m ■^- 7^ >r i: '■^ ' M^ ,t ^•->- -•' "'-1 v;>' m .^•?w THE LIBRARY OF BROWN UNIVERSITY THE GHURGH COLLECTION The Bequest of Colonel George Earl Church 1835-1910 i VOYAGES DANS L'AMERIQUE MERIDIONALE. Veux exemplaires de cet ouvrage ont été déposés à la Bibliothèque impériale. Tous ceux qui ne seront pas signés par inoi^ seront saisis, , On trouve chez le même Libraire .• VOYAGE EN ESPAGNE, fait dans les années 1786 et 1787, par Joseph Townsend; contenant la description des mœurs et usages des peu])les tie ce pays; le tableau de l'agriculture, du commeixe^ des maiiufactures , de la population , des taxes et revenus de cette contrée , et de ses diverses institutions ; traduit de l'anglais sur la deuxième édition, par J. P. Picm-Mallet, de Genève, avec des notes du traducteur -, orné d'un bel atlas de vingt-deux planches contenant la Carte générale de l'Espagne et de Portugal , dressée d'après Don Lopez et Tofino^ et assujétie aux nouvelles observa- tions , par P. Lapiey Ingénieur-Géographe -, plusieurs vues , plans , cai-tes, etc. 3 vol. i/i-S» sur papier lin d'Angouléme. Prix 3olr. ïl a été tiré quelques exemplaires sm* papier vélin superfin. 60 fr. VOYAGES DANS L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE , PAR DON FÉLIX DE AZARA, COMMISSAIRE ET COMMANDANT DES LIMITES ESPAGNOLES DANS LE PARAGUAY DEPUIS 1781 jusqu'en 1801 ; Contenant la description ge'ograpliique , politique^-et civile du Paraguay et de la rivière de La Plata; l'histoire de la de'cou- verte et de la conquête de ces contre'esj des de'tails nom- breux sur leur histoire naturelle, et sur les peuples sauvages qui les habitent; le récit des moyens employés par les Jésuites pour assujetir et civiliser les indigènes, etc. PUBLIÉS d'après les MANUSCRITS DE L AUTEUR, AVEC UNE KOTICE SUR SA VIE ET SES ÉCRITS, PAR C. A. WALCKENAER; ENRICHIS DE NOTES PAR G. GUVIER, SECRÉTAIRE lERPIÉTUEI^ DE tA CLASSE DES SCIENCES PHYSIQUES DE L'INSTITUT, etC. Suivis de l'histoire naturelle des Oiseaux du Paraguay et de LaPlata,par le même auteur , traduite , d'après l'orif^inal espagnol , et augmentée d'un grand nombre de notes , par M. SONNINI ; ACCOMPAGNÉS d'uN ATLaS DE VINGT-CINQ PLANCHES. TOME PREMIER. PARIS, DEINTU, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE PU PONT-DE-LODÎ, n«> 3. 1809. AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR. iVloNSiEUR d'Azara vint en France en i8d2v Je me liai à cette époque avec cet homme célèbre. Il m'honora de son amitié: non-seu- lement il eut la bonté de me prêter tous ses manuscrits et de- me permettre d'en prendre des extraits , mais il me donna un calque de sa carte générale, sur lequel il se donna la peine de fixer lui-même l'emplacement et le nom de tous les peuples sauvages qu'il avait visités. Je réservais ces précieux matériaux pour ma propre instruction, sans me permettre d'en faire aucun autre usage, lorsque, deux ans après^ M. Dentu, qui publie aujourd'hui les Voyages de M. d'Azara, m'en remit le ma- nuscrit. Il en était devenu propriétaire par suite de circonstances qu'il est inutile de dé- velopper. Il m'invita a en diriger l'édition. Je reconnus que ce manuscrit était le même que celui qui m'avait été prêté par M. d'Azara.: 11 l'avait fait traduire sous ses yeux , d'après \j AVERTI SSEMENt son original espagnol. Son illustre frère , alors ambassadeur d'Espagne enFrance , l'avait revu et corrige. J'appris à Don Félix d'Azara, avec lequel Je n'avais pas cessé d'être en correspondance, qu'un libraire français était devenu proprié- taire de ses Voyages , et qu'il se proposait de les publier. Je l'engageai à concourir lui-même à cette édition , à ne pas la laisser paraître incom- plète , et à me livrer ce qu il avait encore entré les mains ; il y consentit sans peine, à condi-' tion que je me chargerais de diriger l'impres^ sion. Le manuscrit dont j'ai parlé était accom- pagné de la grande carte n° 3 de l'atlas gravé, îl m'envoya toutes celles que l'on y voit actuellement ; il accompagna cet envoi dé son portrait, que je lui avais demandé , ainsi que d'un grand nombre d'additions et de corrections qli'il rrï^^pria d'incorporer dan^ l'ouvrage» Le plus grand nombre de ces cor- rections portait sur la jpartie historique , que des documens plus authentiques et plus com- plets trouvés à Madrid dans les archives du gouvernement, l'avaient mis à portée de recn ailier. DE L ÉDITEUR. Yi^ Monsieur d'Azara m'engagea à joindre a son ouvrage les remarques et les observations que je lui avais faites de vive voix. J'ai cédé à ses instances, et j'ai accompa- gné cette édition de quelques notes : actuel- lement que deux ans se sont écoulés depuis qu'elle est imprimée , je pense que j'ai eu tort. En effet, lorsqu'un éditeur se permet de sortir des modestes fonctions que son titre lui impose, pour interrompre son auteur, il faut que l'importance . Miguel de Salcedo poz no anno de 17 55 à Praça da noya colonia do Sacramento , sendo governador da mesnia Praça Antonio Pedro de Vasconcellos ^ bri- gadeiro dos cxercilos de S. Magestade ; com Algunos Xiv NOTICE découvertes à faire. Pour marquer les limites respectives de leurs domaines ignorés , ils tracèrent mie ligne sur le globe dont ils étaient bien loin de connaître les di- verses parties. Dès-lors les résultats des nombreux et périlleux voyages qu'on entreprit depuis , furent cachés avec autant de soin , qu'on avait mis auparavant d'em- pressement à les divulguer et même à les exagérer : non- seulement tous les pays oii les Espagnols et les Portugais restèrent les maîtres , furent dérobés à l'œil curieux de la science , mais ils s'efforcèrent encore d'exclure de ceux- mêraesoii ils n'avaient pas pénétré les autres puissances de l'Europe. Ils les considéraient comme des usurpatrices de leurs futures conquêtes , et punissaient leurs navigateurs comme des anticipateurs frauduleux des découvertes qui leur étaient réservées. Ainsi les deux nations qui avaient donné à la géographie la plus forte impulsion qu'elle eût jamais reçue, furent précisément celles qui mirent le plus d'obstacles à son avancement. Mais c'est en vain qu'elles tentèrent de réserver pour elles seules la lumière du flambeau qu'elles avaient allu- mé : une si riche proie éveilla l'ambition et l'avarice des autres peuples 5 ils rompirent ce sceptre maritime in- justement usurpé, et s'en partagèrent les débris. Cependant y même après la chute de leur puissance, les Portugais et les Espagnols reslèrent presque seuls en possession des côtes orientales et occidentales de l'Afrique, de l'Amérique méridionale, et de cette grande isthnie, si riche, si peuplée, qui unit ensemble les deux continens américains , et ne semble faire partie d'aucun des deux. Ils continuèrent alors à garder le plus profond silence sur toutes ces vastes contrées, et une adminis- tration inquiète et jalouse interdit à cet égard toute es- SUR DON FELIX D AZARA, XV pèce de recherches aux nations qui leur étaient étran- gères. Ce système, que l'avarice, l'orgueil et une ambi- tion usurpatrice leur avait suggéré , leur fut alors en quelque sorte commandé par la faiblesse, la crainte, et la nécessité. Durant deux siècles, quelques relations en petit nombre^ incohérentes et peu satisfaisantes, quelques cartes levées à la dérobée et évidemment fautives, furent tout ce que les savans purent se procurer sur cet immense continent de rAmérique méridionale, et sur le Mexique. Si les gou-- vernemens espagnols et portugais ordonnaient, pour leur propre instruction, des travaux géographiques, ils étaient cachés avec autant de sévérité que si leur seule vue eût compromis le salut de l'état. C'est ainsi que les planches de la province de Quito , dressées à Paris par le célèbre d'Anville, par ordre du roi d'Espagne, furent enlevées à leur auteur avant même d'avoir été achevées; et que la grandecartegénéraledel'Amérique méridionale, terminée à Madrid en \ 775, recelée avec soin , a été inconnue aux savans jusque dans ces dernières années. Mais les grandes secousses qui ont agité le monde de- puis vingt ans, et qui durent encore, semblent avoir in- flué sur l'antique politique de la cour de Madrid • : soit que la longue interruption des communications avec ses lointaines possessions ne lui ait pas permis d'exercer une aussi exacte surveillance j soit qu'elle n'ait pu tenir dans les circonstances où elle s'est trouvée , d'une main asseT, ferme , les rênes du gouvernement de ces colonies si riches, si peuplées, et qui ne reçoivent plus aucun bienfait de la mère patrie. ' Ceci a été écrit avant les dernières rérolutions qui ont eu lieu en Espagne. XvJ NOTICE Quelles que puissent être les causes , les effets n*ont jamais été plus grands ni plus sensibles. Des voyages ^ des dissertations, des mémoires, des recueils périodiques, écrits avec un savoir et un discernement dont s'hono- rerait la vieille Europe , par des hommes résidans et nés dans le pays même, nous donnent les notions les plus exactes et les plus détaillées sur ces belles contrées oii elles ont été imprimées et publiées : quelques exemplaires de ces différens ouvrages sont parvenus depuis trois ou quatre ans sur l'ancien continent : on en a traduit des extraits dans diverses langues , nos systèmes de géogra- phie s'en ; ont emparés , et elles vont devenir en quelque sorte populaires. D'autres écrits non moins précieux ont paru, sur lemême sujet, dans la capitale de l'Espagne même- Bien plus, le gouvernement espagnol n'a pas seule- ment toléré , mfiis a secondé et protégé les travaux de ce savant et courageux étranger • qui a levé, observé et dé- crit, toute la partie septentrionale des vastes possessions de l'Espagne en Amérique , avec la science consommée du géographe , du physicien et du naturaliste , et qui publie , dans le moment oii j'écris, le résultat de ses recherches. Presque toute la partie méridionale avait été depuis long-temps levée et décrite par un des plus habiles ingé- nieurs et un des plus courageux officiers dont l'Espagne puisse se glorifier, et le fruit de ses longs et pénibles travaux paraît maintenant sans aucune opposition. Enfin , quoique les Portugais nous tiennent , relative- ment à leurs possessions en Afrique, sur-tout sur la côte orientale , dans la même ignorance où nous étions il y a deux cents ans , cependant il n'en est pas de même à regard de leur vaste empire dans l'Amérique méridio- *M. DeHuniboldt. SUR DON FÉLIX d'AZABA. xvij Xiale; la dernière carte de cette partie du monde que Faden vient de faire paraître à Londres, si remarquable par la beauté du dessin et de la gravure, l'est encore bien davantage par des détails nombreux et entièrement neufs sur le Brésil , réduits d'après des levées faites avec soin par des ingénieurs portugais, et communiqués par eux. Il n*y a pas d'exemple d'une telle abondance de lu- mières versées tout à coup sur un si vaste pays, après d'aussi longues et d'aussi épaisses ténèbres. Au milieu des événemens mémorables qui distingue- ront dans l'histoire le commencement du dix-neuvième siècle, les pacifiques annales des sciences n'oublieront pas cette subite révolution qui s'est opérée dans nos con- naissances sur l'Amérique méridionale, et placeront en tête de cet intéressant récit les noms de Humboldt et d'Azara. Telle était la confiance que les savans avaient dans rhabileté de Humboldt , que ses travaux , long-temps avant d'être achevés, jouissaient déjà de toute la réputa- tion qu'ils ont justifiée depuis ; et qu'à peine avait-il com- mencé sa périlleuse entreprise, que les échos de la re- nommée répétaient de toutes parts son nom dans l'Eu- rope savante. Oublié dans des déserts , étranger aux progrès rapides des sciences naturelles, sans aucune communication avec le monde civilisé , d'Azara avait entrepris et terminé la description et la délinéation d'un pajs de plus de cinq cents lieues de long sur trois cents lieues de large; il avait observé l'homme sauvage avec plus de soin qu'on avait fait avant lui; il avait seul, sans le secours des observations, des collections et des livres , fait faire des X\ll| NOTICE progrès immenses aux deux parties les plus importantes de l'histoire naturelle des animaux, celle des quadru- pèdes et celle des oiseaux, et l'on ne soupçonnait pas tnême en Europe son existence; on est loin de savoir encore tout ce dont les sciences lui sont redevables : j'espère donc que le lecteur accordera, sans regret, quelques moraens à la lecture des pages suivantes , desti- nées à lui mieux faire connaître un homme qui a con- sacré tant d'années à notre instruction. Don Félix de Azara est né à Barbunales, près de BaU bastro, le 18 mai 1746. v?on père se nommait Alexandre et sa mère, Marie de Perera. Ils vécurent tous deux dans leurs terres, loin du théâtre du monde, et trouvèrent le plus certain des bonheurs dans l'accomplissement du plus doux des devoirs : leurs fils , Don Nicolas et Don Félix , dont ils dirigèrent l'éducation, devenus célèbres par des succès de genres bien différens, recommanderont leurs noms à la postérité. Don Félix d'Azara fit ses premières études à l'univer- sité de Huesca, en Arragon. Après sa philosophie il entra dans l'académie militaire de Barcelone. Durant tout le temps de son instruction il ne parut pas dans la maison paternelle. Peu de jours avant sa naissance, son frère Don Nicolas d'Azara , qui avait alors quinze ans , avait été envoyé à l'université de Salaraanque. Les deux frères ne s'étaient jamais vus, lorsqu'en 1765, Don Nico- las ayant obtenu, par la protection du ministre Ricardos, une place d'agent auprès du saint-siége , passa par Bar- celone, y rencontra Don Félix ^ et n'eut que le temps de le serrer dans ses bras : ils furent ensuite trente-cinq ans sans se revoir. SUR DON FELIX D AZARA. XlX Don Félix avait alors dix-neuf ans, et âgé de plus d« cinquante, il ne put se défendre d'un sentiment de sen- sibilité inexprimable, en racontant, à l'auteur de cette notice, cette première entrevue avec un frère chéri. Hélas I il pressentait qu'après tant d'années il n'était venu se réunir à lui que pour s'en voir de nouveau presque aussitôt séparé par la mort ! Un an avant cette entrevue , Don Félix avait déjà commencé sa carrière militaire, et avait été nommé cadet dans le régiment d'infanterie de Galice, le premier sep- tembre 1764. Le 5 novembre 1767^ il fut nommé enseigne dans le corps du génie j et le 28 septembre 1776, il fut promu au grade de lieutenant. Il fit , en cette qualité , la guerre contre Alger : des- cendu un des premiers sur le rivage , il fut atteint d'une grosse balle de cuivre, et laissé comme mort sur la place. Les soins d'un ami et la hardiesse d'un matelot qui lui ôta la balle avec un couteau, le rappelèrent à la vie, mais il souffrit des douleurs inouies , parce qu'on fut obligé de lui enlever le tiers d'une côte. Cette blessure fut cinq ans à se fermer: elle se rouvrit encore cinq ans après, tandis qu'il était en Amérique , et il en sortit un autre morceau de côte. Dénué des secours de l'art , il guérit assez, promp- tement sans appliquer aucun remède. Dans le même pays, en courant à cheval dans les déserts, il fit une chute et se cassa la clavicule j il guérit pareillement sans y rien faire. Il n'a jamais été malade," et a toujours joui d'une santé robuste. C'est ici le lieu de parler d'uri fait singulier avancé par M. Moreau-de-Saint-Mérj, qui a dit, en parlant de Don Félix : u II offre peut-être l'exemple « unique en Europe d'un homme chez qui l'aversion XX NOTICE « pour le paîn est si forte , (ju'il n'en a jamais mangé, n Ce fait me parut assez extraordinaire pour en demander par écrit la confirmation j je rapporterai textuellement la réponse que Don Félix eut la complaisance de faire aux diverses questions que je lui adressai à ce sujet, u J'ai « mangé du pain, sans une inclination particulière pour «cet aliment, jusqu'à l'âge d'environ vingt-cinq ans. « Mais ayant éprouvé , à cette époque de ma vie , une t( grande difficulté pour digérer, suivie d'un malaise uni- « versel , sur-tout après mon dîner, je consultai un habile « médecin de Madrid; il imagina que mon mal pouvait « provenir du pain , et me conseilla de n'en plus manger. t( Ce que je fis. Bientôt mon incommodité disparut, et, %i depuis cette époque, je n'ai jamais été malade. La pri- « vation du pain m'a fait trouver un goût plus agréable « aux autres alimens, que lorsque je les mêlais avec cette w nourriture générale de l'homme. Rien ne remplace le « défaut de pain dans ma manière de vivre. J'observe « que je suis un peu plus enclin à préférer les légumes et c( le poisson à la viande. Au reste , il n'est pas singulier w que je ne mange pas de pain, puisque les habitans des «pays que j'ai parcourus n'en mangent pas non plus, « et qu'ils vivent autant et plus que nous ' )). Le 5 février 1776, Don Félix d'Azara reçut le rang de capitaine. . L'année suivante , les cours d'Espagne et de Portugal, toujours en guerre sur les limites respectives de leurs ^possessions en Amérique, en fixèrent les bases par le * Le sophiste Linguet , qui a fait un livre pour prouver que tous les désordres physiques , politiques et moraux, provenaient en Europe de la culture du blé , et de l'usage du pain comme aliment , eût été bien content de connaître ce fuit extraoï'dinaire. SUR DON FELIX D AZÀRA, XXJ traité de Saint-Idclfonse , dont la ratification cul lieu par la paix de Pardo, en 17 78. On nomma de part et d'autre des commissaires pour déterminer, sur le terrain, les limites des deux états, conformément aux conditions du traité. Don Félix d'Azara fut un de ceux qui furent choisis par la cour de Madrid. On l'attacha au corps de la marine en qualité de lieutenant colonel d'ingénieurs , le 1 1 septembre 1 780. Il s'embarqua, en 1781 ,à Lisbonne, et fit voile pour l'Amérique , sur un bâtiment portugais, l'Espagne se trouvant en guerre avec l'Angleterre. Il apprit en mer qu'il avait été nommé capitaine de frégate 5 le roi avait jugé convenable que les commissaires fussent tous offi- ciers de marine. Les commissaires ingénieurs espagnols terminèrent les opérations dont ils étaient chargés; mais comme les Por- tugais, par l'exécution stricte du traité , eussent été obli- gés d'abandonner des pays dont ils s'étaient emparés, ils cherchèrent à différer, autant que possible, la conclusion <àes leurs, et à éluder les clauses de leurs engagemens. Ils ne furent que trop bien servis par l'insouciance ou la connivance coupable des gouverneurs espagnols. Don Félix se trouvait donc dans l'âge de l'activité et de l'ambition, retenu dans ces contrées sous le vain pré- texte de terminer une affaire que l'on cherchait à rendre interminable. Alors il conçut le hardi projet de dresser une carte du vaste pays dont il venait seulement de lever la frontière. Il prit sur lui toutes les dépenses , les peines, les risques et les périls que devait entraîner une aussi grande et aussi périlleuse entreprise. Non-seulement il n'espérait aucun secours des vices-rois sous les ordres desquels il se trouvait , mais il avait plutôt à craindre des Xxij NOTICE entraves. Il fut obligé même d'exécuter à leur insçu une partie de ses longs voyages. J'ai développé très au long, au commencement de cette notice , les causes qui dérobaient ces belles contrées à la connaissance des géographes: cependant, malgré la surveillance inquiète du gouvernement espagnol , l'active et insatiable curiosité des savans était parvenue à se procurer queljues renseigneraens précieux sur cette por- tion des possessions espagnoles comme sur les autres. Les progrès de la géographie, dans cette partie du monde, furent principalement dus au 7-èle des géographes français, et aux matériaux que leur fournirent les jésuites. Le cé- lèbre d'Anville dressa, en 1721, pour les lettres édifiantes, une petite carte du Paraguay ', bien supérieure à tout ce qu'on avait vu jusque-là. Il perfectionna ce travail dans son Amérique méridionale; mais, quoiqu'il ait corrigé cette partie de sa carte en lyÔD et en 1779; elle se trouve encore moins exacte dans la dernière retouche pour la dclinéalion des côtes, que celle publiée par Bellin, en 1756, dans l'histoire du Paraguay, par le père Charlevoix. Bellin s'était procuré des jésuites, des matériaux parti- culiers , et d'Anville eut tort de ne pas le suivre dans cette partie. La carte de l'Amérique méridionale de Don Juan de Lacruz, gravée à Madrid en 1775, mais non pubhée, et que d'Anville n'a point connue , offre des améliorations sensibles dans la géographie du Paraguay et du gouvernement de Buenos-Ayres , mais elle fourmille encore d'erreurs grossières , et est loin d'offrir un dessin exact de ces contrées. ' On comprenait à cette époque , sous cette dénomination gé- nérale y outre le Paraguay propr(unent dit, le gouvernement de Buenos-Ayres, ou de la rivière de la Plata. SUR DON FELIX B AZÂRA. xxiij M. d'Azara passa treize ans pour mettre à fin sa grande et belle entreprise j et sans les moyens que lui offraient son rang et les fonctions dont il était chargé , sans le zèle des officiers qu'il avait sous ses ordres , il lui eût été impossible de la terminer heureusement. Dans ces vastes et désertes contrées coupées par des fleuves , des lacs et des forets ; habitées presqu'uniquement par des peuples sauvages et féroces , on juge sans peine ce qu'il dût lui en coûter de fatigues et de travaux , pour se livrer aux: opérations délicates que nécessitait le but qu'il s'était pro- posé d'atteindre. M. d'Azara a lui-même rendu compte , au commence- ment de son ouvrage, de la manière dont il a dressé sa carte ^ je ne répéterai donc pas ce qu'il a dit à cet égard , mais je donnerai sur la manière dont il se gouvernait ^ ainsi que sa troupe^ durant ses longs et fréquens voyages^ des détails qui méritent d'être rapportés. M. d'Azara se munissait d'eau-de-vie, de verroteries , de rubans ; de couteaux et d'autres bagatelles, pour ga- gner l'amitié des sauvages : tout son bagage personnel consistait en quelques hardes , un peu de café, un peu de sel, et pour sa suite, du tabac et de l'herbe du Para- guay. Tous ceux qui l'accompagnaient ne portaient avec eux d'autres effets que ceux qu'ils avaient sur le corps» Mais on emmenait un grand nombre de chevaux , selon la longueur du voyage; quelquefois il en fallait jusqu'à , douze par chaque individu, non pour porter le bagage, car il était presque nul, mais parce que ces animaux sont tr#6-communs dans ces contrées, qu'ils ne causent aucuu embarras, puisqu'on ne leur donne pas d'autre nourri- ture que celle qu'ils paissent pendant la nuit dans la cam- pagne 3 et qu'enfin ils se fatiguent assez promptenient* XXIV NOTICE Nos voyageurs étaient aussi accompagnés de gros chiens. On se levait une heure avant le jour pour préparer le déjeûné : après ce repas , des gens de la troupe se déta- chaient pour aller ramasser les chevaux qui se trouvaient ëpars dans les environs, souvent même à une lieue de distance 5 car, excepté ceux que chacun conservait pen- dant la nuit à ses côtés, les autres, abandonnés à eux- mêmes , paissaient en toute liberté. Les chevaux rassem- blés, chaque individu lâchait celui dont il s'était servi pendant vingt-quatre heures j tout le monde formait un cercle autour des chevaux de relais , pour empêcher qu'ils ne s'échappassent : quelqu'un entrait dans le cercle , et prenait ceux qui étaient nécessaires pour le voyage , par le moyen d'un lacet que Don Félix a décrit dans son ou- vrage. Ensuite on se mettait en route deux heures après le lever du soleil. Comme il n'y a point de chemin frayé dans ces déserts, un guide, qui connaissait bien le pays, marchait trois cents pas en avant : il était seul , afin de n'être distrait par aucune espèce de conversation. Après lui s'avançaient les chevaux de relais j la troupe entière les suivait 5 et on continuait ainsi sans s'arrêter, jusqu'à deux heures avant le coucher du soleil. On choisissait alors pour faire halte, le voisinage de quelque marais ou de quelque ruisseau. On envoyait des hommes de côté et d'autre , les uns pour se procurer du bois à brider, les autres pour prendre les vaches néces- saires pour manger, parmi celles qui sont sauvages dans les campagnes , ou parmi celles qui appartenaient à quel- qu'habitation , s'il s'en trouvait dans les environs, c'est- à-dire , à deux ou trois lieues de distance. Au défaut de ces vaches , il y en avait qui suivaient la troupe par der- rière. II y a des endroits oîi l'on trouvait des Tatous eu SUR DON FELIX D AZARA. XXV suffisante quantité pour nourrir toute la troupe. Lorsque tous ces secours devaient manquer dans le pajs que l'on, se proposait de parcourir, on faisait d'avance une pro- vision de viande de vache, que l'on coupait par petits morceaux de la grosseur du doigt , et fort longs j on les faisait sécher au soleil, et on en chargeait les chevaux. Cette provision de bouche est la seule qu'on portait avec soi. On la mangeait rôtie avec des broches de bois , unique manière de préparer, dans ces contrées, la viande, qui est le seul aliment des habitans. Avant de camper dans un endroit quelconque, il fallait prendre des précautions contre les vipères qui sont souvent très - nombreuses. On faisait donc pro- mener tous les chevaux dans l'espace que l'on voulait occuper, afin d'écraser ces reptiles, ou de faire sortir ceux qui se trouvaient cachés sous l'herbe j quelquefois cette opération coûtait la vie à quelques chevaux. Lorsqu'il s'agissait de prendre du repos , chaque individu , muni d'un morceau de peau de vache, retendait par terre. M. d'Azara était le seul qui eût un hamac qu'on suspen- dait à des pièces de bois ou à des arbres. Pendant la nuit chacun gardait son cheval à coté de lui , le plus près pos- sible, afin de pouvoir fuir au besoin les bêtes féroces s leurs approches étaient toujours annoncées par les chiens qui les sentaient de fort loin , parce qu'elles exhalent une odeur très-forte. Souvent, malgré les précautions qu'on avait prises , il se glissait dans le camp quelques vipères , mais elles se cachaient ordinairement sous les peaux de ceux qui dormaient , et y restaient tranquilles. Quelquefois elles passaient près, ou même par-dessus les hommes, sans leur faire aucun mal, car elles ne mordent Don Francisco, SUR DON FÉLIX d'aZARA. Ivij et pour visiter les biens - fonds que j'ai en Arragon. Je me suis occupé de ces affaires })rcs({ue cinq mois ; et dans ce moment que j'arrive ici ^ et qu'on m'a remis la vôtre, du 6 mai, par le secrétariat d'état, je suis bien ^âché de ce que votre lettre antérieure se soit égarée dans les différens détours qu'elle a dû faire avant que d'arriver à mes mains : parce que cet accident m'a privé du plaisir de savoir de v os nouvelles , et m'a mis dans l'impossi- bilité de satisfaire aux demandes que vous faites, relatives à mon ouvrage. Si vous avez la bonté de me les répéter, vous serez satisfait sans la moindre perte de temps, parce que je désire vous complaire dans tout ce qui pourra vous être agréable. Dans ce moment-ci , je reçois une lettre qui me dit que M. ***, savant de Paris, trouve dans mon ouvrage le défmt d'dltaquer plusieurs systèmes d'histoire naturelle admis par les naturalistes, et que mes réflexions sont pos- térieures à mes voyages. J'avoue qu'une partie de mes réflexions sont posté- rieures , mais je ne vois pas que ce soit un motif pour me priver de les faire et de les augmenter jusqu'au moment de la publication de l'ouvrage. Si elles s'opposent aux sys- tèmes établis, je dis dans la préface, qu'on n'en fasse aucun cas , lorsqu'on ne les trouvera pas sensées , et natu- rellement déduites des faits et des observations. J'aurais désiré c]ue M.*** eut pris la peine de s'expli- quer plus en détail , et qu'il eût écrit sa critique en fai« sant voir que mes réflexions étaient des chimères, parce que j'aime plus la vérité que mes réflexions. J'ai l'honneur d'être, etc. Félix d'Az-Ara, Ce 2 juillet i8o6. Iviij NOTICE n.^ lo. Monsieur, J'ai reçu votre lettre du i5 du mois dernier, dans la- quelle vous nie témoignez tout l'intérêt que vous mettes à donner du prix à mon ouvrage. Les demandes que vous Hie faites, m'en donnent une nouvelle preuve Recevez- en mes bien sincères remerrîmens, etc. J'ai mangé du pain, sans une inclination particulière pour lui, jusqu'à l'âge d'environ vingt-cinq ans. Mais ajant éprouvé dans ces dernières années une difficulté dans la digestion , qui laissait dans mon individu un em- l)arras et une incommodité tous les après-dinerj je con- sultai un habile médecin de Madrid. Ce docteur imagina que la cause de mon indisposition pouvait provenir du pain , et il me conseilla de faire l'épreuve de la privation de cet aliment. Je l'exécutai. Bientôt mes incommodités disparurent, et à tel point, que je n'ai souffert aucune maladie depuis celte époque. La privation du pain, bien loin de me donner du dégoût pour les autres alimens, a , au contraire , contribué à m'y faire trouver un goût bien plus agréable, que lorsque je les mêlais à cette gé- nérale nourriture de l'homme. Piien ne remplace le dé- faut de pain dans ma manière de vivre. J'observe que je suis un peu plus enclin pour les légumes et pour le pois- son, que pour la viande. Au reste, il n'est pas singulier que je ne mange pas du pain, puisque tous les gens des pajs que j'ai parcourus, n'en mangent pas, et qu'ils vivent autant ou plus que nous , s&ns manger que de la viande rôtie. Pour ce qui regarde les ouvrages relatifs au Paraguay, dont vous me parlez, je n'en connais aucun en espagnol, SUR DON FÉLIX DAZARA. lîx et je n'en ai lu d'autres que ceux dont je parle dans la- préface. Voilà toutes les instructions que je puis vous donner pour satisfaire vos désirs. Mon ouvrage des oiseaux ne renferme que les trois vo- lumes que vous devez avoir reçu6. Il fait la description de quatre cent quarante-huit oiseaux '. Il me reste actuellement, Monsieur, à vous remercier de ce feu d'intérêt que vous voulez bien mettre à ce qui me regarde : je vous en conserverai une reconnaissance éternelle. Je suis, etc. Félix d'Azara. Madrid, ce 4 août 1806. II. Monsieur, J'ai reçu votre lettre qui me prouve de nouveau le grand intérêt que vous prenez à mon ouvrage , pour lui donner autant d'utilité qu'il sera possible. Je vous laisse à deviner toute ma reconnaissance et toute ma sensibilité. Je vais donc tâcher de répondre à vos demandes. L'intérêt des Portugais de ne pas déterminer les li- mites de leur territoire en Amérique, avec celui de l'Espa- gne , est que toutes les fois que cette nation ne les trouve pas bien fixées , elle est dans l'usage de s'introduire chez. « Cela est positif; et cependant des naturalistes m'ont assuré qu'il existait une continuation qui avait paru à Madrid ; si cela est , je ne la crois pas de M. d'Azara. Je hii ai écrit à ce sujet, mais je n'ai point reju de réponse. (C . A. "YV. ) Ix NOTICE SI R DON FELIX b'azARA. son voisin, autant qu'elle le peut j et cet usage a lieu de- puisla découverte des Amériques j et une fois qu'elle a pris possession d'un pays, elle soutient que c'est une propriété, sans vouloir en démordre. Cet abus provient de ce que le gouvernement espagnol, qui n'a aucune connaissance du territoire de ses Amériques, a toujours regardé cette usur- pation avec indifférence. Les peuplades d'Indiens que vous avez dû reconnaître dans les différens plans que je vous ai envoyés, sont des jésuites. Celles du Paraguay sont, à peu près, comme celle d'Atira , dont je joins ici le plan, afin que si vous jugez à propos de le faire graver, vous en ayez une entière connaissance, etc. Voilà, monsieur, tout ce que je puis vous dire de plus particulier pour satisfaire à vos demandes. J'ai l'honneur d'être, etc. Félix d'Azara. Madrid j ce 22 septembre x8o6« VOYAGES DANS L^AMERIQUE MÉRIDIONALE. INTRODUCTION. C^OMME cet ouvrage est le résultat de mes propres observations, je dois dire quelque chose des raisons qui m'ont engagé à les faire , des moyens que j'ai eus et de la méthode que j'ai suivie ; mais je passerai entièrement sous silence les dépenses , les peines , les dangers , les obstacles , et même les persécutions que m'a fait éprouver la jalousie, parce que toutes ces choses ne peuvent ajouter aucun prix à mon ouvrage , ni intéresser personne. Un tel récit ne servirait au contraire qu'à décourager ceux qui voudraient par la suite marcher sur mes traces. Me trouvant en 1781 à Saint-Sébastien , ville du Guipuzcoa, en qualité de lieutenant- colonel d'ingénieurs, je reçus , pendant la nuit, un ordre du général pour me rendre I. «. I ( 2) sur-le-champ a Lisbonne , et pour m'y pré- senter à notre ambassadeur. Je laissai dans cette première ville mes livres et mon équi- page, et je partis le lendemain au point du jour 5 mais j'eus le bonheur d'arriver promp- tement et par terre à ma destination. L'ambas- sadeur me dit uniquement que j'allais partir avec le capitaine de vaisseau don Joseph Varela-y-Ulloa , et deux autres officiers de marine; que nous étions tous chargés d'une même commission, que le vice-roi de Buenos- Ayres nous communiquerait en détail, et que nous devions nous rendre de suite dans cette ville de l'Amérique méridionale , sur un bâti- ment portugais , parce que nous étions en guerre avec l'Angleterre. Nous nous embar- quâmes tous aussitôt, et nous arrivâmes heu- reusement a Rio-Janeiro , qui est le principal port des portugais au Brésil. J'avais appris par une dépêche que l'on avait ouverte sous la ligne, que le roi m'avait nommé capitaine de frégate, parce qu'il avait jugé convenable que nous fussions tous officiers de marine. Varela eut avec le vice-roi une conférence après laquelle nous nous embarquâmes pour Montevideo, sur la rivière de la Plata. Notre vice-roi qui s'y trouvait , nous communiqua (3) les ordres et les instructions que nous devions suivre. Il s'agissait de fixer , conjointement avec les commissaires portugais, et d'après le traité préliminaire de paix de 1777 , la ligne de démarcation de nos possessions respectives depuis la mer, un peu plus loin que la rivière de la Plata, jusqu'au-dessous du confluent des rivières Quaporé et Mamoré , d'où se forme celle de la Madera qui se jette dans le Ma- ranon. On divisa cette très-longue partie de la frontière en cinq autres, que l'on partagea ainsi pour notre travail. Nous étions quatre ofTiciers envoyés d'Espagne 5 on en nomma un cinquième sur les lieux. Varela fut chargé des deux parties les plus voisines et les plus mé- ridionales, et moi des deux suivantes. Ensuite le vice-roi m'envoya seul par terre à la grande rivière de San -Pedro ^ éloignée dei5o lieues, ou a-peu-près , et capitale de la province portugaise qui porte le même nom, pour concerter avec le général portugais le moyen de commencer et de suivre nos opéra- tions. La nuit même de mon retour à la ri- vière de la Plata, après m'être acquitté de ma commission , on m'ordonna de me rendre le plutôt possible à l'Assomption , capitale du Paraguay, pour faire les préparatifs nécessaires (4) et pour attendre les commissaires portugais. Comme je commençais à être au fait de leur manège , et que je voyais, qu'au lieu de tra- vailler à la fixation des limites, ils ne voulaient que prolonger cette opération à l'infini, par des délais, des renvois à la cour, et par les prétextes les moins fondés et les plus ridi- cules , pour en empêcher rexécution , je pensai à tirer parti le mieux qu'il me serait possible du long espace de tems que devaient me procurer ces relards ; mais croyant que les vice-rois ne me donneraient ni permis- sions ni secours, dans la crainte que je n'a- busasse de leur condescendance au préjudice de mon obligation principale qui consistait dans la fixation des limites , je résolus de prendre sur moi l'affaire et les dépenses qu'elle entraînerait , et de voyager à leur înscu, mais sans perdre un instant de vue l'objet dont j'étais chargé. Je fis donc un grand nombre de longs voyages dans toutes les parties de la pro- vince du Paraguay, et les poussai même jus- qu'aux Missions , ou peuplades des Jésuites , et jusqu'à la vaste juridiction de la ville de Corri entes. Après avoir ainsi passé près de treize ans, C5) je reçus ordre de me rendre promplement a Buenos- Ayres : on m'y donna le commande- ment de toute la frontière du sud , c'est-à-dire, du territoire des indiens Pampas , et l'on m'ordonna de reconnaiire le pays en m'avan- çant du coté du sud , parce que l'on voulait étendre les frontières espa£>nolesde ce côté-là. Quand je me fus acquitté de cette com- mission , le vice - roi me permit de visiter toutes les possessions espagnoles au sud de la rivière de la Plata et de celle du Paranà. En même tems j'ordonnai à don Pedro Cer- vino et à don Louis Ynciarte de s'embar- quer : de tous les officiers sous mes ordres , c'étaient ceux en qui j'avais le plus de con- fiance. Je les chargeai de lever la carte de la rivière du Paranâ, et de comparer leurs obser- vations avec celles que je ferais par terre : nous ne trouvâmes aucune différence. Dans le cours de ce voyage, j'étais déjà par- venu à la ville de Santa-Fé de-la- vera-cruz, du district de laquelle j'avais levé la carte; et quand je me disposais à en aller faire autant dans les provinces de Cordova , de Salta et de Mendoza , et sur les limites occidentales du Chaco et de la terre des Patagons , je ïcçus un ordre positif de revenir sur mes pas ». (6) à cause de la guerre que nous avions avec l'Angleterre : on croyait même que nous l'au- rions avec le Portugal. En conséquence , on me donna le comman- dement de toute la frontière de l'est , qui est celle du Brésil , ce qui me fournit l'occasion de la reconnaître à mon aise et d'en lever la carte. Je vérifiai et rectifiai mes observations quelques années après, lorsque je retournai dans le pays , et dans la même qualité , pour remplir différentes commissions. Une d'entre elles consistait à libérer le trésor public d'une pension annuelle de cinquante mille piastres, que l'on payait à beaucoup de colons qu'on avait fait venir d'Espagne. Après m'être acquitté de cette commission , je reçus l'ordre que je désirais depuis si long- tems , et qui me rappelait en Espagne. Je de- vais partir sur le premier bâtiment qui met- trait à la voile j et c'est ce que je fis à la fin de l'année 1801. Mais comme il n'y avait point de bonne carte de la rivière d'Uru- guay, depuis sa cataracte jusqu'à la rivière de la Plata, j'en fis lever une à mes dépens par Cervjno , dont j'ai déjà parlé , et par don Andres Oyalvide. Le principal objet de mes voyages , aussi ~ (7 ) longs que muïtîpliés , était de lever la carte exacte de ces contrées , parce que c'était mon état , et que j'avais les inst rumens néces- saires. Aussi ne fîs-je jamais un pas sans por- ter avec moi deux bons instrumens de ré- flexion d'Hallev , et un horizon artificiel. J'observais la latitude quelque part que je me trouvasse , même au milieu d'un cbamp , tous les jours à midi , et toutes les nuits , par le moyen du soleil et des étoiles. J'avais aussi une boussole garnie de ses pinnules , et j'en vérifiais souvent la variation , en com- parant son azimut avec celui que me don- naient mes calculs et l'observation du soleil. Comme le pays est plat, il m'arrivait très- fréquemment de fixer avec la boussole le rumb direct d'un point à l'autre entre deux latitudes observées ; ce qui me faisait cal- culer aisément la différence de la longitude. C'est de cette manière que j'ai toujours tâché de bien déterminer la position de toutes les hauteurs ou points remarquables ; parce qu'en les relevant ensuite avec la boussole depuis d'autres endroits dont je connaissais la lati- tude , je trouvais aisément par le calcul leur différence en longitude. Quelquefois , lors- que je me trouvais dans les bois , je faisais (8) allumer de grands bûchers , dont la fumée me servait de signaux , et je trouvais , par ce moyen, la véritable position des lieux dont j'avais toujours préalablement observé la latitude. Dans d'autres occasions , et lors- qu'il n'y avait pas d'autre ressource , j'en- voyais devant moi deux hommes à cheval , dont l'un s'arrêtait lorsqu'il me perdait de vue , et le second continuait jusqu'à ce qu'il eût perdu de vue le premier qui s'était ar- rêté , et ainsi de suite. Je relevais la posi- tion du premier -, et quand je l'avais atteint , j'en faisais autant relativement au second , et successivement. J'avais le plus grand soin y non seulement de marcher le plus droit qu'il m'était possible , mais encore je tenais note du tems que j'employais pour parvenir d'un planton à l'autre en marchant toujours au même pas. Ensuite , par le rapport des mi- nutes et des rumbs , et par la comparaison du produit des deux observations , je dé- terminais le rumb direct entre deux latitudes observées. Enfin , dans mes voyages , j'ai toujours évité de juger par approximation. Il ne peut donc se trouver ici d'autre erreur que celle dont est susceptible une observation de la (9) latitude, quoique faite avec un bon instru- ment, et une détermination prise avec une boussole oii les demi-degrés sont bien mar- qués. Mais on sait que toute erreur , dans ime observation faite avec l'horizon artificiel , se réduit à la moitié dans le calcul de la lati- tude , et que des fautes de détermination avec la boussole ne peuvent pas être fort considé- rables dans des rumbs aussi courts que Tétaient ceux de mes voyages, vu sur-toutque j'ai tâché de les rapprocher du nord et du sud , négli- geant toujours ceux qui avoisinaient l'est et l'ouest. Et qu'on ne croye pas que les lieux habités et les principales élévations soient les seuls endroits de ma carte que j'aie détermi- nés avec tant de soin, puisque j'en ai fait autant pour déterminer une multitude d*autres positions dans les déserts et dans les chau- mières , ou habitations répandues dans les champs, que je ne place pas sur la carte, parce qu'elles ne sont pas permanentes. Pour déterminer la position des ruisseaux et des rivières, soit au point oii je les passais , soit à celui où je parvenais à leurs bords, j'employais de préférence la méthode que je viens de rapporter; ou je calculais cette posi- tion par deux lignes que je rapportais à des ( 10) points hien connus; et quand je ne pouvais faire ni l'un ni l'autre , je rapportais leur situation par le rumb à un point voisin et connu dont j'estimais la distance : ainsi , je le répète, il ne peut se trouver à cet égard, qu'une erreur très-peu considérable et sans conséquence pour le reste , puisque je ne me suis jamais servi de ces points pour en placer d'autres. On a navigué avec le plus grand soin pos- sible sur les principales rivières , savoir : le Paraguay depuis le Jauni , tout le Paranâ depuis le Tiete, une partie de celui-ci, et de l'Yguazù, l'Uruguay ,1e Curuguaty et en- suite le Jesui , le Tebicuary, et le Gatemy avec partie de l'Aguaray , et par-tout j'ai dé- terminé les embouchures des rivières qui s'y jettent. Mais comme celles-ci sont innom- brables, et que marquer exactement la direc- tion du cours entier de chacune d'elles serait une chose impossible, non -seulement à un particulier seul comme j'étais, mais même à cent autres personnes travaillant de concert et ensemble 5 j'ai tâché d'approcher du but en prenant pour points sûrs leurs embou- chures et les autres endroits de leur cours que j'avais observés par terre, et j'ai tracé ( " ) l'intervalle d'après les renseignemens qu'on m'a fournis , ou par approximation. En observant l'e'norme étendue de ma carte, on verra bien qu'elle n'a pu être faite dans l'espace de vingt ans , par un seul homme charge en même tems de beaucoup d'autres occupations très-sérieuses : je dirai donc ce que j'en ai copié sur le travail des autres , et je nommerai avec plaisir les amis et les camarades qui m'ont aidé dans la partie qui est proprement à moi. J'ai copié les sources ou la première partie du cours du Paranâ et du Paraguay, sur la carte inédite du brigadier portugais José- Custodio de Saa y Faria , qui passa quelques années dans ces contrées ; mais comme il n'était qu'ingénieur et non astronome , je ne lui accorde pas une entière confiance , quoi- que j'estime plus sa carte que toutes celles qu'on a publiées. J'ai dressé celle de la province de Chi- quitos et de Santa- Cruz de la Sierra, d'a- près le travail de mon camarade don Anlo- nio-Alvarès Sotomayor , chef d'une division de commissaires des limites ; et quoique j'ignore la «iiéthode qu'il a suivie , comme il avait de bons instrumens et le tems néces- ( >3) saire , j'ai confiance en son travail , et ]e ne doute pas qu'il ne soit supérieur à tout ce qu'avaient fait les jésuites. La carte de la rivière du Paraguay, de- puis l'embouchure du Jauni jusqu'au dix- neuvième degré de latitude, est une copie de celle que dressèrent les commissaires des li- mites , en vertu du traité de 1760 : celle de la partie supérieure du Parauâ, depuis sa grande cascade jusqu'à la peuplade du Corpus, est dressée d'après le travail que vient d'achever mon camarade le capitaine de vaisseau don Diego Alvear, chef d'une autre division de commissaires des limites. J'ai la plus grande confiance à l'exactitude de ces deux parties delà carte. Tout le reste est à moi , hormis le cours des petits ruisseaux qui sortent des côtes les plus orientales de la grande chaîne de montagnes appelée des Andes , et qui , en se réunissant, forment les différentes rivières qui traversent le Chaco. J'ai copié toutes ces rivières et les côtes qui en dépendent , de la carte de don Juan de la Cruz , gravée en Ï775, parce €{u'il fallait terminer, de ce côté-là , la grande province du Cliaco , dans laquelle j'ai très-peu voyagé. Celte carte est réputée y avec assez ( i5) de fondement , pour la meilleure de l'Amé- rique méridionale. Cependant je ne puis pas lui attribuer l'exactitude qu'a la mienne , ni aux autres que j'ai copiées. D'abord elle donne à la rivière Pilcomayo deux branches , et les fait entrer dans celle du Paraguay au dessous de la ville de l'Assomption. Mais , comme je n'ai trouvé aucune trace de la branche plus australe , je l'ai supprimée : et, comme je sais qu'une rivière considérable entre dans celle du Paraguay du côté de l'occi- dent, vers les 24° 24' de latitude, je l'ai mar- quée comme le second bras du Pilcomayo , parce que je crois qu'il l'est véritablement. J'ai aussi corrigé les latitudes des villes de Cordoue et de Saint-Jacques-del-Estéro , qui étaient un peu fautives , aussi bien que les ruines de l'ancienne ville de Sainte - Croix de la Sierra. Dans mes voyages , je me suis presque toujours fait accompagner par quelque subal- terne , non seulement pour observer les lati- tudes en même tems que moi et pour les confronter, mais aussi pour qu'il pût se mettre au fait de ma manière de travailler à la con- fection de la carte. J'obtins entièrement ce que je désirais , et j'ai été aidé dans mon tra- ( '4) "vail , non- seulement par Cervîno , Ynciarle et Oyalvide que j'ai déjà cités , mais aussi par le capitaine de frégate don Juan François 7\guirre, par le capitaine de vaisseau don Martin Boneo , et par les pilotes don Pablo Zizur , et don Ygiiacio Pazos. Pour rendre ma carte plus exacte , et en assujettir les méridiens à celui de Paris , j'ai fait à M9ntevidéo, hBuenos-Ayres,àCorrientes et à l'Assomption, beaucoup d'observations de l'immersion et de l'émersion des satellites de Jupiter, d'éclipsés de soleil, et d'occultations d'étoiles par la lune ; et c'est en conséquence que j'ai exprimé les degrés de longitude sur ma carte. Le détail de toutes ces observations est resté au Paraguay , et je l'ai demandé pour le comparer avec les observations du même genre , faites dans les observatoires d'Europe. La carte des vingt lieues du cours de la ri- vière de Pilcomayo , que j'ai navigué autant que son peu d'eau me le permit , est aussi restée dans ce pays- là. J'ai également laissé à Buenos-Avres , entre les mains de mon fidèle et intime ami don Pierre Cervino , mes cartes originales avec différens détails : ignorant la C i5 ) conclusion delà paix, je n'ai pas vonUi les exposer a mon retour. Mais j'en ai apporté avec moi une copie oii l'on a omis quelques petits détails. Je ne dois pas non plus dégui- ser que le cours des rivières qui débouchent dans celle du Paraguay du côlé de Forient , depuis les 22^ 4' ^^ latitude jusqu'à la rivière Taquary, est peut-être un peu différent de ce que ma carte représente. Je n'ai pas assez voyagé dans cette partie pour être sûr de cette portion de mon travail : les cartes et les rela- tions ne s'accordent pas sur cet objet. Je dois prévenir que j'ai marqué sur la carte les limites du Brésil, d'après le traité de paix de 1777, sans avoir égard aux variations que veulent y faire les portugais : les différens gouvernemens espagnols n'ont aucunes li- mites marquées dans le Chaco , et ceux que j'y ai placés sont d'après ce qui m'a paru le plus régulier. Je n'ai pas borné mes travaux à la géogra- phie. Me trouvant dans un pays immense qui me paraissait inconnu, ignorant presque tou- jours ce qui se passait en Europe , dépourvu de livres et de conversations agréables et ins- tructives, je ne pouvais guères m'occuper que des objets que me présentait la nature. (.6) Je me trouvai donc presque forcé a Tobserverj et je voyais , à chaque pas, des êtres qui fixaient mon attention , parce qu'ils me parais- saient nouveaux. Je crus convenable et même nécessaire de tenir note de mes observations, ainsi que des réflexions qu'elles me faisaient fî\ire. Mai? j'étais retenu par la défiance que m'inspirait mon ignorance, croyant que les objets qu'elle me découvrait comme nou- veaux avaient déjà été complètement décrits par les historiens , les voyageurs et les natu- ralistes d'Amérique. D'un autre côté, je ne me dissimulais pas qu'un homme isolé comme moi , écrasé de fatigue, occupé de la géogra- phie et d'autres objets indispensables, sans secours et sans conseils , se trouvait dans l'impossibilité de bien décrire des objets si nombreux et si variés. Mais je me détermi- nai à observer tout ce que me permettraient ma capacité , le tems et les circonstances , en prenant note de tout, et en suspendant la publication de mes observations jusqu'au moment oii je serais débarrassé de mes prin- cipales occupations. De retour en Europe, j'ai cru que je ne devais pas priver de mes observations les curieux et les savans. Ils s'apercevront aisé- (>7) ment que je n'ai aucunes connaissances rela- tivement à la qualité des terres et des pierres, non plus qu'aux végétaux , aux poissons , aux insectes et aux reptiles , et que je n'ai pas donné aux observations de ce genre tout le tems que j'aurais désiré. Mais je compte beau- coup sur leur sagacité pour y suppléer. Quant aux faits , ils peuvent être sûrs qu'il n'y a rien d'exagéré ni de conjectural, et que je ne dis rien que je n'aie vu , et que tout le monde ne puisse vérifier par ses propres observations , ou par les renseignemens que lui donneront les habitans du pays. Quant aux conséquences que je déduis quelquefois des faits , on les croira, lorsqu'on les trouvera fondées; et, dans le cas contraire, on peut les abandonner, et en présenter de meilleures. Je serai le pre- mier à les approuver. Je n'ai pas voulu non plus priver entière- ment l'histoire des renseignemens que j'ai acquis dans le pays , non-seulement en con- sultant sur les lieux les anciennes traditions , mais aussi par la lecture d'une grande partie des archives civiles de l'Assomption, de quel- ques - uns des papiers de celles de Buenos- Ayres , de Corrientes , de Santa -Fé, et de tous les anciens mémoires des colonies et des I. a. 2 ( ,8 ) paroisses. Ces pièces originales , et la connais* sance des lieux et des indiens qui les habitent, m'ont mis à portée de corriger beaucoup d'erreurs oii sont tombés Alvar-Nunez-Ca- beza de Vaca , Antonio Herrera , Ulderic- Schimidels, Martin del Barco- Centenera , Ruy-Diaz de Guzman , ainsi que les jésuites Lozano et Guevara. Je donnerai ici une courte notice sur tous ces auteurs , parce que ce sont les seuls historiens du pays , et qu'ils sont peu connus. Alvar-Nunez-Cabeza de Vaca fut chargé, en 1542, de continuer la conquête, en qualité d'adelantado , ou chef principal j mais il y eut tant de mésintelligence entre lui et ses troupes, qu'en i544 celles-ci le mirent aux fers et l'en- voyèrent ainsi en Espagne avec son confident, le greffier Pedro-Hernandez. Le conseil sou- verain des Indes , après avoir examiné le procès et entendu l'accusé, condamna aux galères Nufiezetson favori. D'après quoi il ne mérite guères d'être cru dans ses mémoires , qu'on a fait imprimer pendant les deux années de son administration j sur-tout lorsqu'il parle de lui- même et de ceux qui le firent arrêter '. ' On trouvera l'ouvrage de cet auteur dans le tom. i du Recueil curieux de Barca , intitule Historiadorcs^ 1 «9 ) A la fin du seizième siècle , Herrera , saus connaître le pays , écrivit à Madrid Pouvrage qui porte son nom , lorsque Caheza de Vaca et son greffier , voulant se justifier , mon- traient à tout le monde leurs mémoires , qui étaient Tunique description que Ton eût faite de ce pays-là. Ainsi le peu que dit Herrera du Paraguay et de la rivière de la Plata, ne mérite pas plus d'estime qu'Alvar Nufiez son original \ Schimideîs participa à la conquête de ce pays, en qualité de simple soldat, en i555 , et il revint en i552. Etant a Séville , il remit à l'empereur Charles - Quint une description historique de ces contrées, faite par Domingo- Martinez de Yrala. Je ne Tai pas vue , mais primitivos de las Indias occidentales. Madrid , 1749 , trois vol. m-fol. ( C, A. W. ) ' L'ouvrage d'Herrera, intitule Historia gênerai de lo s hechosde los castellanos en las islas y terra Jirma del mar Oceano, a d'abord e'te' imprime' à Madrid en 1601 , €n quatre volumes m-fol. Il en parut une traduction la- tine en 1622 , Descriptio Indice occidentalis . Amst. , iVz-fol. On en publia à Madrid une- nouvelle édition , en 1750, quatre volumes m-fol. , qui fut traduite en anglais par Stephen, en 1740, General histor. , etc. Londres , six volumes m-S**. ( C. A, W. ) ( ^o) c'est sans doute le meilleur ouvrage qu'il y ait sur celte matière, puisqu'il a pour auteur l'espagnol le plus habile qu'il y eût parmi les conquérans de l'Amérique. Scbimidels, étant de i^etour à Slraubing , en Bavière , sa patrie , écrivit en allemand l'histoire de ce qu'il avait vu. Mais , comme cela était na- turel , il estropia tellement les noms des ri- vières , des lieux et des habilans indiens et espagnols, qu'il est très -difficile d'entendre son histoire. On traduisit cet ouvrage en latin sans rectifier les noms , et même on les latinisa , comme celui de l'auteur qu'on ap- pelle Uldericus Faber. Il n'y a pas long-tems qu'on en a donné une traduction espagnole ' , mais sans corriger suffisamment la nomen- clature, objet sur lequel je ne saurais me tromper , puisque je connais les lieux et que j'ai suivi l'auteur pas à pas. Je fais grand cas de ce petit ouvrage , à cause de son impartialité , de son ingénuité , et de l'exactitude des dis- ' Il y en a une dans le tome 5 du Recueil de Barca , Schimidel historia e descubrimento del rio de la Plata e del Paraguay. Serait-ce la même qu'on aurait re'imprime'e ? Alors elle ne serait pas nouvelle , puis- qu'ainsi que je l'ai déjà observe', l'ouvrage de Barca a paru en 1749- ( C- A. W. ) (21 ) tances et des situations 5 choses en quoi per- sonne ne l'égale. Il a cependant les défauts inséparables de la qualité d'un simple soldat qui donne la relation d'un pays très-éloigné ; comme , par exemple , de multiplier le nom- bre des ennemis et celui des morts dans les batailles , et d'ignorer souvent les mésintel- ligences particulières des officiers, et les af- faires oii il ne s'est pas trouvé. Barco-Centenera était un prêtre d'Estré- madure, qui alla dans le pays en iSyS , et qui écrivit en vers son Argentina ou histoire de la rivière de la Plata , depuis la découverte, jusqu'à l'année i58i. Cet ouvrage s'imprima à Lisbonne en 1602 '. On y remarque aisé- ment que l'auteur ne s'occupait guères de la recherche de la vérité ni des faits ^ qu'il se laisse entraîner par l'esprit de médisance ; qu'il a inventé des noms et des fables j qu'il a peu de méthode et qu'il raconte fort mal-à-propos des histoires arrivées dans d'autres pays ; et' enfin qu'il paraît avoir eu pour objet favori de faire un grand nombre de vers : ce qui n'empêche pas qu'ils ne soient bien mauvais. On y trouve cependant quelques faits que * On le trouve aussi dans le tome 5 du recueil de Barca. ( C. A. W» ) ( 22 ) l'on chercherait en vain dans d'autres auteurs. Ruy-Diaz de Guzman naquit au Paraguay, en 1554. Il passa presque toute sa vie dans la province du Guayrâ , dont il devint com- mandant en chef. Ayant refusé de reconnaître la supériorité de l'Assomption , capitale de tout le pays , il fut exposé à beaucoup d'in- trigues et de procès , comme on peut le voir par les pièces déposées aux archives de cette ville. Cela l'obligea de se sauver dans la pro- vince de los Charcas , pour se justifier devant l'audience. C'est -là qu'il écrivit presque en- tièrement de mémoire la Argentina ou His- toire de la conquête et de la découverte de la rivière de la Plata , et, en 1612, il en- voya son ouvrage au due de Medina-Sidonia, Il en donna une copie à la municipalité de l'Assomption , qui la garda dans ses archives, jusqu'à ce qu'elle lui fut volée , en 1747 , par le gouverneur Larrazabal. Heureusement on en avait tiré des copies : et j'en possède une qui comprend , depuis la découverte jus- qu'à l'année 1575. L'auteur parle d'une deu- xième partie servant de continuation 5 mais on ne la trouve pas dans le pays. Comme il devait nécessairement y parler de ses affaires particulières , peut-être n'osa-t-il pas en pu- (25) Llier îa relation sous les yeux des personnes^ mêmes qui le contredisaient et le persécu- taient. Cet ouvrage , qui est encore manuscrit , est infiniment meilleur que ceux de Nunez, Cabeza de Vaca , d'Herrera et de Barco -, et il forme la base de tous ceux qu'on a écrits depuis. Le caractère de l'auteur est ingénu , et quelquefois même trop crédule. Ses dates ne sont pas fort exactes : et comme il était fils d'Aionso Riquelnie , neveii de ce Cabeza de Vaca dont nous avons parlé , et de dona Ursula , fille de Domingo Martinez de Yrala , on ne doit pas être surpris qu'il attribue quel- quefois à son père des expéditions dont iî n'était pas le chef, qu'il exagère ses peines et ses services , et qu'il tâche de cacher et de dissimuler les défauts de son oncle et de son ajeul. 11 est vrai que ce dernier n'en avait point d'essentiels ; mais Ruy-Diaz va au-de- vant même des mauvaises interprétations qu'on aurait pu donner a ses actions et à ses discours. Lozano est connu par son histoire de la Compagnie de Jésus , en deux volumes in- fvVio , et par celle du Chaco \ Il écrivit éga- » La première est intitule'e : DescriptioJi chorogra- vhica de los terntorios , arboJes , animales y de ( =4 ) Içmeiit celle du Paraguay et de la rivière la Plata, qui est encore manuscrite et qui forme un très -gros volume, dont il y a à Buenos- Ayres un exemplaire unique qui appartient à don Julien Leyba , avocat. Il la présenta au collège de Cordo}3a-del-Tucuman dont il était membre. Il en fit la lecture; mais ses collègues trouvèrent l'auteur si mordant et si acharné contre les espagnols , qu'ils ne voulurent pas consentir à l'impression de l'ouvrage. C'est ce que m'ont assuré des personnes qui ont en- tendu des jésiHtes même s'exprimer ainsi. En efFet,jen'ai jamais rien lu de cette force, et je ne connais point d'ouvrage où il y ait tant de longues et insipides moralités. Il est bon d'observer que , quoiqu'il dise toujours beau- coup de mal de tous les espagnols dont il parle , il vante infiniment les vertus de Cabeza de Vaca et du premier évêque , dont il rap- porte des actions merveilleuses , quoiqu'ils fussent tous les deux les êtres les plus ineptes Grand Chaco , y de los ritos e costmnbres , de las innuinerabiles naciones que la habitan : cet ouvrage a ete imprime à Cordoue en 1755, en un vol. tVz-4*'. La seconde a pour titre Historia de la Compagnia de Jésus en la provincia del Paraguay , et parut à Madrid en deux vol, i/z-fol. , en 1755. ( C. A. W . ) (a5) et les plus méchans qui jamais aient mis les pieds dans le pays. Il déguise les faits pour trouver l'occasion de placer les satyres les plus cruelles : cependant , comme ses collè- gues lui fournirent beaucoup de pièces et de renseignemens , il rapporte quelquefois des choses oubliées par les autres écrivains. Les jésuites , connaissant les défauts de l'histoire de Lozano, voulurent la faire cor- riger, et chargèrent de cette opération un de leurs pères , nommé Guevara , et aussi petit d'esprit que de corps , à ce que m'ont assuré des personnes qui l'ont connu et fréquenté. Effectivement, à l'époque de l'expulsion des jésuites, on trouva dans leur collège de Cor- doba , une histoire manuscrite dont quelques personnes ont tiré copie, s'imaginant qu'elle devait être la meilleure , puisque c'était la dernière. C'est une copie de celle de Lozano. La seule différence est que l'auteur semble avoir pris à tâche d'écrire avec plus de pu- reté , et que cependant il écrivit plus mal ; qu'il supprima quelques traits satyriques pour en substituer d'autres plus insipides encore j qu'il omet des choses essentielles pour en mettre d'autres qui ne le sont pas , et qu'il y a inséré l'histoire du Tucuman , qui n'a aucuu ( =6 ) rapport avec celle de la rivière de la Plala ^ Dans l^ouvrage que je présente au public , " Je crois devoir joindre ici la liste des autres ouvra- ges sur le Paraguay , la rivière de la Plataet le Chaco , dont j'ai connaissance , et que M» d'Azara n'a pas juge' a propos de mentionner : Acarete de Biscaj. Relation des Voyages dans là rivière de îa Plata , et de là par terre au Pe'rou , dans la 4'* partie du Recueil de Thevenot. F. N. de Techo. The history ofthe provinces Para- guay y Tucumam , Rio de la Plata , etc. , dans la collection de Churchill , VI , 5. Lettres édifiantes. Dans les tomes 1 1 , 21 , 25 , 25 , 5o , 32 et 55 de l'ancienne édition , iîy a plusieurs lettres qui concernent le Paraguay. On a re'uni toutes ces lettres dans letom. Q^deîanouv. e'dit. Paris , 1781 , m-12. N. Duran. Relation des insignes progrès de la reli- gion chre'tienne , faits au Paraguay , province de l'Amé- rique me'ridionale , et dans les vastes régions de Guair et d'Uruaig -, traduite du latin en français. Paris , i658,ï>i-8.<' L. A. Muratori. Il Cristianesimo felice nelle mis-' sioni dei padri délia Compagnia di Gesà nel Para-- guay. Venise, 1745 , i voL m-4.° Charlevoix. Histoire du Paraguay. Paris, 1766,. trois vol. m-4.'^ et six vol. in-11. Documentos tocantes a la persecucion , que los regulares de la Compagnia suscitaron contra don Bi. de Carderas, obispo de Pai^aguaj. Madrid, 1768. D. Bernardo Ibagnez de Echaveri. ElReino Jesid-^ (=7) j'aî divisé les matières par chapitres , le mieux que j'ai pu , et j'ai rangé ceux-ci dans l'ordre qui m'a paru le plus convenable. J'ai toujours tâché d'éviter le style de roman , c'est-à-dire, de m'occuper plus des mots que des choses. J'ai eu soin également de n'exagérer ni la tico del Paraguay- , dans le tom. 4 de la Coleccion de Documentas. Madrid, 1770. Dohrizhojfer. De Ahiponibus , 3 vol. 1785-1784» J'ai communique cet ouvrage à M. d'Azara pendant son se'jour à Paris ^ il ne le connaissait pas , parce qu'on l'a publie' pendant qu'il e'tait en Ame'rique. Il en a pris lecture , et m'a dit qu'il ne l'estimait pas. Suivant lui , l'auteur de ce livre , de retour dans sa patrie , a re'- dige' avec beaucoup de prolixité' tout ce qu'il avait entendu dire à Buenos-Ayres ou à l'Assomption ^ mais il n'a pas pe'ne'tre' dans l'inte'rieur et n'a pas observe' par lui-même. D» Jolis saggio suUa storta naturale délia pro- vincia del Gran Chaco. Faenza, 1789 , in-S.'* f^iagero Universal. Dans les derniers volumes de cette grande collection , on trouve quelques de'tails sur Buenos-Ayres. J'ai demande à M. d'Azara de me faire jîarvenir d'Espagne les ouvrages relatifs au Paraguay ou à la rivière de la Plata , publie's depuis sop retour en Europe ou pendant son séjour en Ame'rique. Par sa lettre du 25 août i8o5 , il m'a re'pondu quil nen existait aucun. ( C. A. W. ) (28) grandeur , ni la petitesse , ni la rareté des objets , et d'employer toujours l'expression convenable à la mesure réelle de chaque chose , telle que je Tai vue, ou telle que je la conçois. Peu de tems avant mon retour en Europe , j'appris que don Tadeo Haenk avait employé presque autant de tems que moi à voyager dans l'Amérique méridionale , ne s'occupant que de découvertes d'histoire naturelle, et qu'il avait écrit sur cet objet un ouvrage , oii il se bornait à la province de Cochabamba, et à ses environs. Cette nouvelle excita vivement ma curiosité , et me fit désirer ardemment de lire cet ouvrage, non-seulement à cause du mérite de l'auteur regardé comme un savant dans cette matière, et que le gouvernement espagnol avait fait venir d'Allemagne en cette qualité , et en lui fournissant tous les secours et toute la protection nécessaires ; mais aussi parce que je m'imaginais qu'il devait parler du pays que j'avais parcouru. Je ne connaissais pas Haenk ; mais comme il avait fait présent de son ouvrage au régent, au tribunal du consulat , et naturellement aussi à plusieurs autres personnes , je m'en procurai une copie. Je vis qu'il ne parlait (29) point du pays qui avait été ToLjet de mes recherches , et que , son ouvrage et le mien formant en quelque sorte un contraste, étaient presque aussi différens que les contrées que nous décrivions : le terrain que je venais de reconnaître étant , dans sa totalité , un pays bas , en plaine , uniforme, et sans mines, au lieu que l'autre est inégal , élevé, varié, et rempli de substances minérales. Mais, comme les deux ouvrages parlent de pro- vinces voisines (puisque celle de Cochabamba comprend celle qui porte le nom de Santa Cruz de la Sierra ^ placée sur ma carte , ainsi que ses limites orientales qui forment les terrains inondés par le lac de los Xarayes) î'ai cru qu'il serait utile de les publier tous les deux ensemble. En effet celui de Haenk contient une multitude d'observations curieu- ses et neuves , qui méritent d'être connues, à cause de l'utilité qui en peut résulter pour la chimie , la médecine , la botanique , l'his- toire naturelle et les arts. Je ne me suis pas dissimulé que l'on pour- rait peut - être trouver de l'indiscrétion à publier un ouvrage sans le consentement de l'auteur , et même sans qu'il en eût connais- sance. Mais comme il se trouve dans des (5o) contrées si éloignées d'Europe , et ou il lui est impossible de faire imprimer le fruit de ses travaux ; et que d'ailleurs j'ai vu qu'il l'avait communiqué au public par la seule voie qui fût à sa disposition , j'ai cru ne pas m'opposer à ses intentions , en faisant impri- mer son ouvrage comme un appendice au mien. J'ai d'autant moins de scrupules , que cela n'empêchera pas Haenk d'augmenter , d'améliorer et d'embellir son ouvrage, comme je l'espère et comme je le désire ; et qu'alors il aura la gloire de nous donner l'histoire naturelle la plus complète des grandes et riches contrées qu'il a parcourues. (3i ) CHAPITRE PREMIER. Du Climat et des Vents. Prenons pour limite australe le détroit de Magellan, ou le parallèle de 62 ou de 53 degrés ; pour borne au nord , le parallèle de 16 degrés 5 à l'ouest , les croupes irrégu- lières les plus orientales de la Cordillière ou chaîne des A.ndes,qui se trouvent enfermées dans les mêmes limités. Prenons à l'orient, la côte des Patagons jusqu'à la rivière deja Plata , en suivant après la ligne de démarca- tion entre les possessions espagnoles et le Brésil, jusqu'au parallèle de 22 degrés. Conti- nuons ensuite en marchant directement vers le nord pour aboutir à ce point de 16 degrés dont nous avons parlé. Ces limites renferment une surface très - irrégulière , mais dont la latitude géographique seule offre plus de 720 lieues de long. Sa largeur varie beau- coup; mais on peut prendre pour terme moyen celui de 200 lieues. A la vérité je ne (52) l'ai pas parcourue en entier ; mais les renseî- gnemens que je me suis procurés suffisent pour me mettre en état d'en donner une idée , à Texception de la province de Chiqui- tos,dont je ne parlerai pas. Dans une aussi vaste étendue , comparable peut-être à l'Europe entière, il y a, comme on peut le concevoir, de la variété dans le climat ; mais comme cette variété suit une gradation exacte et dépendante de la lati- tude , pour se former une idée du climat et des vents qui dominent, il me suffira de l'ap- porter ce que j'ai observé dans deux villes très- éloignées Tune de l'autre. A l'Assomption, capitale du Paraguay, située à 25** 1 6' l\<^' ^ de latitude, j'observai que le mercure du thermomètre de Fahrenheit montait , dans ma chambre , à 85 degrés , pen- dant l'été , les jours ordinaires, et jusqu'à loo, les jours les plus chauds j et que , dans ceux d'hiver que l'on appelait froids , il descendait à 45. Mais dans les années extraordinaires » C'est ainsi que j'exprimerai toujours les degris , les minutes et les secondes. Toutes les latitudes seront australes , et les longitudes seront occidentales , à compter du méridien de Paris. J'ai obseiTc' moi-même les unes et les autres. (33) de 1786 et 1789, quelques plantes, et Teau même gelèrent dans la cour de mon habitation j ce qui équivaut à 5o deg. ; et comme il J a une grande différence entre ce point et celui de la plus forte chaleur , cela rend sensible la diver- sité des saisons , et fait que beaucoup d'arbres changent de feuilles. On dit ordinairement dans le pays, et avec raison, qu'il fait tou- jours froid lorsque le vent est au sud ou au sud-est, et chaud quand il est au nord. En effet, la chaleur et le froid semblent dépendre autant ou plus des vents , que de la situation ou de la déclinaison du soleil. Les vents les plus ordinaires sont l'est et le nord. Si celui du sud se fait sentir, c'est tout au plus pendant le douzième de l'année j et s'il tire vers le sud- ouest, il rend le ciel calme et serein. A peine ' connaît-on le vent d'ouest , comme si la Cordil- lière des Andes l'arrêtait à plus de 200 lieues de distance 5 et s'il se fait sentir quelquefois , il ne dure pas deux heures. A Buenos-Ayres je n'avais point de ther- momètre pour observer le plus haut point de froid et de chaleur -, mais on ne saurait douter que la chaleur n'y soit moins consi- dérable , vu la latitude de 34"* 36' 2S". Quant au froid , il est également plus grand qu'a La, 3 (54) rAssomplIou , et l'on regarde comme un hiver ordinaire celui dont on ne compte que trois ou quatre jours oii Teau a gelé légère- ment; tandis qu'on l'appelle rigoureux s'il a produit le même effet plus fréquemment. Quoique les vents y suivent la même règle qu'à l'Assomption, j'ai observé qu'ils y ont trois fois plus de force 3 que ceux du couchant soujBflent plus fréquemment j que ceux du sud- est amènent toujours de la pluie en hiver, et jamais en été; qu'ils sont moins violens en automne ; et qu'au printems et en été , ils sont plus suivis et plus violens ; qu'ils élèvent des nuages de poussière qui quelquefois cachent le soleil , et qui ne manquent jamais d'incom- moder bes^ucoup , en salissant les vêtemens , les habitations et les chambres. Les vents les plus forts sont ceux du sud - ouest au sud-est. Les ouragans sont rares ; mais il y en a quelquefois , comme celui du 14 mai 1799, qui renversa la moitié de la peuplade d'Atira au Paraguay , tua trente-six personnes , entraîna beaucoup de charrettes , et coupa la tête a un cheval qui était attaché par le cou. La même année il y en eut un autre , le i8 septembre , qui jeta sur la côte du port de Montevideo huit gros Mtimens et beaucoup de petits. (55) ?aT-tout Taîmosphère est humide el gâte les meubles , sur-tout à Bneiios-Ajres , ou les chambres exposées au sud ont toujours le phincher humide : les murailles qui sont k îa même exposition , sont couvertes de gazon ou de mousse 5 et le côté des toits qui se trouvent dans ce cas , est embarrassé d'her- bes louiTues , hautes de près de trois pieds; de sorte qu'on est obligé de les nettoyer tous les deux ou trois ans , pour éviter les ^out-^ îicres et les fillralîons. Mais rien de tout cela îie nuit à la santé. Il est rare que les vapeurs se condensent assez pour former des brouillards : le ciel est clair et serein ; et d'après ce que l'on m'a dit, il n'a neigé qu'une fois à Buenos- Ayres, et même très-peu. Cette nei^e produisit sur l'esprit des gens du pays , le même effet que la pluie sur les habitans de Lima. Quand ceux-ci sortent pour la première fois de leur patrie , ils sont tout étonnés quand il pleut , parce que c'est un phénomène inconnu chez eux. La grêle est peu fréquente : cependant l'orage du 7 octobre 1789 en fit tomber k douze lieues de l'Assomption , dont les grains avaient jusqu'à trois pouces de diamètre. Le signe de pluie le plus sûr est une barre que (56) l'on aperçoit colîëe à l'horizon du côté de l'ouest , au moment du coucher du soleil. Un venl de nord un peu fort , et qui quel- quefois cause des pesanteurs de tête , annonce de la pluie pour le surlendemain. On doit s'attendre au même efï'et , lorsqu'à la nuit tombante on aperçoit des éclairs vers le sud- ouest , lorsqu'on éprouve une chaleur étouf- fante , et quand on découvre de Buenos- Ayres la côle qui est en face. Je crois que la quantité annuelle des pluies est, dans toutes ces contrées, plus considé- rable qu'en Espagne. Dans toutes les saisons , et sur-tout en été , il y tombe fréquemment des pluies accompagnées d'un grand nombre d'éclairs : le tout avec de grands coups de tonnerre qui se succèdent avec tant de rapi- dité que souvent ils ne sont séparés par aucun intervalle entr'eux , et l'on dirait que le ciel est embrasé. La foudre y tombe dix fois plus fréquemment qu'en Espagne , sur - tout sri'o- ragevîentdunord-ouest. De mon tems plusieurs personnes en furent les victimes au Paraguay j et dans l'orage seul du 21 janvier 1795 , la foudre tomba 67 fois dans l'intérieur de la ville de Buenos- Ayres , et tua 19 personnes. J'observai , au Paraguay, que la foudre suivait (57 ) toujours les pièces de bois les plus élevées des édifices , quoiqu'elles fussent engagées dans la muraille j de manière que, pour éviter le danger , il suffit de s'en éloigner un peu. On ne saurait attribuer à l'influence des bois ni des montagnes , les orages , la plus grande quantité de pluies , le tonnerre , les éclairs, ni leurs effets; car on ne trouve au- cune montagne a. plus de cent lieues de dis- tance ', et l'on peut être assuré qu'il n'y a pas un seul arbre au sud de la rivière de la Plata , et au nord jusqu'au Paraguay, si ce n'est sur le bord des ruisseaux. Il faut donc croire que c'est la nature de l'atmosphère qui occasione de pareils météores en toute sai» son, et plus fréquemment qu'en Europe. L'air doit donc y avoir quelque chose de particu- lier, soit qu'il contienne une plus grandtî quantité de fluide électrique , soit qu'il ait quelque qualité plus propre à condenser les vapeurs , à les précipiter plus rapidement en les réduisant en pluie , et à produire plus d'é- clairs et de coups de tonnerre. De tout cela , il semble que l'on peut con- clure que le froid y l'humidité de l'atmos- phèrç et la force des vents augmentent gra- duellement depuis l'Assomption jusqu'à Bue-- (58) ïios-Ayres , en raison de la latitude ; que c^esî l^unique cause visi}3le qui puisse y occasioner de l'altération. On doit penser par la même raison , qu'à mesure qu'on s'approche du dé- troit de Magellan , tous ces phénomènes doi- vent y acquérir plus de force , et que les vents doivent y être très-violens. Les inêmes efTels n'ont pas lieu relalivemeut an tonnerre et à la foudre , aussi terribles au Paraguay qu'a Buenos Ajres , et qui même me paraissent moins considérables sur la rivière de la Plata. Tout doit être à l'inverse , si Ton dirige sa marche du Paraguay vers le nord -, et je croisa que l'humidité et la violence des ventsy sont^ à latitude égale, plus considérables qu'ici. Quant au froid , personne ne doute que l'hémisphère du sud ne soit plus froid, sous la même latitude, que celui du nord. Cepen- dant Buenos- Ayres et Cadix sont situées pres- que à la même latitude , et dans cette der- nière ville plus maritime que l'autre , on fait grand usage de cheminées et de brasiers ,. chose inconnue h Buenos- Ayres , où les bra- siers , s'il y en a , sont très- rares , quoique les maisons y soient très-peu abritées. Le froid, dans ce pays là , paraît dépendre moins du ter- ritoire et de la distance du soleil , que du vent^ (39) Pour ce qui regarde la santé , on peut être assuré que , dans le monde entier , il n'y a pas de pays plus sain que celui que je décris. Le voisinage même des lieux aquatiques et des terrains inondés qu'on y rencontre fréquem-* ment , n'altère en rien la santé des habitans; (4o) CHAPITRE II. Disposition et qualité du terrain. JVous avons vu, au commencement du cha- pitre précédent, quelle était l'étendue du pays dont je parle. Je dis à présent que sa vaste surface ne forme qu'une plaine unie et dont la majeure partie est sensiblement horizon- tale ; car toutes les exceptions se réduisent a quelques hauteurs ou petites montagnes de peu d'étendue , qui n'ont pas 90 toises d'élé- vation au-dessus de leurs bases , et à qui l'on ne donnerait pas le nom de montagnes , si elles n'étaient pas placées dans une plaine. Les cartes les rendent d'une manière trop sensible , et je ne crois pas devoir m'arrêter a parler de choses si peu importantes dans une description générale. Il faut observer cepen- dant que les environs de la partie orientale, depuis la rivière de la Plata jusqu'au paral- lèle de 16 degrés, sont formés de croupes très-étendues et doucement arrondies , qui diminuent de ce côté l'horizon du pays, et modifient en même tems les phénomènes (,4i ) qui en résultent, et que je ferai connaître. Quoique la simple vue suffise pour apercevoir \ horizontalité ^ de cette contrée , il y a aussi quelques expériences qui la prouvent en grande partie. D'abord , les gens qui connaissent bien le pays assurent que , lorsque les vents d'est et de sud-est font monter h Buenos- Ayres les eaux de la rivière à sept pieds au-dessus de leur niveau ordinaire , elles s'introduisent dans la rivière du Paranâ , et qu'on les re- connaît à 60 lieues. Ensuite l'examen que j'ai fait des hauteurs du baromètre , observées par les commissaires des limites , en vertu du traité de paix de 1750, m'a fait conclure que le fleuve du Paraguay , dans son cours du nord au sud, n'a pas un pied de pente par mille marin de latitude , entre les paral- lèles de 16^24' et 22° 57'. Les conséquences de celte forme de plaine qui constitue un si vaste terrain , méritent quelque attention. La fameuse Cordillière des Andes et ses côtes orientales, qui sont la li- mite occidentale du pays que je décris , dans une longueur de 720 lieues, .doivent néces- sairement verser toutes leurs eaux de sources ' Je risque ce mot qui me paraît ne'cessaire 5 l'auteur avaait écrit parallélisme. ( C. A. W. ) \ (42) et de pluies , du côté de Test , dans une multi- tude de ruisseaux et de rivières. Cependant à peine arrive-t-il à la mer cinq ou six de ces ruisseaux ou petites rivières , soit directe- ment , soit par l'intermède du fleuve du Para- guay ou de celui du Paranâ , parce que le terrain qui touche immédiatement les croupes de la Cordillière est tellement horizontal , que les eaux qui en descendent s'arrêtent dans la plaine sans prendre un cours décidé , et s'éva- porent insensiblement, comme les pluies qui tombent dans cette même plaine. Une autre conséquence , c'est que le pays ne pourra jamais être arrosé par des canaux artificiels, et qu'on n'y connaîtra jamais ni les moulins à eau ni les autres machines hydrauliques. On ne pourra pas même y exé- cuter de conduite d'eau pour une fontaine , parce que l'eau des rivières et des ruisseaux n'a que la pente juste qu'il faudrait pour un canal de conduite : aucun endroit n'est sen- siblement plus bas qu'un autre , et tout est presque horizontal. Buenos-Ayres et les villes du pays , ainsi que beaucoup de bourgs et de paroisses , sont situés sur des rivières j et cependant les habitans ne pourront jamais en amener les eaux dans leurs places pour y (43) former des fontaines, à moins qu'ils n'em- ploient la pompe à feu. Les fontaines naturelles viennent de la réu- nion des eaux , et cette réunion est produite par rinégalité du terrain. Par conséquent, lorsqu'il est presque horizontal comme celui- ci , il ne peut y avoir, et il n'y a en effet qu'un très-petit nombre de petites fontaines, et seu- lement dans les endroits où j'ai remarqué qu'il était moins horizontal. Un pays très plat doit aussi nécessairement avoir beaucoup de lacs : ceux-ci doivent avoir une surface très-étendue, peu de profondeur, et par conséquent se sécher en été; parce que le sol n'offrant pas un dégorgement suffi- sant aux eaux de pluie qu'il ne peut absorber, elles se réunissent indispensablement dans les endroits qui sont un peu plus profonds, mais qui ne peuvent pas l'être beaucoup dans un tel pays : aussi s'étendent-elles en surface. Ma description offre un exemple frappant de tous ces effets. Le fameux lac de los Xa- rayes est formé par le concours de toutes les eaux produites par les pluies abondantes qui tombent pendant les mois de novembre , dé- cembre , janvier et février, dans la province de los Chiquitos , et dans toutes les montagnes C 44 ) dont les eaux contribuent a former îa grande rivière du Paraguay du côté de sa source. En effet, celte rivière ne pouvant contenir toutes ces eaux dans son lit , les répand de côté et d'autre , parce que le pays est horizontal. Comme ces pluies sont beaucoup plus con- sidérables dans certaines années que dans d'autres , le lac suit la même règle dans son étendue ; et comme sa figure ou son contour dépend de Thorizontalilé du terrain , ce lac est aussi extrêmement irrégulier, et il est impossible de le décrire exactement. Pour en donner une idée approximative, je parlerai d'abord de son é"b84idue à l'est de la rivière du Paraguay, et je passerai ensuite à l'autre côté. 11 commence avant le 17.^ degré de latitude^ et il peut avoir, dans cet endroit , vingt lieues de large à l'est de la rivière du Paraguay : il conserve à-peu près la même grandeur jus- qu'au 22.^ degré , c'est-à-dire , pendant plus de cent lieues, sans parler du Pain-de-Sucre [Tan-de-Azucar) ^ et d'autres petites monta- gnes qu'il entoure de ses eaux. A l'ouest de la même rivière, le lac commence à 16° 5o'» et continue jusqu'au 17° 3o', en s'enfon- çanl dans la province de los Chiquitos ^ l'espace de plusieurs lieues. Depuis 17° 5o' (45) jusqu'au 19° 5o^ son étendue est peu con- sidérable j mais ensuite jusqu'au 22.^ degré, il continue à s'étendre beaucoup dans le Chaco , et encore plus dans le pays des Chiquitos , selon ce que le marque ma carte. On peut par approximation estimer sa lon- gueur à iio lieues, et sa largeur à 40 ; et cependant nulle part il n'est navigable , à cause de son peu de profondeur. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que, pendant la plus grande partie de l'année , il est à sec , sans qu'on y trouve une goutte d'eau a boire , et rempli de glayeuls et d'autres plantes aqua- tiques. Quelques anciens ont cru que ce lac était la source du fleuve du Paraguay, et c'est précisément tout le contraire. D'autres qui aimaient à forger des contes , ont dit qu'au centre de ce lac existait l'empire desXarayes ou del Dorado , ou de Paytiti , et ils ont em- belli ce mensonge par d'autres fables encore plus étranges. D'autres lacs du Paraguay sont de la même nature que celui de los Xarayes , tels que celui de Aguaracaty vers les 26° : ceux que i'on trouve au nord et au sud de la lagune Ypoa , située à 2.6° ; celui de Neembucû à 27° ; tous ceux de l'est de la rivière du (40) Paraguay, et une multitude innombrable âe terrains plus ou moins étendus, sur les bords de presque toutes les rivières et de presque tous les ruisseaux. Tous les dépôts permanens d'eau sont aussi peu profonds j tels que celui de Mandihâ au 25^ 20' de latitude; celui d'Ypacarary vers les 25^ 25' ; celui d'Yberâ au sud du Paranâ; celui de Miri et de la Manguera vers les 55°, et une innombrable multitude d'autres lacs grands et petits que l'on trouve par-tout , et qui dimi- nuent la quantité du terrain cultivable. Il en résulte que ces contrées ne pourront jamais admettre une culture égale à celle de l'Europe, proportionnellement à leur surface , et sur- tout celles qui manquent de fontaines, et qui sont presque entièrement privées de rivières et de ruisseaux ; tel que le pays qui s'étend depuis la rivière de la Plata jusqu'au détroit de Magellan , et tout le Chaco , ou la pîas grande partie de son territoire. Les roches qui composent les hauteurs et les petites montagnes , sont sablonneuses et non calcaires : elles varient en dureté et en grain. On voit quelquefois percer, à la surface des collines, des roches de cette nature; et dans quelques endroits on voit sortir de terre ( 47 ) ûes blocs qui ont tout au plus six toises de hauteur. On dirait que le pays situé a l'orient des fleuves du Paraguay et du Paranâ n'est composé que d'une croûte qui recouvre la roche massive, et d'une seule pièce que l'on, trouve au-dessous dans toute l'étendue de cette région. Cette roche se trouve à si peu de profondeur sur les hauteurs de Montevideo et de Maîdonâdo , et à la frontière du Brésil , )^^' que, dans l'espace peut -être de mille lieues carrées , il n'y a pas la quantité suffisante de terre propre à la culture. Aussi est-il impos- sible aux arbres d'y prendre racine, et aux eaux d'y pénétrer, parce que la roche est toute d'une pièce. On n'éprouve pas cet inconvé- nient dans le Chaco, ni dans les pays qui sont à l'ouest de ces mêmes fleuves ; car le terrain y est beaucoup plus horizontal, et la roche paraît être à sept toises au-dessous de la sur- face. J'en dis autant de la rivière de la Plata du côté du sud. Et comme cette roche inté- rieure ne laisse pas pénétrer bien avant les eaux de pluie, il en résulte qu'aucun puits n'est profond, et que, pour trouver de l'eau, s'il y en a , il suffit de creuser un peu dans le premier vallon qui se présente. J'ai vu, sur quelques élévations de la froji- (48) tîère du Brésil , percer quelques crêtes d'une pierre très-blanche, vitreuse et très-dure, nullement sablonneuse , et très-différente de toutes les autres; il me paraît impossible de la travailler. Sur quelques monticules, j'ai vu aussi des ardoises jaunâtres er bleuâtres en gros feuillets. J'ai aussi rencontré quelques cailloux ou pierres à fusils , mais en petite quantité , sur-tout dans le lit d'un petit ruis- seau près dePando, à sept lieues de Montevi- déo.Un peu plus loin , et en différens endroits du Paraguay, il y a des pierres à aiguiser. Dans l'ile de la rivière du Paraguay, vers les 22° lo', il y a des pierres propres à aiguiser les rasoirs , ainsi que dans l'endroit que l'on appelle de Alfonso ; mais il paraît qu'elles rejettent l'huile , et qu'elles ne s'en imbibent pas bien. Dans la peuplade d'Yati vers les 26° 36^ il y 21 une carrière d'aimant qui semble être d'assez mauvaise qualité. La cour du curé de l'endroit en est pavée. En allant de Yapeyù au Saut de l'Uruguay, je trouvai dans le lit d'un ruisseau de petites pierres rougeâtres , un peu cristallines , très - dures , et qui sont des cornalines. J'en ai rencontré aussi dans la vallée de Pirayù au Paraguay, et je sais qu'elles sont assez communes aux environs (49) de rUruguay, à l'ouest vers les 5i^ 5o'. Il y a dans quelques endroits des pierres que l'on appelle cocos ^ et qui renferment des cristaux à facettes groupés comme des grains de gre- nade. Leurs couleurs varient ; mais les plus grands et les plus beaux se trouvent dans les monticules de Maldonâdo. Les gens du pays supposent que le suc qui forme ces cristaux , pénètre dans l'intérieur de la pierre, et qu'en le remplissant, ils font crever la croûte pier- reuse, avec un bruit plus fort que celui d'une bombe. Quant aux graviers et aux cailloux , ils sont rares ; et on les découvre ordinaire- ' ment dans les lits de la partie supérieure des fleuves et des ruisseaux. Mais jamais je n'ai vu de brèche ou de pierre formée par la réu- nion de ces cailloux. Je crois qu'aucune des pierres que j'ai nommées dans cet article ,ne doit se rencontrer au Chaco, ni au sud de la rivière de la Plata; et en général , il est très- rare de trouver dans ce pays des pierres ou des cailloux roulés. Je ne sache pas que l'on y connaisse de pierre à chaux, si ce n'est sur les bords des rivières du Paranâ et de l'Uruguay, vers le 52° de latitude , et dans quelques monticules de Maldonâdo : toutes les deux ne sont que I. a, 4 (5o) d\ine médiocre qualité. La dernière est la meilleure. D'après ce que j'ai vu , la première paraît être formée de coquilles de mer qui ne sont pas encore bien marbrïjiées , elle a des interstices garnis d'argile. La seconde est une sorte de roche bien différente du marbre, et qui au premier coup-d'œil ne ressemble pas a la pierre calcaire- La troisième espèce est formée de blocs arrondis , séparés les uns des autres , et que l'on prendrait pour des urn€S ou des amphores de marbre blanchâtre. Ces blocs sont renfermés entre deux parois d'ardoise. A Buenos- Ayr es on fait une petite quantité de chaux d'assez mauvaise qualité, avec de petites coquilles qu'on trouve par bancs. Je ne connais point d'autres carrières de pierre à chaux, et il n'en existe point au Paraguay, ni aux Missions. Peut-être avec le tems en découvrira-t-on d'autres. On assuré même qu'il y en a beaucoup à Cordova-del- Tucuman. Quant au plâtre , je ne crois pas qu'on en trouve de mine proprement dite. On en rencontre seulement quelques blocs blancs et isolés dans le lit de la rivière du Paraguay, vers le 26° 1 7', et dans celui du Paranâ vers le32^ J'ai dit, page 47 ? que la roche massive qui (5i ) formait l'intérieur de ces contrées était re- couverte d'une couche ou croûte de terre. C'est en général de l'argile un peu noirâtre à la surface, à cause des débris des végétaux pourris ; celle qui est au-dessous est plus dute et variée dans ses couleurs. Il y en a de très- blanche, de très-rouge, de très-jaune, et de couleur mélangée j mais je ne me rappelle pas d'en avoir vu de bleue ni de noire. On délaye dans de l'eau l'argile blanche , et on s'en sert, au lieu de chaux, pour blanchir les maisons de campagne. Quant à la rouge et à la jaune , on l'emploie pour peindre les treillages. 11 suffit de purifier un peu la jaune pour en retirer une belle ocre. Les orfèvres du Paraguay se servent de l'argile jaune- brunâtre pour faire leurs creusets. On em- ploie celle qui est noirâtre et que Ton tire des vallons pour fabriquer des terrines et de la vaisselle d'assez bonne qualité , quoique la cuisson se réduise à remplir les vases , de bois auquel on met le feu. On rencontre en général des argiles de couleur vive , en beaucoup d'en- droits ; mais elles paraissent être plus abon- dantes vers la frontière du Brésil , et je doute qu'il y en ait au Chaco. Mais dans les terrains oii il y a des éleva- (52) lions , comme ceux de cette frontière , et une partie de ceux des Missions et du Paraguay, cette couche ou croûte qui recouvre la roche est rougeâtrej je la crois composée de limon et de sable amalgamés et durcis. Dans quel- ques endroits les eaux ont entraîné le limon et laissé le sable seul : dans d'autres , le sable vient de la décomposition des pierres. Dans les sillons ou ravines formés par les pluies , on rencontre quelquefois un sable fin, noir, excellent pour mettre sur récriture. Il est mêlé de sable blanc d'une égale finesse ; mais il suffit de souffler dessus pour dissiper celui- ci et pour le séparer du noir qui est plus pesant , et chargé de fer attirable à l'aimant. La colline appelée Cerrito- Colorado au sud de la rivière de la Plata, est formée de ce sable fin qui est bon à faire des horloges pour la marine. (55) CHAPITRE III. Des Sels et des Mine'raux. JrouR parler des sels, il faut diviser le pays en deux parties , dont on se fera facilement une idée, en prenant pour former la première, tout le côté de l'est du Paraguay et du Paranâ j le reste fera la seconde partie , c'est-k-dire , le terrain qui s'étend depuis la rivière de la Plata jusqu'au sud , et tout le Chaco. Cela posé , j'ai observé que tous les ruisseaux, tous les lacs sont d'eau douce dans la première division ; j'ai vu également qu^au nord de la rivière de la Plata ou dans les plaines de Montevideo et de Maldonâdo , les troupeaux recherchent et mangent avec avidité les os secs : qu^à mesure qu'ils s'avancent vers le nord, ils mangent une terre appelée Barrera, qui est une glaise salée que l'on trouve dans les fossés ; et que quand elle vient à leur man- quer ( comme cela arrive dans les cantons orientaux du Paraguay et des Missions d'Uru- (54) guay), le bétail de toute espèce périt infaîl- liblement au bout de quatre mois. Ou ne saurait croire avec quelle ardeur les trou- peaux recherchent et mangent cette glaise salée : n'eussent- ils été qu'un mois sans en manger , s'ils en rencontrent , les coups même ne leur font pas quitter place ; et ils en mangent quelquefois tant , qu'ils meurent d'indigestion. On assure la même chose des oiseaux et des quadrupèdes qui vivent de végétaux 'y et ce qu'il y a de certain , c'e^t que j'ai trouvé une grande quantité de glaise salée dans l'estomac de l'Anta ^ Je conclus de ces faits, que les pâturages de ces contrées ne pourraient servir a la nourriture d'aucune es- pèce de bétail , sans le secours du sel ou de la glaise salée ; mais que la douceur des herbes va en diminuant depuis les Missions jusqu'à la rivière de la Plata. Au Brésil , malgré l'a- bondance des pâturages , on ne saurait élever de bestiaux sans employer le sel j et comme on n'en trouve pas dans ce pays , et qu'on le tire d'Europe, il y revient fort cher, parce qu'il se vend pour le compte du roi. L'homme parait faire une exception à ce ' C'est le nom que les Portugais du Brésil donnent au tapir. ( C. A. W. ) (55) que je viens de dire des animaux 5 car il est certain que dans les pays privés de sel, dont je parle , il y avait des nations d'indiens dont la principale nourriture élait de végétaux, et qui , avant l'arrivée des européens , igno- raient l'usage du sel , et qu'il y en a même aujourd'hui dans ce cas. Mais peut-être ces indiens suppléaient-ils au sel par l'usage du poisson et du miel sauvage ; ou peut - être encore mangeaient-ils de la glaise salée quand ils en trouvaient ; peut-être aussi faisaient-ils ce que nous voyons faire aujourd'hui aux nations d'Ubayâ et de Guanâ. Ces peuples brûlent des herbes et font avec les cendres et les charbons qui en résultent , des pelotes qu'ils mêlent avec leurs alimens en guise de sel , parce que ces cendres sont salées. Quand on ignore cela , on croit qu'ils mangent de la terre. Il arrive tout le contraire dans la seconde division , c'est-à-dire , dans tout le Chaco ou dans la partie située à l'ouest des rivières du Paraguay et du Paranâ, et depuis la rivière de la Plata vers le sud. Dans tout ce pays, il n'y a ni ruisseau , ni lac , ni puits, qui ne soit saumàtre , en été ou quand les pluies sont rares 5 car la pluie diminue nécessairenieni (56) leur salure. Les rivières mêmes , telles que le Pilcomayo et le Vermejo se ressentent de cette salure , quand elles sont très-basses , quoique leur cours ne soit jamais inter- rompu. Mais il y a des eaux plus salées les unes que les autres , et les sels ne sont pas tous de la même qualité. Vers le 55^ 44' ^® latitude , se trouve le fort de Melincué , pres- que entièrement entouré de lagunes , qui se sèchent lorsque les pluies sont rares. Ce fut dans une pareille circonstance que j'y arrivai au mois de mars , et j'y trouvai une surface de presque une lieue de traversée , cou- verte de quatre doigts de sel d'epsom ou d'Angleterre ( sulfate de magnésie ) reconnu tel par un apothicaire que je chargeai d'en faire l'essai. A i5o lieues de Buenos- Ayres, en suivant le rumb ouest-sud- ouest , il y a un lac toujours rempli d'excellent sel com- mun. On vient en chercher une fois l'an, parce qu'à Buenos-Ayres on le préfère à celui qui vient d'Europe; on trouve qu'il sale davan- tage , et qu'il n'a pas le petit goût d'amer- tume , que celui d'Europe conserve toujours. La chaleur du soleil fait crystalliser du sel de la même qualité dans beaucoup d'autres lacs de ces contrées, ainsi que dans le Chaco du (57) cote de la rivière Vermejo. Je ne doute pas non plus que ces terrains ne contiennent du salpêtre , puisqu'on en tirait autrefois pour faire de la poudre. Les pâturages ou les végé- taux de ce'te vaste étendue de pays ne pour- raient pas suffire à la nourriture des bestiaux, sans le secours du sel ; mais celui qu'ils trou- vent dans les eaux qu'ils boivent y supplée* Au Paraguay, pour avoir du sel , on ramasse les efïlorescences blanches que l'on trouve en tems sec dans quelques vallées. On les dis- sout , on les filtre , et on en fait bouillir la lessive , pour opérer la crystallisation du sel. Autrefois on fabriquait aussi du salpêtre. Comme la situation locale ne permet pas de penser que les terrains salés soient l'ou- vrage de la mer, et que les autres soient celui des rivières , on pourrait imaginer que la salure des pays oli on l'observe vient des sels que les eaux de pluie ont entraînés en des- cendant de la Cordillière des Andes. Mais , quant à moi, je pense que les terrains salés étant presque horizontaux , et généralement incapables de laisser de l'écoulement aux eaux, celles ci s'évaporent, en abandonnant les sels qui ne sont pas susceptibles d'évapo- ration. Cela n'arrive pas dans les terrains dé- (58) pourvus de sels , parce qu'ils ont la pente nécessaire pour se débarrasser des eaux , et par conséquent des sels qu'elles contiennent. Il suffit d'avoir dit que le pays est plat , et qu'il n'a qu'un petit nombre de montagnes peu élevées , pour faire connaître qu'on n'y trouve point de minéraux. En effet il y a bien peu de choses à en dire. Au village des mines de Maldonâdo , on rencontre quelques grains d'or dans le sable du ruisseau de San-Fran- cisco : le litre en est bon; mais il est en trop petite quantité pour payer les frais. Dans la peuplade de San-Carlos , aux Missions , on a rencontré , mais très-rarement , quelques pe- tits échantillons de mine de cuivre , mais sans découvrir de filon ni de mine. Dans les plaines de Montevideo près de la Estancia de Légal de Aceguâ , on a cru trouver une mine d'ar- gent , mais je crois que ce n'est que de la couperose. Il est très-probable qu'il y a des mines d'or et de toute espèce de pierres pré- cieuses dans la chaîne de montagnes appelée Santa- Ana par les conquérans du pays , et Saii^Fernando par les modernes , ainsi que par Cruz dans sa carte ; cette chaîne est si- tuée près de la rivière du Paraguay dans la province de Chiquitos. J'en dis autant de (59) toutes les montagnes de cette province et de celle de Moxos : car toutes sont voisines de celles que les Portugais nous ont usurpées injustement , en s'établissant au milieu même de notre pays , à Matogroso et Cuyabâ. Je ferai connaître ici un phénomène rare dans la nature. C'est un morceau unique de fer pur , flexiîole et malléable à la forge , obéissant a la lime, mais en même-tems si dur que les ciseaux s'ébrèchent et se cassent quelquefois en le coupant. Cette masse ren- ferme beaucoup de zinc , et par cette raison | se conserve intact malgré le contact et les intempéries de l'air. Quoique sa surface pré- sente quelques inégalités, et que l'on s'aper- çoive qu'on en a coupé plusieurs grands mor- ceaux , ses dimensions , a quelque différence près , sont les suivantes : longueur 1 5 palmos ^; largeur 8 5 hauteur ou grosseur 6 ', solidité , 624 palmos cubiques. Je m'en rapporte a ces mesures que donnent dans leur journal, don Miguel Rubin-de-Celis et don Pedro Cervino, qui examinèrent ensemble ce morceau de fer, par ordre du roi, en 1985. Ils partirent de la ville de Santiago-del-Estero , dont ils déter- ' Le paîmo équivaut à 9 pouces castillans , et 7 de ceux-ci en font 6 de Paris. (60) minèrent la latitude à 27'' 4?' 42"- Conduits par quelques-uns des habilans qui avaient vu ce bloc de fer plusieurs fois , ils le trouvèrent à soixante-dix lieues en ligne droite par le rumb nord 85 degrés à l'est , après avoir marche continuellement dans des plaines , et sans trouver une seule pierre , ce qui arrive dans toute l'étendue du Chaco. On voit par ce journal, que le fer est posé horizontalement sur une surface argileuse et dénuée de pierres; qu'il n'est nullement enfoncé dans la terre, comme on s'en assura en creusant un peu à l'un des côtés , ce qui fit tomber la masse du côté de l'excavation , oii l'on ne décou- vrit pas également la plus petite pierre. Mais comme à leur retour à la ville de Santiago, le gouverneur leur montra une pierre pesant une once , qui contenait assez d'or sensible à la vue , en leur disant qu'on l'avait trouvée au puits de Rumi à vingt lieues de distance du bloc de fer, ils envoyèrent à cet endroit pour en chercher une plus grande quantité ; et en effet on leur apporta quelques petites pierres qui ne donnaient aucun indice de métal. Cervino lui-même m'a assuré cent fois qu'il avait su , depuis , que le petit échantillon de mine d'or avait été apporté du Pérou par (6i ) ua indien , et qu'il l'avait vendu au gouver- neur, en lui faisant accroire qu'il l'avait trouvé • au puits de Ru mi. Rubin-de-Celis ,de retour en Espagne , es- suya plusieurs disgrâces qui le conduisirent à s'expatrier 5 mais voulant faire connaître le bloc de fer dont nous avons parlé , il en pu- blia , peut - être de mémoire , une relation certainement fautive , dans le tome 78 des Transactions philosophiques , d'après ce que j'ai lu dans \ extrait des meilleurs journaux ^ n.^ 190. Il y dit qu'à très-peu de profondeur au-dessous du fer, il avait trouvé du quartz d'un beau rouge avec des grains d'or, et là- dessus il cite la pierre du gouverneur. Il dit aussi que ce fer est d'origine volcanique , ne faisant pas attention qu'il n'est ni aigre, ni cassant, mais très- malléable ; qu'il est isolé et sans aucune autre matière volcanique ; que l'immense plaine du Cliaco ne peut avoir de volcans ; que le plus proche est peut être à 3oo lieues j et que , quand bien même cetle masse eût été lancée par un volcan , elle ne serait pas restée à la surface. Il n'est pas croyable non plus qu'elle y ait été portée par aucune rivière , puisqu'il n'y a aucune mine de fer dans toute l'Amérique mé- (62) rldionale. On ne saurait croîre non plus qu'on l'ait apportée d'Espagne pour l'aban- donner dans un désert , et que l'on ait pu tirer une pareille masse des mines d'Europe. Enfin , je ne suis pas capable d'expliquer l'o-» rigine de ce fer; et je suis plus porté à croire qu'il est aussi ancien que le monde , et qu'il est sorti , tel qu'il est , de la main du créa- teur. Car si l'on veut regarder sa formation comme postérieure , on se trouve arrêté par la difficulté de supposer que ce fer était enveloppé d'autres matières à l'abri des- quelles il s'était formé, et que ces matières ont été entraînées par les eaux; ce dont on ne conçoit guères la possibilité dans un pays de plaines. En outre , on ne conçoit pas com- ment il ne s'en est formé qu'un seul morceau, et si considérable, di lièrent d'ailleurs par sa qualité de celui qu'on trouve dans toutes les mines connues \ » La masse de fer natif dont parle ici M. d'Azara ^ a beaucoup exerce les mine'ralogistes de l'Europe. Les savans auteurs du Journal de Chimie donnèrent , dans le tems , un extrait du Mémoire de don Michel Rubin- de-Cehs (i). Proust, qui a examine des fragmens de cette masse , a reconnu que le nickel y était allié avec (i) Tome 5 , pag. 149 et suiv. ^ (63) le fer , et il conclut de ses observations , qu'il serait pre'mature de juger si cet alliage est l'ouvrage de l'art ou de la nature (i). Mais d'après les détails donnc's ici par M. d'Azara , il paraît certain que c'est une pro- duction de la nature; et quoiqu'en effet ce plie'no- mèae soit très-rare , il y en a encore deux autres exem- ples. Le premier est cette masse énorme de fer mal- léable trouve'e par Pallas en Sibérie , sur le haut d'une montagne voisine du grand fleuve Yenisei , et de la chaîne des monts Kemir (2) ; elle pesait 1680 livres russes. Le second exemple est un gros bloc de fer trouve' à Aken , près de Magdebourg, sous le pave' de la ville, pesant i5 à 17 milliers , et auquel on a reconnu toutes les qualités du meilleur acier anglais. Le doc- teur Chaldni , de Wirtemberg , a publie à ce sujet , en 1794, un ouvrage (5) dans lequel il examine toutes les hypothèses qui ont ete' imaginées pour expliquer la formation de ces trois différentes naasses de fer natif. Il prouve qu'il est également impossible d'admettre , et leur production par la voie humide , et leur fusion , soit artificielle, soit naturelle, par le feu des volcans, par celui des houilles enflammées , ou même jDar le feu du ciel. 11 relègue ces corps parmi ceux qui ont tant exercé dans ces derniers tems l'imagination des savans , et qu'on a nommé bolides , météorolithes , pierres atmos- phériques ou pierres tombées du ciel. M. Chaldni pense que ces corps tirent leur origine des corps ce- (i) Journal de Physif[ue , thermidor au 7 , p. i^d. (2) Pallas, Observ. sur la forxne des moalagnes. Pétersbourg, i777,in-4-%p-25. (3) JJher der ursprung der von Pallas gefundeucn und andergr ihr aenlicher Eisenmassen. Riga y 1794. (64) lestes , et cette opinion a elë adopte'e et deVeîoppe'e en France par plusieurs physiciens respectables. Quoi qu'il en soit , il parait constant que l'on ne doit pas confondre ces singulières masses avec les morceaux de fer natif que l'on trouve quelquefois dans les mines. Quoique ces morceaux soient si rares que même plusieurs habiles mine'ralogistes aient doute de leur existence (i), on peut dire qu'elle est aujourd'hui prouve'e. On vient tout re'cemment encore de découvrir au Muséum d'his- toire naturelle de Paris , dans un morceau qui venait de Kausdorf en Saxe , la présence du fer natif. Lehmanii a donne' la description d'un autre morceau qui venait d'Eibensock en Saxe (2). On en a trouve' en forme de sta- lactite rameuse , aux environs de Grenoble , sur la mon- tagne de Oulle. Wallerius mentionne un fer natif sous forme cubique , qui se trouve près du Sene'gal , en Afri- que , oti les Maures l'exploitent pour en faire diffe'rens ouvrages (5) Les lieux que j'ai cite's sont jusqu'ici les seuls où l'on a trouve' du fer natif. ( C. A. W. ) (i) ployez Haûj, Traité de Minéralogie , t. 4, p. 6. (2) Art des mines , trad. fr;inç. p. 112. (3) Wallerius , Syst. miner, édit. de 1778, t. 2, p. 233. (65) CHAPITRE IV. De quelques-unes cles principales Rivières , des Ports et des Poissons. Il serait impossible de décrire toutes les rivières d'un pays aussi étendu ; ainsi je me bornerai à dire quelque chose des trois plus considérables , qui sont renommées dans le monde par l'abondance de leurs eaux. Pour les autres, quoiqu'il y en ait dans ce nombre de plus considérables que les plus grandes d'Europe , je renverrai à ma carte qui en marque le cours et la direction. Mais, avant tout, je dois faire observer que le cours de ces trois principales rivières, se dirigeant vers le sud , comme on le voit par la carte , cela fait voir clairement que la zone torride , ou les environs de l'équateur, sont plus élevés que la zone tempérée aus- trale. La rivière des Amazones prouve la même chose du côté opposé. Les géomètres démontrent par des calculs , aussi exacts que bien fondés , que le diamètre de la terre est L a. 5 (06) plus considérable sous l'équateur, et qu'il va en diminuant vers les pôles. Cette inégalité de diamètre ou de hauteur n'altère pas le niveau de la terre , au point de faire couler les eaux vers les pôles. Je veux dire seule- ment que cette inégalité générale de hauteur ou de diamètre est plus considérable en Amé- rique , près de l'équateur que près des pôles : c'est ce que prouve en effet le cours de ces trois principales rivières. Les indiens carios ou guaranys , qui habi- taient la rive orientale du Paraguay, a l'époque de la première arrivée des espagnols , appe- laient cette rivière Payaguây , c'est-à-dire rivière des Payaguâs , par allusion à ce qu'ils étaient les seuls qui y naviguassent dans toute son étendue. Les espagnols altérèrent un peu ce nom , en l'appelant Paraguay , et le don- nant aussi à toute la province que ce fleuve arrose. Ses premières eaux sont formées de L difïérens ruisseaux qui commencent au i5*^ 5a' latitude sud , dans les montagnes nommées Sierra del Paraguay ^ oii les portugais ont beaucoup de mines d'or et de pierres pré- u cieuses. Ce fleuve coule constamment vers le sud , et termine son cours en se réunissant au Paranâ. Il est navigable pour des goélettes (6?) depuis le 16.*' degré jusqu'à son emîx)ucîiure (quoique son canal soit en général étroit), parce qu'on n'y trouve ni rescifs ni autres obstacles, et qu'il a toujours assez de fond. Pour donner une idée de l'abondance dé ses eaux, j'en mesurai la largeur à l'Assomp- tion, à une époque où elles étaient plus basses* que ni moi ni les habitans ne l'avions jamais vu. Je divisai en différentes parties ceîte lar- geur qui était de 1,532 pieds de Paris; et je déterminai la profondeur et la vitesse de cha- cune de ces parties , en sondant et en obser- vant le tems que mettait à s'écouler une quan- tité déterminée d'eau, au moyen d'une boulé de coton que je laissais flotter sur l'eau et en- traîner par le courant. Ces données me firentf calculer qu'il s'écoulait a cette époque g8,3o3 toises cubiques d'eau par heure ; et en sup- posant que la quantité moyenne des eaux de cette rivière aille au double , comme cela me parait certain , si même elle n'est pas plu^ considérable , on verra qu'il s'écoule alors 196,618 toises cubiques d'eau par heure 5 sang compter celle qui tombe dans cette rivière au-dessous de l'endroit oii j'ai fait mon expé- rience , et que l'on peut considérer comme équivalent au double de l'Ebre. (68) A rAssomplion , ces eaux ne sont jamais assez troubles pour incommoder, parce que les pluies qui tombent, soit au-dessus soit au-dessous de cette ville , ne suffisent pas pour salir une aussi grande masse d'eau : et quand bien même ces pluies auraient lieu à- la-fois de tous les côtés possibles , elles ne pourraient pas entraîner beaucoup de terre des terrains incultes. Ctîtte rivière «prouve un accroissement périodique , qui commence à r Assomption à la fin de février , et qui aug- mente par degrés et avec une égalité admi- rable jusqu'à la un. de juin. C'est alors qu'elle commence à décroître de la même manière et dans le même espace de tems. Quoique celte crue soit plus grande une année que l'autre , et qu'à l'Assomplion les eaux sur- passent qu'iîquefois de cinq ou six toises leur niveau ordinaire et s'étendent beaucoup , elle éprouve cependant peu de variation au com- mencement et à la fin. Cette crue est produite par le fameux lac des Jarayes , dont j'ai parlé au cliapitre 11. Quand il est plein , il verse ges eaux dans la rivière du Paraguay, à pro- portion que son canal ou son lit le lui permet. La qualité de l'eau est excellente. La rivière du Paranà prend sa source dans (69) les montagnes où les portugais ont leurs mines d'or des Goyazes , entre les 17*^ 5o' et les î8° 5o' de latitude australe , et elle est formée par la réunion de beaucoup de ruisseaux ou de courans d'eau. Ces courans se dirigent d'a- hord vers le sud , et tirent ensuite fortement à l'ouest , jusque vers le 20^ degré oii ils pren- nent une autre direction, que l'on peut voir sur ma carte , ainsi que le reste du cours de cette rivière et de celles qui y portent leurs eaux. Celles-ci sont en très-grande quantité , et il y en a parmi elles de plus considérables que les plus grandes de l'Europe. De cette classe sont l'Yguazù, le Paraguay et l'Uru- guay. Quoique je n'aie fait aucune expérience pour connaître la quantité de ses eaux , je ne crois pas exagérer en disant qu'au point de sa réunion avec le Paraguay, dont nous avons vu la grandeur, le Paranâ est déjà dix fois plus considérable , et qu'il égale lui seul les cent plus grandes rivières de l'Europe. Enfin lorsqu'il reçoit l'Uruguay , il forme ce qu'on appelle ordinairement la rivière de la Plata , que l'on regarde comme une des plus grandes du monde, et qui l'est peut-être autant que toutes celles d'Europe réunies. *- Le Paranâ est beaucoup plus rapide et plus. ( 70 ) violent dans son cours que le Paraguay, parce qu'il vient du Brésil ou du colé de l'est , oiï J'on sait que le terrain a plus d'inclinaison. Pepuis Candelaria où il n'a que 400 toises de largeur , il augmente considérablement , et a. Corrientes il en a déjà i5oo. Il renferme un^e multitude innombrable d'iles dont quelques- unes sont très-grandes. Ses plus grandes crues ont lieu en décembre plus qu'en toute autre saison 5 elles sont plus nombreuses et plus promptes que celles du Paraguay , parce qu'elles ne dépendent pas d'un lac , tel que celui des Jarayes. Les eaux de cette rivière passent pour être excellentes , quoique on y rencontre fréquemment des troncs d'arbres et des os pétrifiés. Malgré l'énorme volume de ses eaux , cette rivière n'est pas navigable dans toute son ^tendue , parce qu'elle est entrecoupée de cataractes et de rescifs. Une de ces cataractes se trouve «n peu au nord de la rivière Tiete pu Afiemby , qui se réuuit au Paranâ vers le 20^ 55^ de latitude; mais je ne parlerai que des autres que je connais mieux. La première appelée Saut de Canendiyù , du nom d'un cacique qui habitait de ce côlé - là au tems de la conquête , et Saut de Guayra à cause (7« ) du voisinage de la province de ce nom , n'est pas loin du tropique du capricorne au 24^ l\ ^'j'' de latitude , d'après les observations. C'est une cascade effroyable et digne d'être décrite par les poètes. Il s'agit de la rivière du Paranâ, de cette rivière qui plus bas prend le nom de la Piata ; de cette rivière qui , dans cet en- droit même , a plus d'eau qu'une multitude des plus grands fleuves d'Europe réunis , et qui au moment même où elle se précipite, a dans son état moyen beaucoup de fond et :2, 100 toises de largeur (on l'a mesurée), ce qui fait presque une lieue marine. Cette énorme largeur se réduit subitement à un canal uni- que qui n'a que trente toises, dans lequel entre toute la masse d'eau en se précipitant avec une fureur épouvantable. On dirait que cette rivière, fîère du volume et de la vitesse de ses eaux , les plus considérables du monde , veut ébranler la terre jusque dans son centre, et produire la nutation de son axe. Elles ne tom- bent pas verticalement ni d'aplomb , mais sur un plan incliné de 5o degrés à l'horizon ; de manière à former une hauteur perpendicu- laire de 52 pieds de Paris. La rosée ou les va- peurs qui s'élèvent au moment oii l'eau cho- que les parois intérieures du roc , et quelques (72 ) pointes de roches qui se trouvent dans le canal du précipice , s'aperçoivent à la distance de plusieurs lieues en forme de colonnes ; et de près elles forment , aux rayons du soleil , dif- férens arcs-en-ciel des couleurs les plus vives , et dans lesquels on aperçoit quelque mouve- ment de trépidation. De plus ces vapeurs for- ment une pluie éternelle dans les environs. Le bruit se fait entendre de six lieues , on croit voir trembler les rochers du voisinage, qui sont si hérissés de pointes qu'ils déchirent les souliers. Pour reconnaître ce saut ou cataracte , il faut faire trente lieues dans un désert, de- puis le bourg de Curuguaty jusqu'à la rivière Gatemy ; arrivé là , on cherche un ou deux gros arbres, dont chacun sert à faire un canot pour embarquer les voyageurs avec des vi- vres et tout ce qui est nécessaire. On laisse à terre , pour garder les chevaux , quelques hommes bien armés , parce qu'il y a de ces côtés- là des indiens sauvages qui ne font pas de quartier. Ceux qui doivent visiter la ca- taracte , et qui se sont embarqués, font trente lieues sur la Gatemy , en se tenant bien sur leurs gardes , à cause des indiens qui habi- tent les bords de cette iTOère , qui sont cou-: (75) verts de bois très - épais. Les voyageurs sont quelquefois obligés de traîner leurs canots sur les nombreux rescifs qu'ils rencontrent , et quelquefois même de les porter sur leurs épaules. Ils parviennent enfin au Paranâ , et il leur reste encore jusqu'à la cataracte trois lieues, que l'on peut faire par eau ou à pied sur les bords , en côtoyant un bois oii on ne rencontre aucun oiseau ni grand ni petit, mais quelquefois seulement quelque ya- guarète , bête féroce , et plus terrible que les tigres et les lions. On peut , de dessus la rive , mesurer la cataracte à son aise , et même en reconnaître la partie inférieure en entrant dans le bois 5 mais il pleut tellement dans les environs, qu'on est obligé de se mettre tout nud pour eu approcher. Je n'ai parlé que de la partie la plus forte de cette chute d'eau , formée par une colline que l'on appelle Cordillière de Maracayù , et qui traverse la rivière. Mais on peut , et on doit " même en regarder comme la continuation les trente-trois lieues en ligne droite qu'il y a depuis la cataracte jusqu'à l'embouchure de la rivière Yguazii ou Curiliba , au 25"^ 4^' ^^ latitude observée^ parce que dans toute cette étendue, la ri- (74) vière a une pente très-considérable , et coule dans un canal de rochers qui sont en gé- néral taillés d'aplomb , et qui est si étroit , que deux lieues au-dessous de la cataracte , larivière n'a que quarante-sept toises de large. Ses eaux se choquent avec fureur les unes contre les autres , et forment une multitude de gouffres et d'abymes terribles qui englou- tiraient en peu de tems tous les bâtimens qui voudraient y passer. Je vais parler de deux autres cataractes que l'on trouve dans ces contrées. La rivière d'Yguazù ou Curitiba , dont nous avons parlé , a un volume d'eau égal à celui des deux plus grands fleuves d'Europe réunis j et à deux lieues de son confluent avec le Parana , elle a aussi une cataracte. Sa lon- gueur totale est de 656 î toises , et la hauteur verticale de 171 pieds de Paris ; mais elle est divisée en trois degrés principaux , dont chacun a différens canaux. L'eau se préci- pite à plomb de plusieurs de ces canaux, et la plus grande hauteur de sa chute est de 18 pieds. Le bruit, les vapeurs, l'écume et les arcs-en-ciel ressemblent à ceux de la ca- taracte du Paranâ. L'autre est celle de la rivière Aguaray , (75) que Ton peut comparer à la Seine. Eile tombe dans la rivière Jesuy , et toutes les deux se jettent dans le Paraguay. La grande carte de Cruz, dressée d'après les observations des commissaires pour les limites en 1750, fait verser les eaux de cette rivière dans l'Y- panë ; mais c'est une erreur, et d'ailleurs le nom est mal écrit. Cette dernière cascade est à pic ou perpendiculaire : elle a 584 pi^^ls de Paris de hauteur , et se trouve au 20° 2B' de latitude observée. On pourra trouver dans l'ancien continent des chutes d'eau d'une hauteur égale ou même supérieure; mais si l'on veut faire atten- tion à tous les accessoires , il sera difficile d'eu rencontrer de semblables à celles que je viens de décrire. Si l'on veut chercher des points de comparaison , c'est en Amérique qu'il faut les fixer , parce que dans cette partie du monde , les montagnes , les vallées, les rivières , les cataractes , tout en un mot ?i de si grandes proportions, que les objets de même nature que l'on pourrait trouver en Europe ne semblent être , à leur égard , que des miniatures ou des copies en petit. Voyez la description de la cataracte de Tequendama, donnée dans les Annales de sciences na^ (76) turelles^ P^g<^ ^4^» P*'*^' don Francisco-An- touio de Zea. Elle est à-peu-près à quatre lieues de la ville de Santa-Fë de Bogota. La chute est perpendiculaire, et de 68i pieds de Paris de hauteur 5 mais elle est divisée en trois degrés comme celle de l'Yguazù. Le volume d'eau de cette rivière est considé- rable , puisque les uns le comparent au Tibre , et les autres au Guadalquivir. M. P. F. Tardieu, qui vient de copier la carie des Elats-Unis de l' Amérique septen- trionale, dressée par Arrowsmith , a traduit également de l'anglais la description du fa- meux saut de Niagara. Cette cataracte se trouve au point de communication des deux grands lacs Erié et Ontario, et elle est formée par la rivière de Niagara , qui prend ensuite le nom de fleuve Saint-Laurent : c'est un des plus grands fleuves du monde, quoiqu'il n'ait , au point de sa chute , que 571 toises de large. Cette description dit en substance , que l'eau se précipite avec une si étonnante vitesse, que beaucoup de personnes ont cru qu'elle tombait presque verticalement ; que la pente de la rivière , un demi - mille avant la cata- racte , est de 54 Ts pieds de Paris ; que la hau- teur verticale de la chute est de 140 75, et qœ (77 ) Ton estime à 60 i^ la profondeur de ra])yme où l'eau îombc. Il conclut que , de ces trois quantités résulte la sonnme totale de ^56 pieds pour la pente de la rivière, dans l'étendue de sept milles et demi de cours. D'après cette description, on serait tenté de croire que la cataracte n'est pas perpendiculaire; et ce- pendant l'auteur semble insinuer le contraire. La Rochefoucauld Liancourt, lom. 11 , pag 12. du Voyage dans les Etats-Unis d' Amérique ^ dit positivement que la cataracte est perpen- diculaire , et je le crois. Mais si , comme il le dit, la pente totale de la rivière , dans l'espace de sept milles et demi , est de 256 pieds, on ne peut guère concevoir que la chute se fasse par trois degrés difï'érens , comme il l'assure. D'un autre coté, la R.ochefoucauld donne à la cataracte seule 160 pieds de hauteur. On en croira ce qu'on voudra ^ ' Dans l'ouvrage de Volney , intitule : Tableau du climat et du sol des Etals-Unis d'Amérique, Paris , 1806, 2 vol. in-8/', on trouve à la page 106 du pre- mier volume , un chapitre curieux sur la chute de Niagara: j'y renvoie le lecteur, qui pourra j lire un précis des différentes descriptions qu'on a faites de cette célèbre cataracte , et des différentes e'valuations qu'on u doances de sa hauteur. Quoique M. Volney ait ?ui- (78) En comparant ces cataractes, on voit que celle d'Agiiaraj est la plus perpendiculaire. Tiennent ensuite celles du Tequendama , du îViagara et de rYguazû , et enfin celle du Paranâ. Si l'on regarde au volume d'eau , celles de l'Aguaray et du Tequendama sont bien inférieures à celles de l'Yguazù, du ]Nia- gara et du Paranâ. Mais aucune ne peut en- trer en comparaison avec celle du dernier , si Ton considère qu'il ne se précipite pas , comme le Niagara , par cascade ou en nappe presque égale, dans toute son étendue de 371 toises , mais qu'il ne forme qu'un seul et énorme prisme de 5o toises , plein et solide. même visité cette cataracte , et qu'elle â^t été avant hâ examinée et de'crite par un grand nombre de voyageurs , il est encore incertain si , avant de parvenir au saut de Niagara , la rivière de Genessi subit deux ou trois chutes. De là les difïerentes eValuations qu'on a donne'es de sa hauteur. Il paraît constant que la chute de Nia- gara proprement dite , est de i44 pi^ds ; celle des deux ou trois autres chutes qui la pre'cêdent , s'évalue à iSy pieds , ou 160 , ou 180 pieds , suivant les difFerens observateurs. ïl y a dans Volney une faute d'impres- sion qui n'est point corrige'e dans Yerrata, et qu'il est important de rectifier. A la page I25 on lit pour total de toutes les chutes et des rapides réunis, 190 pieds ; il faut lire 570 pieds. ( C. A. W- ) (79) Les rochers qui forment toutes ces cata- ractes ,sont très-durs. Le Paranâ s'est ouvert à travers ces masses une tranchée de cent milles jusqu'au confluent de l'Yguazù, comme je Tai dit. Le INiagara s'en est ouvert une de sept milles ; et tous les autres sont plus ou moins dans le même cas. Il semble que ces roches étaient déjà formées , quand l'eau com- mença à couler par-dessus. En effet , il n'est pas croyable que des rivières aussi considé- rables et aussi fortes eussent permis à la pierre de se consolider sous leurs eaux ; et comme l'existence des rivières date de l'époque de celle de l'atmosphère , des pluies et des sour- ces , c'est-à-dire de la création du globe , il paraît également croyable que les roches des cataractes , et par conséquent toutes celles de la même espèce , ne se sont pas formées avec le tems et par les seules forces de la nature , mais qu'elles furent créées en même tems que la terre et tout ce qui existe dans notre pla- nète. Le voyageur que j'ai cité partage mon opinion ; car il dit que le Niagara coule sur ces rochesdepuis le commencement du monde. Il est donc important pour l'histoire naturelle de connaître la nature des roches qui for- ment les cataractes des rivières , et que Ton (8o) doit considérer comme des matières primi- tives , quoiqu'elles renferment des substances différentes , qui sembleraient indiquer que c'est de leur réunion qu'elles se sont for- mées posiérieurement par quelque combi- naison due aux forces de la nature. Mais mal- heureusement , comme je ne me connais pas en roches , tout ce que je puis dire de celles qui forment les cataractes que j'ai décrites , c'est qu'elles me paraissent être de granit ( berroquena ). Celles du saut de Niagara sont calcaires , à ce que dit la description que je viens de citer j mais elle n'explique pas si c'est un marbre formé de corps marins , ou si sa composition est différente. Dans le premier cas , si l'on regardait cette roche comme primitive , l'argument que l'on tire des coquilles pour prouver que notre globe a été couvert d'eau , perdrait beaucoup de sa force. Retournons au Paranâ. Il y a un rescif que l'on appelle saut ou cascade , situé au 27° 27' :id' de latitude observée , et au 69.^ de- gré de longitude ; mais le passage y est tou- jours libre pour les petits bâtimens et même pour des goélettes , quand les eaux sont gran- des j de sorte que le Paranâ est navigable (8i ) d^epuis le confluent de rYguazù jusqu'à la mer. Près de ce resclf , on trouve le lac Yberâ. Il a trente lieues de large au nord , parallè- lement au Paranâ, dont il est très-rapproché , sans avoir de communication visilile avec ce fleuve. Il se prolonge à 5o lieues au sud , où il forme ce qu'on appelle la gorge d'Yuquicuâ; €t s'élargissant ensuite à mesure qu'on avance vers le sud , il finit par former la rivière Mi- rinay , qui est considérable , et qui se jette dans l'Uruguay. Depuis Yuquicuâ , les bords de r Yberâ suivent l'ouest pendant 5o lieues^ et il en sort trois rivières , savoir : celle de Sainte-Lucie , celle de Corrientes et celle de Bateles , que l'on ne peut jamais passer à gué , et qui se jettent dans le Paranâ. Le lac de l'Yberâ ne reçoit ni rivière , ni ruis- seau, ni source : il subsiste toute l'année sans presque aucune variation , et il est en grande partie rempli de plantes aquatiques , et même de quelques arbres. Mais il est entretenu par la simple fîltration des eaux du Paranâ , qui n'a pas d'exemple dans le monde. Cette fîl- tration fournit non - seulement l'eau des quatre grandes rivières dont nous avons parlé , mais encore celle qui est enlevée par i'évaporation dans une surface qui a au moins I. a. 6 ( 82 ) î,ooo milles marins carrés , et qu'on ne peut pas estimer au-dessous de 70,000 ton- neaux par jour, d'après les expériences de Halley 5 on doit même la porter beaucoup plus haut , paixe que le pays est plus chaud que TAngleterre. J'ai lu dans quelques histoires manuscrites des jésuites , que dans l'intérieur du lac Yberâ , vivait une nation d'indiens pygmées , et ils en donnent une description très-détaillée. Mais tout cela est faux , et n'a pas plus de réalité que cet empire qu'on suppose exister au milieu du lac des Jarayes. L'Yberâ est une grande étendue d'eau qui , dans quelques en- droits , forme un véritable lac ; mais la plus grande partie est remplie de plantes : de sorte qu'il est impossible d'en reconnaître l'intérieur , ni à pied , ni à cheval , ni en ba- teau. Sa situation , et la disposition totale du pays, indiquent qu'autrefois la rivière du Pa- i^anâ traversait ce lac , et qu'elle se divisait ensuite dans les quatre rivières qui en sor- tent j et je ne doute pas que le Paranà ne reprenne par la suite son ancien lit, L'Uruguay prend sa source vers le 28.^ de- gré de latitude , dans des montagnes situées au couchant , et assez près de l'île de Sainte- (83 ) Callierîue. 11 coule d'abord a Pouest , et il reçoit tant d'eaux ou de itûàseaux j qu'à 23 lieues de sa source , à l'endroit où il est traversé par le cbemln de San-Pablo à Via* mon, il est déjà fort^ et s^appeîle la rivière des Canots. En suivant le cbemin de Via* mon , on trouve à 1 1 lieues une autre ri- rière considérable , nommée Uruguaj-Mirj ^ et Rio de las Pelotas* De la réunion de cette rivière à celle des Canots , résulte la rivière d'Uruguay. Quand cette rivière sort des mon- tagnes oii elle prend sa source , elle coule pendant long-tems à travers un terrain dé- pouillé d'arbres et entrecoupé de collines \ mais ensuite elle traverse des bois très-con- sidérables , en recevant continuellement de nouveaux ruisseaux jusqu'au confluent de la rivière Uruguay -Pita, On peut examiner le reste de son cours sur ma carte , qui le marque avec exactitude , et où l'on voit que l'Uruguay finit par se réunir au Paranâ pour former ce qu'on appelle aujourd'hui la rivière de AzP/a/ar. Les anciens auteurs donnaient à ce nom beau- coup plus d'étendue, puisqu'ils l'appliquaient également au Paranâ , et par suite au Parngupy. Le volume de ses eaux peut être regardé comme peu inférieur à celui du Paraguay^ (84) smaîs comme il est beaucoup plus oriental que ce dernier, et même que le Paranâ , et que du côté de Test îe terrain est beaucoup moins horizontal , il s'ensuit qu'il est beaucoup plus rapide et plus violent que ces deux ri- vières. Ses eaux passent pour excellentes , et sur-tout celles que lui fournit la rivière Noire (^rioNegro^^ quoique les os et les troncs d'arbre s'y pétrifient. Ses plus grandes crues arrivent ordinairement depuis la fin de juillet jusqu'au commencement de novembre. Dans le seul intervalle qu'il y a entre le confluent de la rivière Pepiry et la rivière de la Plata , l'Uruguay a plus de cinquante rescifs , ou bas- fonds sur des rocbersj mais je n'en connais que deux que l'on puisse appeler cascades ( saltos). L'un se trouve à 27° 9^ 29^^ de lati- tude observée , et l'autre au confluent de la rivière Mberuy. Ce dernier a de hauteur ver- ticale cinq pieds de Paris , et l'autre vingt-neuf. Quant à la navigation, elle est toujours libre depuis la rivière de la Plata jusqu'au rescif appelé Saho Chico , à 5i° ^5' 5'' de latitude observée ; et quelquefois même on surmonte x;et obstacle dans les grandes crues, et l'on .remonte jusqu'au Salto Grande (im se trouve au 3i^ 12': et de ce dernier endroit jusques (85) aux peuplades des Missions, on peut toujours naviguer sur des canots ou bateaux pîals. On s'étonnera du nombre considérable de cascades et de rescifs que je viens d'indiquer dans le peu de rivières que j'ai décrites, et sur - tout si l'on fait attention qu'on trouve aussi de ces cascades dans tous les ruisseaux et dans toutes les rivières grandes ou petites qui s'y jettent, depuis le 27.^ deg. jusqu'au nord. Si cela souffre quelque exception, en revanche il y en a d'autres qui en ont jusqu'à quatorze, comme le Tiete. Peut- être est -il naturel d'en conclure que les bancs de roches sont véritablement horizontaux^ que ces roches sont naturellement très - dures j que toutes celles du pays sont de même qualité et pri- mitives, et qu'elles n'ont point été formées par la succession des tems. J'ai remarqué également qu'en général ce n'est que près de la source des rivières ou dans les ruisseaux les plus petits, que l'on trouve du gravier , des cailloux ou des pierres roulées. J'attribue cela au peu de pente du terrain, qui a em- pêché que ces pierres ne fussent entraînées par les eaux. La rareté de ces pierres dans tout le pays n'aura pas peu contribué à pro- duire le même résultat. (86) Je vaî.s dire a présent quelque chose des porls. C< ux de la côte Patagonienne ont été bien décrits par plusieurs vojag'^urs , qui en oiil même publié des plans ou des cartes? ainsi je ne dois m'occuper que de ceux de la rivière de la Plala, Pour en donner une idée générale , cette rivière est un golfe , formé par la réunion du Paranâ et de FUru-^ guay, qui finissent par se jeter dans la mer, en conservant la douceur de leurs eaux jusqu'à 25 ou 5o lieues à l'est de Buenos- Ayres. Ou n'y observe pas les marées qui sont si fortes sur la côte des Patagons ; et quand Teau s'é- lève au-dessus de son niveau ordinaire ^ cela ne provient pas de la crue de ces rivières , niais des vents d'est et de sud-est , qui la re- poussent et la font quelquefois remonter de la hauteur de sept pieds. Les vents contraires font baisser Peau à proportion. Mais étant au Paraguay^ j'appris que , sans qu'il eût régné aucun de ces vents, l'eau baissa tellement qu'elle laissa à découvert trois lieues de plage à Buenos- Ayres, qu'elle se maintint dans cet état pendant un jour, qu'elle reprit ensuite sa hauteur ordinaire, mais pelit-à- petit. Ce phé- nomène eut lieu sans doute parce que la mer §e retira beaucoup du côté de l'est i mais j^ (87) n^en saurais deviner la cause, qui sans doute était puissante. Quoiqu'en général les côtes de la rivière de la Plata soient basses , comme elle forme un golfe qui entre très-avant dans l'intérieur des terres , elle offre toujours quelque abri ^ sur-tout du côté du sud j parce que les vents les plus forts et les plus dangereux viennent de ce côté-là : c'est pour cela que l'on a vu plusieurs vaisseaux rester, pendant long-tems^ et sans éprouver d^avarie, mouillés à l'Amar- radero que l'on trouve k trois lieues de Bue-^ nos-Ayres, en tirant vers le nord. Le VigLlant eiitr'autres y resta neuf ans. L^ancrage ne sau- rait être meilleur. 11 y a quelques bancs que j'indique dans ma carte : tous sont de sable , et même celui qu'on appelle \ Anglais y et que l'on croyait auparavant être de rochers. Outre ce que je viens de dire, il y a dans le golfe ou rivière de la Plata , plusieurs ports^ dont les principaux sont sur la côte du nord 5, la Colonie , Montevideo et Maldonâdo ; et du côté du sud, la baie de Barragan et le ruis- seau de Buenos-Ayres. Celui-ci est , comme le dit son nom, un ruisseau long et étroit ,, qui vient de l'intérieur, où l'on trouve toutes les sûretés et toutes les commodités possibles (88) potir décharger les marchandises, ei fnénie pour caréner les bâtimeus, etc. Mais il n^a que la profondeur nécessaire pour des bâli- itiens de moyenne grosseur; et, ce qu'il y a de plus désagréable , il faut que le vent fasse monter Teau au-dessus de son niveau ordi- naire , pour que ces bâtiniens puissent passer îa barre qui se trouve à soîi embouchure. Le port de la baie de Barragan ( VEnsé^ nada de Barragan ) , est a l'es* sur cette même côte méridionale , dix lieues plus loin que îe précédent ; c'est là que se tenaient les bâli- mens et les frégates du Roi , avant que Mon- tevideo ne fût peuplé. Ce port est sûr j Pan- crage y est bon; il est formé par le ruisseau de Santiago qui vient de l'intérieur des ter- res, et qui le traverse. Mais l'entrée en est étroite ; et quoique son étendue inté- rieure soit asse25 grande , les frégates arméeâf en guerre ne peuvent mouiller qu'aux en- virons du canal : c'est le seul endroit oii il y ait assez de fond , c'est-à-dire deux brasser 4?t demie. Le port de îa Colonie est petit et mal abrité du côté des vents les plus forts et les plus dangereux du pays , c'est-à-dire du sud^ ouest au sud-est ; quoiqu'il soit un peu ga* (Sg) ^ ratilî par la petite île de Saint- Gabriel , par d'autres encore plus petites , et par un hauc de sable , qui en couvrent l'entrée. Les eaux de la rivière de la Plata , au moment de leur écoulement sur les bords de la côte ^ ont quelquefois une vitesse de six milles par heure. Ce port a six à sept brasses de fond. Le port de Montevideo ' devient de jour en jour moins profond , et l'on doit craindre qu'il ne soit bientôt inutile. Outre cela , il est exposé aux mauvais vents, qui non - seu- lement rendent la mer grosse, mais encore font chasser les bâtimens sur leurs ancres, entravent leurs cables, les font tomber leâ uns sur les autres, et quelquefois même les jettent à la côte , parce que le fond est une vase molle oii les ancres ne tiennent pas , et où les cables et le bois se pourrissent. On ne peut pas non plus sortir de ce port aussi vite qu'on le désirerait ; et quoiqu'il y ait assez d'eau pour des frégates et même pour des vaisseaux, ceux-ci sont obligés de mouil- ler un peu loin du port. Le port de Maldonâdo* est très-grand. Son ' Voyez le plan de ce port dans l'atlas de cet ouvrage , - Ibid. ( 90 ) aT)crage est excellent , et il j o assez d^eaii pour les plus grands bàlimeus. Comme il a deux entrées, on en sort et on y entre , quel- que vent qui souffle ; et comme le courant sort toujours par l'entrée de l'est , il est tou- jours opposé au vent, excepté à celui de l'ouest , et c'est un avantage qui soulage in- finiment les cables. Mais il n'est pas abrité dans toute son étendue 5 il ne l'est que du côté qui est sous le vent de l'île de Gorriti. Je nommerai ici les poissons que l'on trouve dans les rivières de ce pays, et qui n'entrent jamais dans les eaux de la mer. Je commen- cerai par les cangrejos , que les Français ap- pellent écrevisses. On n'en voit aucuae sur les bords d'aucun ruisseau ni d'aucune ri- vière , ni même dans le voisinage , mais seu- lement au milieu des champs éloignés, et oit l'eau de ces rivières ne parvient pas dans les^ inondations. Ces animaux font dans la terre un creux rond et perpendiculaire , toujours dans de l'argile , et jamais dans un terrain sa- blonneux 5 ils l'élargissent assez dans l'inté- rieur, pour y être à leur aise , et pour qu'il contienne une quantité suffisante d'eau plu- viale , car ils n'en connaissent ni n'en cher- chent pas d'autre ^ et dans ehaque trou , il C9' ) n'habite qu'un mâle et une femelle. Ils sortent la nuit, et deviennent souvent la proie de plusieurs quadrupèdes, tels que le micnré ' , le popé *, et sur-tout raguarâ-guazù ^ , qui est un renard de la taille du plu.» grand chien , mais qui ne saurait digérer la viande. J'en ai mangé , et je leur ai trouvé la même cou- leur, la même grandeur et le même goût qu a ceux d'Europe '^ , et je crois que je suis le seul qui en ait mangé ; car personne dans le ' Les micoures de M. Azara sont les quadrupèdes desigue's par les naturalistes d'Europe , sous les noms de didelphes et de sarigues. ( C. A. W ). * Varie'te' ou espèce voisine du yaguarète , quadru- pède du genre felis. M. Azara m'a dit qu'il ne regar^ dait pas ce quadrupède comme le même que le jaguar de BufTon , ou felis onça de Linné' , ainsi qu'on le dit dans la traduction française de son ouvrage sur les quadrupèdes. Il m'a montre dans les galeries du Mu- se'um d'histoire naturelle de Paris , un animal e'tiquetë (panthère d'Afrique, n.^ 249 ) > qu'il regarde comme \xn yaguarète très-jeune et pas encore adulte , et par conse'quent originaire d'Ame'rique. ( C. A. W. ) 3 C'est le couguar de BufFon. ( C. A. W. ) 4 II est plus que probable , d'après les mœurs parti- culières de ces ecrevisses , qu'un examen attentif y ferait dccouvrir des différences avec celles d'Europe , et qu'elles forment une espèce distincte. ( C. A. W. ) C90 pays n'en fait cas. Il est dangereux de ga- lopper dans les plaines oli il y a des écre- visses ( on appelle ces endroits cangrejales ) , parce que les pieds des chevaux enfoncent à plus de douze pouces dans leurs trous, ce qui les fait tomber. Ces cangrejales sont quelque- fois éloignes les uns des autres de plusieurs lieues , et comme on ne peut guères conce- voir que ces animaux aient passe d'un en- droit à l'autre , on doit plutôt présumer que ceux qui habitent dans chaque plaine différente, ont eu également une origine dif- férente , quoiqu'ils se ressemblent par les couleurs, la grandeur et la façon de vivre. A plus forte raison , on doit croire que ces écre- visses ne descendent pas de celles d'Europe. Dans le Paraguay , on ne connaît que la pêche à la ligne j et ce ne sont pas les es- pagnols qui s'y livrent ; mais seulement les indiens sauvages appelés Payaguâs. D'autres nations indiennes en font autant , et pèchent aussi à coups de flèches. Il est vrai que les espagnols de ces contrées aiment peu le poisson , et que plusieurs môme ont tant d'a- version pour cet aliment , que tout l'argent du monde ne lem" en ferait pas manger. A Buenos-Ayres , quand on veut pêcher , deux lionimes à cheval entrent dans la rivière jus- qu'à ce que les chevaux soient à la nage, et c'est ainsi qu'ils jettent le filet. Mais les catalans commencent à leur apprendre à pê- clier en bateau. Eu générai , le poisson est abondant, mais de médiocre qualité; et on n'y trouve ni huîtres ni coquillages , qui se trouvent en si grande quantité au Chili. A Santa-Fé, quelques personnes font sécher le poisson, pour le vendre a Buenos-Ayres en guise de bacallao (morue sèche); mais les corvinas , que l'on fait sécher du côté de Maldonâdo , sont bien meilleures. Je n'ai pas l'instruction nécessaire pour être en état de décrire tous les poissons de ces rivières et de tous les amas d'eau que l'on trouve dans ce pays, et je me bornerai à nom- mer ceux dont je me ressouviendrai. Il y a des mangurujùs , de plus de cent livres; des suru- bys, de trente ; des pacùs^ de vingt; des do- rades également de vingt livres , mais bien différentes de celles qu'on trouve dans la mer, et plus belles; de très- grandes rayes, qui pi- quent lorsque l'on marche dessus, el qui cau- • C'^st le nom qu'on donne , au Brésil, au spare fialwi. Perche salin et /?erca unimaculata de Bloch. ( C. A. W. ) (94) sent une forte inflammation et de violentes douleurs; des patys , des bogues % des aloses ^ et des palomelas, qui ont les dents si tran- chantes qu'elles emportent la pièce dans un instant; de sorte qu'il faut être sur ses gardes quand on se baigne. Si Ton est tranquille , la palometa mord cruellement ; ce malheur est arrivé à plusieurs personnes , et entr'autres à un moine qui perdit les marques distinctives de son sexe. Il y a aussi des cazones ou ar- mados, des soles , des bagres*, des iararyras ^ des pexes-reyts , poissons plus 'grands que par-tout ailleurs; des pyrâpilâs, des vieilles , des dentales , des mojarritas , des anguilles, des tortues différentes de celles de la mer, et plusieurs autres poissons. Quant aux tortues , je ne dois pas omettre que j'en pris deux un jour en péchant dans la rivière de Santa- Mari a, vers les 3o® i5^ de latitude : comme elles faisaient de grands efforts pour relirer ^eur tête sous leur écaille , et que cela m'empêchait de leur ôter l'hameçon de » Spàre bogue de Lace'pède , spat'us boops , Linné , e'dit. deGmelin. ( C. A. W. ) * Pimclode bagre de Lace'pède , silitrus bagre ; Linn^^ e'dit. de Gmelin. ( C. A. W. ) (95) la gueule, je la leur coupai entièrement, et même une partie du couj et cependant j'ob- servai avec élonnement qu'elles s'échappèrent €t sautèrent dans la rivière , sans reparaître k )a surface , avec autant de vitesse , de régu- larité et d'adresse que si elles n'eussent pas perdu leur tête. Ce fait pourra donner ma- tière aux réflexions des savans , et quelques- uns voudront peut-être l'expliquer par le gal- vanisme j mais il faut savoir que le procédé de ces tortues ne se réduisit pas à remuer les mns- cles des pattes comme le font les grenouilles et autres aiiimaux soumis aux expériences , niaïs qu'elles agirent avec méthode et même avec raisonnement 5 car j'observai également esoin, et le resté se conserve et se transporte sans que la bougie se casse. Enfin, je croîs qu'il y a dans le pays, au moins sept espèces de roseaux, soit pleins, soit creux , et qu'il serait bon de les trans- porter en Europe, où Ton ne connaît peut- être que l'espèce la plus inulile. L'arbre qui produit l'herbe du Paraguay ' est sauvage, et croît au milieu des autres dans les bois qui bordent toutes les rivières et tous les ruisseaux qui se jettent dans le Paranâ et dans l'Uruguay, ainsi que sur les bords de ceux dont les eaux aboutissent à la rivière du Paraguay vers l'est , depuis le 24" 5o^ en ti- rant vers le nord. J'en ai vu de la grosseur d'un oranger plus que médiocre. Mais , dans les endroits oii on fait la récolte des feuilles, ces arbres ne forment que des buissons, parce qu'on les éinonde tous les deux ou trois ans, et jamais plutôt; car l'on croit que les feuilles * D'après ce que dit Molina ( Saggio sulla storia na^ turale del chili , Bologna, 1782, p. i63 ) , il paraît que cette plante est le psoralea glandiilosa de Linné' , et qu'elle est connue sous le nom de culèn au Bre'sil, On en trouve dans cette contre'e une autre espèce que l'on emploie aux mêmes usages , et que Molina a dé- crite sous le nom de psoralea lutea ou culèn jaune^ (C. A. W.) ( 121 ) ont besoin de cet intervalle de tems pour parvenir à leur point de perfection. Elles ne tombent pas en hiver. Le tronc parvient à la grosseur de la cuisse ; Técorce est lisse et blanchâtre; les branches se dirigent vers le ciel , comme dans le hiurier : la plante pré- sente un ensemble touffu et Irès-branchu. La feuille est elliptique, un peu plus large vers les deux tiers de sa longueur du côté de la pointe ; elle a 4 ou 5 pouces de long , la moitié de large; elle est épaisse, luisante, dentelée tout autour, d'un vert plus foncé dans sa partie supérieure que dans l'intérieure , et son pétiole est court et rougeâtre. Ses fleurs sont dispo- sées en grappes de 5o à 40 chacune; elles ont quatre pétales et autant de pistiles placés dans les intervalles. La graine est très-lisse, d'un rouge violet, et semblable aux grains de poivre. Pour rendre l'herbe du Paraguay propre à l'usage auquel on la destine , on en grille lé- gèrement les feuilles , en faisant passer la branche même à travers la flamme. Ensuite on fait rôtir les feuilles , et enfin on les brise jusqu'à un certain point, pour les conserver en dépôt , quelque part oii elles soient forte- ment pressées; car elles n'ont pas bon goût lorsqu'elles viennent de recevoir leur pre- ( 122 ) mière préparation. L'usage de cette herbe est général dans ce pays, et même au Chili , au Pérou et à Quito. Les espagnols le doivent aux indiens guaranys de Monday ou de Maracayû, et il s'est tellement étendu , que l'extraction qui n'était que de 1 2,5oo quin- taux en 1726, monte aujourd'hui à 5o,ooo. Pour en prendre, on en met une pincée dans une tasse ou petite calebasse , appelée maté ^ et remplie d'eau très - chaude ; et à l'instant on boit l'eau, en suçant par le moyen d'un petit tube ou pompe , percé à sa partie inférieure de petits trous qui arrêtent les feuilles et ne laissent passer que le fluide- L'herbe sert jusqu'à trois fois, en jetant dessus de nouvelle eau. Quelques-uns y ajoutent du sucre. On en prend à quelque heure que ce soit. La consommation ordinaire de chaque habitant est d'une once par jour. Un ouvrier peut en récolter et en préparer au moins un quintal, et quelquefois trois dans sa journée. Les jésuites plantèrent dans leurs peuplades mêmes les arbres qui produisent cette feuille ^ et ils l'exploitaient plus commodément et dans le tems convenable \ mais personne n'a imité cette pratique , dont l'extrême utilité ne peut être sentie que par ceux qui en connaissent ( 1^5) Lien tous les détails. Les jésuites avaient soin de briser davantage les feuilles, et d'en ôter les petits morceaux de bois , et c'est pourquoi ils appellaient leur herbe caa-miri. Mais rien de tout cela n'influe sur la qualité; et beau- coup de personnes même préfèrent une feuille moins brisée. L'essentiel est que les feuilles soient bien grillées et bien rôties, et qu'on les ait cueillies dans un tems convenable et lorsqu'elles n'étaient point imprégnées d'hu- midité. Ainsi , sans faire attention au mélange des petits morceaux de bois , ni au plus ou moins de division des feuilles , on divise l'herbe du Paraguay en deux classes , l'une appelée choisie ou douce ^ et l'autre nommée forte. Une partie de la première se consomme au Paraguay, et la province de la rivière de la Flata peut en employer environ 5,ooo quin- taux. L'autre ne sert qu'à l'exportation, sa- voir : environ mille quintaux au Potosi ; et le reste au Pérou , au Chili et à Quito. Je dois parler des usages auxquels on ap- plique quelques autres végétaux du pays. Outre l'algarrobilla qui sert à faire de l'encre, et dont j'ai parlé plus haut, il y a , vers le nord du Paraguay, une plante qui produit des ra- cines très-jaunes , dont on se sert en guise de ("4) safran , pour donner de la couleur aux ragoûts. Elle croît en abondance dans les lieux hu- mides : elle pousse des tiges de trois pieds de haut, presqu'entièrement couvertes de feuilles dans toute leur longueur, et ces feuilles sont assez grandes. L'écorce des arbres appelés cebil et curupay , sert au lieu de sumach pour tanner les cuirs , et l'on dit même que l'opé- ration est moins longue. On fait bouillir dans de l'eau l'écorce du catiguâ, on y trempe la toile ou la peau que l'on juge à-propos; en la frottant ensuite dans de la lessive pour la faire sécher après au soleil, et finissant par la laver dans de l'eau claire , on obtient une teinture d'un rouge parfait. La caacangay est une herbe qui se graine sur la terre au Paraguay» Ses racines sont rouges : on les pile, on les fait bouillir ; on y plonge la toile préparée dans de l'eau d'alun , et il en résulte une couleur rouge , qui devient plus vive en la lavant dans de l'urine pourrie. Cette odeur disparaît au savonnage. L'urucù est un arbre commun , qui porte un fruit qui s'ouvre de lui-même , et qui e^t plein d'une foule de petits grains. Ces grains donnent à l'eau une très- belle couleur rouge , mais, au bout de très- peu de tems, la matière colorante se dépose au fond comme Tindigo. Une éfoffe, que Ton a eu soin d'aluner auparavanl , acquiert une couleur jaune , belle et brillante, dans une décoction de copeaux du mûrier sauvage , appelé palo-mora et tatayibâj mais cet effet n'a lieu que pour la soie et le coton. On pré- tend que cette teinture ne prend pas sur la laine , peut-être parce qu'on ne sait pas la dégraisser.On emploie encore d'autres plantes pour la teinture^ mais je crois que ce que j'ai dit suffit. Voici les résines dont j'ai pu avoir con- naissance : elles se trouvent toutes au Para- guay et aux Missions. Dans la partie septen- trionale de ces provinces, on trouve un grand arbre appelé /jûjZc? santo ( bois saint ). Son bois est fort et odorant : quand on le réduit en copeaux , et qu'on le fait bouillir, on en tir© une résine qui surnage sur l'eau, et qui se congèle en se refroidissant. On ne s'en sert que pour parfumer, parce que l'odeur en est excellente. On trouve assez communément l'arbre appelé encens ^ parce qu'en y faisant des incisions , il en découle une résine qui a l'odeur et la couleur de l'encens, et qu'on emploie comme tel dans les églises , quoi- qu'il soit souvent mêlé d'écorces ou d'autres (126) impuretés. Quand le canal ou le lit de la ri- vière du Paranâ est très-bas , les indiens de la peuplade Del Corpus y ramassent asse:^ ordinairement de petites boules de résine un peu transparentes , dont les plus grandes sont de la grosseur d'une petite noix j et Ton ne saurait douter que cette résine ne découle des arbres situés plus haut. Quelques manus- crits des jésuites supposent que c'est de l'am- bre gris 5 mais je ne doute pas que ce ne soit de l'encens, peut-être supérieur à celui que l'on brûle en Espagne. Ces boules ou ces larmes , approchées d'une chandelle , pren- nent feu à l'instant -, et à mesure qu'elles bru* lent, il en découle une substance qui a la forme et la couleur du caramel , et qui ne s'enflamme pas, mais qui donne une odeur bien supérieure, quand on la jette sur de la braise. Le mangaysy est un arbre qji'on ne ren- contre que vers la rivière Gatemy, au 2 3.^ ou 24.^ degré de latitude. Sa résine est très-con- nue dans le monde sous le nom de gomme élastique \ En Europe on l'applique à diffé-* » L'arbre dont parle ici M. d'Azara , qui produit îa gomme ou plutôt la résine elasticjue , a d'abord etë de-^ crit par Aublet, mais n'a etë bien connu que depuis ( 1^7 ) rens usages, et on s'en sert même en méde- cine. Dans le pays même, je ne l'ai vu em- ployer que pour faire des balles , dont les enfans se servent au jeu, et pour s'éclairer pendant la nuit dans le désert. Pour cet effet , on fait une boule de cette résine ; on la jette dans Teau, on observe le côté qui surnage j on j forme , en le pétrissant , uue espèce de que Richard, botaniste français, a donne la description de ses fleurs. Cet arbre , auquel les botanistes ont con- fère le nom peu convenable d'Iwvea Guianensis , j^uis- qu'il croît ailleurs que dans la Guiane, est de la classe monoecie rnonadelphie de Linnë , et est nomme caout- chouc-^^lT les Indiens mainas de la rivière des Amazones. Dans la j^rovince des Eme'raudes , au nord de Quito , les naturels du pays l'appellent hhve. Les portugais du Para le nomment arbre seringue. La Condamine , dans la relation de son voyage en Amérique, p. 78, ne donna d'abord que peu de de'tails sur cet objet ^ mais dans les Me'moires de l'Académie des Sciences pour l'anne'e lySi, p. 5 19, il publia un excellent mémoire que l'on a depuis rejiroduit dans plusieurs compila- tions d'histoire naturelle , en y ajoutant un petit nom- bre d'expe'riences faites par les chimistes modernes. Ce Me'moire est accompagne' de trois planches qui ne sont pas satisfaisantes , et ne donnent pas les caractères dis- tinctifs de la plante ; il faut recourir, pour cela , aux Illustrations botaniques de Lamark, pi. 790. (C, A. W. ) (128) mèche, a laquelle on met le feu; on la met dans de Teau , et elle dure toute la nuit, et même jusqu'à ce qu'elle soit entièrement consumée. Quand on fait une entaille à cet arbre, il en sort, en peu de tems, une grande quantité de résine très-liquide , que Ton reçoit ordinairement sur un cuir étendu par terre. Peu de tems après , elle se fige ; et en en pre- nant une petite quantité , le reste se déroule comme une courroie; mais en la serrant un peu , on en forme une boule qui a l'air d'être d'une seule pièce. On dit aussi que Tarbre nommé nandipâ produit, par incision, une résine qui , mêlée à dose égale avec de l'eau-de-vie de canne a sucre , et exposée au soleil pendant quelques jours, se change en un vernis bon pour re- couvrir les bois précieux. On tire d'un autre arbre la véritable térébenthine, et un autre fournit d'excellente gomme élémi \ Un arbre très-commun nommé curupicay donne , par incision , une grande quantité de lait gluant , et dont les enfans se servent en guise de glu > C'est Vainjris elemifera qui produit cette gomme re'sine ; on en apporte aussi une autre sorte d'Ethiopie ou d'Egjpte. \Jamjris elemifera est , suivant Lin- ïiaeus, nomme' icicariba par les Brasiliens. ( C A. W. ) ( ï29 ) pour prendre des oiseaux , avant qu'il ne se fige et ne devienne dur. Dans les Missions jésuitiques, et sur -tout dans celles de l'Uruguay, on trouve en abon- dance l'aguaraibay. C'est un grand arbre , dont le tronc est quelquefois aussi gros que le corps d'un homme. Ses branches sont épar- pillées, et ses feuilles , qui ne tombent pas en hiver, sont d'un vert encore plus clair que celui du saule, longues d'un pouce et demi, larges de trois lignes , aiguës et dentelées , posées de deux en deux avec une autre au bout. Quand on les frotte , il en sort ua@ humidité gluante , dont l'odeur ressemble k celle de la térébenthine, La fleur est blanche « disposée en grappes , très - petite , et a se^ graines dans une petite gousse. On cueilljç les feuilles en quelque tems que ce soit , mais sur-tout quand l'arbre est en fleurs. On les fait bouillir dans de l'eau ou dans du vin, pour en dégager la résine : on retire les feuilles , et l'on continue de faire bouillir le reste, jusqu'à ce qu'il ait acquis la consistance de sirop : c'est ce qu'on appelle baume d'Aguaraybay ou des Missions. Cinquante arrbbçs de feuilles en produisent une de baume. Chacune des peuplades des indiens, du pays qui produit ( '3o) cet arbre , est obligée d'en fournir toutes les années deux livres au moins , destinées à l'apo- thicairerie du roi à Madrid. Mais comme on n'a publié aucune notice sur ses vertus , et qu'il est probable que l'on fait des quiproquo dans son usage, il faut que je dise ici l'opinion qu'on en a dans le pays qui le produit. On l'appelle ordiuairement ciiralo todo ( remède universel ) , parce qu'on le trouve bon à tout. Comme avec le tems il s'en- durcit dans les vases qui le contiennent , on le ramollit avec du vin tiède , et on l'applique sur les blessures avec succès. On croit que , pour guérir les faiblesses d'estomac , il suffit d'en frotter extérieurement la partie ; et que l'on guérit les maux de tête qui proviennent de fluxions ou de calarres , en s'en frottant les teinpes et le haut de la tête. On suppose que son application extérieure soulage dans les coliques , dans les points de côté , dans les maux d'estomac , dans les opilations , et dans les douleurs produites par les vents \ et qu'en en prenant matin et soir gros comme deux amandes avec du sucre , ce baume ar- rête le cracbement de sang et les diarrhées, l^t qu'il guérit les faiblesses d'estomac. On en doit la découverte au jésuite Sigismond ( i3i ) Asperger , médecin de Hongrie , qui exerça cet état et celui de botaniste au Paraguay , dans les Missions, pendant quarante ans, et mourut après l'expulsion de ses confrères à l'âge de 112 ans. Après avoir fait sur les in- diens tous les essais qu'il voulait , il laissa un recueil manuscrit de recettes , où il n'em- ploya que des herbes du pays. Quelques gué- risseurs (curanderos) du Paraguay en con- servent des copies, et si on rexrVuinciit , on y trouverait peut-être quelques 'Spécifiques nouveaux. Comme j'ai constamment joui d'une bonne santé , je me suis peu occupé de remèdes. J'ai oui dire cependant qu'on trouvait dans ces contrées , la rhubarbe , la canchalagua , la calaguala , le cétérac ( doradilla ) los ca- bellos de angel , la consoude ( suelda con- suelda ^ ) et plusieurs autres plantes médici- nales. Il y en a une que l'on appelle pignon purgatif. Il est très -actif, et il occasione quelquefois de violens vomissemens au bout de moins d'un quart d'heure , quand on a mangé la moitié d'un pignon ; et cette graine est moins grosse qu'une amande ordinaire. On prétend que le côté du germe fait vo- mir, que l'autre purge par en bas, et que si ( i30 Ton mange la graine toute entière , on éprouve à-la-fois Tun et l'autre effets. Passant un jour sous un des arbres qui produisent ce fruit avec la gouvernante du Paraguay et sa fille, je leur expliquai l'effet qu'il produisait , et cela suffit pour qu'elles voulussent en faire l'essai. Elles en mangèrent un tout entier à elles deux, parce que ce fruit a très-bon goût. Mais il n'y avait pas encore vingt minutes d'ëcoulëes , qu'elles en éprouvèrent l'effet toutes les deux et des deux manières , et si précipitamment qu'elles furent obligées de se soulager dans l'instant même. Du reste , cela ne produit aucunes suites fâcheuses , et il suffit de boire du vin pour arrêter tout l'effet de ce purgatif. On éprouva une fois des fiè- vres tierces à l'Assomption, et on se les guérit avec l'infusion d'un chardon si commun , qu'on le trouve même dans les rues. La fleur est jaune, elle ressemble à celle du coque- licot , et elle a quatre grandes feuilles. Le père Michel Escriche , curé d'Ytapùa , qui s'occupe un peu de médecine-pratique , m'a assuré que les feuilles d'un arbre très- com- mun dans tous les bois , produisaient le même effet que le jalap, à moitié moins de dose. Je ne veux pas oublier lout-à-fait les plan- ( ï35) tes parasites. Les lianes, autrement nom- més Ysipos y sont extrêmement multipliés dans les bois ; ils montent et descendent sur les plus grands arbres, et passent de l'un à l'autre ; ils en embrassent quelque- fois les troncs si étroitement en forme de spirale , qu'ils semblent ne former avec eux qu'un seul et même corps. H y a aussi une grande abondance de plantes parasites appe- lées ^^^z/r^^-^ l'air y parce qu'elles naissent et vivent sur les troncs et les branches des au- tres arbres. Les unes sont recommandables par la forme extraordinaire , ou par la beauté de leurs fleurs , et les autres par leur odeur supérieure peut-être a celle de toutes les autres fleurs. A Buenos-Ajres , on en a sur les balcons. Parmi l'innombrable multi- tude de plantes grimpantes, il y en a plu- sieurs qui couvrent entièrement les grands arbres , et à l'époque marquée , les ornent d'une grande quantité de fleurs jaunes-oran- gées , et qui produisent le plus beau coup- d'œil. On devrait les transporter dans nos jardins , où je n'ai jamais rien vu de si ra- vissant. La plante parasite appellée guenbé, pousse sur l'enfourchure la plus élevée des plus ( '34 ) grands arbres , lorsque leur intérieur com- mence à se pourrir. Son tronc est de la grosseur du bras et long de trois à cinq pieds, et il j en a plusieurs sur chaque plante. Quelques - unes des ses feuilles inférieures se sèchent et tombent toutes les années. Leur pédicule est très-long ; elles sont d'un verd très-luisant , longues de plus de deux pieds, larges d'un pied, et elles ont des rai- nures très-profondes , qui leur donnent l'ap- parence d'une main avec ses doigts. Cette plante produit un épi entièrement semblable à celui du maïs, ainsi que les grains , que l'on mange assez ordinairement , parce qu'ils ont le goût un peu doux. Du haut de l'arbre où ces plantes se sont fixées , elles jettent des racines droites, sans nœuds, de la grosseur du doigt , et qui s'enfoncent en terre quelque- fois après s'être roulées autour du tronc , et d'autres fois en tombant perpendiculaire- ment. On les coupe par le haut avec un cou- teau fixé en travers^à un roseau, et leur écorce, qui est très - fine , et qui se détache très- aisément , sert à faire tous les cables ou cor- dages que l'on emploie pour la navigation du Paraguay, sans autre préparation que de la mouiller si elle est sèche. Ces cordes sont (,35) à bon marcbé , elles ne se pourrissent jamais dans Teau ni dans la vase , et résistent bien aux efforts ; mais comme elles ne sont pas aussi fortes que celles de chanvre , on leur donne plus de grosseur. En outre , elles souf- frent beaucoup par le frottement , ou quand elles prennent quelques plis la sécheresse leur nuit. Nos frégates ont cependant em- ployé ces cordes avec avantage dans les der- nières années de cette guerre. Cette écorce qui est d'un violet foncé, sert aussi à former des dessins en compartimens sur les nattes et les paniers de roseaux. Les plantes , nommées généralement Pitas, cardas et caraguatas (aloës), se trouvent en grande abondance dans le pays, et il y en a quelques-unes de parasites , qui croissent sur les arbres, et même à terre. Elles ont toutes dans leur intérieur une quantité plus ou moins grande d'eau , claire comme du cristal , très- fraîche , et qui sert souvent à étancher la soif des voyageurs. Je ne m'occuperai pas à les décrire toutes, et je ne parlerai que de deux. L'une , qui est la plus commune , se trouve eu grande quantité au bord des bois, et même dans les terrains découverts 5 mais je crois qu'elle ne s'étend pas jusqu'à la rivière de (.S6) laPlata. Ses feuilles ont la grosseur et la îaf^ geur de celle de l'ananas , qui est si connu î mais elles sont plus longues et plus épineuses aux bords» La filasse qu'on en lire , est àussî ÎDcaucoup plus fine que celle que la pila pro-^ duit en Espagne ; mais oii n'en fait aucun usage. Quand le rejeton de là plante doit produire du fruit, ses feuilles sont de la plus belle couleur de nacre , quoique toutes les autres soient de la couleur de celles de Pa~ nanâsj de sorte que les voyageurs pourraient croire aisément que c'est une autre espèce de plante. Ce rejeton pousse en hauteur d'en-» •viron deux pieds , gros , et tout couvert de petites fleurs , dont chacune produit une dattô d'un pouce de grosseur et de deux de Ion* gueur. Quand elles sont mûres , elles ont une belle couleur orangée , et on les maiige. L'autre pita s'appelle ybirâ. Son fruit res- semble beaucoup au fameux anaiiâs ; mais il ne vaut rien. Les feuilles sont peu épineuses, et ont de trois à cinq pieds de long ; leur plus grande largeur est de deux pouces, et l'épais- seur est peu considérable. Cette plante ne vient jamais dans les lieux découverts , mais toujours dans l'intérieur de tous les bois da Paraguay .On arrache ou l'on coupe les feuillet; ( >37) on les fait pourrir comme le chanvre ; on en- lève facilement avec les doigts la peau qui recouvre les deux côtés, et il ne reste plus que la filasse que l'on appelle caraguatà. Dans cet état , sans aucune autre opération , on en tire du fil pour les souliers \ ou bien , après l'avoir un peu crêpée sur un peigne formé de six à huit clous , on Temploie pour cal- fater les bâtimens ou navires, préférablement au chanvre, parce que ce genre d'étoupesne se relâche et ne se pourrit jamais dans l'eau; En voyant le caragualâ, on dirait que c'est du chanvf e , eu égard à sa finesse et à sa cou- leur; et il n'y a pas de doute qu'on ne pût en faire des toiles à voile , des agrès , des cables, et tout ce qu'on voudrait. Mon ami, don Josef de Buslamante y Guerra, fit fabri- quer avec du caraguatà un bout de corde de la grosseur du pouce ; et l'ayant comparé avec un autre de la même grosseur, fa- briqué dans nos arsenaux avec du chanvre , celui de caraguatà se trouva plus fort. Je présume qu'il ne prendrait pas aussi bien le goudron ; mais il n'en a pas besoin , puisqu'il est plus fort que le chanvre ; et d'ailleurs il n'est pas sujet à se pourrir. Je pense aussi qu'il doit être un peu moins flexible pour les ( i58) cordages destinés à la manœuvre ; mais je crois en même tems qu'il n'y a rien de meil- leur pour les cables. On trouve au Paraguay un nombre consi- dérable de gouyaves sauvages , de deux ou de trois qualités différentes. Ce sont des fruits très-connus 5 mais ils sont mangeables , et rien de plus. On compte aussi dans le pays plus de douze espèces de fruits sauvages. Il y en a entr'autres un appelé tarumù , de la grosseur d'une petite prune , alongé et violet. On le cueille sur un arbre très-commun , mais non sur les branches , comme à l'ordinaire. On le trouve sur le tronc , et même sur les racines , lorsqu'elles sont à découvert. Les gens du pays mangent de tous ces fruits , et même les vantent beaucoup : mais, à consulter mon goût, je trouve qu'ils ne valent ni les nèfles, ni les jujubes, ni les arbouses, ni les mûres de ronce de nos pays. On trouve aussi de ces ronces au Paraguay : elles sont peu com- munes, et ne donnent pas de fruit. Mais elles en donneraient, si on les taillait ou si on les fatiguait à coups de gaule, comme on fait aux rosiers du Paraguay pour leur faire produire des roses , oii , sans cela, il n'y en aurait pas. ( i39) CHAPITRE VI. Des Végétaux cultive's. I L est prouvé , par des manuscrits authen- tiques , que le Paraguay fournissait autrefois dubléàBiieuos-Ayres j mais aujourd'hui, c'est tout le contraire, parce qu'au Paraguay la terre ne produit tout au plus que quatre pour un. Comme on n'a pas eu le soin de changer les grains destines à ensemencer, ils ont dégé- néré , et il y en a une grande partie qui sont petits , d'une couleur obscure , et dont on ne peut faire aucun usage. Si l'on faisait venir de Buenos-Ayres du blé pour les semailles , la récolte serait plus abondante , et le grain de meilleure qualité ; mais la quantité n'en serait jamais très-grande , parce que le climat est déjà un peu chaud pour le froment. A Montevideo le blé produit, année moyenne , douze pour un , et seize à Bue- nos-Ayres 5 c'est-à-dire, le double qu'en Es- pagne. Voici mon opinion sur la cause de cet excès de produit. Le grain du blé de ( i4o ) Buenos- Ayres et de Montevideo est presque de la moitié plus petit que celui d'Espagne ^ de sorte qu'en en semant un boisseau , on obtient presque le double d'individus.Ceux-ci ^ en supposant même qu'ils ne produisent que le même nombre d'épis , doivent avoir plus de grains dans chacun , d'après cette règle ' générale , que la fécondité des graines est en raison inverse de leur grandeur. Quand bien même on supposerait que la petitesse des grains du blé est un effet de la génération , parce qu'on n'en fait pas venir d'Europe pour la renouveler, ce qu'il y a de sûr c'est qu'on en fait le meilleur pain du monde. On observe dans le pays que le blé qu'on recueille , dix lieues à l'entour de Buenos-Ayres , et sur-tout celui de la côte de San Ysidro et de la Gorge de Moron , est de meilleure qualité et donne plus de farine. Comme sur la côte septentrionale de la rivière de la Plata , ou autrement dans les plaines de Montevideo , la majeure partie des habitans est occupée du soin des trou- peaux et de la préparation des cuirs et des salaisons, on n'y sème pas assez de blé pour la consommation , et on en tire de Buenos- Ayres, ou de la côte du sud, pays dont on (i4i ) eslime la récolte moyenne a cent mille fanè- gues du pays, ce qui fait 2,ig,5oo fanègues de Castille. La consommation annuelle de Buenos - Ayres est de 70,000 fanègues du pays y le reste est exporté à la Havane , au Paraguay, au Brésil , et à l'ile Maurice. Les bergers ne mangent pas de pain , et vivent exclusivement de viande. Ceux des Missions jésuitiques et du Paraguay sont dans le même cas ; mais les laboureurs y font du pain de maïs et de manioc , ou cassave. Il paraît inutile d'avertir que depuis le 24.^ degré de latitude australe , en marchant vers le nord , pays déjà très-chaud , on ne doit pas s'attendre à récolter du froment. Cette plante trouverait un climat plus favorable au sud de la l'ivière de la Plata ; mais je crois que depuis le 4o-^ degré jusqu'au détroit de Magellan , le terrain ne pourrait pas en pro- duire , parce qu'il est trop salé. Il est également prouvé qu'en 1602 , il y avait dans les environs de l'Assomption , ca- pitale du Paraguay , près de deux millions de pieds de vigne , et qu'on en tirait du vin pour Buenos-Ayres. Mais aujourd'hui , dans tout le pays que je décris , il n'y a plus que quel- ques treilles. La ville de Mendoza fournit an- ( l42 ) nueîlement à Buenos- Ayres et à Montevideo 5,5 1 5 barils de vin, et celle de Saint -Jean 7,942 d'eau de- vie de vin, d'après le résultat que j'ai pris des cinq dernières années de paix : le reste s'apporte d'Espagne. Ces deux villes sont situées sur la croupe des Andes , vers la frontière du Chili. Les habitans se fatiguèrent sans doute de la culture des vignes , parce que les raisins y sont très-exposés aux ravages des fourmis , des papillons , des guêpes et d'autres insec- tes, et à ceux des quadrupèdes excessivement multipliés dans le pays j et parce qu'aussitôt que les troupeaux se furent multipliés , il leur fut facile de se procurer des liqueurs par l'échange de leurs cuirs ou de leurs suifs. Cette dernière manière même est plus con- forme à leur fainéantise naturelle , si enracinée chez eux , et qui fait que l'on n'y trouve ni agriculteurs ni moissonneurs. Le gouverne- ment est obligé dé fâit*è couper les blés de force. Ajoutez k cela que les espagnols ont commencé à imiter les nègres et lès indiens , qui aiment peu le vin, et préfèrent l'eau- de-vie: On Cultivait le tabac depuis le 29.* degré de latitude en tirant vers le nord. Cette cul- ( I/p ) lure produisait au trésor public, par le moyen de différens droits, soixante mille piastres fortes par an , sans exiger d'augmentation parmi les employés des finances. Le tabac circulait librement par- tout. Mais en 1779, on établit une régie , qui ne rend que peu ou presque rien au trésor public. On y em- ploie une multitude de gens qui pourraient faire autre chose 5 le gouvernement est fa- tigué de réclamations , de comptes et de monceaux de papier ; les commerçans et les voyageurs sont assujétis à mille formalités 9 enfin , il vaudrait bien mieux que Ton n'eût jamais pensé à un pareil établissement. Le tabac du pays paraît avoir bon goût et peu de force. Le projet était de tirer de cette colonie les vingt mille quintaux que con- somment les bureaux d'Espagne ; mais on ne calcula pas le nombre de bras sur les- quels on pourrait compter 5 on ne fît pas attention que les cultivateurs, n'étant point esclaves , se feraient payer plus cher 5 on oublia, qu'assujétir au monopole la vente d'une plante , c'était à-peu-près la même chose que la détruire entièrement. En effet , lors- que le commerce du tabac était libte , on en exportait plus de quinze mille quintaux C i44 ) par an, et aujourd'hui on ne peut pas s'en procurer cinq mille , qu'il faudrait pour les petits bureaux. Dans les provinces du Paraguay et des Mis- sions jésuitiques , on cultive la canne à sucre et le coton , quoique ces deux récoltes souf- frent beaucoup des premiers froids. Jamais elles ne sont considérables , parce que la cul- ture se réduit à peu de chose , et qu'on n'y a point de machines pour fabriquer le sucre en grand comme ailleurs. Malgré l'imperfec- tion de sa fabrication , le sucre y est de très- bonne qualité , et on en exporte , quoique en petite quantité , pour Buenos-Ayres. Le ter- rain def cette dernière ville n'en produit point , et l'on tire de la Havane et du Brésil ce que Je Paraguay ne peut pas fournir. Mais les ha- bitans de ce dernier pays trouvent plus de profit à tirer de leurs cannes à sucre de la mêlasse et de l'eau-de-vie, dont le débit est considérable. On exporte aussi un peu de co- ton , parce que les femmes de Buenos-Ayres et de Montevideo ne se piquent pas d'être grandes fileuses. Mais presque tout ce coton reste dans l'endroit même oii on le récolte ^ et on en fait de la toile si grossière , qu'à peine peut- on l'employer pour des chemises ( '45 ) d^esclaves ou de pauvres. Il est vrai que I4 filature et les métiers sont 1res - imparfaits , puisqu'on connaît à peine le rouet et la que- nouille , ainsi que la rainure pratiquée au bout du fuseau. Le métier, le peigne et autres inS'»- trumens du tisserand n'y sont guères plus con-t nus. Il faut également beaucoup de peine et de tems pour débarrasser le coton de ses graines , et pour l'arçonner. La première opé^ ration se fait entre deux cylindres , et la se-» conde avec un arc, La mandioca ( manioc ) - , vient aussi très-^ bien au Paraguay et aux Missions jésuitiques^ îl y en a deux espèces. La mandiocué pousse un grand nombre de racines très - longues > Je jus ou eau qu'on en exprime fait mourir îes cochons qui en boivent ; la même chos^ leur arrive s'ils mangent la racine dont on vient de tirer le jus. On dit qu'il en arri- verait autant a un homme. Mais on ne la cultive , et même en petite quantité , que pour se procurer l'excellent amidon que ce jus produit par précipitation ou dépôt. Les por^ tugais ne mangent pas d'autre pain que cettç » Cette plante est le jatropJia mamhot de Linné' , appelé' en français le medecinier à cas s ave. ( C. A, WO L a* ïo ( i46 ) racine même , dont ils expriment le jus aprè.'; Tavoir râpée, et qu'ils font rôtir: ils l'appellent farina. L'espèce de mandioca (manioc ) que l'on cultive le plus , a des racines blanches ou d'un blanc jaunâtre : on l'apprête de différentes façons , sans avoir besoin de la râper ni d'en exprimer le jus. Cette espèce de racine est connue de tout le monde , et fait le bonheur de tous les pays oii on la trouve. Il serait donc très -à-propos de tâcher de la naturaliser dans les provinces méridionales d'Espagne et dans l'île de Mayorque. Cette plante suffit pour assurer la nourriture du pauvre. Mais comme îl lui faut un climat assez doux , on ne la trouve pas au-delà du 29.^ degré du côté du sud , non plus que le tabac , la canne à sucre et le coton. Le maïs réussit très - bien dans toutes ces contrées 5 mais , au Paraguay, j'en ai vu de quatre espèces, indépendamment même de la variété des couleurs, rouges ou violettes. Celle qu'on appelle abaty-ty (maïs blanc), ne diffère point des deux autres que je dé- crirai , pour sa plante , pour son épi , ni pour ses grains ; mais ces grains sont blancs , et si tendres qu'il suffit de les rôtir un peu pour les manger en guise de pain , parce qu'ils se ( i47 ) I^rîsent sous îa dent , et se mâchent avec U plus grande facilité. L'abaty-lupy ne diffère du précédent qu'en ce que ses grains sont beaucoup plus iuisans , jaunâtres , et si durs qu'on ne peut pas les manger de la même ma- nière que ceux du premier. Ordinairement on les pile dans un mortier de bois , avec un pilon de la même matière , en les frap^ pant obliquement , de manière à enlever la peau extérieure , et sans briser les grains , qui restent entiers , au moins pour la plupart. C'est dans cet état qu'on les mst au pot , comme des pois ou des haricots. On en fait aussi le ragoût à la lessive , que les habilans du pays aiment tant , et qu'ils appellent mazamorra^ Enfin les gens du pays font une foule de mets et d'espèces de pain différentes , en em-» ployant pour chaque objet l'espèce de maïs convenable , parce que chacune a ses avan-^ îages respectifs ; et je crois même que Tune croît plus vite que l'autre. Comme je n'ai pas eu occasion de voir sou« vent l'espèce de maïs appelée abaty-guaicurii , je présume qu'on ne la croit guère supérieure aux autres en qualité. Elle est cependant singulière. En eÔ'et , quoique l'épi soit abso- Jument semblable à celui des précédentes , ejk ( «48 ) qu'il ait la même enveloppe, chaque grain est enveloppé à part par de petites feuilles qui ressemblent entièrement aux grandes qui enveloppent l'épi entier. Je ne me rappelle pas le nom qu'on donne à la quatrième es- pèce , dont la tige , beaucoup plus mince , se termine , non par un épi , mais comme le millet , par une espèce de discipline à plu- sieurs cordes , dont chacune est couverte de grains absolument semblables à ceux du maïs , mais plus petits. J'ignore aussi les usages par- ticuliers auxquels on peut l'appliquer. Je sais seulement qu'en faisant bouillir dans de la graisse ou de Phuile cette espèce de discipline qui contient les grains , ceux - ci crèvent tous sans se séparer , et qu'il en résulte un superbe bouquet , capable d'orner la nuit la tête d'une dame , sans que l'on puisse reconnaître ce que c'est. J'ai souvent mangé de ces grains crevés , que je trouvais très-bons \ ' Les botanistes ne distinguent qu'une seule espèce dans le genre mais , zea maj-s de Linné , et re23rochent à Tournefort de l'avoir, ainsi que le blë, subdivise' en un grand nombre d'espèces. Mais il y a dans le maïs comme dans le ble' , un grand nombre de varie'te's que l'on de'signe par la couleur, sous les noms de rouge, violet, bleu, noir, bigarre', ou chine-jaune roux , blanc ^ ( «49) On trouve par-tout dans ce pays plusieurs espèces de bonnes patates douces {batatas) ^ ; il y en a de chairs blanches, de jaunes et de violettes. Celle qu'on appelle Abâyibacué , est de la grosseur du mollet , et longue comme la jambe. Sa peau est rougeâtre , la chair blanchâtre et le goût en est excellent. II serait possible et même avantageux de trans- porter toutes ces espèces en Europe ^ J'en dis autant de huit ou neuf espèces différentes de calebasses d'un goût plus agréable que celles d'Espagne , sur-tout lorsqu'on les fait griller sur la bi^aise , quand elles sont sèches. On Cependant presque toutes ces varie'te's sont acciden- telles, et se réduisent en Europe à deux principales qui me'riteraient j^eut-être le rang d'espèces : Tune est le mais pre'coce cultive' en Italie dans les environs de Turin et de Milan , l'autre est le maïs tardif qui com- pose les grandes cultures de ce gramine'e dans le midi de la France. Toutes les recherches que l'on a faites concourent à prouver que cette plante est originaire du Nouveau Monde , et qu'elle n'e'tait connue dans aucune des parties de l'ancien avant le i5.* siècle. (C. A. W- ) » Convolvulus batatas de Linné , ou liseron batate. ^ (G. A. W. ) ^ Je crois qu'on cultive cette plante en Espagne ^ les essais que l'on a faits pour la naturaliser dans le midi de la France , \\onX pas jusqu'ici e'te' très-heureux. (C, A. W. ) ( tSo ) pourrait également tirer de ce pays une maU titude d'espèces de haricots , et principale- îïient ceux qu'on nomme pallares , qui sont les meilleurs , qui produisent beaucoup , et qui ont des couleurs très-variées. Il y a aussi un arbuste qui résiste à l'hiver, et qui produit des haricots très-petits , mais excellens. Par-^ tout on sème d'autres végétaux très-utiles ^ tels que des fèves , des lentilles , des petits pois, des alberjas, et du many ou manduby (arachide), que l'on commence à cultiver en Espagne pour en extraire l'huile. C'est ce que l'on ne fait pas dans cette partie dés l'Amérique. On se contente de le griller, et de l'employer aux mêmes usages que l'a^ înande ou la noisette en Europe ^ A propos d'huile, je vais parler du tar^ tago, que je crois connu ailleurs sous le nom Aq paljna chrîsti^. Personne ne cultive cette plante \ mais on la trouve toujours à côté des maisons , des fermes ou des jardins , et je ne me souviens pas d'en avoir vu dand * La culture de cette plante , qui est Varachis hjpo^ ^ea de Linné' , a e'te' essaje'e dans le midi de la France / et en Italie dans les environs de Rome. (C. A. W. ) ^ C'est le jatropha curcas de Linné, ou medicinier ricin ou cathartique. ( C. A. W. ) ( i5i ) les déserts ; ce qui me fait soupçonner qu'elle est du nombre de celles qui croissent par- tout où il y a des hommes. On en trouve dans tous les endroits peuplés. Il y en a au Paraguay de deux espèces , qui ne dilTè- rent que parce que Tune des deux est plus grande , et que ses graines le sont à propor- tion. Il y avait un homme qui en ramassait , et qui , après les avoir pilées dans un mor- tier, et fait bouillir dans de l'eau, fabriquait d'excellent savon avec de l'huile qui sur- nageait. Quoique dans ce pays les amandiers et les pruniers croissent rapidement et donnent beaucoup de fleurs , jamais ils ne produisent un seul fruit. C'est aussi à peu près le cas des pêchers au Paraguay. Mais dans la pro- vince de la rivière de la Plata , cet arbre pro- duit beaucoup de fruits , que l'on vante trop. Depuis quelque tems , on a porté à Buenos- Ayres quatre ou cinq espèces de pêchers in- connus en Europe , et qui nous viennent du Chili et d'autres endroits d'Amérique : il se- rait bon de les transporter en Europe , parce qu'il y en a de bonnes. 11 n'y a également que peu d'années que l'on y connaît l'abri-, cotier nommé damas ^ et qui est assez bon: ( .52 ) 11 parvînt par hasard dans le pays une petite caisse de graines de choux et de laitues que ron envoyait d'Italie. La personne qui la reçut y trouva deux noyaux de damas , et ne les connaissant pas', elle les sema pour voir ce qu'elles produiraient. Telle est l'origine de l'introduction de ces damas dans la province de la rivière de la Plata, Les poires n'y valent pas grand'chose , et les cerises rien du tout. 11 n'y en a point au Paraguay. Les oranges et autres fruits analo- logues sont abondans et très-bons , depuis le trentième degré en avançant vers le nord^ quoiqu'on ne greffe pas les arbres qui les portent Mais en avançant vers le sud , la qualité diminue , et les orangers sont moins nombreux et plus petits. La pacoba ou le bananier de différentes espèces se multiplie avec facilité au Paraguay , et jusqu'au vingt- septième degré : mais il donne peu de fruit,, parce qu*il est sensible au froid , et qu'il se gèle facilement. Il en arrive autant à la pina ou ananas , qui cependant s'étend davantage du côté du sud. Les pommes sont bonnes a Montevideo , médiocres à Buenos- Ayres , et les pommiers ne produisent pas de fruit ixvL Paraguay, Il y a par-tout des figues , des ( '55 ) ipoings et des grenades ; mais la qualité eu est médiocre et même inférieure au Para- guay. Cette dernière contrée ne fournit pa3 non plus d'oliviers : mais à Buenos- Ayres , ils réussissent aussi - bien ou mieux qu'en Espagne , et ils donnent du fruit toutes les années. Dans la province de là rivière de la Plata^ Je melon est tout au plus mangeable , et il ne vaut rien dans la partie septentrionale^ Le melon d'eau est meilleur dans certains endroits que dans d'autres ; et cela ne dé- pend point de la latitude, mais de la localité* Ce fruit a toujours , dans le pays que je dé- cris , le double plus de graines qu'en Espa- gne ; et près de l'Assomption et ailleurs , il a moins de chair que de graines. Il n'y a de fraises que dans la province de la rivière de la Plata ; et encore sont-ce de ces grosses fraises insipides que l'on appelle frutillas. Le chanvre et le lin réussissent bien dans cette dernière contrée 5 mais on ne les y sème que pour la graine , parce qu'il en coûterait trop pour exploiter la filasse. L.es légumes en général y viennent plus ou moins bien , sui- tant la latitude. Mais du côté des Missions jésuitiques et du Paraguay, on en sème peu. ( i54) On y cultive le riz dans des terrains secs y et l'on en récolte assez pour la consommation du pays. On pourrait sans doute cultiver Tanil ( indigo ) du côté du nord , puisque cette plante y croît d'elle - même , et y est com- mune. On pourrait également y récolter de la soie , si on y introduisait le ver qui la produit , puisque le mûrier y vient naturelle- ment. J'en dis autant du cacao et du café ; mais la fainéantise et la paresse générales , la cherté des journées , le goût pour la des- truction et le gaspillage qui caractérise les habitans du pays, leur peu de besoins^ leur défaut d'ambition, l'esprit chevaleresque qui dédaigne et méprise même toute espèce de travail , le manque d'instruction , la nullité des gouverneurs , et l'incroyable imperfec- tion des instrumens , contribuent à rendre presque impossible toute espèce d'améliora- tion. Au Paraguay et aux Missions , on n'a d'autres pioches que de gros os de cheval ou de vache, que l'on ajuste au bout d'un man- che. La charrue se réduit à un bâton pointu , que chacun arrange à sa manière. Il en est de même du joug et des autres ustensiles de labourage. 11 est vrai qu'il en arrive autant ( 155) dans presque tous les métiers : l'orfèvre fa- brique ses creusets 3 le musicien ses cordes et sa guitare j et , dans chaque maison par- ticulière , on fait la chandelle , le savon, les confitures , les remèdes, les teintures , enfin tout ce dont on a besoin. Quant aux fleurs cultivées , on en a quel- ques-unes d'Europe , et enlr'autres , à Buenos- Ayres , on possède les plus grands œillets du monde. Mais je me contenterai de dire sci un mot de quelques fleurs américaines. L'ariruma est une espèce de jacinthe jaune , d*une odeur si agréable qu'il y en a peu de supérieures. La diamela est , sous ce rap- port , peut-être la reine des fleurs. C'est un buisson qui en donne beaucoup et pendant long-tems; chacune est composée de plu- sieurs petites , groupées ensemble et blan- ches. La plante est délicate , et ne produit point de graine ; mais on la multiplie par marcotte. La peregrina est également incon- nue en Europe , oii elle jouerait un brillant rôle par la beauté de ses nombreuses fleurs , bien jaspées de rouge et de blanc. Elle n'a point d'odeur, et se multiplie facilement de graines. ( '56) CHAPITRE VIL Des Insectes. Je commencerai par observer que les in- sectes étant des animaux très-petits , dont les espèces sont innombrables , et dont les pro^ cédés se dérobent ordinairement à la vue , il n'est pas possible d'en donner une descrip- tion exacte et complète. Cela serait encore plus difficile pour moi , qui n'ai rien lu de ce que les autres ont écrit sur cette matière , et qui étais occupé dans mes voyages de com- missions importantes de la cour et des vice- rois. Je ne ferai donc que ce que je pour- rai 5 c'est-à-dire que je donnerai des abser- vations sur quelques espèces ; je me conten- terai d'en nommer d'autres, et j'en oublierai en quelque façon le plus grand nombre. Les naturels du pays distinguent les abeilles des guêpes , et en font deux familles diffé- rentes. Ils disent que les dernières piquent et ne font point de cire , et que les autres font ( «57 ) ^e la cîre et ne piquent point '. Quant à moi , j'ai vu une espèce qui pique , et qui cepen- dant fabrique de la cire : c'est ce qui arrive aussi à l'abeille d'Espagne ; et , en adoptant les principes des habitans du Paraguay , ces deux espèces seraient intermédiaires entre les deux familles. Quoi qu'il en soit , je n'ai pas assez de connaissances pour établir une bonne division entre elles , et je me bornerai a dire ce que je sais. Je regarderai donc comme abeilles celles qui , ne sachant ou ne pou- vant pas construire les parois extérieures de leurs demeures , profitent de celles qu'elles trouvent toutes préparées dans le creux des arbres , où elles fabriquent leurs rayons -, et j'appellerai guêpes , celles qui construisent elles-mêmes leurs habitations à l'extérieur et • Les abeilles aussi bien que les guêpes ont un ai- guillon ^ ces dernières ne font point de cire : la confi- guration des organes de la bouche , des antennes des ailes et des pattes diffère dans ces deux familles d'in- sectes, et c'est de ces parties que les entomologistes ont tire' les meilleurs caractères pour les distinguer. On les trouvera expose's en détail dans VHistoire naturelle des insectes , par Latreille , qui fait suite au Buffon de Sonnini , dans le sjstema Piezatorum de Fabricius , et dans la Faune Parisienne que j'ai publiée, (C. A. W ) ( '58) à rîntërieur , et à la vue de tout le monde \ On dit que l'abeille , et je crois même la guêpe d'Europe, n'ont qu'une seule femelle par ruche , avec une multitude de mâles pour Ja féconder j que cette femelle unique est la reine , la maîtresse, la directrice et la mère de toutes les autres j que le reste des individus est neutre ou sans sexe , et que les ruches se multiplient par les essaims qui en sortent ^. A dire vrai , je ne saurais parler de toutes ces choses, ni assurer si elles ont lieu ou non à l'égard de mes abeilles j mais je ne doute nullement que le contraire n'arrive à mes guêpes , dont les individus sont tous mâles ou " Cette distinction manque de précision , car il j a des guêpes, telle que la guêpe commune, ouiwspa vul- garis , qui , comme les abeilles , ne construisent pas j'enveloppe extérieure de leur demeure , mais se creu-^ sent en terre une habitation • et il y a au contraire des abeilles qui construisent l'enveloppe extérieure de leur demeure : telle est l'abeille amalthée de'crite en premier par Olivier. (C. A.W.) * Il j a parmi les abeilles une femelle , plusieurs mâles , et un très-grand nombre de neutres. J'ai donné, à la page j^i de laFauiie Parisienne , l'abrégé de l'his^ toire naturelle de l'abeille d'Europe , d'après les obser-r vations les. plus récentes. J'j^ renvoie le lecteur. (C. A. W.) ( '59 ) femelles comme à l'ordinaire , et comme dans les autres insectes et les autres animaux. Je parle des guêpes qui travaillent et qui vivent €n communauté , parce qu'il y en a beaucoup d'autres espèces dont les individus sont soli- taires , et se fécondent peut-être eux mêmes , comme nous le verrons \ On connaît au Paraguay jusqu'à sept es- pèces d'abeilles : la plus grande l'est du double de celle d'Espagne , et la taille de la plus pe- ' Il j a parmi les guêpes proprement dites, et sur- tout celles qui vivent en socie'te' , trois sexes , des mâles, âes femelles et des neutres , comme dans les abeilles. Il n'existe aucun insecte ni aucun animal connu qui puisse se reproduire lui-même , et sans l'accouplement ou du moins la participation du mâle et d'une femelle. Les femelles des poissons produisent des œufs sans accou- plement j mais pour être fécondes , il faut que le mâle verse dessus sa liqueur séminale. Tous les insectes se reproduisent par accouplenttnt. Bonnet a cependant observe' qu'une femelle de puceron , après être accou- plée avec le mâle , produisait des petits qui avaient la faculté' d'engendrer sans accouplement , et ainsi de suite jusqu'à la neuvième ge'ne'ration. Une fenaelle d'a- raignee , après s'être accouplée avec le mâle , fait plu- sieurs pontes productives à plusieurs mois d'intervalle , sans avoir besoin de 3'accoupler de nouveau. Je me suis assure de ce fait curieux par des expériences très- exactes. (C. A. W. ) / ( 'Co ) tile n'égale pas le quart de celle de la moucliQ commune. Aucune d'ellesne pique * , et loules font de la cire et du miel. D'après ce que j'ai vu , ce miel a la consislance d'un sirop épais de sucre blanc. Il m'arrivait assez souvent d'en faire fondre un peu dans de l'eau , le soir , pour me servir de boisson , parce que , outre son bon goût , ce miel a la propriété de rafraîchir l'eau , du moins en apparence. Mais celui que produit la grande espèce n'est pas aussi bon , parce qu'il prend assez souvent le goût des pétales de fleurs que l'abeille enlève en le recueillant , et que même elle y mêle quelquefois. Le miel d'une autre es-r pèce , appelée cabatatû , donne un violent mal de tête , et cause une ivresse au moins aussi forte que celle que produit l'eau-de- vie. Celui d'une autre occasione des con- * Probablement qu'aucune n'est féroce et ne cherche à piquer, ou pique faiblement^ car toutes les abeilles , sans exception , sont pourvues d'aiguillon. Mais il faut bien que les abeilles du nouveau continent aient ce caractère particulier d'avoir un aiguillon peu offensif , ou dont elles font peu d'usage^ car Pison parle aussi d'une abeille assez grande nommc'e eiricu , qui fait de bon miel, et ne pique pas. Barrère(dans sa France e'quinoxiale) dit aussi la niême cliosc de son apis sjU ve^iris. (C. A. W.) ( i6r ) Pulsions et les plus violentes douleurs ; qui se terminent au bout de trente heures , sans produire aucunes suites fâcheuses. Les gens de la campagne connaissent bien ces deux espèces nuisibles , et ils n'en mangent pas le miel , quoique le goût en soit aussi bon que celui de toutes les autres, et que la couleur soit la même. H y a une espèce d'abeille, plus carrée et plus petite que celle d'Europe , qui ne dépose pas son miel dans des rayons , mais dans de petits vases de cire sphériques , de six lignes apeu-près de diamètre. J'ai vu transporter du Tucuman aBuenos-Ayres une ruche de cette espèce, c'est-à-dire à la dis- tance de plus de deux cents lieues. Peut-être pourrait-on transporter cette espèce en Eu- rope , ainsi que toutes celles que l'on trouve en Amérique , en les embarquant lorsque leur provision de miel est abondante. Cette subs- tance est un des articles les plus considérables de la nourriture des indiens qui vivent dans les bois ; et de plus , en la délayant dans de Teau et l'y laissant fermenter , ils se procurent une boisson enivrante. Quant à la cire , celle que j'ai vue est jau- nâtre , beaucoup plus foncée que celle d'Eu- rope , et plus molle. On ne l'emploie que I. a. II (i60 pour les églises de campagne et pour celles des Missions d'indiens. On ne sait pas la hlancliir. Mais celle de la grande espèce , dont les babilans de Santiago del Estero re- cueillent par an quatorze mille livres sur les arbres du Chaco , est plus blanche , et si ferme qu'on y peut mêler jusqu'à la moitié de suif. Si Ton élevait cet insecte dans des ruches , on pourrait exporter beaucoup de cire en Europe \ * Des observations récentes de Huber père , sur la formation de la cire par les abeilles , inse're'cs dans lé 6.*^ vol. des Actes de la Socie'te' Linne'enne , il resuite : I .'^ Que la cire vient du miel j 2.* Que le miel est encore pour les abeilles un ali-? ment de preiilière nécessite' ; 5." Que les fleurs n'ont pas toujours du miel comme on l'avait imagine ^ que cette se'cretion est soumise aux variations de l'atmosphère , et que les jours oii elle est abondante sont très-rât*es dans nos climats ; 4-° Que c'est la partie sucre'e du miel qui met les abeilles en e'tat de produire de la ciref 5.*> Que la cassonade produit plus dé cire que le liiiel et que le sucre raffine ; 6."' Que la poussière des etamines ne contient pas les principes de la cire ; y.*» Que ces poussières ne sont pas la nourriture des abeilles adultes , et que ce n'est pas pour elles qu'elles font celte récolte ; ( i65 ) Voila à quoi se réduit tout ce que je sais sur ces abeilles. Comme elles viveiit daus les grands bois , et le plus souvent a une élé- vation considérable , il n'est pas facile d'ob- server leurs opérations. J'ai cependant re- marqué que quelques-unes des petites espèces m'incommodaient dans les bois , en venant 8." Que le pollen ou la poussière des e'tamines leur fournit le seul aliment qui convienne à leurs petits : mais il faut que cette matière subisse une e'iaboration par- ticulière dans l'estomac des abeilles , pour être convertie en un aliment toujours approprie' à leur sexe , à leut âge et à leurs besoins , puisque les meilleurs microscopes ne font point voir les grains du pollen , ou leurs enve»* loppes , dans la bouillie que les ouvriers leur préparent. Les obsei'vations de Huberfils, sur les bourdons , genre hoinbus de Latreille , ont confirme ces résultats , et ont montre' de plus : i.» Que la cire sort du corps des bourdons en très- petite quantité' à-la-fois , et par les vides que laissent les anneaux e'cailleux dont le corjjs de ces insectes est garni en-dessus et en-dessous j 2." Que leur cire sort de leur corps un instant aprè5 qu'ils ont mange' du miel ^ 5.** Que les femelles font une plus grande quantité de cire que les autres individus^ 4.** Que les mâles paraissent en faire, ainsi que 1^ ouvrières et les femelles , mais qu'ils ne sont pas iuj^ truits à l'employer à difierens usages. (C. A. W .) ( '64) me sucer la sueur sur les mains et sur le visage \ A propos de cire , je dois dire qu'il y en a une qualité beaucoup meilleure , plus blanche et plus ferme , fabriquée par de pe- tits insectes en forme de boules qui ressem- blent à des perles , et qu'ils collent l'une contre l'autre , en assez grand nombre , sur les petites branches du guabirâmy , exclusi- vement à toute autre plante. Ces branches appartiennent à un arbuste en buisson de deux ou trois pieds de haut , et qui produit le meil- leur fruit du pays. Ce fruit est aromatique , plus petit qu'une petite cerise , et ressemblant pour la figure et pour la couleur , à la goyave ou a la grenade. * Latreille est le premier qui ait e'taWi des caractères distinctifs entre les différentes espèces d'abeilles, tant de l'ancien que du nouveau continent. On doit consulter, à cet e'gard , les deux savans mémoires qu'il a publies dans les Aniiales du Muséum , tom. iv, pag. 585 , et tom. V, pag. i6i. D'après ses observations, on peut dire qu'en ge'ne'ral les abeilles du nouveau continent ont l'abdomen beaucoup plus court que les nôtres; soa plus grand diamètre transversal ne surpasse et n'e'gale même pas sa longueur ; sa figure est plus arrondie; aussi les ailes supe'rieures paraissent- elles plus grandes ; les pattes poste'rieures diffèrent et se rapprochent de celle* de nos bourdons. ( C. A. W. ) ( i65 ) J'indiquerai onze espèces de guêpes, et Je ne crois pas les connaître toutes. Je n'ai eu occasion de voir qu'un seul guêpier , collé et suspendu à un tronc de la grosseur du bras : il était presque sphérique , de deux pieds de diamètre ; il fallut le couper à coups de hache , parce que, dans quelques endroits , il était re- couvert de quatre pouces d'argile bien pétrie. L'intérieur était composé de rayons de cire , qui renfermaient de bon miel. La guêpe était noirâtre , plus carrée que celle d'Eurape , et presque de la même taille : elle pique moins ; et je ne sais si elle se multiplie par essaims, quoique je le présume \ » Cet insecte n^est point une guêpe , mais bien cer- tainement une abeille. La description que l'auteur en donne p. et les de'tails qu'il ajoute sur sa manière de ni- difier , me font croire que c'est la même que l'abeille amalthe'e de'crite par Olivier, dans V Encyclopédie iné^ thodique y et par Latreille , dans les Annales du Mu- séum, tom. V, pag. 175. M. Coqpebert l'a figurée dans ses niust. Iconogr. Insect. Dec. 5. tab. 22 , fig. 4» Quoique la division pre'ce'demment établie par M. d'A- zara l'ait conduit à de faux re'sultats , il n'en est pas moins vrai que, jusqu'à un certain point ,.elle est fonde'e en raison , et que les abeilles dont il est ici question forment en quelque sorte la nuance ou le passage des^ abeilles aux guêpes , et qu'on reconnaît là cette gra- (,66) Toutes les guêpes suivantes piquent îior- rîblement. La plus commune , qui esl de cou- leur orangée , et plus grande que celle d'Espa- gne , fabrique des rayons absolument sembla- bles à celle-ci , quoique plus grand^. Elle en trouve la matière dans le bois à demi-pourri et sec, dont elle ronge la surf ace ,1e matin , lorsque la rosée l'a un peu attendri , et dont elle forme de petites boules à force de tems. Il n'y a que deux guêpes qui commencent leur guêpier par une espèce de pédicule qu'elles attachent 74 ) revenir. Quelquefois la mère dépose d'autres œufs dans le même tuyau. Au Paraguay, j'a- vais toujours, en été, dans ma chambre une de ces guêpes, occupée à ce manège. Elle pique comme toutes les précédentes , et comme les suivantes. Les enfans s'amusent quelquefois à les tuer, et à les couper à l'en- droit de leur ceinture : ils prennent ensuite la partie postérieure, et l'appliquent adroi- tement à d'autres enfans, pour leur jouer un tour j parce que la guêpe pique encore , même dans cet état. En défaisant les tuyaux , j'ai observé, que si quelque araignée était pourrie , ou si au contraire le venin de la guêpe n'avait pas été assez actif, et que l'a- raignée eût eu le tems et la force de faire sa toile, la petite guêpe était infailliblement morte \ La seconde espèce est orangée 5 c'est la » Dans le tome vi, première partie des Mémoires de la S ode' te' Américaine , on trouvera des détails curieux sur deux espèces de spliex dont les habitudes ressem- blent à celles des insectes dont parle ici M. d'Azara. L'un est le spliex cerulœa ails fus cis de Linné', ou guêpe iclineumon à ailes dorées de Degecr. L'autre est le sphex w'gra ahdpmiîie peiiolato atro , alis subviolaceis de Liune. (G. A. W.) ( 175 ) plus grande de toutes, et elle Test du douille de celle d'Espagne. Elle cherche le plancher des corridors ou autres lieux a l'abri de la pluie , dans les maisons de campagne , parce qu'elle y trouve de la poussière et de la terre peu dure. Elle y creuse avec promptitude un trou rond, d'un palme et de deux doigts de profondeur : elle se sert pour cela de ses pattes j mais c'est avec la bouche qu'elle écarte les petites pierres qu'elle rencontre. Au milieu de cette large excavation , elle creuse un petit canal • ensuite elle va dans les champs , et elle revient en traînant à reculons une araignée , qu'elle a tuée à coups d'aiguillon , et qui est plus grosse qu'une noisette avec sa coque. J'ai rencontré une de ces guêpes avec son araignée , et je la suivis jusqu'à l'endroit où elle la déposa^ et qui en était éloigné de i63 pas, sans compter le chemin qu'elle pouvait déjà avoir fait. Elle l'abandonnait quelquefois , et faisait vm-demi tour d'environ trois palmes, sans doute pour s'assurer du chemin. Ce chemin était tout couvert d'herbe, si haute dans certains en- droits, que la guêpe ne put surmonter cette difïiculté , parce que l'araignée s'embarrassait dans les tiges j mais , après un très-petit dé- ( 176 ) tour, elle arriva a son nid , droit comme une balle. Elle déposa Taraignée dans le petit canal dont j'ai parlé , de manière que cet insecte ne touchait pas au fond , et qu'il était retenu par les parois. Elle pondit aussi- tôt sur sa partie inférieure , et recouvrit le tout de poussière et de terre, de manière que le terrain resta bien uni. La petite guêpe mange l'araignée , et quand elle l'a entière- ment consommée , elle se trouve en état de se débarrasser d'un pouce de poussière qui la recouvre , et de s'envoler sans avoir vu sa mère. Celle-ci va probablement faire d'autres pontes ailleurs , parce qu'elle n'en fait qu'une dans chaque endroit. C'est une espèce peu abondante, car je n'en ai rencontré que six individus. La troisième espèce est plus commune , de taille moyenne, et jaunâtre. Elle creuse avec la bouche , dans les murs de terre et dans ceux de briques non cuites qui sont à l'abri de la pluie , de petits tuyaux , au fond des- quels elle pond. Elle nourrit la petite guêpe avec des vers de couleur verte , qu'elle tue auparavant à coups d'aiguillon , et qu'elle in- troduit par le bout du tuyau. J'ignore si elle en construit plus d'un, parce que souvent il ( m ) y en a plusieurs à côté l'un de l'autre. Mais je ne doute pas qu'elle ne sache reconnaître la nature des murs de terre, quoiqu'ils soient crépis, et qu'elle ne distingue parfaitement les murs de pierre ou de brique cuite 5 puis- que , malgré l'enduit , elle fabrique des trous dans les premiers, et qu'elle n'essaie même pas d'en faire dans les seconds. La quatrième espèce construit , avec du mortier, trois ou quatre petits vases parfai- tement sphériques , excepté du coté qui est collé aux fenêtres à l'abri de la pluie. Elle dé- pose au fond son petit , qu'elle nourrit avec la même espèce de vers que la précédente , elle les introduit par le goulot d'en haut, qui ressemble à un entonnoir très-bien fait. Il est bien singulier que ces quatre guêpes soient solitaires , et qu'on n'en voie japiais deux ensemble j que l'on ne sache pas com- ment elles sont fécondées, et qu'elles n'aient de ruche ou de domicile ïxyiQ^ qu'à l'époque oîi elles produisent leurs petits. Mais on doit encore observer que, si elles ne connaissent pas l'amour conjugal , elles ignorent égale- ment les afTeclions fdiales et paternelles , et que tous leurs rapports se bornent à ce que la mère donne à manger à son petit, jusqu'à \ a. 13 ( '78) €6 qu'il ait acquis l'âge nécessaire ; et que ce petit , en sortant du ventre de sa mère , doit être pourvu de toutes les connaissances né- cessaires , puisqu'elle ne lui apprend rien. Ce fait nous conduit à penser que plusieurs choses que nous observons dans les différens êtres , ne sont pas uniquement l'eflfet de l'édu- cation, comme on pourrait le croire, mais qu'elles sont gravées dans les individus dès le ventre de leurs mères ^ Il faut observer éga- ' L'observation d'un insecte peut nous conduire jus- que dans les re'gions les plus élevées de la me'taplijsique. Condillac et ses sectateurs semblaient avoir borne' cette science à la connaissance des effets produits sur notre intelligence par l'impression des objets externes , ou à l'analyse de nos sensations. Les ide'es innées de Descartes semblaient rele'guees dans le pays des chimères avec ses tourbillons. Cependant on peut affirmer que tout ce queKant et ses sectateurs ont dit de plus raisonnable et de plus intelligible se trouve dans Descartes 5 c'est lui qui a pose la base de leur e'difice. Il avait très -bien observe avant eux que la manière dont l'homme conçoit les choses , devait participer de la nature particulière de son intelligence , de même que la manière dont il les voit physiquement et avec les yeux du corps , participe de la structure particulière de l'organe de l'œil. Ce sont ces formes ou ces modes dont l'intelligence qui reçoit Yevêt ne'cessairement toutes les conceptions ou impres- sions qui lui sont transmises par les sens , que Descartes ( Ï79) lemenl , que îe venin de ces guêpes est nn préservatif contre la corruption : car autre- ment les araignées et les vers qui servent de nourriture aux petits, se corrompraient dans un pays aussi chaud. Si Ton trouvait moyen de recueillir ce venin , peut-être serait-ce un spécifique contre la gangrène. îl paraît même qu'on pourrait le prendre intérieurement, puis- que les petites guêpes mangent ces araignées empoisonnées, sans en être incommodées. Coaune le Paraguay et la province de la appelait justement ide'es innées. TeUe est aussi la basje du système de Kant , qui a entrepris de de'terrainer avec pre'cision les formes de lintelUgence humaine , ou ses ide'es inne'es d'avec celles qui lui sont transmises du dehors. D'un autre côte', les physiologistes ont tout re'cemment discerne' avec beaucoup de sagacité' plu- sieurs sensations produites dans l'homme par le? parties internes , lesquelles font naître des ide'es sans le secours des objets exte'rieurs , et »iême de'terminent impe'rieusement sa volonté', ses désirs, dirigent ses actions avec beaucoup d'habileté' , et forment chez lui une science sans instruction pre'alable , pareille à celle que nous avons nomme'e instinct dans les animaux , la- quelle provient de la même cause. V^oilà donc les idées inne'es prouve'es spirituellement et physiquement, eC le système exclusif des sensations produites par 1«8 objets externes aue'auti pour jaraais. (C. A. W.) C '80) rivière de la Plala où se trouvent les four- mis dont je vais parler, ne sont pas des pays froids , ces insectes sortent et travail- lent toute l'année ; et l'on peut croire même que le tems de leur ponte dure plus long- tems qu'en Europe. Par la même raison, les espèces y sont plus variées; chacune de ces es- pèces a un plus grand nombre de fourmilières , et ces dernières contiennent peut-être cent fois plus d'individus. Cela paraît prouvé , si l'on considère que deux espèces de quadru- pèdes , assez grands et assez forts , ne se nourrissent que de fourmis. Mais on doit présumer que cette famille d'insectes diminue à mesure qu'on s'approche du détroit de Magellan , et qu'elle augmente , au contraire , quand on va du Paraguay vers l'hémisphère septentrional. La fourmi , appelée au Paraguay araraâ , est extrêmement multipliée; car non-seule- ment on en trouve dans tous les gros arbres des bois , mais encore dans les petits , pourvu qu'ils soient secs, et que leur écorce soit crevassée. On en trouve également dans les pièces de bois coupé; et comme, à la cam- pagne, les murs des maisons sont construils de pieux enfoncés en terre , et dont les in- ( >8i ) tervalles sont garnis d'argile qui gerce fa- cilement , les araraâs entrent et sortent con- tinuellement par les ouvertures. Elles sont de la même taille que les plus grandes d'Es- pagne , qu'elles surpassent peut-être même en ce point , quoique cette taille varie as- sez souvent dans une seule et même four- milière. Sa couleur est d'un brun foncé , qui s'ëclaircit un peu à la partie postérieure , où elle paraît être velue. Sa marche est or- dinairement rapide , et elle s'arrête , comme pour observer s'il y a quelque surprise à craindre , et comme si elle allait à la décou- verte. Elle court sur les troncs , sur les bran- ches , sur les murs , et descend à terre 5 mais je ne l'ai jamais vu faire des provisions, et je ne doute pas qu'elle ne se borne à man- ger dans l'endroit même où elle trouve ce qu'il lui faut. J'ignore de quoi elle se nourrit dans les champs , où elle ne mange ni graines ni feuilles; mais dans les maisons elle mange du sucre , auquel elle communique une mauvaise odeur et un mauvais goût j et je ne sache pas qu'elle touche à autre chose. Elle ne fa- brique point de fourmilières en tirant au- dehors,ou de la terre , ou des morceaux de bois , et elle ne demeure que dans les cre- C '82 ) vasses. Elle ne forme pas non plus de pro- cessions en ordre, comme d'autres; on n'en trouve aucune qui ait des ailes, ou du moins je n'en ai point vu ; ce qui doit faire présumer que tous les individus sont féconds , et que chaque couple soigne ses petits , comme je l'ai dit des guêpes qui vivent en société \ Quelques habitans , pour en débarrasser leurs maisons , y ont transporté de grosses fourmis rouges de bois , qui se sont vivement battues avec elles; mais comme les araraâs étaient beau- coup plus nombreuses , elles se réunissaient plusieurs ensemble contre une seule des rou- ges , jusqu'à ce qu'elles vinssent à bout de jeter sur elles une goutte de liqueur qui les faisait périr à l'instant. Une des plus petites espèces n'babîle pas ^ comme l'araraâ , l'extérieur des murs des mai- sons, mais au contraire elle s'enfonce dans l'in- » Les fourmis vivent toutes en société' , compose'es tle trois sortes d'intlivitlus , des mâles et des femelles Ailes , des neutres qui sont aptères, ou sans ailes. Les femelles ne restent que pour la ponte , et sont chasse'es lorsqu'elle est finie ; c'est alors qu'on voit ces grandes processions de fourmis aile'es. Quant aux mâles , ils n'entrent point , mais se contentent de voltiger autour de la fourmilière. Les uns et les autres pe'rissent dès les premiers froids. (C. A. W. ) ( '85 ) tërîeur.Quoiqu'elle habite les campagnes, on îa trouve aussi dans les grandes villes , sans avoir de demeure fixe , au moins que l'on sache. Je n'en ai jamais vu d'ailées ; j'ignore s'il y en a, et si cette fourmi fait des provisions. Tout cela me fait soupçonner que tous les individus sont mâles ou femelles , et que leur ponte est semblable a celle des guêpes. Cependant elles agissent d'accord , et marchent en pro- cession , quand quelqu'une de leurs sentinelles les avertit qu'elle a rencontré de la viande , et principalement du sucre et des confitures , car c'est la nourriture qu'elles préfèrent ; et quoiqu'elles mangent du fruit et de la viande , je ne sache pas qu'elles touchent aux grains ni aux feuilles. H y a des maisons où il est impossible de conserver de sucre ni même de sirop. Pour les préserver de ces insectes ^ on est obligé de les mettre sur une table ^ dont chacun des pieds est posé sur une ter- rine pleine d'eau. Cela suffit quelquefois ; mais aussi , j'ai vu ces fourmis former , en s'ac- crochant les unes aux autres ^ un pont large d'un doigt et long d'un palme , par - dessus lequel les autres passaient. Si l'on prend Je parti de suspendre la table ou la planche , les fourmis montent le long de la muraille au . ( '84 ) plafond , jusqu'à ce qu'elles aient atteint la corde , qui leur sert à descendre a Tendroit cil est le sucre, etc. J'ai moi même essayé de les écarter, en enveloppant les pieds de la table d'un cercle de laine ou de crin , sans obtenir ce que je désirais. Il n'y a que le goudron qui les empêche de passer , tant qu'il est mou. On peut aussi porteries sucre- ries dans une chambre éloignée , parce que ces fourmis sont long-tems avant de les dé- couvrir ; mais si , par mégarde , on y a laissé quelqu'un de ces insectes , il avertit aussitôt les autres , qui le suivent tous. Il y a donc chez les insectes du raisonnement , un lan- gage ou des signes pour la communication des idées. Assurément les nations indiennes , que je décrirai dans la suite , n'en font pas davantage. L'espèce nommée Tahy-ré^ c'est-h-dire fourmi puante , parce qu'elle sent très-mauvais quand on l'écrase , n'a point d'habitation con- nue , et l'on ignore sa nourriture ordinaire > parce qu'on ne la voit que lorsqu'elle sort. Au Paraguay (mais non pas à Buenos-Ayres), elle sort presque toujours de nuit , deux jours avant quelque grand changement de tems, et elle se répand de manière à couvrir le plan» ( i85 ) cher , les murs et le plafond d'une chambre , quelque considérable qu'elle soit.Elles mangent dans un instant toutes les araignées , les gril- lons , les scarabées et autres insectes qu'elles rencontrent. Elles ne laissent ni coffre , ni cre- vasse , ni fente , sans les visiter. Si ces fourmis rencontrent une souris , celle-ci se met a cou- rir comme une folle , et si elle ne peut pas sortir de la chambre , elle est bientôt toute couverte de fourmis qui la piquent , l'arrê- tent , la rongent , et la mangent aussitôt. On dit que ces fourmis en font autant aux vi- pères; et , ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elles obligent les hommes même a sortir du lit et de la chambre , en chemise et en courant. Heureusement il se passe des mois et même des années , sans qu'on en voie. On me dit que , pour les chasser d'une chambre , il suf- fisait de jeter à terre un carré de papier al- lumé : je le fis , et au bout de quelques mi- nutes il n'en restait plus une seule. Une autre fois , je m'avisai de cracher sur quelques-unes de celles qui étaient par terre , et elles s'en- fuirent toutes en très-peu de tems. J'éprouvai le même effet à deux reprises différentes. Je n'ai remarqué aucune fourmi ailée parmi les individus de cette espèce , et je n'ai pas ob- ( '86) serve qu'elles fissent de provisions. Elles sont noires; leur figure est comme à Tordinaire; leur taille est moyenne : j'ignore tout le reste ; mais je présume que tous les individus sont mâles ou femelles, et qu'ils multiplient comme l'araraâ. Une autre espèce , de grandeur moyenne , de couleur noirâtre , et si molle qu'elle s'écrase facilement , n'habite que sur les arbres , et principalement sur les vignes , dont elle ne mange pas les raisins , qu'elle salit cependant par ses excrémens , qui sont noirs et mous. Je crois qu'elle n'a pas d'autre habitation, qu'elle ne fait point de provisions , et qu'elle n'a point d'individus ailés. La plus grande de toutes Test trois fois et demie plus que celles d'Espagne : mais elle est très- rare. J'en ai cependant vu une cen^- taine , soit au Paraguay, soit aux Missions jé- suitiques , mais toujours seules. Ainsi j'ignore si elles se réunissent par couples , si elles ont des fourmilières , s'il y a des individus ailés. Je ne sais de quoi cette espèce se nour- rit , et je ne iui ai jamais vu transporter ni alimens ni autre chose. Elle est noire , avec de jolies taches d'un rouge vif \ » Cet insecte parait être une mutille. Les mutilles ( 1^7 ) Dans les terrains bas , exposés aux inonda- tions , on voit des monceaux de terre peu durs , coniques , et à peu près de trois pieds de hauteur , et très-rapprocîiés les uns des autres. Ils appartiennent à une petite fourmi noirâtre qui , je crois , ne sort jamais de sa fourmilière pour aller chercher des végétaux ou toute autre nourriture. Dans le tems de l'inondation , elles se tiennent toutes hors de la fourmilière , ramassées en forme de peloton arrondi , d'un pied de diamètre et de quatre doigts de hauteur. C'est ainsi qu'elles se tien- nent sur le courant de l'eau pendant tout le tems de l'inondation. Un des cotés du peloton qu'elles forment est attaché à quelque brin d'herbe ou de bois , et quand les eaux sont re- tirées , elles retournent à leur gîte. Je les ai souvent vues , pour passer d'une plante a l'au- tre , former un pont d'un doigt de large et de deux palmes de long , qui n'avait d'appui qu'à ses deux extrémités. On serait tenté de croire que leur propre poids devrait les sub- merger ; mais soit que le courant même de l'eau les soutienne, soit par toute auire cause , il est sont des insoctcs tres-ressemblans aux fourmis , mais elles ne vivent phs en société' , et il n'y a parmi elles que des mâles eî des Terne Ile.>. i(J. A. W.) ( «88 ) sûr que les pelotons se soutiennent sur Peau pendant toute l'inondation , c'est-à-dire pen- dant quelques jours. Je n'ai point remarqué , parmi ces fourmis , d'individus ailés : s'il y en avait , ils ne pourraient se conserver que dans quelque recoin impénétrable à l'eau. Je crois que cette fourmi est le principal aliment du Nurumy ou tamanduâ. Il y en a une autre plus petite , rougeâtre , dont le nid forme une petite butte de terre arrondie , d'un pied et demi de diamètre en- viron, et de la moitié de hauteur. Elle le construit avec la terre même qu'elle tire en creusant. Je n'ai pas observé qu'elle en sortît pour aller chercher des alimens , et je pré- sume qu'elle mange de la terre. Pour mul- tiplier ses fourmilières , il en part , la nuit , une colonie qui fabrique un chemin sou- terrain , mais si près de la surface de la terre que l'on en voit souvent la voûte écroulée. On observe aussi dans beaucoup d'endroits, que ces insectes ont tâché de percer leur fourmilière , et qu'ils y ont renoncé , sans doute parce que cela était trop difficile. Je n'ai pas observé que celles qui sont ailées fassent les mêmes sorties que la suivante ^ mais l'analogie me le persuade. Ce qu'il y a ( «89 ) de sûr, c'est que ces fourmis allées ne parais- sent pas connaître l'amour paternel j car, lors- qu'on détruit la fourmilière , elles s'étourdis- sent sans savoir presque se cacher, et sans donner aucun secours aux chrysalides; tandis que les autres fourmis, sans se troubler, ne perdent pas un moment pour ramasser ces chrysalides , pour réparer le dégât fait par l'agresseur, et même pour l'attaquer. On remarque également dans cette occasion , que les fourmis ailées n'ont aucune autorité sur les autres. Quand les chrysalides sont déjà bien formées , les fourmis tirent de l'intérieur de leur nid de petites mottes de terre qu'elles posent sur la fourmilière , de manière a. for- mer une croûte qui puisse être pénétrée des rayons du soleil, ou du moins échauffée par sa chaleur, qui doit animer les chrysalides : elles les placent en effet sous cette croule qui ne saurait les écraser, parce qu'elles ont eu soin de la faire porter sur des piliers convenables. Quand on s'aperçoit le matin , que les fourmis ont ainsi placé leurs chrysa- lides, on ne doit pas craindre la pluie pour ce jour-là, quand même on verrait des nuages , parce que la fourmi connaît le tems au moins un jour d'avance. ( igo ) Celle qu'on appelle cupiy est extrêmement nombreuse , blanchâtre , assez grande. Ses pattes sont plus écartées que celles de toutes les autres, et c'est l'espèce qui a la démarche la plus lourde. Elle fait ses fourmilières, nom- mées tacurùs , selon le lieu oii elle se fixe. Si c'est sur un arbre (il faut qu'il soit gros, grand, vieux et sec ) , cette fourmi fabrique dans le tronc ou sur une très-grosse branche sa fourmilière , qui se réduit à une bosse ar- rondie, qui a quelquefois deux pieds de dia- mètre, composée d'une foule de couches par- tagées par une multitude de chemins larges , bas et vernissés. Le tout est formé de la substance même du tronc , parce que cette fourmi ne sort point, et qu'on ne Taperçoit jamais. Ces chemins aboutissent à différentes galeries de la grosseur d'un tuyau de plume, placées par-dessus le long du tronc ou des branches , et recouvertes d'une voûte de colle que le cupiy sait préparer. Elles continuent leur ouvrage de la même manière, jusqu'à ce que l'arbre soit consommé , et tombe. On ne doit pas oublier que cette fourmi ne mange ïii fruits, ni feuilles, ni petites branches. Si elle se fixe dans une maison, elle perce les murs ) forme son tacurù sur quelque poutre ou quel- que poteau. Elle détruit tous les bois de la maison , et il est impossible de la chasser ou de l'exterminer entièrement. Si elle s'établit dans des terrains argileux , elle construit son tacurù avec Targile même , en forme de cou- pole , et à-peu-près de deux pieds de dia- mètre : mais ces tacurùs sont très -durs, et si près les uns des autres que quelquefois ils ne sont éloignés que de douze pieds dans une étendue de terrain considérable. Si elle se place sur des collines , le tacurù est coni- que , de trois pieds de diamètre , et quelque- fois de cinq de hauteur '. Le cupiy ne mange que du bois ou de la terre, suivant l'endroit oii il se trouve. Les fourmis de cette espèce qui sont ailées, ont six ailes * et la couleur noire. Je remarquai * Les insectes décrits ici par notre auteur paraissent être des termites , vulgairement nommés fourmis blan- ches. (C. A. W.) ^ Le nombre d'ailes , chez tous les insectes connus , n'excède jamais celui de quatre , si on excepte un petit nombre de phalènes dont les mâles paraissent avoir six ailes. Ce serait une bien grande nouveauté' en his- toire naturelle , qu'un hjmenoptère ajant six ailes. Comme les naturalistes ont déjà décrit dix-sept à dix- huit mille de ces petits animaux, et qu'on eu a observe ( 192 ) une fois que ces fourmis ailées sortaient, par essaims^ d'un grand tacuiù, par une fente horizontale d'un palme , et faite exprès. Je m'arrêtai à les considérer, sans en voir la (în , quoiqu'elles remplissaient l'atmosphère à la distance de près d'un mille. Dans une autre occasion , je vis le toit d'une petite maison recouvert d'une croûte d'un ou deux pouces d'épaisseur, formée par ces insectes posés les uns sur les autres. Presque tous les oi- seaux , sans en excepter les milans et les fau- cons , mangent beaucoup de ces fourmis ai- lées. Les tatous creusent les tacurùs , et s'y enfoncent pour manger les cupiys. On pourrait présumer que les cupiys chas- sent les fourmis ailées, et leur ouvrent la porte , parce que leur trop grand nombre les incommode , ou parce que les alimens leur manquent. Mais comme ces insectes trouvent toujours de la terre ou du bois (leur unique nourriture ) , et que l'on observe que les érup- tions des individus ailés précèdent toujours quelque grand changement de tems , tout un bien plus grand nombre , il vaut mieux 23enser , jusqu'à nouvel ordre , qu'il y a erreur dans cette obser- vation. ( C. A. W. ) •( 195 ) cela indique qu'il y a quelques autres raisons. On se confirmera encore dans cette idée , si l'on fait attention que ces fourmis ailées sont si contentes au moment de leur départ , qu'il y en a qui s'accouplent sur-le-champ en l'air. J'ai souvent vu dans les campagnes des tas d'un centaine d'ailes de ces insectes, et je m'imagine que c'était le reste des repas des araignées et des grillons , qui ne mangent que le corps de ces fourmis. Quelques personnes de la campagne croient que ces insectes perdent leurs ailes pour devenir de simples cupiysj mais pour cela , il faudrait qu'ils changeassent encore de couleur, de taille, et même de formes, a certains égards, ce qui ne saurait se croire j et j'aime mieux penser que toutes ces fourmis ailées périssent. J'ai vu également sortir le cupiy de dessous les carreaux de ma cham- bre , et de ceux d'une église j et à coup sûr, il n'avait pu y parvenir qu'en faisant une mine au moins de 4^ pieds de long. Cela me fait cix)ire que cet insecte multiplie ses tacuriïs,en minant par -dessous terre 5 car il est sûr qu'il ne sort jamais de sa fourmi- lière. On pourrait objecter qu'il paraît impos- sible que le cupiy ait pu peupler, par le moyen 1. a. i5 ( '94) de ces mines, les milliers de lieues carrées , où j'ai vu moi-même qu'on le rencontre , vu sur-tout que les tacurus sont souvent éloignés de plusieurs lieues les uns des autres. La force de cet argument est évidente , et on peut l'appliquer également à d'autres espèces de fourmis , et avec encore plus de raison aux tiques, aux araignées, et à tous les insectes d'Europe qui existent dans le pays , quoiqu'il ne soit pas possible de croire qu'ils y soient parvenus sur les vaisseaux , ni qu'ils y aient passé du nord, puisqu'ils ne résistent pas au froid; ni enfin qu'ils aient pu s'étendre assez d'aucun côté pour occuper tant de pays , en traversant les énormes distances qui les sé- parent , ainsi que les rivières et les lacs. On éviterait très-aisément toutes ces difficultés , si Ton pouvait croire que tous les insectes, chacun dans son espèce , ne viennent pas originairement d'un seul et même couple , mais de plusieurs individus identiques , qui naquirent dans des lieux éloignés les uns des autres , où ils se sont multipliés succes\sive- ment : que, par exemple, les araignées, les grillons, les fourmis , etc. d'Europe , doivent leur origine à des insectes de leur espèce, qui prirent naissance dans cette partie du monde; ( '95 ) çl que ceux de la même espèce que Ton trouve en Amérique proviennent d'individus identiques nés dans le pays même. On peut en dire autant de ceux qu'on rencontre , dans quelque partie du monde que ce soit , dans des îles , ou dans des contrées si éloignées les unes des autres que l'on n'en trouve aucun dans l'intervalle qui les sépare. En suivant ces idées, il y aurait telle espèce d'insecte (les cupiys, par exemple ) qui proviendraient de mille individus identiques primitivement , quoique d'une origine différente , et il en serait de même des autres espèces à pro- portion. Il en résulterait que ces individus primitifs auraient été plus nombreux que ceux qui ont été la souche des espèces réel- lement différentes , et cela prouverait que la nature est plus portée à multiplier les types identiques qu'à varier les espèces. On croit se convaincre de cette idée, quand on voit la présence de l'homme faire naître des mauves, et certaines espèces de plantes , mais jamais d'espèces nouvelles , comme je l'ai dit cha- pitre V. On doit naturellement demander à ceux qui adoptent cette idée , si les différens types de chaque espèce furent contemporains ou ('96) non. Quelques personnes prendront peut-être l'affirmative , se figurant qu'il n'y a point eu , et qu'il n'a pas pu y avoir de création pos- térieure à celle du globe. Mais d'autres sou- tiendront la négative , et se fonderont sur les faits suivans : Selon Charpentier de Cos- signy, il y a dix ans qu'on ne connaissait pas les limaces à l'Ile-de-France 5 personne n'y en a porté , et aujourd'hui on y en trouve en abondance. La punaise et la nigua , comme nous le verrons , paraissent très-postérieures au monde et à l'homme. Les plantes parasites ne naquirent que lorsque les bois étaient déjà grands : quelque part que l'on plante un bois ou que l'on creuse un étang, on y aura des mousses , des agarics et autres plantes parasites , des crapauds , des anguilles , des insectes et des plantes aquatiques ; et si l'homme s'établit dans un désert, on y verra sur-le-champ naître des plantes qui n'y exis- taient pas auparavant , et qu'on n'aura point semées. Tout cela , diront-ils , indique que la nature produit tous les jours de nouveaux types d'espèces déjà connues , soit en in- sectes , soit en plantes. Ils ajouteront que les inondations de scarabées , fléau dont je par- lerai par la suite , celles des sauterelles et d'au- ( 197 ) très insectes, et même celles des crapauds et des grenouilles rapportées dans les histoires , sont peut-être le produit d'une création ré- cente. En effet , on ne peut guères croire qu'elles soient l'effet de la génération ordi- naire d'individus de l'espèce , car cette idée ne paraît pas conforme au système suivi par la nature, qui a posé des limites fixes et inva- riables à la fécondité de chaque femelle , des- quelles^ limites ces femelles ne sauraient s'é- carter, au moins d'une manière aussi mons- trueuse qu'il le faudrait , pour que ces fe- melles qui , dans le cours d'une année ne produisaient que la quantité d'individus né- cessaires à la conservation de l'espèce, fussent en état de couvrir , l'année suivante , un royaume ou une province du fruit de leur accouplement \ Pour revenir a la description de mes four- mis , il y en a une autre rougeâtre et grande , qui forme , avec la terre qu'elle tire par ses ^ Tous les faits rapportes par l'auteur s'expliquent tout naturellement , et sans recourir à la production de nouveaux êtres. Si la présence de tel ou tel animal fait croître dans certains lieux des plantes sauvages qui n'existaient pas auparavant, c'est que cela amène ou fixe les semences de cette plante , ou modifie le sol , d# ( '98 ) excavalions , clés segmeiis de sphère ou mottes ^ dont le diamètre a quelquefois douze pieds a la hase , et trois dans sa plus grande hauteur. On voit a la surface une multitude de portes Lien distribuées ; et à chacune aboutit un che- min large de deux pouces et très-propre , qui s'étend en droite ligne au moins à trois cents pas. De chacun de ces chemins sort une pro- cession qui retourne chargée de petits mor- ceaux de feuilles. Je ne doute pas qu'elles ne mangeassent aussi des graines ; mais elles sont rares dans les pays incultes. Comme il y a autant de processions que de portes et de che- mins , et que ceux - ci sont tous divergens comme les rayons d'un cercle , on peut sup- poser que chaque fourmilière est composée de différentes sociétés. Une des mules de mon équipage , passant sur une de ces fourmi- lières que des pluies abondantes avaient ra- mollie , s'y enfonça de manière qu'à vingt pas de distance je ne lui voyais que la tête , quoi- manière à développer les germes qui pouvaient déjà exister. Si dans certaines anne'es des insectes sont très- abondans , c'est que la naissance de ces animaux dépend du plus ou moins de chaleur, ou d'humidité' de l'air ^ et de plusieurs autres circonstances qui ne se trouvent pas toujours réunies au même degré'. (C. A, W») ( 199 ) que la mule fui debout. Telle est la grandeur du souterrain foiniié par ces fourmilières. Voyageant un jour , au mois de janvier, vers les 32 degrés de latitude, où cette fourmi est très-abondante , je vis en l'air une éruption si considérable de ces individus ailés , que je fis trois lieues au milieu de cet essaim. Les ha- bitans de la ville de Santa-Fé , qui est de ces côtés-là , vont à la chasse de ces fourmis ai- lées : on en prend la partie postérieure , qui est fort grasse , on la fait frire , et on la mange en omelette ; ou bien , après les avoir fait frire , on les passe au sirop , et on les mange comme des dragées. J'ai observé qu'une autre espèce , qui vit sur le bord des bois ou dans les buissons du Paraguay , tire dans ses excavations beaucoup de terre qui acquiert une grande dureté , et que sur la motte s'élève, à la hauteur d'un pied et demi , un tuyau cylindrique de trois pouces de diamètre , creux en-dedans , et qui ressemble beaucoup aux tuyaux de fer de quelques cheminées de Paris. Quelquefois il y en a deux à côté l'un de l'autre j et c'est par-là que sortent les fourmis, qui sont grandes et rougeàtreS; mais je n'ai pas observé dans ces fourmilières des chemins disposés comme ( 200 ) dans celles de la précédente , et j'ignore tout le reste. 11 y a aussi une autre espèce qui construit dans les champs , des souterrains ronds de trpis pouces de diamètre et de la moitié de profondeur. On trouve en haut une ouverture ronde de près d'un pied, et qui n'est recou- verte que par un tas de pailles longues d'à peu-près un pouce , de sorte que la pluie n'y pénètre pas. Elle ramasse beaucoup de feuil- les ; et, quoique je n'en aie pas vu d'ailées » je présume qu'il y en a. Une autre , de taille moyenne et rougeâ- tre , est abondante par - tout , et fait de si grands dégâts dans les jardins et dans les champs ensemencés , qu'en une seule nuit elle enlève toutes les feuilles d'une treille , d'un olivier ou d'un oranger , fussent-ils très- touffus. Pour en venir à bout , les unes mon- tent en haut , déchirent les feuilles , les lais- sent tomber , et les autres les transportent à la fourmilière. Dans les endroits où on les poursuit (comme à Buenos-Aires ) , elles ca- chent si bien leurs nids, que souvent on ne peut pas les trouver , parce qu'elles percent les murs de brique et de terre , pour pondre dans l'intérieur des habitations sous le plaa- ( 201 ) cher. Quand bien même la fourmilière serait placée dans le jardin, il n'est pas facile de la découvrir, parce qu'elles ont grand soin de la placer dans un endroit éloigné de la vue , et oii l'on ne travaille pas. D'ailleurs elles creu- sent profondément , elles déposent loin de lenr trou la terre éparpillée qu'elles en ont tirée , et il n'y en a toul au plus que quelques- unes qui sortent de jour pour aller à la décou- verte. Les individus ailés sont très-abondans. Quoique je ne croie pas avoir parlé de toutes les fourmis , et que mes observations sur ces insectes n'aient pas été faites avec au- tant de soin et d'application que celles rela- tives aux quadrupèdes et aux oiseaux , ce que j'ai dit doit suffire pour faire voir au moins que cette famille mérite d'être observée avec plus d'attention : car il est évident que les espèces en sont très-variées ; qu'il y a entre elles de grandes différences -, que les unes construisent des fourmilières , et les autres non y que celles-ci s'établissent dans les fentes des murs et des arbres 5 qu'il y en a qui ne sortent jamais de leurs demeures , oii elles vivent de terre ou de bois , et que d'autres en sortent j que les unes ramassent quelques provisions , et les autres non -, qu'il y en a ( 202 ) quelques-unes (pourvues ou non d'individus ailés), qui agissent avec réflexion , comme si elles avaient une ame et l'usage delà raison; qu'elles se communiquent leurs idées, soit par des sons , soit par des signes ; qu'elles con- naissent infailliblement et d'avance les change- mens de lems, de manière que , si on les ob- servait bien , elles pourraient peut-être nous fournir des moyens plus sûrs que ceux que nous avons pour les recherches de ce genre. Ce que j'ai dit fait voir également que quel- ques-unes au moins de mes fourmis diffèrent beaucoup de cellesd'Europe. On rapporte pour vrai de celles-ci , que chaque fourmilière est composée d'individus neutres ou sans sexe , et d'individus ailés ; que parmi ces derniers , il n'y a qu'un très-petit nombre de femelles; que ce sont celles-ci qui ordonnent et diri- gent tout , et que , pour être fécondées , elles ont une quantité innombrable de mâles égale- ment ailés ; que ces mâles , après avoir rempli leurs fonctions , sont chassés par les neutres. Mais en vérité je me défie de tout cela , parce qu'il n'est pas très-naturel qu'une femelle ait besoin de tant de mâles , et que sa fécondité soit si prodigieuse. Si ceux que l'on suppose être les mâles , étaient chassés par les autres ^ ( 203 ) ils ne seraient pas assez conlens , à l'époque de leur sortie , pour s'accoupler immédiate- ment avec leurs femelles , comme je Vsj vu j les neutres n'attendraient pas pour les chas- ser, précisément le moment d'un changement de tems ; et les femelles , qui s'unissent aux màies en volant , devraient également être considérées comme chassées j et chacune de celles ci ne peut pas avoir beaucoup de mâ- les , puisque leur accouplement dure assez iong-tems , comme je l'ai observé. Il m'est aussi difficile de croire que celles que l'on suppose femelles aient quelque autorité sur les autres ; car , si cela était , elles en use- raient lorsqu'on bouleverse une fourmilière; ce qui n'a pas lieu '. D'un autre côté , on donne comme un fait incontestable , que ces individus ailés pro- duisent non-seulement des fourmis qui leur ressemblent , mais aussi d'autres êtres très- ' Les femelles n'ont aucune autorité sur les neutres, au contraire elles sont , comme je l'ai dit ci-dessus , cliasse'es après la ponte. Latreille a donne' dans son Histoire naturelle des fourmis , le pre'cis des obser- vations faites jusqu'à ce jour, sur ces insectes curieux. Pour toute réponse à ce paragraphe de M. d'Azara , je renvoie le lecteur à cet inteVe?sant ouvrage. (C. A. VV.) (204) différens par leur grandeur , leur couleur et leurs formes , tels que sont les individus neu- tres. Et pourquoi ne serait-ce pas le contraire ? Pourquoi ces prétendus neutres ne produi- raient-ils pas tous les autres ^ ? Ce qu'il y a de siir , c'est que lorsque l'on bouleverse une fourmilière , ces prétendus neutres donnent des marques évidenles d'un très-grand amour paterne] , tandis que les individus ailés mon- trent la plus grande indifférence; ce qui indique que ceux-ci ne sont pas les pères , mais bien les autres ''. Outre cela, il paraît plus raison- nable d'attribuer la famille aux individus les plus nombreux, les plus vigoureux , à ceux qui paraissent avoir l'autorité , à ceux qui seuls savent et peuvent nourrir cette famille , la défendre , et fabriquer l'habitation et le nid , qu'aux fourmis ailées, qui ignorent toutes ces choses , qui ne peuvent pas les exécuter , et qui ne savent que vivre , en mangeant la nour- riture qu'on leur donne ^. » Parce qu'ils sont neutres. ( C. A. W. ) * Les abeilles neutres ne prennent-elles j^as beau- coup plus d'inte'rêt à la ruche et à la production de leur espèce , que les mâles ou faux bourdons ? Il en est de même des fourmis. (C. A. W.) ^ Cette objection, en apparence spe'cieuse, ne peut ( 205 ) Si Ton admettait les conjectures , on pour- rait supposer que les individus ailés et ceux qu'on suppose neutres , sont deux espèces différentes ; que ceux qui sont ailés sont des parasites qui ont su s'associer à certaines es- Gombattre des faits avères et constate's par des obser- vations reite're'es. D'ailleurs la nature est ici beaucoup plus d'accord avec elle-même que vous ne pensez. Son grand but est la reproduction de l'espèce : voilà jîour- quoi dans presque tous les insectes, les femelles qui sont chargées de choisir un lieu sûr pour pondre leurs œufs , quelquefois de le creuser en terre , dans le bois ou la pierre , de les mettre en sûreté' , de pourvoir à la nourriture de la larve qui en doit ëclore , de soigner et de prote'ger même souvent leurs petits vivans , sont plus grosses et plus fortes que les mâles ; qu'elles ont des organes plus compliques et plus parfaits , plus jDropres pour la défense et l'attaque 5 qu'enfin elles vivent plus long-tems que lui. Le mâle n'est utile que pour la fécondation , et aussitôt qu'il a ac' onn^li cet acte , il languit et meurt. Il en est de môme du mâle et de la femelle dans les insectes où il y a trois sexes, des mâles ,' des femelles et des neutres : telles sont les abeilles , les guêpes , les fourmis , les termites. Dans ces insectes, c'est aux neutres que la nature a dévolu le soin des petits , la nourriture et la conservation de l'espèce. C'est donc à eux qu'appar- tiennent la force et l'industrie ; et lorsque les femelles dans ces sortes d'insectes ne sont pas , comme dans les abeilles , essentielles aubon ordre et à l'entretien de l'elat ( 206 ) pèccs de fourmis , et qu'alors ils commencè- rent à vivre et a multiplier chacun leur es- pèce aux dépens de la fourmi. Comme cela ne serait possible qu'à l'égard des fourmis qui font provision de vivres , il doit en résulter que celles qui vivent de ce qu'elles trou- vent, ne peuvent avoir d'individus ailés; et je crois que cela est ainsi. Dans cette sup- position , il ne serait pas étonnant non plus qu'il y eût quelques fourmilières apparte- nantes à des fourmis de l'espèce de celles qui ont des magasins oii les individus ailés ne se fussent pas encore établis. La différence de taille, de consistance , de couleur, de facultés et d'instinct que l'on observe entre ces four- mis ailées et les autres avec lesquelles elles vivent , paraît indiquer ime différence spéci- fique ; et comme les unes détachent des lé- gions de leurs compagnes pour former d'au- tres fourmilières , lorsque le tems est favo- rable , on pourrait croire également que les entier , elles doivent périr, ainsi que les mâles , et de- venir e'trangères à la communauté' , après avoir pondu leurs œufs ) puisque n'étant pas charge'es par la na- ture de la nourriture et de l'entretien des larves qui en doivent eclore , elles n'ont plus de fonctions à remplir, et ne sont plus utiles à rien. ( C. A. W. ) ( 207 ) individus ailés choisissent certains momens pour s'établir, par essaims , dans ces fourmi- lières. Mais j'abandonne cette matière qui est si obscure , et je vais parler d'autres insectes. La punaise, si commune en Espagne, n'était pas connue des indiens sauvages; et les espa- gnols , même de la capitale du Paraguay , ne la connurent qu'en 1769, époque à laquelle on croit que cet insecte y fut introduit dans l'équi- page d'un gouverneur. Cet abominable insecte ne vit que de sang humain ; il épargne l'homme qui erre dans les forêts, et ne s'attache qu'a l'homme civilisé , qui a une demeure fixe et des meubles -, et , comme on doit présumer qu'il s'est écoulé plusieurs siècles avant que les hommes se trouvassent dans ce dernier cas, il paraît naturel de croire que le monde fût exempt de punaises dans les tems primitifs, et que leur création est bien postérieure à celle de l'homme. Ce n'est qu'en hiver qu'on voit des puces au Paraguay ; d'oii l'on doit conclure que la grande chaleur est contraire à cet insecte. On doit en conséquence présumer qu'il n'a pas passé d'un côté de l'Amérique à l'autre , ni de l'ancien continent au nouveau, mais que celte espèce provient de diflereutes origines, comme (208 ) je Pai dît précédemment. A Buenos-Ayres, on en trouve abondamment toute l'année; mais il y en a moins en été. Les piques ou niguas , si connus dans la partie chaude de toute l'Amérique , existent au Paraguay ; mais ces insectes ne passent pas le 29.^ degré de latitude sud. Je ne crois pas qu'il y en ait dans les champs, parce que je n'y en ai point observé , non plus que sur les tayazùs ou porcs sauvages , ni sur d'autres animaux qu'ils attaquent vo- lontiers dans les maisons : mais aussitôt que l'homme a établi son habitation quelque part, . il y vient beaucoup de tiques dans les immon- dices; et si l'on commence a exploiter du bois dans les forêts les plus éloignées et les plus désertes , on ne manque pas de trouver aussi- tôt , parmi les copeaux et la sciure , un grand nombre de ces insectes qui paraissent nés dans le lieu même , et n'être pas le produit d'une génération régulière. Cela ferait croire égale- ment que ces insectes appartiennent exclusi- vement à l'Amérique, et sont d'une création postérieure à celle de l'homme. La vinchuca incommode beaucoup ceux qui voyagent de Mendoza à Buenos- Ayres 3 mais je n'en ai pas vu au nord de la rivière de la Plata. C'est un escarbot ou scarabée , dont ( 209 ) le corps est ovale et très-aplati, et qui de- vient gros comme un grain de raisin, du sang qu'il suce; mais aussitôt qu'il l'a digéré, il le rejette, et cette teinture forme sur le linge une tache ineffaçable. Cet insecte ne sort que de nuit ; les individus ailés peuvent avoir cinq lignes de long , et volent ; ce qui n'arrive pas aux petits. On trouve dans toutes les plaines de ce pays de ces petits scarabées, qui répan- dent une forte odeur de punaise lorsqu'on les écrase ^ ; je crois qu'il y en a aussi dans les champs en Espagne. Durant quatre nuits , au mois de janvier , les maisons de Buenos- Ayres furent assaillies par une si grande quantité des scarabées de moyenne taille, qu'en ouvrant les fenêtres le matin , on en trouvait les bal- cons pleins, et qu'on en ramassait à coups de balai de quoi remplir des paniers. On observait la même chose dans la rue , le long des murs ; ils y étaient presque sans mouvement et comme engourdis. Mais ceux qui se glissaient dans les appartemens pendant la nuit ( et ils » Il ne me paraît pas douteux que ce ne soit une espèce de cimex , ou punaise des bois. Aucune espèce de scarabée ou même d'insecte à e'tuis , ou cole'optères, ne suce le sang de l'homme ou des animaux. (C. A. W.) I. a. i4 C 210 ) étaient en grand nombre) étaient très-incom- modes, sur- tout pour les dames , parce qu'ils se fourraient sous leurs jupes. Je n'ai observé ce fléau qu'une seule année. C'est sur-tout au Paraguay qu'on trouve un grand nombre de scarabées , d'espèces diffé- rentes , de belles couleurs , de toutes gran- deurs, et quelques-uns très-grands. Je n'ai pas observé qu'ils prissent , comme le scarabée commun de mon pays , la peine de rouler une boule d'excrément; l'odorat suffit pour leur faire trouver des excrémens et des cadavres , au-dessous desquels ils creusent des trous, oii leurs petits trouvent leur nourriture à portée. Il paraît en conséquence que ces insectes n'élèvent point leurs petits, et ne leur don- nent aucune instruction 5 et encore , que la femelle seule travaille à assurer à sa progéni- ture une demeure et des alimens. Leur odorat est si fin , qu'avant qu'une personne ait achevé de faire ses besoins en plein champ , plusieurs de ces insectes se sont déjà rendus sur le lieu. Il y avait dans mon corridor une souris moi te ; il y vint un grand scarabée, qui, après l'avoir examinée , prit son vol pour chercher entre les briques quelque endroit favorable et à portée pour faire son trou. Aussitôt qu'il en ( 211 ) eut trouvé un, il y conduisit sa proie en la poussant avec la tête, et il fit avec une promp- titude admirable un trou , où il introduisit la tête de la souris, de manière que le corps s'y enfonça par son propre poids, et y resta en- tièrement enseveli et caché. Le scarabée s'en alla sur-le-champ pour ne plus revenir, mais il déposa sans doute auparavant sa postérité dans le corps de la souris '. Il y a deux sca- rabées-lanternes ou lumineux : le plus petit lance sa lumière par la partie postérieure du corps , et elle en est plus ou moins vive ; et le plus grand , par deux espèces d'yeux qu'il a au-dessus du corps. Le premier est très-abon- dant dans les endroits humides ; Tautre est plus rare : on l'appelle Mua au Paraguay ; si on le met sur le dos , il fait un grand saut en se re- courbant le corps pour reprendre sa position naturelle ^ On ne les voit que de nuit , et le plus grand éclaire assez pour qu'on puisse lire, lorsqu'on le tient entre ses doigts. La majeure partie des scarabées du Paraguay est diurne. > Il est sans doute question ici d'un cole'optère du, genre des nécrophores, ou enterreurs , qui en Europe ont pre'cise'ment le même genre d'industrie. (C. A. \; .) * Ce dernier insecte est du genre des elater, oa taupins. (C. A. W.) ( 212 ) On trouve dans les maisons, sur les arbres et dans les champs, toutes les araignées d'Es- pagne , et même beaucoup d'autres espèces , à ee que je crois, sur-tout au Paraguay. Il y en a une à longues dents, velue, longue de deux pouces, qui vit à la campagne , et dont la mor- sure, dit-on, occasionne des enflures et des convulsions , mais n'est pas mortelle. Une autre, qu'on trouve au Paraguay jusque vers le 32.^ degré , fait des cocons spbériques d'un pouce de diamètre, de couleur orangée, et que l'on file, parce que la couleur est perma- nente ^ y mais on remarque qu'il sort beaucoup d'eau aux fileuses par les yeux et par le nez tandis qu'elles filent, sans que cependant elles sentent de mauvaise odeur , ni aucune autre incommodité, ni qu'elles éprouvent aucunes suites fâcheuses. Il y en a une autre espèce, qui , pendant la nuit et sans qu'on la sente , se colle aux lèvres des personnes qui dorment » qui les suce ; et le lendemain on aperçoit une ampoule à la place. Quoique la famille des araignées passe pour » Je suis porte à penser que celte espèce est de la famille des tendeuses , ou de celle qui forme mon genre ëpeïre.Voyêz mon tableau des Araneïdes , in-S." i8o5. (C.A. W. ) ( 3l3 ) être solitaire, il y en a une , au Paraguay , qui vit en société , au nombre de plus de cent in- dividus. Son corps peut être de la grosseur d'un pois chiche ; elle est noirâtre : elle cons- truit un nid plus grand qu'un chapeau , et elle le suspend par le haut de la calotte à un grand arbre, ou au faîtage de quelque toit , de ma- nière qu'il soit un peu abrité par en-haut. De là partent tout à l'entour un grand nombre de fils , dont on pourrait tirer parti. En effet , ils ont cinquante ou soixante pieds de long , et ik sont blancs et gros. Ils sont traversés par d'au- tres fils très-fins, où s'arrêtent les fourmis ailées et d'autres insectes , qui servent de nour- riture à la communauté des araignées , dont chaque individu mange ce qu'il attrape. Ces araignées périssent toutes en automne, mais elles laissent dans leur nid des œufs que le printems fait éclore \ Dans les endroits oii il y a du sable fin ou de la poussière , et qui sont k l'abri de la pluie , comme le long des murs des maisons, j'ai sou- vent vu , au Paraguay , un insecte dont la marche paraît très-lourde , mais qui agit du reste avec une habileté incompréhensible pour * Cette espèce me paraît être dans la famille des fi- îandières, ou de mon genre theridfon. (C. A. W.) ( 2l4) Moî. Il forme avec le sable le plus (în une es- pèce d'entonnoir large par le haut , mais si bien disp«:sé, qu'une fourmi ou tout autre insecte qui touche un seul des grains qui le composent, glisse et tombe sur-le champ au fond, oii l'in- secte qui a fabriqué l'entonnoir se tient caché, et mange la proie que le sable y a entraînée. Les endroits propres à l'habitation de cet in- secte solitaire , sont très-éloignés les uns des autres; par conséquent on ne saurait com- prendre comment cette espèce s'est répandue dans le pays, puisqu'elle se trouve dans le même cas que le cupiy. J'ignore également comment il se multiplie , puisqu'il paraît être solitaire \ J'ai vu au Paraguay, un grand ver, long à-peu-près de deux pouces , et dont la tête ressemble, la nuit , à un charbon rouge et ar- dent, et qui de plus a, de chaque côté, tout au long de son corps , une rangée de trous ronds , semblables à des yeux , d'oii il sort une lumière plus faible et jaunâtre. Il y en a aussi une autre espèce , dont tout le corps est par- * C'est sans doute une larve d'un insecte du genre des myrme'Ieons. Rcaumur, dans le quatrième volume de ses Me'moires , a très-bien de'crit l'industrie de l'es- pèce qu'on trouve en Europe. ( C. A. W. ) C2l5 ) semé comme de plantes ou de petits buissons, assez élevés, noirs, et perpendiculaires à la peau. Chaque buisson est divisé en différentes ramifications, qui ressemblent à des branches, et dont chacune a des feuilles , ou pour mieux dire , des poils ou des soies. On voit aussi sur quelques raquettes sauvages {cactus Linnœi ), des insectes , que l'on ramasse pour en tirer une teinture rouge. J'ai parlé ( chap. 5) d'un ver caustique qui pourrait peut-être tenir lieu de cantharides. De tous côtés on trouve plus ou moins abondamment les mille-pieds ou scolopen- dres, les scorpions, les grillons, les cloportes, les tiques, les teignes, les charansons, les taons de plusieurs espèces, une grande variété de moucherons ou cousins , des mouches grosses et petites , des vers et autres insectes d'Europe , et même plusieurs autres qui sont inconnus dans cette partie du monde. La mouche qui produit des vers est si abon- dante au Paraguay , que chaque semaine il faut ôter, au moins deux fois , ces vers aux veaux et aux poulains nouvellement nés , qui périraient sans cela , parce que ces vers leur rongent le nombril. Dans le même pays, il n'y a pas un seul chien marron ou sauvage ^ (2,6) parce qu'ils périssent tous par les vers que les mouches déposent dans les blessures qu'ils se font, lorsqu'ils se battent pour quelque chienne en chaleur. On a même bit n de la peine à ga- rantir de ces vers les chiens domestiques. Je fus surpris par une très grande averse, vers les 28 degrés de la'itude , dans le mois de janvier. Bientôt après le soleil reparut entre les nuages, et la chaleur était terrible. Je fus alors assailli par une si grande quantité de mouches de cette espèce , qu'en moins d'une demi-heure mon habit était tout blanc , tant elles y avaient déposé de vers; et pour les ôter, il fallut les racler avec un couteau, comme si c'eût été de la boue. J'ai vu plus d'une fois des personnes auxquelles il est arrivé, après avoir versé en dormant quelques gouttes de sang par le nez, se trouver acca- blées de maux de tête des plus violens , et dont elles n'en ont été soulagées qu'après avoir rendu par le nez plus de quatre-vingts grands vers , que ces mouches y avaient déposés. L'odorat de cette mouche est admirable. Quelque blessure que l'on ait , et quelque petite qu'elle soit , on l'entend à l'instant voler autour j et il faut, pour s'en garantir, quand on est blessé, ne dormir, le jour, que C ^17 ) dans un endroit obscur, parce que i'obscuriic les chasse. Les papillons sont très -mullipliés , très- beaux , de grande , de petite et de moyenne taille; il y en a de nuit et de jour. Quelques- uns de ceux-là qui sont très-petits entourent la lumière en si grand nombre, qu'ils l'in- terceptent. Une autre espèce , grande et bru- nâtre , dépose ses vers enveloppés d'une espèce de bave, sur la chair des personnes qui dorment toutes nues ou sans couverture, et les petits vers s'introduisent sous la peau , sans qu'on le sente. Il en résulte un petit bouton qui démange : la partie s'enfle, et l'on éprouve une douleur assez vive. Les habitans de la campagne voient à l'instant ce que c'est : ils mâchent du tabac , et crachent sur la pi- qûre : ils la pressent ensuite fortement avec les doigts, et il en sort cinq a six vers velus , d'une couleur obscure, longs d'environ un demi-pouce , sans que cela produise aucunes mauvaises suites. Quelques habitans du Paraguay sont aussi sujets à une espèce de gale toute difFérente de la commune : il se forme dans chaque bouton ou pustule un petit insecte gros comme une puce, mais blanc. Les femmes ( 2l8 ) ordinairement les enlèvent aux malades , en les tirant des pustules, un à un , avec la pointe d'une épingle , au moyen de quoi le malade guérit. J'en ai vu extraire jusqu'à soixante des seules fesses d'un chanoine : il semble que ce ver ne s'engendre pas par accouplement , mais qu'il provient de la disposition des hu- meurs du corps du malade. Les vers que l'on trouve dans les rognons de l'aguara - guazu paraissent avoir la même origine. Quoiqu'il y ait beaucoup d'espèces de sau- terelles, et entr'autres une qui fait , en volant , un bruit semblable à celui d'un petit grelot , je ne parlerai que de celle qui dévore tout , sans rebuter ni linge , ni drap, ni coton, ni soie , non plus qu'une espèce de plante , ex- cepté le melon et les oranges -, encore mange- t-elle les feuilles de l'oranger. Cet insecte arrive au Paraguay , dans les premiers jours d'octobre, par bandes si considérables, qu'il y en eut une que je pris de loin pour un nuage , et qu'il lui fallut deux heures pour passer. Cependant ces sauterelles ne causent pas de très-grands dommages. Quoiqu'elles descen- dent a terre et qu'elles y rongent tout, comme la culture se réduit à peu de chose , on garantit les endroits cultivés en les effarouchant avec ( 219 ) des branches. Quand ces légions aile'es quit- tent le pays, on sait d'avance que l'année suivante , il n'y aura point de sauterelles , ou qu'on en verra tout au plus quelque bande , comme celle dont je viens de parler. Mais si cette troupe s'arrête sur des terrains durs , elle y creuse avec la partie postérieure de son corps, des trous qui contiennent chacun 40 ou 60 œufs. C'est alors que commence l'affliction , parce que les œufs éclosent au mois de dé- cembre. Il en sort de petites sauterelles noi- râtres , qui se réunissent par bandes très- serrées, et qui s'élargissent à mesure que les insectes grandissent. Alors elles changent de peau, et prennent une couleur verdâtre avec des taches noires. Elles dévorent tout, jour et nuit: jusqu'alors, elles n'ont fait que sauter. A la fin de février, elles changent encore de peau j la couleur noire disparaît, elles devien- nent brunes-claires, et leurs ailes se fortifient, quoiqu'elles ne volent pas encore. A cette époque, elles couvrent quelquefois totalement de grandes étendues de terrains : cela est au point, que j'ai fait deux lieueis en marchant continuellement sur ces insectes. Ils ne ces- sent de tout dévorer, que lorsqu'ils se sentent assez de forces pour monter sur les arbres et ( 220 ) sur les buissons , qu'ils couvrent enlièrenient. ^ Ils y sont comme immobiles, et restent quel- quefois huit jours sans manger. Enfin , lorsque ces sauterelles trouvent quelque nuit favo- rable à leurs vues , et sur-tout éclairée par la lune, elles partent, sans que Fon sache oii elles vont; mais il est naturel de croire que c'est du côté du nord. Elles ne reviennent jamais , ou tout au plus au mois d'octobre , pour répéter le manège que j'ai décrit. Ce fléau est rare à Buenos - Ayres : les habitans de celte ville se moquent assez souvent de ceux du Paraguay, en leur disant que , s'ils sont si souvent incommodés par les sauterelles, c'est en punition du mauvais traitement qu'ils firent éprouver à un évêque. Mais ceux - ci répondent qu'ils ont toujours traité ces prélats mieux qu'ils ne le méritaient, et que la raison alléguée est si fausse , qu'ils ont toujours des sauterelles lorsqu'il leur arrive un évêque , et qu'ils n'en ont point quand le siège est va^ Gant ; et ils citent des exemples. ( 221 ) CHAPITRE VIII. Des Crapauds , des Couleuvres , des Vipères et des Le'zards. Je n'ai entendu coasser qu'une seule gre- nouille d'Espagne, sur un petit étang qui se trouve dans la ville même de l'Assomption, ce qui me fait soupçonner qu'on n'en trouve pas ailleurs dans le pays. En général , on n'y distingue pas les grenouilles des crapauds; et c'est le dernier de ces noms qu'on applique à tous les animaux de cette famille. Au Chaco , il y a quelques crapauds , qui peuvent peser plusieurs livres; et il y en a d'autres très- grands , que l'on voit sauter dans tous les terrains bas, quand il y a de l'humidité. Ils ne sont ni trop lourds ni trop ventrus, et l'on dirait qu'ils ont des oreilles droites comme des cornes. On en trouve quelquefois de taille médiocre, sous des troncs d'arbres, et l'on dit qu'ils sont venimeux , au point de faire périr les chiens qui les mordent. Dans tous les lacs et dans tous les endroits inondés , on entend ( 222 ) fréquemment un cri fort et lamentable, que l'on pourrait confondre avec les cris d'un enfant du plus bas âge. Ce cri vient d'un petit crapaud qui n'a pas plus d'un pouce de long. Un autre, qui est blanchâtre, grand comme la grenouille d'Espagne, et qui saule peut-être avec encore plus de légèreté , ne se trouve jamais, ni dans l'eau, ni sur la terre, mais seulement sur les branches des arbres , dans l'intérieur des feuilles de maïs, parmi la paille dont on couvre les maisons à la cam- pagne , ou sous les tuiles. Il monte avec faci- lité , soit en sautant, soit en s'accrochant h. l'écorce des arbres ou aux irrégularités sail- lantes des murs '. Son cri, qui n'est pas désa- gréable , se réduit à une syllabe un peu diffé- rente pour le mâle et pour la femelle , qui se répondent l'un à l'autre : on ne l'entend que lorsqu'il doit pleuvoir. Au Paraguay, on donne généralement le nom de Boy à toute espèce de vipère ou de couleuvre, et on distingue chacune par des * C'est sans doute une rainette. Ces reptiles se dis- tinguent des grenouilles et des crapauds parles pelottes lenticulaires qui sont à l'extre'mite' de leurs doigts , et à l'aide desquelles elles peuvent se coller sur des corps lisses. ( C. A. W, ) C 225 ) noms que je conserverai. Quoique je ne les connaisse pas toutes, je ne laisserai pas d'en nommer un grand nombre. On sait que ces reptiles sont fort sensibles au froid , qui les engourdit totalement; mais lorsque le vent du nord ( vent chaud dans ce pays-là ) produit un tems lourd, ils sont légers, dispos, et plus dangereux que jamais. Aucun d'eux ne monte sur les arbres, excepté le curijù, qui ne passe pas les branches les plus basses; et jamais je n'en ai trouvé dans l'intérieur des bois. Ils vivent ordinairement dans les plaines , dont ils préfèrent les endroits les plus bas , parce qu'ils y trouvent de Therbe assez haute pour les cacher, et des aperças et des souris à foison pour leur nourriture. Je crois cependant que tous ces reptiles sont amphibies et bons na- geurs. Ils marchent , en formant avec leurs corps des replis toujours horizontaux, et eu s'appuyant sur leurs écailles latérales , qu'ils relèvent. Us mangent des œufs , des oiseaux , des souris , des aperças , des crapauds , des grenouilles , des poissons , des grillons et autres insectes, et même ils se dévorent les uns les autres. Pour saisir leur proie , ils n'em- ploient d'autre moyen que l'adresse et la sur- prise. Ils s'en approchent petit-à-petit, parce ( =4 ) qu'ils ne sautent jamais ; et si elle est de force à se défendre , ils se roulent autour, et la ser- rent, jusqu'à ce qu'elle soit fatiguée. Si cette proie est un animal à poil , ils l'avalent , en commençant par la tête, pour que l'intro- duction en soit plus facile. Il n'y a peut-être pas au monde d'animal qui ait autant d'en- nemis que les couleuvres et les vipères de ces contrées , puisqu'elles sont poursuivies sans relâche par toutes les espèces d'aigles, de milans, de faucons , de cygognes, de hé- rons , par les iguanes , par l'homme , par les incendies si fréquens dans ces plaines , et par les individus de la même famille qui se dévorent les uns les autres; de sorte que leur mortalité journalière est plus considérable que je n'oserais le dire. Pour se défendre, ces animaux n'ont à peine d'autre ressource que de mordre , ou de se cacher dans des trous de souris ou de tatous, ou bien dans les paco- nales , ou pâturages oii l'herbe est grande. Il ne faut pas beaucoup de tems aux cygognes et aux hérons pour prendre ces reptiles , parce que la longueur de leur bec et de leur cou leur donne tout l'avantage. Aussi les pren- nent-ils du premier coup , en les saisissant près de la tête qu'ils serrent un peu pour les ( 225 ) tuer, et ces oiseaux les avalent dans un îns* tant. Mais les aigles et les autres oiseaux de proie qui ne chassent que pendant le jour, sont obligés de se battre dans les règles. Pour approcher des couleuvres ou des vipères, ces oiseaux se présentent de côté, en se faisant un. bouclier d'une de leurs ailes , qu'ils déploient à moitié, et qu'ils laissent tomber jusqu'à terre, ils tachent en même tems de piquer le reptile à la tête, et c'est ainsi qu'ils les tuent, et qu'ils les mangent , après les avoir dépecés. Quoique les couleuvres et les vipères aient la même figure, et que tout ce que je viens de dire leur convienne également , ces ani- maux diffèrent cependant , principalement en ce que les couleuvres ne mordent point , ou en ce que leurs morsures ne produisent d'autres effets que ceux qui résulteraient d'une blessure ordinaire ; tandis que toutes les vipères ont un venin plus ou moins actif, le plus souvent mortel , et qui quelquefois même produit son effet au bout de quelques heures. Il y a des personnes qui disent que toutes les vipères sont vivipares , et que leurs petits , qui sont au nombre de quarante ou de soixante , sont en état de subsister seuls en venant au moftde , et que les couleuvres ï. a. i5 C 226 ) pondent des œufs que le soleil fait éclore. Cette diiférence peut être certaine 5 mais elle est contredite par d'autres personfies, qui prétendent que tous ces reptiles sont égale- ment vivipares. D'autres disent aussi que les petits des vipères déchirent le ventre de leur mère pour s'ouvrir une issue : mais c'est une erreur; car j'ai observé le contraire sur une quiririo qui mit bas quarante-cinq petits. Les habitans de la campagne disent avoir été témoins d'un fait bien singulier relativement aux ,vipères exclusivement. Quand une fe- melle est en chaleur , disent - ils , on voit se réunir une grande quantité de mâles , soit de son espèce , soit de toute autre , qui s'entor- tillent autour de la femelle , sans se mordre les uns les autres , quoique chacun tâche de satisfaire ses désirs. Le peloton qu'ils forment est de la grosseur de la tête. Cependant ce fait semble être contredit par le genre de vie de la vipère appelée quiririo ^ qui paraît former des couples ou s'apparier . comme nous le verrons. Je vais indiquer à présent les cou- leuvres que je connais , et ensuite les vipères. Lecuriyù est une grosse couleuvre d'un as- pect eifrayant , lourd sur terre , mais non pas dans l'eau , imbécille, et qui ne mord point. Ce ( 2^7 ) reptile vît hahiluellement dans les lacs et dans les rivières , ou dans les environs ; mais je ne crois pas que , du côlé du sud , il passe le 3i.® degré de latitude. Il monte quelquefois sur les barques ou bàtimens qui naviguent , en s'accrochant au gouvernail , pour manger les poules, et même le biscuit , à ce qu'on dit; et quelques personnes assurent qu'il suit ces bàtimens a la piste , d'un jour à l'autre. Il doit naturellement se nourrir de poissons, d'apereâs , et peut-être quelquefois de loutres et de petites quiyâs ou capiharas, parce que ce sont les animaux les plus à s;? portée. Quand sa faim est satisfaite , il monte ordinairement sur quelque petit arbre , où il se suspend à quelque branche par le milieu du corps , pour dormir au soleil. La plus grande de ces cou- leuvres que j'aie vue , avait dix pieds et demi de long , et sa grosseur égalait celle du mollet d'une jambe ordinaire. Elle était tachetée de noir et de blanc-jaunâtre. Les relations des conquérans de l'Amérique exagèrent beau- coup ces mesures , et rapportent une infinité de fables sur cette couleuvre , qu'ils suppo- sent être adorée par les indiens ; mais je m'en liens à ce que j'ai vu , sans faire aucun cas de ces exagérations outrées. Un gouver- ( 228 ) îieur de cette province écrivit a la cour , que quelques-unes de ces couleuvres étaient assez grandes pour avaler , non-seulement un homme et un cerf avec ses cornes , mais même une vache , et qu'elles attiraient de loin leur proie par la force de leur haleine. Les indiens sau- vages tuent autant de ces couleuvres qu'ils en rencontrent , et les mangent. Celle qu'on appelle boy-hoby , à cause de sa couleur , est une couleuvre plus souple qu'aucune autre , très-légère à la course , lon- gue à-peu-près de trois pieds, mince à pro- portion , d'un vert tendre , et je l'ai toujours rencontrée dans les champs. C'est aussi là que l'on trouve celle qu'on nomme niiazo ^ ce qui signifie ver des champs. Elle est de la longueur de l'hoby j mais sa tête est plus forte , la grosseur totale un peu plus considérable : elle est moins souple ; elle a le cou plus mince j sa couleur est d'un brun obscur ; sa démarche est assez lourde. Celle qu'on appelle vipère à deux têtes ^ n'est rien moins que cela , mais un être très- différent et singulier. Elle est longue environ d'un pied , d'une couleur blanchâtre argentée et luisante , de la grosseur du pouce , le mu- seau assez pointu , et sans que ue, quoique toutes ( ^^^9 ) les autres en aient : son corps se termine brus- quement sans la moindre diminution dans son diamètre. C'est ce qui lui a fait donner le nom qu'elle porte , et qui cependant ne lui convient pas , puisqu'elle n'a point les deux têtes qu'on lui attribue , et qu'elle ne marche point à re- culons , comme le disent quelques personnes. Elle habite et vit coq^me les vers ordinaires , toujours sous terre , ou n^en sort que rare- ment. Comme cette couleuvre vit dans des galeries souterraines , qui n'ont que la largeur nécessaire , quoiqu'elles soient longues et profondes , on pourrait croire qu'elle ne vit que de terre et de vers, mais j'en aï vu une saisir par la patte un petit poulet , qui par hasard était entré dans le trou : la couleuvre , sans sortir de son nid , tâchait d'y faire entrer le poulet ; mais elle n'y réussit pas , parce qu'il était trop gros , et parce qu'un enfant l'en empêcha. Ce reptile est assez lourd sur terre , et comme je présume qu'il n'y a qu'un individu dans chaque trou , j'ignore comment cette espèce se multiplie. Elle est commune au Paraguay , et je ne l'ai jamais vue au-delà du 5o.^ degré de latitude sud. Je vais à-pré- sent indiquer les vipères. La nacaninâ est de toutes les espèces la ( 25o) plus grande et la plus commune a la cam- pagne. Elle peut avoir cinq ou six pieds de long : elle est de la grosseur du poignet , d'un brun clair , et la tête est grande à propor- tion du corps. J'en ai vu une qui était à avaler par la queue une couleuvre nuazo de grande taille , et qui cependant ne la mordait pas » puisque tous ses efforts se réduisaient a tâcher de s'échapper. J'ai observé dans ce'te occa- sion , ainsi que dans d'autres , que lorsque les couleuvres ou les vipères sont occupées à avaler leur proie , rien ne les épouvante , et que , quelque rapproché qu'on en soit , elles continuent tranquillement leur opéra- tion , comme si elles n'avaient rien vu ni entendu. J'ai observé également que, dès que leur faim est assouvie, elles s'endorment, et restent comme engourdies. La nacaninâ est si légère , qu'elle saute quelquefois pour mor- dre aux jambes les cavaliers qui galoppent. Elle s'appuie sur la queue pour sauter, et c'est toujours à reculons ; de sorte que pour la tuer , il faut l'attaquer par-devant. C'est de toutes les espèces la moins venimeuse. Aussi sa morsure se guérit - elle souvent avec les faibles remèdes que l'on connaît dans le pays. La quiririo est en général connue des es- ( 23, ) pagnols sous le nom de vipère de la croix , parce qu'elle a une espèce de croix noire sur le front. Elle a à-peu-près deux pieds de long , le corps gros à proportion , la tête as- sez grosse , le cou mince , et elle a de belles taches noires en comparlimens. Elle est des plus communes , et elle entre assez souvent dans les maisons et dans les appartemens au Paraguay : elle se glisse même queiquefois dans les lits , comme je l'ai éprouvé moi- même y car j'en vis une dont la moitié sor- tait du mien , oii elle était comme suspendue» C'est ce qui me détermina à ne faire faire mon lit qu'au moment même où j'allais me coucher. Quand une fois il en est entré une quelque part que ce soit, on craint toujours d'en trouver une autre avant deux jours , d'après l'expérience qu'on en a faite. Il S'en- suit que cette vipère vit par couples, mâle et femelle ensemble , et que son odorat est excel- lent. Du reste , elle est des moins agiles , et son venin est si actif qu'on n'en réchappe guères. On assure qu'il y en a une autre espèce con- nue sous le même nom ^ mais je ne l'ai pas vue^ Je n'ai vu qu'une seule vipère de l'espèce appelée boy-chiny au Paraguay , ce qui prouve sa rareté , et peut-être son peu de fécondité. ( 232 ) Elle est très-lourde , longue d'environ trois pieds j son corps est vigoureux ; il n'est pas parfaitement rond , mais plutôt en forme de prisme triangulaire , d'un brun clair mêlé de jaunâtre , tacheté de noir , et il se termine par une espèce de sonnette bien connue , et que les espagnols appellent grelot. Son poison passe pour être très-actif. Mais celui de la nandurié l'est bien plus ^ puisqu'il tue infailliblement en très-peu de tems. Cependant cette vipère n'est pas plus grosse qu'une grosse plume , et sa longueur n'excède pas un pied 5 de manière qu'elle peut se cacher par-tout. Sa couleur est d'un brun grisâtre , et elle n'a guères d'agilité. Elle habite ordinairement les campagnes et les lieux où il y a de petits buissons \ mais elle n'est pas très- commune , et je nen ai pas vu au- delà du 28.^ de£[ré sud. J'ai souvent entendu parler d'une vipère nommée boy-pé ^ que je n'ai jamais vue , et qu'on suppose être une des plus venimeuses. On dit qu'elle peut avoir trois pieds de long , mais que son corps est si comprimé ou si plat dans toute sa longueur , qu'elle ressemble à une courroie de couleur obscure. On ajoute que y lorsqu'elle est irritée , elle se gonfle. ( 255 ) Quelques espagnols appellent vipère de corail celle que les naturels du Paraguay ïiOïmx\ç.\A boy - chumbé , ce qui signifie vi- pères à ceintures. Je ne l'ai vue qu'au nord du 29.^ degré : elle est très-lourde , et comme im- bécille. Cependant on dit que c'est la plus ar- dente et la plus active de celles qui forment le peloton dont j'ai déjà parlé. Elle peut avoir trois pieds de long ; son corps est rond , sa peau est de la plus grande beauté ; de sorte qu'il est impossible de la confondre avec les autres. Tout son corps , y compris la tête , est partagé alternativement par trois bandes 5 l'une d'un blanc-jaunâtre , l'autre noire , et la troisième rouge , en continuant ainsi jusqu'au bout de la queue. Ces couleurs sont si vives et si brillantes , qu'on pourrait employer la peau de ce reptile pour des fourreaux d'épée et autres ouvrages de ce genre. Quant à son venin , je n'ai pas eu occasion d'en voir l'effet ; les uns disent que c'est le plus actif de tous, d'autres soutiennent que cet ani- mal n'est point venimeux, et qu'il appartient au genre des couleuvres^ d'autres assurent, mais sans vraisemblance , qu'il ne mord pas , mais qu'il pique avec la pointe de la queue. Heureusement aucune de ces vipères n'at- ( 254) taque personne , et elles ne mordent que pour se défendre , c'est-à-dire quand on les attaque ou quand elles ont peur. Cela est si vrai , que ces vipères , pour se mettre à l'abri , se glissaient souvent sous la peau de vache qui me servait de lit ou à mes gens en pleine campagne, sans faire aucun mal. Quel- quefois même nous les sentions passer sur nos jambes et sur nos corps ; et , dans ces occa- sions, on ne risque rien, pourvu qu'on se tienne tranquille. En considérant ces vipères rela- tivement les unes aux autres , il paraît que l'activité du venin est en raison inverse de la grandeur , puisque celui de la plus grande espèce n'est pas toujours mortel , et que celui de la plus petite l'est toujours. 11 paraît éga- lement prouvé que cette même activité est en raison directe de la lenteur et du peu d'agi- Hlé de ces vipères, puisque les moins agiles, telles que la quiririo , la chiny et la nandurié , sont plus venimeuses que lanacaninà, qui de toutes est la plus légère. En effet , il paraît naturel que l'espèce la moins agile ait un genre de défense plus efficace. Indépendamment de tout cela, l'activité du venin dépend beau- coup de la chaleur ou de la saison , parce que lorsqu'il fait froid , ces animaux mordent ( 235 ) à peine , et leur morsure n'est pas dangereuse. Cela dépend aussi naturellement du degré d'irritation du reptile , et enfin du sujet même qui r<^çoit la morsure. En effet, les chevaux et les chiens ne manquent jamais d'enfler et de mourir au bout de trois ou quatre heures ; et l'on^ trouve des gens qui assurent que les morsures de ces vipères ne sont presque ja- mais mortelles pour les personnes qui souf- frent beaucoup du mal vénérien. Le moyen que j'employai pour me pré- server des vipères, se réduisit à porter tou- jours de bonnes boites. En effet , quoiqu'elles les percent avec leurs dents , le venin ne pénètre pas la chair. Outre cela , j'avais soin de n'aller à pied que le moins que je pou- vais , dans les pâturages j et quand il fallait m'arrêter pour manger ou pour dormir , j'avais soin avant tout, de réunir tous mes che- vaux et de leur faire piétiner ie terrain , pour en faire sortir les vipères, au cas qu'il y en eût. Du reste , on ne connaît dans le pays aucun spécifique contre ce genre de poison , mais comme les malades veulent toujours des re- mèdes , les uns leur font boire de l'huile , lorsqu'il y en a à portée ; et c'est ainsi que j'ai sauvé quelques-uns de mes gens. D'au- ( 236 ) très mettent sur la blessure la moitié d'un oignon chaud , coupé horizontalement ; d'au- tres sucent fortement la blessure ; d'autres y font une ligature , ou même au-dessus , avec une lanière de peau de l'espèce de cerf ap- pelé guazu-ly. La plupart de ceux qui ont clé mordus en meurent , et quelques-uns de ceux qui en réchappent , demeurent à moitié fous ou imbécilles. Le plus grand lézard ne passe pas les 5i degrés sud. Au Paraguay on l'appelle ^acaré ^ quelques espagnols lui donnent le nom de cayman. On le trouve dans presque tous les lacs , et même dans les rivières dont le cou- rant n'est pas fort; souvent on ne voit que ses yeux hors de l'eau; mais, vers midi , il sort pour dormir sur le sable du rivage, et aussitôt qu'il entend du bruit , il se précipite dans l'eau. Sa longueur totale est de huit pieds, dont la queue fait presque la moitié. La forme de cette queue est singulière : sa moitié postérieure est triangulaire et prismatique , et on voit s'éle- ver tout au long des écailles en forme d'épi, La tête est plate par-dessus, longue, et le museau si fendu que , depuis l'angle de la gueule jusqu'au bout du museau, il y a qua- torze pouces. Ce reptile n'a point de dents. ( 237 ) incisives; là niâclioire inférieure commence a ia pointe par deux crochets , ou deux dents canines d'un pouce de longueur : ces dents ressortent en haut par deux trous percés dans la mâchoire supérieure, lorsque la gueule est fermée. On trouve ensuite, de chaque côté, deux dents cylindriques non tranchantes, puis une autre dent incisive ; ensuite six molaires suivies d'une autre dent incisive, et enfin huit molaires entièrement semblables aux autres. Les dents sont disposées de même à la mâ- choire supérieure ; et toutes ces dents , inci- sives et molaires, sont placées de manière qu'on dirait que l'animal ne peut en faire usage pour couper , ni même pour déchirer sa proie , et qu'il est obligé d'avaler les pois- sons sans les mâcher. Le dessus de son corps est recouvert d'une peau de couleur obscure, au-dessous de laquelle il y a des écailles im- pénétrables aux balles de fusil. Il en a égale- ment en-dessous , de manière qu'on ne peut le tuer qu'en le frappant aux yeux , qu'il a très-petits, ou aux flancs; et encore il ne tombe jamais sur le coup. Il pond une soixan- taine d'œufs , de la grosseur de ceux d'une oie ; ils sont blancs et leurs coques sont rudes: il les enterre dans le sable , et les abandonne ( 258 ) au soleil pour les faire éclore. Les indiens sauvages mangent avec plaisir les œufs, ainsi que la chair du yacaré , qui est blanche et très-bonne. On reconnaît ordinairement l'en- droit oii se trouve cet animal, à l'odeur du musc qu'il répand, et l'on dit qu'il a près des reins deux bourses qui sont remplies de cette liqueur. Il ne s'éloigne pas de l'eau, et sa dé- marcha est lourde , ainsi on ne le craint pas sur terre. J'ai cependant observé que ce lézard saisit un jour avec la gueule un barbet qui nageait, qu'il l'entraîna au fond de l'eau où il le noya, et qu'on trouva le lendemain le cada- vre entier. Plusieurs relations et plusieurs histoires d'Amérique parlent d'un cayman ou crocodile, qui, selon leurs auteurs, dévore les hommes et les quadrupèdes, et les poursuit vivement à terre , oii l'on prétend qu'il est très- léger. Ces auteurs nous dépeignent U manière de le chasser 5 et le père Gumilla, dans sa des- y^ cription de TOrénoque, pays oii je crois qu'il n'a jamais été , ajoute que ces caymans ont dans l'estomac une panerée de cailloux. Mais ceux dont je parle se comportent exactement comme je l'ai dit , ni plus ni moins 5 et si ceux dont parlent ces relations sont de la même espèce, comme je le présume, ces relations ( 2% 3 ont besoin d^être modifiées pour être confor- mes h la vérité. L'yguana est un lézard qui ne passe pas les 28 degrés vers le nord. Il habite dans les en- droits secs et sur le bord des bois ; mais , quand on le poursuit, il se jette aussi à Peau, s'il en trouve à portée. Il court très-vîte, et se nourrit de fruits , de crapauds, de vipères , d'œufs et de petits poulets. Il ne monte pas sui^/les arbres, et creuse des trous où il passe l'hiver , endormi ou engourdi, et sans manger. Sa longueur totale est de 44 pouces, dont la queue en fait ^7 |. Il a cinq doigts aux pattes de devant , et autant à celles de derrière : le yacaré n'en a que quatre à celles-ci. Il a le trou auditif recouvert par une membrane lé- gère et transparente ; et sa langue est fendue à un pouce de l'extrémité. Ses dents sont grosses et coniques; les molaires sont cylin- driques j son corps est couvert de petites écailles perlées et d'autres noires, qui forment des rangées transversales ', mais , à la queue , on voit des anneaux alternativement de l'une et de l'autre couleur. Le teyù-guazù habite à-peu-près les mêmes lieux que l'yguana , mais sur-tout depuis. le 28.^ degré de latitude vers le nord. Ses mœurs ( 240 ) sont absolument les mêmes ; il est long de Zn pouces 7, dont 21 ? pour la queue. 11 ressem- ble aussi à l'jguana par ses doigts , sa langue, ses organes auditifs et ses formes. Il a , le long de l'épine du dos, une bande noire, et une autre de chaque côté. Ces trois bandes sont bien séparées par de jolis dessins d'écaillés blanches et noires. Les huit derniers pouces de la queue sont également noirs , et le reste est orné de dessins disposés transversalement et séparés par des bandes noires. Je crois que les mâles ont le ventre moins gros que les fe-=- melles, et qu'ils n'ont point de bandes ou lignes noires sur le dos ni sur les côtés, et disposées en long , et qu'ils sont au contraire parsemés transversalement de lignes noires séparées par des dessins. Le lézard vert , ou teyù-hoby , est très-^ commun dans les buissons, oii on le trouve h la fin d'octobre : à l'entrée de l'hiver il se cache dans ses trous. Il a g pouces de long , y compris la queue , qui en a 5 f . I) diffère des deux précédens, en ce qu'il n'a que quatre doigts aux pattes de derrière , comme le ya- caré. Ses couleurs sont belles, sa tête est d'un vcrd d'émail, qui se prolonge en formant une ligne le long de l'épine du dos^ et cette ligne ( =4' ) est flanquée de deux autres qui commencent Il la lêle et qui sont violetles : on en voit en- suite une autre très-étroite, d'un blanc vif; puis une autre, d'un violet plus clair , un peu mêlée de noir ; après , une autre ligne blanche en forme de petit cordon , et enfin une der- nière ligne violette. Ces bandes ou lignes con- tinuent jusqu'au bout de la queue , mais le verd y dégénère bientôt en violet. Il y a , au Paraguay , un caméléon qui ne fuit pas comme les lézards, quand on s'en ap- proche , et qui attend la bouche ouverte, eu gonflant sa peau , et sur-tout celle de la mâ- choire inférieure. Il a la tête plus courte que les lézards , dont il diffère aussi en ce que sa langue n'est point fendue, mais ronde, grosse, et si large qu'elle lui remplit la gueule comme celle des crapauds. Le trou auditif est aussi plus petit, placé plus en arrière, et il coïn- cide avec l'angle de la gueule. Il pond sept œufs blancs; du rçste, il ressemble pour les formes au lézard dont j'ai parlé. Sa lon- gueur totale est de 8 pouces {, dont la queue fait 5 7- On lui voit sur le chignon deux lignes d'un jaunâtre obscur , qui s'étendent sur l'épine du dos jusqu'à la queue , et qui sont accompagnées de chaque côté par une autre L a. î6 ( =4-^ ) ligne plus claire et plus large. Il en est de même de la queue ; mais elle a de plus sur les côtés, des taches triangulaires d'un jaune brun. On trouve dans les mêmes endroits un autre caméléon qui attend aussi son agresseur , la gueule ouverte et en se gonflant la peau : il vit sur les arbres , où il saute de branche en branche , en s'appuyant un peu sur Textrémité de sa queue qu'il recourbe. J'en gardai un pendant un mois dans ma chambre, sans qu'il prît aucune nourriture. Sa figure ressemble à celle du lézard vert; ses doigts sont disposés de même; mais le nez est au milieu de l'espace compris entre les yeux et le museau , et on n'aperçoit pas le trou auditif, qui doit être très- petit. Sa longueur totale est de i3 pouces | , dont la queue forme 8 |. La tête est d'une couleur blanchâtre brune. De l'angle posté- rieur de l'œil sort une raie noire , qui , après avoir suivi le cou , se termine en ligne courbe à la racine du bras. Après celle-là il en vient une autre qui tombe parallèlement de l'épaule ; et on en voit sous les yeux une autre qui abou- tit également à la racine du bras. Ce qu'il y a de plus remarquable sur le corps , se réduit à quelques taches blanches de plus de deux lignes , et à d'autres qui sont noires et dispo- (243) sees également sur un fond brun; maïs les flancs sont blanchâtres , avec des raies noires et étroites qui tombent en zig zag et en tra- vers. Ses couleurs sont plus ou moins vives. Je sais qu'il y a encore au Paraguay un autre caméléon que je n'ai point vu , mais qui , dit on, ressemble beaucoup par ses formes à un cra- paud, quoiqu'il en diffère, en ce qu'il a une queue longue et mince comme celle d'une souris. Il y a un petit lézard très-laid, à tête courte , qui a sur chaque œil un petit tubercule, et Sur le long de l'épine du dos et jusqu'à la moitié de la queue, ujie espèce d'épi ou de tranchant très-remarquable. 11 a 7 pouces | de long, dont la queue en forme 4 î^ ^t cinq doigts a toutes les pattes. Le dessus du cou jusqu'à la queue est de couleur obscure, ainsi que les quatre pattes ; mais le chignon est plus clair , et traversé par des lignes plus obs- cures. On entrevoit aussi cinq angles , formés par des lignes noires dont la pointe est di- rigée en arrière. La queue ressemble au dos. 11 y a encore un autre lézard beaucoup plus petit, et d'une couleur bien plus obscure que le petit lézard commun d'Espagne , et dont la queue est beaucoup plus longue. (244) CHAPITRE IX. Des Quadrupèdes et des Oiseaux. J'avais pris des notes sur les quadrupèdes de ces contrées j mais ne sachant si elles méri- taient qu'on en fît quelque cas , je les envoyai en Europe pour les soumettre en particulier au jugement de quelque naturaliste; et j'eus soin d'avertir que je ne croyais pas mon ma- nuscrit en état d'être publié, parce que j'es- pérais augmenter et corriger le tout, dans les voyages que j'allais entreprendre, et qui de- vaient me fournir de nouveaux quadrupèdes , de nouveaux renseignemens et de nouvelles réflexions. Cependant on publia l'ouvrage en français , incomplet comme il était , sans m'en donner avis , et même contre mon in- tention. Par conséquent , je ne puis être res- ponsable des fautes ou des erreurs que l'on peut y trouver, sur-tout dans la partie critique que j'avais rédigée à la bâte. De retour en Europe , je publiai en espagnol mes notices corrigées et irès-augmentées. C'est à ce der- (245) nier ouvrage que je reuvoie mes lecteurs; et je me contenterai de donner ici une idée des quadrupèdes du Paraguay, et d'indiquer les points principaux de la critique , ou de ma manière de juger plusieurs auteurs cités par BufFon. Mais comme Je n'ai lu d'autre ou- vrage que celui de ce dernier auteur, en trente- un volumes avec douze de supplément, c'est aussi de lui que je tirerai mes citations. Le but que je me suis proposé dans cette critique n'a pas été de décider, ni même de prétendre être cru sur ma parole, sur-tout quand j'em- ploie ces termes : Je soupçonne y je croirais volontiers y je crois ^ etc. ; -parce que toutes ces expressions n'ont rien d'affirmatif. Quand je veux affirmer, je dis cela est. Je n'ai pas eu non plus l'intention de blesser personne^ j'ai voulu seulement détruire des erreurs ^ réveiller l'attention des savans , et les exciter à éclaircir la vérité en consultant les auteurs. De plus , je donnerai la notice des animaux que j'ai pu reconnaître dans le magnifique cabinet impérial de Paris, qui est aussi varié que curieux, afin qu'on puisse les examiner, les comparer et les connaître. Il est vrai que tous ne sont pas adultes , que les couleurs de la plupart sont altérées , et que Ton n'a pu (246) conserver à tous leurs formes naturelles. Les noms aussi n'ont pas éprouvé moins d'allé- ration , comme je le fais voir dans mon ou- vrage espagnol ; de sorte qu'ils seraient inin- telligibles dans le pays habile par ces animaux. Enfin , comme j'ai reconnu quelques erreurs que j'avais commises dans cet ouvrage, j'en ferai Faveu dans celui-ci , ou l'on verra aussi que je regarde comme douteuses des choses que j'avais d'abord affirmées *. Le mborebi ou tapir est vin des plus grands animaux d'Amérique , robuste , à formes ar- rondies, long de 75 pouces , dont la queue fait 3 à , et haut de 42 pouces , depuis les pieds jusqu'au haut des épaules ou garrot. Sa cou- leur est obscure et plombée , à l'exception du dessous de la tête , de la gorge et du bout de l'oreille , qui sont blanchâtres. Tous les poils sont courts. Les femelles ont cinq pouces de plus de long. Leur couleur est plus claire. Leur • Dans ce chapitre j'ai retranche du manuscrit de l'auteur tout ce qui avait rapport à la de'signation de la place occupe'e par les animaux empailles du Muse'um d'histoire naturelle , parce que j'ai appris que ce Mu- se'um avait subi un nouvel arrangement depuis que M. d'Azara l'a visite'^ mais comme les numéros qu'il indique sont couserve's , je les ai laisse' subsister* (C.A.W.) ( Ml ) petit (elles n'en ont qu'un à-la-fois ) est de la même couleur, avec des taches blanches aux quatre pattes , et des bandes d'un blanc jau- nâtre le long du corps. Cette livrée disparaît au bout de sept mois. Le cou est long, plus gros que la tête , et surmonté , dans toute sa longueur, par une arrête courbe qui com- mence à l'épaule, et qui remonte jusqu'aux oreilles, oii elle a plus de deux pouces : elle descend ensuite jusqu'en face des yeux, et elle est accompagnée dans toute sa longueur d'une crinière rude , et longue d'un pouce et demi. La partie supérieure du museau fait une saillie de 2 pouces et demi ; mais l'animal a la faculté de le dilater au double , de le con- tracter ou raccourcir, et en un mot de faire de ce museau le même usage que l'éléphant de sa trompe. Les dents n'annoncent point un animal carnacier, et la tête est très-com- primée par les côtés. Les doigts sont gros et courts. 11 en a trois par-derrière et quatre par- devant j mais le doigt ou ergot extérieur des pattes de devant ne touche pas à terre. Sa chair est bonne à manger, et il n'y a rien de plus aisé que de l'apprivoiser. Mais cepen- dant , c'est un animal nuisible , parce qu'il mange tout ce qu'il rencontre, même la toile^ (248) quoique , dans son étal de liberté , il ne vive que de végétaux. Il nage parfaitement , et ne sort que la nuit : le jour, il se cache dans les bois. Ou dit que ses ongles réduits en poudre guérissent Pépilepsie. Il y a au Muséum d'histoire naturelle de Paris deux individus de celte espèce, dont la peau est un peu trop bourrée. Un d'eux» n.^ 44^ > conserve Tarrête qui s'élève le long du cou; mais on a rendu mal-à-propos cette arrête méconnaissable dans l'autre. Ils portent le nom de tapir , donné à cet animal par Bufï'on , qui l'appelle aussi anta g\, mayjjuri ^ comme à Cayenne\ On comprend sous le nom de curés ou tayazùs , toute la famille des porcs et des sangliers. Au nord de la rivière de la Plala^ il y en a deux espèces sauvages , qui diffèrent à peine du porc ou cochon ordinaire. La seule différence est que ces deux espèces améri- caines ont la tête , le cou, le corps et l'oreille plus courts; qu'ils n'ont point de queue, ni d'ergot supérieur aux pattes de derrière.Une autre différence encore consiste en ce qu'ils ont sur le dos , au-dessus des fesses, une fente, d'oii distille ou suinte continuellement une ^ Tome XXIII , pag. 271. Supplem. tom. n > p. i. ( =49 ) liqueur semblable à du petit lait \ Quand on les prend jeunes , ils s'apprivoisent aisément. 11 serait avantageux de les transporter en Eu- rope , parce que leur chair est bonne. Il est vrai que ces animaux n'ont qu'une portée de deux petits. On dit que ces petits, au moment de leur naissance , sont tous réunis par le cordon ombilical. La grande espèce appelée tanicati , est longue d'environ 40 pouces, et toute noire , excepté la mâchoire inférieure , et les deux lèvres qui sont blanches. Ses soies sont aplaties. Au Muséum d'histoire natu- relle de Paris, on voit un individu de cette espèce sous le nom àe pécari de Guyanne. La petite espèce nommée taytetù , est plus courte de cinq pouces ; ses soies sont plus arrondies, plus courtes et plus épaisses. Sa livrée est grise, parce que chaque soie a des raies transversales blanches et noires. Le bout de ces soies est noir, et celte couleur domine également au bas des quatre pattes. Outre cela , on remarque sur quelques individus plus que sur les autres , une bande blanchâtre d'un pouce , qui passe par \e garrot , et se * On peut ajouter à ces caractères , que leurs dents canines ne se redressent pas pour sortir de la bouche , comme siux autres espèces du genre des cochons. (C. V.) ( 250 ) termine en ligne courbe a la naissance des côtés du cou. Il est bon d'observer que ces animaux ne poussent aucun cri , quand bien même on leur percerait le cœur à coup de couteau. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris, il y a un individu de cette espèce , appelé pécari. Il y a quatre espèces de cerfs appelés en général guazùs au Paraguay, oii on les dis- tingue par des surnoms. La plus grande , nom- mée guazù-pucù,a 62 pouces et demi de long, sans compter la queue. Les femelles n'ont que 61 pouces, et sont dépourvues de cornes, ainsi que toutes les autres de cette famille. Ces cornes ont i/f pouces et demi de haut dans les individus adultes, et n'ont cha- cune que quatre divisions ou andouillers. Le contour de l'œil est d'une couleur blanche qui s'étend sur le côté du museau , et entoure la gueule j mais on voit une tache noire à chaque lèvre. Le dessous de la tête et l'inté- rieur de l'oreille sont également blancs ; l'es- tomac et l'entre-cuisse de derrière sont blan- châtres. Le reste du corps est d'un rouge- bai , excepté les quatre pattes et le dessous delà queue, qui sont noirs. Les petits, en venant au monde, n'ont pas les mêmes tacher ( =5. ) Llanclies que les espèces suivantes. Je croîs que c'est la biclie desbaralous , et la biche des palétuviers de Laborde '. Mais je doute que ce soit le coujouacu, etc. de Pison % le che- vreuil de la Louisiane de Dumont , et Tacul- liame de Recchi ^. Le guazù-ti est long de quarante-cinq pou- ces ; ses cornes en ont onze , et trois an- douillers : il a l'oreille plus étroite et plus pointue que tous les autres. Le dessous du corps , de la queue et de la tête , l'intérieur de l'oreille , et la partie postérieure des fesses sont très -blancs. Le reste des poils est d'un hai-rougeâtre à la pointe , et l'intérieur est d'un brun plombé. Je ne doute pas que la biche des prés de Laborde ne soit de cette espèce"^ 3 mais je n'assurerai pas la même chose du coujouacou-apara de Pison et de Marcgrave ^, non plus que du Mazame et du Tlathuietmazame de Recchi ^ (^). ' Supj^lem. , tom. v , pag. 202. * Tome XII , pag. 92. 2 Tome XXV , pag. 95 , cit. {a) , et pag. 99 , cit. (/>), ^ Supple'm. , tom. v , pag, 202. ^ Tome XII , pag. 92. ^ Tome XXV , pag. 92, cit. (*), et pâg. 99 , cit. (ù), (a) Dans la traduction française des Essais, on a rapporte cette espèce au ceryus mexicaîius de Linné'. (C. A. W.) C 252 ) Le guazù-pîtâ a quarante-sept pouces; ses cornes en ont cinq , et n'ont point de rami- fications. Le devant de la tête est d'un rou- geâtre obscur , sans blanc autour de l'œil j mais cette couleur occupe les lèvres , le des- sous de la tête et de la queue , et la partie postérieure du ventre. Le reste est d'un rouge doré vif. Au cabinet impérial de Pa- ris , il y a un cerf rouge , sans nom ni nu- méro, et qui est un peu pelé sur le dos. Je le crois de cette espèce , quoiqu'il ne soit peut- être pas complètement adulte. Je crois éga- lement qu'on doit y rapporter le cariacou de BufFon et de Daubenton , appelé à la Guyanne biche des bois ^ , la biche des bois de Bar- rère , la biche rouge des bois , et la biche des bois de Laborde ". Le quauthl-mazame de Recchi ^ y appartient-il également ? Je ne fais que le présumer , et il me reste encore beaucoup de doutes. Le guazù-birâ a quarante pouces , et ses cornes n'en ont qu'un : sa couleur est d'un brun bleuâtre ; mais en y regardant de plus près , on remarque que les poils ont une pe- " Tome xviii, pag. 126 , et tom. xxv , pag. i55. =» Tom. xxv , pag. 94 , cit. {a) , et sup. , tom. v, p. 202> 3 Tome xxv, pag. 99 ; cit. (^). ( 205 ) tite tache claire près de la pointe. En outre , sa queue est blanche par-dessous ; les lèvres €t le dessous de la tête sont blanchâtres ; le contour de l'œil , Tintérieur des bras , et la poitrine jusqu'aux cuisses , sont d'un blanc tirant sur la couleur de cannelle. Ces quatre espèces diffèrent aussi , en ce que la première n'habite que les endroits inondés , la seconde les plaines rases et découvertes , et les deux autres la partie la plus épaisse des bois. Je rapporte à cette espèce les petits cariacous de Guyanne, de Buffon et Laborde ' : mais je ne sais si l'on en doit faire autant du tema- mazame de Recchi et du cer^us minor de Barrère *. Il y a deux ï)êtes solitaires , stupides , dor- meuses, lourdes, qui n'ont pas la moitié au- tant de vitesse que l'homme, qui ne fuient point , et qui attendent leur agresseur assises sur le derrière , pour le recevoir dans leurs bras et l'y serrer avec leurs ongles , qui sont leurs uniques armes , et ne leur servent que pour se défendre j par conséquent elles dis- paraîtront du monde à mesure que ces con- trées se peupleront. Ces animaux ne produi- » Tome xviiî , pag. 126, et suppl. , tom v , pag. 204. * Tome XXV , pag. 92 , cit. i^) ; et pag. 94 , cit. («). (254) sent qu'un seul petit , qui se tient accroclié sur le dos de sa mère ; et le vulgaire croit faussement qu'il n'y a point de mâles dans celle espèce. Ils ne se nourrissent que de fourmis : pour cela ils creusent la fourmi- lière , et passant rapidement leur langue sur les fourmis qui en sortent , ils la retirent chargée de celles qui s'y sont collées. Mais la petite espèce , qui monte sur les arbres , et qui s'y soutient avec sa queue , mange aussi du miel et des abeilles. La forme de ces ani- maux est singulière : le corps, la queue et le cou sont très - gros ; les oreilles sont très- petites et rondes ; l'œil est petit j la tête est en forme de trompette , longue , moutonnée , et pas plus grosse que le cou ; la bouche se réduit à une très-petite fente, et n'est garnie d'aucune espèce de dents ; la langue est flexi- ble , pas exactement ronde , charnue , et ils la tirent d'un pied de long quand il le faut. Les pattes de devant ressemblent à des moi- gnons plutôt qu'à des mains : ils n'en font guère usage pour marcher j car ils s'appuient sur la partie dure de la chair , ou sur l'ongle extérieur , qui est le plus gros : les trois au* très sont très- courts , n'ont pas même l'ap- parence de doigts , et à peine peuvent-ils ( ^55 ) îes ouvrir un peu. Les pattes de derrière sont mal formées, et ont cinq doigts, dont rintérieur est le plus court et le plus faible. La plus grande espèce , appelée nuruml ou tamanduâ% est longue de cinquante-trois pouces et demi , sans compter la queue , qui en a vingt-huit et demi , indépendamment du bouquet de poils qui la termine , et qui a onze pouces. Sans parler de ces poils , le tronc de la queue est comprimé par les cô- tés : il n'a pas deux pouces de large à la racine , et il en a quatre dans l'autre dimen- sion. Toute la queue est couverte de poils si longs , qu'il y en a qui ont jusqu'à dix-huit pouces j et le total forme un plan vertical de trente pouces en hauteur et qui n'est pas plus épais ou plus large que le tronc même de la queue. L'ongle du doigt intérieur des pattes de devant a six lignes et demie 5 celui qui est à côté, et qui est un peu recourbé et très-fort , en a vingt - un j celui du sui- vant en a trente , et celui de l'extérieur cinq. Entre les oreilles commence une crinière qui va en augmentant , et qui , à la moitié de l'é- pine du dos , a six pouces. Dans la partie pos- "^ Essais , tom. \ , pag. 8g. Apuntamientos » 1. 1 , p. 67. ( 256 ) tërîeure du corps , les poils sont assez longs ; dans l'autre moitié ils sont courts , et dirigés en avant. Vers la fin des reins , on voit naître d'un seul point deux raies noires , qui vont en s'élargissant de chaque côté , et finis- sent par occuper la moitié inférieure des côlés du cou, le dessous de la tête et du corps , et les deux jambes. Ces deux raies noires sont accompagnées par - dessous de deux autres blanches jusqu'à l'épaule. Sous celles-ci on voit un mélange de couleur blan- che et obscure j et il en est de même du reste du corps jusqu'à l'épine du dos. Voilà tout ce qu'il y a de plus remarquable dans les couleurs de ces animaux. Dans la grande collection impériale de Paris, n.^ 4^9 1 il J ^ plusieurs individus de cette espèce , dont au- cun n'est adulte , sous le nom de tamanoir. L'espèce appelée caguaré a plus de vingt- cinq pouces de long , sans compter la queue , qui en a seize et demi. Cette queue est co- nique, n'a pas de longs poils , et en est dé- pourvue au tiers de sa longueur , près du bout , parce que l'animal s'en sert pour se soutenir sur les arbres. 11 sent fortement le musc. L'ongle du doigt intérieur a cinq li- gnes , l'ongle voisin en a douze , le suivant ( 257 ) VÎRgt'cmq, et rextérleur sept. Son corps est couvert de laine. Le contour.de Toeil est d'un noir qui se réunit à celui du museau. La tête, le cou et la poitrine sont d'un blanc jau- nâtre qui se termine aux fesses , où cette cou- leur forme une espèce de capuchon pointu , dont les côtés sont enveloppés en forme de corset , ainsi que tout le tronc , par deux bandes noires qui commencent aux épaules. Il n'y a que les bras , les jambes et la queue qui soient jaunâtres. Les femelles ont moins de noir autour de l'œil , ou quelquefois même «lies n'en ont point , et la couleur noire qui forme le corset, s'étend jusqu'aux deux tiers de la queue. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , n.^ l^i , il y a un individu mâle adulte de cette espèce , mais dont les cou- leurs sont très-affaiblies. A côté on en voit uu autre qui paraît entièrement noir ; et quoi- qu'il ait les formes et tout l'extérieur du ca- guaré, il constitue une variété que je n'ai ja- mais vue , et qui peut être même une espèce différente. Il porte le nom de tamandua , parce que Buffon le lui a donné , croyant que c'est ainsi qu'on l'appelle au Brésil , eu quoi il se trompe , aussi bien qu'en nous donnant pour la figure de cet animal celle 1. a. ,17 ( 258 ) Bit coali. Linné le confond aussi avec lô Hii- rumi , qui est le véritable taniandua \ BulTori décrit une autre espèce, qu'il appelle yozzr- milier *. Je présumai qu'elle pourrait être apocryphe , ou que ce n'était peut-être qu'un caguaré nouveau né : mais il n'y a pas de doute que je me trompai ; car il y a au Muséum, n.'* 435 , 456 et 457 , plusieurs fourmiliers de Buffon différens des miens. Dans le pays que je décris , la famille des chats est la plus nombreuse parmi les qua- drupèdes, puisque j'en connais neuf espèces. Il y en a trois qui sont grandes et robustes. Les autres pourraient s'apprivoiser aisément j elles seraient plus belles que le chat ordinaire, et plus utiles pour se délivrer des souris. Leurs formes , leurs gestes et leurs manières sont absolument semblables à celles du chat 5 ainsi il est inutile d'en parler. Leyaguareté, que les espagnols appellent tigre ^ ne diffère pas, pour la couleur, de la panthère , que tout le monde connaît ; mais il a cinquante-cinq pouces un quart de long, sans compter la queue, qui en a presque vingt- » Tome XX, pag. 189, et suppl. tome ri , jDag. 142^ « Tome XX ; pag. 1 go. ( 2'^9 ) Quatre indépendamment des poils. 11 est îm-*- possibie de l'apprivoiser \ et peul-êtrè même «st-il plus féroce et plus fort que le lion j puisque non-seulement il tue quelque espèce d'animal que ce soit , mais qu'il a encore assez de force pour traîner un cheval €t un taureau tout entier, jusqu'au bois oii il veut îe dévorer ; et même il traverse , à la nage et chargé de sa proie, une très-grande rivière , comme je l'ai vu. La manière dont il tue les animaux qu'il mange , indique également sa force. En effet , il saute sur un taureau ou. sur un cheval , lui met une patte sur îe chi- gnon, et de l'autre saisit le museau , et, dans un instant , il leur tord le cou. Cependant il ne tue qu'autant qu'il a besoin de manger; et , quand une fois son appétit est satisfait , il laisse pas&er toute espèce d'animaux , sans les atlaquere II n'est pas léger à la course : il est * Le yaguaretë de la Me'nagerie du Muséum d'his- toire naturelle , est fort doux 5 il recherche les caresses de ceux qui s'approchent de sa loge. En ge'ne'ral , les ihdïvidus d'une même espèce peuvent prendre des habitudes dilTe'rentes. Nous avons vu plusieurs lion- ceaux de la même portée être , les uns familiers et caressans , les autres féroces et sauvages , quoique e'Ier ves ensemble avec les mêmes soins et par la même personne. ( C. V. ) ( 260 ) solîlaîre , et pêche pendant la nuit ; mais il n'entre que dans les eaux dormantes ou dans les lacs : il laisse tomber dans l'eau sa salive et sa bave , pour attirer le poisson qu'il jette au-dehors d'un coup de patte. Il nage supé- rieurement , et ne sort que de nuit. Il passe le jour dans l'intérieur des bois, ou au milieu des grandes touffes d'herbes qu'on trouve dans les terrains inondés. Il ne craint rien 5 et quel que soit le nombre d'hommes qui se présentent a lui , il s'approche , en prend un , et commence à le manger, sans même se donner la peine de le tuer auparavant. Il en fait autant des chiens et des petits animaux. Il monte sur les gros arbres un peu penchés , lorsqu'il veut prendre le frais ; et quand il est étourdi par les aboiemens de plusieurs chiens qui le poursuivent , c'est alors qu'on peut le tirer de près. Mais il ne faut pas croire que cent chiens suffisent pour le réduire. Sa portée est de deux à quatre petits. Quelques personnes nomment cet animal yaguareté'jjope y et croient qu'il y en a un autre , qu'ils appellent simplement jagu are te. On dit que leurs différences consistent en ce que le premier est plus féroce et plus fort , plus gros de la tête, du corps et des jambes ; (26l ) qu'il a la palle plus grosse j que sa taille est aussi longue , mais moins haute 5 que son poil est plus court, lustré, aplati, et plus rou- geâtre. On ajoute que les anneaux , ou roses noires dont il est moucheté, sont plus rap- prochés et plus nets, et moins fendillés dans leur contour , et que dans leur intérieur il n'y a point ou presque point de taches noires. On dit enfin qu'il ne sort presque ja- mais des endroits les plus fourrés et du voi- sinage des rivières, si ce n'est pour chasser sur leurs bords , tandis que Tautre espèce habite sans répugnance les hauteurs et même les plaines. Mais d'autres habitans de la cam- pagne, hommes également judicieux , disent qu'il n'y a qu'une seule espèce ; que si quel- ques individus ont de plus belles couleurs , c'est qu'ils habitent des lieux plus obscurs , où le soleil ne pénètre jamais , et que les diffé- rences dont on vient de parler dans le carac- tère et dans les proportions n'existent pas; que d'ailleurs l'espèce n'a pas de couleurs constantes , et qu'elles varient beaucoup dans tous les individus , ainsi que dans les ocelots ou chibi - guazùs. Effectivement , il est sûr que dans quelques - uns , les deux files de taches noires qui commencent à la racine da ( 262 ) îa queue, se proîoDgenl jusqu'à la moUîé an dos ; que dans d'autres , à peine passent-elles la cuisse, et qu'elles sont plus ou moins mar- quées , selon l'individu. En examinant les peaux , on observe encore qu'il y en a dont 1© fond est plus ou moins rougeâtre , et que dans quelques-unes il est blanchâtre. La grandeur des anneaux varie singulièrement dans quel- ques-unes, et ils sont plus ou moins fendillés ou étoiles dans leur contour. Il y en a dont les anneaux sont plus ou moins séparés ou rap- prochés, et ces anneaux ont quelquefois leurs centres plus ou moins mouchetés de taches noires, et d'autres fois ils sont de la couleur du fond. Enfin il est difficile de rencontrer deux peaux entièrement semblables, ou même une seule dont les anneaux et les taches cor- respondent avec une parfaite symétrie des deux côlés ; et leur beauté est aussi variable que le reste. Il y a aussi des gens dans le pays, qui disent qu'on y trouve une autre bête féroce appelée onza. On assure qu'elle est beaucoup plus petite que le yaguareté ; qu'elle ne tue que les chevaux, et que pour cela le maie et la femelle s'entr'aident ; et que, quoique sa peau soit peinte dans le genre de celle du yaguareté? ( 265 ) £tdes mêmes couleurs, on observe cependant toujours quelques difFérences qu'ils n'ont pas pu m'expliquer avec clarté ni d'une manière fixe et précise. Mais l'on trouve aussi des gens qui connaissent parfaitement le pays , et qui assurent que cette onza n'existe pas , que l'on prend pour telle des yaguaretés non adultes, ou peut-être le chibi-guazù. Ces notices pourront servir aux naturalistes qui seront à portée d'éclairçir les doutes qui res* tent à cet égard. Buffon et Daubenlon supposent qu'il y a en Afrique trois bêtes féroces di^^elées panthère^ once et léopard. Ils décrivent la première % et Baffon blâme fortement plusieurs natu*- ralistes qui l'ont confondue avec les deux autres, et avec d'autres animaux d'Amé- rique. Mais on peut certainement disculper ces naturalistes, en considérant combien Ton est exposé à être trompé sur le pays natal des animaux, et en réfléchissant sur la grande ressemblance de ceux de ce genre pour les formes, les mœurs et les couleurs, et sur la grande variété de couleurs que l'on observe dans les individus de la même espèce. La grandeur ne suffit pas pour décider, à moins ' Tojaie xvui3.paç. 212. ( =64 ) que Ton ne connaisse d'une manière sûre celle de l'individu adulte , ee que l'on sait rarement. Quant aux proportions de la lon- gueur du corps , de la queue , etc. , il est rare de les trouver déterminées avec exac- titude par les naturalistes et par les voya- geurs. De sorte que Je suis un de ceux qui ont cru que la panthère de BufFon était mon yaguarelé , comme on peut le voir dans mon ouvrage espagnol sur les quadrupèdes; et je me fondais sur ce que je trouvais une identité absolue dans les couleurs, dans les formes et dans les proportions. Il est vrai que l'in- dividu de BufFon était plus petit, moins fé- roce et moins fort que le mien; mais je crus que la première différence pouvait provenir de Tâge , ou de ce que sa panthère avait été élevée dans une cage; et que la seconde ve- nait d'un défaut d'exactitude dans la relation des mœurs de la panthère. Enfin , il est si difficile aujourd'hui de bien distinguer ces trois espèces d'animaux , qu'on a vu des per- sonnes qui assurent qu'il y en a trois espèces en Amérique , tandis que d'autres les rédui- sent à une seule. Peut-être en est-il de même des trois espèces d'Afrique. Il existe aujour- d'hui à la Ménagerie impériale de Paris , et à ( 265 ) la vue des plus savans naturalistes du monde, trois bêtes féroces ; Tune a pour écriteau : Panthère , mâle ; l'autre , Léopard y mâle : la troisième n'en a pas encore j mais on dît qu'elle vient d'arriver d'Amérique \ J'ignore * La Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle pos- sède en eifet en ce inoment trois animaux qui , places à côte' l'un de l'autre , présentent au même coup-d'œil les caractères distinctifs suivans : Le premier est le ^'uguareté , beaucoup plus fort que les deux autres; il a des taches jdIus grandes et moins nombreuses , une queue qui touche à peine le sol , quand il marche ; et la grosseur de ses membres , comme son âge , annonce qu'il doit devenir beaucoup plus grand encore. Au milieu du corps , il n'a transversalement que quatre taches. La seconde espèce , plus petite que le jaguarete , a six ou sept taches par ligne transversale ; elle a en outre une queue beaucoup plus longue , et une tête sensiblement moins large à proportion que \e j^agua-^ l'été. Cette espèce vient d'Afrique , et nous parait devoir être la panthère. Enfin le troisième de nos chats tachete's, qui vient aussi d'Afrique , est un peu plus jDetit que la panthère , mais ses proportions sont les mêmes ; il n'en diffère que par des taches beaucoup plus nombreuses : on en compte dix dans le sens transversal. Ces deux derniers chats sont mâles ; leurs différences n'appartiennent donc point au sexe. Celui - ci serait - il le léopard ? (C.V.> ( 266 ) le jugement qu'en ont porté les naturalistes français. Quant à moi, toutes les trois me pa- raissent être des yaguaretés, quoique aucune n'ait les mesures du mien , quoique je remar- que quelque différence dans la couleur, et que le dernier ait les pattes de devant plus fortes. L'animal du Muséum d'histoire natu- îV lie de Paris , qui porte le nom de panthère d'Jifriquey est, à mon avis et sans le moindre doute , un yaguareté qui n'est pas encore complètement adulte, mais qui cependant est beau. Je regarde aussi comme telle la panthère de Saint-Domingue, du même Muséum ; et peu s'en faut que je n'en dise autant des panthères n.^^ 25o et 25 1, quoique leurs anneaux , ou roses, soient sensiblement plus petits et plus rapprochés que je ne l'ai observé dans les individus d'Amérique. Toutes ces choses me persuadent au moins qu'il est bien difficile de distinguer de semblables animaux , et que les naturalistes doivent les étudier avec beau- coup de soin. Il serait bon qu'ils examinassent ^\x&û\uncia de Caius apud Gesner ^ et les tigres décrits par MM. de l'Académie royale des sciences \ parce que ce pourrait bien être des yaguaretés non adultes. Quand Buffon I Tome XVIII y pag. 221, ( 267 ) Toulul décrire ce dernier animal , lî Fappeîa jagouar ' ; maïs il se trompa , en prenant pour tel un ocelot ou cbil^l-gnazù. Le yaguareté noir n'existe , autant que je puis le savoir, que dans les bois de la frontière du> Brésil , depuis les 29 degrés de latitude , en allant vers le nord. Je n'ai vu de cet animal qu'une peau qui, sans compter la queue 5 avait cinquante-sept pouces de long , et l'on disait que l'individu n'était pas adulte : mais ce dont on ne peut douter, c'est que Ton avait alongé cette peau , comme cela arrive toujours. Je crus cependant voir qu'il a la tête plus grande que celui que je viens de dé- crire j que ses moustaches sont plus longues et du double plus grosses et plus fortes. Outre cela, tout le poîl était plus brillant , plus épais , plus long , et moins serré contre le corps. Le peu de poils longs et droits qu'il y avait autour de l'œil , était blanc ^ tout le reste d'un noir de jais : mais en expo-^ sant cette peau au soleil, on observait quel- ques taches d'un noir plus foncé, comme dans l'espèce précédente. On dit que cet animal a les jambes plus courtes que l'autre, mais que son corps est plus long et plus gros, ' Tome XIX, pag, \. ( ^68 ) et qu'il est aussi plus fort et plus féroce- Buffon l'appelle jaguarete ^ et le regarde comme étant de la même espèce que le pré- cédent , ou au moins comme une simple va- riété ^ Si cela était certain , on trouverait dans le même pays des individus noirs, et d'autres de la couleur ordinaire, et l'on ne pourrait pas attribuer cette variété au climat. Mais ce sont indubitablement deux espèces différentes. Je doute néanmoins que le tigre , ou couguar noir, dont parle Buffon , soit de cette espèce *. Le guazùarâ a 4? pouces de long , sans compter la queue , qui en a un peu moins de 26. Ainsi il a le corps plus court, et la queue plus longue que le yaguarété. Ajoutez à cela qu'il est à proportion plus mince , plus léger et plus souple. Il vit aussi davantage dans les campagnes , et il monte aussi plus fa- cilement aux arbres. Il cache sous la paille le reste de ses repas : il fuit toujours l'homme, et ne tue que de jeunes poulains, des veaux, des brebis et d'autres animaux encore plus petits 5 mais il ne cesse de tuer autant d'ani- maux qu'il en trouve : il ne s'arrête pas à les » Tome XVIII , pag. 84 ? et tom. xix , pag. 6. ' Supplcm. , tom. VI; pag. l^i. ( =69 ) manger, et ne fait que leur lécher le sang. Sa portée est de deux ou trois petits , il a une tache noire sur les moustaches, et, depuis la tête jusqu'à la queue inclusivement , il est couvert de poils , longs d'un pouce , doux , d'une couleur mélangée de rouge et de noir. Il y a des individus plus ou moins rouges , mais tous ont le bout de la queue noire. Dans la grande collection du Muséum d'his- toire naturelle de Paris, n.'' 268, il y a un bel individu adulte de cette espèce, sous le nom de couguarque lui donne Buffon \ Cet auteur décrit comme différent un couguar de Pensyl- vanie *, mais c'est la même espèce. Le chibi-guazu est long de 54 pouces , sans compter la queue qui en a à-peu~près 1 5. Il vit par couple, et très-caché de jour. Il tue tous les oiseaux et tous les chiens plus petits que lui , ainsi que les chats j mais quand il mange de la chair de ces derniers animaux ^ il attrape la gale. Il mange également des couleuvres et des crapauds j mais cette der- nière nourriture lui occasionne des vomisse- mens qui le font périr. Quand on le met eii cage, il fait toujours ses ordures dans le vase » Tome XIX , pag. 2 1 . * Supplem. , tom. vi , pag. 58. f 2'no ) oii est Feaii. 11 met bas deux petits, qui s^ap^ privoiseut aisément , mais qui ne manquent jamais de tuer tous les oiseaux domestiques qu'ils rencontrent. Près de chaque oreiiie , dans l'intervalle qui les sépare toutes les deux, on A^oit naître une bande noire qui s'étend jusqu'à la ligne des yeux ; entre cette raie et celle de l'autre oreille , il y a des dessins noirs» De la nuque sortent quatre raies noires qui continuent sur le cou j et sur l'épaule , il y a de petites taches noires irrégulières. De là jusqu'à la queue, on voit sur le haut du corps deu:^ raies noires interrompues. Du reste , le fond du dessus du coi^ps est d'un blanc rou-* geâtrej mais il y a de chaque côté une iîle de taches plus séparées , qui , depuis le milieu du corps jusque vers la queue, sont vides au centre, de manière qu'elles ressemblent à des chaînons noirs. Ces mêmes chaînons occupent le reste des côtés du corps, dont le fond est d'une couleur plus claire. Ce que je viens de dire suffit pour faire connaître cet animal ^ Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , » On doit ajouter à cette description , que le cJiibi- guazu j comme le chat commun , a la pupille de l'œil alonge' et non point ronde , comme les lions , les tigres , Jcs panthères , les jaguars ; Içs cougouars ; etc. (CY. ) (271 ) ài.®5 26 f, 265 et 264, il y a plusieurs indi- vidus de celte espèce , sous le nom àHocelot que leur a donné Butfon ^ Il est vrai que , s'imaginant que c'était un yaguareté , il le décrit comme tel sous le nom àe jagouar'^* Je crois que Ton doit rapporler à celte es- pèce le jagouar de la Nouvelle Espagne, donné à M. le Brun, et le cbat-tigre de la Caroline de Collinson ^; mais je doute que l'on en doive faire autant du chat-^pard, dé- crit par MM. de l'Académie des sciences, et du picliu de Dupratz ^. Le baracayâ est long de 22 pouces , sans compter la queue qui en a environ i5. Il n'a que deux mamelles de cîiaque côté. Je n'ai vu qu'une femelle de cette espèce , aux frontières du Brésil, vers les 32 degrés. Je sais que sa portée est de deux petits, qui s'apprivoisent aisément. Il habite les fossés et les bois , et monte aux arbres. Le dessus de sou corps présente , sur un fond brun très-clair et tirant sur la couleur de cannelle, une multitude de gouttes ou de petites taches noires , qui peu- ' Tome xxvii , pag. 18. * Tome XIX, pag. i et 10. 3 Supple'm. , tom. vi , pag. 32 et* 47. ^ Tome XXVII; pag. i3 et 5i. ( ^7^) vent avoir trois lignes de diamètre. Le fond de la couleur du chignon est de même, ex- ceptë qu'au lieu de taches il y a des bandes longitudinales noires, dont quatre se prolon- gent sur le front. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris, n^. 254 î il y a deux chats-servals, qui ont beaucoup de rapports avec l'individu que je décris j et quoique l'on observe entre eux quelques différences, elles sont beaucoup moins considérables que les ressemblances.. J'ai donné à M. Cuvier , célèbre et savant naturaliste, la description complète du mbara- cayâ, traduite en français, afin qu'il puisse comparer cet animal avec les servals ; et , comme il est probable qu'il s'en occupera et qu'il fera connaître son avis, je m'en rapporte à lui ^ Je soupçonne également que mon mba« racayâ pourrait bien être le margay de Buffon \ Cet auteur croit que l'on doit rapporter à cette espèce le maragua etmaracaya,d'Abbeville et de Marcgrave , le malakaya de Barrère , le ^ Le mbaracaya est efTectivement le même que le serval, et nous apprenons par là que le serval est d'Amérique , contre l'opinion cîe Buffon ^ mais le mar-- gaj est une espèce diiFerente. ( C. V» ) ^ Tome XXVII; pag. 5o. < 375) tepe-niaxllacon, de Ferngndez; lefelis silves4. tris tigrinus ex Hispaniolay de Seba, et lejelh ex griseojlavicans maculis nigris varie gâta y, de Brisson. Buffon rapporte encore à celle même espèce ^ le chat-ligre de Cayenne, de Laborde; mais je soupçonne que quelques-? uns de ces chais sont peut-être des ocelots ou chibi-guazûSv Le chat noir ( el negro ) a tout le corps de la couleur qu'indique son nom. Sa longueur ^st de 25 pouces, sans compter la queue, qui en a à-peu-près i5. Il n'a que deux mamelles de chaque côté. J'en ai pris quatre dans les mêmes endroits que le prêcédenJ. Le yaguarundi a les mêmes dimensions que l'espèce dont je viens de parler 5 mais il a trois mamelles de chaque côtêc L'ensemble de sa couleur est un gris qui provient de ce que chaque poil est divisé transvei'salement par des bandes noirâtres et blanchâtres , de ma-y nière que le noir domine. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris, îi.° 289, il y a deux yaguarundis adultes, ^ous le même nom ^ ^ Supplem. , tom. vi , pag. 46. * C'est une espèce nouvelle que M. d'Azara a fait connaître le premier. ( C. V. } I. a. îB ( =74 ) L'eyrâ est long de 20 pouces , sans compter la queue qui en a 11. Tout le poil est forte- ment rouge, à l'exception de la mâchoire inr férieure et d'une petite tache sur chaque côté du nez , qui sont blanches. On ne le trouve qu'au Paraguay. La dernière espèce de chat est le pajero; je ne l'ai vu qu'au-delà des 5o degrés sud, et toujours au milieu des pâturages. Sa longueur est de 22 pouces J, sans compter la queue qui en a 10 T. Son poil est doux , et plus long que celui de toutes les autres espèces. Je ne lui ai trouvé qu'un seul petit dans le ventre j ce- pendant je ne doute pas que sa portée ne soit de deux : il a deux mamelles de chaque côté. La couleur du dessus de son corps est d'un trun si clair, qu'en France on l'appellerait gris. On remarque sur sa gorge et sur son ventre des bandes transversales d'un brun tirant sur la couleur de cannelle , et l'on voit des anneaux obscurs sur les pattes de devant et de derrière. Le poil du bord intérieur de l'oreille est si long qu'il excède Toreille de cinq lignes. Quoiqu'il ait beaucoup de rapports avec le chat sauvage décrit par Buffon et Daubenton^ ? Tome II f pag. 28. (275) aujourd'liiil je croirais volontiers que ce sont deux espèces différentes. J'en dis presque au- tant du chat sauvage, appelé Layrâ a la Guyanne , et dont on envoya la peau à Buffon '. Je connais , dans le pays , trois animaux qui ont les formes de la marte , de la fouine et du putois , mais qui sont plus grands et plus forts. Ils mangent des insectes, de petits lézards, des vipères , des souris, des aperças, des oi- seaux , etc. Us creusent des trous en terre pour leur servir de retraite, et pour élever leurs petits, qui sont toujours mâle et femelle; mais ils profitent aussi des terriers creusés par les autres animaux. Ils ne sauraient monter sur les arbres. Celui que j'appelle huron major ( grand furet), a 22 pouces de long, sans la queue qui en a i3. Quand on l'irrite, il lâche, je ne sais comment , une odeur de musc très-incom- mode et très-forte , qui ne se dissipe qu'au bout de quatre heures. Il a , tout le long de la gorge jusqu'au poitrail, une tache d'un jaune blanc. Le reste du cou et la tête sont entière- ment d'un blanc sale , qui commence à s'obs- curcir vers l'épaule, de telle sorte que le » Supplem. , tom. y, pag. 188. ( 276 ) croupion est d'un noir foncé , ainsi que le corps. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris n.^ 2o5 , on voit deux individus défigurés dans leurs formes, sous le nom de marte tayra. Je ne doute pas que ce ne soit la mustela atra de Holmens ^ \ mais je trouve assez de raisons pour douter que ce soit l'ysquiepatl de Seba, le pékan de BufTon ^, le tajrâ de Barrère ^, et la petite fouine de la Guyanne, de BufTon ^, Le petit furet [huron minor^y lorsqu'on l'irrite , lâche la même odeur que l'espèce précédente. Il a dix-huit pouces et demi de long , sans compter la queue , qui en a un peu plus de six. Le front est d'un blanc jau- nâtre , qui forme un angle à un pouce du bout du museau. Cette couleur se prolonge des deux côtés , en formant une raie très-remar- quable sur l'œil , sans y toucher , et envelop- pant l'oreille par le côté du cou, à la naissance duquel elle finit insensiblement , et en dimi- nuant graduellement. Tout le dessus est gris , parce que le bout des poils est blanc-jaunâtre et 'Tome xxx, pag. 207 , cit. {b). a Tome XXVII , pag. 89 et 107. 3 Tome XXX , pag. 208 , cit. (*). ^ Suppl. tom. 5 ? pag. aa6. ( 277 ) que l'intérieur est noir. Le reste est d'un noir* foncé. On en peut voir deux dans la collection de Paris, n.°' 201 et 202, sous le nom de marte-grison. Il faut rapporter à Tespèce de la galera de Brown', l'animal de Cayenne envoyé au cabinet d'Aubri , et le grison d'Aï- lamand "". Tout ce que je soupçonne , c'est que ce pourrait être Tysquiepatl de Hernandez , que Charlevoix aura confondu avec le ca- guaré , en décrivant son fils du diable , et Feuillée , en parlant du chinche du Brésil ^. Le yaguaré , que les espagnols appellent ZQrrillo , est une autre espèce de furet , qui n'habite que depuis le 29.^ degré et demi de latitude en allant vers le détroit de Magellan. Il se tient dans les champs ; il ne fuit point , et a l'air de ne prendre garde à personne j mais s'il observe qu'on le poursuit , il se res- serre , se gonfle , redresse sa queue sur son dos , et lance , sans manquer son coup , sur quiconque l'approche à la portée d'une toise , une liqueur phosphorique d'une odeur si em^ pestée qu'il n'y a ni homme ni chien qui ne recule sans s'approcher de l'yaguaré. Une * Tome XXX , pag. 207 , cit. {b). = Suppl. tom. V , pag. 264 et 278. ^ Tome xxvii , pag. 8 , cit. («) , et pag. 92 , cit. ("*'). ( 278 ) seule gouUe*tombée sur les vêtemens , oblige de les jeter , parce que , sans cela , la puan- teur empesterait la maison , et que Todeur ne se dissiperait pas quand on savonnerait Tëtoffe vingt fois. J'ai souvent été très-incommodé de cette odeur a plus d'une lieue de distance ; et l'on peut assurer que si le yaguaré lâchait une de ces bouffées au centre de Paris, on s'en ressentirait dans toutes les maisons de cette grande ville. On dit que cette liqueur si extraordinaire est contenue dans une pe- tite bourse située près du conduit de l'urine > et que ces deux liqueurs sortent en même tems. Sa longueur est de dix-sept pouces et demi sans compter la queue , qui en a prCvS- que six , indépendamment des poils. Il est en- tièrement noir, si ce n'est qu'à deux pouces du bout du museau, on voit commencer deux lignes d'un très-beau blanc , réunies à leur naissance, et qui quelquefois se séparent sur le front : elles continuent de chaque côté par-dessus l'oreille sans y toucher , et elles se prolongent sur les côtés du cou , du corps çt même de la queue. Quelques individus manquent de ces lignes ou de ces raies j d'au- tres ne les ont qu'aux côtés du cou ; et dans d'autres encore , elles sont plus ou moins ( ^79 ) étendues. On prétend que celte odeur em- pestée est un spécifique contre la migraine , et que le meilleur remède pour le point de côté , est de prendre une petite quantité du foie de Tyaguaré , séché à l'ombre et réduit en poudre. On dit aussi que cette même pou- dre , prise dans du vin ou dans du bouillon ^ est le plus grand sudorifique qu'on connaisse» Dans la collection de Paris , il j a un animal extrêmement ressemblant au yaguaré , sous le nom de mouffette du Chili ; et je ne dou- terais pas que ce ne fût le même animal , si je ne remarquais que le blanc du front et du chignon est beaucoup plus large que dans le grand nombre d'individus que j'ai vus dans le pays. On croirait que , pour caractériser ce petit animal , il suffirait de dire qu'il est de la famille des martes , des fouines et des furets , qu'il est américain , et qu'il répand à volonté une odeur d'une puanteur incroyable. Mais comme beaucoup d'auteurs parlent d'animaux qui ont de semblables caractères , et qu'ils ne sont pas bien d'accord sur les autres , on doit présumer qu'il y en a de différentes espèces , bien difficiles à reconnaître aujourd'hui à cause des caractères qu'on leur assigne. Ajou- tez a cela que mes deux furets précédens répaa-. tient également une très-mauvâîsé odeur j ce qui siifTit pour que Pexagération , si commune dux voyageurs , égale cette odeur à celle du éûguaré. De plus , celle espèce n'ayant pas les couleurs très-constantes , c'est une raison de JdIùs pour qtie les relations ne soient pas d'ac- côM. Dans mon Ouvrage espagnol , je m'étais proposé d'éclaircir beaucoup de difficultés > mais y ayant réfléchi depuis, je n'affirme rîen ^ si ce n'est que le grogneur ou souffleur de Wood est un caguaré \ Du reste , on doit pré^ Sumer qile les renards de Garcilaso, le puto^ Hus antericanus de Ralm, et celui de GemelH Carreri * appartiennent également a celte es- pèce. Cela me paraît au moins plus probable i^elativement a ceux-ci , que pour le suisse de Sagard Théodat^ , la mapurita de Gumilla , la bête puante de Page du Pratz, et l'ortohula de Fernaindez ^. Je présume aussi que Char-* ievoix et Feuillée l'ont confondu avec mob espèce pi^écédente , comme je l'ai dit* * Tome XXVII, pag. 85 , cit. (*). =* Tome XXVII, pag. 85 , cit. C^) , pag. 90 , cit. ('*') , et pagv 95 j cit. ia). 3 Tome XX , pag. 164. 4 Tôiii. XXVII , pag. 9^ , Cit. (h)) pag. 96 , cit. ('♦') , et (=8. ) Les naturalistes appellent sarigues ou phU landres les animaux que je nomme en gé^ nëral féconds (^fecundos ) ^ parce qu'ils îe sont beaucoup. J'en connais six espèces ; et comme ces animaux ne se trouvent qu'en Amérique, je dois faire connaître les carac- tères communs à toutes les espèces, avant que de parler de ceux qui distinguent cha- cune en particulier. Leur queue est très-lon- gue , nerveuse et grasse , dépourvue de poil presque par-tout ou même entièrement, cou- Verte d'écaillés 3 et ils s'en servent pour se Soutenir sur les arbres , où ils montent fa- cilement , ainsi que sur les murs dont la suf^ face est raboteuse. Les doigts sont assez courts < dépourvus de poils , et flexibles , avec des griffes aiguës. Il en a cinq aux pattes de de- vant , et le pouce n'est point distingué des autres. Mais celui des pattes de derrière , qui ont le même nombre de doigts , est rond , beaucoup plus gros, dépourvu d'ongle, eî; irès-éloigné des autres doigts. Ces animaux ont la face triangulaire, très-aigûe et lon- gue, les yeux obliques et saillans; la gueule est très-fendue , et plus garnie de dents que celle d'aucun aulré animal. Eu effet , a la mâchoire supérieure il a dix incisives et qua* C 282 ) tre canines ; et à l'inférieure il en a huit des premières et quatre des dernières. Ils ont de longues moustaches et les oreilles arrondies , nues et transparentes. Le corps est long, le cou court , et le scrotum est si pendant qu'il louche presque à terre. Le membre est caché dans l'orifice , divisé en deux à la pointe en forme d'Y. Chez les femelles , les deux con- duits n'ont qu'un seul et même orifice. Les mamelles sont placées en forme d'ellipse ou de cercle alongé , et il y en a une au centre. Aussitôt qu'elles ont mis bas, elles appliquent leurs petits chacun à une mamelle , qu'ils ne lâchent jamais jusqu'à ce qu'ils soient en état de marcher et de manger seuls. Alors chacun s'accroche à sa mère comme il peut , et celle- ci les porte avec beaucoup de peine , les uns sur le dos et les autres trainant à terre. Quand on irrite ces animaux , ils lâchent leur urine et leurs excrémens , et répandent une fort mauvaise odeur. Ils habitent les champs plu- tôt que les bois , oii ils ne s'enfoncent ja- mais. Ils se cachent dans les buissons et dans les touffes d'herbes , ou sous des troncs d'ar- bres , ou dans des trous qu'ils creusent en terre. Leur démarche est très-lourde. Ils sont stupides , et ne sont ni féroces ni in- ( 283) quiets. Ils ne sortent que la nuit. ïls se nour- rissent d'insectes , d'œufs , de petits lézards , de souris , et je crois aussi de crapauds et d'écrevisses. Ils mangent aussi des fruits j et quand ils tuent un oiseau , ils se bornent or- dinairement à en lécher le sang. C'est ce que font les'graiides espèces à l'égard des poules, quand elles peuvent les saisir çn pénétrant dans les maisons. On les tue facilement à coups de bâton , quoiqu'ils ne laissent pas de mordre s'ils le peuvent 3 mais jamais ils n'at- taquent. D'après cesi caractères, il sera tou- jours facile de s'assurer si un animal appar- tient ou non à cette famille de quadrupèdes. Mais la distinction des espèces est très-dif- ficile , parce qu'il y en a plusieurs qui ne dif- fèrent guères que par les proportions respec- tives du corps et de la queue. Nous allons donner les caractères de chaque espèce. On trouve le micuré dans toute l'étendue du pays que je décris. Il est long environ de dix-sept pouces, sans compter la queue, qui en a treize , et qui n'est couverte de poils que dans un espace de quatre pouces , a compter de la racine. La fourrure est composée du mélange de deux sortes de poils. Le plus court et le plus abondant est d'un blanc-jau- (284) îiâtre, noîr au bout -, Tautre est long de deu^g pouces , blanchâtre , et plus gros. Une tache obscure entoure l'œil, et s'étend jusqu'à la tnoustache : une autre encore plus obscure sort du centre du chignon , et s'étend sur le front. Les pattes de devant et de derrière sont noires. Il y a le long du ventre de la femelle adulte , une fente formée par deux bords ou plis très-remarquables , et qui s'ou- K^rent et se ferment à volonté. Sous chaque pli il y a une cavité , qui augmente en allant en arrière 5 de sorte que la réunion des plis à la partie postérieure forme sur le pubis une bourse, qui a assez de capacité. Dans cette cavité il y a douze mamelons placés en rond, et un au milieu : c'est là que l'animal renferme ses petits dans les premiers jours. M. Cuvier, naturaliste très - estimé en Eu- rope , m'a montré , dans la salle oii l'on pré- pare les animaux pour le Muséum d'histoire naturelle, une dépouille de micuré nouvelle- ment arrivée de Cayenne^ mais elle avait perdu une grande partie des poils blancs , les plus longs qui garnissent les côtés du corps de cet animal. Dans le même Muséum , n.^^ 298 et 399, j'ai vu trois dépouilles sous le nom de didelphis manicii vir^iniensis j qui , au ( 285 ) premier coup-d'œil, m'ont paru être aussi des micurés , vu leur forme , leur grandeur, leur mélange de deux poils, dont les plus longs sont blancs , et la couleur des pattes de devant et de derrière , et même celle de l'oreille dans deux individus : c'est ce que je dis d'abord k M. Cuvier. Mais comme depuis je lui ai assuré que l'individu nouvellement arrivé de Cayenne qu'il m'avait montré, était certainement un micuré , et que j'avais des doutes à l'égard des autres, je dois espérer qu'il comparera ces animaux , et qu'il décidera la question. En attendant , je regarde ces trois individus comme différens du micuré , puisque le blanc domine beaucoup plus dans leur poil sans être mêlé de jaune : de plus, la face est incompa- rablement plus blanche ; il n'y a point de noir sur le haut du museau , ni entre les oreilles , ni sur le chignon ; a peine en découvre-l-ou dans l'œil , et cette couleur ne se prolonge pas jusqu'à la moustache. La fourrure me paraît plus touffue et moins souple , et les poils blancs me semblent moins couchés, plus courts, et plus épais. Outre cela , un des in- dividus a l'oreille entièrement noire. Dau- foenton nous donne la description du sarigue ' j ' Tome XXI , pag. i8i » ( 286 ) et je soupçonne fortement qu'il a réuni ensemble plusieurs animaux différens, qu'il croyait être de la même espèce. Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes, j'ai taché d'é- claircir la matière , m'imaginant connaître presque toutes les espèces de cette famille ; mais les connaissances que j'ai acquises au Muséum d'histoire naturelle de Paris , me font voir qu'il m'en reste beaucoup à con-- naître. Par conséquent, il ne faut pas s'en rap- porter entièrement à ce que j'ai dit là-dessus précédemment , mais attendre que des na- turalistes habiles éclaircissent la matière. t)aubenton rapporte au sarigue qu'il décrit ', un autre individu long de quinze pouces et demi, sans la queue qui en avait seize j et ces mesures me font croire que c'était mpn mi- curé. J'en dis autant du sarigue de Tyson "" 5 du carigueya de Ximenez 3 du taiibi de Marc- grave^, et àxxphilanderbrasiliensis de Brisson. Je soupçonne aussi fortement que la nomen- clature du sarigue de Bufibn est embrouillée , et que les phrases des auteurs relatives à cet animal sont confuses et équivoques. Buffon » Tome XXI , pag. i86. 2 Ibid. pag. i55. } Ibid. pag. 159. (287) décrit aussi son crabier % et ensuite deux autres animaux de cette famille '*. Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes, j'étais porté k croire que c'étaient des micurésj mais au- jourd'hui j'en doute. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , n.°* sgS , 296 et 297, il y a trois crabiers très-estropiés et mal préparés, qui ne paraissent pas être ceux de Buffon , et que je ne connais pas. Cependant le dernier pourrait être mon coligrueso. Je nomme lanoso ( laineux ), le secondy^-* cundo ^ parce qu'il est recouvert d'une laine très-douce. Je n'ai pas eu de femelles de cette espèce ; mais on m'a assuré que la bourse et les mamelles étaient comme dans l'espèce précédente. Celle-ci est longue de huit pouces deux tiers , sans la queue qui en a treize et demi , et qui est toute recouverte de poil , à l'exception de quatre pouces et demi au bout% On voit naître sur le museau une petite raie obscure , qui va jusqu'au chignon : le contour de l'œil est de couleur de cannelle vive j l'es- pace qu'il y a entre celte dernière couleur et la raie , est d'un brun-clair. Lé chignon , le devant et l'extérieur des pattes de devant , et « Suppl. tome VI , pag. isS. » Suppi. lom. XII , pag. 20 et 29^ ( 2S3 ) îa partie antérieure de celles de derrière ,' sont rougeâtres. Il en est de même des reins, quoique la couleur y soit un peu plus foncée. Le reste du corps est d'un brun-blan- châtre , et le blanc domine dans les parties inférieures. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , on voit un individu sans nom ni numéro ^ qui est le dixième , en comptant de la droite à la gauche de celui qui regarde la rangée des di- delphes.Il se distingue des autres parla grande douceur de son poil, et je crois que c'est mon îanoso (laineux), quoique les couleurs aient beaucoup perdu. M. Cuvier a été du même avis , en comparant ma description avec un individu un peu mieux conservé , qui venait d'arriver de Cayenne , et qui était dans la salle où Ton prépare et oii Ton empaille les animaux pour le Muséum. M. Geoffroi (autre naturaliste également très * connu ) qui était présent , me dit qu'il avait vu les femelles de cette espèce , et qu'elles n'avaient point de bourse. Cela m'a fait revenir de l'erreur où m'avaient fait tomber ceux qui m'assurèrent qu'elle en avait. Par conséquent, comme c'est sur cette erreur que je m'étais fondé pour rapporter à mon Ianoso la figure 4^ que Dau' C 2^9 ) benton donne de son sarigue femelle \ je vois à-présent que je m'étais trompé dans le jugement que j'avais porté à cet égard, et dans la critique que Ton peut voir dans mon ouvrage espagnol sur les quadrupèdes. Dans le même ouvrage , je ne doutais pas non plus que ce ne fût le cajopollin de Buffon , décrit par Daubenton ""; mais je crois aujourd'hui que ce sont des animaux difFérens, parce que, quoiqu'il n'y ait pas grande différence dans les couleurs , le cayopollin a du noir dans l'œil , la queue moins garnie de poils à sa racine , et considérablement plus courte à proportion. Cela me paraît suffisant pour établir une dif- férence spécifique dans des animaux qui ont un grand nombre de caractères généraux de ressemblance , et dont par conséquent les espèces sont peu différentes les unes des autres. Je doute si on doit rapporter ou non à cette espèce le philander de Surinam, de Sibille Merlan ^, qui était une femelle. Seba donne le mâle, avec une figure et une des- cription qui le rapprochent beaucoup de mon lanoso : il est vrai qu'il en dit des choses qui semblent l'en éloigner assez. » Tome xxr , pag. i8i. » Ibid, pag. 255. ^ Tome XXX , pag. 208. I. a. 19 (290^ J'appelle la troisième espèce coligrueso ^ (grosse-queue). L'animal a douze pouces de long, sans compter la queue qui en a onze, et qui est recouverte de poils dans les deux tiers de sa longueur, a commencer de sa ra- cine. Son poil n'est pas , à beaucoup près ^ aussi long que dans les espèces précédentes , et il ne l'est pas plus que celui d'une souris ordinaire. Le dessous de l'œil est d'une cou- leur de cannelle claire, qui environne l'angle de la bouche , et occupe ensuite le dessous de la tête, et toutes les parties inférieures de l'animal. Les pattes et la face sont d'une cou- leur obscure ; le reste est comme dans la souris domestique. Au lieu de bourse , cet animal a entre les jambes deux plis ouverts en ellipse, qui renferment une très -petite cavité , où il y a huit mamelons d'un cercle prolongé. Je ne serais pas surpris que le di- delphis crabier, n.^ 297, du Muséum d'his^ toire naturelle de Paris , fût mon coligrueso. Mais je crois que la murina de Linné appar- tient à cette espèce ^5 et je soupçonne fort que Daubenton , dans sa description du sarigue % a confondu mon coligrueso avec le micuré. Je suis également persuadé que le même au- » Tome XXI, pag. 212. * Ibid. pag. 181. ( 291 ) leur, en décrivant la marmose, a confondu avec le colilargo Tespèce dont je parle dans le présent article, comme je Tai dit précé- demment. Je donne à la quatrième espèce le nom de colilargo ( longue - queue ). Je n'en ai vu qu'un individu , qui n'était pas adulte. 11 avait trois pouces trois quarts de long, sans compter la queue qui en avait cinq , et qui était entiè- rement dépourvue de poil. L'entre-deux des oreilles et tout le dessus du corps sont de la même couleur que dans la souris domestique, et le poil n'est pas plus long. L'œil est en- touré d'un anneau noir, suivi d'un autre blanchâtre 5 et dans l'espace qui s'étend d'un œil à l'autre, on voit une ligne obscure. Les parties inférieures sont blanches. On vèi-ra àa n.^ 23 , que j'ai quelques soupçons que quatre individus du Muséum d'histoire naturelle de Paris, pourraient appartenir à cette espèce. Daubenton ^ décrit la même marmose que Buffon , d'après deux individus qu'il avait sous les yeux, et même il en cite un troisième , qui lui servit pour la dissection. Mais.je crois que la proportion des mesures qu'il leur donné, indique qu'ils ne sont pas tous d'une m^me ' Tome xxr , pag. 216. ( 2Q2 ) espèce , comme il le pense; et que le premier est un coligueso non adulte, et les autres, des colilargôs. Je ne suis nullement surpris qu'un naturaliste aussi habile et aussi exact ait pu tomber dans une semblable erreur, puisque , dans la famille desdidelpbes ou fecundos , les espèces se rapprochent tellement les unes des autres, qu'il est très-difficile de les distinguer, même dans,, les individus yivans, et que cela est presque impossible dans les individus con- servés dans J^S cabinets. Si ma conjecture est vraie, comme je le crois, et que ces trois individus appartiennent à deux espèces diffé- rentes , il ne serait pas surprenant qu'on eût confondu leurs caractères dans la description. En effet , toutes les couleurs dont on y parle appartiennent au coligrueso plutôt qu'à l'autre, à l'exception de la bande noirâtre qui, seloa Daubenton, entoure l'œil, et s'élargit en- dessus a la partie antérieure , de manière à former un anneau noir \ Ce dernier caractère appartient au çolilàrgoj et j'en dis autant des quatorze mamelles, et de la queue qui n'a de poil qu'à sa racine , et dans une longueur de trois lignes. Il est vrai que Buffon dit " qu'une ^inèfr: ' • pnq in ,:2 on ^/ ' Tome XXI , pag. 255. ■ Ihid. pag. 2i3. ( 393 ) grande partie de la queue est couverte de poil, ce qui appartient au coligrueso. Ce que je regarde comme certain, c^est que cet ani- mal n'est pas la murina de Linnë; mais je ne connais pas le philander de Brisson, que Buffon rapporte à cet!e espèce. L'individu que l'on envoya de Cayenne à ce dernier auteur \ me paraît aussi être un colilargo. J'appelle colicorto ( queue-courte ) le cin- quième fecundo. Il a quatre pouces et demi de long , sans compter la queue qui en a deux un quart, et qui n'a de poils qu'à la ra- cine. Le corps est à proportion plus gros que dans toutes les autres espèces, et le poil n'est pas plus long que celui de la souris com- mune. Le dessous de l'œil , et même un peu du dessus, les côtés de la tête et du corps sont d'une couleur de cannelle vive. Le dessus du museau est brun, et tout le reste est d'un brun plombé. Cet animal n'a point de bourse; mais son sein, placé entre les jambes, est gonflé et chargé de quatorze mamelons si petits, qu'on a bien de la peine a les compter» Sa portée est de quatorze petits, qui s'atta- ehent a ces mamelons , et la mère les traîne » Supplcra. , tom. VI , pag. ii8, cit. {d)^ ( 294 ) avec elle , sans qu'ils lâchent jamais prise. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , on voit sur une même rangée plusieurs fe- cundos sous le nom général de didelphes. Les deux individus le plus à la droite de celui qui regarde , et nommés touan^ sans numéro, sont de cette espèce. Je commence aussi à soupçonner qu'on pourrait y rapporter la musaraigne du Brésil, dont parle Buffon \ J'appelle enano (nain) le dernier fecundo , parce qu'il n'a que trois pouces et demi de long, indépendamment de la queue qui en a trois deux tiers , et qui est entièrement dé- garnie de poils. Je n'ai eu en mon pouvoir que deux mâles, qui avaient le poil court comme la souris , et la queue plus mince que les autres. L'entre-deux des oreilles, tout le dessus et les côtés , sont d'un plombé un peu plus foncé ou plus obscur que dans la souris , et tout le dessous est d'un blanchâtre plus clair. Mais le contour de l'œil est d'un noir qui s'étend vers le grand angle. Le sourcil est blanchâtre a la partie supérieure , et tous les deux sont séparés par un triangle un peu obscur et peu remarquable. Dans la rangée des didelphes du Muséum d'histoire naturelle * Tome XXX , pag. 21 5. (295) de Paris , on voit quatre individus de diffë- rens âges, sans compter ceux qui sont sur le dos de la mère. Ces quatre derniers qui n'ont ni nom ni numéro , me parurent d'abord être de Tespèce de mon colilargo, et je le dis ainsi à MM. Cuvier et Walckenaer ; mais les exa- minant ensuite plus à mon aise et avec plus d'attention, j'ai changé d'avis, et je crois plu- tôt qu'ils appartiennent à l'espèce que j'appelle enana (naine). Voici sur quoi je me fonde^ La tache de l'œil n'est pas ronde comme dans le colilargo, mais disposée en long ; on n'ob- serve pas la ligne obscure verticale sur le front , ni le blanc à la partie antérieure des bras ; et la grandeur et les proportions me paraissent à la vue se rapprocher plus de l'e- nano que de l'autre. Il est vrai que la mâchoire inférieure , au-dessous de l'œil, est blanche sans qu'on y aperçoive de jaune ; mais comme cette nuance est très-peu sensible, je ne suis pas surpris qu'elle ait disparu , ainsi que la couleur foncée du centre du front , qui est peu sensible , même dans l'animal vivant. Si l'on mesurait la longueur totale et celle de la queue , peut-être nos doutes seraient-ils dissipés. Rien déplus connu que les formesdesrenards C 296 ) ( zoïTOs). Celui qu'on nomme aguara-guazù a 41 pouces de long , sans compter la queue , qui en a quinze , indépendamment du poil , qui en a quatre. Depuis le bas du pied jus- qu'au garrot ou à l'épaule , il a trente-quatre pouces et demi. Il en résulte qu'il est aussi grand qu'un chien de la plus grande taille , et plus grand qu'un loup ; et il ne le cède à aucun de ces animaux par la légèreté de sa course , ni par la force des dents. J'ai vu un individu adulte qui était mort ; j'en ai eu beaucoup d'autres qui étaient petits , et que je voulus élever en leur donnant à manger de la chair de vache crue ; mais je m'aperçus bientôt qu'ils ne la digéraient pas , et qu'ils la rendaient presque comme ils l'avaient ava- lée. Ils grondaient et aboyaient absolument comme des chiens , mais avec plus de force et d'un ton plus confus. Us ne faisaient au- cune attention aux poules qui passaient à leur portée ; mais ils mangeaient les petits oiseaux» des souris , des œufs , des oranges et de la canne à sucre. Comme cette espèce n'habite que les terrains inondés , sans passer au sud de la rivière de la Plata, je crois qu'elle se nourrit principalement d'escargots ou lima- çons y de crapauds , d'écrevisses et de vipères. ( 297 ) Cet animal fuit toujours : il ne fait aucun mal aux troupeaux ; il est nocturne et solitaire ; et plusieurs habitans de la campagne assurent que Ton trouve dans le cœur , dans les reins et dans les entrailles de quelques individus de celte espèce, des abeilles, des vers et même des vipères. Cela me fît examiner avec soin l'individu adulte que je possédais , et d'autres plus petits ; mais je n'y trouvai rien de sem- blable : les jeunes moururent tous. Mon ami don Pedro Blas Noseda ne trouva rien non plus dans le corps d'un jeune individu de cette es- pèce; mais en examinant le corps d'une vieille femelle , il trouva que le rognon droit, qui en apparence ne différait pas de l'autre, for- mait une bourse qui renfermait six vers vi- vans , qu'on voyait remuer. Le plus grand de ces vers avait quinze pouces de long , et la grandeur des autres diminuait progressive- ment. Tous se nourrissaient du sans: mêlé d'eau oii ils nageaient. Je regarde Noseda comme un homme très-véridique. Les ana- tomisles penseront ce qu'ils voudront de ce fait. En attendant, on serait tenté de croire que ces vers sont le produit d'une généra- tion spontanée et irrégulière. Le poil , beau et doux , n'est point couché; il est au con- ( 298 ) traire un peu crépu , long de quatre pouces, et d'un beau rouge tirant un peu sur le jaune. Mais sa crinière , haute de six pouces , n'est de cette couleur que jusqu'à la moitié de la longueur du poil , dont le reste est noir jusqu'à l'extrémité. La partie inférieure des quatre pattes est également noire , ainsi que le museau. On voit une grande tache blanche sur le dessous de la tête , et la partie postérieure de la queue est également de cette couleur. C'est indubitablement l'ocorome de Moxos ^ ; et je crois aussi que c'est le koupara de Barrère *. L'aguarachay est très-commun dans toutes ces contrées. Il a la prunelle de l'œil con- formée comme celle du chat. Il est nocturne , et ses formes et ses habitudes ne diffèrent en rien de celles du renard d'Espagne. Noseda en apprivoisa un qui devint aussi familier qu'un chien ; mais il lui mangeait toutes ses poules. Il a vingt-cinq pouces et demi de long , sans compter la queue , qui en a douze et demi , et les poils du bout d'un pouce et demi. Le dehors de l'oreille , l'extérieur des pattes de devant et de celles de derrière , ' Tome XIX , pag. 25. ' Tome XXX , pag. 2o5, cit. (*). ( 299 ) jusqu'au-dessus du jarret, sont de couleur rougeâtre tirant sur celle de cannelle : le mu- seau est noir jusqu'aux yeux. Sur le reste du dessus de la tête , on voit de petits poils cou- leur de cannelle , dont le bout est blanc. La mâchoire inférieure est noire ; le reste du dessous de la tête est blanc. Toutes les par- ties inférieures du corps sont blanchâtres. Le reste de la peau est gris , parce que chaque poil a alternativement deux raies blanches et deux noires. L'extrémité est de cette der- nière couleur. Au Muséum d'histoire natu- relle de Paris , n.^ 278 , il y a un animal nommé renard trlcolor '^ apporté du nord de l'Amérique, et qui me paraît être mon agua- rachay. Si cela est ainsi , comme je n'en doute pas , on peut en conclure que le climat n'a que peu ou point d'influence , puisque l'agua- rachay est le même dans toute l'Améri- que , depuis le détroit de Magellan jusqu'au pôle arctique, quoique en général le renard varie beaucoup dans ses couleurs. Le popé est long de vingt-trois pouces et demi , sans compter la queue , qui en a treize et demi , ni les poils , qui en ont deux. Le ' Canis cinereo argenteus. Buffon n'en a poini parle. (C.V.) ( 5oo ) museau est plus polnlu que celui du renard , et un peu retroussé au bout. L'œil est assez grand et un peu saillant , et l'oreille est un peu inclinée sur le côté. Il a aux pattes de de- vant cinq doigts dégarnis de poil , séparés , calleux en-dessous , plus élevés que gros , qui ne lui servent pas pour déchirer , mais pour porter sa nourriture a sa gueule ; ce qu'il fait avec les deux pattes à - la - fois. Les pattes de derrière sont conformées de même. Il a trois mamelles de chaque côté. Son poil est doux et un peu crépu. Toute la partie inférieure du corps est d'un jaune pâle , et les quatre pattes sont noires , ainsi que le dernier tiers de la queue , dont le reste est partagé par des anneaux noirs et blanchâtres. Les sourcils sont blancs , ainsi que le bord des lèvres ^ et il y a derrière l'œil une tache de la même couleur. Le reste de la tête est noir. Tout le reste de la fourrure est mé- langé de deux sortes de poils : le plus long est noir , l'autre blanchâtre , ce qui donne une couleur grise. Je crois qu'il ne passe pas les 5o degrés sud , et qu'il est nocturne. Quel- ques personnes disent qu'il a toutes les ha- bitudes du renard , mais qu'il suffit de con- sidérer ses formes pour voir qu'il n'est ni (3o, ) ^ussi léger ni aussi aclif. Il paraît qu'il pré- fère les lieux aquatiques , et qu'il monte aux arbres. Je ne doute pas qu'il ne mange de tout dans l'occasion ; mais je crois qu'il se nourrit principalement d'insectes , de fruits , d'œufs , d'écrevisses , et des petits oiseaux qu'il peut surprendre. On l'apprivoise en le tenant a l'attache. Il est assez lourd 5 le corps et le cou sont gros et courts ; la queue est droite ; il se tient resserré , et a l'air timide ; sa gueule est très-fendue. Il a à la mâchoire inférieure six incisives , dont les extérieures pourraient passer pour des canines : on trouve après un intervalle vide , suivi de dents canines , qui ont sept lignes. A la mâchoire inférieure il a six incisives , et ensuite des canines. Dans le Muséum d'histoire naturelle de Paris , n."* 197 et 198 , il y a deux popés , sous le nom de raton crabier , que leur a donné Buffon * ; mais il avait déjà décrit cet animal sous le nom de raton *. Le cuati a 22 pouces et demi de long , sans la queue qui en a 20 î , et que souvent il redresse verticalement, en dirigeant le bout par-der- rière. Le corps et le cou sont giros et courts j » Supplem. , tom. xii , pag. 14. » Tome XVII , pag. 177. ( 502 ) le museau est très-long, aigu, en forme de trompette ; et le bout qui surpasse plus de seize lignes à la mâchoire inférieure , a quelque mo- bilité dans tous les sens. Dans la mâchoire su- périeure, on trouve quatre incisives, puis un vide , et après une dent canine, séparée par un assez grand intervalle d'une canine longue de cinq lignes, et qui est à deux tranchans comme une épée. Viennent ensuite six dents molaires. Le nombre des incisives de la mâchoire infé- rieure est le même : elles sont suivies de ca- nines longues de 8 lignes et à deux tranchans, et très-séparées des molaires. L'oreille est ronde et petite. Toutes les pattes ont cinq doigts , réunis par une membrane qui s'étend jusqu'à la moitié de chaque doigt. Les femelles ont presque trois pouces de moins long que les mâles: elles ont de six à dix mamelles, et mettent bas quatre a cinq petits , dont les mâles font le plus grand nombre. Cet animal a une petite tache blanche sous l'œil, une autre derrière : il en naît une troisième sur la partie postérieure de l'œil; elle fait un tour, et se prolonge le long du côté du museau. Le reste de celui-ci est noir, et cette couleur s'intro- duit en furme de pointe aigûe dans la tache blanche qu'ii y a sur le grand angle de l'œil. ( 5o5 ) Le front est d'un blanc jaunâtre , ainsi que tout le dessus du corps et les côtés ; mais le bout du poil est d'une couleur obscure , et la queue a des anneaux de cette dernière cou- leur, et d'autres blanchâtres. Les poils du des- sous du corps sont obscurs au bout , et d'un orangé pâle dans l'intérieur. Il y a quelques individus qui ont ces endroits blancs au lieu d'être orangés , et qui sont blanchâtres au- dessus du corps, au lieu d'être blancs-jaunâ- Ires. Cet animal n'habite que les bois ; il grimpe aux arbres , et on dit qu'il suffit de frapper le tronc, pour faire tomber toute la bande qui est sur les branches. Il y a aussi des personnes qui lui prêtent toutes les ruses et toutes les habitudes du renard, mais son peu de légèreté fait voir qu'elles se trompent : son museau n'annonce pas un animal qui ait le coup de dent fort ; et l'on voit qu'il est tout au plus en état de manger des œufs , ou les petits ani- maux qu'il trouve dans les nids. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il ne mange pas de souris. Cepen- dant quand il est apprivoisé ( ce qui n'est pas difficile ) il mange du pain , de la viande , du fruit, et de tout indifféremment. On le tient à l'attache, parce qu'il est très-turbulent, et pour l'empêcher de s'en aller, parce qu'il ne ( 5o4 ) s'attache à personne. Au Muséum d'histoire naturelle de Paris , ou voit réunis plusieurs cuatis , dont , à mon avis , aucun n*est adulte ; et ceux des n.°^ 186 et 188 sont de la variété dont la couleur est plus obscure. J'appelle loutre ^ l'animal que, dansle pays, on nomme loup de rivière ^ et que Ton trouve dans tous les lacs et dans toutes les rivières du Paraguay, et je crois même jusque dans la rivière de la Plata. Chaque société de ces ani- maux vit dans un grand trou , qu'ils creusent sur le bord de l'eau , et oii ils mettent bas leurs petits. Ils ne vivent que de poissons, qu'ils mangent ordinairement hors de l'eau. Ils res- tent autant de tems qu'ils veulent sous l'eau , sans se noyer : ils montrent quelquefois la tête , et aboient après les barques , comme des chiens ; mais le son de leur voix est rauque , et ils ne mordent jamais les nageurs. A terre , leur démarche est lourde , et ils se traînent de manière qu'ils marchent presque sur le yentre. J'en ai eu huit individus vivans, et je vais donner les dimensions du plus grand, sans assurer qu'il fût adulte ; car il me semble en avoir vu de plus grands en naviguant sur les rivières. La longueur est de 24 pouces et demi , sans compter la queue qui en a 18 : elle est ( 5o5 ) grosse, pointue, flexible et ronde, quoique l'on remarque un pli formé par la peau tout du long de ses côtés. Le corps et le cou sont gros; la tête est courte et plate , mais lé haut est en forme de demi -cercle, et plus élevé que les oreilles , qui sont petites et rondes. Lé museau n'est pas pointu , mais très-garni de mousta- ches, et l'œil est petit. La mâchoire supérieure a six dents incisives , suivies d'une dent canine , après un intervalle : cette canine a sept lignes de long , et elle est séparée des molaires par un autre intervalle. On observe le même nom- bre d'incisives à la mâchoire supérieure -, il n'y a point de canines , mais seulement des mo- laires séparées des autres par une place vide» Les quatre pattes ont cinq doigts réunis par une membrane. La mâchoire inférieure est de couleur de paille ou jaunâtre -, tout le reste du poil est d'une couleur obscure , luisante j et doux au touchero Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes, je ne craignis pas d'assurer que ma loutre était l'animal que BufFon appelle saricovienne. Mais ayant vu depuis cette espèce au Muséum d'Histoire naturelle de Paris, plusieurs raisons m'engagent à douter de la vérité de mon asser- tion. En effet , quoique le pays et les formes I a, 20 ( 3o6 ) paraissent être les mêmes , la sarîcovîenne est beaucoup plus grande que les huit individus que j'ai vus et tenus entre les mains. Ajoutez à cela que le poil de ma loutre me paraît beau- coup plus doux, plus perpendiculaire à la peauj plus obscur j tandis que celui de la sari- covienne est de couleur de cannelle. Il est vrai que cette dernière couleur devient assez sou- vent plus obscure et plus foncée dans les vieilles peaux de quelques - uns de ces ani- maux ; mais aussi il y a une autre différence que voici : la couleur de paille ou blanc jau- nâtre, qui dans ma loutre n'occupe que la mâ- choire inférieure au-dessous de la tête , s'étend beaucoup dans la saricovienne, et couvre la gorge jusqu'à la poitrine. Il est vrai que les petits de la saricovienne que l'on voit au Mu- séum, à côté de leur mère , ne présentent pas cette différence d'une manière aussi sensible j mais elle est toujours plus remarquable que dans mes individus. Ces doutes m'ont confirmé dans un autre , qui auparavant m'avait fait peu d'impression. J'avais vu de loin , en naviguant sur quelques rivières au nord du Paraguay, des loutres qui me parurent plus grandes que les huit individus que j'avais vus et décrits, et je vis aussi dans le pays une peau de loutre ( 3o7 ) empaillée, longue de 46 pouces, sans la queue qui en avait 21. Tout cela me fit soupçonner que ces grands individus pourraient appar- tenir à une autre espèce; ensuite je me per- suadai que la différence de grandeur venait de l âge , et non d'une différence spécifi- que. Mais comme je vois actuellement qu'il est probable que la saricovienne est une es^ pèce différente des huit individus que j'ai me- surés et décrits , je trouve également probable que les grands individus dont je viens de parlei' doivent être rapportés à la saricovienne , d'au- tant plus que l'animal empaillé que j'ai vu avait la même qualité de poil et la même cou- leur que la saricovienne du Muséum. Il est vrai que j'ignore s'il avait aussi la tache au- dessous de la tête et sur la gorge , parce que îe poil était tombé. Si l'on s'assure qu'il existe effectivement dans le pays deux loutres diffé- rentes, c'est-à-dire la mienne et la sarico- vienne , il faudra examiner de nouveau la nomenclature de Buffon * , et ma critique;. Cependant je crois toujours que le carigue- Leju de Thevet est mon quija , et que la lutra ratri coloris macula sub gutture flava de Brisson ^ est ma loutre , vu le rapport des cou- * Tome xxYiij pag. 126. ( 3o8) leurs. Qaant aux autres auteurs cités par Buf- fon , je ne puis rien en dire , non plus que des loutres qu'il indique ensuite ^ Je nomme quiyâ , ainsi que les indiens , un animal que les espagnols appellent impropre- ment loutre. Il ne passe pas les 24 degrés de latitude vers le nord ^ mais dans la pro- vince de la rivière de la Plata , on le trouve abondamment dans tous les ruisseaux et dans tous les lacs. 11 creuse des trous sur le bord de Teau , pour se cacher et pour mettre bas ses petits , au nombre de quatre à sept. 11 nage souvent , et même il plonge \ mais il a besoin de sortir fréquemment de Teau pour respirer. Il vit uniquement d'herbes. Sa lon- gueur est de dix-neuf pouces , sans compter la queue , qui en a seize , et qui est grosse > écailleuse et dénuée de poils. Ses pattes sont très-courtes , et sa démarche est lourde. 11 a aux pattes de devant cinq doigts , tous séparés \ ceux des pattes de derrière , dont le nombre est le même , sont tous unis par une mem- brane. 11 ressemble assez au lièvre par la tête et le museau; mais ses oreilles sont beau- coup plus petites et sans poils. Il n'a que deux dents à chaque mâchoire : elles sont orangées , •Suppl. , tom. V; pag. 260. — T. 12 , pag. 104 et i23. (3o9) longues d'un pouce , et la gueule est comme dans le lièvre. Le contour de la gueule et la pointe du museau sont blancs. Du reste , le dessus est obscur , quoiqu'on aperçoive bien distinctement du rougeâtre sur les côtés de la tête et du corps , et aux environs de l'o- reille. Les parties inférieures sont plus clai- res. Je soupçonne fortement que le sarigue- besu de Thevet appartient à cette espèce ^ Je me fonde sur ce qu'il dit que cet ani- mal habite la rivière de la Plataj que sa chair est bonne a manger 5 que la couleur du poil est un mélange de gris et de noir , et qu'il a des membranes aux pattes. Dans mon ou- vrage sur les quadrupèdes, je formai le même soupçon a l'égard de la petite loutre d'eau douce envoyée de Cayenne à Paris * j mais au- jourd'hui je suis pour la négative. Le capibâra ne passe pas le sud de la ri- vière de la Plata 5 mais on le trouve fréquem- ment sur le bord de toutes les rivières , des ruisseaux et des lacs, oii il vit en famille , ne se nourrissant que d'herbes, et ne creusant point de terriers. Il nage beaucoup , et il plonge , mais seulement autant que le besoin ' Tome XXVII, pag. 126. » Supplem. , tom. v, pag. 262, (3.0) de respirer le lui permet; Il court peu ; il est pacifique, tranquille et lourd , et il demeure long-tems assis. Sa éhair est bonne , et très- grasse. Il sort sur-tout la nuit. Sa portée est de quatre à buit petits. Il est long de qua- rante-cinq pouces et demi, et n'a point de queue. Le corps est plus court , plus gros et plus arrondi que celui du cochon. Sa tête à moins de largeur que de bauteùr ; l'oreille est courte et sans poils. Le museau est extrême- ment obtus. Sa gueule ressemble û celle du lièvre ^ et elle a , comme dans cet animai , deux grandes dents en haut et autant en bas. Il a sur le museau une espèce de loupe très-» aplatie , et dépourvue de poils. Les quatre doigts des pattes de devant sont unis par une membrane : il en est de même des trois doigts qu'il a aux pattes de derrière. La femelle n'a point cette ïoupe , et elle a deux pouces et demi de moins de longueur. Le poil est gros , et serré contre le corps , d'une couleur obscure ; mais le bout en est rougeâtre. Tout le dessous est d'un brun blanchâtre. Au Mu* séum de Paris, n,° 557 , on peut voir un indi- vidu jeune sous le nom de çabiau Le pay est très-rare au Paraguay , et je croîs qu'oB nç le trouve plus dçs le 3o.^ d egré de ( 5ii ) latitude. On m'a assuré dans le pays , qu'il avait la même façon de vivre que Pacuty ; que, comme lui , il est nocturne, et qu'il ronge tout 5 qu'il habite les bois , où il se cache dans le creux des arbres , et même sous leur tronc 5 qu'il mange de l'herbe et des cannes a sucre 5 qu'il a la chair délicate , et qu'il met bas un ou deux petits. Je n'ai eu en mon pouvoir que deux mâles de cette espèce , qui avaient vingt-quatre pouces de long : la queue ou le coccix n'avait que six lignes. Le corps res- semblait à celui du cochon par sa rondeur et son embonpoint. Le museau était obtus , avec deux grandes dents en haut et en bas , la face plate et l'oreille sans poils ; cinq doigts aux pattes de devant , dont l'intérieur se réduit à iin ongle , tant ce dernier doigt est petit : tous sont un peu unis à leur racine. Les pat- tes de derrière ressemblent absolument à celles de devant. Il n'y a qu'une mamelle de chaque côté. Le poil est court , collé con- tre le corps, et très-blanc dans toute la partie inférieure. Celui de dessus est d'un brun obs- cur ; mais , de chaque côté du corps , il y a des bandes blanches très-remarquables , et placées en long. Au cabinet de Paris, n.^ 544 ? il porte le nom de Paca, C 512 ) L'acuty n'est pas rare au Paraguay ; maïs il ne s'étend pas au sud. H est nocturne ; et , dans les maisons , il ronge tout jusqu'au bois des portes. Il a les mêmes habitudes que Tes- pèce précédente 5 mais il est beaucoup plus lé- ger. Il ne creuse pas non plus de terriers : il vit de végétaux ; mais dans l'état d'escla- vage il mange de tout. Quand il a peur , il dresse ses poils sur la croupe , et ils tombent par poignées. Il a la même attitude que le lapin : on dirait qu'il est bossu. Il lève ses deux pattes à -la-fois , et s'en sert pour sou- tenir ce qu'il mange. Il est long de vingt pouces. La queue , qui en a tout au plus un ^ est roide , sans poils , et presque cylindrique. La tête , la gueule et les dents sont à-peu-près comme dans le lièvre. Il a aux pattes de de-, vant cinq doigts , dont l'extérieur se réduit k l'ongle. Il n'en a que trois aux pattes de derrière : le tarse est très-alongé. La femelle ^ trois paires de mamelles , et sa portée est ordinairement de deux petits , qu'elle met bas au mois d'octobre. Le dessous de la tête jus^ qu'au poitrail , est de couleur de paille , et le reste en-dessous est presque blanc. Toute la partie supérieure et les côtés sont de cou- leur grise , ou d'un mélange d'obscur et jaune ( 5i3 ) verdâtre ; mais le jaune domine sur le devant des pattes : le derrière est orangé -, les paltes sont obscures. Au Muséum d'Histoire natu- relle, il y a deux individus de cette espèce sous !e nom de cavia-agouti, Buffon sépare cet animal de celui qu'il appelle acouchi * ; et dans mon ouvrage sur les quadrupèdes , j'ai cru qu'il se trompait , ou du moins que son opinion n'était pas bien fondée. Mais puisque dans le même cabinet , n."" 541 , il y a un cavia-acouchi , à la vue des plus habiles na- turalistes , je dois nécessairement croire que je me suis trompé. Il est vrai que cet animal me parait être aussi un acuty ou agouti par tous ses caractères , et je ne lui vois point la queue que lui donne l'auteur. Peut-être, en le regardant au grand jour , la découvrirait- on , ainsi que d'autres différences que l'on n'aperçoit pas de la manière dont l'animal est placé au cabinet. Jamais je n'ai vu le tapity au sud du 5o.^ degré de latitude. Rien de plus ressem- Llant en tout au lapin sauvage ; mais la queue est plus courte , et son poil lui donne la forme d'une boule. Outre cela , il ne creuse point de terriers , et il n'a d'autre demeure que les }. Tome XXX , pag. 21 1 j et supp]. t. vi, p, 19. (5i4) buissons. Sa portée est de trois ou quatre pe- tits , qu'il dépose en septembre dans quelque touffe d'herbes. Il a quatorze pouces de long , sans compter la queue , qui n'en a pas un , même en comptant les poils. Le derrière de l'œil est entouré par une raie de couleur blanche et cannelée , et qui s'étend même par- dessus. Les lèvres et le dessous de la tête sont blanches : cette couleur s'introduit en forme de pointe derrière la mâchoire , vers l'o- reille , sans cependant y arriver. Le poitrail est également blanc jusqu'à la queue , ainsi que le devant des pattes de derrière , et le derrière des pattes de devant : mais le bas , depuis la moitié du tibia, est de couleur de can- nelle brune , ainsi que le derrière des cuisses et du cou. La gorge et le museau sont dans le même cas. Le reste du poil diffère peu de celui du lapin ; mais en le regardant avec plus d'attention , on voit que la pointe en est noire : on observe ensuite un peu de blanc pâle , puis du noir , et la racine est blanche» C'est le tapeti de Buffon , qui est persuadé , ainsi que moi , que c'est le citli de la Nouvelle Espagne '. L'apereâ est très -commun pa/- tout. Il se ' Tome XXX, pag. 217» ( 5'5) cache parmi les chardons et les pailles da pays les plus hautes , que Ton trouve dans les plaines basses , ainsi que dans les enclos et dans les buissons. Il ne creuse point de terriers , et ne profite point de ceux des au- tres animaux : il mange de l'herbe j il est noc- turne , stupide , nullement sauvage , peu lé- ger ; et sa portée n'est que d'un ou deux petits. Sa longueur est de onze pouces : il n'a pas de queue. Sa tête et tout le reste de ses formes ressemblent entièrement à celles du cui ou petit lapin des Indes , qui n'est autre chose que l'apereâ apprivoisé. Le poil est dur , sur - tout sur le chignon. La couleur du dessus et celle de la gorge sont comme dans le rat commun , mais un peu plus obscures. Le dessous de la tête el du corps est blanc. Au cabinet de Paris, n° 558 , il y a un petit animal , incontestablement do- mestique , et connu vulgairement sous les noms de cui , cochon d'Inde et petit lapin des Indes. Cependant l'étiquette porte cavia- cobayâ , peut-être parce que Buffon croyait qu'on le nommait ainsi au Brésil^^ ; et en cela je crois qu'il se trompe. Le même auteur décrit séparément de l'apereâ, et comme une es- } Tome XVI; p. i. ( 5.6 ) pëce différente^, le cochon dinde : mais je îie doute pas que ce ne soit la même espèce , et que leurs différences ne proviennent que de l'état de domesticité du cochon d'Inde , tandiîi que Tapereâ vit en liberté. Cependant nous sommes d'accord pour rapporter à celte es- pèce les coris et les cois de différens auteurs. La vizcacha n'existe pas à l'est de la rivière d'Uruguay , mais seulement à l'ouest, depuis le So.^ degré de latitude , en allant vers le sud. Elle est très -commune au sud de Buenos- Ayres. Cet animal creuse des terriers comme le lapin , avec une multitude d'issues rap- prochées les unes des autres , et placées sou- vent dans les chemins , dans les jardins , et à côté même des maisons. Il y habite réuni en famille : il consomme toute l'herbe des environs , et cause de grands dommages dans Jes jardins potagers et dans les champs en- semencés j c'est ce qui fait qu'on le poursuit. &n assure quç si l'on fermait les issues des terriers , tous les animaux qui y sont renfer^ mes périraient , si d'autres individus de la même espèce ne venaient y faire leur vi- site , comme à l'ordinaire , pour les ouvrir, pour les en empêcher , un de mes amis at- » Tome XXX, p. 240. C3i7) tacha un chien sur chaque terrier qu'il voii-^ lait détruire , et toutes les vizcachas périrent sans oser sortir. On prétend aussi que pour les chasser, il suffit de faire ses ordures à l'entrée de leurs trous. Ils ont la singulière manie de ramasser dans les champs , et de déposer à l'entrée de leur terrier , tous les os et tous les crottins qu'ils rencontrent. Ils y ramassent tant d'objets différens que, lors- qu'on a perdu quelque chose , on est sûr de l'y retrouver. Us ne sortent que de nuit , et au moment du crépuscule , sans s'éloigner beaucoup. Leur chair est médiocrement bonne. Ils marchent à petits pas , et sans sauter; mais ils n'ont pas la moitié de la légèreté du lapin ^ auquel ils ressemblent par leur altitude voû-* tée. Cet animal paraît être de la famille de la marmotte. La vizcacha est longue de vingt-* deux pouces , sans compter la queue , qui en a presque sept, indépendamment des poils , qui en ont plus d'un. Le corps est trapu , la tête grosse et très-joufïlue ; l'oreille grande , elliptique , et un peu pointue ; l'œil grand , le museau très-obtus et velu. La gueule et les dents sont comme dans le lièvre. Il a qua- tre doigts sans membranes aux pattes de der- rière , et sur la paume une grande callosité , sur laquelle ranîmal s'appuie ^ et non pas sur les doigts. Aux patles de derrière il n'en a que trois : celui du milieu a sur le côté inté- rieur une glande couverte de poils plus durs que ceux du cochon. Les côtés de la lêle sont très noirs et très-garnis de soies longues , dures et fortes : celles qui occupent la place des moustaches excèdent les autres en lon- gueur , puisqu'il y en a de sept pouces. Une raie blanche , large d'un pouce , se prolonge parallèlement à la barbe jusqu'au point qui correspond k l'œil. Le bord supérieur de cette raie est obscur , et traverse l'œil. Tout le dessus du corps est gris ou d'une couleut obscure mélangée de blanchâtre : le dessous est blanc ; mais le dessus et le dessous de là queue sont noirs , tandis que les côtés en sont d'un brun clair. Les poils dont elle est cou^ verte la font paraître comprimée latérale- ment. La femelle a près de trois pouces de moins de longueur. Elle n'a pas la grande barbe du mâle , quoiqu'elle en ait les lon- gues moustaches. Toutes les couleurs de sou corps sont plus claires. Le lièvre patagon ne se trouve que de-^ puis le 55.^ degré de latitude , en allant vers le détroit de Magellan, On l'appelle lièvre 5 ( 319 ) quoiqu'il soit plus grand et plus trapu que celui d'Espagne , et qu'il ne coure pas tant ; cai' il se fatigue tout de suite. Il vit par cou- ples , qui courent et agissent en commun , et qui cependant ne couchent pas ensemble , mais à la distance d'une vingtaine de pas l'un de l'autre. Son cri est fort et très-aigu. Sa portée est de deux petits. Don Joacliim Maestre avait chez lui, au /^i.^ degré de la- titude , deux de ces animaux apprivoisés , qui se promenaient en liberté dans la mai- son, et qui entraient et sortaient à volonté. Il m'en fit présent. Leur longueur est de vingt-huit pouces et demi , sans compter la queue , qui en a un et demi , et qui est grosse et sans poils. La tête ressemble en tout a celle du lièvre , ainsi que la gueule. Les pattes de devant ont quatre doigts , et il y a en-dessous une callosité en forme de toupie ou de cœur, et de la grosseur d'une noix. Il a une semblable callosité aux pattes de derrière , qui n'ont que trois, doigts , et dont le tarse est sans poils. La femelle res- semble au mâle : elle n'a que quatre ma- melles , dont une paire est placée sur le mi- lieu du ventre , et l'autre trois pouces et demi plus avant. Ce qu'il y a de plus remarquable ( 020 ) dans la couleur , est une bande blanche blerl terminée , qui commence à un des flancs , où elle est très-étroite , et va rejoindre l'autre flanc par- dessus la queue : elle s'introduit ensuite entre les jambes , et occupe la partie inférieure. Le croupion est d'une couleur obscure , dans l'endroit où il touche cette bande. Sur le res^e de la partie supérieure du corps et sur les côtés , l.es poils sont bruns , et il n'y a que l'extrémité qui soit blanchâtre. Je n'ai rencontré la cuiy que dans les grands bois du Paraguay. 11 marche flegmatiquement et sans se troubler , sur le tronc et sur les branches des plus grands arbres. J'en ai eu un pendant un an dans ma chambre. On l'avait pris lorsqu'il était déjà adulte. J'observai qu'il courait très-peu , qu'il ne mtintra jamais ni joie , ni tristesse, ni reconnaissance , mais au contraire la plus grande stupidité , de l'in- différence , de la lourdeur et de la tranquil- lité , et qu'il savait tout au plus manger et vivre. II passait vingt-quatre heures , et quel- quefois quarante-huit sans remuer d'une ligne ^ sur le haut d'un volet , où il restait constam-* ment sans changer de place, soutenu seule-^ ment sur les pattes de derrière , celles de de- vant jointes et en l'air, mais touchant presque (321 ) au museau et aux pattes de derrière , tant il avait le corps courbé. Il ne regardait rien , et peu lui importait qu'on entrât ou qu'on criât : rien ne l'émouvait. Il descendait à terre une fois par jour , et pour un instant , pour manger des fruits et de toute espèce de vé- gétaux , et même des brins secs de saule. Il ne buvait jamais , et mangeait très-peu II prenait ses alimens avec ses dents 5 et après les avoir soulevés de terre , il les soutenait avec ses deux pattes pour manger. Il monte avec faci- lité le long d'un morceau de bois ; il se tient ferme sur la pointe d'un pieu vertical , même sans se soutenir avec sa queue , qui cependant pourrait lui servir à cet usage , ainsi qu'aux singes 5 mais il n'y a recours que pour des- cendre. Sa portée est d'un petit , qui diffère du père et de la mère , en ce qu'il est de couleur de roseau ou jaune de serin. Cet animal est long de onze pouces un tiers , sans compter la queue , qui en a neuf Elle est grosse , nerveuse , et dégarnie de poils aux trois quarts de sa longueur vers l'extrémité, il a quatre doigts à toutes les pattes , une paire de mamelles sur les muscles pecto- raux, et une autre a un grand pouce plus bas. Les quatre lignes de la pointe du museau sont I, a, ^i ( 522 ) Cylindriques , et garnies de moustaches ; la gueule et les dents sont comme dans la souris. L'œil est très-petit , un peu saillant j Poreille , courte et sans poil , est entièrement cachée sous des piquans ou épines. Ces piquans com- mencent sur le cylindre du museau , et sont plus longs du côté du chignon. Depuis la jus- qu'à l'épaule , ils ont deux pouces j mais ils ne sont pas aussi forts que sur la tête. Sur le dos et sur la queue il y en a en abondance , sans mélange de poils. Ces piquans sont longs d'un pouce, plus forts que les autres, et les uns sont en travers ou placés obliquement rela- tivement aux autres j mais on n'aperçoit ceux- ci que lorsque l'animal veut se défendre. Pour cet effet , il dresse les piquans de la tête , et il hérisse horizontalement ceux des côtés du corps et de la queue , lesquels en état de repos couvraient ceux du dos. Ces piquans qui couvrent les autres , sont très-mélangés de poils longs et bruns. Tous sont très-aigus et très-forts , jaunâtres à la partie inférieure et à l'extrémité , et de couleur obscure dans le milieu. Il n'y en a point sur les quatre pattes ni sur le dessous du corps , oii l'on ne trouve que des poils bruns. J'ai cru, et j'ai même assuré, dans mon ( 325 ) ouvrage sur les quadrupèdes , que mon cuiy était le coendou de BufFon * j mais je dois avouer ici avec franchise que je crois ac- tuellement le contraire, et que je pense que ce sont deux animaux difFérens. Voici mes raisons : Non-seulement Daubenton donne à ranimai qu'il décrit un doigt de plus au pied, des piquans plus longs d'un demi-pouce , et le corps de cinq pouces plus long; mais ayant vu moi-même le coendou au cabinet de Paris , n.^ 328 , je lui trouve les piquans plus épais , plus gros et plus forts , et ils ne sont pas entremêlés d'une aussi grande quantité de poils que dans le cuiy. De plus, les moustaches de ce dernier ont à peine la moitié de la gros- seur et de la longueur de celles du coendou» Cependant ils se ressemblent par la physio- nomie et par la couleur. Peut-être Buffon est- il tombé dans une erreur semblable à la mienne , en réduisant à une seule espèce les deux coendous de Pison et d'autres auteurs , parce que je ne doute pas que les auteurs n'aient pu parler du coendou et du cuiy , ani- maux difFérens et appartenans tous les deux à l'Amérique. Ainsi je soupçonne de la con- fusion dans la nomenclature de BufFon , puis- * Tome XXV , pag. 229. (524) qu'il ne l'a pas corrigée , lorsc|uïl a dit en- suite ' qu'il y avait à la Guyanne deux espèces de coendous. Je crus que cette notice était peu sûre ou même fausse , parce qu'elle venait d'un homme en qui j'ai tres-peu de confiance j mais aujourd'hui je la crois vraie , excepté dans quelques points relatifs à la manière de vivre qu'il attribue à ces animaux. Tout le monde connaît les caractères des souris ; mais on sait rarement distinguer les espèces les unes des autres , parce que cela est plus difficile qu'on ne le croirait. Si Ton ne connaît pas bien les rapports de la lon- gueur du corps à celle de la queue , il est inutile de s'en mêler, parce que toutes les explications du monde ne feront pas recon- naître une espèce à qui ne l'a pas vue. J'ai observé dans le pays les onze espèces sui- vantes : 11 y en a une appelée tucutuco , à qui l'on a donné ce nom , parce que lorsque Ton dort sur les terriers de ces animaux , on les entend répéter ce son fréquemment. On la trouve par-tout , pourvu que le terrain soit sable pur , et qu'il ne soit pas exposé aux inondations. Comme ces conditions ne se trou* * Suppl. tom. yi , pag. 22. C 325 ) vent remplies que dans certains endroits , leurs terriers sont très-éloignés les uns des autres , quelquefois à plus de vingt-cinq lieues , sans qu'on puisse concevoir comment ces animaux ont pu passer d'un endroit à l'autre. Au milieu du sable , à un palme de la surface , cet animal creuse un trou ou magasin de deux ou trois pal- mes de diamètre : de la circonférence sortent des galeries dans tous les sens ; chacune d'elles aboutit a un autre magasin qui a d'autres gale- ries semblables à celles du premier , et ainsi de suite. Il en résulte qu'il est très - difficile d'attraper l'animal , qui d'ailleurs est logé dans un terrain qui enfonce sous les pieds des che- vaux. Ces animaux forment des buttes ou des taupinières , avec le sable qu'ils tirent de des- sous terre ; et ils ont soin d'en fermer tou- jours l'entrée. Us vivent de racines et de lé- gumes , et déposent ce qu'ils trouvent lors- qu'ils sortent , dans les magasins que nous ve- nons de décrire ; mais jamais ils ne sortent de jour. Je n'en ai jamais pu prendre qu'un , quoiqu'ils soient extrêmement communs. La longueur est de sept pouces et demi , sans compter la queue , qui en a trois , et qui est garnie de poils jusqu'à six lignes dans sa nais- sance. Le reste de celte queue est iiud , sans ( 526 ) écailles , mais très-gros. La tête est plus courte^ plus aplatie et plus large que dans toutes les autres espèces. L'œil est beaucoup plus petit que celui du rat ordinaire. L'oreille est très- singulière , dénuée de poils : elle se réduit a un tuyau vide et long , de deux lignes de dia- mètre et d'une de hauteur. Il a cinq doigts aux pattes de devant , et en outre , on en aperçoit un autre collé au derrière du pouce , et plus gros , mais arrondi et sans ongle. Les pattes de derrière ont cinq doigts, et le dessous ou la plante en est plus large que dans toutes les autres espèces. Les dents sont extraordinaire- ment larges. Le poil est très - doux. Le dessus est entièrement gris de plomb , et le bout du poil est de couleur cannelle dorée. Le dessous est dans le même cas , mais blanchâtre. Le poil de l'intérieur des pattes est blanc. Je crois que c'est le lukan de la Nouvelle Espagne dont parle Buffon ^ j mais je doute beaucoup que ce soit également la taupe rouge d'Amérique de Seba ^ Je n'ai pu me procurer que trois femelles et un mâle de l'espèce que j'appelle Xépuieuse {espinoso) j^rès de la peuplade d'Atirà aiî * Tome XXX , pag. 211. » Suppl. tom. XII , pag. 36. (527 ) Paraguay. Je les pris en bouleversant leur terrier , qui a cinq pieds de longueur horizon- tale , et neuf ou douze pouces de profondeur^ dans un terrain sablonneux qui n'est jamais inondé. Sa longueur est de huit pouces , sans compter la queue , qui en a trois. Elle est très- grosse , et couverte de petits poils courts qui en cachent les écailles. Il a cinq doigts à toutes les pattes. La tête, le cou etle corps sont plus forts que dans le rat ordinaire : les pattes sont aussi plus courtes , le ventre presque traînant , la démarche moinslégèreet l'oreille plus courte. Tout le dessus est gris ou mélangé d'obscur et de rougeâtre , et toutle dessous est blanchâtre. Mais en examinant l'animal avec soin , on ob* serve que la couleur grise provient de la na- ture différente des poils : les uns sont fins et blancs j les autres sont proprement des pî- quans , longs tout au plus de dix lignes , en forme d'épée à deux tranchans, avec une gout- tière en-dessous , et une arête en haut dans le sens de la longueur. Ces piquans sont blan- châtres jusqu'aux trois quarts , ensuite ils de- viennent obscurs 5 et la pointe en est rougeâ- tre. Ce qu'ils ont de particulier , c'est qu'ils sont terminés par de petits poils qui les em- pêchent d'enfoncer , et qu'ils tombent trèsr- '( 5 28 ) facilement , comme je Tai dit en parlant de ceux de Pacuty. Les femelles ont presque un pouce de moins long. Je tuai un individu de cette espèce à ren- trée de son trou, près d'un ruisseau , et je lui donnai le nom de hacicudo , parce que son museau est si long et si pointu que cela dis- tingue cette espèce de toutes les autres. Il a cinq pouces de long , sans compter la queue ^ qui en a trois et demi , et qui est recouverte de poils qui s'étendent à trois lignes de sa ra- cine. L'ensemble de la tête ressemble un peu à celle du cochon , parce que le museau est long , droit , en forme de trompe , et aigu \ quoique sans rebord. La fente de la gueule est plus éloignée du bout du museau, que dans toutes les autres espèces , puisqu'il y a cinq lignes depuis cette pointe jusqu'à la partie la plus avancée de la lèvre supérieure. L'oreille est en demi-cercle , et a cinq lignes de rayon. Il a cinq doigts aux pattes de der-» rière : celles de devant en ont autant j mais le pouce se réduit à l'ongle, et elles sont plus courtes. Le poil est un pe« rude , de couleur obscure depuis le museau jusqu'à la queue , le bout tirant un peu sur la cannelle : le reste du dessus du corps est de couleur de cannelle (329) ronge. Il en est de même du dessous , qui est cependant un peu blanchâtre. J'appelle orejon ( oreillon) ^ une souris qui ^it dans les champs , mais qui se réfugie quel- quefois dans les maisons qui y sont bâties. Cet animal est long de quatre pouces trois quarts , sans compter la queue , qui en a plus de trois et demi , et qui est plus mince que celle du rat ordinaire. La tête est joufïïue , l'œil grand , l'oreille élevée de neuf lignes sur la tête, et presque circulaire à la pointe. Le tarse est de couleur obscure en-dessous 5 il a cinq doigts aux pattes de derrière , à celles de devant il en a quatre , avec un tubercule à la place du pouce. Ces pattes de devant sont courtes : le poil en est court et doux. Tout le dessous du corps est de couleur de cannelle claire -, le reste de la fourrure ressemble à celle de la souris ordinaire , quoique un peu claire au- tour de l'œil. Dans les plaines de Montevideo , des chiens prirent une souris que je nomme colibreve {courte-queue) y parce que sa queue est à proportion plus courte que dans toutes les autres espèces. L'animal a quatre pouces un quart de long , sans compter la queue , qui en a deux un quart. Le cou est très-court , la tête ( 35o ) un peu joufflue , l'œil de moyenne grandeur ^ l'oreille en demi - cercle , assez petite ; les pattes de devant très-courtes , garnies de qua- tre doigts et d'un tubercule à la place du pouce ; les pattes de derrière plus longues , le tarse de couleur obscure en-dessous , long de neuf lignes , en y comprenant les griffes : il y a cinq doigts. Tout le dessous est de couleur de perle , et le reste obscur. J'appelle une autre souris cola igual al cuerpo ( queue égale au corps ) y parce qu'ef- fectivement elle a quatre pouces de long , ainsi que le corps : elle est garnie de longs poils jusqu'à trois lignes de sa racine ; et elle n'est pas aussi grosse que dans le rat ordinaire. En outre , cet animal a la tête plus courte et plus grosse à proportion , les yeux moins sail- lans , et plus rapprochés l'un de l'autre j les oreilles plus courtes , presque circulaires , et plus éloignées j les moustaches beaucoup plus fines et plus courtes, les pattes de derrière plus longues en comparaison de celles de devant j le tarse plus long de treize lignes , en comptant les griffes , et le croupion plus obtus. Les pattes de devant ont cinq doigts , et un tubercule à la place du pouce ; celles de derrière ont également cinq doigts. Tout le (55r ) dessous du corps est blanchâtre ; le reste est couvert de poils de couleur plombée , et dont le bout est couleur de cannelle. On donne , au Paraguay , le nom d'anguya à toute espèce de souris. J'applique ce nom à une espèce qui peut-être est la même que la précédente , quoique cela ne soit pas mon opinion. Cet animal a cinq pouces et demi de long , sans la queue , qui en a six. Le mu- seau est peu pointu , et n'est pas dénué de poils ; les moustaches sont touffues , et quel- ques-uns des poils dépassent le bout de l'o- reille , qui a neuf lignes de haut, cinq de lar- geur, et dont le bout est rond. L'œil est un peu saillant ; les dents sont orangées. Il a cinq doigts aux pattes de devant ; mais en y regar- dant de près , le pouce se réduit a l'ongle. Les pattes de derrière ont cinq doigts 5 le tarse est de couleur basanée , long de quatorze li- gnes , y compris J'ongle ou la griffe. Tout le dessous du corps est blanchâtre j le reste est brun , tirant sur la couleur de cannelle. Faute de mieux , j'appelle colïlargo (^lon- gue queue^ ^ une petite souris dont j'ai eu deux individus au Paraguay. Sa longueur est de deux pouces deux tiers , sans la queue , qui en a deux et cinq sixièmes, et qui est plus grosse ( 552 ) et plus douce au toucher que celle de la souris ordinaire. Elle a aussi la tête plus grande, plus longue et plus grosse ; le museau également plus gros et plus obtus , l'œil et Toreille plus petits , le front plus élevé et moutonné , le cou plus court , et les pattes et les doigts plus courts 5 le tarse est plus long , et noir en- dessous comme de l'encre. Celles de devant ont quatre doigts, avec un tubercule à la place du pouce j celles de derrière en ont cinq : tout le dessous du corps est blanchâtre , et le dessus est plus obscur que dans la souris ordinaire. J'appelle agreste ^ une petite souris des champs , que je pris au 5o.^ degré et demi de ïalitude. Elle était longue de trois pouces et demi , sans la queue , qui en avait deux et cinq sixièmes , et qui était de couleur obscure , et plus courte que celle de la souris commune. Les parties inférieures sont d'un blanchâtre sale, et le reste est d'une espèce de gris, parce que les poils , longs de quatre lignes , ont la pointe couleur de cannelle et le reste obscur. La tête n'est point moutonnée, mais elle est aussi grosse que le corps ; l'œil n'est ni grand Xlx saillant , l'oreille est petite , en demi-cercle et grosse ; les joues sont un peu saillantes , 1« ( 555 ) cou est court , le corps rond et fort gros , les pattes de devant sont courtes , les doigts comn^e dans l'espèce précédente : il a trois paires de mamelles. La lauclia est une petite souris de la cam- pagne , qui s'introduit dans les maisons , où elle se comporte comme la souris ordinaire d'Europe 5 mais elle me paraît moins vive et moins légère. Sa portée est de six petits. Elle est longue de deux pouces trois quarts , sans la queue , qui en a deux , et qui n'est pas grosse. La tête est un peu petite , l'oreille ronde , et peu grande , l'œil petit , et point saillant ; les joues sont arquées; le corps est plus gros que celui de la souris commune , à qui elle ressemble par le nombre des doigts. Tout le dessous est blanchâtre et le dessus est gris , ou mélangé d'obscur et de cannelle: Je donne le nom de blanco-debaxo ( blanc dessous ) ^ à une petite souris , parce qu'elle a le dessous du corps plus blanc qu'aucune autre espèce. Elle vit à la campagne ; et si l'on établit quelque jardin , elle s'y rend , et y vit parmi les haricots , les tomates , etc. , sans se creuser de trous. Elle est longue de trois pouces , sans la queue , qui en a deux , et gui est blanchâtre. Tout le dessous du çorf s ( 334 ) est blanc , le reste est gris obscur et blan- châtre. La tête est un peu plus grosse que dans l'espèce précédente , et plus moutonnée; le museau et le corps sont plus gros , Poreille un peu plus grande et plus large, la queue de la même grosseur , mais plus courte ; les doigts entièrement semblables. J'ai observé dans le pays jusqu'à huit es- pèces de tatous (talus). Toutes ont la peau du dessous de la tête et de toute la partie in- férieure du corps semée de tubercules écail- leux , d'où sortent de longues soies , excepté sur les pattes , qui sont garnies d'écaillés de nature osseuse , dures , et recouvertes d'une pellicule qui produit l'effet d'un vernis. Une mosaïque d'écaillés de la même nature re- couvre les parties supérieures, les côtés et la queue, excepté le cou de toutes, et la queue d'une seule espèce qui en sont dépour- vus. Les écailles du front forment un ensemble qui n'est susceptible d'aucune flexibilité ni d'aucun mouvement. C'est aussi le cas du plastron de l'épaule et de celui de la croupe 5 mais celles du tronc sont disposées par bandes transversales , séparées par une peau qui per- met aux tatous d'alonger et de resserrer leur corps comme ils veulent. Les écailles de ( 555 ) îa queue sont aussi susceptibles de quelque mouvement. La tête a un museau pointu , l'oreille est couverte de très-petites écailles , qui ne les empêchent pas d'être souples ; l'œil est petit 5 ils n'ont ni dents incisives ni dents canines 5 la langue est très-longue et flexible , le cou très-court , le corps très-gros , ainsi que les pattes ; les doigts courts et très-forts , les griffes très-longues, crochues, très-fortes, uniquement propres à creuser la terre , et la queue longue et très-grosse. Ils n'ont point de scrotum; mais la verge est plus grande que dans aucun animal , proportionnellement au corps. Ces animaux sont robustes, et creu- sent avec facilité , comme le lapin , des ter- riers où ils s'enfoncent , et qui sont leur seul moyen de défense : mais comme ces terriers sont peu profonds , et que la vitesse de ces animaux est tout au plus égale à celle de l'homme , ces espèces seront exterminées tôt ou tard par les habitans du pays , qui les re- cherchent à cause de leur chair bonne k manger. Celle de quelques espèces est si dé- licate , qu'on ferait bien de les transporter en Europe , oii ou pourrait les élever infaillible- ment et sans aucune difficulté, comme des animaux domestiques. Us sont très-féconds , ( 556 ) ne boivent jamais, et vivent de vers, d'in- sectes , de fourmis et de chair , même quand elle serait pourrie. On dit qu'ils mangent aussi des légumes et des racines; mais j'en doute. Tous les naturalistes ont cru que le nombre de bandes ou ceintures mobiles était fixe dans chaque espèce , et différent dans chacune d'elles. Dans cette idée , ils ont adopté le nom- bre de ces bandes pour caractère essentiel et distinctif des espèces ; mais à coup sûr ils se sont trompés fortement , puisque plusieurs espèces différentes ont le même nombre de bandes , et que le nombre de ces bandes va- rie dans la même espèce. On doit par con- séquent réformer la classification que l'on avait établie sur ce principe. Le grand tatou ou géant est rare , et ne se rencontre que dans les grands bois déserts? depuis le 24»^ degré de latitude en allant vers le nord. On raconte que , dans le pajs oii il se trouve , il faut enterrer les morts dans des ' fosses très - profondes , et garnies de gros troncs d'arbres , sans quoi il les déterre et les dévoile. Ce tatou est si fort et si robuste, qu'il porte aisément un homme sur son dos. 11 a trente-huit pouces et demi de long , sans la queue, qui en a dix-huit et demi; en en (537) comptant l'origine , comme dans tous les au* ires , depuis les écailles les plus rapprochées du corps. La tête est en forme de trompe. Il y a de chaque côté des deux mâchoires dix- sept dents molaires , ce qui fait en tout soixante-huit. Le plastron de l'épaule a sur le haut neuf rangées transversales d'écaillés , dont les deux premières ont un peu de mo- bilité ; et sur les bords , il a jusqu'à dix ou onze de ces rangées. Le plastron de la croupe a dix - sept rangées parallèles aux bandes mobiles du tronc , qui sont au nombre de douze , et séparées par une peau noire. La figure des écailles est en général à-peu-près carrée , mais celles^ de la queue sont arron- dies, et ne sont disposées en anneau qu'à la racine ; et dans tout le reste , les intervalles forment des spirales. Il a cinq doigts à toutes les pattes. Les plus grandes griffes sont aux pattes de devant : elles sont longues de qua- tre pouces et demi , et leur plus grande lar- geur est d'un pouce et demi. La tête , la queue , et une large bande de chaque côté sont d'un blanc jaunâtre ; et le resté des écailles du dessus du corps est d'un noir foncé- Dans la grande collection de Paris , n.° 4'4 > il y a une dépouille de tatou , appelé géant ^ L a, 22 ( 558 ) qui appartient indubitablement a l'espèce que j'appelle maximo ou grand tatou. Mais , soit par l'effet de la préparation, soit par l'injure du tems , elle ne conserve pas ses couleurs naturelles, et d'ailleurs il lui manque les grands ongles. Comme Buffon suivait l'opi- nion générale de l'invariabilité du nombre des bandes , et qu'il voyait que ce tatoii et mon tatuay se ressemblaient en cela , il les a réunis dans sa description comme un seul et même animal , sous le nom de Kabassou ^ 11 est vrai qu'il eut de la répugnance à les confondre , vu les grandes différences qu'il y observait ; et c'est pour cela qu'il nous a donné la figure de chacun de ces animaux en particulier. La quarante - unième représente le maximo (grand tatou) \ mais elle n'est pas bonne. Le tatù-poyù commence à se trouver vers le 35.^ degré ; il s'étend vers le nord , et se trouve très-fréquemment au Paraguay. C'est de tous les tatous celui qui , à proportion , a l'armure la plus solide , les écailles les plus grandes et les plus grosses ; celui qui a la tête la plus large et la plus plate , et le mu- seau le moins pointu 5 enfin celui dont la vî- » Tome XXI , pag. 52 et 104. (539) tesse s'approcte le plus de celle de l'homme , si même elle ne la surpasse. Il ne sort que de nuit, pour dévorer les cadavres qu'il trouve dans les champs. C'est le seul tatou dont per- sonne ne mange la chair , qu'on dit avoir mau- vais goût et mauvaise odeur. Quelques per- sonnes disent que sa portée est de quatre pe- tits ; d'autres qu'elle est de dix. 11 est long de dix- huit pouces , sans la queue , qui en a neuf. Sur le haut du chignon , entre les oreil- les , il y a une rangée de neuf écailles sem- blables à celles du tronc , et qui recouvrent le cou. Le plastron de l'épaule est formé en haut par quatre rangées d'écaillés ; mais celles du milieu se séparent sur les côtés, et laissent un espace triangulaire couvert d'écaillés sem- blables aux autres. H y a sur le tronc sept bandes mobiles. Le plastron de la croupe est formé de dix rangées , qui en occupent toute l'étendue. Toutes ces écailles sont grandes , en forme de carré long , et chacune a dans l'intérieur deux raies longitudinales disposées à-peu-près comme dans l'espèce précédente et dans la suivante. A chaque côté de la mâ- choire supérieure il y a neuf dents molaires, et il y en a dix de chaque côté de l'inférieure. En comparant plusieurs individus adultes, j'ai (34o) VU que les rangées d'écaillés du plastron de l'épaule varient pour le nombre de quatre à cinq , celles de la croupe de dix à onze, celles du tronc , qui sont mobiles , de six à sept ; et je ne doute pas que , dans les individus jeunes , ces rangées ne soient réduites à cinq. La dif- férence de sexe n'y influe en rien. Il a cinq doigts aux pattes de devant et de derrière. La plus grande griffe, qui a quatorze lignes , se trouve au doigt du milieu de la patte de devant. Le membre , dans son état d'inaction , a cinq pouces de long et six lignes de diamè- tre moyen : en l'alon géant sans effort , on lui trouve plus de huit pouces. Il est recourbé en spirale , ce qui l'empêche de traîner. Il n'y a qu'un mamelon sur chaque muscle pectoral. On voit naître beaucoup de soies longues et blanches sur les bords postérieurs des bandes mobiles du tronc : elles sont dirigées en ar- rière 5 il y en a aussi quelques-unes sur les plastrons : celles des parties inférieures sont noires. La peau est d'un brun pale : le jau- nâtre sale est la couleur dominante des écail- les, excepté les quatre pattes, qui sont d'un orangé pâle. Au Muséum d'Histoire naturelle de Paris , il y a une dépouille de ce tatou-poyu ^ mais ( 54t )• rindîvîdu n'était pas adulte ; les oreilles , les quatre pieds et la queue sont mutilés : quant aux couleurs , elles ne sont pas sensiblement altérées. 11 porte le nom à^encoubert , que lui a donné Buffon ^ Cet auteur croit que c'est le tatou de Bellon , Vechinus brasiliensis d'Aldrovande , le sexinctus de Linné , et \ armadillo mexicanus de Brisson. Je n'ose rien affirmer ni nier à cet égard j mais je crois que Ton doit rapporter à cette espèce le tatu- peba de Pison et de Marcgrave , le kabassou de Barrère , et celui que Nieremberg dit avoir la chair mal saine. Je crois également de cette espèce le cirquinçon de BufFon "" \ et je pense que Grew s'est trompé en disant qu'il n'a point de plastron sur la croupe , et que ses bandes mobiles continuent jusqu'à la queue. Le tatuai est rare depuis le 27.^ degré en allant vers le nord. Sa longueur est de vingt pouces , sans la queue , qui en a sept et un tiers. C'est l'unique espèce de tatous dont la queue ne soit pas couverte d'écaillés , mais d'une peau de couleur obscure , et douce au toucher. Le corps est moins gros et plus * Tom. XXI , pag. 40 et suiv, * Tom. XXI , p. 49- ( 543 ) arrondi que dans l'espèce précédente ; îa fête est plus petite , plus étroite , plos pointue j et les écailles du front , ainsi que les oreilles , sont plus grandes que dans toutes les autres. Les quatre pattes sont plus courtes et plus gros- ses , et les griffes considérablement plus grandes que dans Tespèce précédente : les plus grandes griffes ont vingt -deux lignes, et se trouvent aux pattes de devant. 11 a cinq doigts aux quatre pattes. Il n'a qu'un seul mamelon de chaque côté. Le cou est recouvert par trois bandes mobiles et étroites. Le plastron de l'épaule est composé de sept rangées d'é- cailles en forme de carré long , qui le rem- plissent entièrement. 11 a treize bandes mo- biles sur le tronc , recouvertes d'écaillés qui sont un peu plus larges en travers. C'est le contraire de l'espèce précédente , dont les six ou sept bandes occupent sur le dos autant d'espace que les treize i)andes de celle que je décris. Le plastron de la croupe a dix ran- gées , et toutes les écailles ont deux raies pro- fondes dans l'inlérieur. Le jaunâtre sale est îa couleur dominante de toutes ces écailles. Il y a au cabinet de Paris un individu de cette espèce, dont les couleurs sont altérées , sous le nom de kabassou que lui a donné ( 543 ) BufTon ^ , en le cqnfondaiil avec mon grand tatou , comme je l'ai dit précédemment. 11 nous en donne , n.^ 4^ •> une figure qui a quel- ques défauts , dont le plus grand est de re- présenter l'animal avec la queue écaiileuse. 11 croit ( et en cela je pense qu'il se trompe ) que le kabassou de Barrère est de la même espèce. Il y rapporte également le laùi scu armadillo africanus de Seba et de Brisson ^ dont les phrases sont indéterminées : celle du dasypus tegmîne tripartito de Linné , me pa- rait encore plus vague. Le tatou velu ne se rencontre que depuis le 55.^ degré en allant vers le sud. Il y est très-multiplié : il sort le jour ; il est très- ardent à dévorer les cadavres de chevaux et de vaches 5 sa chair est délicate : on dit que sa portée est de quatre à dix petits. Il a qua- torze pouces de long , sans compter la queue , qui en a cinq. On voit sur le cou une rangée transversale de quatre petites écailles. Le plastron de l'épaule a , sur le haut , six ran* gées , dont celles du milieu s'écartent un peu pour faire place à une autre que l'on voit sur le côté. 11 a sur le tronc , tantôt sept tantôt six bandes. Le plastron de la croupe ' Tom. XXI , p. 52. ( 544 ) a SIX bandes comme dans le poyù. Les écailles, du Lord du plastron du front ont des pointef^ aiguës , qui ressortent depuis l'œil jusqu'à l'oreille ; et il en a aussi sur le feston ou le contour de la croupe. Le plastron de l'épaule est dans le même cas , ainsi que les écailles qui sont au-dessous des bandes du tronc. En général , toutes ces écailles ont la forme d'un carré long 5 et l'on dirait qu'elles sont par-, tagées en trois dans leur longueur. Celle du milieu est d'un seul morceau j quant aux au- tres , elles paraissent être formées de diffé-* rentes pièces. 11 a en tout trente-deux dents molaires, et cinq doigts à toutes les pattes. 11 n'a que deux mamelles. Le membre , dans son état d'inaction , a trois pouces et demi^ Les côtés du corps et de la queue sont cou-^ verts de soies brunes, plus fines et plus lon-- gues que dans le poyù. Il en a aussi sur tout le dessus du corps ; mais elles sont plus cour-, tes , et usées par le frottement qu'éprouve le corps dans les terriers. Celles du dessous de la tête et du corps , un pinceau qui est placé sous l'œil , ainsi que les soies des quatre pattes , sont très-longues et de couleur obscure. La peau est jaune dans ces endroits. Celle qui sépare les bandes du tronc est noire , compte ( 545 ) celle du museau : toutes les écailles sont d'un brun obscur, et relies des quatre pattes sont d'un orangé pâle. Le tatii-pichy commence au 56.^ degré de latitude, et on le trouve au moins jusqu'au 42.^. Ce tatou ressemble au précédent par la bonté de sa chair et par ses habitudes. Il lui ressemble également en ce qu'il a le corps trapu , et que la tête et les flancs sont larges. Le membre , le nombre et la disposition des doigts , et l'ensemble du corps sont aussi les mêmes : mais il est beaucoup plus petit et moins velu ; la tête est plus étroite , la queue plus longue ; et il en diffère encore a d'autres égards. Sa longueur est de dix pouces , sans la queue, qui en a quatre et demi. Sur le cou , on voit une rangée de petites écailles comme dans l'espèce précédente , mais plus longue et plus remarquable. Le plastron de l'épaule est presque de deux pouces sur le haut : les bandes mobiles du tronc varient suivant les individus ; il en a tantôt sept , tantôt six. Le plastron de la croupe est comme dans l'espèce précédente, qui ressemble également k celle-ci par la pointe des fraiiges des plas* trons et des bandes. Chaque écaille en par- ticulier est formée de beaucoup d'autre^ ( 346 ) plus petites , îrrégulières , et qui ressemblent à de petites pierres , mais celles qui forment les bandes du tronc ont la forme d'un carré long. Chacune de ces écailles a trois raies : celle du milieu est d'une seule pièce 5 celles des côtés sont au contraire partagées en plusieurs. Les soies sont disposées comme dans le Poyiu Toutes les écailles sont de couleur obscure. Je n'ai jamais vu le tatou noir au sud de la rivière du Paranâ ou des 27 degrés ; mais il est très-commun au Paraguay. Sa cliair est bonne. On dit que sa portée est de quatre a dix individus. Sa longueur est de seize pouces et demi , sans la queue , qui en a quatorze. Le plastron de l'épaule est composé de deux espèces de petites écailles : les plus grandes sont presque ovales, longues de deux lignes et demie , et elles s'élèvent un peu au-dessus des autres. Elles sont placées par files transversales un peu éloignées les unes des autres. Les intervalles qui séparent ces grandes écailles , ainsi que l'entre-deux des rangées , sont occupés par les petites. Le plastron de la croupe ressemble au premier , et tous les deux ressemblent beaucoup aux bandes du tronc par le bord qui s'en rap- proche. Ces dernières sont composées de ( 347 ) grandes écailles triangulaires, dont les bases sont opposées. La garniture du front est ir- régulière , et formée de grandes pièces , mais qui sont bien loin d'approcher de la solidité des espèces précédentes. Il a la têfe plus pe- tite et en forme de trompe , les oreilles plus hautes , et trente - deux dents molaires en tout. 11 en diffère aussi en ce qu'il n'a que quatre doigts aux pattes de devant, et que les griffes en sont plus petites : il a aussi les pattes de derrière plus hautes ; son corps est plus ar- rondi : outre les mamelles qu'il a sur les muscles pectoraux , il en a une autre paire à deux pouces de la matrice. Le membre , dans son état d'inaction , a un pouce et demi , et il est terminé par deux glandes^., qui ont au milieu un petit membre de quatre lignes. Toutes les écailles sont noires. Le nombre des bandes dorsales varie beaucoup , depuis six jusqu'à neuf inclusivement. Au Muséum d'histoire naturelle , n.^ 4^7 > il y a deux dépouilles de tatou qui appartien- nent indubitablement à cette espèce , et qui proviennent d'individus adultes, quoiqu'elles aient perdu entièrement leur couleur noire naturelle par l'injure du tems , ou plutôt par l'effet de la préparation. On leur a conservé C 348 ) le nom de cachicame ^ donné par Buffon d'après Gumilla^ Je crois, avec BufFon , qu'il faut rapporter à celte espèce Vayotochtli da Grew , Wormius et Nieremberg, Varmadilla amerlcanus de Seba , le tatu porcinus de Klein , Verinaceus loricatus cingulis 9 de Linné , les deux das^pus à neuf bandes du même Linné , et le cataphractus de Brisson , qui en a le même nombre. Mais Linné se trompe en ne donnant à l'un de ses dasjpus que trois doigts aux pattes de devant. Je crois aussi que BufFon a fait un double emploi de mon tatou noir , en l'appelant tatuete avec Ray et Marcgrave ^ Je ne vois pas non plus grand inconvénient à réunir à la même es- pèce le tatus de Gesner, l'armadillo de Du-» tertre , l'ayotochlli mexicain de Hernandez et de Nieremberg , le tatu de Clusius et de Laët , et Varmadillo brasiliensis de Brisson, Mais la phrase de ce dernier auteur , cata^ phractus , scutis 2 y cingulis 6 ^ et celle de Linné , septemcinctus , sont indéterminées. D'après ce que j'ai observé , le tetoii-mulita ne remonte pas au nord des 26 degrés et demi \ mais du côté du sud , on le trouve ' Tom. XXI , p. 48. ? Tom. XXI , p. 44^ ( 549 ) au moins jusque vers les 41 degrés. On ne peut le distinguer du tatou noir que par la différence d'habitation, par les jambes qui sont plus cour- tes j par les bandes dorsales , qui sont plus séparées , et qui ne passent jamais sept et ne sont pas au-dessous de cinq dans les indivi- dus nouvellement nés ; par la queue, pi us courte à proportion , et par sa taille qui est beau- coup moins considérable , puisqu'il n'a que onze pouces de long , sans la queue , qui en a six et un quart. C'est un manger délicat. On l'attrape facilement , parce qu'il marche de jour y et quand on se place devant lui , il s'ar- rête , et se laisse saisir avec la main. La mère prépare dans son terrier un lit de paille qu'elle ramasse avec les pattes , et qu'elle transporte en traînant son fardeau et marchant à recu- lons. Vers le mois d'octobre , elle met bas de sept à onze petits , avec cette singularité , qu'ils sont tous , à chaque portée , ou mâles ou femelles. Je ne sais pas si celle qui met bas à sa première portée des individus fe- melles , est dans le même cas toute sa vie. Une autre particularité étrange , c'est que la mère , quoiqu'elle n'ait que quatre mamelles , nourrit tous ses petits j ce qui arrive à toutes les espèces de tatous. Le latoû-mulita , lors- ( 35o) qu'il est las de donner a leter à ses petits , se fourre sous la paille où ils sont couchés , et de cette manière ils se trouvent sur lui. Quand la mère sort pour aller chercher sa nourri- Juré , elle bouche soigneusement avec de la paille la porte du terrier, et elle attend un instant pour voir si ses petits essaient de la suivre ; dans ce cas elle renforce le bouchon de paille. Cette espèce ne mange point de pain , mais seulement de la viaude , des vers , etc. Le tatoù-mataco habite au sud du 36.^ de- gré. C'est le seul de cette famille qui , lors- qu'il a peur , cache la tête , la queue et les quatre pattes , en formant de tout son corps une boule qu'on ne saurait séparer avec les mains 5 mais on le tue aisément en lui don- nant un coup contre terre. Il marche tou- jours le corps resserré , et plus lentement que les autres espèces : les pattes de devant et de derrière sont plus faibles , et les ongles sont si peu propres pour creuser la terre, que je doute qu'il le fasse. Sa longueur est de qua- torze pouces , sans la queue , qui en a deux et deux tiers. La racine n'en est pas ronde comme dans les autres espèces , mais plate et couverte d'écaillcs en forme de gros grains C55i ) OU boutons saiîlans. Il a trois bandes dor- sales, larges en haut et étroites aux bouts. Les écailles sont irrégulières , rudes , d'une cou- leur plombée obscure. Il a cinq doigts aux pattes de derrière et quatre à celles de devant. Au cabinet de Paris , on voit la dépouille d'un individu adulte , qui a perdu le vernis de toutes ses écailles , et qui ne conserve que la couleur de l'os. Il porte le nom à^apar , que BufFon lui a donné '. J'ai observé dans le pays trois espèces de singes. Le carayâ ne passe pas au sud des 3i degrés : iî n'habite que les grands bois, par petites familles de quatre à dix individus, dirigées par un mâle , qui se place toujours à l'endroit le plus élevé. Ils passent d'un arbre à l'autre , sans sauter et sans se balancer , mais très-lentement , parce qu'ils sont lourds , tristes et sérieux. Chaque mâle a trois ou quatre fe- melles. Quand quelqu'un s'approche d'eux , ils lâchent de peur tous leurs excrémens. La femelle , vers le mois de juin , met bas un seul petit , qu'elle porte monté sur son dos. Les indiens et les portugais mangent la chair de ce singe. Il fait un grand usage de sa queue pour se soutenir. Personne n'en apprivoise , » Tom. XXI 1 P' 55. ( 552 ) sans cloute à causie de son sérieux. On entend a plus d'un mille de distance son cri , qui est fort , triste , rauque , insupportable. Le mâle a vingt -un pouces un quart de long ^ sans la queue , qui en à autant : elle est tor- tillée , et dénuée de poils à un p aime du bout. La face présente un carré long ; les narines sont grandes , miptiques , et très-éloignées Tune de l'autre j l'oreille est petite et ronde ? le nœud de la gorge est très-saiilant , le cou gros et court , le corps ventru. Il a aux pattes de devant cinq doigts , dont le pouce ressemble entièrement aux autres par sa forme et par sa position , et c'est le plus faible de tous. Il a également cinq doigts aux pattes de der- rière ; mais le pouce est séparé des autres. 11 a à chaque mâchoire quatre incisives sui- vies de dents canines. Toute la peau est très- Tioire, ainsi que le poil, à l'exception du ven- tre et du poitrail, qui sont d'an rouge obs- cur. Outre cela , il a une barbe touffue et obtuse , garnie de poils qui ont trois pouces de long. Le coi'ps de la femelle est plus court d'un pouce 5 le nœud de la gorge et la barbe sont plus petits , et la couleur du poil est brunâtre. Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes , ( 553 ) j*ai cru positivement que les ouarînes de Buf- fon et d'Abheville ' étaient des carayâs mâles , et qu'il en était de même de l'arabale de Gu- milla, mais que ce dernier était un individu albino. Je persiste dans mon opinion ; mais je doute aujourd'hui d'une chose que je croyais alors , et c'était que le guariba de Marcgrave et de Brisson , et les singes de Campêche de Dampier devaient également se rapporter à cette espèce. J'avais la même idée à l'égard du panicus de Linné , et des singes que Gentil et Oexmelin observèrent a l'île de Saint -Grégoire , et au cap de Gracias à Dios. J'étais également porté à regarder comme des carayâs femelles les alouates de BufFon , de Barrère et de Brisson , et les singes de la Con- damine et de Bine t; mais aujourd'hui je suis persuadé qu'ils sont d'une autre espèce , dont M. Cuvier m'a montré unindividu dans la salle oiiTon prépare les animaux pour le cabinet de Paris. Quant au coaitâ de BufFon ^ , j'ai cru que c'était une espèce différente du carayâ ; et il ne me restait à cet égard qu'un très-léger doute , qui s'est entièrement dissipé en voyant le coaitâ au cabinet, n.°* 5 et 6. L'auteur a » Tom. XXX , p. 7. a Tom. XXX, p. 12. L a. 33 ( 354 ) formé ce nom ^ de celui de cajlaya , que 1*011 doime au Brésil à un autre singe qui me pa- rait être indubitablement un carayâ mâle. Il est persuadé que Ton doit rapporter aux coaitas le cayou d'Abbeville , les singes noirs barbus de Dampier , et le singe araignée d'Edwards. Mais je crois que tous ces ani- maux sont des carayâs -, je doute seulement que l'on doive rapporter aussi à cette espèce le quoatâ de Barrère. Le cay est un autre singe qui habite les mêmes lieux que le précédent 3 mais son ca- ractère est tout opposé , parce qu'il est ex- trêmement léger , vif, et dans un mouvement continuel. Il vit par couples et par familles , sautant légèrement d'arbre en arbre. La portée est d'un seul petit , que la mère porte sur le dos. Il se soutient avec sa queue. On l'appri- voise , et on le tient à l'attache. Quand on le tourmente il pousse des cris insupportables. Sa voix commune ressemble à un éclat de rire, ou bien à celle d'une personne qui crie- rait de toutes ses forces , ku ! hu ! Iiu l Sa longueur est de dix-sept pouces , sans compter la queue , qui en a dix-neuf Les naseaux sont « Tom. Srxx. ^•omenclatu^e, ( 555 ) éloignés l'un de Tautre ; roreille est ronde * les incisives et les canines sont disposées comme dans Pespèce précédente. Les quatre pattes ont cinq doigts , dont les pouces sont bien séparés. On preildrait la femelle pour un mdle , parce qu'à l'angle antérieur de la vulve , on voit sortir une espèce de membre susceptible d'érection. I^e dessus de la tête est noir : cette Couleur passe par-devant l'o- reille , et finit sur la mâchoire par une raie. Le poil du front, des tempes et de la face, €St blanchâtre , et vient aboutir en forme de pointe vers le haut de Toreille , qui est éga- lement blanchâlre, ainsi que le dessous de la tête , la gorge et le dessus des pattes. Le dessus de la queue est obscur, ainsi que la partie an- térieure des pattes de devant et la cheville du pied. Tout le reste est brun , plus clair sur les côtés, et tirant un peu sur la couleur de cannelle aux fesses , au ventre et à la partie inférieure de la queue. Dans la femelle , la couleur blanchâtre de la figure est plus claire, cl la couleur obscure de la queue et des quatre patt s est plus étendue. Ce singe, par sa grandeur , ses habitudes , la qualité de son poil , ses couleurs et ses for- mes 5 a tant de rapports avec les sapajous , ( 556 ) nommés par Buffon sajou et say ' ^ que j'ai cru que c'était la même espèce 5 mais ayant vu au cabinet de Paris ce sajou et l'animal qui est à côté , n.^ g , ainsi que le say , n." 8 , et les ayant comparés avec la description de mon cay , il ne me reste aucun doute sur la différence des deux espèces. Par conséquent il ne faut pas s'en rapporter aux notes critiques que j'ai faites à cet égard dans mon ouvrage sur les quadrupèdes, n.° 62. Mais je soupçonne encore que les singes sans barbe , que Dam- pier place dans l'isthme de Panama ^, peuvent être des cays , et que Buffon peut avoir con- fondu mon cay dans sa nomenclature des deux sapajous dont j'ai parlé. J'en soupçonne autant à l'égard de celle de son sapajou saï- niiri ; mais je manque des faits nécessaires pour éclaircir ce point. Il ne faut donc pas non plus s'en rapporter entièrement à ce que j'ai dit du saïmiri dans mon ouvrage ; et j'ajoute que les trois animaux de cette espèce que l'on voit au cabinet , n.°' 12, 1 5 et 14» ne sont cer- tainement pas des cays communs , ni albinos. Le miriquinâ est un singe que l'on trouve au Chaco ou à l'ouest de la rivière du Para- * Tom. XXX , pag. 12 et 69. * ïom. XXX , p. 12. (557 ) guay , mais non à l'est. 11 vil sur les arbres , où il ne se soutient point avec sa queue. Il paraît stupide, lourd et imbécille. Sa longueur est de quatorze pouces un tiers, sans la queue, qui en a seize, indépendamment des poils', qui en ont deux. Cette queue est droite et touffue. Le cou est extrêmement court , et , en apparence, aussi gros que la lêle. Celle-ci est petite , et presque ronde : l'ouverture des na- rines n'est pas de côté , comme dans les es- pèces précédentes , mais au-dessous, et elles sont moins séparées. L'oreille est grande et aiTondie ; l'œil grand, et l'iris rougeâtre : les dents el les canines ressemblent aussi à celles des autres espèces; les pattes de derrière ont cinq doigts, dont le pouce est bien séparé : il n'en est pas ainsi de celles de devant, qui ont également cinq doigts. Au-dessus de cha- que œil, il y a une tache blanchâtre en forme de pointe aiguë , sur un fond obscur , ainsi que la partie de la face qui est dénuée de poil. Ce- lui de la mâchoire est également blanchâtre , comme une petite partie du dessus de la barbe. Les parties inférieures sont de couleur de cannelle ; le reste est gris : cela vient de ce que les poils ont le bout blanc et ensuite obscur. Les poils de la queue sont rou- ( ^oS ) geâlres dans rintérleur , et noirs au bout. Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes, j'ai cru que le niiriquinâ était le saki de BnfTou et de Daubenton ^ , parce quHls se rappro- chent par la grandeur , par la petitesse et la rondeur de la face; par la nature de leur queue , qui n'est pas prenante ; par leurs poils doux, de couleur obscure ou noirs, avec le • bout blanc, etc. Mais M. Cuvier m'ayant mon- tré un saki dans la salle oii on p) éj>are les animaux , je lui dis que ce n'était pas le miri- quinà. Ayant vu ensuite au calnnet un animal » n.® 1 5 , sous le nom de saki à ventre roux ^ je me suis confirmé dans cetle dernière idée , et je ne doule nullement que ce ne soient deu^ espèces différentes. Je me fonde sur ce que Iç saki n'a pas la queuç si touffue , que les poils ne deviennent pas plus lon.^s à son extréniité , et qu'ils ne sont pas rouges dans l'in éiieur. S^ fourrure est plus longue , moins dotuce , et les poils sont moins perpendiculaires à k peau. Enfin il y a beaucoup moins de blanc à la pointe du poil que dans le miriquin^ ; et même il y a encore d'autres différences. Buffon forma le nom de saki de celui de sakée , que Brown donne à une espèce de singe 3 et il rapporte è ^" > Tome XXX, p. \iS,, (559) celte espèce le cagui major de Marcgrave, et le cercopithecus , pîlis nigris ^ etc. de Brisson. J'ai été de son avis dans mon ou- vrage ; mais aujourd'hui je crois que l'animal de Brown est un miriquinâ , et celui de Bris- son un saki , sans rien décider sur celui de Marcgrave, Le titi est un autre singe que je n'ai pas vu dans ce pays-la , mais bien au Brésil. Il a huit pouces de long , sans compter la queue , qui en a onze. Il a une tache blanche dans l'entre- deux des sourcils , et cette couleur est éga- lement celle des poils longs et droits du con- tour de l'oreille. La tête et le cou sont obs- curs \ le reste du dessus du corps est jaunâtre , avec le bout des poils blanc. C'est aussi la couleur des flancs; mais l'intérieur est obscur. La queue est molle , n'est point prenante , et ses poils présentent alternativement des an- neaux blancs et obscurs. Au cabinet de Paris , n.*^ 17 , il y a un indi- vidu de cette espèce qui ne me paraît pas complètement adulte. Il porte le nom de sagouin ouistiti y que lui a donné Bufifon \ Il croit qu'il est de l'espèce du sagouin de Brisson et du Jacchus de Linné, et je suis de ' Tome XXX , p. 126. ( mo ) son avis. Mais je n'oserais pas en dire tout* à-fait autant du galgopithecus de Gesner, dtfe sagoui du Maragrton d^Abbeville, du cercopi- thccus Brasiliensis tertius de Clusius , du petit cagoui de Marcgrave et d'Edwards , et du cebus sagoin dictus de Klein. Après avoir indiqué les quadrupèdes sau- vagies de ces contrées , Je vais faire sur eux quelques réflexions qui se présentent à mon esprit , sans m^arrêter à déterminer ceux que l'on pourrait apprivoiser et transporter en Europe , parce que je crois en avoir dit assea à cet égard. Quelques-uns de mes quadrupèdes , comme le mborebi , le nurumi , le caguaré , les fé- conds , le cuiy et les tatous , n'ont aucune analogie avec ceux de l'ancien continent , et ne peuvent pas en avoir , parce que tous étant presque sans défense et sans ressource contre les poursuites de l'homme , ne peuvent exister que dans des pays déserts. Il paraît que quelques personnes croient que le continent d'Amérique , non-seulement diminue la grandeur des animaux, mais même qu'il est incapable d'en produire de la taille de ceux de l'ancien monde. Quant à moi , j'ob- serve que mon yaguareté est le plus fort de (56, ) lout€ la famille des chats , et qu'il ne le cède à aucun autre pour la grandeur ^ que \ne^ Trois premiers cerfs ne le cèdent non plus ni aux cerfs , ni aux chevreuils d'Europe ; ni Taguarâ-quazii au loup ni au chacal; ni Tagua- rachay au renard ; ni le tapili au lapin ; ni les souris a celles d'Espagne. Si les singes que je décris n'approchent pas des africains , ni les curés du sanglier , d'un autre côté mes furets excèdent ceux d'Afrique , ainsi que les maries et les fouines : la loutre n'est pas inférieure à celle d'Europe , ni la vizcacha à la mar- motte, ni les tatous aux pengolins, ni le Tau- reau de Montevideo a celuide Salaniànque. Si l'on ne trouve pas en Amérique un animal comparable à l'éléphant , on n'en trouve pas non plus dans l'ancien monde qui, ayant là gueule et les dents du lapin , soient de la grandeur du capibara et du pay. Outre cela , on a souvent rencontré , dans l'intérieur des terres de la province de la rivière de là Plata , des osseniens de quadrupèdes qui le disputent en grandeur a ce colosse asiatique. Et sur- tout , les races ou espèces d'hommes de la plus haute taille, des formes et des propor- tions les plus élégantes qu'il y ait au monde, se trouvent dans le pays que je décris. ( 562 ) Sî nous regardons la situation locale , en consultant mes observations , et les récits des voyageurs et des naturalistes , nous Irouve- rons qu'une grande partie de mes quadru- pèdes existe et se multiplie dans les deux Amériques ou dans la plus grande partie de ce continent , c'est-à-dire dans une étendue sans comparaison plus grande que celle qu'oc- cupent les quadrupèdes en Europe. Cette dif- férence peut venir de ce que l'Amérique étant presque déserte , les quadrupèdes ont pu s'é- tendre facilement dans tous les sens j ce qui ne peut pas avoir lieu en Europe , oii une grande population poursuit et extermine les quadrupèdes, excepté le petit nombre d'entre eux que l'on trouve relégués en quelque sorte dans des lieux déterminés et inaccessibles. On regarde en général comme une vérité incontestable , que tous les quadrupèdes tirent leur origine de l'ancien continent, d'oii ils ont passé en Amérique. On cherche en consé- quence l'endroit par oii ce passage a pu s'ef- fectuer j et comme les continens se rappro- chent au nord plus que dans aucun autre eu'- droit,on croit que c'estpar-là qu'ils passèrent. Il ne paraît pas difficile d'appliquer cette idée à ceux de mes quadrupèdes qui peuplent toulo^ ( 56f. ) rAmérique ou la plus grande partie de ce continent, tels que le mborebi , les tayasùs , les cerfs, le yaguarelé, le guazuarâ , le cliibi- guazu , le nibaracayâ et beancoap d'autres , qu'on voit se porter par une série non inter- rompue depuis le nord de l'A mérique jusqu'au çud , et qui paraît nous indiquer le cbemia qu'ils ont suivi; et quoique l'on soit porté à croire qu'ils n'ont jamais existé dans l'ancien continent , puisqu'on ne les y trouve plus aujourd'hui , on peut présumer que l'homme les y a exterminés. Quelque naturelle que paraisse cette façon de penser , on peut y faire plusieurs objec- tions , doit voici la première : i.^ Il paraît impossible que le nurumi , le caguaré , le cuiy , ainsi que plusieurs espèces de féconds et de tatous qui se trouvent dans les deux Amériques , aient pu faire un si long voyage , vu leur paresse et leur poltronnerie exces- sives; et l'on ne conçoit point quelle cause au- rait pu les déterminer a voyager. Par exem- ple , ces animaux trouvent au 20.^ degré de latitude un bon climat pour eux, puisqu'ils y existent, et qu'ils y trouvent des alimens de reste ; ils n'ont donc pas eu besoin de s'avan- cer vers le sud , oii ils ne trouveraient pas (364) plus d'avantages que dans le pays quils quit- teraient. 2°. La transmigration de quelques espèces paraît impossible. Par exemple , mon capibâra et ma loutre n'entrent point dans Teau de la mer 5 et je n'ai jamais vu ni entendu dire que ces animaux s'éloignent de trente pas de la rivière ou du lac où ils vivent. Ainsi il n'est pas facile de croire qu'ils soient sortis de l'étendue des lacs et des rivières qu'ils habi- tent , encore moins si l'on considère qu'ils ont un instinct sociable et stationnaire, puis- qu'on voit qu'ils vivent par familles , et que chacune d'elles occupe un lieu iixe et séparé. Cependant on les trouve , non-seulement dans le pays que je décris , mais encore dans tout le Brésil, àCayenne , et dans beaucoup d'au- tres endroits qui n'ont point de communica- tion par eau avec les lieux oîi je les ai vus ; et là même , ils vivent dans des lacs différens ^ qiii ne communiquent point entre eux , et on ne trouve pas de raison qui puisse les obliger à voyager , puisque certainement ils ne man- quent point d'alimens. 5". Le tucutuco ne sort point de son habi- tation souterraine; il ne se trouve que dans les terrains presque entièrement composés de ( 565 ) sable pur, et c'est le plus lourd et le moins agile de tous les rats. Comment donc , de la Nouvelle Espagne , où il existe également ^ a-t-il pu passer dans le pays que je décris ? Où trouvera-t-on un chemin de sable pur , de plusieurs milliers de lieues, dont cet animal aurait besoin , ainsi que d'une infinité de ra- mifications de semblable nature , pour s'éta- blir aux deux bords opposés des rivières, vu qu'il ne sait pas nager ? Dans le pays même que je décris , on ne conçoit pas qu'il ait pu s'établir, par transmigration , dans tous les en- droits sablonneux , puisque nous voyons ces endroits éloignés les uns des autres quelque- fois de cinquante lieues ; et cependant on ne trouve jamais un tucutuco là où il n'y a point de sable. 4^. Trois espèces de chats , savoir le mba- racayâ, le negro et le pajéro, l'yaguaré , le quiyâ , la vizcacha , le lièvre patagon , les ta- tous appelés pichy peludo , mulita et mataco , tous animaux du pays que je décris , se trouvent au sud des 26^ 3o' de latitude , comme je l'ai vu , et aucun au nord de cette parallèle. Com- ment arranger ce fait avec le passage de ces animaux d'un continent à l'autre ? Il faudrait pour cela qu'ils eussent passé par le nord à ( 566 ) rAmérique , et qu'ensuite ils l'eussent travei^séô toute entière du nord au sud. Mais comment comprendre que cela ait eu lieu sans qu'il soit reslë quelque traîneuren route? Si l'on s'ima- gine que les climats qu'ils traversaient ne leur permettaient pas de s'y établir, comment n'en senlaient-ils pas l'influence dans le cours de leur voyage ? Ajoutez que le climat de l'ex- trémité de l'Amérique septentrionale est pré- cisément semblable à celui de la méridionale | et cependant il n'est resté dans celle-là aucun des individus de ces espèces , fût-il malade» 11 paraît aussi inutile de chercher d'autres causes , puisque toutes se trouveraient insuf- fisantes. En effet , elles n'ont pas empêché les autres espèces de chats , de tatous , de fé- conds , et beaucoup d'autres animaux , de se trouver par-tout 5 et il en devl'ait être de même de ceux qui n'existent que dans le recoin le plus méridional de l'Amérique. Si ^ pour résoudre cette difficulté , on suppose que les continens étaient réunis du côté du sud , et que c'est par-là que s'est fait le passage , nous retombons dans les mêmes inconvéniens ^ puisque aucun de ces quadrupèdes n'existe en Afrique. On prétendra peut - être détruire la force (367) des réflexions précédentes , en disant qu'il ne faut faire aucun cas des apparences , des rai- sonnemens ni des discours j qu'il suffit de sa- voir que ces quadrupèdes existent dans le pays où je les ai trouvés , et en conclure qu'ils ont passé d'un continent à l'autre. D'au- tres personnes croiront que les quadrupèdes que je n'ai vus que depuis le parallèle de 26® 5o' en allant vers le sud, peuvent se trou- ver également plus au nord de l'Amérique septentrionale ; car mon argument est pure- ment négatif, puisqu'il se réduit à dire que ni les naturalistes ni moi , n'avons rencontré ces animaux dans des endroits plus septen- trionaux relativement à ce parallèle. Il est vrai que cela ne serait pas étonnant à l'égard de quelqu'un des onze quadrupèdes que je n'ai vus qu'au sud des 26° 5o^; mais il n'est pas facile d'en croire autant de tous les au- tres , puisque personne ne les a jamais ren- contrés plus au nord, non plus que moi. A joutez à cela que tous ceux qui se trouvent dans l'Amérique méridionale , et non dans l'autre , sont dans le même cas 5 que si l'iiistoire na- turelle fait des progrès , on en trouvera pro- bablement beaucoup d'autres exemples , et que , quand bien même ce que j'ai dit n'au- ( 568 ) rait lieu qu'à Tégard d'un seul quadrupède , robjeclion n'en subsisterait pas moins , et que l'on pourrait toujours dire que ce quadru- pède unique n'a pas passé d'un continent à l'autre , mais qu'il est né dans le pays même oii on le trouve ; qu'il en est de même de tous les animaux du nouveau continent , et que peut-être l'on se trompe enci^oyan!: que les deux continens aient jamais eu aucune com- munication , avant que Christophe Colomb eût découvert le nouveau monde. La situation locale de mes quadrupèdes offre encore quelques considérations relatives à leur origine , que je ne dois pas omettre puisque personne n'en a parlé. Mais , pour les Lien entendre, il faut consulter ma carte, et bien connaître les lieux que je citerai. La viz^ cacha , du n.° Sg, habite les plaines qui bor- dent les deux côtés de la rivière de la Plata , qui est un des plus grands fleuves du monde. 11 n'est pas aisé de croire qu'elle l'ait traversé à la nage , puisque se trouvant à l'ouest de la rivière d'Uruguay , elle n'est pas allée s'établir sur sa rive orientale , du côté de Montevideo, oii on ne trouve pas cet animal. On ne peut pas supposer non plus que c'est en Remontant jusqu'au-dessus de la source de ce fleuve , que (369) la vîzcacîia s'esl étendue sur ses deux rives , puisque celle rivière a sa source dans la zone torride, et que l'animal dont nous parlons ne peut pas supporter une chaleur plus forte que celle du oo.^ degré de latitude. Il n'est pas croyable non plus que les indiens l'aient transporté d'un côté à l'autre avant l'épo- que de la conquête , puisque eux - mêmes ne passaient pas le fleuve. On ne doit pas pré- sumer non plus que ce transport ait été fait par les espagnols, dont le caractère est plutôt porté à la destruction, et qui savent d'ailleurs que la vizcacba est nuisible aux pâturages, aux champs cultivés et aux jardins. Le yaguaré du n." 20 est dans le même cas que la vizcacha : la seule différence est qu'où le trouve aussi sur les deux rives de l'Uru- guay ; et d'ailleurs il est encore plus incroya- ble qu'on l'ait transporté d'un endroit à l'autre, si l'on fait attention a sa puanteur in- supportable. Le chat pajero habile les mêmes endroits que le yaguaré , ainsi que le tatou mulila du n." 61. Il y a même une difïiculté de plus relativement a. ce dernier ; c'est que comme on le rencontre depuis les 26° 5o'i en allant vers le sud , il faut supposer qu'il a traversé la rivière du Paranà. Enfin , l'es- I. a. 2^ ( 570 ) pèce de souris appelée tucutuco du n.^ 4^ ? qui n'existe que dans les terrains sablon- neux , ne paraît pas avoir pu traverser cin- quante lieues de terres argileuses, que l'on trouve quelquefois, comme je l'ai vu, entre les terrains sablonneux. Tous ces faits paraissent confirmer l'opi- nion de ceux qui pensent comme je l'ai dit h l'égard du cupy et de tous les insectes , Cha- pitre Vil, n.'^ 5i 5 c'est-à-dire que chaque es- pèce d'insectes et de quadrupèdes ne provient pas d'un seul couple primitif, mais de plu- sieurs couples identiques créés dans les diffé- rens endroits oii nous les voyons aujourd'hui. Ainsi , par exemple , dans cette hypothèse , il a dû naître au moins un couple de vizca- chas , de yaguarés , de chats pajeros et de tatous mulitas sur chaque rive des fleuves dont nous avons parlé , et un couple de tucutu- cos dans chaque sablonnière. Si cela était cer- tain , on en pourrait présumer autant de tous les autres quadrupèdes. L'on peut donner plus d'extension à cette idée , en méditant sur le passé. En effet , si la création qui concerne la zoologie , avait été instantanée , et d'un seul couple de chaque espèce, qui aurait pu fournir à alimenter celles qui ne vivent qu'aux dépens ( 571 ) cîes autres? Elles seraient mortes de faim , où auraient exterminé la race de celles qui leur servirent de nourriture. La première de ces propositions est fausse , puisque les espèces destructives existent : la seconde est bien dif- ficile k croire ; car il n'est pas régulier que les premières espèces ou couples irmombra blés qui furent les victimes et durent continuer de l'être jusqu'à ce que les espèces faibles qui restent furent suffisantes pour servir d'aJi- menl aux carnivores , aient disparu entière- ment. 11 ne paraîtrait donc pas sans fondement , dans la supposition d'une création instan- tanée , de s'imaginer que chaque espèce de la zoologie provienne de plusieurs couples primitifs qui , quoique parfaitement sembla- bles , et réduits k une unité spécilique , au- raient été créés dans divers endroits ; et de cette manière , toutes les espèces créées pour- raient s'être conservées , malgré la destruc- tion nécessairement opérée par les espèces dévorantes. Cela même pourrait encore s'ar- ranger dans la supposition que , dans le prin- cipe, il n'y eut qu'un seul couple de chaque espèce , en admettant que la création des fai- bles ait été très-antérieure k celle des autres, afin d'avoir eu le tems de se multiplier beau- (372) coup : alors riiomiue , liagaarelë , le lion; le tigre , etc. , auraient élé créés postérieu- rement , et après un laps d'années et même de siècles indispensables , pour que les es- pèces destinées à être sacrifiées , aient pu se multiplier en assez grand nombre pour alimenter les autres. D'après ces observations, la création instantanée devient incompatible avec l'unité d'un seul couple de chaque espèce : mais cette uniié d'un seul couple ne s'oppose- rait pas à leur création successive , en admet- tant toujours que les espèces destructives furent les dernières. On ne doit pas avoir plus de répugnance à^ combiner une création suc- cessive avec la multiplicité des types ou cou- ples dans chaque espèce ; et c'est ce que les réflexions précédentes sur l'existence locale des insectes , des oiseaux et des quadrupèdes, semblent indiquer. Dans mon Histoire Naturelle des Quadru- pèdes du Paraguay , j'ai donné quelques ren- ^eignemens sur ceux que les conquérans es- pagnols y transportèrent d'Europe : je vais çn donner un extrait. Depuis le 5o.^ degré de latitude vers le sud , on trouve beaucoup de chevaux qui sont devenus sauvages , et ;iq,ui vivent dans l'état de nature. Mais , quoi- (375) qu'ils descendent de Ja race andalouse , il nie semble qu'ils n'en ont ni la taille , ni l'élé- gance , ni la force , ni l'agilité. J'attribue cette différence au choix des étalons , qui n'a pas lieu en Amérique. Ces chevaux vivent en état de liberté , dans les plaines , par troupes de plu- sieurs milliers d'individus ; et ils ont la manie de préférer les chemins et le bord des routes pour déposer leurs excrémens , dont on trouve des monceaux dans ces endroits. Ils ont aussi celle de se former tous en colonne non interrompue , pour investir au galop le» chevaux domestiques , aussitôt qu'ils en ap- perçoivent , même à la distance de deux lieues : ils les entourent , ou bien ils passent à côté d'eux ; ils les caressent en hennissant doucement , et ils finissent par les emmener avec eux pour toujours , sans que les autres y montrent aucune répugnance. Ils attaquent aussi les hommes à cheval , mais ils se bornent SL passer devant eux. Les habit ans du pays les poursuivent vivement pour les éloigner de leurs haras , parce que , sans cela , les che- vaux sauvages enlèveraient tous les autres. Ils courent avec un aveuglement incroyable ; et quand on les force à s'écarter , ils se bri- sent quelquefois la tête contre la premier ^«: ( 574 ) cîiarrelte qu'ils rencontrent. On voit nn exem- ple aussi étonnant de cette fougue dans les années sèches , où l'eau est exlrêniement rare au sud de Buenos-Ayres. En efï'et, ils par- tent comme fous , tous tant qu'ils sont , pour aller chercber quelque mare ou quelque lac : ils s'enfoncent dans la vase , et les premiers arrivés sont foulés et écrasés par ceux qui les suivent» Il m'est arrivé plus d'une fois de trouver plus de mille cadavres de che- vaux sauvages morts de celte façon. Tous ont le poil châtain ou hay - brun , tandis que les chevaux domestiques l'ont de toute espèce de couleurs. Cela pourrait faire penser que le cheval original ou primitif était bay- brun, et que, si l'on en juge par la cou- leur, la race des chevaux à poil bay-brua est la meilleure de toutes. Les chevaux domestiques sont aussi très- multipliés. Le prix d'un cheval commun „ déjà dompté , n'est que de deux piastres ou même moins à Buenos-Ayres : au Paraguay , une jument avec son poulain ne coûte que deux réaux (vingt-cinq sous). On maltraite beaucoup ces animaux , que l'on fait quel- quefois travailler pendant trois et quatre jours sans leur donner à manger ni à boire j (375) et jamais on ne les met à couvert. Pour commencer un haras , on réunit plusieurs ju- xnens , et on met un <îheval entier pour vingt- cinq ou trente jumens. Ces chevaux se les disputent et se les partagent de suite comme les chevaux sauvages. Chaqpe étalon con- serve les siennes réunies ; il fait assidûment îe tour de son troupeau , et le défend à coups de dents et a coups de pieds. Tous ces trou- peaux parcourent les champs en liberté , sans avoir personne pour les garder , les dompter ni les apprivoiser : on se contente de les conduire et de les réunir de tems en tems dans un grand parc , et de ne pas les laisser sortir de l'étendue du domaine de leur maître ; et pour cela , on ne les ras- semble qu'une fois par semaine. Comme on ne monte guère les chevaux entiers, on châtre les poulains au bout d'un ou deux ans , et on les dompte à l'âge de trois ans. Cette opération se réduit à les mon- ter et à les faire courir jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus ; ce qui se répète pendant quelques jours. On prétend que les chevaux pies ou tachetés sont plus difficiles à appri- voiser , et qu'en général , ceux qui ont les oreilles dures ou droites sont les plus iu- (576) domptables de tous. C'est dans l'été qu'on les accoutume au frein , parce qu'on dit que si on le faisait en hiver , cela leur rendrait la Louche baveuse et écumeuse pour toute la vie. Ou a observé aussi que les chevaux blancs, et surtout ceux qui ont un grand nombre de petites taches d'un rouge obs- cur , sont ceux qui nagent le mieux ; ce qui indique qu'ils doivent être spécifiquement moins pesans , et que peut-être la pesanteur varie suivant le poil ou la couleur. J'ai fait , dans ces contrées , quelques ob- servations sur les changemens de couleur que l'on voit quelquefois dans les hommes , dans les quadrupèdes et dans les oiseaux. Elles me paraissent prouver que la cause qui les produit est accidentelle , passagère , et que le principe réside dans les mères , qu'elle n'altère ni les formes ni les propor- tions , et qu'elle ne diminue point la fécon- dité ; que ses effets se perpétuent , et qu'elle ne dépend pas des climats. D'autres obser- vations que j'ai faites , paraissent également prouver que les nègres à cheveux longs et plats , sont plus anciens que ceux à cheveux courts et crépus ; et que la cause qui a pro- duit quelques chiesis sans poil , est égalemeat (577) accidentelle et indépendante des climals. On peut voir tout cela dans mon Histoire Natu- relle, dont j'ai parlé ci-dessus. Dans le pays que je décris , on ne fait presque aucun usage ni aucun cas de l'àne : le plus haut prix auquel on le vend est douze sous. Je n'en ai jamais vu aucun qui fût blanc , pie ou à poil crépu ; de manière que sa cou- leur et son espèce sont beaucoup plus inal- térables que celle du cheval. 11 en diffère as- sez par les formes ; et en outre , il est plus lent , plus patient , plus tranquille et plus fa- cile à nourrir , parce que ses alimens sont plus variés. Il suit toujours les sentiers , et il y passe sans broncher , et même dans les endroits difficiles. Son pas est plus sûr , et il marche avec plus de précaution et d'at- tention que le cheval. Il a de la répugnance pour nager ; et , en fait d'amour , il ne con- naît ni fidélité ni attachement conjugal , comme le cheval , et il ne pense qu'à se satisfaire. Comme la mule est le résultat de l'u- nion de l'âne et du cheval , et que l'es- pèce du premier est beaucoup plus cons- tante et plus inaltérable que celle de l'autre, il s'ensuit que la mule ressemble beaucoup ( 578 ) plus à l'âne , et que le mulet , en qualité de métis , est plus fort. Il y a dans ces pays-là un grand nombre de troupeaux de vaches sauvages et domes- tiques , qui ne diffèrent de celles d'Anda- lousie et de Salamanque , qu'en ce qu'elles ont moins de férocité. On exporte annuelle- ment pour l'Espagne près d'un million de peaux ou de cuirs ; et l'on peut dire que ces troupeaux suffisent à tous les besoins des ha- bitans du pays. Les troupeaux sauvages vi- vent en liberté , et quelquefois se réunissent aux troupeaux domestiques , qui s'échappent tous avec eux : mais ces vaches sauvages n'em- ploient pas pour cela autant d'adresse que les chevaux '. La couleur des troupeaux domes- tiques varie beaucoup : celle des sauvages est invariable et constante ; c'est-à-dire brun- rougeâtre sur le dessus du corps , et noir sur le reste : une de ces deux couleurs domine plus ou moins. Cela peut faire soupçonner que le couple primitif de l'espèce était de cette couleur, que l'on appelle osco. En 1770, il naquit un taureau mocho ou sans cornes , dont la race s'est très-multipliée. Il est bon d'observer que les individus qui proviennent * Vojez ci-dessus ce que j'ai dit de ces derniers. ( 579 ) d*an taureau sans cornes sont dans le même cas y quoique la mère en ait , et que si le père a des cornes , les animaux qu'il produit en auront également , quoique la mère n'en ait point. Ce fait prouve non-seulement que le mâle influe plus que la femelle dans la gé- nération , mais encore que les cornes ne sont pas plus un caractère essentiel pour les vaches que pour les chèvres et les bre- bis , et que l'on voit se perpétuer les indi- vidus singuliers que la nature produit quel- quefois par une combinaison fortuite. On a vu aussi , dans le même pays , des chevaux qui avaient des cornes ; et si l'on avait eu soin de les faire multiplier, peut-être au- rions-nous aujourd'hui une race de chevaux coriH^. J'ai parlé dans mon ouvrage d'un taureau herpiaphrodite , ainsi que d'uu es- pagnol et de deux oiseaux qui Tétaient éga- lement , et que j'ai vus. Les brebis et les chèvres grandissent au- tant qu'en Espagne , et elles donnent au moins trois petits par an en deux portées. Elles n'ont point d'autres bergers que des chiens appelés ovejeros. Ces chiens font sor- tir le matin le troupeau de la basse- cour ; ils le conduisent dans les champs , l'accom- ( 58o ) pagnent toute la journée, rempêcîient de se séparer , et le défendent contre toute espèce d'attaque. Au coucher du soleil , ils le ra- mènent à la maison , où ils passent la nuit. On n'exige pas que ces cliiens soient des mâtins ; il suffit qu'ils soient de forte race. On les ôte à leur mère avant qu'ils aient les yeux ouverts 5 on les fait teter différentes brebis, que l'on assujétit et que l'on tient de force ; on ne les laisse pas sortir de la basse- cour j et aussitôt qu'ils sont en état de suivre le troupeau , on les fait aller ensemble. Le matin , le maître du troupeau a grand soin de bien donner à manger et à boire au chien - berger , parce que si la faim le prenait dans les champs , il ramènerait les brebis à midi. Pour éviter cela, on met assez ordinairement au cou du chien un collier de viande , qu'il mange quand l'appétit le presse ; mais il faut que ce ne soit pas de la chair de bre- bis , parce que la faim la plus violente ne leur en ferait pas manger. On conçoit que ces chiens sont toujours mâles et châtrés , parce que s'ils étaient entiers , ils abandon- neraient le troupeau pour courir après les chiennes , et que si c'était des femelles , elles attireraient les autres chiens. (58i ) II y a des chiens qui , quoique nés a la campagne dans une maison , ne s'attachent point au lieu de leur naissance nî aux per- sonnes qui les ont élevés , et qui suivent les passans et le premier venu ; mais aussi ils les abandonnent avec la même facilité , et vont quelquefois se joindre aux chiens marrons ou sauvages , dont il y a une in- finité depuis le 5o.^ degré de latitude en allant vers le sud. Il ne peut pas y en avoir plus au nord , d'après ce que j'ai dit au Cha- pitre VIL Aucun n'est sujet à la rage ou hjdrophobie , maladie inconnue en Amé- rique. Ces chiens marrons proviennent des animaux domestiques de leur espèce , trans- portés d'Espagne. Il n'y en a point de pe- tite race, et ils me paraissent appartenir à la race que BufTon nomme grand danois. Ils aboient et hurlent comme les chiens domes- tiques , en relevant la queue : ils mettent bas dans des trous qu'ils creusent en terre ; ils fuient toujours l'homme , et vivent en so- ciété. Ils se réunissent plusieurs pour attaquer une jument ou une vache et les faire courir , tandis que d'autres tuent le poulain ou le veau ; de sorte qu'ils causent beaucoup de dégâts dans les troupeaux. ( 382 ) Dans mon ouvrage sur les quadrupèdes , j'ai décrit treize espèces de chauve-souris qui se trouvent dansée pays , parce que ces ani- maux ont plus de rapport avec les quadru- pèdes qu'avec les oiseaux. A la vérité , quoi- qu'ils ressemblent à ceux-ci par la faculté de voler, par leur poitrine large et charnue, et en particulier à quelques oiseaux aquati- ques , par la situation de leurs pattes de der- rière placées a l'extrémité du corps; la tête et toutes ses parties, les pieds et la queue , le poil, les mamelles et les parties sexuelles^ la manière de mettre bas et d'allaiter les petits , et leur marche à quatre pattes , sont entière- ment conformes à ce que l'on observe dans les quadrupèdes. Je ne crois pas nécessaire de m'arrêter à décrire la bizarrerie de leurs formes générales , les embarras que leur cause la membrane qui unit leurs bras avec le corps et la queue , non plus que leur ma- nière de se nourrir et leur engourdissement pendant la saison froide , parce que ce sont des choses connues de tout le monde. J'en connais quatre espèces dénuées de queues , mais qui ont sur le museau une crête oii sont placées les narines ; les neuf autres espèces , an contraire, ont une queue et point de crête. ( 385 ) On sera peut être surpris de ce rapport éton- nant entre la queue et la crête. En effet , toute chauve-souris qui a une crête , est tou- jours privée de queue, et l'inverse a lieu; comme si la queue eût été formée aux dé- pens de la crête , et réciproquement la crête aux dépens de la queue. Buffon décrit plusieurs chauve-souris , et entr'autres deux des miennes , qui sont le vampire et le fer-de-lance. Quant à la pre- mière espèce , il a copié les notices de plu- sieurs auteurs. Elles sont , à mon avis , très- exagérées , et même fausses , comme on peut le voir dans mon ouvrage , dont j'ai déjà parlé , et auquel je renvoie pour les détails. M. Cuvier m'a montré différentes chauve- souris qui venaient d'arriver de Cayenne , et qui sont destinées pour le cabinet national. Si j'avais eu le tems, j'en aurais peut-être reconnu quelques-unes, comme il m'est ar- rivé à l'égard de ma première espèce. Comme je n'ai pas sous la main mes Notices pour servir à V Histoire naturelle des oiseaux du Paraguay et de la rivière de la Plata , ouvrage manuscrit , il m'est impossible d'en donner un extrait ; et je ne le ferais pas , même quand je les aurais , parce que l'ou- ( ^84 ) vrage est deux fols plus considérable que mou Histoire des (hiadrupcdes. Ainsi je me bornerai à en dire très-peu de chose, et au- tant que ma mémoire me les rappellera. Cet ouvrage renferme quatre cent quarante-huit es- pèces d'oiseaux , divisés en classes ou familles , d'après les caractères qui m'ont paru devoir les distinguer. Je ne me suis pas contenté d'indiquer les espèces qui avaient déjà été décrites , mais j'ai même corrigé les erreurs des auteurs qui m'ont précédé. ^ Les espèces d'oiseaux de proie sont beau- coup plus nombreuses dans le pays'quke je décris , que dans le reste du monde , puis- qu'ici il y en a une sur neuf espèces des autres oiseaux , et que , dans l'ancien continent , il n'y en a qu'une sur quinze. Outre cela , les oiseaux de proie que j'ai décrits ne sont ni aussi féroces , ni aussi carnassiers que les au- tres 5 puisque la plupart vivent d'insectes , de grenouilles , de crapauds , de vipères , etc. , plutôt que de quadrupèdes et d'autres oiseaux. Il n'est pas facile de savoir s'ils agissent ainsi ' Cet ouvrage a depuis ele' imprime' en espagnol : îious en avons fait faire un extrait, que nous joignons aux Voyages de M. d'Azara , afin d'offrir re'uni l'ensem- 1)îe de ses travaux sur le Paraguay et la Plata. (C. A. W.) C 585 ) par suite de la nonchalance naturelle que peut inspirer le climat d'Amérique , ou parce qu'ils auraient trop de peine à chasser dans un pays aussi fourré. En général , on peut dire que presque tous ces oiseaux sont insec- tivores ; puisque ceux même dont les formes annoncent qu'ils sont granivores , mangent plus d'insectes que de toute autre chose , parce que les graines , dont ils pourraient se nourrir , sont assez rares dans ces con- trées incultes. Comme les oiseaux de passage ne voyagent que pour chercher des alimens , qui dépen- dent toujours de l'influence du soleil , ils suivent constamment cet astre. Ainsi leurs voyages ne peuvent se diriger que du nord au sud, ou sous le même méridien, a quelque différence près. On ne doit donc trouver, dans l'Amérique , qui s'étend d'un pôle à l'autre , que les oiseaux de passage de l'ancien conti- nent , et réciproquement ceux de l'ancien dans le nouveau ; c'est effectivement ce que j'ai observé. Or il paraît que ce même principe nous indique que les oiseaux de passage d'Amérique sont originaire de celte partie du monde , et qu'ils n'ont jamais habité l'ancien continent. On pourra , si l'on I. a. 25 ( 586 ) veut , étendre cette observation a toutes les autres espèces. J'ai vu dans ce pays , un assez grand nom- bre d'oiseaux , qui ne sont pas de passage , et qui existent aussi dans les autres parties du monde. Comme leurs proportions , leurs for- mes et leurs couleurs sont les mêmes par- tout , il semble qu'on en peut conclure , que le climat n'a point d'influence avérée. Parmi ces mêmes oiseaux , qui habitent des contrées très-différentes , il y en a un assez grand nom- bre dont le vol est faible et ne paraît pas pouvoir s'étendre à de grandes distances ; qui , d'ailleurs , ne peuvent pas supporter un grand degré de froid: il parait donc impossible qu'ils aient pu franchir des distances aussi considé- rables. On doit être étonné de voir quelques espèces très-multipliées , tandis que d'autres le sont si peu , que je n'ai trouvé qu'un ou deux in- dividus de quelques-unes d'entr'elles. L'éton- nement augmentera , si l'on considère : que d'autres espèces , qui ont beaucoup de rap- port à celles-ci et qui sont de la même famille, sont très-multipliées: que les unes et les autres jouissent de la même liberté, du même climat, des mêmes aliniens, qu'elles ont les mêmes C 5S7 ) proportions , et que l'on n'a observé aucune différence dans leur fécondité , ni dans la du- rée de leur vie. 11 y a aussi des espèces que l'on trouve au sud et point au nord ; d'au- tres qui sont comme isolées , ainsi que je l'ai dit en parlant des quadrupèdes. Les espèces qui habitent les bois les plus, épais , ne volent qu'à une très-petite distance ; leurs ailes sont concaves et faibles : les plumes du corps sont longues, les barbes en sont isolées et mal arrangées ; elles ne peuvent marcher qu'en sautant. Au contraire , les oiseaux qui habitent les champs marchent légèrement j leurs ailes sont roides et fermes ; le reste du plumage est plus court ; les plu- mes sont plus rondes , les barbes en sont plus collées -y ils volent à de plus grandes dis- tances. Ceux qui s'élèvent jusqu'au sommet des plus grands arbres , sans se cacher entre les basses branches , tiennent des uns et des autres ; ce sont ceux dont le vol est le plus rapide , et dont les couleurs sont les plus belles. Il y a quelques oiseaux singuliers qui pa- raissent ne pas connaître la jalousie , puis- qu'ils se réunissent par bandes pour faire un ixid y oh. toutes les femelles font , en même- ( 388 ) tems , leur couvée. De ce nombre est le nandu ou Tautruche ; mais il a quelque chose de singulier, c'est qu'un seul mâle se charge de couver les œufs , et de conduire les petits. Une autre espèce d'oiseau met ses petits sous les plumes scapulaires et les porte toujours ainsi. TIN DU PREMIER VOLUME. (389) TABLE DES CHAPITRES. Avertissement de l'Editeur, f^g^ v Notice sur la Vie et les Écrits de Don Félix de Azara, xiij Introduction, i Chap. I. Du Climat et des Vents, 5i Chap. II. Disposition et qualité du terrain y 4^ Chap. III. Des Sels et des Minéraux , 55 Chap. IV. De quelques-unes des principales Rivières^ des Ports et des Poissons, 65 Chap. V. Des Végétaux sauvages, 98 Chap. VI. Des Végétaux cultivés, i5g Chap. VII. Des Insectes, i56 Chap. VIII. Des Crapauds, des Couleuvres , des Vipères et des Lézards, 221 Chap. IX. Des Quadrupèdes et des Oiseaux, 244