Di 4 « _ H | &f U= SES) A A3; ER W-Gibson: {nv pr , — = L'on CE — ; PL _ EN BARBARIE. + o- RTIE: dre, PREMIÈRE PA 7 4 ’ n) M 6 LA vf HD Us 2 € en & * £ L : Lis * À # RAS 3 4 * 4 ra Le SP. NUE: Era | D ° PT RE) Te De 2e S'+% 5 LES "à 7? 3 . ge. 5 à * LA æ $ Cr , ER en PE 2 & VX Lisa v : “ ent .___ DUFLICATA DE LA BIBLIOTHÉQUA | | DU CONSERVATOIRE POTANIQUE Li GENEVE â 7 VENDU EN 1922 | DE : be M ñ : ÿi Pne LOL ARE SARA # Mu | N'AILE LTTOLMEN A3 à : LR "TA a. : tee 0. 7, ' de (| 14 h CRE Z.. { ep? À VOYAGE EN BAR D ALI E. OU L E 4 FT R E S. X ANY MÉDÉC RITES EE BOTANICAL GARDEN DE L’ANCIENNE NUMIDIE Pendant les années 1785 & 1786, Sur la Relision, les Coutumes & les Moœurs des Maures & des Arabes - Bédouins ; avec un EssAr fur L Hifloire Naturelle de ce pays. _ PAR M. L'ABBÉ POIRET. Trafcorfer poi le piaggie, ove i Numidi Menar già vita pañlorale erranti, Gerufal. liberata, Canto XV. PREMIÈRE PARB-FFE2;: F LAS E: - ei, a AN ee CG a © 1: ts ue ARPA R LiS à nature bouleverfée , change de face à chaque inflant. Là exifte une montagne où, quel- ques heures auparavant, l'on voyoit une plaine uniforme & fablonneufe : d’autres fois les montagnes les plus élevées devien- nent le jouet des vents; difperfées dans les airs, elles laiflent à découvert l'horifon qu'elles bornoient par leur inégalité. Ailleurs les vents déchaînés ouvrent des abimes au milieu de ce fol mobile, & forment des goufres plus dangereux que ceux de Ca- ribde & de Scylla. Sans ceffe trompé par l'afpeét des lieux, le voyageur ne peut fe réconnoître que par la fituation des aftres , a 2 1 4 MD r'SAcFOUMEN"S ou par la déclinaifon de laiguille aimantée. Ces contrées feroient abfolument inhabi- tées, fi de diftance à autre il ne fe trouvoit quelques chaînes de montagnes d’où fortent plufeurs fources d’eau, qui, fe répandant dans les plaines des environs, les fertilifent , & offrent aux habirans de ces lieux un afyle frais & tranquille (1). Le Palmier (x) Ces lieux habitables que lon rencontre dans le défert , forment autant d'îles au milieu d’unemer de fable. La plupart de ceux qui les habitent font entièrement féparés du refte de l'univers. N'ayant jamais vu d’autres hommes que leurs compatriotes , d’autres terres que les fables brûülans qui les en- vironnent , ils doivent fe regarder comme feuls fu la furface du globe, & croire que les limites du monde habitable font celles de leur pays. Quelques- unes de ces iles font connues par les caravanes, auxquelles elles préfentent un lieu de rafraichiflement &z de repos; mais combien refteront ignorées juf- qu'à la fin des fiècles! Celles qui fe trouvent du côté de l'Egypte ont été appellées Oxfs par les anciens Géographes. L’Ærmmonme étoit de ce nombre: mais à mefure que le culte de Jupiter Ammon a perdu de fon crédit, l’on a ceffé d'y faire des pélerinages, Infenfiblement le chemin de l'Ammonie PRÉLIMINAIRE. v eft l'arbre qui croit le plus volontiers dans ces déferts; il fournit une grande abondance de Dattes, & une liqueur vineufe que les naturels du pays recueillent avec foin ; mais cette liqueur , que lon obtient par une forte incifion, épuife l’arbre & le deffèche. Dès que lon a traverfé la chaîne de l'Atlas, & à mefure que l’on avance dans ces déferts, les lieux habitables & habités deviennent beaucoup plus rares ; il faut quelquefois faire cent lieues & plus, avant de trouver la moindre fource, ou la plus petite plante. Quoique les vents qui foufflent dans ce défert ne foient point réguliers, cependant ceux qui le fréquen- tent connoiflent à-peu-près le temps où ils font le plus dangereux; fouvent à l’afpe& du a été oublié. Perfonne n’a ofé entreprendre de le chercher à travers des déferts brülans; d’où il eft réfulté que depuis plufeurs fiècles lon ignore fi FAmmonie a encore des habitans. Cette Oafis ne nous ef plus connue que de nom. Il en eft de même de beaucoup d’autres, qui font rentrées poux toujours dans oubli. q 3 vi D:'1 soon is ciel , ils les prévoient de plufeurs jours; files caravanes font alors dans un endroit sûr, elles y reftent jufqu’à ce que le mo- ment critique foit pañlé. Outre les élémens, les caravanes ont éncore à combattre les bêtes féroces, & quelquefois les hommes. Les habitans de ces brülantes contrées font peu connus. Ce ne font prefque que des hordes errantes, compolées d’Arabes indomptés, les plus cruels & les plus fanguinaires des hommes. Ils font la plupart miférables & pauvres; mais ils l'ignorent, & ils font libres. Cette ignorance & la liberté font pour eux le vrai bonheur. Ces peuplades difperfées font peu à craindre pour les caravanes, qui vont toujours en bon nombre & bien armées. Îl en part une prefque tous les ans de Tunis, compofée de trois à quatre cens hommes, pour aller faire la traite des Nègres en Guinée ; ils demeurent plufeurs années dans ce rude & pénible voyage. Souvent il en périt plus des trois quarts; quelquefois pas un feul n’en revient. L'on n'emploie, pour la route, d'autre bête de P R£LUMAENATRE: Vi charge que le chameau , feul animal ca- pable de fupporter très-long-temps la faim, la fatigue & la foif. La nourriture des Arabes en voyage eft fi frigale, que l'on a peine à croire qu'elle puiffe fuffire à leur exiftence. Un peu de farine démêlée dansle creux de la main avec quelques gouttes d’eau & réduite en boulettes, eft le feul aliment qui les foutient dans leurs longues courfes. Le défert de Barca & celui de Saara étoient connus chez les anciens, fous le nom de défert de la Lybie. C’eft dans la partie de ce défert qui répond aux confins du royaume de Tripoli vers celui de Barca, qu'étoit bâti ce fameux temple de Jupiter Ammon , où ce dieu étoit repré- fenté & adoré fous la figure d’un bélier. Là , dans des bocages impénetrables aux rayons du foleil, les Ammoniens jouiffoient d’une fraicheur & d’un printemps continuels. Ils pañfloient leur vie fous des cabanes éparfes çà & là dans les forêts. Des ruif- feaux d'une eau fraiche couloient conti- nuellement à travers les hofquets, & entre- tenaient une abondante végétation dans & 4 viij Dirscbuvues ces lieux féparés du refte de l’univers par une mer de fable, & dont, depuis des fiècles, aucun voyageur n’a ofé tenter le voyage, Ïl écoit auf difficile d'aborder en Lybie, que dangereux d'y pénétrer. La grande & la petite Syrte, connues aujourd’hui fous le nom de Séches de Barbarie, ont été de tout temps trés-funeftes aux bâtimens qui font venus mouiller fur ces côtes. Les bancs de fable y forment des écueils d'autant plus dangereux qu'ils n’ont point de place fixe, &c que le navigateur le plus habitué à fréquenter ces côtes ne les connoît guère mieux que celui qui y vient pour la pre- miére fois. La grande & la petite Syrte formoient deux golfes. Le premier, plus avancé dans les terres, eft aujourd’hui le golfe de la Sidre ; le fecond , beaucoup plus petit, eft le volfe de Cabes , à quatre-vingts lieues fud de Tunis. C’étoit proche la petite Syrte qu’habitoient les Zorhophages | ainfi nommés parce qu'ils fe nourrifloient du fruit d’un petit arbrifleau que les anciens appelloient Zoros. C’eft une efpèce de PRÉMTMINAURE 3% Jujubier , le Ramnus Lotus de Linné. Il _eft très-commun par tout le royaume de Tunis. La Lybie étoit divifée en quatre parties, fous les noms de Zybie Marmorique , Cy- rénaique , Ammonienne & Carthaginoife. W feroit difficile de déterminer parfaitement quelles font les parties de l’Afrique moderne qui répondent aux divifions des anciens Géographes. Nous ne cherchons ici qu’à pré- fenter au leéteur un apperçu général, un tableau comparatif des peuples qui jadis ont habité l'Afrique feptentrionale , & de ceux qui l’habitent aujourd’hui. La Lybie Cyrénaique, fituée vers la grande Syrte, renfermoit cinq villes cé- lèbres, réunies fous le nom de Penrapolis, favoir : Bérénice, Arfinoé, Ptolémais, Apollonie & Cyrène. Elle étoit terminée par la Lybie Marmorique , qui s’étendoit prefque jufqu'aux confins de lEgypte. Nous avons parlé plus haut de l’Ammonie. La Lybie Carthaginoife tiroir fon nom de Ja célèbre Carthage, dont elle étoit voifine. Tels éroient les principaux peuples & X D'1 s co 'ukRiS royaumes qui partageoient ce vafte terrein où font aujourd’hui fitués les royaumes deTri- poli & de Barca. Quoique l'immenfe défert de Saara foit compris dans l’ancienneLybie, cependant la véritable Lybie étoit parti- culiérement renfermée dans le royaume & le défert de Barca. Celui de Saara, encore moins connu des anciens que de nous, étoit habité, vers les bords, par les Gétules, les Numides & les Maures. L'Afrique propre ou la petite Afrique , commençoit vis-à-vis la grande Syrte. C’eft à quelque diftance de-là, proche la ville de Tunis, que fe trouvoit la fameufe répu- blique de Carthage, que l'étendue de fon commerce , de fes conquêtes, & fur-tout fa rivalité avec Rome, & fa déplorable rune rendront à jamais célèbre. C’eft en vain que l'on cherche aujourd'hui les mo- numens de l’ancien empire des Carthagi- nois, Leurs ouvrages font rentrés dans la pouflère ; & les foibles reftes que: lon foupçonne leur avoir appartenu font fi peu de chofes, que fans l'hiftoire, nous n'ima- ginerions jamais qu'une riche-& puiflante PRÉELMINAIÏIRE x] nation ait habité jadis des lieux où l’on ne rencontre que du fable, des déferts, & des hommes avilis par l’efclavage & la férocité. Carthage dut fon origine aux infortunes _ d’une princefle Tyrienne, nommée E/ffa, mais plus connue fous le nom de Didon, qui préféra la mort à un nouvel hymenée con- traire à la foi qu’elle avoit jurée aux mânes de Sichée fon époux. Malgré la fin tragique de fa fondatrice, cette nouvelle répu!lique fe foutint, s'agrandit, & employa fespremières forces à fe délivrer du tribut qu’elle payoit tous les ans aux Africains. Encouragée par les fuccès, elle fit fucceffivement la guerre aux Numides, aux Gétules & aux Maures. Elle fe fortifia & s'enrichit aux dépens de fes voifins. C’étoit peu pour elle. Fière de fes conquêtes, elle porta fes vues ambi- tieufes jufques fur les pays éloignés. La Corfe, la Sardaigne, une grande partie de la Sicile, & prefque toute l’'Efpagne furent foumis & peuplés par des colonies Carthagi- noifes. Ce fut alors que l’on vit cette républi- que, maitrefle de la Méditerranée, conferver pendant plus de fix cents ans l'empire de x : “Dis cou'rs la mer; & nation en même temps guerrière & commerçante, le difputer, dit M. Rollin, aux plus grands empires du monde par fon opulence & fon commerce, par fes armées nombreufes & fes flottes redoutables, & fur-tout par le courage & le mérite de fes capitaines. Rome & Carthage , toutes deux accou- tumées à vaincre , toutes deux ambitionnant l'empire de l'univers , devoient être né- ceffairement deux puiflantes rivales. Aufli régna-t-il entre elles une haine qui ne ceffa que par la ruine entière de la fuperbe Car- thage. Celle-ci, après avoir exifté pendant lefpace d'environ fept cents ans, fut enfin détruite par le fecond Scipion l’Africain, Fan 603 de la fondation de Rome, cent quarante- cinq ans avant la naiflance de J.C. Cette riche & puiflante nation, qui, quelques années auparavant, s’étoit prefque vue maïîtrefle de Rome par les rapides conquêtes d’Annibal, difparut pour toujours de la face de l'Univers. Les Romains, pof- fefleurs des richefles & du beau territoire de Carthage, s’y confervèrent jufqu'à ce qu'à PRÉLIMINAILRE. xij leur tour, plufieurs fiècles après, ils en furent chaflés par les Arabes, fous la con- duite des prenriers Califes. Infenfblement la Numidie & la Mauritanie devinrent l’hé- ritage des empereurs Romains. Mais, fans nous arrêter davantage fur des détails hiftoriques que perfonne n’ignore, revenons à la géographie du pays. Tunis, proche lancienne Carthage, paroït avoir hérité de l’efprit commerçant des Cartha- ginois. Son principal commerce fe fait avec les Vénitiens , les Génois, les Provençaux; il confifte en huile, en blés, en cires, en laines & en cuirs, pour lefquels les Euro- péens donnent en échange des draps , des épiceries, du fer, &c. Je ne fais pourquoi la plupart de nos Géographes accufent les Tunifiens d'exercer des pirateries (1). La république d’Alger eft la feule, fur ces (1) Il eft vrai que quand les Tunifiens rencon- trent quelques bâtimens d’une nation avec laquelle ils font en guerre, ils les attaquent, s'ils le peuvent, & font efclaves tous les gens de équipage. Mais ceci eft plutôt un droit de la guerre qu'une piraterie, \ XIV Discours côtes d'Afrique, qui fe livre à ees fortes de brigandages, & qui cherche à s’enri- chir par le grand nombre de fes efclaves. Tunis eft trop foible en force , & a une marine trop mal montée pour courir les mers , & attaquer les bâtimens étrangers. Son gouvernement eft bien plus doux que celui d'Alger ; les Européens y jouiffent de beaucoup plus de fécurité & de liberté que dans toute autre ville de la Barbarie. À quinze lieues environ de Tunis l’on rencontre Hippo-zarita, Biferte, une des villes les plus confidérables de ce royaume. Quelques-uns penfent qu'Urique, célèbre par fon antiquité (1) & par la mort du grand Caton, fe trouvoit dans ces envi- rons ; d’autres prétendent qu’elle étoit bâtie où eft aujourd’hui Porto - Farina , à l’em- bouchure du fleuve Madraga : mais il eft probable qu'elle étoit plus avant dans les terres, au lieu nommé en Arabe F00-S hatter, où l’on trouve quantité de ruines, de ci- ternes, & de très-beaux aqueducs. (1) Elle exiftoit avant Carthage. P R'ÉLIIMINIAIRE %v Les Numides étoient le peuple le plus voifin des Carthaginois. Leur territoire commencçoit à-peu-près vers l’ancienne Tabarque, fur les bords de la Zaine, autre- fois le fleuve Tufca , en face de l'ile de Tabarque. Il s’étendoit jufqu’à la Mauri- tanie Céfarienne (1), vers le lieu que l’on nomme aujourd’hui le Co//o. La Namidie, reflerrée dans un efpace d'environ quatre- vingts lieues, s’avançoit jufques par-deià la chaîne de l’Atlas, fe perdoit dans le défert de Saara, jufques dans les plaines ftériles habitées par les Gétules. Les prin- cipales villes de la Numidie étoient Cirthe, aujourd'hui Conftantine ; elle fut long-temps le féjour des Rois Numides, dont plufieurs, tels que Syphax , Mafiniffa, Jugurtha font célèbres dans l’hiftoire. Æzppone étoit encore une ville très-forte, agréablement fituée , trop illuftrée par S. Auguftin fon évêque, (1) La Mauritanie n’a été féparée de la Numidie que fous le gouvernement des Romains. Elle for- moit une partie très-étendue de la Numidie, fous le nom de Nwmidie des Maf]ykes. Xv] D: ris 1croquirts pour jamais être oubliée! Taga/le, la patrie de ce pieux & éloquent prélat, a été éga- lement très-confidérable ; il n’en exifte plus aujourd’hui que quelques miférables ruines. À en juger par les débris qui fe rencontrent par-tout fous les pas du voyageur, la Nu- midie a été autrefois extrêmement peuplée; fes villes étoient nombreufes, grandes & belles, à peu de diftance les unes. des autres; il n’eft point de contrée plus riche dans toute la Barbarie. Le foleil y eit brû- lant ; mais la terre eft rafraïchie par quantité de fources qui defcendent des montagnes, coulent fous des voûtes de verdure , & fe répandent enfuite dans les plaines. Le fol y eft encore aufli fertile qu'il l’étoit du temps des Romains ; maïs il eft bien moins cultivé. La dernière partie de la Barbarie, qui comprend aujourd’hui la république d'Alger & l'empire de Maroc, formoit autrefois la Mauritanie Céfarienne & la Mauritanie Tingitane. Ces contrées font bien moins célèbres dans l’hiftoire que celles qu'ont habitées les Carthaginois. Elles ont long: : temps PRÉLIMINAIRE xvij temps fait partie de la Numidie; mais les Romains les ayant réduites en provinces de l'Empire, y bâtirent plufieurs grandes villes, dont il refte encore des veitiges confidérables. Elles font peu connues, parce qu'elles n’ont point été le théâtre de grands événemens. La ville de Céfarée ( Lo! ou: Julia Caæfarea), qui paroît avoir donné lieu à la divifion de la Mauritanie, en étoit la plas confidérable ; mais l'on eft encore incertain du lieu où elle a été bâtie. Les uns veulent que ce foit près d'Alger, d’autres la.placent à Tenez ; mais le Docteur Shaw, qui a vifité les lieux en favant géo- graphe, croit que Céfarée devoit être où fe trouve aujourdui Sher-Shel?, ville renom- mée par fon acier & fa vaiflelle de terre. Elle a un mille de circuit. De nombreufes ruines, un très- bel aqueduc, de vaftes citernes & plufieurs colonnes magnifiques éparfes dans un terrein confidérable, prou- vent que Sher-S hell a été autrefois une très- grande ville. Sa fituation eft des plus agréables, fes dehors font rians, entourés de collines & de prairies toujours vertes, dures L b Xvii] Discours que des ruiffeaux d’eau douce arrofent en touttemps. La rivière Aafhem procure aux habitans une eau excellente. Elle étoitautre- fois conduite dans la ville pas des aqueducs de toute beauté, Nous ne connoïffons aucune ancienne ville de la Mauritanie qui ait eu plus dé renommée qu_Aleer en a aujourd'hui. Sa fituation , fes démélés avec les Souverains de l'Europe, le caraëétère fier & impérieux de fes habitans , les nombreux corfaires qui, fortis de fon fein, couvrent fans cefle le canal de la Méditerranée, infultent les pavillons de prefque toutes les Puiffances, s'emparent des bâtimens des nations'qui n'ont point de traité avec eux; toutes ces circonftances ont rendu cette république redoutabie & infolente. Les autres Puif- fances barbarefques, même l'Empereur de Maroc, tremblent devant elle. Il paroît que c’eft à Alger, ou bien près d'Alger, qu'une partie des compagnons d'Hercule s’arré- tèrent pour bâtir une ville qu’ils nommèrent Icofium. Mafcara, dont la ville, compofée de PRÉLIMINAIRE. xix maifons mal bâties, n’eft remarquable que par fes environs délicieux, eft gouvernée par un Bey dépendant du Dey d'Alger. C’eft l'ancienne Viéoria. Oran, à foixante lieues d'Alger, peu éloigné de la mer, a plus d'un mille de circuit. Îl eft bâti, partie en plaine, partie fur le penchant d’une haute montagne , où deux châteaux, placés fur le fommet, do- minent & défendent la ville, qui d’ailleurs eft trés-bien fortifiée. Elle appartient aux Efpagnols, qui y entretiennent des troupes & un gouverneur. Elle fert en quelque forte de prifon d'état, pour les perfonnes qui ont donné quelque fujet de mécoriten- tement au Roi d'Efpagne. Le Cardinal Ximenès en fit la conquête en 1509 ; elle fut reprife par les Algériens en 1708, & enfin foumife de nouveau à l'Efpagne en 1732, par le Comte de Mortemar. Il déferte continuellement des foldats d'Oran, qui, pris par les Maures , font conduits en efcia- vage à Alger : aufli le plus grand nombre des efclaves Algériens font Efpagnols. Ces déferteurs n'ignorent pas qu’en s’échappant bi xx Drscours d'Oran, ils n’ont d'autre alternative que la mort ou lefclavage. Cette cruelle perf- pective ne les arrête point. À quelques lieues d'Oran, au couchant, eft une petite ville nommée Ma/falquivir. Son port eft regardé comme un des plus fürs qu'il y ait dans la Méditerranée. Abrité par les hautes montagnes qui l’environnent, il n’a point à craindre les vents orageux & les tempêtes. Aufñi les anciens avoient-ils nommé ce lieu zzagnus portus, le grand port. Cette ville fut prife fur les Maures par les Efpagnols en 1,05. Trémecen, à cinq lieues fud-fud-eft de l'embouchure de la Tafna, s'annonce pour avoir été autrefois une très- grande ville. L'on y rencontre beaucoup d’antiquités, des murs, des colonnes, des autels dédiés aux dieux Mânes. Les Arabes l’appellent Tlamfan. Elle eft bâtie fur une éminence environnée d’une chaine de rochers efcarpés, où fe trouve une grande plaine.arrofée par plufieurs fources d’eau. Ses environs :pro- duifent beaucoup de blé, de fruits, & font abondans en excellens pâturages. Le PRE T M DNA TIR E... xxf Doëteur Shaw croit que Trémecen eft le Lanigara de Ptolomée ; d’autres prétendent que le Zanigara eft aujourd'hui la ville de Guagida, fituée dans une grande plaine à quatorze lieues nord-eft de Trémecen, & environnée d’aflez bonnes murailles, avec des tours de défenfe. La Mauritanie Tingirane forme aujour- d’hui les royaumes de Fez & de Maroc. Elle tiroit fon nom de Tanger, Tinpis, ville ancienne, fituée fur la côte méridio- nale du Détroit de Gibraltar , dans le royaume de Fez. Je terminerai ici ces notions géographiques fur la Barbarie, ne m'étant propofé que de donner une idée générale de ces belles contrées pour mettre le leéteur à portée de me fuivre dans les différens détails où je dois entrer. J'évite, autant qu'il eft pofhble , de répéter ce que d’autres voyageurs ont déjà dit. Je ne parle point des grandes villes que les Européens fréquentent continuellement, & fur lefquelles nous avons déjà beaucoup de relations. Je ne dis que ce que j'ai vu; je parle rare- ment fur la foi d'autrui: e’eft en pénétrant Xxij Discours fous la tente de l’Arabe-Bédouin, en conver- fant fréquemment avec lui, que j + étudié fon carattère & fes mœurs, que j'ai ob- fervé la différence qu'il y avoit entre un peuple libre & celui qui gémit fous ie joug du defpotifme ; entre une nation éclairée par les loix & les fciences, 8 des hordes errantes livrées à toute la dépravation d’une nature avilie, & d'un cœur infenfble à l’aiguiilon de lamour-propre & de la gloire. J'ai divifé par Lettres la partie hiftorique de mon voyage, où, pour mieux dire, je n’ai fait que rédiger celles que j'avois adrefiées à M. Foreftier, Médecin à Saint- Quentin. La correfpondance fuivie que nous avons eue enfemble pendant mes voyages, m'a fouvent mis à portée de pro- fiter de fes lumières pour régler mes obfer- vations & mes recherches. Je lui avois déjà l'obligation d’avoir guidé mes premiers pas dans léride de la Nature, & cela dans un temps où, fixé dans ma patrie, & livré aux études de mon état, j'étois éloigné de toute autre efpèce de fecours. Je ne dois pas moins à M: Néret, fi PRÉLIMINAIRE Xxij avantageufement connu par fes travaux en phyfique & en chymie, par fa belle décou- verte des gaz inflammables huileux, par linventidn d’un réchaud & d'un briquet éleétrique , par une machine propre à faire détonner , même dans l’eau, la poudre à canon par l’étincelle éleëétrique , &c. Com- bien j'ai été à portée de m'inftruire en fui- vant fes intéreffantes expériences, & en étudiant la belle fuite de minéraux renfermés dans fon cabinet ! Je n’oublierai jamais ces deux premiers maitres, tant par l'amitié qu'ils me confervent, que par la recon- noiflance que je leur dois. | Quant à l’'Hiftoire Naturelle de la Bar- barie , je l’ai traitée dans l’ordre fyftéma- tique établi par le célèbre Linné. Je n'ai parlé que des objets que j'ai pu voir, ou fur lefquels j'ai eu des renfeignemens certains. Jai donné.aux Animaux & aux Oifeaux les noms françois fous lefquels ils font connus : j'ai cru devoir ajouter aux noms génériques & fpécifiques des Infeëétes & des Plantes, la phrafe defcriptive de Linné, que j'ai eu foin de traduire en françois. Lorfque j'ai eu xxiv, DISCOURS PRÉLIM. quelque objet nouveau à décrire, je l'ai fait méthodiquement, en ajoutant!, après le nom fpécifique, le mot (7obis), qui “annonce que cette efpèce eft décrite pour la première fois, & que la découverte m'ap- partient. La longue quarantaine que j'ai été obligé de faire à Marfeille, pendant - laquelle mes caïffes d'Hiftoire Naturelle font reftées ouvertes & expofées à l'air, m'a fait -perdre une grande partie de ma colleétion, fur-tout les Oileaux & les Infeétes. Jern’ai décrit que les objets échappés à la deftruc- -tion, ou fur lefquels j’avois confervé des . notes faites pendant mon voyage. Li VOYAGE : AE RSR RCE DS LE EE OC ORDIEUIELS DE UT NUMIDIE. LETTRE PREMIÈRE. À M FORESTIER, Doëleur en Médecine, À De la Calle, 12 Mai 1785. M: voilà, mon cher Doteur, livré tout entier à ma paññon pour les Voyages & lHiftoire Naturelle, Yhabite depuis quelques jours lancienne Numidie , où je fuis arrivé fous les plus mauvais aufpices, Depuis près de deux ans la pefte ravage ces contrées, & la négligence des habitans la propage d’une nation chez une autre. Outre ce cruel fléau, lon m'a dépeint les Arabes & les Maures comme les êtres de la Nature les plus nhumains & les plus féroces, haïffant les Chrétiens tant par principes de religion, que par préjugé d'éducation (1). C’eft un triomphe, (1) Ces Arabes nous haïflent aujourd’hui fans favoir pourquoi. Mais leurs pères le favoient bien, Les guerres les Part. I. À 2 V Oo TAMME un aéte méritoire pour un Arabe que de répandre le fang d’un Européen. Ces Barbares ne s’épargnent pas davantage entre eux; & il eft rare qu’une nationne foit pas en guerre avec fes voifins, & qu'un Arabe fans défenfe foit en füreté parmi fes femblables à quel- ques lieues de fa tente, Le peu que jai vu jufqu'à préfent , m'a confirmé ces rapports. La Cale, prin- cipal comptoir de la Compagnie royale d'Afrique, a fermé fes portes, & s’eft barricadé pour éviter toute communication avec les Maures du dehors, infeétés de la pefte, Ceux-ci 1rrités & jaloux de voir les Chrétiens échapper à une maladie qui humilie le Mufulman, parce qu'il la regarde comme une punition du cel, font tout ce qu'ils peuvent pour introduire plus injuftes auxquelles le fanarifme donnoït le nom de faintes , portées tant en Orient qu’en Afrique, ont révolté contre nous d’immenfes nations qui ne nous avoient fait alors d’autre mal que celui de fuivre la religion de Mahomet, tandis que nous fuivions celle de Jéfus. Ces entreprifes firent ré- pandre beaucoup de fang, & fe rerminèrent par nous attirer, de la part des nations offenfées, une haine bien méritée. Le nom Chrétien eft refté pour toujours en exécration dans les différentes contrées du Levant, dans la Syrie, l'Arabie, la Perfe, l'Arménie, l'Égypte, la Barbarie, &c. Les pères ont tranfmis cette haine à leurs enfans. En paffant d’une génération à-une autre , la caufe en a été oubliée, mais la haine eft reftée. C’eft ainfi que nous payons aujourd’hui les fottifes faites par nos pères il y a plus de fix cens ans, EN BARBARIE, 3 la contagion parmi nous. Ils viennent enterrer à nos barrières des cadavres peftiférés, & jettent par- deffus les murs des lambeaux trempés dans des bubons peftilentiels, La nation dont nous avons le plus à fouffiir, eft celle des Nadis nos voifins & nos plus cruels ennemis. Ils ne fe contentent pas de nous tendre des pièges fecrets 1ls nous attaquent encore à force ouverte. Il y a quelque temps qu'ils ont enlevé près de deux cens bœufs du troupeau que tous les jours on eft obligé de conduire dans les pâturages des environs, & que lon entretient pour la nourriture’ de la Calle. Peu auparavant ils avoient mis le feu à nos barrières pendant la nuit ; ils s’y tiennent fouvent cachés > & tirent fur le premier Chrétien qu'ils apperçoivent. . Ces circonftances font alarmantes > fur-tout pour mOi qui ai envie de courir le pays. Malgré cela, je prends patience, & Jefpère qu'en me mettant peu-ä-peu au fait des moyens d'éviter la contagion & de voyager avec füreté , je pourrai rifquer quel- ques courfes. Il me femble que les nations qui apportent leurs grains à la Calle, & qui fréquentent les Européens, doivent être un peu plus traitables, C'eft par elles que je commencerai : mais je vous voue que tous ces Arabes ont une figure & un accoutrement qui m’épouvantent, Il faudra bien cependant que je m'y accoutume; car mon deffein m'eft pas de m'arrêter en Afrique fur un ftérile À 2 4 VOYAGE rocher où trois cens hommes, tant Corfes que Provençaux, travaillent pour enrichir le Négociant françois. Notre traverfée a été des plus heureufes. Je n’ai pu cependant, en m'éloignant des côtes de Pro- vence, me défendre d'un fentiment pénible & douloureux. Mes yeux fe mouillèrent de larmes en parcourant cette vafte étendue de mer qui alloit me féparer de nouveau de mes parens & de mes amis. Mais à mefure que notre bâtiment approchoit des côtes d'Afrique, que l’on m’avoit dépeintes comme ftériles & fablonneufes, jéprouvois un plaifir inexprimable : fappercevois par - tout des collines couvertes de verdure, des payfages rians , des plaines immenfes émaillées de fleurs. Jen tirai un bon augure ; & à peine débarqué, je voulois courir les champs, fans fonger à prendre aucune nourriture, & à me délaffer des fatigues de la na- vigation. En mettant pied à terre, jetrouvai, dès le premier pas, l'Anthyllis barba jovis, le Spartium monofpermum , Ve Pafferina hirfuta , Ve Chamærops humilis , & plufeurs autres plantes rares que je me hâtai de cueillir, comme fi j'eufle craint de ne plus revenir en cet endroit. Ce fut ainfi que je pris poffeffion du pays au nom de la Botanique, & que je rendis mes premiers hommages à la Flore Africaine, Je me préfentai devant le Gouverneur de la Calle, un paquet de plantes à la main, plus EN BARBARIE, $ occupé de mes richefles que des bienféances que javois à remplir : je ne caufai pas moins de fur- prife aux François qui vinrent à notre rencontre, qu'à quelques Maures que la curiofité avoit attirés fur le rivage. Ces côtes incultes & fauvages qui n'infpirent que la triftefle & l'ennui à tous ceux qui y débarquent , me parurent alors le plus beau jardin de la Nature. Que d'objets dignes de fattention d'un obfer- vateur dans ces contrées barbares, foit qu'il la fixe fur la fertilité d’un fol abandonné à fes feules produétions, fur les coutumes & les mœurs des habitans, ou fur la vie errante & oifive des Maures où Arabes-Bédouins ( 1)! Je vous promets par la fuite, des détails fur ces divers articles ; mais Jai encore trop peu vu, & d’une manière trop générale, pour particularifer mes idées fur ces différens objets, Jai Fhonneur d’être, &c. (1) Les habitans de la Barbarie portent plufieurs noms. On appelle Maures, ceux qui habitent les côtes ; Arabes, ceux qui font plus enfoncés dans les terres; Arabes-Bédouins ou Bérébères, ceux qui mènent une vie errante , & qui fouvent ne vivent que de rapines : enfin, l'on nomme Cabailes les hordes qui cultivent la terre, & nourriffent des troupeaux. A 3 6 VoTaxacs L'E TVR E "FR Au même. JéprouvE ici, mon cher Doéteur, le fort de Tantale au milieu des eaux. La plus belle végé- tation couvre toutes ces côtes ; mais la contagion &t les guerres civiles m’obligent à borner mes courfes dans les environs de la Calle. Quoique je m'écarte peu, que je ne marche jamais feul & fans armes , je ne fus point, maloré cela, à abri des dangers. Les Maures, trop lâches pour nous attaquer en face , cachés dans les buiffons ou derrière les rochers, nous attendent au paflage, & nous faluent, lorf- qu'ils le peuvent, de quelques coups de fufils. Je me bornerai donc, dans cette lettre, à vous entretenir du Comptoir que j'habite, du caraétère de ceux qui le compofent, & de la manière dont cette place eft dirigée & gouvernée, Vaffigerai votre ame par le tableau que j'ai à vous tracer ; votre humanité gémira fur les maux de toute efpèce auxquels le mercenaire eft expofé fur ces côtes barbares; & votre cœur formera des vœux pour voir à jamais anéanti un commerce qui fait le déshonneur de la France, occafionne tous les ans la mort d'un grand nombre de perfonnes, & offre _ EN BARBARIE. 7 une retraite à une foule de fcélérats qui, par la diflolution de leurs mœurs, remplacent les crimes qu'ils ne peuvent commettre ici avec impunité. Vous chercheriez inutilement /4 Calle fur la plu- part des cartes géographiques : vous y trouverez le Bafton de France, quoiqu'en ruines depuis près d'un fiècle ; & bien des Géographes modernes vous apprendront encore que cet ancien comptoir eft défendu par une bonne garnifon de trois à quatre cens hommes. Il n’étoit éloigné de la Calle que de trois lieues. Les mortalités annuelles occafionnées par les grands lacs qui l'environnoient , obligèrent les François à labandonner. Les maladies furent fi meurtrières un certain été, que de plus de quatre cens hommes, il n’en refta que fix. - La Calle, à trente-fix lieues oueft de Tunis, ef bâtie fur un rocher flérile de très-peu d'étendue, C'eft aujourd'hui le principal comptoir de la Com- pagnie royale d'Afrique. Un Agent, auquel lon donne le titre de Gouverneur, & une quinzaine d'Oficiersfubalternes en ont la dire&tion. Les Maures font exclus de cette place, excepté quelques-uns que lon y reçoit comme otages, ou qui font em- ployés à des travaux manuels. Les habitans font au nombre de trois à quatre cens, la plupart Corfes ou Provençaux. Les uns font chargés de la pêche dur corail. D’autres, avec le titre de foldats, efcortent un tronpeau de bœufs, & le conduifent tous les À 4 VOYAGE Jours aux pâturages des environs. Souvent ces mêmes foldats, convertis en charretiers, vont dans les forêts voifines couper le bois néceffaire pour le chauffage ou la confiruétion ; les autres ouvriers portent le nom de frégataires. Ils font deftinés aux travaux intérieurs de la place, comme à charger les bâtimens , à tranfporter le blé dans les magafins, à nettoyer le port , &cc. La Calle eft encore munie d’autres ouvriers néceffaires, de boulangers , de ferruriers, de maçons, &c. Tous ceux qui habitent ce comptoir font nourris, logés & ftipendiés par la Compagnie. ‘Excepté les magafns, le logement du Gouver- neur & celui des principaux Officiers, les autres bâtifles ne confiftent qu'en une foixantaine de bar- raques à un feul étage. La Calle, défendue de trois Ôtés par la mer, left encore du côté de la terre er un mur fuffifant pour nous garantir des infultes les Maures, qui n'ont d'autre artillerie que leurs fufils, Le port eft dominé par une quinzaine de pièces de canon. Il eft petit, peu profond, très- dangereux par certains vents qui y introduifent les vagues avec un fracas effrayant. L'entrée eft envi- ronnée de rochers à fleur- d’eau, où nombre de bâtimens font venus fe brifer. Les femmes, deftinées à confoler lutile citoyen dans fes travaux, à adoucir par Paménité de leurs mœurs celles de l’homme groffier; les femmes font EN BARBARIE. 9 exclues de la Calle. Si quelquefois le Gouverneur a obtenu la permiffion d'y conduire la fienne, il en eft prefque toujours réfulté des troubles, des féditions, qui ne lui ont pas permis de la garder long-temps. En fe déterminant à pafler dans ce pays, il faut fe réfoudre à rompre les plus doux liens de la nature, pour vendre fes bras, & fouvent même »" facrifier fa vie au fervice d’une Compagnie qui sin- quiète peu de ce que l’on fouffre pour elle. La privation de femmes porte dans tous les _efprits la triftefle & l'ennui. Des étrangers divifés par des intérêts particuliers, jaloux les uns des autres, obligés à fe réunir par défœuvrement , à fe détefter par envie, n'étant rapprochés par aucune forte de liens, ni diftraits par aucun délaffement, ne formeront jamais une fociété amicale, dont Pumion & les agrémens puiflent dédommager de Vabfence des femmes. Il réfulte de-à une mono- tome accablante, un ennui difficile à fupporter, dés defirs ardens de repañer en France, & de fe réunir au fein de fa famille & de fes amis : 1l réfulte, parmi le peuple, les vices les plus abominables, une entière corruption de mœurs, l'abandon aux plus honteux défordres, & des horreurs dont on ne peut avoir idée que dans ce pays. Mais que faire, dira-t-on, fi cet établiffement ne comporte pas d'y fouffrir de femmes ? Que faire ! Il le faut réformer, ou labandonner tout-à-fait, Faut-il, pout 10 VOYAGE favorifer une Compagnie de commerce, peupler la Calle d'habitans plus coupables peut-être que ceux de Sodome & de Gomorrhe ! Faut-il arracher des pères à leur famille, des enfans à leurs parens pour en faire des monftres en Barbarie ! À ce premier inconvénient ajoutez, mon cher Doëteur, l'air mal-fan du pays, corrompu chaque été par les exhalaïfons de trois grands lacs, qu'il +, feroit facile de deflécher en les faifant communiquer avec la mer dont ils font peu diftans. Ce travail, il eft vrai, occafionneroit quelques dépenfes à la Compagnie ; mais à combien d'hommes il confer- veroit la vie ! Quand le temps des maladies arrive, & j'ai aétuellement fous les yeux ce cruel tableau , Vhôpital, en peu de jours, eft plein de malades. Une fièvre ardente circule dans les veines de ces infortunés ; en moins de quatre jours leur exiftence, eft terminée. Ces fymptomes effrayans , l'air brüs lant & lourd que lon refpire, le fon continuel d'une cloche lugubre, les hommes frappés de mort à la fleur de l’âge, tout jette l'effroi dans les efprits. L'on ne parle, lon ne s’entretient que de morts & de mourans; chacun craint pour foi, & celui qui eft en fanté, femble n’en jouir que pour reffentir plus vivement les peines de lefprit. Combien lima= gination effrayée n’en a-t-elle pas précipité dans le tombeau ! Jugez, d'après cela, mon cher Doéteur, de ce EN ARE AMIE. 11 que doivent être les habitans de la Calle. Il fe fat de temps en temps des recrues à Marfeille pour peupler ce comptoir que les maladies & l'abandon fréquent de fes habitans oblige à renouveller. La Compagnie reçoit indiftinétement tout ce qui fe préfente, fans examen, fans information. Pour être: admis, 1l fufit d’avoir des bras. Si elle ne vouloir que des honnêtes gens, la Calle feroit déferte, & elle le feroit pour long-temps. L’honnête homme ne s'expatrie point pour gagner peu & rifquer beaucoup. Auffi cette place n’eft-elle habitée que par des hommes fans afyle, fans établiffement, fans reflources; des hommes, la plupart flétris par la Juftice ou pourfuivis par les loix ; des hommes . perdus par le libertinage, la débauche ; fans prin- cipes de religion, fans le moindre fentiment de ptobité. On en a vu de la troupe de Gafpard de Bèze, chef de voleurs exécuté à Aix il y a quelques années; on en a vu dont les épaules atteftoient les mœurs & la conduite ; enfin jen connois un à qui lon écrivit cette lettre caraétériftique : Je r’ap- prends , mon ami, que tu as été rompu vif a Aix ül y a huit jours. Vous ferez peut-être curieux de favoir comment il eft pofible de vivre en füreté au milieu d'une troupe d'hommes de cette nature. Ces fcélérats n’ont point ici d’occafions fréquentes de fe livrer au crime. D'ailleurs, aucune mau- vaife aétion ne peut être impunie. Le criminel eft 12 V'o'# AT renfermé en une double barrière ; la mer d'un côté, fur laquelle perfonne ne peut s’embarquer fans l'aveu du Gouverneur; la terre d’un autre côté, où il eft impoffible d’errer feul fans être égorgé par les Maures. Excepté les grands crimes, les autres aétions font prefque impunies à la Calle. Le Gouverneur n’y a que l'ombre de autorité. Il eft forcé de ménager cette canaille toujours prête à fe révolter. Il ne punit le particulier qu'autant que celui-ci n’a point de parti pour le foutenir, & cette puni- tion fe borne à la prifon, ou à être renvoyé en France par le premier bâtiment : fi, arrivé à Mar- feille, le coupable a envie de repañler, 1l fuffit qu'il fe préfente au bureau de la Compagnie fous un autre nom. Plufeurs font revenus à la Calle à Paide de cet artifice, en fe moquant de l'autorité du Gouverneur & de fes menaces. Il y a plus; les fautes deviennent une fpéculation d'intérêt pour ceux qui ont envie de retourner dans leur patrie. La Compagnie a coutume de faire payer le paflage &t la quarantaine à tous ceux qui reviennent en France, On leur retient à la Calle fur leurs mo- diques falaires la fomme néceflaire ; 87 ceux qui ne peuvent la donner font forcés de refter, ou de commettre des fautes aflez graves pour que le renvoi devienne une punition. Dans ce cas, argent ou non, on les fait embarquer. EUN: BA R BA RTE: 13 Îl ya, à la Calle, plufieurs poftes où lon fait une garde continuelle. Les foldats de faétion font tenus de fonner & de répéter toutes les heures. De Vautre côté du port, hors de la place, eft une éminence fur laquelle Fon a bâti un moulin affis fur une tour, & défendu par quelques pièces de canon. C’eft de-là que lon obferve tout ce qui fe pañle au- dehors, & que le foldat de fa&tion, à laide d’un porte-voix, en donne avis aux habitans de la Calle. Il a foin également d'annoncer tous les cavaliers qui arrivent, ainfi que les bâtimens qu'il découvre en pleine mer. Cette coutume me tranfporte fouvent en idée au temps de ces preux Chevaliers, de ces héros fi célèbres dans nos vieux romans , dont l'arrivée étoit annoncée , du haut des châteaux , au fon du cor ou de quelqu’autre inftrument. Pour compléter ce que j'ai à vous dire fur la Calle, ce feroit 1c1 le lieu de vous entretenir du commerce de la Compagnie , & de la manière dont fe fait la traite avec les Maures. Comme il me manque encore quelques renfeignemens fur cet article, j'en ferai le fujet de ma première lettre, Jai Phonneur d'être, &c. 14 Æ 1VOYANEE L'ETTRE Lie Au même. J E me propofois, mon cher Doéteur, de vous entretenir dans cette lettre du commerce de la Compagnie d'Afrique fur ces côtes; mais je préfère vous rapporter un fait arrivé à la Calle il y a quelques années, & dont je viens d'apprendre les détails par le Gouverneur de cette place. | Si la privation de femmes eft un tourment pour les habitans de la Calle, le fort des hommies dans ce pays de malédiétion n’eft pas moins une fource d'inquiétudes & d’alarmes pour les femmes que leurs maris font forcés de laifler en France. Il y a quelque temps qu'un pauvre ouvrier de Mar- feille, réduit à la mendicité , faute d'occupation , fe détermina à pafler à la Calle, & à fe féparer d'une femme dont il étoit tendrement aime. Il fe garda bien de lui donner fur ce pays des détails qu'il ignoroit peut-être lui-même : mais celle-ci ayant été long-temps fans recevoir des nouvelles de fon mari, foit que fes lettres fe fuflent égarées , ou qu'il eût négligé de lui écrire, sinforma par- tout du féjour de la Calle. Ce qu’elle en apprend augmente fes inquiétudes ; & ne pouvant réfifter EN BARBARIE. if aux vives alarmes de fa tendrefle, elle demande avec inftances qu'il lui foit permis d'aller fe réunir à lui. Cette grace lui eft conftamment refufée. Dans cette extrémité, elle a recours au feul expédient que lui fuggère fon amour. Elle déguife fon fexe fous lhabit d’un ouvrier, fe préfente au bureau, & fe fait enregiftrer au nombre des paffagers. Pen- _ dant la traverfée, qu’elle fupporta avec un courage héroïque , fa figure, fa jeuneffle intéreffèrent en fa faveur le capitaine & tous les gens de léquipage. L'on plaignoit bien fincérement le fort de ce pauvre jeune homme réduit à aller habiter un pays ft dangereux, fur-tout pour les jeunes gens & les tempéramens délicats. Ces difcours étoient, pour cette femme, autant de coups de poignard. Ou- bliant le danger pour elle-même, elle ne fongeoit qu'à celui auquel fon mari étoit expofé, & dont peut-être 1l étoit déjà la vi@ime. Enfin le bâtiment eft fur le point de toucher aux côtes d'Afrique, & de mouiller à Bonne par la direétion des vents. Tandis que cette femme étoit occupée à chercher dans fa malle quelques effets néceffaires au débarquement , des matelots recon- _noïffent des habillemens de femme parmi fes hardes, & cette découverte donne lieu à des conjettures que fa figure confirmoit fi bien. Les foupçons de- viennent certitude. Reconnue pour femme, elle auroit eu/beauçcoup à fouffrir de la brutalité des +6 VOYAGE matelots, fi le capitaine, auquel elle fit l’aveu dé fes projets, ne leüt prife fous fa fauve-garde, Au premier vent favorable, le bâtiment mit 3 la voile pour la Calle, où 1l arriva très-heureufe- ment. Le capitaine fe préfente devant le Gouverneur de cette place avec cette fidelle époufe: elle ne peut répondre à aucune queftion avant de favoir fi fon mari eft encore exiftant. Elle apprend qu'il vit, qu'il va paroitre. Cette nouvelle la comble de joie : elle refpire à peine. Le Gouverneur envoie chercher cet époux chéri, & veut jouir du fpec- tacle de cette entrevue. Le mari paroït. Il eft d’abord interdit, en voyant un jeune ouvrier lui fauter aw cou, le ferrer dans fes bras, & ne pouvoir proférer aucune parole par Pabondance de fes foupirs. On lui dit que c'eft fa femme; il la reconnoït, mais à peine peut-il en croire fes yeux. Livrés lun & Yautre aux mouvemens de la plus vive tendreffe, ils veulent parler; mais leurs difcours font fans fuite, interrompus à chaque inftant par leurs carefles réciproques. Leurs yeux mouillés de larmes n’ap- perçoivent plus les fpeétateurs , en qui cette fcène attendriflante excite une émotion délicieufe ( 1 ). Le Gouverneur leur donna un logement particulier. (x) Je fuis repañlé en France avec le Capitaine qui avoit conduit cette femme héroïque en Barbarie, Il m'a confirmé les détails que je viens de rapporter, Le EN BARBARIE 17 Le mari, vaincu par la tendreffe de fi femme, s'embarqua avec elle pour Marfaille , où il trouva le travail qui lui manquoit, Pai Phonneur d’être, &c. DIE TOTR-E IV. Au même. Je reviens aétuellement, mon cher Doëteur, aux détails que je vous ai promis fur le commerce qui {e fait annuellement fur les côtes de Berbarie. Le principal comm: rce de la Barberie eft :cccrdé exclufivement à une Compagnie ét. blie à M:rfeille fous le nom de Compagnie royale d'Afrique. C.ft à la pêche du corail que cette Compignie doit fa première exiftence, Cette pêche fut long-temps la bafe & le fondement de fon commerce. Cétoit une récolte dont le produit calculé étoit réputé invarkble, qui feul procuroit & la rentrée des dépenfes que néccflite un grand établiffement, & les bénéfices qu’il doit donner : mais alors la pêche étoit conftimment sbondente & belle, les frs d’ex- ploitation étoient beaucoup moindres, les débouchés autant & peut-être plus avantsgeux; & quelque révolution qu'éprouvaflent les autres branches du Part. I B 18 Vo “ic r commerce de la Compagnie , la pêche di corail fufffoit pour la maintenir, finon dans un état floriffant, au moins dens cet état d'équilibre & de folidité dont une Compagnie de commerce ne doit jamais fortir. Depuis un certain nombre d'années cette_pêche a toujours été en décroiffant. Aujour- d'hui elle eft à un tel degré de pénurie , ‘les qualités font fi foibles, fi minces, que la fituation de la Compagnie eft totalement fubordonnée au com- merce des orains & de la laine, auquel elle joint celui des cuirs & de la cire, quoiqu’elle retire un . bien foible profit de ces derniers articles. | La laine, l'orge & le blé font les denrées fur lefquelles la Compagnie gagne le plus :-elle achète ces marchandifes avec des piaftres d'Efpagne rognées. Elle enlève fur chaque piaftre la valeur d’eñviron 15 fols, & les fait pafler en Barbarie pour le prix de $ livres, piaftres entières, & 2 lv. 5 f.: la demi-piaftre. Cette fpéculation ne laiffe pas.que de donner un profit affez confidérable, qui monte à environ dix pour cent. Les principaux comptoirs de la Compagnie font à 4 Calle, à Bonne, à Tabarque & au Collo, dont j'aurai occafon: de vous entretenir par la fuite. Cette Compagnie s'eft établie fous Louis XIV. Son principal comptoir étoit d'abord au Baffion de France , à Yextrémité orientale du royaume d'Alger. Elle avoit lé double objet de la pêche du corail & EN BARBARTIE. 19 du commerce des grains qu’elle partageoit alors avec une Compagnie Angloife établie À Ja Calle, Les Anglois faillirent , & le commerce reftà exclu fivement aux François, | Pat-tout où les Européens ont pénétré , attirés par l'appât du gain, par-tout où ils ont. offert à des naturels, fouvent à demifauvages, leur amitié & des liaifons de commerce > Par -tout ils font prefque devenus defpotes, & n'ont payé que par des trahifons & des crimes la confiance qu’on leur a accordée. Ceft ainfi que les Efpagnols fe font établis en Amérique, les Anglois, les Hollandois, les François dans les Indes & dans les différentes parties du globe. Batavia, le Pérou, Madagafcar en font encore aujourd’hui la preuve. Si quelques-unes de ces nations ont été épargnées, au moins les at-on rendues tributaires; &c bien loin de payer le droit de commercer chez elles, le marchand européen a exigé d'être récompenfé Pour traiter avec huma2- nité ces peuples auxquels il ne demandoit d'abord que des échanges paifibles. Il n’en eft pas ainfi , mon cher Doë&teur, ‘du com- merce établi avec les Maures fur les côtes de Barbarie, Si le Négociant dans les Indes & en Amérique eft fier & defpote ; en Afrique il eft bas & rampant. Il paie, & il paie très-chérement le droit d'acheter les produétions de ce riche > Mais trop inculte pays, Ceft principalement fur la Compagnie d'Afrique B 2 20 VOYAGE que tombent les plus fortes exaétions. Les Puiffances Batbarefques ne lui accordent le privilège exclufif de leur commerce qu'à raifon d'un tribut annuel , & la forcent de prendre leurs denrées au prix qui leur eft offert par d'autres marchands inter- lopes , quoique la Compagnie pale en tributs ce que ceux-ci paient en augmentation. Pour avoir la liberté de faire pêcher le corail fur les côtes du royaume d'Alger, & obtenir le commerce exclufif des grains, de la laine, de la cire & des cuirs dans fes différens comptoirs, la Compagnie paie chaque année au Dey d'Alger environ 100000 livres, &t soblige de lu envoyer deux caifles du plus beau corail. Les droits que le Bey de Conftantine retire du blé qu'il fait vendre à Bonne, lui rendent près de cent pour cent, & on lui paie pour la laine 4 jiv. 10 f per quintal. D'un autre côté, 4 Calle seft foumife à payer aux différentes tribus Arabes qui Pavoïfinent, des revenus annuels fous le nom de Lifmes ; les nations qui les reçoivent font appelées Li/mataires. La Com- pagnie donne au chef de la Mazouk une demi- piaftre (2liv. 51.) fur chaque mefure de blé, &c un quart de piaftre pour chaque mefure d'orge. Les autres hordes retirent également un tribut relatif aux denrées qu’elles apportent ; lon paie aux Merdafs oo livres , quoique le commerce n'ait plus lieu avec eux à la Calle, & que le Bey de Conftantine EN BARBARIE. 21 les oblige de porter leur blé à Bone, fur lequel il gagne à fon tour; aux Nadis 1600 livres, & ainfi par proportion à plufeurs autres nations. Par un nouvel arrangement fait avec le Bey de Tunis pour établir la pêche du corail dans fes mers, ce Bey doit, par la fuite, retirer annuellement près de 27000 livres. Le comptoir du Colo a également ‘des droits à payer au Jumenr , ou tribunal de juftice. | Cestributs , quoiqu’exorbitans., font dans le droit des gens , & n’ont rien qui puifle humilier le Négo- ciant. Tout peuple, tout Souverain. peut bien ne per- mettre chez lui le commerce aux nations étrangères qu'en les foumettant à certains impôts, & cette coutume eff reçue par-tout en Europe; 1l n'y a que dans les Indes & dans l'Amérique où le Négo- ciant, profitant de la foiblefle & de la trop grande confiance de ces peuples étrangers, contre tous les droits divins & humains, les a rendus fes.tri- butaires. Mais. ce qui avilitle Négociant européen fur ces côtes, c’eft le fouverain mépris qu'il lui faut efluyer de la part des Maures; ce font les vexations & les imuftices qu'il lui faut fupporter pour y continuer un Commerce tranquille. Les habitans de la Calle y font le plus expofés. Lorfque les Maures. fe pré- fentent,, il faut leur difiribuer du pain, de l'huile, du fel, & bien d’autres objets qu'ils exigent avec B3 22 Vo v’A'6'r fierté. Si, fatigué de leurs demandes ; on leu refufe la moindre chofe, ils font des menaces qu'ils exécutent prefque toujours, & avec d'autant plus de confiance , qu'ils font certains de l'impunité. Le mécontent fe cache derrière un buiflon, dans quelque défilé, & le premier Chrétien qui fe pré- fente eft viétime de fon reflentiment. D'ailleurs il n'eft pas difficile à un Maure de mettre la nation entière dans fes intérêts ; de forte qu’au lieu dun ennemi, lon en a cent à craindre. Il faut alors parler d'accommodement , appaifer les mécontens , & les traités de paix finiflent toujours par tout accorder aux Maures, Malgré cela, lon n’eft pas plus en füreté. Ceft, au contraire , quand les Maures nous voient fans défiance, qu'ils nous attaquent avec plus dé fuccès. Ils commencent leurs hoftilités par enlever une partie de notre troupeau, qui ne nous eft rendue qu'aux conditions les plus humiliantes. Enfin, mon cher Doéteur, pour achever de vous prouver combien le nom françois eft méprifé fur ces côtes, il fufht de citer Za loi du fang. Si un Maure tue un Chrétien hors le temps de guerre, il doit payer 300 piaftres, qu'il ne paie Jamais; fi au contraire un Chrétien tue un Maure , même pouf fauvèr fa vie, là Compagnie elt tenue de payer +00 piaftres, dont on ne lui fait pas grace d'un denier. Voilà donc le fang maure, ce fang impur & féroce, évalué près dé moitié plus qué EN BARBARIE. 23 celui des chrétiens! Et ce font des François qui ont figné ces honteufes loix ! Non, ce ne peut être que la main avide du Négociant. Les Maures, qui profitent de tout pour nous piller, fouvent affaflinent un d’entre eux, en dépofent fecrètement le cadavre aux environs de la place, accufent les Chrétiens de ce meurtre, & les obligent à payer. | Il fut de-là qu'il faut tout fouffrir des Maures, tout leur accorder, oublier les infultes, fupporter leurs mépris, & recevoir de ces barbares des loix iniques & aviliffantes. Par exemple, ne ferez-vous pas furpris, mon cher Doéteur, que la Compagnie n'ait pas le droit de nommer fes Truchemans ? I appartient aux Maures, qui ont toujours foin de choifir celui d’entre eux qu'ils connoïffent le plus propre à trahir les Chrétiens. Le Bey de Conftantine s’eft obligé, par traité, à fecourir les Chrétiens dans tous les cas; toutes les fois qu'il le fait, il en réfulte quelque nouvel impôt ; 1l eft même quelquefois le premier à exciter des troubles, afin de fe rendre néceflaire, &c de faire payer chérement les fecours qu'il accorde. Lorfque lon obtint un chef pour contenir les Maures de la Mazoule, ce Bey, à caufe de quelques divi- fions | envoya un camp de oo hommes pour rétablir le bon ordre ; mais il exigea de la Com- pagnie une piaftre par homme, qu'il fallut payer. I ny avoit pas trop à fe récrier. Mais l'année BR 4 24 VOYAGE fuivante il réclama les 500 piftres d'ufance ; 8e n'ofant fond:r ce tribut fur les fecours quil avoit accordés, il l'ét:blit pour le p fige de la riviere des Ceibas , fur la route de Bonne, quoïqwil n'y ait ni pont ni bateu, & que les Chrétiens ny paflent que très-rarement, à moins qu'ils n’aillent à Bonne par terre. Pour avoir la paix, l'on fe décida à payer, & ce droit eft refté. A ce trait je pourrois en ajouter beaucoup d’autres de cette nature ; mais je crois vous en avoir aflez dit pour vous donner une idée du commerce que lon fait avec les Maures, Fai l'honneur d'être, &ec. L'ÆCTRTEM Au même. Fe n'ai pu, mon cher Doëteur , réfifter plus long- temps : malgré la contagion , malgré les guerres civiles, malgré les repréfentations du Gouverneur de la Calle & des autres officiers , j'ai franchi nos barrières, Je voyois avec regret le printemps s'é- couler, & les fleurs difparoître avec lui, Quoique nous ne foyons encore qu’à la fin de mar, le foleil ft déjà fi brülant, qu'il ft impoñfble, dès neuf EN BARBARIE. 25 heures du matin, d'en fupportcr les ardeurs. Voilà cependant plus de quinze jours que je cours les aventures, dans un coftume non moins ridicule que celui du célèbre Robinfon; vous allez en juger. Pirdeflus une paire de pantalon & une vefte légère, je porte l'habillement Aribe. Ceft une efpèce de grand manteau blanc à capuchon, qui tombe jufques fur les talons ; il eft d’une feule pièce, fans couture, fermé pardevant, & orné de franges de foie aux extrémités , fur la poitrine & aux pointes du capuchon. Cette dernière partie eft fixée fur la tête par une groffe corde de poils de chameaux de plufieurs aunes de long. Elle remplace chez les Maures le turban des Turcs. Pour me garantir du foleil, je porte, outre cela, un énorme chapeau de feuilles de palmier, dont plufeurs chefs Arabes font ufage pendant l'été. Ceft ainfi qu'à demi- Maure , à demi-Chrétien, je parcours les fables “brülans de la Barbarie. Peu à peu ma figure prend la teinte rembrunie de celle des Africains, & il ne me manqueroit qu'une barbe touffue , les jambes & les bras nuds pour être tout-à-fait méconnoif- fable. Quoique je n’en veuille qu'aux plantes & aux infeétes, je marche cependant toujours armé en guerre, à la manière des Arabes. Une groffe ceinture de cuir garnie de bonnes cartouches, une paire de piftolets, une efpèce de poignard, un fibre &c un fufl, tel eft à-peu-près l'armure de 26 VOYAGE tous les Arabes. En cet équipage, je me préfénte hardiment devant les tentes des Maures, accom- pagné d'un domeftique & de deux Maures que Jai emmenés avec moi de la Calle, où ils ont appris à parler un peu provençal. Je ne me fie ce- pendant ni à mon courage, ni aux armes que je porte. Jai foin, avant de pénétrer dans le pays, de m'informer exaétement par mes truchemans, fi la nation que nous allons vifiter eft en liaïfon de commerce avec la Calle, fi-elle eft fourmifé à quelque chef, fi un Chrétien peut y paroître avec füreté | & fur-tout fi la pefte n’y fait point de ravages ; je ne me hafarde que d’après leur réponfe, &t jufqu'à préfent je n'ai encore éprouvé aucune forte de danger, quoique fur l'article de la pefte, les Arabes foient peu fidèles dans leurs récits. Comment, mon cher Doûteur , vous peindre les imprefions confufes & oppofées que jai éprouvées à la première vue de ces hordes Arabes? Je n'étois qu'à une demi- portée de fufñil d'une trentaine de tentes, je me difpofois à y pénétrer, lorfque j'appris que la pefte sy étoit déclarée depuis huit jours. Pour éviter le danger de la communication; fans aller plus avant, je defcendis de cheval à lendroit même où nous nous trouvions , ayant befoin d’un peu de repos & de nourriture. Cétoit au bord d'un ruifleau où couloit uneeau fraîche & limpide; des buiflons de ‘lauriers #'rofes ; de EN BARBARIE. 27 térébinthe & de myrthe formoient un ombrage agréable ; & ce payfage, terminé par des collines couvertes de la plus belle végétation, étoit animé par de nombreux troupeaux qui paifloient au loin. Ainfi la Nature, en m’offrant le tableau riant de ce féjour paftoral & champêtre, difpofoit mon cœur à la joie, & me tranfportoit en idée dans cet heu- reux temps où les hommes étoient tous bergers, êt ne connoifloient de véritables richeñes que les biens de la terre & le produit de leurs troupeaux. Occupé de ces idées, parcourant des yeux toutes les beautés de ce payfage, les fixant particuliére- meñt fur les tentes bafles & enfumées des Arabes, jen vis tout-à-coup une douzaine diriger leurs pas vers moi. Je vous l'avoue, mon cher Doë&teur, à la vue de ces hommes féroces , je ne pus me défendre d'un mouvement de frayeur, qui fit, en un inftant, évanouir les idées qui m’occupoient fi agréable- ment. Ils étoient tous armés; je craignis quelque attaque de leur part: mais je fus rafluré par les Maures qui m’accompagnoient. Dès qu'ils furent à maportée, je les faluai félon la coutume du pays, & je leur fis dire de fe tenir à une certaine diftance de nous, à caufe de la contagion. Ils ne firent aucune difficulté de sy foumettre. Ils saccroupirent en cercle autour de nous, & caufèrent pendant quelque temps avec leurs femblables. Ils me de- mandèrent fi je voulois du latage. Je laçceptar. 23 VOYAGE Auffi-tôt deux d’entre eux fe détachèrent, & re= vinrent peu à près chacun avec une écuelle de bois pleine de lait. Jen bus avec plaifir; & maloré leur ton brufque, leur air prefque toujours me- naçant, je fus fenfble à leur réception. Je leur en exprimai ma reconnoiflance par mes geftes, & je leur diftribuai un peu de poudre & de plomb qu'ils m'avoient demandés. Oubliant alors la pein- ture que l’on m'avoit faite de leurs mœurs, ou plutôt attribuant leur férocité au defpotifme fous lequel ils gémiflent, & peut-être à la fréquenta- tion des Européens , avec lefquels ils peuvent avoir appris à être fourbes & méchans, je m’efforçois de me perfuader, comme je l’avois cru jufqw’alors, que plus fhomme étoit près de la nature, plus il devoit être bon; je ne voyois plus en eux que ces patriarches de l'antiquité uniquement livrés aux foins de leurs troupeaux, & exempts de cette foule de néceffités inventées par le luxe. Fy voyois des hommes à qui j'étois redevable de lhofpitalité, pufqu'ils m'offroient leurs tentes pour afyle; & fi je ne trouvois pas en eux cette politeffe maniérée … d'Europe, au moins croyois-je y voir une dure franchife , telle qu'elle doit être dans l'homme de la Nature. Ceft ainfi que tout en raifonnant avec moi-même , & me laïffant abufer par ce defir fi attrayant de trouver dans tous les hommes un fond de bonté naturelle, je me livrois avec plafir à EN BARBARIE. 29 une erreur dont je n’eus par la fuite que trop ts d'être détrompé. Lorfque je les quittai, n'ayant point, par pru- dence, voulu entrer dans leurs tentes, ils m’accom- pagnèrent un demi-quart de lieue ; en nous féparant ils me fouhaitèrent, en leur langue, bozheur & paix. Inftruit du fens de leurs expreffions, je les leur répétai avec attendriflement , & je m’applau- diflois que les premiers mots arabes que je pro- nonçoiïs, ferviflent à exprimer ma reconnoiffance, Jai éprouvé à-peu-près la même réception chez les différentes Tribus Arabes que jai parcourues jufqu’à préfent : je n’ofai, pendant les premiers jours, pénétrer dans leurs tentes, de peur de la pefte ; comme le temps étoit très-doux, le ciel ferein, je me faifois tous les foirs arranger une petite cabane de fewillage, peu éloignée des tentes, & je pañlois la nuit étendu fur le gazon où je goûtois un fommeïl auffi tranquille que dans un lit bien délicat. Cepen- dant, comme le danger, vu de près, ne fait plus d'auffi fortes impreflions, je me fuis infenfiblement accommodé des tentes des Arabes. Py fuis reçu tous les foirs, & j'ai honneur d’être admis à leurs repas. Agréez les fentimens d'amitié avec lefquels, &cc, 20 VOYAGE EIPSENTE R'EL AM}, FisEino Tano 15, mon cher ami, que vous admirez les chef-dœuvres des grands maîtres au milieu des ruines de la célèbre Rome, je parcours les plaines ides anciens Numides. Pari ces contrées défertes. & incultes, que de jouiffances, que de richefes pour le Naturalifte ! que d'utiles leçons pour PObfer- vateur philofophe ! Vous cherchez les Romains chez les Italiens, & peut-être ne trouvez-vous plus dans leur figure, dans leur caraëétère, cette noble fierté, ces traits de majefté &t de courage qui annoncoient en eux les maitres de l'Univers. Je fuis plus heureux que’ vous. Il me femble | dans chaque Arabe montagnard, reconnoïre un Gétule ou un Numide: mais, puis-je me féliciter de.ces traits de reflemblance dans un peuple qui a con- fervé la férocité &c les mœurs. des premiers habitans de ces contrées? Qu'il eft humiliant pour la nature humaine, de voir prefque toutes:les nations dégé- nérer infenfiblement des vertus de leurs ancêtres, ëz n’en perpétuer que les vices! Ceft cependant le tableau que nous offre lhiftoire de tous les âges. Où trouver aujourd’hui les Sages de la Grèce, le EN. BARBARIE. 31 favant Esyptien, & les héros de l'ancienne Rome à Nous les chercherions inutilement dans leurs def- cendans, tandis que PAfiatique a confervé fa pre- mière molleffe, & que le barbare Africain eft encore altéré de fang. Que de figures dignes de votre pinceau j'ai déjà rencontrées parmi les Maures! Des ÿeux pleins de feu & de courage , un regard féroce, des traits mâles & fortement prononcés, le nez aquilin, des bras nerveux, la taille haute, la démarche fière, les jambes, les cuifles & les épaules prefque toujours à nu, tel eft l'extérieur de la plupart des Maures. Ils ne font point naturellement noirs, malgré le proverbe, & comme le penfent plufieurs écrivains ; mas ils naiflent blancs, & reftent blancs toute leur vie, quand leurs travaux ne les expofent pas aux ardeurs du foleil. Dans les villes les femmes ont une blancheur fi éclatante, qu'elles éclipferoient la plupart de nos européennes; mais les Mauref- ques montagnardes, fans cefle brülées par le foleil & prefque toujours à moitié nues, deviennent, même dès enfance, d’une couleur brune qui approche beaicoup de aies de la fuie. Leur habillement eft intérefflant à connoître. Je le crois de la plus haute antiquité. L'on m'a afluré que du côté du défert de Saara, plufieurs, Arabes étoient parfaitement nus. J'en ai en effet rencontré quelques - uns qui navoient aucune. efpèce, de LA Li 32 VOYAGE vêtement; d'autres qui ne portoient qu'un légei calecon : maïs le plus grand nombre ont un habil- lement plus ou moins détaillé , felon leur condition. ou leur fortune, Les uns, ce font les plus pauvres & par conféquent les plus nombreux, s’enveloppent d’une pièce d’étoffe de plufieurs aunes, qu'ils en- tortillent , chacun à fa manière, autour de leur tête & de leur corps. Cet habilement a été par- fiitement bien décrit par M. de Fénelon, en parlent, dans fon Télémaque, de la coutume des Bæœtiens. Leurs habits, dit-il, font aifés à faire; car en « doux climat on ne porte qu'une pièce d’étoffe fine & légère qui n'eft point taillée, & que chacun met a longs plis autour de fon corps pour la modeflie , lui donnant la forme qu'il veut. ( Liv. 8.) D’autres ajoutent en deffous, foit une chemife femblable à celle de nos femmes, foit une tunique de laine fans bras qui leur defcend jufqu'aux genoux. Les plus riches portent, outre cela, une efpèce de chappe a capuchon aflez femblable aux manteaux de nos hermites (1). La fineffe de leurs habillemens eft encore relative à leur fortune. Pai vu plufieurs chefs Arabes revêtus d'étoffes de laine que j'ai fouvent pris au premier afpe& pour une très-belle mouffeline , d’une blan- cheur éclatante. La laine de Barbarie a toujours été renommée par fa beauté, SO QIANR LAID EUR LAN AEN Noa PSE STONES LES (1) Voyez la Lettre V, Les EN BARBARIE. 33 Les femmes ont, pour s'habiller, la même pièce d'étoffe que les hommes ; mais elles larrangent un peu différemment. Elles en font une efpèce de robe qui couvre chez elles plufieuts parties décou- vertes chez les hommes. Les Maurefques portent, outre cela, quelques ornemens qui ne contribuent frement pas à relever leur beauté. Elles ont les cheveux treflés, quelquefois flottans fur leurs épaules, tandis que les hommes font rafés, & ne confervent dans le milieu de la tête qu’une flotte de cheveux; les oreilles, les bras, & les jambes des Maurefques font ornés de grands anneaux de fer; quelquefois elles y ajoutent des morceaux de corail. Coquettes à leur manière, au lieu de rouge, qui fûrement n'embelliroit pas leur peau noire, elles emploient la poudre à canon mêlée avec de l'antimoine , pour tracer différentes figures fur lens front & au-deffus de leurs paupières. Les hommes s’en font autant aux bras, à l’eftomac & au-deflus des mains : je crois qu'il fe mêle un peu de fuperf- tition dans ces caraétères myftérieux. Si, pour fuppléer aux couleurs qui leur manquent, nos Européennes avoient à fubir une opération aufli douloureufe que les Maurefques, je doute fort qu'elles vouluffent avoir d’autres charmes que ceux de la nature. Les femmes Arabes, pour rendre ces marques ineffaçables, fe percent la peau d’un grand nombre de coups d'épingles, & quand le fang a Part. I. C 34 Vo :YHAVEME eflé de couler, elles appliquent leur.poudre bien fine, & linfinuent dans les pores ouverts de la peau par des frottemens réitérés. Ces marques alors font ineffaçables, & difpenfent les femmes de dé- pofer tous les foirs leur beauté faétice fur leur table de nuit, Jai rencontré beaucoup d’enfans aux- quels Pon avoit teint lessongles des mains en un rouge jaunâtre; mais cette couleur ne tient pas (1). C'eft parmi les Arabes errans des montagnes &x du défert, que lon reconnoït particuliérement le coftume que je viens de vous décrire. Ceux qu habitent les villes varient davantage leur manière de s'habiller. Les uns vont la tête nue ou recouverte tout an plus d’une calotte rouge ; d’autres portent le turban comme les Turcs, & une partie de leur accoutrement. [ls fe fervent de babouches, tandis que les montagnards vont toujours nuds pieds. L’habillement des Maures eft commun à prefque tous les habitans de l'Afrique , jufaues par-delà la Guinée, & même aux Arabes de l’Afie. Les ama- teurs de l'antiquité auroient de belles recherches à faire fur le coftume des Africains &*des Arabes Afatiques. Ce qui me porte à croire qu'il doit être très-ancien , c’eft que ces peuples ignorent abfolu- ment la varièté des modes. Le fils ne s’aviferoit pas _ (1) L'on emploie pour cet objet le fuc d’une plante nommée Henné, Lawfonia inermis, L. Syf. veg. EN BARBARIE. 35 de s'habiller autrement que fon père ; d’ailleurs quand il le voudroit, linduftrie eft fi bornée, que les ouvriers feroient fort embarrafiés s'il f«iloit changer la forme des habits, tout gênans qu'ils font. Le logement des Maures cft äuff fimple que leurs vêtemens. Ils nhabitent que des tentes, ou des cabanes formées de branches d'arbres & de rofeaux, La réunion de plufieurs tentes fe nomme douare. Il y a des doueres de dix, quinze, vingt tentes, comme 1l y en a de plus de cent. ee. tentes fe placent circulairement, «fin de pouvoir, pendant la nuit, renfermer le troupeau dans leur milieu. S'il y a quelque efpace vuide entre deux tentes, on le remplit par des brouflailles & des épines, afin de fermer le paflage aux bêtes féroces. La forme de chaque tente eft à-peu-près celle d’un tombeau, ou de la carène d'un vaifieau renverfé, comme dit Salufte en parlant des habitations des anciens Numides (1). Elles font baffes, excepté celles des chefs, qui ont un peu plus d'élévation & détendue. Là matière eft en laine d'un tiflu trè:-{erré, teinte en noir ou en brun. La facilité de tranfporter ces fortes dhsbitations , fit que les Maures changent fouvent. de local, felon la faifon ou feion leurs (z) Cæterum adhuc ædificia Numidarum agreflium, quæ Mapalia ils vocant oblonga, incurvis lateribus te6ta, 4 navium carinæ funt, Sal, Bell. Jugur. C 2 36 VOYAGE befoins. Dans l'hiver ils choififfent, aux pieds d'une colline, une expofition au midi ; ils fe rapprochent pendant l'été, des pâturages & des fources d’eau. L'inventaire de leurs meubles eft bientôt fait. Ils ne connoïflent d'autre lit que la terre fur laquelle les plus délicats étendent un peu de paille, une natte, ou un groffier tapis. Quelques vafes de terre pour cuire & apprêter le corcouçon , une écuelle de bois pour puifer de l'eau & traire les vaches, une peau de bouc pour battre le beurre, deux petites meules portatives pour écrafer le blé & le: réduire en fémoule; voilà à quoi fe borne toute leur batterie de cuifine. Vous imaginez bien, d’après cela, que leurs repas ne doivent être ni fomptueux, ni délicats. En effet, rien de plus fimple & de plus frugal. Ils ne font par jour qu’un repas qui exige quelque apprêt. Hors de-là ils ne prennent rien, ou ils fe conten- tent de quelques fruits ou racines fauvages. Les plus aïfés font cependant deux repas qui ne con- fiftent que dans le feul courcouçon. Avant de vous expliquer comment les Maures font le courcoucon , il eft effentiel de vous faire ob- ferver que le blé de Barbarie, peu différent du nôtre, ne donne cependant pas, comme celui de France, une farine pure, abondante & nutritive : mais il fautdiftinguer dans le grain la partie farineufe d'avec la partie dure. La première eft en très - petite EN BARBARILE. 37 quantité ; elle fe trouve ordinairement à [a pointe du-blé & dans fon milieu. Cette farine fait de très- mauvais pain noir : aufli ne s’en fert-on point. On labandonne aux animaux, ou bien on la mêlange en petite quantité avec la partie dure. Les Maures ne connoïflent point l'ufage du pain. Ils écrafent le blé en grumeaux par le moyen de deux petites meules portatives, d’où il réfulte une efpèce de. très - grofle /émoule, qu'ils nomment courcouçon. Quand ils veulent apprêter leur repas, ils entaffent cette fémoule dans un vafe de terre percé de petits trous, & placent ce vafe en forme de couvercle fur la marmite où cuit la viande. Les vapeurs qui s’en élèvent pénètrent le grain & le gonflent. Cette opération finie , 1ls retirent L courcouçon, le mettent dans un autre vafe large & plat fupporté par un pied, comme celui de nos verres à boire. Cette nourriture leur tient lieu de pain; à mefure qu'ils la mangent, ils la démêlent avec un peu de bouillon, de lait, de beurre ou de miel. Pardeflus le cour- couçon ils placent la viande cuite, que chacun déchire avec les doigts : c’eft ordinairement de la volaille, du chevreau , du bœuf ou du mouton. Le courcouçon anfi préparé, le chef de [a tente, ou tout autre Maure d’un rang au-deflus des autres, sempare du plat, mange le premier, & feul. IE fe tient accroupi, & pofe le courcouçon devant lu. Il en prend un peu avec les doigts, en forme C 3 38 VOYAGE des balottes dans le creux de la main, & fe les jette dans la bouche avec beaucoup d'adreffé Quand les chef ont fini, le plat pañle entre les mains de ceux qui'viennent aprés, aux enfans, par exemple, qui ne mangent jamais avec leur père, ni même devant hui, au moins chez les M.ures d’une certaine df- tinétion. Les femmes mengent les dernières ; elles n'ont que le rcfte des hommes, même celui de leurs propres enf.ns. Elles feules font chargées des äpprêts de ce repas. Les Maures, d'après les prin- cipes de leur religion, doivent, ävant & après le repas , fe laver les mains, la barbe & la bouche, mais beaucoup négligent cette cérémonie. Comme Mufulmans , 1ls n’ont que l'eau pour boïflon, qu'ils puifent avec une écuclle de bois, & dans laquelle : ils boivent tour-à-tour. Ils ne refufent cependant point de vin quand on leur en préfente, & qu'ils ne font pas vus. Jen ai connu beaucoup qui même en buvoient avec excès. | Quand les Maures entreprennent des voyages de long cours, & dans des lieux où ils ne peuvent trouver lholpitalité, ils emportent avec eux une certaine provifion de fémoule, & quand la faim les preffe, ils en forment , dans le creux de leurs mains, quelques balottes avec de Peau; ce léger aliment leur fuffit, & les foutient pendant de très -longues routes. I eft d'autres Arabes dont la vie eft encore bien NX EN BARBARIE. 39 plus dure & plus miférable. Ce font ces hordes in- domptées qui n'habitent que les lieux inaccefbles, Elles n’ont aucune pofleffion , aucun afyle fixe. Si quelquefois elles enfemencent une mince portion de terre, fi elles ont des troupeaux, comme elles ne peuvent éviter de fe fixer dans les plaines, elles ne tardent pas à être dépouillées. Ces malheureux fe retirent alors dans des bois Cpais &c impénétrables, dans les gorges affreufes des montagnes ou dans le creux des rochers. Ils vivent féparés les tms des autres, & font obligés, pour ainf dire, à broutcr Fherbe des champs. Les fruits fauvages, les racines tendres , les jeunes pouffes des plantes leur fervent de nourriture. La plupart ont des armes à feu; c’eft le plus précieux héritage qu'un père puifle laiffer à fes enñfans: ils pourroient s’en fervir pour la chafle; mais comme ils ont beaucoup de peine à fe procurer de la poudre & au plomb, 1ls les con- fervent pour défendre leur Hberté. Ils préfèrent l'indépendance & la mifère, à un genre de vie plus tranquille , & dont ils ne pourroient jouir qu’en fe foumettant, comme les autres, au defpotifme des Turcs. Ces Arabes font les plus cruels de tous. Je ne ferois pas éloigné de croire qu'il n’y at parmi eux des anthropophages, tant ils font affamés & avides de fang humain. Perfonne n’ofe pénétrer dans les gorges de leurs montagnes. Les fouverains du pays y ont quelquefois conduit des C4 40 V oi ALG:E camps aflez confidérables; mais ces entreprifes n’ont jamais eu de fuccès. Ou les troupes ont été égorgées dans les défilés , ou les Arabes fe font difperfés dans l'intérieur de leurs montagnes. Quelquefois ils def- cendent dans les plaines, & viennent dépouiller les nations voifines. J'ai rencontré plufeurs de ces Arabes. Leur figure eft horrible. Ils font maigres, déchernés, couverts de lambeaux, & dégoñtans par leur mal-propreté. Ils ninfultent les voyageurs qu'autant qu'ils font en force; mais comme ils vivent loin les uns des autres, lorfque lon ne féjourne pas chez eux, & qu’on ne leur laïfle pas le temps de fe réunir, on peut, dans bien des endroits, pafler fans danger. Voilà, mon cher ami, des êtres bien différens de nous, bien éloignés des douceurs de la focièté ; mais je n’ai fait qu'efquiffer le tableau : il eft fi pénible de peindre l'homme méchant, que ma plume fe refufe à vous en tracer le portrait. Je fuis avec amitié, &c. EN BARBARIE. 41 | AE CAE D 168 à CON AP A Au même. Jr confens volontiers, mon cher ami, à vous donner fur la politefle & plufeurs autres ufages des Maures, les renfeignemens que vous me de- mandez. Je defirerois vous pofléder avec moi; votre pinceau rendroit fidellement ce que ma plume ne peut que vous peindre très-imparfaitement. Quoiqu’en apparence à demi-fauvages, les Maures ont cependant entre eux des fignes reçus pour ex- primer l'amitié & le refpet, fignes qui n’ont point parmi eux plus de vérité que parmi nous. Le falut le plus ordinaire, quand les Maures s’abordent, eft de mettre la main droite fur la poitrine en inck- nant la tête ; ils fe fouhaitent, dans cette pofture, le bonjour l'un à l'autre. Ils s'informent enfuite de la fanté de leurs parens, en les nommant les uns après les autres, demandent des nouvelles 4 /2 jument, du troupeau, de la tente, &c. Si ce font deux Maures de connoïffance, ils sembraflent en fe baïfant réciproquement le vifage & l'épaule, ou bien ils fe prennent la main & fe la baifent alterna- tivement. Dans la plus grande familiarité, & lorfque Von fe voit fouvent, lon ne fait que fe toucher 42 V. Oo YANG la man de l'extrémité des doigts. Chacun enfuite porte fes propres doigts à la bouche, &c les baife. Lorfque les Maures abordent quelqu'un en di- onité, un chef, un Bey, un Kaïde, ils lui baïfent refpeétueufement la main. Une marque de faveur de la part d'un Grand, eft de préfenter le dedans de fa main aux fujets qui viennent lui rendre hommage, & qu'il veut diftinguer des autres: ordinairement il ne préfente que le deflus. Enfin, pour plus grande marque de foumiffion, on lui baïfe la tête, les épaules , le turban, les habits. Il en .eft même. qui fe profternent, en pofant un genou en terre. L'on n’aborde jamais les Grands fans quitter” fa chaufure. | En voyage, quand deux Maures fe rencontrent, ils fe faluent, & fe font toutes les queftions que Jai rapportées plus haut, fans s'arrêter, en conti- nuant leur chemin, fouvent en fens oppofé; de forte qu'il arrive qu'ils font hors de la portée de s'entendre , avant qu'ils foient à la fin de leurs queftions. Cela ne les empêche pas de les continuer. Dans la converfation, leurs geftes font vifs, ex- prefifs, pleins de naturel & de graces. En les étudiant avec attention, il ne feroit pas difficile de fafir à-peu-près le fujet de leur entretien. Leurs accens font forts, aigus. Le fon de leur voix ft fonore & s'entend au loin. L’habitude de vivre au milieu des champs, & de fe parler de fort loin, ( EN BARBARIE. 43 leur fait prendre dès l'enfance, la coutume de parier très-haut. J'ai remarqué que dans les villes leur voix étoit beaucoup plus adoucie, & que leurs accens blefloient moins les oreilles. Les Miures nattachent point aux rots lidée de mal-propreté & d'intempérance que nous y atta- chons. Au contraire, quand quelqu'un rote ou éternue , l’on forme, comme chez nous, des vœux pour fa fanté. Saha, lui difent-ils, que cela vous fafle bien. Us emploient cette expreffion pour une foule d’autres fonétions. Si un d’entre eux mange, boit ou fume , ils lui difent f4ka , application beaucoup plus jufte que la nôtre, quand nous buvons à la fanté de quelqu'un. Quand les Maures font en repos, leur poftion ordinaire neft pas d'avoir les jambes croifées, comme les Turcs; mais ils font accroupis, leur fufil droit entre leurs jambes, car ils ne quittent jamais leurs armes, excepté fous leurs tentes. Ils paflent ainfi des journées entières à rien faire, & fe croient très-heureux lorfquils peuvent fe livrer tout enticrs à l’oifiveté, Jai l'honneur d’être, &c. 44 Vovac'Æ LE TT RES. TER AL Eur DAME J AMAIS, mon cher Doëéteur, je n’ai mieux apprécié les avantages d’une nation policée, que depuis que jhabite chez un peuple barbare : jamais la beauté, la commodité de nos grands chemins ne m'a tant frappé, que depuis que je fuis obligé de voyager à travers des brouffailles & des marécages. Combien huit jours de courfes, comme j'en ai faites depuis quelque temps, changeroient les idées de ces Eure- péens délicats qui ne ceffent de fe plaindre des auberges & des fatigues de leurs voyages ! Dans ce pays-ci lon ne connoit ni hôtelleries, ni chaïfes de poftes, n1 Aubergiftes attentifs & obligeans. Il ne faut pas s’imaginer trouver des grandes routes , des chemins battus & ombragés, des lieux de repos & de délaffement : trop heureux fi à la fin d'une journée fatigante lon pouvoit rencontrer quelque chétive bicoque, & un mauvais grabat ! Jamais 1l ne le faut efpérer. Pour voyager dans ces contrées barbares, il faut oublier l'Europe ; il faut renoncer à ces doucess habitudes contraétées dès l'enfance, & qui devien- nent par la fuite des befoins prefque indifpenfables. EN BARBARIE. 45 Si les obftacles rebutent ; fi les dangers épouvan- tent ; fi l'on n’a point une fanté robufte, exercée à la fatigue ; fi lon ne peut saccommoder de tout, devenir, en un mot, l'homme de tous les pays, jamais lon ne doit fonger à fortir de fa patrie. Le feul moyen de voyager un peu commodé- ment en Barbarie eft d’avoir une tente à foi, & ce faire d'abondantes provifions : mais quelquefois ces adouciffemens ne font pas poffibles. Il faut alors fe réfoudre à fe fervir des tentes des Maures, toutes mal-propres & dégoûtantes qu’elles font; il faut fur-tout s’accoutumer à leur nourriture frugale 8c peu délicate. Combien de fois lon part le matin fans favoir où lon arrivera le foir! combien de fois, égaré dans ces déferts, il faut chercher fon chemin à travers des brouflulles, d'épaifles forêts, des rochers efcarpés, des fables brülans ; tantôt arrêté par une rivière qu'il faut pañler à gué, par un lac qu'il faut contourner, par des marais que lon ne traverfe jamais fans danger; tantôt brülé par le foleil, ou percé par la pluie; d’autres fois mourant de foif, fans trouver de fources pour fe défaltérer! Si lon na point de provifions, il n'eft guère poffble de rien prendre avant le foir. C'eft le feul moment où les Maures faffent un repas réglé, & où ils puiflent offrir quelque nour- riture au voyageur. Enfin la nuit arrive, Ce moment de repos poux 46 V.o. x Ag E le voyageur européen, en eft un de fatigue pour le voyageur africain. Il faut alors choifir un terrein fec, abrité, pour y drefler une tente; il faut deffeller les chevaux, débagager les mules, couper du bois, allumer des feux, &c prendre tous les moyens qu'indique la prudence pour fe mettre à l'abri des bêtes féroces & des voleurs. Il eft bon de ne jamais camper loin des tentes arabes, quand on en ren contre. Ils fourniflent bien des fecours lorfqu'ils font traitables, & ils le font toujours, dès sl vous voient avec une bonne efcorte. Ceft, comme je l'ai déjà dit, fur la terenue, ou tout au plus recouverte Es natte, que les Maures paffent la nuit ; &c c’eft ainfi que le voyageur doit fe déterminer à la pafler, à moins qu'il ne foit pourvu d'un matelas, auquel cependant 1l hu faut renoncer , quand 1l a effuyé une forte pluie. D’ail- leurs comme tous ces attirails font gênans, 1l vaut mieux , dès le commencement, adopter la coutume des Maures , à laquelle il en faut venir tôt ou tard. Quant aux précautions néceflaires à ma fürete, voici comment je m'y fuis pris. Avant de quitter la Calle, jai commencé par m'informer des nations qui faifoient le plus de commerce avec la Com- pagnie , & chez lefquelles un chrétien pouvoit aller fans danger. Jai pris avec moi quelques Arabes dont jétois für de la fidélité. Je leur ai fait entendre EN BARBARIE, 47 qu'en parcourant le pays, mon intention étoit de travailler à la recherche des plantes propres à la Médecine. Ce motif eft le feul que fon puifle donner à des hommes qui ne conçoivent pas com- ment l’on peut être attiré chez eux par la feule curiofité, & comment ün homme peut voyager pour l'unique plaifir de voyager. Ils font d'ailleurs tous portés à foupçonner des intentions perfides dans les étrangers qui abordent chez eux, & qui veulent y faire des obfervations. Mais le titre de Médecin, auquel ils attachent une certaine conf- dération, leur infpire la confiance, & les rend plus traitables. Dès que je fuis reçu chez une nation, je tâche de mettre le chef dans mes intérêts, & jen obtiens prefque toujours des cavaliers qui m’accom- pegnent chez d'autres nations amies, & auxquelles je fuis recommandé. Ces cavaliers jurent fur leur tête de me ramener; fi au retour j'avois à men plandre, ils feroient févérement punis par le chef qui me les avoit donnés. Ceft amfi que je fus venu à bout de pénétrer chez ces hommes de fang, & peu-à-peu de m'éloigner des côtes. Je vous ferai part dans d’autres Lettres, de mes obfervations & de mes courfes ; mais je ne peux terminer celle-ci fans quelques réflexions fur le genre de vie auquel je fuis foumis depuis que j'ai quitté la Calle. Il eft, mon cher Doéteur, une foule de préjugés . gationaux dont on ne peut fe dépouiller que dans { 48 VOYAGE des voyages femblables à celui que je fais. Les peuples civilifés fe reffemblent tous. Les traits qui les différencient font peu marqués ; 1l faut, pour les faifir, un taét délicat, une finefle de jugement peu commune. Chaque nation a, fans doute, un cara@tère , des coutumes, des mœurs qui lui font propres; mais toutes font guidées par des principes communs ; toutes, plus ou moins éclairées par les arts & les fciences, travaillent à réunir autour d'elles les différentes commodités de la vie. Chez les peuples policés, le génie aétif & créateur fans cefle invente & perfeétionne. Il embellit la demeure de l’homme, & convertit à fon ufage les produétions de la Nature : mais ces commodités tant vantées, ces douceurs de la vie fociale font autant de liens qui rendent Phomme efclave d'une foule de befoins fattices, & en font un être malheureux lorfque fes richefles ou fon travail ne peuvent fournir à fes néceflités. Accou- tumés dès l'enfance à jouir de ces avantages , nous les croyons fi effentiels à notre exiftence , que, pour nous les procurer, nous oublions les travaux, les les fatigues & les inquiétudes qu'ils nous coûtent. Nous ufons nos forces, nous détruifons notre fanté, nous facrifions tous nos inftans à lacquifition d’une fortune qui fouvent nous échappe ; & fur le bord du tombeau, nous méditons encore de grandes en- treprifes, dans l’efpoir d’un prétendu bonheur que la mort vient nous ravir. Né au milieu de ces préjugés, Je EN BARBARIE 49 “je les avois confervés jufqu'à préfent ; je plaignois ces peuplades errantes auxquelles nos belles décou- vertes font inconnues, qui n'ont ni pain, milit, n; maifons. Cétoit beaucoup pout moi de croire à leur exiftence; mais je n’imaginois pas qu’un tel genre de vie fût poffible à un Européen. L'expérience m’a détrompé, mon cher Doéteur; non-feulement je connois cès hommesque je croyois fi malheureux, mais encore j'habite parmi eux, je vis comme ils vivent. Jai adopté leurs coutumes d'abord. par néceflité, a@tuellement par habitude. lis ne mangent point de pain; ils ignorent: lart d’apprêter les viandes; l'eau eft leur feule boiflon. Que s’enfuit-11? Quils en font plus fains, plus robuftes,, & que les maladies font rares parmi eux. Ils n'ont point de maïfons; mais qu’en eft-il befoin dans ces heureufes contrées où une fimple toile, une cabane de feuillage , le creux d’un rocher fufffent dans les plus mauvais temps pour garantir des injures de l'air? Ils dorment habillés fur la terre, fouvent au milieu de humidité; ne femble-t-il pas qu'ils doivent être affaillis par cette foule de maladies que chez nous la Médecine arme contre le téméraire qui oferoit en faire autant? Je vous avoue, mon cher Doëteur,. que je fus d’abord un peu épouvanté lorfqwil me fallut, pour la première fois, faire sufage d'un lit à la maurefque. Jétois accablé de fatigue; ce fut pour moi un excellent Part. I. D so Vovace . foporatif : je dormis aflez bien; mais à mon réveil fentant mes habits humides, je craïgnis pour ma fanté. Heureufement je n’eus que les côtes un peu froiflées : ce ne fut rien, & mes côtes s’accommo- dèrent de la terre dure pour lit, ainfi que ma tête de la felle de mon cheval pour couffin. Je peux vous certiñer, mon cher Doéteur, qu'avec un peu d'habitude lon dort auffi bien de cette manière que. dans un litenvironné de doubles rideaux. Le fom qui alors n’excède jamais les befoins de la Nature, fait couler dans tous les organes le baume desla fanté. La refpiration eft plus vive; lon fe fent animé d’une nouvelle exiftence que lon regretteroit de perdre : par un fommeil trop prolongé. Il eft d’ailleurs, au moment du réveil, une autre jouifiance que bia peu favent apprécier , parce que pettfavent ; jouir des beautés de la Nature, Au milieu de ces déferts filencieux laurore paroït , lhorifon eft embrafé de fes feux; fes premiers rayons frap- pent la pointe des montagnes : peu-à-peu la plaine eft éclairée, les objets fe diftinguent, les fleurs s’entre- ouvrent & parfument l'air ; l’oifeau fecoue fon plumage & falue le nouveau jour; en un inftant la Nature s’anime , & préfente par-tout des tableaux enchanteurs. La chèvre eft fufpendue aux rochers, le bœuf paît dans la plaine, l'agneau bêle à côté de fa mère, & la campagne devient au loin l'image dc la vie paftorale. Voilà de ces plaifirs que je _. EN BARBARIE. st moublierai jamais, de ces plaïfirs inconnus à qui conque ne fait dormir que dans le fond d'une ténébreufe alcove. Jai l'honneur d’être, &c. LeESTET'R E IX. Au même. Avanr de quitter la Calle, encore un mot, mon cher Doëteur , fur les nations qui Pavoifinent. Cette placefert de limites aux royaumes de Tunis & d'Alger. La partie de l'e/? eft habitée par les Nadis. Les Nadis ! nation féroce, qui ne s'eft rendue indépendante que pour être cruelle avec impunité ; nation fangui- naire, à qui la guerre ne plaît que parce qu’elle offre plus d’occafions d'égorger fes femblables ; nation perfide qui ne figne de traités de paix que pour furprendre avec plus de facilité la bonne-foi de l'ennemi; enfin nation vile & lâche, qui ne fort de fes montagnes qu’à la faveur des ténèbres , n’attaque fon ennemi que par embüches, & lorfqu'il eft fans défenfe : en vain les Beys de Tunis & de Conflantine ont eflayé de la foumettre. Les Nadis leur ont toujours échappé. Ils paient cependant quel- ques légers tributs pour ne pas être trop inquiétés D 2 2 VOYAGE dans le commerce qu'ils font avec la Calle : ils cultivent quelques terres & élèvent des troupeauxs mais dès qu'ils font attaqués, ils abandonnent les plaines, & vont chercher la liberté dans le creux de leurs inacceflibles rochers. En guerre prefque continuelle avec leurs voifins, ils ont aufli parmi eux des divifñons inteftines ; ils ne s'accordent que pour faire le mal. Leur vie eft inquiète, agitée, miférable ; à peine ont-ils de quoi fe nourtir. Ils font mal-propres, couverts de haillons, fujets à beaucoup de maladies cutanées. Peus limprudence dernièrement , entraîné par la beauté du payfage, de m’enfoncer dans leur pays d'environ une demi- lieue. J’étois defcendu dans un vallon très-profond, recouvert d'une épaiffe brouffaille. Tandis que ÿ'her- borifois, quelques femmes arabes m'apperçurent, & vinrent mettre Le feu aux brouffailles qui-étoient pardeflus ma tête. Je n’eus que le temps dé me fauver à travers les flimmes. Le pays fitué à loueft de la Calle fe nomme la Mazoul : il eft fort étendu, & aflez bien cultivé, Les différentes nations qui occupent font foumifes à un feul chef; les plus confidérables de ces nations font les Ouledy-Dieb, les Zulmis, les Ouled-Hamet , les Ouked-Stier, les Ben-Amet, les Agbet-Chaïr. C'eft avec ces Arabes que la Calle fait le principal com- merce des grains. Comme je me propofois de com- mencer mes courfes par ces diverfes tribus, l'amitié EN BARBARIE. 53 d'Aly-Bey leur chef, étoit pour moi très-effentielles je me doutai bien que fes rapports d'intérêt avec la Compagnie me vaudroient, de fa part, une réception favorable. Je partis de la Calle pour aller lui rendre vifite ; accompagné de deux de fes cavaliers & de fon écrivain. Comme Je voulois tirer parti de ce voyage pour herbornifer, je fis plufeurs détours, & je m'arrêtai aux endroits qui me parurent les plus intéreflans pour la végétation, quoique la faifon commençât à devenir brûlante, & la terre privée de verdure. Après avoir parcouru les plaines de Terraillanne ÿ de Beaumarchand, où les Chrétiens envoient couper le foin néceffaire pour la nourriture des beftiaux, je pénétrai dans les forêts & les montagnes qui les terminent. J'y ai rencontré des fites extrèmement agréables, des bofquets où la fraicheur y-eft en- tretenue par les ruifleaux qui coulent fous leur ombrage. L'air y eft parfumé d’une foule d'ar- brifleaux odoriférans : lon ne marche qu'au milieu des myrthes , des garous , de l’épine - vinette; la vue eft fans cefle récréée par le mêlange des plus belles fleurs, par les lauriers-rofes qui fortent en. touffe du milieu des brouffailles, par les grenadiets mêlés avec les rofes fauvages, par un parterre dont Péclat eft infiniment fupérieur aux fymmétries de Fatt, Pendant l'hiver ces rians cûteaux, au lieu d'une at dci À 4 VOYAGE neige trifte & uniforme, font par-tout tapiflés de plufieurs belles efpèces de narciffe, de tulipes, de renoncules, & d’anemones ; les orchis, les ellébo- tines , les férapias, variés à l'infini, leur fuccèdent ; au printemps ce font des ornithogales, des afpho- dèles, des iris, des vaftes champs de lupin jaune, auf fuaves pour lodorat, que beaux à la vue; dans l'automne, la grande fcille, & une foule de petites de toutes couleurs, dont plufeuts n’ont pas encore été décrites, Je n'ai vu nulle part le règne de Flore auffi brillant. Je laïffai enfin ces lieux enchantés pour parcourir les bords des grands lacs dont les habitans de la Calle ont tant à fe plaindre, mais qu'un Naturalifte ne peut quitter. Îls ont près de fept lieues de cir- conférence , s’accroiflent confidérablement par les pluies de l'hiver, & fe deffèchent en partie dans les fortes chaleurs. Ils font, en tout temps, cou- verts d’un grand nombre d'olnée, la Pipe très- bons à manger. Je me rendis de-là à Caffon, payfage délicieux , où plufeurs tribus Arabes ont fixé leur domicile. Pour y arriver il faut, fous un ciel dont l'ombre ne peut a 56 Pardeur, franchir des chemins très - fatigans , à travers des fables mouvans, dés rochers aigus, & des brouffailles épaifes : mais auffi il faut avouer qu'il eft peu d’endroits plus favorifés de Ja Nature, Plufeurs fources d’eau fraîche arrofent EN BARBARIE. s5 ces beaux lieux ; de nombreux fieuiers forment des afyles champêtres où les hommes & les troupeaux pañfent la grofle chaleur du jour. Les pâturages y font abondans & délicats, les bofquets très - mul- tipliés. Les côteaux, s'ils étoient cultivés , feroient de la plus grande fertilité. Le laurier, l'olivier, le filaria , larboufier en font un des principaux orne- mens. Ces côteaux font dominés par des bois de liège. Ce lieu eft fitué fur les bords de la mer, d'où la vue s'étend au loin fur la plaine liquide, Les Maures me reçurent vec amitié, au moins en apparence ; ils m'offrirent du laitage & des fruits. Je ne m’arrêterai pas plus long-temps , mon cher Docteur, à vous décrire les différens lieux que j'ai parcourus, n'ayant trouvé par-tout que la même nature avec quelques variétés. Tout ce pays eft agrefte & fauvage. L'on ne rencontre des terres enfemencées & cultivées qu'à de très-grandes dif- tances les unes des autres. Les Maures choififfent , pour s'établir, les endroits ombragés, proche des pâturages & des fources. Si l’eau ou l'herbe vien- nent à leur manquer, ils vont les chercher ailleurs. Cependant , avant d'arriver chez Aly-Bey, je m'arrêtai encore au Sozk, où 1l tient fes efclaves. Il ne faut point ici attacher à ce mot d’efclave, l'idée qu'on y attache ordinairement. Ceux d’Aly-Bey ne diffèrent des autres Maures qu’en ce que leur travail eft tout entier pour ce chef, qui les nourrit & leur D 4 56 VOYAGE fournit tout ce qui leur cft néceflaire, Ils ne peuvent quitter le pays fans fa permiffion. Les autres Maures les confidèrent beaucoup. Aly-Bey les occupe à femer des grains, du tabac, des melons, & à prendre foin d’une grande partie de fes troupeaux.Ces Maures habitent, non fous des tentes, mais fous des cabanes de feuillage, Je crois qu'ils n’ont fuppléé ces cabanes aux tentes, que parce qu'étant fixés en ce lieu, ils n'ont pas befoin d’une maïfon portative comme les autres Maures. Ils occupent une vafte plaine envi- ronnée de bois. Ceft-là Où j'ai trouvé la meilleure eau. Elle coule dans un lit de fable fous une voüte de feuillage. La Nature y a formé dans beaucoup d'endroits des cabinets de verdure impénétrables aux rayons du foleil. L'eau y entretient un gazon frais fous lequel elle s'échappe avec murmure. Fai trouvé au Souk beaucoup de ruches à miel. Les Arabes raffemblent les mouches dans une écorce de liège en forme de tuyau cylindrique, qu'il ont foin d’enduire de miel intérieurement. Ils en ferment les deux extrémités, & ne laiflent qu'une petite ouverture pour donner paflage à l’effain. Ces tuyaux font étendus à plat par terre, & environnés de brouffailles. Il eft incroyable combien lon en retire de miel & de cire. Le premier fert de nourriture aux Arabes; & le fecond eft un objet de commerce. I m'a fallu, pour arriver au Souk, traverfer une forêt que jamais les Faunes & les Druides n'ont EN BARBARIE. 7 égayée par leur préfence. Ce n’eft point fous ces ombrages que viennent folâtrer les Nymphes & les Silvains. Jamais la Bergère n’a foulé d’un pied léger le gazon rare qui recouvre à peine ce fol enfume. L’afpe@ de cette forêt eft affreux & lugubre. Elle n’eft compofée que de lièges. L'année précédente les Maures y avoient mis le feu. L’écorce des arbres brülés à la fuperficie, ne préfentoit plus que des troncs noirs & des branches en partie privées de feuilles. A mefure que javançois, la fine pouffière du liège s’attachoit à ma figure & à mes habits. Je croyois defcendre dans le féjour des morts ; mon imagination toujours prompte à s’exalter, & fouvent à fe nourrir de chimères, me peignoit la forêt enchantée du Tafle, & peu s’en falloit que je ne me crufle un nouveauRenaud deftiné à détruire quelque enchantement. Ces idées folles changecient à mes yeux cette affreufe nature, & jéprouvois un plaifir particulier à me trouver au milieu de ces horreurs. Je n’étois cependant pas fans craindre les panthères & les lions qui font leur féjour dans ces retraites fauvages. Les traces de ces fers ani- maux imprimées fur le fable, effrayoient mon cheval à un tel point, qu'il reculoit épouvanté & fe cabroit à chaque inftant , infenfible aux coups d'éperons que je ne lui épargnoïs pas. A cette forêt fuccéda un vafte étang, que je ne crains point de comparer au Jac Averne. Son 58 V ox AGE infetion eff fi forte, qu'à peine leuffé-je côtoyé un quart - d'heure, je fus faifi par un mal de cœur, & une pefanteur de tête, qui me firent craindre de ne pouvoir refter long-temps en ces lieux ; mais comme lherborifation y étoit belle, & les oifeaux en grand nombre & très-variés , jy continuai mes. recherches pendant plus de trois jours. La macreufe, la poule de riz, & d’autres oïfeaux très -curieux: voltigent continuellement à la furface de ce lac. Le limon qu'il dépofe & qu'il life à fec fur fes: bords eft noir, puant, extrèmement gras. Il eft mêlé à une foule de végétaux en état de décom- pofition. Cet étang, peu éloigné du Baftion de France, y a caufé les mortalités dont je vous aï déjà parlé plus haut, & qui, enfin, le firent abandonner pour toujours. Peu de jours après, je me rendis chez Aly-Bey. Je remets pour ma pro- chaine lettre à vous parler de fa réception & du féjour que je fis chez lui. Jai l'honneur d’être , &cc. EN BARBARIE. 9 D'ERDER be Au même. CE nef point, mon cher Doëéteur, auprès des petits Souverains Arabes qu'il faut aller chercher le luxe & la magnificence des Potentats de l'Europe. Un chef de pafteurs ne peut point étaler loften- tation des richefles ; & quand il le pourroit, la politique du pays exige que le plus opulent cache fes tréfors fous l'extérieur de la pauvreté, Je n’arrivai chez Aly-Bey qu'après avoir au moins triplé le chemin par de longs détours. Je trouvai ce Souverain accroupi à l'entrée de fa tente. Un peu de paille lui fervoit de trône; des habits un peu plus fins, & les pieds chauffés le diftinguoient de fes fujets, qui ne paroïffent devant lui que pieds nus. Informé qui j'étois, il vint à ma rencontre, me préfenta la main, & me reçut avec beaucoup d'affabilité, Je lui fis dire par mon Trucheman, « qu'ayant entendu parler de lui très-avantageufe- # ment, je venois lui demander fon amitié, & la » permiflion de parcourir fon pays, en le priant # de me donner pour cet objet toutes les füretés » néceffaires ». Il répondit à mon compliment & à ma requête avec honnêteté, en m'aflurant que PP PRES ER ENERE éo V o Y A G’E «les Chrétiens éroient [es amis, qu'ils pourroient » toujours difpofer de tout ce qu'il poffédoit, qu'il » étoit fâché que la pefte lempêchât de recevoir » leur vifite auffi fouvent qu'il le defroit ». Il me conduifit enfuite dans une tente à côté de celle qu'il habitoit. Nous nous entretinmes pendant quelque temps de fes intérêts avec la Calle ; du defir qu'il avoit de rendre le commerce floriffant, & de plufieurs autres projets relatifs à fes vues. Il m'accompagna dans les différentes tentes de ce Douare que j'étois curieux de vifiter. Le bruit s'étant répandu que jétois le Papas de la Calle, il me fallut recevoir les complimens des Papas Maures ; qui me traitèrent comme un de leurs confrères. Le foir, Aly-Beÿ m'envoya le courcouçon, & peu après mon fouper, il vint pafler une heure dans ma tente, en me demandant très-obliseam= ment fi je n’avois befoin de rien. La converfation tomba fur les Efpagnols, que lon difoit devoir inceffamment venir bombarder la ville de Bonne. Je lentretins des pofleflions des Européens dans le Nouveau-Monde, de la manière dont il avoit été conquis, & des grandes richefles que. les Efpagnols y poflédoient. Mon récit l'intérefa finguliérement; il me fit mille queftions qui annonçoient fa fur- prife & fon admiration pour tout ce que je lu racontois. Plus de cent Maures accroupis en cercle nous écoutoient avec avidité, Il étoit près de mimi EN BARBARIE. 6t quand nous nous féparâmes. Les Maures foupent & fe couchent fort tard. Aly-Bey me fit apporter un peu de paille fraîche fur laquelle je m’étendis, mais fans pouvoir y trouver le fommeil. La chaleur “étoit exceflive. D'ailleurs les aboiemens' continuels des chiens, les mugiffemens du troupeau, le hen- niffement des éépee les chants des Maures, qui n’ont rien de bien gracieux , éloïgnèrent pour foute la nuit le fommeil de mes paupières. Nous nous levâmes de grand matin. (Pai oublié de vous dire que jétois avec le Chirurgien-Major de la Calle.) Nous fümes bientôt envirennés d'une foule de Maures qui tous-vouloient fe faire tâter le . pouls, & demandoient à être faignés. C'eft une manie parmi eux de fe croire malades dès qu'ils favent * que quelqu'un eft médecin. Ils ont à la faignée la plus grande confiance. Il fallut en fatisfaire quel- ques-uns. Nous parcourions leurs tentes la lancette en main; & la foule étoit fr confidérable, que je is lé moment où moi-même jaurois été forcé de faigner, le Chirurgien leur ayant dit par plaifanterie que jétois auffñ habile que lui : peu s’en eft fallu que jen’euffeéprouvé le fort de Sganarelle; mais Aly-Be y auquel jeus recours, me délivra des importunités de ces malades imaginaires. Les femmes avoient le même empreflement que les hommes. Nous les trouvions bloties dans un com de leurs-tentes, occupées des affaires du ménage ; dont elles font 6? Voyacer feules chargées. À des fignes qui ne font équivoques dans aucune langue, il m'a paru que nous leur plaifons au moins autant que leurs matis: mais nous étions loin des fentimens qu'elles vouloient nous infpirer. Jamais je n'ai connu d'êtres plus dégoütans; prefque toutes avoient la gale ; leur odeur étoit infeête, & leurs habillemens couverts de crafle & en lambeaux. | , Aly-Bey a, fur fes fujets, autorité la plus def potique. Sa dionté tient lieu de loix; il fuffit qu'il éommande pour que tout foit bien; il peut être impunément cruel, injufte, inhumain. La viétime qu'il immole expire fans vengeur; ceux qui feroient en droit de la défendre font les premiers à venis baifer fervilement les mains fanglantes de leur defs pote. Cependant j'ai trouvé Aly-Bey moins féroce que les autres Maures. Son règne , qui n’eft que dun an, n’a encore été fouillé d'aucun grand crime. Ses mœurs ne font point auf diflolues que celles de {on frère El-bey, qui régnoit avant lui. Il eft très. attaché à la religion Mufulmane , lobferve fidelle- ment ; & punit avec févérité quiconque ofe s’écarter de la loi du Prophète. Son extérieur eft grave fa figure douce & gracieufe, fa démarche lente & compañlée , fa phyfionomie noble, & pleine de dignité. Il a un efprit naturel, très-fubtil, lorfqu'il s'agit de fes intérêts. Affez bon politique & plein d'ambition , il feroit propre aux grandes entreprifes, — EN BARBARIE. 63 file Bey de Conftantine, de qui il dépend, ne Paccabloit de vexations, & ne faifoit épier avec foin fes plus fecrètes démarches. Son autorité n’eft pas encore aflez affermie pour un coup d'éclat. Pai été bien furpris, mon cher Doëéteur, de trouver dans la Douare d’Aly-Bey une école publie que, & plus furpris encore de voir un aveugle la diriger. Cet Arabe réunifloit dans fa tente une dou zaine d’enfans des deux fexes, auxquels il apprenoiït à lire & à écrire. Jai remarqué qu'ils ne portoient point fur leur phyfionomie l'ennui & le dégoût, trop ordinaires dans nos écoles d'Europe. Le travail au contraire, n'étoit qu'un jeu pour eux. Ils n’a voient qu'un feul livre, Ze Coran. Le Maitre d'école le favoit par cœur, & fe trouvoit, par ce moyen, à portée de fuivre & de reprendre fes écoliers. Ils chantoient leur leçon, chacun avec bonne humeur, &t fur un ton différent. La mufique , il eft vrai, n’étoit pas fort réjouiffante pour mes oreilles ; mais au moins Je voyois avec plaifir que parmi ces hordes fauvages , l'enfance de l’homme n’étoit point livrée à des maîtres cruels, tyrans impitoyables, qui flétriflent les fleurs du plus bel âge de notre vie. Les plus inftruits apprenoient à écrire aux plus jeunes, * fous la di&ée du maître. Ils avoiént pour tablettes, au lieu de papier, une planche enduite d'un vernis blanc ; & pour plume, un rofeau grofliérement taillé, avec lequel cependant ils écrivoient affez 64 VOYAGE | vite & bien. Quand ils favoient -parfaitement la lecon qui leur avoit été diétée, ils lavoient leurs tablettes & en écrivoient une autre, toujours tirée du Coran. La féance terminée, chaque enfant alloit embrafler fon maître & le remercier. Ils en étoïent traités avec douceur & affabilité. Que j'aurois defiré en cet inftant tenir un de ces pédans auftères qui ne favent infpirer aux enfans que des fentimens de crainte & de dégoût! _ Puifque j'en fuis fur le compte des enfans, permettez-moi, mon cher Doéteur, de vous les peindre tels que je les ai vus ici. Je crois qu'ils ne font pas indignes de l'attention du Voyageur, & qu'il eft, dans tous les pays, intéreflant d’obferver le développement de la raïfon, le progrès des idées, &c ce qui conftitue , même dans l'âge le plus tendre, le carattère originel de l’homme, caraétère que l'édu- cation, l'intérêt, la politique, les paffions humaines étouffent prefque entièrement dans un âge plus avancé. Chez la plupart des nations policées, les enfans, dès leur naiffance, font dreflés à peu-près comme des marionettes. On leur fait joindre les mains, balbutier quelques mots latins; on leur apprend fur-tout les bienféances de la fociété, c’eft-à-dire, qu'on les exerce à être déguifés, men-" tèurs, & qu'on les fouette enfuite pour tous ces défauts, lorfque leurs parens en font les premières xitimes. Îl n’en eft pas ainfñ chez les Maures. Les enfans | EN BARBARIE. 6$ ‘énfans font tout-à-fit abandonnés à la Neture. Ils ont rerement careflés, j: mais bettus. Livrés à eux- mêmes , ils ne font occupés qu’à des exercices de leur âge. Ils courent, ils jouent, fe’ difputent, fe raccommodent ; le plus ardent foleil ne les épouvante pas; l'humidité & le froid ne leur donnent aucun rhume ; 1ls fe jettent à l’eau tout couverts de fueur, ne fe repofent jamais avant de fe défltérer. A peine peuvent ils marcher, qu'ils accompegnent leurs pères à ia garde du troupezu, montent avec hardieffe fur le dos du plus fier taureau, appren- nent à manier fans bride &c fins éperons le cheval le moins docile, Familiers avec tous les animaux, ils careffent la brebis, fe jouent avec la chèvre, & pourfuivent fans relâche le bœuf qui s’éch:ppe. Par ces exercices, qui leur plaïfent, & auxquels on ne les force jamais, ils deviennent forts, légers, vigoureux, s’'accoutument au genre de vie auquel ils font deftinés. Ils favent de bonne heure fupporter fans fe plaindre, la faim, la foif, & les courfes les plus pénibles. Leurs parens ne font pas aux petits foins avec eux; une mère trop tendre ne fe hâte pas deffuyer le front poudreux & fuent de fon fils; sikfe plant , il n,ft pas écouté; s'il pleure, on eft infenfble à fes larmes; elles ne font pas pour lui un moyen d'obtenir ce qu'il demende. On ne le gêne point dans fes volontés, mais aufli Fon ne fe foumet jamais aux fiennes. C’eit à hu de {e procurer Part. I. E 66 VOYAGE ce qu'il defire. Ne le peut-il point? il apprend à y renoncer. Jamais il ne s'avife de rien demander, I le cherche, & par-là 1l ‘accoutume à ne vouloir que ce qu'il peut. Mais ce défaut de complaifance ‘de la part des pères, cette efpèce d'indépendance dans les enfans ne forme point , entre le père &c le fils, ces douces liaïfons, ces rapports fi tendres qui font, dans les cœurs fenfibles, les délices de la vie. Dès que les enfans peuvent fe pafler de ceux de qui ils tiennent l'exiftence, fouvent ils les aban- donnent , & deviennent pour toujours étrangers les uns aux autres. Leur fort commun ne les touche que foiblement, à moins qu'ils ne foient réunis par des intérêts réciproques. L'amour des parens eft donc un fentiment prefque inconnu au cœur des Arabes ; le frère eft fouvent l’ennemi de fon frère, & la voix du fang, que l’on croit être fi forte parmi les hommes, n’a ici aucun empire. J. J. Roufleau , qui voyoit par le feul flambeau de fon génie, ce que peu favent voir même avec lexpérience, I. J. Rouffeau a très - bien fenti que dans l’homme de la Nature la voix du fang devoit être inconnue, & que la tendrefle réciproque des parens n'étoit que l'effet des foins & des fervices donnés & reçus. Quant au fond du caraëtère des enfans, il eft le même en Barbarie que par-tout ailleurs. Je les ai vus, comme chez nous, vifs, bowullans , pleins EN BARBARIE. 67 ” gaîté & de pétulance : mais une obfervation qui Vous furprendra fans doute, & qui m'a égale- ment frappé, ceft que leur raifon, que lon ne cultive point , eft bien plus précoce que celle de nos enfans, dont on tourmente lefprit dès l’âge le plus tendre, Parmi nous un écolier de douze à treize ans, tout couvert de la craffe des collèges, fait à peine parler devant des perfonnes au-deflus de fon âge; il eft timide, hébêté, fans contenance; il croit voir par-tout fon Régent armé de fa redoutable férule. Le jeune Arabe au contraire, au milieu des tentes, des campagnes, des troupeaux & des moiflons, jouiffant en liberté des plaifirs de fon âge & des bienfaits de la Nature, nourrit fes idées des objets même de fes plaifirs. Comme il n’eft retenu par aucune forte de crainte & de bienféance , 1l parle avec hardieffe, d’un ton de voix ferme & affuré, la tête droite & les yeux fixes : sil veut qu'on l'écoute , il eft obligé d'intéreffer, autrement on le laife parler fans lui répondre. Fait - il des quef- tions ? on ne fatisfait qu'à celles qui en valent la peine: mais aufi, pour peu qu'il rafonne jufte, lon s’entretient avec lui très-férieufement, on le traite en homme, & cette diftinétion lui infpure le dcfir de le devenir. C’eft ainfi que, fans aucune peine , fans maîtres, fans précepteurs, les jeunes Arabes, formés par la Nature, acquièrent de bonne- heure les idées telatives à leurs occupations, ainfi que F2 1 63 ONG E k vigueur, la noble preftance de l’homme. Leurs geftes ne font point mamiérés, mais expreflifs & naturels : leur démarche n’eft ni précipitée, ni trop lente. Elle eft ferme & foutenue : mais ce n’eft que pendant leur enfance que lon peut fuivre, chez les Arabes, la marche de la Nature. Peu-à-peu leurs mœurs douces & fimples, détruites par les préjugés féroces, par les inchnations fanguimaires de leurs pères, corrompues par les défordres honteux aux- quels ils fe livrent, difparoïffent pour toujours , & l'homme de fang remplace celui de la Nature. Un des premiers préjugés que lon infpire aux enfans, eft une haine implacable contre les Chré- tiens. Ces idées deviennent en eux fi fortes avec l’âge, qu'il n’eft pas un feul Arabe qui ne croie faire un ae de vertu en nous Ôtant la vie. Jai eu fouvent beaucoup à fouffrir de ces enfans attroupés qui venoient à ma rencontre à mefure que japprochois des tentes. Il me falloit paifble- ment efluyer de leur part les plus fortes infultes. ls me crachoient à la figure, me jettoient des pierres, & m'accabloient d'inveétives. Si jen euffe maltraité quelques-uns , leurs’ pères n'auroïent pas manqué de prendre leur défenfe, & de venger, à mes dépens, une injure faite par un chien (c’eftleur plus douce expreflion ) à un ferviteur de Mahomet. Il m'eft arrive plufeurs fois de voir des femmes, qui navoient jamais rencontré de Chrétien, frémuir à EN BAREANR ILE. 69 mon afpeét, & me fuir comme un monftre. Ce- pendant, à l'aide de quelque petit préfent, je les rendois plus traitables ; raflurées par mes bonnes manières, elles fe familiarifoient jufqu'au point d'ofer me regarder, & je les voyois très-étonnées de me trouver femblable à un autre homme. Plu- fieurs ne pouvoient fe perfuader que je fuffe un Chré- tien : elles examinoient particuliérement les gands que la forte chaleur m’obligeoit de porter. Ils étoient verds. Elles crurent d’abord que c’étoit la couleur de mes mains ; mais les ayant Ôtés, leur furprife fut extrême. En vain j'effaÿai de leur en expliquer lutiité: ces peuples, qui ne connoïflent que le néceflaire, fe moquent de nos fuperfluités. Ils croient valoir mieux que nous, ayant moins de befoins : franchement ils ont raifon. Combien de fois, par leurs ralleries, ils m'ont donné dutiles leçons! Javois coutume, par exemple, dé me fervir de cuiller pour manger le courcouçon ,au heu d'en faire comme eux, des ballotes avec les doigts. Ce meuble fuperflu les fit beaucoup rire; jy renonçai par amowu-propre, & je m’apperçus que, malgré ma mal-adrefle à faire ufige de mes doigts, ils m'eftimoient davantage en me voyant abandonner nos ufages pour adopter les leurs, C’eft ainfi, mon cher Doéteur, que font traitées dans ces déferts, cette foule de commodités tant vantées en Europe. Aux yeux d’un Arabe montagnard, loftentation du & 3 70 VOYAGE luxe eft un objet de mépris, & la preuve la plus forte pour lui de notre petitefle & de notre foiblefle. | 1 Jai honneur d’être, &c. : DCE TPFPRPENTURS Au méme. * Lorsque j'eétudiois avec vous, mon cher Doéteur, les Elémens de l'Hiftoire Naturelle , vous avez été fi fouvent témom de mes SFA qu'il eft jufte que vous en foyez aujourd'hui le confident. Je viens de faire des courfes très-étendues. Jai été d'un côté jufqu'aux pieds du célèbre mont Atlas; de lautre, prefque jufqu'aux confins du grand défert appelé Défèrt de Saara. Que de richeffes ! que de tableaux magnifiques fe font offerts à mes regards! Quel fpeëtacle impofant & fublime que celui de la fimple Nature! Mille fois javois admiré en Europe les produétions immenfes de notre globe, ces plantes exotiques, réunies à grands frais dans nos ferres, ces fiers animaux, foumis & captifs dans nos ménageries : mais j'étois froid au milieu de mon admiration. Tous ces objets placés avec luxe , rangés d’après des fyftèmes qui n’ont jamais E Nu B'A R B AÏQI E "1 été ceux de la Nature, préfentés plutôt pour plaire aux yeux que pour parler au cœur, m'offroient moins l'ouvrage de la Nature, que celui des hommes. Je me fatiguois en vain à tranfporter chaque objet à fa véritable place ; je formois un monde chimé- rique, & j'étois dupe de mes propres erreurs. Le gémie le plus fécond, Pimagination la plus exaltée, ne s'éléveront jamais jufqu'’aux fublimes beautés de l'Univers ; jamais ils ne les fentiront, tant qu'ils n'auront fous les yeux que les travaux des hommes. Que de jouiflances délicieufes fai éprouvées : depuis quelques mois que je parcours ces contrées fauvages & incultes ! que d'erreurs détruites ! que de beautés plutôt fenties qu’admirées ! Tout eft ici ce qu'il doit être, &, malgré le défordre appa- rent, chaque objet y eft à fa place. La ronce croit à côté du-laurier, les myrthes font entrelacés d'épines ; ce n’eft qu'à travers d'épaifles brouf- failles que Pon peut cueillir l’olive & la grenade. Les fleurs, belles fans artifice, n’étalent point aux dépens de leur poftérité, un éclat impofant qui meure avec elles; le chêne ne courbe point fa tête pour former une allée ombragée, mais il fe montre dans toute la majefté de fa nature; les arbres fruitiers, fans donner des produétions qui leur font étrangères, offrent les leurs en abondance & fans- contrainte. En un mot, mon cher Doëteur, je n'ai rencontré par-tout qu'une nature agrefte, mais fertile; des | ii ee. 72 VOYAGE pâturages abondans, des plaines immenfes variées: à chaque pas, des coteaux couverts de bruyères ;: de lentifques, de gencts & de chênes verds; des rochers inacceffibles, des fables brülens &c ftériles , des forêts obfcures, fouvent impénétrables', des marais & des lacs immenfes : tel eit l'afpeét général de la Numidie, Les rivières & les fleuves ne roulent point leurs ondes avec rapidité dans un lit étroit & réguler, mais kur cours eft lent, leurs eaux paroiffent prefque dormentes, elles fe divifent fans cefle, & dans leur route v:g:bonde, tantôt elles forment d'agrécbles cafcades à travers les rochers & les cailloux, tantôt elles coulent paifiblement fur un fable plus blanc que la neige, au milieu des bofquets d’où elles s’échappent fr:iches & limpides; plus loin elles fe réuniffent, & dans un cadre de montagnes elles offrent un lac fpacieux où une foule d'oifeaux voltigeans tout le jour fur fa furface, trouvent enfuite dans les joncs & les rofeaux un afyle commode &c für. Les forêts ont un ceraétère de vétufté qui tranf porte l'imagination aux temps les plus reculés. En parcourant ces folitudes vaftes &z filencieufes, l’on croit devoir rencontrer les hommes du premier âge, S'ils n'exiftent plus, au moins leurs ouvrages prouvent qu'ils ont exifté. Je ne peux vous rendre, mon cher Doéteur, tout ce que j'éprouve à lavue des ruines antiques qui s'offrent à moi fouvent dans EN BARBARIE. 73 les lieux les plus fauvages. Des murs à moitié détruits, des colonnes renverfées, des reftes de grands chemins, des infcriptions prefque ufées, tous ces objets excitent en mon ame une douce & tendre mélancolie. Je rapproche les temps, je com- pare les âges; & lorfque je me crois feul, je me trouve environné des ombres de ceux dont je foule les cendres. Les Gétules, les Numides, les Cartha- ginois & les Romains fortent , pour ainfi dire, de leurs tombeaux ; les mânes de linfortunée Didon, du vertueux Régulus, du févère Caton, fe préfentent à moi, & viennent me donner d'énergiques & de touchantes lecons fur la briéveté de la vie, & fur la gloire paffagère des plus grands empires. Je ne vois alors que fceptres brifés , que trônes abattus, qu’em- pires difparus pour toujours ; je cherche la fuperbe Carthage, le puiffant empire de Jugurtha, les conquêtes &t les travaux des Romains, & je ne trouve à leur place que quelques ruines cachées fous les brouf- failles : mais que ces ruines font éloquentes! Comme elles parlent à lame! que de fois elles m'ont fait oublier le fiècle préfent ! que de fois, les yeux fixes &c immobiles fur les débris d’une ancienne ville, Jei paflé des heures entières dans la plus profonde méditation ! NE Mais cette douce mélancolie prend un autre caractère à mefure que javance dans ces contrées défertes, Le fpeëtacle d'une nature abandonnée à TA VOYAGE elle-même, la vue des rochers qui m’environnent , le jour obfcur d'une forêt que je traverfe, le cri des oïfeaux de proie, le gémiflement du timide animal qu'ils dévorent , le rugiflement des bêtes féroces, tous ces objets forment autant de tableaux différens pour mon imagination : tantôt mes idées prennent le ton fublime des œuvres du Créateur’, tantôt je m'attendris fur les guerres fanglantes qué les animaux les plus forts livrent aux plus foibles ; d'autres fois je friflonne aux rugiflemens effroyables du roi des animaux. Ces émotions forment autant de jouiflances que lon ne connoïtra jamais dans un pays cultivé. Les grandes & fublimes beautés de la Nature difpa- roïflent fous la main de l'homme. Il réunit tout ce qui peut plaire aux yeux, contribuer à fon bien- être, & multiplier fes commodités; mais 1l détruit les grands tableaux de l'Univers ; 1l n'offre à lob- fervateur que défordres , monfiruofités, efclavage &t contrainte. Jamais la nature cultivée ne produira fur Pimagination, l'effet d’une nature fauvage. La première eft jolie, agréable, commode ;-elle récrée, elle amufe ; autre eft belle au milieu de fes horreurs, elle eft impofante & majeftueufe. Ceft la retraite de l'homme de génie ; c’eft au milieu des déferts, parmi les plus affreux rochers, que fe font enflammées ces imaginations fortes & brülantes que lUnivers étonné admirera jufqu'à la fin des fiècles. Ceft EN‘ BARBANLE 75 toujours là que les poëtes nous tranfportent quand ils veulent élever notre ame par de grands & ma- enifiques tableaux. Quel refpeét ne nous infpire pas le vieillard Thermofyris, prêtre d’Apollon, méditant dans une antique forêt des hymnes en lhonneur de la Divinité ? Qui n’eft pas pénétré de vénération au récit du culte myftérieux des Druides , au milieu de leurs bois facrés ? Enfin, mon cher Daéteur, j'ai mille fois éprouvé que lafpe® de la nature fauvage nour- rifloit ces grandes pañlons qui tiennent au fentiment : c’eftfouvertt là que l'époux malheureux élève un tom- beau à la femme qu'il adoroit : c’eft -là que, dans le filence dé la nature, & loin de fes femblables, 1l vient artofer de fes larmes les cendres précieufes de fafidelle compagne. Tout y flatte fa douleur , tout y entretient fa touchante mélancohe. Sagit -1l au contraire de nous peindre les Jeux folâtres, les Ris lécers, les Amours & les Graces; c’eft au milieu des bofquets de rofes, fur les rives fleuries d’une onde pure, dans les lieux embellis par Part & la culture, que nous conduit la brillante imagination des poëtes. Ainfi donc, que lefprit fémillant & léger aille échauffer fes idées, le cœur fenfible & tendre nourrir fes fentimens dans ces afyles champêtres où les occu- pations & les plafirs des bons villageois, où une nature riante & cultivée attendrifflent lame, & n'offrent que des images agréables & variées : mais 76 VOYAGE que l'homme de génie n’enfante fes fublimes pre=! duétions que loin des habitations des hommes; qu'il ne voie dans l'Univers que les œuvres du Tout- Puiffant, mais quil les voie telles qu’elles font forties de fes mains : car tout ce que l’homme veut perfeétionner 1l le dégrade; femblable à ces peintres qui donnent un nouveau coloris aux magmifiques tableaux de Michel-Ange ; en cherchant à les em- bellir, ils les détruifent ; fous le brillant de leurs pinceaux difparoïflent ces teintes fombres & éner- giques du célèbre Florentin : laiflons encore les amateurs de belles colleétions raffembler dans leurs cabinets ces foibles échantillons placés avec ordre fous les glaces les plus fines; ce n’eft point-là que lobfervateur de la Nature ira l'étudier; il voudra voir la pierre dans la carrière , le minéral dans fon filon , & la plante exotique dans le fol où elle croit. I ne nous fufft pas de connoître une fuperbe colonne , nous voulons voir le bâtiment en entier, &t admirer l’harmonie qui règne dans la diftribution de chaque pièce. T'elles font les réflexions qui m'ont fouvent occupé dans mes voyages. À chaque! pas je comparoïs ce ‘que javois vu, avec ce que Je voyois, & je ne pouvois concevoir comment Yhomme, dans fa folle préfomption, avoit pu quelquefois imaginer mieux faire que la Nature, Jai l'honneur d’être, &cc. EN BARBARIE. 77 ER TOL RE. 'XRRE Au même. Dans la Lettre précédente j'ai effayé, mon cher Doéteur, de vous tracer le tableau de la nature fauvage, comparée à ‘a nature cultivée; je me fuis efforcé de faire pañler dans votre ame les fen- timens que cette comparaifon avoit excités dans la mienne, & de vous prouver combien il étoit inté- reflant, après avoir étudié la nature foumife aux travaux des hommes, de lobferver dans ces contrées où l'art n’a rien embelli, rien perfe&ticnné. Tout change de forme entre nos mains. Autant nous fommes éloignés de la Nature , autant tout ce qui nous approche , tout ce qui nous environne s'écarte de fa première origine. Sera-ce, par exemple, dans les ménageries, dans ces prifons de Pefclavage que nous apprendrons à connoitre le vrai caraëtère des animaux ? ou bien, fera-ce parmi ces animaux domeftiques que nos bienfaits ont rendus nos efclaves? Combien le cheval eft différent de lwi- ‘même fous les liens honteux de la fervitude, où même au milieu de ces brillantes caracolles qu'il exécute fous le harnois ! que de graces au contraire, que de légéreté lorfqul vit en liberté au milieu 78 VOYAGE des prairies, & qu'il wa point perdu, par de cruelles mutilations, fa fougueufe vivacité? Eft-ce bien limpetueux taureau, bouillant dans fes defirs, terrible dans les combats, qui s’'avance à pas lents, la tête baïffée & foumife au joug ? A ce regard trifte êt morne, à cet état de foiblefle & de langueur, puis-je reconnoitre dans ce lion le roi des animaux ? Efclave docile & foumis, 1l a perdu fa première férocité, & avec elle fon carattère originel. Ceft ici qu'il le faut admirer; ceft au-milieu es forêts de l'ancienne Numidie qu'il eft noble & majeftueux : c’eft-là qu'il exerce fon empire, & qu'il fe rend la terreur de tous les animaux. Il refte, pendant le jour, tranquille dans fa retraite; fa voix effrayante ne fe fait entendre qu’au milieu du filence & des horreurs de la nuit. Tel qu'un nuage orageux, encore loin de nos habitations , ne s'annonce que par un bruit fourd & continu, ainfi retentit la voix du fouverain des forêts. Peu-à-peu il approche , mais avec une fierté majeftueufe. Plein de courage 8 d’intrépidité, aucun obftacle ne l'errête, aucun danger ne lépouvante. Fier de fes forces, la rufe & les embüches font indignes de tu. Il ne paroit , il eft vrai, qu'au mieu des ténebres; mais il ne profite point de leur faveur pour furprendre fon ennemi. Par de longs & d'af- freux rugiflemens, il l'avertit de fa préfence ; le fignal du combat retentit au loin, l'alarme devient EN BARBARIE 79 oénérale ; aucun animal ne fonge à la défenfe, tous fuient épouvantés : mais fi le lion fe montre à eux, Sils ont apperçu fa crinière hériflée, s'ils ont vu fon œil étinceler du feu du courage , dès-lors ils font vaincus. Saïfñis de terreur & d’effroi, ils reftent immobiles & glacés à la vue de leur redou- table ennemi. Le fanglier oublie fes défenfes, le taureau perd l'ufage de fes cornes, & le cheval eft incapable de fur. Tous fe rendent fans combat. D'une griffe enfanglantée le Lion ouvre & déchire les entrailles de fa proie, il s’en repait ; & dès qu'il eft raflañé, il en abandonne les reftes aux animaux carnaflers. Alors tout eft en füreté. Sanguinaire par néceffité, le fon n’eft cruel qu'autant que la faim le domine & le preffe. Si, dans l'état de faticté, il rencontre un autre animal, il pafle avec fierté fans fe détourner, ou refte en place fans fe dé- ranger. L’attaque-t-on? il dédaigne fon ennemi, rarement 1l fe défend; 1l fe retire, & ne fuit Jamais. Jai été plufeurs fois témoin de fon apparition proche les tentes des Maures. Dès qu'il fe fat entendre , le troupeau s'agite, frémit ; & à mefure que Pennemi approche, le bétaail poufle des hur- lemens & des cris effrayans. Le défordre fe met par-tout, la frayeur s'empare de tous les êtres vivans. Les chiens, réunis & preffés les uns contre les autres, heurlent tous en même temps. Les Maures courent 80 VOYAGE à leurs fufils, allument de grands feux & fe pré- parent à la défenfe. Les femmes, de leur côté, pouffent des cris menaçans & aigus. Très-fouvent avec ce tintamare & les coups de fufil répétés, lon vient à bout d'écarter cet ennemi commun : mais quand le lion eft très-affamé, 1l n’eft pas toujours d'aufli bonne compofition. Il pénètre à travers les flammes, s’élance par deflus les tentes, fond fur le troupeau, & au milieu des ténèbres, de la frayeur &c du défordre , il trouve moyen d'échapper, & fouvent d'emmener avec lui le prix de fes combats. Jai vu des lions en France, maïs je n’en ai vu aucun que lon puifle comparer à ces lions Numides, fi célèbres dans les cirques Romains. Quoique fou- vent compatriotes, ceux de nos ménageries, en- levés très-jeunes de leurs retraites, renfermés dans leurs cages, fans exercice, fans mouvement, font prefque toujours foibles, fanguiflans, &c finiflent par mourir de triftefle & d’ennui. Dans les forêts, au contraire, ils font fiers, légers, vigoureux, très-bien proportionnés. Les fangliers, qui font ici très - communs, fervent de pâture au lions, & mettent les troupeaux à labri de fa dent carnaf- fière : cependant 1l pénètre quelquefois dans les Douares | & le parti le plus prudent alors eft de lui abandonner la proie qu'il s’eft choifie. Il feroit trop dangereux de lattaquer en face, Pour le vaincre, il EN BARBARIE. Sr il faut avoir recours aux embüches : ceft ce que font les Maures. Ils creufent des foffes très - pro- fondes, les recouvrent de brouffailles, & placent auprès un animal vivant ; car le lion dédaigne la chair morte, à moins qu'il ne foit très-affamé. Dès qu'il eft tombé dans la foffe, on le tue à coups de pierres ou de fufils. Les Maures ont encore un autre moyen beaucoup plus für de lui®donner la chaffe. Ils obfervent les lieux qu'il fréquente ; ils y conduifent une vache ouquelque autre animal, qu'ils attachent à un arbre, tandis que le chaffeur, bien armé, fe tient en embufcade dans une cabane de brouffailles. Le lion, attiré par les cris de fa proie, fe précipite deflus avec fureur : on lui lâche, en ce moment, un coup de fufil chargé de plufeurs balles. S'il n’eft que bleffé, il fe retire en rugiffant; rarement il revient fur le coup. S'il tombe, lon fe garde bien d'aller à lui; mais le chaffeur s'en retourne, & ne reparoïit que le lendemain, ou deux jours après, pour s'emparer de la peau du lion, Vai l'honneur d'être, &c, Part. L FE 82 VoYyYAGr En —————_—_—_—_—_—_— ———_—_— —…—"—"—_—…———_ 7 LETTRE VOIE Au méme. Fe ne me fens point la force, mon cher Doëteur, de vous écrire une longue lettre, Les grandes chaleurs m'ont ramené à la Calle, Elles font fi fortes en ce moment, qu'à peine ai-Je le courage de conduire ma plume. Je fuis obligé, à chaque ligne, de fufpendre mon travail pour efluyer mes fueurs. Le vent du midi fouffle depuis quinze jours, & fon haleine embrafée par les fables brülans du Saara,. nous deffèche & nous brüle. Une caufe accidentelle ajoute encore à la chaleur de ces contrées. Comme tout ce pays eft rempli d’abondantes brouffailles , qui, d'une année à l'autre, rendroïent les chemins inacceflibles, & les bois impénétrables , les Maures ont la précaution, tous les ans après leur moïflon, de mettre le feu par-tout. Papperçois aétuellement, à plufieurs lieues de diftance, d'énormes tourbillons de flamme & de fumée s’avancer avec rapidité dans les campagnes, gagner les collines , pénétrer fans obftacle dans les plus épaifles forêts, & ne laïffer derrière eux que de noirs monceaux de charbons &c de cendres, Ce fpeétacle a quelque chofe d'impofant, fur-tout pendant la nuit. Une flamme pétillante qui ENYBARBARTE, 83 s'élève par torrens, & s’élance jufques dans les nues; une épaifle & noire fumée qui borde lhorifon, & rend. fenfible l'horreur des: ténèbres; les grands effets de lumière, la päle lueur de la lune, tous ces ‘objets contraftans offrent un tableau fublime dans fon genre, mais effrayant pour l'imagination. Les animaux fuient de toute part, plufieurs, de- venus la proie des flammes, font retentir au loin leurs. cris douloureux ; le trouble eft par-tout, & la frayeur ,eft générale, : | Quoique les Maures aient foin de pourvoir À leur füreté, cependant il arrive plufeurs fois que des Douares entiers, hommes & troupeaux , font enveloppés dans cet incendie général. Rien n’eft épargné ; excepté les pâturages & le bord des étangs -& des fources. Ces feux durent plus de deux mois, & enflamment latmofphère à un tel point, que le thermomètre de Réaumur fe tient conftamment de 36 à 40 degrés d’élévation. Je n’a de repos:que dans le bain. Je m’y précipite plufeurs fois le jour; c’eft la feule pofition qui me permette quelque application. Il n’eft plus queftion de courfes. La plus longue eft de chez moi au gouvernement , qui fait face à ma demeure; encore fuis-je obligé de courir comme fi je pañlois devarit un brafef ardent. L'air brülant & lourd qui pafle à travers mes poumons, rend ma refpiration pénible, Mes digeftions fe font mal, lappétit me manque: F2: 9 TV Oo TAROT néanmoins avec un régime frugal & un entier repos; | jefpère échapper aux fièvres putrides & mortelles qui dépeuplent aétuellement ce comptoir. Les grands lacs qui nous environnent , comme Je vous l'ai déjà fait obferver , font les feules caufes des maladies ; car ailleurs l'air de la Barbarie eft très-falubre , & bien moins brûlant dans les lieux qui ne font point incendiés. Cependant nous avons par fois quelques journées fraiches, quand le vent vient du côté de la mer. Fen profite pour vifiter les lieux que la flamme a épargnés. Ma promenade la plus ordinaire eft à deux lieues de la Calle, dans un vallon folitaire, fitué fur les bords de la mer. Une fource d’eau y en- tretient une végétation & une fraicheur continuelles; des collines très - élevées le garantiflent des vents du midi; à découvert du côte du nord , il en reçoit le fouffle rafraichiffant , &c les arbres des côteauxqui lenvironnent y forment des ombrages que le foleil ne diffipe qu'au moment de fon lever & à linftant de fon coucher. Mais, mon cher Doéteur, outre cette fituation agréable, ce qui rend pour moi ce vallon intéreffant, c’eft qu'il eft habité par l'amitié; l'amitié! dont les doux épanchemens font inconnus aux cœurs féroces des Arabes. Auffi cet exemple eft unique; au moins eft-1l le feul que je connoifle. Deux frères, unis dès l'enfance, heureux lun par l'autre, ent juré de ne jamais fe quitter. Ils ont renoncé aux EN BARBARIE. 8$ mœurs & au commerce de leurs femblables, & pour être tout entiers Pun à l’autre, ils font venus fixer lenr demeure dans ce délicieux vallon. Ceft -là qu'avec leurs femmes & leurs enfans , ils paflent leur vie dans la paix & l'union. Leurs troupeaux paiïlent tout le jour fous les ombrages frais, & donnent à ces lieux fauvages un ait vivant & champêtre. Quand j'arrive, ces bons frères hermites ( c’eft ainfi que nous les avons nommés }, viennent à ma ren- contre, me conduifent dans leurs tentes, & font traire leurs vaches. Je n'arrive jamais fans quelque petit préfent pour leurs femmes. Un peigne, un couteau, un mouchoir, font pour elles des objets de grande valeur ; elles les reçoivent avec recon- noïiffance. Souvent un des deux frères m'accom- pagne ; & fe plait à herborifer avec moi. Nous rentrons fous les tentes, quand la chaleur devient trop forte ; & je partage avec ces nouveaux Pylades, les alimens dont fai eu foin de me pourvoir. Je ne puis vous exprimer, mor cher Doéteur, combien ces momens me font agréables, -& de quels doux &t tendres mouvemens mon ame eft émue! com- bien de fois j'ai defiré pouvoir réunir dans cet agréable féjour le petit nombre de perfonnes qui me font chères, & pafler ma vie dans une douce oifiveté, ignoré de l'univers entier. Ces bons Arabes, . quand je fuis quelque temps fans paroïtre , viennent fouvent me chercher à la Calle, 8 me preffent. de F3 86 V oY AGE: pañler la journée avec eux. Je m'y refufe rare- ment, excepté les jours de fortes chaleurs. J'eri éprouve, en ce moment,-une fi accablante, qu'il ne me refte plus que la force de wous aflurer des fentimens d'amitié que je vous ai voués pour la vie. L'ÉITTUHE LS Au méme. Les contrées que j'habite, mon cher Doéteur, font devenues un théâtre fanglant de cruautés & d’hor- reurs. Aly-Bey, ce chef Arabe dont je vous ai déjà parle, fait, depuis quelque temps, des excur- fions fréquentes fur plufieurs hordes Arabes de fon voifinage. À la faveur de la nuit, il fond, à la tête de fes cavaliers, fur les troupeaux & les tentes, en chafle les habitans, s'empare de leurs poñleffions, & emmène en captivité leurs femmes & leurs enfans. Ces malheureux, livrés à la brutalité du foldat, font traités comme des bêtes de fomme jufqu'à ce qu'ils foient rachetés par leurs parens. Plufeurs ex- pirent par la difette, ou fous les coups, au milieu des gémiflemens & du défefpoir. Ceux qui furvivent, n’en font que plus à plaindre. Obligés quelquefois de chercher leur nourriture parmi lherbe des champs , ils ont encore à fouffrir le fpeétacle le plus déchirant. EN BARBARTIE. 87 La fille eft déshonorée fous les yeux de fa mere; & fi le brutal n’y trouve point le plaifir qu'il y cherche, il la poignarde fans pitié. Les jeunes enfans, deftinés à fatisfaire une paññon plus brutale encore, ne fortent des mains de ces monftres que pour rendre le dernier foupir entre les bras de leurs mères, ou conferver toute leur vie les infirmités de cet affreux libertinage. Parmi les nations dépouillées, il s'en eft trouvé une (es Benitfelems), qui faifoit un commerce annuei avec la Compagnie. Ces Arabes étoient pauvres, incapables de racheter leurs femmes & leurs enfans. Ils ont eu recours, dans cette extrémité, au Gou- verneur de la Calle, efpérant qu’Al-Bey, déterminé par des intérêts de commerce, auroit quelques égards pour la Compagnie. La négociation eut lieu, &t moyennant un certain nombre de piaftres que lon offrit à ce chef, il confentit à rendre la liberté aux Benitfelems. M les renvoya en effet peu de jours après, dès qu'il eut touché la fomme promife, & les fit efcorter par fes cavaliers. Nous allâmes au-devant de ces infortunés à une demi-lieue des habitations. À peine nous eurent-ils apperçus, que mille cris confus d’allégreffe & de bénédiétions reten- tirent au milieu des airs. Nous étions leurs bien- faiteurs, leurs pères. J'entendois peu leurs expref- fions, mais leurs geftes difoient plus que leurs paroles. Les larmes d’attendriflement & de reconnoiflance F 4 88 V' o:T. AGE couloient de leurs yeux. Les mères arrachoient leurs enfans de leurs mammelles, nous les préfentoient , & les couvroient enfuite de baïfers ; d’autres appre- noient à leurs fils plus âgés que nous étions leurs libérateurs, & la mère & le fils fe réunifloient pour nous combler d’aétions de graces. Cette fcène, qui nous arrachoit des larmes, devint encore plus attendriffante par l'arrivée. des maris , que nous avions informés du retour de leurs femmes & de leurs enfans. Dès qu'ils fe furent apperçus , leur premier mouvement fut de fe précipiter dans les bras les uns des autres Leurs accens fe confondoient avec leurs foupirs, & lex- preffion, étouffée par la joie, expiroit fur leurs lèvres. Les enfans s’entrelaçoient entre les bras de leurs pères, comme sils euflent craint d’en être de nouveau féparés. Cependant la joie n'’étoit pas générale. Les pleurs & les regrets troubloient l’allé- grefle commune. L'un cherchoit & redemandoit - en vain une époufe expirée de mifère ; d’autres ré- clamoient leurs enfans. Ils ne recevoient pour réponfe qu'un filence trop expreffif; & même, parmi ceux qui avoient le bonheur de retrouver les objets de leur tendrefle, en quel état d’humi- lation , de mifères & de fouffrances ils s’offroient à leurs regards! La plupart, dépouillés de leurs habits , avoient à peine quelques lambeaux pour cacher une partie de leur nudité. Les traits de x EN BARBARIE. 89 lur vifage étoient altérés & fétris : ils portoient fur leur figure l'empreinte de la fatigue & du malheur. Ce peuple avoit marché un jour entier dans des fables brûülans, expoté au plus ardent foleil, n'ayant pris d'autre nourriture que des racines & des fruits fauvages : les enfans fur-tout fe traînoient à peine. Ils pleuroient de laflitude, de douleur & de faim- Tout ce monde campa près de la Calle. Nous fimes diftribuer à ces infortunés d’abondantes nourritures; mais avant tout , ils fe précipitèrent fur l’eau avec une avidité extraordinaire, Îls s’'étoient raïlemblés en foule autour du puits, n’afpirant qu'au moment où ils pourroient porter leurs lèvres brülantes fur les feaux d’eau qu’on leur préfentoit. Peu s’en fallut même que plufieurs ne fe précipitaflent dans le puits, tant 1l y régnoit de défordre, malgré les gardes qu'on y avoit placés. Ils paflèrent la nuit en plein air, & le lendemain, dès le lever de Paurore, tous fe mirent en route pour fe rendre à leurs tentes. Si vous ne jugez de ce trait que d’après les fenti- mens de votre cœur, vous applaudirez, fans doute, mon cher Doéteur, à lhumanité du Nésociart François, & aux expreffions de reconnoifiance de ce peuple Arabe. Il me feroit doux de partager ces fentimens , & de vous y confirmer ; mais, témoin oculare des circonftances, inftruit d’ailleurs de la fé- rocité des mœurs arabes, 8 de Pavidité du Négociant, 90 VOYAGE je dois en juger différemment. Le Négociant alors fut humain, parce qu'il étoit intéreffé à l'être, parce que fe refufer à la demande de cette Tribu dé- pouillée, c'auroit été s'expofer à être attaqué & troublé dans fon commerce : d'un autre côté, ces mêmes Arabes, malgré leurs proteftations d'amitié, ne font devenus n1 plus traitables, ni moins barbares. Ce premier mouvement de reconnoiïffance , en fup- pofant qu'il füt fincère, ne tarda pas à être étouffé par le caraétère originel de cette nation, & je fus, peu après, témoin de plufieurs infultes de leur part, qui me forcèrent de me dépouiller des pré- jugés que la fcène touchante à laquelle j'avois affifté, mavoit infpirés en leur faveur. Au milieu de ces fcènes d'horreur, ce qui m'af- fe@a le plus, ce fut le malheur des deux bons frères Arabes, dont je vous ai parlé dans une de mes pré- cédentes. M’étant un jour rendu à lendroit qu'ils habitoient, je le trouvai abandonné ; comme je favois qu'ils étoient déterminés à ne point quitter cette agréable retraite, je foupçonnai auffi -tôt la vérité; Jappris en effet, peu après, que le cruel Aly-Bey les avoit dépouillés : je partis fur le champ pour voir ce chef Arabe, me propofant de faire tout ce qui dépendroit de moi pour rétablir ces deux frères dans leur folitude; mais Aly-Bey, à qui je témoignai combien jétois furpris des bri- gandages qu'il exerçoit depuis quelque temps, me EN BARBARIE. 1 répondit quil n’agifloit que par les ordres du Bey de Conftantine , & que d’ailleurs les nations Arabes fur lefquelles il étoit tombé, s’étoient attiré leur malheur par le refus qu’elles avoient fait de lui payer les tributs qu’elles lui devoient ; quant aux Arabes dont je lu parlois, qu'ils n’avoient point été dépouillés par fes ordres; qu'il ignoroit d’ail- leurs ce qu'ils étoient devenus. Je ne m'en tins point aux aflurances de ce chef; jinterrogeai beau- coup d’autres Arabes, aucun ne put m’en donner de nouvelles. Je revins à la Calle, très-affligé du peu de fuccès de mon voyage, prenant de tous côtés des informations fur le fort des feuls Arabes qui mintérefloient. J’appris enfin que tous deux étoient morts de la pefte, dont les ravages fe font encore fentir parmi les nations qui nous avoi- finent. | Ç Ya l'honneur d'être, &c. #2 VOYAGE LORS ER RE TE Au méme. Tour et tranquille fur ces côtes, mon cher Doëteur : Aly- Bey a ceflé fes hoftilités ; mais je crains bien que ce ne foit pas pour long-temps. Les traités de paix, parmi les Arabes, ne durent que jufqu’à ce que le plus foible foit devenu le:plus fort, finon en guerre ouverte, au moins par des attaques artificieufes. Rules, trahifons, brigandages, peu leur importe, pourvu qu'ils fe vengent, & qu'ils puiffent faire couler le fang humain. Ce fpec- tacle eft auffi agréable à leurs yeux que celui d'une bête féroce expirant à la vue du chaffeur qui vient de la terrafler. Auffi dans les fentences de mort, n’eft-il pas befoin d’exécuteur ; dès que larrêt eft prononcé, c’eft à qui aura l'honneur de porter le premier coup. Les prières, les larmes, les cris affreux du malheureux que Pon égorge ne font qu’ajouter un nouvel intérêt à la fcène : le tendre agneau, recevant en filence le coup de la mort, n’eft point la viétime que les Arabes aiment à immoler; de tous les genres de mort, celui qui peut occafionner de plus longues &c de plus vives douleurs eft toujours préféré. Il y a quelque temps qu'un Turc, déferteur d'Alger, EN BARBARIE. 9$ s'étoit fauvé chez les Nadis, pour fe rendre de-là à Tunis. Ceux- ci le rencontrant feul & fans dé- fenfe , commencèrent par lui couper le nez, les orèilles , les bras & les jambes; & après avoir joui de ce fpeétacle jufqu'à ce que le Turc füt près d’expirer , ils Pachevèrent à grands coups de fabre, Un ancien Gouverneur de la Calle, que j'ai vu à Marfeille, m'a affuré, que s'étant un jour rendu chez un chef Arabe, avec lequel il avoit à traiter pour des intérêts de commerce, celui-ci hi mon- trant une douzaine d’efclaves , lui dit : Wois parmi cette canaille , quel efl celui a qui tu veux que Je faffe couper la tête ; > croyant de bonne-foi lui propofer une fête très-agréable. Ces cruels fe glorifient d’un affaf- finat avec autant de prétention que sil s’'agifloit d’une aétion héroïque, & ils ne font cas de la réputation qu'autant qu'elle eft: due à un grand nombre de meurtres. À cette férocité de mœurs fe joint l'abandon à tous les vices. À peine fortis de l'enfance, ils fe livrent aux femmes; & ceft, dans ce genre, le moindre de leurs défordres. Permettez, mon cher Doëteur , que je jette un voile fur des abominations que je ne pourrois tracer fans horreur, que vous ne pourriez lire fans être révolté. Le mariage, chez eux, n’en porte que le nom. Ils achètent une, deux, trois femmes, felon lenombre qu'ils peuvent nourrir. Ils les gardent auffi long-temps qu’elles leur plaifent, / 94 V Ow'’AGE & les renvoient enfuite fans autre formalité, Il n’eft point de créatures plus malheureufes que ces femmes. Leurs maris font de vrais defpotes, qui exercent : envers elles lautorité la fplus abfolue , & ne les traitent qu'avec le dernier mépris. Bouillans , comme fans frein, dans leurs defirs, tout ce qui y met obftacle eft facrifié. Le fils ne craint point de fe fouiller du fang paternel. Le frère devient laffaflin de fon frère, & la femme meurt fouvent des mains de fon mari. Dévoués au. plus fordide intérêt, lefpoir de la plus légère ré- compenfe les rend meurtriers, & lon feroit refque fr de dépeupler la Barbarie, en mettant äprix la tête de chaque Maure. Ces mœurs cruelles & fan- guinaires, à peine concevables chez les Cannibales , parmi ces hommes dont lhabitude de la chafle & du meurtre a déterminé le caraétère, font bien étonnantes chez un peuple en qui les befoins font fi limités, & les occupations fi douces. La foif de l'or ajoute encore & donne’ une plus grande aétivite à la férocité originelle des Maures. De ce nombre prodisieux de piaftres que le com- _merce apporte tous les ans en Batbarie, il men revient pas une feule. Tout y refte; & qui plus eft, tout y eft enfoui. Quel autre ufage en pourroit faire ce peuple qui n’a ni luxe, ni befoins, niin- duftrie, & auquel nous ne pouvons offrir que de l'argent en échange des grains & des laines que nous EN BARBARIE. 9$ entirons? Le Maure s’en fervira-t-1l pour augmenter fon troupeau, le nombre de fes femmes, de fes efclaves? Mais s'il laifle foupçonner qu'il foit riche, il ne tardera pas à être dépouillé. Il fera livré lu, fa femme, fes enfans aux plus cruelles tortures, afin de leur arracher l'aveu de leurs tréfors : mais intrépides au milieu des tourmens, 1ls meurent fans rien avouer. Si, pendant les guerres civiles, ils font dépouillés, alors ils ont recours aux piaftres enterrées pour acheter un nouveau troupeau, former de nouvelles tentes, & racheter leurs femmes & leurs enfans, quand 1ls croient ne pas trouver mieux, ou n’en pas trouver à fi bon compte. Voilà le feul motif plaufible fur lequel paroïfle appuyée cette coutume d’enterrer l'argent ; & comme ordinaire- ment le mari a feul connoïflance de ce précieux dépôt, sil meurt, fon fecret meurt avec lui. C’eft anfi que la Barbarie renferme des piaftres nom- breufes perdues pour toujours, & que la plus riche mine de ce pays eft en argent monnoye. Ces Arabes font voleurs par inclination autant que par habitude. L’efpoir d'enlever quelques mauvaïfes hardes à un voyageur fufit pour mettre fa vie en danger ; auf arrive-t-1l fouvent que le meflager qu’un chefenvoieàunautre chef, lorfqwileft obligé de paffer chez certaines nations indomptées, quitte fes habits, & ne fe revêt que de quelques lambeaux qui ne peuvent exciter l'avidité de ces Arabes. Il en eft même qui Voyacr voyagent parfaitement nuds, avec de gros chapelets pendus à leurs cols. Cet inftrument de dévotion les fait regarder comme des Papas ou des faints, & leur attire un peu plus de confidération. L’hôte qu'ils reçoivent chez eux n’eft pas beaucoup plus refpeété; ils le recoivent avec amitié, le nourriflent, lui donnent un afyle.dans leurs tentes, & finiflent par le voler, s'ils en trouvent l’occañon. L’étranger qui voyage chez ces Arabes (j'entends chez ceux où fa vie n’eft pas en danger), ne peut apporter trop de vigilance & de foin, pour éviter leurs larcins. Ceux qui lefcortent & l’'accompagnent, font fouvent les premiers à s'emparer de ce qu'ils peuvent faifir fans être apperçus. Il faut avoir foin de renfermer tout fous la clef, fur-tout pendant la nuit. Les Maures, à la faveur de lobfcurité, fe gliflent adroi- tement fous les tentes, & font fi adroits, qu'ils ne fe retirent prefque jamais les mains vuides. C'eft alors une très-bonne précaution de conferver de la lumière ou du feu toute la nuit. La jouiffance eft double pour eux quand ils peuvent voler un Chré- tien, tant eft forte la haine qu'ils nous portent. Auffi les häbitans de la Calle les paient d’un bien fincère retour. L’on m'a raconté qu'un d’entre eux, paf- fionné pour la chafle, & très-adroit à tirer un coup de fufil, fortoit fouvent feul, & qu'il chafloit aux Maures, comme lon chaffe aux bêtes féroces &z aux oïfeaux. Ordinairement il ufoit d'artifice. Lorfqwil Tiçontroit EN BARBARIE o7 rancontroit un Maure, il l'abordoit, lui donnoit de la poudre & du plomb, & infenfiblement gagnoit fa confiance, & l’engageoit à fe repofer avec lui dans quelque lieu écarté. Là, comme par plaïfan- terie, il tiroit un pain de fa poche, & le jettoit à une certaine diftance ; le Maure auff-tôt alloit le ramafler. Ce fcélérat faififlot ce momert pour lâcher fon coup ce fufil f:r ce malheureux, & æachoit le cadavre parmi les brouflailles, Il en avoit tué un grand nombre de cette manière, & sen étoit vanté publiquement quelque temps avant de repafler en France, s’maginant, par ces aflaffinats multipliés, n'avoir ufé que du croit ces gens, & avoir vengé les Chrétiens des infultes & de la haine des Maures. Jai vu néanmoins cette haïne des Chrét'ens pour les Maures employée avec plus de juftice. Il y a quelque temps que les Nadis étoient tombés fur notre troupeau qui paifloit à quelque c'itance de la Calle, Ils en avoient enlevé plus de cent bœufs; Pon en fut averti par les foldats du meulin, oui avoient obfervé ce qui fe pafloit au dehors. L’alarme fe répand aufl-tôt parmi les Habitans de la Calle, On ouvre la falle d'armes ; C’eft à qu: fera le plutôt armé ; l'on s'empare des chevaux, les mules elles- mêmes font arrachées à leurs travaux, & érigées, en cet inftant, en nobles chevaux de combats. Les premiers prêts n'ont pas la patience d'attendre les Part. I. G 93 VoyaAGE autres. L'on fort en défordre, l’on erre dans {a campagne à laventure , fans favoir où trouver lennemi. Chacun brûle du defir de la vengeance ; il eft impofhble de donner des ordres, de rallier douze hommes enfemble ; près de deux cens foldats font épars dans les brouflailles ; enfin l’on apperçoit les Nadis, lon ne fe donne pas le temps de les Joindre ; l'on tire fur eux de loin, fans en blefler un feul; ils difparoïffent, & fe fauvent dans leuts montagnes , où 1l fut impoñlible de les attaquer. Chacun revint à la Calle fort mécontent. Les Nadis cependant craignant la vengeance d’Aly- Bey, qui paroïfloit prendre notre défenfe par intérêt de commerce, & par d'anciennes inimitiés qui regnoient entre lui & les Nadis, nous rendirent, quelques jours après, une grande partie des bœufs enlevés, & nous demandèrent la paix, qu’on leur accotda fans difficulté, & même aux conditions qu'ils voulurent., tant lon eft intéreflé à vivre tranquille pour faciliter le commerce. Mais lon ne fe fie point à leur parole; & depuis ce moment, l'on a foin de faire efcorter le troupeau par quelques petites pièces d'artillerie de campagne que les Maures appréhendent beaucoup. Le pavillon François eft arboré; & je vous avoue que j'aime à voir flotter, au milieu de ces déferts, l’étendard de ma patrie. Jai l'honneur d’être, &c,. EN BARBARIE. 99 RP EUR LE XL VE Au même. Mx donner de vos nouvelles dans ces régions d'atrocité & de meurtre, c’eft, mon cher Doéteur, me ramener agréablement dans le fein de ma patrie, au milieu de mes parens & de mes amis; c’eft occa- fionner des fouvenirs que labfence n’a point effacé &c qu'elle n'aura jamais le pouvoir d'effacer. Je ne fuis point füfpris que vous ayez peine à croire les détails - de ma dernière Lettre : j'aurois pu cependant , fans trahir la vérité, les rendre encore plus incroyables : vous fe concevez pas ce qui peut produire des mœurs aufli fanguinaires ; moi, qui fuis fur les lieux ; qui ne néglige rien pour en trouver la caufe, je ne fuis pas beaucoup plus avancé que vous; plus jy réfléchis, plus mon embarras augmente ; je recueille des ‘faits, je tiens note de mes obfervations ;. & quand mes idées feront mieux déterminées , je vous ferai part de mon fentiment. De tous les êtres de la Nature, Fhomime ef le plus difficile à connoitre, & le dermier fur lequel un obfervateur éclairé doive prononcer. Les Arabes fuivent grofliérement la religion de Mahomet. [ls y ajoutent beaucoup de fuperfütions ; G 2 100 VOYAGE & , fidèles à certaines pratiques extérieures , ils en ignorent le véritable efprit. Ils obfervent aflez exac- tement le Ramadan, le Beyran, la prière, l'ablution, & fe font tous circoncire. Peu s’abftiennent du vin, lorfqw'ils peuvent s’en procurer, & en boire fans être apperçus. Ilen eft qui, fous le titre de Papas, portent au cou des chapelets à gros grains, & préfident aux cérémonies religieufes , comme à la prière, aux mariages, aux enterremens , &c. mais lon fait fort bien fe pafler d'eux. Leurs chapelets leur fervent, comme parmi nous, à compter le nombre de leurs prières. À chaque grain qu'ils font couler entre leurs doigts, ils difent, que Dieu eff grand l il n’y a qu'un feul Dieu, Mahomet ef? fon prophète. C’eft dans cette feule exclamation, dans cette élévation de leur ame vers Dieu, que confiftent toutes leurs prières. Ils la répètent par-tout , dans leurs voyages , au milieu de leurs travaux, dans le filence de la folitude. Ils pro- noncent ces paroles avec'une forte afpiration, comme s'ils étoient vivement pénétrés, & frappés de la grandeur & des bienfaits de la Divinité. Ces idées font cependant bien contraires à leurs mœurs. L'ablution, chez les Maures, n’eft pas aufli rigou- eufe que chez les Turcs. Il fufit qu'ils fe lavent quelques parties du corps, les bras, les mains, les pieds, la figure & la barbe : ce qu'ils font ordinaï- xement le matin, le foir, & après les repas, Plufieurs EN BARBARIE. IOI négligent cette pratique, mais ils font plus exaéts pour leur prière, qu'ils font par-tout où ils fe trouvent, foit dans leurs tentes, foit au milieu des champs. Ils fe mettent à genoux, la face tournée du côté de lorient, & fe couvrent la tête de leur bernus. Trois fois ils fe profternent le vifage contre terre, fe relèvent, s'agenouillent alternativement , & prononcent chaque fois, que Dieu ef? grand! Mahomet eft fon prophète. Le Ramadan dure une lune. C'eft le carême des Mufulmans. Ils ne mangent alors qu'après le foleil couché , & fe privent, jufqu'à ce moment non- feulement de nourriture, mais encore d’eau, de tabac &c de la pipe. Ils laïffent croître leurs cheveux, ne lavent point leurs habits, & ne prennent aucun foin de leur barbe; ils affetent même de porter des habits fales & crafleux. Il en eft de même lorf- qu'ils ont perdu quelques-uns de leurs proches, ou qu'ils ont fa mort à venger. Au Ramadan fuccèdent les fêtes du Beyran , qui durent plufeurs jours, & répondent à nos fêtes de Pâques. Alors les Maures fe parent de leurs plus beaux habits, fe rafent les cheveux, & fe livrent aux divertiemens & aux feftins; l’on fe vifite réci- proquement d’un Douare à un autre. Toute ini- mitié refpeive paroît oubliée ; mais feulement pendant ces jours de fêtes. Je ne m’étendrai pas davantage, mon cher Doéteur, G3 102 VOYAGE fur les principes de cette religion , communs à tous les Mufulmans, & dont tant d'auteurs ont déjà parle; d’ailleurs les Maures, defcendus la plupart de ces enciens Arabes qui, fous l'empire des premiers Calfes, fe font emparés de la Barbarie, font les vrais Mufulmans. Ils ont été les premiers endoc- trinés par Mahomet. Les Turcs, 1flus des anciens Syrtes, ont adopté, en paffant dans , Levant, la religion du pays. L’hofpitalité eft un droit facré chez les Maures, au moins parmi ceux qui font foumis à quelque chef. Le Mufulman étranger qui arrive chez eux, y eft reçu avec une cordialité apparente. On lui préfente le courcouçon, on l'introduit dans une tente pour y pañler la nuit. Seroit-il lennemi le plus déclaré, dès qu'une fois 1l eft admis dans un Douare, il a rarement à craindre la trahifon. Cependant ce n’eft point - là cette hofpitalité généreufe & refpeétable qui formoit chez les anciens Patriarches , amnfi que chez les Romains, les doux liens d’une amitié fra- ternelle, rapprochoit les étrangers de tous les pays, & honoroit l'humanité en prévenant fes befoins. Les Maures refpeétent la vie de leur hôte tant quil eft dans leurs tentes : mais s'ils ont réfolu d’attenter à fes jours, 1ls attendent qu'il foit hors du Douare. Ils mafacrent alors fans pitié celui que la veillels avoient traité en ami. La voix du fang n’eft pas même écoutée dans ces circonftances. Un ‘frère EN Ba RS ANIE. 10% devient l'aflaflin de fon frère, dès que Pintérêt les divife. Maïs fi l'ancienne hofpitalité n'exifte plus, jen ai trouvé des monumens bien refpeétables , & les plus propres à toucher lame fenfible du Voyageur. Parmi ces déferts inhabités, dans des lieux arides & fablonneux , loin des fources & des rivières, Jai fouvent rencontré des petites voûtes en forme de niches. Des reftes d'anciennes cruches étoient encore incruftées dans la maçonnerie. Eiles étoient deftinées à être remplies d’eau, afin que le Voyageur altéré pût trouver, fous ce ciel brülant, de quoi étancher fa foif. C’eft ainfi que les Anciens, non contens de recevoir l'étranger, pourvoyoient encore à fes plus preflans befoins dans des lieux où 1l ne pouvoit trouver aucune forte de fecours. Combien Jaimois à rencontrer ces précieux monumens de Fhumanité des premiers hommes! Je ne voyois dans bien d’autres débris que lorgueil & la vanité anéantis fous des monceaux de ruines ; je voyois les tom- beaux des Grands écrafés fous les débris de leurs propres palais; j'admirois un inftant quelques reftes de Pancienne architeéture, mais je quittois ces ruines pour aller m’attendrir à la vue d’un monument que: le temps auroit dù refpetter pour l'honneur de humanité, ou plutôt que l'humanité elle- même auroit dû conferver. Quelle leçon pour les Arabes d'aujourd'hui, s'ils étoient capables de la fentir ! Iis G 4 4 104 VOYAGE ignorent cependant pas lufage de ces cruches, puifqu'eux-mêmes me l'ont appris. Le fyftême de la prédeftination , fi généralement adms chez tous les Mufulmans, rend les Maures prefque indifférens fur tout ce qui peut leur arriver. Je ne les ai jamais entendu fe plaindre de leur pofition; chacun eft contert de la fienne ; fati-faits du préfent , ils oublient le pañlé, fe foucient peu de l'avenir, & n’envifagent la mort que comme un événement néceflaire, auquel ils fe foumettent fans murmure, A-t-on enlevé leurs troupeaux & leurs tentes > font-ils menacés de quelque grand danger, perfé- cutés par leurs chefs, chaflés de leurs poffeffions ? au m lieu des plus grands revers, ils ne connoïffent que cettefeule expreffion, Dieu Le veur. Ven ai vu, appellés par leurs Souverains , prefaue fürs d’être facrifiés à fon avar ce ; ils partoient avec une tranquilité étonnante. Si quelque mouvement de crainte s'élevoit dans leur ame , l'idée de la prédefti- nation y fanfoit renaître le calme & taïre la Nature. C'eft encore À ces confolans préjigés qu'ils font redevables de l'indifférence avec laquelle ils voient la pefte faire parmi eux les plus grands ravages. Combien de fois je les ai vus, au milieu de la con- tagion peftilentielle, attendre la mort fans s’émou- voir, rendre aux peftiférés tous les devoirs de Fhumanité, panfer leurs Bubons, enterrer les morts, EN BARBARIE. 105 & fens aucune précaution, {e revêtir des habits qu'avoient portés ceux que la contagion avoit fait périr! Ils n'igrorent pas cependant les dangers de la communication ; mais ils détruifent toute objec- tion par ces feules paroles : Mon fort efl écrit, Dieu Le veut, Je n'ai point remarqué que les Arabes don- naflent à la prédeftination toute l’extenfion que nous lui donnons. Ils n’en font l'application qu'aux événemens phyfiques, rarement aux aétions morales. Ïls croient à la liberté, ou plutôt attachés aux rits extérieurs de leur religion, 1ls fe livrent à la férocité de leur cara@tère, fans paroïtre réfléchir à la mora- lité de leurs aëtions. De-là naiflent une foule d'in- conféquences, de contradiétions peu furprenantes chez un peuple ignorant & groflier. De-là ces erreurs fi muitipliées dans les récits des Voyageurs qui ont peu féjourné chez ure nation dont ils veulent décrire les mœurs. Quiccnque, par exemple, nou- vellement débarqué fur ces côtes barbares, fe feroit avancé jufques dans les tentes des peft férés ; qui- conque y auroit vu, comme je l'ai vu mor-même, un père de famille diftribuer avec un œil fec à fes femmes. &c à fes enfans le linceul aui devoit dans peu les enfevelir, & ceux-ci le recevoir avec une tranqu:llté ftoique, fe feroit cru bien certainement tranfporté dans une fociété de philofophes, fur- tout s'il eût été témoin des fêtes, des danfes & de 106 Ve © Ya (GE la joie publique au milieu des ravages de la con tagion. Qu'auroit -1l penfé à la vue d'un fils qui rend à fon père expirant les derniers devoirs de humanité, & qui, fans fe foucier du dangerde la communication, le dépouille de fes habits , le lave avec foin, lenfevelt, & l'enterre de fes propres mains ? | De femblables faits pafleroient, chez nous, pour héroiques ; ils ne font, chez les Arabes, que les conféquences de leur fyftème. Les détromper fur cet article, ce feroit détruire la fource de leur tran- quillité au milieu des alarmes continuelles & du defpotifme qui les écrafe. Ce fyftême, dans notre religion , ouvriroit la porte à tous les crimes, en nous privant de la liberté morale; chez le: Muful- man, il produit la réfignation à la volonté de l'Être fuprème , & n’a d'autre inconvénient que cehu de: faire négliger les précautions convenables pour fe fouftrairé aux-maux phyfiques. Dangereux dans la religion de Jéfus- Chrift, il eft devenu un chef- d'œuvre de politique & de philofophie dans celle de Mahomet ; il diffère peu de la réfignation à la Pro- vidence ordonnée par le Chriftianifine, mais pouffée trop loin & mal entendue chez les Mufulmans. Ceft encore d'après les principes de leur religion, que les Arabes ont pour les fous une efpèce de vénération, -Ils les regardent comme des faints, corime des êtres privilégiés, favorifés du ciel. Ten EN BARBARIE. 107 ai rencontré un au Douare d'Aly-Bey. Il étoit parfai- tement nud ; il pénétroit dans toutes les tentes, & fe préfentoit devant les femmes, fans que leurs maris s’en offenfaflent. C’auroit été une aëtion puniffable que de le rebuter ou de le maltraiter. Il pouvoit aller manger par-tout où il lui plaifoit, rien ne lui étoit refufé. Aly-Bey lui-même fouffroit fes importunités & fa familiarité avec une complaïfance qui me furprit. Far Phonneur d'être , &cc. PL T RE, X VIE Au même. Les ravages de la pefte font fi confidérables dans tout ce pays, mon cher Doëteur, qu'au milieu de ces triftes folitudes, je ne rencontre prefque plus que des tombeaux, & qu'au lieu d’aromates, mon odorat n’eft affeté que des émanations que répan- dent au loin des cadavres enterrés à très - peu de profondeur. Ces lugubres dépôts des dépouilles de humanité, placés çà & là dans des lieux folitaires, attriflent mon imagination, & ne lui offrent que le tableau de notre deftruétion. Ces Arabes, qui ménagent fi peu la vie des hom- mes, en refpeétent les refles, & prennent le plus 108 VOYAGE grand foin de leur fépulture. Ils en regardent [a privation, comme un des plus grands malheurs qui puifle leur arriver, & dans la défolation a@tuelle, ils meurent tranquilles, dès qu'ils font certains qu'après eux 1l exiftera encore quelqu'un pour les enfevelir. Auffi le dernier fupplice, parmi eux, eft d'être coupé par morceaux , & abandonné aux chiens. Voici ce que j'ai eu occafion d'obferver à leurs cérémonies funèbres. À peine un Arabe eft-il décédée, que peu après on le lave avec foin; on l'enveloppe dans un linceul d'une belle toile blanche que les Arabes ont en réferve pour leur feule fépulture. Cette toile fe fabrique dans les villes de Barbarie; mais ils efti- ment bien davantage celle qui leur eft apportée de la Mecque par les pélérins, & bénie par le prin- cipal Iman. Cette bénédidion leur coûte cher, il eft vrai; mais les faveurs fignalées qui y font attachées, en font oublier le prix. Dès que le mort eft purifié, on le place fur une efpèce de brancard ; il eft porté fur un cheval au lieu de la fépulture, où fes parens & fes amis Vaccompagnent. Tandis que les hommes s'occupent à creufer la fofle , les femmes s'accroupiflent en cercle autour du cadavre, le touchent, le décou- vrent , & puis s'entretiennent entre elles avec beaucoup d'indifférence ; mais par intervalle elles interrompent leur converfation pour poufler de EN BARBARIE. 109 longs gémiffemens , interroger le cadavre , & l’en- gager , par les plus fortes inftances, à revenir de nouveau habiter parmi elles. Pourquoi , lui difent- elles, rous as-tu quittées? N'étois-tu pas bien avec nous ? Ne t'apprétions-nous pas bien le courcouçon ? Hélas ! tes enfans ne te verront donc plus ? Ils avoient tant de plaifir a te pofféder ! à préfent que tu les as con- trifies , ils ne favent que gémir & pleurer. Ah! ah! revlens avec nous ; rien ne te manquera. Mais f# ne nous écoutes plus ; tu ne réponds plus à nos paroles ; n'entends plus nos foupirs ! ah! ah! ah! Ge &t autres apoftrophes de ce genre, que je me fuis fouvent fait traduire en affiftant à ces lugubres céré- momies. Ces triftes lamentations d’une éloquence naturelle & pathétique, feroient bien propres à tou- cher lame du fpeltateur , fi on ne voyoït pas ces mêmes femmes quitter, un inftant après, l'extérieur de la plus profonde douleur pour caufer & rire entre elles, & revenir enfiute à leurs premiers gémiflemens. Pendant ces tendres reproches , elles s’arrachent les cheveux, s'ouvrent avec les ongles les veines des tempes. Le fang coule avec leurs larmes, & offre le fpeétacle du plus grand défefpoir. La foffe achevée, lon y place le cadavre fur le côté, la face tournée vers l'Orient. Un Papas lui met entre les mains un billet pour le recommander à Mahomet. L’on forme enfuite au-deffus du corps une efpèce de voûte avec T10 V :o:Y2AVC € des branches d'arbre, afin que la terre ne Île touche pas; quand la fofle «ft recouverte de terre, lon met pardeflus de nouvelles branches d'arbre, & une quantité de très-groffes pierres pour empêcher. les bêtes féroces de venir, pendant la nuit, dévorer le cadavre. On laïffe au milieu des pierres un efpace vuide pour y déposer des vafes de terre & autres uftenfiles de ménage : mais ceci n’a lieu que pour les Arabes d’un certain rang. Avant de quitter la fofle, l’on plante dans le milieu une efpèce de pavillon funebre. Ceft ordinairement un lambeau des vêtemens du mort, placé au haut d’un bâton. La cérémonie achevée, chacun fe retire chez foi avec la plus grande tranquillité, fans que lexté- rieur annonce les lugubres fonétions que lon vient de remplir. Les proches parens & les amis du défunt viennent de temps en temps vifiter fa tombe. Ils enlèvent quelques pierres, le déterrent en partie, pour s'aflurer sil n’eft er revenu à la vie; & lorfque Pinfeétion du cadavre leut pérfuade le contraire, alors ils recommencent les cémifiemiens & les fitnént tations que j'ai décrits plus haut. Quelques - uns jettent de la chaux éteinte fur les pierres, pour donner quelque éclat à ce groflier tombeau. À chaque jour de fête les Arabes viennent en troupe vifiter la tombe des morts & pleurer deflus. Cette cérémonie, que j'ignorois, m'infpira un EN: BARBARIE. 111 jourtune bien grande frayeur. FPétois à herborifer avec mon domeftique dans des rochers voifins de li Calle. Nous étions alors en guerre avec les Nadis. Des-coups de fufils répétés, un bruit confus d'inf- trumens de guerre êc des cris tumultueux viennent tout-à-coup frapper mes oreilles. Je monte au plus vite fur un rocher élevé, &c j'apperçois dans le lointain un grand nombre de cavaliers Arabes, qui accouroient au grand trot au milieu d'un tourbillon de pouflière, & fe dirigeoient précifément vers l'endroit où je me trouvois. Ils avoient arboré lé- tendard de Mahomet. Cet appareil militaire m’épou- vanta à un tel point, que je me crus perdu, m'imaginant que c’étoit une troupe de Nadis. Ne pouvant me rendre à la Calle, fans courir le rifque d'être faifi par ces cavaliers, je pris le parti de me cacher dans d'épaifles brouffailles , peu en füreté dans une retraite qu'il étoit facile à deux cens hommes éparpillés de découvrir. Lorfque ces Arabes furent affez près de nous pour être diftingués, mon domeftique m'aflura que c’étoit des Zwlmis , chez lefquels Javois féjourné, qu'il en reconnoïloit plu- fieurs. Raflurés par cette découverte, nous fortimes de notre retraite, & nous allâmes au-devant d'eux. Ils me reconnurent, & me dirent qu'ils alloïent à une mofquée peu éloignée pour y célébrer les fêtes du Beyran, & vifiter le tombeau des morts. Je les laiffai remplir leurs devoirs de religion, & je 112 VovaAGE continuai mon herborifation , qu'une faufle alarme m'avoit fait interrompre. Il exifte chez les Arabes, comme chez nous, des vifites de condoléance. Dès que lun d'euxa perdu un de fes proches, tous fes parens & amis vont le vifiter. Les hommes vont voir les hommes, & les femmes fe rendent auprès des femmes. A la première vue ils fe mett:nt à pleurer de part & d'autre, & à poufler des hurlemens de toutes leurs forces. Ces hurlemens fe mefurent felon la dignité. Un inférieur à l'égard de fon Ron hurle tant qu'il peut. Un peu moins d’égal à égal. Les chefs ne pouflent que quelques foupirs, à moins que ce ne foit pour un autre chef. Tout cela eft ordinai- rement de commande. Un inftant après la joie renaît, & il n’eft plus queftion de s’affliger , à moins qu'il ne furvienne un étranger avec lequel 1l faille hurler de nouveau. Ces vifites ne fe bornent pas à une feule. On les répète pendant huit, qu'nze jours, &z quelquefois davantage. Quand on apprend la mort d’un Arabe dans un Douare où il y a quelque parent du défunt, auffi-tôt hommes, femmes, enfans, tous heurlent à l’envi. Les chiens épou- vantés de ce tintamare, fe mettent de la partie; mais la douleur ef bientôt épuifée. La ea renait un inftant après. Dans les villes, les Mufulmans dévots regardent comme un très-grand a$te de religion de porter les morts EN BARBARIE. 113 morts en terre. S'ils voient pafler un convoi funèbre, ils quittent aufli-tôt leurs occupations, & vont prendre la place de ceux qui portent la bière, qufqu’à ce qu'ils foient remplacés par d’autres. L’hon- neur de donner la fépulture aux morts n’eft point confié à des mains mercénaires : c’eftile devoir du plus proche parent. Les pères enterrent leurs enfans, les enfans enterrent leurs pères, & ainfi par ordre, felon le degré de parenté. Il y a toujours un ou plufieurs Papas qui affiftent à ces cérémonies, chan- tent ou récitent quelques verfets du Coran, & remettent au mort une lettre de recommandation pour le faint Prophète. . DEMET RE XVIIL Au même. Vous defirez favoir, mon cher Doëteur, s'il ÿ a encore quelques Médecins célèbres chez un peuple qui a produit les pères de la Médetine. Il eft aifé de fatisfaire en deux mots à votre queftion. Les Arabes ne connoïflent d'autres médecins que la Nature, d’autres remèdes que ceux qui leur font diétés par lignorance ou la fuperftition. Cette Nation, d'où font fortis autrefois tant d'hommes fi habiles à guérir les maux de Phumanité, ignore jufqu’à {on Part. I. H 114 V o YraAteG r ancienne fplendeur , & a cédé aux autres peuples le flambeau qu’elle-même avoit allumé. Ceft plutôt par ignorance que par mépris qu'ils mont point, dans leurs maladies, recours à la Médecine. Les Médecins européens qui fe trouvent par hafard chez eux, en font très-bien accueillis ; c’eft même le feul titre qui puifle les engager à refpeéter la vie d’un étranger. Ils ne font alors humains que pour ux- mêmes; l'intérêt perfonnel leur fait oublier leur férocité naturelle. Ce qu'il y a de bien fingulier, c'eft que ces hommes, qui fouvent ignorent s'ils font malades, quand ils le font réellement , le de- viennent, au moins en imagination, à la vue d’un Médecin. Empreflés à en recevoir des fecours, crai- gnant d'en laifler échapper loccañon , ils font de leur fanté un examen fi fcrupuleux, qu'il en eft peu qui ne fe croient dans la néceflité d’avoir recours aux remèdes, ne feroient - ils que de précautions. N'ofant décider par eux-mêmes s'ils fe portent bien, ils préfentent leur pouls au Médecin, & croient diff- cilement à fa décifion lorfquil les aflure de leur bonne fanté. Ils ont tant de confiance à la faignée, que les mieux portans penfent en avoir befoin. C'eft pour eux le remède univerfel. Au défaut de Médecin, fouvent ils fe faignent eux-mêmes par un procédé bien propre à effrayer ces perfonnes délicates que la vued’une lancette fait évanouir. | Celui qui eft chargé de cette opération, commence EN BARBARTIE. 115 par ferrer le col de fon malade avec une ligature, f fortement, que le patient en eft prefque étranglé, Quand les veines du front font gonflées par le fang gène dans fa circulation, alors l'opérateur y fait cinq à fix incifions avec un rafoir, En un inftant le vifage eft tout couvert de fang, dont on aide l'effufion par le moyen d'un bâton cylindrique que lon fait rouler fur les incifions. Quelquefois les Arabes fe faignent eux-mêmes aux pieds, toujours par un femblable procédé. L'opération finie, ils lavent la plaie, y appliquent un peu de terre argilleufe détrempée dans l’eau, & la bandent avec un mouchoir. Cette opération ne les empêche point de fe livrer à leurs occupations ordinaires. Voilà, mon cher Doéteur, à quoi fe réduit toute la médecine des Maures, fi vous en exceptez quel- ques remèdes particuliers confervés par tradition, &z adminiftrés avec un certain mêlange de fuperf- tition. Ils ajoutent encore beaucoup de foi aux amulettes & aux talifmans qui leur font donnés par les Marabous. Il eft vrai que les Maures ne connoifknt point cette foule de maladies qui viennent à la fuite de notre mollefle & de nos excès. Celles auxquelles ils font le plus fujets proviennent de leur grande mal- propreté, des lieux marécageux qu'ils habitent, de leurs excès avec les femmes , ou de leur mauväife nourriture. Ce font des maladies cutanées ,; des FL 2 116 VOYAGE fièvres intermittentes ou putrides, des rhumatifmes ; l'épuifement des humeurs & du fang. Ceux qui habitent les côtes font fujets au mal vénérien, qu'ils appellent le mal des Chrétiens, qu’en effet ces derniers leur apportent d'Europe. Ils n’y font aucun remède, Un fang empoifonné coule dans leurs veines jufqu'à la fin de leurs jours, & ce même fang donne naïf- fance à des enfans, viétimes des débauches de leurs pères. I faut avouer cependant que, foit à raïfon du grand air que les Maures refpirent continuellement, foit la frugalité de leur nourriture, foit le climat, cette maladie ne fait point, parmi eux, des ravages auffi confidérables qu’elle en fait chez nous. Les Arabes, en guerre continuelle les uns contre les autres , font fujets aux coups de feu , aux frac- tures. Ils les abandonnent entièrement à la nature. Quelques - uns guériflent, d'autres confervent des ulcères naturels, qu'ils gardent toute leur vie : mais fi les Arabes ne tirent point de la Médecine les fecours que nous en tirons , auffi n’en éprouvent-ils point les inconvéniens, Leur imagination n’eft point effrayée par les décifions du Médecin ; les drogues multipliées qui garniflent la chambre de nos malades, ne choquent pas leurs regards, & ne leur foulèvent point le cœur. Comme leur religion &c leurs affaires ? civiles n’exigent jamais qu'ils foient avertis de leur dernière heure, ils meurent fans fonger à la mort. EN BARBARIE 117 Tant qu'ils peuvent marcher , ils marchent ; futre- ment ils reftent en place, étendus par terre, fans jamais quitter leurs habits. Si le malade prévoit fon dernier moment, il fe tourne la face du côté de FOrient , & meurt tranquille en fe recommandant à Mahomet. J'ai Fhonneur d'être, &c. : M ur _ 20 A VAUX SAN O7 1 Au méme. [Es y a quelques jours, mon cher Doëteur, que je m'étois embarqué dans le deffein d'aller mouiller au Collo, à 80 lieues d'Alger fur les côtes. Les relations que lon m’avoit faites de la beauté de ce pays, des antiquités que l’on y rencontre , & de plufeurs autres particularités , m’avoient infpiré un vif defird’aller le vifiter, & de profiter, pour cet objet ; d'un bâtiment de la Compagnie qui alloit y faire la traite. Tout ce que lon avoit pu me dire fur la férocité des habitans, fur la difficulté de pénétrer dans le pays, n'avoit pu me détourner de mon deflein. Les vents contraires nous ayant forcés de nous arrêter à Bonne, je ne mis pied à terre, que bien déterminé à me rembarquer au premier vent favorable. Mais Jes dangers de ça A 3 118 : Voyxaer voyage me furent tellement confirmés , & fi évi= . videmment démontrés, que je fus, à mon grand regret, obligé d'y renoncer. En effet, les bâtimens qui abordent au Colo pour la traite!, font. forcés d'être fans cefle fur leurs gardes ; ils ont à éprouver les plus fortes infultes de la jet des habitans : fouvent les gens de léquipage n'ofent débarquer qu'à la faveur des ténèbres. Ils fe hâtent de charger les cuirs & autres denrées qui font en dépôt dans la maïfon de l'Agent de la Compagnie, & s’éloignent le plutôt qu'ils peuvent d'un pays où les hommes font plus à craindre que les bêtes féroces. Vous ferez fans doute furpris, mon cher Doéteur, que lon expofe ainfi-la-vie des hommes:,-en conti- nuant de-commercer avec. des êtres auffñ, peu trai- tables, Eh! que ne rifque-t-on pas pour augmenter fa fortune! Les précautions, que lAgent.de la Com- pagnie eft obligé de prendre pour fa: fhreté font frémi , & annoncent bien l’évidence-du-danger. Il habite, avec unkcaïflier & quelques, domeftiques , une maïfon qui n’a d'autresouverturé ique tde-très- petites lucarnes ; encore les fenêtres & les portes {ont-elles doublées de fer, & en état desréfifter aux balles de fufil. Ces Mefieurs font, avec lers:dommef- tiques , une garde continuelle tant le jour-que la nuit, Malgré ces précautions , il eft arrivéwplufieurs fois des+accidens fâcheux. L'on a vudles Arabes monter pendant la nuit fur les toits, enlever les EN BARBARIE. 119 tuiles , faire une ouverture pour pañler le bout de leurs fufls, & tuer ou bleffer la perfonne en fen- tinelle. Ils ont une fois pouffé leur rage jufqu’à mettre le feu aux quatre coins de la maïfon, & brûler l’Agent & tout fon monde. M. Hugues, Agent aétuel de la Compagnie, a été mille fois infulté; il y a quelques années qu'il reçut un coup de füfil à la joue , dont 1l fut heureufement guéri. Il avoit voulu fe retirer; les Arabes s’oppofèrent à fon départ; fon fucsefleur s'étant préfenté, 1ls le reçurent fi mal, qu'il n'eut que le temps de fe rembarquer. D’après ces détails, qui me furent confirmés par des Arabes même du pays retirés à Bonne, je pris la réfolution de m'arrêter en cette ville. Un mémoire que M. Hugues eut la complaifance de m'envoyer fur le Co/o, ne me laïfla aucun regret de n'avoir pu faire ce voyage. Perfonne n’eft plus en état que M. Hugues de donner des notions exaétes de ce pays. Il habite depuis plufieurs années; &c 1l eft obligé, par fa place, de communiquer avec les habitans, dont il a fans cefle à éprouver les injuftices & la méchanceté. Je vous envoie le Mé- moire tel que je l'ai reçu : je ne doute pas qu'il ne vous intérefle autant qu’il mA intéreflé moi-même ; & vous avouerez avec moi qu'il feroit à fouhaiter que tous ceux qui habitent les pays étrangers, fuffent auff bons obfervateurs que M. Hugues, & rendiflent leurs idées avec autant de clarté & de précifon. Éd 120 VOYAGE « Le pays proprement dit le Col, eftune petite » vallée, où fe trouvent cent cinquante maïfons # » un feul étage, mal bâties en argille & ensterre. » Elles forment quatre villages, diftans d'environ » quatre cents pas lun de lautre, habités depuis » plus de deux cents ans par des Maures, qui s’y font » raffemblés de différentes nations de la montagne. » Ces villages ont tous un nom particulier. Le » premier & le plus éloigné de la marine s'appelle » Berkaïide, ou terre du Kaïde. Le fecond s'appelle » lAzoulin , qui eft le nom de la nation qui l’habite. » Le troïfième Berdtouille, ou Terre- longue; &t le » quatrième 42 Jafde, qui eft le nom de la mon- » tagne fau pied de laquelle le village eft bâti. » Le dernier eft celui qui eft le plus près de la » marine, & où fe trouve le chäteau de la garnifon » Turque, ainfi que le comptoir de la Compagnie » royale d'Afrique, » Le Collo eft borné à left par une vafte rade, » ouverte au nord & nord-eft, borné au midi par » des montagnes défertes, à loueft par les Ozled- » fenfel, & Macrakfu , qui font les fentinelles &z les y alliés des Collins en temps de guerre. Il eft borné » au nord par un petit golfe appelé en langue du » pays Baaoenfe , ou mer des femmes. » L'air du Collo eft fain & tempéré : le fol de » la vallée eft fec & fiérile. L’on y voit cependant # beaucoup d'arbres fruitiers, qui, foit par le défaut à 4 + Su ST EN-BARBARILE. 121 #de culture, foit par la qualité du terrein, ne » donnent que des fruits d’un goût fade,, & ne “ » peuvent parvenir à une parfaite maturité. Les _ » montagnes même qui environnent ce pays ne » produifent que quelques arbrifleaux, fort peu de » plantes. » Les Collins ne pouvant, par la mauvaïife . wqualité de leur terrein & par fon peu d’étendue, » tirer de la culture de quoi fe procurer les fecours » de la vie animale, fe font adonnés au commerce » des cuirs de bœuf, qu'ils achètent à bon marché » des montagnards, & awils revendent fouvent bien » cher à l’Agent de la Compagnie. Ils fabriquent » outre cela, avec du lin qui leur eft apporté d'Alger, » des toiles très-communes qu'ils vendent aux mon- » tagnards, ou les échangent pour du blé, du beurre, » de l'huile, & fouvent pour des cuirs. Quelques- » uns, plus aétifs, portent à Tunis ou à Alger, fur » des fandals, du beurre falé, de l'huile, des noix, » des figues fèches, & en rapportent des étoffes » pour leurs habillemens, & du fel qui leur fert à » faler les cuirs, en attendant le temps de la traite » de cette marchandife. » D’anciens puits, qui font encore dans le meilleur »état, un vieux château & quantité de vieilles » mafures , font voir clairement que ce pays a été » habité avant l'arrivée des Maures ; & ce qui » porte à croire que les Romains y avoient formé 122 V Oo T'AMGErE + un établifflement très-confidérable, ce font quelques »infcriptions que lon voit fur de grandes pierres » blanches, qui fervoient apparemment de frontif- » pice à leur temple. On y lit Nepruno, Jovi ; d'autres # infcriptions fe trouvent fur plufeurs autres piertes »# avec l'écriture renveriée, & que fon ne peut pas » bre. » Le gouvernement du Collo eft, pour la forme # le même que celui des autres places qui font de Ja # dépendance d'Alger. Un Aga ou Commandant eft # à la tête du gouvernement militaire. Cet homme » a fous lui quatre Officiers qui compofent le Divan #ou Confeil, & un certain nombre de foldats # remplacés tous les ans, en mai, par de nouvelles # troupes qui viennent d'Alger. Cette milice eft # pour contenir les Collins dans le devoir, protéger »# les Chrétiens qui font le commerce, & s’oppofer _» aux defcentes que pourroient tenter au Collo les » ennemis d'Alger. Ce gouvernement militaire n’eft » compofé que de Turcs. » Le gouvernement civil eft entre les mains de » deux Kaïdes &xde fept chefs Maures difperfes dans # les quatre villages. Ils n’ont aucune autorité fur »les Collins, & fe contentent du titre de leurs » charges. Ils traitent feulement de la paix ou de » la guerre avec les nations de la montagne, em- » pêchent ou permettent le commérce des cuirs entre » les Chrétiens & les Cabaïles, lorfqu'ils ne peuvent EN BARBARITE. 123 5 où ne veulent, faute d'argent, acheter eux-mêmes » cette marchandife pour la revendre à un plus haut » prix en temps de traite. Ces Kaïdes ou Schieks, qui » font eux - mêmes les premiers coquins du pays, »nont pas le pouvoir, ni même la volonté de » mettre un frein à l'injuftice & au crime, qui vont » tête levée dans ce pays. Le droit du plus fort & »le fufil décident tous les différends. Les Turcs ne » font pas même épargnés. Quand leur Aga ou le » Divan veulent s’avifer de mettre le bon ordre, » il eft bien rare que la garnifon retourne à Alger » fans laiffer plufieuts foldats tuës fur la place. Ce » qui fait que depuis long - temps 1ls fe bornent à #manger tranquillement leur paye, & à ne point » s'écarter du château, laiffant les Collins dans leur » village jouir impunément d’une liberté, qui occa- » fionne prefque tous les jours les plus grands défor- » dres. L’impunité a multiplié tous les crimes, 8 a fait » des Collins , fans exagération, les hommes les plus » méchans qu'il y ait fur la terre, » Les environs du Collo, quoique très - mon- » tagneux , ne laiflent pas d'être agréables , & » malgré le peu de peines que prennent les Maures ».pour les fertihfer, on y trouve des vallées & »des plaines couvertes de beftiaux , & fertiles en » blé, orge, millet noir, &cc. Ces. montagnards »appoitent au comptoir de la Compagnie un peu » de coton, d'huile, de miel, &c beaucoup de cire 124 VoyaAGcr # Au midi du Col il y a deux rivières qui tra= » verfent une plaine d'environ trois lieues de lon- » gueur, & viennent fe jetter dans le golfe qui forme # la rade du Collo. La plus confidérable feroit navi- # gable pour des bateaux, à trois lieuès de fon » embouchure, Ce pays ef très-fertile, & les Maures # y font plus doux & plus civilifés que dans les » autres contrées. Ceux qui font à l’oueft reemblent # à de véritables fauvages. Leur pays eft prefque # par-tout fiérile. Il ne produit que de l'orge, du » millet noir, de FPhuile, de la poix-réfine, du » goudron, & quantité de petits finges fans queue, # qui ravagent une grande partie de la récolte. L'on » ne conferve l'autre, qu’en faifant la garde nuit 8&z » Jour pour écarter ces animaux, depuis le moment s des femailles jufqu'à la moïflon. L'on pourroit wtirer grand parti du bois de conftruétion qui y »# eft très-abondant, fi le naturel de ces barbares ne » mettoit un obftacle invincible aux entreprifés que » fon pourroit faire pour exploiter de fi beaux # arbres. # Toutes les nations des environs du Collo, à » dix lieues de ce pays, font indépendantes. les » forces du Bey de Conftantine n’ont pas encore pu » les réduire fous fa domination. Plufeurs d’entre » eÎles n’ont pas même de chef pour les gouvérner. » On les voit toujours en guerre les unes contre les » autres, Les Maures font bafanés, vilans, eruels, EN BARBARIE. 125 #ignorans & toujours armés. Îls vont nue tête, » 8c favent à peine s'ils font Mahométans. » Les Collins font en général blonds, grands, » robuftes. Ils ne fortent jamais de leurs maïifons » qu'armés du fufil, de piftolets & de fabres. Ils » ne meurent guères que des coups meurtriers de ces »-armes ÿétant fans ceffe en guerre. ls font tous, fans » enexcepter aucun, grands voleurs, fanéans , gour- » mands, cruels & inhumains envers les étrangers; »traîtres, diflimulés, lafcifs, jaloux, vindicatifs, » flatteurs & aimant la flatterie ; orgueilleux, avides . » des honneurs, fuperftitieux, hypocrites ; en un # mot, adonnés aux vices les plus abominables ». D’après quelques échantillons de minéraux que -M. Hugues a joints à ce Mémoire, 1l paroît qu'il vient beaucoup de criftal de roche dans les fentes des rochers qui avoifinent le Collo, & qu'il doit y avoir des mines de cuivre très-riches. Jai l'honneur d’être, &c. 126 V oùy A4: E LETTRE. Au même: Pius je parcours ce pays, mon cher Boteur $ plus mes idées s’exaltent à la vue des ruines quetje rencontre à chaque pas. Ce que la barbarie foule aux pieds, je le contemple & l’'admire. Cene font, il eft vrai, que quelques fragmens de fquélette ; mais ce fquélette annonce combien le corps qu'il foutenoit avoit de puiflance &r de force. Ces débris olés ne préfentent aux yeux de l'ignorance que des pierres brifées & confondues ; mais ellessrap- pellent à lobfervateur le fouvenir de ceux qux les ont taillées. Elles offrent à limagination une ville fuperbe 8 puifflante là où croiflent aujourd’huides brouffailles & des ronces ; elles annoncent qu'un peuple éclairé & poli faïfoit-briller les fciences & les arts dans des lieux habités aujourd'hui par des hommes féroces & barbares. Tout ce que je vois me peint fi vivement l’ancienne fplendeur des Ro- mains, me retrace fi bien ce que j'en ai lu, ceïque lon m'en a raconté, qu'il me femble avoir été Romain moi-même, & que je renais pour gémir fur les ruines de mon ancienne patrie. Pardonnez ces réflexions qui reviennent peut-être trop fouvent ; EN BARBARIE. 127 * mais eomment ne pas parler de ce qui frappe con- tinuellement les yeux? C’eft fur des ruines de l’an- cienne Hippône que je vous écris cette Lettre. Du haut du vieux mur où je fuis afis, je me crois, par moment, confondu au milieu d'une foule d'au- diteurs à portée d'entendre la voix éloquente & perfuafive du grand Auguftin : mais lillufion ne dure pas long-temps : bientôt je me retrouve feul au mileu de ces ruines. À la place d'un peuple chfétien, conduit à la vertu par les fublimes exhor- _ tations de fon illuftre évêque, je ne vois qu'une ‘ race d'hommes pervers & méchans, auxquels le nom de Chriff eft en exécration. . Hippore étoit dans une fituation très-heureufe , bâtie dans une belle plaine, aux pieds d'une riche colline, entre deux rivières, & à une demi-lieue de la mer. Il refte bien peu de chofes de cette an- cienne ville. Le premier objet que jy rencontrai, fut quelques arcades, dont l’élévat on & la gran- deur annoncent un édifice confidérable : 1l eft pro- bable qu’elles appartenoient à une églife : auff eft-ce l'opinion vulgaire. A quelque diftance de-là eft une autre bâtifle beaucoup plus entière. Elle pafle, parm® les Chrétiens qui fréquentent le pays, pour avoir été le couvent de Saint Auguftin. Elle confifte en une double voñte très-forte, foutenue par huit arceaux, bâtis en briques larges, & d’environ un pouce d’é- paifleur. Il eft facile de reconnoîitre que ce prétendu 128 Voy AGE couvent n'étoit rien autre que de très-bellæ citernes. Des ouvertures carrées à la voûte, dans l'intérieur, des reftes de conduits en forme de gouttières, qué Von prendroit d’abord pour des galeries, la forme & la folidité de cette bâtifle, tout confirme dans cette idée. Fai retrouvé des reftes femblables, maïs bien moins confidérables, à quelques diftances de-là. Il me paroït très - probable ÉFRPPÈRE s’étendoit jufques fur les bords de la rivière de Sähoufe, qui a fon embouchure en face de la ville de Bonne. En me promenant fur les bords de cette rivière, J'y ai découvert les veftiges d'un ancien quai, bâti en mofaique, en petites briques rouges d’un pouce & demi de largeur fur un de longueur , réunies par un ciment, dont la dureté ee les ouvrages des Romains. En cet endroit le chemin eft large, uni, très-beau, & continue de même pendant près d'une demi-lieue. Il s’eft ainfi confervé depuis le temps des Romains ; car les Arabes ne favent ce que c'eft d'avoir de grands chemins ; ceux que lon retrouve dans ce pays font l’ouvrage de fes anciens babitans. Quoiqw’Hippone n'ait eu de plus grande célé- brité que celle d’avoir été gouvernée par un des plus grands Doéteurs de l'Eglife, elle pouvoit néanmoins devenir, par fa pofition, une des villes les plus commercantes & les plus riches de la Nu- midie, Elle étoit environnée de tous côtés de plaines fertiles | EN BARBARIE 129 fertiles, de gras pâturages, de riches côteaux, de | vergers abondans en toutes fortes de fruits : outre cela, la mer offroit aux habitans d'Hippone les moyens d'échanger avec les peuples de l'Europe leur fuperflu en grains, en laines, en vins, &c. La rivière de Seiboufe, qui en baïgnoit les murs, eft large & belle, maistle fable y eft fi abondant, qu'elle ne peut porter que de gros bateaux ou /a- dals turcs: cependant, avec un peu de foins, elle pourroit devenir beaucoup plus navigable, & former un aflez beau port; je foupçonne, d’après les débris que jy ai rencontrés, qu'autrefois il y en avoit un, que les fables ont comblé. Le fol de l'an- cienne Hippone eft divifé aujourd’hui en très-beaux jardins, fermés par des haies de figuiers de Bar- barie ( Caëus opuntia ), dont le fruit eft très- rafraïchifflant , mais un peu fade. Le figuier , Polivier, le jujubier, l’oranger , le citronnier , le caroubier, la vigne, Pazérolier, & plufeurs autres arbres fruitiers sy cultivent avec le plus grand fuccès, &c font au loin lornement des campagnes. A l’ancienne Hippone a fuccédé la ville de Bonne; bâtie fur les bords de la mer, à l'embouchure de la rivière de Seiboufe. Cette ville eft environnée d'un aflez bon mur, défendue parune forterefle fur les bords dela mer, & par un château confidérable, bâti par Charles- Quint, lorfquil s’empara de cette ville en 1535. Les rues de Bonne font très-étroites, mal-propres, Part, I, » 130 VOYAGE boueufes, point pavées, & toujours pleines de fumier 8 de boufes de vaches. Les maifons, d’une forme quarrée, n’ont qu'un feul étage. Les. fenêtres donnent toutes fur la cour. Il n’y a au dehors que quelques petites lucarnes d’un demi-pied d’ouver- ture, ce qui contribue à rendre les rues beaucoup plus triftes : mais la jaloufie des Orientaux eft le feul goût que larchiteéte confulte. Au lieu de toits, le deffus des maïfons eft une plate-forme en terrafle, Chaque maïfon eft conftruite en pierres blanches, auxquelles on ajoute, tant en dehors qu’en dedans, une couche de chaux, ce qui produit un coup-d’œil uniforme, peu gracieux, & très - fatigant pour la vue. L'intérieur des appartemens eft garni de nattes ou de tapis, felon la fortune de chaque particulier. Les murs font blancs, fans aucun autre ornement : cependant les hommes en dignité les décorent de fufils, de piftolets, d’atagans, & autres armes à l'ufage du pays. Il y a dans Bonne deux mofquées ornées de minarets , C’eftà-dire, de pyramides fem- blables à nos clochers, du haut defquels les Papas appellent le peuple:à la prière trois fois par jour ; car les Mufulmans ne connoïffent point l'ufage des cloches. Ceux qui font deftinés à ces fonéhons, crient trois fois, aux heures de la prière : Que Dieu eff grand! Mahomet eff fon Prophèse Venez , peuple fidèle, venez à la prière. Les Maures de Bonne diffèrent peu de ceux de EN BARBARIE 131 Ja montagne; même habillement, mêmes mœurs, Cependant leur vie eft plus aétive & plus aifée, Les Nègres y font efclaves, mais bien traités. La garnifon turque, quoique peu nombreufe, en ime pofe aux habitans de Bonne : chacun tremble à la vue d'un Turc. Cette ville eft gouvernée par un Kuïde à la nomination du Bey de Conttantine , qui en reçoit un tribut annuel. Quoique les Maures foient peu induftrieux, & qu'ils n'aiment que le repos, cependant il y a à Bonne des ouvriers de toute efpèce pour les-arts utiles & néceflaires ; on y fabrique des bernus , des tapis, des felles de cheval, &c: Au Bafalt où Marché font réunis des marchands de diverfes denrées. Pendant mon féjour à Bonne, les Maures y célébrèrent le’ renouvellement de l'année. Ce ne furent, pendant les premiers jours, que fêtes con- facrées à la joie & au plaifir. La veille du nouvel an, ainfi que de toute autre grande fête, ceux qui font prépofés pour appeler le peuple à la prère du haut des minarets, crient beaucoup plus fort & plus long= temps que les autres jours. C’eft ainfi que chez nous les grandes folemnités sannoncent par un plus grand nombre de cloches. Les falies auxquelles les Maures fe livrent dans ce temps, tiennent un peu de celles de notre car- naval, quoique différentes. La farce la plus commune confifte à étendre une peau de lion fur les épaules Î 2 132 : F'Niotm AGE de quatre Maures cachés fous un grand tapis qui qui leur tombe jufqu'aux jambes. Ce lion fantaf- tique porte une longue chaîne au cou, & eft conduit par un Maure. Plufieurs autres jouent du tambour de bafque & de la flûte, tandis que le lion & quelques danfeurs exécutent des danfes aflez grotefques ; d'autres fe revêtent d’une peau de cha- meau au lieu de celle du lion. Ils entrent, fous ce déguifement, dans toutes les maïfons où ils peuvent entrer, fuivis d'une nombreufe populace, & fur- tout de beaucoup d’enfans qui portent à la main des figures de lion & de chameau. Ils reçoivent quelques pièces de monnoie de chaque particulier chez qui ils exécutent leurs danfes ; mais, pour avoir le droit de parcourir ainfi la ville fous ce déguifement , il faut payer une certaine fomme au Kaïde. Il ya, à Bonne, plufieurs familles Juives très- méprifées, & écrafées par les tributs & les corvées. Jallai voir leur fynagogue un vendredi au foir, au moment de leur prière. Elle eft petité,, mal bâtie. Je fus très-furpris d'y rencontrer des Maures. Je crus d’abord qu'ils ne venoient dans ce temple que par curiofité : mais Jai appris qu'ils sy rendoïent avec confiance & dévotion pour obtenir la guérifon de leurs maladies, la fécondité, ou la réuffite de leurs projets. Favois peine à concevoir une ignorance auf groflière. Elle me fut confirmée par un prétendu miracle, admue également par les EN BARBARIE. 133 Mahométans & les Juifs, que mon interprète me raconta, & auquel lui-même ajoutoit foi. C'étoit un Chrétien renégat depuis l’âge de douze ans. « Lorfque les Juifs bâtirent cette fynagogue, lon » vit, me dit-il, flotter pendant long-temps fur la # mer fe livre de la Loi. Souvent il approchoit du » rivage ; mais toutes les fois qu'un Mufulman #vouloit sen emparer, ce livre étoit auffi- tôt. »# repris par une vague & tranfporté en pleine mer. » Ce phénomène duroit depuis plufieurs jours, fans » que perfonné püt en donner lexplication : maïs » quelques Juifs en ayant été les témoins, recon- # nurent le livre de la Loi. Ils s’en emparèrent fans » difficulté, & le dépofèrent dans la fynagogue ». Vous voyez, mon cher Doéteur, qu'un tel peuple eft inconvertiffable , mème avec les miracles. En voilà un dont ils ne doutent pas, & cependant ils n’en ‘font pas moins perfuadés qu'ils habiteront après cette vie, avec les Houris aux yeux bleus, eouchées fur des lits de rofes ; tandis que les Chrétiens &c les Juifs feront étendus fur des charbons ardens. C'eft le refrein d’une chanfon que tous les enfans ont à la bouche dès qu'il voient un Chrétien. Sous un coftume moitié arabe, moitié européen, offrant l'extérieur le plus grave, je fus pris, par les Juifs, pour un Rabbin déguife. Mon interprète, qu'ils interrogèrent, les confirma dans cette opinion. Ils crurent que je venois voir sil ne manquoit rie V3 134 V-0 Y « €e!E à leur fynagogue ; & d'après ces idées, 1l5 me montrèrent tout dans le plus grand détail; mais le tout fut bientôt vu. Leur fynagogue eft auffi chétive que leurs perfonnes. Pour peu qu'ils y éta- leroient de richefles, elles leur fetoient bientôt enlevées. Une demi-douzaine de lampes , femblables à celles de nos églifes, éclairoient ce temple dans lequel je me fentis vivement ému en me rappelant la religion de Moife, de David & de Salomon. Jallai dernièrement aux étuves. Elles font géné- sales parmi les Mufulmans , tant en Barbarie qu’en Turquie. L'on me fit d'abord entrer dans un grand veftibule, où je quittai mes habits pour me revêtir d'un double bernus. L’on me conduifit, en cet équipage, dans une première falle, dont la chaleur, quoique modérée, faillit à me fuffoquer en y entrant : après m’y être arrêté quelque temps pour m’accou- tumer peu-d-peu à une atmofphère plus chaude, je paffai dans la falle des étuves. Je voulois en fortir fur le champ , tant ma refpiration étoit gènée par la chaleur : mais infenfiblement mes poumons sy accoutumèrent. Une fueur abondante découla de toutes les parties de mon corps. Je quittai alors mes habits & je m'étendis fur le pavé de la’ fälle Auffi-tôt un Maure sapprocha de moi, me jetta fur le corps quelques feaux d’eau tiède, & fe mit à me pétrir la peau, & me la ptefler par- tout pour en fare fortir jufqu'à la moindre ordure; 4 un EN BARBARIE F3 enfuite , en me fafant prendre différentes attitudes forcées, mettant fon genou fur mon eftomac , :1l me fit craquer toutes les articulations des bras, des jambes & des cuifles.. Les reins &c les vertèbres du dos & du cou ne furent pas plus épargnés Si je n'eufle été prévenu, jaurois craint qu'il ne me difloquât quelque membre: mais j'admirois fon: habileté à me plier & m’étendre ainfi dans tous les fens, fans que j'éprouvafñle la moindre douleur. Mayant abandonné pendant quelques minutes pour me laïfler repofer , il revint, peu après, armé d’une étoffe un peu rude, avec laquelle il me frotta par-tout le corps, exattement comme un cheval que lon étrille. Il eft étonnant combien, par cette opération, lon enlève d’ordures de la peau. Après ces friétions & de nouvelles lotions d’eau tiède, je repris mes hermus , & je me rendis , par degrés. dans le veftibule, où l’on eut foin de me faire repofer ; & de me bien couvrir, jufqw'à ce que la forte tranfpiration eût été un peu diminuée, Cesétuves, à Bonne, ne font nullement décorées; mais chez: les Turcs & dans les grandes villes de Barbarie, elles font magnifiques , en beau marbre blanc. Un établiffement aufh utile pour la propreté &t la fanté , mériteroit bien d’être plus multiplié en Europe. Ceft peut-être le remède le plus efficace pour guérir toutes fortes de rhumatifmes, de gouttes, de fciatiques, & fur-tout les maladies dé la peau. 1 4 136 VOYAGE Les Maures s’en fervent aufi pour le mal yénérien £ mais pour en retirer la même utilité que les Maures, il faudroit s'en fervir comme eux, y faire ufage des mêmes frétions; car, qu'eft-ce qu’un! fimple baïn à l’eau froide ou tiède ? S'il enlève de la peau les ordures les plus groffières, combien n’en refte-t-l: pas qu’on ne peut enlever que par les friétions faites dans le: moment d’une forte tranfpiration ? Outre cela, le craquement des articulations, opéré par les” Maures avec tant de dextérité, donne aux membres une fouplefle, une agilité très-fenfible lorfque Fon fort des étuves. Pendant ces opérations, lon éprouve une langueur affoupiffante 8 une forte propenfion au fommeil, genre de volupté qui plait beaucoup aux Turcs. | Les environs de la ville de Bonne font extrème= ment agréables & bien cultivés. Il y a beaucoup de jardins remplis d'arbres fruitiers, particulière- ment de Jujubhiers , d’où vient que le nom arabe(r)} de cette ville fignifie 24 place des jujubes. Les jardins forment des promenades très-agréables, oùl'on peut aller paffer la chaleur du jour à Pabri des rayons du foleil. Les Maures de Bonne, plus polices 8 plus habitués avec les Européens que ceux des mon: tagnes, font auffi moins infolens, Jen ai rencontré plufieurs dans leurs jardins, qui vinrent me'préfenter 1 (1) Baled el unica, EN BARBARIE. 137 des fruits. C’auroit été une impolitefle très-grande de ne les pas accepter. En fortant de la ville par la porte qui conduit au Port Génois, lon pañle devant le cimetière des Maures. Il eft fur une éminence, en plein champ, fans clôture, & ne fe diftingue que par le orand notsbre de tombeaux en pierres blanches élevés au-deffus de la fofle des perfonnes de diftinétion. Ces tombeaux font furmontés de deux petites pyra- mides en aiguilles aux deux extrémités de la tombe. Îl feroit imprudent à un Chrétien d'approcher de trop près de ce lieu. L'on rencontre aufli de diftance à autre de petites mofquées ifolées, furmontées d’un dôme , & ornées en devant d’une galerie formée par plufieurs co- lonnes ; elles fervent d'habitation aux Marabous. Ce font des efpèces de folitaires, en grande confi- dération, qui affeétent la plus grande exattitude à obferver la loi. On les confulte dans les maladies & les circonftances fâcheufes dela vie. Ils diftribuent des talifmans auxquels les Maures ajoutent une foi entière. Comme il eft permis, tant aux hommes qu'aux femmes , d'aller les vifiter fous prétexte de dévotion, leurs demeures deviennent fouvent des feux de profitution. Je n’avois garde d'imaginer que moi, Prêtre Ro- main, je me ferois trouvé un jour en concurrence de droits avec un Marabous Arabe. Le fait vient 133 VOYAGE cependant de m’arriver. À l'inflant qu'un bateau de fervice de la Calle touchoit le môle de Bonne , le Patron, en débarquant, tomba mort fur la place. Me trouvant fur le lieu, je fus obligé de l'enterrer. Les Chrétiens, qui ne font pas une dixaine à Bonne, ont acheté un terréin fur les bords de la mer pour y former un cimetière. La mer étant trop agitée, je fis conduire le cadavre fur une mule, par des chemins détournés, au lieu de la fépulture. Je m'y étois rendu de mon côté avec les Mefñieurs du comptoir, portant, fous le eoftume arabe, habit eccléfiaftique. À peine ai-je commencé quelques prières, qu'un Marabous voïin, informé, je ne fais comment, de ce qui fe pafloit , accourt furieux : il m'apoftrophe par des inveétives, & dun air menaçant veut faire enlever le cadavte, prétendant que pour lenterrer dans un terrein qui lui appar- tenoit , 1l falloit lui payer un droit. Comme nous étions en force, je me moquai de fes menaces, &z je lui dis que gl lui étoit dà quelque chofe, 1l mavoit qu'à nous accompagner, après la cérémome, chez le Kaide de Bonne, qu’on lui rendroit juftice, êt je continuai mes fon@ions, tandis que l’on tenoit ce Marabous en refpelt à la pointe du fufil. Il revint avec nous à Bonne, & fe préfenta chez le Kade, que nous avions prévenu de lenterrement , pour lequel nous avions payé. Le Kaïde, indigné que ce coquin , qu'il n’aimoit pas, s’'avifàt de vouloir retirer EN BARBARIE. 139 des droits qui lui avoient été payés, ordonna qu'on lui appliquât cent coups de Hâton. Comme ce Ma- tabous m’accabloit d'injures, quoique j'eufle demandé grace pour lui: g'as-t4 à te plaindre, lui dis-je, ne t'ai-je pas promis que tu ferois payé? Je fuis per- fuadé que ce dévot Mufulman ne savifera plus de réclamer fes droits aux enterremens des Chrétiens. » Le comptoir de la Compagnie d'Afrique à Bonne eft compofé d’un Agent (1), & de quatre à cinq Officiers fubalternes. Le commerce que lon y fait avec les Maures, confifte en cire, grains, cuirs & laines, pour lefquels lon paie de fortes fommes au Bey de Conflantine. La plaine de Bonne fournit confidérablement au commerce par les grains que Yon y cultive, &c par les troupeaux nombreux qui ÿ Païflent. Elle a près de douze lieues d'étendue. La rivière de Seihoufe la traverfe en entier. J'ai rencontré dans cette plaine de fuperbes jardins où les limons, les citrons & les oranges étoient en fi grande abon- dance , que ces fruits fe defféchoient fur l'arbre. Le Riccin en arbre y eft commun. Ce n’eft qu'une variété (1) J'ai infiniment d'obligations à M. Barre, Agent de la Compagnie d'Afrique à Bonne, pour les lumières & les fecours qu’il m’a fournis dans mes recherches & mes courfes. Son amitié & fon extrème honnêteré m'ont fait trouver dans cette ville un délaflement bien agréab'e, fur-tout dans ün pays où il ef fi rare de jouir des douceurs de la fociété. 140 VOYAGE du Riccinus communis de Linné, que Tournefort appelle Riccinus Africanus maximus caule geniculato rutilante. Le Daucus vifnaga, que j'a vu vendre à Marfaille pour cure - dent, croit auf dans cette plaine. Jai Phonneur d'être, &c. Re fe SE LE TP R:E Em À Madame de... Ïz faut, Madame, des ordres aufli précis que les vôtres, pour me ePaper à vous peindre les mœurs: & l'état des femmes Arabes. Votre fexe eft trop: avili, trop maltraité dans ce pays, pour que j'eufle. jamais ofé vous en offrir le tableau. Les Arabes: ne font point du tout galans ; peut-être leurpar-t donnerois-je, fi du moins ils étoient humains : mais, cette vertu eft fi étrangère à leur cœur, qu'ils regardent la femme comme un être infiniment au- deflous d'eux. C'eft beaucoup, s'ils la préfèrent à à leur jument. + ke Le mariage n’eft point ici un contrat qui exige le confentement de deux paities. C’eft une vente faite entre les parens de la femme &c celui qui la veut pour époufe, Il n’a pas befoin, pour obtenir, 14 EN BARBARIE 141 “de gagner fon cœur , de mériter fes bonnes gratess “mais qu'il fe préfente avec une ou deux vaches bien belles, bien nourries, il eft afluré d’être fort bien reçu. Les parens gardent les vaches, & lui livrent leur fille. Qu'elle foit heureufe où malheureufe, ca n'eft plus leur affaire : elle eft vendue. Si elle déplaît à fon époux, il la renvoie à fes parens, & en achète une autre, où même plufeurs, quand il eft riche. Si la femme répudiée plaît à quelque autre, celui-ci peut en faire lemplette : elle [ui coûtera moins , ayant eu déjà un premier mari. Les femmes font feules chargées de tous les détails du ménage, très-fatigans par fois, für-tout quand ces hordes Arabes changent fouvent de lieu. Moudre le blé , en former le courcouçon, lapprêters traire les vaches , battre le beurre, tout cela eft Fouvrage des femmes ; mais c’eft le plus facile, Tandis que les hommes pañlent leur vie dans Poifi: veté , ils abandonnent aux femmes les plus rudes travaux. Ce font elles qui vont couper le bois, & le charrient avec fatigue fur leurs épaules. Je les ai fouvent rencontrées avec des fardeaux fi énormes, qu'il me falloit être bien près pour diftinguer , fous un fagot de ramée, une petite figure humaine toute dégouttante de fueurs & exténuée de travail : ce font elles encore qui fouvent fèment & labourent. Mais C’eft bien pis quand il eft queftion de lever le piquet, L'homme’monte à cheval fort païfiblement, 142 VOYAGE fans autre fardeau que fes armes : la femme marche à pied, chargée des uftenfiles de ménage, &t quelque- fois de la tente, quand il ne fe trouve point de bête de charge pour la porter. Le mari a fouvent la cruauté de Paccabler de coups, lorfqu’en cet état elle ne peut point fuivre le pas du cheval. Ceft ainfi quelle voyage à travers les fables brülans , n'ayant fouvent point de quoi boire & manger. Efclave, plutôt que compagne de fon mari, ellene peut attendre de fa part aucune affeétion de tendreffe. Le mari ne parle jamais qu'en maître impérieux , & qui connoït la fupéricrité que la Nature lui a accordée fur la femme, en le rendant le plus fort, Ces malheureufes font au-deffous de leurs enfans , 8&c même de leurs efclaves : elles ne mangent qu'après eux, & font obligées de fe contenter de leurs reftes. Lorfque les travaux ne les appellent pas au dehors, elles reftent toujours renfermées fous les tentes, où elles croupifent dans lordure & au milieu de la vermine. Prefque toutes ont la gale, & répandent au loin une odeur infeéte, Leur habillement n’eft compofé que de quelques lambeaux crafleux qu’elles ne lavent jamais. Elles n’ont point de linges, & portent fur elles leur chétive garde-robe. En exercice continuel , le temps de leur groffeffe n’eft pas même une raïfon pour faire dim nuer leurs travaux ; elles ne les interrompent qu'au moment EN BARBARIE 143 defaccouchement. Il ny a, parmi elles, ni fages- femmes, ni chirurgiens. Elles fe délivrent elles- mêmes ; leur lit de douleur eft la terre nue. Plufieurs lavent leur enfant dès qu’il eft né, & lenveloppent dans un pan de leur robe; elles labandonnent, pour tout le refte, à la Nature, & ne lui accor- dent que ce qu'il lui faut pour l'aider à vivre. A peine accouchées, ces femmes reprennent leurs travaux, & y ajoutent celui de nourrir leurs enfans. Quoique très-peu foignés , étendus fur un peu de paille, à peine enveloppés de quelques langes, fans maillots & fans ceins, expofés à toutes les injures de l'air, ces enfans deviennent cependant forts & vigoureux en très-peu de temps, & ne tardent pas à fuivre leurs mères dans la campagne, Les Arabes montagnards font bien moins jaloux que ceux des villes : il ny a que les chefs qué tiennent leurs femmes renfermées. Quand même les autres le voudroient, ils ne le pourroient pas, à moins qu'ils ne fe déterminaflent à remplacer leurs femmes dans les travaux de la campagne; mais l’oifi- veté eft bien plus forte en eux que la jaloufie, Ces femmes n’ont jamais la figure couverte; elles feules cependant devroient porter des voiles, plutôt def- tinés à mafquer la laideur qu'à cacher la beauté, Jamais je n'ai vu de plus laides créatures. Leur teint eft couleur de fie, leur peau aride & brülée, leur figure peinte de différens fignes bizarres, formés avec 144 VOYAGE de la poudre à canon êc de lantimoine. A peine font-elles forties de l'enfance, que les fignes d'une vieillefle prématurée s'annoncent fur leur vifage. Les rides fe fillonnent de bonne-heure; maïsil eft aife de voir qu'ils ne font que l'effet des travaux forcés & du malheur, & non le favage des années. Il eft impoffble de les envifager fans fe fentir ému de compaflion, Les graces touchantes du jeune âge n’ont pas le temps de fe développer. De l'enfance à la vieilleffe il n’y a prefque aucune gradation. Des yeux éteints, un air abattu & confterné, des joues renfoncées , le dos courbé par le poids du travail, dans tout leur extérieur les fignes de la plus affreufe mifère, l'abattement, l'ennui, une noire & fombre mélancolie, tel eft, Madame, le portrait de la plupart des Arabes montagnardes. Elles fe marient très-Jeunes , font peu d’enfans, & termi- nent de bonne-heure leur malheureufe carrière. Dans les villes, les femmes perdent du côté de la liberté, ce qu'elles gagnent du côté du travail. Elles font foumifes, par la jaloufie de leurs maris, à une prifon perpétuelle. Les femmes de diftinétion ne fortent jamais. Celles que l’on rencontre dans les rues font les femmes du bas peuple : elles portent un très-grand voile blanc & épais, qui leur defcend jufqu’aux genoux, Elles ont encore le vifage couvert d'un autre voile appliqué comme un mafque fur leur figure, Leur habillement de deffous eft un grand bernus EN BARBARIE 146 bernus blanc , arrangé en forme de robe, Elles ont toutes de longs caleçons qui leur tombent jufques fur les talons, Leur chauflure eft une paire de fouliers à talons élevés. Sous un femblable accoutrement , ces femmes paroiflent enchäflées dans un gros paquet de linge : il eft impofñfible de juger ce qu’elles font fous ces larges étoffes qui mafquent toutes leurs graces, Dans les maïfons elles quittent une partie de ces habillemens, & le foir, lorfque leurs maris font à la mofquée, il n’eft pas rare de voir les femmes refpirer le frais fur leurs terrafles: mais elles difparoïffent à la vue d’un homme, je veux dire d'un Mufulman ; car elles aiment beaucoup les Chrétiens; & lorfqu’elles les apperçoivent , elles offrent volontiers à leurs yeux tout ce que la jaloufie de leurs maris les force de cacher. Avec de fem- blables difpofitions, & fur-tout avec une contrainte. auf grande, une intrigue feroit bientôt formée & terminée ; mais ici l’on ne connoït pas de plus “grand crime que la galanterie, fur-tout dans un Européen. Si l’on eft furpris, la mort eft inévitable. I n'y a, pour sy fouftraire, d'autre moyen que d'embraffer la religion de Mahomet, & d'époufer la femme que lon a féduite. Si elle eft mariée, il n'y a de reflource ni pour l’un, ni pour lautre. La femme eft renfermée dans un fac & jettée à la mer; homme eft brûlé vifou coupé par morceaux. Les femmes des villes, n'étant point comme les Part. I, K 4 146 V oO WAIGE montagnardes , brûlées par le foleil 8 accablées de travaux, font prefque toutes d’une grande beauté , d'une blancheur éblouiffante, & d'unertaillé très- aventageufe. Leur démarche F noble & compofée, leur port majeftueux : mais elles manquent de ces agrémens que donne lufage de la fociété. Mortes au monde &c aux douceurs de la vie focale, ces charmantes reclufes ne vivent que pour un feul homme, qui s'occupe peu de les PA de la privation de leur liberté, Jai lhonneur d’être, &rc. L'ETT RE COR AN DM Je viens ; mon cher Doëfteur, de faire une ren- contre bien intéreflante. Comme je me difpofois à me mettre en route pour D PRE ; M. Desfon- taine fe rendit de cette ville à Bonne. Il y a DER de deux ans qu'il Voyage en Barbarie | envoyé par PAéadémie des Sciences pour faire des recherches en Hiftoire Naturelle, particuliérement en Botanique. Cétte heureufe circonftance m'a fait changer d'idée : Jai différé mon voyage dé Conftantine pour pro- ‘fitér du peu de temps qu'il refte à M. Desfontaine EN BARBARIE. 147 à pafler en Barbarie. Ce favant Académicien a bien voulu m'aflocier à fes recherches & me commu- niquer, fes lumières. Voici le détail de nos princis pales courfes, | _. Après avoir employé près de quinze jours à parcourir au loin les environs de Bonne, où nous trouvâmes, encore quelques plantes d'automne, nous partimes pour la Calle, accompagnés de deux Déras,, -ou foldats Maures, &@ de deux autres Maures pour conduire nos bagages. Nous nous rendimes. la première journée à la Mazoule,. où nous dreflâmes notre tente dans le jardin du chef Aly-Bey, pour y pafñler la nuit. Le lendemain nous allâmes vifiter le Baflion de France, en nous dé- tournant un peu de notre route. Nous ny trou: vâmes que des ruines, quelques pans de muraïlles, des maïfons délabrées , des monceaux de pierres, & d'aflez belles caves. Ce lieu , qui formoït autrefois le centre-du commerce de la Compagnie d'Afrique, & fon principal comptoir, eft aujourd’hui abfolui- ment défert, environné d’épaifles brouffailles ; &z de rochers efcarpés, retraite des panthères & des lions. Tout le plat pays des environs eft mal-fain , &c infe@té par pluñeurs grands lacs. Nous recueillimes au Bufon d'aflez jokes plantes marines & quelques corallines : mais je n’oublierai jamais lacquftion que nous fimes d'une très-belle efpèce d’Ipomez. Une fleur auffi grande que celle du Liferon‘ordinäire, K 2 148 VOYAGE mais du plus beau rouge, s’élevoit au-deflus d’uné brouffaille impénétrable, En frappant nos regards, elle excita vivement nos defirs ; mais il étoit bien difficile d'en faire la conquête. L'endroit avoit un fond marécageux ; la végétation y étoit très-abon- dante; outre les ferpens & peut-être quelque animal féroce qu’elle pouvoit dérober à nos regards, il étoit bien difficile de pénétrer l'efpace d’une demi- portée de fufil au milieu des épines & des ronces qui nous cachoient tout-à-fait. Maleré cela, nous rifquâmes l’entreprife , & marchant tantôt deflus, tantôt deflous la brouflaille, nous arrivâmes enfin jufqu'à cette jolie plante, mais percés de fueurs, nos habits en lambeaux & nos mains enfanglantées, Ce ne fut pas la feule plante qui nous dédommagea de nos fatigues. Nous y trouvâmes encore plufeurs autres efpèces nouvelles. Enfin nous arrivâmes à la Calle, où nous fûmes reçus fans être foumis à la quarantaine, n’y ayant plus dans les environs aucun foupçon de pefte. La Calle ne peut être un {éjour indifférent pour un Naturalifte. La pêche du corail, les produétions marines, la variété de fes environs fauvages & incultes, des étangs, des prairies, des bois, des montagnes, des plaines de fables préfentent une foule de plantes, d’infeétes, d'oifeaux & de reptiles peu ou point connus. Nous paffämes une quinzaine de jours à la Calle, après lefquels jaccompagnai de nouveau EN BARBARIE, 149 M. Desfontaine à Bonne, où il devoit embarquer pour retourner en France. Le jour que nous arri- vämes en cette ville ne séffacera jamais de mon fouvenir, par les dangers & la fatigue qu'il nous fallut effuyer. Nous nous propofñons de faire près de vingt-quatre lieues ce jour-là. En route dès trois heures du matin , nous n'avions pas encore fait une demi-lieue que nous fûmes accueillis d’une très-forte pluie, qui ne nous quitta point jufqu'à Bonne , & ne nous permit même point de mettre pied à terre un inftant, pour prendre un peu de nourriture. Nous fimes nos repas comme les anciens Chevaliers, tout en trottant, & fans quitter la felle de notre cheval. Il faifoit déjà nuit lorfque nous arrivâmes à la rivière de Seïboufe , prefque auffi large que la Seine. Il ny a point de pont. On la pañle ordinaire- ment à gué, à la nage, ou dans un bateau qui fe trouvoit alors fur la rive oppofée, mais fans batelier : un des Maures qui nous accompagnoient fe jette à la nage, & nous l'amène. Nos perfonnes & nos effets embarqués , il étoit queftion de faire pañler la rivière à nos chevaux en les tenant par la bride, mais leurs efforts nous ramenoient continuellement fur le rivage, & empêchoient Pa@ion de la rame, Forcés de les laïfler aller en liberté, nous fümes aflez heureux, après une heure de fatigue , de les voir arriver avant nous de l’autre côté du rivage. M. Desfontaine débarque le premier fur les épaules K3 150 M OMrIME E d'un Maure. Jen attendois le même fervice; maïs comme nos chevaux fe battoïent, craignant qu'ils ne nous échappañlent dans Pobfcurité mes com- pagnons de voyage soccupèrent d'abord! fes rattraper: ce ne fut pas fans peine. -Peñdañtlce temps je reftai feul, oublié fur :mén Hateausniqui, fans m'en appercevoir:,' prit itfenfiblémient le large. Pétois porté par lé courant de l'eau? droit-:àla mer à un quart de lieue :de- 1x: MoDesfontaine le FEAaPqUe le premier ; êc m'avertit: du: ‘danger. Peflayai aufitôtde famer >" mais fétois troublé & fi'mallalroit À manier!les rames 'amtel je ferois infa Hiblement péri, fans le Maure quife jétravde nouveau à là agé & me ramena fair! 8e Er le rivage: QE iitFr éme 8! É Sortis de ée premier ernbarras, nous dre ol nous pourrions pañler. lé nuit À couvert derta pliée ‘éont nous étions. percés. Les: portesiode Bônne devoient'être fermées :1 À tout ‘hafrdnous cherchâmés à nous acheminer vers cette ville:Nous hous trouvions alots dansttin vafle marais entre Benne & l’ancienne Hippone. Plufeurs ravins trèse groffis le traverfoient , &c l'eau couvroitsprefqueile marais. Nous errâmes pendant près de deux: héures aumilien de lean, fans:trop favoir où nous allions. Nos chevaux très - fatioués ! s'abattoientrà chaque inflant , ou fé cabroïent , effrayés par leséclairs &r le tonnerre qui grondoit au - deflus dénôs têtes, EN “BAIRYGMAIRIE. 261 Notre parti étoit prefque déjà pris d'attendre le jour ‘dans cette poñtion alarmante. Cependant nous mar- chions toujours , lorfque tout à coup.nous enten- dimes la voix d'un Arabe. Il nous avertit que fi nous ayancions, encore quatre pas, nous allions pénir dans un ruifleau extrêmement groffi ; mais ce coquin refufa, pendant plus d'une demi-heure, de nous, remettre dans le vrai chemin. I fallut le payer d'avance, encore étoitil capable , après avoir reçu _ notre. argent, de nous. laiffer (à, & de s'enfuir: mais ilfut de bonne-foi; il nous fit palfer un ravin à gué, & nous conduifit jufqw’aux portes de Bonne, où :1l ne nous fut pas poñlible d'entrer. Nous n’eïmes alors d'autre reflource, pour pañler le,refte de, la nuit à couvert, qu’un. fozdouk ou auberge,de Maures , hors des portes dela ville, où fe raflemble la plus infame .canaille. Nous nous y préfentâmes ; mais nous flimes dans l'inftant ac- cablés. d'invettives & de malédi@ions paries Arabes qui y logeoient. Les ferviteurs de Mahomet, nous difoient- ils, me font point faits pour loger avec des chiensr, enfans de chiens, Gc. Ces injures étoient accompagnées de crachats & de pierres; mais à force.de difputer avec eux, & fur- tout de leur ofrir,de l'argent, ils nous reçurent enfin,.& nous conduifirent dans un galetas,-où nous trouvâmes pour tout meuble une fimple natte. Nous avions grand froid, Peau découloit de toutes parts de nos K 4 152. VOYAGE habits, que nous fmes obligés de garder, n’ayant pas de quoi changer. Dans ce pitoyable état, nous trouvions encore notre pofition très-heureufe en comparaïfon de ce qu’elle auroit pu être, & nous nous livrions à la joie qu'infpire le danger pañlé. Etendus fur une natte au lieu de lit, avec des habits mouillés pour coû- verture, la tête appuyée fur la felle de notre cheval, nous efpérions, à l’aide d’un petit rechaud de feu que lon nous avoit donné, goùter un peu de repos ; mais le mauvais temps ne nous le permit pas. Une forte pluie, mêlée de grêle, remplit en un inftant notre galetas de plus de deux pouces d'eau, qui faifoient foulever notre miférable natte; à chaque coup de tonnerre il fe détachoit de notre plafond des placards qui nous tomboïent fur le corps. Je croyois que nous refterions enfevelis fous ces ruines au milieu de l’eau qui y entroit de plus en plus. Heureufement il y avoit dans cette chambre, comme dans toutes celles des Arabes, une pièce de ‘bois en travers à quatre pieds d’élévation, en forme de juchoir, pour y placer les felles & les harnois des chevaux. Ce fut-là en effet où nous nous 7x châmes pour éviter l’eau. A la pointe du jour nous entrâmes dans Bonne, & nous nous rendimes au comptoir de fa Compagnie d'Afrique, où les bons traitemens nous firent oublier toutes nos fatigues. Jai l'honneur d'être, &c. EN BARBARIE 153 LETTRE XXII: Au méme. JL eft bien difficile, mon cher Doëteur, de refter long-temps en place dans un pays comme celui-ci, avec le goût de l’obfervation & de l'Hiftoire Natu- relle. Auffi, à peine étions-nous remis des fatigues de notre dernier voyage, que nous fongeämes à en recommencer un nouveau. On nous avoit beau- coup parlé de certaines eaux bouillantes qui fe trouvent à mi-chemin de Conftantine, & que lon nomme dans le pays es Bains enchantés ( Hammam meskouteen) : nous formâmes le projet de les vifiter ; &t ayant obtenu du Kaïde de Bonne quatre cavaliers pour nous efcorter , nous nous mimes en route. Notre première journée fut aflez belle, à lex- ception de quelques nuages orageux qui percèrent nos habits, mais que le foleil eut aflez de force pour fécher. Après avoir traverfe la vafte plaine de Bonne, nous nous arrêtâmes aux premières montagnes, où nous trouvâmes, dans les fentes des rochers, plufieurs couches perpendiculaires de fpath pefant. Nous terminämes notre première journée à fix lieues en avant au milieu de ces mon- tagnes , & nous dreflâmes notre tente près d'un 164 :11N OMAN € Douare aflez confidérable. Nous eûmes d'abord quelques infultes à efluyer de la part des Maures, peu accoutumés à voir des Chrétiens; mais la pré- fence de nos cavaliers leur en impofa. La nuit fut très-orageufe. Toutes ces gorges de montagnes font habitées par des lions, dont nous entendîmes, juf- qu'au point du jour, les affreux) rugiflemens:..mais aucun n’approcha d’aflez près pour nous épouvanter. Le lendemain, après aa pañlé une fuite. de montagnes, qui tiennent à l'Atlas, n'ayant d'autre chemin que des rochers très-cfcarpés,, ‘des, abimes profonds, des forêts fombres &c defertes, des gorges extrêmement: dangereufes ;. nous. defcendimes en pente-douce dans un large vallon où fe trouvent les eaux bouillantes. Une vapeur épaifle &noire fort de ces gorges profondes, &.vicie au loin: l'air des environs. Le terrein calciné 8x. brülant. fafoit, à chaque pas, foulever nos chevaux. La Nature, en ce lieu nous parut en convulfon., Au lieu.,dune eau pure & limpide, il ne fort du {ein de da terre que des caux brülantes, roulant -lesbitume, &;le foufre. Elles bouillonnent au fommet . de, petites élévations , d’où elles s’'échappent par.des ouvertures circulaires d'environ deux pieds de diamètre»1tom- bent en nappe, & forment un petit. ruifleau zqûi eoule au bas du vallon, & groffit dans fa courfe. Nous n'avons pu le fuivre que-de l'œil àstravers d'énormes rochers coupés àipic, EN"BARBARIE. s$ wuNous pénétrâmes jufqu'au Crarer (ce font les ouvertures circulaires dont Je viens de vous parler}; ” nous: y recueillimes de très - belles produéhons , particuliérement des dépôts calcaires de différentes figures, en.étoiles,en champignons , en aiguilles, &c. Ilssapprochent beaucoup de la zéolée , &c forment , commetelle, une gelée dans l'acide nitreux : maïs ce ne fut qu'avec ‘beaucoup de peines 8& de dangers quenous vinmes à bout de les enlever. Outre que nousrétions fufoqués:par les vapeurs de Peau, il nous: falloit encote. éviter bien attentivement d'y tremper les pieds, ou de nous brûler les mains, en enlevant quelques-unes des produétions du crarer. D'ailleurs la terre, creufe & calcinée dans tous ces endroits, peut, à chaque inftant, fe brifer fous les pastduNaturalifte, qui ne fortiroit pas intaét d'un bain auffi brûlant. I faut la fonder avec foin , & n'avancer qu'avec beaucoup de précaution , en évitant de rencontrer l’eau qui découle de toutes parts: Maloré cela, nos mains, nos habits & nos fouliers eurent beaucoup à fouffir. Nous recuel- limes de belles-ftaladites , du foufre & du vitriol nâtif. Dans les endroits où l'eau bouillonne avec plus de force, la mercure monte jufqu'au 76° degré. Il baife ämefure que la furface de l'eau s’élargit, & offreplus de contaët à l'air extérieur. L'on rencontre - de diftance à autre de grofles pyramides en pierres calcaires calcinées, dont la formation fe devine 156 Vo YA Gr. aifément. L'eau jailliffant autrefois à leur fommet & tombant en nappe, a peu à peu muiné la terre des environs, & formé ces pyramides naturelles. L'on trouve encore fur plufieurs d’entre elles d'an- ciens craters bouchés, ou prefque détruits. Les Maures viennent prendre les bains dans l'endroit où la chaleur de Veau eft fupportable. Hs s’en trouvent bien pour les douleurs de rhumatifme, _de goutte, & pour les maladies de la peau. Ces eaux étoient connues des Romains, qui probablement y avoient établi des bains chauds. Nous découvrimes près de-là une maïfon romaine très-bien confervée : il n'y manquoit que la couverture. L’efpace qu'occupent ces différentes fources eft d'environ douze cens pieds, tant en longueur qu’en largeur. Nous avons été forcés de faire nos obfer- vations un peu à la hâte, tant pour ne pas nous laïffer furprendre par la nuit dans ce lieu dangereux, que détournés de nos travaux par larrivée de plu- fieurs Arabes indomptés. Ils n’étoient d’abord que trois ou quatre; mais le nombre augmentoit peu à peu; & quoique nous leur euffions fait part de nos provifons, ils commençoient déjà à nous tenir des propos infultans. Nous y faifions peu d'attention, mais un de nos Spahis ayant entendu le complot qu'ils faifoient de nous attendre dans un défilé très-étroit pour nous voler & nous affafliner, nous montâmes au plus vite à cheval, & nous nous éloignämes EN BARBARIE. 157 de ces bandits , qui nous accablèrent d’inveétives en voyant que nous leur échappions. Nous eûmes ‘pañlé les gorges dangereufes où ils devoient nous attendre, avant qu'ils euffent eu le temps de Sy attrouper. Ces malheureux vivent difperfés dans les forêts ; ils habitent les creux des rochers, d’où ils ne fortent que pour fondre fur le voyageur, le dépouiller & l'affaffiner. Ils n’ont ni troupeaux, ni moiflons ; les racines, les fruits fauvages font leur nourriture, quand ils ne peuvent en avoir d’autres des Miles civilifées: Ils portent fur leur figure le caraëtère de la férocité & de la plus affreufe indi- gence. Ils font prefque nus ; leur teint eft olivâtre, leur vifage maigre & décharné. Arrivés au fommet de la plus haute montagne; nous fümes affaillis par une grêle fi abondante & fi forte, que nos chevaux refuferent d'avancer, & nous tinrent dans la même pofition pendant plus d'une demi-heure. Une pluie très-froide fuccéda à cet orage, & ne nous quitta point pendant fix lieues. La nuit commençoit à nous gagner; nous avions grand befoin de repos, & fur-tout d’un abri pour nous fécher & nous chauffer. Nous rencontrâmes , fur le penchant de la montagne, en nous detour- nant un peu, une horde d’Arabes tributaires du Bey de Conftantine. Nous nous préfentämes pour pañer la nuit fous une de leurs tentes ; nous ne pouvions drefer la nôtre , la terre étant par -tout couverte 1538 V:0 y A 1G8E d'eau. Ils frent d’abord les difficiles , 8 nous sise qu'ils navoient aucune nourriture pour nous & pour nos chevaux : mais quelques coups de bâton adminiftrés à leur chef par les bras nerveux denos Spahis, leur firent bientôt trouver tout ce dont nous avions befoin. Ces foldats font tellement re doutés par les Arabes tributaires, qu’ils commettent impunément les plus odieufes vexations. Ils ne de- mandent jamais rien que le bâton ou le fabre à le main. Il eft vrai que c'eft, auprès des Arabes, le feul moyen d'obtenir même le néceflaire. L'argent, dont ils font cependant fi avides, a moins d'empire fur eux que les menaces & les coups. Ces mœurs font fi étonnantes, fi éloignées des nôtres, j'ofe même dire de la Ntuié , qu'elles font à peine croÿables, Fai cependant tous les jours occafion de les cb- ferver. Pour jouir d'une certaine confidération dans lefprit des Arabes, & en obtenir quelque chofe, il faut bien fe garder d'employer auprès d'eux ces manières douces & honnêtes des peuples policés, & de leur témoigner de la reconnoiflance ou de l'amitié. Ils simaginent alors qu’on les craint; ils'en deviennent plus fiers, plus impertinens, plus opi- niâtres à tout refufer, Si, au contraire, on leur en impofe par un ‘extérieur menaçant; fi on leur com= mande en defpote; fi on les traite, en un mot, comme -un vil troupeau d'efclaves; alors docrles &z EN BARBARIE. 159 foutnis, ils n’ofent rien refufer ; ils viennent humble- ment baifér la’main de leur tyran, & traiter de leur feigneur & de leur maitre le dernier foldat de la milice turque. Les coups de Hâton font donc un cérémonial néceflaire. Pendant qu'ils ‘adminiftrent , les.femmes fortent de leurs tentes, &c fe mettent à heurler d’une manière effrayante ; mais les cris ne fufpendent point un feul inftant le bras du foldat turc, Dès que les nôtres eurent fignifié leurs requêtes, lon nous introduifit fous une tente, & nous ne tardämes-pas à avoir tout ce dont nous avions befoin. Maleré cela, nous étions très-mal à laife fous une tente déchirée, & à jour de tous côtés. La pluie, mêlée de grêle & de tonnerre, dura toute la nuit ; nous la paffâmes dans nos habits mouillés, étendus fur une terre humide & tremblans de froid. Nous étions couchés pêle-mêle avec les hommes & les femmes Arabes, au milieu des vaches, des moutons & des chèvres, qui, trop familiers pour nous , fe glifloient adroitement le long de notré dos pour y fécher leur toifon. Dans des lits comme les nôtres, lon n’eft point tenté de e livrer aux dou- ceurs du fommeil du matin. Dès l'aube du jour tout fut prêt pour notre départ. Nous gliffämes fecrete- ment quelques pièces de monnoiïe à nos hôtes, à Pinfu de nos Spahis, qui les leur auroïent enlevées s'ils s'en étoient apperçus. Nous arrivâmes à Borne fans autre accident que 160 VOYAGE la grêle & la pluie, qui ne nous quittérent que vers le milieu de notre troifième journée. Le chemin que nous fuivimes étoit, en partie, l’ancien chemin romain qui condufoit d’Hippone à Cirthe, Nous le retrouvâmes prefque entier dans plufieurs endroits, & nous vimes, de diftance à'autre, des reftes d’an- ciennes maifons bâties en pierres quarrées, Il nous fallut, pendant plufieurs lieues, gravir contre des montagnes fi efcarpées, que nos chevaux avoient peine à sy tenir. Le fol étoit très - pierreux & fort inégal: des chevaux ferrés n’auroient jamais pu s’en tirer; mais les Arabes ne connoiffent point cet ufage. Un autre pañlage, plus dangereux encore, eft celui de la Seiboufe, que nous fûmes obligés de traverfer cinq à fix fois à gué. Quand elle coule entre les montagnes , fon lit eft plein de très- gros cailloux ronds, fur lefquels les chevaux ne placent qu'un pied chancelant. Les nôtres avoient quel- quefois de l’eau jufques pardeflus la felle. Dans l'hiver, quand cette rivière eft groffie, il y périt beaucoup de monde. Les Romains y avoient bâti plufieurs ponts, mais ils ont tous été détruits par les Arabes : on n’en retrouve que les ruines. Peu de jours après notre retour à Bonne, M. Des- fontaine s’embarqua pour Marfeille. Je ne le vis partir qu'avec un très-srand regret; mais Pefpoir d'avoir acquis un ami auffi précieux, adoucit le chagrin de m'en voir fi-tôt féparé, J'attends, pour continuer EN BARBARIE 16r continuer mes courfes, que le temps Loit moins pluvieux. Les pluies d'automne vont ranimer la végétation, & nous faire jouir, dès le mois de envier, de toutes les douceurs du printemps. Fai l'honneur d’être, &cc. PETTRE XXI Au méêmé Liiet bien jufte, mon cher Doéteur, après vous avoir promené depuis fi long-temps au milieu des déferts, des montagnes, des ruines & des villes de la Numidie, de vous conduire à la capitale; mais je vous préviens qu'en partant d'Hippore , quand nous aurons traverfé la vafte plaine de Bozre , il nous faudra entrer dans des montagnes très-efcarpées & très-hautes; nous rencontrerons peut - être les Arabès Ly-Aishah, qui habitent les gorges d’Artyah. Paflons vite, & ne nous arrêtons pas long - temps avec eux, La plupart font indomptés ; malgré notre efcorte &c nos armes, fi nous leur donnions le temps de fe réunir, nous ferions perdus. La nuit arrive ; il faut néceflairement que nous couthions au milieu de ces rochers. Voilà, dites-vous, des forêts bien noires, des gorges bien profondes, & une folitude Part. I L 162 VOYAGE fort trifle; j'en conviens, 8 même nous devons nous attendre à recevoir cette nuit la vifite de fa may eflé. L’aurore paroît, plions notre tente, & partons. Quel magnifique fpeétacle ! l'horizon fe dore des premiers rayons du folel; déjà le jour a frappé le fommet de cette montagne, tandis que le voile de la nuit couvre encore la plaine. Vous vous arrêtez étonné ! Je vous comprends. Un grand chemin, &, qui plus eft, un grand chemin romain au milieu de ces rochers ! Il ny a point à en douter, c’étoit celui qui conduifoit d'Hyppone à Cirthe. Nous le retrouverons de diftance à autre jufqw’à Conf- tantine ; mais voyons des reftes plus frappans encore. A deux lieues des Hamman-meskouteen | nous trou- verons des ruines confidérables fur une éminence. Ce lieu porte aujourd’hui le nom d’Arronay. Au milieu de ces débris 1l exifte un petit bâtiment quarré très-bien confervé. Une croix figurée au-deflus de la porte indique qu'il a probablement fervi de cha- pelle aux Chrétiens. Voici une infcription que l'on trouve parmi ces ruines : ME MMI VudadenE. PRUDENS NV Au Nas RUN Je ne vous engage pas à vous détourner de nouveau de fept lieues pour viliter Æ/eegah, autre vale EN BARBARIE 163 abfolument ruinée, qui étoit fituée fur le bord occidental d’une rivière qui porte fon nom : encore moins irons - nous prefque jufqu’à la rivière Serf pour y trouver , fous le nom deféziore | un énorme moncéau de pierres, quelques pans de murailles, & à quelque diffance une crande tour, dont il eft dificile de deviner l’origine. D'ailleurs nous ne pour- rlons pas, avant la nuit, quitter ces lieux extrèême- ment dangereux par le grand nombre de bêtes féroces qui remplifent les forêts voifines. Elles font fi nombreufes, que les Girfah, nation confidérable qui refte dans les environs, n’ofent fréquenter ces quartiers, malgré la bonté des pâturages. Allons plutôt chez les Welled - Braham. Ce pays eft plus habité & moins couvert de forêts. Paflons encore cette nuit dans les montagnes ; je vous promets pour demain une nature moins fauvage. Dites-moi, mon cher Doûteur, à la vue des nombreux troupeaux qui defcendent de ces collines éloignées, & qui s'étendent encore très au loin dans la plaine ; à l'afpe& de ces riches moïflons, de ces immenfes & fertiles pâturages, ne vous appercevez- vous pas que vous approchez d’une grande ville ? Reconnoïflez-vous ici l’ancien grenier des Romains (12 (x) L'Afrique , devenue province Romaine, étoit pc d le grenier des Romains, à caufe des moiffons abondantes que l'on y recueilloit tous les ans, La 164 VOYAGE Voyez fur notre gauche ce nombreux Douare. Plus de deux cens tentes le compofent. Les Arabes y font tous cultivateurs ou bergers au fervice du Bey de Conflantine. Comme ils ont un air d’opylence en comparafon de ces malheureux que nous avons rencontrés chez les Ly-Aishah! Nous fommes aflurés d'en être bien traités. Enfin je l'apperçois fur le fommet de cette montagne! Je te falue, patrie de Jugurtha & de Mafnifla ; je te falue, ville à jamais célebre par l'ancienneté de ton origine, par les Rois que tu as renfermés dans ton fein, par tes longues guerres avec Rome & Carthage. Maïs quelle éton= nante révolution t’arrache au pouvoir des Romains, &t te rend l’efclave d’une feéte nouvelle ! Le Calife eft dans tes murs, &c y règne en defpote ; tu abandonnes la religion du Chrift, pour fuivre celle d’un impoñteur ; & quoique l’Arabe, ton vainqueur, foit à fon tour vaincu par le Turc, tu ne cefles point, malgré cela, d'avoir Mahomet pour Prophète. Avant d'approcher plus.près de la ville, arrètons- nous un inflant: ne vous attendez pas à y faire une entrée triomphante. Les injures, les impré- cations , les crachats, & même les coups de pierres vont pleuvoir fur nous. Ileft vrai que le Bey, dès qu'il eft inftruit de l'arrivée des étrangers , leur dôhne des Chiaoux pour les défendre des infultes de la populace. Mais cette canaille eft fi infolente , que, malgré les coups de bâton qui lu tombent de EN ‘DA RH ME |: 266 toutes parts fur la tête & fur les pie ) nous n’aurons pas moins beaucoup de peine à pénétrer jufqu'au palais du Bey. Ne croyez pas que nous ayons audience en arrivant. Le Bey nous fera donner un logement où nous refterons fans fortir pendant trois, quatre jours, & peut-être davantage, juf- qu'a ce quil plaife à fon Eminence de nous per- mettre de paroïtre devant elle. Ainfi, tandis que nous jouiflons encore de notre liberté, profitons-en . pour parcourir les dehors de la ville, & en obferver ‘a fituation. À la vue de ces ruines, de ces pans de murs renverfés, de ces reftes de citernes & d’aqueducs qui s'étendent au loin dans cette plaine au fud-ouefr, ne vous paroït-il pas évident que lancienne Ciréhe étoit beaucoup plus grande qu’elle ne left aujour- dhui? C'eft ici le feul côté par lequel on puiffe entrer dans la ville, le refte de la montagne eft un précipice affreux qui a plus de 200 toifes en hauteur. Au bas coule le fleuve Szfeomar, ou le Rurmmel, que les Anciens appelloient Ampfagée. En avançant de quelques pas vers l2ff, nous verrons le Rurmel fortir de fon canal fouterrein , & former une grande cafcade , au-deflus de laquelle fe trouve la partie la plus élevée de la ville. C'eft de-là que l'on précipite encore aujourd’hui les criminels comme on le faifoit autrefois (1). Au moyen d'un efcalier taillé dans le (x) 7. Léon, L, V, pag. 211 L 3 166 Vo y aA.GeE roc, lon defcend jufqu’au bas de la rivière , & lon fe trouve fous une voûte naturelle, où les femmes fe placent pour laver leur linge fans être vues : mais elles font fouvent bien épouvantées par lap- parition de petites tortues, qu’elles prennent pour des efprits malins. Ainfi Conftantine, défendue par. fon affiette, left encore par de bonnes murailles de pierres noires, & par une forte garnifon turque, qui loge dans les débris d’un grand & ancien bâtiment , orné de quelques reftes de très-belle architeéture. Les portes de la ville, bâties en pierres rougeâtres, prefque auffi fines que le marbre, & fculptées avec beau- coup de goût, s’annoncent également pour être ouvrage des anciens maïtres du monde. Mais l’objet le plus frappant eft un pont très- bien confervé, dont les arches, les galeries &c les colonnes étoient ornées de guirlandes, de feftons, de têtes de bœufs & de caducées. Entre deux arches eft une femme en bas-relief, dont les pieds pofent fur deux éléphans qui ont leurs trompes entrelacées. Cette femme n’a d'autre coëffure que fes cheveux, qui paroïflent bouclés ; une grande coquille eft au- deflus de fa tête. Elle relève fes jupes de la main droite, & jette {ur la ville un regard moqueur. À quelque diftance de ce pont l’on rencontre un très-bel arc de triomphe aflez bien confervé , & d’autres mo- numens à demi-ruinés , reftes précieux du pouvoir EN BARBARIE 167 &z de fa magnificence des Romains. L’arc de triom- phe fe nomme Cufir Goulah ou le château du Géant. Ii eft compofé de trois arches, dont les bordures & “les frifes font ornées de fleurs, de faifceaux d'armes, & de plufeurs autres figures. ès pilaftres , ainfi que les colonnes qui foutenoient le fronton , font dans lordre Corinthien. L'intérieur de la ville n’a rien de remarquable. Les rues font étroites & mal- propres, les maïfons bafles & fans fenêtres. Les écuries du Bey vous intérefleront ; c’eft-là où vous verrez, quoiqu'un peu dégénérés, l'élite de ces. beaux chevaux barbes, que les anciens Numides montoient fans felle & fans bride. Les Arabes fe fervent encore de ces chevaux avec beaucoup d’a- drefle, mais ils ont une felle & des éperons. Leur felle eft une efpèce de fiège avec un doffier , & en avant un appui très - exhauflé ; leurs étriers ont la forme d’un foulier tronqué, & leur éperon eft une longue fiche de fer, qui tient à Pétrier, & qu'ils font gliffer le long du ventre de leurs chevaux. Il en eft cependant qui ont confervé Pancien ufage des Numides. Le palais du Bey diffère peu d’une maïfon par- ticulière. Il eft beaucoup plus grand : intérieur de fes appartemens eft orné de fufls, de piftolets, de felles de cheval ; c’eft je luxe du pays. En pénétrant dans les premières falles, lon rencontre tous ceux qui attendent audience du Bey; dans L 4 168 VOYAGE d’autres eft une foule de jeunes efclaves de dix à douze ans, d’une très-grande beauté, vêtus avec beaucoup d'élégance & de propreté. Ils à païtie du ferrail du Bey. Enfuite viennent les efclaves qui, bien différens de ceux d’Alser, jouiflent ici d'un très-grand crédit, fe font craindre, &c tiennent le fecond rang à cette Cour. Les Chiaoux occupent le premier. Leurs fonétions confiftent à exécuter les ordres du Defpote, & fur-tout à faire fauter les têtes profcrites. Le Bey régnant eft un très- bel homme, d'un abord gracieux & facile. Il ne pañle pas pour cruel, - quoiqu'il ait déjà fait abattre bien des têtes. Il a de la finefle, de la politique, beaucoup d’avidité pour les richefles ; malgré cela, il eft grand & généreux felon les circonftances. Fai vu à Bonne, il y a deux mois, un Chirurgien Napolitain qui avoit été fon efclave. Le Bey avoit au nez un cancer vénérien, que ce Chirurgien eut le bonheur de guérir; ce Souverain en fut fi reconnoïflant, qu'il lui donna la liberté, & le retint à fa Cour par des bienfaits multipliés. Au bout de quelques années, ce Chirurgien témoigna un vif defr de revoir fa patrie: Tu es libre, li dit le Bey, mais ce projet me fait la plus grande peine ; au moins promets-moi de revenir dans un an : amène avec toi ta femme , tes enfans , toute ta famille. Ils feront tous mes amis: Le Chirurgien lui donna fa parole qu'il reviendroit, Le EN BARBARIE 169 Bey le combla de nouveaux préfens, accorda en fa faveur la liberté à deux efclaves Italiens, afin qu'ils le ferviflent en route, le recommanda comme fon fils à la Compagnie d'Afrique, & lui dit, en lem- braffant, les yeux mouillés de larmes: Wa revoir ta famille, va revoir ton Souverain , & dis-lu que c'ejl ainft que tu as èté traité par un Prince barbare. Les environs de Conftantine font de la plus grande fertilité ; la terre y eft aïlez bien cultivée, excepté les collines qui s'étendent au midi, où perfonne n’ofe habiter, à caufe des excurfons fréquentes des Arabes du défert : mais lorfque du haut de la ville la vue fe porte du côté du nord, lonapour perfpeétive un payfage magnifique formé par un grand nombre de vallées, de collines , de rivières & de prairies : à left, la vue eft bornée par une chaîne de rochers qui dominent la ville , & en raccourciffent Phorizon. Les autres villes de la Numidie font bien peu confidérables. Il y a beaucoup plus de ruines que d'habitations ; & il eft aïfé de juger, d'après ces monumens antiques fi multipliés, combien la Nu- midie a été peuplée autrefois. Dans certains endroits, les villes étoient auf proche les unes des autres, que les villages en France, Il eft bien à regretter qu'un pays auff fertile & auffi beau refte fans culture, tandis que nous nous difputons en Europe une lande férile, Jai connu un chef Arabe qui, pour une 179 "VOYAGE jument , avoit cédé au Bey de Conftantine près de dix lieues carrées de terre cultivée. A loueft de Conftantine, vers le défert de Saara , Jon rencontre Gaz , ville forte, bien bâtie. Un Prince, nommé Boigis, d’une très-ancienne famille Arabe, y commande avec une autorité abfolue, indépendante de la domination des Turcs. Enfoncé dans l'Atlas , défendu par fa pofition, par de bonnes troupes, & par fon propre courage, il vit tranquille dans fes Etats, qu'il gouverne avec modération. Ses fujets font heureux. Leurs mœurs, femblables à celles de leurs chefs, font douces & pacifiques. Ils font riches en troupeaux & en blés, & ne crai- gnent pas de fe les voir enlever. Le prince Boigis eft fort lié avec le Bey de Conftantine, qu'il va voir de temps en temps. Il eft d'autant plus refpeñté, qu'on le croit de la famille de Mahomet. Il a eu quelques rapports avec les Chrétiens; jamaïs il ne leur a été contraire. Il les eftime & les protège. Bugie, fur la côte , à trente lieues d'Alger, eftune aflez grande ville, bâtie fur les ruines d’une autre beaucoup plus grande. Il y a trois châteaux pour la défenfe de cette ville, un qui la domine , & deux autres au bas de la montagne. Dans les environs de Bugjie, lon exploite des mines de fer aflez confidé- rables, avec lefquelles les habitans font des focs de charrues, des inftrumens de labour , 8c. d'autres uftenfiles à leur ufage, Les 4rabes-Bédouins apportent EN BARBARIE. 171 fur cette place beaucoup d'huile & de cire que l'on vend aux Européens: mais ces Arabes font fi peu traitables, qu'il eft rare que ce commerce fe fafle fans quelque cruauté de leur part. Ils donnent prefque la loi à la garnifon turque. La rivière Nafava coule à le/? de la ville, où elle fe jette dans la mer. Elle prend fa fource à Jibbel-Deera., fe groffit confidérablement par plufieurs ruifleaux qu’elle reçoit dans fa route, qu'elle continue le long du mont Jurjura. Entre le Collo & la ville de Bonne l’on rencontre Stora , où il y a un aflez bon mouillage. L'on croit que c’eft l’ancienne Ruficada. Cette ville offre quel- ques antiquités, mais il eft très- dangereux d'y aborder ; les habitans en font cruels & féroces. Néanmoins avec des précautions & à force d'argent, on les rend un peu plus traitables. Jai l'honneur d’être, &cc. 172 VOYAGE LE TT RE,. X 47 Au même. Jr conçois atuellement, mon cher Doëéteur, com- ment le matelot, en füreté dans le port, oublie. les dangers qu'il a courus, & n’afpire qu’au moment de remettre à la voile. Fai été témoin , 1l y a quel- que temps, d’une tempête affreufe dont les ravages fe font fait fentir dans une grande partie de la Médi- terranée. La mer étoit fi grofle, que la Cale étoit prefque couverte par les vagues. Tantôt brifées contre les rochers, elles retomboient en pluie; tantôt en forme d’écume blanchâtre, elles inondoïent la place, & emportoient, en fe retirant, des murs, des baraques, des mafñles de rochers ; d’autres fois elles fe précipitoient avec un bruit effroyable dans les cavités fouterreines de notre malheureufe pref- qu'ile, tellement que nous n’attendions que l'inftant de la voir tout-à-fait engloutie fous les ondes. La pluie, la grêle & le tonnerre ajoutoient encore à l'horreur de notre fituation. Deux bâtimens fe trou- voient alors dans le port. Tous deux périrent , mais les équipages fe fauvèrent. Un autre bâtiment , parti peu auparavant , fut jetté fur les côtes de Sardaigne , où il périt avec le Capitaine & plufeurs matelots, EN BARBARIE 173 À la vue de cette mer en fureur, je faifois le vœu bien fincère de ne m’embarquer que pour repafler en France , & de renoncer pour la vie aux voyages d'outre-mer. Le calme renaît. Huit jours après, oubliant la faïfon & le danger, je m’embarque pour l'île de Tabarque avec M. Peyron, Agent de la Com- pagnie dans cette île. Notre traverfée fut des plus heureufes. Nous côtoyâmes la terre prefque toujours à une portée de fufil. Je ne connois point de navi- gation plus réjouiffante. Tantôt d'énormes rochers fe précipitent dans les ondes en grande mafñfe, tantôt les vagues fillonnent paifiblement fur un fable plus blanc que la neige : ailleurs elles creufent des grottes profondes, où, mugiffant avec fureur pendant l’hiver, elles forment, dans la belle faifon, des bains très- agréables d'une eau limpide & tranquille. Ici la vue fe porte fur de vaftes prairies embellies par la verdure & les fleurs : là, des côteaux couverts de bois viennent à la fuite de rochers pelés & brülans. La feène, à chaque inftant, change de décoration, & l'imagination fuit avec rapidité la variété du fpec- tacle; elle pafle brufquement de leffroi à la gaîté, de l'horreur au plaïfr : tantôt des rochers coupés à pic, où dont les pointes font à peine vifibles à la furface de l’eau, offrent leffrayant tableau d'un navire échoué parmi ces dangereux écueils; tantôt la vue d'un gazon fleuri, d'une anfe païfble, fat oublier les fatigues d’une mer orageufe, & à À 174 VOYAGE promet un repos dont on croit déjà réffentir {es douceurs. Tel à êté le fpe&tacle dont jai joui en païtie depuis la Calle jufqu’à la Tabarque; & fi quelque chofe pouvoit jetter du fombre fur le tableau varié que javois fous les yeux, ce n’étoit que l'idée de la férocité des peuples qui habitent ces côtes. Comme dans l'ile de Calÿpfo, aucun navigateur ne peut approcher de ces parages fans être la viétime de la barbarie des Maures. Quand la mer eft en furie, que les vents déchainés foulèvent les flots & mul- tiplient les naufrages, c’eft alors que ces peuples fe rendent en foule fur le rivage, non pour fecourir le pilote épuife qui difpute encore aux vagues le refte de fa malheureufe exiftence, maïs pour profiter defes dépouilles, & maflacrer fans pitié celui qui déjà fe réjouifloit d'avoir échappé à la fureur des élé- mens. Cruauté inouie, & qui fait du barbare Afri- caïin le monftre le plus odieux de la Nature! Auf les bâtimens que la tempête poufle vers les côtes de Barbarie, oublient en quelque forte, à la vue de cette terre de fang, les dangers d’une mer irritée. Ïls aiment fouvent mieux fe confiér à la fureur des vagues qu'à l'humanité de leurs femblables. De tous ceux qui ont échoué fur ces côtes, très -peu ont eu le bonheur d'échapper. | Le premier objet intéreffant qui frappa mes regards, fut, à quelques portées de fufil dans les EN BARBARIE 17$ terrés, un amas de rochers, au milieu d'une plaine, dont la réunion forme une montagne ronde, ap- pellée en effet par les Provençaux qui fréquentent ces côtes, Monte rondo. Ceft en ce lieu qu'étoit bâti Tagufle, patrie de S. Auguftin. Il n'en exifte plus que quelques miférables riunes fur le penchant de cette monticule, & quantité d’oliviers. Ces débris , fitués au milieu du pays des Madis, ne peuvent être vifités fans de grands dangers. Après Tagafte nous navigâmes en face du cap de l’Aigue (le cap de l'Eau), ainfi nommé parce que lon y trouve une fource de très-bonne eau, à laquelle plufieurs navigateurs ont eu fouvent recours. Enfuite vint le cap Roux. La couleur des rochers qui fe préfentent à fa pointe, lui ont fait donner ce nom par les Provençaux. Le cap des Gallines ( cap des Poules ) que nous doublâmes, reçut ce nom, parce que les Maures y vendirent fouvent des poules aux Corailleurs. Cependant ceux-ci eurent à s’en plaindre. Un jour qu'ils étoient mouillés avec leurs bateaux dans ce lieu, les Maures les prefsèrent vivement de refter à terre, & d'y pañler la nuit. Les Corailleurs sy refusèrent prudemment , & remontèrent fur leurs bateaux; les Maures, irrités de ce refus, leur lâchè- rent plufieurs coups de fufils, dont heureufement perfonne ne fut bleffé, L'ile de Tabarque, éloignée de la terre -ferme 176 VOYAGE d'environ cinq à fix céris pas , peut avoir une démi= heue de circonférence, L'on avoit, depuis quelque temps, formé, par des jettées abondantes ; un pañfage que l’on traverfoit à pied fec dans un temps calme , & à cheval, quand la mer étoit un peu agitée. Un otage violent arrivé quelques jours avant mon voyage, avoit détruit cette da de commu nication. | Tabarque eft un rocher très-élevé, coupé à pie du côté de la pleine mer, & defcendant en pente douce en face de la terre-ferme. Les maïfons étoient bâties fur le penchant de cette colline. De-là la vue, fe portant fur les côtes oppofées , étoit réjouie par un afpeét des plus agréables : des côteaux fertiles & rians, une belle prairie coupée par plufeurs petits ruifleaux, des maifons en amphithéâtre, la beauté du ciel, la fertilité du climat, telle étoit la perfpeétive & lheureufe pofition des anciens Tabarquains. Cette île fut prife par Charles-Quint , lorfqu'il porta la guerre en Barbarie avec tant de fuccès. II en trouva la fituation propre à mettre une garnifon à l'abri des infultes du foldat barbarefque , & d'un grand fecours pour les excurfions fur ces côtes. D'après ces vues, 1l fit environner Tabarque de très-bonnes fortifications, &c fit bâtir un château confidérable fur la partie la plus élevée de Pile céda enfuite ces poffeflions à un nommé Doria, noble Génois, lefquelles, par fucceflion de temps, tombèrent EN BARBARIE. 177 tombèrent enfin entre les mains de la noble famille des Lomnellini de Gènes. . Tabarque s’étoit peuplée de plufieurs familles Génoïfes, qui faïfoient, avec les Maures , le même commerce que fait aujourd’hui la Compagnie royale d'Afrique. L’on y bâtit nombre de maïfons ornées de beaux jardins. La bonté du climat dédommageoit les nouveaux colons de Péloignement de leur patrie. Täbarque devint celle de leurs enfans & de leur poftérité. Tout alla très-bien jufqu'en 1743, que . les Tabarquains fe rendirent d'eux-mêmes au Bey de Tunis. Il n’eft pas aïfé d'afligner le vrai motif de cette ation. Les uns prétendent que l'île manquoit, depuis quelque temps, de provifons , par la né- ghigence des Lomellini ; d’autres difent quil étoit queftion de céder cette place à la Compagnie d’A- frique , & que les Tabarquains préférèrent appar- tenir à Tunis plutôt qu’à la France. Quoi qu’il en foit , le Bey de Tunis, en poffeffion de file, en fit démolir les remparts & les fortifi- cations , ainfi que les maïfons. Il ne conferva que le château, où il plaça une garnifon turque d'environ trois cens hommes. Les habitans, hommes, femmes, enfans, furent tous conduits en efclavage à Tunis, fans épargner les principaux de l'ile, auteurs de la trahifon, & qui efpéroient une autre récompenfe de leur crime. Depuis long-temps le Bey de Tunis vouloit faire Far, I AT 178 VOYAGE bâtir un château en terre - ferme qui puiffe battre celui de File. L'on s'y étoit toujours oppofé, & il n'avoit pu en bâtir un que derrière unecollne, hors de la portée du canon de Pile. Il eft encore aujourd'hui habité par une centaine de foldats Arabes, Le Bey profita de la circonftance pour exécuter fon premier projet. Il fit conftruire en terre- ferme un fecond château qui domine celui de Pile. Il y plaça des foldats Turcs; mais ce château eft bien inférieur à celui de Tabarque pour la force & la folidité. L'on ne voit plus aujourd’hui dans l'ile de Ta- barque que le château où réfident les foldats Turcs, des reftes confidérables de remparts & de fortifi- cations, des maïfons en ruines, beaucoup de citer- nes, &cc. Le Bey de Tunis, par un traité particulier, a permis à la Compagnie d'Afrique d'y avoir un Agent pour diriger, fur ces côtes, la pêche du corail. Il faut autant de philofophie & de prudence qu’en a M. Peyron pour vivre feul & tranquille au milieu de ces ruines, parmi quelques Maures &z une foldatefque Turque très-infolente. Il ne faudroit pas juger des Turcs du Levant par ceux que lon ren- contre en Barbarie. L’on écume ordinairement la Turquie pour faire des émigrations en Afrique, à la demande du Dey d'Alger & du Bey de Tunis, auxquels le Grand - Seigneur permet de temps en temps des levées dans fes Etats. EN BARBARIE 179 * Aucun Chrétien n’ofe approcher des châteaux gardés par les Turcs. Ils craignent toujours quelque trahifon , & tout examen leur eft fufpeét. Jai vu, tandis que j'étois à Tabarque , l’Aga faire appliquer cinq cens coups de bâton au foldat de faétion pour avoir laïflé entrer dans le château deux Chrétiens nouvellement arrivés, & qui ignoroient lufage du pays. Peu auparavant un matelot avoit été pour- fuivi à coups de pierres & de bâton pour avoir dirigé fa promenade un peu trop près du château. Ce château , ainfi que les deux de terre-ferme, furent tout-à-fait dépeuplés par la pefte qui ÿ régna l'année dernière 1784. Le rocher de Tabarque eft un grès groffier , jau- nâtre, offrant dans fes fiffures beaucoup de fer & d'ochre rouge. Sa forme eft en grandes mafles, fans ordre, fans direétion : les fentes font très - irrégu- lières : elles forment fouvent dans le gré, ainfi que dans les couches argileufes, des divifions prefque cubiques qui parojffent comme autant de pierres réunies par un ciment ferrugineux. Pai fait la même obfervation dans les environs de la Calle, & dans plufieurs autres endroits le long des côtes de la Barbarie. Ces grès, ainfi divifés, paroïflent, au premier coup - d'œil, d'anciennes murailles bâties par les mains des hommes. Ceft, à ce queje crois, de femblables murs que PAbbé ÆA/berso Fortis dit avoir obfervé en Dalmatie, & qu'il a fait graver M 2 180 Vo Tac à fous la dénomination de floni fémili & muraglie in riva del mare fotto rogoniza (1). Ce rocher eft appuyé ur une argile fèche, fiffile , légérement calcaire, contenant beaucoup de fable, & formant, dans plufieurs endroits, des mafñles dures, écailleufes à leur fuperficie. L'ile eft prefque par-tout recouverte d’une couche épaifle de terre végétale, très-bonne pour la culture, mais en friche par la parefle des foldats Turcs qui ha- bitent le château. Le lendemain de mon arrivée, je paffai en terre- ferme pour y examiner de vieilles bâtifles , & les reftes d'une ville très-ancienne , nommée Tabrarca. D’après mes obfervations, elle devoit avoir près d’une lieue de circonférence, bâtie fur les bords de la mer, partie en plaine, partie fur les collines environnantes. Il n’y exifte plus que des vieux murs à moitié détruits, quelques morceaux de colonnes renverfées, & grand nombre de citernes de la forme de celles que lon voit encore aux ruines de Carthage, d’Hippone, & autres villes anciennes de la Barbarie. Au milieu de ces débris eft placé le château de terre-ferme, bâti par le Bey de Tunis après la prife de Tabarque. Il eft défendu par une centaine de foldats Turcs. La Zaire, rivière aflez confidérable, baignoït les murs de Tabrarca, (1) Viaggio in Dalmazia, vol. 2, page 100, EN BARBARIE. 181 Quelques jours après, en parcourant les fites agréables de ce lieu, je defcendis derrière les collines de Pancienne Tabrarca. Errant à l'aventure parmi des rochers couverts de brouffailles , je me trouvai à la fin dans un vallon dont la beauté & la fituation m’enchantèrent. Une eau fraiche, fortie d’une roche vive, couloit entre les pierres & le fable, Les bords de ce ruifleau étoient, de chaque côté, ornés d’une haie de lauriers-rofes, qui formoient , au-deflus de Veau, une voûte impénétrable aux rayons du foleil. Quoïqu’à la mi-janvier , la terre étoit couverte d’un gazon naïlant. Quantité d'une très-belle efpece de Cacalia en fleurs me parfumoient par leur fuave odeur. Ce vallon formoit plufeurs détours parmi les monticules, & conduifoit à une vafte plaine, environnée de collines dont l'afpe&t étoit fort ré- jouiflant. Je ne pouvois me lafler de parcourir ua aufli beau lieu, & je regrettois vivement de le voir fans habitans. Mais il n’en a pas toujours été aïnfi. Quelques mafures , quantité de débris de pierres taillées me prouvèrent que jadis des peuples policés y avoient fait leur demeure, Ce qui me frappa le plus, & ‘ce qui me parut difficile à expliquer, ce fut des rochers dans l’intérieur defquels l’on avoit creufé, à la pointe du cifeau, plufieurs petites chambrettes d'environ quatre pieds carrés en tous fens. L’ou- verture de deux pieds carrés reflemble à celle d'une M 3 182 VOYAGE fenêtre avec des embrafures. Dans la muraïlle du fond eft une niche de près de deux pouces d’en- foncement, d’un pied de haut fur fix pouces de large. Ces ouvertures, que je trouvai au nombre de cinq à fix, font toutes placées au haut des. rochers, quelques-unes dans des endroits de difhcile accès, Je cc: chaï inutilement à deviner quel pou voit en avoir été l’ufage. Rien ne vint au fecours de mes conje@ures. L'intérieur avoit une couleur fombre, prefque noire. Etoit-ce des tombeaux? leur peu de profondeur & leur forme carrée s’oppofent à cette idée. Des magafñns, des lieux cachés, des retraites de foltaires ? je ne peux vous l'afirmer ; mais jai obfervé que louverture eft d:fpofée de manière à être exattement fermée par une pierre carrée, qu'il eft facile de dérober aux regards par des monceaux de terre ou de brouffailles. La nature de ces rochers eft d’un grès groffer à bâtir, & très- difiicile à entamer. Quel dommage que les idées agréables 8 gaies qu'excitoit en moi la vue d'une aufi belle nature, euffent té attriftées par l’affreux tableau des ravages que la pefte de 1784 & 178$ avoit faits dans ce lieu , & par tout le royaume de Tunis. Je rencontrois de diftance en diftance des tentes abandonnées ; d'excellentes terres en friche, faute de bras pour les cultiver; Ja nation nombreufe des Ouled'amours réduite à trois ou quatre tentes, la garnifon des EN BARBARIE. 183 trois châteaux entiérement ruinée, à l'exception de cinq à fix foldats. La faifon n’étoit point favorable pour herborifer ; fobfervai cependant que toutes ces collines étoient couvertes des mêmes arbrifieaux que celles des environs de la Calle, c’eft-à-dire, de bruyères, de hièges, de chènes-verds , de genêts, de ciftes, d’ar- boufers, de lentifques, de filaria, de quelqués palmiers flériles, &c. Jai l'honneur d’être, &c. ML TR ES IX ANSE Au méme. Quorour nous ne foyons encore, mon cher Dofteur, qu'au commencement de février, la vêge- tation fe développe avec tant de beauté, qu'elle me promet, pour le printemps prochain, de bien grandes jouiffances. J'ai déjà fait plufieurs courfes fruêtueufes. Aly-Bey m'en a fourni l'occafon & les moyens. I étoit, depuis près d'un an, privé de fes femmes & de fes enfans, que le Bey de Conftan- tine gardoit en otage jufqu’à ce que ce Chef lui ent payé environ 30000 piaftres qu'il lui avoit promifes pour avoir la libre poffeffion du pays à la place de fon frère El-Bey. Cette fomme ayant été acquittée, M 4 184 Vo x aAa6gtEt le Beÿ de Conftantine a renvoyé au chef de fa Mazoule fes femmes & fes enfans. Il invita le Gou- verneur de la Calle (1) à venir partager fa joie. Je fus auf de la fête. Nous partimes avec un certain nombre de foldats pour nous efcorter, & de domef- tiques pour nous fervir. Aly-Bey , inftruit de notre arrivée, vint à notre rencontre Jufqw'au bois de Freje, à une petite lieue de fon jardin. Il étoit accompagné d’une centaine de (1) M. Amalric, Gouverneur de la Calle, a eu pour moi, pendant mon féjour en ce Comptoir, tant de com- plaifance & de bonté, que je lui fuis redevable de la füreté & des adouciflemens que j'ai éprouvés dans la plupart de mes courfes. Je trouvois à mon retour un repos très- agréable dans fa fociété & dans l'amitié dont il a bien voulu m’honorer. Je ne dois pas moins de reconnoiffance à la plupart des autres Officiers de ce Comptoir pour leur honnêteté & leur zèle à m’obliger. M. de Cindrieux , qui occupoit la première place après le Gouverneur, m’a fou- vent fait oublier, par la douceur, l'aménité de fes mœurs, par fes connoiffances & fes lumières, que j’habitois un pays barbare. C'eft à lui à qui je dois les détails que j'ai donnés fur le commerce de la Compagnie. M.Gay, premier. Chirurgien à la Calle, m'a très-fouvent accompagné dans mes herborifations aux environs de ce Comptoir , & a bien voulu me communiquer fes recherches & fes obfervations en Hiftoire Naturelle. Il a quitté la Calle, au grand regret de fes habitans, pour remplir la place de premier Médecin du Bey de Conftantine. A fi EN BARBARIE. 185 fes cavaliers, & d’une troupe de Muficiens Maures qui avoient, pour inftrumens , quelques mauvais tambours , & des éfpeces de fifres. D'auffi loin qu'ils nous apperçurent , ils nous régalèrent d’une mufique très-monotone , répétant fans cefle le même air. D'un autre côté, les cavaliers Maures firent faire mille caracolles à leurs chevaux, courant, bride abattue , à travers les brouffailles , fe pourfuivant à coups de fufils avec beaucoup de confufion, en pouflant des cris aigus & menaçans. C'étoit l’image d'un de leurs combats. Ce fpeëtacle offroit, au ilieu de cette forêt, un tableau tout-à-fait pit- torefque. Les cris confus, répétés de toutes parts , le feu continuel, le henniflement des chevaux, la figure, Paccoutrement des Maures, tout peignoit à mes yeux une nation fauvage & guerrière. Nous arrivämes au milieu de ces évolutions, au jardin d’Aly-Bey ; il étoit orné de beaucoup d'arbres fruitiers , & d’une foule de limons , de bergamottes, d'orangers & de citronniers, dont les fruits nom- breux & dorés étaloient à nos yeux tout le fafte du jardin des Hefpérides. Nous dreffâmes nos tentes en ce heu; peu après Aly-Bey nous envoya d’abon- dans courcouçons. Nous le régalâmes à notre tour de cafe & de fruits fecs de Provence. Le lendemain je quuttai mes compagnons de voyage pour courir le pays avec quatre cavaliers qwAly-Bey me donna pour efcorte. 186 VOYAGE Je n'arrêtai d’abord chez les Zulmis | nation d'Aly-Bey. Je contournai les bords d'un grand lac; peu diftant du jardin de ce Chef, où jé fis tuer plu- fieurs jolis oifeaux aquatiques, différentes efpèces de courlis, de canards fauvages, la poule de riz, &e. ba Botanique nefut point oubliée. Quelques belles efpèces de cyperus, des renoncules, des anémones, des liliacées furent le fruit de mes recherches. En m’avançant chez les Zulmis, je rencontrai des berceaux magni- fiques de czrmatis cirrhofa qui formoient , au-deflus des vaïlons humides où ils croiflent, des guirlandes defleurs très-agréables à la vue. Le fpergula arvenfis, l'antirrhinum reflexum Âe trouvoient par-tout. Les orchis , les ferapias , les elléborires commencoient à paroïtre. Ce pays eft très-varié. Les plaines y font fertiles, aflez bien cultivées. Les coïlines fablon- neufes & couvertes de ciftes, de lentifques, de : chènes-verds, de bruyères & de lièges. Il ya, dans les vallons, de très-bons pâturages où paiflent de nombreux troupeaux. M'étant avancé jufques chez les Merdafs, nation nombreufe, mais foumife au Bey de Conftantine, jobfervai, dans les premières montagnes qui termi- nent la vafte plaine de la Mazoule, des eaux tièdes , dans lefquelles les Maures viennent fe baigner. Je n'ai trouvé à ces eaux qu'un goût fade, fans âpreté; fans acidité. Les ayant éprouvées à une décoéhion de noix de galles, leur couleur limpide n’en fut EN BARBARIE 187 nullement altérée. Elles dépofent cependant un fédi- ment ochracé jaune. L'endroit où elles fourcent plus fortement, eft, au pied d'une montagne, dans un fable noïrâtre & ochreux. Ces eaux ont aban- donné leur ancien lit, que j'a retrouvé à mi-côte de la montagne, avec beaucoup de pyrites maïtiales enclavées dans des mafles de grès, à travers lefquelles ces eaux ont coulé autrefois. En revenant je faillis périr au milieu d'un marais très-boueux , dans, lequel mon cheval s’enfonçoit jufqu'au ventre. Heu- reufement que quelques Arabes du pays m'indi- quèrent les endroits les moins dangereux. Sorti de-là, il me fallut enfuite chercher un paffage à gué dans un des bras de la rivière de Ma-Fragg (1), qui a fon embouchure dans la mer, à quatre lieues e/2 de Bonne, où elle fe nomme plus vulgairement la rivière des Seibafs , parce que cette nation en habite les bords. Je reftai plus de trois heures à côtoyer la rivière, effayant à chaque pas de la traverier. Comme le fond eft très -limoneux , je n'ofois faire avancer mon cheval , qui avoit de l'eau jufques pardeflus la felle. Je ne vous entretiens de ces em- bartas, mon cher Doéteur, que pour mieux vous peindre combien il eft difficile de voyager dans un (x) Cette rivière paroît être le Rubricatus des Anciens. Elle prend fa fource dans les montagnes, au fud des Merdafs. Lo 188 VOYAGE pays où, par infouciance & par parefle, leshabitans ne s'occupent nullement à former des chemins , & à faciliter les voyages; ils ont au contraire, pour Pappêt de quelques morceaux de fer, détruits plu- ficurs ponts bâtis par les Romains. Jai traverfé cette même rivière à fon embouchure, d’une ma- mère bien effrayante. Elle eft en ce lieu plus large que la Seine, & très-groffe en hiver. Les Seïbafs la font pafler alors aux Voyageurs fur une efpèce de radeau formé avec quelques rofeaux , 8 traîné par une très - foible corde. Ce radeau eft prefque toujours couvert par leau, & fur le point, à chaque inftant, d’être fubmergé. Dans l'été on la pañle très-aifément à gué. Je revins chez Aly-Bey, que je quittai de nou- veau pour aller vifiter le cp Rofe, où la Com- pagnie d'Afrique a eu autrefois un établifiement pour le corail. L’on n'avoit vanté cet endroit, à caufe des beaux & nombreux coquillages qw’offrent les bords de la mer. Le long de fa route je ne rencontrai que des vallons fablonneux , quelques bois de lièges , beaucoup de brouflailles, & des - rochers dont les creux fervent de retraite aux bêtes féroces. Je ne pus, le long de la route, me procurer d'eau fraiche; la chaleur étoit fi forte, quoiqu'au mois de février, que j'arrivai au cap Rofe, mes bouteilles vuides, & mourant de foif. L’on m’avoit afluré que y trouverois une fource d'eau: Je fus EN BARBARIE. 189 long-temps à la chercher avec les Maures qui n’ac- compagnoient, & qui n’étoient pas bien au fait du pays. Je défefpérois déjà de la trouver, & je me mourois de fatigue, de chaleur & de foif, lorfqu’étant monté fur un arbre, japperçus dans un ravin quelques rofeaux parmi les brouffailles, Ces plantes aquatiques ranimèrent mon efpoir; & après des peines inconcevables pour pénétrer jufqw’à ce lien à travers une haie très-éparfle & tres-longue d’épines entrelacées , je me trouvai enfin fur les bords de la fource tant defirée. J’étois enfanglanté , j'avois mes habits en lambeaux, & percés par une füeur des- plus abondantes. Rien , en cet état, ne peut fe com- parer au plaïfir de favourer une eau bien pure, & de la fentir couler dans des organes altérés & def- féchés. C'eft le feul fruit que j'ai retiré de ce voyage. e cap Rofe n'offre rien qui foit digne de curiofité. . Un rocher de gres à filtrer, fur lequel il refte quel- ques vieilles murailles, une très-mauvaife anfe , des coquilles en fragmens fur le fable; ces objets ne valoient fürement pas la peine de courir le rifque de mourir de foif, | Jallai, à mon retour , remercier Aly-Bey de Pef- corte qu'il m'avoit accordée, & je continuai ma route vers la Calle. Il n’y avoit pas une heure que Je marchois , lorfqw’une forte pluie, mêlée de grêle &T de tonnerre, m’accompagna jufqu’au bois de Fréje, Jétois déjà enfoncé de trois quarts de lieue 190 VOYAGE dans lépaifleur de cette forêt , lorfqu’un ouragan :, des plus terribles fe joignant à la grêle & au tonnerre, me jetta dans un très-grand danger. La violence du vent brifoit ou abattoit les arbres à chaque mo- ment, & je trouvois, à mefure que j'avançois, le chemin barré par ces arbres renverfés. Je courois le rifque d’être écrafé par leur chüte; mais au bout d'un quart d'heure le vent fe calma, & le ciel reprit fa férénité. Je vous ferai obferver à ce fujet, mon cher Doëteur, que fur ces côtes la plupart des arbres font inclinés vers le fud-eff, & que le vent le plus violent & le plus commun eft le zord-oueff. L'inch- naïfon des arbres ne feroit-elle pas un moyen pour un Voyageur de juger quels font les vents les plus forts qui règnent dans un canton ? Le bois de Fréje a plus de deux lieues de lon- gueur. Il eft fitué dans un large vallon où le fable abonde; le liège eft l'arbre qui y domine. Malgré le mauvais temps , je fus encore aflez heureux pour y recueillir quelques jolies plantes, des iris, des ëxta, de très - beaux orchis, & plufeurs autres plantes iliacées. Jai Phonneur d'être, êcc, _e EN BARBARIE. 191 EE | PORMEST ER LE À À V LE Au méme. Fe devois, mon cher Doëteur, partir au commen- cement de mars prochain pour un voyage bien intéreffant. Le Bey de Conftantine va, tous les deux ou trois ans, à la tête d’un camp de trois à quatre mille hommes, lever les tributs que lui doivent plufieurs hordes Arabes habitantes du grand défert de Sara. Il étoit décidé que je laccompagnerois dans cette expédition : vous jugez quel vafte champ s'offroit À mes recherches; maïs comme je me dif- pofois à partir, J'appris que la pefle avoit gagné Conftantine, & qu’elle étoit dans le camp du Bey. Cette aflligeante nouvelle me fit renoncer à un projet dont fürement j'aurois été viétime, vu la difficulté d'éviter la communication au milieu du tumulte d'un camp aufli nombreux. Vous n'avez pas idée, mon cher Doûteur, des ravages affreux que la pefte à faits & continue de faire dans ce pays. Tunis eft diminué d'un tiers. L'île de Ta- barque, deux fois repeuplée, a fervi deux fois de cimetière à fes nouveaux habitans : plufieurs villes font abfolument défertes, les moiflons périffent fur pied, faute de bras pour les recueillir ; d’immenfes 192 VOYAGE troupeaux errent en liberté au milieu des champs; & ne reconnoiffent plus de maîtres. Jai rencontré plufieurs Douares où il n’y avoit d’autres habitans que quelques cadavres qui pourriffoient fans fépul- ture fous leurs tentes. Jai vu la nation des Oukd- Amours réduite à une quinzaine d'hommes échappés à la contagion. Parmi eux fe trouvoit un vieillard, qui fervoit d'interprète à l'Agent de la Compagnie d'Afrique à T'abarque. Un jour qu'il m’avoit conduit à fa tente, 1l me fit monter fur une colline d’où Jappercevois une très-belle plaine. Tout ceci, me dit-il, s'anpartient. Pourquoi , lui dis-je, un terrein auffi fertile n'efl-il pas cultivé? I me fit, pour réponfe, l’hiftoire de fes malheurs. « Javois, me dit-il, deux femmes & fix enfans, » tous à la fleur de l’âge & d’une fanté robufte; mes » femmes gardoient mes troupeaux, & mes enfans » cultivoient cette terre que tu vois aujourd'hui in> » culte. Ils furent tous frappés de la contagion, qui » d'abord m’enleva une de mes femmes & deux » de mes enfans. Je poflédois une toile bénite de la » Mecque. Nous la partageâmes également , & nous » fûmes confolés de voir que nous aurions chacun » notre linceul. I] ne me reftoit plus que deux enfans. » Javois enterré les autres, lorfque je tombai moi- » même malade. Nous n'avions perfonne dans notre » Douare pour nous fecourir ; je ne pouvois aider » mes enfans, & eux ne me çconnoïfloient déjà plus, _— EN BARBARIE, 193 # plus ; enfin je m’endormis pendant long -temps, » À mon réveil, foible, abattu , j'apperçois mes »# deux enfans qui pourrifloient à mes côtés. À ce » fpeétacle d'horreur, je veux ranimer mes forces » pour donner la fépulture au refte de ma malheu- » reufe fcmille : mais il me fut impoffible de changer » de place, & je reftai encore long-temps au milieu » des cadavres empeftés de mes enfans , que j’en- _# terrai enfuite de mes propres mains. Pendant mon » long fommeil, l'on m’avoit enlevé tout ce que je » poflédois, ma récolte, mes troupeaux; on avoit » pillé jufqu'à ma tente, à peine en reftoit-il un » lambeau pour me garantir des injures de l'air, _» Je cherche mes femblables , je ne trouve perfonne. | » La mort les avoit prefque tous frappés. À la fin » cependant, le petit nombre de ceux qu’elle avoit » épargnés fe réunit ; Je me joignis aveceux. Nous nous » confolämes réciproquement en mêlant nes larmes, » & en nous foumettant à la volonté du ciel. Je ne » pouvois, à mon âge, reftet feul. Fépoufaiune femme » veuve qui avoit quatre enfans. Je retrouvois par ce » moyen une nouvelle famille; maïs j'ai perdu, avec »-mes premiers enfans, ces bras vigoureux qui cul- » tivoient mes champs : de cette étendue de terrein » que tu vois, je n’en laboure qu'un très - petit » coin, à peine fufffant pour ma fubfftance, & ce » travail eft encore au-deflus de mes forces ». Pendant le récit de ce bon vieillard, qui m'avoit Part. I N 194 VoyaAG…e attendri jufqu'aux larmes, nous étions defcendus dans la plaine, & nous nous promenions fur les bords de /4 Zaine. Sauvons-nous , $'écria-til tout à coup , J'apperçois, de l'autre côté de la rivière une troupe d'Arabes du cap Nègre, avec lefquels nous Jornmes en guerre ; mais comme il leur faut palfer la rivière pour arriver Jufqu'a nous , nous aurons gagné ls montagnes avant eux. En effet , nous ne tardâmes pas à y arriver, & nous perdîimes de vue nos énnemis. C'eft en m'nftruifant par l'expérience, en caufant avec les pelliférés, en obfervant les phénomènes de cette cruelle contagion, que je me fuis dépouillé de beaucoup d'idées fauffes que j'avoiïs furlla pefte. Si, de toutes les maladies épidémiques, il n’en ef point de plus mortelle, & d’une communication plus rapide que la pefte, il n'en eft pas auffi de plus facile à éviter, & dont on puïfle plus aïfément arrêter les progrès, quand on remédie au mal dès léfprincipe. Lair paroït être le véhicule de la plupart des épidémies. Imprégné des principes morbifiques , en circulant dans nos veines, il y porte la ma- ladie 8 fouvent la mort. Les atômes peftilentiels paroïflent d’une efpèce différente ; répandus dans Pair , ils perdent leur aétivité, 8 ne font nullement à craindre : mais concentrés dans les étoffes de laine, de coton, de fil ou de foie, dans les poils des ani- maux, ils deviennent alors fi dangereux, quele plus EN BARBARTIE 195 léger gontaét fuffit pour les faire pañler dans les corps étrangers, & les répandre au loin. D’après ce principe, que l'expérience confirme, _ilfuffit, pour éviter la pefte, de n'avoir , avec les _peftiférés , aucune communication médiate, de ne toucher aucun des habits ou des meubles qui leur appaïtiennent ; mais on peut les approcher, leur parler, & même pénétrer dans leur appartement. Auffi dans toutes les maifons confulaires | & dans les Comptoirs françois établis tant dans le Levant qu'en Barbarie , l'on fe contente de fe barricader quand la pefte fe déclare; avec ces précautions, les Européens, quoique fouvent au milieu du foyer où elle fait les plus grands ravages, n’en font jamais attaqués : il ny a non plus aucun danger à recevoir les comeftibles de la main des peftiférés. Le blé, lorge, le pain, les fruits, les légumes, la viande, pourvu qu'ilny ait ni poils ni plumes, ne com- muniquent point la. contagion. C'eft ainfi que, dans mes différentes courfes, je me fuis garanti de la pete. Lorfqu’elle exifloit chez une nation que je viftois , je ne pénétrois jamais fous les tentes des Arabes, je faifois dreffer la mienne à une portée de fufil des leurs, &c je tenois à l'écart ceux qui venoient me vifiter où m'apporter du laitage, des fruits, le courcouçon, &e. Lorfaue Je Craig nOÏs d'avoir touché quelque Arabe , aufli-tôt je changeoïs de vêtement, quand je le pouvois, où ed je N 2 rx 196 Vo rex 3 trempois les miens dans Peau, & je les expofois à l'air. Je me lavois exaétement , & je me frottois le corps avec du vinaigre des quatre voleurs. | Quant aux fymptomes par lefcuels la pefte fe déclare , ils font très - difficiles à faïfir, & fouvent cette affreufe maladie a fait de grands progrès, avant même qu'on fe doutât de fon exiftence. Tantôt le malade eft attaqué d’un grand mal de cœur, de beaucoup de difficulté à refpirer, & de violens maux de tête : d’autres fois c’eft une fièvre ardente qui, en peu de jours, le conduit au tombeau; il fe déclare aufli avant, mais plus fouvent après la mort, des taches livides par tout le corps. En gé- néral les fymptomes les plus conftans confiftent dans une fièvre lente ou ardente, & dans les bubons qui paroïffent aux cuufles, aux aînes , 8 au cou. Lorfque ces bubons crèvent heureufement, le malade guérit; mais ce genre de guérifon eft bien rare. Fai cepen- dant conu des Arabes qui avoient eu la pefte trois &t quatre fois. Ceft encore un préjugé affez généralement reçu ; que les pays chauds font le foyer de la pefte, &z que les grandes chaleurs en développent les prin- Mu Je vous avoue, mon cher Doëéteur, que j'ai été fort furpris de voir arriver le contraire, & d'entendre un proverbe en langue Franque diété par l'expérience. Saint Jean venir, difent les Turcs, Gandouf andar, Quand la Saint-Jean arrive, la pefte EN BARBARIE. 197 s'en va. En effet, la fin du mois de juin, qui eft ici l'époque des grandes chaleurs, eft auf la fin de la contagion. Si elle ne cefle pas entiérement , au moins elle diminue beaucoup, & je ne doute pas qu'avec de grandes précautions, lon ne vienne à bout de l’éteindre tout-à-fait : mais les Mufulmans font fi opiniâtres à refufer les moyens qu’on leur indique , qu'ils tiennent enfermés leurs tapis, leurs vêtemens, même ceux des peftiférés, quoique im- prégnés des principes de l'épidémie. Lorfqu’en au- tomne ils viennent à s’en fervir, la pefte, fufpendue pendant deux ou trois mois d'été, recommence avec plus de force, & s’appaife pendan lhiver, quand les froids font un peu vifs. Cet ainfi que Pignorance propage chez les Orientaux, une ma- ladie que la prudence écarte des nations éclairées. Ï n’y a pas moyen de jeur faire entendre raifon fur les quarantaines, Si, par hafard, ils s’y foumettent, les imprudences qu'ils commettent les rendent inu- tiles. J'ai rencontré un chef Arabe qui craignoit beau: coup la pefte. Il m'interrogea fur les moyens de l'éviter. Je lui expliquai ceux que nous premions ; il parut sy foumettre. Etant repañlé chez lui peu après, Je le vis très-fatisfait de ces précautions qui fürement, vu la manière dont il les employoit, ne lauroient pas beaucoup garanti, fi la contagion étoit venue dans fon voifinage. Quand il arrivoit chez lui quelque Argbe de confidération , il commençoit N 3 198 VOYAGE par lembraffer, & lenvoyoit enfuite en quarantaire fous une tente féparée : fi on lui apportoit des lettres, il les recevoit , & les trempoit lui-même dans le vinaigre, fouvent après les avoir lues. 1 me fut impoffble de lui faire entendre raifon. Il ne concevoit pas qu'il pût y avoir du danger à toucher un homme qui fe porte bien. Les animaux ne font point attaqués de la pefte ; du moins je n’en ai vu aucun exemple; mais lon croit qu'ils peuvent Ja communiquer; la laine & les poils font très-dangereux après la mort de l'animal ; en eft-il de même lorfqu'il eft en vie ? Je n’ai pas eu occafñon d'en faire obfervation, | Jai l'honneur d'être, &c. EN BARBARIE 199 DÉT DRE XX V PEL Au méme. Je vous ai entretenu plufieurs fois, mon cher Doëteur, des mœurs des peuples qui habitent la Barbarie; pour achever le tableau, je vais vous tracer celles de ces Chefs arabes qui commandent aux Tribus errantes, & dont l'autorité n’eft pas, moins defpotique, quoiqu’elle ne s'étende fouvent que fur un très-petit nombre de fujets. Je ne peux mieux remplir cet objet, qu'en mettant fous vos yeux l'hifioire des Chefs d'une de ces nations. La Mazoule ayant , avec la Compagnie d'Afrique, des rapports journaliers , j'ai été inftrunt tres-Adellement, tant par les gens du pays, que par d'anciens commis de la Compagnie, de beaucoup de particularités intéreflantes fur les Chefs qui ont gouverné ce pays. | Les Maures qui lhabitent vivoient d'abord , comme les Nadis leurs voifins, fans loix &c fans frein, n'ayant d'autre dépendance qu'un léger tribut qu'ils payoient au Bey de Conftantine. Ils fafoient alors beaucoup d’excurfions qui troubloient le com- . merce, & portoient le défordre dans les Comptoirs françois. Pour fe mettre à l'abri de leurs hoftilités, N 4 200 . Vovrace… la Compagnie fit repréfenter au Divan d'Alger; que puifqu'elle étoit lifmataire | C’eft-à-dire, que puif- qu'elle payoit Les droits convenus pour la tranquille poffeffion du pays, il étoit jufle qu’Alger la garantie des vexations des Maures de la Mazoule. Le Divan promit d'y remédier en donnant un Schiek (un Chef) à ces diffrentes nations, ui répondroit de tout le mal que les Maures de la Mazoule feroient à la Compagnie ; mais qu'il falloit que la Compagnie fit les avances néceflaires pour obliger ces nations : à fe foumettre au pouvoir dun feul; quil falloit encore afligner à ce Schiek certains revenus pris fur les différens objets de commerce. Tout fut: accordé. , Le Divan donna au Bey de Conftantine le droit de nommer un Schiek à la Mazoule. Il choifit Be/- habesh, un des principaux du pays, & le mit en _pofleffion de fa place à la tête d’un camp confidé- sable. La loi du Divan étoit alors que ce Schik ne feroit reconnu tel que du confentement du Gou- ,verneur de la Calle; mais après la mort d’ Abdallah, qui fuccéda à Belhabesh , le Bey de Conftantine \ s'attribua feul ce droit. Ce premier Schiek, après - avoir foumis quelques nations rebelles , eut un règne aflez tranquille. Abdallah lui fuccéda. Ce monftre, élevé & nourri dans le crime, ne fisnala que par les plus horribles forfaits un règne de plus d'un demi- fiècle. Il ne EN BARBARIE. 201 manquoit pas de courage, mais c'étoit celui des Cartouche & des Mandrin. N ne s’en fervoit que pour dépouiller fes voifins, & fe révolter contre le Bey de Conftantine , auquel il refufa très - fouvent de payer tribut. D’une ambition démefurée , il étoit fi jaloux de fon autorité, que tout ce qui y portoit le moindre ombrage étoit à linftant facrifié. Deux de fes frères en furent les malheureufes vittimes. Ils vivoient d'abord avec lui dans une union païfible : mais Abdallah simagina qu'ils avoient intrigué auprès du Bey de Conftantine, pour avoir le gou- vernement de la Mazoule. Il ne hu en fallut pas davantage pour le déterminer à s’en défaire. Ses frères furent heureufement inftruits des projets de ce furieux ; ils s'éloïgnèrent au plutôt. Quelque temps après, Abdallah paroïffant entiérement revenu de fes foupçons , écrivit à lun des deux pour len- gager à venir vivre avec lui : 1l li jura par tout ce que la religion , le fang &7 l'amitié ont de plus facré, qu’il le traiteroit comme un frère chén, & quil reconnoïfloit combien fes foupcons avoient été in- juftes. Celui-ci, féduit par ces vives proteftations , fe rendit auprès du Schiek fon frère : il en fut accueil avec la plus tendre affeétion. Tous deux, en s'embraflant, verfèrent des larmes de joie. Ce ne furent, pendant plufieurs jours, que feftins & divertiflemens. Cependant le frère d’ Abdallah ne fe livroit qu'avec réferve à la confiance que celui-ci 202 V o Y À GE vouloit lui infpirer, Il n’ofoit fortir du Doware. Aïdallzh Ki en fit un jour de tendres reproches, &c à force de carefles, l'engagea à faire une pro- menade avec lui. Ce frère, trop confiant , fe laïffa féduire par ces proteftations d'amitié. Ils fortent enfemble, fuivis de quelques cavaliers ; mais à peine à quelques portées de fufl du Douare, Abdallah ordonne de tirer fur lui. Cet infortuné fe fauve vers une mofquée , lieu facré & privilégié, même pour les plus grands crimes. 4hdallah ne refpeéte plus sien; il en arrache fon frère innocent, & le fait maflacrer fous fes yeux. I lui en reftoit encore un autre, refugié du côté de Tunis. Æédallah fait un voyage dans ce pays. I fui envoie des préfens, & l’engage à le venir. voir. Celmi-ci crut n'avoir rien à craindre en fe rendant à ces inftances. Îl arrive; maïs tandis qu'ils fe donnent réciproquement le baïfer de paix, #bdallah tire un poignard de deflous fon hernus, & égorge fon frère fur fes propres genoux. D'après ces traits de cruauté, vous Jugez aife- ment, mon cher Doéteur, tout ce dont ce monftre étoit capable. Il fe baignoit dans le fang fans aucun remords ; tout étoit facrifié à fes paflions. Livré aux plus grands excès de la débauche, il la porta jufqu'à jouir , par force, de fes propres filles. Ayant un. jour fait violence à une jeune Maurefque, qu'il avoit attachée à un arbre, fa brutalité fatisfaite , 1l 404 EN BAR B A/R TE. 203 #poïgnarda cette malheureufe de fes propres mains, pour avoir ofé réfifter à fes inftances, A l’âge de quatre-vingts ans , 1l avoit époufé une jeune femme de quinze. Celle - ci interrogée par fes compagnes fur les plaïfirs qu’elle pouvoit éprouver avec Le vieil Abdallah , leur témoigna combien un mari de cet âge la dévoütoit. Malheureufement elle en eft en-. tendue. Il fort furieux de fa tente, & plonge impi- toyablement un poignard dans le fein de cette in- fortunée qui embrafloit fes genoux. Prefque toujours fes crimes étoient dirigés par une politique des plus fines, quand il fe croyoit obligé d'y avoir recours. Vous en jugerez par l’anecdotefuivante, qui m'a été racontée à la Calle. Æbdallah joignoit à tous fes vices une fordide avarice. Malheur à celui de fes fujets qu'il foupçonnoit être riche! il falloit ou qu’il déclarât 8 abandonnût fes richeñles, ou qu'il périt fous les coups, & dans les plus affreufes tortures. Un des principaux de la nation avoit amaflé de grandes richefles par fon induftrie &c fon travail : Ahdallah les convoita ; mais comme le poffefleur étoit très-confidéré, 1l n'ofa faire un coup d'éclat. Il lui tendit un piège bien difficile à éviter. Mon ami, lui dit-il, 4x fais combien J'ai de confiance en tes confeils ; je tai toujours regardé comme mon père, & mon meilleur ami. Les Chrétiens de la Calle m'ont trompé dans le commerce ; J'ai eu pañence ; mais leur mawvaife foi, leurs injuflices 204 V'o Y'ASGIE. 2 angmentent de jour en jour : ne ferois = tu pas d'avis que j: les puniffe, que je tombe fur leurs troupeaux , Ë que j'arme contre eux Les nations voifènes Ce mon deffein. Abdallah, entier dans fes volontés, ne confultoit jamais les autres, que pour leur ordonner d'être de fon avis. Cet Arabe courtifan trouve que rien n'eft plus jufte que la réfolution du Schiek. Abdallih ajoute qu'il veut, pour le lendemain, aflembler fon confeil, & mettre la chofe en déli- bération : mais en attendant 1l lui ordonne le plus grand fecret. Le lendemain les principaux Arabes de réunirent fous la tente d' Abdallah , qui leur tint ce difcours : Wous favez tout le bien que nous recevons des Chrétiens de la Calle, & combien üls s'efforcent de rendre le commerce florifflant : vous favez per quels Jèrmens je me fuis engagé a les protéger 6 a Les défendre. Que merite un homme affez audacieux pour m'engager à violer mes fermens, & à trahir les Chrétiens? Tous enfemble répondirent : la mort. Abdallah nomme l'Arabe opulent , qui fut maflacré avant d'avoir eu le temps de fe juftifier. Je vous rapporte ces trains, mon cher Doéteur, non pas comme ceux d’un fimple particulier livré à la fcélératefle, mais comme ap- partenant aux mœurs de la nation, & même comme un titre d’éloges chez ces peuples barbares. Tant de cruautés donnèrent au Schiek Abdallah une grande réputation. Il laugmenta encore, &c termina une vie auf pleine d’atrocités, parsun \ EN BARBARIE 20$ voyage à la Mecque. Il mourut à fon retour à moitié émin , âgé de plus de quatre-vingts ans. On lui drefla une mofquée, où il eft honoré comme un faint. Abdallah avoit deux fils, Æ/y-Bey & El- Bey. L’aîné, 4/y-Bey, avoit fouvent effayé de fe défaire de fon père, au moins de le chafler de fa place. Il réuffit enfin à s’en emparer; mais fes fuccès furent de peu de durée. Abdallah xeprit fa première au- torité; & comme il aimoit ce fils rebelle, il fe contenta de l'envoyer dans les prifons de la Calle. À fon départ pour la Mecque, Abdallah remit fon fils au pouvoir du Bey de Conftantine, & céda toute fon autorité à E/-Bey, fon fecond fils. Celui-ci, fans mœurs, fans probité, ne fe montra pas moins cruel & fanguinaire que fon père. Avant la contagion aëtuelle, 1l venoit fouvent à la Calle , où il s’enivroit avec les foldats & les manœuvres. Sa figure eft douce & prévenante, mais fon cœur eft celui d'un tigre. Je ne vous citerai de lui que ce feul trait , ROnE point davantage fouiller ma suuys par le récit de nouvelles horreurs. Une nésrefle, efclave d'ELBey , s'étoit abandonnée à un Maure. Elle en étoit enceinte. E/- Bey en fut inftruit. Il fit faifir cette infortunée, & ordonna qu'on lui écraft . les mamelles entre deux groffes pierres. Après quoi, il lui ouvrit lui-même le ventre, & en retira l'enfant. L'on ma afluré qu'il avoit afffté en riant à ce 206 Vo r Ke fpeétacle d'horreur. Incrédule par libertinage, il fe moque de la loi de Mahomet, & fe livre tout entier aux excès de la plus infame débauche. Je lai vu à Bonne après fa difgrace, continuer le même genre de vie, & fans ceffe environné des compagnons de fon libertinage. Cependant 4/y- Bey , renfermé dans les prifons de Conftantine, follicitoit vivement le Bey de cette ville de lui accorder le gouvernement des Maures de la Mazoule , auquel 1l avoit droit par fa naiïffance. . Il appuya cette demande en promettant de payer des tributs bien plus confidérables que ceux que payoit fon frère. Ses offres furent enfin acceptées. Le Bey de Conftantine, à la tête d’un camp confi- dérable, vint fondre fur le Doware d'ELBey , qui n’eut que le temps de prendre la fuite. Dès ce mo- ment Aly-Bey fut reconnu pour Schiek. Ces révo- lutions arrivèrent peu après mon arrivée en Afrique. Je vous ai entretenu aflez au long , dans mes diffé- rentes Lettres, de ce Chef aétuel, pour vous donner une idée de fon caraétère & de fes mœurs. Vai l'honneur d’être, &c. » EN BARBARIE. 207 Al OU 0 ME : de le D © de & Au même. Ds hommes auffi cruels que ceux que je viens de vous dépeindte, une fois armés de la verge meur- trière du defpotifme, font des monftres bien dan- gereux, [l femble qu'ils ne foient revêtus de l'autorité fuprème que pour faire fervir leurs propres fujets d'inftrumens à leurs paflions, pour senrichir de leurs dépouilles | & s’abreuver de leur fang. Vous avez vu les mœurs communes à ces petits Sou- verains, d’après ce que je vous ai dit de quelques- uns d’entre eux. Il me refte à vous parler de leur gouvernement , & de l'étendue de leur autorité. Avant d'entrer dans aucun détail à ce fujet, il eft bon de nous arrêter un inftant fur les gouverne- mens de Tunis & d'Alger. Ces deux Etats confondus par la plupart des Hiftoriens & des Géographes, font cependant très - différens. Tunis eft un Etat monarchique , qui pafle fucceflivement de père en fils. Le Bey, quoique indépendant du Dey d'Alger, envoie néanmoins tous les ans une efpèce de tribut à ce Souverain , dont il appréhende la puiffance. En effet, jamais les Algériens ne fe font préfentés devant Tunis fins en être revenus viGtorieux. Alger eft ù PAS 04 F ‘2 £ K, 3 ” * 208 VOYAGE s une république, dont le gouvernement eft éleétif ; L & trèstumultueux. Lorfqu'il s’agit de nommer un Dey, la Régence, compofée des principaux chefs de la milice, s’aflemble, & en fait l'élection, qui ordinairement tombe fur un des principaux miniftres. À peine nommé, le nouveau Dey monte fur le trône, & chacun vient lui rendre hommage : mais fi quelqw'autre s’eft formé un parti puiflant parmi les troupes, sil a aflez de courage pour aflafiner le Dey régnant, & le remplacer fur le trône, l'au- torité fouveraine refte entre fes mains, à moins qu'un autre, auffi hardi que lwi, ne la lui enlève parles mêmes moyens. C’eft ainfi que l’on a vu, à l'éleétion du Dey aëtuel, fix Deys fucceflivement placés fur le trône, & aflaffinés en vingt-quatre. heures. Quoiqu'ils ne régnerent que quelques mo- mens, ils furent tous enterrés avec les honneurs dus au rang fuprème. Il n’eft pas un feul foldat % parmi la milice Turque, qui ne puifle afpirer à la couronne. Il n’en faut pas d'autre exemple que le Dey aduel, qui fut d'abord fimple foldat & Cordonnier au Coflo. Quoique d'une aufii bafle condition , il gouverne fes Etats avec des principes dignes des premiers Rois de Rome, En unfeul mot il déclare fes volontés, &c jamais il ne revient fur ce qu'il a décidé. C'eft ainfi qu'il traite , même avec les Souverains de l'Europe, de la paix ou de la guerre, Fatigués de jetter des bombes inutiles fur Alger, EN BARBARIE 209 Alger, les Efpagnols lui propofent la paix & un traité, de commerce. Le Dey qui, de fon côté, ne s'ennuyoit pas de faire des efclaves , leur Éd leurs, dernandes , mais à des conditions dures , qu'au- cune négociation ne put adoucir. Si ton Roi ne veut pointla pue, répondit-il froidement à Dinbatieenn ch bien ! qu'il faffe la guerre. Ce neft qw'avec une fierté impérieufe & Pot infultante, qu'il traite les Confuls des Puiffances Européennes, fans aucun égard pour le Souverain qu'ils repréfentent, Qu'ai-je befoin de ton Roi, difoit-1l un jour à l'un d’eux ; / m'envoie des Armbaffadeurs & des prèfens. Je ne lui demande & ne lui envoie rien ; il achète mon amitié, je me. foucie peu de la fienne. Le Dey d'Alger .eft conféquent à ces principes. Si arrive qu'un bâtiment foit infulté L la cargaïfon pillée, en vain l’on en demande répa- tation au Dey. Ce qui ef? mangé ef! mangé, dit-il ; quand tu as plumé une poule, Ë que le vent.en a difperfé les plumes , comment voudrois-tu les raffembler ? Tout Chrétien qui pafle devant le palais de ce Sou- verain eft obligé d'ôter fon chapeau & d’avoir un air tiès - refpectueux, Un Conful, pour y. avoir manqué, fut un Jour reconduit chez lui à coups de bâton. Un Officier de Marine éprouva le même traitement pour s’êtreavifé de fredonner une chanfon, tout en paffant chemin, L'air avantageux & petit maitre ne va point du tout dans ce pays: Alger eft prefque ropreable par fa poñition, Bâti Part. I O 110 V o'"Y'AÈC'E fur le penchant d’une montagne , il faut, pour ÿ arriver par terre, pañler dans des gorges effrayantes » où une poignée d'hommes feroit én état de maffacrer une armée confidérable, Du côté de la mer, Pentrée du port eft défendue par trois fortes batteries de canon, dirigées par des renégats ou des efclaves Chrétiens. Quant au bombardement, les Aloériens le craignent peu. Outre qu'ils n'ont rien à perdre, ils favent auffi bien vivre fous une tente, qu'entre quatre murailles ; d’un autre côté, le Dey, avide de richefles, voit avec plaifir les oh s’écrouler, Il les fait rebâtir pour fon compte, fi le propriétaire ne peut en faire la dépenfe. Auf eft-ce là le principe d’une réponfe que le Dey fit un jour à un Envoyé d'Angleterre. Celui-ci venoit porter plainte & de- mander raifon d’une infulte faite à un vaifleau du Roi. Ilterminoit fa harangue par faire entendre au Dey que le Roï d'Angleterre pourroit bien venir bombarder Alger. Le Dey, qui l'avoit écouté jufques-là fans lui rien répondre, l’interrompant : Combien en codtera=t-1l à ton maître pour bombarder Alcer? Telle fomme, répond f'Ambañladeur. — Æh bien, qu'il m'en envoie feulement la moitié , € je fais rafer Alger. Cet Envoyé ne put obtenir d'autre réponfe. | Revenons aftuellement au gouvernement intérieur du pays. Une poignée de Turcs, indépendans du Grand-Seigneur, donnent la loi à toute la Barbarie, & la donnent en defpotes, La Régence d’Alger nomme EN -BARBARIE. 215 des 2eys dans les différentes places fortes du royaume: Ïs y jouiffent du pouvoir le plus abfolu., Tels font ceux de Conflantine, de Maftara , de. Tremecen, Ee. mais ils, font obligés de venir tous les ans où tous les deux ans apporter. eux-mêmes des tributs confidé= xables au Dey d'Alger. Sils, déplaifent à ce Souve= rain, il profite de cette cixconflance pour leur faire couper la .tête, fans autre forme de-procès.: Cet ainf que ce ru Defpote fait trembler. devant lui, ceux-là même qui,..un inftant auparavant , inf piroient la même frayeur à des milliers de Maures &., dArabes 7 à FRX Ces. Beys.ont à leurs bvclces”. une bonne milice Turque qui fait refpeëter, leur autorité, & foutient celle des Kaïdes & des: Schicks qu'ils nomment dans les villes & les Douares. de leur rdépartement. Ces derniers font ordinairement choifis parmi_les re= négats,, les efclaves des Beys ,rou les Maures. Chacun d'eux peut, dans fon. gouvernement , fe conduire comme il fui plaît. Pourvu.qu'il paie fes fupérieurs, on ne lu. demande jamais compte de fa conduite, Le plus petit de, ces chefs a autant d'autorité, eft | autant defpote dans fon Douare que le Dey à Alger. Il peut dépouiller les Maures, les affaffiner, enlever leurs troupeaux, détruire leurs maïfons, fe livrer aux. plus grands excès d'imuftice & re cruauté $ tant qu'il paiera, le Gouvernement fupérieuf ne fe-mêlera en rien de fes aétions, Il entre même dans O 2 1%, *: V'orates 2 la pélitique des Turcs de fomiénter des divifions : ; 48 guerres’ ‘intéftines parmi +oùs ces petits Chefs äre rabes. Ils concoivent Bien que fi ces Barbarefques; guidés par l'intérêt: commun, véncient à fe réunir ; leurs forces’ combinées briféroient faifément Ja He de leur éfctavage ; ‘mais’ Cf unitr foupeau d'hommes Tâches & vils qui fe faiffent' conduire en ‘aveuglé, trerhblant fins céffé fous main qui les opprie. | D'après un fi mauvais gouvernement, 'eftl étone nant que la Barbarie {oit Pre inculte & défèrte? Sans ceffé lé” cultivateur eft dans la crainte d'être dépouillé foit par fon propre chef, foit: par uné nation vOïifine. D'un‘antre côté, lés gtiertes cohti- nuelles: diminuent la: population privénit les icamt- pagnes"de bras néceffaires à lèur culture, "8e font üñ vafte défert du plus beat pays de la terte, Ai ces contrées Li fl peu POPEUr ne ans a eux peut rericontrer deux ou Es Dose dans kéquèl fouvent il n'y a pas ent Hommes. Il m'ef | pas rarè de faire trois & quatre journées fans trouvêr d'autres êtres vivans qué quelques bêtes féroces ; “quelquefois moins à craindre que les Maures. - . Il nexifle, parmi ces peuplades errantes, aucune loi criminelle où coaftive , aucune qui venge le crime ou punifle linjuftice. La vengeance eft le droit de chaque particulier, & le plus fort eft toujours celui qui a raifon. Dans les villes 1l n'en EN BARBARIE, 213 eft pas tout-à-fait de même. L'an peut y reclamer l'autorité du Bey ou du Kaïde, La peine du Talion y cf aflez généralement admife ; mais la punition du coupable dépend prefque toujours de la volonté de laccufateur ; il peut faire grace & pardonner : aufli quand l’accufé a de l'argent, tel coupable quil foit, il eft rarement puni autrement que par la bourfe. Jai l'honneur d'être, &c, FIN DES LETTRES, O 3 RACEHERCEHES SUR LHISTOIRE NATURELLE DE LA NUMIDIE. Cu RECHERCHES SUR L'HISTOIRE NATURELLE PPETL'A Ni DD IE. RÉGNE ANIMAL. QUADRUPÈDES. L'ÉPHL IOLN. De tout temps les Lions de la Numidie ont été renommés. Ils faifoient les honneurs des Cirques Romains, & les guerriers les plus redoutables ont toujours attaché beaucoup de gloire à entrer en lice avec ce terrible animal. Emblême de la force & du courage, fa dépouille étoit lattribut des héros de l'antiquité. Jamais Hercule n’a eu d'autre vêtement que la peau du lion de Némée. Malgré le laps des temps, 1l n’a rien perdu de fa première réputation; 218 VovyaiAcEe & aucique Marmol, cité par M. de Buffon, prétende que les Lions qui habitent aux environs des villes & des bourgades de Barbarie, ayant connu l’homme & La force de fes armes, aient perdu leur courage au point d'obër à fa voix menaçante , de n’ofèr l’attaquer, de ne fe jeter que fur le menu bétail, & enfin de s'enfuir en fe laiffant pourfuivre par des femmes ou par des enfans qui leur font, à coups de béton, quitier prife & lâcher indignement leur proie ; maleré cette aflertion , plus que douteufe, le Lion n’eft pas moins la terreur des hommes & des animaux. L'on peut s'en convaincre par le tableau fidèle que jen ai tracé dans la douzième Lettre, par la terreur qui sempare de tous les êtres vivans dès qu'il s'annonce par {es rugiflemens au milieu des ténèbres, enfin par les foins que lon prend pour écarter ce redoutable ennemi. Je ne connoïs qu'un feul trait, de la vérité duquel je fuis fr , qui prouve que l'on ait ofé lui réfifter, encore n’eft-il queftion que d'un jeune Lionceau. Il s'étoit jetté fur une vache ans un Dorare près de la Calle, Un jeune Maure s'élance fur l'animal féroce, veut Parracher de fa proie, létouifer, pour ainf dire, entre fes bras; as il ne peut lui faire quitter prife. Son père arrive . asmé d’une efpèce de hache. Il veut en frapper le Lion, le coup tombe fur la main du fils, & lui ebat trois doigts. L'on eut beaucoup de peine à faire lêcher prife au jeune Lion. Jai vu ce Maure EN BARBARIE. 219 traité pat M. Gay , alors Chirurgien à l'hôpital de l Calle. Les Lions qui vivent dans les gorges de PAtlas & au milieu des forêts de la Numidie, font rare- ment à craindre pour les hommes, & même pour le bétail renfermé dans les Douares. Beaucoup d’autres _ animaux féroces qui habitent avec eux ces profondes _ folitudes, leur fervent de nourriture. Les fangliers, les loups, les renards, les chacals, &tc. très- mul- tiphés dans ces contrées, n'échappent que bien difficilement à la griffe redoutable du roi des forêts. La Panthère , lOnce ; le Lynx, les Singes , &c. doués de la faculté de grimper aux arbres, ont un moyen für de fe fauver, quand ils s’apperçoivent à temps du danger ; car le Lion a deux manières de chaffer, Quand il n’eft pas bien affamé, 1l refte caché dans les brouffailles, attend que quelque gibier paroïfle, s’élance deflus avec une légéreté & une vitefle inexprimables , & manque rarement fa proie; mais quand il eft preflé par la faim, cette chafle paifble ne lui convient plus. Impatient & furieux , il abandonne fa retraite, fait retentir les forêts de fa tonnante voix, glace d’effroi tous les êtres vivans; aucun animal ne fe croit en füreté dans fa tanières tous fuient en défordre, fans favoir fouvent éviter ennemi commun dont ils deviennent la proie, Voici une remarque que jai eu occafon de faire, & qui doit donner la plus haute idée de empire 220 V o#aaA:6G! E defpotique du Lion dans les forêts de la Numidiei Lorfque la nuit a couvert la terre de ténèbres, cette tranquillité filencieufe qui laccompagneteft änter- rompue par les cris de divers animaux féroces:: les Chacals fur-tout glapiflent en troupes nombreufes, les Loups hurlent dans le lointain; ce n’eft fouvent qu'une confufion de cris qu'il eft difficile de diftinguer = mais à peine les échos ont-ils résété les longs rugif- femens du roi des animaux, que ceux-ci n'ofent plus fe faire entendre. La feule voix du Lionretentit dans ces vaftes déferts , & impofe filence à tous les habitans des forêts. Saïfis d’épouvante, ils cran- droient de fe trahir par leurs cris, & d'attirer vers eux un ennemi qu'ils n’ofent attendre pour le combat, malgré le fignal éclatant qu'il en donne à tous les animaux. Il n’en eft aucun qui ne le craigne &c ne fire loin de fa préfence. Le Lion eft donc le feul des animaux qui n'ait d'autre ennenu-que l'homme armé; encore n’eft-il pas épouvanté à fa rue. S'il eft affamé , il l'attaque, sil eft raflañié, il pañe avec une fierté impofante, imprimant bien plus de terreur qu'il n’en éprouve. Le Lion eft plus furieux, plus à craindre dans le défert de Saara que dans les vallées de l'Atlas. Les chaleurs exceffives de ces plaines fablonneufes ex- citent dans fes veines une fermentation, une: efpèce de rage oil éprouve pas dans les forêts : d'ailleurs, comme :l mange beaucoup, qu'il trouve diflicilement E'Nx B A RRAUR LE at deiquoife nourrir dans cés brülantes folitudes ;: 1] ‘eft\ prefque toujours afamé ,:& fon appétit, eft la anefure de {à fureur: Alors-rien ne l’épouvante: fl fond fur les caravanes , attaque indifféremment, les hommes) & les chameaux, fe; choïfit une |viétime ; & prefque toujours viétorieux , 1l fe retire au loin pour dévorer fa proie, Qualaherons les Lions sat- troupent ; ils fuivent d'fléz: près , seême. pendant le jour, les plus nomibreufes caravanes, les in- quiètent ,dans leur-;route ,: lesréponvantent, les tiennent en garde toute la nuit par leurs se rugiflemens, & finiffent! parles ‘attaquer, Imaleré des feuéê. les: coups: de füfils: continuels :1le-plus für moyen que lon ait: d'écarter ces cruels ennemus, eft des leur facriñier. quelque lbête. L'on: attache à un arbre ou, au défaut: on lie par: les -pieds' une mule ,; wa chameau, que lon'abandonne à-ces ani- maux, affämés: Dès qu'ils font raflañés-ils:'reftent tranquilles , & laïffent les voyageurs continuer en paix leur chemin. Un vieil Arabe nommé Batallah , Drosman à la Calle ; & qui avoit fouvent chaflé auxdions, maafluré quelorfqu'ils étoiént en troupe, ils 'attaquoient jamais, plufcurs esfemble, un {ul ennemi; mais que fi le premier étoit vaincu, un autre le remplacoit; que lui-même avoit ce un jour aflailli par trois Lions, qu'il les avoittüés tous trois l'un après l'autre. Les Arabes aiment le merveilleux, particuliérement dans les exploits, & 222 V:oGYAGE javoue que ce récit m'a paru très-douteux!, fur. tout au fujet de ces trois Lions tués par un feul homme. Il eft vrai que cet Arabe avoit été un très. grand chaffleur, & que-pour rendre ce fait vraifeme blable , il:me difoit qu'après avoir lâché fon coup de fufl fur le premier Lion, les deux autres, épouvantés , lui avoient laifé le temps de LES avant qu'ils revinffent à Sn L LA PANTHÈRE ET L'ONCE. La PANTHÈRE , plus. finginrel ie bles mais bien moins noble que ‘le Lion , habite les mêmes forêts. Quoiqu’elle foit, par la force, in- férieure au Lion, il paroït néamoins qu'elle lu réfifte ; &:que ces deux cruels animaux fe livrent quelquefois des combats fanglans. L'on a afluré que plufeurs ouvriers, étant «un jour fortis de Zz Calle pour aller couper ; dans une forêt voifine, du bois de conftruttion, avoïent rencontré un Lion &c une Panthère (1) qui s’entre-déchiroient. Tous deux fe tenoient droits, réciproquement entrelacés, chacun la griffe enfoncée dans le corps de fon (1) L'on m'a dit un Tigre, mais c'eft par l'abus général d’appeller Tigre tout animal qui a la peau mouchetée. Je préfume que c’étoit une Panthère ; l'Once étant trop foïble & trop petit pour réfifter au Lion. EN BARBARIE. 22% adverfaire , fe déchirant lun l'autre avec leurs re doutables mâchoires, Iminobiles en cette poñition, combattant à forces évales, leur fang ruffeloit en abondance. Il eft à préfimmer que ce combat né {à feroit terminé que par li mort Gés deux combattans ; mais Jes ouvriers y mirent fin pat une décharge générale de leurs fufls , & rapportèrent en miomphe à la Calle la peau de ces deux anifnaux, Quoi il en foit, je foupconne, où que ce Liôn, trop jeune, n'avoit pas encore acquis toutes fes forces; cute, trop vieux, il enavoit perdu une grande partie: caril eft bien difficile de croire que la Panthère, quoïqué très-bien armée, puifle fe battre avec le Lion à forces égales. Lion'élihfié La: Panthère à peu près comme Îe Lion, avec cette différence awelie Le fait phis craindre du chafleur, 87 que, moins délicate que le L'on, quelques quartiers de bête morte, même à demk putréñée, fufifent pour l'attirer. L'on fufpend -cet appât à un arbre, êc à quelques pas de Vo établit une cabane : maïs le chaffeur n’ofe y ee les premiersiours, de peur qu'ilne prenne fantaife à la Panthère de lui rendre une vifte. Il a fon, chaque jour, de renouveller l'appât, afin que ce cruel ‘animal, accoutumé à trouver fa proie au même endroit, fe difpenfe de la chercher aïlléurs, &c s'habitue À la vue de la cabane. Alors le chafleut s'y renferme ; & dès qu'il apperçoit la Panthère, 224 --VoyaAceE iltâche de la bleffer mortellement du premier coup de fufil. Si elle a la force de fe relever, elle cherche par-tout lennemi qui l'a bleflée, & fe venge avant d'expirer, Dans tous les cas, le chaffeur refte 1m- mobile dans fa cabane jufqu'’au lendemain matin. Alors_il fe retire, craignant toujours, maloré fa viétoire, de rencontrer l'ennemi qu'il a terraflé. Il revient quelques jours après, accompagné d'un Chien dreflé qui fuit la pifte de l'animal, Si la Pan- thère refpire encote, le chien eft la première viétime de fa rage, &c le chafleur, averti par les cris dou- loureux de fon meflager, fe hâte de battre em retrate. Un Maure chaffeur, qui me faifoit ces récits, ajouta qu'un jour, pourfuivi lui- même par une Panthère expirante, ne s’étoit fauvé qu'en laiffant, dans fa courfe, fes habits fur un buifon. L'animal féroce aflouvit fa fureur en les déchurant en mille morceaux. Il expira fur ces lambeaux. Avec des mœurs auffi féroces , l'on ne-doit pas douter que la Panthère n’attaque l'hommé. Aufü ce fait m'a été confirmé par plufieurs Arabes. ,:qua m'ont afluré qu'ils craignoient beaucoup plus la Panthère que le Lion, tant pour eux que pour leurs troupeaux. Cet animal a les-mœurs du tigre. Sa rage confifte à s’abreuver de fang ; & lorfquäl en eft foul, à le voir couler, à sy baigner, pour ainfi dire; jamais fa fureur n’eft aflouvie; il paroït même recevoir un nouvel aliment des-viétimes | | multipliées EN BARBARIE 22ç multipliées qu'il égorge. S'élance-t-il au milieu d’un troupeau nombreux ; fi on ne lui donne pas la chafle, il ny laiffe aucun animal en vie. Il ne refpire que le fang, le carnage, & la mort, Il attaque tous les animaux, excepté le Lion, &t il n’en eft aucun fur lequel il ne remporte la viétoire, Extrêmement léger à la courfe, 1l les furpañle tous en vîtefle ; fes mouvemens font fi fouples, fi prompts, qu'il eft difficile de lui échapper. Les buïiflons, les foflés, même les rivières peu larges ne peuvent larrêter dans fa courfe. Il franchit tout avec légé- reté ; & fi l'animal qu'il pourfiut fe fauve fur un arbre, la Panthère, malgré le volume de fen corps, y eft aufi-tôt que lui. Par ce moyen elle déclare la guerre aux hebitans de la terre & des airs. L'oifeau trop jeune encore pour s'échapper de fon nid, quoique placé au fommet de larbre le plus élevé, devient la proie de la cruelle Panthère. Ses ‘pattes font armées d'ongles longs , durs & pointus; {es mâchoires font terribles, & garnies de dents aiguës , fortes & nombreufes, La foif du fang fe lit dans fon regard ; fon ceil ef toujours étincelant de colère & de rage : mais lorfqw'oubliant fa féro- -cité, lon ne fait attention qu’à la belle robe dont la Nature la ornée, lon trouve peu d'animaux plus élégamment habillé, Son poil eft fin, life, &c court ; fa peau eft parfemée de taches noires arrondies en anneaux ou en rofettes fur un fond P aTÉ Ê ; P .226 : IVLO % AG E légérement fauve. Il en réfulte un enfemble qui a je ne fais quoi de doux, de gracieux à Ja vue; auffi les Anciens prétendoient-ils que la Panthère, en cachant au troupeau fon regard féroce, & ne laïffant voir que fa belle robe, le charmoït au point de l'attirer à elle, & de le dévorer à fon aife (1). Nous fommes loin de croire ces fi&ions ; mais au moins faut-il avouer que la Nature, qui a imprimé fur la figure de cet animal le caraëtère de la férocité, paroït avoir voulu le dédommager en lui permettant de fe faire admirer par la beauté & Pélégance de fon vêtement. Cet anisnal a la queue forte , tachetée de noir en-deffous , & terminée par .des anneaux noirs & blancs. Il eft de la grandeur & dela force d’un de nos plus gros chiens; mais il a les pattes courtes &c fortes. L'Once, dit M. de Buffon(2), diffère de la Panthère en ce qu’il ef? bien plus petit, qu'il a la queue beaucoup plus longue, le poil plus long aff, & d'une couleur grife ou blanchätre ; 6 le Léopard' differe de la Par thère 6 de FOnce, en ce qu’il a la robe beaucoup plus belle, d'un fauve vif & brillant, quoique plus ou moins foncé, avec des taches plus petites , la plupart difpolées par grouppes , comme ff chacune de ces taches étoit formée de quatre taches réunies... le Léopard a (1) Solinus, c. 21. (2) Hi, sl tom, IX, pag. 156, édit. in-4® EN BARBARIE. 227 ls mêmes mœurs 6 le mêne naturel que la Panthère. I! eff plus grand que l'Once, plus petit que la Panthère. D'après cette difindion, que M. de Buffon a établie entre ces trois animaux, que les anciens Naturaliftes ont fi fouvent confondus, il s'enfuit que le Léopard ne vient point en Barbarie, ou du moins qu'il y eft très-rare, Parmi un grand nombre de peaux tigrées que j'ai eu occafon d'examiner dans le pays, aucune ne m'a paru appartenir au Léopard, Il eft aïfé de reconnoitre, parmi les auteurs qui l'y citent , que leurs defcriptions conviennent à la Pan- thère de M. de Buffon. Quant à lOnce, il y eft très - commun : fes mœurs font aufli fanguinaires que celles de la Panthère; mais comme il eft beau coup plus petit & moins fort, il n’eft pas autant à craindre. Îl s'approche des troupeaux avec plus de timidité; on l'en tient aïfément écarté, & on le chafle ouvertement à coups de fufil. Il eft donc borné à chercher fa nourriture parmi les animaux d'une force inférieure. Îl attaque &8T combat les Sangliers & les Loups ; 11 dévore les Renards, les Chacals, pourfuit fur les arbres les Chats fauvages & les Singes, & ne laïfle pas encore d'exercer un empire aflez étendu dans les forêts, où il n’a guère d'autre ennemi que la Panthère & le Lion; mais il échappe facilement à ce dernier, en fe fauvant. fur les arbres. L'Hvène lui Livre auf la guerre , mais Once a bien des moyens pouréviterun combat d’où, . 228 No SAN ER quand il s'y engage, il fort rarement viélorieux: El craint l'homme, & n’approche qu’en tremblant des lieux qu'il habite, autour defquels 1l rode {e- crétement , afin de furprendre quelque animal domeftique. | Le Tigre ne fe trouve pas en Barbarie, ni même dans le défert de Suara. Comme bien des leéteurs pourfoient confondre encore cet animal avec Îe Léopard ou la Panthère, je ne crois pas inutile de rapporter ici la defcription qu'en donne M. de Buffon. Le vrai Tigre, dit-1l, Le feul qui doit conferver ce nom, ef} un animal terrible, 6 peut-être plus & craindre que le Lion: fa férocité n’efl comparable à rien , mais on peut juger de fa force par fa taille. Elle eff ordinairement de quatre à cinq pieds de hauteur fur neuf, dix , jufqu’a treize de longueur , [ans y com= prendre la queue : [a peau n'eft pas tigrée , c'eft-a-dire, parfemée de taches arrondies. Il à feulement [ur un fond de poils fauves, des bandes noires qui s'étendent cranfverfalement fur tout le corps , 6 qui forment des anneaux fur la queue dans toute [a longueur... Heu reufement pour le refle de la Nature, l'efpèce n'en eft pas nombrenfe, & paroët confinée aux climats ‘les plus chauds de l'Inde orientale. Elle fe trouve à Malabar , & Siam, à Bengale , dans les mêmes contrées qu’habitens d'Eléphant & Le Rhinocéros (1). (x) Hift. Nat. tom, IX, EN BARBARIE 229 LE LYNX ET LE CARACAL, LE Lynx ou Loup-Cervier, dont les Anciens ont taconté tant de merveilles, eft un animal. férocé qui tient de la nature du Chat ; mais il eft beaucoup plus fort & plus gros. Celui que lon rencontre en Barbarie a le poil Life, fans taches, les pattes courtes, les yeux vifs & brillans, d’où, fans doute, l'on a prétendu qu'il voyoit même à travers les corps opaques. Il grimpe aux arbres, & y pourfuit fa proie avec une très-grande légéreté : mais il n’ofe - guère attaquer que les Chats fauvages , les Bélettes ; les Lièvres, & les animaux foiblement armés. Comme il faute avec vitefle, il faifit fouvent les oïfeaux au vol, fur-tout ceux qui Pont pefant & qui s'élèvent peu. D'autrefois, placé fur un arbre, il s’élance fur fa proie avec une rapidité incroyable. Quand il n'eft pas bien affamé, il fe contente de fucer le fang de Panimal qu'il a tué; & quoique raffañé, il ne fait grace à aucun, dès qu'ii trouve à exercer fes inclinations fanguinaires. Cependant il ne porte point fur fa figure le caraétère de la férocité ; fon regard eft doux, & l’enfemble de fes traits n’a rien que d’agréable. Il vit dans les forêts de la Numidie, & s'approche fréquemment des lieux habités. Le Caracal, que les Arabes nomment Gar-el-kallah, le Chat aux oruilles noires , eft beaucoup plus gros P3 230 Vire * 4 60e &c plus long que nos Chats domeftiques. Il reWemble au Lynx : ila, comme lui, les oreilles terminées par une petite touffe de poils noirs; mais fes traits annoncent davantage un cara@ère de férocité, Son poil eft d'un roux foncé ; 1l a le mufeau un peu effilé, & de couleur noire. Comme cet animal a les yeux percans , l’odorat très-fin, l'on a prétendu qu'il étoit, pour la chafle, d'intelligence avec le Lion, dont la vue eft plus courte & l'odorat moins parfait ; qu'il éventoit le gibier, & qu'en recon- noiffance de ce fervice, le Lion lui abandonnoiït le refte de fa proie, quand il étoit raffafié; d’où vient | qu'on la nommé X Guide ou Le Pourvoyeur du Lion. Cette fi£tion n’a été imaginée que parce que 4 Caracal étant très-inférieur en forces aux grands animaux, . wofant attaquer que les plus foibles, eft obligé, fouvent , pour trouver de quoi fe nourrir, de s'at- tacher à la fuite d’un de ces animaux redoutables qui règnent dans les forêts : mais comme il auroit trop à craindre des dents de la Panthère, ou des griffes de POnce, qui n’épargnent aucun animal, & grim- pent facilement aux arbres, il préfère fuivre, mais de loin & en tremblant, les pas du Lion qui lui permet , ainfi qu'aux autres animaux, de profiter de fes reftes. EN BARBARIE. 231 L'HY;,Æ N:E. IL n’eft pent-être aucunanimal dont l'afpe& foit plus ignoble que celui de FHyæne. Son regard eft farouche 85 fauvage, fon œil féroce, fes inclinations cruelles , bafles & dégoûtantes. Elle déchire impi- toyablement les animaux qu’elle rencontre, les attaque tous, excepté le Lion & la Panthère, contre lefquels au moins elle ofe fe défendre. Les hommes ne font pas à l'abri de fa dent carnafñère. Elle vit feule, éloignée de toute efpèce de fociété ; jamais on ne l’a vue, comme bien d’autres animaux, s'attrouper avec fes femblables. Lorfque la nuit a ratnené fur la terre le filence & les ténèbres, l'Hyæne alors fort de fa retraite, livre combat à. tous les êtres vivans qu’elle rencontre , cherche les charognes , s'approche des lieux habités, fent de très-loin l'odeur infefte des cadavres. Avec une griffe immonde, elle ouvre les fépulcres, fe raflafe des corps à demi putréfiés, & fe plait au milieu de l'infeéion des tombeaux. Lorfqwelle ne peut fatis- faire fon appétit carnaffer , elle devient frugivore, fe nourrit de racines, principalement des rejettons du petit palmier en éventail (1), Ses pieds larges & armés de fortes griffes font très-propres à remuer (1) Chamærops humilis. L, P 4 238 VOYAGE la terre. C'eff peut-être Le feul de tous les quadrupèdes ; dit M. de Buffon, qui n'ait que quatre doigts tant aux pieds de devant qu'a ceux de derrière. Elle à. eormme le Blaireau , une ouverture fous la queue quine pénètre pas dans l'intérieur du corps (1). Elle eft de: la grandeur du Loup; mais elle a les pattes plus courtes, & le corps plus ramafñé, Elle porte une, crinière. Son poil eft roide, luifant , d’une couleur. brune très-foncée. Cet animal a toujours été un de. ceux auxquels Pignorance &z la fuperftition ont prêté: des vertus magiques. Les Arabes ne font pas encore revenus de cette erreur. Ils s’imaginent que fa-cer- velle peut être employée efficacement dans les for« tilèges. Auf ont-ils grand foin, lorfqu'ils tuent un. de ces animaux, d’en enterrer la tête dans quelque lieu fecret. L'Epil:Q HER. Dans nos forêts d'Europe, le Loup y jouit prefque feul des droits de la fouveraineté. Ceft l'animal le plus redoutable que nous y connoiffons : il y règne en defpote. L'appareil impofant avec. lequel fouvent on lui déclare la guerre, fa tête mife à prix comme celle d’un tyran que lon craint, les chiens les plus vigoureux dreffés pour l’attaquer &: (1) Hift. Nat. tom. X. EN BARBARIE 233 le Combattre , tout cela a beaucoup ajouté à la réputation du Loup. H eft vrai qu'il ne craint, chez nous, que les hommes & leurs pièges. Il attaque ‘impunément les mules, les chevaux &c les bœufs = s'il nofe combattre, au moins n’appréhende«t-il pas le fanglier; mais quand, preflé par la faim, 8 attiré par les cris des troupeaux, il approche des bergeries ou des habitations, ce n’eft qu'avec les _ plus grandes précautions, & en employant les rufes &c l'adrefle. Il'fait combien l’on en veut à fa têtes malgré cela, il exerce quelquefois des ravages cruels, tue les chiens, égorge les troupeaux, & ne fe retire du combat que couvert de bleflures &c de fang. IE eft loin d’avoir, en Barbarie, une réputation auffi étendue. Il occupe prefque le dernier rang parmi les animaux carnaffers, &c les a tous pour ennemis. Obligé de fe tenir caché pendant le jour, lâche & timide , à peine ofe-t-il fortir de fa tanière lorfque la nuit eft arrivée. Il ne cherche fa proie qu’en tremblant, & devient fouvent celle d'un animal * plus fort ou plus couragéux que lui. Malgré fon appétit dévorant, 1l n’ofe approcher des troupeaux : il n’eft pas un feul Arabe qui ne foit armé de fufils, Il feroit donc impoffible au Loup de pénétrer dans un Douare, & même de roder autour fans payer de fa vie limprudence d'une entreprife qu'il n’eft pas aflez courageux pour conduire à fa fin, Sil rencontre une vache, une brebis égarée, ïl la lui * 234 -:L VOYAGE faut fouvent difputer avec d’autres animaux. dont! ï n’cfe attendre l'attaque. Ainfi le Loup, trop foible en forces , fe méfiant trop de fon propre courage, eft réduit à vivre dans des craintes continuelles, & à périr fouvent de faim. Les Arabes m'ont affuré que jamais les Loups ne fe réunifloient en troupes ; comme ils le. font quelquefois en Europe; lorfqw'ils: {ont preflés par la faim, &c:qu'il s’agit d'une entre- prife difficile. Il eft vrai qu'il eft plus rare en Barbarie qu'en Europe, & que les griffes de la Panthère 8 du Lion font plus puiffantes contre cet animal, que nos chafles de srand appareil, :& que toutes les embüches que nous lui -dreflons. LE-RENARD ET LE CHACAL JL-en cft du Renard à-peu-près comme du Loup. U a bien plus d’ennemis en Barbarie qu'en Europes mais plus fin, plus adtoit, plus hardi que le Loup, ä s'approche des Douares, & trouve fouvent moyen: d'enlever quelque volaille. D'ailleurs, ayant um appétit bien moins dévorant , il trouve plus faci- lement à le fatisfaire. Comme lon chafle peu dans ces contrées, où l’on réferve la poudre & le plomb pour fe défendre des hommes, les campagnes font: abondantes en Cailles, en Perdrix, dont les œufs: ou les petits, aïnfi que le menu gibier , fervent à nourrir le Renard. Cet animal n’eft pas très-commun EN BARBARIE 323$ en Numidie, mais il eft remplacé par le Chacal, dont les mœurs, les inclinations font à-peu-près les mêmes, Le Chacal où l'Adive que l'on rencontre en Bar- barie, eft d’une couleur rouffe foncée , & ä-peu-près de la même grandeur que le Renard. Il a le mufeau plus effilé, & tient de la nature du Loup. Il mange beaucoups & il eft prefque toujours affamé. Le befoin de fatisfaire fa voracité lui infpire du courage &t de la hardiefle : mais comme il connoït la foi blefle de fes forces en comparaifon de celles de tant d’autres animaux qui lui font la guerre, il a l'adrefle de les multiplier en s’attroupant avec fes fémblables , & de pouvoir, par ce moyen, livrer combat à des ennemis contre lefquels il ne pourroit fe défendre s’il étoit feul. Cette armée de Chacals, réums par des intérêts communs, & animés pat le befoin le plus preffant, celui de la faim, caufe quelquefois de grands dégâts. Elle parcourt les cam- pagnes , s'approche des lieux habités, fond fur la volaille, & même fur les brebis. La vue de l’homme népouvante pas les Chacals ; néanmoins ils ne pénètrent dans fa demeure que dans les cas extrêmes : mais toutes les nuits ils rodent dans les environs, & glapiflent continuellement. Leur cri refflemble à-peu-près à l'aboiement du chien ; il eft fort défa- gréable à entendre. C’eft un fon aïigre, perçant, une efpèce de gémiflement trifte &c lugubre. Les - Chacals recherchent les cadayresavec autant d’avidité 216 VoyaAcer que le fait lHyæne; & à mefure qu'ils fouillent dans les tombeaux, & qu'ils fentent l'odeur infééte du corps qu'ils déterrent , ils pouffent des cris plus lugubres encore que les premiers, occañonnés pro- Bablement par limpatience, par lavidité, ou par la joie de toucher au moment de fatisfaire leur voracité. Les Chacals font très-nombreux en Nu- midie , & s'attroupent tous les foirs. Je n’ai prefque point paflé de nuit au milieu des campagnes , qu'ils n'aient troublé mon repos par leurs cris continuels. LE CHAT SAUVAGE, LE CHAT-TIGRE ; ET L'ICHNEUMON. Le CHAT, auquel nous accordons le fecond rang parmi nos animaux domeftiques, tout indigne qu'il eft de cet honneur, a été tiré des forêts, où il vit dans un état fauvage, tout entier livré à la férocité de fon cara@tère, A raïfon de fon extrème habileté à faifir les fouris & les rats, nous lui avons ouvert nos demeures, nous lavons admis à notre familiarité; malgré cela 1l conferve le fond de ce caraétère qui le porte à la trahifon & au meurtre, C’eft un hypocrite qui, fous les dehots de la douceur, médite les rufes 8z le carnage. Dans les forêts 1l vit, comme chez nous, de la chafle qu'il livre aux mulots, aux fouris & aux rats. Il eft fur-tout terrible EN BARBARIE 237 pour les oïfeaux dont il va chercher les petits juf- ‘qu'au plus haut des arbres. Ceft-là qu'il fe tient le plus fouvent, tant pour trouver fa proie avec plus de facilité, que pour éviter beaucoup d’ennemis qui lui déclarent la guerre, Le Chat fauvage eft plus gros, plus fort & plus fubtil encore que notre Chat domeftique, dont l'éducation change beaucoup le phyfique, quoiqu’elle influe peu fur fes inclinations. Il y a quelques Chats domeftiques dans les villes de Barbarie, mais je n’en ai jamais rencontré dans les Douares des Arabes. . L'on rencontre dans les mêmes forêts une autre efpèce de Chat, connue fous le nom de Chat-Tigre, que M. de Buffon nomme Seryal. Il reflemble à la Panthère par fa peau couverte de taches noires &t blanches ; mais 1l a la figure, les inclinations, les habitudes du Chat. Il eft beaucoup plus gros, plus féroce : comme lui, il vit fur les arbres, fait la guerre aux oïfeaux, aux Ecureuils, aux Bélettes, &c même aux Chats. Cet animal eft aflez commun dans les forêts. Son cri approche beaucoup du miaulement du Chat. On le chafle à caufe de fa peau , prefque auffi belle que celle de Once ou de la Panthère. L'Ichneumon, la Mangoufle de M. de Buffon, eft ‘beaucoup plus commun en Egypte, où il vit dans un état de domefticité, qu'en Barbarie. Il a les mêmes inclinations que le Chat ; les Egyptiens s’en 233 2 Vo mien fervent pour détruire les fouris &c les rats. Cet” animal recherche avec paflion- les œufs des Croco- diles, 8 même les jèines Crocodiles. Comme l'on veut entout du merveilleux, l’on a débitéqu'ilentroit dans la gueule du Crocodile tandis qu'il dormoit , _& qu'il lui rongeoit les iñteftins. A peine cet animal eft-il de la groffeur du Chat. Il a le mufeau tres- alongé , le poil noir & blanc avec une légère teinte de roux, la queue forte, les jambes courtes, beaucoup de fouplefle, de vivacité dans les mouve- mens, des yeux étincelans, un cataëtère très-rritable, ne craignant ni les Chiens, ni les Chats, ni les Serpens dont il fe nourrit. La vue d'un animal vivant le met en colère; il eft rare qu'il ne foit pas le premier à lattaquer. L'OURS. LE climat brûlant de Afrique ne convient point à Ours, qui ne fe plait qu'au milieu des neiges & des glaces. Cependant, comme le mont Atlas s'élève très-haut dans le royaume d’Alger vers celui de Maroc, & que plufieurs montagnes font cous vertes d’une neïge prefque continuelle, les Ours bruns y habitent. Ils font très-carnafliers. Quelque- fois ils defcendent dans les plaines. Pendant monféjour chez Aly-Bey à la Mazoule, un Arabe rapporta là peau d’un Ours qu'il avoit tué à la chaffe. L'opinion EN BARBARIE 239 «que l'Ours lance des pierres quand il eft pourfuivi, -eft admife chez les Arabes, comme parmi le peuple -de PEurope. Cet Arabe me montra une bleflure .-qu'ilavoit reçue à la jambe étant pourfuivi, difoit-l, à coups de pierres par l'Ours qu'il avoit tué. Ce rapport ne me convainquit point, étant très-poffible que ce chafleur, pourfuivi par Ours, ait frappé le -pied contre quelque pierre, & fe foit bleflé en fuyant un ennemi trop à craindre pour laifer de saone Je chaffeur ce TE PE SANGLIER Les SANGLERS font très-fenfibles au froid ; ils aiment beaucoup à vivre dans les pays chauds. ‘Aucun peut - être ne leur convient mieux que la -Batbarie. Outre que la chaleur du climat leur ef “très-favorable, ils y trouvent encore une nourriture “abondante. Les forêts ne font prefque compofées que de lièges, les rochers font couverts d’yeufes. Îl en réfulte une quantité prodigieufe de glands que Pon fait être le mets le plus délicat pour les Sangliers. Hs fe nourriflent auffi des bulbes d'afphodèles, qui dominent par-tout dans les plaines, dont on trouve fouvent la terre bouleverfée par ces animaux. Ils font fi abondans, qu'on Îes rencontre en troupes pai-tout dans les brouffailles, dans les forêts, & particuliérement dans les lieux humides & ombragés, 240 VoyYaAGceE Îs paroiïflent avoir perdu en Barbarie la fineffle de leur odorat, ou plutôt moins craindre les hommes qu ’en Eusopes puifqu' ils fe laiffent approcher d’affez près , & de j'en ai rencontré quelquefois des troupes de cinq à fix. Sans paroïître épouvantés à ma vue, ils continuoient leur route avec tranquillité, Auff eft-il très-aifé de leur donner la chafle; il n’eft pas même à craindre qu'ils reviennent fur le coup du chaffeur, Ils font moins féroces, moins défians qu’en Europe. Ils fervent à la nourriture des grands animaux carnafñers, contre lefquels ils ne peuvent £e défendre, LE HÉRISSON. Le HÉRISSON qui vit en Barbarie m'a paru uñ peu différent du nôtre. Il eft plus court, plus -ramafñé ; 8 a le mufeau plus effilé. Il habite les -brouffailles & les bois, fait fa demeure aux pieds des arbres, dont les creux fervent à le loger. Il fe nourrit de racines fauvages, d'infeétes, de vers & de fauterelles. Souvent il rode autour des lieux cultivés, pénètre dans les vergers, sy repait de fruits tombés, & regagne tranquillement fon habi- tation. Il eft peu d'animaux plus heureux, plus tranquilles que cehu-ci. Naturellement frugivore, ‘quoiqu'il ne rejette point la viande, il n’a pas befoin de répandre le fang pour fatisfaire fon appétit. Il | trouve EN BARBARIE. 247 trouve ‘par-tout de quoi fe nourrir ; fouvent l'arbre qui ombrage fa retraite fournit feul à fes befoins. Amateur de la paix & du repos, 1l fe plait dans la folitude , & fuit les combats, pour lefquels en effet la Nature ne lui a donné ni forces ni armes. Maïs comme fa foibleffe même pourroit lui attirer beau- coup d'ennemis, il eft pourvu d'armes défenfives qui le mettent à l'abri des infultes des animaux les plus furieux. Avec les piquans, qui remplacent les poils fur fa peau, il ne craint ni la dent du Lion, ni la griffe de la Panthère, ni la voracité du Loup. Dès qu'il fe voit en danger , il fe roule en boule, drefle fes piquans, & attend paifiblement lennemi, qu'il fatigue & rebute en rendant toutes fes attaques inutiles. LE: PORC-É-P IC. Le Porc-Épic, deux & trois fois plus gros que le Hériflon, porte les mêmes armes défenfives, Au dieu de poils, il a de longs piquans d’une fubftance prefque aufli légère que les grofles plumes des oïfeaux; on les prendroit même pour des tuyaux de plumes fans barbe. Ils font remplis d’une fub£=. tance moëlleufe, aigus des deux bouts, un peu plus obtus à l'extrémité qui tient à la peau. Leur couleur eft alternativement blanche & noire, Lorfque lon irrite cet animal, il drefle fes piquans ; mais il ef Part, I Q 242 VOYAGE faux qu'il les lance contre fon ennemi; c’eftune de ces erreurs imaginées par amour pour le merveilleux, & accréditées par l'ignorance. Il paroït que le Porc- épic eft fujet à la mue, puifque lon rencontre dans les forêts de ces piquans détachés de la peau de Panimal. Il vit, comme le Hériflon, de fruits, de racines & de graines : mais il eft beaucoup plus fauvage ; 1l n’habite que Fintérieur des forêts, & ne s'approche jamais des endroits cultivés. Son odeur eft forte & défagréable. | LE CERF, LA GAZELLE ET LE BUBALE: PAUROIS eu peine à me perfuader que le Cerf, timide & fans défenfe, eüt peu fe multiplier dans les forêts de la Numidie, fi plufeurs fois je n’eufle trouvé fon bois rameux, & fi des Arabes ne m’euf- fent afluré en avoir vus &z chaflés ; mais il n’y eft pas commun. Il a de trop cruels &c de trop nombreux ennemis pour terminer fes jours tranquillement, &c voir fa poñérité fe propager. Souvent en une feule nuit la mère & les petits font égorgés par la dent fanguinaire de la Panthère ou du Lion, malgré les précautions d'une mère alarmée & foigneufe à choifir, pour elle & fa jeune famille, le lieu le plus fecrét, le plus inacceflible, Le Cerf ne peut oppofer que fa légéreté aux attaques des bêtes féroces. Pour peu qu'il ait d'avance, je n’en connois point qui puifle EN BARBARIE 243 lattraper à la courfe; mais fouvent, tandis que; fans défiance, il broute paiñblement l'herbe de la prairie, la redoutable Panthère, cachée parmi les brouffailles, fond fur lui & le dévore, Que les animaux carnafñers s’entre-déchirent réci- proquement, que les forêts retentiflent de leurs cris de guerre, 8 que les déferts de la Numidie foient arrofés de leur fang, nous ne voyons là que des montres affamés qui ne refpirent que le carnage & la mort, & nous ne fommes pas fâchés que l'animal féroce qui en pourfuit un plus foible, foit dévoré par un plus fort ; mais que ces animaux innocens &t pacifiques, qui, fans faire mal à aucun être vivant, cherchent, parmi lherbe des champs, la nourriture qui leur convient, que ces animaux fans défenfe foient attaqués & dévorés par des ennemis fanguinaires auxquels ils ne peuvent oppofer que des gémifflemens & des larmes inutiles, ce fpeûtacle nous révolte, 8 nous nous intéreflons vivement au fort pitoyable de l'innocence opprimée; telle eft cependant la deftinée du Cerf, telle eft celle de latendre &t douce Gazelle, dont le feul regard eft capable d’at+ tendrir le cœur le plus féroce. Ses yeux font noirs, grands , remplis de vivacité & de feu. Ses mouve» mens font légers & pleins de graces : elle a les jambes hautes & fines, le poil d'un fauve tendre, doux & lufant. Ses cornes font légérement can- nelées, courbées en arrière, & compofées d’anneaux, Q 2 244 V'o Y' A/G"E Elle a la grandeur & le port du Chevreuil. La Gazelle s'ap LR aifément ; elle a beaucoup d'intelligence, plait & amufe par fa vivacité & fes graces. I y en avoit une a la Calle très-familière. Elie venoit aux heures des repas dans la falle à manger, & aimoit beaucoup à recevoir des mains de chaque perfonne, du pain, quelques feuilles de falade & d'autres herbes qu’on lui préfentoit : maïs fa vie fut de courte durée. Les Gazelles marchent en troupes , & habitent les confins du Are de Saarz. Les animaux timides & foibles aiment à fe réunir, & auoiqu'ils n’en foient pas plus en état de fe défendre, cependant ils paroïffent moins appréhender ennemi commun lorfqwils font en ae nombre, que lorfquils le rencontrent feul à feul. L'efpoir qu'il ne fe choifira qu'une viétime, &c que le refte fera épargné , rend le danger moins effrayant. En effet, qu'un troupeau de Brebis, de Chèvres ou de Vaches foit attaqué ou effrayé, fon premier mou vement n’eft pas de fe féparer & de fuir: mais tous fe preffent les uns contre les autres, & ne forment qu'un feul corps, qui ‘avance pefamment. en mafle & fans ordre. Chez les animaux, comme parmi les hommes, la foibleffe eft le principe de toute fociété. Le Bubale eft un de ces animaux fur lequel nous avons peu de notions , & dont les Anciens n'ont parlé que d’une manière très - obfeure, Il eft à EN BARBARIE. 245$ peu-près de la grandeur d’un jeune veau, d’une couleur fauve , le poil life 8 court. Ses cornes font noires, épaïfles, très-proches l’une de l'autre, compofées d’anneaux, perfftantes, courbées en arrière. Il a la tête étroite , alongée, la queue longue, terminée par une touffe de poils rudes. Ses jambes font maigres & longues. Il eft de la clafñle des animaux ruminans. M. Desfontaine en a rap- porté un empaillé & très-bien confervé. LE TAUREAU. Le TAUREAU, fi fier, fi terrible en Europe, quand il conferve toutes fes forces , eft docile & foumis en Barbarie. Les Arabes n’ont pas befoin, pour le dompter, de lui faire fubir de cruelles mu- tilations. Ils n’ont recours à aucun aëte de férocité pour engraïñler ou foumettre leurs animaux : fi ce n'eft point chez eux un aéte de pitié, c’en eft un au moins de frugalitée. Peu leur importe de manger une viande plus ou moins délicate, pourvu qu'ils fatisfaflent aux befoins de la Nature, Cette modé- sation dans le Taureau de Barbarie, fait que les Arabes ne le féparent point du troupeau, & lon eft étonné d’en voir quelquefois deux ou trois cens avec autant de Vaches brouter tranquillement herbe de la prairie, & fe rendre, fans réfiftance, à la voix de leur maître, Que l'homme eft grand à la Q 3 246 V'oTAiCc'"E tête d'un auf nombreux troupeau qu'il conduit 8 dirige à fa volonté ! D'où vient donc cette différence de mœurs dans les Faureaux de Barbarie & d'Europe ? I! me femble qu’elle ne peut être attribuée qu'à l'état d'efclavage où nous tenons cet animal. En Barbarie les Taureaux font toujours au milieu des champs accoutumés à vivre à côté de la Génifle, Chez nous, au contraire, ceux de ces animaux que lon deftine à multiplier leur efpèce, font prefque toujours ren- fermés, féparés de leurs femelles , très-bien nourris, rarement conduits au travail. Comment cet animal, plein de force & de vigueur, ne chercheroïit-il pas, échappé de fon étable, à jouir des courts inftans de fa liberté? Quelle révolution dans tous fes fens! quel feu dévorant circule dans fes veines à la vue d’une Géniffe ! Si pendant cette fièvre ardente, dans ce délire du plaïfir, il apperçoit un rival, avec quelle fureur 1l s’élance fur lu! C'eft dans ces {ortes de combats que le Taureau déploie toutes fes forces ; c’eft alors qu’il eft dangereux & terrible : mais ces accès lui prennent rarement lorfqu'il jouit d'une liberté continuelle, Malgré labondance & la fertilité des pâturages de la Numidie, les Bœufs & les Vaches y font toujours maigres, plus foibles, plus petits qu’en Europe. Leur chair a très - peu de fucs; elle eff fèche & coriace. Il eft vrai que ces animaux fouf- frent beaucoup pendant les grandes chaleurs, qu'ils EN BARBARIE 247 mont alors d'autres nourritures que les mauvaifes herbes des marais; mais pendant plus de huit mois de l'année, la Nature les dédommage amplement de la mauvaife nourriture de l'été : au refte, l’expé- rience prouve qu'il faut à ces animaux un climat | tempéré, que les grandes chaleurs les font dégénérer, Les Vaches ne donnent qu'un mauvais lait, 8c en très-petite quantité. Le beurre qui en réfulte eft d'une très-médiocre qualité. Le lait des Vaches fe perd quand elles quittent ou qu'on leur Ôte leurs véaux. Les Arabes, jaloux d’avoir de nombreux troupeaux, tuent rarement les jeunes veaux. Comme ils ne leur coûtent d’autres foins que de les conduire aux pâturages avec le refte du troupeau, ils pré- férent les laïfler croître pour en tirer un meilleur parti. LES CHÈVRES ET LES BREBIS. Les CHÈVRES, réunies en troupeaux nombreux dans les montagnes de PAtlas, y trouvent une abondante nourriture, mais elles ny paiflent pas le thym, le ferpolet , la lavande, & d’autres plantes odoriférantes | comme les Chèvres habitantes des montagnes de la Provence; leur chair eft plus fèche, leur lait moins abondant , & d’une qualité inférieure; malgré cela, il vaut mieux que celui des Vaches, & les Arabes le prcfcrent pour le beurre & le Q 4 248 VOYAGE fromage. Ils fe fervent auf de celui des Brebis. Les Chèvres de Barbarie ont, en général, le poil noir, long & luifant, qualités très-eftimées dans les fa- briques. | Les Brebis forment , en Barbarie, les troupeaux les plus confidérables. La finefle, la beauté de leurs laïn°s, la fertilité des pâturages, tout engage les Arabes à multiplier ces animaux, qui les nour- riflent de leurs chairs, de leur lait, & les enrichiflent de leurs toïfons. Heureux, fi, bornés à ces occu- pations paftorales , 1ls favoient vivre en paix les uns avec les autres; &c fi, par un contrafte fin- gulier, leurs mains ne portoient point des armes meurtrières au lieu d'une fimple houlette ! L'on rencontre fréquemment dans les troupeaux des Béliers à quatre cornes. Ils m'ont paru plus grands, plus forts, plus vigoureux que les autres. Quant aux Brebis, outre l'efpèce ordinaire, 1l y en a une feconde, diftinguée par une très-groffe queue. Elle eft commune dans le royaume de Tunis; elle vient auf dans le Levant. Les unes ont cette queue également grofle par-tout ; dans d’autres, elle eft un peu pointue : cette Brebis eft très-eftimée pour la beauté de fa laine, mais fa chair eft bien inférieure à celle des autres: cependant les friands apprécient beaucoup la queue , qui n’eft qu'un peloton de graifle. Le Doéteur Shaw cite une troifième efpèce de Brebis qui vient dans le voifinage du Saara. Elle EN BARBARIE, 249 ef prefque auf: haute que notre Dain , 6 lui reffemble aflez, excepté la téte. La chair en ef? sèche | G la laine groffière , approchant du poil de chèvre, ce qui vient probablement de la chaleur du climat, de la rareté de l'eau, 6 du mauvais päturage du pays (1), LE CHAMEAU. Les vaftes déferts de l'Afrique & de PAfe fe- roïent impraticables; ces efpèces d'îles féparées des pays habités par des fables brülans & flériles , n’aui- roient jamais été connus fans le fecours du Chameau. Il eft le feul, parmi nos bêtes de fomme, en état de fupporter la marche longue & pénible des cara- vanes, le feul que les chaleurs exceffives & les travaux forcés ne peuvent abattre, le feul qui puifle fe pañler de boire & de manger pendant plufieurs jours de fuite fans ceffer de travailler, le feul enfin à qui, fort fouvent, une heure de repos fufiit en vingt-quatre heures , encore ne quitte-t-1l point les fardeaux de fept ou huit cens livres dont il eft chargé. La Nature l’a conformé de manière à ce qu'il puifle fupporter de femblables travaux. Outre les quatre eftomacs qui lui font communs avec les animaux ru= minans , 1l a encore une efpèce de poche particulière, (1) Voyage en Barbarie du Doéteur Shaw , tome I, page 312. | 250 VOYAGE dans laquelle il fait provifion d’eau pôur cinq où fix jours & plus. Elle sy conferve fans fe cor- rompre. Il Jen tire au befoin pour rafraîchir fes organes altérés. Un peu de foin, quelques poignées de noyaux de dattes, d'orge ou de feves, fuffifent pour lefoutenir pendant plus de vingt-quatre heures. Dès qu'il trouve de la verdure, il en fait égale- ment provifion pour toute fa journée. L’on conçoit combien un tel animal eft précieux pour les Arabes du défert. Ceft le plus riche préfent que le Ciel aït pu leur faire. Outre ces premiers avantages, le lait des Chameaux, très-abondant, eft une nourriture excellente pour les Arabes; ils en mangent aufli la chair, & fe fervent de fon poil pour faire des cordes & des étoftes. L’on prétend que cet animal aime beaucoup la mufique, que le fon des inftrumens charme fa route, lui fait oublier fes fatigues , & ranime fesforces. Il en eft peu qui aient plus de docilité & de courage. Au commandement de ‘fon maître , il s'agenouille afin qu’on le charge avec plus de fa- cilité; & quand il a le fardeau qui convient à fes forces, 1l fe relève de lui-même, jette des cris de mécontentement lorfque lon augmente fa charge, qu'il refufe quelquefois de porter: mais fa docilité & fon carattère de douceur fe changent en une efpèce de fureur au retour de chaque printemps, qui eft le moment où les Chameaux s’accouplent. Îls font alors très-dificiles à dompter, & méconnciflent EN BARBARIE. 2çi ‘même fa voix de leur maître. Ils attendent la nuit pour approcher de leurs femelles, qui ne mettent bas leurs petits que le printemps fuivant. Il femble que cet animal n’ait reçu lexiftence que pour fouffrir. Dès l'inftant qu'il eft en état de tra- vailler jufqu'au moment de fa mort, il ne jouit pas d’un feul jour de repos. Il eft toujours en marche, toujours chargé. Auff eft-il plein de difformités. Il eft fouvent couvert de plaies; fur fa poitrine & fur fes jambes il fe forme des tumeurs , des callofités qu'il conferve toute fa vie. Il meurt au milieu du travail , après avoir vécu tout entier pour l’homme, très-peu pour lui-même. Pr CHEVAL Les Caevaux de Barbarie, connus en France fous le nom de Chevaux-Barbes ,| ont en général la taille médiocre, la tête haute, les jambes fines, le poil roux, le pas trèsfür, beaucoup de vigueur & de foupleffe dans tous leurs mouvemens; mais ils ont beaucoup perdu de leur ancienne réputation, par la négligence des Arabes à multiplier & conferver les belles races. Comme ils préfèrent les Jumens aux Chevaux, ils prennent peu de foins de ces derniers, les maltraitent cruellement, & fouvent les accablent de travaux. Quand ils ont quelques courfes à faire, telles longues qu’elles foient , ils ne vont prefque 252 Vo Ya! jamais qu'au galop. À la fin de la journée les Chevaux ont la bouche en fang, & le ventre ouvert par les’ longues fiches de fer qui fervent d’éperons aux Arabes. Ces animaux ne mangent jamais que le foir, & encore fouvent ne leur donne-t-on que de Therbe hachée, ou des feuilles de rofeaux. Malgré cela, il eft incroyable avec quelle force ils fupportent la fatigue. Ils ne font point ferrés : ce feroit un mal qu'ils le fuffent, ayant fouvent à gravir contre des rochers efcarpés qu'ils montent 8 defcendent quel. . quefois au galop avec une facilité étonnante. Ils pafent la nuit en plein air, fans litière, droits fur leurs jambes, renfermés dans les Douares, ou attachés par les pieds à un piquet vis-à-vis les tentes. Jamais ils ne font ni frottés, ni étrillés. Quoiqu'aucun de ces animaux ne foit mutilé, ils font prefque aufli doux & aufli faciles à manier que nos Chevaux hongres d'Europe : mais tranf- portés en France, ils deviennent indomptables, quoiqu’ils paffent d’un climat brûlant, dans un climat très-tempére. La raïfon de ce changement ne me paroït pas facile à trouver. Dans les grands travaux, les Arabes préfèrent les Mules aux Chevaux. Ils s’en fervent même pour monture; &c il faut avouer qu’en Barbarie les Mules font très-précieufes pour le travail & pour la marche. Elles fuppoïtent plus long-temps la fatigue ; & fi en voyage elles ne vont pas toujours aufh EN BAR BAR (E 3ÿf. vite que les Chevaux, au moins elles achèvent de plus longues courfes, | D ET CH'IEN, LE CHIEN perd, en Barbarie, une partie de ces qualités fociales qui le rendent ami de l’homme, Ce n’eft plus cet animal domeftique, doux, caref- fant, fidèle, plein d'ardeur pour les intérêts de fon maître, toujours difpofé à le défendre, même aux dépens de fa vie. Chez les Arabes il eft eruel, fan- guinaire, toujours affamé, jamais raflafié. Son recard eft féroce, fa phyfonomie ignoble, & fon afpe& défagréable. Les Maures veulent bien le fouffrir dans un coin de leur tente, mais voilà tout ce qu'ils lui accordent, Jamais ils ne le careflent , jamais ils ne lui jettent aucune nourriture, Ceft à ce traitement , Je crois, qu'il faut attribuer l'indiffé- rence des chiens pour leur maître. La feule dif- tinétion qu'ils lui accordent , eft de ne pas aboyer après lui quand il entre : mais qu’il foit abfent ou _préfent, ils n’en font ni plus triftes, ni moins gais. Ils ne fuivent leur maître qu'autant qu'il les y a accoutumés ; & paroiffent fi peu jaloux de cette faveur, qu'ils aiment autant refter en place que de marcher à fa fuite. Fort fouvent ils n’appartiennent à perfonne. Ils fe choififfent une tente pour abri; on les y laïffe, mais l'on ne s'inquiète point d'eux, 254 VOYAGE Ils vont chercher leur nourriture là où ils peuvent: Les ordures, les charognes, les immondices, tout leur eft bon, pourvu qu'ils affouviflent leur faim. Is font maigres, décharnés, & n’ont prefque point de ventre. Entre eux ils fe battent rarement, mais ils fe réuniflent contre l'étranger qui approche des tentes Arabes, s’élancent vers lui avec fureur, & le dévoreroient, sil navoit foin d’écarter cette troupe affamée. Heureufement ces chiens{ont lâches, faciles à prendre lépouvante. La feule vue d'un bâton les empêche d'approcher ; & pour peu qw’on les menace, ils font bientôt difperfés. Il eft bon cependant d’être toujours fur fes gardes. Si l’on étox dans limpoffbilité de fe défendre, ou que l’on eût le maïheur de tomber , lon courroit rifque d’être dévoré. Ces Chiens font très-avides de chair hu- maine : ils mangent les cadavres qu'ils peuvent rencontrer, Ce qui arrive rarement, vu l’extrème attention des Arabes à enterrer leurs morts; mais lorfqu'ils ont affaffiné un Chrétien, ils le dépouillent &t abandonnent fon corps aux chiens. Ces animaux, malgré la famine qui règne prefque toujours parmi eux, malgré la fécherefle & la grande chaleur du climat, nefont point fujets à la rage, comme nos hiens d'Europe. Cette maladie n’exifte pas en Bar- barie, du moins aucune des perfonnes que j'ai inter- rogées fur cet article, na pu m'en citer d'exemples. Tous les Chiens de Barbarie, j'entends ceux qui EN JARBARIE 25 vivent fous les tentes des Arabes, font de la même efpèce, fans mêlange. Ils font blancs, quelquefois marqués de grandes tâches rouffes. Ils ont les oreilles droites, le mufeau un peu alongé, les pattes courtes, le poil life & ras. Ils font un peu plus gros que le Renard. M. de Buffon cite les Epagneuls & les Barbets comme originaires de Barbarie & d'Efpagne. Le fait peut être vrai, mais je n'ai prefque point rencontré de Chiens Barbets, encore moins d’'Epa- gneuls dans les tentes des Arabes, Les Barbets font plus communs dans les villes & les Comptoirs François. ignore s’il exifte en Barbarie des Chiens fauvages, vivant dans les forêts, loin des habi- tations des hommes ; mais j'en ai vus de la race des Mâtins que lon avoit trouvés dans l’{e de la. Galite (1). Ils étoient deftinés à la garde du moulin (1) Les îles de la Galite font des rochers très-dangereux ; à fix lieues environ de l’île de Tabarque. Les gros bâtimens n’ofent en approcher ; à deux lieues oueft il y a des fèches très-redoutés où plufeurs navires ont péri fans refflource. Ces îles fervent de retraite aux Trapanais (*), qui viennens en contrebande pêcher le corail dans les mers de Barbarie, Ils y trouvent du bois, des fources d’eau, & y vivent de pêche & de chafle. D'ailleurs ces îles font inhabitées. Dans les naufrages , torfque les gens de l'équipage fe fauvent & peuvent gagner la Galite, ils ont foin d’allumer de grands (*) Habitans de Trapano , ville fituée fur la côte occidentale de Sicile, 256 VOYAGE de la Calle. Ils remplifloient leurs fon@ions avec une grande fidélité, & étoient très-attachés à leurs maîtres. L'on m'a afluré qu'il y avoit beaucoup de Chiens dans cette île inhabitée, ainfi qu'un grand nombre de Chèvres fauvages : d’où vient que les. Anciens appelloient la Galite Ægimuros , abondante en Chèvres (1). Quant aux Chiens fauvages , je foupçonne qu'ils viennent de quelque bâtiment échoué parmi ces dangereux écueils. | LES" SINGES CE ne font pas toujours les animaux les plus féroces qui font les plus nuïfibles à lhomme. Les Chenilles, les Sauterelles & les Vers font fouvent plus de dégâts dans fes vergers que n’en fera le Loup au milieu des bergeries, que n’en feront le Lion ou la Panthère parmi un grand troupeau; les Arabes appréhendent fouvent beaucoup plus ces armées de Singes qui ravagent leurs moïflons, dé- vorent leurs fruits, que lanimal féroce qui, par hafard, leur enlève un Bœuf ou une Vache. Les Singes habitent ordinairement les forèts les plus feux qui fe voient des Comptoirs de Tabarque, & même de la Calle, d'où l’on envoie, lorfqu'il eft poftble, des chaloupes à leur fecours. (1) Plin, Liv. V, ch, 7. “épaifes ; EN BARBARIE 2,7 épaifles ; ils fe tiennent prefque toujours fur les arbres, fautent d’une branche à l'autre avec la plus grande légéreté. Réunis en troupes nombreufes, ils pañlent leur temps en gaité continuelle, La joie &c les plaïfirs règnent toujours parmi eux, fans que rien puifle troubler la férénité de leurs jours. Ils jouiffent en liberté des bienfaits de la Nature, aiment leurs: femelles avec paflion, & ne trouvent jamais d’obf- tacle à la fatisfaétion de leurs defirs. Par amour pour. la liberté , ils vivent loin des habitations des hommes ; mais la nuit 1ls s’en -approchent en grandes troupes, fe difperfent dans les vergers &c les lieux cultivés , pillent, détruifent tout autant par malice que pour fe nourrir. Pendant ces incartades, plu- fieurs d’entre eux, poftés à une certaine diftance , font fentinelle , & à la moindre apparence de danger, ils pouffent un cri, & toute la troupe difparoït en: un clin-d'œil : mais elle ne tarde pas à revenir. Des Arabes des environs du Co//o n'ont afluré qu'ils avoient les plus grandes peines à garantir leurs pof- fefons des ravages de ces fortes de Singes. Il les faut garder jour & nuit; & pour peu qu'ils les perdent de vue, tout eft détruit dans Pinftant. Comme ces Singes font petits & fans queue, à ce qu'ils m'ont dit, Jimagine que ce font autant de Pithèques,. dont je parlerai plus bas. Tous les Singes font fru- givores; ils vivent aufli d'infeétes, de fauterelles, de fcarabées , &cç, Ils n'aiment pas la viande. Les Part. I. R 258 VOYAGE fruits font la nourriture qu'ils préfèrent. Ils craignent beaucoup la préfence. de l’homme : mais leur premier mouvement de frayeur une fois diflipé, dès qu'ils s'en voient à une certaine diftance , & fur les plus hautes branches des arbres, alors ils deviennent impudens , & paroiïflent défier l’homme par la hardieffe avec laquelle ils le regardent. On ne les faifit vivans qu’en leur tendant des pièges. Ils font d’abord très-affettés de leur captivité; mais bientôt leur gaîté naturelle emporte, ils fe familiarifent avec leur maître, & fe vengent, quand ils le peuvent, des coups qu'ils en reçoivent, par les efpiégleries qu'ils lui font. Les Singes que lon trouve en Barbarie font les efpèces fuivantes : 1°. le Pihèque, petit Singe qui n’a pas plus d’un pied ou un pied &r demi de haut, Il eft fans queue; fa face eft applatie. Lorfqw’on le tour- mente, qu'il eft effrayé ou irrité , il grince les dents, &c agite les mâchoires avec une grande vitefle. Ce Singe eft très-doux. Il s’apprivoife facilement ; il eft même fufceptible d’une efpèce d’attachement pour fon maître. Ce Singe eft très-commun à Ssore, du côté du Collo , & à Bugie, Nous ne le connoïflions guère que d'après les defcriptions que nous en avoient laïflées les anciens Naturaliftes : mais M. Desfontaine en a rapporté plufeurs des côtes d'Afrique, & a donné, fur ce Singe , les notions les: plus exaétes & les plus intéreffantes dans différens Mémoires préfentés à l'Académie, EN BARBARIE. 259 2°. Le Magot eft au moins une fois plus grand que le Pithèque. Sa face n’eft point applatie, mais elle forme une efpèce de mufeau alongé. Il varie par fon poil d’un gris plus ou moins foncé. Il n’a point de queue. Ses mœurs font plus fauvages que celles du Pithèque ; il mord très-fouvent pour peu qu'on le tourmente, & fur-tout quand 1l n’eft pas encore bien familier : il conferve toujours un ca raétère rempli de méchanceté & de malice, Il habite les mêmes lieux que le précédent. . 3°. Le More, Singe à longue queue, eft encore _ une efpèce très-commune en Numidie. Il eft peu de perfonnes qui ne connoïffent la figure de cet animal, qui, avec le Magor, fert à amufer le peuple au milieu des rues. Elle a la face brune avec une efpèce de barbe mêlée de blanc & de jaune, le poil de deffus la tête G- du cou mélé de jaune & de noir , celui du dos mêlé de roux & de noir, le ventre blanchätre, auf bien que l'intérieur des cuiffes & des jambes (1). M. de Buffon cite une quatrième efpèce de Singe qui fe trouve en Mauritanie, & dans les terres de Yancienne Carthage. Il l'appelle le CaZürriche. Il eff d'un beau verd fur le corps, d’un beau blanc fur la gorge & Le ventre, 6 il a la face d’un beau noir. (x) Hift, Nat. tome XIV, page 258. R 2 260 VOYAGE LE PHOQUÉ ov VEAU-MARIN: CET animal fingulier reflemble à un enfant aw maillot. Il ne peut jouir que très- imparfaitement de lufage de fes bras & de fes jambes, qui font. prefque entiérement renfermés dans fon corps ; il n'en fort que les mains & les pieds. S:s cinq doigts. font réunis par une membrane, & forment des efpèces de nageoires. Poiflon quand il eft dans la. mer, il devient reptile lorfqu'il eft fur terre. Il fe traine comme les ferpens : fes pieds ne lui fervent qu'a s’accrocher aux rochers & à faciliter fes mou- vemens : mais fi la Naturea privé le Phoque de la perfe@tion de quelques membres, par comparaïfon avec les autres animaux", elle l'a, d’un autre côté, amplement dédommagé en lui pese de vivre également fur terre, comme dans la mer, & en le rendant infenfble aux fortes impreffñons du froid & du chaud. Il vit fur la glace auffi bien que fous la zone torride. Dans la mer il fe nourrit de poiflons ; fur terre il broute l'herbe. L’on en rencontre très= fouvent le long des côtes de Barbarie. Ils dorment fur les rochers expofés au foleil : il eft difficile de leur donner la chaffle. Au moindre danses ils fe précipitent dans la mer. Il eft rare qu'un coup de fufil les bleffe au point de les empêcher de fuir. Il eft peu d'animaux plus durs de mort, EN BARBARIE 261 De quelques autres Animaux qui fe trouvent en Nurnidie & en Europe, “ n é 3 IL me refte bien peu de chofes à dire fur auclques autres quadrupèdes qui vivent en Numidie comme en Europe, & qui n'offrent rien de particulier. La Bélette rode autour des tentes Arabes, épie le mo- ment favorable pour tomber fur les poules, égorger les jeunes poulets, 8 en manger les œufs. Elle fe tient, pendant le jour, cachée parmi les brouf- failles, & n’ofant approcher des lieux habités, elle donne alors la chafle aux oifeaux aquatiques , les pourfuit parmi les rofeaux, & cherche à découvrir leurs nids : elle mange auffi les Rats, les Souris, les Couleuvres & Lézards. Les Rats & les Souris font d'autant plus com- muns & incommodes dans les habitations fixes, que, comme je l'ai fait obferver, les Arabes n’élèvent point de Chats : maïs les hordes errantes qui chan- gent fréquemment de place, font peu tourmentées par ces animaux. Le long des rivières &c des étangs il y a beaucoup de Ras - d'eau, & quantité de Mulors dans les champs cultivés, & où lon sème lorge & le bled. Les Lièvres , les Lapins , & beaucoup d’autres gibiers, offrent aux chaffeurs des plaifirs multipliés. Ils feroient bien plus communs, s'ils wavoient pour R 3 262 , V o x GA r ennemis tous les animaux carnafliers. La Barbarie _eftla patrie du Furet, ennemi mortel des Lapins, & que l'on drefle en Europe exprès pour cette chafle : Strabon prétend qu'il a été tranfporté d'A- frique en Efpagne, & que de-là il eft paffé dans une grande partie de l'Europe, EN BARBARIE. 263 Des OISEAUX T'anois que des guerres cruelles enfanglantent les forêts de la Numidie, & que les animaux féroces portent par-tout le carnage & la mort, les habi- tans des airs ont aufli leurs combats, & la plaine aérienne eft un autre champ de bataille qui retentit ‘au loin des cris de joie des vainqueurs, & des gémifflemens douloureux des vaincus. L’Aigk exerce fur les Oifeaux le même empire defpotique que le Lion fur les animaux terreftres : fon bec, fes ongles, êt la vigueur de fes mufcles font les titres de fa royauté. L'on rencontre en Barbarie les efpèces fuivantes. 19. LE GRAND AIGLE oz L'AIGLE ROYAL. Il paroït rarement dans les plaines. Son féjour ordi- naire eft fur les montagnes les plus élevées de l'Atlas, où il vit folitairement dans le creux des rochers, Son empire eft cruel, mais il eft filen- cieux. L'on prétend qu'il ne crie jamais: il ne quitte la folitude que pour chercher un ennemi digne de lui: il rejette la chair morte, & n’en veut qu'aux grands oifeaux, Non content de régner R 4 264 VOYAGE dans les airs, 1l daigne quelquefo's defcendre fur notre globe, & faire fentir fon pouvoir à quelques quadrupèdes, aux lèvres, aux lapins, aux jeunes agneaux qu'avec une ferre redoutable & meurtrière il enlève au milieu des airs, &c dévore en füreté fur le fommet d'un rocher ifolé. Sa couleur eft d'un fauve chfcur. 20. L’AIGLE COMMUN plus petit, moins vigou- teux que le précédent, eft auffi moins délicat fur le choix de fa nourriture. Il attaque indifféremment tous les oïfeaux, &, quand le befoin le prefle, 1l tombe fur les cadavres. On le rencontre plus fre- quemment dans les plaines, où de tempsen temps il fait entendre un cri aigre & perçant. Sa couleur varie du brun au noir. a 30. LE PETIT AIGLE eft prefque roux, tacheté de noir. Il a une efpèce de cri plaintif fort défa gréable. On le voit fouvent perché fur les arbres dans les lieux marécageux, le long des rivières & des étangs. Il attaque particuliérement les oifeaux pi Aer mais comme 1l digère vite, qu il a befoin de manger fouvent , & qu'il ne trouve pas toujours de quoi fe HR , il a recours alors aux infedtes & aux reptiles. Je lui ai fouvent trouvé dans leffomac des grenouilles, des lezards, des fauterelles, & plufieurs autres infe@tes. Il vole bien plus près de terre que les deux efpèces précédentes, t EN BARBARIE. 26$ 4°. L’AIGLE DE MER, ox LE BALBUZARD de M. de Buffon, d’un naturel moins vorace, moins féroce que les véritables Aigles, fait fon nid fur les arbres les plus élevés , proche les rivières & les lacs. Il ne vit prefque que de poiflons. ÿ°. LE GRAND AIGLE DE MER, 04 L'ORFRAIE de M. de Buffon , vole fréquemment fur les bords de la mer où il cherche à faifir les poiflons, quoi- qu'il vive également de sibier. Il eft prefque auff grand que le grand Aïgle. On lapprivoife añfez facilement. Pen ai vu un à la Calle qui, fans être renfermé , fe laifloit approcher & carefler fans effroi, LE CRUEL VAUTOUR, par la férocité de fes mœurs, eft bien digne d'habiter la Barbarie, où la Nature femble avoir réuni tous les monîtres de l'Univers. Quoique le Vautour foit bien armé, & très-visgoureux, il n’ofe attaquer les autres oïfeaux qu'autant qu'ils lui font très - inférieurs en forces. Son défaut de courage met au moins des bornes à fes cruautés, & 11 préfere fouvent fe nourrir de cadavres infeétes , plutôt que de livrer combat à des êtres vivans : mais quand il veut faire la guerre, il fe joint à d'autres Vautours; la chafle fe fait en commun, & l’on fe partage le gibier, non fans le difputer. ARE 266 VOYAGE LE MILAN, non moins cruel, eft auffi lâche que le Vautour; mais on lui pafle plus aïfément fa lächeté , vu l'infériorité de fes forces. Il ne fait la guerre qu'aux petits oifeaux, aux jeunes poulets, aux colombes, &c. Du haut des airs où il paroït immobile, il fond avec rapidité fur la proie qu'il s'eft choifie; mais au moindre danger il fuit avec un cri de frayeur. LA BUSE, qui eft, parmi nous, l'emblème de la ftupidité, n’ofe quitter l'arbre fur lequel elle eft perchée pour aller chercher fa proie ; mais elle attend, - pour la fair, qu’elle vienne s'offrir à fes regards. Sa foibleffe ne lui permet que d'attaquer les plus petits oïfeaux. L’ÉPERVIER habite les grandes forêts; il vole dans les plaines pour y faifir les Cailles & les Per- dreaux. Jen ai rencontré une variété dont le plu- mage fauve étoit tacheté de noir. * L’'AUTOUR fe retire dans les gorges des mon- tagnes. Ses mœurs font auffi fanguinaires que celles du Tigre. Îl aime le carnage, & ne fe plait qu'a mettre à mort tous les êtres vivans qu'il rencontre, ëêc qu'il peut combattre. LE FAUCON, dont nous tirons un fi grand parti pour la chafle, vit auffi dans les rochers flériles & inhabités de la Numidie, EN D A R RAA RTE) 26 Tous ces oifeaux chafent pendant le jour ; mais en voici d'autres qui n’ofent paroïtre que lorfque le foleil eft retiré. Le grand Duc, le Hibou ou moyer Du, le Chat-huant , la Chouette, la petite Chouette ou la Chevèche, à Papproche de la nuit, fortent des fentes des rochers , du creux des vieux arbres , rempliffent l'air de leurs lugubres cris, & déclarent la guerre aux Chauves-fouris , aux Rats, aux Mulots & aux Infeêtes. LE HOU-BAARA ox LA PETITE OUTARDE HUPPÉE. Cet oifeau habite vers les confins du défert. ‘Il vit de vers, d'infeétes, & fouvent des jeunes pouffes des plantes, C'eft une efpèce d'Outarde qui ne diffère de l'Ourarde commune que par la belle huppe qui orne fa tête. Elle a autour du cou un collier ou une efpèce de grofle cravatte compofée de plumes longues & fouvent hériflées. Elles font blanches avec des raies noires; celles du corps font fauves , tachetées d’un brun obfcur. Cet oïfeau eft de la groffeur d'un Coq ordinaire, mais il a le corps plus alongé. Il a trois doigts aux pieds, fans ofteil. LE RHAAD ox SAF-FAF eft une autre efpèce d'Outarde d'Afrique de la même groffeur que la précédente, mais elle en diffère en ce qu’elle n’a point le cou orné de lefpèce de cravatte dont j'ai 268 Vo! V'aAMeTE parlé plus haut. Sa tête eft noire, & les plumes de fa huppe font d’un bleu foncé. dé ventre eft blanc, le dos & les aîles de couleur fauve avec des taches brunes. Cet oïfeau vole par troupes. Il y en a une autre efpèce qui paroït n’être qu'une variété de la précédente. Elle eft de moitié plus petite, n’a point de huppe, &t offre ni. + variétés dans le plumage. La PINTADE ox LA POULE DE NUMHIDHE. Quoique fon plumage n'ait point l'éclat de celui des oïfcaux d'Amérique, néanmoins il plaît à l'œil par fa fimplicité & la variété des couleurs. Sur un fond gris-bleu font placées des taches rondes & blanches très-résulières, qui forment comme autant de perles : mais la Pintade n’a pour elle que l'élé- gance de fon plumage : elle fe tient mal; fa queue eft tombante, fon cou alongé; elle paroït boflue; fes ailes courtes & la difpoftion de fes plumes forment une efpèce d'élévation au haut du dos, Elle n’eft guère plus oroffe que notre Poule com- mune, Un attribut particulier à cet oifeau eft d’avoir au-deffus de la tête, une très-grofle callofité-en forme de cafque. Cet oïifeau ne vit que de grains. Il vole dans les lieux enfemencés en troupes plus ou moins nombreufes. Il eft très-commun, fur-tout du côté de Conffantine. EN BARBARIE 269 La GEUNOTE fe plaît particuliérement dans les forêts; mais elle ne qu point fon nid au haut des arbres. On la trouve à terre paye les bruyères & les lentiques. Toutes celles que jai rencontrées en Afrique ne m'ont paru différer en rien de notre Gélinote d'Europe. LE GANGA ox LA GÉLINOTE DES PYRÉNÉES, vulgairement appellée par les Arabes Kattk, et remarquable par deux TETE plumes étroites qu'il porte à la queue, Il a le bec court & gros, à peus ie près comme celui de la Ferdrix. Ses pattes, velues en devant juiques fur les doigts, font prefque nues par-derrière. Ses doigts font au nombre de trois, avec un ergot; fon plumage eft très-varié. C'eft un fond gris parfeme de taches , fouvent en demi-lune, rouges, blanches, noires, &e Les couleurs de la femelle font plus uniformes que celles du mâle. Cet oïfeau a un collier aflez femblable à celui de la Perdrix rouge. Il eft granivore, & vole par troupes de fix, huit, & davantage dans les plaines cultivées. Son vol eft pefant, & près de terre. Le Ganga s'apprivoife très-facilement. Jen aï confervé deux pendant plufieurs mois. Ils étoient prefque toujours blottis, & ne quittoient cette potion que pour manger. Je les avois laïflés en liberté dans ma chambre. Je n’ofe pas aflurer que cet oifeau n'ait point de cri, mais je ne l'ai jamais entendu. | 270 VoyYaAGceE La PERDRIX ROUGE DE BARBARIE. Elle diffère peu de celle d'Europe ; elle eft un peu plus petite que la grife. Le tour de fes yeux, fon bec & fes pattes font d'un beau rouge. Elle porte un collier formé par un grand cercle noir ; les autres plumes du cou fort brunes avec quelques taches blanches, Elle habite les hauteurs, les brouflailles, & fe réunit en troupes plus nombreufes que la grife. . LE FRaNCOLN. Il eft à peu-près de la groffeur de la Perdrix. Son plumage eft beau 87 remarquable par fes nuances. Il a un collier d'un jaune d'orange. Il fait fon féjour ordinaire dans les brouffailles. Ceft encore une oïfeau granivore. LES CAILLES, LES PIGEONS, LES RAMIERS, LES TOoURTERELLES fe rencontrent en Barbarie aufi-bien qu’en Europe. Ils habitent, excepté les Cailles, les forèts & les bois. Ils font de pañlage. La Calle paroît au mois de novembre ou à la fin d’oétobre. Elle pafle hiver, & difparoït au printemps. L'on trouve en Barbarie une efpèce de Caïlle qui n’a point d'orteil, & dont les couleurs font beaucoup plus claires que celles de la Caille ordinaire. Le CoRBEAU. Ceux que j'ai vus font de la groffeur d'un Coq-d'Inde, Ils habitent les lieux élevés, & les montagnes de l'Atlas, Il y a , du côté de Conftantine EN BARBARIE 271 & vers le défert de Saara, un Corbeau dont le bec & les pieds font rouges. Il eft un peu plus gros . que notre Corbeau commun, Le Gear. Cet oïfeau fe retire dans l’épaiffeur des bois, où le chêne, le liège, l'yeufe fourniffent à fa nourriture par leurs fruits abondans. Il mange auffi des jujubes, des arboufes, &c. Le Geai de Barbarie a, comme celui d'Europe, les ailes terminées par des nuances de bleu & de blanc prefque rangées en quadrille : mais il en diffère par quelques variétés dans les couleurs es plumes de fa tête, Il eft de la groffeur d'un pigeon. L'ÉTOURNEAU , vulgairement LE SANSONNET ; eft très-commun en automne, &c. Il fe nourrit d’in- feëtes, de fruits, de graines. Il vole en troupes quel: quefois fi nombreufes, qu'ils refflemblent de loin à un nuage épais & noir. LE Lorior, de la groffeur du Merle, nhabite guère la Barbarie que pendant l'hiver. Il a les ailes tachetées de noir. Les autres parties font d’un beau jaune. Il vit également d'infeétes & de fruits. Il eft rare d'en rencontrer des troupes. La GRIVE COMMUNE fe rend en Barbarie dans le mois d'oétobre , où elle refte tout l'hiver, Elle y 272 V oY:AGE & | vit de baies de forbier , d'arboufe , & de fruits mols. | 22 Le GREEN-THRUSH eft une autre efpèce de Grive, nommée par M. de Buffon 41 Grive balferre de Barbarie. Elle diffère de la Grive ordinaire par fes pieds, qui font beaucoup plus forts & plus courts, 8 par la variété de fes couleurs. Elle a la tête, le cou & le deffus du corps d'un verd clair ; fa poitrine eft couverte de taches noires fur un fond blanc; le jaune domine vers le croupion. Son bec eft le même que celui de la Grive ordinaire, Le Mere fe plait dans les brouflailles formées par les myrthes, les arboufers , les lauriers, &cc. dont la couleur toujours verte paroît lui infpirer de la gaité, & dont les baies fervent à le nourrir; quand les fruits lui manquent, il vit d'infeétes. Sa couleur eft d’un noir luifant. L'on m'a afluré que le Merle folitaire habitoit les mêmes lieux ; je ssh point rencontré. Le Moineau & fes différentes variétés font:très- communs en Barbarie, principalement dans les lieux habités. Le Moineau aux dattes, ou Le Datriér, le tient particuliérement dans les lieux où lon cultive les palmiers. Il sy réunit en troupes nombreufes qui ravagent les dattes. La couleur dominante de la | EN BARBARIE 273 tête, du cou & du corps, tant en deflus qu’en deflous ,'eft d’un gris tirant fur le roux; le devant de la tête & la gorge font noirs. Il a le bec court, épais à la bafe, avec quelques mouitaches. L'on prétend que fon chant eft très- doux &t agréable. LE PINÇON. Il habite les bois, & réjouit, par fon chant, le voyageur folitaire. Je ne lai trouvé que dans le printemps, & je nai pu favoir sil vivoit en Barbarie pendant les autres faifons. L’ALOUETTE. Elle m'a paru habiter en toute faifon les côtes d'Afrique. L’on rencontre fréquem- ment aux environs de Biferte, une efpèce d’Alcuette cendrée. LE RossiGNor. Qu'il eft agréable d'entendre les chants harmonieux de ce charmant oifeau, dans des contrées où l'oreille eft fi fouvent offenfée par les cris des animaux de proie-&c des bêtes féroces ! LE MOTTEUX, vulgairement CUL-BLANC, ne diffère en rien de celui d'Europe. Il fe tient ordi- nairement {ur les mottes de terre, & dans les fillons nouvellement remués pour y chercher les vermif J {eaux dont il fait fa nourriture, Le Coucou. Cet oifeau choifit pour fa retraite les plus épaifles forêts. Dés que hiver approche, 1l fe dépouille de fes plumes, en forme un md dans Part, I 8 274 VOYAGE Je creux d’un arbre, & pañle ainfi la mauvaïfe faifon avec abondantes previfions. Les plumes lui revien- neat au printemps ; 1] quitte fa retraite, saccouple, &c va dépofer fes œufs, non dans un nid fait à deffein, mais dans celui des autres oïfeaux. Il ne pond qu'un ou deux œufs au plus dans des nids féparés, & ne Soccupe nullement du fort de fa poftérité. Il abandonne aux oifeaux étrangers le foin de l'élever, Îl fe nourrit d'infefles, de chenilles, & fur - tout d'œufs d'oifeaux, dont il eft très-friand. La Huppe eft remarquable par une touffe de plumes d'environ deux pouces de haut, placées tonsitudinalement fur fa tête. Ces plumes fontrouffes, terminées par une tache noire; quelques-unes font marquées de blanc. La couleur des ailes de fon corps eft un mélange de roux, de gris &c de blanc; mais la couleur roufle étoit celle qui dominoit le plus dans les huppes que fai vues en Barbarie. Elle vit d'infeétes & de vers. Elle ne fréquente les lieux humides & marécageux, que pour y chercher fa nourriture ; elle fe retire enfuite dans les bofquets &c les lieux ombragés où elle fait fon nid. D’après ce qu’en rapporte M. de Buffon, cet oifeau sap- privoife très-aifément , & a, pour fon maître, une affeétion, qui l’attrifte lorfqu’il en eft éloigné. Le Guépier. Cet oifeau a été ainfi nommé à çanfe des guèpes dont il fait fa nourriture, quoiqu'il EN BARBARIE. 275 sfie dédaigne pas les autres infeétes. Quand ils lui manquent, il vit de grains &c de fruits. Il forme en terre, fur les côteaux, des trous qui lui fervent de nids. Je n'ai point remarqué que les Guépiers allaffent par troupes en Barbarie, comme ils y vont en Grèce, particuliérement dans l'ile de Candie ,où:1ls font très- communs. Leurs couleurs font belles & éclatantes, C'eft un mêlange de bleu ‘de jaune & de noir de différentes nuances. Le Guépier de Barbarie eft prefque de la groffeur d’un Pigeon. L'HYRONDELLE. Ces oïfeaux paroïfient en Barbarie dans le mois de mai, & difparoifient dans le courant du mois d'août, au moment des plus fortes chaleurs. C'eft ce que j'ai eu occafñon de remarquer à la Cale. Fignore où ils vont, LE Pic-verT. Il habite que les forêts, où il vit en folitaire, La Nature ayant borné fa nourriture aux infeftes &c aux larves qui vivent fous l'écorce des arbres, cet oifeau eft fans cefle occupé à vifiter lestrous , 8 avec un bec ferme & pointu, à fendre &t déchirer l'écorce pour y trouver de quoi vivre. Alors, à laide d'une langue effilée & longue, en- duite d’une humeur gluante, il amène, du fond de leurs retraites , les petits infe&tes, les fourmis, &c. Le Pic-vert fait fon nid dans le creux des vieux ‘arbres, fouvent à une très-grande profondeur. S 2 276 V'o'y'AïGNE Le MarTIN-PÈCHEUR. Celui que j'ai rencontré en Barbarie eft le même que ce joli petit oifeau qui fréquente en Europe le bord des rivières &. de la mer. Il ne vit que de poiffons, fur lefquels il fond avec beaucoup d’adrefle & de fubtilité, fe tenant fans cefle en embufcade fur une branche d'arbre; ou fur la pointe d’un rocher. Il bâtit fon nid fur le rivage avec des brins de bois, des arêtes de poïflons, &c. raflemblés groffiérement avec un peu de terre. Il paroït que cet oïfeau étoit l4Lyor des Anciens, d’après le rapprochement qu’en a fait M. de Buffon, La CiGocne. Elle paroït fur les côtes d'Afrique en automne, dans le mois d’oétobre ou de novembre. Amie de l’homme, elle’aime à habiter les mêmes lieux avec lui. Ceft dans les cheminées, fur les tours, dans les grands bâtimens, qu’elle place fon nid. Les Arabes refpeétent cet hôte, qu'ils regardent comme Paffurance de leur bonheur, & de celui de toute leur famille. Ceft un crime que de violer envers lui les droits de l’hofpitalité. Cependant , comme l'on vient à bout de tout avec de Pargent, j'ai aife= ment levé les fcrupules d'un Arabe chaffeur, en lui promettant une piaftre pour chaque Cigogne. If m'en apporta deux. Cet oïfeau vit de ferpens; de lézards, &c. Il eft à peu-près de la grofleur du : Héron, monté comme lui fur deux longues jambes, EN BARBARIE. 277 Le Héron. Il eft peu de pêcheurs plus patient que celui-ci. Il refte des heures entières feul fur le bord des étangs & des rivières, fes longues pattes enfoncées dans l'eau , fans que le mauvais temps puifle lui faire abandonner fon poñte. Il auette le poiflon pour le faifir au paflage. Il fe nourrit auffñi de grenouilles, de lézards , &êvc. Le HÉRON DE Mapacascar. C'eft le nom que M. de Buffon a donné à cet oïfeau, lorfque je le lui ai préfenté. Son plumage eft par-tout d'un très- beau blanc. Il a fur la tête une grande tache d’un roux clair. Il n’eft pas beaucoup plus gros qu'un fort Pigeon, mais il eft plus long. Les Arabes Pappellent l'Oifeau du bœuf, ou le Pic-bœuf, parce que, comine il eft toujours à la fuite des troupeaux, ils prétendent qu'il cherche fur le dos des bœufs.les infeétes dont il fait fa nourriture. Jen ai difléqué plufieurs, & je ne leur ai trouvé dans Peftomac que des végétaux & quelques débris d'infeétes. Cet oïfeau vit en fociété. L'on en rencontre des troupes de huit, dix, & plus. LA SPATULE. Elle eft de la groffeur du Héron; mais moins élevée fur les jambes. Son plumage eft blanc. Elle vit de poiffons, habite les bords de la mer, & fait fon nid fur la fommité des grands arbres voifins. Cet oifeau eft remarquable par {on S 3 278 VOYAGE bec qui $arrondit en fpatule à fon extrémité, & forme comme une double cuiller, La BÉCASSE paroît en oftobre jufqu'au prin- temps ; elle fait fon nid à terre. Elle ne diffère en rien de celle d'Europe. La Bécaffine paroît dans le même temps. LE CaevazEr. Cet oifeau vit le long des marais &c des étangs, où 1 eft occupé à la chaffe des ver- miffeaux. Son plumage eft un mêlange confus de gris &z de blanc. Il a de longues pattes grifâtres., la tête petite, le.cou ainfi que le bec alongés. LE CHEVALIER A PIEDS ROUGES. Celui-ci ne diffère du précédent que par la couleur de fes pattes qui font du plus beau rouge. Il y a auf quelques varictés dans fon plumage, Le Cours reflemble beaucoup aux Chevaliers ; mais il a les pattes plus courtes. Son plumage eft plus foncé, agréablement mélange de blanc, de gris & de noir. Cet oifeau , ainfi que les deux pré- cédens, font bons à manger. L'Écuasse. Ce nom lui vient de fes longues pattes, fur lefquelles elle peut à peine fe foutenir. Elles font jaunes, d'un pied de haut. Son bec eft noir, long de deux pouces ; fa tête blanche en EN BARBARIE 27 devant , noire fur le derrière, Elle a le cou blanc, le deffous tacheté de noir. Son ventre eft blanc, {es aîles noires, & fa queue courte & grifâtre. Elle a les mêmes inclinations , & habite les mêmes lieux que les précédens. LE VANNEAU. Bien avant le lever de l'aurore, : ces oifeaux en troupes nombreufes couvrent les champs, & livrent la guerre aux vermifeaux. Iis font gais, folâtres , légers; ils courent plutôt qu'ils ne volent : ils ont un petit cri perçant peu agréable; malgré cela ils divertiffent le voyageur du matin, diffipent, en partie, pour lui les horreurs des té- nèbres, & font diverfon aux idées mélancoliques qu'infpire la vue d'une nature folitaire & filen- cieufe. LA POULE D'EAU , les SARCELLES &c les Ma CREUSES font très-abondantes fur les lacs & les étangs, Les CANARDS y font également nombreux & très-variés ; la plupart de ceux que javois apportés, ayant été détruits à la quarantaine de Marfeille, je fus forcé de renoncer à les décrire, ne pouvant le faire que d’après des notes imparfaites. Le GoELanD. Cet oïfeau voltige continuelle- ment au-deflus de la mer, dans laquelle il plonge S 4 280 V'o:viire’t pour y faifr le poiffon qui fe joue-à la durface de Veau. On en voit des troupes nombreufés daris les temps orageux; 1ls annoncent ordinairement les tempètes, d'où vient qu'on les appelle Oifeauxtde tempér. L’efpèce la plus commune eft d'un blane de lait, avec une couleur cendrée au-deflus du corps, un peu plus grofle que notre Pigeon : maïs j'en ai vu déht le plumage étoit marque eté d'un gris fale tirant fur le noir. Ils étoient prefque auffi gros qu'un Dindon. LE FLAMMANT ox PHÉNICOPTÈRE. Ce bel oifeau eft prefque auf gros que le Héron: fon plumage eft auffi blanc que cel du Cigne, mais fes ailes font d'un rouge éclatant, qui tranche très-agréable- ment fur un fond blanc. Son bec eft un peu crochu. Il vit en fociété fur le bord des rivieres, où il fe nourrit de poiflons. On le rencontre dans les en- Virons de Bonne & de Tunis. 3; L’'AuTRUCHE. Ces déferts arides, ces: brülantes folhitudes du Sara, font habités par un animal auf étonnant à nos yeux que la terre même où 1l vit. L'Autruche n’a que deux jambes comme les oifeaux, mais fes pieds, fes 1ambes & fes cuifles reflemblent: à ceux des quadrupèdes. Son corps eft couverte plumes ; mais ces plumes paroïflent, par leur fineffe &c leur légéreté, être plutôt un duvetideftiné EN BARBARIE 3281 à couvrir fa nudité, que des inftrumens propres à Pélever dans les airs; elle a une queue & des ailes non pour voler, mais pour conferver l'équilibre que fon corps pefant, porté fur deux longues jambes, perdroit facilement, fi, dans fa courfe précipitée, elle ne fe fervoit de £es ailes comme de deux ba- lanciers qui dirigent fes mouvemens. Son cou eft nud, tres-long, ayant la peau d'un rouge de fang. Sa tête & fa bouche ne reilemblent n1 au bec des oïfeaux, ni à la gueule des quadrupèdes. En un mot , l'Autruche eft un être qui arrête court le Na- turalifle au milieu de fes divifions fyftématiques. Il faut établir pour elle une clafle particulière, dans laquelle il n’y aura aw’un genre &c une feule efpèce. Les Autruches vivent en troupes nombreulfes, mais elles fe tiennent très-éloignées des lieux habités. Elles font fi légères à la courfe, que le meilleur cheval eft incapable de les fuivre. Quand on les chafle, 1l faut les pourfuivre long - temps, les harceler, les fatiguer. Alors elles fe rendent. On peut même les prendre en vie. Malgré l'amour iolent qu’elles ont pour la liberté, elles fupportent lefclavage avec aflez de douceur, & font très- faciles à apprivoifer. J'en ai vu deux à Bonne qui, quoique nouvellement captives, ne témoignoient aucun regret, aucun ennui, Elles fe laiffoient appro- cher &c toucher à volonté. Les Autruches ne pondent aw’une feule fois année, 282 VoYaAGE dans la faïfon la plus brülante, au mois de juillef & d'août; c'eft alors que le fable échauffé par les rayons du plus ardent foleil, eft propre à faire éclorre les œufs que l'Autruche y dépofe. Elle ne les couve pas; mais elle s’écarte peu de l'endroit où elle les a placés; elle y revient fouvent. L'on prétend même qu’elle fe pofe defius de temps en temps. Les Autru- ches perdent tous les ans ces belles plumes, qui font un chjet de commerce fi confidérable; mais qui n'ont de prix qu’autant qu’elles font prifes fur animal vivant. Qui croiroit que ceft au miliew des fables brülans de la Lybie, qu'il faut aller chercher le plus bel ornement de la coëffure des femmes de l'Europe ! EN BAR BARIHE ‘ 28% ANIMAUX AMPHIBIES. LORUBOR:E PT IL ES. TESTUDO. TORTUE. — C'orracr. (Lin.) Pecibus pinniformibus muticis, Tefla coriacea | cauda angulis feptem exaratis. TORTUE coriAcE. Pieds en forme de nageoires, fans ‘ongles; coquille coriace; queue avec fept angles. Cette Tortue eft très-commune dans la Méditer- ranée, Son écaille, au lieu d’être divifée en écuflons, reflemble à un cuir dur & très- épais, formant plufeurs angles fur le dos. — GRÆCA. ( Lin.) Pedibus fubdigitatis , tefla poflice gibba , margine laterali obtufiffimo , [cutellis planiuf- culis. TORTUE DE GRÈCE. Pieds prefque digités ; co- quille en boffe à la partie poftéreure , une bordure latérale très-obtufe ; petits écuflons un peu plans, : 284 VOYAGE C'eft principalement fur terre & le long des bords des rivières de la Numidie, que on rencontre cette Tortue. Les Maures en ont peur, & simaginent que ce font autant de malins efprits envoyés par des Magiciens. Ils fuient à l’afpeët de cet animal. Jai fouvent été témoin des combats très-amufans que les mâles fe livrent entre eux lorfqu'ils font en fureur. Ils fe précipitent les uns contre les autres avec colère. Ils ne fe font, & ne peuvent fe faire d'autre mal que d’entre-choquer fortement leurs écailles, trop dures pour que ce choc puifle les brifer. L'E:S:,$S E R:PIEPNS ! | Les Couleuvres & les Serpens font très-communs & extrêmement variés en Barbarie. J'avoue que jai peu d'obfervations fur ces animaux , ne m'étant point muni d’efprit-de-vin pour les conferver : j'ai été obligé trèsfouvent d'en abandonner qui me pa- roïfloient très-intére{fans : J'ai cependant, à la fin, maistrop tard, trouvé un moyen de conferver les plus gros, en les dépouillant comme on dépouille une anguille, &c en rempliffant leur peau dun fable fin : mais pour cela il faut avoir foin de couper leur peau circulairement & à moitié vers la tête. On fépare la tête du corps auquel néanmoins elle tient encore par la partie de la peau que lon ma point EN BARBARIE. 28ç coupé ; en retournant la peau avec précaution, lon vient à bout de la détacher du corps de l'animal. Quant à la tête, il en faut enlever le plus de chair qu'il eft poffble, en prenant bien garde néanmoins de porter les doigts fur-tout à la mâchoire, où fe trouve le réfervoir de leur venin. Il faut auf net- toyer exaétement les inftrumens qui ont fervi à cette diffeétion. On peut remplir les vuides avec du coton trempé dans du camphre pulvérifé, de lalun, de la cendre, &c. L'on coud louverture de l'anus, & l’on remplit la peau avec du fable fin, Cela fait, lon coud la partie de la peau que l'on avoit coupée au-deflous du cou. Par ce moyen la peau des Serpens fe conferve très-bien fans fe cor- rompre, fans fe retrécir; & quand elle eft bien sèche, l'on peut, en ouvrant l'anus, en faire fortir le fable, &c la remplir d’une matière plus légère, de coton, d’étoupes, &c. Fai cru devoir indiquer ce procédé, qui peut être très-utile aux Voyageurs, &t ménager l’'efprit-de-vin. Le ZURREICHE eft un ferpent d'environ quinze pouces de long, qui vient du côté du Saara. Son corps eft tout couvert d'écailles larges ; il eft très- mince & s’élance avec tant de rapidité, qu'il eft très-difficile à faifir. Il paroït que ce ferpent eft le Jaculus des Anciens, 2936 VOYAGE Le LEFFAH eft un autre ferpent très-dangereux, qui n'a pas tout-à-fait un pied de long. Les Arabes le craignent beaucoup. Le D. Shaw croit quäl eft le même que celui que Lucain appelle Torrida dipfus. Son nom arabe fignifie Éréler, parce qu’en effet {on venin excite dans les veines un feu dévorant qui donne la mort à ceux qui en font attaqués. L'ACE'RT A!" VE L'NRTE — AGILIS. ( Lin.) Cauda verticillata longinfeula ; fcamis acutis, collari fubtus fquamis conflruéto. LÉZARD VERT. Queue verticillée, un peu alongée; écailles aiguës; un collier placé fous les écailles. Ce Lézard eft très-fort. Il a environ un pied de long fur un pouce de large. Son corps -eft d’un jaune verdâtre. Jen ai confervé un pendant plus de huit jours. Lorfque japprochois de lui, il fe retiroit dans un angle, & fembloit me menacer avec la gueule ouverte, &c en formant une efpèce de fifflement. Si je l'attaquois avec un bâton, il fai- fifloit linftrument & le fecouoit avec une force étonnante. Je le nourriflois de viandes, de reptiles 8 d'infettes. Il ne refufoit rien ; il Semparoït avec avidité , & comme en colère, de la proie que je ki préfentois, me l'arrachoït des mains par une forte EN BARBARIE. 28? fecouffe de tête, & l'avaloit toute entière. La corde qui le retenoit s'étant rompue, il fe refugia dans un poulailler ,| où je fus témoin d'une fcène affez plauante, Une poule l'ayant appercu refugié derrière une borne, l'examina d’un peu loin, tourna autour de lui, & alla rejoindre d'autres poules. Elle revint peu après avec plufieurs autres > Qui formèrent un cercle autour du Lézard. N’ofant approcher, elles lexaminoient de loin en alongeant le cou avec un air d'inquiétude, Pendant ce temps-là, le Lézard OuVroit la gueule & les menaçoit. Il ft un mou- veément, qui jetta la frayeur parmi cette troupe timide; elle fe mit à fur, fe difipa, & ne revint plus. Ce Lézard fut tué d’un coup de pierre. Je louvris, & je trouvai dans {on eftomac > Qui régnoit depuis le gofier jufqw'à l'anus, toute la nourriture qu'il avoit prife depuis trois jours, entre autres un petit Lézard en entier, fans avoir fouet aucune décompofition : mais je n'y retrouvai point un os de cuïfle de poulet que je lui avois donné quatre OU Cinq Jours auparavant, — ALGIRA. ( Lin.) Cauda verticillata longiufcula x sorpore Üneis utrinque duabus flivis. LÉzARD D'ALGER. Queue vorticillée > un peut longue; deux lignes jaunes de chaque côté du corps: Ce Lézard eft très - commun. Il n’a que trois à qMatre pouces de long, Il a le deffus du corps brun ss VOYAGE avec quatre lignes jaunes : fon ventre eft d’un blanc jaunâtre, Il-eft très-agile & dificile à faifir. — CHAMGLEON. ( Lin.) Cauda tereti Brevi à inCUT Va ; > digitis diobus tribufve coadi!natis, LÉZARD CAMÉLÉON. Queue arrondie, courte! recourbée,- deux ou trois doigts réunis. Cet animal fingulier vit fur les arbres & dans les buiffons. Ses mouvemens font très-lents. Tantôt fon corps s'alonge & s’amincit ; d'autrefois il fe gonfle & fe raccourcit. Il lance très-fouvent fa langue FA étroite, fun peu gluante pour faifir les rep infettes dont 1l fe nourrit. Il n’eft guère poffible de lui affigner de couleur conftante, puifqwil fe colore de celles qui l'environnent : cependant celle qui dc- mine, & qu'il reprend toutes les fois qu'il change de couleur, eft d'un gris fale. Jen ai confervé un fur lequel ; Yai obfervé les faits fuivans. Toutes les fois que.je le plaçois devant une muraïlle blanche, peu-à-peu la couleur grife de l'animal s’éclaircifloit, & devenoit d’un blanc de craie : fi je le tranfpor- tois fur une étoffe jaune, fa couleur devenoit grife, & pañloit à celle d’un jaune obfcur : le rouge, quoique très-faillant, ne s’imprimoit fur le Camé- léon que par une teinte confufe de jaune & de rouge ;. le verd ne tranchoit pas non plus, mais la peau du Caméléon étoit grife, avec une légère teinte de EN BARBARIE 289 — @e verd. Les autres couleurs, telles que le noir, le violet, le pourpre, ny occafionnoient d'autre changement que de rendre fa couleur grife plus obfcure : en un mot, il m'a paru quil ny avoit que le blanc, le gris & le jaune qui tranchaffent le plus fur le Caméléon. Cet animal aime beaucoup Ja liberté. Il eft très-difficile de le conferver long- temps en captivité. — CHALCIDIS. (Lin.) Cauda tereti longa , pedibus pentadaity lis breviffimis. : LÉZARD CHALCIDIQUE. Queue arrondie, longue; pieds à cinq doigts très-courts. Ce Lézard reflemble beaucoup à un Serpent. Il eft d'une couleur luifante, grifâtre. Son corps eft rond. Il a quatre petits pieds dont il ne paroît pas {e fervir pour marcher; mais 1l rampe comme les Serpens. Il n’a pas un pied de long. Sans fes oreilles, qui le rangent parmi les Lézards, ce feroit un vrai Serpent. On prétend que fa morfure eft très- dan- gereufe. Il eft très- commun dans les prairies des environs de la Calle. —VULGARIS (Lin. )Caudä tereti mediocri, pedibus un- guiculatis, palnis tetradaütylis, dorfo inex duplici fufca. LÉZARD COMMUN. Queue arrondie, de moyenne grandeur ; pieds onguiculés, avec quatre doigts, deux lignes brunes fur le dos. Part. T 290 VOYAGE Ce Lézard eft un des plus communs. Il eft fe même en Barbarie qu'en Europe. — PALUSTRIS. ( Lin.) Cauda lanceolata mediocri, pedibus muticis, palmis tetradaütyls. LÉZARD DES MARAIS ( vuloairement Salamandre aquatique), Queue lancéolée, de moyenne grandeur ; pieds fans ongles, quatre doigts. Cette efpèce de Salamanare vit dans les étangs, où elle fe nourrit de petits poiflons. —SALAMANDRA. ( Lin.) Caudatereti brévi, pedibus nuticis , palmis tetradaftylis, corpore porofo nudo. LÉZARD SALAMANDRE. Queue arrondie, courte; pieds fans ongles ; quatre doigts; corps poreux 6 nu. L'on a débité bien des fables fur cet animal, comme, par exemple, qu’il pouvoit vivre long- . temps dans un brafer ardent. M. de Maupertuis y a fait des obfervations plus vraies. Il a trouvé, dans plufieurs Salamandres qu'il a ouvertes, des œufs, &t en même temps des petits vivans. Ce phénomène le rapbroche du Puceron, qui eft vivipare dans la belle faifon , & ovipare dans l'automne. Les Proven- çaux nomment ce Lézard Tarente. Ils font fi effrayés à la vue de cet animal, qu'ils ne dorment pas tran- quilles dans une maïfon où ils ont vu une Salaman- dre, jufqu’à ce qu'ils foient venus à bout de la tuer. E N BA MRYBOAR LE 201 ne UNS EuCAUTUE:S, & Scarareus MARGINATUS * (nobis), fcutellatus, #uticus clypeo rhombeo ; elytris connatis | punttatis , glabris , lateribus marginatis. SCARABÉ À ÉTUIS SAILLANS, avec un écuflon, fans arêtes , bouclier rhomboïdal ; étuis réunis, /ponétués ; glabres, terminés par.un large rebord. Cet infeête eft parfaitement noir. Sa tête eft re- couverte par un bouclier arrondi, fans rucofités. Ses étuis n’ont point d'ailes en Rs Hs dépañent le corps par une bordure très- failante, que je regarde comme le caraftère eflentiel de cet infeéte. Ils font relevés en boffe, marqués de plufieurs lignes longitudinales, formées par une fuite de petits points qu'il eff difficile d’appercevoir fans le fecours de la loupe. Ce Scarabé a ol de rapports avec le Scarabœus Hemifphericus, dont Pallas nous a donné la figure dans fon Livre intitulé : Îcones Infeéforum, Tab. 6, fig. 23. Mais celui dont il eft ici queftion eft de moitié plus petit. Son bouclier eft prefaue 'glabre; ila, outre cela, un écuffon entre les deux * Cet infe@te a éié gravé dans le Journal de Phyfque. Août 1787, pag. lil T2 292 VOYAGE étuis, atiribut qui ne fe trouve pas dans celui de Pallas. Cet infefte habite les lieux fablonneux. Il forme, fous la bouze de vache, dont il fe nourrit, un trou, fouvent d’un pied de profondeur. C’eft au fond de cette retraite qu'il fe tient ordinairement. Dès quil eft fur le point de pondre fes œufs, il dépofe au fond de fon trou d’amples provifions de bouche pour les jeunes larves; 1l y place fes œufs, & bouche avec du fable entrée de fa demeure, Ceft dans ce féjour ténébreux & pendant lhiver que les Larves fubiffent leurs différentes métamorphofes. Ces infetes, parvenus à leur état de perfeétion, attendent la belle fafon pour abandonner leur re- traite, à moins que les provifions ne viennent à manquer; mais dans ce cas ils n’ont pas befoin d'aller loin, leur trou étant , comme je lai dit plus haut, placé fous une boufe de vache. Comme il leur feroit difficile de remonter par une ouverture perpendiculaire, lorfquwls veulent fortir, ils for- ment une nouvelle iflue, en traçant, à travers le fable, un chemin oblique. La forme de leurs pre= mières pattes, la mobilité de leur tête , lefpèce de bouclier dont elle eft recouverte, leur facilitent le moyen de fortir de leur tombeau. SCARABGŒUS RHINOCEROS ( Lin.) Scurellatus thorace inermi, capite cornu fimplici , clypeo bifido , elytris punilatis. EN BARBANIE 203 SCARABÉ RHINOCÉROS, portant un écuflon ; thorax fans arêtes ; tête avec une corne fimple; bouclier divifé en deux; étuis ponétués. — NasicORNIs. ( Lin.) Scurellatus , thorace pros minentia triplici, capitis Cornu incurvaio , antennis heptaphyllis. SCARABÉ MOINE, portant un écuflon, trois éminences au thorax ; corne de la tête recourbée, antennes à fept feuillets. J'ai trouvé une variété de ce Scarabé qui n’avoit que deux fortes éminences au thorax , & une corne plus mince & plus courte, A — SACER ( Lin.) exfcurellatus , clypeo fexdentato, thorace inermi crenulato , tibuis pofhcis cilatis , vertice Jubbidentato. SCARABÉ SACRÉ, fans écuflon ; bouclier à fix dents ; thorax fans arêtes , crenelé ; pattes de der. rière ciliées, avec deux dents au fommet. Je ne peux m'empêcher de donner ici quelaues détails fur ce célèbre Scarabé, que les Egyptiens avoient en fi grande vénération, & dont 1ls avoient fait l'emblème de Neirha ou de leur Minerve, comme Horapollon nous l'apprend dans fes Hiéroglyphes (1 )« Cet infeéte, que lon croyoit être de deux fexes 8 D) Eve, ch. 53; T3 294 : VOYAGE produiré fans accouplement étroit hiéroglyphe inventé pour céfigner Mirervecréatrice, quelles Egvyp- tiens regardoient comme mâle: 8 femelle, Ælieni(r) nous apprend que ce même Scarabé étoit encore l'emblème d'un foldet, parce que ceux qui alloient à la guerre avoient RE de le'faire graver fur leurs anneaux. ve £a Maïs écartons de cet infefle tout ce merveilleux que lui a prêté lobfcure antiquité; Jaiflons les Egvptiens en faire un emblème facré, & les em- piriques lui attribuer une foule de vertus chimé- riques ; ilne fera pas moins intéreflant pour le Na= turalifte qui aura le courage de le furvre parmi les boufes de vache, où il fat fa principale demeure. Cet infeéte eft très-commun fur les côtes de Bar- barie, où j'ai fuivi fes opérations dans le plus grand détail. Li, Errant d’abord fur le fable, dans les heux expofés au foleil,.ce n'eft qu'après la fécondation que ce carabé fe fixe parmi les boufes de vache. Dès ce moment , il n’eft plus occupé que du foin de mettre en füreté le précieux dépôt de fa poftérité, Pour cet effet, 1l creufe un crottin, dépofe fes œufs dans Pintérieur , &c les recouvre de fiente, nour- riture propre pour les larves. Il ne fe contente pas de leur avoir choif une retraite fre & abondante (1) De animalibus, Liv. X, ch. 45. EN BARBARIE 29$ en nourriture; pendant long-temps 1l roule encore ce paquet fur une terre légère & fablonneufe. Il en forme , par ce moyen, une efpèce de boulette de la groffeur d’une petite orange , qui infenfiblement eft recouverte d’une couche terreufe d'environ deux lignes d’épaifleur. Cet infeéte eft infatigable au travail. Il n’y a pout lui de tranquillité &t de repos, que lorfqu'il a trouvé dans le fable un lieu propre à y dépofer fon fardeau. Il le traine par-tout avec lui, à l’aide de fes deux pattes de derricre. Quand celles-ci font fatiguées, il fait ufage de fa tête & de fes pattes de devant ; mais il ne tarde pas à revenir à fon premier moyen. Si, tandis qu'il quitte un inflant fa boulette, on la lui enlève, aufli-tôt l'inquiétude s'empare de lui, il s’agite vivement , rode de tous côtés, & ne ceffe fes recherches que lorfqul a recouvré fon précieux fardeau. Jai fouvent pris plaifir à lui donner de femblables inquiétudes, & jai vu avec furprife quil fe dirigecit prefque toujours du côté où jJavois jetté fa boulette. Si je la portois à la main, linfee me fuivoit comme un animal privé, & Je fuis parvenu plufieurs fois à avoir à a fuite plufieurs de ces Scarabés dont je tenois en main les boulettes. Lorfque cette boulette eft fuifamment durcie, féchée extérieurement & encroûtée, alors linfeéte creufe dans le fable un trou de huit à dix pouces nl NET 296 V'ô- + A GE de profondeur , il y depofe fa future famille, & devient lui-même habitant de ce ténébreux féjour , où 1l termine fon exiftence, Ïl eft à remarquer que cette opération ne regarde que les femelles, aux- quelles la Nature a accorde, pour cet objet, une plus lonz::e vie qu'aux mâles, qui meurent peu après Péccount ement. Les larves naïflent vers la fin de Pbtéhane pañlent l'hiver fous cette première forme, & ne deviennent infeûtes parfaits qu’au printemps. ai cependant rencontré plufeurs fois, mème au milieu de Phiver, des infettes parfaits avec des larves, fans pouvoir décider s'ils appartenoïent à la dernière génération , ou s'ils étoient les auteurs de la nou- velle famille, | Îl fuit de voir travailler ce Scarabé, pour com- prendre l’'ufage des divers inftrumens dont la fourni la Nature. Ses deux premières pattes font larges, applaties, armées, le D de l'avant-bras, de quatre dents fortes (614 obtifs: Ce avec ces infirumens qu'il fend les crottins, les éparpille, ou fe cram- ponne , lorfque fes deux dernières pattes font em- ployées à trainer un fardeau beaucoup plus gros & plus pefant que lui. S'il veut pénétrer dans le fable ou dans un crottin, 1l emploie le bouclier à cinq ou fix dents qui recouvre fa tête, & s’en fert comme d’une palette pour foulever les fardeaux &c écarter les obftacles. Pendant ces pénibles opérations, fa tête [l EN (BAR BARIE . 297 & fes antennes fe trouvent à l'abri fous la largeur de ce boucher qui déborde de toutes parts. Les deux dernières pattes de cet infeéte font beaucoup plus longues & plus grêles que celles de devant. Auffi leur ufage eft:il bien différent, étant particuliérement deftinées à fair & trainer des fardeaux. SCARABGŒUS HisPANICUS, (Lin.) Exfcutellarus ; thorace mutico, clypeo cornuto emarginato , elytris ffriatis , femoribus fecundis remoti ffimis. SCARABÉ D'ESPAGNE. Sans écuflon ; thorax fans arêtes ; bouclier cornu , échancré ; étuis ftriés ; les fecondes cuifles très-écartées. Cet infecte eft d’un beau noir luifant. Il habite les lieux fablonneux, dans l'intérieur des terres. — TAURUS. (Lin.) Ex/fcutellatus , thorace inermi, occipite cormibus binis reclinatis. SCARABÉ TAUREAU. Point d’écuflon; thorax fans arêtes; fur le devant de la tête deux cornes recourbées. Ce Scarabé fe rencontre fréquemment dans les mêmes trous avec le Scarabé facré. La femelle n’a point de cornes. — SABULOSUS. (Lin.) Scurellatus muticus niger opacus , tuberculis rugofis, antennis baf£ pilofis. SCARABÉ DES SABLES, ayant un écuflon, fans 298 VOYAGE arêtes, noir, couvert de tubercules ridées; antennes avec des poils à leur bafe. Pai trouvé cet infeéte avec les précédens, dont les mœurs me paroiflent être les mêmes. Il n’eft cependant pas auffi commun que les autres efpèces. SCARABŒUS FULLO. (Lin.) Scurellatus muricus, antennis heptaphylls , corpore’ nigro, pilis alhis, fcutello macula duplici alba. SCARABÉ FOULON, ayantun écuflon, fans arêtess antennes à fept feuillets; corps noir couvert de poils blancs; écuflon marqué de deux taches blanches. Ce Scarabe fe plaît dans les forêts de liège. Il < a près d’un pouce &z demi de long. — ŒRUGINOSUS, (Lin.) Scurellatus muticus au+ ratus , fupra viridis. SCARABÉ CUIVREUX, ayant un écuflon, point d'arètes ; doré, verd en deflus. Ceft fur les fleurs à fleurons & à demi-fleurons que J'ai trouvé cet infeéte. HI STE RE S CAR ONE — Major. (Lin.) Totus ater , elytris Jef thoracis marginibus frbtus pilofrs. EscARBOT DE BARBARIE, parfaitement noir; étuis prefque ftriés; les bords du thorax velus en defious. EN BARBARIE. 299 Cet infeéte a près d’un demi-pouce de long. Sa tête & fes pattes font quelquefois tellement cachées fous les rebords de fon bouclier & de fes étuis, que lon n’appercoit de cet infete qu'une écaille ronde. Il habite les lieux fecs, & fe nourrit d'im- mondices. CRRINTS. TOURNIQUET,. — NATATOR, ( Lin.) Sub friatus. TOURNIQUET NAGEUR. Prefque flrié. Cette efpèce ne m'a paru différer en rien de celle qui eft gravée dans Z’Hifloire abrègée des Infeëles des environs de Paris, de M. Geoffroy, pag. 194, pl. 3, fig. 3. CURCULIO. CHARANSON. — CRACCÆ. ( Lin.) Longirofiris niger, ovatus , rofiro fubulato, abdomine pallido. dé CHARANSON DE LA VESCE, Noir, ovale, avec une trompe longue, en forme d’alène; le ventre pâle. Cet infeéte n’a pas plus d'une ligne de long. Il fe nourrit fur plufieurs efpèces de vefce. — ALGIRUS. (Lin. ) Longirofiris fubcylindricus, læis fuftus, punülis prominulis adfperfus. CHARANSON D’ALGER à longue trompe, corps 300 VOYAGE prefque cylindrique, life, brun, couvert de points faillans. Il vit le Tong des eaux fur les plantes aquatiques. CurCULIO BARBARUS. ( Lin.) Breviroffris , ater , chorace fubfpinofo, elytris angulo duplici crifpato. CHARANSON DE BARBARIE à courte trompe, d’un noir obfcur ; thorax prefque épineux, deux angles crifpés fur les étuis. Celui que j'ai trouvé a une trompe de près de trois lignes; fes étuis font hériflés de tubercules de diverfe groffeur. CERAMBYX. CAPRICORNE. CERAMBIX ÂTER, clytris rugofis integris, an tennis corpore longioribus. (Geoffroy , p. 201.) PErir CAPRICORNE NOIR. Etuis ridès, entiers; antennes plus longues que le corps. Ce Capricorne eft très-commun dans les forêts. Il ne m'a paru différer en rien de celui qu'a décrit M. Geoffroy. Lorfqu’on le faifit, il rend un fon aflez aigu par le frottement du corcelet avec le haut. des étuis. — CANTHARINUS. (Lin. ) Thorace fubmutico , corpore rufo , oculis femoribufque nigricannibus , elytris mollibus , antennis longioribus. EN BARBARIE. 307 CAPRICORNE ROUX. Thorax prefque fans épines; corps roux ; les yeux & les cuïfles noirâtres, étuis mols plus longs que les antennes. MTS CTS DITIQUE — Piceus. (Lin.) antennis perfoliatis, corpore dvi, flerno carinato , poffice [pinofo. DiTiQUE HYDROPHILE. Antennes perfoliées, le corps lifle, le flernum en carêne, la partie pofté- rieure épineufe. Il ne diffère en rien de celui d'Europe. — STICTICUS, ( Lin.) Pallens, elytris grifeis punclo oblongo laterali nigro impreflo. DiriQuE DE NuMIDE, pâle, les étuis gris; -marqués fur les côtés d'un point noir, oblong. Cet infeête habite particuliérement les ruiffeaux qui coulent entre les rochers. Il à environ huit lignes de long. Son thorax eft d’un blanc pâle, & fes étuis d’une couleur grife avec un point noir, alongé fur les bords. CARABUS. CARABOT. — GRANULATUS. ( Lin.) Aprerus, elytris longis tudinaliter convexè punitatis. CaARABOT CUIVRÉ. Point d'aîles; étuis convexes, ponétués dans leur longueur, 302 ; VOYAGE Sa couleur eft d'un jaune de cuivre uñ peu matte;, on le trouve fur le fable, dans les lieux arides, où 1l court très-vite. CARABUS COMPLANATUS. (Lin. ) Palidus gris fafciis duabus undulatis nigricantibus. CARABOT APPLATI, d’une couleur pâle, avec deux bandes ondulées & noires fur les étuis. TENEBRIO. TÉNÉBRION. — G1GAS. (Lin.) Apterus niger, thorace æqual , colæoptris levibus truncatis. TÉNÉBRION GÉANT. Point d’aîles ; noir ; le thorax égal; les étuis Lffes & tronqués. — SPINOSUS. ( Lin.) Aprerus niger levis, pedibus ferrugineis , antennis breviffimis. TÉNÉBRION ÉPINEUX. Point d'ailes; noir, life; les pieds couleur de rouille; les antennes très-courtes. Jai trouvé ces deux efpèces dans les bois. STAPHYLINUS. STAPHWYENN. — HirTUS. ( Lin.) Hirfutus niger, thorace abdo- mineque pofhce flavis. STAPHYLIN HÉRISSÉ, Noir, hériflé; le thorax & le ventre jaunes à leur partie inférieure. Jaitrouvé cette efpèce le long des bords de la mer. E N6B a BB À R TE. , 403 _— ERYTROPTERUS. ( Lin.) Ater , elytris pedi= bufque rufrs. STAPHYLIN COULEUR DE ROUILLE. Les étuis & les pieds roux. Ce Staphylin habite parmi les cadavres & les immondices. MNDUAT TA) BÊAÂTTE. — AFRICANA, ( Lin.) Cinerea , thoracis clypea yillo(o. BLATTE D'AFRIQUE, cendrée, le bouclier du thorax velu. | Cette Blatte eft d'un gris matte ; elle a l'extrémité du thorax bordé de blanc , 8&£ quelques poils légers fur tout le corps. MAN TTS, :MANTE: — ORATORIA ( Lin.) Thorax levis, elytris viri= dibus , alis macula nigra antice rufefcentibus. MANTE PRIE-DIEU. T horax liffe ne verds ; aîles roufsâtres , avec une tache noire à leur extrémité. Celles que j'ai examinées n’avoient point la tache . ; 1 CT "M site LI LÆ noire aux extrémités des aïles dont parle ici Linné, Je les ai toujours trouvées avec des ailes à réfeau, d'une couleur roufle très - léoère. Les cuiffes de devant étoient marquées de petits points noirs TS 304 VOYAGE intérieurement. Ceft la même efpèce que celle que lon trouve dans la Provence & le Languedoc, & fur laquelle jai eu occafon de faire plufeurs obferva- tions curieufes , imprimées dans le Journal de Phy- fique, mois de novembre 1784, tome XXV, page 334. MAnNTIS RELIGIOSA. ( Lin.) Thorace Levi fub- carinato elytrifque viridibus immacularis. MANTE DÉVOTE. Thorax liffe, prefque en carêne x les étuis verds & fans taches. Elle ne diffère de la précédente que par une bordure jaune qui règne autour de fes étuis & de fon c ocelet. Pai trouvé plufeurs autres efpèces de Mantes que je ne ferai qu'indiquer ici d’une manière un peu générale, 8 d'après les notes que j'en ai con- fervées, ces infettes étant du nombre de ceux que jai perdus à la quarantaine de Marieille. 1°. Une Mante dont les étuis & les autres parties du corps étoient d’un gris cendré, les aïles de même couleur & en réfeau. Cette efpèce n'étoit pas plus grande que le mâle de la Mante-prie-Dieu , de laquelle elle ne m’a paru difiérer que par la couleur. Peut-être n’ai-je trouvé que des mâles. 2°, Une Mante dont les étuis, d’un beat verd, étoient couverts de srandes taches d’un blanc jaunâtre, EN BARBARIE. 305$ punâtre. Même groffeur & même port que la Mante-prie-Dies. 3°. MANTIS SPHINX. (nobis) ferrigines, chorare” Jubularo brevi , elyiris diridio abdomine Erevioribus. MANTE SPHINX, couleur de rouille, thorax court , en forme d’alène; étuis de moitié plus petits _querle corps. Cette Mante na pas un pouce de long, Tout fon corps & fes étuis font d’une couleur de rouille très - foncée. Son corcelet s'élargit à fon infertion avec! le ventre, & diminue infenfbléthent vers la tête. Il eft plus court que celui des autres Mantes, en proportion avec les autres parties du corps; fonwentre eft plat, élargi; cet infeéte tient toujours recourbée en demu-cercle, la partie qui reft point couverte par les étuis; de forte que quand cette Mante .eft droite, elle imite affez bien la pofition du :Sphinx. Ses étuis font deux cailles prefque ovales, qui vont à peine jufqu'à la moitié du ventre, Elle ne vole jamais. Jaurois pu prendre cette Maate pourune larve; mais, outre que je ne fai jamais rencontrée fous une autre forme, une femelle que je confervois fous un bocal a pondu des œufs. Comme cette Mante cft foible, elle ne chaffe qu'aux petits infedtes; mais les efpèces précédentes attaquent même les groffes Sauterelles. On les trouve Part. I. Y ve * J LL Die - 306 VOYAGE toutes dans les prés. Jai rencontré ce même infe&te aux environs de Marfeille. GRYLLUS. GRILLON, SAUTÉRELLEs Il paroït que les pays chauds font les contrées les plus favorables aux Sauterelles. Auf ces infe&tes, fi nuifibles à nos moiflons, forment , en Barbarie, vers la fin du printemps, des nuées fi épaifles dans les campagnes & les prairies, que le voyageur eft fouvent incommodé par leur fuite tumultueufe : mais la vésétation eft fi abondante dans ce pays, les terres enfemencées fi peu multipliées, que ce nombre prodigieux de Sauterelles ne fait pas ordinai- rement des déoâts aufli confidérables qu’on pourroit limaginer. Il en faut excepter les années où elles s'avancent par troupes, & parcourent une grande étendue depays, en n’épargnant ni les moïffons ; ni les prairies. Je n'ai pas vu ce phénomène, qui paroïît ne pas arriver fouvent ; mais voici ce qu'en raconte le Doéteur Shaw , témoin oculaire de ces: défaftres. « Les Sauterelles, dit-il, que je vis en 1724 &c # 1725, étoient beaucoup plus grandes que nos _# Sauterelles ordinaires : leurs ailes étoient tachetées » de brun, & leurs corps & jambes d’un beau jaune, » Elles commencèrent à paroître fur la fin de mars, # le vent ayant été /xd quelque temps auparavant, té ble ‘ i EN BARBARIE. 307 5 Vers le milieu d'avril, elles s’étoient f prodigieu » fement augmentées ; qu'au plus fort du Jour elles » formoient des efpèces de nuées qui ébfcurciffoient » le foleil. Environ la mi-mai, leurs ovaires: étant » pleins , elles commencèrent À fe retirer les unes # après les autres dans les plaines de Melijiah 8 » autres lieux voifins, pour y pofer leurs œuf. Le ÿ# mois fuivant, l'on commenca à voir de jeunes Sau- » terelles; &x1l eft remarquable que dès qu’elles étoient » éclofes, elles fe joïgnoïent enfemble& formoientune » troupé ferrée qui couvroit plufieurs centaines de # Verges en quarré. Prenant enfuite leur route en » droiture, elles orimpèrent fur les arbres , les murs & 5 les maïfons , & dévorèrent toute la verdure qu’elles » trouvèrent en chemin, enforte que rién ne leur ÿ échappa. Poux les arrêter, les habitahs du pays » creüfoient des foffés à travers leurs champs & » leurs jardins, & les remplifloient d’eau, Où bien # ils rangeoient fur une même Îgne une crande # quantité de bruyère, de chaume & d’autres ma: #tières combuftibles | en y mettant le feu à Pap< # proche des Sauterelles : mais toutés ces précautions #ne fervirent de rien, Les foflés furent bientôt »comblés, 8 les feux éfeints par les effa ms fans »nombre qui fe fuccédoient les uns aux autres. » Celles qui marchoïent à la tête s’avançoient fans # rien craindre ; & celles qui fuivoïent ferroient les # premuères de ff près, qu'il leur étoit impofible V3 308 VOYAGE » de reculer. Un jour ou deux après qu'un de ces » grands corps eut pañlé, d'autres Sauterelles aou- » vellement éclofes leur fuccédoiïent, &c venoïent » glaner après les premières. Elles rongeoïent les » petites branches & lécorce des arbres dont les » autres avoient déjà dévoré le fruit &c les feuilles, » Ces Sauterelles ayant ainfi vécu pendant près » d'un mois, détriifant tout ce qu’elles pouvoient » rencontrer de verdure, fe trouvèrent enfin par- » venues à leur grandeur naturelle, &c changèrent » leur état rampant en fe défaifant de leur peau. Pour » faciliter cette métamorphofe, elles s’attachèrent » par les pieds de derrière à quelque buiflon!, branche » d'arbre ou coin de pierres, & faifant enfuite un » mouvemert femblable à celui des chenilles quand » elles marchent, on voyoit d’abord paroître leur »tête, & puis le refte du corps : toute la trans- » formation s'achevoit en fept ou huit minutes, » après quoi elles demeuroient, pendant un court » intervalle , dans un état de langueur; mais » aufli-tôt que le foleil &c l'air avoient durci leurs »ailes, & féché Phumidité qui y refloit, elles » reprenoïent leur première voracité, devenant » même plus fortes & plus agiles qu'auparavant. » Elles ne fubfiftoient pourtant pas long-temps dans » cet état, & fe difperfoient bientôt, comme leurs » mères, après avoir mis bas leurs œufs. Comme » leur vol & leur marche éioient toujours du côté EN DFA RE ÆRULE |: #6q #du nôrd, il y a apparence qu’elles périrent dans » la mer, qui, à ce que les Arabes difént, fert de » tombeau à toute forte d'infectes ailés (1) ». Heureufement les Sauterelles ont une foule d’en- nemis auxquels elles fervent de nourriture. Quoique naturellement herbivores , elles fe livrent entre elles des combats continuels, & les vaincues font tou- jours dévorées , au moins en partie, par les viéto- rieufes. Elles font encore la proie des Serpens , des Lézards, des Grenouilles, des Singes même quand is ne trouvent pas mieux, & de plufieurs oifeaux carnafliers. Jen ai trouvé dans l’eftomac du petit Aigle, de la Chouette & du Hibou. Les Maures, peu délicats fur le choix de leur nourriture, ne font point difficulté d'en manger. Ils vont à la chafle des Sauterelles, comme nous allons à la pêche des Grenouilles. Ils les font frire dans un peu d'huile & de beurre, & les vendent publique- ment à Tunis, à Bonne, à Conftantine, &c. L'on ne fera plus furpris, d'après cela, de voir un de nos prophètes, Jeaz-Baptifle, fe botner à ce feul aliment, & au miel fauvage, dont le goût eft très- délicat. GRYLLUS NASUTUS ( Lin.) Cupite conico, antennis ufiformibus , corpore viridi. Truxalis Nafutus. Fabricius. (1) Voyages de Shaw , tome I, page 331. #3 310 Vo TA ËGLE GRILLON A ANTENNES PRISMATIQUES. Tête cos nique, antennes en forme œépée, corps verd. Cet infeéte eft remarquable par fa tête conique plus alongée, plus longue que le corcelet , & par fes antennes très-grofles, triangulaires, terminées en pointe, &c creufes comme la lame d'une épée. Elles font plac’es très-proches lune de l’autre ; Pinfeéte les réunit très-fouvent ; elles femblent alors être une continuation de la tête qui, en cet état, a la forme d’un pain de fucre. Ven ai trouvé deux belles variétés, f. toutefois ce ne font pas Geux efpèces diftinétes. L'une a les bords des ailes vertes, environnés d’une lifière blanchâtre. L'autre eft grife par tout le corps. Ses ailes font marquées dans leur longueur de plu- fieurs lignes faillantes. Ily a, dans leur milieu, une efpèce d’enfoncement où lon apperçoit plufeurs Lones confufes formées par des points noirs & alongés. Le mâle eft de la même couleur, mais de moitié plus petit. La larve de ces infeétes paroît péndant l'hiver. Elle eft d'une couleur terreufe ou jaunâtre, On la trouve fréquemment dans les prairies avec les Mantes &cles différentes efpèces de Sauterelles. — SUBULATUS. ( Lin.) Thoracis fcutello abdomine longiore. GRILLON À CORCELET ALONGÉ. ( Geoffroy. ) L'écuflon du thorax plus long que le ventre. ds. “ Ÿ EN BARBARIE. 311 — Numipicus (1) (nobis.) Thorace carinato , “als minimis fquameis , cauda non armata. GRILLON DE NUMIDIE. Thorax en forme de carêne ; ailes petites, en écailles ; queue fans épée. Cet infette eft, dans ce genre, le plus gros que Jai rencontré. Il approche beaucoup du Grylus Elphas figuré dans Roëfel ; maïs il en différe par des caraétères bien tranchés. L’EXphas n’a point d'ailes ; il eft plus gros, plus ramañlé; fon corps eft hériflé en plufeurs endroits de pointes & de tubercules. Celui-ci r’eft pas auffi gros ; mais il eft beaucoup plus long. Son corps eft très-liffe, d'un beau verd. À Finfertion des anneaux , de la tête, du corcelet & des pattes, lon remarque, quand il fe développe, des taches de feu d’un rouge vif; mais ces taches font peu vifibles quand lPinfeëte eft en repos & fans mouvement. il n’a que deux petites ailes très-courtes, ovales, écailleufes, fortant de deflous le corcelet comme deux petites écailles, La femelle n’a point de fabre à la queue; mais fon dernier anneau eft terminé par quatre efpèces de dents femblablés aux ergors des oïfeaux. Les mâles ont le même attribut ; 1l eft aifé cependant de les diffinguer des femelles, celles-ci étant prefque une fois plus grofles. (1) Mal gravé dans le Journal de Phyfique. Août 1787, page 111. V 4 — “ Le : > 312 V 40 na (GE LS: : La larve de cet infeêle paroïît vers la fin de feptembre. Elle eft d'une couleur terreufe, jaäumâtre. C'eft par cette couleur & DER le défaut d'ailes qu'elle diffère de l'infeéte parfait ; elle eft encore Aclé? ä, reconnoître par fon extrême foibleffe, & par fon épiderme, qui alors ne paroît que membraneux ; 1 ne devient Le que lorfque l'iffete eft arrivé à fon dernier degré de : de A mefure que cette larve groffit, elle change de peau ; fa couleur jaunâtre prend ne teintes plus foncées ; & fur le point d'achever fa dernière métamorphofe, qui arrive dans le courant d'avril ou de mai, elle verdit un peu, & le rudiment de fes ailes commente à paroître. Lorfque le froid eft vif, elle fe retire dans le fble, où elle refte fans mouvement & fans ap- pétit; mais dès que le temps fe radouait, alors elle reparoïit dans les campagnes , s'attache aux boutons des arbres 8 aux jeunes plantes qu’elle dé- vore avec avidité. Jai parlé plus haut de la différence qu'il y avoit entre le mâle & la femelle. Celle-ci pond fes œufs dans le courant de juillet 8: d'août. Elle s'enfonce dans le fable perpendiculairement jufqw'au corcelet, développe fes anneaux pour rendre fon corps plus éfflé, 8c pénétrer avec plus de facilité dans ce fol mouvant, Elle a, dans cet état, près de fix pouces de long, dont quatre font tout-à-fit enfoncés dans le fable, Elle rend fes œufs en mañle, fous la forme = L Aie EN BARBARIE 313 de * d'un paquet cylindrique, arqué d'environ un pouce de long fur un demi-pouce de large. Ils font tous ferrés, collés enfemble par une glue noirâtre qui forme, avec le fable dont. elle eft mélangée, un. mcftic très-tenace. La femelle refte dans cette pofition pendant plus de huit jours, & pee enfin fur fa famille. Environ deux mois après, lorfque le fable, échauffé par le foleil, a développé le germe des œufs, les jeunes larves paroïffent ; mais avant de fortit de leur retraite, elles attendent que leurs forces puiflent fournir à leurs excurfions. Elles ont foin de choïfir , pour leur première fortie, un temps doux & un beau foleil. D'après la manière dont cette Sauterelle pond fes œufs, &c le lieu où elle les dépofe, fon organifation ne doit plus étonner. Le fabre ou le long dard dont font pourvues les autres Sauterelles femelies, luiauroit été inutile pour serfoncer dans un fable mobile : mais ü fon corps étoit moins efilé, fi elle navoit pin la faculté de développer fes anneaux, de les retrécir, & de former de fon corps une efpèce de pivot, elle rie pourroit dépofer fes œufs à une: profondeur fuffante pour les garantir des-:injures de l'air, & la chaleur, qui doit les faire éclorre, feroit bien moins concentrée. L'on conçoit encore combien de longues ailes lauroient gênée dans {es opérations. « 314 VoyaAGeE Cette remarque m'a conduit à obferver és. ss d’autres Sauterelles d’une efpèce différente, & ; Jai xeconnu que leur orgamifation étoit prefque toujours relative à la manière dont elles pondoient leurs œufs. Ien eft dont les ailes font auffi longues que le corps, &z dont le ventre eft terminé par un long dard. Celles-ci dépofent leurs œufs en terre , un à un, à plus où moins de profondeur. Elles répandent deflus une liqueur gluante. À chaque œuf awelles pondent, leur dard , compofé de is a creufées inté- rieurement, s’entre-ouvre, & chaque œuf gliffe le long de la future : d'autres ont les aïles de la fon- gueur du corps, fouvent même plus longues, mais elles font privées d'aiguillon. Les voilà donc forcées de dépofer leurs œufs fur la terre nue, ce qu’elles font en effet. Elles les rendent en mañe avec une glue abondante, propre à les fixer & à les garantir des injures de l'air. Les œufs enterrés produifent, en Barbarie, des larves dès la fin de l'automne , tandis que ceux qui reftent expofés à Pair n’éc clofent qu'au printemps. Ces chfervations pourroiïent devenir très - utiles aux cultivateurs, &: leur fournir peut-être les moyens de détrtire , au moins en partie, ces infeétes vo races. Si la terre étoit remuce peu après le temps de leur pondaifon, fi elle Pétoit à une profondeur convenable, la plupart de ces œufs expoñés à l'air, à la pluie & au froid, ne pouvant plus recevoir la EN BARBARIE. 31$ chaleur qui leur eft néceflaire pour éclorre, péri- roient infailliblement , ou les jeunes larves, cachées dans le fein de la terre jufqu’à ce qu’elle fe couvre de verdure, & que latmofphère foit échauffée par le foleil du printemps, forcées d'abandonner trop tôt leur retraite, fupportercient difficilement la faim & le froid : elles fercient encore dévorées par une foule d'autres animaux que le défaut de nourriture, dans la mauvaife faïfon, rend moins difficiles fur le choix. Je reviens à notre infe@e, dont j'ai trouvé la variété fuivante, + GRYIIUS NUMIDICUS CRUENTATUS. Corpore maculis fangurineis cooperto. GRILLON DE NUMIDIE ENSANGLANTÉ. Tout le corps couvert de taches couleur de fans. Cette variété eft couverte par-tout de grandes taches rouges nuancées. On croiroit, au premier afpet, que cet infeête eft enfanglanté & déchiré par les bleflures. Il n’a que les pattes & les antennes un peu vertes. I m'a paru, par des obfervations conftantes, que cette varicté n’étoit pas un chan- gement de couleur dans le Gryllus Numidicus, mais awelle appartenoit à un individu féparé, que les efpèces vertes ne devenoient point rouges : comme cependant je n'ai pu m'aflurer fi cette varièté fe perpétuoit fans mélange | je nai pas ofé en faire deux efpèces différentes. 316 VOYAGE — GRYLLOTALP4. ( Lin.) Thorace rotundato , als: caudaus elyts longioribus , pedibus anticis palmatis éomentofrs. GRILLON COURTILLIÈRE. Thorax arrondi; aïles en queue, plus longues que l’étui ; pieds de devant velus, en forme de mains. | Cet infeéte m'a paru beaucoup plus petit que celui que l’on trouve en Europe, & que les Jardiniers connoifflent fous le nom de Tawpe-Grillon. I vit fous terre dans les prairies & les lieux cultivés. — CAMPESTRIS. ( Lin.) Thorace rotundato , cauda Biféta flylo lineari, als elytro brevioribus ; corpcre 711910. GRILLON DES CHAMPS. Thorax arrondi; queue a deux filets linéaires en forme de flylet ; aïles plus courtes que l'étui, corps noir. Voici la defcription d’un autre Grillon peu com- mun, & que je nai jamais trouvé que dans les forêts ; mais je n’oferois décider sil eft larve ou infede parfait , quoique je l’aie toujours rencontré dans le même état. Il a le corcelet arrondi, la partie antérieure enveloppe la tête; la poftérieureeft relevée, élargie, ridée, avec trois angles obtus ; de deffous ce corcelet fortent deux étuis ou ailes , croifés Pun fur l'autre, ovales, en forme d’écaille, bordés de jaune, qui dépaffent à peine de deux lignes. Cet infeéte EN BARBARIE. 317 a la tête & le thorax verds, le ventre brun &c nuz les anneaux du ventre bordés d’un jaune clair. Sa queue eit un fabre recourbé. Ses antennes font fli- formes, beaucoup plus longues que le corps. Il rend un fon clair & agréable par le frottement de fes étuis &c de fes ailes. Il s’eft confervé dans ma colle&tion en affez bon état. Il tient ordinairement fon fabre recourbé fous le ventre. MCADA CIGALE _— PLEBEIA. ( Lin.) Scurelli apice bidentato ; elytris anaflomofibus quatuor, lineifque [ex ferru- gineis. CIGALE DE PROVENCE. Deux dents au foramet de l’écuffon ; quatre étuis en anaftomofes, avec fix lignes noirâtres. Cette Cigale fe tient fur les arbres & dans les buiffons. — HAMATHODES. ( Lin.) rigra, immaculara, abdomine incifuris farguineis. CIGALE DE PRÈS, noire, fans taches, avec des efpèces d'incifions couleur de fang fur le ventre. Cette Cigale, au/moins celle que jai trouvée ; eft de moitie, plus petite que la précédente. Je n’y ai point remarqué les taches de fang dont parle Linné ; le refte de la defcription y convient bien, 318 Vo Y:AAGIE Cette efpèce eft très - commune dans les prés où fo chant continuel & perçant fe fait entendre, fur-tout dans le haut du jour. En général fa couleur eft d'un brun noir ; mais lorfaw’eile fort de fa chryfalide, fon corcelet, fa tête & fes ailes font d’un très - beau verd. Elle perd cette couleur en moins d’une demi- heure, à mefure qu'elle fe sèche, &r que fes ailes fe développent. | LIBELLULA DEMOISELLE. — MAcuLATA. ( Lin.) Alis poflicis baft ornibuf- ‘que medio àntico macula nigricante. DEMOISELLE FRANçOISE. Une tache noirâtre à {a bafe des ailes inférieures, & à toutes la même tache au milieu du bord extérieut. — FLAVEOLA. ( Lin.) Alis bafi luseis. * L e 3 DEMOISELLE JAUNE, Aïles jaunes à leur bafe. _— DEPRESSA. (Lin. ) A%s omnibus bal? nigri- cantibus , thorace linceis duabus flavis, abdomire lanceolato lateribus flaveftente. DEMOISELLE APPLATIE. Toutes les ailes noires à leur bafe; deux lignes jaunes fur le thorax ; ventre lancéolé avec les côtés jaunes: Cette efpèce a le ventre gros, large, & comme applatis | EN BARBARIE. 319 — FORCIPATA. (Lin.) Thorace nigro charaële- ras varils flavefcentibus cauda anguiculata. DEMOISELLE A CROCHETS. ‘fhorax noir, avec différens caraétères jaunâtres , & la ae OngUI- | culée. — ÆNEA. (Lin.) Thorace Œreo-viridi. DEMOISELLE AZURÉE. Thorax d’un verd d’airain. — VIRGO. (Lin.) As eretlis coloratis. DEMOISELLE vierGE. Ailes droites, colorées. Jen ai trouvé beaucoup de variétés dont les ailes avoient différentes teintes de noir, de brun, de roux, — PUELLA. Als ere&is hyalinis, DEMOISELTE ENFANT. Aïles droites, couleur d'eau. EPHEMERA. ÉPHÉMÈRE. — LUTEA. (Lin. ) Cauda trifes:, corpore luteo > als hyalinis reticulatis. ÉPHÉMÈRE JAUNE. Queue terminée par trois foïes ; corps jaune ; ailes réticulées, tranfparentes, de couleur d’eau. — NiGr4. (Liñ.) Cauda bifeta , corpore nigro, alis migricantibus ; inferioribus minimis. 3 s . * pe # 320 V0 Y'ARGTE ÉPHÉMÈRE NOIRE. Queue terminée pat deux foies ; ailes noirâtres; les inférieures très-petites. HEMEROBIUS HÉMÉROBE, — PERLA. ( Lin.) Lureo - viridis, alis hyalinis : vafis viridibus. HÉMÉROBE PERLE, d’un jaune-verd ; ailes couleur d’eau ; les vaifleaux verds. SPECIOSUS. (Lin. ) fufeus, als grifeis nigro ma- cu latis. | HÉMÉROBE BRILLANT , brun ; aïles grifes, ta- chetées de noir. , MYRMELEON. FOURMILION. — LIBELLULOIDES. (Lin. ) Afs nigro punüats viaculatif[que. FOURMILION - DEMOISELLE. Ailes ponétuées de noir, avec de grandes taches de même couleur. Ce bel infeûte eft affez commun dans les lieux fablonneux, où probablement il dépofe fes œufs, & où vit fa larve. Ses ailes font grandes, larges, arrondies, plus longues que le.corps, ornées de lignes , de points & de taches noires, dont la plupart forment un quadrille noir & jaune. Les deux pre- mières, étendues en ligne droite, ont quatre pouces d'une extrémité à l'autre. Le corps a dix-huit lignes de long. Il préfente des cercles alternativement jaunes & / EN BARBARIE. 321 &c noirs : les côtés font blanchâtres , le deffous du ventre eft plus noir que jaune , le corcelet couvert de poils épais. Je n’ai pas pu trouver la larve de cet infecte. | — LONGICORNE. (Lin.) Alis flavis ; maculis duabus nigris difformibus, antennis longitudine corporis. FOURMILION A LONGUES ANTENNES. Ailes jaunes; deux taches noires irrégulières ; antennes de la lon- oueur du corps. — BARBARUM. ( Lin.) As hyalinis, antennis longitudine corporis : clava fuborbiculara. FORMILION DE BARBARIE. Aïles de couleur aqueufe , antennes de la longueur du corps ; le bout des antennes prefque orbiculaire. Ces deux dernières efpèces font beaucoup plus rares que la première. Je n’ai pas rencontré notre Fourmilion d'Europe ( Myrmekon formicarium) ; mais jai trouvé des larves qui reflembloient par- faitement à la fienne. Comme je n'ai pas fuivi leur développement , j'ignore fi elles lui appartenoïent. PART O"R PA: PA N'OR'P'E, — Co4. ( Lin.) Alis ereëlis ; poflicis fublncaribus longi ffimis. _ PANORPE DE L'IsiE DE Co. Aîles droites ;, les inférieures prefque linéaires, très-lonorres. Part. I. X 322 VOYAGE Ce joli infette eft très-remarquable par fes aîles inférieures que lon prendroit plutôt pour deux balanciers. Elles font longues, prefque linéaires, très-effilées à leur origine, s’élargiffent un peu jufques vers leur extrémité, où elles forment une palette ovale qui finit par une queue plate à demi-tordue, Leur couleur eft alternativement blanche & brune, Les ailes fupérieures font larges, prefque ovales, Son ventre eft orné de bandes jaunes & verdâtres, alternatives & longitudinales. S'R\H EX. 15 PER — BIDENS. (Lin.) Atra, abdomine petiolato bre . wiffimo , tibiis poflicis clavatis denticulatis rufis. SPHEX A DEUX DENTS, d'un noir matte, le ventre attaché à un pétiole très-court, les pattes de derrière en forme de clous, denticulées, roufles. — MAURITANICA. ( Lin.) Nigra, capite antennis pedibufque ferrugineis , alis Limbo nigro. SPHEX DE MAURITANIE, de couleur noire ; la tête, les antennes & les pieds couleur de rouille; le limbe des aïles noir. — MAXILLOSA (1) (nobis), xigra, abdomine (1) Très-mauvaife gravure dans le Journal de Phyfique, mois d'Août 1787, page 111. EN BARBARIE. 323 petiolato violaceo-apice fulvo ; ‘maxillis arcualis acutis longitudine € forma capitis. SPHEX À FORTES MACHOIRES. De couleur noire; ventre attaché à un pétiole, violet, jaunâtre à fon extrémité; mâchoires arauées, aiguës, de la forme &c de la longueur de la tête. Jai trouvé ce bel infe@e dans la toile d’une araignée , dont je parlerai plus bas. Je mai pu le. rencontrer ailleurs. Peut-être avoit-1l été imprudem- ment attaquer ; car l’on fait que le Sphex s'empare des araignées ou des larves d'infetes, qu'il les tue, & dépofe fes œufs dans leur cadavre; enfuite, avec fes deux pattes de derrière, 1l forme un trou en terre, y place l'infeëte qui renferme fa famille, & en bouche l'ouverture avec foin. Ses petits, un à un dans chaque infefte, trouvent en fortant de l'œuf, une nourriture qui leur convient, Ils ne quittent leur prifon que lorfqu'ils font devenus 27/2&es- parfaits. Un caraftère frappant dans ce Sphex eft la longueur de fes mächoires. Elles font très-fortes, en forme de pinces, longues, effilées, très-aigués, couvertes de plufieurs petits poils roufätres. Sa tête eft plate, hémifphérique. Son corcelet a, fur là partie antérieure, deux grofles tubercules noires. La tête & le corcelet font noirs, les ailes fauves, l'extrémité des premières marquées d’une tache bleuâtre, Le ventre a une très-jolie forme ovale. . X 2 324 VOYAGE Il eft liffe, d’un bleu d'acier trempé, un peu tacheté de roux aux derniers anneaux. Les pattes font fauves; cinq articulations aux taries ; à chaque articulation des poils rudes en forme de broflettes, ARTS; + AIBTE TT WE — CINERARIA. ( Lin.) Nigra, thorace hirfuto albicante ; faftia nigra, abdomine cærulefcente. ABEILIE EN DEUIL, de couleur noire , thorax hériffé de poils blanchätres , avec une bande noire; ventre couleur d'azur. Cette Abeille fait fon nid en terre dans les plus épaifles brouffailles. — RUFA. (Lin. ) Fufta, abdomine rufefcente ; fronte alba. ABEILLE ROUSSE. Roufle par tout le corps, le ventre roufsâtre , le front. blanc. | — MEzLiFicA. (Lin.) pubefcens , thorace [ub- grifeo , abdomine fufco , tibiis poflicis ciliatis , intus cranfverfe.. ffriatis. ABEIzLE MOUCHE A MIEL. Velue; thorax prefque oris ; ventre roux ; pattes de derrière ciées , ftriées en dedans tranfverfalement. Les Abeilles fauvages, en Barbarïe, dépofent leurs rayons dans les fentes des rochers, dans le creux EN-BARBARTIE. 325$ des arbres. Leur miel a une faveur délicieufe. Les Arabes forment les ruches avec des écorces de liège, qu'ils réunifflent en tuyaux cylindriques , & qu'ils étendent par terre en les environnant de brouflailles, La cire eft un objet de commerce aflez confidé= rable. / — CUNICULARIA. (Lin. ) Putefcens , thorace fers rugineo, abdomine fufco, pedibus undique villofis. ABEILLE TERRIÈRE. Velue; thorax couleur de rouille, ventre roux, pieds velus par-tout. Jai trouvé un très-grand nombre de ces Abeilles dans les citernes qui fe trouvent aux ruines d'Hyp- pone. Elles logent dans des trous qu’elles fe font formés dans une terre sèche & noire. — BARBARA. (lLin.) Nigra, thoracis anbien rufo. ABEILLE DE BARBARIE, de couleut notre; [a circonférence du corcelet roufsâtre. Cette Abeille eft très- petite, toute noire ; excepté le corcelet, qui a un peu de roux fur le bord. _— VioracE4. (Lin.) Hirfuta, atra, alis cœru= Lefcentibus. ÂBEILLE VIOLETTE, velue, d’une couleut matte ; les ailes d'un bleu azur. X 3 4 326 VoyAGE Cette-Abeïlle fe nourrit particuliérement de fruits Elle loge dans le tronc des arbres. — TERRESTRIS. ( Lin.) Hirfuta, nigra, thoracis cingulo jlzvo , ano albo. ABEILLE TERRESTRE, velue, noire, une ceinture jaune fur le thorax, lextrémité du ventre blanche. — MuscoruM. (Lin.) Hirfuta fulyva, abdomine flavo. ABEILLE DES MOUSSES; velue, d'une couleur fauve, le ventre jaune. : FORMICA4 FOURME _— BARBARA. (Lin.) Atra, capite antennis plan- tifque. ferrugineis. Fourmi DE BARBARIE, d’un noir matte, la tête les antennes & les pieds couleur de rouille. Cette Fourmi habite dans les bois. Elle eft groffe, forte; fes piquures font très-douloureufes. — RuFA.( Lin.) Thorace compreflo toto ferrugineo, capite abdomineque nigris. FOURMIE ROUSSE. Thorax comprimée, couleur de rouille ; la tête & le ventre noirs. Cette Fourmi eft moins #rofle que la précédente ; elle n’en eft pas moins méchante. Elle habite les bois EN BARBARIE 327 & les jardins, attaque les fruits des arbres, fait la guerre aux Pucerons, ou plutôt à la liqueur miel- leufe qui découle de leur corps. — NIGRA. ( Lin.) Tote nigra nitida, tibiis cine- rafcentibus. FourMi NOIRE. Entiérement noire, luifante; les pattes un peu grisâtres. Cette efpèce eft une des plus petites. Elle fré- quente les appartemens, s'infinue dans les buffets, y attaque les fucreries, les confitures, &rc. & fe multiplie, fur-tout dans les pays chauds, à un tel point, qu'il eft prefque impoffible de fe débarrafler de ces hôtes importuns. M'étant abfenté pendant quelques jours de la Calle, à mon retour Je trouvai ces fourmis établies par milliers dans lap- partéement où je tenois mes boîtes d’infeétes. Ellès les avoient tous mutiles à un tel point, que je fus obligé de travailler à une nouvelle colleétion. Je ne garantis mes nouveaux infeétes de l'attaque de ces Fourmis , qu'en répandant dans mes boîtes beau- coup de camphre & de térébenthine. Je pris enfuite le parti de fufpendre des planches au milieu de mon p'afond avec des cordes trempées dans l’effence de térébenthine , que je renouvellois de temps en temps. Ce moyen me réuflit parfaitement, Ayant de cette manière mis mes infeétes en füreté, Jimaginai de profiter de la vifite de ces Fourmis X 4 328 Vovyac'e pour étudier leurs moœcurs, 8 m’amuferläiquelques expériences. Quoique cette petite république ait été affez bien obfervée, lon me permettra de préfentet ici quelques. chfervations ‘particulières fur ces in- {e@tes, dont les travaux ont fi fouvent excité notre admiration. Sn D Il eft peu d'êtres dans la Nature, plus a@tifs, plus laborieux que la Fourni, fi l'on en excepte Fin- duftrieufe Abeille, Par le moyen d'un petit Lézard à demi putréfié, que je plaçai fur une caïfle où javois des arbuftes , je raflemblai , en moins de douze heures, des milliers de Fourmis. Il ÿ avoit du plaïfir à les voir accourir de tous côtés , fans trop favoir d'où elles venoient. Elles attaquèrent leur proie avec tant d'acharnement, que des le lendemain elle fut dévorée, 8 que ces’ Fourmis s'étoient déjà logées dans la caïfle. Je leur préfentai plufieurs petits oïfeaux; elles les anatomisèrent promptement , & avec tant de propreté, que l'art ne pourroit parvenir à avoir. des fauelettes plus par- faitement dépouillés de toutes portions cartilagineufes ou graifleufes. Il n’eft point de meilleurs &c de plus nabiles anatomiftes , & ceux qui s'occupent de cette fcience, pourroient, pour les petits fujets, profiter avec avantage des travaux des Fourmis; mais il faut les fuivre de près, parce qu’elles s'emparent fort bien des os, après avoir coupé les nerfs qui les uniffent, EN PBARBARIE 239 2x Rien de plus admirable que de voir ces Fourmis, àpeine vifbles, enlever des fardeaux très-pefans , êt fe charger d'énormes rochers qu’elles tranfportent au loin, fans être arrêtées par les vallées, les mon- tagnes, les'précipices qu’elles rencontrent en leur route. Je:les ai vues, chargées d'une patte, d'une cuifle à moitié rongées , defcendre du haut d'un vafe dé quinze pouces, qui fe retrécifloit vers fa bafe, &c formoit un précipice rapide & dangereux; Je les aivues, dis-je , le franchir avec courage, & fe rendreavec leur butin dans leur demeure commune, fituée au pred de ce vafe. Trois, fix, huit tout au plus, fiffifoient pour defcendre un fardeau au moins trente fois plus gros qu'elles. Dans ces opérations elles-s’entre-aident avec une intelligence admirable. Tandis que les unes fufiflent le fardeau 8c le tirent avec Jeurs pinces , d'autres pañlent deflous & le foulèvent pour faciliter le tranfport. Si elles ren- contrent un obftacle infurmontable , elles retirent leur fardeau en arrière, fans fe décourager , enlèvent lobftacle, f elles le peuvent , ou ont recours à des moyens relatifs aux circonftances. Ilferoit difficile, même avec la plus fcrupuleufe attention, de deviner le but de toutes leurs dé- marches. À peine ont-elles trouvé une-proie confi- dérable, telle qu’un oifeau, qu'auffi-tôt elles com- mencent par l’environner de terre, de fable & de gravier, jufqu’à ce qu’elle foit parfaitement enterrée. 330 VOYAGE Quand elles veulent y travailler , elles découvren les parties qu'elles vont attaquer ; & le travail fini, elles les recouvrent avec foin. Quel eft donc leur but dans ces pénibles opérations, & qu'elles regar- dent comme fi eflentielles, que fi lon détruit les monceaux de terre qui recouvrent le cadavre, ‘elles s'empreflent bien vite de les rétablir ? Seroit - ce pour cacher leur proie aux autres infeétes voraces ? ou bien pour faciliter leurs travaux , en formant une efpèce de glacis en pente douce jufqu’aux parties les plus élevées de l'animal ; ou pour dérober leurs opérations aux yeux des fpeétateurs, ou plutôt fe dérober elles-mêmes aux ardeurs du foleil (1) Quoi qu'il en foit, 1l eft probable que tous ces grands travaux ne tendent qu'à procurer à la république des jouiffances plus pa:fibles , & pour lefquelles lon facrife le repos du moment. Ceff fürement dans les mêmes vues, qu'après avoir enterré leur proie, elles creufent en deflous différens canaux qui-vont aboutir à la: demeure commune. S'1 s'agit au contraire d’une mouche , d’un fca- rabé, ou de quelque autre infefte de médiocre grodeur , elles lattaquent en grand nombre; le (x) Le foleil étoit fi brülarit dans l'angle où elles fe trouvoient, qu’elles ceffoient de travailler pendant la grofle chaleur, excepté lorfque je les garantiflois avec un vafe ou un autre infirument. EN BARBARIE. 331 _faïfiflent , & le defcendent tout vivant dans leur ob£ cure caverne. C’eft-là qu'il trouve fon fupplice & {on tombeau. Je les ai vues attaquer 8 vaincre de très- gros hannetons que j'avois livrés à leur voracité. Ces combats fe pafsèrent au fond d’un vafe à hauts bords, où, par le moyen d’un appât, j'avois afflemblé la fourmillière. Elles faifirent Panimal par les pattes, par les antennes, par l'extrémité de fes aîles, &, malgré fes efforts, elles trainèrent courageufement vers le lieu de fa deflination ce coloffe renverfe fur le dos. Celui-ci fe relève, s’agite, veut fuir, & ‘entraîne avec lui de nombreufes Fourmis qui lui pendent de toutes parts. Mais bientôt fes forces font épuifées ; 1l fuccombe, & plie fous les efforts mul- tipliés de fes nombreux ennemis. Il n’a pas même lefpoir de fe fauver par la courfe. S'il y eft trop habile, les ennemis qu’il entraine avec lui, chemin faifant lui coupent les jarrets. Les pattes tombent ; alors plus de difficultés. L'infecte eft conduit dans l'antre ténébreux : mais fouvent l'ouverture en cft trop étroite, Dans ce cas, après avoir effayé en tous fens de faire entrer lanimal, fi l'on ne peut y reufhr, le parti eft bientôt pris. L’on élargit lou- verture, & l’on y tranfporte par morceaux ce qui ne pouvoit y entrer en entier. Il ne fufñt pas à lobfervateur de la Nature de fuivre pas à pas les opérations des infeétes , il doit encore mettre leur intelligence à l'épreuve, Par-là 232 : Vo yaAGEz x il reconnoîtra que ces petits animaux ne font point de pures machines ,; mais qu'ils favent très - bien combiner les moyens avec la fin; & que fi on les détourne de leur route ordinaire, ils en choififfent une autre appropriée aux circonftances. Ma petite république m'en fournit la preuve, Ayant traverfé un Lézard d'une longue épingle noire; jappuyai les extrémités de cette épingle fur les bords d'un vafe, de forte que la proie étoit fufpendue au milieu du vafe, Point d'autre chemin pour y arriver que Pépingle qui fervoit de pont; mais d'un pont fi étroit, qu'il ne pouvoit y pañler qu'une Fourmi de front; &c lorfque deux fe rencontroient, ïl falloit que lune pafsit pardeflus lautre. Mes Fourmis, attirées par l'odeur , eurent bientôt trouvé la fource des émanations. Elles s'y rendirent en foule. Il étoit facile d'y arriver. Mais s'agifoit-1l de revenir, & fur-tout de revenir chargé? cétoit alors que les inconvéniens fe faïfoient fentir. Les Fourmis s’em- barrafoient les unes les autres : .elles culbutoient pat douzaines : le défordre étoit affreux. Enfin les ouvrières, fatiguées par les. embarras & les chütes, prirent. le parti d'abandonner le travail & de refter fixées à leur proie, qu'elles rongèrent tranquille- ment. Dans cette pofition, point d’inquiétudes pour la vie. C'étoit fort bien; mais les intérêts communs en fouffroient , & légoifme eft le vice le plus deftruéteur des républiques. Ces républicaines ne EN BARBARIE. 333 purent donc fe fouffrir long - temps loin de leur patrie, malgré la pofition la plus avantageufe. Les travaux communs étoient interrompus, les pro- vifions manquoient au magafin, la famille languif- foit, les petits mouroient de faim. Mais, que faire? toutes les fois que lon effayoit de pafler le pont, de nouvelles venues barroïent le paflage : les chûtes étoient fréquentes , mais point dangereufes. Guidées pat Pexpérience, ces intrépides républicaines réfo- lurent de fe laifler tomber avec leur fardeau, non pas du pont, maïs de la partie inférieure du Lézard - qu touchoit prefque le fond du vafe. Ce moyen une fois trouvé, les Fourmis fe précipitoient en foule avec leur charge, & remontoient contre les parois du vafe. Dès-lors tout fut de nouveau en aétivité. Plus d’obftacles, plus d'embarras. Quelques- unes, il eft vrai, troubloient l’ordre; mais le plus grand nombre obfervoit cette marche. Je n'ai pu recueillir qu'un très - petit nombre d'obfervations fur les mœurs des Fourmis. Cette partie exige, de la part de l’obfervateur, beaucoup de précifion , de difcernement, & le ta&t le plus délicat. Les membres d’une fociété particulière, réunis par des intérêts communs, femblent devoir exclure de leur corps tout étranger qui viendroit fe mêler à eux, & partager leurs richeffes, i1ême en partageant leurs travaux. L'efprit républicain des Fourmis paroït s'écarter de ce principe, Voilà 334 VOYAGE ce que j'ai eu lieu de remarquer à ce fujet. J'ai plats fieurs fois tranfporté quelques Fourmis d’une four- millière dans une autre, ou plutôt, je les ai jettées au milieu des butineufes. Leur arrivée occafonnoit d’abord quelques défordres ; mais bientôt le tout s’appaifoit. Celles-ci étoient reçues & incorporées. Elles fe mettoient aufli-tôt à travailler pour les intérêts publics, fans être inquiétées. Cependant mes Fourmis étant de la plus petite efpèce, comme je Jai dejà obfervé, je n’ai pu fuivre long - temps ces nouvelles citoyennes. Il eft fi aifé de les con- fondre, que je n’ofe là-deffus prononcer affirmati- vement. Mais voici qui eft encore plus difficile à expliquer. Jen eftropiai quelques - unes, que je jettai fur le pañfage des ouvrières. La première qui la rencontroit s'agitoit confidérablement, couroit çà &c là, comme éperdue ; bientôt une feconde arrivoit. Le gros de la troupe ne tardoit pas à recevoir des nouvelles, Auffi-tôt le défordre emparoit de la multitude ; les travaux étoient fufpendus. On alloit en foule rendre vifite à l'eftropiée. Les unes fe contentoient de lexa- miner, pañloient outre, & reprenoient leur travail; d'autres la faififloient , la trainoient quelque temps, &c l'abandonnoient. Enfin une dentre'elles s'en em- paroït. La malade confiée à fes foins, étoit éloignée de la multitude, conduite loin des travaux & de la fourmillière, & enfin abandonnée à elle-même, EN BARBARIE. 33$ Que de chofes à dire fur un fait auffñ fingulier ; mais auparavant que de chofes à obferver ! L'ordre que les Fourmis obfervent dans leurs travaux, eft encore à remarquer. Chacun fait qu’elles forment ordinairement deux lignes bien tracées, fur. tout lorfque la fourmillière eft éloignée du lieu où elles vont butiner. L’une de ces lignes eft formée par les Fourmis qui vont à vuide au travail, &c l'autre, par celles qui reviennent chargées. Cepen- dant cet ordre n'eft pas tellement exaét, qu'il ne foit fouvert interrompu. Plus la fourmillière eft près du lieu du travail, moins il y a d'ordre. Il eft, en effet, bien moins néceflaire, que dans les voyages de long cours. L’on apperçoit aufli plufieurs d’entre elles . courant çà &c là fans paroïtre avoir de but déterminé : cependant quelquefois elles s’approchent d’autres Fourmis qui femblent ne rien faire, Aufli-tôt ces dernières s’agitent & retournent à l'ouvrage. Ces Fourmis vagabondes feroient-elles des furveillantes pour aiguillonner les pareffeufes, & empêcher qu'au- cune d'elles ne foit à rien faire? Mais faut-il aux animaux d'autre aiguillon que leur propre nature, pour remphr les fonétions auxquelles ils font def- tinés ? D'ailleurs, quand il s'agit de fuppofer des intentions à des êtres auf éloignés de nous, il faut être très-réfervé & bien voir avant que d’ofer pro- noncer. L'amour du merveilleux nous a fouvent fait prêter une intelligence chimérique à ces petits 336 Vo. ,GE êtres qui occupent un des derniers anneaux dans la chaine des animaux. 1 ForMICA RUBRA. ( Lin.) Teflacea , oculis punëo- que [ub abdomine nipris. FouRMI ROUGE. Teftacée ; les yeux noirs & un point noir fous le ventre. Je crois que c’eft cette même efpèce qui, en Provence, pañle l'hiver fous l'écorce des feps de vignes, où ces Foursmis font entaflées & engourdies. O'E:S"T R'U"S. "OPEN _ Boris. (Lin.) Alis maculatis , thorace flavo ; fafcia fufca, abdomine flavo apice nigro. OESTRE DU Bœur. Ailes tachetées; thorax jaune, avec une bande fauve; ventre jaune ,. l'extrémité noire. La fureur qui tranfporte les Bœufs lorfque.cet infe&e cherche à dépofer fes œufs fous leur peau, eft connue. Jen ai vu des effets terribles en Afrique, où cet infeéte paroît acquérir plus de vigueur à mefure que les chaleurs font plus fortes. C’eft ordinairement. depuis dix heures du matin jufqu'à trois heures après- midi, qu'il fait fentir fes cruelles piquures. Dès que les. bœufs en font attaqués, ils 'agitent, fe tourmen- tent, & finiflent par devenir furieux. Ils courent de EN BARBARIE 337 de tous côtés à travers les forêts, cherchent inuti- kment à fe débarraffer d’un ennemi qu'ils ne peuvent vaincre. Îndociles alors à la voix de leur maître, ils Ségarent au loin, fe difperfent, & quelquefois reftent perdus pour le propriétaire. C'eft afin d'éviter cet inconvénient, qu'à la Calle on lesramène pendant Pété fur la place dans le haut du jour, & qu’on ne les reconduit aux pâturages que le foir. — NASsALIs. ( Lin.) As immaculatis , thorace ferrugineo abdomine nigro, pilis flavis. OESTRE DES CHEVAUX. Ailes fans taches; thorax couleur de rouille, ventre noir avec des poils jaunes. — HAMORROIDALIS. (Lan) A4s immaculatis, thorace nigro : fcutello pallido , abdomine nigro , baft albo apiceque fulyo. OESTRE HÉMORRHOIÏDAL, Ailes fans taches; thorax noir, avec un écuflon pâle; ventre noir, blanc à fa bafe, & fauve à fon extrémité. Ces deux efpèces attaquent les chevaux. La pre mière dépole fes œufs dans leurs nafeaux; & la feconde , dans le fondement : mais leurs piquures n’excitent pas, dans ces animaux, une fureur égale à celle qui agite les bœufs. Je n'ai point rencontré l'Oeftre dont la larve fe nourrit dans les finus frontaux du nez des moutons, Jignore sil exifte en Barbarie, Part, I, pu 333 V o # «AAGîE FTPOUTA TTPOUUS 3 — LiTTORALIS. (Lin. ) Wirefcens | alis immaz L2 cuatis , pedibus anticis longiffimys. TiPULE DES RIVAGES. Verdâtre, ailes fans taches, les pattes de devant très-longues. Cette efpèce eft très-commune le long des étangs des rivières, & fur le bord de la mer. Je ne lui ai trouvé aucune différence avec celle de l'Europe, TABANUS. TAON. — MAURITANUS. ( Lin.) Oculis nigricantibus ; abdominis fecundo fegmento macula nigra, roftro corpus æquarte. TAON DE MAURITANIE. Yeux noirs , une tache noire fur le fecond anneau du ventre, trompe de la longueur du corps. Cet infeéte eft à-peu-près de la groffeur de notre Mouche commune. Il eft remarquable par fa longue trompe & les anneaux du ventre de différentes cou- leurs. — Borinus. (Lin.) Oculis virefcentibus , abdo- minis dorfo maculis albis trigonis longitudinalibus. TAON DES BŒUFS. Yeux verts, taches blanches ; triangulaires, longitudinales fur le dos du ventre, EN BARBARIE. 339 Cette efpèce eft la plus commune. Elle s'attache à la fuite des chevaux & des bœufs. — Moro. ( Lin.) Oculis corporeque toto atro ; alis hyalinis. TAoN Morto. Les yeux &z le corps d'une couleur fombre, les ailes tranfparentes. On le voit voltiger continuellement dans les forêts & les lieux ombragés. | CLEE X 7 CG OU STN — PIPIENS. (Lin.) Cirereus , abdomine annuls fufcis oûto. Cousin commun. De couleur cendrée, huit anneaux bruns au ventre. Il eft f commun en Barbarie, qu'il ne laiffe aux hommes aucun repos pendant le jour, & trouble cruellement le fommeil pendant la nuit. I vole toujours en troupes nombreufes, —/ARGENTEUS. (nobis) Dorfum fquainis argenteis exornatum , tibiis faftiatis. Quoique cet infete ait été détruit avec beau coup d'autres dans ma colletion, Jai cru devoir en parler ici, Il eft de la groffeur du précédent ; mais fi richement paré / que je lui ai fouvent par- donné fes piquures pour le plaifir de l'admirer. Tout fon corps, particuliérement le dos, eft couvert Var 340 VOYAGE d'écailles argentées, comme autant de paillettes orbi- culaires & brillantes. Ses pattes font ornées de bandes alternatives brunes & argentées, HIPPOBOSCA. HIPPOBOSOMIE: —EQUINA. (Lin.) Alis obtufis, thorace albe wariegato , pedibus tetradaïtylis. HIPPOBOSQUE DES QUADRUPÈDES. Ailes obtufes, thorax blanc, panaché; quatre doigts aux tarfes. — AVICULARIA. (Lin.) As obtufis, thoracæ unicolore. HIPPOBOSQUE DES OISEAUX. Ailes obtufes, thorax d'une feule couleur. ARANEA ARAIGNÉE. De plufieurs belles efpèces d’Araignées que j'ai rencontrées en Barbarie, je ne citerai que celles qui ont plus particuliérement fixé mon attention par leur couleur, leur forme, leurs mœurs, &cc. N'en ayant pu conferver beaucoup d’autres, Jaime mieux n’en point parler que de rifquer de tomber dans quelque erreur, & d'y induire le leéteur. ARANEA FASCIATA *. (Fabricius, fyft. Entom.) * Figurée dans le Jouraal de Phyfique , mois d'avril 1787, page Idle EN-BARBARIE. 34r TAbdomine fafcis flavefcentibus, pedibus fufco annularis, Muf. D. Bank. ARAIGNÉE A BANDES. Le ventre divifé par des bandes jaunes ; anneaux de couleur fauve aux pattes. L’Araignée que j'ai rapportée, & qui fe trouve dans le cabinet de M. Gigot d'Orcy, me paroït être celle que Fabricius cite du cabinet de M. Bank, &c qui vit dans l'île de Madère; mais fi c’eft la même, fes yeux font mal décrits. Au lieu détre placés dans la cinquième divifion, parmi les Araï- gnées qui ont les yeux difpofés ainfi :::., elle doit être renvoyée dans la neuvième, parmi celles dont les yeux font rangés de la manière fuivante Cette Araïgnée a le corps orné de bandes tranf- verfales noires & jaunes, femblables à celles de quelques Guèpes. Le thorax eft une écaille dure, couverte de poils blanchâtres. Ses pattes font brunes à leur première divifion , & fe terminent par des bandes alternativement noires & cendrées. Sous le ventre, les bandes , au lieu d'être tranfverfes , font longitudirales, &c piquetées de plufieurs petits points noirs. Quand cette Araïgnée a acquis fon entier acèroif- fement, elle eft prefque de la grofeur du pouce , ce qui arrive à la fin de juillet. Elle habite les buiflons &z les haies, où elle forme fa toile en rézeau à très-larges mailles, dont elle occupe le centre. Ce *"3 342 VOYAGE neft point pour les petits infeétes que fes filets font endus, d’où il leur eft facile de s'échapper à‘raïfon de la largeur des mailles; ce m'eft qu'aux grofles Mouches, aux Guèpes, aux Bourdons, & même aux Sauterelles qu’elle déclare la guerre. Dès qu'un de ces infeétes a eu l’imprudence de fe jetter dans fes filets, elle le fait fon efclave & Penchaine par plufeurs fils. Elle ne lui fuce point le fang ; mais elle commence par lui donner la mort avec fes redoutables mächoires. Elle en mange une partie, fi elle eft afamée, & met le refteen réferve pour un autre repas; mais elle a foin de cacher fes provifons parmi des feuilles sèches, hors de la portée de la vue. Je lui ai fouvent trouvé des vivres très-abondans. Chaque proie étoit ren- fermée dans un fac à part, compolé de fils tiffus fans ordre, & enduits d’une glu noirâtre très- abondante. Ceft parmi ces cadavres d’infeétes que Jai trouvé le joli Sphex à fortes mâchoires:, dont Jai parlé plus haut (r). Le fac dans lequel elle dépofe fes œufs, eft d'une forme très-finoulière. C’eft un ovale coupé horizon- talement dans fon milieu, & de la groffeur d'un œuf de pigeon. Le tiffu, prefque parcheminé, eft fi ferré, qu'il eft très-difficile de pouvoir le déchirer. Sa partie tronquée cft garnie à fes bords de fept à (5) Sphex maxillofa, pag. 322. EN BARDBARIE 34% hui, pointes en forme d’anfes , d’où partent des fils très-forts qui-tiennent ce fac fufpendu à peu prèsicomme les lampes de nos éolifes. A peine les Jeunes Araïgnées font forties des œufs, qu'elles rompent lefpèce d'opercule qui ferme la grande ouverture de lovale; elles rodent en troupes dans les,environs, &c.fe retirent enfuite dans: leur pre- muère habitation ; où elles viveñt en fociété jufqu'à ce que, devenues plus: fortes , elles fe féparent 8 deviennent. ennemies mortelles, après avoir vécu en famille & d'un bon accord. .… Les.fils de;cette Araïgnée font, les plus forts que Je connoïfle, Je les ai-fouvent effäyés avec des fils de foie. Ces derniers ; tirés à forces égales, étoient les premiers, à fe rompre. -Ces fils font d’un luifant argenté > très-longs faciles à travailler. Ils pour- roient fuppléerà la foie avec un avantage d'autant plus grand que cet infedte , ardent au travail, & pourvu de très-gros mammelons , ne tarde pas à former une: nouvelle toile, dès qu'il eft privé de cellequ'ilavoit d'abord fabriquée. Mais fes mœurs in- fociales s’oppoferont toujours aune telle manufaîture. La feule vue de fes femblables met cet infeéte en fureur. D’auffi loin qu'ils s'apperçoivent, ils fondent les uns fur les autres avec un acharnement - qui ne fe termine que par la mort d’un des deux combattans. Les cadavres des vaincus font mis en réferve avec les autres provifions de bouche. Il eft Y 4 M4 :: VowmcefE pa impoñlible d'en conferver plufeurs en libetté dans un même appartement, quoique placés à des dif: tances très-éloignées. J’avois renfermé une douzaine de ces Araïgnées dans mon cabinet : là plus.forte ef reftée feule maitreffe du champ de bataille pare huit jours de combats. J'ai fouvent rencontré , parmi les mêmes buiffons, une autre Araignée de la même groffeur , de la même famille que la précédente. Elle en a les mœurs & la férocité. Elle m'a paru n’en différer que par fa couleur , qui eft d’un très-beau velouté mêlé de noir & de brun, & formant des nuances très- agréables. Cette Araignée ayant été détruite pendant le temps de ma quarantaine à Marfeille, je ne peux en donner une defcription bien exaéte. Elle ne pond point fes œufs, comme la précédente, mais elle les dépofe, en forme de gâteau, fur un corps folide; arrangés fymmétriquement, collés enfemble par une glu blanchâtre, & elles les recouvre avec plufeurs fils roux, tiflus fans ordre, & fi peu ferrés, qu'il eft facile d’appercevoir, à travers, la difpofition des œufs. Jen ai élevé plufñeurs. Elles m'ont paru sin- quiéter peu du fort de leur famille, qu’elles aban- donnent peu après la ponte, pour aller chercher fortune ailleurs. — SANGUINOLENTA. (Lin.) Abdomine ovato coc- cineo : linea longitudinal atra. EN BARBARIE 346 -'ARAIGNÉE ROUGE. Ventre ovale, de couleur rouge, avec une ligne longitudinale dun noit matte. Cette Araignée court fur la terre dans les champs: Elle loge dans des trous, où elle forme une toile très-irrégulière. — VIiRESCENS. ( Lin.) Abdomine oblongo flavo= viridi: Lineis lateralibus albis. ARAIGNÉE VERDATRE. Ventre oblong, d’un jaune verd, avec des lignes blanches latérales. Elle habite dans les haies & les brouffailles , ot elle tend de grands filets à rézeau. — TARANTULA. (Lin. ) Subtus atra ; pedibus Jubtus atro fafciatis. ARAIGNÉE TARANTULE. D'un noir matte en deflous , avec le deflous des pattes en bandelettes de même couleur. Je ne cite cette Araignée fi célèbre, comme habitante de la Barbarie, que fur la foi des auteurs, Je ne ly ai jamais rencontrée. SH eO0R:P;F:0. SCO RP IO N. — Maurus. (Lin.) Peéfinibus 8 dentañs , ma- ruibus fubcordatis punéfatis. 346 :V Oo Y'AIG'E a Scorrion DE MAURITANIE, Peignes à huit dents, ; pinces prefque en cœur, ponétuées, Cette efpèce eft très-commune dans le fable, où on la trouve quelquefois par gens =: Lys colèur eft noire. | | | ov01,3l — EUROPZÆUS. (Emi Pelinibis 18 Ta Da : manibus angulatis.…. (nl VA ART) Scorrion D'EUROPE. Peignes à dix-hüit a ! pinces, anguleufes. 7 ++. MARS On le trouve fous les pierres, dans les ‘lieux humides, dans les appartemens au rez-de-chauflée, I na paru le même que celui qui vient en Pros vence; mais il eft plus fort & plus gros. _— AUSTRALIS. (Lin. ) Peélinibus 32 dentatiss imnanibus lævibus. | SCORPION DU MiDi, Peignes à trente-deux dents; pinces fans poil. CANTHAROIDES. ( Fabricius : GE Ep ) Il reflemble à celui que ‘Ton trouve aux environs ‘de Paris. CANCER. CRABE. ÉCRE VISSE. LA famille nombreufe des Crabes n’eft pas moins étonnante par fon organifation particulière quepar Pinftinét, la finefle & les rufes que plufeurs d’entre EN BARBARIE 347 ex mettent en ufage, foit pour fe procurer leur nourriture , foit pour fe défendre &c fe mettre à l'abri des infultes & des attaques de leurs ennemis. Ïis ont cela de commun avec les infeétes, que chez eux les parties molles & les chaits font intérieures , &t que les os font fitués extérieurement, ou plutôt qu'ils font remplacés par la bte dure & cruftacée qui revêt ces animaux. Les deux pattes de devant font terminées par des pinces très-fortes, armées de dents qui leur fervent à faifir leur nour- riture & à la déchirer. L’on a remarqué que lorf- qu’on leur coupoit une de leurs pattes, elle repoufloit en plus ou moins de temps; que la partie tronquée étoit bien plutôt remplacée lorfque lincifion étoit faite à la feconde articulation ; & que quand cette patte étoit caflée plus haut que la feconde articu- lation, Panimal avoit foin de retrancher le refte , né cette articulation. Les Crabes s’accouplent au mois d'avril. La fe- melle fe tient couchée fur le dos, & le mâle fe place deflus , en’ la tenant ferrée très-étroitement. Environ trois mois après la fécondation, les Crabes dépofent leurs œufs dans le fable aux pieds des rochers. Ces ‘animaux fe nourriflent de vers, de coquillages, de petits poiflons, & même de plantes marines (1). (1) Bafler, Opufcul. fubfeciva, tome I, page 12. 345 : : V'OYAMGNE La plupart vivent très-bien hors de l'eau, & on les voit, fur-tout le foir, courir fur les rochers, & le long des bords de la mer. Ils paroïflent même former entre eux une efpèce de fociété. Une autre propricté des Crabes eft de fe dépouiller enticrement de leur enveloppe teftacée tous les ans au mois d'août. Ce moment eft pour eux un état de crife. Après quelques jours de repos & de lan- gueur, 1ls s’agitent vivement en tout fens, jufqu'à. ce qu'ils foient fortis de leur enveloppe, devenue trop étroite pour eux. Ils font alors foibles, mols, incapables de fe foutenir fur leurs pattes jufqu'à ce que, quelques jours après, leur peau fe foit durcie, & que les forces leur foient revenues : mais en attendant ils ont grand foin de fe cacher, &r fur-tout d'éviter la rencontre des autres Crabes, qui les dévoreroient fans pitié. J'ai obfervé, en Afrique, les efpèces fuivantes : CANCER CURSOR. ( Lin. ) Brachyurus, thorace Levi integerrimo : lateribus pofhce marginato ; antennis ffélibus, cauda reflxa. CRABE COUREUR , à courte queue , thorax kiffe très-entier, échancré en devant fur les côtés, an- tennes fifliles, queue recourbée en deflous. — Minurus. (Lin.) Brachyurus, thorace lævi integerrimo [ubquadrato : margine acutiufculo ; antennis breviffémis. EN BARBARIE 349 CRAPE A COURTES ANTENNES, à Courte queue, thorax lifle, très-entier, prefque carré, un peu aigu à fes bords, antennes très-courtes. Cette efpèce, dont le principal caraëtère confifte dans les antennes très-courtes , eft de la grandeur de l'ongle du petit doigt. On le trouve ordinaire- ment dans les Moules , où lon prétend que, par une efpèce d'accord fait entre lui & la Moule, celle-ci lui accorde un logement & un afyle qui le met à Pabri de la pourfuite de fes ennemis, tandis que le Crabe, de fon côté, veille à la confervation de fa bienfai- trice, en l'avertiflant du moindre danger, lorf- qu'ouvrant fes écailles, elle eft expofée à l’avidité de certains vers de la claffe des polypes, qui n’atten- dent que ce moment pour sintroduire dans fa coquille, & dévorer la Moule. L’efpèce fuvante rend le même fervice à la Pinne-marine, fi toute- fois lon peut ajouter foi à un fait qui mérite d’être fuivi avec la plus fcrupuleufe attention. — PINNOTHERES ( Lin.) Brachyurus glaberrimus , chorace Levi: lateribus antice planato, caudæ medio zodulofo-carinato, CRABE DE LA PINNE-MARINE, à courte queue, très-glabre; thorax lifle, applati en devant fur les côtés ; le milieu de la queue noueux, & en forme de carène, 350 VoYace — NucLEUS. (Tin.) Brachyurus , thorace Levi globofo : antice utrinque unideritato , poflice roftroque bidentato. CRABE GLOBULEUX, à courte queue, thorax life en forme de globe, une dent de chaque côté à la pass antérieure, une efpèce de bec à deux dents à la partie péfériennes Ce Crabe m'a paru avoir tous les carañires que Linné lui donne. Sa couleur eft jaunâtre ; il eft de la groffeur de la dernière phalange du doigt. — ARANEUS. ( Lin.) Brachyurus, thorace hirfuto oyato tuberculato , roftro bifido , manibus ovatis. CRABE ARAIGNÉE, à courte queue; thorax velu, ovale, tuberculé; bouche divifée en deux, pinces ovales. Cette efpèce devient très - grofle, elle eft fort commune dans les mers de Provence. — CRUENTATUS. ( Lin.) Brachywrus thorace tu- berculofo fanguineo , roftro lineart truncato. CRABE ENSANGLANTÉ, à Courte queue, thorax couvert de tubercules couleur de fang, bouche linéaire tronquée, Cette efpèce approche beaucoup de la précédente. Elle a le dos & les pattes couverts de tubercules de différentes groffeurs, le. EN BARBARIE 3$r — BERNHARDUS. ( Lin.) Macrourus parafiticus , chelis cordaïis muricatis : dextra mayere. CRABE SOLITAIRE ; à longue queue, parafites, pinces en cœur armées de pointes ; la pince droite plus grande. Ce Crabe eft connu vulgairement fous le nom de Bernard-l'hermite. Comme fon corps eft mol, dé- pourvu de l'enveloppe teftacée de la plupart des autres Crabes, il a foin, pour fe mettre à Falwi des attaques de fes ennemis, de fe retirer dans une coquille vuide, qu'il choiïfit ordinairement parmi les Buccins, &c qu'il traine par-tout avec lui: À mefure qu'il groflit & que cette maifon d'emprunt lui devient trop étroite, il la quitte pour en chercher une autre. Par le moyen des crochets de fa queue, il s'attache fi fortement à une des fpires intérieures de la coquille, qu'il faut beaucoup d'efforts pour l'en, arracher. Parmi les coauilles vuides qui fe trouvent fur les bords de la mer, l’on en rencontre un grand nombre habitées par cette efpèce de Crabe, Bafler (x) remarque que fi Von brife les coquilles dans lefquelles ces Crabes font logés, on les voit alors, inquiets &c agités, chercher leur première demeure; & que fi. deux ou trois fe préfentent pour occuper une nouvelle coquille, 1ls fe livrent entre eux un (5) Opuf. fubfec. Liv. II, page 10, 352 VOYAGE combat très-violent , jufqw'à ce que le plus fort refte en poffeffion de la coquille, — HoMARUS.(Lin.) Macrourus , thorace antrorfum aculeato , fronte bicorni , manibus adaitylis. CRABE HOMAR, à longue queue ; thorax épineux en devant, front à deux cornes, pinces fans doigts. Ce Crabe eft très-commun. C’eft un mets aflez délicat & très-nourriflant. — ARETUS. (Lin. ÿ Macrourus , thorace antrorfum aculeato, fronte diphylla, manibus [ubadaëtyls. CRABE FEUILLE, à longue queue; thorax épineux en devant , le front orné de deux efpèces de feuilles, pinces prefque fans doigts. Cette efpèce , quoique bien moins forte & moins abondante en chair que la précédente, fe mange en Provence. Elle a la tête ornée de deux larges appendices en forme de feuilles, divifées, à leur fommet , en fix à fept parties. — PuLEx. (lin.) Macrourus, articularis ; ma= nibus quatuor adailylis , pedibus decem, Pulex marinus. Bafter. CRABE CREVETTE, à queue alongée, articulée ; quatre pinces fans doigts , dix pattes. Cette efpèce eft petite. Elle vit également dans eau douce, comme dans celle de la mer. Elle fe tient EN BARBARTÉ 343 tient ordinairement cachée dans les plantes marines: Elle faute avec beaucoup de léséreté ; d’où vient que plufieurs Naturaliftes l'ont appellée Puce de mer, DR CCS; C EO PORTE —Asizus. (Lin. ) abdomine foliis duobus obteëto cauda femi-ovalr. * CLOPORTE ASYLE. Ventre recouvert par deux lames; queue à demi-ovale. Je n'ai jamais trouvé cet infeéte fur le rivage ; mais les pêcheurs de corail en amenoient fouvent avec la vafe du fond de la mer. Rondelet le nomme Pou de mer, Pediculus marinus. — AQUATICUS. (Lin.) Lanceolatus, cauda rotun- data, flylis bifurcis. CLOPORTE D'EAU DOUCE. Corps lancéolé; queue arrondie ; deux filets divifés en deux. Ce Cloporte eft abondant dans les eaux ftagnantes, — OCEANICUS. ( Lin.) Ovalis, cauda bifida, flyls bifidis. CLOPORTE DE L'OCÉAN. Ovale, queue divifée en deux; filets divifés en deux. Rien de plus commun que cet infe&e fur les _ rochers de la Calle, Il reflemble beaucoup au fuivant, Part, I. Z 354 VOYAGE, &t. - — ASELLUS. (Lin. ) Ovalis , cauda obtufa, fylis fimplicibus. CLOPORTE ORDINAIRE. Ovale, queue obtufe ; filets fans aucune divifon. . LA Jen ai trouvé, comme en France, quelques variétés d’une couleur plus ou moins foncée, noi= râtre, luifante. — ARMADILLO. (Lin.) Ovalis, cauda obtufa integre. CLOPORTE ARMADILLE, Ovale, queue obtufe, entière. Ce Cloporte, peu différent du précédent, fe roule en boule dès qu’on le touche. Sa couleur eft ordinairement d'un noir luifant ; fes antennes font bordés d’un peu de blanc. On le trouve dans les bois. Fin de la première Partie. OT À BE DE SM AT I'É RES CONTENUES DANS CE VOLUME. _ NB, Toutes les efpèces nouvelles font défignées par une N. Discours PRÉLIMINAIRE SUR LA BARBARIE. Page LETTRES ÉCRITES DE L’'ANCIENNE NUMIDIE, LETTRE PREMIERE , à M. Foreftier, D. M. Page x LETTRE II, au même, 6 LETTRE III, au mème. 14 LETTRE IV , au même. 17 LETTRE V, au même. 24 Lerrre VI, à M. T. L: 30 LETTRE VII, au même. 4x Lerrre VIII, à M.F. D. M. | 44 LETTRE IX, au même, SE LETTRE X, au mème. 59 : LETTRE XI, au même. 70 LETTRE XII, au même. 77 LETTRE XIII, au même, 82 LETTRE XIV, au même, 86 LETTRE XV, au même. 92 LETTRE XVI, au même. 99 LETTRE XVII, au même, 107 Ps L | 44, 356 - T-ABLE LertTeEe XVIII, au même. Page 113 LETTRE XIX , au mème. 117 LETTRE XX , au même. 126 Lettre XXI, à Madame de”... : 140 LETTRE XXII, a M. F.... D. M. 147 Lettre XXIII, au même. 153 LETTRE XXIV, au mème. 161 LETTRE XXV, au même. 172 LETTRE XXVI, au mème. 183 LETTRE XXVII, au même, k.Vagz LETTRE XXVIIT, au même. 199 LETTRE XXIX, au mème. +02: 207 RECHERCHES SUR L’HISTOIRE NATURELLE DE LA NUMIDIE. RÈGNE ANIMAL. QUADRUPEDES. - Le Lion. La Panthère & l'Once. Le Lynx & le Caracal. L'Hyæne. Le Loup. Le Renard & le TR Le Chat fauvage , le Chat-Tigre , &c ARE L'Ours. Le Sanglier. Le Hérifon. Le Porc-épic. Le Cerf, la Gazelle & le Bubale, Le Taureau. . Les Chèvres & les Brebis. 217 222 229 231 232 234 236 238 239 240 24E 242 245$ 247 DES MATIÉRES 35 Le Chameau. Page 249 Le Cheval. AE Lo: Le Chien. : 253 Les Singes. 256 Le Phoque on Veau-marin. 260 De quelques autres animaux qui fe trouvent en Numidie & en Europe. 261 MES OTLSE AUX Le grand Aigle ou l’Aigle Royal. | 26 L’Aigle commun. : 264 Le petit -Aigle, | ibid L’Aigle de mer, o le Balbuzard. 265 Le grand Aigle de mer, oz l'Orfrx. ibid. Le Vautour. ibid. Le Milan. 266 La Bufe. | ibid L’Épervier. ibid, L’Autour. ibid, Le Faucon. ibid, Le Hou-Baara ox la petite Outarde huppée, 267 Le Rhaad oz Saf-faf. ibid. La Pintade ou la Poule de Numidie, 268 La Gélinote. 269 Le Ganga ou la Gélinote des Pyrénées, ibid, La Perdrix rouge de Barbarie. 270 Le Francolin. ibid, Les Cailles, les Pigeons, les Ramiers , les Tourterelles. ibid. e Corbeau, 1bid, Le Geai. 271 L'Étourneau ibid, 358 TABLE Le Loriot. Page 277 La Grive commune. Le Green-Thrush, Le Merle. Le Moineau. Le Pinçon. L’Alouette. Le Roffgnol. Le Motteux. Le Coucou. La Hupe. Le Guépier. L’Hirondelle. Le Pic-vert. Le Martin-Pêcheur. La Cigogne. Le Héron. Le Héron de Madagafcar, La Spatule. La Bécafle. Le Chevalier. Le Chevalier à pieds rouges, Le Courlis. L’Echañle. | Le Vanneau. La poule d’eau, les Sarcelles & les Macreufes, # Les Canards. Le Goëland. Le Flammant o4 Phénicoptère, L’Autruche. ibid. 272 ibid. ibid. 273 ibid. ibid. ibid, ibid, 274 ibid. 275 ibid. 276 ibid. 277 ibid. ibid. 278 ibid. ibid. ibid. ibid 279 ibid, ibid, ibid, 280 ibid, V0 ŸY A. GE DA RMD A RFE PREMIERE FARTIUE, LEILRE PREMIERE À M. FORESTIER, Doëleur en Médecine. De la Calle, 12 Mai 1785. ME voilà , mon cher Doëteur, livré tout entier à ma pañlion pour les Voyages & FHiftoire Naturelle, Jhabite depuis quelques jours ancienne Numidie, où je fuis arrivé fous les plus mauvais aufpices. Depuis près de deux ans la pefte ravage ces contrées, & la négligence des habitans la propage d’une nation chez une autre. Outre ce cruel fléau, lon m'a dépeint les Arabes & les Maures comme les êtres de.la Nature les plus inhumains & les plus féroces, haïffant les Chrétiens tant par principe de religion, que par préjugé d'éducation (1). Ceft un triomphe, (1) Ces Arabes nous haïffent aujourd’hui fans favoir pourquoi. Mais léurs pères Le favoient bien. Les guerres les Part. I. ’ “SA : LEA MU 7 » ” dde VO YA C FM un aëte méritoire pour un Arabe que de répandre le fang d’un Européen. Ils ne s’'épargnent pas davan- tage entre eux ; & 1l eft rare qu’une nation ne foit pas en guerre avec fes voifins, & qu'un Arabe fans défenfe foit en füreté parmi fes femblables à quel- ques lieues de fa tente. Le peu que.j'ai vu jufqu'à préfent m'a confirme ces rapports. La Calle ; prin- cipal comptoir de la Compagnie royale d'Afrique, a fermé fes portes, & seft barricadé pour éviter toute communication avec les Maures du dehors infeûtés de la pefte, Ceux-ci irrités & jaloux de voir les Chrétiens échapper à une maladie qui humilie le Mufulman , parce qu'il la regarde comme une punition du ciel, font tout ce qu'ils peuvent pour introduire plus injuftes auxquelles le fanatifme donnoiït le nom de faintes, portées tant en Orient qu’en Afrique , ont révolté contre nous d'immenfesnations qui ne nous avoient fait alors d'autre mal que celui de fuivre la religion de Mahomet, tandis que nous fuivions celle de Jéfus. Ces entreprifes firent ré- pandre beaucoup de fang, & fe terminèrent par nous attirer, de la part des nations offenfées, une haine bien méritée. Le nom Chrétien eft reflé pour toujours en exécration dans les différentes contrées du Levant, dans la Syrie, l'Arabie, la Perfe, l'Arménie, l'Égypte, la Barbarie , &c. Les pères ont tranfmis cetre haine à leurs enfans. En pañlant d’une génération à une autre la caufe en a été oubliée, maïs la haine eft reftée, Ceft ainfi que nous payons aujourd'hui les fautes commifes par nes pères il y a plus de fix çens ans, pe à 6 » sl PM 'CT NN D. PAR ne A M) T'AS “ à / p”. EN BARBARITIE. 151 : Notre parti étoit prefque déjà pris d'attendre le jour dans cette pofition alarmante. Cependant nous mar- chions toujours, lorfque tout-à-coup nous enten- dimés la voix d’un Arabe. Il nous avertit que fi nous avancions encore quatre pas, nous allons périr dans un ruifleau extrêmement, groffi; mais ce coquin refufa plus d’une demi-heure de nous remettre dans le vrai chemin. Il fallut le payer d'avance, encore étoit-il capable, après avoir reçu notre argent, de nous laifler-là, & de s'enfuir : maïs 1l fut de bonne-foi ; il nous fit pafler un ravin à gué, & nous conduifit jufqu’aux portes de Bonne, où il ne nous fut pas poflible d'entrer. Nous n’eûmes alors d'autre reflource, pour pañler le refte de la nuit à couvert, qu’un fozdouk ou auberge des Maures , hors des portes de la ville, où fe raflemble la plus infame canaïlle. Nous nous y préfentâmes ; maïs nous flmes dans l’inftant accabiés d'inveétives & de malédiétions par les Arabes qui y logeoient. Cependant à force de difputer avec eux, & fur-tout de leur offrir de l'argent, 1ls nous reçurent , & nous conduifirent dans un galetas , où nous trouvâmes pour tout meuble une fimple natte. Nous avions grand froid , Peau découloit de toutes parts de nos habits, que nous fümes obligés de garder, n’ayant pas de quoi changer. Dans ce pitoyable état, nous trouvions encore notre poftion très-heureufe en comparaïfon de ce Parc, I, “Ka ER 152 VOYAGE qu'elle auroït pu être, & nous nous livrions à la joie qu'infpire le danger pañlé. Etendus fur une natte au lieu de lit, avec des habits mouillés pour cou- verture, la tête appuyée fur la felle de notre cheval, nous efpérions, à l'aide d’un petit réchaud du feu que lon nous avoit donné, goûter un peu de repos : mais le mauvais temps ne nous le permit pas. Une forte pluie, mêlée de grêle, remplit en un inftant notre galetas de plus de deux pouces d’eau , qui faifoient foulever notre miférable natte; à chaque coup de tonnerre il fe détachoit de notre plafond des placards qui nous tomboïent fur le corps. Je croyois que nous refterions enfevelis fous ces ruines au milieu de l’eau qui y entroit de plus en plus. Heureufement il y avoit dans cette chambre, comme dans toutes celles des Arabes, une pièce de bois en travers à quatre pieds d’élévation, en forme de juchoir, pour y placer les felles &c les harnois des chevaux. Ce fut-là en effet où nous nous 7z- châmes pour éviter l’eau. À la pointe du jour nous entrâmes dans Bonne, & nous nous rendimes au comptoir de la Compagnie d'Afrique, où les bons traitemens nous firent oublier toutes nos fatigues, Fai Fhonneur d’être, &c. 1° F | de ei M Pi ® #. DES MATIÈRES. 359 ANIMAUX AMPHIBIES, Les REPTILES. Tortue. Tefudo, Page 283 — coriace. — coriacea, ibid, — de Grèce. — Graca, ibid, Les Serpens. 284 Le Zurreich. 285 Le Leffah. 286 Lézard. Lacerta. ibid, — vert. — apilis. ibid, — d'Alger. — Algira. é 287 — Caméléon. — Chameæleon, 288 — Chalcidique, — Chalcidis. 289 — commun, — vulgaris. ibid, — des marais. — paluftris, 290 — Salamandre, — Salamandra, ibid, INSECTES, Scarabé, Scarabaus. — à étuis faillans, N, — marpinatus. 29% — Rhinocéros, — Rhinoceros, 293 — Moine, — Naficornis. ibid, — facré. — facer. ibid. — d’Efpagne, — Hifpanicus, 297 — Taureau. — Taurus. ibid. — des fables. — fabulofus. ibid, — foulon. — fullo. 298 — Cuivreux. . — æruginofus. ibid, Efcarbot. : Hifier. ibid. — de Barbarie, — Major. ibid, 360 Tourniquet. — nageur. Charanf{on. — de la vefce. — d'Alger. — de Barbarie. Capricorne. — noir. — roux. Ditique. — hydrophile, — de Numidie. Carabot. — cuivré. — applati. Ténébrion. — géant. — épineux. Staphylin. —hérifié. — couleur de rouille, Blatte. — d'Afrique. . Mante. — prie Dieu. — dévote. — Sphinx. N. Grillon, Sauterelle. TABLE: Gyrinus. — natator,. Curculio. — Crace, — Algirus. — Barbarus. Cerambix. — cantharinus. Duicus. — Piceus. — Suiéicus, Carabus. — granulatus, — complanatus, Tenebrio. — gigas. — fpinofus. Staphylinus. — hirtus. — erytropterus, Blatta. — Africana. Mantis. — oratoria. — religio[a. — Sphinx. Gryllus. — à antennes prifmatiques. — 24/utus. — à corcelet alongé. — de Numidie, N,. — fubulatus, — Numidicus, — à longues antennes, — de Barbarie. Panorpe. — de l’île de Co. Sphex. — à deux dents. — de Mauritanie. — à fortes machoires, N. Abeille. — en deuil, PE — longicorne. — Barbarum. Panorpa. — Coz. Sphex. — bidens. — Mauritanica, — maxillofa, Apis. = (ineralide * L:. 24 DES MATIÈRES: ,. —enfanglanté. N, . . — cruentatus. Page _— courtillière, . — gryllotalpa. ._ ,— des champs. . — campeftris, Cigale. .-Gicada. — de Provence. -— Plebeia. — de prés. - — hœmathodes. . Demoifelle. Libellula. . — françoife. —maculata, — jaune. + — flaveola, . — applatie. — depref[a. — à crochets, — forcipata, — azurée. — ænea. — vierge. — virgo. — enfant. — puella. Ephémère. Æphemera. — jaune. — lutea. — noire. — nigra. .Hémérobe. hemerobus. — perle. — perle. — brillant, — fpeciofuse ÆFourmillon. Myrmeleon. — demoifelle. — libelluloides, 36% 316 ibid. ibid. 317. idib. ibid. 318 ibid, ibid. * ibid. 319 ibid ibid. ibid, ibid, ibid, 320 ibid, ibid, ibid, ibid. ibid. 327 ibid, ibid. ibid, 32 2 ibid. ibid, : D | 324 ibid, 362 — Rouffe, — Mouche à miel. — terrière. — de Barbarie. — violette, — terreftre. — des moufles. Fourmi. — de Barbarie. — roufle, — noire. — rouge. L'Oeftre. — du bœuf, — des chevaux. — hémorrhoïdal. Tipule. — des rivages. Taon. — de Mauritanie, — des bœufs, — morio. Coufin. — commun. — argenté. N. * Hippobofque. — des quadrupèdes. — des oifeaux. Araignée. — à bandes. — rouge. — verdâtre, L TABLE — rufa. — Mellifica: — cunicularite — Barbara, — yiolacede — terrefiris. — Mufcorum. Formica. .— Barbara. — rufa. — nigra. — rubra. Oeftrus. — bovis. — nafalis. — hæmorroidalis. Tipula. — littoralis, Tabanus. — Mauritanus. — bovinus. — Morio. Culex. — pipiens. — ATBENEUS Hippobofca. — equina. L — aviculariaæ. Aranea. — Fafciata. = fanguinolenta, — yirefcens, Page 324 ibid, 325 ibid, ibid, 326 ibid, ibid, ibid. ibid. 327 336 ibid, ibid. 337 ibid. 338 ibid, ibid, ibid, ibid. 339 ibid, ibid, ibid, 349 ibid, ibid, ibid. 341 345 ibid: LA » à” = Tarantule. . Scorpion. — de Mauritanie, — d'Europe. — du midi, Crabe , Ecrevifle, - — coureur. —à courtes antennes. — de la Pinne marine. — globuleux, — Âraignée. — enfanglanté. — folitaire. — Homar. — feuillé, — chevrette. Cloporte. — afyle. — d’eau douce, — de l'océan, — ordinaire. — Armadille. FIN de la Table du premier Volume, DES MATIÈRES. — Tarantula, Scorpio. — Maurus, _ Europaus, — aufiralis. Cancer. — MINULUS — Pinnotheres. — nucleus, — Araneus. — cruentalus, — bernhardus. — Homarus, — arellSe — pulex, Onifcus. — afilus, — aquaticuse — OCEANICUS, — afellus. — Armadillo. 363 Page 345 346 ibid, ibid, ibid. ibid, 343 349 ibid, 350 ibid, ibid, 35€ 352 ibid. ibid, 353 HITA ibid, ibid, 354 ibid, 4 un 4 « . A: d , s | L Ÿ È Po a". ml "4 Aa a k ADDITIONS ET CORRECTIONS ee pu TOME PREMIER st AT » » LS Puce 25, ligne 5, une paire de pantalons , sifex un pantalon. Page 32, ligne 10, de la coutume, lifez du coftume. > #. Page 71, ligne 22, meure, lifex meurt. Page 144; ligne 4, fe, lifex le. Page 166, mais l’objet le plus frappant , Éc.x Note. Les colonnes & les ornemens dont il eft parlé dans cet article, obfervés par d'anciens voyageurs, n’exif- tent plus aujourd'hui, au moins les reftes en font mécon- noïffabies. Les deux éléphans en bas-relief n'ont point leur } trompe entrelacée, comme Îe D. Shaw l’a figuré, mais ils font placés vis-à-vis l’un de l'autre. Les pieds de la femme qui eft au-deflus ne pofent point fur les éléphanss Page 170, Bugie, fur la côte, &c. Nor. D n'y a plus aujourd'hui qu'un feul château à Bugie : les deux autres ont été détrüits. Page 339, ligne 19, ajoutez : Cousin ARGENTÉ. Tout le corps couvert d'écailles argentées, des bandes brunes & argentées aux pattes. Y* up à 2, à New York Botanical Garden Library ah. À + À TL il 3 5185 00 Fa } Es " » Fe $ ù L  à 1h \ + LL | Ê 4 \ + À 7) fr wË SE Î s fi | ‘ s - re s NAME 0 \ Li ae Fe N » \ ’ Val LL \ * r ‘ F Made in Italy Ne E À a LA à Se : ë " À ” d à ARTE k s » > , ; ï : Re e \ 4 . X : I r Pas W , CT" | n Ca À 4 £ | LE L { X RE. A PNY Il TR R, fs lt 2 ‘: