^y^' ;.#. 1 "':'^^'' «ffe VICTOR DUC DE SAIKTSIMOPT VKRMANDOIS5 THE LIBRARY OF BROWN UNIVERSITY THE GHURCH COLLECTION The Bequest of Colonel George Earl Church 1835-1910 VOYAGES BAN L'AMERIQUE MÉRIDIONALE IL ERRATA. TOME PREMIER. Page 17, ligne 12, que lui donneront . Zii^z que donneront. 28, 7, don, Usez Don, et la même correction par- tout où ce mot a la même signification. \Cj , lig. ^ delà note , contenus , lisez contenues. TOME SECOND. 383, 23 , ils Temprisonnèrent , lisez ils rempoIsOBnèreaL 344, dermère ligne, Pichy^ Zirci Piçhiy, Kota. Le nom de la lagune nommée Xarayes sur les cartes, est OUTent écrit Jarayes dans le c(frps de l'ouTrage, parce que, dans la langue espagnole, le ] et \x représentent ce son guttural, qui se rap- proche beaucoup du çh des Allemaîuls , dans ich , etc. VOYAGES DANS L'AMÉPxIQUE MÉRIDIONALE, PAR DON FÉLIX DE AZARA, COKMIàSAïai ET COMMASDAKT DES LIMITES XSPAGKOLES DAS5 lE FAB-AGriT DEPUIS 1781 jusqu'en 1801 ; Contenant la description ge'ograpliiqiie , politicjue et civile du Paraguay et de la rivière de La Plata^ l'histoire de la décou- verte et de la conquête de ces contre'es j des détails nom- breux sur leur histoire naturelle , et sur les peuples sauvages qui les habitent j le récit des niovens employés par les Jésuites pour assuje'tir et civiliser les indigènes, etc. PUBLIÉS d'après les MANUSCRITS DE l" AUTEUR, AVEC r>'E îfOTICE STR SA VIE ET SES ÉCRITS, PAR C. A. ^YALCKENAER; E>"RICHIS DE >OTES PAR G. CUVIER, SECRETAIRE PERPETCEE DE LA CLASSE DES SCIEKCE5 PHrî:i;^:-E5 DE E^ISïTirCT, rtfc Suivis de l'histoire naturelle des Oiseaux du Paraguay et de La Plata, par le même auteur , traduite , d'après l'orisinal espagnol , et augmentée d'un grand nombre de notes , par 31. SÔXXIXI ; ACC03IPAGKÉS d"u>- ATLaS DE VIST&T-CiyQ PLANCHES. TOME SECOND. PARIS, DENTU, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, KVE DU POyT-DE-LODl, H* 3. 1809. VOYAGES DANS L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. CHAPITRE X. Des Indiens sauvages, V^uoiQUE riîomrïie soit un être incompré- lieiisibîe, et sur -tout l'homme sauvage, qui n'écrit point , qui parle peu , qui s'exprime dans une langue inconnue à laquelle il manque une foule de mots et d'expressions, et qui ne fait que ce que lui commande le peu de tesoin qu'il éprouve 5 cependant comme c'est la partie principale et la plus intéressante dans la description d'un pays , je donnerai ici quelques observations que j'ai faites sur un grand nombre de nations indiennes libres ou sauvages, et qui ne sont point et n'ont jamais été assujélies à l'Empire espagnol ni à aucun autre. Je ne m'étendrai pas beaucoup pour éviter l'ennui , et pour ne pas ressembler à ceux qui , pour avoir vu une demi-douzaine II. a. \ ( 2) diiidiens sur la côle, eu font une description peut-être plus complète qu'ils ne pourraient faire d'eux-mêmes. Ajoutez à cela, que je n'aime point les conjectures , mais les faits, et que je n'ai pas autant d'instruction et de talens que d'autres. J'ai vécu pendant long-tems parmi quel- ques-unes de ces nations sauvages, moins de tems avec d'autres. Je dirai même quelque chose de celles que je n'ai pas vues , afin que l'on sache avec certitude celles qui ont existé et celles qui existent encore dans le pays que je décris , et pour que les voyageurs , les géo- graphes et les historiens ne les multiplient pas aussi énormément qu'ils l'ont fait jusqu'à présent. Les conquérans et les missionnaires n'ont jamais pensé a faire une description véritable des différentes nations indiennes, mais seulement à rehausser leurs prouesses , et à exagérer leurs travaux. C'est dans cette vue qu'ils ont infiniment augmenté le nombre des indiens et des nations , et qu'ils en ont fait des antropophagesj ils avaient grand tort, car aujourd'hui aucune de ces nations ne mange de chair humaine, et ne se ressouvient d'en avoir mangé , quoiqu'elles soient aussi libres qu'à la première arrivée des espagnols. (5) On a écrit aussi qu'ils se servaient de flèches empoisonnées, ce qui est une autre fausseté positive. Les ecclésiastiques y en ont ajouté une autre , en disant que ces peuples avaient une religion. Persuadés qu'il était impossible aux hommes de vivre sans en avoir une bonne ou mauvaise, et voyant quelques figures des- sinées ou gravées sur les pipes , les arcs , les bâtons et les poteries des indiens , ils se figu- rèrent à l'instant que c'étaient leurs idoles, et ils les brûlèrent. Ces peuples emploient encore anjourd'hui les mêmes figures; mais ils ne le font que par amusement , car ils n'ont aucune religion \ Avant de faire la description de chaque nation en particulier, je dois avertir en outre, que j 'appellerai /z^2//o/z^ toute réunion d'indiens qui se regardent eux-mêmes comme formant • Il est possible qu'ils n'aient point d'idoles ^ mais il €St bien difficile de croire qu'ils ne soient pas soumis à l'empire de certaines idées superstitieuses plus ou moins raisonnables ou de'raisonnables. A moins de connaître parfaitement les mœurs et le langage d'ua peuple , il est très - difficile de déterminer au juste quelles sont ses ide'es religieuses. Nous en avons ua exemple bien frappant dans les absurdite's débitées par Tacite et les autres auteurs romains . sur la religion , les (4) une seule et même nation, et qui ont le même esprit, les mêmes formes, les mêmes mœurs et la même langue. Peu m'importera qu'elle se compose de peu ou de beaucoup d'indivi- dus, parce que ce n'est pas là un caractère national. J'avertis encore que, lorsque je mar- querai les lieux habités par ces nations, on ne doit pas croire qu'elles y soient stables, mais seulement que l'endroit désigné est comme le centre du pays qu'elles habitent : car toutes sont errantes , les unes plus , les autres moins , dans retendue d'un certain district ; parce qu'il leur arrive rarement de passer sur le ter- ritoire fréquenté par une autre nation. Au dogmes et les ce'remonies des juifs ; cej^endant les juifs avaient un culte public , parlaient la langue des ro- mains , vivaient au milieu d'eux , et formaient un peu- ple civilise' et e'claire'. Les sauvages de l'Ame'rique n'ont rien de commun ni dans le langage , ni dans les mœurs , avec les europe'ens civilise's qui communiquent avec eux. Lors même qu'on entendrait parfaitement leurs nombreuses langues , croit-on qu'il leur fût possible de de'finir avec exactitude le petit nombre d'ide'es que dif- férentes causes leur ont fait naître , et qui presque toutes ou peut-être toutes sont nécessairement absur- des et incohérentes. Combien de nations instruites et civilise'es se trouveraient à cet e'gard aussi embarrasse'e? que ces sauvages î ( C. A. W. ) (5) contraire, elles sont presque toujours sépa- rées par un désert, quelquefois très-consi- dérable. Je préviens enfin que, quand je dirai que la langue d'une nation est différente de celle d'une autre , on doit entendre que cette dif- férence est au moins aussi grande qu'entre l'anglais ou l'allemand et l'espagnol ; de ma- nière qu'il n'y a pas un seul mot qui se res- semble de l'une à l'autre, autant que j'ai pu m'en assurer. Les indiens parlent ordinaire^ ment beaucoup plus bas que nous autres 3 ils n'appellent pas l'attention par leurs regards; pour prononcer, ils remuent peu les lèvres , et parlent beaucoup de la gorge et du nez : îe plus souvent même, il nous est impossible d'exprimer avec nos lettres leurs mots ou leurs sons : ainsi il est très-difBcile d'apprendre de pareilles langues, et même d^en savoir une seule de manière à pouvoir la parler. Du moins je n'ai trouvé qu'un seul espagnol qui parlât Fidiome mbayâ, parce qu'il avait passé vingt ans parmi eux, et don Francisco Amansia Gonzalez, qui , ayant eu chez lui (comme il en a encore) quelques indiens du Chaco , en- tendait un peu leurs langues. Tous les deux conviennent (et il n'y a pas de doute) que ces (6 ) langues sont très-pauvres , et qu'elles n'ont aucun rapport les unes avec les autres. Ainsi l'on serait assez embarrassé , si l'on voulait faire des recherches sur leur origine et sur leurs rapports \ Charruas. C'est une nation d'indiens qui a une langue particulière, différente de toutes les autres, et si gutturale, que notre alphabet ne saurait rendre le son de ses syllabes. A l'époque de la conquête , elle était errante , elle habitait la côte septentrionale de la ri- vière de la Plata, depuis Maldonado jusqu'à la rivière d'Uruguay, et elle s'étendait tout- au-plus a trente lieues vers le nord , parallè- lement à cette côte. Ses frontières , du côté de l'ouest, touchaient en partie celles de la nation yâro , qui habitait vers l'embouchure de la rivière de San-Sal vador 3 et vers le nord, elle était séparée par un grand désert, de quelques hameaux d'indiens guaranis. Les charruas tuèrent Jean Diaz-de-Solis, qui , le premier, découvrit la rivière de la Plata. Sa mort fut l'époque d'une guerre sanglante , ' Si, comme le dit l'auteur, il n'y a aucun rapport entre ces langues , on ne peut être embarrasse des recherches à faire sur ce sujet , car il est inutile d'ea faire. ( C. A. W. ) (7) qui dure encore aujourd'hui , et qui a fait répandre bien du sang. Dès les commence- niens les espagnols tâchèrent de se fixer dans leur pays ; et dans celte vue , ils élevèrent quel- ques bâtiniens dans la colonie du Sacrement, lin petit fort, et ensuite une ville à l'embou- chure de la rivière de San- Juan, et une autre au confluent de la rivière de San-Salvador et de celle d'Uruguay. Mais les charrùas détrui- sirent tout 5 et ne laissèrent personne s'établir sur leur territoire , jusqu'à ce que les espa- gnols , qui fondèrent en 1 724 , la ville de Mon- tevideo , eussent repoussé insensiblement ces sauvages vers le nord , en les éloignant de la côte j opération qui a coûté un grand nombre de combats sanglans. Dès ce tems, les charriias avaient attaqué et exterminé les nations indiennes appelées yâros et bohânes 5 mais ils s'allièrent et con- tractèrent une intime amitié avec les mi- nuanes, pour se soutenir mutuellement contre les espagnols. Ceux-ci , dont le nombre aug- menta considérablement à Montevideo, ga- gnèrent continuellement du terrain vers le nord , à force de batailles, et commencèrent à établir des postes pour leurs troupeaux. Enfin les espagnols sont venus à bout de forcer une "|"~ (8) partie àes cliarnias et des minuanes à sincor- porer aux habitations les plus méridionales des Missions des jésuites sur l'Uruguay ; d'autres ont été forcés de venir habiter Buenos Ayres » et on en a réduit quelques-uns a vivre tran- quilles et soumis, à Cayastâ, près de la ville de Santa-Fé de la Vera-Cruz. Mais il reste encore une partie de cette nation qui , quoique errante, habite ordinairement Test de la rivière d'Uruguay, vers les 5 1 ou 32 deg. de latitude. Celle-ci continue la guerre à feu et à sang avec la plus grande opiniâtreté, sans vouloir en* tendre parler de paix , et même souvent elle attaque aussi les portugais. Lorsque Je voya- geais dans ce pays pour le reconnaître, ces. indiens ont souvent attaqué mes éclaireurs, qui étaient au nombre de cinquante, ou même de cent, et ils en ont tué plusieurs. Leur taille moyenne me paraît surpasser d'un pouce celle des espagnols, mais elle est plus égale. Ils sont agiles, droits et bien pro- portionnés ; et on n'en trouve pas un seul qui soit ou trop gras, ou trop maigre, ou contrefait. Ils ont la tête droite, le front et la physionomie ouverte, signes de leur orgueil et même de leur férocité. Leur couleur se rapproche plus du noir que du blanc , sans (9) presqu'aucun mélange de rouge. Les traits de leur figure sont très - réguliers , quoique leur nez me paraisse un peu plus étroit et enfoncé entre les yeux. Ces yeux sont un peu petits, brillans, toujours noirs et jamais bleus , et ils ne sont jamais entièrement ou- verts; mais ils ont sans contredit la vue du double plus longue et meilleure que les euro- péens. Ils ont aussi l'ouie bien supérieure a la notre. Leurs dents sont bien placées, très- blanches, même dans l'âge le plus avancé , et jamais elles ne leur tombent naturellement. Leurs sourcils sont peu garnis; ils n'ont point de barbe, et très-peu de poils sous les aisselles et au pubis. Ils ont les cheveux épais , très- Jongs, gros, luisans, noirs, et jamais blonds. Jamais ils ne leur tombent, et ils ne devien- nent gris qu'à moitié , vers l'âge de quatre- vingts ans. Leurs mains et leurs pieds sont plus petits et mieux faits qu'en Europe; et la gorge de leurs femmes me paraît être moins considérable que celle d'autres nations in- diennes. Jamais ils ne coupent leurs cheveux. Les femmes les laissent tomber ; mais les hommes les attachent, et les adultes mettent sur le poeud qui les réunit des plumes blanches pla- ( 'o) cees verticalemenl. S'ils peuvent se procurer quelque peigne , il en font usage ; mais ordi- nairement ils se peignent avec les doigts. Ils ont beaucoup de vermine , que les femmes cherchent avec plaisir, pour se procurer la jouissance de les tenir pendant quelque lems sur le bout de leur langue qu'elles tirent à cet effet , et pour les croquer et les manger ensuite. Cette coutume dégoûtante est établie généralement parmi toutes les indiennes , et même parmi les mulâtresses et les pauvres du Paraguay. Elles en foiît autant des puces. Les femmes n'ont ni bijoux , ni autres parures semblables, et les hommes ne se peignent pas le corps. Mais le jour de la première mens- truation des jeunes filles , on leur peint sur la figure trois raies bleues , qui tombent ver- ticalement sur le front, depuis la naissance des cheveux jusqu'au bout du nez, en suivant la ligne du milieu j et on leur en trace deux autres qui traversent les tempes. On trace ces raies en piquant la peau , et par conséquent elles sont ineffaçables , signe caractéristique du sexe féminin. La menstruation de ces femmes , ainsi que celle de toutes les in- diennes, est moins considérable que celle des espagnoles. Le sexe masculin ebt distingué ( II ) par le barbote. Je vais expliquer ce que c'est. Peu de jours après la naissance d'un garçon , sa mère lui perce de part en part la lèvre inférieure à 3a racine des dents , et introduit dans ce trou le barbote. C'est un petit morceau de bois de quatre ou cinq pouces de long, et de deux lignes de diamètre. Dans toute leur vie , jamais ils ne l'ôtent , pas même pour dormir, à moins qu'il ne s'agisse de le remplacer par un autre , lorsqu'il se casse. Pour l'empêcher de tomber, on le fait de deux pièces, l'une large et plate à l'un des bouts , afin qu'il ne puisse pas entrer dans le trou , oii on le place de façon que la partie large se trouve à la racine des dents j l'autre bout de la pièce sort à peine de la lèvre , et il est percé pour y assujétir l'autre morceau de bois qui est plus long , et qu'on y fait entrer par force. J'ignore quelles étaient leurs anciennes habitations , quand ils n'avaient ni peaux de vaches , ni peaux de chevaux \ Celles qu'ils ' Il n'est pas inutile de rappeler à quelques lecteurs , que les bœufs et les chevaux sont des animaux qui e'taient étrangers à toute l'Amérique , et qu'ils y ont ete ajiportes par les europe'ens. Ce fut en i55o qu'on laboura pour la première fois la terre dans la valle'e de Cuico. ( C. A. W . } ( 'O ont aujourd'hui ne leur coûtent pas beaucoup de peine à construire. Ils coupent au premier arbre trois ou quatre branches vertes , ils les plient pour en enfoncer les deux bouts en terre. Sur les trois ou quatre arcs, formés par ces branches et un peu éloignés les uns des autres , ils étendent une peau de vache , et voilà une maison suffisante pour mari et femme avec quelques enfans. Si elle est trop petite , ils en construisent une autre a côté, et chaque famille en fait autant. On conçoit bien qu'ils ne peuvent y entrer, que comme des lapins dans leur trou. Ils s'y couchent sur une peau, et dorment toujours sur le dos , comme tous les indiens sauvages. Il est inutile d'avertir qu'ils n'ont ni chaises , ni bancs , ni tables , et que leurs meubles se réduisent presque à rien. Je ne sais rien non plus de leur ancien ha- billement. Aujourd'hui les hommes ne portent ni bonnet ni chapeau , et vont entièrement nus. Mais s'ils peuvent se procurer quelque poncho ou un chapeau , ils en font usage lors- qu'il fait froid. C'est par cette dernière raison que quelques-uns d'entr'eux se font avec des peaux souples, et même avec celle du yagua- relé, une chemisette très-étroite , sans collet ( >3) ni manche , qui leur couvre à peine les par- ties, et cela même pas toujours. Le poncho est un morceau d'étoffe de laine très-gros- sière, large de sept palmes , long de douze, avec une fente au milieu pour passer la tête. Les femmes se couvrent d'un poncho , ou portent une chemise de coton, sans manches, quand leurs pères ou leurs maris ont pu s'en procurer ou en voler quelqu'une. Mais elles ne lavent jamais leurs vêtemens , ni leurs mains , ni leur figure , ni leur corps , si ce n'est quelquefois dans les chaleurs , lors- qu'elles se baignent : de sorte qu'on ne sau- rait rien voir de plus mal-propre , ni par conse'quent rien sentir de plus puant. Elles ne balayent jamais non plus leur habitation: elles ne cousent ni ne filent; peut-être parce qu'il n'y a point de coton dans leur pays, et qu'on n'y élève point de brebis. Je crois qu'ils n'ont jamais cultivé la terre , du moins ne le font-ils pas aujourd'hui ; et ils se nourrissent uniquement de la chair des vaches sauvages, qui abondent dans leur dis- trict. Les femmes font la cuisine ; mais tous les ragoûts se réduisent au rôti , sans sel. Elles passent une broche de bois dans la viande, elles en plantent la pointe en terre j elles ( t4) allument ensuite du feu à côté, et la retour- nent une seule fois pour la faire cuire éga- lement. Elles mettent à-la-fois plusieurs bro- ches ; et quand l'une est dépouillée , on la remplace sur - le - champ par une autre. A quelque heure que ce soit, celui qui a envie de manger, tire une de ces broches, la plante devant lui, et, assis sur ses talons, il mange ce que bon lui semble , sans prévenir per- sonne , sans dire un mot , même lorsque mari , femme et enfans mangent du même morceau, et ils ne boivent qu'après avoir fini de manger. Ils ne connaissent ni jeux, ni danses, ni chansons , ni instrumens de musique, ni so- ciétés ou conversations oiseuses. Leur air est si grave, qu'on ne peut y distinguer les pas- sions. Leur rire se réduit à enlr'ouvrir légè- rement les coins de la bouche, sans jamais éclater. Ils n'ont jamais une voix grosse et sonore, et ils parlent toujours très-bas , sans crier, pas même pour se plaindre lorsqu'on les tue. Cela va au point que , s'ils ont affaire à quelqu'un qui ait dix pas d'avance sur eux, ils ne l'appellent pas , aimant mieux marcher pour le rejoindre. Us n'adorent aucune divi- nité, et n'ont aucune religion; et par consé- quent ils se trouvent dans un état plus arriéré (.5) que celui du premier homme sauvage décrit par quelques savans , puisqu'ils lui domient une religion. On n'observe parmi eux ni ac- tion , ni parole , qui ait le moindre rapport aux égards du respect et de la politesse. Ils n'ont également ni lois, ni coutumes obligatoires , ni récompenses, nichâtimens, ni chef pour les commander. Ils avaient autrefois des caci- ques, qui certainement n'avaient aucune au-» torité sur eux , et qui y jouaient le même rôle que dans d'autres nations dont nous parlerons. Tous sont égaux j aucun n'est au service de l'autre, à moins que ce ne soit quelque vieille femme qui , pour n'avoir aucun moyen , se réunit à quelque famille , ou qui se charge de l'emploi d'ensevelir et d'enterrer les morts. Les chefs de famille se réunissent à l'entrée de la nuit , pour convenir entr'eux de ceux qui doivent passer la nuit en sentinelle, et des postes qu'ils doivent occuper : ils sont si rusés et si prévoyans, qu'ils n'oublient jamais cette précaution. Si quelqu'un a formé quelque projet d'attaque ou de défense , il le commu- nique à cette assemblée , qui l'exécute si elle l'approuve. Ils sont tous assis en rond sur leurs talons \ Mais , malgré cette approba- * ïl y a donc une sorte de gouvernemeat melaugfi ( .6) tion , personne n'est obligé de concourir a l'exécution , pas même celui qui a proposé Taffaire , et il n'y a aucune peine infligée aux absens. Ce sont les parties elles-mêmes qui arrangent leurs diflerends particuliers : si elles ne sont pas d'accord , elles se chargent a coups de poing, jusqu'à ce qu'une des deux tourne le dos et laisse l'autre , sans reparler de l'alfaire. Dans ces duels, ils ne font jamais usage des armes; et je n'ai jamais ouï dire qu'il y ait eu quelqu'un de tué. Il y a cepen- dant souvent du sang répandu , parce qu'ils se frappent le nez , et par fois même ils se cassent quelque dent '. d'aristocratie et de démocratie ; tout cela est entière- ment conforme à ce que j'ai dit de la forme de gouver- nement des peuples , dans la deuxième pe'riode , à la page 65 de mon Essai sur l'histoire de l'espèce hw- maine. {Q. \,MV.) » « Les besoins d'oii dépend la conservation d'une « socie'te' quelconque , sont l'acquisition de la subsis- « tance ne'cessaire à l'entretien de la vie de chacun de « ses membres , la sûreté' exte'rieure et la tranquillité « inte'rieure. Nous venons de voir comment une auto^ « rite' légale s'établit naturellement chez un peuple « dans cette période, pour pourvoir aux deux premiers; « quant au dernier ., il est presque nul chez eux : peu « jaloux entr'eux de T^utorite dont l'acquisitiou est plu« ( '7) Ils ont des chevaux et des haras. La phipart possèdent des brides garnies en fer , que les portugais, lorsqu'ils sont en paix ensemble, leur donnent en échange des chevaux qu'ils en reçoivent. Les hommes montent ordinaire- ment à poil , et les femmes sur une espèce de housse très- simple. Si quelqu'un d'eux perd ses chevaux à la guerre , il ne doit pas s'attendre que les autres lui en prêtent. S'il n'en reste qu'un , le mari monte dessus , tandis que sa femme et sa famille le suivent a pied , et chargées en outre du reste du bagage, La plupart n'ont pour toute arme qu'une lance de onze pieds , armée d'un fer très-long , que les portugais leur procurent j et ceux qui n'en « pénible que la possession n'en est de'sirable , re'unis par « un même inte'rêt , ils ignorent le tumulte des factions « et les orages des dissentions politiques. Leur petit « nombre , résultat ne'cessaire de leur manière d'exis- « ter , contribue encore à faire re'gner parmi eux la plus « grande union et le plus parfait accord. Dans les injures « particulières , il est permis à l'offense' de faire justice « lui-même. Il est peu d'altercations qui inte'ressent la « socie'te' entière ; et s'il en est qui me'rite son attention , « on la juge dans l'assemblée de'jà consacre'e par l'usage, « comme autorite' souveraine. » ( Essai sur VHisioire de V espèce humaine , par C. A. Walckenaer, in-8.° , II. a. a (i8) ont pas, se servent de flèches très-courte», qu'ils perlent dans un carquois suspendu a leur épaule. Quand ils ont résolu de faire une expédition militaire , ils cachent leurs familles dans un bois, et envoient à la découverte, au nwins six lieues en avant, des éclaireurs bien montés. Ceux ci s'avancent avec les plus grandes pré- cautions, étendus tout de leur long sur leurs chevaux. Us vont lentement , et s'arrêtent de tems en tems pour les laisser paire. C'est à cause de cela qu'ils ne les brident pas, et qu'ils se contentent de leur attacher la mâchoire in- férieure avec une petite courroie, à laquelle ils en attachent deux autres qui leur servent de rênes. A ces précautions , joignez l'avantage de voir avant d'être vus, dans ces immenses plaines, parce que leur vue est bien supé- rieure h la nôtre. Quand ils sont assez près , c'est-à-dire à la distance d'une ou deux lieues , ils s'arrêtent ; et , au coucher du soleil , ils mettent des entraves à leurs chevaux ; ils s'a]^ - prochent à pied, en se courbant et se cachant dans les herbes, jusqu'à ce qu'ils aient bien reconnu la situation du camp ennemi ou de la maison qu'ils veulent attaquer, ainsi que de ses postes avancés, de ses sentinelles et de sa ( 19 ) cavalerie. Lors même qu'ils n'ont pas înlea- tion d'attaquer , leurs éclaireurs suivent tou- jours les troupes espagnoles qui traversent le pays : de sorte que, quand bien même on né verrait pas un seul indien , le commandant doit supposer qu'on suit tous ses pas , et qu'il sera infailliblement attaqué , s'il n'a pas l'a- dresse de se précautionner comme il faut. C'est pourquoi il doit constamment se tenir tranquille pendant le jour, et n'entreprendre ses marches que la nuit. Les éclaireurs , après avoir pris leurs ren- seignemens, partent à toute bride pour en donner avis aux leurs; mais s'ils ont été décou- verts , ils s'échappent du côté tout opposé à celui de leur troupe , et il ne faut pas penser à les rejoindre, parce qu'ils ont des chevaux supérieurs en vitesse. Lorsqu'au contraire ils s'imaginent pouvoir obtenir l'avantage , après le rapport fait , ils se distribuent vers les points qu'ils ont choisis pour l'attaque, et marchent lentement. Mais aussitôt qu'ils sont à portée , ils poussent de grands cris, se frappent sur la bouche à coups redoublés, se précipitent sur l'ennemi comme la foudre , et tuent tout ce qu'ils rencontrent , ne conservant que les femmes et les enfans au-dessous de douze ans. (20) Us emmènPTîl leurs prisonniers, et les laissent jouir de leur liberté parmi eux : la plupart s'y marient , et s'accoutument tellement a ce genre de vie , qu'il est rare qu'ils veuillent le quitter pour retourner parmi leurs com- patriotes. Ils font ces expéditions avant la pointe du jour , mais ils attaquent aussi en plein midi, s'ils s'aperçoivent que le com- mandant ennemi a peur, ou qu'il y a du dé- sordre dans sa troupe. Us savent, outre cela , faire de fausses attaques, des fuites simulées, et dresser des embuscades; et on peut être sûr qu'aucun de ceux qui prennent la fuite ne leur échappe, à cause de la supériorité de leurs chevaux, et de l'adresse avec laquelle ils les manient. Heureusement ils se contentent d'une seule victoire , comme le jaguareté, et ne songent pas a profiter de leur avantage; sans cela, peut-être les espagnols n'aurai^nt- îls pas pu étendre leur population dans les plaines de Montevideo. Chacun profite du butin qu'il fait personnellement, car ils n'en font point de partage. Quand on pense que les charrùas ont donné plus de peine aux espagnols, et leur ont fait répandre plus de sang que les armées des yncas et de Monlezuma , on croirait sans (21 ) doute que ces sauvages forment une natîon très-nombreuse : eh bien , que l'on sache que ceux qui existent aujourd'hui et qui nous font une si cruelle guerre , ne forment pas à coup sûr un corps de quatre cents guer- riers. Pour les soumettre , on a souvent en- voyé contre eux plus de mille vétérans , soit en masse , soit partagés en différens corps , pour les resserrer , et on leur a porté des coups terribles ; mais enfin ils subsistent , et nous ont tué beaucoup de monde. On a observé que, lorsqu'ils attaquent, il est bon de mettre pied à terre, et de les attendre en gardant les rangs, et se contentant de tirer quelques coups l'un après l'autre j c'est la seule manière de leur faire respecter les armes à feu. Alors ils s'en vont , après avoir fait beaucoup de caracoles, et sans trop s'approcher. Tout €St perdu , si l'on fait une décharge générale. Us ne restent jamais dans le célibat, et ils «e marient aussitôt qu'ils sentent le besoin de cette union. Je n'ai jamais vu ni entendu dire que le mariage ait lieu entre frère et sœur. Je leur en ai demandé la raison -, ils ne la savent pas : mais comme ils n'ont aucune loi qui le leur défende , on doit présumer que si de pareilles alliances n'ont pas lieu , c'est que» (22) lorsque la sœur est plus âgée, elle n'atlend pas que son frère ait atteint l'âge nécessaire, et qu'elle se marie avec le premier qui se pré- sente ', et que , dans le cas contraire , le frère en fait autant. Comme ils sont naturellement taciturnes et sérieux , qu'ils ne connaissent ni luxe, ni différence d'hiérarchie, ni parures, ni jeux, etc., choses qui sont le principal fon- dement de la galanterie , le mariage , cette affaire si grave et si fort recommandée par la nature , se traite entre ces sauvages avec pres- que autant de sang-froid que nous en mettons à arranger une partie de spectacle. Tout se réduit donc à demander la fille à ses parens, et à l'emmener lorsqu'ils le permettent. La femme ne s'y refuse jamais, et se marie tou- jours avec le premier qui se présente, fût-il vieux et laid. Du moment oii un homme se marie , il forme une famille à part , et travaille pour la nourrir , parce que jusqu'alors il a vécu aux dépens de ses parens, sans rien faire , sans aller a la guerre et sans se trouver aux assemblées. La polygamie est permise j mais une seule femme n'a jamais deux maris ' j et même, quand un • « Puisque dans cette pënode , l'homme retient sa « femme sous sa dépendance immédiate , sans qu'elle (23) homme en a plusieurs , elles rabandonnent aussitôt qu'elles en trouvent un au'.re dont elles sont les uniques épouses. Le dîvor e est également libre aux deux sexes ; mais il est rare qu'ils se séparent lorsqu'ils ont des enfans. L'adultère n'a d'autre suite que quelques coups de poings que la partie lésée donne aux deux complices, et seulement dans le cas oiielle les prend sur le fait. Ils n'apprennent et ne défendent rien a leurs enfans, et ceux- ci n'ont aucun respect pour leurs pères; sui- vant en cela leur principe universel , de faire chacun ce que bon lui semble ^ sans être arrêté par aucun égard ni par aucune autorité. Si les enfans deviennent orphelins, quelques parens s'en chargent. « ait la liberté de s j soustraire, le mariage auro plus de « stabilité', et sera de la part du sexe un contrat obli- « gatoire. L'on verra donc souvent un homme posse'der « plusieurs femmes , mais jamais une femme posse'der « plusieurs maris , à moins que les causes que j'ai indi- « que'es n'en aient dispose' autrement. » ( Essai sur V Histoire de V espèce humaine , pag. 85. ) On verra , dans la suite de ce chapitre , une des causes à laquelle je fais ici allusion , ve'rifie'e par l'exem- ple des ganas , ou les femmes peuvent posséder plusieurs maris , quoiqu'ils soient au même période de civilisation t^ue les autres indigènes de ces contrées. ( G. A. W. ) (4) Les chefs de famille , mais non leurs femmes ni leurs enfans , s'enivrent le plus souvent qu'ils peuvent avec de Teau-de-vie , et , à défaut de celle liqueur , avec de la cliicha » qu'ils préparent en délayant dans de l'eau du miel sauvage, et le laissant fermenter \ Je ne me suis pas aperçu qu'ils fussent sujets au mal vénérien , ni à aucune autre maladie parlicu- lière y et leur vie me paraît plus longue que la * « L'homme est natureltement enclin à l'oisivete' et à « la paresse ; il a , si je puis m'exprimer ainsi , une force « d'inertie qui le fait rester en repos , à moins que quel- « que cause puissante ne le force à se mouvoir : ces « causes doivent être en petit nombre et peu fre'quentes « chez les peuples de la première pe'riode » à qui l'am- « bition , l'amour , l'avarice sont absolument e'trangères. « Aussi un des traits les plus frappans de leur caractère « national , est l'indolence y mais elle entraine avec elle « la langueur et l'ennui. Pour se soustraire à ces fle'aux, « l'on dut adopter avec transport , dans l'enfance des « sociëte's , ces breuvages qui impriment à tous nos « organes un mouvement rapide , qui excitent une joie « bruyante, qui exaltent l'imagination, qui semblent « nous dérober à notre propre existence , et faire de nous « un nouvel être. La fermentation spiritueuse est un des « phénomènes les plus fre'quens de la nature, dans la « décomposition des ve'ge'taux , et un de ceux que l'art « imite le plus facilement. » ( Essai sur V Histoire d^ T espèce humaine, pag. 5o. ) ( 25 ) nôtre. Mais cependant comme ils sont quel- quefois malades , ils ont leurs médecins. Ceux- ci ne connaissent qu'un remède universel pour tous les maux; il se réduit à sucer avec beau- coup de force l'estomac du patient, pour en tirer le mal, ainsi que ces médecins ont su le faire accroire pour se procurer des gratifica- tions. Aussitôt qu'un indien est mort, ils trans- portent le cadavre à un lieu déterminé , qui est aujourd'hui une petite montagne , et ils l'enterrent avec ses armes, ses habillemens et toutes ses nippes. Quelques-uns ordonnent de tuer sur leur tombeau le cheval qu'ils aimaient le mieux, ce qui est exécuté par quelque ami ou quelque parent. La famille et la parenté pleurent beaucoup le mort, et leur deuil est bien singulier et bien cruel. Quand le mort est un père , un mari , ou un frère adulte , les filles et les sœurs , déjà femmes, se coupent, ainsi que la femme , une des articulations ou jointures des doigts, pour chaque mort, en commençant cette opération par le petit doigt. En outre, elles s'enfoncent à différentes re- prises le couteau ou la lance du défunt , de >• part en part , dans les bras , le sein et les flancs , de la ceinture en haut. Je l'ai vu. Ajoutez à (2G) cela qu'elles passent deux lunes en retraite dans leurs cabanes, où elles ne font que pleu- rer , et ne prennent que très-peu de nourri- ture. Je n'ai pas vu une seule femme adulte qui eût les doigts complets , et qui ne portât des cicatrices de coups de lance. Le mari ne prend point le deuil pour la mort de sa femme, non plus que le père pour la mort de ses enfans j mais quand ceux ci sont adulles , à la mort de leur père, ils se cacbent pendant deux jours entiers tout nuds dans leur cabane, sans prendre presque de nourriture, et cette nourriture ne peut être que de la chair ou des œufs de perdrix. En- suite, vers le soir, ils s'adressent à un autre indien pour se faire l'opération suivante : cet indien saisit au patient la chair du bras en la pinçant , et y passe de part en part un mor- ceâïi de roseau long d'un palme, de manière que les deux extrémités ressortent de chaque côté. Le premier morceau s'enfonce au poi- gnet, et les autres successivement de pouce en pouce sur toute la partie extérieure du bras jusqu'à Tépaule, et même sur cette partie. Que l'on ne croje pas que ces morceaux de roseaux soient de la grosseur d'une épingle^ car ce sont des éclats coupans , de deux à ( =7) quatre lignes de large, et dont la grosseur est égale par-tout. C'est dans ce misérable et épouvantable appareil, que sort le sauvage qui est en deuil , et qu'il s'en va seul et tout nud dans un bois ou sur quelque hauteur , sans craindre le yaguareté ni les autres bêtes féroces , parce qu'ils sont persuadés qu'elles prennent la fuite en les voyant ainsi arrangés. Il porte à la main un bâton armé d'une pointe de fer^ il s'en sert pour creuser, à l'aide de ses mains, un puits oii il s'enfonce jusqu'à la poitrine , et oii il passe la nuit debout. Il en sort le matin pour se rendre à une petite ca- bane semblable à celles que j'ai décrites, et qui est toujours préparée pour ceux qui sont en deuil. Là il s'ôte les roseaux, se couche pour reposer, et y pnsse deux jours sans boire ni manger. Le lendemain et les jours sui- vans , les enfans de la nation lui apportent de l'eau et quelques perdrix Ou de leurs œufs, et en très-petite quantité. Ils les laissent à sa portée , et se retirent en courant sans lui dire un mot. Cela dure pendant dix ou douze jours , au bout desquels le patient va rejoindre les autres. Personne n'est obligé à ces céréiwouics barbares, et cependant on s'en dispense rare- ment; celui qui ne s'y conforme pas exacte- (28> ment est regardé comme faible, et voila la seule punition ; encore cette idée ne lui fait-elle aucun tort dans la société dont il est membre. Ceux qui se persuadent que l'homme n'agit jamais sans motif, et qui prétendent décou- vrir la cause de tout , pourront exercer leur curiosité à rechercher l'origine d'un deuil aussi extravagant parmi cette nation d'indiens. Yaros. Ces indiens habitaient , à l'époque de la conquête, la côte orientale de la rivière d'Uruguay, entre la rivière Noire et celle de San- Salvador. Du côté de l'est, ils avaient pour voisins les charruâs, et du côté du nord les bohânes et les chanâs. Les renseignemens que j'ai pu recueillir à cet égard se réduisent à ceux-ci : leur langue était très-différente de toutes les autres ; le nombre de leurs guerriers n'allait pas à cent : leurs armes étaient un arc et des flèches j ils ne devaient pas manquer de courage, puisqu'ils attaquèrent et tuèrent un nombre assez considérable d'espagnols qui accompagnaient le capitaine Jean Alvarez, premier navigateur de l'Uruguay. Enfin ils furent exterminés par les charruâs. BoHANES. Cette nation, au moment de la conquête , habitait le bord de l'Uruguay, au nord de la rivière Noire , et touchait du côté (29) du sud aux pays des jâros et des chanâs. Tout ce que j'ai pu trouver à leur égard dans les anciens manuscrits, c'est que leur langue était différente de toutes les autres, que cette na- tion était encore moins nombreuse que les yâros , et qu'elle fut exterminée par les charruâs. Chanas. Quand les premiers espagnols ar- rivèrent dans ce pays, cette nation vivait dans les îles de l'Uruguay , en face de la rivière Noire. Ils passèrent de là a la rive orientale de l'Uruguay , un peu au sud de la rivière de San-Saivador, lorsque les espagnols abandon- nèrent la ville de San-Saivador 5 ensuite , pressés par les indiens qui les avoisinaient, ils retournèrent à leurs îles. Us habitaient celle qu'on appelle aujourd'hui île des Biscayens', lorsque , craignant le voisinage des charmas qui avaient déjà exterminé les yâros et les bohânes , ils recherchèrent la protection des espagnols de Buenos- Ayres , en les suppliant de les défendre et de leur former une peu- plade qui serait dans leur dépendance. Le gouverneur leur accorda leur demande , les tira de leur île , et en forma la peuplade ap- pelée aujourd'hui Santo Domingo Sorïano, Mais comme ils se sont mélangés avec les (3o) espagnols , presque tous passent aujourd'hui pour tels. Il en existe cependant encore quel- ques-uns , entr'autres un qui passe cent ans , et qui dit que son père et son ayeul ont encore vécu plus long-tems. On voit par les discours de ce vieillard , confirmés par quelques pièces anciennes, que le langage de cette nation était difTérent des autres; qu'elle avait à-peu- près cent guerriers; qu'elle vivait de la pêche, et qu'elle faisait usage de canots ; qu'elle ne le cédait pas aux charruâs pour la taille et les belles proportions. Comme ceux qui existent aujourd'hui sont nés dans la peuplade, ils igno- rent les coutumes des sauvages leurs ancêtres. Min u ANES. C'est une nation qui , au tems de la conquête , vivait dans les plaines septen- trionales du Paranâ. Elle ne s'en éloignait que d'une trentaine de lieues, et s'étendait de Test à l'ouest depuis la réunion de cette rivière avec l'Uruguay , jusqu'en face de la ville de Santa - Fé. L'Uruguay la séparait des nations dont nous avons parlé : du côté du nord elle était bornée par de grands déserts , et elle avait pour voisins , du côté du sud , différentes liordes qui vivaient dans les îles formées par le Paranâ. Les minuanes tuèrent Jean de Garay , capi- ( 5i ) taine renommé parmi les conquérans de l'Amérique , ainsi que la troupe nombreuse qu'il commandait. Quand les charruâs com- mencèrent à passer du côté du nord, ils se lièrent avec les minuanes de la manière la plus étroite. Pendant quelque tems les deux nations vivaient ensemble, et se réunissaient pour attaquer les espagnols de Montevideo. Elles passaient et repassaient l'Uruguay , et quoiqu'elles se séparassent fréquemment , comme il régnait entr'elles la plus grande harmonie , les espagnols les confondaient, et les confondent encore aujourd'hui , les appe- lant indistinctement charruâs ou minuanes. Aujourd'hui elles sont réunies, et ainsi on ne peut les distinguer relativement a leur état actuel , ni à la manière de faire la guerre ; ainsi tout ce que j'ai dit des charruâs doit s'entendre également des deux nations réu^ nies. Le iésuite François Garcia commença à former une peuplade de minuanes , appelée Jésus Maria, près de la rivière d'YbictIi 5 mais la plupart des indiens retournèrent h leur ancien genre de vie, et il n'y en eut qu'un très-petit nombre qui se réunit a la peuplade des guaranys, nommée sa n Borja. Les minuanes sont aujourd'hui .moins nom- ( 52 ) Lreiix que les cliarruàs -, ils ont un langage particulier très- différent , et qui n'a aucun rapport à l'autre, et leur taille est semblable à celle des espagnols; en outre, leurs femmes me paraissent avoir le sein un peu plus gros ; leur corps est moins charnu , leur figure plus triste, plus sombre et moins spirituelle, leur caractère moins actif, moins orgueilleux et moins entier ; mais ils se ressemblent entière- ment pour la couleur , les traits, les sourcils, les yeux, la vue, l'ouïe, les dents, les che- veux, les poils, le manque de barbe, la main, le pied, le sérieux , la taciturnité , le ton de la voix, la coutume de ne point rire, le défaut de propreté , et le barbote ; comme eux ils ne crient ni ne se plaignent jamais, et leur res- semblent d'ailleurs par l'égalité , qui n'admet ni classes ni hiérarchie, par les habillemens, les meubles, le défaut de parures, le peu de menstruation, par les chevaux, les armes, la manière de faire la guerre, par les mariages , par le manque d'agriculture , par la manière de se nourrir et de s'enivrer. Ainsi que les charruâs, ils ne servent personne, ne se prê- tent rien les uns aux autres , ne font point de répartition de butin, et ont également un ci- metière commun. (55) J*en dis autant de leur défaut de religion J de politesse , de lois , de récompenses , de chatimens , de danses , de chansons , d'instru- mens de musique, de jeux, de sociétés et de conversations oiseuses , de la coutume qu'ils ont de s'assembler au coucher du soleil, et de terminer à coups de poing leurs diffé- rends particuliers. Mais ils diffèrent à d'autres égards, car ils font rarement usage du divorce et de la polygamie. Les pères et les mères ne prennent soin de leurs enfans que tant qu'ils sont à la mamelle ; alors ils les livrent à quel- qu'un de leurs parens mariés, soit oncle, soit cousin, soit frère, et ils ne les reçoivent plus chez eux , et ne les traitent plus comme leurs enfans ; aussi ceux-ci ne les reconnaissent-ils point pour pères , et ils ne prennent point le deuil à leur mort, mais seulement à celle du parent qui les a élevés. Leurs femmes , à l'époque de leur pre- mière menstruation , s'appliquent les mêmes peintures que celles des charruâs , dont elles ont pris cette coutume depuis leur réunion 5 mais il y en a encore un assez grand nombre qui , suivant leur ancienne pratique, suppriment les raies sur les tempes. Beaucoup d'hommes imitent aujourd'hui Us II. a. 5 (34) cliaiTuâs et ne se peignent pas; maïs d'autres conservent leur ancienne coutume de se tra- cer trois raies bleues ineffaçables, qui passent d'une joue h l'autre, en traversant le nez à la moitié de sa longueur 5 et d'autres se bar- bouillent seulement de blanc les mâchoires. Ils guérissent leurs malades en leur suçant l'estomac , comme les charruâs ; mais les hommes ne sont pas les seuls qui exercent la médecine; il y a aussi quelques femmes un peu âgées qui s'adonnent à cette profession. Elles viennent quelquefois à bout de persua- der à des hommes qui n'ont point de femme , qu'elles tiennent dans leurs mains la vie et la mort ^; elles leur inspirent de la crainte, et réussissent à se marier avec quelqu'un. A la mort du mari , la femme se coupe une jointure du doigt; elles coupent aussi l'extré- mité de leur chevelure, et le reste sert h se cacher le visage. Elles se couvrent le sein avec quelque morceau d'étoffe ou de peau , ou même avec leurs vêtemens ordinaires, et elles restent pendant quelques jours cachées dans leur hutte. Les filles adultes en font autant a la mort, non de leur père naturel, mais de * Comment cela pourrait-il être , s'ils n'avaient au- cune religion ou aucune ide'e superstitieuse .^ (C. A. W .) (35) celui qui les a élevées. Le deuil des hommes faits est tel que celui des charruâs que j'ai décrit; mais il dure la moitié moins de tems, €t au lieu de s'enfoncer des morceaux de ro- seau dans les bras , ils se percent avec une grosse arrête de poisson les jambes et les cuisses par-dehors et par-dedans , ainsi que les bras jusqu'au coude, mais non l'épaule. Ils enfoncent l'arrête d'un côté et la retirent de l'autre, comme une aiguille à coudre, et cela au moins de pouce en pouce. Pampas. C'est ainsi que les espagnols appel- lent une nation d'indiens , parce qu'elle vit errante entre les 56.^ et 5g.^ degrés de lati- tude , dans des plaines immenses qu'ils appel- lent pampas. Les premiers conquérans les connurent sous le nom de querandis ^ et il paraît qu'ils se donnent aujourd'hui eux- mêmes celui ài^ puelclies y et d'autres encore, parce que chaque division de la nation a le sien. A la première arrivée des espagnols, ils erraient vers la rive méridionale de la Plata , en face des charruâs , sans, communiquer les uns avec les autres , parce qu'ils n'avaient ni barques ni canots. Du côté de l'ouest , ils louchaient aux guaranys de Montegrande et de la vallée de Santiago , appelées aujour- (36) d'hui San Ysidro et las Couchas ; et des autres cotes ils n'avaient aucun proche voisin. Celle nation disputa le terrain aux fonda- teurs de Buenos-Ayres , avec une vigueur , une constance et une valeur admirables. Les espagnols , après des pertes considérables , abandonnèrent la place, mais ils revinrent une seconde fois pour reprendre la fondation de la ville ; et comme alors ils étaient forts en cavalerie , les pampas ne purent leur ré- sister, et se retirèrent au sud, à l'endroit oii ils sont à présent. Ils y vivaient, comme au- paravant , de la chasse du tatou , du lièvre , du cerf et des autruches qu'on y trouvait en grande abondance 3 mais les chevaux marrons ou sauvages s'étant beaucoup multipliés , ils commencèrent à en prendre et à en manger , et c'est ce qu'ils font encore aujourd'hui, qu'ils se nourrissent de la chair de ces animaux et des autres dont nous venons de parler. Les vaches sauvages se multiplièrent dans le pays après les chevaux , et comme les pampas n'en avaient pas besoin pour vivre 5 ils n'ont jamais pensé à en manger, et n'en mangent point encore aujourd'hui. Ainsi ce bétail ne trouva aucun obstacle à sa multiplication , et s'étendit jusqu'à la rivière Noire, vers le l\\.^ degré de (57) latitude, et à proportion vers Touest jusqu'aux limites de Mendoza , et jusqu'aux croupes de la Cordillière du Chili. Les indiens sauvages de ces cantons voyant arriver des vaches dans leur pays, commencèrent à en manger; et comme il y en avait en abondance , ils ven- daient leur superflu aux araucanos et à d'au- tres indiens , et même aux présidens de cette audience , qui faisaient cette espèce de com- îiierce. C'est ainsi que le nombre de ces animaux diminua dans ces contrées occidentales , et ce qui en restait courut du côté de l'est se con- centrer dans le pays des pampas. De là vint que plusieurs nations indiennes du côté orien- tal de cette grande Cordillière , et d'autres de la côte Patagonienne , vinrent s'établir dans les cantons où il y avait du bétail 3 ils se lièrent d'amitié avec les pampas qui avaient déjà une grande quantité de chevaux de selle , et dont les nouveaux venus tirèrent un grand nombre , aussi bien que de vaches , qu'ils allaient vendre à d'autres nations de la Cordillière et aux espa- gnols du Chili. Ils achevèrent ainsi de détruire le reste des vaches sauvages. A la vérité , ils furent aidés en cela par les habitans de Men- doza et de Buenos-Ayres 5 qui de leur côté en (58) faisaient un grand dégât pour leur nourriture, et pour se procurer des cuirs et du suif. Les pampas et les autres nations coalisées manquant donc du bétail , qui faisait une partie de leur nourriture et l'unique article de leur commerce , commencèrent , au milieu du dernier siècle ou un peu auparavant , à voler le bétail apprivoisé que les habitans du district de Buenos- Ayres possédaient dans leurs pâtu- rages ou parcs. Telle fut l'origine d'une guerre sanglante, parce que les indiens ne se bornaient pas à voler les troupeaux, et qu'ils tuaient tous les hommes adultes, ne conser- vant que les femmes et les jeunes garçons, qu'ils emmenaient avec eux , et qu'ils trai- taient comme j'ai dit que le faisaient les char- ruas. 11 est bien vrai qu'ils en exigent quelques services, et qu'ils en usent comme esclaves ou comme domestiques, jusqu'à ce qu'ils se ma- rient; mais alors ils sont aussi libres que les autres. Dans le courant de cette guerre , ils ont brûlé beaucoup de maisons de campagne, et tué des milliers d'espagnols. Ils ont souvent ravagé le pays, interrompu pendant long-tems les communications de Buenos-Ayres avec le Chili et Icî Pérou, et forcé les espagnols à cour (59) vrir la frontière de Buenos-Ayres par onze forts, gardés par sept cents vétérans de cava- lerie, sans compter les milices. La même chose a eu lieu proportionnellement dans les districts de Cordoue et de Mendoza. Il est sûr que dans cette guerre, il y avait plusieurs nations indiennes coalisées ; mais les pampas en ont toujours fait la principale partie , et il est indubitable qu'ils sont pleins de courage^ Le trait suivant peut en donner une idée. Dans une bataille on avait fait prisonniers cinq pampas ; on les mit sur un vaisseau de guerre de 74 canons , et de six cent cinquante hommes d'équipage , pour les conduire en Espagne. Au bout de cinq jours de naviga- tion, le capitaine leur permit de se promener dans le vaisseau, et dès l'instant même, ils résolurent de s'emparer du bâtiment en tuant tout l'équipage. Pour cet effet , l'un d'eux s'approcha d'un caporal de marine, et voyant qu'il était peu sur ses gardes , il lui enleva le sabre , et dans un instant tua deux pilotes et quatorze matelots ou soldats. Les quatre autres indiens se jetèrent sur les armes, et comme la garde les défendait , ils se précipitèrent dans la mer et s'y noyèrent , ainsi que le premier» qui les imita. Les jésuites commencèrent à (4o) former deux peuplades de ces indiens ,l*une pvès du ruisseau Salé , et l'autre plus au sud près d'une petite montagne que l'on appelle improprement le Volcan^ mais ni l'une ni l'autre ne subsista. Il y a à-peu-près treize ans que les pampas firent la paix avec les espagnols. Cependant ils sont si soupçonneux que , quand je par- courus leur territoire , ils examinèrent scru- puleusement toutes mes démarches, sans ja- mais se présenter en face , ni se laisser voir, parce que j'avais une bonne escorte. Ainsi ce que j'en ai dit ne vient que des informations que j'ai prises , et des observations que j'ai pu faire sur ceux que j'ai vus à Buenos-Ayres, Ils ont une grande quantité d'excellens cbe- vaux, et ils les montent comme les charrùas. Ils achètent à d'autres indiens, qui habitent au sud de leur pays et vers la côte des Patagons, leurs habits de peaux , et les plumes d'autruche j et quant à leurs couvertures et à leurs ponchos, ils les tirent des indiens de la Cordillière du Chili, Ils joignent à toutes ces marchandises d'autres petits objets qui leur sont propres , comme des boucles, des lacets, des rênes de cheval , du sel, etc., et viennent les vendre i Puenos-Ayres, d'où ils rapportent en échange (4i ) de l'eau-de-vie , de l'herbe du Paraguay, du sucre , des confitures , des figues et des raisins secs, des éperons, des mors, des couteaux, etc. Souvent ils sont accompagnés par quel- ques indiens de la cote Patagonienne et de la Cordillière du Chili j et de tems en tems les caciques font une visite au vice- roi , pour en obtenir quelque présent. Je pense que cette nation peut avoir tout- au-plus quatre cents guerriers. Son langage est différent de tous les autres; mais il n'a aucun son nasal , ni guttural , de sorte qu'on pourrait l'écrire avec les lettres de noire alphabet. Il me semble qu'ils sont moins si- lencieux que les autres nations , et que leur voix est plus sonore et plus pleine. En effet, quoiqu'ils parlent assez bas dans une conver- sation ordinaire , cependant , lorsqu'ils font leur harangue au vice-roi , l'orateur renforce sa voix ; et , après avoir prononcé trois ou quatre mots, il fait une petite pause, ap- puyant avec force sur la dernière syllabe , comme un adjudant qui commande l'exer- cice. Leur taille ne me paraît pas inférieure h l'espagnole ; mais, en général, ils ont les mem- bres plus forts, la tête plus ronde et plus grosse 5 les bras plus courts, la figure plus (40 large et plus sévère que nous el que les autres indiens , et la couleur moins foncée. Personne parmi eux ne se peint, ni ne se coupe les cheveux. Les hommes en relèvent toutes les pointes en haut , et les attachent avec une courroie ou une corde dont ils se ceignent la tête sur le front. Les femmes par- tagent leurs cheveux en deux moitiés égales , de chacune desquelles elles font une queue grosse, longue et serrée comme celle des soldats. Cette double queue ne leur tombe pas par-derrière, mais sur les oreilles , et ressemble à deux longues cornes qui tombent sur les épaules et le long des bras. De toutes les femmes indiennes ce sont les plus propres^ et celles qui se lavent le plus souvent ; mais je les crois aussi les plus vaines, les plus orgueilleuses et les moins complaisantes. Les hommes ne font point usage du bar- bote , et ne se servent d^aucun habillement , quand ils vont a la guerre ou à la chasse , ni quand ils sont à la maison , k moins qu'il ne fasse Irès-froid ; mais pour entrer à Buenos- Ayres, ils se couvrent d'un poncho. J'ai ex- pliqué ce que c'était. Ceux qui sont plus riches portent un chapeau, une veste, et quelque couverture attachée aux reins. Les capitaines ( 43) ou caciques ont un habit et une veste, pré- sent du vice-roi , et une ceinture d'étoffe de bayeta. Mais aucun n'a ni chemises, ni cu- lottes, et ils avertissent de ne pas leur en donner, parce qu'elles les incommodent beau- coup. Les femmes ne se peignent pas la figure , et font usage de pendans d'oreilles , de colliers et de bijoux de peu de valeur. Elles s'enveloppent le corps dans un poncho , qui leur couvre entièrement le sein , et ne laisse voir que la figure et les mains. Peut-être chez elles sont- elles moins couvertes. Celles qui sont mariées à des indiens aisés, et leurs filles, se parent davantage. Elles cousent a leur poncho une douzaine de plaques de cuivre , minces , rondes , de trois à six pouces de dia- mètre , à égale distance les unes des autres. En outre , elles portent des bottes de peau ou de cuir mince , amplement garnies de clous de cuivre , à tête conique et large de six lignes a la base. Leurs brides sont aussi chargées de plaques d'argent , comme celles de leurs maris , ainsi que leurs éperons. Je n'ai point observé parmi d'autres na- tions indiennes cette inégalité de richesses dans les vêtemens et les parures. Ils ont aussi des chefs ou caciques, qui , sans avoir le droit ( 44 ) de commander, de punir, ni de rîen exiger, sont cependant très-considërés des autres qui adoptent ordinairement tout ce qu'ils pro- posent , parce qu'ils croient qu'ils ont plus de talent, de finesse et de valeur. Chaque chef habite un district séparé , avec ceux de sa horde ; mais ils se réunissent, quand il s'agit de faire la guerre , ou quand l'intérêt com- mun le demande. Du reste , ils ne cultivent point la terre 5 ils ne travaillent point ; ils ignorent l'art de coudre et de faire des étoffes ; ils ne connaissent ni religion, ni culte, ni soumission , ni lois , ni obligations, ni récom- penses , ni châlimens , ni inslrumens de mu- sique, ni danses; mais ils s'enivrent souvent- II y en a parmi eux quelques-uns qui ont un peu de barbe , parce qu'ils proviennent du mélange de leur race avec celle des femmes et des garçons qu'ils nous ont enlevés a la guerre. Il me paraît que l'amitié conjugale est plus forte entr'eux que chez tous les autres indiens; que la polygamie et le divorce y sont rares ; qu'ils montrent beaucoup de tendresse pour leurs enfans, quoiqu'ils ne leur appren- nent rien. Leurs tentes, ou habitations por- tatives, sont vite dressées. Ils enfoncent en terre trois pieux de la grosseur du poignet , (45) k quatre pieds de dislance à-peu- près l'un de l'autre : celui du milieu est long d'une toise, les autres moins , et tous sont terminés en haut par une petite fourche. A deux toises environ de ces pieux, ils en plantent trois autres en tout semblables , et ils placent hori- zontalement sur les fourches qui terminent les uns et les autres , trois bâtons ou roseaux , sur lesquels ils étendent des peaux de cheval ; et voilà une tente dressée pour une famille. Elle y couche étendue sur des peaux , et tou- jours sur le dos. S'ils sentent le froid , ils garnissent verticalement avec d'autres peaux les côtés de leur tente. Ils se marient de la même manière qne les charrùas , et jusqu'à l'époque du mariage , les enfans vivent à la charge des pères. Ils ne connaissent ni arcs ni flèches, et je crois qu'ils n'en ont jamais fait usage. En effet, quoique les anciennes relations en par- lent, je crois que leurs auteurs se sont trompés en attribuant aux pampas les flèches dont faisaient usage les guaranys leurs alliés , qui faisaient alors la guerre aux espagnols. Aucune nation sauvage n'a abandonné ses anciennes coutumes , et elles ressemblent en cela aux quadrupèdes sauvages ; elles n'ont sur -tout (46) point renoncé à leurs flèches, quoique quel- ques-unes, depuis l'arrivée des espagnols, y aient réuni Tusage d'autres armes. Ils se ser- vaient anciennement d'un dard ou bâton pointu, avec lequel ils combattaient de près, et même de loin en le lançant ; mais ils l'ont alongé , et l'ont converti en une lance longue qui leur est plus utile à cheval , et ils conser- vent leurs anciennes boules. 11 y en a de deux sortes : la première est composée de trois pierres rondes , grosses comme le poing, re- couvertes de peau de vache ou de cheval , et attachées à un centre commun avec des cor- dons de cuir de la grosseur du doigt, et longs de trois pieds. Ils prennent à la main la plus petite des trois , et après avoir fait tourner les autres avec violence par-dessus leur tête , ils les lancent toutes les trois jusqu'à la distance de cent pas ; et elles se roulent et se croisent tellement autour des jambes, du cou ou du corps d'un animal ou d'un homme , qu'il leur est impossible de s'échapper. L'autre sorte de boule se réduit à une seule pierre, et ils l'appellent doule perdue. EWe est de la même grosseur que les autres; mais lors- qu'ils la font de cuivre ou de plomb, comme cela leur arrive quelquefois, elle est beaucoup (47 ) plus petite. Elle est recouverte de cuîr, et atta- chée à une courroie ou cordon d'environ trois pieds, qu'ils prennent par le bout pour faire tourner la boule comme une fronde , et quand ils la lâchent, elle donne un terrible coup k cent cinquante pas, et même plus loin ; car ils la lancent quand leur cheval court a bride abattue. Si l'objet est tout près, ils frappent le coup sans lâcher la boule. Les pampas excellent à manier ces deux sortes de boules, pour prendre des chevaux sauvages et d'autres animaux, et ils en portent toujours une grande quantité quand ils vont à la guerre. Au tems de la conquête , ce fut avec celte arme qu'ils enlacèrent et firent périr dans une bataille , don Diego-de-Mendoza , frère du fondateur de Buenos- Ayres, neuf autres des premiers ca- pitaiaes qui étaient à cheval , et un beaucoup plus grand nombre d'espagnols. En attachant des bouchons de paille enflammée à la cour- roie des boules perdues, ils vinrent à bout d'incendier plusieurs maisons à Buenos- Ayres, et même quelques navires. Leur manière de faire la guerre est absolument la même que celle des charrùas, que j'ai décrite : mais comme leur pays est plus plat, et qu'il n'a ni rivières , ni bois, ils ne peuvent pas dresser (48) autant d'embuscades. Ils y suppléent par îa sagacité et le courage portés au dernier point, et par la supériorité de leurs chevaux et leur adresse à les manier. A l'ouest des pampas sont les aucâs ( qui paraissent faire partie des fameux araucanos du Chili ) , et beaucoup d'autres nations in- diennes à qui on donne différens noms , aux frontières de la ville deMendoza. Je crois que toutes ces nations habitaient anciennement la Cordillière même du Chili, et qu'elles en des- cendirent pour habiter le pays oii elles se trouvent à présent , quand les troupeaux sau- vages s'étendirent jusque-là, comme nous l'avons vu précédemment. Je me fonde sur le fait suivant. Ces indiens ne se trouvaient pas sur la route des espagnols qui allaient autrefois en charrette de Buenos-Ayres au Chili, en passant à côté du volcan deVillarica, oii la Cordillière est ouverte , et présente un passage plat et uni de près d'un mille de lar- geur. Aujourd'hui on a oublié ce chemin, et l'on va au Chili par Mendoza, en traversant la Cordillière avec de grandes difficultés j les neiges en ferment même les passages , la plus grande partie de Tannée. Quoi qu'il en soit, je îi'ai point vu ces nations , et tout ce que je (49) puis eu dire avec probabilité , c'est qu'elles ignorent ou connaissent peu Tagriculture j qu'elles sont plus ou moins faibles en noni-^ bre , et errantes j qu'elles vont quelquefois au pays des pampas, et que réunis ensemble, ils ont détruit les troupeaux et fait la guerre à Buenos- Ayresj que dans le tems convenable, elles vont faire la récolte des pommes sauvages aux environs de la rivière Noire , environ à trente ou quarante lieues à l'ouest de sa réu-? nion avec la rivière de Diamante ; que leurs langages sont entièrement diflerens des autres ; qu'ils ont des chevaux et des brebis , avec la laine desquelles ils fabriquent des couvertures ^t des ponchos ^ qu'ils vendent aux pampas pour de l'eau-de-vie, de l'herbe du Paraguay, de la quincaillerie ,et autres objets qu'on leur apporte de Buenos-Ayres , où cependant ils vont aussi quelquefois eux-mêmes confondus avec les pampas, et se donnant pour tels; <|u'ils sont au moins les égaux de ceux - ci , mais que d'autres nations leur sont supé- rieures en taille et en courage ; que leurs armes et leurs habitations sont les mêmes , et qu'ils se ressemblent pour ce qui regarde les chefs , le défaut de religion , de loi et de coutume obligatoire 5 et enfin qu'ils sont vêtuç II. a. 4 (5o) comme les pampas , et même un peu mieux , sur-tout les capitaines et les particuliers aisés. Je n'ai pas vu non plus beaucoup d'autres nations errantes de sauvages, qui habitent en- tre la côte Patagonienue et la Cordillière du Chili , depuis le 4^ degré de latitude, jus- qu'au détroit de Magellan ; je sais cependant que quelques-unes d'entre elles , parmi les- quelles les espagnols comptent les balchila , les uhiliches et les tehuelchùs , se réunirent souvent avec les pampas pour faire la guerre et voler les troupeaux de Buenos-Ayres. Au- jourd'hui même que nous sommes en paix avec les pampas , il arrive assez souvent que ces nations passent au nord du Rio-Negro , (rivière Noire) et même du Rio Colorado ( rivière Rouge ) , et qu'elles s'établissent pendant quelque tems au sud des pampas. Je n'ai jamais appris qu'elles se fissent la guerre entre elles , comme les nations qui sont au nord de la rivière de la Plata. Ce- pendant elles font usage des mêmes armes que les pampas, et elles ne leur cèdent ni en courage ni en force 5 quelques-unes même au contraire paraissent les surpasser, sur-tout les patagons , que je crois être les tehuelchùs. Deux de ces derniers allèrent à Buenos-Ayres (5i ) mêlés avec des pampas , et quelqu'un qui les vit et qui les mesura, me dit que Tun avait six pieds sept pouces, et l'autre deux pouces de moins. Peut-être y en avait- il avec eux d'autres de la même nation , que leur taille ne fit pas remarquer j parce que je ne doute pas que leur taille moyenne ne soit inférieure à celle dont je viens de parler , et qu'elle ne passe même pas six pieds trois pouces , autant que j'en puis juger par quelques comparaisons que m'ont faites des personnes qui les avaient vus. Quoi qu'il en soit , on ne doit, à mon avis , faire aucun cas de l'idée de ceux qui veulent en faire des géans , non plus que de celle des auteurs qui les supposent de taille moyenne ou peu supérieure à la nôtre. Ceux qui ont voyagé par mer, doivent savoir que vers ces parages il y a beaucoup de nations indiennes dont les plus petites sont de notre taille , et les autres beaucoup plus grandes. Par consé- quent , on ne doit pas être étonné de la diffé- rence de leurs relations , mais seulement de leurs exagérations. Toutes les nations qui habitent ces con- trées ont des idiomes différens , et ne con- naissent ni religion, ni lois, ni jeux, ni danses; tîlles sont peu nombreuses aujourd'hui , et (52) gouvernées par rassemblée , dans laquelle les caciques ou capitaines ont la plus grande influence. Elles ont presque toutes des clie- vaux qui leur servent de monture et de nour- riture , et aucune ne cultive la terre. Elles vivent de leur chasse , qui leur fournit des tatous , des lièvres , des cerfs , des guanacos , des furets , des jaguars , des yaguaretés , des guazuaras , des aguarachays , des autruches et des perdrix. Leurs tentes ou habitations portatives sont faites comme celles des pam- pas; leur vêtement est le même, quand il fait froid. Seulement , au lieu de poncho , ils em- ploient des couvertures: elles sont presque car- rées , et peuvent avoir quatre pieds ; le centre est ordinairement de peaux d'aguarachay , de guanaco ou de lièvre , et les bords sont de peaux de yaguareté. Ils les couvrent de pein- ture du côté opposé au poil , et s'en enve- loppent entièrement. Ils en vendent beau- coup aux pampas , ainsi que des plumes d'autruche , et ils obtiennent en retour de l'eau - de - vie , de l'herbe du Paraguay , des couteaux et autres objets qui viennent de Buenos-Ayres GuARANYs. Cette nation seule était plus lioaibreuse et plus étendue que toutes celles (55) que j'ai décrites et que je dëcrîraî encore, puisqu'à l'époque de la découverte de l'Amé- rique , elle occupait tout ce que les portugais possèdent dans le Brésil, et la Guyanne même, à ce que je crois. Mais ( pour me resserrer dans les limites de ma description) elle s'é- tendait au nord des charrùas , des bolianes et minuanes , jusqu'au parallèle de i6 degrés, sans passer la partie occidentale de la rivière du Paraguay et ensuite le Paranâ , à l'excep- tion des deux extrémités; c'est-à-dire qu'elle occupait aussi le territoire de San-Ysidro et de las Couchas près de Buenos- Ayres , et la partie méridionale jusque vers le 3o.^ degré, et toutes les îles de cette rivière , sans passer à la rive opposée ; et vers l'autre extrémité , elle passait à l'ouest de la rivière du Paraguay, et s'enfonçait dans la province des Chiquitos , jusqu'aux croupes de la grande Cordiîlière des Andes , où il y en avait un grand nombre sous le nom de chiriguanas. Mais on doit observer qu'entre les chiriguanas et les gua- ranys de la même nation , que j'ai dit se trouver dans la province des Chiquitos, il y avait un grand espace de terrain intermédiaire, occupé par beaucoup de nations très-diffé- rentes. On doit observer également que dans (54) l'espace que j'ai assigné à la nation guarany, il j avait d'autres nations enclavées au milieu d'elle et qu'elle entourait de tous les côtés : telles que les tupy, les quayaiiâ, les nuarâ , les nalicuéga et les guasarapo ; et cela seu- lement dans le pays que je décris. Toutes différaient beaucoup les unes des autres, ainsi que des guaranys, comme nous le verrons. La nation guarany occupait l'énorme éten- due du pays dont J'ai parlé , sans former de corps politique , et sans reconnaître l'autorité d'aucun chef commun. Elle se trouvait préci- sément dans le même cas que celle du Pérou , quand le premier inca la soumit si facilement à son empire. La nation guarany était par- ,lout partagée en très - petites divisions ou îiordes indépendantes les unes des autres , et chacune portait différens noms, en le prenant de son capitaine ou cacique , ou de l'endroit où elle habitait. Quelquefois on embrassait sous un seul nom les différentes hordes qui vivaient le long d'une rivière ou dans quel- qu'autre endroit ou district. Voilà l'origine de la multitude des noms que les conquérans donnèrent à la seule nation guarany. Par exemple et sans nous écarter du pays de ma description , ils donnèrent aux guaranys les (55) noms de nibguas , caracaras , liinbus , luca- guès , calchaguis , quiloazas , carios , man- golas , itatines , larcis , bombois , curupaitis , curumais , caaiguas , garanys , tapes , chiri- guanas, et encore d'autres. Le sort ou la destinée de la nation guarany n'a pas été par- tout la même. Toutes les hor- des qui habitaient dans l'immense pays pos- sédé par les portugais , furent prises et ven- dues pour des esclaves ; et comme ils se mélangèrent avec les nègres importés d'Afri- que , il est arrivé que la race guarany s'est presque anéantie. Outre cela, les portugais de Saint - Paul , nommés communément mame- luks , ne s'arrêtèrent pas à ce que nous ve- nons de dire , ils firent de longues incursions dans notre pays , et ils emportèrent non-seu- lement tous les guaranys qu'ils trouvèrent dans l'état de liberté , mais encore plus de dix-huit peuplades que les espagnols avaient déjà réduites et instruites dans le Paraguay. La conduite des espagnols a été bien diffé- rente : ils n'ont pas vendu un seul guarany , et ils en conservent encore des milliers , non- seulement dans les peuplades jésuitiques et non jésuitiques, mais encore dans l'état d'en- tière liberté ; car il existe encore , dans le (56) paya que je décris, une multitude de hoîttee de guaranys , aussi libres qu'avant l'arrivée des européens. Je parlerai , quand il en sera tems, des guaranys assujétis aux espagnols, et qui forment des bourgades chrétiennes j à présent je ne parle que de la nation dans son état de liberté. Mais comme ceux qui existent dans cet état habitent dans les plus grandes forêts , oii je n'ai pas eu occasion d'entrer, je tirerai ma description des rcn- seignemens fournis par d'anciens manuscrits , ou par des personnes qui ont vu quelques- uns de ces indiens, et de ce que j'ai été à portée d'observer moi-même quelquefois lors- que j'en ai vu, ou enfin des remarques que j'ai faites sur ceux qui sont convertis au chris- tianisme. En général , tous les guaranys libres vi- vaient aux environs ou sur le bord des bois , ou dans les petites places libres que l'on trouve quelquefois dans l'intérieur des forêts. Et si , dans quelques endroits , ils se fixaient dans des campagnes nues et d'une grande étendue , c'est lorsqu'ils n'étaient avoisinés par aucune autre nation. Ils se nourrissaient de miel et de fruits sauvages j ils mangeaient aussi des singes , des chibiguazw , des mborebi > ( 57 ) Gi des capîbera ; quand ils pouvaient en tuer quelqu'un. Mais leur principale ressource était dans la culture du maïs , des haricots , des citrouilles, des niani ou manduby (axachides), des patates , et des mandiocas ( manioc et camanioc ). S'ils avaient une rivière à leur portée , ils pêcliaient à coups de flèches ou avec des hameçons de bois , et quelques-uns d'entr'eux avaient de très petits canots. Quand leur récolte était faite, ils en faisaient des ma^- gasins pour le reste de l'année, parce que, dans les bois, ils ne trouvaient pas autant d'oi- seaux ni de quadrupèdes pour leur subsistance, que dans les plaines. Aussi n'allaient - ils h. la chasse et à la recherche des fruits , que lors- qu'ils n'étaient pas occupés des travaux de l'agriculture , et ils ne s'éloignaient jamais beaucoup , pour être à portée de faire leur récolte j c'est pourquoi ils étaient stables et non errans , comme les autres nations dont j'ai parlé ci-dessus. Leur langage est très différent de tous les autres ; mais il est le même pour toutes les branches de cette nation ; de manière qu'en le parlant on pouvait alors voyager dans tout le Brésil , entrer dans le Paraguay, descendre ensuite à Buenos-Ayres et remonter au Pérou (58) jusqu'au canton des cliiriguanes. Ce langage passe pour le plus abondant des idiomes sau- vages d'Amérique. Cependant il manque d'une foule de termes : en fait de noms de nombre , il ne va que jusqu'à quatre , sans pouvoir ex- primer les nombres cinq et six , et la pronon- -f ciation en est nasale et gutturale. Le père Louis Volanos , cordelier , a traduit dans cette langue notre catéchisme -, les jésuites ont in- venté des signes pour saisir et rendre leur prononciation nasale et gutturale ; ils ont même fait imprimer un dictionnaire et une grammaire de cette langue. Malgré tout cela , elle est très-difficile a apprendre , et il faut plus d'une année pour en venir à bout. Leur taille moyenne me paraît être moin- dre de deux pouces que la taille espagnole ; par conséquent elle est bien inférieure à celle des peuples que nous avons décrite précé- demment. Ils ont aussi l'air d'être à propor- tion plus carrés, plus charnus et plus laids; leur couleur est moins foncée , et tire un peu sur le rouge ; les femmes ont beaucoup de gorge , la main et le sein petits , et très- peu de menstrues. Les hommes ont quelque- fois un peu de barbe , et même du poil sur le corps , ce qui les distingue de tous les autres (59) indiens ; mais ils n'approchent pas en cela clés européens. Un homme qin avait vécu long- ; tems parmi les gnaranys chrétiens, m'assura S qu'il avait observé dans les cimetières, que / les os de ces indiens se convertissaient en. terre, beaucoup plutôt que ceux des espagnols. Ils ressemblent aux autres indiens pour les yeux , pour la vue , pour l'ouïe , pour les dents et pour la chevelure. Ils ont encore une auîre singularité qui leur est commune avec toutes les autres nations : c'est que les parties sexuelles des hommes ne sont jamais que d'une grandeur médiocre j et que celles des femmes sont au contraire très-larges , et leurs grandes lèvres excessivement enflées ' ; leurs fesses sont éga- lement très-grosses. Leur fécondité n'est pas non plus égale à la nôtre ; car ayant examiné une foule de listes ou cadastres de peuplades anciennes et modernes , je n'ai trouvé qu'un seul indien père de dix enfans , le terme moyenne donnant que quatre individus par famille , l'un portant l'autre. Le nombre des * On ^e rappelle que , lorsque les espagnols arri- vèrent en Ame'rique , les femmes de ces contre'es se livrèrent à eux avec une sorte de fureur , et qu'elles contribuèrent beaucoup à la facilite' de la conquête. (C. A. W.) (60) femmes est toujours plus fort que celui des hommes, dans le rapport de i4 à i5. Leur figure est sombre , triste et abattue ; ils parlent peu et toujours bas, sans crier ni se plaindre ; leur voix n'est jamais ni grosse , ni sonore , jamais ils ne rient aux éclats; l'on ne voit jamais vSur leur figure l'expression d'aucune passion Ils sont très-mal-propres 3 ils ne reconnaissent ni divinité , ni récom- penses, ni lois, ni châtimens, ni obligations; et ils ne regardent jamais en face la personne avec laquelle ils parlent. Il y a encore plus de froideur dans leurs mariages et dans leurs amours , que dans ceux que j'ai décrits pré- cédemment. L'union des sexes n'est ni pré- cédée ni suivie d'aucuns préparatifs. Ils igno- rent la jalousie ; rien ne le prouve mieux que ]a franchise et le plaisir avec lesquels ils aban- donnèrent leurs filles et leurs femmes aux conquérans ; et même ils en font encore au- tant aujourd'hui, quoique convertis au chris- tianisme \ Les femmes se marient de très- * « Afin que chacun connaisse l'enfant dont il est « le père , et ne soit point charge du soutien et de la « protection d'une famille qui n'est point la sienne , « l'homme exigera fidélité de la jDart de sa compagne , « et la punira si ellev manque. Cependant cliez un (6i ) houne lieure , ordinairement à dix ou douze ans, les hommes un peu plus lard; et dès-lors ils forment une famille à part. Quoique je n'aie trouvé dans les anciens manuscrits aucun indice de musique ni de danse chez les guaranys , j*ai cependant ob- servé le contraire sur un de ces indiens qui faisait partie de ceux qui sont encore libres aujourd'hui. En effet , je l'ai vu mettre des grains de maïs dans un porongo ou calebasse vide ; il les secouait pour les faire résonner, et il dansait d'une manière assez maussade, « peuple 011 il n'existe point de proprie'te' , oii le butin « est partage en commun , les enfans peuvent être con- « sidere's comme nourris aussi en commun : de plus , « pendant les premières anne'es , la nourriture , chez « ces peuples , est trop grossière pour l'estomac dèli- « cat des enfans. La mère les allaite jusqu'à un âge « très-avance , et où ils ont déjà la force de s'exercer « au travail. Tous les soins et les devoirs paternels se « réduisent donc à prote'ger leurs jours contre une « surprise ou une attaque im2:>re'vue , à les former pour « la chasse et pour la guerre. Ainsi le principal far- « deau qu'exige l'éducation des enfans ne devant point « tomber sur l'homme , mais sur sa compagne > il sera « peu jaloux , et mettra peu d'importance à cette fide'- « lite' qu'il exige d'elle : il offrira lui-même Sa femme « à ses amis , à ses hôtes. » {Essai sur l'Histoire de l'espèce humaine, p. 85. ) (62) comme un homme qui ne fait que frapper la terre du pied , sans s'élever de la hauteur de deux doigts 5 il s'accompagnait en chantant a voix basse , et sans prononcer un seul mot distinctement. Chaque division ou chaque horde avait , comme elle a encore aujour- d'hui , son capitaine ou son cacique , dont la dignité est communément héréditaire , et pour lequel ils ont ordinairement quelque considération , sans en pouvoir dire la raison. Mais il n'y a jamais aucune différence entre ce cacique et les autres indiens , pour le logement, ni pour l'habillement, ni pour les décorations ou marques distiiictives j il est obligé de travailler comme tout autre, sans recevoir des autres ni tribut , ni service , ni •obéissance. Dans quelques tribus , qui sont aujourd'hui sauvages , et que l'on appelle généralement caajguâs , les hommes portent un barbote , tel que je l'ai décrit ci-dessus. Mais il est de gomme transparente , long de cinq pouces et gros de quatre lignes ; et pour l'empêcher de tomber , ils y ajustent dans l'intérieur de la bouche une pièce qui le traverse comme le haut d'une béquille. Us portent sur la tète une grande tonsure semblable k celle de nos (G3 ) prêtres ; mais ils ne se peignent pas le corps , et ils n'ont d'autre habillement qu'une petite bourse pour cacher les parties. Les femmes en font autant avec un petit morceau d'étoffe , ou avec une peau. Elles ne se coupent point les cheveux et ne font usage d'aucune parure ; mais à l'époque de leur première menstrue , elles se tracent sur la peau plusieurs lignes bleues ineffaçables , imprimées verticalement depuis la naissance des chevaux , jusqu'à la ligue horizontale oii se termine la partie in- férieure du nez. Comme leurs habitations sont éloignées les unes des autres et l'étaient encore plus avant l'arrivée des européens , et qu'ils n'avaient aucun commerce les uns aveo les autres , il en a dû résulter quelque différ rence dans leurs mœurs. Je sais en effet que quelques-unes de ces tribus ne connaissent ni l'art de filer , ni celui de faire des étoffes ; que les connaissances des autres se bornent uniquement dans ce genre à fabriquer des couvertures de coton , dans lesquelles elles s'enveloppent, comme je le dirai des paya- guas et des mbayas ; que quelques-unes n'a- vaient point de cimetière déterminé et en- terraient leurs morts dans des vases de terre cuite , ce qui est peut - être l'usage général (04) de celte nation 5 que plusieurs hordes ne fai- saient pas usage du barbote , puisque les an- ciennes relations n'en parlent point ; que la tribu appelée timbù s'incrustait sur les côtés du nez de petites étoiles de pierres blanches et bleues 5 et que celles qu'on appelait coronda et culchaqui y portaient ces incrustations de pierres , non sur le nez même , mais auprès. Toutes les autres nations leur inspirent une terreur panique \ jamais elles ne leur font la guerre, ni ne traitent avec elles., pas même pour demander la paix : elles évitent toujours leur présence, et je doute même que dix ou douze guaranys réunis osassent tenir tête à un seul indien des autres nations que j'ai décrites, ou de celles qui me restent à décrire. Quelque éloge que les jésuites aient fait de leurs qua- lités guerrières, il n'y a de bien prouvé sur cet article , que deux ou trois combats peu vifs , avec les espagnols ; et nous avons vu ceux-ci les subjuguer et les soumettre par- tout avec la plus grande facilité , ce qu'ils n'ont pu obtenir jusqu'à présent à l'égard d'aucune autre nation. En effet, toutes nos bourgades indiennes de ce côté , sont formées de guaranys exclusivement à toute autre na- tion. Celles de leurs bordes qui existent encore (65) âaiTS l'état sauvage, à l'exception de cellequ'on trouve vers le nord de la bourgade del Corpus, ne veulent avoir ni communication, ni paix avecles espagnols. Si nous entrons dansTinté- rLeur de leur pays, ils tâchent de nous tuer quelqu'un à coups de flèches j et pour les tirer ils se cachent derrière les arbres , sans se laisser voir le corps , et sans attendre de pied ferme lorsqu'on les attaque. Leurs armes sont un arc de six pieds , des flèches de quatre et demi, armées d'une pointe de bois dur, et une macana ou bâton , long de trois pieds , et plus gros à une extrémité qu'à l'autre. Ils vont toujours à pied, parce qu'ils n'ont ni chevaux , ni aucun autre animal domestique. Les anciennes relations disent qu'ils en avaient, et qu'ils élevaient des poules et des canards ; mais je ne le crois pas , puisque les guaranys sauvages , non plus qu'aucune autre nation , n'en ont aujourd'hui j et que celles qui ont quel- ques animaux domestiques n'ont que des chiens, des chevaux, et très-rarement des brebis. Les peintures et les statues donnent une idée assez exacte des flèches de ces nations et de la manière de les tirer, mais non de leurs arcs. Ils se réduisent à uji bâton très-dur, peu flexible , lisse, et de la grosseur dupoign«t au IL a. 5 (66) milieu, et qui va ensuite en diminuant jus- qu'aux bouts , qui sont très-aigus , de manière à pouvoir servir de lance. La courbure de ce bâton est si peu sensible, qu'une règle appli- quée aux deux bouts laisse tout-au-plus deux doigts d'intervalle entr'elle et le milieu de l'arc. Cet arc est en outre renforcé dans toute salongueur par des bandes d'écorce de guembe ( voyez Chap. V.) roulées comme le ruban de la queue d'un soldat. Jamais on ne bande l'arc qu'au moment d'en faire usage ; et c'est pour- quoi on se contente d'attacher solidement la corde à un des bouts , et de l'y rouler. Pour tirer, on attache à l'autre bout cette corde médiocrement tendue; on enfonce légère- ment en terre la pointe de l'arc , à l'aide du pied, et alors on le bande autant qu'il est pos- sible; et l'on sait comme ces sauvages savent viser et tirer. Comme les flèches sont très- longues , aucune nation ne fait usage de car- quois , excepté les charrùas et les minuanes , dont les flèches sont courtes, ainsi que leurs arcs , pour pouvoir s'en servir à cheval. Les enfans qui s'amusent à la chasse des oiseaux et des petits animaux , emploient une autre espèce d'arc bien différent , plus faible, d'uu bois plus flexible et plus élastique , beaucoup (67) plus courbé , et long à-peu-près de trois pieds. Us j ajustent deux cordes qu'ils font tenir sé- parées parallèlement à moins d'un pouce de distance, par le moyen de deux petits bâtons terminés en fourches, dans chacune desquelles ils font passer l'extrémité des cordes. Vers le milieu de la longueur de ces cordes , il y a un petit filet formé de ficelle , qui y est attaché et qui sert à placer le bodoque , qui est une boule d'argile cuite au feu , et de la grosseur d'une noix. Ils portent avec eux une bourse remplie de bodoques ; ils en prennent quatre ou cinq de la main gauche , tandis qu'ils tiennent l'arc de la main droite : ils les mettent l'un après l'autre dans le filet , et ensuite bandant leur arc, ils lancent toutes ces balles à-la fois contre les oiseaux qui volent jusqu'à la distance de quarante pas , et ils en tuent beaucoup. Mais ils ne font pas usage de cet arc pour tirer des flèches ni pour combattre , quoiqu'une de ces balles pût casser une jambe à trente pas. il faut de la pratique pour incliner un peu l'arc, afin que le bodoque n'attrape pas la main droite. C'est pour cela qu'on place le filet un peu au-delà du milieu des cordes. Si les enfans d'Europe apprenaient cet exercice, il n'y aurait pas tant de moineaux. (68) Je ne dois pas omettre ce que me dit un curé avec lequel je voyageais : « J'ai pris ce « garçon guarany, lorsqu'il n'avait que quatre « ans, et je l'ai élevé chez moi jusqu'aujour- « d'hui qu'il en a quatorze. Il n'a jamais vu a de rivière , ni d'amas d'eau suffisant pour « nager, parce qu'il n'y en a point dans ma « paroisse, d'oii il n'est jamais sorti, et je ne « l'ai pas perdu de vue un seul jour. Je lui « dirai cependant de nager, et vous le verrez « traverser cette rivière ( elle était plus pro- « fonde que la Seine ) ; parce que j'ai déjà ob- « serve que les guaranys savent nager naturel- le lement comme les quadrupèdes. » J'en vis la preuve à l'instant 5 et je pensai qu'il pourrait se faire que les guaranys, et peut-être tous les autres indiens, eussent le corps spécifiquement moins pesant que nous \ » Cela ne serait pas encore suffisant pour qu'ils pus- sent nager naturellement et sans s'y être exerce's ; il faudrait pour cela qu'ils fussent spe'cifiquement moins pesans que l'eau. En effet les chiens et autres quadru- pèdes , qui sont spe'cifiquement plus pesans que l'eau , nagent naturellement , parce que la position de leur corps doit rester la même sur terre comme dans l'eau, et que pour eux le mouvement le plus favorable pour nager est precise'ment celui qu'ils exécutent en marchant (69) Je n'ai vu que deux indiens de la race de ceux qui vivaient sous l'empire de l'Ynca du ou en courant. Il n'en est pas de même de l'homme qui est bipède : il se noie s'il ne fait pas d'autres mouve- mens pour se soutenir sur l'eau , que ceux qu'il a cou- tume de faire en marchant et en courant. Il lui faut pour cela des mouvemens particuHers e'trangers à toute autre espèce d'exercice , et qui ne sont propres que pour ce but. Il en resuite qu'il faut nécessairement que tout homme s'exerce et apprenne soit par tâtonnement ou par des essais fre'quens et re'pe'te's , soit par une ins- truction positive , les mouvemens ne'cessaires pour acque'rir la faculté' de se soutenir et de se diriger dans î'eau , et qu'il ne l'a point naturellement. Je pense donc que Je guaranj du cure' avait plus d'une fois , sans que ce dernier le sut, quitte' sa paroisse. Le soulèvement soit de quelque membre, soit du corps entier, lors- qu'on remue ou que l'on se balance dans l'eau, joint à l'exemple de certains quadrupèdes , ont fait croire à bien des personnes que la crainte seule d'un ele'ment auquel il n'est point accoutume', est l'unique obstacle qui empêche l'homme de nager naturellement; c'est un préjuge' qui a coûte' la vie à un grand nombre d'in- dividus. Je ne me rappelle pas qu'on ait cependant en- trepris de le combattre; heureux si ce peu de lignes pouvait en dissuader quelques - uns de ceux qui les liront I Aussi pour ajouter l'autorité' de l'expe'rience aux démonstrations de la the'orie , je ne crois pas inutile de dire que l'auteur de cette note est lui-même un na- geur très-exerce. ( C. A. W. ) (70) Pérou j mais si j'avais à les comparer aux guaranys , je dirais que ceux-ci me paraissent ctre d'une taille égale ou même supérieure , que leur couleur est plus forte et plus foncée que celle des péruviens dont je trouve le visage moins carré , moins charnu , plus étroit à la partie inférieure , et plus spirituel. Comparer ies péruviens avec les nations sauvages du Paraguay et de la rivière de la Plata , ce serait mettre en parallèle l'abattement du corps et de l'esprit, avec l'élégance, la grandeur, la force, la bravoure, la fierté et l'orgueil. TuPYS. Cette nation d'indiens sauvages était , et est encore entourée de tous côtés par les guaranys , et je ne saurais concevoir comment elle a pu s'enclaver ainsi. Elle vit dans les bois , entre les peuplades jésuitiques de Saint-Xavier et de Saint- Angel. Quoique j'ignore jusqu'où elle s'étend du côté de l'est et du nord, je sais qu'elle habite la rive orientale de l'Uruguay, depuis Saint-Xavier jusqu'au 27^ 25' de latitude , et qu'elle né s'étend pas au couchant de cette rivière. Ils se sont montrés souvent , en poussant de grands cris de la rive qui est en face de Saint-Xavier ; et dans d'autres occasions , ils ont attaqué les habitations des guaranys de (7' ) ces deux bourgades , et leurs pâturages , ainsi que les commissaires pour les limites , dont ils ont tué quelques - uns. Ces attaques ont inspiré aux guaranys une terreur panique; et quand j'allai dans ce pays, les renseignemens qu'ils me donnèrent étaient dictés par la crainte. Ils me dirent qu'ils menaient une vie errante , et qu'ils ne dormaient pas deux jours de suite dans le même endroit -, qu'ils ne parlaient point, et qu'ils aboyaient abso- -4- lument comme des chiens ; qu'ils avaient la lèvre inférieure entièrement coupée en deux parties égales du haut en bas ; qu'ils étaient antropophages, et que deux de ces sauvages qu'ils avaient pris dans deux différentes occa- sions , s'étaient laissé mourir sans vouloir ni manger ni parler. Les différens manuscrits de jésuites que j'ai lus, les appellent caraïbes, et en disent autant et plus. L'un de ces ma- nuscrits dit qu'ils vivent sur le haut des arbres, dans des nids ou des espèces de cages, comme les oiseaux : mais je ne crois rien de tout cela; et j'ai plus de confiance dans les ren- seignemens suivans, qui m'ont été communi- qués par don Francisco Gonzalez , adminis- trateur de la bourgade de la Conception. En janvier 1800, un détachement d'en- (72) vîron deux cents tupys, poursuivi par une autre nation , qui m'est entièrement inconnue , sortit des bois où j'ai dit qu'elle habitait. Elle passa l'Uruguay, qui était alors très-baç, en profitant d'un rescif oii il y avait très f- peu d'eau, entre la Conception et Santa-Maria-la- Mayor. Les tupys continuèrent leur route pour les hauteurs de Martires, vers le nord , jusqu'à la peuplade des guaranys qu'on avait commencée douze lieues au-dessus de la bourgade del Corpus , et nommée Saint- François'de-Paule : ils la détruisirent , la brûlèrent, y tuèrent beaucoup de monde, et se sauvèrent dans les bois. Les guaranys des bourgades voisines pri- rent l'alarme , et marchèrent à la poursuite des tupys sous la conduite des espagnols. Dans ieur marche, ils observèrent qu'un tupy adulte étant mort , on lui avait creusé une fosse peu profonde , dont le fond était garni de feuilles de palmier. Le cadavre en était également recouvert , et ils n'avaient point jeté de terre par-dessus. Hors de la tombe , ils avaient placé î'arc , les flèches et la massue du mort , et ils^ avaient attaché aux quatre coins, quatre chiens liés par les quatre pattes , et assujétis à de gros pieux. Ces chiens étaient morts lorsqu'on dé- ( 75) couvrit le tombeau. Les guaranys n'osèrent jamais les attaquer ; mais comme les tupys se dispersaient pour chercher leur nourriture ,'ils prirent quelques garçons et quelques femmes; On ne garda pas ces prisonniers très-soigneu- sement , et tous s'échappèrent , à l'exception de deux jeunes filles, l'une de douze ans , et l'autre d'environ dix - huit , que ce même Gonzalez emmena chez lui , et qui s'échap- pèrent aussi pour retourner dans les bois. Elles étaient d'abord très-caressantes , et embrassaient toutes les femmes. Quand elles entrèrent dans la maison , elles saisirent tous les habillemens qu'elles trouvaient sous la main , et elles se les mettaient sur le corps,, sans savoir assez souvent comment s'y pren- dre. Elles se baignaient deux et même trois fois par jour, et quelquefois elles dansaient toutes seules. On pouvait écrire et parler leur langage sans difficulté , parce qu'il n'a- vait ni son nasal, ni 'son guttural. Voici ce qu'on a pu comprendre de ce qu'elles disaient. Leur nation connaît l'agriculture : ils sèment du maïs, des calebasses, des patates douces , du manioc , des haricots, etc. Ils sont station- naires, excepté quand ils vont à la recherche du miel sauvage et des fruits, en attendant le (74) tems de la récolte et des semailles; ils font du pain de maïs et de manioc , qu'ils appellent eme. Leurs huttes sont couvertes de feuilles de palmier : ils font avec le caraguatâ ( voyez Chapitre V ) des étoffes dont les femmes se servent pour se couvrir la ceinture : les hommes vont entièrement nuds , à l'exception de quelques-uns qui portent un tipoy , ou chemisette courte , étroite , sans collet ni manches , et de la même étoffe. Ils ne se tracent aucune peinture sur le corps : les hommes portent une espèce de tonsure semblable à celle de nos moines ; les femmes coupent leurs cheveux par-derrière à la hauteur de l'épaule , et par-devant à la moitié du front : sur les côtés elles les coupent par étages. Elles portent au cou plusieurs colliers de petits morceaux de coquilles , ronds et plats : quelques-uns de ces colliers leur des- cendent jusqu'au sein. Elles s'arrachent , ainsi que les hommes, les sourcils , les cils des pau- pières, et tout le poil du corps. Ces indiens ne sont en paix avec personne , mais toujours en guerre , et ils ne font grâce ni au sexe ni à l'âge. Us ont des arcs de six pieds , des flèches de quatre et demi, armées d'un os ou d'un caillou , et un bâton court , plus gros à une (75 ) extrémité qu'à l'autre. Ils ont aussi des haclies de pierre , et j'en ai vu une avec laquelle 11 me paraissait impossible de rien couper. Us portent sur l'épaule un panier de roseaux parfaitement fabriqué , et qu'ils s'attachent au front par le moyen d'une corde. J'en ai vu ; ils s'en servent pour mettre les fruits et tout ce qu'ils trouvent. Leur couleur est un peu plus claire que celle des guaranys ; leur taille n'est pas beaucoup plus grande ; leurs traits sont beaucoup plus beaux , leur physionomie visiblement plus gaie , plus ouverte et plus spirituelle. Les deux jeunes filles prisonnières dont j'ai parlé ne voulurent jamais dormir seules : elles voulaient avoir avec elles un guarany : elles le recherchaient avec empres- sement , et se mettaient en fureur contre qui- conque voulait y mettre obstacle. GuAYANAs. On ne doit pas confondre cette nation avec différentes hordes de guaranys sauvages auxquelles les habitans du Paraguay donnent le même nom. Elle habite au milieu des bois situés à Torient de l'Uruguay , depuis la rivière Guairaj'^, vers le nord: elle habite aussi la partie des bois qui sont à l'orient du Paranâ , beaucoup au-dessus de la bourgade del Corpus, Elle a un langage particulier , dif- (76) férent de tous les autres : leur son de voix est élevé, aigu et discordant. Leur taille ne le cède point à l'espagnole, et elle est bien pro- portionnée , quoiqu'ils soient un peu trop mai- gres. Celte nation diffère de toutes celles que je connais, en ce que sa couleur est visible- ment plus claire ; en outre , quelquCvS-uns de ces sauvages ont les yeux bleus , et l'air plus gai et plus fier. Us conservent leurs sourcils, leurs cils et leur poil qui est en petite quan- tité , et n'ont point de barbe. Us sont pacifi- ques et même caressans à l'égard des étran- gers. Les hommes se ceignent le front d'un bandeau tissu de fil , et garni d'un grand nombre de plumes , ils préfèrent les rouges à toutes les autres; mais ils vont tout nuds , et les femmes se contentent de se couvrir la ceinture avec un morceau d'étoffe , de la même nature que celle que j'ai décrite à l'article des tupys. Us ressemblent à ces derniers par le défaut de religion, et par la construction de leurs huttes -, ils se nourrissent des mêmes plantes qu'ils cultivent, et de miel et de fruits sauvages; mais il paraît qu'ils craignent beau- coup de nager ou de passer de grandes riviè- res. Ils n'ont point d'animaux domestiques; ils semblent être divisés en beaucoup de petites (77 ) hordes indépendantes. 71s ont des arcs extraor- dinaires, longs quelquefois de sept pieds et demi , et des flèches de cinq et demi. Comme on leur voit sur les jambes et sur les bras beaucoup de cicatrices semblables à celles des charrùas , des payagùas et d'autres na- tions , on ne saurait douter que ces cicatrices ne soient le résultat des blessures qu'ils se font lorsqu'ils sont en deuil, ou dans des fêtes que nous décrirons dans la suite. NuARA. C'était une nation qui , comme les deux précédentes , était entourée par les gua- ranjs , et que les Portugais ont enlevée toute entière pour la vendre comme esclave au Brésil. Au tems de la conquête , elle vivait dans le pays appelé les plaines de Xerez , et elle était assez nombreuse. La taille des indi- vidus était supérieure à celle des guaranys : elle vivait de l'agriculture ; son langage diffé- rait de tous les autres : elle était d'un carac- tère très - tranquille , pacifique et aimable. Voilà ce que je trouve dans les anciens ma- nuscrits originaux, auxquels j'ai plus de con- fiance qu'au poëme de Barco Centenera , qui les appelle mal-à-propos guaranys , et en fait une nation guerrière. Nalicuégas. Je dois tous les renseigne-* (78) mens que je puis donner sur cette nation, aux indiens sauvages nommés mbayas ^ qui sont les seuls qui l'aient vue. Ils disent qu'elle est stalionnaire vers les 21 degrés de latitude, à deux journées à l'est des plaines de Xerez; qu'elle a un langage particulier, différent de ceux qu'ils connaissent, qu'elle se réduit à un petit nombre de familles ; qu'elle habite sous terre dans des cavernes ; que les deux sexes sont entièrement nuds; qu'ils n'adorent aucun dieu 5 que leur taille et leur couleur ressem- blent à celles des guaranys; qu'ils sont exces- sivement lâches et pusillanimes ; qu'ils ont des arcs et des flèches , dont ils se servent pour se défendre , sans sortir de leurs caver- nes ; qu'ils cultivent la terre, et qu'ils vivent de maïs , de haricots , de patates douces , de calel)asses et de manioc. GuASAKAPO. Je conserve à cette nation le nom sous lequel elle fut connue des premiers conquérans, et je le préfère à celui àe guachié que lui ont donné les habitans du Paraguay, à l'imitation des mbayas qui les appellent ainsi. Jamais elle n'a changé de domicile, et elle habite des terrains inondés ou lagunes, qui sont dans l'intérieur des terres, et d'où sort la rivière appelée Guasaropo ou Guachiéj, qui (79) se réunit du côte de l'est à la rivière du Pa- raguay, a 19^ I^& 5o'' de latitude. Ils ont quelques canots semblables à ceux des paya- guâs. Ils s'en servent pour passer de leur ri- vière à celle du Paraguay , quand ils veulent communiquer avec lesmbayas, leurs intimes et anciens alliés. Ce fut, en naviguant de cette manière , qu'ils rencontrèrent et tuèrent au- trefois quelques espagnols qui allaient sur la rivière du Paraguay. Comme leur domicile est inaccessible par terre , et que par eau on ne peut en appro- cher qu'à force de dépenses , de peines et de risques , on ne connaît cette nation que par le rapport des mbayas , chez lesquels ou en voit de tems en tems quelques-uns. Us disent que leur langage est différent de tous les autres. Leur taille moyenne me paraît être de cinq pieds six pouces : ils sont supérieurement pro- portionnés , et leur couleur est semblable à celle des guaranys. Us ont la tête découverte, et les hommes ne portent aucune sorte de vê- tement , à moins que ce ne soit quelque cou- verture achetée aux mbayas ou gagnée à la guerre. On assure que les femmes sont dans le même cas. Tous se coupent les cheveux de si près qu'on dirait qu'ils se rasent. Outre cela , (So) ils n'ont point de barbe , et s'arraclient entiè- rement les sourcils, les cils des paupières, et le peu de poil qu'ils ont, sans le laisser jamais revenir. Les hommes portent le barbote. ( Vo^ez cbarrùas. ) Us n'ont ni religion , ni lois, ni coutumes obligatoires, ni caciques, ni chefs. La nation entière ne forme pas soixante guerriers. Us ne connaissent ni animaux do- mestiques, ni agriculture, ni chasse. Us vivent du riz sauvage que produisent leurs lagunes , et du poisson qu'ils tuent à coups de flèches ^ ou qu'ils prennent avec des hameçons de bois, ou même de fer, quand ils peuvent s'en pro- curer che^ les mbayas , qui en tirent de chez nous et de chez les portugais j car ces indiens guasarapos n'ont jamais de communication di- recte avec nous. Leurs armes sont des flèches, des bâtons ou macanâs , espèce de massue. Jamais ils ne font la guerre seuls , à cause de leur peu de population 5 mais comme ils sont pleins de vigueur, d'orgueil et de courage, les mbayas les trouvent toujours prêts à les suivre au moindre avis qu'ils en reçoivent, pour attaquer la nation ninaquiguila , et nos peuplades de la pi^ovince des Chiquitos. GuÀTOS, Cette nation vivait, au tçnis de la (8t ) conquête , comme aujourd'hui, dans une la- gune appelée , je crois , par les jésuites laguna de la Cruz. Cette lagune communi- que , vers le couchant , avec la rivière du Pa- raguay , sous le parallèle de 19° 1 2'. Personne n'a jamais vu de près ces indiens, et ils n'ont jamais communiqué avec personne. On croit que la nation, prise ensemble, ne forme pas trente hommes adultes , ni peut-être même douze; qu'ils ont un langage particulier; qu'ils ne connaissent ni divinité, ni lois, ni chefs. Ce qu'il y a d'indubitable , c'est qu'ils ne sor- tent jamais de leur lagune ^ qu'ils y naviguent dans de très-petits canots, deux à deux, pro- bablement mari et femme; qu'aussitôt qu'ils aperçoivent quelqu'un de loin ils prennent la fuite, et se cachent entre les joncs; de sorte qu'ils sont pour ainsi dire attachés a leur lagune comme une huître à son écaille. Quelles idées doivent-ils avoir ? On ne peut faire là -dessus que des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Il paraît évident qu'ils ont peu de fécondité , puisqu'en 5oo ans leur nombre n'a ni augmenté ni diminué. Aguitequedichagas. Tel est le nom que donnent à cette nation les indiens mbayas, qui sont les seuls qui l'aient vue. En effet, II. a. 6 ( ?.2 ) quelcjue désir que j'eusse de l'observer moi. même, et quoiqu'elle habite notre territoire, les portugais m'en ont empêché; car, mal- gré les stipulations expresses des traités, ils se sont établis dernièrement au couchant de la rivière du Paraguay , et ils nous empêchent de naviguer dans sa partie supérieure. Je ne pourrai donc dire de cette nation que ce que m'en ont raconté les mbayâs. Je crois qu'elle est l'unique reste des anciens cacocys, que les premiers conquérans appelèrent aussi o/'e- Jones (oreillons). Elle habite la plus consi- dérable des petites montagnes du pays , nommée par les anciens Sainte-Lucie , et par les modernes Saint-Ferdinand , entre le 18^. et le 19^. degré de latitude k l'ouest, et près de la rivière du Paraguay. Leur nombre est si petit qu'il ne monte peut-être pas à cinquante guerriers. Leurs huttes sont faites comme celles des pampas, excepté qu'ils ne les cou- vrent pas avec des peaux, mais avec des paillassons. Comme ils sont stationnaires dans un pays oii il ne peut pas y avoir beaucoup de gibier, et qu'ils sont éloignés des rivières, ils subsistent de la culture du maïs , du ma- nioc, des patates douces, des citrouilles, du mani ou manduby (Arachide). Leur (85) langage est très - différent de celui que les mbayâs connaissent; et quoique leur cou- leur ressemble assez à celle des guaranys leur taille est plus grande. Jamais ils ne font la guerre à personne ; mais ils ont pour leur défense des arcs, des flèches et des bâtons. Les deux sexes vont entièrement nuds. Ou distingue les hommes par les petites pierres de différentes couleurs, qu'ils portent aux oreilles et aux côtés du nez. Les femmes se reconnaissent aux oreilles, qui leur tomben| presque sur les épaules. Pour cet effet , elles se les percent , et augmentent successivement le trou pendant toute leur vie , en y mettant des morceaux de bois arrondis , et dont la grosseur augmente graduellement, comme je le dirai des lenguas. Ils vont quelquefois à la rivière du Paraguay pour se baigner ^ et peut-être pour pêcher. NiNAQUiGuiLAs. Lcs portugais ne m'ont pas permis non plus d'aller reconnaître cette nation, ainsi appelée par les mbayâs. Nos indiens de la province de Chiquitos, lui donnent, je crois, le nom de Potoreras. Sui- vant les mbayâs elle habite l'intérieur d'un grand bois, qui, commençant vers le 19^ de- gré de latitude , à quelques lieues de la ri- (84) vîère du Paraguay, s'enfonce beaucoup a rouesl-sud-ouest dans le Chaco, et sépare, du côte du sud , la province des Chiquitos du pays occupé par les guanâs cl les mbayâs; elle est partagée en plusieurs hordes, qui ne sortent jamais du hois. Les mbayàs ont quelques rapports d'amitié avec les plus mé- ridionales , au lieu qu'ils sont en guerre avec celles du nord. On m'assure que ce« indiens ressemblent aux autres , en ce qu'ils ne re- connaissent ni divinité, ni lois, ni chefs, qu'ils ont un langage différent de tous les autres ; que pour la taille et la couleur ils ressem- blent aux guaranysj qu'ils sont assez nom- breux j qu'ils ne font jamais la guerre et ne savent se défendre que faiblement 5 qu'ils ont des arcs , des flèches et des bâtons ; qu'ils ne s'arrachent point les sourcils, les cils ni le poil , et qu'ils ne se coupent point les che- veux ; que les femmes font , avec le cara- guatâ, des couvertures pour s'envelopper, et qu'elles portent au cou des colliers de ha- ricots d'une jolie couleur j et qu'enfin quoi- que les hommes aillent ordinairement tout nuds, quelques-uns cependant portent une couverture pour s'envelopper , et s'oignent la tête de couronnes de plumes. (85) GuANAS. C'est ainsi que les habîlans du Paraguay appellent une nation d'indiens j mais les lenguas, les machicuys et les ëni- magas leur donnent les noms ^apianée^ de solog'ua et de chané. En outre ils recon- naissent dans celte nation huit hordes diffé- rentes, appelées layana, ethelenoé ou qui- niquinao, chabarana, ou choroana., ou tchoa* ladi , caynaconoé , nigotisibué , yunaeno , taiy et yamoco. Tels sont les noms que leur donnent les indiens sauvages qui vivent dans les environs, lorsqu'on leur fait des questions relatives aux guanâs \ et si on leur demande si ce sont des naîions différentes , ils diront que oui , parce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une nation, et qu'ils croient que chaque horde en forme une différente. Ea conséquence ils vous indiquent riiabitation. de chaque horde ; et de là vient que de la seule nation des guanâs on en fait une mul^ tilude qui figure sur les cartes.. C'est ce qui arrive a l'égard de toutes les nations, et c'est ce qui fait qu'on les multiplie tant dans lea relations, les histoires et les cartes. Ces nar lions et leurs divisions changent de nom avec le tems , et quand on veut prendre des in- forniatioîis à leur égards ou en trouve tou- (86) jours de nouvelles, sans apprendre que les anciennes aient disparu y de sorte que dans les cartes du Chaco, dressées par les jésuites, à peine y a-t-il assez de place pour écrire le nom d'un nombre aussi considérable de nations. Ce sont autant d'erreurs à réfor- mer, parce que, et je n'en doute pas, de la rivière de la Plata vers le nord, il n'y a d'autres nations que celles que je décrirai. Il ne restera donc plus a déterminer que celles qui existent au sud et à l'ouest des indiens pampas. Guanâ signifie dans leur langue homme ou mâle : ainsi il paraît assez mal appliqué à une nation ; mais c'est sous ce nom qu'elle est connue dans le Paraguay, A l'époque de l'arrivée des premiers espagnols, elle ha- bitait le Chaco, entre le 20^ et le 22\ de- gré de latitude. Elle y demeura jusqu'en 1675, qu'une grande partie de la nation alla s'établir à l'est de la rivière du Paraguay, au nord du tropique, dans le pays qu'on appelait alors la province d'Ytati ; depuis elle s'est éten- due vers le sud. Dans ce tems-là les espa- gnols la divisaient en six hordes principales. La layana ou eguaacchigo habite aujour- d'hui vers le :xl^\ degré de latitude , au nord (8?) du fleuve Jesuy, dans l'endroit appelé Lima, et est composée d'environ dix-huit cents Sau- vages. La Chabaranâ ou Echoaladi vient de se placer au 26"^ 11^ de latitude, dans le territoire de la bourgade de Canzapâ, et peut avoir deux milles indiens. L'Equiniquinao , qui en a environ 600 , est partagée : une partie habite le Chaco, vers le 2.1^ S& de latitude , à huit lieues du fleuve du Para- guay ; le reste est incorporé avec les mbayâs. L'Ethelenâ peut avoir trois mille individus j une partie vit dans le Chaco , près des equi- niquinao, et l'autre à l'est de la rivière du Paraguay, sous le parallèle de 21 degrés, sur une chaîne de petites montagnes qu'ils appellent Echatiyâ , à l'est d'une autre qu'on nomme Nogonâ. La horde appelée Nigue-» cactemic est a peine composée de trois cents sauvages, avec trois caciques, et habite à une journée au couchant de la rivière du Para- guay, vers le 21^ 52^ de latitude; elle est divisée en quatre peuplades. La dernière est l'Echoroanâ, qui peut être composée de 600 personnes; elle est incorporée avec les mbayâs, et vit avec eux à l'est de la rivière du Paraguay , sur des hauteurs situées vers le 21% degré. (88) Quelques personnes portent jusqu'à vingt mille âmes le nombre des guanas ; quant à moi, je regarde comme plus exact le cal-* cul que j'ai fait, et dont le résultat ne donne que 85oo. Suivant ce calcul, c'est encore la nation la plus nombreuse de ces contrées , à l'exception des guaranys ; et c'est aussi la moins sauvage. Chaque horde forme avec ses cases une place carrée plus ou moins grande, selon le nombre des indiens. Le plan topographique de chaque case se réduit à deux lignes parallèles , longues de huit toises et demie , séparées l'une de l'autre par un intervalle de quatre toises un quart, et terminées à chacune de leurs extrémités par un demi-cercle. Ils enfoncent en terre , dans la direction de chacune de ces lignes parallèles, des branches d'arbres qu'ils re- courbent ; ils y en ajoutent d'autres forte- ment attachées par leurs bouts , et le tout forme plusieurs arcs , a un pied les uns des autres ; ils y attachent ensuite d'autres bran- ches qui traversent horizontalement ces arcs à la même distance, c'est-à-dire h un pied; et ils recouvrent le tout avec de la paille longue qu'ils ramassent dans les champs, et qu'ils attachent fortement aux branches ; ce (89) qui foriïie une voûte cylindrique , qui s'élend d'une des lignes parallèles à l'autre ; ils fer- ment les extrémités avec des branches, de manière à former deux voûtes coniques qu'ils réunissent à l'autre, qui , comme nous venons de le dire, est cylindrique. Ils n'ont point d'autre muraille que cette voûte, ni d'autre ouverture que la porte; cependant ces cases servent a douze familles : elles s'arrangent dedans sans cloison ni sé- paration. Ils balayent leurs cases tous les jours, et en cela ils diffèrent de tous les autres indiens , ainsi que par leur coutume de coucher dans des lits , et non sur des peaux étendues par terre. Us construisent ces lits en plantant en terre quatre pieux terminés en fourche , sur lesquels ils en pla- cent horizontalement quatre autres , qu'ils y attachent pour servir de bois de lit; ils met-^ tent par -dessus de petites branches, et en- suite des peaux , qu'ils recouvrent de paille. Leur langage est différent de tous les au- tres, et très- difficile à cause de sa pronon* ciation nasale et gutturale. Leur taille me paraît plus varier que celle des autres nations, et la moyenne me parait être de cinq pieds quatre pouces; mais ils sont droits et bien (9°) proportionnés, comme tous les indiens , parmi lesquels je n'ai jamais vu ni un homme con- trefait , ni un bossu. Us ressemblent aussi aux autres par leur physionomie grave , oii l'on ne découvre l'expression d'aucune pas- sion ; par le phlegme de leur manière d'agir , et par leur couleur, la force de leur vue et de leur ouïe, et la blancheur et la durée de leurs dents j par leurs cheveux noirs , gros et longs ', par la rareté du poil et le défaut de barbe -, par la petitesse du pied et de la main , et par la grosseur du sein et des fesses ; par les petites proportions des parties sexuelles chez les hommes , bien différens des femmes à cet égard , et par le peu de menstruation de ces dernières , par leur ton de voix , qui est toujours bas , et jamais ni fort ni sonore , en ce qu'ils ne font jamais entendre ni cris ni plaintes, ne rient jamais aux éclats, et ne connaissent ni jeux, ni danses, ni chansons, ni instrumens de musique. Us ne connaissent non plus ni égards , ni récompenses , ni châtimens , ni lois obliga- toires,ni religion. Mais comme ils fréquentent beaucoup les espagnols, et que ceux-ci leur parlent de christianisme, et de récompenses , et de peines à venir , leur réponse la plus (9' ) ordinaire , lorsqu'on leur fait des questions à cet égard, est de dire qu'il y a un principe ou une chose matérielle et corporelle , qui est on ne sait oii , et qui récompense les bons et punit les méchans; mais qui récompense tou- jours les guanâs , parce qu'il est impossible qu'ils soient mécLaus , ni qu'ils fassent le mal. Je dis que le petit nombre de ces sauvages, qui s'expriment ainsi, ont tiré le fonds de ces idées des espagnols , parce qu'il n'y a pas un seul guanâ qui adore la divinité ou qui la reconnaisse, soit extérieurement, soit inté- rieurement. Ce sont aussi les parties inté- ressées qui terminent elles mêmes les diffé- rends, et ils se décident à coups de poings en dernier ressort. Ils paraissent aussi s'en- tretenir un peu plus les uns avec les autres , et même, quoique rarement, se réunir pour causer. Ils reçoivent avec beaucoup d'hospitalité les voyageurs, quels qu'ils soient , les logent > leur donnent à manger, et les accompagnent jusqu'à la peuplade où ils veulent aller. Ils ont un petit nombre de chevaux , de vaches et de brebis, et ils vivent de l'ogriculture. Ils cultivent les mêmes plantes que les espagnols du Paraguay. Us s'arrachent , pendant toute (9=) leur vie, les sourcils, les cils et le poil, el portent le barbote comme les charrùas. Ils se coupent les clieveux à la moitié du front, et se rasent en forme de croissant, au-dessus de chaque oreille. Ils laissent tomber en liberté le reste de leurs cheveux. Quelques-uns se rasent la moitié antérieure de la tête, et d'au- tres se la rasent toute entière , à l'exception d'une houppe qu'ils conservent sur le sommet, comme les mahométans. Leurs peintures, leurs parures et leurs habillemens ressemblent à ceux des payaguâs , dont je parlerai ci-après; Mais les hommes qui passent beaucoup de tems parmi les espagnols, s'habillent ordinai- rement comme eux ; c'est-à-dire, qu'ils por- tent un chapeau , un poncho , et même des caleçons blancs. Toutes les cérémonies du mariage se ré- duisent à un petit présent que le mari fait à sa prétendue ; mais il doit auparavant la de- mander au père, qui l'accorde aisément, parce qu'ils ne connaissent point d'inégalité de classe. Outre cela , aucune femme ne consent à se marier, sans avoir fait ses stipulations préli- minaires très-détaillées avec son prétendu , et avec son père et ses parens, à l'égard de leur genre de vie réciproque , qui n'est pas le (95) même dans tous les ménages. Il s'agit ordi- nairement de savoir si la femme fabriquera des couvertures pour le mari j si elle l'aidera, et de quelle manière , à construire la case et à cultiver la terre j si elle ira chercher le bois; si elle préparera tous les alimens, ou seule- ment les légumes; si le mari n'aura qu'une femme , et si la femme aura plusieurs maris , et combien; et dans ce dernier cas, combien de nuits ils passeront ensemble ; enfin elles demandent des expb'cations jusque sur les plus petites choses. Mais , malgré tout cela , le divorce est libre aux deux sexes, comme tout le reste, et les femmes y sont très-portées. Cela vient de ce que leur nombre est beau- coup moins considérable que celui des hommes. Cette inégalité ne vient point de la nature , elle est l'ouvrage de ces femmes mêmes, accou- tumées à l'action la plus barbare que l'on puisse faire , et même imaginer. Elles détruisent la plupart des filles dont elles accouchent. Pour cet effet, aussitôt qu'elles se sentent prêtes d'accoucher, elles partent toutes seules, et s'en vont à la campagne ; et dès qu'elles sont dé- livrées , elles font un trou , et y enterrent leur ■enfant tout vif; après quoi elles s'en retour- jQÇDLt tranquillement a la maison. Il est souvent (94) arrivé que les espagnols ont ofTert aux femmes enceintes de l'argent , des bijoux , etc. , pour les engagera leur remettre leurs enfans,ou au moins à leur conserver la vie. Mais jamais elles n'ont voulu y consentir ; et elles ont au contraire pris toutes les mesures nécessaires pour exécuter leur dessein le plus secrète- ment possible, et sans obstacle. Toutes les femmes ne se rendent pas coupables de cette action barbare ; mais elle n'est que trop com- mune a la plupart d'entr'elles. Celles même qui suivent cette coutume , ne traitent pas ainsi tous leurs enfans : elles en conservent la moitié ou plus , mais ayant toujours rattentioii de garder beaucoup plus de mâles que de femelles. C'est, disent - elles , pour faire re- chercher davantage les femmes , et pour les rendre plus heureuses. C'est ce qui ne manque pas d'arriver ; car celle qui se marie le plus tard , se marie à neuf ans , tandis que les hommes restent sou- vent garçons jusqu'à vingt ans ou plus ; parce que jusqu'alors il est rare qu'ils aient assez d'habileté pour disputer la victoire à leurs concurrens. Les femmes de leur côté ne man- quent pas d'échauffer la rivalité des hommes» par un redoublement de propreté, d'ama- C95) hilité et dé^fîoqnetlene , inconnu aux autres nations. Il en résulte aussi que les hommes sont Oioins mal-propres, qu'ils ont plus soin de leur parure , et que quelquefois ils s'enlè- vent mutuellement les femmes, et s'échappent avec elles. Il arrive aussi naturellement que les femmes sont plus orgueilleuses ; qu'elles sont enclines au divorce et à l'adultère , et que les hommes sont jaloux. Quoique la femme adultère n'encoure aucune peine, il est assez commun de voir le mari trompé assembler quelques-uns de ses amis et de ses parens, qui l'aident a. donner au galant une forte baston- nade, qui lui coûte quelquefois la vie. Du reste, la polygamie est assez rare chez cette nation , ainsi que chez les autres. Chaque horde ou division de guanâs a plu- sieurs caciques ou capitaines héréditaires , et chacun a un certain nombre d'indiens qui dépendent de lui , leur coutume étant de regarder comme sujets du fils du cacique et non de son père , tous ceux qui naissent quel- ques lunes avant ou après ce fils. Parmi ces caciques , il y en a un qu'on regarde comme le plus distingué ; mais ni lui, ni les autres , ne diffèrent du dernier des indiens, ni par sa parure, ni par ses habiileniens, ni par le loge- (9«) meut j et il est obligé de travailler pour vîyre» parce que personne ne le sert. Il ne donne aucun ordre ; mais il paraît qu'on a pour lui quelque considération, et que dans les asseni- })\ées nocturnes où ils se réunissent pour traiter des affaires communes, il a plus d'in- fluence que qui que ce soit. La place de ca- cique est héréditaire en faveur de l'aîné , et les femmes succèdent au défaut de mâles. Mais aussi quelquefois un indien quelconque devient cacique, lorsque son mérite le fait reconnaître pour tel par les autres, cjui alors abandonnent l'ancien , parce que leur liberté s'étend jusque-là, et c'est l'usage général de toutes ces nations. A l'époque de la première arrivée des es- pagnols, les guanâs allaient , comme aujour- d'hui , se réunir en troupes aux mbayâs, pour leur obéir, et les servir, et cultiver leurs terres , sans aucun salaire. De là vient que les mbayâs les appellent toujours leurs esclaves. 11 est vrai que cet esclavage est bien doux , parce que le guanâ s'y soumet volontairement, et qu'il y renonce quand bon lui semble. Outre cela , leurs maîtres leur donnent bien peu d'ordres 5 ils n'emploient jamais un ton im- périeux ni obligatoire . et ils partagent tout (97) avec les guanas , même les plaisirs charnels , parce que le mbaya n'est point jaloux. J'ai vu un mbayà , qui avait froid, chercher sa cou- verture pour s'envelopper ; mais comme il vit qu'un guanâ, son esclave, l'avait prise avant lui pour le même objet , il ne la lui prit pas , et même ne lui fit pas sentir qu'il la voulait. On voit journellement descendre au Para- guay des troupes de cinquante et de cent guanas, pour se louer aux espagnols en qualité d'agriculteurs , et même de matelots , puis- qu'ils vont jusqu'à Buenos- Ayres. Ils tra- vaillent avec beaucoup de phlegme ; et, pour n'être pas tourmentés , ils préfèrent de tra- vailler à la tâche. Quand ils entrent sur le territoire espagnol, ils laissent leurs armes chez le premier juge qu'ils rencontrent , pour les reprendre à leur retour. Quelques-uns d'entr'eux épousent quelque indienne , où quelque négresse des habitations espagnoles , oii ils se fixent pour toujours en se faisant chrétiens. D'autres se construisent une cabane sur le territoire espagnol 5 ils y vivent de l'a- griculture , comme tous les autres , jusqu'à ce qu'ils se lassent, ou qu'ils s'en aillent ailleurs, ou qu'ils retournent dans leur pays. C'est ce dernier parti que prennent ordinairement les II. a, 7 (93) troupes de guanâs au bout d'un an ou deux , en emportant ce qu'ils ont gagné, c'est-à- dire, des habillemens et des ustensiles de fer. Un cacique vient quelquefois pour les engager à s'en retourner, ou il leur envoie quelqu'un pour leur en faire la proposition en son nom. Dans ces voyages, ils n'amènent guères de femmes , parce qu'elles sont rares parmi eux , et qu'elles ne veulent pas voyager, si ce n'est à cheval , et avec beaucoup d'autres commo- dités ,que peu d'indiens peuvent leur procurer. Ils n'amènent pas non plus d'enfans avec eux , parce qu'il n'y en aurait guères qui pussent les suivre dans un aussi long voyage , où pres- que tous vont à pied, sans autre provision que le gibier que leur fournit la chasse. Quoiqu'ils n'exercent aucune autorité sur leurs enfans , qui ne font aucune espèce de travail jusqu'à l'époque de leur mariage , on remarque cependant qu'ils leur font quelque- fois des réprimandes accompagnées de souf- flets , pour mettre un frein à leur imperti- nence et leurs excès. Lorsque ces enfans atteignent l'âge de huit ans , à-peu-près , ils célèbrent une fête bien singulière : ils s'en vont de grand matin à la campagne, et re- viennent le soir à leur habitation , à jeun , (99) lEîi procession el dans le plus §^rand silence ; on leur y lient préparé de quoi bien leur échaufïer les épaules; ensuite quelques vieilles femmes leur pincent et leur percent les bras avec un os pointu. Ces enfans souffrent cette cruauté sans pleurer et sans donner la moin- dre marque de sensibilité. Cela fait , leurs mères terminent la scène en leur donnant du maïs et des haricots cuits à l'eau. Les hommes faits ont aussi leurs fêtes , à l'occasion de la naissance d'un fils , de la première menstruation d'une fille , de toute autre chose ou par pur caprice. Ces fêtes n'en méritent pas le nom , car elles se ré- duisent à s'enivrer , privilège réservé aux hommes faits, et que ne partagent jamais les garçons ou hommes non mariés, ni les fem- mes. Mais en outre , chaque habitation toute entière célèbre une fois l'an une fête solen- nelle , dont je ferai la description à l'article des indiens payaguâs. Les guanâs ont aussi leurs médecins qui les guérissent comme ceux des charrùas , mais ce ne sont pas des hommes qui exercent cet état. Il est réservé à de vieilles femmes , qui sucent l'estomac des malades. Il semble que ces indiens n'ont pas autant d'horreur ( ïoo ) poiir les morts que les autres nations , puis- qu'ils les enterrent à la porte de leurs cases, pour s'en rappeler , disent-ils , la mémoire ; mais chaque famille ne laisse pas de pleurer les siens , sur-tout si c'était un cacique ou un homme de réputation. Leurs armes sont des arcs , des flèches et des bâtons ou macanas ; mais ceux qui ont des chevaux font aussi usage d'une lance très- longue. Leur système politique est d'être en paix avec toutes les nations , et de ne faire jamais de guerre offensive ; mais si on les insulte , ils combattent et se défendent avec beaucoup de valeur. Ils tuent tous les mâles au-dessus de douze ans j mais ils conservent et adoptent les enfans et les femmes , comme je l'ai dit en parlant des charrùas. Mbayas. Les indiens machicuys et les éni- magas appellent cette nation tajuanich et guai- quilet. A l'arrivée des espagnols , les mbayas habitaient le Chaco, entre le 20.^ et le 22.^ deg. de latitude , divisés en un grand nombre de hordes ou d'habitations. Ils avaient dès-lors chez eux plusieurs guanâs qui les servaient volontairement , comme je l'ai dit précédem- ment , et la même chose arrive encore au- jourd'hui. En 1661 les mbayas passèrent à ( loi ) l'est de la rivière du Paraguay , et îls atta- quèrent la peuplade de Guaranys appelée Sainte^ Marie-de-Fée ^ située au 22^ 5' de latitude près de cette rivière , et qui était sous la direction des jésuites. Ils tuèrent beaucoup d'indiens et forcèrent les autres à émigrer. Ils continuèrent ensuite leurs expé- ditions vers l'est , et détruisirent entièrement la ville espagnole appelée Xerez, Plusieurs d'entr'eux ne retournèrent pas au Chaco, et s'établirent a l'orient de la rivière du Para- guay. En 1672, ils découvrirent la bourgade de Pitun ou Ypané. Ils s'en approchèrent de nuit , et quelques-uns vinrent à bout de passer le fossé étroit qui l'entourait , à l'aide de leurs lances dont ils firent un pont ; mais voyant que les babitans les avaient entendus , ils se retirèrent en emmenant avec eux quelques vieux chevaux qu'ils rencontrèrent paissant dans la plaine. Ce furent les premiers qu'ils eurent ; et comme ces animaux leur plurent beaucoup , ils retournèrent au même endroit peu de mois après , et vinrent à bout d'en voler d'autres avec quelques jumens. Ces premiers succès leur firent résoudi^ l'entière destruction de cette même bourgade d'Ypané, ainsi que celle de Guaranbaré qui l'avoisinait* ( Ï02 ) Us marchèrent contre elles en décembre 167 5; mais comme les habitans eurent auparavant quelque avis de Tattaque dont ils étaient me- nacés , ils s'échappèrent vers la capitale du Paraguay , avec les habitans d'Atirâ. C'est ainsi que les mbayâs demeurèrent les maîtres absolus de la province d'Ytati , qui commençait vers le 24'' 7' de latitude à la ri- vière Jesuy, se prolongeant en entier au nord jusqu'au lac des Xarayes , sans passer a l'ouest de la rivière du Paraguay. Il en résulta que les mbayâs donnèrent diffèrens noms au pays ; par exemple , ils appellent aujourd'hui Appa et Aquidaban , les rivières connues ancienne- ment sous le nom de Corri entes et de Piray ; Agaguigo , le district nommé autrefois Pitun^ Piray et Ytati ; Ytapucii-Guazù , ce qui s'ap- pelait jadis Monte de Sari' Fernando ; Gua- chié y la rivière Guasarapb. Ils ont ainsi changé presque tous les noms , ce qui em- brouille la géographie et la démarcation des limites. Les mbayâs ne se contentant pas de ces conquêtes , s'avancèrent beaucoup du côté du sud , et firent de grands dégâts dans la bourgade de Tobaty située au sS*^ 1/ 55'' de latitude , et en obligèrent les habitans à émi-» C io^> ) grer. Ils attaquèrent ensuite les espagnols, en tuèrent plusieurs centaines, et détruisirent jus- qu'aux fermes même de l'Assomption, qui était la ville capitale. Ils attaquèrent aussi la ville de Curuguaty, et il s'en fallut bien peu qu'ils n'exterminassent totalement les espagnols du Paraguay. Cette guerre fut terminée en 1746 par une paix non interrompue, jusqu'au i5 mai 1796 , qu'un capitaine espagnol tua quel- ques mbayâs. Ceux-ci après la paix, se fixèrent aux environs du tropique du capricorne, non loin de la rivière du Paraguay , et tournèrent leurs armes contre les caayguâs , les aguite- quedichagas et les ninaquiguilas, décrits pré- cédemment, et portèrent le ravage par- tout. C'est ce qu'ils ont fait aussi dans nos peuplades de la province de Chiquitos, d'où ils ont forcé d'émigrer les habitans de Santo - Corazon 5 ils ont aussi attaqué les portugais de Cayabâ 5 mais aujourd'hui ils sont en paix. On divise ordinairement cette nation en une foule de hordes ; mais elles se réduisent à quatre principales. La caîiguebo se subdi- vise : une partie , au nombre à-peu-près de raille âmes, habite au 21^ 5' de latitude, à l'ouest et près de la rivière du Paraguay, dans la lagune appelée autrefois à'J^yolas» Leur ( io4 ) cacique Nabidrigui ou Camba a six pieds deux pouces de haut. Il répondit , en 1794» à quelqu'un qui lui demandait son âge : « Je « ne le sais pas ; mais quand on commençait « à bâtir la cathédrale de l'Assomption, j'étais « déjà marié et père d'un enfant. » Or celle cathédrale fût bâtie en 1689 » et supposant que ce cacique eût alors i5 ans, il en résulte qu'il était âgé de 120. Il avait, lorsque je le vis , le corps courbé , les cheveux à moitié gris et la vue un peu plus faible que les autres indiens , mais il ne lui manquait pas une dent, ni un cheveu. Il montait a cheval , maniait la lance et allait à la guerre comme les autres. L'autre partie des caliguebos est divisée en deux hordes, qui vivent à l'orient de la rivière du Para- guay. L'une qui peut avoir cinq cents âmes , habite entre les rivières Ypané et Corrientes ou Appa , près de celle du Paraguay ; et l'autre qui a environ trois cents individus , vit sur des coteaux ou petites montagnes qu'ils appellent Nogonà et Nebaténa , au 21.® deg. de latitude. Les autres trois hordes appelées tchiguebh^ gueteadebb et beutuebby qui forment ensemble environ deux mille âmes, habitent les coteaux de Noatequidi et de INoateliyâ, entre les 21 deg., et les 20" ê^d. (io5) de latitude, à l'est de la rivière du Paraguay. J'évalue leur taille moyenne à cinq pieds huit pouces ; leurs formes et leurs propor- tions me paraissent les meilleures du monde , et très- supérieures aux européennes. Ils res- semblent aux guanâs et a d'autres indiens, dans toutes les choses dont j'ai parlé ci - dessus. Ils ne connaissent ni obéissance , ni récom- penses , ni châtimens , ni lois obligatoires , et leurs différens particuliers se décident à coups de poing. Ils parlent aussi davantage entre eux, et ont le regard plus ouvert. Les hommes portent le même barbote ; et tous s'arrachent constamment les sourcils, les cils et le poil ^ ils disent qu'ils ne sont pas des chevaux pour avoir du poil. Leurs habillemens, leurs fêtes, leur ivrognerie , leur parure , leurs peintures, leurs caciques , leur manière de guérir les malades, ressemblent entièrement à celles des payaguâs et des guanâs j la seule différence , c'est que leurs médecins sont des hommes et non des femmes. Mais ils se rasent entière- ment la tête. Les femmes seules conservent depuis le front jusqu'au sommet de la tête, une bande de cheveux large d'un pouce et un peu moins haute. Leurs cases ou huttes sont semblables à celles des pampas, que j'ai ( .06 ) décrites précédemment. Elles sont seuiement plus élevées et plus grandes, et ils les cou- vrent avec des nattes comme les payaguâs. Leur langage est très-différent de tous les autres, et facile a. prononcer; il n'a aucun son nasal ni guttural , et il manque de la lettre f. En outre il paraît avoir de la pompe , et les noms propres sont significatifs , comme dans le biscayen. Ce langage donne lieu à une sin- gularité extravagante, que voici : Les femmes et les garçons , avant leur mariage , donnent aux mots une autre terminaison que les hom- mes faits, et quelquefois même emploient des termes différens ; de manière qu'à les enten- dre, on dirait qu'ils ont deux idiomes. On observe quelque cliose de semblable à celte extravagance dans la ville de Curuguaty , au Paraguay. Les femmes n'y parlent jamais que le guarany , et les hommes de tout âge n'em- ploient que ce langage avec elles , tandis qu'entr'eux ils parlent toujours espagnol. Cela paraît encore plus extraordinaire, quand on sait que tous les autres espagnols du Paraguay parlent toujours le guarany , et qu'il n'y a que les plus polis qui sachent l'espagnol. Les espagnols , fondateurs de la ville dont nous venons de parler, prirent pour femmes ( 107 ) des indiennes. Leurs enfans apprirent le lan- gage de leurs mères, comme cela était natu- rel , et ne conservèrent peut-être l'usage de l'espagnol que par point d'honneur , et pour prouver que leur race était plus noble. Mais les espagnols du reste de cette province ne pensèrent pas ainsi , puisqu'ils ont oublié leur langue, à laquelle ils en ont substitué une autre prise des guaranys. La même chose est arrivée exactement dans l'immense province de San Pablo , oii les portugais , ayant entiè- rement oublié leur langue, ne parlent que le guarany. Je déduis de tous ces faits , que ce sont les mères , et non les pères , qui en- seignent et perpétuent les langues, et que, tant que les gouvernemens n'établiront pas l'uniformité de langage parmi les femmes , c'est en vain qu'ils se fatigueront à faire dos réglemens pour l'instruction à cet égard. Les mbayâs se croient la nation la plus noble du monde , la plus généreuse , la plus exacte a tenir sa parole avec loyauté , et la plus vaillante. Comme leur taille , la beauté et l'élégance de leurs formes, ainsi que leurs forces, sont bien supérieures à celles des es- pagnols , ils regardent la race européenne comme très-inférieure à la leur. Quant à la ( io8 ) religion ils n'adorenl rien, et on ne remarque parmi eux rien qui fasse allusion a cet objet ni à la vie future. On en trouve quelques-uns qui, pour expliquer leur première origine , s'expriment ainsi : « Dieu créa, au commen- '< cément, toutes les nations aussi nombreuses « qu'elles sont aujourd'hui, ne se contentant i( pas de ne créer qu'un homme et qu'une « femme , et il les distribua sur toute la sur- « face de la terre, Postérieurement , il s'avisa « de créer un mbayâavec sa femme ; et comme « il avait déjà donné toute la terre aux autres « nations, de manière qu'il n'en restait plus a « distribuer , il ordonna a l'oiseau nommé « caracara de leur aller dire de sa part, qu'il « était bien fâché de n'avoir point de terrain à « leur donner : que c'était pour cela qu'il « n'avait créé que deux mbayâs ; mais que , « pour y remédier , il leur ordonnait d'être (( toujours errans sur le territoire des autres, « et de ne pas cesser de faire la guerre à « toutes les nations, de tuer tous les mâles « adultes, et d^adopter les enfans et les fem- « mes, pour augmenter leur nombre. » Jamais préceptes divins n'ont été plus fidè- lement exécutés; car l'unique occupation des mbayas est d'errer de côté et d'autre , en chaç»- ( 109 ) sanl ou en péchant pour se nourrir, et de faire la guerre à tout le genre humain , en tuant ou conservant leurs ennemis , conformément à Tordre du caracarâ. Us font cependant une exception à l'ëgard de la nation guanâ, avec laquelle ils sont lies constamment d'une étroite amitié. En effet, comme nous l'avons déjà dit, les mbayâs ont toujours une multitude de guanâs qui les servent volontairement comme esclaves et gratuitement, qui cultivent la terre pour eux et leur rendent d'autres services. Outre ces esclaves ou ces domestiques , les mbayâs en trouvent beaucoup d'autres dans les enfans et les femmes qu'ils prennent à la guerre ; et ce ne sont pas seulement des in- diens, mais aussi des espagnols; de manière que le mbayâ le plus pauvre a trois ou quatre esclaves. Ceux-ci vont chercher le bois , font la cuisine , dressent les tentes ou les huttes, ont soin de panser les chevaux et de les tenir prêts; ils sont chargés de la culture des terres, qui se réduit à peu de chose. Les mbayâs ne se réservent que la chasse , la pêche et la guerre; de manière qu'il m'est arrivé de faire à un mbayâ des présens, qu'il n'a pas voulu prendre , et qu'il a ordonné à ses esclaves de recevoir, tant ils sont vains et fainéans. ( "o ) î) est vraî que les mbayaSI aiment extraor- cliiiairement tous leurs esclaves; jamais ils ne leur commandent d'un ton impérieux; jamais ils ne les réprimandent, ni ne les châtient, nî ne les vendent, quand même ce seraient des prisonniers de guerre. Ils s'en rapportent à la bonne-foi de l'esclave, se contentent de ce qu'il veut faire de lui-même , et partagent avec lui tout ce qu'ils ont, de manière qu'au- cun prisonnier de guerre ne veut les quitter , quoique esclave , pas même les femmes espa- gnoles qu'ils ont avec eux , quoique quelques- unes d'elles fussent déjà grandes et qu'elles eussent des enfans lorsqu'on les prit. Quel contraste avec le traitement que les euro- péens font éprouver aux africains ! Les mbayâs subsistent de l'agriculture exer- cée par leurs esclaves, de la pêche et de la chasse : depuis quelque tems quelques-uns d'entre eux se sont mis à pêcher avec des ha- meçons , ou à coups de flèches , et se sont aussi pourvus de quelques canots semblables à ceux des payaguâs. D'autres se sont appli- qués à entretenir de petits troupeaux de va- ches et de brebis , mais sans faire usage de leur lait , qu'ils abhorrent , ainsi que tout in- dien sauvage. Ils possèdent assez de chevaux, ( 'II ) €l il est rare qu'ils en vendent aucun , tant ils en font de cas. Ils ont sur-tout le plus grand soin de celui que chacun d'eux destine au combat, et ils ne s'en déferaient pas ou ne le prêteraient pas pour toute chose au monde. Ils montent à poil , et se placent presque sur la croupe : quelques-uns font usage d'un mors de fer ; d'autres y suppléent par deux petits hâtons qui en font l'office , ou ils se bornent à attacher la mâchoire inférieure avec une courroie , à laquelle correspondent deux au- tres qui servent de rênes. Mais ils ne savent pas faire usage des boules dont j'ai parlé , ni même du lacet qui est si commun parmi les espagnols. Leurs seules armes, a la guerre, sont une lance très-longue, et une macana ou bâton de trois pieds de long , et de plus d'un pouce de diamètre dans toute sa grosseur, faite d'un bois très-lourd et très-dur -, et quoiqu'ils aient aussi des arcs et des flèches , ils n'en font usage que pour la chasse et la pêche. Quand ils ont résolu d'attaquer l'ennemi, ils montent sur leur plus mauvais cheval, et chacun mène en lesse celui qu'il réserve pour combattre. Quand ils sont a portée , ils changent de che- val et lâchent le mauvais. Ils n'omettent rien ( "O pour surprendre reimemi ; mais s'ils ne peu- vent pas en venir à bout, ils l'attaquent égale- ment en face, et rangés en forme de croissant pour tacher de l'envelopper. S'ils voient que l'ennemi conserve bien ses rangs sans montrer de crainte , ils s'arrêtent à une grande portée de fusil 5 trois ou quatre descendent de che- val , et s'approchant à pied tiès-près de l'en- nemi, et séparément, ils font des singeries , et traînent par terre ou secouent des peaux de yaguareté pour tâcher d'épouvanter les che- vaux ennemis et de troubler leurs rangs , ou de les engager à faire une décharge générale. S'ils l'obtiennent, ils s'élancent avec la rapi« dite de l'éclair, et personne ne leur échappe. Les espagnols aguerris conservent bien leurs rangs , et quand ils voient venir ceux qui traînent des peaux , ils font mettre pied à terre aux meilleurs tireurs du centre et des ailes , en leur ordonnant de tirer l'un après Tautre et de très-près sur ceux qui s'avancent. S'ils viennent à bout d'en tuer quelqu'un, les autres viennent retirer le cadavre, et quand on les laisse faire , tous s'en vont ; mais il faut bien se tenir sur ses gardes; car si on les poursuit sans garder ses rangs, si l'on court après quelqu'un d'eux en particulier , ou si (,i3) Ton veut ramasser les mauvais chevaux qu'ils ont abandonnés, ils reviennent à la charge avec la vitesse de la foudre. Us savent aussi faire des embuscades dangereuses et de fausses attaques 5 enfin , à nombre égal , il n'y a rien à gagner avec eux , malgré les armes à feu. Ils n'ont , comme on peut le penser , aucun chef, ni à la guerre, ni pendant la paix 5 car leur gouvernement se réduit à des assemblées oii les caciques, les vieillards et les indiens les plus accrédités entraînent les votes des autres. A chaque expédition , ils se contentent de remporter un seul avantage. Sans cela , il n'existerait plus aujourd'hui un espagnol au Paraguay , ni un portugais à Cuyabâ. Chez les mbayas, les hommes mangent de tout ; mais les femmes mariées ne mangent jamais de vache, ni de capibara, ni de singe; et quand elles ont leur évacuation périodique , elles ne mangent que des légumes ou des fruits, et ne goûtent jamais , sous quelque prétexte que ce soit, rien qui ait ou puisse avoir de la graisse. Elles disent pour rai- son , qu'il poussa des cornes à une femme qui , lorsqu'elle était dans son tems critique , mangea du poisson ayant de la graisse. Ce serait sans doute une chose extraordinaire que lia. 8 ( n4 ) de voir une femme avec des cornes; mais il n'est pas moins singulier de voir des chevaux cornus et des taureaux sans cornes, comme nous l'avons vu au Chapitre IX. La nourriture des femmes mbayas offre encore une particu- larité; c'est que les filles ne mangent jamais de viande d'aucune espèce , ni même de grande poissons , c'est-à-dire de ceux qui ont un pied de long ou plus. Elles vivent donc de végé- taux et de petits poissons, sans pouvoir en dire la raison. Les chartreux môme n'en sont pas venus à ce point d'austérité. Les femmes nibayas sont , en général , les plus agaçantes et les plus complaisantes de toutes les indien- nes , et leurs maris sont peu jaloux. Le divorce et la polygamie sont libres parmi eux, comme chez toutes les autres nations indiennes , mais l'un et l'autre sont rares. Les femmes mbayas célèbrent de tems en tems une fête ; elle se réduit à faire une pro- cession autour des huttes. Elles portent, à la pointe de la lance de leurs maris , les cheve- lures, les os et les armes des ennemis qu'ils ont tués à la guerre, et elles célèbrent les pi'ouesses des hommes. Pour enflammer leur courage et leur faire entendre qu'elles n'en manquent pas non plus, et qu'elles sont dit (ii5) gnes de leur confiance et de leur tendresse J elles terminent la fêle en se ballant ensemble avec fureur et à coups de poing , jusqu'à ce qu'elles se soient bien ensanglanté le nez et la bouche , et quelquefois même il y a des dents de cassées. Leurs maris les félicitent, et met- tent le sceau à la fête , en s'enivrant tous , à l'exception des femmes qui ne boivent aucune liqueur. J'ai déjà dit qu'elles se prostituaient aisé^ ment; mais, ce qu'il y a de plus singulier , c'est qu'elles aient adopté la coutume barbare et presque incroyable , de n'élever chacune qu un fils ou une fille et de tuer tous les au- tres. Elles conservent ordinairement le der- nier dont elles deviennent enceintes , quand elles s'attendent à n'en pas avoir davantage, vu leur âge et l'état de leurs forces. Si elles se trompent dans leur calcul , et qu'elles conçoi- vent un nouveau fruit après celui qu'elles ont conservé , elles tuent le dernier. Quelques- unes se trouvent sans enfans , parce qu'elles ont cru mal-à-propos qu'elles en auraient un autre. Je me trouvais au milieu de plusieurs de ces femmes, accompagnées de leurs maris j je leur faisais des reproches sévères sur ce qu'ils permettaient de sacrifier leurs propres (ii6) enfans , et d^extermîner ainsi leur nation , puis- qu'ils ne pouvaient ignorer qu'un ménage , compose de mari et femme , ne produisait de cette manière qu'un seul enfant. Us me répon- dirent , en souriant , que les hommes ne de- vaient pas se mêler des affaires des femmes. Je m'adressai aux femmes en leur parlant le plus énergiquement qu'il me fût possible ; et après ma harangue , qu'elles entendirent avec assez de distraction , l'une d'elles dit : « Lorsque nous accouchons à terme , cela « nous estropie , nous déforme et nous vieillit, « et vous autres hommes vous ne voulez pas « de nous dans cet état ; ensuite , rien de plus « embarrassant pour nous que d'élever les « enfans et de les porter dans nos difiërentes « marches, où souvent nous manquons de vi- © vres : c'est ce qui nous a décidées à nous « faire avorter aussitôt que nous nous sentons « grosses; parce que notre fruit, étant alors « plus petit , sort plus aisément. » Je lui de- mandai comment elles s'y prenaient. « Tu vas « le voir» , me dit celle qui m'avait parlé. Aussitôt elle s'étendit par terre sur le dos , entièrement nue, et deux vieilles commen- cèrent a lui donner sur le ventre les coups les plus violeus , jusqu'à ce que le sang com- ("7) mençât a sortir : tel fat le prélude de l'avor- tement qui eut lieu le jour même. Je sus que quelques-unes en reslaient incommodées pour le reste de leur vie , et que d'autres en mou- raient. Comme ces sauvages ne tiennent compte de rien , ils ne peuvent faire connaître l'époque de cette horrible pratique ; mais ils disent qu'autrefois ils ne la connaissaient pas: c'est ce que l'on doit croire , puisqu'aucun manuscrit ancien n'en parle. Quant à présent elle est universellement établie parmi toutes les femmes de cette nation , et de quelques autres , comme nous le verrons. On guérit les malades en leur suçant l'esto- mac, comme je l'ai dit précédemment; mais s'ils sont dans le cas d'aller s'établir ailleurs , et qu'il y ait un malade hors d'état de les sui- vre , ou dont la maladie paraisse devoir traîner en longueur , ils l'abandonnent. La famille ou la parenté pleure les morts , sur-tout si c'est un cacique ou un sujet de réputation , et on l'enterre dans le cimetière ou lieu déterminé pour cet objet , avec ses bijoux ou ses nippes et ses armes. De plus on égorge sur la tombe quatre ou six de ses meilleurs chevaux. Je crois que cela vient du même principe qui fait enterrer les bijoux avec le mort; et celle (..S) coutume ne peut pas remonter plus loin que J'époque à laquelle ils commencèrent à avoir des chevaux. S'ils enterrent avec le cadavre les bijoux et les chevaux du défunt, c'est que tous les indiens sauvages ont une gi^ande hor-- reur pour les morts, et qu'ils ne veulent rien conserver qui leur en rappelle la mémoire \ Si le malade est mort assez loin du cimetière pour faire craindre la corruption , ils l'enve"" loppent dans une natte, et le suspendent a un arbre, pendant trois lunes, pour laisser dis^- soudre ses entrailles et sécher le corps comme du carton , et alors ils le portent au cimetière, Jje deuil dure trois ou quatre lunes , et seule-? ^ Cette coutume est universelle parmi presque tous les peuples barbares , et elle tient certainement chez tous au même principe , c'est-à-dire à l'ide'e dVne vie future , et au désir de procurer aux morte , dans un autre monde , les armes , les animaux , et même sou- vent les serviteurs qui leur servaient dans celui - ci. C'est pour cette raison que , chez plusieurs nations sauvages , on égorge sur les tombeaux des morts , leurs femmes et leurs esclaves. Cette barbare coutume se perpe'tue jusqu'à un pe'riode beaucoup plus avance' de civilisation : te'moin les femmes des brames indiens , qui se brûlent sur le bûcher de leurs maris. Homère et les autres poètes gr^cs nous offrent de frequens exem- ples de ce genre de superstition. (C. A. W. ) ( i'9 ) ment parmi les parens ; il se réduit à ceci : les femmes et les esclaves ne mangent que des ve'gétaux et point de chair , et gardent un silence si profond qu'ils ne répondent pas un mot à ceux qui leur parlent. Payaguas. Cette nation, forte et puissante, donna son nom à la rivière du Paraguay , qui s'appelait autrefois Paraguay , ou rivière des Tayaguas, nom que nous avons un peu altéré , €n l'étendant à tout le pays , comme on l'a vu Chap. IV. A la première arrivée des espagnols, cette nation était divisée en deux hordes, qui s'étaient partagé l'empire de la rivière du Pa- raguay, sans souffrir que personne y naviguât. L'une habitait au 21° 5V, occupé à présent par une partie des mbayas, comme je l'ai dit précédemment, et l'autre vers le 26^ 17' de latitude. La nation entière portait le nom de payaguŒy et, pour distinguer les hordes, elles s'appelaient elles-mêmes cadigué ei ma» gach; mais les espagnols appliquèrent le nom général de payaguâ exclusivement, à la divi- sion la plus septentrionale , et corrompirent celui de l'autre qu'ils appelèrent agace. Après la mort du cacique Magach , dont la horde portait alors le nom , les espagnols ayant re- connu que ces indiens étaient véritablement ( 120 ) des payaguâs, supprimèrent et onhllèrenl le nom à^ agaces y et les appelèrent tous/>^^âJ- guas. Les historiens qui n'étaient pas instruits de ces faits, ont cru que la nation agace avait été totalement exterminée ; ils se fondaient sur ce qu'ils ne trouvaient plus ce nom dans la liste des nations indiennes, et d'ailleurs ils ignoraient que ce n'était pas une nation, mais simplement une horde. Aujourd'hui , dans le Paraguay , on donne le nom de payaguâs à toute la nation ; et , quant a la partie qui ha- bite plus au nord , on Tappelle sarigue, et l'autre tacunbu ^ quoiqu'ils se distinguent €ux-mêmes en cadiguës et siacuâs. Les siacuâs ou tacunbùs , anciennement agaces , tuèrent quinze espagnols de l'armée de Sébastien Gaboto , qui fut le premier euro- péen qui entra par la rivière du Paraguay. Quelque tems après, les mêmes siacuâs, avec leurs canots , engagèrent un combat désespéré entre les espagnols qui montaient la même rivière , commandés par Jean d'Ayolas , et leur tuèrent quinze soldats. Le même Ayolas ayant monté plus haut avec 200 espagnols , les payaguâs sarigues les tuèrent tous. Ils dé- truisirent aussi un bourg espagnol près de la rivière Jesui et la peuplade des indiens oho- ( >3> ) nias, et peu s'en fallut qu'ils n'en fissent au- tant d'ipané , Guarambaré , Itaty et Sainte- Lucie , etc. Enfin , depuis la conquête , ces indiens ont été les ennemis les plus constans, les plus rusés et les plus cruels des espagnols , des portugais de Cuyabâ, et de tout indien, sans exception. De manière que, s'ils ont quel- quefois fait la paix avec les uns, ça été pour se liguer contre d'autres , ou pour faire quel- que trahison, parce qu'ils n'ont jamais connu ni loyauté, ni bonne foi. Leurs prouesses sont consignées dans un grand nombre de pièces déposées aux archives de l'Assomption. Comme ce n'est pas ici le cas d'en donner l'extrait, il suffit de savoir qu'ils ont tué plu- sieurs milliers d'espagnols , et que souvent peu s'en est fallu qu'ils n'aient exterminé tous ceux du Paraguay. Cette nation rusée remarqua que la popu- lation des espagnols augmentait dans le Para- guay , et que ceux de Buenos Ayres pouvaient les renforcer : elle vit aussi l'augmentation des portugais à Cuyabâ; et , réfléchissant qu'il n'y avait pour elle aucun moyen de s'échapper, et qu'elle n'avait pas de forces suffisantes pour exterminer tous ses ennemis, elle résolut de faire la paix de bonne foi avec les espagnols , en se liant même de la manière la plus étroite. Ces indiens offrirent donc de faire une ligue offensive et défensive contre tout le monde sans exception. Un autre article de leurs offres était , que la horde tacunbu se fixerait a TAssomption , capitale du Paraguay, où on leur laisserait suivre paisiblement leurs cou- tumes et leur genre de vie, et qu'il leur serait quelquefois permis de faire la guerre en par- ticulier aux indiens qui n'auraient ni commu- nication , ni traité avec les espagnols. Effectivement, en 1740, la borde tacunbu se fixa à l'Assomption; et non-seulemeut ce sont des alliés fidèles en tems de guerre, mais même des babitans très-utiles , parce qu'ils fournissent aux espagnols du poisson , des saules, des roseaux, du fourrage pour les cbe- vaux , des canots , des avirons ou des rames , quelques couvertures et d'autres petits objets, et qu'ils leur rendent d'autres services parti- culiers. Tout le produit de ce commerce , ils l'emploient en eau-de-vie, en viande, en su* creries , en haricots , etc. , sans faire aucune épargne ; et ils conservent leurs coutumes sans y rien changer absolument , et sans faire aucun cas de celles des espagnols. En 1790, la horde sarigue s'incorpora à celle des tacunbiis» ( 125 ) et elles sont réunies toutes les deux dans îst capitale du Paraguay, et forment en totalité à-peu-près mille âmes. Un gouverneur , qui désirait faire valoir ses services à la cour, fît baptiser i55 enfans au-dessous de douze ans, le 28 octobre et le 5 novembre 1792. Mais on a déjà vu qu'ils ne veulent absolument jooint être chrétiens, et que, si on voulait les y forcer, ils recommenceraient la guerre. Leur langage est très- différent de tous les autres : il est si guttural qu'on n'en peut ex- primer les sons avec nos lettres , et si dif- ficile que personne n'a pu l'apprendre. Mais un grand nombre de payaguâs entend et parie le guarany,vu qu'ils habitent une ville oii on ne parle guères d'autre langue. J'estime que leur taille moyenne peut être de plus de cinq pieds quatre pouces : leurs proportions sont belles, et ils me paraissent plus agiles et plus lestes qu'aucuns autres indiens , et que les espa- gnols. H est inutile d'observer qu'aucun d'eux ii'est contrefait , et qu'ils n'ont pas le moindre défaut corporel. Cet avantage est commun a tous les indiens, qui même n'acquièrent jamais trop d'embonpoint; mais leur couleur paraît être un peu moins foncée, et leur physionomie moins sombre et plus ouverte. Du reste , ils ( 124 ) ressemblent aux guanâs à Tégard des objets suivans.Ils s'arrachent constamment les sour- cils , les cils et le poil : ils ne connaissent ni obéissance , ni récompenses , ni cLâtimens , ni lois obligatoires. Mais leurs femmes ont un usage particulier : dès que le sein des jeunes filles parvient à son point naturel de crois- sance, elles commencent aie comprimer pour le diriger vers la ceinture , en le serrant , soit avec leur mante , soit avec une courroie ; de manière qu'à l'âge de vingt -quatre ans, ou , même avant, il devient pendant comme une bourse. Indépendamment de cela même, le sein de toutes les indiennes paraît avoir moins d'élasticité que celui des européennes , et il tombe beaucoup plutôt. Aussi n'est - il pas étonnant de les voir quelquefois donner à teter à leurs enfans par -dessous le bras, ou par-dessus l'épaule , parce que leurs mamelles sont très-pendantes , et qu'elles ont toujours le mamelon très-gros. Quand les femmes veulent filer, elles pré- parent le coton en l'arrangeant en forme d'un long boudin de la grosseur du doigt , et sans le tordre ; ensuite s'asseyant par terre , les jambes alongées, elles prennent leur fuseau, qui a près de deux pieds de long, et elles ( 125) commencent à filer en faisant rouler leur fu- seau sur leur cuisse nue j mais elles tordent peu leur fil , et le ramassent sur le milieu de leur fuseau. Quand elles ont filé tout le coton qu'elles avaient au bras, elles dévident autour de ce même bras le fil qui est sur le fuseau , pour le tordre une seconde fois, et elles le ramassent à la partie inférieure du fuseau. C'est dans cet état , et sans le doubler, qu'elles l'emploient pour fabriquer leurs couvertures, et jamais pour coudre, ne pratiquant jamais cette opération. Ces couvertures ou mantes se réduisent à une pièce de toile de coton plus ou moins grande, selon sa destination. Celles dont les femmes âgées font usage , n'ont tout-au-plus que la longueur nécessaire pour les couvrir depuis les épaules jusqu'au gras de jambe, et assez de largeur pour faire un tour et demi autour du corps. Elles les fabriquent sans m^étier, en disposant leurs fils sur deux bâtons écartés à proportion de la longueur que doit avoir la mante. Elles passent ensuite le fil à travers, sans navette, avec le seul secours des doigts ; et ensuite elles le serrent forte- ment avec une espèce de règle ou de couteau de bois. Telle est la manière de filer et de ( 1 26 ) faire de la toile , qu'emploient toutes celles «les nations que j'ai dit faire usage d'habille- mens tissus, a l'exception de celles de la Cor- dillière du Chili qui se font des ponchos j parce qu'au moins quelques-unes font usage de métiers. Les femmes emploient, pour s'habiller, une de ces mantes dont elles s'enveloppent , de l'estomac à la cheville du pied , et quelquefois même dépuis les épaules; mais elles portent en outre un chiffon d'im pied carré , attaché par une corde et fixé à la ceinture , de ma- nière qu'il flotte devant les parties sexuelles» Les hommes vont toujours entièrement nus : mais quand il fait froid , et pour entrer dans les maisons de la ville, ils se jettent quelque- fois Sur l'épaule une dé ces mantes , pour se couvrir, autant qu'il le faut , les parties anté- rieures. D'autres mettent une chemisette qui n'a ni collet , ni manches , et couvre à peine le signe distinctif du sexe. Il y en a qui se peignent le corps de difîerentes couleurs, en manière de veste, de gilet et de culotte, et qui , quoique tout nus , vont ainsi par-tout. Le barbote est la marque distinctive des hommes 5 qui portent en outre des bracelets aussi différens par leurs formes que par leurs ( ï^7 ) matières , sur les bras et à la cheville du pied. Ils se suspendent quelquefois au poignet des ongles de cerf, qui rendent un certain son en se choquant les uns contre les autres j et ils portent des baudriers de fil d'argent ou de fragmens de coquilles , où ils suspendent une bourse si petite, qu'à peine y lient - il une pièce de vingt sous. Il est vrai qu'ils ne fout guères usage de cette bourse , parce qu'ils mettent toujours dans leur bouche ràrgent qu'ils gagnent.. Us portent sur la tête des ai- grettes de plumes; et ceux qui ont tué quelque ennemi les placent verticalement sur le chi- gnon. Us se font des rasades de formes et de matières très-variées. Ils se tracent sur la figure et sur le corps des dessins qu'on ne saurait décrire, et de couleur différente , sui- vant le caprice de chacun. Ils ne portent pas ces ornemens tous les jours, mais quand la fantaisie leur en prend. Ils se coupent les cheveux tout ras par-devant , et à hauteur de l'oreille sur les côtés, laissant tomber en li- berté le reste de leurs cheveux, et les atta- chant par-derrière avec une petite courroie de peau de singe garnie de son poil. Lorsque les filles parviennent à l'époque de leur première menslrualion , elles font part de ( «28) cet événement à tout le monde, et s'npplîquent les peintures caractéristiques de radolescence de leur sexe. Ces peintures se réduisent à une hande ou raie , qui commence à la naissance des cheveux , et qui se prolonge en ligne droite sur le nez jusqu'au bout du menton, excepté sur la lèvre supérieure. En outre, on voit sortir de la racine de leurs cheveux sept ou neuf lignes verticales qui coupent le front et, la paupière supérieure. A chaque coin de la bouche , elles se peignent deux chaînes parallèles à la mâchoire inférieure, et termi- nées aux deux tiers de la distance de Toreille. Elles ajoutent encore à toutes ces peintures deux chaînons , qui sortent de chaque angle extérieur de l'œil, et qui finissent au haut de la joue. Toutes ces peintures employées par les femmes, ne sont pas superficielles comme celles des hommes , mais permanentes et de couleur violette ; parce qu'elles se piquent la peau pour que la couleur pénètre intérieu- rement. Quelques-unes de ces femmes, plus coquettes , se peignent en rouge le visage , le sein et les cuisses; et elles se tracent une espèce de chaîne brune à grands anneaux, sur le bras, depuis le poignet jusqu'à l'épaule j mais ces peintures ne sont pas imprimées dans ( 129 ) la peau ; et celles qui sont rouges ne pré- sentent jamais aucun dessin. Les femmes , comme les hommes, se coupent les cheveux tout ras par-devant , mais non sur les oreilles, et elles laissent tomber le reste naturellement, sans jamais l'attacher. Elles portent des bijoux , de quelque sorte que ce soit , à tous les doigts; mais elles ne portent ni colliers , ni bijoux d'aucune autre espèce. Leurs huttes ou leurs cases sont semblables à celles que j'ai décrites précédemment. La seule différence , c'est qu'ils les couvrent avec des joncs qui ne sont point nattés , mais posés de toute leur longueur, et cousus ou réunis avec des fils. Le devoir des femmes est de faire les nattes , de dresser et de dé- monter les huttes , de fabriquer les mantes , ainsi que les pots et les plats de terre. Ces pots sont couverts de peintures et de dessins, mais mal cuits. Elles doivent aussi faire cuire les légumes, et quelquefois le poisson, mais rarement , parce que ce sont leurs maris qui vont chercher le bois, et qui préparent la viande et le poisson. Us mangent de tout; mais les femmes ne goûtent jamais de viande, parce qu'elles disent que cela leur ferait mal. Ces indiens ressemblent aux autres nations, II. a. 9 ( «^o) en ce qu'ils mane^ent aussitôt qu'ils ont faim, choisissant ce qui leur plaît parmi les mets cuits, sans attendre ni avertir personne ; en ce qu'ils ne parlent ni ne boivent jusqu'à la fin de leur repas ; en ce qu'ils ne font usage ni de fourchette , ni de cuiller, et qu'ils se tiennent toujours a une certaine distance les uns des autres , même entre mari, femme et enfans ; en ce que , pour prendre le bouillon ou la sauce , ils ne se servent que de l'index et du doigt voisin , et que cependant ils vont aussi Vite que s'ils avaient une cuiller j en ce qu'en mangeant le poisson même le plus rempli d'arrêtés, ils ne séparent celles-ci de la chair que par un mouvement de langue , et qu'ils les gardent aux côtes de la mâchoire , comme les singes, pour les rejeter ensuite toutes à- la - fois , après avoir fini de manger ; en ce qu'ils ont le lait en horreur^ en ce qu'ils ne se lavent jamais les mains , la figure , ni le le corps , et qu'ils ne balayent jamais leurs habitations. Ils savent aussi allumer du feu , sans pierre à fusil , comme tous les autres indiens. Pour cet effet , ils font tourner rapi- dement un morceau de bois de la grosseur du doigt, qu'ils enfoncent par la pointe dans un autre morceau troué exprès , et qu'ils ( >3i ) font mouvoir comme un moulinet a chocolat, jusqu'à ce que le frottement réitéré pro- duise une poudre semblable à de l'amadou enflammé. Comme tous les autres indiens sauvages , notre genre de maisons leur fait peur, soit à cause de leur obscurité, soit parce qu'ils craignent qu'elles ne tombent sur eux ; et ainsi rien au monde ne pourrait les déterminer à y passer une seule nuit. Le fameux Magache , qui , à l'époque de l'arrivée des espagnols , était le cacique de ces indiens, n'exisle plus aujourd'hui. Celai des sarigues est le (ils aîné de Cualy , que j'ai connu personnellement, et qui était cer- tainement aussi âgé que Nabidrigué ou Camba, dont j'ai parlé 3 c'est-à-dire qu'il avait 120 ans. En ed'et , il disait qu'il était déjà marié et caci- que , lorsque l'on commenç3 la cathédrale de l'Assomption. Il avait comme l'autre toutes ses dents , aussi blanches et aussi bien ran- gées qu'un jeune européen de 26 ans ; il avait également conservé tous ses cheveux, dont un tiers seuknp.ent était blanc. Sa vue seule était aflaiblie. Mais, malgré cela , il ramait , péchait, s'enivrait et ag'ssait comme tous les autres. La première fois que je le vis, il était assis par terre , entièrement nud^ et, sans se ( 1^2) déranger, il lâcha de Teau dans le courant de la conversation. Le cacique des payaguâs , non plus que les autres, n'a aucune autorité ni aucune marque distinctive j il ne reçoit ni tribut ni services. La nation est gouvernée par rassemblée , qui se forme au coucher du soleil , mais sans pouvoir imposer d'obliga- tions à personne ; parce que le payaguâ est absolument libre , qu'il ne connaît aucune inégaliié de classes , si ce n'est celle du caci- que , ce qui se réduit à rien. Tout étant libre chez cette nation, le di- vorce l'est aussi , quoiqu'il ait rarement lieu. Alors la femme va rejoindre sa famille , et elle emmène avec elle tous ses enfans. Elle emporte aussi les matériaux de la hutte , le canot et tout ce qu'il y a dans le ménage. Le mari ne garde que ses armes et ses habille- mens. S'il n'y a point d'cnfans, chacun garde ce qui lui appartient. Les indiennes n'em- pruntent le secours de personne pour accou- cher; cependant quand une femme payaguâ est en travail et qu'on l'entend soupirer , ou que ses aouleurs durent long-tems, ses voi- sines accourent avec des grelots enfilés à la main, et les lui secouent avec violence sur la tête pendant un instant ; puis elles ( i5^ ) la laissent, sauf à recommencer s'il le faut. Sitôt qu'une femme est accouchée , ses amies se placent en deux rangs, depuis la maison jusqu'à la rivière , qui est toujours fort près. Elles étendent leurs habits de deux côtés, comme pour intercepter le passage du vent; et celle qui est accouchée passe au milieu et se jette dans l'eau pour se baigner. Les payaguâs ressemblent à toutes les au- tres nations indiennes , en ce qu'ils ne con- naissent d'autre fête ni d'autre divertissement que l'ivresse. Le jour qu'ils destinent à s'eni- vrer , ils ne mangent rien et boivent une énorme quantité d'eau -de -vie ; et ils se mo- quent des ivrognes espagnols qui mangent en même-tems, parce que , disent -ils , il ne leur reste plus de place pour la boisson. Ceux qui ne sont pas encore mariés et qui vivent aux dépens de leur père sans travailler, ne boi- vent jamais d'eau -de -vie. Les femmes n'en boivent non plus que très-rarement , et cela qaand elles ont de quoi en acheter ; parce que les maris ne leur en donnent jamais, et cependant quand elles en ont , ils en boivent la plus grande partie. L'homme ivre est toujours accompagné de sa femme ou d'un ami : quand ils voyent qu'il ne peut presque plus se tenir ( ï54) sur SCS Jambes, ils le reconduisent à sa Tiu'le, cl ils le font asseoir. C'est alors qne l'ivrogne comiiience à clianler à voix très-basse, et qu'il dit : « Qui osera tenir devant moi? Qu'il en « vienne un , deux ou davantage; je suis plein <( de courage et de valeur ; je les mettrai en i< pièces. >' Il lépèie la même chose à diverses reprises , e\ donne ensuite des coups de poing en i'air comme s'il se baUa't , et finit par tom- ber profondément endormi. Mais il n'y a point d'exemple qu'un homme ivre prenne des armes , ni qu'il fasse le moindre mal à per- sonne, ni qu'il insulte les femmes; tandis que celles-ci provoquent leurs maris, autant qu'il est possible. Leur motif pour ces fêtes d'i- vresse, se réduit à quelque prétexte que ce soit ou même à rien, comme je l'ai dit plus haut. Outre ces fêtes particulières , ils en célè- brent une autre très- solennelle et très-san- glante, au mois de juin. Toute la nation y prend pari ; et elle est aussi célébrée par les guanâs , les mbayâs et toutes les nations sui- vantes ; mais les femmes et ceux qui ne sont point chefs de famille n'y prennent aucune part \ La veille , les hommes se peignent la ' On voit par ce passage de notre auteur et par plu- sieurs autres , que , maigre la liberté' individuelle dont C i55) figure et loal le corps, le mieux qu'ils peuvent imaginer , et ils s'ornent la tête de plumes de couleurs et de formes si extraordinaires, qu'il est impossible de les décrire et de n'être pas frappé d'étonn ment en les voyant. Ils cou- vrent aussi de peaux trois ou quatre vases de terre , et frappent dessus lentement, avec des baguettes plus petites que la plus petite plume à écrire ; de manière qu'à peine entend-on le ])ruit à quinze pas. Le lendemain matin, ils boivent tout ce qu'ils ont d'eau-de- vie j et lorsqu'ils sont tous bien ivres , ils se pincent les uns les autres aux bras , aux cuisses et aux jambes , en saisissant avec leurs doigts le plus de chair qu'ils peuvent, et ils percent d'outre en outre ce qu'ils ont pincé , avec un éclat de bois ou une très-grosse arrête de ra^c. Ils ré- pèlent de tems en tems cette opération jusqu'à la fin du jour; de manière qu'ils se trouvent tous lardés de la même façon et de pouce en pouce, sur les deux cuisses, les deux jambes jouissent ces sauvages , il existe re'ellemcnt chez tous une classe intermédiaire entre le cacique et le gros de Ja nation , qui est celle des chefs de famille ou de tribus ^ ce qui est conforme à ce que j'ai dit du gouvernement de ces peuples , dans mon Essai sur l'histoire de l'es-- pèce humaine, p. 65. (C. A. VV . ) ( i36 ) Cl les deux bras , depuis le poignet jusqu^a J'épaule. Comme les paynguâs cclèbrenl celle fête dans la ville même de l'Assomption, ca- pitale du Paraguay, et en public, tout le monde va les voir. Mais quand on voit que les piqûres ne se bornent pas à celles dont on vient de parler , et qu'ils s'en font aussi beaucoup d'au- tres de part en part à la langue et au membre viril , les dames s'échappent en poussant les hauts crits j tandis que les femmes indiennes qui y sont personnellement intéressées, assis- tent de sang-froid à ce spectacle. Ils reçoivent dans la main le sang qui coule de la langue, et s'en frottent ensuite la figure ; quant à celui qui distille du membre , ils le font tomber dans un petit trou qu'ils creusent en terre avec le doigt. Ils ne font aucun cas du sang qui coule des autres endroits. J'ai vu cette cérémonie pendant plusieurs années, et de si près, que je louchais le patient ; et je puis assurer le plus formellement possible , que je n'en entendis aucun parler , ni se plaindre, et que je ne visni sur leurs visages ni dansles mou- vemens de leur corps le moindre indice de douleur ni même de sentiment. En un mot on aurait dit que les acteurs étaient des manne- quins. Us ne donnent aucune raison de celtQ (>57 ) coutume , et disent ingénument qu'ils n'en savent point d'autre que le désir de faire voir qu'ils sont gens de courage. Us n'appliquent rien sur leurs blessures, qui durentlong-temset qui se remplissent de pus, qu'ils se contentent d'exprimer. Quelques -uns même se ÎDaigncnt dans cet état; et l'on peut bien croire qu'ils en- flent par tout le corps, et que les cicalrices leur durent toute la vie. Comme pendant la durée de la fête , aucun d'eux ne peut aller chercher de quoi vivre ,et que quelques-uns se trouvent dans celte impossibilité pendant plusieurs jours , les familles ont beaucoup à souffrir du besoin. Il est vrai que les indiens de toute espèce supportent la faim beaucoup plus long- tems que nous ; mais ils prennent aussi une plus grande quantité de nourriture à-la- fois. En cela ils ressemblent aux oiseaux de proie et a beaucoup de quadrupèdes carnivores. Quand la tempête ou le vent renverse leurs Luttes ou cases , ils prennent quelques tisons de leur feu ; ils courent à quelque distance con- tre le vent , en le menaçant avec leurs tisons. D'autres , pour épouvanter la tempête, don- nent force coups de poing en l'air. 11 en font quelquefois autant, quand ils aperçoivent la nouvelle lunej mais, disent-ils, ce n'est que (i58) pour marquer leur joie : ce qui a donné lieu à quelques personnes de croire qu'ils l'ado- raient ; mais le fait positif est qu'ils ne recon- naissent point de créateur , qu'ils ne rendent ni adoration ni culte k rien au monde , et qu'ils n'ont aucune religion. Je leur ai parlé à di- verses reprises de la vie future : les uns m'ont dit qu'ils n'en avaient aucune idée ; d'autres que tous les payaguâs , après leur mort , al- laient à un lieu rempli de chaudières et de feu y et d'autres encore qu'il n'y avait que les payaguâs médians qui allassent dans ce der- nier endroit , tandis que les âmes des bons demeuraient parmi les plantes aquatiques , et s'y nourrissaient de poissons et de yacarrés \ Ayant demandé à ces derniers pourquoi ils n'allaient pas au ciel des espagnols , ils me répondirent que cela n'était pas possible , parce que leur origine était tout-à-fait diffé- rente. Je voulus voir s'ils avaient quelque idée de cette première origine : ils me répon- dirent qu'ils n'en savaient rien ; il n'y en eut \ que deux qui me dirent : « Notre premier père ' S'ils ont l'idée d'une vie future , ils ont donc une sorte de religion ; et les coutumes superstitieuses que l'auteur vient de décrire , le prouvent évidemment. r c. A. w. ) ( >^9 ) « fut le poisson que nous appelons paru : le « vôtre fui le poisson que vous appelez do- « rade , et celui des guaranys fut un crapaud. « Cest pour cela que votre couleur est plus i< claire et plus belle, seul avantage que vous « ajez sur nous , car nous vous surpassons « dans tout le reste j c'est pour cela aussi que « les guaranys .^ont ridicules et méprisables , f comme les crapauds. » La méthode de leurs médecins est la même que dans toutes les autres nations ; mais si le malade est une personne de réputation , et qu'il paye bien , ils font des prépar^ttifs pius grands et plus solennels. Le médecin entiè- rement nud , le corps couvert de peintures, et portant une grande cravatte d'éloupes ou de caraguatâ (jui lui descend jusqu'à la cein- ture , prend une pipe et l'allume. Cette pipe est une Mton long d'un pied, de la grosseur du poignet, percé dans toute sa longueur et ayant dans un des bouts un bec pour aspirer la fumée. Il prend dans l'autre main une cale- basse creuse de deux pieds , et formée par la réunion de deux calebasses jointes dans leur longueur. Elle a deux trous , un à chaque bout, le plus grand de trois pouces de dia- mètre. Le médecin y souffle par le petit trou ( i/.o ) de la famée de labac , et ensuite il baigne bien la calebasse , répétant l'opération trois ou quatre fois; puis il s'applique le bord du grand trou sur la lèvre supérieure près du uez, de manière qu'il puisse ouvrir librement la bouche au milieu de ce trou ; et il crie de manière h former avec sa voix des sons variés et très-extraordinaires; mais on n'y comprend rien , et l'opérateur dit que ce sont des choses qui épouvantent la maladie. Il continue ce manège pendant quelque tems , et quelquefois durant plus de deux heures , eu frappant la terre du pied gauche et en mesure, faisant des contorsions à droite et a gauche , et s'in- clinant vers le malade , qui est étendu par terre sur le dos et découvert. Enfin il s'assied à côté de lui , lui manie l'estomac avec la main pendant quelques momens , suce en- suite d'une force extraordinaire ; et quelque- fois il se crache dans la main , en y faisant voir quelque petite arrête , quelque petite pierre ou quelques gouttes de sang. Il avait préparé tous ces objets d'avance dans sa bouche , pour faire croire qu il tirait la maladie du corps du patient. En général les payaguas, ainsi que tous les^ autres indiens sauvages , sont persuadés , ou ( «4i ) du moins portés à croire que le médecin connaît et peut guérir toute espèce de ma- ladie , et que personne ne mourrait , si le médecin voulait le guérir. C'est ce que disent les médecins mêmes, et ils tâchent de le per- suader, pour se faire bien payer et considérer dans la société. Ils y parviennent -, et quelques personnes assurent même que les prémices de toutes les vierges sont pour les médecins. Pour exercer cet état, il suffit de faire accroire qu'on a l'habileté nécessaire , et c'est ordinai- rement le plus ivrogne et le plus fainéant. Si nous voulions tirer de ceci la première ori- gine de la médecine , nous dirions que l'on considéra les maladies comme des gaz ou des esprits qui s'introduisaient dans le corps sans qu'on s'en aperçût, et que les premiers mé- decins furent des charlatans qui firent accroire qu'ils avaient le talent de tirer ces gaz par la succion. Le fond de leur médecine est de ne jamais donner aux malades que des légumes ou des fruits en petite quantité. Il en résulte comme parmi nous, que la plupart des ma- lades guérissent, ce qui donne de la vogue au médecin j et que les autres succombent à leur dernière maladie. Mais s'il en meurt beaucoup de suite , ils se courroucent ordinairement ( '42 ) contre le médecin , lui donnent une volée de coups de bâton , ou même le tuent. Les pajaguâs , comme toutes les nations sauvages, vivent long-tems. J'en ai vu en efTel plusieurs de très-âgés , enlr'autres les caciques iiabidriqui et cuaty, qui avaient cent vingt ans. Quoique l'on croie communément en Europe , que l'excès d'eau-de-vie empêclie de vieillir, tous ces indiens sont ivrognes au su- prême degré ; cependant je ne doute pas que leur vie ne soit plus longue que la nôtre , ainsi que celle des nègres; el tout récemment, une négresse née au Paraguay, et transportée auTucuraan, y est morte à l'âge de cerA quatre-vingts ans. Quoi qu'il en soit, les in- diens sauvages jouissent d'une parfaite santé. Je n'ai jamais observé qu'aucun d'eux eût le mal vénérien; et je ne sache pas non plus que les espagnols qui ont eu commerce avec des femmes indiennes sauvages, aient gagné cette maladie : mais, quoique j'aie observé qu'elle est fort rare parmi les guaranys sou- mis ou chrétiens, il est certain que les espa- gnols qui ont commerce avec les femmes de ces indiens , contractent ordinairement un mal vénérien très-diiïicile à guérir, et qui ne se fait pas sentir comme en Europe , aux ( '43 ) glandes du cou, mais plutôt au nez, de ma- nière que je suis lenlë de soupçonner que ce mal ne provient que du mélange de races extrêmement di/Térentes , et qu'on ne le con- naissait pas en Amérique avant l'arrivée des espagnols. Aussitôt qu'un payaguâ est mort , des vieilles l'enveloppent avec ses nippes et ses armes dans sa mante ou chemisette , et la famille loue un homme pour le porter au cimetière. Celui-ci , ainsi que les siens , peut conserver ce qu'il veut des elTets du défunt , parce que les payaguâs ne sont pas en cela aussi scrupuleux que les autres indiens. Il n'y a pas encore long-tems qu'ils enterraient leurs morts assis, la tête hors de la fosse, mais cou- verte d'une grande cloche ou pot de terre cuite. Ils ont appt^s de nous à les enterrer entièrement, et tout de leur long, ce qu'ils font de peur que les tatous et les porcs sau- vages ne dévorent les cadavres , comme ils le faisaient auparavant. Ils ont soin d'arracher les herbes sur les sépultures , de les balayer, de les couvrir de huttes semblables à celles qu'ils habitent, et de mettre sur le tombeau des hommes qu'ils aimaient, une multitude de cloches ou de pots-de terre couverts de (i44 ) peintures, les unes sur les autres, et l'ouver- ture en bas. Les hommes ne font jamais de denil , pour quelque motif que ce soit; et celui des femmes se réduit uniquement à pleurer durant deux ou trois jours, leur père ou leur mari : mais s'il a été tue par les enne- mis , ou un homme d'une grande réputation , elles le pleurent plus long-tems, en tournant * et criant nuit et jour autour de la peuplade. Les payaguâs ne connaissent aucune cul- ture , et sont purement mariniers. Les canots qu'ils construisent ont dix à vingt pieds de long: leur plus grande largeur, qui est de deux a quatre palmes , est aux deux tiers de leur longueur, à compter de la proue.Celle-ci est très- aiguë , et la poupe l'est presque autant. La rame a neuf pieds, dont l'extré- mité qui est très - aiguë , forme le tiers. Ils rament debout sur la pointe de la poupe; mais ils s'asseyent au milieu du canot pour pêcher à la ligne , en se laissant entraîner par le courant de la rivière. Quelquefois il arrive que le canot chavire, quand on y fait entrer de gros poissons qui se débattent beaucoup. C'est alors qu'on voit, avec surprise, ces in- diens n'ayant de l'eau que jusqu'à la poi- trine , quoiqu'il y en ait six toises de profon- (145) deur, manîer leur canot , comme un tisserand manie sa navette, en vider toute l'eau en moins de trois minutes , et s'y remettre , sans jamais perdre ni ligne, ni poisson, ni rame, ni arc , ni flèches , ni rien de ce qu'ils avaient. Pour aller en guerre, ils se placent debout six ou huit le long de chaque canot , et ils le font aller si vile en ramant tons à-la-fois , qu'ils font à coup sûr plus de sept lieues marines par heure. Leur aviron peut, à la vérité, leur servir de lance, tant il est long et pointu 5 mais ils ont en outre la macana ou le bâton que j'ai décrit précédemment , des arcs de sept pieds , et des flèches de quatre et demi , qu'ils portent en faisceau sans employer de carquois. Ils manient ces armes avec beau- coup d'adresse ; et quand ils veulent se pro- curer un oiseau ou un petit animal vivant, ils mettent à la pointe de la flèche quelque chose pour amortir le coup , de manière à étourdir l'animal sans le tuer. Ils tuent a la guerre tous les hommes adultes , et ne conservent que les femmes et les enfans, ainsi que le font les autres nations sauvages. Ils tâchent toujours d'agir par surprise, et de ne pas s'éloigner de la rivière , parce qu'autrement ils seraient vain* eus par les nations qui combattent à cheval. II. a. 10 ( «46 ) GuAicuiius. C'est une des nations les plus fameuses dans les histoires et dans les rela- tions de ces contrées. Elle était aussi une des plus nombreuses, et, à mon avis, c'était la plus fière , la plus forte ,1a plus guerrière, et celle dont la taille était la plus grande. Elle habitait le Chaco presque en face de l'Assomption , capitale du Paraguay : son langage était Ircs- guttural, et différent de tous les autres: elle ne cultivait point la terre ^ et vivait de chasse. De cette nation si orgueilleuse et si puis- sante, il n'existe plus aujourd'hui qu'un seul homme , le mieux proportionné du monde , haut de six pieds sept pouces : il a trois femmes, et pour n'être pas dans une trop grande soli- tude , il s*est réuni aux tobas , dont il a adopté Thabillement et la manière de se peindre. L'extermination déplorable de cette coura- geuse et superbe nation ne vient pas seule- ment de la guerre continuelle qu'elle n'a cessé de faire aux espagnols et aux indiens de toute espèce, mais aussi delà coutume barbare adoptée par leurs femmes , qui se fai- saient avorter, et ne conservaient que leur dernier enfant. ( Voyez ce que j'ai dit précé- demment des mbayas. ) On doit même pié- sumer que c'est chez les guaicurùs que cet C 47) «sage înoui a pris naissance, avant qu'au- cune autre nation ne le connût: c'est du moins ce que porte à croire sa destruction totale; et ce qu'il y a de sûr, c'est que cette coutume lui était inconnue autrefois. Pour se former une idée de l'effet destruc- teur de celte exécrable coutume, il suffit de penser au produit de huit mariages, qui ne sera que de huit enfans. D'après la règle de probabilité de la durée de la vie humaine , il n'y en aura que quatre qui atteindront huit ans ; et de ces quatre, il n'y en aura que deux qui passeront trente ans. Que sera-ce donc quand on n'élèvera qu'un seul enfant , qui formera la seconde génération ? La première étant de huit, il en résulte que les généra-^ lions diminuent en suivant une progression géométrique , qui est en raison de huit à un. Il en résulte donc que les nations qui suivent cet usage , disparaîtront bientôt de la surface de la terre. Quel dommage de voir s'exter* miner ainsi elles-mêmes les nations de la plus grande taille , les plus fortes , les mieux pro- portionnées et les plus belles qu'il y ait au monde ! Et ce qu'il y a de plus douloureux , c'est que je ne conçois pas qu'on puisse y apporter remède. Je croyais que l'amour des C '4^ 5 pères , et sur-tout des mères pour leurs en* fans venait de la nature même , et que la force de ce sentiment était si impérieuse, qu'aucun être vivant ne manquait de le posséder au su- prême degré : mais ces indiens font voir que cette règle même a ses exceptions. Lenguas. Cette nation se donne elle-même le nom à.e juiadgé ^ les payaguâs l'appellent cadalu ; les macliicuys , quiesmagpipo ; les énimagas, cochaboth $ les lobas et d'autres indiens, cocoloth ; et les espagnols la nom- ment lenguas y a cause de la forme particu- lière de leur barbote. Les relations et les his- toires la confondent ordinairement avec la nation guaicurù, mais elle est très-différente de toutes les autres. Elle vivait errante dans le Chaco et dans le voisinage des guaicurùs, et c'était une des nations les plus respectées et les plus formidables, fîère , présomptueuse, féroce , vindicative , implacable , et si fai- néante qu'elle ne connaissait d'autres occu- pations que la chasse et la guerre. Ses armes étaient les mêmes que celles des mbayâs , c'est-à-dire une lance , une massue et quelques flèches. Ils montaient aussi leurs chevaux à poil, et avaient grand soin de ceux qui étaient destinés pour le combat. A la guerre , ils ta- (»49) cbaîenl de surprendre leur ennemi , mais ils ne laissaient pas de les attaquer en face , ( comme nous l'avons vu des mbayâs ) et ils tuaient tous les hommes adultes, n'épargnant que les enfans et les femmes. J'ai parlé de cette nation comme si elle n'existait plus, parce qu'a la vérité elle est sur le point d'expirer. En 1794 elle n'était com- posée que de quatorze hommes et de huit femmes de tout âge , ce qui fait en tout vingt- deux individus. De ces indiens, cinq s'étaient établis chez Don Francisco Amansia Gonzalez , sept s'étaient réunis à la nation pitilâga , et le reste aux machicuys. J'estime leur taille moyenne a cinq pieds neuf pouces; leur proportion sont les plus, belles du monde. Ils se coupent les cheveux par-devant à la moitié du front, et le reste à la hauteur de l'épaule, sans jamais les attacher. Dès le mo- ment de leur naissance, on leur perce les oreilles; ils y mettent successivement et pen- dant tout le cours de leur vie, des morceaux: de bois plus considérables, et il en résulte des trous si grands que , dans leur vieillesse , ils forment un cercle de plus de deux pouces de, diamètre, et que les oreilles leur tombent presque sur les épaules; de sorte qu'on a de la ( i5o) peine à croire que les oreilles et le trou qui les traverse aient pris un pareil accroisse- ment. Ils ressemblent en cela aux femmes aquitedechidagas , dont j'ai parlé précédem- ment. 'Chez toutes les nations indiennes, le barbote caractérise le sexe masculin. Celui des lengua* est tout-à-fait singulier. Il se réduit a un demi- cercle de seize lignes de diamètre, formé par une petite lame de bois qu'ils introduisent diamétralement dans une coupure horizon- tale qu'ils se font à la lèvre inférieure , et qui pénètre jusqu'à la racine des dénis ; de manière qu'au premier coup-d'œiî on dirait qu'ils ont deux bouches , et que la langue leur sort par l'inférieure : c'est ce qui les a fait appeler lenguas ^ parce que ce petit morceau de bois ou barbote a l'air d'une langue j et comme il ne peut jamais s'ajuster parfaite- ment à la coupure , il résulte qu'il en découle Continuellement de la salive et de la bave, ce qui rend leur aspect dégoûtant. Cette coupure est très-petite dans les enfans j tnais ils ne cessent de Tagrandir pendant tout le cours de leur vie , en y mettant successivement des lames plus grandes. Les lenguas n'entendent pas un mot du ( '5i ) langage de tous les autres indiens, ce qui prouve que le leur est totalement diQérent. C'est sur quoi je me suis toujours fondé pour dire que toutes ces nations ont un langage particulier, et qui n'a aucun rapport à celui des autres. Don Francisco Amansio, dont j'ai déjà parlé, dit la même chose : il croit même que l'idiome des lenguas ne manque ni d'élé- gance ni de précision : mais sa prononciation est nasale et gutturale, et extrêmement diffi- cile. Quant à leurs autres usages , dont nous l'i'avons pas parlé ici , ils ressemblent aux mbayâs , même dans leurs habillemens j seu- lement ils n'ont point de caciques. Ils ne reconnaissent ni culte, ni divinité, ni lois , ni chefs, ni obéissance , et ils sont libres en tout ; mais ils emploient entr'eux une sin- gulière formule de politesse , lorsqu'ils re- voient quelqu'un après quelque tems d'ab- sence. Voici à quoi elle se réduit : les deux indiens versent quelques larmes avant que de se dire un seul mot ; en agir autrement serait un outrage , ou du moins une preuve <|ue la visite n'est pas agréable. Quoiqu'ils ne se peignent pas autant le corps que les paya- guâs , ils célèbrent les mêmes fêtes et s'eni- ' vrenl également. Ils ne cultivent point la' (,52) terre ^ et leur unique occupation est la guerre», la chasse et le brigandage , qu'ils exercent en volant les troupeaux qui appartiennent aux espagnols. La destruction de celle nalion pro- vient également de ce que toutes les femmes ont adopte la coutume de détruire leurs en- fans en se faisant avorter, à l'exception du dernier , et de la même manière que les mbayas. Les femmes des lenguas s'abstiennent égale- ment de viande et de lout aliment susceptible de conti nir de la graîs&e , lorsqu'elles ont leur infirmité périodique, ainsi que trois jours après leurs couches. Pendant l'accouchement elles ne sont assistées par personne, et cela ne les empêche pas de faire leurs affaires comme à l'ordinaire. Us ne donnent a leurs malades que de Peau chaude , des fruits , ou quelque autre bagatelle , et s'ils ne guérissent pas de suite, ils les aban- donnent entièrement, et les laissent périr. Us ont tant d'horreur pour les morts, qu'ils ne laissent jamais mourir personne dans leurs huttes ou cases. Quand ils s'imaginent qu'un d'entr'eux ne tardera pas à mourir, ils le pren- nent par les jambes et le traînent environ à cinquante pas. Us le placent sur le dos , et le derrière posé dans un trou , creusé exprès C 155) pour qu'il y fasse ses nëcessîlés. D'un côté, ils lui allument du feu, et de l'autre ils lui laissent un pot plein d'eau, au cas qu'il ait soif» Ils ne lui donnent rien de plus , quoiqu'ils s'en approchent souvent , non pour le secourir, ni lui parler , mais pour voir de loin s'il est mort. Aussitôt que le malade a expiré , quelque indien payé par les parens, ou bien quelques vieilles, l'enveloppent sans perdre un instant, dans sa couverture d'étoffe ou de peau, avec ses nippes j on le prend par les pieds, et on le traîne à une centaine de pas, ou jusqu'à ce qu'on soit las 5 on creuse sa fosse , et on l'en- terre de manière qu'il est à peine couvert. Les parens pleurent le mort pendant trois jours; mais ni eux , ni aucun autre, ne pro- noncent jamais le nom d'un mort, même lors- qu'ils racontent quelqu'une de ses actions les plus remarquables. Ce qu'il y a de plus extraor- dinaire , c'est qu'à la mort de qui que ce soit d'entr'eux, tous changent de nomj de manière que, dans toute la nation, il ne reste pas un seul des anciens noms. Quand l'un d'eux meurt, ils disent que la mort était chez eux, et quelle a emporté avec elle la liste de ceux qui étaient en vie pour revenir les tuer en- suite j qu'en changeant de nom , la mort ne (,54) retrouvera plus celui qu'elle cîierchail , et qu'elle s'en ira le chercher ailleurs. Machicuys. C'est ainsi que les espagnols du Paraguay appellent une nation qui se nomme elle-même cabanataith y et que les lenguas connaissent sous le nom de inarcoy. Elle ha- bite l'intérieur du Chaco, sur les bords d'un ruisseau qu'elle appelle lacta el nelguata ^ et qui se réunit à la rivière Pilcomayo , avant la jonction de celle-ci avec le Paraguay. Cepen- dant cette réunion n'a quelquefois pas lieu , parce qu'il se perd dans des terrains inondés. Leur langage est non-seulement nasal et gut- tural , et différent de tous les autres , mais encore les mots en sont si longs et si pleins de syncopes et de diphtongues , que Don Fran- cisco Amansio Gonzalez, qui a tâché de l'ap- prendre des indiens qu'il avait chez lui , est étonné que leurs enfans mêmes puissent venir à bout de l'apprendre. La nation est divisée en 19 hordes ou peu- plades, dont il est impossible de prononcer les noms, et encore moins de les écrire. Je les mettrai cependant ici le mieux que je pourrai , et tels que mon oreille a pu en saisir les sonsj mais je ne doute pas que si on les dictait à vingt personnes , toutes conviendraient qu'il ( i55 ) est impossible de les écrire 5 el si elles vou- laient le faire , chacune rexécuterait d'une manière différente. La première , quiomO' guîgmoTiy est subdivisée en trois; le principal cacique s'appelle Anbuyamadimon ; la se- conde se nomme cabanataith ; la troisième , quiesmanapon ; la quatrième, quiabanalaba; la cinquième, cobayte ; la sixième, cobasti- gel ; la septième , emegsepop ; la huitième quioaeyeé ; la neuvième, quiomomcomél ;\2i dixième, quiaogziaina ; la. ouziea'ie ^ quiaim- jnanagua; la douzième, quiabanaelmayesma; la iï^cizihme ^ quiguaiIyeguaypon\ la quator- zième, jz^z^/zV^^ y la quinzième, quiabuna^ puaesie / la seizième , ycteaguayenene ; la dJïJL-SQ^^ûhme^paiTiuhunguié ; la dix-huitième, sanguotaiyamoctac j et la dix - neuvième , Gpieguhem. Quatre de ces hordes, qui peuvent former 200 hommes d'armes , vont à pied et n'ont ])uint de chevaux; mais les autres, au nombre d'environ mille guerriers , ont une assez i^rande quantité de chevaux, qu'ils montent à poil , ainsi que je l'ai dit des mbayas et des lenguas. Une de ces hordes habite dans des cavernes souterraines qu'elle a creusées ; elles sont petites et très-mal-propres, ne recevant Ci56) de jour que parle trou d'une très-petîte porte; ou pour mieux dire d'une ouverture , qu'ils n'ont pas même de quoi boucher. Us font leur feu en-dehors. Les autres hordes construisent leurs tentes ou huttes portatives avec des nat- tes, comme les lenguas, auxquels ils ne cè- dent, ni par leur taille, ni par leurs formes, ni par leur force , ni par l'élégance de leurs proportions. Us leur ressemblent aussi par la grandeur des oreilles, par leur coutume d'a- voir des caciques , par leurs fêtes, par leur ivrognerie et par tous leurs usages. Il faut comprendre parmi ceux-ci la coutume qu'ont toutes les femmes de se faire avorter constam- ment, excepté à leur dernière grossesse, de la manière que nous l'avons expliqué. Mais ils en diffèrent, en ce que leur barbote est semblable à celui des charrùas , et autres que nous avons décrits , et en ce qu'ils ne font jamais la guerre que pour se défendre, ou pour venger leurs injures, parce qu'ils sont très- vindicatifs , ainsi que tout indien. Leur manière de faire la guerre ressemble en tout à celle des lenguasj ils ont les mêmes armes : ils tuent comme eux tous les hommes adultes , et ne conservent que les enfans et les femmes. La chasse et quelques brebis qu'ils ( i57 ) nourrissent font leur principale subsistance : cependant ils font encore plus d'usage des produits de leur agriculture , qui , comme celle des guanâs, consiste en maïs , manioc^ haricots et autres fruits du pays. Il n'y a pas long-tems qu'ils se sont procuré quelques chiens j et ils les aiment tant , qu'ils leur per- mettent de leur manger de tems en tems quelques brebis. Enimagas. C'est sous ce nom que l'on con- naît, dans le Paraguay, une nation d'indiens qui s'appelle elle-même cochaboth , et que les machicuys nomment etabosle. Suivant une tradition conservée par les enimagas , cette nation était divisée en deux bandes, à l'époque de l'arrivée des premiers espagnols. Elles ha- bitaient la rive australe de la rivière Pilco- mayo , dans la partie la plus intérieure du Chaco. On dit, qu'avant cette époque, elle tenait dans une sorte d'esclavage les mbayas; mais comme ces indiens étaient extraordinai- rement hautains, orgueilleux et féroces, et qu'ils déclaraient la guerre à tout le monde, a l'exception de la nation guentusé, ils éprou- vèrent de grandes pertes, et leur nombre di- minua considérablement. Les mbayas en pro- fitèrent pour les abandonner, en s'échappant ( '58 ) vers le nord. Les énimagas se voyant affaiblis a ce, point, firent la paix, et s'incorporèrent aux lenguas dont ils avaient été précédem- ment les alliés et les amis j mais cela ne les empêcha pas de faire la guerre à tous les au- tres, de sorte que leurs pertes continuelles ont forcé une de leurs hordes, réduite à i5o hommes d'armes, à abandonner son pays pour aller s'établir vers le nord, sur le bord d'une rivière qui traverse le Chaco et se réunit au Paraguay au 24° 24' de latitude , et qu'ils appellent Flagmagmegtempela. L'autre divi- sion, qui n'était composée que de 22 homirics avec le nombre correspondant de femmes , s'est retirée chez Don Francisco Amansio Gonzalez, qui fournit de la viande pour leur nourriture. Quoique le langage des énimagas soit diffé- rent de celui des lenguas, de manière à ne pas s'entendre les uns les autres , Gonzalez trouve quelque rapport entre la contruction de leurs phrases. Ce langage est très-guttural et très-difficile. Habillemens , parures , taille , couleur , formes et usages , tout est comme chez les lenguas , et il est inutile de répéter ces détails. En effet , la seule différence est que leur barbote ressemble à celui des ma- ( i59 ) chicuys et de beaucoup d'autres indiens , et que les femmes n'ont pas adopté la coutume de se faire avorter. Ils vont a cheval , et sont armés comme les lenguas. Leur subsistance leur vient aujourd'hui de la chasse et d'un peu d'agriculture exercée par leurs esclaves. Ils paraissent plus enclins au divorce qu'au- cune autre nation d'indiens. En effet , j'en ai connu un qui , à l'âge de 5o ans , avait déjà répudié six femmes et en avait une septième. GuENTUsÉ. Cette nation habitait autrefois le Chaco en face des énimagas, dont ils ont toujours été , et sont encore amis si fidèles, qu'ils ont abandonné leur patrie pour les sui- vre dans leur émigration , et qu'ils se sont fixés à côté d'eux près de la rivière Flag- magmegtempelâ ,dont nous avons parlé. Elle est divisée en deux hordes, qui peuvent for- mer à-peu-près trois cents hommes d'armes ; mais ils ne sont pas inquiets, et ils ne font d'autre guerre que la défensive. Leur idiome paraît être un mélange de ceux des lenguas et des énimagas : cela vient sans doute des rapports continuels qu'ils ont eus avec ces deux peuples. Du reste, leurs formes, leur taille et leurs usages sont les mêmes que chez les lenguas 3 mais les femmes ne se font C î6o) point avorter. Leur barbote ressemble à celui des ënimagas, et de la majeure partie des in- diens. Us ne connaissent ni chefs , ni loi , ni religion, etc. Us vivent d'agriculture et de cbasse. Qu'on ne croie pas que ces indiens ni les autres emploient des animaux ni des charrues pour leurs occupations rurales, puisqu'ils ne font usage d'autres instrumens que de bâtons pointus , qui leur servent à faire les trous oii ils mettent la graine ou semence. On peut par là se former une idée de leur agriculture. Les guanâs , qui surpassent tous les autres dans cet art , se servent d'omoplates de cheval ou de bœuf emmanchés à un bâton , en guise de pioche. Comme parmi ces nations , celles même qui sont agricoles sont plus ou moins errantes , les indiens sèment quelque chose par-tout oii ils passent, et ils reviennent sur les lieux pour faire la récolte. ToBAS. C'est ainsi que les espagnols appel- lent cette nation , nommée par les énimagas et les lenguas natocoet et yncanabacté. Elle peut être composée de cinq cents guerriers , qui habitent le Chaco entre les rivières Pil- comayo et Vermejo. Leur langage est très- difïérent de tous les autres, très-guttural et C i6. ) très-di fil elle ; maïs comme ils sont voisins des pitilagas, et qu'ils les voient et les fréquentent beaucoup, ils emploient les mêmes phrases et les mêmes tournures. l's ressemblent aux payaguâs par leurs oreilles , leur barbote, et leur coutuaie d'élever tous leurs enfans ; mais ils ont plus de rapport avec les lenguas pour ce qui regarde l'usage des chevaux, la taille , les proportions, la liberlé , l'égahté , l'igno- rance de la divinité , de la religion et des lois. J'en dis autant de tous leurs usages , de leur force, de leur paresse , et de leur manière de se nourrir, qui se réduit à la chasse. Mais ils ont de plus , quelques troupeaux peu consi- dérables de vaches et de brebis. Les jésuites, d'autres ecclésiastiques et des gouverneurs , ont souvent formé des peuplades de ces in- diens ; mais aucune n'a subsisté. Pitilagas. Cette nation est composée de deux cents guerriers, qui vivent dans une seule peuplade , non loin de la rivière Pil- comayo et des indiens tobas, dans un district qui possède quelques lagunes salées. J'ai déjà dit que leur langage guttural, nasal et dif- ficile, avait les mêmes phrases et les mêmes tournures que celui des tobas. Quant au reste, Us ressemblent eu tout à ces mêmes tobas que II. a. II ( >60 jious vêtions de décrire , et auxquels ils se réu- nissent ordinairement pour passer la rivière du Paraguay, et aller voler les chevaux et les troupeaux des espagnols de cette contrée. Aguilot, C'est ainsi que les énimagas ap- pellent cette nation ^ à laquelle les espagnols n'ont pas encore donné de nom. Le nombre de ses guerriers ne passe pas cent. Ils habi- taient dans l'intérieur du Chaco ,sur les bords de la rivière Vermejo ; mais il y a à-peu-près dix ans qu'ils abandonnèrent leur pays , pour aller s'incorporer aux pitilagas. Je présume que cette nation n'est peut-être pas essentiel- lement différente de celle des mocobys, parce que son langage est le même , quoique très- jïiélangé de phrases et d'expressions de l'i- diome toba. Il est possible que ce mélange provienne de leur fréquentation réciproque, et non d'un rapport d'origine. Quoi qu'il en soit , leur taille , leurs formes , leurs coutumes , ressemblent en tout à celles des mocobys j et, comme eux , ils n'ont ni religion , ni chefs , ni lois. MocoBYS. Cette nation fière, orgueilleuse, guerrière et redoutable autant que pares- seuse , se divise en quatre hordes principales , qui , toutes ensemble , peuvent former deux ( '65) mille guerriers , et qui hal)ilent les bords de la rivière Vermejo ou Ypitâ, dans l'inlërieur du Chaco, Elle ne connaît point l'agriculture > et ne vit que de chasse et de la chair de quel- ques vaches et de quelques brebis dont elle possède des troupeaux , sans compter les bestiaux qu'elle enlève fréquemment aux es- pagnols du Paraguay, de Corrientes et de Santa-Fé. Son langage est entièrement diffé- rent de tous les autres , original et difficile^ et 51 nous est impossible de l'écrire avec nos lettres , ainsi que tous ceux dont la pronon- ciation est nasale et gutturale. J'estime que leur taille moyenne est de cinq pieds six pouces. Quant à leurs proportions, elles sont belles, et annoncent des gens robustes. Ils montent bien à cheval, toujours à poil, comme les lenguas , les tobas , etc. j et leurs armes sont les mêmes , c'est - à - dire , une lance et une massue, et des flèches quand ils combattent à pied. Ils tuent tous les hommes adultes , et ne conservent que les femmes et les enfans. Ils ressemblent aux autres indiens pour la couleur , la gravité de la figure , et pour toutes les qualités dont j'ai parlé précédera-: ment. Ils ne connaissent non plus ni diviaité , (•64) nî religion, ni culte, ni chefs, ni lois obliga- toires. Leurs médecins, leurs caciques, leurs mariages, leur ivrognerie, leurs huttes ou cases, leur barbote, leur habillement, leurs peintures, sont absolument les mêmes 3 mais leurs femmes se tracent en outre beaucoup de dessins diflerens sur le sein. On a tâché , dans tous les tems, de civiliser et de coloniser cette nation , qui a tant incom- modé les espagnols par son brigandage sur les troupeaux. On a dépensé , à diverses épo- ques, et même de mon tems, des sommes immenses pour cet effet, et on a formé beau- coup de peuplades de ces indiens. Mais toutes ont fini , et il n'en subsiste que trois du côté de Santa -Fé; savoir, celles de San -Xavier, San-Pedro et Ynispin. Nous verrons , au cha- pitre XIV, qu'aucun d'eux n'est civilisé , ni chrétien , lorsque j'expliquerai ce que c'est que ces peuplades , et comment on les forme. Abipons. Les anciens espagnols donnèrent aux indiens de cette nation le nom de me^ pones , les indiens lenguas les appellent écus-- glna ,ei les énimagas les nomment quiabana^ baité. Ils habitaient vers le 28.^ deg. de latit. dans le Chaco ; et leur idiome était différent de tous les autres , difficile , nasal et guttural. ty ( «65 ) Vers le commencement du dernier siècle , les abipons s'engagèrent dans une guerre cruelle avec les mocobjs, auxquels ils ne cédaient ni en orgueil , ui en forces , ni en taille; mais , comme ils étaient beaucoup moins nombreux^ ils se virent obligés d'implorer la médiation et la protection des espagnols. Ceux-ci leur fondèrent quelques réductions ou peuplades, dont ils confièrent le soin aux jésuites. Il n'en existe plus qu'une seule, c'est-à-dire , celle deSan-Geronimo établie en règle en 1748. Mais comme il est rare que la vengeance des indiens s'assouvisse , la guerre continua avec plus ou moins d'ardeur, et une partie des abipons s'expatria, et passa la rivière de Pa- ranâ pour former, en 1770, la peuplade de Las Garzas. J'ai passé par cet endroit, et, d'après ce que m'a dit le curé et ensuite d'au- très personnes, ces abipons sont aujourd'hui dans le même état que ceux de San-Gero- nimo, c'est-à-dire, sans christianisme ni civi- lisation , et conservant presque toutes leurs anciennes coutumes. J'observai , au premier coup-d'œil, que la plupart d'enlr'eux s'arra- chaient les sourcils , les cils des paupières et le poil du corps; qu'ils se coupaient ras une bande de cheveux depuis le front jusqu'au (i66) haut de la tête ; et que les femmes porlaîent empreintes d'une manière inefTaçable , une petite croix à bras égaux au milieu du front , quatre lignes horizontales et parallèles sur le nez à la naissance des sourcils, et , de chaque côté, deux lignes qui partent de l'angle exté- rieur de l'œil. Les abipons ressemblent aux autres nations , en tout ce que j'ai dit précé- demment, par leur manière de s'enivrer et de célébrer les cruelles fêtes décrites ci-dessus ; par leurs médecins et leur manière de traiter les malades j en ce qu'ils ne connaissent ni divinité , ni religion , ni loi , ni obligation j par 3e barbote, les huttes ou cases, les caciques^ les habillemens , les parures, les peintures et les mariages 5 par la manière dont ils traitent leurs esclaves, et par l'horreur pour les morts. Celte horreur est telle qu'ils ne laissent pas un instant les cadavres dans la hutte , et qu'ils les portent aussitôt au cimetière : ils y creusent une fosse peu profonde , oii ils enterrent le défunt avec tout ce qui lui appartenait, afin qu'il ne reste rien qui puisse leur en rappeler la mémoire -, et , dans cette idée , ils tuent même sur la tombe les chevaux dont l'indien se servait le plus souvent. Si la personne est morte dans un endroit très- éloigné du Gin:ie- (167) tîère, ils font ce que j'ai dît cî-dessns. Maïs comme ils onl assez de commerce avec les espagnols , il y en a beaucoup qui ne portent pas le barbote ( quoiqu'ils aient à la lèvre le trou destiné à le placer), et qui au lieu de mantes de colon , portent des ponchos de laine , ainsi que des chapeaux que leur don- nent les espagnols, ou qu'ils se procurent eux- mêmes. Quelques femmes s'habillent comme les espagnoles pauvres, ne se rasent point sur le front, et laissent croître leurs sourcils. YiLELAS et Cktjmipys. Je ne sais de ces deux nations que ce que m'en ont appris les ienguas et les énimagas; c'est-à-dire, qu'elles habitent auChaco, dans les environs de la ville de Salta, au sud de larivièreVermejo; qu'elles sont très- pacifiques , vivent de chasse et de pêche, et principalement de ia culture des terres ; que chacune d'elles n'a qu'une peu- plade composée d'environ cent guerriers, que leur langage n'a aiicun rapport l'un avec l'au- tre , non plus qu'avec celui des autres nations; Jarayes. A l'époque de l'arrivée des euro- péens, cette nation vivait dans un terrain bas et inondé , que les portugais appellent aujour- d'hui Matogroso. Sa population était peu con- sidérable : sa taille était grande, et annonçait la force \ leur langage était différent de tous ( i68 ) les autres. Ils étaient aussi pauvres que tons les indiens sauvages. Les hommes allaient enlioremenl nus, et, au lieu de barbote, il» se mettaient au trou de la lèvre inférieure récorce d'un très-j^rand fruit. Les femmes ne se couvraient que les parties sexuelles, et se traçaient sur K' visuge beauroup de raies et de dessms inefl'açiblos Je soupçonne que ces in- diens sont les mêmes que ceux à qui les por- tugais donnent aujourd'hui le nom debororos. Voilà les seuls renseignemens su s que j'aie sur cette nalion , parce qie tout ce qu'on trouve de relatif h son empire , à ses qualités > et même à sa situation , dans les histoires et dans les relations anciennes cl mêiue mo- dernes , est entièrement faux. 11 y avait en outre à l'ouest de la rivière du Paraguay, dans la province des Chiqui- tos, beaucoup de nations indiennes diOéren- tes les unes des autres, peu nombreuses > mais parlant des langues très-différentes. Ces nations étaient enclavées entre plusieurs pe- tites p uplades de guaranys sauvages. Tontes ont été soumises ou civilisées pas les espa- gnols de Santa - Cruz de la Sierra , et par les jésuites dans la province des Chiquilos, dont nous avons parlé plus haut. CHAPITRE XI. Quelques reflexions ge'ne'rales sur les Indiens sauvages» (Quelques savans ont imaginé que les pre- mières sociétés d'hommes sauvages ne man- geaient que des fruits spontanées de la tei re, et qu'il s'écoula un très-long tems avant que les hommes sauvages s'accoutumassent à vivre de la chasse, de la pêche et de l'agriculture. Mais où est le pays qui produit des fruits spontanées dans toutes les saisons de l'année, et aussi abondamment , pour qu'ils aient pu suffire à nourrir plusieurs sociétés d'hommes sauvages? Je puis assurer du moins que les pays que je décris ne sont pas de cette qua- lité. 11 parait de plus qu'il aura été aussi nouveau et aussi difficile aux premiers sau-» vages de manger un fruit ou une racine spon- tanée , que la chair d'un quadrupède '. Quoi ' Comme ce paragraphe est un ceux qui a e'te' ajouté et m'a e'te envo;ye' d'Espagne par l'auteur , il est pro- bable qu'il lui a ('te' suggère' par la lecture de mon Essai sur l'histoire de Vespèce humaine , que je lui ai remis depuis la rédaction de son ouvrage. A la page 25 de ( ï?^ ) fju'll en soit , toutes les nations d'indiens snu^ vages que j'ai décrites dans le chapitre pré- cédent , étaient , à l'arrivée des espagnols comme aujourd'hui, composées d'individus vivant de chasse, de pêche ou d'agriculture ^ et aucune ne menait la vie pastorale , parce que les quadrupèdes et les oiseaux domes- tiques leur étaient inconnus. Il est vrai que la vie pastorale et les soins qu'elle exige ne paraissent pas plaire à l'homme autant que l'exercice de la chasse j peut-être parce que cet Essai , on verra que je distingue une première pe'- riode des socie'te's humaines , comprenant les peuples qui se nourrissent principalement des productions spon- tane'es de la terre. Qu'il a existe' et qu'il existe encore de tels peuples , c'est ce dont sera convaincu , je l'es- père , tout lecteur impartial qui voudra se donner la peine de consulter les descriptions donne'es par les nombreux auteurs que j'ai cite's dans l'ouvrage qui est l'objet de la critique de notre auteur. Je conviens avec lui qu'il est aussi facile à l'homme de manger un ani- mal qu'un fruit , quoique cela même puisse donner lieu à des observations que le lecteur saura bien faire , sans que je les expose. Mais ce qui n'est pas moins e'vident, c'est qu'il est toujours plus facile et moins dangereux de se procurer un fruit ou une racine , qu'un animal qui a vie et mouvement , qui sait fuir ou combattre. (C. A. W.) ( I70 les surprises qu'on y éprouve el les victoi- res qu'on y remporte rendent le plaisir plus vif et flattent leur vanité. Ce qu'il y a de sûr , c'est qu'ils préfèrent aujourd'hui la chasse à Ja vie pastorale et a l'agriculture, quoi- qu'il leur fût facile à tous de se procurer nos animaux domestiques 5 ceux qui en ont acquis n'en ont que peu ou point de soin^ a l'exception du cheval , qui leur est néces- saire \ Il parait donc que la première occu- pation de l'homme libre fut la chasse ; celle de la pêche dépend moins du choix que du hasard , qui fait qu'on est à portée de l'eau. ^ « Quelque pénible et douloureuse que paraisse dans « la deuxième pe'riode , l'existence d'un peuple qui « n'est point situe' sur un sol fertile , il ne faut pas ce- a pendant s'imaginer qu'il sera tente' d'en changer , « lors même qu'il aura sous les yeux l'exemple d'un « peuple pasteur , ou d'une nation cultivatrice et civi- « lisëe. Ceux d'entre ces peuples qui savent de'jà sup- « ple'er aux ressources incertaines de la chasse et de « la pêche par une culture grossière, chargent ( ainsi « que nous l'avons observe' ) les femmes de ce travail , « et le regardent comme indigne d'eux ; tant sont « puissans l'empire d'une longue habitude et les im- « pressions de la première enfanee I Accoutume's à se « conduire par leur seule volonté' , à n'agir que lors- « que lu necçssitQ l'exige , la siil^ordijuatioa qui main-; ('72) Ceux qui se trouvent dans ce cas, comme les payaguâs et les guatos , préfèrent la pêche à tout , parce qu'elle a aussi ses surprises et ses facilités , qui égalent et surpassent même les victoires du chasseur. L'agriculture et la vie pastorale ne viennent qu'après. Dans le pays il y avait beaucoup de nations agricoles , mais aucune ne menait la vie pastorale ; ce qui prouve que cette vie est bien postérieure à l'état d'homme sauvage^ et que c'est le dernier des moyens de subsister qu'il adopte. Si l'on y réfléchit, on verra que toutes les nations qui vivent de chasse, comme les char- rùas, les minuanes,les pampas, les tehuelchùs ou patagons , les guaicurùs, les mbayâs, les lenguas, les énimagas, les tobas, les pitila- gas, les mocobys et les abipons , sont les plus errantes , les plus fainéantes , les plus « tient Tordre et assure la tranquillité , serait à leurs « yeux une honteuse servitude j le travail re'gle' et « presque continuel qui procure la conside'ration et les « richesses , une fatigue monotone et insupportable : à « la se'curite' , à l'abondance , aux jouissances et aux « commodite's de la vie , qui se trouvent chez les peu- « pies familiarise's avec l'agriculture , le commerce et « les arts , ils pre'fe'reront leur pauvreté , leurs mâles « exercices et leur fière indépendance. » ( Essai sur 'histoire de l'espèce humaine , p. io5. ) ( 173) guerrières, les plus fortes et les plus féroces ; et que celles qui subsistent de la pêche, comme les payaguâs, les guasarapos et les guatos sont plus stables et plus actives , mais également fortes , guerrières et féroces j et si la dernière l'est moins, on peut croire que cela vient du petit nombre auquel elle est réduite. Mais pour les nations agricoles, elles sont toutes douces, pacifiques, et ne font tout au plus que se défendre , lors même que leur taille et leurs forces sont très-supérieures à celles des autres, comme cela arrive aux guanâs, aux machicuys , et aux guentusés. Les nations agricoles semaient du coton , du many ou manduby ( arachide) , du maïs, des patates douces, des pimens, des hari- cots , du manioc et camanioc , des cale- basses, et beaucoup d'espèces différentes de chacune de ces plantes. On ne conçoit pas d'où ils les ont tirées, puisqu'aucune de ces plantes ne croît spontanément dans le pays. Nos agriculteurs , à force de méditations , d'engrais, de combinaisons et de greffes, viennent à bout de perfectionner les fleurs, les fruits et les graines j mais ils ne possè- dent pas encore beaucoup d'espèces de maïs, de patates douces, de haricots et de cale- C >74) Lasses, que les indiens ont su se procurer, quoique ces peuples soient sauvages, et qu'ils n'emploient ni raisonnemens , ni engrais, ni greffes, et qu'ils se bornent à faire un trou en terre avec un balon et à y mettre la graine , que souvent ils ne revoient qu'au rnouient de la récolle. Si la nature , en créant ces nations, leur mit ces graines sous la main , pourquoi ne (it-elle pas le même présent à toutes les nations de ces contrées qui vivent de chasse et de pêche , et qui sont privées de ces plan- tes? Si elle les leur donna, et qu'elles les aient laissées perdre , pourquoi les leur donna-t-elle ? Je ne saurais comprendre non plus com- ment la nation guarany, étant agricole et par conséquent peu voyageuse, s'était éten- due d'une manière si énorme , et en si grand nombre , comme nous l'avons vu au chapi- tre précédent ; tandis que toutes les autres , plus vagabondes , se trouvaient réduites à un si petit nombre d'individus, ainsi que nous l'avons dit , et qu'elles étaient en quelque sorte confinées dans des districts infiniment plus petits, oii quelques-unes même, comme celle des gualos , se trouvaient cachées dans une petite lagune , et qu'il en était à-peu-près ( '75 ) de même des guasarapos. Penser que les gua- ranys sont plus féconds serait une erreur ; car ils n'ont sûrement en cela aucun avantage sur les autres j je croirais plutôt le contraire , et les jésuites avaient la même idée, puisque dans leurs peuplades de guaranys ils faisaient sonner une grosse cloche à minuit, pour ré- veiller les indiens et les exciter a la propa- gation; c'est du moins ce que tout le monde assure. Mais ce qui est hors de doute , c'est que les guaranys forment la nation la moins robuste et la moins vigoureuse, et qu'elle ne vit pas plus et peut-être même moins que nous. On pourrait s'imaginer que c'est la paix qui a favorisé la multiplication des guaranys , tandis que la guerre détruisait les autres in- diens ', mais cela n'est pas croyable , puisque nous voyons les guatos , renfermés dans leur lagune sans faire la guerre, et cependant leur population n'a point augmenté depuis trois siècles. En outre il y a d'autres nations aussi pacifiques , aussi agricoles que les guaranys , telles que les guayanas, les Nalicuegas, les guanas , les machicuys , les guentusés et d'au- tres , dont la population n'en est pas moin« très-diminuée en comparaison de celle des ( '7G) gunranys. Ajoutez a cela, qu'avant l'arrivée des européens, ces nations ne connaissaient point l'usage des chevaux, et qu'étint très- eloignécs les unes des autres, elles ne pou- vaient que bien difficilement se faire la guerre. Une chose également incompréhensible pour moi , cVst que le langage guarany ait pu s'étendre dans le territoire immense pos- sédé par les portugais et les français, et dans une partie du pays que je décris, comme nous l'avons vu au chapitre précédent , parmi un si grand nombre de hordes indépen- dantes , presque isolées , et ne connaissant presque aucun commerce, et encore moins l'usage des livres ; tandis que nous voyons que les gouvernemens de France et d'Espagne, malgré leurs efforts, leurs écoles, leurs livres et leurs moyens de communication , n'ont jamais pu introduire dans toutes leurs pro- vinces l'usage général et exclusif de l'espagnol et du français. Une chose digne de remarque, c'est que les portugais , dans un petit nombre d'années, réduisirent à la condition d'esclaves tous les guaranys du Brésil (voyez le chapitre précé- dent) j que dans le même espace de tems les ( 177 ) conquërans espagnols en réunirent plus de quarante peuplades, et que, peu de tems après , les jésuites formèrent leurs fameux éta- blïssemens du Paranâ et de l'Uruguay , en ré- duisant aussi en forme de peuplades les gua- ranjs qu'ils rencontrèrent dans la province de Chiquitos j tandis que nous voyons , d'un au- tre côté, que personne jusqu'à présent, n'a pu former de peuplades , ni réduire à l'état de civilisation aucune des nations que j'ai décrites, quoiqu'on ait employé pour parve- nir à ce but , l'argent , la persuasion et la violence, pendant le cours de trois siècles, €t continuellement. Ces faits prouvent qu'il y a entre les guaranys et les autres nations dont j'ai parlé, plus de différence qu'entre celles de l'ancien continent, et même qu'entre beau- coup de quadrupèdes d'espèce différente. Et que l'on ne pense pas que cela vienne dvi climat, puisque les guaranys, les payaguâs, les lenguas, etc., vivaient dans les mêmes plaines et sous la même latitude , et que leur pays commun possédait les mêmes vé- gétaux, les mêmes oiseaux et les mêmes qua- drupèdes, sans aucune différence dans la forme ni dans la grandeur. D'ailleurs les pa- lagons et d'autres indiens de différente gran- II. a. 12 ( «VB ) deur, se trouvent dans le même cas. On au<*' rait tort de croire que les guaranys étaient faibles et de petite taille, parce qu'ils vivaient dans les bois ou aux environs, et que les au- tres nations vivaient en rase campagne; puis- que tous les guaranys ne se trouvaient pas dans ce cas , et que les tupyset les guayanâs, qui ne sont jamais sortis de leurs bois , ne laissent pas d'être d'une plus grande taille, et d'avoir de plus belles proportions, et que, jusqu'à ce jour, personne n'a pu les sub- juguer. D'autres objets dignes d'étonnement sont encore : la grande variété de leurs langages» leur force , leur taille et leur vigueur. 11 n'est pas moins surprenant de voir des peuples qui ne connaissent ni religion , ni chefs , ni lois , ni soumission , ni craintes, ni espérances pré- sentes ou futures , sous quelque rapport que ce soit , s'assujéiir néanmoins volontairement à certaines pratiques dans leurs maladif's , leurs mariages, etc. ; pratiques si extrava- gantes et si cruelles , que les plus cruels tyrans ne pourraient venir à bout de nous y soumettre, quelque prix et quelques récom- pensi s qu'ils proposassent. Le plus souvent ces indiens ne donnent aucune raison de ce C 179 ) qu^ils font, et il est bien difficile ou même impossible de la deviner. Eu effet, nous ne saurions nous figurer que de telles idées puissent entrer dans une tête humaine. J'admire aussi la hauteur de leur taille , la grandeur et rélëgance de leurs formes et de leurs proportions, qui n'ont point d'égales dans le monde ^ et, en même tems , je ne doute pas de leur peu de fécondité. Je m'en suis convaincu en examinant une foule de listes ou de cadastres anciens et modernes de peuplades de guaranjs , et j'y ai remarqué en même tems que la somme totale de chaque sexe donnait plus de femmes que d'hommes , dans le rapport de 14 à i5. Quoique je n'aie' pas pu avoir de semblables listes pour les autres nations sauvages, j'ai cependant pris des informations , et j'ai observé que , parmi celles qui ne détruisent pas leurs enfans, aucune femme n'en a eu dix, et qu'en géné- ral elles ne sont pas aussi fécondes que les espagnoles ; c'est ce que prouve aussi la diminution de la population chez toutes les nations indiennes, excepté les guaranys. On le voit encore, en considérant que le rrombre des guatos n'a pas augmenté dans le cours de trois siècles, non plus que celui des guasara- ( i8o) p6s , des macHcuy s , des guenlusés , des vîlelas et des chumipys, comme nous Pavons vu au cbap. précéd. 5 quoiqu'ils ne connaissent ni la barbare coutume de ravortement , ni la guer- re , et qu'ils soient pêcheurs ou agriculteurs. Je ne saurais attribuer au climat le peu de fécondité des indiennes, quand je vois que, dans le même pays, les espagnoles sont plus fécondes qu'elles , et au moins autant qu'en Europe. On ne peut pas croire non plus qu'un grand nombre des enfans indiens périsse faute d'aliment , o^i à cause de la dureté de leur genre de vie 5 puisqu'ils ont toujours de quoi manger , et que leur manière de vivre , loin de les affaiblir et de les tuer , les rend tous plus forts que nous , les fait jouir d'une meil- leure santé, prolonger leur vie plus long- teoiSr, et conserver jusqu'à la mort non-seu- lement leurs cheveux , mais aussi toutes leurs dents j tandis que , parmi les espagnols qui habitent la même contrée, il y a beaucoup ée têtes chauves, et plus de personnes à qui il manque des dents, que je n'en ai vues par- tout ailleurs. On doit admirer également la facilité avec laquelle accouchent toutes les indiennes, sans le secours de personne , san^ aucunes suites (i8i ) fâcheuses, sans cesser de se livrer, le jour même , à leurs occupations ordinaires, et sans jamais manquer de lait. Elles se lavent immé- diatement après, avec de l'eau a la tempéra- ture de la saison. Quand c'est une femme payaguâ qui se trouve dans ce cas, quelques- unes de ses compagnes se placent sur deux rangs, depuis sa case jusqu'à la rivière, qui est toujours proche ; elles étendent le côté de leurs mantes comme pour empêcher le vent de passer ; l'accouchée marche au milieu des rangs, et se jette à l'eau. Dans tout cela, les indiens ressemblent assurément aux quadru- pèdes : les hommes surpassent même ceux-ci par l'insensibilité avec laquelle ils souffrent l'intempérie du ciel, la disette et les traite- mens barbares qui ont lieu dans leurs deuils et dans leurs fêtes; en ce qu'ils ne se plaignent jamais dans leurs maladies , ni même quand on les tue; et dans l'indifférence qu'ils témoi- gnent à leurs derniers momens , oii ils ne lais- sent apercevoir aucune inquiétude pour l'a- venir , ni sur le sort de leurs femmes , ni sur celui de leurs enfans. Quant à la situation locale, je ne conçois pas trop comment certaines nations très-peu nombreuses se trouvent enclavées parmi les ( '82) autres. Par exemple , dans le pays que je dé- cris , la nation guarany renferme dans soit sein d'autres nations entièrement isolées, coimne les tupys, 1 s guayanâs , les nuaras, les nalicuégas, les guasarapos, et les guatos. En effet, si ces nations entrèrent dans l'inté- rieur du pays avant que d'être entourées par les guaranys , pourquoi ne se sont-elles pas autant multipliées et autant étendues que ceux-ci? Si au contraire elles y pénétrèrent après en avoir chassé les guaranys , pourquoi ont-elles laissé , pour ainsi dire , la porte fer- mée derrière elles ? Je conçois encore moins quelle route ont pu suivre toutes les nations que j'ai décrites, pour venir se fixer dans les lieux qu'elles ha- bitent. En effet, si elles sont venues du nord, comment n'est-il pas resté dans l'Amérique septentrionale un seul indien des races dont j'ai parlé? Peut-on supposer que les guatos, réduits à 12 ou 20, ne trouvèrent pas dans d'aussi immenses déserts une autre lagune que celle qu'ils possèdent , et qu'il en est arrivé autant aux guasarapos ? Quoi ! les charrûas, les pampas, les patagons , les aucâs, les guai- curus, les lenguas , les mocobys, les mbayas , etc. , qui sont les nations de la plus haute taille, ( 'SS ) les plus fortes, les plus puissantes et les plus indomptables qu^il y ait au monde , ne purent pas trouver d'établissement, même dans les de'serts de rAmérique septentrionale , et se virent forcés à se fixer dans le coin le plus l'eculé de la partie méridionale de ce conti- nent ? N'eussent-elles pas trouvé, du côté du nord , autant de terrain et de facilités pour la chasse et pour la pêche y etc. , que les nations faibles qui occupent aujourd'hui ces contrées septentrionales? ou l'excès même de leur po- pulation les força t-il à émigrer ? Aucune de ces conjectures ne paraît vraisemblable. Il le serait encore moins de croire que les nations faibles et pusillanimes du nord auraient pu les obliger de quitter le pays , puisque nous voyons que toute la puissance des espagnols , malgré l'avantage incalculal^le que leur donne l'usage des chevaux et des armes à feu , n'a pu venir à bout de leur faire perdre du terrain , malgré trois siècles de combats con- tinuels. Nous avons dit , Chapitre IX , que quelques personnes s'imaginaient que les quadrupèdes avaient été créés dans ce pays les uns après les autres, et que chaque espèce ne provenait pas d'un seul couple primitif^ mais de plusieurs f '84 ) de la même nalare. Ces personne?? prétendront sans doute expliquer de la même manière mes observations sur les indiens. Ils se figureront qu'aucune de ces nations n'a jamais existé dans l'ancien continent , qu'elles n'ont pas voyagé autant qu'on se l'imagine, et qu'elles ont été créées à l'endroit même oii elles exis- tent, indépendamment de l'ancien continent, les unes plutôt , les autres plus tard. En sup- posant que leur race est différente de la nôtre, ils n'auront aucune difficulté à expliquer cette différence réciproque ; ils ne seront pas plus embarrassés de convenir que chacune des nations moins nombreuses peut devoir son origine a un seul homme et à une seule femme , et peut-être même s'imagineront-ils que les guaranys viennent d'une multitude de couples de la même nature , et que ces premiers cou- ples existaient antérieurement à ceux qui ont produit les autres nations. Ceux qui s'occu- pent à faire des recherches sur l'histoire de l'homme , pourront examiner cette opinion , que je ne partage pas. En attendant, je né dois pas oublier ici l'exposition d'un doute sur les américains, aussi ancien que la dé- couverte de l'Amérique. Les jiremiers espagnols qui fréquentèrent ( «85) les indiens ou américains, ne les regardèrent pas comme des hommes qui eussent la même origine que nous, mais plutôt comme une espèce intermédiaire entre l'homme et les animaux, qui, quoique avec des formes sem- blables, différait de nous sous d'autres rap- ports, et qui n'était pas susceptible de l'intel- ligence , de la capacité ni du talent nécessaires pour entendre et pratiquer notre religion. Tel fut Pavis de la plupart des laïques, et même de plusieurs ecclésiastiques respecta- bles, qui faisaient partie du petit nombre des prêtres qui , à cette époque , passèrent en Amérique. Cependant ils ne pouvaient pas se dissimuler qu'en suivant cette opinion , ils ne pouvaient jouer aucun rôle religieux dans une si grande et si riche découverte. Un des principaux partisans de cette idée , fut Fran- çois-Thomas Ortiz , évêque de Sainte-Marthe. Il écrivit un long mémoire au conseil suprême de Madrid , en concluant que l'expérience qu'il avait acquise par une longue fréquenta^ tion des indiens, les lui faisait regarder comme des êtres stupides , et aussi incapables que les bêtes brutes de comprendre notre religion , et d'en observer les préceptes. D'autres ecclé- siastiques , à la tête desquels était le fameux ( n% ) François Barlbélemi de Las Casas, disaient au contraire que les indiens étaient des hommes de notre espèce , et aussi propres au christia- nisme que nous. On disputa avec chaleur de part et d'autre, et il y eut aussi des ecclésias- tiques qui, pour concilier les deux opinions, dirent qu'à la vérité les indiens étaient des hommes de la même espèce que nous, mais si bornés , qu'on devait se contenter de les baptiser , et leur refuser du reste tous les sacremens. Tel était l'élat des choses, lorsque Las Casas se déclara l'apologiste et l'ardent protecteur des indiens. Il allégua en leur fa- veur toutes les raisons qu'il put trouver -, et, pour affaiblir les argumens de ses adversaires, il n'oublia pas la méthode ordinaire des avo- cats et des déclamateurs , c'est-à-dire qu'il décria les espagnols , en disant que s'ils vou- laient à toute force que les indiens fussent de purs animaux, c'était pour les traiter comme tels, et pour excuser les atrocités qu'ils com- mettaient à leur égard. Ce fut ainsi qu'il ob- tint du pape Paul III une bulle datée du ^ juin 1557, qui déclarait les indiens véritable- ment hommes, et capables de tous les sacre- mens de notre religion. Cette victoire valut à o Las Casas un évêché et une grande réputation , (i87 ) mais cela ne suffît pas j-jour déterminer les curés du Pérou à administrer l'eucharistie aux indiens. I!s persistèrent dans leur refus pen- dant près d'un siècle, sous prétexte de l'inca- pacité de ces peuples. Il fallut, pour vaincre leur répugnance, l'auloritc de plusieurs con- ciles, dont trois tenus à l/ma , et les autres à Arequipa, à la Plata ou Chuquizaca, a la Paz et à l'Assomption. Il est bon de remarquer que, dans cette dispute , chaque parti avait à sa tête un évê- que ; que le pape , malgré le pouvoir qu'il avait alors, ne put vaincre la répugnance des curés expérimentés dans la matière , qui , pendant long-tems refusèrent d'administrer d'autres sacremens que le baptême, aux indiens les plus civilisés qu'il y eût , c'est-à-dire aux sujets de l'Inca , et que le saint-siége même semblait douter de la capacité religieuse des indiens, puisqu'il les exempta du tribunal de rinquisition et de presque tous les préceptes ecclésiastiques. Tout cela paraît indiquer que, de part et d'autre , on avait des raisons plau- sibles et que la question était très-importante. En effet , aucune ne pouvait l'être davantage pour des catholiques , puisqu'en adoptant l'opinion d'Ortiz et de ses partisans, on s'cx- ( i88 ) pose, au cas qu'elle soit fausse, à priver le» indiens des sacremens nécessaires au salut, et par conséquent du paradis. D'un autre côté , si l'on s'en rapportait à Las Casas , et qu'il se trompât , il en résultait une profanation hor- rible des sacremens. Je ne prétends pas déci- der, mais seulement indiquer quelques unes des raisons pour et contre. Je commencerai par l'opinion de l'évêque de Sainte-Marthe. Voici , je crois , quelles furent leurs pre- mières réflexions : •< Pour que les indiens eussent la même origine que nous , il aurait fallu qu'ils eussent passé de notre continent au leur , parcouru celui-ci d'un bout à l'autre ; ils n'auraient pu être déterminés à cette dé- marche que par une nécessité extrême , puisque l'homme s'attache au pays qui î'a vu naître et qu'il ne l'abandonne jamais volon- tairement : témoin les nations indiennes , qui n'ont fait aucune émigration dans l'espace de trois siècles , ainsi que les nations civilisées qui ne changent jamais de place. Les seules causes naturelles de l'émigration d'un peuple paraissent être : l'excès de population , qui rend le territoire trop petit pour le nombre de ses habitans, et la mauvaise qualité du sol ou du climat. Mais les nations indiennes que ( '89) j'ai décrites , étant si peu nombreuses , et aucun climat ni aucun sol ne paraissant devoir être mauvais pour elles , on ne voit pas la raison qui aurait pu les faire émigrer 5 et si elles ne Pont pas fait , leur origine n'est pas la même que la nôtre. La situation locale des nations dont je viens de parler, nations qui se trouvent toutes dans la partie méridionale la plus reculée de l'Amé- rique , et aucune dans le nord de ce continent, non plus que dans l'ancien , c«tte situation , dis-je , indique que ce n'est pas par transmi- gration qu'elles s'y trouvent , puisqu'il en se- rait resté une partie dans leurs anciens domi- ciles. Ceux qui soutiendraient l'opinion con- traire , ne manqueraient pas de dire que les indiens passèrent d'un continent à l'autre , €t que , supposé même qu'ils ne fussent que des animaux , on sait que le déluge les fît tous périr , excepté un très- petit nombre d'indi- vidus conservés dans l'ancien monde. Mais les laïques s'imagineraient que ce déluge ne fut général que dans l'ancien continent j puis- que les eaux ne s'élevèrent qu'à quinze cou- dées au - dessus des montagnes d'Arménie ; c'est - a - dire , qu'il s'en faut de beaucoup qu'elles eussent pu couvrir les hauteurs d'A- ( igo ) mérîque, quî sont si élevées qu'il n'y pleut jamais. Leur sommet est supérieur à la région des nuages , qui n'y parviennent jamais , et encore moins les pluies. Ainsi les indiens et les animaux d'Amérique purent naturelle- ment se préserver de l'inondation , en se re- tirant sur les parties les plus élevées; et puis- que toute la race humaine périt dans le déluge de l'ancien continent, les espèces existantes en Amérique ne doivent pas être considérées comme en faisant part. » Parmi les nations que j'ai décrites , on compte trente-cinq langages différens. Je ne crois pas qu'il y ait d'exagération à présumer qu'il y a bien encore six autres langues parmi les nations qui sont a l'ouest des pampas , au- tant parmi celles du sud , et huit parmi les anciens indiens de la province de Chiquilos: comme je l'ai indiqué au chapitre précédent, cela fait en tout cinquante-cinq idiomes très- difïerens 5 et , sous ce rapport , ce n'est pas faire une supposition outrée que de croire que , dans toute l'étendue de l'Amérique , il y avait mille langues diiTérentes, c'est-à-dire, peut-être plus que dans toute l'Europe et dans toute l'Asie. D'après cette seule considération, comment ( '91 ) peut-on expliquer raisonnaLlemenl ]e passage de ces nations d'un continent à l'autre , par le nord ou par quelque autre endroit que ce soit ? Il ne s'agit pas ici du passage d'un homme ou d'une femme sur un canot ou sur un radeau, ni même de celui d'une partie de quelque nation voisine : il faut concevoir un bras de mer traversé par une mullilude de nations entières , dont il n'est pas demeuré un seul individu dans leur ancienne patrie; nations très-difïerenles en taille , en vigueur et en proportions , et qui parlaient mille lan- gues qui n'avaient absolument aucun rap- port 5 langues qui paraissent dictées par la nature même , quand elle apprit aux chiens et aux autres quadrupèdes à former des sons , c'est-a-dire très pauvres en expressions , pres- que toutes nasales et gutturales , ne se pro- nonçant presque pas de la langue , et sem- blables en cela au langage des animaux. L'u- nité de langage parmi les guaranjs qui oc- cupent une si vaste étendue de pays , avan- tage qu'aucune des nations policées du monde n'a pu obtenir, indique encore que ces sau- vages ont eu le même maître de langue , qui a appris aux chiens à aboyer de la même manière dans tous les pays. ( '92 ) Il est naturel de croire que ceux qui pri- rent les indiens pour de simples animaux , les comparèrent réciproquement , et qu'ils trouvèrent encore entr'eux d'autres ressem- blances , soit au physique , soit au moral. En effet les indiens ressemblent aux animaux par la délicatesse de l'ouïe , par la blancheur , la propreté et la disposition régulière de leurs dents y en cç qu'ils ne font usage de la voix que très-rarement j en ce qu'ils ne rient ja- mais aux éclats y en ce que les deux sexes s'unissent sans préambule ni cérémonies ; en ce que les femmes accouchent facilement et sans aucunes suites fâcheuses ; en ce qu'ils jouissent en tout d'une entière liberté 5 en ce qu'ils ne reconnaissent ni supériorité , ni autorité j en ce qu'ils suivent dans leur con- duite, sans y être obligés ni assujétis, cer- taines pratiques, dont ils ignorent et l'origine et la raison ; en ce qu'ils ne connaissent ni jeux , ni danses , ni chants, ni instrumens de musique^ en ce qu'ils supportent patiemment l'intempérie du ciel et la faim; en ce qu'ils ne boivent qu'avant ou après leurs repas , et ja- mais pendant qu'ils mangent 5 en ce qu'ils ne se servent que de la langue pour dter les arrêtes du poisson qu'ils mangent, et qu'ils ( '95 ) les conservent dans les coins de la bouche ; en ce qu'ils ne savent ni se laver , ni se net- toyer , ni coudre 5 en ce qu'ils ne donnent aucune instruction à leurs enfans, et que quel- ques nations même tuent les leurs; en ce qu'ils ne s'occupent ni du passé ni de l'avenir 5 en ce qu'ils meurent sans inquiétude sur le sort de leurs femmes et de leurs enfans , et de tout ce qu'ils laissent au monde ; et finalement , en ce qu'ils ne connaissent ni religion , ni divinité d'aucune espèce. Toutes ces qualités paraissent les rapprocher des quadrupèdes; et ils semblent même avoir quelque rapport aux oiseaux par la force et la finesse de leur vue. Ces observateurs devaient trouver aussi d'autres différences entre les sauvages d'A- mérique et les européens : car , indépendam- ment des rapports qu'ils pouvaient trouver entre ces sauvages et les quadrupèdes , ils durent t»emarquer que la couleur des indiens était différente ; qu'ils n'avaient point de barbe; que les hommes avaient moins de poil , et les femmes un écoulement pério- dique moins abondant ; que leurs cheveux étaient plus grossiers , plus plats et toujours noirs ; que leurs parties sexuelles n'avaient II. a. i3 ( '94 ) pas les mêmes proportions, comme nous Pa- vons dit au chapitre précédent ; qu'ils étaient beaucoup plus phlcgmatiques , et moins iras- cibles j que leur voix n'élait ni forte ni sonore, et qu'on ne les entendait presque pas 5 qu'ils riaient a peine , et que l'on ne pouvait distin- guer en eux aucun signe extérieur de passion ; qu'ils paraissaient également insensibles dans leurs maladies , dans leurs douleurs , dans leurs deuils et leurs fêtes ; que leur vie était plus longue ; que la fécondité de leurs femmes était inférieure acelle des européennes établies dans le même pays 5 que les indiens conser- vent toutes leurs dents intactes et saines , tan- dis que les européens les perdent très-aisé- ment j que le mal vénérien parut naître de l'union de ces derniers avec les américains j que ce mal était auparavant aussi inconnu en Europe qu'en Amérique j qu'il n'est dû \ qu'à un mélange qui n'élait pas conforme à I la nature , et que quelques nations n'aiment guères leurs enfans , puisqu'elles les tuent ou les chassent de la maison paternelle , aussitôt qu'ils sont sevrés. Peut - être observèrent-ils / aussi que la gravité spécifique de leur corps / n'était pas aussi considérable , comme cela paraît indiqué par les observations rapportées ( 195 ) au chapitre précédent ; enfin peut-être remar- quèrent'ils que plusieurs de ces nations nous surpassaient par la grandeur de la taille et par la beauté des proportions, en même-tems que d'autres nous étaient très-inférieures dans ces deux points , et que la différence réci- proque était peut-être plus grande que celle qu'on observe entre les nations européennes. Ceux qui avaient cette idée , étant espa- gnols , devaient imaginer en outre , que si les indiens descendaient d'Adam , il n'y aurait eu aucune justice à les damner éternellement pour n'avoir pas été baptisés , et pour n'avoir pas fait une chose qui leur était impossible , puisqu'ils l'ignoraient et que personne ne les en avait instruits. Il est vrai que , pour parer à cette difficulté , on a dit que Saint Thomas avait été prêcher en Amérique , et on a même prétendu y avoir rencontré quelques vestiges de sa mission ; mais je crois que ces prétendus vestiges sont une pure imagination , et que cette mission n'est pas prouvée authentique- luent. Du moins ne trouva- 1- on dans ces con- trées aucun évêque , ni aucune église , quoi- qu'on en eût trouvé dans tous les endroits où les apôtres avaient prêché ; et d'ailleurs , il ne paraît pas possible qu'un seul homme eût pu parcourir et instruire tout le continent de C '96) rAmérique. D'autres supposent que le Créa- teur fait connaître par révélation sa volonté aux indiens , et qu'il dépend d'eux de la suivre ou non. Voyons à présent sur quoi on s'est fondé pour décider que les américains descendaient d'Adam, et pour croire, en conséquence, qu'ils étaient venus de l'ancien continent , et qu'on devait travailler à leur conversion. On vit que leur corps était presque entièrement semblable au nôtre , et qu'il était composé des mêmes parties ; qu'ils apprenaient tous les arts qu'on voulait leur enseigner ; qu'ils apprenaient également notre langue , et qu'ils imitaient toutes nos actions ; qu'ils dis- couraient et raisonnaient comme nous , et qu'au Mexique et au Pérou ils avaient des idoles et adoraient le soleil. De là on conclut, qu'ayant un corps comme le nôtre, agissant et raisonnant de même, et adorant un être matériel ou non, ils étaient enfans d'Adam, et capables d'adorer un esprit créateur. Ou se confirma , sans doute , dans celte idée, en voyant que de l'union des européens avec les américains, il résultait des enfaiis qui avaient la faculté de se progager , puis- que le fameux comte de BuiTon et la plupart des naturalistes croyent que, pour prouver ( ^97 ) ridenlîté d'espèce, il suffît que de l'union d'un mâle et d'une femelle il résulte des individus féconds. Il est vrai que je n'ai pas adopté celle opinion dans mes notices pour servir à l'his- toire naturelle des quadrupèdes du Paraguay \ • Les naturalistes regardent comme d'une même espèce tous les animaux qui ont une conformation in- terne et externe entièrement semblable , ou dont les différences ne sont point dues à aucune cause native et procre'atrice , mais sont le résultat du climat ou de la manière de vivre. Le mélange ou Je croisement des espèces , et la reproduction des espèces métivcs ou qui sont le produit de deux espèces différentes , est possi- ble sans doute , et même prouvé; mais ce mélange est infiniment rare , eette reproduction infiniment difù^ cultueuse. On n'en vait des exemples que dans l'état de domesticité , et seulement entre des espèces peu dissemblables. Si cette reproduction a lieu dans l'état sauvage, ce qui est douteux , elle ne peut avoir de suite , parce que l'espèce métive est promptement dé- truite. Il en résulte que la facilité de la propagation à rmfini, entre des races qui offrent quelque différence^ est toujours une grande preuve en faveur de l'identité d'espèce. D'ailleurs , parmi les caractères tant phy, siques que moraux , par lesquels on a voulu distinguer les indiens des européens , il n'eu est pas un seul qu'on puisse considérer comme spécifiques , quoique plusieurs soient exagérés et que d'autres soient absolument faux, puisqu'ils sont contraires à ce qui résulte des récits mêmes de M. d'Azara. (C. A, W.) (198) CHAPITRE XU. Des rrio^^ens employés par les conqnerans de l'Ame'-^ rique , pour re'duire et assujétir les Indiens ; et de la manière dont on les a gouvcrne's. Les espagnols employèrent, à l'égard des indiens que je décris, une conduite diffé- rente de celle qu'ils ont tenue dans d'autres parties de l'Amérique; et comme je fais une description particulière , que je ne veux point généraliser, je me bornerai à développer les moyens employés pour réduire les indiens compris dans les limites de la contrée que je décris, parce qu'on ne la connaît peut-être pas. Pour mettre plus de clarté , je parlerai dans ce chapitre de la conduite des conqué- rans laïques; et dans le suivant , de celle des jésuites dans leurs fameuses peuplades du Paranâ et de l'Uruguay. Les chefs chargés de la conquête du Para- guay et de la rivière de la Plata , établirent une distinction dans la manière de traiter les indiens. S'ils se rendaient coupables d'in- sultes ou d'injustices envers les espagnols , ( 199 ) tîenx-cî , après les avoir vaincus , se les parta- geaient enlr'eux , et s'en servaient comme de domestiques. Il y eut aussi beaucoup d'indiens qui demandèrent aux espagnols , volontaire- ment et avec instance, de les recevoir cbez eux en cette qualité. C'est de là que vinrent les commanderies appelées de Yanaconas et à'indiens originales. Dans ces établissemens, chaque commandeur espagnol tenait conti- nuellement chez lui les indiens de tout sexe et de tout âge , qui dépendaient de sa corn- nianderie , et il les occupait comme domes- tiques , et de la manière qu'il lui plaisait. Mais il lui était défendu de les vendre , de les mal- traiter, ni de les renvoyer pour cause de mauvaise conduite , ou de maladie , ou de vieil- lesse 'j et il était obligé de les habiller, de les nourrir, de les soigner dans leurs maladies, et de leur apprendre la religion et quelque métier. On vérifiait tout cela dans une longue revue que l'on faisait tous les ans, et on y écoutait les indiens. C'est de cette manière que furent répartis non- seulement les guaranys qu'il y avait à San-Ysidro, à Las Couchas , et dans les îles de la partie inférieure du Pa- ranâ, mais aussi quelques prisonniers pampas^ agaces ou payaguâs , guaicurùs et mbajas ^ ( 200 ) que Ton avait pris à la guerre , ainsi que les oreillons (orejones), et d'autres de la province des Chiquilos que l'on conduisit au Paraguay. Mais si les indiens se soumettaient pendant la paix, ou s'ils terminaient la guerre par une capitulation, on les forçait de choisir un en- droit dans leur propre territoire , et de s'y fixer, en y établissant leurs cases pour former une peuplade. On choisissait immédiatement un cacique ou quelque sujet capable pour être corrégidor, et on prenait parmi les autres indiens , les officiers municipaux et les al- cades, absolument comme dans les villes espa- gnoles. Quand tout cela était bien établi et en train , on formait les commanderies appelées Mita^os y et on les partageait entre les espa- gnols, selon les services individuels. Chacune était composée d'une division , c'est-à-dire , d'un cacique, et des indiens qui le reconnais- saient pour tel : mais ces commanderies n'é- taient pas si recherchées que celles de Yana- conas, parce qu'il n'y avait que les hommes de dix-huit à cinquante ans qui fussent obligés d'aller tour-à-tour servir pendant deux mois Je commandeur. Le reste de l'année, ils étaient libres et exempts de service , et absolument les égaux des espagnols. En outre , les com- C 201 ) mandeurs ne pouvaient rien exiger des femmes , des caciques , de leurs fils aînés , de ceux qui n'avaient pas atteint l'âge marqué ou qui Pavaient passé , et de tous ceux qui exerçaient quelque emploi ou quelque fonc- tion dans la peuplade. Comme on recevait continuellement des ordres et des exhortations pour étendre les découvertes et les conquêtes, sans que l'on procurât les fonds ni les moyens nécessaires, Domingo Martinez-de-Yrala , qui régla tout ce qui eut rapport à la conquête de ce pays , inventa une manière de faire des progrès sans dépense. S'il savait que dans quelque endroit , il y eût des sauvages qui ne fussent pas en grand nombre, il en conférait la possession , à titre de commanderie , à quiconque vou- drait se charger à ses frais de réunir ces sauvages à quelque peuplade d'indiens ré- duits , ou d'en former eux-mêmes une nou- velle , s'il le voulait. Alors, si celui à qui l'on donnait une pareille commanderie ne pouvait pas réussir par adresse , il rassem- blait une petite troupe de gens armés , et forçait les indiens k se fixer dans une peu- plade, et il les possédait à titre de comman- derie de Mitayos. Mais si le chef apprenait ( 202 ) que les sauvages fussent très - nombreux (comme cela arriva dans les provinces de Guayra el de Cliiquitos, et vers los Campos- de-Xerez), il les faisait reconnaître; et^ quand il était sur du fait , il envoyait une compagnie d'espagnols y fonder une ville plus ou moins grande. Ces espagnols partageaient entr'eux les indiens, et en formaient des com- nianderies , soit de originarios ou yanaconas , soit de mitayos , suivant les circonstances que Dous avons expliquées précédemment. Pour dédommagement des frais , des peines et des dangers qu'avaient éprouvés les parti- culiers ( et jamais le gouvernement) dans la réduction des indiens et dans la formation des villes et des peuplades, cet Yrala, dont nous avons parlé , donna les dispositions suivantes. Ces commanderies appartenaient au premier et au second possesseur durant leur vie entière ; mais, après ce terme , elles devaient être abo- lies, et les indiens jouir d'une pleine et entière liberté, absolument comme les espagnols , en payant seulement un certain tribut au trésor. Yrala jugeait en outre que le tems prescrit pour la durée des commanderies était néces- saire pour l'instruction et la civilisation des indiens, sous la direction et la conduite des ( oo5 ) commandeurs, qui y étaient personnellement intéressés , et sous Tinspection du chef , qui n'oubliait pas de s'informer de l'état oii se trouvaient les indiens , et de la manière dont on les traitait. De sorte que , selon moi , il était impossible de mieux combiner l'agran- dissement des conquêtes et la civilisation , et la liberté des indiens , avec la récompense due aux particuliers qui faisaient tout à leurs dépens. Gomme les conquérans n'avaient pas amené de femmes d'Europe , et qu'ils en avaient be- soin , ils prirent des indiennes , les unes en qualité d'épouses légitimes , les autres comme concubines. Quelques-uns ne se contentèrent pas d'une seule , et en prirent plusieurs a-la- fois : car nous savons, entr'autres, que le chef principal qui était ce même Yrala , avait eu des enfans de sept indiennes qui étaient sœurs , comme il le déclare lui-même dans son testa- ment que j'ai lu. Ainsi il y avait , sur cet article , ime liberté absolue , et les mélifs qui résul- taient de ces unions furent regardés comme espagnols. Mais, malgré ce dérèglement, iné* vitable parmi une soldatesque altière et vigou- reuse , et qui connaissait bien le besoin qu'on avait de ses efforts pour conserver et pour ( M ) étendre les conqucles, les espagnols conser- vèrent leur religion , et quand ils entendirent nnpeu Tidiome des indiens, ils leur donnèrent de leur mieux une idée du christianisme. Mais cela devait se réduire à peu de chose, puisque les maîtres savaient à peine le nécessaire , et que leur attention se dirigeait principale- ment vers la réduction et la civilisation des indiens, afin de se procurer des domestiques utiles. Dans ces premiers tems, les ecclésiastiques ne firent rien, et ils ne pouvaient rien faire; car les premiers espagnols n'avaient emmené avec eux qu'un seul prêtre ; et même , vingt ans après la conquête, il n'y avait dans le pays que dix-sept ecclésiastiques, y compris 1 évêque, les chanoines et les moines. Ils ignoraient presque tous la langue, et on n'avait pas encore dressé de catéchisme. Il arriva enfin qu'il y avait sept ou huit villes, ou colonies espagnoles, et à-peu- près une quarantaine de peuplades indiennes ; et comme on remarqua qu'il y avait à peine vingt ecclésiastiques, on reconnut l'impossibi- lité où ils étaient de veiller à tout, et à de si grandes distances. En e(ret,quoique le très-petit nombre d'enlr'eux qui savait la langue du pays^ fût continuellement en course de côté et ( 205 ) d'autre , ils n'avaient même pas assez de tems pour baptiser. En conséquence, on demanda des jésuites; et quand ils arrivèrent , au commencement du dix septième siècle ,1e juge ecclésiastique les distribua de la manière suivante. 11 en plaça deux pour les treize grandes peuplades indiennes de la province de Guayra , qui n'a- vaient point de curés j et il en envoya un pour remplir cette fonction séparément chez les indiens de San-Ygnacio-Guazu. Cette disette d'ecclésiastiques fut également cause que l'on chargea deux jésuites d'instruire les trois peuplades indiennes qu'il y avait dans la pro- vince d'Ytaty. Je parlerai , dans le chapitre suivant , des jésuites et de leurs fameuses peuplades; mais je ne puis m'empêcher d'observer ici , que l'é- poque de leur arrivée fut aussi celle de la décadence de l'Empire espagnol , et de la cessation totale de la réduction des indiens par les conquérans de l'Amérique. Fbj/e^z à la fin de ce chapitre, le tableau des peu- plades indiennes fondées par les espagnols laïques, par les moyens indiqués précédem- ment. En jetant les yeux sur la colonne qui marque l'année de la fondation , on remar- ( soG ) <|uera que Ja réduction ou l'assujélissement des sauvages , faisait au commencement des progrès rapides et admirables , et que ces progrès cessèrent subitement à l'e'poque de l'arrivée des jésuites. En lisant l'histoire , on voit également que, depuis cette même épo- que, on n'a plus établi de colonies espagnoles; que l'on a abandonné quelques-unes des an- ciennes 5 que depuis ce tems , la conquête n'a pas fait un pas , et que la puissance espagnole a déchu chaque jour de plus en plus. Je ne m'occuperai pas ici à examiner si ce sont les jésuites ou la mauvaise administration qui ont causé de si grands malheurs , ou si ces deux causes se sont réunies pour produire tous les effets dont je viens de parler. Je suivrai mon objet , sans m'arrêter. La cour ordonna à don Francisco Alfaro , auditeur de l'audience de Charcas , de passer au Paraguay en qualité de visiteur. La pre- mière mesure qu'il prit, en i6i2,fut d'or- donner que personne à l'avenir ne pût aller à la chasse des indiens pour les réduire , et que l'on ne donnât plus de commanderies de la manière que nous avons expliquée pré- cédemment. Je ne conçois pas sur quoi pouvait êlre fondée une mesure aussi politiquement ( 20? ) absurde ; maïs comme cet auditeur favorisait les idées des jésuites , on soupçonna , dans le tems^ qu'ils lui avaient dicté sa conduite. De- puis cette époque , rien n'excita plus les par- ticuliers espagnols à prendre la peine d'aller, en courant de grands risques , chercher des indiens sauvages, pour jouir de leurs travaux pendant deux générations, à litre de com- mandeurs. Comme il n'y avait alors dans le pays ni troupes soldées ni argent, les gou- verneurs n'eurent plus aucun moyen d'aug- menter les conquêtes, ni de réduire les indiens; et toutes les opérations cessèrent subitement. Les portugais , nos voisins , qui ne se con- tentaient pas de donner en commanderie aux particuliers , les indiens qu'ils prenaient , mais qui leur permettaient même de les vendre comme esclaves a perpétuité, cher- chèrent les sauvages par - tout , et jusque dans les plus petits recoins du pays. Ils s'emparèrent même , en l'usurpant sur nous , de la plus grande partie du territoire qu'ils possèdent , ils augmentèrent leur population , et découvrirent leurs mines. Après avoir donc extirpé dans sa racine la méthode unique qu'avaient suivie les laïques pour réduire les indiens, sans qu'il en coûtât ( 208 ) rien au gouvernement , et à laquelle on avait dû des progrès si rapides et si sûrs, comme cela est prouvé par ma table , on lui subs- titua une méthode ecclésiastique , dont jevais parler, que Ton a suivie depuis ce tems , et que l'on suit encore aujourd'hui , quoiqu'elle soit très-coûteuse et absolument inutile 5 car je ne trouve pas une seule peuplade d'in- diens formée en suivant cette méthode ecclé- siastique , quoiqu'on ait fait pour cela une quantité innombrable de tentatives , que je ne marque pourtant pas sur ma table , pour ne pas la surcharger de détails inutiles. On m'ob- jectera peut-être que l'on trouve sur cette table des peuplades indiennes existantes au- jourd'hui , fet fondées postérieurement aux ordres d'Alfaro , c'est-à-dire depuis 1612, et qui doivent par conséquent leur origine à des ecclésiastiques , depuis l'arrivée des jésuites. Mais il faut savoir que la peuplade d'Arecayâ a été formée par un gouverneur, que les in- diens avaient voulu tuer; ce qui Payant piqué, il s'en rendit maître et les expatria en les livrant à des particuliers espagnols, et ensuite il A>^s incorpora à la peuplade de Los Altos , qui était très-ancienne. Il faut savoir égale- ment que la peuplade de Santo - Domingo- ( 209 ) Sonano fut formée volontairement par la peur que les indiens clianas avaient des char- rùas , comme nous l'avons vu Chapitre X • que les indiens de celle d'Ytapé mouraient de faim , et que les femmes formant plus des deux tiers de leur population, les forcèrent à de- mander aux espagnols de quoi subsister 5 et que ceux-ci s'assurèrent de ces indiens en les distribuant dans d'autres peuplades, jusqu'à ce qu'ils fussent bien civilises. Quant à la peu- plade de Los Guitmos , elle s'est formée d'in- diens que l'on emmena deSantiago-delEstero, pour les placer auprès de Buenos- Ayres. De sorte qu'aucune de ces peuplades ne doit sa formation à la méthode ecclésiastique , mais uniquement aux laïques et au hasard. Les autres peuplades indiquées sur la table , et qui ont été fondées par celte méthode ecclé- siastique, ne renferment pas un seul indien civilisé ou chrétien , et se réduisent à ce que je vais dire. Dans tous les tems , depuis l'abolition de l'ancienne méthode, il y a eu des ecclésias- tiques qui ont tâché de réduire des indiens sauvages, soit par un vrai zèle, soit par le désir de l'avancement , soit pour être plus libres par l'éloignement d'un supérieur d'un II. a, 14 ( 210 ) parti contraire au leur, soit a cause des hono- raires qu'on leur accordait. Us ont toujours trouvé les chefs temporels favorablement dis- posés, parce qu'ils leur offraient une belle occasion de se faire valoir à la cour, et parce qu'ils savaient que s'ils ne le faisaient pas , ils rendraient leur religion suspecte. A Madrid, on n'a jamais manqué d'approuver les projets de ce genre , non plus que d'accorder les fonds que l'on a demandés comme néces- saires : on permettait avec la plus grande fa- cilité de prendre ces fonds sur le trésor des bulles, ou sur d'autres biens ecclésiastiques , que l'on ne considérait pas comme apparte- nant au trésor royal. Tout étant préparé, on envoyait quelque présent peu considérable aux indiens sau- vages, en leur disant que s'ils voulaient se fixer dans un endroit à leur choix , on leur enverrait un ecclésiastique ou deux , pour vivre avec eux, et qui leur fourniraient des vivres, du fer, etc. Jamais les indiens n'ont manqué d'accepter une proposition qui leur assurait de quoi vivre sans travailler, et qui favorisait tant leur paresse. En conséquence , on fixait le traitement ou honoraire des curés, et ils se rendaient sur les lieux avec les ou- ( ^11 ) vricrs elles outils nécessaires pour leur cons- truire une chapelle et des habitations. Cela fait, elles ouvriers retirés' ils restaient seuls, sans avoir autre chose à faire qu'à distribuer la ration aux indiens. Ils ne s'entendent pas les uns les autres, et tout le monde ne fait autre chose que manger et dormir. Si quel- ques indiens se lassent de ce genre de vie , ils s'en vont et reviennent quand bon leur semble • et voilà ce que Ton appelle une peuplade ou réduction.'^xiÇm tout s'évanouit, quand les fonds assignés sont épuisés^ mais on n'avertit jamais la cour du peu de succès de l'entreprise , pour ne pas la fâcher et la dégoûter à jamais de semblables projets. J'ai vu beaucoup de peuplades ou réduc- tions commencées et terminées de cette ma- nière; et je sais, à n'en pouvoir douter, qu'on en a formé une quantité innombrable d'autres, parce qu'à peine y a-t-il un chef qui n£ fasse quelque entreprise de ce genre; et, ce qu'il y a de sûr, c'est que je ne connais pas une seule peuplade indienne existante aujourd'hui , qui ait été fondée de cette manière. L'expérience non interrompue de deux siècles paraît devoir suffire, pour prouver l'inutilité de la méthode ecclésiastique , en même tems que ma table ( 212 ) montre refiîcacilé infaillible de la méthode laïque , que l'on doit préférer tant qu'on le pourra , puisqu'elle est unique , en y em-^ ployant ces mômes fonds que l'on perd inuti- lement par le système contraire que l'on suit , en trompant la cour. Les ecclésiastiques , qui ne peuvent pas se dissimuler l'inutilité de leurs propres efforts , ont toujours tâché et lâchent encore de se mettre à couvert, en attribuant leur peu de succès à l'insuffisance des fonds, ou à la méchanceté des gouver- neurs, ou à celle des espagnols, eic Qu'on n'allègue pas contre ce que je viens de dire les peuplades jésuitiques, dont je ne parle pas ici , parce que nous verrons dans le Chapitre suivant, que la force eut plus de part à leur formation , que les moyens ecclésiastiques. Mais, indépendamment même d'une expé- rience aussi longue et aussi coûteuse, on sera convaincu de l'insuffisance des moyens ecclé- siastiques , si Ton pense à l'impossibilité où se trouve un prêtre ou un moine de parler le langage de ces indiens, à l'exception du gua- rany, que l'on parle au Paraguay. Quand bien même on sérail venu à bout de faire dispa- raître un inconvénient aussi grave, il est impossible de rédiger un catéchisme dans des (^i3 ) langues aussi pauvres, et qui manquent de mots pour exprimer les idées a}3sf raites , et même pour compter au-delà de trois ou de quatre. Cette difficulté est telle que, quoique ridiome guarany soit le plus facile et le plus abondant de tous les langages indiens, et qu'il soit presque le seul que parlent les espagnols du Paraguay, je n'ai cependant rencontré que quatre ecclésiastiques qui osassent prêcher et faire leurs instructions en guaranj; et ils avouaient eux-mêmes, que c'était une cliose presque impossible, même en adoptant beau- coup de termes espagnols. Les jésuites qui sont, sans contredit, ceux de tous les .ecclé- siastiques qui se sont le plus appliqués à ap- prendre les langues des indiens , n'ont jamais pu former une grammaire, un dictionnaire, ni un catéchisme des langues toba, pilîlaga ,< abipona, mocobj, pampa, etc., pendant vingt ans ou plus que leurs missionnaires ont passé parmi ces peuplades. Ils n'ont pas mieux réussi à l'égard de la langue payaguà, quoi- qu'ils aient vécu , pendant le même tems aa moins , avec les indiens qui la parlaient dans la même ville , et que ces sauvages habitassent à la porte de leur collège de l'Assomption. Le catéchisme guarany est le seul connu dans 1© ( 2i4 ) pays que je décris. Que Ton recbercîie tous ceux qui exislenl dans la partie de l'Amé- rique qui nous appartient , peut-être n'en trouvera-t-on pas plus de cinq , quoiqu'il y ait peut-être plus de mille langues différentes ^ €t que les jésuites et d'autres ecclésiastiques aient tâché de prêcher le christianisme , et de former des peuplades parmi tous les sauvages qui parlent ces langues. Peut-être même , pour compter cinq catéchismes, faudrait -il com- prendre dans ce nombre le guarany, le gué- choa, Taîmarâ et le mexicain, langues qui sont toutes adoptées par les espagnols , indé- pendamment des travaux des ecclésiastiques. On pourra m'objectcr que le Gouvernement envoie continuellement une multitude de re- ligieux d'Espagne en Amérique, et qu'ils ont fondé une infinité de peuplades d'indiens sau- nages dans différentes provinces; mais je ne parle ici que de ce que j'ai vu dans le pays que je décris, sans m'étendre davantage. Ce- pendant quelques-uns même de ces religieux missionnaires , qui avaient passé plusieurs années dans les peuplades dont nous parlons ici, m'ont dit franchement « qu'ils ignoraient « tous la langue des indiens; qu'ils n'avaient « même pas de catéchisme écrit dans ces lan- C 2,5 ) « gues , et que ces peuplades se réduisaient « à ce que j'ai dit plus haut. )> Cet auditeur Alfaro, dont j'ai déjà parlé ^ ordonna aussi qu'aucun indien ne serait tenu à aucun service envers son commandeur , et qu'il ne serait obligé qu'à lui payer un léger tribut annuel en fruits du pays ; mais il ordonna en même tems que ceux qui posséderaient des commanderies de yanaconas ou d'indiens qui n'appartiendraient à aucun peuple, donnassent à ces indiens des terres à cultiver pour leur compte et à leur volonté. Cette mesure privait les ecclésiastiques, ainsi que les autres espa- gnols , de tous leurs domestiques , et ils s'en plaignirent à l'auditeur. Celui-ci prit un parti bien extraordinaire ; ce fut de laisser les com- manderies dans l'état oii elles étaient , et de dire le contraire à la cour dans le compte qu'il lui rendit, oii il assurait qu'il avait supprimé le service personnel, et pris des mesures pom- abolir les commanderies. Ainsi tout le monde fut content- la cour approuva tout, et même réduisit en lois les ordonnances d'Alfaro, et Ton agit au Paraguay comme si ces lois n'e'us. sent pas existé y mais le décret dont j'ai parlé précédemment resta en pleine vigueur. Ainsi tout demeura sur le même pied, jusqu'à c© (2l6) qu'à une époque Irès-rapprocliée de nos jours, il y a à-pcu-pr('s ^5 ans , Je conseil des Indes apprit qu'il existait au Paraguay des comman- deries, et que ces établissemens obligeaient les indiens à une servitude personnelle : il or- donna que cette coutume fût abolie, comme elle l'avait été auparavant dans tout le reste de l'Amérique. Les habitans du Paraguay firent des représentations, et la chose est restée in- décise. Tout ce que je viens de dire concerne les difFérens moyens employés pour réduire les indiens dans le pays que je décris j et il a fallu le dire, parce que je crois qu'on l'ignore , et parce que cet exposé peut fournir des idées pour se conduire dans des cas semblables. Je vais à présent dire quelque chose du sort des indiens soumis. Les yanaconas étaient et sont encore une espèce d'esclaves, dont le sort par conséquent n'a pu varier; et ainsi leur civili- sation et leur état les mettent dans la classe des esclaves nés dans le pays. Les indiens mytayos ou appartenant aux peuplades, après avoir fini les deux mois de travail qu'ils doivent au commandeur, étaient autrefois aussi libres que les espagnols , et \h pouvaient commercer , acquérir et posséder k ( ^^7 ) Jeiir gré. Tel fut leur état pendant un siècle, jusqu'à ce que les jésuites ajant établi la forme de communauté parmi les indiens qu'ils gouvernaient ( j'en parlerai au Chapitre sui- vant ) , les chefs laïques les imitèrent dans les peuplades qui dépendaient d'eux, parce que cette manière d'administrer les rendaient maî- tres absolus de tout le travail des indiens, sans exception d'âge ni de sexe. Il n'y a eu que les peuplades del Baradéro, de Quilmos, de Cal- chaguy et de Santo Domingo Soriano, qui aient eu le bonheur de ne pas connaître cette manière de vivre en communauté, et qui ^ jouissant de leur ancienne liberté , sont par- venus à être aussi civilisés que les espagnols. Ces indiens ont oublié leurs langues et leurs coutumes; ils se sont alliés aux espagnols, et passent presque tous pour tels. C'est ce qu'on ne trouvera dans aucune des peuplades dont les indiens vivent en communauté. Les chefs laïques ne se sont pas contentés de copier les jésuites dans l'établissement du gouvernement eu communauté , dans leurs peuplades d'indiens; ils les ont imités égale- ment dans les soins qu'ils ont pris d'empêcher les indiens d'avoir aucune communication avec les espagnols. Us ont également l'atteu- lion de tenir caché tout ce qu'ils font dans leurs peuplades, et même leur existence^ qui sans doute doit ctre ignorée en Espagne , puisqu'elle le serait encore à Buenos- Ayrcs, si je ne l'y eusse fait connaître. Quand les jésuites donnèrent à leurs indiens de petites fermes pour les cultiver en particulier , les gouverneurs laïques les imitèrent également dans leurs peuplades; et lorsqu'après Texpul- sion des jésuites , on dressa un règlement pour les indiens qu'ils dirigeaient, on le copia aussi pour les peuplades dont je parle ici. Ce règlement dit en substance, que l'on accorde aux indiens deux jours pour cultiver libre- ment leurs fermes particulières et pour jouir de leur produit; que, les autres jours de la semaine, ils doivent travailler pour la com- munauté , qui est tenue de les nourrir alors; que chaque indienne est obligée de filer par jour une once de coton brut, et qu'on leur fournira leurs habillemens tous les ans , c'est- à-dire, six vares de toile fabriquée dans l'en- droit même , pour les hommes faits , et cin5 1555 1555 1555 T555 1555 1555 1555 1555 1573 1579 1579 i58o i58o i58o 1588 1588 i588 j588 1592 1592 i5y2 1607 1610 1632 i65o 1673 1677 1743 1748 1749 1765 1770 1-705 lucorp. à celle des yoi« en 167+. Dt^ftuites pat Ie« portuguis e^ï 1676. ^3 d 24 d 23 20 33 27 27 27 28 22 d 22 d 22 26 27 d 24 ^l 33 25 34 30 29 31 29 28 20 13 30 4 o o 25 46 o o 35 46 o 27 31 17 o 59 30 A O 14 30 II 18 22 23 56 52 o 38 9 28 4? Détruites pat les portugais i63i. en 59 1 59 d 57 57 62 60 60 60 61 60 d 60 l 59 58 58 1 58 60 58 60 61 61 62 62 61 i5 I 4T 6 59 55 3T i8 13 o 30 49 39 37 38 00 36 27 43 39 37 II oq jLes Incliens se sont espagnolùés i et dispersés. 25 I Détruite par les portugais en iCj^. Q I Détruite par les portugais eu 1675, fDétruitesparlesportugais en i635. Détruite paï les payaguas eu 1748. } Réunies , et ont pris le nom de SaiitaMaria de i'é. Les jésuites l'appellent Santia2('» facorp. à celle des alfps en 1675. Nota. La lettre ^/indic^ue petit doute sur l'endjoit où eJle se trQUVÇ. J^es peuplades qui ne pQïteot point h note dfë destruction, ejtisteHt encore. ( 233 ) CHAPITRE XIII. Des moyens cîont se servirent les Je'suites pour re'duire et assujetir les Indiens , et de la manière dont ils e'taient gouverne's. Les jésuites enlrèrent dans le Paraguay àlrï fin du 16.® siècle , lorsqu'on y trouvait si peu d'ecclésiastiques que les peuplades indiennes en avaient bien rarement, et que les villes espagnoles même en manquaient , comme nous l'avons vu au Chapitre précédent» Ils ne devaient point par conséquent manquer d'occasions d'exercer leur zèle apostolique ; mais celles oii il se distinguèrent le plus , fut la réduction des indiens sauvages, dont ils for- mèrent une multitude de peuplades qui exis- tent encore, et que l'on peut voir dans la table placée a la fin de ce Chapitre; mais comme elle ne comprend que les peuplades fondées par les jésuites , on n'y voit pas celles de Loreto , de San Ygnacio-Miri, de Santa Maria-de-Fé et de Santiago , parce qu'elles avaient été établies par les conqué- rans laïques, avant l'arrivée des jésuites 5 ce ( 224) qui me les a fait placer dang Ja table précé- dente. Il est vrai que les jésuites croient en être les fondateurs, mais ils se trompent; car îl est démontré , par des pièces déposées aux archives de l'Assomption, que ces peuplades sont les mêmes que celles qu'on leur remit toutes formées , comme je Pai dit au Cha- pitre X. Seulement les jésuites les firent émi- grer jusqu'à la rivière du Paranâ , les instrui- sirent et les gouvernèrent comme celles qu'ils formèrent depuis leur entrée dans le Paraguay jusqu'à leur sortie. Ainsi, quoique je ne consi- dère pas ces peuplades comme jésuitiques dans leur origine , je les regarderai comme telles , toutes les fois qu'il s'agira de leur gou- vernement et de leur civilisation. On compte dans cette table vingt-neuf peu- plades d'origine jésuitique. Les vingt-six pre- mières forment la fameuse province des missions tapes ou guaranys , et elles sont situées sur les rives des deux grands fleuves du Pai^anâ et de l'Uruguay. Les trois dernières se trouvent vers la partie du nord du Para- guay , à une grande distance des premières. Je n'ai vu aucun manuscrit ancien qui parle de la manière employée par les jésuites pour venir à bout de réduire et d'assujétir les ( 225 ) vingt-sîx peuplades comprises dans ces mis- sions. Ce que les jésuites eux-mêmes écrivent dit en substance : Qu'ils commencèrent par former la peuplade de San Ygnacio-Guazù , en 1609, ^ l'aide d'un grand nombre d'in- diens choisis , qu'ils emmenèrent de la peu- plade très-ancienne de Yaguaron , et de plu- sieurs détachemens de troupes espagnoles , qui forcèrent les indiens sauvages à se fixer pour former une peuplade : que , dans les vingt-cinq années suivantes , ils formèrent dix-huit autres peuplades, et qu'il se passa ensuite 5i ans jusqu'à la fondation de celle de Jésus , qu'ils ne formulèrent même qu'avec un renfort d'indiens tirés de la peuplade d'Yatapùa, qui avait déjà 71 ans d'ancien- neté. Pour ce qui concerne les six autres colonies de la même province , elles ne fu- rent point formées d'indiens sauvages , mais de détachemens de colons pris dans des peu- plades déjà réduites ou assujéties. Les jésuites disent que, pour réduire ces indiens , leur conduite se borna à la persua- sion et à la prédication apostolique. Cepen- dant j'observe deux choses ; la première, c'est qu'ils formèrent leurs dix-neuf premières peu- plades dans le court espace de 25 ans , et que IL a. i5 ( 226 ) Je fruît de leur zèle et de leurs prédications cessa tout-à-coup , et qu'ils n'obtinrent aucun succès pendant 1 1 2 ans , c'est-à-dire depuis l'année i654, époque de la fondation de la peuplade de Saint-Côme, jusqu'en 1746, qu'ils soumirent celle de Saint-Joachim ; et , dans ce long intervalle de lems , ils ne formèrent d'autre peuplade que celle de Jésus, et moins encore par leurs prédications que par le se- cours des indiens d'Ytapùa , peuplade qui avait déjà 71 ans d'ancienneté. La seconde observation , c'est que ces vingt-cinq années , si fécondes en fondations de peuplades , tom- bèrent précisément dans le lems 011 les portu- gais persécutaient de tous côtés et avec fureur les indiens pour les vendre comme esclaves , et oii les indiens épouvantés coururent se ré- fugier entre les rivières du Paranâ et de l'Uru- guay , et dans les bois des environs , oii il n'était pas facile à ces corsaires acharnés de pénétrer; et en effet, cela n'eut pas lieu. En combinant à présent ces deux observa- tions , on a quelque raison de , croire que ces fameuses peuplades jésuitiques durent leur formation plutôt à la crainte que les portu- gais inspiraient aux indiens , qu'au talent per- suasif des jésuites. En effet, il était naturel ( 227 ) que ces religieux dussent assujélir et diriger ces indiens avec la facilité que ne manque jamais d'offrir un peuple expatrié et possédé d'une terreur panique. La rapidité de la fon- dation des 19 premières colonies, qui ne fut suivie d'aucune autre , quoiqu'on doive sup- poser que le zèle de ces missionnaires était le même , et qu'ils ne manquaient pas d'indiens sauvages , indique qu'il dût intervenir une autre cause dans la formation des peuplades du Paranâ et de l'Uruguay. Celle qui me paraît la plus naturelle , est la terreur qu'a- vaient inspirée les portugais , puisque ce fut également la crainte des espagnols qui déter- mina l'établissement de toutes les peuplades dont j'ai parlé dans le Chapitre précédent. Cette idée est encore confirmée en quelque sorte par la nature des moyens que les jésuites employèrent pour soumettre les trois der- nières peuplades marquées sur la table. Ils regardèrent comme inutiles et méprisèrent entièrement les voies de persuasion , et ils eurent recours aux moyens temporels. Mais ils les manièrent avec tant de modération , de prudence et d'habileté , qu'ils me paraissent dignes des plus grands éloges. Il est vrai qu'ils cachèrent avec beaucoup de soin leur ( 228 3 conduite à cet égard : ce qui était naturel , puisqu'en qualité d'ecclésiastiques , ils vou- laient passer pour tels dans toutes leurs ac- tions. Mais j'ai eu occasion d'être instruit de cette conduite , et je vais dire de quelle manière. Sachant qu'il y avait dans le Tarunia des guaranys sauvages , ils leur envoyèrent quel- ques petits présens, qui leur furent remis par deux indiens parlant le même langage , et qu'ils avaient choisis dans leurs peuplades d'ancienne formation. Ils répétèrent à di- verses reprises ces ambassades et ces présens , qu'ils disaient leur être envoyés par un jésuite qui les aimait tendrement , qui désirait aller vivre parmi eux , et leur procurer d'autres objets plus précieux, et entr'aulres beaucoup de vaches , afin qu'ils eussent de quoi manger sans se fafiguer. Les indiens acceptèrent ces offres, et le jésuite partit avec ce qu'il avait promis , et accompagné d'un nombre assez considérable d'indiens choisis dans leurs an- ciennes peuplades. Ces indiens restèrent avec le jésuite , parce qu'on en avait besoin pour bâtir la maison du curé , et pour soigner les vaches , qui furent bientôt détruites , parce que les indiens ne pensaient qu'à manger. Ces ( 22g ) saiivagefî demandèrent d'autres vaches ; et il leur en fut amené par d'autres indiens choisis comme les premiers ; et tous restèrent sur les lieux, sous prétexte de bâtir l'église et d'au- tres édifices , et de cultiver le maïs , le ma- nioc , etc. , pour le jésuite et pour tous les autres. La nourriture , l'affabilité du curé , la bonne conduite des indiens qui avaient amené les vaches, les fêtes et la musique , et l'éloi- gnement de toute apparence de sujétion , attirèrent dans cette peuplade tous les in- diens sauvages des environs. Quand le curé vit que ses indiens choisis étaient beaucoup plus nombreux que les sauvages , il les fît cerner, à un jour déterminé, par ses gens, et leur fit entendre en peu de mots et avee douceur , qu'il n'était pas juste que leurs frères travaillassent pour eux ; qu'ainsi il fallait que les hommes cultivassent la terre et apprissent des métiers , et que les femmes filassent. Quel- (|ues-uns parurent mécontens; mais comme ils virent la supériorité des indiens du curé , et que celui-ci sut à propos caresser les uns, punir les autres avec la plus grande modé- ration , et les surveiller tous pendant quelque tems , la peuplade de San- Joachin se trouva entièrement formée. Le jésuite fit encore plus , ( 230 ) puisqu'il en lira tous les indiens sauvnges , et les dispersa dans les peuplades jésuitiques du Paranà. Ils s'en échappèrent et retournèrent dans leur pays, tout éloigné qu'il fût; mais on les y soumit une seconde fois , de la même manière que Ton employa également ensuite pour former la colonie de Saint-Stanislas. J'ai vu dans ces deux peuplades des centaines d'in- diens du nombre de ceux qui avaient amené les vaches , et qui m'ont raconté ce que je viens de rapporter , et aujourd'hui même ils sont plus nombreux dans la p* uplade que les sauvages mêmes. Je m'en rapporte plutôt à ces indiens , qu'au jésuite Josef Mas , qui dit dans un manuscrit qu'il a laissé dans le pays , qu'on n'avait emploj^é que douze indiens pour conduire les vaches. L'idée des jésuites dans la fondation de leurs colonies de Saint- Joachim et de Saint-Stanislas, était d'établir une communication entre leurs missions du Paranâ et de l'Uruguay , et celles qu'ils avaient dans la province des Chiquitos. C'est dans cette vue qu'ils essayèrent d'établir la peuplade de Belen sous le tropique. Après les préliminaires d'ambassades et de présens, le premier jésuite partit avec un certain nom- bre de guaranys choisis dans leurs ancienne* (23i ) colonies , et emmenant avec lui une assez grande quantité de vaches. Mais il n'obtint pas le résultat qu'il désirait , parce que ces indiens sauvages que Ton voulait soumettre étaient les mbayas du Chapitre X , qu'il était impossible de dompter avec tous les guaranys du monde. Le jésuite chargé de la fondation de la colonie , saisit cette diîTiculté , et pensa aux moyens de se défaire des principaux mbayas , . croyant qu'il pourrait ensuite subjuguer faci- lement le reste. D'après celte idée , il fît ac- croire aux mbayas que les indiens subjugués de la province de Chiquitos voulaient faire la paix avec eux , et leur rendre quelques pri- sonniers , qu'ils leur avaient fait quand ils les avaient surpris vers le 20.^ deg. de laiitude, a l'ouest de la rivière du Paraguay. Le jésuite vint à bout par son habileté de faire venir avec lui chez les chiquitos tous les mbayas dont il voulait se défaire. Lorsqu'ils furent arrivés aux premiers postes de troupeaux de la peuplade del Santo Corazon , qui depuis a changé de place , on les reçut magnifique- ment, et on les conduisit à la peuplade même au son des instrumens. On y célébra leur ar- rivée par des concerts , des danses et des louruois , etc j mais après les avoir fait cou- C 2Z1 ) cher séparément et d'une manière adroite , au son d'une cloche que l'on fît entendre à minuit , tous les mbayas furent liés, et retenus prisonniers jusqu'à l'expulsion des jésuiteSo Alors les nouveaux administrateurs les mi- rent en liberté , et ils s'en retournèrent dans leur pays , où ils vivent libres , et racontent tout ce qui leur est arrivé. Mais ce moyen même ne produisit rien relativement à l'as- sujétissement des mbayas. La peuplade de Belen subsista , réduite , comme auparavant , aux seuls guaranys qu'on y avait amenés des anciennes peuplades. Comme je dois parler à présent du gouvernement établi par les jésuites dans leurs peuplades indiennes , je comprends dans mes observations , non-seu- îement les vingt-neuf colonies que l'on trouve dans la table qui termine ce Chapitre , mais encore les quatre autres qui ne furent pas fondées par ces religieux , mais qu'ils ins- truisirent et dirigèrent. Quant aux trente- trois colonies qui dépendaient d'eux , ils les gouvernaient de la manière suivante. Ils placèrent , dans chaque peuplade, deux jésuites. Celui que l'on appelait curé avait été provincial ou recteur dans leurs collèges, ou était au moins un père grave ^ mais il n'exer- ( 2^5 ) çaît aucunes fonctions curiales , et souvent même il ne savait pas parler le langage de ces indiens, el il s'occupait uniquement de l'administration temporelle de tous les biens de la peuplade, dont il était le directeur ab- solu. La partie spirituelle était confiée à l'autre jésuite, que l'on appelait compaonon ou vice- curé y el qui élait subordonné au premier. Les jésuites de toutes les peuplades étaient surveillés par un autre nommé supérieur des Glissions y et qui avait en outre pouvoir du pape pour confirmer. Il n'y avait pour diriger ces peuplades ni lois civiles, ni lois criminelles; l'unique règle élait la volonté des jésuites. En effet , quoi- qu'il y eût dans chaque peuplade un indien pour corrégidor , et des alcades et des régidors , ( officiers municipaux) qui formaient un corps de ville , comme dans les colonies espagnoles , aucun d'eux n'exerçait aucune espèce de juri- diction , et ils n'étaient que les instrumens qui servaient aux curés pour faire exécuter leurs volontés , même pour la partie criminelle j^ puisque jamais ils ne citèrent les accusés aux tribunaux du roi , ni pardevant les juges or- dinaires. Us obligeaient les indiens de tout dge et ( 254 ) de tout sexe a travailler pour la communauté de la peuplade , sans permettre à personne de s'occuper en particulier. Tous devaient obéir aux ordres du curé , qui faisait emmagasiner le produit du travail , et qui était chargé de nourrir et d'habiller tout le monde. On voit bien que les jésuites étaient les maîtres absolus de tout , qu'ils pouvaient disposer de l'excédant des biens de la communauté en- tière , et que tous les indiens étant égaux , sans aucune distinction et sans pouvoir pos- séder aucune propriété particulière , aucun motif d'émulation ne pouvait les porter à exercer leurs talens, ni leur raison; puisque le plus habile , le plus vertueux et le plus actif n'était ni mieux nourri , ni mieux vêtu que les autres , et qu'il n'avait pas d'autres jouissances. Les jésuites vinrent à bout de persuader au monde , que cette espèce de gouvernement était la seule convenable, et qu'elle faisait le bonheur de ces indiens, qui, semblables à des enfans , étaient incapables de se conduire eux-mêmes. Ils ajoutaient, qu'ils les dirigeaient comme un père conduit sa famille y qu'ils recueillaient et gardaient dans leurs magasins les produits de la récolle ^ non pour leur utilité particulière , mais paur ( 255 ) en faire à propos la distribution à leurs enfans adoptifs , qui étaient absolument incapables de prévoyance , et qui ne savaient rien con- server pour la nourriture de leurs familles. Cette manière de gouverner a paru en Eu- rope digne de si grands éloges , que Ton en vint presque à envier le sort heureux de ces indiens : mais on ne fit peut-être pas une réfle- xion; c'est que ces indiens , dans l'état sauvage, savaient nourrir leurs familles , et que ceux de ces mêmes indiens que l'on avait assujétis dans le Paraguay, vivaient , un siècle aupara- vant , dans l'état de liberté , sans connaître cette communauté de biens , sans avoir besoin d'être dirigés par personne , ni qu'on les excitât ou qu'on les forçât au travail , et sans garde magasin ni distributeur de leurs récoltes, comme nous l'avons vu au Chapitre précédent; et cela encore , quoiqu'ils eussent à supporter îa charge des commanderies, qui leur enle- vaient la sixième partie de leur travail an- nuel. Il paraît donc évident qu'ils n'étaient pas aussi enfans, et qu'ils n'avaient pas autant d'in- capacité qu'on veut le supposer; mais , quand bien même cela eût été vrai, puisque l'espace de plus d'un siècle et demi n'avait pas suiïi pour corriger ces défauts dans les incjiens , il ( 2Z6 ) semble qu'on doive conclure de deux choses l'une ; ou que radministration des jésuites était contraire à la civilisation des indiens , ou que ces peuples sont essentiellement inca- pables de sortir de cet état d'enfance. Les quatre peuplades de Loreto , de San- Ignacio-Miri, de Santa -Maria- de -Fé et de Santiago , étaient formées en commanderie , quand les jésuites se chargèrent de leur di- rection : c'était aussi l'état de celles de San- Ignacio-Guazii, d'Ytapuâ et del Corpus; et comme ces commanderies contrariaient les idées des jésuites, parce qu'elles jouissaient du travail de la sixième partie des indiens, et qu'en outre* les gouverneurs allaient toutes les années écouter les plaintes que les indiens pouvaient être dans le cas de faire contre leurs commandeurs et leur^ administrateurs , les jésuites résolurent' de détruire entièrement ces établissemens. Pour cet effet , ils ne se contentèrent pas d'exagérer l'immoralité des commandeurs , mais ils les dépeignirent en- core comme pires que des démons par leur avarice et par leur cruauté, en supposant qu'ils imposaient aux indiens des travaux si insupportables , sur-tout pour la récolte de l'herbe du Paraguay, qu'ils en avaient exteï- ( 237 ) mine des centaines de mille. Par ce moyen, et à l'aide de la faveur dont ils jouissaient à la cour, et parce que les habitans du Paraguay étaient si faibles qu'à peine élevèrent - ils la voix pour détruire des calomnies aussi atroces, ils obtinrent l'abolition des comman- deries. 11 est vrai que celte abolition devait avoir lieu a la mort du second possesseur, puisque c'était une espèce d'esclavage ; mais comme les jésuites ne l'obtinrent et ne la sollicitèrent que pour leurs peuplades, et que les commanderies furent conservées dans les autres dont nous avons parlé au Chapitre précédent, ces religieux se rendirent suspects d'intérêt personnel. Les motifs que les jésuites alléguèrent étaient des calomnies positives. Il y avait , au Paraguay, cette licence, en fait de femmes, dont j'ai parié au Chapitre précédent; mais il n'y eut et ne put jamais y avoir aucun des autres vices imputés par les jésuites. On ne connais- sait ni monnaie , ni mines , ni fabriques , ni édifices grands et coûteux , ni presque aucun commerce , ni aucun genre de luxe- On ne pouvait donc employer les indiens qu'à Tagri- culture nécessaire pour faire subsister une poignée de commandeurs , et à soigner leurs ( 238 ) troupeaux, qui ne montaient pas alors à six mille vaches. Dans ce tems , et même à pré- sent, aucun commandeur ne portait que des chemises de toile du pays , qui est la plus mauvaise du monde; et les seuls objets du dehors qu'on employât , se réduisaient a la quincaillerie, et même en petite quantité, parce que la plupart du tems , ils n'avaient pas de clef à leurs portes. On n'exploitait pas la vingtième partie autant d'herbe du Paraguay qu'aujourd'hui; on ne récoltait que celle dont on avait besoin pour la consommer sur les lieux , et pour transporter à Buenos- A yres. Mais en supposant même qu'alors la consom- mation en fût aussi grande qu'aujourd'hui , dans le pays , à la rivière de la Plata , au Po- tosi , au Chili , à Lima et a Quito , il suffirait de moins de cent cinquante indiens pour l'ex- ploiter. Les écrivains , les savans et les philosophes de toutes les nations semblent s'être donné le mot pour dire tout le mal possible de la con- duite des premiers espagnols envers les in- diens: peut-être en diraient-ils bien davantage de leurs nations respectives, s'ils étaient ins- truits de ce que firent en Amérique les anglais, les hollandais , les portugais , les français, et ( 239 ) même les allemands, que Charles-Qpint,leur compatriote , y envoya, et où ils eurent tous de vastes domaines, et des peuplades innom- brables d'indiens : mais comme toutes ces na- tions ne cherchèrent qu'à satisfaire leur ava- rice , tirant tout le parti qu'ils purent du pays et de ces malheureux habitans,il ne se trouva pas parmi elles un seul auteur qui osât blâmer leur conduite , étant tous intéressés à taire ce qui pouvait les décrier dans le monde entier. Les espagnols s'occupant au contraire sans relâche de civiliser les indiens, et particuliè- rement de les instruire dans la religion catho- lique, durent employer des ecclésiastiques aux dépens considérables de l'Etat, et plus encore à ceux de sa réputation et de sa gloire; parce que quelques - uns de ces ecclésiastiques se prévalant de la liberté que leur donnait leur caractère puissant , respecté et indépendant, dans ces tems reculés , entachèrent la répu- tation de leurs compatriotes , regardant ce moyen comme l'unique qui pût cacher leurs projets ambitieux , comme nous venons de le dire, ou leurs efforts inutiles, comme nous l'avons vu au Chapitre antérieur et suivans. Voilà la vraie cause qui fait qu'aujourd'hui les différens écrivains rencontrent ces décla- ( Ho ) niateurs contre les espagnols seulement : bien peu de personnes savent que l'Espagne a eu de tout tems, et a encore aujourd'hui , un code de lois volumineux dont chaque phrase et même chaque parole respirent une humanité admirable , et la protection la plus entière en faveur des indiens, les égalant en tout, et les préférant même aux espagnols j tandis que je n'ai jamais entendu dire que les autres na- tions aient pensé à écrire une seule lii^ne favo- rable à leurs indiens. Il y aurait bien de la témérité à dire que nos lois étaient bonues , mais nullement exécutées , quand il est de toute notoriété que les espagnols conservent des millions d'indiens civilisés et sauvages; et je puis prouver par les rôles ou cadastres origi- naux de la fondation de chaque peuplade, tirés de leurs archives et comparés avec ceux an jour, que le nombre des indiens originaires a augmenté , quoiqu'une infinité soit devenue espagnole par le mélange des races. Les espa- gnols pourraient donc faire voir à ces pré- tendus philosophes étrangers , les innombra- bles peuplades et nations d'indiens originaires que nous conservons au centre même de nos possessions , et leur dire : Faites - nous voir celles qui restent dans vos colonies . et met- ( 24. ) lons-les en parallèle avec les noires , pour juger si, proportion gardée, vous en avez au- tant que nous. Peut-être toutes ces nations seraient -elles embarrassées pour montrer, dans l'immense étendue de leurs colonies , une seule peuplade d'indiens originaires , et peut-être au plus une douzaine de familles 5 et si elles s'y trouvent , c'est tout récemment et désertées des nôtres : car, après plusieurs siècles de murmures exaspérés, tous cher- chent à nous imiter attirant des habitans , les conservant et les réunissant en bourgades. Quant aux indiens sauvages , il est certain que toutes ces nations en ont encore sur leurs limites, mais aucuns dans le centre de leurs colonies, comme parmi les nôtres , et elles se défont chaque jour des premiers, en suscitant entr'eux des guerres intestines , et le plus communément en les fusillant. Le caractère espagnol n'a point varié, et il est le plus cons- tant et le plus humain possible. Il ne s'est jamais mêlé du vil et dégoûtant trafic des nègres, et si la nécessité Ta forcé à en acheter quelques-uns, il les a toujours traités et les traite comme nous le verrons dans le Chapitre suivant, et jamais avec la cruauté des autres nations : puisque personne ne peut nier la II. a. 16 ( 242 ) douceur, l'humanité et la géncrosîlé espagnole envers les esclaves nègres , comment osera- t-on assurer que ces mêmes espagnols ne sont et n'ont été pour leurs indiens que des tigres et des lions ? Ceux des indiens qui sont mal- heureux, ne doivent pas l'attribuer aux espa^ gnols, mais bien au gouvernement en com- munauté q t'on leur avait donné , et qui, mal- gré qu'il soit le plus absurde , le plus despo- tique, le plus mauvais de tous ceux qu'on puisse choisir, a été Punique dont les philosophes ont fait l'éloge. Les jésuites délivrèrent leurs peuplades des commanderies, mais toutes furent obligées de payer au trésor royal un tribut annuel d'une piastre forte par tête d'indien de dix -huit à cinquante ans , et chaque peuplade devait donner en outre cent piastres à la masse des dixmes, par forme de compensation. Cette charge ne pouvait pas les incommoder, parce que le trésor, devant payer par an six cents piastres au curé, et autant au vice-curé, en faisant le bilan , tout se trouvait égal ; et , s'il y avait quelque excédant , c'était en faveur des jésuites ou des peuplades. Us affectaient généralement d'en faire grâce, quoiqu'ils ne manquassent pas de s'en faire un mérite. En (243) dernière analyse , ces peuplades furent aussi stériles pour le trésor royal , que celles dont j'ai parlé dans le Chapitre précédent, parce qu'elles avaient en outre le privilège de ne payer aucuns droits pour les objets qu'ils allaient vendre hors de leur territoire. Les jésuites , en faisant supprimer dans leurs peuplades , les commanderies et toute espèce de droits royaux , en fai^nt une tran- saction relativement aux dixmes, et jouissant de la faculté d'administrer le sacrement de la confirmation, avaient pour ainsi dire coupé toute relation avec leur souverain , ainsi qu'avec les chefs , les évêques et tous les es- pagnols , puisqu'ils ne permettaient pas aux particuliers de faire le commerce. Cependant ils voulurent encore assurer davantage leur indépendance par des moyens plus positifs , qui rendissent également impossibles les com- munications avec les espagnols, et la désertion, de leurs indiens. Ce fut dans cette vue qu'ils fermèrent les avenues de leurs peuplades , en faisant creuser des fossés profonds, qu'ils gar- nirent de gros pieux ou de fortes palissades , de portes et de verroux , dans les endroits oii on devait nécessairement passer j et ils y pla- cèrent des garde.s et des sentinelles vigilantes , ( 344 ) quî ne laissaient ni entrer ni st)rlîr personne sans un ordre par écrit. Ils marquèrent éga- Jement la juridiction, ou le territoire de cha- que peuplade, non par des bornes ou autres signes de ce genre, mais par de nouveaux fossés , de nouvelles portes et de nouvelles gardes, dans les endroits par oii on était oblige de passer, pour empêcher les indiens d'aller d'une peuplade à l'autre. Ce fut dans la même ■vue qu'ils ne permirent jamais de monter à cheval qu'à un petit nombre d'indiens , dont ils avaient besoin pour porter leurs ordres , et pour soigner leurs troupeaux , ce qui ne demandait pas beaucoup de monde , parce que pour s'exempter d'avoir un grand nombre de bergers , et d'être obligés de marquer au fer chaque bête, ils avaient aussi environné de tranchées ou de fossés tous les pâturages , de manière quils formaient de véritables parcs. Des dispositions aussi sérieuses et aussi positives, les canons d'artillerie qu'ils se pro- curèrent , et les arméniens qu'ils firent pour se défendre , disaient - ils , contre les indiens sauvages , firent soupçonner à quelques per- sonnes qu'il y avait des mines précieuses dans le territoire occupé par les indiens, et d'au- ( 45 ) très pensèrent que les jésuites aspiraient a former un empire indépendant. Ces soupçons augmentèrent, quand on vit qu'ils ne se con- tentaient pas de refuser l'entrée de leurs peu- plades aux particuliers espagnols , mais qu'ils en faisaient autant à quelques gouverneurs, qui , d'après des ordres supérieurs , voulaient rectifier les listes d'indiens nécessaires pour le recouvrement des tributs, et même aux évêques qui voulurent faire la visite de leurs églises. En effet, ils ne pouvaient pas alléguer, à l'égard de ces derniers, la même rais >n qu'à l'égard des particuliers , ni dire qu'ils étaient si pervertis et si méchans , qu'ils corrom- praient l'innocence de leurs néophytes. Comme un refus aussi scandaleux l'aurait encore été davantage , s'il n'avait eu absolu- ment aucune exception , ils laissèrent entrer dans quelques-unes de leurs peuplades quel- ques gouverneurs et quelques évêques qui, leur étant dévoués, firent des rapports qui leur étaient très-favorables, A la vérité, ils n'avaient poio^t de mines, et la faiblesse de l^urs indiens était telle qu'ils étaient incapables de soutenir leur indépen- dance , même contre le petit nombre d'es- pagnols qu'il y avait au Paraguay : mais je ne '( =46 ) sais pas sî les jésuites, sur-tont ceux d'Europe ; connaissaient celle faiblesse aussi bien que moi, parce que le cœur etl'amour-proprenous trompent souvent. Par conséquent c'est en- core un problême que de savoir s'ils vou- laient se rendre indépendans ou non. En effet» quoique toutes leurs mesures tendissent à l'in- dépendance, et qu'on ne puisse guères leur supposer d'atitre objet , la faiblesse de leurs indiens était contradictoire à ce projet. Il est vrai qu'il paraît que les jésuites n'omirent rien pour encourager et instruire leurs troupes ; car toutes les danses qu'ils établi- rent dans leurs peuplades , se réduisaient presque à des leçons d'escrime , à l'épée , comme je l'ai vu, et ils ne laissaient jamais danser les femmes. Peut-être les jésuites d'Europe ignoraient- ils , en grande partie , ce que leurs confrères faisaient en Amérique, Ce qu'il y a de sûi\ c'est que tous n'approuvèrent pas leur con-» duite à l'égard des indiens, non plus que celle qu'ils tinrent dans ces disputes si fameuses entre les espagnols duParaguay et les jésuites du pays, et dont le résultat fut plus d'une fois leur expulsion par les espagnols. En effet, parmi les papiers que les jésuites laissèrent ( 247 ) dans le pays, on trouva une lettre écrite de la main même du père Rabago, qui disait en substance à ses confrères : « Que les plaintes que Ton recevait contr'eux à la cour, étaient en si grand nombre , si graves , et d'un si mauvais genre , qu'il lui était impossible d'en empêcher Teffet , quoiqu'il gouvernât entière- ment le roi , dont il était confesseur. » D'après cela, il leur conseillait de s'arranger, à quel- que prix que ce fut , avec les habitans du Pa^ ragnay, parce qu'il en était déjà las, et qu'il ne pouvait plus leur accorder sa protection. Quoi qu'il en soit, la cour d'Espagne conçut de violens soupçons contre les jésuites, sur- tout en observant qu'ils étaient presque tous anglais , italiens ou allemands , et que le pe- tit nombre d'espagnols de leur ordre , qui étaient dans le pays, n'avait aucune autorité et ne jouait aucun rôle; mais elle n'osa jamais compromettre son autorité en prenant un parti vigoureux et décisif, craignant peut-^ être que ses troupes ne fussent repoussées. Elle se borna donc à des négociations , et à représenter aux jésuites qu'au bout d'un siècle et demi, le tems était venu de donner la liberté aux indiens, afin qu'ils pussent se conduire eux-mêmes , trçiiter et conoimercer (248) avec les espagnols, et qu'il fallait les tirer enfin d'une retraite où ils étaient renfermés comme des lapins dans une garenne. Les jé- suites soutinrent toujours que les espagnols étaient aussi injustes qu'ils Pavaient dit, et que les indiens n'étaient pas en état de se conduire seuls. Mais comme les raisons qu'on leur alléguait était évidentes , et qu'on les exposait avec vigueur; pour se tirer d'affaire, ils oflrirent d'essayer d'accoi^tumer petit a petit leurs indiens a connaître la propriété particu- lière , en donnant à chacun d'eux des terres ou de petites fermes qu'ils cultiveraient à leur gré , pendant deux jours de la semaine, et pour en jouir en propriété. La cour fut sa- tisfaite , parce qu'elle ne connaissait pas l'inu- tilité de la chose. En effet, les indiens étant dans l'impossibilité de vendre à personne leur superflu, ils n'obtenaient rien de plus que ce que leur donnait la communauté. Ainsi cela ne produisit aucun effet ; et en outre, les jésuites serraient dans leurs magasins le produit de ces fei-mes , comme tout le reste , à ce que disent ces indiens eux-mêmes. Il est hors de doute que les jésuites gou- vernèrent arbitrairement ces peuplades, sans être subordonnés à personne , sous quelque (=49) rapport qne ce soit; et qu'ils purent disposer des biens de toutes les communautés, et des travaux de tods les indiens, aussi librement que le font aujourd'hui les chefs qui leur ont succédé, et qu'ils Tont toujours fait dans les peuplades nommées dans le Chapitre précé- dent, qui, pour leur malheur, ont adopié le gouvernement en communauté. Mais les jésuites étaient beaucoup plus modérés, lis amusaient leurs néophytes par une grande quantité de bals, de fêtes et de tournois; et dans toutes ces cérémonies ils faisaient por'er aux acteurs et au corps municipal les habits les plus précieux que l'on inventait en Eu- rope. Ils donnaient chaque année à tous les indiens l'habillement dont j'ai parlé au Cha- piti^e précédent , et leur fournissaient une nour- riture suffisante, et même abondante, lis se contentaient de les faire travailler à-peu- près la moitié de la journée, et le travail même avait un air de fête , parce que quand les ou- vriers partaient pour aller travailler aux champs, ils marchaient toujours en proces- sion avec de la musique , et portant quelque petite statue sur un brancard. On commen- çait par dresser une feuillée pour la placer, et la musique ue discontinuait pas jusqu'au ( 25o ) retour a la peuplade , qui s'exécutait comme le départ. Ils chargèrent exclusivement du travail de l'aiguille les musiciens , les sacristains et les enfans de chœur; parce que les femmes ne faisaient autre chose que filer le coton. Les toiles que fabriquaient les indiens, déduction faite de ce qui était nécessaire pour les habille-^ mens , se vendaient dans les villes espagnoles , cil on les transportait , ainsi que le coton, le tabac , les légumes secs et l'herbe du Para- guay. Le transport se faisait au moyen des harques qui leur appartenaient sur les riviè- res navigables qu'ils avaient à leur portée , et ils rapportaient en retour de la quincail- lerie , et tout ce dont ils avaient besoin. Les curés se tenaient renfermés dans leurs collé-^ ges on dans leurs habitations , sans voir au- cune femme , ni même d'autres indiens que ceux dont ils avaient un besoin indispensable. Leur rigueur en cela était si grande , qu'ils n'entraient jamais , pour quelque motif que ce fût , dans la peuplade , ni dans les cases des indiens ; et si quelques malades avaient be- soin des secours ecclésiastiques , ils le faisaient transporter à une chambre destinée à cet usage près du collège , et c'est là qu'ils se ( 25l ) rendaient en chaise à porteur pour adminis» trer les sacremens. Quand ils se montraient dans le temple , c'était avec toute l'ostenta- tion et tout l'appareil possible, revêtus des orneniens les plus précieux, entourés et servis par de nombreuses troupes de sacristains , d'enfans de chœur et de musiciens. Leurs églises, les plus grandes et les plus magni- fiques de ces contrées , étaient pleines de très-grands autels , de sculptures et de doru- res , et les ornemens ne pouvaient pas être plus précieux; ce qui fait voir que les jé- suites employaient à ces dépenses, au moins une partie des biens des communautés. Leurs maisons étaient ordinaires; mais ils avaient de grands magasins. Pour ce qui regarde les indiens, d'après ce que j'ai observé , et tout ce que j'ai pu vérifier en visitant toutes leurs peuplades , la population se réduisait à bien peu de chose. Aucun n'entendait l'espagnol , et les seuls qui sussent lire et écrire étaient ceux dont on ne pouvait se passer pour tenir les livres de comptes. Ils n'apprenaient aucune science; et quant aux arts, ils fabriquaient des toiles les plus grossières dont ils s'habillaient , et telles que les esclaves et les pauvres en em- ( 252 ) ploient pour leurs chemises. Tel était aussi l'état de leur serrurerie, de leur orfèvrerie , de leur peinture , de leur musique , etc. , arts que leur avaient appris des jésuites envoyés d'Europe à cet effet. Aucun n'avait de chaus- sure j les femmes, sans exception, n'avaient d'autre vêtement qu'une chemise sans man- ches, serrée sur les reins par une ceinture^ et faite de celte toile dont nous venons de parler, et qui laissait tout apercevoir au tra- vers. Elles mettaient leurs cheveux en queue comme les soldats, mais elles défaisaient cette queue pour entrer dans l'église, et ne por- taient rien sur la tête. Tous les hommes avaient les cheveux coupés, et un bonnet de coton , et leur vêtement consistait en une cliemise , des culottes et un poncho de la même toile. Tous les indiens reconnaissant un même cacique, habitaient dans une même galerie ou chambre longue 3 mais ensuite ils firent des séparations de trois en trois toises , et dans chacune dormait une famille, sans avoir ni lits ni meubles. l's étaient baptisés , et savaient les prières et les commandemens de Dieu , parce que toutes les filles et tous les garçons allaient chaque jour les répéter en commua vis-à-vis l'église. Mais, à ce que disent au- ( 253 ) jourd'lmi les curés successeurs des jésuites, îl y avait peu de religion dans le fond. On m'a même assuré que lorsque le moment de faire les pâques est arrivé , un indien appelé mayor^ qui est une espèce d'alguazil, va trouver le curé , et lui demande combien il veut confesser d'indiens le lendemain. Si par exemple , le curé répond quinze , le mayor rassemble le matin les quinze premiers indiens qu'il rencontre, et les mène à l'église. Tandis que l'un d'eux se confesse , les autres attendent à la porte, et lorsqu'il sort, ils lui deman- dent de quoi il s'est confessé, et de quelle humeur est le curé. S'il répond que c'est sur le sixième commandement, et que le curé s'est fâché, ils conviennent tous de s'accuser d'avoir volé une vache ou une poule. C'est ce qu'ils exécutent unanimement, de sorte que le curé ne peut se fâcher que contre le premier. Cependant si on observe les indiens à l'église, on admirera leur gravité et leur décence , mais cela tient à leur caractère sé- rieux, taciturne et paisible. Les jésuites sortirent de leurs peuplades en 1768 , et l'on mit à leur place deux moines dans chacune , pour avoir soin du spirituel , et un administrateur pour la direction du ( 254 ) temporel de la communauté ; de sorte que le gouvernement de ces peuplades ne fit que changer de main. Mais comme les jésuites les regardaient comme leur propriété parti- culière , ils les aimaient, et loin de les détruire , ils tâchaient de les améliorer ; tandis que les chefs et les administrateurs qui ont succédé à ces religieux , regardant ces établissemens comme une chose dont ils ne peuvent disposer que pendant un temps limité , ne pensent qu'à jouir du moment. C'est pour cela qu'ils ne nourrissent ni n'habillent les indiens aussi- bien qu'autrefois, et qu'ils les fatiguent de travail. Le trésor royal ne tire rien , et n'a jamais rien tiré de ces peuplades, et les choses y sont aujourd'hui sur le même pied que dans celles du Paraguay, comme je l'ai dit Cha- pitre précédent. Mais on ne doit pas dissi- muler que depuis la sortie des jésuites quel- ques indiens se sont passablement civilisés, et qu'ils jouissent de -quelque aisance due à leur commerce et à leurs troupeaux. Généra- lement parlant, ils ont fait quelques progrès vers la civilisation; ils s'habillent à l'espagnole, et acquièrent quelques pelites propriétés; mais comme on n'en a plus un soin aussi par- ticulier que les jésuites, la moitié de leurs ( ^55 ) peuplades est déserte, et les indiens se ré- pandent par-tout en liberté , mêlés avec les espagnols. Je placerai ici quelques observations que j^ai faites dans ces peuplades, parce qu'elles peuvent donner quelqu'idée du caractère des guaranjs, de leur état actuel de civilisation, et même du point où ils étaient à cet égard sous le régime des jésuites. Quoique ces in- diens ne soient pas fâchés d'avoir un emploi quelconque ou une apparence de comman- dement, ils l'abandonnent et descendent sans difficulté aux dernières des fonctions , parce qu'ils ne connaissent pas le prix des distinc- tions, ni même l'honneur ni la honte. Les indiennes admettent indifféremment tous les hommes, soit vieux, soit jeunes, nègres, esclaves. Ces indiens regardent la filouterie comme une marque d'habilelé, et ne laissent échapper aucune occasion de ce genre ; mais ils n'emploient jamais la violence, et ne vo- lent jamais des objets considérables, quand bien même ils le pourraient; ils n'appellent pas cela voler ^ mo^is prendre ^ et conduire lorsqu'il s'agit de troupeaux. Il est aisé de les séduire lorsqu'il s'agit de faire du mal; et ils ne doune-nt ordinairement à leurs en- ( 256 ) Fans aucun principe, ni positif, ni négatif. Quand quelqu'admiiiislrateur veut faire fouet- ter d'importance quelque femme ou quelque garçon, il en char^^e ordinairement le mari OU le père , parce que personne ne s'en ac- quitte mieux ; et l'inverse aurait également lieu. En effet un indien ne manque jamais d'exécuter ce qu'on lui ordonne, sans répli- quer, quand bien même il n'entendrait rien à ralïâire. Ils ne sont point jaloux; et il n'y a peut-être pas d'exemple qu'une indienne au-dessus de huit ans ait refusé les proposi- tions qu'on lui faisait. Ces indiens aiment à s'enivrer, et il ne leur en arrive aucun mal. Quand on leur demande s'ils savent faire une chose, quoi que ce soit, ils répondent toujours que non, afin qu'on ne leur ordonne pas de la faire , parce qu'ils obéissent toujours sans réplique à tout ce qu'on leur commande. Quand ils accompa- gnent un voyageur , ils ne disent jamais , arrêtons-nous pour manger. Si on marche devant eux et que l'on se trompe de chemin , ils n'en avertissent jamais; ainsi il faut avoir soin de les faire toujours marcher devant soi et seuls. Ils souffrent avec une patience in- croyable l'intempérie du ciel, la pluie, la (257 ) pîqùre des insectes et la faim 5 mais quand on s'arrête pour manger, ils se dédommagent avec usure du tems perdu. Ils aiment les tour- nois, les jeux de bagues , les fêtes , les cour- ses , et ils se plaisent à faire aller toujours leurs chevaux bride abattue; mais ils soignent peu ces animaux, et les maltraitent beaucoup et sans pitié , soit par les mauvais harnois qu'ils leur mettent , soit par les fatigues exces- sives qu'ils leur font souffrir. Ils élèvent des poules et des cochons , auxquels ils ne don- nent rien que ce qu'ils peuvent trouver dans les champs ; ils élèvent aussi beaucoup de chiens et de chats : ils ne tuent aucun de ceux qui naissent, et les laissent vivre de ce qu'ils peuvent attraper. Ils sont lents , mal-propres, extrêmement patiens dans les douleurs et dans les maladies, et ne se plaignent jamais. Ils ont de la répugnance pour toute espèce de remède, et sur-tout pour les lavemens, aux- quels ils préfèrent la mort. Quand ils se sen- tent très-malades, et qu'ils sont couchés dans un hamac ou filet suspendu, ils font placer du feu au-dessous , ne veulent ni parler , ni en- tendre parler, ni rien prendre; et ils meurent sans la moindre inquiétude sur ce qu'ils lais- sent au monde , et sans aucune crainte de II. a, 1 7 ( a58 > l'avenir : ils voient également mourir ou tuer une autre personne sans témoigner de com- passion, et enfin j'en ai vu marcher à la po- tence , du même air qu'ils iraient à leur noce. Il nous reste a dire que les jésuites entre- prirent aussi de soumettre les indiens du Chaco et d'autres encore 3 mais comme il leur était impossible de les assujétir avec les trou- pes de guaran js dont ils pouvaient disposer y comme nous l'avons vu relativement aux in- diens de San Joachin , ils employèrent la mé- thode ecclésiastique décrite au Chap. précéd. C'est ainsi qu'ils formèrent plusieurs peuplades dont ils parlent dans leurs histoires, et dont il ne subsiste plus que quelques-unes vers la ville de Santa-Fé de la Vera-Cruz, c'est-à-dire Saint-Xaxier , et les deux autres qui viennent après dans la table du Chapitre précédent. On les a placées dans cette table , parce que ce furent véritablement les chefs temporels qui les formèrent, et qui les remirent aux jé- suites en leur fournissant tous les secours né- cessaires^ mais il n'y a jamais eu et il n'y a point aujourd'hui dans ces peuplades, d'in- diens assujétis, civilisés ni chrétiens, comme je l'ai vérifié par moi-même, et comme les (=59) indiens eux-mêmes m'en ont assuré , et ce n'était autre chose que ce que j'ai dit au Chapitre XII. L'unique difFérence , c'est que la grande économie , l'adresse et l'habileté des jésuites, supérieures à celles des autres chefs» faisaient durer pendant un bien plus long espace de tems les fonds de subsistance des indiens , et par conséquent l'existence de leurs peuplades» TABLEAU des Peuplades d'Indiens formées par les Jésuites. NOMS ANNÉES LATITUDE LONGITUDE de leur des peuplades. fondation. australe. O.d e Paris. S. Ignain-Guazii 1609 26 54 36 0 59 4' II 14 Ytapua. . . . . . I614 27 20 16 58 12 59 Coacepcion. . , . 1620 27 58 44 57 57 13 Corpus. .... . 1^2. -i 27 7 23 57 52 29 S. Maria-Mayor 1626 27 53 14 57 46 4 Yapfvu I()2Ô 29 31 47 58 58 28 Candelaria. . . . 1627 27 26 46 58 7 34 S. Nicplas. . . . 1627 28 12 0 57 39 49 S. Xavier. . . . 1629 27 5r 8 57 34 4 La Cruz .... 1629 29 29 I 58 48 28 S. Carlos .... I63I 27 44 36 58 17 12 Apostoles. . . . 1632 27 54 43 58 9 19 S.Luys 1632 28 25 6 57 22 14 S.Mi^uel. . . . 1632 28 32 36 56 59 27 S. Tome .... 1632 28 32 49 08 17 43 S.Ana .... 1633 27 23 45 57 58 39 S.Josef. . . . . 1633 27 45 52 58 8 57 Mariir^s 1633 27 47 37 57 5o 2 S. Cosrae .... 1634 27 18 55 58 39 29 Jésus i685 27 2 36 58 25 6 S.Borja. . . . • 1690 28 39 5i 58 i5 58 Colonie de S. Te- nié. S. Lorenzo . . . 169 1 28 27 24 57 8 30 Colonie de S. Maria- -■\Iayor Colouie de S. Maria >le Fé. S. Rosa 1698 26 53 19 59 ^4 39 S. Juan 1698 28 26 56 56 48 40 Colonie de S. Mi- guel. Trinidad .... 1706 27 7 35 58 4 5o Colome de S. Car. los. S. Angel . . . . 1707 28 17 19 57 0 12 Colonie de la Concep* tioii. S. Joaquitt . . . 1746 25 I 47 58 33 20 S.Estanislado . . 1749 24 38 31 58 56 i5 Belon T760 2? 26 17 3g 28 '' On met ici la latitude et la longitude que les Peuplades occupent aujour- d'hui parce qu'on ne saurair fixer celles de leurs emplacemens primitifs. On' ne place pas ici d'autres peuplades fondées par les jésuites , et citées dans leurs histoires , parce qu'on les a refondues presque toutes daus cette table ; et , parce qu'en vérité, presqu'aucune n'était établie en règle à l'épo- <^ue de leur retraite. ( 26l ) CHAPITRE XIV. Des Gens de couleur. Il est bon de savoir qu'au lems de la con- quête , toute la contrée que je décris , et même une plus grande étendue de pays, ne formait qu'un seul gouvernement et un seul évêché , dont le chef-lieu était la ville de l'Assomption au Paraguay. Mais, comme on en sépara les provinces de Chiquitos, de Moros et de Santa Cruz, et que les portugais se sont emparés injustement de l'île de Sainte-Catherine et des provinces de Saint- Paul , de Vera et du Guayrâ, on divisa, en 1620 , le reste du pays en deux Gouvernemens , chacun avec un évê- ché, l'un sous le titre de Buenos Ayres, et l'autre sous celui du Paraguay. Celui-ci perdit beaucoup de son étendue , par les usurpations des portugais dans les plaines de Xerez , de Matogroso et de Cayabâ^ et quant aux limites des deux Gouvernemens, elles restèrent long- lems sans être fixées, parce qu'elles étaient séparées par les missions ou les peuplades jé- suitiques, qui , dans le fond, étaient indépeu- ( 262 ) danles. Aujourd'hui ces limites sont encore les mêmes, soit pour le spirituel, soit pour le tempo- rel, et je les ai marquées dans ma carte , excepté celles du Chaco , parce que , malgré sa grande proximité, les habitans du Paraguay nY ont aucune possession. 11 est vrai que , pour le temporel , les deux Gouvernemens s'en dis-» putentune petite partie, qui est peuplée , et située vers le nord de la rivière du Paranâ , à son confluent avec le Paraguay. Chaque Gou- vernement a son évêque et son gouverneur 5 mais celui de Buenos-Ayres est réuni à la place du vice-roi , et celui du Paraguay dé- pend de l'autre gouverneur. En qualité de vice-roi , celui-là possède , dans son district ^ les dix-sept peuplades jésuitiques les plus mé- ridionales, et celui-ci possède les autres. Je parle ici des limites de ces deux Gouverne^ mens , parce que dorénavant je les distingue- rai quelquefois. Tout le monde sait que la population ac^ tuelle de l'Amérique est composée de trois races d'origine différente , savoir : d'indiens ou américains, de blancs ou européens, et de nègres ou africains. Ces trois espèces se mêlent »vec facilité les unes aux autres , et , de ce îilélange , il résulte des individus mixtes, ( 265 ) qu'on appelle en général gens de couleur {pardoz) : ce sont ceux dont je vais parler dans ce Chapitre. Il est vrai que, dans le pays, on comprend aussi les nègres sous cette même dénomination générale ; mais je ne parlerai de ceux-ci que relativement à leur état civil, et je ne dirai rien de leurs qualités physiques et originelles. Si l'homme de couleur provient du mélangé d'un indien avec un blanc , on l'appelle métis ^ et on donne le même nom à toute sa postérité , pourvu qu'elle n'ait aucun mélange de sang nègre ou descendant de nègre , et que l'union ait toujours eu lieu entre blanc et indien ou leurs métis. Mais si l'afri- cain s'unit avec le blanc ou l'indien, l'enfant s'appelle mulâtre. Il en est de même , toutes les fois qu'il y a mélange de sang nègre , à quelque degré que ce soit; de manière que les dénominations de métis et de mulâtres ne font pas allusion à la couleur, comme on pourrait le croire, mais seulement à la nature des races mélangées. Je dirai quelque chose des métis et des mu- lâtres , en suivant l'acception générale que l'on donne à ces noms, comme je viens de Fexpliquer , parce qu'il me serait impossible de les suivre dans toutes leurs subdivisions : (=64) en effet, qui pouritiit vérifier toutes les difTé- rentes combinaisons dont chaque mulâtre ou métis est le résultat? Je ne parlerai donc pas de ces délails en m'occupanî. des gens de cou- leur. En conséquence je ne dirai rien de leurs cheveux, plus ou moins longs ou crépus, ni même de leur couleur plus ou moins blanche ou plus ou moins noire , parce qu'il y en a qui sont aussi blancs, aussi rouges et aussi blonds qu'en Europe, el dont les cheveux sont aussi longs et même davantage. Je ne spécifierai pas non plus la qualité du sexe qui est inter- venu dans ces mélanges, par exemple, je ne dirai pas si Vhomme de couleur vient d'un blanc et d'une négresse , ou au contraire d'un noir et d'une blanche. Quant au reste , je désire qu'on ne regarde pas comme une chose positive et démontrée, mon opinion sur une matière aussi difTicile. En effet, mon seul hul , si j'ose le dire , est d'exciter d'autres per- sonnes à faire des observations plus nom- breuses et plus détaillées sur une partie si inléressante de l'histoire de l'homme, et même de celle des animaux. Nous avons vu. Chapitre XII, qu'un des moyens employés par les conquérans de l'Amérique pour réduire ou subjuguer les ( 265 ) indiens , fut d'en faire des espngnols , en épousant des indiennes, parce que leurs en- fans ou métis furent déclarés esy>agnols. Ces métis s'unirent en général les uns aux autres, parce qu'il ne passa en Amérique quc^très-peu de femmes européennes , et ce sont les des- cendans de ces métis qui composent aujour- d'hui , au Paraguay , la plus grande partie de ce qu'on appelle espagnols. Ils me paraissent avoir quelque supériorité sur les espagnols d'Europe, par leur taille , l'élégance de leurs formes , et même par la blancheur de leur peau. Ces faits me font soupçonner, non-seu- lement que le mélange des races les améliore , mais encore que l'espèce européenne l'em- porte à la longue sur l'américaine , ou du moins le sexe masculin sur le féminin. Je crois aussi que ces habitans du Paraguay ont plus de finesse, de sagacité et de lumières que les créoles , c'est-à-dire que les enfans nés dans le pays, de père et de mère espagnols, et je leur crois aussi plus d'activité. Comme il est toujours venu d'Europe à Buenos- Ayres beau- coup d'espagnols des deux sexes , qui se sont alliés aux métis primitifs , la race de ceux-ci ne s'y est pas conservée aussi pure , et n'a pas acquis les mômes avantages qu'au Para- ( ^66) £*usLy : c'est ce qui fait que les espagnols de celte dernière contrée surpassent ceux de Buenos- Ajres en taille , en proportion , ainsi qu'en activité et en sagacité. Les irtdiens soumis ou convertis ne font , dans leurs alliances , aucune attention à la couleur , ni à l'état du prétendant , ni à sa liberté ou à son esclavage. Quoique les nè- gres, les métis et les mulâtres se trouvent à-peu-près dans le même cas , on remarque cependant qu'ils s'accordent réciproquement quelque préférence , et que la race indienne est celle dont ils font le moins de cas , à moins que ce ne soit des esclaves, parce que ceux-ci préfèrent les indiennes , afin que leurs enfans soient libres , comme le sont tous ceux qui viennent de mère libre. Je trouve que les mulâtres qui proviennent de ces mélanges prennent une couleur moyenne , mais très- jaunâtre , et qu'ils ont sur leurs pères et mères le même avantage que les métis sur les leurs. Il y a d'autres mulâtres provenant de l'union des espèces européenne et africaine. Dans quelques endroits d'Amérique on les appelle quarteroriy s altoatras , etc., suivant le mé- lange du sang africain. Par exemple, de l'union ( 2G7 ) d'un européen et d'une négresse, il résulte un mulâtre ; de l'union de celui-ci avec un indi- vidu européen, provient un enfant qui est quarteron ^ parce qu'il n'a qu'un quart de nègre , mais si cette uirlon a lieu avec un nègre , le résultat s'appellera saltoatras ( saut en arrière), parce qu'au lieu de gagner en blancheur, l'individu perd de ce côté et re- cule pour ainsi dire, puisqu'il est aux trois quarts nègre. Mais on ne connaît point de semblables dénominations dans le pays que je décris , et l'on y appelle simplement mulâtre celui qui a quelque mélange de sang nègre , si peu considérable qu'il soit , et quand même il serait entièreiiient blanc ou blond. Je trouve que ces mulâtres , qui proviennent de l'union des noirs et des blancs, ont de l'avan- tage, au physique et au moral, sur ceux qui résul- tent de l'union des indiens et des noirs 3 je les trouve aussi plus actifs , plus agiles , plus vigou- reux, plus vifs , plus spirituels et plus fins que ceux mêmes à qui ils doivent le jour. Mais je pense que ces qualités ne vont en augmen- tant que jusqu'à un certain degré , et que quand un mulâtre, déjà blanc, s'allie à une européenne, le résultat n'obtient plus que peu ou point d'avantage. Cç§ mulâtres surpassent ( 268 ) tous les autres hommes par la fraîcheur el par la douceur de leur peau; et ce n'est pas ce seul avantage qui fait que les connaisseurs pré- fèrent les mulâtresses aux femmes espagnoles: ils prétendent de plus, qu'ils goûtent avec elles un plaisir particulier que les autres ne leur font pas éprouver. Du reste , ces mulâtresses ne se piquent ni de chasteté, ni de résistance; il est bien rare qu'elles conservent leur virgi- nité jusqu'à l'âge de neuf ou dix ans : elles ont de l'esprit , de la finesse el de l'aptitude à tout ; elles savent choisir : elles sont propres , géné- reuses , et même magnifiques lorsqu'elles le peuvent. Les mulâtres ont les mêmes qualités morales et la même finesse. Leurs vices les plus ordinaires sont, le jeu de cartes, l'ivro- gnerie et la filouterie ; mais il y en a de Irès- honnêtes. D'après le dernier cadastre au rôle de popu- lation du Paraguay, il y a , dans le pays, cinq espagnols pour un mulâtre j et quoiqu'on n'ait pas pensé à faire un pareil dénombrement dans le Gouvernement de Buenos-Ayres, on peut être assuré que la proportion y est la même, et que peut-être les espagnols y sont plus nombreux que les mulâtres, et dans une plus grande proportion. Ceux-ci , dans le Pa- ( 269 ) raguay, se divisent en libres et en esclaves, et leuf proportion est de 174 à 100; c'est-à-dire que pour 100 nègres ou mulâtres esclaves, il y en a 174 de libres. Si Ton compare cette colonie espagnole avec celles que d'autres nations possèdent en Amérique , on trouvera une différence énorme dans la proportion ré- ciproque des blancs aux gens de couleur j car , dans les colonies qui ne sont pas espa- gnoles, les blancs sont tout au plus aux nègres et aux mulâtres comme i est à 25; et, quant à l'état de liberté , la proportion est peut-être encore moins favorable aux gens de couleur. Cette disette d'esclaves doit nécessairement rendre plus cher le prix des journées et des manufactures dans cette colonie espagnole , parce que tout y est l'ouvrage de gens libres , et qui se font payer davantage. On ne peut donc s'empêcher d'admirer ici la générosité des espagnols du Paraguay , qui ont donné la liberté à cent soixante-quatorze de leurs nègres et de leurs mulâtres , sur cent; quoique personne n'en eût un plus grand be- soin qu'eux. On n'y connaît point ces lois et ces châtimens atroces , que l'on veut excuser comme nécessaires pour retenir les esclaves dans le devoir. Le sort de ces malheureux ( -^70 ) d'j diffère en rien de celui des Mancs de là classe pauvre , et il est même meilleur. Plu- sieurs sont cliefs de pâturages ou de parcs de troupeaux , et ils ont à leurs ordres des jour- naliers espagnols. La plupart d'entr'eux meu- rent sans avoir reçu un seul coup de fouet : on les traite avec bonté j on ne les tourmente jamais au travail ; on ne leur impose point de tâche , et on ne les abandonne point dans leur vieillesse. Les femmes de leurs maîtres les soignent dans leurs maladies j personne ne les empêche de se marier , et même avec des indiennes ou des femmes libres , pour pro- curer cet avantage à leurs enfans -, on les habille aussi bien ou même mieux que les blancs pauvres , et on leur fournit une bonne nourriture. Enfin , pour croire à la manière dont on traite les esclaves dans ce pays-là , il faut l'avoir vu , parce qu'elle ne ressemble en rien au traitement qu'ils ëprouveçit dans les autres colonies américaines. Aussi jamais n'aura- 1- on à s'y plaindre des esclaves. J'en ai vu plusieurs refuser la liberté qu'on leur offrait , et ne vouloir l'accepter qu'à la mort de leurs maîtres 5 et entr'autres , aucun des miens ne voulut l'accepter que par force. Les espagnols de ce pays traitent avec autant de ( 271 ) douceur et d'humanité les indiens de leursr conimanderies, et rien n'est plus oppose à feur caractère que la dureté et la cruauté que quelques écrivains ont attribuées à ces espagnols. Que Ton compare le nombre des indiens qu'ils ont conservés dans leurs colo- nies , à celui que l'on voit dans celles de quel- ques autres nations qui taxent les espagnols de cruauté, ie puis démontrer , par la com- paraison des cadastres originaux, qu'il y a plus d'indiens dans le pays actuellement^ qu'il n'y en existait au lems de la conquête. Il y a à- peu-près dix-huit à vingt ans qu'une esclave anglaise s'échappa avec ses filles , et vint se réfugier dans une île espagnole aux Antilles. Son maître la réclama ; l'esclave , qui, par son habileté avait ramassé quelques fonds , offrit en piastres fortes le prix de sa liberté ; mais son maître ne voulut pas le re- cevoir. Le gouverneur espagnol , outré de l'injuslice de l'anglais, refusa de la rendre, quoique la restitution fût ordonnée par le traité de paix, et il rendit compte de l'affaire au conseil des Indes. Ce conseil adressa une représentation au Roi, et il fut décidé en prin- cipe qu'on ne rendrait aucun esclave ; que la liberté était un droit naturel , sur lequel les ( 272 ) conventions humaines ne pouvaient rempor- ter, et que la fuite était un moyen licite et honnête de Toblenir. Cette décision , qui ho- nore l'Espagne , parvint au Paraguay lorsque j'y étais. Mais comme le gouverneur de ce pays venait de recevoir des présens considé- rables des portugais , pour leur complaire, il méprisa Tordre du Roi, et leur rendit un misérable esclave fugitif; il fît même des représentations à la cour par l'intermède du vice-roi de Buenos- Ayres , qui appuya ses idées; et à force de répéter leurs sollicita- lions, ils sont venus à bout de faire révo- quer une mesure qui était aussi juste qu'utile, par un ministre qui voulait plaire à la cour de Lisbonne. On dit, pour prétexte, que les habitations espagnoles n'étant exploitées que par des esclaves, elles seraient ruinées si ceux- ci désertaient. Mais tout cela est faux , puisque nous venons de voir que les esclaves y sont en bien petit nombre , et que nous n'avons pas à craindre leur désertion. Quand elle aurait lieu, elle pourrait tout au plus causer un léger dommage à un ou deux particuliers, et l'Etat gagnerait infiniment par l'émigration d'une multitude innombrable de déserteurs du Bré- sil, où les esclaves sont traités avec rigueur, et même avec cruauté. Je crois que celte mesure si juste que l'on avait prise était Puni- que moyen de rendre ce pays florissant, et même de le conserver. Quant aux mulâtres libres, leur classe est regardée comme la dernière , puisque les lois leur préfèrent non seulement les blancs, les indiens, les métis, et même les nègres. Mais il n'en est pas de même dans l'opinion publique; car on méprise les indiens, et Ton regarde les mulâtres et les nègres comme égaux. Il est bien vrai que les mulâtres libres, et dont la couleur est claire, ou presque blanche, vont souvent dans les endroits où ils ne sont pas connus, et qu'ils y passent pour espagnols. Dans le gouvernement de Buenos- Ayres les gens de couleur ne payent point de tribut, et ils jouissent en pleine liberté du fruit de leur travail. Ija seule différence en- tre eux et les espagnols , c'est qu'ils ne peu- vent occuper d'emplois publics, parce qu'ils sont d'une classe réputée inférieure. Mais outre cette humiliation , ils éprou- vent une vexation connue sous le nom del amparo ; voici ce que c'est : Don Francisco de Alfaro, ce visiteur dont nous avons déjà parlé , ordonna que chaque homme de cou- II. a. 18 (274) leur, libre , et âge de i8 à 5o ans, payât trois piastres de tribut annuel ; et comme il n'y avait alors dans le pnys ni monnaie ni com- merce, e' que beaucoup de gens de couleur ne pouvaient pas payer le tribut, on imagina de les livrer aux eccléîiastiques ou aux espa- gnols aisés , pour les employer comme s'ils eussent été leurs esclaves , mais a condition de payer pour eux le tribut en question. C'est cette manière de livrer un homme de couleur à un espagnol , que l'on appelle amparo (pro- tection.) Les gouverneurs ne tardèrent pas à abuser de cette institution, et ils retendirent à tout sexe et à tout âge ; et soit que ces malheureux payassent le tribut ou non, ils les livraient a leurs favoris et à leurs favorites, à l'inscu de l'administration des finances à la- quelle ils ne payaient rien. C'est dans cet état que sont aujourd'hui les choses , quoique beaucoup de ces gens de couleur, et peut- être même la plupart , vivent en pleine li- berté , sans payer ni contribution , ni tribut, soit qu'ils trouvent des protections , soit que l'on ignore leur demeure au fond de la cam- pagne , ou soit qu'ils aillent s'établir dans ua autre gouvernement. 11 y en a aussi quelques- uns qui paieat le tribut : les gouverneurs ne C 275 ) veulent pas qu'ils le versent au trésor royal, mais dans une autre caisse qu'ils appellent département de la guerre , parce que c'est un fonds dont ils peuvent disposer arbitrai- rement. Un gouverneur qui se vit serré de près par \^^ indiens mbajâs, prit, en 1740, une partie des gens de couleur qui étaient en amparo, les déclara libres du tribut , et en forma la peuplade appelée de la Emboscada, Il les obligea au service militaire , dont ils avaient été exempts jusqu'alors. C'est ce qui a donné lieu aux gouverneurs qui sont venus ensuite , d'obliger tout homme de couleur au service militaire , ainsi qu'à tout autre. Il est vrai que la plupart s'y soustraient, ainsi qu'à l'âmparo, et par les mêmes moyens. (276) CHAPITRE XV. Des Espagnols. Ceux qui habitent le gouvernement de Buenos -Ayres proviennent plutôt des re- crues continuelles qui arrivent d'Europe, que du mélange avec les indiens , qui , dans ce pays, ont toujours été en petit nombre; et c'est pour cela qu'ils y parlent espagnol. Au contraire , les espagnols du Paraguay, et leurs voisins les habitans du district de Jla ville de Corrientes, viennent plutôt du mélange de ieurs pères avec les indiennes , comme nous Tavons dit : c'est pour cela qu'ils parlent gua- rany, et qu'il n'y a que les gens instruits et les hommes du bourg de Curugualy qui en- tendent l'espagnol , ainsi que nous l'avons vu Chapitre X. Les espagnols de toutes ces contrées croient être d'une classe très-supérieure à celle des indiens, des nègres et des gens de c.' Jeur; mais il règne entre ces mêmes espagnols la plus parfaite égalité , sans distinction de nobles %ki de plébéiens. On ne connaît parmi eux ni ( 277 ) fiefs , ni substitutions , ni majorats : la seule distinction qui existe est purement person- nelle , et n'est due qu'à l'exercice des fonc- tions publiques, au plus ou moins de fortune, ou bien à la réputation de talens ou de pro- bité. Il est vrai que quelques-uns d'entr'eux se glorifient de descendre des conquérans de l'Amérique , des chefs , ou même de simples espagnols, mais ils n'en sont pas plus consi- dérés pour cela , et, dans l'occasion ,ils épou- sent la première femme venue , pourvu qu'elle ait de l'argent , sans s'embarrasser de ce qu'elle était auparavant. Us ont une telle idée de leur égalité, que je crois que, quand bien même le roi y accorderait des lettres de noblesse à quelques particuliers, personne ne les regar- derait comme nobles , et qu'ils n'obtiendraient ni distinctions^ ni services de plus que les autres. A Lima , on a érigé des titres de Cas- tille (barons, comtes, marquis, ou ducs). J'ignore de quelle considération ils jouissent^ mais, s'ils en obtiennent , peut-être ne la de- vront-ils qu'à leurs capitaux ou aux biens qu'ils possèdent. Ce même principe d'égalité fait que , dans les villes , aucun blanc n'en veut servir un autre, et que le vice-roi lui-même ne saurait trouver uu cocher ou ua laquais espu- ( 278 ) gnol f c'est ce qui fait que tout le monde se sert de nègres , de gens de couleur, ou d'indiens. Comme les espagnols diffèrent beaucoup les uns des autres , je parlerai d'abord des citadins, ou babitans des villes de Buenos- Ayres , Montevideo, Maldonado , l'Assomp- tion, Corrientes et Santa -Fé de la Vera- Cruz , que l'on peut considérer comme les seules villes espagnoles du pays. En effet y quoiqu'on y trouve encore quelques bourgs et quelques paroisses , leurs habitans ne sont pas réunis dans un seul endroit, comme en Espagne, mais très-dispersés dan^ les cam- pagnes, dans des maisons isolées et très-éloi- gnées : de sorte qu'il n'y a guères à côté de l'église que le curé, quelque marécbal, quel- que mercier ou épicier, et quelque cabaretier ( pulpero ). Et même , lorsque quelques- uns des paroissiens construisent une case dans le bourg , elle ne leur sert que les jours qu'ils vont à la messe , ou à quelque fête ecclésias- tique j après quoi, ils s'en retournent aux mai- sons qu'ils ont à la campagne. Les villes que je viens de citer, renferment peut-être autant d'espagnols que tout le reste du pays ; ce qui , à mon avis, est line coutume très-nuisible , à laquelle les chefs ne font pas ( 279 ) allentîon. En effet , il est clair que ce sont les villes qui engendrent et qui propagent tous les vices, la corruption des mœurs, et cette espèce d'éloignement , ou pour mieux dire , d'aversion décidée que les créoles ou enfans d'espagnols nés en Amérique, ont pour les européens et pour le gouvernement espa- gnol. Celle aversion est telle , que je l'ai sou- vent vu régner entre les enfans et le père , et entre le mari et la femme, lorsque les uns étaient européens , et les autres américains. Mais je ne l'ai pas observée parmi les liabi- tans de la campagne. Ceux qui se distinguent par celte aversion sont les avocats, les ban- queroutiers , et tous ceux qui ont le plus de paresse , d'incapacité , et de vices : de plus , les villes enlèvent aux campagnes les bras dont elles ont un besoin extrême, et qui font la véritable richesse d'un pays. Le mal ne serait pas si grand, s'il y avait des fabriques ; mais elles y sont absolument inconnues , et la plupart des babilansne doivent leurs moyens de subsistance , qu'au bas prix de la viande, et à la facilité qu'ils ont de vivre presque sans travailler. J'estime le revenu de l'évêque du Paraguay à six mille piastres fortes par an. Quoiqu'un ( 28o ) pareil revenu le rende l'homme le plus rîcîie du pajs, le roi lui donne en outre mille huit cent trente-huit piastres fortes et deux réaux, sur les caisses duPotosy, parce que celles du Paraguay ne suffisent pas pour payer le tiers des employés. Le chapitre de la cathédrale est composé d'un doyen, de trois dignitaires, de deux chanoines, et d'un béné- ficier. Le premier a huit cent sept piastres fortes par an j les autres sept cents , et le dernier trois cents. Les revenus de tous les curés n'excèdent sûrement pas le nécessaire. En 179^ , le nom- bre totî^l des ecclésiastiques du pays montait à cent trente-quatre ; mais il y avait de plus cent dix moines. L'évêque de Buenos-Ayres a de dix- huit a vingt mille piastres de revenu annuel : il a , dans sa cathédrale , le même nombre de dignitaires et chanoines que celui du Paraguay; mais chacun de ceux-ci possède presque autant de revenu que tous ceux du Paraguay ensemble. J'ignore le nombre d'ec- clésiastiques qu'il peut y avoir dans tout le diocèse; mais , en lygS , on en comptait cent trente-six dans la seule ville de Buenos- Ayres, outre quatre couvens nombreux de Corde- lîers , de Jacobins , de pères de la Merci et de Bethléem. ( 28l ) Les den x évêques et leurs cliapitres tirent leur principal revenu des dixmes : mais, ce qui paraît un peu rigoureux à Buenos- Ayres, on exige la dixnie des briques; et au Paraguay, on exige celle de l'herbe qui porte le nom du pays , quoique ce soit la feuille d'un arbre sauvage que tout le monde peut cueillir, et qui n'a point de propriétaire particulier; c'est- à-dire , qu'elle se trouve dans le même cas que les champignons , les fruits sauvages et les plantes médicinales; et même elle ne paye , a Buenos-Ayres, aucun droit de vente au trésor royak Beaucoup de personnes, sur-tout des ecclésiastiques et de vieilles femmes , fondent pendant leur vie ou par testament , un grand nombre de chapelles laïques ou ecclésiastiques, en faveur des couvens ou de quelques parti- culiers, en leur imposant l'obligation de dire ou faire dire quelques messes. Ces fondations augmentent tellement , que cette charge sera bientôt insupportable au pays. Beaucoup d'ec- clésiastiques vivent du revenu de ces cha- pelles ; mais les curés n'ont que leurs droits de casuels. En effet , quoique les lois leur assi- gnent une part dans les dixmes , et qu'ils la réclament . ceux qui jouissent d'un pouvoir supérieur les en privent. ( 282) Ce pays fut conquis aux frais des chefs de Tenlreprise , et on ne leur promit que deux mille ducats d'appointemens, au cas que leur conquête rendît cette somme ; et dans le cas contraire , le trésor ne promit rien. Ces chefs furent accompagnés de deux ou trois autres personnes , chargées du recouvrement des deniers ou des droits appartenans au roi , sans autres appointemens que tant pour cent. En 1620 , on divisa le pays , comme je l'ai dit Chapitre XIV j et on établit à Buenos- Ayres , un gouverneur avec trois employés des fi- nances, et un autre gouverneur auParr^uay, avec un lieutenant d'officier royal pour les finances. Tel fut l'état des choses jusqu'en 1776, époque à laquelle on établit à Buenos- Ayres un viceroi, avec quarante mille piastres d'^ppoinlemens. On érigea ensuite tant de tribunaux, et on multiplia tellement les em- ployés de tous cotés , qu'il me serait im- possible de les compter. Dans le Paraguay, on ne fit que doubkr les appointemens du gou- verneur , et on y établit deux officiers royaux pour les finances, chacun avec le logement, deux mille piastres par an , et beaucoup d'em- ployés ; de manière que tout le produit de la province ne suffit pas pour payer le tiers des ( 285 ) appoîntemcns. Il j a en outre un grand nom- bre de personnes à qui on accorde des appoin- temens et Texpectative des places , et un essaim de surnuméraires et de gens qui tra- vaillent dans les bureaux pour mériter par leur travail d'obtenir un emploi. Quelle était admirable la simplicité de ce tems , où quatre ou six hommes suffisaient à tout ! et quel bouleversement subit , que d'employer pour le même objet tant d'hommes , dont les bras sont perdus pour la prospérité publique. En efFet , malgré tout cet appareil, il est im- possible , et au ministre, et à qui que ce soit » de savoir si cette vice-royauté produit ou non quelque chose au trésor public , parce que , dans toute son étendue, à peine y a-t-il une caisse ou une administration qui n'ait fait banqueroute. Un très-grand nombre n'a pas encore rendu ses comptes , et on n'a pas vérifié ceux de plusieurs qui les avaient présentés. A peine les espagnols sont-ils nés, qu'on les livre à des nourrices mulâtresses, négresses ou indiennes , qui en prennent soin ordinai- rement jusqu'à l'âge de six ans et plus. Pendant tout ce tems , l'enfant ne peut rien voir qui mérite d'être imité. Ajoutez à cela un mau- vais principe reçu dans ce pays encore plus ( 284) qu'en Espagne , c'esl-à-dire que la noblesse et la générosité consistent à détruire et a ne rien faire : la répugnance pour le travail , qui est plus forte en Amérique que par-tout ailleurs , fortifie encore cette inclination dans les en- fans. Imbus de ces principes et de l'idée d'é- galité , les enfans même d'un simple matelot dédaignent toute espèce de travail , et croient au-dessous d'eux de suivre l'état de leurs pères. Ils aiment mieux se faire moines, prê- tres , avocats ou négocians ; et plusieurs même ne veulent pas de ce dernier état, parce qu'ils le trouvent trop pénible. Ils sont très-flattés d'obtenir des emplois , quoiqu'ils aient l'air de les dédaigner, et qu'ils n'en sachent que peu de gré à ceux qui les leur procurent ; mais ce sont plutôt les démarches et les peines nécessaires pour les obtenir, qui les fatiguent. Ceux qui vont en Europe (leur nombre est bien peu considérable ) , et qui voient qu'on est obligé de s'y soumettre à d«es égards inconnus chez eux , et à reconnaître une hié- rarchie politique, s'en retournent toujours eu Amérique , en maudissant ce qu'ils ont vu en Europe. Il est vrai que leur pays leur donne la liberté, l'égalité , et la facilité de se nourrir presque sans travail , et même beaucoup de (285) tnoyens de gngner de l'argent. Us ne sont point gênés par les lois , puisqu'elles sont sans vigueur, et qu'elles laissent faire à chacun ce qu'il veut. Les contributions ne les incom- modent pas, puisqu'elles sont presque nulles : le seul désagrément auquel ils soient exposés, est la nécessité oii ils se trouvent de n'avoir pour domestiques que des indiens ou des esclaves, et quelquefois encore les tracasse- ries ou les passions de leurs chefs. S'ils réflé- chissaient, il devraient aimer un gouverne- ment aussi complaisant et aussi doux , et qui les laisse dans l'état oii ils sont. Leurs vices principaux sont : la passion des femmes, la fureur du jeu, et de plus , l'ivro- gnerie pour le bas peuple. Mais, à mon avis, ils ont de la finesse et de la justesse dans l'esprit, et je crois que c'est le cas oii se trou- vent toutes les races paresseuses, et prove- nantes du mélange des unes avec les autres. S'ils étaient aussi a portée d'étudier qu'en Eu- rope , s'ils avaient les mêmes facilités et y donnaient la même application, je ne doute pas qu'ils ne nous surpassassent. A Buenos- Ajres et dans le Paraguay, on ne leur apprend que la grammaire latine, la philosophie péri- patéticienne, la théologie des thomistes, et ( 286 ) peut'Clre im peu de droit canon. Les arts et métiers se réduisent à ceux qui sont indispen- sables , et ils ne sont guère exercés que par quelque espagnol pauvre , venu d'Europe, ou par les gens de couleur. Les femmes de Buenos-Ayres , de Montevideo et de Maldo- nado n'aiment pas à filer la laine ni le coton -, mais dans les autres villes ce sexe s'occupe à filer. Les usages, les babil lemens et les modes sont, en général , les mêmes qu'en Espagne j mais , à Buenos-Ayres et à Montevideo , qui sont les villes les plus considérables et les plus riches, le luxe y est plus grand, le mobilier plus nombreux, et l'on y est mieux logé. Les maisons n'ont, en général, qu'un seul étage, et l'architecture n'a fait aucuns progrès. Toutes les rues sont larges et tirées au cordeau , ex- cepté celles de l'Assomption. Comme je dois parler à présent de ceux qui habitent la campagne et non les villes , je commencerai par les agriculteurs, et je parle- rai ensuite des pasteurs ou bergers. Presque tous les indiens convertis , plus de la moitié des habitans du Paraguay , ceux des bords de • la rivière de la Plata et des villes , s'occupent à la culture des végétaux dont j'ai parlé au Chapitre VI , oii j'ai indiqué l'imperfection de (287 ) leurs inslrumens et de leur melhode; mais comme cet état est fatigant, il n'est embrassé que par ceux qui n'ont pas le moyen de se faire négocians , ou d'acquérir des terres et des troupeaux pour se faire bergers, et enfin par les journaliers qui ne peuvent pas se louer pour la conduite des troupeaux. Ceux qui gé- néralement dédaignent le plus ce genre de vie agricole, sont les habitans des environs de la rivière de la Plata : ils disent que l'agriculture n'est pas nécessaire dans le pays , puisqu'ils peuvent tous vivre comme les bergers qui ne mangent que de la viande , sans faire usage d'aucun produit de l'agriculture. Comme le laboureur n'a besoin que du ter- rain qu'il peut cultiver , et de celui qui est nécessaire au pâturage de ses chevaux, de ses vaches à lait , et par fois de quelques brebis, les habitations , toutes construites au milieu des terres en exploitation, ne sont pas à beau- coup près aussi éloignées les unes des autres que celles des bergers ou possesseurs de trou- peaux ( estancieros ). Il y a dans chaque dis- trict un curé et une église, ou du moins une chapelle ordinairement petite et mal cons- truite. C'est ce que l'on appelle souvent un bourg, quoique les habitans de la paroisse ne ( 288 ) soient pas réunis dans le mênrie endroit, comme je l'ai déjà dit. Je ne parle pas ici des indiens convertis, dont les habitations sont réunies dans un seul et même endroit comme en Europe, mais seulement des espagnols. Leurs maisons sont, en général, des baraques ou des cha»umières , petites et basses, couvertes de paille. Les murs sont formés par des pieux fichés en terre verticalement les uns à côté des autres, à un pied de profondeur, et les inter- valles sont remplis de mortier de terre. Ils ont peu de meubles : cependant ces cultivateurs ont quelque supériorité sur les bergers, en habillemens, en civilisation et en moralité , comme on le verra bienl(5t. Ils en diffèrent aussi en ce qu'ils ne se nourrissent pas exclu- sivement de viande, qu'ils mangent des végé- taux, et que d'ailleurs ils connaissent l'art d'assaisonner leurs mets. 11 y a, dans toutes les villes et dans tolites les paroisses du Paraguay , un maître d'école , et les enfans vont le trouver tous les jours, et même de deux lieues. Us restent dans l'endroit toute la journée , sans prendre d'autre nourri- ture que les racines de manioc cuites , qu'ils ont apportées de chez eux ; et ils s'en retour- nent le soir. Comme il n'y a, dans le pays, ni (=89) médecins , nî chirurgieus , ni apothicaîrerîe , chaque canton du Paraguay a son guérisseur. Il ne fait point de visites aux malades ; mais , les jours de fêtes, il se rend a la paroisse ou à la chapelle du lieu , avec trois ou quatre herbes ou simples. Il s'assied à la porte de l'église, parce qu'il sait que les malades lui envoient leurs urines , dans un tuyau de roseau. Ce guérisseur, sans dire un mot, et même ordi- nairement sans faire aucune question, prend Turine ; il en verse quelques gouttes dans le creux de sa main \ il les regarde à contre jour , et les jette en l'air verticalement : il répète cette opération , comme pour s'assurer du fait. Il examine si ces gouttes, en tombant, forment des bulles , ou une espèce de rosée , et c'est d'après cela qu'il décide si la maladie vient de chaleur ou de froid , parce que c'est à quoi se réduit tout leur système médical ; alors il donne au malade l'herbe qu'il doit prendre en infusion. J'ai vu apporter de plus de 3o lieues de l'urine pour la présenter à ces guérisseurs, sans qu'on leur dît un mot de l'état du malade. Parmi ces espèces de médecins, il s'en trouve rarement quelques-uns qui aillent visiter les malades j ceux-lk le font, parce qu'ils ont lu le livre de M."^* Fouquet, ou parce qu'ils pos- II. a. jg ( 290 ) sèctenl le recueil de recettes de d*Asperger , dont j'ai parlé au Chap. V. Pour ce qui regarde les bourgs et les paroisses du Gouvernement de Buenos- Ayres , toutes n'ont pas un maître d'école ni un médecin. Chacun , dans ses ma- ladies , se gouverne à sa guise , ou le plus souvent , suivant les conseils des vieilles femmes. Parlons enfin des bergers ou pasteurs , puis- que ce genre de vie n'a été connu des hommes que postérieurement à la chasse , a la pêche ou à l'agriculture, comme nous l'avons vu Chapitre II j et il faut bien que cela ait été ainsi, puisque les hommes ont dû vivre du produit de leur chasse , de leur pêche ou de leur agriculture, avant de dompter, d'appri- voiser et de multiplier les troupeaux \ Comme cette vie pastorale est la dernière que l'homme ait embrassée , il semble qu'elle devrait aussi former son plus haut point de civilisation ; » L'agriculture qui se fait par les bras de l'homme avec une bêche ou une pioche , me'rite à peine ce nom. Elle a lieu chez les peuplades les plus sauvages, pour suppléera la chasse ou a la nourriture que leur fournis- senties fruits spontanées delà terre; bien loin déformer leur principale occupation , à peine daignent -ils s'en mêler, et c'est souvent leurs femmes ou leurs esclave^î (^91 ) maïs comme nous allons voir que les bergers de ces contrées sont les moins civilisés de loua qui sont charges de confier à une terre légèrement ou point du tout pre'pare'e , des semences de plantes nutri- tives, qui ne re'clament plus ensuite aucun soin jusqu'au tems de la récolte. Mais il n'en est pas de même de Fagriculture en grand , qui se fait par le moyen de la charrue traîne'e par des animaux. Ce moyen de se pra- curer sa subsistance et les autres objets nécessaires à l'entretien, aux jouissances et aux commodite's de la vie, est tellement supe'rieur à tous les autres, que les peuples qui le connaissent en font leur principale occupation ; et bien loin de la dédaigner comme les peuples chas- seurs ou pasteurs , ils honorent comme des he'ros ou des dieux ceux qui , par d'heureuses inventions ou par des pratiques nouvelles, font faire des progrès à ce premier des arts. Mais il est évident qu'il suppose ne'cessaire- ment celui de dompter les animaux et de les re'unir en troupeaux. Ce dernier moyen de pourvoir à sa subsis- tance est beaucoup plus simple , beaucoup moins pé- nible , et suppose moins d'industrie que celui de cultiver la terre. L'art pastoral a donc dû précéder l'art agri- cole; et à un petit nombre d'exceptions près, ne'cessite'es par la position gc'ographique ou la nature du sol , on peut assurer que l'histoire nous montre par-tout des peuples pasteurs qui deviennent ensuite agriculteurs ; et il n'est jamais peut-être arrive' qu'un peuple agri- culteur ait re'trograde' vers l'e'tat pastoral. J'ai traite ce sujet plus à fond dans inon Essai sur l'histoire de l-espèce humaine. J'y renvoie le lecteur ( C, A. W.) (^92 ) les habitans, et que ce genre de vîe a presque réduit à l'état d'indiens sauvages les espagnols qui l'ont embrassé , il est vraisemblable que la vie pastorale n'est pas compatible avec la civilisation. Ces bergers sont occupés à garder douze millions de vaclies, trois millions de chevaux , avec un nombre assez considérable de brebis. Tel est, suivant mon estimation , le nombre des troupeaux domestiques de ces contrées. Le Gouvernement du Paraguay en renferme la sixième partie, et celui de Buenos- Ayres le reste. Je ne comprends pas dans ce nombre les deux millions de vaches sauvages ou mar- rones, que j'estime qu'il peut y avoir dans le pays , non plus que la quantité innombrable de chevaux sauvages qu'on y rencontre. Tous les tronpeaux domestiques sont divisés en autant de troupeaux particuliers qu'il y a de propriétaires. Un pâturage ( estancia ou dehesa) y qui n'a que quatre ou cinq lieues carrées de surface ou d'étendue , est regardé comme peu considérable à Buenos -Ayres, et au Paraguay il passe pour ordinaire. C'est dans l'intérieur de ces possessions qu'on établit les habitations des bergers, comme je l'ai dit pré- cédemment ; mais elles manquent presque ( ^95) toutes de portes et de volets de bois, et oii les remplace par des peaux de vache qu'on y place à l'entrée de la nuit. Chaque troupeau a un maître berger ( ca^ pataz)^ el un journalier par miîHer de va- ches. Le premier est ordinairement marié ; mais les autres sont garçons , à moins que ce ne soit des nègres, des gens de couleur ou des indiens chrétiens déserteurs de quelque peu- plade; car ceux-ci sont ordinairement mariés, et leurs femmes et leurs filles servent assez communément à consoler ceux qui ne le sont pas. On fait si peu d'attention à cet article , que je ne crois pas qu'aucune de ces femmes conserve sa virginité jusqu'à 1 âge de huit ans. il est bien naturel que la phipart des femmes réputées espagnoles , qui vivent dans les champs, parmi les bergers^ jouissent de la même liberté; et même ordinairement, le père el toute la famille couchent dans la même chambre. Ces gens n'accompagnent jamais les trou- peaux aux champs, comme en Europe; tous leurs soins se bornent à sortir une fois par se- maine, suivis de quelques chiens, pour faire le tour de leurs possessions, en criant , et au grand gatop. Alors toutes les vaches, qui pais- ( ^94 ) sent en liberté de côté et d'autre, se mettent a courir et se réunissent dans une place marquée et ouverte, que l'on appelle rodeo ; on les y retient quelque tems, après quoi ou les laisse retourner en liberté au pâturage. Le but de cette opération est d'empêcber ces animaux de s'éloigner des terres du propriétaire, et c'est dans cette vue qu'ils en font autant a leurs troupeaux de cbevaux qu'ils rassemblent de tems en tems , non dans le rodeo , mais dans leur basse-cour. Ils s'occupent le reste de la semaine à cbâlrer ou à dompter leurs animaux , ou à quelque autre cbose \ mais la plupart du tems ils sont oisifs. Comme ces bergers sont éloignés de 4> <^® IQ, et quelquefois même de 3o lieues les uns des autres , les cbapelles sont rares; par con- séquent ils ne vont que rarement ou jamais k la messe : ils baptisent souvent eux-mêmes leurs enfans , et quelquefois même ils remet- tent cette cérémonie à l'époque de leur ma- riage, parce qu'alors on Texige. Je me suis vu quelquefois prié de baptiser leurs enfans , qu'ils me montraient galopant k cheval dans la plaine. Quand ils vont k la messe , ils l'en- tendent ordinairement a cheval, et hors de l'église, dont on ouvre la porte exprès. Us ont ( 295) tous un, violent désir d'être enterrés en terre sainte, et les parens et les amis ne manquent pas de rendre ce service aux défunts. Mais comme quelques-uns d'entr'eux sont Irès-éloi- gnés des églises, ils laissent ordinairement pourrir les cadavres dans les champs , après les avoir couverts de pierres ou de brandies , sans les enterrer; et quand il ne reste plus que les os, ils les portent au curé pour qu'il leur donne la sépulture. D'autres dépècent les morts , et leur décharnent bien les os avec un couteau , et ils les portent au curé , après avoir jeté ou enterré les chairs. Si la distance n'excède pas vingt lieues , ils habillent le mort comme s'il était en vie ; ils le placent à cheval, les pieds sur les étriers , et ils l'assujétissent avec deux bâtons attachés en forme de croix de Saint- André , de sorte qu'à le voir on croi- rait qu il est en vie , et c'est ainsi qu'ils le por- tent au curé. Je trouvai dans ces campagnes un français nommé Ben où I^ Hitte Ducos , né aux environs de Toulouse , et qui est à Paris dans ce moment : il peut certifier la vérité de la description que je fais ici des espa- gnols, ainsi que de ce que j'ai dit au Cha- pitre X, des indiens sauvages charrùas, mi- liuanes et autres. ( 296) Leur seule ressource , dans les maladies , est de s'adresser à quelque indienne ou indien chrétien, ou même à quelqu'un d'entre les bergers, qui leur applique un remède ou un emplâtre, comme bon lui semble. Quand ils ont quelque malade chez eux , leur coutume est de demander quelque remède à tous les passans , et si on leur en indique, i!s le font sur-le-champ et de bonne foi. Un vieillard qui avait mal à la tête m'ayant consulté, je lui dis, en plaisantant, de se faire saigner deux fois, croyant que , dans ces déserts , il ne trouverait personne qui pût lui faire cette opération. Le soir il vint se plaindre à moi qu'un officier > qui m'accompagnait, n'avait pas voulu le sai- gner, quoiqu'il l'en eût supplié. Je le consolai , en lui disant qu'il ferait mieux de se coucher de suite, après s'être bien lavé les pieds et avoir coupé ses ongles, parce qu'ils étaient si longs que probablement il ne les avait jamais coupés , et que c'était de là que venait son mal. Il le fît au pied de la lettre , et se trouva guéri : cela lui inspira une telle confiance en moi , que , six mois après, il m'écrivit pour me con- sulter sur la maladie de son fils, sans entrer dans aucun détail, et se contentant de me marquer que les uns disaient que c'était une ( 297 ) hernie , et les autres une fièvre maligne. Ces bergers n'ont ordinairement dans leurs cases d'autres meubles qu'un baril pour aller chercher de Peau, une corne pour boire , des broches de bois pour faire rôtir la viande, f t ime chocolatière ou petit vase de cuivre, pour chauffer Teau où ils font infuser Thcrhe «lu Paraguay, comme nous l'avons vu Chapitre Y. Pour faire du bouillon à un malade, s'ils n'ont point de chocolatière , ils mettent, dans une corne de taureau pleine d'eau, de la viande coupée en petits morceaux, et ils la font cuire en entourant celle corne d'une grande quan- tilé de braise. Quelques-uns ont une marmite et une jatte , une ou deux chaises , ou un banc , et quelquefois un lit; c'est à-dire un grabat formé de quatre bâtons, et attaché à quatre pieux qui lui servent de pieds, avec une peau de vache par- dessus; mais le plus ordinaire- ment ils dorment sur une peau étendue par terre. Ils s'asseyent sur leurs talons, ou sur un crâne de vache ou de cheval. Ils ne mangent ni légumes ni salades , disant que c'est du foin; et ils se moquent des européens, qui en man- gent comme les chevaux, et qui font usage d'huile, autre chose pour laquelle ils ont un grand dégoût. Ils ne se nourrissent absolu- (298) ment que de viande de vache , rôtie à la ma- nière des chanùas, et sans sel. Ils n'ont point d'heure fixe pour leurs repas : ils s'essuient la bouche avec le dos de leur couteau, et les doigts à leurs jambes ou à leurs bottes. Ils ne mangent point de veau , et ne boivent qu'a- près le repas. Les environs de leurs cases sont toujours couverts d'os et de cadavres de va- ches qui se pourrissent et qui empestent j car ces bergers ne mangent que les côtes , l'entre- cuisse , et la chair qui recouvre le ventre et Testomac , qu'ils appellent matahambre ^ et ils jettent tout le reste. Ces cadavres attirent une multitude d'oiseaux, qui incommodent par leurs cris continuels j et la corruption engendre également une infinité de mouches, de scarabées et d'insectes. Dans les pâturages du Paraguay, qui sont plus petits et adminis- trés avec plus d'économie , on fait dessécher * la viande , en la coupant en filets de la grosseur du doigt, que Ton expose au soleil pour les manger ensuite. On y trouve aussi ordinaire- ment un peu plus de propreté , un mobilier un peu mieux monté, c'est-à-dire un hamac ou un filet suspendu aux deux bouts pour se coucher. • Charcjuear , en espagnoL ( 299 ) Les maîtres bergers ou les propriétaires, el en général ceux qui jouissent de quelque ai- sance, ont une veste ou pourpoint, un gilet, des culottes , un caleçon blanc , un chapeau , des chaussures, et de plus nn poncho ^ c'esl-a- dire un morceau d'étoffe de laine ou de coton , fabriquée dans la province du Tucuman , large de sept palmes, long de douze, avec une ou- verture au milieu pour passer la tête. Mais les journaliers n'ont ni veste , ni culottes , ni gilet, et ils se contentent de s'attacher sur les reins avec une corde le chiripa ^ qui est un morceau d'étoffe de laine grossière. Il y en a beaucoup qui n'ont pas de chemise 3 mais ils ont tous un chapeau, des caleçons blancs, un poncho y el des bottes d'un demi-pied, faites de peaux de jambes de poulain ou de veau , dont la courbe forme le talon de la botte. D'autres se servent pour cet effet de peaux de chat sauvage. Comme ils n'ont point de barbiers, ils portent ordinairement la barbe très-longue \ ils se rasent eux - mêmes rare- ment , et pour l'ordinaire avec leur couteau. Les femmes vont nu ds- pieds et sont mal-pro- pres. Leur habillement se réduit ordinaire- ment à une chemise attachée sur les reins par une ceinture , cl sans manches \ souvent ( 3oo ) même elles n^en ont pas de recliange. Pour laver celte chemise, elles vont sur le bord de l'eau, se dépouillent, la lavent et retendent au soleil : lorsqu'elle est sèche , elles se la re- mettent sur le corps et retournent chez elles. En général, elles ne s'occupent ni a coudre, ni à filer; leurs occupations se bornent à ba- layer , à faire du feu pour rôtir la viande , et chauffer l'eau où s'infuse le mate ou herbe du Paraguay. Les femmes des maîtres bergers ou de ceux qui jouissent de quelque aisance , sont un peu mieux vêtues, et les journaliers du Paraguay ont ordinairement quelque linge de rechange. Comme les gens de la campagne n'ont pas ordinairement des habits pour changer, ils les préservent de la pluie qui tombe, en les met- tant sous la peau qui couvre la selle du cheval , pour s'habiller sitôt que la pluie a cessé. Il leur est indifférent de se mouiller, parce qu'ils disent qu'ils se sèchent dans un instant , et qu'il n'en est pas ainsi des habits. Quand ils ont besoin de faire la cuisine , et que la pluie ne le leur permet pas , deux d'entr*eux éten- dent le poncho horizontalement , et le troi- sième fait le feu en-dessous. Comme il y a beaucoup de femmes qui (3oi) accoucLenl toutes seules, et que toutes ne savent pas nouer le cordon ombilical, j'ai vu un assez grand nombre d'hommes et de femmes adultes, qui avaient un nombril long de quatre pouces , et qu'on aurait pris pour toute autre chose ; ce nombril était mou et enfle. A peine un enfant a-t-il huit jours , que son père ou son frère le prennent dans leurs bras et le promènent à cheval à travers les champs, jusqu'à ce qu'il se mette a pleurer; et alors ils le rapportent a la mère qui lui donne à teter. Ces promenades se répètent fréquem- ment, jusqu'à ce que l'enfant soit en état de monter seul des chevaux vieux et tranquilles. C'est ainsi qu'on l'élève; et, comme il n'entend point sonner d'horloge, et qu'il ne voit pres- crire ni règle ni mesure sur quoi que ce soit, que ses yeux n'aperçoivent que des lacs , des rivières , des déserts, et quelques hommes nuds et errans qui poursuivent les bêtes fé- roces et les taureaux , il s'accoutume au même genre de vie et à l'indépendance : il ne con- naît en rien, ni m^esures, ni calculs, ni règles; il n'aime pas la société de peuples qu'il ne connaît pas , et l'amour de la patrie lui est entièrement inconnu : il compte pour rien la pudeur , la décence et les commodités de la vlej il manque de toute espèce d'inslruclîon î et ne sait même pas obéir : accoutumé dès l'enfance à égorger des animaux, il lui paraît tout aussi naturel d'en faire autant à un homme, souvent même sans aucun motif particulier , mais toujours de sang- froid et sans colère , parce que celte passion est inconnue dans ces déserts, oii il n'y a guères d'occasions capables de l'exciter. En effet, il n'y a que des sociétés nombreuses qui puissent faire naître et ali- menter cette passion. En général ces bergers sont très-robustes , et peu sujets aux maladies , sur-tout les métis d'espagnol et d'indien : aussi ne se plaignent- ils jamais , lorsque par hasard ils sont malades , ni même dans les plus grandes douleurs. Us font peu de cas de la vie , et la mort leur est indifférente. Je les ai vu aller au supplice de sang-froid , et sans aucune démonstration de sensibilité. J'en ai vu d'autres , au moment même où ils venaient de recevoir des coups de poignard mortels , ne laisser échapper au- cune plainte , et se contenter de dire : cet homme est venu à bout de moi. Si , dans leurs derniers momens , ils perdent la raison , et que cela leur fasse dire quelques paroles , ils ne font guères que nommer leur cheval favori , ( 3o5 ) non pour le regretter, mais pour vanter ses bonnes qualités. Lorsque je nie trouvai dans ces plaines , il arriva qu'un mulâtre, fàchë des propos qu'un métis avait tenus en son absence, alla le chercher , et , l'ayant trouvé assis sur ses talons et à déjeûner , il lui dit , sans descen- dre de cheval : « Mon ami , Je suis fâché contre « vous, et je viens vous tuer. » Le métis ne bougea pas , et lui demanda pourquoi j ils continuèrent k s'expliquer flegmatiquement, et sans élever la voix , jusqu'à ce que le mulâtre descendit de cheval et tua le métif., 11 y avait pour spectateurs douze autres habi- tans du pays j mais, d'après leur coutume invariable, personne ne se mêla de la dispute. Il n'y a point d'exemple qu'aucun d'eux s'offre pour médiateur dans les querelles, ni qu'ils aient arrêté ou saisi un coupable, et ils regar- dent toutes ces affaires avec autant d'indiffé- rence que le reste. Il est vrai que je crois qu'ils penseraient se déshonorer, s'ils décou- vraient ou arrêtaient des criminels , quelque forfait qu'ils eussent commis , et c'est pour cela qu'ils les cachent et les favorisent autant qu'ils peuvent. Ils ont beaucoup de répugnance pour servir de domestique à qui que ce soit dans les mai- (5o4) sons; mais ils ont moins de vanité que les habltans des villes , et les espagnols ne font aucune difTicullé de remplir ce même rôle de domestique pour la garde des troupeaux, con- jointement avec des nègres, des gens de cou- leur et des indiens , quand bien même le maître berger appartiendrait à cette classe. Mais comme ils sont constamment accoutu- mes a ne faire que ce qui leur plaît, on ne les voit jamais prendre d'attacbement pour le sol ni pour leur maître, quoique celui-ci les paye et les traite bien. Ils Tabandonnent quand l'envie leur en prend , le plus souvent même sans lui faire leurs adieux, et, tout au plus , ils disent en s'en allant : « Je m'en vais, « parce qu'il y a assez long-tems que je vous « sers. » Il est inutile de leur faire ni prières , ni reproches , parce qu'ils n'y répondent qu'en répétant la même chose, et qu'ils ne manquent jamais de s'en aller. Us sont très-hospitaliers , et si quelque passant se présente chez eux, ils le logent et le nourrissent , souvent même sans lui demander qui il est , ni oii il va, quand bien même il resterait pendant plusieurs mois. C'est une chose que j'ai vue. Ces bergers élevés dans un désert , sans presque aucune communication, ne «onnaîs- ( 3o5 ) sent guère Tarnihé, et par conséquent sont enclins à la défiance et à la ruse ; de là vient que , lorsqu'ils jouent aux cartes, pour les- quelles ils ont une violente passion, ils s'as- seyent à leur ordinaire sur les talons, tenant sous leurs pieds la bride de leur cheval , de peur qu'il ne s'en aille ; et souvent même il ont a côté d'eux leur poignard ou leur cou- teau fîcbé en terre , prêts à tuer celui qui joue avec eux, s'ils s'aperçoivent de quelque tri- cherie , parce qu'ils sont savans sur cet article, et qu'ils ne se piquent pas de loyauté au jeu. Ils jouent , dans un instant, tout ce qu'ils pos- sèdent , et toujours de sang-froid. Quand ils ont perdu tout leur argent , ils jouent leur chemise , si elle en vaut la peine , et le ga* gnant donne ordinairement la sienne au per- dant, si elle ne vaut plus rien, parce que chez eux personne n'en a deux. Quand il s'agit de se marier, les futurs époux emprun- tent du linge ; ils l'ôtent en sortant de l'église et le rendent aux prêteurs, après quoi ils vont se coucher sur une peau de vache étendue par terre, et souvent même ils n'ont ni mai^ sons , ni meubles. Quelques propriétaires de troupeaux ou maîtres bergers vendent chez eux quelques II. a. 30 ( 3o6 ) bagatelles , et sur-tout de Teau-de-vie ; alors , leurs maisons s'appellent pulperias ^ et ce sont des poinls de réunion ou rendez vous pour les habitans de la campagne, qui ne font aucun cas de l'argent, et qui ne l'emploient que pour le jeu et pour la boisson. Leur cou- tume est d'inviter à boire toute la compagnie; alors ils remplissent un grand vase d'eau-de- vie ( car ils n'aiment pas le vin ) et ils le font passer à la ronde. Ils répètent cette céré- monie jusqu'à ce qu'il ne leur reste plus un sou , et ils se croient offensés si on se refuse à leur invitation. Pour passer le tems qui s'écoule entre les différentes rasades , il y a dans chaque pulperia une guitare , et celui qui en joue est toujours régalé et admis à l'écot de ceux qui l'écoutent. Ces musiciens ne chantent jamais que à.^^ y arabes; ce sont des chansons du Pérou, les plus monotones et les plus tristes du monde , ce qui leur a fait donner aussi le nom de tristes. Le ton en est lamentable, et elles roulent toujours sur des amours malheureux, sur des amans qui pleu- rent leurs peines dans les déserts, mais jamais sur des choses gaies , plaisantes, ou même iii- difiérentes. Ces bergers sont naturellement portés à ( 3o7 ) voler des cbevaux ou de petits objets; mais ils ne font jamais de vols considérables. Ils aiment aussi à luer des animaux sauvao^es et même des vaches , sans nécessite. Ils ont beau- coup de répugnance pour toutes les occupa- tions auxquelles ils ne peuvent pas se livrera cheval et au galop. Ils ne savent presque pas aller à pied, et ce n'est qu'avec peine être» pugnance qu'ils le font, quand ce ne serait que pour traverser la rue. Lorsqu'ils se réu- nissent à U pulperia, ou par-tout ailleurs, ils restent toujours à cheval, quoique la con- versation dure plusieurs heures. Quand ils vont à la pêche, ils sont toujours à cheval même pour jeter et retirer le filet au milieu' de l'eau. Pour en tirer d'un puits, ils atta- chent la corde à leur cheval , et la lui fout tirer sans mettre pied à terre. S'il leur faut du mortier, ne fût-ce que ce qu'il en tiendrait dans un chapeau, ils le font pétrir par leurs chevaux, à force de les faire aller et revenir dessus, et sans jamais en descendre. Enfin tout ce qu'ils font, c'est à cheval. Un exercice continué sans interruption presque dès leur naissance , les rend habiles dans ce genre au-delà de toute comparaison , soit pour se tenir fermes , soit pour galoper ( SoÛ ) conlinuellemeiil sans se fatiguer. En Europe, on trouverait peut-être qu'ils manquent de grâces, parce que leurs éliiers sont bas, parce qu'ils serrent peu les genoux, el parce qu'ils écartent beaucoup les jambes, sans diriger la pointe des pieds vers l'oreille du cheval; mais il n^ a pas de risque qu'ils perdent l'équilibre un seul instant , ni que leur corps se dérange par le trot ou le galop, ni même par les ruades, les courbettes ou les écarts du cheval ; on dirait qu ils ne font qu'un même corps avec le cheval , quoique leurs étriers se réduisent à des triangles de bois si petits , qu'il n'y peut entrer que la pointe de l'orteil. En général, ils montent indifféremment le premier poulain venu , quand bien même il serait marron , et qu'ils viendraient de le pren- dre , et quelquefois même ils montent des taureaux. Avec leur lacet attaché à la sangle de leur cheval, ils arrêtent et assujétissent à la distance de douze ou quinze toises, quelque animal que ce soit, et même un taureau , en lui lançant ce lacet au cou ou aux pieds, et ils ne manquent jamais d'attraper le pied auquel ils ont visé. Ce lacet est un cordon ou tresse de quatre lanières ou courroies de peau de vache , de la grosseur du pouce , avec un an- (5oo) neau de fer au bout pour le faire coulei% Quand ils vont au galop, et que leur cheval tombe , la plupart d'entr'eux restent debout à coté du cheval, sans s'être fait aucun mal, et la bride à la main pour l'empêcher de s'échap- per. Pour s'exercer, il y en a qui prient quel- que autre personne de lancer le lacet aux jambes de leur cheval au galop , et ils se re- trouvent toujours debout, comme nous ve- nons de le dire , quoique le cheval soit tombé après mille courbettes. Quant aux boules ^ ils en font le même usage que les pampas. ( Vo^ez» Chapitre X. ) On ne saurait croire jusqu'à quel point ils connaissent les chevaux , et les animaux en général. Je n'avais qu'à dire à un de ces hommes ; « Tiens, voilà deux cents chevaux « ( et même davantage') qui sont à moi 5 aies « en soin , et tu en répondras. » Il les regar- dait un instant avec attention , quoiqu'ils fus- sent à paître quelquefois à la distance d'une demi-lieue : cela suffisait pour les lui faire tous reconnaître , et pour qu'il ne s'en perdît pas un seul , quoiqu'il se contentât de les regarder de loin. Une chose non moins admi- rable est la justesse avec laquelle ceux d'en- tr'eux 5 qu'oa appelle baqueanos ou experts ^ ( 5.0) savent connaître au premier coup - d'œil le meilleur endroit pour passer une rivière que l'on découvre à une ou deux lieues de dis- tance , quand bien même ils ne l'auraient ja- mais vue. Ils ne manquent jamais d'arriver à l'endroit qu'on leur demande , sans faire de détours j quoique il n'y ait ni arbres , ni chemins, ni marques, et que l'on se trouve dans un pays entièrement horizontal , et cela, la nuit comme le jour, et sans boussole. Outre les bergers , il y a dans ces plaines beaucoup d'hommes qui ne veulent absolu- ment ni travailler, ni servir les autres, à quel- que titre et à quelque prix que ce soit. J'en ai rencontré plusieurs presque nus; et quand je leur demandais s ils voulaient se mettre à mon service pour avoir soin de mes chevaux, ou pour toute autre chose, ils me répondaient avec le plus grand sang-froid du monde : « Je « cherche aussi quelqu'un qui veuille me ser- « vir; voulez-vous le faire? » « As-tu de quoi « me payer ? répliquais- je. » « Pas un obole « répondait-il ; mais c'était pour voir si par ha- « sard vous auriez envie de me servir gratis. » Ces hommes sont presque tous voleurs, et ils enlèvent même des femmes. Ils les emmènent au fond des bois déserts, oii ils leur cons- ( 3ii ) truîsenl une petite hutte semblable a celle des charrùas ( voyez Chapitre X) , et ils les nour- rissent de la viande des vaches sauvages qu'il y a dans les environs. Quand le ménage se trouve absolument dénué de vêteniens , ou quand ils sont pressés par quelqu'autre be- soin urgent , l'homme part tout seul , et va voler des chevaux dans les pâturages espa- gnols : il va les vendre au Brésil , et en rap- porte ce dont il a besoin. J'ai découvert et arrêté plusieurs de ces voleurs, et j'ai re- trouvé les femmes qu'ils avaient volées. Une de ces femmes, espagnole, jeune et jolie , et qui depuis dix ans vivait avec cette espèce de gens , ne voulait pas retourner chez ses parens, et voyait avec peine que je la ramenasse à la maison paternelle. Elle me conta qu'elle avait été enlevée par un nommé Cuenca ^ ç\\\\ îxxt tué par un autre ; que celui-ci le fut par un troisième, auquel un quatrième, son dernier mari, avait fait éprouver le même sort. Jamais elle ne prononçait le nom de ce Cuenca sans pleurer, et sans me dire que c'était le premier homme du monde, et que sa naissance devait avoir coûté la vie à sa mère , pour qu'il fût l'unique dans ce monde. J'ai donné, en Espagne, au ministère d'Etat , (3.3 ) nn mémoire snr la partie politique relative avix pays dont je parle : mais comme ce n'est pas ici le moment de le copier, je vais ter- miner ce Chapitre par un état du commerce qui s'y fait actuellement , après avoir donné une idée de celui qui s'y faisait autrefois. Ceux qui commerçaient jadis en Amérique, ïi'y cherchaient que l'or et l'argent , et ne fai- saient aucun cas des pays qui ne produisaient pas ces métaux ,tels que celui que je décris. Mais comme ils craignaient qu'on n'intro-^ duisît des marchandises au Pérou par Buenos- Ayres , et que cela ne nuisît aux cargaisons des flottes et des galions qu'ils envoyaient à Panama, etc. , ils demandèrent au gouverne- ment, et en obtinrent la prohibition de toute espèce de commerce par la rivière de la Plata^ Ceux qui avaient à souflVir de cette mesure furent de fortes réclamations , et, en 1602, on leur permit d'e^i porter, pendant six ans, sur des bâtimens à eux appartenant , et pour leur compte, deux mille fanègues de farine, cinq cents quintaux de viande boucannée, et cinq cents quintaux de suif. Mais ils ne pouvaient exporter ces objets qu'au Brésil portugais et à la côte de Guinée , pour rapporter au retour les objets dont ils avaient besoin. Tous les ( 3i3 ) autres poils leur étaient hilerdils. Quand le terme fixé pour celte permission fut arrivé , un en demanda la prorogation indéfinie , et même avec augmentation; car on voulait étendre la permission à toute espèce de mar- chandise, et même être autorisé à commercer directement avec l'Espagne, soit sur des bâ- limens appartenant à la colonie, soit sur tous ceux qu'elle pourrait fréter pour son compte. Les consulats de Lima et de Seville s'oppo- sèrent avec violence à cette demande. Cepen- dazit,le 8 septembre 1618, on accorda aux habitans des bords de la rivière de laPlata, la permission d'expédier deux navires , dont chacun ne devait pas excéder le port de cent tonneaux. On leur imposa plusieurs autres conditions; et pour que rien n'entrât dans l'intérieur du Pérou, on établit, à Coidoba- del-Tucuman , une douane pour y faire payer cinquante pour cent sur tous les objets im- portés. Cette douane devait également empê- cher l'extraction de l'or et de l'argent du Pérou pour Buenos- Ayres, même pour le paiement des mules que ce dernier endroit fournissait. Quand le lems de celte permission fut expiré , elle fut prorogée d'une manière indéfinie, par un autre ordre du ^ février 1622; et l'on crut ( 3.4 ) contribuer à la prospérité de ce pays en fon- dant , en i665 , à Buenos-Ayres une audience royale , qu'il fallut supprimer comme inutile en 1672. C'est dans cet état que demeurèrent les choses , quoique l'on permît de tems en lems à quelques particuliers d'expédier quel- ques navires chargés jusqu'au 1 2 octobre 1778., époque à laquelle on permit toute espèce de commerce sur la rivière de la Plata , et même avec l'intérieur du Pérou. Le tableau ci-contre présente un état du commerce maritime de tous les ports de la rivière de la Plata , en prenant le terme moyen des cinq dernières années de paix qui se sont écoulées pendant mon séjour dans le pays. Les prix sont fixés d'après les tarifs des douanes de ces colonies. En comparant l'im- portation avec l'exportation , on voit que celle-ci donne un excédant de 1,908,4^7 pias- tres fortes , ce qui paraît indiquer que le tarif est plus faible à proportion pour les objets d'importation , ou qu'il se fait beaucoup de contrebande pour l'introduction des mar- chandises. Une très-grande partie des objets d'impor- tation dont parle ce tableau passe au Chili, à Lima , au Potosy et aux provinces de Tinté- TABLE AU présentant un état de commerce de tous les ports de la rivière de La Vlata: ARRIVÉE DES BATIMExN'S. SORTIE DES BATIMENS. NOMS DES PORTS d'où ou les expédie. ™pî°">'"°"''''*«""' TALEUR v'oJuiir'lrangei' VALEUR NOMS DES PORTS où ils aniveiu. ..fp'J.'iit'ï,''» ^'ir- en p[..„e. ViLEVR ~7 63i,6i5 2 595,229 5 223,484 à 32^50 , I i 6,i52 5 4,684 6 287 3 923,5.5 21,845 2 1 Si' 1,554,5282 617,074 7 i 233,o6q 56,68b 5 i 10,552 . 6,7843 à 2875 ig Cadix 447,483 5 277,501 » 32,685 .) 5o,.89 « 2,39, ,845 5 56i,568 4 1,656,729 3| 21 1 Barcelone et Malasa- Corognc Saint-André. . .. iSlBarcelonectMalaga. 81 Corognc 3| Saiul-André. . .. kl 200,585 6 938,548 i 5,202 5 83,281 6 625,696 5 1,652 .. 1 1 Jijon Saint-Liccar. . .. 57,025 3 53i 2,545,564 7 k 4,667,166 7i Détail des Denrées exportées dans les l\i bâti, Cuirs de taureau, en poil 758,ii7 Cuirs corroyés i ,626 Cuirs de cheval 15,760 Peaux fines 26,197 Baz.anes douzaines aSi Suif arrobes 25,352 Chair salée quintaux 1,452 Salé quintaux 46 Lames de corne milliers 325 Crinières de cheval arrobes 143 BATIMENS VENUS DE LA HAVANE. Sucre arrobes i3,o57 Confitures arrobes 37 Miel carafes .52 Cacao arrobes 65 Café arrobes 225 Eau-d"e-vic.'.'. . . ". barils 1,277 Riz, quintaux 240 Cire arrobes 5o5 Goudron et bral quintaux 3? Linge P'éces 473a Manne 1 //p/m 96 Bois de' teinture.'.'.'.'.'. ...'..'. quintaux 57| Bois d'acona quintaux .88 Laine de vigogne lit'res .8,4o3 Laine de gors.ique lii'res 2,744 Laine de brebis arrobes 2,745 Plumas.°.£aux ie,2og 1"" Valeur totale en piastres BATIMENS VENUS DE LIMA. 56,544 Quinquina arrobes 64 Huile de baleine. arrobes 540 Cuivre quintaux 2,1.4 Etaiu. ••••.,..,. c t quintaux 10 BATIMENS SORTIS POUR LA HAVANE. Argent en piastres .7,236 Chair salée quintaux 59,281 Suif, arrobes 10,617 Peaux fines i47 Cuirs de loup marin 523 Laine de brebis arrobes 80 Bazanes douzaines 1 .3 Farine quintaux 44" Huile de loup marin quintaux 25 Cuivre quintanx 5o Plumasseaux 1° ■ totale ( BATIMENS SORTIS POUR LIMA. Sucre Canelle Riz Pierres de sel. . In-ligo itr travaillé. . . arrobes 4^537 arrobes 2g5 . . livres 75i luintaux 80 Valeur totale en piastres BATIMENS VENUS AVEC DES NÈGRES. Herbe du Paraguay . . Suif Peaux de cygne Nfgres Pioches Fil Bas de soie Chapeaux ordinaires. Valeur totale en piastres. Nègres . . Pioches . Valeur totale en piastres Les valeurs de toutes les importations et 3,602 verbes de graisse de loup BATIMENS SORTIS POUR ALLER CHERCHER DES NÈGRES. A,.rT,.nt en nî.ntirnc .20,276 13,758 Valeur des produits en piastres. •. Valeur totale en piastres. s et exportations montent à 7,879,968 piastres 7 réaux. tidcu.x de la compagnie de la ri>dic, conduisant en Espagne 17,561 cuirs de loup I 534 de baleine , et »oo anolies de barbes de baleine. 37 peaux de lion t Tome n, vage 3i4. ( 3.5) rieur ^ le reste se consomme dans les gouver- nemens de Buenos-Ayres et du Paraguay, qui sont l'objet de ma descripiion.Ces mêmes gou- vornemens envoient annuellement au Chili, et dans les autres endroits dont je viens de parler, cent cinquante mille arrobes d'herbe du Paraguay, et soixante mille mules; mais , en échange , ils reçoivent, par an, sept mille trois cent treize barils devin de Mendoza , trois mille neuf cent quarante-deux zV/i^z/z d'eau- de-vie de San-Juan, et cent cinquante mille ponchos, couvertures et cuirs du Tucuman. »]'ai dressé cet état d'après le résultat moyen de cinq années, c'est-à-dire, de 1792 à 1796. Le gouvernement du Paraguay fait un commerce particulier avec celui de Buenos- Ayres, auquel il envoie cent quatre- vingt seize mille arrobes d'herbe du Paraguay, du tabac , beaucoup de bois , et d'autres objets , qui , d'a- près le relevé de cinq ans, de 1788 a 1792, montaient à la somme de 527,646 piastres fortes. Ce que Buenos-Ayres fournissait en retour n'allait qu'à 155,905 piastres : ce qui prouve que le Paraguay s'enrichera bientôt, quoiqu'on n'y connut pas la monîiaie, lorsque j'y arrivai. < 3i6 ) CHAPITRE XVI. Wotice abrégée de toutes les Villes , bourgs , Villages , Paroisses , soit d'Espagnols , soit d'Indiens , soit de gens de couleur, c[ui existent dans le Gouvernement du Paraguay. Vjomme tout ce qu'il y a à dire sur toutes ces colonies , ou du moins sur la plupart , se réduit à Tannëe de leur fondation , au nombre de leurs habitans , à leur situation géogra- phique, ou leur latitude et leur longitude, toutes choses que l'on peut marquer très- facilement dans un tableau, je me bornerai i2niquement à rapporter quelque chose de celles qui ofïrent quoique particularité ^ et pour le reste, je renverrai au tableau que je placerai a la fin. Il faut savoir aussi que les villes des espa- gnols et les peuplades des indiens et des gens de couleur, sont disposées comme en Espagne, c'est-à-dire , que les maisons sont réunies , et que leur assemblage forme des rues et des places ; mais que tous les bourgs et les pa- roisses ont leurs maisons répandues dans les campagnes à différentes dislances , excepté un petit nombre qui se trouve à côté de l'église ou de la chapelle. J'observe également que les maisons des peuplades indiennes établies par les jésuites, sont couvertes de tuiles , et que les murs en sont de brique cuite que celles des autres indiens et des gens de couleur, ainsi que des bourgs et des paroisses sont , en général , telles que je les ai décrites au Chapitre précédent, et que la plupart des édifices des villes sont de briques cuites ou de pierres liées par un mortier d'argile ; que les joints extérieurs sont crépis de chaux et de sable , et que les toils sont de tuiles. L'Assomption. On commença a bâtir cette ville en i556, sur la rive orientale de la ri- vière du Paraguay, latitude, ^5° i6' ^o^\ lon- gitude, 60*^ i' 4^' : elle fut la capitale de l'Em- pire espagnol dans ces contrées , jusqu'à ce qu'on établit, en 1620, un autre gouvernement et un autre évêché à Buenos - Ayres. Il en sortit plusieurs colonies, telles que les bourgs d'Ontiveros,deYillaricaet de Taîavera, et les villes appelées Ciudad real ^ Xerez , Santa^ Criiz- de-la- Sierra y Corrientes , Concepcion- deUVermejo ^ Sa/i-Juan , Santa-Fé delà (3,8) Vei^a-Criiz et Buenos-A^i^es. Le sol est en pente et sablonneux ; les rues sont tortueuses et inégales dans leur largeur. Il y a une cathé- drale, deux paroisses , une succursale, et une population de 7,088 âmes. H y a aussi trois couvens de Cordeliers, de pères de la Merci et de Dominicains, un commissaire de l'inqui- sition , et un collège où l'on enseigne les pre- miers élémens des lettres, la grammaire, la philosophie et la théologie. Villakica-del-Espiritu-Santo. Elle fut fondée , en 1 676 , dans la province de Guay ra , à deux lieues de la rivière du Paranâ ; mais bientôt après on quitta cet emplacement pour aller s'établir à l'est , à côté de la rivière d'Huibay, et ensuite au confluent de cette rivière et de celle de Curubaty. Les portugais ayant ruiné , en i65i , les peuplades indiennes de ces cantons, on transporta rétablissement de Yillarica, réuni à celui de Ciudad-Real , à dix lieues au nord de l'endroit où existe au- jourd'hui Curuguaty. En i654,, on forma une colonie, entre les ruisseaux Jejuy-Guazu et Jejny-Miri , ensuite où est Curuguaty; et les portugais ayant détruit les peuplades indiennes du voisinage , on établit, en 1676, ce bourg à côté de la paroisse de Los Ajos, d'où il a été transféré , en 1680, à l'endroit qu'il occupe actuellement , oii il y a un couvent de Corde- liers. Lorsque ce bourg était situé dans le Guayra, il en sortit la colonie appelée Se^ gunda Xerez ( second Xerez ) 5 et , en 1 7 1 5 , le bourg actuel de Curuguaty. CuRUGUATY. Ce bourg est une colonie du précédent. Yta. C'est la peuplade la plus ancienne d'indiens carios ou guaranys. Ils furent vaincus par Jean d'Ayolas , dans une bataille livrée en i556. Ils habitaient aux environs de l'en- droit qu'ils occupent a présent. Yaguaron.Lcs indiens guaranys qui l'ha- bitent vivaient sur les bords du ruisseau Ya- guary qui se jette dans la rivière Tebicuary. Ce fut à un détachement de ces indiens que la peuplade de San-Ygnacio-Guazù dut son commencement. Ypainé. Il fut fondé dans la province d'Y- tati , à l'endroit marqué sur le tableau du Cha- pitre XII. Il s'appelait alors Pitun.l^es indiens guaranys dont il était formé , craignant les mbajâs , passèrent, à la fîii de novembre 1675, à l'endroit qu'ils occupent, et oii ils ont eu à essuyer plusieurs attaques de la part des in- diens du Chaco. ( 5:>o ) GuAKAMBAKÉ. Il csl compose (Ic guavuiiys , et fut fondé à la même époque que le pré- cédent, et a l'endroit que j'ai indiqué dans le tableau du Chapitre XII. Les habitans , réunis à ceux d'Ypané, ont émigré à l'endroit oii ce hourg est actuellement situé. Atira. Il était composé de guaranys , et fut fondé en même tems que les deux prccé«- dens, à l'endroit où est aujourd'hui celui de Belen, ace que je crois. La crainte des mbayas engagea ces trois peuplades à se réunir dans leur émigration, et celle d'Atirâ s'incorpora à une bourgade appelée de Los Yois ^ qui perdit son nom. Aregua. Je ne doute pas qu'elle n'ait été fondée, en i558, dans le même endroit oii elle existe , et formée d'indiens guaranjs , nommés mongolâs. Il paraît que le visiteur Alfaro les donna au couvent des pères de la Merci , en qualité de janaconas , ou de do- mestiques; et comme ces religieux en joui- rent pendant long- tems, ils s'imaginèrent que ces indiens étaient leurs esclaves, jusqu'à ce qu'il fût déclaré par jugement contradictoire rendu en 1785, que ces indiens étaient de la classe des yanaconas. Altos. Fondé , en i558, dans l'endroit où ( 321 ) il est , et formé de guaranys , réuni le 7 no- vembre 1677, à ^^ peuplade d'Arecaya qui s'y incorpora. Cette peuplade avait été fondée, en 1 652 , aux environs de la rivière de Curuguaty, dont j'estime la position à 24° 25^ de latitude , et à 58° 36' de longitude. Le gouverneur la détruisit en 1660, et dispersa parmi les es- pagnols , les indiens qui la composaient j mais , en 1664, elle se réunit et s'établit au 25° 11' 45'' de latitude , et au 59° 54' 18" de longitude, et s'incorpora ensuite à celle de Los Altos , ou d'Ybitiruzu. ToBATY. On forma cette peuplade d'in- diens guaranys , en i558, à l'endroit indiqué dans le tableau. Les mbayâs leur ayant tué beaucoup de monde , ils allèrent habiter, le dernier de février 1699, l'endroit qu'ils occu- pent aujourd'hui. Ytapé. Deux divisions de guaranys , qui vivaient dans les bois près de la source de la rivière Tebicuary, et dont les deux tiers étaient composés de femmes , mourant de faim , demandèrent de quoi vivre , et à être réunies en peuplade , l'année 1675. Le gou- verneur les mit en sûreté dans les peuplades voisines , Caazapâ et Yuti j et , en 1680, on en II. a, 21 ( 522 ) forma une bourgade, à l'endroit même où elle existe aujourd'hui. YuTY. Les espagnols , dans différentes ex- péditions, forcèrent cette tribu de guaranjs, en 1610 , à se réunir en peuplade , à l'endroit 011 existe aujourd'hui celle de Saint-Cosme j mais, en 1675, elle passa à l'endroit qu'elle occupe maintenant. San-Ygnacio-Guazu. L'établissement de cette colonie fut commencé le 2 janv^ier 161 o , par le jésuite Marciel-de-Lorenzana, et par un ecclésiastique nommé Hernando Cueva, Elle fut d'abord formée d'un détachement d'indiens tirés de la peuplade d'Yaguaron , auxquels on réunit bientôt les guaranys des environs , que les espagnols ramassèrent dans différentes expéditions , et qu'ils forcèrent à se fixer à Ytaqui, au 26° 57' 53^^ de latitude, 59"^ 20' 49'' de longitude. Au bout de dix huit ans 5 on transféra cette peuplade à l'endroit oii est la chapelle de Saint-Ange , à l'est 1 2 deg. sud de la peuplade actuelle , oii on la fixa quarante ans après. En 1640, on y ajouta trois cents guaranys , que l'on avait pris sur la cote de la rivière d'Uruguay. SANTA-MARiA-uE-FÉ.JuanCaballeroBazanj ( 5^5) avec sa compagnie d'esj>agnols , forma, en 1592, les peuplades de Tarey , Bombay et Caaguazù,dans la province d'Ytaty,vers les 22^ de latitude , à l'est de la rivière du Para- guay, et chargea de leur direction Hernando Cueva , ecclésiastique. En i652 , la crainte des portugais occasiona la réunion de Tarey et de Bombay, qui prirent le nom de San-Benito ; mais, comme il n'y avait point d'ecclésiasti- ques , on remit , en attendant , la conduite de cette peuplade aux jésuites. Ceux-ci changè- rent aussitôt les noms; lis appellèrent ^a/2r^- Mana-de-Fé\2i peuplade de San-Benito, et celle deCaaguazùpritlenom àeSariYgnacio. Les portugais les attaquèrent en 1649 , et ils emmenèrent avec eux beaucoup deguaranys. Le reste se fixa au bord du Piray ou Aqui- daban , au 25° 9' 3o^' de latitude, endroit qui s'appelait Aguaranamby. Au bout de sept ans , ces colonies revinrent à leur ancien et pri- mitif emplacement , c'est-à-dire, Santa-Maria- de-Fé à 22^4' de latitude, un peu au sud du confluent des rivières de Corrientes et du Paraguay ; et San-Ygnacio à peu de distance de ce dernier endr(^t En 1661 , les mbayâs tuèrent beaucoup d'indiens de la peuplade de Santa- Maria-de-Fé : ceux qui purent s'é- (524) chapper se ré unirent à l'autre peuplade , et s'enfoucèrenl dans un bois, douze lieues à l'est de la rivière du Paraguay , par les 22^ 5o' de latitude. Enfin les jésuites craignant les mbajâs, transférèrent, en 1772, ces deux peuplades sur les bords du Paranâ , oii elles existent actuellement. Santiago. C'est la peuplade dont il est parlé dans l'article précédent, sous le nom àt San-Ygnacio ^ qu'elle changea , parce qu'il y avait dans les environs une autre peuplade qui portait le même nom. Santa-Rosa. Formée, le 2 avril 1698, par les jésuites, d'un détachement tiré de celle de Santa-Maria-de-Fé. San-Cosme.Lc jésuite Formoso fonda cette peuplade, le 24 janvier i634, dans les mon- tagnes del Tapé. Craignant les portugais , en i638, elle passa dans un endroit situé entre la peuplade actuelle de Candelaria et le ruis- seau Aguapey. On la transféra ensuite à la rive septentrionale du Paranà ; mais elle revint s'incorporer à Candelaria, dont elle se sépara en 1718, pour se placer a une lieue à l'est. En 1740, elle passa au nord du Paranà, pour s'établir a trois quarts de lieue au nord de l'en- droit qu'elle occupe aujourd'hui depuis 1760. C 3^5 ) Ytapua. Les jésuites fondèrent celte peu- plade, en 1614, pi'ès de l'endroit où elle est actuellement. Il s'y réunit trois cent soixante indiens guaranys de celle de Santa-Teresa de Ygây ou Yacuy, que les portugais ruinèrent le 25 décembre 1657. Il s'y joignit ensuite le reste de la peuplade de la Natividad , fondée en 1624, sur les bords de la rivière d'Acaray\ et détruite peu de tems après par les portu- gais. En 1705, elle se fixa à l'endroit qu'elle occupe aujourd'hui , et une partie de ses in- diens servit à former la peuplade de Jésus. Candelaria, Fondée par les jésuites, en 1627, vers la source du, ruisseau Pirayù qui se jette dans le Piratinî près de San ^ LuySo Craignant les portugais^ en 1657 elle passa 3U nord du Paranâ près d'Ytapuâ, et elle re^ passa ensuite cette rivière pour se placer près de l'embouchure du ruisseau Ygarupâ , un peu plus bas que l'endroit où elle est actuel-» lement , et où elle s'établit en i665. Santa-Ana. Fondée par les jésuites , en i635^à l'est de la rivière d'Ygây ouiHa^uy. En [656, craignant les portugais , elle émigra vers le Paranâ, à- peu-près à une demi-lieue de l'endroit où elle est aujourd'hui , et qu'elle occupe depuis i66o. ( 526 ) LoRETO. Nuflo de Chaves réduisit ces gua- ranjs en i555, et on les distribua par com- nianderies aux espagnols de la province del Guayrâ. On établit la peuplade à côté de la rivière du Paranà-Pané ; mais, comme il n'y avait point d'ecclésiastiques , on en chargea les jésuites, en avril 1611. En décembre i65i , elle prit la fuite , craignant les portugais , et , à la fin de mars de l'année suivante, elle s'éta- blit sur le bord du ruisseau Yabebiry, à l'en- droit cil passe le chemin qui conduit h. San- Ygnacio-Mirj. Elle remonta ensuite un peu, et finit par reprendre son ancien local 5 et, en 1686, elle se fixa à l'endroit oii on la trouve actuellement. San-Ygnacio-Miry. Absolument dans le même cas que la peuplade précédente. Elles étaient près l'une de l'autre dans la province del Guayrâ : elles se transportèrent ensemble sur les bords de la rivière Yabebiry, et celle de San-Ygnacio s'établit à l'endroit oii cette rivière forme un grand détour. Elle s'appro- cha ei^ite du Paranà, et, le Ti juin 1659, elle se fixa oii elle est aujourd'hui. Corpus. Fondée par les jésuites, en 1622, à l'ouest du Paranà , sur le bord d'un petit ruisseau appelé Jniambey , où elle fut augmen- ( 527 ) tée par rincorporalîon de la moilîé cl'uoe autre peuplade appelée Natividad , dont l'autre moitié se réunit à Ytapùa. En 1647, elle passa aux bords du Paranâ , a- peu-près à trois quarts de lieue de Fendroit qu'elle oc- cupe, où elle se fixa le 13 mai 1702. Trinidad. Fondée en 1706, et formée d'un détachement d'indiens tirés de San -Carlos, qui s'établirent à 27^ 4^' ^'^ ^^ latitude , et à 57^ 67' 4^'' ^^ longitude : mais, en 1 7 12 , elle se fixa à l'endroit oii elle est aujourd'hui. Jésus. Les jésuites la fondèrent, en i685^ sur les bords de la rivière de Monday près du Paranâ. Elle alla ensuite du côté du cou- chant, et, avec le secours des indiens d'Yta- pùa, elle s'établit sur les bords du ruisseau Ybaroty, près de cette même rivière de Mon- day. Elle passa ensuite au ruisseau Mandizoby, et depuis à celui qu'on appelle Capibary, vers le chemin qui conduit aujourd'hui à la Tri- nidad, et enfin à l'endroit qu'elle occupe. San - JoAQUiN. Fondée par les jésuites, comme je l'ai dit au Chapitre XÏII, en 1720, sous le nom de Rosario^ sur le ruisseau Ta- rumâ: en 1724, elle se réunit à celle de Santa- Maria-de Fé , et à d'autres. Mais, en 1755 , soixante familles s'en échappèrent, pour re- ( 528 ) tourner à leur pays. Au mois d'août 1746, on fonda encore une fois la peuplade de San-Joa- quin , aux 24° 44^ 49^' ^^ latitude , et aux 58"^ 58^ 5 1^' de longitude; et en 1755, elle se fixa à l'endroit où elle existe aujourd'hui. San EsTANiSLADo. Commencée par les je* suites, le i5 novembre 1749^ et formée ensuite de la manière que j'ai expliquée Chap. XIII. Belen. Fondée par les jésuites, en 1760, d'après la méthode décrite au Chap. XIII. Nota. Dans le Tableau cî-contre , V signifie ville , B bourg , P Paroisse , Y peuplade d'indiens , M peu- plade de mulâtres ou de gens de couleur. TABLE AU de la population dit Gouvernement du Paraguay. NOMS des ViVes, Bourgs Peuplades et Paroi« Yta. Y Yaguaron. Y . . Yp ané. Y . . . . Guarambare. Y . Aregua. Y . . . Altos. Y . . . . Aiira. Y . . . . Tobaty. Y . . . . Ytapé. Y . . . . Caazapa. Y . . . Yutv Y S. Maria de Fée Y Santiago. Y . . , Loreto. Y . . . . S. Ignacio-Miri Y S. Ignacio-Guazu. Y Santa-Rosa. Y . . S. Cosme. Y . . Ytapua. Y . . . Candelaria. Y . . Santa- Ana. Y . . Corpus. Y . . . . Trinidad.Y . . . Jésus. Y . . . . S. Joaquin. Y . . S. Estanislado. Y. Beleu. Y . . . . Assomption. V . . Lurpu. P .... Fronlira. F . . . Lau.baré. P . . . Limpio. P . . . Conception. B . . Yquamandiyii. P . Curugualy. B . . Carimbatay. P . . ViUarica. B . . . Hiaty. P . . . . Yaca - Guazu. P . Boby. P . . . . Arroyos. P . . . Ajos P Cariy. P . . . . Ybitimiri. P . . . Piribebui. P . . . Caacupé. P . . . S. Roque. P . . Çuarepoty. P . . Pirayu. P . . . . Paraguary. P . . Capiata. P . . . Ylangua. P . . . S. Lorenzo. P . . ViUeta. P . . . . B-emolinos. P . . Carapeeua. P . . Quiindy. P . . , Quiquiho. P . . . Acaay. P . . . , Ybicuy. P . . . , Caapucu. P. . . Neembucu. B . Laurelcs. P . . Taquaras. P . . , Eruboscada. RI . Tabapy. M . . To Esiias;nols Labltaiit ANNEES de leur fondation. 1536 1536 1538 1538 1538 1538 1538 1538 1673 1607 1610 1392 iSga i555 1555 1609 1698 1614 1627 1633 1622 1706 1635 J746 1749 1760 1536 1635 1718 1766 1785 1773 1784 I7i5 1760 1575 1773 1785 1789 I781 1758 1770 1783 d 1640 1770 1770 1783 1769 1775 1640 1728 1775 1714 1777 1725 1733 1777 1783 1765 1787 1779 1790 179I 17-to 1653 al des âmes des peuplade 58 2 8 54 46 8 29 36 1 26 34 30 27 X) 45 t3 l 27 54 24 21 *i 28 y> 23 23 x> 29 19 n 36 5i >J 21 45 9 24 44 l 21 14 3° 56 9 LONGITUDE O. de Paris. 30 53 5o 46 38 33 28 59 59 33 49 49 36 48 18 54 Indiennes qui ne sont pas comlrises ici . 9^347 3133 37480 Tomhl,yagei:ti. (529) CHAPITRE XVII. Notice abrégée de toutes les Villes , Bourgs , Villages , Peuplades et Paroisses d'Espagnols , d'Indiens et de gens de couleur , qui existent dans le Gouvernement particulier de Buenos- Ajres. On doit appliquer ici les observations que j'ai faites au Chapitre précèdent. Il faut aussi savoir que les listes ou cadastres du Paraguay font connaître avec certitude la population de ce pays; maïs, comme ni le gouvernement ni les ecclésiastiques n'ont jamais fait exécuter un semblable travail pour ce qui dépend de Buenos- Ayres, le tableau que je donnerai à la fin sera un peu incomplet dans cette partie, Buenos-Ayres. On commença a le bâtir le 2 février i655; cette ville se dépeupla eu iSSq, mais elle se repeupla en i58o, année cil 60 habitans du Paraguay s'établirent dans le même endroit que les premiers fondateurs. En 1620, on y érigea un gouvernement et un évêché. En 1776, on y a établi un vice-i^oi, f.u y rétablissant en même lems l'audience ( 5do ) royale , composée d'un régent , de cinq audi- teurs et de deux cominissaires du Gouverne- ment. Celte audience avait été fondée en i665 et supprimée en 1672. On créa aussi en même tems plusieurs bureaux pour les finances. Les ports de cette ville sont le Riacbuelo et la Ensenada , dont j'ai parlé Chapitre IV. Les rues sont larges , tirées au cordeau , et la moitié à-peu -près est pavée. Elle est située en plaine , sur la grève de la rivière de la Plata. La cathédrale est neuve , et il y a en outre cinq paroisses , deux couvens de religieuses, quatre de moines, un hôpital pour les hommes, un autre pour les femmes, un hospice pour les enfans trouvés , et un autre pour les orphe- lines. Il y a un commissaire de l'inquisition , et un collège oii on fait les mêmes études qu'à celui de l'Assomption. Le vice- roi réside dans un fort , qui a vue sur la rivière et sur la ville. La population est de 40,000 âmes. Montevideo. En 1724, on ordonna la fon- dation de cette ville , dont la population com- mença par des habitans des îles Canaries, en 1726. Les rues sont larges , tirées au cordeau , mais sans pavé. Elle est entourée par la mer , de tous côtés, excepté de celui du fort, qui a quatre bastions. On fait de ce même côté de ( 53i ) nouvelles forlifîcations, et le tout est enlouré d'un rempart armé de beaucoup de balleries. Sa population totale monte à i5,ooo âmes, dont presque la moitié habite au-debors, et à quelque distance de son enceinte. 11 y a un gouverneur mililaire , un commandant de marine , un couvent de cordeliers , et une paroisse. J'ai parlé du port, Chapitre IV. Maldonado. On commença à le bâtir presque en même tems que Montevideo, ou peu après, et, en 1786 , on lui donna le titre de ville. Le terrain est uni et sablonneux; les rues sont tirées au cordeau, mais le port est presque à une lieue de distance. J'en ai parlé Chapitre IV. Colonie del Sacramento. Celte colonie fut fondée en 1679 par ^^ gouverneur portu- gais de Rio Janeiro, et , le 7 août 1680 , elle fut ruinée par le gouverneur de Buenos- Ayres. L'année suivante , on permit aux por- tugais de la rétablir provisoirement. En 1700 , le gouverneur de Buenos- Ayres s'empara pour la seconde fois de cette colonie , mais on la céda aux portugais en 1715. Les troupes de Buenos- Ayres s'en emparèrent encore en 1762, et on la rendit. On la reprit en 1777 et on la démolit; mais depuis en y a rebâti une ( 552 ) assez grande quantité de maisons d'espagnols, accompagnées d'une chapelle en très-mauvais état. Pour le port, voyez Chapitre IV. Santa-Fé de la Vera-Cruz. Cette ville fut fondée en iSyS, dans l'endroit qu'occupe aujourd'hui la peuplade de Cayastâ, et, en i65i , on la transféra au lieu oii elle existe actuellement. Les rues sont droites et larges. Il y a trois couvens de moines , une paroisse et 4-)000 âmes. CoRKiENTEs. Foudécau lieu ou elle existe, en i588 . au bord du Paranâ, sur un sol argi- leux et uni : les rues sont tirées au cordeau; il y a trois couvens de moines , une paroisse et environ 4^000 âmes. Ytaty. Les fondateurs de Corrientes sou- mirent ces indiens guaranys en i588, et, au bout de quelque tems, ils en formèrent une peuplade , à dix lieues de là en remontant le Paranâ, dans un endroit appelé Yguary ^ et ils réunirent d'autres indiens qui étaient sur les lieux. Après plus de 40 ans, on fixa cette peuplade h l'endroit où elle est aujourd'hui, en y joignant les indiens de l'île d'Apipé, et d'autres qu'on fit venir du Paraguay. Cette peuplade chassa les cordeliers qui en pre^ riaient soin, pour appeler les jésuites : ceux-ci (533) changèrent sur-le-champ l'ancien nom de la colonie , pour l'appeler Santa- Aria ^ et ils lui supposèrent une autre origine. Mais comme les autres moines leur intentèrent procès , un ordre du roi fit restituer la peuplade en i6i6* Les payaguas et autres indiens du Chaco la détruisirent presque entièrement en 1748 ainsi que celle de Santa-Lucia. San Josef. Fondé par les jésuites en i655, à coté des montagnes de Tapé , possédées aujourd'hui par les portugais, dans l'endroit appelé Ytaquatia. Cinq ans après, les habi- lans craignant les portugais, prirent la fuite pour aller s'établir entre les peuplades de Corpus et de San Ygnacio-Miry , et , en 1060 ils se fixèrent à l'endroit où ils sont actuel- lement. San Carlos. Formée en règle par les jé- suites en i65i , à l'endroit appelé Caapy, Les portugais attaquèrent cette peuplade , ainsi que beaucoup d'autres, dont les débris réunis servirent à établir cette colonie , dans le lieu oii elle est depuis i65g. Apostoles. Fondée par les jésuites en i632, dans les montagnes de Tapé dont nous avons déjà parlé sous le nom de la Natividad, En ?[657 , les habitans, poursuivis par les portu- gais, se fixèrent a l'endroit qu'ils occupent actueliomcnt , e^t la peuplade prit alors le nom qu^elle porte encore aujourd'hui. Maktires. En i65o, les jésuites fondèrent , dans l'endroit appelé 3^^zVzc/2r^j^ la peuplade de Jésus Maria y et, en i655 , celles de San Cristovalei de SanJoaquin^ovi de San Pedro et de San Pablo del Caapy , ou San Carlos , ces dernières situées vers les montagnes de Tapé. Mais, comme elles furent toutes dé- truites par les portugais , de la réunion de leurs débris se forma, en i658, la peuplade de Martires y entre celles de la Concepcion et de Santa Maria la Mayor, située à côté de la première , sur la croupe de cette chaîne de montagnes. En 1704, la peuplade se fixa à l'endroit où elle est actuellement. Santa Maria la Mayor. Ce furent aussi les jésuites qui la fondèrent en 1626 , au con- fluent des deux grandes rivières du Paranâ et de rYguazù. En novembre i653, la crainte des portugais la força de se retirer à l'endroit où était d'abord celle de Martires, et ensuite elle fut s'établir a l'endroit qu'elle occupe au- jourd'hui. San Xavier. Fondée par les jésuites en 1629, sur le ruisseau Ytahii , un peu au nord de son emplacement actuel. ( 555 ) San Nicolas. Fondée en 1627 par les jé- suites, sur le ruisseau Piraliny-Mirj. Les por- tugais Tayant attaquée en janvier i658, les habitans prirent la fuite et passèrent la rivière d'Uruguay , pour s'établir sur le ruisseau pommé Aguarapucay , entre la peuplade de Santa Maria la Major et celle de San Xa- vier, En i652 elle se réunit a la colonie d'Aposloles, et, le 2 février 1687, ^^^^ ^^ fixa à l'endroit où elle existe aujourd'hui. San Luys. Les jésuites la fondèrent en i652, sur la rivière Yacuy ou Ygay, sous le nom de San Joaquin» En i658, la crainte des portugais l'obligea à se réunir à celle de la Concepcion , dont elle se sépara en 16B7 , pour s'établir dans l'ancien emplacement de la peu- plade de Candelaria , à Caazapa-Miry^ De là , elle passa à un endroit voisin de celui qu'elle occupe aujourd'hui 5 elle se renforça des dé- bris de trois autres peuplades détruites par les portugais, savoir : Jésus- Maria ^ fondée à Ybiticaray^ sur la partie orientale de VYacuj^ la Visitacion del Caapy , et San Pedro ^ San JPablo del Caaguazia San Lorenzo. C'est une colonie de Santa Maria la May or ^ fondée en 1691. San Miguel. Fondée par les jésuites eu ( 556 ) i652, dans les montagnes de Tapé. Six ans après , pour éviter les incursions des portu- gais, cette colonie passa la rivière d'Uruguay, et s'établit près de Concepcion ; et , en 1&87 , elle quitta cet endroit pour se fixer à son em- placement actuel. San Juan. C'est une colonie de San Mi- guel , fondée en 1G98. San Angel. C'est une colonie de Concep- cion, fondée en 1707 , entre les deux rivières à!Yuy p elle a fini par s'établir sur les bords de la plus grande, à l'endroit oii on la voit au- jourd'hui. Santo Tome. Fondée par les jésuites en i652 , sur le ruisseau Tebicuacuy, près d'yZ>i- cuy. En 1639, craignant les portugais, elle changea de place pour se rapprocher de la rivière d'Uruguay, qu'elle passa, pour se fixer à l'endroit où on la trouve actuellement. San Borja. C'est une colonie de la peu- plade de Santo Tome ^ fondée en 1690. La Cruz. Fondée par les jésuites en 1629, à l'ouest de la rivière d'Uruguay, au confluent du ruisseau Acaragua : elle descendit après à la rivière Mbororé ; ensuite elle se réunit à la peuplade d'Yapejù , et enfin elle se fixa dans l'endroit où elle est depuis 1657. ( 537 ) San Francisco Xavier. Une certaine quantité d'indiens mocobis s'adressa au com- mandant de la ville de Santa- Fé^ pour être organisés en peuplade : celui-ci en chargea les jésuites, le 4 juillet 1745. Ces religieux for- mèrent la peuplade à l'endroit où se trouve aujourd'hui celle de Gayasta, d'où elle a passé à celui qu'elle occupe actuellement ; mais comme on n'employa que des moyens ecclé- siastiques , sans user de force , on n'y a jamais vu et on n'y voit encore aucun catholique, et les indiens de cette colonie ne diffèrent en rien des sauvages. Enfin, ce n'est autre chose que ce que j'ai dit Chapitre XII. San Geronimo. Elle ne diffère en rien de la précédente , si ce n'est en ce que les indiens qui la composent sont avipones , et qu'elle fut fondée le i.^"* octobre 1748» Las Garzas. Une partie des avipones qui composaient la peuplade précédente , s'échappa en 1770, et forma celle-ci. Ils ne connaissent, ainsi que les autres, aucune religion , et sont précisément dans le même cas que les indiens des deux colonies précé- dentes. San Pedro et San Pablo. Je répète en- II. a, 22 ( 338 ) tîèremenl ce que j'ai dit précédemment. Sa fondation date du lo août 1765. Cayasta. Une troupe d'espagnols de Santa-Fé surprit un certain nombre d'indiens charrùas et minuanes, qui servirent à former celle colonie en 1749- H n'y a pas un seul catholique j les indiens y sont entièrement sauvages, et tout se réduit à l'état que j'ai décrit plus haut. Ynispin ou Jésus Nazareno. Le com- mandaiit de Santa-Fé fonda cette peuplade, formée d'un détachement de mocobis , et il en remit le soin à des ecclésiastiques en 17955 mais il n'y a pas un seul catholique : les in- diens sont sauvages, et pour le reste, je ne pour- rais que répéter ce que j'ai dit précédemment. Baradero. Je ne doute pas qu'elle n'ait été fondée par des chefs laïques, en i58o, et formée d'indiens guaranys, de la tribu ap- pelée mbeguas : leur mélange avec les espa- gnols les fait presque tous passer aujourd'hui pour tels, et ils ont oublié leur langue et leurs coutumes primitives. QuiLMEs. Dans la vallée de ce nom , vers Santiago del Estero, il y avait deux nations d'indiens appelés quilmes et calianos. En 1618, on les réunit pour former cette peu- TABLEAU de la population du Gouvernement de Buenos-Ajres. NOMS des Villes, Bonrss Peuplades et Paroisses. S. Josef Y S. Carlos. Y Aposloles. Y Conception. Y . . ■ . • S. Maria la Major. Y . , Martires. Y S. Xavier. Y S. Nicolas. Y S. Luis. Y S. Lorenzo. Y S. Miguel. Y S. Juan. Y S. Ange!. Y Yapeyu. Y La Cruz. Y S. Tome. Y S. Boria. Y Guacaras. Y Ylaly. Y S. Lucia. Y Garzas Y S. Geroninio. Y Ynispin,oJcsusNazareno.Y S. Pedro. Y S. Xavier. Y Caiasta. Y Baradero. Y Guihnes. Y ...... . S. Domingo Soriauo. Y . Buenos - Ayres. V . , . . Madalena. P S. Vicente. P Moron. P S. Ysidro. P Conchas. P Pilar. P Cruz. P Areco. B S. Pedro. P Arrecife. B Pergamino. B S. Nicolas. B Choscumus. F . . . . Banchos. F Monte. F luian. F Salto. F ....... Boxas. F Melincué. P Montevideo. V . . . . Piedras. P Canelon. B S. Lucia. B S. Josef B Colla. P Colonia. B Beal Carlos. P . . . . Vivoras. P Espinillo. P Mercedes, oCapillaNrieva Martin Garcia. P . . . Arroyo de la China. B GualegaicUu. B . . . . Gualeguay. B . • . . . Pando. r Maldonado. V . . . . S. Carlos. B Minas. B Bocha. B S. Teresa. F . . . . . S. Miguel. F Melo. B S. Tecla. F Batoby, B Corrientes. V . . . . Caacaty. P EuTucuya. P Aladas. P S. Roijue. P S. Fee. V Baxada. B Novoya. P Kosario. B Rioncyro. B . , . , . Maluinas. P NEES ; leur 1633 T632 1620 1626 1^33 1627 1633 1691 1(132 i6q8 1707 1626 1.588 1770 1748 1795 1765 1743 1749 i58o 1677 d ir,5o 1535 1730 d 1730 1730 1730 1769 1730 d 1773 1773 1730 1780 1730 1780 Ï749 1724 1780 I77i3 17S1 178: 1780 1679 1680 1680 1660 1791 1780 1780 1780 d 1782 1730 1778 1783 1780 1780 1780 1781 i373 1730 1393 1768 1730 1781 LATITUBE australe. 27 45 52 27 44 36 27 54 43 27 58 44 27 53 44 27 47 37 27 5 r S 28 25 6 28 27 24 28 33 36 28 26 5(i 28 17 19 29 31 47 - 29 - 28 32 49 2fa 39 5t 27 27 31 27 17 0 28 59 30 28 28 49 29 10 20 29 43 30 29 57 0 30 32 i5 31 q 20 34 4'J 3J 33 38 45 33 23 56 34 36 28 35 5 6 35 220 34 40 10 3428 0 34 24 56 34 36 0 34 25 55 34 i5 22 34 14 2 33 39 47 34 4 10 33 53 28 33 19 0 ^■> 33 40 35 30 30 3.Î 25 40 34 39 30 34 18 ^5 34 II 30 33 44 30 34 54 36 34 45 24 34 3-^ 23 34 30 35 34 22 17 34 19 39 34 26 ro 34 25 8 33 56 20 33 33 30 33 12 30 34 II 5 32 29 18 32 59 i5 .33 8 iç 34-11 18 34 53 I? 34 44 45 34 21 S° 34 22 0 33 58 5 33 44 44 33 23 14 31 16 8 3036 I 27 37 21 d 37 3t 0 d 37 57 5o 28 i5 20 28 33 33 31 4° 29 3r 44 t5 33 17 42 31 58 47 32 56 4 40 5o 0 5i 32 0 LONGIT.O. de Paris. 58 8 .57 58 17 12 58 g 19 57 57 13 57 46 4 57 40 2 57 34 4 57 39 53 57 22 14 57 8 30 56 59 27 56 48 40 57 o 12 5S 58 28 58 48 28 58 17 43 58 i5 58 60 55 12 60 31 38 61 18 2 61 II 40 61 43 46 62 40 30 62 37 o 62 27 i5 63 39 o 62 6 30 60 36 5o 60 38 20 60 40 30 59 55 40 60 46 30 61 4 45 60 43 10 60 53 30 61 40 30 61 33 40 61 43 30 62 7 10 63 13 o 62 47 10 63 3 5 62 45 4 60 32 i5 60 36 14 6t 10 s.\ 63 4 5o 62 54 40 63 19 5o 64 9 56 58 30 ^3 58 32 4 58 34 55 58 40 4r 59 13 22 59 41 43 60 g 60 9 56 60 31 30 60 33 i5 60 17 40 60 33 40 60 33 55 60 47 61 48 10 58 9 57 7 44 57 4 . 57 25 3. 56 32 58 55 54 55 55 30 56 3: 56 34 24 57 6 24 61 6 d 60 21 (1 60 35 25 60 5o 20 60 57 30 63 12 30 63 4 30 62 24 34 63 21 5o 63 II 20 64 43 30 59 57 3u Nota. La lettre rf indique doute sur l'endroit où elle setio;iye; 1 fottiuillluire. Tome 11, pnge Sjg. (539) plade , composée alors de 700 indiens en état de porter les armes. Leurs alliances ré- pétées avec les espagnols, les font aujourd'hui presque tous passer pour tels , et ils ont oublié leurs langues qui étaient différentes. Santo Domingo Soriano. Cette peuplade, comme je l'ai dit Chapitre X, fut formée d'in- diens chanâs, un mille et demi à l'ouest de l'endroit où elle est actuellement , et oii elle s'établit en 1704? mais j'ignore l'année de sa fondation. Nota. Le tableau ci-contre ne de'signe pas l'année de la fondation de quelques peuplades , ni le nombre des habitans , parce qu'on les ignore. Quant aux signes , ils sont les mêmes que ceux du tableau qui termine le Chapitre pre'ce'dent , en y ajoutant l'F qui §ignifie Fort, ('54o ) CHAPITRE XVII I. Histoire abrégée de la de'couverte et de la conquêt* de la rivière de la Plata , et du Paraguay. Xi A cour d'Espagne donna le commandement d'une expédition destinée à faire des découver- tes à Jean Diaz de Solis , premier pilote , et na- tif de la ville de Lébrixa. En conséquence , il sortit de Lépe au mois de septembre de l'an i5i5 avec trois navires ; Tun de soixante ton- neaux , et les deux autres de trente chacun. Il embarqua soixante soldats et des vivres pour deux ans et demi. Il relâcha à l'île de Sainte- Catherine , et étant arrivé après à la rivière que nous appelons de la Plata ^ il s'y intro- duisit en lui donnant le nom de rivière de Solis, Mais ayant débarqué sur sa côte sep- tentrionale , avec le dessein de parler à quel- ques indiens charmas qui se présentaient à la vue , il fut massacré , aussi bien que ceux qui l'accompagnaient , ]^ar les mêmes indiens et par d'autres qui sortirent d'une embuscade très-près d'un ruisseau qui , par cet événe- ment , porte aujourd'hui le nom de Solis , C 34i ) entre les villes de Montevideo et Maldonade; Son frère et son beau-frère , François Torres ' qui étaient des pilotes , et tout le reste de l'expédition , ne perdirent pas un momen^ pour s'en retourner en Espagne , oii l'on ne s'occupa plus de la rivière de la Plata jusqu'à la fin de l'année i525. Cette année la cour d'Espagne expédia Diego Garcia , fils de Mognér , lequel sortit de la Corogne,le i5 janvier i526, avec un seul navire. Il relâcha aux îles Canaries , et après à Saint -Vincent , port du Brésil , oii il acheta un brigantin aux portugais , et promit a un bachelier , qu'aussitôt qu'il arriverait à la rivière de la Plata, il renverrait le grand navire à Saint- Vincent pour transporter en Europe huit cents esclaves appartenant à ce bachelier, qui s'embarqua avec Garcia. Ce dernier sortit de Saint -Vincent le i5 janvier 1627 , et relâcha dans le port des Patos parles 27 degrés de latitude. Dans ce port il joignit le vénitien Sébas- tien Gaboto, a qui l'on avait ordonné en Es- pagne d'aller aux Indes orientales par le dé- troit de Magellan. Il était sorti de Saint-Lucar le 5 avril i526, dans cette idée, avec qua- tre bâtimens , dont il perdit le plus gros dans (542) nie de Saînle-Catherine. Il trouva aussi au port des Palos les espagnols Henri Montes et Melchior Ranurez, qui avaient déserté de l'ar- mée qu'avait commandé Solis.Dansles environs, il y avait aussi quinze autres espagnols déser- teurs de l'armée du capitaine dom Rodrigue d'Acuna, destinée pour les Indes orientales. Tous ces déserteurs informèrent Gaboto qu'il y avait de grandes richesses d'or et d'argent dans la rivière de la Plala. C'est pour cela qu'il se détermina à s'introduire par cette i'ivière j et, pour mieux y parvenir, il cons- truisit une galiotte. Mais comme quelques- uns des siens lui reprochaient qu'il abandon- nait son voyage aux Indes orientales , et s'op- posaient à ridée d'aller à la rivière de la Plata , il prit le parti d'abandonner dans l'île de Sainte Catherine les principaux opposans , qui étaient Martin Mondez , Michel Roxas, et un autre appelé aussi Roxas. Après cela , il appareilla le 1 5 février 1027 , il mouilla dans le port des Patos , d'oii il emporta quatre in- diens et quantité de vivres j il entra dans la rivière de la Plata, et il ancra vis à-vis Buenos- Ayres , dans l'embouchure d'un ruisseau qu'il appela Saint-Lazare , e\ c\\n porte aujourd'hui le nom de Saint-Jean, Dans cet endroit il joi- (543) gnil François Puerto, qui était l'unique qui avait sauvé sa vie parmi ceux qui avaient débarqué avec Solis. Gaboto laissa dans ce port les deux plus gros navires , avec trente hommes et douze soldats pour défendre les effets , qu'il déposa dans une barque entourée d'une palis- sade. Le S mai de la même année , il partit avec la galiotte€t la caravelle , en donnant or- dre à ceux qui restaient de chercher un meil- leur port dans les environs. Pour exécuter cet ordre , l'un des deux plus gros bàtimens entra par la rivière de l'Uruguay , lequel échoua au troisième jour par une tempête. Heureuse- ment l'équipage se sauva , et il arriva à Saint- Jean , une partie embarquée dans le canot , et le reste par terre, le capitaine et quelques autres ayant péri dans un combat que leur donnèrent les indiens iaros. Quant à Gaboto , il prit avec ses deux na- vires le bras plus austral de la rivière Pa- ranâ , qu'il appela des Palmiers. Il traita amiablement les guaranys appelés mbeguas ; et après leur avoir acheté des vivres , il con- tinua jusqu'aux 52° 25' i 2'' de latitude , oii se trouve l'embouchure du ruisseau Carcaranal , qui vient de l'intérieur des terres. Dans cet endroit il construisit un brigautin , et il bâtit (344) le petit fort qu'il appela de Saint-Esprit, Ce pays appartenait aux indiens caracarâs , qu'il traita avec amitié , ainsi que les timbùs qui de- meuraient un peu plus haut. Tous étaient de la nation guarany. Cependant Gaboto expédia la galiotle pour transporter les effets qu'il avait laissés a Saint-Jean ; et quand ceux-ci furent arrivés , il partit le 25 décembre avec sa galiotte et le brigantin, laissant soixante soldats dans le fort. 11 suivit le cours du Pa- ranâ jusqu'aux 27° 27' W de latitude , et 69 de longitude, où il remonta ce qu'on appelle le Saut de l'Eau ^ qui est une basse ou en- droit oii la rivière a très-peu d'eau. Il s'ar- rêta là trente jours avec les indiens guara- nys , qu'il fit venir de Sainte- Anne , et qui aujourd'hui sont chrétiens dans la peuplade d'Ilaly . Ces indiens portaient dans leurs oreilles quelques petites lames d'or et d'argent , que les espagnols échangèrent contre d'autres bagatelles. Après cela, le 28 mars i528, Gaboto re- . broussa chemin , et s'introduisit par la rivière du Paraguay , pour y trouver certains indiens qu'on lui avait dit avoir vendu les lames d'or et d'argent à ceux de qui on les avait ache- tées. Quand Gaboto fut arrivé à l'embouchure ( 345 ) de îa rivière Bermejo, il fît avancer le hrî-». ganliii avec trente hommes. Ceux-ci rencon- trèrent quelques indiens agaces , lesquels per- suadèrent aux espagnols qu'effectivement ils possédaient beaucoup d'or et d'argent dans leurs maisons , qui étaient très-près , et qu'ils l'échangeraient volontiers avec d'autres cho- ses. Les espagnols , au nombre de quinze , s'étant laissé persuader , suivirent les agaces , et ceux-ci les surprirent et les massacrèrent tous. Les principaux furent le commandant en second Michel Rifos et le trésorier Jé- rôme Nunez. Cet échec , et la nouvelle que quelques navires étaient entrés par la rivière de la Plata, déterminèrent Gaboto à rebrous« §er chemin. Il n'avait fait que trente lieues depuis l'embouchure de larivière du Paraguay, quand il rencontra Garcia qui montait. Tous les deux prétendaient avoir les premiers droit à la découverte du pays ; mais enfin ils convinrent d'aller ensemble jusqu'au fort Saint-Esprit, d'y construire six brigantins, et de continuer la découverte et la conquête de commun accord. Garcia , que nous avons laissé dans le port des Patos, se dirigea vers la rivière de Solis ou de la Plata. Quand Antoine Gragéda, (546) qui commandait à Saînl-Jean , découvrit ces navires , il eut peur , parce qu'il s'imagina qu'ils appartenaient à ceux que Gaboto avait abandonnés dans l'île de Sainte-Catberine : mais quand il vit que c'était Garcia , il le re- çut avec toutes les marques d'amitié. Garcia expédia immédiatement son gros navire a Saint-Vincent pour chercher les esclaves , se- lon le contrat qu'il avait fait avec le bachelier portugais ; et ayant arrangé le brigantin qu'il avait apporté en pièces d'Espagne , il suivit les traces de Gaboto. Quand il fut arrivé au Saint-Esprit , il força Grégoire Caro de le reconnaître pour son chef, puisqu'il était envoyé pour faire la découverte du pays , tandis que Gaboto devait se rendre aux Indes orientales, selon les ordres de la cour. En effet , Caro le reconnut pour son chef , d'autant plus volontiers qu'on venait de lui dire que Gaboto et son monde avaient été massacrés. Après cela Garcia continua sa na- vigation , et , comme nous avons vu , il ren- contra Gaboto j tous deux descendirent au Saint-Esprit pour continuer les découvertes d'un commun accord. Mais bientôt après ils se brouillèrent , et Garcia, dont le parti était moins nombreux , continua son voyage jus« (547 ) qu'en Espagne. Gabolo s'arrêla au Suînt- Esprit , d'où il dépêcha dans la caravelle Fer- dinand Calderon et Rojel Barto , pour infor- mer Sa Majesté de ses découvertes et de ses opérations , en lui présentant les lames d'or et d'argent qu'on avait échangées avec les in- diens de Sainte- Anne. Voilà le motif pour le- quel on donna alors a. ce pays-là le nom de rivière de la Plata y qu'il conserve en- core, malgré qu'après en avoir fait l'entière découverte , on n'ait pas pti trouver la moin- dre trace de ces métaux ni d'aucun autre. Le roi d'Espagne fut content de la conduite de Caboto , et lui ordonna de continuer celte conquête , en lui offrant d'envoyer les secours qu'il demandait. Mais le trésor public se trou- vant épuisé , et ne permettant aucune dé- pense , il fallut donner la commission de cette conquête à dom Pierre de Mendoza , gen- tilhomme fort riche de Guadix , qui offrit de la faire à ses frais. Cependant Gaboto laissa cent dix hommes au Saint-Esprit , sous le com- mandement de Nuno de Lara , et il s'embar- qua pour l'Espagne, où il arriva l'an i55o. Lara conserva la paix avec les caracarâs et les tymbùs jusqu'en i552 , qu'elle fut trou- blée par l'aYcnlure suivante : Mangoré , ca- (548) cique des tymbùs , devint amoureux d'une espagnole nommée Lucia Miranda y femme légitime de Sebastien Hurtado. Ne pouvant réussir dans ses vues par les moyens ordi- naires, il résolut d'employer la violence pour se satisfaire , et , pour cela , de profiter de l'absence de Ruy Garcia Mosquer» , qui était sorti du fort avec quarante soldats sur uu Brigantin , pour acheter des vivres aux in- diens des îles et des bords de la rivière. Man- goré réunit ses gens , et les cacha entre des saules ; ensuite , lorsque la nuit fut venue , il s'approcha du fort avec huit indiens ; il pria d'ouvrir , ce que l'on fît , parce qu'on le regar- dait comme ami , et qu'il apportait des vi- vres. Alors Mangoré donna le signal ; et comme il empêcha de fermer les portes , les indiens de l'embuscade arrivèrent tous ; ils tuèrent jusqu'au dernier les espagnols , qui ne s'attendaient à rien ; mais il périt aussi beau*' coup d'indiens , et entre autres Mangoré. Ceux qui étaient sur le brigantin étant de re- tour , pleurèrent le malheur de leurs cama- rades ; mais comme Sébastien ne trouva pas le cadavre de sa Lucia , il se douta de l'af- faire , et partit seul , comme un fou , pour aller la chercher parmi les indiens. Ceux-ci (349) voulaient le tuer , et ne lui accordèrent la vie qu'aux instances de Lucia , dont Sjripo , frère de Mangoré , était également devenu amoureux. Mais , fatigué de sa résistance , il Ja fît brûler toute vive, et fit périr son mari à coups de flèches , après l'avoir attaché à un tronc d'arbre. Mosquera, avec sa troupe et son brigantin, alla à la côte du Brésil , et s'établit à Yguâ, a vingt lieues de San - Vicente, qui était une colonie portugaise. Ceux-ci lui déclarèrent la guerre en 1554. Sur ces entrefaites, arriva un corsaire français, qui envoya sa chaloupe à terre pour acheter des vivres. Les espagnols la prirent pendant la nuit. Ils s'embar- quèrent dans cette même chaloupe , s'ap- prochèrent du corsaire , et s'en emparè- rent par surprise. Aussitôt ils descendirent à terre les canons, qui leur servirent à battre les portugais , qui étaient venus les attaquer en grand nombre. Ils poursuivirent leur victoire jusqu'à San-Vicente , qu'ils saccagèrent. En- suite ils se rembarquèrent, et allèrent s'établir à l'île de Santa-Catalina ( Sainte-Catherine. ) Don Pedro de Mendoza , nommé chef de la rivière de la Plata , partit avec quatorze bâti- Miens , soixante- douze chevaux, deux mille ( 55o ) cînq cents espagnols, et cent cinquante alle- mands, flamands ou saxons. Il quitta Séville , le 24 août i534 , et arriva h Rio- Janeiro. Comme il était dangereusement malade , il donna le commandement à Juan de Osorio son second. Mais peu de tems après il le fît assassiner, parce que les envieux d'Osorio le lui avaient rendu suspect par leurs rapports ; et Mendoza continua son voyage jusqu'à Tîle de San-Gabriel , autrement la colonie del Sa- eramento (du SaintSacrement. ) Aussitôt il fît reconnaître la côte méridio- nale qui est en face : il y fît passer toute sa flotte , et y fonda, le 2 février i555, la ville de Buenos- Ayres , dont j'ai parlé au Chapitre précédent. On commença à l'entourer de murs ', et les indiens guaranys et les pampas ou querandys, dans les premiers jours , appor- tèrent des vivres , et en vendirent aux espa- gnols. Mais ensuite ils en tuèrent dix qui cou- paient du bois , et ils attaquèrent la ville pour en détruire les ouvrages. Pour les châtier , le chef envoya contre eux douze capitaines à cheval et cent trente fantassins , sous les ordres de son frère don Diego. Le second jour, ils arxnvèrent au vallon 4'Escobar5 et voyant devant eux les guaranys (55i ) et querandys sous les armes , ils les allaquè- rent : mais à peine eurent -ils fait quelques pas, que leurs chevaux enfoncèrent dans la bourbe jusqu'au poitrail , et restèrent comme immobiles. Les ennemis avec leurs boules, leurs dards et leurs flèches, tuèrent dix cava- liers , enlr'autres le commandant , et vingt fantassins. Il y périt aussi beaucoup d'indiens 5 et les espagnols ne retournèrent à la ville , qu'après avoir bâti un petit fort, qu'on recon- naît encore en face , tout près de la chapelle del Pilar, et où ils laissèrent cent soldats. On commençait à souffrir des maladies , et la provision de vivres diminuait. Pour remé- dier à ce dernier inconvénient , on envoya un bâtiment en acheter aux îles du Paranà , et un autre à la côte du Brésil, D'autres suffi- samment garnis de troupes , sous les ordres de Juan de Ayolas , remontèrent la rivière pour chercher un autre endroit propre a un éta- blissement. Le premier revint , ne rapportant que peu de vivres , dans le moment où les pampas ou querandys avaient attaqué la ville , où ils avaient tué trente espagnols, et brûlé presque toutes les maisons. Ajolas arriva ensuite, après avoir élevé le petit fort de Corpus- Chris ti ou BuenU'Esperanza y dans ( 552 ) le territoire des indiens tymbns , cinq lieues au-dessous de Coronda. Il y avait laijjsë cent hommes de garnison. Le chef se rendit sur- le-champ dans cette nouvelle colonie avec plus de la moitié de son monde ; mais comme on y éprouva également des maladies qui di- minuèrent beaucoup le nombre des colons, quelques-uns désertèrent pour aller vivre avec les indiens. Alors le chef envoya Juan de Ayolas avec trois cents soldats pour re- monter la rivière; et, peu de tems après, étant tombé dangereusement malade , il char- gea ce même Ayolas du gouvernement en son absence. Quant à lui , il s'embarqua pour l'Espagne , et mourut sur mer. Jean d' Ayolas suivit les pas de Gaboto , en remontant la rivière du Paranâ , traitant amia- blement tous les indiens qu'il rencontra dans sa navigation. Ensuite il entra par la rivière du Paraguay jusqu'aux 25"^ 58' 3'' de latitude, ou cette rivière se rétrécit beaucoup. Dans cet endroit appelé \ Angostura ^ il fut vigou- reusement attaqué par les canots des indiens agaces, qui lui tuèrent quinze espagnols \ mais il triompha. Il continua sa navigation jusqu'à cinq lieues plus haut, et il mouilla dans l'en- droit qu'on appelle la Villette y dans l'idée ( 555 ) d'acheter aux indiens les vivres qui lui man- quaient. Ajolas, en remontant la rivière, trouva sur les bords beaucoup d'indiens qui le traitèrent amicalement j mais étant arrivé au même endroit où Gaboto avait été attaqué par les agaces , ils l'attaquèrent également , et tuèrent quinze espagnols. Cependant il les repoussa, et poursuivit sa route cinq lieues plus loin. Il mouilla à la Villeta, dans le des- sein d'acheter des vivres aux carios , parce qu'il commençait à en manquer. Mais ces indiens qui forment aujourd'hui la peuplade d'Ytâ , ne voulurent pas lui en vendre , ni même traiter avec les espagnols, et leur dé- clarèrent la guerre. Cela détermina Ayolas k débarquer avec sa troupe , et, les ayant joints près du vallon de Guarnipitân, il leur livra bataille. Les indiens perdirent beaucoup de monde , et il y eut seize espagnols de tués. Cette victoire força les indiens à faire la paix, et , outre les vivres, ils livrèrent sept jeunes filles pour Ayolas, et deux pour chaque soldat. On construisit ensuite, un peu plus haut, une maison fortifiée , qui fut la première de la ville de l'Assomption , dont j'ai parlé au Chapitre XVI. On la nomma ainsi , à cause du j our delà bataille qui se donna le 1 5 août 1 556, IL a, 23 ( S54 ) Ayolas y laissa quelque garnison, prît des vi- vres , et remonta la rivière jusqu'au 21° 5^ de latitude. Alors il débarqua , le 2 février i557, dans un endroit qu'il appela Puerto de Can- delaria. 11 y laissa ses bâtimens à Domingo Martinez de Yrala , avec ordre de l'attendre pendant six mois , et il entra dans l'intérieur des terres vers le nord-ouest, avec deux cents espagnols. Pendant ce tems , le bâtiment que l'on avait envoyé au Brésil, était rentré àBuenos-Ayres chargé de vivres, et il ramenait les espagnols que nous avons dit s'être fixés à Santa-Cata- lina. On résolut en conséquence , que Juan de Salazar remonterait la rivière avec des troupes pour renforcer Ayolas, en même tems qu'on lui porterait la nouvelle qu'on l'avait nommé principal chef. Salazar arriva au ren- dez-vous oii Yrala attendait Ayolas avec les bâtimens j et comme on n'avait aucune nou- velle de ce dernier, il retourna à Buenos- Ayres , après avoir renforcé , chemin faisant , la troupe de l'Assomption. Comme Francisco Ruiz Galan , commandant alors à Buenos- Ayres, manquait de vivres, il alla en chercher à r Assomption. 11 y trouva Yrala, qui venait d'y arriver, après avoir attendu plus de six I ( 555 ) mois à son rendez- vous. Rnîz Galan lui or* donna d'y retourner de suite , et, après avoir pris des vivres, il descendit la rivière pour s'en retourner. Lorsque Galan arriva à Corpus- Chris ti ^ il trouva les espagnols brouillés avec les indiens, et après y avoir laissé cent vingt soldats , il parvint à Buenos- Ayres. Pendant son absence, il était arrivé d'Espagne un inspecteur (veedor) nommé Alonso Cabrera^ avec trois bâtimens chargés de recrues , de munitions , etc. Un autre s'était arrêté à Santa-Cataliua en très- mauvais état , ce qui détermina à y envoyer un navire pour lui porter des secours. En même tems on en envoya un autre en Espa- gne , pour faire connaître l'état des affaires. A peine ces deux bâtimens avaient-ils mis à la voile , que l'on apprit que les indiens avaient surpris et tué les espagnols qui se rendaient à Corpus-Christi sur un brigantin; et craignant pour le sort de cette colonie, on y envoya deux bâtimens avec des troupes. Celles-ci arrivèrent au moment que les in- diens tenaient le fort assiégé. Ils avaient déjà tué cinquante hommes, et le gouverneur lui- même. Mais ce renfort , qui arriva si à-propos, les mit en fuite, après les avoir bien châtiés. ( 356 ) Cependant ayant réfléchi sur le parli qu'il convenait de prendre , tous les espagnols s'embarquèrent et se rendirent à Buenos- Ayres , après avoir abandonné le fort. Comme les derniers vaisseaux arrivés d'Es- pagne avaient apporté un ordre du roi, pour élire un gouverneur à la pluralité des voix des conquérans , au cas qu'Ayolas fût mort , ce que Ton soupçonnait fortement, on résolut de laisser à Buenos- Ayres la garnison néces- saire, et d'envoyer tout le reste avec les prin- cipaux capitaines à r Assomption, où l'élection devait se faire. A peine y arrivèrent-ils qu'ils rencontrèrent Yrala, qui avait descendu la rivière , et qui leur donna la nouvelle positive de la mort d'Ayolas, qu'il avait apprise par un indien. Ayolas avait pénétré par le Chaco et par la province de Chiquitos jusqu'au Pérou , oii il s'était procuré un peu d'argent , et il était re- tourné au port de Candelaria ; mais comme il n'y trouva pas sa flotte , qui venait d'en partir, il s'établit sur le territoire des paya- guâs sarigues , qui , s'étant réunis avec les mbayâs , le surprirent et le tuèrent , ainsi que tous ses espagnols. Yrala avait manqué d'éprouver le même (357) sort, la dernière fois qu'il avait rcmoDté la ri- vière j car ayant débarqué avec son monde dans une des îles qu'elle forme , il vit pa^ raître cent payaguâs, qui lui firent entendre de loin que , puisqu'ils étaient nus et sans armes , les espagnols devaient quitter leurs armes pour venir leur parler. C'est ce que l'on fit. Mais les indiens s'étant approchés , chacun d'eux se jeta sur un espagnol , et en même tems deux cents payaguâs armés, qui étaient sur la rive , se mirent à courir pour tueries espagnols qui luttaient avec les autres. Yrala, qui était resté un peu en arrière , prit son épée et son bouclier, et en tua douze dans un instant; enfin les cent indiens périrent presque tous avant l'arrivée des autres. Us éprouvèrent le même sort en attaquant la flotte, mais on y perdit quelques espagnols. On s'occupa ensuite, à l'Assomption, de Félection d'un chef, et, au mois d'août i558, le choix tomba sur Domingo Martinez de Yrala. 11 envoya aussitôt chercher tous les espagnols qui étaient restés à Buenos- Ayres. Le vaisseau de Santa - Catalina , et celui qui l'avait été chercher y étaient déjà arrivés ; mais le premier s'était perdu en entrant dans le port. Après la réunion de la garnison de ( 558 ) Buenos-Ayres avec celle du fort situé en face del Pilar, dont nous avons parlé précédem- ment, on remonta l'Assomption j et, en faisant la revue, on vit que de plus de trois mille hommes venus d'Espagne, il n'en restait plus que six cents. On leur donna à tous un terrain pour bâtir une maison , et des terres à cultiver. On entoura le tout d'une palissade.On nomma des alcades et des régidors : on établit une police dans la ville , et Ton forma plusieurs peuplades de carios ou guaranys, à qui l'on fît prêter serment de fidélité et de vasselage. On voulut en faire autant des guaycurùs et autres indiens du Chaco, mais on ne put pas en venir à bout. Ces opérations n'étaient pas encore ache- vées, lorsque les guaranys formèrent une conspiration pour détruire tous les espagnols. A cet effet, ils s'introduisirent dans la ville , sous prétexte d'y passer la semaine sainte avec les espagnols , mais dans le dessein de les attaquer, quand ils seraient à la procession appelée \2l procession de seings parce que la plupart des espagnols s'y donnaient la disci- pline.Tout était prêt 5 mais, le jeudi saint iS^g, une indienne révéla le secret de la conspiration à Salazar, qui en avertit Yrala. Celui-ci frt (359) battre la générale , sous prétexte d'une attaque des guajcurùs, et se saisit des principaux con- jurés qu'il fît pendre, et pardonna aux autres^ Comme on avait appris en Espagne ce qui se passait dans cette colonie , et que l'on avait de forts soupçons de la mort d'Ajolas , on nomma pour chef de la conquête AlvarNunez Cabeza-de-Vaca , qui offrit de la continuer a. ses frais. En conséquence, il réunit quarante- six chevaux , quatre cents soldats et quatre vaisseaux , et il partit de San-Lucar, le 2 no- vembre 1540. Il arriva à la Cananea , dont il prit possession , et ensuite à Santa-Catalina , après avoir perdu vingt chevaux. Il y fit diffé- rentes reconnaissances, et perdit deux bâti- mens, ce qui le détermina à se rendre par terre au Paraguay. Pour cela, il envoya par mer Felipe de Ca- cerès avec les vaisseaux et quelques troupes j et pour lui , prenant deux cent cinquante sol- dats et tous les chevaux, il entra dans la ri- vière d'Ytabucù qui est en face de la pointe de l'île de Santa- Catalina. Il y navigua tant qu'il put; et, le 12 novembre 1641 , il com- mença à traverser des chaînes de montagnes désertes. Au bout de dix-neuf jours , il ren- contra des plaines peuplées de guaranys , et ( 56o) il en prit possession au nom du roi, en les nommant province de Vera. Il continua sa route : et, le i.^'^ décembre , au Saut de l'Y- guazii,il acheta aux indiens quelques canots, qui lui servirent à passer le Paranâ , et pour envoyer à PAssomplion les gens faibles et malades qui devaient descendre cette rivière jusqu'à ce qu'ils rencontrassent celle du Pa- raguay, et remonter à l'Assomption. Quant à lui, il continua son voyage par terre avec le reste de sa troupe j et, le ii mars i542, il fit son entrée dans la capitale, et prit le com- mandement. On vit ensuite arriver heureu- sement les malades, et Felipe de Cacerès , avec lequel Nunez eut une dispute très-injuste et très-scandaleuse , parce qu'il ne voulait pas le mettre en possession d'une place de régidor, à laquelle le roi l'avait nommé. Alors, les guaycurùs tuèrent quelques espa- gnols et quelques guaranys qui travaillaient dans les habitations du voisinage. Le chef marcha contre eux : il vint à bout de les sur- prendre, d'en tuer quelques-uns, et de faire un assez grand nombre de prisonniers. Celte victoire engagea les lenguas à lui faire pré- sent de quelques jeunes {ûXq^ , et à demander Sa paix, qu'on leur accorda. ( 56. ) Le chef avait ordre de chercher quelque chemin pour communiquer avec le Pérou , et il chargea Yrala de cette affaire. Celui-ci partit avec trois brigantins, montés par quatre-vingt- dix espagnols; et, après avoir pris sous le tro- pique huit cents guanarys des peuplades d'Y- pané , de Guarambaré et d'Atirà , il remonta jusqu'à Las Piedras-Parti tas, au 22"^ 54^^. Là , il fît marcher ces indiens vers l'ouest, sous les ordres du cacique Aracaré , avec trois espa- gnols, pourvoir si Ton pourrait pénétrer dans le Pérou de ce côté, et il continua sa naviga- tion en remontant la rivière. Au bout de quel- ques jours, Aracaré se retira, parce qu'il craignait les indiens du Chaco , ce qui engagea le chef à envoyer d'autres guaranys du voisi- nage de l'Assomption : ils suivirent la même route que les autres, et furent obligés de re- venir, parce qu'ils manquaient d'eau et de vivres. Ils ne rencontrèrent personne en chemin. Yrala arriva, le 6 janvier, au 17^ 67' de latitude ; il mouilla dans le lac Yaibâ , qu'il appela Puerto de los Reyes ( Port des Rois ) , à cause du jour de son arrivée. Il traita bien les indiens du pays, et , après avoir débarqué , il pénétra dans l'intérieur pendant l'espace de ( 562 ) quatre journées. 11 prit des renseignemens, et, en relournailt à la capitale, il rencontra un canot espagnol qui lui apportait un ordre positif du chef, de faire pendre Aracaré, pour s'être retiré. Il exécuta cet ordre en passant, et arriva heureusement a l'Assomption , oii un incendie avait détruit un assez grand nombre de maisons. Les indiens d'Ypané , Garambaré et Atyrâ , voulant venger la mort injuste d'Aracaré , déclarèrent la guerre aux espa- gnols, et Yrala fut obligé de partir avec i5o hommes pour les soumetlre : mais il n'en put venir à bout qu'après une bataille sanglante , où il périt seize espagnols et beaucoup d'indiens. Alvar Nunez, d'après ce qu' Yrala lui avait fait savoir, résolut d'aller en personne cher- cher un chemin pour pénétrer au Pérou. La première mesure qu'il prit fut de nommer de nouveaux employés des finances , et d'an- nuller les nominations faites par le roi : il réussit dans ses projets, malgré les grands obstacles qu'il rencontra. L'expédition partit le 8 septembre i545 j elle était composée de 400 espagnols et de 12 chevaux. Une partie alla par eau , et l'autre par terre, jusqu'au mont San Fernando, aujourd'hui le Pain de ( 565 ) Sucre, à 21° 11' de latitude. A cet endroit, toutes les troupes se réunirent et s'embarquè- rent. En suivant leur roule, elles trouvèrent quelques indiens guasarapos , qui surprirent le dernier brigantin et lui tuèrent six hommes- Enfin les espagnols arrivèrent au port de los Reyes , oii, sur-le-cbamp , ils virent se présenler avec des dispositions pacifiques, les indiens orejones , cacocis , chanés et gua- ranis. Le commandant, sans perdre de tems, dé- tacha deux espagnols qui parlaient guarany , avec quelques orejones : ils revinrent au bout de huit jours, et la seule nouvelle qu'ils ap- portèrent, fut qu'ils étaient parvenus au pays de los Xarayes , qu'ils y avaient été bien reçus, et que c'était un terrain entièrement inondé. Le chef prit alors 3oo espagnols avec des vivres pour vingt jours, et, le 26 novembre î 545 , il dirigea sa route vers le couchant , entre les bois. Le sixième jour il rencontra une peuplade de quatorze guaranys, et, deux journées après , une autre qui n'était composée que de dix. Ces derniers lui dirent qu'il y avait seize journées de chemin à faire dans un désert , avant d'arriver au mont Ytapuâ- Guazù , raais qu'à une journée de là il reu- C ^H ) contrerait beaucoup d'indiens. D'après cela, comme les vivres diminuaient , et que le pays commençait à éprouver son inondation pério- dique , on retourna au port. Aussitôt que le chef y fut arrivé, il envoya acheter des vivres chez les indiens du voisi- nage, et, comme on n'en trouva pas, il fît remonter la rivière à un brigantin. Ce bâti- ment rencontra d'abord une assez grande quantité d'orejones dans l'île Cumprida ; en- suite il trouva les indiens yacarés , et enfin Jes Xarayes. Les espagnols qui étaient sur le brigantin furent bien reçus par-tout, mais ils ne trouvèrent point de vivres , et ils ne rap- portèrent que des couvertures et des baga- telles que chacun avait achetées pour son compte. Alvar Nunez se rendit à l'instant à bord du brigantin , s'empara de toutes les couvertures, etc., et fît arrêter le comman- dant, parce qu'il l'avait prié de faire rendre aux soldats leurs effets ; mais ceux-ci ayant élevé la voix et menacé Alvar Nunez , il fut obligé de remettre le commandant en liberté et de restituer les effets. Beaucoup de soldats avaient la fièvre tierce, et tous étaient extrêmement fatigués de l'ava- rice , du despotisme , de la dureté et des mau- ( 365 ) vais traîtemens d'Alvar Nunez. Celui-ci avait la fièvre quarte , et comme il manquait de moyens pour arriver au Pérou , il se vil forcé à revenir sur ses pas;] mais, auparavant, il s'empara à force armée des orejones de l'île Cumprida , et il les emmena prisonniers avec lui. Le 8 avril il arriva à l'Assomption , de très- mauvaise humeur, et outré de se voir détesté de tout le monde, et même des personnes qu'il fréquentait habituellement. En consé- quence, il prit le parti de ne point sortir de chez lui y mais, dans la nuit du 25 au 26 avril 15445 200 espagnols bien armés vinrent le trouver et le conduisirent en prison : les plus animés de tous étaient les employés des finan- ces, parce que c'était ceux qu'il avait le plus choqués. Le lendemain , tous les espagnols réunis élurent gouverneur Domingo Mar^ tinez de Yrala , et décidèrent qu'Alvar Nunez serait envoyé comme prisonnier en Espagne. Pour cela, on commença à construire un vaisseau qui fut achevé au bout de dix mois. Lorsqu'on tira Alvar Nunez de sa prison, pendant la nuit, il cria deux fois dans la rue, qu'il nommait Juan de Salazar pour gouver- ( 366 ) ner en son nom. Celui-ci rassembla ce j(^nr-îk même ses partisans, et le petit nombre de ceux d'Alvar Nunez. Mais , tandis qu'ils déli- béraient, Yrala se présenta , et leur défendit de troubler la tranquillité publique. Salazar répliqua ; mais on l'embarqua dans un canot pour l'envoyer en Espagne sur le vaisseau qui portait Alvar Nunez et les principaux chefs des conjurés. Le conseil souverain des Indes, après avoir entendu les deux partis, traita Alvar Nunez avec plus de sévérité qu'il ne l'avait été dans la colonie, puisqu'il le con- damna à être déporté en Afrique. , Cependant les partisans de Salazar, qui étaient nombreux , excitaient du trouble à l'Assomption, oii ils formaient un parti d'op- position. Les agaces et les guaranys remar- quèrent ces dissentions, et se réunirent contre les espagnols. Yrala publia des proclamations et prit des mesures sages; ensuite, prenant 55o soldats avec un nombre assez considéra- ble de lenguas et de guaycurùs , en qualité d'auxiliaires , il marcha contre les rebelles » sur lesquels il remporta trois victoires, sans pouvoir les réduire , parce qu'ils s'échappè- rent à l'Ypané. Yrala s'embarqua pour aller les chercher ; il les vainquit vers le milieu de ( 567 ) Tannée i546, leur accorda la paix et les ré- tablit dans leurs peuplades. On n'avait aucunes nouvelles d'Espagne. Yrala voulant pénétrer au Pérou, partit, au mois d'août 1648, avec 55o espagnols et un assez grand nombre de guaranys en état de servir. Etant arrivé au mont de San Fernando, aujourd'hui le Pain de Sucre, il y laissa 5o hommes avec deux brigantins, et renvoya les autres à l'Assomption. Pour lui, il dirigea sa route vers le nord-ouest, et , après avoir souf- fert des fatigues incroyables par la disette d'eau et de vivres , après avoir livré des ba- tailles terribles aux mbayas et à d'autres in- diens , il traversa le Chaco et la province de Chiquitos, et arriva a la rivière Guapay. Il la passa sur des radeaux formés de troncs d'ar- bres, et il perdit quatre hommes à ce passage. Quatre lieues plus loin , il rencontra la peu- plade des Machcasis. Ils étaient réduits , et appartenaient à la commanderie de Pero An- zures, celui qui avait fondé la ville de la Plata ou Chuquizaca, dans le pays des Charcas, en i558. Des gens qui parlaient espagnol, y ap- prirent à Yrala tout ce qui était arrivé à Gon- zalo Pizarro dans le Pérou. Il ne jugea pas à propos de pénétrer dans ( 368 ) un gouvernement étranger où îl y avait tant de troubles; il fît halte, et envoya quatre per- sonnes complimenter à Lima le licencie La- gasca, chef du Pérou, en lui offrant ses trou- pes , et lui demandant la confirmation de sa nomination au gouvernement de la rivière de Ja Plata. Lagasca ayant su d'avance l'arrivée d'Yrala, lui écrivit pour le prier de ne pas pénétrer dans un pays oii il y avait plusieurs partisans de Pizarro dispersés, qui pourraient séduire ses soldats et exciter de nouveaux troubles. En effet , c'est ce que désiraient ar- demment les soldats d'Yrala , et il se trouva très-embarrassé pour les faire retourner à la province de Chiquitos. Les messagers d'Yrala furent bien reçus par Lagasca, qui leur fit des présens; mais, au moment même où il écrivait à Yrala, eu lui faisant concevoir les plus belles espéran- ces, il donna le gouvernement de la Plata à Diego Centeno , qui mourut à Cliuquizaca , trois jours avant d'avoir reçu l'avis de sa nomi- nation. Les soldats d'Yrala étaient extrêmement mécontens de se voir dans un pays aussi pauvre, tandis qu'ils auraient pu s'enrichir au Pérou; et, comme leur chef ne voulait pas ( 569 ) les y mener, ils lui ôtèreiit le commandement pour le donner à un autre, auquel ils n'obéi- rent pas davantage. Au milieu de celte confu- sion, chacun s'en alla de son côté pour se rendre au Paraguay. En arrivant au Pain de Sucre , à la fin de 1549, ^^s y apprirent des nouvelles de la guerre civile de l'Assomption , oii le parti des ennemis d'Yrala dominait j et, comme tous ceux qui revenaient étaient du parti vaincu , ils craignirent pour eux , et réélurent Yrala pour chef. Comme depuis le départ de ce dernier on n'avait eu aucunes nouvelles de lui à l'As- somption, on soupçonnait, et l'on croyait même qu'il avait péri. Le commandant Don Francisco de Mendoza s'imagina qu'en profi- lant de ces soupçons on procéderait h l'élec- tion d'un nouveau chef, et que le choix tomberait sur lui. L'affaire souffrit quelques difficultés ; mais quand on en vint à donner les suffrages , on élut Diego Abreu , qui prit possession à l'instant. Mendoza, trompé dans ses espérances , commença à publier que l'élection était nulle, et gagna quelques par- tisans , par le moyen desquels il croyait venir à bout de faire arrêter Abreu ; mais celui-ci le prévint et le fit pendre. (570) Yrala arriva peu de tems après , et , lors- qu'il s'approcha de l'Assomption , il demanda qu'on lui remît le commandement. Abreu ne le voulut pas ; mais voyant que plusieurs de ses soldais passaient au camp d' Yrala, il crai- gnit qu'ils ne le livrassent à son rival : en conséquence, il s'échappa avec cinquante de ses amis pour se réfugier dans les bois , et laissa son concurrent reprendre le comman- dement. Sur ces entrefaites, arriva Nuflo de Chaves, avec les autres espagnols qu'Yrala avait en- voyés a Lima , accompagnés de plus de 40 volontaires espagnols , qui amenaient par terre les premières brebis et les premières chèvres qui soient arrivées au Paraguay. Peu de tems après , quelques-uns de ces nouveaux venus formèrent le projet d'assassiner Yrala ; mais il les prévint, en fit pendre deux, et pardonna aux autres. Nuflo de Chaves se maria ensuite avec Dona Elvira , fille de Mendoza , qu'Abreu avait fait pendre ; et il s'adressa sur-le-champ à la justice pour demander vengeance contre Abreu et les siens. Yrala , pour lui faire plaisir, envoya quelques détachemens pour les saisir 5 mais, en secret, il faisait les plus (571 ) grands efToi ts pour les ramener à la raison. Il en vint à bout à l'égard de la plupart d'en- tr'eux , dont les principaux étaient Francisco Ortiz de Vergara et Alonso Riquelnie , à qui il fît épouser ses deux filles Marina et Ursula. Il n'y eut qu'Abreu et mi très-petit nombre des siens qui méprisèrent les propositions d'Yrala. Un des détachemens envoyés a leur poursuite tua Abreu, et porta s-on cadavre à l'Assomption. Ce spectacle désola ses parti- sans, et sur-tout Ruy Diaz Melgarejo, qui jura de venger sa mort. Yrala , pour l'en em- pêcher, le fît arrêter, mais il lui donna en se- cret des équipages , des armes et des compa- gnons, pour se rendre par terre au Brésil j ce qu'il exécuta. Yrala jugea à propos de fonder une ville vers la rivière de la Plata. Au commencement de i553 , il fît partir Juan Roniero avec plus de cent soldats, qui fondèrent San Juan-Bap- tista, en face de Buenos- Ayres, au confluent de la rivière de San Juan. Mais comme les indiens charruas attaquaient continuellement la ville et les campagnes que l'on cultivait, les fondateurs se retirèrent à l'Assomption. Dans ce tems-là les guaranys de la province del Guayrâ demandèrent la protection des (372 ) espagnols contre les portugais , qm les fai- saient prisonniers et les vendaient comme esclaves. Yrala voulant connaître le pays par lui-même, partit avec une compagnie de soldats, et arriva par terre à la rivière du Paranâ, un peu au-dessus de la fameuse cas- cade dont j'ai parlé Chapitre IV. Les guaranys du voisinage lui fournirent des canots , qui lui servirent à remonter la rivière Tiete , où il navigua jusqu'au second rescif d'Abanandabâ , cil il fut attaqué par les gens du pays. Il les vainquit, et, après avoir débarqué , il parcou- rut toute la province del Guayrâ, et combattit souvent avec les indiens qui lui résistaient. Il retourna au Paranâ , et fît traîner par terre quelques canots jusqu'au-dessous de la cata- racte dont nous avons parlé ; il y fit embar- quer une partie de ses troupes, et, conduisant le reste sur le bord de la rivière , il descendit quelques lieues au-dessous, à force de peines et de fatigues , et il perdit même quelques bommes qui se noyèrent dans les tournans de la rivière. Cet accident intimida les guaranj's qui lui avaient fourni les canots j ils l'aban- donnèrent , et il s'en revint par terre à l'As- somption. Aussitôt Yrala autorisa Garcia Rodriguez (373) de Vergara, accompagné de soixante espa- gnols, à fonder la ville d'Onliveros , sur la côte orientale du Paranâ, une lieue au-dessus de la cascade, dans le pays des guaranys appe- lés canendiyus. Cette fondation se fît en i554» Tandis que tout ceci se passait au Paraguay, on prenait d'autres mesures en Espagne. A peine Alvar Nunez y était-il arrivé en état de prisonnier , que l'on donna le commandement de la rivière de la Plata à Jayme Resquen , un des principaux auteurs de son arrestation, et qui l'avait conduit en Espagne. Il s'embarqua , mais il fut obligé de rentrer dans le port j ce qui donna à Juan de Sanabria le tems d'intri- guer pour obtenir cette place en offrant de plus grands avantages, et il réussit. En consé- quence, Sanabria commença ses préparatifs, que la mort empêcha d'achever; son fils les continua , et , après avoir réuni une certaine quantité de monde et de munitions, il remit le tout à ce Juan de Salazar , dont nous avons parlé , et qui retournait au Paraguay en qua- lité de trésorier-général. Il s'arrêta pendant deux ans à la cour , au bout desquels il s'em- barqua pour aller à son poste , oii il n'arriva pas, car il aborda à Carthagène. En i552 Salazar partit de San-Lucar avec ( ^'74 ) trois batimens , dont il perdit nu vers le 26.® degré de latitude , en mouillant au port de Los Patos, au Brésil. Cela occasionna de grandes disputes parmi son équipage, sur le parti qu'il fallait prendre. Salazar, accompagné de ceux qui voulurent le suivre, s'en alla à San Vi- cente , un peu avan! le 24/' degré de latitude. Il y resta long-lems parmi les portugais, mais enfin il arriva par terre avec ses gens à l'As- somption au commencement de 1 555 , accom- pagné de ce Melgarejo dont nous avons parlé. Il amenait le premier taureau et les sept pre- mières vaches qu'on ait vues au Paraguay. Les espagnols qui ne suivirent pas Salazar, prirent pour chef Hernando de Trexo , au commencement de i553, et fondèrent la colonie de San Francisco, entre la Cananea et l'île de Santa Catalina. Trexo s'y maria , et eut un fils nommé Hernando de Trexo , qui devint évêque du Tucuman, oii il amena de l'Assomption une petite négi^esse esclave, dont il fît présent aux jésuites , et qui est morte , il y a peu de tems , âgée de plus de 180 ans. Les colons qu'on avait placés à San Francisco n'y étant pas contens , ils s'en revinrent par terre à l'Assomption , oii ils arrivèrent en même tems que Salazar. (575) Peu de tems après, la veille du dîmanclie des Rameaux de l'année i555, le premier évêque de PAssomption y fît son entrée ; c'était François Pedro de la Torre. Il amenait avec lui son clergé, et il fut reçu avec grande joie. L'évêque apportait à Yrala plusieurs dépêches, oii on le nommait gouverneur avec des pouvoirs extraordinaires. En consé- quence , Yrala prit possession ; il nomma à différens emplois civils ; il divisa les indiens en commanderies , régies par des ordonnances dont il était auteur , et que nous avons vues Chapitre XII, et il envoya Nuflo de Chaves avec des troupes au Guayrâ , pour voir s'il y aurait moyen d'établir des communications avec quelque port de la côte du Brésil , et de défendre les indiens contre les portugais, Chaves partit en septembre i555j il parcourut toute la province du Guayrâ; il donna des sauf-conduits à beaucoup de peuplades de guaranys , pour les présenter aux portugais , en cas d'agression. Il fut attaqué souvent, et revint victorieux à l'Assomption. Yrala, sans perdre un instant , envoya Ruî- diaz Melgarejo avec cent soldats, du nombre de ceux qui n'avaient pas de commanderies , lesquels devaient se réunir avec les colons ( ">7t> ) d'Onliveros, pour se partager les indiens que Chaves avait subjugués, après leur avoir fait prêter foi et hommage. Ils devaient aussi choisir, d'après une délibération générale, le meilleur endroit pour fonder une ville. En conséquence, au commencement de iSSy , ils en fixèrent l'emplacement au confluent des rivières de Peguiry et du Paranâ , à trois lieues au nord à-peu-près de la ville d'Onti- veros , que Ton abandonna pour lors. Pour faciliter le passage au Pérou , Yrala , au mois d'avril de la même année i55j^ fit partir Nuflo de Chaves avec 220 soldats, des secours et des batimens , en lui ordonnant de fonder une ville sur le territoire des indiens Xarayes. A peine cette expédition fut -elle partie, qu'Yrala se rendit à la peuplade d'Ytâ, oii il tomba malade : on le ramena à l'Assomp- tion, où il mourut au bout de sept jours, a l'âge de 70 ans, et pleuré de tout le monde. Il était de la ville de Vergara dans le Gui- puzcoa. Il nomma , pour lui succéder dans sa place de gouverneur, son gendre Gonzalo de Men- doza , qui fut reconnu aussitôt , et qui donna avis de sa nomination à Melgarejo , qui fon- dait Ciudadreal, et à Chaves, qui était occupé (377) à remoiiler la rivière. Celui-ci reconnut l'île Compritla, à laquelle on donna le nom de ïos O rejoues : il remonta jusqu'à l'embou- chure de la rivière de Jauni , qu'il appela Port de Ferabazanes ; il y laissa ses bàti- mens , et se mit à chercher dans l'intérieur du pays un endroit plus favorable à ses des- seins. Il pénétra dans toute l'étendue de pays que l'on nomme aujourd'hui province de Chiquitos et Matogroso , oii il acquit des renseignemens sur des mines d'or. Les in- diens paysuris, xaramasis et samaracosis le reçurent amicalement , mais les trabasicosis lui livrèrent un violent combat. Ce fut là qu'il apprit la nouvelle de la mort d'Yrala, et aussitôt il résolut de fonder une nouvelle province indépendante du Paraguay. Mais, quand il eut fait connaître son projet, presque tous ses soldats le désapprouvèrent et s'en retournèrent à l'Assomption 5 il n'en resta que soixante avec Chaves. Il parvint avec eux à la rivière de Guapay, et, péné- trant ensuite dans les plaines de Guelgorigota, il rencontra Andres Manso, qui venait du Pérou avec une compagnie , pour s'établir dans ces cantons. Us se disputèrent tous les deux le droit de conquête, et Chaves partit (378) pour Lima , afin d'y soutenir ses droits devant le vice-roi. Celui-ci prononça en faveur de Chaves , et déclara le pays indépendant , en nommant en même tems gouverneur son fils Don Garcia de Mendoza. Celui-ci resta avec son père, et envoya Chaves, avec le titre de son lieutenant, à la nouvelle province, avec quelques troupes et quelques secours. Chaves y retourna donc , et , en i56o , il fonda la ville de Santa Cruz de la Sierra, à côté de la peu- plade actuelle de San Josef, dans la province de Chiquitos, à 18^4' ^^ latitude, et à 62'' 24' de longitude. Mais, en i5']5^ on transféra cette ville à l'endroit oii elle est aujourd'hui , à i7°49'44'' delatitude,età6i^43'5o''de longitude. Quelques habitans n'accompagnè- rent pas les autres dans ce déplacement; les uns fondèrent la peuplade de San Francisco de Alfaro ; et d'autres , ayant construit une barque , naviguèrent sur le Mamoré et en- suite sur le Maranon , et finirent par arriver à Cadix. Pendant ce tems , le gouverneur de la rivière de la Plata , Gonzalo Mendoza , châ- tia les agaces, qui étaient devenus insolens, et il mourut le i.^"" juillet i558. Aussitôt on nomma pour lui succéder, un autre gendre (379) d'Yrala, appelé Francisco Ortiz de Vergara, Il eut beaucoup à souffrir d'une révolte gé- nérale des guaranys déjà soumis , qui lui livrèrent beaucoup de combats vers le mont Acaay, et près des ruisseaux Yaquaris et Mbuyapey. Les indiens du Guayrâ se révol- tèrent aussi contre lui j mais tout fut ap- paisé. Lorsque Ton pensait a écrire en Espagne pour y faire connaître l'état des affaires, on vit arriver de Santa-Cruz, Nuflo de Chaves avec son beau-frère , don Diego de Men- doza , et d'autres , qui venaient chercher leurs familles pour les emmener avec eux. Cela donna occasion à l'évêque de persuader au gouverneur de partir avec Chaves , et d'aller à Charcas, pour demander à l'audience de cet endroit la confirmation de sa place. Comme le gouverneur suivait aveuglément les idées de l'évêque, il fit sur-le-champ les dispositions nécessaires pour le voyage : et , en i564, le gouverneur, l'évêque, Philippe de Caceres, et plus de trois cents espagnols, dont l'un avait le titre de procureur de la province , partirent pour Charcas. Ils débar- quèrent a 19^ i8\ et, après avoir traversé la provip'^e de Chiquitos, ils arrivèrent à ( 58o ) Santa-Cruz, et ensuite à Cliiiquizaca. Aussi- tôt le gouverneur , appuyé de l'évêque , fit la demande qui était l'objet de son voyage; mais comme il y en avait d'autres qui avaient envie de sa place , ils gagnèrent le procu- reur même du Paraguay : celui-ci accusa le gouverneur d'avoir abandonné sa province qu'il laissait sans défense , uniquement pour faire confirmer sa nomination , chose qu'il aurait pu faire sans quitter son poste. L'au- dience ne donna aucune décision ; et Ca- ceres , qui était du parti contraire au gou- verneur, se rendit, avec d'autres prétendans, à Lima, oii le vice-roi priva Ortiz de Vergara du gouvernement , pour le donner à Juan Ortiz de Zarate, à condition que sa nomi- nation serait approuvée par le roi , clause que l'on inséra dans un contrat. Aussitôt Zarate nomma Caceres son lieu- tenant , et il l'envoya au Paraguay , tandis qu'il parlait lui-même pour l'Espagne, afin d'y faire confirmer sa nomination. Caceres passa à Chuquizaca, oii il rejoignit l'évêque et les autres espagnols qui avaient accom- pagné le gouverneur, et partit pour l'As- somption par le même chemin qu'il avait pris en venant : il fut attaqué plusieurs fois (38i ) par les indiens , et arriva enfin au commen- cement de i56g. Caceres , d'après les ordres qu'il avait, des- cendit ensuite la rivière de la Plata, pour reconnaître un lieu le plus propre à fonder une ville. Quand il fut de retour à l'As- somption, il trouva que l'évêque, piqué de ce qu'il avait agi contre le gouverneur dé- posé , s'était formé un parti pour lui ôter le commandement. Cela le détermina à or- donner quelques arrestations ; et l'évêque excommunia tous ses partisans. Zarate pa- raissait devoir arriver bientôt , et Caceres descendit la rivière de la Plata pour le ren- contrer vers son embouchure ; mais enfin , las d'attendre, il retourna à l'Assomption. L'évêque avait gagné beaucoup de monde, et se disposait à faire perdre la liberté ou la vie à Caceres. Celui-ci renforça sa garde, cbâtia quelques-uns de ses ennemis , et d'au- tres se retirèrent. Jamais on n'avait vu autant de confusion et de désordre. Mais enfin , dans le courant de 1672, Caceres étant allé à la messe , l'évêque le fit saisir , dans le sanc- tuaire même , par ses partisans , et en sa pré- sence ; on le mit dans une prison , dont l'évêque avait la clef. Martin Suarez , de C 58:? ) Toîedo , principal coiifident de l'évêrpc , s'empara du commandement, el, enlr'aulres choses, il ordonna a Juan de Garay de faire des recrues pour fonder une ville. En consé- quence, il réunit , le 14 d'avril i575, qua- tre-vingts espagnols qui allaient de conserve nvec le vaisseau qui portait Caceres toujours dans les fers, et sous la garde de ses deux plus cruels ennemis, l'évêque et Rujdiaz Mel- garejo. Mais , quand ils furent arrivés au bras du Paranâ, appelé de los Quiloazas , Garay y entra avec son monde , et le vaisseau conti- nua sa roule jusqu'à San-Vicente , sur la côte du Brésil. On y déposa Caceres dans la pri- son publique : les portugais le mirent en li- berté et le cachèrent : mais l'évêque les ex- communia jusqu'à ce qu'ils le lui eussent rendu. Le triomphe de l'évêque ne fut pas de durée, car il mourut peu de tems après dans cet endroit 5 et Caceres alla en Espagne, oii on approuva entièrement sa conduite. Quant à Garay, il fonda, en juillet 1673, la ville de Sanla-Fé de laVera-Cruz, dont j'ai parlé dans le Chapitre précédent. Il y reçut une lettre de Zarate , qui , outre trois cents hommes qu'il avait perdus dans .^.a longue navigation , venait d'en avoir quatre- ( 583 ) vingts de tués par les charmas a la colonie du Saint-Sacrement. Il demandait à Garay des vivres et des troupes : et pour l'y engager, il le confirmait dans le commandement de Santa-Fë. Aussitôt Garay se pressa de faire partir des vivres , et se mit lui-même en marche avec trente soldats et vingt chevaux. Il apprit que Zarate avait passé à l'île de Martin - Garcia , et qu'il avait envoyé une partie de sa troupe par la rivière d'Uruguay pour y fonder une ville. Garay livra sur cette rivière une grande bataille aux charrùas , et , après les avoir vaincus , il continua sa route, jusqu'à ce qu'il rencontra les espagnols mouillés dans la rivière de San-Salvador. On y fonda aussitôt la ville de San-Salvador, et l'on donna à tout le pays le norai de Nouvelle' Biscaye, Garay fut nommé lieutenant-géné- ral de Zarate. Celui-ci se rendit ensuite à l'Assomption ; et , comme il désapprouva formellement tout ce qu'avaient fait les ennemis de Caceres , ils l'emprisonnèrent, et il mourut à la fin de 1576. 11 laissa pour héritière sa fille unique, Dona Juana, qui était à Chuquizaca j et comme sa nomination était pour la vie de deux per- sonnes, il nomma pour son successeur celui ( S»4 ) qui épouserait sa fille, et pour son tulcur, Garay. En attendant , il donna le comrnan- demenl à son neveu, Diego Orliz de Zarale- j-Mendieta. Celui ci alla a Saula-Fé , pour visiter la province ; mais les espagnols s'y révoltèrent et le mirent en arrestation. On le fit partir pour l'Espagne 5 et il fut tué par les indiens du Brésil , à Mbiazâ , où il avait débarqué. Garay s'était rendu à Chuquizaca , pour marier Dona Juana , et il avait arrangé Taf- faire avec don Juan de Torres de Vera-y- Aragon , auditeur de ce tribunal. Elle allait se conclure , lorsque le vice-roi de Lima , qui voulait marier cette héritière à une autre personne , envoya à Garay l'ordre de sus- pendre le mariage et de venir le trouver. Mais celui-ci , loin d'obéir , pressa le mariage , et ayant été nommé lieutenant du nouveau gou- verneur , il retourna à l'Assomption , et laissa les nouveaux mariés k Chuquizaca. A peine Garay eut-il pris le commande- ment, qu'à la fin de 1576, il envoya Ruy- diaz Melgarejo avec quarante espagnols , fonder une peuplade dans le Guayra. Celui-ci fonda en effet Villa-Rica del Espiritu-Santo, dont j'ai parlé Chapitre XVL Les hahilans ( 385 ) de celte ville, et ceux de Ciudadreal par- tagèrent entr'eux,en forme de commanderies, les Guaranys de cette province , et ils y éta- blirent en règle les treize peuplades qu'il y avait déjà, et qui avaient été réduites ou sou- mises par Chaves, en i555, comme nous l'avons vu précédemment. Ensuite , il enrôla cent trente espagnols j il parcourut les plaines de la rivière d'Ya- guary , qui se décharge dans le Paranâ , au- dessus de sa grande cascade : il parcourut également celles de Xerezj et le résultat fut la fondation de la peuplade de Perico-Guazù, formée d'indiens nuaras, et de celle de Jesuy, composée de guaranys. Il fonda aussi , à côté de la rivière de Jesuy , la colonie espagnole de Talavera, qui fut dépeuplée en i65o, par suite d'une attaque des payaguas. Arrivé à l'Assomption eii 1579, ^^ autorisa Ruydiaz Melgarejo, accompagné de soixante soldats, à fonder la ville de Xerez, sur la rivière de Mbotetey, qui se réunit à celle du Paraguay, vers les 19° ^5' id^ de latitude : ce qui fut effectué en i58o. Mais les habitans abandon- nèrent bientôt cette colonie. Il ne faut pas confondre cette ville de Xerez avec une autre IL a. 25 ( 586 ) du même nom, fondée en iSgS, près de h source del Rio-Pardo , qui vient du Cama- pùan. Les colons de celles ci passèrent bientôt dans les plaines qui portent le nom de la première, et comme leur nombre était ré- duit à quinze , ils finirent par se réunir aux portugais. Garay se transporta en même lems à l'an- cien en^placement de Buenos-Ayres , et il la fonda de nouveau sur ses ruines mêmes , en y établissant soixante espagnols, le jour de la Trinité i58o. Il divisa en commanderies les indiens guaranys qu'il y avait à Monte- Grande, dans la vallée de Santiago , ( au- jourd'hui San-Ysidro , et Las-Conchas ) , et dans les îles inférieures du Paranâ ; et il forma des Mbeguâs , la peuplade del Baradero. Après avoir pris toutes ces dispositions,^ Garay passa a San-Salvador j il en fit sortir les habitans, et il remontait la rivière avec tout son monde , pour se rendre à l'Assomp- tion ; mais étant débarqué pour dormir à 32° 4^' ^^ latitude, il fut surpris par les indiens minuanes, qui le tuèrent avec qua- rante des siens : le reste se rendit à l'As- somplion> (387) En attendant Parrivée du gouverneur , Garay fut remplacé par Alonso de Vera y Aragon , à qui sa laideur fît donner le nom de Cara de Perro {face de chien ). Celui- ci prit cent trente-cinq espagnols ; il pénétra dans l'intérieur du Chaco , jusqu'aux bords de la rivière Vermejo ou Ypitâ , et y fonda , le i5 avril i585, une ville sous le nom de Concepcion de Buena Esperanza, Tandis que la rivière de la Plata était gou- vernée par les lieutenans du principal chef, Juan de Torres de Vera y Aragon, le vice- roi du Pérou le retenait dans ce pays , et lui faisait faire son procès ; il ne put se rendre à l'Assomption qu'en 1587. L'année suivante ^ il fît partir quatre-vingts espagnols comman- dés par Alonso de Vera , surnommé el Tupj,, pour le distinguer de celui qu'on appelait dara de Perro, Ce détachement fonda la ville de Corrientes , dont j'ai dit quelque chose , Chap. XVÏL Les colons formèrent des commanderies des indiens du canton , qu'ils partagèrent entr'eux. Telle fut l'origine des peuplades de las Guacaras , Ytaty , Oho- ma, et Santa Lucia. Aussitôt après cette expédition , le gou- ( 388 ) verneur renonça à sa place , et se retira en Espagne. Ses successeurs n'ayant fait ni dé- couvertes , ni conquêtes , je n'en parle- rai pas. INTRODUCTION A L'HISTOIRE NATURELLE DE LA PROVINCE DE COCHABAMBA. ( ^9^ ) INTRODUCTION A V Histoire naturelle de la province de Cochabamba et des environs ^ et descrip- tion de ses productions , par Don Tadeo Haenke , des Académies des sciences de Vienne et de Prague. Le territoire de la province de Cochabamba forme une bande longue et étroite qui s'étend exactement du couchant à l'orient. Son dia- mètre en longueur , considéré comme une ligne droite , peut avoir à-peu-près cent trente lieues géographiques , et sa largeur n'est guères que de vingt à trente lieues, en sup- posant également une ligne droite qui court du nord au sud. Il n'y a pas de provinces dans les deux Amériques dont la nature ait ^Y^ké les li- mites d'une manière aussi invariable que celles de Cochabamba; et la géographie n'adopta peut-être jamais une division politique qui s'accordât davantage avec les limites naturelles. La grande Rivière (Rio grande ) , fait , avec la plus grande précision possible , la démarcation de ces limites , qu'elle sépare des districts de Chayanta , Yamparaes et Cliarcas. Une cîiaîne de montagnes, placée dans rintërieur, forme du côlë du nord une barrière respectable qui s'élève au-dessus de la région des nuages , et qui sépare celte province des montagnes des Andes. L'industrie des hommes a su se trayer à pas lents un chemin dans ces contrées qui , au premier coup-d'œil , paraissent impéné- trables , et en tirer parti pour augmenter rétendue de la province. La grande rivière et la chaîne de montagnes s'écartent un peu de la ligne du véritable orient pour s'avancer vers le nord , mais en gardant presque tou- jours la même proportion , et en suivant la même ligne parallèle. A l'ouest, cette pro- TÎnce touche aux extrémités de la masse énorme de la chaîne de montagnes ou Cordillière exté- rieure, que l'on appelle ordinairement Cordil' lera de la Costa ; et à l'est , elle s'étend dans ces vastes plaines qui sont presque au niveau de la mer , et dont on ne connaîtra véritable- ment l'étendue et la situation que dans les. siècles à venir. En considérant avec quelque attention l'ensemble du territoire de cette province , il est évident qu'il descend insensi- blement des plus grandes hauteurs de ce con- linent jusqu'aux parties les plus basses, La (595) pente forme un plan incliné , el proportionné Il la longueur de Tëtendue totale. Le som- met tient aux hauteurs mêmes de la Cordil- lière , et la base repose sur les parties les plus basses du continent. C'est a cette singulière position que le pays doit sa fertilité , effet de la variété de climat et de température dont une pareille position est susceptible. Elle réunit dans un petit espace toutes les modifications de climat et de température du globe entier. Sur le haut de la Cordillière il règne un hiver perpétuel : les habitans des extrémités de la Sibérie et du Kamtschalka reconnaî- traient leur climat dans la partie haute du Pérou et du Chili , dans toute l'étendtFte de ces montagnes que l'on prendrait pour un monde placé sur l'autre , et cela , sans en excepter même les parties situées dans l'inté- rieur de la zone torride. L'intérieur de la Cordillière forme une masse énorme de mé- taux de toute espèce; et l'on trouve sur le penchant des montagnes et dans les plaines, une abondance prodigieuse de tout genre î de productions minérales , salines et terrestres. Les lacs y sont des sources inépuisables de sel commun que les eaux dissolvent dans les ( 394 ) terres pendant les mois pluvieux , et qui se cristallise dans les tems de sécheresse par Févaporation du dissolvant , qui a lieu très- promplement dans une contrée dont l'éléva- tion est si grande. Dans d'autres endroits , on trouve de grandes plaines couvertes d'alkali minéral ( carbonate de soude ) , de sel admi- rable ( sulfate de soude ) , et de magnésie vi- triolée ( sulfate de magnésie ). En descendant ces montagnes , on rencontre sur des roches escarpées le vitriol et l'alun , que l'on cou-» naît ici sous les noms de cachîna et de millo , et dont la main puissante du temps décom- pose les filonvS. Sur les cimes des montagnes couvertes de glaces , et oii la légèreté et l'ex- trême raréfaction de l'air ne permettent pas aux animaux ordinaires de respirer , on trouve les différentes espèces de chameaux du Pérou, le guanaco, le Llacma , l'alpaca et la vigo- gne , dont la laine , et sur-tout celle des deux derniers , passe pour une des plus précieuses du inonde. Malgré la dureté du climat de cette Cordillière , et son élévation au-dessus du niveau de la mer, la nature en a revêtu les hauteurs et les précipices d'une multitude de végétaux nains, dont l'usage est très-précieux en médecine , tels que la yareta , plusieurs^ c 395 ) espèces de valériane , de gentiane. En des^ cendant du haut de la Cordillière dans les vallées voisines et dans leurs gorges pro- fondes , on éprouve , dans un espace de ter^ rain peu considérable , l'influence d'une tem- pérature extrêmement douce , et peut-être la meilleure de tout le globe terrestre. C'est ici que la nature a établi un juste équilibre entre les degrés de froid et de chaud , et que , par la proportion de la hauteur du terrain et par la disposition particulière de leurs formes, elle a tempéré les ardeurs de la zone torride par les gelées de la région la plus élevée de l'atmosphère. Cette température, semblable au printems d'Europe, est ici un été perpé- tuel ; et toute la différence qu'il y a dans les degrés de chaleur du thermomètre pendant la saison des pluies et celle de la sécheresse , se réduit à si peu de chose , que le pas- sage de l'une a l'autre est presque insensible. Cette bande de terrain produit avec une égale fertilité le maïs , les fruits d'Europe , l'orge , le blé , la vigne , l'olivier et les au- tres arbres fruitiers de l'ancien continent. Dans les gorges étroites creusées par les rivières ij-apides de 1^ Cordillière, la réfraction des ^\'ïyoiis salaires augmente la chaleur , et le» (^96) deux côtés commencent à se peupler d^ar- bres , dont le nombre s'accroît à mesure que les rivières descendent et que la chaleur augmente. Les montagnes des Andes les plus rappro- chées du sommet de la Cordillière intérieure , sont une autre modification du terrain et de la température qui appartient exclusivement aux provinces du haut Pérou. Ce n'est qu'à Tine très-petite distance , et dans un petit nom- bre d'endroits , que l'infîuence de l'industrie humaine a pénétré depuis la conquête dans l'intérieur de ces bois immenses et presque impénétrables. Les plantes et les arbres sans nombre qui couvrent ces teiTaifis avec une abondance prodigieuse , remplissent telle- ment l'atmosphère d'air vital ou déphlogis- liqué (oxigène), qu'il n'y a guères d'endroit dans le monde oii l'air soit aussi salubre et aussi pur. C'est de ce point que commence , à proprement parler , la température de la zone torride : la fécondité èe la nature se présente ici dans sa plus grande vigueur et dans sa plus grande beauté j des végétaux et des animaux de toute classe et de tout ordre attirent l'attention et la curiosité du philosophe 5 leur nombre étonnant , leur va- ( 397 ) riété et leur beauté surpassent tout ce que rimaginalion peut se figurer. Une chaleur con- sidérable et toujours égale , et une humidité continuelle , sont les grands ressorts des opé- rations de la nature. Ces terrains fertiles pro- duisent le palmier , la pinâ ou ananas , le ba- nanier , si varié dans ses espèces , le coton , Tarbre bienfaisant du quinquina ( cinchonaof' Jicinalis) j et le cdiCdiO {theobroma cacao). De la réunion des eaux de cette vaste chaîne , se forme l'immense rivière des Amazones ; et c'est au pied de cette même chaîne que com- mencent ces terrains bas et ces vastes plaines dont nous ignorons encore les limites. Telles sont les modifications de tempéra- ture et de terrain qui distinguent la province de Cochabamba ; d'oii l'on peut conclure ai- sément quelle doit être sa fertilité et la mul- titude de ses productions. Dans ce petit ou- vrage , fruit d'une partie de mes longs etpé- nibles voyages , je me suis proposé de faire connaître , avec tout Tordre et toute la mé- thode dont je suis capable , les plus intéres- santes de ses productions : elles sont dignes à tous égards de l'attention du gouvernement qui pourra , avec le tems , en retirer les plus grands avantages , s'il en encourage l'exploi- ( 598) talion ; puisque ces substances sont k$ ma- tières premières , les élémens et la base fon- damentale des manufactures , des arts et de tous les objets d'industrie. Nous commence- rons par les substances minérales. SUBSTANCES MINÉRALES. Naturelles^ 1. Alun natif ou cachina blanche. 2. Alun natif, autre espèce nommée millo, 3. Alun natif , mêlé de vitriol de fer , ou colquenillo , 4- Vitriol de fer ou couperose en pierre* 5. Sel d'Angleterre. 6. Sel admirable. 7. Nitre pur. 8. Alkali minéral ou soude native. 9. Vert-de-gris natif ou vert-de-montagne. 10. Orpiment du Pérou. Artificielles. lî. Acide vitriolique. 12. Acide nitreux. i5. Acide muriatique. ( ^99) î4. Eau régale. i5. Vitriol de cuivre. i6. Tartre vitriole. 1 7. Magnésie blanche. 18. Matériaux pour les fabriques de cris* taux. SUBSTANCES ANIMALES. 19. Matières nouvelles pour fabriquer le sel ammoniac, 20. Laines de brebis , de vigogne et iialpaca, 21. Cochenille du Pérou. SUBSTANCES VÉGÉTALES. Médicinales, 22. Gomme arabique. 25. Arbuste nouveau , pénétré de camphre^ 24. La hamahama. 25. La catacata. :i^. El tanitani. 27. Uarnica des Andes, 2.^, La caryophillata des Andes, 29. La guachanca. 5o. Uagave vivipara. 5i. La bégonia, 32. Le quinquina ou cascarilla. ( 4oo ) Economiques» 55. Le bois de la tara ^ et quelques subs- tances astringentes. 54. Le bois churisiqui, 55. Le bois jaune de Santa-Cruz. 56. Le molle et le tola. • 57. L^e chapiàesjungas. 58. Le rocou. 3g. \Jairampo, 40. Ldi papa violette, 4i. L'indigo. 42. Le cacao. 45. Mémoire sur la culture du coton , et sur la manière d'en encourager les fabriques. C4oi ) SUBSTANCES MINÉRALES. N ATVKELI,ES. §■ r'. Alun natif» Première espèce nommée cachina blanca. L)a n s les fabriques d'Europe , la prieparalîon de la mine d'alun exige un grand appareil et des opérations longues , compliquées et en- nuyeuses , soit pour l'extraction des pierres ou des terres imprégnées des principes de cette substance , soit pour la préparer, la les- siver , en séparer les matières hétérogènes , et pour faire cristalliser le sel à diverses re- prises , jusqu'à ce qu'il acquière le degré de pureté nécessaire dans les arts et dans les ma- nufactures. Depuis quelques siècles , on a établi dans presque toute l'Europe des fabri- ques de ce sel , qui , outre une infinité d'autres usages domestiques , est l'ame de la teinture , et dont la consommation annuelle est énorme. L'alun de Rome passe pour le plus pur , et on II. a» 26 ( 402 ) le préfère à celui de toutes les autres fabri- ques d'Europe , quoiqu'à Vaide de quelques manipulations particulières et d'un peu plus de dépense , toutes les espèces puisseht ac- quérir ce degré de pureté. Dans la partie de l'Amérique méridionale que je décris , la na- ture offre celte substance saline toute formée de sa main, dans son état natif et dans sa plus grande pureté ; et pour l'employer, même dans les opérations les plus délicates, on n'a pas besoin du secours de l'art. On en trouve aux frontières de la province de la Paz , en forme de fdons, dont la matrice est l'ardoise ou le schiste. C'est une substance dure , com- pacte , solide , à cassure plus ou moins striée , entièrement blanche comme du sucre, à demi- transparente à la lumière , ayant quelquefois une couleur rougeâtre comme l'alun de Rome, d'une saveur sty ptlque , astringente et en même tems douceâtre , entièrement soluble dans l'eau , etordlnairement en morceaux irrégu- liers qui n'ont point de figure déterminée. Tous les fragmens n'ont pas cette apparence demi- cristalline et transparente , parce que plu- sieurs sont , à l'intérieur, mêlés de terre blan- che , et même pénétrés par une substance dure et pierreuse , qui vient de leur matrice (4o3) OU gangue ; mais la qualité et la pureté sont toujours les mêmes. Dans l'analyse chimique , l'alkali phlogistiqué ( prussiate de fer ) , n'y fait pas découvrir le moindre indice de fer , substance métallique qui salit ordinairement la mine d'alun , excepté celle de Rome , et qui , dans la teinture , altère et obscurcit les cou- leurs. Ce sel est l'ingrédient et le mordant gé- néral que l'on emploie dans presque toutes les teintures , soit en laine , soit en soie , soit en co* ton , ou seul et en substance , ou précipité par un alkali , ou combiné avec le tartre cru , ou avec d'autres préparations métalliques de cuivre , de fer , de plomb , d'étain , etc. L'alun se décompose dans ces opérations : et sa base , terre extrêmement fine, blanche et subtile, est proprement la substance qui donne du corps aux couleurs , et à laquelle s'unissent intimement et sans altération les particules colorantes -, tandis que la plupart des sels métalliques employés en qualité de mordant, altèrent les couleurs primitives. §. II. ^lun natif. Seconde espèce nommée millo. On connaît ici cette espèce de mine d'alun, sous le nom de millo. On la trouve abondam- ( 4o4 ) ment dtons toutes les gorges de la Cordillière J soit du côté de la côte , soit du côté des Andes». Pour produire son efïlorescence , elle a be- soin d'une température aride, sèche, chaude, telle qu'on la trouve dans ses gorges , et en- core cet effet n'a - l - il lieu que sur les roches d'ardoise ou de schiste. L'action combinée du soleil et des eaux pendant la saison plu- vieuse, décompose et ramollit successivement la surface de cette pierre primitive , qui , dans son état de pureté , est la base de l'alun : l'ari- dité et la sécheresse des mois suivans extrait , concentre et réunit ce sel sur les rochers , en forme de croûte , et en très - grande abon- dance. La figure de ces croûtes est irrégu- lîère 5 leur grandeur est inégale , et elles pè- sent depuis un gros jusqu'à deux ou trois onces : elles sont blanches , ou quelquefois d'un blanc jaunâtre , dures , et ordinairement assez compactes. L'art imite heureusement cette opération de la nature pour tirer ce sel de sa mine , en exposant à l'air et en multi- pliant les surfaces. Ces croûtes que je viens de décrire sont de l'alun pur , dont la nature même a parfaitement combiné les principes : il y a seulement un léger excès d'acide vitrio- lique ( sulfurique ) , chose que l'on observe (4o5) constamment dans toutes les mines de ce sel. Les teinturiers du pays emploient dans toutes leurs opérations cet alun nalif , sans lui faire subir aucune préparation ni aucune manipu- lation préliminaire. Quand on veut l'obtenir dans l'état de cristallisation, on en fait dis- soudre trois onces par livre d'eau j on ajoute à cette dissolution une petite quantité de lessive de cendres , d'urine ou de chaux, pour saturer l'excès d'acide qui augmente la solu- bilité , et empêche la cristallisation. On fait évaporer ensuite , à feu lent , une certaine quantité de menslrue , et on verse la liqueur dans des baquets qu'on laisse dans un lieu frais pendant dix jours ou davantage , pour la faire cristalliser. Passé ce terme , on ra- masse les cristaux, on les lave dans de l'eau pure et froide , une petite quantité d'eau suffit pour opérer une seconde dissolution , et pour produire une masse cristalline , dure , com- pacte et transparente , telle que l'alun de roche le plus pur. On l'emploie aux mêmes usages que l'espèce précédente , et nous par- lerons en détail de toutes les deux , lorsqu'il s'agira de nouvelles matières propres à la teinture. (4o6) § III. Alun natif intimement uni et une petite quan^ tité de vitriol ( sulfate de fer ) ^ appelé colquenillo, ou cacliinsi jaune. On trouve , sur les confins de la province de Porco et de celle de Chayanta , plusieurs filons très -riches de cette mine composée d'alun et de vitriol ( sulfate ). Elle ressemble beaucoup à cette espèce de minéral connu des minéralogistes sous le nom d'alun de plu* me , qu'il ne faut pas confondre avec l'amiante fibreux. Sa gangue est une ardoise alumineuse d'un noir plus ou moins foncé , et la couleur de la mine même est d'un blanc jaunâtre , et quelquefois verdâtre : ce minéral est ordinaire-» mentformé de fibres parallèles, dont la solidité, 3a consistance et le poids sont remarquables. Il a une saveur stiptique , astringente et vérita- blement acide, à cause de l'excès d'acide sul- i'urique. Il ne faut qu'une petite quantité d'eau cbaude pour le dissoudre : celte dissolution se refuse opiniâtrement à la cristallisation , parce qu'elle est surchargée d'acide , et ce ïi'est que par l'addition de quelques autres substances que l'on obtient des cristaux trans- ( 4o7 ) parens , octaèdres , purs , semblables à ceux de Talun pur, quoique le coup-d'œil présente toujours quelque chose de verddtre. Une dis- solution saturée de cette mine produit , dans beaucoup d'opérations , l'effet d'un véritable acide pur , mêlée avec une dissolution de nitrate de soude j elle dégage, même sans le secours de la chaleur , l'acide nitreux sous sa forme ordinaire de vapeurs rouges , comme cela arrive en procédant par la voie sèche à la préparation de cet acide. La couleur jaunâtre ou verdâtre dépend d'une petite quantité de sulfate de fer très - oxigéné j puisqu'il suffît d'une ébullition continuée pour la détruire peu-h peu , et que le sel cristallisé qui résulte de cette opération ne découvre pas à la vue Je plus léger indice de fer. En ajoutant à cette dissolution saturée un peu de limaille ou de mine de fer en poudre , l'excès d'acide se combine avec ce métal , et l'on obtient un sel composé ,'* oii domine le vitriol de fer (sulfate) propre pour la préparation du bleu de Prusse ( prussiate de fer) ; puisqu'outre le principe martial , il contient la quantité né- cessaire d'alumine , sans laquelle la couleur du bleu de Prusse serait trop foncée. Le seul usage que l'on ait fait jusqu'ici de cette mine ( 4o8 ) dans le pays, a été pour le blancîiîment de Targent. Mais indépendamment de cela et des propriétés de ce minéral pour la teinture, le» chimistes doivent en faire le plus grand cas^ à cause de Texcès extraordinaire d'acide sul- furique qu'elle renferme. Cet acide est un des agens les plus actifs et les plus essentiels que Ton puisse employer dans toutes les analyses et dans toutes combinaisons chimiques. C'est le plus fort , le plus pesant et le plus actif des trois acides minéraux communs , et il l'em- porte de beaucoup en forces sur les acides nitrique et muriatique. C^est ce qui m'a fait préférer cette mine à toutes celles du pays , pour la préparation de l'eau-forte et de l'acide muriatique , à cause de son activité singulière pour la formation du nitre (nitrate de potasse) et du sel commun , comme je le dirai aux ar- ticles 12 et i5, oii je parlerai de la préparation de ces deux acides. §• IV. Vitriol de fer ( sulfate de fer)^ ou coupe-* rose en roche. Parmi le nombre infini d'espèces de ce minéral que l'on trouve au Pérou , je me bornerai à parler de celle qui existe sur les ( 4^9 ) coteaux du disliict de Tarapaca , et dont on se sert communément et préférablemenl à toute autre pour les usages domestiques. On Ja trouve combinée avec l'acide sulfurique et Toxide de fer , et en filons très-riches dans les mines de ce district et de ceux d'Atacama et de Lipes, et l'extraction en est très -aisée. Son aspect extérieur, sa dureté et sa solidité paraissent plutôt indiquer une pierre massive et compacte que du sulfate de fer : en effet, on a besoin d'un levier pour l'extraire du filon , et ce n'est qu'à coups de marteau qu'on peut îa réduire en fragmens ; et même , une expo- sition de deux ans à l'air libre , ne lui fait pas éprouver la moindre altération, et n'en change nullement la surface. Ces caractères distin- guent ce minéral de la couperose ou sulfate de fer ordinaire , dont les cristaux verdatres exposés à l'air , à une température sèche , perdent en peu de tems leur couleur et leur consistance , et se réduisent en poudre fari- neuse et blanchâtre. Cela paraît indiquer qu'il se rappro^ie plus des pierres nommées par les minéralogistes /^/?/^ atramentarius ^ que du vitriol ( sulfate) ordinaire. La forme gros- sière et la grosseur des morceaux qu'on nous apporte suffisent pour indiquer la puissance (4io) des filons qui contiennent celte substance sa- lino -métallique. La surface extérieure, qui correspond aux côtés du filon , est ordinai- rement recouverte par une croûte d'un rouge jaunâtre. L'intérieur offre une masse solide, compacte , à demi-luisante , sans figure dé- terminée , et d'une couleur jaune qui tire sur le verd. La saveur est astringente , sliptique, caustique , et semblable h celle de toutes les dissolutions de fer. On observe quelques pe- tits groupes de cristaux dans l'intérieur de la partie la plus dure. Une analyse exacte y dé- couvre , outre le sulfate de fer , une petite quantité de magnésie combinée avec l'acide sulfurique. La mine dont nous parlons se dis-? sont facilement , soit à froid , soit à chaud ^ dans l'eau , et laisse ordinairement au fond du vase un dépôt terreux. Elle forme de l'encre avec toutes les substances végétales astrin- gentes , que l'abondance des plantes rend si communes et si variées dans ce vaj^te pays, et les teinturiers l'emploient pour le^ »oir , et pour les couleurs foncées. Le H^ix en est si modéré que , sur les lieux , on en a cinq livres et même davantage pour un demi réaL Outre cette espèce , on trouve une infinité d'autres mines de sulfate de fer dans les nii" (4f ) nés d'argent : je me contenterai de nommer l'excellente couperose que l'on trouve dans les mines de Verenguela , district d'Arqué , dans cette province , et qui est même plus forte que la précédente, §• V. Sel d^ Angleterre y sel amer , ou magnésie vitriolée ( sulfate de magnésie^. Sous le nom de sel d' Angleterre ^ nous recevons d'Angleterre et d'Allemagne deux espèces de sels presque toujours différens, quelquefois séparés, et quelquefois mêlés en- semble. L'une de ces espèces qui devrait porter de préférence le nom qu'on lui donne , est le sel amer ou le sulfate de magnésie , et l'autre est le sel admirable de Glauber, ou le sulfate de soude. Je parle ici du premier do ces sels , composé d'acide sulfurique et de magnésie. On le trouve en très-grande abon- dance , dans les provinces de l'Amérique mé- ridionale, dans l'état natif, et sans que Fart ait besoin de concourir à la formation de ses principes, ni h leur combinaison. On le ren- contre sur -tout sur la côte orientale de la Cordillière , à la superficie des chaînes dont ( 4l2 ) la masse est formée de didérentes espèces de schistes , et sur-tout d'ardoise commune (sc/iistiis tegiilaris^; quelquefois il est réuni à la mine d'alun , décrite article 2. L'ac- tion continuelle du tems et de l'atmosphère agit avec force sur la superficie de cette pierre : elle la décompose comme l'ardoise alumineuse, et convertit insensiblement en poudre cette pierre dure et solide. De celte poudre on voit sortir le sulfate de magnésie tout formé. Les ravines formées par la rivière de Pilcomayo et de Cachimayo , celles d'Ajo- paja que Ton trouve dans cette province , et une infînilé d'autres, produisent une grande abondance de ce sel , que l'on voit sur la croupe des montagnes en forme de poudre blanche. Cette poudre forme quelquefois, à la surface de la terre , des croûtes et des couches d'une étendue considérable , parmi lesquelles on trouve quelquefois des morceaux d'une demi-livre , et même d'une livre de sel très- pur. C'est à la fia des mois pluvieux que l'on en trouve le plus , parce que les vents qui régnent dans les mois suivans enlèvent la plus grande partie de la magnésie qui est extrê- mement légère dans son état d'efflorescence. L'exploitation consiste à lessiver cette terre , (4'5) parce qu'elle est ordinairement mélangée de limon en grande quantité, à en séparer toutes les parties hétérogènes par une fîltralion exacte^ à faire évaporer à feu lent plus de la moitié du menstrue , et à déposer dans un lieu frais cette lessive concentrée, pour la faire cristalliser entièï-ement dans une seule nuit. On en fait grand usage dans la médecine , soit en subs- tance , soit dans l'état de magnésie crue ou calcinée , préparation qui est aujourd'hui un des remèdes les plus estimés. Avec quelques dépenses et quelques travaux peu considéra- bles, on pourrait extraire de ce pays d'im- menses quantités de ce sel, pour approvi- sionner le Pérou , et même l'univers entier. Ce sel, tel qu'on nous l'apporte d'Angleterre et d*Allemagne , ne se tire pas seulement des eaux minérales , l'art en fabrique la plus grande partie avec le dernier résidu des salines que l'on combine avec une dissolution de sulfate de fer calciné. Dans cette combinaison l'acide sulfurique s'unit à la magnésie, qui, aupara- vant , se trouvait unie dans la lessive à l'acide muriatique en forme de sel non cristallisable et déliquescent, et c'est du déplacement réci- proque de ces deux principes que résulte ce sel amer, ou sulfate de magnésie. C'est ua (4i4) phénomène bien singulier que , jusqu'aujour- d'liui,on n'ait trouvé aucune pierre composée uniquement de cette terre , que l'on trouve ordinairement dans un état d'union et de mélange avec les autres espèces, dans une foule de pierres composées. Le sel d'air vanté en Europe par quelques charlatans , est com- posé en grande partie d'alkali minéral (soude) et du sel dont nous parlons. Le célèbre chi- miste suédois, Bergman, décrit en détail, dans ses opuscules, les propriétés de la magnésie, et démontre par l'analyse et par la synthèse , que c'est une terre différente de la chaux, avec laquelle on l'avait confondue jusqu'à une épo-^ que Irès-rapprochée de nous. §• VI. Sel admirable y ou alkali minéral vitriolé ^ ( sulfate de soude. ) Le long de la roule de Cuzco auPotosi et à Jujui, qui s'étend à plus de trois cents lieues, on voit sortir de terre , en tems sec , dans les plaines de la Cordillière, et sur-tout aux en- virons des grandes lagunes de Chucuito et d'Oruro , une espèce de sel blanc en forme de poudre ou de croûte , et en si grande (4>5) abondance, qu'on pourrait, eu très -peu dé tems , en ramasser une grande quantité. La saveur en est amère , mais salée , et tout homme qui s'y connaît , distingue à l'instant le mélange du sel commun avec un autre qui en diffère par son amertume. La propor- tion de ces deux substances varie beaucoup dans les lieux où on trouve ce sel. Les essais que je fis me convainquirent bientôt que ce mélange était composé , pour la plus grande partie , de sel admirable formé de soude et d'acide sulfurique. Je ne saurais donner une assez grande idée de l'abondance de cette substance saline dans le pays, et de l'extrême facilité qu'il y aurait a. l'exploiter. Dans les- tems de sécheresse, la récolte n'exige aucune préparation. Sans autre appareil qu'une couple de poêlons de cuivre et quelques-uns de ces vases de terre qui servent aux indiens pour conserver leur chicha, on retirait en un jour cinq ou six arrobes de sel pur et cristallisé. Les froids de la nuit facilitent beaucoup cette exploitation dans le pays. La cristallisation de ce sel et sa séparation de la petite quantité de sel commun qu'il contient, dépendent des lois de la cristallisation. Le sel commun exige pour sa dissolution presque autant d'eau bouiU (4'6) lante que d'eau froide , tandis qu'au conlraîre l'eau bouillante dissout presque trois fois plus de sulfate de magnésie que Teau froide : c'est ce qui fait que le sel commun reste en disso* lutiondans le reste de la lessive. En établissant une fabrique avec les dispositions convenables et d'une manière très - peu dispendieuse , on pourrait tirer annuellement du pays une immense quantité de ce sel, de manière que la livre ne coûterait pas un quartillo , tandis qu'aujourd'hui l'once se vend quatre réaux de Plata. Ce sel et le précédent ont également la saveur amère, mais un connaisseur les dis- tingue sur-le-champ. Celui-ci excite sur la langue, lorsqu'il commence à se fondre , une «aveur salée qui ensuite devient amère ^ au lieu que celui-là ne fait éprouver aucune sa- veur salée, et que l'on sent d'abord une amer- tume pure et concentrée. La forme des cris- taux et leur permanence offrent encore une autre différence entre ces deux sels. Ceux du sulfate de soude sont plus grands , et, à l'air sec, ils se couvrent en peu de jours d'abord d'une poudre farineuse , fine et blanche, et petit-à-petit ils se réduisent entièrement en poudre. Ceux du sulfate de magnésie sont plus petits , mais ils se conservcal beaucoup plus C4i7 ) long-tems sans altération. Quant a leurs effets et à leurs verlus dans la médecine , on les emploie tous les deux indifféremment à la même dose , et leurs effets sont les mêmes j mais quant à leurs principes constitutifs, ils diffèrent essentiellement 5 et celui qui vou- drait employer le sulfate de soude pour la préparation de la magnésie, se Irompei^ait grossièrement et ne réussirait pas , non plus qu'avec la soude et la potasse, qui sont deux bases alkalines : on doit donc employer exclu- sivement l'espèce précédente dont la base est la magnésie. Les sels d'Epsom , de Sedlitz et deSeydschytz,que l'on tire d'eaux minérales, sont presque toujours un mélange des deux espèces : on vient même à bout, parle moyen d'une manipulation très -simple , de donner aux grands cristaux du sulfate de soude, la forme et la figure alongée , et même la peti- tesse du sulfate de magnésie, auxquels ils res- semblent alors entièrement. Le fameux chi- miste suédois , Scbéele , nous a même appris îe moyen de convertir le sulfate de magnésie en sulfate de soude , par l'intermède du sel commun ; parce que ce dernier sulfate est moins amer et moins désagréable aux malades que l'autre. IL a* 27 ( 4^B ) §. VII. KitrepuVy {nitrate de potasse). L'état natif dans lequel la nature présente cette substance en si grande abondance dans cette partie de l'Amérique, mérite l'attention des physiciens et des chimistes. Tout le nitre que l'on exploite dans ce royaume est natif, et formé uniquement par le concours spon- tanée de ses deux principes, sans le secours de Tart. On le trouve ordinairement sur le pen- chant ou au pied de certaines collines , ou coteaux peu élevés, couverts de diverses plantes dont le tronc et les feuilles sont très- succulens , telles que les tunas, les pencas et autres de cette classe, qui donnent par la combustion , et par la lixiviation de leurs cen- dres, une grande quantité de potasse, un des principes du nitre. L'art imite avec succès la nature dans la formation de ce sel. Ces mon- ceaux artificiels de terres alkalines et calcaires que l'on forme en F.urope , contiennent, comme les collines de ce pays-ci , la base du nitre qui est la potasse , à laquelle paraît s'unir l'oxi- gène de l'atmosphère dans un état de modi- fication qui n'est pas encore bien connu. De (4t9) celte uîiîon résulte un sel neutre , le nître ; dont Tacide , au moyen du feu et de quelques manipulations, finit par se résoudre en un volume extraordinaire d'oxigène. La pente des collines présente à l'air atmosphérique une surface beaucoup plus grande que le plan correspondant a. leur hase , et c'est dans la même proportion qu'augmente le contact de l'air avec les terres déjà disposées à s'unir a l'oxigène. Telle est, en peu de mots, la théorie la plus vraisemblable de la formation du nitre, dont l'abondance dans ce continent et à des températures si différentes, est une chose étonnante. Les provinces qui s'occu- pent le plus de l'exploitation de ce sel pour fabriquer la poudre nécessaire aux mines, sont celles de Lampa ou Massuyos, de Paria , d'O- ruro et de Cochabamba; et certainement quel* ques-unes de ces provinces fabriquent aujour- d'hui une poudre de très-bonne qualité. Le nitre est si abondant, que celui de la première cuite ne se vend qu'un demi-réal ou trois quar- tillos. Cette substance , dans son état natif, con- tient une petite quantité de magnésie saline, et rarement un peu de sel digestif ( muriate de potasse ), que Ton en sépare à l'aide des pro- cédés convenables, et en y ajoutant un peu d» ( 4^0 ) lessive de cendres pour précipiter la magnésie. Quant au sel digestif, on le sépare par la cris- tallisation» Cette abondance, la qualité supé- rieure de la matière, et un prix si modique pour le pays, offrent le moyen le plus propre pour fabriquer l'eau-forte destinée au départ a la monnaie du Potosi. Celte opération n'a pas pu avoir lieu jusqu'à présent , malheu- reusement pour le trésor public et pour Tex- ploitatiou des mines, parce qu'on a été obligé jusque aujourd'hui de tirer cet acide d'Eu- rope , et le prix en est si exorbitant que la livre revient à six piastres , et même davan- tage ; tandis qu'en le fabriquant ici en grande quantité, avec l'économie nécessaire , les pre- mières dispositions une fois faites, la dépense n'irait pas à trois réaux par livre. Au para- graphe XII , je parlerai séparément de ce qui regarde cette opération , des matières les plus efficaces et les plus actives , des ustensiles les plus propres aux manipulations , et j'indi- querai la méthode la plus facile et la plus avantageuse que m'ont apprise mes nombreux essais. Je ne dois pas oublier non plus de faire observer combien pourrait être utile l'impor- tation de cet objet en Espagne, ainsi que ( 421 ) celle de plusieurs autres , par les porls dii Pérou et de Cliili, Je sais que les anglais , a leur retour de l'Inde orientale , et sur-tout du Bengale, chargent annuellement de trente à cinquante mille quintaux de salpêtre brut , qu'ils raffinent ensuite en Angleterre pour le convertir en nitre pur. Les guerres actuelles de France ont rendu ce sel si rare dans toute l'Europe , que le prix en a monté jusqu'à qua- rante piastres fortes , et plus , par quintal , comme on le voit par le Courrier du Com- merce. Il n'y a actuellement qu'un très-petit nombre d'indiens occupés à l'exploitation du salpêtre et a la fabrication de la poudre 5 mais s'ils croyaient y trouver du profit , et un débit sûr, un grand nombre d'entr'eux s'occuperait de ce travail , et ces contrées seraient inon- dées de nitre. On m'assure que sur la côte de la mer Pacifique , aux environs d'Yca et dans le district de Cinti , il y a des plaines de plusieurs lieues, entièrement couvertes de cette espèce de sel; mais comme Je ne l'ai pas vu, je suspends mon jugement , parce que ce pourrait être de la soude, qui est éga- lement abondante par-tout dans ce pays. Ge qu'il y a de sûr, c'est que dans tout le haut Pérou, il n'y a point de basse- cour, ni de parc ( /P2 ) de bestiaux , dont le terrain ne soit pénétré de nitre -, et il semble que l'élévation de ces terrains et leurs températures particulières soient plus favorables que d'autres à la for- mation de ce sel. Je dois observer, comme une chose infiniment rare en chimie et en minéralogie , que l'on trouve abondamment dans ce pays le nitre cubique natif ( nitrate de soude ) ; tandis qu'il est très - rare de le trouver tout formé dans l'ancien continent. §. VIIL Alkali minéral, ou soude native. Cette substance saline se trouve , ainsi que les précédentes, en grande abondance dans tout le royaume, à quelque température que ce soit. Les salpétrières immenses que l'on traverse en voyageant le long de la côte de la mer Pacifique , dans les districts de Tara- paca , de Mocegua , de Camana , et d'Ata- cama , sont en grande partie composées de cette substance. Son extrême blancheur , qui réfléchit les rayons du soleil , frappe si vio- lemment la vue dans ces longues traversées , qu'il en résulte souvent des maux d'yeux. On la trouve en aussi grande abondance dans (420) les vastes plaines des lagunes de Chucuiîa , de Paria et d'Oruro , dans la vallée de Clisa et dans l'endroit appelé Chulpas , qui four- nit les verreries de la province de Cocha- baniba , où ces deux derniers lieux sont siîués. Ce sel est le même que celui qui est connu dans les provinces méridionales d'Espagne sous le nom de soude ^ et qu'on y relire par la combustion et l'incinération d'une plante que l'on cultive avec soin dans ces pro- vinces , et qui fournit une branche de com- merce intéressante avec le nord de l'Europe. Au Pérou , on voit sortir celte substance à la surface des terrains argileux et secs pendant toute l'année , mais plus abondamment à la fin des mois pluvieux , sous la forme d'un sel pulvérulent , plus ou moins blanc , d'une sa- veur forte et piquante , semblable à ceile de la lessive. Comme cette poudre est extrême- ment fine et légère , les brises d'août et de septembre en dissipent une grande partie dans l'atmosphère; mais les eaux qui vien- nent ensuite , pénètrent dans l'intérieur du terrain , et dissolvent une plus grande quan- tité de sel , que l'on voit reparaître au même endroit et en plus grande masse. Ce sel est presque toujours mélangé d'une petite quan- C 424 ) lllé de sel commun , et. quelquefois de suU fate de soude , qu'il est difficile d'eu séparer exactement. C'est une des substances dont l'usage est le plus répandu dans les arts , et véritablement un des agens principaux de la chimie. C'est par le moyen de ce sel que l'on combine et que l'on décompose une infinité de corps naturels et artificiels , par l'extrême affinité qu'il a avec tous les aci- des, soit minéraux , soit végétaux , soit ani-. maux. On l'emploie indifféremment aux mêmes usages que Talkali végétal , autre- ment potasse ou salin. C'est la base du sa- von , à qui il donne de la solidité et de la consistance : il est de la plus grande utilité dans l'exploitation de diverses mines d'ar- gent minéralisées par le soufre. Son usage est indispensable dans la teinture et dans le blanchiment de toute espèce de linge j mais la plus grande consommation s'en fait dans les fabriques de verres, de cristaux et de porcelaine , comme je le ferai voir à l'ar- ticle 18 , où j'exposerai plus au long les fa- cilités qu'oftre la situation avantageuse de cette province pour les fabriques de cristaux. (4^5) §• I X. Vert'de-gris natif y ou vert de montagne , ( carbonate de cuivre. ) Celte substance métallique se trouve dans Jes mines de cuivre des districts de Paran- gas , de Pacages , de Lipes , d'Atacama , et dans quelques aulres situés près de la côte , quoiqu'elle vienne ordinairement d'Oruro. C'est une mine de cuivre calciforme ( en état d'oxide) , terreuse , friable , pulvéru- lente , et minéralisée par l'acide carbonique. La couleur est d'un vert clair , agréable à la vue , et semblable à celle du vert-de- gris artificiel , à la place duquel on l'emploie avec succès pour tous les usages domesti- ques. Elle est ordinairement mélangée de pe- tites pierres blanches et rougeâtres. La partie verte pure se dissout très - facilement dans l'acide sulfurique , ainsi que dans les autres acides minéraux et végétaux; propriété com- mune a toutes les espèces de cuivre. Dans cette opération , toutes les parties hétéro- gènes et terrestres se séparent et se préci- pitent au fond du vase. On l'emploie comme iJu vert-de-gris dans tout le royaume , pour (4^6) peindre les maisons , les portes et les fe- nêtres. On en fait également usage dans les poteries , en l'Incorporant au plomb ou à l'alkali minéral , pour recouvrir d'un vernis de couleur verte les ouvrages grossiers qu'on y fabrique. Le prix est de deux ou trois piastres l'arrobe , tandis que le vert-de-gris artificiel coûte dans le pays dix réaux l'once ^ €t même plus. Orpiment du Pérou, On relire cette combinaison métallique de l'arsenic minéralisé par le soufre , de dif- férentes mines de la Cordillière de la côte , et sur-tout de l'endroit appelé Parrinacota , éloigné de vingt-cinq lieues de la peuplade de Parangas. Les gens du pays lui donnent ordinairement le nom du pays oii ils le trou- vent , et l'appellent Parrinacota, L'usage en est assez connu dans la peinture ; mais de- puis quelque tems on l'emploie aussi dans la teinture , sous diverses formes et dans dif- férentes préparations , sur-tout pour teindre en bleu , avec l'indigo , les toiles de colon efe de lin , en l'incorporant à la lessive, dans la- quelle il se dissout insensiblement. On Tem- (4^7 ) ploie aussi sous la forme de sel neutre arse- nical (arsëiiiate de potasse), que l'on obtient en décomposant l'orpiment par le moyen du nitre (nitrate de potasse). On fabrique au- jourd'hui ce sel arsenical en grand , pour dif- férentes opérations de teinture. On a employé de tems immémorial l'arsenic blanc même (oxide d'arsenic) , comme mordant pour les toiles de coton , en le combinant avec l'alun et avec d'autres ingrédiens de cette classe. (4:^3) SUBSTANCES MINÉRALES. ART 1 FI C I ELLES, jLJx N S le nouveau continent , la nature of- fre les substances précédentes entièrement formées de sa main même , et sans le plus léger secours de l'art : elles sont de deux classes \ je veux dire simples et composées. Celles qui sont simples , ne sont en apparence composées que d'un seul principe , quoique l'analyse chimique puisse remonter à un autre principe plus éloigné. Celles qui sont com- posées sont le résultat de la combinaison de plus d'un principe. L'art les transforme toutes les deux en substances très-différentes , soit en rompant l'union de celles qui sont com- posées , par une attraction supérieure ; soit en combinant celles qui sont simples avec d'autres corps de la même nature , et dont il résulte un mixte qui diffère essentiellement d'un des principes primitifs. Je commencerai par les trois acides minéraux , qui sont le& agens les plus puissans de la chimie. (4^9) §• XI. Acide vitrîolique y ( sulfurique, ) L'analyse des eaux minérales , qu'un voya* geur curieux rencontre en si grand nombre dans ce continent , et celle d'une infinité d'autres substances que la nature y offre à chaque pas , m'obligèrent à me munir de suite d'une provision de ces trois acides mi- néraux de la meilleure qualité , et même en certaine quantité pour quelques opérations. Obligé , par la nature de mes voyages , de m'éloigner à une énorme distance des grandes villes , où je trouvais par hasard ces acides , de mauvaise qualité , et à un prix exorbitant , je me sentais animé de plus en plus à réa- liser le projet que j'avais formé de fabriquer moi-même des réactifs indispensables pour mes recherches. Je résolus aussitôt de met- tre mes idées en pratique. Guidé par les con- naissances que j'avais acquises en minéra- logie et en chimie , je me voyais entouré des matériaux les plus parfaits et les plus abondans que je pusse désirer. Il n'y avait que l'embarras du choix qui pût suspendre pendant quelque tenis l'exécution de mes (45o) idées , tant les matières étaient abondantes et également convenables à mon but au pre- mier aspect. Pour parler de l'acide sulfu- rique , j'adoptai , sans hésiter un instant , la méthode facile , simple et peu dispendieuse que les anglais ont adoptée depuis quelque tems , parce qu'elle est bien préférable à l'an- cienne , qui consistait à distiller le sulfate de fer. Je conviens que l'acide que l'on obtient par ce dernier procédé est , sans contredit , plus fort et plus concentré ; mais aussi est-il prouvé que Tacide sulfurique faible des an- glais acquiert, par une simple rectification, le degré de concentration requis et suffi- sant pour les opérations les plus délicates de la chimie , et pour la préparation de l'éther vitriol ique et de plusieurs autres substances. Les matériaux que l'on emploie en suivant cette méthode , sont le soufre et une petite quantité de nitre ( nitrate de soude ) : toute l'opération est fondée sur ce principe. Le soufre est une substance composée , pour la plus grande partie , d'acide sulfurique uni in- timement au principe inflammable : la déto- nation avec le nitre , dans des vaisseaux fer- més , dégage l'acide en très-grande abon- dance , en observant certaines conditions , ( 43i ) et en employant un appareil adapté à Popé- ralionr Les deux substances employées dans cette manipulation, se trouvent abondamment, et à bas prix , dans ce royaume , puisque le quintal de soufre ne s'y vend que trois piastres, et même moins. Cette circonstance seule suffit pour faire préférer la nouvelle méthode à la distillation. Voici de quelle ma- nière on fabrique l'acide sulfurique : On se munit de vases de plomb d'une grande ca- pacité , de forme à-peu- près sphérique , et dont un des côtés se termine par un long col plus ou moins étroit , et coupé circulaire- ment, à l'extrémité duquel on ajuste un cou- vercle du même métal , pour intercepter en- tièrement la communication de l'air atmos- phérique avec celui qui est contenu dans l'intérieur du vase , pendant la détonation lente du soufre avec le nitre. On place ces vases ou ballons horizontalement dans de grandes coupelles munies d'une quantité suf- fisante de sable , dans lequel chaque ballon doit être enfoncé au moins jusqu'au tiers de sa hauteur. On les remplit alors , presque à la moitié , d'eau pure et cristalline. Le tout s'ajuste et se place sur un fourneau cons- truit de manière à donner au bain de sable ( 432 ) le degré de clialeur qa'exige l'opéralion , et qui se réduit à faire résoudre leiilemeut l'eau du ballon en vapeurs , qui , remplis- sant le reste de la capacité du vase , et y circulant librement , s'unissent à Tacide dé- gagé du soufre , se condensent à la partie supérieure de l'appareil , et retombent dans la masse commune d'eau , après s'être en- tièrement combinées avec l'acide. Les ballons dont je me servais dans mes essais , conte- naient presque deux quintaux d'eau , quoi- que , vu leur position horizontale , il n'y en eût guères que la moitié qui pût me servir* Pour placer dans le centre du ballon les matières destinées à la détonation , je dispo- sai une espèce de chandelier de plomb , dont le sommet dépassait un peu la surface de l'eau, et je plaçais , dans la cavité que j'y avais ménagée , de petits creusets remplis de ces matières. Après tous ces préparatifs que je viens de décrire , on forme un mé- lange de quatre parties de soufre et d'une de nitre pur ; ces deux substances doivent être réduites en poudre très - fine , et ta- misées. La manière d'arranger le mélange dans rintérieur des creusets , consiste à met- tre d'abord au fond une légère coucha (455) d'éloupe (le lin ou de Maguey ; sur celle cou- che on en met une du mélange de soufre et de salpêtre , que l'on a soin de bien étendre , et l'on continue ainsi successivement jusqu'à ce que l'on ait fait entrer une once ou une once et demie de la matière. Le creuset ainsi préparé se pose à sa place , savoir , sur le petit plateau du chandelier qui est au centre du ballon , et on allume le mélange avec un petit charbon. A l'instant le ballon se remplit de vapeurs épaisses , blanches et suiFocantes 5 et aussitôt que la masse a pris feu, on ferme exactement l'extrémité du ballon avec son couvercle. Ces vapeurs , occasionées par la décomposition du sou- fre, se réunissent aussitôt aux vapeurs de l'eau renfermée dans cet appareil , et com- muniquent lentement leur acidité à la masse commune d'eau. Lorsque les vapeurs ont cessé , on répète l'opération de la même ma- nière pendant deux jours et deux nuits dé suite, jusqu'à ce que l'eau acquière le degré de force et d'acidité suffisant pour dissoudre la limaille de fer et les autres métaux. La petite quantité d'eau que l'évaporation lente peut faire perdre, se remplace par d'autre, d'après le poids déterminé par la gravité IL a. ;33 ( 454 ) spécifique de Pacide. Pour donner à cel acide faible , mais préparé à peu de frais , et eu très grande quantité , un degré supérieur de concentration, on en remplit , jusqu'aux deux tiers, une cornue de cristal exposée au bain de sable : on procède à l'évaporation , à feu lent, jusqu'à ce que la liqueur soit diminuée d'un tiers OLi même davantage , et que les gouties qui se suivaie t auparavant, une à une , avec rapidité , commencent à ne plus couler que lentement et par intervalles : alors ce qui reste dans la cornue est un acide suffisam- ment concentré , et propre aux opérations les plus délicates de la chimie. Les anglais se servaient au commencement de ballons de verre ou de cristal ; mais Texpérience les engagea à y en substituer de plomb , qui sont plus commodes et plus durables , parce que le plomb est un métal sur lequel l'acide sulfuri- que n'exerce presque aucune action. On fait , dans la chimie et dans tous les arts , un usage et une consommation immense de cet acide , qui est le plus fort du règne minéral , et qui remporte sur le nitrique et le muriati- que. Lorsqu'on a cet acide , on peut dire que Ton possède tous les autres. En eff'et , pour obtenir les acides murialique et ni- c 435 ) trique dms leur plus grand degré de con- centration , on doit , au lieu du sulfate de fer , employer l'acide sulfurique pur pour la décomposition du nilre et du sel com^- mun. Les anglais fournissent aujourd'hui , presque exclusivement , toute l'Europe de cet acide , à cause de la simplicité et de la facilité de leur fabr'calion , et de l'im- mense quantité qu'elle produit en travaillant en grand. §. XII. Méthode pour fabriquer V eau-forte ou acide nitrique, appropriée au pajs , et indica- tion des matériaux les plus actifs , et que l'on trouve à meilleur marché. Le second des acides minéraux et qui n'est pas moins important que le précédent, est i'acide nitrique appelé communément eau forte. Le nitre ( nitrate de potasse ) est la substance qui contient cet acide , qui est un de ses principes constitutifs. La théorie de sa fabrication et de sa séparation du nitre est fondée sur le principe , que l'attraction de l'acide sulfurique sur la potasse , qui forme la base de ce sel neutre , est plus forte que celle de l'acide nitrique même. Ainsi , l'acide ( 456 ) sulfurîque concentré , libre ou combiné sous la forme de sel terrestre ou métallique , se trouvant mêlé avec le nilre et aidé de l'ac-^ tion du feu , s'incorpore avec sa base alka- line , et dégage l'acide nitreux qui passe dans le récipient sous la forme de vapeurs rouges. La substance que l'on emploie en Europe , préférablement a toute autre, pour cette opé- ration, est le sulfate de fer ou couperose, au- quel on substitue, dans plusieurs fabriques, par raison d'économie , diverses espèces d'argile rouge qui contient toujours une petite quan- tité d'acide sulfurique. Mais , dans ce cas , il faut employer le triple ou le quadruple d'argile relativement au poids du nitre 5 et cette pro- portion exige des vaisseaux d'une plus grande capacité et d'un plus grand volume ^ et, comme on ne peut placer qu'une petite quantité de nilre dans la même cornue, on n'obtient qu'un acide extrêmement faible. Dans le continent de l'Amérique méridionale , la nature fournit , pour cette opération, des matières si actives, si abondantes et d'une qualité si supérieure , que le chimiste n'y est embarrassé que du choix. J'ai parlé du nitre, § 7 j et , quant aux autres matières que l'on peut employer à celte opé- ration , on peut se servir également des subs- (457) tances que j'ai décrites § i , 2 , 5 el 4, mais préfërablement à toutes , de celles décrites § 5, iî'est - à - dire du colquenillo de la province de Porco , qui ne coûte que quatre réaux le quintal. Jamais les fabriques européennes d'eau-forte n'ont été à portée d'employer dans leurs opérations une substance aussi active que celle-ci, et qui opère tivec autant d'éner- gie la décomposition du nître par la quantité et le degré de concentration de l'acide sulfu- rique qu'elle contient. Mais , d'un autre côté , me trouvant dans un pays si arriéré dans toute espèce d'arts mécaniques , je rencontrai , au commencement, une infinité de difficultés et d'obstacles qui , au premier coup-d'œil , pa- raissaient invincibles , pour fabriquer les vases nécessaires dans cette opération chimique. Tous mes efforts furent infructueux, pendant long-tems, pour me procurer des cornues convenables et capables de résister à un feu violent et continué , tel que l'exige un travail de celte nature. J'éprouvai le même incon- vénient avec des récipiens fabriqués dans les verreries de Cochabamba , et oii il n'entre d'autres matériaux qu'une soude impure qui n'est unie à aucune substance vitrifiable ca- pable de lui donner du corps : de sorte qu'il C 458 ) n'en résulte qu'une masse si tendre , qu'elle était détruite à l'instant par les vapeurs cor- rosives de cet acide , lorsque la quantité de ces vapeurs augmentait par l'action du feu j et ce n'était même que par hasard qu'elles résistaient à cette action , sans se briser. Mais enfin à force de patience , et moyennant quel- ques dépenses , je surmontai ces difficultés. Je trouvai une argile propre a faire des cor- nues , et je fabriquai avec une nouvelle es- pèce de verre noir, des récipens qui résistè- rent au feu le plus violent. M'étant ainsi pourvu des matériaux les plus purs , et d'ins-^ trumens assez convenables , j'obtins sur-le- champ , sans difficulté , tout l'acide nitrique que je désirais pour mes essais. Je dois encore recommander les précautions suivantes , rela- tivement k la préparation et à l'emploi des sjubstances dont j'ai parlé ci -dessus. Il faut que le nitre et le colquenillo soient réduits eu poudre fine , et tamisés ; on doit d'abord sécher le nitre , à feu lent , pour le priver d'une partie de son eau de cristallisation. Le colquenillo exige également cette dernière préparation , parce qu'il contient une plus grande quantité d'eau : ainsi il ne suffit pas simplement de le sécher, il faut encore néces- l (439) saîrement lui faire éprouver une calcinalion préliminaire plus ou moins forte et continuée, parce que , sans cette précaution , Tabondance de l'eau affaiblirait extrêmement l'acide re- cueilli dans le récipient. Dans mes essais , j'ai toujours employé le nitre et le colquenillo à parties égales , et mêlés le plus exactement qu'il se pouvait. Je ne remplis les cornues qu'aux deux tiers , et je mis dans chaque ré- cipient , avant de le luter, deux ou trois onces d'eau pure et cristalline. Je donnai un feu lent pendant deux ou trois heures ; je l'augmentai par degrés , sans le continuer au-delà de six heures ; et cependant, je trouvai dans chaque récipient , dix onces ou même plus d'acide bien concentré et propre à toutes les opé- rations chimiques. La consommation de cette liqueur est im- mense dans tous les arts , et notamment dans la médecine. L'éther nitrique et l'esprit de nitre dulcifîé sont des combinaisons de cet acide avec l'alcohol. L'art de la teinture doit à cet acide modifié et combiné la plus bril- lante et la plus vive de toutes ses couleurs sur laine, c'est-à-dire l'écarlate , et beaucoup d'au- tres sur coton. L'or précipité de la dissolution par l'eau régale , donne une couleur de pour- (44o) pre pour la procelaine fine. Cet acide pur sert l dans les hôtels des monnaies , à séparer l'or mêlé avec l'argent, parce qu'il ne dissout que ce dernier métal , sans avoir d'action sur l'au- tre : et c'est proprement l'objet le plus digne de l'attention du Gouvernement. Les essais peu sûrs , faits avec la pierre de touche , pour l'or si commun dans ce royaume , causent mille peines et mille disputes aux essayeurs «t aux particuliers , et ces derniers en sont ordinairement la victime. Une fabrique en règle de cet acide , remédierait à tous ces in- convéniens , et le trésor royal retirerait de grands avantages d'un pareil établissement. , §• XIII. Z)e V acide inuriatique ^ ou du sel commun. C'est ordinairement dans le sel commun que la nature nous offre cette troisième es- pèce d'acide , si utile dans la chimie métal- lurgique et dans les arts j mais on le trouve aussi dans le sel ammoniac ( muriate d'ammo- niac ) et dans le sel digestif ( muriate de po- tasse ). L'abondance et le bon marché du sel de cuisine ordinaire, font qu'on l'emploie tou- J9urs en Europe pour obtenir cet acide. L'A- ( 44» ) niérique méridionale possède d'immeuses dé- pôts de ce sel ; el l'on dirait que la nature, qui a pourvu ce continent d'une quantité si sur- prenante de métaux , lui a donné aussi , dans la même proportion , les matières les plus utiles pour leur exploitation , quelque variée qu'elle soit. Des lagunes Irès-élendues qui , dans le tems des pluies , se remplissent d'eau , &e cristallisent ensuite dans la saison sèche , et se changent entièrement en masses immenses et totalement forrpées de ce sel , dans le plus grand état de pureté. Outre ce sel cristallisé dans les lagunes , il y a une infinité de fdons de sel en roche ou sel gemme de qualité supé- rieure , que l'on emploie ordinairement à l'ex- ploitation du minerai d'argent : telles sont les mines inépuisables de sel situées au - dessus de la peuplade d'Ycalla , dans le district de Porco , qui , depuis la découverte , ont servi et servent encore à l'approvisionnement du Potosi ; celles d'Umata , district d'Yampares, aux environs des mines de Siporo , et une infinité d'autres. La fabrication de cet acide dépend des mêmes principes que celle de l'a- cide nitrique , ou eau-forte. 11 cède à la force supérieure de l'acide sulfurique, et même à celle de l'acide nitrique , lorsqu'on mêle le sel C442) commun avec des substances salines , terreu- ses ou métalliques, unies à un de ces deux acides. Le sulfate de fer ou couperose opère cette séparation avec beaucoup d'activité ; mais il faut observer que l'acide muriatique diffère de l'autre en ce qu'il agit avec plus d'énergie sur les oxides métalliques , que l'a- cide nitrique j car il en volatilise une partie, ce qui l'exposerait à être souillé d'une cer- taine quantité de fer, qui le rendrait aussitôt plus ou moins jaunâtre. Pour éviter cet in- convénient , il faut employer des substances qui ne contiennent pas un atome de fer , tel que le millo décrit § 2 , ou l'acide sulfurique, même dans son étal de pureté , § 1 1 , si le chimiste se propose d'avoir un acide muria- tique entièrement exempt du plus léger ves- tige de fer : ce qui n'est nullement nécessaire pour les opérations ordinaires de la métallur- gie et de tous les arts : ainsi on peut hardiment employer dans la préparation de l'acide nitri- que , la substance que j'ai indiquée ci-dessus , et qui est recomraandable par son activité , et par le bon marché. Ces deux matières , savoir le sel et le millo , doivent être préparées comme je l'ai dit au § 12, c'est-à-dire le sel parfaitemement sec , et le millo fortement ( 445 ) calciné , jusqu'à ce qu'il ait acquis une cou- leur rougeàlre, pour dissiper l'excès d'eau de cristallisation. La proportion est de parties égales de Tun et de l'autre intimement mé- langés ; les cornues et les récipiens , comme dans le procédé précédent, excepté que le degré de feu doit être plus fort , et continué pendant plus long-tems. Il faut aussi mettre une petite quantité d'eau pure dans chaque récipient , avant de le luter avec la cornue. Toute l'opération dure de sept à huit heures, et en prenant les précautions que je viens d'indiquer, on obtiendra un acide assez fort et assez concentré , qui pourra servir dans toutes les opérations chimiques, quelque éten- dues qu'elles soient. §. XIV. Eau régale ^ ( acide muriatique oxigéné, ) . On connaît en chimie , sous ce nom , le mélange des deux acides précédens , c'est-à- dire le nitrique et le muriatique , en diffé- rentes proportions. Cet acide composé , et qui est véritablement l'acide muriatique oxi- gané , est le vrai dissolvant de l'or 5 et la no- blesse de ce métal lui a fait donner le nom i ( 444 ) fî!eau régale, H y a différentes manières de la préparer, soit avec les deux acides susdits dans leur état de pureté , soit en ajoutant à Tacide nitrique le sel commun ou le sel ammoniac, ( muriate d'ammoniac). Le sel neutre produit , dans cette dernière opéra- tion, par le mélange de l'acide nitrique et de l'ammoniac , n'influe en rien dans les ma- nipulations docimastiques. Dans le départ de l'or et de l'argent , il y a plusieurs occasions cil l'opération générale se fait à l'inverse j je veux dire qu'il s'agit de dissoudre l'or sans toucher à l'argent ; c'est dans ce cas que l'on emploie l'^au régale, et non l'eau-foi te. Quand on aies deux acides précédens dans leur état de pureté, rien de plus aisé que de les mé-- langer. Outre l'or, l'eau régale dissout plu- sieurs autres métaux entièrement insolubles dans les autres acides simples , ou qui ne s'y dissolvent que difficilement, §• XV. Vitriol de cuivre ^ vitriol bleu ou vitriol de Chypre ( sulfate de cuivre. ) La nature offre quelquefois dans cette par-^ tie de l'Amérique , ce sel neutre métallique (445) dans l'étàl nalif, mais en très-petite quantité* L'art a su imiter heureusement cette produc- tion de la nature à peu de frais, et de ma- nière à en obtenir facilement une grande quantité. Ce sel est un des ingrédiens les plus nécessaires dans l'art de la chimie , sur-tout pour le coton. La manière la plus commune de fabriquer ce sel , est une espèce de cémen- tation de cuivre , par le moyen du soufre , dans des vases de terre exactement fermés. On trouve ces deux substances dans toute l'éten- due du Pérou et du Chili, à aussi bon marché qu'en aucun pays du monde. L'acide du soufre , dans un état si concentré , agit dans cette opération avec beaucoup de force et d'activité sur le cuivre , auquel il ôte non- seulement la forme de régule métallique, mais qu'il convertit même en une espèce de minerai artificiel , et en un corps entièrement différent, et composé de soufre et de cuivre. On réduit en poudre cette combinaison , et on la tamise pour la mêler encore avec une certaine quantité de soufre également réduit en poudre. On brûle ce mélange dans un creuset ouvert et à feu lent : cette opération se répète jusqu'à ce que presque toute la masse soit réduite en une substance saline et ( 44'^ ) dissoluble dans Peau. Oq évapore la dissolu- tion saturée jusqu'au pouit de crislallisalion , et alors elle se convertit en beaux cristaux d'un bleu obscur, qui caraclérisent ce sel mé- tallique. Le vert-de-grîs natif ou vert de montagne, (carbonate de cuivre) décrit § 9, m'a fait naître l'idée d'une nouvelle méthode facile , simple et peu coûteuse , pour fabriquer eu grande quantité ce sel métallique. La voici : On prend un poêlon de cuivre qu'on remplit jusqu'aux deux tiers d'acide sulfurique faible, fabriqué par la méthode indiquée au § 1 1 : on ajoute à cet acide cinq ou six livres ou davan- tage de vert-de-gris natif, suivant la quantité de sel qu'on se propose de fabriquer : on fait bouillir le tout dans le poêlon pendant une ou deux heures, en ajoutant de tems en tems à cette dissolution une petite quantité du même acide pour remplacer ce que consume i'évaporation, jusqu'à ce que l'on soit sûr que toute la partie métallique du cuivre est par- faitement dissoute dans l'acide sulfurique. Alors on filtre la dissolution encore chaude pour en séparer les parties terreuses et hété- rogènes qui étaient mélangées avec le vert- de-gris. On remet alors toute la liqueur dans ( 447 ) le poêlon, et on l'évaporé à feu lent jusqu'aii point de parfaite saturation : quand on y est parvenu, on retire le poêlon et on le place dans un endroit frais , où la dissolution forme, en se refroidissant, des cristaux tels que je les ai décrits plus haut. Outre la grande con- scHiimation de ce sel dans la teinture, on l'emploie aussi à ditïerens usages dans la médecine. §. XVI. Tartre vitriolé, {^sulfate de potasse,^ En ajoutant à une dissolution peu chargée, de l'alun natif décrit § i et 2 , et de loin en loin une autre dissolution de potasse, alkali végétal ou salin, les principes de l'alun se séparent , et il en résulte une nouvelle com- binaison chimique , connue sous le nom de sulfate de potasse y qui est un sel neutre dont le nom indique la composition. Dans cette opération, il faut prendre les précau- tions suivantes. La dissolution de potasse doit s'ajouter par intervalles, et en petite quan- tité chaque fois , parce que l'effervescence est si forte et si violente, que la masse ne manquerait pas de sortir du vase , quelle que fût sa capacité. ( 448 ) Ces deux dissolutions doivent être chaudes, ou au moins celle de la mine d'alun , et dé- layées dans une grnnde quantité d'eau pour faciliter la précipitation de la terre et l'en- tière décomposition de la mine. L'alkali vé- gétal ou potasse a plus d'afïinité avec l'acide sulfurique, que l'alumine; ce qui fait que cette terre se précipite ^ et que l'acide sulfurique contracte une nouvelle union avec la potasse 5 combinaison qui produit le sel dont nous par- lons. On filtre et on évapore la dissolution jusqu'à pellicule; on la retire du feu, et on la met cristalliser. Ce sel contient irès-peu d'eau de cristallisation 5 c'est ce qui fait qu'il en exige une si grande quantité pour se dis- soudre, c'est-à-dire , seize parties de son poids à une chaleur moyenne ; mais il n'en faut que cinq à l'eau bouillante. Sa saveur est amère , mais faible et salée. Il n'attire point l'humi- dité de l'air , et ne tombe point en efïlores- cence à l'air sec , comme plusieurs autres sels ; mais il conserve constamment sa forme. La figure primitive de ses Cristaux est un prisme hexaèdre terminé à chaque extrémité par une pyramide a six faces. On l'emploie en méde- cine ; et le prix en est si exorbitant dans ce pays, qu'on le paie souvent quinze piastres (449) et plus la livre. En employant la me'lbode que je viens d'indiquer pour le fabriquer avec deux substances si communes dans le royaume, il reviendrait tout au plus à trois ou quatre réaux la livre , et il serait d'une qualité bien supérieure à celui que l'on ap^ porte d'ailleurs , et qui est ordinairement mé- langé à'arcanum duplicatum ( sulfate de potasse ) et d'autres sels qui , à quelques différences près, sont composés des mêmes principes. S- XVII. Magnésie blanche. Le ^el d'Angleterre ou sulfate de magnésie, décrit § 5 , est la substance qui produit cette terre blanche et très-fine qui est aujourd'hui un des médicamens les plus estimés et lés plus employés dans toute l'Europe. Il y a dif- férentes manières d'obtenir par précipita- lion de ce Sel, qui est extrêmement abondant dans toute l'Amérique méridionale. Quand on emploie le sel de tartre pour celte précipitation , il en faut tout au plus la moitié du poids du sulfate de magnésie j mais on obtient le même résultat, et même plus aisément , non-seulement avec la potasse ou IL a^ 2Q ( 45o ) le salin, mais encore avec la soude décrite § 8. Dans ce cas il faut mettre , par poidà égal, ces sels avec le sulfate de magnésie. L'opération se fait de la manière suivante. On fait dissoudre les deux sels dans le double d'eau pure : on filtre ensuite, et on mêle les deux dissolutions; et pour accélérer la sépa- ration de la magnésie, on met le mélange au feu , et on Vy laisse bouillir pendant quelque tems. Cela fait, on laisse reposer le précipité après avoir retiré le mélange du feu , et on finit par le laver avec de l'eau froide et pure , jusqu'à ce qu'il soit entièrement libre des parties hétérogènes que l'eau peut enlever. On recueille le précipité sur un filtre ou sur un linge, pour le faire sécher parfaitement* Le reste de la lessive contient du sulfate de potasse, si on a employé cet alkali, ou du sulfate de soude, si on a employé l'autre. Si l'on veut tirer parti de ces deux sulfates , on peut les retirer par la méthode commune d'une simple évaporation. §. XVIII. Matières pour les fabriques de cristaux. Le verre ou le cristal est un des produits les plus beaux et les plus intére^sans de ia (45i) cliimie , et c'est la matière la plus noble , la plus propre et lu plus commode que l'oQ paisse employer dans les usages ordinaires de la vie. La plupart des royaumes d'Europe onjt employé leur industrie à établir des fabriques de cette matière, mais avec plus ou moins dé succès. Dans cette entreprise, la nature a fa^ yorîsé certaines nations plus que d'autres. Les matières les plus nobles et les plus abon- dantes seraient inutiles a une province qui manquerait de grands bois ou de mines d^ charbon de terre capables de fournir Tim- mense quantité de combustibles que consom« ment en si peu de tems des fabriques si des- tructives des bois les plus épais , et qui parais- saient devoir durer des siècles. Les verreries d'Europe, dans un petit nombre d'années j ont entièrement dégarni de bois de vastes terrains qui ne servaient auparavant que de repaire aux animaux sauvages, parce que l'épaisseur de ces bois les rendait presque inaccessibles aux rayons du soleil. L'agricul- ture a acquis une infinité de nouveaux ter«. rains; et dans les endroits oii l'humidité et les broussailles étouffaient les germes de toutes les plantes utiles , on a vu se former des cam- pagnes qui fournissent aujourd'hui les pro-^ ( 450 duclîons les plus utiles et les plus nécessaire^ Il la subsistance des hommes. Si ces fourneau:^ dévorans ont produit des elTets si avantageux dans les pays que l'étendue de leurs bois ren- daient semblables à des déserls, ils ont, au contraire, occasionné de grands dommages dans d'autres contrées où les bois, en petite quantité, suffisaient à peine aux besoins do- mestiques les plus indispensables des habi- tans. Je ne me propose pas d'expliquer ici en détail l'utilité et la théorie de ces fabriques qui sont assez connues, mais seulement de prouver que la province de Cochabamba , dans ses différens districts , offre les plus grandes facilités et les plus grands avantages pour l'établissement des fabriques de cristaux. 11 en existe depuis long-tems de verre ordi- naire dans les ravines qui sont proches du Kio-Grande;et comme les travaux n'en ont jamais été interrompus , cela prouve invinci- blement les ressources qu'on trouverait pouf en établir d'autres dont je vais parler un peu en détail. Cette province possède toutes les matières nécessaires pour ce genre de fabri- ques, en abondance et de la meilleure qua- lité; et ses immenses forêts sont suffisantes pour fournir du bois aux fourneaux pendant C455) des siècles, et d'ailleurs l'extirpation et la des- truction de ces bois seraient le plus grand avantage que l'on pût procurer à la province. Les matériaux nécessaires sont les sels et autres substances fondantes , telles que la soude, la potasse, ou autrement le salin, le nitre, le plomb j dans quelques cas, l'arsenic , et dans d'autres , la manganèse. Ou a besoin également de sables ou de pierres vitrifîa- bles , et enfin d'argile , pour les creusets et autres vaisseaux. J'ai fait voir, § 8, combien la soude ou alkali minéral était abondante dans cette province et dans les pays voisins. C'est avec celte substance, sans autre prépa- ration qu'une calcination incomplète , qu'on fabrique depuis plusieurs années dans les ver- reries du Rio-Grande , des ustensiles gros^ siers d'une espèce de verre verdâtre ou d'au- tres couleurs foncées, extrêmement tendre, et cassant à la plus petite impression de la chaleur. Les défauts de ces verres dépendent de l'impureté de la soude que l'on emploie telle qu'on la ramasse dans les champs, sans aucune préparation ni purification préala- bles. Ces verres sont composés de soude fon- due seule, et sans l'addition d'aucune subs- tance vitrifiable qui puisse lui donner du ( 454 ) corps, de la solidité et de la résistance. Les fours où on les fabrique sont de la plus mau- vaise construction, sans courant d*air , sans distribution proportionnée dans leur inté-? rieur , de la forme des fourneaux de boulan- ger, el ils ne produisent que le degré de cha- leur suffisant pour fondre la soude, degré bien inférieur à celui qu'exige la fusion d'une masse de cristal bien composé. Le second de ces matériaux fondant est la potasse, qui est proprement un sel alkalin végétal tiré des cendres de différens végé- taux, et particulièrement de certains arbres dont les cendres produisent cet alkali plus abondamment que les autres. La proximité des montagnes des Andes offre un champ immense pour cette opéra- tion. Leurs vastes forêts, qui se prolongent dans rintérieur du continent à des centaines de lieues , et qui offrent en abondance les bois les plus utiles et les plus recherchés, sont à peine connues , si ce n'est depuis leur lisière jusqu'à la croupe des montagnes, et unique- ment pour l'exploitation de quelques cèdres , lauriers , etc. , destinés à la fabrication des ustensiles domestiques dont l'usage est indis- pensable. Mais l'homme n'a point pénétré ( 455 ) dans leur înlérieur , et Ton ignore entière- ment l'immensité de productions répandues dans le sein fécond de ces vastes déserts. Sans entrer même dans les montagnes des Andes , on trouve plusieurs plantes dont on relire ce sel en grande abondance. De cette classe sont les tunas et les pencas {cacti)^ qui couvrent entièrement les bords de toutes les ravines exposées a la chaleur. 11 en est de même des restes du maïs et particulièrement du marlo , ( rachis spica ) , qui , par l'incinération , pro- duisent ce sel en grande abondance, et d'une qualité supérieure à celui que l'on retire d'autres végétaux. J'ai parlé, § 7 , du nilre que l'on substitue dans quelques fabriques aux autres sels fon- dans, lorsqu'on en manque. Le plomb n'est pas moins abondant que les autres matières , et il se vend de dix huit à vingt réaux le quin- tal. J'ai fait mention de l'arsenic minéralisé au § 10. La manganèse que l'on ajoute en très-petite quantité à la masse destinée à la fabrication des cristaux pour détruire toute espèce de principes colorans, est connue ici dans les verreries sous le nom de negrillos ^ et on l'y emploie en plus grande quantité pour donner au verre différentes couleurs , %t sur- tout le violet* '( 456 ) Les substances vilrifiables forment Vanh'e classe de matières qui entrent dans la compo- sition des cristaux. Quand elles sont seules, elles sont infusibles de leur nature, même au feu le plus violent et le plus continué , et elles, ne se fondent que par leur mélange avec lea précédentes qui en déterminent la fusion. La chaîne des Andes, située dans le voisi- nage de cette province, produit toutes les. espèces possibles çt connues de ces substan- ces, et dans un degré de pureté supérieur. Une foule de riches filons de quixos ( quartz )„ qui sert de gangue à Tor, traversent la Cor- dillière de tous côtés et dans tous les sens pos-, sibles : tous sont d'un grain très» fin et d'un blanc parfait, qui en prouve la pureté. Dans d'autres endroits on trouve des filons abon- dans de petro-silex et de gros sable , qui pro- vient de ces minéraux, et qui est d'une grande utilité pour les fabriques des cristaux. Quant aux matières propres à entretenir le jfeu des fourneaux , cette province a des res- sources inépuisables pour plusieurs siècles , c'est-à-dire, les montagnes des Andes situées dans le voisinage. La culture et le commerce actif de la coca a été jusqu'ici l'unique mo- bile qui ait excité les habitans nonchalans du pays à pénétrer dans ces forêts. L'abatis de (457 ) f?efi bois, qui sont si épais qu'ils renaissent sous la main qui les extirpe , a été le plus grand obstacle qui ait empêché la culture de ces fertiles terrains. On peut dire que, dans toute l'immense étendue occupée par les montagnes des A ndes , on n'a pas encore com- mencé à percer l'épaisseur des forêts pour en tirer véritablement parti , et que les petits défrichemens que l'on a faits jusqu'au] our- d'bui dans ce long espace de terrain , ne for- ment qu'une partie infiniment petite du tout. C'est un point qui échappe à la vue dans cette masse immense de bois , comme une petite île dans la vaste étendue de l'Océan. apparent rarl nantes in gurgite vasto, ViRG. Quelques fabriques de cristaux éclairci- raient en peu de tems plusieurs lieues de pays dans les environs , et donneraient à l'Etat des terrains très-fertiles, qui sont aujourd'hui en- sevelis dans l'ombre des bois impénétrables qui les couvrent. On me dira que , dans les pays chauds, il serait impossible de résister à la chaleur des fourneaux de cristaux, qui sont comme des volcans artificiels. Mais je réponds que les verreries du Rio-Grande oii l'on tra- ( 453 ) vaille toute l'aDiiée , se trouvent dans le même cas, puisqu'elles sont situées dans rintërieur des gorgea les plus chaudes des Andes , et que pour éviter cet inconvénient, on travail- lerait de nuit comme dans les autres, en ré-^ servant le jour pour la fonte de la masse. Par ce seul changement, dans un pays oii les jours sont égaux aux nuits pendant presque toute l'année , les travaux se suivraient tout comme en Europe. L'abondance de rivières servirait en outre à faciliter le transport du bois, ainsi que pour les autres machines, mou- lins , etc. , comme cela se pratique dans la Bohême, ma patrie, pourvu que l'on mît à la tête des travaux des ouvriers intelligens de ce dernier pays. ( 459 ) SUBSTANCES ANIMALES. §. XIX. Nouveaux matériaux pour fabriquer le sel ammoniac ( muriate d'ammoniac, ) 13 ANS le cours de mes recherches bolani^ ques et physiques sur le haut de la Cordil- lière, des orages de neige et de grêle m'obli- geaient souvent à me réfugier précipitam- ment dans quelque misérable cabane d'indiens pasteurs qui habitent cette région glaciale. A défaut de toute espèce d'arbuste dans un pays aussi élevé, on emploie pour le foyer de la cuisine une paille haute du genre de la festuca, appelée dans le T^dijs ychoicho. On ja mêle avec les excrémens secs des diffé- rentes espèces de chameau du Pérou , telles que le guanaco, la vigogne et l'alpaca, et sur- tout avec ceux du llama , que l'on appelle vulgairement mouton , à cause de leur plus grande abondance. La chaleur produite par ces excrémens est considérable , et la fumée , qui est très-épaisse, s'attache aux murailles et ( 4^0 ) aux toits de paille des cabanes, où elle forme en même lems une espèce de suie dure , massive et brillante, qui forme petit à petit des incrustations considérables. C'est dans ces cabanes que logent les indiens pasteurs \ ils y ont leur cuisine, et ordinairement plusieurs animaux domestiques y vivent avec eux. La première fois que je me trouvai dans ces cabanes, je pensai d'abord à la méthode par- ticulière que l'on emploie en Egypte pour fabriquer le muriate ammoniacal. Les habi- tans de cette partie de l'Afrique emploient, k défaut de bois, les excrémens de leurs cha- meaux (^camelus bactrianus ), et ceux d'au- tres animaux domestiques , dont ils forment avec de la paille de riz, des briques qui leur servent, au lieu de bois, pour la cuisine et pour tous les autres usages domestiques. Leurs troupeaux se nourrissent de plantes qui abon- dent en sel commun , et qui donnent de la soude par l'incinération. Sur les hauteurs du Pérou, je trouvai non-seulement un animal du même genre , mais encore tous les pâtu- rages de la Cordiilière couverts de sel com- mun , de sulfate de soude et d'alkali minéral pur ( soude ), qui forme la base des deux sels neutres précédens. Ces circonstances établis- ( 45^ ) feent une dîHférence entière entre la suie d'Eu^ rope et celles d'Egypte et des Andes , c'est ce qui a déterminé plusieurs minéralogistes à classer le muriate ammoniacal dans le règne animal, quoique le règne minéral le produise aussi aux environs des volcans. Le muriate ammoniacal est un sel neutre composé d'am- moniac et d'acide muriatique. Il est entière- ment volatil à un degré de chaleur convena- ble ; il se dissout très-facilement dans l'eau -, sa saveur est salée, acre et piquante, et ses cristaux soat très -minces et en forme d'ai- guilles. Celui d'Egjpte vient en forme de pains d'une grosseur considérable, mais en- core très-impurs. Les hollandais le purifient par une nouvelle sublimation , ainsi que par la dissolution dans l'eau distillée , par la fîltra- tion et par l'évaporation jusqu'à dessication , et enfin par une nouvelle cristallisation du résidu. La lessive de ce sel est si forte qu'elle pénètre tous les vases d'argile non vitrifiés : ainsi on est obligé d'employer des vases de verre dans toutes les opérations. Au retour d'un voyage, j'entrepris immé- diatement l'analyse de cette'espèce de suie, pour en connaître a fond les principes cons- tiluans. J'observai que, dans les pays humi- (460 des , elle attirait l'humidité de Patmosphère , et qu'elle ne conservait sa solidité et sa con- sistance que dans les pays secs , ce qui est une propriété caractéristique du muriate ammo- niacal. La première expérience que je fis, fut de triturer a sec avec de la chaux vive cette matière réduite en poudre; il s'en dégagea aussitôt une odeur forte,urineuse et piquante^ caractère de l'ammoniac dégagé par l'affinité supérieure de l'acide murialique avec la chaux. Je fis dissoudre ensuite une petite quantité de la même substance dans de l'eau chaude, et j'ajoutai à cette dissolution une certaine quantité d'eau chaude 3 et l'ammo- niac se fit sentir beaucoup plus fortement et pendant plus long-tems que dans l'expérience précédente. La potasse produisit le même effet, quoique plus faiblement, parce qu'elle n'avait pas le même degré de causticité que la chaux vive. Etant convaincu de l'existence d'un des principes, et en si grande abon- dance, je distillai une livre de cette matière avec deux de chaux vive , et le résultat fut un ammoniac caustique» En employant la po- tasse, je n'obtenais que de l'ammoniac simple ( carbonate ammoniacal ). Je doutais encore de l'union de cette base ammoniacale avec ( 463 ) J'acîde murlatique; et pour m*en assurer, je sublimai quelques onces de cette matière au bain de sable, dans un vase de cristal propre à la sublimation. Il sortit d'abord, presque pendant une heure , une fumée épaisse et de très-mauvaise odeur ; ensuite il se sublima à la partie supérieure du vase une croûte de sel blanc jaunâtre qui avait toutes les pro- priétés du muriate d'ammoniac, et qui devint entièrement blanc au moyen d'une nouvelle sublimation. Ce sel dissous dans l'eau tiède précipitait le plomb de l'acétate de ce métal , et le précipité se dissolvait entièrement dans le vinaigre distillé : indice infaillible de l'acide niuriatique qui forme avec le plomb un sel métallique, soluble dans l'eau et dans le vi- naigre. Le défaut de vases de verre d'une grande capacité , m'a empêché jusqu'à pré- sent de faire cette opération en grand ; mais tout homme versé dans la chimie se convain- cra aisément delà vérité de mes résultats, et de la présence du muriate ammoniacal , tout formé dans la substance que je viens de décrire. Dans \ Almanach chimique de 1 780 , p. 55 , on trouve une relation très-exacte de la fabri- cation du muriate ammoniacal en Egypte. La (4è4) voici traduite littéralement : « La rareté du bois oblige les égyptiens à brûler les excré- niens secs de différens animaux. Pour cela ^ ils ramassent ceux des chameaux et autres bestiaux, et en les mêlant avec de la paille hachée , ils en forment des espèces de bri- ques qu'ils font sécher au soleil, et qui leur servent de bois à brûler. La suie qui se formé dans les cheminées par la fumée qui se dé- gage de cette matière , se vend a bon marché aux fabricans de sel ammoniac , et leur sert pour la préparation dé ce sel , sans l'addition d'aucune autre matière. L'opération est une espèce de sublimation , et les ballons oii l'oii met la suie sont de verre verdâtre très-dur , et terminés en haut par un col étroit de quinze à seize lignes de long , et de quelques pouces de large , mais ils ne sont pas tous du même diamètre , car les plus petits contien* lient à-peu- près douze livres , et les plus grands presque cinquante. On les remplit de suie jusqu'aux trois quarts, et le vide qui reste est la sublimation de la matière. Avant l'opéra- tion , il faut nécessairement les luter avec de l'argile mélangée avec la partie ligneuse sépa- rée du lin par le teillage, et enfin les faire sécher à l'air, parce que sans cette précau- ( 465 ) lîon, les vases ne résisteraient pas à un feu long et continué. Le fourneau où on les place est formé de quatre murs à angles droits , ce qui donne à l'ensemble la forme d'un carré régulier. La hauteur , qui est égale par-tout , a cinq pieds , et la largeur à-peu-près cinq palmes. L'intérieur du carré du fourneau est traversé d'un côlé à l'autre par trois arcs éloi- gnés de dix pouces l'un de l'autre. L'ouver- ture placée dans le mur qui fait face , est ovale, de deux pieds et quatre pouces de haut, et de seize pouces de large. Après les précautions nécessaires, on place les ballons dans l'intervalle des arcs , qui servent de grille et soutiennent le poids des ballons. On en met ordinairement quatre dans l'inter- valle d'un arc à l'autre, ce qui fait seize bal- lons par fourneau. On laisse entre chacun un intervalle d'un demi- pied. On remplit ensuite ces intervalles avec de la brique en poudre, de sorte que les ballons soient enlièrement couverts jusqu'aux deux tiers. Tout étant ainsi préparé , on allume d'abord un feu de paille que l'on continue lentement pendant près d'une heure. On nvA ensuite dans le foyer, des briques d'excrémens de chameaux ; l'on continue le même degré de feu pendant, IL a, 3o ( 466 ) près de dix-neuf heures, et on laisse ensuite refroidir le tout lentement. Au bout de six ou sept heures , il se dégage d'abord de la masse une fumée épaisse et de mauvaise odeur, qui dure presque quinze heures ; bientôt après le sel ammoniac commence à se sublimer dans l'intérieur du col des ballons, sous la forme de fleurs blanches. Ceux qui dirigent l'opéra- tion doivent , de tems en tems , nettoyer le bec des ballons avec une verge de fer, pour faciliter la sortie des vapeurs qui dure jusqu'à la fin de l'opération. Quand le fourneau est refroidi, on brise les ballons sur le lieu même, et on relire le sel qui se trouve collé à leur partie supérieure. La terre qui reste au fond, ou le caput niortuuniy^%\, une cendre verdâtre qui ne sert à rien. Vingt-cinq livres de suie donnent ordinairement douze livres de sel ammoniac. » Ici se termine la relation de VAlnianach, Il n'y a pas long - tems qu'en Allemagne même , dans la ville de Brunswick , on a établi une fabrique de muriate ammoniacal , fondée sur d'autres principes , et dont la préparation est encore un secret. Tout ce que l'on peut conjecturer, c'est que ce sel ne s'y fabrique pas par sublimatioia , mais pax cristallisation , ( 46? ) et que Ton ne sublime le sel crîstalHsé que pour lui donner plus de consistance et ua autre coup d'œil. lî est très - probable que, dans cette fabrique , on emploie le sel com- mun et l'alun : le premier pour se procurer son acide , et l'autre pour obtenir d'abord une combinaison de l'acide murialique avec l'alu- mine , à cause de l'attraction supérieure de l'acide sulfurique et de la soude, d'où il ré- sulte une double décomposition par le chan- gement de bases ; et que Ion décompose en- suite le muriate d'alumine par l'ammoniac tiré de substances animales, telles que l'urine, et qui s'unit à l'acide muriatique avec lequel il a plus d'affinilé que Talumine. Tels paraissent être les principes sur lesquels cette fabrique est fondée. L'usage du muriate ammoniacal est très-étendu dans la médecine , et dans une infinité d'arts et de f^ibriques. On connaît en médecine , l'esprit de sel ammoniac simple , le vineux, le caustique, l'huileux et le suc- ciné. Dans l'art de la teinture , la dissolution de ce sel accélère celle d'autres sels qui serait très - difficile sans ce secours. On l'emploie pour le plomb de munition de toute espèce de calibre. On ne saurait s'en passer dans la chimie métallurgique , pour la dissolution du ( 468 ) cuivre et une foule d'autres opérations. Maïs son usage le plus esseniiel et le plus avan- tageux à l'Etat , est dans la préparation de l'eau-forte pour le départ de l'or et de l'ar- gent, telle qu'on en a besoin quelquefois dans les maisons des monnaies. Pour s'éviter la peine de préparer l'acide murialique pur, on se contente d'ajouter à l'acide nitrique, une petite quanti é de muriate ammoniacal , ce qui suffit pour lui donner la propriété de dissoudre l'or, sans toucher à l'argent, dans l'opération du départ. Ce menstrue ou dis- solvant de l'or est proprement l'acide muria- lique oxigéné. On obtient cet état d'oxigé- nation par dinérens moyens ; et l'acide nitri- que produit certainement dans ce mélange le même effet que plusieurs autres substances, que l'on ajoute ordinairement dans la distil- lation de Tacide murialique , telles que la manginèse. On fat , en général , usage de toutes les préparations de l'ammoniac , mais sur - tout de la fameuse eau de Luce , spécifique uni- que contre la morsure des vipères et des serpens à sonnettes. Les différentes plantes que l'on vante en Amérique comme de grands spécifiques contre ces morsures, telles que C 469 ) Yaristolochia anguicida , le hejiico guaco, doivent peut-être leur vertu à la quantité plus ou nioinsgrandecrammoniac annoncée par leur odeur désagréable. Il vient d'arriver cliez les yungas de la ville de la Paz, dans les terres de San Agustin , un fait qui prouve d'une manière convaincante la vertu et l'elTicacité de ce remède. Un indiea mordu par un ser- pent à sonnettes, a été parfaitement guéri en peu de jours par le seul usage extérieur et intérieur de l'alkali volatil (ammoniac), quoi- que le malade fût à l'extrémité et aux prises avec la mort , acconipagnée des symptômes les plus horribles. 11 n'y a pas dans le monde d'endroit où l'homme soit plus exposé à per- dre la vie par la morsure de ces animaux venimeux , que dans la partie la plus chaude de l'Amérique ; mais en même-tems , je ne crois pas qu'on trouve nulle part plus de matériaux qu'ici pour y remédier. On peut aisément réunir des milliers de quintaux de la matière propre à la fabrication du sel am- moniac et de ses nombreuses préparations , dans toute la vaste étendue des hauteurs des Andes , qui comprend près de mille lieues , et oii le défaut de bois oblige nécessairement à se servir des excrémens du llama. Je dois, à (470) celle occasion , appeler ratlcntion des mé- decins sur la guérison de l'hjdropliobie , ma- ladie Irès-commune , mais seulement en Eu- rope, et inconnue jusqu'à présent en Amé- rique. On sait combien sont trompeurs et inutiles les remèdes les plus fameux , indi- qués contre cette maladie , tels que l'atropa , ]a belladona , le meloe proscarabaeus , le mercure , et tous les avuties , lorsque les symptômes de cette horrible maladie se sont déclarés. Si, comme on le suppose pour les vipères, le venin d'un chien enragé commu- niqué au sang par la morsure était de nature acide , il ne pourrait y avoir de remède plus efficace et d'une action plus directe pour détruire ce venin, que l'ammoniac qui neu- traliserait l'acide animal j mais je ne crois pas que jusqu'à présent on en ait fait l'es- sai. La vie d'un malheureux atteint de ce mal est un objet assez important pour mé- riter toute l'attention des médecins chimis- tes , et pour les engager à rechercher et à vérifier la nature de ce venin et son anti- dote. (471) §. XX. Z)es laines de hreb'is ^ d'Alpaca et de Vigogne, Celte précieuse matière est une de celles qui forment une des brandies les plus impor- tantes de l'industrie européenne : son emploi, dans toute sa vaste étendue , a donné d'im- menses richesses à plusieurs nalious d'Europe, et a fait prospérer leur commerce au plus haut degré. La nalion anglaise qui a perfec- tionné ces fabriques plus que toute autre , et qui a su en retirer les plus grands avantages, nous donne l'exemple le plus noble de la haute estime que l'on doit avoir pour cette matière , par l'usage qui s'observe dans les salles du Parlement , dont les membres ont pour sièges des sacs de laine de brebis. L'Es- pagne qui jouit du privilège exclusif de pos- séder dans ses provinces la laine la plus fine et la plus recherchée de l'Europe , jouit du même avantage relativement à la laine de Vigogne et d'Alpaca : c'est la seule nation qui possède ces précieuses matières. Les dif- férentes températures du royaume du Pérou ^ occ^sionées par l'extrême élévation de la ( 472 ) fameuse Cordillière , offrent l'asyle le plus commode et le plus approprié à la consti- tution physique de tous les animaux disperse's d'un pôle à l'autre. La brebis , ce précieux don que la nation qui a conquis l'Amérique a fait à ses anciens habilans , et qui a telle- ment enrichi la classe des animaux domes- tiques du pays , la brebis s'est tellement mul- tipliée sur les hauteurs du Pérou , qu'elle constitue aujourd'hui la partie la plus essen- tielle du bonheur de l'indien. La laine lui sert à s'habiller et à se garantir des intempéries de l'air , et la chair est son aliment le plus ordi- naire de la classe des animaux. Cet animal est plus vigoureux dans les contrées élevées et froides de cetle chaîne , que dans les parties basses et tempérées. La différence de tempé- rature influe même visiblement sur la laine , puisque les animaux élevés dans les gras pâ- turages des hautes montagnes donnent une laine plus fine et plus épaisse que celle des brebis des endroits plus ou moins tempérés ou chauds. Les brebis du Pérou descendant d'une excellente race , ont conservé en général la bonté et la finesse de leur laine , quoiqu'elles passent continuellement d'une température à l'autre. La plus grande coii- ( 47^ ) sommation actuelle de cette laine est pour les étoffes ordinaires du pays , qui sont de petit teint , et que le Gouvernement a permis jusqu'aujourd'hui , en assujétissant la fabri- cation à des privilèges exclusifs. Les essais que j'ai faits sur cette laine m'ont convaincu qu'on pourrait l'employer avec un égal succès pour des étoffes de meilleure qualité et de couleurs plus fines. Le fil de mes essais teint en écarlale avec une espèce de cocbenille sauvage qui croît naturellement dans cette partie de l'Amérique méridionale , n'était point inférieur au fil qu'on nous apporte d'An- gleterre , sous le nom de Bruxelles, Ce qui prouve évidemment que cette laine est d'une qualité susceptible des teinturesles plus vives et les plus brillantes. L'entretien de ces animaux n'occasione pas ici les mêmes inconvéniens et les mêmes dommages qu'en Espagne. Les belles laines de la vigogne et de l'alpaca sont une production qui appartient exclusi- vement au haut Pérou. La vigogne habite la partie la plus rude et la plus escarpée de la Cordillière , d'oii la dureté du climat et les neiges continuelles éloignent tout être vivant, à l'exception du guanaco qui, comme la vi- gogne , est une espèce de chameau et qui y (474) Yj't avec elîe. Ces deux espèces se Irouvenl en abondance dans la province do Cocha- bamba , dans la branche de la Coi dillière qui se prolonge jusqu'à Tintérieur des montagnes de la rivière Colacages , et jusqu'aux mines dW de la peuplade de Choquecamala situées dans le voisinage , et où Ton en trouve sou- vent , en passant , des troupes de plusieurs centaines semblables à des troupeaux de bre- bis ; et ce qu'il y a de particulier, c'est que la majeure partie sont des mâles. La difïicullé de respirer que cause le moindre mouvement ou la moindre agitation dans une région de ratmOvSplière aussi élt;vée , et la vitesse de ces animaux accoutumés à un air aussi léger , font qu'il est diiïlcile de les poursuivre jusqu'aux sommets escarpés de celte immense eliaîne de montagnes. Mais la timidité des vigognes fournit un moyen facile et peu coûteux pour les prendre. Les indiens savent les réunir avec adresse dans un endroit uni et entouré de simples cordons de laine , avec des piquets où l'on a suspendu , d'espace en espace , a la hau- teur d'une -z^^^r^? et demie, plusieurs chiffons agités par le vent. Quand l'animal est renfermé dans cette enceinte , il s'épouvante au plus léger mouvement des chiiïons attachés aux (475) cordons , et il n'a pas le courage de s'en ap- procher , ni de s'échapper, même en sautant légèrement, de cette faible et ridicule prison que son imagination lui représente comme^ insurmontable , à moins qu'il ne se trouve dans la troupe quelque guanaco , qui saute aisément par-dessus l'enceinte et qui est suivi par- tout le troupeau de vigognes. Le cas que l'on fait en Europe de cette laine précieuse, en a occasioné une exportation considérable, mais aux dépens de la vie d'une multitude d'animaux de cette race. La détestable cou- tume de tuer une vigogne pour en tirer une seule fois à-peu-près une demi-livre de laine, a causé des ravages incroyables , qui finiront par détruire visiblement le nombre de ces animaux 3 à moins que l'on ne trouve quelque moyen de les tondre en conservant la vie à ce précieux animal. Cette prudente écono- mie donnerait avec le tems plusieurs fois la même quantité de laine , que l'on n'obtient qu'une seule fois par la mort de l'animal. Ou a souvent pensé à élever ces animaux comme les brebis, et on a souvent ordonné des me- sures relatives à cet objet ; mais outre plu- sieurs difficultés que présente l'exécution de €e projet, je crois que cet animal accoutumé (476) à une liberté îllimilée , ne multiplierait pas si on le tenait renfermé rigonreusrment. Cepen- dant, sans C'^tt^ précaution, l'animal échap- perait à la vigilance la plus active des ber- gers, par sa vitesse et sa tendance natiirelle à se cacher sur le haut des montagnes. Le moy(^n qui me paraît le plus convenable pour éviter la mortalité de ces animaux, en les tondant toutes les années , serait de for- mer , dans les pâturages gras les plus élevés de la Cordillière, qu'ils recherchent de pré- férence , et dans les lieux éloignés des routes, des enceintes artificielles d'une étendue consi- dérable. La nature môme favorise l'exécution de ce projet , puisqu'elle forme ordinairement dans ces endroits, d'un côté ou de l'autre, une barrière escarpée et inaccessible , et qui coupe toute communication par des précipices et des ravines horribles. Il serait aisé et peu dis- pendieux d'achever le reste de l'enceinte, soit avec les cordons dont nous avons parlé , soit avec des murailles de pierres , qui sont extrê- mement abondantes sur les lieux. Ces en- ceintes serviraient non-seulement à renfer- mer et à garder ces animaux jaloux de leur liberté j mais encore à réunir de tems en tems les troupeaux des environs , par le moyeir ( 477 ) d'une battue générale. Ainsî , à l'aide de la vigilance des indiens , les propriétaires des troupeaux les auraient, touîe l'année, à leur disposition , pour les tondre dans la saison la plus favorable. L'alpaca, du même genre que le précé- dent , est un des animaux domestiques da pays : cependant les indiens ne l'emploient point comme bête de somme , tandis qu'ils se servent de la Dama , qu'ils préfèrent parce qu'elle est plus forte ; et même , avant la conquête, c'était le seul animal qu'ils em- ployassent pour les transports. L'aipaca se tient ordinairement dans les terrains voisins de la Cordillière , mais toujours aux envi- rons des cabanes des indiens , qui en élèvent un grand nombre dans quelques endroits pour profiter de leur belle laine. Cet animal est un peu plus petit que la llama ; et sa laine épaisse , touffue , et ordinairement crépue , défigure un peu son corps , qui n'a ni l'élé- gance , ni l'agrément , ni la beauté des au- tres espèces. Il est à remarquer que la plu- part de ces animaux sont noirs , et que ce n'est que dans quelques districts particuliers qu'on trouve des troupeaux blancs qui se perpétuent comme les noirs. La laine de (478) ces deux vanétés est extrêmement fine et douce au toucher ; les fils en sont très-longs , et ont un lustre singulier, auquel les tein- tures ne causent pas la plus légère altéra- tion. Elle résiste un peu à l'action des pi- lons dans la foulerie , à cause de l'extrême élasticité de ses fibres ; et pour être mise au teint , elle exige une préparation qui con- siste à la dégraisser avec plus de soin que les autres laines, pour lui donner le degré de blancheur nécessaire , et pour que la tein- ture prenne bien. 11 faut, dans cette mani- pulation , de l'eau chaude et des matières qui absorbent les parties huileuses et grasses , parce que Teau froide ne suffit pas pour en séparer l'espèce de graisse qui lui est inti- mement unie. Jusqu'aujourd'hui on n'a vu en Espagne qu'une très-petite quantité de laine blanche de cet animal , parce que la noire est la plus commune , et celle qu'on exporte le plus ordinairement. Cette laine mé- rite l'attention d'une nation industrieuse , et elle est digne d'occuper les artistes intel- ligens pnr des recherches suivies. Elle est singulière dans son espèce , extrêmement longue , brillante , élastique , et d'une dou- ceur et d'une finesse extraordinaires , qui la (479) caraclénsent et la dislini^uent de tontes les autres espèces. Ces qualités doivent faire es- pérer et croire que ses usages doivent êlre différens , et qu'une pleine et cnlière con- naissance de ses propriétés produirait de grands avantages pour l'Efat , puisqu'on pour- rait en fabriquer des étoffes jusqu'à présent inconnues en Europe , vu la singularité de la matière, telles que camelots, etc., etc. et autres de cette espèce. s. XXI. De la cochenille ou écarlate sauvage diù Pérou ^ nommée Magno. La Nouvelle Espagne n'est pas le seul pays qui produise ce précieux insecte ( espèce de coccus ) ; on le trouve également dans toutes les provinces chaudes de l'Amérique méri- dionale. L'endroit oii naît et habite ce petit et méprisable animal , est une espèce de ra- quette ( cactus ), ordinairement rampante a terre , et qui a des articulations presque ron- des , très-épineuses , et d'un vert pâle. Les terrains qui produisent ce végétai sont secs , stériles , incultes , sablonneux , pierreux , et exposés à une chaleur ardente. Presque toutes (48o) les provinces de la côte jouissent de cet avan- tage , telles qu'Arequipa , Tru:xillo , etc. , ainsi que ditîérens districts de Tintendance de Cuzco ; mais on en trouve en plus grande abondance dans les provinces du Tucuman , et sur-tout aux environs de Santiago del Estero , qui fournissent de cette denrée tout le royaume du CLili et les provinces de l'iulërieur. C'est dans les tems secs que l'on fait la récolte de cet insecte. Quelques soins que j'aie em- ployés jusqu'à présent , je n'ai jamais pu ob- tenir cette matière dans toute sa pureté, mais toujours en masse , et en forme de pains ronds, aplatis et mêlés d'autres substances hétérogènes, que l'avarice emploie pour adul- térer et falsifier cette substance en en aug- mentant le poids. La cocbenille fine de la Nouvelle Espagne est bien supérieure à la cochenille sauvage du Pérou pour la bonté, pour la quantité , et pour la vivacité de la couleur ; de sorte que le quadruple de poids de cochenille sauvage de ce pays, produit h peine autant d'effet qu'une seule partie de cochenille du Mexique. Cependant le bas prix de cette matière , et la facilité de s'en procurer en abondance au centre de ces provinces , offrent des avantages considé- (48i ) râbles aux liabitans du pays, qui s'appliquent avec assez de goût à Part de la teinture , et à qui la nature fournit libéralement toutes les espèces de matières utiles à cette branche intéressante de l'industrie. Le goût des cou- leurs les plus vives et les plus brillantes est général dans tout le royaume et dans toutes les classes j et c'est pour cela que , dans toutes les étoffes , on emploie de préférence l'écar- late, qui est la couleur la plus vive et la plus estimée. Les personnes qui se sont occupées avec le plus de soin à imiter cette couleur par Je moyen de substances presque entièrement végétales , n'y ont réussi qu'imparfaitement ; mais je ne doute pas quela chimie ne fournisse quelque jour les préparations nécessaires pour l'obtenir dans toute sa pureté. Au § 34 , on verra la méthode nouvelle, intéressante et curieuse , que l'on emploie dans cette partie de l'Amérique pour imiter Técarlate avec une matière purement végétale , appelée chapi : desi un des ingrédiens propres à la teinture, que l'on a découvert dans ce royaume. II. a. (482) SUBSTANCES VÉGÉTALES, Utiles dans la médecine et dans les arts. MÉDICINALES» §. XXII. De la gomme arabique ^ ou proprement gomme du Pérou, Un arbre du genre de la mimosa , d'une gran- deur considérable , produit cette substance en Egypte , en Arabie et dans d'autres pro- vinces de l'Orient : la médecine et la peinture font un grand emploi de cette denrée; mais sa plus grande consommation est pour la tein- ture et pour une infinité d'usages domesti- ques. En Europe , il y a plusieurs arbres frui- tiers , tels que le pêcher , le cerisier et d'au- tres , qui donnent une gomme analogue quant à la nature et à la qualité intrinsèque , mais en très - petite quantité et ordinairement tirant un peu sur le brun. Cette partie de l'Améri- que méridionale , qui est le jardin botanique le plus riche et le mieux fourni du monde en ( 483 ) végétaux utiles , possède une foule d'espèces très-différentes de celte gomme. L'algarrobo ( mimosa algarrobo)^ l'esplno , les arbres les plus communs de ce continent en fournissent en abondance , sans que jusqu'à présent on se soit donné la peine d'en recueillir , et on achète celle qui vient d'Europe quatre réaux de Plata l'once , et même davantage. Il faut observer que les arbres dont nous venons de parler sont du môme genre que celui d'Orient. Un autre arbre en produit encore en plus grande abondance ; c'est le vilca : il naît sur les cotes des montagnes escar- pées , et dans les gorges oli règne une tem- pérature sèche et ardente. De son tronc , cou- vert d'une écorce inégale et rude , découle ce suc végétal , que l'an^ endurcit en forme de grains transparens , blanchâtres ou jau- nâtres , presque ronds , de grosseur inégale , et pesant depuis une drachme jusqu'à trois onces et plus. Il est très-facile d'en ramasser en peu de tems une quantité très-considé- rable. C'est une gomme parfaite , qui se dis- sout entièrement dans l'eau , et qui possède toutes les autres qualités qui distinguent la véritable gomme de la résine ou gomme - résine. Mais Técorce et les autres parties ( 484 ) de cet arbre contiennent des principes bien différens du principe mucilagineux , insipide et huileux, qui constitue proprement l'essence de la gomme. L'ëcorce renferme un prin- cipe astringent , si fort et si marqué , que , lorsqu'elle est réduite en poudre grossière , on l'emploie pour tanner les peaux , aux- quelles elle communique une couleur rouge , agréable , par son mélange avec la chaux ou quelque lessive. Cela prouve que les dif- férentes parties d'un seul et même végétal contiennent souvent des principes très-dif- férens et même opposés les uns aux autres , tels que les principes astringens et mucilagi- neux , que l'on trouve à-la-fois dans cet arbre. Le meilleur tems pour la récolte de celte gomme , est la fin de la saison sèche , vers les mois d'août et de septembre , époque a laquelle les arbres recommencent à pousser \ après un repos de deux ou trois mois. §. XXIII. I^ouvel arbuste pénétré de camphre. On trouve cet arbuste en abondance dans J les gorges étroites et profondes qui descen- I dent du haut de la Cordillière aux districts ( 485 ) ô/e Hajopaja et en partie à celai d'Arqué , qui appartient à la province de Cochabamba. Il exige une température assez douce , une chaleur modérée , et des terrains incultes , escarpés et secs , tels que les croupes élevées des cotes qui forment la descente de la Cor- dillière. Son odeur de camphre ^ forte et pénétrante , se fait sentir à une grande dis- tance. Sa hauteur est ordinairement de trois ou quatre pieds , tout au plus. Sa tige est droite , à-peu-près quadrangulaire , branchue , et couverte à la base d'une écorce mince , gercée , et de couleur grise : les branches sont minces, droites, et ordinairement couvertes de quelques gerçures ; les feuilles sont op- posées , linéaires , sessiles , entières et lisses des deux côtés. Les fleurs sont petites , blan- ches , à deux lèvres , et à lymbe inégal : la lèvre supérieure est très-courte , et partagée en deux j l'inférieure est partagée en trois , et la pièce du milieu est ronde et un peu plus large que celle des côtés. Le tube de la corolle est comprimé , égal au calice , et lisse : les anthères supérieures sont dans la gorge même de la corolle , et n'ont pres- que pas de filets. Le germe est ovale , com- primé , et partagé par une ligne longiludi- C486) naîe. Le slyle est pins court que le tube de la corolle , et capillaire ; le stigmate est pointu , conique et droit. Toutes les parties de cet arbuste , sur-tout les feuilles et les fleurs , sont pénétrées d'une odeur de cam- phre extrêmement forte et piquante , que Ton sent encore plus en serrant ou en écrasant quelques feuilles entre les doigts ou dans la main. Dans la distillation à l'esprit-de-vin , toutes ces parties donnent un esprit aroma- tique , fort et piquant , qui ressemble à l'es- prit-de-vin camphré , et qui en a les vertus et la force dans toutes les maladies exté- rieures dans lesquelles on fait usage de ce remède. La pou Ire de ses feuilles est anti- septique , soit à l'extérieur , soit à l'intérieur : elle est calmante et anti-spasmodique dans les affections hystériques ; et plusieurs prépa- rations de la même substance sont extrême- ment diaphorétiques. Je suis assuré de ces vertus par ma propre expérience , et par la pratique à laquelle j'ai été obligé de me li- vrer , et qui même m'occupe actuellement par intervalles , pour reconnaître les vertus et les propriétés d'une multitude de plantes médicinales nouvelles. Cet arbuste mérite l'attention des chimistes et des médecins , et ( 487 ) sur-tout une analyse exacte de ses principes ; pour savoir si Ton pourrait en extraire du camphre j matière que nous tirons à un prix exorbitant du Japon , de la Chine et de Su- matra , oii on le prépare par la distillation du laurus camphora. Dans MAlmanach Chimique de 1782, on lit une relation détaillée de la manière dont on retire le camphre dans les pays que je viens de nommer. Il me paraît Irès-à propos d'en donner ici la traduction , que voici : « Le camphre est une substance solide et volatile , que l'on retire de l'arbre appelé camphrier au Japon , à l'île de Bornéo et dans plusieurs autres endroits de l'Inde. Les gens de la campagne , qui le préparent au Japon et à la Chine, emploient la méthode suivante : Ils coupent le tronc , les branches et les racines en petits morceaux ; ils les mettent dans un alambic de fer ou de cuivre; ils jettent de l'eau par dessus , et remplissent le chapiteau de l'alambic de paille fine. Lors- que l'eau a bouilli pendant quelque tems , on trouve le camphre attaché à la paille en forme de petits grains jaunâtres. C'est dans cet état qu'on le reçoit en Hollande , encore impur et mêlé de paille : pour le purifier , ( 488 ) on le sublime une seconde fois. Dans celte opération , il acquiert plus de sblidité et de pureté , plus de blancheur , et cette forme de pains ronds sous laquelle les hollandais le vendent à toute l'Europe. » S. XXIV. Des racines de la hamahama ^ espèce de valériane ^ remède spécifique contre les attaques d'épilepsie, La plante qui fournit cette racine se trouve dans les montagnes escarpées qui partent de la Cordillière des Andes pour pénétrer dans l'intérieur du continent , dans un climat doux et habitable , et dans des terrains secs , pierreux , et ordinairement couverts de buis- sons et de petits arbustes. Elle appartient au genre de la valériane , qui est si abon- dant dans les Alpes Péruviennes. Sa raciire est vivace , horizontale , assez longue , de la grosseur du doigt , ronde , brune en- dehors et blanche en-dedans lorsqu'elle est fraîche. Quand elle est sèche , elle répand une odeur forte et particulière qui ressemble beaucoup à celle de la valerianaphu ^ que l'on cultive ( 489 ) dans les jardins botaniques d'Europe. Il est bon de remarquer que presque toutes les es- pèces de valériane que produit cette partie de l'Amérique, participent plus ou moins à cette odeur propre à leur genre. Les gens du pays rappellent en quelques endroits hama' hama ; mais presque par - tout ailleurs , elle n'a point de nom , sort fatal que partagent des milliers de végétaux de l'Amérique mé- ridionale , parce que les habitans n'ont pas les connaissances nécessaires pour en tirer parti. L'épilepsie , plusieurs attaques liysté- riliques , et tous les maux de nerfs si ré- pandus dans le pays , m'obligèrent à em- ployer cette plante, dont j'ai éprouvé, dans une foule de cas, la vertu anû-épileptique , anti-hystérique et nervine. Fabio Columna , célèbre botaniste ancien , fut attaqué d'épi- lepsie , et , dans ses voyages à la mer Noire , il eut le bonheur de se guérir parfaitement par l'usage continué de la valeriana phu j çt l'on peut assurer que la plante américaine ne le cède en rien à celle d'Orient. Quant à ses autres vertus médicinales , elle est bonne contre les obstructions diurétique , anti-hel- mentique et anti-paralytique , et elle mérite un rang distingué dans le catalogue des C490) plantes nouvelles utiles en médecine. La meil- leure manière de l'employer , est de Tadmi- nislrer en poudre, ou préparée par une lé- gère décoction. L'infusion dans le vin de li- queur , avec un peu de limaille de fer, a produit également le meilleur effet dans les cas où l'on avait besoin à-la-fois de remèdes to- niques et nervins. §. XXV. Des racines de la catacata ^ valeriana catacata). On trouve cette plante sur les hauteurs de la Cordiilière , dans des endroits pierreux, et ordinairement sur ces roches escarpées d'où découlent continuellement des ruisseaux qui arrosent le peu de terre qu'on j trouve. La racine est la partie que l'on emploie ea médecine : elle est vivace , grosse, très lon- gue, amincie dans la partie inférieure, comme les racines fusiformes ; la chair est blanche , et l'odeur ressemble à celle de l'espèce précé- dente , qtioique plus faible. Les feuilles sont pinnées , longues de deux à trois pouces , et lisses des deux côtés. Les tiges ont or- ainairement neuf pouces de haut ou à-peu- ( 49« ) près. Les fleurs sont petites , blanches , et se réunissent en forme d'épi. Elle est stomacale , roborative et anli-spasmodique. On l'emploie en outre dans les mêmes maladies que la pré- cédente. Je l'ai vu produire également les meilleurs effets dans les attaques d'épilepsie , en l'administrant de la manière décrite ci- dessus. §. XXVI. Des racines de tamitani ^ du genre de la gentiane ^ ( gentiana tamitani ). Remède fébrifuge. Le tamitani ou gentiane des Andes , est une autre plante médicinale que l'on ne trouve que dans les pâturages des glaciers de la Cordil- lière. Ses fleurs , grandes et jaunes , produi- sent le plus bel effet sur ces hauteurs, lors- qu'elles sont couvertes d'une légère couche de neige. Les indiens l'appellent tamitani , nom très-fréquent dans l'idiome quichoa , et qui même est commun à plusieurs autres plantes de la Cordillière. Cette plante ne fleurit que dans les mois oii il tombe de la pluie , qui , pendant toute l'année , se convertit Çn neige et en grêle, d'une manière efl'rayaute , c 492 ) sur le sommet de la Cordillière. La fleur est très - grande , jaune et campaniforme. Les feuilles sont radicales , oblongues , étroites, obtuses , à trois nervures en - dessous , et lisses des deux côtés. Elle est entièrement différente de la gentiana lutra , et beaucoup plus petite. La racine est vivace , perpendicu- laire , de deux à cinq pouces de long , ronde, et garnie de beaucoup de fibres de couleur jaune et d'une saveur très-amère. C'est cette dernière qualité qui constitue la vertu mé- dicinale de la plante , et qui appartient à la classe des remèdes toniques , roboratifs , sto- macaux et fébrifuges. C'est avec raison que plusieurs auteurs vantent la racine de gen- tiane pour les fièvres intermittentes. En ef^- fet , en voyageant dans les pays oii les fièvres tierces et quartes font de cruels ravages , j'ai eu le bonheur de les guérir parfaite- ment , en substituant cette racine au quin- quina , praemissis praemittendis . Il est bien singulier que les habitans du Pérou , où naît le remède le plus héroïque qu'ait produit la nature , aient une aversion et une répu- gnance générale pour l'usage du quinquina , même dans les maladies qu'il soulage et qu'il guérit infailliblement et presque momentané- ( 493 ) ment ; en observant les précautions néces- saires qu'en exige l'usage. Mais on ne doit pas en être surpris , quand on considère les mauvais effets et les ravages causés par son application à contre-tems, et par l'ignorance des médecins du pays , qui augmentent or- dinairement tous les symptômes de cette ma- ladie , au lieu de les prévenir par les prépa- rations nécessaires. Celte fièvre estandémique dans les gorges et dans les vallées brûlantes de cette province. Mais c'est dans les mois pluvieux , depuis novembre jusqu'en avril , qu'elle exerce sa fureur , sans exception , sur toutes les classes d'habitans du pays ; et pour la gagner dans cette saison , il suffit de se mouiller les pieds dans les ruisseaux qui ar- rosent les vallées , ou de commettre le plus léger excès dans le régime diététique. Le quinquina est toujours le remède le plus spé- cifique ; mais de toutes ses préparations , la teinture spiritueuse est celle qui opère avec le plus d'efficacité , et sa vertu s'exalte infi- niment par l'usage du sel ammoniac ( mu- riate ammoniacal ) ou autres sels neutres , et par celui de quelque plante anti-scorbu- tique , administrée sous la forme la plus con- venable. Les indiens ont coutume de frotter ( 494 ) avec les feuilles et les fleurs pilées de celle gentiane , les jambes et les cuisses des en- fans , lorsqu'ils paraissent avoir quelque dif- ficulté à niarcîier à l'âge ordinaire. Il paraît que la vertu tonique de cette plante for- tifie ces membres comru^ ils le désirent , puisque je n'ai jamais observé parmi ces indiens le rachitisme , maladie qui défigure tellement les os de ces parties dans le bas- âge , et qui est si commun daus le nord de l'Europe. §. X X V I ï. De Varnica des Andes. Cette espèce naît avec la précédente près des sommets couverts de neige de la Cordil- lière. Elle est de la classe de la singénésie , et ses caractères s'approchent du genre de \ar^ nica plus que de tout autre ; ses feuilles sont sinuées ; sa fieur unique est située au centre des feuilles radicales; elle est d'une couleur jaune d'or et d'une grosseur extraordinaire. Une fleur aussi belle est un phénomène sur- prenant dans cette région élevée de l'atmos- phère, et au dernier terme de la végétation. La racine est fibreuse j les fibres sont nom- (495) LreiTses, droites, longues et noîres, et d'une saveur particulière, piquante et amère. C'est cette partie qui est assez ulile dans la méde- cine. Elle résout efficacement les obstruc- tions des organes hypogastriques , qui sont la véritable cause des hydropisies si communes dans les provinces (lu haut Pérou. Ad.vjîiis- trée en forme de décoction, elle est diuré- tique, et par conséquent très-recommandable dans cette maladie, où il convient sur-tout de provoquer l'évacuation de l'urine. Une des causes qui disposent le plus h cette maladie , est l'extrême élévation de ce pays au-dessus du niveau de la mer. Cette élévation diminue considérablement la gravitation de l'atmos- phère qui, sur les plus grandes hauteurs, perd la moitié de son poids, comme le prouvent les observations faites avec le baromètre. La sur- face du corps humain entouré d'un fluide aussi raréfié , éprouve par conséquent une pression et une gravitation beaucoup moin- dres que celles auxquelles nous sommes ac- coutumés dans des lieux plus bas , oii l'effet en est bien plus sensible , parce que les co- lonnes d'air y sont plus hautes et plus pesan- tes. L'élévation du terrain fait que les solides de notre machine résistent moins à l'impul- C496) sîon des fluides , ce qui doit occasîoner in- failliblement des extravasions d'humeurs dans le tissu cellulaire. Toute la classe des remèdes hydragogues forts est inutile dans cette ma- ladie, et cause des rétentions d'urine. On emploie aussi depuis quelque tems cette plante dans les maladies vénériennes, et pour diverses espèces d'exanthèmes cutanés. §. XXVIII. La carioph^llata des Andes, On trouve cette plante rare à la descente des hauteurs de la Cordillière des Andes , vers la partie intérieure des montagnes , dans des endroits humides et sombres, et sous une tem- pérature assez douce. Elle appartient au genre du geum; sa fleur est petite, jaune, et les feuilles ressemblent beaucoup à celles du seum urbanum. La racine est vivace, hori- zontale, et couverte de tous côtés d'une infi- nité de fibres latérales , minces , longues et blanchâtres. L'odeur de cette plante est extrê- mement agréable, aromatique et semblable à celle du clou de girofle : la saveur est aussi la même , quoique plus faible. Quant aux vertus , elle est chaude , aromatique , slonia- (497) cale et fortifiante, sur -tout pour les sujets de complexion pituiteuse et phlegmatique. On peut même profiter de sa saveur agréable, en l'employant en petite quantité dans les alîmens, où elle est à coup sûr moins dange- reuse que le girofle de l'Inde orientale. §. XXIX. De la guachanca ( euphorbia guachanca ) , nouveau remède purgatif. La plante qui fournit cette racine est du genre de l'euphorbe ou tithimale. On la trouve à la descente de la Cordillière,sur des croupes élevées et escarpées, à une tempéra- ture douce , et ordinairement dans les pâtu- rages bas et sauvages de cette contrée. La racine est la partie employée dans la méde- cine : les indiens s'en servent dans leurs ma- ladies et en connaissent bien les effets. C'est un tubercule vivace , assez gros , plus ou moins long, oblong ou ovale, mais ordinai- rement arrondi , pesant depuis une once jus- qu'à dix et plus , couvert en-dehors d'an épi- derme mince et gris ; l'intérieur est formé d'une masse solide , blanche, et qui présente des rayons qui divergent du centre à la cir- IL a, 32 ( 498 ) conférence. Toute la plante, lorsqu'elle est fraîche, est pénétrée d'un lait blanc, épais et très-abondant. Vers l'endroit d'où sortent les tiges , qui sont communément en grand nom- bre , il y a des nœuds irréguliers recouverts d'écaillés sèches , arides et gercées. Elle dif- fère, par ses caractères, de Veuphorbia tube^ ro^^z ^ plante connue des botanistes. La racine est le purgatif employé le plus communé- ment par les indiens du Pérou. Ils la coupent en petites tranches minces qu'ils font sécher j ils réduisent ces tranches en poudre , dont il suffit de prendre une drachme ou un peu plus pour produire un effet qui , quelquefois même, est violent. Enfin c'est un purgatif fort et drastique dont l'usage demande de la circonspection. Quand les indiens ont outré la dose de ce remède , ils boivent de la chicha de maïs, ce qui suffit pour adoucir l'action violente du purgatif Cette plante est très- abondante dans les endroits que j'ai indiqués , et sur-tout dans le district d'Yapaya , qui ap- partient a la province ou intendance de Co- chabamba. ( 499 ) §. XXX. T>e r agave vivipare, Verum... euro etrogo, et omnis in hoc sura. HOB-AT. Les éloges multipliés que la gazelle de Madrid fait des vertus de l'agave et de la bégonia , pour la guérison des maladies véné- riennes rebelles au mercure, m'ont fait re- doubler d'attention pour observer ces plantes si communes dans toutes les provinces duL Pérou : j'avais même déjà fait plusieurs obser- vations sur la première, avant d'avoir con- naissance des notices de la gazette. Je vois en outre que , dans la dernière édition des Elé^ mens de médecine pratique du célèbre Cul- len, on a inséré, tome IV, un résumé des effets produits par ces deux nouvelles plantes apportées de la Nouvelle Espagne par le doc- teur Balmis, et administrées, dans l'hôpital de Madrid, à plusieurs vénériens , sous l'inspec- tion et sous la direction de plusieurs méde- cins nommés par Sa Majesté. Sans m'arrêter aux exagérations de la gazette , ni à l'avis peu réfléchi des médecins, je vais rendre compte ( 5oo ) de ce que Texpénence m'a appris de l'usage que les indiens du pays font de cette plante. On ne connaît pas d'une manière sûre l'es- pèce d'agave ou de bégonia dont il s'agit dans la gazette et dans les observations faites a l'hôpital de Madrid. Tout ce que je dis ici doit s'entendre de l'agave vivipare : j'en aver- tis pour éviter la confusion que doit néces- sairement causer l'application inexacte d'un nom générique qui renferme tant d'espèces dont les vertus ont peu d'analogie. Cette belle plante croît dans la plupart des gorges de la Cordillière des Andes , sous la température la plus sèche et la plus brûlante , et dans des terrains escarpés et arides. La partie infé- rieure de la racine est formée par la réunion de fibres simples , longues , extrêmement fortes et tenaces , de couleur blanchâtre ou rouge. La partie supérieure qui sort en- dehors se partage , à sa superficie même , en plusieurs branches souvent plus grosses que la cuisse , dans la plante adulte. Toutes ces branches sont recouvertes en -dehors d'une écorce rude , écailleuse et noire , que Ton croirait, au premier coup - d'œil , avoir été brûlée : le centre en est fibreux , et l'anneau lexlérieur contigu à l'écorce est formé d'une ( Soi ) substance blanche , solide et cliarime. En la coupant dans quelque sens que ce soit , lors- qu'elle est fraîche, il en découle un suc trans- parent, visqueux, de la consistance du miel, et qui a une odeur propre. Les feuilles sont cannelées, dentelées, épineuses, et terminées par une pointe alongée, roide et piquante. La tige se partage en un grand nombre de branches qui, a la fin des mois pluvieux, se trouvent chargées d'une immense quantité de rejetons dont le poids fait pencher à terre la tige, quelque élevée qu'elle soit , et alors le mouvement de l'air suffit pour en séparer ces rejetons , qui tombent et prennent racine aussitôt, pour la plupart , au moyen de leurs filets ou fibres , par une disposition singu- lière de la nature. La partie supérieure de la racine est celle que l'on emploie dans la mé- decine. Le suc dont nous avons parlé s'ap- plique en substance aux plaies et aux ulcères malins, pourris et invétérés , sans en excepter les vénériens ; on en obtient les meilleurs effets , et même ordinaû^ement une guérîson complète. Ce suc est un remède détersif, dé- puratif et fondant à un très-haut degré. La racine en poudre possède les mêmes vertus , mais à un degré plus faible. On l'administre ( 502 ) mlérieiirement,soit en pillules ,vSoît en extrait comme la cigûe , ou en infusion légère. A l'ex- térieur, on remploie mêlée avec dlfférens onguens ou emplâtres, ou sous forme d'em- Lrocations ^d'épithêmes ou de fomenlations , avec le lait, l'eau ou l'eau-de-vie. Son usage intérieur exige de la circonspection , et on ne doit la donner qu'à Irès-petite dose , parce qu'elle irrite violemment le système nerveux; et je suis étonné que Balmis l'ait administrée à si énorme dose dans les hôpitaux de Madrid. J'ai vu d'excellens efï'ets de son usage inté- rieur et extérieur dans les tumeurs scrophu- leuses et séreuses , dans les plaies de Xuterus et dans les fleurs blanches qui procèdent d'une cause vénérienne 3 dans la chlorosis, dans les douleurs rhumatismales, arthritiques, et dans la goutte ; dans les plaies scorbutiques de la bouche, et pour guérir la pourriture et le gonflement des gencives , occasionée par le scorbut. Prise intérieurement à grande dose avec un véhicule chaud et convenable , elle excite toujours une sueur abondante. Comme la plante dont je parle pourrait être diffé- rente de celle du Mexique , il serait à désirer que quelque médecin habile s'en servît pour la continuation des recherches sur les pro- ( 5o5 ) prîétés de Tune et de l'autre, dans les mala- dies indépendantes du virus vénérien, §. XXXI. De la bégonia» C'est une des plantes les plus abondantes dans les montagnes des Andes. Dans le rap- port des essais faits par ordre du roi dans les hôpitaux de Madrid , on ne détermine pas Tespèce de cette plante que Ton employa avec la précédente , quoique ce genre ait été considérablement augmenté par les recher- ches de Joseph - Nicolas de Jacquin , mon maître , et par celles d'autres célèbres bota- nistes. Celle dont je parle est la bégonia ane-- monoïdes à feuilles rondes et collées à la tige, la seule espèce qui , dans ce royaume , se trouve hors des Andes, sur les croupes de de cette chaîne de montagnes , à une tempé- rature rude et froide. La racine est un tuber- cule vivace; la chair en est succulente et rouge 5 elle est extrêmement irrégulière, et sa figure vari^ beaucoup 5 la superficie est iné- gale et rude. Sa fleur, qui est belle et cou- leur de rose , surpasse en grandeur celle de toutes les espèces connues de ce genre ,. et; ( 5o4 ) ressemble , au premier coupd'œil , à celle des renoncules et des anémones ; les feuilles sont rondes , et ont à leur base celte section obli- que qui caractérise tout le genre. Je la re- çfarde comme moins drastique que celle que Balmis a apportée de la Nouvelle Espagne. §. XXXII. De différentes espèces de quinquina ou de cascariLla ^ quêtai découvertes en voya- geant dans des terrains oii on ne les avait pas encore observées. Enfin , dans ce traité de plantes médici- nales, je dois faire mention de dijQférentes espèces de quinquina ou cascarilla , et des endroits qui les produisent abondamment , et dont on n'a jamais tiré cette substance si utile et si intéressante pour l'Etat. Quoique l'on exploite les bois de cascarilla aux envi- rons deLoxa,d'Andamarca, de Huanuco, etc. cet arbre ne manque pas dans la partie des Andes qui se prolonge vers le sud , et il y en a même pour plusieurs siècles, puisqu'il cou- vre des centaines de lieues oii l'homme à peine a pénétré , et où l'on trouve plusieurs espèces d'excellente cascarilla. Au moins, ( 5o5 ) quant à moi seul, je puis indiquer plus de cinquante endroits que j'ai découverts dans mes longs voyages à ce continent , et dont on n'a jamais tiré une livre de cette écorcej tels que le commencement des célèbres mines d'or de Tipuani et les environs, les districts de Challans , Songo , Pelecbuco , Apolobamba , Carabaya , les montagnes de Paucastambo , celles de Guamanga, de Tambo, et une infi- nité d'autres de ces contrées , depuis Lima jusqu'à la ville de la Paz, chez les yungas de Coroico, Chulumani , Yrupana , Suri, Cana- mina , Yuracarces, jusqu'aux environs de Santa-Cruz , et dans toutes les montagnes qu'il y a entre cette ville et celle de Cocha- bamba. Dans tous ces lieux on trouve diffé- rentes espèces de cet arbre. La première est la cascarilla à feuilles violettes en-dessous j la seconde, celle a feuilles oblongues, étroites, et à tige peu élevée ; la troisième , qui est la plus grande de toutes , a une tige élevée , forte , les feuilles sont larges et ovales , l'é- corce se partage en fibres minces, fragiles, et d'une couleur assez vive. On doit croire que si l'on pénétrait davantage dans l'intérieur de ces bois, on en trouverait encore d'autres espèces non moins importantes. L'Etat aura ( 5o6 ) toujours le moyen de pourvoir al)ondamment tout le globe de ce remède héroïque , quand bien même une exploitation fréquente, con- sidérable et suivie , détruirait une partie des bois de ces cantons. (5o7 ) SUBSTANCES VEGETALES UTILES PANS LES ARTS. Nouvelles matières pour la teinture. §. XXXIII. JDu bois de Varhre de tara ^ ( cœsalpîna tara. ) Le tara est un arbre que Ton cultive dans les jardins de presque tous les endroits tem- pérés du Pérou , à cause de son bois très- utile dans la teinture, et de son fruit en forme de gaine , que Ton emploie ordinairement comme substance astringente , dans la fabri- cation de Tencre. Cet arbre conserve toute Tannée sa verdure et ses feuilles j et dans les montagnes, il résiste aux gelées de juin et de juillet, qui font descendre le thermomètre de Fahrenheit au point de la congélation. Il est d'une hauteur ordinaire : le tronc est droit , branchu , recouvert d'une écorce grossière , rude, grisâtre 3 le diamètre en rst assez con- ( 5o8 ) sidérable. La partie supérieure el les bran- ches sont couvertes d'ëpiiies dures et fortes. La partie extérieure du bois est blanche ; mais l'intérieure est d'un rouge vermeil. C'est cette dernière qui le rend propre à la tein- ture. Les fleurs sont jaunes : le fruit ou gaine est d'un rose pâle tirant sur le jaune dans quelques endroits, entièrement lisse; il con- tient beaucoup de graines, que la plus légère pression entre les doigts suffit pour séparer de leur enveloppe, qui se réduit en poudre blanche et astringente. D'après ses caractères botaniques, il est du genre de la caesalpina ; et c'est une chose à remarquer que le bois de teinture le plus célèbre k la Chine et dans l'Inde , le sapan ( caesalpina sapan ) , appar- tienne au même genre , et qu'on le cultive actuellement en abondance dans le jardin botanique de la compagnie des Philippines , près de Manille, capitale de ces îles. Le bois de tara est différent du campêche et du mo- ra^ete; et autant que j'ai pu m'en informer^ on n'en a jamais exporté du Pérou pour l'Eu- rope, dans la vue de l'employer dans les tein- tures comme les autres. Les couleurs que l'art en lire sont recommandables par leur fixité et leur permanence, parce qu'outre la partie ( 5o9 ) colorante , ce bois contient un principe astrin- gent dominant qui, conjointement avec les mordans convenables , constitue la base de la fixité des teintures. L'eau où l'on fait bouillir ce bois réduit en poudre , se teint d'abord d'un beau violet clair ; mais par la continua- lion de l'ébuUition , elle acquiert une couleur de plus en plus foncée , et elle passe à un brun sombre désagréable à la vue; maisFalun lui rend à l'instant sa couleur primitive. Les dissolutions de fer produisent une couleur d'un violet foncé tirant sur le noir , et le prin- cipe astringent de la teinture précipite en partie cette substance métallique. Les disso- lutions de cuivre , particulièrement le vitriol ( sulfate ), produisent le même effet j mais ce précipité est dissoluble par l'alkali , et dans cet état la teinture donne au coton une cou- leur d'un bleu foncé , durable et semblable à celle de l'anil ( indigo ), qui résiste à l'action du savon et de la lessive, mais qui est altérée par les acides. Avec le sucre de plomb ( acé- tate de plomb ) et avec l'alun , cette teinture donne de belles couleurs violettes , inaltéra- bles , et à toute épreuve. Le fruit ou gaine, outre le principe astrin- gent, contient encore une autre substance ( 5io ) colorante plus faible. Un sac de colon qne l'on fait bouillir pendant quelque tems dans une décoction plus ou moins forte de ce fruit, et que Ton passe ensuite dans une dissolution chaude du millo que nous avons décrit § 2 , se teint immédiatement en gris très- fixe, et plus ou moins foncé, selon la force de la dé- coction du fruit du tara et de la dissolution d'alun. Celte couleur, que Ton recherche tant pour les bas de soie , s'obtient ainsi par le moyen de ce fruit et du millo , avec la plus grande facilité , et sans avoir besoin d'eni- ployer le vitriol ni aucune autre préparation métallique. Le même fruit pulvérisé, après en avoir séparé les graines, et mêlé avec une préparation quelconque de fer, telle que vi- triol, couperose ou sulfate, produit de l'encre 5 et en l'employant de la même façon pour la teinture, il donne à la laine et au colon une couleur noire, bonne , mais qui tire toujours sur le violet. Les substances astringentes sont la partie la plus essentielle pour la bonté et la fixité des couleurs. Sans le concours de quelque principe astringent , les meilleurs niordans manquent d'activité ; et c'est une précaution indispensable que d'ajouter aux matières colorantes 5 privées de ce principe, (5.1 ) quelque antre substance qui supplée à ce dé- faut, mais sans altérer la couleur primitive. Une des premières et des principales prépa- rations que donnent les chinois aux toiles de coton destinées pour leurs précieux ouvrages peints des couleurs les plus fines et les plus brillantes, c'est de les imprégner fortement dans du lait de buffle ,oii l'on a fait infuser du cadon , fruit extrêmement aigre , âpre , astrin- gent et glutineux. Ils pratiquent cette opéra- tion non-seulement pour les peintures noires , mais ils la répètent même plusieurs fois après avoir blanchi la toile , pour l'application des différentes couleurs retirées du bois de sapaii par le moyen de l'alun ; et même ces cou- leurs seraient encore peu durables, s'ils n'em- ployaient pas une autre teinture en forme de bain complet, préparé avec une racine nom- mée la cJiasa ^ également astringente , et propre à donner à ces couleurs le plus grand degré de perfection. Dans les fabrifpies d'Eu- rope , la noix de galle , l'écorce de grenade , et quelques autres substances suppléent au défaut du cadon et de la chasa de la Chine. Mais leur activité est reconnue pour être bien inférieure ; et c'est au défaut de sem- blables drogues en Europe, qu'il faut sure- ( 5l2 ) inent attribuer en partie rinfcrîorilé des pro- duits de l'industrie européenne de ce genre , compares à ceux de Tlnde. C'est pour cela que dans mes recherches je me suis sur-tout appliqué à découvrir de semblables substan- ces , qui n'ont intrinsèquement aucunes par- ticules colorantes, mais dont le concours avec les matières employées dans les teintures , produit la bonlé et la fixité des couleurs. Le fruit du tara dont je m'occupe dans ce mo- ment , est une de ces substances , et pourrait s'acclimater dans les provinces méridionales d'Espagne, auxquelles il procurerait un nou- vel arbre très-utile pour cette branche de la teinture. Cet arbre , comme je l'ai dit ci -des- sus, résiste dans ces montagnes et sans aucune précaution , aux froids et aux gelées qui font descendre le mercure au terme de la glace , c'est-à-dire à 52 degrés du thermomètre de Fahrenheit , froid que l'on observe rarement sur les côtes de Valence et de Murcie , et géné- ralement sur toutes celles de la Méditerranée. Sa culture n'exige d'autre instruction que les règles communes que l'on suit pour cçlle de tous les arbres fruitiers d'Europe, et il vient aussi bien dans les terrains secs et un peu pierreux, que dans ceux qui sont gras et fer- ( 5i5 ) tlîes. Je me regarderai comme récompensé de mes recherches et de mes travaux sur cette matière, si j'ai le bonheur de voir réaliser ce projet aussi simple que bienfaisant. L'autre substance analogue à la précé- dente , en ce qu'elle renferme un principe fortement astringent , est le fruit , gaine ou gousse d'un arbre nommé algarrobilla. Cet arbre croît dans les gorges oii règne une tem- pérature sèche et ardente, et il appartient au genre des mimosa, très-communes dans tout le Pérou. Son fruit est plus court et plus dur que le précédent , comprimé , lisse , de cou- leur noirâtre ou brune : réduit en poudre il produit une farine semblable ; mais d'une couleur jaunâtre , et d'une saveur non-seu- lement austère et astringente , mais presque stiptique. Les toiles de coton trempées pen- dant quelque tems dans une légère infusion de ce fruit , y acquièrent une couleur jaune- pâle, et les couleurs y mordent mieux et sont plus durables que sur les toiles qui n'ont pas reçu cette préparation. II. a. 55 (5i4) §. XXXIV. T>u bois jaune nommé chirisigui , ( herbe ris chirisigui, } L'arbuste qui produit ce bois est très-abon- dant dans les montagnes qui descendent du haut de la Cordillière, vers les vallées et les gorges des provinces de Cochabamba et de Charcas. Dans ce pays , il s'élève ordinaire- ment à la hauteur d'un homme plus ou moins , et les tiges sont minces ; mais dans les gorges voisines des Andes , l'humidité continuelle d'un terrain moins aride le fait souvent croî- tre de manière qu'il ressemble plus a un arbre qu'à un arbuste ; et , dans ces endroits , la grosseur de son tronc excède souvent celle de la cuisse. Les branches sont épineuses , ainsi que la pointe des feuilles : ses fleurs sont jaunes et suspendues en forme de grappes courtes. Le fruit est de grosseur moyenne, d'une saveur aigre -douce, et rempli d'une pulpe succulente et violette. Tout le bois est d'un beau jaune , et sa surface n'est recou- verte que d'un épidémie mince et gris. Son plus grand usage est pour les ouvrages dé- C 5x5 ) lîcals de menuiserie et de marquetteriez mais on l'emploie avec autant de succès pour fein- dre en jaune Ja laine et le coton. Celui-ci , en qualité de substance végétale prend , mieux que la laine , cette teinture qui est de même nature. L'alun est le mordant qui convient le mieux pour ces deux substances; mais on emploie aussi la couperose ( sulfate de fer ). Il est bon d'ajouter à la teinture quelque autre substance astringente , telle que l'écorce d'Alisier ou autres ; et il est même extrême- ment utile de tremper d'abord la toile de coton dans un léger bain d'écorce d'alisier, pour la plonger ensuite dans une forte tein- ture de bois de chirisigui , parce que la cou- leur en acquiert plus de force et de solidité. Les dissolutions de fer n'altèrent point cette teinture ; et c'est une preuve convaincante de l'absence du principe astringent qui change- rait nécessairement le jaune en verd obscur §. XXXV. T>ii bois jaune de Santa- Cruz. Les montagnes des environs de la ville de Sanla-Cruz produisent un autre bois jaune également utile pour les teintures de cette cou- (5i6) leur : selon toutes les apparences , Parbre qui le produit doit être d'une hauteur considérable et assez gros ; c'est du moins ce qu'indique suffisamment réchanlillon qui m'a été remis par le docteur Roca , missionnaire. J'espère avoir bientôt l'occasion de voir et d'examiner moi-même cet arbre , et de me procurer une quantité assez considérable de son bois pour faire les recherches nécessaires relativement à son usage dans la teinture. (5.7) AUTRES MATIÈRES POUR TEINDRE EN JAUNE. §. XXXVI. Le hois et les feuilles du molle ( schinus molle) , et les feuilles de la tola. Outre les deux bois dont je viens de parler; toutes les provinces du Pérou produisent en général l'arbre nommé niolle y et un grand nombre d'espèces de l'arbuste appelé la tola, qui sont les substances les plus abondantes et que, pour cette raison, les habitans emploient de préférence pour les teintures jaunes. Le molle est un bel arbre toujours verd , très- commun dans toutes les gorges tempérées ou chaudes de cet immense royaume, ainsi qu'en divers endroits du Mexique. Sa racine , son tronc , ses branches et ses feuilles sont forte- ment imprégnées d'une substance résineuse , balsamique, d'une odeur aromatique , et quel- quefois si abondante , qu'elle dégoutte natu- rellement du bout des branches et des feuilles, (5.8) el tombe a terre. En faisant bouillir ces parties de l'arbre , mais principalement les feuilles , pendant quelque tems dans une quanlité suflfi- sanlc d'eau , elles lui communiquent une cou- leur agréable jaune-pâle qui prend à l'instant sur la laine et sur le coton , pourvu que ces deux substances aient été trempées précé- demment dans une forte solution d'alun : de sorte, qu'en répétant les bains, elles se tei- gnent en jaune-foncé aussi brillant que du- rable. La substance résineuse contenue dans ces parties du molle , et qui est indissoluble par elle-même dans l'eau , semble produire ici un effet analogue a celui du principe as- tringent , peut-être avec quelque modification qui n'est pas assez connue. On appelle tola y différentes espèces d'ar- bustes qui croissent sur le penchant de la Cordillière , plus abondamment qu'ailleurs. Les indiens en distinguent diverses espèces, sous les noms de ninactola , ghirutola ^\.y7na- tola. Toutes appartiennent au même genre connu sous le nom de baccaris. Ce sont ordinairement des plantes à tige peu élevée , et qui sont quelquefois de la hauteur d'un homme. Les feuilles sont étroites, et les fleurs d'un blanc à demi-jaune, Toutes leurs parties ( 5.9 ) sont , comme celles du molle , fortement im- prégnées d'une substance résineuse, gluante, tenace , d'une odeur particulière et désagréa- ble. Cela rend ces arbustes très-précieux pour les fourneaux à briques , pour les poteries , pour différentes opérations métallurgiques dans quelques endroits , et sur-tout pour la calcination de plusieurs métaux , quoique la chaleur qu'ils produisent , soit très-passagère et presque momentanée. Ce défaut est com- pensé par l'abondance , et par la facilité avec laquelle on trouve ce combustible dans les montagnes les plus dénuées de tout. En faisant bouillir pendant un instant les branches et les feuilles dans une quantité suffisante d'eau, on obtient une teinture jaune aussi bonne que celle du molle , pour la laine et le coton. Outre cela, ces arbustes contiennent plus de prin- cipe astringent que le précédent , puisque la dissolution! du fer en change le jaune en verd- obscur. La couleur produite par plusieurs de ces arbustes tire naturellement sur le verd , et les gens du pays se servent effectivement de quelques espèces pour teindre en verd. ( 520 ) §. XXXVII. Du chapi de Yungas y viatière propre à teîjt' dn Les montagnes de la Cordillière des indiens cliiriguanaes et chaneses , et les districts voi- sins du lac Itomina produisent ce végétal , qui est une plante grimpante , ou espèce de petit jonc connu vulgairement sous le nom de JPayco. On en récolte annuellement des quan- tités considérables , à cause du grand usage qu'on en fait pour la teinture dans ime infinité de produits de l'industrie du pays. On le re- çoit communément sous la forme de pains ronds pesans depuis huit onces jusqu'à une livre , et qui ne sont composés que des fils de ce jonc entrelassés. Les tiges sont très- longues , rondes , très-cassantes , de la gros- seur d'un tuyau de plume de pigeon , grises ou blanchâtres avec quelques nuances de rouge à l'extérieur , et en dedans de cou- leur de rose-pâle , ou rouges par intervalles , aux endroits oii la plante vivante s'accrochait aux arbres et aux arbustes voisins. Cette ex- trême fragilité fait qu'il est très - aisé de la ( 5oi ) réduire en poudre grossière dans un mor- tier en la broyant sur une pierre j et c'est dans cet état qu'il faut l'employer pour la teinture. En faisant bouillir cette poudre dans une suffisante quantité d'eau , elle com- munique à ce liquide une couleur rose-pale qui , par le moyen de l'alun , prend immé- diatement sur les toiles de coton , quoiqu'elle soit toujours faible j mais sa plus grande consommation est pour les teintures en laine 5 parce qu'elle donne à cette matière , avec les préparations nécessaires , une belle couleur rouge , assez vive , qui ressemble à Fécarlate , quoiqu'elle soit d'une qualité bien inférieure. C'est la matière végétale dont j'ai fait men- tion au § 21 , et qui fournit la couleur favo- rite des gens du pays , en observant la mé- thode suivante. Après avoir dégraissé soi- gneusement la laine en fil destiné à la teinture , ou la trempe dans une solution d'alun ; et l'on emploie ordinairement pour cela le millo décrit §. 2. Quand les fils sont lavés et séchés , on leur donne une légère couleur jaune, parle moyen des feuilles du molle , ou quelquefois avecla cochenille sauvage du p^ys, autrement nommée le via^no. La couleur que la laine acquiert dans ce dernier cas , est un violet ( 522 ) clair, qui est la couleur propre que la coche- nille produit avec l'alun. On lave une seconde fois la laine en fîl , et on la passe dans un bain lin peu fort de bejuquillo ou chapi réduit en poudre; mais, au lieu d'eau, on emploie pour ce bain une décoction légère et transparente de farine de maïs , que les gens du pays ap- pellent j//?z^ dont la disposition naturelle à la fermentation acide , augmentée par une chaleur modérée , paraît influer sur la subs- tance végétale qui fait la base de la teinture. On met le tout dans un vase de terre d'une grande capacité, que l'on bouche pour l'ex- poser au soleil pendant le jour y et l'on a soin de remuer de lems à autre les fils qui trem- pent dans le liquide. Au bout de trois jours plus ou moins , et sans employer d'autre chaleur que cette digestion lente et conti- nuée , on trouve les fils parfaitement teints d'un rouge vif, semblable à l'écarlate. Dans les arts, les plus petites attentions sont quel- quefois de la plus grande importance pour la manipulation. Cette manière de teindre la laine en écarlate au moyen d'une substance purement végétale est incontestablement une invention qui appartient aux indiens du pays. Avant que le célèbre chimiste hollandais ( 5^5 ) Drcbbel eût inventé la préparation cliimique singulière que l'on connaît aujourd'hui géné- ralement dans l'art de la teinture , sous le nom A.Q la composition y la couleur écarlate était inconnue , parce qu'aucun des mordans con- nus jusqu'alors n'avait la force et la propriété d'exalter le cramoisi de la cochenille jusqu'à ce point vif et brillant de l'écarlate qui éblouit la vue. Cette teinture indienne du chapi est pourtant bien inférieure à la bonne écarlate , parce qu'elle est toujours plus obscure , et n'a pas la vivacité qui caractérise l'autre. De plus , pour parler rigoureusement , elle ne résiste pas à l'action de l'air, ni aux épreuves ordinaires qui ne causent aucune altération à l'écarlate. L'homme instruit qui aura du goût pour la chimie et pour l'art de la tein- ture, tirera de la méthode que nous venons de décrire plusieurs conséquences utiles : d'a- bord , que la chaleur lente d'une digestion continuée agit avec autant d'efficacité que le degré de l'ébullition : en second lieu , que les acides végétaux faibles employés d'une cer- taine manière et dans certains cas, peuvent produire des effets analogues à ceux des aci- des minéraux les plus forts , comme cela est démontré dans l'opération que nous venons de (524) décrire, et par la teinlure sur soie que Von obtient du safran d'Alexandrie ( Carthamus tinctorïus ) ^ au moyen du suc de limon : et enfin, qu'il peut y avoir dans le règne végétal une infinité d'autres substances qui, par certaines manipulations et par l'emploi de nouvelles substances substituées aux an- ciens mordans, pourraient fournir, à peu de frais , une multitude de couleurs qui ne le céderaient ni en bonté, ni en beauté aux inventions les plus célèbres de l'industrie humaine dans ce genre. L'examen et une courte analyse du nombre prodigieux de vé- gétaux que produit cette partie de l'Améri- que, suffît pour occuper, pendant des siècles entiers , un homme également versé dans la botanique et dans la chimie, §. XXXVIII. De Vacliiote (bixa orellana ) , ou rocou des Français, On trouve ce petit arbre en abondance sur toutes les montagnes des Andes j et dans celles qui sont les plus rapprochées des in- diens yucarées dépendans de celle province , ( 525 ) îl n'y a guère de jardin où Ton n'en trouve beaucoup de pieds. Oulre îa matière utile pour la teinture , cet arbrisseau est recomman- dable pour la singulière beauté de ses fleurs qui ont la couleur et la grosseur de la rose. C'est la graine que l'on emploie dans la teinture; elle est abondante et contenue dans des cap- sules épineuses : la couleur est un jaune- orangé 5 l'odeur est forte et désagréable , et se conserve toujours , quelque préparations qu'on lui donne. La lessive est le menstrue qui en extrait avec le plus d'activité les par- ticules colorantes , mais l'alun exalte la cou- leur et lui donne beaucoup plus de feu. Ce- pendant cette teinture est peu durable , puis- que l'air et sur- tout le soleil l'altèrent en peu de tems. Son plus grand emploi est pour les toiles de colon destinées à divers usages do- mestiques. On trouve aussi ce végétal en grande abondance dans les missions de Mo- xos et de Chiquitos , et dans les environs de la ville de Santa-Cruz. ( 526 ) §. XXXIX. L'ayrampo (cactus ajrampo). Une espèce de tunilla (^cactus^ que Ton trouve dans les gorges tempérées qui avoi- sinent la Cordillière produit la semence dont il s'agit. On trouve la plante dans des terrains arides et stériles, où croît ordinairement cette famille de plantes qui s'étend en rampant par terre , de manière à étouffer toutes les autres. De cette graine renfermée dans des fruits ronds et épineux , on tire une couleur d'un "violet clair, vif et extrêmement agréable à la vue, mais très-superficielle et très-légère, quoiqu'elle acquière un peu de fixité et de durée par le moyen de l'alun , et de quel- ques autres mordans. §. XL. 1)6 la papa {^patate ^ pomme de terre") violette, L'Amérique est la patrie des différentes espèces de papas (^solarium, tuberosum.^ ^ que l'on en a tirées successivement pour les cul- (527) tîver en Europe : et les liabîtans de cette partie du monde ont augmenté leurs ressources ali- mentaires de cette plante bienfaisante qu'ils ne connaissaient pas auparavant. Les provin- ces du haut Pérou produisent dans toute leur étendue , non - seulement les espèces dont l'Europe jouit actuellement, mais encore plu- sieurs autres qui sont inconnues dans ce con- tinent. Une de ces espèces est la papa violette que Ton ne mange pas, et qui ne sert unique- ment qu'à teindre en bleu ou en violet. Les indiens du Pérou la sèment comme les autres espèces dans les montagnes qui tiennent a la Cordiliière , et même sur leurs hauteurs. Elle est de grosseur moyenne , ronde , et recou- verte extérieurement d'un épidémie mince et gris. Toute la chair et le jus dont elle est imprégnée sont d'un violet obscur , presque noir. Les tiges, les feuilles et toutes les au- tres parties de la plante participent à cette couleur. On la coupe en tranches minces et on la fait sécher; et c'est dans cet état que les indiennes en font usage pour teindre en violet ou en bleu diverses parties de leurs habille- mens. L'alun conserve la couleur : le vitriol ( sulfate ) de cuivre la fait passer à un bleu obscur et agréable ; mais la lessive rend tou- ( 528 ) jours ces couleurs plus ou moins verles. IL ne serait pas diÏÏicile de transplanter cette espèce en Espagne par le mojen de ses ra- cines , ainsi que plusieurs autres plantes ali- mentaires très-utiles , qui trouveraient dans cette partie de l'Europe la même tempéra- ture que sur les hauteurs du Pérou. De ce nombre est l'oca ^oxalis tuberosa) et la qui- noa ( artiplex quinoa ) qui fournissent toutes les deux un aliment bon et sain. §. XLI. De Vanil (^ijidigo). Les montagnes voisines des Andes produi- sent en grande abondance ce précieux ar- buste. Les bords de la rivière de San-Mateo , aux environs de la mission de l'Assomption des indiens yucaraes , en sont couverts , et on dirait , au premier coup - d'oeil , qu'on l'y a semé exprès , quoique la nature seule s'en soit occupée. Il est également abondant dans la Nouvelle-Yunga de Chisqaioma , dans les gorges brûlantes de la rivière de Lambaya et de celle de Catacages , et dans beaucoup d'autres endroits du district de Vallegrande (529) et de Santa-Cruz; mais jusqu'à présent per- sonne ne s'est occupé des essais nécessaires pour tirer parti d'une matière aussi utile aux arts et au commerce. §. X L I I. Du cacao. Cet arbre précieux se trouve au pied de la dernière chaîne de montagnes qui descend de la Cordillière des Andes vers l'intérieur du continent , et sur-tout aux missions de Moxos, situées comme je l'ai dit. La graine que l'on récolte dans ces endroits , passe pour être d'une qualité supérieure et pour tme des meilleures de tout le royaume. On e»û a semé dans les montagnes voisines , habitées par les indiens yuacaraes : et dans l'endroit appelé le Coni y ainsi que dans la mission de la Asunta qui est dans le voisinage , on en trouve quel- ques plantations peu considérables qui don* nent déjà une récolte abondante. La première qualité ne le cède pas au. meilleur cacao de Moxos et d'Apolobamba , et la culture de cet arbre mérite toute l'attention du Gouver- nement. La vaste étendue de terrains que l'on trouve entre ces montagnes et Moxos, et leur II. a. 34 ( 53o ) fertilité bien connue, oOrent les plus grandes facilités pour encourager ce genre de culture. §. XLIII. Mémoire sur la culture du coton , et sur la manière d'en établir des fabriques dans cette partie de V Amérique, Le coton est un des produits les plus pré- cieux de l'Amérique méridionale , et cons- titue la partie la plus essentielle du bonheur de ses habitans. Cette matière et les précieu- ses étoffes qu'on en fabrique ont été une des principales raisons qui ont excité les nations européemies à diriger leurs premières navi- gations vers l'orient pour découvrir les Indes orientales. L'émulation y porta les nations les unes après les autres. Les portugais qui en firent la découverte , furent bientôt suivis par les hollandais , les anglais , les français , et par les autres puissances maritimes de l'Europe. Toutes étaient animées du désir de participer aux trésors qu'offrait le commerce de l'Inde Pour ne parler que du coton, les fabriques d'Asie et le commerce d'Europe en ont tiré des richesses immenses. Ces contrées orien- ( 53i ) taies n'ont aucun avantage sur celle partie de l'Amérique , quant à la production de cette s.ibstance. Tous les royaumes et toutes les pro- vinces que l'on trouve entre les tropiques la produisent en abondance, et d'aussi bonne qualité qu'en Orient. Mais je dois dire que la disposition particulière du terrain de celle partie de l'Amérique méridionale et sa tem- pérature singulière , lui donnent un grand avantage sur les grandes Indes , et sont plus favorables à la culture de ce végétal. Les montagnes des Andes et toutes les provinces de l'intérieur situées à l'orient de la Cordil- lière , sont absolument semblables aux gran- «les Indes pour la situation , la température, et autres qualités. Ici , comme en Asie la moitié de l'année est pluvieuse , et l'au'lre sèche; et c'est celle dernière saison qui est a plus favorable pour faire fructifier et mûrir le colon. Autant une humidité modérée est avantageuse dans le terrain qui produit cet arbre , aulanl les pluies lui sont nuisibles parce que l'eau s'anêtant dans les gousses . es pourrit , et détruit la blancheur qui est la qualité la plus recherchée dans celte laine végétale. Cette partie de l'Amérique contient de ( 552 ) vastes provinces exemples de cet înconvé* nient , et où l'on ne connaît ni pluies ni ora- ges. Toute la côte de la mer Pacifique , dans une étendue de plus de cinq cents lieues en longitude, jouit de celte singulière préroga- tive. Il règne ici un été perpétuel , et la sai- son sèche est invariable. Sans qu'il pleuve , Ja Cordillière fournit de l'eau en abondance , soit pour les besoins des habitans , soit pour arroser ses fertiles campagnes qui produi- sent les denrées les plus précieuses de la terre. Le colon y offre sans interruption , pendant toute l'année , des fleurs et des fruits , en différens états de maturité. Le produit est le double de celui des pays où on éprouve une alternative de sécheresse et de pluie , parce que , dans ceux-ci , on doit regarder la moitié de la récolte comme inutile, a cause des inconvéniens dont nous avons parlé. C'est pour cela , et pour les avantages con- sidérables dont jouit exclusivement cette par- tie du bas Pérou , que les habitans se sont appliqués a la culture de cette plante avec plus de soin et d'activité que ceux des autres provinces. Quelques-uns , au contraire , de tems immémorial , ont sacrifié leur argent pour faire venir celte plante de pays très- ( 555 ) éloignés, au lieu de la cultiver dans le leur. Cette inaction et cette indolence des gens du pays, qui cependant ne peuvent se pas- ser d'une matière de première nécessité , a rendu tributaires la plupart des provinces de la côte. Celle de Cochabamba , dont la consomma- tion pour les fabriques et l'exportation des produits égalent peut-être celles de toutes les autres ensemble , offre les plus grandes faci- lités et des terrains propres a h culture de cette plante , dont on pourrait aisément four- nir tout le pays sans sortir de la province. Mais elle est restée, comme toutes les autres, dans l'inaction jusqu'à ces dernières années 5 et il n'y a eu que l'activité et les sages me- sures du gouverneur actuel, qui aient été ca- pables de réveiller les habitans engourdis depuis îong-tems par l'indolence et la paresse, et de les engager à employer leurs bras à un' travail qui, en peu d'années, pourrait les rendre heureux. On peut compter parmi les terrains de la province les plus propres à cette plante, l'immense gorge de Rio-Grande, depuis le district d'Arqué jusqu'à l'extrémité de celui de Valle-Grande j les gorges de la rivière de Lambaya et de celle de Cotacages, ( 534) <^ans le district d'Ayopaya,- la plupart des terrains des districts de Mizque , de Valle- Grande et de Santa-Cruz, et enfin les mon- tagnes des environs habitées par les indiens Yuracarees , Raches et Macotcnes , dans une étendue de plus de cent lieues de long , dont on ne connaît pas les limites intérieures. D'après le relevé exact des caisses royales , la ville seule de Cocliabamba consommait annuellement dans ses fabriques, de trente à quarante mille arrobes de coton , ce genre d'industrie étant le seul qui occupe les bras de sa grande population. Non-seulement cela procure des profits considérables au com- merce de cette ville, mais les classes infé- rieures qui s'occupent de ce genre de travail, en tirent la plus grande partie de leur subsis- tance. Les toiles de Cocliabamba , quoique inférieures à celles d'Asie, ont été pendant cette guerre l'unique ressource de ces pro- vinces de l'intérieur, et elles ont servi a. vêtir une multitude de personnes qui sans cela seraient restées nues, à cause du peu de com- munication que Ton a eu avec l'Europe, et du manque total d'étoffes étrangères. En consi- dérant les circonstances relatives à la situa- tion de ce pays et au caractère moral de ses ( 555 ) habitans , il est utile et même nécessaire d'y encourager la culture du coton par tous les moyens possibles, ainsi que sa fabrication, qui s'y trouve encore dans l'enfance. Voici ^es raisons sur lesquelles je me fonde. On trouve dans le centre du pays cette matière de la première qualité et en abondance ; les provinces qui jusqu'à présent ne se sont pas adonnées à ce genre de culture, jouiront de cette plante aussitôt qu'elles voudront en faire des plantations. Ces fabriques ne peu- vent nuire a. celles d'Espagne , qui se fournit tie coton dans ce pays même. Le fret, le transport et les droits d'entrée et de retour augmenteront nécessairement le prix des ob- jets fabriqués, de telle sorte qu'ils ne pour- ront être a l'usage que de la classe aisée, tou- jours la moins nombreuse. L'expérience a détruit les préjugés contraires chez les na- tions qui possèdent des colonies; et les anglais, dont les fabriques sont les plus florissantes de toutes , ont été les premiers à donner l'exemple en encourageant les fabriques de ce genre à la côte de Coromandel et du Ben- gale , et dans tous leurs élablissemens aux grandes Indes. La compagnie des Indes de celte nation absorbe les sommes immenses ( 5^>6 ) que coulent la plupart des marcliandises qui nous sont apportées, comme venant de la Chine , par la compagnie des Philippines , et par les vaisseaux de retour des Indes. I! y a plus : le peu de fabriques qui existent aujourd'hui en Espagne ne suffit pas pour fournir des royaumes aussi vastes que ceux du Mexique et du Pérou. Il convient égale- ment que les habitons du pays aient, outre Tagriculture , un autre genre d'occupation. Or , je n'en trouve point d'autre , excepté l'exploitation des mines. Ce dernier travail est en grande partie réservé exclusivement aux indiens par le règlement de la Mita y qui, par ses privilèges, est un fléau plus ter- rible pour ces malheureux qu'une maladie contagieuse ou une longue peste. Les castes intermédiaires et mélangées forment le plus grand nombre dans tous les endroits un peu considérables. Tous les individus de ces classes ii'ont pas de terres propres à l'agriculture ; et faute d'occupation utile , ne doit - on pas craindre que le pays ne se remplisse bientôt d'une foule de vagabonds que le penchant à i'oisiveté naturel à ces contrées entraînerait bientôt dans les plus grands désordres. La fabrication des élofiTes, occupation aussi bon- (5S7) nête qu'utile , est le meilleur moyen pour faire de cette classe de gens , des sujets labo- rieux et utiles au roi, à l'Etat et à eux-mêmes , et pour arrêter les désordres que ne man- quent jamais de causer l'oisiveté et la fainéau- lise. Par combien de mains une arrobe de coton ne passe-t-elle pas avant que l'art l'ait réduite à l'état de toile ? Hommes , femmes , enfans trouvent à s'occuper pour égrainer , filer, carder , arçonner ou tisser chacun selon ses forces, son âge et son talent. D'ailleurs, toutes ces opérations sont l'occupation favo- rite de toute espèce de gens dans ce royaume. Le nombre étonnant de ceux qui s'y occu- pent dans tous les genres, et au plus bas prix , prouve de la manière la plus convaincante mon assertion ; et cela même promet a l'Etat, pour l'avenir, des membres laborieux et utiles. L'industrie de ce pays est encore dans l'en- fance y mais les habitans font déjà beaucoup, si l'on considère les idées et les principes bornés qu'ils ont pu acquérir sur un art aussi utile. Ils n'ont pour travailler que les plus mauvais instrumens et des métiers mal cons- truits ; ils ignorent l'usage des machines qui facilitent et abrègent les différentes opéra- lions. (558 ) La nation voisine de les Moxos a fait , dans ce genre d'industrie, plus de progrès qu'au- cune autre de ce continent, grâces à la me'- llîode employée par les espagnols conqué- rans pour les instruire. Ils ne se contentèrent pas de tirer ces peuples de l'état de barbarie, mais ils furent en même tems leurs bienfai- teurs et leurs maîtres, et en un mot, leurs pères, soit pour le spirituel, soit pour le tem- porel. Il n'y a que l'oppression sous laquelle gémissent aujourd'hui ces malheureux sujets du roi, qui ait pu retarder et arrêter les pro- grès dans les arts , que l'on devait attendre de leur habileté et de leur talent naturel, et des bons principes de leurs maîtres. Que l'on fournisse à cette province et à d'autres des métiers construits selon les règles de l'art , des instrumens et des ustenciles de bonne qualité, fi qu'on leur apprenne l'usage des machines qui abrègent les opérations, et l'on verra que les habitans de cette partie de l'Amérique ont autant d'aptitude et d'ha- bileté pour les arts, que ceux de l'ancien continent. Les étoffes que Ton fabrique aujoui-d'hui dans le pays , malgré tous leurs défauts , sont réellement déjà d'une qualité qui les rend (539) propres a une infinité d'usages pour Thabille- ment des deux sexes, comme le prouvent les échanlillons que j'ai envoyés. Mais si l'on s'oc- cupait avec plus d'activité de cet objet, que ne doit-on pas attendre d'un pays qui possède exclusivement les plus belles matières con- nues pour la teinture , et qui jouit en même îems, avec une abondance dont il n'y a pas d'exemple, de toutes les espèces de matières minérales que la chimie emploie dans cet art. Le nouveau continent est la patrie de la co- chenille, du bois de brésil , de celui de cam- pèche, du moralet, de la tara, et d'une infi- nité d'autres substances de ce genre dont on connaît à peine le nom, et dont j'ai décrit plusieurs dans ce traité. Quant aux sels et aux autres préparations chimiques employées comme mordans , et qui fixent et modifient les couleurs, j'en ai parlé avec assez d'étendue dans la première partie de cet opuscule, Uu pays qui possède si abondamment ces subs- tances salines, tous les métaux et les demi- métaux connus , et de plus les agens chimi- ques les plus puissans, c'est-à-dire, les trois acides minéraux pour la fabrication desquels j'ai donné ci-dessus une méthode appropriée aux circonstances; un tel pays possède toutes C 540 ) les nialières premières que l'industrie hu- maine , aidée des connaissances chimiques, a su appliquer jusqu'à présent aux arts et aux fabriques. La continuation des recherches sur les ma- tières de ce genre , qui sont si abondantes dans ce continent, promet des découvertes inté- ressantes et des avantages considérables pour l'Etat. L'ordonnance royale du 5o novembre 1797, sous le ministère de don Gaspar de Jovellanos , relativement à l'administration du gouvernement temporel des missions des in- diens Chiriguanas et Chaneses , ouvre un champ immense aux spéculations de cette Dature. L'exécution de ces mesures , que l'on désirait avec tant d'ardeur , procure à ces missions de nouveaux rapports d'intérêts com- merciaux , et des avantages réciproques. D'ail- leurs elles font rentrer le domaine royal en possession de plusieurs propriétés usurpées depuis long-tems par les religieux du collège de Tarija, qui regardaient les productions de ce terrain comme un patrimoine qui leur ap- partenait en propre. D'après les relations de personnes dignes de foi qui ont traversé ces nouveaux pays , ils abondent en coton de la meilleure qualité , et l'on peut presque assu- ( 54i ) rer qu'on trouverait , dans leurs immenses forêts, d'autres productions utiles et incon- nues jusqu'aujourd'hui. Gochabamba, i5 février 1799. Signé , Tadeo Haenke. FIN DU SECOND VOLUME. ( 54=) TABLE DES CHAPITRES. V^HAPiTRE X. Des Indiens sauvages , p'^g^ ^ Chap. XL Quelques réflexions générales sur les Indiens sauvages, 169 Chap. XH. Des moyens employés par les conquérans de l'Amérique, pour réduire et assujétir les indiens ; et de la manière dont on les a gouvernés , 198 Chap. XIII. Des moyens dont se servirent les Jésuites pour réduire et assujétir les Indiens , et de la manière dont ils étaient gouvernés , 225 Chap. XIV. Des gens de couleur, 261 Chap. XV. Des Espagnols , 276 Chap. XVI. Notice abrégée de toutes les villes, bourgs*, villages, paroisses, soit d'Espagnols, soit d'Indiens, soit de gens de couleur, qui existent dans le gouver- nement du Paraguay, 5 16 Chap. XVII. Notice abrégée de toutes les villes, bourgs, villages, peuplades et paroisses d'Espagnols, d'Indiens et de gens de couleur, qui existent dans le gouverne- ment particulier de Buenos-Ayres, 529 Chap. XVIII. Histoire abrégée de la découverte et de la conquête de la rivière de la Plata et du Paraguay, 540 HISTOIRE NATURELLE DE LA PROVINCE DE COCHABAMBA. Introduction, 591 Substances mincrales. Naturelles. §. I^"^ Alun natif. Pre- mière espèce nommée cachina blanca, 4<^ï §. IL Alun nat^'r". Seconde espèce nommée inillOy 4^5 §. m. Alun nrtif intimement uni aune petite quantité de vitriol (suKate de fer), appelé colquenillo , ou cachina jaune, 4^^ ( 543 ) _ §. rV. Vitriol de fer (sulfate de fer); ou couperose ca roche , page 4^'^ ^. y. Sel d'Angleterre, sel amer, ou magnésie vitriolée (sulfaie de magnésie) , 4^i §. VI. Sel admirable, ou alkali minéral vitriolé (sulfate de soude ), 4^4 §. VII. Nitre pur (nitrate de potasse ); 4^^ ^. VIII. Alkali minéral^ ou soude native, 4-''^ ^. IX. Vert-de-gris natif, ou vert de montagne (carbo- nate de cuivre ), 4^^ §. X. Orpiment du Pérou , 4^^ Substances minérales. c\Y\.\Ç^cie)\e^ , ^ 4-*^ §► Xi. Acide vitriolique (sulfurique ), 4^9 §. XII. Méthode pour fabriquer l'eau-forte ou acide ni- trique, apjji-opriée au pavs, et indication des maté- riaux les plus actifs, et "que l'on trouve à meilleur marché, 4^5 §. XIII. De i'acide rauriatique ou du sel commun , 44^ §. XiV. Eau régale (acide muriatique oxigéné -, 44^ ^. XV. Vitriol de cuivre, vitriol bleu ou vitriol de Chypre (sulfate de cuivre), 444 §. XYI. Tartre vitriolé (sulfate dépotasse), 447 ^. XVII. Magnésie blanche, 449 §. XVIII. Matières pour les fabriques de cristaux, 4^0 Substances animales. §. XIX. Nouveaux matériaux pour fabriquer le sel ammoniac (muriate d'ammoniac), 4^9 §. XX. Des laines de brebis, d'Alpacaet de Vigogne, 471 ^. XXI. De la cochenille , ou écarlate sauvage du Pérou , nommée Magno , 479 Substances végétales. Médicinales. §. XXÏI. De la gomme arabique, ou proprement gomme du Pérou, 4^2 §. XXIIÏ. Nouvel arbuste pénétré de camphre, 4*^4 ^. XXIV. Des racines de la hamahama ^ espèce de va- lériane, remède spécifique contre les attaques d'épi- lepsie , 4^^ §. XXV. Des racines de la catacata {valcriana catacata)^ 49<> §. XXVI. Des racines de tamitani, du genre de la gen- tiane {gentiana tamitani). Piemède fébrifuge, l^ji ( 544 ) §. XXVTI. De Tarnica des Andes , P^g^ 494 ^. XXVIII. La cariophjllata des Andes, 4g6 ^. XXrX. De la guachanca [euphorbia guachanca)^ nouveau remède purgatif^ 497 §. XXX. De l'agave vivipare, 499 §. XXXI. De la bégonia, 5o5 ^. XXXII. De différentes espèces de quinquina ou de cascarilla, 5o4 Substances végétales. Nouvelles matières pour la teinture. §. XXXIII. Du bois de l'arbre de tara ( cœsalpina tara ) , 607 §. XXXIV. Du bois jaune nommé chirisigui {berberis chrisigui) y 5i4 §. XXXy. Du bois jaune de Santa-Cruz, 5i5 Autres matières pour teindre en jaune. §. XXXYI. Le bois et les feuilles du molle {schinus inolle)y et les feuilles de la tola , 617 §. XXXyiI. Du chapi de Yungas, matière propre à teindre en rouge, 620 §. XXXyiII. De l'achiote ( bîxa orellana)j ou rocou des français, 624 §. XXXIX. L'ayrampo ( cactus ajrampo ), 626 §. XL. De la papa ( patate, pomme de terre) violette, zd. §. XLÎ. De l'anil (indigo), 628 §. XLII. Du cacao, 629 ^. XLIII. Mémoire sur la culture du coton, et sur la ma- nière d'en établir des fabriques dans cette partie de rAmérique, 55o Fin de la Table. c 545 ) TABLE DES PRINCIPALES MATIÈRES Contenues dans les deux premiers volumes de cet ouvrage. Le prenrier chiffre indique le tome, le second la page, ii-BEiLLEs; ce qui les dislingue des guêpes ^ leurs nom- breuses espèces^ I^ i56 et suiv. "^jibipons y Indiens sauvages^ (juoi(Jue réduits ou soumis, I, 164. Abreuy {Diego) élu gouverneur et destitué, I; 5695 — tué, 571. Aciitjy quadrupède, I, 5i5. Agriculture; son imperfection, I, i54j — occupation postérieure à la chasse et à la pèche j ceux qui s'y li- vrent sont humains, pacifiques et robustes, II, 175. Aguilotes j Indiens sauvages de la race Mocobj; leur langage est un mélange de tohaj II, 162. Aguitequedichagas , Indiens sauvages non guerriers, to- talement nus; les oreilles des femmes tombent presque sur les épaules, II, 81-82. Algarrohos ^ arbres. L'un donne des fruits en gousses, excellens pour faire de l'encre , et d'autres en produi- sent de bons à manger, et propres à faire de la chica^ ou liqueur enivrante, I, io5. Altos y peuplade, II, 52o. Anes y I, 577. Anguilles; paraissent être le produit d'une génération spontanée, I, 97. Aperea , quadrupède , 1 , 5:4* ^postoles y peuplade, II, 553. II. a, 55 (546) araignée; une espèce est velue et a des défeusPs; une autre ïiùi de la soie qui fait pleurer les fileuses, sans leur causer de douleur, I, 2125 — autre espèce sociable, ibid, Id, arbres ; leur rareté dans de vastes terrains, I, io5. u^rcs pour [lèches et pour balles, II , 65. Areguà , peuplade, II, 52o. Aririiina^ fleur d'excellente odeur, I, i55. Assomption^ ville, II, Siy. Atmosphère , 1 , 55 j — est différente de celle d'Europe , id, 37. Atjra , peuplade , II , 52o. Aucas y et autres nations d'Indiens sauvages peu con- nues, Il , 48-49» Avortemtnt 'y pourquoi et comment pratiqué par les In- diennes , il? I «6-1 17. Ajolas {Juan de) combat les Agaces et les CarrioSj et fonde une ville, II, 552 5 — pénètre au Pérou et^ est tué , id. 556. B. Balchitas , Indiens sauvages peu connus , II, 5o. Baradero, peuplade, II, 558. Barbote , marque distinctive des hommes , ce que c'est, II, i5o. Barco-Centenara {Martin del) ; jugement sur son Ar* gentina j ouvrage en vers, I, 2i-25. Baume des missions ou à.'Aguaraibaj, I, 129. Belen, peuplade, II, 528. Bergers^ ne vivent que de viande rôtie^ I, 141 j — Des- cription des bergers espagnols, id. 290-510. J5/e; dégénère au Paraguay, I, 1595— produit beaucoup vers la rivière de LaPlata , id. 141 ,— et non du côté de la côte des Patagons , ibid. id* Bohànes , Indiens exterminés, II, 29. Bois j sa 1 areté , ï, i o5 j - ses qualité et ses usages, id. i o8« Bolas (boules), arme particulière 3 usage que l'on en fait, 11,46-47- Brebis et chèvres ^ I, 579, — leur premier introducteur, II, 570. Buenos- A yres , ville, II, 529» ( 547 ) Caceres ( Felipe de), lieutenant du gouverneur; l'évêque le fait arrêter pour le conduire en Espagne, II, 58 1. Calebasses ; le défaut de culture les rend amères, I, 107* Candelaria f peuplade, II, 525. Capibàra y grand quadrupède , 1 , 509. Caragiiatas , espèce A'aloës , I, i55. Carte du Paraguaj et de la rivière de La Plata; manière dont on l'a levée, I, 6-16. Caj-asta , peuplade, 11^ 558. Cerfs ; quatre espèces , I, 25o. Chanas y Indiens 3 comment on les a espagnolisés, II, 29. Chardon fébrifuge, I, 132. Charricas , Indiens sauvages 5 leur langage ne peut pas s'écrire j leurs guerres et leur histoire , II , 6-8; —leurs proportions, leurs orneraenset leurs peintures, id. 8-1 1 j — leur habillement et leurs habitations, id. i i-i5; — ne connaissent ni jeux, ni chefs , ni divinité, id. i j 5 - — leurs usages, id, i5; — leur manière de faire la guerre, id. i8-20 ; — manière de se défendre contre eux , id. 20 5 — leurs mariages , id. 21 ; — sont polygames et ne don- nent aucune instruction à leurs enfans, id. 2.I) — leur ivrognerie , leurs médecins et leur médecine, id. 24? — ■ étrange manière dont ils célèbrent le deuil de leurs morts, id. 25. Chasse y première occupation de l'homme sauvage ; les na- tions qui s'y livrent sont errantes et féroces, II, 169-171. Chats. Baracaj-a , 1 , 272 ; — noir, id. 275 ; —jaguarundi^ ibid. id. ; — ejra, id^ 2'j^y—pajero, ibid. id. Chaude-souris ; leurs caractères, 1, 5î52. Chaux ; il y en a peu ; sa qualité , 1 , 49* Chaves {Nulfo de) y fonde Santa-Cruz , II, 078. Chevaux } périssent lorsqu'ils sont entourés par le feu, I , joi. ~ Notices particuhères sur ces animaux, id» 54, 572-576. — Cheval cornu, id. 379. Chibi-Guazu , joli animal, I, 269. Chiens ; instruction particulière de quelques-uns d'entre eux et leur utilité, 1 , 579 ;— il y en a qui ne s'attachen i à personne , et d'autres qui sont sauvages, id, 5Bi, (548) Chumîpis , Indiens sauvages peu connus, II , 167. Cire d'abeilles, I, 160-164 J — d'autres insectes, icL 164. Climats , I, 52-55; — celui d'Amérique n'influe pas sur les oiseaux et n'altère pas leur grandeur, I, 56o-562. Colonie du *^acrement ^ peuplade, II, 55 1. Commerce àe. la rivière de La Plata^ II , 5 14 ;-— duPa- raguaj'-y id. 5i5. Coquillages ; ceux qui sont pétrifiés paraissent avoir été créés dans cet état, I, Bi ; • — sont rares dans le pays, id, 95. Corpus , peuplade , II, 526. Corpus-Cliristi, fort détruit, II, 556. Corrientes , ville , II , 55^. Couleurs f quelques notices sur leurs variétés, I, 576. Couleuvres } ce qui les distingue des vipères; on en in- dique quatre espèces, dont une très-grande, 1 , 225-256. Crapauds ; une espèce a un cri qui ressemble à un gé- missement; une autre n'habite que les toits et les ar-* bres, I, 221. Cuatr^ quadrupède, I, 5oi. Curalotodo , remède universel , 1 , 5o. Cuîjj quadrupède singulier, I, 520-524. Curiy-y pin excellent pour son fruit , et pour les planches €t les matures , I , II I . Curuguatj-, bour^^ 11^ 3ig. D. Diamelay fleur d'excellente odeur, I, i&S. Dorado ( empire d'El ) , fabuleux , I j 4^» Eclairs } il y en a pendant toute l'année , et dix fois plus qu'en Europe, I, 56. Ecclésiastiques; très-rares autrefois . II, 2o4 ? — leurs efforts inutiles pour catéchiser les Indiens , II ; 207 et 267 ;— leur nombre aujourd'hui, id. 279-280. Ecrevisscs ; n'habitent que les plaines sèches, dans des trous j sont de la même espèce que ceux d'Europe ^ (549) quoiqu'ils u'eYi viennent pas, mais de diffénens types créés en divers endroits , I , 90-99,. Encns, très-abondant , 1 7 1 22- 1 26. Enimagas , Indiens sauvages, orgueilleux et féroces; leur histoire, II, 167; -leur langage a les mêmes tournures que celui des Lengiias , dont ils ont les usages, à l'ex- ception du èar^of etde l'a vortemeut volontaire, /c?. 159. Esclaves } ceux des Indiens, II, 109J — ceux des Espa- gnols sont peu nombreux ) manière dont on les traite , id, stig. Espagnols; leur conduite pour subjuguer les Indiens, II, j 99-202; — se marièrent avec des Indiennes, / 172-177- — qui ne connaissent aucune sorte d'amour, dont le venin préserve de la corruption , id. 177-180. Guevàra (jésuite ) j jugement de sou histoire, I, 25. Guzrnan ( Ruidiaz de ) ) jugement de son histoire , 1 , 22* H. '//<2^//âW^; leur indolence naturelle, I, 142-154» Habitudes } plusieurs sont innées, I, 177, 210. Haenke ( Tadeo) ; pourquoi on publie son ouvrage avec celui-ci, 1 , 28-5o. Herrera {Antonio)) jugement de son histoire ,1, ig. Herbes } celle du Paraguay, sa récolte et son usage, I , 120 et suiv ; — médicinales , id. i5i. Histoire. Monumens consultés pour écrire celle-ci, I^ 16-18. Hurtado {Sébastien) ; son aventure tragique, 11^ 548. Hjdrophobie j maladie inconnue, I, 58 j. I. Idiomes ou langages ^ leur étonnante différence, II , 5 j — quelques absurdités , et mauvaise manière de les ren- dre uniformes dans chaque royaume^ id. 106-107 ) — on ne conçoit pas comment le guaranj" est si répandu , II, 176) — difficulté de les apprendre, id. 212. Indiens sauvages ;, on a exagéré leur nombre, on a cru mal à propos qu'ils étaient antropophages et idolâtres , €t qu'ils se servaient de flèches empoisonnées , II , 2-5 , iS5. — Différence étonnante entre leurs langues , id. 5 j — ils se couchent sur le dos , et abhorrent le lait , id. i 2- 1 lo'y — leur aversion pour les morts, id. 1 18 j — ne sont jamais contrefaits , et le sein des femmes n'est pas très- élastique, id. 1 25-124 'i — leurs étonnantes différences ne dépendent pas du climat, II , J77 j — leurs usages ne sont pas fondés sur la raison , id. 178 5— leur peu de fécondité ne dépend pas du climat, id. 1805 leur in- sensibilité et leurs rapports avec les animaux, id. iSi 5 — on ne conçoit pas leur situation locale, id. 181 ; ( 555 ) i82-i85; — opinion de ceux qui croient que tous ces Indiens ont été créés sur le lieu même qu'ils habitent^ les uns avant les autres, et que chaque nation vient de différens types créés en différens endroits, id^ i85 et suiv. j — on agite la grande question de la possibilité de la transmigration d'un continent à l'autre, et l'on exa- mine si les sauvages d'Amérique viennent de nous, ou non, id. i88. îndigo , plante sauvage, commune, I, i54» Insectes ; chaque espèce vient de plusieurs types créés séparément, dans différens endroits et en divers teras, I, 195-197 5 — plusieurs sont le produit d'une généra- tion spontanée; id. i^^rj ^ 21 5, 217 et 297. J. Jésuites ^ comment ils excitaient leurs néophytes à la pro- pagation, II, 1765 — quand ils entrèrent dans le pays et pourquoi , id. 2o5 et 220 ; — l'époque de leur arrivée est celle de la décadence de l'empire espagnol, id. 2o5j — comment ils formèrent leurs peuplades, id. 225 j — réflexions sur cela, id. 226} — le sage moyen qu'ils em- ployèrent pour former leurs dernières peuplades, id. 228J — leur conduite dans leurs missions ou peuplades, id^ 2525— celle de leurs successeurs, id, 254» Jésus f peuplade y II , 527. £/« Cn/;3, peuplade, II, 556. Lacs. Lac rempli de sel commun , 1 , 67 j— celui des JVa* raj-es j I, 45 J— autres, id. 46. Las Garzas j peuplade, II, 557. Lenguas , Indiens sauvages, féroces, de formes élégan- tes , et dont les oreilles tombent presque sur les épau- les 5 se détruisent, et pourquoi, II, 148-149 J — singu- lier barbote , id. iSoj — ont les mêmes usages que les Mbajas , mais point de caciques, id. i5i ; -point de culte , ni de lois j cérémonie singulière lorsqu'ils se rencontrent 5 leurs fêtes semblables à celles des Paya- ^uas } sont voleurs et ignorent l'agriculture j les fem- ( 554 ) mes ne conservent qu'un de leurs enfans; usage extra- vagant dans leur manière de se nourrir, id. i52 5- leurs malades et leurs morts, id, i52-i55 5 — ils ne pronon- cent jamais le nom d'un mort^ et tous changent de • Tiômj pourquo; , id. !55. Lézards. Jacaré ou. crocodile,!, 056 y — iguana , id. 2595 — tejLi-guazu , ibid. id. j - tejii'hohj, id. 240^ — caméléon j id. 24- \ -autre , id. 24 5 - autre , id. 24^; — hideux , id. 245 ; - autre plus petit , ihid. id. Lièvre paUi go n, l, 5 18. Liaiuu^s } il j en a de beaucoup d'espèces, I, i55. Limites des pays décrits dans cet ouvrage , I , r j — des gouvernemens du Paraguaj' et de la rivière de La Plata, I, 261. Us des bois , arbre couvert de fleurs, 1 , 117. Loreto y peuplade, îï, 526. Loutre, quadrupède, I, 5o4» Lozano , jésuite^ jugement de son histoire , 1 , 25. M. MachicufS , Indiens sauvages 5 langage le plus difficile de tous, II, i545 — proportions, oreilles et coutumes j ils ne conservent qu'un seul enfant j tout le reste comme chez les Lenguas , id. i56j — ne font la guerre que pour se défendre et se venger 5 leurs armes j cultivent la terre et ont des brebis, id. 167. Maldoiiado , ville, II, 55 1. Mangoré y Indien, amant malheureux , II, 548. Mante; ce que c'est , 11 , 52 , 118, i25 et 145. Martine z de Yrala ( Domingo ) , bat les P a vaguas , II, 557 j— élu gouverneur par scrutin ) abandonne Buenos^ jijres y et fonde en règle la ville de \ Assomption , ib. id. j — appaise une conjuration, id. 559 j— remonte ^" port de Los ïxejes , et soumet les Itatines , id. 562 ; — élu une econde fois gouverneur par scrutin , id. 565 y — appaise la guerre civile et la révolte des Indiens, id. 566-567 5 — pénètre ^v\. Pérou, id. 067 j - on lui ôte le commandement et on le lui rend , id. 569 j — chasse Abreu , il. 570 ' — fonde la ville de San Juan et celle d'Onlîveros, id. 571-573 ; — est nommé chef par le roi) C 555 ) forme des peuplades d'Indiens et dicte de sa^es lois , id, SySj— fonde Ciudadréal , id. Syôj — se dispose à fonder une autre ville dans le pays des Xarajes j et meurt, ibid. id. Mardi es , peuplade, II, 53:<. Maïs y de quatre espèces, I, 146-148. Mhajas , Indiens sauvages j leur histoire , II, ioo-io5.^ — leurs formes et leurs rapports avec d'autres j — pour- quoi s'arrachent le poil des sourcis et des paupières 5 leurs usages, id. io5; — langue sans^^ et un peu diffé- rente pour les deux sexes, id. 106 ; — leurs proportions élégantes j idée singulière de leur origine, id. 107; ■ — font la guerre à tout le monde j leurs esclaves, id. 108-11 1 'j leurs armes j guerre sans chef; manière de se défendre contre eux ) leur gouvernement , ïd. 1 1 1- 1 15 j — usages extravagans des femmes pour leur genre de nourriture , et pourquoi il poussa des cornes à une d'elles, id, i i5-i 14 ; — fête particulière à ces femmes , id. 1 14 7 — sont prostituées , ne conservent qu'un en- fant ; comment et pourquoi agissent ainsi , id. 1 1 5-i 16 5 — leurs maladies, leurs médecins , leurs enterremens et leur deuil, id. 1x7. Mborebî ou tapir, quadrupède, 1 , 246. Médecins des Indiens j leurs remèdes et leurs prérogati- ves , II, i5g-i4o. Melinciié y fort, I, 56. . Mendoza {don Francisco ) , gouverneur; pendu, II, 569. Mendoza ( Gonzalo de) , élu gouverneur ; meurt , II, 570. Mendoza ( don Pedro ) , fonde Biienos-j4jres et deux: forts ; retourne en Espagne et y meurt, 11, 55o-552» Métis. Voyez gens de couleur. Miel ^ une espèce enivre, une autre donne des convul- sions, I, 160-161. Minéraux ^ on peut dire qu'il n'y en a point dans le pays , 1 , 58. Mines , 1 , 58. Minuanes y Indiens sauvages, II, 5o; — leurs rapports avec les Charruas , id. 5i ; — chassent leurs enfans de chez, eux aussitôt qu'ils sont sevrés, id. 55 ; — leurs peintures, leurs médecins et ruses de quelt^ues vieilles, id» 54 j^^deuil cruel, ib» id. ( 556 ) Miranda {Lucia)'j ses aventures tragiques, II, 548. Mocobjs, Indiens sauvages , fainéans , orgueilleux et voleurs j ne connaissent point l'agriculture j leurs pro- portions , leurs armes et leurs guerres, II, 162 j — leurs rapports avec d'autres , id. i65. Montevideo y ville, II, 55o. Mosquera ( Ruigarcia)j s'établit sur la cote du Brésil, surprend un corsaire , bat les Portugais , livre au piU lage San VinceTite, peuple Santa Calalina, II, 3495^^ ■ — se réunit à Buenos-yijres , id. 554» 3Iulâties, Vojez, gens de couleur. Mulets; quelques observations, I, 577V Mûrier, arbre sauvage , 1 , 1 54» IValicuegas y Indiens sauvages qui vivent dans des caver* nés 5 peu de renseigneraens , II, 77. ÎVinaquiguilas, Indiens sauvages qui vivent dans les bois 5, quelques notices, II, 85-84. IS/uaras, Indiens exterminés , II , 77. $^unez Caheza de Vaca {Alvary^ jugement de ses mé* moires; préface, I, 18; nommé gouverneur) prend possession de la Cananeu et de Santa Catalina, II, 559J — va par terre au Paraguaj ; prend possession de la province de Vera^ id. 56oj — châtie les GuaicuruSj, îd. id. j — ne peut découvrir le chemin du Pérou , id. 565 j — sa mauvaise conduite, îb. id. ; — est arrêté, en- voyé en Espagne, et condamné, id. 565. IVutation (la) de l'axe de la terre peut être ocQasioné par ies cascades des fleuves, I, 71* Oiseaux; il y en a au Paraguay 448 espèces j paraissent être origininaires du pays, I, 384-587. Ombii, arbre qui ne brûle point, I, 114. Orangers ; détruisent toute végétation, I, 107. Ortiz de Vergara [Francisco) , nonmié gouverneur, ap- paise les Indiens ; II; 578 j — ^va au Pérou et est deS"- titué; jW, 58o. . ( 557 ) Ortiz de Zarate ( don Juan ) , nomme gouverneur, choi- sit Caceres pour le remplacer en son absence, II, 58o-, — fonde San Salvador, et meurt empoisonné, ii^. 565, Ortiz de Zarate j Mendicta {don Diego ), gouverneur temporaire; on l'arrête, on l'envoie en Espagne, il est tué , II , 584. P. Palma-Christi , paraît naître spontanément dans les en- droits habités par les hommes, I, i5o. Palometas , poisson dont la morsure est cruelle, I, 94. Pampas , Indiens sauvages; leurs habitations et leur cou- rage extraordinaire, II, 54-40; — leur commerce, id, 40; — leur langage, leurs formes , leurs femmes, leurs vêtemens, id. 41 5 — leurs chefs sans autorité; ijs ne connaissent point de culte; leurs maisons, id, 4^ ; — leurs armes ; ils n'ont point de flèches , id. 45. Papamundo, arbre touffu oui produit des fruits, I, \\/\. Papillons; une espèce produit des vers qui pénètrent la chair sans qu'on le sente, I, 217. Patagons , Indiens sauvages; peu de renseignemens , II, 5o. Pâturages , abondans , mais peu variés en espèces de plantes, I, 98. Paj', quadrupède, I, 5 10. Pajaguàs , Indiens sauvages ; leur histoire, II, Ï19-Î22; — leurs formes et leurs usages, id. \'2^-\i^ et suiv. ; — ornemens des hommes, id. 126; —ceux des femmes et leurs occupations, id. 127; — leurs rapports avec d'au- tres, leur manière de manger, leurs caciques, id. 129- i5i ; — leur pratique pour le divorce ; manière d'aider les femmes en couche, id. 102; — leurs fêtes, id. i55- 107; — ils menacent les tempêtes et la lune; — leurs idées singulières sur la vie future et sur leur origine, id. 137 ; — leurs médecins et leurs cures, id. 159-141 ; — leur manière originale d'enterrer les morts; leur cime- tière et leur deuil, id. 14^?— ils sont marins; leui'S ca- nots et leurs armes, id. 144- '45* Pêche ; différentes manières de la faire, dont une à che- val, I, 92-95. — Genre de vie antérieure à la vie agri- cole et pastorale , et contemporain de la chasse , II, 1 70. ( 558 ) Pèlerine , belle fleur américaine^ I, i55. pignons encoWens, I, ii2j — purgatifs, id. i5i. Pique ou nigua, insecte américain de création moderne^ I, 208. Pitilàgas, Indiens sauvages semblables aux Tohas, II, 161. Plantes } sensitives, I, ïiyj — d'autres ressemblent à du velours à la vue et au toucher, id» ii8j— parasites j leur origine postérieure à celle des arbres, id, io5 j — intéressantes, id* i55. Plâtre ; il j en a très-peu , 1 , 5o. Plumerltos , fleurs singulières , I, 117. Pluie ^ il n'en tombe point à Lima y I, 55 j — est pluS considérable au Paraguay qu'en Europe, I, 56. Poissons } beaucoup d'espèces j chacune provient de dif- férens individus créés séparément, I, 96. Poncho , ce que c'est, II, 12. Popéy quadrupède, I, 299. Ports» De Buenos- A jr es , 1,87 ; — de la Ensenada , id. 88 J — de la Colonia, ib, id j — de Montevideo , id. 8g'y—de Âfaldonàdo , ib. id. Portugais ; vendaient et réduisaient en esclavage les In- diens, II, 55. Productions nouvelles de végétaux , 1 , 1 02- 1 o5 5 — d'an- guilles , id. 97; — d'insectes, I, 196, 206, 2i5, 2175 — de couleuvres , id. 229 j — de vers, id. 297. Punaise, insecte de création nouvelle^ I, 207. Pjgmées , Indiens fabuleux , 1 , 82, Quadrupèdes sauvages qui ne se trouvent pas dans Pan- cien continent, 1 , 56o ) -^ réflexions de ceux qui croient qu'ils ont été créés en Amérique, et que plu- sieurs espèces proviennent originairement de créations, différentes, id. 562. Quilmes , peuplade, II, 558. Quij'â , quadrupède , 1 , 5o8. R. "Rats* Tucutuco , î, 524 j^ — cspinoso, id. 5265— hoci-^ ( fiSg ) cudo, id. 528;— ore///o/i, id. 529 j— co/ZZ^re^^e, ib. id* — cola Igualal ciierpo , id . 530 j — -an^ujà^ id. 55 1 ; —colilargo , ib. id. • ^ agreste, id. Yii) — lauclia ^ id. 555 5 " hlanco dehaxo , ib. id. Henards. Aguarà-guazu ,\ ,iv^^) — aguarachaj, id. 298. Résines de différentes espèces, 1, i25-i5o. Rivières. Du Paraguaj, \, 66-68; — duPara/irt^ id. 68-75; — de VUrugua)^, id. 82; — de La Plata , id. 86-88;— origine de ce nom , II , 546. Riz} plante sauvage , I^ 100. Roe.hcs^ leurs es[wces , 1 , 46-47 ; — quelques-unes sont aussi anciennes que le monde, id» 79. Roseaux } beaucoup d'espèces, dont l'une est de la gros- seur de la jambe , 1 , 118. Rosiers; ne donnent des fleurs qu'en les frappant à coups de gaules ,1,1 58. S. Salazar {Juan de), excite des troubles et est arrêté^ II, 566; — amène dans le paj s les premières vaches, id. 574- Salpêtre y I, 57. Santa Ana , peuplade, II, 525. San An gel , peuplade, II , 556. San Borja , peuplade , II , 556. San Carlos, peuplade, II, 555. San Cohne y peuplade, II, 524» Santa-Cruz de la Sierra , ville, II , 578. Sajito Domingo Soriano , peuplade, II , 539» San Eslanislado , peuplade , II , 528. Santa- ée , \ille, II, 352. San Francisco Xavier, peuplade, II, 557. Santiago, peuplade, II, 524^ San Geroninio , peuplade, II , 557. San Ignacio-Guazii, peuplade , II , 322« San Ignacio-Mirï, peuplade , II , 326. San Joacjuin, peuplade, II, 527. San Josef, peuplade , Il , 555. San Juan, peuplade , II, 556. San Lorenza , peuplade, II, 555. San Luj's , peuplade , II , 555. Santa Maria de Fée, peuplade , II , 522. ( 56o ) San(a Maria la Majvr, peuplade , II; 554» San Miguel, peuplade , II , 555. San Nicolas, peuplade, 11 , 555. San Pedro , peuplade y II , 557. Santo Domingo f peuplade , II, 55gk Santa Rosa, peuplade , II , 524. Santo Tome, peuplade, II, 556. San Xavier, peuplade, II, 55/j. Sauterelles ; une espèce passagère, I, îxt8. Sauts ( cascades) , les plus grands du monde ; celui de la rivière du Paranà, I, 71-755 - celui de VYguasu , id. 745— celui deVAguaraj", id. 74; — celui de Tequen- dania, id. 76 j — celui de Niagara, id. 75;— ceux de VUruguaj', id. 85;— comparaison de cessants, id» 78. Scarabée^ très-nombreux, I, 208-211. Schmidels ( Ulderic) j jugement de son histoire , 1 , 19. Sels; notices curieuses sur ces substances , I, 55-55. Sensitives ; plantes , et un arbre , 1 , 118. Singes. Carayà , I, 55i ; — caj, id. 554 '•> — miriquinà, id. o^i^y—titi y id. Sôg. Solis {Juan diaz de) j découvre la rivière de LaPlata; est tué, II , 540. Sulfate de magnésie^ I; 56. Tabac; le monopole en est nuisible, I, i45. Tableaux des peuplades indiennes formées par les gou- verneurs, II , 222 ; — par les jésuites , id. 260 3 ^ du commerce de tous les ports de la rivière de La Plata , id. 5i4; — des villes, peuplades, etc., du Paraguaj; id. 528; — Idem, pour Buenos-A-p^es , id. 559. Tarumii, arbre dont la fleur et le fruit croissent sur le tronc et les racines , I , i58. Tatéré , arbre qui ne flambe point, 1 , 108. Tatous, quadrupèdes , 1 , 554 ? — 1^ grand , id. 556; — poju , id. 558; — aj, id. 541 ; — velu, id. 545; — /?/- chiy, id. 544 ; — noir, id. 546; — mulita , id. 548; — mataco , id. 55o. Tajaziis , porcs sauvages ; taTiicatj et taitetù , id, 248» Tehuelchus , voyez Patagons. ( 56.-) ^teintures ; ingrédicns employés dans cet arl, ï, 124. Terrain ; tout en plaine , I ^ 4o-42« - H n'y aura jamais de macliiiies hydrauliques 7 /<^. 4^ ; — ne peut nourrir une population aussi étendue que celle d'Europe , icL 46;— sa structure, ib/id.; — sa qualité ^ id, 5o-5ij — salé et non salé, id. 55^54' Tohas , Indiens sauvages j leur description^ II, 160. Tohatj-j peuplade , II , 521. Tauraux sauvages ', notes sur ceux qui n'ont point de cornes, 1 , 079. Torres de Fera y Aragon ( don Juan de ) 5 comment il devient gouverneur, II, 384; — fonde Corrientes ^ et se retire, id. 587. Tortues ; agissent et raisonnent sans tête, I, gS. Trinidad, peuplade, II, 327. Tunal {cactus) y remarquable par la beauté de ses for» mes, I, 116. Tupjs y Indiens sauvages; faussetés débitées sur leur compte, II, 70-72;-— leurs usages, etc., id, 72-75. U. Vhiîiches f Indiens sauvages peu connus, II, 5o. V. Végétaux sauvages; diminuent par les incendies , 1 , 100 ; — l'homme et les quadrupèdes les détruisent involon- tairement et en font naître d'autres sans les semer, id„ ïoi-io3; — on ignore l'origine de quelques-uns, II, Ï75. Vents ; quels sont les plus fréquens; on connaît à peine l'ouest; il devient Agiotent progressivement, I, i et suiv» Ver caustiqu ^ I, io6. Vérole } inconnue aux Indiens sauvages; ceux qui sont civilisés la comnmniquent aux Européens ; ses effets ne se font pas sentir au cou, mais au nez, II, 142. Vies très-longues d'Indiens sauvages, II, 5o, io4; i3i et 142 ; de nègres, id Ti'jl^, Filelas, Indiens sauvages peu connus, II, 167. yUlarica^ bourg, II, 3 18. II. a, 5G ( 563 ) ^Vipères; on en décrit six espèces, I, 222-235 5 — activité de leur venin, ici. 254-255. Vizcacha, espèce de marmotte, I^ 3i6. X. XaràjeS; leur empire fabuleux, I, 4^, 82. — Indiens sauvages; quelques renspigiK'i.iens , II, -67. Xercz ( Santiago de), deux villes de ce nom, II, 585. Y. Taguareté, béte féroce formidable, I, 258 j — noir, id^ 260. Yagiiarundi ^ I, 275. Yaguaron, poisson fabuleux , I , qS ; — peuplade , II , oig* Varos , Indiens exterminés, II, 28. Ybaro , arbre dont le fruit sert de savon, I, ii5. Yberà y lac singulier, 1 , 8 1 -82. Ybiraj espèce d'ananas très-utile, I, i56. Yhirapepé , arbre dont le tronc est singulier, I, ii3* Yfiispin, peu]iiade, II, 558. Ypané , peuplade, II, 5ig. Yta, peuplade, II, 519. Ytapé , peuplade, II, 52 t. Ytapùa, peuplade, ÎI, 525. Ytatj-, province. II, io2j — peuplade, id. 552. Yucjucrj^j arbre sensitif, I, n8. Yutj:, peuplade , II , 522. Zone toriide; est plus élevée que ne l'indique le calcul, ou les autres zones sont plus basses, 1 , 65. Fin de la Table des Matières,