dauphins qui se jouent. Le 23 août, à trois heures après midi, nous passämes devant les iles Angora, et nous reconnümes que Mafamède a été in- diquée très-exactement par le capitaine Hud- dart, dans le Pilote oriental. Dans le cours de la journée nous vimes plusieurs trombes d'eau, dont par bonheur nous n’approchimes pas assez pour en être fort effrayés. Une de ces colonnes se soutint dans la même posi- tion durant quelques minutes. Nous nous tinmes au large pendant la nuit; et en nous approchant de la côte le lendemain matin, nous arrivames par le travers de Zluff- Point, que nous avions vue la veille au soir. Nous rangeâmes alors la côte pour gagner la ville de Mozambique, en nous conformant aux instructions données par le Pilote indien, qui dit irès-positivement d'aller jusqu'à ce qu'on la voie, Cependant, nous ne remar- quèmes rien qui ressemblàt à une ville ; en conséquence nous nous tinmes de nouveau au large durant la nuit. Le 25, au point du jour, le vaisseau fut hälé vers la côte, et nous pümes distinguer clairement le plateau désigné, comme devant EN ABYSSINIE. 23 servir de point de reconnaissance pour en- trer dans le port de Mozambique ; mais il est assez étrange qu'on nait donné aucun gi- sement par lequel nous eussions pu vérifier si la ville est au nord ou au sud de ce plateau. En partant vers la côte, nous entràmes dans une baie entourée de falaises médiocrement escarpées, de couleur claire, curieusement tachetées de noir, et offrant ça et là, des ouvertures terminées par un lit de sable. Comme nous vimes, sur la côte, plusieurs na- turels du pays, et que nous crûmes distinguer des canots, le capitaine Fisher envoya sa cha- loupe pour obtenir des renseignemens sur la situation de Mozambique et pour nous ame- ner un pilote. Cette partie de la côte doit être fort escarpée, car nous ne pümes obtenir de sondes, quoique nous ne fussions qu'à la dis- tance d'un mille et demi. _À une heure après midi, et après que nous eùmes déterminé notre latitude, M. Green revint avec un pilote du pays, et nous ap- primes que nous étions à peu de milles au nord de Mozambique. Il arrive très-fréquem- ment que les vaisseaux qui viennent du sud, portent trop au loin pour gagner le port. Le Staunch et la Marian furent dans ce cas et perdirent ainsi deux jours. Il faut beau- ea 24 Û VOYAGE coup d'attention pour remarquer que le pla- teau , qui est le premier objet visible lors- qu'on approche de la côte, git au nord quart d'ouest du port. Les gens qui étaient sur le rivage, reçurent fort civilement M. Green, qui apprit que le nom du village était Mo- zimbe, qu'il y résidait un officier portugais, ce qui facilite aux vaisseaux qui viennent du nord, et qui ne connaissent pas le port , les moyens d'obtenir un pilote. Le vent dominant, ayant, comme il ar- rive généralement après midi, tourné plus à l'est, nous pümes gouverner plus au sud, le long de la côte, et peu de temps après, nous découvrimes le pavillon qui flottait sur le fort de Mozambique. Nous ues, près de l'ile de Quintangone, et nous püûmes tout juste doubler l'ile des Arbores par Île travers de Cabaceiro, temps pendant lequel je pris des gisemens qui me servirent beaucoup pour dresser la carte ci- jointe. Nous portämes en- suite directement sur l'ile Saint-Georges, jus- qu'à ce que nous en fussions à trois quarts de mille. Ayant là les trois îles extérieures sur une seule ligne, nous manœuvrämes pour gagner le port. Les points de reconnaissance pour y entrer sont assez bien indiqués sur la carte de M. Arrowsmith, excepté Pao’- EN ABYSSINIE. 25 Mountain, qui git tellement dans l’intérieur des terres, qu'il est rare qu’on la voie, et qui, en conséquence, ne doit point être con- sidérée comme un indice (1). Il est nécessaire en entrant dans Île port, de ranger de près les murs d'un fort situé à l'extrémité septentrionale de l'ile. Ce fort, dont la forme est octogone et qui est flanqué de six bastions , est construit avec beaucoup de solidité. Les fondemens, du côté du nord, s'avancent au-delà de la marque de l'eau à la mer basse. Derrière celle de la mer haute, est un parapet portant huit ou dix pièces de canon , flanquant du sud-est au nord-ouest, et sur lequel le mur principal s'élève d’envi- ron quatre-vingts pieds. Selon la coutume, nous fümes hélés en passant devant le fort, et la trompette dont on se servit avait à peu près trois pieds de circonférence, et parais- sait dater de la fondation de la colonie. Après avoir arrondi la pointe, nous ne tardâmes pas à laisser tomber l'ancre, par sept brasses, en dehors de douze vaisseaux portugais mouil- lés dans le port ; mais, à notre grande sur- prise, nous n’y trouvàames ni le Sfaunch ni Ja Marian. : (1) Les directions plus précises qui se trouvent sur la carte, ont été indiquées par le capitaine Weatherhead. 26 VOYAGE Tout vis-à-vis du mouillage git la ville de Mozambique qui s'élève au milieu d'une île du même nom, située directement vis-à-vis de l'embouchure d'une baie profonde. Cette ile, qui a environ deux milles et demi de longueur sur un quart de mille de largeur, a la forme d’un croissant dont les cornes regardent la mer. “Ma place de débarquement est à une por- tée de fusil du mouillage. Des degrés cons- truits de chaque côté d’un mole élevé sur des arches, et qui autrefois se prolongeait au loin dans la mer, la rendent fort commode. Ce mole a été fort endommagé par le temps; mais on le réparait. Lorsque nous débarquâmes, la garde postée près du mole fut mise sous les armes pour faire honneur au capitaine Fisher, et nous fümes conduits par plusieurs officiers à l’hô- tel du gouvernement qui est un bel édifice (Joy. PL. II). On nous fit entrer dans un vaste salon où étaient rassemblés la plupart des officiers civils et militaires de la place. Nous fümes recus de la manière la plus distinguée par le gouverneur Don Antonio Manoel de Mello-Castro e Mendoca, qui nous assura qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour faciliter nos opérations, et nous EN ABYSSINIE. 27 rendre agréable le séjour de Mozambique. Ce gouverneur n'était arrivé que depuis quelques jours, et comme il avait des sentimens plus élevés que n’en ont généralement les hommes qui sont à la tête des établissemens portugais, ce fut un bonheur pour nous de le trouver. Il avait été gouverneur de Saint-Paul au Brésil, et ce n'était que d'après les instances du prince-régent de Portugal, qu'il avait accepté le gouvernement de la colonie de Mozam- bique, ‘où tout était dans le plus grand dé- sordre. Avant de retourner au vaisseau, nous fimes le tour de la ville, dont les habitans offrent un singulier mélange des costumes, indien, arabe et européen, qui forment entre eux un contraste frappant , et dont il n’est guère pos- sible de se faire une idée , à celui qui ne con- nait pas l'Orient. Ayant exprimé le desir de visiter le fort, l'ordre ge nous y laisser entrer fut délivré le 26 août. Le commandant nous reçut à la porte, et parcourut tous les ouvrages avec nous. Ils étaient armés de quatre-vingts pièces de ca- non , près desquelles il y avait quantité de piles de boulets entassés depuis long-temps, si l’on pouvait en juger par la rouille qui les couvrait. Quelques-uns de ces canons avaient 28 VOYAGE pour inscription, Alonzo IT, avec le millé- sime de 1660. Quelques pièces venaient des Hollandais, et il y avait une espèce d'obusier (howitzer ) fait pour jeter des pierres du poids de cent livres, qui probablement était d'o- rigine turque. L'emplacement du fort est ju- dicieusenient choisi, et si l'artillerie était bien servie, elle interdirait l'entrée du port; car plus de trente pièces battraient tout vaisseau qui voudrait forcer le passage. La garnison ne nous parut composée que d’un petit nombre d'hommes. On pourvoyait mieux autrefois à la défense de ce fort, car en 1608, il soutint vigoureusement l'attaque des Hollandais qui avaient débarqué, sur l'ile, des forces consi- dérables, et qui » après y être restés depuis le 29 juillet jusqu’au 18 août, furent forces de se rembarquer avec honte, et avec perte de plus de cent hommes tués ou blessés (1). (1) Voyez le Recueil des Voyages de la Compagnie des Indes Orientales formée dans les Provinces Unië V4 mster- dam , 1305, vol. IV, p. 23 - 27. L'extrait suivant pourra donner une juste idée de la froide boucherie que faisaient les Hollandais, dans leurs expéditions des Indes Orien- tales. « Le 17 août ( la veille de leur rembarquement ) on lia tous les prisonniers, on les conduisit à la tranchée, et l’on cria aux assiégés, que s’ils ne rendaient à l'instant le déserteur ( c'était un soldat qui avait déserté la veille) on les massacrerait tous à leur vue. La réponse fut que les EN ABYSSINIE. 29 Du haut des remparts on jouit d'une belle vue sur la mer et les îles voisines, et nous eùûmes le plaisir de voir le S/aunch et la Marian entrer dans le port. Le preinier passait devant la pointe Trompette, où les mêmes questions lui furent faites, pour la forme, qu'au Racehorse, quoique le vent füt si fort, qu'il fut impossible d'obtenir une réponse, et que les officiers eussent à l'instant même recu de nous, tous les renseignemens qui pouvaient concerner ces deux bâtimens. | Ayant fait venir de la Marian les lettres de recommandation, que le lord Caledon m'a- vait données, j'allai, le 28, les présenter au gouverneur , avec qui j'eus un long entretien au sujet du voyage que sa seigneurie avait fait entreprendre à M. Cowan. Il me témoi- Hollandais en useraient comme il leur plairait, et que s'ils maltraitaient leurs prisonniers , le vice-roi userait de représailles sur tous leurs gens qui pourraient être pris le long de la côte; que quand ils auraient cent Portugais, au lieu qu’ils n’en avaient que trente-quatre, ils les laisse- rait périr plutôt que d'abandonner un homme qui s'était venu jetter entre leurs bras, et à qui ils avaient promis . protection. Sur cette réponse on cassa la téte aux prison- niers à coups d’arquebuse. Le 18, l’armée fut rangée en ordre de bataille, et en même-temps o7 bräla la ville , puis on marcha vers le bout occidental de l’ile en péllant et ruinant {out ce qu’on rencontrait. » 30 VOYAGE gna ses regrets de ce qu'aucune nouvelle de ce voyageur n'était parvenue à Mozambique. I croyait qu'il était possible que M. Cowan pénétrât jusqu’à Zambao, mais que les nom- breuses rivières dont le pays est coupé, et l’es- prit farouche des habitans, l’empêcheraient certainement de pousser plus loin. Il avait envoyé aux établissemens de Sena et de Têté, qui lui étaient subordennés, l’ordre de procu- rer à M. Cowan et à ses compagnons , Sils arrivaient à l’un ou l’autre de ces forts, un vaisseau pour les transporter à Mozambique où toutes sortes de secours leur seraient pro- digués. Cependant il pensait toujours que d’insurmontables obstacles feraient échouer tout effort pour pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique de ce côté. 11 me dit de plus, que Je gouvernement portugais avait long-temps desiré vivement d'ouvrir une communication avec ses établissemens occidentaux ; mais que toutes ses tentatives avaient été vaines. A la vérité, quelques personnes, envoyées de la côte opposée, avaient rapporté qu'elles s’é- taient avancées assez loin pour rencontrer de grandes eaux sur lesquelles il y avait des bar- ques semblables à celles qu'on voit du côté d'Angora , mais que la conjecture que c'était la mer d'Orient, était dépourvue de fonde- EN ABYSSINIE. 31 ment. Il y avait environ sept ans qu'un des gouverneurs de Sena avait entrepris un voyage dans l’intérieur des terres, et avait fait plu- sieurs centaines de milles le long de la grande rivière de Zambezi; mais il n'avait pu décou- vrir aucune communication avec le côté OCCI- dental. Ce voyageur avoit eu beaucoup à se plaindre des naturels du pays. Il est mort ; mais il a laissé des observations utiles, qui sont entre les mains du gouvernement du Brésil. : Les avantages qui résulteraient d’une telle entreprise, continua le gouverneur , pour- raient à peine en compenser les risques; car les articles de commerce étant à peu près les mêmes sur les deux côtes , il serait impossible de récupérer les frais de transport. Sous le rapport de la géographie , elle pourrait être intéressante ; mais, dit le gouverneur , il avait trouvé les affaires de la colonie dans un trop grand désastre pour qu'il püt exécuter un pareil plan. À la mort de son prédécesseur, le gouvernement avait été dévolu au conseil, qui était composé de trois membres. Ceux-ci s'étaient querellés entre eux. Ilen était résulté une extrême confusion dans toutes les parties de l'administration , et le plus grand mécon- tentement avait éclaté parmi les habitans. Des 32 VOYAGE innocens avaient élé jettés en prison avec des criminels , et l'injustice et le caprice avaient ordonné de tout. Durant cette conversation nousnous promenions dans le jardin de l’hôtel du gouvernement ; jardin qui paraissait avoir été tout aussi négligé que le gouvernement même : iln'yavait que quelques choux, quel- ques laitues et quelques poivriers, croissant à l'ombre des mimosa , des papayers et des gre- nadiers, : Ce même jour, nous dinâmes à l'hôtel du gouvernement avec un grand nombre de no- tables habitans de la colonie. Le diner fut trés-bien servi, et se composa de quantité de mets apprètés, les uns à la manière euro- péenne, et les autres à la manière indienne. Le riz, qui venait de Sofala, avait le grain petit; mais il était très-beau. Quant au pain, il était d’un blancheur eéblouissante et excel- lent, etant préparé avec un peu de lait de noix de coco. Par considération pour les con- vives anglais, on. porta debout un toste à S. M. le roi de la Grande-Bretagne, et en même temps le fort fit une salve royale. Notre ioste fut pour le prince-régent de Portugal, et le Racehorse fit une pareille salve. Après le diner, nous passimes dans une autre pièce où l’on servit du thé et du café EN ABYSSINIE. 33 dans des tasses d’or fin de Sena, et d’un très- beau travail exécuté par les Banians qui ré- sident à Mozambique. Le gouverneur, lors- qu'il est en habit de cérémonie, porte une chaine de même métal, fort riche et travaillée parfaitement, et il est suivi de deux ou trois esclaves noirs qui semblent accablés sous le poids des ornemens en or dont ils sont sur- chargés. Ce sont des restes de la pompe et de leclat qui accompagnaient autrefois les vice- rois de l'Afrique orientale. La journée se passa aussi agréablement qu'il fut possible, hors de la société des dames, dont il est difficile de se procurer seulement la vue dans cette colonie. Le lendemain, au point du jour, le gou- verneur nous mena, le capitaine Fisher et moi, dans sa barge de cérémonie, conduite par des Nègres avec des rames semblables à celles des barques de l'Inde, visiter sa maison de plaisance de Mesuril, qui est située au fond de la baie, à environ trois lieues de la ville. Cette maison, dont la vue est très belle, prise du côté de l'eau ( voy. PL. III), est bâtie sur une côte élevée et à peu de distance de la grève. Elle est précédé d’un petit jardin en terrasse, d'où un double rang d’escaliers conduit à un bosquet de limonniers, d’oran- FE 3 34 VOYAGE gers, de citronniers et de papayers, qui alors étaient courbés sous le poids de leurs fruits. Du côté de l'est, et derrière la maison, s'é- lève une épaisse forêt de cocotiers, de man- guiers, de pomntiers d'acaiou (anacardium occidentale) et d’autres grands arbres. Du côté de l'ouest est un escalier qui, depuis le bord de la mer conduit à la maison. Celle-ci n’est pas très-vaste. Elle ne consiste qu’en un rez-de-chaussée dont la plupart des pièces n'avaient point de meubles; mais l'agrément du site et les attentions qu'on y eut pour nous, ne nous y laissèrent rien à desirer. Après le déjeûner, on partit pour la chasse, Il y avait pour ceux qui ne voudraient pas marcher, un cheval qui était une vraie ros- sinante, et trois palanquins, ainsi qu’on les appelait, quoique dans l'Inde, ce n'eût été que des doulies (1). Cette sorte de voiture (2), comme on ne peut y prendre qu'une seule position, qui est de se coucher tout de son long, n’est pas aussi commode que les véri- tables palanquins. Ce défaut est compensé eu (x) Sorte de palanquin de l'espèce la plus commune. (Note du traducteur.) {2) On dit que ces espèces de palanquins sont fort en en usage parmi les naturels du Congo. On en trouve un dessin dans De Bry, Collect. Peregrinationum. EN ABYSSINIE. 39 ce qu’elle peut être portée facilement par un seul homme , lorsqu'elle est pliée. Les bâtons ne sont pas de bambou, mais de bois élas- tique qui croît dans le pays, et ils sont tou- jours couverts de peau de zebre. Les porteurs sont trés-bons, et lorsque la traite est courte, ils vont aussi vite que les meilleurs de l'Inde, c'est-à-dire, qu'ils font cinq milles à l'heure. Ils sont aussi d'une adresse singulière à chan- ger leur fardeau d'épaule. Si l'un des quatre est fatigué, il en avertit ses compagnons en frappant sur le bâton un certain nombre de fois avec ses doigts. Celui qui est à l'autre bout lui répond par un pareil nombre de coups. Tous alors frappent deux fois à l'unis- son, et tout en marchant, ils passent le doulie d'une épaule à l’autre, sans que la personne qui est dedans éprouve la moindre secousse. L'espace d'environ un mille, à partir de la maison , le chemin traversait une plantation continue de cocotiers, entremélée de huttes, comme céla se voit communément dans l'Inde. Le paysage était vraiment dans le style orien- tal et ressemblait beaucoup aux côtes de l'île ‘de Ceylan ou à quelques-unes des parties les plus sauvages de l'ile de Bombay. Au sortir du bois, la vue s'étend sur un canton planté de manioc {jatropha manihot, Lainn.) divisé 3" 36 VOYAGE en compartimens par des rangées de pom- miers d'acajou et de manguiers, qui, étant en pleine fleur, remplissaient l’air de leur parfum. La chaleur était grande, mais pas assez excessive pour nous empêcher de jouir de l'agrément de la matinée, quoiqu'elle n'eût pas permis au gouverneur et à quelques-uns de ses officiers, qui nous avaient accompa- gnés, de prendre part à notre exercice. Nous vimes très-peu de gibier; mais nous trou- vämes une grande variété d'oiseaux. Nous remarquèmes deux espèces de merops, le crysopterus et le superciliosus (Latham , Ind. Orn. I. 271) qui volaient en l'air; le cer- thias famosa (And. Orn. I. 288) et le senega- lensis (ind. Orn. I. 284) dont le plumage brillait au soleil, voltigeaient de plante en plante. Le jaune éclatant de l'oriolus monacha (End. Orn. 1. 357) et le galbula (Ind. Orn. I. 186), contrastaient agréablement avec le vert sombre du manguier. Partout où il y avait un Oranger et un papayer, on voyait des volées de colius striatus (Ind. Orn. I. 369) accourir en gazouillant, et de temps à autre on entendait les tons perçans du geai du Bengale (coriacius Bengalensis, Ind. Orn. I. 168) qui volait vers quelque plantation plus _éloignée. ; EN ABYSSINIE. 37 Après une course de trois milles, nous ar- rivames à un édifice construit dans une aire close. C'était une manufacture de manioc, qui appartenait au signor Montero, et dans la- quelle près de cent esclaves étaient occupés. Les racines sont nettoyées au moyen de ra- tissoires faites avec des coquilles d'une grande espèce ( Lelix terrestris), qui se trouvent en quantité sur la côte. On les expose ensuite au soleil, et lorsqu'elles sont assez sèches on les broie avec une roue à bras, bordée de cuivre et armée de pointes. Cela fait, la pulpe est renfermée dans de grands sacs, puis on la met en presse. Lorsque tout le jus (qu'on dit vénéneux) en est extrait, le marc est mis en pièces avec la main, et on le fait sécher sur des plaques de cuivre chaudes, ce qui le réduit en farine. Délayée dans de l’eau, cette farine qui est fort saine , constitue pres- que entièrement [a nourriture des esclaves ; et lorsque l'orgueil le leur permet, ce qui est rare, les Portugais en usent dans leurs soupes. Derrière la manufacture est un petit étang d'eau douce qui, si on l'employait aux be- soins de l'agriculture, serait d'un avantage inappréciable dans un climat si chaud ; mais à notre grande surprise, nous remarquämes qu’on y laissait couler le jus du manioc, ainsi 38 ! VOYAGE que d’autres immondices, ce qui l'empêche d'être d'aucune utilité. Une telle négligence caractérise parfaitement l'indolence des plan- teurs. Nous tirâmes un grand nombre de ca- nards et d’autres oiseaux sauvages qui volaient sur l'étang, et parmi lesquels je mentionne- rai le parra africana (nd. Orn II. 764), et une espèce de gallinula d'un brun rougeûtre, qui jusqu'ici n’a pas été décrite, et dont j'ai rapporté des peaux en Angleterre. Dans la partie la plus resserrée de l'étang, croissaient de belles plantes aquatiques dont nous eùmes de la peine à obtenir des échantillons. Les plus remarquables étaient le zymphea ccæ- rulea (Hort. Kew, éd. 2, vol. III, p. 294), le pistia stratiotes (Linw.), et une nouvelle espèce d'œschynomene qui a du rapport avec l'astera , et que depuis mon retour, le docteur Browne a nommée cristata. En revenant, nous traversàmes une belle plantation appartenante au signior Guedez, un des négocians les plus recommandables de la colonie; elle nous parut être en meilleur état qu'aucune de celles que nous eussions vues sur la péninsule. Dans l'après-midi nous allämes chez un des planteurs du village de Mesuril , dont la mai- son était à un mille de distance. Notre des- EN ABYSSINIE. 39 sein était d'y voir quelques trafiquans Mon- jous, nation del intérieur du pays. Ils étaient venus avec une caravanne d'esclaves s"princi- palement du sexe féminin, avec de l'or et des dents d’ ’éléphans. On me dit qu'ils avaient été plus de deux mois en chemin, temps durant lequel, ilest vrai, ils avaient fait quelque séjour ; ; mais l’espace qu'ils avaient parcouru peut l'être en quarante: cinq Jours. Les Portu- gais parlent du pays qu “habitent ces Africains comme étant situé presque au centre du con- tinent ; cependant les recherches que j'ai faites à ce sujet m ’ont prouvé qu il [S Se trompent. Quelques- uns ( des Monjous prétendaient qu ils étaient depuis trois mois hors de leur pays; selon d’ autres ils n ‘étaient absens que depuis deux mois, et même un d’entre eux disait que le chemin pouvait se faire en un moiset demi, ÿ compris les jours de repos. Prenons Fe mois et caleulons la marche : à quinze milles par jour, cela ne fait que neuf cents milles , ce qui est loin de mener au centre du continent afri cain. Je crois, de plus, que le pays des Mon- jous est situé au nord-est de Mozambique, Ceux que nous vimes, nous dirent qu'ilsavaient des relations avec d’autres trafiquans appelés Evizi et Maravi, qui avaient pénétré assez avant dans les terres pour voir de grandes 4o | VOYAGE eaux , des hommes blancs ‘ comparativement sans doute) et des chevaux. Ces animaux, chose singulière , inspirent une si grande ter- reur aux Monjous, que lorsqu'ils en voient un ils prennent la fuite comme si c'était une bête féroce. Les Monjous sont les nègres de l'espèce la plus laide. Ils ont les pommettes des joues élevées, les levres épaisses, les cheveux comme de la laine et souvent en petits nœuds comme des grains de poivre, et enfin la peau très- luisante et d'un noir de jais. Leurs armes sont des arcs et des flèches , et de très courtes lances avec une pointe de fer. La construction de leurs arcs est très-simple. Ils sont forts, unis et faits d'un bâton. Leurs flèches sont longues, barbelées et empoisonnées. Chaque homme, outre son arc et son carquois, porte un petit appareil pour allumer du feu, et consistant en deux morceaux de bois de couleur foncée , et d'une espèce particulière. Un de ces morceaux est plat et l’autre arrondi comme un pinceau. Celui-ci tenu droit au centre du premier, est frotté vivement entre les paumes des mains, jusqu'à ce qu'il produise une flamme , ce qui ordinairement ne demande qu'une minute. M. Bruce fait mention d'une pareille méthode d'allumer du feu, qui est pratiquée par une EN ABYSSINIE. 4x tribu de Nuba , qu'il a rencontrée dansle voi- sinage de Sennaar(1;. Toute sa description de cette tribu s'accorde tellement avec le portrait des Monjous que,comme on dit qu'ils viennent des montagnes de Dyreet de Tegia, il n'est pas impossible qu'il ait existé quelque relation entre eux. à | Pour nous divertir dans la soirée, on ras- sembla les esclaves , et, selon la coutume, pour entretenir leur santé, on leur permit de danser. Les hommes commenceérent au son des tom-toms sur lesquels des femmes frappaient avec des bâtons , tandis que d’autres battaient des mains et chantaient des airs qui ne man- quaient pas d'harmonie. Les femmes se Joi- gnirent ensuite aux hommes, et l'on dansa en rond, en marquant exactement la mesure avec les pieds. Quelques jeunes personnes exé- cutaient leurs mouvemens avec beaucoup de grace, J'ai vu ensuite d’autres danses de la même espèce dans plusieurs habitations d'es- claves de l’île de Mozambique ; mais il me parut que dans celle-ci ils furent forcés de dan- ser. Jamais je n’oublierai la contenance d'une (1) Voyez la traduction française du Voyage de Bruce aux Sources du Nil, tom. VIII, p. 316. ( Vote du tra- ducteur. ) 42 VOYAGE femme qui, à ce que je compris , avait été amenée récemment de l’intérieur des terres. Quoique jeune elle était déjà mère Il parais- sait qu'elle était séparée de ses enfans ; et lors- qu’elle fut contrainte de figurer dans le cercle des danseurs , la sombre tristesse empreinte dans tousses traits, dénotait mieux l'etat dou- loureux de.son ame que ne l’eût fait aucune expression en quelque langue que ce füt. S'il est encore quelque sceptique qui hésite à ap- prouver l abolition de la traite des nègres, qu 1l visite les hangars où l'on rassemble be esclaves Africains, avant qu'on en exporte les Car- gaisons , et tous ses doutes s évanouiront ; s'il h reste le moindre sentiment d’ humanité. Ce même jour, sept vaisseaux portugais quittérent le port pour se rendre à Goa. Outre une grande quantité d'or et d'ivoire, ils por- taient environ cinq cents esclaves achetés : à Mozambique, au prix de dix, de quinze et de vingt piasires par tête. J’ éprouve une vive satisfaction lorsque je songe qu'un trafic si criminel a déjà reçu, de ce côté, un, grand échec par l'intervention des Anglais, depuis la prise des îles de France et de Bourbon, ( Voy. le dernier rapport de l'Institution afri- caine) et J'espère quil cessera complètement. À tout événement, il faut prendre sur-le- EN ABYSSINIE. 43 champ des mesures pour empêcher que les esclaves ne soient importés.dans les parties de l'Inde , sur lesquelles le gouvernement britannique a quelque influence. Cinq VAIS= seaux chargés d'esclaves étaient partis cette même année pour le Brésil. Ce voyage est cor- sidéré comme heureux , si dans le trajet, il n’en MeurE pas plus de soixante par vaisseau. Dans l'après midi du jour suivant (30 août), je fis une seconde visite à la maison du plan- teur où les trafiquans Monjous résidaient, et jachetai, de l'un d'eux , un arc et des flèches, pour quelques grains de verre que l'hôte me fournit, le vendeur ayant refusé de l'argent, de la valeur duquel il ne semblait pas faire cas. Je me mis à user de mon emplète, ce qui attira quelques Monjons, curieux de voir comment je me servirais de leurs armes, et je les engageari à me moutrer leur adresse. Ils étaient fort experis à donner dans le blanc, à trente pas; mais je trouvai qu'ancun d'eux ne pouvait lutter contre moi, à une grande distance, ce que je soupçonnai provenir bien plus de manque de volonté que de manque d'habileté. Le point le plus éloigné auquel je pusse atteindre efficacement avec leur arc, était de soixante et dix pas. À la fraicheur du soir, le planteur nous ä4 VOYAGE conduisit à une espèce de foire qui se tenait dans le voisinage, pour faire des échanges avec les trafiquans arrivés récemment. Les objets étalés, pour tenter ces sauvages, étaient des plus simples, et consistaient en sel, en coquilles, en grains de verre, en tabac, en mouchoirs de couleur et en grosses toiles de Surate, ce qui démontre clairement avec quelle adresse les Portugais ont fait un tel commerce ; sans quoi ils n'auraient pas en- iretenu si long-temps ces Africains dans une ignorance si favorable à leurs vues. On m'a assuré que, dans l'intérieur des terres, les trafiquans peuvent acheter, pour la valeur de deux piastres en articles ci-dessus spécifiés , soit un esclave, soit une dent d’éléphant, du poids de soixante à quatre-vingts livres. On fit, le rer septembre, tous les prépa- ratifs nécessaires pour le départ du Racehorse et du Staunch qui, le 8, quitièrent le port. Ce ne fut pas sans regrets que je me séparai du capitaine Fisher , dont les marques d'a- mitié et les attentions m'avaient rendu très- agréable ma résidence sur son bord. Je re- tournai donc à la Marian. Le lendemain, le gouverneur m'offrit obligeamment un appar- tement, soit à Mozambique, soit à Mesuril: jacceptai pour ce dernier lieu , où je me rendis EN ABYSSINIE. 45 le 5. Le point du jour, qui inspire la joie dans tous les pays, était un instant délicieux à Mesuril. La fraicheur de l'air, le calme de la mer et la parfaite sérénité du ciel, m'oc- casionnaient , par le contraste avec la cha- leur étouffante, l'atmosphère pesante et les vents chauds qui règnent souvent dans ce climat l’après-midi, une sensation de plaisir dont ceux qui ont visité les régions situées entre les tropiques, peuvent seuls se faire une idée. Durant le temps que je passai à Mesuril, je fs plusieurs excursions dans les différentes parties de la péninsule, et pris des rensei- gnemens sur les tribus du pays. Tous ceux avec qui je m'entretins étaient des soldats in- digènes qui se montrèrent fort empressés de satisfaire ma curiosité. Les pauvres maiheu- reux étaient si peu accoutumeés à être traités avec quelques égards par les Européens, qu'ils étaient tres-reconnaissans pour la moindre politesse que je leur faisais ; et souvent j'ai re- marqué que la satisfaction brillait dans leurs yeux, lorsque je leur adressais quelque ques- tion sur leur manière de vivre, ou sur leur famille. Cependant je dois déclarer , à l'hon- neur des Portugais, que la situation de cette classe d'habitans est en général supportable, 46 VOYAGE que leur solde, quoique mélliocre, suffit à tous leurs besoins , et que leur service n’est jamais trés-pénible. La plus grande partie de ces soldats étaient des Makouas de naissance, qui avaient été réduits en esclavage dans leur Jeunesse. Les Makouas, ou les Makouanas, comme on les appelle souvent, sont un peuple qui consiste en un certain nombre de tribus tres- puissantes, et dont le pays s'étend derrière Mozambique jusqu'à Melinde au nord , etjus- qu'à l’'émbouchure de la rivière de Zambezi au sud. Des hordés de la même nation se trouvént aussi dans la direction du sud-ouest, jusqu'à peu de distance peut-être du pays des Kafres, qui borde le cap de Bonne - Espe- rance. Un voyageur moderne les considère même comme étant une tribu de Kafres, et dit que leur nom est dérivé de l'arabe, et signifie forgerons. 11 se trompe certainement ; car les Makouas sont nègres, ce que ne sont pas les Kafres , et d'ailleurs il n’y a point de ‘mot én arabe qui ait une telle signification (r). (1) Toùs les voyageurs en tombent d’aceord. M. Barrow considère les Kafres, d’après leur couleur, leurs traits et leurs coutumes , cornme des descendans des Arabes Bédouins. Je pense qu’il se trompe; car je crois que les Kafres font‘partie des tributs Ethiopiennes dont on peut EN ABYSSINIE. 7 Toutefois sa notice du nom est satisfaisante en ce qu'elle une que les Kafres ont en- tendu parler @ Ge ce peuple, ce qui de la sorte établit le point d'union entre les tribus du cap et celles des environs de Mozambique. Les Makouas sont très-robustes et ont dés formes d’athlète. Ils sont très-redoutables, et constamment ils font des incursions sur le petit territoire que les Portugais possèdent sur la côte. La haine qu'ils portent à ceux-ci est invétérée , et on avoue qu'elle est due aux pratiques honteuses des marchands qui sont allés dans leur pays pour acheter des esclaves. Ïls combattent principalement avec des lancés, des dards et des flèches empoisonnées. Mäis ils ont aussi un assez grand nombre de mous- quets que les Arabes leur vendent dans Îes districts septéntrionaux. Selon ce que n'a assuré le gouverneur de Mozambique, Îles marchands portugais leur en fournissent fré- quémment aussi, et avides de richesses , ils échangent leur propre sureté contre des es- tés: de l'or et de l'ivaire. Ces RE El voisins se tenaient en repos depuis quelque temps ; mais dans leur dér- toujours suivre, sans interruption, la trace, depuis les confins de l'Egypte. J'aurai occasion de parler plus am- pleinent de ces tribus dans la suite de cette relation. : 48 VOYAGE nière irruption , ils s'étaient avancés telle- ment en forces dans la péninsule de Caba- ceiro , qu'ils avaient forcé les Portugais à quit- ter la campagne. Ils avaient détruit les plan- tations, brülé les huttes des esclaves, et tué ou emméné en captivité toutes les personnes qui étaient tombées entre leurs mains(r). 1ls pénétrèrent même dans le fort de Mesuril, renversèrent l'image de Saint Jean qui était daus la chapelle, convertirent la chasuble du prêtre en habit de cérémonie pour leur chef, et pillèrent la maison du gouverneur. Cette irruption qui eut lieu, ily a environ trois ans, démontre clairement la situation précaire de la colonie de Mozambique. Ce que les Portugais peuvent opposer de plus efficace à ces maraudeurs, c’est l'alliance qu'ils’ ont contractée avec certaines tribus qui habitent la côte, et qui parlent la même langue que les Makouas, mais qui sont tom- bées de bonne heure sous la domination des Arabes. Elles ont été conquises par les Por- tugais qui les ont soumises au service militairé et au paiement dun tribut en nature, qui souvent est changé en un présent de quel- ques limons. Ces tribus sont gouvernées par (1) Purchas fait mention d’une pareille irruption de ee peuple, qui arriva l’an 1585, Tom II, vol. IL, p: 1553. EN ABYSSINIE. 49 des chefs que nomme le gouvernement de Mozambique. Plusieurs de ces chefs sont très- puissans et ont une juridiction fort étendue ; mais il ne faut pas trop compter sur leur ap- pui; car ils sont rarement d'accord entre eux. Les principaux sont les chaiks de Quin- tangone de Saint-Cül et le souverain de Serei- ma. C'était une femme qui régnait sur ce der- nier district , dont l'étendue est considérable et qui peut mettre quinze cents hommes en campagne. Cette princesse était fort attachée aux Portugais , et se trouvait à Mozambique en même temps que moi. Le chaik de Quin- tangone est encore plus puissant. Son dis- trict est situé au nord de Mozambique, et lon dit qu'il peut fournir quatre où cinq mille hommes en état de porter les armes. Son prédécesseur a été long temps ennemi dé- claré des Portugais , et a commis de grands ravages dans la péninsule de Cabaceiro , où il entrait par la voie de Soué-Souäh. A la fin il tomba entre les mains d'un détachement de troupes portugaises , et le gouvernement le fit mettre à la bouche d’un canon , comme un exemple nécessaire pour tenir en respect tous les chefs voisins. Le district de Saint- Cül, qui est situé au nord de Mozambique, fournit environ trois mille combattans. Le I. A 5o VOYAGE chef de ce district était mort peu de temps avant mon arrivée ; etil n'avait pas encore de successeur légal, le gouvernement ne se sen- tant pas assez instruit de l'état des affaires, pour confirmer , sans de plus amples ren- seignemens , celui qui avait pris le comman- dement du district. Les forces réunies de ces chefs leur suffisent à peine pour résister aux attaques furieuses des Makouas. A la force corporelle des Makouas , on peut ajouter la difformité de leurs traits qui accroït infiniment la férocité de leur aspect. Ils ai- ment beaucoup à se tatouer , et ils font l'opération si rudement qu'ils en élèvent les marques à un huitième de pouce au-dessus de la surface de la peau. Ils aiment surtout à faire descendre une ligne depuis le som- met du front jusqu’au bas du menton, et le long du nez. Ils coupent cette ligne à angles droits par une autre qui va d’une oreille à l’autre. 1ls dentélent ces lignes de telle sorte, que la peau de leur visage parait former quatre parties consues ensemble. Ils taillent leurs: dents en poinies , de façon que tout le rate- lier a l'air d’une scie grossièrement faite ; et ce quiest très- surprenant, celte opération ne nuit ni à la blancheur ni à la durée des dents. Les Makouas sont aussi fort ca- ur, EN ABYSSINIE. 5r pricieux dans la manière d’arranger leurs che- veux. Quelques-uns les rasent d'un côté seu- lement , et d’autres, des deux côtés , ceux-ci laissant une sorte de crète qui va depuis le sommet de la tête jusqu'a la nuque du cou. Enfin quelques-uns se bornent à conserver une touffe de cheveux au toupet. Tous se percent le cartilage du nez pour y suspendre des ornemens en cuivre ou en os. Je ne con- nais aucune espèce d'hommes qui ait la lèvre supérieure aussi avancée; et les femires croient que cest une marque de beauté si importante, qu'elles prennent soin de se l’al- longer en introduisant au milieu une petite pièce ronde , d'ivoire, de bois ou de fer. La tournure des femmes approche de celle des Hottentotes ; car elles ont l'épine du dos courbée et tout l'arrière train {ort saïillant. Pour tout dire enfin , 1l nest pas possible de concevoir un objet d’un aspect plus rebutant que celui d'une femme de moyen âge, appar- tenante à une tribu des Makouas. ù Tout indomptables que les Makouas se montrent dans leur état sauvage , ils devien- nent serviables et dociles , lorsqu'ils sont ré- duits en esclavage ; et même, lorsqu'on leur a rendu en parte la liberté en les enrôlant comme soldats , ils font des progrès rapides FRE bo VOYAGE dans le maniement des armes, et l’on peut se reposer sur leur fidélité. Parmi d’autres re- cherches que je fis à leur sujet, je fus cu- rieux de savoir s'ils ont quelque idée d’une divinité. Si cela est, il faut que cette idée soit obscure ; car ils n’ont pour la rendre d'autre mot que #/herimb qui signifie aussi le ciel. Cette remarque est également appli- cable aux Monjous qui se servent du mot Molungo , le ciel, pour exprimer leur notion imparfaite de la divinité. Les Makouas aiment passionnément la mu- sique et la danse, et le son du tom-tom suffit pour les égayer ; cependant leurs tons et leurs mouvemens monotones, comme ceux de tous les sauvages , fatiguent bientôt l'attention d'un Européen. Ils ont un instrument favori nommé armnbira , qui rend des sons fort simples, quoique harmonieux. Lorsqu'il se trouve entre des mains habiles , on croirait entendre des variations exécutées sur des clo- ches. Il est formé par un certain nombre de barres de fer , fortement trempées, minces, de longueur inégale, et mises en rang dans un morceau de bois creux , d'environ cinq pouces carrés, fermé de trois côtés, et sur lequel on joue généralement avec un tuyau de plume. Un de ces instrumens que j'ai rap- EN ABYSSINIE. 5e porté en Angleterre a vingt barres. Purchas en décrit un qui n’aque neuf barres, et qui &iffère aussi à quelques autres égards de celui dont je viens de parler. « Ils ont, dit-il, un autre » instrument, appelé ambira , entièrement » composé de verges de fer, plates et étroites, » longues d'une palme et trempées dans le » feu , de façon à rendre différens sons. Elles » sont au nombre de neuf, et disposées sur » un seul rang dans un morceau de boiscreux, » comme dans le manche d’une viole. Ils » jouent dessus avec les ongles de leurs pouces, » qu'ils laissent croître en conséquence, et” » ils s’en acquittent avec autant de légéreté » que nos joueurs d'épinette. » J'ai donné dans l’appendice un vocabulaire de la langue des Makouas , auquel j'ai joint, sur une autre colonne , celui de la langue des Monjous, peuple au sujet duquel j'ai fourni le peu de renseignemens qu'il m'a été possible de me procurer(r). Il me reste à re- marquer que ces derniers paraissent être d'un caractère plus doux que les Makouas ; mais (1) Je vis bien que quelques colons étaient fort mquiets des recherches que je faisais sur les naturels du pays, et si le gouverneur ne les avait pas favorisées , on m'aurait permis à peine de leur parler. 54 VOYAGE peut-être ne mont-ils paru tels que parce que ceux que j'ai vus étaient des trafiquans. J'ai aussi donné quelques mots empruntés à Jean dos Santos(r) qui les dit être de la langue qu'on parle généralement à Zimbaoa, capitale du Quiteve, ou comme on l'appelle commu- nément de l'empereur du Monomotapa. Le 7 septembre , le gouverneur vint à Me- suril pour examiner l'état de la péninsule de Cabaceiro , et il me permit, de la maniere la plus polie, de l’accompagner. La colonie de Mozambique dépend uniquement de ce terri- toire pour ses subsistances , à l'exception de celles qu’elle tire de quelques terrains isolés que les Maures cultivent à Loumb, de l’autre côté de la baie. La péninsule à environ onze milles de long sur quatre de large, et elle est jointe au continent par une bande de terre d'environ un mille de largeur , et appelée Soué- Souah , expression arabe signifiant à peu près qui a la mer de deux côtés. Si l'eau était pro- fonde de chaque côté de cet isthme , il serait facile de le mettre à l'abri de toute attaque du côté de terre; mais par malheur, il y a du côté du sud , une large crique dont le. sable (1) Histoire de l'Ethiopie Orientale par le Père Jean dos Santos, traduite du portugais par Charpy. Paris, 1684. EN ALBYSSINIE. 55 reste à découvert à la basse marée, ce qui laisse exposée à une attaque une ligne d’en- viron quatre milles de longueur. Pour la dé- fendre, on a construit sur une langue de terre près du village de Mesuril, un fort qui couvre un emplacement considérable , et ren- ferme une chapelle sous l'invocation de Saint- Jean , et au-dessus de laquelle s'élève une tour avec un canon pour protéger les ouvrages. Ceux-ci sont dans le plus mauvais état, et garnis de quelques pièces de canon rouillées, qui ne pourraient être de quelque utilité sans un miracle. De plus, la situation du fort est mal choisie. On eüt pu élever à moins de frais, des tours tout le long de la ligne; et le gouverneur m'en parut tellement con- vaincu qu'il me dit que , s'il le pouvait , il en mettrait le projet à exécution avec les nom- breux matériaux que le fort même pourrait fournir. Le village de Mesuril, tant à cause du voi- sinage de la maison du gouverneur, que par rapport à la sûreté que le fort est censé lui procurer , est la résidence favorite des colons qui, en conséquence, y ont élevé un grand nombre de belles maisons. Toutefois étant situé au milieu d’un bois de cocotiers, dont rien ne restreint la vigoureuse végétation, il 56 VOYAGE doit être mal sain. Les villages de Mapeita , de Cabaceiro et de Soué-Souah , sont construits comme celui de Mesuril, mais sur un empla- cement moins vaste, et ils sont entourés de plantations semblables à celle du signor Mon- tero, que j'ai déjà décrite, Une grande partie des terres restent toujours en friche ; mais elles offrent des pâturages à de nombreux troupeaux de bétail et à quantité de porcs dont les habitans favoriseñt la multiplication, parce qu'ils les élèvent ainsi sans peine. Dans nos différentes excursions, nous nous arrétions fréquemment chez des planteurs, pour nous rafraichir. Quand nous étions seuls, nous les trouvions tres-polis et trés-attentifs , et ils n'exigeaient aucun paiement pour ce qu'ils nous fournissaient. Les rafraichisse- mens qu'ils nous offraient généralement con- sistaient en manioc rôti, et en lait de coco. Le premier ressemble pour la saveur à li- gname , et l’autre, lorsque la noix est à demi- mure, fait une liqueur très-agréable et très- rafraichissante , surtout après la fatigue que cause l'exercice dans un climat chaud. Nous ne vimes que peu de dames, et si l'on peut juger de la beauté des autres par celles que nous eùmes le bonheur de contempler , je ne crains pas de dire que leurs charmes sont peu EN ABYSSINIE. b7 appropriés au goût d'un Anglais. En général, elles sont maigres, pâles, affaiblies par le climat, et elles ont cette inertie qui résulte ordinairement d'une longue résidence dans les pays situés entre les tropiques. De plus, elles négligent fort leur toilette, excepté lorsqu'elles doivent paraitre en public, et de même que les femmes des planteurs hollandais de lin- térieur du cap, elles vont sans bas. Comme celles-ci, elles aiment beaucoup à fumer , et se livrent sans gêne à cette sorte de plaisir. Ce- pendant elles sont vives , et ont une conver- sation fort animée. La nourriture habituelle des planteurs est extrêmement grossière, et cest en grande partie à cela qu'on doit attribuer les maladies qui règnent parmi eux. On couvre la table d’une profusion de viandes bouillies, prinu- cipalement de bœufet de porc. Elles sont ser- vies pêle-mêle avec des légumes sur le même plat , et sans aucune de ces précautions pour ja propreté, qu'on remarque à la table des classes même les plus pauvres en Angleterre. Les au- tres mets nagent dans une grande quantité d'huile, qui n'est pas remarquable par la pu- reté. [l paraît que c'est la coutume de manger vite et de boire de même, pour passer plutôt dans une autre piéce, 58 | VOYAGE Quant à l'importance que nous attachons à notre maniere de prendre nos repas, on peut dire qu’elle tient du préjugé. L’Hindou qui mange pour ainsi dire en secret , l’Arabe qui na qu'un seul mets, outre lequel il ne prend de nourriture que comme le font les troupeaux , et l’Abyssinien avec son morceau de viande crue, se vantent autant de leur maniere de vivre que les Européens de la supériorité supposée de la leur. J’avoue que m étant conformé à la plupart des coutumes des pays que j'ai visités, j'ai éprouvé presque autant de répugnance à revenir à la forme ennuyeuse d'un repas anglais que men a causé la grossière simplicité qui règne dans les repas des peuples que je viens de nommer. La coutume qui condamne à l'ennui de se tenir , durant trois heures, dans une position génée pour satisfaire son appétit, avec une multitude de viandes diverses, peut juste- ment paraître à un sauvage tout aussi dérai- sonnable que sa façon de vivre, simple et grossière le parait à notre goût raffiné. ‘Le 8 septembre étant un jour de fête ( la nativité de la Vierge ), j'accompagnai le gou- verneur et les personnes de sa maison, à la messe qui fut dite dans une chapelle atte- nante à l’hôtel du gouvernement. Nous nous EN ABYSSINIE. 59 placimes dans une galerie où il y avaitdes sié- ges pour toute la compagnie et pour l’évêque. Celui-ci qui revenait d’une partie de chasse, était en demi-bottes et avait des bas rouges d'écarlate ( probablement violets) , ce qui nous parut assez singulier. ILn’y avait qu'une dame ; elle était somptueusement vêtue, et avait deux esclaves noires à sa suite. Ces diverses per- sonnes et un détachement de troupes afri- caines , dont la conduite me parut fort dé- cente, composaient toute l'assemblée. Après la messe , j'examinai la chapelle, qui me pa- rut simple et propre. 1l n’y avait que deux tableaux, l’un desquels était au - dessus de l'autel (r), qui en de certaines occasions est éclairé par une infinité de cierges. (1) Près de l’autel on lit l’épitaphe suivante , inscrite avec élégance: À D. Annæ candidæ Uxori suavissinæ Animæ que dimidium meæ D. Dies. de Souza, Regis a concilio , Et Africæ Orientalis prorege , In sui amoris Et pietatis signum PFNENC À, D, 1793. — Die 17 octobris. Ce titre de vice-roi de l'Afrique Orientale est ici digne de remarque , en ce que ce n’est point celui que doit pren- 6o VOYAGE À peu de distance de la chapelle est une ma- son où l’évêque réside ordinairement. Elle ap- partient à l’ordre de Saint-Jean de Dieu , qui a dans l'ile un monastère servant d'hôpital, et où il n’y a plus que deux religieux. Le 9 après midi, nous traversâmes l’isthme de Soué-Souah , et nous visitâmes un village du même nom, où deux Arabes, décorés du titre de princes, attendaient le gouverneur pour le saluer. Le peu d'égards qu'on avait pour ces illustres personnages , dont la suite était fort peu nombreuse, attestait l’état de dégradation où ils sont maintenant réduits, et la folie des Portugais en conférant jadis de pareils titres. Le soir , nous retournâmes , à la lueur des flambeaux que tenaient négligem- ment nos porteurs qui, en traversant un djen- gle de hautes herbes, y mirent le feu en plu- sieurs endroits. La flamme s'étendant avec rapidité , produisit entre les arbres , des effets de lumière tres-pittoresques. À notre arrivée les banians donnèrent au gouverneur , un naulch, qui fut exécuté par deux jeunes In- diennes , et qui parut amuser infiniment les spectateurs , peut-être parce qu'ils ne connais- Î dre aujourd’hui le gouverneur de la colonie. Son véritable ire est governador e capitaÿ general do est de Mosam- dique , rios de Sena et Sofala. EN ABYSSINIE. Gt saiènt pas la manière dont ces sortes de ballets sont-exécutés dans l'Inde. Le 10 au matin, j'allai de bonne heure Rire visite à l'évêque, qui était déjà à la chasse. L'ameublement de ses appartemens me divertit beauconp. Quatre cages remplies de différentes espèces d'oiseaux à ramage , étaient attachées au mur ; et au-dessus des portes des chambres à Le il y avait deux beaux tableaux de Sainte-Cécile , auxquels deux estampes an- glaises , représentant l’une Cupidon désarmé et l’autre Cupidon vengé, servaient de pen- dans. Peu de temps après, l’évêque revint , te- nant d’une main son fusil et de l’autre deux perdrix (perdrix rubricolla) et plusieurs tour- terelles qu'il venait de tuer. Comme il savait que je desirais de recueillir les raretés du pays, il me fit présent des deux perdrix et d'un gros poisson suceur, d'une espèce qui n'a pas en- core été décrite exactement (1), et que venait d'apporter un pêcheur. Tous les colons à qui j'en ai parlé, m'ont tous assuré que ce pois- son était employé sur la côte à prendre des (1) Ce poisson se rapproche de la description faite de l’'échénéis naucrate , par le docteur Shaw ; mais les barres qui marquaient la tête de plusieurs individus que j’ai exa- minés ensuite, variaient en nombrede vingt-quatre à trente- six ; et tous avaient la queue en forme de croissant. LL Ga VOYAGE tortues. On l'entoure d’une ligne fixée au ba- teau. Il s'élance et s'attache ensuite par son bouclier à la coquille inférieure de la première tortue qui se trouve sur l'eau, ce qui l'empé- chant-de plonger, permet au pêcheur de s'en saisir. On suppose, ainsi que le remarqua l'évêque , que c’est le sentiment de sa propre conservation qui porte le poisson à s attacher à la tortue qui, une fois maintenue de la sorte, peut rarement s'échapper , tant la force de l'autre esi grande (1). Ce rapport me parut presque incroyable et même extravagant ; mais ce n'est rien en comparaison des contes que fait Pline d’une autre espèce du même poisson , contes parmi lesquels celui « d'avoir arrêté une galère conduite par quatre cents rameurs , et portant à Antium le prince Caïus » n'est pas le moins remarquable. De là vient Île nom latin de remora donné à ce poisson. ( J'ide C. Plinii Nat. Hist. I. XXXII ; cap. T.) Le 11, nous quittämes Mesuril et nous re- (1) Je n'ai su, qu'après avoir composé le paragraphe ci-dessus, que le docteur Shaw a retracé cette manière de pêcher { p.209, vol. IV, part. I), sur ie témoignage du comte de Lacépède, qui cite un manuscrit de Commer- son *, ce qui tend au moins à prouver que le fait est cru généralement parmi les Portugais. * Voyez le Nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle (de Déterville )yau mot échérérs naucrate. (Note du traducteur.) EN ABYSSINIE. 63 tournämes à Mozambique par la voie de Caba- ceiro. Chemin faisant, nous remarquâmes plusieurs arbres d’une espèce curieuse, ap- pelée malumpava (espèce d'adansonia), qui paraît épuiser dans le tronc toute sa force de végétation, et qui, vu sa grosseur, pourrait à Juste titre être appelé l'arbre éléphant; car quelquefois il n’a pas moins de soixante et dix pieds de circonférence, quoiqu’à propor- tion il ait peu de branches et de feuilles. J’en mesurai un de pareille grosseur, qui croissait dans un hallier écarté, et sous lequel j'avais remarqué, non sans surprise, plusieurs crânes humains et quelques ossemens accompagnés de petits vases à boire, le tout placé sur une couche grossière. Les Portugais ne pürent m'expliquer ce fait singulier; mais je conjec- turai que ce lieu avait servi de sépulture ou de cimetière à quelques-uns des naturels du pays , les Kafres ( Joy. le Voyage de Barrow), ainsi que d’autres nations d'Afrique, ayant coutume d'exposer ainsi leurs morts. Le pas- sage suivant que, depuis notre retour, jai trouvé dans le recueil de Purchas, confirme d'une manière satisfaisante ma conjecture. L'auteur qu'il cite, parlant d’une tribu d'Afri- cains qui habitait la côte, dit : « Lorsque l’un » d'eux vient à mourir, les parens , Les amis , les G4 VOYAGE >» » voisins se rassemblent autour de lui, pous- sent des gémissemens, l’arrangent sur la natte ou le siége, (espèce de couche gros- sière ), sur lequel il a rendu le dernier sou- pir, et s'il a des habits, ils l'enveloppent dedans, sinon ils le laissent nu. Ils creusent une fosse dans Îe désert, et mettent à côté du défunt, un peu de maïs etun vase d’eau, pour qu'il mangeet boive durant son voyage en l’autre monde (1). Sans plus de céré- monie, ils le couvrent de terre, et placent sur la fosse, la natte ou le siége sur lequel on l’a apporté, et qu’on laisse se détruire, quoiqu'il puisse être neuf; car on consi- dére comme un sinistre présage , de toucher un siége sur lequel une personne est morte. Les chrétiens étaient tout aussi supersti- tigux:à Cet émard. 4, On voit à Cabaceiro une très-belle maison, appartenante au SsIgnor Aran]o, qui, lorsque ie la visitai, la faisait prudemment entourer J ’ |! d'un très-haut mur, pour la mettre à cou- vert des incursions des Makouas. Le rivage, du côté de la baie, est plat et entrecoupé (x) Les Indiens des environs de Lima ont une coutume absolument semblable, etun Anglais qui réside à Londres, possède quelques vases qui ont servi à l’usage dont il est fait mention ci-dessus. EN ABYSSINIE. 65 d'un grand nombre de criques et d’échan- crures , dont le fond de sable demeure à sec, à la mer basse. Je les parcourus plusieurs fois, pour chercher des productions marines, et jamais je n’en ai trouvé une si grande variété sur aucune côte. Les étoiles et les fleurs de mer étaient d’une beauté remarquable , et plusieurs brillaient des plus vives couleurs. Il y avait aussi plusieurs sortes d'éponges très-curieuses ; et le sable était couvert de moules, de crabes et d’autres coquillages ma- rins. On trouvait dans les eaux basses diffé- rentes espèces de priapes et de mollusques. Ceux-ci, quoique fort beaux, ne pouvaient se conserver ; car ils se dissolvaient aussi- tôt qu'ils étaient exposés au soleil ou qu’on les plongeait dans l'esprit de vin. On voit toujours, à la mer basse, un grand nombre d'esclaves, hommes, femmes et enfans, oc- cupés à chercher des coquillages ; et le pro- duit de leur peine constitue leur principal moyen d'existence. Le tableau mouvant que formaient ces figures, errant le soir sur la grève , à la lueur des flambeaux, était des plus singuliers ; et lorsque la lune paraissait entre les arbres, et que les masses de lumière produites par les torches qu'on portait ça et là, étaient réfléchies par les eaux, l'illusion était L. , 66 . VOYAGE des plus extraordinaires et presque magique. Quelques-uns des pêcheurs usent de pa- niers d'osier qui ressemblent à ceux avec les- quels nous prenons des anguilles. On les pose un peu au-dessous de la marque de la basse mer , le flot les couvre ensuite, et lorsqu'il sest retiré, il est rare qu'on ne les trouve pas remplis de petits poissons. Il est à re- marquer que le Périple fait mention de cette manière de pêcher, comme étant en usage à Rhapta; mais comme elle est pratiquée tout le long de la côte, elle ne peut servir à fixer la position de cette place. L'espèce d'huitres qu'on prend sur la même côte, est celle qui est appelée marteau, et l'on dit qu'elle donne une perle d'une valeur consi- dérable. Cependant nous n'en avons jamais pu trouver une seule, quoique nous ayons ou- vert un grand nombre d’huitres de cette sorte. Partout où les productions marines sont nombreuses , on peut généralement s'attendre à voir une grande variété d'oiseaux. En con- quence, la grève était couverte de flammans, de becs en cuiller (ou savarous), de hérons d’une grosse espèce, de courlis, de bécas- sines et d'alouettes des sables , outre plusieurs espèces de mouettes. LA EN ABYSSINIE. 67 CHAPITRE IT. Précis historique de la colonie de Mozamsiout. — Des- cription des établissemens fondés sur le Zamerzé. = Quirimancr, TèTÉ, Sena, Manira et les mines d’or; — Manière de trafiquer avec les indigènes. — Juris- diction des Porrucais le long de la côte. — Importance supposée de leurs établissemens. — Décadence de ceux- ci. — Portrait des MaraATIs ou pirates de Manacascanr: — Leurs invasions des iles de ComorRE ét QuErrmso. — Effets de l’abolition de la traite des nègres par les Anglais, sur l® commerce de Mozaws81qur. — Etat actuel de ce commerce. — Départ de la Marian pour la Mer RoucE: ÂAvawr de quitter Mozambique j'en retrace- rai briévement l’histoire, que je ferai suivre de quelques remarques sur l’état présent de cette colonie: | Avant la découverte du Cap de Bonne-Espé. rance et l’arrivée des Portugais dans les mers de l'Orient, on n'avait en Europe que des notions très-imparfaites de la côte de Mozam- bique , notions qui étaient tirées entièrement des récits vagues de Ptolémée , et de la notice obscure qu'en donne le Périple de la mer + 68 VOYAGE Erythrée. La chose est évidente, d’après une carte curieuse que j'ai sous les yeux (1), et qui étant dressée uniquement d'après ces auto- rités, conserve toutes leurs erreurs. Il est cer- tain que depuis plusieurs siècles , les Arabes connaissaient les ports de la côte de Mozam- bique, et savoient de quelle ifhportance ils étaient ; car ils avaient fait sur le continent et sur quelques-unes des îles voisines, des établis- semens quien mettaient à leur disposition les ressources et le commerce. Mais leurs connais- sances à ce sujet étaient totalement ignorées en Europe , et même la plupart des rensei- gnemens que nous avons tirés d'eux ensuite, sont comme la géographie arabe en général , superficiels , confus et tracés d'après un exa- men très-inexact de la situation , tant positive que relative , des pays auxquels ils se rap- portent. La description suivante, qui est une des plus anciennes qu'ils aient faite, et qui l'a été par Zeïn ed-dyn Omar... ébn äl Ouardy, est la plus intéressante que je connaisse; et comme je crois qu'elle n'a pas encore été traduite, je pense qu'elle sera agréable au lecteur. J'en (1) Tabula quarta de Africd in géographid di francesco Berlinghieri fiorentino , publiée , selon J. C, Brunet , dans son Manuel du Libraire, vers l’an 1480. EN ABYSSINIE. 69 dois la traduction à un ami, qui l'a faite sur trois manuscrits du Khérydet al-adjäib oué Jerydét algharäib , ouvrage que j'ai rapporté d'Arabie, et qui a été composé par l’auteur que je viens de nommer. CRT -ÿ « La terre de Zindje est située à l'opposite du Sind. La mer de Perse s'étend, dans toute sa largeur, entre ces deux contrées.Les habitans . du Zindje sont des nègres de l'espèce la plus noire. Ils sont idolâtres , endurcis à la fatigue et braves , et ils combattent montés sur des bœufs , leur pays étant dépourvu de che- vaux , de mulets ou de chameaux. «J'ai vu leurs bœufs , dit Maçoudy (1), s'agenouiller comme les chameaux pour être chargés , et » ils marchent aussi vite avec leurs fardeaux.» : Les habitations de ce peuple s'étendent de- > puis l'extrémité du golfe ( probablement de: puis le Cap Gardafui )jusqu'à la terre basse » de l’Or. (Sofalat-il dhéheb). C’est un vaste pays quiabonde en or , en grains et en diver- ses productions naturelles très-précieuses. Les villes sont fort peuplées , et toutes sont situées sur le bord d’une rivière. Les zendjy ne savent ceque c'est que la neigeet la pluie, ce qui est ordinairement le cas dans le pays (1) Cet auteur a composéson Traité de Géographie dans la 336° année de l’hégyre ( D’Herbelot, Béblioth. Orient.) 70 VOYAGE des noirs. Ils n'ont point de vaisseaux; mais les marchands viennent dans des navires d'Ummaum, leur acheter leurs enfans, qu'ils revendent ensuite en différentes contrées. Les Zindjy sont extrêmement nombreux, quoiqu’ils manquent des moyens de faire la guerre. On dit que leur roi marche au com- bat, suivi de trois mille hommes montés sur des bœufs. Le Nil se partage au-dessus de leur pays, à la montagne de Muksim. La plupart d’entr'eux se taillent les dents en forme de pointe. Ils font un trafic en dents d’éléphans , en peaux de panthère et en soie. Ils ont des îles dans la mer , d'ou ils tirent des eauris qui leur servent de parure et de monnaie(1). Près de ces îles gît la terre des Dum-a-Dum. (Il s’agit certainement ici des Gallas.) Elle est située sur le Nil, bornant le territoire des Zindjy. Les habitanssont des infidèles ét ce sont les tatares dés nègres. Ils forment des tribus sauvages de pillards, qui s'emparent detout ce qu'ils rencontrent, cho- ses et hommes. Le fleuve se divise dans leur pays. Un bras coule vers l'Egypte et l’autre (x) La plus grande partie de cette description est tou- jours applicable aux tribus des négres qui résident sux la côle. | | » Ÿ | EN ABYSSINTIE. TI va jusqu’au pays des Zindjy (1). Sofalat-il dhéheb confine aux limites orientales de ce pays. C’est une contrée fort étendue, où l’on trouve des mines de fer que les indigènes exploitent, et dont ils vendent le fer aux négocians de l'Inde, qui le payent cher, parce qu'il est plus dur et d’une meilleure trempe que celui de leur propre pays. Ceux- ci le purifient et en font de l'acier qu'ils transforment en lames , dont letranchantne s’'émousse point. Les indigènes en font aussi des épées et d'autres armes offensives. La production la pius remarquable de cette contrée , est l'or natif, qui se trouve en grains du poids de deux ou trois metscàl (2) ; et cependant les indigènes portent généra- lement des ornemens de cuivre aux bras. » Il parait par cet extrait qu'un commerce direct entre l'Inde et cette côte fat établi de très-bonne heure , et que ce premier pays re- cevait du fer de Sofala, particularité assez étrange , mais non incroyable, vu qu'il se (1) Je pense qu'il s’agit du Nil el Mouqeddès {on la rivière de Magadasho ) qui a sa source dans la même chaîne de montagne que l’Abaïd , ou le Nil d'Egygte. (2) C’est probablement le metigal, dont or se sert toujours pour peser l’or à Mozambique, et qui est de 108 grains. 72 VOYAGE 7 irouve toujours une grande quantité de fer dans l’intérieur des terres. D'ailleurs l'adresse que plusieurs des tribus septentrionales des Kafres montrent à travailler ce métal , est une chose bien connue. Lorsqu’au commencement du seizième sié- e (1), les Portugais examinèrent la côte, ils la trouvérent tout entière en la possession des Arabes; mais la réputation des mines d'or et la commodité des ports , comme points de relâche pour les vaisseaux occupés au com- merce de l'Inde , les portèrent bientôt à ex- pulser ou à soumettre ces premiers colons. Leur supériorité daus l'art de la guerre leur fit exécuter promptement ce projet. En 1505-6, ils obtinrent par trahison la permis- sion de construire le fort de Sofala. Vers le même temps, ils firent la conquête de Qui- loa, et ils y élevèrent un fort; et en 1508 (vide Marmol, p. 120, ch. XXXVI )(2) ,ils fondèrent sur l’île de Mozambique , celui que (1) La découverte eut lieu en 1497 -8 ; maïs ce ne fut que plusieurs années après que les Portugais ERBÉeprir ent de faire des établissemens. (2) C’est par erreur qu’il est dit dans Purchas { vol. IT, ». 1534), que ce fort a été érigé en 1558, ce qui ne pour- rait être; car L. Barthema ( Voy. son Journal), l’a vu. construire en 1507. EN ABYSSINIE. 73 j'ai déjà décrit. Ils se mirent aussi à envahir successivement les possessions musulmanes de la rivière de Zambezé, qui conduit aux marchés où se vend l'or, dans l’intérieur des terres ; et en 1569, ou environ, ils la pur- gèrent entièrement d'Arabes, en mettant à mort, ou, pour parler plus franchement , en assassinant tous ceux qui étaient restés , et quils accusèrent d’avoir tenté d'empoisonner quelques chevaux appartenans aux Portugais, qui se proposant de faire une incursion dans l'intérieur du pays, ne voulurent pas laisser des Arabes derrière eux. Telle paraît du moins avoir été la cause de cet attentat. Ce serait un travail aussi ingrat que pé- nible de suivre les peuples européens au mi- lieu des scènes de carnage par lesquelles ils ont ‘établi leur domination dans leurs posses- sions lointaines ; il suffira de faire remarquer que les moyens employés dans lorient par les Portugais , ne le cédèrent pas en atrocité à ceux que les Espagnols ont mis én usage dans l'occident. Le succès cependant ne fut pas le: même. Les naturels de l'Afrique n'étaient pas d’un caractère assez doux pour ramper aux pieds d’un peuple usurpateur , ou pour céder leur pays sans livrer de combat, comme les faibles habitans de l'Amérique méridionale, ) 74 VOYAGE Au contraire, depuis la première tentative d’envahissement , ils entretinrent un état de guerre qui , s'il ne fut pas toujours couronné par le succès, mérita du moins de l'être. Ils combattaient, puis se retiraient; ils aban- donnaient leurs bourgades et leurs planta- tions aux ravages de l'ennemi ; mais à l’ins- tant où celui-ci cessait la poursuite, ils reve- naient avec une vigueur nouvelle à l'attaque, et lui faisaient payer cher les dégâts qu'il avait commis. Par ce prudent système de dé- fense , ils empêcherent leur pays d'être sub- jugué eu falétaigl ; et les expéditions des Por- tugais pour parvenir aux mines d'or, ce qui était leur objet principal , échouërent toutes, La plus audacieuse de ces entreprises fut faite en 1570, du commandement expres de Sébastien Ier., par Baretto qui, à cet effet, fut nommé gouverneur-général de Mozambi- que (1). Il partit de Sofala, à la tête d'un puissant armement, dans le dessein de péné- trer dans le pays de Chikanga et de s'emparer des mines de Manika. Pour y parvenir , il fal- (1) Ce récit est.extrait principalement.de Marmol et de, TJ. dos Santos ; mais il est présenté sous un point de vue différent. Le dernier de ces écrivains est le plus vil adu- Jateur de la Cour, et ii donne les PR les UT outrés à chaque exploit de Baretto. | EN ABYSSINIE. 75 lait traverser les états et passer près de la capitale du Quitéve (r), ou chef principal du pays , dont le pouvoir s’étendait depuis Sofala jusqu'à l'angle fait par la courbure de la ri- vière de Zambezeé. Ce pays est communément appelé Monomo- tapa ; et Les auteurs qui en ont parlé l’ont fait d'une manière fort obscure, en ce qu'ils ont confondu les noms des districts avec les titres dessouverains, appelant indistinctement ceux- ci Quitéve, Monomotapa , Benemotapa, Be- nemotasha, Chikanga ; Manika, Bokaranga et (x) Voyez relativement à ce souverain et aux mœurs de ses sujets, ’{disioire de l'Ethiopie , par Jean dos Santos , Paris 1684, ei Purchas, vol. IT, p. 1537. À beaucoup d’égards , les mœurs de ce peuple paraissent ressembler à celles des Abyssiniens. Le roi, pour marque de distinc- tion, porte sur le front une corne d’une espèce singulière. Siun prince a éprouvé la moindre mutilation, il est consi- déré comme incapable de régner. On célèbre, à la mort du monarque, une fête appelée pemberar , qui ressemble beaucoup au toscar des Abyssiniens, et qui se termine de même par la débauche, Les naturels du Monomotapa ont également différentes modes d’arranger leurs cheveux. Leur manière de chasser est la même. [ls sont gouvernés par des chefs qui ont une juridiction indépendante du rot. Leur procédure est sommaire. Ils achètent leurs femmes, comme c’est toujours la coutume en Abyssinie ; ils les -portent chez eux sans s'arrêter , et les amis du nouvel époux lui font des présens. 76 VOYAGE Mokoranga , etc. IL paraît que le titre du souverain était Quitéve, et le nom du pays Motapa, auquel on a ajouté Mono, comme dans Monoemougi et plusieurs autres noms de lieux situés sur la côte ; qu’au-delà est un district appelé Chikanga , qui contient Îles mines de Manika , et que les autres noms ne sont applicables qu’à de petits districts qui alors étaient sous la domination du Quitéve. Ce monarque rassembla sur-le-champ des forces pour s'opposer à la marche de Baretto, et surtout l'empêcher de gagner Chikanga , de peur que le roi de ce district, qui était son ennemi déclaré, ne se joignit aux Portugais. Ayant reconnu dans deux ou trois escarmou- ches, l’infériorité de ses troupes, il prit la résolution plus sage de se replier devant l’en- nemi, de le harceler dans sa marche, et de: détruire les plantations pour lui couper les vivres. Les Portugais s'étant approchés dé Zimbaoa sa capitale, le Quitéve se retira dans une forêt voisine, et en même temps ses su- jets tuèrent un grand nombre de traineurs. Baretto , fort contrarié par ce système de guerre et par l'évacuation totale de Zimbaoa, brûla cette ville, et marcha vers Chikanga, dont alors le roi était musulman. Ce prince accueillit favorablement , en apparence, les ÊN ABYSSINIE. 77 Portugais qui ne commettaient aucun acte d’hostilité envers lui, et qui se disaient ses amis. Cependant , quoiqu'il leur eût promis de les recevoir dans ses états, pour y trafi- quer , il les satisfit peu relativement aux mines, ce qui est évident d’après cette décla- ration faite pour couvrir leur mécontente- ment, « que les risques à courir, pour se procurer l'or, et les travaux nécessaires pour le purifier, n'étaient pas suffisamment com- pensés par le produit. » Ayant manqué de la sorte l’objet de leur entreprise, et perdu un grand nombre d'hommes (1}, ils songèrent à faire retraite , et ils eurent le bonheur d'y parvenir, en concluant, avec le Quitéve, un traité par lequel ils s’engagèrent à lui payer à l'avenir , un tribut annuel de deux cents pièces de toile, pour obtenir le passage à tra- vers ses élats. Ainsi prit fin ce que J. dos Santos appelle « la glorieuse expédition du » grand Baretto , dont les hauts faits excitent (1) On trouve la remarque suivante dans l'Histoire d'Afrique , par Pory : «Leur armée, qui s'était montrée » si formidable à un puissant monarque, fut détruite en » cinq jours par l’intempérie de l’air , qui est fatal aux » Européens. » On peut mettre en question si ce ne fut pas par une maladie épidémique. 78 VOYAGE KA » au plus haut degré l'envie des autres na- » tions. » La seconde expédition se termina d’une ma- nière bien plus fâcheuse encore. Elle partit de Sena sur la rivière de Zambezé , et elle était dirigée contre les Mongas, que je suppose faire partie de ce peuple dont j'ai déjà tracé le portrait sous le nom de Monjous. Je suis porté à faire cette supposition , non -seule- ment par la similitude des noms, mais par l'affinité de la langue des Mongas, telle que nous l'a transmise Jean dos Santos, avec mon vocabulaire monjou, particularité qui me fait croire que cette langue pourrait bien être parlée dans tous les états du Quitéve. Après un combat sanglant, les Mongas furent _ défaits, ce qui fut dû à leur confiance dans les promesses d'une vieille femme qui se di- sait sociére , et qui à la première décharge fut tuée par un boulet de canon , mort dont le général portugais fut si enchanté, qu’il dé- tacha de son cou une chaîne dor, et qu'il la donna au canonnier. Le résultat de cette vic- toire, qui fut chèrement payée , fut une trève en vertu de laquelle les Portugais furent ad- mis dans le pays. Ils purent alors en examiner jusqu’à un certain point l'intérieur , et pour la première fois ils traversèrent la forêt de EN ABYSSINIE. 79 Lupata(r), qu’ils eurent la folie de nommer « l’Epine du monde , à cause des hauts et ter- » ribles rochers dont elle est entourée , et qui » paraissent , aussi bien que les arbres , cacher » leurs cimes dans les nuages.» Cette descrip- tion, probablement exagérée, est ce qui a en- fanté cette formidable chaine de montagnes qui, depuis, a fait l’'ornement de toutes les cartes d'Afrique, exemple remarquable de lin- convénient qui peut résulter d’un nom mal appliqué dans l'origine. De Lupata les Portugais s’avancerent vers l'est, dans l'espoir de parvenir aux mines d’ar- gent de Chikova ; et comme ils longerent dans leur marche la rivière de Zarnbezé, ils ren- contrérent peu d'obstacles, les indigènes s’é- tant retirés dans les forêts. Cependant toutes leurs recherches furent infructueuses , et leur chef fut à la fin, dit-on, trompé ingénieuse- ment par un des naturels qui enfouit de l’ar- gent dans la terre et persuada aux Portugais que c'était une mine. Bientôt ne pouvant plus maintenir dans le pays des troupes en nombre assez considérable , ils se retirèrent à Sena, laissant dans un fort construit à Têté, deux (1) On en trouve une description curieuse dans Purchas, part. II, 1547 (Voy.l’Æppendix.) 80 VOYAGE cents hommes, qui eurent ordre de pour- suivre indéfiniment les recherches. Ce fut vai- nement; car tout le détachement, avec son chef Antoine Cardosa d’Almeyda, fut attiré dans une embuscade, d'où il ne revint pas un seul homme. Depuis ce temps, les Portugais ont preque toujours été réduits à se tenir sur la défen- sive , à se contenter, comme les Arabes, leurs prédécesseurs, de faire le commerce d’une manière plus paisible, et de maintenir leur influence en opposant les unes aux autres les puissances naturelles du pays, et en se bor- nant à la possession de la côte et de la ligne formée par la rivière de Zambezé. Pour con- server ces avantages, ils eurent même plu- sieurs luttes à soutenir, principalement dans les années 1580 et 1592(1), qu'ils furent atta- qués sur les bords du Zambezé par la tribu errante et féroce des Muzimbas (2), qui, à ce (1) Purchas , part. IT, p. 1554, et l'Histoire d’Ethiopre, p.141. (2) Ils sont ailleurs appelés Maroucas et leur roi « Gallo » ( Vide Purchas, part. IL, B. IX, p. 1552); et on peut les reconnaître dans les Maracatas, tribu de Gallas, des environs de Mougdasho. Quelques auteurs portugais ac- cusent les Muzimbas d’être antropophages. Il est certain que la chair crue est la nourriture ordinaire de ces Gallas, EN ABYSSINIE. 81 qu il parait, venait du sud-ouest. Le portrait de ce peuple et le tableau de plusieurs de ses coutumes, de son activité, de sa vie errante, de sa manière de faire la guerre (1), et par- ticuliérement de la direction qu'il à suivie, portent à conclure quil se composait de tribus dé Gallas; car la dernière fois qu'il est question des Muzimbas, cest-à-dire lorsqu’en 1593 ils parvinrent à Quiioa, et qu'ils pous- sérent ensuite jusqu à Méhnde, où leurs pro- grès furent arrêtés par une tribu d'indigènes appelés Mossequeios , et la première fois qu’on entend parler des Gallas, c'est en 1625, que Jérôme Lobo les a vus à Patté. Enfin, c’est environ vers ce même temps qu'ils firent, de- puis ce point, leur première irruption en Abyssinie. Les efforts que les Portugais ont faits pour introduire le christianisme CRE le pays, ont Les esclaves pris dans des vaisseaux francais en ont fourni plusieurs fois la preuve à Bombay ; mais il n’y en a point qui permette de dire ni qu'ils sont canibales, ni qu'ils sont livrés à l’idolàtrie et à la sorcellerie , comme les mêmes auteurs les en ont également accusés. (1) Ce sont eux probablement qui ont établi la coutume sauvage de mutiler ceux qui ont été tués sur le champ de bataille , coutume que conservent toujours les Gallas. Elle est représentée sur une planche de la collection de De Bry. EL. 6 82 VOYAGE été tout aussi vains que leurs projets de con- quête; car, quoique par le moyen d'un fana- tique nommé Pierre Gonsalve de Sylva, ils aient obtenu , en 1571, l'accès à la cour de Quitéve(1),et qu'ils aient acquis de l'influence sur l'esprit de ce Souverain, bientôt les trafi- quans Musulmans prirent l’ascendant, et Sylva lui-même fut martyr de la cause qu'il avait embrassée. Quant au nombre des indigènes qu'on dit avoir reçu le baptême, il est à crain- dre qu'il u’ait été fort exagéré, et que les pré- tres portugais n'aient fait plus de conversions nominales que de conversions réelles (2). La courte notice qu'on vient de lire ren- ferme tout ce qu'il m'a paru important de faire connaître concernant ces établissemens et leurs progrès. La description suivante de l'état ac- tuel du Zambezé et des possessions portugaises (1) Pory’s Africa, p. 414. (2) Jean dos Santos assure que « durant les quatre an- nées qu'il fit sa résidence à Sofala , il baptisa 1694 per- sonnes », et les Dominicains ont, dit-on, administré le baptême à 16,000 , dans les îles Querimbo , et à 20,000 sur les bords du Couama ou Zambezé. Les Jésuites se van- tent d’en avoir baptisé trois fois autant au Japon; mais je m’imagine que les conversions faites par les uns et les au- tres ressemblent beaucoup à celles des Chingalais , qui assurèrent à M. North, que quoi qu'ils adorassent Jésus- Christ , ils croyaient toujours à Boudah ! EN ABYSSINIE. 83 situées sur les bords de ce fleuve, terminera d'une manière convenable, je crois, cette par- tie de ma narration. Je l’ai tirée principale- ment d'un manuscrit composé par un savant portugais ,qui visita le paysil y a peu d'années. Le reste est la substance des renseignemens qui m'ont été communiqués par les négo- cians de Mozambique; et commeils s'accordent généralement avec les informations géogra- phiques contenues dans l'excellente carte (1) dressée, d’après les meilleures autorités, par d'Anville, je pense qu'on peut compter sur leur exactitude. Un vaisseau peut, en trois ou quatre Jours, faire voile le long de la côte, depuis l'île de Mozambique jusqu'au port de Quilimanci, à l'embouchure du Zambezé. Il est dangereux d'approcher de ce port sans un pilote; car on ne peut y entrer qu'à la haute marée, et durant la brise de mer, à cause de deux bancs de sable qui sont en avant du mouillage, forment une double barre et rendent la navigation des plus périlleuses. L'ancrage est en face de la petite ville de Quilimanei qui est située sur le con- tinent, à quelques milles en remontant la rive (1) Cette carte se trouve dans l'édition fräncaise des Voyages de férôme Lobo. Elle est infiniment supérieure à toute autre du même pays, que J'ai vue. G* 04 VOYAGE septentrionale du fleuve. Les Portugais y ont une faible garnison, et un entrepôt de mar- chandises. Les cargaisons sont déposées dans des pinasses et des barques appelées pangayes, le Zamhezé n'étant pas navigable pour des na- vires qui tirent beaucoup d'eau. Lorsqu'on a fait environ cinq lieues en re- montant le fleuve, l’eau devient douce et le courant rapide. Fréquemment on rencontre à ce point des caimans d'une grosseur consi- dérable, et l’on trouve le cheval marin en de- dans de la ligne de l'eau salée. À trente lieues de sonembouchure, le fleuve s élargit extrêéme- ment, etilsen détache une autre branche qui court vers le sud et est appelée Louabo; mais celle-ci est peu suivie à présent, à cause de la difficulté de la navigation. Cette branche passe pour avoir élé plus fréquentée ancien- nement que le Couama(r}; mais de tels chan- gemens surviennent toujours dans {es fleuves situés entre les tropiques. Depuis le confluent de la branche de Louabo jusqu'à Sena, 1l y a environ trente lieues, ce qui fait la distance de cette place à partir de Quilimanci, d'environ deux cent quarante-sept milles agglais , que, dans la saison la plus fa- (1) Purchas , part. IT, 1544, EN ABYSSINIE. 85 vorable, on peut faire en dix ou douze jours. Tout le cours de cette partie du fleuve est fort obstrué par des iles, dont quelques-unes sont habitées, et dont quelques autres sont recou- vertes par les eaux dans le temps des pluies, ce qui change leur configuration, comme cela arrive aux iles du Ganges ,et offre de nouveaux passages au courant. La rive gauche est pos- sédée par les Portugais, et la rive droite est habitée par des tribus d'indigènes qui sont indépendantes, Sena est une grosse bourgade qui est située sur la rive méridionale du fleuve, et contient environ deux mille habitans. Elle est défendue par une bonne forteresse, et gouvernée par un commandant qui aujourd'hui est nommé directement par la métropole. Cet officier commande tous les petits établissemens formés sur le bord du fleuve; mais il est subordonné au gouverneur de Mozambique. Le marché principal pour la vente de l'or, dans l'intérieur des terres , est Manika, qui se trouve à environ vingt jours de marche au sud-ouest de Sena, et où 1l se tient annuelle- ment une foire à laquelle les trafiquans se ren- dent avec leurs marchandises. La premiere partie du voyage se fait dans un pays soumis à l'influence des Portugais, puis on traverse 86 | VOYAGE des districts qui appartiennent à des tribus in- digènes que les trafiquans sont obligés de se concilier par beaucoup de présens. On con- tinue aussi à payer au Quitève un tribut pour la permission qu'il accorde de faire le com- merce, et en conséquence il part tous Îles ans de Sena une députation pour se rendre à Zim- baoa sa capitale (r),où le tribut est déposé aux pieds du prince, qui le reçoit dans le plus grand appareil. Les indigènes ont deux manières de recueil- lir l'or. La première consiste à fouiller la terre. Elle exige de grands travaux, ce qui est cause que rarement on la met en pratique aujour- d'hui. De l’autre maniere, on enleve le sable du lit des torrens et l'on en détache l'or par le lavage, qu'on renouvelle souvent. On dit qu'on en amasse de la sorte une quantité con- sidérable tous les ans, quoique cependant elle décroisse; car en 1593, le gouverneur de Mo- zambique , Georges Mendez, en recueillit, tant pour lui que pour le vice-roi de l'Inde, pour la valeur de 100,000 cruzades(2}; et je ne crois pas qu'on en obtienne actuellement le tiers tous les ans. (1) Zimbaoa est située, dit-on, à quinze jours de marche a l’ouest de Sofala , et à environ quarante de Sena. (2) Purchas , part. IT, 1536. EN ABYSSINIE. 87 Les environs de Manika sont extrêmement fertiles et fournissent en quantité du bétail et du grain. Le pays est fort montagneux, et comme il est très-froid pour la latitude, on suppose que le sol en est fort élevé au-dessus du niveau de la mer. Il y éclate souvent de violens orages, ce que les Portugais attribuent à immense quantité de substances métalliques que renferme la terre. Le commerce se fait par échange, et les marchandises du meilleur débit sont les toiles de Surate, la verroterie, la soie écrue, et le fer. On prend en retour de l'or, de l'ivoire, du ghy (1), et du cuivre, qui est en petite quantité. Depuis Sena jusqu’à Tèté, 1l y a environ soixante lieues en remontant le fleuve; mais la navigation est beaucoup plus dangereuse et plus fatiguante que depuis Quilimanci jus- qu'à Sena. À peu près à mi-chemin, est le défilé de Lupata que forment deux montagnes de roche noire qui semblent prêtes à s'écrouler sur le voyageur ; et le fleuve est si étroit dans ce passage qu'un enfant peut lancer une pierre d'une rive à l’autre. Au milieu du courant, qui est très-rapide, il y a, à fleur d’eau, un grand rocher appelé Capucho, et sur lequel (1) Beurre fondu. Explication donnée par le traducteur. 88 VOYAGE un grand nombre de barques ont échoué. La rive septentrionale et le pays qui s'étend de- puis Sena jusqu'à Têté, appartiennent aux indigènes ; et les Portugais prétendent à la juridiction du pays méridional, quoiqu'ils re- connaissent qu'un peu à l'est de Lupata il y a un grand royaume nommé Jambara, qui abonde en vivres, qui fournit quantité d'i- voire, et est régi par un puissant prince qui méprise leur autorité. De plus, du côté de l'ouest, s'étendent les districts de Mussangani et de Tipoui, qui de même sont indépendans. Pres de Tipoui se trouvent le village et le fort de Tété, ou il ya un entrepôt de marchan- dises, et qui est considéré par les trafiquans comme l'établissement le mieux organisé qu’il y aits ur le Zambezé. Le gouverneur de Sena y fait sa résidence, et le territoire portugais comprend l’une et l’autre rive du fleuve. Le principal marché de l'intérieur, qu'on fréquente depuis là, est celui de Zambo, lieu où les habitans permettent aux Portugais d’a- voir une petite factorerie. Ii faut près d’un mois pour s y rendre depuis Têté. On emploie la première quinzaine à gagner par terre, à cause de certaines cascades d’une rivière nom- mée Sacumbe , un lieu appelé Chikova, ou l’on s embarque dans de petits bateaux étroits. On, EN ABYSSINIE. 89 parvient ensuite à Zambo, d'ou les trafiquans envoient de divers côtés leurs agens, qui en retour de leurs marchandises leur rapportent de l'or, de l’ivoire, et d’autres objets précieux. On n’a pu obtenir aucune information sur le pays situé au-delà de Zumbo. On peut juger par ce qui vient d’être rap- porté combien les connaissances des Portu- gais , relativement à l’intérieur des terres (1), ont toujours été bornées, ce qui explique et l'inexactitude de tous ceux de leurs écrivains qui ont traité ce sujet, et le manque d'accord entre eux. | La domination des Portugais sur la côte, a, au contraire, été toujours fort étendue. Au (1) Les passages suivans, que nous ont fournis Marmol (p. 113) et Lafitau ( Conquétes des Portugais dans le Nouveau Monde ) peuvent servir à prouver ce fait. Le pre- mier cominence ainsi sa description : « Sofala est une » grande contrée, sous la domination d’un prince négre » que l’on nomme Benamotapa , ou Benamotacha. — Ce » pays commence à la frontière de Congo, etc. » — Le second dit : «L'empire du Monomotapa, ou Benomotapa, » comprend une grande partie de la basse Ethiopie, depuis » l’empire des Abyssins jusqu’au Cap de Bonne-Espérance, » nord et sud, et depuis la côte de Zanguebar jusqu'aux » pays des négres et royaumes d’Angole et Congo, est et » ouest !! » Tels ont été les renseignemens sur lesquels nos cartes d'Afrique ont en général été dressées. 90 . VOYAGE plus haut degré de leur puissance, elle com- mençait à Socotra , au nord, et finissait au cap de l'Agoa, au sud, et comprenait les îles de Zanzibar, de Quiloa, et d’autres établis- semens importans , qui ensuite ont été recou- vrés par les Arabes, et qui aujourd'hui sont soumis à l’imam de Mascate, dont la puissance s'est considérablement accrue depuis ces der- niers temps par l'appui que lui a prêté le gou- vernement de Bombay. Cette même domi- nation s'étend depuis le cap Delgado, au nord, jusqu à Inhambane, au sud, comprenant ainsi une ligne de treize degrés sur la côte. L'éta- blissement situé le plus au sud sur cette ligne est celui du cap Correntes , où il y a un petit fort qui, en 1808, a été pris par les Français; mais ceux-ci ont été bientôt forcés de l’aban- donner par les naturels du pays soumis à l'in- fluence des Portugais. Il y a un autre petit fort à Inhambane; et ces deux établissemens sont annexés à Sofala. On les conserve pour y re- cueillir l'ivoire que donnent les nombreux éléphans des forêts voisines. Sofala n'est qu’un chétif village ; mais les environs sont très-fer- tiles et fournissent aux habitans de Mozam- bique beaucoup de riz , d'oranges, et d’autres fruits exquis. Le cap Correntes, Inhambane, et d'autres établissemens de moindre impor- EN ABYSSINIE. OL tance qui sont situés à l'embouchure du Louabo , ainsi que sur l'ile de Fouogo , à An- goxo et sur les iles Querimbo, sont tout ce qui reste de ce qu'autrefois on appelait pom- peusement la souveraineté de l'Afrique orien- tale (r). Les observations qu'on vient de lire, pa- raissent démontrer que la valeur de cette co- lonie a toujours été portée trop haut. Cepen- dant elle était d'une importance réelle pour la monarchie portugaise dans le temps où celle ci était florissante. Elle lui fournissait quantité d'or et d'ivoire, et quoiqu'elle n'ait jamais produit à la couronne un profit im- médiat (2), elle faisait la fortune d’un grand nombre de particuliers et enrichissait l'état. Elle offrait dans les premiers temps de bonnes relaches aux vaisseaux qui se rendaient aux Grandes-Indes ou qui en revenaient (chose indispensable alors ) et elle fournissait d'es- claves toutes les possessions orientales des (1) J'ai vu une piastre d'argent portugaise, portant cette légende : «Rex Portugalis et Dom. Orientalis Africæ.» (2) Vide don de Menzes , « Traité sur les Indes Portu- gaises, dans Purchas, part. IT, pag. 1522. C’est un morceau précieux relativement aux possessions orientales des Portugais. ( Voy.l’4ppendix. ) 92 VOYAGE Portugais, et même quelques-unes de leurs possessions occidentales. La colonie de Mozambique conserve à peine lombre de sa première splendeur. Sa déca- dence doit être attribuée aux troubles qui ont agité la métropole , au déclin et à la perte des possessions d’érient du Portugal , et enfin à la mauvaise politique qui la régit depuis long-temps (1). Les deux premières causes ont affecté matériellement son commerce et sa valeur réelle ; et la dernière ayant altéré son importance, rompu ses relations avec les tri- bus voisines, l’a réduite à un état où elle peut à peine résister aux attaques des barbares qui l'environnent. Un simple apercu du gouver- nement, de la population et des rapports in- térieurs et extérieurs de la colonie, suffira pour prouver cette proposition. Le gouverneur de Mozambique est assisté d'un conseil composé de l'évêque (qu'on ap- (1) M. Brougham observe avec raison, daus sa Politique coloniale , » qu’on épuisait les trésors et le sang de la mère » patrie dans des guerres contre les indigènes , et qu’en » toute rencontre les intérêts du commerce étaient sacrifiés » aux projets de conquête et de domination. Les consé- » quences d’une telle conduite ont été fatales aux posses- » sions portugaises de l'Orient. »% Vol. I,p. 466). EN ABYSSINIE. 03 pelle là le ministre) et du commandant des troupes. Les appointemens de ces officiers et de ceux qui leur sont subordonnes, sont des plus médiocres. Le gouverneur perçoit 12,000 cruzades royales, où environ 950 L. st. (1); l'évêque, 1500; le chirurgien en chef, 960; un capitaine, 720, et un lieutenant 500 ou 18 1. st. par an. De cette modicité ont résulté certains abus, tels que la vente des comman- demens inférieurs , la réduction de la force réelle des troupes dont le nombre n'est jamais complet, et la tolérance de toute sorte d'in- justice. | Il était à craindre qu'un pareil système n'ins fluât d’une manière fâcheuse sur la probité d'hommes jusque-là recommandables par leurs sentimens honnêtes, Ainsi qu’en devait-on at- tendre avec l'espèce de gens qu'on à envoyés dans cette colonie? A l'exception du gouver- neur et de son état-major, les autres ont été (du moins la plupart) condamnés à l'exil pour (1) Quoique l’état ci-dessus me soit venu de bonne source , j'en suspecterai l'exactitude jusqu’à ce que je l’aie vu confirmé par une pièce officielle. Il paraît qu’en 1584, le traitement du gouverneur n’était que de 261 1. 5 s. st., et la paie d’un soldat d'environ 7 1. 108. st. par an. À cette époque, le gouvernement de Mozambique était déjà séparé de celui de l'Inde. leur mauvaise conduite ; et le pays est si mal sain et a si peu de réputation, que des gens honnêtes ne songeraient pas à s'y rendre. Les nouveaux débarqués sont obligés pour se sou- tenir de s'associer avec Îles planteurs et les tra- fiquans nés dans le pays, et dont les prin- cipales occupations étant la détestable traite des nègres, ne les rend pas fort scrupuleux sur les moyens d'acquérir des richesses Les grands encouragemens accordés à ce commerce, qui fournit au gouverneur ses principaux émolumens, ont aussi contribué grandement à la décadence de la colonie, en rendant les planteurs indolenset vicieux. Avec une politique plus éclairée, on se serait plus attaché à la culture des terres, et les pro- priétaires pourraient aujourd’hui se voir en- vironnés de villages florissans, habités par des hommes libres, et ils pourraient exporter du coton , de l'indigo , du sucre, et d'autres ar- ticles utiles, au lieu de ne contempler autour d'eux que de misérables huttes, que des bois de cocotiers, et des plantations de manioc, dont ils retirent à peine quelque profit. Les deux classes dont je viens de parler et qui consistent en Portugais européens et en planteurs issus des anciens colons, peuvent former environ quinze cents familles. Après EN ABYSSINIE. 95 elles, viennent les descendans des colonsarabes et les banians. Les premiers sont marins la plupart, et les autres petits marchands ou simples artisans (1). Réunis, ils sont au nom- bre d'environ huit cents. Le reste de la po- pulation se compose de nègres libres et des soldats indigènes dont il a été question, et peut se monter à quinze cents. La nécessité d'employer ces derniers provient du peu de fond qu'on peut faire sur les Européens, que leur vie débauchée , jointe au climat, rend incapables d'aucun effort corporel. On dit même que sur cent soldats, il n'en reste pas cinq de vivans après cinq ans de service, et (1) Le passage suivant qui est extrait du Journal du capitaine Weatherhead, caractérise parfaitement les Ba- nians. « Il est très-désagréable de traiter avec eux, sur- » tout pour un Européen qui n’est pas au fait de leurs » usages. Ils offrent d’abord moitié prix d’un article que!- » conque. Ensuite ils l’examinent de tout point; ils se » retirent , reviennent et ajoutent quelque chose à leur » offre. lis continuent de la sorte jusqu’à ce qu'on n’y » tienne plus. S'ils font une emplette, ils prennent la » totalité de la marchandise, afin de s’en assurer le mono- » pole. Plusieurs d’entre eux convinrent du prix de cer- » tains articles; mais comme je ne voulus pas les leur » livrer sans paiement, ils n’envoyérent point les prendre. » Il parait qu'ils manquaient de fonds, chose dont on » se plaint généralement dans l'ile, » 00 MVOWNAGE qu'il en est à peu prés ainsi des personnes ve- nues d Europe. | il est facile de concevoir que cette popula- tion mélangée doit être insuffisante pour l’aug- mentation ou même pour la défense de la colonie. Quant aux tribus voisines qui recon- naissent la domination portugaise, on ne sait si elles ajoutent plus à sa sûreté qu'à ses dan- gers. Dans le fait, comme les Portugais en conviennent eux-mêmes, c'est uniquement à l'ignorance de leurs ennemis qu'ils sont rede- vables de leur sureté; et encore ne doivent- ils pas trop s'y fier; car les négocians arabes que j'ai rencontrés à Moka, m'ont paru assez instruits de l'état de choses à Mozambique, et l’un d'eux, nommé Hadjy Saly, m'a déclaré « que cette colonie était si faible que cent » soldats arabes vigoureux pourraient l’enle- » ver aux Portugais. » Je voulus lui persuader que toul changerait sous le nouveau gouver- neur ; mais il secoua la tête, et me dit : «Le » mal est fait.» les affaires de la colonie n’allaient pas mieux au dehors qu'au dedans. La guerre contre la France avait eu déjà les suites les plus fà- cheuses. En 1808 , un corsaire français s'était emparé d’une des îles adjacentes, au temps où les vaisseaux côtiers revenaient de Quili- EN ABYSSINIE. 97 manci et de Sofala, et avait capturé presque toutes les barques portugaises employées au commerce, ce qui avait été une grande perte pour un pays où le bois est rare et où l’in- dustrie ne l'est guère moins. Ce genre d'hos- tilité aurait continué probablement les années suivantes, sans la conquête des îles de France et de Bourbon, et sans les croiseurs anglais. Vers le même temps, un autre ennemi, qui bien qu'il neüt pas les moyens de nuire de même à la colonie, lui a fait cependant beau- de mal, parut aussi. C'est un peuple de pi- rates qui habite la pointe nord-est de Mada- gascar, etque les Portugaisnomment Sekelave, mais dont le nom véritable, j'ai tout lieu de le croire , est Marati (æ), et qui est connu pour avoir , depuis plusieurs années, infesté les îles de Cémorre(2). Le compte suivant qui est ex- trait du journal du capitaine Tholimson, offre (1) C’est ce que j'ai apprisensuite des négocians Arabes, Les Sekelaves , comme me l'ont dit le capitaine Fisher et d’autres personnes qui ont visité cette partie de l’île, sont sujets de la reine de Pembetoc, qui habite la côte nord. ouest de Madagascar. (2) Consultez un Voyage d'Angleterre à la Mer Rouge, par Austin Bissell, 1798-1799, publié en 1806 par Dalrymple, aux frais de la Compagnie des Indes Orien- tales.» L. — LA 98 VOYAGE le tableau de la situation’ déplorable où les incursions de ce peuple ont réduit les maiheu- reux Johannèése. « Juin 1609. Les Johannese sont le peuple le plus doux et le plus poli que je connaisse. Ils prêtent toute sorte de secours aux étran- gers, et sacquittent, avec la fidélité la plus scrupuleuse, de toutes les commissions qui leur sont confiées. Ils ont dernièrement fait de grandes pertes que leur ont causées les Ma- dégasses, qui envahissent l'ile tous les ans pour s'y procurer des esclaves qu'ils vendent aux Français. Les autres îles, Comorre, Mo- hilla et Mayotta sont presque dépeuplées par les attaques de ces pirates, et Johanna, de douze bourgades, est réduite à deux. Ils ar- rivent dans la derniere partie de la mousson du sud-ouest; ils construisent des huttes au- tour des bourgades qui sont environnées de murs, et comme ils ne tentent jamais le pas- sage qu'avec un vent favorable, ils les blo- queut ainsi jusqu à la fin de la mousson du nord-est, ce qui fait un espace de huit mois. » J'ai vu une de leurs pirogues. Elle avait environ quarante-cinq pieds de long sur dix ou douze de large. La construction en était ingénieuse et fort semblable à celle des barques employées à la pêche de la baleine; et les EN ABYSSINIE. 09 différentes pièces étaient jointes ensemble par des chevilles de bois. Ce peuple fait tous les cinq ans une expédition composée d'au moins cent pirogues, qui contiennent chacune de quinze à trente-cinq hommes, armés de mous- quets. Chacune des quatre autres années ils ne détachentquetrentepirogues, pour qu'elles ne manquent pas de vivres, et pour laisser le temps aux plantations de se rétablir. Le roi me dit que durant le siége de l’année pré- cédente , près de deux cents fermes et en- fans qui n’osèrent sortir des murs pour aller chercher des vivres, moururent de faim, et que plusieurs mères mangerent leurs propres enfans, » La ville ou bourgade de Johanna, qui est appelée ville du Sultan, a sur ses rem- parts et dans un fort situé sur une montagne -adjacente, plus de cinquante canons ; mais ils sont en mauvais état. Le roi a entre les mains des actes par lesquels les amiraux Re- nier et Blanket requièrent les capitaines de vaisseau de lui fournir de la poudre et des armes. Son principal moyen pour en obtenir, est de s'adresser au gouverneur général et au conseil de Bombay, qui l'année dernière lui avait envoyé, dans un navire arabe, qua- rante demi-barils de poudre, quatre-vingts + 7] 4 100 VOYAGE mousquets, un canon de fer de six livres de balles, quinze cents pierres à fusil et deux mille balles. Par malheur, ce navire rencon- tra un croiseur français, qui ne lui laissa que les mousquets et six demi-barils de poudre. Je suis persuadé qu’en peu d'années toutes ces îles seront abandonnées, si elles ne reçoivent pas des secours plus efficaces. C'est une chose digne de remarque que, quoique leurs féroces ennemis leur aient enlevé la plus grande partie de leur bétail, et que même ils en aient tué beaucoup qu’ils ne pou- vaient emmener , les Johannese gardent le peu qui leur en reste, pour les vaisseaux de la compagnie des Indes, que leur roi consi- dère comme son unique alhée. » Ces faits me paraissent de nature à exciter la générosité de la nation britannique, j'ai presque dit, à réclamer sa justice; et je ne puis m'empêcher d'exprimer le vif desir que les Johannese ne soient pas abandonnés plus long-temps à leur malheureux sort; car tant que nous conserverons la possession des îles de France et de Bourbon, et celle du cap de Bonne-Espérance , nous pourrons facilement mettre un terme aux expéditions de leurs en- nemis. . Encouragés par leurs succès contre les Jo- EN ABYSSINIE. 10! hannese, les Marati avaient, l'année précé- dente, osé traverser le canal, et s'étaient em- parés d’une des îles Querimbo. Ils avaient renversé les maisons, brülé les cocotiers et les plantations , et tué tous les habitans qui étaient tombés entre leurs mains. On dit que leur flotte consistait en mille pirogues(nombre que je crois exagéré), portant chacune envi- ron trente combattans. | On fait de ces pirates un portrait affreux. Ils portent des crics comme les Malais , de qui peut-être ils descendent, et ils montrent dans leurs attaques une férocité qui peut à peine être surpassée. Leur système étant la guerre universelle, les Portugais ne sont pas seuls les objets de leur haine. En 1807, ils prirent un vaisseau français qui allait à l'île de France, et aucun de ceux qui étaient à bord n’échappa à leur fureur. Un médecin de Mozambique et son fils, furent au nombre des victimes. Malgré le succès de leur expédition aux iles Querimbo, les Marati ne quittèrent pas la côte sans avoir eu àse repentir de leur témérité. Le manque de vivres, leur peu de connaissance dans l’art de la navigation, et la petite vérole qu'ils ont prise sur la côte, en ont fait périr un si grand nombre, qu à peine en est-il re- 102 VOYAGE tourné la moitié vers leur chef à Madagascar. Cependant ils n’ont pas élé découragés, et ils ont eu l'audace de déclarer que l'ile même de Mozambique serait leur premier point d'attaque. On en a été instruit par quatre prisonniers faits par l'équipage d'un brig portugais, dans une action où les Marati combattirent tellement en désespérés, qu'il n y eut que ces quatre hommes de pris vivans. Je crois cependant que le fort de Mozambique ne peut être emporté d'assaut par leurs hordes indisciplinées ; mais ils peuvent faire beau- coup de mal sur toute autre partie de la côte. L’abolition de la traite des Nègres par les Anglais, a porté un coup. mortel au commerce de Mozambique. C'était cette colonie qui four- nissait des esclaves au cap de Bonne - Espé- rance , aux iles de France et de Bourbon et à Batavia ; et un grand nombre de ports de l'Inde offraient un prompt débit aux cargai- sons de cette sorte. En outre, un grand nom- bre de ces malheureuses créatures étaient em- menées dans nos possessions des Indes occi- dentales par les Américains, et quelquefois (ce qui même est arrivé récemment) sur des vaisseaux anglais, portant pavillon américain. Il ne reste plus à Mozambique que le com- merce limité que fait cette île avec l'Inde et EN ABYSSINIE. 103 le Brésil. Le premier est toujours fucratif. Les esclaves, l'or et l’ivoire trouvent un dé- bit prompt à Goa , à Diu , à Daman , et quatre ou cinq vaisseaux en apportent tous les ans, des toiles, du coton, du thé, et d’autres productions de l'Orient. Le commerce avec l'Occident se borne principalement aux esclaves qui sont portés aux possessions tant espagnoles que portugaises , et pour lesquels on ne reçoit que des espèces sonnantes. Le nombre d'esclaves qu'on exporte annuel- lement de Mozambique, se monte, dit-on, à plus de quatre mille. Le droit qu'on paie pour chaque esclave èst de seize cruzades et demie. Toutes les autres exportations sont exemptes de droits. Quant aux importations, toutes les espèces apportées dans le pays sont imposées à deux et demi pour cent, dont un est affecté au revenu public, et le reste au gouverneur. Les autres importations paient vingt pour cent de la valeur, à quoi l'on doit ajouter, vn demi pour les droits de douane, ainsi que quarante piastres pour le pilotage et les ap- pointemens des deux douaniers, qui se ren- dent à bord des vaisseaux marchands qui ar- rivent dans le port, et auxquels il est d'usage de payer, en outre, une cruzade et demie par jour. Ces droits, joints à ce qu'on donne + 104 VOYAGE aux secrétaires, vont ensemble à vingt-cinq pour cent. Les remarques suivantes pourront donner au lecteur une idée assez juste, quoique peu favorable, du commerce de Mozambique; et cest par là que je terminerai mes remarques sur cette colonie. À son arrivée , le capitaine Weatherhead, d'après l'avis d'un des principaux marchands, ouvrit un magasin et y déposa les échantil- lons de ses marchandises qui consistaient en fer en barre, en poudre à canon, en pisto- lets, en gros mousquetons, en poteries, en toiles larges, en mousselines, en vin du Cap, en eau-de-vie, et en quelques petites bou- ieilles d'eau de senteur. Le gouvernement acheta la totalité des deux premiers articles (1). Le reste, à l'exception du vin du Cap, de l'eau de-vie et des toiles, n'eut qu'un débit trées-lent, ce que le capitaine attribua prin- cipalement à ce que la flotte de l'Inde venant de partir (2), la bourse des marchands était (1) 11 prit le fer au prix de trois piastres et demie par arrob de 32 liv. d'Angleterre, et la poudre , à 35 piastres d’Espagne par barril, (2) La flotte de l’Inde arrive constamment à Mozam- bique , au commencement d'avril, et elle en repart au mois d'août. - EN ABYSSINIE, 105 presque entièrement épuisée. Cependant il paraissait croire qu'une petite cargaison pour- rait se vendre avantageusement dans les mois d'avril, de mai et de juin ; et il remarque dans son journal, que les articles du meilleur dé- bit seraient du fer en barre , du plomb, de la poudre à canon, de la cendre de plomb, des cerceaux de fer, de la coutellerie, du papier, des estampes et des cadres ; quelques meubles, des toiles de coton peintes pour des sofas, des bas de soie et des bas de coton, des souliers et des bottes, des chemises ou chemisettes de grandeurs différentes, de la mousseline claire-unie, de la toile bleue grosse et fine , quelques télescopes, un peu de beurre salé, des jambons et du fromage, eten un mot un peu de chaque article de consommation nécessaire aux Portugais. Le prix des marchandises d'exportation pa- rait être exorbitant. Les marchands exigent de 26 à 32 piastres pour un arrob d'ivoire, ce qui fait monter à 24 L. st. les cent livres de première qualité, et à 21 1. 15 s. st. les cent livres de la seconde. La racine de co- lombo était à 4 piastres le cent, et la poudre d'or à environ 3 1. 5 s. st. On élève à Mo- zambique , avec beaucoup de suecès , un grand nombre d'ânes d'espèce arabe, pour les ex- 106 VOYAGE porter. On les envoie la plupart au Brésil, où l'on en fait des présens ; mais lorsqu'on en vend, c'est à un prix très-haut. Le change est réglé à Mozambique par le cours de la piastre d'Espagne, qui varie de trois à quatre pour cent, selon l'état des marchés. Nous trouvaämes en abondance et à un prix modéré , tout ce dont nous eùmes besoin pour le vaisseau. Nous payâmes un bœuf, en bon état, quinze ou vingt piastres; l’arrob de viande de porc, huit piastres ; une chévre, cinq piastres ; et la volaille, une demi-piastre la douzaine. On nous apportait aussi à ache- ter des poules d'inde qui, marinées, se con- servaient parfaitement. Trois espèces de ces oiseaux sont communes à Mozambique ICE sont la rumida meleagris, la mitrata et la cristata. La dernière est un très-bel oiseau, dont le plumage est plus varié que celui des autres, et qui porte sur la tête une crète de plumes noires, d'où lui vient son nom. Les moutons paraissaient rares, et on nous les vendait de dix à quinze piastres pièce. On nous fournissait l'eau à une piastre les cent gallons ; et le bois à brüler, qui était d’une qualité supérieure et qui était très-bon aussi pour le fardage , nous était vendu huit piastres, EN ABYSSINIE. 107 la charge d’un bateau, et rendu à bord. Les vaisseaux de Sa Majesté étaient fournis d’eau gratis. Cette eau était tirée de superbes ré- servoirs construits à l'extrémité méridionale de l'ile, et appartenans au gouvernement. Le thermomètre de Fahrenheit varia, du- rant notre relâche, de 86° à 89°, et le temps fut constamment beau. Nous fûmes occupés, le 14 et le 15 sep- tembre, à faire nos préparatifs de départ, et le gouverneur m'envoya un bœuf, trois dou- zaines de volailles et une grande quantité de fruits, comme présens d'adieu. Lorsque je pris ensuite congé de lui, ce que je ne fis pas sans regret, vu sa conduite amicale, il me remit une lettre pour le gouverneur des iles du cap Delgado, afin de nous procurer une réception favorable, si nous touchions à aucune des possessions mises sous son com- mandement. Nous fimes voile, le 16, pour la mer Rouge. 108 VOYAGE RARE BR RER URL RE RL LUEUR VULLEUR VUE UEULULAUVLE CHAPITRE IIL. Navigation le long de la côte. — Description des iles de Zanzisar et de PEMBA. — Aspect monotone et stérile de la côte au-dessus de Mucnasno. — Sondes au sud du Car pas Baxas. — Caps n'OrrFur et de GARDAFUI. — Excursion sur la côte près de la Pointe SomauLi. — Remarques sur la théorie de M. Bruce , au sujet d’'Orxir. — Arrivée à Anen. — Ruine de cette ville. — Tours anciennes , aquedues, etc. — Voyage à Lamany. — Visite au Sultan d’ADEex. — Description du pays et caractère des habitans. — Retour à ADen. — Effets singuliers produits par la réfraction. — Portrait des Banians. — Voyage d’Anen A Mora. — ÉVÉNEMENS arrivés dans L’ŸYEMEN, depuis 180d.— Départ pour la côte d'ABYSSINIE. Co la navigation de Mozambique à la mer Rouge est peu connue, je donnerai le journal nautique de notre passage jusqu'au port d'Aden. On a pris un soin particulier de déterminer la variation de la boussole ( qui a été exactement observée chaque fois que l'occasion s'en est présentée ) parce que de semblables observations ont été faites sur la même côte des l'année 1620(1), de sorte qu’en (1) Beaulieu , Voyage to the East Indes. EN ABYSSINIE. 109 comparantlesdifférentes remarques,on pourra reconuaître le changement survenu dans Îa variation. Nous appareillämes de Mozambique, le 16 septembre, au point du jour, et nous nous jettâmes en haute mer jusqu’à midi, que nous profitämes d’un vent réglé de nord-est dans l'intention de suivre une direction parallèle à la côte. Notre latitude observée à cette heure était de 140 30’ sud ; il ventait frais du sud ; nous avions une grosse mer, et le flot venait du sud sud-est. Variation, 22° 20" ouest. Le 17 septembre, nous suivimes la même direction , le vent étant extrémement doux et tournant un peu à l’est. Dans le cours de la journée , nous rencontràmes un fort courant qui portait au sud, au taux de trente milles en vingt-quatre heures. Latitude à midi, 12° 37” 30". Longitude, par le chronomètre, 41° 24” est. Therm. 98°. Variation, dans la mati- née , 22° 2/, et dans l’aprés-midi , 20° 2’ ouest. 18 septembre. Desirant d’avoir la vue de la terre pour en déterminer la position, nous gouvernâmes en conséquence , dans l'après- midi; et au coucher du soleil, nous décou- vrimes , à la distance de sept lieues, le cap Delgado qui nous restait au sud-ouest, ce qui, d'après notre estime, nous fit juger que sur 110 VOYAGE la plupart des cartes, la côte, depuis Mozam- bique , incline beaucoup trop à l’est. Cette observation est confirmée par une carte pré- cieuse de cette partie de la côte, carte qui m'a été prêtée par le gouverneur de la colo- nie, et dont j'ai remis une copie à l’amirauté. Elle comprend une reconnaissance complète, depuis le port de Mozambique jusqu'au cap Delgado, en embrassant toutes les îles Que- rimbo , et est dressée sur la grande. échelle de vingt-sept pouces au degré. Elle fut faite au frais du gouvernement portugais, par un colonel du génie dont j'ai oublié le nom, et elle parait être fort exacte. On y à joint quel- ques remarques au sujet des rivières, de la profondeur de l'eau, et d'autres objets qui intéressent les marins. Je m'en suis servi pour la composition de ma carte générale de la côte. Latitude observée à midi, 10° 567 30/ sud. Longitude, 41° 45” est. Thermomètre, 77°.Va- riation , dansla matinée 200 0”, et dans l'après midi, 19° 2/ ouest, 19 Septembre. Nous allämes tout ce jour au nord quart d'est. Dans l'après - midi, nous vimes un grand nombre de méduses et d'au- tres espèces de mollusques qui flottaient près des flancs du vaisseau. Latitude à midi, 8° 6” sud.Longitude, 41° 54/est. Thermomètre,750. | EN ABYSSINIE. III Variation , avant midi , 180 30’, etaprés-midi, 149 ouest. 20 Septembre. Nous eùmes ce jour un fort courant d’un mille et un quart en notre fa- veur. Latitude, à midi, 6° 1/ 30" sud. Lon- gitude, 42° 31’/.Thermomètre, 700. Variation, avant midi, 16° ouest. Le vent souffla du sud sud-est au sud-est. 21 Septembre. Latitude, 3° 43’ sud. Route au nord, 28 est. Thermomètre, 70°. Vent du sud sud est au sud. Point de courant. 22 Septembre. Latitude, à midi, 1° 19’ sud. Longitude, 44° 54 est. Thermomètre, 700. Variation, avant midi, 12° 0’. Vent sud sud- ouest. Courant portant au nord, d’un demi- mille à l'heure. 23 Septembre. Latitude, à midi, 10 27 30" nord. Longitude, 46° o’. Thermomètre, 790. Variation , avant midi, 80 30’ ouest. Vent du sud au sud-sud-ouest.Courant d’un mille trois quarts à l'heure en notre faveur. À quatre heures après-midi, nous vimes la terre située entre les villes de Brava (1) et de Magadoxa (appelées Beraoua et Mougdasho par les Ara- (1) La ville de Brava offre un assez bel aspect du côté de la mer, et il y a sur une des petites iles qui sont en face, un fanal assez élevé. Ellé est située par 1° 12! et 44° 10" est. » ( Captain Bissell journal.) FI12 VOYAGE bes ), qui s’étendait de l’ouest demi sud au nord-est. La pointe la plus proche, qui était à la distance d'environ six lieues, nous restait au nord-ouest quart nord, et paraissait être une montagne de sable. Toute la côte était modérément élevée, aride et sabloneuse. La conformation en était irrégulière ; mais elle n'avait aucune pointe remarquable qui püt la caractériser. Une ligne de vingt-cinq brasses ne toucha pas le fond. Nous avions alors passé la baie profonde ( on peut à juste titre l'appeler ainsi ) où sont situées les îles de Monfa, de Zanzibar et de Pemba. Nous nous étions proposés de Îles vi- siter ; mais la saison était si avancée, que nous crûmes devoir noushäâter degagner Adenavant le changement de mousson; car lorsque celle du nord est établie, ce qui a lieu vers le mois d'octobre, il n’y a pas de possibilité d'aller contre le vent. Ce fut ce que les vaisseaux commandés par l'amiral Blankett éprouvèrent en 1798 et 1799, quoiqu ils fussent des meil- leurs de notre marine (1). La flotte quitta Jo- hanna le 11 novembre 1798, et ne doubla le cap Gardafui que le 8 avril 1979. « On doit (1) Consultez le Voyage du capitaine Bissell à la Mer Rouge. \ EN ABYSSINIE. 115 espérer, dit le capitaine Bissell, qu'aucun vaisseau ne tentera plus d'en faire autant. ë ÿe » Notre voyage fut de quarante semaines, et » nous fimes 18029 milles. » Je regrettal beaucoup de ne pouvoir visiter KE les îles que je viens de nommer ; mais comme elles sont très-peu connues, et que dans le cours de mon voyage J'ai recueilli divers ren- seignemens à leur sujet, je me hasarderai à mettre sous les yeux du lecteur une courte no- tice de leur état actuel (r). L'île de Zanzibar a environ quarante-cinq milles de longueur sur quinze de largeur. Elle a, sur la côte occidentale et par le travers de la ville, un port excellent avec un bon mouil- lage sur dix brasses d'eau. Ce port peut con- tenir en süreté et en tout temps un grand nombre de vaisseaux , avantage qu'il doit à une chaîne de bas-fonds qui rompt la force des flots en toute direction. L'ile est de difficile approche, à cause d'un courant trés-fort qui se trouve aux environs et contre lequel le (x) Mes autorités sont un manuscrit qui m'a été remis par lord Caledon, les journaux des commandans des vais- seaux le Caledon et le Racehorse qui avaient touché à Zanzibar cette même armée, et les rapports de deux mar- chands arabes qui avaient soigneusement examiné les trois iles. LE 8 1\ 4 VOYAGE capitaine Tholimson lutta, à la faveur d’un bon vent, ce qui n'empécha pas qu'il n'eût un retardement de vingt milles par jour. La côte orientale est escarpée et boisée ; et comme il y a peu de montagnes qui s'élèvent à une srande hauteur, la brise de mer s'étend sur toute l'ile, ce qui, malgré le voisinage de l'équateur, en rend le climat assez sain. Les habitans sont mahométans et d’extrac- tion arabe. Ils sont gouvernés par un chaik que nomme l'iman de Mascate, à qui la sou- raineté de l’ile appartient. On prétend qu’elle lui a rapporté dans les années 1807 et 1808 un revenu de trente à quarante mille piastres, provenant presque entièrement d'un com- merce étendu avec les îles de France et de Bourbon, Madagascar et le golfe arabique. Les exportations consistent en esclaves, en gomme, en ivoire, en antimoine , en vitriol bleu et-en séné. En retour, les Français fournissent à Zanzibar des armes, de la poudre à canon, de la coutellerie, des toiles des Indes com- munes, et des piastres d'Espagne. On cons- truit dans l'ile des daous ou des grabs du port de deux cents tonneaux, ce qui est bien cal- culé pour une petite station navale; car le flot et le jusant dans le port passent douze pieds. EN ABYSSINIE. 115 Le chef a sous son commandement environ cent indigènes , employés principalement au maintien de la police; mais on dit que l'ile est absolument sans défense. Elle est bien boi- sée, bien arrosée et a d’excellens pâturages. Les seuls grains qu'on y cultive sont le riz et le djoary (1) qui, comme en Arabie, consti- tuent la nourriture principale des habitans.. Cependant les autres vivres sont très -abon- dans. Un bœuf ne se vend que cinq piastres, et un mouton qu'une demi-piastre. La vo- laille est à très-bas prix et le marché est cons- tamment approvisionné de poisson. Le capi- taine Bissell dit dans son journal : « On peut » se procurer toute sorte de provisions; mais » comme le gouverneur en chef faisait un » monopole général, nous payämes tous les » articles à un prix exorbitant. Les habitans » vendent leurs denrées à bien meilleur mar- » ché. Nous eùmes des bœufs très-beaux, des » chèvres, de la volaille, du riz, du dholl (2), » des noix de coco, de l'huile, etc. Les fruits » sont délicieux , et il y en a de toute sorte. » On fournit à la flotte anglaise, durant sa (1) C’est une espèce d'orge, l’Aolcus sorghum de Lin- née. ( Vote du traducteur. ) (2) C’est probablement le dolic ( dolichos ) espèce de : haricot qui croît dans l'Orient. ( Note du traducteur.) 8* ‘116 VOYAGE relâche à Zanzibar, des provisions pour la somme de 2500 piastres (1). L'ile de Pemba est basse et a quatorze lieues de longueur. On la représente comme étant encore plus fertile et plus boisée que celle de Zanzibar. Le capitaine Fisher en parle avec ravissement sous les rapports de l'aspect, du climat et des ressources. Le chef de gette île desirait depuis long-temps de se mettre sous la protection des Anglais, et l'offre en a été faite au gouvernement de Bombay. Si nous gardons les iles de France et de Bourbon, ce que nos intérêts dans l'Inde semblent exiger, je considérerais cette proposition comme digne de toute l'attention du gouvernement britan- nique. L'ile de Pemba pourrait être un éta- blissement avantageux, en ce qu'on en tire- rait une grande quantité de bétail et de blé, articles qui jusqu'ici ont été envoyés à Zan- zibar pour la nourriture des nombreux esclaves qu'an rassemble dans cette île dans le dessin de les exporter. La situation politique de Monfa est entière- ment inconnue , quoiqu'on prétende que cette ile ressemble aux autres quant à la fertilité. 24 Septembre, À trois heures du matin, (x) Voyez pour de plus amples détails, les pages 35 , 36 et 36 de l’ouvrage cité ci-dessus. EN ABYSSINIE. 117 nous fûmes fort effrayés par un bruit sem- blable à celui que font des brisans, et qui vraisemblablement provenait de la rencontre de deux courans; car nous ne trouvämes point de fond avec une ligne de soixante et quinze brasses. Le matin , l’eau commenca à chan- ger de couleur, et à neuf heures nous fümes sur trente-deux brasses, fond de sable et de coquilles , ayant la terre à environ trois lieues et demie de distance. A dix heures, nous euimes des sondes de vingt-deux brasses sur un bas-fond qui s'étendait par le travers de la côte. À onze heures, nous nous retrouvâmes dans une eau profonde , et à midi nous pas- sâmes la pointe de Doaro , qui se détache de façon à ressembler à une île. La ligne de la côte suit jusque-là la direction du nord-est et demi est; mais depuis cette pointe, elle parait ineliner plus vers le nord. À quatre heures, nous eûmes de nouveau des sondes par trente-deux brasses, qui, par degrés, se réduisirent à dix-neuf, point auquel nous fümes à quatre lieues de la terre, dont l’as- pect était uniformément sabloneux et nu. Nous avions un bon vent et un temps doux. Le soleil, avant de se coucher, offrit un ‘aspect trés-extraordinaire. Au moment où il sortait d'un sombre nuage et où son disque 116 VOYAGE touchait à l'horison , il parut s'étendre au-delà de ses dimensions naturelles, devint d’un rouge pâle, et prit une forme qui ressemblait infiniment à une section de colonne. C'était un des singuliers effets de la réfraction pro- duite par l'atmosphère, et commune dans cette partie du monde. Quelque chose de sem- blable peut avoir donné lieu aux apparences extraordinaires de corps célestes, qu’Agathar- chides(1)ditavoir été vues à l'entrée de la Mer Rouge ( Xai 70 oyua dé Ÿ d'ondes AT TÈv Ar Qariy GAAG Kio TAXE TA VE TPÈTR éupepn » EtC. ) s'et qu’ensuite on s’est trop hâté de décrier. Notre latitude à midi était de 4° 53” 30" nord, long. 49° o!. Therm. 7980. Variation après-midi 5° 53’ ouest. Courant d'un mille et demi par heure, portant au nord-est. 25 septembre. Nous perdimes les sondes dans la matinée par le travers du Cap das Baxas , où la terre pendant quelque temps parut un peu plusélevée, quoiqu'elle eût toujours un aspect aussi peu intéressant. Dans l'après-midi, l’at- mosphère devint brumeuse et le vent fraichit. 26 septembre. Latitude, 8° o/ nord. Long. Bo° o!. Therm. 78°, à midi. Dans la soirée il tomba à 680, et le temps devint très-froid. (1) Agatharchidis quæ supersunt. Oxoniæ 1597. EN ABYSSINIE. 119 Variation, 5° o’. Vent sud-ouest. À une heure après-midi, étant à cinq lieues de la côte, nous renconträmes un banc de plusieurs milliers de poissons morts qui flottaient sur l'eau. Nous le traversämes durant un espace d'environ 35 minutes, faisant alors deux lieues à l'heure. Plusieurs des poissons étaient d'une grosseur considérable. Il y en avait de différentes espè- ces , et principalement de celles du genera spa- rus, du labruset du tetrodon. D'après la viva- cité de leurs couleurs et la rougeur de leurs oules , on pouvait croire qu'ils n'étaient pas morts depuis long-temps. L'atmosphère con- tinua à être brumeuse , et il y eut une rosée abondante pendant la nuit. 27 septembre, Latitude 10° 13” 30" nord, à midi. Long. 51° 19’. Therm. 80°. Variat. 4° 33". Il venta frais du sud-ouest durant la nuit. Au matin nous vimes à peu de distance une terre d’une hauteur considérable , qu'on re- connut pour être le cap Delgado (1), et bien- tôt après nous fümes à vue du cap d'Orfui. La baie qui est entre les deux caps , a un enfon- cement si considérable, qu’en la traversant nous ne pouvions en distinguer l'extrémité in- (1) L’'original porte Delaqua, et la carte Delgada. D’Anville dit Delgado. ( Nore du traducteur. ) 120 VOYAGE térieure. Le cap d'Orfui a l’air de former une ile ayant une pointe, et il est adossé à de hautes montagnes d’une forme singulière. L'amiral Beaulieu se tint à l’ancre sous ce cap en Juillet 1620, duraut une tempête violente, et il tenta vainement de communiquer avec les naturels du pays. Il décrit le mouillage comme étant par les 109 1’ de latitude. La variation - de l'aiguille aimantée était alors à 170 deux tiers ouest , ce qui est 13° de plus que nous ne la trouvâmes. Cette partie de la côte est habitée par les Mijertayne Somauli, commandés par un chef nommé Sultan Hussan. L'iman de Mascate envoya, il y a quelque temps, des présens considérables à cette tribu , et lui demanda la permission d'élever un pétit fort sur le promontoire d'Orfui (que les naturels du pays nomment Hafoun ); mais cette demande fut rejettée prudemment, et les présens furent renvoyés. La chose m'a été racontée par un membre de la tribu. Une bonne observation faite à midi , nous donna, pour la latitude d'Orfui, 10° 30° 30". La longitude est de 51° 127. Dans la soirée nous rencontrâmes un autre banc de poissons morts, qui étaient devenus blanchätres et putrides. Une rencontre de ce EN ABYSSINIE. 121 genre estextrémementrare, sur-tout dans une eau profonde , et je ne prétends l'expliquer en aucune sorte. A dix heures du soir, nous arrivämnes par le travers de la terre située derrière le cap Gardafui, qu'un léger brouillard nous fit pa- raître d'une hauteur prodigieuse. Ayant fait voile avec une brise fraiche, nous gagnàmes le cap même à minuit, et nous le passâmes à la distance d'un demi-mille. L'eau qui réflé- chissait la lumière de la lune, le promon- toire escarpé , la mer qui brisait sur la grève, et les hautes montagnes qui se montraient au dernier plan , et dont l'aspect variait à cha- que instant , tandis que nous arrondissions avec rapidité la pointe, formaient un tableau sublime. L'effet qu’il produisait sur mon es- prit s'accroissait par le souvenir de mon pré- cédent voyage , et je me croyais environné d'an- ciennes Connaissances. À peine eümes-nous doublé le cap que le vent tomba, et l'air, comme cela arrive toujours là , devint sensi- blement plus chaud. Selon mes observations, le cap Gardafui est situé par les r1° 5o’ de latitude, et les 51° 22’ de longitude orientale du méridien de Greenwich. | 28 septembre. Nous reconnûmes, at point du jour , que quoique la brise eût duré toute 122 VOYAGE la nuit, nous n'avions fait que trés-peu de chemin, à cause d’un courant rapide que le vaisseau avait à refouler. Tous les efforts que nous fimes durant le jour, me rappelerent le rustre de la pantomime, qui met coustam- ment ses jambes en avant, et reste toujours à la même place. Nous fümes tout le jour par le travers des mêmes points de remarque sur la côte, et pour ajouter au désagrément de notre situation, la chaleur devenait dévorante, quoique le thermomètre n'ait jamais passé 89°. Comme c'avait été la nouvelle lune le 23, temps auquel le courant s'établit contre nous ; cela semble s’accorder avec l’idée du docteur Vincent qui, dans ses observations sur cette partie de la côte , dit que le courant sort du golphe durant le déclin de la lune, et qu'il y rentre pendant sa croissance. Latitude obser- vée à midi, 12° 5/. Longit. 51° 15’. Variation nie Se 20 septembre. Nous eùmes assez de vent pen- dant la nuit pour refouler le courant , en consé- quence nous nous trouvames à midi dans la même position. Le thermomètre indiquait 90° à cette heure. Cependant la chaleur n'était pas si accablante que le jour précédent, ce qui peut s'expliquer , parce que nous y étions un peu plus habitués. Rien n’est plus EN ABYSSINIE. 123 relatif que les effets de la chaleur et du froid sur le corps humain ; car j'ai souvent éprouvé que la première était tout aussi étouffante, le thermomètre étant à 85° , que lorsqu'il pas- sait 100°, Dans la soirée, n'étant qu'à cinq milles de la pointe Somauli , et nous trouvant sur quarante-cinq brasses d'eau , nous réso- lümes d'aller à la côte. Les sondes décrurent à mesure que nous approchâmes de la terre, et nous ne trouvàames plus que trois brasses d’eau sur la grève , ce qui rendit le débar- quement désagréable ; car , en dépit du beau temps, il y avait un ressac qui nous trempa en sortant de la chaloupe. Nous ne vimes que peu d'objets dignes de remarque. L’herbe était rare et le sol sabloneux et fort imprégné de sel. Une lagune qui commençait à peu de dis- tance de la côte, s’étendait dans l’intérieur des terres , sur une plaine qui , d'après la vue éloignée que nous en eûùmes, nous parut cou- verte d'arbres. Des oiseaux sauvages se mon- traient en foule sur cette lagune , au bord de laquelle on voyait aussi l'oiseau de l'espèce appelé abou hannes par les arabes , qui est le véritable ibis des égyptiens, décrit par Héro- dote ; ce qui est démontré par la tête et le cou qui sont dépourvus de plumes, et sont rai VOYAGE d'un noir très-foncé (1). Il est à remarquer aussi que Strabon cite cet oiseau comme fré- quentant le détroit de Au» ou de Bab-el-Man- deb ( éporlur jdp dé 1Ges mepirèy rémo ). A peu de distance du lieu où nous primes terre, étaient quelques huttes , et nous vimes des indigènes qui passaient ; mais le jour était trop avancé pour que nous entreprissions de communi- quer avec eux. On trouve dans un ouvrage intitulé : Joyage de l'Arabie heureuse, pu- blié à Amsterdam en 1716 , un curieux récit de deux tentatives faites pour communiquer avec les naturels de cette côte. Dans la pre- mière tentative, le capitaine qui était Fran- çais, descendit hardiment sur le rivage, et avec toute la légéreté qui caractérise sa nation, il adressa , aux indigènes, ce mot arabe « Marhaba » , qui signifie communément «très- bien», mais qu'il interpréta par «soyez le bien venu », terme de civilité fort en usage en Afrique et en Arabie. Le bon homme té- moigne ensuite sa surprise de ce que les na- turels n'entendirent pas ce langage. Dans cette, descente ses matelois découvrirent une grande (1) On voit un très-bel échantillon de cet oiseau dans le curieux muséum de M. Bullock. EN ABYSSINIE. 129 provision de poissons amassée dans une petite caverne. « Je fis prendre, ditil , la moitié des sardines et des thons , et je leur laissai , dans un plat , une piastre et demie. » Cette impru- dence lui couta cher ; car, dans un second dé- barquement les indigènes se rassemblérent et ne tuèrent pas moins de sept hommesde l’'équi- page de sa chaloupe , «et tout le monde assura, poursuivit-il , qu'on se souviendrait long- temps de l’Abyssinie. » Lorsque nous fümes de retour au vaisseau, il s'éleva une forte brise, et à minuit nous passämes sur un bas-fond qui sétendait de- puis une pointe basse, située à l'est du mont Félix. Nous n'avions que dix brasses d'eau!, et le mont nous restait à l’ouest quart sud demi sud , à la distance d'environ cinq lieues. Ce banc n'est pas indiqué sur les cartes, ce qui prouve le danger de s’en reposer sur quel- ques-uns de ces Neptunes orientaux , qui por- tent « qu'entre le cap Gardafui et le mont » Félix le rivage est si escarpé, que, s’il le » faut, on peut naviguer à un mille de dis- » tance. » Variation, 4° 4o/ ouest. Ayant perdu le courant pendant la nuit, nous dépassämes le mont Félix, ou, comme on pourrait le nommer plus convenablement 126 VOYAGE d'après les Arabes, le Ras el Fyl (1), qui est son vrai nom, puisque c’est aussi l'Zlephas Mons des Romains. Nous fimes voile tout le jour, le long de la côte, sur une ligne pa- rallèle de laquelle les montagnes de l’intérieur des terres semblent courir. Thermomètre, 89°. Variation, 59 43/ ouest. Nous continuâmes à naviguer à vue de la côte avec de petites brises, qui soufflaient in- variablement du nord-est, jusqu’au 2 du mois d'octobre, que nous nous jettâmes en haute mer et que nous portâmes le cap directement sur la côte d'Arabie. Le thermomètre se tint à 88° ; mais nous trouvames l'air beaucoup plus frais lorsque nous füûmes au large. Le 3 octobre au matin, nous fûmes à vue des montagnes escarpées d'Aden, et à deux heures de l'après-midi, nous arrivàmes par (1) J'ai suivi, dans ma traduction des Voyages du vicomte Valentia * l’ortographe de d’Anviile, qui nomme ce cap Fellis, tom.Ïl, p. 78. ( Vote du traducteur.) * Voyages dans l'Indoustan, à Ceylan , sur les deux Côtes de la Mer Rouge , en Abyssinie et en Egypte, par le vicomte George Valentia, traduits de l'anglais par P.F. Henry, 4 vol. in-8® , avec atlas , chez Mad. veuve Lepetit, libraire ,” édi- teur de la Bibliothèque portative des Voyages, rue Pavée- Saint-André-des-Arcs. Paris, 1815. EN ABYSSINIE, 127 le travers de cette ville. Nous tirâmes un coup de canon, et il vint dans une barque trois pécheurs , qui nous conseillèrent de conduire le vaisseau* dans la baie intérieure, la rade qui se trouve en face d'Aden étant considérée comme peu sûre au temps de l’année où nous étions. Le capitaine Weatherhead suivit ce conseil, et jeta bientôt l'ancre derrière le ro- cher, dans une excellente situation, par quatre brasses d’eau, fond de bonne tenue. Il parait , d’après les observations que nous avons faites dans le cours de cette navigation en remontant la côte d'Afrique, qu'il n'existe aucun obstacle naturel qui ait pu empêcher: les premiers navigateurs de se rendre direc- tement de Sofala à la Mer Rouge. Je ne m'at- tacherai pas à discuter si Sofala est l'Ophir des Hébreux; car je suis persuadé que l'Ancien Testament ne fournit pas assez d'éclaircisse- mens pour que personne puisse prononcer sur ce point. Je me bornerai donc à démontrer le peu de solidité des bases sur lesquelles un auteur célèbre, M. Bruce , a établi sa théorie à ce sujet. Son principal argument paraît être fondé sur «le temps qu'il fallait à la flotte pour l'aller et le retour », temps qui, comme il l’a dit, « était précisément de trois ans, jamais plus nimoins», et que, d’après cette 28 VOYAGE particularité, le voyage ne pouvait avoir été fait, « avec des vents variables , mais avec les moussons » Cependant l’Écriture n’est pas si positive : « une fois en trois ans» , et«tous les trois ans une fois » sont des phrases très- vagues qui pourraient faire admettre toute différence raisonnable , quant à l’espace de temps employé dans le voyage. Supposons cependant que M. Bruce est exact quant à ce point , et je procéderai à prouver la fausseté des bases sur lesquelles son argument repose. Sa première proposition, à l'égard des vents qui dominent dans la Mer Rouge, est d'une in- *xactitude frappante ; car la mousson ( si l’on peut la nommerainsi) dans cette mer, ne dure jamais six mois de suite, quel que soit le rumb d’où elle vienne ; mais, autant que la chose peut être déterminée, le vent souffle, durant neuf mois consécutifs , du bas dans la partie septen- trionale , et du haut, dans la partie méri- dionale, tandis qu'au centre il est extrêmement variable (1). Il arrive, pendant la force de la mousson du sud-ouest, dans les mers de l'Inde, durant les mois de juin, de juillet et d'août, (1) Voyez les remarques de sir Home Popham , du capitaine Bissell et du lord Valentia * sur ces vents. * Tom. III, p. 137 de la traduction francaise, EN ABYSSINIE. | 129 que les vents étésiens du nord-ouest , qui re- gnent dans la Méditerranée , paraissent trou- ver une issue par la Mer Rouge , et c'est dans la force de la mousson du nord-est dans les mers de l'Inde , durant les mois de novembre, de décembre et de janvier , que le vent du sud-est (que je crois faire partie du même courant d'air que la mousson du nord-est, mais forcé, par la forme des côtes , à suivre une autre direction) parvient jusqu'à Suez. Cependant il ne faut pas prendre trop à la lettre ces expressions qui régnent ; car rien n'induit plus en erreur que les assertions trop générales , à l'égard des saisons , des vents et du temps, que l'on sait être plus ou moins variables dans toutes les parties du | globe. Les points que M. Bruce traite ensuite sont les mines d'argent de Sofala , mentionnées par don Jean dos Santos , et l'existence de cer- taines tours anciennes (1), bâties de pierre et: (x) Ces tours , sur une desquelles est gravée une ins- cription en caracteres inconnus, existent , dit-on, dans l'intérieur du royaume de Boutoua, à cent soixante lieues à l’ouest dé Sofala. Ce récit a été communiqué par les Maures ( Wide Joh. de Barros in Ramusio , tom. I, p. 393); mais la supposition faite par Marmol et par d’au- tres écrivains , que cette inscription a été placée là par I. 9 130 .. VOYAGE de chaux, qui se trouvent aux environs ; mais les faibles renseignemens qu’il donne sur les premières ne prouvent rien ; et quant aux tours on n'en suppose l'existence que d’après un récit fait par les Maures , récit qui n’est aucunemeut « une tradition adoptée par tous les Kafres de ce pays.» Suit un extrait d'Eupolemus , sur lequel M. Bruce fait un raisonuement qui me parait être un chef-d'œuvre de dialectique , et que je ne puis m'empêcher de citer. « Eupole- mus , auteur ancien , dit, en parlant de David , qu'il fit construire des vaisseaux à Eloth , ville d'Arabie, et que de là il envoya des mineurs , ou , comme il les appelle , des hommes à métal, à Orphi ou Ophir, île de la Mer Rouge. Par cette mer , Eupolémus en- tend l'Océan Indien, et par Orphi il dési- gne probablement l'ile de Madagascar. Orphi (ou Ophir ) pourrait avoir été le nom du con- tinent au lieu de Sofala, c'est-a dire que Sofala, où sont les mines, pourrait avoir été le conti- nent d’Orphi (1) » ; ou selon le même raison- ordre de l’un des rois d’Axum , ou qu’elle se rapporte à l'Ophir des Hébreux , paroît entièrement dépourvue de fondement. (1) Voyage de M. Bruce, traduction francaise, tom. IT, p. 291. ( Vote du traducteur. ) EN ABYSSINIE. 131 nement, ceüt pu être toute autre place que le caprice eut pu suggérer. Quant aux vents dans les mers de l'Inde, les assertions de M. Bruce sont encore plus contredites par les faits. En supposant qu'un vaisseau eût des- cendu la Mer Rouge depuis le commencement d’août jusqu'en novembre , il eût eu trois mois de temps et de vent favorables, ce qui eût été très-suffisant pour parvenir à Garda- fui. La mousson du nord-est s'établit dans les mers de l’Inde, au mois de novembre , comme M. Bruce lui-même en convient : alors le vaisseau aurait pu poursuivre son voyage, et 1l aurait eu six mois consécutifs de beau temps et de courants très-forts, en sa faveur, ce qui n'aurait pu manquer de le porter jusqu’à Sofala ; car quant à « cette mousson irrégu- lière du sud-ouest, commencant en novem- bre (1), qui devait l'empêcher d'arriver à Sofala et l'obliger à relâcher dans le petit port de Moka , auprès de Melinde, ou à Tarshish qui est plus prés encore, pour y rester six mois (2)», cela est absolument dépourvu de (1) La traduction francaise du Foyage de M. Bruce, porte décembre. Voy.tom.Il , p. 297. (Note du traducteur.) (2) M. Bruce dit que les Annales d’Abyssinie font mention de Tarshish, comme de l’un des districts révoltés contre Amda Sion; mais comme il est certain que tout 9* 132 VOYAGE fondement. Un tel vent n'existe pas , la chose ayant été suffisamment prouvée par la flotte de l'amiral Blankett , qui s’est tenue dans cette partie de la mer, depuis le mois de décembre jusqu’au mois d'avril, (on peut consulter à ce sujet les observations exactes du capitaine Bissell) et aucune place du nom de Moka et de Tarshish n'étant connue sur la côte. L’au- torité que j'ai déjà citée est suffisante , mais je puis affirmer , de plus, que les barques arabes font le voyage chaque année, au moins jusqu'aux îles Querimbo, et que, durant la même saison, les voyageurs portugais ont cou- tume de faire voile depuis ces mêmes iles jus- qu’à Sofala. | Voici la route que tiennent les vaisseaux marchands des Arabes : ils quittent la Mer Rouge au mois d'août, temps avant lequel il est dangereux de sortir du golfe Arabique. Ils vont ensuite à Mascate, et de Mascate ils le cours de l'expédition de ce prince ne le porta jamais au- delà de 200 milles de Zeiïla , on doit attacher peu d’impor- tance à cette remarque, si méme on peut enfaire mention, parce qu’en ce cas Tarshish devait être à six cents milles au moins du théâtre de la guerre. Quant aux rivières d’Yass et d’Aco, l’une gît au nord de Zeila , et l’autre n’en est pas loin , tandis que , sur la carte de M. Bruce, elles sont placées à dix degrés au sud de ce point ! EN ABYSSINIE. 133 se rendent à la côte de Malabar. En décembre, ils traversent l'Océan jusqu’à la côte d'Afrique; ils visitent Mugdasho, Marea, Brava, Lamo, Melinde et les iles Querimbo. Ils vont ensuite, en ligne droite, aux iles Comorre et aux ports de la partie septentrionale de Madagascar , ou quelquefois ils deseendent vers le sud, jus- qu’à Sofala : cela les retient jusqu'au mois d'avril inclusivement. Ils remontent alors pour rentrer dans la mer Rouge, où ils ar- rivent à temps pour se réparer et pour quon puisse leur préparer une nouvelle cargaison pour l’année suivante. Telle est régulièrement la marche des vaisseaux marchands. Quant à la facilité avec laquelle le retour peut étre effectué, je demande la permission de ren- voyer encore une fois le lecteur, au journal du capitaine Bissell, où il verra qu'au mois d'avril la flotte anglaise se rendit, avec un bon vent, de Mugdasho à la mer Rouge; et le témoignage des Portugais et des Arabes, joint à notre voyage, prouve que les mêmes vents règnent jusqu'à la fin de septembre sans intermission. Ainsi «le changement de mousson six fois », et l’assertion qu'il n’y a pas de combinaison de vents sur toute la surface du globe qui püt 134 VOYAGE être aussi bien appliquée à ce voyage (1), n'ont point de fondement. Quant à la carte que M. Bruce a donnée, « pour résoudre les diffi- cultes qui pourraient s'élever dans l'esprit de ses lecteurs » (2), il serait inutile d'en faire mention, s1l n'était bon de prévenir les er- reurs qui pourraient être les résultats de l'inexactitude dont.elle est, et si elle n'avait pas été dressée sur des bases tout-à-fait ima- ginaires. | Les autres erreurs et les absurdités même, qui sont contenues dans cette discussion, « sur la manière dont on se servait des mous- sons pour le voyage d'Ophir et de Tarshish, » sont tres nombreuses ; mais l’édifice s'étant écroulé , il est inutile de s'occuper des maté- riaux. Cependant il est une particularité qui ne peut être passée sous silence. Dans cette même discussion, l’auteur d’écrit assez en dé- tail des ruines magnifiques qui devraient se trouver à Azab. « Les blocs de marbre qui les composent, dit-il, étaient joints avec des (1) Traduction francaise du Voyage de M. Bruce, tom. IT, p.300. ( Note du traducteur.) ; LE Lab (2)Ilne s’agit pas de la carte générale, mais de celle qui a étéfaite pour l’éclaircissement du Voyage de Salomor & Ophir. EN APYSSINIE. 135 crampons d’airain, très-forts »; et bientôt il ajoute : « Mais en l'analysant, à mon retour en Angleterre, je trouvai que c'était du cuivre sans mélange , ou du cuivre vierge (1). » Le tout parait êtreune pure fiction ; car le dernier éditeur des œuvres de M. Bruce a avoué que tout le voyage , de Loheiïah à Bab-el-Mandeb et à Azab , devoit étre mis à l'écart (ce qui a été d'abord soupçonné par M. Laing, l'auteur bien connu de l'Histoire d’Ecosse), comme ne s'ac- cordant aucunement avec les observations et les dates trouvées dans les propres journaux de M. Bruce (2). Voici la preuve qu'en donne M. Murray. « M. Bruce arriva à Loheiah, le 18 juillet 1960, et il y demeura jusqu'a son départ pour l’Abyssinie. Il y fit des observations de lati- (1) Cette addition ne se trouve pas dans la traduction francaise du Voyage de M. Bruce( Voy.tom. IL,p.311), qui a été faite sur la première édition ; et M. Salt, comme on le voit ci- après, a consulté la dernière. ( VNote*du traducteur. ) (2) La mention d’un édifice sur cette côte devrait être faite par Strabon (L. XVI, p. 1114 ) qui place une co- lonne près du village de Zupn, et qui en attribue l'érection à Sésostris. J'ai fait des recherches sur ce sujet; mais je n'ai pu rien apprendre sur l'existence actuelle d’une colonne ou d’autres ruines à cette place. 136 VOYAGE tude ou de longitude, le 2r et le 26 juillet, et le 5 août, etc. Le journal de Balugnani est complet à cette époque. »{ Voy. l’{ppendix de M. Murray, au Voyage de Bruce, tom. 11, p.264, dern. édit.) C’est dans cet espace de temps, depuis le 27 juillet jusqu’au 6 août, que M. Bruce prétend avoir fait le voyage à Bab-el-Mandeb et à Azab. Le voyage de Cosséir à l’île des Émeraudes, et le retour, sont aussi abandonnés par M. Murray; car M. Bruce n’arriva à Cosséir que le 22 mars, quoiqu'il dise avoir fait ce voyage entre le 14 et le 20 de ce même mois. (Voy. l’Æppendix du Ier livre, dans le tom. 11, p. 262.) Comme ces déux voyages renferment un grand nombre de détails minutieux, tant d'observations que d'opérations, Îe lecteur peut se faire une juste idée du génie inventif de l’auteur. Si l’on n'avait à cet égard un témoignage aussi in- contestable (1), j'aurais cru à peine qu'il fût possible de composer une narration qui offrit autant l'apparence de la vérité; et lorsque le lord Valentia me fit connaître ses doutes sur ces deux points, je différai d'opinion avec lui, (1) Le public est grandement redevable à la famille de M. Bruce et aux éditeurs de son Voyage, pour la bonne foi avec laquelle ils ont fait connaître les faits importans sur lesquels ce témoignage repose. EN ABYSSINIE. 137 parce que je n'avais pas alors suffisamment examiné la question. Je reprends à présent'le fil de ma narration. Peu de temps après que nous eümes jeté l'ancre , le supercargue, M. Coffin, alla à la côte avec les trois pêcheurs , qui avant de nous quitter, nous adressérent la demande accou- tumée : « Allah , meskyn , bakhchyche , » qui signifie littéralement : « Au nom de Dieu, pauvre homme , un présent » ; demande que leur misérable aspect ne permettait pas de rejetter. M. Coffin revint à bord dans la soirée, et m'apporta l’heureuse nouvelle que le capitaine Kudland, avec qui j'avais fait mon premier voyage en Abyssinie, résidait à Moka, en qualité d'agent de la compagnie des Indes orientales. | 4 octobre. Les Banians envoyèrent, dans la matinée, un mulet, un chameau et plusieurs ânes , pour nous porter à Aden, où nous nous rendimes aussitôt, le capitaine , le chirurgien et moi. Le chemin qui mène à cette ville, passe sur une suite de petites éminences qui tiennent à la montagne, et il est en partie taillé dans le roc vif. 11 y à daus la partie la plus étroite de ce défilé, une forte porte pour défendre le passage. | | À nôtre arrivée à Aden, nous füûmes recus 138 VOYAGE avec beaucoup de marques d’égard.; par les Banians qui avaient fait préparer pour nous une maison ,apparteriante à M. Benzoni. De- puis 1806, que j'avais quitté la Mer Rouge, M. Benzoni était resté pour son commerce à Aden, jusqu’en 1808, qu'il s'était rendu à Bombay , -où ses connaissances et sa con- duite judicieuse l'avaient fait nommer assis- tant de M. Rudland , à Moka, par le gouver- neur. Aden est toujours une AE de quelque importance sous le rapport du commerce, C'est le marché principal pour les gommes, que les marchands somauli apportent des districts nord-est de l'Afrique, et l’on peut s'y procurer, quoique moins vite qu'à Moka, à cause du manque de demandes réglées, du café de la meilleure qualité, en quantité con- sidérable. Voici quel était le prix des prin- cipaux articles de commerce : Café eddyn, 70 piastres la balle de 305 liv. Gomme-myrre, 4 piastres et demie, le frasel de 32 liv. d'Angleterre. Gomme-aloès , 2 piastres le frasel, ni Gomme-oliban, 1 piastre le frasel, id. Gomme-mastic, 2 piastres le frasel, id. La ville même n'est qu'un misérable amas de ruines et de chétives huttes. La chaleur EN ABYSSINIE. 139 dévorante du climat, et le manque de tout, exceptée d'eau , font qu'il n'y a que des Arabes de la dernière classe qui puissent y vivre. Les habitans sont pâles et ont l'air de Ja mauvaise santé; et la populace y est aussi dépravée dans ses goûts, que celle qui habite la plupart des villes d'Arabie. On retrouve parmi les ruines d’Aden quel- ques restes d’une ancienne magnificence, qui ne servent toutefois qu'à jeter un jour plus sombre sur tout ce qui les environne. Les plus remarquables de ces restes consistent en une file de citernes, situées du côté nord-ouest de la ville, trois desquelles ont quatre - vingts pieds carrés, sont profondes à proportion, taillées dans le roc vif, et bordées par une couche épaisse d'un beau stuc qui ressemble à du marbre. Gn peut toujours suivre la trace d'un large aqueduc qui, anciennement, con- duisait à ces citernes l’eau qu'il recevait d'un ravin profond creusé dans la montagne. Plus haut, on en voit un qui est toujours entier, et qui, Jorsque je l'examinai, était en partie rempli d'eau. Sur le front de celui-ci, s’é- tend une belle terrasse , autrefois couverte de stuc, et derrière s'élèvent quelques masses de granit énormes , qui étant en partie à pic et en partie horisontales, forment une 140 VOYAGE retraite délicieuse dans le temps de la cha- leur. Quelques enfans arabes qui nous sui- valent dans notre course, parurent enchantés lorsqu'ils nous virent près des citernes. Ils se jettérent dans l’eau la tête la première, et nous divertirent beaucoup avec leurs jeux. Dans la plupart des villes mahométanes, l'in- solence des enfans est très -incommode pour les étrangers ; mais ceux d'Aden étant fami- Harisés avec les Anglais, semblent avoir changé de caractere, et leur enjouement était souvent des plus agréables. Ils couraient de tous côtés pour nous cueillir des fleurs, et tandis que nous cheminions, il nous amusaient par leurs chants, leurs gambades et leurs tours. Quel- quefois ils feignaient d’être excédés de fatigue ou de s'être blessés, et si nous en témoignions de l'inquiétude, ils se mettaient à sauter et à rire de la tromperie qu’ils nous avaient faite. Une petite fille qui n'avait pas plus de cinq ans nous suivit tout le temps que nous mimes à visiter la montagne, et cependant le che- min était très-escarpé. Quelques comassis (1) que nous leur donnions en pareil cas, com- blaient de joie ces petits garnemens. (1) Le comassi est une petite monnaie de cuivre de Moka , qui ressemble au schelling du Holstein. 64 comasis font une piastre d'Espagne. ( Note du traducteur.) | î EN ABYSSINIE. 1Ât Aden est défendue du côté du nord et du côté du sud par une montagne raboteuse et escarpée, sur les cimes de laquelle s'élèvent d'anciennes tours construites par les Turcs. Leur aspect, à une certaine distance, me fai- sait desirer depuis long-temps de les examiner, et en conséquence, je résolus d'aller sur cette montagne le vendredi 6 octobre. Le chemin est fort roide et embarrassé de pierres déta- chées et de quartiers de rochers, qui bientôt mirent notre résolution à une rude épreuve. Les premières difficultés vaincues, nous ga- gnâmes une gorge profonde au nous trouvâmes deux ou trois puits remplis d'eau de pluie, quelques arbres et quelques chèvres errantes. Après l'avoir traversée, nous f'imes au pied d’une autre rampe qui nous conduisit à une plaine fort àpre, d'environ un mille d'étendue, et qui bien qu'elle füt brülée alors, nourrit, après les pluies, un grand nombre de chèvres. Au-delà, la rampe devint si rapide que notre guide nous assura qu'elle était impraticable. Cependant nous persistäines à monter, et à la fin, après de grands efforts, nous parvinmes à l'une des plus hautes crètes de la montagne, crète si étroite, que de chaque côté nous voyions un abime effroyable. Là, mes compa- ganons s'assirent sur le roc, et il me fut im- 143 VOYAGE possible de les engager à monter encore, qüoi- que la plus grande tour, qui était le principal objet de notre curiosité, ne füt plus très-loin. Le desir que j'avais de découvrir une inscrip- ton que javais lieu de croire placée là, me détermina à pousser l’entreprise; et après avoir gagné la tonr, non sans avoir surmonté beaucoup de difficultés et de dangers, je par- Vins à m y introduire en embrassant un angle du muret en posant le pied sur une pierre déta- chée , au bord d'un précipice de plusieurs cen- taines de piedsde profondeur, que l'œil ne pou- vait mesurer sans effroi. Je ne trouvai rien qui püût payer ma peine, si ce n'est la vue quiétait vraiment superbe. Je dominais sur des hau- teurs prodigieuses et une mer immense.J'avoue que je ne pus m'empêcher de contempler aussi, avec un sentiment de satisfaction qui appro- chait un peu de l'orgueil , mes compagnons moins aventureux que moi, et les habitans d'Aden, qui me considéraient , pour ainsi dire, avec stupeur. Cependant, le plaisir que n’offrit ce spectacle fut fort altéré par la diffi- culté de retourner sur mes pas. Elle exigeait de plus grands efforts que ceux que je venais de faire; car après un moment de réflexion, jéprouvai une hésitation qui, en quelques minutes, m'aurait mis hors d'état d'exécuter EN ABYSSINIE. 143 l'entreprise. Il n’y a même que l’idée d’une nécessité absolue, à laquelle se joignit une sorte de désespoir, qui ait pu me faire sortir de la situation des plus périlleuses où je m'é- tais imprudemment engagé. À notre retour, nous passàmes près du mur élevé par le colonel Murray, lorsque les troupés anglaises étaient postées à Aden, avant leur expédition d'Egypte. Le plan me parut bien conçu, et ce mur eût efficacement protégé la place du seul côté où il était possible de l’at- taquer. | Le 8 octobre, un brig fut à vue au point du jour. Il gouvernait directement versle port, comme si le pilote eüt bien connu la baie. Ne pouvant distinguer le pavillon , le dola courut à la porte de la mer, et je me rendis avec quel- ques autres à notre vaisseau. Nous craignions que ce ne füt un corsaire français; les bâti- mens de cette même nation ayant été dans l'habitude de gagner ce port pour y relâcher, quoiqu'’on leur en eût refusé l'entrée plusieurs | fois, et notamment au commencement de l’an- née où nous étions. Par bonheur, ce vaisseau était américain, et il nous apprit, à notre grand contentement, que la paix subsistait entre nos deux nations, ce dont nous avions \ 144 _ VOYAGE tout lieu de douter, d’après des informations quon nous avait données à Mozambique. C’est le cas de faire remarquer ici combien le mouillage est exposé dans cette baie. Un corsaire français où un pirate pourrait faci- lement couper la communication entre le port et tout vaisseau, saus que celui-ci püt rece- voir aucun secours du rivage. Les moyens de remédier à ce mal sont simples et peu coù- teux. En conséquence, jai pris sur moi de proposer au gouverneur de Bombay d'envoyer deux pièces de canon en présent au sultan d’Aden , à condition qu'il les ferait placer sur une pointe voisine du tombeau de Chaik Ha- med, position où ils commanderaient com- plétement et protégeraient le mouillage. Si l’on établit des relations de commerce avec la Mer Rouge, une telle précaution sera d'autant plus nécessaire que nous sommes aujourd'hui en guerre contre les Américains, qui connais- sent parfaitement tous les ports d'Arabie, et dont les vaisseaux sont généralement supé- rieurs à ceux de nos navires marchands qui pourraient être employés à ce service. L’exé- cution de ce projet, non seulement nous se- rait avantageuse, mais ce serait aussi un té- moignage de reconnaissance envers un prince EN ABYSSINIE. 145 qui, par des actes multipliés de bienveillance, a prouvé son attachement pour les Anglais. Si l'on élevait un fortin pour y placer les canons, ceux-ci n'en seroient que plus utiles. Comme le vaisseau ne devait pas avoir fini, de trois jours, d'embarquer sa provision d’eau, je résolus de profiter de ce temps pour faire un voyage à Lahadj (1), résidence et capitale du sultan (2); et nous partimes accompagnés de Duroz, l’un des banians, et d'Abou-Beckr, dola (3) d'Aden qui avait reçu du prince l'ordre (x) Vaugondy et d’Anville écrivent ZLage. ( Remarque du traducteur. ) (2) Ludovico Barthema qui avait été fait prisonnier par les Maures, et envoyé à Lahadj en r504, a publié une des- eription de cette ville, qu’il nomme Laji. Sa relation est intéressante , et je la crois exacte, vu qu’il a donné dans le dialecte particulier du pays, plusieurs des entretiens qu’il a eus et dont je suis parvenu à comprendre le plus grand nombre, quoiqu'’ils soient plus faciles à entendre qu’à lire, ayant été transcrits en caractère romains par lesquels les mots ont été singulièrement altérés. Le savant et infatigable Niebuhr pense que ce dialecte se rapproche plus de la langue des anciens Homérites qu'aucun autre qui se parle aujourd’hui en Arabie. Vide Ttinerario di Ludovico Barthema, stampato a Vinegia , 1535. Le même journal se trouve dans Ramusio , mais sans l’arabe. (Wide vol. I, p. 154 et seq.) (3) Gouverneur d’un district ou d’un canton. ( Vote du traducteur. ) I, 10 146 VOYAGE de nous escorter avec une garde d'Ascarri (1). Cet officier , qui était issu d’une tribu d'Arabes Abadeh, était le plus bel homme que j'eusse jamais vu. Ilétait de plus grande taille que la plupart de ses compatriotes; il était actif, en- treprenant , et il montrait un esprit d’indé- pendance qui semblait exciter l'admiration gé- nérale. Dans la première partie du chemin, nous touruämes la baie intérieure , près de laquelle s'élève un petit édifice appelé Beit el Me, la Maison d'eau. C’est à présent un abri pour ceux qui apportent des vivres à la ville. Der- rière cet édifice, on voit les ruines de grands murs de piel e qui s'étendent au loin à tra- vers la péninsule adjacente. Ils paraissent avoir fait partie d'un réservoir immense qui aura été construit très-anciennement pour fournir de l’eau douce aux vaisseaux mouillés dans la baie intérieure. | À environ un mille plus loin, une chaussée élevée sur sept arches unit le continent à la péninsule d'Aden, ainsi qu'on la nomme, quoiqu'il füt plus convenable de la qualifier d'ile; car à la haute marée un volume consi- (1) Ascarri, pluriel d’ascar , sorte de janissairé en Âra+ bie. (Vote du traducteur.) EN ABYSSINIE. 147 dérable d’eau salée passe sous les arches, unis- sant ainsi deux ouvertures de Ja mer. Absolument au nord de cette chaussée s’é- tend un ancien aqueduc, aujourd'hui ruiné, construit en pierres de taille, ayant partout environ cinq pieds de largeur, et s’élevant à présent de deux pieds seulement au-dessus du niveau du sol. On en suit les ruines l'espace d'environ huit milles, ce qui peut donner une idée de l'importance d’Aden au temps de sa prospérité. Il y a lieu de croire, d'apres un Traité curieux écrit en latin par Resende, sous la date de 1530, et intitulé : Æpitome rerum gestarum in Indid a Lusitanis, que cet aqueduc et les tours élevées sur les crêtes de la montagne ont été construits postérieu- rement; car il dit que ces crêtes n'étaient ac- cessibles que pour les oiseaux; que l’eau était apportée tous les jours sur le dos des cha- meaux, qui quelquefois étaient au nombre de quinze ou de seize cents et même de deux mille, et que lorsqu'ils arrivaient de jour ils entraient dans la ville, mais que si c'était de nuit, l'eau était déposée dans une grande ci- terne près de la Maison d'eau, des ruines de laquelle je viens de parler. Ce fut , sans doute, pour obvier à cet inconvénient et rendre Aden indépendante des Arabes , que les Turcs forti- !: 10* 145 VOYAGE fiérent les hauteurs et construisirent l’aque- duc, dont la première mention fut faite par un officier français qui visita cette ville en 1709, et qui le trouva servant à sa destination. À l'extrémité de la plaine que traverse l’aque- duc, se trouvent un tombeau et un caravan- serai, dédiés à Chaik Othman. Là, notre troupe que des soldats bédouins , qui nous avaient joints dans la marche, avaient considérable- ment augmentée, sarrèta pour se mettre à l'abri de la chaleur du jour. Bientôt le dola nous fit servir à tous du poisson grillé, accom- modé avec de la farine de djoary et du beurre fondu. Maïtres , soldats et valets , prirent , à la véritable manière arabe et patriarcale, part à ce repas qui probablement aurait ré- volté la délicatesse de quelques estomacs euro- péens. Comme de coutume, après qu'on eut mangé, on fit un somme ,etenséveillant, ceux qui le purent, se régalèrent d’une pipe, ce qui est le moyen pratiqué par les Arabes pour écarter tous les soucis. Nous reprimes notre marche à trois heures. Parvenus à un demi-mille du tombeau , nous entrâmes dans une forêt d'arbres élevés dont les branches étaient fort étendues. Ils étaient d’une espèce de mimosa , appelée sa-muk par les Arabes. La forêt, qui va de l'est à l’ouest, EN ABYSSINIE. 149 a,diton, une longueur de deux jours de marche, sur une largeur d'environ huit milles. On y voiterrer, de toutes parts, des chameaux et des chèvres, qui, au temps de l’année où l'on était, se nourrissent de feuilles et de jeunes branches d'arbre. Cest de la chair et du lait de ces animaux que toutes les tribus de Bédouins tirent leur subsistance, Au sortir du bois, le chemin coupe une plaine stérile, couverte de monticules com- posés de sable fin qui, volant sans cesse de lieu en lieu , empêche toute végétation quel- conque. Lorsque nous eùmes traversé ce désert qui n'avait que cinq milles de longueur, nous retrouvämes graduellement la verdure , et peu de temps après nous gagnàmes un terrain très- fertile et parfaitement cultivé , qui touchait à la ville de Lahad}j. Là, nous vimes du blé, du djoary et des cotonniers. La végétation était des plus vigoureuses, la terre étant en- trecoupée de canaux creusés par l’art et fournis d'eau, au moyen de ces machines si simples qui sont communes en Arabie et en Egypte. Tout le pays, en outre , était parsemé de dattiers. Arrivés près de Lahadj, nous renconträmes une députation à la tête de laquelle était le 150 VOYAGE dola de cette ville , qui nous y conduisit, accompagné de ses ascarri, sautant, dansant, chantant, agitant leurs fusils à mêche et criant comme font ceux de Moka lorsque le dola re- vient de la Mosquée, les grands jours de fête. Ils s'amusèrent de la sorte jusqu'à la première entrée de la demeure du Sultan ; et là trois | decharges de mousqueterie, faites irrégulié- rement, mirent fin à leurs jeux. Nous sui- vimes plusieurs passages fortement barricadés à chaque bout, et on nous fit monter à une salle, ouverte par le haut ( assez semblable à la saile d'audience de Sanah, dont Niebuhr a donne un dessin), et à l'extrémité supé- rieure de laquelle Sultan Hamed nous atten- dait. C'était un vieillard qui avait l’air d'un patriarche et dont la physionomie annonçait de l'intelligence et de la douceur. Il nous reçut de la manière la plus amicale. Il nous parut qu il était sincère dans ses démonstrations, et il nous dit plusieurs fois, à là manière des Arabes, qu'il éprouvait une vive satisfaction de voir encore un anglais avant de mourir. Ceux de nos compatriotes qui l'avaient visité lui avaient dqnné l'opinion la plus favorable de notre nation, et d'aprés ce qui s’est passé ensuite, j'ai tout lieu de croire que si jamais EN ABYSSINIE. 151 nous avions besoin des bons offices de ce prince, pour les arrangemens que nous au- rions à conclure avec les états Arabes, il les emploierait pour nous. Lorsque nouseümes pris du café à la sultane, comme disent les auteurs français, on nous présenta des houkahs ; et bientôt, à ma grande surprise, on annonça le diner. En conséquence nous nous retirämes, avec le dola d'Aden, dans une autre pièce, où l’on nous servit du chevreau rôti, coupé par peuts Inorceaux, et quantité de riz en pilau. Aprés le diner, Abou Beckr se leva et ditque, comme il savait que nous avions coutume de boire du vin (dont nous avions apporté une petite provi- sion d'Aden) apres nos repas, il nous quitte- roit un moment pour nous laisser ce plaisir. Une telle politesse est fort rare dans un mu- sulman. | J'ai peu de chose à dire de la ville de Le hadj, que cependant j'ai eu la facilité d'exa- miner dans la soirée et daus le cours de la journée suivante. Les maisons sont de bou- sillage, et le palais même du sultan, qui a la forme d’un ancien château (voy. PL. IV), est construit des mêmes matériaux. Les habitans fabriquent une € ce de drap fin , rayé de 15. ‘MiVOrAGE plusieurs couleurs, qui sert ordinairement à l'habillement des Arabes d'un rang distingué. La misère qui me parut régner parmi Îles basses classes, faisait un contraste frappant avec les Bédouins des environs, qui bien que plus pauvres en effet, ressentent un tel or- gueil de leur indépendance, qu'il les porte à se contenter de peu. Au nord de la ville est une vaste plantation de dattiers, de manguiers, de sycomores et de grenadiers, parmi lesquels je remarquai plusieurs beaux arbres trés-hauts, que les Arabes nomment bedan. Les feuilles de ces arbres croissent en touffe, et sont par la forme assez semblables à celles du laurier. Le fruit, qui ressemble à une amande, n'est pas désa- gréable au gout, quoiqu'il soit fort piquant. L’arrosement de la plantation exige une quantité d'eau surprenante. Il faut tenir constamment humide le pied de chaque arbre , et pour cela on a recours à l’art, dans le temps de la sécheresse qui, par bonheur, ne dure que deux mois. Dans les dix autres mois il pleut de temps en temps; et au mois de décembre, les pluies tombent en si grande abondance r les montagnes voisines, qu alors la ee | qui passe à La- EN ABYSSINIE. 153 hadj, quoiqu’elle soit fréquemment à sec en d’autres temps, se transforme en un torrent prodigieux. Cette rivière coule entre deux bandes de terre qui ont environ trois milles de large chacune et sont très-fertiles, comme cela se voit en général sur les bords des rivières qui coulent plus à l’orient. Au-delà et au nord, se trouve un canton pierreux et stérile, qui s'étend jusqu'au pied des montagnes habitées par les Arabes Abadeh, qui lorsque l’occasion l'exige , accourent en foule se ranger autour de l'étendard du sultan. Ils sont petits, mais robustes, et ils fournissent quelques-uns des meilleurs soldats d'Arabie, Il serait difficile de trouver un prince dont: le sort füt plus digne d'envie que celui de sultan Hamed, qui par sa conduite judicieuse a élevé sa principauté à un rang éminent parmi celles de l’Yémen et qui, par sa cons- tante sollicitude pour le bonheur deses sujets, a pleinement mérité le titre de Père du pays, qu'ils lui donnent généralement. Les plus res- pectables Arabes de cette contrée paraissent se rapprocher, par leur caractère, de la sim- plicité patriarchale de leurs ancêtres. D’après ce qu'en dit l’exact Niebuhr, je suis porté à _croire qu'il en est de même dans une grande “$ 154 VOYAGE partie de l’intérieur des terres, et que celte honorable distinction contraste infiniment avec les mœurs licencieuses de ceux qui ha- bitent la côte supérieure. Le 9 au soir, après avoir pris congé du sultan , nous partimes pour retourner à Aden. Nous passàmes la nuit au Caravan-Serat, ce qui ne fut pas des plus agréables, cet édifice étant à peine assez vaste pour contenir toute notre troupe; mais de tels inconvéniens ne sont pas de nature à rebuter un voyageur. Le mardi, 10, nous nous remimes en marche au point du jour, pour arriver à Aden, avant que la chaleur, qui est vraiment accablante dans ce pays, füt dans toute sa force. A l'approche de la péninsule, nous fûmes extrémement frappés de l'aspect que prit le soleil en se levant. Lorsquil fut à moitié, au-dessus de l'horizon, il ressembla, par la forme, à un dôme de château; lorsqu'il fut aux trois quarts, on eut dit un ballon; et enfin , étant tout-à-fait dégagé, ilparutcomme un globle applati à chaque axe. Ces singu- lières altérations de forme peuvent être attri- bués à la réfraction produite par les diffé- rentes couches de l’atmosphère , à travers les- quelles on voyait le soleil. La même cause faisait que notre vaisseau , qui était à l'ancre EN ABYSSINIE. 159 dans la baie, avait l'air d'être hors de l’eau, etque ses mâts, qui étaient nus, paraissaient entourés de voiles Une pointe de terre et un rocher bas, qu' étaient à vue, semblaient, lune n'avoir d'autre base que l'air, et l’autre sélever aussi haut qu'un vaisseau, l’espace qui se trouvait eutre ces objets et l'horizon ayant, quoique transparent, une teinte grise très-distincte de la couleur plus foncée de la mer. Cette illusion produite par l'atmosphère, a été, autant qu’elle affecte les positions re- latives des corps célestes à la vue, l’objet de la plus grande attention de la part des astro- nomes, et pour obvier aux erreurs, qu’elle peut occasionner, on a dressé des tables qui sont peut être aussi exactes que le permettait le sujet. Mais comme l'illusion affecte l'hori- zon visible et les autres objets qui sont à la surface de la terre , elle parait mériter un exa- men encore plus approfondi ; car elle produit, particulièrement dans les latitudes chaudes, une grande incorrection dans toutes les ob- servations faites au moyen de l'horizon visi- ble ,ainsi que dans les mesures géométriques qui dépendent d'un objet éloigné et qui doivent être déterminées avec un théodolite ou un autre instrument, sur la côte. Sous ce rapport un horizon artificiel a , sur l’ho- 156 VOYAGE rizon visible, des avantages positifs, pour l'exactitude, et partout où l’on peut s'en pro- curer un, il est infiniment à préférer (1). Le capitaine ayant achevé de faire remplir d’eau toutes ses futailles, précaution qu'il est utile de prendre avant d'entrer dans la Mer Rouge, je retournai à bord de la Marian, après avoir eu la peine de régler mes comptes avec les Banians. Je dis la peine; car, bier que ces négocians aient une grande douceur de caractère, et qu’ils aient sur eux-mêmes l'empire le plus absolu, il n'y a pas d'hommes au monde, plus fins, plus rusés, plus ra- paces en affaires. En conséquence, on doit se tenir en garde contre leurs supercheries, quoi- que leurs comptes paraissent d'une exactitude minutieuse. Quant au reste, d'après ce que jen ai vu, jai lieu de juger qu'ils sont un peuple estimable et paisible; et même rela- tivement au reproche que j'ai lieu de leur faire, on peut l’attribuer en partie à la mau- vaise foi de presque tous ceux avec lesquels ils sont dans le cas de traiter. Duroz, le prin- cipal Banian d'Aden, ma toujours paru un (x) Une explication très-satisfaisante , des effets divers de la réfraction a été donnée par le docteur Wollaston, et insérée dans les transactions philosophiques. EN ABYSSINIE. 157 des plus respectables de cette classe d'hommes. Le 11 octobre, nous sortimes du port d’A- den avec un bon vent et un courant favo- rable. Comme le vent était agréable et la sur- face de la mer polie, nous continuâmes tout le jour à ranger la côte, dont les montagnes sont très-remarquables par leur forme. Au coucher du soleil, nous trouvâämes, par une amplitude , que la variation était de 7° 10’ ouest. Le 13, nous doublämes pendant la nuit, le cap Saint-Antoine qui, au point du jour, était toujours à vue, et nous restait au nord- est quart d'est, à la distance de huit lieues. Nous avions le détroit de Bab-el-Mandeb au nord-ouest quart d'ouest , à neuflieues, et la côte d'Afrique , à l’ouest-sud-ouest , à sept lieues. Dans cette position, il est très-impor- tant, pour les navires qui ne connaissent pas la côte , de se tenir près du rivage d'Arabie, jusqu'à ce que l'ile de Périm soit à vue , plu- sieurs vaisseaux s'étant , faute d'avoir pris cette précaution , engagés dans la baie enfoncée de Tajoura , ce dont on trouve un exemple re- marquable dans le J’oyage de l'Arabie Heu- reuse , p. b9 et 64. On y voit qu’au mois de décembre 1708, le vaisseau le Curieux, fut, par une erreur de ce genre , prêt à se perdre 158 VOYAGE sur un des écueils de cette baie dangereuse, À onze heures du matin, nous passâmes le détroit de Bab-el-Mandeb , avec un courant trés fort, qui portait au nord ouest quart- nord. Bientôt après je reçus une lettre du capitaine Rudland , quim'invitait à débarquer; et dans la soirée j'établis ma résidence à la factorerie anglaise de Moka. Ce même jour , M. Rudland voulut bien me communiquer les ordres qu'il avait reçus du gouvernement de Bombay, pour établir des relations de commerce avec l’Abyssinie. Il me fit part aussi du plan qu’il avait suivi pour y parvenir, et de tout ce qui s'était fait en conséquence. Il avait, au mois de mai 1809 (1) et aussitôt après son arrivée dans la Mer Rouge , dépêéché au Ras Ouelled Selassé , une lettre par laquelle il linstruisait de son arrivée à Moka , en qualité d'agent de la Compagnie des Indes Orientales, et lui exprimait le desir di gouvernement de l’inde d'entretenir une communication régulière avec l'Abyssinie. Il avait écrit, en même-temps, à M. Nathaniel Pearce , que Javais laissé dans ce pays, à (1) Voyez la traduction francaise des Voyages du vicomte Valentia, tom.Ill , p. 227, et tom. IV, p. 79 et suiv. ( Note du traducteur. ) EN ABYSSINIE. 159 mon premier voyage. M. Rudland reçut, au mois de juillet de la même année 1809, une réponse très-satisfaisante du ras, par le canal de M. Pearce, qui lui rendit compte, d'une manière simple et claire, quoique originale, des diverses aventures qui lui étaient arrivées. Il y disait que le ras n'avait cessé d'exprimer ses regrets d'être si long-temps sans entendre parler des Anglais, et de témoigner son vif desir d'encourager les communications avec notre nation. M. Pearce ajoutait à cela la dési- gnation des articles de commerce qui seraient le plus recherchés en Abyssinie. Peu de temps après avoir reçu cette let- tre, M. Rudland avait envoyé son assistant, M. Benzoni, dans une chaloupe du pays, avec quelques marchandises et quelques présens, à Madir, village situé sur la baie d'Amphila et la côte d'Abyssinie, où il avait invité M. Pearce à se rendre pour les recevoir. Les difficultés que M. Benzoni rencontra, et les dangers auxquels cette entreprise mal conçue exposa M. Pearce, sont retracés plus loin. Peu de temps après, le ras avait envoyé à Moka un nommé Hadjy Hamoud, musulman qui faisait le commerce d’Abyssinie. Il y était retourné avec quelques marchandises par la voie de Massouah ; mais on n'avait plus en- 160 VOYAGE tendu parler de son arrivée à Chelicut , et M. Rudland paraissait croire qu'il y aurait de grands obstacles à vaincre en prenant ce che- min, parce qu il était arrivé de Djeddah, dans cette île, un serdar (1) nommé Omar Aga, qui avait dépasse le nayb et pris le Dr es ment. Peut-être convient-il d'observer que notre position était alors extrêmement pré- caire à Djeddah, à cause du caractère immoral de son chef, qui venait de commettre un acte de la plus grande injustice contre les Anglais, en retenant des marchandises qui leur appar- tenaient. Cet état des choses me faisait un devoir de chercher à communiquer par écrit avec le ras, avant de tenter de pénétrer en Abyssinie. En conséquence, je louai à Moka un homme sür, nommé Hadjy Aly, que j'envoyai sur-le-champ à la côte d’Abyssinie, dans une chaloupe ap- partenante à Yunus Beralli, ce fidèle Somauli, qui avait rendu d'importans services aux An- glais. J'avais remis à Hadjy Aly une lettre par laquelle j'annonçais mon arrivée avec des pré- sens destinés par Sa Majesté à l'Empereur Ayto Egouala Sion, ou Ayto Goualo, comme on le nomme communément. J'y exprimais aussi le, (1) Chef, ou commandant. { Explication du traducteur.) EN ABYSSINIE. 161 desir de partir le plus tôt qu'il serait possible, et j'y priais le ras d'envoyer M. Pearce avec un nombre convenable de serviteurs et de mulets vers tout point de la côte qu'il FE pour mon débarquement. Hadjy Aly partit le 14 octobre; et comme j'avais à faire beaucoup de binépeitots pour mon voyage, je résolus d'attendre à Moka la réponse à ma lettre. Durant mon séjour dans cette ville, je visitai plusieurs fois le dola (qu’on appelait sultan Hassan ), le ras Kateb, et les autres habitans d’un ordre distingué. Je les trouvai tous plus favorablement disposés en faveur des Anglais qu'ils n'avaient paru l'être duraut ma première résidence à Moka. Le dola m'accorda la permission Îa plus entière de louer tout autant de domestiques que je pour- rais le desirer. 11 me donna aussi, pour l’ac- complissement de mon dessein, toutes les facilités qui étaient en son pouvoir , et il m’en- voya fréquemment des présens de fruits et de légumes, que l’état critique des affaires de la ville me rendait des plus agréables. Pour que le lecteur puisse apprécier cet état , il est né- cessaire de retracer les événemens survenus dans l’Yémen depuis le séjour que nous y avons fait en 1865. Ce tableau , qui se lie aux opéra- tions des Wahabis dans cette partie de l'Arabie, L TI 162 VOYAGE ne sera peut-être pas indigne de l’attention du lecteur. Au temps ou nous quittâmes l'Arabie, tout annonçait que les affaires de l’Yémen tou- chaient à une crise. La faiblesse du vieil iman, Aly Mansour, et l'incapacité de son ministre avaient occasionné la perte de ses possessions les plus importantes, telles que Loheiah et Hodeidah, qui pour n'avoir pas été secourues à propos, furent obligées de se soumettre à la puissance des Wahabis que les murs de Moka empéchèrent seuls d’avoir un domaine absolu sur la côte de la mer, et d'être maitres du com- merce du pays. Par AR pour la maison régnante, Hamoud, shériff d’Abou Arisch, qui avait feint d’embrasser la doctrine des Wahabis, détes- tait, au fond de l'ame, la réforme que ces sectaires avaient établie, et n’attendait que le moment favorable pour secouer leur joug. Il traita en secret avec Sydi Achmet, fils ainé de liman , et il l'engagea à ôter à son père Îles rènes du gouvernement pour les prendre en main lui-même. Ce projet fut mis à exécution sans aucune effusion de sang, ce qui ne peut s'expliquer que par les dispositions des habi- tans de l' Yémen en faveur de cette révolution. Le visir Fakky Hassan, et quelques-uns des EN ABYSSINIE. 163 agens principaux de l'ancien gouvernement furent dépouillés de tous leurs biens et jetés en prison. Quant au vieil iman , il fut exclu de toute participation aux affaires d'état, dont on suppose qu'il ne se mélait guère, et on le laissa jouir, dans {a retraite , de toutes les dou- ceurs de la vie. , Sydi Achmet prit pour visir Ismael Furria, homme trés-habile , qu’on croit lui avoir tracé le plan de conduite judicieux qu'il a suivi. Im- médiatement après l'avénement de ce prince, qui eut lieu au mois de février 1809 , shériff Hamoud secoua le joug des Wahabis rentra dans l’obéissance du jeune iman et lui rendit la souveraineté, non seulement des provinces de Loheïah , de Hodeidah et d'Abou Arisch , mais aussi de celles de Beit-el-Facky et de Zebid ( desquelles il s'était mis récemment en pos- session conjointement avec les Wahabis), en stipulant , comme on doit s y attendre, quil en conserverait le commandement. Le revenu de ces provinces et retourné, depuis, au trésor de l’iman. La défection de shériff Hamoud lui attira, au mois de juillet suivant, une attaque des Wahabis. Abou Noukta (1), chef de la province (1) Son véritable nom était Abd’ Ouf Houkal. Il a été T1" 104 VOYAGE de Kubtoul Bucker, qui est située au sud de Confouda, marcha, par ordre de Shoroud, pour le soumettre. Hamoud, quoiqu'il ne fût pas à la tête de plus de cinq cents hommes, fut assez téméraire pour attendre de pied ferme les Wahabis; et au premier choc, qui eut lieu À Ghezan, à deux traites d'Abou Arisch , il essuya une défaite signalée qui le contraignit à faire une retraite précipitée. À la nouvelle de ce revers , les négocians de Loheiïah et de Hodeidah embarquèrent leurs marchandises pour les soustraire à la rapacité des Wahabis, s'ils poursuivaient leurs avan- tages. Tout semblait leur conseiller de le faire; mais ils arrétèrent leur marche, sans qu’on en connaisse la cause. Hamoud eut le temps de recruter ses troupes et de recevoir des renforts de Sanah, qu’on porta à quatre mille hommes, vu que la sûreté de l’état en dépen- dait. On lui fournit en même temps un sub- side de quarante mille piastres. Au moyen de tous ces secours, il eut, dit-on, une armée de vingt-cinq mille hommes, dont quatre mille étaient montés, les uns sur des dromadaires, et les autres sur des chevaux. Ce nombre peut être exagéré , mais dans un pays où tout homme nommé Abou Noukta, Père Borone , à cause de la perte qu'il a faite d'un œil. EN ABYSSINIE. 165 est soldat, on a bientôt levé une armée avec de l'argent. Au moyen de ces forces, Hamoud reprit l'offensive, et dans un combat qui dura tout un jour, il défit complètement l’armée d'Abou Noukta, qui, ainsi que plusieurs de ses prin- cipaux officiers, périt dans l’action. Cette victoire rendit temporairement la tran- quillité à l’'Yémen , quoiqu’elle eût remis entre les mains d'Hamoud plus d'autorité peut-être qu'il ne convient à un sujet d'en avoir. Hamoud est natif d'Abou Arisch, et l’ainé de quinze frères , la plupart desquels sont vivans et ont chacun de six à huit enfants. Plusieurs ont des gouvernemens distingués, et l’on croyait que l'office de dola de Moka était destiné à l’un d'eux. Des relations si étendues, dans un pays où les lois de la parenté sont presque aussi sacrées que du temps des patriarches, rendent ce chef très-puissant , et lui donnent une in- fluence sans bornes sur les affaires publiques. Sultan Hassan , esclave d'Aly Mansour, était depuis un espace de temps plus long que ne lautorisait l'usage, dola de Moka. Non seu- lement il était en retard, depuis quelques an- nées, de payer les sommes qu'il devait au trésor de l’iman; mais, comme le prouvait le soin qu'il avait pris de relever les fortifi- 166 VOYAGE cations de la place , et de faire construire, au prix de quarante mille piastres, une nouvelle maison forte, il avait résolu de différer son retour à Sanah autant qu'il le pourrait, et même de se rendre indépendant. La déposition de son protecteur , et l’avénement d'un prince dont l'administration s’annoncait comme de- vant être vigoureuse, ne pouvaient s'accorder en aucune sorte avec les projets qu'Hassan avait conçus, et il déclara que tant que vi- vrait le vieil iman, il ne reconnaïîtrait d'autre autorité que la sienne. La lutte qu'il soutenait alors contre les Wa- habis, et la nécessité d'affermir son gouver- ment, empéchèrent Sydi Achmetde témoigner à l'instant même son ressentiment; mais il fit tous ses préparatifs pour attaquer Hassan, et il donna l’ordre à Aly Souhed, chef d'Eddyn, de mettre sur pied une armée de cinq mille hommes. Hassan, de son côté, ne montra pas moins d'activité. Il leva dans le territoire d’Aden, avec la permission de Sultan Hamed , un corps de quinze cents arabes , qui, Joints à ses autres forces , lui firent environ trois mille hommes. Ce devait être assez pour défendre une ville fortifiée contre des assaillans qui n'avaient point d'artillerie. EN ABYSSINIE 167 Cet état de suspens dura jusqu'à ce qu'un étrange concours d'événemens, dans lesquels on put remarquer l'ardent desir d'éviter l'ef- fusion du sang, desir qui caractérise les habi- tans de Yémen, excepté dans les occasions où ils ont à exercer une vengeance person- nelle, eût amené la crise. Le 7 septembre, le frère du visir, après avoir plusieurs fois tenté vainement d'engager le dola à se soumettre au gouvernement , saisit l'occasion de lui donner l'ordre par écrit de remettre le commandement de Moka à Syed Gouderat, l'émir Mouckatah, ou le commandant des troupes. Il n'eut pas plu- tôt exécuté cette dangereuse commission qu'il se retira. Lorsque le dola eut lu l'ordre, il ap- pela ses soldats et les mit à la poursuite du fu- gitif, mais celui-ci avait eu le temps deseretirer dans la maison de l'émir. Le lendemain, cet offi- cier, accompagné d'une garde suffisante , alla trouver le dola et le somma de renoncer à son office. Hassan luirépondit par un refus , et l’on enréféra aux troupes poursavoiràaquielles vou- laient obéir. Les troupes anciennes déclarèrent qu'elles se soumettaient aux ordres venus de Sanah, et en conséquence elles livrèrent les portes de la ville. Les troupes mercenaires d'Aden demeurèrent fidèles au dola, et le jour méme elles attaquèrent la maison de l’émir, 168 VOYAGE où elles voulurent mettre le feu ; mais bientôt les autres troupes arriverent au secours, et l'un des soldats du dola ayant été blessé, on renonçÇa à l'attaque. Il se tint alors une assem- blee de notables, où l’on convint, non sans peine, d'une süspension d'armes, pendant la- quelle on négocierait à Sanah ; et un tambour parcourut toute la ville pour annoncer cette heureuse nouvelle aux habitans. Quoiqu'un pareil état des choses düt rendre très désagréable la résidence de Moka , notre position à la factorerie ne fut pas aussi fâcheuse qu'on aurait pu s'y attendre. Durant quelques jours, nous fümes forcés de tenir les portes closes, et nous ne pümes recevoir aucune pro- vision de légumes, de fruits, ni d'eau; mais comme notre communication avec le vaisseau ne fut pas interrompue, nous souffrimes bien moins d'une telle privation que ne le firent les habitans de la ville eux-mêmes. I} n’était pas, à la vérité, fort sûr de la traverser pour nos promenades. Cependant nous continuämes à lefaire, et nous n’essuyâmes aucune insulte. Pour ajouter à la détresse du dola, un fils de shériff Hamoud vint au commencement d'octobre réclamer une somme de huit mille piastres, qu’il prétendait due au gouverne- ment. Quelques mois auparavant, il en avait EN ABYSSINIE. 169 demandé une de quatre mille, et comme on n'avait eu aucun égard à cette demande, le gouvernement avait doublé la somme, et avait déclaré que si on ne le satisfaisait pas dans un mois, il la porterait à seize mille piastres. Le dola, pour la lever, fut forcé de faire arrêter tous les Aamauls (porte faix }, tous les teneurs de café; et ceux qui n’avaient point d'argent furent retenus en prison jusqu’à ce que leurs amis eussent payé pour eux. Le temps où l’on devait recevoir la réponse de Sanah s’'approchant , l'agitation devint extrême dans la ville. Les habitans se mu- nirent d'eau , de bois et de vivres, comme s'attendant à soutenir un siége. Le capitaine Rudland en fit autant. Mais le 3r octobre la contestation fut terminée par la nouvelle de ‘la mort du viel iman Aly el Mansour , mort arrivée le 25. Ce prince qui était âgé de quatre- vingt-cinq ans, en avait régné trente-cinq. Son fils Achmet (1) prit le titre de Sydi Achmet émir al Moukmun, él RTE URMel Allah Rebbi él Aleméin! » Cet événement ayant FU tout breveté à la révolte, le dola se soumit, et l'on fit de (x) L'histoire de cette famille se trouve dans la Des- cription de l'Arabie par Niebuhr, p.170, etc. 170 VOYAGE grandes réjouissances pour l'avènement du nouveau prince. À ma demande, M. Wea- therhead, le capitaine de la Marian, fit faire une salve royale, à laquelle un des forts de la place répondit par un pareil nombre de coups de canon; et durant toute la journée et les trois suivantes, on n'entendit que des salves et des cris de joie. Tous les habitans se revêtirent de leurs plus beaux habits, et leur gaité confirma pleinement la remarque de Niebuhr qui dit « que les Arabes d Yé- » men sont plus vifs que ceux d'Hedjas et » infiniment plus que les Turks ». Peu de temps après cet événement, le dola fit sa paix avec la cour, et renvoya ses mer- cenaires. Ainsi fut terminée, seulement aux dépens de la vie d'un homme, à ce que je crois, une révolte qui sans une condescen- dance réciproque aurait occasionné une san- glante catastrophe. La conduite que tint le jeune iman à la mort de son père, était propre à lui conci- lier l'affection de ses sujets. Une partie des impôts leur fut remise , il y eut une amnistie générale , et de grandes largesses furent faites parmi ses amis. Tout en Îui annonçait un homme supérieur à l'éducation qu'il avaitre. # e 3 nc Ë [Pa ; çue ; car on napprend guère aux Arabes EN ABYSSINIE. | 151 d'un haut rang , quelque poste même qu'ils doivent occuper , qu à ste sur lessecours de la Providence. Durant notre relàche à Moka, jeus occa- sion d'obtenir des renseignemens sur les con- trées d'Efat et d'Hurrur, qui sont situées au nord-est de cette partie de l’'Abyssinie, pour laquelle j'étais sur le point de partir; et le ré- sultat de mes recherches fut plus intéressant même que je n'avais lieu de lattendre. J'avais trouvé parmi les étrangers qui ré- sidaient à Moka, un respectable vieillard nommé Abdel-Kauder , qui exerçait les fonc- tions d'agent de commerce, de la part du sultan de ce pays. C'était un des Musulmans les plus honnêtes et les plus inetruits que jeusse connus, cependant son insouciance extrême pour les affaires d'intérêt, insouciance qui est très rare parmi ses compatriotes, ne le rendait pas trés propre au poste qu'il oc- cupait. Il avait beaucoup lu , pour un Arabe. Sa conception et son'activité étaient très-rares pour son âge qui, je crois, était de soixante et dix ans; ét d’ailleurs il avait une vivacité d'esprit et une sorte de gaïité qui rendaient sa conversation singulièrement agréable. Je voulus un jour esquisser son portrait ; mais avant que j'eusse achevé, il s'aperçut de mon 15 VOYAGE dessein , se leva, et dit en riant, « qu'il était irop vieux et trop laid »; et depuis il ne put Jamais demeurer assis tranquillement lors- qu'il me vit un pinceau à la main. Au temps où je l’ai connu, il souffrait cruellement d'ul- cères aux jambes , maladie très-commune dans ce pays; mais l'application que nous lui fimes de remèdes caustiques , qui ont toujours eu beaucoup de succès dans la Mer Rouge, lui procura tant de soulagement que sa recon- naissance fut sans bornes. Comme le mois de novembre s'écoulait et que nous ne recevions aucune nouvelle du messager envoyé en Abyssinie , ( excepté qu'Yunus Beralli avait été emprisonné par ordre du Nayb}), mon impatience devint tres- grande, et je ne fus pas sans alarmes. Tous mes préparatifs étant terminés et la Marian attendant mes ordres, je résolus, à tout ha- sard, de passer sur-le-champ , à la côte d’A- frique. Mon intention était de pénétrer en Abyssinie par la voie d'Amphila plutôt que par celle de Massouah. Le capitaine Rudland était positivement d'avis que la chose était possible, et je connaissais par expérience les difficultés de l’autre route, difficultés que devaient ac- eroître encore l’arrivée d'un aga turk, qui avait pris le commandement de l'ile. Les mo- EN ABYSSINIE. 175 tifs qui depuis me firent changer de déter- mination, seront retracés dans la suite de ma narration. Le 7 décembre, nous primes congé de nos amis de la Factorerie, et nous nous rendimes à bord de la Marian. 174 | VOYAGE CHAPITRE IV. Traversée de la Mer Rouce , depuis Mok4a jusqu'à RackmMax. — Opérations faites à Avyrn. — Suite du Voyage jusqu’à AmPxiLA. — Conduite atroce du Nayb et de l’Aga de Massouax. — Lettres qu’ils adressent aux chefs des tribus Dans’xir. — Conférence avec Azry-Manana, jeune chef de la tribu de Duunorra, — ALzzY Manpa part chargé de lettres pour le Ras OvELLED SELAssÉ. — Découverte d’un bon port dans la baie D’Ampnia. — Communication avec ALLY Govéra et autres chefs des tribus qui habitent la côte de la Mer. — Retour n’Arzy Manpa. — Lettres de M. PEARCE. — Arrivée d'un message de Massouan. — Nouveau message envoyé en AByssiNie. — Description de la baïe p’AmpuiLa et de la côte. — Moeurs et cou- tume des habitans — Départ n’AMPHiLaA. L E samedi, 8 décembre, nous levâämes l’ancre pour sortir de la rade de Moka, et nous mimes le cap sur la côte d'Abyssinie, accompagnés de la chaloupe (1) du vaisseau que le capi- taine avait équipée en gllége avec les agrès de la goélette. Nous gouvernämes à l’ouest (x) Lanchk ou Launck. EN ABYSSINIE. 199 trois quarts sud , avec un grand vent du sud. Nous trouvâmes la mer très grosse, à la moitié du canal ; mais la surface en devint plus polie, lorsque nous approchämes de la côte d'Abys- sinie, et le vent fut aussi plus modéré, comme cela arrive ordinairement, lorsqu'on a tra- versé cette partie du golfe, quelque violent qu'il puisse être du côté de l'Arabie. A neuf heures du soir, nous nous trouvämes tout près du ras Béloul ; et lorsque nous eûmes traversé la baie qui parait être exempte de bas-fonds, nous longeàmes la côte à environ trois lieues de distance et sur quinze brasses d'eau, jusquà Rackmah, puis nous arron- dimes la pointe de ia première île, et nous jetâmes l’ancre par quatre brasses fond dur. Ce mouillage qu'on trouvera retracé avec soin sur la carte, ne peut être considéré comme offrant un sûr abri, mème contre le vent du sud; et avec tout autre vent il doit être fort dangereux. Le port intérieur a un fond de meilleure tenue ; mais pour y entrer , il faut passer sur une barre qui n’a que deux brasses et demie d'eau, ce qui le rend inutile, ex- cepté pour de petits vaisseaux, et en cas de nécessité. Le portus Isidis, de Pline, paraît se rapporter avec la description de Rachmabh; 176 VOYAGE et du temps de cet auteur, les Troglodytes, ou les Bédouins, y apportaient la myrrhe (1). C'est très-prohablement aussi le port dont les Portugais font mention fréquemment sous le nom de havre de Veila ou Beila. Thermo- mètre , à midi, 780. 9 décembre. Nous fûmes sous voile au lever du soleil, et nous continuâmes à ranger la côte, avec un vent rafraîchissant. Nous dé- passâmes les Abaïels et nous dirigeàmes notre course en dedans de l’île méridionale de Ko- daly ; et à deux heures de l'après-midi, nous vinmes à l'ancre par le travers du village d'Ayth. Il existe à peine un plus détestable mouillage ; la rade n’a aucun abri, et lorsque le vent souffle du sud, il court le long de læ côte de grosses vagues qui, vu que le fond est de mauvaise tenue, sont cause qu'il est extrêmement dangereux d'y être à l'ancre. Peu de temps après notre arrivée nous en- voyàmes une chaloupe à la côte, et nous ap- primes que la gelve (2) que j'avais expédiée de Moka, était toujours à Amphila, qu'Yu- (1) Nat. Hist. p. 143. (2) C’est une sorte dé bateau fait avec des planches fort minces , et qui, pour toute voile, n’a qu’une natte. ( Note du traducteur. ) EN ABYSSINIE. 179 nus (1) était mort (empoisonné à ce qu’on disait généralement), et que mon messager n'avait pu avoir d'entrevue avec le ras, que le nayb de Massouah en était cause, et que celui-ci avait envoyé deux daous armés pour saisir la chaloupe d'Yunus, et empêcher les Anglais d'ouvrir une communication avec VAbyssinie par la voie d’Amphila. Ces informations me furent données par Wursom, fils d'Yunus, qui, à la mort de ce dernier, avait, selon l'usage des Somau- lis (2), succédé au commandement de sa barque. Ce jeune homme était venu à Ayth pour y rendre les derniers devoirs à son père qui avait épousé une femme de ce village, et chez laquelle il s'était retiré lorsqu'il s'était trouvé incommodé. La mort de ce fidèle So- mauli, qui nous avait rendu de si grands services et qui avait témoigné tant de recon- naissance des faibles présens que nous lui avions faits (3), m'avait fait compter sur son (1) C’est lé même individu que celui qui est nommé Unus Barilla dans les Voyages du vicomte Valentia ( Note du traducteur. ). (2) Le vicomte Valentia écrit peste (Note du traduc- teur. ) (3) Consultez les Voyages du vicomte Valentia not du traducteur. ) T: 12 175 VOYAGE attachement plus que sur celui de tout autre naturel du pays que j'eusse employé. Le village d'Ayth, qui se compose de qua- rante huttes seulement, est le chef-lieu d'un district qui, au temps de notre relâche, était gouverné par un chaik, que les habitans di- saient àgé de cent ans. Notre supercargue, qui était allé à la côte, nous le dépeignit comme un vénérable vieillard qui avait des manières douces et des dispositions bienveillantes. Il nous représenta Îles habitans comme très- pauvres , et on lui dit que vu qu'il ne croissait pas de grain sur la côte et qu'on n'en impor- tait que peu , leur nourriture consistait pres- que entièrement en poisson et en lait, à quoi ils ajoutaient quelquefois, mais rarement, de la viande de chèvre. Leur tribu , qui est une des Danàkil, se nomme Adoule, et se compose d'environ deux cents personnes, hommes, femmes et enfans, dont une partie réside sur les iles de Dahalac , de Valentia et de Houakel. La seule communication qu'il y ait entre Ayth et l’Abyssinie, a lieu par la voie de Madir, village situé dans l'enfoncement de la baie d'Amphila. Thermomètre, 76°. Variation, 9° bo’ ouest. 10 Décembre. J'envoyai, le matin , un petit présent au chaik, et je donnai à Wursom de EN ABYSSINIE. 179 l'argent pour les funérailles de son père. Nous quittâmes ensuite la rade d’Ayth , et nous tour- names par le côté extérieur la Kodaly septen- trionale , île haute et escarpée, qui git à envi- ron six milles du continent. Un de nos contre- maitres tourna avec l’allége l’autre côté de l'île. Nous reconnümes à ce moyen qu'il y à entre cette île et la grande terre un passage d’un demi-mille de largeur, dont l'eau a cinq brasses de profondeur. On dit qu'il se trouve sur la côte, un peu à l’ouest de ce passage , des puits d'eau douce où vont puiser fréquemment ceux des indigènes qui naviguent sur cette mer. À partir de Rackmah jusqu’au ras Kussar, la côte est basse et plate; mais , à peu de dis- tance , elle est bordée par de hautes montagnes. Un dangereux récif de rochers, dont le capi- taine Court n'a pas fait mention sur sa carte, s'étend au nord-est, depuis le ras, l’espace d'environ trois milles. Le nom de Kussar, qui en arabe signifie brisé, en est probablemént dé- rivé. Nous passâmes le ras sur quatre brasses d’eau seulement , quoique nous fussions à cinq milles de la pointe de terre. Ne pouvant gagner Amphila avant léléver du soleil, le capitaine Weatherhead jugea qu'il valait mieux louvoyer toute la nuit, ce qu'avec la connaissance qu'on 12* 180 VOYAGE a présentement de la côte, on peut faire en sûreté. un Le 1r, au matin, nous tombâmes presque en calme ; mais nous fimes voile aussitôt que la brise de mer fut levée, et nous parvinmes à Amphila à midi.Nous dépassämesla première île sur neuf brasses d’eau, à environ un mille de distance, et nous jetämes l'ancre entre la seconde île et la troisième, par six brasses, dans un emplacement abrité contre le nord- ouest, mais ouvert aux vents d'est. Comme ce mouillage est exposé à une grosse mer, le capitaine alla sur-le-champ examiner la baie (ce qu’on n’avait pas encore fait) dans l'espoir de découvrir un port plus,sür, et nous en- voyâmes à la côte une chaloupe qui nous ra- mena Hadjy Ally dans la soirée. Hadjy Ally parut dans un état pitoyable, et nous fit un récit lamentable des malheurs qui lui étaient arrivés. Il dit qu'il avait tenté de pénétrer en Abyssinie, et que déjà méme il avait fait une journée de chemin dans ce des- sin, lorsqu'on avait recu une lettre adressée aux chefs du pays par le nayb Idris et l’aga turc de Massouah, lettre qui avait causé tant d'inquiétude et d’altercation, qu'il lui avait été 1mpossible d'aller plus loin. Ally Govéta lui EN ABYSSINIE. 181 avait permis d'en prendre copie ; et comme elle influa sur mes démarches ultérieures, j'en insérerai ici la traduction littérale. Lettre de Nayb Idris et dOmar Aga, Com- mandans de Massouah (sans date), aux Chefs des Tribus des Bédouins des environs d’Am- phila. ( Envoyée à la terre de Dumhoeta ), reçue par eux à peu . le 15 de Chéwal, l'an 1224 de l'hégyre (8 novembre 1809). À Aukdou, frère d'Ahmed, l’un et l’autre fils d'Aysa Mahomed, à Ally Govéta, fils de Kayna, SMékain Ally , fils de Nou- kyta, à Aysa, Nacodar (propriétaire d’un daou) fils d’Ally Kiefar, à Dittah Saleh, fils de Moumin Mahomed, et à tous les hommes intelligens de la tribu de Dum- hoeta, sur qui le Ciel veuille répandre ses bénédictions. « Je vous ai écrit plusieurs fois à tous au sujet de vos relations avec les Anglais ( Ferin- gui), et leur vékil (agent) Yunus Beralli. Je vais vous répéter ce que je vous ai dit. » J'ai appris qu Yunus Beralli s'est rendu à Amphila , avec des marchandises anglaises. Je suis très-mécontent de ce que vous ne men 182 VOYAGE avez pas instruit à propos, et sil y retourne, faites-le moi savoir sur-le-champ ; car j'ai ré- solu de détacher une troupe de soldats pour l'arrêter et le conduire à Massouah. » Si l’on apporte encore dans vos districts ou dans vos bourgs . des marchandises an- glaises, Poe les , partagez-les également entre VOUS, el {uez ceux qui s'en seront chargés. » Je conclus en m’'adressant de nouveau aux peuples de Bellesoua et de Rossamo ; car je de- sire ardemment de renouveler nos relations d'amitié, Vous n'avez fait aucune réponse aux lettres que je vous ai écrites précédemment sur ce sujet, Cela m'afflige extrêmement ; car nous sommes.ious de vrais croyans; nous avons tous la méme foi. En conséquence, c’est pécher que de n'être pas amis. Signé et scellé, | NAYB IDRIS, OMAR AGA(1).» Gette lettre, dont le style ne me surprit pas, me fit craindre de ne pouvoir conduire en Abyssinie les deux pièces de canon que j'avais (1) La copie faite par Hadjy Ally est restée entre mes mains. EN ABYSSINIE. 183 amenées, et même de ne pouvoir pénétrer dans le pays, si j'étais forcé de prendre la voie de Massouah. Malgré ce qui s'était passé, Ally Govéta, chef .du district, était toujours dans les inté- rêts des Anglais, et il déclara même à Hadjy Ally «qu'il s'inquiétait peu des menaces du » nayb, qu'il était enfant des montagnes, et » qu'il avait assez de monde pour se défendre. » Hadjy Ally avait été trop effrayé pour être rassuré par cette déclaration, et il refusa po- sitivement de se remettre en route. D'après de nouvelles recherches, il parut qu'il avait eu querelle avec le fils d'Yunus, et que cha- cun d'eux avait rejeté sur l’autre le manque de succès de la mission dont ils avaient été char- gés. Comme le tort me parut être du côté de Hadjy Ally, je le congédiai, et il retourna, par la première occasion , à Moka. J'envoyai, le 13, une lettre que j'avais écrite en Arabe à Ally Govéta, qui était alors à Arena. Ce lieu qui était une des principales résidences de sa tribu, est situé à l'extrémité intérieure de la baie de Houakel, et à trois jours de marche, par terre, de Madir. Je témoignai à Ally Govéta le desir de le voir sur-le-champ, afin de conférer avec lui au sujet de mon voyage d'Abyssinie. Je lui fis passer en même temps 184 VOYAGE deux autreslettres pour le ras et pour M.Pearce. Elles étaient écrites en anglais, afin que le nayb ne püt y rien comprendre si elles tom- baient entre ses mains. Ma lettre à Ally Govéta fut rendue en quel- que sorte inutile par l’arrivée de son neveu Ally Manda (1), qui avait le commandement d'un canton dans les montagnes que traverse la route d'Abyssinie. C'était un jeune homme doué d'une physionomie tres-animée. Il avait un vêtement d'étoffe de soie rayée, fait d’après la mode du haut pays. Ses manières étoient absolument celles d’un Abyssinien. Il avait la même affectation que les hommes d’un rang élevé en Abyssinie, à se tenir la bouche cou- verte avec son vêtement. Comme eux, il avait un air de diguité et de réserve dans une pre- mière entrevue, et lorsqu'il était content de l'accueil qu'on lui avait fait, il montrait la même franchise , la même ardeur à jouir sans contrainte des plaisirs de la société, qui carac- térisent ce peuple singulier. Dans le cours de notre entretien, j'appris (1) J’appris, d’après des recherches ultérieures , que le nom d’Ally est un titre qu'on donne, sur cette côte d’Afri- que , à la plupart des chefs, et qui répond à Ayto en Abyssinie , à Sydi en Arabie, et à Sir ou M' (Monsieur } en anglais. EN ABYSSINIE. 185 qu'Ally Manda avait accompagné Hadjy Ally quand il s'était mis en route pour se rendre en Abyssinie. Ils n'avaient fait qu'un jour de marche, lorsque le dernier, effrayé des ma- nières sauvages des habitans, et prenant pour prétexte qu'il redoutait le nayb, avait résolu de retourner sur ses pas. Cependant il n'avait pas voulu confier mes lettres à Ally Manda, et il en avait écrit une extravagante en arabe, qui fut portée par un messager d'un ordre in- férieur, le jeune chef ayant déclaré qu'il s’es- timait trop pour être, selon son expression, le porteur de lettres écrites par tout autre que par un Anglais. Celle de Hadyy Ally étant par- venue au ras, celui-ci ne fit aucune attention à ce qu’elle contenait, et déclara qu’il ne des- cendrait pas jusqu à entretenir correspondance avec un Arabe. Ally Manda termina son réciten me témoi- gnant la plus grande satisfaction de mon ar- rivée, et il m'offrit de partir sur-le-champ avec toutes les lettres que je jugerais à propos de lui confier , disant qu’il exposerait , sil le fallait, sa vie pour les remettre entre les mains du ras. En même temps il me supplia de ne songer à l'en récompenser qu’à son retour. Je fus si frappé de son air hardi et franc, que 186 VOYAGE je résolus de l’employer. En conséquence, j'écrivis au ras une lettre, en tête de laquelle je traçai la croix des Abyssiniens , et les ca- ractères qu'ils placent ordinairement au haut de leurs épitres, et je la remis à Ally Manda, ainsi que celles que j'avais écrites étant à Moka. Après avoir pris quelques rafraichissemens et avoir examiné quelques peintures qui lui plürent extrémement, il partit accompagné, ainsi qu'il en avait exprimé le desir, de Had}y Belal, natif d'Hurrur, pour quil eut un té- moin de sa conduite. Ce dernier toutefois ne se montra pas moins au-dessous de l'entre- prise , que mon premier messager ; Car il re- parut, le 23, ayaut fait seulementune marche de trois jours, au bout desquels la fatigue l'empêcha de pousser plus loin. Il me dit que le jeune chef marchait jour et nuit comme un dromadaire, et qu'il n'avait pu aller le même train. À leur séparation Ally Manda lui avait emprunté, un peu forcément, son bouclier et son cumimerband, sous prétexte qu'il pourrait avoir occasion de s'en servir ; et ce vieillard, ainsi dépouillé de ses armes, craignit à chaque pas d'être assassiné à son re- tour. Je pris pitié de ses peines ; mais ilest bon d'observer que les Arabes nés dans les villes, EN ABYSSINIE. 187 sont en général faibles et irrésolus , et qu'ainsi il était probable qu'Hadjy di avait fort exa- géré ses souffrances. Depuis le jour de notre arrivée à Amphila, le capitaine Weatherhead s'était occupe cons- tamment à examiner la baie et à sonder entre les iles, dans l'espoir de trouver un meilleur mouillage. Son zèle et sa persévérance furent récompensés, le 13, par la découverte d'un portsür , chose des plus heureuses pour nous, vu qu’il était probable que notre relâche du- rerait long-temps. Des bouées ayant été pla- cées pour indiquer le passage, le vaisseau fut conduit, le 15 après-midi, en süreté dans le port qui, à notre grande satisfaction, se trouva être un bassin parfait, et à qui, en mémoire de notre voyage , nous donuämes le nom d'En- glish Harbour, port anglais. Depuis ce jour, le capitaine et moi, nous employämes tous nos instans de loisir à reconnaitre la baie, ses iles, ses bas-fonds ; et le résultat de nos travaux m'a mis en état de dresser la carte ci- jointe. (Joy. l'Atlas). Les situations princi- pales ont été déterminées d'après des obser- vations que j'ai faites sur la côte avec un théo- dolite, et Les bas-fonds et les sondes ont été vérifiés par M. Weatherhead. Comme ce sujet n'intéresse pas le plus grand nombre des lec- 188 VOYAGE teurs , j'insérera i,dans le corps de la carte même, de plus amples détails sur la PAYER tion de la baie. R Samedi 16. Le dola de Madir, qui était frère d'Ally Govéta , me fit visite à bord du vaisseau. À la première vue il ne prévenait pas en sa faveur; c'était un vieillard grand et maigre, qui avait un nez de perroquet et un œil de vautour. Je vis qu'il pourrait nous puire, et pour gagner sa bienveillance je lui fis un présent plus considérable que je n’a- vais résolu d'abord , et qui consista en un coupon d'une pièce de drap large, en un peu de djoary, en café et en grosse toile. Dans la soirée on nous envoya du rivage, un gros bœuf, en très-bon état, qu’on nous fit payer dix piastres, et de qui l'on tira deux cent soixante livres de viande. Ainsi que le reste du bétail qu'on nous fournit durant notre re- lâche, il fut amené d’Arena , les environs de Madir n’offrant ni pâturage, ni eau. Vendredi 22. Le matin, trois daous furent à vue, deux venant du sud et le troisième du nord. Comme tous les rapports de Massouah avaient été défavorables , le capitaine crut de- voir aller dans la goëlette reconnaitre ces na- vires. Les deux premiers étaient de Mascate , et allaient trafiquer aux îles Dahalac; l’autre EN ABYSSINIE. 189 venait de Massouah. Celui-ci rapporta que trois cents Ascarri dont la destination était’ inconnue , étaient arrivés de Djeddah, dans des daous armés, qu'un autre serdar avait pris le commandement de l'ile, et qu'en con- séquence le nayb s'était retiré à Arkiko, crai- gnant également le shériff de la Mecque et le ras Ouelled Selassé. Quelques marchandises qui lui avaient été expédiées par Hadjy Ha- moud, ayant été saisies à Massouah, le ras y avait fait passer ce message laconique : « En- voyez les marchandises, ou vous me verrez sous peu de jours ,» menace qui avait causé beaucoup de frayeur. Il parut aussi que notre arrivée à Amphila était connue à Massouah. Le même jour, à midi, je fus visité par Ally Govéta et par deux de ses gens qui étaient arrivés d'Arena, dans la matinée. C'était un homme d'environ soixante ans, d’une grosse corpulence et robuste, qui avait uu air lourd et une grande affectation de gravité dans les manières. Cependant après qu'il eut pris du porter et quelques biscuits, sa réserve dispa- rut par degrés; mais il demeura toujours sé- rieux. Après les complimens ordinaires, nous entrames en conversation sur le sujet de ma . mission. Je dis que quatre ans auparavant je m'étais rendu en Abyssinie par la voie de 190 : VOYAGE Massouah , et que le ras Ouelled Selassé m'avait chargé, au nom de l'Empereur , d’une lettre adressée au roi d'Angleterre ; qui, l'ayant re- cue, m'avait choisi pour porter sa réponse et divers présens. J’ajoutai que le ras m'avait informé que la voie de Buré était préférable à celle de Massouah, qu'en conséquence , et d'aprés la connaissance que j'avais des com- munications qui s'étaient établies entre les tribus Danakil et le capitaine Rudland, j'avais résolu de tenter le passage par leur pays, si l'on voulait m'accorder protection ét sûreté ; qu'autrement ; je me rendrais directement à Massouah , et que j'étais assuré que le serdar n'oserait minquiéter , dans un temps où le Grand - Seigneur et le shériff de la Mecque étaient en paix avec la nation anglaise. Ally Govéta ayant écouté attentivement ce discours, me répondit qu'il s'était écoulé un temps considérable depuis qu'un Anglais (ïl voulait parler de M. Benzoni) était arrivé à Madir, où il s'était réuni à un autre Anglais ( M. Pearcé ) qui arrivait d'Abyssinie ; que d’après ce qu'ils lui avaient dit des avantages qui probablément en résulteraient pour leur pays , il avait consenti à ouvrir la voie et à faire escorter leurs marchandises par un nom- bre d'hommes suffisant jusqu'aux frontières EN ABYSSINIE. IOT de l’Abyssinie; qu'en retour, ils lui avaient: promis des présens considérables qui ne lui avaient jamais été faits , ‘et que, depuis £ . M. Pearce l’avait fort desservi auprès du ras. Il ajouta « que bientôt après il avait reçu du » nayb la lettre extraordinaire dont il m'avait » envoyé une copie, et que s’il accédait à ma » demande, il s'attendait qu'Idris marcherait » avec de grandes forces contre lui; et qu'en » ce cas il ne saurait quel parti prendre. » Je répliquaià Ally Govéta que sil était dans la dépendance du nayb de Massouah , j'étais loin de desirer qu'il exposät son peuple à une telle alternative, mais que j'étais assuré qu'il n'était point dans ce cas, sans quoi je me serais rendu immédiatement à Massouah, où j'aurais traité avec Idris lui-même. Il me dit alors que c'était bien, qu'il n'aimait pas trop de paroles, et qu'il n’était-dans la dépendance de personne. « Mais pourquoi, poursuivit-1l, » AVEZ-VOUS envoyé un: messager au ras avant » mon arrivée? J'aurais fait le message plus » promptement qu'AllyManda.» Je lui deman- dai combien de temps il aurait pris. « Vingt- » /cinq jours, me répondit-il ; car il y a une » grande distance d'Antalo à Adoueh, où, » ma-t-on dit, le ras réside à présent. » Je l’'assurai que je connaissais le ‘chemin, ‘puis: 102 [IYNOYAGE qu’à trois fois différentes je l'avais fait moi- même dans l’espace de cinq jours. « Allah! » s'écria-t-il avec surprise, cela se: peut-il? » Ce fut là le sujet d'une nouvelle difficulté. Le ras était en guerre contrée une tribu qui habitait sur la route et qui avait un chef nommé Soubegadis. Je répondis que je le savais , et fis mention des querelles de famille rapportées dans la relation de mon premier voyage en Abyssinie. Cette réponse fit beau- coup d'impression sur Ally Govéta , et ilre- nonça à me tromper. Il fut ensuite question de présens; point de discussion qui exige une patience peu com- mune lorsqu'on le traite avec ce peuple. On demanda une nouvelle pièce de toile pour un serviteur, et le paiement d'un bœuf qu’on pré- tendit s'être perdu en allant au vaisseau. Au bout de deux heures de débats, j'eus le bon- heur de contenter Ally Govéta sur ces points importans; et il fut arrêté qu’au moyen d’une récompense proportionnée , il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour favoriser mes pro- jets. | Pour confirmer l'accord, je consentis, d’a- près l'avis de Wursom , qui me parut connaître parfaitement les coutumes de cette tribu, à me soumettre à une cérémonie qu'on dit très- EN ABYSSINIE. 193 bropre à cimenter les engagemens pris par élle, et qui consista à tenir réciproquement la main sur la Bible, et sur le Koran, en nous jurant une amitié éternelle. De ce moment, Ally Govéta déclara que les Durnhoeta considé- reraient les Anglais comme leurs frères. Lors- quil se retira, on le salua de trois coups dé canon, ce qui parut lui faire grand plaisir. J'avais cru nécessaire d'envoyer, le 1&, le supercargue de notre vaisseau, dans la cha- loupe de Wursom, à Hodeidah, pour y ache- ter de la toile, article d'échange qu’il est in= dispensable d’avoir sur cette côte ; mais, le 3, jeus le désagrément de le voir revenir sans avoir accompli sa fnisston. Deux jours après qu'il nous eut quittés , il avait rencontré des vents directement opposés à ceux que nous attendiens, et tandis qu'il s'efforçait de tra- verser la mer depuis Ayth, le temps était de- venu si orageux et si contraire, que la cha- loupe, étant en danger d’être submergée; fut forcée de virer de bord. Le 24, j'allai à la côte rendre visite à Ally Govéta. Le vieillard vint à ma rencontre lors- que j'approchai du village de Madir, qui con- siste en quelques huttes chétives. Il était ac: compagné du dola du lieu , et précédé d’une vingtaine de sauvages , qui dansaient et agi- I. 13 194 VOYAGE taient leurs lances, pour me faire honneur. Je fus conduit, au milieu d'eux, à la plus grande hutte. Après lescomplimens ordinaires, Ally Govétas’assoupit et le dola se mit à coudre un habit neuf. Les habitans du lieu nous con- templaient avec étonnement. Je m'amusai quelque temps de la singularité de la scène. À mon départ, on me fit présent d’un bœuf dela part du chef. Le lendemain, jour de Noël, nous déployâmes , sur le vaisseau , tous les pavillons que nous pümes rassembler , nous nous régalämes de bœuf rôti et de pouding, et nous bûmes rasade à la santé de nos amis d'Angleterre. Jeudi, 28 décembre. Pour recevoir plus commodément ceux qui nous visitaient, je fis dresser deux tentes sur une île que je nommai Marian, d'après notre vaisseau, qui était le premier navire entré dans le port. Nous eüumes une communication constante avec la côte, toute la quinzaine suivante, durant laquelle le dola et autres habitans nous fatiguèrent par leurs efforts pour nous arracher de nou- veaux présens. Ally Govéta commençait aussi à témoigner de l'inquiétude de ce qu’Ally Manda ne revenait point. Gette attente me contrariait d'autant plus que j'étais obligé de nourrir la troupe venue d'Ârena, les ressources EN ABYSSINIE. 195 de Madir pouvant suffire à peine à sa propre consommation. Le samedi, 6 janvier ,on m’annoncça enfin l’arrivée d'Ally Manda , et bientôt apres je le vis paraitre, accompagné du dola. Il était porteur de deux lettres, qui m'étaient adres- sées par M. Pearce. Avant qu’elles me fussent remises , le dola s'efforçca, par toute sorte de ruse, de tirer dé moi de l'argent, ce que je refusai péremptoirement. À la fin, élevant la voix et affectant un grand courroux, je forçai Ally Manda à me rendre les lettres. Comme elles caractérisent parfaitement l'auteur , je les insérerai telles qu'il les a écrites. Les voici : Monsieut , » Ally Manda m'a remis votre lettre, et je puis vous assurer que ça été pour moi le plus grand bonheur d'apprendre que vous étiez en bonne santé. » Je vais vous dire quelle est la route la meilleure et la plus sure. Celle de Buré, dont vous parlez , est impraticable. Ni les personnes, ni les marchandises ne peuvent la suivre en sureté. Le pays qu'elle traverse n’a point degouvernement. Le peu de bagage que j'avais avec moi, quand j'ai pris cette route, a été entièrement perdu , et ce n'a ii 196 VOYAGE été qu'avec l’aide de Dieu que je suis parvenu à sauver mes jours. » La seule voie par laquelle on puisse péné- trer dans ce pays est celle de Massouah qui est fréquentée par la Kafilah. Elle prenait autrefois la route de Buré ; mais beaucoup de ceux qui la composaient ont été tués par les Bédouins Arata. Le pouvoir du ras ne s'étend que jusqu'au lieu d'ou vient le sel, lieu qui est le haut Buré. Massouah est à présent en bonne intelligence avec l'Abyssinie , et c'est le meilleur chemin qu'on puisse prendre. » Le ras vous fait ses complimens. Aussitôt que j'aurai reçu”votre réponse, 1l m'enverra avec tous les moyens de transport dont vous parlez dans votre lettre. » Je süis fâché de vous dire que Pacha Abdallah est un grand coquin. Il n’a aucune intimité avec le nayb. Hadjy Hamed est le seul qui puisse arranger les choses avec lui. » Un homme venu de Rome (1) a demandé au ras la permission de passer jusqu’à Sennaar. Elle lui aurait été accordée si je n'avais dit au ras de se défier de telles gens. Il l'a renvoyé par la voie de Massouah , où vous pourrez le rencontrer si vous venez bientôt. (x) C'était un Francais qui s’en est retourné par la voie de Souakin. EN ABYSSINIE. 197 » Je ne vous dis rien de plus; car j'espère que , par la grace de Dieu , j'auraide bonheur de vous rencontrer à Massouah , qui n’est qu’à six journées de marche d'ici, par la nouvelle route. Je suis, » Monsieur, » Votre tres-humble et très-obéissant * serviteur, » NATHANIEL PEARCE. » Chelicut, le 29 décembre 1809.» » P. S. Le ras dit que d'ici À votre arrivée, chaque jour lui paraîtra une année. » Seconde lettre. « Monsieur , » Comme je veux faire partir promptement votre messager, et que mon autre papier est à Autalo, je vous écris sur ce papier grossier pour vous dire que la lettre que vous m'avez envoyée par Ally Manda , est la seule chase que Jjaie reçue. Quant au tabac et au drap dont vous parlez , je n’en ai rien vu. M. Ben- zoni et moi savons quAlly Manda est un grand coquin, quoiqu'il nous ait remis fidè- lement voire letire. 198 VOYAGE » Je vais vous donner mon avis quant à ce que vous dites, «que le nayb de Massouah ne laissera pas passer les canons, de peur qu'ils nesoient un jour employés contre lui. » Le seul moyen de l'y déterminer est de faire des pré- sens considérables à Ally Govéta , à Ally Manda et à ses amis, afin quils vous amènent avec leurs chameaux et leurs mulets à la plaine de sel, où j'irai à votre rencontre , avec mille hommes des gens du ras, » Tout le monde me conseille de ne pas me meitreenroute que je n’aie reçu votre réponse. J'ai beaucoup d’ennemis dans le pays d'Arata. Je me les suis faits par ma fermeté, quand ÿ jai eu quitté M. Benzoni. En conséquence , Je ne sais ce que je dois faire. Si j'étois à présent avec Vous, Je n'aurais pas peur; car deux ou trois bons anglais , bien armés, pourraient battre tous les Bédouins ; mais je suis seul, et que ferais-je, puisque les gens du ras ne veulent pas m'accompagner par cette voie ? » Si vous êtes déterminé à prendre ce che- min, dites-moi quel jour vous quitterez la côte, et je vous joindrai presque en même- temps. Je puis vous assurer que le ras a beau- coup d'impatience de vous voir, et qu'il iroit lui-même à votrerencontre , s'il y avait assez de vivres et d’eau pour sa cavalerie et ses gens. EN ABYSSINIE. 199 . Je desire aussi très-vivement d'aller seul au- devant de vous, si ceux qui me veulent ici du bien le permettent. » Je pense, monsieur , qu'en faisant des pré- jen OA ponrnez Sagten la plaine de sel, appelée Ârro , qui n’est qu’à un jour de eue de Madir. La dépense ne peut être considé- rable ; car la distance est faible; et une fois parvenu là, tout ce que vous desirez se fera. Je puis vous assurer que tout ce qui sera en mon pouvoir , je le ferai pour mon pays. J'ai écrit trois fois au capitaine Rudland par la voie de Buré; mais je n'en ai reçu aucune réponse. « » Éxcusez ce mauvais papier (1); mais j'aime mieux m'en servir que de perdre du temps. _ » Jesuis, monsieur, etc. : » NATHANIEL PEARCE. Chelicut , le 29 décembre 1809. » P. S. Dans le cas où vous vous détermi- nerez à venir par cette route, défiez-vous d'Ally Manda et de ses amis; car nous sommes en grande querelle , et l’on voudrait m’égor- ger dans son pays (2). Si vous êtes en bonne (1) C'était du papier à dessiner, (2) Le fait auquel ce passage se rapparte , est raconté dans le Journal de M. Pearce, 200 | VOY AGE intelligence avec lui, j'irai le trouver à son retour , quoi quil puisse en résulter. » On pense bien que je ne communiquai pas le contenu de ces deux lettres à Ally Manda, quoique connaissant l'inimitié de M. Pearce, 1] m'ait pressé de le faire. Je l'assurai, au con- traire , que tout allait conformément à mes desirs, et je [ui donnai quarante piastres et dix pièces de toile, dont il parut satisfait. J'y ajoutai un peu de bierre de spruce(1) et du tabac , ce qui , avec quelques complimens , le mit de si bonne humeur qu'il se déclara prêt à entreprendre toute autre commission que je voudrais lui confier ; et pour garantie de sa fidélité, il étendit la main sur le Koran, ce qui, malgré le portrait que M. Pearce en avait fait, me donna l'assurance qu'il secon- derait mes projets. Ally Manda avait trouvé le ras à Chelicut. Celui-ci, aussitôt qu'il avait vu la croix et les caractères éthiopiens , tracés en tête de ma lettre, s'était écrié : « Saül (2), Saül! il n’y a que Saül qui puisse avoir écrit cette lettre! » (x) C’est la bierre faite avec les rameaux , les feuilles et les fruits du pin. ( Vote du traducteur. ) ( (2) C'était le nom sous lequel j'étais généralement connu en Abyssinie , durant ma premiére résidence en ce pays. EN ABYSSINIE. 201 11 fut ravi de ce qu’elle contenait , et il fit donner un beau mulet et trente pièces de toile à Ally Manda. Ce fut immédiatement après que M. Pearce m'écrivit sa première lettre au sujet de laquelle il y eut quelque altercation entre lui et le ras, le premier ne voulant pas que je prisse la route de Buré. Ce fut d'après ce qui se passa à cette occasion que M. Pearce m'adressa sa seconde lettre , où il dit qu'il consent à tenter le passage si je me détermine à le préférer à celui de Massouah. Comme c'était un point qui demandait de sérieuses considérations, et nécessitait une nouvelle en- trevue avec Ally Govéta et les autres chefs Danakil, je leur donnai rendez-vous sous les tentes pour le mardi suivant. En conséquence jallai ce jour là à la côte ; mais je n’y vis qu'Ally Manda, qui me dit qu'Ally Goveta et les autres avaient été fort courroucés de ce qu'il avait porté ma lettre sans leur consen- tement, qu'ils avaient résolu de ne pas se trouver au rendez-vous, qu'ils l'avaient chargé de me dire que si j'avais quelque proposition à leur faire, il fallait que j'allasse à Madir , et qu'autrement j'étais le maitre de m’éloigner. Je leur fis répondre que certainement je pren- drais ce parti s'ils persistaient dans leur réso- lution , que je refusais positivement d’aller à 202 VOYAGE Madir , et que s'ils ne voulaient pas venir sur l'île , je partirais immédiatement pour Mas- souah. : Ally Manda se chargea de mon message et me dit que le lendemain matin, ou il me raménerait les chefs, ou il reviendrait seul m'aider à faire mes dispositions. Cependant ils ne furent passirécalcitrans qu'il l'avait craint; car , dans la soirée, Wursum vint me faire leurs excuses et me promettre de leur part qu'ils seraient sur lile le lendemain , à huit heures du matin. Le vent ayant tourné au nord pendant le jour, je dépêchai une seconde fois la chaloupe de Wursum à Moka. Le 9, jallai sur l'ile, où Ally Goveta m'at- tendait avec dix-huit des principaux chefs des tribus voisines. Apres qu'on fut assis , il me félicita de ce que j'avais reçu des nouvelles d'Abyssinie , et il demanda quelles proposi- tions j'avais à faire. Je lui répondis que le con- tenu de mes lettres était très-satisfaisant , que le ras était enchanté de mon arrivée, qu'il avait témoigné le desir que je me rendisse près de lui le plutôt que faire se pourrait, et que portantbeaucoup d'amitié aux Dumhoeta, il souhaitait que j'entrasse en Abyssinie par leur pays. Pour faciliter mon voyage, conti- nuai-je , il avait promis d'envoyer mille de EN ABYSSINIE. 203 ses gens au-devant de moi , jusqu’à Durra, lieu qui n’est qu'à trois jours de marche de Madir. Avant de leur communiquer mes in- tentions à ce sujet, j'avais quelques observa- tions à leur faire. J'étais chargé, par un des plus puissans monarques du monde, dont des vaisseaux couvraient toutes les eaux, de porter en Abyssinie , une lettre et des présens dont ma tête répondait. En conséquence, ils devaient juger que si, durant notre passage dans leur pays , on me faisait la moindre in- jure, à moi ou aux miens, la ruine des au- teurs du crime serait d'autant plus infaillible que le ras avait répondu de notre sureté, et que la nation anglaise ne manquait jamais de tirer vengeance éclatante de ceux qui avaient insulté quelques-uns de ses sujets. D’après cela je desirais savoir , si les chefs qui étaient pré- sens, pouvaient s'engager à nous assurer le passage à travers leur pays. _ Ally Goveta demanda si j'avais fini. Sur la réponse affirmative que je lui fis, il dit très- gravement : « Tabinte (1) ! (observez) j'ai juré » sur le Koran d'être votre ami, et je vous (x) C’est une expression dont ces peuples font un fré- quent usage dans le discours. Cette manière d'attirer l'attention se retrouve chez les sauvages de l'Amérique Septentrionale, ; 20/4 VOYAGE » dirai la vérité. Nous ne pouvons vous donner » passage. En voici la raison. Il y a quelque » temps qu’un anglais vint ici , apportant des » marchandises pour l’Abyssinie. Nous con- » sentimes à le conduire en sureté jusqu'aux » domaines du ras, et nous lefimes. On nous » avait promis une ample récompense , et nous » ne recümes rien. Observez ! Les Dumhoeta » ne serviront pas une nation à de telles condi- » tions. » Je remerciai Ally Goveta de cet aveu franc. Je lui dis que ne desirant que la vérité, j'étais satisfait de sa réponse , que , quoique nous ne pussions traverser son pays, j espérais cepen- dant que nous resterions toujours amis, et qu'avant de nous séparer je desirais de lui faire connaitre la différence qu’il y avait entre ma position et celle de la personne avec laquelle il avait traité précédemment. M. Benzoni soc- cupait du commerce , et je ne devais pas ré- pondre de ses actions. J'étais le vékil d’un Sou- verain, et je devais simplement m'acquitter de ma mission. On savait comment j'avais ré- compensé Ally Manda . et je me proposais de payer tout autre à proportion des services qui me seraient rendus. Le dola prit sur-le-champ la parole. « Nous » sommes , dit-il, un peuple ( Kabela) com- EN ABYSSINIE. 305 » posé de diverses tribus ( Kurria), chacune » desquelles à plusieurs chefs. Vous voyez ici » ceux des Dumhoeta. Quant aux Taiemala et » aux Hadarem , ils ontchargé de leurs intérêts » Ally Goveta et Ally Manda. Donnez-nous » seulement un droit (ashour) convenable, » et nous vous conduirons , en sureté , vous » et tous vos effets, jnsquau pays du ras.» Je répondis que les présens d’un Souverain pour un autre Souverain , ne devaient payer aucun droit, et que je he souffrirais pas qu'au- cune de mes caisses, fût ouverte, quoique je fusse disposé à payer convenablement. Alors on me demanda combien de chameaux je de- sirais , et dans quel temps il me les faudrait. Je dis que je ne pouvais en déterminer pré- cisément le nombre , mais que je pensais qu’il m'en faudrait environ trente dans seize jours, que je m'engageais à payer cent piastres , dont quarante pour Ally Goveta, et les soixante autres pour être partagées entre les tribus, ét que si nous tombions d'accord, j'irais moi- même, ou j'envérrais quelqu un du vaisseau, en porter l'avis au ras, avec Ally Manda. Cette proposition fut débattue pendant trois heures. La chaleur me fit sortir de la tente , et Ally Manda vint à la fin me dire quon accé- derait à ma demande , si je voulais accorder 506 VOYAGE un espace de vingt jours. Il me récommanda fortement de ne point partir moi-même, parce que rien ne se ferait si lui et moi étions absens en même-temps. Après de mûres considéra- tions je me rendis à son avis. Ce ne fut pas sans quelque regret que je renonçai ä un voyage qui m'aurait fait perfectionner la géographie de cette partie du pays qui n'avait pas encore été visitée.par des Européens. Lorsque nos conventions furent faites , je donnai un turban de mousseline à Ally Goveta, et après avoir régalé tout le monde, je retournai à bord avec Ally Manda, pour concerter l'exécution de mon plan. , | J'avais assuré un point important, celui de communiquer de nouveau avec le ras et de l’instruire, de bonne heure, de ma résolution. J'avoue cependant que ce ne fut qu'après beau- coup d'hésitation que je me déterminai sur la route que je devais prendre. Durant notre re- #jâche , j'avais assez bien jugé le caractère des “tribus par le pays desquelles il fallait passer, pour être assuré qu'avec beaucoup de ména- gemens et de grands risques, il est vrai, je pourrais accomplir le voyage. Cependant de si grandes objections s’élevaient contre ce projet, qu’il me parut que malgré la dépense, lé re- tard ou les hasards auxquels on serait exposé, EN ABYSSINIE. 20Ÿ la voie de Massouah devait avoir décidément la préférence. Les lettres de M. Pearce et ma propre expérience m’avaient appris que dans la situation où se trouvaient les tribus qui l:a- bitaient le pays, ils ne pouvait y avoir aucune communication, soit pour affaires de com- merce , soit pourtout autre objet, par la voie de Madir , tandis qu'il y avait avec Massouah une communication réglée, qui, quoique sujette de temps à autre à quelques difficultés et à de honteuses exactions, n'avait pas été interrom- pue depuis plusieurs années. En passant par Madir, je fermais probablement à jamais cette communication. L’inimitié du serdar et du nayb aurait été implacable. 11 était vraisem- blable aussi que les tribus qui vivaient sur la côte pourraient être exposées à une guerre éga- lement contraire à leurs intérêts et aux nôtres ; et tout cela pouvait avoir lieu avant que je fusse en état de déterminer la situation véri- table des affaires à Massouah. Au contraire, en prenant par cette ile, je pouvais faire face à toutes les difficultés en même temps, et je ne voyais pas, malgré la lettre menaçante que ceux qui commandaient à Massouah avaient écrite, qu'on dût désespérer d’y arranger les choses d’une manière satisfaisante. Le 10, tandis que je délibérais encore, une 208 : VOYAGE gelve qui arriva tout exprès de Massouah , coû: firma la nouvelle du rappel d'Omar aga et de l'arrivée de Mustapha aga, qui lui succédait dans le commandement de la place. Un des premiers soins de celui-ci avait été de désa- vouer les actes de son prédécesseur , et il avait expédié la gelve pour m'’assurer de son amitié pour les Anglais et du desir qu’il avait de se conder leurs vues. En même temps, il m’en- voyait un paquet de lettres du capitaine Rud- land, paquet qui était parvenu à Massouah par une voie indirecte. Il me faisait un présent de chèvres et de volailles , qu’il avait confié au dola de Dohalac, respectable vieillard que javais connu à mon précédent voyage et qui avait été chargé de cette mission , évidemment àcause del’attachementnotoirequ'ilavait pour nous. Le capitaine me témoignait de vives alar- mes au sujet des mauvais procédés du nayb et d’Omar aga. Il m'assurait qu'Yunus avait été empoisonné et qu'il tremblait pour nous. Il m'annonçait aussi qu'on avait fait mettre à la voile de Djeddah une flotte dont on n'indi- quait pas d’une manière satisfaisante la des- ünation. Enfin il y avait parmi ces lettres une dépêche du gouvernement de Bombay, qui m'invitait à seconder les plans de son agent EN ABYSSINIE. 209 {le capitaine Rudland ) relativement au com- merce avec l’Abyssinie, et une copie de la let- ire qui lui ordonnait d'agir de concert avec no. Ces dépèches me firent prendre définitive- ment la résolution d'aller à Massouah aussitôt que j'aurais envoyé vers le ras le supercargue de notre vaisseau, et que J'aurais la certitude qu'ilavait passé les frontières. En conséquence, j'écrivis à M. Pearce pour l'inviter à se mettre en route avec les gens du ras des qu'il aurait recu ma lettre. J'allai ensuite à la côte avec M. Coffin, et après une longue conférence, il fut arrêté qu'il se mettrait en route à minuit accompagné d'Ally Manda. Je le pourvus d’un cheval que j'avais amené de Moka, et je fis partir avec lui un Arabe sais (gardien de che- vaux), un jeune Somauli, frère de Wursum, qui était très-versé dans la langue Dankali, et devait en conséquence lui servir d'inter- prète, et enfin dix jeunes hommes de la tribu d’Ally Govéta, qui furent choisis en ma pré- senceet qui devaient former une escorte.Avant que je retournasse à bord, Ally Govéta m'in- vita à prier le ras de lui envoyer un mulet ; Ally Manda voulait un autre turban pour son frère; enfin je fus assaillis de tant de demandes, que, si je ne m étais empressé de me retirer à | 14 210 P VOYAGE la chaloupe, il eût fallu me dépouiller de tout avant de parvenir à contenter leur avidité. Pour prévenir les obstacles qui auraient pu s'opposer au voyage de M. Coffin, je fus forcé, ce qui me fut très-désagréable, de laisser les chefs des Dumhoeta supposer que j'étais tou- jours dans l'intention de traverser leur terri- toire. En quittant la côte, j'allai à bord de la gelve de Massouah, et j'y pris le dola de Dahalac, que jemmenai avec moi à notre vaisseau. Ce bon vieillard parut éprouver, à ma vue, un sensible plaisir, qui redoubla encore lorsque je lui donnai des nouvelles du lord Saheb (r) et du capitaine Court, nouvelles qu'il m'avait demandées avec empressement. Tandis que nous primes le café, je lui adressai plusieurs questions au sujet de mes anciennes connais- sances de Massouah et de Dahalac , et j'appris qu'elles étaient à peu près dans la situation où je les avait laissées, à l'exception toutefois du nayb , qui avait été fort mortifié de la diminu- tion que venait d'éprouver son autorité. Le Dola (1) C’est ainsi que, par une sorte de pléonasme, on nommait le vicomte Valentia , dans le jargon qui se parle communément dans l’Inde, et qui s’entend probablement en partie dans tout l'Orient. { Note du traducteur.) EN ABYSSINIE. arf me parla très-favorablemeni du kaïmacan Mus- tapha aga ; il me dit que tout s'était passé dans l'ordre depuis le renvoi des soldats de Djeddah, mesure qu'on avait prise à la suite de quelques dissensions fâcheuses quis'étaient élevéesentre eux et les habitans. J'appris aussi qu’on avait reçu desnouvellesde l'expédition dirigéecontre les Arabes Johassem, et que les troupes an. glaises avaient détruit le ras el Kire, ce qui, me dit le dola, avait fait appréhender vive- ment que nous ne fissions une pareille entre- prise contre Massonah. Je calmai ses craintes sur ce point, et comme il desirait de s’en re- tourner pour la célébration d’une fête musul- mane, je préparai une réponse à Mustapha aga, que je remerciai de ses attentions, et à qui je mandai que je me proposais d'être à Massouah sous quatorze jours , et que les gens du ras qui devaient venir à ma rencontre ar- riveraient à peu près vers ce temps. Le dola partit, le 11, chargé d’une lettre écrite en arabe. Tandis que la gelve appareillait, nous fûmes témoins de l'adresse remarquable d'un plon- geur. Dans l'effort qui fut fait pour lever l’an- cre, le cable rompit. Un des naturels se jeta à la mer, plongea, et noua les deux bouts du cable, ce qu'il effectua à peu près en deux 1/* 212 VOYAGE minutes de temps, et avec tant de succès, que l'ancre fut tirée immédiatement hors de terre. Le plongeur, après cette opération , revint au- dessus de l’eau et ne parut pas avoir fait le moindre effort. Quelques hommes de l’équi- page de la gelve voulurent me vendre quan- tité de perles mal conformées ; mais la somme qu'ils m'en demandaient était exorbitante , ce qui était l'effet du prix élevé que leur en don- nent les marchands de Mascate, ceux-ci les portant dans l'Inde, où toutes les espèces de perles ont une grande valeur. J'eus , le 15, une entrevue avec AHy Govéta et le dola, qui me pressérent de leur donner la somme de cent piastres que je leur avais pro- mise pour mon passage. Comme je desirais de les maintenir en des dispositions favorables , je leur en avançai quarante ; mais je refusai d'entrer dans aucun arrangement définitif, avant d'avoir recu des nouvelles du super- cargue. Le dola tenta vainement de me faire changer de détermination ; je demeurai in- flexible et le quittai sous prétexte d'aller à la chasse d’une antilope que j'avais vue der- nièrement sur l'ile. À la même entrevue Wur- sum me demanda aussi la permission de s’ab- senter quelquesjours , pour aller lire le Koran et donner un festin en mémoire de son père. EN ABYSSINIE. 213 Les repas de cette sorte finissent toujours par une débauche générale de boisson, et les parens sont honorés en proportion du nombre de jours durant lesquels ils peuvent y fournir. J'envoyai, le 17, un message au village de Douroro, pour avoir des nouvelles du super- cargue , et j'appris, dans la soirée, qu'il avait passé la plaine de sel. On me dit que Wursum était fort mal par suite des grands excès qu'il avait faits, qu Ally Goveta était mécontent et avait besoin d'un supplément de vivres, et que plusieurs autres chefs s'étaient retirés, parce qu'ôn avait été informé que le nayÿb était arrivé aux environs d'Arena , avecses troupes. J’attribuai , en grande partie, le décourage- ment que ces informations annonçaient, à l'effet que les grosses pluies qui avaient tombé les trois jours précédens , avaient produit sur l'esprit des habitans , dont les huttes sont cons- truites si peu SU qu elles ne peuvent résister aux torrens. Le lendemain , étant allé à la côte, je vis mes conjectures bien fondées. Tout le village se trouvait dans l’état le plus déplorable. Lesnattes quicouvraient les huttes avaient été enlevées en partie, et le reste était iout trempé. Les habitans s'étaient réfugiés dans les pièces intérieures , comme le bétail sous un hangar durant l'orage. Leur misérable 214 VOYAGE aspect excita ma pitié. Il s’y joignit cependant un peu de mépris, causé par la négligence qui ne feur fait prendre aucune précaution pour prévenir de si graves inconvéniens. Le 19, Ally Goveta et quelques-uns de ses amis, vinrent au vaisseau , d'après l'invitation que je leur en avais faite. Je leurcommuniquai alors , avec le plus de ménagement qu'il me fut possible , l'intention où j'étais de me rendre à Massouah , et je leur annonçai que j'avais prié M. Pearce de venir au devant de moi jusque là. Je leur dis que je voulais montrer au nayb et à l'aga combien je méprisais leurs menaces et que j'avais résolu de commu- niquer avec l'Abyssinie par quelle route 1l me conviendrait. Je leur déclarai que j'étais entié- rement satisfait de la manière dont j'avais été reçu par les Dumhoeta, et je promis de leur ayer, malgré que j'eusse changé de plan, ne la Béart convenue pour mon passage dans leur pays. J'espérais, leur dis-je, exciter par là leur reconnaissance et les engager à se conduire, envers les Anglais , selon les senti- mens d'amitié qu'ils avaient si solennellement juré d'entretenir. | Ally Goveta parut d'abord fort déconcerté de ma résolution ; mais bientôt 1l sentit la for ce des raisons qui m'engageaient à prendre EN ABYSSINIE. 215 la voie de Massouah. Cependant il espérait , me dit-il, que si je ne pouvais m'arranger avec les chefs de cetteiïle , pour continuer mon voyage , je reviendrais à Amphila. 11 m'assura que , quels que fussent mes desirs , ilétait mon frère, et qu'il en procurerait l’accomplisse- ment au péril de sa vie. L’ayant invité à vivre en bonne intelligence avec le nayb , il me ré- pondit énergiquement : «Je desire n’avoir rien » à démêler avec lui. Il commande dans son » pays et moi dans le mien. Mais je vous ai » juré amitié et je serai en paix ou enguerre » aveclui, selon que vous le desirerez. » es peuples ont une éloquence naturelle qui donne un intérêt particulier à leurs dis- cours en pareille occasion. Je fus fortement touché de l’ardeur et de l'air de sincérité que montra Ally Goveta, et ce fut avec beaucoup de regret que je me séparai de lui ; car plus je l'avais connu, plus il avait conquis mon estime. Quant au dola , je ne changeai point d'opinion à son égard. Le 20 janvier , la chaloupe de Wursum re- vint heureusement de Moka, avec quantité de pièces de toile , de riz et d'autres choses, ce qui me permit de récompenser tous ceux des habitans qui nous avaient rendu quelque service. Le 22, nous fimes nos préparatifs pour 216 VOYAGE quitter la baie d'Amphila , sur la côte, les îles et les habitans de laquelle je vais insérer ici les remarques générales que j'ai faites durant notre relâche. La baie d'Amphila a seize lieues de longueur d'une pointe à l’autre, et près de douze milles d’enfoncement depuis l'ile la plus extérieure. Elle contient douze îles, dont les noms ont été inscrits sur la carte, aussi exactement qu'il nous a-été possible de le faire. Toutes ces iles, à l'exception d’une petite qui git au miheu de la baie , sont entièrement composées d'all'uvionsfortement adhérentes les unes aux autres et formant de grandes masses solides, quon pourrait, sans impropriété, appeler rochers , la surface n'étant recouverte qu'en peu d'endroits, d’une mince couche de terre. La plus grande partie de ces alluvions consistent en corallines , en madrépores, en échinites et en une grande diversité de ces coquilles qui paraissent toujours être com- munes dans cette mer. L'élévation de ces iles est quelquefois de trente pieds au-dessus de la haute marée, particularité qui rend diffi- cile à expliquer la manière dont elles se sont formées. L'hypothèse de M. Dalrymple, sur ia forma- tion des îles de corail, passe généralement EN ABYSSINIE. 217 pour exacte, et elle parait très-juste pour celles qui ne sont pas élevées de plus d’un ou deux pieds au-dessus du niveau de la mer; car &es l'instant où une branche de corail atteint à la surface de l’eau, les oiseaux y accourent et y déposent des coquiiles, des os et d’autres débris de leurs alimens qui, avec le temps, fournissent à la végétation, et qui peuvent s'accroitre continuellement jusqu'à ce que Île tout devienne une masse compacte. Mais cela ne résout point la difficulté au sujet des îles que je décris et sur lesquelles on trouve de grands morceaux de madrépores , disposés en couches régulières , à vingt pieds au dessus de la ligne de la haute marée. On ne peut , à mon avis, y assigner d'autre cause que la re- traite de la mer depuis que le dépôt s'est formé. Ia petite ile que j'ai mentionnée comme différant des autres, se compose d'un rocher solide, de pierre calcaire, dans laquelle on remarque des veines de calcédoine. Il y a du côté de l’est, une grande caverne où les maîtres des daous qui naviguent dans cette baie, dé- posent leurs marchandises comme dans un magasin. D'après cette particularité et vu que nous ne pümes en apprendre le nom véritable, 215 VOYAGE nous lui imposämes celui de Safety Island, ile de la Sureté. Ceux des rivages de ces iles qui sont exposés au vent , sont en général escarpés , et, lorsque le temps est mauvais, de difficile approche, à cause des empiétemens de la mer, qui a miné les rochers, et creusé, en plusieurs en- droits, des cavernes et formé des piliers d’une figure bizarre , le tout ressemblant extrême- ment à des ouvrages de l’art. On trouve com- munément, du côté qui est sous le vent, des massifs de racks, très-propres à fournir aux vaisseaux du bois à bruler , et que les naturels permettent d'abattre pour quelques piastres. Celle des iles qui est appelée Koutto , parait avoir été habitée ; car on y voit les ruines de maisons de pierre et d’un fort qui évidemment avait été construit pour commander le passage par lequel on se rend à un portiutérieur, qui est à peu de distance du village de Douroro. Il y a aussi, au milieu de la même île, une file de quatre grandes citernes, creusées en forme de croix , ayant chacune trente pieds de longueur , neuf de largeur et sept de pro- fondeur , et toutes revêtues de mastic. Les quatre étant remplies , contiendraient, selon un calcul modéré, cent vingt mille gallons EN ABYSSINIE. 219 d'eau (1). Ces citernes paroissent avoir été l'ouvrage de ce même peuple qui a construit celles de l'ile de ,Dahalac , que j'ai décrites précédemment. Une tradition reçue par les habitans du pays, les attribue aux Parsis ou Perses qui, dès le septième siècle, avaient conquis l’Yemen sur les Abyssiniens, et qui ont été pendant quelque temps maitres absolus du commerce de la Mer Rouge. La même tra- dition conduit à croire qu'à la fin ils ont été forcés par la famine , à quitter la côte ; mais on ne sait pas précisémenten quel temps, quoi- que vraisemblablement ce n'ait été qu'après là naissance de Mahomet. Je serais porté même à conjecturer que les ouvrages dont il s’agit ici, ont été construits par les Turcs dans un siècle bien moins reculé. Il paraît que jamais les autres iles n’ont été habitées; mais celles sur lesquelles on peut, à la mer basse , passer à pied sec, depuis la côte du continent , sont quelquefois visitées par les indigènes, et elles nourrissent un grand nombre de chameaux , de chèvres et de che- vreaux. La chair de ceux-ci, dans l’état sau- vage, vaut presque de la venaison. Les pêcheurs fréquentent aussi ces iles en (1) Quatre cent quatre-vingt mille pintes, ancienne mesure de Paris. (Note du traducteur. ) 220 VOYAGE de certaines saisons ; ce que nous prouvérent suffisamment les nombreux débris de goulus de mer ,de scies et de tortues dont ils s étaient nourris. Le 25 décembre, dans une de mes ex- cursions sur l'ile d'Anto Sokkyr, nous rencon- trâmes , le capitaine Weatherhead et mot, trois hommes et deux femmes qui se régalaient d'une douzaine de jeunes aigles parvenus à mi-gros- seur et tout récemment arrachés de leurs nids, et d'environ deux boisseaux de coquillages, Ils mangeaient le tout sans pain ni sel, après l'avoir fait griller. Il parait que c'était pour eux un repas des plus délicieux , auquel Les cris des aigles , à qui ils avaient ravi leurs enfans et qui volaient au-dessus de leurs têtes, for- maient une musique parfaitement analogue. Les deux villages de Madir et de Douroro sont situés sur la côte du continent , au fond de la baie. Le second, qui est le plus considérable, est aussi le plus commodément placé pour le commerce, en ce qu'il est à peine à un demi- mille du port où les Daous ont coutume de jeter l'ancre. De là, nous fimes plusieurs courses montés sur des mulets que le dola du lieu nous loua. Le pays que nous parcourümes consis- tait en une vaste plaine couverte de brous- sailles et terminée, à la distance d'environ quinze milles, par une chaine de montagnes EN ABYSSINIE. 221 formant une sorte d'amphithéätre naturel, faisant face à la côte et se dirigeant du nord- ouest au sud-est. Au nord de cette chaine passe la route d’Abyssinie; et dans un jour clair on peut voir distinctement, et dans la même di- rection, la chaîne de montagnes encore plus élevée qui s'étend depuis Sanafé jusqu'à Ta- ranta. Commeles pluies ne faisaient que de commen- cer, l'herbeëétait encore très-rare, et par consé- quent nous ne rencontrâmes que peu degibier, quoique plus tard de nombreux troupeaux de daims descendent du haut pays, chose que rend vraisemblable le grand nombre de cornes que nous trouvâmes éparses entre les hauteurs. Une petite espèce de lièvre qui ressemble fort au lapin , et qui se plait dans les lieux arideset déserts, nous sembla très-commune sur la côte. Quant aux oiseaux, une grande espèce d'ou- tarde et plusieurs espèces de vanneaux nous parurent les plus remarquables. Nous leur ou- vrimes l'estomac et nous jugeàmes qu'ils se nourrissaient principalement de sauterelles, dont les environs étaient alors extrêmement infestés. Durant notre relâche, un grand nombre d'insectes de cette sorte se jettèrent sur une des îles ; et en quelques jours près de la moitie des # 292 VOYAGE plantes furent dévorées, sans que même les feuilles amères du rack eussent été épargnées. Ces sauterelles sont appelées Djerad par les Arabes de l'Yémen , et Ænné par les Dankali. Elles servent communément de nourriture aux tribus errantes de ces deux nations, qui, après les avoir fait griller et avoir séparé la tête du corps, les dévorent comme les Européens man- gent les langoustes et les chevrettes. La côte du continent est bordée par un djengle (si l’on peut le nommer ainsi) épais d'arbres de rack, que fréquente beaucoup une espèce de renard , nommée Oubir par les habi- tans, et qui à la basse marée vient régulière- ment chercher des coquillages et d'autres sub- stances marines dont il fait sa nourriture prin- cipale. Pline , qui rapporte cette particularité, appelle le renard un petit chien et le rack un olivier (1). « In Mari vero rubro sylvas vivere » laurum maximè et olivam ferentem baccas.» — « Caniculis refertas vix ut prospicere è navi » dulum sit, remos plerumque ipsos invaden- » tibus. » C'est une chose digne de remarque que les feuilles du rack, quoique très-améres (1) C'est probablement le benat el aouy, au sujet duquel M. Michaelis a posé sa trente-huitième question. Voyez le Recueil de questions, etc. p. 81. J’ai reconnu aussi les traces de l’hyène, tout près des côtes de la mer. EN ABYSSINIE. 223 el fort acres , forment la nourriture principale des nombreux troupeaux de chameaux qu'on élève sur la côte de la mer. On juge qu'elles rendent ces animaux plus forts, plus propres à soutenir la fatigue que ceux qu'on nourrit de toute autre manière (1). Les habitans de cette côte creusent grossiée- rement des puits pour se procurer de l'eau. Ceux qui sont près des villages ne peuvent. servir que peu de temps apres les pluies. Ils sont en d’autres temps ou à sec ou remplis d’eau salée. Les meilleurs puits se trouvent sur la pointe Amphila, à environ six milles à l'est quart sud du hâvre, et ils fournissent assez d’eau pour en approvisionner une flotte. Ce- pendant ils ne sont pas très-commodes, en ce qu'ils sont à près de trois quarts de mille de la grève. Ges réservoirs sont creusés à la pro- fondeur de douze et de quatorze pieds; mais jamais nous n'y vimes l’eau s'élever à plus d’un pied au-dessus du sol. En conséquence , pour remplir une grande futaille, on met un puits plusieurs fois à sec. Il arrivait fréquemment que l’eau était saumâtre dans un puits et douce dansun autre, quoiqu'ils ne fussent pas séparés (x) Cela me semble répondre parfaitement à la soixante- quatorzième question posée par M. Michaelis. 22/ VOYAGE par un espace de plus de dix ou douze pieds. Cette différence de qualité paraît dépendre en grande partie de la marée; car nous remar- quâmes que l'eau saléeabondait dansles hautes marées et l’eau douce dans les basses marées. Cela favorise la supposition que la mer, à sa plus grande hauteur , s'élève au-dessus du ni- veau de quelques-unes des sources qui four- nissent les puits, et que, filtrant à travers le sable, elle rend l'eau plus saumâtre qu’elle ne serait sans cela. Les habitans de cette côte, aussi bien que les Arabes, n’appellent pas l'eau ainsi imprégnée eau salée; maisils lui donnent un nom qui signilie eau amère, et c’est peut- être de là que tire son origine l'expression usi- tée dans l'écriture. Il y a près des puits un certain nombre d’auges faites avec de l'argile et destinées à servir d'abreuvoir aux chameaux que les in- digènes amènent tous les matins, et qui de- meurent là généralement depuis huit heures jusqu à dix. Ceux de nos gens qui furent em- ployés à faire aiguade, les trouvèrent cons- tamment tirès-civils, quoiqu'une fois, une aventure fort ridicule en elle-même, ait man- qué d'avoir des suites très-sérieuses. Dans l’ab- sence du contre-maiître, un de nos matelots, nommé Robinson , se permit, en folâtrant, de EN ABYSSINIE. 229 frotter avee un morceau de lard la tête et le cou d'un des naturels qui avait été envoyé là pour y rester tant que nos gens y seraient. Cet homme fut tellementirrité, que, quoique vieux et faible, il saisit sa lance et son bou- clier, et jura, par le prophète, qu'il tirerait vengeance d’un pareil outrage. Le matelot fut effrayé, non sans raison, et nos gens lui firent regagner promptement la chaloupe. Le contre- maitre, qui était allé se promenér à quelque distance avec son fusil, revint alors, par bon- heur, et au moyen de douces paroles et d’un présent de tabac, il parvint à calmer le cour- roux du vieillard. Cela ne suffit pas toutefois. Le chef de la tribu me porta plainte dans les formes, et ce ne fut pas sans peine que je parvins à arranger l'affaire, moyennant une somme de vingt plasires. J'ai rapporté ce trait, à cause des accidens nombreux qu a Gccasionnés la mauvaise con- duite de quelques individus en de semblables rencontres; conduite qu'on a voulu trop fré- quemment atténuer en accusant de barbarie les naturels des différentes contrées, qui, si l'on examinait les faits avec impartialité, loin d'être à blâmer, seraient peut-être à louer pour avoir puni d'insolentes usurpations de leurs droits. Un capitaine de vaisseau ne devrait ja- I. 1h 4 « 296 VOYAGE mais permettre à une chaloupe d'aller à la côte d'un pays-peu connu, qu'après lui avoir donné, sil est possible , un interprète. 1l doit mettre aussi à la tête de la troupe un officier qui joigne la fermeté à des manières conciliantes, et qui sache que la demande d'eau qu'il doit faire peut être une chose de la plus grande impor- tance pour ceux à qui elle s’adressera. Les ma- telots doivent aussi avoir l'ordre de ne pas s'écarter de leur officier, et de ne pas tou- cher à la moindre chose, qu'il n'ait été fait une convention avec les habitans ou qu'il ne soit établi un échange de présens entre eux et les débarqués. Je suis persuadé qu'avec de telles précautions, et en respectant plus qu'on ne le fait communément les coutumes des peu- ples, on les trouverait plus enclins à exercer hospitalité envers les étrangers, et que les accidens seraient plus rares. j'ai conçu cette opinion après avoir observé fréquemment la conduite imprudente et dépourvue d’égards tenue par nos matelots, et l'extrême circons- pection dont usent les naturels eux-mêmes lorsqu'ils entrent en relation avec des tribus étrangères. J'en citerai bientôt un trait remar- quable. Le pays qui entoure la baie d’Amphila fait partie de celui qu'on appelait autrefois Île EN ABYSSINIE. 227 royaume de Dankali, qui était assez étendu, et dont le souverain fut en des temps reculés engagé en des guerres, de concert avec les rois d'Hurrur et d’Adaiel, contre l’Abyssinie. Le langage et les coutumes des habitans se rap- prochent de ceux deg Adaiel ; et leurs terri- toires respectifs étaient contigus jusqu'à ce que la grande irruption des Gallas, qui s’a- vancérent jusqu'à la mer dans les environs d'Asab, les eut séparés complètement. Le pays et le peuple qui l'habite conservent toujours le nom de Dankali ; mais ce peuple est partagé en un grand nombre de petites tribus, dont chacune a son chef particulier. La plus puis- sante est celle de Dumhoeta qui , outre de vastes cantons situés dans l’intérieur des terres, possède toute la côte qui s'étend depuis Béloul jusqu’à Aréna. Elle peut compter mille com- battans. Les deux plus considérables après celle-là sont les Taiemela et les Hadarem , cha- cune desquelles est en état de mettre deux cents hommes en campague. L'une et l’autre habi- tent entre les montagnes qui environnent la plaine de sel. Tout près et au nord de cestribus, vivent les Belessom , tandis qu’au sud, c'est-à- dire à Ayth et dans ses environs immédiats, résident les petites tribus d'Adoule et de Mo- deto, qui sont composées de marins, et qui, F# 15 228 VOYAGE comme je l'ai déjà remarqué, ont des relations avec les habitans des îles qui gisent par le tra- vers de la côte. Les autres tribus sont celles des Adalhou, des Aisamalhou, des Kedimto, des Ouima, des Moushiek, et des Assamominto, la dernière desquelles était gouvernée par un frère d’Ally Govéta, qui résidait aux environs d'Aréna. Au nord-ouest de celle-ci, vit une autre tribu qui a le nom de Russamo. Elle est entièrement indépendante, et est toujours en contestation avec ses VOISINS. Toutes les tribus dont il vient d’être ques- tion parlent la même langue et peuvent être considérées comme Danakil (1). On dit que, réunies, elles pourraient mettre six mille hommes sur pied. Elles professent toutes la religion musulmane, que toutefois elles ne connaissent guère que de nom; car il n'y a dans leur pays ni mosquées, n1 ministres du culte. Menant une vie errante parmi les mon- tagnes pour faire paitre leurs troupeaux, leurs mœurs sont grossiéres et leur esprit est sans culture. Chaque tribu est parfaitement indé- pendante quoique toutes soient prêtes à se réunir au premier signal pour l'intérêt com- un. Ces peuples étant résolus, actifs et en- (1) Dankali est le singulier et Danakil le pluriel. EN ABYSSINIE. 229 treprenans, leur nombre les rendrait formi- dables s'ils ne manquaient pas d'armes, leur pauvreté ne permettant qu'à un homme sur dix d’avoir une lance , un sabre ou quelque autre arme offensive. Les femmes que nous vimes sur la côte avaient une physionomie fort agréable, et chaque fois que nous entrions dans leurs huttes, elles nous offraient de l’eau ; leur mi- sère était si grande, qu'elles ne pouvaient présenter que cela aux étrangers. Aucun peuple dans le monde ne paraît plus dépourvu des: choses nécessaires à la vie. Un peu de pain de djoary, un peu de poisson, un peu de tait de chèvre et de chameau , et un chevreau, dans quelques occasions très-rares, font toute leur nourriture. Les tribus de l’intérieur des terres vivent un peu mieux. Elles ont de grands trou- peaux de bétail qui, dans le temps des pluies ,: leur donnent beaucoup de lait. Comme il pa- rait que ce peuple ne connait aucune sorte de w culture, on peut le nommer, dans toute la force du terme, une nation de pasteurs. Tous, hommes et femmes, ont une passion des plus fortes pour le tabac, et ils en demandent sans cesse. Ils en fument, ils en prennent en pou- dre, et ils en mâchent, ce qui, jimagine, appaise jusqu'à un certain point leur faim. 230 VOYAGE L'habit des hommes cotisiste en une seule pièce de toile d'Arabie ou d’Abyssinie qui leur enveloppe le corps. Leur chevelure, qu'ils ont crépue , est arrangée d'une manière curieuse, est frisée, poudrée avec une poudre brune, et graissée à la manière des Hazortas et des autres tribus qui vivent sur la côte. Le vête- ment des femmes est un peu plus modeste que celui des hommes, quoique fort peu appro- prié à leur sexe. Elles portent des espèces de calecons serrés dont les bords sont diverse- ment ornés de cauris et d'autres coquilles. Leurs cheveux sont tressés et forment de pe- tites boucles, et elles ont aux braset aux jambes des bracelets d'ivoire et d'argent. Les soins do- mestiques, tels que moudre le grain, cuire le pain et puiser l’eau, sont leur partage. Les hommes passent le temps à garder leur bétail, ou plus frequemment à fumer et à ne rienfaire. Les huttes de ces peuples ont la forme des ig-wams des Indiens d'Amérique, et elles sont couvertes de nattes faites de feuilles âe palmier Doume. Ordinairement chaque hutte est partagée en deux ou trois compartimens, L'ameublement consiste en quelques couches grossières , en ustensiles de cuisine et en une grande jarre pour mettre l'eau. Quand il se fait un mariage , ce qui occasionne de grandes EN ABYSSINIE. 251 réjouissances, les amis fournissent une liqueur enivrante appelée bouza ; et l'on coupe un pied de chevreau qu'on suspend dans la maison du chef pour conserver la mémoire de l'évé- nement. | Les Danakil, ainsi que les Adaïel et les So- mauli ont une horreur extrême pour la chair de poule et de poulet, ce qui peut faire con- jecturer qu'ils sont d'origine égyptienne. Une autre particularité appuie cette conjecture avec force : leurs tombeaux sont couverts de mo- numens de forme pyramidale. Nous demeu- ràmes longtemps sur la côte avant de décou- vrir un de leurs cimetières ; mais à la fin j'en rencontrai un situé dans un lieu retiré et entre deux montagnes, indiquées sur notre carte sous le nom de Sister - Hills (les montagnes sœurs). Les tombes s’élevaient en pyramides etétaient grossièrement construites en pierres unies par un ciment. Quelques-unes même étaient revêtues entièrement de cette derniere substance. Une de ces pyramides couvrait un espace de dix pieds carrés. On trouvera dans l'Æppendix un Vocabu- laire de la langue Dankali. Durant notre relâche dans la baie d’Am- phila le thermomètre indiqua généralement x 0] à midi, mais à l'ombre, le point élevé ou de 392 VOYAGE 77°, où de 960, ou de 59°, le vent variant de l'est à l’est sud-est. Dans la dernière partie du mois de décembre, cependant, lethermomètre baissa par un shummal où un vent de nord- ouest jusqu'à 72°; et nous avions alors un ciel voilé par des nuages, et de temps à autre des ondées; mais sur la côte, la pluie paraissait tomber presque sans relâche. A l'approche du shumimal, l'air devient toujours très-lourd et l'atmosphère est obscurcie probablement par le sable, qu'élévent en forme de piliers les coups de vent, qu'on voit balayer la plaine en toute direction. Je n'ai pas entendu parler d’acci- dens produits par ces piliers de sable mobiles ; b et il ne paraît pas qu'ils inspirent une grande terreur aux naturels du pays. Je fus un jour enveloppé dans un de ces tourbillons.Toute ma peau parut brûlée; mais je n’en ressentis au- cune douleur, soit alors, soit depuis. Je dois ajouter à ce que j'ai dit au sujet des oiseaux, que les bas-fonds et les iles sont fré . quentés par de nombreuses volées d'oiseaux de mer, tels que des pélicans, de gros hérons de différentes espèces, des flammants ; des becs en cuiller, des mouettes, des courlis, des bé-. cassines.et des alouettes de sable. Je tirai aussi sur la côte un oiseau d’une très-belle espèce, qu'à la première vue le docteur Latham sup- EN ABYSSINIE. 233 posa appartenir à la famille de l/rdea Pon- diceriana , mais que depuis on a jugé être un genre nouveau et distinct en ce qu'il a le bec d'un ardea, tandis que les pieds sont garnis d’une membrane fort longue et se rapprochent plus de ceux de l’avoceite. Des individus em- baumés { mâles et femelles) sont maintenant en la possession du lord Stanley, à qui je les ai présentés à mon retour en Angleterre. J'ai découvert aussi une nouvelle espèce d’alouette qui est très- commune sur toutes les îles, et que, d'après sa couleur et ses habitudes, on peut appeler avec justesse l’alouette du désert. J'ai inséré dans l’Appendix une liste de ces oiseaux disposés selon leur genre et leurs espèces, ainsi que d’autres oiseaux qui se trouvent en Abyssinie. | | Le 23, nous primes congé d'Ally Goveta et de ses amis à Amphila (1), et nous mimes à la voile pour nous rendre à Massouah. Tandis que nous manœuvrions pour sortir du port, le vent tourna tout-à-coup à l'est, ce qui nous força de jeter l’ancre par cinq brasses au milieu (1) Comme l’analogie de ce nom paraît différer de celle des autres noms de lieux situés sur la côte, je ne puis m'empêcher de soupconner que c’est: une corruption d’AYUQIA8 Aiun , mentionné par Strabon. Wide Strabonis Geograplie , II, 971. 254 VOYAGE du canal. Le retard qui en résulta nous per- mit, au Capitaine , au chirurgien et à moi, de débarquer sur Harbour island (ile du Hâvre), et d'y passer la journée à l'ombre d’un bosquet d'acacias entreméêlés de beaucoup de plantes grimpantes. On ne peut rien imaginer de plus agréable que les retraites de ce genre à la sai- son où l'on était alors. Nous allumâmes un grand feu dans la soirée. Il y eut, durant la uuit, un beau clair de lune dont le reflet sur les flots nous procura un coup d'œil ravissant, notre tente n'étant qu’à cent yards (1) de la mer. Le lendemain matin, au point du jour, nous retournâmes à bord, puis nous fimes voile. (1) Le yard a trois pieds d'Angleterre de longueur , ce fait deux pieds neuf pouces de notre ancien pied de roi. (Note du traducteur. ) EN ABYSSINIE. 235 CHAPITRE V. Observations sur la côte située au nord d'AmpxiLa. — Sarso. — Baie d'Houaxez. — Ile du même nom. — ARÉNA. == Découverte de la PIERRE OPsiENNE. — Ile de Bouckan. — Mouillage d'Ansouice. — Voyage à Massouan. — Phénomène maritime. — Dangereux banc de sable près de l’îiLe DE VALENTIA. — Arrivée à Mas- SOUAH. — ABYSssINIENS envoyés sur la côte par le ras. — Voyage de M. Corrin d'AmpniLa à CHELICUT, — Entrevues avec le KAïmaArAN. — Effroi causé par une flotte de Daous , venue de Drrbnax. — Préparatifs pour passer en AByssiNiE. — Départ de Massouan. — ARKIKO, — Portrait des habitans de cette ville. — Dé- part d'ARkIKo. Loic nous fümes sortis d’entre les îles d'Amphila, nous rangeämes de près la côte, ce qui me permit de faire quelques observa- tions utiles sur la forme dont elle est , et sur la direction qu’elle suit ; et en quelques heures nous arrivämes à la pointe Sarbo, absolument sous laquelle nous laissâmes tomber l'ancre. Dans cette position nous trouvämes Fabri du sud assez bon , quoiqu'exposé à une grosse houle ; mais comme les îles n’en offrent aucun 236 VOYAGE du côté du nord-ouest, c’est un mouillage qu'ilne convient de prendre que le moins qu'il est possible. Nous consacrämes la journée du 25 à re- connaitre l'extrémité orientale de la baie d'Houakel. En allant sur la montagne de Sarbo pour cette opération , nous trouvàames quel- ques plans de balsamier et un autre arbriseau produisant une espèce de gomme , et ressem- blant beaucoup au bdellium. J'ai rapporté plusieurs échantillons de ces arbustes , et il a été vérifié à mon retour , qu'ils appartenaient au genre de l'arvyris. Du haut de la montagne nous eümes une très-belle vue de la côte, de ses nombreuses entrées formant des courbes, de ses baies et de ses îles, desquels je pris une double suite de gisemens ; et comme les montagnes que nous avions vues, étant dans la baie d’Amphila, continuaient à se montrer, cela rattacha notre reconnaissance : a cette baie. Là, nous primes aussi ; au moyen d'un horizon artificiel , la hauteur méridienne du soleil , qui fixa la situation de ce lieu par les 15° 0’ 48" de latitude septentrionale. Le capitaine Weatherhead fit, en même-temps, : sur l’extrémité de la pointe , une observation qui donna pour résultat 16° 1/10", différence quirépondit , d’une manière trés-satisfaisante, EN ABYSSINIE. 237 à la distance où nous étions l’un de l’autre. Le vendredi 20 , au matin, j'allai, dans le daou de Wursum , faire une expédition à tra- vers la baie d'Houakel , laissant ke capitaine Weatherhead se porter en dehors sur la Ha- rian, jusqu à l'ile d'Adjouice. Nous nous avan- câmes d'abord vers l’ile plate et longue de Del Gammon , sur laquelle je débarquai et visitai un petit village du même nom , en faisant la recherche d’une pierre portant une inscription qu'on dit se trouver quelque part aux environs. Je ne pus engager les habitans à me la montrer; mais, d'après des rapports qui m'ont été faits ensuite, je suis toujours enclin àcroire qu'ilexisteune semblable pierre, sur laquelle est une inscription en caractères koufiques , et se rapportant à une tradition au sujet des Persans ; tradition mentionnée ci-devant. Je fais cette remarque pour l’ins- truction des voyageursqui pourront mesuivre. En nous rembarquant , nous emmenäâmes, à la demande de Wursum , un des naturels de l'île, et nous voguàmes vers celle de Houakel , à peu de distance de laquelle nous mouillämes. Bientôt après nous primes terre et nous fimes environ deux milles sur une plaine, pour nous rendre au village. Lorsque nous en appro- châmes , nous vimesles habitans donner beau- 238 VOYAGE coup de signes de frayeur. Plusieurs prenaient la fuite; mais d’autres, armés de lances, se réunissaient et formaient un corps quise retira à mesure que nous avançämes. J'envoyai lin- sulaire de Del” Gammon leur dire que nous étions leurs amis. Lorsqu'ils l’eurent entendu, ils sarrêtérent , se rangèrent sur une ligne, ayant un vieillard au centre, et nous firent le salut accoutumé, en criant selam alecum, à quoi nous répondimes selon l'usage , alecum selam. Ensuite nous primes la main à chaque homme , qui, en la retirant la baisa, selou que cela se pratique sur la côte. Ce cérémonial terminé, le chef qui n'était distingué que par la qualité supérieure de son vêtement, adressa à Wursum , comme à notre interprète, diverses questions , et en même-temps on se int des deux côtés rangé en ligne, chaque parti faisant face à l’autre , et gardant le plus profond silence. « Kaif enté ? Comment vous portez-vous ? » Théibein, bien. » Él hamdou lillah, Dieu soit loué. » Koullhou théibein ? tout est-il bien ? » Eyou& théibein, oui bien. » Min téyé ? D'où venez- vous ? » Min Motéhä baadén, min Amfyla, de Moka et en dernier lieu d’Amphila. EN ABYSSINIE. 239 » Eich Khaber? quelles nouvelles ? » Théèb Khaber, bonnes nouvelles. » El-Hamdou lillah , Dieu soit loué. On fit ensuite une infinité de questions sur les nouvelles de Moka , de Hodeidah, d'Amphila et de l’'Habesh. Wursum y répondit par un compte détaillé de tout ce qu'il savait sur les lieux, n'oubliant pas de faire mention du prix du ghy, du djoary, de la toile, etc. 11 dit aussi que nous étions amis d'Ally Govéta et des Danakil, sur quoi les indigènes s'écrie- rent plusieurs fois : « Dieu soit loné! c’est bien ! » Lorsqu'ils eurent fait silence, Wursum leur demanda s'ils avaient fini. Leur réponse ayant étéaffirmative, illeur adressa les mêmes questions que celles qu’ils lui avaient faites, les commençant aussi par Kaif'enté, comment vous portez-vous, et les terminant en leur demandant qu'elles étaient les nouvelles de Djeddah, de Souakin , de Dahalac, de Mas- souah et d’Arena. Ils répondirent , d'une manière très-satifaisante, à toutes ces ques= tions qui m’amusèrént beaucoup, et ils nous dirent jusquà une fraction de comassi , le prix courant de chaque petit article de com- merce, puis ils nous présentèrent de nouveau la main.Ils déclarèrent qu'ils étaient enchantés ÿ Le 240 VOYAGE. de notre arrivée, et s'étant retournés ils nous conduisirent vers le village. Quelque minutieux que puissent paraître ces détails , j'ai cru devoir les retracer, parce qu'ils se rapportent à un point que j'ai traité précédemment , celui d'ouvrir des communi- cations avec des peuplades sauvages. Si Wur- sum , qui était Somauli, c'est-à dire d'une nation dont les vétemens et les coutumes res- semblent beaucoup à ceux des Danakil, a jugé de telles précautions nécessaires dans un pays ami, qu'il n'avait pas encore visité, combien doivent-elles être plus indispensables pour les Européens, lorsqu'ils veulent traiter avec des peuples dont la couleur, les vêtemens et les coutumes différent tant des leurs? J'ai rap- porté les phrases originales comme formant un spécimen de l'arabe vulgaire , qui est usité communément sur les côtes de la Mer Rouge. A mon arrivée au village de Houakel, on me prépara une hutte tres-propre , etcomme la soirée était avancée , je consentis à y passer la nuit. On me témoigna la plus grande bien- veillance. On tua un chevreau et l'on apporta une grande quantité de lait, trait à l'instant et déposé dans des paniers faitsavec des feuilles de doumeetenduitsde cire, travail dans lequel les habitans de ces îles excellent. Après que \ EN ABYSSINIE. 24 j'eus exprimé le desir de reposer, on apporta une naite destinée à être étendue sur ma cou- che, et le chaik plaça de ses propres mains une certaine quantité de soie d'Arabie pour me servir d'oreiller. Le 27, au point du jour, j allai sur les mon- tagnes prendre une vue générale de la baie et le gisement des îles qu’elle renferme. Ces montagnes, dont l'aspect est pittoresque, sont couvertes de broussailles et forment un am- phithéâtre parfait qui borne une plaine allant en pente jusqu’à la mer. On jouit d’une très- belle vue du haut de la première chaîne de mon- tagnes. Toute la plaine ressemblait à une pe- Jouse mouchetée, si l'on peut s'exprimer ainsi, de mimosa, dont le vert foncé rendait plus fraichel'herbe touffue qu’ils couvraient de leur ombre, et sur laquelle des centaines de belles” chèvres aux mamelles pendantes paissaient ac compagnées de leurs chevreaux. Au centre de la plaine s'élèvait le village , qui était composé d'une quarantaine de huttes circulaires cons- truites avec des branches de rack et de lon- gues racines d'acacia , et proprement couvertes denattes. Près de la grève, et du côté du nord, est un massif d'arbres au-delà duquel se trou- vent la baie et ses îles nombreuses qui se con- fondent avec l'horizon. Les habitans pour- I. 16 242 VOYAGE raient être heureux, si elles étaient toujours dans l’état florissant où nous les vimes ; mais par malheur il dure peu. A peine les pluies ont- elles cessé que la terre se dessèche , l'eau manque, l'herbe est brülée et les chèvres ne trouvant point de nourriture, maigrissent et ne donnent plus de lait. Cela dure huit mois consécutifs , au bout desquels, si les pluies ne viennent pas, ce qui se voit quelquefois, la mortalité se met dans le bétail, et s'étendant bientôt aux enfans et aux femmes, elle fait de toute l’ile un théâtre de désolation. Les hommes, alors, font des courses à Moka, à Hodeidah, et au nord jusqu'à Souakin, pour échapper à la misère et aux maladies qui rè- gnent chez eux. J’eus à me féliciter d'être allé jusqu’au som- met de la montagne qui est très-escarpée. Je pus m'y faire une idée exacte de la baie et de l’intérieur du pays. On y découvrait au loin les hauteurs habitées par les Roussamo, et au- delà les hautes montagnes de Sanafé. Dans la matinée, nous retournâämes vers le daou de Wursum. Nous fûmes accompagnés par une troupe d'habitans qui conduisaient sept che- vres que j avais achetées au prix de six piastres; et plusieurs jeunes filles, vêtues comme celles de Madir, portaient, pour nous, quelques ou- EN ABYSSINIE. 243 tres pleines d’eau. Une de ces jeunes personnes était fort jolie et d'une taille élégante. J'appris que c'était la fille du chaik, qui , à ma grande surprise , fit des plaisanteries à son sujet; et à notre arrivée au daou, il lui causa une vive frayeur en lui disant qu’il allait me la vendre ‘pour cent piastres. À midi, je regagnai le vais- seau, que je trouvai mouillé au sud -ouest de Djeziret l Adjouice, déaomination arabe qui , traduite littéralement, signifie île de la vieille femme. Comme nos précédentes recherches le long de la côte nous avaient donné lieu de conjecturer que la baie de Houakel était celle que le Périple la mer Erythrée célèbre comme produisant la pierre obsidiane, je résolus de l’'examiner le plus exactement qu’il me serait possible. Dans ce dessein , le chirurgien et moi, nous pas- sâmes, le 27 au matin, dans le daou de Wur- sum pour aller visiter Aréna, que je jugeais être situé sur une espèce d'anse à l'extrémité intérieure de la baie. Nous fimes la route tra- cée sur la carte; et après avoir reconnu toutes les iles et bas-fonds que nous rencontrâmes, nous arrivämes, ayant marché environ quatre heures, au mouillage qui se trouve vis à-vis du village. Wursum gagna la côte à la nage pour preparer les voies, et bientôt il revint 16* # 244 VOYAGE dans une petite barque avec un homime de haute taille et qui avait le teint clair. C'était son oncle, un négociant Somauli, qui depuis peu de jours était revenu d’un voyage qu'il avait entrepris pour les affaires de son com- merce à Massouah, dont il nous donna des nouvelles qui nous expliquèrent le renvoi des troupes de Djeddah. Il nous apprit qu'il yavait eu une querelle violente entre elles et les As- çarri d'Arkiko , quelles s'étaient conduites d’une manière insolente, qu'un des leurs avait : tué une femme et avait été ensuite tué lui- même. Cela avait occasionné une rupture ou- verte ; et comme le dola d’Arkiko était maitre d'affamer Massouah, les troupes de Djeddah avaient été forcées de se retirer, en laissant seulement quelques esclaves avec laga. J'allai bientôt à la côte, où je trouvai, avec un grand nombre deleurs gens deux des chefs Dumhoeta, nommés Hamouda et Undodo, frères cadets d’Ally Govéta. 11 y avait aussi plu- sieurs marchands somauli qui, sous la con- duite du frère d’Yunus, avaient établi là une petite factorerie pour entretenir des relations ‘de commerce avec les habitans, entreprise qui démontre la supériorité des premiers sur toutes les autres tribus africaines qui vivent sur cette côte. Les exportations principales EN ABYSSINIE. 2/5 consistent en esclaves, en chevaux , en bétail, en chèvres et en ghy. On peut se procurer constamment de ce dernier article en très- grande quantité, dans les environs. Lorsque j'eus dit aux chefs que mon intention en les visitant était de serrer le nœud de l'amitié que ] ‘avais contractée avec Ally Govéta , ils se mon-. trèrent fort contens et déclarèrent que ce que leur frère avait juré serait observé par toutes leurs tribus. Après avoirsatisfait pleinement à l'étiquette, nous fimes une petite course le I6ng de la côte. Bientôt nous fûmes à vue d’une montagne qui pouvait être à la distance de dix milles, et près de laquelle, au rapport des indigènes, est s1- tuée la ville de Zulla, qui appartient aux Ha- zortas. Je fus enchanté en remarquant près du lieu où nous étions, un grand nombre de morceaux d'une substance noire, offrant un poli parfait, et ressemblant infiniment à du verre, qui étaient épars sur la terre, à peu de distance de la mer. J’en recueillis une centaine d'échantillons, la plupart desquels avaient de deux à quatre pouces de diamètre. Un des na- turels me dit qu'à peu de milles plus loin, dans l'intérieur des terres, on en trouvait des mor- ceaux d'une bien plus gran:le dimension, Cette substance a été analysée depuis mon retour en 246 VOYAGE Angleterre, et l'on a reconnu que c'était la véritable pierre opsienne , ou obsidiane , et qu'elle répondait parfaitement à la description suivante donnée par Pline : jé « Dans la classe du verre (1) sont aussi les » vases obsidiens, ainsi nommés à cause de » leur ressemblance avec la pierre qu'Obsidius » trouva en Ethiopie, qui est d'un très-beau » noir, et quelquefois transparente, mais » d’une transparence matte; ensorte qu'atta- » chée en miroir contre la muraille d’un ap- » partement ,#elle rend plutôt l'ombre des ob- » jets que les objets mêmes. Plusieurs en font » des pierres de bagues. Pour moi, j'en ai vu » des statues massives qui représentaient l'em- » pereur Auguste, qui prisait fort cette espèce » de verre opaque, et qui dédia lui-même, à » titre de merveilles, au temple de la Con- » corde, quatre éléphans de pierre obsidien- » ne(2), 20. » (1) J'ai employé la traduction de Poinsinet, Foy. Liv. XXXVI, tom. XII, pag. 147.( Note du traducteur.) (2) In genere vitri et obsiliana numerantur , as simili- tudinem lapidis quem in. A Ethiopia énvenit Obsidius, niger- rimi coloris , aliquando et translucidi, crassiore visu, atque in speculis parietum pro imagine umbras reddente. Gemmas multi ex eo factunt ; vidimusque et solidas ima- gines divi Augusti, capti materiæ hujus crassitudine : dica- EN ABYSSINIE. 247 * Ilest évident , d'après cette description, que, bien que ce soit aujourd'hui un fait avéré, Pline nesavait pas que la pierre obsidiane n'est autre chose que du verre vomi par un volcan, quoi- que la parfaite ressemblance qui se trouve en- tre cette substance et le verre fabriqué, les ait, comme il le dit, fait prendre l'un pour l’au- tre. De là, l’obsidiane a conservé les noms de Aifes Sie en grec, et Lapis obsidianus en latin. Le docte Saumaise a tourné Pline en ridi- cule pour sa description de l’obsidiane, et 1l a voulu prouver que cet historien avait eu tort de la nommer obsidianus , et de dire qu’elle a été trouvée en Ethiopie par Obsidius; mais avec tout le respect dû à une si grande auto- rité, je soutiens qu’à moins de meilleurs argu- mens que ceux que Saumaise a employés, la description de Pline parait être beaucoup plus exacte, vu surtout qu'elle s'accorde parfaite- ment avec les échantillons de cette même es- pèce qui est appelée oh» dans le Périple. La description de Saumaise, au contraire, est vitque ipse pro miraculo in templo Concordiæ obsidianos quatuor elephantos. Remisit et Tiberius Cæsar heliopoli- tarum ceremonits repertam ibi in hæreditate ejus qui præ- Juerat AEgypto, obsidianam imaginem Menelai. Ex quo apparet antiquior materiæ origO ; nuncC vüri similitudine interpolata. ‘ 248 VOYAGE extrêmement inexacte. Le docteur Vincent a soupconné le premier que la pierre opsienne pourrait se trouver près d'Aréna ; mais vu l'ex- trême incorrection des cartes avant la recon- naissance que le lord Valentia a faite de la côte , il ne pouvait désigner depuis Massouah jusqu'à Béloul aucune baie qui répondit à celle que décrit le Périple. Comme, depuis, j'ai eu le bonheur de déterminer ce point d’une manière satisfaisante, j'ai dédié au docteur Vincent une carte de la baie, en témoignage d'amitié et en reconnaissance de la manière franche avec laquelle il a examiné mes pré- cédentes remarques sur l'inscription aduliti- que (1). | Le Périple mentionne de la manière sui- vante la baie et la pierre opsienne (ou obsi- diane).« A environ huit cents stades (d”_4douli) » est une autre baie fort enfoncée. A l'entrée » de cette baie, git, du côté droit, un vaste » banc de sable au bout duquel se trouve la » pierre opsienne qui n'est produite que là (2 )». (rx) Consultez le Voyage de Nearque et le Périple de lu Mer Erythrée , traduit du grec par le docteur Vincent. \ \ \ 9 / r \ à (2) Kat d T0 Sad'iov Tel OXTAHKOCIOY HOAÂTOS € TE pos Cal6raros, ci ( ; \ , # \ e_ 1 \ / et xaTd Tv El TGoAN evd'efiors us ESIV TOAÂAN KEY UMUEVN 5 Je » : / e ? € » A 1 5 9 7) xaPns év Galles xexomuévos eupirxerar à o\ÿuœos Alfos, ev éxeivs # / mia TOTIKGWS YEVOLEUOSe EN ABYSSINIE 2/9 Le nombre de huit cents stades, s’il était ques- tion de stades romains, excéderait la distance qu'il y a d'Adouli à Aréna, ce qui parait confir- mer la conjecture du lord Valentia, que c’est de stadès égyptiens qu'a parlé l'auteur du Pé- riple (1); et la chose acquiert toujours plus de vraisemblance, si, comme on le suppose, cet ouvrage, a été composé par un marchand d'Alexandrie. Dans la soirée, nous retournämes à bord de la Marian. Voulant compléter notre reconnaissance, nous allâmes, le capitaine et moi, en cha- loupe à l'ile de Bouckah , en arrondissant le côté occidental de Houakel, comme l'indique la route tracée sur la carte. Chemin faisant, nous remarquâmes un très-beau bassin dont l'eau avait de quatre à cinq brasses de profon- deur, mais auquel, par malheur, nous ne pümes découvrir aucune entrée pour un vais- seau. Bientôt nous traversèmes un port bien abrité, ayant quatre, cinq et six brasses d’eau, et qui nous parut, d'aprés la reconnaissance imparfaite que nous pümes en faire, ètre le mouillage le plus sûr de toute la baie. L’en- (1) Voyez le tom. IIIe (p. 5) des Voyages du vicomte George Valentia, traduits de l'anglais par P. F. Henry. 250 VOYAGE trée, autant qu'il nous fut possible de l’exa- miner, nous sembla très-sûre et d’un accès facile ; mais il ne faut pas qu'un vaisseau, tirant beaucoup d'eau, tente de s y introduire avant qu'on ait une connaissance plus exacte des sondes que celle que nous pûmes avoir. Sur le sommet de la haute terre de Bouckah, qui forme presque un niveau parfait, nous mesurèmes une base de deux mille sept cents pieds, et nous primes avec un théodolite une suite de gisemens, d'après lesquels , ainsi que d'après d’autres, obtenus par un semblabie moyen sur l’ile de Dalheit, tous les principaux points de la carte ont été fixés. De grandes masses de basalte, d'environ trois pieds d’é- paisseur , de sept à huit de diamètre, et d’un brun foncé et comme brülé, qui forment des couches empilées les unes sur les autres et offrent quelquefois l'aspect de murs en ruine, composent le plateau de Bouckah. Les basses terres de toutes les îles de la baie sont, comme celles d'Amphila , composées de productions marines. Je calculai, depuis Bouckah, que le point le plus élevé d'Houakel est à environ six cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer. À notre retour, nous passämes à l’est de cette ile, et nous complétâmes ainsi un circuit d'environ vingt-quatre milles, ce qui EN ABYSSINIE. 251 ne nous fit arriver au vaisseau qu'à nuit noire. Le lendemain matin, nous quittâmes le mouillage d’Adjouice (1), et nous tâchâmes de sortir de la baie; mais le vent étant contraire, nous fümes forcés de chercher un refuge sous l'île de Dalheit , lieu où , par l'effet de la même cause, nous fümes retenus jusqu’au 7 février. Nous y eûmes un temps nuageux et sombre et parfois une grosse pluie, le vent variant comme de coutume du nord-ouest au nord nord-ouest, Thermomètre de 75° à 780. Le 7 février, nous remimes à la voile. À une heure après-midi, la mer prit, sur un espace considérable à l’entour du vaisseau, une teinte si rouge que nous en fümes extrêmement ef- frayés au premier moment; mais en sondant nos craintes cessérent; car nous nous trou- vions sur plus de vingt brasses d'eau. Desirant de connaitre la cause de ce phénomène , nous fimes jeter dans l'eau un seau , au moyen du- quel nous nous procurèmes une assez grande quantité de la substance qui flottait à la sur- face. Elle avait la consistance d’une gelée et était composée d'une multitude de très - petits (x) Il y a sur l’île d’Adjouice un mouillage que le capi- taine visita. Il trouva les habitans civils, et acheta d'eux, pour son équipage , sept chèvres pour sept piastres, 252 VOYAGE mollusques , chacun desquels ayant au centre une petite tache rouge, formait, lorsqu'ils étaient réunis, un corps de couleur brillante, et presque semblable à celle qui est produite par une dissolution de minium dans de l’eau. Nos matelots furent tellement frappés de l'effet extraordinaire que cela produisait à qu'ils s'é- crierent : « C'est vraiment la Mer Rouge. » Et notre bosseman dit dans son langage grossier : « C’est vraiment comme le sang qui coule dans une boucherie; si nous disions cela en Angle- terre, on ne nous croirait pas. » Le soir, à l'approche de la nuit, les mol- lusques, que nous avions conservés exprès, devinrent lumineux, ayant, lorsque rien ne les troublait, cette apparence qu’à le vif argent quand on le jette sur le revers d’un miroir. Etant agités, ils donnaient une lumière argen- üne et brillante, et pris à la main, puis jettés sur le pont ou sur tout autre objet , ils conser- vaient, durant plus d'unedemi-minute, leur as- pect extraordinairement lumineux. Cette par- ticularité me semble expliquer d'une manière très-satisfaisante diverses apparences extraor- dinaires que la mer a offertes, et qui ont été dé- crites dans plusieurs Voyages , et surtout celle qui s’est fait remarquer aux environs du cap Fartak, sur la côte d'Arabie, et dont plusieurs EN ABYSSINIE. 25 journaux de ceux de nos vaisseaux qui ont visité celte côte ont fait mention, I{s portent généralement que la nuit la mer était aussi blanche que du lait. Le méme fait est rap- porté par Agatharchides ( De Mare Rubro, p. 58), qui remarque « qu'aux environs la mer « paraît blanche comme l'embouchure d’une » rivière, chose qui excite l’étonnement, re- » lativement à la cause qui la produit{r). » Dans la soirée, nous laissâmes tomber l’an- cre sous la pointe sud-est de la basse terrè d'Hurtou. Le 8 février, nous passàämes entre Chumnah et l’île du Pilote; et à la nuit nous mouillàmes près de la pointe nord-ouest d'Hurtou, sous une île basse, offrant un excellent abri contre le vent du sud. | Le lendemain matin, nous fümes de nou- veau sous voile, et nous gouvernâmes vers l'extrémité nord-ouest de l'ile de Valentia. A midi, nous tombâmes en calme , et j'en pro- fitai pour faire une course sur une petite ile de sable , jointe par un récif à l'extrémité sep- tentrionale de l'ile de Valentia, et qui n'était pas à une grande distance du vaisseau. Dans l'après-midi, la brise de mer revint et nous \ \ / / / ! (1) Tapa dé Tax par Tavruv, per btAaTla Aeuxn Gaivirai m9 \ à / u ! \ , FITAME EMPEpPNS , USE Fa par AT lecba 76 YINOMEVS TUV. Gi TIUY, 254 VOYAGE fimes voile. À quatre heures, notre goélette qui allait en avant passa sur un dangereux Das fond , qui n’était pas recouvert par deux brasses d'eau, et qui git directement sur la route de Massouah. Un mousquet fut tiré im- médiatement pour que le vaisseau évitât ce bas fond, qui est situé à environ deux milles et demi au nord-ouest de l’ile de Sable men- tionnée ci-dessus. En portant directement au nord-est depuis la pointe Hurtou, on évite et l'île et le banc; mais il n'est pas sûr de gouverner vers Massouah, jusqu'à ce qu’on soit à quatre milles de la première. L'examen du bas-fond nous retint si long-temps, qu’il devint impossible que nous gagnassions Mas- souah avant la nuit. En conséquence, nous jettâmes l'ancre par trente brasses, près du ras Gedam. Le temps était très-calme. Le samedi, 10, nous arrivâmes au port de Massouah(1), à l'entrée duquel nous saluâmes le fort de trois coups de canon. En jetant l'ancre, nous eùmes la satisfaction de voir notre supercargue et une troupe d'Abyssiniens qui nous attendaient sur le môle. Nous en- (:) La relation complète du 7% Voyage de M. Salt en Abyssinie , Y Compris son arrivée à Massouah, commence au tom. III, p. 231 de ma traduction des ’oyages du vicomte Valentia. (Note du traducteur. ) EN ABYSSINIE. 255 _voyâämes immédiatement une chaloupe à la côte, et bientôt nous eùmes le plaisir de re- cevoir sur notre bord ces étrangers conduits par M. Pearce et par un jeune chef nommé Ayto Debib (Puy. pl. IX ). Ce chef avait été choisi par le ras pour m’accompagner et me procurer tout ce dont j'aurais besoin durant mon voyage et ma résidence en Abyssinie. Je l'avais vu à la cour de Ouelleta Selassé. Je trou- vai que sa personne avait beaucoup gagné, et - M. Pearce me dit que sa conduite lui avait teliement concilié l'affection du ras, qu'il Fa- vait réintégré, il y avait environ deux ans, dans le distriet dont son père avait été expulsé par le fit Aurary Zogo. J'avais conçu une idée favorable des qualités de ce jeune homme, et mon estime pour lui s’accrut encore lorsque j'appris qu'il s'était toujours montré fidèle ami de M. Pearce, malgré la situation critique où ce dernier s'était trouvé plusieurs fois. Je vais donner une courte notice du voyage de M. Coffin, depuis son départ d'Amphila, le 10 janvier au soir, jusqu'à son arrivée à Massouah. « M. Coffin reconnut bientôt qu'Hadjy Belal avait eu raison de dire d’Ally Manda « qu'il allait comme un dromadaire »; car bien qu'il eùt plu continuellement durant quarante-huit 256 VOYAGE heures, le jeune chef l'avait fait marcher cons: - tamment douze heures chaque jour. Ils se di- rigérent à peu près vers l'ouest et traversèrent des montagnes âpres et stériles, parmi les- quelles ils rencontrèrent de temps à autre un village ou un petit campement d’indigènes qui, en considération d'Ally Manda, traitèrent toute la troupe avec civilité, quoiqu'’ils ne pussent fournir que peu de vivres, qui encore n'étaient pas de la meilleure qualité. » Le 13, après midi, nos voyageurs, qui alors avaient fait près de cinquante milles, arrivérent au bord d’une vaste plaine de sel, et ils s'y arrêtèrent pour prendre un peu de repos à l'ombre de quelques acacias et près de quelques puits d'eau douce: Là, les habitans leur fournirent des sandales faites avec les feuilles d'une espèce de palmier nain, et dont on se sert constamment pour marcher sur le sel. La plaine est parfaitementunieet a, dit-on, une étendue de quatre jours de marche dans la direction dû nord est au sud-ouest. La sur- face du premier demi-mille n'étant pas encore assez desséchée , était glissante et dangereuse, le pied s'enfonçant presque à chaque pas dans la vase, comme lorsqu'on traverse un marais salant. Elle devint bientôt ferme et crystalli- sée. On eût dit une couche de glace raboteuse EN ABYSSINIE. 257 sur laquelle serait tombée de la neige qui se serait fondue et ensuite gelée. Des rameaux de sel pur , ressemblans à ceux des madré- pores, se montraient quelquefois à la surface ; et deux monticules , que leur situation isolée rendait très-remarquables, s'élevaient au mi- lieu de la plaine. | » M. Coffin et ses compagnons arrivèrent au pays d'Assa Duroua (que le ras appelle gaie- ment son pays barbare ), après avoir mis cinq heures à traverser la plaine, à l'extrémité de laquelle ils rencontrerent des Abyssiniens qui coupaient, au moyen d'une petite hâche, des morceaux de sel semblables , par la forme , aux pierres à aiguiser dont se servent nos faucheurs en Angleterre. Le sel est en couches horizon- tales, de sorte que lorsque les bords sont une lois divisés, il se partage sans beaucoup de peine. Celui qui se trouve immédiatement au- dessous de la surface est extrêmement dur, blanc, compacte et pur; mais à mesure que les ouvriers creusent, la qualité du sel devient moindre, et il est d'une consistance moins ferme, jusqu’à ce qu'il ait été exposé quelque temps à l'air. En plusieurs endroits, il est en- core assez pur à trois Fa de profondeur ; mais en général, il ne l’est lus au-déésous de deux pieds, point où il se mêle avec la terre a 17 4 "258 VOYAGE et où, par conséquent, il ne peut plus être d'aucun usage. La plaine dont il s’agit ici four- nit de sel toute l'Abyssinie. » Le 14, nos voyageurs passèrent quelques dé: filés de la montagne, qui sont fort äpres et fort escarpés , puisils arrivèrent au village de Dafo, qui est situé dans une vaste plaine verdoyante. Il est habité par les Hurtou, tribu des Danakil, que les Abyssiniens ont soumise anciennement et qui depuis ce temps est demeuréesujette du gouverneur du Tigré. Là, l'influence d’Ally Manda cessa; mais M. Coffin et ses compa- gnons de voyage étant considérés comme amis du ras continuèrent à recevoir l'hospitalité. Ils trouvèrent ensuite un pays très -beau ou le gibier lenr parut fort abondant. Le 15, à la nuit, ils arrivèrent au pied du mont Sanafé, où réside un shum ou chef qui est chargé de percevoir pour le ras un tribut imposé sur tout le sel qu'on introduit dans le pays. Un chameau qui en porte deux cents morceaux ou pains, en paie onze; un mulet dont la charge ne consiste qu'en quatre-vingts , en doit neuf , et un àne chargé, six. Quant aux hom- mes, ils passent librement, quel que soit leur fardeau. ‘ » Le 6, les voyageurs montérent le Sanafé, qu'on dit être aussiélevé, quoique moins diffi- EN ABYSSINIE. 259 cile à passer, que le Taranta.llséprouvèrent au sommet de cé mont un changement de saison complet. Au lieu d’un temps orageux et d’une pluie continuelle , ils eurent un ciel sans nua- ges, et ils virent les habitans occupés à rentrer leurs grains. Ils se reposèrent dans un village, et à trois heures après midi , ils continuèrent leur route à travers un pays riche et fertile qui aboutissait à une grande bourgade nom- mée Hammy , où ils passerent la nuit. Le 17, ils gagnerent Dirbé, et le 18, ils arrivèrent à Chelicut. Ils demeurèrent là quelque temps, assis sur l'herbe, sans qu’on prit garde à eux, M. Pearce étant avec le ras à Antalo. A la fin, un prêtre se présenta et les conduisit à la mai- son d’Ayto Manasseh qui venait de mourir, il Y avait deux jours, et quiétait frère du ras. Deux ou trois cents personnes étaient rassemblées pour célébrer le Toscar ou la fête des morts. La plupart d’entre elles, pour exprimer leur chagrin de la perte qu'on venait de faire, avaient la tête rasée et la peau du visage dé- chirée. M. Coffin fut conduit au milieu de cette assemblée et placé au haut bout de la salle. Peu de temps après, M. Pearce arriva d’Antalo ; et le lendemain matin, il y mena M. Coffin , qui eut aussitôt une entrevue avec le ras. * 17 260 VOYAGE » Le jour suivant, ma lettre fut lue au ras qui , d’après ce qu'elle contenait, donna l'ordre à M_ Pearce, à Ayto Debib et à un de ses prin- cipaux hommes d’affaires, Hadjy Hamoud, de se préparer à se rendre à Massouah. Les deux premiers partirent aussitôt, montés sur des mulets, et suivirent la voie d'Amba Haramat. Hadjy Hamoud et environ cent hommes des gens du ras devaient prendre par Adoueh, en faisant des marches moins longues. La pre- mière troupe était arrivée à Massouah un jour avant moi. » M. Coffin me communiqua verbalement les détails renfermés dans ce journal, et il y joi- gnit de courtes notes qu il avait couchées sur le papier à mesure que l'occasion s'était pré- sentée. Les renseignemens géographiques ré- sultant des gisemens et du calcul des distances observées dans ce voyage, et qui se trouveront sur la carte, sont d'une grande importance ; et comme ils ont été confirmés par un voyage qué M. Pearce a fait dans les mêmes lieux , je crois qu'on peut les considérer comme exacts. J'en ai été toujours plus convaincu, en les cou- férant avec un journal de route fait en voya- geant dans ce pays (1), et donné par Jérôme (1) Voyage Historique d’Abyssinie , par Jérôme Lobo , tom. Î, p.60. EN ABYSSINIE. 61 Lobo. On y verra que le cours de deux siècles n a produit que peu de changement dans l’état des choses , quoique les événemens postérieurs aient forcé les naturels à se diviser en plusieurs tribus , et que par conséquent leur importance politique en ait été considérablement réduite. {l existe aussi une autre et même une meiïl- leure description de cette route dans les Voya- ges des Jésuites rédigés par Tellez(r). Elle a été composée par le patriarche Alphonze Mendez, qu'accompagnait Jérôme Lobo. Dans cette re- lation , il n’est aucunement question des ser- pens que Lobo dit les avoir inquiétés dans leur marche (2). À la vérité, je soupçonne qu'il y a erreur dans la traduction de Legrand, qui a travaillé sur un manuscrit portugais. Le mot original traduit par serpent signifiait peut-être « les pierres de fer (3) mentionnées par Tellez » comme semblables à l'écume qui sort d’une » fournaise, et si aiguë qu'une paire de sou- » liers ne pouvait y résister plus d'un jour. » Il se trouve aussi, dans Lobo, une autre er- reur fort grave au sujet du nom de la mon- tagne qui offre le défilé par lequel on se rend” (1) Voyage des Jésuites en Ethiopie , liv.T, p.224 et suivantes. (2) Zobo , tom. I, p. 68. (3) Voyage des Jésuites , p. 226. 262 VOYAGE en Abyssinie. Tellez l'écrit avec raison Sanafé : mais Legrand dit Senaé et la traduction an- glaise Senaa. M. Bruce et son dernier éditeur ont fait une digression fort peu nécessaire pour déprécier ce premier essai littéraire du docteur Johnson ; mais si on ne le juge que comme un abrégé, ainsi que l'indique la préface, on le considérera comme un choix aussi judicieux de tout ce qu'il y a d'important dans la tra- duction de Legrand, qu'il était possible de le faire avec le peu de connaissance qu'on avait alors de la géographie du pays. Un prêtre abyssinien , nommé Ma-Merri Guebra Eyout, était yenu avec MM. Pearce et Coïifin. Il desirait vivement de visiter Jéru- salem, dessein dont je le détournai ensuite. C'était un bon homme, fort simple, qui tou- tefois nous fut utile, sa réputation de sain- teté lui ayant acquis beaucoup d'influence sur l'esprit des Abyssiniens envoyés au-devant de nous par le ras. | M. Pearce, à ma grande surprise, avait le teint fort peu rembruni, et il parlait anglais presque aussi bien que lorsque je l'avais quitté. J'eus un grand plaisir à voir le ravissement qu'il éprouva de se retrouver parmi des com- patriotes et dans un vaisseau anglais. Dans la joie de son cœur, 1l paraissait considérer cha- EN ABYSSINIE. 263 cun de nous comme un frère ; et de leur côté, nos matelots, qui avaient entendu parler de l'intrépidité avec laquelle il avait surmonté taut de dangers, le regardaient avec autant d'étonnement que de respect. Il nous donna des preuves d'une agilité extraordinaire, et la connaissance qu'il avait de la manœuvre des vaisseaux était tres remarquable, vu le long es- pace de temps durant lequel il n’en avait vu au- cun. Quoique nous eussions à bord d’excellens malelots ,1l n'y en avait pas un seul qui püt l’é- galer pour la rapidité avec laquelle il se portait d'un point du navire à l’autre. Je fus charméde reconnaître aussi que la culture de son esprit s'était perfectionnée. Il avait acquis une con- naissance parfaite de la langue du Tigré , que les Tigréens eux - mêmes considèrent comme très-difficile à apprendre. Il y joignait assez d'amharic; et les coutumes et les sentimens des Abyssiniens lui étaient si connus, que ses services en qualité d'interprète Loue pour moi d'un prix inestimable. Le rr, Abba Youseph et un esclave me fu- rent envoyés par le kaïmakan, avec un présent de deux bœufs et de quinze chèvres. Ils étaient aussi chargés de me demander de lui faire ma premiere visite le lendemain. En conséquence, je quittai, le 12, le vaisseau, qui tira treize 264 VOYAGE coups de canon, salut qui fut rendu par un vieux canon de six, démonté et couché sur la grève. En débarquant ; Je fus conduit par une vingtaine d’ascarri au divan , où les princi- paux habitans de l’île étaient réunis. Le kaima- kan (cétait un turk qui paraissait être un homme respectable, et qui avait quelque di- gnité dans les manières) était assis à l'angle que le nayb occupait à mon précédent voyage. 1} me recut avec beaucoup de cérémonie, fit servir du sorbet, et m'adressa les questions d'usage avec l'air de supériorité qu'eüt pu prendre le Grand-Seigneur lui-même ; puis on me présenta un caftan bordé d'hermine. Tout cela se passait dans une misérable pièce fort basse qui n'avait point de plancher, et au mi- heu d'une eanaïlle à demi-nue. Ce ne fut pas sans beaucoup de peine que je parvins à garder mon sérieux durant cette scène ridicule; et je retournai au rivage, accompagné d’une foule d'habitans qui exprimaient leur joie par des acciamations. Je remarquai pendant ma visite que Le nayb et son fils se tenaient fort en ar- riére. Ils ne m'adresserent leurs complimens ue de loin , et ils parurent desirer vivement de s'entretenis avec moi; mais ils étaient évi- demment trop sur Ja réserve pour oser prendre cette liberté en présence de leur supérieur. EN ABYSSINIE. 265 Le kaïimakan me fit demander, le 13, un entretien particulier dans la soirée , et en con- séquence je me rendis à la côte. 1] me recut sans aucun cérémonial dans une petite cham- bre haute. Aussitôt que nous fûmes assis, il nous fit donner Île sorbet et l’eau rose, et il me présenta son propre houkah, ce qui est considéré comme une grande politesse. Je l’ac- ceptaidonc. Hamed, le fils du nayb et quelques autres personnages de marque, étaient présens lorsque j'entrai ; mais sur l’avis ou l'ordre qui leur en fut donné, ils se retirèrent bientôt, laissant dans la chambre seulement quelques esclaves. Ceux-ci étant toujours considérés comme des personnages muets, nousentràämes en matière. J'expliquai au kaïmakan la nature de la mission dont j'étais chargé, et le desir que j'avais de passer promptement en Abys- sinie. Je le félicitai de l’état florissant où je retrouvais Massouah sous un gouvernement régulier, et je l’assurai que c'était principale- ment la lettre qu'il avait écrite qui m'avait fait renoncer à prendre la voie de Buré. Je lui dis qu'il ne devait pas ignorer la conduite vio- lente de son prédécesseur, qui, de concert avec le nayb, avait écrit une lettre que rien ne pou- vait justifier ; mais j ajoutai que je consentais à passer là dessus, à condition que je serais 266 VOYAGE traité convenablement et avecfranchise. Je lui dis ensuite que bien que je ne pusse consentir à payer aucun droit pour les présens envoyés par Sa Majesté, je serais charme de lui té- moigner ma reconnaissance par un don, et que si le vaisseau mettait à terre quelque par- tie que ce füt de sa cargaison , il paierait tout droit de port raisonnable qui pourrait être ré- glé entre nous. Le kaïmakan me répondit qu'il était allé à Stambole (Constantinople, eten Sham (Syrie), qu'il connaissait bien le caractère des An- glais, qu'il aimait notre maniere franche de nous conduire, et qu'elle était d'accord avec la sienne. En conséquence, il se proposait , dit-il, de me faire connaître ses sentimens sans aucun déguisement. Il occupait le poste de Massouah sous les ordres du shériff; mais cétait en vertu d'un droit que sa famille te- nait du Grand Seigneur. L'aga que j'avais vu à Souakin était un esclave qui lui appartenait, Il en était ainsi d'Omar aga, qui avait le com- mandement de Massouah avant que lui même l'eüt pris. Il avait désapprouvé la conduite de celui-ci, et en conséquence il l'avait renvoyé. Quant aux présens dessouverains, ilreconnais- sait pleinement qu'ilsne devaient rien payer..Il dit que, sur ma parole, il n'hésiterait pas à dé- EN ABYSSINIE. 267 clarer que, quels qu'ils fussent, je serais libre de les emporter, mais que cependant il desi- rait d’en voir une partie, afin de pouvoir ren- dre, à cet égard, un compte satisfaisant au shériff de la Mecque. | Cette proposition étaittrop raisonnable pour que je n’y acquiesçasse pas sur-le-champ ; et afin de prouver ma franchise au kaïmakan, je lui dis qu’au nombre des présens il y avait deux pièces de canon. À ma grande surprise, il ne s’opposa point à ce que je les fisse trans- porter avec moi, et il parut disposé à me pro- curer tout ce qui pourrait faciliter l'exécution de mes desseins. Bientôt il me dit qu'il ne con- cevait pas pourquoi notre roi envoyait des pré- sens aux énfidèles (on ne considère pas à Mas- souah les Abyssiniens comme chrétiens). Je lui répondis que c'était un sujet que je ne pou- vais traiter, que j'avais reçu mes instructions, et que je devais m'y conformer. «Oui, répli- » qua-t-il, vous êtes dans [a même position » que moi. Je suis ici les ordres de mes supé- » rieurs, et vous suivez ceux des vôtres. Fai- » sons chacun notre devoir et soyons amis. » Je lui adressai quelques complimens là-dessus, et je saisis l'occasion de lui dire que je le priais d'accepter un léger présent que je me propo- sais de lui envoyer de la manière qui pourrait 268 VOYAGE lui être agréable. Il me dit qu'un esclave qui lui appartenait, et le banian Currum Chund, m'accompagneraient au vaisseau et recevraient ce que je voudrais bien leur remettre, et dont il me fit d'avance beaucoup de remercimens. Il n’y a pas de nation qui ait des manières plus insinuantes que les Turks lorsqu'ils veulent obtenir quelque point ; et j'avoue que toute la conduite du kaïmakan me parut trop conci- liante pour que je la crusse bien sincère. A mon arrivée au vaisseau, je choisis une belle paire de pistolets et un mousqueton avee une baïonnette à ressort. J'y joignis une pièce d'un riche satin, et je fis un billet de deux cents piastres, à ordre sur le banian. J'envoyai le tout au kaïmakan par la personne qu'il avait désignée. Si je lui fis un si beau présent, ce fut parce que je connaissais parfaitement le caractère des gens de sa sorte, et que Le nayb m'avait fait dire en secret que si j agissais ainsi, tout irait bien. Les deux journées du 14 et du 15 furent em- ployées aux préparatifs de notre voyage, et ik ne nous arriva rien de très-particulier jusqu’au 17, que nous fümes extrêmement alarmés à l'apparition d’une flotte de daous armés, por- tant le pavillon vert du shériff de la Mecque, et entrant dans le port, Elle s’avança en bon EN ABYSSINIE. 269 ordre, et chaque daou fit une salve de trois coups de canon en passant devant le fort, après quoi tous jetérent l'ancre sur une ligne régu- lière en avant de notre vaisseau, et par le travers de l'entrée du port. Commele banian setrouvait sur notre bord, je l’envoyai à l'instant même au kaïmakan pour savoir de lui qu’elle était la destination des daous. En même temps, le ca- pitaine Weatherhead fit tous les préparatifs de défense possibles , si l’on avait de mauvaises intentions contre nous, ce qui, d'après les lettres du capitaine Rudland et d'autres infor- mations , n'était aucunement improbable. Le vent soufflait dans le port, qui est un parfait cul de sac (1) ; ainsi il n’y avait aucun espoir d'échapper : et la faiblesse de notre nombre, qui ne se montait qu à dix-sept combattans, nous promettait peu de succès, chacun des daous portant quatre-vingts hommes au moins. Un abordage, les bastingues tendues , était notre principale ressource , et pour plus de sû- reté le capitaine fit jeter, du haut de la poupe, une autre aucre de toué , afin que le vaisseau présentät le flanc, de façon à nous faire tirer tout le parti possible de nos canons. Durant ces mouvemens nous voyions des chaloupes (1) Ces mots sont en français dans l'original. 250 VOYAGE remplies d'hommes armés, les unes se déta- cher des daous et les autres les rejoindre ; et les insulaires faisaient beaucoup de mouve- mens sur la côte. À ce moment, je l'avoue, un violent soupçon de trahison s’éleva dans mon ame contre le kaimakan, à cause de ses poli- tesses extraordinaires queje considérais comme outrées. Cependant , je lui faisais grand tort; car , après trois heures d'une attente pénible, nous vimes revenir le banian, qui nous dit, de la part de cet officier lui-même , que les daous appartenaient au shériff Ibrahim Dje- lany et à d’autres marchands de Djeddah, qu'ils allaient embarquer du café à Loheiïah, et que c'était seulement le manque d’eau qui les avait fait relâcher dans le port de Massouah. Ce récit se trouva conforme à la vérité. J'appris aussi que le frère d'Ibrahim Djelany était à bord d’un des vaisseaux pour diriger opération , et bientôt je reçus de lui un mes- sage par lequel il me demandait la permission de me faire visite, ce à quoi je consentis en considération de son frère que j'avais connu à Djeddah (1), et à condition qu'il n'aménerait pas plus de deux personnes avec lui. Il vint (1) Voyez le tom. IV , p. 282 des Voyages du vicomte George Valentia, traduits de l’anglais par P. F. Henry. EN ABYSSINIE. 271 dans l'après-midi, suivi seulement de deux esclaves richement vêtus. Après les compli- mens d'usage , il me demanda , avec intérêt, des nouvelles du lord Valentia et du capitaine Court. Il parut charmé de l'accueil que je lui fis, et il demeura plus d'une heure à causer avec moisur nos anciennes opérations. Il me sembla, par son rapport , que le shériff Goua- leb jouait deux rôles. Forcé par les circons- ‘tances , 1l s'était déclaré Wahabi sur la côte, ét conformément aux ordres de Shoroud il avait fait la guerre à Hamoud Shériff de Loheïiah et à l’Iman de Sanah, tandis que sur mer ,1l prétendait être dans la meilleure intelligence avec celui-ci, et paraissait desirer qu'on le jugeât opposé à la doctrine des Wa- habis. Je trouvai qu'il affectait toujours de Vamitié pour les anglais, et je savais qu'il agirait de la sorte tant que cela serait favorable à ses intérêts, quoique dans le fond de l’ame il füt fermement attaché à la cause des Fran- çais, et que même il eût récemment traité leurs agens avec une distinction marquée. J'appris également que le châtiment qui venait d'être infligé par les Anglais aux Arabes Johassem , avait produit les meilleurs effets dans la Mer Rouge, et je crois que notre sûreté fut due, en grande partie, à cet évé- 272 VOYAGE nement. Les Arabes commencent à sentir que réellement nous osons repousser leurs inso- lens procédés , ce dont l’inconcevable patience du gouvernement de Bombay leur avait permis de douter. Il n’y a que des mesures vigoureuses qui puissent imposer aux Mahomeétans; car, ainsi que Jérôme Lobo l'observe judicieu- sement, «ils sont d’un si mauvais naturel que » si on a la moindre complaisance pour eux, » ils deviennent bientôt insolens et insuppor- »tables et qu'on ne peut les réduire à la » raison , ni être bien servi qu'en agissant avec » eux à toute rigueur et les menant le bäton » haut (1). » Avant qu'il se retirät je fis présent à Ma- houad Djelany , d'un télescope et d’une petite pièce de drap large, et je le priai de faire tenir au capitaine Rudland , une lettre qui devait mettre fin à toutes les inquiétudes qu'il avait pour notre sureté. Le 18, j'allai à la côte faire visite au kaï- makan, avec qui jeus un entretien particu- lier où 1l me parut être au fait de la situa- tion politique des états qui bordent la Mer Rouge. Il m'assura que le shériff était réelle- (1) M. Salt cite la traduction francaise telle qu’elle est transcrite ci-dessus, ( Vote du traducteur.) * æ EN ABYSSINIE. 273 ment contraire aux Wahabis, que ceux-ci étaient fort affaiblis, et que selon toute ap- parence il ne se rencontrerait jamais une oc- casion plus favorable de former une ligue contre eux, ce dont il savait être déjà ques- tion entre l’iman de Sanah ., le shériff Hamoud et le shériff Goualeb , probablement de l’aveu du pacha d'Egypte. Il conclat en me deinan- dant si je pensais que les Anglais voulussent les seconder. Je lui répondis qu'il desiraient de n’embrasser aucun parti; mais en même temps je lui fis entendre qu'une lettre du shériff au gouvernement de Bombay pour- rait produire un bon effet. Il me questionna ensuite sur nos intentions à l'égard de la Perse, et il ajouta qu'on lui avait dit que nous nous étions emparés du pays des Banians (le pays de Coush } qui borde le Sinde (l'Zndus). Je lui répondis que jignorais cette nouvelle, mais que je croyais que nous avions une armée sur les bords du Sinde, pour prévenir les attaques que les Français pourraient faire de ce côte. Je lui parlai ensuite de l’ordre de blocus ré- cemment donné par l'amiral Bertie contre les îles de France et de Bourbon, blocus qui alors attirait l'attention des Arabes. Il m'avoua que cet ordre avait fait une grande, impression à Djeddah, et qu'il était surpris qu'on n'eût pas 1. 15 à 274 VOYAGE eu plutôt recours à cette mesure. « Comment » s'est-il fait, poursuivit-il avec chaleur, que » Vous ayez permis si long-temps aux Arabes » d'acheter sous votre nez ( éahht él anf) les » vaisseaux que les Français vous avaient en- » levés, et les avez-vous laissé devenir , par » ce moyen, les maîtres d'un commerce qu'au- » paravant vous faisiez exclusivement ? An- » ciennement c'étaient vos vaisseaux qui four- » nissaient les marchandises de l'Inde à toute » l'Arabie, à l'Egypte, et aux autres contrées » d'Afrique; et à présent, elles les reçoivent » de vaisseaux appartenans à des négocians » arabes ». Il n’y avait pas de réplique à faire à ces observations; et si au commencement de la guerre on avait eu recours aux mesures qui ont été prises ensuite contre les îles de France et de Bourbon’, que d'or et de sang auraient été épargnés | Le lendemain matin, je reçus la désagréable nouvelle qu'un Abyssinien nommé Tikilev, qui était au nombre des domestiques de M. Pearce, et qui avait été laissé à Arkiko pour prendre soin des mulets, était à l’article de la mort. Comme j'étais fort occupé, je priai M. Pearce et M. Smith, notre chirurgien, de se rendre, près de lui , et s'il était décédé , de le faire inhu- mer décemment. À leur arrivée, il respirait EN ABYSSINIE. 275 encore, quoiqu'il fut dans le délire violent qui accompagne la derniere période d’une fièvre putride. Il avait été traité à contre sens, et 1l était enchaîné sur une couche, la face renver- sée , ensorte que son corps était tout meurtri et qu'il avait le crâne presque tout fracturé par les vains efforts qu’il avait faits pour se déga- ger. Peu de temps après l’arrivée de M. Smith, il revint un peu à lui. Il demanda le fusil avec lequel il avait vu M. Coffin chasser, il y avait quelques jours. A l'aspect de cette arme, il se calma un peu, mangea quelques dattes, et dit à ses compatriotes de prendre “ à l'argent noué dans son vêtement, de le rendre à son maître, et de partager ses habits entre eux. Après cela, il demanda à boire, et avant qu'on eût pu le contenter, il expira dans une violente convuision. Tel est l'effet de ces fièvres qui si souvent attaquent les étrangers venus de l’intérieur des terres, et qui produisent parmi les Abys- siniens une horreur extrême pour ia côte de la mer. Le corps de Tikiley fut lavé sbigneusement et enveloppé dans un linceul tout neuf que javais envoyé exprès. Il fut inhumé dans un lieu consacré à la sépulture des Abyssiniens ; et dans cette occasion , les mahométans mirent 15° 276 VOYAGE tellement leur préjugé à l'écart, que deux des principaux serviteurs du nayb furent nommés pour présider aux funérailles. Afin d'empé- cher les hyènes de fouiller dans le tombeau, on fit une fosse dont un des côtés fut creusé de manière à ce que la partie supérieure for- mât un talus. Le corps fut déposé sous cette sorte de voute qui fut fermée avec des bran- ches d’épine et de grosses pierres, puis on remplit la fosse de terre. Le prêtre abyssinien assista au convoi et récita les pseaumes et les prières d'usage en pareille occasion, qui sont à peu près les mêmes que les nôtres. M. Smith remarqua aussi la cérémonie de jeter un peu de terre dans la fosse lorsqu'on fut sur le point de se retirer, et le prêtre dit : « Nous confions » son corps à la terre; nous rendons la pous- » sière à la poussière, la cendre à la cendre, » dans l'espoir d'une heureuse résurrection », ce qui parut faire une forteimpressiou sur tous les assistans. 1l est peut-être permis d'observer ici que les soins que nous primes pour la sé- pulture du pauvre Tikiley, nous attirèrent non seulement la bienveillance des chrétiens d’A- byssinie, mais le respect de tous les musul- mans des classes supérieures. Ceux-ci sont en général observateurs plus exacts des rites re- $ ligieux que les Européens ; et tout manque EN ABYSSINIE. 299 d'attention de notre part dans les cérémonies de ce genre, nous nuit extrêmement dans leur esprit. Le 19, Jjallai à la côte, accompagné du capitaine Weatherhead; et après une longue conférence avec le kaïmakan, 1l fut arrêté quon paierait sept pour cent sur les mar- chandises que le vaisseau mettrait à terre, et soixante et dix piastres pour droit de mouil- lage. Cette convention fut considérée de part et d’autre comme n'étant applicable qu’au cas présent, ni le kaïmakan ni moi n'étant auto- risés à faire un réglement général. S'il était à desirer qu'il y en eüt un, ce serait à Djeddah, avec le shériff, qu'il conviendrait d'en traiter. Le lendemain matin , la kafilah d’Abyssinie, que nous attendions depuis si long-temps, arriva conduite par Hadjy Hamoud, qui nous amena trente-cinq mulets pour nos bagages, et environ soixante porteurs. Comme nous eussions eu beaucoup de peine à fournir des vivres sur la côte à toute cette troupe, nous fûmes forcés de faire la plus grande diligence pour débarquer et disposer notre bagage. Les ballots légers et les caisses furent bientôt dis- tribués aux porteurs, et dans le cours de deux Journées tous Îles mulets furent chargés. Gn démonta les affüuts de canon, et quant aux 278 VOYAGE pièces elles-mêmes, nous louâmes au nayb des chameaux pour les trausporter, ainsi que les objets les plus lourds, jusqu’au pied du Ta- ranta. Cependant la difficulté de satisfaire chacun fut incroyable. L'un se plaignait de ce que sa charge n’était pas assez lourde; un autre de- mandait que la sienne füt changée, parce que celle de son voisin pesait une demi-livre de moins ; celui-ci était malade et celui-là boi- teux ; l’un était mécontent de la forme de sa caisse, qui avait des angles saillans et blessait ou lui ou son mulet; l'autre disait que son ballot était mal fait. Nous fûmes importunés de la sorte depuis la pointe du jour jusqu'à la nuit. Il nous fallut endurer aussi mille im- pertinences de la part des soldats et des es-. elaves du kaïmakan, qui, pour nous arracher de l’argent, nous tourmentaient de toutes les manières; et pour ajouter à nos maux, la scène se passait sur une grève sablonneuse et sous un soleil brülant. À la fin, à force de caresses, de menaces et d'argent , le tout, à l'exception de nos ballots les plus lourds qui devaient être transportés dans une barque à Arkiko , fut arrange à notre satisfaction, et je le confiai formellement aux soins d'Ayto Debib et de Hadjy Hamoud, agens du ras. Le 22, au EN ABYSSINIE. 279 soir, le kaimakan m’adressa une lettre d'adieu, par laquelle il me demandait cent autres pias- tres, ce que je refusai positivement; mais en même temps, pour adoucir mon refus, je fis présent de vingt piasires à son messager Abba Jouseph. | Le 23, les gens du ras se rendirent à Ark'ko à huit heures du matin. Ce même jour , après avoir pris congé du capitaine Weatherhead, je quittai la Marian, qui fit une salve en mon honneur, et j'allai faire une visite d'adieu au kaimakan. 11 me recut en divan public, chose dont j'espérais profiter pour échapper à toute question sur la lettre qu'il m'avait adressée Ja veille au soir; mais il n’en fut pas ainsi; car il me demanda sans détour si J'en avais exa- miné le contenu. Je lui répondis : « Pleine- ment »; et j'ajoutai que « comme j'avais déjà outre-passé mes pouvoirs en lui faisant des présens, il ne m'était pas possible d'accéder à sa demande ». Lorsque apres quelques autres questions , il eut reconnu que ma détermina- tion était prise, 1l se désista de sa prétention et dit gaiement : «C'est bon; que cela n’altère notre amitié ! » De la maison du kaïmakan, j'allai faire ma première visite au nayb, po- litesse dont il parut très-flatté; car il ne s’y attendait pas; et d’après la demande que je 280 VOYAGE lui en fis, 1l consentit à partir sur-le-champ pour Arkiko. Au bout de quelques heures, nous parvinmes à ce lieu détestable, où nous éprouvâmes une foule de contrariétés qui ren- dirent, comparativement, légères celles que nous avions endurées les deux jours précé- dens. Idris y avait le plein exercice de l’au- torité, le kaïmakan n'ayant là qu'un keahia (un lieutenant), qui ne jouissait pas de plus de pouvoir que le nayb lorsqu'il résidait à Massouah. J'avais donc à satisfaire à l’avidité d'Idris, à celle de ses deux frères, de ses fils, du keahia, des chefs de Hazortas , qui devaient être nos guides, des Chameliers et des Ascarri, qui tour à tour nous importunaient de de- imandes, faites, soit pour eux - mêmes, soit pour d’autres. Je fus forcé de distribuer plus de cinq cents piastres entre eux, avant de pouvoir quitter la ville avec quelque proba- bilité de parvenir en süreté jusqu'aux monta- gnes , avec les présens envoyés par Sa Majesté. Le 25. Ce fut avec autant de plaisir que Gilblas, lorsqu il s'échappa de la caverne des voleurs, que nous quittâmes Arkiko, et ce jour, à midi, nous eùmes la satisfaction de voir toute notre kafilah réunie à environ qua- ire milles au sud de cette ville, j'ai presque dit maudite. De toutes les sortes d'hommes EN ABYSSINIE. 281 que j'ai rencontrées, les demi-sauvages d’Ar- kiko sont les plus exécrables. Ils ont abjuré toutes les vertus des tribus grossières aux- quelles ils appartenaient, et ils n’ont pris que les vices de leurs voisins plus civilisés qu'eux. Les plus honnêtes d’entre les habitans de Mas- souah, quoiqu'ils ne valent pas mieux que les plus mauvais des Arabes, ont une telle frayeur des habitans d'Arkiko, que nul d'en- tre eux ne voudrait passer la nuit dans cette ville. Ils sont enfin réduits au dernier point de la dépravation. Le seul portrait qui puisse les représenter au naturel, est celui que M. Bruce a fait, avec tant d'énergie, des ha- bitans de Sennaar. Il faut excepter toutefois de cette condamnation générale, mais juste, le. nayb et ses deux fils, qui, en mettant à l’é- cart leur excessive rapacité, se montrèrent fort obligeans pour nous et qui paraissent possé- der plusieurs qualités estimables. Je dois nom- mer particulièrement Hamed, l’ainé des deux frères , dont la conduite à l'égard de sa famille semble fort exemplaire. Durant le peu de temps que nous passimes à Arkiko , nous reçümes la visite de deux grecs qui avaient un air très-respectable, et qui retournaient d'Abyssinie à leur pays natal. L'un d’eux était frère d'Abba Marcorius , que 283 VOYAGE dans le cours de l'année précédente , le patriar- che d’Alexandrie avait nommé pour exercer l'office d'Abouna ou de grand-prètre de l'église abyssinienne. Par malheur il était à peine ar- rivé en Abyssinie, qu'il avait été emporté par . une maladie épidémique. Sa mort avait excité beaucoup de regrets ; et les deux grecs re- tournaient en Egypte pour engager ce patriar- che à désigner un autre Abouna : je n'ai pas entendu parler du succès de leur mission. J'appris aussi qu'une ‘6zor0 , d'un certain rang , VOyageait avec eux pour se rendre # Jérusalem. Elle se proposait d'y passer le reste de ses jours , et je crois qu'elle est parvenue à cette ville en sureté. EN ABYSSINIE. 283 TS Se te Li) Je CHAPITRE VI Départ de la côte. — Arrivée à Ouran, puisàH mHAmmo. — Campement de L£izam, — Danse des Hazonras. — Assoura.— Scène singulière. — Pied du TARANTA. — Querelle entre les Hazorras et les ABYsSINIENS. — Montée du Taranra. — Belle vue dont on jouit au sommet de cette montagne, — Changement de tempéra- ture. — Arrivée à Dixan. — Conduite amicale du BaHarRNEGAsH Ÿesous. — Départ de Dixan. — Plaine de Zarar.— Un de nos gens est assassiné. — ABHA.— Mauvais accueil, que nous y fait le Baxarnecasn Sous- HART. — Alarmes. — Le Banarnecasn ARKOE. — . ARRIVÉE à LEGoTE. — Montagne de Devra Damo. KeLzza., — Rivière d'ANGEAH. — Habitation d’Ayro Nosizis près d’Abourn.— Visite à l’Ozoro AsquaL. — OrAcE.—-Conduitegrossière des habitans de Mucca. . Gissa. — Description du Boëur SancA ou GALLA. — Arrivée à CHEericur.— Accueil flatteur qui nous: est . fait par le Ras. Dasvvis les expéditions faites par les Portu- gais au dix-septième siècle, jamais, proba- blement, troupe aussi nombreuse n'avait quitté la côte d’Arkiko pour pénétrer dans l'intérieur des terres. | J'étais accompagné de quatre anglais , M. LL 84 |: VOYAGE Smith le chirurgien, M. Pearce, M. Coffin,etun domestique , nommé Thoinas Ingram , de trois Arabes , Hadjy Belal, Hayder et Said, et d'en- viron cent Abyssiniens , parmi lesquels étaient Ayto Debib , Hadjy Hamoud et Chelika Havia, qui avait la conduite des mulets et l’inspec- tion sur les serviteurs , le vieux prêtre et en- viron soixante porteurs qui appartenaient au ras. Ceux-ci étaient des jeunes gens des plus fougueux , qui avaient coutume de le suivre dans ses différentes expéditions. Les autres étaient des domestiques de M. Pearce et de Debib, et quelques hommes du pays, que nous avions loués. Il y avait, en outre, trois chefs de la tribu des Hazortas , Hummar, Omar et Soleiman, et environ une douzaine de coquins de chameliers du nayb. De cette troupe si nombreuse , quatorze hommes seu- lement étaient munis d'armes à feu et de lances. Les autres ne portaient que des frondes , des couteaux et des bâtons gros et courts. À mon premier voyage j'avais connu deux des chefs Hazortas : Hummar, qui s'était montré mon ami au pied du Taranta , et Omar, qui m'avait servi de guide depuis Masouah jusqu’à Dixan. Je savais que celui-ci était un misérable, sans principes d’honnéteté. Le iroisième m'était tout-à-fait inconnu. EN ABYSSINIE. 285 À cinq heures et demie nous reprimes notre marche. La plaine, ou le terrain que nous avions à traverser , s'élève insensiblement depuis Arkiko jusqu’à la première chaine de montagnes; et il y croissait , çà et là, des mimosa , appelés gira. Nous vimes beaucoup de chameaux, d’ânes, de moutons et de chèe- vreÿ, dans le cours de la journée, et nous traversämes deux villages , nommés l’un Dou- kona et l’autre Dabi , et autour desquels on voyait plusieurs enclos où croissait du koush- koush ou djoary , qui paraissait en bon état, et qui était gardé par de petits garçons, mon- tés sur des chevaux semblables à ceux qui sont communs en Arabie, et dont Niebubhr a donné un dessin (pag. 137 pl. XX) dans sa description de ce pays. Au coucher du soleil nous gagnâmes un tertre situé au pied du pre- mier rang de montagnes et appelé Shilloky. Nous y dressämes nos tentes pour passer la nuit. Le ciel était clair. Nous nous paria- geâmes bientôt en plusieurs groupes, chacun desquels alluma son feu ; et, à huit heures du soir, lorsque la courte prière des chrétiens , Jehu maharnaxou (Jésus pardonnez-nous), chantée sur un air très-harmonieux, se fit en- tendrele long du camp, un vif sentiment d’in- dépendance et un délice inexprimable s’em- 260 VOYAGE. parèrent de tout mon étre. Une telle sensationt ne peut être conçue que par.ceux qui , comme mot, Ont éié long temps confinés dans un Vaisseau , et qui ont vécu dans une société aussi détestable que celle que j'avais eue à Arkiko. | Le 26 , nous quittâmes notre campement, à trois heures moins un quart du matin® et après avoir passé une chaine de collines fort âpres, dont la base nous parut être presque entièrement composée de rochers de granit, posés sur un lit de terre de la nature du mica, nous arrivämes à Oueah, à six heures et demie. Comme le lieu est agréable et que nos cha- meaux étaient en arriére, nous primes gîle à l'ombre de quelques arbres qui croissaient dans le lit d'un torrent où nous trouvâmes des puits qui contenaient de l'eau de pluie. Nous demeurâmes là tout le jour , enchantés de l'occasion que ce retard nous procurait, de faire plus ample connaissance avec nos compagnons de voyage. Route au sud quart- d'ouest, 8 milles. Nous quittâmes Oueah, les7 , à deux heures et demie du matin, et nous dirigeâmes notre marche à-peu-près vers le sud-ouest. Nous tra- versâmes une véritable forêt de gira , en por- tant nos pas vers un passage entre les mon- EN ABYSSINIE. 287 tagnes, et nous en laissämes une fort élevée sur notre gauche. À quatre heures et demie nous nous trouvämes au milieu des monta- gnes, et le chemin devint entrecoupé de pro- fonds ravins formés par l'écoulement des eaux dans le temps des pluies. Bientôt nous ga- gnâmes un petit défilé qui paraissait taillé dans un roc ferrugineux (1), et au-delà duquel commence le pays appelé Samhar. A cinq heures nous entrâmes dans un ravin situé entre deux chaines de montagnes presque à pic, ravin dont le chemin suit les détours jusqu'au Taranta. Un peu plus loin nous pas- sàmes deux campemens d'Harzotas , venus du haut pays avec leur bétail, et nous achetâmes d'eux , non sans difficulté , trois vaches pour quinze piastres. Une demi-heure après nous arrivames à Hamhammo , petit emplacement de forme circulaire , qui se trouve dans un ravin entre Îes montagnes, seulement à la distance de cent yards du courant. Thermo- mètre, 81°. Route , environ neuf milles au sud-ouest. Nous fümes joints à Hamhammo , où nous (1) M. Stuart, dont il sera question ci-après, remarqua en passant là ensuite, que la boussole était visiblement affectée, le roc contenant beaucoup de fer. 288 VOYAGE. passämes le reste de la journée, par deux chefs Abyssiniens , le baharnegash Isgé et le kantiba Ammon , qui avaient reçu, du ras, l’ordre de conduire nos bagages jusqu’au Ta- ranta. Le premier me dit aussi qu'il devait m'accompagner Jusqu à Antalo. Les gens du naybet les Hazortas commencèrent à exercer notre patience à Hamhammo ; mais comme notre troupe était trop forte pour.qu'’ils nous donnassent de vives inquiétudes , je m'amusai beaucoup à étudier leur caractère. Le shnm Hummar se faisait remarquer parmi les Hazor- tas. C'était un grand homme qui avait des mem- bres vigoureux , et qui cependant était tout dégingandé. Son caractère était étrange. Sou- mis et bas au dernier point, il se montrait par fois impérieux et insolent. Pour l'amour d’une piastre il eût flatté quelqu'un’, comme le plus vil sycophante; et au milieu de ses égaux il n’ouvrait la bouche que pour se vanter. «Je » suis unchef, un gouverneur , un roi, un » lion daus le combat , disait-il ; ma force » est celle d’un éléphant.» Et il accompagnait tout cela de gestes analogues. M. Pearce se borna à le regarder en pitié, les deux premiers jours ; mais le troisième, Hummar s'étant comparé au ras, Ouelled Selassé, M. Pearce saisit sa lancé et son bouclier, lui dit qu'il EN ABYSSINIE. 289 ne valait pas le dernier esclave du ras et le défia. Hummar fit d'abord beaucoup de bruit; mais il fut intimidé. Peu de temps après il vint se plaindre à moi «dela violence de M. Pearce. » Mais comme javais vu toute l'affaire, et que j'avais été enchanté de la conduite vigoureuse que notre compatriote avait tenue, je ne voulus pas me mêler du débat. Hummar devint plus humble, et depuis il ne me donna plus aucun sujet de mécontentement. Nous quittämes Hamhammo, le 28 , à six heures du matin. Le défilé , depuis ce lieu, a rarement plus de trois cents yards de lar- geur, et le terrain continue à sexhausser iné- galement , ce qui fait souvent que le courant se perd sous terre; mais il est rare qu'il ne se remontre pas promptement. À huit heures nous nous arrêtâmes à Sadoun, petit lieu verdoyant, et nous nous mimes à l'ombre sous quelques arbres touffus. Les solitudes qui nous environnaient, abondaient en perdrix et en autre gibier, à la poursuite desquels nous pas- sèmes le reste de la journée. ( Le thermomètre était à 80, à midi, et il tomba quelques gouttes | de pluie.) À une heure après midi nous conti- nuâmes notre route, et apres uue courte mar- che , nous passâmes Tubbo, lieu qui me frappa comme étant le plus beau que nous eussions I. 19 290 VOYAGE rencontré.Les falaises et lesescarpemensd'alen- tour étaient couverts de verdure, et la feuil- laison et les plantes étant parvenues à leur entier développement ajoutaient beaucoup à l'agrément du tableau. Nous arrivames à trois heures à Leilah , où nous établimes notre camp pour passer la nuit. La manière de camper des Abyssiniens est simple et fort appropriée à leurs voyages, dans lesquels les tentes seraient fort embarrassantes. Parvenus au lieu où ils veulent rester quelque temps , les hommes se mettent à couper, avec de grands couteaux, des branches d'arbres, dont ils forment des berceaux avec un art si parfait qu'il suffit de jeter dessus une pièce d’étoffe , pour qu'ils mettent à l’abri du so- leil pendant le jour, et du froid pendant la nuit. Toute notre troupe parut ce soir, de bonne humeur. Les Abyssiniens étaient enchantés de voir qu'ils se rapprochaient fort de leur pays, et les Hazortas éprouvaient une vive satisfaction à respirer l'air des lieux agrestes où ils avaient reçu le jour. Rien.nest plus opposé que le caractère que montre ce der- nier peuple lorsqu'il habite les villes, et celui qu'il déploie quand :l parcourt les déserts. Dans le premier cas, il a une conduite basse EN ABYSSINIE. £OL. et servile, et dans le dernier, il parait porter au plus: haut degré l'insolence et le sentiment de l’indépendance. Les Hazortas de notre ca- ravane avaient été joints, le malin, par une douzaine de leurs camarades, et lorsque la nuit fut venue , ils se formérent en demi-cer- cle près d’un de leurs feux, puis ils se mirent à exécuter leurs danses nationales. Faute de mieux, ils furent forcés de se contenter d'un simple tom-tomm , à l'harmonie duquel ajoute- rent infiniment et le claquement des mains, et une espèce de sifflement que je n'avais pas encore entendu, et qui ressemblait assez aux sons que produirait la prononciation prompte et alternative des consonnes p, ets. Un seul homme dansait à la fois. Il s'avançait en fai- sant des pas uniformes, mais peu vifs. Tout son corps, et particulièrement ses épaules et sa poitrine, étaient dans des contersions dont ; la violence, toujours croissante, le forcait bien- tot à cesser. Le danseur épuisé, un autre pre- nait sa place; mais je remarquai qu'il n’y avait guere que les chefs qui se livrassent à cet exercice, et qu'ils y paraissaient beaucoup plus experts que les autres, ce qui provenait sans doute d'une force et d’une activité plus grandes, qualités indispensables pour de si violens efforts. # 19 392 VOYAGE Pour se faire une juste idée du lieu de la scène , le lecteur doit se figurer qu'il se trouve, par une nuit claire, au milieu d’un bosquet de grands arbres, dans une vallée solitaire, fermée par des montagnes à pic, au pied des- quelles coule un ruisseau sinueux. La singu- larité du tableau devenait encore plus piquante par les effets de lumière que produisaient les feux divers autour desquels les naturels for- maient des groupes. Les Abyssiniens, peut- être à cause du contraste qu'elle faisait avec la leur, samusérent tout autant que nous de la danse que je viens de décrire; et lorsque nous eümes gagné le haut pays, je vis quel- ques-uns des plus folâtres d’entre eux la pa- rodier de la manière la plus grotesque et la plus risible, à la grande satisfaction de leurs compatriotes. Nous quittâmes Leilah, le 1er mars, à six heures moins un quart, et bientôt nous ga- gnames AssoubA, lieu un peu au-delà duquel est, sur la gauche, un défilé ou une gorge de montagne qui aboutit au chemin, dont il est la partie la plus dangereuse , parce que des Bédouins qui résident aux environs se réu- nissent là pour attaquer les kafilahs qui vont à Massouah ou qui en viennent. Le ras Ouelled Selassé, dans la campagne de 1809, y envoya, EN ABYSSINIE. 293 depuis Zeouan Buré, à la distance d'environ quinze milles, un corps de troupes. La plupart des Bédouins s'étaient enfoncés dans leurs re- trailes; mais en un seul jour, on leur prit plus de deux cents chèvres, perte considérable pour des hommes qui ne subsistent que par leurs troupeaux. M. Pearce, qui fut de l’ex- pédition , m'amusa beaucoup en me retraçant les gestes bizarres et les transports de joie des soldats du ras, lorsqu'ils arrivèrent à la place où nous étions; et un de leurs chefs, Ayto Tesfos , poussa l'enthousiasme si loin, qu'on eut beaucoup de peine à l'empêcher d'aller donner au nayb une leçon salutaire, à Ar- kiko. De l'avis de nos guides, nous fimes halte un peu au-delà de ce point >» pour attendre et protéger notre caravane. Nous primes posi- tion sur une roche escarpée et saillante, qui commande entièrement et le ravin et le che- min que nous devions suivre. l'air inquiet et presque farouche que nous avions, étant pos- tés sur la crête de cette roche, avec nos armes, et les groupes que formaient nos porteurs en montant entre les rochers, faisaient un sujet digne du pinceau de Salvator Rose. Lorsque tout notre bagage fut passé, nous fimes une décharge générale de nos armes à feu , puis, formant l’arrière-garde, nous pour- 2094 VOYAGE ‘Suivimes notre marche jusqu’à huit heures et demie, que nous arrivèämes au pied du Taranta. Là nous campâmes tout près de deux daro (Poy.pl. XL), dans un lieu appelé Tak-kum:ta, qui est un des plus pittoresques que j'aie vus. Nous étions à l'abri d’un rocher élevé qui s’a- vançait au-dessus de nos têles et faisait l'angle avec deux ravins immenses, dont l’un se diri- geant vers l’ouest, conduisait au milieu du sommet du Taranta , et dont l’autre, qui avait rine direction plus sinueuse, s'étendait jusqu’à la DErRTe septentrionale de la montagne. Ge lieu, où toutes lés kafilahis font Hal , est ri d'eau par un bassin que la nature à crétisé dans un rocher , à peu de distance du ravin le plus septentrional, le long duquel, dans le témps des pluies, coule quelquefois un torrent des plus impétueux. Tous les rochers sont composés d’une espèce degranitrougeûtre, à qui l'action de l’eau à donné en plusieurs endroits le poli le plus beau. ‘Une source qui nait un mille plus haut fournit de l’ean toute l'année, et tombe de dix-sept pieds de haut dans le bassin, par-dessus un bloc de granit. Nous eümes, le soir, de la peine à fournir des vivres à nos gens. Ceux-ci étant chrétiens et ceux-là musulmans, et chacune des deux troupes ne voulant pas manger d’un animal EN ABYSSINIE. 205 que l’autre avait tué, il nous fallait deux va- _ches par jour. Cependant, par une fripon- nerie d’un des Hazortas qui nous servaient de guides, nous n'en avions obtenu que trois à Hamhammo, et l’on venait de,tuerla dernière pour les chrétiens. En conséquence, les ma- hométans crièrent très-haut, et dans l’alter- cation qui s'en suivit, Soleiman, parlant au nom des Hazortas, nous dit : « Pour l’amour » de vous, donnez-nous à manger ; car lorsque » nos estomacs sont vides, nous rôdons comme » des hyènes , et nous dévorons tout ce qui » nous tombe sous la main. » Le jour suivant, nous demeurâmes dans notre campement pour attendre des nouvelles de Yesous, baharnegash de Dixan ; car il était nécessaire, avant d'aller plus loin, que nous fissions un arrangement définitif relativement à notre passage des montagnes. À mi-chemin, la route se partage en deux branches, dont l'une conduit à Dixan et l’autre à Halaïi. La première traverse un district par lequel j'avais déjà passé, et dont le chef (Yesous) était en mésintelligence avec lenayb, et en relation d'a- mitié avec le kantiba Socinius etle baharne- gash Soubhart. L'autre branche passe par le district du Baharnegash Isgé et aboutit à un chemin qui traverse les domaines du kantiba 296 VOYAGE Armmon, et du shum Ayto Ouldo, amis du nayb, qui étaient venus pour nous accom- pagner jusqu à Antalo. La guerre s'était dé- clarée entre ces différens chefs Les hostilités avaient été suspendues pour un mois, et l'on attendait la décision d’autres chefs qui avaient éte nommés arbitres. Malgré leurs divisions, les deux partis se considéraient comme égale- ment soumis à l'autorité du ras. Comme on n'avait pas dit positivement à nos guides quel chemin ils devaient prendre, il fallait se décider, et la chose n'était pasfacile. M. Pearce et Ayto Debib penchaient pour fa route de Halai, ce qui s'expliquait facilement quant au dernier, qui avait un domaine près de ceux du shum Ouldo. Pour moi, je donuai décidément la préférence à la route de Dixan, à cause de la bonne opinion que j'avais du baharnegash Yesous, et de l'amitié que j'avais liée avec lui pendant mon premier voyage. Apres un mur examen, le dernier parti parut le plus prudent; car les chefs qui comman- daient sur la seconde route étaient les plus forts. D'ailleurs, comme Chelika Havia le remarqua judicieusement , il n’eüt pas été agréable pour lui ni pour les siens de tra- verser un pays avec les habitans duquel ils avaient été si récemment en guerre ouverte. EN ABYSSITNIE. 297 Ainsi, il fut arrêté, après une longue confé- rence, que nous prendrions le chemin de Dixan; et le kantiba Ammon lui-même con- vint que ma determination était Juste. Guebra Michael, fils du baharnegash, ar- riva à midi; et, à ma demande, il fit toutes les dispositions nécessaires pour nous faire passer la montagne. Comme les chameaux de- Vaient sen retourner , nous ajoutàmes au nombre de nos porteurs, en louant pour le même service, quelques Hazortas et d'autres naturels du pays qui s'étaient réunis à nous. Durant la négociation, il survint un débat qui pouvait avoir les suites les plus fâcheuses. Nous avions offert à deux Hazortas une piastre pour porter un coffre jusqu'à Dixan. Comme ils hésitaient à s’en charger, deux Abyssiniens proposèrent de le faire au même prix. Cela occasionna un grand vacarme , durant lequel ce coquin d'Omar, dont j'ai déjà parlé, pro- voqua tellement un jeune Abyssinien d’'envi- ron dix-neuf ans, que celui-ci, imprudem- ment, leva la main pour le frapper. Aussitôt ils sempoignèrent, et tous deux tomberent à terre en se débattant. M. Pearce s'avanca pré- cipitamment vers eux et dégagea lAbyssinien ; et les Hazortas emmenérent leur camarade. Jamais je n'ai vu fureur plus sauvage que ceîle 298 VOYAGE qui agitait ce dernier. Tous ses membres trem- blaient ; ses dents étaient serrées, et ses yeux semblaient prêts à s'élancer hors de leurs or- bites. Nous desirions vivement de mettre l’af- faire en arbitrage, et tandis que nous en étions occupés, le furieux ayant perdu toute raison, s'échappa des mains de ceux qui le tenaient, saisit une lance et un bouclier, et porta à son adversaire désarmé un coup qui eût été fatal, s’il n'avait été donné à faux; et la violence du mouvement fit tomber l’assaillant. Aussitôt, tous les: Abyssiniens coururent aux armes. On saisit Omar, et ce ne fut pas sans peine qu'on empêcha qu'il ne füt misen pièces. La crainte qu'inspiraient nos armes à feu rétablit l’ordre, et le cri de ouaaz, ouaaz , par lequel on de- mande des arbitres , retentit de nouveau dans notre camp. M. Pearce se rendit caution pour l'Abyssinien, et un des Hazortas en fit autant ‘pour son compatriote. Le baharnegash Isgé, Guebra Michael et le shum Hummar furent choisis pour arbitres. On commença aussitôt la procédure. Les juges prirent place sur un rocher saillant ; il fut ordonné de faire silence, et les parties plaidèrent leur cause. Il fut décidé, après de longues harangues, que comme il n'y avait pas eu de provocation de part ni d'autre, et qu'il EN ABYSSINIE. 2410 n'y avait point eu de säng versé, le passé se- rait mis en oubli. La sentence fut prononcée avec beaucoup de gravité par le shum Hum- mar, dont la chevelure touffue , arrangée à Ta manière des Hazortas, n’ajoutait pas mé- diocrement au ridicule de la scène ; et la paix fut heureusement rétablie. Cependant Hum- mar se conduisit avec beaucoup de décence, et il montra un degré de sens qui l'éleva con- sidérablement dans notre estime. Quant à Omar, lorsque là raison lui fut revenue , il fut si effrayé de ce qu'il avait fait, que n'osant plus se hasarder à passer le Taranta dans la compagnie de nos porteurs, il nous demanda la permission de se retirer. Je lui donnai deux piastres, et fus charmé d’être débarrassé de lui à si bon compte. Je fus réveillé, la nuit, par une rumeur qui se fit entendre dans notre camp, et. par les cris d'un petit basset qui m'avait été donné au Cap par l'amiral Bertie. Une. des bêtes fé- roces, qui abondaïent aux environs, l'avait saisi à la poitrine et l'emportait, lorsque les cris de nos gens, qui étaient toujours sur leurs gardes pendant la nuit , la forcèrent à lâcher prise. Le chien revint à ma tente, et d'apres l'inspection des blessures qu'il avait reçues, 11 me sembla que l'animal qui avait 300 VOYAGE attaqué était une espèce de léopard. Le basset se rétablit; mais ensuite il mourut à Cheli- cut (1). Tandis que nous étions à notre campement deTak kum-ta , nous vimes passer de petites troupes qui se rendaient à la côte avec des mar- chandises , qui consistaient principalement en esclaves , en dents d'éléphans, et en grains. Pour préserver ceux-ci de l’humidité, on Îles renferme dans des peaux de chevreau, qui, étant détachées presque entières du corps de l'animal, sont ensuite tannées et reçoivent une forme semblable à celles des peaux de chèvres dont on se sert communément pour transporter l'eau sur la côte. (Thermomètre, à ce gite, 81°.) | + Le samedi 3 mars, à six heures du ma- tin, moins dix minutes , nous commençà- mes à monter le Taranta. La premiere par- tie du chemin s'appelle Tellimenna , et forme , l’espace d’environ un mille, une rampe.qui est fort encombrée de pierres détachées et de fragmens de rocher. Nous la (1) M. Salt ajoute que l’animal mourut d’un déstemper, mot qui, au propre , signifie maladie, et qui, selon le docteur Johnson, a différentes acceptions , entre lesquelles nous ne choisirons pas. ( Vote du traducteur.) EN ABYSSINIE. 30r passimes d'un assez bon pas, en nous diri- geant vers l’ouest-quart-sud, apres quoi nous parvinmes à une pente très-escarpée et cou verte de kolqualls, dont chaque branche portait , à l'extrémité , des semences cramoi- sies, qui produisaient un très-bel effet. Nous fimes ainsi deux milles, puis nous arrivâmes à une montée formant précipice, et qui bien- tôt nous conduisit à une station appelée Mij- divella , où souvent les voyageurs passent la nuit , à cause d'une source qui est aux envi- rons. Ce fut là que M. Bruce reposa, comme il le dit : « dans une des nombreuses cavernes » qui servaient de demeure aux anciens habi- » tans , aux Troglodytes ». Cependant, nous n’eùmes pas le bonheur de découvrir ces ca- vernes, et je ne crois pas qu'elles aient ja- mais existé , si ce n'est dans l'imagination de l’auteur ; car, malgré la censure qu'on a faite de ce que j'ai inséré à ce sujet dans la relation de mon premier voyage, je ne vois d'autre ar- gument en faveur de l'existence des caŸernes dans un côté de la montagne, que celui-ci : « Les maisons de Dixan et de Halai,qui sont de » l’autre côté, sont construites de façon qu'el- » les ressemblent à des cavernes ». Mais la si- tuation et la distance inquiètent fort peu nos petits coureurs de réputations. 302 VOYAGE Depuis Mijdivella , la route se dirige vers le sud-ouest , et la montée devient si roide en quelques endroits, que , quoique M. Pearce et d’autres de notre troupe continuassent à aller sur leurs mulets, le reste mit pied à terre ; car un seul faux pas de sa monture eût jeté le cavalier dans un abyme. Cependant il ne fallait pas , à des gens aussi peu accoutu- més que nous l’étions à un tel exercice , de médiocres efforts pour aller en avant, ou plutôt pour escalader le terrain qui était de- vant nous. En conséquence , nous étions for- cés de nous arrêter à tout instant ; mais nos porteurs , qui, dés leur jeunesse , ‘étaient ha- bitués à une telle marche, allaient gaiment avec leurs fardeaux, et même quelques-uns* des plus joyeux s’amusaient à improviser des chansons , à peu près dé même que, m'a-t-on dit, font souvent les soldats allemands, lors- qu'ils sont en marche. Celui qui composait un distique le chantait seul d’abord, puis il était répété en chœur par toute la troupe. M. Pearce me traduisit littéralement une des chansons qui furent composées dans notre marche. Je vais l’insérer ici comme un échan- tillon de la poésie sauvage qui fait les délices des Abyssiniens. EN ABYSSINTE. 303 Nos pères sont soldats du Badinsah (1). Chacun d’eux a tué son ennemi. Nous sommes jeunes et portons des fardeaux ; Mais un jour nous combattrons comme l’ont fait nos pères. Nous voyageons dans un pays désert , Entourés de sauvages et de bêtes féroces ; Mais c’est pour le service du Badinsah ; Eh ! qui ne voudrait mourir pour lui ? L'air vif du matin, l'äprêté du paysage , et les cris aigus des perdrix et des poules d'inde que nous faisions lever à chaque instant, ef- frayées de notre approche, ajoutaient infini- ment à l'effet de cette scène intéressante et nouvelle pour nous. Peu de temps après, nous arrivames à un point où le chemin se partage en deux bran- ches dont une conduit à Halaï. On voit un peu au-delà un rocher fort élevé , où une crête de roche en saillie, qui s'appelle Gorézo , et du haut de laquelle , disent les Abyssiniens, s'est précipitée une jeune fille que son père voulait marier malgré elle : l'abyme est effrayant. Un peu au-dessus de cette partie de la montagne il se fait un changement dans la nature (1) C’est le nom d’un cheval sur lequel le ras Ouelled Selassé était monté dans plusieurs combats qu'il a livrés. Ses serviteurs ou soldats le donnent aujourd’hui comme nom de guerre à ce chef célébre. 304 VOYAGE des plantes. Au lieu de kolqualls et de kan- touffas on trouve des massifs d'arbres rom- més ouaras, qui sont d’une hauteur médio- cre, dont les feuilles ressemblent à celles du saule , et dont les branches étaient toutes couvertes de lichens. Plus loin, le chemin pa- rait, sur un espace peu long , avoir été taillé dans un lit de pierre à chaux, sur lequel s’éle- vait un bosquet touffu, très étendu , que for- maient des espèces de cèdres, appelés tud , et dont le bois est fort dur. Après avoir passé une autre moutée peu roide , nous arrivâmes à un lieu elevé, qui a le nom de Sarar. Lorsque nous nous retournämes vers le pays que nous venions de quitter , une vue immense s'offrit à nos yeux. Nous avions à nos pieds , et s’éles vant les unes au dessus des autres, des chai- nes de montagnes , dont la base touchait à l'horizon, que nous nous figurions borné par la mer; et les cimes perçaient ce qu’on eût pu appeler un océan de nuages. ; Depuis ce point nous eûmes considérable- ment à descendre pour remonter encore. En- fin, au bout d'une demi-heure , nous gagnà- mes un des sommets de la montagne , près d’un gîte situé sur le bord d'un petit étang, décrit dans mon premier voyage, et appelé Tourabo. Il était alors huit heures vingt mi- EN ABYSSINIE. 303 nutes. Ainsi nous n'avions pas mis plus de deux heures et demie à parvenir au haut de la montagne , depuis Tak-kum-ta. Pour nous reposer après une telle marche , nous campä- mes sur le plateau. La matinée était des plus belles qu'on puisse imaginer. Le thermomètre marquait O1 0. Bientôt nous eümes le plaisir de voir la plus grande partie de notre bagage arrivée en sû- reté. Les caisses les plus lourdes avaient été portées , suspendues à des perches par le moyen de cordes, dont heureusement nous nous étions pourvus à Moka. On avait mis, pour chaque fardeau , de dix à seize porteurs, qui , se relevant par intervalles, gagnèrent le sommet de la montagne avec assez de facilité. Comme nous étions arrivés sur le territoire du Baharnegash , et que par conséquent nous ju- glons n'avoir plus rien à craindre , les canons et quelques-uns des objets les plus embarras- sans furent confiès aux soins de Guebra Mi- chael ( fils de Yesous), qui eut ordre de nous suivre , le plus promptement qu'il le pourrait, tandis que nous irions en avant avec une pe- üté troupe qui porterait la partie la plus lé- gère de notre bagage jusqu'à Dixan. La vue qui se développe aux yeux du voyageur, lorsqu'il commence à descendre le côté méri- I. a0 306 VOYAGE dional du Taranta, est une des plus magnifi - ques que l'imagination humaine puisse con- cevoir. Elle s'étend au loin sur les montagnes escarpées du Tigré jusqu'aux crètes des mon- tagnes d'Adoueh, qui, bien que diversifiées par des tapis de verdure, par de vastes forêts de kolqualls, et entrecoupées par un grand nombre de vallées, étaient si harmonieuse- ment unies par une atmosphère lumineuse, qu’elles formaient une chaîne immense et con- tinue. À mon premier voyage nous avions descendu la montagne pendant un orage qui versait des torrens de pluie. Nous entrions d’un pas mal assuré dans un pays inconnu, et nous ignorions quel accueil on nous y fe- rait. Le souvenir de l'inquiétude que nous éprouvâmes alors faisait un contraste agréable avec nos sensations présentes : tout nous assu- rait un heureux succès ; le soleil brillait du plus vif éclat sur le paysage qui s'offrait à nos yeux , et nous étions entourés d'amis éprouvés et fideles. Comme le sentier escarpé que nous avions à descendre ne nous permettait pas de rester sur nos montures, nous mimes pied à terre, nous jetâmes sur le cou la bride à nos mulets, et selon la coutume du pays nous les laissämes aller à leur gré. Nous remontâmes sur eux EN ABYSSINIE. 307 après une heure de marche qui suffit pour nous tirer de la plus mauvaise partie du che- min, puis nous suivimes, à travers un pays agreste et hérissé de rochers , un sentier sinueux qui conduisait à Dixan. Le change- ment de climat devint là très-sensible. L’'ar- deur du soleil était dévorante , comparée à la chaleur que nous avions éprouvée de l’autre côté du Taranta. Les plantes étaient brülées, les ruisseaux étaient à sec, et tout le bétail avait été envoyé sur la montagne pour y cher- cher des pâturages. Il est fait mention de ce changement de température si remarquable et si subit, dans une des premières relations qu'on ait sur l'Abyssinie : Nonnosus , ambas- * sadeur de Tempereur Justinien vers le souve- rain des Axomites , dit que depuis Ave jusqu’à la côte il eut l'été , et qu'on faisait la moisson, tandis que l'hiver régnait depuis Ave jusqu’à Axum,et vice versé (1). (x) De cœlt quoque constitutione dicere oportet quæ est ab Ave ad Auxumin, contra enim œæstas éllic et hiems accidit. Nam sole Cancrum, Leonem et Virginem obeunte, ad Aven usque uti et nobis æstas est summaque cœle sicci- tas , et ab Ave Aurumun versus et reliquam œthiopiam hiems est vehemens non integro quidem illa die , sed quæ, a meridie semper et ubique incipiens , coactts nubibus aerem obducat, oram illam inundat. Quo etiam tempore 20* 308 VOYAGE A une heure après-midi nous arrivames à peu de distance de Dixan , et nous nous ren- dimes sur-le-champ à mon ancienne habita- tion , qui était située au pied de la montagne sur laquelle la ville est bâtie. Le Baharnegash Yesous vint nous y recevoir, et 1l nous ac- cueillit comme d'anciens amis. L'aspect véné- rable de ce chef ( 7’oy. pl. XII), ses manières agréables et douces , et le souvenir des servi- ces qu'il nous âvait rendus, nous firent jouir avec ravissement de sa présence; et la grande quantité de maiz et de vivres que son hospi- talité nous fournit , excita bientôt , sur-tout après le jeune que nous avions fait en che- min , la. bonne humeur de toute notre troupe. 4 mars. La voix bien connue de Yesous, qui appelait sa famille à la prière, me ré- veilla à la pointe du jour. Je me levai et me joignis à lui. L’intervalie de quatre ans , qui s'était écoulé depuis mon premier voyage , me parut alors n'avoir duré qu’un jour. Les prières que le Baharnegash récita étaient les Nilus laté egyptum pervadens , maris in modum, terrarn trrigat. Cum autem sol, Capricornum , Aquarium et Pisces perambulat, aer vicé vers Adulitis in Aven usque imbribus repionem inundat; in tis vero qui ab Ave Auxumin cæteram- que œthiopiam versus jacent æstas est, et maturos ue fructus terra præbet.( Vide Nonnosus in Photii Bibliothecä) EN ABYSSINIE. 309 mêmes que je l'avais entendu réciter , et il les fit avec cette ferveur que j'avais.si souvent contemplée en lui avec ravissement. Lors- qu'elles furent achevées , le bon vieillard donna ses ordres, pour les travaux de la jour- née , avec une simplicité patriarcale et une dignité naturelle que je ne pouvais me lasser d'admirer. J'étais encore pénétré de la sensa- tion que m'avait fait éprouver ce spectacle touchant, lorsque nous allâmes sur une des montagnes des environs , et du haut de la- quelle nous jouimes d'une vue qui, selon la remarque d’un de mes compagnons , suffisait pour dédommager de la fatigue causée par le passage du Taranta. Un millier de monta- gnes de formes diverses, et jetées comme au hasard sur une plaine irrégulière , s’offrit à nos yeux. Enfin, les masses d'ombre et les enfoncemens qui en variérent l'aspect , lors- que le soleil parut sur l'horizon, ajoutérent singulièrement à la magnificence du tableau. _ Une suite de gisemens fut prise avec un théodolite , du haut de la montagne : Montagnes d'Adoueh, Vonus 26° :sud-ouest, Extrémité de ces mêmes montagnes,........ 9 4/ 35sud-ouest Amba Toukiley, ..... 15 19 310 . VOYAGE MaïsSana toit denis Ade:Ovwe 5 41, 162759 Gouuskasl ones as 3456 Direction supputée de Massouah, 11.84.1065; 19 Défilé du Taranta,... 218 34 Bure:, Su LIL OR bo Ve Agame ii, 50.900040 Ba To Gashiaatis 1 Jasuoano, fB35HLA Tigre, .Micone 415,4: 21 92926 Esse , presque sur une ligne avec le premier | gisement , 26° sud-ouest. Quelques huttes ou caves creusées dans la partie la plus basse de la ville, me parurent les seuls changemens survenus à Dixan , de- puis monpremier voyage. Dans le cours de la matinée Jexaminai quelques travailleurs oc- cupés à former une de ces singulières ha- bitations. Les seuls instrumens qu'ils em- ployassent étaient une espèce de petite hache avec laquelleils donnaient la forme auxpierres, et l'omoplate d’un bœuf qui leur servait à creuser la terre et à faire le mortier. L’opéra- tion sexécutait avec une facilité dont je fus surpris. Les habitans qui vinrent en foule nous considérer , n'étaient pas surchargés de vête- mens. Les hommes ne portaient qu’un cale- con et un morceau de toile jeté sur leurs EN ABYSSINIE 311 épaules. Les femmes , dont la peau semblait tannée, avaient des espèces de ceintures ornées de coquillages. Quant aux enfans, soit de l’un , soit de l’autre sexe , ils étaient tout à-fait nus, | Les environs de Dixan paraissaient entiè- rement brülés. Le seul bétail que les habitans eussent conservé pour leur subsistance , était des chèvres et des chevreaux. Chaque soir, les pâtres en ramenaient de grands troupeaux, qu'on réunissait tout près de la ville pour les mettre en sureté contre les hyènes et les autres bêtes féroces qui rodaient dans le voisinage. Durant les deux nuits que nous passâmes à Dixan, notre sommeil fut souvent troublé par les hurlemens de ces animaux et les cris que leur approche faisait pousser aux chiens. Le hurlement du hyène consiste en trois cris dis- tincts et d’un ton bas. L'animal les fait suivre de quelques minutes de silence, puis il les pousse de nouveau. Les nuits étaient tres- belles à Dixan ; et, vu la hauteur de la posi- tion, les étoiles paraissaient plus brillantes, et par conséquent plus rapprochées de l'œil que sur la côte. | 5 mars. Après nous être séparés des Hazor- tas, que nous quittämes sans beaucoup de resret, nous partimes de Dixan, sur les six 3192 VOYAGE heures du matin , et, accompagnés du bahar- négash , nous dirigeâmes notre marche vers l'ouest. Au bout d'une heure, nous gagnâmes la haute montagne sur laquelle est situé le vil- lage de Hadehadid , dont les femmes nous sa- luërent, lorsque nous passâmes, de leur accla- mation accoutumée heli, lili lilili ll, qui, comme je l'ai dit dans mon précédent journal, ressemble au zirolit des Syriennes (1). De ce point nous allâmes, presque en ligne droite, vers le sud , en traversant la plaine de Zarai, qui paraissait dépouillée de toute verdure , et dont le ruisseau était entièrement à sec. Tout le pays semblait brülé, et nous ne trouvâmes de l’eau qu'après avoir passé le haut rocher d'Addicota. A quelque distance de ce point, nous vimes un gros Daro qui croissait dans le lit d’un torrent , où il yavait quelques puits remplis d'eau; ce qui nous fit rester là durant toute la chaleur du jour. Il s’y éleva un débat entre nos guides , pour savoir si nous y passe- (1) Poyages du vicomte Valentia | tom. IV , pag: 200. J'ai suivi l’ortographe de M. Salt; ainsi, il est probable qu’il faut prononcer en francais, hé, lé , lé, lé, ete. Quant au zérolit, un orientaliste , né en Syrie , que j'ai consulté sur ce mot, l'écrit zekhäthah , et dit, comme notre auteur, que c’est un cri de joie particulier aux femmes de son pays. (/Vote du traducteur. ) …. EN ABYSSINIE. 313 rions la nuit, ou si nous irions au village d BAR IÉS qui était à deux milles de de, tance sur notre droite. M. Peñrce se déclara contre ce dernier parti » parce qu 1l y avait à peine un an que ce lieu avait été mis à con- tribution par les troupes du ras; opération qui, selon l'usage, avait coûté la vie à plu- sieurs personnes. Par malheur , nos gens qui se reposaient sur leur nombre , s’inquiétèrent peu decette observation , et, d’après le vœu qu'ils m'exprimérent à l'unanimité, je donnait l'ordre de se rendre, dans l'après-midi , àla montagne escarpée sur laquelle est situé Am- bakauko. On nous y accueïllit d’abord d’une manière satisfaisante. Le shum du district mit une maison à notre disposition et nous fit don- ner des vivres ; et les habitans se conduisirent avec une civilité remarquabie. Qu'on juge de Tétonnement et de l'horreur que nous éprou- vâmes lorsqu’après un pareil traitement, nous reconnûümes , le lendemain matin, qu'un des porteurs que j'avais loués à Massouah, avait été inhumainement massacré pendant la nuit. 1Ï était sorti de l'enceinte de notre habitation pour aller chercher de l'eau ; une troupe de villageois étaient tombés sur lui et l'avaient sacrifié à leur vengeance. Le malheureux s'était défendu avec courage , et avait blessé plusieurs 314 VOYAGE des assassins, ainsi que le firent voir les traces de sang qui conduisaient depuis la place où il avait été twé jusqu'au village. Le shum du district , vieillard qui avait l'air respectable, prétendit n'avoir eu aucune connaissance du crime; mais comme on ne découvrit point les coupables, Debib f'attacha au vêtement d'un de nos porteurs, selon cette coutume singulière qui règne généralement dans le pays, et nous Femmenâmes pour le faire comparaitre devant son supérieur , le baharnegash Soubhart.En même-temps Debib alla informer du fait le shum Ouldo, son ami; et ce chef, quoique ce füt lui-même | un insigne pillard , non-seulement exprima la plus grande horreur de cette perfidie , mais envoya sur-le-champ un messager déclarer à Soubhart que , si les assassins n'étaient pas découverts et envoyés au ras , il mettrait lui- même le feu au village , avant que la Lune füt renouvelée. Quoique le temps füt très-beau, un si triste événement nous affecta trop vivement pour que nous pussions faire beaucoup d'at- tention aux objets dont nous étions environ- nés. Nous marchâmes vers le sud, et apres avoir passé dans Asceriah, nous descendimes une pente roide qui nous conduisit à l'extré- EN ABYSSINIE. 315 mité septentrionale de la belle plaine de Se- raoué, sur laquelle croïssent beaucoup de tombo (espèce d'arbre), et qui parait se pro- longer vers l’ouest jusqu'à Hamazen. On peut considérer cette plaine comme faisant partie de la ligne occidentale des monts qui compo- sent le Taranta, le pays que nous avions tra- versé jusque-là ne constituant que la base de cette chaine immense. Bientôt nous arrivämes au village pittoresque d’Abha où le Baharne- gash Soubhart faisait ordinairement sa rési- dence. Ce chef nous accueillit d'abord d’une manière trés-obligeante ; mais sa conversation nous fit bientôt douter de sa sincérité. Nous ne tardàmes pas à juger que nos soupçons étaient fondés ; car au lieu de nous faire servir le re- pas d'usage à l’arrivée des étrangers, il se con- tenta Ge m'envoyer une seule corne de maiz. Nos gens ayant considéré cela comme un af- front pour eux, je refusai la corne, et j'en- voyai trois ou quatre messagers faire des re- présentations qui furent fort mal reçues par les domestiques du Baharnegash. En consé- quence, nous quittämes le village et nous allâmes dresser notre tente dans la vallée qui est au-dessous. Cette démarche fit sentir au vieillard l’inconvenance de sa conduite; il descendit la montagne , accompagné des no- 16 VOYAGE tables du lieu. Ils se jetèrent à mes pieds et ils y restèrent jusqu’à ce que j'eusse promis d'oublier ce qui s'était passé; mais malgré toutes leurs instances, je ne voulus pas re- tourner dans une maison où l’on respectait si peu les lois de l'hospitalité. Le village nous fit présent d’un bœuf dans l'après - midi ; et le Baharnegash vint le soir prendre part à notre repas Quoiqu'il affectàt de se porter mal et d’avoir perdu l'appétit, il mangea près de deux livres de brinde, et but du maiz à proportion. Il avait dans tout le pays la réputation d’être fort avare et fort rusé, ce qui, avec ses nombreuses relations de famille , avait, plus que son courage, con- tribué à l’élever au rang qu'il occupait. Il avait vingt-six fils et presque le même nombre de filles. Un des premiers, qui était un jeune homme fort vif et fort intelligent, avait, en l'absence de son père, témoigné beaucoup d’égards à MM. Pearce et Coffin , lorsqu'ils se rendirent à la côte. En conséquence, je lui fis, à mon départ, le présent que j'avais destiné au Baharnegash. 7 Mars. Nous pliâmes nos tentes à cinq heures du matin ; et après avoir fait environ un mille au sud, nous eûmes la montagne de Cashaat directement à l’est. De là, au lieu de EN ABYSSINIE. sie _ passer sur la montagne qui mène à Agamé, nous primes un peu à l'ouest , et nous fimes environ huit milles à travers une barraka ou forêt, jusqu'à un site agréable sur le bord d'une rivière appelée Sere, qui prend sa source au fond d’un petit vallon de toutes parts en- touré de montagnes hautes et escarpées. Dans un recoin de ces montagnes, et à environ un mille à l'est, est située la grande bourgade de Logo, dont le pays circonvoisin tire son nom. Ce pays était gouverné par le Baharnegash Arkoe , qui s'était révolté, mais que l’année précédente Île ras avait réduit à l'obéissance. À peine étions-nous campés, que des ber- gers qui conduisaient des troupeaux de bétail se mirent à quereller nos gens. Nous y fimes d'abord peu d'attention ; mais au bout d’une heure, nous fûmes très-surpris de voir diffé- rentes troupes d'hommes armés sortir l’une après l’autre de divers côtés des montagnes, avec l'intention évidente de nous envelopper. Aussitôt nous nous mimes en état de défense. M. Coffin fut chargé de veiller sur nos armes à feu, parmi lesquelles étaient deux petits canons de cuivre, que M. Street , capitaine du Staunch, m'avait donnés. Ceux-ci furent placés sur un tertre près du poste qu'occu- pait Chelika Havia, qui eut ordre de garder, 318 VOYAGE avec ses gens, notre bagage. Accompagné de M. Pearce et de Debib, je m'assis à peu de distance de la rivière, comme si je ne son- geais qu'à fumer un houkah. Les différentes troupes qui descendaient des montagnes en suivant des sentiers sinueux faisaient un ta- bleau d'un effetremarquable. A mesure qu’elles entrérent dans la vallée, nous reconnümes qu’elles étaient armées de lances ou de fusils à mèche. Au bout d’un quart d'heure d'attente, le Baharnegash Arkoe s'achemina vers nous avec une vingtaine de soldats et suivi de cent cinquante coquins qui étaient les hommes de plus mauvaise mine que j’eusse jamais vus, et dont la plupart avaient le corps couvert de cicatrices. Leur chef, qui n'avait pas meilleure apparence, nous aborda sans façon , nous pre- nant pour une kafñlah de marchands; mais ayant reconnu M. Pearce et Debib, et jugeant que nous étions les étrangers du ras, et sous sa protection immédiate, il se montra plus poli. Bientôt, cependant, il me demanda assez librement mon houkah, avancçant la main en même temps pour le saisir. Je le refusai d'a- près l'avis que me donna M. Pearce. Aÿto Debib prenant alors le ton d'autorité qui con- venait à sa charge, réprimanda le Baharne- gash, et lui dit que j'étais l'envoyé d’un sou- EN ABYSSINIE. 319 verain que le ras considérait comme son égal. Tout cela produisit son effet. Arkoe se leva, donna l’ordre à ses soldats de le suivre, et leur dit : « Je ne veux pas; il vaut mieux les lais- ser ». Après quelques instans d'hésitation , ils obéirent, non sans jeter sur nos ballots des regards qui trahissaient leur regret de ne pas les examiner plus attentivement. Ainsi délivrés de ces brigands, nous fines seller nos mulets, ne voulant pas passer la nuit dans un lieu si peu sûr. Nous dirigeämes à travers un pays äpre et dé- pourvu de culture. Nous passèmes le courant notre marche d'eau appelé Belassan ; nous laissämes sur la droite la haute montagne d'’Amba Anvas, et après avoir escaladé une pente fort roide, nous arrivâmes au village de Légote , qui ressemble un peu à Dixan. Nous avions fait environ huit milles depuis notre dernier gite. Le soir, nous primes une suite de gisemens au haut de la montâgne sur laquelle est situé Légote. 8 Mars. Nous partimes à cinq heures du matin , et après avoir descendu la montagne, nous traversämes une plaine vaste et bien cul- tivée. Comme nous allions vers le sud, nous laissâmes sur la gauche la montagne de Devra Damo, une de ces retraites où les branches cadettes de la maison régnante étaient renter< 320 VOYAGE inées autrefois. On concevra facilement qu'é. tant né à Lichfield, je me rappelai sur-le- champ le roman aussi instructif qu'intéressant que le docteur Johnson (1) a composé sur ce sujet, et qui fut une des premières lectures de ma jeunesse. Un tel souvenir ne pouvait manquer d'ajouter infiniment au plaisir que j'éprouvais de traverser les sauvages régions de l'Ethiopie. La montagne de Damo est fort escarpée de toutes parts, et l’on n'arrive au sommet que par un seul sentier. Elle ressemble à cet égard comme à plusieurs autres à ces montagnes for- tifiées qu'on voit dans l'Inde. Après une mar- che de quelques milles, nous arrivâmes à un défilé entre les montagnes. Les roches dont il est environné, et qui semblent former un château , l'ont fait nommer Kella, nom qui a cette signification dans la langue des Abyssi- niens comme dans celle des Arabes. Les kafi- lahs payent toujours là les droits. Un mille plus loin, nous trouvâmes un beau vallon, où un gros daro croissait près d'un ruisseau sinueux dont les bords étaient couverts d’une riche verdure.Nous fimes halte pour jouir dela (1) Johnson naquit dans la même ville, { Note du tra ducteur. } EN ABYSSINIE. 3a1 fraicheur de ce lieu durant la chaleur du Jour. Je jugeai qu'alors nous étions parvenus à la plus grande hauteur au-dessus du niveau dela. mer; Car, quoique nous allassions vers le midi, et que le soleil se portât vers le nord, nous trouvions chaque jour le climat plus tempéré , et la végétation moins avancée. Ce fut pour moi un sujet de regret continuel de ne pouvoir vérifier ce fait; mais, par mal- heur , le baromètre que j'avais emporté d’An- gleterre me fut absolument inutile, une grande partie du vif argent s'étant échappée par le liéce que nous trouvâmes saturé de ce métal pénétrant. On m'a dit, depuis mon re- tour , qu'il est un moyen beaucoup plus sim- ple de déterminer la hauteur des montagnes : c'est de plonger dans de l’eau bouillante un thermomètre gradué pour cela. Si ce moyen est exact, c'est une découverte précieuse pour les voyageurs. | Tandis que nous faisons halte à l'ombre du daro, je remarquai des oiseaux de plusieurs espèces que je n'avais pas encore rencontrées. L'un d’euxétait le waalia de M. Bruce(columba Abyssinica du docteur Latham). La couleur de son plumage est un beau jaune avec des reflets L. 21 329 VOYAGE pourprés. Je tirai aussi une espèce éléganteet nouvelle de rnusicapa. Nous partimes à trois heures du matin, et après avoir suivi une descente fort longue, nous parvinmes à la rivière d’Angueah , qui coule dans un lit de granit, et court au nord- ouest jusqu'à sa jonction avec le Maleg. Nous eûmes ensuite à monter plusieurs pentes fort âpres et fort roides , puis nous arrivames à la maison d'Ayto Nobilis, jeune chef à qui le ras venait de conférer ce district pour récom- pense de ses services militaires. Nous passà- mes chez lui une journée agréable dans la jouissance de cette liberté sans réserve qu'au- torise l'hospitalité des Abyssiniens. Nous quittâmes la maison d'Ayto Nobilis le o rnars dans l'après - midi, et , laissant à environ vingt milles, sur notre droite, les montagnes d'Adoueh , nous nous acheminä- mes , à travers un vallon fertile, vers une chaîne de montagnes situées au sud. On a dé- crit d’une maniere très-extravagante la forme des montagnes du Tigré. M. Bruce va jusqu'à assurer que « Quelques - unes sont plates, minces et carrées, conformées comme les pierres qui servent de foyer , ou comme une dosse , qu’à peine paraissent-elles en état de EN ABYSSINIE. 323 résister aux vents , que plusieurs ressemblent à des pyramides , d'autres à des obélisques ou à des prismes , et quelques-unes , qui sont des plus extraordinaires de toutes, à des pyra- mides posées sur leur pointe (1). »Le lecteur, sans doute , n'aura pas de peine à m'en croire lorsque je lui dirai que je n'ai pas vu une seule de ces montagnes à qui la dernière par- tie de la description püt convenir. Le terme de notre voyage n'était plus fort éloigné, lorsque M. Pearce, Ayto Debib et moi nous étant séparés par accident du reste de notre troupe, nous résolümes de faire vi- site à l'Ozoro Asquall, qui avait le comman- dement du district que nous traversions. Elle était fille d'Ayto Manasseh, et avait été don- née en mariage , élant fort jeune, au fit aurary Zogo (2), ce chef vaillant que j'avais vu à la célébration de la Maskal en 1805. Après (1x) Voyez la traduction française du foyage aux Sources du Ni, par M. Bruce, tom. V, p.257. Cependant elle n’est pas littéralement d'accord avec la citation de M. Salt, qui, sans doute , l’a prise dans la dernière édi- tion dece Voyage; mais le fond en est ie même. ( Nore du traducteur. ) (2) Le portrait de ce chef se trouve dans l’Atlas des Voyages du vicomte Valentia. ( Note du traducteur.) 21” 324 VOYAGE la mort de son époux, qui arriva en 1808, l'Ozoro Asquall se montra protectrice zélée de M. Pearce, jusqu'à l’époque du mariage que le ras la força de contracter avec un des chefs du Temben. Elle résidait peu avec celui ci, et préférait de rester dans ses propres domai- nes. C'est peut-être le cas de faire remarquer que les dames de haut rang en Abyssinie, retiennent toujours le leur après leur ma- riage , et gardent en même temps leur nom de fille. Nous traversämes un défilé escarpé qui nous conduisit à un vallon fertile , et bien- iôt nous parvinmes à une montagne élevée sur laquelle était l'habitation de l’Ozoro. Quoique nous ne fussions point attendus, elle nous accueillit d'une manière tres-obii- geante , et à l'instant même elle nous pré- $enta à son mari, qui était en visite chez elle. C'était un jeune homme qui avait un caractère doux et des manières agréables , mais qui ne possédait pas , dit-on, de très-grands talens. Quant à la dame elle paraissait assez belle , quoique nous la vissions dans un moment dé- favorable ; car elle était en grand deuil de son père. En pareille occasion, c’est la coutume de se défigurer le plus qu'il est possible pour témoigner sa douleur. Dans le fait, hommes EN ABYSSINIE. 325 et femmes portent à la lettre le deuil prescrit par l'écriture , et « se çgouvrent de sac et de cendres. » Notre hôtesse, à notre arrivée, don- nait à quelquesuns de ses vassaux un repas de jour de jeûne, selon l'usage dans le carême, que les classes supérieures observent avec la plus grande rigidité en Abyssinie. Dans la soirée un second repas fut servi pour nous, et la dame et son époux burent du maiz largement. La première nous parut d'une humeur enjouée. Elle n'était pas fort réservée dans ses manières ; car à chaque ins- tant elle changeait, d'un bout de la table à l'autre, de coupe avec son ami, M. Pearce, et exprimait évidemment le regret que lui causait la présence de son mari. Toute sa con- duite nous fournit un exemple frappant du ton de supériorité que les grandes dames d’A- byssinie ont coutume ( chose qui n’est pas rare en d'autres pays ) de prendre sur leurs époux. Un petit incident qui survint dans le cours de la soirée me divertit beaucoup. J'avais donné une bague à l'Ozoro , et une autre à son mari. La dame n'étant pas contente de celle qu'elle avait reçue, eut recours à d’artificieuses «a- resses pour engager le jeune homme à lui donner la sienne, et, entre autres motifs, 336 VOYAGE pour le porter à la lui céder, elle lui dit : « Que s'il refusait dess’en dessaisir, il serait clair qu'il Paimerait moins que la bague!» Nous quittämes la maison de l’Ozoro le sa- medi matin sur les dix heures, et nous suivi- mes, en allant au sud, une vallée parfaite- ment cultivée, à travers laquelle coule un ruis- seau appelé Feras. La terre nous y parut trés- productive. La première récolte de foïn n'avait pas encore été faite, quoique la seconde de blé et d'orge s'avançät : celle-ci semblait devoir être fort abondante. Cette fertilité du sol doit être attribuée à l’art avec lequel les habitans conduisent l'irrigation. Le moyen mis com- munément en pratique consiste à creuser dé petits canaux depuis les points les plus élevés du courant, et à les conduire à travers la plaine qui est ainsi divisée en compartimens carrés , selon la coutume généralement adop- tée dans l'Inde. Le reste de notre troupe nous rejoignit dans la matinée, et nous chéminà- mes vers un village situé, à l'ordinaire, au sommet d'une haute montagne, et où nous nous arrêtàmes pour passer la nuit. Il fut dé- terminé là que nous ferions deux bandes pour notre commodité réciproque.En conséquence, M. Smith, M. Pearces et moi allâmes en EN ABYSSINIE. 327 avant. .Debib et les autres Abyssiniens eurent ordre de nous suivre à petites journées avec notre bagage. Le 10 mars nous partimes au point du jour et nous marchâmes environ trois heures à travers. un pays àpre et montagneux , où le chemin était souvent si roide que nous étions forcés de mettre pied à terre. À la fin nous arrivâämes à un pays très-différent de celui que nous venions de traverser, C'était une vaste plaine qui s'étend à l’ouest depuis les montagnes d'Agamé et de Haramat ( que nous avions sur la gauche à la distance d'environ vingt milles ) jusqu'au Tacazze, à travers Îles riches districts de Gullibudda et de Temben,. Cette plaine sépare le district montagneux de Tigré, proprement dit , des districts non moins élevés de Giralta et d'Enderta. Le pre- mier se distingue des deux autres en ce que le sol en général en est sablonneux , et que Îles rochers s’élevent en couches perpendiculaires, et consistent en ardoises sur du schiste et du granit, tandis que dans les districts de Gi- ralta et d'Enderta les couches inclinent un peu vers l'horizon , et que la surface des val- lous se compose d’un riche terreau noir tres- propre à la culture de l'orge. Après avoir traversé la plaine dont je viens 328 VOYAGE de parler, nous parvinmes à un défilé escarpé qui nous conduisit à la même chaine de mon- tagues que celle de l’Atbara dont j'ai donné le dessin dans mes grandes vues (r} , et cela nous amena en même temps dans le district de G:i- ralta. Là , après avoir gagné le sommet , nous eümes un de ces spectacles imposans qu'of- frent souvent les pays de montagnes à l’appro- che d’un orage. D'énormes masses de sombres nuages , à tout instant sillonnés par de vifs éclairs , s’'avançaient du sud-est au-dessus de nos têtes, tandis que des autres côtés le ciel était serein, et le paysage (2) éclairé par un s0- leil brillant. Mais cette scène dura peu. L’orage s'approchant de plus en plus, le tonnerre (x) Il s’agit ici d’une collection de 24 planches coloriées ( sur papier grand atlas ) qui représentent différentes vues d'Afrique et d'Asie , et font le plus grand honneur au talent de M. Salt. Cette collection se vend à part des Voyages du vicomte Valentia. ( Note du traducteur.) __ (2) Les montagnes d'Adoueh , qui sont en forme de pic, se montraient au nord-ouest. Nous avions à l’ouest les montagnes plus hautes mais plus éloignées du Samen , et à l’est, les plateaux des montagnes d'Haramat, d’Agamé et de Devra Damo, au-delà desquelles s’étendaient des chaînes de montagnes qu’à peine l’œil pouvait distinguer. Tout près de nous et au sud, était la grosse bourgade de Mugga , qui était adossée à une haute montagne fort escarpée et fort àpre , qu’on eût dit enêtre la citadelle. EN ABYSSINIE. 329 sembla rouler sous nos pieds , et une très- grosse pluie qui vint à tomber nous déroba tous les objets. L'orage fut court ; mais 1l parut le prélude du méchant accueil qu'on nous fit dans la bourgade. voisine , qui se nomme Mugga. Le shum du districtétait absent, et rien n'avait été préparé pour nous recevoir. Nous fümes donc obligés de nous réfugier sous quelques angars- couverts en chaume, qui étaient aux environs. M. Pearce , indigné , me demanda Îa per- mission d'aller en avant jusqu'à Chelicut, pour instruire le ras de [a manière dont on nous traitait , et lui annoncer notre approche. Je la lui EN et à peine fut-il parti, que le principal ecclésiastique du lieu vint nous offrir une petite maison, voisine de l’église, et que nous acceptâämes avec empressement. Il eut aussi la bonté de nous fournir quelques gâteaux ou pains, qui, avec un chevreau que nous achetàmes, et deux jarres de soué ou de bouza, que nous eümes en échange pour la peau de cet animal, conslituèrent tout notre repas. Nous passames ja nuit aussi bien que des essaims de vermine et les hurlemens con- tinuels des hyènes nous le permirent. Le mardi 14, au point du jour, nous quit- âmes Mugga avec une vive satisfaction , et 330 VOYAGE : déterminés à faire une longue marche pour gagner Gibba, résidence qui appartenait au ras, et où, par conséquent, nous espérions éprouver un meilleur traitement. Quoique le peuple de Mugga ait un mauvais renom, le district qu'il habite est un des plus beaux qui soient à l'est du Tacazze. Le vallon à travers lequel la première partie de la route nous con- duisit offre un aspect agréable , et l’on y voit beaucoup de massifs d'arbres, chose rare en Abyssinie. Au bout d'environ deux heures, nous arrivames à un point où aboutit un autre chemin qui mène «au défilé d'Atbara. La voie de Mugga fait éviter cette montée très -diffi- cile ; mais la grossièreté des habitans de cette bourgade empêche les kafilahs de la suivre. Je soupçonnerais presque que Mugga est le dis- trict où Aeizana envoya une tribu de Boja , nation barbare qu'il avait subjuguée, ainsi que le rapporte la description que j'ai décou- verte à Axum. Le nom du pays ne peut se lire très-distinctement ; mais 1l commence par un M et finit par un À; ainsi quelque ingénieux antiquaire pourrait conjecturer, plus juste- ment peut-être qu'on ne le fait communément, que ce nom est Mugga (1). (1} Pour ne pas interrompre le cours de ma narration, EN ABYSSINIE. 331 À midi, nous fimes halte au village d'Ade- maza , dont lé chef nous témoigna beaucoup de considération et nous fit les fournitures accoutumées. Après le diner, nous reprimes notre marche. A quatre heures, nous arri- vâmes au bord d’une pente fort roide, que nos mulets eurent beaucoup de peine à des- cendre. Elle nous conduisit à un ravin pro- fond qui s'étend en ligne droite jusqu'à Gibba, et au milieu duquel coule une rivière limpide qui tombe , en murmurant, de rocher en ro- cher (1). Les bords en sont garnis de grands bosquets d'arbres et d’arbustes à fleurs, telle- je placerai ici le résultat de l’affaire de Mugga. Le ras ayant appris le traitement que nous y avions éprouvé, enira en fureur, et chargea un officier d’aller faire em- prisonner les chefs du lieu. En conséquence, ils furent amenés à Antalo, tandis que j'y étais, et ils furent traduits devant le ras dans une assémblée publique. En entrant ils se jetèrent à genoux et demandèrent grace. Le ras rejeta leurs supplications et me dit d’ordonner de leur châti- ment. Comme je savais qu'ils avaient déjà payé une amende de douze vaches , et qu’ils avaient eu beaucoup à souffrir d’ailleurs , je demandai que leur faute leur füt remise ; et la maniere dont ces malhéureux me témoi- gnèrent leur reconnaissance, me fit sentir combien Ja clé- imence est douce aussi pour celui qui l’exerce. (1) Ce ruisseau ressemble à quelques-unes des plus belles parties du cours de la Wye, dans les environs de Builth. 532 VOYAGE ment entremélés les uns parmi les autres, qu’à peine laissent-ils le passage. Ce pays sauvage est des plus pittoresques. Il abonde eu gibier, et l’on dit que la nuit il est fréquenté par des lions et d'autres animaux féroces qui vont boire à la rivière. La lumière du jour était sur le point de cesser lorsque nous sortimes du ravin, et bientôt après nous arrivâmes à Gibba. Gibba est situé dans un petit vallon écarté qu'entourent des collines boisées , et il est dans un cercle presque parfait que forme un ruis- seau qui abonde en poisson, et sur lequel on voit beaucoup d'oiseaux sauvages, Plusieurs années de suite, le ras passa le carême dans ce lieu délicieux ; mais par malheur, sa maison fut, en 1801, brülée par la négligence d’un domestique, etilne l’a pas fait rebâtir. Nous irouvâmes cependant au milieu des ruines un angar assez commode ; et l'aristi, ou prin- cipal intendant de cette terre, eut beaucoup d'attention pour nous. | Ce fut là que je vis, pour la premiere fois, le bœuf gallæ ou sanga, célebre dans toute l’Abyssinie par la grosseur de ses cornes. Trois animaux de cette espèce paissaient parmi d’au- tres bestiaux. Ils étaient en parfaite santé, ce qui, Joint au témoignage des habitans « que EN ABYSSINIE. 333 la grosseur de leurs cornes n’est en aucun cas occasionnée par la maladie », réfute comple- tement la théorie imaginaire de M. Bruce au sujet de cet animal. Il paraît par l’4ppendix de la derniere édition de ses œuvres, que M. Bruce n’a jamais vu le sanga; mais qu'il a fait plusieurs efforts pour se procurer des cornes de ce bœuf par le moyen du grec Yanni, qui résidait à Adoueh. Ce vieillard en parle d’une manière fort exacte dans une de ses lettres (1), où il dit qu'elles ne sont ap- portées que par des kafilahs d'Antalo; et je me suis assuré qu elles sont envoyées à ce der- nier lieu comme des présens précieux par les chefs des Gallas, dont les tribus sont répan- dues au sud d'Enderta. La description que M. Bruce donne des cornes et de l'emploi qu’en font les Abyssiniens, peut être consi- dérée commeexacte; mais quant « à la mala- » die qui en occasionne la grosseur , et qui » vient probablement de Ia pâture et du cli- » imat, quant au soin qu'on prend de faciliter » les progrès du mal, et quant à l'amaigris- (1) Voyez l’Appendix du tom. 1, lettres 9 et 10 de Badjerund Yanni à M. Bruce , à Gondar. ( Cet Appendix ne se trouve point à la traduction francaise cui «a été faite sur la première édition du Voyage de Bruce. ( Reharque du traducteur.) du, “. VOYAGE » sement de l’animal ; et à l'extension de là maladie jusqu à l’épine du cou, qui à la fin » devient si calleuse que l'animal ne peut plus » lever la tête, » ce sont des conjeclures que l’auteur a faites uniquement pour exercer son esprit. LEA Ÿ Je ne m'exprimerais pas si positivement sur ce sujet, si Je n'avais pas vérifié le fait, le ras m'ayant fait présent de trois bœufs de cette espèce qui étaient en vie. Ils se portaient par- faitement; mais ils étaient si sauvages que je fus forcé de les faire tuer. Deux paires de cornes de ces animaux sont déposées aujour- d'hui, l’une dans le Musée du collége des Chirurgiens, et l’autre dans le Cabinet de cu- riosité du lord Valentia à Arley-Hall. La corne de cette espèce, la plus grande que j'aie vue, avait près de quatre pieds de longueur et vingt et un pouces de circonférence à la base. On pourrait croire que l'animal qui porte des corres d’une dimension si extraordinaire est plus gros que tous les animaux du même genre; mais jamais je n'ai vu que ce fut le cas. La gravure que je publie et qui a été copiée sur l’esquisse que j'ai faite d’un bœuf Galla vivant, pourra convaincre le lecteur de la réalité de la chose, et donnera de l’animal une idée plus juste que des mots ne pourraient le L EN ABYSSINIE. 335 faire ( Foy. pl. XV }). Je n’ajouterai plus que deux observations à ce que je viens de dire, cest que la couleur du poil parait varier au- tant que dans l’autre espèce du même genre, et que la grandeur des cornes n’est pas lapa- nage du mâle seul, la femelle étant tout aussi bien pourvue de cette sorte d'ornement. Le 13, M. Pearce revint de Chelicut, et me fit, de la part du ras, les complimens les plus affectueux. Un autre messager arriva bientôt amenant une mule richement caparaçonnée, qu'Ouelleta Selassé m'envoyait. Il était aussi porteur d'un ordre qui enjoignait à l'aristi, chef de Gibba, de nous fournir tous les jours une vache pour notre consommation, et de nous procurer tout ce dont nous aurions be- soin. Dans l'après-midi du 14, Ayto Debib et Chelika Havia nous rejoignirent avec la plus grande partie de notre bagage ; et le 15 nous nous acheminâmes tous vers Chelicut, lien que le ras avait choisi pour me recevoir. Avant de partir d'Angleterre, je m'étais muni d'un habillement convenable , dont la pièce la plus importante était une pelisse de velours rouge foncé et bordée d'une fourrure. Jetée sur le corps, elle devait cacher le reste du vêtement et me donner un air qui aturät le respect des Abyssiniens. J'avais éprouvé dans 336 ,. VOYAGE mon premier voyage que l'habillement ordi- naire des Européens excitait en eux une sorte de mépris et leur paraissait tellement ridicule, : qu’il en résultait quelquefois des scènes très- désagréables. Le reste de notre troupe fut aussi vêtue le plus proprement qu’il fût possible, afin de faire une impression favorable lors de de notre premiere visite. Le pays est tres: montueux depuis Gibba., et le chemin longe, sur un espace considérable, un précipice au bord duquel on jouit d'une belle vue. Après être descendu de ces hauteurs, nous entrames dans la riche et fertile plaine de Gambela, et nous laissämes sur la gauche la montagne et la ville de Mocullah qui était, à mon premier voyage, une des résidences fa- vorites du ras. Depuis ce temps, l'église, qui fait une figure si remarquable dans une des grandes vues que j'ai publiées, a été réduite en cendres par le feu du ciel. On en a cons- truit une autre sur le même emplacement. Celle. ci a un dôme qui ressemble à celui d’une mosquée; mais elle ne s'accorde pas si bien avec le caractère du paysage. Nos mulets s’é- tant reposés à Gibba, nous portèrent d'un pas leste; et à dix heures nous gagnämes le som- met d’une montagne qui domine la vallée de Chelicut. Là, nous attendimes, d’après l'in- EN ABYSSINIE,. 337 vitation qui nous en avait été faite, une dé- putation envoyée par le ras, et bientôt nous vimes deux cavaliers galopper dans la plaine, suivis d'une troupe nombreuse d'hommes ar- més. À leur approche, nous descendimes dans la vallée; et les deux chefs, qui étaient Sha- laka Selassé et Ayto Shiho, mirent pied à terre, et se découvrirent jusqu'à la ceinture pour me complimenter. Leur suite grossissait à mesure que nous avancions vers Chelicut, et nous eùmes quelque peine à nous faire jour jusqu’à la demeure du ras. À la fin, cependant, nous fumes pour ainsi dire portés jusqu'à la salle où ilsetenait ,et l’on ne nous épargna pas les mou- vemens tumultueux et les clameurs confuses qui, en pareille occasion , sont des témoi- gnages de considération. To les chefs étaient découverts à notre entrée. Le ras lui-même se leva de sa couche avec empressement et comme un homme qui retrouve tout-à-coup un ami perdu depuis long-temps. Lorsque je lui fis mon salut, la joie étincella dans ses yeux, et il m’accueillit avec cette chaleur, cette cor- dialité qu'un sentiment vrai peut seul inspirer, Aussitôt on plaça, pour moi, un siége à sa gauche ; c'était la seconde place de distinc- tion, la premiere, ou celle de la droite, étant occupée par Kasimaj Yesous, frère de l’empe- Le | 22 338 VOYAGE EN ABYSSINIE. reur régnant. Ce prince avaitle teint plus clair que la plupart de ses compatriotes. Ses traits étaient réguliers et beaux, et il avait des ma- nières très-polies. Le ras ne me parut pas fort changé; et le plaisir que notre entrevue lui causait évidemment charma tous mes com- pagnons de voyage. Il s’informa très-particu- lièrement des nouvelles de ma santé, et dé- clara qu'il avait eu le pressentiment qu'il aurait la satisfaction de me revoir avant de mourir. Après les premiers complimens, on nous servit un repas, puis on nous conduisit à une maison qui avait été occupée quelque temps par M. Pearce, et qui était beaucoup plus commode que ne le sont généralement les habitations des Abyssiniens (oy. pl. XVI). Nous nous y trouvâmes parfaitement à l’aise, et nous y jouimes d'un repos que nous ne connaissions plus depuis long-temps. Ayto Debib demeura toujours près de ma pérsonne pour communiquer mes demandes au ras, et l'on eut pour moi les mêmes égards qu'on avait pour ce chef suprême. V4 EE LUS LVL LV LL VU LWLVULUVULR VER UR LL 4 A 4 An 0 0 4 4 0 0 APPENDIX. NS, T: VocABULAIRES des Dialectes des diffe- rentes tribus de naturels de la côte d'AFRIQUE , depuis MosAMBiQuE jus- qu'aux confins de l'EGYPTE , ainsi que de quelques autres qui se parlent dans l'intérieur du CONTINENT ArFRri- CAIN cas ; RD D LR D VAR LR VocaBuLaiRE de la Langue des MaAKouaAs. Makoua. Dieu, Wherimb. Soleil , E-z00-ah. Lune, WMa-re. Étoiles, Tau-d'va. Terre , £-la-poo. Une montagne, Ma-g0. (1) Tous ces différens vocabulaires sont copiés sans autre changement d'orthographe que celui qui est indiqué dans la présente note. L'auteur déclare à la suite de 22* 340 VOCABULAIRE. Makoua. Un arbre, It tu-va. Une maison, . Æ nu ba. Un chemin, E pe ro. Riviere, Oo re-ah. Eau, . Ma 2e. Eau salée, Maze paréah. Poisson, O’pal. Un bœuf, E-no-bé. Un cochon, Co-lu-a. Unchien, Ma-la p 0h . Une antilope, Na-z0-ro. Un hiène, Ke-zoom ba. Dents d'éléphant, Mur fin. Chair des animaux, Ænä ma. Un oiseau, Noo-ne. Un pigeoæ, A Koo-tah. Une poule d'inde, Kan-ga. Un homme, Mo loo mé. ceux des Makouas et des Monjous, que la lettre « sans accent , a le même son qu’en francais, et qu'avec l’ac- cent aigu , auquel nous substituons une brève , elle a un son plus ouvert. Æ et uw doivent sonner aussi comme en francais. O doit se prononcer comme dans paquet-bot. Ch a toujours un son doux , et (?) soit après une voyelle, soit après une consonne, dénote une sorte d'aspiration, particulière aux naturels de l’Afrique. Les mêmes signes se retrouvant dans autres Vocabu- laires , il y a lieu de croire que ces indications les con- cernent aussi, quoique l’auteur n’en. fasse pas mention spécialement. ( Note du traducteur. ) VOCABULAIRES. Une femme, Un chef, Un prêtre, Pere , Mere, Un garçon, Frère, Sœur , Tête d'homme, Cheveu, Oreille, Yeux, Bouche, Manger, Boire, S'asseoir , Dormir, EÉgorger, Il est mort, Venez, Allez , Doucement , Le mien, Le tien, Guerre, Canon, Feu, Un arc, Flèches, Une lance, Pain , Sel , MAKouUA. Mut té à na. Pe-wah. Mo Ku lu Ka na. Te-te. Mä ma. Bee sho. Mo roo ko. Min-yu. Mu roo. Ka ra re. Ne à ro. Me to. Ya-noo. Oo re a. Ghoo re a. Ka la te. A ru ba. ee val. O Ku ah. ÀO a no. Cou wé. Moo re ma. .4k Ka. AR wOw. EE co to. Me zin ga. Moor ro. Moor ra. E ta ra. Le va ga. Moo ra ma, Ma Ka. 341 342 VOCABULAIRES. Maxoua. Sable , Me ta ga. Blanc, E goo o. Noir, Wa ru ba. Rouge , Yoo che ri ah. Jaune, 00 fei re. Vert, Oo ré ralh. Bon, Ego oo re be. VocaBuLaAIRE de la langue des Moxsous (1). Moro. Dieu, Moloongoo. Soleil, D'y00va. Lune, Mooei ze. Étoiles , To un du wa. Terre, Mooze, Une montagne, Matoom-be. Un arbre, Mere. Une maison , A um-ba. Un chemin, E tal la. Eau, Mé-z2e. Eau salée, Méze en jeate. Poisson , Som bah. (1) L’original présente , sur une colonne placée à côté de ce Vocabulaire , les cinq mots suivans , fournis par TJ. dos Santos, et inscrits près de ceux avec lesquels ils se rapportent : Monlugo ( Dien), matuvi (arbre), im pum pes ( chien) , ir ha ma ( chair des animaux }, cunë ( sorte de boisson). ( Vote du traducteur. ) VOCABULAIRES. 343 Un bœuf, Un cochon, Un chien, Une antilope, Un hyene, Dents d'éléphans, Chair des animaux, Un oiseau, Un pigeon, Un homme, Une femme, Un chef, Un prêtre, Pere, Mere , Un garcon, Une fille , Frere, Sœur , Tête d'homme, Cheveu, Oreille, Veux, Bouche, Manger , Boire, S'asseoir , Dormir, Égorger , Il est mort, Venez, Moxrou. Ne ya,te. Le gul-lo0 ve. Oom pu ah. Jepa-lah. De tu no. Itté poo. Ne-ya-ma. IVoo ne. E° goon dah. Ma lop wa nah. Mé kon qué. Musch-e-nwa-ne. A me za in ga. At te-a-te. A ma V0. Ma na-che. Mis cha na. AlUoombo. Bo. Mu t00 wé. Hoom po. Ma koot wé. Me zo. Oun-wa. Koo le a. KAun-wa. At ame. A go né. An voo a Ké. Ou wee re. Az. 344 VOCABULAIRES. Allez , Laissez-nous aller , Doucement , Mowzrow. Î en de. Too wen de. Appo lee. Le mien, AN 800. Le tien, At wa-lah. Guerre, An gon da. Canon, Me-zin ga. Feu, Mo-to. Un arc, O Koo à ze. Fleches, Im pam ba. Une lance , Un mousquet, Pain, Sel, Jé-te. Sable, Me ä gah. Blanc, Je pan je. Noir, Kam pe ri 00. Rouge, Ya koo swé ra. Jaune, Del la ma. Vert, Ooo Ko to. Bon, Na ma ta ba. Le pän ga. Ooh te. Ma sam ba. Les mots suivans m'ont été donnés par quelques matelots d'une chaloupe arabe. 1ls se disaient Sowauli et paraissaient appartenir à ure tribu tout-à-fait distincte de la nation des Somauli. Cette tribu habite la côte orien- tale d'Afrique , depuis Mugdasho (où , me dit celui qui me donna mes renseignemens, une grande rivière , appelée #ebbé, se jette VOCABULAIRES. 345 dans la mer ) jusqu'aux environs de Mombasa. Corporellement les Sowauli ressemblent aux Makouas. \s sont comme eux de la véritable race des nègres , c'est-à-dire, noirs, robustes et laids. Les matelots dont on vient de parler étant, depuis leur première jeunesse, em- ployés sur mer , n'avaient aucune connais- sance de l’intérieur des terres, ou des tribus qui l’habitent; mais ils dirent qu’au midi de leur pays, on trouve des tribus de Gallas. Leur langage parait mériter à peine le nom de dia- lecte distinct. C'est une espèce de jargon com- posé de mots de différentes langues, et il a une grande affinité avec la langue des Monjous qu'on parle aux ports de Mugdasho, de Jubo, de Lama et de Patté. SOWAULI, Pere, Babbe-akoo. Mere, Ama-vo. Fils , MWa-to to. \ Ton frère, Dugghe akoo. Femme , Ma na mou ke. Mari, Am 60 ya, Jeune fille, Se'ja na. Montagne, Ma-toom bé. Feu, Moto. Eau, Mo ye. Maison , Ne ynm ba ne. Ur Che mo jé. 346 Deux, Trois , Quatre, Cinq, SIx , Sept , Huit, Neuf, TS. VOCABULAIRES. SOW AULI. Mab be-re. Ma-da too. Mu ché che. Ma noo. Fun ja te. Muk en deh. Mun na ne. Ko me. Mo''yé. Les Sowaulisont quelquefois appelés Sowaiel par leurs voisins septentrionaux les Sormnaulr. Un de ceux-ci, qui ne savait qu'un petit nombre de leurs mots , me les a donnés. Quoique plus corrompus ils font évidemment partie de la langue précédente. Les voici : Eau, Viande, Feu, Lait, Sommeil , Beurre , Vivres, SOWAIEL. Ti. Yamo. Mut to me. Mus see wa. Kul la le. Sim mel le. Mut ta ma. VocaBuLaiRE de la Langue des Somawri. Le Vocabulaire suivant a été donné par un Somauli , nommé Summutter. 1l a été confir- VOCABULAIRES. 347 mé, à diverses reprises, par plusieurs autres hommes intelligens de la même nation. Père, Dieu, Mere, Frere, SŒUrT , Fils , Un homme, Une femme , Fer, Üne maison, Une montagne, Fumer, Le Soleil, La Lune, Les étoiles, Sept étoiles , Une étoile d'orient, Une autre, Une étoile du nord. SORAULI. Ab-bai ou ilba &. Il lal. O-yu. Wel-lal. Wel-la-she. Weel. Ningha. Naak-ta. Laag. Dab. Br. Goo-re. Bo-ro. Kaik (1). Ghur-rah , Tai ya. Hed du go. AT lal. Sa hil Ko-bä le. Ja Autres (inconnues), L’ gh-oh. Boire de l’eau, Boire du lait, Mer , Une lance, AB. Dun. PB hut. Wur-run. (r) Ce mot s'applique aussi au tabac. à 348 VOCABULAIRES. Guerre, Aller à la guerre, Un hiene, Un chien, Une vache, Une chèvre, Une maison, Un chameau, Un âne, Ün éléphant, Dents, Tete, Cheveux, Veux, Nez, Bouche, Langue, Oreille, Bras, Jambe, Pieds, Rhinoceros, Un chat, Un oiseau , OEufs, Manger, Sel , Poivre, Noir, Rouge, Hommes, Une plaine, SOMAULI. UT. Ul bäbe am. Werrä be. . A e. Lo. ATrre. Fé ras. Geil. Dem Mer. Ma rode. Il luk. Mud-dah. Te mo. IUT. San. Of, Ar Tub. Deg. Gaun. Lug. Og. ee il. Dem mud. Shim beir. / ._Guree. Un to. Us sub Bo. Fil fil. de do. Mur ass, Ra gh. Bu na. VOCABULAIRES. SOMAULI. Üne ouverture entre Ferra. des montagnes, Herbe, Gee do. Un arbre, . Dir. Un pigeon, Shim be ro. Ün petit oiseau, Lo jir. Un oiseau qui piqueles] , ILPIAN Too ke. chameaux à la tête, Douze , Une pierre, Lug kah. Venez, Ka lee. Allez, Tugh. Asseyez-vous, Fré 50. Eau , Be y00. Aliment, Il-Gb. Feu, Dob, Lait A noOO. Sommeil , Sé ok Beurre , Sub-00k. Vivres, Har-rod. Froment, Sir-rein. Un, K'ow. Deux, Leb-ba. Trois, Sud-dé. Quatre, Af fur. Cinq, Shan. Six, L,éh. Sept, T° dub La. Huit, Se deicl. Neuf, Sug gal. Dix, Tubban. Onze, Kow e tub ban. Lebbe a tub ban. 349 350 VOCABULAILES. Treize , et ainsi de suite, Vingt, Vingt et un, et «unsi de suite, Trente, Quarante, Cinquante : Soixante , Soixante et dix, Quatre-vingt , Quatre-vingt-dix , Cent, Mille. Je ne puis m'empècher de remarquer que le Somauli, fut enchanté lorsqu'il apprit que le mot /ug répondait si bien à notre mot leg, l'un et l’autre signifiant jambe. La Société Africaine possède un Vocabulaire plus nom- breux, qui s'accorde parfaitemeut avec le mien. M. Stuart, qui l’arecueilli et qui le lui a donné, a mis quelquefois deux mots ensemble, et a ajouté £a à la dernière syllabe , pour exprimer une sorte de claquement de la langue, que SOMAULIT. Sud dé e tub ban. Leh bah tun. Kowe leh bah tun. Sud dun. Affar tun. Shan e tun Lek tun. T' dub ba tun. Sedeit tun. Suggal tun. Bo-gal, Kun, quelques Somauli font en parlant. VOCABULAIRES. 301 VoeaBuLaAIRE des habitans du pays d'Hurrur, donné par Abdel-Kauder , Hadjy Belal el autres. HURRUR. Dieu, Goëta. Le Soleil, Eer. Lune, W'erkhe. Etoile , Too-wee. Vent, Doof:* (x); Pluie , Ze nab.* Eclairs, Be-raak. * Nuages, Dana." Terre , Di-che. Montagne , Sa-re. Per, Beret. Or , Zuk ke. Argent, Mét. Uhe pierre, Un. Feu, Ts sat. Fumée, Turn. Un arbre, Luf-fo. Un bois, Het-chi. Une plaine, À go bar. Herbe, Saar. Une fleur, Hab ba re. Une abeille, Ny jat, ou lÿ jaut. Miel, Doos, Froment, FEés. Blé d'Inde, Îk-Ké. (") Les mots marqués d’une * ont été communiqués par M. Stuart. C9 OX Orge, Pois, Aliment, Eau, Pain, Une riviere, Fontaine, Un puits, Poisson, Un cheval, Un âne, Un mulet, Un chameau, Une vache, Une vache à lait, Un veau, Agé de deux ans, Taureau, 2 VOCABULAIRES. * HureuRr. Goos. Shum bura. Bil la. We. Fo-kat. Zer. Ain. FE la. Tu lum. Fe’ ras. Wech cha ra. Bug gul. Gam le. Laam. Loon. Te ja: Dub bai. Da ra. Bœuf pour la charrue ,Gad-eet. Une chevre, Un mouton, Une corne, Peau de vache, Chien, Un liévre, Un oiseau, Un homme, Une femme , Un fils, Fille, Pere, Mere, Dow. J'ai. Kk'er. Go-ga. Bu che. Gu da mo. Oof, ou alate. Ab-bok. VOCABULAIRES. 353 La tête, Cheveu , OEil , Nez, Sourcil, Front, Levres, Cou , Bouche, Dents , Langue, Oreille , Barbe, Epaules , Bras, Le haut du bras, Poitrine, Cuisse, Ventre, Jambe, Genou , Jour, Nuit, Soir , Matin, Demain, Midi, Eléphant, Antilope. Meusquet, Unarc, flèches , 11 HURRUR. #ooS, Tche gur. AIR. Oof. Gid eej. Kaf'at. Luf-Luf. Un gut. Aof. Sin. Ar rat. U” thun. OJ. Mis sheit. ASssere. Subé, ou $0za. Gee she. Se lat. A]. Wi del la. INVif-te. De gan. În Nach. 23 354 VOCABULAIRES. Maison , Un chemin, Cochon sauvage(1). Ciel, Guerre, Doucement, Nite Venez, Allez, Boire ; Manger, Hiéne, Sable, Chair d'animal, Asseyez-vous, Pauvre, Riche, Haut, Bas, Pres, Loin, En haut, En bas, Devant, Derrière, Petit, Vérité , Mensonge, Un, Deux, HuüeRURr, Gaal, ou Gar. Oosak. AT rea. Sem me. Mu gur ra. Shét shét. Fittan fittan. ÎNa. Har. Mus chak. Bil lak. We ra bal. Sé lat. Busser. Tugh a bel. Persan Bou. Gu door. . A cheer. Kur ra. Ro hook. Lait. Tai. Fun Dah. ÆEhir. Teet. Hul loo. Kiz. A had. Ko ,ut,short kote. (1) Les Ittoo Galla mangent la chair de cet animal. VOCABULAIRES. 399 HURRUR. Trois, Sheeste. Quatre, Har rut. Cinq, Ham meest. Six’, Sedeest. Sept, Ste. Huit, SU. Neuf, Zeyton ou Zeythan: Dix, ASST. Onze, Asse & had. Douze, etc. à Asse a Kote , etc., à Vingt, Ku e ya. Vingtetun,etc.à Xueya à had, etc. Trente, Sassa. Quarante, ÆEr bah. Cinquante, Hem sa. Soixante , Sis sak. Soixante et dix, SZ tes sir. Quatre-vingt , Su tes sir. Quatre-vingt-dix, They t& neh. Cent, Buk ka la. Un mille, Kum. Mille deux cent vingt- Kum kote buhkalo kue- cinq. ya ham eeste. VocaguLaAïIRE o4 Dialecte des GArrA Du sup, communiqué par Abdel-Kauder , Hadyy Belal et autres indigènes. GALLA. Le Soleil, Ad du. Lune, Djes, ou Bale, Une étoile , Ur-je , ou té yu. 23* 356 VOCABULAIRES. Vent, Pluie, Eclairs , Tonnerre , Nuages, Terre, Montagne , Fer , Or, Argent , Une pierre, Feu, Fumée , Un arbre, Un bois, Une plaise, Herbe, Une fleur , Une abeille, Miel, Froment, Blé d'inde, Orge, Pois, Nourriture, Eau , Pain, Une riviere, Fontaine, Un puits, GALLA. Bu be. Ko ba ou bo:kire. Bekukka. Habelle wak (r). Du me sa. Laf fa. Ga ra. Sib be la. Wer-ké. We ta. Dag-ga ou hepsa. E bid deh. Du ge. Mo u Ka. Bus sun na. Dud da. Tcheta. Do-Ko. Tit te ga. Dag ma. Ko ma de. Wish in ga. Gur bu. Shimbra, IVy at. Be shan. Bu dé na. Leg-ga. Eur ka. E la. (x) Littéralement l’épée de Dieu. VOCABULAIRES, 567 Poisson , Un cheval, Un âne, Un mulet, Un chameau, Une vache, Un veau, GALLA, Bur tu me. Fer da. Hur ré. Gan Je. Galla. SOU. Djeb be. Un veau de deux ans, R& da. Taureau, (ee , ou debe , cha ou forma. Bœuf pour la charrue,Xo te yo. Une chevre, Un chevreau , Un mouton, Un agneau, Une corne, Peau de vache, Chien, Un Lievre, Un oiseau, Un homme, Tous les hommes, Une femme , Toutes les femmes, Un fils, Fille, Pere, Sœur , Mere, Frere, La Tête. Cheveu, Rée. Ilma rée. Holx. Ilma holx. Ga fa. Ît til Le. Sir re. Kru pe. Shim bero , ou Zille. Na ma. De ra. IVe te. Na duo. Il ma. Intel lo. Ab bo. O-60 le te. _Bo le sa ou ad deer. O bo la. Ma 14. Ne fen sa. 358 VOCABULAIRES. GALLA, OEil , Hed Ja. Nez , Fun yan. Bouche , Af fan. Dents. IT Kaé. Langue, AT rub ba. Oreille, Gu ra. Barbe, Ar re da. Gorge, Mor ma. Epaules, Îr re. Doigts, Koba. Ongles, Kin-sa. Coude, Chi ke le. Bras, Her Ka. Poitrine, Ko ma. Sein de femme, Har ma. Cuisse, Gu dé da. Dos, Dug da. Ventre, Gerra. Entrailles , Ma re man. Jambe, Sar ba. Pied, l'äna. Jour, ET ré. Nuit, UT kun. Un an, Bur ra Soir, Gel gel la. Matin , Gu na ma dee rama. Demain, Bo roo. Midi, JP'ogusse. Chevilles des pieds, /nditteat. Orteils, Ab been yak. Talon, Kooë. Plante du pied, Her dal. Sel , Venez, Pauvre, Riche, Haut, Bas, Droite, Gauche, Prés, Loin , En haut, En bas, Devant, Derrière, Petit. Vérité, Mensonge, Un, Deux, Trois , Quatre, Cinq, SIX , Sept , Huit, Neuf, Dix. Onze, Douze , Noir, Blanc, Rouge , Jaune , VOCABULAIRES. G ALLA. Ussoo. Koot. Je sa. Du ré sa. Gh° éra. Gu ba ba. Meerga. Beta. _Yeho. Fug go. Goo ba. Jel la. W'un-duk-Ka. Bo da. Tinno. Oo-ga. Ki7ee ba. To ko. Lum ma. Sec de. Af foor. Shun. Ja. Toor bah. Sed dét. Sus gul.. Koo dun. Kooda tok. Kooda lum ma. Guracha. Ad de. Deem to. Ko re. 360 VOCABULAIRES. VocABULAIRE de la langue des ADAIEL, üré du journal composé par M. Stuart, durant son séjour à Zeyla. Dieu, Le Soleil, Lune, Une Étoile, Vent, Pluie, Eclair, Nuages, Terre, Montagne , Fer, Plomb, Argent, Une pierre, Feu, Un bois, Herbe, Une abeille, Miel , Froment, Blé d'inde , Eau, Puits , Poisson , Un cheval, Un ane, Un mulet, ADAIEL. Alla. A iro. AU sa. Ur took ta. Ar hoo. Rooboo. Augkara. Urbu loo. Ba ro. Al 15. Beam ta. ATTarQ. Lack ru. Da a. Gi-ra. Ha ra. Ayis0. Did al are. Mal a ba. Coom de. Moba sila. V4 A le. Kul lum. Fa ra sa. Da mur na. Buk 1 li. VOCABULAIRES. 361 ADAIEL. Un chameau, Ra ki ba. Une vache, La. Un veau, Koo o ba ra. Un Bœuf pour la char- Sole rue, Une chevre, Dubbila. Un mouton, Murroo. Une corne, Ga 1 sa. Peau de vache, Caf te. Chien, Kub-ba. Oiseau, Kin kro. Un homme, Adma. Une femme, Bar-ra. Un fils, Yi bara. Une fille , Ya on ka. Père, Yi abba. Mere, ÿi no. La tête, Moo y a. Cou. Fil la. Epaules. Lub ka. Poitrine , A li ü: Sein de femme, AUS g00 ga. Ventre, Bak Koo. Entrailles, Gar ba, ha ri sa. Jambe, Mid je ba. Un an, Ta van Ka. Soir , 4{sse Ti. Matin , Sar-Ko. Midi, : Do o ri. Eléphant, Da-canoo. Venez, AMMRA. Allez , Gi ra. VOCABULAILES. 562 ÂDAIEL. Pauvre, La a ma di. Riche, Doo ri sa. Pres, Ibbin ayeto. Loin, Diriré: En haut, Dir ri ma. En bas, Goo ba. Devant, Na a ra. Derrière, Kum moos. Petit, Unda-nt ta. Les noms de nombres sont, dit-on, les mêmes que ceux des Dankali. VocaguLaAIRE de la Langue des DANAKIr. Dieu , Diable, Esprit , Le Soleil, Lune, Etoiles, Vent, Vent du sud-est, Vent du nord-ouest, Pluie , Ciel, Terre, Montagne ;, Arbre , Fer, DANAKIL. Alla. Shei tan. Ma ly ka. Ay e ro. Alsa où Berra ÆE took ta, ou Arra. A-hy ta, ou sako. Ge lal ta. W : ru ro. fobe. Amboo re. Arde , où barroo. AU la. At-eb. Dir ta, VOCABULAIRES. 365 DANAKIL. Argent, Luk Eroo. Or, Dar. Pierre, Duta, ou é ya. Herbe, E-shoo. Froment, Bu er, ou dereo, Pain, Ab de, Miel, Mu lu Ba. ait, An-ub. Beurre, Suba. Viande, Na do. Vivres, Nufs. Feu, Gira. Fau, Lé . Rivière, Né al. Puits, E la. Poisson, Cul lum. La Mer, Bad da. Maison , Arra, où bura. Un cheval, Fa rassa. Ane, Dün nun. Chameau, Galla, ou rakoo-bo. Vache, La. Taureau, Ou-ra. Bœuf, Sun-ga. Chien, Koola. Chevre , Ila,. Oiseau , Kim-beir. Mouton , Wer-wa. Un homme, Ka-bunt. Une femme, AR bo ela. Un garçon, Foo re na. Une fille , Boo ru wa 364 VOCABULAIRES. DaANAXxKIL. Pere, Ab Ba, Mere, Yin na. Fils, Yi ber ra. Fille, Amma Sœur, In-ha ber ra. Frère, Ina. La tête, AmMm-mo. Cœur , TU ro. Cheveu, Do gur ta. Yeux, frite Sang , Dor mo. Nez, San na. Bouche, Af fa. Dents, Bu de na. Langue, Ar rub ba. Oreille, Ai te. Gorge, Un ge roor. Epaules, Sunko. Main, Gub ba. Sein, Nehar ou Alleel. Le corps, Gel lub. Levres, Wog gu ba. Jour , Al-hu ou Assaak. Nuit, Bher ra. Froid , Wah ha. Chaud , E beed, Apportez, Bar. Venez, Um. Allez , Girt, Boire, Nuk. Tuer, Dig gif. Manger, U% koom. VOCABULAIRES. DaANAKIL. Enterrer, Kub bre. Joyeux, Wal lal. Triste , Mum mai. Mort, Rub bé. Couteau, Gil lé. Flairer , Dir re. Parler , Yab. S’asseoir , Duf fé. Mensonge , Dir rub. Vérité, Noo mal. Loin, De re. Prés, 16 be na. Haut, Koor. Devant, AT sa. Derrière. Gumm mu da. Grand, Kibbo. Petit, Un da oom. Pauvre, Mes chinto. Long, Dé re. Bon, Mé eh. Mauvais, Um meh. Fort, Sig gea. Faible, We ro re. Vieux , Id dal too. Sourd , Aitu Melle. Rouge, ASsa. Vert, Dat ta. Bleu et noir, Dutta. Blanc, 4d-du. Un, Inni ke. Deux, Lum meh. Trois, Sud de o. 65 366 Quatre, Cinq, SIX, Sept ; Huit, Neuf , Dix, Onze, Douze , Vingt, Trente, Quarante, Cinquante, Soixante , Soixante et dix, Quatre-vingt, Quatre-vingt-dix, Cent, Mille. VOCABULAIRES. DANAKIL. Fe re. Ko 70 you. Le hé ye. Mel hé ne. ba h& ra. Se ga la. Thub ban. Thubban Ketea. Thubban Ke lum- | meh , etc. Lubba tunna , etc. Sud dum. Moro tum. Kuim tum. La tum ma. Melhin a tumma. Bahar tumma. Sega la iumma. Bol. Tubban a bol. Mors de la Langue des habitans d’Arkixo. Homme , Femme, Fille, Garçon, Vieillara , Arbre, Pierre , ARKIKO: Vas. Eseet. W'ellet. Bus se. Ab be. It-chet. Pun-net. Montagne , Xerre, Soleil , Lure, Etoiles, Vent, Ciel, Eclair, Plaine, Feu, Or , Argent, Cuivre, Vache , Taureau , Bœuf , Chévre, Mouton, Chameau , Taion , Léopard, Hyene, Renard, Daim , Chat, Chien, Oiseau , Pigeon , Aigle, Poisson , Volaille, Pluie , VOCABULAIRES. ARKIKO. Dubr. Mid-ur. Tsaë. Wer he. Ko-kub. Ne-fas. AS, tur. Ber-ruK. Ga-doom. Has seen. Dab. Fud ah. Asle radde. Whud. W'hur. Be rai. Tulle. Mud-uf. Gi-mel., I ut. Hum mum. Ké-rat. Ask eet. A-rab. Dim-mo. Kulp , Ou-af. Hum-mam. Ib-seet. As-sur. Dur-ho. Ze-nab. 367 368 VOCABULAIRES. Herbe , Cheval , Ane , Chemin, Eau , Lait Boire, Manger, Miel, Blé, Orsé, Froment, Beurre, Ville, Rouge, Noir, Blanc, Jaune, Maison, Sandales , Dessus , Dessous, Main droite, Gauche, Devant, Derrière , Pres, Loin , Tete, OEil , Oreille, Nez, ARKIKO. Sar. Fé-ras. Ad-eig, Gub-be!. Ti. AUUL, iSit-tee. Bila. Gel-ub. VOCABULAIRES. 369 Bouche, Dents, Bras, Jambe , Sel, Poivre, Un daon, Feu, Aujourd'hui, Nuit, Jour , Demain, Hier , Pauvre, Plusieurs , Peu, Petit, Grand, Long, Bon, Mauvais, Un, Deux, Trois, Quatre, Cinq, Six , Sept ; Huit, Neuf, Dix, [. ÀÂRKIKO. Af. I nob. E-dé. Is-ger. Cha-o. Ber-be-ra. Gel but. Es-saat. Ye-met-te. La-le. Ummel. Fun-gue. Male. Di-cef. Buz-su. Hud. At-cheer. A-bee , où 4g-800-ra. * Rai-eem. Seri-ne. Ui-ku-e. ÆAnte. Kille. Se’ lass. U-bah. 4-m008. S005. Sub-hu. The-man. Tsé. | ÆS-SUT, L ‘a4 350 VOCABULAIRES. Onze, Vingt, Trente, Quarante, Cinquante, Soixante , Soixaute et dix, Quatre-vingt, Quatre-vingt-dix, Cent, Mille. ARKIKO. Assur ante , etc. Assera. Selassa. Er-bal. Com-sa. Sissa. Sub -ha. The-ma-ni-yah. Lis-ssal. Mete. Alph. Mors de la Langue des Suimo. Homme, Femme, Fille, Garçon, Vieillard, Arbre, Pierre, | Montagne, Terre, Soleil , Lune, Etoiles , Vent, Ciel , SHIHO. E-ute. Nau-ma: Bur-ra. Gu-fa. Ba-ra. Jn-kia-ra. Dak. Kur ma. Ba-ra. Ai-ToO. Alsa. Ît-to0k. À ha. AT Tran. Eclair, Plaine, Feu, Or, Argent, Cuivre, Lance, Bouclier, Vache , Taureau , Bœuf , Chevre, Mouton, Chameau, Lion, Léopard , Hiène, Renard, Daim, Chat, Chien, Oiseau , Pigeon , Aigle, Poisson, Volaille , Pluie, Herbe, Cheval , Are, Chemin, Eau, VOCABULAIRES. 371 SHIHO. An-kar ra. ii Dug ge. | Bir. Rab. Fid-dalk. Assera che. Ma-ha-re. Ga-sha. La. Ou-r00. Bee-ra. La. Edo e dutta. Rutk-000. Lu-Bok. Ar-ré-e-tun. Nan-gu-la. Wok-a-re. W'i-del-le. Besa.a dimmo. Ker-re. Al loom. Gud-du du le. Sou-00. A5 sho. Fras. Oku-lut-te. AT-Ta. Le. 2/4” 372 VOCABULAIRES. Lait, Boire ; Miel, Blé, Orge, Froment, Beurre, Ville, Rouge , Noir, Blanc, Jaune, Maison, Dessus , Dessous, Main droite, Gauche, Devant, Derrière, Oreille, Nez, Bouche , Dents. Bras, Jambe, Sel , Poivre, Un daou, SHIHoO. AN. Bet. Buska. Ilo. Ad'-é-lou. * Sin-ra. Sub-«. Dig. Assu-tea. Dut tea. Ad-du-tea. Ig-ge-re-tea. AT-re. Ag-ga-na. Gu-ba. Misge. Gu-ra. Lig-ga-bu. Lid-dil- le. ITe-rub. Am mo. In-te. O-qua. San. A. É-Kok. Gub-ba. Eba. Mil-hu. Fur-Fur-re. Gel but. VOCABULAIRES. SHIHO. Feu, Géra. Aujourd'hui, Ka:fa. Nuit, Ber. Demain, Bé-ra. Hier , Kas 50. Pauvre, Ne-tea. Plusieurs , Mun-Goom. Peu, Dug-Goom. Petit, U-reelt ea. Grand, Der:tea. Bon, Mé tea. Mauvais, U-mo-tea. Frère ainé, Nab-ba-sal. Barbe, Dim-ne. Toile, Ser-re na. Un, In-ek. Deux, Lam-ma. Trois, Ad-da. Quatre, Afur. Cinq, Kon. SIX , Lék. Sept , Mel-hén. Huit, Bahr. Neuf, Sug-gal. Dix. Tum mun. Onze, In-Kken-kit-a-mum,. Vingt, . Lam-mat-an,. Trente, Sez-zun. Quarante, ÎMer-ro-tun. Cinquante, Kun-tun. Soixante, La-he-tun. 373 374 VOCABULAIRES. SHIHO. Soixante et dix, Mel-hen-tum-mum. Quatre vingets, Bahr-tum-mum. Quatre-vingsi-dix , Bole-sugga-la. Cent, Bol. Mille. Alph. Quelques mots de la langue des Taruë (1) et des Bora. TAKRUÉ et Bora. Homme, Grua. Femme, Tooke. Eau, ARE. Boire , Anne jusse. Fils , i Ain-fa-re. Fille, | WE nr ke. Lait, Shub. Feu, NL La: Grain, Err. . Vache, ass. Ane, Duk Ka ra. Bouza, | SulKka. Quelques mots de la langue des BarEA. BAREA. Un homme, | Oo ko0 1. Une fille, Dung-go-di. (x) Les Takue appellent le Mareb, Ansubba. VOCABULAIRES.. 375. BAREA. Dieu, Ib be ri. BE. ET ba. Feu , Shet ta. Eau, Um-ba. Bouza, ss 04phRa. Pain, Tuss. Boire, , Lug. Manger, 'ONKul. Veau, _ Issue. Chameau, Cam-Bero. Plage : . Ha la-le. LancuE des Anarer eé des BISHARYN, #ribus voisines de l'Egypte. ADARER et BISHARYN. Homme , | Gal-tuk. Femme , | Tu kut. Vieillara , u. #Wotuk-sheel. Garçon, … ÆFoor. Pierre , ( Owee. Montagne, #41; Or Ba. Soleil, | To een. ‘Etoiles, | H ai ek, Lune, ; . l'e dai. Terre, As) vo:but. Fer , y :: Ton deël. Or, Du ma ra. Argent, « Esh tet. Lance, Tof nakh. Bouclier, Og-be. 376 VOCABULAIRES. Epée, Coutelas, . Vache, Chevre , Mouton, Chameau, Lion, Léopard, Hyène, Daim , Petit daim. Renard, Chat, Chien, Oiseau , Poisson , Vaisseau , Cheval, Poule, Eau, Lait Pain, Beurre fondu, Blé, Tuer nn homme, Ane, Sel, Noir, Blanc, Rouge , Miel, Maison , ADAREB et BISHARYK. Om-ba-dud. Wan-ja. O-sha. To-nai. O na. O-Kfam. Wo ad de. Wo e am. Kerat. O ra. Gun nai. Ba-sho. Dim mo. Wo-yas. Ke-lai. Wa assu. Wa ru. At tai. Ad dee ro. War ru. Wotuk dirna. © meck. Mi luk. Wohad dul. Wo da na. Wo druf. Tou. O gou. VOCABULAIRES, 397 ADAREB et BISHARYN. Dessus , In ke. Dessous, Na sa. EOim , :: Sug geeb. Pres, Dow ul. Tête, Ig gre ma. Yeux, Te-le le. Nez, Ognuf. Dents, © vuf: Lévres, Am b& ro. Langue, . Me d& bo. Bras, | JW vo. Doigts, Te bal le. Oreille, On gue loh. Jambe, Bug à dok. Cheveux, Ta mo. Feu, To ne. Nuit, Ou ad. Jour, Om bé. Chaud, Hou eet. Froid , Moc-qua ra. Plusieurs, Gud dow a. Peu, She luk. Grand, Win. Petit, Du ba lowa. Bon, , c DEA daiu wa. Mauvais, A ma g0 a, Lait, | Shat. Un, En-gat. Deux, Ma loob. Trois , Wii. Quatre, Ud dig. Cinq, 1b. 378 VOCABULAIRES. Six, Sept, Huit, Neuf , Dix, Onze, Douze, Vingt, | Tug £00£. ADAREB et BISHARYN. Sug-g0or. Ser a Imab. Sum hat. .Shed ig, Tum mun. Tum nuggir. Tuim nr mal-loob, etc. VocaguLaite de la Langue du Das-Four. Soleil, Lune, Etoiles , Firmament , Vent, Terre, Montagne, Plane, Arbre, . Plusieurs arbres, Petiis arbres, Pierre , SA à Plusieurs pierres , Eau , Puits, Torrent, Petite riviere , Fer, Dar-Four,. pe Dule. Do-al. Wir-re. Jou-il. Do-lah. Su-ru. Fu-gu. Ju da. Ku ru. Ku-run-va, Ku-ru-iting. De do. Ke don a. Ke-ro. Ku-dee. …«Mud-deel. Lo-long. Dou-ra. VOCABULAIRES. Dar-Four. Argent, Fud-dek. Or, (1) Dab. Cheval , Mur-tah-adé. Vache, à O-0. Taureau , Jeune bœuf, Chèvre, Mouton, Agneau, Chien, Chat, Hyene, Lion > Léopard, Daim, Eléphant, Dents d'éléphant, Pere , Mere, Fils +, Fille, Hommes, Un homme, Une Jument, Une femme, Femmes, Un chef, La tête, Cheveux, Nüng. Tu-re. De-u. Dol&h'-fun. Oorin-que. ASsa. Bees. To ro. Moo-r00, Ja ra. Pe-ra. Ong-eer. _Ong-eer e dugge. AbBoo. Um-me. Que. ÎVeu. Guva. Dwo-tok. _Mur-ta ferné. Van-que. : Æ yan-ga. Sug gul. Tub-Bo. Nu lu eng-ir. 379 (1) Une grande quantité d’or est apportée des montagnes de Sabun près de Kordofan: $ 380 VIOCABULAIRES. Yeux, Nez, Bouche, Dents, Oreilles , Barbe, Main droite, Main gauche, Cou , Epaule, Poitrine, Ventre, Cœur , Foie, Droite, Jambe, Jambe gauche, Doigt , Orteil, Ongles, Dos, Front, Cuisse , Rouge , Noir, jaune, Vert ou bleu , Papier , Plume, Herbe, Blé, Froment , Dar-Four. Nu’-me. Dar-me. dos Dug-ge. De-lo. Pu-ro0o. Don-ga suru. Dong-ogu ro. De-u. Kilma. Nun-ya. W'eja. Tar-su-ru. Tar-ogu ro. To ring a: Tar toringe. Karung. Sor. E-re. De-wil. Fo-kal. . De Ko. Fo a. Ke-ru. Fut-la. Gul-lum. Di. { Gim me. VOCABULAIRES. Orge, Djoary, Riz, Dattes, Un, Deux, Trois, Quatre, Cinq , Six. Sept , Huit, Neuf, Dix, Vingt, Trente, Quarante, Cent, Mille, Viande, Pain, Miel, Lait, Peau , Une corne, Deux cornes, Une poule, . Plusieurs oiseaux, Un oiseau, Un aigle, Plusieurs aigles , Autruche, Dar-Four. Sat-eecd. Nur-reek. Eus. Sun du. Deek. Ou. Les. Ongal. Os. Sitta sun-deek. Subha. Themaniar. T'issee. Ashurer, ou Weja. Wing on. Wing-ees. Wing-ongeval , etc. Do-ka. Keanga. De:a. Dul. Kulong. Su-mo. 381 382 VOCABULAIRES. Tabac, Peut, Grand, Long , Court, Pesant, Léger , Dessus, Dessous, Loin, Pres, Devant, Poisson, Hippopotame, Crocodile , Glace . Neige, (1) Nuages , Tonnerre, Eclair, Pluie, Dar-Four. Ta bi. lung. Ap-fwar. Ku-ra. E bu te. De-ro. E-ku-le. E-re. Du. Kor-ra. Duk-kec. Jo. Fun. Fars el bahr. Nam inu. Wo-ran]. Oo me. Ko-tu. Del. Ulmel-la. Eque. VocazuLaiRE de l'Amnaric, ou de la Langue de l’'AMHARA. AMHARIC. Dieu, Igzer. Soleil , Tsai. Lune , Tckerka. (x) Celui de qui je tiens ce Vocabulaire , m'a dit qu'il avait vu beaucoup deneige sur les montagnes du Samen. VOCABULAIRES. 383 Étoile, Vent, Pluie, Éclair, Nuage, LiPERRe;. Colline, Montagne , Fer, Or, Argent, Pierre , Un arbre, Feu , Un bois, Une plaine, : Une vallée, Une tente, Petite maison, Grande maison, Herbe, Paille , Fruit, Fleur, Abeille , Miel , Froment , Blé d'inde, Orge, Pain, Eau, Ruisseau, AM ARIC. Quo-kub. Nefas. Linam. Meb ruk. Dé-ma:na. Mider. Amba. Tarara. Né pa Gud del. Dun-quan. Beit. A de rash. SAT. Gul-le va. Fre. Ab be va. INiv. Mar. Sin-de. E bahr Mashella. Gufs. En jé-ra. Wa-ha, Wanz. 384 VOCABULAIRES. AMHARIC. Riviere, . Bahr. Fontaine, Mintch. Puits , A zukt. Poisson , | As-sa. Grand poisson , Ambaz-a. Un cheval, Feras. Ane, Hiyak. Mulet, But a lo. Chameau, Gemél. Une vache, Laam ou freda. Un taureau, Ou-ra. Un bœuf, … Bé-rai.' Mouton , Bug. Agueau, Tebot. Chevre, Fe-el. Chevreau, Gul-gul. Corne, K'und. 1 Peau, Corvette. Lion, Anbasa. Chien, Wi-sha. Sauterelle, An b& ta. Oiseau , Wof. Homme, Wond. Une femme, | Sét. Un enfantnouveau ne, 7chetk:la. Un garçonou une fille, Lidge. Frère, Wan-düm-e. SŒUrT ;.\\0, _ ÎTtea. Père, Abäte. Mere, À Enate. Un ami, Wa dad je. Tête, Ras. VOCABULAIRES. 385 Cheveux, OEil, Nez, / Bouche, Dents, Langue, Voix, Oreille, Barbe, Menton, Epaules , Dos, Cou, Bras et main, Doigts, Poitrine, Sein de femme, Ventre, Boyaux , Cœur, Sang , Peau, Jambe, Pied , Cuisse , Orteils , An, Mois , Semaine , Jour, Aujourd'hui ; | Midi, où AMHARIC. 15e gur. Ain. Afint cha. Af. Dimts. DJo-ro. Tim. Shan-g0 but. Te kush a. Chunka. Ungat. Edje-kind. Sat. Du rat. Tut. Hod. Manta. Lib. Dum. Corvet. Ig ger. Tchama ig ger. Tchin. Igger-tsat. A mit. War. Samint. Kan. Za re. Akul-kan. 25 586 VOCABULAIRES. Minuit, Matin, L'heure du chant du coq, Pres , Loin A Dessus, Dessous, Devant, Derrière. Grand, Petit, Court, Long, Riche, Pauvre, Sombre , Ün trou, Profond , Pesant, Léger , Amer , Doux, Beaucoup, Peu , Bon , beau, Laid , mauvais, Fort, Faible, Sourd , Aveugle, Sec, AMHARIC. Memfak le lit. Tawat malada. } Doro Sitcho. Kerib. Book. Lai. T'aich. Fit. Hu wa la. Tal lak. Ta Nash. AÆ-chir. Rej-jum. Balet ugga. Duha. Tchelema. Gund god. Talak. Kub-dal. Kalil. Memnarar. Dun koro. Ou er. Der ruk. YOCABULAIRES. 387 Humide, Chaud, Froid , Rouge, Jaune, Bleu , noir, Bleu clair, Blanc, Vert, Brun, Pourpre, Gris , Châtain, Un, Deux, Trois, Quatre, Cinc, Six , Sept ; Huit, Neuf, Dix. Onze, etc. Vingt, Trente, Quarante, Cinquante, Soixante , Soixante et dix, Quatre-vingts, Quatre-vingt-dix , AMHARIC. rtub. Wok. Bird. K. Bit cha. Tuk-koor. Sum ai. Neick. 4run gode , Bul la. Kaf ai. Ter ring. AM mur. And. Killet. Sost. AT rTut. Au rmist. Se-dist. Sub-hat. Se mint. Zet-ti. AS-Sir. Assir etc. Hah. Selassa. ÆErbal. Com sa. Sit-sa. Subbah. Semaniyak. Zette nah. ab* 388 Cent, Mille. Dix mille, Un million, VOCABULAIRES. AMHARIC. Me to. Killet meto, etc. She. | AY. J; lef. VOCABULAIRE de la Langue du Ticré. Dieu, Soleil , Lune, Eclair, Terre, Colline, Fer, Argent, Pierre , Un arbre, Feu , Un bois, Une vallée, Herbe, Paille , Fruit, Fleur, Une abeille, Lait, Froment , Blé d'inde, Orge, TIiGRÉEN. Es ger. Tsai. W'er he. . Nu gui da. Mid-re. Amba. At-chin. Be-roor. : Hem-ne. “Horn. °° AHow-e. Kussale (un buisson ). Sud-fe. Sare. ASSUT. fre. Amboba. Né be. Savya. Sin-di. | Mashella bahre. Se gun. VOCABULAIRES. 389 TIGRÉEN. Pain, Go-g0. Eau, Tr. Un petit courant, Ri vai , ou ger rub. Rivière, Kol-lr, Fontaine, An. Puits, Azur& te. Un cheval, F'ras. Ane , ‘\ Br-ge. Mulet, Bug-a-le. Une vache, Laa-me. Un taureau, Shid-en. Mouton, Bugge. Agneau, ÎWMeza. Chèvre, Té-le. Corne, | Kerne. Chien, Kul-be. Oiseau , Wof-eef. Homme, Sa-boi. Une femme, Sa-boi-te. Un enfant nouveau né,'ud-de ; boy. Un garçon ou une fille, Qua le. Frère, Hau e. SOLE, V'Ajte. Pere, Ab bo e. Mere, | Eno-e. Un ami, Fé tou ye. Cheveu, Tsu gure. OEil , “dire. Dents, Sin ne. Langue , Mel has. Voix, Dimi se. Oreille , | Iz ne. 390 VOCABULAIRES. Barbe, Menton , Epaules, . Dos, Cou , Bras et main, Doigts, Sein de femme, Ventre, Entrailles , Cœur , Jambe, Cuisse , Orteils, Mois, Semaine , Jour , Aujourd'hui, Midi, TIGRÉEN. Tcha me. Mun kus. Ké sa, In-ge ra. Kus säd. Eed. Assa vette. Toob. Kub de. Ameêt. Lib. be. Tg gere. Shel-lef. Assa velli iggere. War ré. Sum mur. Mal te. Lomi. Ferka malte. Minuit, Ferka le’ te. Matin, Nug-ga-o. L “ où le coq tr a Eh e, Pres, Ke-rub. Loin, Ro-ok. Dessus, . +4 Lali. Dessous, Tak:ti. Devant, Kad dom. Derriere , Da har. Apres, D& re. Grand, A vee. Petit , Nish-te. VOCABULAIRES. TIGRÉEN. Court, Atleer. Long, No-we. Riche, Balet sugga. Sombre, Selle-mat. Profond , Ave-e. Pesant, Kub-bid. Amer , Murrur. Doux, To-um. Beaucoup, Buze-u. Peu, Nish te. Bon , beau, Sub-00k. Laid, mauvais, Am mak. Faible, Duk-oom. Sourd , ” . Sum-maum. Sec, Nuk koos. Humide , Ro00-005. Froid, Kuer ree. Rouge, Ki yeh. Bleu et noir , Sa dim. Blanc, SX da. "Un, Ad de. Deux, Kil le te. Trois, Seleste. Quatre, Er bah te. Cinq, Au mish te. SIX , Se dish te. Sept, Shu ba te. Huit, Shu mun te. Neuf , Tish à te. Dix, Assur te. Onze, Assurte ade , etc, Vingt, ASssera. 391 392 VOCABULAIRES. Trente, Quatre-vingt-dix, Cent, Mille. Dix mille, Un défilé, Bouza, Lance, Un bouclier , Un couteau, Une étoffe, Une ville, Vif, Venez, Allez, Je connais, Vivres, TIGRÉENX. Idem. Tisseh. . Me-te. Shé. Elfe. Aleph. Souah. Qui nat, Wal ta. Shut tel. AÙ la va. . Kutuma. Tulo. Nah. ® Kid, Ana efellet. - Sine. VocaBuLaAIRE de la Langue des Acau, Dieu , Soleil , Lune, Etoile , Terre, Montagne, Pierre , Un arbre, Un bois, Une plaine, AGAU. Yé de ra. Quo-rah. Er walh. Se-gul wa, Ziv va. Ahbék. Ker-na. Kana. Lukan. Buttah. VOCABULAIRES. 393 AGAU. Petite maison, Grin. Lait, Safi Miel, S& ra. Froment, Zeer-wa. Blé d'inde, Mela. Orge, Sik Kum. Pain 4 Me. Eat) Ou. Riviere , Arwa. Un cheval, Fer za. ÂAne , Do-qua ra. Mulet, Be Ke la. Une vache, Loo. Un taureau, Tchin. Un bœuf, Berä.' Mouton, Bega. Agneau, Mais. Chevre, Fit che ra. Chien, Guz zen. Oiseau , Zela. Homme , Gulwa. Une femme, Yu na. Enfant nouveau né, Yekoor (fils). Un garçon ou une fille, Yuggera (fille. ) Frère, | F3 zen. SŒUr , 15 sen. Père, Eer. Mère, Ig ge na. Un ami, +, 1, Feeg (oncle). Tête, Our. Cheveu , Sif ha. OEil , Fel. 304 VOCABULAIRES. Nez, Bouche , Dents. Oreille, Doigts,. Sein de femme , Pied, Aujourd’hui, Matin, Loin, Dessus, Dessous , Devant, Derrière, Apres, Lourd, Beaucoup , Peu, Bon , Beau, Laid, Mauvais, AGAU. Yessoom. My Je. Ye re ku ta. . Ke rus-tan. Nur. Ye-lib. Luk. Nich nan. Khar. Ta kut. Yek il. Yo ga.. So gua. Bo-wul. Ye gulga. Tuk kul (arabe). Bechuk. We-tuk. Kom ta. Tche Ka. Lo. Leen-ya. Sho-Kka. Seëe-z&. AC-qua. W'al-ia. Lam ta. So-t«. St cha. SuKk-k«. Sukka lo, etc. Ler-rin. VOCABULAIRES. Trente, Quarante, Cinquante, Soixante , Soixante et dix, Quatre-vingt , Quatre-vingt-dix, Cent, Un défilé , Bouza, Lance, Bouclier, Epée , Couteau, Une étoffe, Une ville, Vif, Venez, Allez, Je connais, Vivres, L) AÂGAU. So re yin. Arvah. Ae quur yin. Waliur jin. Lam lur jin. So tur jin. Se chur jin. La’. Deuk. She la. Ike na. Gush a. Shif: She tee. Se-ren. Kut ma. Kozze. Lo. Fat. An ar Kkur. Le-qua. 395 VocaBuLaIRE de la Langue des DAr-MircHequa, tribu dé Sxancazas de l’intérieur des terres. Le Soleil , Lune, Etoile, Vent, Pluie, SHANGALLA. Wo-Kka. Beya. Bé ja. Zu ba. Dim’ ma. ä 396 VOCABULAIRES. Éclair, Terre, Ciel, Une montagne, Fer, ‘Or; Un couteau, Lance , Une pierre, Arbre, Herbe, Miel, Froment, Orge, Pain, Grand gâteau, Eau, Un puits, : Une riviere, Poisson , Un cheval, Ane , Vache, Taureau, Veau, Mouton, Agneau, Une chevre, Chevreau, Corne, Peau , SHANGALLA. Mud-de-ma. En né ah. Go_za. Je-sa (un roc ). So Khar.: At yea. Chag gur. Mio khur. Do Je sa. Géa. Ge zea. Kut cha. _ None. Segum. En-ga. Pan sa. J-ah’. Qu-iah. E-pu-cha. Go sha. Feriz-2e. De guogga. Kuos-sa. Wuddo guossa , ou Wuddoma. Din a wa. Mé Kha , ou ga-j4. Du ma ou du ja ja. Méah’. Du méak. Ko-ma. _Bé-ma. VOCABULAIRES. SHANGALLA. Lion, _ Gum ba. Chameau, To-ra. Chien, Koa. Agazen, Ko qua. Rhinocéros, Arwé harish. Buffle , Gim mus ga. Sauterelle(r), We-da. Oiseau, Meta guzza. Homme, Gun-za. Femme, In-guf-fa. Fils , Du gunza. Fille, : Dingif fa. Une jeune femme, Du gun na. Pere, Wab bé. Mere, E-y0-a. Frere, _ Æaih”. Sœur, | O-whé’ Grand’Mere, Ep-pe-eh. Grand pére, Am pé eh. Un vieillard, … Gaz-za. Tête, : {llu ko ma. Cheveux, _ Be quah. Yeux, Illiku mah. Nez ,- “Ko tu ma. Oreilles, Tsé ma. Bouche, Sum ma. Lévre et barbe, *‘\Bés ma. Dents, Kuus-ma. Langue, Ko tet tu ma. Mefton : En gil les sa. (1) Les Shangallas mangent les sauterelles. SI : 308 VOCABULAIRES. SHANGALLA. Bras, Ya ma. Jambe, Ghug-gu-ma. Poitrine , Ko-ze-ma. Rognon, AU Chich chu ma. Boyaux, E lu-ma. Doigts, Qué a. Sang, Mokh ha. Un jour, Mai-ka (2). Nuit, Mu guk Kua. Matin, Gid-de-da. Soir , Um gus Ja. Maison de bois, Meet se. Hutte, Gogua. Petit , Dit se chen-a. Grand, O-bo-ma. Voir, W'ee den. N’entendrerien, Dur guf su ken. Sentir, Dek e nen. Gouter, Chik ke ra ten. Parler, sm NOEr Je shen, Allez, \ Am bat se. Venez, Wé a. Chanter et danser, Gé ah. Sur le devant, … Lim muturku ma. : Derriere, Bungu ma. Dessus , … Ælu guz za. Dessous, Nen ne a. Long, Mut tuz ma. Court, Du qua. (x) Peu d’entre eux connaissent les années, les mois ou aucune division du temps. 399 VOCABULAIRES. __ SHANGALLA. Beau , Mug guk ma. Mauvais, laid, Mun es ma. Chaud, Go ku ma. Froid, Gid de da. Noir, Muk ki ma. Blanc, Am-po-ma. Rouge, Whé ma. Jaune, Mé ta ma. Manger, Sen. Boire , Fuk Kkun. Dormir, Jij je nah. Mourir, Dasha. Un, Mé 14 ma. Deux, Am ban da. Trois, Quo ka ga. Quatre, Zd-a chà. Cinq, Man koos. SIx , Wa ta. Sept , Lin yé-ta. Huit, Sug guata. Neuf, Sa sa. Dix, Chit-Ka. Onze, Chikké métämé, etc, Cette tribu pratique la circoncision. Dialecte des SHANGALLASs du TAcCAZZE. Dieu, Soleil, Lune, SHANGALLA-TACAZZE. 4oo Etoile, Vent, Ciel, Pluie, Terre, Montagne, Plaine, Arbre, Buisson, Pere, Mere, Frère, Sœur, Oncle , Feu, Pierre, Cheveux, Tête, Yeux, Oreilles, Bouche, Nez, Bras, Jambe , Un cheval, Ane, Mulet, Chevre, Mouton, Vache, Taureau, Bœuf , VOCABULAIRES, SHANGALLA-TACAZZE, Shun da. An ga. Toma. Anya. Am-ba la. Tuma. U-ga. An-na. Anna sunga. Wa, Bug ge la. Lus-sha. Gumma. AiTra. Bou-ta , ou ij jera. Na-ra. VOCABULAIRES. - 4or - Un daim, _ Poisson, Volaille, Oiseau, Rouge, Jaune, Noir, Blanc, Vert, Herbe, Ami, Homme , Femme, Fils , Fille, Grand, Petit, Court, Long , Pres, Loin, : Dessus, Dessous, Sommeil , _ Se lever, Mitchelle , Dagussa , Manger, Ne pas manger, Fer, Selle , I. \ SHANGALLA TACAZZE. | Le da. Esa. Dor A. Ye la. Be-ba. Le da. It te ta. Gillah. Do lah. Gella. L-a. Dig ge da. Nig ge da. Fi da. Ke-na. Dagussa. Min-che. E min che. Be-da. Quo-ra. 26 4o2 - VOCABULAIRES. SHANGALLA-TACAZZE. Or et argent, ( noms inconnus). Boisson , _ In-no. Provisions , Nä deh. Chaud, Tu ku ma. Froid , Mu la. Maison, E-ia. Un puits, Wab Lealh. Riviere , Suba. Rivière du Tacazze, Ta-ko-be-a. Venez, Gé dek. Allez , Ou eh. Bon, Quo shalk. Mauvais, Biy ah. Chat, VAÿJe: Eléphant, Ab be na. Lion, Mok. Buffle, Gebbuka. Léopard, Un Ka. Liévre , Lum musg ga. Singe, Go-bel la. Eau, Be ya. Bouza, Ifa. Bouclier , AM ma. Lance, Ma sa. Guerre, Ba da. Une épée, Yig-ga du. Etoffe, Se’ sa. Une corne, Ge la. Peau , | Ag gulla. Couteau, En je ra. Un, Illa. Deux, Bel le, VOCABULAIRÉS. SE SHANGALLA-TACAZZE. Trois, | Set-te. Quatre, + Sal le. Ciaq ; He Bus su-me. Six, Er-de. Sept , | Bar dé. Huit, Quon-que-da. Neuf, Quun tel-le. Dix, Quul la kaud de. Onze, MO lle Aud illavs Mors de la langue Mursauana , térés d'un jour- _nal manuscrit de M. Cowanx (1). MUISHUANA. Soleil, | Let chachi. Lune, (WWérre (2). Terre , Lehachr, Arbre, Molela. Vent, Peu. Pluie, .. Pôéla. Beaucoup , 1o0on na. Peu, Min yanr. Nuit, Bou Sekoo. Jour , Mut chihar. Matin, Kom mo shu. Mer, Meetzeeabouseeko: (1) Voyez tom. I, pag. 8. (2)Il est singulier que la lune soit désignée sous le même nom , dans les dialectes du pays d'Aurrur, d’Arkiko et du Dar-Four. 4o4 VOCABULAIRES. Pére, Mère, Enfant, Dieu, Mort, Diable, Bon, | Directement, Soir, MuTsauaAnaA. Rachoo. Tmma ,ou Mahoo. Wun, ya na. Shuli. Mirrimoo. Birrimoo. Manarti. Yana. Mu chiboo. Noms DE NOMBRE des BRIQUA, térés aussi d'un journal manuscrit de M. Cowax. Un, Deux, Trois, Quatre, Cinq, Six , Sept ;, Huit, Neuf , Dix, BRIQUA. Oonchela. Peylee , ou Maberi. Taroo ou Miraroo. In nee. Churoi. Qa ta roo. Lee shu hee. Luanileu éri maberti. Luanileu é noon-akela. Lu mee. INSTRUCTIONS. hop INSTRUCTIONS Pour entrer dans le port de MozAMBIQUE , ex- traites du journal du capitaine Taomas WEATHERHEAD. (Le manque d'espace n’a pas permis de les insérer dans le corps de la carte, comme on l'avait promis à la page 25 du présent tome. ) Î Après avoir gagné le large , on doit porter sur la pointe nord-ouest de l’île Saint-George, jusqu à un quart de mille de distance, pour éviter un dangereux récif qui se projette en avant de cette pointe, et sur lequel, par un temps clair, on voit la mer briser , quand on en approche. Lorsqu'on a passé cette île, il faut gouverner vers le pavillon d'état-major du grand-fort, en tenant la montagne de Pao, si on peut la voir, à l’ouest, de la largeur d’une voile, du bastion septentrional , quand c'est le vent du nord qui règne, et en dedans quand c’est le vent du sud. Cela porte sur la même ‘ligne que la Casa de Balouertez, petite église construite au pied de l'angle oriental du grand-fort , par le travers duquel s'étend au nord-est, un récif escarpé, qui à environ trois cents yards de longueur , et est à sec à 4a6 INsTrRUucCTIONS. la mer basse , dans le temps des grandes ma- rées. Il n'y a pas là de marque pour guider les pilotes , qui calculent leur marche d’après leur distance du fort et du banc de Cabaceiro, qu'on peut distinguer à la couleur verte de l'eau (1). Après avoir passé le grand fort , d'où lon est hélé, il faut se tenir à trois cables de largeur de la côte, jusqu’à ce qu’on soit par le travers de la maison du gouvernement, point où l'on peut mouiller par cinq brasses. Il faut amarrer le vaisseau, avec la seconde ancre , au nord-est, et l’ancre d’affourche au sud-ouest. La marée s'élève de quinze à dix- sept pieds , et commence à tomber à cinq heures. La force des grandes marées fait faire trois milles et demi par heure: Les basses marées n’ont que douze pieds et ne portent qu'à un mille et demi par heure. Le port de Mozambique ayant un fond de sable plat, et étant admirablement protégé du côté de la mer , est très-commode pour caréner des Vaisseaux. } L (1) Ces instructions sont données pour le cas, trés- ordinaire , où l’on ne pourrait obtenir un pilote. Ce- pendant, ïl ne faut pas, autant que cela se peut, tenter d'entrer dans le port, sans en avoir un, les bas-fonds étant à pic, et les récifs consistant en rochers de corail et en grosses pierres. | FIN DU TOME PREMIER. ERR ATA. Page. Ligne. 89. 6. Zumbo, Zsez Zambo. 208. 14. Dohalac, Zsez Dahalac. 237. 8. DeDel’gammon, Zsez D'’el’gammon. 238. 5. Insulaire de Del’gammmon, Xsez D’el’gam- _ mon. 251. Notc. Il y a sur Pile d'Adjouice » lisez sur la côte de l’ile d'Adjouice. 272. 16. Mahouad Djelany, Zsez Mahomed Djelany. 362. 12. Dankali, Zsez Danakil. TERRA n'a ‘4 à + 8) Ÿ . ES a : { : e : : ae > J s L = 1‘ - = = : < s ZÆ 3 ” 2 s € ; z = \ … _ - = - ? > ñ ” 5 A # « = 2 7 Es \ = 7, PR » k $ 1 4 . Y% " _— = : d : L = À { 2 > = E L ’ 6; : Pre RE s PSS TPE SET Gr LEni Le + dir VA ÈS DS = : - s , 3 = > pa > Se CA AS E o = = : : £ S - Peace : ; : FE N:{ g $ 4 ; E \ n = ne j = \ “ - £ À = L £ t ï = = L “ = = = ï \ 2 à . > ' = -& . s — La SES = 2 Z LES EZ = . e È Ÿ = : IR t = É _ ' é f > n > v ë : E 1? | © 2 = . . > ‘ = = : Æ : F £ = . = = z < Ë LS 0 > = =, “ . Dee. = 2 ” > = ! = 4 = 5 j - = = # \ = = 3 = 22] > i À 2 > z } £ 5 À E : + ù \ ; - f É À ! té - x « 3 j' ! - > 4 ad .\ n É l ? ( / {4 k j ; ; È \ x ! : À LE À j \ ET \ Ù ! LA , { * \ \ ; ï : “ CSS 4 \ : + ’ i ’ l 3 QU t + ; ( (LS ] ’ (l ’ ' 1 PA b (1 d < me % i . 1 [ [2 L l \ ‘ , f î \ A) : . \ \ { ‘ \ \ ë | / | « F SUVE . \ 3 à b \ Es : } \ à \ e 18 > 3 | ü l \ \ 1 . 4 x \ s dons 4 i ‘ \ j | Le dl * \ \ ï - 77 ÿ » Lu =. v ; pe SE wo