BOSTON UNIVERSITY LIBRARIES k& African Studies Library VOYAGE EN BARBARIE PREMIÈRE PARTIE. 490 VOYAGE EN BARBARIE, o u LETTRES ÉCRITES DE L'ANCIENNE NUMIDIE Pendant les années 1785 & 178(5, Sur la Religion , les Coutumes & les Mœurs des Maures & des Arabes - Bédouins ; avec un Essai fur FHiJloire Naturelle de ce pays^ PAR M. UABBÉ P O I R E T. Trafcorfer poi le piaggie , ove i Numicli Menar già vita paftorale erranti. Gerufal. lihcrcta, Cinto XV, PREMIÈRE PARTIE. • A PARIS, Chez J, B. F. Née de la Rochelle, Libraire; rue du Hurepoix, près du Pont S. Michel , n^. 1 3. M. D C G. L X X X I X. Aycc Approbation ^ & PcrmlJJion du RoL DISCOURS PRÉLIMINAIRE SUR LA BARBARIE. C>ETTE partie de l'Afrique feptentrionaîe^ connue aujourd'hui fous le nom de Barbarie^ habitée fucceffivement par les Carthagi- nois, les Romains, les Maures, les Arabes & les Turcs, a été le théâtre de plufieurs grandes révolutions , le fiège de deux puif- fans Empires , la patrie d'un peuple induf- trieux & commerçant , & le berceau de plufieurs hommes à jamais célèbres. C'eft dans ces contrées, aujourd'hui prefque in- cultes & déferres, que l'on fe fent vivement pénétré du néant des grandeurs humaines : à peine peur-on y retrouver , même avec le fecours des meilleurs Géographes. de l'antiquité , la place des villes les plus re- nommées. La fureur guerrière , plutôt que la faulx du temps, n'a fait qu'un monceau de ruines d'un grand nombre de villes riches & peuplées. L'agriculture, le commerce Part. L a i] Discours & les arts font reliés enfevelis fous les débris des Empires j le defpotifme & l'igno- rance qui leur ont fuccédé, ont converti en un vafte défert le plus beau pays de l'univers : mais fans nous appefantir fur ces grandes révolutions qui changent le fort des peuples , jettons un coup - d'œil rapide fur l'état aftuel de la Barbarie , fur fes premiers habitans , fur ceux qui la pof- fèdent aujourd'hui; parcourons les princi- pales villes dont l'hiftoire nous a confacré la mémoire , & celles qui leur ont fuccédé. La Barbarie , renfermée entre la mer Méditerranée & l'Océan Adantique , eft bornée au midi par la Nigritie & la Guinée , & à l'orient par l'Egypte. L'intérieur & le plus grand efpace de ce vafte pays eft occupé par les déferts de Barca & de Saara , qui ne font que d'immenfes plaines d'un fable ftérile & brûlant , où le voyageur ne s'engage que rarement , & jamais fans danger. Outre le défaut de fources & des alimens de bouche, il s'élève, de temps à autre , dans ces contrées , des vents impétueux , qui forment de ces l ï> R É L I M I N A i R E. iij fables une mer agitée , plus dangereufe que les flots perfides de TOccan. Au mi- lieu de ces derniers, le pilote neft jamais fans efpoir ; mais dans les déferts de l'Afri- que, le voyageur n'attend fon falut que de la prompte celTation des vents. S'ils du- rent , les caravanes les plus nombreufes font bientôt enfevelies fous des montagnes de fable qui s'avancent par ondulations comme les vagues d'une mer en fureur» Sous ce ciel aride & brûlant , la nature bouleverfée , change de face à chaque inftant. Là exifte une montagne oii , quel- ques heures auparavant, l'on voyoit une plaine uniforme & fablonneufe : d'autres fois les montagnes les plus élevées devien- * nent le jouet des vents; difperfées dans les airs , elles laiflent à découvert l'horifon qu'elles bornoient par leur inégalité. Ailleurs les vents déchaînés ouvrent des abîmes au milieu de ce fol mobile , & forment des gouffres plus dangereux que ceux de Ca- ribde & de Scylla. Sans cefTe trompé par l'afpeft des lieux, le voyageur ne peut fe reconnoître que par la fituation des aftres , a X îv Discours ou par la déclinaifon de l'aiguille aimantée. Ces contrées feroient abfolument inhabi- tées , fi de diftance à autre il ne fe trouvoit quelques chaînes de montagnes d'où fortent plufieurs fources d'eau , qui , fe répandant dans les plaines des environs, les fertilifent, & offrent aux habitans de ces lieux un afyle frais & tranquille ( i ). Le Palmier (i) Ces lieux habitables que l'on rencontre dans le défert , forment autant d'îles au milieu d'une mer de fable. La plupart de ceux qui les habitent font entièrement féparés du refte de l'univers. N'ayant jamais vu d'autres hommes que leurs compatriotes , d'autres terres que les fables brûlans qui les en- vironnent , ils doivent fe regarder comme ieuls fur la furface du globe , 6c croire que les limites du monde habitable font celles de leur pays. Quelques- imes de ces îles font connues par les caravanes, auxquelles elles préfentent un lieu de rafraîchilTement 6c de repos ; m.ais combien referont ignorées juf- qu'à la fin des fiècles! Celles qui fe trouvent du côté de l'Egypte ont été appellées Oafis par les anciens Géographes. VAmmoriic étoit de ce nombre : mais à mefure que le culte de Jupiter Ammon a perdu de fon crédit, l'on a ceffé d'y faire des pèlerinages. Infenfiblement le chemin de l'Ammonis IP R É L I M I N A î R E. V eft l'arbre qui croît le plus volontiers dans ces déferts j il fournit une grande abondance de Dattes , & une liqueur vineufe que les naturels du pays recueillent avec foin ; mais cette liqueur , que l'on obtient par une forte inciiîon , épuife l'arbre & le deffèche. Dès que l'on a traverfé la chaîne de l'Atlas , & à mefure que l'on avance dans ces déferts , les lieux habitables & habités deviennent beaucoup plus rares ; il faut quelquefois faire cent lieues & plus, avant de trouver la moindre fource , ou la plus petite plante. Quoique les vents qui foufflent dans ce défert ne foient point réguliers, cependant ceux qui le fréquen- tent connoiffent à-peu-près le temps où ils font le plus dangereux; fouvent à l'afpefl: du a été oublié. Perfonne n'a ofé entreprendre de le chercher à travers des déferts brûlans ; d'oii il cû réfulté que depuis plufieurs fiècles Ton ignore û l'Ammonie a encore des habitans. Cette Oa/is ne nous efl plus connue que de nom. Il en tfl de même de beaucoup d'autres , qui font rentrées pour toujours dans l'oubli» as \ j Discours ciel, ils les prévoient de plufieurs jours; fi les caravanes font alors dans un endroit sûr^ elles y relient jufqu'à ce que le mo- ment critique foit paffé. Outre les élémens, les caravanes ont encore à combattre les bêtes féroces , & quelquefois les hommes. Les habitans de ces brûlantes contrées font peu connus. Ce ne font prefque que des hordes errantes, compofées d'Arabes indomptés, les plus cruels & les plus fanguinaires des hommes. Ils font la plupart miférables & pauvres ; mais ils l'ignorent, & ils font libres. Cette ignorance & la liberté font pour eux le vrai bonheur. Ces peuplades difperfées font peu à craindre pour les caravanes , qui vont toujours en bon nombre & bien armées. Il en part une prefque tous les ans de Tunis 5 compofée de trois à quatre cens hommes, pour aller faire la traite des Nègres en Guinée j ils demeurent plufieurs années dans ce rude & pénible voyage. Souvent il en périt plus des trois quarts; quelquefois pas un feul n^'en revient. L'on n'emploie j pour la route, d'autre bête de PRÉLIMINAIRE. VÎj charge que le chameau , feul animal ca- pable de fupporter très-long-temps la faim, la fatigue & la foif. La nourriture des Arabes en voyage eft fi frugale , que Ton a peine à croire qu'elle puiffe fufBre à leur exiftence. Un peu de farine démêlée dans le creux de la main avec quelques gouttes d'eau & réduite en boulettes , eft le feul aliment qui les foutient dans leurs longues courfes. Le défert de Barca & celui de Saara étoient connus chez les anciens , fous le nom de défert de la Lybie. C'eft dans la partie de ce défert qui répond aux confins du royaume de Tripoli vers celui de Barca , qu'étoit bâti ce fameux temple de Jupiter Ammon , où ce dieu étoit re pré- fente & adoré fous la figure d'un bélier. Là , dans des bocages impénétrables aux rayons du foleil, les Ammoniens jouiffoient d'une fraîcheur & d'un printemps continuels. Ils paffoient leur vie fous des cabanes éparfes çà & là dans les forêts. Des ruif- feaux d'une eau fraîche couloient conti- nuellement à travers les bofquets , & entre- tenoient une abondante végétation dans a 4 viij Discours ces lieux fepares du refte de Tunivers par une mer de fable , & dont , depuis des fiècles , aucun voyageur n'a ofé tenter le voyage. Il étoit aufTi difficile d'aborder en Lybie , que dangereux d'y pénétrer. La grande & la petite Syrte , connues aujourd'hui fous le nom de Sèches de Barbarie^ ont été de tout temps très-funeftes aux bâtimens qui font venus mouiller fur ces côtes. Les bancs de fable y forment des écueils d'autant plus dangereux qu'ils n'ont point de place fixe 5 & que le navigateur le plus habitué à fréquenter ces côtes ne les connoît guère mieux que celui qui y vient pour la pre^ mière fois. La grande & la petite Syrte formoient deux golfes. Le premier, plus^, avancé dans les terres , eft aujourd'hui le golfe de la Sidre ; le fécond , beaucoup plus petit , eft \t golfe de Cahes , à quatre-vingts lieues fud de Tunis. C'étoit proche la petite Syrte qu'habitoient les Lothophages , ainfi nommés parce qu'ils fe nourriffoient du fruit d'un petit arbriffeau que les anciens appelloient Lotos. C'eft une efpèce de PRÉLIMINAIRE. ÎX Jujubier, le Ramnus Lotus de Dnné. Il eft très - commun par tout le royaume de Tunis. • La Lybie étoit divifée en quatre parties, fous les noms de Lybie Marmorique y Cy- r en Clique ^ Ammonienne & Carthaginoife, Il feroit difficile de déterminer parfaitement quelles font les parties de l'Afrique moderne qui répondent aux divifions des anciens Géographes. Nous ne cherchons ici qu'à pré- fenter au lefteur un apperçu général , un tableau comparatif des peuples qui jadis ont habité l'Afrique feptentrionale , &: de ceux qui l'habitent aujourd'hui. La Lybie Cyrénaique , fîtuée vers la grande Syrte , renfermoit cinq villes cé- lèbres, réunies fous ie nom de P entapolis ^ favoir : Bérénice , Arfinoé , Ptolémaïs , ApoUonie & Cyrène. Elle étoit terminée par la Lybie Marmorique , qui s'étendoit prefque jufqu'aux confins de l'Egypte. Nous avons parlé plus haut de XAmmonie. La Lybie Carthaginoife tiroit fon nom de la célèbre Carthage, dont elle étoit voifine. Tels étoient les principaux peuples & X Discours royaumes qui partageoient ce vafte terreîn oùlbntaujourdhuifuués les royaumes deTri- poli & de Barca. Quoique l'immenfe défert de Saara foit compris dans rancienneLybie, cependant la véritable Lybie étoit parti- culièrement renfermée dans le royaume & le défert de Barca. Celui de Saara , encore moins connu des anciens que de nous , étoit habité, vers les bords, par les Gétules, les Numides & les Maures. L'Afrique propre ou la petite Afrique , commençoit vis-à-vis la grande Syrte. Ceft à quelque dirtance de-là , proche la ville de Tunis , que fe trouvoit la fameufe répu- blique de Carthage , que l'étendue de fon commerce, de fes conquêtes, & fur-tout fa rivalité avec Rome, & fa déplorable ruine rendront à jamais célèbre. Ceft en vain que Ton cherche aujourd'hui les mo- numens de l'ancien empire des Carthagi- nois. Leurs ouvrages font rentrés dans la pouflière ; & les foibles reftes que Ton foupçonne leur avoir appartenu font fi peu de chofes, que fans l'hiftoire , nous n'ima- ginerions jamais qu'une riche & puiffante PRÉLIMINAIRE. xj nation ait habité jadis des lieux où l'on ne rencontre que du fable^ des déferts, & des hommes avilis par l'efclavage & la férocité» Carthage dut fon origine aux infortunes d'une princefle Tyrienne , nommée Elijfa , mais plus connue fous le nom de Didon^ qui préféra la mort à un nouvel hymenée con- traire à la foi qu'elle avoit jurée aux mânes de Sichée fon époux. Malgré la fin tragique de fa fondatrice, cette nouvelle république fe foutim , s'agrandit , & employa fes premières forces à fe délivrer du tribut qu'elle payoit tous les ans aux Africains. Encouragée par les fuccès, elle fit fucceffivement la guerre aux Numides, aux Gétules & aux Maures, Elle fe fortifia & s'enrichit aux dépens de fes voifins. C'étoit peu pour elle. Fière de fes conquêtes, elle porta fes vues ambi- tieufes jufques fur les pays éloignés. La Corfe , la Sardaigne , une grande partie de la Sicile , & prefque toute l'Efpagne furent fournis & peuplés par des colonies Carthagi- noifes. Ce fut alors que l'on vit cette républi^ que, maîtreffe de la Méditerranée, conferver pendant plus de fix cents ans l'empire dd xij Discours la mer; & nation en même temps guerrière & commerçante, iedifputer, dit M. Rollin , aux plus grands empires du monde par fon opulence & fon commerce , par fes armées nombreufes & fes flottes redoutables , & fur-tout par le courage & le mérite de fes capitaines. Rome & Cartilage , toutes deux accou- tumées à vaincre ^ toutes deux ambitionnant Tempire de l'univers , dévoient être né- ceffairement deux puiflantes rivales. Auffi régna-t-il entre elles une haine qui ne celîa que par la ruine entière de la fuperbe Car- thage. Celle-ci, après avoir exiilé pendant Fefpace d'environ fept cents ans , fut enfin détruite par le fécond Scipion l'Africain, Van 60^ de la fondation de Rome, cent quarante - cinq ans avant la naiffance de J. C. Cette riche & puiflante nation , qui , quelques années auparavant, s'étoit prefque vue maîtreffe de Rome par les rapides conquêtes d'Annibal, difparut pour toujours de la face de l'Univers. Les Romains , pof- felTeurs des richeffes & du beau territoire de Carthage, s'y confervèrem jufqu'à ce qu'à: PRÉLIMINAIRE. xiij leur tour , plufieurs fiècles après , ils en furent chaffés par les Arabes , fous la con- duite des premiers Califes. Infenfiblement la Numidie & la Mauritanie devinrent l'hé- ritage des empereurs Romains. Mais, fans nous arrêter davantage fur des détails hiftoriques que perfonne n'ignore, revenons à la géographie du pays. Tunis ^ proche l'ancienne Carthage , paroît avoir hérité de l'efprit commerçant des Cartha- ginois. Son principal commerce fe fait avec les Vénitiens, les Génois, les Provençaux ^ il confifl:e en huile , en blés , en cires , en laines & en cuirs , pour lefquels les Euro- péens donnent en échange des draps , des épiceries, du fer, &c. Je ne fais pourquoi la plupart de nos Géographes accufent les Tunifiens d'exercer des pirateries (i). La république d'Alger eft la feule , fur ces (i) Il efl: vrai que quand les Tunifiens rencon- trent quelques bâtimens d'une nation avec laquelle ils font en guerre, ils les attaquent, s'ils le peuvent , &; font efclaves tous les gens de l'équipage. Mais ceci efl plutôt un droit de la guerre qu'une piraterie. xîv Discours côtes d'Afrique , qui fe livre à ces forte? de brigandages , & qui cherche à s'enri- chir par le grand nombre de fes efclaves. Tunis eft trop foible en force , & a une marine trop mal montée pour courir les mers , & attaquer les bâtimens étrangers. Son gouvernement eft bien plus doux que celui d'Alger ; les Européens y jouiflent de beaucoup plus de fécurité & de liberté que dans toute autre ville de la Barbarie. "^ A quinze lieues environ de Tunis l'on rencontre Hippo-zarita , Biferte^ une des villes les plus confidérables de ce royaume. Quelques-uns penfent o^Utique , célèbre par fon antiquité ( i ) & par la mort du grand Caton , fe trouvoit dans ces envi- rons ; d'autres prétendent qu'elle étoit bâtie où eft aujourd'hui Porto - Farina , à l'em- bouchure du fleuve Madraga : mais il eft probable qu'elle étoit plus avant dans les terres, au lieu nommé en kxdhe B oo-Shatter, où l'on trouve quantité de ruines , de ci- ternes , & de très-beaux aqueducs. (i) Elle exifloit avant Carthage. PRELIMINAIRE. XV Les Numides étoient le peuple le plus voiiîn des Carthaginois. Leur territoire cornmençoit à -peu -près vers l'ancienne Tabarque , fur les bords de la Zaine , autre- fois le fleuve Tufca , en face de l'île de Tabarque. Il s'étendoit jufqu'à la Mauri- tanie Céfarienne (i), vers le lieu que l'on nomme aujourd'hui le Collo. La Numidie, refferrée dans un efpace d'environ quatre- vingts lieues, s'avançoit jufques par-delà la chaîne de l'Atlas , fe perdoit dans le défert de Saara , jufques dans les plaines ftériles habitées par les Gétuies. Les prin- cipales villes de la Numidie étoient Cinhe^ aujourd'hui Conflantine ; elle fut long-temps le féjour des Rois Numides, dont plufieurs, tels que Syphax , Ma-iniffa , Jugurtha font célèbres dans i'hiftoire. Hipponehioxi encore une ville très-forte , agréablement firuée , trop iliulîrée par S. Auguflin fon évêque. (i) La Mauritanie n'a été féparée de la Numidie que fous le gouvernement des Romains. Elle fcr- moit une partie très-étendue de la Numidie , fous le nom de Numïdk des MajfyUs. xvj Discours pour jamais être oubliée ! Tagafie , la patrie de ce pieux & éloquent prélat , a été éga- lement très-confidérable j il n'en exifte plus aujourd'hui que quelques miférables ruines. A en juger par les débris qui fe rencontrent par-tout fous les pas du voyageur , la Nu- midie a été autrefois extrêmement peuplée ; fes villes étoient nombreufes , grandes & belles , à peu de diftance les unes des autres ^ il n'efl: point de contrée plus riche dans toute la Barbarie. Le foleil y eft brû- lant ; mais la terre eft rafraîchie par quantité de fources qui defcendent des montagnes ^ coulent fous des voûtes de verdure , & fe répandent enfuite dans les plaines. Le fol y eft encore auflî fertile qu'il l'étoit du temps des Romains ; mais il eft bien moins cultivé. La dernière partie de la Barbarie , qui comprend aujo^urd'hui la république d'Alger & l'empire de Maroc , formoit autrefois la Mauritanie Céfarienne & la Mauritanie Tingitanc. Ces contrées font bien moins célèbres dans l'hiftoire que celles qu'ont habitées les Carthaginois. Elles ont long- temps P R Ë L I M I N A I R E. xvij temps fait partie de la Numidie -, mais les Romains les ayant réduites en provinces de l'Empire , y bâtirent plufieurs grandes villes , dont il refte encore des veftiees confidérables. Elles font peu connues, parce qu'elles n'ont point été le théâtre de grands événemens. La ville de Céfarée ( lot ou Julia Cœfarea ) , qui paroît avoir donné lieu à la divifion de la Mauritanie , en étoit la plus confidérable ; mais Ton eft encore incertain du lieu oii elle a été bâtie. Les uns veulent que ce foit près d'Alger , d'autres la placent à Tene^; mais le Dofteur Shaw^ qui a viiité les lieux en favant géo- graphe 5 croit que Céfarée devoit être où fe trouve aujourdui Sher-Shell^ ville renom- mée par fon acier & fa vaifTelle de terre. Elle a un mille de circuit. De nombreufes ruines , un très - bel aqueduc , de vafles citernes & plufieurs colonnes magnifiques éparfes dans un terrein confidérable , prou- vent que Sher-Shell a été autrefois une très- grande ville. Sa fîtuation efl des plus agréables , fes dehors font rians , entourés de collines & de prairies toujours vertes ^ Part. L h xviij Discours que des ruiffeaux d'eau douce arrofent en tout temps. La rivière Hafhem procure aux habitans une eau excellente. Elle étoit autre- fois conduite dans la ville par des aqueducs de toute beauté. Nous ne connoiffons aucune ancienne ville de la Mauritanie qui ait eu plus de renommée c(i\ Alger en a aujourd'hui. Sa fituation, fes démêlés, avec les Souverains de l'Europe , le caraftère fier & impérieux de fes habitans , les nombreux corfaires qui , fortis de fon fein , couvrent fans cefTe le canal de la Méditerranée , infultent les pavillons de prefque toutes les Puiffances , s'emparent des bâtimens des nations qui n'ont point de traité avec eux ; toutes ces circonftances ont rendu cette république redoutable & infolente. Les autres Puif- fances barbarefques , même l'Empereur de Maroc ^ tremblent devant elle. Il paroît que c'eft à Alger , ou bien près d'Alger, qu'une partie des compagnons d'Kercule s'arrê- tèrent pour bâtir une ville qu'ils nommèrent Icofium^ Mafcara , dont la ville , compofée de PRÉLIMINAIRE. xîx maifons mal bâties , n'eft remarquable que par fes environs délicieux , eft gouvernée par un Bcy dépendant du Dey d'Alger. C'eft l'ancienne Vicloria. Oran^ à foixante lieues d'Alger, peu éloigné de la mer ^ a plus d'un mille de circuit. Il eft bâti , partie en plaine^, partie fur le penchant d'une haute montagne , où deux châteaux, placés fur le fommet, do- minent & défendent la ville, qui d'ailleurs eft très-bien fortifiée. Elle appartient aux Efpagnols , qui y entretiennent des troupes & un gouverneur. Elle fert en quelque forte de prifon d'état, pour les perfonnes qui ont donné quelque fujet de méconten- tement au Roi d'Efpagne. Le Cardinal Ximenès en fit la conquête en i 509 5 elle fut reprife par les Algériens en 1708, & enfin foumife de nouveau à l'Efpagne en 1752, par le Comte de Mortemar. Il déferte continuellement des foldats d'Oran , qui , pris par les Maures , font conduits en efcla- vage à Alger : aufiî le plus grand nombre des efclaves Algériens font Efpagnols. Q.q% déferteurs n'ignorent pas qu'en s'échappant XX Discours d'Oran , ils n'ont d'autre alternative que la mort ou Telclavage. Cette cruelle perf- peftive ne les arrête point. A quelques lieues d'Oran^ au couchant , eil une petite ville nommée Mafalquivir. Son port efî: regardé comme un des plus fûrs qu'il y ait dans la Méditerranée. Abrité par les hautes montagnes qui Tenvironnent, il n'a point à craindre les vents orageux & les tempêtes. Auffi les anciens avoient-ils noiTimé ce lieu magnus portus , le grand port. Cette ville fut prife fur les Maurçs par les Efpagnols en 1505. Trémecen^ à cinq lieues fud-fud-eft de l'embouchure de la Tajna^ s'annonce pour avoir été autrefois une très -grande ville. L'on y rencontre beaucoup d'antiquités , des murs, des colonnes, des autels dédiés aux dieux Mânes. Les Arabes l'appellent Tlamfan. Elle eft bâtie fur une éminence environnée d'une chaîne de rochers efcarpés, cil fe trouve une grande plaine arrofée par plufieurs fources d'eau. Ses environs pro- duifent beaucoup de blé , de fruits , & font abondans en excellens pâturages. Le PRÉLIMINAIRE. XXJ Dofteur Shaw croit que Trémecen eft le Lanïgara de Ptolomée ; d'autres prétendent que le Lanigara eft aujourd'hui la ville de Guagida^ fituée dans une grande plaine à quatorze lieues nord-eft de Trémecen , & environnée d'affez bonnes murailles, avec des tours de défenfe. La Mauritanie Tingitane forme aujour- d'hui les royaumes de Fez & de Maroc. Elle tiroit fon nom de Tanger, Tingis ^ ville ancienne, fituée fur la côte méridio- nale du Décroît de Gibraltar , dans le royaume de Fez. Je terminerai ici ces notions géographiques fur la Barbarie y ne m'étant propofé que de donner une idée générale de ces belles contrées pour mettre le lefteur à portée de me fuivre dans les différens détails oii je dois entrer. J'évite, autant qu'il eft pofTible , de répéter ce que d'autres voyageurs ont déjà dit. Je ne parle point des grandes villes que les Européens fréquentent continuellement, & fur lefquelles nous avons déjà beaucoup de relations. Je ne dis que ce que j'ai vu ; je parle rare- ment fur la foi d'autrui ; c'eft en pénétrant xxij Discours fous la tente de ^ Arabe-Bédouin ^en conver- fant fréquemment avec lui , que j'ai étudié fon caraftère & fes mœurs , que j'ai ob- fervé la différence qu'il y avoir entre un peuple libre & celui qui gémit fous le joug du defpotifme ; entre une nation éclairée par les loix & les fciences , & des hordes errantes livrées à toute la dépravation d'une nature avilie , & d'un cœur inlenfible à l'aiguillon de l'amour-propre & de la gloire. J'ai divifé par Lettres la partie hiftorique de mon voyage , ou , pour mieux dire , je n'ai fait que rédiger celles que j'avois adreffées à M. Foreftier, Médecin à Saint- Quentin. La correfpondance fuivie que nous avons eue enfemble pendant mes voyages, m'a fouvent mis à portée de pro- fiter de fes lumières pour régler mes obfer- vations & mes recherches. Je lui avois déjà l'obligation d'avoir guidé mes premiers pas dans l'étude de la Nature y & cela dans un temps oii, fixé dans ma patrie, & livré aux études de mon état, j'étois éloigné de toute autre efpèce de fecours. Je ne dois pas moins à M. Néret, fi PRÉLIMINAIRE. xxîij avantage ufement connu par fes travaux en phyfique & en chymie, par fa belle décou- verte des gaz inflammables huileux , par l'invention d'un réchaud & d'un briquet éleftrique , par une machine propre à faire détonner , même dans l'eau , la poudre à canon par l'étincelle éleftrique, &c. Com- bien j'ai été à portée de m'inftruire en fui* vant fes intéreffantes expériences , & en étudiant la belle fuite de minéraux renfermés dans fon cabinet ! Je n'oublierai jamais ces deux premiers maîtres , tant par l'amitié qu'ils me confervent , que par la recon- noiflance que je leur dois. Quant à l'Hiftoire Naturelle de la Bar- barie , je l'ai traitée dans l'ordre fyftéma- tique établi par le célèbre Linné. Je n'ai parlé que des objets que j'ai pu voir , ou fur lefquels j'ai eu des renfeignemens cercaiii«. J'ai donné aux Animaux & aux Oifeaux les noms franc ois fous lefquels ils font connus : j'ai cru devoir ajouter aux noms génériques &fpécifiques des Infeftes & des Plantes, la phrafe defcriptive de Linné , que j'ai eu foin de traduire en françois. Lorfque j'ai eu xxiv Discours prélim. 'quelque objet nouveau à décrire, je l'ai' fait méthodiquement, en ajoutant, après le nom fpécifique, le mot {nobis) ^ qui annonce que cette efpèce eft décrite pour la prepiière fois, & que la découverte m'ap- partient. La longue quarantaine que j'ai été obligé de faire à Marfeille , pendant laquelle mes caiffes d'Hiftoire Naturelle font reftées ouvertes & expofées à l'air, m'a fait perdre une grande partie de ma colleftion, iur-tout les Oifeaux & les Infeflies. Je n'ai décrit que les objets échappés à la deftruc- tion , ou fur lefquels j'avois confervé des notes faites pendant mon voyage. VOYAGE ^ VOYAGE EN BARBARIE. PREMIERE PARTIE. 1^ L E T T R E PREMIERE. ^ M. Forestier, Docteur en Médecine. De la Calle, 12 Mai 178J. Me voilà , mon cher Do£leur, livré tout entier à ma pafTion pour les Voyages & l'Hifloire Naturelle. J*habite depuis quelques jours l'ancienne Numidie , 011 je fuis arrivé fous les plus mauvais aufpices. Depuis près de deux ans la pefte ravage ces contrées, & la négligence des habitans la propage d'une nation chez une autre. Outre ce cruel fléau, l'on m'a dépeint les Arabes & les Maures comme les êtres de la Nature les plus inhumains & les plus féroces , haïffant les Chrétiens tant par principe de religion ^ que par préjugé d'éducation (i). Cefl un triomphe. (i) Ces Arabes nous haïffent aujourd'hui fans favoir pourquoi. Mais leurs pères le favoient bien. Les guerres les Pan, L * A 2 Voyage un afte méritoire pour un Arabe que de répandre le lang d'un Européen. Ils ne s'épargnent pas davan- tage entre eux ; & il eft rare qu'une nation ne foit pas en guerre avec fes voifins , ck qu'un Arabe fans déïen{e iolt en fureté parmi les femblables à quel- ques lieues de fa tente. Le peu que j'ai vu jufqu'à prélent m*a confirmé ces rapports. La Callc , prin- cipal comptoir de la Compagnie royale d'Afi'ique, a fermé fes portes , & s'eft barricadé pour éviter toute communication avec les Maures du dehors infedés de la pefle. Ceux-ci irrités & jaloux de voir les Chrétiens échapper à une maladie qui humihe le Mufulman , parce qu'il la regarde comme ime punition du ciel 5 font tout ce qu'ils peuvent pour introduire plus injultes auxquelles le fanatifiTie doniroit le nom de faintesy portées tant en Orient qu'en Afrique, ont révolté contre nous d'immenfes nations qui ne nous avoient fait alors d'autre mal que celui de fuivre la religion de Mahomet, tandis que nous fuivions celle de Jéfus. Ces entreprifes firent ré- pandre beaucoup de fang, & fs terminèrent par nous attirer, de la part des nations offcnfées , une haine bien méritée. Le nom Chrétien eft refté pour toujours en exécration dans . les différentes contrées du Levant , dans la Syrie , l'Arabie , la Perfe, l'Arménie, l'Egypte , la Barbarie ^ &c. Les pères ont tranfmis cette haine à leurs enfans. En paffant d'une génération à une autre la caufe en a été oubliée, mais la haine eft reftée. C'eft ainfi que nous payons aujourd'hui J ks fautes çommifes par nos pères il y a plus de fix cens ansj* ■ EN Barbarie. j !a contagion parmi nous. Ils viennent enterrer à nos barrières des cadavres peftiférés , 6c jettent par- deffiis les murs des lambeaux trempés dans des bubons peftilentiels. La nation dont nous avons le plus à foufFrir, eft celle des Nadis nos voifms & nos plus cruels ennemis. Ils ne fe contentent pas de nous tendre des pièges fecrets , ils nous attaquent encore à force ouverte. Il y a quelque temps qu'ils ont enlevé près de deux cens bœufs du troupeau que tous les jours on eft obligé de conduire dans les pâturages des environs , & que l'on entretient pour la nourriture de la Calle. Peu auparavant ils avoient mis le feu à nos barrières pendant la nuit ; ils s'y tiennent fouvent cachés , & tirent fur le premier Chrétien qu'ils apperçoivent. Ces circonilances font alarmantes , fur-tout pour moi qui ai envie de courir le pays. Malgré cela, je prends patience, & j'efpère qu'en me mettant peu-à-peu au fait des moyens d'éviter la contagion & de voyager avec fureté , je pourrai rifqiier quel- ques courfes. Il me femble que les nations qui apportent leurs grains à la Calle , & qui fréquentent les Européens , doivent être un peu plus traitables. C'eft par elles que je commencerai : mais je vous avoue que tous ces Arabes ont une figure 6c un accoutrement qui m'épouvantent. Il faudra bien cependant que je m'y accoutume ; car mon deffein n'eil pas de m'arrêter en Afrique fur un ftérlle A X 4 Voyage rocher oîi trois cens hommes , tant Corfes que Provençaux , travaillent pour enrichir le Négociant françois. Notre traverfée a été des plus heureufes. Je n'ai pu cependant , en m'éloignant des côtes de Pro- vence , me défendre d'un fentiment pénible & douloureux. Mes yeux fe mouillèrent de larmes en parcourant cette vafte étendue de mer qui alloit me féparer de nouveau de mes parens & de mes amis. Mais à mefure que notre bâtiment approchoit des côtes d'Afrique , que l'on m'avoit dépeintes comme ftériles & fablonneufes , j'éprouvois un plaifir inexprimable : j'appercevois par - tout des collines couvertes de verdure , des payfages rians , des plaines immenfes émaillées de fleurs. J'en tirai un bon augure ; & à peine débarqué , je voulois courir les champs , fans fonger à prendre aucune nourriture , & à me délaffer des fatigues de la na- vigation. En mettant pied à terre , je trouvai , dès le premier pas , '^Amhyllis barba jovïs , le Spartïum mojîofpermiim , le Pajfcrina hirfuta , le Chamœrops humilis , & plufieurs autres plantes rares que je me hâtai de cueillir , comme fi j'euffe craint de ne plus revenir en cet endroit. Ce fut ainfi que je pris poiTeflion du pays au nom de la Botanique , & que je rendis mes premiers hommages à la Flore Africaine. Je me préfentai devant le Gouverneur de la Calle , un paquet de plantes à la main , plus EN Barbarie. ç occupé de mes richcïïes que des bienféances que j'avois à remplir : je ne caufai pas moins de fiir- prife aux François qui vinrent à notre rencontre , qu'à quelques Maures que la curiofité avoit attirés fur le rivage. Ces côtes incultes & fauvages qui n'infpirent que la triileffe & l'ennui à tous ceux qui y débarquent y me parurent alors le plus beau jardin de la Nature. Que d'objets dignes de l'attention d'un obfer- valeur dans ces contrées barbares , foit qu'il la fixe fur la fertilité d'im fol abandonné à fes feules productions, fur les coutumes & les mœurs des habitans , ou fur la vie errante & oifive des Maures ou Arabes-Bédouins ( i ) 1 Je vous promets par la fuite , des détails fur ces divers articles ; mais j'ai encore trop peu vu, & d'une manière trop générale , pour particularlfer mes idées fur ces différens objets^ J'ai l'honneur d'être , &c. (i ) Les habitans de la Barbarie portent plufieurs noms." On appelle Maures ^ ceux qui habitent les cotes ; Arabes^ ceux quifontplus enfoncés dans les terres; Arabes- Bédouins ou Bérébères , ceux qui mènent une vie errante , & qui fouvent ne vivent que de rapines: enfin, Ton nomme' Cabailes les hordes qui cultivent la terre, & nourriflent des troupeaux. A 5 6 Voyage >■■'•■ ■ • — ■ — " LETTRE II. j4ii même, J'ÉPROUVE ici, mon cher Do6leiir, le fort de Tantale au milieu des eaux. La plus belle végé- tation couvre toutes ces côtes ; mais la contagion & les guerres civiles m'obligent à borner mes courfes dans les environs de la Calle. Quoique je m'écarte peu , que je ne marche jamais feul & fans armes , je ne fuis point , malgré cela , à l'abri des dangers. Les Maures , trop lâches pour nous attaquer en fece , cachés dans les buiffons ou derrière les rochers, nous attendent au paflage, & nous faluent, lorf- qu'ils le peuvent , de quelques coups de fufils. Je me bornerai donc , dans cette lettre , à vous entretenir du Comptoir que j'habite , du caraftère de ceux qui le compofent , & de la manière dont cette place eft dirigée Ôc gouvernée. J'affligerai votre ame par le tableau que j'ai à vous tracer ; votre humanité gémira fur les maux de toute efpèce auxquels le mercenaire eft expofé fur ces côtes barbares ; &c votre cœur formera des vœux pour voir à jamais anéanti un commerce qui fait le déshonneur de la France , occafionne tous les ans h mort d'un grand nombre de perfonnes , ôc offre EN Barbarie. 7 une retraite à une foule de fcélérats qui , par la diffolution de leurs mœurs, remplacent les crimes qu'ils ne peuvent commettre ici avec impunité. Vous chercheriez inutilement la Calk fur la plu- part des cartes géographiques : vous y trouverez le Bafiion de, Franu , quoiqu'en ruines depuis près d'un fiècle ; & bien des Géographes modernes vous apprendront encore que cet ancien comptoir eft défendu par une bonne garnifon de trois à quatre cens hommes. Il n'étoif éloigné de la Calîe que de trois lieues. Les mortalités annuelles occafionnées par les grands lacs qui l'environnoient , obligèrent les François à l'abandonner. Les maladies furent (i meurtrières un certain été, que de plus de quatre cens hommes , il n'en refta que fix. La Calk , à trente-fix lieues oueft de Tunis ^ eft bâtie fur un rocher ftérile de très-peu d'étendue. Ceft aujourd'hui le principal comptoir de la Com- pagnie royale d'Afrique. Un Agent , auquel l'on donne le titre de Gouverneur, &: une quinzaine d'Officiers fubalternes en ont la diredion. Les Maures font exclus de cette place , excepté quelques - uns que l'on y reçoit comme otages, ou qui font ein.T ployés à des travaux manuels. Les habitans font au nombre de trois à quatre cens, la plupart Corfes ou Provençaux. Les uns font chargés de la pêche du corail. D'autres, avec le titre de foldats, efcortent- un troupeau de boeufs, 6c le çonduifeut toviS' les- A 4 8 Voyage jours aux pâturages des environs. Souvent ces mêmes foldats, convertis en charretiers, vont dans les forêts voifines couper le bois néceffaire pour le chauffage ou la conftruftion ; les autres ouvriers portent le nom de frégataires. Ils font deftinés aux travaux intérieurs de la place , comme à charger les bâtimens, à tranfporter le blé dans les magafins, à nettoyer le port , &c. La Calle eft encore munie d'autres ouvriers néceffaires , de boulangers , de ferruriers, de maçons, &c. Tous ceux qui habitent ce comptoir font nourris , logés & ftipendiés par la Compagnie. Excepté les magafms, le logement du Gouver- neur &; celui des principaux Officiers, les autres bâtiffes ne confiftent qu'en une foixantaine de bar- raques à un feul étage. La Calle , défendue de trois côtés par la mer , l'eft encore du côté de la terre oar un mur fuffifant pour nous garantir des infultes des Maures , qui n ont d'autre artillerie que -leurs flifils. Le port eft dominé par une quinzaine de pièces de canon. Il eft petit, peu profond, très- dangereux par certains vents qui y introdùifent les vagues avec im fracas effrayant. L'entrée eft envi- ronnée de rochers à fleur - d'eau , où nombre de bâtimens font venus fe brifer. Les femmes, deftinées à confoler l'utile citoyen •dans fes travaux, à adoucir par l'aménité de leurs mœurs celles de l'homme groftier ; les femmes font EN Barbarie. 9 exclues de la Calle. Si quelquefois le Gouverneur a obtenu la perniiflion d'y conduire la Tienne , il en eft prefque toujours réiulté des troubles , des féditions, qui ne lui ont pas permis de la garder long-temps. En fe déterminant à paiTer dans ce pays, il faut fe réfoudre à rompre les plus doux liens de la nature , pour vendre fes bras , & fouvent même facrifier fa vie au fervice d\me Compagnie qui s'in- quiète peu de ce que l'on fouffre pour elle. La privation de femmes porte dans tous les efprits la triftefle & l'ennui. Des étrangers divifés par des intérêts particuliers , jaloux les uns des autres , obligés à fe réunir par défœuvfement , à fe détefter par envie, n'étant rapprochés par aucune forte de liens, ni diftraits par aucun délaffement, ne form.eront jamais une fociété amicale , dont l'union & les agrémens puiffent dédommager de Fabfence des femmes. Il réfulte de-là une mono- tonie accablante, un ennui difficile à fupporter, des defirs ardens de repalîer en France , & de fe réunir au fein de fa famille & de fes amis : il réfulte, parmi le peuple , les vices les plus abominables , une entière corruption de mœurs , l'abandon aux plus honteux défordres , & des horreurs dont on ne peut avoir idée que dans ce pays. "Mais que faire , dira-t-on , fi cet établiîTement ne comporte pas d'y foufFrir de femmes ? Que faire ! Il le ûut réformer, ou l'abandonner tout-à-tait. Fa.ut-il , poxrj jo Voyage fevorifer une Compagnie de commerce , peupler la Calle d'habitans plus coupables peut-être que ceux de Sodome &; de Gomorrhe ! Faut-il arracher des pères à leur famille , des enfans à leurs parens , pour en faire des montres en Barbarie ! A ce premier inconvénient ajoutez , mon cher Doôeur, l'air mal-fain du pays, corrompu chaque été par les exhalaifons de trois grands lacs, qu'il feroit facile de deffécher en les faifant communiquer avec la mer dont ils font peu diftans. Ce travail , il eft vrai , occafionneroit quelques dépenfes à la Compagnie ; mais à combien d'hommes il confer- veroit la vie ! Quand le temps des maladies arrive, & fai aduellement fous les yeux ce cruel tableau , Fhôpital , en peu de jours , eft plem de malades. Une fièvre ardente circule dans les veines de ces înfortimés ; en moins de quatre jours leur exiftence eft terminée. Ces fymptomes eftrayans , l'air brû- lant & lourd que l'on refpire , le fon continuel d\ine cloche lugubre , les hommes frappés de mort à la fleur de l'âge., tout jette l'effroi dans les efprits. L'on ne parle, l'on ne s'entretient que de morts & de mourans; chacun craint pour foi, & celui qui cft en fanté , femble n'en jouir que pour reftentir plus vivement les peines de l'efprit. Combien l'ima- gination effrayée n'en a-t-elle pas précipité dans le tombeau ! Jugez , d-après cela , mon cher Dodeur , de ce EN Barbarie. ii qiie doivent être les habitans de la Calle. Il fe fait de temps en temps des recrues à Marfeille pour peupler ce comptoir que les maladies & l'abandon fréquent de (es habitans oblige à renouvelkr. La Compagnie reçoit indiftindement tout ce qui fe préfente, fans examen, fans inform.ation. Pour être admis , il fufîit d'avoir des bras. Si elle ne vouloit que des honnêtes g*ens, la Calle feroit déferte, Sz elle le feroit pour long-temps. L'honnête homme ne s'expatrie point pour gagner peu & rifquer beaucoup. Auffi cette place n'eft-elle habitée que par des hommes fans afyle , fans . établiffement , fans reffources ; des hommes , la plupart flétris par la JuiHce ou pourfuivis par les loix; des hommes perdus par le libertinage , la débauche , fans prin- cipes de religion , fans le moindre fe^timent de probité. On en a vu de la troupe de Gafpard de Bèze , chef de voleurs exécuté à Aix il y a quelques années ; on en a vu dont les épaukg atteftoient les mœurs & la conduite ; enfin j'en connois un à qui l'on écrivit cette lettre caratlériftique : Je t'ap- prends, mon ami y que tu as été rompu vif à Aix il y a huit jours. Vous ferez peut-être curieux de favoir comment il efl pofTible de vivre en fureté au milieu d'une troupe d'hommes de cette nature. Ces fcéiérats n'ont point ici d'occafions fréquentes de fe livrer au crime. D'ailleurs, aucune mau- vaife a^on ne peut être impunie. Le criminel ed 12 Voyage renferme en une double barrière ; la mer d'un côté, lur laquelle perfonne ne peut s'embarquer ("ans l'aveu du Gouverneur; la terre d'un autre côté, où il eft impoflible d'errer feul fans être égorgé par les Maures. Excepté les grands crimes, les autres avions font prefque impunies à la Calle. Le Gouverneur n'y a que l'ombre de l'autorité. Il eft forcé de ménager cette canaille toujours prête à fe révolter. 11 ne punit le particulier qu'autant que celui - ci n'a point de parti pour le foutenir , & cette puni- tion fe borne à la prifon , ou à être renvoyé en France par le premier bâtiment : fi , arrivé à Mar- feille, le coupable a envie de repafîer, il fuffit qu'il fe préfente au bureau de la Compagnie fous un autre nom. Plufieiu's font revenus à la Calle à l'aide : de cet artifice, en fe moquant de l'autorité du Gouverneur & de fes menaces. Il y a plus ; les feutes deviennent une fpéculation d'intérêt pour ceux qui ont envie de retourner dans leur patrie. La Compagnie a coutume de faire payer le pafTage & la quarantaine à tous ceux qui reviennent en France. On leur retient à la Calle fur leiu*s mo- diques falaires la fomme nécefTaire ; & ceux qui ne peiîvent la donner font forcés de refier, ou de commettre des fentes affez graves pour que le renvoi devienne une punition. Dans ce cas, argent ou non, on les fait embarquer. E N B A R B A R I E. ij Il y a , à la Qlle , plufieiirs poftes où l'on fait une garde continuelle. Les foldats de fadion font tenus de fonner & de répéter toutes les heures. De l'autre côté du p6rt , hors de la place , eft une eminence fur laquelle Ton a bâti un moulin aflls fur une tour , & défendu par quelques pièces de canon. Ceft de-là que l'on obferve tout ce qui fe paffe au - dehors , & que le foldat de fadion , à l'aide d'un porte-voix , en donne avis aux habitans de la Calle. Il a foin également d'annoncer tous les cavaliers qui arrivent , ainfi que les bâtimens qu'il découvre en pleine mer. Cette coutume me tranfporte fouvent en idée au temps de ces preiix Chevaliers , de ces héros fi célèbres dans nos vieux romans , dont l'arrivée étoit annoncée , du haut des châteaux , au fon du cor ou de quelqu'autre infb-ument. Pour compléter ce que fai à vous dire fur la Calle , ce feroit ici le lieu de vous entretenir du commerce de la Compagnie , & de la manière dont fe fait la traite avec les Maures. Comme il me manque encore quelques renfeignemens fur cet article , j'en ferai le fujet de ma première lettre, Tai l'honneur d'être, &c. J4 Voyage ' ..I . . — ■' ■ — — — — ' m LETTRE III. ^u même. Je me propofois, mon cher Dodeiir, de vous entretenir dans cette lettre du commerce de la Compagnie d'Afrique fur ces côtes ; mais je préfère vous rapporter un fait arrivé à la Calle il y a quelques années , & dont je viens d'apprendre les détails par le Gouverneur de cette place. Si la privation de femmes eft un tourment pour les habitans de la Calle , le fort des hommes dans ce pays de malédicl:ion n'efl pas moins une fource d'inquiétudes &: d'akrmes pour les femmes que leurs maris font forcés de lailTer en France. Il y a quelque temps qu'un pauvre ouvrier de Mar- feille , réduit à la mendicité , faute d'occupation , fe détermina à paffer à la Calle , & à fe féparer d'une femme dont il étoit tendrement aimé. Il fe garda bien de lui donner fur ce pays des détails qu'il ignoroit peut-être lui-même : mais celle-ci ayant été long-temps fans recevoir des nouvelles de fon mari , foit que fes lettres fe fuiTent égarées , ou qu'il eût négligé de lui écrire , s'informa par- tout du féjour de la Calle. Ce qu'elle en apprend augmente (qs inquiétudes ; ^ ne pouvant réfiiter EN Barbarie. ij aux vives alarmes de fa tendreffe , elle demande avec inftances qu'il lui foit permis d'aller fe réunir à lui. Cette grâce lui eft conilamment refiifée. Dans cette extrémité, elle a recours au feul expédient que lui fuggère fon amour. Elle déguife fon fexe fous l'habit d'un ouvjier, fe préfente au bureau, & ù fait enregiflrer au nombre des paffagers. Pen- dant la traverfée , qu'elle fupporta avec un courage héroïque , fa figure , fa jeuneffe intéreffèrent en fà faveur le capitaine & tous les gens de l'équipage. L'on plaignoit bien fincérement le fort de ce pauvre jeune homme réduit à aller habiter un pays fi dangereux; far-tout pour les jeunes gens &C les tempéramens délicats. Ces difcours ëtoient, pour cette femme , autant de coups de poignard. Ou- bliant le danger pour elle-même , elle ne fongeolt qu'à celui auquel fon mari étoit expofé, & dont peut-être il étoit déjà la viQime. Enfin le bâtiment efi: fur le point de toucher aux côtes d'Afrique , & de mouiller à Bonne par la diredion des vents. Tandis que cette femme étoit occupée à chercher dans fa malle quelques Q^ets néceffaires au débarquement , des matelots recon- noificnt des habillemens de femme p?.rmi fes bardes, 6c cette découverte donne Heu à des conjedures que fa figure confirmoit fi bien. Les foupçons de- viennent certitude. Reconnue pour femm.e , elle auroit eu beaucoup à foufFrir de la brutalité des ^6 Voyage matelots, fi le capitaine, auquel elle fît Taveu dé fes projets , ne l'eût prife fous fa fauve-garde. Au premier vent favorable, le bâtiment mit à la voile pour la Calle , où il aniva très-heureufe- ment. Le capitaine fe préfente devant le Gouverneur de cette place avec cette fîdelle époufe : elle ne peut répondre à aucune qiieflion avant de favoir fi fon mari eft encore exiftant. Elle apprend qu'il vit , qu'il va paroître. Cette nouvelle la comble de joie : elle refpire à peine. Le Gouverneur envoie chercher cet époux chéri, &c veut jouir du fpec_ tacle de cette entrevue. Le mari paroît. Il eft d'abord interdit, en voyant un jeune ouvrier lui fauter au cou, le ferrer dans (es bras , & ne pouvoir proférer aucune parole par l'abondance de fes foupirs. On lui dit que c'eft fa femme ; il la reconnoît , mais à peine peut-il en croire fes yeux. Livrés l'un & l'autre aux mouvemens de la plus vive tendreiTe , ils veulent parler ; mais leurs difcours font fans fuite, interrompus à chaque inftant par leurs carefles réciproques. Leurs yeux mouillés de larmes n'ap- perçoivent plus les fpeftateurs , en qui cette fcène attendrifîante excite une émotion délicieufe ( i ). Le Gouverneur leur donna un logement particulier. (ï) Je fuis rcpafîé en France avec le Capitaine qui avoir condint cette femme héroïque en Barbarie. Il m'a confirmé les détails que je viens de rapporter. Le EN Barbarie. 17 I.e mari , vaincu par la tendrefTe de ù femme , s'embarqua avec elle pour Marfeille , oii il trouva le travail qui lui manquoit. fai l'honneur d'être, &c. LETTRE IV. j'^u même» 3 E reviens aâ:uellement , mon cher Dofteur , aux détails que je vous ai promis fur le commerce qui fè £.it annuellement fur les côtes de Brrbarie, /Le principal commerce de la Barbrrie eil accordé exclufivement à une Compagnie et blie à Marfeille fous le nom de Compagnie royale d^AJnque. Cefl à la pêche du corail que cette Compagnie doit ià première exiflence. Cette pêche fut long-temps la bafe & le fondement de fon commerce. C'ctoit une récolte dont le produit Culculé étoit réputé, invariable, qui {^vX procuroit & la rentrée des dépenfes que nécefTite un grand établiffement , ôC les bénéfices qu'il doit donner : mais alors la pêche étoit conftamm.ent abondante bc belle, lesfn.is d'ex- ploitation étoient beaucoup moindres, les débouchés; autant & peut-être plus avantageux; & quelque révolution qu'éprouvaffent les autres branches du Part. L B 1 8 Voyage commerce de la Compagnie , la pêche du corail fufHfoit pour la maintenir , fmon dans un état floriiTant, au moins dans cet état d'équilibre Se de iblidité dont une Compagnie de commerce ne doit jamais fortir. Depuis un certain nombre d années cette pêche a toujours été en décroiiTant. Aujour- d'hui elle eft à un tel degré de pénurie , les qualités font fi foibles , h minces , que la fituation de la Compagnie ell totalement fubordonnée au com- merce des grains ôc de la laine , auquel elle joint celui des cuirs &C de la cire , quoiqu'elle retire un bien foible profit de ces derniers articles. La laine , l'orge & le blé font les denrées fur lefquelles la Compagnie gagne le plus : elle acheta ces marchandifes avec des piaftres d'Efpagne rognées. Elle enlève fur chaque piaflre la valeur d'environ 1 5 fols 5 & les fait paffer en Barbarie pour le prix de 5 livres , piaftres entières , & 2 liv. 5 f. la demi-piaftre. Cette fpéculation ne laifTe pas que de donner un profit aiiez conlldérable , qui monte à environ dix pour cent. Les principaux comptoirs de la Compagnie font à la Calle , à Bonne, à Tabarque àc au Colla , dont j'aurai occafion de vous entretenir par la fuite. Cette Compagnie s'eft établie fous Louis XIV. Son principal comptoir étoit d'abord au Bajlion dt France. , à l'extrémjté orientale du royaume d'Alger. Elle avoit le double objet de la pêche du corail & EN Barbarie. 19 du commerce des grains qu'elle partageoit alors avec une Compagnie Angloife établie à la Calle. Les Anglois faillirent , & le commerce refla exclu- fivement aux François. Par-tout oii les Européens ont pénétré , attirés par Tappât du gain , par-tout où ils ont offert à des naturels, fouvent à demi-fauvages, leur amitié & des liaifons de commerce , par - tout ils font prefque devenus defpotes , &c n'ont payé que par des trahifons & des crimes la confiance qu'on leur a accordée. C'eil ainfi que les Efpagnols fe font établis en Amérique, les Anglois, les HoUandois, les François dans les Indes & dans les différentes parties du globe. Batavia, le Pérou, Madagafcar en font encore aujourd'hui la preuve. Si quelques-unes de ces nations ont été épargnées , au moins les a-t-cn rendues tributaires ; & bien loin de payer le droit de commercer chez elles , le marchand européen a exigé d'être récompenfé pour traiter avec huma- nité ces peuples auxquels il ne demandoit d'abord que des échanges pailibles. Il n'en eft pas ainii , mon cher Dodeur , du com- merce établi avec les Maures fur les côtes de Barbarie. Si le Négociant dans les Lides & en Amérique eiï fier & defpote , en Afrique il eft bas & rampant. Il paie, & il paie très-chèrement le droit d'acheter les produftions de ce riche , mais trop inculte pays, Ceft principalement fur la Compagnie d'Afriqv-^ B 2 20 Voyage que tombent les plus fortes exaôions. Les PuiiTances Barbrirefques ne lui accordent le privilège exclufif de leur commerce qu'à raifon d'un tribut annuel , & la forcent de prendre leurs denrées au prix qui leur efl offert par d'autres marchands inter- lopes , quoique la Compagnie paie en tributs ce que ceux-ci paient en augmentation. Pour avoir la liberté de fiire pêcher le corail fur les côtes du royaume d'Alger , 6c obtenir le commerce exclufif des grains , de la laine , de la cire &: des cuirs dans (qs différcns comptoirs, la Compagnie paie chaque année au Dey d'Alger environ i ooooo livres , 6c s'oblige de lui envoyer deux caiffes du plus beau corail. Les droits que le Bey de Conflantine retire du blé qu'il fait vendre à Bonne , lui rendent près de cent pour cent , & on lui paie pour la laine 4 liv. lof. prr quintal. D'un autre côté , la Calle scR foumife à payer aux différentes tribus Arabes qui l'avoifment, des revenus annuels fous le nom de Lifmes ; les nations qui les reçoivent font appelées Lifmataires. La Com- pagnie donne au chef de la Maboule une demi- piailre (2 liv. 5 f.) fur chaque mefure de blé, & un quart de piaûre pour chaque mefure d'orge. Les autres hordes retirent également un triî#ut relatif aux denrées qu'elles apportent ; l'on paie aux Merdafs 500 livres , quoique le commerce n'ait plus lieu avec eux à la Calle , & que le Bey de Conflantine EN B A R B A Pc I E. 21 les oblige de porter leur blé à Borinc , fur lequel il gagne à fon tour; aux Nadis 1600 livres, & ainfi par proportion à plufieurs autres notions. Pc.r un nouvel arrangement £iit avec le Bey de Tunis pour établir. la pêche du corail dans fes mers, ce Bcy doit , par la fuite , retirer annuellement près de 27000 livres. Le comptoir du Collo a également des droits à payer au Jummt , ou tribunal de juriice. Ces tributs , quoiqu'exorbitans , font dans le droit -âes gens , &: n'ont rien qui puiiTe humilier le Négo- ciant. Tout peuple , tout Souverain peut bien ne per- mettre chez lui le commerce aux nations étrangères qu'en les foumettant à certains impôts, 6^ cette coutume ed reçue par -tout en Europe; il n'y a que dans les Indes &: dans l'Amérique où le Négo- ciant , profitant de la foibleiTe & de la trop grande confiance de ces peuples étrangers , contre tous les droits divins & humains , les a rendus fes tri- butaires. Mais ce qui avilit le Négociant européen fur ces côtes, c'eil le fouverain mépris qu'il lui faut effuyer de la part des Maures ; ce font les vexations &: les injuflices qu'il lui faut fupporter pour y continuer un commerce tranquille. Les habitans de la Calle y font le plus expofés. Lorfque les Maures fe pré- fentent , il feait leur diûribu.er du pain , de l'huile , du fd , ôc bien d'aut4-es objets qu'ik exigent, avec B3 %i Voyage fierté. Si , fatigue de leurs demandes , on leur refufe la moindre chofc , ils font des menaces qu'ils exécutent prefque toujours , & avec d'autant plus de confiance , qu'ils font certains de l'impunité. Le mécontent fe cache derrière un buiflbn , dans quelque défilé , & le premier Chrétien qui fe pré- fente efl vidime de fon reffentiment. D'ailleurs il n'efl pas difficile à un Maure de mettre la nation entière dans fes intérêts ; de forte qu'au lieu d'un ennemi , l'on en a cent à craindre. Il faut alors parler d'accommodement , appaifer les mécontens , & les traités de paix finiffent toujours par tout accorder aux Maures. Malgré cela, l'on n'eft pas plus en fureté. Ceft , au contraire , quand les Maures nous voient fans défiance , qu'ils nous attaquent avec plus de fuccès. Ils commencent leurs hoftilités par enlever ime partie de notre troupeau , qui ne nous eft rendue qu'aux conditions les plus humiliantes. Enfin, mon cher Do£l:eur, pour achever de vous prouver combien le nom françois eil méprifé fur ces côtes , il fuffit de citer la loi du fang. Si un Maure tue un Chrétien hors le temps de guerre , il doit payer 300 piaftres , qu'il ne paie jamais; fi au contraire un Chrétien tue un Maure , même pour fauver fa vie , la Compagnie eft tenue de payer 500 piaftres , dont on ne lui fait pas grâce dun denier. Voilà donc le fang maure , ce fang impur & féroce , évalué près de moitié plus que EN Barbarie. 25 celui des chrétiens ! Et ce font des François qui ont figné ces honteules loix I Non , ce ne peut ctre que la main avide du Négociant. Les Maures , qui profitent de tout pour nous piller, fouvent afTaffinent un d'entre eux, en dépofent fecrètement le cadavre aux environs de la place, accufent les Chrétiens de œ meurtre, & les obligent à payer. Il fuit de-là qu'il faut tout foulfrir des Maures , tout leur accorder , oublier les infultes , fupporter leurs mépris , & recevoir de ces barbares des loix iniques & aviliflantes. Par exemple, ne fcrez-vous pas furpris, mon cher Dodeur , que la Compagnie n*ait pas le droit de nommer fes Truchemans? Il appartient aux Maures , qui ont toujours foin de choifir celui d'entre eux qu'ils connoilTent le plus propre à trahir les Chrétiens. Le Bey de Conflantine s'efl obligé, par traité, à fecourir les Chrétiens dans tous les cas; toutes les fois qu'il le fait , il en réfulte quelque nouvel impôt ; il eft même quelquefois le premier à exciter des troubles , afin de fe rendre néceflaire , & de faire payer chèrement les fe cours qu'il accorde. Lorfque l'on obtint un chef pour contenir les Maures de la Mazoule , ce Bey , à caufe de quelques divi- fions , envoya un camp de 500 hommes pour rétablir le bon ordre ; mais il exigea de la Com- pagnie une pialtre par homme , qu'il fallut payen Il n'y avoit pas trop à fe récrier. Mais l'année B4 14 Voyage fiiivante il réclama les 500 pi.ftres enfance; & n'ofant fond, r ce tribut fur les fccours Cjii'il avoit accordés , il rétablit pour le p' ITc ge de la rivière des Ceibas , fur la route de Bonne ^ quoiqu'il n'y ait ni pont ni bateau , & que les Chrétiens n'y paffint que très-rcrcmcnt, à moins qu'ils n'aillent à Bonne par terre. Pour avo'r h pa'X , l'on fe décida à payer, & ce droit eft r fié. A ce tr.iit je pourrois en ajouter beaucoup d'autres da cette nctiire ; m-is je crois vous en avo?r aff^z dit pour vous donner une idée du commerce que l'on fait avec les Maures. Vci rhonneur d'être, &c. LETTRE V. Ali même» Je n'ai pu, mon cirer Doûeur , réfiller plus long- temps : malgré la conte gion , malgré les guerres civiles , malgré les repréfintatlons du Gouverneur de la CcJle & des autres officiers , j'ai franchi nos barrières. Je voyois avec regret le printemps s'é- couler, & les fleurs difparoître avec lui. Quoique nous ne foyons encore qu'à la fin de mai , le foleil cft déjà fi brûlant , qu'il eft impoffible , dès neitf EN Barbarie. 25 heures du matin , d'en fupportcr les r.rdeurs. Voilà cependant plus de quinze jours que je cours les aventures , dans un coflume non moins ridicule que celui du célèbre Robinfon; vous allez en juger. Pc.rdLfTus une paire de pantalon & une vefte légère, je porte l'habillement Arabe. Ccft une efpèce de grand manteau blanc à capuchon, qui tombe jufques fur les talons; il ed d'une feule pièce, f^ns couture , fermé pardevant , & orné de franges de foie aux extrémités , fur la poitrine & aux pointes du capuchon. Cette dernière partie eft fixée fur la tète par une grolTe corde de poils de chameaux de plufieurs aunes de long. Elle remplace chez les Maures le turban des Turcs. Pour me garantir du foleil , je porte , outre cela , un énorme chapeau de feuilles de palmier, dont phifieurs chefs Arabes font ufage pendant l'été. C'eft ainfi qu'à demi- Maure , à demi-Chrétien , je parcours les fables bridans de la Barbarie. Peu à peu ma figure prend la teinte rembrunie de celle des Africains , & û ne me manqueroit qu'une barbe toufFue , les jambes & les bras nuds pour être tout-à-f it méconnoif- fcible. Quoique je n'en veuille qu'c.ux plantes & aux infecles , je marche cependrnt toujours armé en guerre, à la manière des Arabes. Une grofle ceinture de cuir garnie de bonnes cartouches , une paire de piilolets , une efpèce de poignard , un fabre ôc un fufil, tel eft à-peu-près l'armure de i6 Voyage tous les Arabes. En cet écniipage , je me préfente hardiment devant les tentes des Maures, accom- pagné d'un domeflique & de deux Maures que j'ai emmenés avec moi de la Calle , où ils ont appris à parler un peu provençal. Je ne me fie ce- pendant ni à mon courage , ni aux armes que je porte. J'ai foin, avant de pénétrer dans le pays, de m'informir exaftement par mes truchemans , fi la nation que nous allons vifiter efl en liaifon de commerce avec la Calle, fi el'C eft foumife à quelque chef, fi un Chrétien peut y paroître avec fureté , &: fur-tout fi la pefte n'y fait point de ravages ; je ne me hafarde que d'après leur réponfe, & jufqu'à préfent je n'ai encore éprouvé aucune forte de danger , quoique fur l'article de la pefte , \qs Arabes fcienr peu fidèles dans leurs récits. Comment , mon cher Doûeur , vous peindre les împreiïions confufes & oppofées que j'ai éprouvées à la première vue de ces hordes Arabes ? Je n'étois qu'à une demi -portée de fufil d'une trentaine de tentes, je me difpofois à y pénétrer, lorfque fappris que la pefte s'y étoit déclarée depuis huit jou-rs. Pour éviter le danger de la communication , fans aller plus avant, je defcendis de cheval à f endroit même où nous nous trouvions, ayant befoin d'un peu de repos & de nourriture. C'étoit au bord d'un ruiffeau où couloit une eau fraîche ^ limpide; des biiiffons de lauriers - rofes , de EN Barbarie. 27 térébinthe & de myrthe formoient un ombrage agréable ; & ce payfage , terminé par des collines couvertes de la plus belle végétation, étoit animé par de nombreux troupeaux qui paifToient au loin. Ainfi la Nature, en m'offrant le tableau riant de ce fejour paftoral &C champêtre , difpofoit mon cœur à la joie, & me tranfportoit en idée dans cet heu- reux temps où les hommes étoient tous bergers, & ne connoiflbient de véritables richeiTes que les biens de la terre & le produit de leurs troupeaux. Occupé de ces idées , parcourant des yeux toutes les beautés de ce payfage , les fixant particulière- ment fur les tentes bafies & enfumées des Arabes , j'en vis tout-à-coup une douzaine diriger leurs pas vers moi. Je vous l'avoue , mon cher Dodeur , à la vue de ces hommes féroces , je ne pus me défendre d'un mouvement de frayeur, qui fit, en un inftant, évanouir les idées qui m'occupoient fi agréable- ment. Ils étoient tous armés; je craignis quelque attaque de leur part : mais je fus rafTuré par les Maures qui m'accompagnoient. Dès qu'ils furent à ma portée, je les faluai félon la coutume du pays, & Je leur fis dire de fe tenir à une certaine diflance de nous, à caufe de la contagion. Ils ne firent aucune difHculté de s'y foumettre. Ils s'accroupirent en cercle autour de nous, 6^ caufèrent pendant quelque temps avec leurs femblables. Ils me de- mandèrent fi je voulois du laitage. Je l'acceptai. t% Voyage AiiiTi-tôt deux d'entre eux fe détachèrent, 6c re- vinrent peu à près chacun avec une écuelle de bois pleine de lait. J'en bus avec pLifir; & malgré leur ton brufque , leur l'ir pr^fque toujours me- naçant , je fus fvnfible à leur réception. Je leur en exprlm.i ma reccnnoiiTance parmcsgtftes, & je leur aiflribuci un peu de poudre & de plomb qu'ils m'avoient demandés. Oubliant alors la pein- ture que l'on m'c^voit f.âte de leurs mœurs , ou plutôt attribuant leur férocité au defpotifme fous lequel ils gémiiTcnt , & peut - être à la fréquenta- tion des Européens , avec lefquels ils peuvent avoir appris à être fourbes & méchans , je m'efforçois de me perfuader, comme je l'avois cru jufqu'alors, que plus l'homme étoit près de la natm-e , plus il devoit être bon ; je ne voyois plus en eux que ces patriarches de l'antiquité unic^uement livrés aux foins de leurs troupeaux, &c exempts de cette foule de nécelTités inventées par le luxe. J'y voyois des hommes à qui j'étois redevable de l'hofpitalité, puifqu'ils m'ofiroient leurs tentes pour afyle ; &c fi je ne trouvois pas en eux cette politeiTe maniérée d'Europe , au moins croyois-je y voir une dure franchife , telle qu'elle doit être dans l'homme de la Nature. C'efl ainfi que tout en raifonnant avec moi-même , & me laiiTant abufer par ce dcfir û attrayant de trouver dans tous les hommes un fond de bonté naturelle, je me livrois avec plaifir à EN Barbarie, 29 une erreur dont je n'eus par la fuite que trop fujet . d'être détrompé. Lorfque je les quittai , n'ayant point , par pru- dence , voulu entrer dans leurs tentes , ils m'accom- prgnèrent un demi-qur.rt de lieue ; en nous féprrant ils me fouhaitèrcnt , en leur langue , bonheur &C paix. Inftruit du fens de leurs exprefficns, je les leur répétai avec attendriffement , &c je m'app]au- diffois que les premiers mots arabes que je pro- nonçois , ferviflent à exprimer ma reconnoiiTance. J'ai éprouvé à-peu -près la même réception chez les différentes Tribus Arabes que j'ai parcourues jufqu'à préfent : je n'ofai, pendant les premiers jours, pénétrer dans leurs tentes , de peur de la pefte ; comme le temps étoit très-doux , le ciel fcrcin , je me faifois tous les foirs arranger une petite cabane de feuillage , peu éloignée des tentes 5 & je palTois la nuit étendu fur le gazon oii je goatois im fommeiî aulTi tranquille que dans un lit bien délicat. Cepen- dant, comme le danger, vu de près, ne fait plus d'aufTi fortes impreiïïons , je me fuis infenfiblement accommodé des tentes des Arabes. J'y fuis reçu tous les foirs , & j'ai l'honneur d'être admis à leurs repas. Agréez les fentimens d'amitié avec lefquels ;, ôcc. 30 Voyage LETTRE VI. A M, T, L. 1 ANDIS, mon cher ami, que vous admirez les chef-dœuvres des grands maîtres au milieu des ruines de la célèbre Rome , je parcours les plaines des anciens Numides. Parmi ces contrées défertes &c incultes , que de jouiffances , que de richefTes pour le Naturalise ! que d'utiles leçons pour l'Obfer- vateiir phllofophe ! Vous cherchez les Romains chez les Italiens , & peut-être ne trouvez - vous plus dans leur figure , dans leur caraftère , cette noble fierté , ces traits de majefté & de courage qui annonçoient, en eux les maîtres de l'Univers. Je fuis plus heureux que vous. Il me femble , dans chaque Arabe montagnard , reconnoître un Gétule ou un Numide : mais , puis - je m« féliciter de cai traits de reffemblance dans un peuple qui a con- fervé la férocité & les mœurs des premiers habitans de ces contrées? Qu'il eft humiliant pour la nature humaine de voir prefque toutes les nations dégé- nérer infenfiblement des vertus de leurs ancêtres , & n'en perpétuer que les vices! C'eft cependant le tableau que nous oiFre l'hiftoire de tous les âges. Où trouver aujourd'hui les Sages de la Grèce , le EN Barbarie. 31 •^vant Egyptien , & les héros de l'ancienne Rome ? Nous les chercherions inutilement clans leurs def- cendans , tandis que l'Afiatique a confervé fa pre- mière moUeffe , & que le barbare Africain efl encore altéré de f.ng. Que de figures dignes de votre pinceau j'ai déjà rencontrées p^rmi les Maures ! Des yeux pleins de fexi 6c de courage , un regard féroce , des traits mâles 6c fortement prononcés, le nez aquilin, des bras nerveux , la taille haute , la démarche fière , les jambes, les cuifies 6c les épaules prefque toujours à nu ; tel efl l'extérieur de la plupart des Maures. Ils ne font point naturellement noirs, malgré le proverbe , & comme le penfent plufieurs écrivains ; mais ils naifient blancs , & refient blancs toute leur vie , quand leurs travaux ne les expofent pas aux ardeurs du foleil. Dans les villes les femmes ont une blancheur fi éclatante , qu'elles éclipfcroient la plupart de nos européennes ; mais les MaureP ques montagnardes, fans cefîe brûlées par le foleil 6c prefque toujours à moitié nues, deviennent, même dès l'enfance , d'une couleur brune qui approche beaucoup de celle de la fuie. Leur habillement efl intérefTant à connoître. Je le crois de la plus haute antiquité. L'on m'a affuré que du côté du défert de Saura , plufieurs Arabes étoient parfaitement nus. J'en ai en effet rencontré quelques - uns qui n'ayoient auame efpèce de 32 Voyage vêtement; d'autres qui ne portoient qu'un légef caleçon : mais le plus grand nombre ont un hobil- lement plus ou moins détaillé , félon leur condition ou leur fortune. Les uns , ce font les plus pauvres & par conféquent les plus nombreux , s'enveloppent d'une pièce d'étoffe de plufieurs aunes , qu'ils en- tortillent , chacun à fa manière , autour de leur tête & de leur corps. Cet habilkm.ent a été prr- Iditement bien décrit par M. de Fénelon, en parlant^ dans fon Télémaque , de la coutume des Bœtiens. Leurs liabits , dit - il , font aifés a faire ; car en ce doux climat on ne porte quune pièce d"* étoffe fine & légère qui nejl point taillée ^ & que chacun met à longs plis autour de fon corps pour la modcjîle , lui donnant la forme quil veut, {Liv, 8.) D'autres ajoutent en defîbus , foit une chemife femblable à celle de nos femmes , foit une tunique de laine fans bras qui leur defcend jufqu'aux genoux. Les plus riches portent, outre cela, une efpèce de chappe à capuchon afTez femblable aux manteaux de nos hermites (i). Lafineffe de leurs habillemens eft encore relative à leur fortune. J'ai vu plufieurs chefs Arabes revêtus d'étoffes de laine que j'ai fouvent pris au premier afped pour une très-belle moufleline , d'une blan- cheur éclatante. La laine de Barbarie a toujours été renommée par fa beauté. (i) Voyez la Lettre V. Les EN Barbarie. 33 Les femmes ont , pour s'habilkr , la même pièce d étoffe que les hommes ; m.ais elles l'arrangent un peu différemment. Elles en font une efpèce de robe qui couvre chez elles plufieurs parties décou- vertes chez les hommes. Les Maurefques portent , outre cela, quelques ornemens qui ne contribuent fûrement pas à relever leur beauté. Elles ont les cheveux treffés , quelquefois flottans fur leurs épaules, tandis que les hommes font rafés, &c ne confervent dans le milieu de la tête qu'une flotte de cheveux; les oreilles, les bras, 6c les jambes des Maurefques font ornés de grands anneaux de fer; quelquefois elles y ajoutent des morceaux de corail. Coquettes à leur manière, au lieu de rouge, qui fûrement n'embelliroit pas leur peau noire, elles emploient la poudre à canon mêlée avec de Tantimoine , pour tracer différentes figures fur leuf front & au-defTus de leurs paupières. Les homme-s s'en font autant aux bras , à l'eflomac & au-defTus des mains : je crois qu'il fe mêle un peu de fuperf- tition dans ces caradères myflérieux. Si , peiu- fuppléer aux couleurs qiû leur manquent, nos Européennes avoient à fubir une opération aufïï douloureufe que les Maurefques , Je doute fort qu'elles voulufTent avoir d'autres charmes que ceux de la nature. Les femmes Arabes, pour rendre ces marques ineffaçables , fe percent la peau d'un grand nombre de coups d'épingles , &C quand le fàng a Pan. L C 34 Voyage cefle de couler , elles appliquent leur poudre bien fine, & l'infinuent dans les pores ouverts de la peau par des frottemens réitérés. Ces marques alors font ineffaçables , & difpenfent les femmes de dé- pofer tous les foirs leur beauté fadice fur leur table de nuit. Pai rencontré beaucoup d'enfans aux- quels l'on avoit teint les ongles des mains en un rouge jaunâtre ; mais cette couleur ne tient pas (i). Ceft parmi les Arabes errans des montagnes &c du défert, que Ton reconnoît particulièrement le coftume que je viens de vous décrire. Ceux qui habitent les villes varient davantage leur manière de s'habiller. Les uns vont la tête nue ou recouverte tout au plus d'une calotte rouge ; d'autres portent le turban comme les Turcs , & une partie de leur accoutrement. Ils fe fervent de babouches , tandis que les montagnards vont toujours nuds pieds. L'habillement des Maures eft commun à prefque tous les habitans de l'Afrique , jufques par-delà la Guinée , & même aux Arabes de l'Afie. Les ama- teurs de l'antiquité auroient de belles recherches à faire fur le coftume des Africains & des Arabes Afiatiques. Ce qui me porte à croire qu'il doit être très-ancien , c'eft que ces peuples ignorent abfolu- ment la variété des modes. Le fils ne s'aviferoit pas ( I ) L*on emploie pour cet objet le fuc d'une plante nommée Henné , Lawfonîa inermis, L. Syft.vcg. EN Barbarie. jj de s'habiller autrement que fon père ; d'ailleurs quand il le voudroit , l'induftrie eu fi bornée , que les ouvriers feroient fort embarrafles s'il falloir changer la forme des habits , tout gênans qu'ils font. Le logement des Maures eil aufîî fimple que kurs vêtemens. Ils n'habitent que des tentes , ou des cabanes formées de branches d'arbres 6c de rofeaux. La réunion de plufieurs tentes fe nomme douare. Il y a des douares de dix , quinze , vingt tentes , comme il y en a de plus de cent. Ces tentes fe placent circulairement , afin de pouvoir , pendant la nuit , reafermer le troupeau dans leur milieu. S'il y a quelque efpace vuide entre deux tentes , on le remplit par des brouffailles & des épines , afin de fermer le pafîage aux bêtes féroces. La forme de chaque tente eft à-peu -près celle d'un tombeau ^ ou de la carène d'un vaifîeau renverfé , comme dit Salufte en parlant des habitations des anciens Numides (i). Elles font baffes, excepté celles des chefs , qui ont un peu plus d'élévation & d'étendue. La matière eft en laine d'un tiffu très-ferré , teinta en noir ou en brun. La facilité de tranfporter ces fortes d'habitations , fait que les Maures changent fouvent de local, félon la faifon ou félon leurs ( 1 ) C(Zterum adhuc adîficia Numidarum agrejlîum , qua Mapalia illi vocant oklon^a , incurvis laterîbus uHa y quajf nAvium carina funt. Sali, Bell. /ug«r, C 2 36 Voyage befoins. Dans Thiver ils choififfent, aux pîeds d'une colline , une expofition au midi ; ils fe rapprochent pendant l'été, des pâturages &: des fources d'eau. L'inventaire de leurs meubles efl bientôt fiût. Ils ne connoiflent d'autre lit que la terre fur laquelle les plus délicats étendent un peu de paille, une natte, ou un groflier tapis. Quelques vafes de terre pour cuire 3c apprêter le courcouçon , une écuelle de bois pour puifer de l'eau & traire les vaches, une peau de bouc pour battre le beurre, deux petites meules portatives pour écrafer le blé & le réduire en fémoule; voilà à quoi fe borne toute leur batterie de cuifine. Vous imaginez bien , d'après cela , que leurs repas ne doivent être ni fomptueux, ni délicats. En effet, rien de plus fimple & de plus frugal. Ils ne font par jour qu'un repas qui exige quelque apprêt. Hors de-là ils ne prennent rien , ou ils fe conten- tent de quelques fruits ou racines fauvages. Les' plus aifés font cependant deux repas qui ne con- fident que dans le feul courcouçon. Avant de vous expliquer comment les Maures font le courcouçon , il eft effentiel de vous faire ob- ferver que le blé de Barbarie, peu différent du nôtre, ne donne cependant pas , comme celui de France, ime farine pure , abondante & niuritive : mais il fautdiilinîguer dans le grain la partie farineufe d'avec la partie diure. La première eft ea très -petite EN Barbarie. 37 quantité ; elle fe trouve ordinairement à la pointe du blé 6c dans Ton milieu. Cette farine fait de très- mauvais pain noir : auffi ne s'en fert - on point. On l'abandonne aux animaux , ou bien on la mélange en petite quantité avec la partie dure. Les M..ur.s ne connoiffent point l'ufage du pain. Ils écn fcnt le blé en grumeaux par le moyen de deux petites meules portatives, d'où il réfulte une efpèce de très - groile fémouU , qu'ils nomment courcouçon^ Quand ils veulent apprêter leur repas , ils entaiTent cette fimaulc dans un vafe de terre percé de petits trous, & placent ce vafe en forme de couvercle fur la marmite où cuit la viande. Les vapeurs qui s^Qn élèvent pénètrent le grain & le gonflent. Cette opération finie , ils retirent U courcouçon , le mettent dans im autre vafe large & plat fupporté par un pied, comme celui de nos verres à boire. Cette nourriture leur tient lieu de pain ; à mefure qu'ils la mangent , ils la démêlent avec un peu de bouillon, de lait , de beurre ou de miel. PardefTus le cour- couçon ils placent la viande cuite, que chacun déchire avec les doigts : c'efl ordinairement de la volaille , du chevreau , du bœuf ou du mouton. Le courcouçon ainfi préparé, le chef de la tente, ou tout autre Maure d'un rang au-defTus des autres , s'empare du plat, mange le premier, & ftuL il fe tient accroupi, & pofe le courcouçon devant lui. Il en prend un peu avec les doigts, en forme C3 3S V o Y A G e des balottes dans le creux de la main , & fe les jette dans la bouche avec beaucoup d'adrefle. Quand les chefs ont fini, le plat paffe entre les mains de ceux qui viennent après , aux enfans , par exemple , qui ne mangent jamais avec leur père , ni même devant lui, au moins chez les Maures d'une certaine dif- tini^ion. Les femmes mangent les dernières ; elles n'ont que le rcfte des hommes , même celui de leurs propres enfans. Elles feules font chargées des apprêts de ce repas. Les Maures, d'après les prin- cipes de leur rehgion , doivent , avant & après le repas , fe laver les mains , la barbe & la bouche , mais beaucoup négligent cette cérémonie. Comme Mufidmans , ils n'ont que l'eau pour boifTon , qu'ils puifent avec une écuelle de bois , & dans laquelle ils boivent tour-à-tour. Ils ne refufent cependant point de vin quand on leur en préfente , & qu'ils ne font pas vus. J'en ai connu beaucoup qui même en buvoient avec excès. Quand les Maures entreprennent des voyages de long cours, & dans des lieux où ils ne peuvent trouver l'hofpitalité , ils emportent avec eux une certaine provifion de fêmoulc , & quand la faim les prefTe , ils en forment , dans le creux de leurs mains, quelques balottes avec de l'eau ; ce léger aliment leur fuffit , & les foutient pendant de très -longues routes. Il cfl d'autres Arabes dont la vie efl encore bien EN Barbarie. 39 plus dure & plus miférable. Ce font ces hordes in- domptées qui n'habitent que les lieux inacceiTibles. Elles n'ont aucune poffefTion , aucun afyle fixe. Si quelquefois elles enfemencent une mince portion de terre , fi elles ont des troupeaux , comme elles ne peuvent éviter de fe fixer dans les plaines , elles ne tardent pas à être dépouillées. Ces malheureux fe retirent alors dans des bois épais 6c impénétrables, dans les gorges affreufes des montagnes ou dans le creux des rochers. Ils vivent féparés les uns des autres , &C font obligés , pour ainfi dire , à brouter l'herbe des champs* Les fniits fàuvages y les racines tendres , les jeunes pouffes des plantes leur fervent de nourriture. La plupart ont des armes à feu; c'eft le plus précieux héritage qu'un père puiffe laiffer à fes enfans : ils pourroient s'en fervir pour la chaffe ; mais comme ils ont beaucoup de peine à fe procurer de la poudre & du plomb, ils les con- fervent pour défendre leur liberté. Ils préfèrent l'indépendance & la mifère, à im genre de vie plus tranquille , & dont ils ne pourroient jouir qu'en fe foumettant , comme les autres , au defpotifme des Turcs. Ces Arabes font les plus cruels de tous. Je ne ferois pas éloigné de croire qu'il n'y ait parmi eux des anthropophages, tant ils font affamés & avides de fàng humain. Perfonne n'ofe pénétrer dans les gorges de leurs montagnes. Le<5 fouverains du pays y ont quelquefois conduit des C 4 J^o Voyage camps afiez confidérables ; mais ces entreprlfes n'ont jamais eu de fiiccès. Ou les troupes ont été égorgées dans les défilés , ou les Arabes fe font difperfés dans l'intérieur de leurs montagnes. Quelquefois ils des- cendent dans les plaines, Ôc viennent dépouiller les nations voifmes. J*ai rencontré plufieurs de ces Arabes. Leur figure eft horrible. Ils font maigres , décharnés , couverts de lambeaux , & dégoùtans par leur mal-propreté. Ils n'infultent les voyageurs qu'autant qu'ils font en force ; mais comme ils vivent loin les uns des autres , lorfque l'on ne féjourne pas chez eux , 6c qu'on ne leur laiffe pas le tem.ps de fe réunir, on peut, dans bien des endroits, paffer fans danger. Voilà, mon cher ami , des êtres bien diftérens de nous , bien éloignés des douceurs de la fociété; mais je n'ai fait quefquifîer le tableau : il eft fi pénible de peindre l'homme méchant , que ma plume fe refufe à vous en tracer le portrait. Je fuis avec amitié, &c. EN Barbarie. 41 LETTRE VII. Au même. Je confens volontiers , mon cher ami , à voiw donner fur la politeffe & plufieurs autres ufages des Maures, les renfeignemens que vous me de- mandez. Je defirerois vous poiTéder avec moi; votre pinceau rendroit fidellement ce que ma plume ne peut que vous peindre très-imparfaitement. Quoiqu'en apparence à demi-fauvages, les Maures ont cependant entre eux des fignes reçus pour ex- primer l'amitié & le refpe£^, fignes qui n'ont point paimi eux plus de vérité que parmi nous. Le falut îe plus ordinaire , quand les Maures s'abordent, eft de mettre la main droite fur la poitrine en incli- nant la tête ; ils fe fouhaitent , dans cette pcfhire y le bonjour l'un à l'autre. Ils s'informent enfuite de la fanté de leurs parens , en les nommant les uns après les autres, demandent àes nouvelles de la jument y du troupeau ^ de la tente ^ &c. Si ce font deux Maures de connoifTance , ils s'embraffent en fe baifant réciproquement le vifage & l'épaule , ou bien ils fe prennent la main & fe la baifent alterna- tivement. Dans la plus grande familiarité, & lorfque l'on fe voit fouvent , l'on ne fait que fe toucher 4i Voyage la main de rextrémité des doigts. Chacun enfuitc porte fes propres doigts à la bouche , & les baife. Lorfque les Maures abordent quelqu'un en di* gnité, un chef, unBey, un Kaïde , ils lui baifent refpedueufement la main. Une marque de faveur de la part d'un Grand , eft de prcfenter le dedans de fa main aux fujets qui viennent lui rendre hommage, & qu'il veut diftinguer des autres : ordinairement il ne préfente que le deffus. Enfin, pour plus grande marque de foumifïion, on lui baife la tête, les épaules , le turban , les habits. Il en eft même qui fe proflernent , en pofant un genou en terre. L'on n'aborde jamais les Grands fans quitter fa chaulTure. En voyage , quand deux Maures fe rencontrent , ils fe faluent , & fe font toutes les queftions que j'ai rapportées plus haut , fans s'arrêter , en conti- nuant leur chemin , fouvent en fens oppofé ; de forte qu'il arrive qu'ils font hors de la portée de s'entendre , avant qu'ils foient à la fin de leurs queftions. Cela ne les empêche pas de les continuer. Dans la converfation , leurs geftes font vifs , ex- preflifs, pleins de naturel & de grâces. En les étudiant avec attention, il ne feroit pas difficile de faifir à-peu-près le fujet de leur entretien. Leurs accens font forts , aigus. Le fon de leur voix eft Ibnore & s'entend au loin. L'habitude de vivre au milieu des champs , & de fe parler de fort loin , EN Barbarie. 43 leur fait prendre dès l'enfance , la coutume de parler très-haut. J'ai remarqué que dans les villes leur voix etoit beaucoup plus adoucie, & que leurs accens bleffoient moins les oreilles. Les Maures n'attachent point aux rots Tidée de mal-propreté &: d'intempérance que nous y atta- chons. Au contraire, quand quelqu'un rote ou cternue , l'on forme , comme chez nous , des vœux pour fa fanté. Saha , lui difent - ils , qm cela vous fa{fô bien. Ils emploient cette exprefTion pour une foule d'autres fondions. Si un d'entre eux mange, boit ou flime , ils lui difent faha , application beaucoup plus jufte que la nôtre , quand nous buvons à la fanté de quelqu'un. Quand les Maures font en repos , leur pofition ordinaire n'eft pas d'avoir les jambes croifées , comme les Turcs ; mais ils font accroupis , leur fufil droit entre leurs jambes , car ils ne quittent jamais leurs armes , excepté fous leurs tentes. Ils paffent ainfi des journées entières à rien faire , & fe croient très-heureux lorfqu'ils peuvent fe livrer tout entiers à l'oifiveté. J'ai l'honneur d'être, &c. 44 Voyage LETTRE VIII. A M. F.... D. M. J AiviAis, mon cher Dofteur, je n'ai mieux apprécié les avantages d'une nation policée, que depuis que j'habite chez un peuple barbare : jamais la beauté ^ la commodité de nos grands chemins ne m'a tant firappé , que depuis que je fuis obligé de voyager à travers des brouflailles & des marécages. Combien huit jours de courfes , comme j'en ai faites depuis quelque temps, changeroient les idées de ces Euro- péens délicats qui ne ceffent de fe plaindre des auberges & des fatigues de leurs voyages ! Dans ce pays-ci l'on ne connoît ni hôtelleries, ni chaifes de poftes , ni Aubergines attentifs & obligeans. II ne faut pas s'imaginer trouver des grandes routes , des chemins battus & ombragés, des Heux de repos & de délaffement : trop heureux fi à la fin d'une journée fatigante l'on pouvoit rencontrer quelque chétive bicoque, & un mauvais grabat ! Jamais il ne le faut efpérer. Pour voyager dans ces contrées barbares , il faut oublier l'Europe ; il faut renoncer à ces douces habitudes contraftées dès l'enfance , & qui devien- nent par b fuite des befoins prefque indifpenfables» EN Barbarie, 45 Si les obftacles rebutent ; fi les dangers épouvan- tent ; û l'on na point une famé robuile, extrcée à la fatigue ; fi l'on ne peut s'accommoder de tout , devenir , en un mot , l'homme de tous les pays , jamais l'on ne doit fonger à fortir de fa patrie. Le feul moyen de voyager un peu commodé- ment en Barbarie efl d'avoir une tente à foi , & de faire d'abondantes provifions : mais quelquefois ces adoucilTemens ne font pas pofTibles. Il faut alors fe réfoudre à fe fervir des tentes des Maures , toutes mal-propres Se dégoûtantes qu'elles font; il faut fur-tout s'accoutumer à leur nourriture frugale $C peu délicate. Combien de fois l'on part le matin fans favoir où l'on arrivera le foir l combien de fois, égaré dans ces déferts, il faut chercher fon chemin à travers des brouflailles , d'épaiffes forêts , des rochers «fcarpés , des fables brûlans ; tantôt arrêté par une rivière qu'il faut paflcr à gué, par un lac qu'il faut contourner , par des marais que l'on ne traverfe jamais fans danger; tantôt brûlé par le foleil, ou percé par la pluie; d'autres fois mourant de foif , fans trouver de fources pour fe défaltérer! Si l'on n'a point de provifions, il n'eft guère pofîible de rien prendre avant le foir. Ceft le feu! moment où les Maures faffent un repas réglé , & où ils puiffent offrir quelque nour-^ riture au voyageur. Enfin la nuit arrive. Ce moment de repos pour 46 Voyage le voyageur européen , en eft un de fatigue poitf le voyageur africain. Il faut alors choifir un terreia fec , abrité, pour y dreiîer une tente; il faut deffeller les chevaux, débagager les mules, couper du bois, allumer des feux, & prendre tous les moyens qu'indique la prudence pour fe mettre à l'abri des bêtes féroces 6c des voleurs. Il eft bon de ne jamais camper loin des tentes arabes, quand on en ren*- contre. Ils fourniffent bien des fecours lorfqu'ils font traitables , & ils le font toujours , dès qu'ils vous voient avec une bonne efcorte. Ceft , comme je l'ai déjà dit , fur la terre nue , ou tout au plus recouverte d'une natte, que les Maures paffent la nuit ; & c'eft ainfi que le voyageur doit fe déterminer à la paffer , à moins qu'il ne foit pourvu d'un matelas , auquel cependant il lui faut renoncer , quand il a effuyé une forte pluie. D'ail- leurs comme tous ces attirails font gênans , il vaut mieux , dès le commencement, adopter la coutume des Maures , à laquelle il en faut venir tôt ou tard. Quant aux précautions néceffaires à ma fiireté, voici comment je m'y fuis pris. Avant de quitter la Calle , j'ai commencé par m'informer des nations qui faifoient le plus de commerce avec la Com- pagnie , & chez lefquelles un chrétien pouvoit aller fans danger. J'ai pris avec moi quelques Arabes dont î'étois fîir de la fidélité. Je leur ai fait entendra EN Barbarie. 47 qu'en parcourant le pays, mon intention étoit d« travailler à la recherche des plantes propres à la Médecine. Ce motif eft le feul que Ton puilTe donner à des hommes qui ne conçoivent pas com- ment Ton peut être attiré chez eux par la feule curiofité, & comment un homme peut voyager pour l'unique plaifir de voyager. Ils font d'ailleurs tous portés à foupçonner des intentions perfides dans les étrangers qui abordent chez eux , & qui veulent y faire des obfervations. Mais le titre de Médecin, auquel ils attachent une certaine confi- dération , leur infpire la confiance , & les rend plus traitables. Dès que je fuis reçu chez une nation , je tâche de mettre le chef dans mes intérêts , & j'en obtiens prefque toujours des cavaliers qui m'accom-^ pagnent chez d'autres nations amies , & aiLxquelles je fuis recommandé. Ces cavaliers jurent fur leur tête de me ramener ; fi au retour j'avois à m'en plaindre , ils feroient févérement punis par le chef €[ui me les avoit donnés. C'efl ainfi que je fuis venu à bout de pénétrer chez ces hommes de fang, & peu-à-peu de m'éloigner des côtes. Je vous ferai part dans d'autres Lettres , de mes obfervations Sc de mes courfes ; mais je ne peux terminer celle-ci fans quelques réflexions fur le genre de vie auqueî je fuis foumis depuis que j'ai quitté la Calle. Il efl , mon cher Dodeur , une foule de préjugés oatiooaux dont on ne peut fe dépouiller que dans 48 Voyage des voyages femblables à celui que je fais. Les peuples civilifés fe reffemblent tous. Les traits qui les différencient font peu marqués ; il faut , pour les faifir , un taâ: délicat , une fînefTe de jugement pf u commune. Chaque nation a , fans doute , un caradère , des coutumes , des mœurs qui lui font propres ; mais toutes font guidées par des principes communs ; toutes , plus ou moins éclairées par les arts & les fciences, travaillent à réunir autour d'elles les différentes commodités de la vie. Chez les peuples policés, le génie aâ:if&; créateur fans cefTe invente 6c perfedionne. Il embellit la demeure de Thomme, & convertit à fon ufage les produftions de la Nature : mais ces commodités tant vantées , ces douceurs de la vie fociale font autant de liens qui rendent l'homme efclave d'ime foule de befoins factices , 6c en font un être malheureux lorfque fes richelTes ou fon travail ne peuvent fournir à fes nécefîités. Accou- tumés dès l'enfance à jouir de ces avantages , nous les croyons fi effentiels à notre exiftence , que , pour nous les procurer, nous oublions les travaux, les les fatigues & les inquiétudes qu'ils nous coûtent. Nous ufons nos forces, nous détniifons notre fanté , nous facrifions tous nos inftans à Facquilition d'une fortune qui fouvent nous échappe ; & fur le bord du tombeau , nous méditons encore de grandes en- treprifes , dans Tefpoir d'un prétendu bonheur que la mort vient nous ravir. Né au milieu de ces préjuges^ je EN Barbarie. 49 je ks avois confervés jiifqu a préfent ; je plaignois ces peuplades errantes auxquelles nos belles décou- vertes font incoianues , qui n'ont ni pain , ni lit , ni maiibns. C'étoit beaucoup pour moi de croire à leur exiftence ; mais je n'imaginois pas qu'un tel genre de vie (iit pofTible à un Européen. L'expérience m'a détrompé, mon cher Dodeur; non-feulement je connois ces hommes que je croyois fi malheureux , mais encore j'habite parmi eux , je vis comme ils vivent. J'ai adopté leurs coutumes d'abord par nécefiité , aduellement par habitude. Ils ne mangent point de pain ; ils igPxCrent l'art d'apprêter les viandes ; l'eau eft leur feule boiffon. Que s'enfuit - il ? Qu'ils en font plus fains , plus jobuftes , & que les maladies font rares parmi eux. Ils n'ont point de maifons; mais qu'en eft-il befoin dans ces heureufes contrées où une fimple toile , une cabane de feuillage , le creux d'un rocher fuffifent dans les plus mauvais temps pour garantir des injures de l'air ? Ils dorment habillés fur la terre , fouvent au milieu de l'humidité ; ne femble-t-il pas qu'ils doivent être affaillis par cette foule de maladies que chez nous la Médecine arme contre le téméraire qui oferoit en faire autant } Je vous avoue , mon cher Docleiir , que je fiis d'abord un peu épouvanté lorfqu'il me fulluî , poiu* la première tbis , feire ufage d'un lit à la maurefque. J'étois accablé de fatigue; ce fut pour moi un excellent Part. L D 50 Voyage foporatlf : je dormis aflez bien; mais à mon réveil fentant mes habits humides , je craignis pour ma fanté. Heiireufement je n'eus que les côtes un pe\i froiflees : ce ne fut rien , & mes côtes s'accommo- dèrent de la terre dure pour lit , ainfi que ma tête de la fcUe de mon cheval pour couffin. Je peux vous certifier, mon cher Dodeur, qu'avec im peu d'habitude l'on dort auffi bien de cette manière que dans un lit environné de doubles rideaux. Le fommeil qui alors n'excède jamais les befoins de la Nature, fait couler dans tous les organes le baume de la fanté. La refpiration eft plus vive ; l'on fe fent animé d'une nouvelle exiilence que l'on regretteroit de perdre par un fommeil trop prolongé. Il eft d'ailleiu-s , au moment du réveil , une autre jouiffance que bien peu favent apprécier , parce que peu favent jouir des beautés de la Nature. Au miUeu de ces déferts filencieux l'aurore paroît, l'horifon eft embrafé de fes feux ; fes premiers rayons frap- pent la pointe des montas;nes : peu-à-peu la plaine eft éclairée , les objets fe diftingiient , les fleurs s'entre- ouvrent & parfument l'air ; l'oifeau fecoue fon plumage & falue le nouveau join* ; en un inftant la Nature s'anime , & préfente par-tout des tableaux enchanteurs. La chèvre eft fufpendue aux rochers , le bœuf paît dans la plaine , l'agneau bêle à côté de fa mère , & la campagne devient au loin l'image de la vie paftorale. Voilà de ces plaifirs que je EN Barbarie. ji n'oublierai jamais , de ces plaifirs inconnus à qui- conque ne fait dormir que dans le fond d'une tënébreufe alcôve. Tâï l'honneur d'être , &cc. LETTRE IX. Au même. Avant de quitter la Calle, encore un mot, mon cher Docteur , fur les nations qui l'avoifment. Cette place fert de limites aux royaumes de Tunis & d'Alger, La partie de Yefi eft habitée par les Nadis. Les A^adis ! nation féroce , qui ne s'eil rendue indépendante eue pour être cruelle avec impunité ; nation fangiii- naire , à qui la guerre ne plaît que parce qu'elle offre plus d'occafions d'égorger fes femblables ; nation perfide qui ne figne de traités de paix que pour furprendre avec plus de facilité la bonne-foi de l'ennemi ; enfin nation vile & lâche , qui ne fort de fes montagnes qu'à la feveur des ténèbres , n'attaque fon ennemi que par embûches , & Icrfqu'il eft fans défenfe : en vain les Beys de Tunis & de Conftantine ont effayé de la foumettre. Les Nadis leur ont toujours échappé. Ils paient cependant quel- ques légers tributs pour pe pas être trop inquiétés D 2 52 Voyage dans le commerce qu'ils font avec la Calle : ils cultivent quelques terres & élèvent des troupeaux; mais dès qu'ils font attaqués, ils abandonnent les plaines , &c vont chercher la liberté dans le creux de leurs inacceflibles rochers. En guerre prefque continuelle avec leurs voifins, ils ont aufli parmi eux des divificns inteftines ; ils ne s'accordent que pour faire le mal. Leur vie eft inquiète , agitée , miférable ; à peine ont-ils de quoi fe nourrir. Ils font mal - propres , couverts de haillons , fujets à beaucoup de maladies cutanées. J'eus l'imprudence dernièrement , entraîné par la beauté du payfage , de m'enfonce r dans leur pays d'environ une demi- lieue. J'étois defcendu dans un vallon très-profond , recouvert d'une épaiffe broulTaille. Tandis que j'her- borifois, quelques femmes arabes m'apperçurent , & vinrent mettre le feu aux brouffailles qui étoient pardeffus ma tête. Je n'eus que le temps de me fauver à travers les flammes. Le pays fitué à l'oueft de la Calk fe nomme la Maboule : il efl fort étendu , 6c affez bien cultivé. Les différentes nations qui l'occupent font foumifes à un feul chef; les plus confidérables de ces natibns font les Oukdy-Dkb ^ les Zulm'is^ les Ouled-Hariiet ^ les Ouled-Stict^ les Bm-Amet^ les Aghet-Chair, C'eft avec ces Arabes que la Calle fait le principal com- merce des grains. Comme je me propofois de com- mencer mes courfes par ces diverfes tribus , l'amitié EN Barbarie. 53 SAly-Bey leur chef, étoit pour moi très-effentielle;, je me doutai bien que fes rapports d'intérêt avec la Compagnie me vaudroient , de fa part , une réception favorable. Je partis de la Cdlc pour aller lui rendre vifite , accompagné de deux de fes cavaliers & de fon écrivain. Comme je voulois tirer parti de ce voyage pour herborifer , je fis plufieurs détours , & je m'arrêtai aux endroits qui me parurent les plus intéreffans pour la végétation , quoique la faifon commençât à devenir brûlante , & la terre privée de verdure. Après avoir parcouru les plaines de TerralUanne , de Bcaumarchand^ où les Chrétiens envoient couper le foin néceffaire pour la nourriture des beiliaux, je pénétrai dans les forêts &: les montagnes qui les terminent. Py ai rencontré des fîtes extrêmement agréables , des bofquets oii la fraîcheur y eft en- tretenue par les ruiffeaux qui coulent fous leur ombrage. L'air y eft parfumé d'une foule d'ar- briffeaux odoriférans : l'on ne marche qu'au milieu des myrthes 5 des garous , de l'épine- vin ette; la vue eft fans celTe récréée par le mélange des plus belles fleurs , par les lauriers-rofes qui fortent en touffe du milieu des broufTailles , par les grenadiers mêlés avec les rofes fauvages, par un parterre dont l'éclat eft infiniment fupérieiu' aux fymmctries de l'art, Pendant l'hiver ces rians coteaux, au lieu d'une D ^ 54 Voyage neige trifte & uniforme , font par-tout tapiîTés d$ plufieurs belles efpèccs de narcilTe , de tulipes , d« renoncules, ôc d'anémones; les orchis , les ellébo- rines , les férapias, variés à l'infini, leur fuccèdent ; au printemps ce font des ornithogales , des afphc- dèles , des iris , des vaftes champs de lupin jaune , auffi fuaves pour l'odorat , que beaux à la vue ; dans l'automne , la grande fcille , &: une foule de petites de toutes couleurs , dont plufieurs n'ont pas encore été décrites. Je n'ai vu nulle part le règne de Flore auffi brillant. Je laiiTai enfin ces lieux enchantés pour parcourir les bords des grands lacs dont les habitans de la Calle ont tant à fe plaindre, mais qu'un Naturalise ne peut quitter. Ils ont près de fept lieues de cir- conférence", s'accroiffent confidérablement par les pluies de l'hiver , & fe deffèchent en partie dans les fortes chaleurs. Ils font , en tout temps , cou- verts d'un grand nombre d'oifeaux , la plupart très- bons à manger. Je me renais de-là à Cajfon , payfage délicieux , oîi plufieurs tribus Arabes ont fixé leur domicile. Pour y arriver il fiiut , fous un ciel dont l'ombre ne peut modérer l'ardeur , franchir des chemins très - fatlgans , à travers des fables mouvans , des rochers aigus , &: des broulTailles épaifles : mais aufiî il faut avouer qu'il efi peu d'endroits plus favorifés de la Nature. Plufieurs fources d'eau fraîche arrofent EN Barbarie. 55 ces beaux lieux ; de nombreux figuiers forment des afyles champêtres oii les hommes 6c les troupeaux paflent la groffe chaleur du jour. Les pâturages y font abondans & délicats , les bofquets très - mul- tipliés. Les coteaux , s'ils étoient cultivés , feroient de la plus grande fertilité. Le laurier , l'olivier , le filaria , l'arboufier en font un des principaux ornc- mens. Ces coteaux font dominés par des bois de liège. Ce lieu eft fitué fur les bords de la mer, d'où la vue s'étend au loin fur la plaine liquide. Les Maures me reçurent avec amitié , au moins en apparence ; ils m'offrirent du laitage &c des fruits. Je ne m'arrêterai pas plus long-temps , mon cher Dofteur , à vous décrire les différens lieux que j'ai parcourus, n'ayant trouvé par -tout que la même nature avec quelques variétés. Tout ce pays eft agrefte & fauvage. L'on ne rencontre des terres enfemencées & cultivées qu'à de très-grandes dif- tances Jês unes des autres. Les Maures choififfent , pour s'établir , les endroits ombragés , proche des pâturages & des fources. Si l'eau ou l'herbe vien- nent à leur manquer , ils vont les chercher ailleurs. Cependant, avant d'arriver chez Aly-Bey^je m'arrêtai encore au Souk^ où il tient fes efcîaves. Il ne faut point ici attacher à ce mot d'efc/ave , l'idée qu'on y attache ordinairement. Ceux d'Aly-Bey ne diffèrent des autres Maures qu'en ce que leur travail €ft tout entier pour ce chef, qui les nourrit de leiir D 4 ^6 Voyage fournit tout ce qui leur eft nécelTaire. Ils ne peuvent quitter le pays fans fa permifTion. Les autres Maures les confidcrent beaucoup. Aly-Bey les occupe à femer des grains , du tjbac, des melons, & à prendre foin d'une grande partie de fes troupeaux. Ces Maures habitent, non fous des tentes , mais fous des cabanes de feuillage. Je crois qu'ils n'ont fuppléé ces cabanes aux tentes , que parce qu'étant fixés en ce lieu , ils n'ont pas befoin d'une maifon portative comme les autres Maures. Ils occupent une valle plaine envi- ronnée de bois. Cefl-là où j'ai trouvé la meilleure eau. Elle coule dans un lit de fable fous une voûte de feuillage. La Nature y a formé dans beaucoup d'endroits des cabinets de verdure impénétrables aux rayons du foleil. L'eau y entretient un gazon frais fous lequel elle s'échappe avec murmure. Tai trouvé au Souk beaucoup de ruches à miel. Les Arabes raffemblent les mouches dans une écorce de liège en forme de tuyau cylindrique , qu'il ont foin d'enduire de miel intérieurement. Ils en ferment les deux extrémités , & ne laiffent qu'une petite ouverture pour donner palTage à l'eiTain. Ces tuyaux font étendus à plat par terre , & environnés de brouffailles. Il eft incroyable combien l'on en retire de miel & de cire. Le premier fert de nourriture aux Arabes; & le fécond eft un objet de commerce. Il m'a fallu, pour arriver au Souk, traverfer une forêt que jamais les Faimes & les Druides n'ont EN Barbarie. 57 essayée par leur préfence. Ce n'efl point fous ces ombrages que viennent folâtrer les Nymphes & les Silvains. Jamais la Bergère n'a foulé d'un pied léger le gazon rare qui recouvre à peine ce fol enfumé. L'afped de cette forêt eft affreux & lugubre. Elle n'eft compofée que de lièges. L'année précédente les Maures y avoient mis le feu. L'écorce des arbres brûlés à la fuperfîcie , ne préfentoit plus que des troncs noirs & des branches en partie privées de feuilles. A mefure que j'avançois , la fine pouffière du liège s'attachoit à ma figure 6c à mes habits. Je croyois defcendre dans le féjour des morts ; mon imagination toujours prompte à s'exalter , & fouvent à fe nourrir de chimères , me peignoit la forêt enchantée du Taffe , &C peu s'en falloit que je ne me cruffe un nouveau Renaud deftiné à détruire quelque enchantement. Ces idées folles changeoient à mes yeux cette affreufe nature , &: j'éprouvois un plaifir particulier à me trouver au milieu de ces horreurs. Je n'étois cependant pas fans craindre les panthères & les lions qui font leur féjour dans ces retraites fauvages. Les traces de ces fiers ani- maux imprimées fiirle fable, effray oient mon cheval à un tel point, qu'il reculoit épouvanté &c fe cabroit à chaque inftant , infenfible aux coups d'éperons que je ne lui épargnois pas. A cette forêt fuccéda un vafte étang, que je ne crains point de comparer au lac Averne. Son 58 Voyage infedion eft fi forte , qu'à peine reufle-je côtoyé un quart - d'heure , je fus faifi par un mal de cœur , & une pefanteur de tête , qui me firent craindre de ne pouvoir rcftcr long-temps en ces lieux ; mais comme l'hcrborifation y étoit belle , & les oifeaux en grand nombre & très-variés , j'y continuai mes recherches pendant plus de trois jours. La macreiife, k poule de riz , & d'autres oifeaux très - curieux voltigent continuellement à la furface de ce lac. Le limon qu'il dépofe & qu'il laiffe à fec fur (es bords eft noir , puant , extrêmement gras. Il eft mêlé à une foule de végétaux en état de décom- pofition. Cet étang, peu éloigné du Baftion de France, y a caufé les mortalités dont je vous ai déjà parlé plus haut , & qui , enfin , le firent abandonner pour toujours. Peu de jours après , je me rendis chez Aly-Bey. Je remets pour ma pro- chaine lettre à vous parler de fa réception & du féjour que je fis chez lui. J'ai l'honneur d'être , &c. EN BaRBARI S9 LETTRE X, j4u mcrm. *" C> E n'efl point , mon cher Dofteur , auprès des petits Souverains Arabes qu'il faut aller chercher le luxe & la magnificence des Potentats de l'Europe. Un chef de pafteurs ne peut point étaler l'often- tation des richefTes ; & quand il le pourvoit , la politique du pays exige que le plus opulent cache fes tréfors fous l'extérieur de la pauvreté. Je n'arrivai chez Aly-Bey qu'après avoir au moins triplé le chemin par de longs détours. Je trouvai ce Souverain accroupi à l'entrée de fa tente. Urt peu de paille lui fervoit de trône ; des habits un peu plus fins , & les pieds chauilés le difîinguoient de fes fujets , qui ne paroiffent devant lui que pieds mis. Informé qui j'étois , il vint à ma rencontre , me préfenta la main , & me reçut avec beaucoup d'affabilité. Je lui fis dire par mon Truchcman, «.qu'ayant entendu parler de lui très-avantageufe- >>ment, je venois lui demander fon amitié, & la » permifTion de parcourir fon pays , en le priant » de me donner pour cet objet toutes les fiiretés » néceiïaires ». Il répondit à mon compliment & à ma requête avec honnêteté , en m'afiurant que 6o Voyage #f les Ch retiens koient fes amis , qu'ils pourroient » toujours dirpoler de tout ce qu'il poffédoit , qu'il » étoit fâché que la pefte l'empêchât de recevoir » leur vifite aufîî fouvent qu'il le dcfiroit », Il me conduifit enfiûte dans une tente à côté de celle qu'il habitoit. Nous nous entretînmes pendant quelque temps de fes intérêts avec la Calle , du defir qu'il a voit de rendre le commerce florifîant , & de plufieurs autres projets relatifs à fes vues. Il m'accompagna dans les différentes tentes de ce Douarc que j'étois curieux de vifiter. Le bruit s'étant répandu que j'étois le Papas de la Calle , il me fallut recevoir les complimens des Papas Maures , qui me traitèrent comme un de leurs confrères. Le foir , Aly-Bey m'envoya le courcouçon , & peu après mon fouper , il vint paffer une heure dans ma tente , en me demandant très-obligeam- ment fi je n'avois befoin de rien. La converfation tomba fur les Efpagnols , que l'on difoit devoir inceffamment venir bombarder la ville de Bonne, Je l'entretins des polTefTions des Européens dans le Nouveau-Monde , de la manière dont il avoit été conquis , &: des grandes richeffes que les Efpagnols y pofîédoient. Mon récit l'intérelTa finguliérement ; il me fit mille queftions qui annonçoient fa fur- prife & fon admiration pour tout ce que je lui racontois. Plus de cent Maures accroupis en cercle nous écoutoient avec avidité. Il étoit près de minuit EN Barbarie. 6i quand nous nous féparâmes. Les Maures foupent Sz fe couchent fort tard. Aly-Bey me fit apporter un peu de paille fraîche fur laquelle je m'étendis , mais fans pouvoir y trouver le fommeil. La chaleur étoit exceflive. D'ailleurs les aboiemens continuels des chiens, les mugiiiTemens du troupeau, le hen- niffement des chevaux , les chants des Maures , qui n'ont rien de bien gracieux , éloignèrent pour toute la nuit le fommeil de mes paupières. Nous nous levâmes de grand matin. ( J'ai oublié de vous dire que j'étois avec le Chirurgien-Major de la Calle. ) Nous fûmes bientôt environnés d'une foule de Maures qui tous vouloient fe faire tâter le pouls, &c demandoient à être faignés. Ceft une manie parmi eux de fe croire malades dès qu'ils favent que quelqu'un efl médecin. Ils ont à la faignée la plus grande confiance. Il fallut en fatisfaire quel^ ques-ims. Nous parcourions leurs tentes la lancette en main ; & la foule étoit fi confidérable , que je vis le moment où moi-même j'aurois été forcé de faigner , le Chirurgien leur ayant dit par plaifanterie que j'étois aufii habile que lui : peu s'en eft fallu que je n'euffe éprouvé le fort de Sganarelle; mais Aly-Bey auquel j'eus recours, me délivra des importunités de ces malades imao;inaires. Les femmes avoient le même emprelTement que les hommes. Nous les trouvions bloties dans un coin de leurs tentes, occupées des affaires du ménage , dont elles font 6i Voyage feules chargées. A des fignes qui ne font équiv^oques dans aucune langue, il m'a paru que nous leur plaifions au moins autant que leurs maris : mais nous étions loin des fentimens quelles vouloient nous infpirer. Jamais je n'ai connu d'êtres plus dégoùtans ; prefque toutes avoient la gale ; leur odeur étoit infecte , &c leurs habillemens couverts de craffe & en lambeaux. Aly-Bey a, fur fes fujets, l'autorité la plus def- potique. Sa volonté tient lieu de loix ; il fuffit qu'il commande pour que tout foit bien ; il peut être impunément cruel, injufle, inhumain. La vi£^ime qu'il immole expire fans vengeur ; ceux qui feroient en droit de la défendre font les premiers à venir baifer fervilement les mains fanglantes de leur def- pote. Cependant j'ai trouvé Aly-Bey moins féroce que les autres Maures. Son règne , qui n'eft que d'un an , n'a encore été fouillé d'aucun grand crime. Ses mœurs ne font point auffi diifolues que celles de fon frère El-bey , qui régnoiî avant lui. Il efl très- attaché à la religion Mufulmane , l'obferve fidelle- ment , &: punit avec févérité quiconque ofe s'écarter de la loi du Prophète. Son extérieur eft grave , fa figure douce & gracieufe , fa démarche lente &c comparée , fa phyiionomie noble , & pleine de dignité. Il a un efprit naturel , très-fubtil, lorfqu'il s'agit de fes intérêts. Affez bon politique & plein d'ambition , il feroit propre aux grandes entreprifes , EN Barbarie. 65 (î le Bey de Conftantine , de qui il dépend , ne l'accabloit de vexations , & ne faifoit épier avec foin fes plus fecrètes démarches. Son autorité n'eft pas encore aflez affermie pour un coup d'éclat. Pai été bien furpris , mon cher Docteur , de trouver dans la Douare d'Aly-Bey une école publi- que , & plus furpris encore de voir un aveugle la diriger. Cet Arabe réuniffoit dans fa tente ime dou- zaine d'enfans des deux fexes , auxquels il apprenoit à lire & à écrire. J'ai remarqué qu'ils ne portoient point fur leur phyfionomie l'ennui &: le dégoût, trop ordinaires dans nos écoles d'Europe. Le travail au contraire , n'étoit qii'un jeu pour eux. Ils n'a- voient qu'un feui livre , le Coran, Le Maître d'école le favoit par cœur, &: fe trouvoit, par ce moyen, à portée de fuivre &: de reprendre fes écoliers. Ils chantoient leur leçon, chacun avec bonne humeur, & fur un ton différent. La mufique , il eft vrai , n'étoit pas fort réjouiffante pour mes oreilles ; mais au moins je voyois avec plaifir que parmi ces hordes fauvages , l'enfance de l'homme n'étoit point livrée à des maîtres cruels , tyrans impitoyables , qui fîétriffent les fleurs du plus bel âge de notre vie. Les plus inftruits apprenoient à écrire aux plus jeunes , fous la diftée du maître. Ils avoient pour tablettes , au lieu de papier, une planche enduite d'un vernis blanc ; & pour plume , im rofeau grofliérement taillé , avec lequel cependant ils écrivoient affez 64 Voyage vite Se bien. Quand ils favoient parfaitement la leçon qui leur avoit été diftée , ils lavoient leurs tablettes &: en écrivoient une autre , toujours tirée du Coran. La féance terminée , chaque enfant alloit embraiTer fon maître & le remercier. Ils en étoient traités avec douceur &C affabilité. Que j'aurois defiré en cet inftant tenir un de ces pédans auftères qui ne lavent infpirer aux enfans que des fentimens de crainte & de dégoût! Puifque j'en fuis fur le compte des enfans, permettez -moi, mon cher Doûeur , de vous les peindre tels que je les ai vus ici. Je crois qu'ils ne font pas indignes de l'attention du Voyageur, &: qu'il eft , dans tous les pays , intéreffant d'obferver le développement de la raifon, le progrès des idées , 6c ce qui conftitue , même dans l'âge le plus tendre , le caradère originel de l'homme , caraftère que l'édu- cation , l'intérêt , la politique , les palTions humaines étouffent prefque entièrement dans un âge plus avancé. Chez la plupart des nations poUcées, les enfans , dès leur naiiTance , font dreilés à peu-près comme des marionettes. On leur fait joindre les mains , balbutier quelques mots latins ; on leur apprend fur - tout les bienféances de la fociété , c'efl-à-dire , qu'on les exerce à être déguifés, men- teurs , &c qu'on les fouette enfuite pour tous ces défauts , lorfque leurs parens en font les premières vitlimes. Il n'ea eft pas ainfi chez les Mî^ures. Les enfai"v» EN Barbarie. dj enfans font toiit-à-fait abandonnés à la Nature. Ils font rarement carefles , jr^mais battus. Livrés à eux- mêmes, ils ne font occupés qu'à des exercices de leur âge. Ils courent , ils ]ouent , fe difputent , fe raccommodent ; le plus ardent foleil ne les épouvante pas ; l'humidité &c le froid ne leur donnent aucun rhume ; ils fe jettent à l'eau tout couverts de fueur, ne fe repofent jamais avant de fe défaltérer. A peine peuvent -ils marcher, qu'ils accom.pagnent leurs pères à la gsrde du troupeau , montent avec hardielTe fur le dos du plus fier taureau, appren- nent à manier fans bride & fins éperons le cheval le moins docile. Familiers avec tous les animaux, ils carefient la brebis , fe jouent avec la chèvre , & pourfuivent fans relâche le bœuf qui s'éch; ppe. Par ces exercices , qui leur plaifent , 6c auxquels on ne les force jamais, ils deviennent forts, légers^ vigoureux , s'accoutument au genre de vie auquel ils font deflinés. Ils favent de bonne heure fupporter fans fe plaindre, la faim, la foif, 6c les courfes les plus pénibles. Leurs parens ne font pas aux petits foins avec eux ; une mère trop tendre ne fe hâte pas d'elTuyer le front poudreux & faant de fon fils; s'il fe plaint , il n'eft pas écouté ; s'il pleure , on efl infenfible à fes larmes ; elles ne font pas pour hii un moyen d'obtenir ce qu'il demande. On ne le gêne point dans fes volontés , mais aufïï l'on ne le foumct jamais aux fiennes. Ceil à lui de fe procurer Pan. L E 66 Voyage ce qu'il defire. Ne le peut -il point? il apprend à y renoncer. Jamais il ne s'avife de rien demander. Il le cherche , & par-là il s'accoutume à ne vouloir que ce qu'il peut. Mais ce défaut de complaifance de la part des pères , cette eipèce d'indépendance dans les enfans ne forme point , entre le père &c le fils , ces douces liaifons , ces rapports fi tendres qui font, dans les cœurs fenfibles, les délices de la vie. Dès que les enfans peuvent fe palTer de ceux de qui ils tiennent l'exiftence , fouvent ils les aban- donnent , 6c deviennent pour toujours étrangers les uns aux autres. Leur fort commun ne les touche que foibkment, à moins qu'ils ne foient réimis par des mtérêts réciproques. L'amour des parens eft donc un fentiment prefque inconnu au cœur des Arabes ; le frère eft fouvent l'ennemi de fon frère, & la voix du fang, que l'on croit être fi forte parmi les hommes , n'a ici aucun empire. J. J. RouiTeau , qui voyoit par le feiil flambeau de fon géoie, ce que peu favent voir même avec l'expérience , J. J. Rouffeau a très - bien fenti que dans l'homme de la Nature la voix du fang devoir être inconnue, & que la tendreffe réciproque des parens n'étoit que l'effet des foins ôc des fervices donnés 6c reçus. Quant au fond du caradère des enfans, il eft le même en Barbarie que par-tout ailleurs. Je les ai vus, comme chez nous, vifs, bouillans ^ pleins EN Barbarie. 67 de gaîté & de pétulance : mais une obfervation qui vous furprendra fans doute , & qui m'a égale- ment frappé , c'eft que leur raifon , que l'on ne cultive point , eft bien plus précoce que celle de nos enfans , dont on tourmente l'efprit dès l'âge le plus tendre. Parmi nous un écolier de douze à treize ans, tout couvert de la craffe des collèges, fait à peine parler devant des perfonnes au-deffus de fon âge ; il eft timide , hébété , fans contenance ; il croit voir par-tout fon Régent armé de fa redoutable férule. Le jeune Arabe au contraire , au milieu des tentes, des campagnes , des troupeaux ôc des mciilons , jouiffant en liberté des plaifirs de fon âge & des bienfaits de la Nature , noiuTit fes idées des objets même de les plaifirs. Comme il n'efl retenu par aucune forte de crainte 6c de bienféance , il parle avec hardielTe, d'un ton de voix ferme & affuré, la tête droite & les yeux fixes : s'il veut qu'on l'écoute , il eft obligé d'intéreffer , autrement on le laifTe parler fans lui répondre. Fait - il des quef- tion<; ? on ne fatisfait qu'à celles qui en valent la peine : mais aufîi , pour peu qu'il raifonne jufle , l'on s'entretient avec lui très - férieufement , on le traite en homme , 6^ cette diftinftion lui infpira le defir de le devenir. C'efl ainfi que , fans aucune peine, fans maîtres, fans précepteurs, les jeunes Arabes, formés par la Nature , acquièrent de bonne- fa eure les idées relatives à leurs occupations, ainfi que £ 2. 6î Voyage ïa vigueur , la noble preftance de l'homme. L^urs geftes ne font point maniérés , mais expreiïlfs & naturek : leur démarche n eft ni précipitée, ni trop lente. Elle eil ferme & foutenue : mais ce ï\eû que pendant leur enfonce que Ton peut fuivre , chez les Arabes , la marche de la Nature. Peu-à-peu leurs îTiœurs douces & fmiples , détruites par les préjugés féroces, par les inclinations fanguinaires de leurs pères , corrompues par les défordres honteux aux- quels ils fe livrent , difparoiffent pour toujours , & l'homme de fang remplace celui de la Nature. Un des premiers préjugés que l'on infpire aux enfans, ti\ une haine implacable contre les Chré- tiens. Ces idées deviennent en eux fi fortes avec l'âge , qu'il n'eft pas un feul Arabe qui ne croie faire un a£le de] vertu en nous ôtant la vie. 3'ai eu fouvent beaucoup à foufFrir de ces enfans Rttroupés qui venoient à ma rencontre à mefure que i'approchois des tentes. Il me falloit paifible- ment effuyer de leur part les plus fortes infidtes. Ils me crachoient à la figure , me jettoient des pierres , &: m'accabloient d'inveftives. Si j'en euffe maltraité quelques-uns , leurs pères nauroient pas manqué de prendre leur défenfe , & de venger , à mes dépens , une injure faite par un chien ( c'efl leur plus douce exprefTion) à un ferviteur de Mahomet. Il m'dl arrivé plufieurs fois de voir des femmes, qui n'avoient jam.ais rencontré de Chrétioc , frémir k EN Barbarie. 69 mon afpeft , &: me fuir comme un monftre. Ce- pendant, à l'aide de quelque petit préfent , je les rendois plus traitables ; raffurées par mes bonnes manières , elles fe familiarifoient jufqu'au point d'ofer me regarder, & je les voyois très-étonnées de me trouver femblable à un autre homme, Plu- fieurs ne pouvoient fe perfuader que je fuffe un Chré- tien : elles examinoient particulièrement les gands que la forte chaleur m'obligeoit de porter. Ils étoient verds. Elles crurent d'abord que c'étoit la couleur de mes mains ; mais les ayant ôtés , leur fui'prife fut extrême. En vain j'elTayai de leur en expliquer l'utilité : ces peuples , qui ne connoiflent que le néceffaire , fe moquent de nos fuperfluités» Us croient valoir mieux que nous, ayant moins de befoins : franchem.eat ils ont raifon. Combien de fois , par leurs railleries , ils m'ont donné d'utiles leçons ! J'avois coutume , par exemple , de me fervir de cuiller pour manger le courcouçon , au lieu d'en faire comme eux , des ballotes avec les doigts. Ce meuble fuperflu les fit beaucoup rire ; j'y renonçai par amour-propre, & je m'apperçus que, malgré ma mal-adrelfe à faire ufage de mes doigts , ils m'eftimxoient davantage en me voyant abandonner nos ufages pour adopter les leurs. C(à{^ ainfi , moa cher Dofteur , que font traitées dans ces déferts , cette foule de commodités tant vantées en Europe. A«x yeux d'ïin Arabe montaguaid , loilentatioQ du E3 70 Voyage luxe eft im objet de mépris , & la preuve la plus forte pour lui de notre petiteffe 6c de notre foiblefTe. J'ai l'honneur d'être , &c. LETTRE XL Au même. Lorsque j'étudiois avec vous, mon cher Do<^eur , les Elémens de l'Hifloire Naturelle , vous avez été C fouvent témoin de mes plaifirs , qu'il eft jiifte que vous en foyez aujourd'hui le confident. Je viens de faire des courfes très-étendues. J'ai été d'un côté jufqu'aux pieds du célèbre mont Atlas ; de l'autre , prefque jufqu'aux confins du grand défert appelé Défin de Saara. Que de richefTes ! que de tableaux magnifiques fe font offerts à mes regards ! Quel fpet^acle impofant & fublime que celui de la fimple Nature ! Mille fois j'avois admiré en Europe les produâ:ions immenfes de notre globe, ces plantes exotiques, réunies à grands frais dans nos ferres , ces fiers animaux , fournis & captifs dans nos ménageries : mais j'étois froid au milieu de mon admiration. Tous ces objets placés avec luxe , rangés d'après des fyftêmes qui n'ont jamais EN Barbarie. 71 été ceux de la Nature , préfentés plutôt pour plaire aux yeux que pour parler au cœur , m'ofFroient moins l'ouvrage de la Nature, que celui des hommes» Je me fatiguois en vain à tranfporter chaque objet à fa véritable place ; je formois un monde chimé- rique, & j'étois dupe de mes propres erreurs. Le génie le plus fécond, l'imagination la plus exaltée, ne s'élèveront jamais jufqu'aux fublimes beautés de l'Univers ; jamais ils ne les fentiront, tant qu'ils n'auront fous les yeux que les travaux des hommes» Que de jouiflances délicieufes j'ai éprouvées depuis quelques mois que je parcours ces contrées fauvages & incultes ! que d'erreurs détruites ! que de beautés plutôt fenties qu'admirées ! Tout efl ici ce qu'il doit être , & , malgré le défordre appa* rent, chaque objet y eft à fa place. La ronce croit à côté du laurier, les myrthes font entrelacés d'épines ; ce n'eft qu'à travers d'épaiffes brouf- failles que l'on peut cueillir l'olive 6c la grenade. Les fleurs , belles fans artifice , n'étalent point aux dépens de leur poflérité , un éclat impofant qui meure avec elles; le chêne ne courbe point fa tête pour former une allée ombragée , mais il fe montre dans toute la m? jedé de fa nature ; les arbres fruitiers, fans donner desprcdu(Clions qui leur font étrcingères, offrent les leurs en abondance & fans contrainte. En un mot , mon cher Do£^eur , je n'ai rencontré par-tout qu'une nature agrefle , mais fertile; des £4 72 Voyage pâturages abondans , des plaines imcienfes variées à chaque pas , dos coteaux couverts de bruyères , de lentifques , de gcn^ ts àc de chênes verds ; des rochers inacceffibks , des £bles brûlans & ftériles , des forêts obfcures , fouvtnt impénétrables , des marais &: des lacs immenfes : tel eil Mped général de la Numidie. Les rivières &. les fleuves ne roulent point leurs ondes avec rapidité dans un lit étroit & régulier , mais leur cours eft lent , leurs eaux paroiffent prsfque dormantes , elles fe divifent fans ce{^c^ & dans leur route végabonde, tantôt elles forment d'agréables cafcades à travers les rochers &C les cailloux, tantôt elles coulent paifiblement fur im fable plus blanc que la neige , au milieu des bofquets d'où elles s'échappent fraîches & limpides ; plus loin elles fe réiiniffent , & dans un cadre de montagnes elles offrent un lacfpacieux où une foule d'oifeaux voltigeans tout le jour fur fa furface, trouvent enfuite dans les joncs & les rofeaux un afyle commode &: fur. Les forêts ont un caradère de vétufté qui tranf- porte l'imagination aux temps les plus reculés. En parcourant ces folitudes vafles & filencieufes , Ton croit devoir rencontrer les hommes du premier âge. S'ils n exiflent plus , au moins leurs ouvrages prouvent qu'ils ont exiflé. Je ne peux vous rendre, mon cher Dofteur , tout ce que j'éprouve à la vue des niines antiques qui s'offrent à moi fouvent dans EN Barbarie. 73 les lieux les plus fauvages. Des murs à moitié détruits , des colonnes renverfées , des rcftes de grands chemins , des infcriptions prcfque ufées , tous ces objets excitent en mon ame une douce & tendre mélancolie. Je rpproche les temps, je com- pare les âges ; &c lorfque je me crois feul , je me trouve environné des ombres de ceux dont je foide les cendres. Les Gétules , les Numides , les Girtha- ginois & les Romains fortent , pour ainfi dire , de leurs tombeaux ; les mânes de l'infortunée Didon , du vertueux Régidus, du févère Caton, fe préfentent à moi , & viennent me donner d'énergiques & de touchantes leçons fur la brièveté de la vie , & fur la gloire paiTagère des plus grands empires. Je ne vois alors que fceptres brifés , que trônes abattus , qu'em- pires difpanis pour toujours ; je cherche la fuperbe Carthc gc, le puiffant empire de Jugurtha, les conquêtes & les travaux des Romains , & je ne trouve à leur place que quelques ruines cachées fous les brouf- failles : mais que ces ruines font éloquentes ! Comme elles parlent à Tame ! que de fois elles m'ont fait oublier le £ècle présent ! que de fois , les yeux fixes &c immobiles fur les débris d'une ancienne ville, j'ai paffé des heures entières dans la plus profonde méditation ! Mais cette douce mélancolie prend un autre caradère à mefure que j'avance dans ces contrées défertes. Le fpeûacle d'une nature abandonnée à 74 Voyage elle-même , la viie des rochers qui m'environnent^ le jour obfciir d'une forêt que je traverfe, le cri des oifeaux de proie , le gémiffement du timide animal qu'ils dévorent , le rugiffement des bêtes féroces, tous ces objets forment autant de tableaux dilférens pour mon imagination : tantôt mes idées prennent le ton fublime des oeuvres du Créateur , tantôt je m'attendris fur les gueiTes fanglantes que les animaux les plus forts livrent aux plus foibles ; d'autres fois je friflfonne aux rugiffemens effroyables du roi des animaux. Ces émotions forment autant de jouiffances que Ton ne connaîtra jamais dans im pays cultivé. Les grandes & fublimes beautés de la Nature difpa- roiffent fous la main de l'homme. Il réunit tout ce qui peut plaire aux yeux , contribuer à fon bien- être, & multiplier fes commodités ; mais il détruit les grands tableaux de l'Univers ; il n'offre à l'ob- fervateur que défordres , monflruofités , efclavage & contrainte. Jamais la nature cultivée ne produira fur l'imagination , l'effet d'une nature fauvage. La première eft jolie, agréable, commode ; elle récrée, elle amufe ; l'autre eft belle au milieu de fes horreurs , elle eft impofante & m?jeftueufe. Ceft la retraite de l'homme de génie ; c'eft au milieu des déferts, parm^ les plus affreux rochers , que fe font enflammées ces imaginations fortes &C brûlantes que l'Univers étonné admirera jufquà la fin des fiècles, Ceft EN Barbarie. 75 toujours là que les poètes nous tranfportent quand ils veulent élever notre ame par de grands & ma- gnifiques tableaux. Quel refpe^l ne nous infpire pas le vieillard Thermofyris, prêtre d'Apollon , méditant dans une antique forêt des hymnes en l'honneur de la Divinité ? Qui n'eft pas pénétré de vénération au récit du culte myftérieux des Druides , au milieu de leurs bois facrés? Enfin, mon cher Dofteur, j'ai mille fois éprouvé que l'afpeft de la nature fauvage nour- riffoit ces grandes paflions qui tiennent au fentiment : c'eftfouvent là que l'époux malheureux élève un tom- beau à la femme qu'il adoroit : c'eft -là que , dans le filence de la nature , & loin de {es femblables , il vient arrofer de fes larmes les cendres précieufes de fa fidelle compagne. Tout y flatte fa douleur , tout y entretient fa touchante mélancolie. S'agit - il au contraire de nous peindre les Jeux folâtres , les Ris légers , les Amours & les Grâces ; c'eft au milieu des bofquets de rofes , fur les rives fleuries d'une onde pure , dans les lieux embellis par l'art & la culture, que nous conduit la brillante imagination des poètes. Ainfi donc, que l'efprit fémillant & léger aille échauffer (es idées, le cœur fenfible & tendre nourrir fes fentimens dans ces afyles champêtres oii les occu- pations &L les plaifirs des bons villageois , oii une nature riante & cultivée attendrliTent Famé., &c n'offrent que des images agréables &C variées : mak 76 Voyage que l'homme de génie n'enfante fes fublimes pro- dudions que loin des habitations àes hommes ; qu'il ne voie dans l'Univers que les œuvres du Tout- Puiflant, mais qu'il les voie telles qu'elles font forties de fes mains : car tout ce que l'homme veut perfedionner il le dégrade; femblable à ces peintres qui donnent un nouveau coloris aux magnifiques tableaux de Michel- Ange ; en cherchant à les em- bellir , ils les détruifent ; fous le brillant de leurs pinceaux difparoiffent ces teintes fombres & éner- giques du célèbre Florentin : laiflbns encore les amateurs de belles collections rafTembler dans leurs cabinets ces foibles échantillons placés avec ordre ibus les glaces les plus fines ; ce n'eft point-là que i'obfervateur de la Nature ira l'étudier ; il voudra voir la pierre dans la carrière , le minéral dans fon filon , & la plante exotique dans le fol oii elle croît. Il ne nous fuffit pas de connoître une fuperbe colonne , nous voulons voir le bâtiment en entier , & admirer l'harmonie qui règne dans la diilribution de chaque pièce. Telles font les réflexions qui m'ont fouvent occupé dans mes voyages. A chaque pas je comparois ce que favois vu , avec ce que je voyois , & je ne pouvois concevoir comment l'homme , dans fa folle préfomption , avoit pu quelquefois imaginer mieux faire que la Nature. J'ai l'honneur d'être , &:c. N Barbarie. 77 LETTRE XII. Au mime, JJans la Lettre précédente fai effayé, mon cher Dodeiir, de vous tracer le tableau de la nature fauvage , comparée à 'a nature cultivée ; je me fuis efforcé de faire paffer dans votre ame les i^Ti" timens que cette comparaifon avoit excités dans la mienne , &; de vous prouver combien il étoit inté- reffant, après avoir étudié la nature foumife aux travaux des hommes , de l'obferver dans ces contrées où l'art n'a rien embelli , rien perfedionné. Tout cha'hge de forme entre nos mains. Autant nous fommes éloignés de la Nature , autant tout ce qui nous approche , tout ce qui nous environne s'écarte de fa première origine. Sera-ce, par exemple, dans les ménageries , dans ces prifons de f efclavage que nous apprendrons à connoître le vrai cara£î:ère des animaux ? ou bien , fera - ce parmi ces animaux domeftiques que nos bienfaits ont rendus nos tfclaves? Combien le cheval eft différent de lui- même fous les liens honteux de la fervitude , ou même au milieu de ces brillantes caracolles qu'il exécute fous le harnois ! que de grâces au contraire, qiie de légér.eté lorfqu'il vit en liberté au milieu 7? Voyage des prairies , & qu'il n'a point perdu , par d« cruelles mutilations , fa fougueule vivacité ? Eil-ce bien l'impétueux taureau , bouillant dans fes defirs , terrible dans les combats , qui s'avance à pas lents , la tête baiffée & foumife au joug ? A ce regard trifte & morne, à cet état de foibleile & de langueur, puis-je reconnoître dans ce lion le roi des animaux } Efclave docile &c foumis, il a perdu fa première férocité, & avec elle fon caraftère originel. Ceft ici qu'il le faut admirer ; c'eit au milieu des forêts de l'ancienne Numidie qu'il efl noble &C majeftueux : c'eft-là qu'il exerce fon empire , ôc qu'il fe rend la terreur de tous les animaux. II refte , pendant le jour , tranquille dans fa retraite ; fa voix effrayante ne fe fait entendre qu'au milieu du filence & des horreurs de la nuit. Tel qu'un nuage orageux, encore loin de nos habitations, ne s'annonce que par un bruit fourd & continu, ainfi retentit la voix du fouverain ^es forêts. Peu-à-peu il s'approche , mais avec une fierté majellueufe. Plein de courage & d'intrépidité , aucun obilacle ne l'arrête, aucun danger ne l'épouvante. Fier de {qs forces , la rufe & les embûches font indignes de lui. Il ne par oit , il eft vrai , qu'au milieu des ténèbres ; mais il ne profite point de leur faveur pour fur prendre fon ennemi. Par de longs & d'af- freux rugifTemens, il l'avertit de fa préfence ; le fignal du combat retentit au loin, l'alarmÊ d^viçnt EN B A Pv B A R I E. 7j générale ; aucun animal ne fonge à la défenfe , tous fuient épouvantés : mais fi le lion fe montre à eux , s*ils ont apperçu fa crinière hériffée , s'ils ont v\i fon œil étinceler du feu du courage , dès-lors ils font vaincus. Saifis de terreur &: d'tfFroi, ils relient immobiles &c glacés à la vue de leur redou- table ennemi. Le fanglier oublie fes défenfes, le taureau perd l'ufage de (es cornes , & le cheval eft incapable de fuir. Tous fe rendent fans combat. D'une griffe enfanglantée le lion ouvre & déchire les entrailles de fa proie, il s'en repaît ; & dès qu'il eft rafiafié , il en abandonne les reftes aux animaux carnafîiers. Alors tout eft en fureté. Sanguinaire par néceiîité, le Hon n'eft cruel qu'autant que la faim le domine ôc le preffe. Si , dans l'état de fatiété , il rencontre im autre animal , il pafTe avec fierté fans fe détourner, ou refte en place fans fe dé- ranger. L'attaque-t-on ? il dédaigne fon ennemi, rarement il fe défend ; il fe retire , & ne fuit jamais. Pai été pUifieurs fois témoin de fon apparition proche les tentes des Maures. Dès qu'il fe fait entendre , le troupeau s'agite , frémit ; 6c à mefure que l'ennemi approche , le bétaail pouffe des hur- lemens & des cris effrayans. Le défordre fe met par-tout, la frayeur s'empare de tous les êtres vivans. Leschiens^ réunis &:preffés les uns contre les autres, he\irlent tous en même temps. Les Maïu-es courent 8o Voyage à leurs flifils , allument de grands feux Sc fe pré- parent à la défenfe. Les femmes , de leur côté , pouffent des cris menaçans & aigus. Très-fouvent avec ce tintamare & les coups de fufil répétés. Ton vient à bout d'écarter cet ennemi commun : mais quand le lion eft très - affamé , il n'efl pas toujours d'aufli bonne compofition. Il pénètre à travers les flammes, s'élance par defïïis les tentes, fond fur le troupeau , & au milieu des ténèbres , de la frayeur Se du défordre , il trouve moyen d'échapper ^ 6c fou vent d'emmener avec lui le prix de fes combats. Tai vu des lions en France , mais je n'en ai vu aucun que l'on puifîe comparer à ces lions Numides, fi célèbres dans les cirques Romains. Quoique fou- vent compatriotes, ceux de nos ménageries, en- levés très-jeunes de leurs retraites, renfermés dans leurs cages , fans exercice , fans mouvement, font prefque toujours foibles , languiffans , & finiffent par mourir de triftefle & d'ennui. Dans les forêts, au contraire , ils font fiers , légers , vigoureux , très-bien proportionnés. Les fangliers , qui font ici très - communs , fervent de pâture au lion , &C mettent les troupeaux à l'abri de fa dent carnaf- fière : cependant il pénètre quelquefois dans les Douarcs , & le parti le plus prudent alors eft de lui abandonner la proie qu'il s'eft clioifie. Il feroit trop dangereux de l'attaquer en face. Pour le vaincre , i! EN Barbarie. 8f il faut avoir recours aux embûches : c'eft ce que font les Maures. Ils craifent des foiïes très -pro- fondes, les recouvrent de brouffailles, & placent auprès un animal vivant ; car le lion dédaigne la chair morte , à moins qu'il ne foit très-afFamé. Dès qu'il efl tombé dans la fofle , on le tue à coups de pierres ou de fufils. Les Maures ont encore un autre moyen beaucoup plus fur de lui donner la chafle. Ils obfervent les lieux qu'il fréquente; ils y conduifent une vache ou quelque autre animal, qu'ils attachent à un arbre, tandis que le chaffeur, bien armé, fe tient en embufcade dans une cabane de brouffailles. Le lion , attiré par les cris de fa proie , fe précipite deffus avec fureur : on lui lâche, en ce moment^ im coup de fufil chargé de plufieurs balles. S'il n'efl que bleffé, il fe retire en rugiffant; rarement il revient fur le coup. S'il tombe, l'on fe garde bien d'aller à lui ; mais le chaffeur s'en retourne , & ne reparoît que le lendemain , ou deux jours après , pour s'emparer de la peau du lion. Tai l'honneur d'être , &c. Pan. /. Si Voyage " =3 LETTRE XIII. ^u même. Je ne me fens point la force , mon cher Dofteur ^ de vous écrire une longue lettre. Les grandes chaleurs m'ont ramené à la Calle. Elles font fi fortes en ce moment, qu'à peine ai -je le courage de conduire ma plume. Je fais obligé, à chaque ligne, de fufpendre mon travail pour elTuyer mes fueurs. Le vent du midi foufîle depuis quinze jours , & fon haleine embrafée par les fables brûlans duSaara, nous deïïeche & nous brûle. Une caufe accidentelle ajoute encore à la chaleur de ces contrées. Comme tout ce pays eft rempli d'abondantes brouffailles, qui , d'une année à l'autre , rendroient les chemins inacceiTibles , & les bois impénétrables , les Maures ont la précaution, tous les ans après leur moiflon, de mettre le feu par-tout. J'apperçois a£hiellement , à pluiieurs lieues de diflance, d'énormes tourbillons de flamme & de fumée s'avancer avec rapidité dans les campagnes , gagner les collines , pénétrer fans obftacle dans les plus épaiffes forêts , & ne laiffer derrière eux que de noirs monceaux de charbons & de cendres. Ce fpeclacle a quelque chofe d'impofant, fur-tout pendant la nuit. Une flamme pétillante qui 1 EN Barbarie. 83 s'élève par torrens, & s'élance jufques dans les nues ; une épaifTe & noire fumée qui borde l'horifon, & rend fenfible l'horreur des ténèbres; les grands efFets de lumière, la pâle lueur de la lune^ tou* ces objets contrc^fens offrent un tableau fubKme dans fon genre, mais effrayant pour l'im.agi nation. Les animaux fuient de toute part , plufieurs , de- venus la proie des flammes, font retentir au' loin leurs cris douloureux; le trouble eft par-tout, & la frayeur qû générale. Quoique les Meures aient foin de pourvoir à leur fureté, cependant il arrive plufieurs fois que des Douares entiers, hommes & troupeaux , font enveloppés dans cet incendie général. Rien n'eft épargné , excepté les pâturages & le bord des étangs & des fources. Ces fetix durent plus de deux mois , & enflamment IVtmofphère à un tel point, que le thermomètre de Réaumur fe tient conflamment de 36 à 40 degrés d'élévation. Je n'ai de repos que dans le bain. Je m'y précipite plufieurs fois le jour; c'eft la feule pofition qui me permette quelque application. Il n'efl plus queftion de courfes. La plus longue eu de chez moi au gouvernement , qui fait face à ma demeure; encore fuis-je obligé de courir comme fi je paffois devant un brafier ardent. L'air brûlant & lourd qui paffe à travers mes poumons, rend ma refpiration pénible. Mes ^iigeflions fe font mal, l'appétit me manque: F a §4 Voyage néanmoins av^c un régime frugal & un entier repos J j'efpère échapper aux fièvres putrides & mortelles qui dépeuplent actuellement ce comptoir. Les grands lacs qui nous environnent , comme je vous l'ai déjà fait obferver , font les feules caufes des maladies ; car ailleurs Tair de la Barbdrie eft très-falubre , & bien moins brûlant dans les lieux qui ne font point incendiés. Cependant nous avons par fois quelques journées fraîches 5 quand le vent vient du côté de la mer, Pen profite pour vifiter les lieux que la flamme a épargnés. Ma promenade la plus ordinaire eft à deux lieues de la Calle , dans un vallon folitaire , fitué fur les bords de la mer. Une fource d'eau y en- tretient une végétation &c une fraîcheur continuelles; des collines très - élevées le garantiffent des vents du midi ; à découvert du côté du nord , il en reçoit le foufîle rafraîchiffant , & les arbres des coteaux qui l'environnent y forment des ombrages que le foleil ne difiîpe qu'au moment de fon lever & à l'inftant de fon coucher. Mais, mon cher Dofteur, outre cette fituation agréable , ce qui rend pour moi ce vallon întéreffant , c'efl: qu'il eft habité par l'amitié ; l'amitié ! dont ks doux épanchemens font inconnus aux cœurs féroces des Arabes. Aufii cet exemple eft unique ; au moins eft -il le feul que je connoifte. Deux frères , unis dès l'enfance , heureux l'im par l'autre , ont juré de ne jamais fe quitter. Ils ont renoncé aux EN Barbarie. 8j mœurs & au commerce de leurs femblables, & pour être tout entiers l'un à l'autre, ils font venus fixer leur demeure dans ce délicieux vallon. Ceft - là qu'avec leurs femmes & leurs enfans , ils pafTent leur vie dans la paix & l'union. Leurs troupeaux paiffent tout le jour fous les ombrages frais , & donnent à ces lieux fauvages un air vivant & champêtre. Quand j'arrive, ces bons frères hermites (c'efl ainfi que nous les avons nommés ) , viennent à ma ren- contre, me conduifent dans leurs tentes, & font traire leurs vaches. Je n'arrive jamais fans quelque petit préfent pour leurs femnjas. Un peigne , un couteau, un mouchoir, font pour elles âes objets de grande valeur ; elles les reçoivent avec recon- noiffance. Souvent un des deux frères m'accom- pagne , ô-r fg plait à herborifa* avec moi. Nous rentrons fous les tentes, quand la chaleur devient trop forte ; & je partage avec ces nouveaux Pylades , les alimens dont j'ai eu foin de me pourvoir. Je ne puis vous exprimer, mon cher Dofteur, combien ces momens me font agréables , & de quels doux & tendres mouvemens mon ame eft émue l com- bien de fois j'ai defiré pouvoir réunir dans cet agréable féjour le petit nombre de perfonnes qui me font chères , &c paffer m.a vie dans une douce cifiveté, ignoré de l'univers entier. Ces bons Arabes, quand je fuis quelque temps fans paroître , viennent fovivent me chercher à la Calle , 6c me preffent dé F 3 Î6 Voyage paffer la journée avec eux. Je m'y refufe rare» ment , excepté les jours de fortes chaleurs. Pen éprouve, en ce moment, une fi accablante, quil ne me refte plus que la force de vous affurer des fentiraeni d'amitié que je vous ai voués pour la vie. LETTRE XIV. ^u même. Les contrées que j'habite, mon cher Do6leur, font devenues un théâtre fanglant de cruautés &C d'hor- reurs, Aly - Bey , ce chef Arabe dont je vous ai déjà parlé, fait, depuis quelque temps, des excur- fions fréquentes fur plufieurs hordes Arabes de fon voifmage. A la faveur de la nuit, il fond, à la tête de fes cavaliers , fur les troupeaux & les tentes , en chaffe les habitans, s'empare de leurs pofTe/îions, & emmène en captivité leurs femmes & leurs enfans. Ces malheureux, livrés à la brutalité du foldat, font traités comme des bêtes de fomme jufqu'à ce qu'ils foient rachetés par leurs parens. Phiiieurs ex- pirent par la difette, ou fous les coups, au milieu des gémiflemens & du défefpoir. Ceux qui furvivent, n'en font que plus à plaindre. Obligés quelquefois de chercher leur nourriture parmi l'herbe des champs , ils ont encore à foufFrir le fpeftacle le plus déchirant. EN Barbarie. 87 La fille eft déshonorée fous les yeux de fa mère ; ÔC fi le brutal n y trouve point le plaifir qu'il y cherche , il la poignarde fans pitié. Les jeunes enfans, deflinés à fatisfaire une pafTion plus brutale encore , ne fortent des mains de ces monftres que pour rendre le dernier foupir entre les bras de leurs mères, ou conferver toute leur /vie les infirmités de cet affreux libertinage. Parmi les nations dépouillées , il s'en eft trouvé une {les Bmitfekms)^ qui failbit un commerce annueî avec la Compagnie. Ces Arabes étoient pauvres , incapables de racheter leurs femmes & leurs enfans. Ils ont eu recours, dans cette extrémité, au Gou- verneur de la Calle , efpérant qu'Ali-Bey, déterminé par des intérêts de commerce , auroit quelques égards pour la Compagnie. La négociation eut lieu , & moyennant un certain nombre de piaftresque Ton offrit à ce chef , il confentit à rendre la liberté aux Benitfekms. Il les renvoya en effet peu de jours après , dès qu'il eut touché la fomme promife , & les fit efcorter par fes cavaliers. Nous allâmes au-devant de ces infortunés à une demi-lieue das habitations. A peine nous eurent-ils apperçus, que mille cris confiis d'allégreife &: de bénédiQions reten- tirent au milieu des airs. Nous étions leurs bien- faiteurs, leurs pères. J'entendois peu leurs expre^- (ions, mais leurs geiks difoient plus que leurs paroles. Des larmes d'attendrilTement & de reconnoiffar^ce ï^4 88 Voyage coiiloient de leurs yen* Les mères arrachoient îeiirj enfans de leurs mammelles , nous les préfentoient , & les couvroient enfuite de baifers ; d'autres appre- noient à leurs fils plus âgés que nous étions leurs libérateurs , & la mère & le fils fe réuniffoient pour nous combler d'adions de grâces. Cette fcène , qui nous arrachoit des larmes , devint encore plus attendriffante par l'arrivée des maris , que nous avions informés du retour de leurs femmes & de leurs enfans. Dès qu'ils fe furent apperçus , leur premier mouvement fiit de fe précipiter dans les bras les uns des autres. Leurs accens fe confondoient avec leurs foupirs , 6c l'ex- preflion , étouffée par la joie , expiroit fur leurs lèvres. Les enfans s'entrelaçoient entre les bras de leurs pères , comme s'ils euffent craint d'en être de nouveau féparés. Cependant la joie n'étoit pas générale. Les pleurs & les regrets troubloient l'allé- grelTe commune. L'un cheixhoit & redemandoit en vain une époufe expirée de mifere ; d'autres ré- clamoient leurs enfans. Ils ne recevoient pour féponfe qu'un filence trop exprefTif; & même, parmi ceux qui avoient le bonheur de retrouver les objets de leur tendreffe , en quel état d'humi- liation , de miferes & de fouffrances ils s'offroient à leurs regards ! La plupart , dépouillés de leurs habits , avoient à peine quelques lambeaux pour cacher ime partie de leur nudité. Les ti-aits de EN Barbarie. 89 leur vifage étolent altérés & flétris : ils portoient fur leur figure l'empreinte de la fatigue &z du malheur. Ce peuple avoit marché im jour entier dans des fables brùlans, expofé au plus ardent foleil, n'ayant pris d'autre nourriture que des racines & des fruits iauvages : les enfans fur-tout fe traînoient à peine. Ils pleuroient de laffitude, de douleur & de faim- Tout ce monde campa près de la Calle. Nous fîmes diftribuer à ces infortunés d'abondantes nourritures; mais avant tout , ils fe précipitèrent fur l'eau avec ime avidité extraordinaire. Ils s'étoient raifemblés en foule autour du puits , n'afpirant qu'au moment où ils pourroient porter leurs lèvres brûlantes fur les féaux d'eau qu'on leur préfentoit. Peu s'en faUut même que plufieurs ne fe précipitafTent dans le puits , tant il y régnoit de défordre , malgré les gardes qu'on y avoit placés. Ils parlèrent la nuit en plein air, &: le lendemain , dès le lever de l'aurore, tous fe mirent en route pour fe rendre à leurs tentes. Si vous ne jugez de ce trait que d'après les fenti-» mens de votre cœur, vous applaudirez, fans doute, mon cher Doâ:eur , à l'humanité du Négociant François, & aux exprefîions de reconnoifTance de ce peuple Arabe. Il me feroit doux de partager ces fentimens , & de vous y confirmer ; mais , tém.oia oculaire des circonf^ances, inilniit d'ailleurs de la fé- rocité des moeurs arabes^ ôc de l'avidité du Négociant, ÇO VOYAGE je dois en juger différ«mment. Le Négociant alors flit humain, parce qu'il étoit intérelTé à l'être, parce que fe refufer à la demande de cette Tribu dé- pouillée , ç'auroit été s'expoler à être attaqué 6c troublé dans fon commerce : d'un autre côté , ces mêmes Arabes , malgré leurs proteflations d'amitié , ne font devenus ni plus traitables , ni moins barbares. Ce premier mouvement de reconnoiffance , en iiip- pofant qu'il fut fmcère , ne tarda pas à être étouffé par le caraftère originel de cette nation , & je fus , peu après , témoin de plufieurs infultes de leur part , qui me forcèrent de me dépouiller des pré- jugés que la fcène touchante à laquelle j'avois afliflé , m'avoit infpirés en leur faveur. Au milieu de ces fcènes d'horreur, ce quim'af- fe£la le plus , ce fut le malheur des deux bons frères Arabes, dont je vous ai parlé dans une de mes pré* cédentes. M'étant un jour rendu à l'endroit qu'ils habitoient , je le trouvai abandonné ; comme je favois qu'ils étoient déterminés à ne point quitter cette agréable retraite , je foupçonnai aufn - tôt la vérité ; j appris en effet , peu après , que le cruel Ady-Bey les avoit dépouillés : je partis flir le champ pour voir ce chef Arabe , me propofant de faire tout ce qui dépendroit de moi pour rétablir ces deux frères dans leur folitude; mais Aly-Bey, à qui je témoignai combien j'étois furpris des bri- gandages qu'il exerçoit depuis quelque temps , me EN Barbarie. 91 répondit quil n'agifToit que par les ordres du Bey de Conftantine , & que d ailleurs les nations Arabes fur lefquelles il étoit tombé, s'étoient attiré leur malheur par le refus qu'elles avoient fait de lui payer les tributs qu'elles lui dévoient ; quant aux Arabes dont je lui parlois , qu'ils n'avoient point été dépouillés par fes ordres ; qu'il ignoroit d'ail- leurs ce qu'ils étoient devenus. Je ne m'en tins point aux afiiirances de ce chef; j'interrogeai beau- coup d'autres Arabes , aucun ne put m'en donner de nouvelles. Je revins à la Calle , très-affligé du peu de fuccès de mon voyage , prenant de tous côtés des informations fur le fort des feuls Arabes qui m'intérelToient. J'appris enfin que tous deux étoient morts de la pefte , dont les ravages fe font encore fentir parmi les nations qui nous avoi- fment. J'ai l'honneur d'être, &c. 91 Voyage LETTRE XV. Au même. AOUT eft tranquille fur ces côtes, mon cher Do£leiir : Aly - Bey a ceflTé fes hoftilités ; mais je crains bien que ce ne foit pas pour long -temps. Les traités de paix , parmi les Arabes , ne durent que iufqu'à ce que le plus foible foit devenu le plus fort , fmon en guerre ouverte , au moins par des attaques artificieufes. Rufes, trahifons, brigandages, peu leur importe , pourvu qu'ils fe vengent , &. qu'ils puifTent faire couler le fang humain. Ce fpec- tacle eft auffi agréable à leurs yeux que celui d'ime bête féroce expirant à la vue du chaffeur qui vient de la terraffer. Auiîi dans les fentences de mort, n'eft-il pas befoin d'exécuteur; dès que l'arrêt eft prononcé, c'eil à qui aura l'honneur de porter le premier coup. Les prières , les larmes , les cris affreux du malheureux que Ton égorge ne font qu'ajouter un nouvel intérêt à la fcèhe : le tendre agneau, recevant en filence le coup de la mort , n'ell: point la victime que les Arabes aiment à immoler ; de tous les genres de mort, celui qui peut oGcafionner de plus longues & de plus vives douleurs èft toujours préféré. Il y a quelque temps qii'ua Turc , déferteur d'Alger , EN Barbarie. 95 sNstoît fauve chez les Nadis , pour fe rendre de-là à Tunis. Ceux-ci le rencontrant feul & fans dé- fenîe, commencèrent^ f^ar- lui couper le nez, les oreilles , les bras & les jambes ; & après avoir joui de ce fpedacle jufqua ce que le Turc fîit près d'expirer , ils Tachevèrent à grands coups de fabre. Un ancien Gouverneur de la Calle , que j'ai vu à Marfeille , m'a affuré , que s'étant un jour rendu chez un chef Arabe , avec lequel il avoit à traiter pour des intérêts de commerce , celui-ci lu! mon- trant une douzaine d'efclaves , lui dit : Vois parmi uttc canaille , qiul cjl celui à qui tu veux que je fajft couper la tête ; croyant de bonne-foi lui propofer une fête très-agréable. Ces cruels fe glorifient d'un afîat fmat avec autant de prétention que s'il s'agiffoit d'une action héroïque , ô£ ils ne font cas de la réputation qu'autant qu'elle efl due à im grand nombre de meurtres. A cette férocité de mœurs fe joint l'abandon à tous les vices. A peine foitis de l'enfance, ils fe livrent aux femmes; &: c'eft, dans ce genre, le moindre de leurs défordres. Permettez , mon cher Dodeur , que je jette un voile fur des abominations que je ne pourrois tracer fans horreur , que vous n€ pourriez lire fans être révolté. Le mariage, chez eux , n'en porte que le nom. Ils achètent une, deux, trois femmes , félon le nombre qu'ils peuvent nourrir. Ils les gardent auiH long-temps qu'elles leur plaifent. 94 Voyage &c les renvoient enfiiite fans autre formalité. Il n*eft point de créatures plus malheureufes que ces femmes. Leurs maris font de vrais defpotes , qui exercent envers elles l'autorité la fplus abfolue, &c ne les traitent qu'avec le dernier mépris. Bouillans , comme fans frein , dans leurs defirs , tout ce qui y met obftacle eft facrifié. Le fils ne craint point de fe fouiller du fang paternel. Le frère du'/ient TalTafîîn de fon frère, & la femme meurt fouvent des mains de fon mari. Dévoués au plus fordide intérêt , Tefpoir de la plus légère ré- compenfe les rend meurtriers , &: l'on feroit prefque fur de dépeupler la Barbarie , en mettant à prix la tête de chaque Maure. Ces mœurs cruelles & fan- guinaires , à peine concevables chez les Cannibales , parmi ces hommes dont l'habitude de la chaiTe & du meurtre a déterminé le caractère, font bien étonnantes chez un peuple en qui les befoins font fi limités, & les occupations fi douces. La foif de l'or ajoute encore & donne ime plus grande aftivité à la férocité originelle des Maures. De ce nombre prodigieux de piaitres que le com- merce apporte tous les ans en Barbarie , il n'en revient pas une feule. Tout y refie ; 6z qui plus eft , tout y eft enfoui. Quel autre ufage en pourroit faire ce peuple qui n'a ni luxe , ni befoins , ni in- cluftrie , Se auquel nous ne pouvons offrir que de l'argent en échange des grains & des laines que nous EN Barbarie. çj €n tirons ? Le Maure s'en fervira-t-il pour augmenter fon troupeau, le nombre de les femmes, de fes ^fclares? Mais s'il laifie foupçonner qu'il foit riche, il ne tardera pas à être dépouillé. Il fera livré lui , fa femme , (es entans aux plus cruelles tortures afin de leur arracher laveu de leurs tréfors : mais intrépides au milieu des tourmens , ils meurent fans rien avouer. Si, pendant les guerres civiles, ils font dépouillés , alors ils ont recoin-s aux piaftres enterrées pour acheter un nouveau troupeau , former de nouvelles tentes , &c racheter leurs femmes & leurs enfans , quand ils croient ne pas trouver mieux, ou n'en pas trouver à fi bon compte. Voilà le feui motif plaufible fur lequel paroiffe appuyée cette coutume d'enterrer l'argent ; & comme ordinaire- ment le mari a feul connoiffance de ce précieux dépôt , s'il meurt , fon fecret meurt avec lui. Ceft ainfi que la Barbarie renferme des piaftres nom- breufes perdues pour toujours , & que la plus riche mine de ce pays eft en argent monnoyl. Ces Arabes font voleurs par inclination autant que par habitude. L'efpoir d'enlever quelques mauvaifes bardes à un voyageur fuffit pour mettre fa vie en danger; aufTi arrive-t-il fouvent eue le mefTager qu'un chef envoie à un autre chef, lorfqu'il cft obligé de pafîer chez certaines nations indomptées, quitte {fmfel^ & MacraUfu , qui font les fentinelles & les » alliés à.ç.1 Collins en temps de guerre. Il efi borné » au nord par un petit golfe appelé en langue du » pays Baaoenfé , ou mer des femmes. » L'air du Collo efl fain & tempéré : le fol de » la vallée efl fec & fiérile. L'on y voit cependant ^ beaucoup d'arbres fruitiers , qui , foit par le défaut EN Barbarie. 121 j> de culture , folt par la qualité du tf rrem , ne » donnent que des fruits d'un goût fade , & ne >f peuvent parvenir à une parfaite maturité. Les » montagnes même qui environnent ce pays ne 5> produifent que quelques ai'brifTeaux , fort peu de » plantes. •«, » Les Collins ne pouvant , par la mauvaif^ » qualité de leur terrein & par fon peu d'étendue , » tirer de la culture de quoi fe procurer les fecours » de la vie animale , fe font adonnés au commerce » des cuirs de bœuf, qu'ils achètent à bon marché » des montagnards , & qu'ils revendent fouvent bien » cher à l'Agent de la Compagnie. Ils fabriquent » outre cela, avec du lin qui leur eft apporté d'Alger, » des toiles très-communes qu'ils vendent aux mon- » tagnards , ou les échangent pour du blé , du beurre, » de l'huile, & fouvent pour des cuirs. Quelques- » uns, plus adifs, portent à Timis ou à Alger , fur » des fandals , du beurre falé , de l'huile , des noix , » des figues fèches , & en rapportent des étoffes » pour leurs habillemens , &: du fel qui leur fert à >> faler les cuirs , en attendant le temps de la traite >* de cette marchandife. » D'anciens puits , qui font encore dans le meilleur » état , un vieux château & quantité de vieilles » mafures , font voir clairement que ce pays a été w habité avant l'arrivée des Maures ; cc ce qui, » porte à croire qu£ les Roaiains y avoient forni^é m Voyage w un établiffement très-confidérable , ce font quelques >f infcriptions que l'on voit fur de grandes pierres » blanches , qui fervoient apparemment de frontif- » pice à leur temple. On y lit Ncpnino , Jovï; d'autres >> infcriptions fe trouvent fur pliifieurs autres pierres «^ avec récriture ren verfée , 6c que Ton ne peut pas w lire. » Le gouvernement du Collo eft , pour la forme , v^ le même que celui des autres places qui font de la » dépendance d'Alger. Un Aga ou Commandant eft >♦ à la tête du gouvernement militaire. Cet homme » a fous lui quatre Officiers qui compofent le Divan w ou Confell , & un certain nombre de foldats >> remplacés tous les ans, en miai , par de nouvelles y> troupes qui viennent d'Alger. Cette milice eft » pour contenir les Colhns dans le devoir, protéger » les Chrétiens qui font le commerce , &; s'oppofer >♦ aux defcentes qiie pourroient tenter au Collo les » ennemis d'Alger. Ce gouvernement militaire n'eft » compofé que de Turcs. » Le gouvernement civil e£x entre les mains de yy deux Kdides &«de fept chefs Maures difperfés dans >> ]es quatre villages. Ils n'ont aucune autorité fur »îes Coliins, & fe contentent du titre de leurs » charges. Ils traitent feulement de la paix ou de 5> la guerre avec les nations de la montagne, em- y> pèchent ou permettent le commerce des cuirs entre ?> les Chrétiens & les CahaUcs^ lojfqu'ils ne peuvent EN Barbarie. izj h eu ne veulent, faute d'argent, acheter eux-mêmes » cette marchandife pour la revendre à un plus haut » prix en tem.ps de traite. Ces Kaïdcs ou Schkks^c^û » font eux - mêmes les premiers coquins du pays , » n'ont pas le pouvoir , ni même la volonté de » mettre im frein à l'injudice & au crime, qui vont » tête levée dans ce pays. Le droit du plus fort & » le fiifil décident tous les différends. Les Turcs ne » font pas même épargnés. Quand leur Aga ou le » Divan veulent s'avifer de mettre le bon ordre , » il eft bien rare que la garnifon retourne à Alger » fans laifTer plufieurs foldats tués fur la place. Ce ^ qui fait que depuis long - temps ils fe bornent à » manger tranquillement leur paye , & à ne point » s'écarter du château , laiiTant les Collins dans leur » village jouir impimément d'une liberté qui occa- 5> fionne prefque tous les jours les plus grands défor- M dres. L'impunité a midtiplié tous les crimes, & a fait » des Collins , fans exagération, les hommes les plus » méchans qu'il y ait fur la terre. *> Les environs du Collo , quoique très - mon- ^y tagneux , ne îaiffent pas d'être agréables , & » malgré le peu de peines que prennent les Maures » pour les fertilifer , on y trouve des vallées & » des plaines couvertes de beiliaux , ôc fertiles en » blé , orge , millet noir , &:c. Ces montagnards » apportent au comptoir de la Compagnie un peu » de coton, d'huile, de miel, & beaucoup de cire^ 124 Voyage » Au midi du Collo il y a deux rivières qui tra- » verfent une plaine d'environ trois lieues de Ion- » gueur, & viennent fe jetter dans le golfe qui forme » la rade du Collo. La plus confidérable feroit navi- » gable pour des bateaux , à trois lieues de fou >> embouchure. Ce pays eft très-fertile , & les Maures w y font plus doux &: plus civilifés que dans les » autres contrées. Ceux qui font à l'oueft reiTemblent » à de véritables fauvages. Leur pays eft prefque » partout ftérile. Il ne produit que de l'orge , du y> millet noir, de l'huile, de la poix-réfme, du » goudron , & quantité de petits fmges fans queue , » qui ravagent une grande partie de la récolte. L'on M ne conferve l'autre , qu'en faifant la garde nuit & » jour pour écarter ces animaux , depuis le moment » des femailles jufqu'à la moiffon. L'on pourroit >> tirer grand parti du bois de conftruâ:ion qui y >> eft très-abondant , fi le naturel de ces barbares ne » mettoit un obitacle invincible aux entreprifes que » l'on pourroit faire pour exploiter de fi beaux » arbres. » Toutes les nations des environs du Collo, à » dix lieues de ce pays , font indépendantes. Les » forces du Bey de Conftantine n'ont pas encore pu » les réduire fous fa dommation. Plufieurs d'entre » elles n'ont pas même de chef peur les gouverner. >> On les voit toujours en guerre les unes contre les ^ autres. Les Maures fontbafanés, vilains, cruels^ EN Barbarie. 1^5 5>ignorans & toujours armés. Ils vont nue tête, » & lavent à peine s'ils font Mahométans. » Les Collins font en général blonds , grands , » robulles. Ils ne fortent jamais de leurs maifons » qu'armés du fufil , de piftolets &: de fabres. Ils » ne meurent guères que des coups meurtriers de ces » armes , étant fans ceiTe en guerre. Ils font tous , fans » en excepter aucun , grands voleurs, fainéans , goiir- » mands , cruels & inhumains envers les étrangers ; » traîtres , dilîimulés , lafcifs , jaloux , vindicatifs , » flatteurs & aimant la flatterie ; orgueilleux , avides >♦ des honneurs , fuperflitieux , hypocrites ; en ui?, n mot , adonnés aux vices les plus abominables », D'après quelques échantillons de minéraux que M. Hugues a joints à ce Mémoire, il paroît qu'il vient beaucoup de criftal de roche dans les fentes de« rochers qui avoifment le Collo , & qvi'il doit y avoir des mines de cuivre très-riches. J'ai l'honneur d'être, &cç. Il6 V O Y A e^ E LETTRE XX. Au même. Plus je parcours ce pays, mon cher Do£teiir , plus mes idées s'exaltent à la vue des ruines que je rencontre à chaque pas. Ce que la barbarie foule aux pieds, je le contemple ôc l'admire. Ce ne font , il ell vrai , que quelques fragmens de fquélette ; mais ce fquélette annonce combien le corps qu'il foutenoit avoit de puifTance & de force. Ces débris ifolés ne préfentent aux yeux de l'ignorance que des pierres brifées & confondues; mais elles rap- pellent à l'obfervateur le fouvenir de ceux qui les ont taillées. Elles offrent à l'imagination une vilk fuperbe & puiffante là où croiffent aujourd'hui des brouffailles & des ronces ; elles annoncent qu'un peuple éclairé Ô^ poli faifoit brtller les fciences 6c les arts dans des lieux habités aujourd'hui par des hommes féroces & barbares. Tout ce que je vois me peint fi vivement l'ancienne fplendeur des Ro* mains, me retrace fi bien ce que j'en ai lu, ce que l'on m'en a raconté , qu'il me lemble avoir été Romain moi-même , & que je renais pour gémir fur les ruines de mon ancienne patrie. Pardonnez ,ces réflexions qui reviennent peut-être trop fouvent ; EN Barbarie. 127 mais comment ne pas parler de ce qui frappe con- tinuellement les yeux ? C'eft fur des ruines de lan- cienne Hippone que je vous écris cette Lettre. Du haut du vieux mur où je fuis afîis, je me crois, par moment , confondu au milieu d'une foule d'au- diteurs à portée d'entendre la voix éloquente & perfuafive du grand Auguflin : mais Tillufion ne dure pas long-temps : bientôt je me retrouve feul au milieu de ces ruines, A la place d'un peuple chrétien , conduit à la vertu par les fublimes exhor- tations de fon illuftre évêque , je ne vois qu'une race d'hommes pervers & méchans, auxquels le nom de Chrijl eft en exécration. Hippone étoit dans une fituation très-heiireufe , bâtie dans une belle plaine , aux pieds d'une riche colline , entre deux rivières , & à une demi-lieue de la mer. Il refte bien peu de chofes de cette an- cienne ville. Le premier objet que j'y rencontrai , fut quelques arcades , dont l'élévat on & la gran- deur annoncent un édifice confidérable : il eit pro- bable qu'elles appartenoient à une églife : aiiiîi eft-ce l'opinion vulgaire. A quelque diilance de-là efl une autre bâtiffe beaucoup plus entière. Elle paffe, parmi les Chrétiens qui fréquentent le pays, pour avoir été le couvent de Saint Auguftin. Elle confifte en une double voûte très-forte, foutenue par huit arceaux, bâtis en briques larges , & d'environ un pouce d'é- paiffeiu:. U eft facile de reconnoître que ce prétendu îig Voyage couvent n'étoit rien autre que de très-belîas citernes* Des ouvertures carrées à la voûte, dans l'intérieur, ces reftes de conduits en forme de gouttières , que l'on prendroit d'abord pour des galeries , la forme & la folidlté de cette bâtiffe , tout confirme dans cette idée. J'ai retrouvé des reftes femblables , mais bien moins confidérables , à quelques diftances de-là. Il me paroît très - probable qu'Hippone s'étendoit jufques fur les bords de la rivière de SâbDufi , qu! a fon embouchure en face de la ville de Bonne. En me promenant fur les bords de cette rivière , j'y ai découvert les veftiges d'un ancien quai, bâti en mofaïque , en petites briques rouges d'un pouce ôC demi de largeur fur un de longueur , réunies par lin ciment , dont la dureté cara£i:érife les ouvrages des Romains. En cet endroit le chemin eft large, uni , très-beau , &: continue de même pendant près d'une demi -lieue. Il s'eft ainfi confervé depuis le temps des Romains ; car les Arabes ne favent ce oue c'eft d'avoir de grands chemins ; ceux que l'on retrouve dans ce pays font l'ouvrage de fes anciens habitans. Quoiqii^ Hippone n'ait eu de plus grande célé- brité que celle d'avoir été gouvernée par un des phis grands Dodeurs de l'Eglife , elle pouvoir néanmoins devenir, par fa pofition , une des villes les plus commerçantes &C les plus riches de la Nu- midie. Elle étoit environnée de tous côtés de plaines fertiles EN Barbarie. 129 fertiles, de gras pâturages , de riches coteaux, de vergers abondans en toutes fortes de fruits : outre cela, la mer ofFroit aux habitans d'Kippone les moyens d'échanger avec les peuples de l'Europe leur fuperflu en grains, en laines, en vins, &c. La rivière de Seïhoufe , qui en baignoit les murs efl large 6c belle , mais le fable y efl fi abondant, qu'elle ne peut porter que de gros bateaux o\\ fan- dais turcs :r cependant , avec un peu de foins , elle pourrait devenir beaucoup plus navigable, & fermer un aflez beau port; je foupçonne , d'après les débris que j'y ai rencontrés , qu'autrefois il y en avoit un , que les fables ont comblé. Le fol de l'an- cienne Hippone eft divifé aujourd'hui en très-beaux jardins, fermés par des haies de figuiers de Bar- barie ( Cciclus opuntia ) , dont le fruit eft très- rafraîchiilant , mais un peu fade. Le figuier , l'olivier le jujubier, l'oranger, le citronnier, le caroubier > la vigne, l'azérolier , &: plufieurs autres arbres fruitiers s'y cultivent avec le plus grand fuccès, & font au loin l'ornement des campagnes. A l'ancienne Hippone a fuccédé la ville de Bonne, bâtie fur les bords de la mer, à l'embouchure de la rivière de Seïboufe. Cette ville eft environnée d'un aflez bon mur, défendue par une forterefle fur les bords de la mer, ôc par un château confidérable, bâti par Charles- Quint, lorfqu'il s'empara de cette ville eu 1535. Les rues de Bonne font très-étroites, mal-propres. Part, I. i ijo Voyage boueufes ,; point pavées , & toujours pleines de fumier & de boufes de vaches. Les maifons , d'une forme quarrée, n'ont qu'un feul étage. Les fenêtres donnent toutes fur la cour. Il n'y a au dehors qus quelques petites lucarnes d'un demi-pied d'ouver- ture 5 ce qui contribue à rendre les rues beaucoup plus trilles : mais la jaloufie des Orientaux eft le feul goût que Tarchitede confulte. Au lieu de toits , le deiliis des maifons eft une plate-forme en terraffe. Chaque maifon eft conftruite en pienres blanches , auxquelles on ajoute , tant en dehors qu'en dedans ^ une couche de chaux, ce qui produit un coup-d'œil uniforme , peu gracieux , & très - fatigant pour la vue. L'intérieur des appartemens eft garni de nattes ou de tapis , félon la fortune de chaque particulier. Les murs font blancs , fans aucun autre ornement : cependant les hommes en dignité les décorent de fufiU , de piftolets , d'atagans , & autres armes à Fufage du pays. Il y a dans Bonne deux mofquées ovnéQS de minarets ^ c'eft-à-dire, de pyramides fem- blables à nos clochers , du haut defquels les Papas appellent le peuple à la prière trois fois par jour ; car les Mufulmans ne cohnoiftent point Fufage des cloches. Ceux qui font deftinés à ces fondions, crient trois fois, aux heiu'es de la prière : Que Dieu e/i grandi Mahomtt efi fon Prophète. Fenei , peupk fidhle y venei à la prière. tes Maures de Bonne diffèrent peu de ceux de 1 EN Barbarie. 131 la montagne ; même habillement , mêmes mœurs. Cependant leur vie eft plus diÙïve 6c plus a.fce. Les Nègres y font elclaves , mais bien traité.. La garn'fon turque , quoique peu nombreufe , en im- pofe aux habitans de Bonne : chaiiin tremble à la vue d'un Turc. Cette ville eft gouvernée par un JCaJûù à la nomination du Bey de Conilantine , qui en reçoit un tribut annuel. Quoique les Maures foient peu indullrieux, &c qu'ils n'aiment que le repos , cependant il y a à Bonne ces ouvriers de toute efpèce pour les arts utiles Se nécefTa'res ; on y fabriGue de? f^errius , des tap's , des Telles de cheval, &c. Au B .fia ou Marcfié font réunis des marchands de dLverfes denrées. Pendant mon féjour à Bonne, les Maures y célébrèrent îe renouvcHement de l'année. Ce ne fiire-t, pendant les premiers jours, eue fêtes con- facrée. à la joie de au plaifir. La veille du nouvel an, alnfi que de toute autre grande fête, ceux qui font prépofés pour appeler le peuple à la pr ère du haut des minarets, crient beaucoup plus fort Se plus lonc^- temps que les autres jours. C'efl ainfi que chez nous les grandes folemnités s'annoncent par un plus grand noTibre de cloches. Les folies auxquelles les Maures fe livrent dans ce temps, tiennent un peu de celles de notre car- naval , quoique diiférentes. La f irce la plus commune cOiUifte à étendre une peau de lion fur les épaules I z Ijl V O V A G E de quatre Maures cachés fous un grand tapis qui qui leur tombe jufqu'aux jambes. Ce lion fantaf- tique porte une longue chaîne au cou, & eft conduit par un Maure. Plufieurs autres jouent du tambour de bafque &c de la flûte , tandis que le lion & quelques danfeurs exécutent des danfes affez grotefques ; d'autres fe revêtent d'une peau de cha- meau au heu de celle du lion. Ils entrent , fous ce déguifement, dans toutes les maifons où ils peuvent entrer , fuivis d'une nombreufe populace , & fur- lout de beaucoup d'enfans qui portent à la main des figures de lion & de chameau. Ils reçoivent quelques pièces de monnoie de chaque particulier chez qui ils exécutent leurs danfes ; mais , pour avoir le droit de parcourir ainfi la ville fous ce déguifement , il faut payer une certaine fomme au Kaïde. Il y a , à Bonne , plufieurs familles Juives très- m»prifées , & écrafées par les tributs & les corvées. Tallai voir leur fynagogue un vendredi au foir , au moment de leur prière. Elle efl petite , mal bâtie. Je flis très-furpris d'y rencontrer des Maures. Je crus d'abord qu'ils ne venoient dans ce temple que par curiofité : mais j'ai appris qu'ils s'y rendoient avec confiance &: dévotion pour obtenir la guérifon de leurs maladies, la fécondité, ou la réuflite de leurs projets. J'avois peine à concevoir une ignorance aufii groflière. Elle me fut confirmée par un prétendu miracle, admis également par les EN Barbarie. 135 Mahométans & les Juifs, que mon interprète me raconta, & auquel lui-même ajoutoit foi. Cétoit im Chrétien renégat depuis Tâge de douze ans. « Lorfque les Juifs bâtirent cette fynagogue , l'on w vit , me dit-il , flotter pendant long-temps fur la » mer le livre de la Loi. Souvent il approchoit du » rivage ; mais toutes les fois qu'un Mufulman » vouloit s'en emparer , ce livre et oit aufîi - tôt » repris par une vague & tranfporté en pleine mer* » Ce phénomène duroit depuis plufieurs jours , fans M que perfonne pût en donner l'explication : mais n quelques Juifs en ayant été les témoins , recon- » mirent le livre de la Loi. Ils s'en emparèrent fans 9> difficulté , & le dépofèrent dans la fynagogue >>• Vous voyez , mon cher Dodeur , qu'un tel peuple eft inconvertiffable y même avec les miracles. En voilà un dont ils ne doutent pas, & cependant ils n'en font pas moins perfuadés qu'ils habiteront , après cette vie, avec les Houris aux yeux bleus ^ touchées fur des lits de rofcs, tandis que les Chrétiens & les Juifs feront étendus fur des charbons ardens, C'eft le refrein d'une chanfon que tous les enfans ont à la bouche dès qu'il voient im Chrétien. Sous un coftume moitié arabe , moitié européen , offrant l'extérieur le plus grave , je fus pris , par les Juifs , pour un Rabbin déguifé. Mon inteiprête, qu'ils interrogèrent, les confirma dans cette opinion. Us crurent que je venois voir s'il ne manquoit ûm 13 134 Voyage à leur fynagogiie ; & d'après ces idées , ih me montrèrent tout dans le plus grand détail ; mais le tout fut bientôt vu. Leur fynagogue tft auffi chétive cv.e leurs perfcnnes. Pour peu qu'ils y éta- lerolent de riche&s, elles leur feroient bientôt enlevées. Lne deml-dou7aine de lampes, Semblables à celles de nos égllfes , ëclairoient ce temple dans lequel je me fentis vivement ému en m.e rappelant la religion de Mcïle, de David & de Salcmon. J allai dernièrement aux étuves. Elles font géné- rales parmi les Mufuîmans , tant en Barbarie qu'en Turqu'e. L'on me fît d'abord entrer dans un grand veflibule , oii je quittai mes habits pour me revêtit d'un double bernus. L'on me conduifit , en cet équipage, dans une prem'èrefaUe, dont la chaleur, quoique modérée, faillit à me fufFoquer en y entrant : après m'y être arrêté quelque temps pour m' accou- tumer peu-cVpeu à une atmofphère plus chaude, je paffai dans la falle des étuves. Je voulois en fortir fur le champ , tant ma refpiration étoit gênée par la chaleur : mais infenfiblement mes poumons s'y accoutumèrent. Une fueur abondante découla de toutes les parties de mon corps. Je quittai alors înes habits & je m'étendis fur le pavé de la falle Auffi -tôt im Maure s'approcha de moi, me jetta fur le corps quelques féaux d'eau tiède , & fe mit à me pétrir la peau , & me la preffer par- tout poiir en feixe fortir jufcjuà la moindre crduie; EN Barbarie. 135 enfu'ite , en me faifant prendre différentes attitudes forcées , mettant fon genou fur moa eftomac , il me fît craquer toutes les articulations des bras , des jambes &: des cuiiïes. Les reins &: les vertèbres du dos & du cou ne flirent pas plus épargnés» Si je n'euffe été prévenu, j'aurois craint qu'il ne me difloquât quelque membre : mais f admirois fon habileté à me plier & m'étendre ainfi dans tous les fens , fans que j'éprouvaffe la moindre douleur. Nfayant abandonné pendant quelques minutes pour me laiffer repofer , il revint , peu après , armé d'une étoffe un peu rude , avec laquelle il me frotta par -tout le corps, exa£lement comme un cheval que Ton étrille* Il efl étonnant combien , par cette opération, Ton enlève d'ordures de la peau» Après ces fridions & de nouvelles lotions d'eau tiède , je repris mes bernus , & je me rendis , par degrés , dans le veilibuîe , oii Fon eut foin de me faire repofer , & de me bien couvrir , jufqu'à ce que la forte tranfpiration eût été un peu diminuée. Ces étuves, à Bonne, ne font nullement décorées; mais chez les Turcs & dans les grandes villes de Barbarie, elles font magnifiques, en beau marbre blanc. Un établiffement auiTi utile pour la propreté & la fanté , mériteroit bien d'être plus multiplié en Europe. Ceft peut-être le remède le plus efficace pour guérir toutes fortes de rhumatifmes, de gouttes, de fciatiques, & fur-tout les maladies de la peait, 14 13^ Voyage Les Maures s'en fervent aiifll pour le maî vénérien : mais pour en retirer la même utilité que les Maures , il faudroit s'en fervir comme eux, y faire ufage des mêmes friflions ; car , qu eft - ce qu'un fimple bain à l'eau froide ou tièd€ ? S'il enlève de la peau les ordures les plus gro/îières, combien n'en refte-t-il pas qu'on ne peut enlever que par les fripions faites dans le moment d'une forte tranfpiration ? Outre cela , le craquement des articulations , opéré par les Maures avec tant de dextérité , donne aux membres une foup-elTe , une agUité très-fenfible lorfque l'on fort des étuves. Pendant ces opérations, l'on éprouve une langueur afToupidante &C une forte propenfion au fommeiî , genre de volupté qui plaît beaucoup aux Turcs. Les environs de la ville de Bonne font extrême- ment agréables ôc bien cultivés. Il y a beaucoup de jardins remplis d'arbres fruitiers, particulière- ment de jujubiers , d'où vient que le nom arabe (i) ^e cette ville fignifie la place des jujubes. Les jardins forment des promenades très-agréables, oii l'on peut aller palTer la chaleur du jour à l'abri des rayons du folell. Les Maures de Bonne , plus policés & plus habitués avec les Européens que ceux des mon* tagnes , font auffi moins infolens. J'en ai rencontré plufieurs dans leurs jardins, qui vinrent mepréfenter ( I ) Balid cl unied. EN Barbarie. 137 des fruits. Çaurcit été une impolitefîe très-grande de ne les pas accepter. En fortant de la ville par la porte qui conduit ziiPcrt Génois, l'on palTe devant le cimetière des Maures. Il eft fur une éminence, en plein champ, fans clôture, & ne fe diftingue que par le grand nombre de tombeaux en pierres blanches élevés au-defliis de la fcffe des perfonnes de diflindlion» Ces tombeaux font furmontés de deux petites pyra- mides en aiguilles aux deux extrémités de la tombe. Il feroit imprudent à un Chrétien d'approcher de trop près de ce lieu. L'on rencontre aulTi de diftance à autre de petites mofquées ifolées , furmontées d'un dôme , &C ornées en devant d'une galerie formée par plufieurs co- lonnes ; elles fervent d'habitation aux Marahous. Ce font des efpèces de Tolitaires , en grande conii- dération , qui afFedent la plus grande exaûitude à obferver la loi. On les ccnfulte dans les maladies & les circonftances fâcheufes delà vie. Ils diftribuent àes talifmans auxquels les Maures ajoutent une foi entière. Comme il eft permis, tant aux hommes qu'aux femmes, d'aller les vifiter fous prétexte de dévotion , leurs demeures deviennent fouvent èss lieux de proflitution. Je n'avois garde d'imaginer que moi , Prêtre Ro- main , je me ferois trouvé un jour en concurrence de droits avec un Maraboiis Arabe. Le fait vient 138 Voyage cependant de m*arriver. A l'inflant qu'un bateau de fervice de la Calle touchoit le môle de Bonne , le Patron , en débarquant , tomba mort fur la place. Me urouvant fur le lieu , Je fus obligé de l'enterrer. Les Chrétiens , qui ne font pas une dixaine à Bonne, ont acheté un terrein fur les bords de la mer pour y former un cimetière. La mer étant trop agitée , je fis conduire le cadavre fur ime mule , par des chemins détournés , au lieu de la fépulture. Je m'y étois rendu de mon côté avec les MefTieurs du comptoir , portant , fous le eoftume arabe , l'habit eccléfiaftique, A peine ai -je commencé quelques prières , qu'un Marabous voifm , informé , je ne iais comment, de ce qui fe paffoit , accourt furieux : il m'apoftrophe par des inveftives , & d'un ^r menaçant veut faire enlever le cadavre, prétendant que pour l'enterrer dans un terrein qui lui appar- tenoit , il falloit lui payer un droit. Comme nous étions en force , je me moquai de fes menaces , &: je lui dis que s'il lui étoit dû quelque chofe , il n'avoit qu'à nous accompagner, après la cérémonie, chez le Kaide de Bonne , qu'on lui rendroit juftice , & je continuai mes fon Reconnoiflez-vous ici Y ancien grenier des Romains (i)? (i) UAfrique , devenue province Romaine, étoit appellée legrenkrdes Romains y à caiife des moiflbns abondantes que Ton y recueilloit tous les ans, L % i64 Voyage Voyez fxir notre gauche ce nombreux Douare, PIu$ de deux cens tentes le compofent. Les Arabes y ibnt tous cultivateurs ou bergers au fervice du Bey de Conftantlnc. Comme ils ont un air d*opulence en comparalfon de ces malheureux que nous avons rencontrés chez les Ly-Aïshahl Nous fommes aiïïirés d'en être bien traités. Enfin je l'apperçois iiir le fommet de cette montagne! Je te falue, patrie de Jiigurtha &: de Mafmiiïa ; je te falue, ville à jamais célèbre par l'ancienneté de ton origine, par les Rois que tu as renfermés dans ton fein, par tes longues guerres avec Rome &: Carthage. Mais quelle éton- nante révolution t'arrache au pouvoir des Romains ^ & te rend l'efclave d'une fe£le nouvelle ! Le Calife efl dans tes murs , ^ y règne en defpote ; tu abandonnes la religion du Chri^l, pour fuivre celle d'un impofteur ; & quoique l'Arabe, ton vainqueur, foit à fon tour vaincu par le Turc , tu ne ceffes point, malgré cela, d'avoir Mahomet poiu* Prophète. Avant d'approcher plus près de la ville , arrêtons- nous un inftant : ne vous attendez pas à y faire une entrée triomphante. Les injures , les impré- cations , les crachats , & même les coups de pierres vont pleuvoir fur nous. Ileil vrai que le Bey, dès qu'il eft inilruit de l'arrivée des étrangers, leur donne des Chlaoux pour les défendre des infultes de la populace. Mais cette canaille efl fi infolente , que, malgré les coups de bâton qui lui tombent de EN Barbarie. t6^ toutes parts fur la tête & fur les épaules , nous n'aurons pas moins beaucoup de peine à pénétrer jufqu'au palais du Bey. Ne croyez pas que nous ayons audience en arrivant. Le Bey nous fera donner un logement où nous referons fans fortir pendant trois , quatre jours , & peut-être davantage , ju^ qu'à ce qu'il plaife à fon Eminence de nous per- mettre de paroître devant elle. Alnfi , tandis qifô nous jouiffons encore de notre liberté , profitons-en pour parcourir les dehors de la ville , & en obferver la fituation. A la vue de ces ruines , de ces pans de murs renverfés , de ces reiles de citernes & d'aqueducs qui s'étendent au loin dans cette plaine au fnd-ouej? , ne vous paroît-il pas évident que l'ancienne Cirthc étoit beaucoup plus grande qu'elle ne Teil aujour- d'hui? Ceû ici le feul côté par lequel on puiffe entrer dans là ville , le refle de la montagne eft un précipice aifreux qui a plus de 200 toifes en hauteur. Au bas coule le fleuve Sufigmar , ou le Rummel^ que les Anciens appelloient Amvfagic. En avançant de quelques pas vers ^ep^ nous verrons le Rumnztl fortir de fon canal fouterreln , &: former une grande cafcade , au-delTus de laquelle fe trouve la partie îa plus élevée de la ville. C'eil de-là que l'on précipite encore aujourd'hui les criminels comme ou le faifoit autrefois (i). Au moyen d'un efcalier taillé dans le (i) J. Léon, L. V, pag, 211. ^3 j66 Voyage roc , l'on defcend jurqu'aii bas de la rivière , & Ton fe trouve fous une vodte naturelle , où les femmes fe placent pour laver leur linge fans être vues : mais elles font fouvent bien épouvantées par l'ap- parition de petites tortues , qu'elles prennent pour des efprits malins. Ainfi Conftantine, défendue par fon afliette, l'eil encore par de bonnes murailles de pierres noires , Se par une forte garnifon turque , qui loge dans les débris d'un grand & ancien bâtiment , orné de quelques refies de très-belle architedure. Les portes de la ville, bâties en pierres rougeâtres, prefque auffi fines que le marbre , &c fculptées avec beau- coup de goût 5 s'annoncent également pour être l'ouvrage des anciens maîtres du monde. Mais l'objet le plus frappant eu un pont très- bien confervé , dont les arches , les galeries & les colonnes étoient ornées de guirlandes , de feftons , de têtes de bœufs & de caducées. Entre deux arches eft une femme en bas-relief, dont les pieds pofent fur deux éléphans qui ont leurs trompes entrelacées. Cette femme n'a d'autre coëffure que fes cheveux , qui paroiflent bouclés ; une grande coquille efl au- delTus de fa tête. Elle relève fes jupes de la main droite , &C Jette fur la ville un regard moqueur. A quelque diftance de ce pont l'on rencontre un très-bel arc de triomphe affez bien confervé , & d'autres mo- numens à dçmi-ruinés , reftes précieux du pouvoir EN Barbarie. i6j & de la magnificence des Romains. L'arc de triom- phe fe nomme Caff/r Gouluh ou h château du Géante Il eil compofé de trois arches , dont les bordures &: les friies font ornées de fleurs , de faifceaux d armes , & de plufieurs autres figures. Les pilailres , ainfi que les colonnes qui foutenoîent le fronton , font dans Fordre Corinthien. L'intérieur de la ville n'a rien de remarquable. Les rues font étroites & mal- propres , les maifons bafles &: fans fenêtres. Les éairies du Bey vous intérefferont ; c'eil-là où vous verrez , quoiqu'un peu dégénérés , l'élite de ces beaux chevaux barbes , que les anciens Numides montoient fans felle & fans bride. Les Arabes fe fervent encore de ces chevaux avec beaucoup d'à* drefie , mais ils ont une felle & des éperons. Leur felle efl une efpèce de fiège avec \\n dofiier , & en avant un appui très - exhauffé ; leurs étriers ont la forme d'un foulier tronqué , &: leur éperon eft vme longue fiche de fer , qui tient à l'étrier , & qu'ils font gliffer le long du ventre de leurs chevaux* Il en eft cependant qui ont confervé l'ancien ufage des Numides, Le palais du Bey diffère pe'u d'une maifon par- ticulière. Il eft beaucoup plus grand : l'intérieur de fes appartemens eft orné de fuf.ls , de piftolets y de felles de cheval ; c'eft le luxe du pays. En pénétrant dans les premières falles , l'on rencontre tous ceux qui attendent audience du Bey ; dans L4 i68 Voyage d'autres e{[ une foule de jeunes efclaves de dix â douze ans , d une très-grande beauté , vêtus avec beaucoup d'élégance &c de propreté. Ils font partie du ferrail du Bey. Enfuile viennent les efclaves qui, bien difterens de ceux d'Alger, jouiiTent ici d'un très-grand crédit, fe font craindre, &C tiennent le fécond rang à cette Cour. Les Chlaoux occupent le premier. Leurs fonctions confident à exécuter les ordres du Defpote, & fur -tout à faire fauter les têtes profcrites. Le Bey régnant efï \\n très -bel homme, d'un abord gracieux & facile. Il ne paffe pas pour cruel , quoiqu'il ait déjà fait abattre bien des têtes. Il a de la fîneffe, de la politique, beaucoup d'avidité pour les richeffes ; malgré cela , il e(l grand & généreux félon les circonftances. J'ai vu a Bonne , il y a deux mois , un Chirurgien Napolitain qui avoit été fon cfclave. Le Bey avoit au nez \\n cancer vénérien, eue ce Chirurgien eut le bonheur de guérir; ce Souverain en fut fi reconnoilTant , qu'il lui donna la liberté , & le retint à fa Cour par des bienfaits multipliés. Au bout de quelques années , ce Chirurgien témoigna \\n vif defir de revoir fa patrie : Tu es libre , lui dit le Bey , mais ce projet me fait la plus grande peine ; au moins promets-moi de revenir dans un an : amené avec toi ta femme , tes enfans , toute ta famille. Ils feront tous mes amis. Le Clùrurgien lui donna fa parole qu'il reviendroit. Le EN Barbarie. i6y Bey le combla de nouveaux préfens , accorda en fa faveur la liberté à deux efclaves Italiens , afin qu'ils le ferviffent en route , le recommanda comme fon fils à la Compagnie d'Afrique, &c lui dit, en l'em- braflant, les yeux mouillés de larmes: Fa revoir ta famille , va revoir ton Souverain , & dis - lui que ce fi ainjî que tu as été traité par un Prince barbare. Les environs de Conilantine font de la plus grande fertilité ; la terre y eft alTez bien cultivée , excepté les collines qui s'étendent au midi , oii perfonne n'ofe habiter , à caufe des excurfions fréquentes des Arabes du défert : mais lorfque du haut de la ville la vue fe porte du coté du nord , l'on a pour perfpeftive un payfage magnifique formé par un grand nombre de vallées , de collines , de rivières & de prairies : à r^y?, la vue efl bornée par une chaîne de rochers qui dominent la ville , &: en raccourciilent l'horizon. Les autres villes de la Numidie font bien peu conddérables. Il y a beaucoup plus de ruines que d'habitations; & il eft aifé de juger, d'après ces monumens antiques fi multipliés, combien la Nu- midie a été peuplée autrefois. Dans certains endroits, les villes étoient au.iTi proche les unes des autres , que les villages en France. Il eft bien à regretter qu'un pays auffi fertile & aufli beau reile fans culture , tandis que nous nous difputons en Europe une lande (lérile. J'ai connu un chef Arabe qui , pour une I70 Voyage jument , avolt cédé au Bey de Conftantine près de dix lieues carrées de terre cultivée. A Toueft de Conftantine , vers le défert de Saara , Ton rencontre Gala , ville forte , bien bâtie. Un Prince , nommé 5a/^/5 , d'une très-ancienne famille Arabe , y commande avec une autorité abfolue ^ indépendante de la domination des Turcs. Enfoncé dans l'Atlas , défendu par fa pofition , par de bonnes troupes , & par fon propre courage , il vit tranquille dans fes Etats , qu'il gouverne avec modération. Ses fujets font heiu-eux. Leurs mœurs , femblables à celles de leurs chefs, font douces & pacifiques. Ils font riches en troupeaux & en blés , & ne crai- gnent pas de fe les voir enlever. Le prince Boigis eft fort lié avec le Bey de Conflantine, qu'il va voir de temps en temps. Il eft d'autant plus refpeâ:é, qu'on le croit de la famille de Mahomet, Il a eu quelques rapports avec les Chrétiens; jamais il ne leur a été contraire. Il les eftime & les protège. Bugie, fur la côte , à trente lieues d'Alger , eft une affez grande ville , bâtie fur les ruines d'une autre beaucoup plus grande. Il y a trois châteaux pour la défenfe de cette ville , un qui la domine , &: deux autres au bas de la montagne. Dans les environs de Bugie , l'on exploite des mines de fer affez confidé- rables, avec lefquelks les habitans font des focs de charrues , des inftrumens de labour , &: d'autres uilenXiles àleur ufage, Lçs JrahS'Bédouins apportent EN Barbarie. 171 fur cette place beaucoup d'huile & de cire que Ton vçnd aux Européens : mais ces Arabes font fi peu traitables , qu'il efl rare que ce commerce fe faffe fans quelque cruauté de leur part. Ils donnent prefque la loi à la garnifon turque. La rivière Nafaya coule à Te/? de la ville , oii elle fe jette dans la mer. Elle prend fa fource à Jïhhd-Dccra , fe groffit confidérablem.ent par plufieurs ruiffeaux qu'elle reçoit dans fa route, qu'elle continue le long du mont Jurjura. Entre le CoUo Se la ville de Bonne l'on rencontre Stora , oii il y a im aflez bon mouillage. L'on croit que c'eft l'ancienne Rujicada, Cette ville offre quel- ques antiquités ; mais il efl très - dangereux d'y aborder; les habitans en font cruels & féroces. Néanmoins avec des précautions & à force d'argent , on les rend un peu plus traitables. J'ai l'honneur d'être , ôcc. ijz Voyage K LETTRE XXV. Au mcme. Je conçois aâ:iiellement, mon cher Doâ:eur, corn* ment le matelot, en fureté dans le port, oublie les dangers qu'il a courus , & n'afpire qu'au moment de remettre à la voile. Pai été témoin , il y a quel- que temps , d'une tempête aifreuie dont les ravages fe font fait fentir dans une grande partie de la Médi- terranée. La mer étoit fi groffe , que la CalU étoit prefque couverte par les vagues. Tantôt brifées contre les rochers , elles retomboient en pluie ; tantôt en forme d'écume blanchâtre, elles inondoient la place , & emportoient , en fe retirant , des murs , des baraques , à^s maffes de rochers ; d'autres fois elles fe précipitoient avec un bruit effroyable dans les cavités fouterreines de notre malheureufe pref- qu'ile , tellement que nous n'attendions que l'inflant de la voir tout-à-fait engloutie fous les ondes. La pluie, la grêle & le tonnerre ajoutoient encore à l'horreur de notre fituation. Deux bâtimens fe trou-- voient alors dans le port. Tous deux périrent , mais les équipages fe fauvèrent. Un autre bâtiment , parti peu auparavant , fut jette fur les côtes de Sardaigne , oîi il périt avec Iç Capitaine ôc plufieurs matelots. EN Barbarie. 175 A la vue de cette mer en fureur , je faifois le vœu bien fincère de ne m'embarquer que pour repaller en France , & de renoncer pour la vie aux voyages d'outre-men Le calme renaît. Huit jours après, oubliant la faifon & le danger , je m'embarque pour nie deTabarque avec M. Peyron, Agent de la Com- pagnie dans cette île. Notre traverfée fut des plus heureufes. Nous côtoyâmes la terre prefque toujours à ime portée de fufiL Je ne connois point de navi- gation plus réjouillante. Tantôt d'énormes rochers fe précipitent dans les ondes en grande malTe, tantôt les vagues fiUonnent paifiblement fur un fable plus blanc que la neige : ailleurs elles creufent des grottes profondes, oii, mugiffant avec fureur pendant l'hiver, elles forment , dans la belle faifon , des bains très- agréables d'une eau limpide &c tranquille. Ici la vue fe porte fur de vailes prairies em.bellies par la verdure &c les fleurs : là , des coteaux couverts "de bois viennent à la fuite de rochers pelés &c brûlans. La fcène, il chaque inilant, change de décoration, Se l'imagination fuit avec rapidité la variété du fpec- tacle ; elle paiTe brufquement de l'efFroi à la gaîté , de l'horreur au plaifir : tantôt des rochers coupés à pic , oii dont les pointes font à peine vifibles à la liirface de l'eau , offrent l'effrayant tableau d'un navire échoué parmi ces dangereux écueils ; tanîôt la vue d'un gazon fleuri , d'une anfe paifible , fait oublier les fîitigues d'une mer orageufe, & 174 Voyage promet iin repos dont on croit déjà relTentir les douceurs. Tel a été le fpeftacle dont j'ai joui en partie depuis la Calle jufqu'à la Tabarque ; & fi quelque chofe pouvoit jetter du fombre fur le tableau varié que j'avois fous les yeux , ce n'ctoit que l'idée de la férocité des peuples qui habitent ces côtes. Comme dans l'île de Calypfo , aucun navigateur ne peut approcher de ces parages fans être îa vi£lime de la barbarie des Maures. Quand la mer efl en furie , que les vents déchaînés foulèvent les flots & mul- tiplient les naufrages , c'eft alors que ces peuples fe rendent en foule fur le rivage , non pour fecourir le pilote épuîfé qui difpute encore aux vagues le refte de fa malheureufe exiftence, mais pour profiter de fes dépouilles, & maffacrer fans pitié celui qui déjà fe réjouifîbit d'avoir échappé à la fiu"eur des élé- tnens. Cruauté inouie , & qui fait du barbare Afri- cain le monftre le plus odieux de la Nature ! AuiÏÏ les bâtimens que la tempête pouflTe vers les côtes de Barbarie , oublient en quelque forte , à la vue de cette terre de fang , les dangers d'une mer in-itée. Ils aiment fouvent mieux fe confier à la fureur des vagues qu'à l'humanité de leurs femblables. De tous ceux qui ont échoué fur ces côtes , très - peu ont eu le bonheur d'échapper. Le premier objet intérefiant qui frappa mes regarda , flit , à quelques portées de fufil dans les EN Barbarie. 175 terres, un amas de rochers, au milieu dune plaine, dont la réunion forme une montagne ronde , ap» pellée en effet par les Provençaux qui fréquentent ces côtes , Monte rondo, Ceft en ce lieu qu'étoit bâti Tagafti, patrie de S. Auguftin. Il n'en exifte plus que quelques miférables ruines fur le penchant de cette monticule , & quantité d'oliviers. Ces débris , fitués au milieu du pays des Nadis y ne peuvent être vifités fans de grands dangers. Après Tagafte nous navigâmes en face du cap de rAigiie (le cap de l'Eau), ainii nommé parce que l'on y trouve une fource de très-bonne eau , à laquelle plufieurs navigateurs ont eu fouvent recours. Enfuite vint le cap Roux, La couleur des rochers qui fe préfentent à fa pointe , lui ont fait donner ce nom par les Provençaux. Le cap des GalUncs ( cap des Poules ) que nous doublâmes , reçut ce nom , parce que les Maures y vendirent fouvent des poules aux Corailleurs. Cependant ceux-ci eurent à s'en plaindre. Un jour qu'ils étoient mouillés avec leurs bateaux dans ce lieu, les Maures les prefsèrent vivement de refter à terre , & d'y paffer la nuit. Les Corailleurs s'y refusèrent prudemment , & remontèrent fur leurg bateaux ; les Maures , irrités de ce refus , leur lâchè- rent plufieurs coups de fufils , dont heureufement perfonne ne fut bleflé. L'île de Tabarque, éloignée de la terre -ferme 176 Voyage d'environ cinq à fix cens pas , peut avoir une demi- lieue de circonférence. L'on avoit, depuis quelque temps 5 formé , par des jettées abondantes , un palTage que l'on traverfoit à pied fec dans im temps calme , &c à cheval , quand la mer étoit un peu agitée. Un orage violent arrivé quelques jours avant mon voyage, a voit détruit cette digue de commu- nication. Tabarque eft un rocher très-élevé, coupé à pic du côté de la pleine mer , 6c defcendant en pente douce en face de la terre-ferme. Les maifons étoient bâties fur le penchant de cette colline. De-là la vue , fe portant fur les côtes oppofées , çtoit réjouie par un afped des plus agréables : des coteaux fertiles &: rians , une belle prairie coupée par plufieurs petits niiffeaux , des maifons en amphithéâtre, la beauté du ciel , la fertilité du climat , telle étoit la perfpedive &C l'heureufe pofition des anciens Tabarquains. Cette lie fut prife par Gharles-Quint , lorfqu'il porta la guerre en Barbarie avec tant de fuccès. Il en trouva la fituation propre à mettre une garnifon à l'abri des infultes du foldat barbarefque , & d'un grand fecours pour les excurfions fur ces côtes. D'après ces vues, il fit environner Tabarque de très -bonnes fortifications, & fit bâtir un château confidérable fur la partie la plus élevée de l'île. Il céda enfuite ces poffelîions à un nommé Dorla ^ noble Génois , lefquelles , par fucceffion de temps ^ tombèrent 1 EN Barbarie. 177 tombèrent enfin entre les mains de la noble fl^milî^ des Lomelllm de Ghn^s. Tabarqiie s'étoit peuplée de plufLeurs familles Gcnoiies , qui faifoient , avec les Maures , le même commerce que fait aujourd'hui la Compagnie royale d'Afrique. L'on y bâtit nombre de maiions ornées de beaux jardins. La bonté du climat dédomm^ageoit les nouveaux colons de l'éloignement de leur patrie. Tabarque devint celle de leurs enfans & de leur poftérité. Tout alla trè:>-bien jufqu'en 1743 , que les Tabarquains fe rendirent d'eux-mêmes au Bey de Tunis. Il n'eil pas aifé d'afîigner le vrai motif de cette action. Les uns prétendent que file manquoit , depuis quelque temps , de proviûons , par la né- gligence des Lomdl'inï ; d'autres difent qu'il étoit " qiiettion de céder cette place à la Compcgnie d'A- frique , & que les Tabarquains préférèrent appar- tenir à Tunis plutôt qu'à la France. Quoi qu'il en foit , le Bey de Tunis , en poffeiTion de l'ile, en fit démolir les remparts & les fortifi- cations 5 ainû que les m.aifons. îl ne conferva que le château, oii il plaça une garnifon turque d'environ trois cens hommes. Les habitans , hommes, femmes, enfans , furent tous conduits en efclavage à Tunis , fans épargner les principaux de l'île , auteurs de la trahifon , & qui efpéroient une autre récompenfe de leur crime. Depuis long-temps le Bey de Tunis vouloit faire ¥aru L ' M lyS Voyage bâiii" lin château en terre - ferme qui puifTe battre celui de File. L'on s'y étoit toujours oppofé , &c il n'avoit pu en bâtir un que derrière une colline , hors de la portée du canon de l'île. Il eft encore aujourd'hui habité par une centaine de ibldats Arabes. Le Bey profita de la circonftance pour exécuter fon premier projet. Il fit conftruire en terre- ferme un fécond château qui domine celui de l'ile. Il y plaça des foldats Turcs; mais ce château eft bien inférieur à celui de Tabarque pour la force &c la folidité. L'on ne voit plus aujourd'hui dans l'île de Ta- barque que le château oii réfident les foldats Turcs , des refles confidérables de remparts & de fortifi- cations , des maifons en ruines , beaucoup de cîter- nés , &c. Le Bey de Tunis , par un traité particulier, a permis à la Compagnie d'Afrique d'y avoir un Agent pour diriger, fur ces côtes, la pêche du corail. Il faut autant de philofophie & de prudence qu'en a M. Peyron pour vivre feul &c tranquille au milieu de ces ruines , parmi quelques Maures Se une foldatefque Turque très-infolente. Il ne faudroit pas juger des Turcs du Levant par ceux que l'on ren- contre en Barbarie. L'on écume ordinairement la Turquie pour faire des émigrations en Afrique, à la demande du Dey d'Alger & du Bey de Tunis, auxquels le Grand - Seigneur permet de temps en Huoap': des levées dans fes Etats. EN Barbarie. 179 Aucun Chrétien n^ofe approcher des châteaux gardés par les Turcs. Ils craignent toujours quelque trahifbn, & tout examen leur eft iiifpeft. J'ai vu, tandis que j'étois à Tabarqiie , l'Aga faire appliquer cinq cens coups de bâton au foldat de fadlion pour a^'oir la'ffé entrer dans le château deux Chrétiens nouvellement arrivés , & qui ignoroient l'ufage du pays. Peu auparavant un matelot avoit été pour- ftiivi à coups de pierres & de bâton pour avoir dirigé fa prom.enade un peu trop près du château. Ce château , ainfi que les deux de terre - ferme , furent tout-à-fait dépeuplés par la pefle qui y régna Tannée dernière 1784, Le rocher de TabaK^ue eil un grès groffier , jau- nâtre 5 offrant dans fes fiiTures beaucoup de fer Se d'ochre rouge. Sa formée eft en grandes maffes , fans ordre , fans direâ:ion : les fentes font très - irrégu- lières : elles forment fouvent dans le gré , ainfi que dans les couches argileufes , des divifions prefque cubiques qui parciiTent comme autant de pierres réunies par un ciment ferrugineux. J'ai fait la même obfervation dans les environs de la Calle , & dans plufieurs autres endroits le long des côtes de la Barbarie. Ces grès , ainfi divifés , paroiffent , aif premier coup - d'œil , d'anciennes murailles bâties par les mains des hom.mes. C'eft, à ce que je crois, de femblables murs que l'Abbé Alberto Torûs dit avoir cbfervé en Dalmatie , & qu'il a fait graver . M 2 i8o Voyage fous la dcnomination de filon'i fimiti a muraglle in riva dd man fouo rogoniia (i). Ce rocher ell appuyé fur une argile fèche, ftfTile, légèrement calcaire, contenant beaucoup de fable, &C formant, dans plufieurs endroits, des malles dures, écailleufes à leur fuperficie. L'île efl prefque par-tout recouverte d'une couche épaiffe de terre végétale, très-bonne pour la culture, mais en friche par la pareiTe des foldats Turcs qui ha- bitent le château. Le lendemain de mon arrivée, je paflai enterre- ferme pour y examiner de vieilles bâtifles , &: les reftes d'une ville très-ancienne , nommée Tahrarca, D'après mes obfervations , elle devoit avoir près d'une lieue de circonférence,, bâtie iiir les bords de la mer , partie en plaine , partie fur les collines environnantes. Il n'y exifte plus que des vieux murs à moitié détruits, quelques morceaux de colonnes renverfées, &: grand nombre de citernes de la forme de celles que Ton voit encore aux ruines de Carthage, d'Hippone, & autres villes anciennes de la Barbarie. Au milieu de ces débris eil placé le château de terre-ferme, bâti par le Bey de Tunis après la prife de Tabarque. 11 eft défendu par une centaine de foldats Turcs. La Zaim , rivière afTci conûdérable, baignoit les murs de Tabrarcct, (0 Viaggio in Dalmazia , vol. a, page loo. I EN Barbarie. i8i Quelques jours après , en parcourant les (lies agréables de ce lieu , je descendis derrière les collines de l'ancienne Tabrarca. Errant à l'aventure parmi des rochers couverts de brouffailles , je me trouvai à la fin dans un vallon dont la beauté &: la fituation m'enchantèrent. Une eau fraîche, fortie d'une roche vive , couloit entre les pierres & le fable. Les bords de ce ruifieau et oient , de chr.cue côté , ornés a une haie de lauriers-rofes , qui formoient., aii-delïïis de l'eau , une voûte impénétrable aux rayons du foleiî. Quoiqu'à la mi-janvier , la terre étoit couverte d'un gazon naiîTant. Quantité d'une très-belle efpèce de Cacalia en fleurs mz parflimoient par leur fuave odeur. Ce vallon formoiî pluûeurs détours parmi ks monticules 5 &l conduifoit à une vaile plaine, environnée de collines dont rafpecl étoit fort ré- jouifTant. Je ne pouvois me laffer de parcourir un aufn beau lieu , 6c je regrettois vivement de le voir fans habitans. Mais il n'en a pas toujours été ainfi. Quelques mafures , quantité de débris de pierres taillées me prouvèrent que jadis des peuples policés y avoient fait leur demeure. Ce qui me frappa le plus , 6c ce qui me parut difficile à expliquer , ce fut des rochers dans l'intérieur defquels l'on avoit creufé , à la pointe du cifeau , phifieurs petites chambrettes d'environ quatre pieds carrés en tous fens. L'ou- verture de deux pieds carrés reiïemble à celle d'une M 3 iSi Voyage fenêtre avec des embrafures. Dans la muraille du fond ed une niche de près de deux pouces d'en- foncement , d'un pied de haut fur fix pouces de large. Ces ouvertures , que je trouvai au nombre de cinq à fLX , font toutes placées au haut des rochers, quelques-unes dans des endroits de difficile accès. Je c'iei chai inutilement à deviner quel pou- voit en avoir été l'ufage. Rien ne vint au fecours de mes conje^lures. L'intérieur avoit une couleur fombre, prefque noire. Etoit-ce des tombeaux? leur peu de profondeur & leur forme carrée s'oppofent à cette idée. Des magafms , des lieux cachés , des retraites de folitaires ? je ne peux vous l'aflirmer ; mais fai obfervé que l'ouverture cCt difpofée de manière à être exactement fermée par une pierre carrée, qu'il eft iacile de dérober aux regards par des monceaux de terre ou de broulTailles. La nature de ces rochers efï d'un grès grofîier a bâtir , & très- difficile à entamer. Quel dommage que les idées agréables &C gaies qu'excîtoit en moi la vue d'une auffi belle nature , euffent été attriflées par l'affreux tableau des ravages que la pelle de 1784 & 1785 avoit faits dans ce lieu , & par tout le royaume de Tunis. Je rcncontrcis de difîance en difiance des tentes abandonnées # d'excellentes terres en friche, faute de bras pour les cultiver ; la nation nombreufe des Oukd'amoun réduite à trois ou quatre tentes , la garnifon des EN Barbarie. 183 trois châteaux entièrement ruinée , à l'exception de cinq à fix foldats. La faifon n'étoit point favorable pour herbcrifcr ; j'obfervai cependant que toutes ces collines étoient couvertes des mêmes arbrifTeaux que celles des environs de la Calle , c'eft-à-dire , de bruyères , de lièges , de chênes-verds , de genêts , de cilles , d'ar- boufiers , de lentifques , de filaria , de quelques palmiers fcériles , 6ic. J'ai Fhonneur d'être^ Sec. LETTRE XXV L Ail 7rJme. O-OIOUT. nous ne {oyons encore, mon cher Dodeur, eu au cornm.encement de février, la végé- tation fe développe avec tant de beauté , qu'elle me promet , pour le printemps prochain , de bien grandes jouiffances. J'ai déjà (î^A plufieurs courfes fructueufes. Aly-Bey m'en a fourni l'occafion èc les moyens. îl étoit, depuis près d'un an, privé de fes femmes & de fes enfa.ns , que le Eey de Conilan- tlne gardoit en otage jufqu'à ce que ce Chef kii eut payé environ 30000 piaflres qu'il lui avo^t promifes pour avoir la libre poiTeiTion du pays à la place de fo'n frère El-Bey. Cttte fomme a)ant été acquittée, M 4 ïS4 Voyage le Bey de Conftantine a ren\^oyc au cî'.cf de îa Mazcule fes femmes & les en fans. Il invita le Gou- verneur de la Calle (i) à venir partager fa joie. Je fus auiTi de la Hète. Nous partîmes avec un certain nombre de foldats poiu- nous efcorter , & de domef- tiques pour nous fcrvir. Aly-Eey , inflruit de notre arrivée , vint à notre rencontre jufqu'au bois de Freje , à une petite lieue de fon jardin. Il çtoit accompagné d'une centaine de (i) iM. Amalric, Gouverneur de la Calle, a eu pour inoi , pendant mon réjoiir en ce Comptoir, tant de com- plaifancc& de bonté, que je lui fuis redevable delà iîireté & des adoucilTemens que j'ai éprouvés dans la plupart de mes courfes. Je trouvois à mon retour un repos très- agréable dans fa focihé & dans l'amitié dont il a bien voulu m'honorer. Je ne dois pas moins de reconnoiffancs à la plupart des autres Officiers de ce Comptoir pour leur honnêteté & leur zèle à m'obliger. M. de Cindrieux , qui occupoit la prem.ïèrc place après le Gouverneur, m^a fou- vent fait oublier , par la douceur, raménité de fes mœurs,; par fes connoifTances & fes lumlèr'es , que j'habitois un pays barbare. C'eft à lui à qui je dois les détails que j'ai donnés fur le commerce de la Compagnie. M. Gay, premier Chirurgien à la Calle , m'a très-fouvent accompagné dans mes herboi ifations aux environs de ce Comptoir , & a bien voulu me communiquer fes recherches &fes obrervations tn Hiftoire Naturelle. îl a quitté la Calle ^ au grand regrec dw fes habitans , pour remplir la place de premier Médecia du Bey de Condantine. EN Barbarie. iSj fe:; cavaliers, &c d'une troupe de Muficiens Maures qui avoient, pour inftruniens , quclq^ies mauvais tambours , &c des efpèces de fifres. D aufTi loin qu'ils nous apperçurent , ils nous régalèrent d'une mufique très - monotone , répétant fans celle le même air. D'un autre côtë^ les cavaliers Maures firent faÎFe mille caracolles à leurs chevaux , courant , bride a]:attue , à travers les broufîailles , fe pourfuivant à coups de fiîfils avec beaucoup de ccnfufion, en prAiiTant des cris aigus & menaçans. Cétoit l'image d'un de leurs combats. Ce fpedacle oifroit, au milieu de cette forêt , un tableau tout-à-fait pit- toresque. Les cris confus , répétés de toutes parts , le feu continuel , le hennilTement des chevaux , la figure 5 l'accoutrement des Maures , tout peignoit à mes yeux une nation fauvage 6c guerrière. Nous arrivâmes au milieu de ces évolutions , au jardin d'Aly-Bey ; il étoit orné de beaucoup d'arbres fi-u'tiers , & d'une foule de limons , de bergamottes , d'orangers &: de citronniers , dont les fruits nom- breux & dorés étaloient à nos yeux tout le fafle du jardin des Hefpérides. Nous dreffâmes nos tentes en ce lieu ; peu auprès Aly~Bey nous envoya d'abon- dans ccurcouçons. Nous le régalâmes à notre tour de café &c de fruits fecs de Provence. Le lendemain je quittai m^es compagnons de voyage pour courir le pays avec quatre cavaliers qu Aly-Bey me donna pour efcorte. i85 Voyage Je m'aiTctai d'abord chez les Ziilmls , nation d'Aly-Bey. Je contournai les bords d'un grand lac , peu dillant du jardin de ce Chef, où je fis tuer plu- neurs johs oifeaux aquatiques , différentes efpèces de courlis 5 de canards fauvages , la poule de riz , &c. La botanique ne fut point oubliée. Quelques belles efpèces de cyperus, des renoncules, des anémones, des liliacées furent le fruit de mes recherches. En m'avançant chez les Zulmis , je rencontrai des berceaux magni- fiques de ckmatls cirrhofa qui formoient , au-deifus des vallons humides où ils croiifent , des guirlandes de fleurs très-agréables à la vue. LefperguU arvmfis^ \ anùrrhïnum rèfaxum fe trouvoient par-tout. Les orciûs y les firapias , les elléborincs commençoient à paroître. Ce pays eil très-varié. Les plaines y font fertiles , alTez bien cultivées. Les collines fablon- neufes & couvertes de ciites , de lentifques , de chênes-verds , de bruyères & 'de lièges. Il y a , dans les vallons , de très-bons pâturages où paiflent de nombreux troupeaux. M'étant avancé jufques chez les Mcrdafs , nation nombreufe , mais foumife au Bey de Conftantine , fobfervai, dans les premières montagnes qui termi- nent la vaile plaine de la Mazoule , des eaux tièdes , àz.n3 lefquelles les Maures viennent fe baigner. Je n'ai trouvé à ces eaux qu'un goût fade, fans âpreté, fans acidité. Les ayant éprouvées à une décoélion de noix de galles , leur couleur limpide n'en fut EN Barbarie. 187 nullement altérée. Elles dépofent cependant un iedi- ment ochracé jaune. L'endroit où elles fcurcent plus fortement, eft, au pied d'une montagne, dans un fable noirâtre Se ochreux. Ces eaux ont aban- donné leur ancien lit , que j'ai retrouvé à mi-côte de la montagne, avec beaucoup de pyrites martiales enclavées dans des maffes de grès, à travers lefquelles ces eaux ont coulé autrefois. En revenant je failli» périr au mxilieu d'un marais très-boueux , dans lequel mon cheval s'enfonçoit jufcu'au ventre. Heu- reufem.ent que quelques Arabes du pays m'indi- quèrent les endroits les moins dangereux. Sorti de-lk , il me fallut enfuite chercher un pafiage à gué dans un des bras de la rivière de Ma-Fragg (i)^ qui a fon embouchure dans la mer, à quatre lieues eji de Bonne , oii elle fe nomme plus vulgairement la rivière des Scihafs , parce que cette nation en habite les bords. Je refiai plus de trois heures à côtoyer la rivière , elTayant à chcique pas de la traverfer. Comme le fond eil très - limioneux , je n'ofois faire avancer mon cheval , qui avoit de l'eau jufques pardeffus la felle. Je ne vous entretiens de ces em- barras , m.on cher Docleur , que pour mieux vous peindre combien il eft difficile de voyager dans un (i) Cette rivière paroît être le Ruhrïcatus des Anciens. Elle prend fa fource dans les montagnes, au fud des Merdafs. i88 Voyage pays cil, par infcuciance & par parefle, tehabitans ne s'occupent nullement à former des chemins , & à faciliter les voyages; ils ont au contraire, pour Tappât de quelques morceaux de fer , détruits plu- iieurs ponts bâtis par les Pvomains. Jai traverfé cette môme rivière à fon embouchure , d'une m.a- nière bien effrayante. Elle eft en ce lieu plus large eue la Seine , &€ très-groffe en hiver. Les Seibafi îa font pafTer alors aux Voyageurs ilir unQ eipèce de radeau formé avec quelques rofeaux , & traîné par une très - foible corde. Ce radeau efl prefque toujours couvert par l'eau , & far le point , à chaque infiant , d'être fubmergé. Dans l'été on la palTe très-aifément à gué. Je revins chez Aly-Bey , que je quittai de noiî- veau pour aller vifiter le cap Rofe^ oii la Com- pagnie d'Afrique a eu autrefois un établiiTcnient pour le corail. L'on m'avoit vanté cet endroit, à caufe des beaux & nombreux coquillages qu'oiîi-eRt les bords de la mer. Le long de la route je ne rencontrai que d^s vallons fablcnncux , ' quelques bois de lièges , beaucoup de broufiailles , & des rochers dont les creux fervent de retraite aux betes féroces. Je ne pus , le long de la route , me procurer d'eau fraîche; la chaleur étcit fi forte, quoiquau mois de février , c|ue j'arrivai au cap Rofe , mes bouteilles vuides , & mou.rant de folf. L'on m'avoit- aiTuré crue i'v trou^^erois ime fource d'eau. Je fus EN Barbarie. 189 lon^^-temps à la cheixher avec les Maiircs qui m'ac- compagnoieiit , &C qui n'étoient pas bien au fait du pays. Je clérefpérois déjà de la trouver , & je me mourois de fatigue, de chaleur &C de fbif , lorfqii'étant monté fur un arbre , j'apperçus dans un ravin quelques rofeaux parmi les broufîailles. Ces plantes aquatiques ranimèrent mon eiJDoir ; & après des peines inconcevables pour pénétrer jufqu'à ce lieu à travers une haie très-épaifie &: très-longue d'épines entrelacées , je me trouvai enfin fur les bords de la fource tant defirée. J'étois enfanglanté , j avois mes habits en lambeaux , & percés par une fueur des plus abondantes, Pvien , en cet état , ne peut fe com- parer au plaifir de favourer u.ne eau bien pure , & de la fentir couler dans des organes altérés &c def- fgchés. Cefl le feul fruit que j'ai retiré de ce voyage. Le cap Pvofe n'oltre rien qui foit digne de curiofité. Un rocher de grès à filtrer , fur lequel il refle quel- ques vieilles murailles , une très-mauvalfe anfe , des coquilles en fragm.ens fur le fable ; ces objets ne valoient fùrement pas la peine de courir le rifque de mourir de foif. Tallai , à mon retour , remercier Aly-Bey de Fef- corte qu'il m'avoit accordée, & je continuai ma route vers la Calle. Il n'y avoit pas une heure que je marchois , lorfqu'une forte pluie , mêlée de grêle 6c de tonnerre, m'accompagna jufqu'au bois de FrJJe, J'étois déjà enfoncé de trois quarts de lieue iço Voyage dans répaiffeur de cette forêt , lorfqii'im oiiragart des plus terribles fe joignant à la grêle & au tonnerre, me jétta dans un très-grand danger. La violence du vent brifoit ou abattoit les arbres à chaque mo- ment , & je trouvois , à mefiire que j'avançois , le chemin barré par ces arbres renverfés. Je courois le rifque d'être écrafé par leur chute ; mais au bout d'un quart d'heure le vent fe calma , &: le ciel reprit fa férénité. Je vous ferai obferver à ce fujet , mon cher Dofteur, que fur ces côtes la plupart des arbres font inclinés vers le fud-ejî, 6c que le vent le plus violent & le plus commun eft le nord-oucfl. L'incli- - naifon des arbres ne feroit-elle pas un moyen pour un Voyageur de juger quels font les vents les plus forts qui régnent dans un canton ? Le bois de Fréje a plus de deux lieues de Ion-' gueur. Il eft fitué dans un large vallon où le fable abonde; le liège eft l'arbre qui y domine. Malgré le mauvais temps , je fus encore aiiez heureux pour y recueillir quelques jolies plantes , des iris , des ixla, de très - beaux orchis , & plufteurs autres plantes liliacées. J'ai l'honneur d'être , &c. EN Barbarie, 191 LETTRE XXVII. j4u même. Je devois , mon cher Docleiir, partir au commen- cement de mars prochain pour un voyage bien intéreffant. Le Bey de Conftantine va , tous les deux ou trois ans , à la tête d'un camp de trois à quatre mille hommes , lever les tributs que lui doivent plufieurs hordes Arabes habitantes du grand défert de Saara. Il étoit décidé que je Taccompagnerois dans cette expédition : vous jugez quel vafte champ s'offroiî à mes recherches; mais comme je me dif- pofois à partir , j'appris que la pefte avoit gagné Conflantine , & qu'elle étoit dans le camp du Bey. Cette affligeante nouvelle m.e fit . renoncer à \m projet dont fûrement j'aurois été vici:ime, vu la difficulté d'éviter la communication au milieu du tumulte d'un camp aufTi nombreux. Vous n'avez pas idée , mon cher Dodeur , des ravages affreux que la pefte a faits & continue de faire dans ce pays. Tunis eil diminué d'un tiers. L'île de Ta- barque , deux fois repeuplée , a fervi deux fois de cimetière à fes nouveaux habitans : plufieurs villes font abfolument défertes , les moiffons périfTent fur pied , faute de bras pour les recueillir ; d'immenfes 192 Voyage troupeaux errent en liberté au milieu des champs ^ Se ne reconnoiffent plus de maîtres. J'ai rencontré plufieurs Douares où il n'y avoit d'autres habitans que quelques cadavres qui pourriiToient fans fcpul- ture fous leurs tentes. J'ai vu la nation des Oulcd- Amours réduite à une quinzaine d'hommes échappés à la contagion. Parmi eux fe trouvoit un vieillard, qui fervoit d'interprète à l'Agent de la Compagnie d'Afrique à Tabarque. Un jour qu'il m'avoit conduit à fa tente , il m.e fit monter fur une colline d'où j'appercevois une très-belle plaine. Toiu ceci, me dit-il, m'apparderit. Pourquoi, lui dis-je, un terrei/z auj/i fenile n'eji- il pas cultivé ? Il me fit, pour réponfe , l'hifloire de fes malheurs. « J'avois , me dit-il , deux femmes & fix enfans , » tous à la fleur de l'âge & d'une fanté robufle ; m.es %> femmes gardoient mes troupeaux , & m.es enfans » cultivoient cette terre que tu vois aujourd'hui in- » culte. Ils f jrent tous frappés de la contagion , qui » d'abord m'enleva une de mes femmes & deux » de mes enfans. Je polTédois une toile bénite de la » Mecque. Nous la partageâm.es également , &: nous >} fûmes confolés de voir que nous aurions chacun >> notre linceul. Il ne me reiloit plus que deux enfans. » J'avois enterré les autres , lorfque je tombai moi- p même malade. Nous n'avions perfonne dans notre » Douarc pour nous fecourir ; je ne pouvois aider » mes enfans , ôc eux ne me connoiiToient déjà plus. EN Barbarie. 195 »pîus; enfin je m'endormis pendant long -temps. » A mon réveil , foible , abattu , j'apperçois mes y> deux enfans qui pourrliTôient à mes côtés. A ce. >^ fpe^lacle d'horreur , je veux ranimer mes forces ^ï pour donner la fépulture au refte de ma malheu- » reufe f:. mille : mais il me fut impoffible de changer >? de place , & je redai encore long-temps au milieu » des cadavres empeftés de mes enfans , que j'en- » terrai enfulte de mes propres mains. Pendant mcn » long fommeil , l'on m'avoit enlevé tout ce que je >y poilédois, ma récolte, mes troupeaux; on avoit » pillé jufqu'à ma tente, à peine en reflcit-il un » lambeau pour me garantir des injures de l'air. » Je cherche mes femblables , je ne trouve perfonne. » La mort les avoit prefque tous frappés. A la fin » cependant, le petit nom.bre de cçwk qu'elle avoit » épargnés fe réunit ; je me joignis avec eux. Nous nous » confolâmes réciproquement en mêlant nos larmes, » & en nous foumettant à la volonté du ciel. Je ne » pouvois, à mon âge,refter feul. J'époufaïune femme » veuve qui avoit quatre er/ans. Je retrcuvois par ce » moyen ime nouvelle famille ; mais f ai perdu , avec » mes premiers enfans , ces bras vigoureux qui cul- » tivoient mes champs : de cette étendue de terrein » que tu vois*, je n'en laboure qu'un très - petit » coin , à peine fuffifant pour ma fubfiftance, 6c ce » travail eft encore au-defliis de mes forces ». Pendant le récit de ce bon vieillard , qui m'avoit Part. I. N 194 V O Y A € E attendri julqu aux larmes , nous étions defcendus- dans la plaine, &: nous nous promenions fur les bords de U Zainc, Sauvons-nous , s'écria-t-il tout à coup , j\ipperçois y de L'autre côte de la nvïlre ^ une, troupe d'Arabes du cap Nègre , avec kfquels nous fommes en guerre ; maïs comme il leur faut pajjer la rivière pour arriver jufquà nous , nous aurons gagné les montagnes avant eux. En effet , nous ne tardâmes pas à y arriver , & nous perdîmes de vue nos ennemis. Ceft eo m'inftruifant par l'expérience , en caufant ^vec les peftiférés , en obfervant les phénomènes de cette cruelle contagion , que Je me fuis dépouillé de beaucoup d'idées fauffes que j'avois fur la pefte. Si , de toutes les maladies épidémiques, il n'en eu point de plus mortelle, & d'une communication plus rapide que la peile , il n'en eft pas auiTi de plus facile à éviter , C que les grandes chaleurs en développent les prin- cipes. Je vous avoue, mon cher Do£teur , que j'ai été fort furpris de voir aniver le contraire, ôc d'entendre un proverbe en langue Franque di£té par l'expérience. Saint Jean venir , difenî les Tiirts , Gandouf andar. Quand la Saint- Jean arrive, la pefte EN Barbarie. 197 .^'en va. En effet , la fin du mois de juin , cul efl ici l'époque des grandes chaleurs , eft auffi la fin de la contagion. Si elle ne ceiTe pas entièrement , au moins elle diminue beaucoup , & je ne doute pas qu'avec de grandes précautions , l'on ne vienne à bout de l'éteindre tout-à-fait : mais les Mufulmans font il opiniâtres à reflifer les moyens qu'on leur indique , quils tiennent enfermés leurs tapis, leurs vêtemens , même ceux des peftiférés , quoique im- prégnés des principes de l'épidémie. Lorfqu'en au- tomne ils viennent à s'en fervir , la pefle, fufpendue pendant deux ou trois mois d'été , recommence avec plus de force , & s'appaife pendan l'hiver , quand les froids font un peu vifs. Cefl ainii que l'ignorance propage chez les Orientaux , une ma- ladie que la prudence écarte des nations éclairées. Il n'y a pas moyen de leur faire entendre raifon âir les quarantaines. Si , par hafard , ils s'y foumettent , les imprudences qu'ils commettent les rendent inu- tiles. J'ai rencontré un chef Arabe qui craignoit beau- coup la pefle. Il m'interrogea fur les moyens de Féviter. Je lui expliquai ceux que nous prenions ; il parut s'y foumettre. Etant repaffé chez lui peu après , je le vis très-fatisfait de ces précautions qui fùrement, vu la manière dont il les employoit, ne l'auroient pas beaucoup garanti, fi la contagion étoit venue dans fon voifmage. Quand il arrivoit chez lui quelque Arabe de confidération , il commenç o:t N3 19S Voyage par l'embrafTer , & Tenvoyoït enfuite en quarsntair e fous une tente féparce : fi on lui apportoit des lettres., il les recevoit , 6c les trempoit lui-mên-e dans le vinaigre, fouvent après les avoir lues, il me fut impofïïble de lui faire entendre raifon, Il ne concevoit pas qu'il pût y avoir du danger à touckr lin homme qui fe porte bien. Les animaux ne font point attaqués de la pefte ; du moins je n'en ai vu aucun exemple ; mais l'on croit qu'ils peuvent la communiquer; la laine & les poUs font très-dangereux après la mort de l'animal ; en eiVil de même lorfqu'il efl en vie ? Je n'ai pas eu occafion d'en faire l'obfervation. Pai l'honneur d'être , &c. EN Barbarie. 195) LETTRE XXVllI. Au même* 3 E vous ai entretenu plufieurs fois , mon chci Do£leur, des mœurs des peuples qui habitent la Barbarie ; polir achever le tableau , je vais vous tracer celles de ces Chefs arabes qui commandent aux Tribus errantes, &C dont l'autorité n'eil: pas moins defpotique, quoiqu'elle ne s'étende fouvent que fur un très-petit nombre de fujets. Je ne peux mieux remplir cet objet , qu'en mettant fous vos yeux rhiûoire des Chefs d'une de ces nations. La Mazoule ayant , avec la Compagnie d'Afrique , des rapports journaUers , j'ai été inftruit très-fidellement, tant par les gens du pays , que par d'anciens commis de la Compagnie , de beaucoup de particularités intéreflantes fur les Chefs qui ont gouverné ce pays. Les Maures qui l'habitent vivoient d'abord , comme les Naais leurs voifms , fans loix & fans frein , n'ayant d'autre dépendance qu'un léger tribut qu'ils payoient au Bcy de Conilaniine. Ils faifoicnt alors beaucoup d'excurfions qui troubloient le com- merce , & portoient le défordre dans les Comptoirs françois. Four fe mettre à l'abri de leurs hoftilités , N4 200 Voyage la Compagnie fit reprcfenfrer au Divan d'Alger jj qui pu'fqudU était Lifmatairc ^ c'eft-à-dire , que pulf- quelle payait Us droits convaius pour la tranquille poJfeJJLon du pays ^ il étoit ju[lc qu'Alger Li garantit des vexations des Maures de la Maioule, Le Divan promit d'y remédier en donnant un Schiek (un Chef) à ces diiT.rertes nations, qui répondroit de tout le mal que les Maures de la Mazoule feroient à la Compagnie ; mais qu'il falloit que la Compagnie fît les avances nécelTaires pour obl'ger ces nations à fe foumettre au pouvoir d'un feul ; qu'il falloit encore ailigner à ce Schiek certains revenus pris fu.r les difFérens objets de commerce. Tout fut accordé. Le Divan donna au Bey de Conftantine le droit de nommer un Schiek à la Mazoule. Il choifit Bel- hahesh , un à^s principaux du pays , & le mit en poiTeiTion de fa place à la tête d'un camp confidé- rable. La loi du Divan étoit alors que ce Schiek ne fer oit reconnu tel cxiç: du confentement du Gou- verneur de la Calle; mais après la mort ^Abdallah , qui fuccéda à Belhalesh , le Bey de Conilantine s'attribua feid ce droit. Ce premier Schiek^ après avoir fournis quelques nations rebelles , eut un règne aifez tranquille. Abdalkh lui fuccéda. Ce mxnflre, élevé & nourri dans le crime , ne fignala que par les plus horribles forfaits un règne de plus d'un demi - fiècle. Il ne EN Barbarie. 201 manqiioit pas de courage , mais c'étoit celui cqs Cartouche & des Mandrin. Il ne s'en fervoit que pour dépouiller fes voifins , &C fe révolter contre le Bey de Coriftantine , auquel il refufa très - Ibuvent de payer tribut. D'une ambition démefurce , il étoit û jaloux de fon autorité , que tout ce qui y portoit le moindre ombrage étoit à l'inûant facrifîé. Deux de fes frères en furent les malheureufes viQimes. Ils vlvoient d'abord avec lui dans une union paifible : mais Abdallah s'imagina qu'ils avoient intrigué auprès du Bey de Conflantine , pour avoir le gou- vernement de h. Mazoule. Il ne lui en fallut pas davantage pour le déterminer à s'en défaire. Ses frères furent heureufement inftruits des projets de ce ftirieux ; ils s'éloignèrent au plutôt. Quelque temps après, Abdallah paroiïïant entièrement revenu de i^s foupçons , écrivit à l'un des deux pour l'en- gager à venir vivre avec lui : il lui jura par tout ce que la religion , le fang & l'amitié ont de plus facré , qu'il le traiteroit comme un frère chéri , & qu'il reconnoilToit combien {ç^s foupçons avoient été in- juftes. Celui-ci , féduit par ces vives proteflations , fe rendit auprès du Sch'ick ion frère : il en fut accueilli avec la plus tendre affeftion. Tous deux , f n s'embraifanî , verfèrent des larmes de joie. Ce ne furent , pendant plufieurs jours , que feftins & divertlfTemens. Cependant le frère ^Abddlah ne fe livro.t qu'avec réferve à la confiance que celui-ci 201 Voyage vouloit lui infpirer. Il n'ofoit fortir du Douarc, Abdallah lui en fit un jour de tendres reproches, &: à force de careiles , l'engagea à faire une pro- menée avec lui. Ce frère , trop confiant , fe laifTa fcduire par ces proteflations d'amitié. Ils fortent enfemble, fuivis de quelques cavaliers ; mais à peine à quelques portées de flifil du Douare, Abdallah ordonne de tirer fur lui. Cet infortuné fe fauve vers une moiquée , lieu facré & privilégié , même pour les plus grand:] crimes. Abdallah ne refpecle plus rien ; il en arrache fon frère innocent , & le fait maiTacrer fous fes yeux. Il lui en refloit encore im autre , refiigié du côté de Tunis. Abdallah fait un voyage dans ce pays. Il lui envoie des préfens , & l'engage à le venir voir. Celui - ci crut n'avoir rien à craindre en fe rendant à ces inftances. Il arrive ; mais tandis qu'ils fe donnent réciproquement le baifer de paix, Abdallah tire un poignard de defTous fon hcrnus , & égorge fon frère fur fes propres genoux. D'après ces traits de cruauté , vous jugez aifé- ment , mon cher Do£leur , tout ce dont ce monftre étoit capable. Il fe baignoit dans le fang fans aucun remords ; tout étoit facrifié à fes paîTions. Livré aux phis grands excès de la débauche , il la porta jufqu'à jouir , par force , de fes propres filles. Ayant xm. jour fait violence à une jeune Maurefque , qu'il avoit attachée à un arbre , fa brutalité fatisfaite , il EN Barbarie. 205 po'gnarda cette malheur eu fe de fes propres mains , pour avoir cfé réfiiler a les inilances. A Tâge de quatre-vingts ans , il avoit époufc iinQ jeune femme de quinze. Celle - ci interrogée par fcs compagnes fi:r les plaifirs qu'elle pouvoit éprouver avec le vieil AhdalLih , leur témoigna combien un mari de cet â2;e la dcgoùtoit. Malheureufement elle en eô en- tendue. Il fort furieux de fa tente, & plonge impi- toyablement un poignard dans le fein de cette in- fortunée qui embraffoit fes genoux. Prefque toujours fes crimes étoient dirigés par une politique des plus fines, quand il fe croyoit obligé d'y avoir recours . Vous en jugerez par Tanecdcte fuivante, qui m'a été racontée à la Calle. Abdallah joignoit à tous fes vices une fordide avarice. Malheur à celui de fes fujets qu'il foupçonnoit être riche ! il falloir ou qu'il déclarât & abandonnât fes richeffes, ou qu'il pcrit fous les coups , & dans les plus affreufes tortures. Un des principaux de la nation avoit am.affé de grandes richeffes par fon induftrie ^z fon travail : Abdallah les convoita ; mais comme le poiTefTeur étolt très-confidéré , il n ofa faire im coup d'éclat. Il lui tendit un piège bien difficile à éviter. Mon ami ^ lui dit -il, tu fais combien j'ai de confiance en tes confeils ; je t'ai toujours regardé comme mon père , & mon meilleur ami. Les Chrétiens de la Calle m'ont trompe dans le commerce; j'ai eu patience ; mais leur mamrùfe foi , leurs injujiices 204 Voyage . augmentent de jour en jour : ne ferais - tu pas d'avis qric ji ks 'punijfc , que je tombe fur Leurs troupeaux , & que j'anne contre eux ks nations voifîncs. Cefl mon dîffàn. Abdallah , entier dans fes volontés , ne confultoit jamais les autres, que pour leur ordonner d'être de fon avis. Cet Arabe courtifan trouve que rien n'eft plus juile que la réfolution du Schiek. Abdallah ajoute qu'il veut , pour le lendemain , afTembler fon confeil , &: mettre la chofe en déli- bération : mais en attendant il lui ordonne le plus grand fecret. Le lendemain les principaux Arabes le réunirent fous la tente ^Abdallah , qui leur tint ce dii cours : Vous favc^ tout le bien que nous recevons des Chrétiens de la Callc ^ & combien ils s'efforcent de rendre le commerce florijfant : vous favci par quels fermens je me fuis engagé à ks protéger & à ks défendre. Que mente un homme affei audacieux pour m' engager à violer mes fermens , & à trahir les Chrétiens ? Toiîs enfemble répondirent : la mort. Abdallah nomme l'Arabe opulent , qui fut maffacré avant d'avoir eu ie temps de Je juftilier. Je vous rapporte ces traits , mon cher Doâ:eur, non pas comme ceux d'un fimpîe particulier livré à la fcélératelTe , mais comme ap- partenant aux mœurs de la nation , &; même comme im titre d'éloges chez ces peuples barbares. Tant de cruautés donnèrent au Schiek Abdallah une grande réputation. Il l'augmenta encore, &: termina une vie aulTi pleine d'atrocités , par \\n EN Barbarie. 205 ■voyage à la Mecqiie. Il mourut à fon retour ù moitié chemin , âgé de plus de quatre-vingts ans. On lui drefîd une mofquée, où il efl: honoré comme un taint. Abdallah avoit deux fils, Aly-Bcy 6c El—Bej, L aîné , Aly-Bey^ avoit fou vent effayé de fe défaire de fon père , au moins de le chaiTer de là place Il réuiîit enfin à s'en emparer; mais {qs fuccès furent de peu de durée. Abdallah reprit fa première ati- torité; 6c comme il aimoit ce fils rebelle, il fe contenta de l'envoyer dans les prifons de la Calle. A fon départ pour la Mecque , Abdallah remit fon fils au pouvoir du Bey de Conftantine , & céda toute fon autorité à El-Bey , fon fécond fils. Celui-ci, fans mœurs, fans probité, ne fe montra pas moins cruel &: fanguinaire que fon père. Avant la contagion aduelle, il venoit fouvent à la Calle, cii ils'enivroit avec les foldats & les manœuvres. Sa figure efl douce & prévenante , mais fon cœur eft cehii d'un tigre. Je ne vous citerai de lui que ce feul trait , pour ne point davantage fouiller ma plume par le récit de nouvelles horreurs. Une négreffe, efclave ^l-Bey , s'étoit abandonnée à un Maure. Elle en étoit enceinte. El-Bey en fiit inftniit. Il fit faifir cette infortunée, & ordonna qu'on lui écrafât les mamelles entre deux groffes pierres. Après quoi, il lui ouvrit lui-même le ventre, & en retira l'enfant. L'on m'a afliiré qu'il avoit afnfté en riant à ce io6 Voyage fpeftacle d'horreur. Incrédule par libertinage , il fe moque de la loi de Mahomet , &: fe livre tout entier aux excès de la plus infâme débauche. Je Tai vu à Bonne après fa difgrace , continuer le même genre de vie , & fans cefle environné des compagnons de fon libertinage. Cependant Afy-Bey ^ renfermé dans les prifons de Conûantine, foUicitoit vivement le Bey de cette ville de lui accorder le gouvernement des Maures de la Mazoule , auquel il avoit droit par fa nalifance. Il appuya cette demande en promettant de payer des tributs bien plus confidérables que ceux que payoit fon frère. Ses offres furent enfin acceptées. Le Bcy de Conflantine, à la tête d'un camp confi- dérable , vint fondre fur le Douan çiEl-Bcy , qui n'eut que le temps de prendre la fuite. Dès ce mo- ment Afy-Bey fut reconnu pour Scklek, Ces révo- lutions arrivèrent peu après mon arrivée en Afrique. Je vous ai entretenu affez au long , dans mes diffé- rentes Lettres, de ce Chef ad:uel, pour vous donner une idée de fon cara£lère & de fes mœurs. J'ai l'honneur d'être , &:c. N Barbarie. 207 LETTRE XXIX. Ju même. Des hommes aiilîî cruels que ceux que je viens de vous dépeindre, une fois.arrïiés de la verge meur- trière du delpotilme , font des montres bien dan- gereux. Il femble qu'ils ne fcient revêtus de TaiitOFité fuprcme <:pQ: pour faire fervir leurs propres fujets d'inilrumens à leurs paiîîons , pour s'enrichir de leurs dépouilles , & s'abreuver de leur fang. Vous avez vu les mœurs communes à ces petits Sou- vemins , d'après ce que je vous ai dit de quelques- uns d'entre eux. Il me reile à vous parler de leur gouvernement , & de détendue de leur autorité. Avant d'entrer dans aucun détail à ce fujet, il eft bon de nous arrêter un inftant fur les gouverne- ciens de Tunis & d'Alger. Ces deux Etats confondus par la plupart des Hiftoriens & des Géographes, font cependant très - différens. Tunis eft un Etat monarchique , qui paffe fucceiïivement de pèi^e en fils. Le Bey , qiK)ique indépendant du Dey d'Alger, envoie néanmoins tous les ans une efpèce de tribu.t à ce Souverain , dont il appréhende la puiiîaoce. En effet , jamais les Algériens ne fe font préfentés devant Tunis fans en être revenus victorieux. Alger efî: 2o8 Voyage une république , dont le gouvernement eil éle£^lf ^ & très-tumultueux. Lorfqu'il s'agit de nommer un Dey , la Régence , compofée des principaux chefs de la milice , s'aÛembie , & en fait l'éledion , qui ordinairement tombe fur un des principaux minillres. A peine nommé, le nouveau Dey monte fur le trône , & chacun vient lui rendre hommage : mais fi quelqu autre s'eft formé un parti puifTant parmi les troupes , s'il a afTez de courage pour affafîiner le Dey régnant , & le remplacer fur le trône , l'au- torité - fouveraine refl:e entre f es mains , à moins qu'un autre, aufîi hardi que lui, ne la lui enlève par les mêmes moyens. Ceft ainfi que l'on a vu , à réledion du Dey a£i:uel, fix Deys fucceifivement placés fur le trône, & aifaffinés en vingt-quatre heures. Quoiqu'ils ne régnèrent que quelques mo- mens , ils furent tous enterrés avec les honneurs dus au rang fuprême. Il n'eft pas im feul foldat , parmi la milice Turque , qui ne puiffe afpirer à la couronne. 11 n'en faut pas d'autre exemple que le Dey acluel , qui fut d'abord fimple foldat &: Cordoimier au Collo, Quoique d'ime aufïi balTe condition , il gouverne fes Etats avec des principes dignes des premiers Rois de Rome. En un feul mot il déclare fes volontés , & jamais il ne revient fur ce qu'il a décidé. C'ed ainfi qu'il traite , même avec les Souverains de l'Europe, de la paix ou de la guerre. Fatigués de jetter de» bombes inutiles fur Alger, EN Barbarie, 209 Alger, les Elpagnols lui propofent la paix & un traité de commerce. Le Dey qui , de fon côté , ne s'enniiyoit pas de faire des efclaves , leur accorda leurs demandes, mais à des conditions dures, qu'au- cune négociation ne put adoucir. Si ton Roi m veut point la paix y répondit-il froidement à TAmbafladeur, ch bien ! quil fajfz la guerre. Ce n'eft qu'avec une iîerté impérieufe &: fouvent infultante, qu'il traite les Confuls des Puiffajices Européennes, fans aucun égard pour le SouveraiiiQ^ii'ilsrepréfentent. Quai-je hefoin de ton Roi , difoit-il im jour à l'un d'eux ; il m'envoie des Aînbajfadcurs & des prèfens. Je ne lui demande & ne hù envoie rien ; il aclùte mon amitié , je me foucie, peu de la Jîcnjie. Le Dey d'Alger efl conféquent k ces principes. S'il arrive qu'un bâtiment foit infulté , la cargaifon pillée , en vain l'on en demande répa- ration au Dey. Ce qui ejl mangé ejl mangé , dit-il ; quand tu as plumé une poule , & que le vent en a dlfperfé les plumes , commuent voudrois-tu les raffernbler ? Tout Chrétien qui paile devant le palais de ce Sou- verain eft obligé d'cter fon chapeau 6c d'avoir un air très - refpeclueux. Un Conful , pour y avoir m.anqué, fut un jour reconduit chez lui à coups de bâton. IJn Officier de Marine éprouva le môme traitement pour s'être avilé de fredonner une chanfon, tout en paiTant chemin. L'air avantageux & petit- maître ne va point du tout dans ce pays. Jlger eft prefque imprenable par fa pofition. Eâtî Part, L O 2IO Voyage fur le penchant d'une montagne , il faut \ pour y arriver par terre, païïer dans des gorges effrayantes, cil une poignée d'hommes feroit en état de maffacrer une armée confidérable. Du côté de la mer, l'entrée du port eft défendue par trois fortes batteries de canon, dirigées par des renégats ou des efclaves Chrétiens. Quant au bombardement , les Algériens le craignent peu. Outre qu'ils n'ont rien à perdre , ils favent auffi bien vivre fous une tente , qu'entre quatre murailles ; d'un autre ctfS, le Dey, avide de richefTes , voit avec plaiiir les malfons s'écrouler. Il les fait rebâtir pour fon com.pte , fi le propriétaire ne peut en faire la dépenfe. Auffi efl-ce là le principe d'une réponfe que le Dey fît un jour à un Envoyé d'Angleterre. Celui-ci venoit porter plainte & de- mander raifon d'une infulte faite à un vaiiTeau du Roi. H terminoit fa harangue par faire entendre au Dey qiie le Roi d'Angleterre pourroit bien venir bombarder Alger. Le Dey, qui l'avoit écouté jufc|iies-là fans lui rien répondre, l'interrompant : Combien m coûter a- trïl h ton maître pour bombarder Alger? Telle fomme^ répond l'Ambaffadeur. — Eh bien^ qu'il m" en envoie feulement la moitié y & je fais rafer Alger. Cet Envoyé ne put obtenir d'autre réponfe. Revenons aftuellement au gouvernement intérieur du pays. Une poignée de Turcs , indépendans du Grand-Seignein-, donnent la loi à toute îa Barbarie , & la donnent en defpotes. La Régence d'Alger nomme EN Barbarie. 211 'des Bcys dans les différentes places fortes du royaume. Ils y jcuilTent du pouvoir le plus abfoiu. Tels font ceux de Coupantine , de Mafcara , de Tremecen , &c, mais ils font obligés de venir tous les ans ou tous les deux ans apporter eux-mêmes des tributs confidé- rables au Dey d'Alger. S'ils dcplaifenî à ce Souve- rain , il profite de cette circonftance pour leur faire couper la tête, fans autre forme de procès. C'eft" .ainfi que ce terrible Defpcte fait trembler devant lui ceux-là même qui , un infiant auparavant , inf- piroient la même frayeur à des milliers de Maures & d'Arabes. Ces Beys ont à leurs ordres une bonne milice Turque qui fait refpe6ler leur autorité , & foutient celle des Kaïdcs & des Schkks qu'ils nomment dans les villes & les Douares de leur département. Ces derniers font ordinairement choifis parmi les re- négats, les efclaves des Beys , ou les Maures. Chacun d'eux peut , dans fon gouvernement , fe conduire comme il lui plaît. Pourvu qu'il paie fes fupérieurs, on ne lui demande jamais compte de fa conduite. Le plus petit de ces chefs a autant d'autorité, efl autant defpote dans fon Dcuare que le Dey à Alger. Il peut dépouiller les Maures, les afTafTmer, enlever leurs troupeaux , détruire leurs maifons , fe livrer aux plus grands excès d'injiiflice & de cruauté ; tant qu'il paiera , le Gor.vernement fupérieur ne fe mêlera en rien de fes aillons. Il entre même dans O X 2ii Voyage la politique des Turcs de fcmenter des divlfions , des guerres iji^eilines parmi te as ces petits Chefs arabes. Ils conçoivent bien que fi ces B .irbarefques , guidés par l'intcrêt commun, venolent à le réunir, leurs forces combinées briferoÏLent alfément la chaîne de leur tCclava^c; mais c'efl un troi'peau d'hommes lâches & vils qui le laiflent conduire en aveugles , trem]>'ant fans ceiTe feus la main qui les opprime. D'après un fi n-iauvais gouvernem.ent, efi-il étcn- nant que la Barbarie foit prefque inculte & défertc? Sans cefie le cultivateur eft dans îa crainte d'être dépouillé foit par fon propre chef, foit par une nation voifme. D'un autre coté , les guerres conti- nuelles diminuent la population , privent les cam- pagnes de brr.: nécefiaires à leur culture , 6c font un vafte défert du plus beau pays de la terre. AufH ces contrées font fi peu peuplées , cy.e dans les lieu.x les dIus habités , c eu beaucou.p quand un Voyageu.r peut rencontrer deux ou trois Douûres^ dans lefqueîs fouvent il n'y a pas cent hommes. Il neû pas rare "de faire trois &: quatre journées fans trouver d'autres êtres vivans que quelques bêtes féroces , quelquefois moins à craindre que les Maures. Il n'exifi?, parmi ces peuplades errantes, aucune loi crimin^-Ue ou coa6:ive , aucune qui venge le crime ou punifTe l'iniuftice. La vengeance eft le droit de chacue particulier, àc le plus fort ell: toujours celui qui a raifon. Dans les villes il n'en EN Barbarie. 213 cil pas tout-à-fait de même. L'on peut y reclamer l'autorité du Bey ou du Kdidc, La peine du Talion y cil aiTez généralement admlfe ; mais la punition du coupable dépend prefque toujours de la volonté de l'accufateur ; il peut faire grâce Se pardonner : Huïïi Gi:and l'accufé a de l'argent, tel coupable qu'il iblt, il efl rarement puni autrement que psr I3 bourfe. Vu l'honneur d'être , &c. Fin des Lettres. O h RECHERCHES SUR L'HISTOIRE NATURELLE DE LA NUMIDIE. O4 RECHERCHES SUR L'HISTOIRE NATURELLE DE LA N U M I D I E. " ■■■' ■ ■ '•■''<; RÈGNE ANIMAL. (QUADRUPÈDES. LE LION. 13 e tout temps les Lions de la Numidîe ont été renommés. Ils faifoient les honneurs des Cirques Romains , & les guerriers les plus redoutables ont toujours attaché beaucoup de gloire à entrer en lice avec ce terrible animal. Emblème de la force & du courage , fa dépouille étoit l'attribut des héros de l'antiquité. Jamais Hercule n'a eu d'autre vêtement que la peau du lion de Némée. Malgré le laps des temps j il n'a rien perdu de fa première réputation; ii8 Voyage, & quoique Marmol , cité par M. de Buffon , prétende que les Lions qui habitent aux environs des villes & des bourgades de Barbarie^ ayant connu l'homme & la force de fes armes , aient perdu leur courage au point d'*oheir à fa voix menaçante , de nofer V attaquer , de ne fe jetter que fur le me?iu bétail , & enfin de s'enfuir en fe laiffant pourfuivre par des femmes ou par des enfans qui leur font , à coups de bâton , quitter prife & lâcher indignement leur proie ; malgré cette ailertion , plus que douteufe , le Lion n'efl pas moins la terreur des hommes & des animaux. L'on peut s'en convaincre par le tableau fidèle que j'en al tracé dans la douzième Lettre , par la terreur qui s'empare de tous les êtres vivans dès qu'il s'annonce par fes rugiiTemens au milieu des ténèbres , enfin par les foins que l'on prend pour écarter ce redoutable ennemi. Je ne connois qu'un feul trait , de la vérité duquel je fuis fur , qui prouve qu.e l'on ait cfé lui réfiiler , encore n'eft-il queilicn que d'un jeune Lionceau. Il s'étoit jette fur une vache dans un Douare près de la Calle. Un jeune Maure s'élance fur l'animal féroce, veut l'arracher de fa. proie, l'étoulFer, pour ainfi dire, entre fes bras; mais il ne peut lui faire quitter prife. Son père arrive armé d'une efj^èce de hache. Il veut en frapper le Lion, le coup tombe fur la main du fils, & lui abat trois doigts. L'on eut beaucoup de pehie à faire lâcher prife au jeune Lion. J'ai vu ce Maure EN Barba P. lE. 219 traité par M. Cay , alors Chirurgien à l'hôpital de la Calic. Les Liens qui vivent dans les gorges de l'Atlas ^: an milieu des forêts de la Numidie , font rare- ment à craindre pour les hommes, & même pour le bétail renfermé dans les Doiiares. Beaucoup d'autres animaux féroces qui habitent avec eux ces profondes folitudes , leur fervent de nourriture. Les fangliers , les loups, les renards, les chacals, &:c. très -mul- tipliés dans ces contrées , n'échappent que bien diflicilement à la griffe redoutable du roi des forêts. La Panthère , l'Once , le Lynx , les Singes , &c. doués de la faculté de grimper aux arbres , ont un moyen fur de fe fauver, quand ils s'apperçoivent à temps du danger ; car le Lion a deux manières de chaffer. Quand il n'eft pas bien affamé, il refle caché dans les brouffailles , attend que quelque gibier paroilTe , s'élance deffus avec une légèreté & imç vîtefTe inexprimables , & manque rarement fa proie ; mais quand il eft preifé par la faim , cette chafTe paifible ne lui convient plus. Impatient & f arieux , il abandonne fa retraite , fait retentir les forêts de fa tonnante voix, glace d'effroi tous les êtres vivans; aucun animal ne fe croit en fureté dans fa tanière; tous fiiient en défordre , fans favoir fouvent éviter l'ennemi commun dont ils deviennent la proie. Voici une remarque que j'ai eu occafion de faire , 6c qui doit donner la plus haute idée de l'empire 220 Voyage defpoticiîe du Lion dans les f< rets de la Niimidie. Lorfqiic la nuit a couvert la terre de ténèbres , cette tranquillité filencieufe qui l'accompagne eil inter- rompue par les cris de divers animaux féroces : les Chacals fiu--tout glapifTcnt en troupes nombreufes, les Loups hurlent dans le lointain ; ce n'eft fcuvent c^u'une confufion de cris qu'il efl difficile de diilinguer : mais à peine les échos ont-ils répété les longs riîgT- femens du roi des animaux , que ceux - ci n'cfent plus fe faire entendre. La feule voix du Lion retentit dans ces vafles déferts , & impcfe filence à tous les habitans des forets. Saifis d'épouvante, ils crain- droient de fe trahir par leurs cris , & d'attirer vers eux ini ennemi qu'ils n'ofent attendre pour le com]:iat , malgré le iignal éclatant qu'il en donne à tous les animaux. Il n'en e(l aucun qui ne le craigne & ne fuie loin de fa préfence. Le Lien efl donc le feul des animaux qui n'ait d'autre ennemi que l'homme armé ; encore n'eil-il pas épouvaiité à fa vue. S'il eft affamé , il l'attaque ; s'il efl r-aiTafié , il paile avec une fierté im.pofante, imprimant bien puis de terreur qu'il n'en éprouve. Le Lion eft plus furieux , pkis à craindre dans le défert de Saara que dans les vallées de "^AtUs. Les chaleurs excefTives de ces plaines fablonneufes ex- citent dans fes veines une fermentation , ime efpèce de rage qu'il n'éprouve pas dans les forêts : d'ailleurs, comme il mange beaucoup, qu'il trouve difficilement EN Barba rviE. 221 <]e qiioi fe nourrir dans ces brù'apites {biltudes , il eft prefque toujours affamé , &: foa appétit cfl îa meiiire de fa fureur. Alors rien ne l'épouvante. ïl fond fur les caravanes , attaque indlfFéremnient les hommes & les chameaux , fe choifit une vidime ; ëz prefque toujours viâ:orieux , il fe retire au loin pour dévorer fa proie. Quelquefois les Lions s'at- troupent ; ils fuivent d'aiîez près , même pendant le jour , les plus nombreufes caravanes , les iii- cu'èîent dans leur rcute , les épouvantent, les tiennent en garde toute la nuit par leurs longs rugifTemens , 6c iinifient par les attaquer , malgré les feux oc les coups de fufils continu.els : le pkis fur moyen que l'on ait d'écarter ces cruels ennemis , eil de leur facrifier quelque bête. L'on attache à nn arbre , eu , au défaut . on lie par les pieds une mule , un chameau , eue l'on abandonne à ces ani- maux affamés. Dès qu'ils (ont rafiafiés ils reilent tranquilles , Se laiiTent les voyageurs continuer en paix leur chemin. Un vieil Arabe nom^mé Batallah , Drogman à la Calle, & qui avoit fouvent chaiTé aux Lions, m'aafïïiré que lorfqu'ils et oient en troupe, ils n'attaquoient jam.ais , pluficurs enfemble , un feul ennemi ; mais que fi le premier étoit vaincu , un autre le remplacoit ; que hii - même avoit été un jour ajTailli par trois Lions , qu'il les avoit tués tous trois l'un après l'autre. Les Arabes aiment le merveilleux^ particulièrement dans les exploits, 3c 222 V O Y A G E j'avoue que ce récit m'a paru très-douteux , fur- tout au fujet de ces trois Lions tués par un feul homme. Il efl vrai que cet Arabe a voit été un très- grand chaffeur , & que pour rendre ce fait vraifem- blable, il me difoit qu'après avoir lâché fon coup de fiifil fur le premier Lion , les deux autres , épouvantés , lui avoient laide le temps de recharger avant qu ils revinffent à l'attaque. LA PANTHÈRE ET L'ONCE. La Panthère, plus fanguinaire, plus terrible, mais bien moins noble que le Lion , habite les mêmes forêts. Quoiqu'elle foit, par la force, in- férieure au Lion , il parcît néamoins' qu elle lui réfiile, &c que ces deux cruels animaux fe Hvrent quelquefois des combats fanglans. L'on m'a afiiiré que plufieurs ouvriers , étant un jour fortis de la Callc pour aller couper , dans une forêt voifme , du bois de conftruftion , avoient rencontré un Lion & une Panthère (i) qui s'entre-déchiroient. Tous deux fe tenoient droits, réciproquement entrelacés , chacun la griffe enfoncée dans le corps de fcn (i) L'on m'a dit un Tigre , mais c*efl par l'abus général d'appeller T'rgre tout animal qui a la peau mouchetée. Je prèfume que c'étoit une Panthère; l'Once étant trop foible & trop petit pour réfifter au Lion. EN Barbarie. iîj adverfaire , (e déchirant l'un l'autre avec leurs re- doutables mâchoires. Immobiles en cette pofition , combattant à forces égales ^ îeur iang ruiiTeloit en abondance. Il eft à préiiimer c^io. ce combat ne fe feroit terminé que par la mort des deux combattans ; mais les ouvriers y mirent fin par une décharge générale de leurs fufils , & rapportèrent en triomphe à la Calle la peau de ces deux animaiLx. Quoi qu'il en foit , je foupçonne , ou que ce Lion, trop jeune, n'avoir pas encore acquis toutes fes forces, ou que, trop vieux, il en avoit perdu wno: grande partie : car il eft bien difficile de croire que la Panthère , quoique très-bien armée , puiffe fe battre avec le Lion à forces égales. L'on chaffé la Panthère à peu près comme îe Lien, a^^ec cette différence qu'elle fe fait plus craindre du chalTeur, &: que, moins délicate que le Lion, quelques quartiers de bête morte , même à demi- putréfiée , fufiifent pour l'attirer. L'on iiifj:.end cet appât à un arbre , &: à quelques pas de-îà l'on établit une cabane : mais le chaffeiir n'ofe y paroître les premiers jours , de peur qu'il ne prenne fantaifie à la Panthère de lui rendre une vifite. Il a foin , chaque jour, de renouveller l'appât, afin que ce cruel animal , accoutumé à trouver fa proie au même endroit , fe difpenfe de la chercher ailleurs , & s'habitue à la vue de la cal^ane. Alors le challeur s'y renferme; ôc dès qu'il apperçoit la Pandière, 224 Voyage il tâche de la bleffer mortellement du premier coup de fufil. Si elle a la force de fe relever , elle cherche par-tout rennemi qui l'a blcfiee, &c fe venge avant d'expirer. Dans tous les cas , le chaiTeur refte im- mobile dans fa cabane jufqu'au lendemain matin. Alors il fe retire , craignant toujours , malgré fa vicioire , de rencontrer l'ennemi qu'il a terrafîc. Il revient qiielques jours après , accompagné d\iti Chien dreiTé qui fuit lajpifte de l'animal. Si la Pan- thère refpire encore , le chien eil: la première viftime de fa rage, & le chaffeur, averti par les cris dou- loureux de fon mefTager, fe hâte de battre en retraite. Un Maure chaiTeur , qui me faifoit ces récits , ajouta qu'un jour , pourf.iivi lui - même par ime Panthère expirante , ne s'étoit fauve qu'en îaiiTant , dans fa courfe , fes habits fur un builTon. L'animal féroce affouvit fa fureur en les déchirai'jt en mille morceaux. Il expira fiir ces lambeaux. Avec des m.œurs aufîi féroces , l'on ne doit pas douter que la Panthère n'attaque Thomm^e. Aufil ce fait m'a été confirmé par pliifieurs Arabes , qiû m'ont aiïïiré qu'ils craignoient beaucoup plus la Panthère que le Lion , tant peur eux que pour leurs troupeaux. Cet anim.aî- a les mœurs du tigre. Sa rage confiée à s'abreuver de fan g ; &: lorfqu'il en eft foui , à le voir couler , à s'y baigner , pour ainfi dire ; jam.ais fa flireur n'eil aflbuvie ; il parcît même recevoir un nouvel aliment des vi^^imes multipliées EN Barbarie. 225 miiîtipliées qu'il égorge. S'élance-t-il au milieu d'un troupeau nombreux ; fi on ne lui donne pas la chaffe , il n'y laiiTe aucun animal en vie. ïl ne refpire que le fang , le carnage , & la mort. Il attaque tous les animaux , excepté le Lion , èk il n'en efl aucun fur lequel il ne remporte la vido^re. Extrêmemeiit léger à la courie , il les furpaffe tous en vîteiTe ; fes mouvemens font fi fouples, fi prompt?^ qu'il eft dinicile de lui échapper. Les buiffons , les foliés , même les rivières peu larges ne peuvent l'arrêter dans fa courfe. Il franchit tout avec légè- reté ; 6c Cl ranimai qu'il pourfuit fe fauve fur un arbre, la Panthère, malgré le volume de fôn corps, y eft aufîi'tôt que lui. Par ce moyen elle déclare la guerre aux habitans de la terre & des airs. L'oifeau trop jeune encore pour s'échapper de fon nid, quoique placé au fomjnet de l'arbre le plus élevé, devient la proie de la cruelle Panthère. Ses pattes font armées d'ongles longs , durs & pointus; fes mâchoires font terribles , 6c garnies de dents ciguës 5 fortes & nombreufes. La foif du fang fe lit dans fon regard; fon œil eft toujours étincelant de colère Se de rage : mais lorfqu'oubLant fa féro- cité , Ton ne fait attention qu'à la belle robe dont la Nature l'a ornée , l'on trouve peu d'f!nimaux plus élégamment habillé. Son poil eft un , liffe , & court ; fa peau eft parfemée de taches noires arrondies en anneaux QU en rofettes fur un fbn de guerre , &: que les défeits de la Numidie foient arrofés de leur fang , nous ne voyons là que des mcnflres affamés qui ne refj^irent que le carnage &c la mort , & nous ne fommes pas fâchés que l'animal féroce qui en pourfuit un plus foible, foit dévoré par un plus fort ; mais que ces animaux innocens & pacifiques , qui , fans faire m.al à aucun être vivant , cherchent , parmi l'herbe des champs , la nourriture qui leur convient, que ces animaux fans défenfe foient attaqués &C dévores par des ennemis fanguinaires auxquels ils ne peuvent oppofer que. des gémiffemens & des larmes inutiles , ce fpecîacle nous révolte , & nous nous intéreffons vivement au fort pitoyable de l'innocence opprimée ; telle eft cependant la deftinée du Cerf, telle eu celle de la tendre &C douce Gazelle , dont le feul regard eu capable d'at- tendrir le cœur le plus féroce. Ses yeux font noirs, grands , remplis de vivacité & de feu. Ses mcuve- mens font légers & pleins de grâces : elle a les jambes hautes & fines, le poil d'un fauve tendre, doux &C luifant. Ses cornes font légèrement can- nelées 5 courbées en arrière, Se compofées d'anneaux, Q i 244 Voyage Elle a la grandeur & le port du Chevreuil. La Gazelle s'apprlvoife aifcment; elle a beaucoup d'intelligence, plaît &c amufe par fa vivacité & fes grâces. Il y en avoit une à la Calle très -familière. Elle venoit aux heures àQS repas dans la falle à manger , & aimoit beaucoup à recevoir des mains de chaque perfonne , du pain , quelques feuilles de faîade & d'autres herbes qu'on lui préfentoit : mais fa vie fut de courte durée. Les Gazelles marchent en troupes , & habitent les confins du défert de Saara, Les animaux timides & foibles aiment à fe réunir, & quoiqu'ils n'en foient pas plus en état de fe défendre, cependant ils paroiffent moins appréhender l'ennemi commun Icrfqu'ils font en grand nombre , que lorfqu'ils le rencontrent feul à feul. L'efpoir qu'il ne fe choifira qu'une viftime , & que le refte fera épargné, rend le danger moins effrayant. En effet , qu'un troupeau de Brebis , de Chèvres ou de Vaches foit attaqué ou effrayé, fon premier mou- vement n'efl: pas de fe féparer & de fuir : mais tous fe preflent les uns contre les autres , & ne forment qu'un feul corps , qui s'avance pefamment en mafle & fans ordre. Chez les animaux ;, comme parmi les hommes , la foiblelTe efl le principe de toute fociété. Le Bubak efl un de ces animaux fur lequel nous avons peu de notions , & dont les Anciens n'ont parlé que d'une manière très - obfcure. Il eft à EN Barbarie; 245 peu-prcs de la grandeur d'un jeune veau , d'im^ couleur fauve , le poil liiTe & court. Ses cornes font noires , cpaifîes , très-proches l'une de l'autre , compofces d'anneaux , perfiflantes , courbées en arrière. Il a la tête étroite , alongée , la queue longue, terminée par une touffe de poils rudes. Ses jambes font maigres & longues. Il eft de la claffe des animaux ruminans. M. Desfontaine en a rap- porté un empaillé & très-bien confervé. LE TAUREAU. Le Taureau 5 fi £er , fi terrible en Europe, quand il confervé toutes fes forces , efl docile & foumis en Barbarie. Les Arabes n'ont pas befoin, pour le dompter , de lui faire fubir de cruelles mu- tilations. Ils n'ont recours à. aucuii acte de férocité pour engraifTer ou foumettre leurs anim.àiix : fi ce n'eil: point chez eux un aâ:e de pitié , c'en ell: un au moins de frugalité. Peu leur imperte de manger une viande plus ou moins délicate , pourvoi qi'/ils fatisfaffent aux befoins de la Nature. Cette modé- ration dans le Taureau de Barbarie , fait que les Arabes ne le féparent point du troupeau , & l'on eil étonné d'en voir quelquefois deux ou trois cens avec autant de Vaches brouter tranquillement l'herbe de la prairie , &c fe rendre , fans réfiftance , à la voix d: leur maître. Que l'homme eft grand à la Q3 24^ Voyage tête d'una iilTi nombreux troupeau qu'il conduit & dirige à la volonté ! D'oii vient donc cette différence de mœurs dans les Taureaux de Barbarie 6c d'Europe ? Il me femble qu'elle ne peut être attribuée qu'à l'état d'efclavage oii nous tenons cet animal. En Barbarie les Taureaux font toujours au milieu des champs accoutumés à vivre à côté de la Génifle. Chez nous, au contraire, crax de ces animaux ai:e Ton deftine à multiplier leur efpèce, font prefqiie toujours ren- fermés, féparés de leurs femelles , très-bien no.:rri$, rarement conduits su travail Commuent cet animal , j>lein de force &c de vigueur, ne chercheroii-il pas, échappé de fon étable, à jouir des courts i.nflans de fa liberté ? Quelle révolution dans tous (es fens ! quel feu dévorant circule dans fes veines à la vue d'une Géniffe ! Si pendant cette fièvre ardente, dans ce délire du plalfir , il apperçoit un rival , avec quelle fureur il s'élance fur lui ! Ceft dans ces fortes de combats que le Taureau déploie toutes fes forces ; c'eft alors qu'il eft dangereux & terrible : mais ces accès lui prennent rarement lorfqu'il jouit à'une liberté continuelle. Malgré l'abondance & la fertilité des pâturages de la Numidie , les Boeufs & les Vaches y font toujours maigres , plus foibles , plus petits qu'en Europe. Leur chair a très - peu de fucs ; elle efk fèche & coriace. Il eft vrai que ces animaux fou.f- ^ frent beaucoup pendant les grandes chaleurs , qu'ils EN Barbarie. 247 n^onta'ors d'autres nourritures que les mauvaifes lierbes des marais ; mais pendant plus de huit mois de Tannée, la Nature les dédommage amplement de la mauvalle ncurritiire de l'été : au refte, l'expé- rience prouve qu'il faut à ces animaux un climat tempéré, que les grandes chaleurs les font dégénérer. Les Vaches ne donnent qu'un mauvais lait, & en très-petite quantité. Le beurre qui en réfulte eft d'une très-médiocre qualité. Le lait des Vaches fe perd quand elles quittent ou qu'on leur ôte leurs veaux. Les Arabes, jaloux d'avoir de nombreux troupeaux, tuent rarement les jeunes veaux. Comme ils ne leur coûtent d'autres foins que de les conduire aux pâturages avec le refte du troupeau, ils pré- fèrent les lai&r croître pour en tirer un meilleur parti. LES CHÈVRES ET LES BREBIS. Les Chèvres , réunies en troupeaux nombreux dans les montagnes de l'Atlas , y trouvent une abondante noun'iture , mais elles n'y paifient pas le thym , le ferpolet , la lavande , & d'autres plantes odoriférantes , comme les Chèvres habitantes des montagnes de la Provence ; leur chair eft plus feche , leur la:.t moins abondant , ôc d'une qualité inférieure; malgré ce^a , il vaut mieux que celui des Vaches , & les Arabes le prcf.n'cnt pour le beurre & le Q4 Î48 Voyage froma[!;e. Ils ù fervent aiifTi de celui des Brcb!s. Les Chèvres de Barbarie ont, en général, le poil noir, long 6c luifant , qualités très-ellimées dans les fa- l)riques. Ls Brebis forment , en Barbarie , les troupeaux les plus confidérables. La finelTe , la beauté de leurs la -a "S, la fertilité des pâturages, tout engage les Arabes à multiplier ces animaux , qui les nour- rlffent de leurs chairs , de leur lait , &: les enrichirent de leurs toifons. Heureux , fi , bornés à ces occu- pations paftcrales , ils favoient vivre en paix les uns avec les autres ; ôc li , par un contrafte fm- gulier , leurs mains ne portoient point des armes meiutrières au lieu d'une fimple houlette ! L'on rencontre fréquemment dans les troupeaux des Béliers à quatre cornes. Ils m'ont paru plus grands , plus forts , plus vigoureux que les autres. Quant aux Brebis , outre Tefpèce ordinaire , il y en a ime (ezonàQ , dillinguée par une très-groffe queue. Elle eft commune dans le royaume de Tunis ; elle vient aufTi dans le Levant. Les unes ont cette queue également groffe par-tout ; dans d'autres , elle eft un peu pointue : cette Brebis eil très-eflimée pour la beauté de fa laine, mais fa chair efl bien inférieure à celle des autres : cependant les friands apprécient beaucoup la queue , qui n eft qu'un peloton de gralflfe. Le Docîeur Shaw cite une troifième efpèce de Brebis qui vient dans le voifinage du Saara. Elle EN Barbarie. 249 cjiprefque aitfji haute que notre, Daln , & lui reffembU ajfci 5 excepté la tête, La chair en ejl sèche ^ & la laine gro£iere , approcJiant du poil de chèvre , ce qui vient probablement de la chaleur du climat , de la rareté de rcauy & du mauvais pâturage du pays (i), LE CHAMEAU. Les vaftes déferts de l'Afrique & de l'Afie fe- roient impraticables; ces efpèces d'îles féparées des pays habités par des fables brulans & ftériles , n'au- roient jamais été conmis fans le fecoiirs du Chameau. Il efl le feul, parmi nos bêtes de fomme , en état de fupporter la marche longue & pénible des cara- vanes 5 le feul que les chaleurs exceffives 6c les travaux forcés ne peuvent abattre , le feul qui puifîe fe paffer de boire &: de manger pendant plufieurs jours de fuite fans ceffer de travailler , le feul enfin à qui , fort fcuvent , une heure de repos fufîit en vingt-quatre heures , encore ne quitte-t-il point les fardeaux de fept ou huit cens livres dont il efl chargé. La Nature l'a conforme de manière à ce qu'il puifîe fupporter de femblables travaux. Outre les quatre eftomacs qui lui font communs avec les animaiLx ru- minans , il a encore une cfpèce de poche particulière, (i) Voyage en Barbarie du Doileur Shaw , tome I, page 312. i^o Voyage <3âJis laquelle il fait provluoii d'eau pour cinq oit fvc jours 6c plus. Elle s'y conferve fans fe cor- rompre. Il Fen tire au befoin pour rafraîchir (es organes altérés. Un peu de foin , quelques poignées de noyaux de dattes , d'orge ou de fèves , fufîifent pour lefoutenir pendant plus de vingt-quatre heures. Dès qu'il trouve de la verdure, il en fait égale- ment provifion pour toute fa journée. L'on conçoit combien un tel animal eft précieux pour les Arabes du défert. Ceft le plus riche préfent que le Ciel ait pu leur faire. Outre ces premiers avantages , le lait des Chameaux , très-abondant , eil: une nourriture excellente pour les Arabes ; ils en mangent aufTi la chair, & fe fervent de fon poil pour faire des cordes &: des étoffes. L'on prétend que cet animal aime beaucoup la mufique, que le (on des iiiftrumens charme fa route , lui fait oublier fes fatigues , &C ranime fes forces. Il en eft peu qui aient plus de docilité & de courage. Au comm.andement de fon maître , il s'agenouille afin qu'on le charge avec plus de fa- cil'té ; & quand il a le fardeau qui convient à fes forces , il fe relève de lui-même , jette des cris de mécontentement lorfque l'on augmente fa charge, qu'il refufe quelquefois de porter : mais fa docilité êc fon cara£i:ère de douceur fe changent en une efpèce de fureur au retour de chaque printemps , qui eil le moment où les Chameaux s'accouplent. Ils fcntalors très- difficiles à domoter, & méconnoiiTent EN Barbarie. 25 i même la voix de leur maître. Ils attendent la nuit pour approcher de leurs femelles , qui ne mettent bas leurs petits que le printem-ps fuivant. Il femble que cet animal n'ait reçu l'exiftence que pour foufFrir. Dès Tinflant qu'il eft en état de tra- vailler jufqu'au moment de fa mort , il ne jouit pas d'un feul jour de repos. Il eft toujours en marche, toujours chargé. Aufîi eft-il plein de difformités. Il eft fouvent couvert de plaies ; fur fa poitrine & fur {es jambes il fe forme des tumeurs , des callofités qu'il conferve toute fa vie. Il meurt au milieu du travail , après avoir vécu tout entier pour l'homme, très-peu pour lui-même. LE CHEVAL. Les Chevaux de Barbarie , connus en France fous le nom de Chevaux-Barbes , ont en général la taille médiocre , la tête haute , les jambes fines , le poil roux , le pas très-fiir , beaucoup de vigueur & de foupleffe dans tous leurs mouvemens ; mais ils ont beaucoup perdu de leur ancienne réputation , par la négligence des Arabes à multiplier & conferv^r les belles races. Comme ils préfèrent les Jumens aux Chevaux , ils prennent peu de foins de ces derniers , les maltraitent cruellement , &: fouvent les accablent de travaux. Quand ils ont quelques courfes à faire, telles longues qu'elles foient , ils ne vont prefque 251 Voyage jamais qu'au galop. A la fia de la journée les Chevaux ont la bouche en fang , & le ventre ouvert par les longues fiches de fer qui fervent d'éperons aux Arabes. Ces animaux ne mangent jamais que le foir , 6c encore fouvent ne leur donne-t-on que de Tnerbe hachée , ou des feuilles de rofeaux. Malgré cela , il efl incroyable avec quelle force ils fupportent la fatigue. Ils ne font point ferrés : ce feroit un mal qu'ils le fuffent, ayant fouvent à gravir contre des rochers efcarpés qu'ils montent &Z defcendent quel- quefois au galop avec une facilité étonnante. Ils palTent la nuit en plein air , fans litière, droits fur leurs jambes , renfermés dans les Douares , ou attachés par les pieds à un piquet vis-à-vis les tentes. Jamais ils ne font ni frottés , ni étrillés. Quoiqu'aucun de ces animaux ne foit mutilé , ils font prefque aufïï doux & aulTi faciles à manier que nos Chevaux hongres d'Europe : m.ais tranf- portés en France , ils deviennent indomptables , quoiqu'ils padent d'un climat brûlant, dans im climat très -tempéré. La raifon de ce changement ne me paroîî pas facile à trouver. Dans les grands travaux , les Arabes préfèrent les Mules aux Chevaux. Ils s'en fervent même pour monture; &: il faut avouer qu'en Barbarie les Mules font très - précieufes pour le travail & pour la marche. Elles fupportent plus long-temps la fatigue; & fi en voyage elles ne vont pas toujours aiiiîi EN Barbarie. ijj Vite qvie les Chevaux, au moins elles achèvent de phis longues courfes. LE CHIEN. Le Chien perd , en Barbarie , une partie de ces qualités fociales qui le rendent ami de l'homme. Ce n'eft plus cet animal domeilîqiie , doux , caref- fant , fidèle , plein d'ardeur pour les intérêts de ion maître , toujours dilpofé à le défendre , même aux dépens de fa vie. Chez les Arabes il q1 eruel , fan- guinaire, toujours alTamé, jamais rafTaiié. Son regard eft féroce , fa phyfionomie ignoble , &C fcn afpeft défagréable. Les Maures veulent bien le fouiFrir dans im coin de leur tente , mais voilà tout ce qu'ils kii accordent. Jamais ils ne le careffent, jamais ils ne lui jettent aucime nourriture. C'eil h ce traitement , je crois , qu'il faut attribuer l'indifté- rence des chiens pour leur maître. La feule dif- tindion qu'ils lui accordent , eft de ne pas aboyer après lui quand il entre : mais qu'il foit abfent ou préfent , ils n'en font ni plus trilles , ni moins gais. Ils ne fuivent leur maître qu'autant qu'il les y a accoutumés ; &: paroiiTent fi peu jaloux de cette faveur , qu'ils aiment autant reilei en place que de marcher à fa fuite. Fort fouvent ils n appartiennent à perfonne. Ils fe choififfent une tente pour abri; on les y laiffe , mais Ton ne s'inquiète point d'eux. 254 Voyage Ils vont chercher leur nourriture là où ils peuvent. Les ordures , les charognes , les immondices , tout leur efl bon , pourvu qu'ils affouviffent leur faim. Ils font maigres , décharnés , & n ont prefque point de ventre. Entre eux ils fe battent rarement, mais ils fe réunifient centre l'étranger qui approche des tentes Arabes, s'élancent vers kii avec flireur, & le dévoreroient , s'il n'avoit foin d'écarter cette troupe affamée. Heureufement ces chiens font lâches, faciles à prendre l'épouvante. La feule vue d'un bâton les empêche d'approcher ; &c pour peu qu'on les menace, ils font bientôt difperfés. Il eil bon cependant d'être toujours fur fes gardes. Si l'on étoit dans l'impoiRbilité de fe défendre , ou que l'on eût le malheur de tomber , l'on courroit rifque d'être dévoré. Ces Cliiens font très -avides de chair hu- maine : ils mangent les cadavres qu'ils peuvent rencontrer, ce qui arrive rarement, vu l'extrême attention des Arabes à enterrer leurs morts; mais lorfqu ils ont alTaiiiné un Chrétien , ils le dépouillent 8c abandonnent fon corps aux chiens. Ces animaux , malgré la famine qui règne prefque toujours parmi eux , malgré la féchereffe &; la grande chaleur du climat , ne font point fujets à la rage , comme nos Chiens d'Europe. Cette maladie n'exiile pas en Bar- barie , du moins aucune des perfonnes que j'ai inter- rogées fur cet article , n'a pu m'en citer d'exemples. Tous les Chiçns de Barbarie, j'entends ceux qui EN Barbarie. 25c rivent foiis les tentes des Arabes , font de la même efpèce, fans mélange. Ils font blancs, quelquefois marqués de grandes tâches rouffes. Ils ont les oreilles droites , le mufeaii un peu alongé , les pattes courtes le poil lifîe & ras. Ils font un peu plus gros que le Renard. M. de BufFon cite les Epagneuîs & les Barbets comme originaires de Barbarie &c d'Efpagne, Le fait peut être vrai, mais je n'ai prefqiie point rencontré de Chiens Barbets , encore moins dïpa- gneuls dans les tentes des Arabes. Les Barbets font plus communs dans les villes &: les Comptoirs François. Pignore s'il exille en Barbarie des Chiens fau^-ages , vivant dans les forêts , loin des habi- tations des hommes ; mais j'en ai vus de la raca des Mâtins que l'on avoit trouvés dans rîk de la Galïu{i), Ils étoient deilinés à la garde du moulin (i) Les îles de la GaVite font des rochers très-dangereux; à fix lieues environ de l'île de Tabarque. Les gros batimens n'ofent en approcher ; à deux lieues oueft il y a des (eches très-redoutés où piufieurs navires ohl péri fans reffource. Ces îles fervent de retraite aux Trapanals (*), qui viennent en contrebande pêcher le corail dans les mers de Barbarie. Ils y trouvent du bois, des fources d'eau, & y vivent de pêche & de chafle. D'ailleurs ces îles font inhabitées. Dans les naufrages , lorfque les gens de l'équipage fe fauvent & peuvent gagner la Gallte , ils ont foin d'allumer de grands (+) Habitatis de Trapano , ville fituée fur la côte occidentale de Sicile, 1^6 Voyage de la Calle. Ils remplifToicnt leurs fondrions avec une grande fidélité , & ctoient très-attachés à leurs maîtres. L'on m'a afïïirc qu'il y avoit beaucoup deCliiens dans cette île inhabitée, ainfi qu'un grand nombre de Chèvres fauvages : d'oii vient que les Anciens appelloient la Galite jEgimuros , abondante en Chèvres ( i ). Quant aux Chiens fauvages , je foupçonne qu'ils viennent de quelque bâtiment échoué parmi ces dangereux éeueils. LES SINGES. Cë ne font pas toujours les animaux les plus féroces qui font les plus nuifibles à l'homme. Les Chenilles, les Sauterelles & les Vers font fouvent plus de dégâts dans fes vergers que n'en fera le Loup au milieu des bergeries , que n'en feront le Lion ou la Panthère parmi un grand troupeau ; les Arabes appréhendent fouvent beaucoup plus ces armées de Singes qui ravagent leurs moiffons , dé- vorent leurs fruits , que l'animal féroce qui , par hafard , leur enlève un Bœuf ou une Vache. Les Singes habitent ordinairement les forêts les plus feux qui fe voient des Comptoirs de Tabarque, & même delà Calle, d'où l'on envoie, lorfqu'il cft porùblc, des chaloupes à leur fecours. (i) Plin. Liv. V, ch. 7. ^ cpalfles ; EN Barba R.IE. 257 épaiffes ; ils fe tiennent prefqiie toujours fur les arbres , fautent d'une branche à l'autre avec la plus grande légèreté. Réunis en troupes nombreufes, ils paient leur temps en gaîté continuelle. La joie &: les plaifirs régnent toujours parmi eux , fans que rien puiiTe troubler la fcrénité de leurs jours. Ils jouiffent en liberté des bienfaits de la Nature , aiment leurs femelles avec pafîicn, 6-: ne trouvent jamais d'obf^ tacle à la fatisfa£lion de leurs defu"s. Par amour pour la liberté , ils vivent loin des habitations des hommes ; mais la nuit ils s'en approchent en grandes troupes , fe difperfent dans les vergers & les lieux cultivés , pillent , détruifent tou.t autant par malice que pour fe nourrir. Pendant ces incartades , plu- fieurs d'entre eux, poftés à une certaine diflance , font fentinelle , & à la moindre apparence de danger, ils pouffent un cri , & toute la troupe difparoît en un clin-d'œil : mais elle ne tarde pas à revenir. Des Arabes des environs du Colla m'ont afïïiré qu'ils avoient les phis grandes peines à garantir leurs pof- fefTions des ravages de ces fortes de Singes. Il les tant garder jour & nuit ; & pour peu qu'ils les perdent de vue, tout eft détruit dans l'inffant. Comme ces Singes font petits & fans queue , à ce qu'ils m'ont dit, j'imagine que ce font autant de PithxqueSy dont je parlerai plus bas. Tous les Singes font fru- givores ; ils vivent auffi d'infecl:es , de fautrrelles , de fcarabées , &c. Ils n'aiment pas la viande. Les Part, IL R ijg Voyage fruits font la nourriture qu'ils préfèrent. Ils craignent beaucoup la préfence de Thomme : mais leur premier mouvement de frayeur une fois difTipé , dès qu'ils s'en voient à une certaine diftance , & fur les plus hautes branches des arbres , alors ils deviennent impudens , & paroifTent défier Fhomme par la hardieife avec laquelle ils le regardent. On ne les faifit vivans qu'en leur tendant des pièges. Ils font d'abord très - affedés de leur captivité; mais bientôt leur gaîté naturelle l'emporte, ils fe familiarifent avec leur maître, & fe vengent, quand ils le peuvent, des coups qu'ils en reçoivent, par les efpiégleries qu'ils lui font. Les Singes que l'on trouve en Barbarie font les efpèces fuivantes : i^. le Plthlque , petit Singe qui n'a pas plus d'un pied ou un pied & demi de haut. Il eft fans queue ; fa face eft applatie. Lorfqu'on le tour- mente, qu'il eft effrayé ou irrité , il grince les dents , & agite les mâchoires avec une grande vîtefTe. Ce Singe eft très-doux. Il s'apprivoife facilement ; il eft même fufceptible d'une efpèce d'attachement pour fon maître. Ce Singe eft très-commun à Stora , du côté du Collo 5 & à Bug'u, Nous ne le connoiffions guère que d'après les defcriptions que nous en avoient îaifîees les anciens Naturaliftes ; mais M. Desfontaine en a rapporté plufieurs des côtes d'Afrique , & a donné , fur ce Singe , les notions les plus exaûes & les plus intéreftantes dans diiFérens Mémoires préfentés à l'Académie. EN Barbarie, 259 1*^. Le Magot efl au moins une fois plus grand que le Pithèque. Sa face n'eft point applatie , mais elle forme une efpèce de mufeau alongé. Il varie par fon poil d'un gris plus ou moins foncé. Il n'a point de queue. Ses moeurs font plus fauvages que celles du Pithèque ; il mord très-fouvent pour peu qu'on le tourmente , & fur-tout quand il n'eil: pas encore bien familier : il conferve toujours un ca- radère rempli de méchanceté 2^ de malice. Il habite les mêmes lieux que le précédent, 30. La MonCf Singe à longue queue, eu. encore une efpèce très-commune en Numidie. H eft peu de perfonnes qui ne connoiffent la iigure de cet animal , qui 5 avec le Magot, fert à amufer le peuple au milieu des rues. Elle a la face brune avtc une efpèce de harhe mêlée de hlanc & de jaune , h poil de deffus la. tête & du cou mêlé de jaune & de noir , celui du dos mêlé de roux & de noir ^ U ventre blanchâtre^ aujji bien que V intérieur des cu'jjes & des jambes (i). M. de BufFon cite une quatrième efpèce de Singe qui fe trouve en Mauritanie , & dans les terres de l'ancienne Carthage. Il l'appelle le Callitriche. Il efi d^un beau verd fur le corps , d\in beau blanc fur lu ^orge & le ventre , & il a la face d^un beau noir, (i) Hift. Nat. tome XIV, page 25S. Ri t.6o Voyage LE PHOQUE ou VEAU-MARIN. Cet animal finguller refTemble à un enfant au maillot. Il ne peut jouir que très - imparfaitement de l'ulage de fes bras &C de fes jambes , qui font prefqiie entièrement renfermés dans fon corps ; il n'en fort qi;e les mains 6c les pieds. Ses cinq doigts font réimis par une membrane , & forment des çfpèces de nageoires. Poifîbn quand il eu dans la mer , il devient reptile Icrfqu'il eil fur terre. Il fe traîne comme les ferpens : fes pieds ne lui fervent qu'à s'accrocher aux rochers &c à faciliter fes mou- vemens : mais fi la Nature a privé le Phoque de la perfe^lion de quelques membres, par comparaifbn avec les autres animaux", elle l'a y d'im autre côté , amplem^ent dédommagé en lui permettant de vivre également fur terre, comme dans la mer, Se en le rendant infenfible aux fortes impreffions du froid & du chaud. Il vit fur la glace auffi bien que fous la zone torride. Dans la mer il fe nourrit de poiflbns ^ fur terre il broute Therbe. L'on en rencontre très- fouvent le long des côtes de Barbarie. Ils dorment fur les rochers expofés au foleil : il eft difficile de leur donner la chafle. Au moindre danger, ils fe préc'.p'tent dans la mer. Il eft rare qu'un coup de fufil les blefTe au point de les empêcher de fuir. Q eil peu d'animaux plus durs de mort» EN Barbarie. i6x De quelques autjcs Animaux quifc trouvent m Numidic & m Europe^ Il me refte bien peu de chofes à dire fur quelques autres quadrupèdes qui vivent en Numidle c^mme en Europe , ôc qui n'cfFrent rien de particulier. La Belette rode autour des tentes Arabes , épie le mo- ment favorable pour tom.ber fur les poules , égorger les jeunes poulets , &: en manger les œufj. Elle fe tient, pendant le jour, cachée parmi les brouf- failles 5 & n'ofant approcher des lieux habités , elle donne alors la chafle aux oifeaux aquatiques , les pourfuit parmi les rcfeaux , & cherche à découvrir leurs nids : elle mange auffi les Rats , les Souris , les Coideuvres & Lézards. Les Rats &c les Souris font d'autant plus com- muns & incommodes dans les habitations fixes, que, comme je l'ai fait obferver , les Arabes n'élèvent point de Chats : mais les hordes errantes qui chan- gent fréquemment de place , font peu tourmentées par ces animaux. Le long des rivières 6c des étangs il y a beaucoup de Rats - d'eau , &: quantité de Mulots dans les champs cultivés , ÔC cii Ton sème forge &: le bled. Les Lilvres , les Lapins , & beaucoup d'autres gibiers, ofFr: nt aux chaffeurs des plaifirs multipliés. Ils feroient bien pkis communs , s'ils n'avoient pour R3 'l6l V O Y G A E ennemis tous les animaux carnaiÏÏers. La Barbarie eflla patrie du Furet, l'ennemi mortel des Lapins, 6c que Ton drefle en Europe exprès pour cette chafTe : Strahon prétend qu'il a été tranlpcrté d'A- frique en Efpagne , & que de-là il efl paiTé dans ime grande partie de l'Europe, EN B A R B A II I E. l6^ LES OISEAUX. XANDIS que des guerres cruelles enfanglantent les forêts de la Numidie, &c que les animaux féroces portent par-tout le carnage & la mort, les habi- tans des airs ont aufTi leurs combats, & la plaine aérienne eft un autre champ de bataille qui retentit au loin des cris de joie des vainqueurs , &c des gémiffemens douloureux des vaincus. V Aigle exerce fur les Oifeaux le même empire defpotique que le Lion fur les animaux terreflres : fon bec , fes ongles , &c la vigueur de fes mufcles font les titres de la royauté. L'on rencontre en Barbarie les efpèces fuivantes. lo. Le grand Aigle eu l'Aigle royal. II paroît rarement dans les plaines. Son féjour ordi- naire eft fur les montagnes les plus élevées de i'Atlçis , oii il vit folitai rement dans le creux des rochers. Son empire eu. cruel , mais il eft filen- cieux. L'on prétend qu'il ne crie jamais : il ne quitte la folitude que pour chercher un ennemi digne de lui : il rejette la chair morte , &c n'en veut q\i'aux grands oifeaux. Non content de régner R4 16'4 Voyage dans les airs , il daigne quelquefois defccndre fur notre globe , & faire fentlr fon pouvoir à quelques quadrupèdes, aux lièvres, aux lapins, aux jeunes agneaux qu'avec une ferre redoutable & meurtrière il enlève au milieu des airs , ôc dévore en fnreté fur le fommet d'un rocher ifolé. Sa couleur ell d'un fauve obfcur. 10. L'Aigle commun plus petit , moins vigou- reux que le précédent , efl: aufTi moins délicat fur le choix de fa nourriture. Il attacfue indifféremment tous les oifeaux, &, quand le befoin le prefîe, il tombe fur les cadavres. On le rencontre plus fré- quemment dans les plaines , où de tem.ps en temps il fait entendre un cri aigre ôc perçant. Sa couleur varie du brun au noir. 30. Le petit Aigle efl prefque roux, tacheté de noir. Il a une efpèce de cri plaintif fort défa- gréable. On le voit fouvent perché fur les arbres dans les lieux marécageux , le long des rivières & des étangs. Il attaque particulièrement les o;feaux aquatiques : mais comme il digère vite , qu'il a befoin de manger fouvent , &z qu'il ne trouve pas toujours de quoi fe raiiafier , il a recours alors aux infecles & aux reptiles. Je lui ai fouvent trouvé dans reflomnc des grenouilles , des lézards , des fauterelles , & phifieurs autres infe^les. Il vole bien plus près de terre que les deut efpèces précédentes. EN Barbarie. 265 '4^. L'Aigle de mer, ou le Balbuzard de M. de BufFon 5 d'un naturel moins vcrace , moins féroce que les véritables Aigles , fait fon nid fur les arbres les plus élevés , proche les rivières & les lacs. Il ne vit prefque que de poiflbns. 5^. Le grand Aigle de mer, ou l'Orfraie de M. de Bufîbn , vole fréquemment fur les bords de la mer oii il cherche à faifir les poilTons , quoi- qu'il vive également de gibier. Il eil prefque auÏÏÎ grand que le grand Aigle. On l'apprivoife affez facilement. Pen ai vu un à la Calle qui , fans être renfermé , fe laiflbit approcher & careiTer fans effroi. Le cruel Vautour, par la férocité de k% mœurs , eft bien digne d'habiter la Barbarie, où la Nature femble avoir réuni tous les monflres de l'Univers. Quoique le Vautour foit bien armé , & très-vigoureux, il n'cfe attaquer les autres oifeaux qu'autant qu'ils lui font très - inférieurs en forces. Son défaut de coura9;e met au moins des bornes à {qs cruautés , & il préfère fcuvent fe nourrir de cadavres infecles , plutôt que de livrer combat à des ctres vivans : mais quand il veut faire la guerre , il fe joint à d autres Vautours ; la chalTe fe fait en coiTimun , & Ton fe partage le gibier , non fans le difputer. i66 Voyage Le Milan, non moins cruel, ell aiiffi lâche que le Vautour ; mais on lui paffe plus aifément fa lâcheté , vu rinfériorité de fes forces. Il ne fait la guerre qu'aux petits oifeaux, aux jeimes poulets, aux colombes , &cc. Du haut des airs oii il paroît immobile, il fond avec rapidité fur la proie qu'il s'efl choifie; mais au moindre danger il fuit avec un cri de frayeur. La Buse, qui efl , parmi nous , l'emblème de îa ftupidité, n'ofe quitter l'arbre fur lequel elle eft perchée pour aller chercher fa proie ; mais elle attend, pour la failir, qu'elle vienne s'offrir à fes regards. Sa foibleffe ne lui permet que d'attaquer les plus petits oifeaux. L'Épervier habite les grandes forêts; il vole (dans les plaines pour y faifir les Cailles &c les Per- dreaux. J'en ai rencontré une variété dont le plu- mage fauve étoit tacheté de noir. L'Autour fe retire dans les gorges des mon- tagnes. Ses moeurs font aufîi fanguinaires que celles du Tigre. Il aime le carnage , & ne fe plaît qu'à mettre à mort tous les êtres vivans qu'il rencontre, & qu'il peut combattre. Le Faucon, dont nous tirons un fi grand parti pour la chaffe, vit aufîi dans les rochers flériles 6c inhabités de la Numidie, EN Barbarie. 267 Tous ces oifeaux cha thordce fuhfpinofo , elytris angido duplici crifpato. Char AN SON de Barbarie à courte trompe , d'un noir obfcur ; thorax prefque épineux , deux angles crifpés fur les étuis. Celui que j'ai trouvé a une trompe de près de trois lignes ; fes étuis font hériffés de tubercules de diverfe groiieur. CERJMBYX. CAPRICORNE. CerAMBIX Ater , elytris rugojis intc^rls , an- tennis corporc longioribus, (Geoffroy, p. 201.) Petit Capricorne noir. Etuis ridés , entiers ; antennes plus longues que le corps. Ce Capricorne eft très-commun dans les forêts, îl ne m'a paru différer en rien de celui qu'a décrit M. Geoffroy. Lorfqu'on le faifit, il rend un fon affez aigu par le frottement du corcelet avec le haut des étuis. — CantharINUS, ( Lin. ) Thoracc fuhmutîco , eorpore rufo , oculis femoribufquc nl^ricantlbus , elytris fnollibus y antmnis longloribus. EN Barbarie. joi Capricorne roux. Thorax prefque fans épines ; corps roux ; les yeux & les cuilTes noii-âîres , étuis mois plus longs que les antennes. DITISCUS. DITIQUE. ^F ICEU s, (Lin.) antcnms perfoUatis^ corporg hvi , jltrno carînato , pojlice fpinofo. DiTiQUE HYDROPHILE. Antennes perfoliées, le corps liffe , le flernum en carène , la partie poilé- rieure épineufe. Il ne diffère en rien de celui d'Europe. ^Sticticus. (Lin.) Palkns^ elytris grlfeis puncïo ohlongo laterall jûgro impnjfo, DrriQUE DE NuMiDiE^ pâle, les étuis gris; marqués fur les côtés d'un point noir , oblong. Cet infeâ:e habite particulièrement les ruiiTeaux qui coulent entre les rochers. îl a environ huit lignes de long. Son thorax eft d'un blanc pâle , & fes étuis d'une couleur grife avec un point noir , alongé fur les bords. CAR ABU S, CARABOT. — Granulatus. (Lin.) Apterus, elytris longi* Qidinallur convexe punclatls. Carabot cuivré. Point d'aîles ^ étuîs convexes^ ponftués dans leur longueur. 301 Voyage Sa ccTileur eft d'un jaune de cuivre un peu mri.ce; on le trouve fur le fable, dans les lieux arides, où il court très- vite. Carabus complanatus, (Lin.) Pallldus tlytris fafcïis duahus undulatïs mgricantibus» Carabot applati , d'une couleur pâle , avec deux bandes ondulées & noires fur les étuis. TENEBRIO. TÉNÉBRION. - GiGAS, (Lin.) Apuras niger, tkorace œquall ^ cohzoptns Uvihus tnincatis. TÉNÉBRîON GÉANT. Point d'aîles ; noir ; le thorax égal ; les étuis liffes ÔC tronqués. — Spingsus. ( Lin.) Apurus niger iccvis, pcdibus fcrruglnàs , antcnnis brcvijfunls. TÉNÉBRION ÉPINEUX. Point d'aîles; noir, lifle; les pieds couleur de rouille; les antennes très-courtes. J'ai trouvé ces deux efpèces dans les bois. STAPHYLINUS. S T A P H Y L I N . ^ HîRTUS, ( Lin. ) Hirfiitus nigcr , tkorace abdo- mîmqiie pojîlce jîavis, Staphylin hérissé. Noir , hérilTé ; le thorax & le ventre jaunes à leur partie inférieure. J'ai trouvé cette efpèce le long des l)ords de la mer. EN Barbarie. 30J ^ErytropteRUS. (Lin.) Aur , dytrls pedl^ hufquz rufis, Stapkylin couleur de rouille. Les étuis & les pieds roux. Ce Staphylin habite parmi les cadavres & les immondices. B L A T T A. BLATTE. ^ Af RICANA, ( Lin. ) Cïjuna , thoracis clypza yiliofo. Blatte d'Afrique , cendrée , le bouclier du thorax velu. Cette Blatte efl d'un gris matte ; elle a l'extrémité du thorax bordé de blanc , & quelques poils légers fur tout le corps. M A N T I S. MANTE. ^ - OrjToria ( Lin. ) Thorax lœvls , efytrîs vlrl^, dlhusy ails macula nlgra andce rufefcentihus. Mante PRIE-DIEU. Thorax liire;étuisverds ; aîles roufsâtres , avec une tache noire à leur extrémité. Celles que j'ai examinées n'avoient point la tache noire aux extrémités des aîles dont parie ici Linné. Je les ai toujours trouvées avec des aîles à réfeau , d'une couleur roufTe très - légère. Les cuifTes de devant étoient marquées de petits points noirs 304 Voyage intérieurement. Cefl la même efpèce que celle que Ton trouve dans la Provence & le Languedoc , &: liif laquelle fai eu occafion de faire plufieurs obferva- tions curieufes , imprimées dans le Journal de Phy- fique, mois de novembre 1784, tome XXV , page 334- ManTIS ReLIGIOSA. ( Lin. ) Tkorace lœvi fub^ carlnato elytrlfque viiidibus Immaculaùs, Mante dévote. Thorax lifle, prefque en carène; les étuis verds & fans taches. Elle ne diffère de la précédente que par une bordure jaune qui règne autour de lès étuis & de fon c ocelet. Jai trouvé plufieurs autres efpèces de Mantes que je ne ferai qu'indiquer ici d'une m.anièî-e \\n peu générale, &: d'après les notes que j'en ai con- fervées , ces infedes étant du nombre de ceux que j'ai perdus à la quarantaine de Marfeille. 1°. Une Mante dont les étuis & les autres parties du corps étoient d'un gris cendré , ks ailes de même couleur & en réfeau. Cette efj^èce n'étoit pas plus grande que le mâle de la Mantc-prU-Dun , de laquelle elle ne m'a paru différer que par la couleur. Peut-être n'ai-je trouvé que des maies. 2^. Une Mante dont les étuis, d'un beau verd, étoient couverts de grandes taches d'un blanc jaunâtre. EN Barbarie- 305 ^unâire. Même groffeiir & même port que la Manu-prlc-DlciL. 30. Maxtis Sphinx, (nobis) femiglnea^ [Jiorau Jubulato hcvi , dytris dïmïdio ahdomïm hnvïorïbus. Mante Sphinx , conîeur de rouille , thorax court, en forme d'alêne; étuis de moitié plus petits que le corps. Cette Mante n'a pas im pouce de long. Tout fon corps & fes étuis font d'une couleur de rouille très -foncée. Son corcelet s'éhirgit à fon infation avec le ventre, 6c dim_inue infeniiblement vers la tête. Il eft plus court que celui des atitres Mantes , en proportion avec les autres parties du corps ; fon ventre ell plat , élargi ; cet infecte tient toujours recourbée en demi-cercle, la partie qui n'efl point couverte par les étuis ; de forte que quand cette Mante eft droite , elle imite affez bien la polition du Sphinx, Ses étuis font deux écailles prefque ovales , qui vont à peine jufqu'à la moitié du ventre. Elle ne vole jamais. J'aurois pu prendre cette Mante pour une larve ; mais , outre que je ne l'ai jamais rencontrée fous une autre forme , une femelle que je confervois fous un bocal a pondu des œufs. Comme cette Mante tft foible, elle ne chalTe qu aux petits infectes ; mais les efpèces précédentes attaquent même les groiTes Sauterelles. On les trouve Part. L V 3o(î Voyage toutes dans les prés. J'ai rencontré ce même infeô^ aux environs de Marfeiile. GRYLLUS, GRILLON, SAUTERELLE, Il paroît que les pays chauds font les contrées les plus favorables aux Sauterelles. Auffi ces infe£les^ fi nuifibles à nos moiffons , forment , en Barbarie , Vers la fin du printemps , des nuées fi épaifîes dans les cam.pagnes & les prairies, que le voyageur eft fouvent incommodé par leur fuite tumuhueufe : mais la végétation eft fi abondante dans ce pays , les terres enfemencées fi peu multipliées , que ce nombre prodigieux de Sauterelles ne fait pas ordinai- rement des dégâts auffi confidérables qu'on pourroit l'imaginer. Il en faut excepter les années oii elles s'avancent par troupes , & parcourent une grande étendue de pays , en n'épargnant ni les moifibns , ni les prairies. Je n'ai pas vu ce phénomène, qui paroît ne pas arriver fouvent ; mais voici ce qu'en raconte le Doâ:eur Shav/, témoin oculaire de ces défaflres. «Les Sauterelles, dit-il, que je vis en 1724 & » 1725, et oient beaucoup plus grandes que nos y> Sauterelles ordinaires : leurs ailes étoient tachetées » de brun, & leurs corps & jambes d'un beau jaune, » Elles commencèrent àparoître fur la fin de mars, » le vent ayant été fud quelque temps auparavant. EN B A R B A R. I E. ^^O'f »Vcrs le milieu d'avril, elles s'étcient fi predigieu- » fement augmentées , qu'au plus fort du jour elles h formoient des efpèces de nuées qui obfcurciïroient f) le ibleil. Environ la 'mi-mai , leurs -ovaires étant » pleins , elles commencèrent à fe retirer les unes » après les autres eans les plaines de Mddjîah 6c » autres lieux voifms, pour y pofer leurs œufs. Le » mois fiiivant, l'on commença à voir de jeunes Sau- » terelles; êCil eft remarquable que dès qu'elles étoient » éclofes, elles fejoignoient enfemble&: formoient une » troupe ferrée qui couvroit pludeurs centaines de » verges en quarré. Prenant enfuite leur route en y> droiture, elles grimpèrent fur les arbres , les murs^& » les maifons , & dévorèrent toute la verdure qu'elles » trouvèrent en chemin, enforte que rien ne leur ^> échappa. Pour les arrêter , les habitans du pays *> creufoient des folTés à travers leurs champs & » leurs jardins , & les rempîiiToient d'eau , ou bien » ils rans^eoient f.ir une même li^ne une crande » quantité de brnyère , de chaume & d'autres ma- » tières combuflibîes , en y mettant le feu à l'ap- » proche des Sauterelles : mais toutes ces précautions « ne fer virent de rien. Les foiTés furent bientôt » comblés , & les feux éteints par les efîaims fans » nombre qui fe fuccédoient les uns aux autres. >) Celles qui marchoient à la tête s'ayançoient fans » rien craindre ; & celles qui fuivoient ferroient \es >► premières de fi près , qu'il kur étoit impofTible V 2 3o8 Voyage » de reculer. Un jour ou deux après qu'un de cei- >> grands corps eut pafTé , d'autres Sauterelles nou- »vellement édofes leur fuccédoient, & venolent >> glaner après les premières. Elles rongeoient les » petites branches & l'écorce des arbres dont les » autres avoient déjà dévoré le fruit &c les feuilles. » Ces Sauterelles ayant ainfi vécu pendant près » d'un mois , détruifant tout ce qu'elles pcuvoient y> rencontrer de verdure , fe trouvèrent enfin par- ^) venues à leur grandeur naturelle , &C changèrent » leur état rampant en fe défaifant de leur peau. Pour » faciliter cette métamorphofe , elles s'attachèrent » par les pieds de derrière à quelque builTon'^ branche » d'arbre ou coin de pierres , & faifant enfuite un » mouvement femblable à celui des chenilles quand » elles marchent , on voyoit d'abord paroître leur » tête, & puis le refle du corps : toute la trans» » formation s'achevoit en fept ou huit minutes; » après quoi elles demeuroient , pendant un court » intervalle , dans un état de langueur ; mais » auffi-tôt que le foleil & l'air avoient durci leurs » ailes , & féché l'humidité qui y reftoit , elles » reprenoient leur première voracité , devenant »même plus fortes & plus agiles qu'auparavant. » Elles ne fubfiftoient pourtant pas long-temps dans » cet état , & fe difperfoient bientôt, comme leurs >► mères , après avoir mis bas leurs œufs. Comme ^> leur vol ôc leur marche étoient toujours du côté EK Barbarie. 309 » du nord , il y a apparence qu'elles périrent dans » la mer , qui , à ce que les Arabes dilent , fert de » tombeau à toute forte d'infeâ:es ailés (i) ». Heureufement les Sauterelles ont une foule d'en- nemis auxquels elles fervent de nourriture. Quoique naturellement herbivores , elles fe livrent entre elles des combats continuels , & les vaincues font tou- jours dévorées , au moins en partie , par les vido- rieufes. Elles font encore la proie des Serpens , des Lézards , des Grenouilles , des Singes même quand ils ne trouvent pas mieux , & de plufieurs oifeaux carnafllers. J'en ai trouvé dans l'eflomac du petit Aigle , de la Chouette & du Hibou. Les Maures , peu délicats fur le choix de leur nourriture, ne font point difficulté d'en manger. Ils vont à la chaiïe des Sauterelles , comme nous allons à la pêche des Grenouilles. Ils les font frire dans un peu d'huile & de beurre, & les vendent publique- ment à Tunis, à Bonne, à Conftantine, &c. L'on ne fera pkis furpris , d'après cela , de voir un de nos prophètes , Jcan-Bapùflc , fe borner à ce feul aliment , & au miel fauvage , dont le goût eft très*» délicat. Gryllus Nasutus (Lin.) Capitc conico^anunnls srujiformibus y corporc viridL Triixaâs Nafutus, Fabricius, » ■ ■ M . I .1. ■ ■ Il I I 11' (i) Voyages de Sha\sr , tomel, page 331. V5 jio Voyage Grillon a antennes prismatiques. Tête c<> nique,* antaines en forme dlépée , corps verd.. . ' •- Cet .infe^^e eil remarquable par fa tête conique , plus alon.e;£e,-'plus longue que le corcelet , ôcparfes antennes • trèsr-gro iTes , triangulaires, terminées en pointe, 6- craifej comme la lame d'une épëe. Elles font pl.icées.triès-'f)roches rune: de l'autre; Tinièfe ks réunit tfès7fouvent ; clkis femblent alors être une, continuation de la tête qui ^ en .cet état , a la forme d'un pain de fucre. ' • J'en ai trouvé deux belles variétés , fi toutefois ce ne font -'p^S- ''deux efpèces diftin£i:es. L'une a les bords des "ailes' '-Vertes , environnés d'une lifiçrè blanchâtre. -L'autre ell grife-par tout le corps. Ses; ailes font marquées" dans leur longueur 'de plu- fleurs lignés failkintes. îl y a 4 dans leur milieu , une dfryèce d'enfoncement où l'on apperçoit plufieursî lignes confufes fermées par des points noirs &S alongés. Le mâle efi de la même couleur , ^ mais de moitié plus petit. La lan^e de ces infedies parok- pendant Thiver. Elle eft- d'une couleur terreufe ou jHimâtre. On la trouva fréquemment' dans les prairies avec les Mantes &c les diifcrentes efpèces de Sauterelles^: — SUBULATUS. ( Lin.) TJiorac's fcutello abdomine longlorc. Grillon a corcelet alongé. (Geoffroy.) L'écufTon du thorax plus long que le ventre. EN Barbarie. 311 — NUMIDICUS (i ) ( nobis. ) Tkorace car'uiûto , ails minimis fquamcis , cauda non armata. Grillon de Numidie. Thorax en forme de carène ; ailes petites , en écailles ; queue fans épée. Cet infe£le efl, dans ce genre, le plus gros que j'ai rencontré. Il approche beaucoup du Gryllus Elepkas figuré dans Rôëfel ; mais il en diffère par des caraftères bien tranchés. UEl^phas n'a point d'ailes; il eft plus gros, plus ram.affé ; fon corps «fl hériiTé en plufieurs endroits de pointes & de tubercules. Cehii-ci n'efl pas auiTi gros ; m.ais il eft beaucoup plus long. Son corps efl très-lifTe , d'un beau verd. A l'infertion des anneaux , de la tête , du corcelet & des pattes , l'on remarque , quand il fe développe , des taches de feu d'un rouge vif; mais ces taches font peu vifibles quand l'infecle eft en repos &: fans mouvement. ïl n'a que deux petites ailes très - courtes , ovales , écailleufes , fortant de deïïbus le corcelet comme deux petites ccriilles. La femelle n'a point de fabre à la queue ; mais fon dernier anneau ell terminé par quatre efpèces de dents femblables aux ergots des oifeaux. Les mâles ont le même attribut; il eft aifé cependant de les diftinguer des femelles , celles-ci étant prefque une fois plus grofîes. (i) Mal gravé dans le Journal de Phyfique. Août 1787, pgC III. V4 3f2 Voyage La larve de cet infefle paroît vers la un de -ieptembre. Elle eft d'une couleur terreufe, jaunâtre. Ccil par cette couleur & par le défaut d'ailes qu elle diffère de riru'v.de parfait ; elle e{x encore facile à reconi,oître par ion extrême foibleffe , ôc par fon épidémie, qui alors ne paroît que membraneux; il ne devient écailleux que lorfque l'infe^le eft arrivé à fon dernier degré de perfection. A mefare que cette larve groflit , elle change de peau; fa couleur jaunâtre prend des teintes plus foncées ; &c fur le point d'achever fa dernière métamorphofe , qui arrive dans le courant d avril ou de mai, elle verdit lin peu y ôc le rudiment de fes ailes commence à paroître. Lorfque le froid efi: vif, elle fe retire dans le fable , oii elle refle fans mouvement 6c fans ap- pétit ; mais des que le temps fe radoucit , alors elle reparoît dans les campagnes , s'attache aux boutons des arbres &: aux jeimes plantes qu'elle dé- vore avec avidité. J'ai parlé plus haut de îa différence qu'il y avoit entre le m-âle 6c îa femelle. Celle-ci pond {qs œufs dans le courant de juillet & d'août. Elle s'enfonce dans le fable perpendiculairement jufqu'au corcelet , développe {^ anneaux pour rendre fon corps plus effilé , & pénétrer avec plus de facilité dans ce fol Uiouvant. Elle a ., dans cet état , près de fix pouces de long , dont quatre font tout-à-fait enfoncés dans le fable. Elle rend fes œufs en maffe , fous la forme EN Barbarie. 313 d'un paquet cy!in'.liiqiie, arqiié d'environ i!n pouce de long fur un demi-pouce de large. Ils font tous ferrés , collés enfemble par une glue noirâtre qui forme, avec le fable dor^t elle efi: mélangée, un rnndic très-tenace. La femelle refte dans cette pofuion pendant plus de huit jours , &z expire enfin fur fa fei.ûlle. Environ deux mois après , lorfque le fable , échauffé par le foleil , a développé le germ.e des œufs , les jeunes larves paroiffent ; mais avant ce fortir de leur retraite , elles attendent qu.e leurs forces piiiîTent fournir à leurs excurfions. Elles ont foin de choinr , pour leur première fortie , ini temps doux &c un beau foleil. D après la manière dont cette Sauterelle pond fes œufs , &C le lieu où elle les dépofe , fon organifation ne doit plus étonner. Le fabre ou le long dard dont font pourvues les autres Sauterelles femelles, lui aurolt été inutile pour s'enfoncer dans un fable mobile : mais fi fon corp> étoit moins efîilé , fi elle n'a voit point la faculté de développer fes anneaux , de hs rétrécir , 6c de former de fon corps une efpèce de piVOt , elle ne pourroit dépofer fes œufs à une piotondeur furiiiante pour les garantir des injures de 1 air, & ia chaleur, qui doit les faire écloire ^ feroit bien moins concentrée. L'on conçoit encore combien de longues ailes l'^uroienî gênée dans ks opérations. 314 Voyage Cette remarque ma conduit à obferver beaucoup d'autres Sauterelles d'une efpèce différente , & j'ai reconnu que leur organifation ëtoit prcfque toujours relative à la manière dont elles p ondoient leurs ceiifs. H en efl dont les ailes font aufTi longues que le corps , & dont le ventre eft terminé par un long dard. Celles-ci dépofent leurs œufs en terre , un à un , à plus ou moins de profondeur. Elles répandent deffus une liqueur gluante. A chaque œuf qu'elles pondent, leur dard , compofé de deux parties creufées inté- rieurement 5 s'entre-ouvre , & chaque œuf gîiffe le long de la futiu'e : d'autres ont les ailes de la lon- gueur du corps , fouvent même plus longues, mais elles font privées d'aiguillon. Les voilà donc forcées de dépofer leurs œufs fur la terre nue, ce qu'elles font en effet. Elles les rendent en maffe avec une glue abondante , propre à les fixer &c à les garantir des injures de l'air. Les œufs enterrés produifent , en Barbarie , des larves dès la fin de l'automne , tandis que ceux qid refient expofés à l'air n'éclofent qu'au printemps. Ces cbfervations pourroient devenir très - utiles aux cuhivateurs, &: leur fournir peut-être les moyens de détruire , au moins en partie , ces infe£les vc- races. Si la terre étoit remuée peu après le temps de leur pondaifon , fi elle l'étoit à une profondeur convenable , la plupart de ces œufs expofés à l'air , à la pluie àc au froid, ne pouvant plus recevoir la EN Barbarie. 315 chaleur oui leur eH néceilaire pour é'clorre , pcri- roient infailliblement-^ ou les jeunes larves , cachées dans le fein de la terre jufqu'à ce qu'elle fe couvre de verdure , &c que ratmofphère foit échauiFée par le foleil du printemps , forcées d'abandonner trop. tôt leur retraite, fupporteroient diiiicjlement la faiiu & le froid : elles feroient. encore «dévorées par une foule d'autre? animaux que lé défaut de nourriture , daiïsV la mauvaire faifon , rend moins dilliciles fui* le choix. Je feviehs à notre infedie, dont j'ai trouvé la variété fuivante. GrYLLU^S NUMIDICUS CRUENTATUS. Corporc maculïs fangiiinels cooperto. Grillon de Numidîe ensanglanté. Tout le corps couvert de taches couleur de fàng. Cette" variété ei1: couverte par- tout de grandesr taches rouges nuancées. On croiroii: , au premier afpcwl: , que cet infe£î:e eit enfanglanté & déchiré par les bleffures. Il n'a que les pattes. &: ks antennes \m peu vertes. Il m'a paru, par des obfervations conftajites , que cette variété n'étoit pas un chan^ gement de couleur dans le Gryllus Numidicus , mais qu'elle appartenoit à un individu féparé , q^-ie les efpèces vertes ne devenoient point rouges : comme cependant je n'ai pu m'aiTurer fi cette variété fe perpétuoit fans mélange , je n'ai pas ofé en faire deux efpèces différentes. 3i6 Voyage — GrYLLOTALPA. (Lin,) Thorace rotundato , aUi cazidads dytrs longioribus , pèdibus andcis palmads tomentojis. Grillon courtilliI:re. Thorax arrondi ; ailes en queue , plus longues que Tétui ; pieds de devant velus , en forme de mains. Cet infefte m'a paru beaucoup plus petit que celui que Ton trouve en Europe, & que les Jardiniers connoiffent fous le nom de Taupc-GrillorK II vit fous terre dans les prairies & les lieux cultivés. . — Campestris. ( Lin.) Thorace rotundato , couda h'ifeta fîylo lincari , alis clytro brcvioribus , corport nigro. Grillon des champs. Thorax arrondi ; queue à deux filets linéaires en formeMe ftylet ; ailes plus courtes que l'étui, corps noir. Voici la defcription d'im autre Grillon peu com- mim , & que je n'ai jamais trouvé que dans les forêts ; mais je n'oferois décider s'il efl larve ou infecte parfait , quoique je l'aie toujours rencontré dans le même état. Il a le corcelet arrondi , la partie antérieure enveloppe la tête; la poilérieureeft relevée, élargie , ridée , avec trois angles obtus ; de deffous ce corcelet fortent deux étuis ou ailes , croifés l'un fut l'autre , ovales, en forme d'écaillé , bordés de jaune, qui dépaffent à peine de deux lignes. Cet infecte EN Barbarie. 317 a la tête & le thorax verds , le ventre bnm ^ nu ^ les anneaux du ventre bordés d'un jaune clair. Sa queue eil un fabre recourbé. Ses antennes font fili- formes , beaucoup plus longues que le corps. Il rend un Ton clair &c agréable par le frottement de les étuis & de fes ailes. îl s'eft confervé dans ma coile£lion en aiTez bon état. Il tient ordinairement fon fabre recourbé fous le ventre. C I C A D A, CIGALE. — P LES El A* ( Lin. ) Sciuellî aplcc hldmtato ^ tfytrls anajlomojihus quatuor ^ limifquc fcx ferru" gineis. Cigale de Provence. Deux dents au fommet de Fécuffon ; quatre étuis en anaflomofes , avec fix lignes noirâtres. Cette Cigale fe tient fur les arbres & dans les buiffcns. '^Hmmathodes, (Lin.) nlgra , immaculatal ahdomine incîfuris fanguineis. Cigale de prés , noire , fans taches , avec deï efpèces d'incifions couleur de fang fur le ventre. Cette Cigale , au moins celle que f aï trouvée J eft de moitié plus petite que la précédente. Je n'y ai point remarqué les taches de fang dont parle Limié ; k tefte de la defcription y convient bien, ^iS Voyage Cette efpèce eft très - commune dans les prés oii fori chant continuel 6c perçant fe fait entendre , fur-tout dans lé haut du jour. En général fa couleur eft d'un brun noir ; mais lorfqu'elle fort de fa chryfalide , fon corcelct , fa tête & fes ailes font d'un très - beau verd. Elle perd cette couleur en moins d'une demi- heure , à mefure qu'elle fe sèche , & que fes ailes fe développent. LIBELLl/LJ. DEMOISELLE. — Ma CUL AT A. ( Lin. ) Jlis pojlicis haji omnibuf- que medio andco macula nigricante. Demoiselle Françoise. Une tache noirâtre à la bafe des ailes inférieures, & à toutes la même tache au milieu du. bord extérieur. ^ Flafeola. (Lin.) Alîs hajî luu'is. Demoiselle jaune. Ailes jaunes à leur bafe. . _ DeprlCSA, ( Lin. ) Ails omnibus haji nlgn- candhus , thorace Imeis duahus Jlavis , ahdomine lanceolato laieribus Jlavefcente, Demoiselle àpplatie. Toutes les ailes noires à leur bafe ; deux lignes jaunes fur le thorax ; ventre lancéolé avec les côtés jaimc*;. Cette efpèce a le ventre gros , large , ôc comme applati. EN B A P. B A R I E. 3Î9 — FORCIPATA* ( Lin. ) Thoracc nlgro characlc" rlhus varlls flavefccndbus cauda unguicidata. Demoiselle a crochets. Thorax noir, avec dilfçrens caractères jaunâtres , & la queue ongui- culée. — jEnea, (Lin.) Thoracc (Emo-^vindL Demoiselle azurée. Thorax d'un verd d'alraîn, .- FlRGO. (Lin.) A lis crcciis coloratis. Demoiselle vierge. Ailes droites , colorées. J'en ai trouvé beaucoup de variétés dont les ailes avoient différentes teintes de noir , de brun , de roux, — Pu ELLA. Ails crcciis hyalinîs, Demoiselte enfant. Ailes droites, couleur ^eau. EPHEMERA. ÉPHÉMÈRE. ^ LuTEA, (Lin.) Cauda trifcta ^ corporc lutco^ alis hyalinis rzticulatis. Éphémère jaune. Queue terminée par trois foies ; corps jaune ; ailes réticulées, tranfparentes , de couleur d'eau. — NlGRA, (Lin.) Cauda hifcta ^ corporc nlgra^ alis nlgricantihus ; infcrioribus mlnimis. 310 Voyage ÉphExMÈre noire. Queue terminée par deux foies ; ailes noirâtres ; les inférieures très-petites. HEMEROB lus. HÉMÉROBE. — Perla, ( Lin.) Luteo - viridis , alis hyalinis : VCLjis viridibus, HÉMÉROBE PERLE , d'un jaune-vercï ; ailes cculeun d'eau; les valffeaux verds. Specicsus. (Lin. ^fufcus , ails grlfeis nlgro rna" cuLzns. HÉMÉROBE BRILLANT , bruH ; ailes grifes , ta- chetées de noir. MYRMELEOK FOURMILION. — LiBELLULOîDES, ( Lin. ) Ails nigro punctath macuUitlfquc, Fourmilion - DEMOISELLE. Ailes ponftuées de noir, avec de grandes taches de même couleur. Ce bel infeâ:e eft afîez commun dans les lieux Ciblonneux, où probablement il dépcfe fes œufs, & où vit fa larve. Ses ailes font grandes , larges , arrondies , plus longues que le corps , ornées de lignes , de points & de taches noires, dont la plupart forment nn quadrille noir & jaune. Les deux pre- mières, étendues en ligne droite , ont quatre pouces d'une extrémité à l'autre. Le corps a dix-huit lignes de long. Il préfente des cercles alternativement jaunes EN Barbarie. 321 & noirs : les côtés font blanchâtres , le deflbiis du ventre eft plus noir que jaune , le corcelet couvert de poils épais. Je n'ai pas pu trouver la larve de cet in feue. — LoNGICORNE. ( Lin. ) Ails fiavîs ; maculh diiahus nigrls difformibus^ anunnis longitudim corporîs. Fourmilion a longues antennes. Ailes jaunes; deux taches noires irrégulières ; antennes de la lon- gueur du corps. — Barbarum, ( Lin. ) AUs hyallms , antznnh longltudine. corporis : clava fuborbiculata, FoRMiLiON DE BARBARIE. Aîles de couleur aqueufe , antennes de la longueur du corps ; le bout des antennes prefque orbiculaire. Ces deux dernières efpèces font beaucoup plus rares que la première. Je n'ai pas rencontré notre Fourmilion d'Europe ( Myrmekon formicarium ) ; mais j'ai trouvé des larves qui reffembloient par- feitement à la fienne. Comme je n'ai pas fuivi leur développement , j'ignore fi elles lui appartenoient. P A N O R P A. PANORPE. .- COA. ( Lin. ) AUs erccils ; pojliàs fublimarlbus longijfimis. Panorpe DE l'isle DE Co. Aîles droites ; les Inférieures prefque linéaires, très-lcngv^3s. Part. L ^ 322 Voyage Ce joli infeûe eft très-remarquable par fes aî!e$ inférieures que Ton prendroit plutôt pour deux balanciers. Elles font longues , prefque linéaires , très-eîHlées à leur origine, s'élargiflent un peu jufqucs vers leur extrémité , où elles forment ime palette ovale qui finit par une queue plate à demi-tordue. Leur coideur eil alternativement blanche & brune. Les a'ies fupérieures font larges, prefque ovales. Son ventre eft orné de bandes jaunes & verdâtres , alternatives 6c longitudinales. S P H E X. SPHEX. '- BlDENS, (Lin.) Atra y abdominc pedolato hrc^ ^iJp.jno y tibiis pojlicis clavatis dcnticulatis rufis, Sphex a deux dents , d'un noir matte , le ventre attaché à un pétiole très-court, les pattes de derrière en forme de clous , denticulées , roufîes. — MaurITANICA. (^Lin,) Ni £;ra , capitc anunnis pcdibufque fcrrugincis , alis limbo îiigro, Sphex de Mauritanie , de couleur noire ; la tête , les antennes &: les pieds couleur de rouille ; le limbe des ailes noir. — Maxillosa (i ) ( nobis ) , nigra , abdomint (i) Très-mauvaife gravure dans le Journal de Phyfique, mois d'Août 1787, page m. EN Barbarie. 325 pet'iolato vLoLaceo-apice fidvo ; maxïllis arcuatis acuds long'itudlm & forma capltis. SrîîEX A FORTES MACHOIRES. De coiileiir noire ; ventre attaché à un pétiole , violet , jaunâtre à fon extrémité; mâchoires arquées , aiguës, de la forme 6c de la longueur de la tête. J'ai trouvé ce bel inib<^e dans la toile d'une araignée , dont je parlerai jdIus bas. Je n'ai pu le rencontrer ailleurs. Peut-être avoit-il été imprudem- ment l'attaquer ; car l'on fait que le Sphex s'empare des araignées ou des larves d'infectes , qu'il les tue , & dépofe fes œufs dans leur cadavre ; enfuite, avec fes deux pattes de derrière , il forme im trou en terre , y place rinfe£le qui renferme fa famille , & en bouche l'ouverture avec foin. Ses petits , un à un dans chaque infefte , trouvent en fortant de l'œuf, une nourriture qui leur convient. Ils ne quittent leur prlfon qxiq. lorfqu'ils font devenus infjcies parfaits. Un caractère tl-appant dans ce Sphex eit la longueur de fes mâchoires. Elles font très-fortes, en forme de pinces , longues , effilées , très-aiguës , couvertes de plufieurs petits poils roufijâtres. Sa tête eft plate, hémifphérlque. Son corcelet a, fur la partie antérieure , deux groffes tubercules noires» La tête & le corcelet font noirs , les ailes fauves , l'extrémité des premières marquées d'une tache bleuâtre. Le ventre a une très-jolie form.e ovale, X 1 324 Voyage Il efl liiTe , d'un bleu d'acier trempe , un peu tacheté de roux aux derniers anneaux. Les pattes font fauves ; cinq articulations aux tarfcs ; à chaque articulation des poils rudes en forme de broiTettes. APIS. ABEILLE. — ClNERARlA, ( Lin. ) Nigra , thorace lùrfuto alhicante ; fafcia nigra , ahdominc cccrukfcejite. Abeille en deuil, de couleur noire, thorax hérilTé dépolis blanchâtres , avec une bande noire; ventre couleur d'azur. Cette Abeille fait fon nid en terre dans les plus épaifles brouiTailîes. — Ru F A. ( Lin. ) Fufca , abdomim rufcfunte l fronu alba. Abeille rousse. Rouffe par tout le corps , le ventre roufsâtre , le front blanc. — MelLIFICA, ( Lin. ) puhfcens , thorace fub-^ grlfeo , abdomine fufco , t'iblis pofilcis cifiatis , intus tranfvcrfi Jlriatis. Abeille Mouche a miel. Velue ; thorax prefque gris ; ventre roux ; pattes de derrière ciliées , ftriées en dedans tranfverfalement. Les Abeilles fauvages, en Barbarie-, dépofent leurs rayons dans les fentes des rochers , dans le creux EN Barbarie. 32J des arbres. Leur miel a une fa\ eiir délicieiife. Les Arabes forment les ruches avec des écorces de liège , gii'ils réuniiient en tuyaux cylindriques , & qu'ils étendent par teiTe en les environnant de broufTaîUes. La cire efl un objet de commerce aiTez confidé- rabie. — CUNICULARIA. ( Lin. ) Pîihcfcens , thorace (zr* ru^'mco y abdomlnc fufco , pcdlbus undiquc villojis. Abeille TERRiàRE. Velue ; thorax couleur de rouille, ventre roux, pieds velus par-tout. J'ai trouvé un très-grand nombre de ces Abeilles dans les citernes qui fe trouvent aux ruines d'Hyp- pone. Elles logent dans des trous qu'elles fe font formés dans une terre sèche &: noire. — Barbara, ( Lin. ) Nigra , thoracls amhîtià rufo» Abeille de Barbarie , de couleur noire ; la circonférence du corcelet roufsâtre. Cette Abeille eft très - petite , toute noire l excepté le corcelet , qui a un peu de roux fur le bord. — FiOLACEA, (Lin, ) Hlrfuta, atray dis ccsm-^ lefcentibus. Abeille violette, velue, d'une couleur matte^ les ailes d'un bleu azur. X3 3ii5 Voyage Cette Abeille le nourr'.t p;ii-ticiiliércment de fruit? Elle loge dans le tronc de:, arbres. — TeRRESTRIS. ( Lin. ) Hlrfuta , nl^ra , thoracis cln^ido JLivo y ano alho. Abeille terrestre , velue , noire, une ceinture jaune fur le thorax , l'extrémité du ventre blanche. — hiVSCOKUM, ( Lin. ) Hlrfuta fulva , abdomine fiavo» Abeille des iMOusses; velue, d'une couleur fauve, le ventre jaune. FORMICA. FOUR ML — Barbara, (Lin.) Atra^ caplu anunnïs plan- tifque ferrugimls. Fourmi de Barbarie , a\m noir matte , la tête les antennes &: les pieds coideur de rouille. Cette Fourmi habite dans les bois. Elle eft grofTe, forte ; fes piquures font très-douloureufes. — RuFA, ( Lin.) Thorace comprejfo totofirru^lnco^ capiie ahdomïjicqiic nlgris, FoURMiE ROUSSE. Thorax comprimée , couleur de rouille ; la tête &c le ventre noirs. Cette Fourmi eft moins greffe que la précédente ; elle n'en eft pas moifts méchante. Elle habite les bois EN Barbarie. 3Î.7 & les Jardins , attaque les fruits des arbres , fait la guerre aux Pucerons , ou plutôt à la liqueur miel- leufe qui découle de leur corps. — NlGRA. ( Lin. ) TotA nigra nidda , tlbiis cint^ rafcentlbus* Fourmi noire. Entièrement noire , luifante ; les pattes un peu grisâtres. Cette efpèce efl une des plus petites. Elle fré- quente les appartemens , s'infmue dans les bufTets , y attaque les fucreries , les confitures , ôcc. & fe multiplie , fur-tout dans les pays chauds , à un tel point , qu'il eft prefqiie impoiïible de fe débarraiïer de ces hôtes importuns. M'étant abfenté pendant quelques jours de la Calle , à mon retour je trouvai ces fourmis établies par milliers dans lap- partement oii je tenois mes boîtes d'infecles. Elle5 les avoient tous mutilés à un tel point , que je fus obligé de travailler à une nouvelle colleâ:ion. Je ne garantis mes nouveaux infe£les de l'attaque de ces Fourmis , qu'en répandant dans mes boites beau- coup de camphre & de térébenthine. Je pris enfuite le parti de fafpendre des planches au milieu de mon plafond avec des cordes trempées dans TelTence de térébenthine , que je renouvellois de temps en temps. Ce moyen me réuïïit parfaitement. Ayant de cette manière mis mes infectes en fiireté , j'imaginai de profiter de la vifite de ces Fourmis X4 32g Voyage pour ctudier leurs mœurs , 6z m'amufer à quelques expériences. Quoique cette petite république ait été afiez bien obfervée , l'on me permettra de préfenter ici quelques obfervations particulières fur ces in- fères , dont les travaux ont fi fouvent excité notre admiration. Il eft peu d'êtres dans la Nature , plus a£lifs , plus laborieux que la Fourni , fi l'on en excepte Tin- duftrieufe Abeille. Par le moyen d'un petit Lézard à demi putréfié , que je plaçai fur une caiïïe où j avois des arbufles , je raiTemblai , en moins de douze heures , des milliers de Fourmis. Il y avoit du plaifir à les voir accourir de tous côtés , fans trop favoir d'où elles venoient. Elles attaquèrent leur proie avec tant d'acharnement, que dès le lendemain elle fut dévorée , & que ces Fourmis s'étoient déjà logées dans la caiffe. Je leiir préfentai plufieurs petits oifeaux ; elles les anatomisèrent prom.ptement , & avec tant de propreté, que l'art ne pourroit parvenir à avoir des fquelettes plus par- faitement dépouillés de toutes portions cartilagineufes ou grailTeufes. Il n'eft point de meilleurs &: de plus habiles anatomiftes , & ceux qui s'occupent de cette fcience, pourrolent, pour les petits fujets, profiter avec avantage des travaux des Fourmis ; mais il faut les fiiivre de près , parce qu'elles s'emparent fort bien des os, après avoir coupé les nerfs qui les unifient» EN Barbarie. 239 Rien de plus admirable que de voir ces Fourmis , k peine vifibles , enlever des fardeaux trè^-pefans , & fe charger d'énormes rochers qu'elles tranlportent au loin , fans êt^e arrêtées par les vallées , les mon- tagnes, les précipices qu'elles rencontrent en leur route. Je les ai vues , chargées d'une patte , d'ime cuiffe à moitié rongées , defcendre du haut d'un vafe de quinze pouces , qui fe retrécilToit vers fa bafe , 6c formoit un précipice rapide & dangereux; je les ai vues , dis- je , le franchir avec courage , & fe rendre avec leur butin dans leur demeure commune , fituée au pied de ce vafe. Trois , f x , huit tout au plus , fuffifoient pour defcendre un fardeau au moins trente fois plus gros qu'elles. Dans ces opérations elles s'entre-aident avec une intelligence admirable. Tandis que les unes faifiiTent le fardeau &c le tirent avec leurs pinces , d'autres pafient deiTous &c le foulé vent pour faciliter le tranfr^ort. Si elles ren- contrent un obilacle infurmontable , elles retirent ^eur fardeau en arrière , fans fe décourager , enlèvent l'obflacle , fi elles le peuvent , ou ont recours à des moyens relatifs aux ci rcon (lances. Il feroit difficile ^ même avec la plus fcrupuleufe attention , de deviner le but de toutes leurs dé- marches. A peine ont-elles trouvé une proie confi- dérable, telle qu'un oifeau, quaufîi-tôt elles com- mencent par l'environner de terre , de fable & de gravier , jufqu'à ce qu elle foit parfaitement enterrée. 330 Voyage Quand elles veillent y travailler , elles découvrcn? les parties eu elles vont allaqiier ; oC le travail fini , elles les recouvrent avec foin. Quel eu donc leur but dans ces pénible, opérations, &c qu'elles regar- dent corAme û eiTcntielles , que fi Ton détruit les monceaux de terre qui recouvrent le cadavre , elles s'emprefTent bien vite de les rétablir ? Seroit - ce pour cacher leur proie aux autres infe£ies voraces ? ou bien pour faciliter leurs travaux , en formant une efpèce de glacis en pente douce jufqu'aux parties les plus élevées de l'animal ; ou pour dérober leurs opérations aux yeux des fpeclateurs, ou plutôt fe dérober elles-mêmes aux ardeurs du foîeil (i)? Quoi qu'il en foit , il ed probable que tous ces grands travaux ne tendent qu'à procurer à la république des jouiiTances plus paTibles , & pour lefquelles l'on facrlHe le repos du moment. C'eil fùrement dans les mêmes vues , qu'après avoir enterré leur proie , elles creufent en deiTous diitérens canaux qui voat aboutir à la demeure commune. S'il s'ac^it au contraire d'une m.ouche . d'un fca- rabé , ou de quelque avitre inlecle de m.édiocre groncur , elles l'attaquent en grand ncmibre , le (i) Le foîeil cîoi!: fi briiLmt dans l*angle oîi elles fe troiivoient, qu'elles ce-flbient de travailler pendant la grofle chaleur, excepte lorfque je les garantiffois avec un vafe ou un autre inftriîaVw-nt, EN Barbarie* 331 falfiffent , 6c le defcendent tout vivant dans leur obi^ cure caver-ie. Ceil-là qu'il trou\'e Ion fupplice & fon tombeau. Je les ai vues attaquer & vaincre de très- gros hannetons que j'avois livrés à leur voracité. Ces combats fe pafsèrent au fond d'un vafe à hauts bords , cil, par le moyen d'un appât , j'avois afTemblé la foui-millière. Elles iaifirent l'animal par les pattes ^ paries antennes, par l'extrémité de fes ailes, &, malgré fes etTorts , elles traînèrent courageufement vers le lieu de fa deftination ce colofie renverfé fur le àc^. Celui-ci fe relève , s'agite , veut fiiir , & entraîne avec lui de nombreufes Fourmis qui lui pendent de toutes paits. Mais bientôt fes forces font épuifées ; il fuccombe , & plie fous les efforts mul- tipliés de fes nombreux ennemis. Il n'a pas même i'efpcir de fe fauver par la courfe. S'il y eft trop habile , les ennem.is qu'il entraîne avec lui , chemin faifant lui coupent les jarrets. Les pattes tombent ; alors plus de difficultés. L'infecle eft conduit dans l'antre ténébreux : mais fouvent l'ouverture en eft trop étroite. Dans ce cas, après avoir effayé en tous fens de faire entrer l'animal , fi l'on ne peut y réuftîr , le parti eft bientôt pris. L'on élargit l'ou- verture , & l'on y tranfpone par morceaux ce qui ne pou voit y entrer en entier. Il ne ftifêt pas à Tobfer^'ateur de la Nature de fuivre pas à pas les opérations des infeâ:es , il doit encore mettre leur intelligence à l'épreuve. Par-là 33* Voyage il reconnoîtra que ces petits arximaux ne font point de pures machines , mais qu'ils favent très - bien -combiner les moyens avec la fin ; & que fi on les détourne de leur route ordinaire , ils en choililTent ime autre appropriée aux circonflances. Ma petite république m'en fournit la preuve. Ayant traverfé un Lézard d'une longue épingle noire ; j'appuyai les extrémités de cette épingle ilir les bords d'un vafe, de forte que la proie étoit fufpendue au milieu du vafe. Point d'autre chemin pour y arriver que l'épingle qui fervoit de pont ; mais d'un pont fi étroit, qu'il ne pouvoit y paiTer qu'une Fourmi de front; & lorfque deux fe rencontroient, il falloit .que l'une pafsât pardeiïus l'autre. Mes Fcunnis , attirées par Fodeur , eurent bientôt trouvé la fource des émanations. Elles s'y rendirent en foule. Il étoit facile à^y arriver. Mais s'agiiToit-il de revenir , ôc fur-tout de revenir chargé ? c'étoit alors que les inconvéniens fe faifoient fentir. Les Fourmis s'em- barraffoient les unes les autres : elles culbutoient par douzaines : le défordre étoit affreux. Enfin les ouvrières, fatiguées par les embarras & les chûtes, prirent le parti d'abandonner le travail & de relier fixées à leur proie, qu'elles rongèrent tranquille- ment. Dans cette pofition , point d'inquiétudes poiu* la vie. Cétoit fort bien ; mais les intérêts communs en foufFroient , & l'cgoïfme ell le vice le plus deilrufieur des républiques. Ces républicaines ne EN Barbarie. 355 purent donc fe foiifFrir long - temps loin de leur patrie, maigre la pofition la plus avantageufe. Les travaux communs étoient interrompus , les prc- vifions manquoient au magafm , la famille languif- foit, les petits mouroient de faim. Mais, que faire? toutes les fois que l'on eïïaycit de paiTer le pont, de nouvelles venues barroient le paffage : les chûtes étoient fréquentes , mais point dangereufes. Guidées pat l'expérience , ces intrépides républicaines réfo- liirent de fe laiiler tomber avec leur fardeau , non pas du pont , mais de la partie inférieure du Lézard • qui touchoit prefque le fond du vafe. Ce moyen une fois trouvé , les Fourmis fe précipitoient en foule avec leur charge , & remontoient centre les parois du vafe. Dès-lors tout fut de nouveau en aûivité. Plus d'obflacles , plus d'em.barras. Quelques- unes , il eft vrai , troubloient l'ordre ; mais le plus grand nombre obfervoit cette marche. Je n'ai pu recueillir qu'un très - petit nombre d'obfervations fur les mœurs des Fourmis. Cette partie exige, de la part de l'obfervateur , beaucoup de précifion , de difcernement , & le taft le plus délicat. Les membres d'une fociété particulière, réunis par des intérêts communs , femblent devoir exclure de leur corps tout étranger qui viendroit fe mêler à eux , & partager leurs richeifes , niêm.e en partageant leurs travaux. L'efprit républicain des Fourmis paroît s'écarter de ce principe. Voilà 3Î4 Voyage ce que j'ai eu lieu de remarquer à ce fiijet. Pal plit* fleurs fois tranfporté quelques Fourmis d'une four- minière dans une autre , ou plutôt , je les ai jettées au milieu des butineufes. Leur arrivée occafionnoit d'abord quelques défordres ; mais bientôt le tout s'appaifoit. Celles-ci étoient reçues & incorporées. Elles fe mettoient auiïi-tôt à travailler pour les intérêts publics, fans être inquiétées. Cependant mes Fourmis étant de la plus petite efpèce , comme je l'ai déjà obfervé , je n'ai pu fuivre long - temps ces nouvelles citoyennes. Il eft fi aifé de les con- fondre , que je n'ofe là-deffus prononcer affirmati- vement. Mais voici qui efl encore plus difficile à expliquer. Pen eftropiai quelques - unes , que je jettai fur le paffage des ouvrières. La prem.ière qui la rencontroit s'agitoit confidérablemcnî , couroit çà & là , comme éperdue; bientôt une féconde arrivoit. Le gros de la troupe ne tardoit pas à recevoir des nouvelles. Auffi-tôt le défordre s'emparoit de la multitude ; les travaux étoient fufpendus. On alloit en foule rendre vifite à l'edropiée. Les unes fe contentoient de l'exa- miner, paiToient outre, & reprenoient leur travail ; d'autres la faififToient , la tramoient quelque temps , & l'abandonnoient. Eniin ime d'entre elles s'en em- paroit. La malade confiée à fes foins, éîoit éloignée de la multitude , conduite loin des travaux &: de la fourmillière , ôc enfin abandonnée à elle-même. EN Barbarie. 335 Que de choies à ciire^ fur un fait aulîi lînguller ; mais auparavant que de chofes à obferver ! L'ordre que les Fourmis obfervent dans leurs travaux, efl encore à remarquer. Chacun fait qu'elles forment ordin ai remuent deux lignes bien tracées, fur. tout lorfque la fourm.illière efi éloignée du lieu cii elles vont bu.tiner. L'une de ces lignes eft formée par les Fourmis qui vont à vuide au travail , & raiitre , par celles qui reviennent chargées. Cepen- dant cet ordre nell pas tellem^cnt exa£^, qu'il nefcit fouvent interrompu. Plus la fourniilliere cfl près du lieu du travail 5 -moins il y a d'ordre. Il eft, en effet, bien m^cins néceffaire, eue daiis les vova^rcs de lonçr cours. L'on apperçoii aufTi plufieurs d'entre elles courant çà 6i là fans paroître av^oir de but déterminé : cependant quelquefois elles s'approchent d'autres Fourmis qui femblent ne rieii faire. Aiiili-tôt ces dernières s'agitent & retournent à l'ouvrage. Ces Fourmis vagabondes feroient-elles des farveillantes pour aiguillonner les pareneufes , & empêcher qu'au- cune d'elles ne foit à rien feire ? Mais faut - il aux animaux d'autre aiguillon que leur propre nature , pour remplir les fon£lions auxquelles ils font d^f- tinés ? D'ailleurs , quand il s'agit de fuppofer des intentions à des êtres aujfîi éloignés de nous , il faut être très-rcfervé & bien voir avant que d'ofer pro- noncer. L'amour du merveilleux nous a fouvent fait prêter une intelligence chimérique à ces petits 35<î Voyage êtres qui occupent un des derniers anneaux dans la chaîne des animaux. Formica RuBRA. (^Lm.) Tejîaaa^ ocuVis punclo* qui fub abdomine nlgris. Fourmi rouge. Teftacée ; les yeux noirs &C un point noir fous le ventre. Je crois que c'efl: cette même efpèce qui, ea Provence, paffe l'hiver fous l'écorce des feps de vignes, où ces Fourmis font entaffées & engourdies. O E S T R U S. U OESTRE. ^ Bons. (Lin.) j4lis maailatls , thorace favo l fafcia fufca , abdomine flavo apice nigro* Oestre du Bœuf. Ailes tachetées ; thorax jaune , avec ime bande fauve ; ventre jaune , l'extrémité noire. La fureur qui tranfporte les Boeufs lorfque cet infede cherche à dépofer fes œufs fous leur peau , efl connue. J'en ai vu des effets terribles en Afrique , où cet infecte paroît acquérir plus de vigueur à mefure que les chaleurs font plus fortes. C'eil: ordinairement depuis dix heures du matin jufqu à trois heures après- midi , qu'il fait lèntir fes cruelles piquures. Dès que les bœufe en font attaqués, ils s'agitent, fe tourmen- tent, ôc finirent par devenir furieux. Ils courent de EN Barbarie. 357 èe tous côtés à travers les forêts, cherchent inuti- lement à fe débarraiîer d'un ennemi qu'ils ne peuvent vaincre. Indociles alors à la voix de leur maître, ils s'égarent au loin , fe difperfent , & quelcuefois reftent perdus pour le propriétaire. Cefr afin d'éviter cet inconvénient, qu'à laCalle on les ramène pendant l'été fur la place dans le haut du jour , &c qu'on ne les reconduit aux pâturages que le foir. «- Njsalis. ( Lin. ) Alis immaculatïs , tliorau ferniglnco ahdom'ine, rdgro , pïUs jlavis. Oestre des chevaux. Ailes fans taches; thora:?^ couleur de roiiiUe , ventre noir avec ûqs poils jaunes. — H^MORROîDALls. ( Lin.) Ails ïmmacidaâs y tlioracù nigro : fcutdlo pallldo , abdomine nlgro ^ haji albo ap'iuqiu fulvo. Oestre hemorrhoïd al. Ailes fans taches ; thora^c noir, avec un écuffon pâle; ventre noir, blanc à fa bafe, &: fauve à fon extrémité. Ces deux efpèces attaquent les chevaux. La pre- mière dépcfe fes œufs dans leurs nafeaux; & la féconde , dans le fondement : mais leurs piqiuires n'excitent pas, dans ces animaux, une fureur égale à celle qui agite les bœufs. Je n'ai point rencontré TOeflre dont la larve fê nourrit dans les finus frontaux du nez des moutons. J'ignore s'il exifte en Barbarie, Pan, L X 3}8 Voyage T I P U L J. TIPULE. — LlTTORALls. ( Lin. ) Kinfcms , dis Imma^ CULUtis , pcdibiis antïcis lon^ijfimïs. TiPULE DES RIVAGES. Verdâtre, ailes fans taches ^ les pattes de devant très-longues. Cette cfpèce eft très-commune le long des étangs , des rivières , & iiir le bord de la m.er. Je ne lui ai trouvé aucune différence avec celle de l'Europe. T A B A N U S. TAON. Mau RIT ANUS, (Lin.) Oculls îiigrkandhusy ahdominis fecundo fegmento macula jùgra , rop'o corpus ceqiiantc. Taon de Mauritanie. Yeux noirs , une tache noire fur le fécond anneau du ventre , trompe de la longueur du corps. Cet infecle eft à-peu-près de la groiTeur de notre Mouche commune. Il eft remarquable par fa longue trompe 6c les anneaux du ventre de différentes cou-» leurs. — BoriNVS. ( Lin. ) Oadis vlnfcmtlbus , abdo* minis dorfo maculis albis trïgonis longltudinalïhis. Taon des bceufs. Yeux verts, taches blanches, triangulaires , longitudinales fur le dos du ventre. EN Barbarie. 339 Cetîc efpèce eft la plus commune. Elle s'attache à la fuite des chevaux & des bœufs. — Mo RIO. ( Lin. ) Oc:ius corporequc tcto atro ^ ails liyalinis. Taon morio. Les yeux & le corps d'une couleur fomJTe, les ailes tranfparentes. On le voit voltiger ccntinuelleinent xlans les foxêts ôc les lieux ombragés. C U L E X. COUSIN. ^PlPIENS, (Lin.) Cincreus^ abdomim annidls fnjcis octo, CousïN C0M?,îUN. De couleur cendrée, huit anneaux bruns au ventre. îl ed fi commun en Barbarie, qu'il ne laiiTe aux hommes aucun repos pendant le jour , & trouble cruellement le fcmmcil pendant la nuit. Il vole toujours en troupes nombreufes. ^Argent EU s. ( nobii) Dorfum fquamîs argmtùs exornatum , tibiis fafciatis* Quoique cetinfede ait été détniit avec beau«^~ coup d'autres dans ma colledion, j'ai cru devoir en parler ici. Il eil de la grolTeur du précédent; mais fi richement paré , que je lui ai fouvent par-» donné fes piquures pour le plaiiir de Tadmirer. Tout fon corps , particulièrement le dos , eft couvert Y z 340 Voyage d'écaillés argentées, comme autant de paillettes orbi- culaires & brillantes. Ses pattes font ornées de bandes alternatives brunes 6c argentées. HIPP OBOSCA, HIPPOBOSQUE. E Q_Ul N A* (Lin.) Alis obtujls , thoracc uWq ^ariegato , pcdibus utradaclylis. HiPPOBOSQUE DES QUADRUPÈDES. Ailes obtilfes , thorax blanc , panaché ; quatre doigts aux tarfes. — AriCULARlA. ( Lin. ) Alis obtujis , thoracc iinlcolore, HiPPOBOSQUE DES OISEAUX. Ailes obtufes 5 thorax cl'une feule couleur. A R A N E A, ARAIGNÉE. De plufieurs belles efpèces d'Araignées que j'ai rencontrées en Barbarie , je ne citerai que celles qui ont plus particulièrement Çiii.h, mon attention par leur couleur , leur forme , leurs mœurs , &c. î^en ayant pu conferver beaucoup d'autres , j'aime mieux n'en point parler que de rifquer de tomber dans quelque erreur , & d'y induire le ledeur. Aranea F ASCI AT a *. (Fabricius, fyft. Entom.) * Figurée dans le Journal de Phyfique j mois d'avril ^7^7» P^ge 141. EN Barbarie. 341 'iAhdomim fdfciîs jlavefccntibusy pcdlbusfufco annulatis^ Miif. D. Bank. Araignée a bandes. Le ventre divifc par des bandes jaunes ; anneaux de couleur fauve aux pattes. L'Araignée que j'ai rapportée, & qui ie trouve dans le cabinet de M. Gigot d'Orcy, me paroît être celle que Fabricius cite du cabinet de M. Bank , & qui vit dans l'île de Madère ; mais fi c'cfl: la même , fes yeux font mal décrits. Au lieu d'être placés dans la cinquième divifion , parmi les Arai- gnées qui ont les yeux difpofés ainfi -j;., elle doit être renvoyée dans la neuvièmxe , parmi celles dont les yeux font rangés de la manière fui vante ♦*::•' Cette Araignée a le corps orné de bandes tranf- verfales noires &: jaunes, femblables à celles de quelques Guêpes. Le thorax eft u.ne écaille dure, ccuvci te de poils blanchâtres. Ses pattes font brimes à leur première divifion , 6^ fe terminent par des bandes alternativement noires & cendrées. Sous le ventre, les bandes , au lieu d'être tranfverfes , font longitudinales, & piquetées de plufieurs petits points noirs. Quand cette Araignée a acquis fon entier accroif- fement, elle efl prefque de la gro^Teur du pouce , ce qui arrive à la fin de juillet. Elle habite les builTons & les haies , oii elle forme fa toile en rézeau à très-larges mailles , dont elle occupe le centre. Ce Y3 34Î Voyage n'cil point pour les petits infeftes que fes filets font tendus, d'oii il leur eft facile de s'échapper à raifon de la largeur des mailles ; ce n'efl qu'aux groiTes Mouches 5 aux Guêpes , aux Bourdons , &: même aux Sauterelles qu'elle déclare la guerre. Dès qu'un de ces infeôes a eu l'imprudence de fe jetter dans fes filets , elle le fait fon efclave 8c l'enchaîne par plufieurs fils. Elle ne lui fuce point le fang ; mais elle commence par lui donner la mort avec (es redoutables mâchoires. Elle en manize une partie , fi elle eil aifamée , 6c met le refre en rcfervT pour un autre repas ; mais elle a foin de cacher fes provifions parmi des feuilles sèches, hors , de la portée de la vue. Je lui ai fouvent trouvé des vivres très-abondans. Chaque proie et oit ren- fermée dans un fac à part , compofé de fils tllTus fans ordre , &C enduits d' une glu noirâtre très- abondante. Ceû parmi ces cadavres d'infedes que j'ai trouvé le joli Sphex à fortes mâchoires , dont . j'ai parlé plus haut (i). Le fac dans lequel elle dépofe fes œufs , eil d'une forme très-fingulière. C'efi: un ovale coupé horizon- talement dans fon milieu , 8z de la groifeur ^um œuf de pigeon. Le tilTu , prefque parchemJné , cû fi ferré , qu'il efl très-difficile de pouvoir le déchirer. Sa partie tronquée eu garnie à fes bords de fept à (i) Sphex maxlUofa , pag. 322. EN Barbarie. 345 huit pointes en forme d'anfes , d'où partent des fils très -forts qui tiennent ce fac fufpendu à peu près comme les lampes de nos églifes. A peine les Jeunes Araignées font forties des œufs , qu'elles rompent l'efpèce d'opercule qui ferme la grande ouverture de l'ovale ; elles rodent en troupes dans les environs, & fe retirent enfuite dans leur pre- mière habitation , cii elles vivent en fociété jufqu à ce que, devenues plus fortes, elles fe féparent & deviennent ennemies mortelles , après avoir vécu en famille & d'un bon accord. Les fils de cette Araignée font les plus forts que je connoiiTe. Je les ai fouvent eflayés avec des fils de foie. Ces derniers , tirés à forces égales , étoient les premiers à fe rompre. Ces fils font d'un luifant argenté , très - longs , faciles à travailler. Ils pour- roient fuppléer à la foie avec un avantage d'autant plus grand, que cet infjcle , ardent au travail, & pourvu de très-gros mammelons , ne tarde pas à .former une nouvelle toile , dès qu'il eu. privé de celle qu'il avoit d'abord fabriquée. Mais fes moeurs in- fociales s'oppoferont toujours aune telle manufiidure. La feule vue de fes femblables met cet infefte en fureur. D'auiTi loin qu'ils s'apperçoivent , ils fondent les uns fiir les autres avec un acharnement qui ne fe termine que par la mort d'un des deux combattans. Les cadavres des vaincus font mis en réferve avec les autres provifions de bouche. Il ell Y4 344 Voyage impoiîible d'en confcrver pliifieiirs en liberté dans un même appartement , quoique placés à des dif- tances très-éloionées. J'avois renfermé une douzaine de ces Araignées dans mon cabinet : la plus forte efl reftée feule maîtreffe du champ de bataille , après huit jours de combats. J'ai fouvent rencontré , parmi les mêm.es buiiTons, une autre Araignée de la même groffeur , de la même famille que la précédente. Elle en a lés mœurs & la férocité. Elle m'a paru nen différer que par fil couleur , qui efl d'un très-beau velouté mêlé de noir & de brun , & formant des nuances très- a^^réables. Cette Araignée ayant été détruite pendant le temps de ma quarantaine à Marfeille , je ne peux en donner une defcription bien exa£le. Elle ne pond point fes œufs , comme la précédente , mais elle les dépofe, en forme de gâteau , fur un corps folide, arrangés fymmétriquement, collés enfemble par une glu blanchâtre , &j: elles les recouvre avec plufieurs fils roux, tiiTus fans ordre, &C fi peu ferrés, qu'il elt facile d'appercevoir, à travers, la dif^^ofition des œufs. J'en ai élevé plufieurs. Elles m'ont paru s'in- quiéter peu du fort de leur famille , qu'elles aban- donnent peu après la ponte , pour aller chercher fortune ailleurs. — Sanguinolent A, (Lin.) Ahdomlm ovato cy> cineo : lima longltuilndi atra. EN Barbarie. 34c Araignée rouge. Ventre ovale , de couleur Toiige , avec une ligne longitudinale d'un noir matte. Cette Araignée court fur la terre dans les champs. Elle loge dans des trous , où elle forme une toile très-irrégulière. — FiRESCENS. ( Lin. ) Abdomîm ohbngo jUvo- viridi : Limis lauralihiis albïs* Araignée vertatre. Ventre oblong, d'un jaune verd, avec des lignes blanches latérales. Elle habite dans les haies & les brouffailles , oîi elle tend ce grands filets à rézeau. — Taraniula, (Lin.) Suhus atra ^ pcdihus fuhtus atro fafchitis. Araignée Tarantule. D'un noir matte en deffous , avec le deiîous des pattes en bandelettes de même couleur. Je ne cite cette Araignée fi célèbre , comme habitante de la Barbarie , que fur la foi des auteurs. Je ne l'y ai jamais rencontrée. S C O R P I O, SCORPION. ^Maurus, (Lin.) Pecîinlhiis 8 dcnrads ^ ma- nibus fubcordaùs punciads^ 34^ Voyage Scorpion de Mauritanie. Peignes à huit dents \ pinces prelque en cœur, poncluëes. Cette efpèce eft très-commune dans le fable , où on la trouve quelquefois par pelotons. Sa couleur eil noire. ^EUROPJEXJS. (Lin.) Peclinibus i8 dentatls ^ majiibîis angulatis. Scorpion d'Europe. Peignes à dix-huit dents; pinces anguleufes. On le trouve fous les pierres , dans les lieux humides , dans les appartemens au rez-de- chauffée. Il m'a paru le môme que celui qui vient en Pro- vence ; mais il eft plus fort & plus gros. — AcsTRALls, ( Lin. ) Pccilnihus 32 dmtaûs , manibus Lccvlbus. Scorpion du midi. Peignes à trente-deux dents ; pinces fans poil. CAXTHJ.B.0IDES, ( Fabriclus , fyjî. EntomoL ) Il refTembîe à celui que Ton trouve aux environs de Paris. CANCER. CRABE. ÉCREVISSE. La famille nombreufe des Crabes n'efl pas moins étonnante par fon organifation particulière que par rinftincl, la fînefîe & les rufes que plufieurs d'entre EN Barbarie. 547 eux mettent en ulage, foit pour fe procurer leur nourriture , foit pour fe défendre &: fe mettre à l'abri des infultes 6c des attaques de leurs ennemis. Ils ont cela de commun avec les infecles , que chez eux les parties molles & les chairs font intérieures , 6c que les os font (Itués extérieurement , ou plutôt qu'ils font remplacés par la membrane dure & cruilacée qui revêt ces animaux. Les deux pattes de devant font tennlnées par des pinces très-fortes, armées de dents qui leur fervent à faifir leur nour- riture & à la déchirer. L'on a remarqué que lorf- qu'on leur coiipoiî une de leurs pattes, elle repouflbit en plus ou moins de temps ; que la partie tronquée étoit bien plutôt remplacée lorfque l'incifion étoit faite à la féconde articulation ; & que quand cette patte étoit caiTée plus haut que la féconde articu- lation , l'anim^al avoit foin de retrancher le reile , jiifqu'à cette articulation. Les Crabes s'accouplent au mois d'avril. La fe- melle fe tient couchée fur le dos , & le mâle fe place deiTus , en la tenant ferrée très-étroitem^ent. Environ trois mois après la fécondation , les Crabes dépofent Iciirs œufs dans le fable aux pieds des rochers. Ces animaux fe nourriiient de vers^ de coquillages , de petits poiifons, &c même de plantes marines (i). (i) Eafter, Opufcul. fubreclva , tome 11, page 12, 348 Voyage La plupart vivent très-bien hors de Teati , Se on les voit , fur-tout le foir , courir fur les rochers , & le long des bords de la mer. Ils paroiffent raëme former entre eux \me efpèce de fociété. Une autre propriété des Crabes eil: de fe dépouiller entièrement de leur enveloppe teftacée tous les ans au mois d'août. Ce moment ell pour eux un état de crife. Après quelques jours de repos Ôc de lan- gueur, ils s'agitent vivement en tout fens, jufqu'à ce qu'ils foient fortis de leur enveloppe, devenue trop étroite pour eux. Ils font alors foibles, mois, incapables de fe foutenir fur leurs pattes jufqu'à ce que , quelques jours après, leur peau fe foit durcie , Se que les forces leur foient revenues : mais en attendant ils ont grand foin de fe cacher , & fur-tout d'éviter la rencontre des autres Crabes , qui les dévoreroient fans pitié. J'ai obfervé , en Afrique , -les efpèces fuivantes : Cjncer CURSOR. ( Lin. ) Brachyums , thoracc Iczvi intcgcrrlmo : latcribus pojllcc marglnato , antenms fiJJiRhus^ caiida rcflexa. Craee coureur , à courte queue , thorax hiTe trc3-entier , échancré en devant fur les côtés , an- tennes fifEles , queue recourbée en deiTous. — MiNUrus. ( Lin. ) Bmchyurus , thomu Iccvl intcgcmmo fubquadrato : marglnc acutiufado , antennîs Invijjimis, EN Barbarie. 349 Crabe a courtes antlnnes , à courte queue, thorax lifTe , très - entier ^ prefque carré , un peu aigu à fes bords , antennes très-courtes. Cette efpèce , dont le principal cara£lère confîfle dans les antennes très-courtes , eft de la grandeur de l'ongle du petit doigt. On le trouve ordinaire- ment dans les Moules , où l'on prétend que , par une efpèce d'accord fait entre lui & la Moule , celle-ci lui accorde un logement &l un afyle qui le met à l'abri de la pourfiiite de {es ennemis , tandis que le Crabe, de fon côté , veille à la confervation de fa bienfai- trice 5 en l'avertifTant du m.oindre danger , lorf- qu'ouvrant fes écailles , elle eu. expofée à l'avidité de certains vers de la clafîe des polypes, qui n'atten- dent que ce moment pour s'introduire dans fa coquille, &1 dévorer la Moule. L'efpèce fuivante rend le même fervice à la Pinne-marine , fi toute- fois l'on peut ajouter foi à un fait qui mérite d'être fuivi avec la plus fcnipuleufe attention, ■- PlNNOTHERES (Lin.) Brachyiirus ^lahcrnmus, thorace lœvi : laurihus andce pLinato , caudœ. m&dio nodulofo-car'mato. Crabe de la Pinne-marine, à courte queue ^ très-glabre ; thorax liffe , applati en devant fur . les côtés ; le milieu de la queue noueux , 5c en forme de carène. 350 Voyage — Ni/CLEUS. ( Lin. ) Brachyurus , thoracc Uvî globofo : unticc utrlnquc unidentato , pojilu rofiroqut bidentato. Crabe globuleux, à courte queue, thorax llfTe en forme de globe , une dent de chaque côté à la partie antérieure , une efpèce de bec à deux dents à la partie poftérieure. Ce Crabe m'a paru avoir tous les caraâcres que Linné lui donne. Sa couleur eft jaunâtre ; il efl de la groffeur de la dernière phalange du doigt. — Araneus. ( Lin. ) Brachyums , tlioraa Kir fut» ovato tuhcrculato , rojiro bifido , manihiis ovatis. Crabe Araignée, à courte queue; thorax veîu, ovale , tubercule ; bouche diviiee en deux , pinces ovales. Cette efpèce devient très - greffe , elle eft fort commune dans les mers de Provence. — Cruentatvs. ( Lin. ) Brachyimis thoracc m- bcrculofo fangiùnco y roflro llncari truncato. Crabe ensanglanté, à courte queue, thorax couvert de tubercules couleur de fang , bouche linéaire tronquée. Cette efpèce approche beaucoup de la précédente. Elle a le dos & les pattes couverts de tubercules de différentes groffeurs. EN Barbarie. 351 — Bernh ARDUS. (Lin,) Macrourus parajidcus y chelis cordatis muricatis : dcxtra maj&re. Crabe solitaire , à longue queue , parafite ; pinces en cœur armées de pointes , la pince droite plus grande. Ce Crabe efl connu vulgairement fous le nom de Bernard-rhcrmite, Comme fon corps efl mol , dé- pourvu de l'enveloppe teilacée de la plupart des autres Crabes , il a foin , pour fe mettre à l'abri des attaques de fes ennemis , de fe retirer dans une coquille vuide , qu'il choiiit ordinairement parmi les Buccins , & qu'il traîne par - tout avec lui. A mefure qu'il grofîit & que cette maifon d'emprunt lui devient trop étroite, il la quitte pour en chercher une autre. Par le moyen des crochets de fa queue , il s'attache fi fortement à une des fpires intérieures de la coquille , qu'il faut beaucoup d'efforts pour l'en arracher. Parmi les coquilles vuides qui fe trouvent fur les bords de la mer , l'on en rencontre un grand nombre habitées par cette efpèce de Crabe. Bajicr (i) remarque que fi l'on brife les coquilles dans lefquelles ces Crabes font logés , on les voit alors , inquiets Ôc agités, chercher leur première demeure; &: que fi deux ou trois fe prcfentent pour occuper une nouvelle coquille , ils fe livrent entre eux un (i) Opuf. fubfec, Liv. II, page lo. 352. Voyage combat très-violent , jufqu'à ce que le plus fort refte en poiTefllon de la ccquille. - HoMARUS. (Lin.) Mdcrourus , thorace antrorfum acukato , frontc Hconù , inaràbus adaclylïs. Crabe Homar , à longue queue ; thorax épineux en devant, front à deux cernes, pinces fans doigts. Ce Crabe eft très-commun. C'eil un mets allez délicat &: très-nourriiTant. ^AretUS. (Lin.) Macrouriis y thorace antrorfum cciikato , frontc diphylla , manihus fubadaciylis, Grabe feuille , à longue queue ; thorax épineux en devant , le front orné de deux efpèces de feuilles, pinces prefque fans doigts. Cette efpèce , quoique bien moins forte & moins abondante en chair que la précédente, fe mange en Provence. Elle a la tête ornée de deux larges appendices en forme de feuilles , divifées , à leur fommet , en fix à fept parties. ^PULEX, (Lin.) Macrourus , artiaiUirls , ma" n'ibus quatuor adaclylïs , pedibus dcccm, Pulcx marinus, Baller. Crabe crevette , à queue alongée, articulée ; quatre pinces fans doigts , dix pattes. Cette efpèce efl petite. Elle vit également dans J'eau douce, comme dans celle de la mer. Elle fe tient EN Barbarie. 355 tient ordinairement cachée dans les plantes marines. Elle faute avec beaucoup de légèreté ; d'où vient que plufieurs Naturalises l'ont appellée Puce de, mer, O N I S C U S. CLOPORTE. ^AsiLUS, ( Lin. ) ab domine fùliis diiobus oke&ô^ cauda femi-ovalî. Cloporte asyle. Ventre recouvert par deux lames; queue à demi-ovale. Je n'ai jamais trouvé cet infedte fur le rivage ; mais les pêcheurs de corail en amenoient fouvent avec la vafe du fond de la mer. Rondelet le nomme Poîi- de mer , Pediculus marlnus, — Aquaticus, (Lin.) Lanceolatùs^ ccùida rotiin-^ daui y ftylis h'ifurcis, ' Cloporte d'eau douce. Corps lancédlé ; queue arrondie ; deux filets divifés en à^ux. Ce Cloporte eil abondant dans les ea,ux flagnantes» — OcEANlCUS, ( L:n. ) OvuUs , cauda. hifida , fiyils hifidïs. Cloporte de l'Océan. Ovale, queue divifée en deux ; filets divifés en deux. Rien de plus commun que cet infecie fur les rochers de la Calle. Il reffemble beaucoup au fuivant, Paru L Z 354 Voyage, &c. — AsELLVS. (Lin. ) Ovalis , couda obtufa , Jîylls Jimpllclbus, Cloporte ordinaire. Ovale, qiieiie obtufe; filets fans aucune divifion. fen ai trouve , comme en France , quelques variétés d'une couleur plus ou moins foncée, noi- râtre , luifante. — ArmADILLO, ( Lin. ) Ovalis , cauda ohtufa intégra. Cloporte armadille. Ovale, queue obtufe, entière. Ce Cloporte, peu différent du précédent, fe roule en boule dès qu'on le touche. Sa couleur efl ordinairement d'un noir luifant ; fes antennes font bordés d'un peu de blanc. On le trouve dans les bois. Fin dg la premurc Partit, TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. N.B. Toutes les efpkes nouvelles font déjîgnées par une N. JJiSCOURS PRÉLIMINAIRE SUR LA BARBARIE. Page } LETTRES ÉCRITES DE L'ANCIENNE NUMIDIE. Lettre première , à M. Foreftier , D. M, Page i Lettre II, au même. 6 Lettre III, au même. 14 Lettre IV , au même. 17 Lettre V, au même. 24 Lettre VI , à M. T. L; 30 Lettre VII, au même. 41 Lettre VIII , à M. F. D. M. 44 Lettre IX, au même. 51 Lettre X, au même. 59 Lettre XÎ , au même. 70 Lettre XîI , au même. 77 Lettre Xlll , au même. 82 Lettre XIV, au même. 86 Lettre XV, au même. 92 Lettre XVI , au même. 99 Lettre XVII , au même, 107 356 TABLE Lettre XVIII, au même. Page 113 Lettre XIX, au même. 117 Lettre XX , au même. 126 Lettre XXI , à Madame c]^\ .... 140 Lettre XXII , à M. F. ... D. M. 147 Lettre XXIII, au même. ' 153 Lettre XXIV, au même. 161 Lettre XXV, au même. 172 Lettre XXVI, au même. 183 Lettre XXVII, au même. 192 Lettre XXVIII, au même. 199 Lettre XXIX, au même. 207 RECHERCHES SUR L'HISTOIRE NATURELLE DE LA NUMIDIE. RÈGNE ANIMAL. QUADRUP£DES. Le Lion. 217 La Panthère & IT/nce. 222 Le Lynx & le Caracal. 229 UHysne. 231 Le Loup. 232 Le Renard Si le Chacal. 234 Le Chat fauvage , le Chat-Tigre y Se l'Ichneumon. 236 UOurs. 238 Le Sanglier. 239 Le Hériffon. 240 Le Porc-épic. 241 Le Cerf, la Gazelle & le Bubale. 242 Le Taureau. 24$ Les Chèvres Se les Brebis, 547 D E s M A T I È R E s. 3^:?' Le Chameau. Page 249 Le Cheval. 251 Le Chien. 253 Les Singes. 256 Le Phoque ou Veau-mnrin. 260 De quelques autres animaux qui fe trouvent en Numidie &. en Europe. 261 Les Oiseaux. Le grand Aigle ou l'Aigle Royal. 263 L'Aigle commun. 264 Le petit Aigle. ib'id L'Aigle de mer, ouXq Balbuzard. 26$ Le grand Aigle de mer , ou l'Orfrat. ibid. Le Vautour. i^'^d. Le Milan. . ^^^ La Bufe. J^id, UÉpervier. ii>id. L'Autour. i^ià. Le Faucon. i^'id. Le Hou-Baara ou la petite Outarde huppée. ^67 Le Rhaad ou Saf-faf. ib'id. La Pintade ou la Poule de Numidie. 268 La Gélinote. 269 Le Gangaow la Gélinote des Pyrénées. ibiâ^ La Perdrix rouge de Barbarie. 270 Le Francolin. ibid. Les Cailles, les Pigeons, les Ramiers , les Tourterelles. ibld. Le Corbeau. i^'^d. Le Geai. 271 L'Étourneau ^^bld. 358 TABLE Le Loriot. Page 271 La Grive commune* ibid. Le Green-Thrush. 172 Le Merle. ib'id. Le Moineau, ibïd. Le Pinçon. 273 L'Alouette. Ib'id. Le Roffignol. ibïd. Le Motteux. ibid. Le Coucou, ibid. La Hupe. 2-74 Le Guêpier. ibid. L'Hirondelle. 275 Le Pic-vert. ibid. Le Martin-Pêcheur. ^76 La Cigogne. ibid. Le Héron. 277 Le Héron de Madagafcar. ibid. La Spatule. ibid. La Bécaffe. 278 Le Chevalier. ibid. Le Chevalier à pieds rouges. ibid. Le Courlis. ibid. L'Echaffe. ibid. Le Vanneau. 279 La poule d'eau , les Sarcelles & les Macreufes. ibid. Les Canards. ibid. Le Goéland. ibid. Le Flamînant ou Phénicoptère» aSo L'Autruche. i ibîJ. D E s M A T I È R E s. 3^9 ANIMAUX AMPHIBIES. LesReptiles. Tortue. Tejludo, Page 283 — coriace. — corîacea. ïbid. — de Grèce. — Graca, ïbid. Les Serpens. 284 Le Zurreich, 28s Le LefFah. 286 Lézard. Lacerta, ibld. — vert. — agilîs. ibid. — d'Alger, «— Algira, 287 — Caméléon. — Chamœlean, a8S — Chalcidique, — Chakidîs. ^S9 — commun. — vulgarîs. ibid. — des marais. ^—paluflrls. 290 — Salamandre. — Saiamandra, ibid. I N S E C T E s. Scarabé. Scarabaus, — à étuis faiilans, N. — marginatus. 29X ^ Rhinocéros. — Rhinocéros, 293 — Moine. — Naficorms. i^i^ — facré. — facer. ibid. — d'Efpagne. — Hïfpankus, 297 '- Taureau. — Taurus. ibid. — des fables. — fabulofus. ibid. — foulon. —fullo. 298 — cuivreux. — arug'inofus» ibid. Efcarbot. Hljîer. ibid. •^ de Barbarie, — Major, ibid. 360 TABLE Tourniquet. Gyrlnus, Page 299 — nageur. — natator. ibid. Charanfon. Curcul'w. ib'id. — de la vefce. — cracœ. ibid. — d'Aîger. — Algirus, îb'id' — de Barbarie. — Barbarus* ïb'id. Capricorne. Cerambix. 300 — noir. — ater. ibid. — roux. — canthannus. 301 Ditique. Ditïcus, ibid. — hydrophile. — Piceus, îbid. — de Numidie. — StiEiïcus. ibid. Carabot. Carabus, ibid. — cuivré. T- granulatus* ibid. — applati. r- compta natus. 302 Ténêbrion. Tenebrlo. ibid. — géant. — glgas. ibid. — épineux. •^fpinofus. ibid. Staphylin. Staphylïnus, îbid. — hériffé. — h'irtus. ibid. — couleur de rouille. — erytropterus. 303 Blatte. Blatta. ibid. •— d'Afrique. — Afrïcana. ibid. Mante. Mamis, ibid. — prie Dieu. — oratorla. ibid. — dévote. — rd'igiofa. 304 — Sphinx. N. — Sphinx, 305 Grillon , Sauterelle. Grylluf. 306 — à antennes prifmatii îues. — najutus. 310 — à corcelet alongé. — fubulatus. ibid. — de Numidie. N» — Numidïçus^ 3ÏÎ D E s M A T I È R E S. 36, — enfanglanté. N. — cruentatus. Page 316 — coiirtillière. — gryllotalpa. ibid. — des champs. — campejlrls. ibid. Cigale. Cicada, 3^7 — de Provence. — Plebela. Idlb. — de prés. — hœmathodes. ibid. Demoifelle. Libellula. 318 — françoifc. — maculata. îb'id. — jaune. —fiaveola. ib'id. — applatie. — deprejfa. îbld. — à crochets. — forcipata. }]9 — azurée. — anea. îhîdm — vierge. — virgo. ih'id. — e.ifant. — puella. îbid: Epl'femère. Ephemera, ïbid. — jaune. — - liitea. ibid. — noire. — nigra. 320 Hémérobe. hemerobus. ib'id. — perle. — perla. ibid. — brillant. '- fpecïofiis. ibid. Fourmilion. Myrmekon. ibid. — demoifelle. — Ubelluloides, ibid. — à longues antennes. — longkorne. 321 — de Barbarie. — Barbarum» ib'd. Panorpe. Panorpa, ibid. — de nie de Co, — Coa, ibid. Sphex. Sphex, 322 — à deux dents. — bldens. ibid. — de Mauritanie. — Maurlunîca, ibid. — à fortes mâchoires. N \. — maxillofd. 323 Abeille. Apis. 324 — en deuil, -^cinerarîa^ ibid. yç. TABLE. — Rouffe: — rw/i. Page 324 — Mouche à miel. - Mell'ifica. îbîd. — terrière. — cunîcularia» 325 — de Barbarie. — Barbara, ïbid. — violette. — violacea» îbid. — terreftre. — terre jlr'is. 326 — des moufles. — Mufcorum, îbid. Fourmi. Formica. îbid. — de Barbarie. — Barbara» îbid. — rouffe. — rufa. ibid. — noire. — nîgra. 327 — rouge. — rubra» 336 rOeftre. Oejîrus. îbid. — du bœuf. — bovis. îbid. — des chevaux. — nafalîs. '337 — hémorrhoïdal. — hczmorroldalis. ibid. Tipule. Tipula, 338 — des rivages. — lïttoralis. ibid. Taon. Tabanus, îbid. — de Mauritanie. — Maurltanus, ibid. — des bœufs. — bovïnus. îbid. — morio. — Morio, 339 Coufin. Culex, îbid. — commun. — pipiens. îbïd. — argenté. N. — argenleus. ibid. Hippobofque. Hippobofca. 340 — des quadrupèdes. — equina. îbid. — des oifeaux. — avicularîa. îbid. Araignée. Aranea, îbid. — à bandes; — Fafciata, 341 — rouge. -^fanguinolenta. 34T — verclâtre. — vire/cens. îbid' D E s M i- Tarantule. Scorpion. — de Mauritanie. — d'Europe. — du midi. Crabe , Ecreviffe. — coureur. — à courtes antennes. — de la Pinne marine. — globuleux, — Araignée. — enfanglanté. — l''P^^ 4 » ^«^ > ^^fil ^^' Page 166 , mais l'objet le plus frappant , &:, Note. Les colonnes & les ornemens dont il eft parlé dans cet article, obfervés par d'anciens voyageurs, nVxif- tent plus aujourd'hui , au moins les reAes en font mécon- noilTables. Les deux éléphans en bas-relief n'ont poi-n^feur trompe entrelacée , comme le D. Shaw Ta figuré , . ^^is ils font placés vis-à-vis l'un de l'autre. Les pieds de-la femme qui eft au-defTus ne pofent point fur les éléphans^ Page \yo ^ Bugie , [ur la côte ^ (S-c. Note, Il n'y a plus aujourd'hui qu'un feul château à Bugie : les deux autres ont été détruits. Page _yjp , ligne /p, ajoutez : Cousin argenté. Tout le corps couvert d'écaillés argentées , des bandes brunes & argentées arx pattes. i V BOSTON UNIVERSITY 1 17n DlOat. 3SfiT BOSTON UNIVERSITY LIBRARIES Not to be taken from this room