* *•

Bâte

/

VOYAGES

DANS

LES DEUX SICILE S.

Digitized by the Internet Archive in 2017 with funding from Getty Research Institute

https://archive.org/details/voyagesdanslesde34spal

VOYAGES

DANS LES DEUX SICILES

ET DANS

QUELQUES PARTIES DES APENNINS,

Par Spallanzani , Professeur THistoire naturelle dans Puniversité de Pavie.

! Traduits de V Italien par G . TOSCAN , Bibliothécaire du Muséum national d’ Histoire naturelle de Taris ^ avec des notes du cit. F A UJAS-DE-St.-Fond.

TOME TROISIÈME.

A PARIS,

Chez Mar ad an , Libraire, rue Pavée- André -des -Arcs, n°. 16.

AN VIII,

' - 7

l

VOYAGES

DANS

LES DEUX SICILES.

CHAPITRE XVI.

; " t

Description de Vintérieur de Vile de Lipari .

SECONDE PARTIE.

O N parvient difficilement à la connaissance exacte de la disposition intérieure d’un pays mon* tueux et volcanisé , si Ton ne commence par se former une idée juste de son ensemble. Il faut pour cela se placer au sommet de la montagne la plus élevée , la bien examiner , porter ensuite ses regards sur les monts inférieurs qui l’envi- ronnent, observer leurs formes, leurs entrela- cemens , les relations qu’ils ont entr’eux et avec la montagne principale.

Après avoir fait le tour de Pile de Lipari et Tome III . A

2

VOYAGE S

étudié ses rivages, je me transportai sur le mont Saint-^4ngelo , situé au nord de la ville : c’est le plateau le plus éminent de l’île. En la considérant de cette hauteur, je ne lui trouvai point cette figure conique qui est propre aux îles de Stromboli et de Vulcanô; elle me parut au contraire fort irré- gulière , et ne me laissa voir que divers groupes de montagnes à moitié dégradées , et disposées d’une manière très-confuse. Je jugeai que les feux volcaniques avaient travaillé cette île en tous sens 5 que , par la proximité de leurs foyers, ils n’avaient pu former ces cônes distincts qui sont si bien exprimés sur le Vésuve , sur l’Etna; et que les éruptions des volcans supérieurs s’étant répandues sur les volcans inférieurs , n’avaient produit que désordre et confusion.

De la cime de l’Etna, je découvrais au-dessous de moi une multitude de cratères bien caracté- risés ; ici je ne pus en reconnaître distinctement un seul. Je vis à la vérité des creux , des en- foncemens , qui probablement étaient autrefois des bouches volcaniques ; mais elles ne con- servaient plus la figure d’un entonnoir , soit que des éruptions subséquentes les eussent démolies et comblées en partie , soit que le temps eût opéré leur ruine.

Doîomieu remarqua sur la cime du Saint -

DANS Ll 8 DEUX 5ICILES. 3

yingelo un bassin , ou plaine circulaire entourée de collines, dont l’escarpement regardait l’inté- rieur de l’enceinte , et il les prit pour les vestiges d’un ancien cratère. Après avoir examiné ce lieu, je ne trouvai pas sa conjecture invraisemblable. Il se persuada que cette montagne était la prin- cipale et la première de l’île 3 qu’elle se forma avant toutes les autres 3 qu’elle devint le premier soupirail du volcan , et servit de base et de point d’appui à toutes celles qui s’élevèrent postérieu- rement. J’adoptai son idée , mais je ne pus m’em- pêcher de l’appliquer également à la montagne délia Guardia , située au sud , peu inférieure au Saint-^d ngelo en hauteur, et faisant corps à part. Je pensai que deux volcans distincts avaient donné naissance à ces deux montagnes; qu’elles sortirent presqu’en même temps du sein de la mer ; qu’elles formèrent dans le principe deux petites îles qui , s’étant étendues peu à peu, se réunirent en une seule par leurs bases 3 que cette île unique se fortifia, s’accrut à mesure qu’il survint de nouvelles éruptions, et qu’elle acquit ainsi une extension bien plus considérable que celle dont elle jouit aujourd’hui 5 puisque les dévastations que la mer exerce sur ses ri- vages, et les dégradations que les eaux pluviales amènent dans son intérieur , lui causent une dé- perdition continuelle de matières.

A 2

VOYAGES

4

_ Je descendis du mont Saint - ^ ingelo pour aller visiter celui délia Guardia . Autant son approche est difficile du côté delà mer , elle est défendue par des escarpemens de laves dé- nuées de végétation et d’un aspect horrible, au- tant elle est facile et commode du côté de la terre , ses pentes sont douces , couvertes de vignobles qui croissent sur un fond de tuffa , ‘substance volcanique la moins rebelle à la cul- ture. Parvenu sur son sommet, je me confirmai dans l’opinion que cette montagne ne dérive point de celle de Saint-^dngelo , tant par son éloignement , que par un large vallon qui les sépare de l’est à l’ouest, et qu’elle ne doit sa formation qu’à elle-même.

Ayant suffisamment examiné ces deux mon- tagnes , les plus éminentes de l’île , je me mis à parcourir les monts inférieurs. Je cherchai vai- nement les vestiges des anciens cratères $ leurs véritables formes se sont perdues dans le mé- lange des matières qu’ils ont vomies 5 les siècles écoulés depuis cette époque en ont beaucoup accru la confusion 5 et, à la réserve de quelques petites plaines , de quelques pentes praticables que les insulaires sont parvenus à façonner à la culture , Lipari ne présente qu’un amas de dé- bris, de précipices , et de rophers qui menacent

DANS LES DEUX SICILE S. 5

incessamment d’une chute prochaine. Les ma- tières qui composent ces ruines sont des ponces, des émaux , des verres , que je me dispenserai de décrire, parce qu’ils sont analogues aux subs- tances de ce genre dont j’ai donné la descrip- tion.

Les Liparotes m’ayant parlé d’une caverne située dans une petite plaine nommée la Thalle , distante de la ville d’un quart de mille à l’ouest, j’eus la curiosité de la visiter. Elle a son ouver- ture dans un rocher de lave décomposée 3 un homme peut y entrer debout 5 sa profondeur est d’environ cinquante pas. Ses parois sont tapissées d’efflorescences de muriate d’ammoniaque. J’en trouvai aussi dans une petite grotte voisine, creu- sée dans le même rocher. Ce sel s’est engendré par sublimation 3 réduit en vapeurs par les feux souterrains , il s’est élevé , et s’est attaché aux surfaces intérieures des deux cavernes. On le voit ainsi se former dans beaucoup de volcans brûlans 3 mais ici , ni les feux , ni les vapeurs ammoniacales ne donnent plus aucun signe d’ac- tivité.

Je rencontrai dans cette courte promenade une brèche volcanique 3 elle gisait en gros mor- ceaux isolés , et rien ne put m’indiquer d’où elle tirait son origine 3 mais l’hétérogénéité des ma-

6

VOYAGES

tières dont elle était composée attira mon atten- tion. Sa substance dominante était une lave ter- reuse d’un gris bleuâtre , d’un grain grossier et peu dur, qui contenait les corps suivans.

i°. Des fragmens de deux sortes de laves ,1’une noire et l’autre grise. La première avait une cas- sure écailleuse : elle mettait en mouvement l’ai-

J i

guiile aimantée à la distance de deux lignes. La seconde avait une surface raboteuse, une cassure inégale; elle étincelait sous le choc du briquet, et elle renfermait des lames de feld-spath. Ces deux laves avaient pour base la pierre de corne; elles exhalaient une forte odeur d’argile.

2°. Des fragmens d’une lave vitreuse , dont la couleur formait une belle nuance entre le vert et le bleu ; par son poli , par la netteté de sa cassure , par son aspect et son peu de dureté, elle ressemblait à la pierre de poix.

3°. Des fragmens d’une pierre ponce cendrée et compacte.

4°. Des fragmens d’un verre blanchâtre el semi-transparent.

5°. Des fragmens d’un verre sans couleur, et presqu’aussi transparent que le verre artificiel. Le plus considérable avait quatorze lignes de

DANS LES DEUX SI C I L E S. J

longueur sur huit de largeur : il était de meme enseveli dans la brèche.

On ne pouvait pas dire que ces cinq espèces de productions volcaniques fissent partie de la pâte de la lave, car chaque morceau avait des cassures , des angles très-distincts 5 il était facile de les détacher tout entiers en rompant la lave avec adresse. Celle-ci avait donc une origine postérieure. En coulant , elle avait enveloppé toutes ces substances étrangères , et en avait formé un seul corps.

Il me vint un doute en faisant ces observa- tions. Quoique les fragmens de la lave vitreuse parussent à Pœil et au tact extrêmement polis, cependant, en les regardant à une forte loupe, je m’apperçus que leur surface était couverte de petites gerçures. Je remarquai le même acci- dent dans divers morceaux des deux verres. Un courant d’eau avait-il' passé sur ces substances alors qu’elles étaient embrasées? avaient- elles éprouvé un coup subit d’air froid? ou bien étant déjà froides elles-mêmes, avaient-elles été sur- prises par la lave enflammée ? Ces trois causes peuvent produire le même efFet.

Les étuves de Liparî étant l’objet qui excite le plus la curiosité des voyageurs , je ne devais

8 VOYAGES

pas manquer de les visiter. Mais je puis dire que le trajet me procura encore plus d’instruction que les étuves elles-mêmes. Elles sotit situées à l’ouest > à quatre milles de la ville , un peu au- delà de la cime d’un mont le plus éminent de File 5 après ceux de Saint- .Angelo et de la Guardia . Je pris pour m’y rendre le chemin le plus commode, celui de la ville. Il est en grande partie l’ouvrage des eaux pluviales , qui l’ont creusé dans une masse immense de tuffa. J’ai parlé plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, mais presque toujours par incident, du tuffa vol- canique : celui-ci mérite une discussion parti- culière.

On se rappellera que , dès le commencement, en discourant sur les tuffas du Pausiiippe , j’ai dit , et j’ai cherché à prouver qu’ils étaient des produits d’éruptions boueuses , sans nier cepen- dant que cette sorte de substance ne pût être quelquefois le résultat de l’agrégation des cen- dres , des sables, et autres matières subtiles vo- mies par les volcans, pénétrées , consolidées par les eaux pluviales , ou par celles de la mer alors qu’elles couvraient les bases des montagnes igni- vomes et les rivages (î). Quant au tuffa de Li-

(i) Voyez le chap, IL

pari ,•

DANS LES DEUX SICILES. 9

par! , il me paraît avoir été le dépôt d’un courant boueux. Il se termine à quelques centaines de pas de la ville, et se prolonge sans interruption jus- qu’au sommet du mont des Etuves. Ce mont , comme la plupart des autres * est très-varié dans la disposition de ses plans 5 il a des pentes douces , il en à de rapides ; ses coupes sont tantôt hori- zontales , tantôt verticales. Cependant le tuffa qui le recouvre prend exactement les mêmes formes , et suit les mêmes directions. Sa surface est quelquefois ridée et ondoyante. Enfin dans sa marche il a les sinuosités , les détours , les mouvemens des courans de lave les mieux ca- ractérisés. Dans les endroits il a été profou- dément sillonné par les eaux des pluies , on ap- perçoit ses couches superposées les unes sur les autres. Je pense donc qu’il faut rapporter son origine à un torrent de matières fangeuses qui s’est écoulé du mont des Etuves. Le Vésuve , î’Etna , l’Hécla fournissent beaucoup d’exemples de ces éruptions par voie humide.

Une seule difficulté , mais facile à résoudre , se présente dans mon hypothèse. Si un torrent d’eau et de boue, sortant du mont des Etuves, se fut ainsi répandu au loin 5 après la cessation du mouvement , les matières les, plus pesantes au- raient dû, suivant les loix de la gravité, des-

Tomç III. B

1.0 VOYAGES

cendre au fond , et les plus légères occuper la surface. Cependant on y découvre , à peu de pro- fondeur , de grosses masses de laves , d’émaux et de verres. Ne peut-on pas supposer , avec toute vraisemblance , que ces corps furent lan- cés par des bouches enflammées sur le tuffa quelque temps après son écoulement, et que le trouvant déjà consolidé , ils ne purent s’y en- foncer davantage ?

Mais , outre la position de cette matière tuffa- cée , et sa direction sinueuse sur la croupe et les flancs de la montagne , qui montrent qu’elle a coulé , sa nature propre le témoigne évidem- ment. Ce n’est point, comme dans d’autres tuf- fas , une agrégation de cendres et de sables , un détritus de schorls et de feld-spaths , de laves décomposées et devenues terreuses , cimentés par l’action de l’eau , et consolidés au point de former des masses propres à être taillées, et à servir dans les constructions 5 mais c’est une terre seulement argileuse , qui n’a pas plus de consistance que le limon endurci des fleuves. Sa couleur est d’un gris foncé 3 sa contexture a je ne sais quoi de grenu 3 on la brise , on la réduit en poudre en la pressant entre les doigts. Elle est légère 5 elle happe à la langue 3 elle exhale une faible odeur d’argile 3 plongée dans

DANS LES DEUX SICILE S. Il l’eau 3 elle l’attire avec avidité, et s’en pénètre de toute part.

Le feu du fourneau , en la colorant d’abord d’un rouge brun , ensuite d’un noir de fer , la durcit au point qu’elle fait feu avec le briquet. Elle ne se vitrifie pourtant pas , mais elle prend seulement à sa surface un vernis vitreux.

L’épaisseur de ce tuffa varie suivant la place qu’il occupe sur la montagne. Ici cette épaisseur n’est que de quelques pieds j elle est de plu- sieurs toises ; ailleurs elle est si considérable que, malgré les excavations formées par les pluies , on ne peut appercevoir le fond du tuffa. Mais par-tout ce fond est à découvert , j’ai cons- tamment remarqué que le tuffa repose sur un lit de ponces , partie pulvérisées , partie en morceaux détachés qui ont souvent une forme globuleuse : elles sont de l’espèce la plus légère. Ces pierres avaient donc été vomies antérieure- ment sur la montagne des Etuves par un volcan enflammé.

Mais voici un phénomène inattendu que m’a présenté ce tuffa. En le brisant , j’ai découvert dans ses fractures des corpuscules noirs que je n’ai pas eu de peine à reconnaître pour de véri- tables charbons par leur couleur , leur légéreté,

B 2

12

V G Y A G- E 8

leur sécheresse , leur friabilité et leur peu de dureté. Il y en a qui , touchés par le feu à l’air libre, fument et se changent en braise ; d’autres qui donnent une petite flamme, et ceux-là ne sont pas parfaitement réduits en charbon 5 on y découvre les parties fibreuses du bois. Ces char- bons forment de petits cylindres longs de deux ou trois lignes jusqu’à douze ou quatorze , et gros à proportion. Ils paraissent avoir appartenu à des rameaux d’arbres ou d’arbustes. Ils sont ensevelis dans le tuffa à diverses profondeurs , et se trouvent clair-semés dans toute son étendue.

Cet accident , qui n’avait pas encore été ob- servé , que je sache, dans les tuffas volcaniques, pourrait faire penser que les deux voies , l’hu- mide et la sèche , se sont combinées ensemble pour donner naissance au torrent fangeux du mont des Etuves , et que le feu l’a pénétré au point de le rendre capable de brûler, et de con- vertir en charbon les végétaux qu’il rencontrait sur sa route. Cette explication n’est pas sans difficulté , et le lecteur , qui s’en apperçoît sans doute, trouvera peut-être plus de vraisemblance à supposer qu’une grêle brûlante d’une époque antérieure était tombée sur les faibles plantes qui végétaient çàet dans cette montagne aridej qu’elle les avait brûlées sans les consumer entîè-

DANS LES DEUX SICILES. l3 rement , et que leurs débris charbonneux préexis- taient à l’inondation terreuse qui les a envelop- pés dans son cours.

J’ai dit que les eaux des pluies avaient creusé ce tuffa en plusieurs endroits de la montagne. C’est dans ces profondes excavations , et sur le chemin des Etuves , que l’on trouve plu- sieurs corps volcaniques qui méritent une des- cription particulière. Ce sont d’abord des frag- mens d’émàil de diverses grosseurs qui ,. lisses au-dehors , ont: cependant la cassure anguleuse. Leur couleur est un bleu pâle ; leur aspect est peu brillant; ils ont peu de dureté, et tombent en éclats sous le choc du briquet. Ce défaut de dureté provient de ce qu’ils sont pleins de fis- sures; peut-être les ont-ils contractées dans leur état d’incandescence , en tombant dans le tuffa , qui n’avait pas encore perdu son humidité. Les feld-spaths renfermés dans ces émaux ont éprou- vé le même accident, et sans doute par la même cause.

On trouve dans ces lieux une autre espèce d’émail, remarquable par certains petits corps étrangers disséminés dans sa masse. Je n’ai pu les analyser par la voie humide ; mais leurs ca- ractères sensibles réunis à ceux qu’ils m’ont four- nis^par la voie sèche , les classent parmi les gre-

B 3

VOYAGES

14

nats. Je n’en avais pas encore rencontré de sem- blables dans les productions volcaniques. En gé- néral ils ont la figure d’un bulbe 5 leur couleur est noirâtre , tirant quelquefois sur le rouge 5 leur surface polie et lustrée, leur cassure lamelieuse, vitreuse , capable de rayer le verre. Les plus gros ont trois lignes et demie , ils sont opaques 5 les plus petits ont un tiers de ligne , ils sont semi- transparens. Ils étincellent sous le briquet , se fondent au fourneau , et se convertissent en un émail noir et scoriacé. Cet ensemble de carac- tères les rapproche beaucoup des grenats. Et qu’importe s’ils ne sont pas cristallisés , puisque l’on sait qu’il existe des grenats qui n’ont aucune forme déterminée ?

Pendant que j’étais occupé de cette analyse, il me prit envie d’en comparer les résultats avec ceux que j’obtiendrais de l’analyse des grenats du Vésuve , recueillis sur le mont Somma qui, comme on sait , est l’antique volcan de ce nom. J’en choisis quatre espèces différentes, dont voici la description.

La première existe dans une lave à base de pierre de corne , d’un gris jaunâtre ; ses surfaces sont inégales , et sa consistance s’est affaiblie jus- qu’à devenir presque terreuse parla grande alté- ration que lui ont causée , non les exhalaisons

DANS LES DEUX SICILES. l5 sulfureuses, mais les impressions de l’atmosphère. Les grenats qu’elle renferme en abondance sont également altérés , ils ont perdu une partie de leur lustre natif, et sont devenus friables à cause de la multitude de gerçures qu’ils ont contrac- tées. Cependant ils conservent encore quelques traits de leur caractère vitreux. Leur couleur est entre le blanc et le gris ; ils sont à peine trans- parens dans leurs parties les plus minces. Au premier aspect on les prend pour des globes parfaits 5 mais en les détachant de la pierre ma- trice , ce qui est facile, on s’apperçoit qu’ils sont taillés à facettes , sans pouvoir cependant en re- connaître le nombre , attendu que la plupart des angles ont été effacés par le temps. Tout ce que je puis dire à cet égard, c’est qu’ayant réussi à diviser quelques-uns de ces grenats en deux hémisphères , j’ai remarqué que le péri- mètre de chacune était octogone. J’ai eu en même temps la facilité de distinguer leur tissu, formé de feuillets très-déliés et circulaires. Au reste , ces grenats varient de grandeur , depuis un sixième de ligne jusqu’à quatre lignes et demie.

Le feu a fondu en un émail compacte , de couleur de poix , la lave matrice 5 il a laissé in- tacts les grenats , qui seulement se sont blanchis

B 4

VOYAGES

lG

davantage , et sont devenus p!us vitreux et plus durs. Le contraste de leu-r couleur avec le fond de l’émail en faisait ressortir une foule d’autres plus petits , qui étaient invisibles dans la lave , et qui, malgré leur extrême délicatesse, s’étaient également maintenus dans leur intégrité.

Les grenats de la seconde espèce, enveloppés dans une lave à base de roche de corne molle , sont plus gros et tout-à-fait opaques $ ils sont blancs comme la neige , et plus brillans dans leur cassure que les précédens. Les uns ont une figure globuleuse, et une cristallisation très-distincte 5 mais il est impossible d’en compter les facettes, parce qu’on ne peut les extraire de la lave sans les rompre : les autres ne manifestent que des formes très-irrégulières.

Il en est qui renferment de petits schorls pris- matiques , de la couleur et du lustre de l’as- phalte. Ces cristaux étaient sans doute tout for- més lorsqu’ils ont été enveloppés par le suc gre-

natique.

Tous ces grenats sont restés infusibles au four- neau 5 mais la lave s’est fondue en une scorie

cellulaire.

La troisième espèce est étroitement liée à une

DANS LES DEUX SICILES. 17 lave pesante, à base de pierre de corne ,de coq- leur de fer, compacte , mais pas assez dure pour faire feu avec le briquet. Les grenats ont une couleur blanche tirant sur le jaune; leur épais- seur est d’environ quatre lignes ; la plupart sont fendus de manière que les fentes représentent à la surface comme une fleur ronde polypétale.

Le feu a fondu , non la lave, mais les grenats, qui ont pris la couleur du cuivre rouge.

Ceux de la quatrième et dernière espèce por- tent vingt-quatre facettes; ils sont transparens, blancs et vitreux; leur matrice est une lave com- pacte à base de pierre de corne, d’une odeur argileuse.

La lave s’est fondue en un émail noir : les grenats sont restés intacts.

En rapprochant les grenats du Vésuve de ceux de Lipari , et comparant les résultats des expé- riences 9 on voit qu’ils se ressemblent par leur structure , tant vitreuse que lamelleuse ; mais qu’ils diffèrent par la manière dont ils se laissent affecter par le feu. Les premiers tombent facile- ment en fusion. ^ les seconds sont réfractaires.

N’ayant pu réussir à fondre ces quatre der- nières espèces de grenats , même en soutenant

VOYAGES

18

le feu pendant plusieurs jours, j’eus recours au gaz oxigène. Alors leur fusion s’opéra , mais len- tement. Leur lave-matrice coulait déjà comme du verre , qu’ils- étaient encore intacts ; enfin ils se fondirent, mais sans s’incorporer à la lave, et former avec elle un tout homogène.

Les chimistes et les naturalistes qui avant moi ont traité avec le feu les grenats du Vésuve , ont eu des résultats semblables aux miens. Bergman dit qu’on réussit à les fondre au chalumeau , mais en se servant d’un feu très-énergique (1). Saus- sure raconte qu’une lave à œil de perdrix qu’il avait détachée du mont Somma , donna un pro- duit noir et vitrifié $ mais que les grains po- lyèdres de cette lave parurent inaltérables au milieu du feu le plus violent. Il est clair que par ces grains polyèdres , Saussure entendait ce que j’appelle , moi et d’autres naturalistes, des gre- nats (2). Quant à l’action du gaz oxigène sur ces cristaux, voici ce que dit Ehrmann dans son Traité de Vair du feu : « Le granit du Vésuve, » blanc, opaque, se distingue des granits pro- »prement dits , en ce qu’il se fond très-difficile—

(1) De productis Vulcaniis ,

(2) Voyage dans les Alpes, vol, 1.

DANS LES DEUX SICILE S. 19 vment par le gaz oxigène , et se résout enfin, » dans un bouillonnement continuel , en une masse » parfaitement semblable au quartz, même dans »la cassure, et qui craque également sous la »dent » .

Ce bouillonnement dont parle Ehrmann , je l’ai vu dans mes quatre espèces de grenats quand ils étaient en fusion. La première et la troisième m’ont donné de même deux petites masses sem- blables au quartz 5 mais la seconde et la qua- trième sont devenues spongieuses. Il est possible que cet auteur n’ait fait ses expériences que sur une seule espèce.

Quelques naturalistes pensent que les grenats du Vésuve ont improprement cette dénomina- tion ; i°. parce qu’ils sont privés de fer 5 20. parce qu’ils sont difficiles à fondre ; 5°. parce que leurs parties constituantes ne sont pas dosées dans les mêmes proportions que celles des vrais grenats. Pour moi , je ne trouve point ces raisons suffi- santes pour les exclure du genre ils ont été placés jusqu’à présent. Il est vrai que le fer entre pour l’ordinaire dans la composition des grenats, mais il n’en constitue pas l’essence , comme le remarque très-bien le chimiste Bergman , qui , dans l’analyse des grenats transparens, n’a trouvé que quatre centièmes de ce métal colorant. C’est

2 a VOYAGES

à son absence qu’il faut sans doute attribuer la grande difficulté de leur fusion. Quant aux parties constituantes , le même chimiste les place dans l’ordre suivant, relatif à leur quantité respective , silice , alumine et chaux , ordre qui s’observe dans les plus purs grenats de la Bohême, analysés par Achard. Cette distribution de principes se reconnaît aussi dans les grenats du Vésuve , Bergman a trouvé environ cinquante-cinq par- ties de silice , trente-neuf d’alumine et six de chaux ; et si la proportion de la silice avec l’alu- mine n’est pas la même dans ces deux pierres_, la différence n’est pas assez grande pour devoir en faire deux genres différens ; pour s’en con- vaincre, il suffit de comparer les deux nombres 55 et 39, exprimant la silice et l’alumine dans les grenats du Vésuve , aux nombres 48 et 3o , dési- gnant les mêmes terres dans ceux de Bohême , analysés par le chimiste de Berlin.

Pour revenir aux grenats de Lipari, ils n’ont pas avec leur base une adhérence aussi forte que celle que l’on remarque pour l’ordinaire dans les feld- spaths et dans les schorls ; mais, comme toutes les pierres de leur genre , ils y sont im- plantés de manière qu’ils peuvent se détacher sans se rompre , laissant dans l’émail l’empreinte exacte de leur figure. Cet émail, compacte, pe-

21

( DANS LES DEUX SICILES. sant , gris-cendré, gît en morceaux isolés dans le tuffa et sur le chemin des Etuves : c’est la première production volcanique qui frappe les yeux en sortant de la ville.

Plus loin on rencontre des mélanges curieux d’une terre blanche, argileuse, avec un émail noir. Ces deux substances sont tellement pétries ensemble, et confondues l’une dans l’autre, que l’on ne saurait trouver une petite masse de cette terre de la grosseur d’un pois , qui ne renfermât plusieurs écailles d’émail, et vice versa . La terre a une odeur d’argile très-sensible , et happe à la langue.

Dans les endroits se présentent ces mé- langes , on retrouve l’émail à grenats ; mais ceux- ci sont plus gros , et se rapprochent davantage de la forme sphérique. L’émail est aussi plus re- marquable, en ce qu’il fait corps avec plusieurs morceaux de laves à base de pierre de corne, qui contiennent également des grenats.

Je vais décrire quatre autres espèces de laves chacune à base de pierre de corne, qui se sont offertes sur mon chemin en morceaux isolés.

La première a la cassure fibreuse et la couleur du fer ’j elle est un peu poreuse , et assez dure

2 2

VOYAGES

pour faire feu avec le briquet. Elle agit sur Pai- guille aimantée à la distance d’une ligne et un quart : elle répand une odeur terreuse , et elle renferme des feld-spaths.

La seconde, plus tendre que compacte , a une couleur grise tirant sur le noir. Des feld-spaths rhomboïdaux occupent presque la moitié de son volume.

La troisième ne diffère de la seconde qu’en ce qu’elle est un peu plus compacte et plus dure. Les feld-spaths y sont moins abondans.

La quatrième , qui surpasse les trois précé- dentes en solidité , en pesanteur, en dureté, a une couleur noire , ferrugineuse 3 sa cassure est terreuse ; elle s’attache un peu à la langue , et fait sentir l’odeur de l’argile : elle met en mou- vement l’aiguille aimantée à la distance d’une demi-ligne.

Ces laves , traitées avec le feu , se fondent en scories vitreuses : les feld-spaths sont réfrac- taires.

J’ai passé rapidement sur ces quatre produc- tions volcaniques, pour m’arrêterplus long-temps sur une autre moins abondante , qui se fait dis- tinguer par ses belles chrysolites. C’est une lave

23

DANS LES DEUX S ICI LE S. à base de pierre de corne molle , d’un brun fon- cé y très -inégale dans la cassure , à cause des ger- çures qui empêchent la liaison de ses parties. Elle étincelle faiblement sous le choc de l’acier 5 elle répand une faible odeur d’argile , et met en mouvement l’aiguille aimantée à la distance d’une ligne : elle est légère et sonore. Je laisse de côté quelques écailles de feld-spaths qui y sont incorporées , pour venir à l’examen des chrysolites.

Une certaine nuance entre le vert et le jaune , suffit pour les faire distinguer à la surface de la lave qui a souffert les impressions de l’atmosphère et des météores 5 mais elles brillent des plus vives couleurs dans les cassures fraîches 5 on y voij: le jaune de l’or \ le vert tendre de l’herbe , et le rouge du feu adouci par une teinte de pourpre. Si on les expose aux rayons du soleil , et qu’on les regarde sous certains angles , les couleurs paraissent plus vives , et leur mélange plus pi- quant. Elles n’ont pour la plupart aucune forme déterminée , quelques - unes seulement repré- sentent un prisme quadrangulaîre. Leur cassure est vitreuse, très -brillante 5 tantôt lisse, tantôt rude , suivant la manière dont se brisent les pe- tites lames qui entrent dans leur composition. Les morceaux en sont anguleux et semi-trans-

VOYAGES

H

parens. Ces chrysolites étincellent sous îe bri- quet , et poupent le verre avec autant de facilité que le ferait îe cristal de roche. Les plus grandes ont environ trois lignes et demie de longueur ; les plus petites sont à peine perceptibles. La lave les saisit avec tant de force , qu’on ne peut les en extraire que par fragmens.

Le feu du fourneau et celui du chalumeau, bien loin de fondre ces petites pierres , ne\ les altèrent pas même dans leur couleur et leur tissu. Le seul gaz oxigène les décolore et les fait couler en boule blanche, mais sans lustre*

On ignorait, à la vérité, qu’il existât à Lipari des chrysolites volcaniques , mais les naturalistes en avaient découvert dans d’autres pays volca- nisés ; telles sont celles du Vivarais et du Velay* décrites par Faujas , et celles de l’Etna par Do- îomieu. En les comparant avec les miennes , je leur trouve des rapports et des différences qu’il est bon de rapporter ici.

Les chrysolites observées et décrites par Fau- jas sont formées de la réunion de petits grains de sable plus ou moins fins , plus ou moins adhé- rens , âpres au toucher, irréguliers, se présen- tant quelquefois comme des croûtes ou de pe- tites écailles , mais conformés pour l’ordinaire

DANS LES DEUX SICILE S. ü5 en manière de fragmens anguleux qui s’encastrent les uns dans les autres.

Les clirysolites de Lipari ne se présentent pas ainsi 5 leurs molécules , vues au microscope , n’offrent rien de grenu $ elles sont au contraire toujours lisses , toujours vitreuses, et leur aspect ne varie point, soit qu’on les considère dans leur ensemble , ou séparément.

Une autre différence essentielle est dans leurs dimensions. Les chrysolites de Lipari ont tout au plus quelques lignes d’épaisseur ; les chrysolites du Vivarais etdu Velay vont jusqu’à peser plu- sieurs livres.

Une seule propriété leur est commune , celle de résister au feu le plus vif, le plus soutenu des fourneaux ordinaires, et de ne se fondre que par l’intervention du gaz oxigène. Au reste , elles ont des couleurs qui se ressemblent : le vert et le jaune de la topaze brillent dans les unes et dans les autres.

Quant aux chrysolites de l’Etna, les unes sont sans formes déterminées , les autres cristallisées en prismes tétragones ou hexagones , avec une pyramide quelquefois hexagone. Leur cassure est en partie conchoïde , en partie lamelleuse ; leur dureté est plus grande que celle du quartz \

Tome III. C

VOYAGES

26

leur couleur est un jaune tirant sur le vert avec des teintes variées 5 enfin elles sont fusibles par un feu très-violent. On voit dans cette descrip- tion en quoi elles se rapprochent ou s’éloignent de celles de Lipari. Dolomieu ne détermine pas leur grandeur , mais elle ne saurait être consi- dérable , puisqu’il les appelle des grains. En effet, les chrysolites que j’ai pu voir dans quel- ques laves de l’Etna m’ont paru très-petites.

Si j’ai donné la qualification de volcanique aux chrysolites de Lipari , ce n’est pas tant pour les avoir trouvées dans une lave , que pour les distinguer de la gemme proprement dite chry- solite , en reconnaissant , avec plusieurs habiles minéralogistes , que les pierres volcaniques qui , parleurs couleurs jaunes et vertes , ressemblent à cette gemme , et sont pour cela nommées chrysolites , en diffèrent par leurs principes prochains , et par divers caractères extérieurs. Toutefois , en admettant cette dénomination , je suis persuadé que celles dont j’ai donné la des- cription ne peuvent, en raison des propriétés qui les distinguent , se rapporter au genre des schorls , divers naturalistes ont coutume de placer les chrysolites des volcans (1).

(1) Rien n’est plus propre à démontrer combien la ma-

JJÀNS LES BEUX SICILES. 27

ïl me reste à parler d’une pierre qui est la dernière de celles que j’ai rencontrées dans ma

"" ~

nie de changer les anciens mots est nuisible à la science , que l’exemple de la chrysolite des volcans.

La pierre très- remarquable connue sous ce nom par les naturalistes qui font leur étude principale des vol- cans , tels que Ferber , Forlis , Gioenni , Rome de Lille , Sage, Dolornieu , Nosé et autres , avaient reçu le nom de chrysolite des volcans , parce que cette pierre avait les plus grands rapports de couleur , de pesanteur, de dure- té et de principes conslituans, avec la chrysolite gemme, que Yallerius a définie sous le nom de chrysolithes gemma pellucidissima , duritie sexta , colore viridi subjlavo. Wall. Min. p. 243, spec. 109.

Ainsi la dénomination de chrysolite des volcans avait parmi les naturalistes une acception claire et positive , lorsque Werner imagina de changer, de son autorité privée , ce nom , pour lui en substituer un qu'il tira déjà couleur, c'est-à-dire, du caractère le plus équi- voque, en l’appelant divine , c’est-à-dire couleur d’o- live , tandis que la pierre dont il s’agit n'a point cette couleur, et que sa nuance est au contraire d’un vert plus ou moins clair, mêlé très-souvent d’une teinte jaunâtre. Mais comme le néologisme était en faveur , ce nom fut sur-le-champ adopté , d'abord par les chimistes, et en- suite par un grand nombre de naturalistes ; ce qui les obligea de désigner cette pierre par une synonymie de plus, en l’appelant d’abord chrysolite des volcans de tels et tels auteurs, et divine de Werner. Il résulta de cette

C a

3

VOYAGES

route. Elle gît près des Etuves , sur la pente de la montagne. C’est un porphyre à base de

innovation un premier embarras au sujet de la connais- sance et de la description de cette pierre.

Les clioses restèrent en cet état jusqtdà ce que , plu- sieurs années après , le célèbre Klaproth imagina d’ana- lyser , avec sa sagacité ordinaire , la chrysolite des vol- cans , et il reconnut qu’elle avait , à très-peu do chose près , les mêmes principes constitutifs que la chrysolite pierre gemme , ce qui prouvait que ceux qui avaient donné le nom de chrysolite des volcans à la pierre de cette espèce , qu’on trouve en si grande quantité dans certaines laves, avaient été fondés à l’appeler ainsi.

Les chimistes qui marchaient sous l’étendard de Kla- proth ayant répété ses analyses , convinrent qu’il avait raison, et voilà que le nom de chrysolite des volcans fut restitué à la pierre , et que le mot d’olivine fut renvoyé à Werner. Ce fait démontre combien il est dangereux pour les sciences humaines de changer des noms dont l’acception est déterminée, et qu’un long usage a sanc- tionnés , ce mot fût-il mauvais en lui-même.

Il résulta de ce nouveau changement , que les minéral logistes qui eurent occasion de parler de la chrysolite des volcans furent obligés , pour se faire entendre , de la désigner dans la synonymie, i°. par le nom de chry- solite des volcans des ancierts naturalistes ; 2°. par le nom d '‘divine de Werner ; 3°. par le nom de chrysolite des volcans d’après l’analyse de Klaproth. Il fallut donc re-

29

DANS LES DEUX S I C I L E S. pétro - silex , renfermant des feld - spaths en lames , brillans dans les cassures , et des schorls

venir sur ses pas, après avoir jeté cette epine dans la science.

Mais comme il était dans la destinée de cette pierre de passer d’un nom à un autre, il arriva que Dolomieu , en analysant la chrysolite gemme qui avait servi de compa- raison à Klaproth lorsqu’il analysa la chrysolite des vol- cans , crut reconnaître que la chrysolite gemme de Valle- rius, de Romé de Lille , de Sage, et de tous les minéra- logistes suédois , allemands et autres , n’était plus une chrysolite , mais un péridot. Ce nouveau nom ne manqua pas d'être accueilli, et lorsqu’on demanda à ce naturaliste ce qu’il fallait faire du mot de chrysolite dont Pline , Théophraste , et tous les minéralogistes avaient fait usage jusqu’à ce jour, sans l’excepter lui-même, il répondit qu’il fallait le bannir. Ainsi, malgré sa haute antiquité et tous ses titres , la chrysolite disparut , le péridot la remplaça ; et lorsque dorénavant des minéralogistes ins- truits découvriront des chrysolites dans de nouveaux volcans, ils seront forcés , pour se faire entendre, d’ajou- ter une symonymie de plus aux trois précédentes.

Vainement pourra- t-on dire que l’analyse chimique du péridot a plus de rapport avec ce qu’on appelait la chrysolite qu’avec toute autre pierre , et que la chryso- Jite des volcans a elle-même de grands rapports avec le péridot , tout cela est bien loin de prouver qu’il faille changer le nom de chrysolite des volcans. Je crois au contraire que si l’on veut enfin s’entendre , il faut Iut restituer son nom primitif, qui était entendu de tout le

C 3

Oc VOYAGES

noirâtres et informes. Sa couleur est celie de la trique cuite ; on le trouve en blocs isolés, et

monde , qui était consigné dans les auteurs qui les pre- miers ont défriché les terreins volcaniques, et en ont fait connaître les nombreux produits ; tandis que ceux qui sont venus long' temps après eux , et qui ont profité de tous leurs travaux, semblent prendre à tâche d’embrouil- ler de plus en plus la science. S'ils s'étaient donné la peine d'examiner avec attention la nature sur les lieux , ils auraient été à portée de vérifier que la chrysolite des vol- cans forme des masses extrêmement volumineuses pesant quelquefois soixante à quatre-vingts livres *, qu’elle n’est formée que de l’agrégation d’une multitude de très-pe- tits fragmens anguleux et irréguliers d’une pierre plus ou moins brillante , plus ou moins transparente , plus ou moins dure , plus ou moins altérée, qui peut avoir des principes analogues à ceux du péridot par l’analyse chimique , mais qui en diffère essentiellement par la ma- nière dont elle s’altère et se décompose, par les masses qu’elle forme , par les lieux elle se trouve: son ana- logue , si nous pouvons nous exprimer ainsi , n’ayant été reconnu jusqu’à présent que dans les déjections volca- niques. Sans doute ces caractères sont bien sufîisans pour engager les naturalistes qui ont véritablement à cœur le progrès de la science , à lui restituer le nom qu’elle était en possession d’avoir depuis si long-temps , sauf à don- ner , à la suite de la description de cette pierre , l’ana- lyse exacte de ses principes constitutifs , et d’ajouter, si l’on veut , que les mêmes élémens se trouvent , en tout ou en partie, dans la pierre gemme connue sous le nom de péridot. F .

DANS LES DEUX SICILE S. 3l il en est tel qui peut peser plusieurs milliers de livres. Sa cassure est compacte , écailleuse; il se brise en morceaux irréguliers , transparens dans les angles : il étincelle faiblement sous le briquet. La couleur de sa base a teint en rouge les feld- spaths , accident qui se remarque dans certains porphyres orientaux.

Mais ce porphyre , rejeté du sein du volcan , a-t-il souffert la fusion, ou bien se trouve-t-il dans son état naturel , n’ayant éprouvé tout au plus qu’une simple calcination ? Je ne saurais dé- cider positivement cette question ; mais la se- conde conjecture me paraît la plus vraisem- blable, ayant remarqué dans les parties même les plus internes de ce porphyre, certaine altéra- tion qui paraît être l’effet d’une véritable calci- nation.

La pâte de cette roche s’est ramollie au four- neau : les feld-spaths se sont conservés intacts ; les schorls se sont vitrifiés.

Les excavations , les larges et profonds sillons creusés par les eaux des pluies , et s’étendant du pied de la montagne jusqu’au sommet, m’ont donné la facilité de découvrir et de décrire toutes ces substances pierreuses ; hors de-là on ne voit que la croûte nue et superficielle du tuffa. Ces

C 4

VOYAGES

Sa-

substances n’ont point coulé $ elles se trouvent dans un état d’isolement qui fait croire que, lan- cées en l’air par les bouches volcaniques , elles sont venues tomber et s’ensevelir dans le tuffa.

Quand on a atteint le sommet de la montagne, onvoit s’ouvrir àl’ouest une plaine spacieuse le tuffa , devenu terreux, est employé à la culture du froment et des vignobles. Des morceaux de verre semi- transparent et noirâtre brillent à sa surface : c’est un des plus purs et des plus éclatans que fournisse File. Curieux d’en connaître l’ori- gine, je ne tardai pas à la découvrir en faisant creuser dans le lieu même. La couche de tuffa n’a environ que trois ou quatre pieds d’épaisseur ; au-dessous gisent les pierres ponces. C’est avec ces pierres que se trouve mêlé en abondance le verre que la charrue, ou d’autres instrumens aratoires, ramène à la surface de la terre , lorsqu’on la pré- pare pour recevoir les semences.

A l’extrémité de la plaine , se trouvent les Etuves , situées sur une pente douce d’environ deux cents pieds de longueur. Quelque préven- tion favorable qu’un voyageur ait pu concevoir pour elles d’après leur renommée , elle doit s’é- vanouir en leur présence. C’est un groupe de quatre ou cinq excavations en forme de grottes, plus semblables aux tannières des ours qu’à des

/

DANS LES DEUX SICILE S. 33 habitations d’hommes , et l’art se montre in- finiment plus près de son enfance que dans les cabanes des castors. Chaque grotte a dans le fond un soupirail naturel qui donne entrée aux vapeurs chaudes et humides , et une ouverture en haut qui procure leur sortie. J’entrai dans une de ces grottes , mais je ne pus y rester long- temps, moins à cause de la chaleur , car le ther- momètre n’y montait qu’à quarante-huit degrés deux tiers , que de je ne sais quoi de suffocant qui remplissait son atmosphère intérieure. Ces Etuves n’en ont plus que le nom 5 elles sont pour ainsi dire abandonnées 5 mais quand elles con- serveraient leurs vertus, et seraient avantageuses dans certaines maladies , comment pourrait-on s’en servir puisqu’elles manquent des commo- dités les plus indispensables à des malades?

A l’époque Doîomîeu visita ces Etuves , tout le terrein environnant était pénétré de vapeurs brûlantes qui, sous la forme d’une fu- mée épaisse , s’élevaient par de petites ouver- tures naturelles d’un ou deux pouces de dia- mètre 5 mais , comme il arrive presque toujours dans les volcans la présence du Feu se ma- nifeste plus ou moins , les choses avaient bien changé depuis ce temps-là. Je n’y trouvai plus qu’un trou d’environ un pouce de diamètre, d’où

VOYAGES

54

sortait de temps en temps une fumée très -lé- gère sentant le soufre. L’ayant agrandi , je dé- couvris à l’entour des pyrites molles qui s’étaient engendrées par l’union du fer avec le soufre. Au reste , j’ai été assuré par l’abbé Trovatini , dont j’ai déjà produit l’autorité dans cet ouvrage, que dans certain temps il s’exhale encore autour des Etuves des bouffées de fumée , et je dois ajouter que, non-seulement je sentis une odeur de soufre . en approchant de ce lieu , mais qu’ayant fouillé dans le sol à la profondeur d’un pied, je trouvai et cette odeur plus forte , et la chaleur plus considérable. Ces étuves, et les bains chauds dont je parlerai plus bas , sont les seuls monu- mens de File qui attestent la présence d’une in- flammation sulfureuse , et d’un volcan couvent encore les dernières étincelles de son embrase- ment (i).

(i) J’ai prouvé, dans le chapitre XIII, que les dé- compositions des divers produits de Stromboli et de Yulcano sont occasionnées , non par l’acide muriatique auquel Sage prétend que Ton doit rapporter les princi- pales altérations des volcans , mais par les exhalaisons acido-sulfureuses. Je pense avec Dolomieu , que les dé- compositions qui se font remarquer aux environs des Etuves de Lipari proviennent de la même cause, et l’on ne peut en douter , quand on voit les restes de fumées sulfureuses qui s’en exhalent, et l’abondan ce des sulfates de chaux qui y régnent. Nvte de l’auteur .

DANS LES DEUX S I C I L E S. 35

Après avoir décrit: les Etuves de Lipari telles qu’elles existaient de son temps , Dolomieu exa- mine les altérations que les vapeurs acido -sulfu- reuses ont fait subir aux laves de ce lieu ; il dit que j non- seulement elles sont devenues plus tendres , plus légères , mais qu’en perdant leurs couleurs primitives , elles ont pris une teinte blanche, avec des couleurs superficielles et inté- rieures, jaunes, rouges, violettes, et toutes les autres nuances que peuvent produire les oxides de fer. Il observe qu’elles sont revêtues pour la plupart d’une croûte épaisse de sulfate de chaux qui pénètre souvent jusque dans leur intérieur ; et que d’autres sont recouvertes d’une croûte de mine de fer limoneuse. Il explique ensuite, d’une manière très- claire, comment la combinaison de l’acide sulfureux avec les diverses terres dont une lave est composée , peut la rendre plus légère et diversement colorée.

Comme j’ai fait trois voyages aux Etuves pour y étudier avec soin ces diverses décompositions , je peux ajouter quelques observations nouvelles à ce qu’en a dit notre voyageur français.

Il était important de savoir à quel genre de laves , prises dans l’état les laisse le feu , appartenaient celles que je voyais ici dans un état d’altération. Les expériences que j’avais déjà ten-

VOYAGES'

36

téès, soit à la Solfatare de Pouzzole ,$oit ailleurs, m’ayant appris que leur décomposition va pour l’ordinaire en diminuant de la surface au centre, je pensai que, pour en obtenir les connaissances que je desirais , le meilleur moyen était de creu- ser dans leur intérieur, jusqu’à ce que je fusse parvenu au point elles sont parfaitement saines. Si la plupart d’entr’elles portent une cou- leur blanche tirant sur le rouge, il en est encore qui conservent des teintes sombres. Je commen- çai par examiner ces dernières ; et , présentant leur surface à la lumière du soleil , j’y vis je ne sais quoi de brillant qui m’engagea à les obser- ver au microscope. Alors je découvris une agré- gation d’innombrables globules de fer hématite qui s’étendaient comme un voile sur ces laves. J’en détachai plusieurs sans toucher aux parties in- ternes, et les ayant triturés , ils me donnèrent une poussière de couleur rouge semblable à celle de l’hématite noirâtre. C’était donc un dépôt d’oxide martial conformé en globules 5 sous ce dépôt, il y en avait un autre d’oxide de fer rouge , mais ter- reux 5 ensuite ces laves me parurent blanches , à la réserve de quelques stries d’un rouge noi- râtre , parallèles entr’elles , et légèrement om- brées d’une teinte jaunâtre. Elles étaient tendres, légères , compactes 5 elles s’attachaient à la lan- gue , se laissaient pénétrer par l’eau ; pâteuses

DANS LES DEUX S I C I L £ S. 5 J

comme Pargile , elles n’en avaient pas l’odeur 5 semblables à des laves simples , elles paraissaient ne point receler de corps étrangers. Leur cassure conchoïde, et le son qu’elles rendaient sous le marteau , son analogue à celui de certains pétro- silex , me donnèrent quelque soupçon qu’elles appartenaient à ce genre de roche. Ce soupçon se fortifia à mesure que je pénétrai dans leur in- térieur. A la profondeur de deux pieds , je vis la couleur grise remplacer la blanche , et toutes les autres apparences , s’affaiblissant peu à peu , laisser aux laves un aspect siliceux ; , elles commençaient à donner quelques étincelles sous le choc du briquet. Enfin , plus intérieurement, elles manifestaient avec évidence leur base de pétro-silex , mêlée avec de petits schorîs qui n’é- taient point apparens dans les parties décompo- sées, probablement parce que la décomposition les avait aussi gagnés.

J’observai à-peu-près les mêmes gradations dans les laves qui, à leurs surfaces, paraissent blanches avec des nuances rouges. Insensible- ment le rouge s’évanouissait dans leur intérieur $ le blanc cédait peu à peu la place au gris , qui acquérait du lustre. Ces laves prenaient de la dureté , et finissaient par se montrer avec tous les caractères du pétro- silex.

38

VOYAGES

Une d’elles , diaprée de blanc et de rouge fleur de pêche , était piquée à sa surface de points pulvérulens : c’étaient des feld-spaths décompo- sés, mais qui conservaient encore un reste de cristallisation. Cette lave, plus altérée que les autres par les acides, avait plus de mollesse, plus de tendance à la friabilité. Cependant , à deux pieds de profondeur , elle était dure , pesante et grise , et les feld-spaths y reparaissaient entiers dans sa base pétro-siliceuse.

Dans la description que j’ai donnée des divers produits de la Solfatare de Pouzzole , on a vu que ces cristaux résistent fortement à l’action des acides , et que souvent même ils en sont à peine atteints , que leur base est déjà tombée dans une décomposition complète. Si donc les feld-spaths de la lave actuelle sont autant alté- rés que leur base , il faut en conclure que les acides ont exercé dans ce lieu une influence bien puissante. En général, j’ai trouvé cette espèce de lave pâteuse , et presque savonneuse , carac- tère qui accompagne d’ordinaire de semblables décompositions.

Je ferai encore mention d’une brèche volca- nique , ayant pour base le pétro-silex , l’ac- tion des acides n’a pénétré que de quelques pouces. Cette base , même à sa surface , n’a pas

DANS LES DEUX SIC ÎLE S. 5$

tout -à- fait perdu sa couleur naturelle , sem- blable à celle du fer. On y trouve incorporées de petites masses irrégulières de laves blanchies , et qui tombent en poussière : celles-ci ont donc cédé plus facilement à la décomposition. Cepen- dant si Ton pénètre plus loin dans l’intérieur de la brèche , on les retrouve intactes , et on re- connaît que ce sont des fragmens de laves à pierre de corne.

Quoique la plupart des laves des Etuves de Lipari aient beaucoup souffert de l’impression des vapeurs acido - sulfureuses , il en est pour- tant qui ne donnent aucun signe d’altération. Je me contenterai de citer une de ces dernières , qui me parut aussi bien conservée que si elle avait été formée la veille par le feu volcanique. Elle saillit hors de terre en grosses masses; elle a la couleur du fer , le grain très-compacte , la cassure conchoïde ; les morceaux en sont tran- chans par les bords, et étincelans sous le choc de l’acier. On doit la ranger parmi les laves les plus pesantes et les plus dures : elle met en mou- vement l’aiguille aimantée à la distance de deux lignes ; sa base est un pétro-silex qui renferme des aiguilles très-brillantes de feld-spath. Il est donc certain que les acides ne l’ont point en- dommagée , non qu’ils soient impuissans à son

VOYAGES

4o

égard, mais sans doute parce qu’ils ne l’ont £as attaquée.

Le sol sous lequel s’étend le foyer d’un incen- die volcanique a des ouvertures, des soupiraux qui dorment passage aux fumées sulfureuses , et les laves qui se trouvent dans leur voisinage en sont plus ou moins affectées 3 mais il a aussi des parties impénétrables à ces mêmes fumées , les laves ne sont exposées à d’autres influences qu’à celles du temps. J’ai vu cette dissémination de vapeurs sulfureuses sur le Vésuve , l’Etna , le Stromboli, et j?ai eu soin de le faire remarquer à mes lecteurs. Ici la décomposition s’étend à un si grand nombre de laves , et les pénètre pour la plupart si profondément , que l’on doit sup- poser que ces vapeurs se sont ouvert des passages en une infinité d’endroits , et qu’elles ont existé long-temps. Cependant leur énergie peut quel- quefois suppléer à leur durée. J’ai été témoin sur le Vésuve de l’éruption d’une lave. Déjà plu- sieurs rameaux latéraux avaient cessé de se mou- voir ; j’en vis deux entr’autres qui , pour s’être laissé pénétrer par un nuage épais de ces vapeurs, étaient déjà à demi-décomposés , quoiqu’ils fus- sent dérivés d’un courant qui avait débouché de- puis peu de mois par les flancs de la montagne. Il faut encore convenir que les diverses qualités

des

DANS LES DEUX SICILES. 4l des laves, en tant qu’elles contiennent plus ou moins de principes calcaires , argileux et mar- tiaux, tous susceptibles de combinaison avec les acides sulfureux , influent toujours sur leur dé- composition, et la rendent plus ou moins facile.

La décomposition influe à son tour sur la fu- sibilité des laves. Quand elles sont saines , elles se fondent sans difficulté ; quand elles renfer- ment un principe d’altération , elles résistent plus long-temps à l’action du feu ; enfin quand la décomposition les a tout- à- fait gagnées , elles sont réfractaires, La raison de ces diffé- rences est claire. Le feu agit d’autant moins sur les terres qu’elles sont plus pures , et si on les lui soumet isolément, il ne les fond point, à moins que l’on n’élève sa puissance au plus haut degré. Mais leur mélange en facilite la fusion ; elles se servent réciproquement de flux , sur-tout quand l’alumine et la chaux se trouvent combinées avec la silice dans le rapport respectif d’un à trois. Je n’ai point traité de laves je n’aie rencontré ces trois terres ; et quoiqu’elles n’y existassent pas dans la proportion ci-dessus, leur mélange suffisait pour que j’en obtinsse la fusion. Mais la chaux qui sert de fondant à la silice par la voie sèche , s’affaiblit considérablement dans la décomposi- tion des laves , en formant le sulfate de chaux Tome III . D

VOYAGES

par son intime union avec l’acide sulfureux. Voilà donc un premier obstacle à leur fusion : nous en trouverons un second dans la diminution de l’alu- mine qui , se combinant avec le même acide , forme le sulfate d’alumine que les pluies dissol- vent et entraînent avec elles ( 1 ), Enfin la priva- tion du fer peut être comptée pour un troisième obstacle qui s’oppose à la fusion des laves dé- composées.

Tous ces sulfates, unis à la plupart des laves des Etuves , forment aux yeux du naturaliste un spectacle agréable. Leurs couleurs sont très- va- riées ; les plus tranchantes sont le rose , le violet , l’orangé , et elles ont d’autant plus d’éclat, qu’elles reposent pour l’ordinaire sur un fond très-blanc.

Ces sulfates varient dans leur structure ; on peut en compter de trois sortes : la première est composée de lames parallèles , très- déliées , étroh tement unies, lustrées, compactes et opaques. Ces lames forment des couches qui ont quelque-

(1) Pour ôter toute équivoque, il est bon de répéter ici ce que j'ai dit chap. II , que les prétendues méta- morphoses delà silice et autres terres en argile, n’existent point dans la décomposition des laves: au contraire cette dernière terre éprouve dans ce cas une diminution par la raison alléguée. Note de l’auteur .

DANS LES DEUX SICILE S. 43 fois un pied d’épaisseur. Ces couches se dé- tachent facilement des laves auxquelles elles adhèrent.

La seconde est filamenteuse ; les filamens sont parallèles ou étoilés 5 dans le dernier cas , ils constituent des espèces de pyramides dont le sommet se réurï^ au centre de l’étoile , et la base à la circonférence. On en trouve de très- gros morceaux uniquement formés par l’agré- gation de ces pyramides.

La troisième est composée de lames fines et brillantes , un peu élastiques , transparentes et très-tendres. Elle a la cristallisation indétermi- née du sulfate de chaux, ou pierre spéculaire; mais ce sulfate est rare , et ses cristaux sont toujours très-petits.

Quant aux couleurs rouges , jaunes ou vio- lettes dont se parent les laves décomposées, il est évident qu’elles sont produites par le fer qui préexistait dans ces laves , et qui , altéré lui- même par les acides , se modifie de plusieurs manières , et engendre toute cette variété de teintes. C’est encore ce métal oxidé qui colore diversement les sulfates de chaux , sulfates for- més par la combinaison de l’acide sulfureux avec la chaux, qui , ayant perdu son adhésion avec

D a

VOYAGES

44

les principes constituans des laves , est restée h découvert ; mais c’est par la privation entière de ce métal que les laves entièrement décomposées blanchissent. En effets elles n’agissent plus sur l’aiguille aimantée, tandis que les autres l’attirent constamment.

Je terminerai cette discussion sur les produc- tions des Etuves de Lipari par quelques obser- vations relatives à diverses espèces de zéolites que j’ai découvertes dans les environs. Je les no- terai chacune séparément , en y joignant la des- cription de leur matrice.

Première espèce * Sa matrice est une lave à base de pierre de corne , teinte d’un brun foncé , grenue dans la cassure , et qui étincelle à peine sous le choc de l’acier. Elle ne paraît pas alté- rée par l’acide sulfureux. Elle est parsemée de petites cavités oblongues presque toutes dirigées dans le même sens, et qui probablement se sont formées pendant son écoulement. C’est dans ces cavités que l’on trouve la zéolite. Au premier aspect on la prendrait pour une stalactite de cal- cédoine ; elle est mammelonée , ou en forme de grappe de raisin ; sa couleur est un blanc bleuâtre et perlé 5 sa cassure est siliceuse , un peu transpa- rente. Mais elle a trois propriétés qui la caracté- risent : la première est de former une gelée avec

DANS LES DEUX SICILE S. 45 les acides minéraux ; la seconde est de jeter des lueurs phosphoriques semblables à réclair, quand elle est sur le point de se fondre 5 la troisième est de se gonfler et de bouillonner, pour ainsi dire, dans la fusion. Quoique chacun de ces caractères ne soit pas privativement celui des zéolites, ce- pendant leur réunion suffit pour en fixer la na- ture. Il faut donc placer celle-ci au rang des zéolitesqui n’ont aucune forme déterminée. Ses grains ou mammelons n’adhérant à la lave que par quelques points , peuvent s’en détacher tout entiers. Les plus gros ont cinq lignes de longueur sur deux ou trois de largeur. La forme en grappe est la plus ordinaire à cette zéolite : elle prend quelquefois celle d’un globule alongé qui rem- plit toute la cavité il se trouve. Au reste , il s’en faut beaucoup que chaque cellule enferme une de ces pierres $ sur cent , il y en a , pour Je moins, quatre-vingt-dix de vides. Quant à leur couleur , elles sont en général salies par une poussière ferrugineuse de couleur oran- gée.

Le chalumeau a de la peine à fondre cette zéolite y il faut plusieurs secondes , avec le gaz oxigène , pour obtenir sa fusion complète. Elle se convertit alors en un émail blanc comme la neige et rempli de bulles. Elle jette, comme je

B 3

VOYAGES

4S

l’ai déjà remarqué , de petites lueurs phospho- riques semblables à réclair, quand elle est sur le point de se fendre 5 elle bouillonne et se gonfle quand elle est dans une fusion complète.

Seconde espèce . On la trouve dans quelques morceaux de la lave précédente; mais elle a des caractères qui lui sont particuliers. Elle a enduit d’un léger vernis les cavités de la lave, et formé par-là des géodes, qui pourtant ne sont pas in- térieurement cristallisées. Cette zéolite , dont la couleur tire sur le blanc , est plus transparente que la précédente; elle coupe le verre aussi bien que le ferait le cristal de roche. Les acides miné- raux n’ont aucune prise sur elle , même étant ré- duite en poudre, tandis qu’ils font une gelée avec la zéolite de la première espèce. En se fondant au gaz oxigène, elle jette un éclair léger et brillant ; elle bouillonne , et se convertit en un globule vitreux et blanc.

Il n’est pas rare de trouver dans ces géodes de petites lames de sulfate de chaux transparentes. Pour m’assurer de la nature de ce sulfate, j’en ai mis cent grains pulvérisés dans six cents d’eau distillée et bouillante. La solution s’est faite , et l’acide oxalique a précipité la chaux.

Troisième espèce . Elle paraît sous la forme

DANS LES DEUX SICILES. 4? de globules ovoïdes , salis à leur surface par un nuage terreux, mais très- blancs dans l’intérieur. Ils sont composés de petits faisceaux de fibres opaques , striés , soyeux et lustrés , qui partant du centre des globules , divergent à la circon- férence, et se présentent comme autant de cônes renversés. Ces globules, dont les plus grands ont quatre lignes de diamètre , existent dans les ca- vités d’une lave argileuse , légère , friable , et les remplissent entièrement. Quelquefois, au lieu de globules , on y trouve de petits groupes de zéolites à facettes , mais si confuses , qu’on ne peut en déterminer la cristallisation. On voit seulement qu’elles dérivent de la même subs- tance ; que , dans le cas cette substance a été assez abondante pour remplir toute une ca- vité de la lave , elle a engendré des faisceaux de fibres qui ont pris extérieurement une forme sphérique; que dans le cas contraire, et lorsqu’il lui est resté un espace libre, elle s’est plus ou moins cristallisée , en laissant toutefois un petit vide dans le milieu , ce qui donne aux groupes de pierres qu’elle a formées le caractère de la géode.

Le chalumeau fond très- promptement, et met en ébullition cette troisième espèce de zéolite. Une lueur phosphorique annonce sa fusion , et

D 4

48 VOYAGES

il en résulte un globule perlé , vitreux , semi- transparent , très-abondant en bulles. Si l’on brise ce globule, ce qui ne peut se faire que d’un coup de marteau fortement appuyé, on obtient des éclats dont les pointes sont propres à couper profondément le verre.

Cette zéolite , plongée dans les acides , s’at- tache bientôt au vase sous la forme d’une croûte, qui ne tarde pas à son tour de se résoudre en une gelée transparente et tremblante, semblable à celle de la corne de cerf.

Quatrième espèce. Sa matrice est une lave à base de pierre de corne qui constitue deux es- pèces , ou , si l’on veut , deux variétés. La pre- mière est grenue , rude au toucher et friable. La seconde est un peu moelleuse ; elle a de la finesse dans le grain et de la solidité : toutes les deux sont grises et sentent Pargile. Les zéolites renfermées dans ces deux laves paraissent sous la forme de globules de diverses grosseurs , mais vides en dedans , et formant autant de géodes dont la cristallisation est plus ou moins avan- cée. En l’examinant dans ses divers degrés de perfection , on voit que lorsque la substance de la zéolite s’est trouvée trop à l’étroit dans les cavités de la lave , les prismes tétraèdres ré- sultans de sa cristallisation n’ont été qu’ébau-

DANS LES DEUX S I C I L E S. 49 chés que lorsqu’elle a joui d’un peu plusxTes- pace , leur organisation a été moins imparfaite ; et qu’enfm , lorsqu’elle a pu s’étendre librement , ils ont pris tout leur développement. Chaque prisme a quatre faces , et il est tronqué. Il faut cependant en excepter un petit nombre qui sont terminés par une pyramide tétraèdre. Les uns ont la blancheur du lait et sont semi-transpa- rens : les autres ont la limpidité des cristaux quartzeux.

Ces gaodes se fondent très-facilement au cha- lumeau 5 elles offrent les phénomènes ordinaires de l’ébullition et de la phosphorescence. Les produits qui résultent de leur fusion et de leur mélange avec les acides, sont semblables à ceux des zéolites de la troisième espèce. La gelée qu’elles forment dans ce dernier cas est seule- ment un peu moins visqueuse.

Cinquième espèce. Une lave argileuse teinte en gris foncé , légère , et ayant une consistance terreuse, renferme cette cinquième espèce de zéolite , qui se montre sous la forme de petites sphères blanches comme la neige. Elles sont très-nombreuses, et occupent chacune une ca- vité de la lave. Elles varient dans leur grosseur: les plus petites ont à peine un tiers de ligne , et les plus grandes trois lignes. Leur surface est

5 o

VOYAGES

un peu raboteuse , à cause d'une multitude points qui , vus à la loupe , se font reconnaître pour les bases de petits prismes tétraèdres tron- qués.

En ouvrant ces sphères , on s’apperçoit que les prismes se prolongent au-dedans5 et s’avancent en s’amincissant jusqu’au centre 5 ou , pour parler plus juste , que les sphères ne sont elles-mêmes que le résultat des prismes assemblés et unis dans leur longueur. La portion des prisme plongée dans les sphères est opaque ; mais un certain degré de transparence caractérise celle qui en sort. Il faut observer que , quoique le plus grand nombre des sphères soit entièrement solide, il en est plu- sieurs qui ont une cavité ronde dans le centre , oc- cupant quelquefois un dixième de leur volume.

Cette zéolîte est la plus tendre de toutes celles dont j’ai parlé jusqu’à présent. On peut , avec un couteau , la racler et l’entamer.

Sixième et dernière espèce . La lave précé- dente sert également de matrice à cette zéolite, une des plus belles que les naturalistes aient découvertes. EÜeest organisée en petits cristaux transparens , limpides , qui réfléchissent la lu- mière avec vivacité , et brillent comme des dia- raans. Ils tapissent les cavités de la lave ; mais

DANS LES DEUX SICILE S. 5 1

ils y sont inégalement répartis. Les plus grands ont environ une ligne , les plus petits en ont à peine le quart. Il n’est pas facile de les obser- ver sur la lave ; mais on parvient , avec de l’a- dresse , à en détacher quelques-uns , et alors on peut les examiner à la loupe sous toutes leurs faces. Chaque cristal est aplati dans sa partie qui repose sur la lave; dans tout le reste, il affecte une forme globuleuse , et manifeste sa cristallisation. Les cristaux isolés y je veux dire ceux qui se sont formés sans s’attacher à d’autres cristaux, ont dix-huit facettes à cinq ou à quatre côtés , jamais à trois 5 mais ils sont très -rares. Tous les autres sont agrégés ensemble , et grou- pés confusément. Quoique plusieurs d’entr’eux le disputent en transparence avec le plus beau cristal de roche , ils lui sont bien inférieurs en dureté, puisqu’à peine ils rayent le verre.

J’avais d’abord pensé que cette zéolite n’était qu’une simple modification de la cinquième es- pèce qui s’était cristallisée quand elle avait trou- vé un espace libre \ mais l’observation m’a fait changer de sentiment. J’ai vu souvent les petites sphères blanches qui constituent la cinquième espèce , n’occuper que la moitié de la cavité de la lave , sans jamais prendre la forme de la sixième espèce, et jfai constamment observé que ,

VOYAGES

5%

dans ce cas , leurs prismes tétraèdres sortent davantage hors de la convexité de la sphère, et ont plus de transparence.

Cette différence d’organisation en amène une autre dans les résultats , quand on soumet à l’ac- tion du feu et des acides ces deux zéolites.

Les acides n’agissent pas sensiblement sur la sixième espèce, et cependant ils réduisent la cin- quième en flocons gélatineux. Le feu, au bout d’une demi-heure , convertit la sixième en pe- tites gouttes de verre transparent , et ne fait que ramollir la cinquième, qui, pour se fondre, exige un plus long temps. Le petit globule qui en ré- sulte alors, est un verre opaque, couleur de lait. Du reste, j’ai observé, en traitant ces deux es- pèces de zéolites avec le gaz oxigène , qu’elles jouissent l’une et l’autre de la propriété de jeter une lueur phosphorique à l’instant de leur fu- sion.

L’examen que je venais de faire des zéolites de Lipari , me donna l’idée de rapprocher les résultats que j’en avais obtenus, de ceux que m’ofFriraient les zéolites d’Islande , uqui passent pour jouir au plus haut degré de la propriété de se dissoudre en un corps gélatineux. Celle que je choisis pour cette expérience était très-blanche 5

DANS LES J) EUX SIC ILE S. 53 elle présentait un groupe de petits faisceaux co- niques étroitement aglutinés, et croisés en divers sens , dont les extrémités divergentes se termi- naient en une multitude d’aiguilles configurées en cylindres imparfaits. Plongée dans les acides, cette zéolite me donna promptement une gelée très-belle , à la vérité , mais non supérieure à celle de la troisième et quatrième espèce de Li- pari. Elle se gonfla dans le fourneau , devint très- légère , mais ne se fondit pas. Traitée avec le gaz oxigène elle se convertit en un émail cou- leur de lait , dur et rempli de bulles.

Je voulus ensuite savoir quels étaient les rap- ports qui existaient entre les zéolites de Lipari et celles des autres pays , observées par divers naturalistes. J’en comparai les descriptions , et je reconnus que la première espèce est très-ana- logue à la zéolite de Ferrbe , que Born a décrite dans son Lithophylacium , en disant qu’elle res- semblait à la calcédoine stalactite.

La seconde espèce a la dureté de quelques zéolites cristallisées de Pîle des Cyclopes de l’Et- na. Ces dernières, comme l’a observé Dolomieu, et comme je l’ai éprouvé moi-même, le cèdent peu, à cet égard, au cristal de roche.

Les trois autres espèces ne différent pas essen-

^ ,/ -

VOYAGES

54

tielîement de celles qui ont été trouvées dans Pisle de Ferrée , dans le Vivarais , &c. et qui ont été décrites par Vallerius, Born > Bergmann et Faujas.

La sixième espèce est nouvelle ; du moins je ne connais aucun auteur qui ait parlé d’une zéo- lite dont les cristaux isolés portent constamment dix-huit facettes 5 et quant à ses qualités, j’ignore s’il en existe qui aient autant d’éclat et de trans- parence.

Il paraît que le cube est la forme primitive de la zéolite , celle qu’elle prend toujours quand sa cristallisation ne rencontre aucun obstacle. Cette forme se modifie plus ou moins suivant les cir- constances. Ainsi la première et la seconde es- pèce de Lipari sont irrégulières $ la troisième ma- nifeste un principe de cristallisation ; les prismes tétraèdres de la quatrième et de la cinquième , et les cristaux de la sixième , sont probablement des modifications de la forme primitive. Enfin , je connais des zéolites cristallisées à vingt-quatre et $ trente facettes.

Quelques naturalistes prétendent que la zéo- lite de Ferroe , la plus blanche et la plus pure des zéolites , est la seule qui fournisse un verre blaac et transparent. Je donne la préférence au

DANS LES DEUX SICILE S. 55 verre de la sixième espèce de Lipari ; sa couleur est aqueuse , et sa transparence égale à celle du cristal quartzeux. Je ne connais que les cris- taux zéolitiques des îles des Cyclopes qui puissent en produire d’aussi parfait.

Tous les minéralogistes savent que Cronstedt a été le premier à distinguer cette pierre des carbonates de chaux avec lesquels on la con- fondait , et à mettre au jour quelques-unes de ses principales qualités. Il observa que les acides minéraux ne faisaient point effervescence avec elle j mais qu’ils la dissolvaient lentement en un corps gélatineux. Cette dissolution lente , cette conversion en gelée, n’ont pas toutefois une pro- priété si inhérente aux zéolites , qu’il ne s’en trouve plusieurs que les acides les plus concen- trés ne peuvent attaquer. Des six espèces de Lipari, on a vu que la troisième et la quatrième se convertissaient promptement en une gelée transparente 5 que la première et la cinquième n’étaient pas aussi propres à cette conversion ; et qu’enfm la seconde et la sixième s’y refu- saient absolument.

Pelletier , dans son analyse de la zéoîite de Fîle Ferroe , a montré qu’il entrait dans sa com- position vingt parties d’alumine , huit de chaux.

VOYAGES

56

cinquante de silice , et vingt - deux de flegme. Bergmann, Mey er, Klaproth , ont analysé d’autres zéoiites. Les miennes étaient si petites, et j’en possédais si peu , que je n’ai pu tenter sur elles une longue suite d’expériences 5 cependant j’en ai fait assez pour m’assurer que la seconde et la sixième espèce contiennent une plus forte dose de silice que la zéolite analysée par Pelletier , et c’est peut-être la cause qui les empêche de for- mer un sédiment gélatineux. La surabondance de la terre quartzeuse ne permettant pas aux acides l’extraction de la chaux et de l’alumine , les principes constituans se maintiennent dans leur étroite union.

Non-seulement la dissolution gélatineuse n’est pas une propriété générale des zéoiites , mais elle ne leur appartient pas exclusivement ; l’ex- périence a démontré qu’elle est commune à plu- sieurs pierres les principes constituans étant les mêmes , se trouvent combinés dans une cer- taine proportion. En réfléchissant sur cette iden- tité de principes qui est la cause de leur conver- sion en gelée , il me vint en idée de faire un essai dont je donnerai ici le résultat. Les grenats décolorés du Vésuve contiennent, selon Berg- mann , cinquante-cinq parties de silice , trente- neuf d’alumine et six de chaux. Comme j’en avais

fait

DANS LES DEUX SICILE S. O?

fait une abondante récolte au Vésuve, j’imaginai de les traiter avec les acides de la même manière que les zéolites. Les trois premières espèces dont j’ai donné 'plus haut l’indication , ne manifestè- rent aucun signe de dissolution , même après les avoir réduites en pckidre. Il en fut autrement de la quatrième. Je n’employai pas, à la vérité , les grenats décrits sous cette espèce, car mon expérience eût été sans effet ; mais j’en pris d’analogues qui avaient été extrêmement ra- mollis par l’acide sulfureux , quoiqu’ils con- servassent encore leurs vingt -quatre facettes. L’acide nitrique les convertit au bout de treize heures en une gelée qui n’était pas , à la vé- rité , aussi belle que celle des zéolites. Il faut en conclure que cette aptitude à se dissoudre, ils la tenaient de l’altération qu’ils avaient éprou- vée , altération qui permettait à l’acide nitrique de les pénétrer , et d’agir sur eux comme il agit sur les zéolites.

On a cru que les zéolites étaient une pro- duction particulière aux pays volcanisés , parce que c’est-là qu’on a coutume de les trouver \ mes recherches pourraient fortifier cette opi- nion , si Linné , Cromstedt et d’autres natura- listes , n’avaient donné des preuves incontes- tables de leur existence dans des contrées ou Tome II L E

VOYAGES

53

Ton n’apperçoit aucuns vestiges des feux volca- niques (1).

C’est encore un fait mis hors de doute que les zéolites des volcans ne doivent point leur origine au feu; qu’elles y sont purement adventices, non dans le sens qu’elles ont préexisté aux éruptions

(i) Nul doute que l’on ne trouve la zéolite dans les pays il n’y a aucune trace de volcan. L’exemple que je vais citer d’après ce que j’ai vu moi-même sur les lieux , servira à confirmer cette vérité , et à jeter en même temps quelque lumière sur un point de fait qui n’est pàs encore parfaitement éclairci.

En visitant cette année les environs d’Oberstein , dont toutes les montagnes ne sont composées que d’une roche porphyrique très-variée , je poussai ma route jusqu’à Reichenbach , en suivant toujours les mêmes roches por- phyriques. Mon intention était de faire une étude ap- profondie des belles zéolites mêlées de cuivre qu’on trouve dans ce dernier lieu.

Reichenbach est un petit village bâti sur un plateau entouré de terres cultivées qui ne sont formées que d'une terre porphyrique produite par la décompositioh spontanée d’une roche de la même nature ; de manière qu’en fouillant à huit à dix pouces de profondeur , on trouve la roche à nu , et que la terre , examinée à la loupe , offre les mêmes élémens. Des portions assez con- sidérables de ce porphyre ont une teinte verdâtre très- vive; quelquefois elles sont colorées d’un verd bleuâtre;

DANS LES DEUX SICILE S. et qu’elles ont été enveloppées par les laves et incorporées en elles, comme le prétend un cé- lèbre volcaniste , mais, en tant qu’elles se sont engendrées après l’extinction des incendies, au moyen des eaux qui ont transporté et déposé leurs parties constituantes dans les cavités des laves , les différentes combinaisons, de leurs

et cette couleur , qu'on croirait due au fer, est néanmoins le produit d'un oxide de cuivre mêlé d’un peu de zinc, ainsi que je m'en suis assuré.

Des noyaux de zéolite , dont quelques-uns pèsent jusqu’à six livres , ont résisté à la décomposition qu’a éprouvée le porphyre dans les parties qui ont été livrées à la culture. C’est qu’il faut aller à la recherche des zéolites, particulièrement lorsqu’on vient de labourer les terres; ce qui met à découvert des noyaux isolés qu’on ne verrait point sans cela. Le hasard a fait que je m’y suis trouvé dans cette circonstance favorable , et après avoir parcouru un demi-mille de terrein superficiel , seul endroit l’on rencontre des zéolites, j'ai eu la satisfac- tion d’en recueillir environ vingt livres en divers mor- ceaux.

Il faut observer qu’un des plus considérables renferme non-seulement plus de six onces de cuivre natif en plaques compactes , susceptibles d'être limées , mais qu’il est adhérent à une portion de roche porphyrique. La zéolife est radiée , d’un blanc un peu verdâtre , formant gelée avec les acides ; en un mot , ayant tous les caractères d’une véritable zéolite.. Celle-ci est d’ailleurs très-con-

E 2

V O Y A G £ S

affinités en ont formé des corps tantôt informes , tantôt cristallisés , suivant les circonstances. On reconnaît évidemment cette génération dans ces beaux groupes de petites pierres quartzeuses que fai découverts dans certaines laves du rivage de Lipari en face de Vulc.ano ; on îa reconnaît dans les zéoiites dont fai donné la description , et sur-

arme des minéralogistes. Comme il existe des morreaux qui pèsent au-delà de sept à huit livres, je demande à présent ce que deviendrait cette matière , si un incendie souterrain se manifestait dans les environs de Reichen- bach, l’on trouve en outre des agathes, des noyaux globuleux de spath calcaire dans la roche porphyrique à base de trapp ? Il est évident que les feux volcaniques qui agissent sur les matières pierreuses d’une manière qui diffère totalement de celle produite par le feu ordi- naire des fourneaux , se comporterait ici comme dans les volcans éteints du Padouan, l’on découvre un® multitude de globules de spath calcaire, des calcédoines t des agathes, et beaucoup de zéoiites; c’est-à-dire que la zéolite de Reichenbaçh serait saisie par la lave envi- ronnante , et qu'il en serait de même du mandelstein des Allemands , ou toodstone des Anglais , c’est-à-dire , des globules de spath calcaire dont ce porphyre est lardé. Il arriverait sans doute , si le volcan que nous supposons ici existait sous les eaux de la mer , qu’à la longue le fluide aqueux opérerait des déplacemens et des cristal- lisations secondaires, tant calcaires que zéoîîtiques; mais il n’en serait pas moins Certain que Ces matières se se raient trouvées primitivement engagées dans \% roche

DANS LES DEUX SICILE S. 6l tout dans celles dont les cristaux prismatiques ont leur base sur les parois cellulaires des laves.

Je terminerai cette discussion par quelques considérations sur le gisement des zéolites vol- caniques. Dolomieu est persuadé qu’elles ne se trouvent que dans les lieux qui ont été couverts

porphyrique volcanisée. Cet exemple s’accorde avec les deux opinions différentes soutenues par les naturalistes: la première , que la plupart des zéolites qui existent en petits cristaux dans les cavités de certaines laves , y ont été secondairement déposées par l’eau ; la seconde , que la matière qui a fourni à tant de cristallisations existait auparavant , et a été saisie par la lave ; et que cette ma- tière à été le magasin les eaux se sont approvisionnées des molécules ^éolitiques , auxquelles il serait difficile d’attribuer une autre origine. En effet, d’où pourraient dériver les élémens de la zéolite que l’on découvre quelquefois en noyaux compactes dans le centre des ba- saltes les plus durs, et les plus susceptibles de recevoir le poli? Dira-t-on que ces élémens se trouvaient dans le basalte même? Mais l’eau qui les aurait déplacés pour les réunir dans des cavités , quelquefois considérables , aurait nécessairement opéré dans la contexture du ba- salte, des vides , des espèces de réseaux, dans les places même ces molécules auraient été saisies pour être transportées ailleurs; et dès -lors cette lave basaltique n’aurait plus ses pores serrés. Je renvoie , pour abréger cette note, à un mémoire particulier que je me propa#* de publier sur les zéolites de Reich enba ch. F

E 5

62 VOYAGE S

par les eaux de la mer. En effet , il a observé une immense quantité de testacées marins à deux cents toises au-dessus des laves zéolitiques des lies des Cyclopes et des montagnes de Trezza. On peut en dire autant des montagnes volca- niques du Vicentin , Ton voit à -la -fois de belles zéolites, et des dépouilles d’animaux ma- rins. Mais ces témoignages que l’auteur français produit en faveur de son sentiment , quelqu’irré- fragabies qu’ils soient en eux-mêmes , ne peuvent lui fournir que des conséquences particulières, et applicables aux seules zéolites qu’il a observées. Quant à celles de Lipari , on s’imagine bien que j’ai fait l’examen le plus attentif du site qu’elles occupent. La première espèce se rencontre à deux cents pieds environ de distance des Etuves dans la direction de la ville de Lipari ; les autres sont éparses sur l’escarpement de la montagne qui regarde le sud. Mais je puis assurer que ces lieux, et les îles Æoliennes en général, n’offrent ni dépouilles j ni empreintes de plantes ou d’ani- maux marins. Ce n’est pas sans doute une démonstration physique que le sol de ces îles n’a pas été anciennement couvert par les eaux de la mer j il est possible que les dépôts marins qu’on y chercherait vainement aujourd’hui, aient été détruits par une cause quelconque, et les causes de destruction ne manquent point dans

î) A N S L DEUX SICILE S. 63 un pays travaillé par le feu 5 mais il faut convenir que l’absence de ces depots nous prive d’un des plus beaux témoignages que la mer puisse laisser de ses inondations , et que dans des lieux tout est volcanique , il est difficile d’imaginer des preuves qui suppléent à celle-là.

Que l’eau soit le principe générateur des zéo- lites , et non le feu , c’est ce que prouvent suffi- samment l’eau de cristallisation plus ou moins abondante qu’elles renferment , et leur présence dans des contrées qui n’ont jamais été volcani- sées * telles que plusieurs provinces de la Suède 5 que cette eau soit quelquefois provenue de la mer , c’est ce dont on ne peut douter d’après les observations de Dolomieu ; mais il n’en est pas moins démontré que , dans certains cas , les zéolites doivent leur génération à l’eau douce > et Bergman nous en fournit un exemple. Il existe., dit-il , dans l’Islande , près de Laugarnes , une eau thermale qui est bouillante en sortant de terre. Tant qu’elle conserve sa chaleur , elle ne laisse après elle aucun sédiment 5 mais loin de sa source, et quand elle est refroidie, elle dépose au fond de son lit un sédiment véritablement zéolitique , ainsi que le prouve l’analyse que j’en ai faite (1). Cette eau étant très -chaude,

(1) Opusc. v. III.

E 4

VOYAGES

64

ajoute Bergman , elle tient en dissolution la ma- tière de la zéolite , qui l’abandonne ensuite , et se précipite sous la forme de stalactite , lorsque son dissolvant , en perdant sa chaleur , n’a plus le pouvoir de la soutenir. Ce fait est important, et l’explication qu’en donne Bergman convient parfaitement aux zéolites qui se forment dans les volcans. En efFet , des eaux , soit douces , soit salées , fortement échaufFées par les feux sou- terrains, doivent dissoudre les substances zéo- îitiques , et quand ces eaux viennent à se refroi- dir 5 il est naturel qu’elles les déposent dans les cavités des laves, ces substances tantôt se cristallisent, tantôt ne prennent que des formes irrégulières, suivant les circonstanceso

Lorsque l’on a atteint le sommet de la mon- tagne des Etuves , on se trouve à l’extrémité de File , et l’on voit tout-à-coup la mer au-dessous de soi , à environ quatre cent soixante pieds de profondeur. Si l’on tourne ensuite vers le sud , on découvre plusieurs sources d’eau chaude ; une d’elles forme les bains de Lipari, dont l’existence est aussi ancienne que celle des Etuves, et dont Fusage est également abandonné. En poursuivant sa route dans la même direction, on rencontre de nouveau des laves- décomposées qui ressem- blent aux laves des Etuves ; elles sont teintes

DANS LES DEUX SICILES. 65 couleurs très-variées , et couvertes çà et de croûtes de sulfate de chaux.

Eu réunissant par la pensée tous ces amas de laves décomposées, qui formeraient une aire de plusieurs milles, on s’étonne, et on se demande s’il est en Europe une contrée voîcanisée les vapeurs sulfureuses émanées des incendies sou- terrains , aient eu une aussi grande extension. Celles de la Solfatare de Pouzzole qui ont blan- chi son cratère , et que les historiens de ce vol- can n’ont jamais vues ni décrites sans l’expression de la surprise , ne sont rien pour l’étendue en comparaison des premières ; et cependant , de tant d’exhalaisons qui ont sortir du sein de cette île pour en couvrir un aussi grand espace, il ne reste plus aujourd’hui que quelques fumées très-légères aux environs des Etuves , elles s’élèvent à peine de terre.

Je fis trois voyages dans ce lieu. Aux deux premiers , j’en revins par le chemin que j’avais pris en allant , et qui est creusé dans le tuffa j mais au troisième , je repassai par Campa Bian - co y par le mont délia Castagna > et de-là je me transportai de nouveau sur la haute montagne de Saint- udngelo . J’avais déjà observé que les monts délia Castagna et de Campo Bianco étaient entièrement composés de ponces et de verre.

/

66 VOYAGES

Mais ici , je pus embrasser de mes regards tout l’espace que ces substances vitrifiées occupent dans l’île , et m’en représenter le tableau. Sous le tufFa recouvrant les pentes du mont des Etuves, et le vaste plateau qui est à son sommet , s’étend un lit de ponces, de verres et d’émaux; à un quart de mille des Etuves , du côté de Campo JBianco , le tufFa disparaît , et l’on voit à nu les ponces qui vont se réunir à celles de ce dernier endroit. Ce n’est pas tout : on les suit encore dans le chemin qui conduit à Saint-^dngelo , et cette montagne en est couverte elle-même. Par-tout au milieu de ces ponces , on découvre des verres. En faisant entrer dans ce dénombrement les autres parties de l’île régnent de semblables substances , je n’exagérerai point en disant que les deux tiers de Lipari , qui a dix-neuf milles et dêmi de circonférence, sont vitrifiés.

A l’aspect de cette immense vitrification , la première idée qui s’offrira au lecteur sera peut- être celle qui me frappa moi-même en arrivant dans ces lieux. Je me dis : Il faut que le feu eit agi ici avec une grande violence ! Mais l’ex- périence m’apprit ensuite qu’il n’était pas né- cessaire de supposer une si puissante énergie dans les embrasemens souterrains pour produire cet amas de vitrifications , quelqu’un orme qui!

DANS LES DEUX S 1 C I L E S. 67 soit. Sans doute la chaleur nécessaire pour for- mer des ponces , des émaux , des verres , doit être plus forte que celle qui opère la simple fusion des laves, lorsque ces substances recon- naissent la même base. Mais , à en jugeç par la nature des roches d’où sont provenues les mon- tagnes vitrifiées de Lipari , il n’a pas fallu un surcroît de chaleur bien considérable. Ces roches sont en général des feld-spaths, des pétro-silex, des pierres de corne. Quant à ces dernières , on a vu avec quelle facilité elles se vitrifient au feu des fourneaux de verrerie qui n’est pas des plus violens 5 on a vu que ce feu suffit encore pour convertir en verre plusieurs pétro-silex et quel- ques feld-spaths 3 et qu’enfin les verres, les ponces , les émaux de Lipari subissent tous dans ces mêmes fourneaux une refonte complète. Il y a plus , je crois avoir des preuves directes que le feu volcanique a été inférieur à celui des four- neaux. Ces preuves, je les tire de quelques subs- tances réfractaires , soit cristallisées , soit infor- mes, qui se trouvaient incorporées aux verres , aux ponces , aux émaux , et qui , dans mes ex- périences , se sont complètement fondues.

Cependant je ne puis nier que les feux vol- caniques de Lipari n’aient été , en quelques cir- constances , très-énergiques , si , comme l’a ob-

> \

VOYAGES

68

serve Dolomieu , iis sont parvenus à fondre le granit composé de quartz , de feld-spath et de mica y et à le convertir en pierre ponce»

Les anciens nous ont laissé quelques rensei- gnemens sur l’état des incendies qui se mani- festaient de leur temps à Stromboli et à Yuîcano $ mais ils ont gardé un silence absolu sur les an- tiques feux de L’île des Salines , et de ce groupe d’écueils qui probablement faisaient autrefois partie de l’île Evonymos . On peut cependant assurer, d’après l’autorité de Diodore de Sicile, que la vulcanisation de ces deux îles leur était connue. En effet , cet historien dit formellement que toutes les îles Æoîiennes avaient été sujettes à de grandes éruptions de feux , et que de son temps on en voyait encore les cratères avec leurs bouches (i).

Quant à Lîparî , la tradition ne leur avait rien appris touchant les embrasemens de cette île. Elle existait avant la guerre de Troye ; quand cette ville fut tombée au pouvoir des Grecs , Ulysse retournant dans ses états, aborda àLipari,

(i) « Elles ont toutes de grandes ouvertures par les- quelles elles vomissent du feu : les cratères qui s’y sont formés, et les bouches , sont encore vkibles jusqu’à pré- sent b>.

DANS LES DEUX SICILES. % le bon accueil et l’hospitalité du roi Æole le retinrent pendant un mois entier (1). Et quoique Homère dans ses récits ait pu se livrer à quelques Fictions, on doit croire cependant qu’il n’aurait pas nommé cette île , encore moins la ville, si elles n’avaient pas existé quand il publia son poème : ce qui fait une époque de trois mille ans environ. En consultant les monumens historiques, on peut encore reculer cette époque au temps régnait Liparos , qui donna son nom à cette île , laquelle portait auparavant celui de Melo- gvnis , ou 3îeligunis. Mais voici une réflexion qui donnera une idée plus juste de sa haute an- tiquité. Une île formée par les dépôts et la re- traite successive des eaux peut devenir bientôt habitable et propre à la culture ; il n’en est pas Ae même quand elle a été l’ouvrage du feu et des éruptions ,dont les matières exigent un temps

(1) u Nous parvenons heureusement à Plie d’Æolie qui flotte sur les mers,, et règne le fils d’Hyppotes,Æole> Pami des immortels. Un rempart indestructible d’airain, bordé de roches lisses, ëscarpées, céint Pilé entière. .. ».

«C’est dans la ville et le palais de ce roi que nous arrivons -, il me reçoit , m’accueille durant un mois avec amitié ; il ne cessait de m’interroger sur Ilion , sur la flotte des Grecs et sur leur retour ». Odyssée, chant X f trad. de Bitanbé.

VOYAGES

incomparablement plus long pour arriver à leur décomposition. Si donc Lipari , pendant que Troye subsistait encore , était habitée , cultivée , et avait une ville , qui ne voit pas combien de siècles ont s’écouler depuis son origine jusqu’à cette époque ?

A compter du temps l’histoire a commencé de faire mention de cette île jusqu’à nos jours, on est fondé à croire qu’il ne s’y est manifesté aucune véritable éruption ou courant de laves ; les historiens n’auraient pas manqué de rappor- ter cet événement, aussi remarquable sans doute que les éruptions de Stromboli et de Vulcano, dont ils ont rappelé les époques. Aristote est le seul qui parle des feux de Lipari ; mais ils n’é- taient visibles , ajoute - 1 - il , que pendant la nuit (1). Les écrivains qui sont venus après lui n’en disent plus rien , et je conclus de ce silence général, que Lipari était parvenue à son plus haut degré d’accroissement avant que les hommes eussent connaissance de son existence. Cepen- dant beaucoup de laves de cette île sont encore intactes , sur-tout celles qui portent un caractère vitreux; les émaux, les verres, n’ont subi aucune

(1) « Il est dit aussi qu’il y a dans Lipari un feu qui n'est visible que pendant la nuit ». In Mirandis.

DANS LES DEUX. SICILE Si 71 altération , et il est démontré que ces corps existent depuis plus de trois raille ans ! Quelle est donc la trempe que le feu leur donne , pour les mettre à l’abri des injures du temps pendant une si longue succession de siècles ?

En fondant l’ancienneté de Lipari sur le té- moignage d’Homère , je n’ai point voulu exclure les autres îles ses compagnes, comme si elles étaient d’un âge postérieur $ je suis au con- traire très-persuadé , d’après les documens his- toriques , que toutes ces îles étaient contempo- raines : si le poète grec ne parle que de Lipari, c’est qu’elle était la plus grande , la plus fertile, la plus fameuse, le siège de l’empire d’Æole, et le lieu de sa résidence.

VOYAGES

7*

CHAPITRE XV II.

Félicuda .

Pour achever mon voyage aux îles Æoliennes, il me restait à visiter Félicuda et Alicuda , situées à Fèxtrémité de ce petit archipel vers l’ouest. J’étais d’autant plus curieux d’examiner ces deux îles , qu’elles n’avaient été décrites par aucun naturaliste. Dolomieu , qui eût été si propre à bien remplir cette tâche , ne les avait vues que loin rs&ns y aborder , parce qu’elles se trou- vaient trop éloignées de sa route.

Je partis de Lipari pour Félicuda , distante de vingt-trois milles, dans la matinée du 7 octobre. Je fis ce trajet en quatre heures. Cette île n’a point de port, mais elle offre deux anses , l’une au sud 3 l’autre au nord-est, capables de rece- voir de petits bâtimens. Quand le vent défend l’entrée de l’une, on peut se réfugier dans l’autre : toutes les deux sont également abritées par la montagne. Je débarquai dans l’anse du nord-est : elle est surmontée par des rochers de lavesj ainsi , dès mon arrivée, je pus remplir le principal ob- jet de mes recherches , et m’assurer de la voîca- aiiation de cette île. Je me mis à parcourir le

coté

DANS LES DEUX SICILE S. 7-3. coté qui regarde le sud-est, et je vis aussi-tôt, épars à la surface de quelques petits champs ,des pierres ponces , des verres, des émaux.

Persuadé de l’antique existence du feu dans cette île , je résolus cje la côtoyer le jour suivant pour en étudier les rivages. Elle a neuf milles de circonférence. Je commençai par l’examen des laves qui environnent l’anse j’avais abordé. Ces laves ont pour base un feld-spath d’une pâte écailleuse , grisâtre , peu compacte , qui jette de faibles étincelles sous le choc du briquet , et at- tire l’aiguille aimantée. Dans cette pâte sont en- castrées des aiguilles d’un schorl noir et fibreux, et de petites masses de feld-spath qui se font aisément distinguer de la base par leur blancheur, leur semi-transparence et leur éclat. Cette lave forme une portion de l’enceinte de l’anse ; en plusieurs endroits elle est fendue dans sa lon- gueur; on y observe des espaces vides, arrondis , du diamètre de plusieurs pouces , qui régnent dans son intérieur , et la font ressembler en quel- que sorte à un gâteau d’abeilles. Ces cellules m’ont paru produites, non par l’action des mé- téores, mais par les substances élastiques con- tenues dans la lave en fusion. Il est vrai que l’air de la mer altère facilement les fossiles exposés à son action. J’en ai vu des exemples surprenais Tome III. F

/

,74 VOYAGES

sur des rochers situés au bord de la Méditerra- née , le long des deux rivières de Gênes , particu- lièrement à Porto- Venere dans le golfe de la Spezia , et à Lerici. Les tours , les édifices ma- ritimes portent aussi les marques de ses ravages 5 mais je ne crois pas qu’ils soient nulle part com- parables à ceux qu’éprouve la ville de Comma- chio dans le Ferrarois , construite au milieu d’un marais salé. La corrosion s’attache tellement à ses maisons , qu’il faut s’qccuper sans cesse de les réparer; c’est ce dont fai été témoin moi- même dans un court séjour que j’y ai fait au mois d’octobre ] 792. Mais cet air de mer n’altère pas indifféremment toutes sortes de fossiles ; il semble s’exercer principalement sur les pierres calcaires 3 cependant il en ménage quelques- unes , comme le marbre d’Istrie , avec lequel sont bâtis les palais de Venise , qui, malgré leur ancienneté , n’ont souffert aucun dommage. Quant aux substances pierreuses sorties du sein des volcans, j’ai observé que l’air de mer leur nuisait très-peu ; et la lave littorale dont j’ai fait mention ayant des cavités jusque dans son feld- spath , qui est une des pierres les plus inalté- rables, je suis d’autant plus convaincu qu’elle ne les doit qu’à l’action des gaz élastiques.

Après cet examen, je sortis de l’anse du nord-

DANS LES DEUX SICILE S. 7 5

est en rasant Pile au nord. Je m’étais à peine avancé de cinquante pas, que je vis devant moi un rocher de la hauteur de trente pieds environ , et d’une largeur égale , coupé à pic sur la mer. J’apperçus dans sa structure un accident que les productions des îles Æoliennes ne m’avaient en- core offert nulle part : la lave se divisait en prismes. Je poussai ma barque sous le rocher afin de le considérer de plus près. Sa partie supérieure , à partir de la hauteur de douze pieds environ au- dessus du niveau de la mer, était lisse, et présentait un plan égal. Sa partie inférieure était marquée de légers sillons longitudinaux qui formaient des prismes à trois côtés inégaux, le côté postérieur restant attaché au rocher , ou , pour mieux dire , faisant corps avec sa masse. Curieux de savoir s>’ils se prolongeaient sous l’eau , j’employai une res- source que je me ménageais toujours dans mes navigations. Je répandis de l’huile d’olive à l’en- tour pour abattre le brisement des flots qui en troublaient la surface 5 alors je vis clairement que ces prismes s’enfonçaient à quelque pro- fondeur dans la mer : les plus gros avaient un pied et demi de largeur.

Cette lave prismatique mérite une description détaillée. Sa base est une pierre de corne cou- leur de fer , tellement compacte , que l’on n’y

F *

7 6 VOYAGES

saurait appercevoir la plus petite bulle. Les mor- ceaux en sont transparens par les bords, et étîn- eelans sous le cboc de l’acier. Ils ne prennent aucune forme déterminée , ils reçoivent un poli sans lustre , et sont attirables à l’aimant à la dis- tance d’environ trois lignes. Cette lave étant broyée se réduit en une poudre couleur de cendre , impalpable , qui s’attache aux doigts. Elle renferme des grains d’un feld-spath non cristallisé , et beaucoup de petits schorls oblongs et rhomboïdaux.

Traitée avec le feu, elle se fond en un émail dur, couleur de poix, qui n’a point abandonné sa vertu magnétique : les feld-spaths sont ré- fractaires.

Le lieu s’élève ce rocher prismatique se nomme Fila diSacca . Au-delà, le rivage, dans l’étendue de deux milles , ne présente que des laves ordinaires , à l’exception d’une seule qui manifeste des ébauches de prismes : ils sont un peu plus sensibles près de la surface de l’eau.

On arrive ensuite à un endroit nommé Sac - cagne } s’élève un groupe de rochers , dont l’un s’appelle le Rocher percé , parce qu’il est à jour dans le milieu ; les barques peuvent passer au travers. On reconnaît des formes prismatiques dans la lave de ces rochers.

DANS LES DÏÜX SlCILES. 77 A cinquante pas plus loin est une caverne spa- cieuse formée dans la lave du rivage ; elle porte le nom de la Grotte du Bœuf marin , qui lui vient peut-être de ce qu’elle a servi ancienne- ment de retraite à des phoques , qui aux îles de Lipari , comme dans beaucoup d’autres con- trées , s’appellent veaux marins . L’ouverture de cette caverne est ovale dans sa partie su- périeure. Elle a soixante pieds de largeur sur quarante de hauteur. Son intérieur offre d’abord une espèce de vestibule , ensuite une vaste salle d’environ deux ' cents pieds de longueur , sur soixante de largeur et quarante de hauteur. La mer y entre , et son choc s’amortissant au pas- sage , une petite barque peut trouver dans cet

asylê un abri contre la tempête.

. : .)

Il ne faut pas croire que cette caverne soit tapissée de stalactites à la manière de celles des pays montueux ; non-seulement on ne remarque contre ses parois aucun empâtement humide , mais la pierre dont elle est formée doit elle- même son origine au feu 5 c’est une lave qui porte les caractères suivans. Sa base de schorl en masse , est médiocrement poreuse , un peu légère , étincelante sous le choc de l’acier 5 iné- gale dans la cassure ; elle répand une odeur d’argile, et elle attire l’aiguille aimantée à la

F 3

VOYAGES

78

distance d’une demi-ligne. Sa couleur est grise , mais entrecoupée par des feld~spaths rhomboï- daux d’un blanc luisant. Traitée avec le feu , elle se convertit en un émail opaque et plein de bulles. La fusion , loin de lui enlever son magné- tisme , ne fait que P accroître. L’éclat des feld- spaths s’amortit : la blancheur leur reste , et n’en est que plus apparente sur le fond noir de l’émail.

Ce rocher de lave, coupé à pic sur la mer, est figuré par des prismes longitudinaux , plus grands que ceux décrits ci-dessus. Il est digne de remarque que ces prismes, dont l’extrémité inférieure plonge dans Peau , ne s’élèvent au- dessus de sa surface que de huit ou neuf pieds environ.

Mais que penser de l’origine de la caverne ? faut-il l’attribuer aux flots de la mer, et dire Qu’ils ont pu miner lentement le massif de laves, et y pratiquer cette énorme solution de conti- nuité ? J’en doute , attendu que Peau est à peine entrée dans la caverne , qu’elle perd toute son impétuosité , et que d’ailleurs la lave est assez dure pour ne pas céder facilement au choc des vagues. Il me paraît plus naturel de rapporter cet effet à l’action des gaz qui se sont dévelop- pés pendant la fluidité de la lave. On voit dans

BANS LES DEUX SICILE S. 79 l’Etna des cavernes bien plus profondes produites par une cause semblable.

Après avoir passé la Grotte du Bœuf marin > on trouve un mélange de tufFa et de lave : la sin- gulière alternative de leurs couches mérite un mo- ment-d’attention. Elles forment une cote élevée qui a son inclinaison vers la mer. Le tufFa règne au sommet ; au-dessous est une couche de lave , qui repose elle-même sur une couche de tufFa ; ces deux matières se suivent ainsi dans un ordre alternatif. La mer avait fait une déchirure à cette côte qui me donna le moyen de compter onze couches de tufFa , et autant de laves placées entre deux. Le feu et l’eau ont donc concouru alternativement à former cette partie du rivage de l’îïe.

Les laves des onze couches sont de la même espèce. Leur base commune est la pierre de corne ; cette base renferme des schorîs, des feld- spaths; son aspect est terreux 3 noirâtre 3 elle ré- pand une odeur d’argile; elle met en mouvement l’aiguille aimantée à la distance de deux lignes. Traitée avec le feu3 elle se convertit en un émail opaque , noir comme la poix 3 et dont le magné- tisme est plus fort que celui de la lave avant sa fusion.

Quant aux couches de tufFa 3 elles ne difFèrent

F 4 '

8o

VOYAGES

point essentiellement entr’eîies; elles sont com- posées de petits grumeaux argileux formant une pâte incohérente et friable plus ou moins co- lorée par une rouille ferrugineuse jaunâtre. On y trouve , comme dans les couches de lave 3 un grand nombre de schoris , avec cette diffé- rence que ceux-ci peuvent se détacher aisé- ment tout entiers , à cause de la mollesse du ciment qui les lie. Malgré cela , il est difficile d’en déterminer la cristallisation : l’obstacle ne vient pas de leur petitesse , car plusieurs ont deux lignes de longueur, mais de leur réunion en groupes. Ceux qui sont isolés représentent un prisme hexagone , terminé par deux pyra- mides trièdres. Au reste , tous ces schoris sont noirs , brillans dans la cassure , un peu fibreux ; en un mot , ils ressemblent parfaitement , dans leur structure , aux schoris incorporés dans les couches de la lave.

Traité avec le feu , ce tuffa se colore d’abord en rouge et s’endurcit ; il manifeste alors une ver- tu magnétique qu’il n’avait pas auparavant. Si l’on pousse plus loin l’épreuve , il se fond en une scorie noire ^poreuse , attirable à l’aimant; on y découvre des feld-spaths blancs qui n’étaient point visibles dans le tuffa. Les schoris se vitri- fient à moitié en prenant une teinte verdâtre.

DANS LES DEUX SICILE S. 8l

Le reste de mon voyage autour de l’ile jus- qu’au point d’où j’étais parti , ne me fournit rien de remarquable , si ce n’est l’apparition de nou- velles laves prismatiques semblables aux pre- mières.

Avant de perdre de vue ces sortes de laves, qui forment une bonne partie des rivages de FéIicudayj’observerai ]°. que leurs prismes sont toujours à trois faces , dont l’une est adhérente à la lave 5 n°. que leur direction n’est jamais ni oblique , ni transversale , mais perpendiculaire sur la mer 5 3°. qu’ils ne sont point articulés comme ceux de l’Etna et d’autres pays volca- niques , mais qu’ils forment chacun un cordon continu ; 4°- que leur partie inférieure plonge dans l’eau ; 5°. que ces laves prismatiques sont à base de pierre de corne , ou de schorl en masse.

Je passe maintenant à la description de l’inté- rieur de l’île. Vue à peu de distance en mer , elle paraît comme un groupe de montagnes , dont la plus élevée est au centre. Celle-ci a environ cinq cents toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer. Je m’y acheminai , en pre- nant ma direction à l’est , parce que la montée me parut plus praticable de ce côté. Tantôt elle offre des escarpemens rapides et pénibles à gra-

8s

VOYAGES

vir, tantôt des pentes douces qui invitent au repos. Parvenu au sommet , j’y découvris un vaste bassin nommé la Fosse des fougères y parce que ces plantes y croissent en abondance : on les en avait extirpées tout récemment , dans l’idée de les remplacer par du froment au printemps sui- vant. La circonférence de ce bassin est d’envi- ron un demi-mille* ses parois sont inclinées, et sa profondeur actuelle est de quarante pieds. C?était-là sans doute l’antique cratère du volcan, celui qui le premier a concouru , par ses érup- tions, à la formation de l’île. En effet, la figure extérieure de ce cratère correspond à sa figure intérieure ; c’est un cône tronqué d’où les laves partent comme d’un centre, et divergent en rayons. Celles qui ont leur direction au nord- ouest descendent par une pente rapide dans la mer. Le sol de ce bassin, que l’on préparait à recevoir du froment , était une coucbe de tuffa friable qui recouvrait la lave.

; .. l . . ' ' | g

Sur les flancs de cette montagne centrale s’é- lèvent trois croupes 5 la première a son inclinai- son gu sud , et va se réunir à une autre mon- tagne ; la seconde se dirige à l’est , la troisième à l’ouest. Placé au sommet le plus éminent de l’île , et embrassant de mes regards toute son étendue , j’étais attentif si je découvrirais encor e

DANS LES DEUX SICILE S. 85

quelques vestiges d’antiques cratères 5 je crus en appercevoir dans la partie du sud-est. Je me transportai sur le lieu. C’était un monticule d’en- viron deux milles de circuit, formant une espèce de cône tronqué au sommet. Sa troncature , un peu évidée , présentait une cavité au fond de laquelle gisaient des morceaux de laves à moitié ensevelis dans un tufFa terreux , tandis qu’au- dehors plusieurs courans en recouvraient la par- tie convexe,

A l’exception de ces cratères, dont le dernier m’a laissé quelques doutes , je n’ai rien vu dans l’île qui portât le vrai caractère d’une bouche volcanique^les enfoncemens,îes fosses^ les trous que l’on y découvre en plusieurs endroits, n’en sont que des apparences trop équivoques.

J’ai décrit les laves principales des rivages de Félicuda ; je vais maintenant parler de celles qui se trouvent dans l’intérieur de i’îîe. Je puis les réduire à trois espèces , en passant sous silence les variétés.

La base de la première est une pierre de corne noire tirant sur le gris ; sa cassure , assez bril- lante , ne laisse voir aucuns pores $ elle étincelle fortement sous le choc de l’acier. Les morceaux qu’on obtient en la brisant , n’ont que des

V O Y A G E 'S

formes indécises ; ils sont susceptibles de poli , et mettent en mouvement l’aiguille aimantée à la distance d’une ligne et trois quarts. On trouve dans cette lave de petits grains de quartz, d’a- bondantes écailles de feld-spath, et de brillantes aiguilles de schorl.

Traitée avec le feu , elle se convertit en un émail noir, écumeux , opaque. Les schorls se fondent : les quartz, les* feld-spaths sont réfrac- taires.

Cette lave ressemble beaucoup à la prisma- tique dont j’ai donné plus haut la description , quoiqu’elle n’en ait pas la configuration régu- lière.

La seconde espèce a la même base que la pré- cédente 5 sa dureté , sa pesanteur sont médiocres 5 elle a un aspect cendré , terreux, compacte 5 elle s’attache légèrement à la langue , et répand une odeur d’argile. Ses schorls sont rhomboïdaux , écailleux , de couleur violette.

Elle ne fait que se ramollir au fourneau : les schorls s’y maintiennent dans leur intégrité.

La troisième espèce a pour base un schorl en masse, noir, sans pores , un peu pesant, grenu dans la cassure. On trouve trois sortes de pierres

DANS le ES DEUX SICILES. 85 hétérogènes mêlées à la pâte de cette lave. Des particules quartzeuses , indécises dans leurs for- mes, se distinguant par leur blancheur ; de petits feld'Spaths peu nombreux ; des schorls rhomboï- daux d’un noir tirant sur le violet, remarquables par leur abondance et leur grosseur , qui va quelquefois jusqu’à six lignes.,

Les feld-spaths , les grains quartzeux , sont réfractaires 3 leur base , très-fusible , produit un émail opaque, luisant, poreux.

L’intérieur de File , autant qu’on en peut juger par les matières qui se montrent à sa surface, paraît composé de ces trois espèces délavés et de leurs variétés 3 elles ont formé des courans 3 mais leur haute antiquité en a fait disparaître les tu- meurs , les cascades , les replis , les ondulations , que l’on remarque dans les laves nouvelles , et même dans. celle d’un âge moyen.' Et si l’on n’y voit plus ni scories , ni laves scoriacées , c’est sans doute à la même cause qu’il faut l’attribuer: leur tissu lâche et peu solide , la place même qu’elles prennent ordinairement à la surface des courans , les exposent plus que les autres à Féda- cité du temps.

On a vu dans ma relation de Lipari , combien cette île avait été sujette aux vapeurs acido-

J

r o y a ù- e 5

sulfureuses. C’est tout le contraire à Félicuda * du moins je n’y ai pas découvert une seule lave qui parût avoir été attaquée par cet agent : elles n’ont souffert que de l’influence du temps et des météores 3 mais cette influence a été si puissante , que si je ne les avais fait briser à la profondeur de plusieurs pieds pour examiner leurs parties intérieures , j’aurais souvent pris des laves de même espèce pour des laves tout-à-fait opposées, et d’autant plus différentes d’elîes-mêmes , que les surfaces étaient plus éloignées du centre.

Telles sont les diverses laves qui composent File de Félicuda : il me reste à parler des autres substances volcaniques qui s’y trouvent réunies. Le tuffa en est une , et les lieux qu’il occupe sont les seuls la culture apporte quelque profit aux insulaires : il est en général friable, léger, spongieux, et de nature argileuse.

Parmi ce tuffa gisent des verres et des ponces. Je décrirai séparément ces deux substances, en commençant par les verres.

Mes. premiers pas dans l’île m’en avaient fait découvrir plusieurs échantillons 3 des recherches plus exactes me convainquirent ensuite que ces verres existaient, non parmi les laves , mais dans la terre labourée des champs. Les habitans eux-

r

DANS LES DEUX SICILES. 8? mêmes appuyèrent mon observation de leurs té- moignages : me voyant à la quête de ces pro- ductions , ils m’en apportèrent abondamment , sans avoir d’autre peine à prendre que celle de les ramasser à la superficie de leurs champs. Cependant ce n’était que des morceaux isolés; peut-être la mine existait au-dessous ; il fallait s’en assurer par une excavation. Je fis creuser une fosse de huit pieds de profondeur et de cinq de largeur. Je trouvai d’abord une couche de terreau tuffacé de l’épaisseur de deux pieds , mê- lé avec quelques éclats de verre ; plus bas , le terreau n’avait point été entamé par la charrue : il renfermait , comme la couche supérieure, des verres isolés. Cet examen, que je continuai jus- qu’au fond de la fosse , me fit voir constamment les mêmes matières et le même arrangement.

Il me fut donc démontré que le verre des champs labourés avait son siège dans le tuffa ; mais , à ses formes anguleuses , à ses pointes ai- guës , à ses arêtes vives et tranchantes , à ses stries ondoyantes , à tous ces accidens de forme et de figure tels qu’on les observe dans les verres j soit volcaniques , soit artificiels, qui ont été brisés par un choc violent , je ne pus croire que celui-ci fût sorti dans cet état d’une bouche volcanique. Je trouvai plus naturel de penser

VOYAGES

88

qu’après avoir été formé par les embrasemens souterrains , une convulsion de la terre , ou quel- qu’agent impétueux, le réduisit ainsi en éclats.

Les plus grands morceaux ont cinq pouces et demi de longueur, et deux d’épaisseur. Il en est qui ne le cèdent point en lustre, en transparen- ce, au plus beau verre de Lipari $ d’autres sont moins limpides , et ont une couleur cendrée ou grise j il s’en trouve enfin dont la transparence est presque nulle , et ceux-là tiennent davantage de la nature des émaux. Ils sont tous très-com- pactes , étinceîans sous le briquet , et propres à rayer le verre artificiel. Plusieurs renferment de ces corpuscules blancs que j’ai vus et décrits dans quelques verres de Lipari , et ces corpus- cules ne manifestent pas en eux-mêmes ce degré de vitrification dont jouissent les autres parties. On rencontre aussi , mais rarement , des mor- ceaux qui , au lieu de corpuscules , présentent d’un côté un verre très - noir , de l’autre une simple lave. Nous avons remarqué des combinai- sons semblables dans les verres de Lipari. Cette lave , au reste , qui forme un tout continu avec le verre de Félicuda , a une couleur cendrée : sa base est un pétro-silex.

Traité avec le feu , ce verre , comme toutes

les

DANS LES DEUX SICILES. 8g les productions volcaniques de ce genre , se di- late et s’étend comme une écume vitreuse.

Quant aux pierres ponces enveloppées dans le tufFa , elles ne forment jamais de grandes masses. On les trouve en morceaux détachés d’un volume peu considérable ; les plus gros excèdent à peine la grosseur du poing. Elles sont en général plus abondantes que les verres; il suffit de remuer la superficie des tufFas en friche pour les en faire sortir par centaines.

Le lieu que j’habitais à Félicuda s’appelle la Thalle délia Chie sa ; c’est une petite plaine à l’est de l’île , occupée parle presbytère, humble édifice qui convient à la pauvreté du pays. principalement, et sur une côte spacieuse située au sud , abondent les pierres ponces , tant à la surface du tufFa que dans 1 intérieur.

Il y en a de deux qualités : les unes sont cel- lulaires, friables, poreuses; elles surnagent sur l’eau ; les autres sont compactes , pesantes, sans pores; elles ont la cassure lisse, et pourtant elles manifestent les vrais caractères de ce genre de pierres. Elles sont tantôt rougeâtres, tantôt jau- nes , tantôt grises, et renferment une multitude de lames feld spathiques, vitreuses et brillantes.

Entr’autres observations sur les ponces des

Tome III . G

VOYAGES

volcans , fai remarqué qu’au lieu de se gonfler au fourneau , et de se transformer en un corps plein de bulles , comme il arrive aux verres et aux émaux compactes, elles diminuent de vo- lume. Leurs pores, si elles en ont , disparaissent, ou du moins se resserrent , et elles en deviennent plus pesantes. Cette observation convient en tout point aux ponces de Félicuda , qui donnent pour résultat un émail noir, luisant , piqué de petites taches blanchâtres : ce sont les feld-spaths de- venus blancs après avoir perdu leur éclat et leur transparence. Cet émail met en mouvement l’ai- guille aimantée à une ligne de distance , bien qu’il n’ait pas la moindre vertu magnétique lors- qu’il est dans l’état pierre ponce.

L’examen que j’ai fait de ces pierres ne m’a pas permis de penser qu’elles aient jamais formé des courans , soit parce qu’elles gisent constam- ment en morceaux détachés , soit parce que leurs pores n’ont pas une direction commune , telle qu’on l’observe dans les ponces qui ont coulé à la manière des laves. Les pores , dans ces dernières, ont une figure plus ou moins alon- gée : dans celles de Félicuda , ils sont presque toujours orbiculaires. Je présume que celles-ci ont été lancées dans les airs à diverses reprises par les volcans ^ et avec d’autant plus de fondement.

DANS LES DEUX S I C I L E S. gi que la plupart se montrent sous une forme glo- buleuse.

Mais je croirais n’avoir donné qu’une descrip- tion imparfaite des productions de Félicuda , si je ne parlais pas d’une autre substance ,_ dont l’existence est un nouveau témoignage de la vol- canisation de cette île ; je veux dire la pouzzo- lane que l’on y rencontre en plusieurs endroits, détritus de ponces , de ruffas et de laves. Les insulaires s’en servent pour bâtir, et voici la mé- thode qu’ils suivent à cet égard. Ils tirent de la Sicile la pierre calcaire , et, pour plus de com- modité , ils la prennent au bord de la mer. Cette pierre, placée dans de petits fourneaux , devient une bonne chaux au bout de quarante heures de feu. Ils en mêlent un tiers avec deux tiers de pouzzolane détrempée dans l’eau, et obtiennent un ciment très -propre à lier les laves qui leur tiennent lieu de briques et de pierres. Pour don- ner , comme ils disent , plus de force et de soli- dité à ce ciment, ils y incorporent des ponces concassées.

Au reste , les laves sont les matériaux dont on se sert pour bâtir, non-seulement à Félicuda, mais dans tout l’archipel Æolien , et chacun em- ploie celles de sa propre île. Dans tous les pays, en général, les habitans des campagnes, comme

G 2

VOYAGES

çeux des villes , ne vont pas chercher ailleurs que dans leurs environs , sur-tout si le pays est montueux , les pierres dont ils construisent leurs maisons ; aussi ma coutume , en voyageant , est- elle d’examiner les matériaux qui entrent dans la construction des villages , des châteaux , des villes par je passe : cet examen m’a souvent guidé et éclairé dans mes recherches 5 il m’a fa- cilité plus d’une fois la connaissance des fossiles du pays.

Pour réunir en un seul tableau les diverses pro- ductions de Félicuda, on y compte des verres, des ponces , des tufFas , de la pouzzolane , des laves à bases de schorl, de feld-spath en masse et de pierre de corne ; mais on n’y voit plus rien qui puisse indiquer la présence d’un feu souterrain ; pas même des eaux thermales , qui n’en sont quelquefois que des signes équivoques.

J’ai été sur-tout très-attentif à examiner si , parmi ces diverses productions , je n’en rencon- trerais pas qui n’eussent point éprouvé l’action du feu. Je puis dire en avoir vu une seule , qui était un morceau de granit isolé gisant sur le rivage , près la Grotte du Bœuf- Marin. Le mica , le feld-spath , le quartz , en composaient les élémens ; le mica , tantôt noir, tantôt blanc et argentin, formait des groupes le noir do mi-

DAÏNS LES DEUX SICILE S. gS naît; le quartz, disposé én petites niasses semi- transparentes, était moelleux au toucher, d’une cassure vitreuse et brillante, d’une couleur entre l’azur et le blanc $ le feld-spath , plus abondant que les deux autres principes , et qui était par conséquent la base de cette roche , présentait de petites masses à surfaces inégales, lamelleuses dans la cassure, transparentes dans les angles, et d’un blanc de lait changeant. Aucun de ces trois éléraens ne manifestait une cristallisation décidée. Je crois ne pas me tromper en assurant que ce granit n’avait point été touché par le feu. En efFet; je ne l’eus pas laissé un quart- d’heure dans le fourneau, qu’il s’altéra sensi- blement, et que toutes ses parties en furent af- fectées. Le mica devint pulvérulent ; le quartz parut très-friable , plein de gerçures 5 il perdit sa transparence , son éclat vitreux , et acquit une blancheur absolue. Le feld-spath, non moins friable , perdit aussi sa couleur changeante , et blanchit davantage 5 aussi ne faut-il pas s’étonner si , d’un coup léger de marteau , je réduisis alors cette roche en petits morceaux, tandis que dans son état naturel, j’avais peine à en détacher quel- ques fragmens. Au reste , je pus ensuite la te- nir au feu pendant plusieurs jours , sans que le quartz et le mica donnassent le moindre signe de fusion 5 le feld-spath seul devint un peu onc-

G 3

$4 VOYAGE»

tueux dans ses angles : expérience qui s’accorde dans ses résultats avec celles que j’ai faites sur des roches de ce genre , chap.'XII.

Mais ce granit a-t-il été lancé dans son état d’intégrité par un volcan de l’île , ou y a-t-il été apporté fortuitement? Cette dernière conjecture me paraît la plus vraisemblable. En effets il ne gisait point dans l’intérieur des terres, mais sur le bord du rivage ; les flots de la mer l’avaient écorné , et rien n’empêche de croire qu’il ait été roulé par les ondes depuis le cap Melazzo en Sicile , cette espèce de granit règne en grandes masses, jusqu’à Félicuda, qui n’en est distant que de cinquante-quatre milles.

c

DANS LES DEUX SICILE S. 95

CHAPITRE XVIII.

ydlicuda.

Xi e 1 5 octobre , au lever du soleil , je m’embar- quai dans un bateau à quatre rames, conduit par le curé de Félicuda , qui passait dans son île pour un excellent marin , et je fis route pour Alicuda. Un vent léger soufflait en poupe ; le ciel était serein , la mer tranquille 5 je voyais de- vant moi , à la distance de dix milles seulement , la terre je devais aborder, et je me flattais d’y arriver promptement 5 mais à peine eûmes- nous fait la moitié du chemin , que le vent com- mença à fraîchir 3 bientôt il souffla avec tant d’impétuosité , que notre bateau , malgré sa voile larguée , allait encore plus vite qu’auparavant , et courait le plus grand risque de se briser sur les rochers d’Alicuda , dont nous étions très-près. Cette île n’a ni anse , ni port ; et , par un oubli inexcusable des matelots , nous nous trouvions dépourvus d’ancre , et sans espoir de prendre fond avant d’arriver sur la côte. Cependant la mer devenait toujours plus mauvaise ; ses vagues, qui auraient peu inquiété un vaisseau de haut bord , tourmentaient sans relâche notre petit

G 4

96 VOYAGES

bateau , le frappant tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, et le faisant quelquefois tournoyer sur lui-même. Plus nous approchions de l’île , plus le danger paraissait inévitable. Etonnés de notre situation 5 mais non découragés , nous délibérions sur le parti qui nous restait à prendre. Cherche- rions-nous à échouer sur une plage sablonneuse, secondés par l’effort et la direction des vagues , et nous élançant à cet instant hors du bateau , tâcherions-nous de gagner la terre? ou valait-ii mieux , en évitant l’île , s’aventurer sur la haute mer , et tenter les hasards de la fortune ?

Dans cette perplexité , voilà deux hommes qui nous apparaissent sur les hauteurs de l’île ; ils descendent à la hâte vers nous 5 bientôt ils sont sur le rivage. Alors l’un d’eux , d’une voix forte qui se fait entendre à travers le bruit des flots, nous crie de ne pas nous éloigner, de tenir ferme nous étions , tandis qu’il allait employer tous les moyens de nous sauver et de nous amener à terre. C’était , comme je le sus ensuite , le curé d’Alicuda , qui , ayant vu de loin la grandeur de notre péril , accourait avec quatre insulaires pour nous porter secours. Ils s’étaient munis à cet effet de pelles, de bêches, et d’une grosse poulie. Tandis qu’ils fixaient la poulie sur le rivage , et qu’ils y pratiquaient un

DANS LES DEUX SICILE S. 97 plan incliné pour l’exécution de leurs desseins, les matelots de notre côté faisaient en ramant tous leurs efforts pour éviter d’approcher da- vantage de la terre , dont nous n’étions éloignés que de quinze pieds ; et moi , secondé de mon domestique , je vidais sans relâche l’eau qui en- trait dans la barque , et qui l’aurait indubita- blement coulée à fond. Quand tout fut prêt sur le rivage , nous y lançâmes une corde mise en peloton , dont nous tenions un des bouts. Plu- sieurs fois le coup manqua 3 mais enfin la corde fut saisie par un des insulaires , qui la fit passer dans la poulie pendant que nous l’attachions for- tement à la proue. Alors , au premier flot qui se précipita sur le rivage , les insulaires tirèrent la corde, et nous fûmes portés en un clin d’œil sur le plan incliné 3 mais le flot revenant impé- tueusement sur lui-même , nous chassa de nou- veau dans la mer. Le choc fut si violent que - la corde se rompit , et nous ôta tout espoir de nous sauver à terre. Dans ce moment si déses- pérant , nous vîmes le bon curé se frapper le front , et donner tons les signes de la plus vive consternation. Pour nous , nous étions déjà réso- lus de nous éloigner de l’île , et de suivre, à tout événement , l’impulsion du vent et des flots ; mais nous en fûmes détournés par les insulaires, qui nous criaient que notre frêle barque ne ré-

98 VOYAGES

sisterait point aux vagues de la haute mer; que le risque serait beaucoup moindre en côtoyant l’île au nord , il serait possible de rencontrer quelque petite gorge moins battue de la tem- pête, et qu’enfm ils nous suivraient du rivage, et ne négligeraient rien pour nous secourir. Nous quittâmes donc ce lieu, et tirant au nord, après avoir vogué une demi- heure entre l’espérance et la crainte , nous parvînmes à pousser notre barque çlans le creux d’un rocher , dont les si- nuosités amortissaient l’agitation de la mer. C’est que nous prîmes terre avec l’aide du bon curé et de ses paroissiens, pour qui je conserve une éternelle reconnaissance. Il nous reçut avec la plus vive tendresse , et nous témoigna les sen- timens de la plus généreuse hospitalité. Je lui présentai une lettre circulaire de l’évêque de Lipari , qui me recommandait à chaque curé des îles Æoliennes , et les priait de me rendre les services qui dépendraient d’eux; mais celui d’A- licuda n’avait pas attendu cette recommandation pour voler à mon secours, et son humanité avait déjà prévenu tous mes besoins.

La matinée étant fort avancée , je consacrai le reste du jour au repos, et lorsque la nuit vint, je résolus de la passer dans ma barque , qui avait été tirée sur le rivage. Mon libérateur , car je

DANS LES DEUX SICILE S. 99 puis donner ce titre au curé d’Alicuda , voyant que j’étais trop accablé pour monter jusqu’à son habitation , située dans une partie élevée de l’ile , en avait fait venir un matelas et des toiles pour me garantir de l’humidité : il voulut aussi me faire partager sa table frugale , et il me donna quelques bouteilles d’une excellente malvoisie de Lipari , qui me fortifia et ranima mes es- prits.

Le lendemain et le jour suivant furent em- ployés à l’étude des productions volcaniques de Pile. On sait la réflexion de ce philosophe grec, qui 3 s’échappant du naufrage , et abordant aux rivages de Rhodes 5 vît des figures de géométrie tracées sur le sable , et s’écria dans sa joie : V~oilà des traces d’hommes ! Pour moi qui , jeté de même par la tempête sur les rivages d’Alicuda , avais déjà éprouvé les empressemens de la plus tendre hospitalité , et qui ne desirais plus que de poursuivre l’objet de mes recherches, je pus m’écrier dès le premier pas : Je vois ici des traces du feu ! C’étaient des verres , des émaux , des ponces qui s’offraient à mes regards , et qui , semblables à ceux de Félicuda , gisaient légalement parmi des matières tuffacées. Mais voyant que la mer s’était calmée pendant la nuit, et me promettait une navigation heureu’se

*00 VOYAGES

autour de file , j’entrepris d’abord l’examen de ses rivages. Je vais en décrire les productions volcaniques les plus remarquables, sans pouvoir cependant désigner par des noms les lieux je les ai vues : les deux insulaires qui m’accompa- gnaient ne les savaient point eux -mêmes, ou plutôt ces rivages n’ont point de dénomination fixe. Je me contenterai d’en rapporter les diffé- rentes distances au point de mon départ.

Je m’embarquai dans la partie de l’est , et tirant au nord , je rencontrai d’abord des rochers entiers composés de globes de lave noirâtre , à base de pétro-silex , poreuse, mais pesante, à cause de la densité des parties solides 5 un peu lustrée , très-dure, affectant dans la cassure une figure conchoïde , attirable à l’aimant , étince- lante sous le choc de l’acier. Elle renferme peu de feîd-spaths, mais beaucoup de schorls. Ces globes, de diverses grandeurs, et dont quelques- uns ont un pied de diamètre, sont détachés les uns des autres : leur disposition n’est jamais par couches ; ils constituent seulement d’énormes monceaux.

Comment cette lave s’est- elle ainsi divisée et configurée ? Faut-il attribuer sa forme sphérique à l’agitation de la mer pendant une époque ses eaux l’auraient couverte, car, pour aujour-*

DANS LES DEUX SICILE S. loi d’hui , tous ces amas de globes sont placés à quelques toises au-dessus de son niveau? Dans mes excursions sur les rivages des autres îles Æoliennes et de l’Etna , j’ai souvent rencontré de pareilles boules de laves , et même des boules d’émaux et de verres , qui faisaient connaître clairement qu’elles avaient été arrondies par le frottement des eaux, comme il arrive aux cail- loux roulés par les fleuves. J’en ai cité plusieurs exemples dans le cours de cet ouvrage. Mais ces morceaux de lave arrondis par l’action des eaux paraissent plus ou moins lisses à leur sur- face, au lieu que les globes d’Alicuda sont ra- boteux , et couverts d’aspérités si fragiles , que le moindre frottement aurait les efFacer. Ils ont , en outre , conservé un certain aspect bril- lant et scoriacé , très-semblable à celui des mor- ceaux de laves qui sortent du volcan actuel de Stromboli. Ces considérations me portent à croire que les globes en question ont été lancés en laves liquides par un volcan d’Alicuda, et qu’ils ont contracté dans les airs leur forme sphérique : les montagnes ignivomes offrent plus d’un exemple d’un pareil phénomène.

En allant un mille et demi plus loin vers le nord , on découvre une autre lave non divisée et configurée en globes, mais s’étendant au large,

I 02

VOYAGES et tombant dans la mer comme une cataracte. Sa base est le pétro-silex 3 elle a la couleur du fer ; sa cassure est siliceuse , ou plutôt vitreuse 5 elle est pleine de cristallisations schorlacées. Qui a vu des laves sorties récemment d’une bouche volcanique, croirait celle-ci d’une date nouvelle. Elle offre ce lustre , cette fraîcheur naturelle aux laves qui n’ont pas encore éprouvé les impres- sions de l’atmosphère : on dirait de ces scories de fer que l’on trouve dans les boutiques des forgerons. Je possède des échantillons de l’érup- tion de l’Etna de 1787 , qui ne sont pas d’une meilleure conservation. Cependant la lave dont je parle est de la plus haute antiquité 3 son exis- tence remonte au-delà même des temps histo- riques qui ne retracent aucun souvenir des em- brasemens d’Alicuda.

J’ai cru devoir faire Cette remarque pour con- firmer la vérité de ce que j’ai dit touchant 1 in- certitude des jugemens que l’on porte sur l’an- cienneté plus ou moins grande des laves, quand on veut la calculer d’après le degré plus ou moins sensible de décomposition qu’elles manifestent. Cette donnée serait plus juste si les laves étaient de même nature , et si elles étaient toujours afFec- tées par les mêmes causes extérieures 3 mais , par la seule différence de leur caractère , il en

DANS LES DEUX SICILE S. 1O0 est telle qui peut, dans le cours de dix années, s’altérer considérablement , et même se change^ en terre ; et telle autre se conserver parfaite- ment pendant l’espace de plusieurs siècles.

À un mille au-delà , la côte montueuse de Pile s’applanit un peu 5 on y trouve des masses isolées de porphyre qui ne paraissent point avoir été touchées par le feu. Ce porphyre est à base de pétro-silex 5 il a une couleur de brique cuite 5 il étincelle sous le briquet 3 il est très-compacte et sans pores , à la réserve de quelques cavités placées à sa surface, et revêtues en dedans d’une croûte mince et blanche de carbonate de chaux, dans lesquelles se trouvent quelquefois des cris- taux congénères. Ces petites géodes , engendrées par filtration , se décomposent promptement par l’acide nitrique , et se dissolvent avec efferves- cence. Au reste , ces roches porphyriques sont aussi dures , aussi polies , aussi lustrées que celles d’Egypte ; elles contiennent des schorls, et sur- tout quantité de feld-spaths cubiques, lamelleux, et d’un blanc changeant.

Traitées avec le feu, elles noircissent au bout de quelques heures, se fondent ensuite , et se convertissent en un émail noir , compacte , très^ poli, attirable à l’aimant : les feld-spaths y res- tent entiers.

VOYAGES

104

Les deux laves que j’ai citées précédemment , dont la première s’est divisée en globes , la se- conde a coulé en ruisseau , peuvent être consi- dérées comme étant de même espèce 5 l’une et l’autre ont pour base le pétro-silex j elles con- tiennent également des schorls et des feîd-spaths, et sont par conséquent porphyriques. Mais le porphyre que je viens de décrire a aussi pour base le pétro-silex : ces trois productions dé- rivent donc de la même roche, avec la diffé- rence qu’une partie de cette roche, a éprouvé la fusion, et Fautre est restée intacte.

Plus loin la côte s’élève rapidement y elle est recouverte de tuffa , après le tuffa on revoit les laves sous l’aspect de larges ruisseaux 5 elles sont à base de pierre de corne , légères , poreuses , pénétrables à l’eau 5 elles ont de la peine à étin- celer sous le briquet , qui les écorne à chaque coup : elles sont âpres au toucher, et sentent Par- odie. On distingue aisément leurs nombreux feld- spaths, placés sur un fond rouge obscur. Les uns manifestent un degré de calcination , et sont friables ; les autres n’ont souffert aucune altéra- tion : différence qui doit être attribuée à leurs diverses qualités , et non à l’action plus ou moins vive du feu , puisque la lave qui les contient tous est uniformément affectée par cet agent.

Alicuda

' . .. \

DANS LES DEUX SICILE S. lo5 Alicuda comporte environ six milles de circon- férence. J’en avais déjà parcouru la moitié : le reste de mon voyage ne m’offrit rien de nouveau. Je vis par-tout la même nature de laves , avec des variétés trop peu remarquables pour valoir la peine d’être rapportées. Mais il me serait im- possible de peindre les sombres horreurs de ses rivages : tout y est dégradé , bouleversé 5 et le temps 5 opérant de concert avec les feux volca- niques et les vagues impétueuses de la mer , n’a, dans aucun lieu du monde , accumulé autant de ruines.

Ici 3 de hautes chaussées de laves ont été rom- pues par les flots , qui en ont fait des écueils au milieu des eaux, surmontés de pics menaçans, et environnés d’afFreux précipices.

3 elles ont formé des escarpemens taillés à pic sur la mer , avec de larges saillies à leur sommet : on dirait d’une voûte suspendue en l’air , et prête à s’abîmer.

Ailleurs , ce sont , non des masses solides , mais des monceaux de globes sans liaison. Rien de plus dangereux que d’en tenter l’escalade. J’ai vu de gros faucons s’abattre sur ces rochers mobiles , qui venant à rouler sous leurs pieds , Tome III . H

VOYAGES

10S

les entraînaient avec eux , et les précipitaient dans la mer.

Plus loin, des laves de diverses espèces, sem- blables à des ruines , s’appuient les unes sur les autres , s’étayent entr’ elles , et s’élèvent ainsi à de grandes hauteurs.

Sur ces côtes désertes, les hommes n’ont frayé ni routes , ni sentiers 5 on y voit seulement ser- penter d’étroites rigoles creusées par les pluies : c’est par-là que je pénétrai dans l’intérieur de l’île quand la tempête m’eut jeté sur ses bords. Un faux pas m’eût coûté la vie, et j’étais dans cette pénible situation du Dante quand il gravissait les rochers sourcilleux de son enfer :

Suivant un solitaire et périlleux chemin ,

Parmi des rocs affreux le pied tremble, glisse Et n’évite le précipice Qu’avec le secours de la main (1).

Après avoir suffisamment reconnu les rivages d’Alicuda , je portai mes recherches dans l’inté- rieur de l’île 5 mais je ne pus pénétrer que dans la partie de l’est et du sud-est : par-tout ailleurs elle est inaccessible. Quand on la regarde sur

(1) Froseguendo la solinga via

Fra le schegge , e tra rocchi de lo scoglio Lo piè senza la man non spedia.

DANS LES DEUX SICILES. 107 mer, à deux ou trois milles de distance du côté du sud-est , elle paraît comme un cône obtus , avec une cavité profonde dans un de ses flancs. C’est une illusion d’optique produite parlesimple abaissement d’un monticule. Il n’y a aucune ressemblance de cratère : j’en ai cherché vaine- ment des traces sur les côtes de l’île ; c’est à son sommet seulement que j’ai cru en af>percevoir. , existe un bassin , peu profond à la vérité, mais ayant presque ufi demi-mille de circonférence.

Les laves qui forment son enceinte escarpée, semblent partir de comme d’un centre com- mun pour se répandre dans l’intérieur de Pile. Elles sont en général à base de pétro-silex , ou de pierre de corne, plus ou moins abondantes en feld-spaths , et revêtues d’un enduit jaunâtre et friable , qui provi ent d’un principe de décom- position. En les examinant au fond des ravins, et dans leurs déchirures profondes, j’ai jugé, p^r leurs différentes couches , qu’elles avaient coule à diverses époques.

Dolomieu dit , dans son voyage , que les deux îles de Félicuda et d’Alicuda lui parurent l’une et l’autre formées d’une seule montagne conique ouverte d’un côté (1).

(1) Iles de Lipari , p. 99.

H 2

VOYAGES

108

Cette séparation est dans l’ordre des choses possibles 5 mais j’ai des raisons de penser autre- ment. Si le choc de la mer, un tremblement de terre , ou toute autre cause puissante , eût divisé en deux cette unique montagne conique , ne se- rait-il pas resté dans la mémoire des hommes quelques traces des phénomènes qui concou- rurent à produire un effet si terrible? D’ailleurs, en considérant attentivement les deux îles , on leur trouve à chacune les élémens de leur propre génération 5 chacune porte à son sommet les vestiges de son cratère primitif, d’où les laves partent comme d’un point central , descendent par ses flancs, et courent à la mer. Ces observa- tions locales n’étaient point à la portée du natu- raliste français , qui se contenta de voir Félicuda et Alicuda du sommet de la haute montagne des Salines , la première de ces îles lui restant à la distance de vingt-cinq milles , et la seconde à celle de trente- cinq milles. Dans un tel éloigne- ment, elles devaient paraître très-voisines l’une de l’autre 5 aussi jugea-t-il qu’elles n’étaient sé- parées que de cinq milles , tandis qu’en réalité elles le sont du double. Ce rapprochement appa- rent l’induisit facilement à croire qu’elles ne fai- saient autrefois qu’un seul corps, et à supposer qu’une cause quelconque l’aurait dans la suite divisé en deux parties.

DANS LES DEUX SICILE S. log

Toujours placé au sommet des Salines , Doîo- mieu jugea que la distance de Félicuda à Cé- phaîu, sur les côtes de la Sicile , était de vingt milles ; elle est cependant de quarante - cinq milles. Une illusion d’optique s’attache à tous les objets que l’on voit de loin; elle disparaît à mesure que l’on s’approche; et deux édifices, deux montagnes qui paraissent se toucher dans le lointain, sont souvent très- éloignés l’un de l’autre.

On a vu , dans le chapitre précédent , que les productions volcaniques de Félicuda sont des laves à base de pierre de corne , de schorl et de feld-spath , des pierres ponces, des tufFas et des verres. Ces trois dernières substances se trouvent à Alicuda ; mais les laves y sont pour la plupart à base de pétro-silex. Les feux qui ont coopéré à la formation de ces deux îles n’y donnent plus aucun signe d’existence ; tout au plus on pour- rait conjecturer qu’il y a encore dans l’intérieur de Félicuda, quelques restes de ses incendies, en voyant au nord de cette île une source d’eau chaude et sulfureuse qui sort d’un rocher de lave , un peu au-dessus du niveau de la rner.

Les documens que les anciens nous ont trans- missur ces deux îles, sont en très-petit nombre. Leurs noms étaient Phenicusa et Ericusa . Le

H 3

I 10

V O Y A G È S

premier dérivait du grec <&oivi% , Somao? , un pal- mier , parce que , dit Aristote , cette île produi- sait beaucoup d’arbres de cette espèce (1); le second de E ptjû<r<r* , bruyère , parce que cette plante croissait en abondance dans cette seconde île (2). Strabon confirme ces étymologies (5). Quant à leur état présent , on peut dire que les bruyères sont communes à Alicuda ; mais que ni Félicuda, ni les autres Æoliennes, ne pro- duisent pas un seul palmier. Si ces auteurs ne parlent point des embrasemens de ces deux îles, c’est qu’apparemment ils étaient éteints, comme ceux de Didyme et d’Evonymos.

(1) On dit que dans une des îles Æoliennes , il croît beaucoup de palmiers, et que c’est de-là qu’elle a été appelée Phenicode , ou des Palmiers. In mirandis.

(2) Ericuse , une des îles Æoliennes , ainsi appelée d’une plante, erica , bruyère.

(3) On compte encore Ericuse et Phenicuse , ainsi appelées de deux plantes , la bruyère et le palmier .

Li>. VL

DANS LES DEUX SICILE S.

I 1 l

CHAPITRE XIX.

Considérations relatives à la volcanisaiion dès îles Æoliennes . Recherches sur V origine dès basaltes .

L a forme y la grandeur et la structure des îles Æoliennes , les diverses matières qui les com- posent, et les roches primitives d’où ces matières dérivent; leurs incendies souterrains, les phéno- mènes qui les accompagnent , et les révolutions qui les suivent ; la comparaison de leurs feux actuels avec ceux des temps passés , tels sont les grands objets sur lesquels mon attention s’est portée en traçant l’histoire volcanique de cet archipel : je la terminerai par quelques réflexions générales.

J’avais examiné ces îles depuis leur sommet jusqu’à leurs rivages , baignés par les eaux de la mer. Il était difficile de pénétrer plus loin ; cependant l’importance de cette recherche mé- ritait de nouveaux efforts de ma part, et je pensai qu’il serait aussi curieux qu’utile de connaître

H 4

1 12

y O Y A G E S

quelle est la nature des bas-fonds qui environ- nent et séparent ces îles. Quant aux instrumens dont je me suis servi pour parvenir à mon but, ils sont très - simples. la mer avait peu de profondeur, je mettais en usage la grande tenaille de Donati (i), armée de fortes dents , et ajustée à une ou plusieurs perches. Cette tenaille se serre à volonté par le moyen d’une petite corde , et quand elle a saisi les corps qui sont au fond de l’eau , elle ne les lâche plus : alors on l’enlève avec sa capture. En d’autres endroits, j’employais avec succès les filets des pêcheurs de corail ; c’est ainsi que je suis parvenu à établir les observations suivantes, non-seulement sur des corps isolés et errans , mais sur ceux qui adhé- raient au fond même de la mer : ce dont je jugeais par leur cassure toute fraîche.

I. Le lit du canal qui sépare Vulcano de Lipari , et Lipari des Salines, est entièrement volcanique : les matières y sont les mêmes que celles qui se trouvent sur les bords opposés.

IL Les racines de ces îles, qui en certains endroits s’enfoncent perpendiculairement , en d’autres s’étendent horizontalement , ofFrent la

(1) Voyez son Essai sur Eliistoire naturelle de la mer Adriatique. ,

DANS LES DEUX SIC ILE S. I l3 même analogie avec les produits qui sont à la surface du sol , et dont j’ai donné la description.

III. Les eaux étant très-profondes entre Lipari et Panaria j je ne pus arracher du lit de la mer aucun corps pierreux 5 j’amenai seulement avec le filet à corail des animaux testacées et crusta- cées , les uns vivans , les autres morts , enve- loppés dans du gravier et du sable , et formant avec ces matières , qui toutefois étaient volca- niques j une croûte plus ou moins épaisse.

IV. Entre les Salines et Félicuda , Félicuda et Alicuda , à égale distance de leurs bords op- posés , je parvins à arracher onze fragmens de roche qui , par leur résistance et par leur cassure, me firent juger qu’ils tenaient immédiatement au lit solide et pierreux de la mer. Sept de ces morceaux, tant grands que petits, furent pê- chés dans le premier poste , et quatre dans le second. Ceux-ci avaient pour base un pétro-silex presqu’opaque, étincelant, compacte, d’un grain écailleux et Fin , coloré d’un blanc livide dans deux fragmens , et de gris dans les deux autres: ceux-là , une pierre de corne d’un noir verdâtre , et médiocrement dure.

V. Tous ces fragmens , à ne considérer que leur base et leurs cristallisations de schorls et

1 l4 VOYAGES

de feld-spaths , ne différaient point dans leurs élémens des laves Æoliennes; mais leur contex- ture montrait que le feu n’avait point affecté les roches dont ils avaient été détachés : par exemple, les molécules du pétro - silex étaient plus étroi- tement unies entr’ elles , plus dures ; elles avaient un œil plus siliceux que dans les laves dérivées de cette roche; et le tissu de la pierre de corne, sans rien laisser appercevoir de fibreux , était aussi plus serré que celui de cette même pierre lorsqu’elle a éprouvé la fusion.

Ces observations peuvent répandre quelque lumière sur la génération des îles Æoliennes. Il en résulte , i°. que la portion de ces îles qui est plongée dans la mer , et celle qui s’élève au- dessus, ont également souffert faction du feu. 2°. Que Vulcano, Lipari et les Salines , forment un groupe de substances volcanisées , qui, dans le principe , n’a renfermé vraisemblablement qu’un seul feu central , lequel s’étant divisé en trois rameaux , et s’étant pratiqué une issue par trois bouches distinctes , a jeté les fondemens de ces trois îles. On conçoit comment cet incendie, par ses ramifications subalternes , et par la dé- jection de nouvelles matières, a pu leur donner successivement toute l’extension qu’elles ont au- jourd’hui. Il ne reste plus de signes sensibles de

DANS LES DEUX SICILE S. Il5

îa présence de ce feu dans les entrailles des Sa- lines : Lipari n’en manifeste que de très-faibles ; mais toute son activité semble s’etre concentrée dans Vulcano. 3°. Qu’Alicuda , Féîicuda et les Salines, n’ont aucune communication volcanique, du moins dans le lit de la mer qui les sépare , puisque les matières qui composent lit ne portent point les impressions du feu. 4°* Que ces trois dernières îles , et peut-être encore Strom- boli 3 gisent dans le voisinage de leurs rocbes analogues et primitives. 5°. Que la parfaite res- semblance des schorls et des feld-spaths renfer- més dans ces roches , soit qu’elles aient été sou- mises à l’action du feu , soit qu’elles y aient été soustraites , prouve , dans l’un et l’autre cas , que ces cristaux n’ont point été saisis par les laves courantes , et qu’ils ne se sont pas formés non plus dans leur refroidissement.

Dès le commencement de cet ouvrage, j’avais produit quelques faits analogues. J’en trouve avec plaisir la confirmation dans ce dernier résultat , sur-tout ayant appris depuis qu’un célèbre na- turaliste était d’opinion que les schorls des laves se sont formés pendant que celles-ci se conden- saient et perdaient leur chaleur. « Alors , pen- » sait- il, les molécules homogènes séparées des » hétérogènes , dans le mélange de la fusion , ont

VOYAGES

I l6

»dû, par les loix de leur affinité , se réunir en » petites masses cristallisées». Non - seulement cette théorie est démentie par les observations ci-dessus , mais elle n’est pas même dans l’ordre des opérations de la nature. En effet, je ne vois pas, dans l’hypothèse de ce naturaliste, pour- quoi les schorls des laves , fondus avec elles au fourneau , n’y reparaîtraient pas quand celles-ci ont repris toute leur dureté après avoir été ex- posées à l’air libre. Cependant , de toute cette multitude de laves que j’ai traitées au feu , au- cune n’a reproduit ses schorls , quoique la plu- part soient restées long-temps dans l’état de fu- sion , et que je les aie à dessein laissé refroidir avec lenteur et en repos, sachant combien ces deux circonstances favorisent la formation des cristaux. Si quelquefois je retrouvais des schorls dans ces laves refondues , c’est qu’ils étaient ré- fractaires au feu , ce dont je me suis assuré en les exposant isolément à son action.

Au reste , les onze morceaux de roches pri- mordiales détachés de ces fonds de mer , ont éprouvé dans le fourneau les changemens des laves congénères traitées de la même manière : les feld-spaths sont restés réfractaires.

Les îles de Lipari , à l’exception de Vulcano , qui fait une espèce de coude ; s’étendent près-

DANS LES DEUX SICILE S. I17 qu’en ligne droite dans la longueur de cinquante milles : Stromboli est la première à l’est , et Alicuda la dernière à l’ouest. Ce n’est pas le seul exemple d’un volcan qui, en projetant des îles ou des montagnes, les ait ainsi alignées. Les Mo- luques produites par les feux souterrains courent dans la direction de l’équateur sous lequel elles sont situées. Quand, en 1707, il s’éleva , près de Santorin dans l’Archipel une nouvelle île , on en vit à quelque distance d’autres plus petites , au nombre de dix-sept, sortir également du fond de la mer , et se placer en ligne droite. Elles apparaissaient comme une chaîne de gros rochers noirâtres qui, croissant à vue d’œil , et se rappro- chant les uns des autres, vinrent enfin à s’unir, et à former une île seule qui se joignit ensuite àla première (1). L’éruption du Vésuve en 1760 nous fournit un exemple non moins remarquable de cette direction des monts volcaniques 5 car des îles ne sont elles-mêmes que des monts en- sevelis en partie dans les eaux. Comme cet évé- ment peut répandre quelque lumière sur la gé- nération de celles qui nous occupent , je l’expo- serai dans ses principaux détails , d’après la re- lation exacte du t professeur Bottis, qui en fut témoin oculaire.

(1) Vallisneri oper. in-fol. t. 2.

VOYAGES

ll8

La terre trembla aux environs du Vésuve , et ses secousses redoublées s’étendirent à la distance de quinze milles. Alors on vit s’ouvrir par les flancs déchirés de la montagne , dans le canton de la Torre del Greco quinze volcans , dont huit furent ensevelis bientôt après , et disparurent sous un torrent de lave échappé de l’un d’eux. Les sept restans ne cessèrent de vomir des subs- tances enflammées qui , retombant à-plomb au- tour de leurs cratères , formèrent dans le court espace de dix jours sept monticules de diverses hauteurs , et disposés en lignes droites. La déton- nation de ces volcans ressemblait tantôt à un coup de tonnerre, tantôt à la décharge de plu- sieurs canons. Plusieurs pierres , et même des plus grosses , étaient vibrées à neuf cent-soixante pieds dans les airs , et venaient tomber à une distance considérable de leur cratère. Au milieu de ce fracas , toutes les terres environnantes trem- blaient ; un bruit affreux retentissait de toutes parts. Enfin, au bout du dixième jour, les érup- tions cessèrent; les monticules s’étant peu à peu refroidis , on put les observer de près ; les uns avaient à leur sommet un véritable cratère fait en manière d’entonnoir renversé ; les autres un simple trou plus ou moins profond.

La naissance des îles Æoliennes étant anté-

DAÎTS LES DEUX SICILE S. 11$

rieure à toute tradition humaine , on ignore , à la vérité , si elle a eu une seule ou plusieurs époques ; niais le fait que je viens de rapporter démontre la possibilité de la production simulta- née de ces îles ; il fait voir comment , dans un court espace de temps, ces huit îles , ou plutôt leurs premiers rudimens, car j’ai prouvé qu’elles avaient reçu des accroissemens successifs , au- raient pu sortir du sein de la mer. Les matières inflammables et génératrices des Moluques dans l’Asie, de la chaîne d’îlettes près de Santorin , des monts Yésuviens et des Æoliennes, formaient évidemment sous terre une zone droite beau- coup plus longue que large. Mous pourrions en- trevoir une explication du phénomène qui nous occupe , en nous rappelant qu’il existe sous terre en plusieurs endroits , tant dans les substances tendres , que dans les plus solides et les plus dures , des fentes perpendiculaires à l’horizon. Alors , s’il s’y trouve en abondance des matières propres à produire des volcans ; si elles font des masses séparées , et qu’elles viennent à s’enflam- mer , il en naîtra des monts ignivomes disposés en ligne droite , et plus ou moins considérables , selon la quantité des matières projetées.

On a vu, par les détails je suis entré tou- chant les îles de Lipari , que les substances com-

120

VOYAGES bustibles qui les ont produites ont existé quel- quefois dans les granits , comme à Panaria et à Basiluzzo , mais le plus souvent dans des roches à base de pétro-silex , de pierre de corne et de feld-spath ; que celles de Stromboli , à quelque profondeur qu’on les y suppose ensevelies , eu égard à la masse de l’île qui s’est formée de leurs éruptions successives, ont leur foyer dans la roche de corne ; qu’en dernière analyse , les matières de ces îles sont en très-grande partie porphy- riques ; enfin , que dans les fonds de mer qui les séparent , on trouve ce genre de roche existant en plusieurs endroits dans son état naturel.

En comparant les produits des porphyres vol- canisés et des porphyres naturels traités avec le feu, j’ai parlé de ceux d’Egypte qui sont rouges; et, d’après l’analyse faite par Bayen et rapportée par Lamétherie , d’un porphyre d’Egypte de la même couleur , et semblable à ceux que j’éprou- vais, j’ai dit que leur base me paraissait être une pierre de corne, et non un pétro-silex. Mais, n’ayant pas alors le loisir de les analyser moi- même, je renvoyai cette opération à un moment plus opportun , et je me réservai d’en parler dans mon ouvrage quand l’occasion s’en présenterait. J’en transcrirai donc ici le résultat, et je con- firmerai de cette manière un fait qui me laissait

quelque

121

DANS LES DEUX SICILE S. quelque doute , à savoir que la base de ces por- phyres n’est point un pétro-silex , puisque j’y ai trouvé la magnésie , qui n’existe pas dans cette dernière roche ; mais que cette base approche beaucoup de la nature de la pierre de corne, si toutefois elle n’en a pas toutes les parties consti- tuantes. Cette expérience analytique prouvera en même temps que j’ai eu raison d’appeler porphy- riques les laves à base de pierre de corne mêlées de feld-spaths, si nombreuses dans ces îles.

i

Les porphyres rouges d’Egypte sur lesquels j’ai opéré sont de deux espèces 5 la première est décrite tome 2 , page 89 ; la seconde diffère par sa couleur qui est moins vive , et par une plus grande affluence de feld-spaths. Il est évi- dent que , pour l’exactitude de l’expérience, le fond de ces deux roches devait être débarrassé des schorls et des feld spaths.

Premier -porphyre.

Silice un peu rouge . . . , 80,

Alumine 7,

Chaux 3,

Magnésie 2,

Fer 6 ,

Tome III \ I

122

VOYAGES

Second porphyre.

Silice Alumine Chaux . . Magnésie Fer . . :

n J

Outre les laves porphyriques qui abondent dans ces îles , on y trouve beaucoup de tufFas. Stromboli se fait distinguer , non - seulement par les phénomènes de son volcan , mais par la production de son beau fer spéculaire ; Lipari par ses chrysolites , ses zéolites , et l’excessive quantité de ponces et de verres qu’elle ren- ferme. Je ne puis me le rappeler sans éton- nement, sur -tout après avoir découvert, au moyen de mes tenailles et de mes filets , que ces mêmes substances vitrifiées s’étendent en- core sous mer , et vont se réunir à celles qui abondent au nord et au nord-est de Vulcano $ de sorte que ces deux îles comprennent un amas de vitrifications , qui a pour le moins quinze milles de circonférence. On ne saurait réfléchir sur ce phénomène sans se demander s’il est par- ticulier à ce pays , ou commun à d’autres ré- gions volcaniques.

DANS LES DEUX SICILE S. 12$ Pour obtenir sur ce point des notions sa- tisfaisantesil faudrait que nous eussions pour tous les volcans du globe, brûlans ou éteints, une minéralogie telle que celle qui a été faite par Faujas , Giôeni , Dolomieu , Dietrich et moi , pour le Vivarais , le Vélay , les îles Ponces , le Vésuve, l’Etna, les Æoliennes et les montagnes du Vieux-Brissac 5 mais cette ressource nous manque absolument. La plupart de ceux qui , par hasard ou par curiosité , ont vu des volcans en activité , n’en représentent dans leurs narra- tions que les phénomènes les plus communs et les plus généraux , moins propres à éclairer l’es- prit qu’à surprendre et frapper l’imagination» Tremblemens de terre ; agitation de la mer sans tempête ; mouvemens qui tantôt la font replier sur elle-même et découvrir ses rivages , tantôt la poussent hors de ses limites , et la répandent au loin sur les campagnes ; mugissemens , ton* nerres souterrains ; Frémissemens et murmures dans l’air , soleil obscurci en plein midi par un brouillard épais ; tourbillons impétueux de fu- mées, de cendres, et de flammes qui s’échappent des bouches volcaniques 5 grêles de pierres em- brasées et fondues lancées vers le ciel ; torrens de laves , de soufre , de bitumes liquéfiés inon- dant les vallées, et portant par-tout la désola- tion , l’épouvante et la mort $ îles produites par

I 2

VOYAGES

124

des éruptions sous-marines, s’élevant tout-à-coup du sein des flots , tandis que d’autres, ébranlées dans leurs fondemens, s’engloutissent et dispa- raissent à jamais. Tels sont , en abrégé, les évé- nemens ordinaires des volcans du globe , et les tableaux que nous en offrent les récits des voya- geurs. Ces tableaux ne sont sans doute ni affai- blis, ni exagérés, ni oiseux ; mais il leur manque une partie essentielle , je veux dire la description litbologique des corps vomis par ces mêmes vol- cans. Toutefois les verres et les ponces ayant des caractères trop sensibles pour ne pas se faire reconnaître aux personnes même les moins ver- sées dans cette science , on doit croire à l’exis- tence de ces substances lorsque les voyageurs en font une mention expresse. Ainsi nous savons que l’Islande , qui n’est qu’un groupe de volcans éteints ou brûlans, renferme beaucoup de verres auxquels on a donné improprement le nom d’a- gathes , parce que ces verres en ont l’éclat et la beauté; que les éruptions actuelles fournissent souvent des pierres ponces : mais personne n’a jamais dit qu’il y existât des montagnes entières formées de ces substances.

On assure que les îles de Ferrçë sont volca- niques , et que l’on trouve dans des laves les fameuses zéolites quelles produisent. Jacobson

DANS LES DEUX S I C I L E S. !s5

I

Debes a donné une description de ces dix-sept îles , il ne fait mention d’aucune espèce de substances vitrifiées ; ce qui nous autorise à croire qu’en effet il n’y en existe point.

La Norvège et la Laponie ont des volcans qui , selon Pennant et d’autres voyageurs , éclatent et produisent quelquefois de violentes éruptions. Mais leurs relations ne nous apprennent rien de plus.

En s’éloignant de ces contrées glaciales , si l’on parcourt l’Allemagne , la Hongrie , on y reconnaîtra des traces d’embrasemens souter- rains 5 mais les substances vitrifiées s’y offriront rarement. J'ai cherché vainement Vagathe d'Islande et la vraie pierre ponce ^ dit Die- tricb dans son mémoire sur les volcans du Vieux- Brissac.

Que l’on s’approche encore plus des climats tempérés, et que l’on parcoure les volcans éteints de la France, la même disette s’y fera remar- quer. Je ne puis en donner un témoignage plus fidèle que celui de Faujas 3 qui les a si bien vus et décrits.

Mais il n’en est pas de même de l’Italie , con- trée où le feu a tant exercé son empire. Les

I 3

VOYAGES

126

ponces , les verres , les émaux ne sont point rares dans les environs de Naples 5 Herculanum , Pom- péïa , Mlsène , Monte-Nuovo , l’Ecueildes pierres brûlées , les îles Ponces , Procida , Ischia et la Vallée de Metelona , en contiennent en abon- dance. Actuellement même le Vésuve en produit quelquefois , ce qui arrive très- rarement au vol- can de l’Etna.

Si Pon en croyait quelques écrivains modernes, les montagnes volcaniques Euganéennes seraient de verre ; mais l’équivoque ils sont tombés a été facilement découverte, comme on le verra dans le chapitre suivant , j’indiquerai les di- verses productions de ces montagnes.

Le seul endroit de l’Europe qui égale ou sur- passe même Lipari et Vulcano par l’abondance des pierres ponces , c’est l’île de Santorin. Il faut écouter sur cet article deux voyageurs célèbres, Thevenot et Tournefort , qui ont vu cette île à des époques différentes. Le premier y aborda en i665. Il observe d’abord que la plupart des insulaires demeuraient dans des grottes qu’ils avaient faites sous la terre , qui est fort légère et aisée à remuer , étant toute -pierre de ponce: Ensuite il raconte un fait qui vient trop bien à notre sujet pour ne pas le citer. « Il y a , dit-il, environ dix-huit ans que, durant la nuit

DANS LES DEUX S I C I L E S. 12J s>d’un certain dimanche, commença dans le port »de Santorin un très-grand bruit , lequel s’en- tendit jusqu’à Chio , qui en est éloigné de plus »de deux cent milles , mais de telle sorte, qu’on »crut à Chio que c’était l’armée vénitienne qui » combattait contre celle des Turcs , ce qui fit »que, dès le matin, chacun monta aux lieux »les plus élevés pour en être spectateur, et je »me souviens que le révérend Père Bernard, » supérieur des Capucins de Chio , homme vé- nérable et très-digne de foi, me conta qu’il »y avait été trompé comme les autres, car il »crut, aussi -bien qu’eux, entendre plusieurs 5> coups de canon 5 cependant ils ne virent rien; » et en effet , ce fut un feu qui se prit dans la » terre du fond du port de Santorin , et y fit un tel effet , que , depuis le matin jusqu’au soir , »il sortit du fond de la mer quantité de pierres »de ponce , qui montaient en haut avec tant de »roideur et tant de bruit , qu’on eût dit que ce » fussent autant de coups de canon; et cela infec- ta tellement l’air , que dans ladite île de San- torin il mourut quantité de personnes , et plu- » sieurs de la même île en perdirent la vue , qu’ils » recouvrèrent pourtant quelques jours après. » Cette infection s’étendit aussi loin que le bruit »qui l’avait précédée ; car , non-seulement dans » cette île , mais même à Chio et à Smirne , tout

VOYAGES

1*28

» l’argent devint rouge^, soit quil fût dans les. » coffres ou dans les poches, et nos religieux de- »meurans en ces lieux-là me dirent que tous leurs » calices en étaient devenus rouges. Au bout de » quelques jours cette infection se dissipa, et l’ar- »gent reprit sa première couleur. Ces pierres de » ponce qui sortirent de couvrirent tellement »la mer de l’Archipel, que durant quelque temps, » quand il régnait de certains vents , il y avait des » ports qui en étaient bouchés en façon qu’il n’en » pouvait sortir aucune barque, pour petite qu’elle » Fût , que ceux qui étaient dedans ne se fissent »ie chemin au travers de ces pierres de ponce »avec quelques pieux, et on en voit encore à » présent par toute la mer Méditerranée, mais » en petite quantité , cela s’étant dispersé çà et $ » .

Tournefort, après avoir remarqué d’après Hé- rodote que cette île s’appelait anciennement Cal- liste , ou la très-belle , ajoute : « Ses anciens »habitans ne la reconnaîtraient pas aujourd’hui 5 selle n5est couverte que de pierre ponce , ou , »pour mieux dire, elle en est une carrière »l’on peut la tailler par gros quartiers, comme on » coupe les autres pierres dans leurs carrières » .

Ces deux voyageurs lui donnent trente - six milles de circonférence , ce qui montre combien

DANS LES DEUX SICILE S. 129 est énorme raccumulation de ces substances vol- caniques. Il est cependant à remarquer que ni Thevenot , ni Tournefort , ni ceux qui ont donné dans la suite de nouvelles relations de Santorin, ne disent point qu’ils yv aient trouvé des verres : preuve que ses feux souterrains n’en ont jamais produit.

Si de l’Europe nous passons aux autres parties du globe , nous les verrons également travaillées par un grand nombre de volcans. Il serait super- flu de les nommer ici chacun en particulier ; Faujas, BufFon , &c. ont donné ïa liste de tons ceux qui sont connus : j’en dirai seulement ce qui peut convenir à mon sujet.

On compte un volcan dans l’île de Ternate en Asie , un autre dans leKamschatka qui vomissent des pierres ponces.

L’Afrique en renferme sur lesquels nous avons peu de renseignemens , à l’exception de celui du pic de Ténériffe , un des plus élevés du globe * et qui a été soigneusement décrit, quant à sa po- sition , sa hauteur , sa forme , son cratère et ses fumées brûlantes , par Borda. Pourquoi ne nous a-t-il pas fait connaître de même les matières qui le composent ? mais il se contente de dire que ce sont des sables , des pierres calcinées

VOYAGES

noires et rouges , des sels de différentes es - pèces (i).

Il n’est pas douteux que les hautes montagnes de l’Amérique , comme Chimboraço , Cottopaxi , Çangaï , Pichencha , &c. ne forment une chaîne de volcans enflammés, la plus grande qui existe dans la nature. Bouguer , à qui nous en devons la connaissance , a bien plus excité notre curio- sité qu’il ne l’a satisfaite. Quant à l’objet actuel de nos recherches , il nous apprend seulement que quelques montagnes des environs de Quito ne sont formées , à une grande profondeur , que de scories de ponces de fragmens de pierres brûlées (2). Il ne fait aucune mention de verres volcaniques , et cependant l’on sait que la pierre de Gallinaço est un verre de ce genre de la plus grande beauté dont , au rapport de Godin , il existe une mine à quelques journées de Quito.

Ainsi , dans ces ébauches de descriptions li- thologiques , si nous nous arrêtons à la partie qui concerne les verres , nous trouvons que cette production est peu commune , et que les volcans brûlans ou éteints qui en fournissent , comme

(1) Voyages en diverses parties de l’Europe.

(2) Mém de TAcad. roy. des sciences, 1744.

J)ANS LES DEUX SICILE s. 1 5 1

dans les environs de Naples , dans l’Islande et le Pérou , ne peuvent à cet égard se comparer à ceux de Lipari et de Vulcano. Il faut en dire autant d’Alicuda et de Félicuda, dont les verres, quoiqu’abondans en plusieurs endroits, ne sont cependant que des éclats et des débris. Je ferais la même réflexion pour les ponces, si File de Santorin à elle seule n’égalait , ou ne surpassait même , dans ce genre de productions , les deux îles Æoliennes réunies.

Maintenant , en considérant sous un point de vue général les volcans du globe , on voit que , quoiqu’ils aient converti en laves une infini- té de roches , d’où se sont formées des mon- tagnes et des îles considérables , cependant c’est une chose rare qu’ils les aient vitrifiées. Ce phénomène n’est pas plus fréquent aujour- d’hui qu’il ne l’était dans les temps passés. En réfléchissant sur les immenses vitrifications de Yulcano et de Lipari , presque toutes dérivées du feld-spath et du pétro-silex , j’avais pensé que leur affluence dans ces deux endroits , et leur disette en d’autres pays , provenaient de ce que ces deux genres de roche abondaient et manquaient ici ; mais le contraire m’a été prouvé par les faits. J’ai vu dans beaucoup de régions volcaniques l’une et l’autre roche con-

VOYAGES

l32

verties en laves, sans laisser trace de verre. D’ail- leurs n’existe-t-il pas des ponces qui ont pour base, soit la pierre de corne, soit l’asbeste ou le granit? Rapportons la cause du phénomène ci-dessus aux diverses modifications du feu volcanique, qui n’a pas toujours l’activité nécessaire pour vitrifier les matières qu’il investit, et convenons toutefois que les feld-spaths et les pétro-silex passent plus faci- lement à l’état de vitrification. Pour produire une lave, il est un degré de feu donné : il en faut un plus efficace pour la changer en ponce. La lave , celle du moinsqui est compacte, retient pour l’ordinaire le grain , la dureté , quelquefois le poids et la cou- leur de la roche d’où elle dérive ; mais la plus grande partie de ces qualités extérieures s’éva- nouit dans îa ponce par l’action plus énergique du feu. Cette action doit redoubler dans la formation du verre, îa finesse et l’homogénéité de la pâte exclut jusqu’aux moindres linéamens du tissu primitif.

J’ai observé plusieurs fois , et j’ai décrit ces passages gradués de lave en ponce et de ponce en verre , qui se font voir dans un seul et même produit volcanique. J’ai encore remarqué des laves passant immédiatement à Fétat de verre parfait, ce qui doit avoir lieu quand elles reçoi- vent un coup de feu supérieur à celui qui serait

DANS LES DEUX SICILE S. 1 53

necessaire pour les convertir en ponce. Au moyen de cette théorie , on conçoit aisément pourquoi certains volcans produisent des ponces sans ja- mais produire des verres , comme il est arrivé à Santorin. Les feux de son volcan ont eu un degré d’activité suffisant pour former des sub- stances du premier genre , mais trop faible pour en former du second.Telle est l’éruption racontée par Thevenot. D’autres combinaisons ont eu lieu dans les volcans d’ischia, du Vésuve, des champs Phlégréens , de Vulcano , de Lipari , de Félicuda et d’Alicuda , les verres sont mêlés avec les ponces et les laves. Ici les feux ont varié dans leur activité , et ont agi d’une manière inégale.

Au reste, si la production des laves compactes est un secret que la nature s’est réservé jusqu’à présent, puisque nous ne pouvons l’imiter avec le feu factice , à plus forte raison ignorons-nous comment elle procède à celle des ponces. De tant de laves et de roches primordiales, de celles même d’où dérivent le plus souvent les ponces, telles que le pétro-silex et le feld-spath, que j’ai fondues au fourneau , jamais il ne m’est arrivé d’obtenir un produit que je pusse qualifier de véritable ponce. Tous portaient à l’extérieur les caractères des verres , des émaux , ou des scories. Les chimistes qui ont exercé des com-

l34 VOYAGES

binaisons si nombreuses, si variées sur les terres , n’ont pas mieux réussi que je sache; et quoique l’on puisse remarquer quelquefois dans les fours à chaux la conversion de certaines pierres en verre, on n’y trouve rien qui ressemble aux laves, et encore moins aux ponces des volcans. Cepen- dant on ne saurait objecter que le feu y est trop violent pour produire le léger degré de vitrifi- cation qui caractérise les ponces ; car , m’étant servi d’un feu plus faible , ou il ne fondait pas les matières mises en expérience , ou en les fon- dant il les vitrifiait plus ou moins, mais non comme les ponces.

La couleur de ces pierres varie ; il y en a de noires , il y en a de blanches comme la neige , et voilà pourquoi la montagne de Lipari , qui en est le grand magasin , s’appelle Campo Bian- co : on devait autrefois l’appeler Campo Nero $ du moins il est certain qu’à leur naissance elles ont cette couleur. Bottis, dans son histoire des éruptions du Vésuve , observe que celles qui sortaient de ce volcan étaient noires, et que , les ayant comparées avec les blanches de Pompéïa, il leur avait trouvé la même structure : ce sont vraisemblablement les impressions de l’air qui les font blanchir.

Avant de mettre fin à ces considérations sur

BANS LES DEUX SICILE S. l3 5

les îles Æoliennes, je veux parler d’un fait qui divise d’opinion les naturalistes modernes. Il est question des laves basaltiformes. Celles que j’ai rencontrées dans le cratère de Yulcano et sur les rivages de Félicuda, m’ont rappelé , par leur configuration , les recherches faites en ces der- niers temps sur l’origine des basaltes. Qui rap- porterait tout ce qui a été écrit à ce sujet , rem- plirait des volumes. Je suis bien éloigné de pren- dre cet ennui et de le donner au lecteur, d’au- tant plus que cette question, si débattue autrefois, peut , à ce qu’il me semble , se décider en peu de mots. La plupart des disputes littéraires ne viennent souvent que de ce qu’on n’a pas bien posé la question ,. ou plutôt de ce qu’on n’a pas défini avec clarté et précision la chose dont il s’agit. Avant de rechercher si les basaltes sont l’ouvrage des eaux ou du feu , il fallait établir ce que l’on entend par le mot basalte > ou plutôt ce que les anciens ont entendu quand ils ont don- né ce nom à certaines pierres. Le basalte 9 au rapport de Strabon et de Pline , était une pierre opaque et solide , de la dureté et de la couleur du fer, figurée en prismes, originaire de l’Ethio- pie , et employée par les Egyptiens pour les statues , les sarcophages , les mortiers et autres ustensiles. Voilà la première donnée du pro- blème 5 il ne restait plus qu’à s’assurer si cette

l56 V O Y A G E S

pierre était volcanique , en allant dans les lieux qui la produisent, çt en examinant attentivement le pays. Personne n’a formé cette entreprise ; mais Dolomieu , qui a été si utile aux progrès de la lithologie, a cherché à Rome les moyens d’y suppléer. Entre un grand nombre de monu- mens aussi précieux pour les artistes que pour les philosophes , on voit dans cette capitale plu- sieurs statues , sarcophages et mortiers , venus de la haute Egypte , qui ont tous les caractères attribués aux basaltes , et qui en retiennent le nom. Le naturaliste français , après les avoir étu- diés avec le plus grand soin , nous assure que ces pierres ne portent aucune empreinte du feu. Il y a vu d’autres antiquités égyptiennes en ba- salte vert qui change de couleur , et prend une teinte brune semblable à celle du bronze, à la moindre chaleur qu’il reçoit 5 ce qui prouve que les basaltes vôrts n’ont jamais éprouvé l’action du feu (1).

Ce que les anciens nommaient basalte > est donc une pierre formée par la voie humide Les observations de Dolomieu sur la nature de cette pierre s’accordent parfaitement avec celles de Bergman sur les trapps , lesquels ayant la

(1) Journal de physique, t. ^7, an. 1790.

meme

BANS LES BEUX SICILE S. l5j même origine , présentent les mêmes caractères extérieurs et intérieurs (1).

‘Werner prenant le mot basalte dans un sens plus étendu , comprend sous cette dénomination toutes les pierres en forme de colonne prisma- tique; il prétend qu’elles ont une même origine , ce qu’il prouve par les basaltes de la colline de Scheibenberg, qui sont l’effet d’une précipitation par le moyen de l’eau 5 et il en tire cette con- clusion générale : que tous les basaltes sont for- més par la voie humide (2).

Autant je suis porté à louer sa découverte , autant je suis éloigné d’admettre sa conclu- sion. Si plusieurs basaltes , dans le sens de cet auteur i doivent leur origine à l’eau > il n’en est pas moins vrai que d’autres la doivent au feu. Sans recourir à des relations étrangères pour y* chercher des faits à l’appui de cette vérité 3 je me bornerai à retracer ici ce que j’ai vu tou- chant les laves basaltiques de Yulcano et de Félicuda. Les premières se trouvaient dans l’in- térieur même du cratère de File , elles for- maient un ordre de prismes articulés , ayant les côtés et les angles inégaux. Ces prismes étaient

(1) De productis Vulcaniis.

(2) Journal de physique , t. 38 , an. 1791.

Tome III. K

VOYAGES

ï38

adossés à un massif de lave avec laquelle ils fai- saient corps $ quelques-uns seulement s’en étaient , détachés , et gisaient étendus au fond du cratère. J’en ai donné une exacte description. Les se- condes étaient des laves littorales qui se divisaient en prismes un peu au-dessus de la surface de l’eau. Or , il est évident que dans ces deux sites, Porigine de ces basaltes est volcanique. Que faut- il en conclure? que la nature arrive souvent aux mêmes résultats par des voies différentes. Cet exemple n’est pas le seul que nous puissions citer. Une des grandes opérations de la nature dans le règne fossile est la cristallisation. Quoi- qu’elle soit très-fréquemment le résultat de la voie humide , elle l’est aussi de la voie sèche. Le fer, par exemple, se cristallise dans le sein de la terre , tant par le moyen de l’eau que par celui du feu. Tel est, pour ce dernier cas, le beau fer spécuîaire de Stromboli $ et si d’autres métaux se trouvaient dans le sein des volcans , si les circonstances nécessaires à leur cristallisa- tion concouraient à la produire, il est indubitable qu’elle s’obtiendrait par le feu, comme elle s’ob- tient par l’eau dans les mines : c’est ce qui arrive dans les creusets toutes les fois que l’on use de certaines précautions 5 les substances métalliques y prennent une disposition régulière et symé- trique.

DANS LES DEUX SICILE S. l3q Il en faut dire autant des basaltes , dont la configuration prismatique n’est pas, à la vérité, une cristallisation parfaite, mais qui en a la plus spécieuse apparence. L’observation nous apprend que la même combinaison de terres , selon les circonstances , se modèle en prismes par la voie humide comme par la voie sèche. Le trapp des montagnes de la Suède est prismatique , quoique ces montagnes soient d’origine aqueuse et la pierre de corne, très-analogue au trapp, a la même configuration à Félicuda , quoiqu’elle y soit dans l’état de lave. Enfin , d’autres laves basaltiques de Félicuda ont pour base le schorl en masse , et celles du cratère de Yulcano , le pétro-silex, tandis que ces deux roches, suivant Dolomieu , entrent dans la composition de quel- ques basaltes égyptiens qui sont l’ouvrage des eaux. Ces deux agens , l’eau et le feu , ne sont donc pas , dans leur manière d’opérer, aussi di- vers que l’on pourrait le croire. La figure pris- matique par voie humide se détermine dans la terre molle par l’évaporation de l’eau , au moyen de laquelle les parties , en se séchant et se reti- rant sur elles-mêmes , se fendent en morceaux polygones. On avait déjà remarqué ce phéno- mène dans les terres marneuses pénétrées d’eau et exposées à l’air ; je l’ai souvent observé dans la vase des fleuves qu’on fait sécher au soleil

K a

VOYAGES

3 4 O

pour en fabriquer de la poteriè : elle se divise par la dessication en tablettes polyèdres. J’ai vu diverses laves prendre des configurations sem- blables dans le retrait qu’elles subissent par la privation du feu qui les tenait en fluidité.

Il me semble donc que toute dispute sur l’ori- gine des basaltes doit cesser. Il n?y aurait point eu division d’opinions à cet égard si, au lieu de généraliser les idées et de fabriquer des systèmes, on s’en fût rapporté, sanspartiaiité, à ses propres observations comme à celles d’autrui. Quelques volcanistes ayant découvert que divers basaltes avaient été formés par le feu , en ont inféré que tous les autres étaient également l’ouvrage de cet élément. En conséquence de ce principe, ils ont tracé , sur plusieurs parties du globe , des lignes ou zones indiquant , par les basaltes qui s’y montrent , des volcans éteints , et formant ainsi le tableau le plus exagéré des bouleverse- mens occasionnés par les embrasemens souter- rains. D’autres physiciens , au contraire , ayant reconnu dans quelques-unes de ces pierres l’ou- vrage de l’eau , n’ont pas hésité à croire que cet élément en était le générateur universel : aucun d’eux n’a saisi la vérité. Les basaltes , considérés isolément , ne portent point de caractère qui dé- cide exclusivement de leur origine : les circons-

DANS LES DEUX SICILES. l4l tances locales peuvent seules déterminer au- quel des deux principes ils appartiennent. On doit donc examiner avec attention si les lieux de leur existence portent des marques certaines de volcanisation. Cela même ne suffit pas tou- jours 5 il est des collines , des montagnes dont la formation est due aux deux grands agens de la nature , Peau et le feu 5 alors il faut redoubler d’attention , la porter tour-à-tour sur les subs- tances d’origine aqueuse , et sur celles d’origine ignée qui s’y rencontrent , et découvrir, par leurs relations avec les basaltes, lequel des deux priu cipes en est le générateur.

Mais il se présente ici une seconde question non moins curieuse que la précédente. Pourquoi certaines laves prennent-elles une configuration prismatique à l’exception de tant d’autres ? Si cela dépendait du refroidissement , toutes les laves , en cessant de couler , devraient se con- figurer de même. Le premier qui a élevé cette difficulté est Deluc , dans le second tome de ses Voyages j et il a cru la résoudre en disant que la condensation subite est une donnée nécessaire du phénomène , et que les laves prismatiques sont uniquement celles qui l’ont éprouvée en coulant dans la mer. Il y ajoute quelques autres circons- ^ tances secondaires , telles qu’une plus grande

K 3

lis V O Y A G E S

homogénéité , et une attraction mutuelle dans leurs parties.

Dolomieu est du même sentiment , en avouant toutefois que les laves poreuses peuvent égale- ment se conformer en prismes. Si l’assertion du physicien genevois n’est qu’une pure hypothèse, celle du physicien français est appuyée sur des faits, et je dois les discuter. Il observe que tous les courans de laves de l’Etna dont l’histoire a transmis les époques , ont constamment éprouvé deux effets dans leur refroidissement. Ceux qui se sont condensés lentement à l’air libre se sont di- visés , par le retrait de leurs parties, en masses in- formes 5 ceux qui, en se précipitant dans la mer, se sont coagulés subitement, ont pris un retrait plus régulier; ils se sont divisés en colonnes pris- matiques , mais seulement dans les parties qui se trouvaient en contact avec l’eau de la mer. Tout le rivage, depuis Catane jusqu’au château de Jaci , lui en a offert des exemples. La fameuse lave de 1669, quoique peu propre à produire cet effet , étant parvenue à la mer en petite quantité et dans un état spongieux , ne laisse pas de manifester une sorte de configuration pris- matique.

Et moi aussi j’ai , dans mes voyages , porté l’attention la plus réfléchie sur ce phénomène ;

DANS LES DEUX SICILE S. 1/0

je n’ai pas pris la peine de faire le tour des ri- vages des îles Æoliennes , de l’Etna, d’ischia, sans songer à examiner les courans de laves qui se plongent dans la mer. J’ai vu , en plusieurs endroits de Félicuda , ces prismes gravés dans la partie des laves en contact avec l’eau , et jus- que dans celle qui s’élève de quelques pieds au- dessus de son niveau. Sans doute la situation de ces prismes prouvait clairement qu’ils s’étaient formés par l’immersion des laves dans la mer, dont les eaux , à cette époque , montaient jus- qu’au point l’on voit paraître les premiers linéamens de leur configuration. Mais si ce fait est favorable à -Fopinion de Dolomieu , d’autres lui sont contraires. J’ai observé dans cette meme île de Félicuda une multitude de rochers de laves baignés par la mer 5 j’en ai rencontré aux Salines , à Lipari , à Stromboli , à Panaria , à Basi- luzzo , à Vulcano , qui tous ensemble formeraient peut-être une zone de soixante milles de longueur, et ces laves ne manifestaient nulle part la moindre disposition à se configurer en prismes.

En allant par mer de Messine à Catane , et revenant de Catane à Messine , j’ai eu le loisir d’examiner cette partie des rivages de la Sicile, qui , dans une longueur de vingt-trois milles en- viron , est toute volcanique. Pendant un tiers de

K 4

VOYAGES

1 44

la route , c’est-à-dire , depuis Catane jusqu’au château de Jaci , on ne voit que des laves figu- rées en prismes plus ou moins réguliers ; mais plus loin jusqu’à Messine, les laves qui tombent également à-plomb dans la mer ne présentent çà et que des crevasses irrégulières 5 elles ne forment que des blocs anguleux , et cet accident leur est commun avec toute espèce de lave qui, dans le refroidissement , se gerce et se divise plus ou moins.

Les rivages d’ischia sont peut-être ceux qui , par la multitude de leurs laves , les directions qu’elles suivent , les angles divers qu’elles for- ment en tombant dans la mer, devaient me four- nir le plus d’occasions d’observer le phénomène de la configuration prismatique 5 mais j’ai dit et je répète qu’il n’y existe pas.

On a beaucoup parlé des laves prismatiques du Vésuve situées sous le parc de Portici. Pen- dant mon séjour à Naples , je n’eus pas le loisir de les visiter 5 mais j’ai su depuis qu’elles avaient été examinées par le chevalier Gioeni , et que ces fameux prismes avaient disparu devant cet observateur éclairé, Voici ses propres paroles :

« J’ai voulu m’assurer de l’existen ce des basaltes » qu’on m’avait indiqués au bord de la mer , sous »le parc royal cje Portici , mais je n’y ai vu

DANS LES DEUX SICILE S. 1 4^ >> qu’un courant de lave compacte avec des fentes » perpendiculaires très- irrégulières , d’où résul- tent des pilastres quadrangulaires , quelquefois trapézoïdes , que l’on emploie dans des cons- tructions d’édifices. Les tufs et certaines terres »sont sujettes à se fendre de même , et l’appa- tente régularité de forme qu’elles contractent, »ne peut en imposer à quiconque est exercé à » reconnaître la vraie cause de cet accident ».

Les faits que je viens de citer , et dont je garantis l’exactitude , démontrent que les laves fluantes qui , en tombant dans la mer, éprouvent une condensation subite , ne prennent pas toutes pour cela des formes prismatiques.

Peut-être m’objectera~t-on que les prismes existaient anciennement dans les laves que j’ai examinées , mais que l’action puissante des flots pendant une si longue succession de siècles les a minés insensiblement, et les a fait disparaître.

Il suffît d’un peu d’attention pour reconnaître la faiblesse de cet argument. Que les eaux de la mer aient pu attaquer les prismes dans quel- ques laves et les réduire à rien , cela est pos- sible ; mais comment les auraient-elles anéan- tis dans toutes, et sur une aussi longue étendue de pays ? comment Félicuda , seule entre les îles

VOYAGES

146

Æoliennes , les a-t-elle conservés intacts , tandis que par-tout ailleurs il n’en existe aucune trace? Féiicuda n’est-elle donc pas exposée comme les autres aux ravages de la mer ! Une seconde ré- flexion ne doit pas nous échapper. Il est certain que la plupart de ces îles se sont formées par des éruptions successives. Cette formation gra- duelle se manifeste dans des crevasses très-pro- fondes que la mer a pratiquées en certains en- droits , et l’on découvre jusqu’à cinq ou six lits de laves diverses placés les uns sur les autres. Les laves intérieures , plus anciennes que les ex- térieures , ayant coulé également dans la mer, il est évident que si ces dernières étaient deve- nues prismatiques par le seul contact des eaux, les premières auraient subir la même modi- fication, et leur position les ayant mises à l’abri du choc des vagues , elles paraîtraient encore aujourd’hui avec leur configuration prismatique. Il n’en est rien pourtant , et il faut admettre , comme une vérité constante , qu’une infinité de laves diverses peuvent se précipiter dans les eaux de la mer, sans que la condensation subite qu’elles éprouvent alors, change en la moindre chose leuf aspect intérieur.

Il y a plus 5 la configuration prismatique n’est pas toujours une conséquence de leur immersion.

DANS LES DEUX SICILE S. 1 47 Elle a lieu quelquefois dans l’air libre : le cratère de Yulcano nous en fournit un exemple. , certainement nous pouvons dire que l’eau de la mer n’est pas intervenue. Un fait tout sem- blable a été rapporte par le chevalier Gioeni : « J’ai observé , dit-il , des colonnes basaltiques » presque sur la cime de l’Etna, au niveau de >> la base de son grand cratère, très-proba- blement la mer n’est jamais arrivée. J’ai trouvé » plusieurs fois des basaltes polyèdres parfaite- »ment caractérisés dans des excavations faites »de main d’homme, dans le centre des laves sor- ties des flancs de cette montagne à des époques » très-postérieures à la retraite de la mer ».

Je manquerais cependant à la sincérité dont je me suis fait un devoir, si je ne rappelais ici l’opinion toute entière de Dolomieu , qui convient que les laves peuvent prendre une figure prisma- tique dans l’air , si toutefois elles entrent dans quelque crevasse elles viennent à se refroidir subitement ; et il en apporte des exemples qu’il a vus dans les îles Ponces. Ma seule remarque à cet égard, c’est que la circonstance d’une cre- vasse n’est pas d’une absolue nécessité, puisqu’il existe des laves , comme celles du cratère de Yulcano , qui se sont configurées en prismes dans un lieu ouvert et libre ; comme celles du

148 voyages

sommet de l’Etna dont le chevalier Gioeni a donné la description $ car s’il les eût trouvées encaissées à la manière dont parle Dolomieu , il n’eût pas omis de le dire.

Quelle sera donc la conclusion générale que nous tirerons de tous ces faits ? la voici. i°. Il est des laves basaltiques qui ont reçu cette mo- dification en se coagulant dans la mer. 20. Il en est d’autres qui l’ont reçue dans l’air libre. 5°. Enfin il en existe qui s’y sont refusées dans l’un et l’autre cas.

Il semble que ces diversités devraient naître de la nature diverse des laves. Ce qui ferait croire , c’est de voir des terres imbibées d’eau qui, lors- qu’elles sont argileuses, prennent dans leur dessi- cation des formes plus ou moins prismatiques. Je l’ai éprouvé moi-même, en faisant entrer dans une fosse l’eau d’un torrent troublée par une marne argileuse 5 elle y laissait un dépôt qui , en se séchant , se divisait en morceaux polyèdres ; mais si c’était de la craie ou de la marne calcaire , la plupart de ces morceaux n’adoptaient aucune forme régulière. Cependant si l’on porte une at- tention plus réfléchie sur les laves , on s’apper- cevra qu’elles procèdent différemment. Par exem- ple, celles en prismes de Féîicuda ont pour base le schorl en masse 5 mais leurs congénères dans la

DANS LES DEUX SICILES. l4c) même île , formant comme elles des murs ver- ticaux sur la mer , n’en sont pas moins lisses dans toute l’étendue de leur surface. On peut faire la même remarque à l’égard de quelques laves lit- torales de l’Etna entre Messine et Catane , qui sont à base de pierre de corne. Elles offrent une surface polie, tandis que d’autres laves de même nature, situées entre Jaci-Réale et Catane, sont sillonnées en prismes.

La densité , la solidité de la matière n’entrent pas non plus comme condition nécessaire dans cette sorte de cristallisation. J’ai vu sur les ri- vages de plusieurs îles Æoliennes des laves sans forme déterminée, plus compactes que les ba- saltes de Félicuda.

Quelle sera donc la circonstance intrinsèque aux laves qui les détermine à se fendre prisma- tiquement? je l’ignore. Mais pourquoi la cher- cher en elles et dans leur constitution particu- lière , plutôt que dans les causes extérieures et accidentelles? C’est sans doute la réflexion que Dolomieu a faite , quand il a voulu expliquer ce phénomène par le refroidissement subit et la contraction instantanée des laves. J’ai cité des faits qui ne s’accordent pas toujours avec ceux que ce physicien apporte en preuve de son opi- nion 5 mais ne pourrait-on pas leur appliquer le

même principe , en usant de quelque modifica- tion, pour rendre raison des différences? Eclair- cissons cela par deux exemples, l’un concernant les laves qui se sont figurées en prismes au seul contact de l’atmosphère, comme dans le cratère de Yulcano et sur Je sommet de l’Etna; l’autre regardant celles qui se sont refusées à cette con- figuration dans leur contact avec l’eau de la mer, ainsi qu’on le voit en quelques endroits des ri- vages de l’Etna , à Ischia , et dans toutes les Æoliennes , à l’exception de Félicuda.

Dans le premier cas , pourquoi une lave , sans tomber dans une crevasse, comme l’exige Dolo- mieu , n’éprouverait-elle pas un retrait subit par la seule impression de l’atmosphère ? Il suffit qu’elle soit promptement dégagée du calorique qui la pénétrait et la tenait en fluidité. Ce dégagement sera prompt si elle a peu d’épaisseur ; car plus un corps est mince , moins il met de temps à se dé- pouiller de la chaleur qui lui a été communiquée. La contraction rapide dont nous parlons, pourrait encore avoir sa cause dans l’état accidentel de l’atmosphère, si, par exemple, il s’élevait un vent très-vif et très-froid. Cette dernière conjecture me paraît d’autant plus fondée, que j’ai eu souvent l’occasion de la vérifier dans des laves fondues au fourneau. Quand je leur laissais perdre peu à peu

DANS LES DEUX S I C I L E S. l5l leur chaleur , elles ne contractaient que quelques gerçures peu profondes et irrégulières ; mais si , pendant l’hiver, en les sortant du fourneau, je les transportais sur-le-champ à l’air froid, les gerçures, outre qu’elles gagnaient davantagedans l’intérieur , se découpaient de manière qu’il en résultait souvent de petits prismes qui se déta- chaient aisément de la masse.

b--:'

Quant aux laves qui coulent dans la mer , il est certain que , pour devenir prismatiques , il faut qu’elles soient dans un grand degré d’effer- vescence et de dilatation, c’est-à-dire, fortement pénétrées par le fluide igné , sans cela le retrait nécessaire pour produire les prismes n’aurait pas lieu. La privation de cette effervescence sera le cas de beaucoup de courans qui , descendant du haut des monts volcaniques jusqu’à leurs rivages, perdent pendant cette longue route une grande partie de leur chaleur , et n’en conservent que ce qu’il en faut pour se mouvoir 5 encore ce mouvement ne se prolongerait- il pas jusqu’au bout , s’il n’était aidé par la force de gravité des laves, qui souvent tombent perpendiculairement dans la mer.

C’est ainsi que j’expliquerais comment des laves prismatiques se sont formées sans le concours de l'eau , et comment d’aulres n’ont pris aucune

V O Y A Qr E S

l5z

forme régulière au sein même de la mer. Au reste , je laisse à chacun son opinion , et quand on aura sur ce fait important des idées préfé- rables aux miennes , qui ne sont que conjectu- rales , je les adopterai volontiers, et avec une sincère reconnaissance pour celui qui me les communiquera.

CHAPITRE

DANS LES DEUX SICILE S. l53

CHAPITRE XX.

Digression sur diverses -productions volca- niques des monts Euganéens (i).

A. près avoir amassé pendant l’année 1788, pour le muséum de Pavie, une ample collection des productions volcaniques des deux Siciles , je formai le projet d’employer les vacances de l’année suivante à y réunir celles des montagnes de Padoue , dont les volcans sont éteints depuis un temps immémorial. Ce voyage me fut d’au- tant plus agréable , que j’eus pour compagnon le marquis Orologio de Padoue , qui connaissait

(1) Les monts Euganéens, qui tirent leur nom d’un ancien peuple d’origine grecque que l’on croit y avoir habité , s’élèvent au milieu de la plaine , à une lieue et demie de Padoue, et sont en partie volcaniques , en par- tie de formation marine. Ils forment une île qui a environ dix lieues de périmètre , et ne sont eux-mêmes qu’un groupe de petits îlots coniques. Le peuple Euganéen s’ap- pelait ainsi par une sorte de prétention à la noblesse. Ce nom dérive de la particule sv , benè , et du verbe y€vo(xctt , ; fiascor , ou genitus sum . Les Uenètes, ou Venètes, leurs voisins, avaient la même morgue; ils s'appelaient A iveroi, gloriosi , d’ct/J/o?, gloria.

Tome lll\ L

l54 VOYAGES

parfaitement les lieux et leurs productions, sur lesquelles il avait déjà publié des observations intéressantes. Nos excursions dans ces montagnes me donnèrent le temps et la facilité d’en bien examiner la structure , de recueillir et décrire les objets les plus propres à remplir mes vues, qui étaient de comparer les roches du Padouan avec celles des autres régions volcaniques que j’avais visitées , afin de juger par-là des diverses modifications que le feu leur a fait subir : ces études comparatives ne peuvent manquer d’é- tendre nos connaissances sur la nature des phé- nomènes volcaniques (1).

Je me rendis donc , au mois de septembre 1 7 Bq, à Giaria , chez le marquis Orologio , qui y pos-

(1) Il paraîtra peut-être superflu de donner ici une nouvelle description des productions des monts Euga- néens, après le Catalogue raisonné qu’en a publié Strange. Mais , outre que nous avons vu les objets différemment , nous avons encore eu un but différent dans notre travail : le mien a été de les décrire , et de les caractériser avec méthode ; celui de Strange d’en donner une simple indi- cation. Je ne crois point diminuer le mérite de cet au- teur en ajoutant que ses indications sont souvent peu sûres , défaut qu’il faut attribuer au temps il a écrit : ce n’est que depuis quelques années que l’on veut et que l’on met de la précision dans la minéralogie des volcans. Note de l’auteur.

DANS LES DEUX S I C I L E S. l55 sède une maison de campagne délicieuse , située presqu’au pied des monts Euganéens , et sans perdre de temps , nous commençâmes par exami- ner les fossiles de Monte-Castello. C’est une petite montagne boisée d’où sortent plusieurs pointes de rochers adhérens , et formés de trois sortes de laves.

La première , à base argileuse , a une pâte grossière , noirâtre , parsemée de paillettes lui- santes de mica noir, et marquée de petites taches rougeâtres, semblables aux taches de feld-spath qui se voient dans certains porphyres orientaux. Ces taches ne sont autre chose que des écailles de feld-spath accompagnées de quelques schorls noirs.

La seconde , colorée de gris tirant sur le blanc , se fait prendre au premier coup-d’œil pour un carbonate de chaux; mais quand on la regarde de près dans sa cassure , on voit qu’elle a pour base une pierre de corne dure , renfermant quelques micas noirs et des points de feld-spath.

La troisième , ainsi que quelques variétés qui en différent peu , a également pour base la pierre de corne. Sa couleur est un gris terne ; sa pâte terreuse a une odeur d’argile : outre un grand nombre de micas noirs très -déliés, elle ren-

L a

VOYAGES

lS6

ferme de grosses lames rectangulaires de feld- spath.

Les schorls, les micas , les feld- spaths de ces trois laves se fondent dans le creuset avec leur base 3 qui devient une scorie émaillée et cellu- laire.

Quoique ces trois sortes de roche ne paraissent pas avoir coulé 5 et qu’elles n’aient pas la poro- sité de certaines laves, je n’ai pas hésité à leur en donner le nom, parce qu’elles font partie in- tégrante d’un mont tout volcanique , et qu’elles appartiennent à un genre de pierre existant dans ces montagnes , qui a subi la fusion, et dont je parlerai dans la suite.

Au milieu des laves désignées ci-dessus, on trouve des morceaux de pétro-silex d’un grain très-fin. Comme ils sont errans, je ne saurais dire s’ils ont été touchés par le feu , ou si le volcan les a rejetés dans leur état naturel. Chacun de ces morceaux embrasse des cristallisations de mica , de schorl et de feîd-spath , qui se fondent au fourneau avec leur base pétro-siliceuse.

Du mont Castello , je passai au mont voisin du Donati : son sommet est à deux têtes. Je dé- tachai de sa masse pierreuse , tant dans le haut que dans le bas , divers morceaux , et après les

D ANS LES DEUX SICILE S. l5y avoir comparés , je vis que les laves du mont Donati pouvaient se réduire à deux espèces , l’une ayant pour base le pétro- silex, l’autre la pierre de corne.

La première présente une cassure nette et quelquefois conchoïde, un tissu fin et compacte y avec une certaine abondance de schorls et de feld-spaths rhomboïdaux. Traitée avec le feu, elle donne pour résultat un verre blanc , ou les cristallisations ci-dessus sont pleinement fon- dues.

La seconde est molle ; elle a un tissu terreux y une odeur argileuse; elle abonde pour l’ordinaire en feld- spaths , en schorls cristallisés , en micas noirs hexagones. Une des laves de cette espèce donne les marques les plus sensibles d’avoir coulé. On y voit à la surface , et jusque dans le centre , un nombre infini de bulles , dont la grandeur varie depuis les plus petites , qui sont à peine percep- tibles, jusqu’aux plus grandes, qui ont un demi- pouce de diamètre. Leur figure est ovale dans la plupart, et le plus grand diamètre est toujours dirigé vers le même côté. Cette observation prouve en premier lieu que la roche dont nous parlons a été tenue en fluidité par le feu, puisque cette circonstance était nécessaire à la forma- tion des bulles ; en second lieu , qu’elle a été en

L S

VOYAGES

l58

mouvement , puisque ces bulles se sont plus ou moins alongées. Ces conséquences sont d’autant plus justes , que nous avons eu souvent l’occasion d’en vérifier l’exactitude dans les laves de Lipari. Au reste, plusieurs de ces bulles se sont remplies de carbonate calcaire cristallisé , effet de l’infil- tration des eaux.

Cette même lave est encore remarquable par v la grosseur de ses scborls rhomboïdaux , dont quelques-uns ont dix à douze lignes de longueur. Leur couleur est noirâtre, leur cassure écailleuse $ les faces en sont si vives, si lustrées , qu’elles ri- valisent les plus beaux cristaux de fer spéculaire. Solitaires ou incorporés à la lave , ils se fondent également au fourneau , et se changent en un émail noir compacte, étincelant sous le briquet, et d’un lustre peu inférieur à celui des schorls eux-mêmes. La fusion réussit aussi bien dans les autres laves à base de pierre de corne : les schorls, les feld-spaths, les micas s’y vitrifient.

Je me rendis ensuite à Monte- Rosso, fameux par ses colonnes prismatiques : Ferber les avait indiquées 5 Strange les a décrites (1). Elles sont , dit-il , perpendiculaires à l’horizon , parallèles entr’ elles , diversifiées dans leur forme, dans leur

(1) Opiuç. Scelt . di Milano, t. 1, in- 4°.

DANS LES DEUX SICILE S. 169 grandeur , et semblent adhérentes avec la masse du rocher. Parvenu sur les lieux , je trouvai sa description conforme à la vérité; mais je dois au lecteur des détails plus étendus sur la nature de cette colonnade que Strange appelle granitique. Au-dedans et au-dehors des prismes , on recon- naît d’abord le feld-spath , le mica et le schorl. Le premier, disposé en rhomboïdes d’une ou deux lignes au plus de longueur, sur moitié environ de largeur , est serai -diaphane , blanc , un peu terne à la surface, très-brillant dans la cassure, qui est chatoyante. Le second est noir en grande partie, quelquefois d’un jaune doré ; il forme de petits prismes applatis , hexaèdres , opaques , la- melleux , très-brillans : les plus grands n’excèdent pas une ligne. Le troisième , moins abondant que les deux autres, est linéaire. Ces trois substances sont renfermées dans une pâte pétro-siliceuse , devenue terreuse par décomposition, et presque friable à la surface des colonnes , ou elle a une couleur de feuille morte. Mais intérieurement elle conserve le caractère du pétro-silex : elle donne des étincelles avec le briquet , et sa couleur est d’un gns tirant sur le noir. Traitée avec le feu , elle se convertit en un émail noirâtre qui con- tracte des bulles peu nombreuses, mais grandes: le schorl subit une fusion complète , ce qui n’ar- rive pas tout-à-fait au feld-spath.

L 4 *

. 1 '

VOYAGES

160

On voit par Panalyse de cette roche qu’elle n’est pas proprement granitique , selon la défi- nition des naturalistes et des chimistes , qui ap- pellent granit une pierre composée de deux ou plusieurs substances souvent cristallisées , unies ensemble sans apparence de ciment qui leur serve de lien. Ici 5 le mica , le schorl , le feld- spath sont enveloppés d’une pâte siliceuse 3 d’où il faut conclure que la matière de ces colonnes tient de la nature du porphyre , ainsi que la masse de Monte-Rosso, qui est à-peu-près toute com- posée de la même roche.

Sous le groupe de basaîtes5on trouve un grand nombre de globes de la même matière , qui ne sont probablement que des morceaux détachés des colonnes , et arrondis dans leurs angles par l’action du temps et des météores aqueux. Le roulement des eaux n’y a eu aucune part , car on ne voit nulle trace de ruisseau ou de torrent. D’ailleurs , l’altération éprouvée par ces globes est très-sensible.

Monte-Rosso est isolé ; sa circonférence est d’environ un mille et demi. On voit à sa base une excavation faite par les moines Bénédictins de Praglia pour en extraire des pierres. Cette carrière est abandonnée 5 mais elle m’a servi à

DANS LES DEUX SICILE S. l6ï reconnaître, dans l’intérieur de la montagne, des formes prismatiques , quoiqu’elles n’y soient pas aussi bien caractérisées que dans les colonnes. Je suis persuadé que si on creusait ailleurs , on en trouverait de semblables.

Ce lieu n’est pas le seul qui abonde en roches prismatiques : Monte-Ortone en offre des amas prodigieux , elles sont , à la vérité , grossièrement figurées, mais très-reconnaissables. C’est une lave d’un gris cendré, à base de pétro-silex, marquée en divers endroits par des zones déliées et rou- geâtres , parallèles entr’elles. Elle renferme des feld-spaths rhomboïdaux , luisans , diaphanes , avec quelques paillettes noires et hexagones de mica. Placée dans le fourneau , cette lave se convertit en un émail d’un gris tirant sur le noir. Les feld-spaths et les micas se fondent avec elle. Monte-Ortone a aussi diverses excavations l’on trouve des prismes informes 5 et quand on suit le chemin qui conduit à Praglia , on voit leurs têtes saillir hors des flancs et des sommités de la montagne , qui est toute composée de la lave que je viens de décrire. Son détritus pro- duit un terreau les oliviers prospèrent. Cette décomposition a également lieu à Monte-Rosso, la terre est en bonne partie une trituration de mica, de feld-spath et de schorl.

VOYAGES

ï6z

Les monts Euganéens présentent des masses pour la plupart coniques : les unes isolées , les autres contiguës par leurs bases. Outre les laves t qui en font la matière principale, on y rencontre quelques roches calcaires. Les Vénitiens tirent beaucoup de profitde ces deux genres de pierres; ils se servent des premières, qu’ils appellent ma- segne , pour paver les grands chemins , et des secondes pour faire de la chaux. Aussi trouve- t-on dans ces montagnes plusieurs carrières , les unes en activité , les autres abandonnées , parce qu’elles étaient épuisées. Celles de Monte-Rosso et de Monte-Ortone , que je venais de visiter , m’inspirèrent le désir d’en voir d’autres. Il me parut que ces excavations , en pénétrant dans l’intérieur des substances que je cherchais à con- naître , m’en offriraient le moyen le plus sûr et le plus facile. Je me transportai donc à Monte- Merlo , l’on a creusé dans la lave un puits des plus profonds. Pour en extraire des blocs qui sont très - durs , voici le moyen hardi que l’on emploie. Un homme lié à une corde par le milieu du corps , se fait descendre le long des parois verticales du puits ; quand il est parvenu à l’endroit qu’il doit attaquer , on lie l’autre extrémité de la corde au-dessus de l’ouverture. L’homme , ainsi suspendu, introduit un pic dans les fissures de la pierre , l’ébranle et l’arrache.

DANS LES DEUX S I C I L E S. l63 Quelquefois il prépare des mines , et les fait jouer.

Dans cette carrière , et dans une autre située aux environs, mais qui n’est pas aussi profonde, la lave est véritablement granitique , ayant pour base le feld- spath dans une proportion telle, qu’il compose à lui seul la plus grande partie de la roche. Comme il est en tout semblable à celui de Monte-Ortone et de Monte-Rosso, je ne le décrirai pas. Je remarquerai seulement qu’outre ce feld-spath , qui s’annonce par son éclat et ses autres caractères sensibles, on y trouve certaines taches blanches dont la nature ne se laisse pas saisir au premier coup-d’œil ; mais quand on les considère attentivement , et sous certains angles de réflexion de lumière , on reconnaît que ce sont de vrais feld- spaths en partie calcinés. A ces cristaux , se joignent des micas hexagones et des points de schorl.

Ce granit fondu par le feu des vo’cans , me rappela la grande activité qu’il faut communi- quer au feu ordinaire pour en obtenir la fusion des granits naturels , et même des granits vol- caniques dont j?ai parlé dans le chapitre XII. Cependant je réfléchis ensuite qu’il n’était peut- être pas besoin d’un si haut degré de puissance pour fondre celui-ci, attendu qu’il était privé du

VOYAGES

16 4

quartz , un des élémens les plus réfractaires à la fusion. En effet , après avoir soutenu long-temps Faction du fourneau, il se convertit en un verre noir presqu’homogène, quelques feld-spaths se fai- saient encore distinguer par des taches blanches.

J’ai parlé du mica noir comme un des compo- sans de ce granit. J’ajouterai que si on l’enlève à la roche volcanique , et qu’on l’approche du barreau aimanté , il s’y attache comme le ferait un grain de fer. Cette propriété est commune à tous les micas noirs des roches volcaniques dont j’ai fait mention jusqu’à présent, et de presque toutes celles que j’indiquerai dans la suite. Avant mon départ pour les monts Euganéens , le cé- lèbre naturaliste Arduino m’avait fait remarquer ce phénomène à( Venise, la plupart des rues sont pavées de roches que l’on tire des mon- tagnes de Padoue. A la vérité , il croyait que ces paillettes noires et brillantes étaient plutôt des particules de fer que des micas; mais on ne con- serve aucun doute à cet égard quand , avec le secours de la loupe , on voit leur tissu formé de petites lames très-fines , très-délicates , un peu transparentes , flexibles sous la pointe d’une ai- guille , et se détachant l’une de l’autre. D’ailleurs elles se vitrifient dans le creuset, et le verre qu’elles produisent est semi-transparent et noirâtre.

DANS LES DEUX S I C I L E S. l65

Je n’ai point remarqué cette propriété magné- tique dans les micas des granits non affectés par le feu volcanique. A mon retour par terre de Cons- tantinople en Italie , j’avais recueilli un grand nombre d’échantillons de cette roche dans les montagnes qui se trouvaient sur mon passage , et dans des lieux je savais que les volcans n’avaient point agi ; j’en possédais d’autres qui apparte- naient à nos Alpes. J’ai éprouvé avec le'barreau aimanté les micas qu’ils contenaient, et pas un, quelle qu’en fût la couleur, n’a donné des signes d’attraction 3 mais ils ont acquis cette vertu après avoir été exposés quelque temps au feu. Ainsi les micas des monts Euganéens qui la possèdent , nous prouvent qu’ils ont subi l’action de cet agent , et nous donnent une nouvelle confirma- tion de la volcanisation de cette contrée.

Avant de quitter les carrières de Monte-Merlo, je raconterai deux faits qui méritent queîqu’at- tention.

Il n’est pas rare de trouver dans la lave graniti- que, des noyaux de quartz pur de diverses gros- seurs , depuis un pouce jusqu’à cinq, étincelans sous le briquet , teints d’une couleur légère d’améthiste, diaphanes , onctueux, solides, sans figure déterminée. Mais comment ces noyaux quartzeux, qui sont très-sains, existent-ils dans

VOYAGES

J 66

l’intérieur de ce granit volcanique ? Etaient-ils formés avant l’embrasement ? je ne saurais le croire 5 car le feu les aurait altérés, il les aurait dépouillés de leur transparence, il les aurait ger- cés et rendus friables : tout cela arrive à ce même quartz quand on le tient quelque temps au four- neau. Je dirai plus 5 ayant laissé , pendant un quart-d’heure seulement , deux de ces noyaux dans un creuset posé sur des charbons ardens, ils perdirent leur couleur d’améthiste, blanchi- rent, se couvrirent de gerçures, et devinrent sensiblement friables.

Ces petites masses de quartz auraient- elles été ramassées par la lave, comme il arrive quelque- fois aux corps étrangers qui se trouvent sur le chemin des torrens volcaniques ? Ce n’est pas mon sentiment ; je pensé au contraire qu’elles ont été produites après le refroidissement de la lave , par la filtration de l’eau qui , chargée de molécules de quartz , les a déposées dans ses cavités , et les en a remplies peu à peu : c’est ainsi que se sont formés les globes de calcédoine dans les laves de Lipari.

L’autre fait est analogue à celui-ci , et peut s’expliquer de la même manière. Il s’agit de quel- ques groupes de schorl qui se sont introduits dans cette même lave , et que l’on y découvre

DANS LES DEUX SICILES. 167 comme le quartz , en la mettant en pièces. Il sont formés de prismes rhomboïdaux tellement pressés et confus , qu’il n’en est aucun que l’on puisse détacher dans son intégrité. Ils ne diffè- rent que par la grandeur, de ceux qui existent dans la lave cellulaire à base de pierre de corne du mont Donati. Ainsi que tous les schorls des monts Euganéens, ils concourent à prouver la volcanisation de ce pays, en manifestant la même faculté dont jouissent les micas noirs , c’est- à-dire leur magnétisme. Le baron Dietrich , dans sa description des volcans du Vieux Brissac , démontre que l’action des schorls noirs cristalli- sés sur l’aimant , est une qualité qui n’appar- tient qu’à ceux qui sont volcanisés. Quoique je n’aie cité à ce sujet que les schorls du Monte- Rosso de l’Etna, remarquables par leur puissance magnétique, je n’ai pas laissé d’en éprouver une multitude d’autres provenant des champs Phlé- gréens et des îles Æoliennes 5 je puis assurer qu’ils possédaient tous la même vertu 5 mais elle ne s’est point manifestée dans onze espèces de schorls de toutes couleurs , dont les uns avaient été déta- chés des granits naturels , les autres avaient été trouvés errans.

Quant à la génération de ces groupes de schorls dans la lave granitique, je l’attribue, comme

VOYAGES

l68

celle du quartz , à la filtration des eaux , avec cette différence , qu’au lieu de n’adopter aucune forme régulière , ils se sont cristallisés d’une ma- nière confuse , sans doute à cause de la plus grande tendance de leurs molécules intégrantes à prendre une forme déterminée.

Après avoir visité les carrières de roclies volca- niques , je me transportai dans les carrières de pierre à chaux , qui ne sont pas rares dans ce pays , telles que celles de la Battaglia , des Frassinelle, et de S. Giacomo , situées sur les pentes de Monte-Grande, au-dessus de Teolo. Avant d'atteindre les laves de la Battaglia , on rencontre une roche calcaire qui s’exfolie en lames horizontales. La carrière que l’on y a ou- verte est vaste , taillée à pic 5 elle a en quelques endroits quarante-cinq à cinquante pieds de pro- fondeur , et fournit une pierre excellente pour faire de la chaux. Cette pierre est disposée par lits de diverse épaisseur , depuis un pouce jus- qu’à un pied , parallèles entr’eux et avec l’ho- rizon. Dans les monts Euganéens , par-tout il existe de la roche calcaire , il se trouve aussi des silex , ou pierres à fusil. Ici , on en voit un grand nombre $ plusieurs sont en combinaison avec la pierre à chaux, de manière à faire croire que cette dernière s’est transformée en silex.

Mais

DANS LES DEUX SICILE S. l6q Mais pour rendre sensible cette apparence de métamorphose , il est nécessaire de décrire Tune et l’autre de ces substances.

La substance calcaire est blanche, compacte, peu pesante , composée de particules impal- pables, douce au toucher; la cassure est nette, quelquefois conchoïde , avec des fragmens ob- tus et irréguliers. Elle se dissout avec efferves- cence dans les acides. On y apperçoit , tant au- dehors qu’au-dedans , de petites taches dentri- tiques qui , semées sur le fond blanchâtre de la pierre , ne sont pas sans élégance.

Le silex a une couleur de chair foncée , quel- quefois brune et même noire ; son grain est très- compacte, très-fin; sa cassure lisse , conchoïde; les fragmens én sont anguleux , aigus aux extré- mités , semi-transparens. Il est pesant ; la lime ne l’entame pas , et l’acier le fait étinceler vi- vement. Malgré tant de dureté , la plupart de ces silex se réduisent en éclats sous le marteau. Tantôt ils sont placés entre les lits de roche cal- caire , tantôt ils paraissent n’en former qu’une prolongation ; à la vérité , la division est quel- quefois tranchante, mais plus souvent encore les nuances en sont insensibles , et alors il est facile de se laisser tromper par l’apparence , et de croire , avec quelques naturalistes , qu’il y a Tome III. M

170 V O Y A Gr E S

transformation de la chaux en silex. Prenons pouf exemple un morceau 5 il est blanc en certains endroits; cette blancheur s’évanouit insensible- ment , se perd dans une ombre rougeâtre qui va croissant, et la pierre prend enfin cette cou- leur rouge , brune ou noire , qui est le propre du silex. Sa dureté suit les différentes nuances de la couleur , et devient successivement plus grande. la pierre est blanche, elle ne produit aucune étincelle sous le choc du briquet ; elle est d’un rouge pâle , elle n’en donne que de faibles : elle en fait jaillir de très-vives quand elle est d’un rouge vif , ou qu’elle est noire. Il y a. plus ; si d’un bout à l’autre on y étend de l’acide nitrique , il se fait une effervescence dans la par- tie blanche ; mais cette effervescence diminue graduellement en passant de teintes en teintes* et tout mouvement cesse la rougeur est très-foncée , et l’acier produit de fortes étin- celles. Toutefois ces caractères ne décident rien pour le chimiste. La diversité des couleurs ne différencie point les espèces dans les trois règnes ; la dureté et la scintillation n’excluent point la présence de la terre calcaire ; et bien qu’on ait fait de l’incapacité d’étinceler sous le choc du briquet un caractère distinctif de la pierre à chaux , il n’en est pas moins démontré que plu- sieurs pierres de ce genre jouissent de cette fa-

DANS LES DEUX SICILE S. Î7I culte. Je possède quelques échantillons de marbre de Carrare qui jettent beaucoup d’étincelles, sur-tout dans les endroits ils sont spathiques* On peut en dire autant de l’effervescence 3 il est des pierres calcaires que les acides dissolvent sans y exciter aucun mouvement.

Pour savoir donc à quoi m’en tènir sur cette prétendue transformation de la chaux en silex, je pensai qu’il fallait recourir à l’analyse chimique * et lui soumettre des fragmens du même morceau, les uns blancs , les autres passant du blanc au rouge : ceux-ci d’un rouge clair , ceux-là d’un rouge foncé. En voici les résultats. Dans les pre- miers fragmens , je trouvai une dose de chaux très-forte , et une petite de terre siliceuse ( je passe sous silence le gaz carbonique et le peu d’alumine qui y existaient ) 3 dans les seconds , une forte dose de chaux , et une médiocre de terre siliceuse 3 dans les troisièmes > une dose médiocre de chaux , et une forte de terre sili- ceuse 3 enfin dans les quatrièmes , une dose très- forte de terre siliceuse , et une très-petite de chaux. Ces faits me dispensèrent de recourir à des métamorphoses imaginaires pour expliquer les gradations dont j’ai parlé. Les silex qui cons- tituent une même couche avec la pierre calcaire, annoncent qu’ils ont été produits en même temps,

M a

175 VOYAGES

c’est-à-dire , à l’époque les eaux de îa mer, chargées de particules calcaires et siliceuses, en ont abandonné dans ce lieu les nombreux sédi- mens. Quand ces dernières se sont trouvées réu- nies ensemble en grande abondance, elles se sont aglutinées par la force d’affinité , et ont formé , par la précipitation , des couches siliceuses en continuation avec les calcaires. Quand, au con- traire , les particules siliceuses se sont trouvées en moins grand nombre relativement aux cal- caires , elles se sont unies à ces dernières, et ont formé les mélanges des deux terres dans les pro= portions indiquées par les analyses précédentes.

Il ne faut pas oublier que ces silex n’ont pas toujours une connexion directe avec la pierre calcaire $ ils s’y trouvent quelquefois interposés sous la forme de globes , ou de lentilles revêtues d’une croûte grisâtre , telle qu’on en voit sur une multitude de cailloux de ce genre. Il est possible que îa génération de ces globes , de ces lentilles siliceuses , soit postérieure , et que la filtration les ait produites après la formation des lits calcaires.

Je ne dirai rien des autres carrières ouvertes dans diverses parties des monts Euganéens : elles ne m’ont fourni aucune nouvelle remarque à ajouter aux précédentes.

DANS LES DEUX SICILE S. 1-73 Mais , pour revenir aux productions volca- niques , je parlerai d\me espèce de lave très- curieuse. Près de Teolo , s’élève une petite col- line appelée le mont du Boldu y composée principalement de globes pierreux de diverses grosseurs , dont la contexture présente des cou- ches étroitement liées avec un noyau central. Ces globes , de couleur ferrugineuse , sont par- semés de points brillans que l’on prendrait pour des micas ; mais en les examinant avec atten- tion, on découvre que ces points sont autant de particules de pierre de poix , dite pechstein par les Allemands., Vues au grand jour , elles pa- raissent de couleur plus ou moins blonde, et chacune est douée d’un certain degré de trans- parence. Elles sont , non combinées , mais unies mécaniquement à une base de pierre de corne molle et grenue. Traités avec le feu, ces globes se fondent en un émail noir, opaque, solide et compacte.

Cette observation me donna lieu de croire que je trouverais dans queîqu’endroit des monts Eu- ganéens la lave résiniforme. Je la découvris en effet dans une petit© vallée au sud, située sous Bajamonte. Elle y constitue un filon de trente- cinq pieds environ de longueur, et de neuf pieds et demi de largeur. Elle est très-altérée à la sur-

M 3

VOYAGES

Iji

face, et se brise facilement sous les doigts : in-* térieurement elle est moins molle , mais encore friable. Les morceaux qui se trouvent rompus dans le filon prennent souvent une forme ovoïde, et cette forme reparaît encore quand on les ré* duit en plus petits morceaux. On sait qu’en hu- mectant une pierre brute , on produit sur elle l’effet d’un demi-poli ; pour faire ressortir la couleur de celle-ci , il faut donc la mouiller ; alors elle prend le véritable aspect de la pierre de poix. Elle présente en quelques endroits des teintes d’un rouge tantôt pâle , tantôt foncé , quelquefois tirant sur le jaune , et on dirait de l’ambre; en d’autres, un mélange léger de bleu, de vert , de blanc. Sa cassure est toujours irré- gulière , inégale à la surface , peu luisante , et transparente dans les bords. Elle renferme des feîd-spaths disposés en tables , friables, peu bril- lans , distribués inégalement dans sa pâte : elle se brise à chaque coup de briquet , et ne donne aucune étincelle.

L’action du feu , soutenue pendant quelques heures, ôte à cette lave ses propres couleurs, et lui en donne une cendrée 3 elle lui enlève sa friabilité, sa mollesse, et la met en état de pouvoir fournir quelques étincelles : elle ressemble alors à une pâte de porcelaine, Si l’on prolonge l’épreuve,

DANS LES DEUX 5ICILES. 178 îa couleur cendrée reste 5 on voit se former un grand nombre de bulles , et la lave se convertit en un émail homogène et vésiculaire : les feld- spaths se fondent,

La petite vallée de Bajamonte n’est pas ce- pendant le seul endroit qui fournisse cette espèce de lave 5 j’en ai trouvé ailleurs , et d’abord je nommerai le mont Sieva et ses environs. Elle y forme des bancs ou filons , dont les directions sont tantôt obliques , tantôt perpendiculaires à l’horizon. Un de ces derniers filons possède ab- solument la couleur , le lustre de la pierre de poix : il renferme des feld- spaths. Extérieure- ment sa lave ne diffère point de la précédente ; on y découvre cependant une particularité qui la rend précieuse aux yeux du volcaniste. Les pierres ponces sont un genre de productions qui dénotent visiblement l’action du feu. Un voya- geur qui rencontrerait dans les montagnes un filon dont l’origine lui paraîtrait incertaine, mais qui le verrait passer immédiatement à l’état de ponce, ne se tromperait point en le jugeant volcanique. C’est ce qui m’est arrivé en exami- nant la roche en question , laquelle renferme des groupes plus ou moins gros de ponces fibreuses, légères , cellulaires , non pas simplement en- castrés , mais formant un seul corps avec elle ^

M 4

1

VOYAGES

S 76

de manière que ces ponces paraissent être des parties même de la roche , qui , par un coup de feu plus fort , ou peut-être par une plus grande facilité à se vitrifier , ont passé à cet état»

Outre une lave à base de pétro- silex, très- semblable au pétro-silex naturel par sa densité , quoique fusible au fourneau, le mont Sieva four- nit un filon de lave résiniforme d’une plus grande extension , posé presque verticalement. Elle a la couleur de la résine , un lustre agréable , de la finesse dans le grain , de la compacité 5 mais elle n’a pas assez de dureté pour étinceler sous le choc de l’acier. Sa cassure est lisse et nette ; ses fragmens sont irréguliers , seini-transparens aux extrémités : elle renferme des feld-spaths qui ont l’aspect vitreux.

Au reste cette lave , telle que je viens de la décrire , ne compose pas à elle seule tout le filon 5 elle ne forme que de petits morceaux étroitement liés par une substance pierreuse qui leur a servi de gluten , ou , si l’on veut , de ci- ment. Ces morceaux n’ont point été roulés et arrondis 5 ils sont au contraire irréguliers et aigus dans les angles. Il parait de-là que cette lave a été déchirée et réduite en éclats par une force quelconque, mais puissante, et qu’ensuite les débris en ont été saisis par une substance pier-

DAirs LES DEUX SICILE S. IJJ reuse ; et cette substance bien examinée , ne pa- raît être qu’une poussière très- fine de la même lave qui s’est aglutinée , et , de plus, a enveloppé d’autres petits corps étrangers.

Au Cataïo , terre appartenant au marquis des Obizzi , on voit des brèches semblables au pied de la montagne , Ton a pratiqué de pro- fondes carrières $ elles sont liées par un ciment congénère : la seule différence est que les frag- mens de lave résiniforme sont beaucoup plus petits.

Dans un autre endroit de cette montagne , la même lave reparaît 5 mais ce n’est plus sous la forme de brèche : elle est disposée par petits filons , et ressemble beaucoup à celle de Ba- jamonte.

Les expériences auxquelles j’ai soumis la pre- mièrei espèce de lave résiniforme , je les ai ré- pétées sur les suivantes, sans en excepter la base des brèches ci-dessus indiquées , et j’en ai ob- tenu la même qualité d’émail cendré et cellu- laire.

J’ai dit que ces laves ressemblent à la pierre de poix 5 elles en diffèrent cependant par une propriété remarquable qui consiste dans une

VOYAGES

178

facilité extrême à tomber en fusion , tandis que la pierre de poix est réfractaire à un feu violent.

Ayant à ma disposition plusieurs pierres de poix non volcaniques, je voulus en faire l’essai au fourneau. J’en choisis neuf : trois de l’île d’Elbe 5 une cendrée et presqu’opaque , une semi-trans- parente et jaunâtre, une opaque et tirant sur le noir trois d’Allemagne , une jaune , une rouge, une noire , et chacune opaque 5 trois des Pyré- nées, une rouge, une verdâtre , et une tenant le milieu entre le vert et le bleu pâle , chacune peu transparente dans les angles. Les six pre- mières , après avoir été tourmentées par le feu pendant quarante-huit heures, n’ont donné au- cun signe de liquéfaction ; elles sont devenues blanches, très - légères , et friables entre les doigts. Il n’en a pas été de même de celles des Pyrénées , qui se sont converties en un très-bel émail blanc, étincelant sous le briquet, et plein de petites bulles. Les pierres de poix de la Saxe qui existent dans des lieux non volcanisés , sont de même fusibles à un feu très-modéré , comme l’a observé Lamétherie.

On a donné diverses analyses de la pierre de poix , ou pechstein. Bergman en a extrait une forte dose de silice , une moindre d’alumine , eE une plus petite de chaux.

DANS LES DEUX SICILES. I79 Une autre pierre de ce genre y analysée par Wiegleb } a donné :

Silice ...... 65.

Alumine . 16.

Fer 5 .

Les quatorze parties restantes pour compléter le nombre de cent ont été perdues dans l’opé~ ration.

Une troisième pierre a fourni à Gmelin :

Silice go.

Alumine 7.

Fer 3,

Les laves résiniformes des monts Euganéens n’avaient point encore été analysées chimique- ment 5 je voulus faire ce travail sur les trois dont j’ai parlé. En voici les résultats :

I. Lave résiniforme au-dessous de Bajamonte

Silice

71*

Alumine .....

18.

Chaux

4

Fer

5.

l8o VOYAGES

II. Lave rêsiniforme du mont Sieva en très-

beaux morceaux , et bien conservés .

'Silice : .... j3 {.

Alumine .......... 14.

Chaux . . y ........ 8.

Fer 5 f

N \

III. Lave rêsiniforme du mont Sieva qui sert de ciment ou de base aux morceaux ci-dessus.

Silice . . 68

Alumine *19.

Chaux 8.

Fer ............ 2.

En comparant ces trois analyses de laves ré- siniformes des montagnes de Padoue avec celles de Bergman , de Wiegleb et de Gmeiin, on voit que la partie dominante dans les six pierres est la terre siliceuse 5 que l’alumine s’y trouve en dose médiocre ou petite, ainsi que la chaux et le fer. Il est donc évident qu’elles appartiennent au même genre. L’infusibilité qui est propre à certaines pierres de poix non volcaniques, n’est pas une différence essentielle 5 il en est d’elles comme des pétro-silex, dont les uns se fondent, et les autres sont réfractaires. Au reste, ce n’est pas une propriété commune à toutes les laves rési-

I

DANS LES DEUX SICÏLES. iBl niformes , que celle de se liquéfier avec facilité ; le mont du Mussato, dont je parlerai bientôt, contient des laves de ce genre , qui exigent un feu soutenu pendant plusieurs jours de suite pour se fondre entièrement. Celles des îles Ponces , qui sont d’un blond pâle , qui ont la cassure nette et lisse , ne font , au bout de quelques heures , que se colorer d’un rouge foncé , et ne tombent en fusion qu’au bout de trente heures.

Il est remarquable que presque toutes les laves résiniformes , quelle qu’en soit la couleur, rougissent dès qu’elles sentent l’action du feu.

Ce sont ces laves , très-abondantes dans les monts Euganéens , qui donnèrent lieu à l’erreur du Père Terzi , religieux Bénédictin 5 il les prit pour de grands amas de verre , et fit part de sa découverte dans des lettres publiées il y a quelques années. Entr’autres lieux cités, il disait en avoir trouvé de gros filons dans le mont du Mussato et à Brécalon. La nouvelle causa de la surprise aux naturalistes de Padoue , et sur-tout à l’abbé Fortis, qui ayant plusieurs fois parcouru ce pays pour en examiner les fossiles, n’y avait jamais rencontré du verre. Pour s’assurer du fait , il se transporta de nouveau sur les lieux, reconnut l’équivoque du Père Terzi , et détrom- pa le public dans un écrit plein de savoir , inti-

1É2 , V O Ÿ A G E a

talé : Mémoires sur diverses parties des mon *

tagnes de Padoue .

En 17g 2 5 au mois de septembre , le marquis Antonio Orologio et moi , nous allâmes visiter cet habile physicien dans sa maison de campagne de Galzignano $ il nous conduisit au mont du Mussato , dans l’endroit même le Père Terzi avait cru voir de gros filons de verre. Nous y reconnûmes tous les trois une simple lave résini- forme analogue aux précédentes , et constituant deux espèces distinctes, La première est entre- coupée par de petites veines de terre blanche , laquelle s’attache à la langue et sent l’argile. Au moyen de ces veines , la lave paraît divisée en compartimens. Elle renferme divers corps étran- gers très-remarquables ; ce sont de petits frag- mens de roche de corne , manifestant cette po- rosité qui caractérise les vraies laves y tel entre autre un fragment de la grosseur de deux pouces renfermé dans un des échantillons de cette lave, que j’ai déposé au muséum de Pavie. Ce frag- ment de roche de corne est parfaitement con- servé et très-poreux : ses pores arrondis et ellip- tiques, indiquent qu’il a fait partie d’un courant.

La seconde espèce , à en juger par mes échan- tillons, est analogue à la première, tant par la pâte que par la couleur semblable à celle de la

DANS LES DEUX SICILE S. J 83 térébenthine, mais plus foncée et moins vive* Elle en diffère en ce qu’elle forme des masses par elle-même, et qu’elle abonde en feld-spaths irréguliers , peu ou point brillans.

De toutes les laves résiniformes que j’ai ren^ contrées dans les monts Euganéens, cette der- nière est la plus compacte , la plus pesante , la plus dure mais les yeux suffisent pour saisir la différence qu’il y a entre ces sortes de laves et le verre volcanique. L’idée de ce verre est prise de celle que nous nous sommes formée du verre artificiel , et nous savons que la nature de ce dernier est d’avoir de la transparence , de jeter un grand éclat, d’être composé de particules imperceptibles , de se rompre en morceaux an- guleux dont les bords sont minces , les pointes tranchantes et aiguës ; d’avoir la cassure lisse et glissante, ou striée, ondoyante et courbe. Aucun de ces caractères n’est étranger au verre vol- canique , tandis que dans la lave résiniforme , on voit une surface terne , une pâte fine , à la vérité , mais non comparable à celle du verre ; une cassure moins lisse, point tranchante 3 déplus, sa transparence est très-faible et souvent nulle. Elle se distingue encore du verre volcanique par un moindre degré de dureté. Celui - ci , pour l’ordinaire , est assez dur pour tirer des étincelles

184 VOYAGES

de l’acier, tandis que la lave résiniforme n’en produit aucune , et se brise à chaque coup de briquet. Enfin le poids est comparativement plus grand dans le verre que dans la lave.

Mais si le Père Terzî voulait ne conserver au- cun doute sur la nature de ces filons ,* il n’aurait qu’à en faire fondre un petit morceau dans le creuset j le résultat serait un véritable émail ayant un aspect vitreux, qui n’apparaissait point auparavant dans la la^e. Ainsi cette substance doit être exclue , non-seulement de la classe des verres volcaniques , mais encore de celle des émaux.

Dans une de nos excursions , le marquis Oro- logio et moi , nous nous rendîmes à Praglia , et nous visitâmes l’antique monastère des Bé- nédictins , nous fûmes reçus avec beaucoup d’empressement parle Père Terzi. Il nous mon- tra la collection volcanique qu’il avait faite dans les monts Euganéens, et nous fit présent de quel- ques morceaux qui méritent une description par- ticulière.

Le premier est un amalgame de feld-spaths irréguliers , blancs , friables, et de schorls noirs, prismatiques , brillans , et très-analogues à cer- taines espèces de tourmaline. Traité avec le feu,

cet

BANS LES DEUX SICILE S. l8§

oet amalgame se fond en un émail très-noir , très-dense , et parsemé de points blancs , c’est- à-dire , de feld-spatbs à demi-vitrifiés : les schorls sont attirables à l'aimant à la distance d’une ligne et quatre cinquièmes. D’après l’indication du Père Terzi , on trouve cette production à Schi- vanoïa.

Le second , provenant de .Monte-Merio , pré- sente une agrégation de felçUspaths très-blancs et lui&ans, de couleur changeante et semi-cristalli- sés ; ils se fondent dans le creusent en un verre blanc, un peu spongieux , mais dur.

Le troisième , du même lieu ; fait prendre au premier aspect pour une pierre ponce, parce qu’il surnage sur l’eau. Mais quand on l’examine attentivement , on ne voitqu’une scorie vitreuse, assez dure dans ses parties solides pour tirer des étincelles du briquet , gonflée et rendue spongieuse^par l’action du feu et des substances aeriformes : elle se vitrifie parfaitement dan$ le creuset.

Le quatrième et le cinquième , l’un de Mas- eabo près Praglia, l’autre de Tramonte, n’étaient que des laves résmiformes que le Père Terzi pre- nait pour des verres.

Je n’eus pas le temps de vérifier ces indica- Tomelll. N

1 86 VOYAGES

tions locales ; sans doute elles étaient exactes, je puis du moins l’assurer quant aux deux autres productions dont je vais parler, les ayant re- vues dans Ips endroits mômes que ce religieux m’av.ajt désignés.

L’une gît au pied d’un rocher élevé , nom- mé la Pendise , et forme un filon qui court de l’est à l’ouest : c’est un de ceux que le Père Terzi avait qualifiés de verre. Certainement si , après en" avoir enlevé l’écorce qui est en dé- composition , et a par conséquent perdu la plu- part de ses caractères , on le considère en bloc , on croit voir une véritable substance vitreuse. L’aspect en est lisse et brillant, un peu onc- tueux /qualité propre à certains verres volca- niques moins parfaits que les autres. Mais en le considérant dans la cassure , on n’en retrouve plus les caractères 3 point de finesse dans la pâte, point de stries ondoyantes à la surface , point de tranchant dans les bords et dans les angles. Sans crainte de se blesser , on peut en rouler les fragmens entre les doigts, ce qu’on ne ferait pas impunément avec le verre volcanique. On sait d’ailleurs que les roches primordiales qui passent à l’état de verre par l’action des feux souterrains ne sont plus reconnaissables, qu’elles perdent leur structure primitive , et qu’elles se

DANS LES DEUX SICILE S. 187 réduisent avec les substances étrangères qui y sont renfermées , telles que les scborls et les feld-spaths, en une masse similaire et homo- gène. Mais la roche ci-dessus ne dément point son origine ; on s’apperçoit qu’elle dérive d’un pétro-silex vert obscur, dont la cassure est un peu écailleuse et conchoïde , le grain médiocre- ment fin , qui n’étincelle point avec le briquet, et n’a qu’un léger degré de transparence dans les bords. Les feld-spaths et les micas , au lien de faire avec sa base une pâte homogène , s’y sont maintenus dans une conservation parfaite. Dans les endroits le pétro-silex n’a pas été altéré , il est impossible de déterminer la cris- tallisation des feld - spaths ; mais , comjne ils tiennent peu dans la croûte superficielle la base a été en partie détruite , il est aisé de les en détacher entiers , et l’on voit que ce sont de petits cristaux prismatiques, à faces tétraè- dres , rectangulaires. On ne peut donc donner le nom de verre à cette roche : on doit tout au plus la reconnaître pour une lave vitreuse.

A coté de ce filon de roche volcanique , il existe une autre roche congénère , qui renferme également des micas et des feld-spaths de même nature; sa couleur est d’un vert clair; sa dureté est plus grande , mais elle n’a pas le lustre de

N 2 ,

1 88 VOYAGES'

îa première. Ces deux roches , placées dans fe creuset , se convertissent en un émail cendré ; les teid-spatns se fondent entièrement $ les micas sont réfractaires, et paraissent comme autant de points noirâtres dans l’émail.

î/âutre production m’avait été indiquée par îè *Pkrè Terzi près de l’église de Valsanzibio, il t m’en avait parlé comme d’un verre errant ; et en ‘effet, l’échantillon qu’il me montra chez lui ine parut en avoir tous les caractères 5 il était hoir, etfaisait feu avec le briquet. Je me félicitai àvëë lùi de son' heureuse découverte , et n’eus^ rien ae plus pressé que de me rendre à Val- sanzibio pour me mettre à la quête de ce verre. 3’ëh trouvai en effet plusieurs morceaux , non ‘sous terre , ou tenant à Un rocher , mais épars à surface dès champs ou sur les chemins r ce qui me lit tiaître quelque doute. Ayant in- terrogé les nabi tari s lieu , ils me dirent que dés bergers avaient enlevé ces verres aux gro- tesques qui embellissent les fontaines du jardin de Barbarigo , et que les ayant ensuite trouvés inutiles , ils les avaient jetés çà et là. C’était la vérité, car m’étant approché de ces fontaines, je vis que les verres qui y tenaient encore étaient semblables à ceux que j’avais rencontrés dans les châîüps, et je sus par le jardinier qu’ils avaient

DANS IBS DJCX SÏCILES.

été pris dans les scories des fourneaux de Mu- raoo près V enise.

Je ne citerai plus qu’un échantillon de U col- lection volcanique du Père Terzi. C’était encore, selon lui , un verre de volcan trouvé à Monte- Merlo. N’ayant pas été sur les lieux , je ne puis prononcer sur son origine, }\ était noir, compacte et pesant. Peut-être provenait-il des eiobrase- mens souterrains de ce pays, éteints depuis tant de siècles. Strange lui-même, dans son Catalogue raisonné , n°. 62 , fait mention de quelques mor- ceaux solitaires de verre fossile trouvés dans les monts Euganéens. Quoi qu’il en soit , celui des fourneaux de Murano doit nous apprendre à sus- pendre notre jugement sur l’état volcanique d’un pays , quand nous n’en avons d’autre indice que quelques morceaux errans de verre , de scorie, ou de telle autre substance travaillée par le feu; et quand tout nous prouverait que ce feu a été volcanique, encore devrions-nous être en doute sur la volcanisation même du pays. J’en puis apporter un exemple , qui s’offrit à moi dans l’excursion que je fis au sommet du Cap-Colonne, promontoire de l’Attique, distant de vingt et un milles d’Athènes , en 1785, allant à Constantino- ple avec le chevalier Zulian , ambassadeur de Ye- nise. , je fus surpris de voir éparses sur la terra

N 3

VOYAGES

îgo

des pierres ponces ; car , d’ailleurs , la montagne ne me présentait aucun signe de volcanisation. Elles étaient de l’espèce légère qui se soutient à la surface de Feau , et globuleuses , ce qui me fit soupçonner qu’elles avaient été roulées. En des- cendant de ce promontoire, j’allai vers la plage près d’une langue étroite de terre battue par les flots j et j’y trouvai trois ponces semblables qui m’éclairèrent sur l’origine de celles qui existaient au sommet de la montagne , à cent-soixante pieds de hauteur, elles avaient été indubitablement transportées par les hommes $ car les unes et les autres étaient du nombre de celles que les courans de la mer amènent sur les rivages : il est à croire qu’elles provenaient de quelqu’île volcanique de l’Archipel , peut-être de Santorin , qui en est une mine inépuisable.

Les raisons que l’on a de douter de certaines relations qui disent d’un pays qu’il est volca- nique, par cela seul qu’on y voit des corps er- rans portant l’empreinte des feux souterrains , peuvent également s’appliquer à d’autres rela- tions , qui assurent la même chose sur des fon- demens non moins incertains. Ici , dit-on , il a existé un volcan , parce que les matières sont noires , et que par conséquent elles dénotent Faction du feu y , parce que l’on voit des

PANS LES DEUX SICILE S. 1(^£ laves qui ont déchiré le sein d’une montagne , ou des bancs de roches volcaniques interposés dans ses crevasses.

Ils ne sont pas rares } les auteurs qui , sans autre spécification , usent de telles expressions , ou d’autres équivalentes , pour annoncer à leurs lecteurs la découverte de quelqu’ancien volcan éteint. Je ne nie pas que le fait qu’ils avancent ne puisse être vrai , mais je soutiens que les ca- ractères qu’ils lui assignent sont équivoques , et même trompeurs. Si plusieurs substances vol- caniques sont noires , à divers degrés ; si cette couleur s’y conserve pendant une longue suite de siècles , comme dans les laves des îles Æo- liennes , il en est d’autres elle s’évapore et se perd avec le temps , comme dans la plupart des laves du Vésuve et de l’Etna , qui , plus ou moins noires dans le principe , finissent par res- sembler à de la terre commune. Il suffit de jeter les yeux sur les éruptions récentes , sur celles du moyen âge , et sur les plus anciennes de ces deux volcans , pour se convaincrê de cette mutation de couleur. Il y a plus $ les laves mê- mes très -récentes ne sont pas toujours noires. Souvent des roches primordiales , après avoir été tourmentées par le feu } retiennent encore la couleur qui leur est propre. Ainsi telle lave

■N 4

V O Ÿ A G E S

ï52

éstî noire parce que c’était ta couleur de sa roche* k pierre de corne par exemple ; une autre est grise* cendrée ou blanche * parce qu’elle dérive du feld- spath ou du pétro -silex. Cette diversité de couleur * noire * grise * cendrée * ou plus ou moins blanche * appartenant aux roches primi- tives * se remarque jusque dans les émaux et îês verres qui proviennent de ces mêmes roches fondues dans le creuset. Il est donc évident que la simple couleur des matières est un signe équi- voque de leur vulcanisation.

Mais on n’avance rien de plus concluant * quand on se bo’rne à dire qu’il existe dans un pays des bancs de roches volcaniques ; cette assertion est trop vague pour satisfaire l’esprit. Dans l’état actuel de nos connaissances* on exige de l’exactitude et de la précision. On demandera à un relateur qui dit * fai vu des matières vol- caniques * quelle est la nature de ces matières ; sont -ce des cendres* des verres * des émaux , des scories , des laves ? On lui demandera de les désigner par leurs propres caractères; car enfin * l’avancement de la science dépend de l’exacti- tude et de la clarté des descriptions. C’est ainsi que procèdent les meilleurs voîcanistes * à la tête desquels se distingue Faujas-Saint-Fond * dont l’ouvrage intitulé : Minéralogie des vol -

DANS LES DEUX SICILE S. lcj3 cans , doit servir de guide et de modèle en ce genre.

Je placerai ici une réflexion générale sur les laves , qui m’est venue en considérant la struc- ture des monts Euganéens. Chacun sait que l’on donne le nom de lave à une substance pierreuse qui s’est fondue et a coulé. Ainsi , quand une montagne conique porte à son sommet un bassin en forme d’entonnoir renversé , ou du moins en conserve des traces sensibles ; quand de ce bas- sin , comme d’un centre commun , les couches de roche vont se dirigeant avec un mouvement d’ondulation vers les parties inférieures , ou pré- sentent à leur surface des tumeurs , des inégali- tés , on ne peut méconnaître la présence des laves. On a la même certitude , lorsqu’ayant d’ailleurs des preuves de la volcanisation d’une montagne , on voit les couches de roche se di- riger du sommet vers la base avec les mêmes ondulations, quoique toute trace de cratère soit effacée. Plusieurs îles de l’archipel Æoîien sont dans ce dernier cas; mais quel est l’observateur qui s’est transporté sur la cime de leurs monts , et n’a pas reconnu , à la disposition du sol , l’efFet des courans de lave ? Cependant il y a tel pays travaillé par le feu , le manque de ces circons- tances locales peut faire douter si les roches

VOYAGES

*94

volcanisées qui s’offrent à la vue ont véritable- ment coulé. J’éprouvai cette incertitude en par- courant pour la première fois les monts Euga- néens 3 et j’étais d’autant plus disposé à suspendre mon jugement, que j’en trouvais le motif dans mes propres observations. En réfléchissant sur la possibilité que les roches de ces monts n’eussent jamais coulé , quoiqu’elles manifestassent inté- rieurement des marques sensibles du feu, je me rappelai certains résultats de mes expériences précédentes sur les roches primordiales et sur les laves, dont je vais rendre compte succincte- ment, pour ne pas trop m’écarter de mon objet principal.

J’ai fait mention, dans le chapitre XI, de plu- sieurs porphyres à bases de pierre de corne et de pétro-silex , qui se sont fondus dans le creu- set. Voici ce que l’on y observe un peu de temps avant que la fusion arrive. Les morceaux, d’abord raboteux et anguleux , acquièrent une surface lisse et vitreuse 3 dans l’intérieur , le grain prend un aspect qui tient plus du vitreux que du si- liceux, et cela se voit même dans les porphyres à base de pierre de corne ayant une apparence terreuse. Ils s’attachent ensemble par quelques points , mais n’en conservent pas moins leurs angles et leur figure primitive. Cette dernière

DANS LES DEUX SICILE S. lCp circonstance a lieu dans les expériences sui- vantes.

Le feld-spath du mont Saint -Gothard , ou Yadulaire du Père Pini , perd sa couleur cha- toyante , sa diaphanéité , blanchit dans son in- térieur, y devient un demi-émail, et présente au-dehors un aspect vitreux.

Dans les feld-spaths d’ischia , la vitrification pénètre de quelques lignes leur surface.

Il existe une terre employée pour certaines poteries de Pavie , et nommée biella, du lieu d’ou on la tire. Cette terre est composée d’alumine , de terre siliceuse , et d’un peu de chaux. En général , elle est réfractaire aux fourneaux de verrerie ; cependant elle est sujette à se fondre lorsque la dose de chaux y est combinée en plus grande proportion. Ayant fait avec cette terre de petits globes et de petits cubes , et les ayant placés dans le creuset , je vis , au bout de quatre ou cinq heures , que la vitrification les avait pé- nétrés de deux tiers de ligne , et môme d’une ligne entière , et -que leurs centres étaient de- venus semi-vitreux.

Des efFets analogues s’observent dans les laves. Elles prennent à leur surface un aspect vitreux qui s’affaiblit vers les parties centrales. Plusieurs

VOYAGES’

196

manifestent même dans ces parties des points vitreux, quoiqu’àuparavant elles ne renfermas- sent pas un seul atome de verre. En général , on n'y reconnaît plus le grain et le tissu de la roche dont elles dérivent , et on les prendrait toutes pour autant de laves vitreuses.

Voilà donc un grand nombre de productions fossiles qui ont l’apparence de laves ., et de laves vitreuses , sans avoir jamais éprouvé de fusion 5 témoins les morceaux de roche des expériences ci-dessus, qui , sortant du fourneau , ont reparu avec la configuration qu’ils avaient avant d*y entrer.

Instruit par ces faits, j’avoue que, visitant pour la première fois les monts Euganéens, et voyant un théâtre de choses bien différent de celui que m’avaient offert les îles Æoîiennes , l’Etna , le Vésuve , je doutai s’ils devaient leur origine aux éruptions volcaniques , ou s’ils préexistaient aux incendies souterrains qui, dans ce dernier cas, n’auraient fait que les pénétrer , agir fortement sur eux en y gravant çà et leurs traces ineffa- çables, et les auraient laissés à leur place tels que nous les voyons aujourd’hui. Mais je fus bientôt convaincu que ces amas immenses de roches avaient été formés par des éruptions ignées, ou courans de laves ; et je trouvai dans le phéno-

1) ANS LES DEUX SI CIL ES, 1$?

mène de leur porosité , un garant de la vérité de mon opinion. En effet , les gaz élastiques gé- nérateurs de ces pores , de ces cellules , pour- raient-ils ainsi les former dans les roclies > si elles n’étaient ramollies au point de céder à l’effort expansif de ces substances aériformes , effort qui ne peut avoir lieu que dans leur liquéfaction ac- tuelle ? en ceci l’expérience est d’accord avec le raisonnement. Quand mes porphyres à base de pétro-silex ou de pierre de corne } et généra- lement les laves compactes que j’ai soumises à l’action du feu , ont contracté on simple vernis vitreux , sans que les morceaux en soient venus à s’aglutiner, et à former une seule masse uni- forme , les bulles ne se sont point montrées 5 mais lorsque la fusion s’est accomplie > les bulles ont paru en grand nombre et d’autant plus grosses , que ces substances éprouvaient uri degré de liquéfaction plus considérable. La po- rosité dans les roches volcaniques est donc un signe certain qu’elles ont coulé. C’est le cas se froncent la plupart de celles des monts Eu ganéens : j?en ai déjà cité quelques-unes , je vais donner l’indication des autres.

La première forme la pente d’une montagne dont j’ai oublié 'le nom , ayant omis de Le noter dans mon journal. Elle est à base de pierre de

y O Y A O E s

198

corne , parsemée de cristaux feld-spathiques, et pleine , tant à la surface que dans le centre , de bulles rondes , telles que les fluides aériformes les produisent dans les laves.

Une autre des plus remarquables par la gros- seur et le nombre de ses bulles , gît le long du chemin qui conduit de Bajamonte à Rua. Elle a pour base la pierre de corne 5 elle sent l’argile 5 sa couleur est de feuille morte ; elle a un grain sablonneux , et renferme un grand nombre de cellules arrondies qui ont depuis un point jusqu’à sept lignes de diamètre , et dont plusieurs sont occupées par de petits globes de carbonate de chaux cristallisés que l’infiltration y a engendrés. L’aspect extérieur de cette lave indique sa très- haute antiquité : traitée avec le feu, elle se fond en un émail noir et opaque.

Au sud-ouest de Rua, on trouve de gros blocs de roche volcanique détachés du sommet de la montagne. La couleur de cette roche varie 5 elle est tantôt cendrée , tantôt rougeâtre , tantôt d’un violet clair. Sa base est un pétro-silex à grain terreux. Outre des micas hexagones à côtés obli- ques, on y découvre des feld-spaths transparens, tantôt cubiques , tantôt prismatiques , et quel- quefois irréguliers, très-étincelans sous le bri- quet , et formant des lames brillantes : les plus

DANS LES DEUX SICILE S. 199 grands ont cinq lignes et un tiers. Ces cristaux , remarquables entre tous ceux que j’ai décrits jusqu’à présent, enferment étroitement une por- tion de la base pétro-siliceuse qui leur sert comme de noyau , et occupe une bonne partie de leur aire. Quelle est la cause de cet accident , et com- ment est -il arrivé? J’imagine que lorsque les particules intégrantes des feld-spaths disséminées dans la base terreuse et liquide , s’unirent , par la force d’agrégation , en petites masses cristal- lisées , chacune de ces masses emprisonna une portion plus ou moins grande de la base 5 mais la rareté du phénomène suppose une circons- tance locale qui a eu des rapports directs avec cette singulière combinaison , et que j’ignore ab- solument.

Ces feld-spaths se fondent dans le creuset , et s’unissent tellement avec leur base , qu’il en résulte un verre solide , blanc , semi-transparent, pointillé de noir par les micas de cette couleur qui résistent à la fusion.

Je passe sous silence une autre lave poreuse de Rua , et deux laves compactes à base de pierre de corne qui existent dans les environs , et n’ont rien de particulier. Mais je m’arrêterai sur celle qui présente des couches obliques à l’horizon , le long du chemin conduisant de Galzignano à

200 VOYAGES

Ciesa. Elle est blanche , compacte comme la pierre calcaire fine , à qui elle ressemble par l’aspect la cassure et le poids. Elle jette quel- ques étincelles sous le briquet , et se distingue des autres laves par des points d’un vert tendre disséminés sur un fond blanc ; mais on ne peut bien les voir qu’à la faveur d’une loupe et d’une vive lumière. Ces points paraissent alors plus grands ; on découvre qu’ils ne sont qu’une terre à demi-friable qui se détache avec la pointe d’une aiguille, et qui est interposée dans les fentes de petites masses irrégulières d’un quartz luisant, blanc et très- diaphane. J’ignore si cette pous- sière est 'une décomposition du quartz, ce qui pourtant me paraît peu vraisemblable , attendu qu’on la retrouve jusque dans l’intérieur de la lave, celle-ci n’,a pas été altérée; je la crois plutôt une matière étrangère et av-entice. Outre ces grains quartzeux , la base pétro-si- liceuse de cette lave renferme quelques feid- spaths très -petits, mais que l’on ne confond point avec les premiers , à cause de leur éclat changeant , de leur figure rbomboïdale , et de leur tissu lameUeux.

La base de cette lave , placée dans le creu- set, a sans doute servi de fLux aux grains quart- zeux , puisqu’il en est résulté un émail homo- gène

DANS LES DEUX SICILE S. 501 gène et blanc , sans trace de quartz ni de feld- spath s.

Sur le chemin de Pigozzo,vis*à-vis Cattaïo, est une lave semblable, avec cette seule différence, que les grains quartzeux n’offrent point de taches vertes : elle donne au feu le même produit.

On rencontre à Monte-Nuovo une roche vol- canique dont la décomposition est telle, que la seule pression du doigt suffit pour la réduire en poudre. Sa base est argileuse , et renferme de nombreux feld-spaths qui , pour avoir conservé leur figure prismatique, n’en sont pas moins fria- bles. Il est rare de trouver dans les volcans, même l’acide sulfureux a le plus exercé son influence , des feld spaths aussi détériorés ; mais ici on ne saurait découvrir le moindre vestige de cet acide , et la décomposition paraît être l’ouvrage de l’air et des élémens humides. En rompant cette lave , il s’en détache quelques prismes octogones et hexagones, avec la troncature oblique, moins ramollis que la base à laquelle ils étaient liés , et qui n’appartiennent ni au genre des schorls , ni à celui des feld-spaths : par leurs caractères extérieurs , ils ne semblent pas différer essentiel- lement de la lave elle-même.

On se rappelle que dans le nombre des laves Tome 1IL O

202

VOYAGES

résiniformes citées plus haut , il en est une remar- quable par les pierres ponces qu’elle renferme : Montselice , cette montagne d’une grandeur moyenne, et isolée dans le pays que je parcours, est en partie composée d’une lave blanche, ar- gileuse , dont l’aspect est terreux, et qui s’ofFre avec les mêmes circonstances. Mais les ponces de la première sont une dérivation de ses parties, dilatées et gonflées par les substances gazeuses; au lieu que les pouces de celle-ci paraissent aven- tices, et consistent en de petits globes blancs qui se détachent avec facilité : vraisemblablement ils ont été saisis et enveloppés par la lave tandis qu’elle coulait. Ils ressemblent assez à ceux de Pompéia près le Vésuve. Les uns et les autres traités avec le feu, donnent un émail analogue.

Outre les ponces , cette lave recèle des cris- taux feld-spathiques qui se vitrifient avec elle dans le creuset.

Le mont d’Arqua fut le dernier que je visitai. Sa cime est formée d’une lave grise , compacte, étincelante sous le briquet, à base de pierre de corne , renfermant des cristallisations micacées et feld-spathiques , fusibles dans le creuset. On la rencontre quelquefois disposée par couches presque horizontales,

A cette énumération de laves, je joindrai celles

D AN S LE S D EU X S IC ILE S. 3q5 du mont Catajo , je n’eus pas le loisir de m’arrêter long - temps. Les échantillons en ont été recueillis par le marquis Orologio , qui me les a envoyés à Pavie avec des descriptions que je rapporterai ici , en me bornant à les abréger , et à y faire de légers changemens,

Ire lave. Une des plus belles des monts Euga- néens. Le feld -spath en masse en constitue la base 5 mais cette base se laisse difficilement recon- naître par ses caractères extérieurs , le feu Payant changée en une lave vitreuse , de couleur cen- drée, compacte et peu dure à cause de ses nom- breuses gerçures. Elle renferme des micas et des feld- spaths cristallisés ; l’émail qu’elle produit au fourneau, semblable à celui des laves résini- formes , présente avec les micas etlesfeld-spaths fondus une masse homogène.

Cette lave , sur laquelle est bâti le château du marquis des Obizzi , occupe au sud une étendue considérable de la base du mont Ca- tajo 5 elle se prolonge encore au nord-est, où, perdant par sa grande décomposition le carac- tère de lave vitreuse , elle ne parait plus que comme une lave terreuse et friable. Cependant, avec de l’attention , j’y ai reconnu des linéamens vitreux , et je suis persuadé que si l’on faisait une excavation profonde sur les lieux, on dé-

O 2,

204 VOYAGES

couvrirait encore mieux sa vraie nature. C’est en pénétrant dans le sein des roches , tant natu- relles que volcanisées , qui ont été attaquées à leur surface par des agens extérieurs * que Ton parvient à les voir dans leur état primitif.

On trouve dans l’intérieur de la lave en ques- tion , divers globes isolés de pétro-silex naturel très - bien caractérisés. Ils sont revêtus d’une croûte blanche , argileuse , qui s’attache à la langue , et renferme des points micacés 9 et de petites lames feld-spathiques.

Traités avec le feu , ils blanchissent , et se couvrent d’un vernis vitreux , sans perdre leur figure primitive.

IIe lave. On la rencontre au quart de l’élé- vation de la montagne j d’où elle se prolonge jusqu’au sommet. Elle existe aussi sur les pentes en morceaux détachés. Sa base est un trapp com- pacte , pesant , d’un grain très-fin , entrecoupé d’écailles feld-spathiques , et ayant la couleur du fer. Placé dans le fourneau, il se fond en un émail plein de bulles : sa couleur lui reste.

IIIe lave. Elle est en partie ensevelie dans celle du n°. II , et en partie à découvert, formant des filons tortueux de diverses grosseurs, qui prennent d§s directions différentes : un d’eux coupe la lave

DANS LES DEUX SICILE S. 2ô5 vitreuse décomposée du n°. I. Sa base est un pétro-silex très- compacte, d’un grain fin , ren- fermant de petits cristaux micacés et feld-spa- tbiques. Sa couleur est d’un gris livide tirant sur le noir. Elle subit dans le fourneau une fusion complète , quand elle a éprouvé l’action du feu pendant trente-huit heures.

IVe lave. Elle est blanche , légère , décompo- sée comme celle du n°. I. Sa base est argileuse et s’attache à la langue. Cependant les petits cristaux de mica et de feld- spath qu’elle ren- ferme, sont dans un état d’intégrité. Elle s’étend en filons qui sortent du sein de celle du n°. II.

Traitée avec le feu , elle m’a donné un verre semi-transparent de couleur cendrée, les feld- spaths se sont fondus 5 mais dans cette opération , elle a fortement attaqué les creusets, et s’étant combinée avec leur terre , il en est résulté au- tour des parois une couche de verre couleur d’éméraude , très-transparent.

Ve lave. Parmi les bancs de laves résiniformes qui font partie du Catajo , il en existe un au sommet , du côté du sud-est, entrecoupé d’in- nombrables stries blanches , très-minces et pa- rallèles, qui forment un contraste remarquable avec les stries rougeâtres des autres bancs. Les

1

VOYAGES

20 6

premières , à ce qu’il m’a paru , ne sont qu’une décomposition de la lave , dont la cause tient peut-être à l’infiltration des eaux pluviales qui s’y sont insinuées par les fissures.

Traitée avec le feu , cette lave se convertit en un émail analogue à celui que fournissent les autres laves de ce genre : les feld-spaths se fon- dent avec leur base.

VIe lave. Elle est ainsi indiquée par le marquis Orologio. « Vers le sommet de la tête supérieure »du mont Catajo ( car il en a deux ) , règne une » large plaine avec des élévations et des enfon- scemens. Je soupçonne que c’est un ancien cra~ » tère ruiné par le temps, et comblé de ses propres » débris. , on trouve des masses énormes d’une y> espèce de brèche ou poudingue, composée de » petits fragmens de diverses variétés de laves » liées par une argile endurcie ».

Cette brèche est digne d’attention ; le schorl noir en masse la constitue pour la plus grande partie. Chaque fragment est entouré d’une croûte terreuse de couleur cendrée , qui s’attache à la langue , et dérive de la décomposition du schorl. Cette croûte est quelquefois très-superficielle quelquefois aussi elle pénètre dans les fragmens, et ne laisse au centre qu’un point noir de schorl.

DANS LES DEUX SICILE S. .207 Pour l’ordinaire , ces fragmens sont anguleux , ce qui indique qu’ils n’ont pas été roulés. Ils sont tous liés par un ciment peu épais , d’un jaune clair , d’un aspect vitreux , mais altéré par la décomposition. Cette brèche , exposés dans le fourneau , se réduit en scorie noirâtre et écu- meuse.

Il paraît que la décomposition de cette brèche est l’ouvrage des météores et du temps. Ses frag- mens de schorl témoignent avec évidence qu’ils ont préexisté à la substance vitreuse , qui les a saisis en coulant sur eux , et en a fait un seul corps avec elle. Peut-être sont-ce les débris d’une lave très-ancienne à base de schorl en masse , à moins que l’on ne suppose que la violence des gaz élastiques ait brisé quelque filon de schorl, l’ait réduit en petits morceaux , et que la bouche du volcan les ait ensuite vomis , sans qu’ils aient été fondus ou altérés par le feu.

VIIe et dernière lave. Quoiqu’elle soit spéci- fiquement la même que celle du n°. II , elle mé- rite cependant une mention particulière à cause de sa conformation. A la moitié environ de la hauteur de la montagne, vers le sud-ouest , se présente un escarpement , l’on voit régner deux ordres, l’un plus élevé que l’autre , de co- lonnes prismatiques et verticales , dont la hau-

O 4

VOYAGES

2o8

teur varie depuis un pied jusqu’à trois. En exa- minant le roçher auquel elles sont adhérentes, la déchirure qui s’est formée à cet endroit , et la circonférence de la montagne , on voit que lorsque celle-ci était entière , les colonnes en occupaient le centre , ou peu s’en faut. Elles ont pour base le schori en masse : dans leur pâte et leurs feld-spaths , elles ne différent point de la lave du n°. II.

Cette roche met en mouvement l’aiguille ai- mantée à la distance de deux lignes , et peut servir de pierre de touche : qualité reconnue par Cronstedt dans les trapps de Suède.

RÉFLEXIONS et COROLLAIRES.

L’ ensemble des faits présentés dans ce cha- pitre nous éclaire sans doute sur la nature des roches volcaniques qui composent les monts Eu- ganéens 5 mais nous rendrons leur instruction plus générale et plus utile , si nous nous en servons pour établir un rapprochement entre ces volcans et ceux que nous offrent ailleurs l’Italie et ées en- virons, quel que soit l’état actuel ils se trouvent. Rien n’est isolé dans la nature , tout est lié, tout est gradué dans des rapports divers, et si nous acquérons des connaissances , elles sont le résulta

DANS LES DF. TJX SICILE S. 209 des comparaisons que nous établissons entre les objets. Telle est la marche que j’ai suivie dans mes précédens ouvrages de physique. Le but principal de mes études , de mes recherches , était de rapprocher les faits que je découvrais, de les analyser, de les comparer avec les faits connus ; et dans le livre que je publie aujourd’hui , je ne me suis point départi de cette méthode , qui me semble la plus propre à reculer les bornes de la physique. C’est elle qui m’a conduit aux réflexions que je présenterai ici avec le plus de brièveté qu’il me sera possible.

Quoique la mer soit actuellement éloignée de plusieurs milles des montagnes de Padoue , il est certain qu’anciennement elle les a couvertes ; les roches calcaires et leurs couches horizon- tales , les testacées marins que l’on y trouve , en sont des témoignages irréfragables. Il est encore certain , d’après les observations de Strange (1) et de Fortis (2), que ces montagnes formaient au- trefois autant de petites îles volcaniques, comme celles de l’archipel Æolien ou deSanlorin ; comme

(1) V. Lettre géologique du chevalier Strange.

(2) V . Mémoire géographique et physique sur la vé- ritable situation des îles Elétrides des anciens.

21 0 VOYAGES

celles qui ont reçu le nom de Ponces , et une multitude d’autres de même origine : seulement, dans les très-anciens volcans de Padoue , toute inflammation visible s’est évanouie, et s’il en reste encore quelques étincelles, c’est aux sources ca- chées de leurs célèbres eaux thermales quelles existent. Si ces montagnes , qui ont conservé exactement leur physionomie et leur caractère volcanique , sont néanmoins fort altérées à l’ex- térieur, il en faut chercher la cause dans leur haute antiquité 5 le temps a amené la chute des parois de leurs cratères 5 les pluies y ont entraîné des matières qui les ont comblés, et l’industrie des hommes a converti en terre végétale les laves scoriacées et poreuses que l’on n’y trouve plus aujourd’hui. Situées au milieu d’un pays très- anciennement civilisé , elles ont perdu , par la culture , leur aspect primitif et sauvage , plutôt que d'autres régions volcaniques , mais moins peuplées , dont les feux éteints datent d’une époque tout aussi reculée.

ïl est digne de remarque que les laves des monts Euganéens , comme celles des autres vol- cans dont nous avons une plus parfaite connais- sance , dérivent , non de pierres simples , mais composées, ou de roches. Les laves de l’Etna, dont la base est pour l’ordinaire la pierre de

DANS LES DEUX SICILE S. 211 corne , ou le schorl en masse , sont unies aux feld-spaths , aux schorls cristallisés , aux chryso- lites. Les feld-spaths,les grenats, les schorls cris- tallisés , sont incorporés aux laves des volcan* Æoliens , qui ont pour base , soit le pétro- silex, soit la pierre de corne , soit le feld-spath , ou le schorl en masse. On trouve dans les laves du Vésuve le pétro-silex , la pierre de corne , le grenat , réunis aux schorls , aux feld-spaths , aux micas. Celles d’ischia, à base de pierre de corne, abondent en feld-spaths ; les îles Ponces four- nissent des laves siliceuses unies à des schorls ,, des feld-spaths et des micas $ enfin on trouve à Saint-Fiora , dans la Toscane , des laves gra- phiques.

C’est ainsi qu’aux laves des monts Euga- néens , qui ont pour base tantôt un schorl ou un feld-spath, tantôt une pierre de poix, ou une pierre de corne, ou un pétro-silex, sont incorporés des feld-spaths , des schorls cristal- lisés , et des grains quartzeux. Quoique je n’aie examiné qu’une partie de ces montagnes , ce- pendant il m’est permis d’assurer , d’après les recherches plus étendues de Strange , que îe noyau de chacune est composé de cet ordre de roche. Il est donc vrai que le foyer des feux souterrains qui ravagent depuis si long-temps

\

VOYAGES

212

l’Italie et les lieux circonvoisins, s’est trouvé placé dans des roches de diverses qualités 5 mais qui sait à quelle immense profondeur dans la terre ces roches étendent leurs racines ? J’ai dit dans la terre > car si , par la violence des feux vol- caniques j elles ont été soulevées çà et à sa surface par grandes masses de l’un et de l’autre coté des Apennins , il n’en est pas moins vrai qu’on ne les voit presque jamais concourir à la formation de cette chaîne de montagnes qui est principalement composée de pierres calcaires , de stéatites , de pierres sablonneuses , et d’une espèce de schiste quartzeux , micacé , les plaines reposent. Au reste , il pourrait bien se faire que ces roches primitives fussent ensevelies dans leur état d’intégrité , sous le grand corps des Apennins.

Je n’ai pas voyagé dans les monts Vicentîns. Ilnous manque une lithologie exacte de ce pays$ nous savons seulement qu’il a été formé par des volcans sous-marins. Cependant j’ai reconnu, par quelques échantillons de ses fossiles que m’a pro- curés le savant Arduini de Venise, et par les ren- seignemens qu’il m’adonnés à ce sujet, que les laves de ces monts dérivent d’une roche ; que cette roche est tantôt un pétro-silex, tantôt une pierre de corne, renfermant des schorls, des feld-

DANS LES DEUX SICILE S.‘ 2l3

spaths , des micas : quelquefois la roche est gra- nitique.

Je m’écarterais de mon but, si j’étendais ces recherches au-dehors et loin de l’Italie je re- marquerai seulement que dans tous les pays la nature des substances pierreuses attaquées par les feux volcaniques , a été soigneusement exa- minée et décrite , ces substances se font presque toutes reconnaître pour des roches, ou pierres composées ; et comme ces feux pénètrent très- avant dans l’intérieur du globe , puisqu’ils élèvent à sa surface de si hautes montagnes , il en résulte que les roches sur lesquelles ils agissent y ont leurs racines à de grandes profondeurs , dans les lieux même nous aurions toujours ignoré qu’elles existent , si des éruptions ignées ne les avaient produites au jour. Par-là , nous pouvons encore juger de la part qu’elles ont dans la cons- titution de l’écorce qui environne le globe, unique portion de ce globe qu’il soit donné à l’homme de connaître , mais que ses regards n’eussent ja- mais investie , sans le débordement de ces fleuves de feu.

En étudiant les bases qui constituent les roches des monts Euganéens , j’ai principalement porté mon attention sur les suivantes : le feld-spath en masse , le pétro-silex et la pierre de poix.

VOYAGES

21 4

Le feld-spath s est changé en une lave vi- treuse , dont je n’ai pas vu l’égale dans aucun autre volcan. Les îles Æoliennes cette subs- tance a concouru à la formation de diverses laves, n’en offrent point à qui l’on puisse donner pro- prement cette qualification. Toutes conservent plus ou moins l’aspect extérieur du feld-spath , ou bien c’est le feld-spath qui a passé immédia- tement à l’état de verre ou d’émail.

Le pétro-silex présente une exception pres- qu’aussi générale : plusieurs laves des volcans Æoliens ont cette pierre pour base ; elle y con- serve , à la vérité , quelques caractères pri- mordiaux , mais elle développe en même temps un certain principe fibreux , un degré d’exten- sion dans ses parties , qui montre évidemment qu’elle a été touchée par le feu. La lave à basa pétro -siliceuse du cratère de Yulcano est la seule qui ne porte point avec elle cette indi- cation. Au contraire, tous les pétro-silex eu- ganéens sont dans leur tissu, dans leur grain, dans leur densité , dans leur cassure , si par- faitement semblables au pétro-silex naturel, qu’on ne pourrait les en distinguer , si on ne les trouvait dans la condition de lave. Cette par- ticularité n’est pas afFectée aux seuls volcans de Padoue , elle appartient encore à ceux des îles

DANS LES DEUX SICILE s. 2 10 Ponces , Dolomieu l’a observée dans un grand nombre de laves à base de pétro-silex. Au reste* l’état de ces laves aura toujours de quoi nous étonner * ne pouvant concevoir , d’après ce que nous connaissons des effets du feu ordinaire , comment une pierre se liquéfie et coule , sans que rien change en elle , sans qu’un seul de ses linéamens naturels s’efface.

Enfin les laves à base de pierre de poix* si communes dans les monts Euganéens , sont un troisième sujet de réflexion. Ni l’Etna * ni le Vésuve ne paraissent pas en avoir vomi un seul fragment ; il ne s’en trouve point dans les champs Phiégréens. Des îles Æpliennes * Lipari est la seule j’en ai vu quelques morceaux errans, mais qui avaient passé à l’état d’émail. Les vol- cans de la Hongrie * ceux de l’Auvergne * en possèdent de très-belles 5 reste à savoir si elles entrent dans l’ordre des laves * c’est-à-dire * si elles ont formé des courans. Suivant Dolomieu , les îles Ponces ne sont pas moins pourvues de pierres de poix que les monts Euganéens * et on les y trouve dans le même état. Il assure que ce genre de laves * dans ces deux régions, a pour base le feld-spath avec surabondance de magnésie (1). Et dans une note de son voyage.

(1) Annotations sur Bergman.

VOYAGES

2l6

il dit , en parlant des laves du pays de Vicence , qu’onfÿ trouve certains produits de pierre de poix qui ne paraissent pas volcaniques , et qu’il regarde comme une concrétion formée posté- rieurement par la décomposition des matières volcaniques qui contenaient beaucoup de mag- nésie. On voit par-là que cet auteur pense que la magnésie est un des principes constitutifs des pierres de poix volcaniques. Cependant il est certain que , dans les trois analyses de laves ré- siniformes des monts Sieva et Bajamonte > rap- portées ci-dessus , je n’ai pas trouvé un atome de cette terre.

L’abbé Fortis assure qu’il a reconnu dans celles du mont Brecalon , que le Père Terzi prenait pour du verre , le passage du pétro-silex à la lave résiniforme. En comparant les analyses que l’on a faites du pétro-silex avec celles de mes. trois laves , on voit effectivement que les ré- sultats sont les mêmes $ la seule petite différence est que le pétro-silex ne donne pas de fer , et qu’il s’en trouve un peu dans mes laves résinifor- mes. Au reste, j’ai fait voir que les pierres de poix, tant naturelles que volcaniques , appartiennent au même genre 5 et je ne suis pas éloigné de croire que plusieurs de ces dernières dérivent des premières.

En

DANS LES DEUX SICILES. 2iy En travaillant sur les productions volcaniques des deux Siciles , on se rappelle qu’un des prinr cipaux objets de mes recherches a été de dé- couvrir à quel degré de feu elles se liquéfient dans les fourneaux, afin d’obtenir par -là un terme de comparaison qui me fît juger en quel- que manière de la puissance que les feux souter- rains avaient déployer pour les réduire en fusion. J’ai fait de même à l’égard des roches volcaniques des monts Euganéens, et je me suis servi pour ces expériences, comme pour les pré- cédentes, des feux de verrerie. Quant aux bases de ces roches, nous avons vu que pas une seule ne s’est trouvée réfractaire , sans en excepter les pétro-silex les plus durs et les plus compactes, qui tous ont coulé. Les feld-spaths , les micas , si abondans dans les laves euganéennes , se sont montrés également fusibles.

Cette faculté dans les feld-spaths m’a un peu surpris , sur-tout en me rappelant que ceux des autres volcans étaient , sinon constamment , du moins très-fréquemment réfractaires au mêmer degré de feu. Je ne pouvais pas supposer que leurs bases avaient servi de fondant , puisque la même expérience, répétée sur des feld-spaths isolés , avait eu le même succès. Une différence si remarquable ne paraît provenir que de la dose

Tome III . P

SI 8 VOYAGES

plus ou moins grande des principes constituans, à moins de supposer dans les feld-spaths euga- néens , outre les élémens communs à cette pierre, un élément particulier qui facilite leur fusion : s’il existe , il est du moins invisible à l’œil , et rien dans l’apparence extérieure ne fait distin- guer les feld- spaths fusibles d’avec les infu- sibles.

Au reste, le produit des laves des monts Euga- néens s’est trouvé, comme celui des autres laves étrangères , un émail ou un verre. Ainsi le feu ordinaire a détruit en elles cette structure pri- mordiale que leur avait laissée le feu volcanique.

Ainsi que les basaltes de Vulcano et de Félicu- da , le feu a produit ceux de Monte-Rosso , de Monte-Ortone et du Catajo , puisqu’ils font par- tie intégrante de roches volcaniques, et en sont la continuation. Cette observation n’a pas échap- pé à Strange ; mais une chose digne de remarque , est que la voie sèche ait formé à Catajo un trapp prismatique , tandis que la voie humide a donné à cette même pierre , dans la Suède , une confi- guration semblable. C’est un exemple de plus, qui nous avertit que nous devons recourir aux circonstances locales quand il s’agit de déter- miner laquelle des deux voies a concouru à la formation des basaltes.

BANS LES BEUX S I C I L E S. 21$ Mais ces deux voies se sont réunies pour la formation des collines et des montagnes de Pa- doue. Le mélange des pierres calcaires avec les laves ne permet pas d’en douter. Cette combi- naison , qui n’est pas arrivée, dans les îles Æo- liennes , mais qui a lieu dans les monts Vicen- tins , le, Vésuve , les volcans éteints du Val de Noto en Sicile , ceux du Portugal et de l’Alle- magne près le Vieux-Brisach , et probablement dans d’autres montagnes volcaniques, cette com- binaison , dis-jè , éveille la curiosité du natura- liste, et l’excite à rechercher lequel de ces deux agens contraires a eu l’antériorité. Je m’abstiens de traiter cette question , que les observations de l’abbé Fortis semblent avoir décidée. Mon unique but, dans le petit voyage que j’ai fait aux monts Euganéens , a été d’y recueillir des pro- ductions volcaniques sans trop m’arrêter à l’exa- men des localités , de décrire exactement ces productions, et d’étendre d’autant plus nos con- naissances sur les volcans.

220

VOYAGES

CHAPITRE XXI.

(

Recherches expérimentales sur la nature des gaz des volcans 3 et les causes de leurs éruptions .

E N achevant de décrire les productions volca- niques des monts Euganéens , j’ai terminé la re- lation de ce que j*ai vu et observé de particulier aux divers volcans des pays que j’ai parcourus. Ce qui me reste à dire concerne quelques faits généraux, dont la discussion servira peut-être à répandre des lumières sur la théorie des vol- cans. Je m’y livre, non -seulement pour tenir ce que j’ai promis dans l’introduction de cet ouvrage , mais pour donner à mon travail toute l’étendue et la perfection dont il est suscep- tible.

J’ai parlé mille fois des gaz des volcans. J’ai fait voir comment leur élasticité raréfie les subs- tances pierreuses fondues par le feu, et les rend poreuses 5 j’en ai montré l’efFet dans une multi- tude de laves, de ponces, de verres et d’émaux. J’ai expliqué comment ces gaz , par leur seule

DANS LES DEUX SICILES. 22 î énergie , peuvent soulever du fond d’un cratère les matières liquéfiées , les gonfler de manière qu’elles en occupent toute la capacité , et les forcer de s’épancher par ses orles. Enfin j’ai fait remarquer tous ces phénomènes en petit jusque dans les creusets l’action des gaz devient très- sensible. Mais devais -je me borner à prouver leur présence dans les laves , quand les physi- ciens et les chimistes portent aujourd’hui toute leur attention sur l’analyse de ces fluides aéri- formes ? ne fallait-il pas au moins essayer d’en découvrir la nature, et chercher jusqu’où va leur influence sur les éruptions des volcans ?

Une question non moins intéressante est de savoir quel est le degré d’activité des feux vol- caniques. Il est vrai que les nombreuses expé- riences que j’ai faites, tant sur les laves que sur leurs roches primordiales , qui presque toutes se sont liquéfiées au fourneau , semblaient ga- rantir que ce degré d’activité supposé dans les feux volcaniques ne devait pas surpasser celui du feu ordinaire capable de produire les mêmes efFets. Cette connaissance était utjle en soi , mais elle ne résolvait pas complètement le problème, puisqu’on pouvait opposer aux résultats de mes expériences une multitude de faits et d’un genre opposé , qui tendaient, les uns à prouver la véhé-

P 3

222

VOYAGES

ttience de l’action de ces feux , les autres à en démontrer la faiblesse. Ces faits étant rapportés par des auteurs dignes de foi , je devais les exa- miner , les apprécier avec impartialité, et pro- noncer ensuite avec franchise et liberté mon opinion particulière. Tels sont les deux points de discussion que je me propose de traiter i ci ^ et c’est par-là que je terminerai mes recherches sur un des phénomènes du globe qui excite à-la* fois l’admiration et la terreur des hommes.

Ayant vu que les pores , les tumeurs engen- drés dans les laves , les verres et les émaux , se reproduisaient dans ces 'mêmes substances soumises à l’action du feu ordinaire, j’imaginai de m’en servir pour découvrir la nature de ces fluides, et j’entrepris de faire fondre dans des matras diverses productions volcaniques , celles sur-tout qui, en se gonflant, s’élèvent du fond du creuset , et s’épanchent par ses bords. J’ajus- tai les cols des matras à un appareil pneumato- chimique à mercure , pour pouvoir recueillir et examine^ les gaz que l’action du feu chasserait hors des substances en fusion. Ces matras , de l’épaisseur de six lignes , et formés de l’argile dont on fait les creusets de verrerie , étaient à fond sphérique , surmontés d’un long col. Voulant reconnaître s’ils n’avaient point de fissures , je

BANS LES BEUX SICILE S. les pris par le col , et les plongeant perpendi- culairement dans l’eau , je soufflai avec force dans leur intérieur : aucune bulle d’air ne s’en échappa. Pour plus de sûreté, je les armai ex- térieurement ; je les soumis ensuite à l’action de la pompe pneumatique, et je vis que l’air ne passait point au travers. Enfin je répétai ces épreuves après qu’ils eurent servi aux expé- riences , et je m’assurai ainsi qu’il ne s’était rien écoulé au-dehors des fluides que j’y avais re- cueillis. De plus , à l’orifice du col des rnatras ,. je luttai un ballon de verre , dont l’autre extré- mité plongeait dans le mercure, afin que si quel- que liqueur se séparait des matières volcaniques, j’eusse encore la facilité de la recueillir. C’est ce qui arriva , et cette liqueur fut d’une nature que je n’aurais jamais imaginée. J’en réserve la description pour un chapitre particulier.

Le premier produit,. du poids de douze onces, mis en expérience , fut la sixième espèce des verres de Lipari , dont le fond noir est tiqueté de points blancs r je l’ai appelé verre tigré ( Voy. chap. XV ). Avant de le placer dans le rnatras, je le réduisis en poudre pour détruire les bulles que les feux volcaniques pouvaient y avoir en- gendrées. J’observe, en passant , que cette pré- caution fut prise à l’égard de toutes les substances

P 4

VOYAGES

234

éprouvées , et que les matras étaient d’une ca- pacité telle, que les douze onces de chaque subs- tance occupaient à peine un tiers de leur ventre, afin que la matière fondue pût se gonfler libre- ment.

Ce verre soutint huit heures le feu d’un petit fourneau chimique , poussé lentement pendant les trois premières heures , et vivement pendant les cinq dernières. Au bout d’une heure et trois quarts , il parut déjà sur le mercure une petite quantité de fluide aériforme ÿ je l’essayai sur une bougie allumée 5 il ne s’enflamma pas 5 il n’étei- gnit pas non plus la bougie , ne rendît pas sa flamme plus vive 5 mais la laissa brûler comme dans l’atmosphère j ce qui me fit penser que c’était de l’air commun , c’est-à-dire , une por- tion de celui qui était resté enfermé dans les vaisseaux. Je m’en assurai encore mieux en le soumettant à d’autres épreuves. Bientôt après il s’amassa de nouveau une certaine quantité de fluide sur le mercure 5 à mesure que je le re- cueillais , je l’examinais de la manière indiquée } c’était toujours de l’air atmosphérique , qui con- tinua ainsi de se reproduire pendant les quatre premières heures, après quoi il ne reparut plus.

En dirigeant l’œil sur la partie alongée du bal- lon de verre lutté au col du matras , on^pou-

DANS LES DEUX SICILES. 22.5 vait voir ce qui se passait dans l’intérieur de celui- ci , à cause de la lumière que répandait l’incan- descence. J*y discernai , au bout de quarante- cinq minutes de feu violent , un gonflement lent et progressif dans la matière vitreuse : c’étaient des tumeurs qui s’élevaient lentement à sa sur- face, s’abaissaient de même : quelques-unes éclataient en atteignant leur plus haut point de dilatation. Cette espèce d’ébullition ressemblait parfaitement à celle que j’avais déjà observée dans ce verre et dans d’autres matières volca- niques , en les faisant fondre dans les fourneaux

de verrerie.

1 V*' . , . . •'

Quand le matras fut refroidi , je le rompis dans sa longueur , et je remarquai ce qui suit. Le verre en fondant avait rempli au moins les deux tiers du ventre , auquel il adhérait fortement ; la surface de sa partie supérieure était parsemée d’un nombre infini de vésicules vitreuses, semi- transparentes , les unes entières , les autres cre- vassées. Ayant brisé cette masse de verre , je la trouvai pleine de bulles de diverses grandeurs, depuis un tiers ou un quart de ligne de diamètre, jusqu’à un demi-pouce : elles étaient toutes plus ou moins orbiculaires , lisses et brillantes à leur surface intérieure ; mais sur un des côtés le feu avait agi plus vivement, j’en vis une dont

VOYAGES

22 6

ïa grosseur pouvait égaler celle d’un œuf de poule , et qui était traversée par un gros fil vi- treux , dont les deux bouts tenaient aux parois. Ce fil s’était sans doute engendré par la visco- sité de la matière , au moment se divisant, elle avait formé la bulle. Du reste , par - tout il ne paraissait point de vacuités , le verre avait conservé assez de solidité et de dureté pour être capable d’étinceler sous le briquet $ mais en empruntant le secours d’une loupe, on s’appercevoit que ces mêmes parties , solides en apparence, étaient réellement couvertes d’une infinité de petites bulles.

Si l’on compare cette fusion du verre tigré dans le matras , avec celle qui s’opère dans les creusets ouverts lorsqu’on emploie la même ma- tière, on trouvera que les résultats sont les mêmes.

Mais venons à notre objet principal , qui est îa génération des bulles. On ne peut nier qu’elles ne soient produites par un fluide élastique qui pénètre le verre et le dilate. C^est à cette cause que j’ai toujours attribué la porosité que les pro- duits volcaniques contractent, soit dans les cra- tères , soit dans les creusets 5 il suffit de les voir en cet état pour convenir que la chose n’a pu se faire autrement. Mais quel est ce fluide ? L’ex-

DANS LES DEUX SICILE S. 227 périence ci-dessus nous prouve que ce n’est pas l’air atmosphérique mêlé à la poudre du verre, car dès le commencement de la fusion , il a été chassé hors du ventre du matras. Or, les tumeurs qui se sont montrées à la surface du verre fondu dans la plus forte action du feu , et qui ont con- tinué de paraître pendant toute sa durée , étaient une preuve sensible que ce fluide , de quelque nature qu’on le suppose , enveloppait alors , et agitait la masse vitreuse. D’un autre côté, ce ne pouvait être un fluide permanent , comme les divers gaz aériformes , autrement il se serait amassé sur le mercure. En y réfléchissant , je pensai que ce gaz n’était peut-être autre chose que. la vaporisation du verre lui-même, qu’un feu violent faisait passer de l’état de fluidité à celui de gazification , si je puis m’exprimer ainsi, et qui durait tant que le même degré de calo- rique subsistait. Ainsi , l’on voit les métaux tour- mentés par le feà , bouillir à la manière des fluides, et se réduire en vapeurs. Je me rappelais le sen- timent de Lavoisier , qui était persuadé que pres- que tous les corps naturels sont susceptibles d’exister dans l’état de solidité , de fluidité, ou de gaz , ces trois états divers dépendant de la quantité de calorique combinée avec eux. J’ima- ginai ensuite que si le verre vaporisé, générateur des bulles, ne passait pas dans l’appareil pneuma-

VOYAGES

2 28

to-chimique , c’était parce que la chaleur, moins forte dans: le col du matras, ne pouvait conser- ver le verre dans l’état de gaz.

Mais pour donner de la consistance à ma con- jecture , il faHait l’établir sur des preuves’ directes. Je passai donc à une seconde expérience , que je dirigeai comme la première , excepté que je pous- sai le feu plus vivement pendant les quatre der- nières heures. Le verre employé était de la cin- quième espèce de ceux de Lipari, c’est-à-dire . Je plus parfait , le plus pur de cette île. En voici les résultats. Le peu d’air qui s’éleva sur le mer- cure durant l’ignition , se montra simplement at- mosphérique. Au bout d’une demi-heure de feu violent , je vis , par le tuyau du ballon inséré dans le matras, la masse vitreuse qui commençait à se soulever en tumeurs ; bientôt , liquide et embrasée , je n’y distinguai plus qu’un mouve- ment tumultueux et intestin. J’avais l’attention d’ouvrir de temps en temps le guichet du four- neau , pour jeter un coup-d’œil sur l’extérieur du matras. Au bout de deux heures et trois quarts du feu le plus actif, je m’ap perçus que le matras était rompu , et que des gouttes de verre , en forme alongée 5 commençaient à sortir par la rupture. J’éteignis le feu. Après le refroi- dissement , ayant examiné le matras , je trouvai

DANS LES DEUX SICILE S. 1229 sur le coté une fente angulaire , longue de qua- torze lignes, à laquelle pendaient extérieurement deux petits cônes de verre , seule portion de matière qui s’en fût échappée. En dedans , je découvris une bulle ovale qui occupait les deux tiers du ventre : elle fixa mon attention. Je ne doutai pas qu’un fluide aériforme avait non-seu- lement produit par sa force expansive ce grand vide , mais qu’en heurtant contre les parois du matras , il l’avait forcé de se fendre. Ce fluide ne pouvait être que le verre même , qui , en cet endroit , pénétré plus vivement par le feu , s’était converti en gaz. Le reste de la masse était plein de petites cellules.

L’accident de la rupture du matras, et la formation d’une grosse bulle , eut également lieu dans la troisième expérience , j’employai l’é- mail d’ischia. La gazification fit naître un vide dans la matière , lequel occupa plus de la moitié de la capacité du matras. L’émail en fusion fut soulevé jusque dans le col , et les parois se rom- pirent en même temps. Je ne recueillis sur le mercure que de l’air atmosphérique.

La quatrième expérience fut faite sur un émail de Procida. Pendant les huit heures que dura le feu, je n’apperçus aucun signe d’ébullition. Ayant brisé le matras , je trouvai que la matière avait

VOYAGES

SCO

été complètement fondue. Elle ne manquait pas de bulles, mais ces bulles étaient petites. Aucun gaz ne parut sur le mercure.

En examinant les parois au-dessus de l’émail, je visa un ou deux pouces de hauteur une multi- tude de petits globules, et, si je puis m’exprimer ainsi , des lèches de cette matière qui y adhé- raient çà et 5 plus haut , le col avait par hasard une saillie intérieure et circulaire, l’émail s’était attaché à la surface inférieure de cette espèce d’anneau , et y formait un cordon très- délié. Je ne pouvais supposer que la véhémence de la fusion l’eût élevé jusqu’où j’appercevais ses traces, car il aurait laissé par-tout un vernis uni- forme , tel que je l’ai vu dans les creusets , toutes les fois que la matière s’abaissait après s’être éle- vée. Ici, au contraire , les parois du matras, à l’exception des parties tachées d’émail , parais- saient absolument nues comme elles l’étaient avant l’expérience , ce qui me rappela cette lame d’or que Lavoisier argenta en l’exposant aux fu- mées qui s’exhalaient de l’argent par un feu très- actif $ tout comme il dora une lame d’argent aux fumées de l’or. J’eus donc lieu de croire que les globules et autres empreintes fixés sur le ma- tras , étaient Peffet de la sublimation même de l’émail dans la plus forte action du feu.

BANS LES DEUX SICILE S. s5l

ïl me restait toutefois un doute qu’il fallait dissiper. Peut-être , en plaçant dans le matras l’émail pulvérisé , quelques grains de poussière étaient restés attachés aux parois et à la saillie du col 3 le feu les avait ensuite fondus. Mais j’eus la certitude du contraire , en voyant le même phénomène sur les parties latérales et près du col d’un autre matras , avait été ren- fermée une égale quantité d’émail , non pulvérisé, mais réduit seulement en morceaux.

Cette observation , qui me confirma dans l’i- dée que les bulles des matières fondues dans les matras étaient l’efFet de leur vaporisation, m’en- gagea à faire une révision générale de tous les creusets que j’avais précédemment exposés à l’action du fourneau, après y avoir renfermé des produits volcaniques vésiculaires , car je ne les avais point examinés sous ce nouveau rapport. A la vérité , j’en trouvai plusieurs dont les côtés latéraux , au-dessus de la masse fondue , portaient de petites gouttes de matière ; mais il était aisé de voir qu’elle ne s’y était point amassée par sublimation. Ces gouttes provenaient simplement du mouvement intestin de la fusion , qui les avait lancées çà et à une très-courte distance. Nulle part je ne découvris ces agrégations de globules infiniment petits, ces voiles légers de matière.

zZz voyages

qui, dans ma dernière expérience , manifestaient une sublimation décidée. Je n’en fus pas étonné; ces creusets ayant la forme d’un cylindre ou d’un cône renversé , et étant ouverts ; la matière su- blimée n’y trouvait aucun corps qui lui fît obs- tacle j et auquel elle pût se fixer.

Cette réflexion m’engagea à faire l’expérience suivante. Je plaçai dans dix-neuf creusets diverses matières volcaniques , en choisissant de préfé- rence celles qui sont le plus sujettes à former des bulles. Je recouvris chaque creuset avec un autre creuset vide et renversé , et je les posai ainsi dans le fourneau. 11 y en eut trois de ces derniers qui servaient de couvercle , dont les pa- rois' et la calotte présentèrent des marques de sublimation : c’étaient des empreintes légères de verre, des globules en nombre infini , qui, par la substance et la couleur , ne différaient point des matières fondues; mais rien de cela ne s’ofFrit dans les seize autres creusets. Si le premier fait, qui est positif, prouve la gazification des pro- ductions volcanisées , le second , quoique néga- tif, ne l’exclut pas. Les matières fondues dans les seize creusets étaient pleines de bulles; or, bien que ces bulles dussent être occasionnées, selon moi , par une vaporisation interne , il n’en résultait pas nécessairement une sublimation de

la

DANS LES DEUX SICILE S., £35

la matière , cela dépendant de la nature diverse des substances, et du degré plus ou moins grand de chaleur qui leur est nécessaire. Voilà pourquoi cet effet ne s’est pas toujours rencontré dans les matras mis en expérience 5 il eût été général , je n’en doute pas , si j’eusse traité chaque matière avec le degré de feu qui lui convenait pour se sublimer.

Après avoir éprouvé ainsi les verres et les émaux volcaniques, je fus curieux d’essayer le verre factice. Je pris celui d’une bouteille noire qui n’avait point servi 3 j’en fis piler douze onces, que je plaçai dans un matras. J’avais vu dans les fourneaux de Pavie , que le verre de cette cou- leur exigeait plus de temps pour se fondre que le blanc commun , et qu’il ne se gonflait que très-peu, ou point du tout. Cependant, ayant rompu le matras après les huit heures de feu , je trouvai que la matière avait tellement bouil- lonné et gonflé , qu’elle était montée jusqu’à la moitié du col $ que dans son refroidissement , elle s’était abaissée , et n’occupait plus que le fond du ventre. Cette ascension de la matière était marquée par un vernis vitreux, léger et brillant, qui , étendu sur la surface intérieure des parois, commençait au niveau de la masse fondue , et finissait vers la moitié du col du matras, Tome IJL Q

254 VOYAGES

un grumeau de verre bouchait entièrement le

passage.

L’effet que ce verre éprouve dans le fourneau de verrerie , et celui qu’il subit dans le fourneau chimique, s’expliquent très-bien au moyen de ma théorie. Le feu , dans le premier cas , est maintenu au degré d’activité nécessaire pour le fondre ; dans le second cas , il est poussé avec une force capable de le réduire en vapeur. De- là 9 le soulèvement de ses parties et leur abais- sement , lorsque , par la diminution de la chaleur, le verre revient de l’état aériforme à celui de liquide. Qu’il soit vrai que ce mouvement n’est pas à un gaz permanent, c’est ce que prouve l’absence de ce gaz dans l’appareil pneumato-chi- mique, je ne recueillis que de l’air commun»

Jusqu’alors , je n’avais dirigé mes expériences que sur les produits volcaniques les plus suscep- tibles de contracter des bulles, je voulus éprou- ver ceux qui le sont le moins , et je choisis les suivans : 1 °. Une lave à grenats du Vésuve ; 20. une autre qui venait de couler quand je visitai cette montagne ; 5°. une lave de l’île de Vulcano , recouverte d’une croûte d’émail ; 40. une lave de Stromboli , de celles que ce volcan vomit sans discontinuité; 5°. une lave sortie en 1787 du cratère supérieur de l’Etna; 6°. une pierre ponce

DANS LES DEUX SICILE S. s35 solide de Lipari. Chacun de ces produits a été décrit en son lieu et place. Voici les résultats. Durant les huit heures de feu qu’ils soutinrent dans les matras, je ne recueillis sur le mercure que de l’air atmosphérique , point de gaz per- manent j et cependant ces six produits manifes- taient, par l’affluence et la grosseur de leurs bulles , qu’ils avaient incontestablement passé de l’état de liquidité à celui de gazification . Pour obtenir cet effet des substances pierreuses, on voit qu’il suffit de les exposer à une forte chaleur.

En réfléchissant sur l’uniformité des résultats que je venais d’obtenir dans ce cours d’expé- riences , il me parut démontré que les bulles , les tumeurs, que l’on trouve si fréquemment dans les produits des volcans , sont moins l’effet d’un gaz permanent , que d’un fluide aériforme ré- sultant de l’excessive raréfaction de la matière.

Je ne sache pas que personne ait traité les substances volcaniques sous ce point de vue. Toutefois le docteur Priestley rapporte trois expériences dont je parlerai , parce que leurs résultats sont différens des miens. i°. Ayant ex- posé au feu , dans une cornue de pierre sa- blonneuse , quatre onces et un cinquième de lave d’Islande , il en obtint vingt mesures d’air:

Q 2

VOYAGES

s36

les dix premières, qui se dégagèrent vers le com- mencement de l’opération, tenaient de la natnre du gaz acide carbonique ; les dix autres , par leur pureté , se trouvèrent à 1,72 , et éteignirent la chandelle. Priestley observe que les interstices de cette lave contenaient un sable brun qu’il ne put en séparer.

20. Cinq onces §t demie de lave du Vésuve donnèrent trente mesures d’air , dont les pre- mières tenaient un peu du gaz acide carbonique, et les suivantes étaient du gaz azote , d’abord au degré de 1,64 , ensuite à celui de i,58.

5°. Il ne résulta d’une autre lave du poids d’une once 3 et dure comme la pierre , que trois me- sures et demie de gaz , en grande partie hydro-. gène , provenant , à ce que suppose Priestley f du canon de fusil dans lequel l’expérience s’était faite.

Le physicien anglais pense, d’après cela, qu’il est probable que les véritables laves ne four- nissent pas beaucoup d’air, ce qui dépend , selon lui , du degré de chaleur auquel elles ont été exposées dans les incendies souterrains (i).

Je laisse de coté sa dernière expérience,, qui

(1) Exp, et observ. t.

DANS LES DEUX SICILE S. ^ est trop équivoque $ quant aux deux premières, j’eusse désiré qu’il se fût mieux expliqué sur la nature des corps qui en ont été le sujet, et nous eût fait connaître avec certitude qu’ils étaient vol- caniques 3 mais en les supposant tels, la seule con- séquence que l’on peut tirer des deux résultats de Priestley, est que les productions des volcans ne sont pas toujours privées de gaz permanens; et cette conséquence, bien loin de combattre mon opinion , tend plutôt à la soutenir , comme on le verra plus bas. Jusqu’à présent je n’ai eu d’autre vue que de prouver que les bulles , les vides qui se forment dans les corps volcaniques lors- qu’on les traite avec le feu ordinaire , et ceux tout semblables que l’on observe dans les laves, sont occasionnés par la réduction en vapeur de ces memes substances.

Mais avançons dans notre sujet , et cherchons quelle peut être l’influence de cette vapeur aéri- forme sur les éruptions. Lorsque , dans les pro- fondeurs d’un cratère , elle se trouve mêlée à une lave liquide violemment tourmentée par le feu, on conçoit comment elle peut soulever cette lave jusqu’au sommet du cratère , et la forcer de s’épancher par les bords : l’art imite en petit cette grande opération de la nature. Je place dans un fourneau de verrerie un creuset cylin-

Q 3

VOYAGES

s38

drique d’un pied de hauteur , de deux pouces et demi de largeur , à moitié rempli d’un des produits volcaniques les plus susceptibles de se gonfler. Au bout de quelques heures de feu , j’observe que la matière liquéfiée commence à se soulever, mais avec lenteur ; ce mouvement s’accroît , et enfin la matière se déverse , se ré- pand en ruisseaux sur les cotés extérieurs du creuset , gagne le plan sur lequel il est posé , et si ce plan est incliné , donne naissance à autant de petits courans. A mesure qu’elle s’écoule hors du creuset, je la remplace par une nouvelle ma- tière de la même espèce , et je vois les courans s’augmenter et s’étendre de plus en plus. Je fais ensuite cesser le feu, je retire tout mon appareil hors du fourneau, j’examine la matière qui s’est épanchée, et je la trouve pleine de bulles comme celle qui est restée dans le creuset. Cette expé- rience m’a toujours réussi, soit que je l’aie tentée sur des verres ou émaux volcaniques , soit sur des laves cellulaires. v

Il est encore probable que si cette vapeur élastique ramassée en grande abondance, trpuve sous terre des obstacles qui s’opposent fortement à son issue , elle occasionnera des secousses , elle tonnera , elle mugira dans le sein de la montagne, elle en déchirera les flancs, et ouvrira des pas-

DANS LES DEUX SICILE S. 20$ sages à la lave. Nous avons cet exemple en petit dans les deux matras de nos expériences , brisés par l’expansion de ce fluide ; mais voici d’autres effets plus sensibles. Je fis fabriquer trois matras d’argile avec des parois d’un pouce d’épaisseur, et un ventre de quatre pouces trois quarts de diamètre. Les ayant remplis à plus de moitié d’une lave cellulaire , je les plaçai au feu de manière qu’ils avaient le col hors du fourneau. Au bout de onze heures , leur ventre se fendit en plusieurs endroits, et une partie de la matière fondue s’échappa parles fentes. Ces matras étant refroidis, j’achevai de les briser tout-à-fait, et je vis qu’ils contenaient un verre plein de grosses bulles qui était monté jusqu’à la moitié du col, et non au-delà. Je conçois aisément la cause de leur rupture dans le fourneau : le verre raréfié par la vapeur aériforme , ne trouvant plus assez d’espace pour s’étendre , s’était répandu dans le col 5 arrivé au point le feu ne pouvait plus le tenir en fusion , il s’était arrêté ; tandis que son gonflement augmentant par la violence de la chaleur qu’il éprouvait plus bas , il dut enfin faire un effort contre les parois du matras , et les briser. Cette explication me rend également raison des effets analogues, mais infiniment plus grands, que cette vapeur est. capable de produire sous terre lorsqu’elle y éprouve de la résistance.

Q 4

VOYAGES

240

Quant aux projections de pierres enflammées ., aux grêles volcaniques, j’avoue que nulle circons- tance dans mon expérience ne m’en découvre la cause. La rupture des matras se fait sans déton- nation , et sans que la matière s’éparpille à l’en- tour. J’en ai observé deux en ce moment : il m’a paru que leurs ouvertures s’élargissaient insen- siblement ; ce qui prouve que la puissance de cette vapeur, quoique supérieure à la résistance des matras , se développe avec lenteur , tandis que l’agent qui vibre dans les airs les matières volcaniques , doit nécessairement opérer avec une rapidité et une violence extrêmes. Pour ex- pliquer cet effet, il faut donc recourir à d’autres principes, à des gaz, par exemple, qui cherchant une issue à travers les substances liquéfiées dont ils sont enveloppés, les chassent impétueusement hors du cratère. Ce qui n’est pas douteux , c’est la présence de ces gaz qui, au moment de l’érup- tion , s’annoncent par des sifïlemens. Cette re- marque a été faite au mont Vésuve, un des vol- cans les mieux observés , à cause de son voisinage de Naples, et moi-même j’ai entendu des siffle- mens semblables à Stromboîi.

Mais quelle est la nature de ces gaz ? Pour répondre avec certitude à cette question , il fau- drait les recueillir dans l’efferves cence des vol-

^4i

DANS LES DEUX SICILE S. cans , et les soumettre à une analyse chimique, ce qui est impossible, à moins de vouloir rester victime de sa curiosité. Les seules connaissances qui ont été acquises à cet égard nous sont parve- nues par des voies indirectes , en examinant les substances gazeuses qui s’exhalent des volcans en repos. On compte au nombre de ces subs- tances le gaz hydrogène sulfuré , le gaz acide carbonique , l’acide sulfureux , le gaz azote, qui ont été recueillis en diverses contrées volcani- ques (i).

A ces causes concomitantes , il est vraisem- blable que dans les grandes , les terribles érup- tions, il s’en joint une encore plus puissante, telle que l’eau réduite en vapeurs , principale- ment celle de la mer. C?est un fait assez connu, que les volcans brûlans épars sur le globe, sont

(1) Je n’exclus point le calorique du nombre des agens qui, par leur force d’expansion produisent les éruptions. S’il se développe, dans le foyer des volcans , une quan- tité de ce fluide plus grande que celle qui peut sortir par les pores des corps environnans , alors , selon l’observa- tion de Lavoisier, le calorique agira comme tout autre fluide élastique , et renversera ce qui s’oppose à son pas- sage ; mais, hors de là, je ne vois pas quelle action immédiate le calorique peut avoir sur les projections volcaniques. Note de V auteur.

24s VOYAGES

environnés de la mer, ou en sont peu éloignés 5 et que les volcans éteints en sont actuellement, pour la plupart, à une grande distance. La con- servation , Porigine même de leurs incendies, a donc une relation secrète avec les eaux marines. Il est vraisemblable que ces eaux communiquent par des canaux souterrains avec les cavernes spacieuses qui régnent dans le sein des montagnes îgnivomesj et quoique cette communication im- médiate ne soit pas visible au-debors , elle se manifeste cependant par ses effets , tels que la retraite subite de la mer , qui arrive quelquefois pendant les grandes crises des volcans , retraite occasionnée sans doute par les grands volumes d’eau absorbés dans leurs vastes cavernes. Pline le jeune rapporte que , sous le règne de Titus, on observa ce phénomène pendant Phorrible éruption du Vésuve son oncle périt. La mer offrit le même spectacle dans une autre éruption du Vésuve non moins formidable , arrivée il y a un siècle et demi. Des auteurs contemporains et dignes de foi l’attestent 5 et Serao , qui en parle dans sa relation de l’incendie de 1737, ajoute que dans l’histoire de toutes les grandes crises de ce volcan, il est toujours fait mention du retirement des eaux de la mer. Steller, dans ses observations sur les volcans du Kamtschatka, assure que la plupart des tremblemens de terre

DANS LES DEUX SICILE S. 243 arrivent dans le temps des équinoxes , quand la mer grossit, et sur-tout en automne, les eaux sont plus hautes.

Quoi qu’il en soit, toujours est- il certain qu’un grand amas d’eau réduit subitement en vapeur par les feux souterrains , serait capable de pro- duire des explosions , des détonnations bien su- périeures à celles des gaz élastiques dont nous avons parlé. L’art nous fournit des faits en ce genre très -remarquables. Si, après avoir fait plusieurs décharges d’une pièce d’artillerie , on la rafraîchit avec un écouviilon humecté qui en remplisse trop exactement le calibre, la vapeur qui se produit alors dans le fond du canon ne pouvant se dilater , repousse l’écouviiîon avec une telle violence que celui-ci emporte quelque- fois le bras du canonnier. Que l’on expose à un feu très-vif une boule creuse de fer, ou de tout autre métal , l’on aura enfermé une petite quantité d’eau , de manière qu’elle ne puisse en sortir, la boule éclatera avec une explosion sem- blable à celle de la poudre à canon.

Mais si quelque chose est propre à donner une idée des effets terribles que la vaporisation de beau est capable de produire dans le sein des volcans , c’est ce qui arrive en faisant couler du métal fondu dans des moules qui ne sont pas

VOYAGES

2 44

parfaitement ressuyés. On en trouve un exemple mémorable dans le tome IV des Actes de l’Aca* démie de Bologne. Sous un portique, à Modène, on devait fondre une grande cloche déjà le métal était en liquéfaction. On lui ouvre le canal de communication construit sous terre à peu de distance. A peine le bronze enflammé Peut- il touché , qu’il en partit une explosion qui lança en l’air et le métal et le moule , et une prodi- gieuse quantité de terre ; le fourneau, fut mis en pièces , le portique ébranlé , ses murs se fen- dirent , les poutres du toit furent emportées , les tuiles chassées au loin , et enfin à la place de îa cloche , on ne vit plus qu’un goufFre large et profond. Plusieurs des assistans furent tués, d’autres blessés, et la terreur fut à son comble. Un si funeste accident ne fut cependant occa- sionné que par un peu d’humidité qui était restée dans le moule , et cela par la négligence de l’ar- tiste. En comparant i’efFet avec la cause , on doit juger de celui qui résulterait d’un grand amas d’eau réduit en vapeurs dans les fournaises vob caniques, et des moyens que la nature a en son pouvoir pour faire sortir du sein de la terre les plus épouvantables explosions.

Il se présente ici une autre question. On conçoit bien comment l’eau , en s’insinuant sous un in-

DANS LES DEUX SICILE S. ^45 cendie volcanique , et se vaporisant subitement, peut donner lieu à de violentes éruptions 5 mais qu’arriverait-il si cette eau tombait sur l’incen- die , soit qu’elle vînt de la mer, soit de la pluie? car il est naturel que cette dernière pénètre par les pores ou les fentes de la terre jusqu’aux foyers volcaniques. On est d’abord tenté de croire , en se rappelant quelques expériences bien connues, que la vaporisation , dans l’un et l’autre cas , doit produire les mêmes efFets. C’est ainsi que des gouttes d’eau jetées sur une matière huileuse et bouillante , comme le beurre , la graisse, l’huile, la font jaillir hors du vase en pétillant.

Mais d’autres faits , plus analogues à la nature des matières volcaniques , ofFrent un phénomène tout difFérent. Les minéralogistes savent que si Ton fait tomber de l’eau sur le cuivre ou l’argent fondu , il en résulte seulement un frémissement causé par la génération de la vapeur , et non une explosion.

C’est ici le cas de rapporter une expérience curieuse de Deslandes. Ce physicien ayant fait fondre du verre dans un grand creuset , versa dessus un plein gobelet d’eau 5 celle-ci aussi-tôt se ramassa en boule sans produire le moindre bruit. Elle prit , ou sembla prendre une couleur rougeâtre , semblable à celle du creuset et de

VOYAGES

s4G

la matière qu’il contenait. Elle roula sur la sur- face du verre fondu , àpeuprès comme le plomb qui se consume dans la coupelle, diminua insen- siblement de volume , et s’évapora entièrement au bout de trois minutes , sans jeter aucune va- peur apparente. Une autre fois Deslandes, sans attendre que l’eau fût dissipée , versa la matière du verre sur une table , et son écoulement n’oc- casionna pas la moindre détonnation.

La liberté que j’avais de disposer d’un fourneau de verrerie pour mon usage particulier , m’en- gagea à reproduire ces faciles expériences : per- sonne, que je sache, ne les avait répétées et véri- fiées depuis Deslandes. Ayant communiqué mon projet à un des hommes de service du fourneau, je fus un peu surpris quand il me dit qu’il connaissait le fait aussi bien que moi , et qu’il m’offrit de verser sur du verre fondu autant d’eau qu’il me plairait, sans qu’il en résultât le moindre accident fâcheux. Je vis alors que c’était -là un de ces phénomènes que les physiciens découvrent , et publient dans le monde savant comme un fait nouveau , tandis que la connaissance en est de- puis long-temps familière à de simples artisans. La réponse de celui-ci ne me détourna point de mon projet. Je commençai donc par verser six onces d’eau de puits dans un vase cylindrique

DANS LES DEUX SICILE S. 2«|7 d’argile , du diamètre de deux pieds environ , qui, depuis quinze jours , contenait du cristal de verre en liquéfaction. L’eau s’éparpilla à l’ins- tant en petites sphères , comme du mercure jeté sur une table. Ces petites sphères furent toujours en mouvement; elles diminuèrent insensiblement de volume , et en moins de deux minutes, elles furent consumées sans causer le moindre bruit. Cependant, en les regardant attentivement à la faveur de la lumière très-vive du fourneau , je crus appercevoir dans les plus grosses un petit bouillonnement. Je répétai l’expérience en ver- sant dans le même creuset , et tout-à-la-fois , quarante-huit onces d’eau ; ce volume s’étant divisé en plus grandes sphères , j’eus la facilité de les observer avec plus de précision. D’abord elles roulèrent çà et sur la surface liquide du verre, sans manifester aucune ébullition ; bientôt après ce mouvement intestin parut sensible, dans celles du moins qui se trouvaient le plus près de mon œil , et j’en conclus qu’il existait de même dans les plus éloignées. Elles bouillaient donc véritablement , elles se gonflaient et ne produi- saient aucun bruit , sans doute parce qu’elles étaient dans un milieu , sinon privé entièrement d’air, du moins très-raréfié. Comme les précé- dentes, elles diminuèrent peu à peu, et finirent par disparaître au bout de quatre minutes. Du-

VOYAGES

248

rant l'ébullition , je ne vis point autour d’elles s’élever de vapeurs*

J’employai ensuite de plus grands volumes d’eau 5 les résultats furent les mêmes. Je ne m’ap- perçus point que l’eau devînt rouge 5 mais cette couleur qu’avait le verre dont elle était environ- née , pouvait facilement en imposer à l’obser- vateur.

Ces résultats sont conformes à ceux publiés par le physicien Deslandes , à l’exception de l’ébullition qu’il n’avait pas remarquée. Si on voulait en faire l’application aux volcans , il ne serait plus douteux que l’eau qui tomberait d’en haut sur leurs foyers brûlans ne fût incapable d’occasionner des éruptions. Mais avant de pro- noncer sur cette question , je crûs qu’il était à propos de tenter quelques essais sur les métaux et les laves en fusion. J’employai le fer, le cuivre , î’étain et le plomb. Quant au premier, je le ré- duisis en limaille pour en faciliter la fusion. Les creusets étaient larges en haut , étroits en bas, et d’une capacité assez grande 5 le métal 11e les remplissait pas entièrement, afin de laisser place à l’eau que j’y devais verser. Au bout de vingt- quatre heures , trouvant le fer à demi-fondu , j’y fis tomber quelques gouttes d’eau. D’abord elles restèrent immobiles, sans paraître diminuer

de

DANS LES DEUX SICILES. 249 de volume 5 ensuite elles se mirent à sautiller et à bouillir, et s’évaporèrent par gradation en moins d’une minute. Je versai une plus grande quantité d’eau ; les effets furent les mêmes, à l’exception d’une ébullition plus sensible, à raison de la plus grande masse d’eau.

Je laissai le creuset dans le fourneau 5 au bout de sept heures je le retirai , et le transportant à Pair froid, je renouvelai l’épreuve. J’aspergeai le métal de quelques gouttes d’eau , qui se dissi- pèrent à l’instant même dans le plus grand si- lence. J’en versai une once 5 l’eau resta d’abord tranquille, puis se divisa en globules, commença à bouillir, et durant l’ébullition fit entendre quel- que bruit.

Cependant la rougeur du fer s’était un peu obscurcie. Je profitai de cette circonstance pour reverser de l’eau 5 alors l’effet fut tout autre. Au moment que l’eau toucha le métal, elle se mit à bouillir , et je vis jaillir avec bruit une bouffée de vapeurs qui dura jusqu’à l’entière dis- sipation de la liqueur. La chaleur du fer fut en- core assez forte pour que je pusse répéter deux fois l’expérience , qui eut le même résultat.

Le cuivre , dans le fourneau , avait éprouve une fusion complète. Je fis avec ce métal et Tome IIL H

VOYAGES

2 5o

l’eau le même nombre d’expériences, et dans les mêmes circonstances : je n’en rapporterai pas les résultats 3 il me suffira de dire que tout se passa comme dans celles du fer.

Quant à l’étain et au plomb , je n’avais pas besoin du fourneau pour les fondre , une chaleur bien plus modérée me suffisait. Mais je m’ap- perçus bientôt que cette confiance que j’avais prise en opérant sur le cuivre et le fer , je ne pouvais la donner au plomb , moins encore à l’étain , à cause des violentes explosions qu’exci- tait leur contact avec l’eau. J’en fis divers essais dont voici les principales circonstances. Quand je faisais tomber l’eau goutte à goutte sur l’étain fondu , au moment du contact elle éclatait avec bruit 3 de petits morceaux de métal se déta- chaient , et sautaient à la hauteur de deux , trois et quatre pieds. Quand j’en versais une quantité suffisante pour couvrir une partie de la surface de l’étain , la détonation augmentait à propor- tion ; le métal en grande partie était chassé hors du creuset , et à une distance considérable. On ne voyait s’élever aucune vapeur.

En regardant daps le creuset d’aussi près que pouvait le permettre cette dangereuse expé- rience , j’observai que chaque fois que la goutte

DANS LES DEUX S I C I L E S. s5l d’eau touchait le métal , celui-ci recevait une commotion , et se mettait en mouvement à cause de sa liquidité 3 momentanément il se for- mait à sa surface une fossette occasionnée par la chute de la goutte , sur-tout quand elle tom- bait de haut. Je pensai que l’explosion et la dé- tonation pouvaient bien provenir de la fossette l’eau s’emprisonnait en partie 5 alors, réduite subitement en vapeurs , et ne trouvant pas assez d’espace pour se dilater, elle chassait impétueu- sement le métal qui lui faisait obstacle. Mais dans cette supposition , il était certain que, si la goutte d’eau parvenait à toucher l’étain sans y former un creux , le jet ne devait pas avoir lieu 3 que si elle en formait un , le jet devait être plus ou moins violent, à raison de la cavité plus ou moins profonde , étant naturel que , dans ce dernier cas , elle renfermât une plus grande quantité d’eau. Je fis tomber , à très-peu de distance de l’étain , des gouttes d’eau qui n’en creusèrent point la surface, et d’autres à la distance de cinq ou six pieds , qui y formèrent des fossettes 3 mais dans l’une et l’autre circonstance , les effets furent à-peu-près les mêmes : il y eut détonation et éjection. C’était donc le seul contact de l’eau avec l’étain qui produisait ce phénomène.

Au reste , cela n’empêche pas que l’eau n’oc-

R 2

s5 X2 V O Y A G E S

casionne des jets bien plus impétueux et plus bruyans lorsqu’elle se .trouve renfermée dans le métal fondu. Ayant retiré du feu un creuset il y avait de l’étain en liquéfaction , j’attendis qu’il se fût coagulé à la surface, et ayant percé avec la pointe d’un clou cette croûte encore tendre , j’y versai une demi-once d’eau , dont une partie entra par le trou* A l’instant la croûte fut lancée en l’air avec un bruit plus fort qu’à l’ordinaire, le métal liquide chassé avec violence, et le creuset de terre mis en pièces. La coagula- tion , c’est-à-dire , le rapprochement des parties à la surface , avait formé entr’ elles et le métal encore en liquéfaction , un vide qui donna en- trée à l’eau; mais trop étroit pour son expansion quand elle fut réduite en vapeurs, celles-ci , par leur élasticité, renversèrent tous les obstacles qui les retenaient.

Quand on n’ouvre point de passage à l’eau, elle ne fait que bouillir sur la surface coagulée de l’étain , et se résout en un petit nuage vapo- reux qui se dissipe dans l’air.

Il y avait, dans les effets rapportés ci-dessus, des anomalies dont il serait difficile de rendre raison. Par exemple , il arrivait de suite cinq ou six petites explosions causées par autant de gouttes d’eau versées sur l’étain fondu , et tout-

DANS LES DEUX SICILE S. a55 à-coup elles cessaient , nonobstant la continua- tion de la chute des gouttes , qui , en touchant le métal , ne faisaient que bouillir et s’évaporer. Mais ce qu’il y avait de plus étrange , c’est qu’après trois ou quatre gouttes inefficaces , il en succédait d’autres qui reproduisaient l’ex- plosion. Que l’on ne pense pas que cette ineffi- cacité dans les gouttes d’eau venait de ce qu’elles ne tombaient pas immédiatement sur l’étain ,mais sur la pellicule que l’occidation formait à sa sur- face : j’étais trop preste à l’enlever aussi - tôt qu’elle y paraissait.

Le plomb m’offrit les mêmes phénomènes et les mêmes irrégularités que l’étain ; seulement ses explosions ne furent pas aussi fréquentes, et ne me parurent pas aussi fortes.

Je ne m’occuperai pas à chercher pourquoi l’eau , dans le fourneau , ne manifeste point de vaporisation sensible sur le fer et le cuivre ; pour- quoi elle ne bout que quelques instans après son contact avec les métaux , tandis qu’à Pair libre , la vaporisation et l’ébullition apparaissent dès que l’eau touche ces deux métaux , qui sont alors un peu refroidis. Je n’examinerai pas la raison pour laquelle le plomb et l’étain éclatent avec bruit au contact de l’eau , tandis que cet effet n’a point lieu avec le fer et le cuivre. Ces recherches, pour être

R 5

VOYAGES

2 54

faites convenablement , demanderaient d’autres expériences qui m’écarteraient trop mon su- jet. Il vaut mieux passer de suite aux observations faites sur les laves fondues dans des creusets de même forme et grandeur que les précédens , et soumises aux mêmes épreuve^ que le verre artifi- ciel et les métaux.

Les premières laves que j’employai furent du genre de celles qui , traitées avec le feu , sont peu susceptibles de porosité. L’eau versée sur la matière fondue resta quelques instans immo- bile 3 bouillit ensuite jusqu’à son entière dissipa- tion. Je retirai le creuset hors du fourneau , et quand la matière eut perdu son extrême rou- geur, j’y reversai de l’eau. Au moment du con- tact, il se fit un frémissement, et l’eau, con- vertie en bulles , éleva un nuage de vapeurs. Plus la lave perdait de chaleur, plus les vapeurs devenaient considérables : ce qui ne s’observait toutefois que jusqu’à un certain degré de re- froidissement. Ainsi ces laves se comportèrent comme le verre , le cuivre et le fer , sans que le contact de l’eau y occasionnât la moindre ex- plosion.

J’eus besoin de quelque prudence en essayant les laves poreuses. Une d’elles, dans le creuset, avait contracté deux grosses bulles qui parais-

DANS LES DEUX SICILE S. ^55 saient percées dans un endroit. Au contact de l’eau , le creuset éclata comme un coup de pis- tolet , et la lave fut dispersée. Comme l’explosion pouvait provenir, non de la portion d’eau qui avait touché simplement la surface de la lave, mais de celle qui s’était insinuée par l’ouverture des bulles, je refis mon expérience sur la même lave, en observant qu’il n’y eût aucune ouverture dans les bulles , accident qui se rencontre souvent dans la fusion. Ce que j’avais prévu arriva ; l’eau n’y produisit qu’une ébullition tranquille. Je re- nouvelai plusieurs fois l’épreuve, et j’en obtins le même résultat.

Ma dernière tentative fut la suivante. Les laves les plus fusibles qui, en se gonflant, se répandent et coulent hors des creusets , conservent encore assez de ténacité pour y pouvoir faire des trous qui se maintiennent pendant quelque temps. Je parlerai plus amplement de ce fait au cha- pitre XXIII * il me suffît pour le moment de rendre compte de mon procédé. Je fondis une lave dans un grand creuset d’argile \ je la perçai obliquement, depuis le haut jusqu’en bas, avec une verge de fer du diamètre de trois lignes et demie , et j’imaginai de verser de l’eau dans le trou. Mais comme l’essai était dangereux , j’avais eu la précaution de retirer le creuset hors du four-

R 4

VOYAGES

266

neau , et de le transporter dans une basse-cour contiguë au laboratoire , dont la porte d’entrée était percée à jour. Ce fut par cette ouverture, qu’au moyen d’un long tube , je fis tomber de l’eau sur le trou pratiqué dans la lave du creu- set. Au moment qu’elle y pénétra, le vase partit en éclats, la lave fut dispersée à plusieurs pieds de distance avec une explosion plus forte que celle d’un fusil.

7 •' \ ■'

Jusqu’ici je m’étais servi de l’eau douce $ je fus curieux de savoir si l’eau de mer se com- porterait de la même manière. L’essai que j’en fis , en la répandant sur des laves fondues , me donna des résultats semblables.

Quelle sera la conclusion de tous ces faits ? Que si un amas d’eau vient à tomber sur le cratère enflammé d’un volcan , il n’en résultera aucune explosion ; que si l’eau y pénètre par-dessous , ou que , s’insinuant par des ouvertures latérales, elle se mette en contact avec l’incendie, sans qu’il y ait un espace suffisant à l’expansion de ses vapeurs , l’explosion sera très- violente , té- moin celle de la lave contenue dans le creuset l’eau avait pénétré.

Quoique , par tout ce que je viens de dire, on soit fondé à croire que l’eau réduite en va- peurs est très-propre à produire les plus fortes

DANS LES DEÜÎ SICI1ES. 267 éruptions volcaniques, et que d’un autre côté, la retraite subite de la mer , qui arrive souvent dans ces circonstances , ne semble pouvoir pro- venir que de l’action de ce terrible agent , ce- pendant il n’est pas nécessaire d’y recourir pour expliquer les éruptions médiocres ou faibles , les gaz permanens dont nous avons parlé étant suffi- sans pour les occasionner. Il est même hors de doute que ces gaz sont les seuls auteurs des éruptions de certains volcans , par exemple , de celui de Stromboli. En effet, que l’on se rappelle comment elles se préparent dans son cratère. On voit d^abord la lave liquéfiée bouillonner , se soulever à une certaine hauteur , se gonfler en tumeurs multipliées qui, en éclatant, produisent à l’instant même la détonation et le jet des ma- tières. L’abaissement de la lave suit immédia- tement jusqu’à une certaine profondeur , puis il se fait un nouveau soulèvement accompagné de semblables tumeurs , dont la rupture amène de nouvelles explosions et de nouveaux jets. C’est dans ce mouvement alternatif que consiste son action. J’ai supposé que les tumeurs provenaient d un fluide élastique emprisonné dans la lave li- quide , qui cherchait une issue , et la trouvait enfin en déchirant son enveloppe, et la vibrant dans les airs. Cette supposition m’a paru, et me parait encore très-raisonnable. Mais quelle est

^58 VOYAGES

la nature de ce fluide ? dernier point de cette

discussion que je vais essayer de résoudre.

Placé sur le volcan de Stromboli, et pouvant porter mes regards dans l’intérieur de son cra- tère , il me fut aisé de juger que le fluide ren- fermé dans les tumeurs de sa lave ne pouvait provenir de la vaporisation de la lave même; car cette vaporisation qu’on ne peut nier, d’après les expériences rapportées ci-dessus , bien que suffisante pour les rompre , ne l’était pas pour occasionner les grêles qui se succédaient sans interruption. Ce fluide ne provenait pas non plus de la vaporisation de l’eau ; car , pour détonner il n’aurait pas attendu d’être renfermé dans une tumeur , et d’être porté à la suface de la lave ; la détonation et le jet seraient partis au moment du contact de l’eau avec la lave embrasée. D’ail- leurs, en supposant chacune de ces nombreuses et très-grosses tumeurs remplies d’eau vaporisée, qui ne voit pas que les explosions et les éruptions se feraient avec plus d’impétuosité ! Il est donc probable que ce fluide est un gaz permanent , peut-être un de ceux que l’on trouve dans les volcans quand ils sont accessibles et en état de repos, tels que le gaz acide carbonique ,1e gaz hydrogène , le gaz oxigène , &c.

Dolomieu , qui ne s’est pas approché d’auss1

DANS LES DEUX SICILES. ^69 près que moi du cratère de Stromboli , mais qui a observé ses éruptions , conjecture qu’elles sont un jeu du gaz hydrogène. Insoupçonné que le feu intérieur dégage ce fluide des matières qui sont dans le voisinage du foyer volcanique, mais qui ne le touchent pas immédiatement 5 que ce fluide arrive par des canaux souterrains jus- qu’au lieu de l’incendie , il s’enflamme subi- tement. #

Cette hypothèse , que ce sage naturaliste ne présente que comme un doute , est séduisante , et je suis porté à croire qu’elle a souvent lieu dans les volcans brûlans 5 mais les faits ne per- mettent pas de l’appliquer à celui de Stromboli. En premier lieu , si ce gaz a la propriété de s’enflammer, il a aussi celle d’éteindre le feu placé dans son atmosphère. Et comment la lave fondue dans le cratère de Stromboli pourrait- elle être investie , agitée , raréfiée par un sem- blable fluide méphitique , sans que la vive rou- geur dont elle brille aux heures de la nuit je l’ai observée , ne s’obscurcît pas , ne se perdît pas même entièrement. En second lieu , quoique dans ce volcan , la détonation accompagne tou- jours l’éruption , cependant on ne dira point que la première soit occasionnée par le gaz hydro- gène , à moins de vouloir admettre un effet in-

%6o

VOYAGES

comparablement plus petit que sa cause. Dans les diverses stations que j’ai faites sur ce volcan, j’ai observé que les détonations les plus fortes ne faisaient pas plus de bruit qu’un tonnerre sourd et très-court , et c’est à ce moment que se fait la rupture des tumeurs qui couvrent la surface de la lave , tumeurs qui ont un diamètre de plusieurs pieds. Or , n’est-il pas évident qu’une si grande quantité d’hydrogène renfermée dans un si grand nombre de tumeurs , et fulminant presqu’au même instant , devrait produire un bruit infiniment plus retentissant? Mais voici une preuve sans réplique, ou, pour mieux dire, une démonstration de l’insuffisance de l’hypothèse de Dolomieu. Quand les tumeurs se brisent par l’ef- fort et la sortie du fluide , ce fluide , si c’était du gaz hydrogène , devrait s’enflammer en ce moment , et manifester son inflammation à la surface de la lave. Or, la vérité est qu’à chaque éruption on n’y voit rien de semblable , pas la plus petite flamme. C’est ce que je puis certifier, ayant observé attentivement, pendant le jour et la nuit , les moindres accidens qui survenaient dans le cratère.

Forcé d’abandonner cette explication , il me vint dans l’esprit que l’air atmosphérique était peut - être la cause de ces phénomènes. Dans

DANS LES DEUX S I C I L E S. 20 L cette seconde hypothèse , il fallait démontrer comment cet air entrait librement dans le volcan > et comment il en sortait en produisant des gon- flemens et des éruptions. Le premier point n’of- frait pas de difficulté , puisque les montagnes vol- caniques sont caverneuses 3 mais cet air pouvait- il s’insinuer dans la masse de la lave ? pouvait-il la traverser et arriver à son sommet ? Je trouvai dans sa nature même deux obstacles insurmon- tables qui devaient s’y opposer. i°. On ne peut nier que l’air atmosphérique qui pénètre par des déchirures jusque dans les entrailles de la mon- tagne , ne doive se dilater extrêmement en appro- chant de cette masse énorme de lave fondue et incandescente , et se porter vers l’issue la plus facile pour s’échapper : il se retirera donc par les cavernes qui communiquent au - dehors et lui ont servi d’entrée. 20. Mais supposons pour un moment qu’il parvienne à s’insinuer dans la lave , ce ne serait que dans un état de raréfaction très-grande > et dès-lors serait-il capable de pro- duire les explosions continuelles de Stromboli ? Je m'arrête à ces deux objections 3 elles suffisent pour prouver l’absurdité de cette seconde hy- pothèse.

Oserai-je en proposer une troisième? je ne la crois pas indigne de l’attention du lecteur, quoi-

VOYAGES

r.02

que je ne la lui donne que comme conjecturale. Il me semble que le gaz oxigène pourrait nous donner Implication que nous cherchons. On sait que les sulfates de fer et d’alumine en fournissent abondamment quand ils sont tourmentés par un feu très-vif ; on sait encore que ces deux sels se reproduisent facilement dans les volcans. L’un et l’autre pourraient être une source abondante et inépuisable d’oxigène dans le Strornboli 5 ce gaz , en se mêlant avec la lave , serait forcé par sa légéreté à monter au travers 5 il s’amasserait dans la bouche étroite du cratère $ il produirait des gonflemens, des boursouflures dans la lave $ il en sortirait avec détonation , il la déchirerait en lançant dans les airs ses morceaux épars 5 car l’augmentation de chaleur qu’il aurait reçue , aug- menterait aussi et prodigieusement sa force ex- pansive. D’ailleurs les éruptions seraient toujours proportionnées à la quantité de gaz rassemblé et dégagé.

Je ne vois que deux argumens que l’on puisse élever contre cette hypothèse. Le premier est que la lave qui serait investie par le gaz oxigène devrait être si lumineuse , que l’œil ne pourrait en soutenir la vue 5 puisqu’il ne se fixe qu’avec beaucoup de peine sur la plus petite flamme que ce gaz anime. Cependant la lave n’est pas plus

DANS LES DEUX SICILE S. 263 rouge que le verre et le bronze fondu. Le second est que cette lave , attisée par ce gaz , devrait se convertir en un verre ou un émail homogène , comme il arrive à celles que Ton expose au feu animé par l’oxigène. Cependant il n’en est rien, et dans les matières que vomit le Stromboli , on reconnaît encore les bases de leurs roches pri- mordiales : les schorls et les feld-spaths s’y main- tiennent dans leur état primitif de cristallisa- tion.

Mais on peut répondre à ces deux argumens, si l’on considère que l’oxigène ne saurait être jamais pur dans les volcans brûlans 5 qu’il doit y être nécessairement mêlé à quelque gaz mé- phitique 3 sur-tout à l’acide carbonique , si com- mun dans les pays volcaniques. Ce mélange doit afFaiblir beaucoup le vif éclat que l’oxigène pur exciterait dans la lave 5 et celle-ci , par la même raison , ne sera jamais assez tourmentée par le feu pour ne pas conserver les caractères de sa roche. Je ne donne cette explication que pour ce qu’elle vaut j prêt à la rejeter si on la démontre insuffi- sante. L’impossibilité de recueillir le fluide qui s’échappe du cratère de Stromboli , fera qu’on n’en découvrira jamais la nature par des voies directes. Je l’ai jugée par conjecture , et j’ai pensé que l’oxigène , dont l’existence n’est pas

20^ VOYAGES

douteuse dans le volcan de Stromboli , était le plus propre à en expliquer les phénomènes. Au reste , qui sait si dans ces immenses laboratoires de la nature qu’on appelle des volcans , il ne se produit ou ne se développe , par le moyen du feu , des substances gazeuses qui nous sont in- connues , et qui concourent à leurs éruptions ? et ces substances 3 pourra-t-on jamais les con- naître }

i

CHAPITRE

ï) A N S LES D E Ü 3L SICILE S. 26 S

CHAPITRE XXII.

eide muriatique contenu dans divers -produits volcaniques. Recherches sur son origine et son mélange avec ces produits \

Au commencement du chapitre précédent , j’ai dit que 5 voulant savoir si les productions volca- niques , traitées avec le feu dans des matras > fourniraient quelque gaz , et quelle serait la na- ture de ce gaz , j’avais disposé l’expérience de manière que si ces mêmes productions laissaient échapper quelque liqueur , je pusse en même temps la recueillir au moyen d’un ballon de verre , qui d’un côté communiquait au matras 3 et de l’autre à l’appareil chîmico-pneumatique à mercure» J’ai de plus annoncé que j’avais ob- tenu une liqueur , que son caractère était remar- quable , et que je me réservais d’en parler plus particulièrement. C’est à quoi je destine ce cha- pitre. Je raconterai les circonstances qui accom- pagnèrent l’écoulement de cette liqueur, en com- mençant par le verre tigré de Lipari , qui le pre*» mier la produisit.

Tome III ,

S

VOYAGES

26 6 x

Comme le feu commençait à échauffer consi- dérablement le raatras , il parut dans le ballon un nuage blanc qui, augmentant insensiblement, en occupa toute la capacité 3 puis se raréfiant peu à peu , s’attacha , sous la forme de petites gouttes , aux parois intérieures du verre. Au bout de deux heures et trois quarts de feu , ce nuage se dissipa entièrement , en laissant au fond du ballon une petite quantité de liqueur limpide.

J’examinai cette liqueur : son poids était de cent quarante-quatre grains 3 sa saveur, celle de l’acide muriatique délayé.

Le prussiate de potasse ferrugineux non sa- turé , et la teinture de noix de galle faite avec l’esprit-de-vin, n’y manifestèrent aucune trace de fer.

Le carbonate ammoniacal n*y laissa voir aucun vestige de terre.

La teinture de tournesol changée en rouge, annonça que cet acide était pur , et son effer- vescence avec le carbonate ammoniacal , qu’il était un peu concentré.

Le muriate de baryte , dans lequel il ne causa aucune précipitation , prouva qu’il n’était pas sulfurique*

*

DANS LES DEUX SICILE S. 267

Et enfin les flocons blancs produits avec le nitrate d’argent, annoncèrent qu’il était un acide muriatique.

Il me restait quatre-vingts grains de cette liqueur, sur laquelle je vetsai à diverses reprises le nitrate d’argent jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de précipité. Ce précipité bien édulcoré , bien séché , je le pesai , et je trouvai qu’il se montait à huit grains. Or, comme l’acide muriatique, suivant le calcul de Bergman , fait le quart du muriate d’argent , cet acide entrait pour deux grains dans la liqueur susdite.

Je n’ai pas besoin de dire la surprise que me causa la présence de ce sel et de cette eau , dans une substance pierreuse qui avait été non- seulement fondue , mais encore vitrifiée par les feux souterrains. Je ne pouvais soupçonner que l’un et l’autre , avant l’opération , étaient adhé- rens au matras , car il était neuf, comme tous ceux que j’employais , et servait pour la pre- mière fois. La singularité de ce fait m’engagea à répéter l’expérience avec le même verre tigré , dont je possédais de très-gros morceaux. J’en pris un que je réduisis en poudre $ je plaçai cette poudre dans un autre matras que je disposai comme le précédent. Au bout d’une demi-heure de feu , j’apperçus dans le ballon des traces d’un

Sa

V O Y A G E S

s68

nuage blanc qui, s’augmentant successivement,' acheva de le remplir entièrement 3 il se résolut ensuite contre lés parois en un voile aqueux qui, tombant au fond du ballon , y produisit une cer- taine quantité de liqueur. Son poids était de soixante et dix-sept grains et demi 5 elle avait la saveur de l'acide muriatique , et les réactifs y prouvèrent la présence de ce sel à l'exclusion de tout autre. Il me fut donc démontré que cet acide , uni à l'eau , se trouvait renfermé dans le verre volcanique. J’expliquai l’apparence du nuage blanc dans le ballon par le mélange de l’eau avec l’acide muriatique, qui, toutes les fois qu’il est en contact avec l’humidité , produit de semblables vapeurs 3 et la condensation du nuage, par la fraîcheur du ballon. Ces vapeurs aqueuses se sont précipitées , et l’acide s’est uni à l’eau par la grande affinité qu’il a avec elle.

Mais pette liqueur appartenait-elle exclusive- ment au verre tigré de Lipari, ou était-elle com- mune à d’autres productions volcaniques ? Je poursuivis ma recherche , et d’abord je mis à l’épreuve le verre noir de la même île. Douze onces me donnèrent cent quatre grains de li»- queur qui s’amassa au fond du ballon : elle était de même nature que la précédentes

Ainsi, malgré l’inégalité de poids dans les deux

DANS LES DEUX SICILE S. 26g verres employés , l’un dans la première expé- rience , l’autre dans la seconde , la liqueur éma- née de celui-ci pesait quarante grains de moins 5 mais en la goûtant , je la trouvai un peu plus acide. En effet, quatre-vingts grains me donnèrent dix grains de muriate d’argent , et par consé- quent deux grains et demi d’acide muriatique, tandis que les quatre-vingts grains de la liqueur du verre tigré n’en avait fourni en dernier ré- sultat que deux grains.

J’éprouvai ensuite un verre artificiel , et j’en recueillis à peine un grain d’eau , qui se trouva tout-à-fait insipide. Les deux verres volcaniques avaient donc , à l’exclusion des verres artificiels, la propriété de contenir de l’acide muriatique.

Curieux de savoir s’il était combiné , ou uni mécaniquement avec ces deux corps volcaniques, j’imaginai de les exposer à un feu assez modéré pour les garantir de la fusion. J’enfermai six onces de verre tigré en poudre dans une cornue jointe à un ballon qui communiquait avec l’appareiL à mercure , et je l’exposai pendant douze heures de suite à l’action d’un feu de sable. Au bout de six quarts-cfheure , il parut au col de la cor-i nue une grosse goutte d’une liqueur , qui tomba bientôt après dans le ballon; il s’en forma une seconde au même endroit qui y resta toujours

S 5

VOYAGES

570

attachée , et ce fut la dernière. On ne voyait point de vapeurs ni dans la cornue , ni dans le ballon. Les deux premières heures s’écoulèrent ainsi ; alors seulement le col de la cornue com- mença à se couvrir d’un voile blanc, qui devint ensuite plus dense : aucun gaz ne se forma sur le mercure.

Ayant rompu la cornue , je découvris que ce voile n’était autre chose que la partie la plus subtile du verre pulvérisé sublimée par l’action du feu 3 et adhérente à la cornue. La fusion ne s’était point opérée. Les deux gouttes d’eau, qui pouvaient peser neuf à dix grains , se trouvèrent très-acides au goût , et les réactifs démontrèrent que cet acide était muriatique.

Puisque le verre mis en expérience était resté intact , le résultat indiquait que l’eau et l’acide étaient, non en combinaison , mais seulement en adhérence avec ses parties 5 et s’il n’en était pas sorti une plus grande quantité , c’est que le feu avait été trop modéré.

La voie humide me fournit de nouvelles lu- mières. Je réduisis en poudre douze onces de verre noir de Lipari , autant de verre tigré 5 je les mis séparément en digestion , pendant douze heures , dans l’eau distillée. Cette eau , après

DANS LES DEUX SICILE S. 27 1 avoir été filtrée , ne changea point la couleur de la teinture de tournesol, preuve qu’il n’y exis- tait aucun acide libre, ou du moins que cet acide y était très— afFaibli. Mais le nitrate d’argent la troubla légèrement, et il se forma un petit sédi- ment au bout de vingt-quatre heures.

Sachant que l’acide muriatique, quoique faible, engendre toujours des flocons blancs , ou des stries dans le nitrate d’argent , je doutai que le trouble de la liqueur fût l’effet de cet acide. Pour m’en assurer , je pris de l’eau distillée , à laquelle je mêlai une goutte d’acide muriatique; j’y versai du nitrate d’argent , et il se forma des flocons ; j’augmentai le volume d’eau, et renou- velant l’épreuve avec le nitrate , les flocons pa- rurent , mais plus petits ; une nouvelle addition d’eau . et une nouvelle épreuve , n’offrirent plus qu’un léger trouble et point de floceons, effet semblable à celui qu’avait manifesté ma première liqueur , et qui y prouvait l’existence d’une très- petite portion d’acide muriatique , qui, pendant la digestion , s’était émanée des verres volca- niques.

Je pris douze onces du verre noir, autant du verre tigré ; j’en fis séparément quatre décoc- tions consécutives de quinze heures chacune ; je filtrai l’eau, je la fis évaporer à siccité , et

S 4

272 VOYAGES

au fond de l’évaporatoire , je trouvai un résidu de poussière de verre. J’y versai un peu d’eau distillée j j’éprouvai une partie de cette eau avec la teinture de tournesol , l’autre avec le nitrate d’argent. La première se colora légèrement de rouge 5 la seconde se troubla un peu , et il s’y forma quelques flocons blancs.

Je fis , non bouillir , mais infuser au feu de sable pendant quarante heures , dans de l’eau distillée , dix-neuf onces deux dragmes et. sept grains et demi du verre noir réduit en six mor- ceaux ; j’en fis autant du verre tigré , le divisant de même en six morceaux , qui pesaient en tout vingt onces deux dragmes et un grain et demi. Séchés à Pair et au soleil , les deux verres se sont ensuite trouvés du même poids. Les deux eaux, dont le volume s’était diminué par l’évaporation, se sont troublées par le nitrate d’argent, et il en est résulté un petit sédiment.

L’ensemble de ces faits démontrait évidem- ment que l’acide muriatique , dans les deux verres volcaniques , n’était point combiné avec eux comme principe constituant , mais qu’il adhérait simplement à leurs parties.

J’étendis ces recherches à d’autres corps vol- caniques. La lave à grenat du Vésuve me donna

DANS LES DEUX SI C ï LES. 2^5 deux grains d’eau qui ne changea point la tein- ture de tournesol , mais qui se colora d’un blanc laiteux par le mélange du nitrate d’argent : ainsi elle n’était pas entièrement privée d’acide mu- riatique.

Celle du même volcan qui avait coulé peu de temps avant mon voyage au Vésuve , laissa dans le fond du ballon quatre grains d’eau qui sortit pure de l’épreuve.

La lave de Vulcano , émaillée à l’extérieur, en fournit quatre grains et demi. Cette eau était sans odeur , mais d’une saveur acidulé : sa pré- cipitation en flocons blancs annonça la présence de l’acide muriatique.

La lave de Stromboli , lancée de son cratère, ne produisit que de l’eau simple.

Une autre lave du même volcan et de la même espèce , mais d’une date ancienne , et qui avait été retirée de dessous d’autres laves à une grande profondeur, donna sept grains et un quart d’eau. Sa saveur acidulé, sa précipitation en stries flo- conneuses , prouvèrent qu’elle contenait de l’a- eide muriatique en dissolution.

Je retirai de la lave de l’Etna de 1787 six

27^ VOYAGES

grains d’eau pure. Cette lave , ainsi que la pre- mière de Stromboli , était encore chaude quand je la recueillis.

Une pierre ponce solide de Lipari me donna vingt-quatre grains et demi d’eau acide au goût, et qui changeait en rouge la teinture de tour- nesol. Elle se troubla par le mélange du nitrate d’argent , et j’y reconnus la présence de l’acide muriatique.

Ainsi, des neuf corps volcaniques qui ont été le sujet de ces expériences , six ont manifesté la pré- sence de l’acide muriatique ; les trois autres n’en ont donné aucun signe. En réfléchissant sur leurs circonstances locales, je vis que l’acide muriati- que n’existait point dans les produits volcaniques alors qu’ils étaient encore en liquéfaction ou en incandescence, mais qu’il s’y unissait par la suite. En effet, la lave du Vésuve, celle de Stromboli, celle de PEtna, qui étaient de formation nouvelle quand je les recueillis, n’en renfermaient point , quoiqu’elles continssent une petite portion d’eau 5 tandis que les six autres, qui avaient perdu leur chaleur depuis long-temps , en ont fourni une quantité plus ou moins grande. Cela est sur- tout remarquable dans les deux laves de Stromboli : elles étaient de même nature. Dans l’une , prise

DANS LES DEUX SICILE S. 2y5 au moment de sa chute hors du cratère , l’acide n’existait point ; dans l’autre , vomie depuis quel- que temps , l’acide commençait à se former , et a manifesté sa présence.

J’avais pensé que cet acide pouvait provenir du muriate ammoniaque, qui se trouve commu- nément dans les volcans. Je versai sur la chaux une partie de liqueur que j’avais obtenue des verres volcaniques ; j’employai aussi le carbo- nate de potasse ; mais l’odeur piquante de l’am- moniaque ne se fit point sentir, preuve évidente qu’il n’y en avait point dans la liqueur.

Je croirais plutôt que cet acide s’élève , soit des lieux souterrains , l’on sait qu’il se forme quelquefois ; soit plus probablement de la mer, qui pénètre par-dessous les monts volcaniques, et qu’il s’engendre de la décomposition du rau- riate de soude opérée par les acides sulfureux, si abondans dans les volcans. Cet acide muria- tique , absorbé par l’humidité de l’air, s’intro- duit ensuite dans les productions volcaniques. Si l’on s’étonnait cependant que ce sel avec l’eau ait pu s’insinuer dans deux verres volcaniques aussi compactes que ceux de Lipari , sur-tout le noir , et quin’ont ni crevasses , ni gerçures, on doit se rappeler que l’eau s’atténue au point

276 VOYAGES, ûc.

de pénétrer dans les corps les plus denses , les yeux , armés de la meilleure loupe , ne dé- couvrent pas le plus petit pore.

FIN DU TOME TROISIÈME.

/

/

; : .• v ; J,

: T . ... * 7 V t . , ' ./tff . (

TABLE ET SOMMAIRES

des chapitres contenus dans ce troisième volume.

chapitre xvij page 1 . Voyage dans V inté- rieur de Vile de Lipari .

SECONDE PARTIE.

Aspect irrégulier de cette île. Ses cratères ^existent plus. Conjecture que le mont Saint- Angelo et celui de la Guardia , les plus éminens de l’île , ont été formés par deux volcans distincts. Efflorescence du muriate d’am- moniaque dans deux cavernes près la plaine nommée la Valle. Brèche volcanique très- curieuse. Tuffa qui recouvre une partie de la montagne des Etuves, et qui paraît provenir d’un courant terreux. Charbons ligneux enfermés dans ce tuffa. Recherches sur leur origine. Chemin conduisant de la ville aux Etuves creusé par les pluies dans le tuffa. Productions volcaniques. Mor- ceaux errans d’émail , renfermant de petits corpuscules semblables aux grenats. Leur comparaison avec les gre- nats duVésuve. Email à grenats de Lipari a pour base la pierre de corne. Laves errantes. Chrysolites volca- niques dans une lave à base de pierre de corne. Com- paraison de ces chrysolites avec celles de l’Etna et du Vivarais. Porphyre rouge qui ne paraît pas avoir subi la fusion. Tous ces corps ne forment point de courans,

278 TABLE ET S O^ï MAIRES

et paraissent avoir été lancés par les volcans. Plaine tuffacée rendue propre à la culture, située au - delà du mont des Etuves , et renfermant des morceaux de verre , les plus purs et les plus parfaits de Lipari. Origine locale de ce verre. Lit de pierres ponces sur lequel s'étend le courant de tuffa. Description des Etuves de Lipari , restes de l’inflammation souterraine de cette île. Nombre prodigieux de laves décomposées par l’impression des vapeurs sulfureuses. Oxide de fer pur déposé sur plusieurs de ces laves. Leurs couleurs variées. La décomposition est en raison inverse de la profondeur des masses. Considérées dans leurs parties saines , elles manifestent pour l’ordinaire une base de pétro-silex. La décomposition est un obstacle à la fu- sion des laves , et pourquoi. Sulfates de chaux diver- sement colorés , et adhérens aux laves décomposées. Le fer oxidé et modifié de diverses manières , est la cause de cette variété de couleurs. Découverte de di- verses chrysolites près les Etuves. Gelée qu’elles for- ment avec les acides minéraux. Eclairs qu’elles lancent à l’instant de tomber en fusion. Leur gonflement. Com- paraison de ces zéolites avec celles des autres pays. Leur génération se fait , non par la voie sèche , mais par la voie humide. Zéolites formées dans la mer : celles de Lipari ont une autre origine. Exemples de zéolites formées dans l’eau douce. Sources des eaux thermales de Lipari. Autre amas prodigieux de laves décomposées et de sulfures de chaux au sud de l’île. Aucun pays volcanisé en Europe , les vapeurs sul- fureuses émanées des incendies souterrains aient oc- cupé autant d’espace. Vitrifications de Campo-Bianco , du mont de la Castagna et autres lieux. Les deux tiers

DES CHAPITRES. 279 de cette île , qui a dix-neuf milles et demi de circon- férence , sont vitrifiés. Ses matières volcanisées dé- rivent du pétro-silex , du feld-spath en masse, de la roche de corne, qui se sont ou simplement fondus, ou vitrifiés. Il n’est pas nécessaire de supposer, pour ce dernier effet, une grande puissance dans les feux souterrains. Exception pour les pierres ponces prove- nues du granit. Notices transmises par les anciens sur les feux de Lipari. L’existence de cette île et celle de la ville remonte à une époque antérieure à la guerre de Troyes. Il n’est aucun souvenir des éruptions de ses volcans dans les temps historiques. Cette île est parvenue à son plus grand développement avant que les hommes en aient eu connaissance.

chapitre xvii, page 72. Félicuda .

Cette île a deux anses les petits bâtimens trouvent un abri. Voyage autour de ses rivages. Laves prisma- tiques qui plongent dans la mer. Vaste grotte taillée dans une de ces laves. Recherches touchant son ori- gine. Couches de tufîa et de laves posées alternative- ment Pune sur l’autre. Autres laves prismatiques des rivages. Considérations sur ces laves. Description de l’intérieur de l’île. Montagne centrale plus éminente que les autres : on voit à son sommet le cratère d’un antique volcan, à qui probablement Félicuda doit sa première origine. Indices de l’existence passée d’un volcan moins considérable à la cime d’un mont su- balterne. Point d’autres vestiges de cratère par toute l’île. Qualités des laves , verres , ponces , tuffas , pouzzo- lanes , disséminés dans son intérieur. Pouzzolanes et ponces employées par les insulaires dans la construc-

280 TABLE ET SOMMAIRES

tion des maisons. L’île entière ne présente à Fauteur que des matières volcanisées , à la réserve d’un mor- ceau de granit naturel. Réflexions sur cette roche.

chapitre xvm, page ^5. Æicuda .

Tempête essuyée par Fauteur dans la traversée. Ponces et verres de cette île. Ses rivages. Rochers composés de globes de lave. Recherches à ce sujet. Lave d’une conservation parfaite , quoique d’une date très - an- cienne. Incertitude de nos jugemens sur la plus ou moins grande antiquité des laves , fondés sur le degré plus ou moins sensible de leur décomposition. Masses isolées de porphyre , ne portent aucun signe d’avoir été touchées par le feu volcanique. Laves d’un autre genre. Schorls verts tirant sur l’azur , renfermés dans toutes ces laves. Horrible aspect des côtes d’Alicuda. Les flancs de la montagne ne présentent aucunes traces de cratères. On en voit des vestiges à son sommet. Les laves de l’intérieur sont analogues à celles des rivages. Peu de probabilité <^ue Félicuda et Alicuda aient jamais composé, comme le conjecture Dolomieu, une seule montagne conique que la mer aurait divisée. Raison de croire que chacune de ces îles a été formée séparément. Ces deux îles ne portent plus des indices d’un feu souterrain existant. Le silence des anciens à l’égard de leurs éruptions est une preuve que depuis long-temps elles ont cessé de brûler.

CHAPITRE

DES CHAPITRES»

28l

chapitre xix, page 111. Considérations sur la volcanisation des îles Æoliennes . Re- cherches sur lJ origine des basaltes .

Instrumens propres à arracher les corps pierreux du fond de la mer. Fond volcanique des canaux qui sé- parent Vulcano , Lipari et les Salines. Les matières de ce Tond sont semblables à celles qui forment les bases des îles Æoliennes. Gravier et sable volcanique au fond du canal, entre Panaria et Lipari. Roches existantes au milieu des eaux qui baignent les Sa- lines, Félicuda et Alicuda , analogues à celles de ces îles , mais probablement primordiales. Preuves dé- cisives , déduites de ces observations , que les schorls et les feld - spaths cristallisés des laves m’ont pas été saisis par elles dans leur écoulement, ni formés au- dedans d’elles pendant leur refroidissement. Confir- mation de ces preuves. Iles Æoliennes placées en ligne droite de l’est à l’ouest. Directions semblables de quelques îles et montagnes volcaniques dans d’au- tres régions. Probabilités que tout l’archipel Æolien se soit formé en même temps, du moins quant à ses premiers rudimens. On explique comment les îles et montagnes ignivomes prennent en naissant une direc- tion en ligne droite. Matières des Æoliennes pour la plupart porphyriques. Analyses de l’auteur, qui dé- montrent que les porphyres rouges d’Egypte ont pour base , non le pétro - silex , mais la pierre de corne. Existe -t- il d’autres pays volcaniques un amas aussi considérable de vitrifications qu’à Vulcano et Lipari? Incertitudes à ce sujet Les relations des voyageurs

Tome 111, T

table et sommaires

sont pour l’ordinaire vagues , souvent exagérées et peu instructives. Verres volcaniques en Islande ; ne composent pas des montagnes. Nous ne connaissons au- cune vitrification dans les volcans des îles de Ferroë, dans ceux de la Norvège et de la Laponie. Il en existe peu ou point dans les; c outrées voicanisées de l'Alle- magne et de la Hongrie , et dans les volçans éteints de la France. On en trouve un peu plus au V ésuve et aux environs de Naples , presque point sur l’Etna et les montagnes volcaniques de Padoue. Aucune terra en Europe plus abondante en ponce que l’île de San- torin : ne porte point de verre. Cette production vol- canique très-rare dans les trois autres parties du monde. Conclusion , que le globe n'offre point de pays volça- nisés plus abondans en verres que les deux îles de Vul- çano et de Lipari , mais que l'île de Santorin les sur- passe en pierres ponces. Recherches sur la rareté de ces dernières vitrifications , soit dans les volcans en- flammés , soit dans les volcans éteints. Elle semble moins provenir de la quantité des pierres affectées par le feu volcanique , que de l'inefficacité de cet agent à les vitrifier. Degré de feu successivement plus éner- gique pour qu’une roche passe de l'état de lave à celui de pierre ponce , et de l’état de pierre ponce à celui- de verre parfait. On explique comment quelques vol- cans produisent des pierres ponces et jamais des verres. Nos fourneaux ne sauraient produire des pierres ponces. noir est leur couleur naturelle. Elles blanchissent par des causes extérieures.

DES CHAPITRES.

a83

Recherches sur les basaltes*

ïh sont produits par la voie humide , si l’on prend le mot basalte dans l’acception que lui ont donnée les anciens. Pierres en colonnes, semblables par leur configuration prismatique au basalte des anciens, formées par la voie sèche et par la voie humide, seïon les circonstances. Preuves de leur origine par la voie sèche à Yulcano et à Félicuda. La nature , dans le règne fossile cristal* Üsé, agit autant par la voie sèche que par la voie humide. Elle opère de même dans la génération des basaltes. Abus de l’analogie qui généralise sur l’origine des basaltes. Pris isolément , ils ne portent pas , pour l’ordinaire , les caractères particuliers de leur origine. Il faut la chercher dans les circonstances locales. Les laves basaltiques sont-elles formées par leur subite con- densation dans la mer ? Preuves de fait qui montrent i°. que beaucoup de ces laves ont acquis leur confi- guration symétrique en se coagulant dans les eaux de la mer ; 2°. que d’autres l’ont reçue par leur simple refroidissement à l’air libre ; 3°. qu’enfin une infinité de laves se refusent à cette configuration , soit qu’elles se plongent dans la mer , soit qu’elles restent sur la terre. La propriété qu’ont beaucoup de laves de se cristalliser en prismes ne dépend pas, à ce qu’il paraît, de ce qu’elles sont d’une espèce plutôt que d’une autre , compactes ou solides; mais il faut l’attribuer à des cir- constances extrinsèques et adventices. On indique ces circonstances , et on explique comment il résulte de leur présence ou de leur absence, que les laves se con- figurent en prismes à l’air libre, ou restent sans formes déterminées au fond des eaux,

T 2

2r8 4 TABLE ET S 0,M MAIRES

chapitre xx, page i53. Digression sur diverses productions volcaniques des monts Euganéens.

Y oYagf. que l’auteur y fait pendant les vacances de 1789, dans le but d’obtenir un ternie de comparaison entre les produits des volcans qu’il avait déjà observés , et ceux des montagnes de Padoue. Description de divers échantillons recueillis dans cette excursion. Trois qua- lités de laves à Monte-Castello. Pétro-silex errant , d’origine incertaine , entremêlé avec elles. Laves du mont du Donati , les unes ayant pour base le pétro- silex , les autres la pierre de corne. Preuve de fait qu’une d’entr’elies a formé des courans. Les colonnes prismatiques de Monte-Rosso ont pour base, non le granit , mais le porphyre. La montagne dite Monte- Ortone offre également des laves prismatiques : leur forme est moins caractérisée. Lave de Monte - Merlo à base de granit. Mica noir , un des principes consti- tuai de ce granit , a la propriété d’être , presqu’au- tant que le fer , attirable à Paimant, propriété qui lui est toutefois commune avec d’autres micas des monts Luganéens. Micas des granits primordiaux privés de cette propriété , et cependant capables de la recevoir par l’action du feu. Ce fait important confirme l’état volcanique des monts Euganéens. Quartz en nœuds en- sevelis dans la lave granitique , et produits vraisem- blablement par une filtration postérieure à son embra- sement. Même observation touchant quelques schorls qui y sont renfermés. Schorls des monts Euganéens , comme ceux des autres terres volcanisées, agissent

285

DES CHAPITRE S. sur l’aimant , à la différence des schorls des pays non volcaniques. Carbonates calcaires entremêlés avec les laves. Pierres trouvées parmi les carbonates calcaires, lesquelles ont la plus spécieuse apparence d’une méta- morphose. de chaux en silex. Qn démontre , par des analyses chimiques , qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une semblable métamorphose pour expliquer ce phénomène. Laves globuleuses disposées par cou- ches près de Teolo , abondantes en particules de pierre de poix. Filons de laves résiniformes à Bajamonte et à Sieva. Groupes de pierres ponces renfermés dans un de ces filons. Comparaison faite au moyen de la voie sèche , entre les pierres de poix volcaniques et celles qui ne le sont pas. La voie humide démontre que les unes et les autres appartiennent au même genre. Différences essentielles entre les laves résiniformes et les verres volcaniques. Productions volcaniques de Sehivanoja, de Monte-Merlo , de Mascabo , de Tre- monte , de la Pendise , dont quelques-unes ont été prises pour verre volcanique par un auteur moderne , mais qui réellement ne sont que des laves résiniformes, à l’exception d’une qui est tout au plus une lave vi- treuse. Bévue de cet auteur , qui a pris pour c’es pro- duits volcaniques des morceaux de verre tirés des fourneaux de Murano près Venise , et qui avaient été apportés dans ces montagnes. Comment nous appre - nons , par cet exemple , à être réservés dans les ju- gemens que nous portons sur la volcanisation d’un pays. Comment nous pouvons encore nous tromper , en jugeant que ce pays est volcanisé , parce que nous y avons trouvé des corps véritablement volcaniques , mais errans. Ce cas est arrivé à l’auteur. Peu de

T 3

^86 TABLÉ ET SOMMAIRES

croyance que méritent certaines relations dans les- quelles on prétend prouver Texistence d’anciens vol- cans. Il est nécessaire que des relations de ce genre portent avec elles des détails lithologiques. Comment nos jugemens sur les laves peuvent errer. Roches vol- caniques qui , sans avoir jamais coulé , ont la plus grande apparence d’être des laves. A défaut d’autre preuve , le tissu cellulaire des roches est une des in- dications les plus sûres qu’elles ont coulé. Cette indi- cation s’offre dans plusieurs laves euganéennes. Feld- spaths d’une lave gisant près de Rua 7 qui ont presque tous pour noyau central une portion de cette même lave. Laves de Gaîzignano , de Pigozzo , de Monte- Nuovo, de Mont Selice et d’ Argua. Celles de Monte- Nuovo et de Mont Selice remarquables , la première par ses feld-spaths torréfiés , la seconde par les ponces qu’elle renferme. Laves de Catajo : une d’elles pré- sente des colonnes prismatiques.

RÉFLEXIONS et COROLLAIRES.

Les monts Euganéens étaient anciennement des îles 9 comme le sont aujourd’hui les îles Ponces , les Æo- liennes , Santorin, &c. Leur haute antiquité, leur voi- sinage de pays habités et civilisés , deux causes de la détérioration de leurs volcans. Leurs laves sont ana- logues à celles des autres volcans plus connus, en tant qu’elles ont les mêmes roches pour base. Comparaison entre les roches de ces derniers volcans et les roches des monts Euganéens. Profondeur immense de celle- ci. II fallait, pour la connaître , le travail des volcans. Trois bases différentes dans les laves euganéennes dignes de remarque : le feld-spath en masse qui forma

DES CHAPITRES. ' 287

des laves vitreuses \ le pétro-silex volcanisé , très-sem- blable au naturel ; et la pierre de poix. Volcans pri- vés de cette dernière pierre ; autres elle abonde plus ou moins. La magnésie n'en est pas un des élé- mens , comme le pensent quelques naturalistes. Belle observation sur le changement du pétro-silex en pierre de poix. Analyse chimique de ces deux pierres qui cadre avec cette observation. Probabilité que quelques pierres de poix volcaniques dérivent de celles qui ne le sont pas. Le feu des fourneaux vitrifie les laves eu- ganéennes comme celles des autres volcans. Observa- tion sur la fusion facile des feld-spaths. Basaltes eu- ganéens sont l’ouvrage du feu. Pierre de ces montagnes formée en prismes, tantôt par la voie sèche, tantôt par la voie humide. Les seules circonstances locales sont propres à décideif quelle est de ces deux voiea celle dont la nature s’est servie pour la formation des ba- saltes.

chapitre xxi, page 220. Recherches expé- rimentales sur La nature des gaz clés volcans, et sur les causes de leurs éruptions .

L’auteur trouvant que certains gaz des volcans, et ceux qui s’engendrent dans les laves et autres subs- tances analogues refondues au feu ordinaire , produisent des effets semblables, tâche de découvrir la nature des premiers en étudiant celle des seconds. A cet effet , il dispose dans des matras d’argile des productions vol- caniques, les emplit jusqu’à une hauteur déterminée, et les soumet au feu d’un fourneau chimique , en les faisant communiquer avec un appareil à mercure

88 TABLE ET SOMMAIRES Verre tigre de Lipari traité de cette manière. Phéno- mènes observés dans les mairas durant l’ignition. Nul gaz n’apparaît sur le mercure. Etat poreux se trouve le verre refroidi dans le matras après huit heures de feu» Il n’y a aucune raison de croire que cette porosité soit l’effet de l’air atmosphérique renfermé dans les inters- tices du verre , ou celui de quelque gaz permanent. L’auteur soupçonne qu’elle provient de la gazification du verre même occasionnée par la véhémence du ca- lorique. Essai sur le verre le plus pur de Lipari. Rup- ture du matras causée par cette gazification dans le moment de la plus grande chaleur. Raison pour la- quelle le gaz ne passe point dans l'appareil pneuma- tique. Rupture d’un troisième matras causée par la gazification d’un émail d'ischia. Email de Procida se sublime durant la gazification , et reste adhérent aux parois internes du matras. Répétition de cet effet dans un autre matras , en faisant usage du même émail. Signes sensibles de cette sublimation dans la fusion de quelques substances volcaniques placées dans des creusets couverts. Raison pourquoi la sublimation ne se manifeste pas dans toutes les expériences. Verre noir artificiel qui se gazifie , non au fourneau , mais dans un matras exposé à un calorique plus véhément. Expérience sur six autres corps volcaniques qui se gazifient peu ou point au fourneau , mais très-bien dans les matras, sans aucune apparition de gaz permanent,. Conclusion que ces bulles, ces tumeurs plus ou moins grosses que l’on voit si fréquemment dans les produc- tions volcaniques, ne sont pas l’effet d’un gaz perma^- nent qui a agi sur elles, mais qu’elles ont été produites par uu fluide aériforme, provenant de l’excessive ra-

DES CHAPITRES. '.289

réfaction de ces mêmes productions par le moyen du calorique. Cependant il arrive quelquefois que des productions volcaniques exposées au feu ordinaire , donnent un gaz permanent. Expérience qui montre comment ce fluide au fond d’un cratère volcanique , étant mêlé à une lave liquide violemment tourmentée par les feux souterrains, peut, par son énergie, sou- lever cette lave jusqu’au sommet du cratère , et la faire déverser. Probabilité que cette vapeur élastique amas- sée en grande abondance, et retenue par quelque obs- tacle , peut donner lieu à des tremblemens de terre , produire des tonnerres souterrains, des mugissemens ; déchirer les flancs d’une montagne, et ouvrir un pas- sage à la lave. Cette vapeur ne paraît pas être la cause des grêles volcaniques. Nécessité de recourir à d’autres gaz plus énergiques pour expliquer ce phénomène. Présence de ces derniers gaz indiquée dans certains volcans. Il est vraisemblable qu'un agent encore plus puissant, tel que l’eau réduite en vapeurs , et principale- ment celle de la mer, concourt avec eux à la projection des grêles. Relations entre les volcans brûlans et la mer. Sa retraite subite près du Vésuve, dans les grandes éruptions de ce volcan , est probablement occasionnée par l’absorption d’un grand volume d’eau. Expériences et accidens qui démontrent la violence des explosions et des détonations des volcans opérées par les eaux réduites en vapeurs dans leurs incendies. L’auteur re- cherche si l’eau qui viendrait à tomber sur l’incendie des volcans pourrait produire des explosions , comme il est certain qu’elle a ce pouvoir quand elle s’insinue par-dessous , et que sa vapeur ne trouve aucune issue. Eau qui tombe sur les matières huileuses et bouillantes

2^0 TABLE ET SOMMAIRES

occasionne de petites explosions. Eau versée sur des substances fondues, plus analogues que les huileuses avec les matières liquéfiées des volcans. Phénomènes observés dans ces deux expériences Eau versée sur le cristal liquéfié des fourneaux ne cause ni explosion, ni détonation. Ce qui se passe alors. Eau versée sur le fer et le cuivre fondus. Observations. Explosion et dé- tonation de Peau dans le moment qu’elle touche la sur- face de Pétain et du plomb fondus. Les unes et les autres sont plus fortes quand Peau se trouve renfermée entre ces deux métaux. Accidens bizarres. Expériences sur les laves fondues dans le fourneau. Eau versée dessus ne produit aucune explosion , à moins qu’elle ne s’in- troduise dans l’intérieur. Plus elle y pénètre , plus l’explosion est forte. Eau de nier produit les mêmes effets. Conclusion que ce fluide ne peut occasionner des explosions quand il vient à tomber sur le cratère ardent des volcans , mais qu’il doit en produire de vio- lentes quand il y est introduit par-dessous, ou qu’il y pénètre par les côtés. Toutefois les gaz permanens des volcans semblent être les auteurs des grêles vol- caniques , quand elles sont médiocres ou petites. Les jets continuels de Stromboli ne peuvent provenir de la vaporisation de Peau , ni de celle de la lave liqué- fiée , mais ils dépendent de l’activité de quelque gaz permanent. L’auteur examine si ce gaz est l’hydro- gène. Il rejette cette hypothèse ; il ne peut admettre non plus Pair atmosphérique. Explication du phéno- mène par le gaz oxigène

/ V# . ' -T . . ''' ' ' . ; \

DES CHAPITRES. 2QI

chapitre xxii, page 265. Acide muria- tique contenu dans divers produits volca- niques. Recherches sur son origine et sur son mélange avec ces produits .

Liqueur acide sortie du verre tigré de Lipari pen- dant l'ignition. Les réactifs démontrent que cette li- queur est un acide muriatique. Poids de celui-ci com- paré au poids de la liqueur. Cette découverte engage Pauteur à renouveler l’expérience sur le même verre.

Il en obtient le même résultat. Le verre noir de Lipari fournit une liqueur acide semblable. Les verres arti- ficiels n’en donnent point. L’auteur emploie la voie sèche et la voie humide pour s'assurer que l’acide mu- riatique n'est pas combiné dans les deux verres de Lipari , mais qu’il leur est uni mécaniquement. Sept produits volcaniques soumis à l'épreuve : plusieurs d’entr'eux fournissent de cette liqueur acide. Cette liqueur n’existait pas dans les laves actuellement en fusion , mais elle s’y est introduite postérieurement. Cet acide ne dérive pas du muriate ammoniaque. Pro- babilité qu’il provient , soit des lieux souterrains , soit de la décomposition du muriate de soude.

FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME.

I

VOYAGES

DANS

LES DEUX SICILE S.

ERRATA pour le tome IV.

Page 172 , au lieu de planche VII , lisez planche VI» Page 252 ; au lieu de planche VIII, lisez planche VIL

VOYAGES

DANS LES DEUX SICILES

ET DANS

QUELQUES PARTIES DES APENNINS,

Par Spallanzani , Professeur d’Histoire naturelle dans Funiversité de Pavie.

Traduits de F Italien par G . TOSCAN, Bibliothécaire du Muséum national d’ Histoire naturelle de Paris , avec des Notes du cit. F J UJ A S-l) E-S T . -F O ND .

TOME QUATRIÈME.

A PARIS,

6Iiez Ma k. a dan, Libraire, ruo Pavée -André -des -Arcs

n°. 16.

AN Y I I I,

5

VOYAGES

DANS

LES DEUX SICILES,

CHAPITRE XXIII.

Considérations sur V activité des feux volca- niques.

D es globes de flammes, des rochers embrasés lancés impétueusement dans les airs , des mon- tagnes liquéfiées s’écoulant en torrens incendiai- res , ces tableaux efFrayans d’une éruption volca- nique ont fait croire aisément aux hommes que le feu souterrain capable de produire de si terribles efFets, devait avoir une Force infiniment supérieure à celle du feu ordinaire. Cette opinion a toujours été celle de la multitude $ d’habiles physiciens l’ont adoptée, et elle serait encore la seule domi- nante , si dans ces derniers temps cm n’en eût avan- cé une toute contraire , en prétendant que le feu Tome A

2 VOYAGES

des volcans n’est rien moins que doué de cette grande énergie qu’on lui suppose. Lee partisans de ces deux opinions opposées sont tellement préve- nus en faveur de celle qu’ils ont adoptée, qu’en produisant les raisons qui la défendent, ils négli- gent de répondre aux raisons qui la combattent. Pour moi , guidé par l’amour de la vérité , en trai- tant cette question difficile, je me ferai un devoir d’établir dans toute leur force les argumens em- ployés de part et d’autre 3 je commencerai par ceux que l’on apporte ou que l’on pourrait ap- porter pour prouver la violence des feux vol- caniques, ensuite je ferai connaître ceux dont on se sert pour nous convaincre de la faiblesse de ces mêmes feux , et chaque argument sera accompagné des réflexions qui m’auront paru les plus solides.

PREMIER ARGUMENT.

Comme nous apprécions l’intensité du feu or- dinaire par les effets qu’il produit dans les corps sur lesquels il agit , la même règle doit nous ser- vir pour apprécier celle du feu volcanique. Le pyromètre de Wedgwood étant sans contredit L’instrument le plus exact qui ait été inventé pour mesurer les effets du premier , il serait aussi le meilleur à employer pour obtenir la mesure des effets du second , et connaître ses divers degrés

5

DANS LES DEUX SICILES. en moins d’une minute il s’est entièrement li- quéfié.

D’ailleurs ,\a lave sur laquelle ces académiciens avaient établi leurs expériences ne coulait plus depuis quelque temps ; une partie de son calo- rique s’était déjà dissipée : pour avoir un terme de comparaison plus juste , ils devaient la prendre dans son état de fluidité. Ce qu’ils ne purent ou n’osèrent tenter , le hasard le fit en donnant lieu à des combinaisons qu’il était difficile de prévoir. Dansla direction que suivit cette éruption de 1 707, mémorable par les dégâts immenses qu’elle cau- sa 3 se trouvait un couvent de Carmes. On lit dans Sérao que le torrent s’étant jeté dans cette mai- son 3 brûla non-seulement et réduisit en cendres les matières combustibles avant même de les toucher, mais fondit les gobelets de verre qui étaient sur la table du réfectoire 3 et les réduisit en une masse informe. Ce fait se trouve encore confirmé dans un rapport que le prince Cassano envoya à la société royale de Londres , dont il était membre , rapport qui fut inséré dans les Mémoires de cette société. Il dit que la lave , après avoir consumé la porte de l’église du cou- vent , les fenêtres de la sacristie et celles du ré- fectoire 3 fit couler les vases de verre qui se trou- vaient sur la table. Il ajoute à son récit ce fait

A 5

6 _ - VOYAGES

remarquable : « Je fixai , dit-il , à Y extrémité d’un » bâton un morceau de verre ; je Papprochai de »la lave fluante : au bout de quatre minutes il fut » réduit en pâte.

Un effet tout semblable est rapporté par le professeur Bottis dans sa description de l’incendie du Vésuve de 1767. Voici ses propres expres- sions :

« On voit, au milieu de la même Jave , des » édifices qu’elle a entourés sans leur faire aucun » mal , d’autres qu’elle a renversés , d’autres an- »core elle est entrée en brûlant tout ce qui » s’est trouvé sur son passage. Parmi ces derniers, » il y en a son ardeur seule a suffi pour fondre » de grosses bouteilles de verre placées au-dessus »du torrent, et hors de son atteinte ».

En raisonnant sur ces faits, je conviens d’abord que la fusion des gobelets de verre enveloppés dans la lave coulante, ne prouve pas en elle une très-grande activité 5 car le verre artificiel se fond plus ou moins sur la braise de nos foyers. Quant à l’expérience du prince de Cassano,jel’ai imitée en quelque manière, en tenant suspendu en Pair avec une pincette, dans un fourneau de verrerie, un petit morceau de verre de la grosseur d’un pouce ] en quelques instans il s’amollit $ en moins d’une minute il coula , et s’al'ongea comme un

DANS LES DEUX SICILE S. 7

fil. L’efficacité de ce feu était donc supérieure à celle du feu actuel de la lave , éprouvé par le prince de Gassano. Mais on doit observer que , selon l’expression «de l’auteur, il n’avait fait q \\ ap- procher delà lave jluante le morceau de verre 5 le verre ne la touchait donc pas. Nul doute que s’il l’eût touchée, il ne se fût plus promptement fon- du. De plus, quand cette lave parvint au couvent des Carmes , son ardeur devait être considéra- blement diminuée , et cela par deux raisons prin- cipales : la première , quelle avait déjà parcouru un chemin assez long , et qu’elle avait commu- niqué une partie de son calorique à l’air ambiant et au .sol sur lequel elle coulait 3 la seconde , que ne formant à sa source qu’un seul et profond canal , elle s’était partagée dans son cours en plusieurs canaux inférieurs , partage qui avait nécessairement affaibli son activité. Que l’on compare en idée le calorique qu’elle conservait encore sur les lieux ses effets furent observés, au calorique qu’elle devait posséder à l'endroit elle déboucha de dessous terre , combien la force de celui-ci devait être supérieure à celle de l’autre ! Quiconque n’àura dans cette discussion que la vérité pour but , ne se défendra point de croire que l’ardeur de cette lave , prise dans sa source même , surpassait celle qui est concentré© dans un fourneau ordinaire de verrerie.

A 4

s

V G Y A O E S

SECOND ARGUMENT.

Le professeur Bottis , après avoir décrit l’érup- tion du Vésuve qui commença le sg juillet 1779, et continua jusqu’à la mi-août, raconte que le

10 septembre suivant, étant allé sur les lieux ,

11 vit une petite colline formée de pierres spon- gieuses, et environnée d’une lave qui avait coulé récemment. « Dans cette colline il y avait, dit il , » un trou presque circulaired’environ trois palmes »de diamètre et deux de profondeur; il en sortait »un murmure semblable à celui de l’huile et des ^matières grasses l’on fait des fritures. Ce » murmure était produit par les matières qui s’y v> liquéfiaient. Le feu était si violent , qu’ayant » jeté dans ce trou des pierres spongieuses /elles » rougirent subitement , et se fondirent au point & qu’elles paraissaient bouillir comme de la poix » .

Cette observation est importante dans la con- troverse où nous sommes engagés. Ceux qui sont familiarisés avec les écrits de Bottis savent que , par pierres spongieuses , il n’entend autre chose que les laves poreuses et les scories de cette montagne. L’expérience m’a appris qu’elles n’exi- geaient pas moins d’une demi-heure, dans un fourneau de verrerie , pour commencer à s’amol- lir ; mais elles se fondaient subitement, et bouil-

3

DANS LES BEUX SICILE S. d’activité. J’ai proposé ce moyen dans le pre- mier chapitre de mon ouvrage , et j’ai montré , par quelques exemples , comment on peut l'ap- pliquer aux laves coulantes.

Ce n’est pas qu’auparavant on n’ait cherché par d’autres voies , moins sûres à la vérité , à es- timer le degré de chaleur des laves. Je citerai à ce sujet les expériences de quelques académi- ciens de Naples sur une lave de l’éruption de i qui s’était arrêtée près du lieu nommé la Torre del Greco y expériences dont je trouve le récit dans l’ouvrage de Sérao. Quoique cette lave eût cessé de couler depuis quelques jours, sa couleur ressemblait encore à celle du fer rouge. On posa dessus un petit cône de plomb du poids de deux onces : en deux minutes et demie de temps il fut ramolli 5 une minute de plus le lit tomber tout-à-fait en fusion. On mit ensuite un autre morceau de plomb du même poids et de la même figure, sur une pelle de fer rougie au feu de charbon : le métal , au bout de six minutes et demie , n’avait pas encore commencé à se li- quéfier 5 une minute s’écoula encore , et à peine était-il entièrement fondu.

On emplit d’eau un vase de cuivre que l’on posa sur la lave : en trois minutes l’eau com- mença à frémir sourdement -, au bout de la qu‘a-

A 2

4

VOYAGES

trième minute elle bouillit à gros bouillons. La même expérience fut faite sur des charbons très- ardens ; le frémissement de l’eau n’arriva que dans la quatrième minute , et le bouillonnement que dans la suivante.

Sérao conclut de ces faits que la force du feu actuel de cette lave , bien que privée d’une partie de la chaleur qu’elle avait dans l’état de mollesse et de fluidité 5 était de beaucoup supérieure à celle du feu de charbon et du fer en incandes- cence.

On a fait si peu d’expériences comparatives entre le feu ordinaire et le feu des volcans , que l’on ne peut que savoir gré aux académiciens de Naples d’avoir entrepris quelques essais de ce genre. J’observerai cependant que si la conclu- sion qu’ils ont tirée de l’épreuve des charbons ardens paraît exacte , celle qu’ils ont déduite de l’épreuve du fer rouge ne l’est certainement pas. La pelle dont iis se servirent , entourée d’air froid , ne pouvait contracter toute l’incandes- cence dont elle était susceptible. J’en ai tenu une pendant demi-heure dans un fourneau de verrerie , le feu , sans être assez violent pour fondre le fer en masse , lui communiquait une rougeur très-vive 5 j’ai placé sur cette pelle ar- dente un cône de plomb du poids de deux onces*

DANS LES DEUX SICILE S.

l3

CINQUIÈME ARGUMENT.

L’Islande fournit encore d’autres preuves de l’énergie de ses feux souterrains. On a vu avec quelle facilité les verres volcaniques des îles Æo- liennes et des champs Phlégréens se fondent au fourneau. Je n’ai pu éprouver celui de l’Islande, parce que je n’en possédais point ; mais Berg- man, qui a eu cet avantage, observe qu’il n’a pu réussir à le fondre au chalumeau , d’où il in- fère que le feu qui le forma devait être doué d’une grande puissance.

SIXIÈME ARGUMENT.

Valisneri , dans sa description de la nouvelle île volcanique qui sortit de la mer près de San- torin , en 1 707 , parle d’une circonstance très- remarquable qui accompagna cet événement. Pendant que cette île s’élevait sur les ondes , la mer, dit-il , toute troublée à l’entour, était prise d’une chaleur si forte , qu’elle bouillait dans un cercle assez étendu , et que les poissons qui se trouvèrent dans cette enceinte périrent. Ce même fait est rapporté dans les voyages de Choiseul , qui l’a extrait d’une histoire du temps, l’on ajoute que la chaleur des eaux fit fondre le gou» dron de quelques vaisseaux qui aavigeaient dans les environs.

SP* 3Mb:? v\ Bp ' ' ) à

VOYAGES

t4

Voilà sans doute une preuve incontestable de la violence du feu de ce volcan $ on ne peut nier que pour échauffer à ce point une si grande masse d’eau , d’une profondeur et d’une étendue si considérable, il ne fallût un grand développe- ment de calorique.

Strabon parle d’un phénomène semblable, arri- vé dans le même lieu , mais à une époque plus reculée. On vit, dit ce géographe , entre Tera et Terasia,la mer bouillir pendant quatre jours (1).

Santorin doit sa formation à une agrégation immense de pierres ponces soulevées du fond de la mer par un embrasement volcanique. Il en a été question dans le chapitre XIX de cet ouvrage ; je me bornerai à rappeler ici que l’analyse de deux de ces pierres m’a démontré que l’asbeste était leur base : j’ignore si telle est celle des autres. Quoi qu’il en soit , le feu qui , dans ces deux cas , a conduit l’asbeste à l’état de ponce, devait être très-énergique.

SEPTIÈME ET DERNIER ARGUMENT.

Il est tiré de la fluidité des laves , qui doit

(1) &vc ipÂcroV‘ ®npa?9 ko,) ®npcur)ecç eK7rs<rov(ru.i Kphojsç

sk tov ’WSKa.yovç s<p* Ti&e&pas r&&Ts ’ïï&ça.v ÇeTv ,

fca) qhéyeerêx/ Tiiv Ckhccpcrav . I. c.

DANS LES DEUX SICILE S.

9

laient comme de la poix dans le petit gouffre dont parle Bottis : l’ardeur du feu y était donc plus considérable que dans le fourneau. J’ai, de plus, éprouvé qu’en me servant d’un fourneau à réverbère de haute température , il fallait le pousser à un degré de feu capable de fondre le fer, pour en obtenir la prompte liquéfaction des laves poreuses du Vésuve , comme de celles des autres volcans en général. On doit encore observer que le gouffre communiquant par son ouverture avec l’air froid ambiant , le calorique devait agir plus, fortement dans son intérieur qu’à sa surface , il s’en faisait une continuelle dissi- pation, cette bouche étroite n’étant qu’un sou- pirail , un évent de la grande masse de lave qui bouillonnait et brûlait dans les entrailles de la montagne.

TROISIÈME ARGUMENT.

De la conservation d’une forte chaleur dans des laves qui depuis long - temps ont cessé de couler , on peut déduire des preuves de la véhé- mence du calorique qui les animait quand elles étaient fluides. Sérao observe que la lave du Vésuve de 1737 ayant traversé le grand chemin, on s’occupa plus d’un mois après du soin de le nettoyer , mais que les ouvriers furent forcés d’abandonner ce travail , parce que la chaleur

ÏO VOYAGES

intérieure de la lave amollissait les instrumens de

fer dont on se servait pour la rompre.

Quand , non loin du cratère supérieur de l’Etna , je fus obligé de traverser une lave qui avait cessé de couler depuis onze mois > et n’avait plus de communication avec le foyer volcanique , j’y vis des fentes elle conservait encore une couleur rouge très-sensible en plein jour 5 si j’y faisais entrer un bâton , il fumait subitement et s’en- flammait.

Hamilton rapporte qu’ayant laissé tomber quel* ques morceaux de bois dans les fissures d’une lave sortie du Vésuve depuis trois ans et demi , ils s’enflammèrent sur-le-champ. Cette lave n’avait aucune communication avec le volcan , et dans le lieu se fît l’expérience , elle était à quatre milles de distance de sa source.

La grande éruption de l’Etna, arrivée en 1669, n’était pas entièrement refroidie au bout de huit ans, suivant l’observation de Massa, auteur si- cilien.

La réunion de tous ces faits est , selon moi , une démonstration de l’extrême ardeur du feu des volcans. Sans doute les éruptions occupant pour l’ordinaire une grande étendue de terrein,

DANS LES DEUX SICILE S. lt cette ampleur contribue à la conservation de leur calorique; mais , quel que soit le volume des laves, il n’en est pas moins vrai que ce calorique, après de si longs intervalles , ne serait pas autant sensible , s’il n’eût été concentré en elles, et pen- dant leur fluidité, dans une proportion infiniment plus grande.

QUATRIÈME ARGUMENT.

L’historien de Sicile, Fazello , commence la description d’une éruption de l’Etna de i536 en ces termes : « Le neuf des calendes d’avril , »le vent soufflant de la partie du sud, et le jour » étant sur son déclin, le sommet de la montagne » se couvrit d’un nuage de fumée noire , au centre »de laquelle on vit briller une vive rougeur. » Alors, et tout-à-coup, il se fit une violente » éruption par le cratère; la terre trembla, et »ia montagne retentit d’un bruit souterrain ; »la lave, comme un fleuve de feu, descendit »du côté de l’orient, tomba dans un lac, et » liquéfia un grand amas de pierres qui s’y trou- » vait ( i ) » .

(1) « IX calend. aprilis, flante austro , et sole ad ocçs- » sum vergente , nubes atra montis apicem operuit, el » inter eam rubor emicuit ; tum repente ex ipso cratere » ignei torrentis vasta vis erupit; pauîlaiimcpîe’ in n no-

12

VOYAGES

Cette description ayant été faite dans un temps ' la précision , l’exactitude n’étaient pas toujours l’apanage des historiens , j’avoue que je croirais difficilement à la fusion de ce grand amas de pierres , si ce fait ne trouvait son appui et sa confirmation dans un phénomène bien plus éton- nant qu'offrit l’éruption d’un volcan de l’Islande en 1783 , et dont Pennant nous a donné la rela- tion dans son ouvrage intitulé le Nord du globe. Après avoir décrit la grande étendue de pays que cette lave inonda , il dit que la hauteur perpen- diculaire des bords de son courant était de quatre- vingts à cent pieds; en sorte qu’elle ensevelit, non -seulement tous les villages qui se trouvèrent sur son chemin , mais encore plusieurs collines. Celles qu’elle ne put surmonter, elle les fit tom- ber en liquéfaction, et l’on vit alors toute la sur- face du pays dans un état de fluidité , formant un lac dont la substance ressemblait à un métal fondu et resplendissant de feu.

Je laisse le lecteur juge de la prodigieuse acti- vité de cet incendie.

» dum fluminis magno montis murmure , ac terræ motu »? defluens , in orientem versus descendit lacumque it- » lapsus mngnam ibi repertam lapidum congeriem lique- »,fecit î».

DANS LES DEUX S I C I L E S. l5 être proportionnée au feu plus ou moins violent qu’elles éprouvent. Nous verrons plus bas quel est le degré de fluidité qu’elles acquièrent dans le fourneau , comment cette fluidité augmente à mesure que le feu est poussé plus vivement, comment elle devient plus grande encore en em- ployant le gaz oxigène. Cette gradation de fluidité a lieu dans toutes les pierres, et en général dans tous les corps susceptibles de se liquéfier. La rai- son en est simple ; plus les molécules d’un corps fusible s’écartent les unes des autres par l’inter- position du fluide igné , plus elles ont de facilité à couler. Ainsi , nous serons en droit de conclure de chaque fait qui nous apportera la preuve d’un excès de fluidité dans les laves, qu’il faut un excès de feu proportionné pour les réduire à cet état. En me livrant à cette recherche , je sens que la multitude des faits, et les réflexions auxquelles ils donnent lieu , ne me permettront pas d’être aussi bref que le lecteur le désirerait peut-être ; je tâcherai du moins de mettre de l’ordre dans ma narration , en divisant ces faits en deux classes ; la première comprendra les laves que l’on a vu quelquefois jaillir des volcans comme des jets d’eau , conserver leur mollesse après avoir été lancées en Y air, ou bouillir dans les, cratères; la seconde , celles qui , sorties des cratères ou des flancs des volcans, se sont étendues en longs

V O Y A G EJ

1 6

courans , et ont permis aux observateurs de me- surer leur vitesse, et leur degré de fluidité ou de mollesse.

Parmi les faits de la première classe , le plus digne de remarque est sans doute celui que rap- porte le professeur Bottis en décrivant l’éruption du Vésuve de 1771. Le voici avec les propres expressions de l’auteur. Après avoir dit comment, près du lieu se fit le débordement, s’élevèrent à-la-fois quatre monticules , il observe : « Qu’il y » en avait trois de forme conique, d’où le feu »( c’est-à-dire la lave) jaillissait par de petites » bouches placées à leur sommet, semblable à » l’eau qui , pressée dans un canal étroit , s’échappe »dans les airs 5 les courbes que décrivait dans sa » chute ce fluide enflammé étaient de diverses » grandeurs , et les trois monticules qui jouaient »en même temps , représentaient en réalité trois » belles fontaines de feu » .

Bottis en conclut que le feu du Vésuve est très^ énergique , et il ajoute immédiatement : « Deux y>fois j’ai vu près de moi la matière enflammée » déboucher dans l’Atrio del Cavallo -J et en vérité »elle fluait comme l’eau qui sourdit de terre, et » se répand çà et dans les environs » .

Le même historien raconte qu’au commence- ment

DANS LES DEUX S ICI LE S. 1 7 nient de 1776 3 le Vésuve versa de son sommet un torrent de lave qui 3 dans son cours 3 ayant rencontré celle de 1771 , la heurta impétueuse- ment 3 et rejaillit en l’air 3 elle se figea sous la forme de petits rameaux terminés en pointes déliées et aiguës comme des aiguilles. L’auteur revenant à sa première réflexion 3 observe que cette matière sortit très-liquide y et telle que le Vésuve a coutume d?en produire.

Parlons maintenant de la mollesse que dans certains cas , rares à la vérité, des morceaux de laves vibrés dans les airs conservent en retombant sur la terre. Bottis en apporte un exemple si extraordinaire 3 que j’en douterais si cet auteur n’était pas aussi digne de foi 3 et s’il n’avait pas eu pour témoins des hommes distingués , au nombre desquels se trouvaient l’archiduc d’Au- triche Maximilien , le comte de Wilzech 3 mi- nistre plénipotentiaire 5 le cardinal de Hersan , et le chevalier Hamilton. On sait que lorsque les laves sont projetées sous la forme de grêles, elles ont acquis pour l’ordinaire , avant d’arriver à terre, la dureté des pierres , à cause de ïa vive Impression de l’air froid qui , agissant sur des masses aussi petites , leur enlève en un moment toute leur fluidité. On se rappelle que , placé moi-même sur le bord du cratère de Stromboli,

Tome IV. B

VOYAGES

18

et à l'abri de ses jets , examinant, à l’instant de leur chute , des globes de laves qui roulaient à mes pieds, je les trouvais embrasés à la vérité , mais durs comme des cailloux. Tels n’étaient point ceux que lançait le Vésuve le ig juin 1775, lorsqu’aux premiers rayons du jour, le prince Maximilien et sa suite se transportèrent au som- met de la montagne. Un de ces morceaux de lave étant tombé non loin d’eux , leur guide y accourut , le perça de part en part avec son bâ- ton comme une pâte molle , et le présenta ainsi enfilé au prince , qui, frappé de la singularité du fait , ordonna que cette lave , pesant environ Tiuit livres , fût déposée , avec le bâton qui la traversait comme un axe , dans son cabinet par- ticulier. Quelle ne devait pas être sa fluidité dans le cratère , si , malgré son petit volume , et le contact de l’air froid qu’elle avait éprouvé dans sa projection , elle conservait encore autant de mollesse sur terre ? Il est vrai que cet accident, qui a vraisemblablement son principe dans un coup de feu plus qu’ordinaire, est très-rare dans les éruptions vésuviennes 5 autrement les pierres fondues et lancées par ce volcan devraient s’a- platir en tombant sur la terre , et ressembler à des galettes , ce qui n’arrive pas , ou du moins ce que je n’ai pas vu dans l’éruption dont j’ai été témoin j les morceaux de lave avaie nt tous

BANS LES BEUX SICILE S. 19 une figure à-peu-près sphérique, sans aucun aplatissement sensible. En faisant le tour de la montagne , j’ai rencontré une multitude d’autres morceaux de date plus ancienne , et d’une con- figuration semblable 5 j’ai fait les mêmes ob- servations sur le Stromboli et sur l’Etna , j?ai examiné les pierres lancées dans l’éruption de 1787.

Quant à la grande fluidité que les laves mani- festent dans l’intérieur des cratères , je rappor- terai le témoignage de Bottis , cet infatigable observateur des phénomènes du Vésuve. Il s’agit de l’incendie de 17 67. « Ce mont, dit-il, offrit » pendant la nuit un singulier spectacle. De temps »en temps on entendait le bouillonnement du »feu 3 on voyait ensuite une grande abondance »de matière liquide et très-enflammée venir sur »les bords du cratère , les inonder, et se diviser » subitement en petits ruisseaux de feu qui s’é- »chappaient en serpentant le long de ses flancs, »et s’éteignaient au bout de six minutes. Ce jeu »dura l’espace de trois heures »,

Pour peindre l’incendie de 1779 , il se sert de la comparaison suivante : « Telle qu’une liqueur »qui bout dans un vase, si un feu trop violent » l’agite , elle se soulève et se répand au-dehors; » ainsi la lave déversait de toutes parts, et s@

B 2

20 VOYAGES

» précipitait avec une abondance effrayante le »long des parois extérieures du cratère ».

Ces deux observations, qui montrent la très- grande fluidité des laves vésuviennes , donnent une idée très-juste de ce que j’ai vu moi-même dans les cratères de l’Etna et de Stromboli, et je ne doute point que les matières en effervescence dans les autres volcans n’offrent un spectacle semblable.

Je passe maintenant aux faits de la seconde classe , concernant les courans de laves dont l’extension et la vitesse paraissent témoigner en faveur de leur fluidité , et de l’activité du feu dont elles sont pénétrées. L’éruption du Vésuve de iy5i forma un torrent qui parcourait vingt- huit palmes en une minute. Celle de 1764 se partagea en deux branches qui parcouraient un espace de trente pieds en quarante-cinq secon- des 5 elles se réunissaient plus bas , et le torrent avait alors une vitesse de trente-trois pieds par cinquante secondes.

On trouve ces mesures dans l’ouvrage du Père Torré $ en voici qui nous ont été données par le chevalier Hamilton. Selon cet auteur , la lave de l’éruption de 176 5 faisait presqu’un mille par heure. Il observa une branche de cette même

DANS LES DEUX SICILE S. lave dont il ne put déterminer 1$ vitesse avec pré- cision , mais qu’il compare pour la rapidité à celle du fleuve de Saverne près Bristol.

Le marquis Galiani rapporte que le 17 sep- tembre i63i , on vit à la dix-septième heure du jour déboucher , par le cratère supérieur de ce volcan , des laves qui , à la vingtième heure , avaient déjà gagné la mer, elles avaient formé deux longs promontoires.

Voici encore quelques observations de Bottis à ce sujet. En 176 7 , le Vésuve vomit une lave dont l’écoulement fut si rapide , que plusieurs personnes qui se trouvaient sur les lieux eurent à peine le temps de s’enfuir. En 1771 , un épou- vantable torrent étant descendu dans le canal de l’Arena , y parcourait en une heure l’espace de quinze cents cannes napolitaines. En 1 y/6 , il s’échappa du sommet de la montagne un courant avec une vitesse d’un mille et demi par quatorze minutes.

Enfin je tiens de l’abbé Ferrara de Catane, la remarque suivante faite sur l’Etna : « La lave , y> m’écrivait- il , qui en descendit en 1792, faisait » presqu’un pas à chaque pulsation de mon pouls,

» qui est très-vif».

Ces exemples suffisent pour montrer que les

B 3

22 VOYAGES

laves peuvent se mouvoir avec une grande vi- tesse 5 mais je pourrais en citer d’autres qui prou- veraient que leur mouvement est souvent très-lent» Plusieurs causes concourent à accroître ou dimi- nuer en elles cette faculté de parcourir , dans un temps donné , un espace déterminé : l’inclinaison plus ou moins grande du plan sur lequel elles coulent , la distance elles se trouvent de leur source. En général, et dans quelque circonstance qu’elles soient placées, leur mouvement sera très- lent , et même nul , si de nouvelles matières fon- dues ne les poussent pas incessamment par-der- rière , et ne les forcent pas d’avancer. Souvent on voit un torrent de lave , à peine sorti du vol- can, s’arrêter sur une pente très-rapide, parce que l’effusion volcanique cesse tout-à-coup.

Je conviens donc que si l’on n’avait d’autres argumens à produire , pour prouver une grande fluidité dans les laves, que ceux déduits de leur vitesse, ils nous induiraient en erreur. Il y a plus s alors même que ces laves coulent avec une grande rapidité , elles ont souvent une consis- tance et une ténacité surprenantes. Hamilton dit, au sujet de celle du Vésuve parcourant un mille par heure , qu’il avait peine à y enfoncer la pointe d’un bâton, et que de grosses pierres qu’il lançait contre elle de toute sa force ne faisaient

DANS LES DEUX SICILE S. 23 que s’imprimer légèrement dans sa surface , et surnageaient en suivant le cours du torrent.

Mon voyage à ce volcan me fournit l’occasion de faire une remarque semblable sur une lave coulante encaissée dans un canal étroit et pro- fond. Je pris plaisir à y jeter des pierres , et je vis qu’elles ne s’enfonçaient que du tiers de leur volume, après quoi le courant les emportait. Un torrent plus large coulait à l’air libre : la chute de grosses pierres n’y causa pas la moindre dé- pression (1).

Sérao affirme qu’en frappant avec un bâton sur certains courans de laves, on les trouve souvent si dures , qu’elles résonnent sous le choc.

En parlant de l’éruption du Vésuve de 1770, Bottis rapporte qu’un de ses amis voulut estimer la fluidité d’un ruisseau de lave qui parcourait quarante palmes dans une minute. Il prit une massue pour l’enfoncer dans la matière fondue 5 mais , contre son attente , il la trouva si ténace , que la massue put à peine y pénétrer , quoiqu’il la poussât de toute sa force.

Aussi ne suis-je point étonné en lisant que des

(1) J’ai indiqué quelques-uns de ces faits dans le pre- mier chapitre de cet ouvrage ; il m’a paru convenable* de les rappeler ici, Note de l’auteur .

B 4

V O Y A GE S

personnes ont osé marcher sur des laves courantes sans en éprouver aucun mal. M. Jamineau, con- sul d’Angleterre à Naples , ayant été voir une éruption du Vésuve en 1764, un de ses guides s’approcha d’une lave qui cheminait lentement, et la traversa en courant. Le chevalier Hamilton avec un de ses compatriotes , montrèrent le même courage dans la grande éruption de 1779 5 mais leur action eut un motif plus réel. Se trouvant au bord d’une lave dont la progression était ex- trêmement lente , et qui avait cinquante à soixante pieds de largeur , les fumées , les bouffées de chaleur que le vent leur apportait en face les incommodèrent si fort , qu’ils allaient retourner sur leurs pas sans avoir satisfait leur curiosité , si le guide qui marchait à leur tête , n’eût pro- posé de traverser rapidement la lave elle-même. Comme celui-ci en donna tout-à-la-fois le con- seil et l’exemple, Hamilton le suivit, ainsi que son compagnon , et tous les trois firent le trajet, sans en ressentir d’autre incommodité qu’une forte chaleur aux pieds et aux jambes. On cite un semblable trait de hardiesse du marquis Ga- liani , et de quelques autres personnes.

ïl est évident que cette ténacité , cette résis- tance dans les laves courantes est une consé- quence de leur exposition à l’air froid , dont le

DANS LES DEUX SICILES. ^5 contact leur enlève une quantité de calorique suffisante pour leur faire perdre leur fluidité pri- mitive. Cette soustraction de calorique s’opérant avec infiniment plus d’activité à leur surface , elles doivent conserver dans leur intérieur un degré considérable de liquidité , alors même qu’elles paraissent l’avoir perdue entièrement au-dehors. C’est ce qu’observa M. Jamineau à l’égard de la lave courante qu’il traversa ; son enveloppe extérieure était si dure , que la chute des plus grosses pierres n’y laissait aucune empreinte , tandis qu’il pouvait aisément enfoncer un petit bâton dans sa masse interne.

Pendant l’incendie du Vésuve en 1 754 , le Père Torré ayant rompu la croûte d’un rameau de lave qui avait cessé de couler , il en sortit une matière encore liquide et ondoyante.

Mais il n’est pas de fait de ce genre plus re- marquable que celui rapporté par Borelli dans sa description de l’éruption de l’Etna de 1669. Le fleuve de lave sorti de Monte-Rosso , après avoir incendié et couvert de ruines les villages , les terres et les fertiles campagnes qui étaient sur son passage , touchait à la ville de Catane déjà il avait gagné la hauteur de ses remparts , il allait se précipiter sur cette cité florissante , lorsque des citoyens , dans ce terrible moment,

26

VOYAGES

imaginèrent de percer avec des marteaux , des pics et autres instrumens semblables , le flanc de la lave déjà endurcie à sa surface, afin que la matière intérieure, encore fluide, pût en sortir, *' et prendre une autre direction : le plus heureux succès couronna cette courageuse entreprise. A peine l’enveloppe fut- elle brisée que la lave s’é- chappa, et coula vers le lieu l’on voulait la diriger. Je ne sais par quelle fatalité pour Catane ce travail ne fut pas continué autant que le be- soin l’exigeait.

A ne considérer que l’extérieur des laves cou- rantes , il est donc vrai de dire que leur vitesse n’est point la mesure de leur fluidité ; il faut les observer dans leur intérieur pour se convaincre que cette fluidité est très-considérable ; elle a être excessive dans certaines éruptions que nous avons citées , et sur-tout dans la dernière. Celle-ci éclata dans le Monte-Rosso , et la lave s’avança jusqu’à la mer en parcourant un espace de plus de quatorze milles. Cependant , à peine eut-elle franchi ses barrières, qu’elle perdit toute communication avec le volcan. La croûte qui se forma à sa superficie était capable sans doute de maintenir plus ou moins sa chaleur intérieure 5 mais à mesure que la lave cheminait , et que son tronc, d’unique qu’il était dans le principe * se

DANS LES DEUX SICILES. 27 divisait en plusieurs rameaux, sa chaleur, qui se communiquait successivement et sans inter- ruption aux parois de ces nouveaux canaux , devait nécessairement s’affaiblir. Combien était donc prodigieuse la fluidité de cette lave en sor- tant de la fournaise volcanique , puisque , malgré les pertes continuelles de chaleur qu’elle éprouva sur un espace de quatorze milles , elle parut en- core liquide au bout d’un si long trajet !

Je dois ajouter que ce volcan a vomi des laves qui ont fait de bien plus longs voyages. Il en est dont le cours ne s’est arrêté qu’après avoir fran- chi un espace de dix-huit , de vingt, quelquefois de trente milles. Telle est celle de l’éruption ci- tée par Hamilton , et dont j’ai vu moi-même la trace , qui , descendant du cratère supérieur de l’Etna , et occupant un canal de quinze milles de largeur , alla s’engloutir dans la mer de Tau- rominum.

Mais de toutes les éruptions volcaniques dont l’histoire nous ait conservé la mémoire , il n’en est point de plus remarquable , par l’extension de ses laves, que celle d’Islande de 1783. Elles se divisèrent en douze fleuves, qui couvrirent une surface de quatre-vingt-quatorze milles italiens en longueur , et de cinquante milles en largeur. Conçoit- on comment ces matières peuvent cou-

VOYAGES

28

1er et se répandre à de si grandes distances, sans leur supposer une extrême fluidité, au moins dans leurs parties intérieures !

Ainsi , soit que Ton considère les laves à l’instant qu’elles s’échappent comme des jets d’eau, par les fissures des monts volcaniques , ou que , vi- brées en petits morceaux et saisies par l’air froid , elles retiennent encore de leur mollesse après leur chute ; soit qu’on les contemple au fond du cra- tère , elles frémissent et bouillonnent 5 soit qu’on les observe au moment que , brisant leurs digues , elles se précipitent comme des torrens , dans toutes ces circonstances , il est indubitable qu’elles ne soient douées d’une excessive fluidité , laquelle ne peut être produite à son tour que par un degré proportionné de calorique.

Tels sont, à mon avis , les plus forts argumens en faveur de l’énergie des feux volcaniques. Main- tenant il convient de rapporter ceux que leur opposent les partisans de l’opinion contraire. On peut aisément réduire ces derniers argumens à un seul , qui est que les pierres et les rochers passent à l’état de lave par l’action de ce feu sans se dénaturer , et sans éprouver aucun change- ment essentiel.

Sage et Deîuc sont les premiers qui en ont fait

DANS LES DEUX SICILE S. 29 la remarque. Ayant vu que les laves se vitrifient plus parfaitement dans certains fourneaux de ver- rerie que dans les volcans 5 que si elles renferment des schorls intacts , ces cristaux s’y fondent, ils en ont conclu que l’activité de ces fourneaux est supérieure à celle des volcans.

Mais Dolomieu accorde encore moins d’éner- gie au feu volcanique. Les ouvrages de ce natu- raliste ofFrent souvent des considérations ingé- nieuses sur ce point de physique. Dans son voyage aux îles de Lipari , il observe que certaines laves des Salines sont en tout parfaitement semblables au porphyre auquel elles paraissent devoir leur origine 5 que l’on y reconnaît la même pâte, les mêmes taches de feld-spathj que ces laves sont une preuve que les feux volcaniques n’altèrent pas toujours essentiellement les matières sou- mises à leur action 5 qu’ils leur donnent un genre de fluidité qui ne change pas absolument leur contexture naturelle ? et que la fusion des laves n’est pas la même que celle que nous opérons dans nos fourneaux , , par la vitrification , nous dénaturons réellement toutes les substances que nous traitons. En parlant de la lave de l’Etna de 1669, et des schorls et des feld-spaths qui s’y trouvaient renfermés dans leur état d’inté- grité , il ajoute que le feu volcanique agit seule-

3o

VOYAGES

ment comme dissolvant , qu’il dilate les corps 9 et s’introduit entre leurs molécules de manière à les faire glisser les unes sur les autres ; que lorsqu’il se dissipe , il laisse les différentes subs- tances à-peu-près dans le même état qu’il les a trouvées. Ce naturaliste compare ce phénomène avec celui de l’eau dans la solution des sels qui participent alors à la fluidité du menstrue , et qui redeviennent concrets par son évaporation.

Dans l’introduction à son catalogue raisonné des produits de l’Etna , il insiste sur son idée 5 non-seulement il parle de l’impuissanpe du feu volcanique à vitrifier les schorls, quoiqu’ils soient en eux-mêmes très-fusibles , et en infère que ce feu n’a point d’intensité ,* mais il fait voir com- ment ce même feu , en fondant les bases pier- reuses , n’altère pas même leur contexture.

Enfin cet auteur soutient , dans un mémoire sur les basaltes, ce qu’il a avancé précédemment. « Je le répéterai encore, dit-il , les laves ne sont »pas des vitrifications; leur fluidité est semblable »à celle des métaux en fusion , elle ne change » point l’ordre et la manière d’être des parties » constituantes des laves ; après avoir coulé, elles » reprennent, comme les métaux, le grain, le » tissu, et tous les caractères de leurs basesprimi- ^ives, efFet que dans nos fourneaux nous ne

DANS LES DEUX SICILE S. 5i y> pouvons produire sur les pierres, puisque nous »ne saurions les amollir avec le feu sans changer »la manière avec laquelle elles sont agrégées, t Le feu des volcans n’a pas cette intensité qu’on »lui suppose f et il produit ses effets plutôt par » l’extension et la durée de son action , que par »son activité (1) » .

Voilà l’argument exposé dans tout son jour.

En soumettant à l’action des fourneaux les productions volcaniques , j’avais plusieurs vues 5 mais je voulais sur-tout connaître les changemens que le feu produit en elles. J’ai constamment observé que les caractères des roches primor- diales étaient effacés par la vitrification , et que la fusion des schorls s’opérait, sinon toujours, du moins très-fréquemment. Quand je me suis occupé des laves euganéennes abondantes en micas et en feld- spaths , j’ai montré que ces deux genres de pierres sont le plus souvent fusibles dans les fourneaux. Enfin , en plusieurs endroits de cet ouvrage , j’ai observé qu’il n’arrive jamais que les roches et les pierres non volcaniques se fon- dent au feu ordinaire sans perdre leurs linéamens naturels. Ainsi , les faits sont vrais, d’après lesquels on conclut que les feux volcaniques manquent

(1) Journal de physique, t. XXXVII, an» 1790.

3n VOYAGES

d’énergie , et cette conclusion est très-spécieuse. Donnons-lui , par le raisonnement suivant, toute îa force dont elle est susceptible. i°. Le feu des volcans est moins efficace , moins actif que le feu ordinaire s’il ne touche pas , ou du moins s’il ne cause que peu d’altération à la contexture des roches qu’il met en fusion , tandis que le second la détruit en les fondant. 20. Le feu des volcans est moins efficace , moins actif que le feu ordinaire s’il est impuissant â fondre lesschorls,les feld-spaths et les micas , tandis que le second en opère plus ou moins la fusion. Or, l’une et l’autre propositions sont démontrées par les faits , donc le feu volcanique est moins efficace que le feu ordinaire.

J’avouerai ingénument que, voyant continuel- lement des laves à schorls et à feld-spaths dont le tissu primitif était parfaitement conservé , se dénaturer dans leur refusion et n’être plus re- connaissables , toute mon attention se dirigeant alors sur ces objets de comparaison , plus d’une fois j’ai cru que le feu ordinaire surpassait en énergie celui des volcans , et cette croyance , je n’ai pas su la dissimuler en rendant compte de mon travail $ mais ayant ensuite médité sur ce qui a été écrit pour et contre la puissance du feu volcanique, les argumens qui la défendaient

m’ont

\

DANS LES DEUX SICILE S. 55 m’ont paru plus péremptoires que ceux qui la combattaient. Cependant je ne nierai point qu’il n’y ait des cas cette puissance est médiocre , ou meme très-faible, cela dépendant du dévelop- pement plus ou moins grand du calorique rassem- blé dans les foyers des volcans.

Quant à Pinaîtération du tissu primordial des roches converties en laves , et l’infusibilité des schorls et des feîd- spaths , je pense que l’on doit attribuer l’une et l’autre , non à un manque d’activité , mais à une manière d’agir du feu vol- canique , différente de celle du feu ordinaire , et qui ne nous est pas encore suffisamment con- nue. En examinant quelle était l’intensité de ce dernier feu, nécessaire pour la fusion de certaines laves et des schorls qu’elles renfermaient , j’ai •vu la base des unes se fondre par un degré infé- rieur à celui qu’exigeait la fusion de ses schorls , et la base des autres attendre un degré supé- rieur , de manière que le feu qui liquéfiait alors les schorls, était impuissant à liquéfier la base des laves qui les contenaient. Et cependant, dans ces dernières laves, le feu volcanique avait opéré tout le contraire ; il avait liquéfié les bases sans toucher aux schorls.

J’ai prouvé , chapitre XVI , que les grenats du Vésuve sont infusibles au fourneau, et qu’avec

Tome C s

34 VOYAGES

un feu d’une plus haute température Ton n’ob~ tient que difficilement leur fusion. Cependant il est des laves à base de pierre de corne qui en renferment de vitrifiés à moitié par les incendies de ce volcan. On y voit aussi des schorls en par- faite vitrification , comme le démontre Gioéni dans sa Lithologie du Vésuve. Joinville a trouvé des grenats et des schorls fondus dans les laves de Civita- Castellana (i). Ces grenats , dont j’ai recueilli des échantillons sur les lieux , je les ai indiqués dans mon chapitre III , en observant qu’ils étaient semblables à ceux du Vésuve 5 ils existent en partie dans une lave à base de pierre de corne , , parmi une multitude d’autres in- tacts et cristallisés , on en voit en effet quelques- uns vitrifiés et informes. Une chose remarquable, c’est que la lave qui les renferme , quoiqu’un peu vitrifiée elle-même , n’a point perdu le ca- ractère de sa roche. Au reste cesgrenats, comme ceux du Vésuve , sont infusibles au feu du four- neau, quoique leur base y tombe dans une vitri- fication parfaite.

Ces faits prouvent , i°. qu’il n’est pas toujours vrai que le feu volcanique soit insuffisant pour la fusion des schorls 3 s°. qu’il est doué dans eer-

(1) Voyez le Journal de physique ; an. 1788.

55

DANS LÉS DEUX S I C I L E S. tains cas d’une grande énergie , puisqu’il vitrifie des grenats 5 5°. qu’il y a dans sa manière d’opé- rer quelqu’artifice que nous ne connaissons point, puisque dans le moment qu’il vitrifie et défigure ces grenats , il laisse à leur base des caractères suffisans pour la faire reconnaître. Et remarquez que ces cristaux sont réfractaires dans nos four- neaux , tandis que leur base est très-fusible.

Mais il est une autre voie de démonstration, par laquelle on parvient facilement à se con- vaincre de la fausseté des inductions que les par- tisans de cette opinion tirent de la comparaison des effets du feu des fourneaux avec ceux du feu des volcans 5 car si on les considéré sous un autre aspect , ils prouvent contre leur système. Que l’on se rappelle que la plupart des laves auxquelles j’ài fait subir la fusion , formaient à la partie supérieure des creusets , tantôt un plan horizontal , tantôt un creux , tantôt une émi- nence 5 que plusieurs , dans leur actuelle refu- sion , déversaient par les bords des creusets , coulaient le long de leurs parois extérieures, et se répandaient à l’entour en formant de petits ruisseaux. La facilité avec laquelle ces laves se liquéfiaient , et leur déversement qui en était la suite , me faisaient penser que dans cet état elles jouissaient d’une grande fluidité 5 mais lorsque

C a

M

VOYAGES

36

je voulus m’en assurer par l’expérience, quelle fut ma surprise de leur trouver une ténacité , une consistance très-décidée ! Fondues depuis plusieurs heures dans les creusets, bouillonnantes, j’essayais d’y plonger un fer taillé en pointe ; mais toute ma force n’était pas capable de le faire entrer jusqu’au fond ; souvent la lave ne se lais- sait pénétrer que de quelques lignes 5 l’empreinte du trou restait après la levée du fer , quoique le feu continuât d’agir, et elle ne s’effaçait qu’au bout de neuf ou dix minutes. Si , armé d’une longue tenaille de fer, je saisissais et soulevais les creusets dans le fourneau , en les tenant ren- versés la bouche en bas , la lave ne coulait point ; seulement , au bout d’un quart-d’heure environ , elle poussait en dehors une langue de matière très-mince, et ce n’était qu’avec peine que je parvenais à la tordre parle moyen d’une seconde tenaille.

Ces phénomènes nouveaux pour moi m’éton- naient ; je répétai l’expérience en grand 5 je fis fondre mes laves dans de vastes creusets d’ar- gile 5 mais les effets furent les mêmes, soit que je voulusse y enfoncer un fer pointu , soit que je retournasse les creusets sens dessus dessous.

Je n’oubliai point de me servir des laves que je connaissais pour avoir été douées d’une grande

DANS LES DEUX SICILE S. Zj fluidité alors qu’elles s’ouvrirent une issue par les flancs du volcan , telles que la lave de l’Etna de i66c) > qui parcourut quatorze milles $ celle qui en parcourut trente , et se jeta dans la mer près de Taurominum ; enfin plusieurs autres du même volcan qui formèrent de longs courans.

En me livrant à ces curieuses recherches , j’es- sayai encore si les laves , tenues long-temps dans le fourneau , perdraient leur ténacité , et acquer- raient à la longue une fluidité telle que celle dont elles jouissaient en sortant de la bouche des volcans. J’en exposai un grand nombre , con- jointement avec des verres volcaniques poreux, à l’action non interrompue du feu pendant qua- rante jours. Voici le résultat. La masse de chaque lave et de chaque verre avait considérablement diminué dans les creusets par l’évaporation. Les pores des verres étaient détruits en grande par- tie ; quelques laves avaient aussi perdu les leurs, d’autres en avaient acquis un plus grand nombre. La vitrification de chacun de ces corps était de- venue plus parfaite j mais leur liquidité n’en était pas plus avancée , et ils résistaient également à la pointe du fer.

Je traitai donc ces laves avec un feu plus énergique, celui de réverbère dans un fourneau chimique. , elles se ramollirent davantage ,

C 3

VOYAGES

38

et se réduisirent à l’état de pâte molle. La pointe du fer les pénétrait , et P empreinte du trou ne tardait pas à s’effacer. En renversant les creusets, elles coulaient en bas lentement , comme fait la poix quand elle commence à se tondre.

Enfin j’employai le gaz oxigènej je plaçai de petits morceaux de lave entre des charbons ar- dens attisés par cet agent si puissant. Alors, pres- qu’en un moment , la lave rougit et prit la forme d’un globule , qui s’écoulait liquide comme l’eau quand le charbon sur lequel il était en repos venait à pencher.

Cette résistance des laves refondues au four- neau de verrerie , cette mollesse qu’elles ac- quièrent avec le feu plus énergique d’un four- neau chimique, cette fluidité qu’elles contractent avec l’oxigène , tous ces effets arrivent également en traitant de la même manière certaines roches non volcaniques.

Le lecteur apperçoit déjà les conséquences immédiates de ces expériences. Si le feu d’un fourneau de verrerie , en fondant les laves et les roches non volcaniques ne les rend point fluides, mais que pour les rendre telles , il faille em- ployer un feu beaucoup plus actif \ si d’un autre coté le feu volcanique opère en elles cette fîui-

DANS LES DEUX SICILE S. og

dite qui est nécessaire pour qu’elles puissent cou- ler, pourquoi ne conclurait- on pas que ce der- nier feu est plus efficace que le premier?

Cependant il ne faut pas oublier que le feu du fourneau , en vitrifiant les laves , fond aussi les schorls et les feld-spaths , tandis que celui des volcans laisse ces cristaux intacts. Mais de- vons-nous uniquement en rapporter la cause à sa prétendue faiblesse ?

Quoique , par la multitude des faits cités , il paraisse évidemment que la fluidité des laves qui s’écoulent le long des montagnes ignivotnes est l’effet du fluide igné dont elles sont abondamment pénétrées , je ne laisserai point de discuter deux raisonnemens de Doîomieu , tendant à prouver que les laves peuvent devenir fluides sans le con- cours d’un fort calorique. Il dit , en premier lieu, que le feu des volcans produit ses effets plutôt par la durée de son action que par son activité $ que , trop faible pour altérer les rocbes et fondre les cristallisations de scborl et de feld-spath, ce- pendant , en s’appliquant long- temps à elles, il est capable de les dilater , d’écarter leurs molé- cules et de les faire couler 5 en second lieu, que le soufre , qui ne manque jamais dans les vol- cans , est propre à provoquer fortement leur fusion.

VOYAGES

C’est encore la voie de l’expérience que j’aî tentée pour connaître jusqu’à quel point sont fondées ces deux hypothèses. Quant à la pre- mière , j’ai cherché ce que deviendraient des pierres exposées très-long-temps à un degré de feu toujours égal, mais trop faible pour les fondre avec une certaine célérité/ Les fourneaux de verrerie établis à Pavie me parurent très-propres à remplir mon objet. Leur feu est sensiblement égal tout le temps qu’ils tiennent du verre en fusion j c’est-à-dire quarante-cinq jours environ ; seulement on lui donne un peu plus d’intensité pendant la quinzaine suivante , destinée à cuire et à travailler le cristal. Une longue habitude suffît aux ouvriers pour s’assurer de cette égalité de feu. Le verre fondu dans des padelle ( c’est ainsi qu’ils nomment les grands vases d’argile dont ils se servent) est susceptible d’une liquidité plus ou moins grande , suivant l’intensité du feu qu’il reçoit. Si sa liquidité est trop grande , il n’est plus propre à être mis en œuvre, parce qu’il ne s’attache point aux tubes de fer destinés à le souffler, et coule au moment qu’on le tire du four- neau; si elle est trop faible, autre inconvénient , car il n’est pas en état d’être soufflé. Les ouvriers sont par conséquent obligés de trouver ce point de liquidité, et de savoir le fixer par un degré de feu déterminé et toujours égal. Ils en jugent

DANS LES DEUX SICILES. 4l aussi par la couleur , qui doit être d’un rouge enflammé tirant un peu sur le blanc ; s’il y a excès de liquidité , le verre prend une blancheur très-vive que l’œil ne peut supporter ; s’il y a défaut > il paraît d’un rouge foncé et éteint. Cette règle pouvait , au besoin , m’avertir de l’égalité de feu que je cherchais; mais j’en suivis une plus précise au moyen du pyromètre de Wedgwood. Je plaçai quatre petits cylindres d’argile , avec leur moufïle , dans un endroit du fourneau ser- vant à mes expériences; j’en levai deux au bout de deux jours , et j’y laissai les autres pendant quarante- cinq jours. Ayant ensuite mesuré et comparé le retrait des premiers avec celui des derniers , je ne trouvai presque point de diffé- rence. J’eus donc la certitude physique de l’éga- lité du calorique pendant tout cet intervalle de temps.

A l’égard des pierres destinées pour ces nou- velles épreuves , j’en pris qui avaient, été réfrac- taires au feu de fourneau durant une exposition de deux à trois jours , telles que des feld^spaths en masse , des pétro-silex , quoique leurs congé- nères se fussent fondus dans les mêmes circons- tances de temps et de lieu. J’y ajoutai les six pierres de poix citées au chapitre XX, qui, en quarante-huit heures, ne purent se liquéfier.

VOYAGES

ainsi que le silex, ou pierre à fusil rouge , tirée de la carrière de la Battaglia dans les monts Eu- ganéens. Toutes ces pierres , au nombre de dix- huit, furent exposées dans le fourneau pendant quarante-cinq jours , et y soutinrent l’action d’un feu toujours égal. Chaque jour j’avais soin de les visiter , de les examiner l’une après l’autre , de noter les changemens qui leur arrivaient. Je se- rais coupable d’une ennuyeuse prolixité envers mes lecteurs, si je donnais ici le journal de ces observations ; il suffira à mon but de leur en tracer les principales circonstances avec les ré- sultats. D’abord, pas une pierre qui ne se soit plus ou moins vitrifiée ; dans les unes, la vitrification a commencé après le onzième jour ; dans les autres , elle s’est manifestée quelquefois plutôt , quelquefois plus tard : ici les morceaux se sont simplement attachés ensemble sans former un tout bien lié ; , la fusion a été générale. La vitrification s’est formée avec une extrême len- teur^ dans le principe , elle a paru comme une écorce déliée , qui s’est ensuite épaissie , et a gagné le centre. Ce verre étincelait sous le bri- quet ; il était compacte , très-pur, transparent, sans couleur , ou bien tirant sur le jaune ou sur le bleu. La pierre à fusil des monts Euganéens s’est montrée une des plus rébelles à la vitrifi- cation» Il est vrai qu’au bout du troisième jour s

DANS LES DEUX SICILE S. 43 les morceaux ont commencé de s’aglutiner en- semble 3 mais le vingt-cinquième s’est écoulé , que l'écorce vitreuse avait à peine l’épaisseur de deux lignes. Arrivés au terme de quarante-cinq jours, leur noyau ne manifestait qu’une simple calcination. Il en fut de même des deux pierres de poix 3 mais les quatre autres se fondirent plei- nement.

Le fourneau j’avais fait ces expériences ne pouvait plus me servir de l’année , attendu que les verriers s’étaient mis immédiatement à tra- vailler le cristal , qui exige , comme je l’ai dit, une augmentation de feu. Mais , vers le même temps, ils en allumèrent un second pour le verre ordinaire 3 car la ville de Pavie a deux fourneaux de ce genre , et ce sont les mêmes ouvriers qui, ayant travaillé dans l’un , vont travailler dans l’autre. L’idée me prit de faire passer du premier fourneau dans le second les pierres qui , pendant le cours de l'expérience, n’avaient reçu qu’une très-faible vitrification dans leur intérieur. Elles subirent ainsi une nouvelle épreuve de quarante- cinq jours , en tout quatre-vingt-dix jours d’ex- position à un degré de feu également soutenu. Cette prolongation ne fut pas sans efFet 5 la vitri- fication pénétra jusque dans le noyau des pierres de poix et de la pierre à fusil , et je ne doute

VOYAGES

44

pas qu’en étendant encore îa durée de ce même feu , elle n’eût été entière et parfaite.

Ceci m’apporta des connaissances que je n’a- vais pas. Auparavant , si je voyais que l’action du fourneau , prolongée de quelques jours seu- lement , ne suffisait pas pour la fusion des pierres, je les appelais réfractaires ou infusibles. J’igno- rais les effets d’un feu égal et long-temps sou- tenu j qui vient à bout de vaincre leur résistance ÿ et l’expérience me démontra que sa durée équi- vaut , pour opérer la fusion des corps, à l’action plus vive , mais aussi plus prompte , d’un feu supérieur.

En réfléchissant sur l’efficacité que le feu ac- quiert par sa prolongation , je crus pouvoir l’ex- pliquer d’une manière plausible. Cet agent com- mence d’abord par calciner les pierres ; il les dépouille de quelques-unes de leurs parties , et altère plus ou moins leur contexture. En conti- nuant d’agir, il ne les trouve plus dans le même état , et cependant son action fait naître en elles de nouvelles combinaisons ; d’autres changejmens succèdent aux premiers , et amènent enfin les modifications au moyen desquelles ces corps ac- quièrent la condition nécessaire pour se fondre. Mais si l’on suppose un feu plus actif, il opé- rera en peu de jours ce que l’autre n’a pu

r

BANS LES DEUX SICILE S. 45 effectuer que dans la longue succession du temps.

Faisons maintenant l’application de ces faits à l’hypothèse de Dolomieu , qui pense que le feu volcanique agit plus par sa durée que par sa force. Je vois bien comment sa continuité peut suppléer à sa faiblesse pour liquéfier les roches, je comprends comment il doit gagner en appli- cation constante ce qu’il perd en activité 5 mais je ne conçois pas comment la liquéfaction des roches , dans ce cas , n’entraîne pas celle des schorlset desfeld-spaths, et la destruction de leur propre contexture. Voilà du moins les effets que j’ai observés dans les pierres de mes précédentes expériences. Ces effets, me dira-t-on, ne sont pas applicables aux volcans, et l’on me citera l’exem- ple du Stromboli , dont les matières projetées retombent continuellement dans son cratère, su- bissent pendant une longue succession de temps l’action de ses feux, et ne perdent pas pour cela leurs caractères primitifs. Je réponds que ce phé- nomène ne prouve pas un défaut d’activité dans ces feux, mais qu’il indique plutôt en eux une manière d’agir toute particulière. J’ai déjà fait cette remarquent j’aurai occasion d’y revenir.

Je passe au second raisonnement de Dolomieu , relativement au soufre considéré , en plusieurs

VOYAGES

46

endroits de ses ouvrages, comme un véritable fondant. On lit , dans son Catalogue raisonné des productions de l’Etna, page 167, ces paroles re- marquables : « Une pierre très - ferrugineuse, »chaufFée jusqu’au rouge, et mise en contact »avec un bâton de soufre, éprouve un effet pres- que semblable à celui d’un morceau de fer qui, » dans les mêmes circonstances , brûle , se calcine, »et devient instantanément fluide par l’action du » soufre ».

Pour découvrir si en efFet le soufre facilite la fusion des pierres qui d’ordinaire servent de base aux laves , telles que les rocbes de corne , les pétro-silex, les schorls en masse, j’en choisis parmi celles-là qui n’exigent pas beaucoup de temps pour entrer en fusion dans le fourneau. Avant de les soumettre à l’expérience , je cher- chai à m’assurer d’un terme de comparaison au moyen duquel je pusse mesurer mes résultats. A cet efFet, je fis fabriquer et ensuite cuire six creusets d’argile, ayant chacun un pied et demi de hauteur , sept pouces de largeur dans le fond , étroits vers le sommet , et se terminant par une ouverture circulaire d’une ligne et demie , laquelle s’élargissait en manière d’entonnoir. Je remplis un de ces creusets , jusqu’au bord , ÿi’un pétro - silex pulvérisé , et un autre jus-

,1

DANS LES DEUX SICILE S. ij qu’aux trois quarts de sa hauteur, de soufre en poudre ; le surplus de la capacité fut occupé par du meme pétro silex pulvérisé. Je disposai de même et alternativement les quatre creusets res- tans , en y employant de la pierre de corne et du schorl en masse. Par ce moyen j’établissais un terme de comparaison entre les pierres qui se fon- draient au fourneau sans la participation du soufre, et celles du même genre qui se fondraient avec son concours. Ce minéral ne pouvait être mieux choisi, il provenait de Pile de Vulcano, jel’avais recueilli. Comme il était indispensable que chaque creuset éprouvât le même degré de feu , je m’as- surai de cette égalité avec le pyromètre.

Au bout de treize minutes , le soufre contenu dans les trois creusets commença à s’en exhaler sous la forme d’une fumée rougeâtre et légère qui s’élevait par les entonnoirs. J’avais pratiqué à dessein cette étroite ouverture pour laisser échap- per le soufre \ car si les creusets avaient été par- faitement clos , ils se seraient aisément brisés par l’effort des exhalaisons sulfureuses, et d’ail- leurs l’étranglement de ce passage était propre à conserver long-temps l’inflammation du soufre. La fumée s’accrut et durait encore, que la pierre de corne dans les deux creusets commença à se fondre , ce qui arriva au bout de cinquante-

VOYAGES

48

trois minutes de feu. Je ne m’apperçus point que le soufre eût accéléré l’effet.

Un commencement de fusion se manifesta au bout de soixante-cinq minutes dans le creuset sans soufre, était le pétro-silex; mais elle ne parut pas plutôt dans le creuset contenant le soufre , qui fuma pendant cinquante-huit minutes. En brisant ces deux creusets, je ne remarquai aucune différence dans le degré de vitrification de l’un et de l’autre pétro-silex. Le schorl en masse m’offrit un semblable résultat. Ainsi ces trois différentes pierres se fondirent également sans le concours et avec le concours du soufre, et je ne vis point que ce minéral en eût précipité la fusion.

Plusieurs physiciens pensent que la pyrite est l’aliment des feux souterrains, et en même temps la source du soufre sublimé par les volcans. Je répétai mes expériences avec six creusets prépa- rés de la même manière , excepté qu’au lieu de soufre j’employai la pyrite.

Celle-ci était en décomposition, et abondait en acide sulfurique 5 mais la fusion des pierres arriva aussi promptement dans les creusets qui en étaient privés, que dans ceux qui en conte- naient.

Dolomieu

DANS LES DEUX SIC ILE S. 4$

Doîomieu prétend que si une pierre ferrugi- neuse en incandescence , vient à être touchée par un morceau de soufre ^ en un instant , et comme le fer dans les mêmes circonstances, elle tombe en fluidité. Ainsi , suivant ce naturaliste , des laves ferrugineuses fondues dans les creusets, devraient acquérir plus de fluidité qu’à l’ordinaire en y faisant brûler du soufre.

On pense bien que ma méthode expérimentale ne m’abandonna pas dans cette occasion. Je remplis plusieurs creusets de laves chargées de fer ; quand elles furent en fusion , un homme te- nant une cuiller de fer, armée d’un long manche et pleine de soufre fondu et enflammé , sans déplacer les creusets et les tirer hors du fourneau, y versa le minéral 5 et moi , pendant cette opéra- tion, et tandis que le soufre bouillait dans les creu- sets, se sublimait en une fumée épaisse et rougeâ- tre , et couvrait toute la surface des laves, j’é- prouvais avec un fer pointu, leur résistance , et j’observais si elles acquéraient une plus grande liquidité; mais cela n’arriva point. Après l’entière dissipation du soufre, elles conservaient encore le même degré de ténacité qu’elles avaient avant que le soufre les eût touchées.

Je fis cette expérience sur sept laves, sans Tome IV \ D

VOYAGES

appercevoir aucune circonstance favorable à l’hypothèse de Dolomieu.

Si le feu du soufre aide de celui du fourneau, n’avait pu exciter la fusion de ces pierres , à plus forte raison était -il incapable de les fondre en agissant par sa seule flamme , avivée par un cou- rant d’air dans un fourneau chimique : c’est de quoi je me suis convaincu. J’ajouterai même que je n’en ai pas obtenu davantage en l’animant avec le gaz oxigène produit par le mélange de deux tiers de soufre et un tiers de nitre.

Voilà des faits positifs , et je n’y trouve rien qui m’autorise à croire que le soufre serve de fondant aux pierres qui passent à l’état de lave, ou qu’il facilite leur fluidité.

Mais il est une autre opinion de ce naturaliste que je veux examiner, car elle touche aussi à la question qui nous occupe. Les laves , dit-il , sont pénétrées par un double calorique , l’un qui leur a été communiqué dans le foyer des volcans , l’autre qui leur est propre , et qui se développe par une véritable combustion. Au moyen de ce second calorique , leur fluidité se conserve plus long-temps que cela n’arriverait si elles n’avaient reçu que le premier ; on comprend par-là com- ment certaines laves font de très-courts trajets

DANS LES DEUX S I C I L E S. 5l dans des temps très-longs ; comment leur com- bustion ressemble tantôt à celle du phosphore d’urine , tantôt manifeste une vraie flamme qui souvent est bleue , ou diversement colorée.

Sans doute l’existence de cette combustion ne saurait être mieux fondée que sur les effets qu’on lui attribue. Si Dolomieu eût vu de ses propres yeux cette flamme colorée qui brille à la surface des courans de laves, je n’aurais rien à répliquer; mais il en parle en général et d’une manière vague. J’ai peine à croire que s’il eût été témoin lui- même de ce phénomène , il n’en eût pas détaillé les circonstances pour concilier plus de foi à une hypothèse toute nouvelle. A la vérité, il promet, dans son introduction au Catalogue des produo- tions de l’Etna , de la démontrer par une suite d’observations , qui ne peuvent manquer d’être accueillies et lues avec avidité par les physiciens. En attendant , je rapporterai ici quelques faits qui ne s’accordent point avec la supposition de ces flammes. Je les tiens d’auteurs qui ont eu cent fois sous les yeux des laves courantes , qui en ont décrit les particularités avec la plus scrupu- leuse exactitude , sans aucune prévention ni es- prit de parti , tels que Sérao , Torré, Bottis et Hamilton.

Le premier, parlant en général des laves que

D 2

VOYAGES

le Vésuve vomissait de son temps , observe que lorsqu’on les regardait de nuit à une grande distance , elles jetaient une lumière non res - plendissante comme la flamme vive y mais éteinte sombre y comme celle des corps rou- gis qui brûlent sans flamme . Quand il donne les détails de la lave de 1767, il ne dit point qu’il l’ait vue enflammée.

Le Père Torré , qui raconte les principales cir- constances de l’éruption du Vésuve de 1761 s assure qu’il n’apparaissait aucun feu visible à la surface du torrent . Ce même auteur donne Phistoire de plusieurs autres éruptions 5 il en dé- crit les plus petits phénomènes , mais' il ne fait jamais mention de flammes qui leur fussent pro- pres. Seulement, aux pages 55 et 76 de son ou- vrage, il fait cette remarque : La nuit , eji obser- vant la surface de la lave, même dans les lieux elle était refroidie , on voyait des flammes de soufre en sortir de divers endroits , et s’é- teindre subitement. Mais , outre que cette lave n’était plus ardente , les flammes apperçues pro- venaient du soufre : elles sont très -fréquentes dans les volcans , et ne font rien à notre sujet.

J’ouvre le livre du professeur Bottis , intitulé r Histoire des divers incendies du Vésuve il ne renferme presque pas une page je rie

DANS LES BEUX S I C I L E S. 5S rencontre la description de quelques laves cou- rantes; mais je n’y vois pas la plus légère indi- cation de flammes. Il est vrai que cet auteur em- ploie souvent les expressions de torrent enflam- mé y fleuve de feu ,* mais elles sont purement emphatiques, et plus d’une fois je m’en suis servi moi-même, sans vouloir dire autre chose que des laves fortement pénétrées par le feu.

Hamilton , qui s’est approché du cratère du Vésuve alors que la lave en découlait avec abon- dance, ne dit point qu’elle fût enflammée, mais il remarque simplement qu’elle avait l’appa- rence d’un métal embrasé et fondu dans le fourneau . A l’égard du phénomène de la com- bustion , cela arrive y dit - il , quand la lave déterre et emporte un arbre y alors il s’élève à sa surface une flamme vive y je en ai ja- mais vu d’autre . Il avertit ici de l’équivoque N l’on peut tomber , en prenant pour la flamme d’une lave la fumée qui s’élève à sa surface, et qui , la nuit, en a toute l’apparence.

Les observations que j’ai faites moi-même dans mes voyages au Vésuve , à l’Etna et à Stromboli , s’accordent avec les précédentes. En parlant d’une lave qui coulait dans une caverne du Vé- suve , j’ai remarqué que sa surface avait la rougeur de la braise sans jeter aucune flamme,

D 5

VOYAGES

54

J’ai rapporté un phénomène analogue touchant les laves qui gisaient dans deux grottes de la même montagne , et en décrivant celle qui cou- lait sur terre 3 j’ai dit que sa rougeur était moins vive que celle des précédentes .

La lave bouillonnante au fond du cratère de l’Etna ne manifestait point de flamme $ elle avait l’aspect d’une matière liquide et embrasée .

Mais une occasion favorable de découvrir cette combustion était sans doute celle que m’ofFrait la fournaise volcanique de Stromboli , soit par ma grande proximité de sa lave montante et des- cendante , soit par la facilité que j’avais de la considérer pendant les heures de la nuit. Cepen- dant je n’ai rien vu qui pût m’en faire soupçonner l’existence 3 et voici les expressions dont je me suis servi en rendant compte des efFets dont j’ai été témoin : La lave du cratère ne brûle point à sa surface d’une flamme visible , pas même au moment que ses huiles éclatent , mais elle brille d’une lumière ardente et très-vive : je ne saurais mieux la comparer qu’au verre fondu dans un fourneau en activité.

Je sais que , pour soutenir son assertion 5 Dolo- mieu a recours à une lave de l’Etna qui coula pendant l’espace de dix ans , et ne parcourut r

DANS LES DEUX S I C I L E S. 55 selon lui , qu’un mille d’étendue. D’abord il se trompe ; le trajet de cette lave fut de moitié plus long, du moins c’est ainsi que le rapporte l’historien des éruptions de l’Etna , Alphonse Borelli. «En 1614, un nouveau gouffre s’ouvrit » au-dessus de la ville de Tyssa ; il en sortit éga- lement une matière enflammée 3 mais son cours » était si lent, que pendant dix ans qu’elle conti- » nua de couler , elle ne parcourut que l’espace »*de deux milles (1)».

Ensuite , il me paraît que l’on peut expliquer l’excessive lenteur de cette lave sans supposer qu’elle dût brûler par elle-même , et continuer par conséquent de couler tant que dura en elle l’aliment de la combustion. Outre plusieurs causes qui concourent à donner plus ou moins de ra- pidité aux laves , il est certain que leur progres- sion dépend beaucoup de l’inclinaison du terrein sur lequel elles coulent. Si le torrent suit un plan horizontal , si même il est forcé de monter au lieu de descendre , comme cela arrive quelque- fois dans les sites montueux , sa marche sera

(1) Deinde, anno i6i4 , nova vorago supra oppidum Tyssæ , seu Rondatici aperta est, e qua efHuxit pariter materia ignita cursu tam lento et torpido , ut intra decem annos quibus perpetuo effluxit , duo tantum milliaria pertransierit.

D 4

56 VOYAGES

très-lente, et voilà peut-être le cas s’est trou- vée la lave de 1714* Sa lente progression pourrait encore être attribuée à la dispersion du calorique qu’elle recevait du volcan 5 ce calorique se trou- vait peut-être dans un tel état d’affaiblissement , qu’il suffisait à peine à la faire couler. Quoi qu’il en soit , si les roches renfermaient en elles un principe essentiel de combustion qui se dévelop- pât en flamme vive dans leur fusion volcanique , il est évident que ce phénomène devrait égale- ment se manifester dans ces mêmes roches lors- qu’elles se fondent dans le fourneau 5 et cepen- dant elles n’y donnent jamais le moindre indice de combustion ni de flamme.

J’ignore quel degré de confiance les physiciens accorderont à l’hypothèse que je viens de discu- ter 3 pour moi, je ne puis m’empêcher de la regarder comme douteuse , incertaine, tant que son auteur ne produira pas des faits propres à en démontrer la réalité $ jusqu’à présent j’ai vu dans les effets du feu volcanique une grande énergie en beaucoup de circonstances , et une manière d’agir qui probablement ne nous sera jamais parfaitement connue. Cette énergie est prouvée par de nombreux et solides argumens 5 ils ne sauraient être affaiblis par des faits dont la cause est liée à une opération toute particu-

3) ANS LES DEUX SICILE S. 5j lière de ces feux. J’en ai apporté plusieurs exem- ples , mais en voici un nouveau qui vient à l’ap- pui. Pendant mon séjour à Naples, je me pro- curai quelques échantillons de cette lave du Vésuve observée parBottis au fond d’une grotte, elle était pénétrée d’une si grande abondance de calorique, qu’elle fondait subitement les sco- ries et les morceaux de laves poreuses qu’on lui jetait. A l’examen de ces échantillons, dont la contexture n’était pas effacée , je vis qu’ils avaient pour base une pierre de corne qui renfermait des cristaux de schorl parfaitement conservés $ ce- pendant cette lave et ces schorls, traités au four^ neau, s’y vitrifièrent en peu d’heures. Comment concevoir que ces corps restent intacts dans un feu très-violent , et passent à l’état de verre dans un feu modéré , sans supposer que l’énergie du premier est unie à certaines circonstances , à cer- tains principes propres à en conserver le tissu , mais qu’on n’est pas encore parvenu à con- naître }

J’ai pensé , avec plusieurs physiciens , que les soufres et les pétroles donnent naissance aux volcans , et les entretiennent 5 j’avoue cependant que cette opinion est fort hypothétique , et que dans le fait , nous ignorons le véritable aliment des feux souterrains 5 mais , quel que soit cet

VOYAGES

58

aliment , toujours est- il certain qu’en brûlant, il se trouve dans des circonstances différentes de celles qui accompagnent les matières en com- bustion dans nos fourneaux, lesquelles ne brûlent qu’avec le secours de l’air atmosphérique , tandis que les abîmes commencent les embrasemens volcaniques en sont privés. Une multitude d’îles sont sorties du fond de la mer 5 ce phénomène s’est renouvelé de nos jours 5 nous avons vu , en 1784, deux îles s’élever du sein de la mer d’Islande , et l’une , au rapport de Pennant , oc- cuper une place les eaux avaient cinq cents pieds de profondeur. Pourrait-on supposer l’exis- tence de l’air que nous respirons dans ces goufTres sous-marins, s’allument cependant les matières qui produisent et alimentent les volcans ? Il faut donc renoncer à expliquer jamais cette opération de la nature, ou recourir, pour s’en rendre raison, à un développement d’oxigène , hypothèse qui n’a rien que d’admissible. Si pourtant ce gaz était pur , il nourrirait un feu qui vitrifierait tout , et réduirait les matières en une masse homogène. Mais avec combien de substances hétérogènes ne doit-il pas être uni ? substances qui proba- blement produisent ces accidens singuliers que nous ne concevons point , qui font agir ce feu avec une grande énergie , et lui ôtent en même temps la faculté d’altérer la contexture des

DANS LES DEUX SICILE S. £9 pierres qu’il réduit en fusion. Parmi ces subs- tances > il faut compter les fluides aériformes, tels que le gaz acide carbonique , le gaz acide mu- riatique , l’hydrogène, l’azote, &c. qui s’exhalent pour l’ordinaire des volcans , et qui, mêlés avec l’oxigène en diverses proportions , doivent mo - difier plus ou moins , et ses propriétés , et les feux qu’il anime , et les pierres sur lesquelles, ces feux agissent. On doit encore y admettre le concours des sels, tels que les sulfates d’alumine et de fer, les muriates d’ammoniaque et de soude , qui adhèrent souvent aux parois des cratères. A la vérité , les corps salins facilitent la vitrification des pierres , mais nous ignorons les produits de la combinaison simultanée de plusieurs sels, sur- tout quand ils se décomposent dans les foyers volcaniques.

A ;

Il est encore possible que l’eau, unie avec le feu, fasse naître des combinaisons impossibles à l’art humain. Ainsi pense Faujas, persuadé qu’il est du mystère qui enveloppe les corps travaillés par le feu volcanique. Je ne saurais mieux termi- ner cette discussion qu’en citant l’autorité de cet habile naturaliste : voici son opinion. « Je serais » porté à croire que le fluide aqueux , poussé à » un degré d’ébullition et d’incandescence dont les »feux de nos faibles fourneaux ne nous donnent

6o VOYAGES

» aucune idée, est quelquefois en concours avec »le feu sourd et concentré qui règne dans les » immenses fournaises volcaniques, et qu*il en » résulte une multitude de combinaisons incon- nues sur les pierres et les terres qui séjournent »des siècles entiers dans ces gouffres ardens »le feu , qui tend à détruire, a pour ennemie » l’eau , qui crée incessamment , et qui lui oppose toutes les formes et les modifications que la raa- » tière est susceptible de prendre » .

v

DANS LES DEUX SICILE S. 6l

CHAPITRE XXIV.

Détails sur le climat , les productions , V agri- culture et le commerce des îles Æoliennes . JMLœurs et usages des habitans .

J’ai remonté jusqu’à l’origine desîlesÆoliennes; je les ai considérées dans leurs rapports avec les feux volcaniques ; j’ai décrit les matières dont elles sont formées ; il me reste à indiquer les plantes qui y végètent , les animaux sédentaires qui y vivent , ceux qui , ne se fixant nulle part , ne viennent y prendre asyle que pendant un cer- tain temps de l’année; à tracer enfin le caractère, les mœurs , l’industrie des hommes qui les ha- bitent, et j’aurai rempli ma tâche, et la pro- messe que j’ai faite dans introduction de cet ouvrage.

HP A RI, la plus grande des Æoliennes, est aussi la plus peuplée ; on y compte neuf à dix mille habitans. La majeure partie de cette po- pulation est fournie par la ville , dont la haute antiquité remonte au-delà de la guerre de Troye,

62

VOYAGES

On peut se représenter le sol de Lipari comme divisé en quatre parties : deux et demie sont en culture, le reste est couvert de bois ou stérile 5 mais cette stérilité diminue à mesure que le nombre des habitans augmente; une plus grande consommation de denrées les met dans la né- cessité de travailler sans cesse à de nouveaux défrichemens.

L’île produit du coton, des légumes, des olives, le tout en petite quantité. Le froment y est excellent. Sa récolte s’élève annuellement de quinze cents à deux mille mesures, ou salmes siciliennes : cela suffit à peine aux besoins des citadins.

Mais la richesse de Pile consiste dans ses vi- gnobles , qui fournissent des vins de différentes qualités. La plus commune, celle dont les habi- tans font leur boisson ordinaire, est si abondante , que l’on peut en exporter deux à trois mille bar- riques par an sans que le pays en soufFre. Le vigneron exprime le jus des raisins sur les lieux; il le renferme dans des outres, et le transporte de cette manière dans les maisons des proprié- taires.

Il est deux autres espèces de raisins que l’on fait sécher ; Pune porte le nom de passola ,

DANS LES DEUX SICILE S. 65 l’autre celui de passolina ; cette dernière est plus généralement connue sous la dénomination de raisin de Corinthe . On prépare annuellement onze à douze mille barriques de la première espèce 3 et dix mille de la seconde 3 qui entrent dans le commerce.

Une quatrième espèce de raisin produit la fa- meuse malvoisie de Lipari , dont le nom seul fait l’éloge 3 vin de couleur ambrée 3 généreux et suave tout-à-la-fois 3 qui inonde la bouche d’un parfum délicieux , et laisse un arrière-goût de douceur non moins agréable. Mais si cette es- pèce est la plus précieuse , elle est aussi la plus rare ; à peine fournit-elle deux mille barriques de vin , que les Liparotes envoient chez l’étran^ ger. Pendant le séjour que je fis dans l’île 3 ce ne fut pas sans difficulté que je parvins à m’en procurer de quoi seulement ranimer de temps en temps mes esprits abattus 3 et soutenir mon courage au milieu des courses pénibles j’étais engagé.

Pour faire cette malvoisie 3 on coupe le raisin lorsqu’il est parfaitement mûr 3 ce qu’il annonce par sa belle couleur dorée, et sa saveur qui est très- douce. Après avoir ôté des grappes tous les mauvais grains 3 on les laisse exposées au soleil sur des nattes de roseaux pendant huit ou dix

64 VOYAGES

jours , et davantage , jusqu’à ce qu’elles se flé- trissent. Ces grappes , ainsi préparées, sont pla- cées sur dès aires de pierre bien propres , entou- rées de petits murs de la hauteur de deux pieds. On les écrase d’abord avec une pierre liée à l’ex- trémité d’une poutre, ensuite avec les pieds nus, jusqu’à ce que tout le jus en soit exprimé. Par un trou pratiqué dans l’aire, ce jus coule et des- cend dans une autre aire semblable , mais dont les bords sont plus élevés; après quoi on le trans- vase dans des tonneaux , il fermente , se pu- rifie , et devient bon à boire dans le courant du mois de janvier suivant.

Les vendanges commencent en septembre ; c’est alors que les citadins sortent de l’enceinte de leurs murs , se répandent dans les campagnes , vont habiter leurs petites maisons situées auprès des vignobles , et s’abandonnent, tant que les vendanges durent , à la joie pure-et innocente que l’automne leur inspire. Le voyageur étranger à qui il arrive en cette saison , et pendant la nuit , de côtoyer dans une barque les rivages de file , est agréablement surpris en voyant la multitude de lumières qui brillent dans toutes ces habita- tions champêtres , et jettent çà et sur la cam- pagne des clartés vagues et incertaines.

Le figuier d’Inde ( cactus opuntia , Lin. ) est

une

BANS S DEUX SICILE S. 65 tme autre plante utile aux Liparotes , quoiqu’elle ne soit pas l’objet d’un commerce extérieur. Ghez nous, cet arbuste ne supporte l’hiver que dans des serres chaudes 5 il prend peu de croissance 5 ses fruits sont petits , maigres , et ne valent rien. Mais à Lipari, et dans toutes les îles Æoliennes, il prospère à merveille , et s’élève jusqu’à dix, et même quinze pieds de hauteur ; sa tige ac- quiert un pied de diamètre * et quelquefois da- vantage. Ses fruits, dont la grosseur égale unx œuf de poule d’Inde , sont doux, agréables, et d’une facile digestion. Avant leur maturité , ils ont l’écorce verte 5 en mûrissant , ils prennent une couleur jaune tirant sur le rouge. Cette plante réussit dans toutes les expositions 3 mais la plus favorable est celle du midi. Tout terrain lui convient ; elle croît dans les crévasses des laves , dans les fentes des vieilles murailles ; les décombres des édifices sont également propres à sa végétation. On sait que ses fruits naissent ati bord des feuilles; le nombre en est indéterminé, mais souvent il est considérable : j’en ai compté vingt-deux sur une seule feuille^ Ils entrent en maturité au commencement d’août, et se suc- cèdent jusqu’en novembre. Dans les lieux les plus exposés aux rayons du soleil , ils continuent à croître et à mûrir au milieu même de l’hiver | mais sans cela on peut encore, dans cette saison, Tome E

VOYAGES

G5

obtenir ces fruits beaux et bons , en les recueil- lant verts en automne , pourvu qu’on ait soin de ne pas les séparer de la feuille mère , qui leur fournit une nourriture suffisante pour qu’ils par- viennent à leur maturité.

Ces fruits se mangent pendant la plus grande partie de l’année , leur grande abondance les maintient à un prix très- bas. Non- seulement ils se propagent d’eux-mêmes , mais on a soin de les faire multiplier autour des habitations. La chose est facile , cette plante se reproduisant par ses feuilles. Elles ont la forme d’un disque alongé , plus étroites dans une extrémité que dans l’autre 5 aussi les appelle- 1- on pelles dans la Sicile , à cause de leur ressemblance avec cet instrument de jardin. Chaque feuille est épaisse , charnue ; ses deux surfaces sont par- semées de petits boutons, ou mamelons, d’où naissent une multitude de petites épines , au centre desquelles il en pousse une plus grosse de la longueur d’un pouce. Ces boutons n’ont qu’à toucher la terre pour prendre racine. Il en sort une feuille radicale qui donne naissance à d’autres feuilles , celles-ci à de nouvelles. La radicale , qui était plate dans le principe , s’ar- rondit avec le temps , s’alonge , grossit en pro- portion des feuilles qui pullulent sur elle 9 et

DANS LES DEUX SICILE S- 67 forme le commencement du tronc de la plante. Ce tronc qui a quelquefois , comme nous l’avons dit , un pied de diamètre , est composé d’une série de feuilles posées verticalement les unes sur les autres , et réunies ensemble par les deux bouts.

Tels sont les végétaux cultivés par les Lipa- rotes ; mais les raisins font le seul objet de leur commerce. Le bled y croît en si petite quantité, que ce n’est pas la peine d’en parler ; cependant cette récolte serait susceptible d’une grande amélioration si l’on admettait un autre système de culture. C’est la coutume d’élever les vignes à deux ou trois pieds de terre , et de former avec des pieux et des roseaux, de petits carrés elles sont entrelacées. Ces vignes , avec leurs branches et leurs larges feuilles , interceptent les rayons du soleil, et sont cause que le terrain qui est au-dessous reste inculte et sauvage. Déjà quelques Liparotes , sentant l’inconvénient de cette méthode , ont secoué le préjugé national ils ont converti ces espaces de terrain abandonné en champs de bled sans nuire à leurs vendanges. Je citerai pour exemple la pratique de l’abbé GaetanoTrovatini , de qui j’ai parlé ailleurs avec éloge. J’ai vu son champ 5 il n’est pas très-éten- du, ni de meilleure qualité que les autres, ce-

E 2

VOYAGES

68

pendant il y fait à-la-fois une moisson de bled et des vendanges abondantes. Au lieu de ces étroits carrés de vignes que Ton appelle pergole 3 il a planté ses ceps en espaliers parallèles , qui laissent entr’eux de larges plate-bandes de terre il sème à sillons droits du froment, selon la méthode de Duhamel. De cette manière , les rayons du soleil et l’air jouant librement au mi- lieu des espaliers , et par-tout la terre étant soi- gneusement labourée, chaque grain de bled croît et multiplie sans que les vignes cessent d’être aussi fécondes que celles des champs voisins , plantées selon l’antique usage. Il est vrai que l’abbé Trovatinifut d’abord regardé de mauvais œil par ceux qui faisaient la triste comparaison de leur champ avec le sien ; mais quand j’arrivai dans File , son exemple avait produit un bon effet, et on commençait à l’imiter. Il est fâcheux pour l’encouragement et le perfectionnement de Fagriculture à Lipari , que dom Joseph Cipola de Palerme , évêque de cette île et des adja- centes, n’aît pas vécu quelques années de plus; ce digne prélat semblait être pour changer la face de ces pays à moitié sauvages, et en amé- liorer le sort. On ne peut évaluer le nombre d’oli- viers dont il les a enrichis ; la seule petite île de Panaria en possède plus de trois mille pieds. Il a aussi introduit le mûrier , qui réussit parfaite--

DANS LES DEUX SICILE S. 6g ment $ j’en ai va un dans la basse cour de sa mai- son , planté depuis huit ans , qui ne cédait point en grosseur et en vigueur à ceux de notre Italie du même âge , et croissant dans le meilleur sol. Les figuiers d’Inde indigènes dont j’ai parlé , ont le fruit de couleur jaune en dedans : dom Joseph Cipola en a fait transporter de Palerme une autre espèce qui les produit rouges et délicieux. Je desire que son successeur , dont j’ignore le nom , suive l’exemple d’une vie ainsi consacrée à l’uti- lité publique.

Mais puisque nous en sommes revenus aux figuiers d’Inde, je veux mettre au jour une idée qui , si elle était jamais réalisée , contribuerait autant à la prospérité de la Sicile que des îles Æoliennes. Le Mexique, et quelques autres pro- vinces de l’Amérique espagnole, sont les pays l’on recueille l’insecte cochenille ; on en fait un commerce qui s’élève à plusieurs millions de livres tournois par an. Pourquoi les îles dont je parle , qui sont à l’extrémité la plus méridionale de l’Italie , et la Sicile, qui en a été séparée par une irruption de la mer, pourquoi , dis- je, ces îles ne partageraient- elles pas avec le Mexique les avantages que lui procure cette précieuse couleur ? Deux choses suffisent pour les obtenir: la plante sur laquelle l’insecte vit et se multi-

E 3

VOYAGES

plie , et la possession de celui-ci dans les lieux Ton veut le propager. Quant au premier point, le figuier d’Inde qui croît si abondamment dans les îles Æoliennes et la Sicile , est justement la plante demandée. On dit que les opuntia dans le Mexique, quand ils sont bien cultivés , s’élèvent à la hauteur de huit pieds , et que leurs feuilles ont presqu’un pied de longueur 5 ceux des îles Æoliennes et de la Sicile sont d’une plus grande dimension, et dénotent une plus grande vigueur. Qui empêcherait que les cochenilles n’y prospé- rassent tout aussi bien ? Le ver-à-soie, quoique originaire des Indes , ne naît-il pas , ne multi- plie-t-il pas heureusement par-tout il trouve des feuilles de mûrier ? La seule difficulté, selon moi , serait dans le transport de cet insecte vivi- pare à une si grande distance , difficulté qui n’existe pas pour les vers-à-soie ovipares , dont on fait voyager les œufs par tout pays sans aucun danger. Mais comme la cochenille vit et se re- produit sur les feuilles de l’opuntia , quel risque y aurait-il à la transporter avec sa plante nour- ricière , que l’on placerait dans des caisses de terre, et que l’on embarquerait dans un vaisseau qui viendrait du Mexique en Sicile? la conserva- tion de la plante n’assurerait-elle pas celle de l’insecte ? Quoi qu’il en soit de cette spéculation , l’espoir fondé du succès mériterait bien les dé-

DANS LES DEUX SICILE S.

71

penses et les peines d’une tentative. Je n’ignore pas avec quelle jalousie le gouvernement espa- gnol veille à la propriété exclusive de cet in- secte ÿ mais cela n’a pas empêché que des voya- geurs français ne l’aient enlevé , et heureuse- ment transporté dans leur patrie. Si ce vœu était jamais réalisé en faveur de l’Italie 5 il contrarierait sans doute les vues politiques de la cour d’Es- pagnejmais un Italien , et sur-tout un philosophe libre, ne doit pas moins en desirer l’accomplisse- ment.

[ i

Les ressources que les Liparotes tirent de la pêche ne sauraient être plus faibles , non que les poissons leur manquent , mais bien les pê- cheurs et les instrumens nécessaires pour les prendre. Ils ne connaissent que l’hameçon , et ces grands filets appelés ramasses , que l’on déploie fort avant dans la mer , et que l’on ra- mène ensuite contre le rivage. Cette pêche n’a lieu que dans le port , encore s’y fait-elle rare- ment dans la belle saison $ l’hiver , quand les in- sulaires sont pour la plupart désœuvrés , ils s’y livrent davantage. J’ai assisté quelquefois à cette pêche , moins par curiosité que pour faire em- piète de quelques poissons pour ma petite table ; mais si le jour se trouvait malencontreux pour les pêcheurs , il était fort malheureux pour moi

E 4

/

VOYAGES

7 2

qui , attentif à tous leurs mouvemens , épiais mon dîner au fond de leurs filets.

Une autre pêche des insulaires est celle du corail , qui se fait en juin et en juillet autour de Lipari et de Yulcano. Elle me procura pendant mon séjour une branche de corail née sur un émail volcanique ^ morceau rare et curieux qui fut pris sous Je château de Lipari. Quinze barques sont employées à cette pêche \ mais , soit le dé**» faut des instrumens , soit la mal-adresse des pê- cheurs, elle est tout-à-fait misérable. Pendant le cours des deux mois indiqués , le produit de chaque barque montée par huit hommes , ne s’élève qu’à dix ou quinze rotoli de corail 5 le rotoli est de deux livres et demie , et la livre de douze onces.

Autrefois on allait le pêcher à la distance dix milles du port de Lipari , dans un endroit nommé la Secca di Santa Caterina ; mais quel- ques barquesy ayant fait naufrage, l’évêque d’alors , qui était Dominicain , fulmina une ex- communication contre toutes les barques qui auraient dorénavant l’audace de s’en approcher.

Dans mes excursions maritimes autour des îles Æoliennes, je n’ai jamais rencontré de ces céta- çées de moyenne grosseur que Von voit souvent

BANS LES DEUX SICILE S. 75

dans les autres parages de la Méditerranée , tels que des dauphins, sans doute parce qu’ils n’y trouvent pas la pâture qui leur convient. Seule- ment, un jour que la mer était calme, et que jenavigeais entre Panaria et Vulcano, je vis tout- à-coup sortir de l’eau un gros cétacée du genre des physétères. Au long étendard qu’il portait sur le dos , je le pris pour un tursione de Linné. Il nageait à peu de distance de ma barque , et je l’observai avec toute l’attention dont j’étais capable. Les matelots , comme les naturalistes, savent que les dauphins, les physétères et les baleines ont besoin de respirer de temps en temps , et mettent pour cela la partie supérieure de leur corps à la surface de l’eau ; alors , par un ou deux trous qui s’ouvrent sur leur tête, ils lancent en haut un ou deux jets d’eau, accom- pagnés de Texpiration de l’air qu’ils avaient pré- cédemment pris , et en inspirent du nouveau. Ce cétacée faisait de même chaque fois qu’il venait à flot ; il étendait sur l’eau la moitié de son corps , ce qui me donnait la facilité de le mesurer des yeux. Sa longueur était pour le moins de vingt- huit pieds , et sa plus grande largeur de sept. La nageoire de la queue en avait huit, et celle du dos en avait deux. Chaque expiration pro- duisait un sifflement d’air et d’eau , avec un jet qui s’élevait à la hauteur de huit à ne uf pieds

VOYAGES

74

Un moment avant que la projection se fît , la moitié du corps de l’animal était étendue sur l’eau , ensuite il replongeait lentement. Je pris la peine de noter l’intervalle qu’il mettait entre chaque jet : c’était presque toujours seize ou dix-sept secondes. Je me flattais d’avoir trouvé à-peu-près la mesure du temps que ce cétacée pouvait rester dans la mer sans avoir besoin de respirer, lorsque tout-à-coup, élevant vertica- lement sa queue et faisant le plongeon , il dis- parut sans qu’il me fût possible de le revoir. Certainement , s’il avait sorti sa tête pendant le gros quart-d’heure que je fus à sa recherche, il n’aurait pas échappé à mes regards attentifs , ni à ceux de mes bateliers , qui se portaient de tous côtés sur la surface tranquille des eaux. J’ap- pris par-là que ce physétère, dont l’organisation est en grande partie analogue à celle des ani- maux à mamelles, et qui se trouve comme eux dans la nécessité de respirer, peut cependant sus- pendre l’exercice de cette fonction , et en sup- porter plus facilement que les autres l'interrup- tion.

Si les animaux aquatiques apportent peu d’utilité aux Liparotes , les animaux terrestres ne leur ofFrent guère de plus grandes ressources. Ue bétail , gros et menu , est très-rare chez eux.

DANS LES DEUX SICILE S. J*>

La Sicile leur fournit le petit nombre de bœufs et de vaches qui se consomment dans leur île a encore sont-ils fort maigres : le manque de pâ- turage en est la seule cause; aussi la plus grande partie du sol cultivé se travaille à la main.

Les lapins sont les seuls quadrupèdes sauvages que le pays produit ; ils cherchent les lieux mon- tueux, et établissent leurs terriers dans les ma- tières volcaniques que leurs pieds peuvent creu- ser, telles que les tufFas. On les prend avec le furet , et cette chasse fait l’amusement des ha- bitans. Quoique ce petit animal soit originaire d’Afrique , il vit et se multiplie dans les parties méridionales de l’Italie. Il est de la grosseur d’un chat de moyenne taille ; sa physionomie parti- cipe de celle de la belette et de la fouine. Je l’ai vu très- familier à Lipari, et multipliant dans les maisons des habitans. Quand le chasseur veut s’en servir, il l’emporte dans une cage, et se fait suivre par son chien. Celui-ci est bientôt sur la trace du gibier , le poursuit jusqu’à l’entrée de sa retraite , et l’indique à son maître. Alors le chasseur met le capestro au furet ; c’est une espèce de muselière qui l’empêche de mordre , sans quoi il profiterait lui seul de la chasse , et laisserait sa victime dans le trou après avoir sucé son sang. Ainsi bridé , il ne fait que la vexer des

VOYAGES

76

pieds et des ongles , et la force de sortir pour se jeter dans un filet qui est à l’ouverture du terrier. Le furet vient après , et se laisse re- mettre dans sa cage. Ces lapins sont plus petits que ceux qui sont élevés dans la domesticité 5 ils ont le poil gris comme tous les lapins sau- vages. Ce n’est pas qu’ils aient une origine libre f car on se rappelle encore l’époque les pre- miers furent apportés par un paysan , et aban- donnés dans Pile , ils multiplièrent prodigieu- sement. Mais la nature, quoique corrompue et gâtée par les hommes , quand elle est rendue à la liberté, restitue aux animaux ces formes, ces habitudes du corps dont ils jouissaient dans leur état primitif.

Les oiseaux sédentaires à Lipari sont la per*, drix (1) , le verdier (2) , le pinson (3) , le char- donneret (4) , la chouette (5) et le corbeau (6). Ce dernier habite pour l’ordinaire les champs cultivés qui sont auprès des Etuves , et niche sur les rochers les plus escarpés , qui ne le sont

(1) Per dix. Lin.

(2) Loxia chloris. Lin.

(3) Fringilla domestica. Lin.

(4) Fringilla carduellis . Lin»

(5) Scops. Lin.

(6) Corvus corax. Lin.

DANS LES DEUX SICILE S. 77 pas assez pour qu’on ne puisse leur enlever quel- quefois leurs petits.

Quant aux oiseaux errans , je n’en ai pas vu un seul. On met dans ce nombre les diverses espèces de lari et le pélican charbonnier (1) , qui vont et viennent à la quête de leur pâture, et quittent indifféremment l’eau salée des mers pour l’eau douce des rivières et des étangs. Ra- rement ils se montrent dans les îles Æoliennes , ainsi que les autres oiseaux aquatiques.

Il n’en est pas de même des oiseaux de pas- sage. Les tourterelles (2) et les cailles (3) ar- rivent en avril , et s’arrêtent pendant quelques jours : elles reviennent en septembre pour quel- que temps encore. Les hirondelles font plus , elles nichent. On en compte diverses espèces : l’hirondelle domestique (4) , l’hirondelle de fe- nêtre (3) , le martinet commun (6) et le grand martinet (7). Ces deux derniers font leurs nids

(1) F. Carbo. Lin.

(2) Columba turtur. Lin.

(3) Tetrao coturnix. Lin.

(4) Hirundo rustica. Lin.

(5) Hirundo urbica. Lin.

(6) Hirundo apus. Lin.

(7) Hirundo melba . Lin*

VOYAGES

?8

dans les fentes des rochers et des murs les plus élevés de la ville. Quand je quittai Pile , c’était le i5 octobre, il restait encore quelques hiron- delles de la première et de la quatrième espèce. Je dois observer que , deux jours auparavant, il était survenu une tempête accompagnée d’é- clairs, de pluie et de grêle 5 et que le lendemain au point du jour, j’avais vu une centaine d’hi- rondelles domestiques se rassembler au-dessus du château de la ville , et partir avec un vent de sud-ouest. Le thermomètre de Réaumur mar-* quait ce jour-là i5° au-dessus de zéro.

En causant avec l’abbé Trovatini , et d’autres insulaires , des habitudes de l’hirondelle, quel- qu’un raconta un fait que j’avais déjà ouï dire à Stromboli , et auquel je reviendrai alors que je traiterai particulièrement de cette île. Ce fait est que dans l’hiver, quand les jours sont sereins et rians , et qu’il souffle un vent du midi , tantôt l’une , tantôt Pautre des quatre espèces d’hiron- delles indiquées , apparaissent dans les rues de Lipari , volent ras-terre , et se font tuer par les enfans armés de longues verges. Les deux pre- mières se laissent prendre à l’hameçon. Les en- fans cachent ce piège sous une plume attachée à un fil qui pend à l’extrémité d’un roseau ; ils se cachent eux-mêmes derrière l’angle d’une

DANS LES DEUX. SI CI LE S. ?9 maison , agitent la plume , et la font voltiger en Pair. L’oiseau porté par instinct à saisir les ^*n- sectes volans , croit en voir un , accourt , ouvre le bec , et reste pris au piège.

D’après cela, il est bien certain que ces hiron- delles , à l’approche de l’hiver, ne passent pas en Afrique , comme on le croit communément, mais qu’elles s’arrêtent dans cette île, et sortent de leurs retraites dans les beaux jours de l’hiver, pour se mettre à la quête des insectes.

En navigeant autour de Lipari , j’ai vu une cinquième espèce d’hirondelles , celles de ri- vage (i), qui font leurs nids au bord des fleuves, et quelquefois de la mer. Elles tournoyoient au- tour d’un rocher de tuffa battu par les flots : les unes entraient dans les trous qu’elles y avaient pratiqués , les autres en sortaient. Cette espèce paraît dans l’île au mois de mars, et en disparaît au mois d’octobre.

Je comptais réunir ces observations , et d’autres recueillies en divers endroits de la Sicile, à celles que j’ai faites dans la Lombardie sur ce genre de volatiles, et les présenter ici en un seul corps; mais étant revenu depuis au même sujet , j’ai

(1) j Hirundo riparia. Lin.

8o

V 0 Ÿ A G Ê S

cru devoir , par de nouvelles expériences, jeter quelque lumière sur une question de physiologie qui est devenue un sujet de controverse parmi les naturalistes , savoir si le froid fait tomber les hirondelles en léthargie , question que j’avais déjà touchée dans divers mémoires sur la physique végétale et animale. J’ai étendu mes recherches à d’autres animaux à sang chaud dont l’organi* sation est susceptible de cette modification, prin- cipalement durant l’hiver , tels que le hérisson commun (1) , la marmotte (2) , la taupe mus- cardine (3) , la chauve-souris (4); et mon travail s’est si fort accru , que je suis forcé de le pu- blier à la suite de mes voyages, dont il sera le complément.

Revenons à Liparî. Depuis quelque temps les mariniers se livrent à un petit commerce exté- rieur; plusieurs d’entre eux font trafic de galant teries > comme ils disent , à la foire de Siniga- glia 5 ils achètent des toiles , des mousselines , des voiles , et autres marchandises du même genre , pour la valeur de treize à quatorze mille

(1) Brinaceus europœus . Lin.

(2) Mus marmota . Lin.

(3) Mus avellanarius . Lin*

(4) Vespertilio . Lin«

onces

Ü ANS LES DEIÎX SIC ILES. 8l Onces sicilienpes , et ils les vendent à Messine , à Catane , à Païenne, et autres lieux de la Sicile. Si le profit de ce commerce retourne à Lipari , et enrichit quelques matelots ■> il diminue d’un autre côté la pêche , qui devrait être une source naturelle de richesses pour l’île , et renchérit beaucoup le prix du poisson.

On lit dans Strabon , Diodore et Dioscoride , que l’extraction du sulfate d’alumine faisait une partie considérable des revenus de l’île : aujour- d’hui l’on n’y recueille pas une parcelle de ce seL J’en ai vu quelques efflorescences en divers en- droits que j’ai indiqués , mais en si petite quan- tité, qu’elles ne valent certainement pas la peine d’être ramassées. Sans doute la veine de ce mi- néral s’est épuisée ou perdue , à moins que l’on ne suppose , avec plus de probabilité , que les insulaires le tiraient de l’îie voisine de Vulcano , qui en est abondamment pourvue.

L’état civil de Lipari est Composé d’un juge criminel , du fisc , d’un gouverneur militaire qui est pour l’ordinaire un vieux invalide , et d’un juge civih

Un évêque , dix-huit chanoines du premier ordre, quatorze du second , cent vingt à cent trente prêtres , forment l’état ecclésiastique.

Tome ÏV\ F

02

VOYAGES

Ce n’est pas le talent qui manque aux Lipa- rotes , c’est l’instruction et l’enseignement. En général ils ont l’esprit prompt et vif, une con- ception facile, et de l’ardeur pour s’instruire. Si quelque étranger de mérite aborde chez eux , ils s’empressent à l’interroger pour profiter de ses connaissances. Ils s’offrent volontiers à l’accom- pagner par- tout , lui montrent avec satisfaction leurs étuves , leurs bains 5 aucun d’eux n’ignore que leur pays est l’ouvrage du feu. On y dispute de la patrie d’Æoîe , comme en Grèce de la patrie d’Homère : chaque île le réclame pour elle. Les Liparotes sont persuadés que leur ville était le siège de son^petit empire ; et ceux qui ont quel- que teinture de belles-lettres, savent, au besoin, alléguer en leur faveur l’autorité d’Homère.

Là, point de mendians : les plus pauvres habi- tans ont encore un petit champ qu’ils cultivent et qui les nourrit.

En général ils sont robustes et forts ; ils ont la taille haute et bien prise 5 dans l’enfance ils portent une figure agréable , un teint vif et ani- mé ; mais cette fleur de l’âge tendre, même chez les femmes , se flétrit de bonne heure 5 exposés aux rayons d’un soleil brûlant , ils en reçoivent l’empreinte , et l’incarnat de leur visage se change en couleur de bronze.

DANS LES DEUX SICILE S. 85 Ainsi que dans l’ancienne Grèce , c’est une honte à Lipari , et dans les autres îles , de ne pas savoir nager , manier une rame , gouverner un bateau. Les prêtres , sur-tout , sont très-ha- biles dans cet art ; la plupart, ainsi que les mate- lots, portent sur leurs bras et leurs mains l’image d’un crucifix , ou de quelque saint , tracée en noir. J’ai vu un homme très-opulent , revêtu du titre de baron et marqué de ces signes indé- lébiles , parce qu’autrefois il exerçait l’état de matelot.

La ville de Lipari est petite , ses rues sont très- étroites 5 on voit quelques canons sur les murs de son château , qui n’est d’ailleurs gardé que par une faible garnison. Les maisons ont un air pauvre et mesquin ; on n’y compte que trois édifices un peu apparens : Le logement de l’évê- que , celui du gouverneur et l’église cathédrale, qui renferme un mobilier précieux , des vases , et entr’autres une belle statue d’argent de son patron S. Barthélemi , le tout provenu des lar- gesses du peuple , et estimé quatre-vingt-dix mille écus napolitains.

STROMBOLI est situé sous le même degré de latitude que Lipari, c’est-à-dire, sous le trente* huitième ; la chaleur y est cependant plus

F a

VOYAGES

84

vive en été, sur-tout près de la mer 5 cela pro- vient de la grande quantité de sable répandu à sa surface , qui, échauffé parles rayons du soleil , produit une réverbération très-forte ; du moins je ne me suis point apperçu que le volcan con- tribuât à cette surabondance de chaleur ^par- tout où Ton creuse la terre , excepté dans le voi- sinage du volcan , on îa trouve moins chaude dans l’intérieur qu’à la superficie.

L’hiver n’y est point rude ; jamais de gelée j s’il tombe un jour de la neige , ce qui arrive ra- rement , elle fond le lendemain j sa plus grande hauteur , quand elle prend terre , est de deux pouces 5 une chute de neige de la hauteur d’une palme , qui eut lieu au mois de novembre , il y a quelques années , fut regardée dans cette île comme un phénomène extraordinaire qui a fait époque $ mais sur la montagne ce météore se montre plus souvent ; la cime en reste quelque- fois blanchie pendant deux semaines , ce qui prouve que son élévation au-dessus du niveau de la mer est encore considérable.

La mer autour de Stromboli est tempétueuse. Je vais citer un fait qui montre combien ses ondes se soulèvent quand elle est agitée. A un mille du rivage ,' au nord-est , gît un rocher nommé la pierre de [Stromboli , terminé par des pointes

1 /n , *?; 1 / v .

BANS LES DEUX SICILE S. 85 aiguës et tout d’un seul morceau ; sa base , me- surée au niveau de l’eau , a un quart de mille , de circonférence ,'et sa plus grande hauteur trois cents pieds. C’est une masse de lave qui pro- bablement tenait autrefois au rivage , et en a été séparée par des coups de mer. Dans les tem- pêtes , les vagues atteignent la moitié de la hau- teur de ce rocher , et des insulaires m’ont assuré qu’ils les ont vues en deux occasions s’élever par-dessus son sommet. L’agitation de la mer n’étant que l’effet de celle de l’air , on conçoit comment elle devient extrême dans le voisinage de Stromboli , les vents sont plus violens , et produisent des tourbillons qui dévastent Pile , emportent les plantations , et enlèvent quelque- fois les bateaux amarés à la côte. C’est pour se garantir autant qu’ils peuvent de ces terribles ouragans , que les insulaires donnent le moins d’élévation possible à leurs maisons.

Le rivage n’a ni port ni anse pour servir de refuge aux gros navires $ ils cherchent alors un abri sous le vent de l’île , et courent risque de couler à fond quand ils veulent éviter d’échouer sur le sable ; mais les felouques de l’île étant légères , on les tire aisément à terre , et on les remet en mer avec la même facilité.

I -

Le poisson est abondant, volumineux, sur-

F 3

i

VOYAGES

86

tout le congre et la murène. Je suis resté peu de jours , mais j’ài vu des coups de filets qui ont rapporté plus que toutes les pêches réunies des autres îles pendant le temps que j’y ai de- meuré. Ces poissons sont excellens $ leur abon- dance provient apparemment de la chaleur que les bases d’un volcan , brûle depuis tant de siècles un feu perpétuel , doivent communiquer aux eaux environbantes de la mer. Vivant dans une température douce et plus propre à la re- production des espèces , il ne faut pas s’étonner s’ils multiplient davantage. Cependant les insu- laires n’en font pas ub objet de commerce 5 ce qu’ils en prennent ils le consomment dansl’île, et cette ressource est encore plus agréable aux étrangers qu’à eux , qui préfèrent en général la viande salée.

On voit ici les mêmes végétaux qu’à Lipari y et dans la même proportion. Le plus grand profit des habitans est dans la vente de leur malvoisie qu’ils portent dans cette île capitale , ils trouvent aisément à s’en défaire. Les vignes qui produisent la passola,la passolina et la malvoisie, sont situées au bord de la mer , celles qui font le vin ordinaire tapissent les flancs de la mon- tagne. Dans les sites les plus élevés , on les en- toure de fortes palissades pour les défendre des

DANS LES DEUX SICILE S. 87

vents. On ne les marie pas aux arbres , mais on les taille en vignobles. Elles forment une zone qui s’étend du nord à l’est , et toutes sont plantées dans le sable volcanique.

Les habitations des insulaires semblent sortir de terre, et n’offrent qu’un assemblage confus de cahutes et de cabanes de pêcheurs. On y compte environ mille âmes; cette population qui s’accroît depuis quelques années , étend le défrichement des bois et des terres stériles. Le volcan ne leur inspire aucune crainte 5 ne voyant jamais sortir de son sein de ces torrens de laves qui portent au loin la dévastation , comme ceux du Vésuve et de l’Etna, ils contemplent sans inquiétude ses éruptions.

Le voyageur Bridone n’osa point aborder dans cette île , craignant , dit-il , d’être attaqué par ses habitans à demi-sauvages. Cette prévention n’avait aucun fondement jDolomieu en a été bien reçu , et moi-même je n’ai qu’à me louer de leur accueil. Le caractère de ces insulaires est celui de tous les hommes qui vivent loin des grandes villes et daus l’isolement. Leur cœur n’est point corrompu , et dans leur simplicité , ils ne cher+ chent point à étendre le petit nombre de connais- sances qu’ils ont acquises , et qui suffisent à leur bonheur. Leur plus grand voyage est à Lipari :

F 4

VOYAGES

88

cette ville , toute petite qu’elle est > leur paraît très-grande , et fait le sujet de leur admiration.

Sur le penchant de la montagne , vers l’est, et à peu d’élévation , on trouve une petite source d’eau douce qui serait loin de suffire aux besoins des habitans , si à quelque distance de là, il n’en jaillissait une autre plus considérable , et qui ne tarit jamais 3 sans ce secours le pays ne pourrait subsister , car les citernes s’y dessèchent durant les ardeurs de l’été. Doîomieu, qui a visité ces sources, pense qu’elles n’ont point leur réservoir au sommet de la montagne , qui n’est composé que de sable , de pierres poreuses incapables de retenir l’eau 5 selon lui , elles sont produites par l’évaporation de ce fluide que le feu occasionne dans l’intérieur du Stromboli 3 arrivées à une cer- taine hauteur , ces vapeurs se condensent comme dans un chapiteau , et rendues à leur état primi- tif, elles s’écoulent par divers canaux , et se réu- nissent au pied de la montagne. Cette explication est ingénieuse et satisfaisante^ cependant on peut également , sans s’écarter de la vraisemblance , supposer que ces sources ont leur intarissable réservoir, non au sommet de la montagne , que les eaux de la pluie pénètrent si facilement, mais dans les cavernes de l’intérieur , elles se réu- nissent et se conservent. Il ne serait pas raison-

DANS LES DEUX SICILE S. 89

nable d’objecter que le feu volcanique réduirait en vapeurs ces amas d’eau , attendu qu’ils peu- vent se trouver placés bors de la spbère de son activité , comme les deux fontaines qui jaillissent à un mille de distance du cratère 5 en effet, on ne découvre dans leurs environs aucune trace de soupiraux et de fumées , malgré la porosité du sol. Au reste , il n’est pas rare de trouver dans les îles de la mer des sources qui ne tarissent point; pourquoi chercherait-on à celles-ci une explication toute particulière , quand on peut leur appliquer la cause générale qui produit ce phénomène ?

Stromboli n’est habité par aucun oiseau sta- tionnaire ; on a essayé d’y faire nicher des per- drix , mais sans succès. Les lapins ont mieux réussi ; transportés anciennement dans cette île , rendus à leur instinct naturel et à leur état d’in- dépendance , ils ont établi leur domicile dans les parties boisées de l’île : ils n’ont à craindre que le fusil ou le furet du chasseur.

Les oiseaux de passage sont les mêmes qu’à Lipari. Dans les premiers jours d’octobre , j’y ai vu voler trois hirondelles de cheminée , et les habitans m’ont assuré qu’elles reparaissaient pendant l’hiver , quand il soufflait un vent chaud.

VOYAGES

V U L C AN O n’est point habité et ne l’a jamais été , selon toute apparence : sans doute les érup- tions de ses feux en sont la seule cause. Cette île n’en a pas moins été , dans un temps , fort utile au commerce de Lipari 5 s’il en faut croire Pierre Campis , l’historien de cette ville , ses habitans en tiraient annuellement quatre mille cantara de soufre , et six cents de sulfate d’alu- mine. J’ai parlé plus haut de ce soufre , et de la difficulté actuelle de le recueillir 5 l’extraction du sulfate d’alumine n’est pas moins difficile, à cause des nombreuses fuihées sulfureuses et de la forte chaleur qui s’exhalent de la terre par- tout où ce sel abonde , ce qui me ferait croire qu’au temps la récolte s’en faisait , Pétat volcanique de cette île était différent de celui nous la voyons aujourd’hui. Mais cette terre abandonnée pourrait apporter aux Liparotes un avantage plus réel et plus durable, s’ils y faisaient des plantations utiles dans la partie du sud, où, depuis très - long - temps , les feux souterrains n’ont porté aucune atteinte. , on trouve une lave ramollie , à demi pulvérisée , semblable à celle de Stromboli , l’on a planté des vignes avec succès. Cette pensée n’était point étran- gère à l’abbé Trovatini et à l’évêque dont j’ai parlé : iis s’y complaisaient. Etablir dans Vulcano un système de culture , semer du blé , planter

DANS LES DEUX SICILE S. 91 des vignes et des arbres fruitiers , tel était leur projet favori. L’évêque avait encore une autre idée qu’il me communiqua, et à laquelle j’avoue que je ne m’attendais pas ; il voulait y faire construire un séminaire pour douze jeunes pay- sans qui se destineraient au service de sa ca- thédrale et des églises des autres îles , parce que , disait-il , étant nés et élevés dans le pays , ils en seraient plus propres à bien s’acquitter de leurs fonctions. Je ne sais si ces louables projets se sont réalisés après sa mort; mais comme les successeurs sont pour l’ordinaire peu disposés à suivre les vues de leurs prédécesseurs , j’ai peur que Vulcano ne reste encore long-temps dans son état de stérilité et d’abandon.

DIDYMA, ou, comme on l’appelle aujour- d’hui , les Salines y ofFre un aspect bien diffé- rent ; ses rivages sont meublés de maisons, et ses champs étalent des vignobles qui ne le cèdent point en qualité à ceux de Lipari.

A peu de distance de la mer , près Sainte- Marie , est une fontaine d’eau douce qui flue continuellement. Si ^a chaleur de certaines sources ne dénote pas toujours la présence d’un volcan , elle est du moins le signe d’une effer- vescence souterraine. J’ai éprouvé celle-ci avec

VOYAGES

CJ2

un thermomètre, mais j’ai trouvé qu’elle était de deux degrés et demi moins chaude que l’atmo- sphère (1). Autrefois elle sourdait presqu’au ni- veau de la mer, qui se mêlait souvent à ses eaux, et en rendait alors l’usage inutile aux habitans. Cet inconvénient ne subsiste plus depuis que l’on a fait une coupure verticale au rivage , par le moyen de laquelle elle débouche à quinze pieds plus haut. Telle est son abondance , qu’elle four- nit cinq jets , chacun d’un pouce de diamètre environ , chose extraordinaire dans une petite île volcanique. L’ancienne et fausse opinion que les sources et les fleuves dérivent immédiatement de la mer , n’ayant plus de partisans , personne ne contestera que celle-ci ne doive son origine aux eaux pluviales qui tombent annuellement sur cette île 5 cependant à l’époque de mon arri- vée , neuf mois s’étaient écoulés sans une goutte de pluie , et cette sécheresse n’avait point dimi- nué le volume de la source. Comment expliquer ce phénomène ? Je pense qu’un pays travaillé

(1) Je remarquerai à cette occasion , qu’à la réserve de quelques sites particuliers de Stromboli, Yulcano , Lipari , et d’une fontaine de Félicuda , le thermomètre ne m’a point indiqué que les îles Æoliennes , toutes choses égales d’ailleurs , soient plus chaudes que Messine , les côtes de la Calabre , et autres pays volcaniques circon- voisins. Note de V auteur.

DANS LES DEUX SICILE S. C)5' par le feu renferme de nombreuses et vastes cavernes qui reçoivent , se communiquent , et conservent les eaux de l’atmosphère. En sup- posant qu’une source ait son issue sous une de ces cavernes , qui en soit le réservoir commun , je conçois comment elle en tire un aliment per- pétuel , tant que la quantité d’eau qui s’écoule ne surpasse pas celle que les nuages amassent chaque année dans le pays. Cette explication convient également à la fontaine de Stromboli , dont il a été question plus haut.

En décrivant les produits volcaniques de l’an* cienne Didyma , j’ai observé qu’elle portait le nom de Salines > à cause du muriate de soude que l’on en retire. Voici la manière dont se fait cette exploitation. Sur la plage , entre l’est et le sud , se présente un lac dont le circuit est d’environ un mille ; il n’est séparé de la mer que par une espèce de digue formée des laves que les flots ont amoncelées , et tout porte à croire qu’autrefois c’était un petit golfe dont l’entrée fut ainsi bouchée , non -sans qu’il ne se conservât une communication entre ses eaux et celles de la mer. Ce lac paraît très-ancien 5 il a été long-temps négligé. En 1700 5 on voulut en tirer parti , et l’on fit venir un habitant de Trepani en Sicile 5 exercé dans Tart des salines.

g4 VOYAGES

Il commença par mettre le lac à sec, et le divisa ensuite en trente carrés , avec leurs bords ex- haussés , pour recevoir l’eau jusqu’à une hauteur donnée, La chaleur du soleil en causait peu à peu l’évaporation , et il restait , sur les parois et le fond de chaque carré, une couche de sel que l’on recueillait. Ce procédé a été suivi jusqu’à présent , et a fourni par année deux ou trois récoltes suffisantes pour les besoins des habitans de toutes les îles Æoliennes.

Les insulaires de Didyma , en me donnant ces détails , me racontèrent un fait qui mérite d’être rapporté. Une violente bourasque ayant poussé la mer dans le lac , elle y laissa des poissons que nous appelons muge > qui continuèrent à y vivre et à y multiplier , malgré l’excessive salure qui fut la suite de son évaporation. On les pêcha au bout de quelque temps , et on les trouva de très- bon goût. Cette particularité me causa d?autant plus de surprise , que j’avais observé quelques années auparavant près de Carrare, à l’embou- chure du fleuve Magra , que cette même espèce de poisson se plaisait dans les lieux les eaux du fleuve se mêlant à celles de la mer, étaient à peine saumâtres : c’est que les pêcheurs ten- daient leurs filets pour les prendre. Cependant il est une multitude de poissons marins qui ne

BANS LES DEUX SICILE S. g5 sauraient vivre dans des eaux plus salées que leur propre élément. A Chiozza , près de Venise , j’en ai éprouvé qui périssaient promptement en les mettant dans une eau saturée de sel comme celle du lac de Didyma , et employée au même usage. Cette variété de tempérament dans des êtres destinés à peupler les mers résulte sans doute de la diversité de leur organisation; si nous ignorons en quoi elle consiste , c’est moins peut-être par la difficulté de le découvrir , que par l’insuffisance de nos recherches dans cette partie de leur éco- nomie animale.

FÉLICUDA et ALICUDA se présentent les dernières à l’ouest. Les maisons de Félicuda sont éparses en divers endroits de l’île ; elles con- tiennent environ six cents habitans. Celles d’Ali- cuda, la population est plus faible, n’occupent que la partie de l’est et du sud-est; le reste de l’île n’cffre que des rochers , des ruines et des précipices. Les maisons, ou, pour mieux dire, les cabanes , ainsi que les presbytères de ces deux îles , sont bâtis , non au pied de la mon- tagne , ce qui paraîtrait plus naturel , mais vers le milieu du sommet. Je ne pouvais comprendre cette préférence donnée à des sites aussi âpres et aussi rapides , tandis que vers les bords de la

VOYAGES

9S

mer , dans l’une et l’autre île , il régnait des plans doucement inclinés qui auraient inviter les habitans à s’y établir $ mais ils m’apprirent que Félicuda et Alicuda , se trouvant par leur éloigne- ment hors de la protection de leur capitale , l’île de Lipari, elles étaient anciennement infestées de corsaires turcs , sur-tout de tunisiens , qui y dé* barquaient à la faveur des ténèbres , surpre- naient dans le sommeil les insulaires qui habitaient le bord de la mer, et les emmenaient captifs, après les avoir dépouillés de tout ce qu’ils possé- daient. Ces attaques nocturnes se sont renou- velées, même de nos jours, dans les deux rivières de Gênes. Les habitans de Félicuda et d’ Alicuda se virent donc obligés de transporter leurs de- meures sur les hauteurs , le danger était moins grand. Bien que les îles Æoliennes soient encore exposées à l’invasion de ces pirates, on les reçoit parfois de manière à leur ôter l’envie d’y reve- nir 3 toujours est-il prudent d’y placer les habi- tations sur les lieux élevés d’où l’on peut signaler leurs manœuvres. Voilà pourquoi on tient sur la montagne de la Garde , à Lipari , une sentinelle qui veille jour et nuit : malgré ces précautions, on tombe quelquefois dans leurs pièges. Cachés derrière un rocher , un promontoire , ou une pointe de terre , dès qu’ils apperçoivent un petit bâtiment, ils tombent dessus à l’improviste , s’en

saisissent 3

DANS LES DEUX SICILE S. 97 saisissent, l’amarent à leur galère, mettent toutes leurs voiles au vent s’il est favorable , ou fendent les flots avec leurs rames , et gagnent la haute mer en se moquant des pleurs et des supplica- tions des malheureux qu’ils ont déjà chargés de chaînes. J’avouerai qu’en navigeant dans ces pa- rages , j’ai eu quelqu’inquiétude sur ma propre sûreté ; il ne m’était point agréable de penser que je pourrais bien aller faire , sur les cotes d’Afrique, des observations d’un genre tout diffé- rent de celles qui étaient l’objet de mon voyage.

Le figuier d’Inde, l’olivier, la vigne , croissent dans Alicuda et Félicuda. Il ne s’y trouve pas les espèces de raisins qu’on nomme dans les autres îles malvoisie y passola et passolina $ mais on Fait du bon vin avec celle du pays*

On recueille aussi de l’orge et du froment. Ces deux récoltes , y compris le produit de la vigne, peuvent s’évaluer à la somme de trois mille écus napolitains pour les habitans d’Alicuda, et à un tiers de plus pour ceux de Félicuda. Elles suffisent à la consommation des premiers 5 mais elles ne satisfont pas aux besoins des seconds , attendu qu’une bonne partie de leurs terres ap- partiennent aux Liparotes.

Il est difficile d’imaginer l’industrie, la patience

tfome G

VOYAGES

98

que les Alicudois apportent dans la culture de leur île. A peine y trouve-t-on un espace de terre labourable de l’étendue de quelques perches qui ne soit entrecoupé de pointes de rochers , de blocs de laves , de crevasses 5 cependant ils n’en perdent rien ; ils piochent dans tous les coins\ et recoins , ils mettent tout à profit ; aussi les Li- parotes disent en plaisantant que les Alicudois travaillent leurs terres avec la pointe d’un cou- teau. Quoi qu’il en soit , ils font de leurs blés îe meilleur pain qui se mange dans les îles Æo- liennes.

Les habitans d’Aliçuda et de Félicuda s’oc- cupent peu de la pêche, et n’emploient que l’ha- méçon. Le nombre de leurs bateaux pêcheurs ou de transport se réduit à trois ou quatre pour la première île , à cinq ou six pour la seconde; quand ils s’en sont servis , ils les tirent sur le rivage , et les y laissent tant qu’ils n’en ont pas besoin. Un ou deux de ces bateaux appartien- nent à leurs curés , qui les louent aux voyageurs^ et font l’office de pilotes , et même de rameurs dans l’occasion ; ces bons prêtres vont aussi à la pêche , et tâchent par ces moyens de suppléer à la modicité de leur revenu , qui n’est que d’en- viron douze sequins pour chaque paroisse.

A Félicuda , quand le mari ou la femme mou-

BANS LES DEUX SICILE S. 99 raît , les plus proches parens accompagnaient le défunt à l’église en manifestant une douleur im- modérée. A peine les obsèques étaient termi- nées , qu’ils se jetaient sur le corps , l’embras- saient, le baisaient, lui parlaient à haute voix, et lui donnaient des commissions pour l’autre monde. Cet usage ridicule , mais qui n’est pas nouveau , a été supprimé par le curé actuel.

On ne voit pas couler un seul filet d’eau vive et potable dans les deux îles : les habitans ont recours à des citernes , et sont exposés à beau- coup souffrir si les pluies viennent à manquer pendant plusieurs mois.

Ils tiennent à grande faveur d’être exempts de toute espèce de serpens : chaque île prétend au même privilège ; et en effet , je n’y ai pas rencontré un seul de ces reptiles. La raison en est simple; ces animaux ne sauraient exister dans des lieux les insectes dont ils font leur nourri- ture principale sont extrêmement rares; et ceux- ei n’y multiplient pas , parce qu’ils ne trouvent ni herbes , ni plantes qui les fassent vivre.

Quant aux autres amphibies , je n’ai apperçu que le lézard gris et verdâtre (1). Quelques sau-

G 2

(1) Lacerta agilis. Lin.

100 VOYAGES

terelles , la fourmi-lion , qui creuse ses pièges dans la poussière des laves et des ponces (1), sont les seuls insectes que j’aie rencontrés.

Mais un avantage plus réel pour tous les in- sulaires, c’est l’exemption de toute imposition royale : ils paient seulement la dîme à l’évêque : les Liparotes en sont même dispensés.

Dans un état si pauvre , et en apparence si misérable, ils trouvent pourtant le contentement de l’ame. Ulysse n’aimait pas mieux son Ithaque qu’ils n’aiment leurs chères Æoliennes ; ils ne les changeraient pas pour les îles Fortunées. Souvent je suis entré dans leurs cabanes, qui ressemblent plus à des nids appliqués contre les rochers qu’à des habitations humaines 5 une lumière pâle , incertaine comme celle qui pénètre dans les ca- vernes , y laissait à peine distinguer les objets. Souvent j’ai assisté à leurs repas , les mets les plus grossiers étaient étalés sur de petites tables brutes , et le plus souvent sur la terre toute nue , qui servait à-la-fois de siège aux convives. Du pain d’orge , des fruits sauvages , un peu de poisson salé et de l’eau pure, s’offraient pour appaiser leur faim. C’est ici le séjour de la misère et de la douleur, disais-je en moi-même la pre-

(1) iïlyrmeleon formicarium. Lin,

loi

DANS DES DEUX SICILE S. mière fois que je contemplai cette vie indigente 3 mais en l’examinant de plus près , je découvris sous ces toits de chaume, et auprès de ces alimens grossiers , un bonheur digne d’envie, que l’on ne trouve ni dans les palais des grands , ni à la table des rois; je veux dire une hilarité qui brillait sur le visage de ces pauvres gens ; une paix , une joie intérieure qui inondait leurs cœurs , et se répandait autour d’eux. Ces cabanes , que des hommes opulens n’eussent regardées qu’avec mé- pris ou pitié, protégeaient leur repos; et ces mets qu’ils eussent rejetés comme insipides , assaison- nés par la faim et la soif, étaient pour eux pleins de goût et de saveur.

Mais ce qui contribue à attacher si fortement ces insulaires àleur patrie, c’est sans doute l’heu- reuse influence du climat , et la pureté de l’air si nécessaire pour conserver en nous cette harmonie entre les fluides et les solides qui constitue l’état de santé. Je puis me citer pour exemple: malgré mes courses fatigantes et continuelles sur les rochers de ces îles ; malgré mon âge avancé , qui devait meles rendre encore plus pénibles, je me sentais une énergie , une vigueur de corps et d’esprit , une agilité , enfin un bien-être dans toute ma personne que je n’avais jamais éprouvé nulle part, si ce n’est sur le sommet de l’Etna. Je jouissais

G 5

102

VOYAGES

sur-tout de cette liberté d’esprit , de ce dégage- ment des sens qui me permettait de penser, de réfléchir à toute heure , à tout moment ; d’écrire mes observations quand elles se présentaient , tan- dis que dans une atmosphère infectée de vapeurs grossières, je suis incapable de toute application après mes repas. Quelle différence, me disais- je alors , entre Pair pur , Pair céleste que je respire ici, et celui des plaines marécageuses de la Lom- bardie, environnées d’eaux stagnantes et corrom- pues , qui enfantent d’épais nuages pendant l’hi- ver, et des fièvres dangereuses pendant Pété; le corps et l’esprit s’engourdissent également ; , pour surcroît de tourment et d’ennui , des armées de grenouilles chantent nuit et jour, et assourdissent les oreilles de leur voix rauque et glapissante !

DANS LES DEUX SICILE S.

CHAPITRE XXV.

Voyage à Messine . Etat de cette ville après les tremblemens de terre de iy83. Détails concernant cette horrible catastrophe.

J e fis mes adieux aux îles Æoliennes le i4 oc- tobre , et je m’embarquai dans une felouque de Lipari pour me rendre à Messine. Ce trajet , qui n’est que de trente milles , m’occupa un jour entier , soit parce que je m’arrêtai pour exami- ner les granits de Melazzo,soit parce que le vent manqua , et qu’il fallut employer la rame. Si la partie de la Sicile que je côtoyais ne me montrait point dans sa structure le travail du feu, elle m’en rappelait toujours le dangereux voisinage et les conséquences funestes , je veux dire ces trem- blemens de terre qui se font sentir dans les envi- rons des volcans , et en sont l’effet prochain ou éloigné.

Quelle île en a plus souffert que la Sicile, et cela par la raison qu’elle renferme dans son sein les feux de l’Etna ? Le souvenir du bouleversement qu’elle essuya en 1785 était encore présent à

G 4

VOYAGES

loi

tous les esprits , on se montrait du doigt les lieu^ qui en avaient été le théâtre \ on s’en redisait avec effroi les fatales circonstances , et P on croyait encore assister à ces scènes de désespoir. En en* trant dans le détroit de Messine , quelques Sici- liens qui voyageaient avec moi, m’avertirent que je passais devant une plage un peuple entier avait trouvé sa ruine : c’était le rivage de Scylîa. Une forte secousse s’étant fait sentir le 5 février à midi , tous les habitans de l’endroit s’y réfu- gièrent ; ils croyaient être en sûreté , lorsqu’à la huitième heure de la nuit , selon le calcul ita- lien , une secousse plus terrible que la précédente souleva les eaux à une hauteur formidable , et les précipita sur le rivage. Ainsi furent englouties plus de mille personnes, hommes, femmes et enfans , avec le prince de l’endroit , sans qu’il en échappât un seul qui pût retourner à leurs maisons désertes , et y pleurer le malheur de ses compatriotes. Ces vagues furieuses s’avancèrent dans le détroit , et roulant jusque dans le port de Messine , elles coulèrent à fond les vaisseaux qui étaient à l’ancre,

A mesure que j’approchais de cette ville, j’en découvrais les désastres. L’enceinte de son port, qui offrait auparavant une suite continue de su- perbes palais à trois étages , nommée la Palazr

DANS LES DEUX SICILES. lo5 zata y dont l’aspect était magnifique , cette en- ceinte ne présentait plus que des ruines. L’étage supérieur, et une partie de celui du milieu étaient renversés ; l’inférieur subsistait encore , malgré ses murs entr’ouverts par de larges et profondes crevasses.

Mais combien ma tristesse redoubla quand je fus entré dans cette cité naguère si florissante ! A la réserve des rues les plus larges et les plus fréquentées , toutes les autres étaient encom- brées des débris de maisons qui en bouchaient le passage. La plupart de ces maisons étaient encore dans le même état les tremblemens de terre les avaient laissées : celles-ci détruites jusque dans leurs fondemens , celles-là à moitié renversées, et se soutenant pour ainsi dire en l’air sur leurs propres ruines. Quelques-unes avaient échappé à la destruction générale 5 mais les murs en étaient si endommagés , qu’elles semblaient ne se tenir debout que par miracle. Des édifices publics, celui que l’on nomme le Dôme souffrit le moins ; il est spacieux , d’une architecture gothique 5 on y voit plusieurs colonnes de granit tirées d’un temple grec antique qui existait au» trefois sur le phare , et d’élégantes mosaïques faites avec les plus beaux jaspes de la Sicile.

Le nombre des bâtimens qui s’écroulèrent fut

lc6 VOYAGES

si considérable, que les Messinois se virent forcés de camper dans des baraques de bois : la plupart de ces baraques subsistaient quand j’arrivai à Messine. Cependant On commençait à bâtir de nouvelles maisons , mais sur un plan différent du premier. On avait observé que les plus hautes s’étaient le plus ressenties du tremblement 5 on avait vu les poutres sortir de leur place par la violence des secousses , agir comme des béliers contre les murs, et causer plus de mal que les secousses elles-mêmes. Pour prévenir ce danger dans l’avenir , les Messinois donnaient peu d’élé- vation aux édifices 5 au lieu de murs pleins, ils avaient adopté une charpente en bois , dont les parties étaient liées et assemblées de manière que le corps entier pût recevoir et suivre le mouve- ment que lui communiquerait le sol, ce qui devait nécessairement en affaiblir l’efFet , et parer au plus grand nombre des accidens.

Six ans s’étaient déjà écoulés depuis le désastre de Messine, et ses habitans n’étaient point en- core revenus de l’étonnement , je dirai même de la stupidité qui accompagne les grandes craintes. Toutes les circonstances de ce terrible événe- ment se retraçaient sans cesse à leur esprit, et je ne pouvais les écouter sans partager leur efFroi et leur douleur. La destruction de cette ville si

DATÎS LES DEUX S I C I L E S. I07 ancienne , et tant de fois malheureuse, fut l’ou- vrage , non d’un seul tremblement de terre , mais de plusieurs qui se succédèrent du 5 au 7 février: celui du 5 causa le plus de désastres 3 heureu- sement il y eut quelques minutes d'intervalle entre la première et la seconde secousse, ce qui donna le temps aux habitans de s’échapper de leurs maisons , et de se réfugier dans la campagne. Huit cents d’entr’eux périrent ; mais ce nombre, tout considérable qu’il paraisse , fut petit en com- paraison de la quantité des ruines.

Dans un mémoire sur les tremblemens qu’é- prouva , dans le même temps , la partie de la Ca- labre qui est en face de Messine, il est dit que la première secousse fut pressentie et annoncée par les chiens, qui se mirent à hurler dans la villed’une manière si afFreuse , que la police donna l’ordre de les tuer : les habitans m’ont assuré le contraire. Le seul signe précurseur de ce fléau fut la fuite des hirondelles de mer, et autres oiseaux de ce genre, qui passèrent dans les montagnes voisines, comme ils ont coutume de faire à l’approche des tem- pêtes. Un bruit semblable à celui de plusieurs chars roulant avec rapidité sur un pont de pierres, en fut l’annonce. Au même instant , un épais nuage s'éleva de la Calabre, centre de la com- motion. Elle gagna le phare, et suivit la plage

lo8 VOYAGES

,{

jusqu’à Messine ; on pouvait observer sa direc- tion au moyen de l’écroulement successif des édi- fices. On eût dit d’une mine qui aurait joué de- puis cette pointe de terre jusque dans l’intérieur de la ville. Le choc fut violent, et le mouvement très-irrégulier. On ne remarqua ni feu , ni étin- celle. Le sol de la plage s’entr’ouvrit par fentes parallèles entr’elles; celles qui se formèrent dans toutes les collines qui terminent la ville avaient la même disposition. Ces fentes se conservèrent en quelques endroits pendant plus d’un mois ; mais l’épouvante des habitansleur ôta la curiosité de les mesurer. Après la première secousse , qui arriva , comme nous l’avons dit, le 5 février vers le milieu du jour , la terre continua de trembler plus ou moins jusqu’à la huitième heure de la nuit, qu’une commotion plus violente, la même qui causa la ruine des habitans de Scylla , acheva de renverser les maisons de Messine, d’autres commotions se succédèrent , et le 7 du même mois, vers la vingt-deuxième heure du jour, il s’en fit une qui égalisa leurs débris avec le sol. Depuis cette époque jusqu’à mon arrivée en Sicile , on y a éprouvé divers tremblemens , mais qui ont graduellement diminué de violence. En 1789 et 1790, on a cru s’appercevoir de quatre ou cinq secousses , auxquelles on n’au- rait peut-être pas fait attention dans un pays

DANS LES JD EUX. SICILE S. log moins suspect , et habité par un peuple moins éveillé sur son danger (i).

Les pertes de Messine furent immenses. Si l’on considère seulement celle de ses édifices, on peut dire que, des quatre parties de la ville , deux furent entièrement rasées , une à demi-renver- sée, et l’autre fort endommagée. Les maisons situées sur le penchant des collines dont le granit fait la base , souffrirent le moins ; celles de la plaine et du bord de la mer, le sol est moins ferme, tombèrent les premières. Le mole qui ac- compagnait le port en s’étendant à plus d’un

(1) Ce n’est pas que, dans les années suivantes, les Siciliens n’aient eu de justes raisons d’appréhender de nouveaux malheurs. Voici ce que l’abbé Grano m’écrivait de Messine le 11 mai 1792. «Hier nous avons eu une journée entière pendant laquelle la terre n’a cessé de trembler. Nous avons compté jusqu’à trente secousses ; mais toutes étaient légères , et elles n’ont causé aucun dommage » .

Je saisis cette occasion de témoigner publiquement ma reconnaissance à cet ami des sciences , qui voulut bien m’accompagner dans mes diverses excursions aux envi- rons de Messine , et me communiquer ses lumières : pré- sent , il me seconda de tout son pouvoir ; absent , il m’est encore utile, en me fournissant les renseigne mens dont j’ai besoin sur son pays. Note de Vauteur.

I io

VOYAGES

mille en longueur ^ dont la vue était si belle, et qui formait une promenade si délicieuse, ce mole s’enfonça dans la mer , et il n’en resta aucun vestige.

Parmi les édifices publics qui s’écroulèrent , on compte d’abord la Palazzata , ensuite le palais du roi , celui du sénat , la grande loge des né- gocians, le college et son temple, la cathédrale, la maison professe des ex-Jésuites , le palais de l’archevêque , la basilique de Saint-Nicolas , le séminaire des clercs , la salle des tribunaux , l’église des Théatins , celle des Carmes et du prieuré de Jérusalem. Une multitude d’autres édifices particuliers, mais d’une belle architec- ture, appartenans à des citoyens opulens, furent égalemens détruits.

On peut évaluer ces pertes jusqu’à un certain point 5 mais comment calculer celle de tant de monumens des arts , de bibliothèques , de ta- bleaux , qui faisaient la gloire de Messine ?

Comment estimer la valeur de toutes les ri- chesses ensevelies sous les ruines, ou consumées par les incendies qui se manifestèrent dans divers quartiers de la ville ? Il faut encore y joindre ce que coûta la construction des baraques destinées à recevoir les habitans avec les restes de leur

DANS IES DEUX SICILE S. III mobilier, ou de leurs marchandises sauvées de la destruction. Ces dépenses furent considérables par le prix auquel montèrent d’abord les maté- riaux et le salaire des ouvriers.

Et cependant, au milieu de tant de bouîever- semens et de pertes, telle fut la fidélité des né- gocians messinois , qu’il ne se déclara pas une seule banqueroute parmi eux. En rendant cet honneur éclatant au commerce , ils jetèrent les nouveaux fondemens de la prospérité de Messine, et méritèrent bien de leur patrie.

Le roi des deux Siciles n’a rien épargné pour la relever ; il l’a soulagée de tout impôt ; il lui a donné des sommes considérables ; il lui a ac- cordé la franchise de son port et des magistrats de son choix. Ces bienfaits l’aideront, mais le temps seul peut lui rendre son ancien éclat.

Aujourd’hui la plupart des maisons sont re- construites, et nombre d’habitans sont retournés dans la ville.

Après avoir rendu au malheur de ce pays le tribut que l’humanité réclamait de moi, je suivrai le cours des observations que j’ai faites dans ses environs , et qui concernent principalement la nature des productions du détroit de mer, jadis si célèbre , qui le sépare du continent.

112

VOYAGES

CHAPITRE XXVI

Observations sur Scylla et Carybde .

Scylla et Carybde , selon la fable, étaient deux monstres marins qui , placés l’un à droite , l’autre à gauche du détroit de Messine , avaient sans cesse la bouche ouverte pour engloutir au passage les malheureux navigateurs.

« sont deux monstres redoutables , Scylla à » droite, Carybde à gauche. La première habite »le creux d’un rocher; lorsqu’elle voit passer des » vaisseaux dans le détroit, elle avance la tête »hors de son antre, et les attire à elle pour les » faire périr. Depuis la tête jusqu’à la ceinture, » c’est une Fille d’une beauté séduisante : poisson » énorme dans le reste de son corps , elle a une » queue de dauphin et un ventre de loup* Pour » Carybde, c’est un autre monstre sur la gauche, »du côté de la Sicile. Trois fois le jour elle en- » gloutit les flots dans un profond abîme , trois fois »elle les vomit et les lance contre le ciel (1) ». Trad. de Desfontaines *

(i) Dextrum Scylla lattis, lævum implacata Charybdis Obsidet , atque imo barathri ter gurgite vastos

Si

DANS LES DEUX SICILE S* Ïl5 Si je cite des vers de Virgile , si j’emploie de * même l’autorité d’Homère dans un ouvrage qui semble n’admettre que l’exactitude et la pré- cision des faits , c’est que ces grands poètes avaient étudié la nature , et que leurs fictions ingénieuses mènent souvent sur la trace de la vérité, et donnent lieu à des recherches inté- ressantes.

Curieux de connaître ces deux écueils fameux par tant de naufrages, je pris une barque, et la dirigeai d’abord vers Scylla. C’est un rocher très- élevé situé à douze milles de Messine , sur les côtes de la Calabre, au-delà duquel est bâtie la petite ville qui porte son nom. Quoiqu’il ne fît point de vent , et que j’en fusse encore à la dis- tance de deux milles , je commençai à entendre un frémissement, un murmure , et je dirai presque un bruit semblable à des hurlemens de chiens, dont je ne tardai pas à découvrir la véritable cause. Ce rocher, coupé à pic sur le bord de la

Sorbet in abruptum fluctus , rursusque sub auras Erigit alternos , et sidéra verberat undâ.

At Scyllam cæcis cohibet spelunca latebris ,

Ora exsertantem , et naves in saxa trahentem. Prima hominis faciès , et pulchro pectore virgo Pube tenus : postrema immani corpore pristis , Delphinûm caudas utero commissa luporum.

Tome ÏV~% H

lî£ VOYAGES

mer, renferme à sa base plusieurs cavernes, dont la plus spacieuse est appelée Dragara par les habitans de l’endroit. Les ondes entrant avec im- pétuosité dans ces cavités profondes, se replient sur elles-mêmes , se brisent , se confondent , écument de toutes parts , et produisent tous les bruits divers que l’on entend au loin. Alors je m’apperçus pourquoi Homère , et après lui Vir- gile , voulant animer Scylla , et le peindre avec ses propres couleurs, l’avaient représenté comme un monstre insidieux caché dans l’obscurité d’une vaste caverne , ayant à ses côtés des chiens aboyans ou des loups , ce qui en augmentait l’horreur.

« Là, habite Scylla , qui remplit les airs d’hor- »ribles hurlemens pareils aux cris lugubres que » pousse une meute aboyante (i) ».

Mais le poète grec achève mieux son tableau que Virgile, lorsqu’il ajoute que ce roc est si élevé, que sa tête est toujours couronnée de nuages 5 et qu’il est tellement rapide , lisse et glissant , qu’aucun mortel , fût-il armé de vingt

(1) E "vba tT’l/ 'ZnvKKr) vatet S'stv'bv tektMva . TmV UTOt 9 CCVïl (Av oVtf iTKVhclKOÏ vsoytKÏÏç TivëTdi,

DANS LES DEUX SICILE S. Il5 iras et de vingt pieds , ne pourrait le gravir jus- qu’à son sommet*

« De ces deux rochers, Pun cache dans la pro- fondeur des cieux sa tête pyramidale toujours » environnée de sombres nuages ; jamais , ni dans fautomne , ni dans le printemps , il n’y régna »la sérénité. Aucun mortel , fût-il un monstrueux » géant armé de vingt bras et de vingt pieds, »ne peut gravir jusqu’au faîte ni en descendre, tant ce rocher est lisse dans tout son contour, » semblable à une colonne polie et luisante. Au » centre du roc s’ouvre une caverne profonde et » ténébreuse , gouffre qui s’étend vers l’occident, »et qui conduit au séjour de l’Erèbe. Prudent » Ulysse, passe devant ce roc d’un vol impé- tueux 5 &c. (1) ». Trad. de Bitaubé .

Tel se montrait ce rocher il y a environ trois raille ans , tel il paraît encore aujourd’hui , sem- blable en tout à la description d^Homère.

Une si grande exactitude dans ce premier

(1) S'va cntorrehoi , 0 [tiv ovpccvov svpvv tKcivei

O’gs/n Kopvcpîi , veqéfoi S'é (xiv

'Kvaviïl , T 0 fJJcV OV-TOT* 2 pCOeT , OvJ'sTO T cÙbpïl

Ksivov zyj1 &opvq>Yiv , out’ h dzpet , ovt’ êv ovrcopii

Ou«Ts K£V jSpOTÙ? cJLVY)p , OU KcLTcJL&lY\ ,

Oucf’ eî'ot %éïp\ç ys èeUort , kcù vrctS'sç nsv .

n If pu ykp hiç êm /rsp/^sTTtj euviz.

H 3

VOYAGES

1 16

peintre des antiquités de la nature , ne laisse aucun doute que la surface de la mer ne fût de son temps à-peu-près à la même élévation elle est aujourd’hui. On verrait la caverne , et même le pied du rocher à sec , si elle s’était seulement abaissée de quelques toises : les grands abaisse- mens de la mer sont donc bien antérieurs à l’é- poque où vivait flomère.

Voilà pour la position et la nature de Scylla. Examinons maintenant ses dangers. Quoique la marée soit presque insensible par toute l’étendue de la Méditerranée , elle se fait appercevoir dans le détroit de Messine à raison de son étrécisse- ment, et elle y est réglée comme ailleurs par les élévations et les dépressions périodiques des eaux. Quand le vent souffle dans la direction du flux ou du courant , les navires n’ont point de dangers à courir, car si ces deux forces leur sont con- traires , ils sont dans la nécessité absolue de s’ar- rêter , et de jeter l’ancre à l’entrée du canal 5 si elles leur sont favorables , ils passent à pleines voiles avec la rapidité de la flèche. Mais lorsque le vent est opposé au courant , et que le pilote inexpérimenté , ou trop confiant , lui abandonne ses voiles pour franchir le détroit , son navire , combattu par deux forces contrairés , va se bri- ser contre le rocher de Scylla , ou échouer sur

DANS LES DEUX SICILE S. ÏI7 les bancs voisins , s’il ne réclame de prompts secours. Voilà pourquoi vingt- quatre matelots des plus hardis et des plus robustes se tiennent jour et nuit sur la plage de Messine 5 au premier coup de canon d’un vaisseau en perdition , ils accourent, et le remorquent avec leurs barques. Comme le courant n’occupe jamais toute la lar- geur du détroit , qu’il serpente et fait plusieurs détours, ces matelots , qui connaissent parfaite- ment sa marche , savent l’éviter , et soustraire le vaisseau aux dangers qui l’environnent. Mais si le pilote qui en a le gouvernement dédaigne ces secours , ou néglige de les demander, quel- qu’habile qu’il soit , il court le plus grand risque de faire naufrage. Au milieu des tournoiemens et du bouillonnement des ondes , occasionnés d?un côté par la rapidité du courant, et de l’autre par la violence du vent qui souffle en sens con- traire , l’usage de la sonde devient inutile , les plus gros Gables se rompent, les ancres ne pren- nent point , parce que le fond est rocailleux , ou si elles prennent , la force du courant leur fait bientôt lâcher prise. Enfin tous les expédiens que l’art de la navigation peut suggérer pour ti- rer un vaisseau de danger , ne sont ici d’aucun secours ; l’unique moyen de salut est de se con- fier aux soins , au courage , à l’expérience des matelots messinois.

H 3

u8 voyages

J’en donnerais plusieurs exemples que m’ont rapportés des personnes dignes de foi pendant mon séjour à Messine , si je n’avais été témoin moi- même d’un événement qui montre que ce parti est en effet le seul à prendre dans ces fatales cir- constances. Je me promenais sur les hauteurs des collines qui dominent le détroit > lorsque je vis entrer par la bouche du nord un bâtiment mar- seillois voguant à pleines voiles 3 et ayant pour lui le vent et le courant. Il avait déjà fait la moitié du chemin , et il s’avançait heureusement vers le port , lorsque tout-à-coup le ciel se couvre d’épais nuages 5 un tourbillon de vent soulève la mer contre la direction du courant , et l’agite dans tous les sens. A peine les matelots ont-ils le temps d’amener les voiles ; de toutes parts les vagues entourent et assaillent leur malheureux navire. Dans cette périlleuse situation , soit qu’ils suivissent l’usage pratiqué en mer de tirer le ca- non pour demander secours aux vaisseaux qui navigent dans les mêmes parages > soit qu’ils n’ignorassent pas le dévouement des Messinois, ils donnemfce signal de détresse , aussi-tôt une barque se détache du rivage de Messine , et vient les prendre à la remorque.

Si je tremblai pour le sort de ces infortunés , menacés à chaque instant d’être engloutis par

BANS LES DEUX SICILE S. Iiq

les flots , ce fut pour moi un spectacle d’admi- ration et de plaisir , de voir l’adresse de leurs libérateurs à conduire à travers la tempête le bâtiment qui s’était mis sous leur protection. Eviter le fil du courant , arriver quelquefois jus- qu’au bord pour s’en éloigner ensuite 5 tourner le timon tantôt à droite , tantôt à gauche 5 abais- ser les voiles , les ployer à demi , les déployer selon que le vent augmentait ou diminuait 5 élu- der l’impétuosité des vagues en coupant les unes avec la proue , en présentant obliquement le flanc aux autres 5 résister et céder tour-à-tour à l’orage , tel fut l’art de ces braves marins. Du haut de la colline je les contemplais , je vis le succès couronner leur adresse , et le bâtiment échappant à un naufrage inévitable entrer heu^ reusement dans le port ..

J’ai dit de Scylla ; parlons maintenant de Ca- rybde. Il occupe dans le détroit un espace de mer compris entre une pointe de terre nommée Pointe sèche , et une autre pointe d’où s’élève une tour appelée la Lanterne y parce qu’elle porte à son sommet un fanal , dont la lumière guide pendant la nuit les vaisseaux qui entrent dans Messine. Presque tous les auteurs qui en ont écrit , s’accordent à le représenter comme un tourbillon d’eau. C’est un monstre, dit Ho-

H 4

120

V O Y A G JE S

mère , qui trois fois le jour absorbe Peau > et trois fois la rejette (i).

Virgile , en se conformant à la description du poète grec , suppose de plus un abîme. Strabon , Isidore , Tzetze , Didime, Eustache, &c. suivent la même opinion , ët BufFon lui-même l’adopte avec une entière confiance , en plaçant Carybde au nombre des plus célèbres gouffres de la mer (2). Strabon ajoute que les débris des na- vires qu’il engloutit sont portés par le courant jusqu’au rivage de Taurominum , à trente milles de distance (3). Voici , à ce sujet , ce que Pon raconte d’un Messinois nommé Colas , hardi plongeur , et tellement exercé à rester long- temps sous l’eau , qu’il en avait acquis le surnom de poisson. On dit que Frédéric, roi de Sicile , étant venu exprès à Messine pour éprouver son habileté , fit jeter une tasse d’or dans le gouffre,

(x) . , . . S'Ta. XoLjjv(Z£iï cüra.ppoifiS'eî fxéhctv v'S'tip . Tpiç pev yétp Tccvlwtv kif X\ptù.Tl , T pif £,CLV*ppOi(U'ïl

Asivov . Ibid.

(2) « Le Carybde , qui est près du détroit de Messine, » rejette et absorbe les eaux trois Fois en vingt-quatre » heures». Théorie de la terre .

(3) KelTcJnroHvTceV eTê , Kcù S'iCtKvêivTCdV TcL VÜLVcLyiA wapciiTÙpsTcu •TTp'QS mova t n? T avpo[Ji.çyiotç. 1. VI.

DANS LES DEUX SICILE S. 121 et l’invitant à la pêcher, la lui promit comme la récompense de son courage ; que , victime de la cruelle générosité du roi , cet homme , après avoir plongé deux fois , et étonné les spectateurs par sa longue absence , ne reparut plus la troi- sième fois , et que son cadavre fut trouvé au bout de quelques jours sur le rivage de Tau- rominum.

Telle est l’idée qu’on s’est toujours formée de Carybde ; on se l’est représenté comme un tourbillon d’eau , et les voyageurs éux-mêmes , tant anciens que modernes , n’en ont pas parlé autrement : ce fait valait la peine d’être vérifié.

Carybde , nommé Calofaro par les habitans , est à sept cent cinquante pieds environ du rivage de Messine. Quelques auteurs prétendent que ce nom lui a été donné à cause du bouillonnement des ondes 5 mais il dérive de et çctpoç , c’est- à-dire belle Tour , qui est celle de la Lanterne , dans le voisinage de laquelle il est situé (1).

(1) J’ai observé que Messine, et d’autres villes de la Sicile, ont conservé beaucoup de termes de la langue grecque, qui était autrefois celle des insulaires. Je citerai, pour ne pas m’écarter de mon sujet , le mot rema, dont ils se servent pour désigner le courant du détroit; ce mot vient de plumet, qui signifie flux. Note de V auteur.

Î22, VOYAGES

Le phénomène du Calofaro apparaît lorsque le courant est descendant. Les pilotes appellent courant ou flux descendant celui qui vient du nord j et flux montant celui qui vient du sud. Le courant monte ou descend au lever ou au coucher de la lune , et ne dure pas plus de six heures dans le détroit; mais dans l’intervalle de l’un et de l’autre période , il y a un repos dont la plus longue extension est d’une heure , et la moindre d’un quart-d’heure.

Quand au lever ou au coucher de la lune, le courant entre par le nord, il fait avec le rivage une multitude d’angles d’incidence qui retardent sa marche ; souvent il emploie près de deux heures pour arriver au Calofaro ; quelquefois aussi il y parvient très-rapidement , et c’est un signe de mauvais temps.

Je profitai de ces renseignemens pour régler ma visite. Les quatre matelots chargés de me conduire , s’appercevant que je n’étais pas tout- à-fait exempt d’inquiétude , m’encouragèrent , et me promirent, non- seulement de me mener au bord du redoutable Calofaro , mais de me faire passer dessus sans le moindre accident. Du rivage , je l’avais vu comme un groupe de flots tumultueux; à mesure que j’approchais, ce groupe semblait s’étendre; i] me paraissait plus agité,

DANS LES DEUX SICILES. 120 plus éminent. Quand je fus auprès , je m’arrêtai pour le considérer.

On entend par tourbillon d’eau , ce mouve- ment circulaire qu’elle prend lorsqu’elle est mue par deux impulsions contraires : au centre de ce mouvement , il se forme une cavité cylindrique, dont les parois intérieures tournent sur elles- mêmes en spirale. Mais ici je n’observai rien de semblable : c’était un espace de mer ayant tout au plus cent pieds de circonférence, l’onde bouillonnait, s’élevait, s’abaissait, se heurtait, sans produire le moindre tourbillon. Tout cela n’avait rien de bien efFrayant. Ma petite barque s’avançait au milieu de ce tumulte d’eau l’éprou- vant d’autre inconvénient que d’être un peu ba- lottée ; mes bateliers n’eurent d’autre peine que de s’y maintenir avec les rames. Il me fut aisé de tenter quelques expériences, et d’en suivre les résultats. Je m’étais muni à cet effet de différens corps , les uns plus pesans que l’eau , les autres plus légers. J’observai que les premiers allaient au fond, et ne reparaissaient plus $ que les se- conds surnageaient , mais que l’agitation du Ca- lofaro les repoussait bientôt hors de la sphère de son activité. Cette dernière observation m’indi- quait assez qu’il n’existait aucun goufFre en cet endroit , car ce goufFre aurait produit un tour-

VOYAGES

124

billon qui aurait attiré et englouti les corps légers nageant à la sur face de l’eau. Cependant , curieux d’en connaître la profondeur , j’y fis jeter la sonde , elle ne rapporta qu’environ cinq cents pieds ; mais il est remarquable qu’au-delà » vers le milieu du détroit, la mer a le doublé de pro- fondeur.

Tel était l’état de Carybde , lorsque je l’exa- minai 3 je l’avais vu dans le calme, il pouvait se montrer autrement dans la tempête. Je consul- tai là-dessus les pilotes chargés spécialement par le gouvernement de porter secours aux vaisseaux étrangers engagés dans le détroit par les temps orageux : voici le résultat de leurs informations. Quand le courant et le vent se combattent , quand ce dernier sur- tout vient de la partie du sud-est, et que tous les deux ont atteint leur plus haut degré de véhémence , le bouillonnement , le bri- sement des ondes à la surface du Calofaro est beaucoup plus impétueux ; il s’y forme trois ou quatre petits toùrnoiemens d’eau et davantage , selon que la sphère du Calofaro embrasse un plus grand espace. Les bâtimens légers que le vent ou le courant entraînent dans cette enceinte, va- cillent , tournoyent , mais ne sont point engloutis ; i ls ne coulent à fond que dans le cas les vagues , en se précipitant sur eux , les remplissent d’eau.

I

DANS LES DEUX SICILE S. îi>5 Quant aux gros navires , ils s’y trouvent arrêtés tout-à- coup , et restent comme immobiles ; ni le vent ni les voiles ne peuvent les tirer de-là; après avoir été tourmentés et battus des flots, si les pilotes du pays ne viennent les remorquer par le droit fil du courant , comme ils disent , ces na- vires sont poussés contre la plage voisine , est bâtie la tour de la lanterne, et s’y brisent inévi- tablement (1).

En pesant la juste valeur de ces faits, on s’ap- perçoit qu’il y a beaucoup à rabattre de tout ce qui a été écrit touchant Carybde. Ce n’est point

(1) Voici à ce sujet l’extrait d’une lettre que m’a écrite l’abbé Grano , de Messine.

« Il n’y a pas vingt jours que nous avons été témoins » de la submersion , dans le Calofaro , d’une polacre na- » politaine , venant de la Pouille avec une cargaison de » grains. Il s’était élevé un vent de sud-est très-impé- » tueux ; le navire s’efforcait de gagner le port à pleines » voiles , en se tenant toujours loin du Calofaro ; mais la » tête ou la queue du courant , pour me servir de l’ex- » pression de nos mariniers , étant déjà entrée par le » pbare, saisit le navire , et l’entraîna dans le Calofaro ; )) , ne pouvant faire usage de ses voiles , il resta quel- » que temps exposé à toute la furie des flots , qui finirent » par l’entr’ouvrir et le couler à fond. La moitié de l’équi- » page fut sauvée , grâce à la promptitude avec laquelle n nos mariniers accoururent au secours de ces malheu-

» reux ».

VOYAGES

126

lin tourbillon , un gouffre d’eau tournant sur lui- même, attirant et engloutissant les navires 3 c’est, au contraire, une surface de mer peu agitée , et qui ne couvre aucun danger lorsque le courant diminue et approche de sa fin ; c’est un simple bouillonnement d’eau, mais très - impétueux , lorsque le courant et le vent sont en opposition $ les petits tournoiemens qui s’y engendrent sont purement accidentels , et n’ont rien de dange- reux. Enfin Carybde , dans cette dernière cir- constance , bien loin d’attirer les navires, les re- pousse et les chasse loin de soi.

Cette erreur est née et s’est perpétuée comme tant d’autres touchant les choses naturelles. Ho- mère , en racontant le voyage d’Ulysse dans le détroit de Messine, a, le premier, représenté Carybde comme un gouffre immense qui absor- bait l’eau et la revomissait $ qui engloutissait les navires et les hommes , citant pour exemple plu- sieurs compagnons de son héros , saisis et en- traînés par ce monstre. Les auteurs qui sont venus après Homère , soit poètes ou prosateurs, soit historiens ou géographes, l’ont copié, sans qu’aucun d’eux ait pris la peine de se transporter sur les lieux pour vérifier le fait. Fazello lui- même , cet historien d’ailleurs soigneux et exact en tout ce qui concerne son pays , ne l’est plus

DANS DES DEUX SICILE S. 1 27 quand il parle de Carybde 5 il en dit assez pour prouver qu’il ne Ta jamais ni vu ni observé ; sa description se termine par la supposition com- mune , que les corps engloutis par ce gouffre sont transportés par des courans sous-marins , sur la plage de Taurominum.

Cluvier est le seul auteur dont le récit ferait croire qu’il a examiné Carybde de près. Je trans- crirai ses paroles :

a. Et moi-même , m’étant arrêté plusieurs jours » à Messine pour connaître Carybde , je pris des » informations des habitans du lieu, principal- ement des nautonniers , soit Siciliens et Italiens , esoit Belges , Anglais et Français qui fréquentent eces parages 5 mais je ne pus en apprendre rien »de certain , tant ce phénomène était pour eux » obscur et inconnu. Cependant je découvris enfin »que Carybde, appelé par les naturels , en langue edu pays , Calofaro , était un courant rapide,

» formant des tourbillons au-dessus du phare de » Messine, absorbant les eaux dans un gouffre » immense , et les revomissant, non pas trois fois » chaque jour, comme le dit Homère, mais toutes »les fois que les flots se précipitent avec plus de » violence dans le détroit (1) ».

(1) « Ego sane cum Charybdis noscendæ gratîa aliquot dies Messanæ subsisterem , et ab hominibus ejus loci ,

VOYAGES

128

Mais en disant qu’il a découvert Carybde, cet auteur n’exprime point qu’il l’a observé à l’en- droit même le phénomène existe. Aurait -il omis une circonstance aussi essentielle à sa nar- ration , lui qui avait tant à cœur de s’assurer de la vérité d’un fait établi depuis si long-temps dans l’opinion publique, et sur lequel il n’avait pu ob- tenir des renseignemens précis et certains en s’adressant aux Messinois eux-mêmes? Tout ce qu’on doit conclure du passage cité , c’est que Cluvier s’étant transporté sur le rivage d’où l’on apperçoit Carybde , et ayant dirigé ses regards de son coté ^pouvait , sans manquer de fidélité, affirmer qu’il l’avait réellement découvert.

Quant à la position de Garybde dans le détroit de Messine , celle que lui assigne Homère ne

maxime vero nautis , non siculis modo , et Italis, sed et Belgis , Britannis , et Gallis, qui hoc fretum frequentes navigant, diligentius eam rem siscitarer, nihil omnino certi ab ipsis perdiscere potui , adeo scilicet toturo ne- gotium omnibus obscurum et incognitum erat. Tandem tamen reperi Charybdim , quæ incolis patriis vocabulis dicitur Calofaro sub prædicta ad Messanensem portum pharo esse mare rapide fluens, atque in vortices actum : quod non Tpîr s-r’ , ut tradit Homerus, id est sin-

gulis diebus ter absorbet ingenti gurgite , removitque aquas, sed quolies vehementiori fluctu fretum comita- tur ».

cadre

bans les deux sïcîles. 129 cadre point avec nos propres observations. Circé instruit Ulysse des dangers de cette navigation , et lui dit : (1) «Là sont deux rochers, dont l’un » touche le ciel de sa tête pyramidale... Tu verras » l’autre moins élevé , ô Ulysse ; et ces deux ro- » chers sont si voisins, que ta flèche irait de l’un »à l’autre. Sur ce dernier s’élève un Figuier sau- »vage chargé d’un feuillage épais, sous lequel »la redoutable Carybde absorbe l’onde noire ».

Le premier rocher indiqué ici par Homère est Scylla , comme il le dit ensuite 5 près du second , se trouve Carybde , et la distance entre l’un et Vautre n’est que d’un trait de flèche , azv hoKrnvrzicLç. Cependant Carybde est actuelle- ment éloigné de douze millesde Scylla. Que faut-ii penser de cette différence ? Que le poète n’a voulu employer qu’une hyperbole ? mais je ne sais s’il pouvait .se permettre une telle licence * que Carybde , dans les temps passés, était en effet très-près de Scylla, et que la révolution des siècles l’a fait changer de place, et l’a transporté jusqu’au-delà de Messine ? Cette conjecture ne

(l) O I Jg S'vCO (TKO^SKOl , 0 [JLZV OVpCtvlv £VpVV IKcLVSt . . . «

Tù? J1’ irspov (ncbvrehov ^ct^cLKcorspov O* JW feu > TThunov tLKKHK&v üeù Kêv S'ioïrTevcrsta.ç .

T co J’ zv zpivzoç k(TTt (Azyetç <pvAAoi $7 Tzênha?

Tco v7to &ïici XkpvfiS'ir kvctppoi^sj ykhctv vS'cop;

Tome ir. I

VOYAGES

i5o

serait pas dépourvue de fondement , si Le détroit avait éprouvé quelque révolution considérable dans ces temps-là ; mais rien ne l’indique , ni dans les monumens de la nature , ni dans les écrits des auteurs siciliens , qui n’auraient pas passé sous silence un tel événement. Nous verrons, au cha- pitre XXIX , que la seule modification que le détroit ait reçue dans ce siècle, est un simple étrécissement ; et bien avant cette époque, Ca- rybde existait nous le voyons aujourd’hui. Cela est prouvé , non-seulemént par une très- ancienne tradition des Messinois, mais par le té- moignage uniforme des écrivains italiens, latins, et grecs : Carybde, dit Fazello, est placé du côté de la Sicile , un peu au-dessus de Messine (i).

Tzetze s’exprime ainsi : « Carybde est situé près » Messine (2) ». Strabon , après avoir fait mention de cette ville , ajoute : « Carybde se fait voir dans »le détroit, un peu avant la ville (3) ».

Concluons , de ces documens historiques , qu’Homère a manqué d’exactitude à l’égard de la localité de ce phénomène ; ce n’est pas lui

(1) « Charybdis, ex parle Siciliæ, paulo supra Mes- sanam » .

(2) Y) Xcipvfiflt 'TSfÙ M tGMYW €<Tt).

(3) Asimvt&u ko,) XàpvfiS'iç ptx,p)ni 'Trp'à noheM? iv tm rrç .

DANS LES DEUX SICILES. 1 5 1 faire un grand tort que de supposer qu’il a un peu sommeillé en cet endroit de son long ouvrage. Cependant on ne peut accuser la fidélité de ses autres descriptions touchant la Sicile* On y trouve une vérité d’expression qui fait présumer qu’il avait voyagé lui -même dans cette île, ou du moins qu’il en avait reçu des détails très- circons- tanciés. Le tableau de Scylla en est une preuve ; quant à Carybde et son gouffre supposé , il faut bien convenir , ou qu’Homère ne s’était jamais approché de ce lieu, ou qu’il n’en avait obtenu que de fausses informations.

Mais, à propos de ces deux écueils, a-t-il quelque fondement ce mot , qui cherche à éviter Carybde tombe dans Scylla , passé en proverbe chez les anciens, et appliqué à ceux qui , pour fuir un mal, tombent dans un mal plus grand? J?en causais avec mes braves matelots messinois, qui m’assuraient que ce danger existait réellement, et que les navigateurs en étaient quelquefois les victimes, quand ils ne prenaient pas des mesures promptes et efficaces pour le prévenir. Qu’un navire , me disaient-ils , échappe à la fureur de Carybde , et soit poussé , par une forte brise de sud , le long du détroit vers la bouche du nord , il en sortira heureusement; mais que vers le mi- lieu de son trajet, il soit surpris par un vent de

I 2

VOYAGES

l3l2

sud-est ; alors , dévié de son droit chemin , com- battu par deux forces contraires , et ne pouvant ni avancer ni reculer , il sera forcé de suivre une direction moyenne qui le portera sur Pécueil de Scylla. Ces matelots ajoutaient que dans les bou- rasques , il s’élève fréquemment un vent de terre qui descend par une gorge de la Calabre, et pousse les vaisseaux contre ce rocher.

J’ai lu presque tous les anciens auteurs qui ont écrit sur ces deux écueils 5 pour les peindre, ils ont employé les couleurs les plus sombres 5 ils en ont fait le siège des tempêtes et des nau- frages. Toutes ces horreurs , toutes ces ruines ne nous frappent plus ; les naufrages sont rares dans le détroit de Messine} d’où vient cela ? Scylla et Carybde auraient- ils changé de nature P se- raient-ils devenus moins dangereux en eux- mêmes ? Mais nous avons vu que le premier est encore tel aujourd’hui qu’il était du temps d’Ho- mère ; quant au second, le rétrécissement du détroit devrait le rendre plus redoutable qu’il n’était autrefois 5 car moins un canal ou un bras de mer a d’ouverture , et plus le passage en est difficile. Je crois plutôt que la raison de cette différence est dans Part de la navigation , qui , laible dans ses commencemens , n’osait s’aven- turer en pleine mer, mais allait terre à terre.

DANS LES DEUX SICILE S. T 35 s’appuyant r pour ainsi dire , d’une main sur le rivage..

Alter remus aqnas,. alter tibî radat arenas.

Tutus eris ; medîo maxima turba mari.

Propert. I. 3 .

Mais avec le temps , l’étude , l’expérience y les hommes devenus plus instruits , plus coura- geux r ont osé traverser les plus vastes mers , se confier aux tempêtes , et se rire de leurs im- puissantes menaces.

Quant à la mer de Messine , Je n’ai pas besoin de remonter si haut pour trouver les traces d’une navigation encore enfantine et suivre ses progrès ; le siècle présent y comparé au siècle passé, peut m’en fournir le tableau. Cette partie de l’Adria- tique qui sépare Venise de Rovigno dans l*Ist rie,, n’est certainement pas des plus favorables pour les navigateurs. La fréquence des coups de vent, les hauts-fonds qui rompent les vagues, et leur donnent des impulsions très - irrégulières , sont des dangers réels, et très- propres à faire réfléchir ceux qui entreprennent de la traverser. Dans le dix-septième siècle , les naufrages y étaient si fréquens , que les habitans de Rovigno qui, pour des affaires indispensables , étaient obligés de se transporter à Venise , se tenaient d’avance pour morts j et s’ils étaient pères de famille , ils ne

I 3

V O Y A G E s

ï34

manquaient pas de faire leur testament avant de se mettre en route. Un avocat de R.ovigno , nommé Constantin > homme instruit , me disait avoir lu plusieurs de ces testamens, que Ton con- serve dans les archives publiques de cette ville.

Je ne dirai pas que de nos jours ce trajet ne soit plus qu’un jeu, un divertissement, il faut trop se tenir en garde contre les tempêtes qui y sont fréquentes $ mais elles n’ont plus de suites fâ- cheuses ? trois fois j’ai fait le voyage sans courir le moindre danger. Cette sécurité est due au perfectionnement de l’art nautique. Outre que l’expérience et l’instruction manquaient aux an- ciens marins de Rovigno , la forme et la cons^ truction de leurs barques étaient si mal enten- dues, qu’elles ne pouvaient tenir contre la vio^* lence du vent : elles étaient bientôt surmontées et englouties par les vagues. Celles que l’on y construit aujourd’hui sont larges , plates et très- solides ; on les appelle vulgairement bracère $ elles peuvent affronter les orages , et sont en grande réputation dans les pays çirconvoisins, Voilà donc un espace de mer, peu étendu à la vérité , mais fameux anciennement par ses nau- frages, qui devient chaque jour plus praticable par le seul ministère de l’art.

Mais pour mieux juger comment Carybde et

DANS LES DEUX SICILE S.

ï35

Scylîa , sans changer de nature , ont pu se dé- pouiller insensiblement de la terreur qui les en- vironnait autrefois , prenons pour exemple un autre site non moins redoutable dans les siècles passés , le Cap de Bonne-Espérance , notnmé le Cap des Tefhpêtes par le premier navigateur qui en fit la découverte. Là, deux grandes mers descendent le long des Cotés apposées de l’Afri- que, se rencontrent et se heurtéM ènsetiiblê. Un courant rapide tenant du süd-ôuest, s’il trouvé la marée et le vent contraires ,~ engendre des tourbillons d’eau capables d’attirer et d’engloutir les plus gros navires. Des rochers épars sur la côte brisent les vagues impétueuses , et les soulèvent à des hauteurs énormes ; se forment des orages d’autant plus terribles qu’ils par- courent sans obstacle un vaste océan. Que de soins et de prudence n’exigeait pas la conduite d’un vaisseau destiné à surmonter ces obstacles ! Un habile pilote qui les eût plusieurs fois com- battus , des mata et des antennes affermis par d’é- pais cordages, des haches toutes prêtes pour les abattre au premier signal quand le danger l’exi- geait,une ample provision de cables et de voiles; des haubans renforcés, et des timons de rempla- cement ; les matelots liés fortement à leur poste avec des cordes, pour n’être pas emportés par les coups de mer , les passagers renfermés sous

I 4

VOYAGES

136

Je pont pour laisser la manœuvre libre, l’artillerie calée au fond du vaisseau pour en augmenter le lest , les sabords bien fermés 5 telles étaient, dans le siècle passé , les précautions des navigateurs qui doublaient le Cap de Bonne-Espérance. Il en faut bien moins aujourd’hui , grâces à l’expé- rience , aux lumières acquises dans cet art si ti- mide dans ses commencemens , si audacieux dans ses progrès : Carybde et Scylla n’ont plus rien de terrible que leurs noms , et c’est encore à ses succès que nous en sommes redevables.

DANS LES DEUX SICILE S.

CHAPITRE XXVII.

Méduses phosphoriques observées dans le détroit de Messine .

D ans la classe des animaux à qui nos métho- distes ont donné le nom de mollusques , à cause de la mollesse de leur corps , il est un genre très-singulier dont les espèces ont été appelées méduses par Linnée , gelées de mer par Réau- mur , et orties de mer par quelques autres na- turalistes 3 tant anciens que modernes. Tous ces noms font allusion à certains caractères extérieurs de ces animaux , qui en les touchant piquent comme les orties- plantes $ en les maniant, se fondent dans les doigts comme de la gelée ; en les regardant , rappellent par leur forme étrange l’idée d’une tête de Méduse. Aristote, qui écrivait en Grèce , et Pline , qui long-temps après le co- piait en Italie , en ont fait mention l’un et l’autre. Parmi les modernes , je ne connais que Réaumur qui , dans les actes de l’académie des sciences de Paris, année 1710 , a donné des considérations sur la manière dont se meuvent quelques espèces de méduses , et Dicquemare , qui a publié, dans le journal de l’abbé Rozier, plusieurs mémoires

l38 VOYAGES

ii examine leur structure organique. Mais ces deux écrivains ne parlent en aucune manière de la phosphorescencè qui est particulière à cer- taines méduses. J’ignore si ces dernières ont été décrites par d’autres \ je sais seulement que Lœ- fling les a rencontrées , ainsi que le rapporte Linnée. « Ce savant voyageur , dit - il , vit en » haute mer 3 entre l’Espagne et l’Amérique , des » méduses et autres zoophites dispersée dans les » eaux , qui, la nuit et durant le calme , brillaient £ comme autant de flambeaux $ mais ces clartés » disparaissaient si-tôt que les veiitâ agitaient la »mer (l) » .

Ce court récit est sans doute plus propre à exciter la curiosité qu’à la satisfaire. Au reste?, il ne faut pas s’étonner si nous manquons d’ob- servations sur la propriété phosphorique de ces animaux : ils sont très-rares , ceux qui en sont doués. J’ai eu l’occasion d’examiner une mul- titude de méduses , soit dans la mer Adriatique , soit dans l’Archipel et le bosphore de Thrace ; je n’en ai pas trouvé une seule qui jetât de la

(1) « Doctissimus Eoeflingius inter Hispaniatti et Américain vidit in alto mari médusas alia que zoophita, pacata aqua , dispersa per æquora , et noctu instar toti- dem candelarum lucere , et exortis ventis sensim subsi^ dere , et lucem suffocari » .

BANS LES DEUX SICILE S. l3q lumière. Ce phénomène ne s’est offert à mes yeux que dans le détroit de Messine , une nuit, comme je revenais du rocher de Scylla à la ville , et j’ai eu tout le temps nécessaire pour le bien observer pendant un séjour de plusieurs semaines dans le pays , m’occupant uniquement de la re- cherche et de l’étude de ses productions natu- relles. Mais je n’en donnerais à mes lecteurs qu’une idée vague et confuse , si je ne leur mon- trais d’abord l’organisation de ces méduses , la manière dont elles nagent dans l’eau et se trans- portent d’un lieu à un autre , ces deux connais- sances préliminaires étant indispensables pour l’intelligence de leur propriété phosphorique.

* ; - " : ' ' . ' V ' V

On peut comparer la forme du corps de ces méduses à l’ombelle des champignons , étant convexe par-dessus, concave par-dessous 9 et ayant deux , trois, ou quatre pouces de circon- férence, selon la grandeur de l’animal 5 et de même que l’ombelle des champignons va en s’amincissant vers les bords , l’ombelle des mé- duses ( car je l’appellerai ainsi ) suit une dégra- dation d’épaisseur jusqu’aux extrémités, qui sont terminées par de légères franges. Si la première est attachée à une petite colonne centrale qui lui sert de support , la seconde adhère dans le milieu de sa partie concave à quatre corps alon-

VOYAGES

l4o

g es et cylindriques, que je désignerai, comme r.os auteurs méthodistes , sous le nom de tenta- cules. Outre ces quatre corps , il y en a huit autres latéraux , plus minces , inhérens longitu- dinalement aux parois intérieures de l’ombelle; mais ces notions générales ont besoin de quelque détail.

L’ombelle de chaque méduse est légèrement convexe à l’extérieur ; elle y présente une sur- face très-lisse , toujours couverte d’un voile hu- mide , même après que l’animal a été tiré h or* de l’eau. Sa plus grande épaisseur est au sommet ; sa moindre vers les bords. Dans la partie la plus élevée de sa concavité , on remarque une ouver- ture qui conduit dans une espèce de bourse gé- latineuse , communiquant avec quatre trous la- téraux. L’eau de la mer que la bourse reçoit par ces trous, en sort par l’ouverture 5 et celle qui y pénètre par l’ouverture se dégage par les trous. Je ne doute pas que cette ouverture ne soit la bouche de l’animal , et la bourse son esto- mac , ou du moins une espèce de réceptacle se digèrent ses alimens, quoique je n’aie jamais pu les y appercevoir.

La substance de l’ombelle est si délicate , tendre , qu’elle se laisse couper avec un fil ; elle est en même temps si transparente , qu’elle ne

DANS lEJj DEUX 8ICIEES. 141 le cède pas au cristal le plus pur. Dans presque toute son étendue , ni la main armée du scalpel anatomique , ni l’œil aidé de la loupe, ne peuvent y découvrir ces vaisseaux, ces fibres, et autres parties qui se manifestent dans la plupart des animaux. Elle a l’aspect d’une gelée très-simple et très-homogène 5 seulement au sommet de sa concavité , on apperçoit comme quatre petits écheveaux de longs et minces corpuscules en- tortillés en forme d’intestins, adhérens à un amas confus de petits tubes de couleur argentine , dont les parois sont assez élastiques pour conserver leur rotondité après avoir été coupées transver- salement. Je me suis convaincu, par un examen attentif, qu’ils ne conduisent aucune liqueur. Tant d’analogie avec les trachées des insectes, donnerait à penser que ces petits tubes rem- plissent les mêmes fonctions 5 quoi qu’il en soit, je les distinguerai par l’épithète de trachéi- formes.

De plus, si l’on examine avec la même atten- tion les limbes à la partie concave de Pombelle , on y reconnaîtra une autre structure organique, consistant en un tissu musculeux très-délié , qui part des extrémités, et s’étend dans l’espace d’un demi -pouce, quelquefois d’un pouce entier, suivant la grandeur de l’animal. Par-tout ce

VOYAGES

î42

tissu existe , la transparence de l’ombelle en est un peu obscurcie*

Parlons maintenant des tentacules , et com- mençons par les plus gros , qui sont au nombre de quatre. Leur partie inférieure s’avance hors des limbes de l’ombelle , tandis que leur partie supérieure s’attache à son sommet , en prenant par le milieu de l’ouverture , ou , comme nous l’avons appelée , de la bouche de l’animal. Chaque tentacule est marquée d’un léger sillon longi- tudinal , terminé par, deux appendices membra- neuses que baigne une humeur gluante. En exa- minant de près ces tentacules , on voit qu’ils sont composés de petits cordons musculeux placés longitudinalement, et étroitement unis. Ce fais- ceau de cordons renferme dans son centre un petit canal qui , de bas en haut , parcourt toute la longueur du tentacule. On apperçoit ce canal au travers , et on y découvre des molécules glo- buleuses que l’on peut mettre en mouvement en pressant du doigt le tentacule , ou les en faire sortir , si l’on veut , en le coupant transversa- lement.

Les huit autres tentacules latéraux sont beau- coup plus déliés et plus longs 3 ils paraissent , comme les premiers , composés de parties mus- culeuses , et sont percés au centre dans toute

1) A US S LES DEUX SICILE S. l/fî leur longueur. Ainsi ces appendices de l’ombelle, tant grosses que petites , peuvent être considé- rées comme des vaisseaux ou canaux , quoiqu’elles soient destinées à d’autres usages que j’indique- rai plus bas. Au reste, je dois prévenir que les recherches les plus exactes ? et le secours des meilleurs microscopes, m’ont été inutiles pour découvrir une circulation, un simple mouvement de liquides dans les méduses que je décris : leur corps, leurs tentacules sont d’un blanc bleuâtre, transparent, sans mélange d’autres couleurs.

Si l’on en prend une dans la main , elle ne se dissout pas subitement 3 elle oppose même une légère résistance à la pression. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’elle commence et continue à donner de l’eau. Cette effusion n’est point occasionnée par la chaleur ou la pression de la main 3 tout au plus cette dernière cause Taccélère. Si on place l’animal sur une table , ou sur tout autre corps , il ne tarde pas à se fondre goutte à goutte ? et finit par se convertir presque tout entier en une liqueur transparente, ce qui arrive au bout d’un jour et demi , ou deux au plus.

Une de ces méduses pesait cinquante onces 5 ayant tenu un compte exact de sa réduction en liqueur , je trouvai que le poids en était appro-

I

*44 VOYAGES

chant égal. Ce que l’évaporation avait proba- blement enlevé pendant la dissolution de l’ani- mal , et ses dépouilles , qui consistaient en de minces et arides pellicules pesant cinq à six grains , pouvaient passer pour le déficit.

Cette liqueur a le goût salé de l’eau marine 5 évaporée à siccité , elle laisse au fond du vase une quantité de muriate de soude presqu’égaîe à celle que fournirait un pareil volume d’eau de mer.

La saveur salée de c es méduses se sent en les touchant avec la langue , soit pendant leur dissolution , soit après qu’elles sont récemment tirées hors de la mer et lavées dans l’eau douce, pourvu que l’attouchement ait lieu sur une cou- pure. Il est donc évident que l’eau marine pé- nètre le tissu organique de ces animaux, et cons- titue la plus grande partie de leur volume. Ce fait me paraît d’autant plus remarquable, que de tous les mollusques marins que j’ai examinés, ceux - ci sont les seuls qui m’en aient donné l’exemple.

Je dois ajouter que leur dissolution s’opère, non-seulement en les tenant au sec, mais encore dans de petits vases pleins d’eau de mer, lors- qu'on ne la renouvelle pas souvent. La cause

est

BANS LES BEUX SICILE S. 1 4^

est la même pour les deux cas : ces animaux

se trouvant placés hors de leur état naturel , ils

éprouvent une lésion dans leurs parties solides 5

ces parties se rompent , et donnent passage aux

liquides qu’elles renfermaient. Ainsi , bien que

leur corps ne nous offre, dans presque toute son

étendue, aucune trace apparente d’organisation,

elle n’y existe pas moins 3 ce sera, si l’on veut,

une substance spongieuse propre à attirer et à

retenir l’eau de la mer, invisible à cause de sa

transparence , et de l’extrême finesse de son

tissu.

%

Telle est la forme et la structure de nos mé- duses 3 je vais décrire maintenant le principal attribut qui les caractérise pour de véritables animaux, je veux dire leurs mouvemens natu- rels. Ces mouvemens ne diffèrent point de ceux des méduses non phospboriques 5 ils consistent en une contraction et une dilatation presque con- tinuelles de l’ombelle. Si , penché sur le bord d’un bateau quand la mer est tranquille, vous considérez attentivement une méduse qui nage, vous verrez la convexité de son ombelle se por- ter dans une direction oblique au niveau de la mer, et les limbes occuper le lieu postérieur 3 ensuite ceux-ci, au bout de cinq ou six secondes, se contracter subitement , et l’instant d’après

Tome IJ ryr. K

146 VOYAGES

s’alonger. A la première contraction ou systole , la méduse se tenant constamment plongée dans Feau , celle qui remplit sa concavité , poussée en avant par ce mouvement , frappe les parois internes de l’ombelle , et l’animal fait un pas $ une seconde systole succède , produit un nou- veau choc de l’eau , et l’animal fait un second pas. La systole étant toujours suivie de la dias- tole, l’animal change ainsi de place , et chemine lentement. Pendant ce temps-là , les tentacules débordent la circonférence de l’ombelle, étendus en long et réunis ensemble. Ce mouvement al- ternatif, que j’appellerai oscillation , est néces- saire à la méduse pour nager, et se transporter d’un lieu dans un autre 5 autrement' elle irait au fond , étant spécifiquement plus pesante que Feau marine.

J’ai eu la preuve de dernier fait dans le canal de Messine 5 je Fai de plus vérifié dans des vases remplis d’eau marine j’avais renfermé plusieurs méduses , et cette expérience m’a ins- truit de certaines circonstances relatives à leur oscillation , que je n’aurais pu saisir en ne faisant que les observer dans leur demeure natale. Par exemple , j’ai mesuré , pendant la systole , le raccourcissement de la périphérie de l’ombelle , qui approche de celle du cercle , il était de

DANS LES DEUX SICILE S. I47 deux, trois ou quatre lignes au plus. Je me suis apperçu que l’oscillation résidait seulement dans l’ombelle , qu’elle était tout-à fait indépendante de la bourse et des tentacules grands et petits, puisqu’après avoir coupé et retranché toutes ces parties , elle n’en continuait ni plus ni moins. Quoiqu’elle se manifestât par toute l’étendue de l’ombeile, j’ai encore observé qu’une bonne par- tie de cette ombelle se mouvait comme par ac- quiescement.

Les expériences suivantes ne m’ont laissé aucun doute à cet égard. Par une section transversale et parallèle aux limbes, j’enlevais, vers les parties supérieures , un morceau circulaire d’ombelle du diamètre d’un pouce : ce morceau n’oscillait plus , et était insensible à toute espèce de sti- mulant 5 au contraire l'oscillation se montrait toujours, et continuait long-temps dans le reste de l’ombelle. Ce reste, je le diminuais encore, en retranchant de la même manière une nou- velle portion circulaire : nul signe d’oscillation dans cette portion enlevée ; mais elle continuait dans la partie restante. A la fin , en poursuivant ces retranchemens, je suis parvenu à découvrir le siège et Porigine du mouvement oscillatoire dans les méduses. J’ai parlé plus haut d’un tissu musculeux et très-délié qui , des bords de l’om-

K a

VOYAGES

14B

belle , s'avance et s'étend sur les parois internes* il occupe un espace déterminé. Vu à la loupe, il paraît composé d’un nombre innombrable de petites fibres charnues , disposées transversale- ment, parallèles entr’elles, et intimement adhé- rentes à la substance gélatineuse de l’ombelle. Tout le jeu de l’oscillation dépend de l’action de ces fibres transversales. Chaque fois qu’elles s’accourcissent , la portion de l’ombelle à laquelle elles sont attachées est forcée de se contracter, ce qui ne peut avoir lieu sans que le reste ne subisse la même contraction : voilà le mouve- ment de systole. Celui de diastole naît ensuite de la détention de ces mêmes fibres. Ainsi, en détachant de l’ombelle une portion privée de fibres , il ne faut pas s’étonner de n’y apperce- voir aucun mouvement oscillatoire , tandis que ce mouvement continue à se manifester dans les parties qui en sont pourvues. Voici à cet égard les résultats de quelques autres expériences.

, , V

J’ai découpé dans le corps d’une méduse un anneau privé de fibres 3 je l’ai posé à sec sur une table pour le mieux observer : point d’os- cillation. J’ai enlevé un second anneau dont les bords participaient au tissu musculeux 3 il a os- cillé très -bien et pendant long -temps. Enfin j’ai placé sur la table l’anneau même naissent

BANS LES BEUX SICILE S. l4ç et se propagent les fibres , et qui , dans les plus grandes méduses, a plus d’un pouce de largeur ; c’était une chose curieuse de suivre ses mouve- mens , et de voir combien il se rétrécissait à chaque systole.

Il y a plus 3 j’ai coupé transversalement ce dernier anneau en plusieurs morceaux 3 alors , chacun en oscillant m’a montré clairement le jeu de ses fibres. Je les ai vues se raccourcir su- bitement, et le morceau devenir plus court et plus gros 3 un moment après elles revenaient à leur première longueur, et le morceau rentrait dans son premier état. Je ne saurais mieux com- parer ces mouveraens qu’à ceux d’un ver de terre qui, pour ramper, s’alonge et s’amincit , puis se raccourcit et s’enfle.

J’ai ensuite enlevé avec des pincettes très- fines le tissu musculeux, et j’ai vu cesser l’osciU Jation. Elle se perdait encore , si Je coupais seu- lement les fibres en plusieurs endroits.

Il suit de ces expériences, i°. que le siège de l’oscillation est dans le tissu musculeux 5 20. que la partie gélatineuse de l’ombelle oscille par la communication immédiate qu’elle a , dans ses parties inférieures , avec ce tissu 3' 3°. que l’os- cillation ne s’affaiblit point, encore que l’animal

K 3

VOYAGES

soit tiré de son élément naturel , et placé à sec. Dams cette positionnes plus grosses méduses con- tinuent d’osciller pendant vingt-quatre heures , malgré la dissolution qu’elles éprouvent, et elles perdent les deux tiers de leur volume. Seu- lement, vers la fin de ce temps, l’oscillation de- vient faible , lente , interrompue. Quand on la croit tout-à-fait éteinte , souvent elle se réveille par le frottement , ou par des piqûres dans le tissu musculeux de l’ombelle. On peut encore la ranimer én coupant par morceaux l’anneau gélatineux. auquel est attaché ce tissu : chaque morceau reprend alors pour quelque temps son mouvement oscillatoire. En un mot, l’oscillation ne disparaît entièrement, sinon quand l’agréga- tion des fibres transversales se dessèche ou se corrompt , par manque ou par excès d’humidité.

Une si grande persistance de mouvement dans les méduses mourantes et dans celles qui sont coupées par morceaux , devrait passer pour une preuve incontestable que ce mouvement est in- dépendant de la volonté de l’animal , comme celui du cœur d’une grenouille, d’une tortue, d’un serpent , qui continue après que ce viscère a été arraché du corps de ces amphibies 5 ce- pendant je n’oserais l’assurer. J’ai examiné plu- sieurs fois la natation des méduses dans les hauts-

DANS LES DEUX SICILE S. l5l fonds du canal de Messine; j’en ai vu qui , après s’être soutenues quelque temps à fleur d’eau , au moyen du jeu de leurs fibres , cessaient d’osciller, se laissaient aller doucement au fond de la mer, entraînées par leur propre poids , et y restaient immobiles peridant plus d’une demi- heure; ensuite elles reprenaient leur mouvement, montaient peu à peu, et se rendaient à la surface de l’eau. Telles autres, par les mêmes moyens r se contentaient de descendre jusqu’à une cer- taine profondeur , et puis remontaient. La sup- pression et le retour du mouvement dans ces circonstances , ne semblent-ils pas au contraire dépendre de la volonté de l’animal ? Je laisse au lecteur la décision de cette question.

Je dois lui rendre compte d’un mouvement d’une autre nature qui a lieu dans tes grands ten- tacules, et dans les corpuscules en forme d’in- testins que j’ai décrits ci-dessus. A l’égard des premiers, pour que l'observation soit plus facile, il faut les détacher du corps de l’animal , en les coupant tout proche de la concavité de l'ombelle* à laquelle ils sont fixés. Si dans cet état , l’ob~ servateur les pose sur la paume de sa main , il les verra agités d’un léger mouvement convulsif, beaucoup plus sensible dans les appendices mem- braneuses , il persiste même après que ces

K 4

l5i VOYAGES

dernières parties ont été séparées du tentacule ; niais cette convulsion cesse bientôt dans ces corps, malgré qu’ils soient extraits des méduses les plus vivaces.

Elle est plus durable et plus forte dans les corpuscules en forme d’intestins, qui forment, comme nous avons dit , quatre amas situés au- près des trous latéraux de l’ombelle. Soit qu’on les laisse à leur place , soit qu’on les enlève pour les étendre sur une table , ou pour les mettre dans l’eau marine , ils présentent les mêmes phé- nomènes que l’on observe avec surprise dans les intestins tirés , par exemple, du corps vivant d’un chien. On sait que pendant quelque temps , ces parties sont animées du mouvement nommé pé- ristaltique y c’est-à-dire que , semblables aux vers, elles vont et viennent, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre , par ondulation. On sait en- core qu’après la cessation naturelle de ce mou- vement, il est possible de le réveiller, du moins pendant un certain temps , par des stimulans. La même chose arrive dans les corpuscules en question ; et comme j’ai découvert qu’ils étaient concaves intérieurement , et qu’ils contenaient dans leur cavité une substance liquide, je n’hé- site pas à les reconnaître pour de véritables in- testins. De plus , la composition de leur tunique

DANS LES DEUX SICILE S. l55 porte un caractère particulier 5 elle se conserve entière, et persiste dans son mouvement, quand la dissolution a presqu’entièrement consommé le corps de l’animal.

Après avoir exposé l’organisation et les mou- veraens propres à ces méduses , il me reste à décrire le phénomène de leur phosphorescence, qui est le principal objet de cette discussion. Au déclin du jour, et quand la nuit commence à étendre ses voiles, je m’amuse à parcourir dans un bateau le détroit de Messine , allant terre à terre, et cherchant les endroits la mer est en plein calme. J’apperçois d’abord sous les eaux un principe de lumière qui, à mesure que les ténèbres augmentent, s’accroît , devient plus in- tense, et frappe les yeux à cent pas de distance. J’approche : c’est une méduse semblable à un flambeau vivant. Les brillans rayons qu’elle me renvoie me permettent de discerner laTorme de son corps , quoiqu’il soit souvent à trente-cinq pieds sous l’eau. Comme l’animal se transporte en oscillant d’un lieu dans un autre , cette lu- mière est errante et elle varie d’intensité; elle est plus forte dans le mouvement de contraction que dans celui de dilatation. Souvent elle se montre sans interruption pendant une demi -heure et davantage; souvent elle s’éteint subitement, et '

ne reparaît qu’au bout d’un certain temps. Cette interruption fait déjà soupçonner que la lumière des méduses dépend de leur oscillation qu’elles ont la faculté de suspendre , semblable au phos- phore des mouches luisantes terrestres et ma- rines , qui brille à chaque vibration de leur corps , et s’éteint dans les momens de repos ; mais ce soupçon n’est pas facile à vérifier dans le détroit de Messine. Observons nbs méduses dans de grands vases pleins d’eau marine , elles resteront plusieurs jours vivantes , si nous avons soin de renouveler fréquemment l’eau (i). Leur phosphorescence n’est point inférieure à celle qu’elles manifestent dans la mer. Tant que leur oscillation dure , la lumière brille sans in- terruption ; faisons attention qu’elle est plus forte dans la.systole que dans la diastole, comme nous l’avions déjà remarqué. Mais le mouvement ve- nant à s’affaiblir , ou à se perdre par intervalles, la lumière diminue et s’affaiblit tellement, qu’elle paraît entièrement éteinte.

J’en peux fournir un exemple. Dans la chambre je couchais à Messine, je tenais depuis plu-

(1) Il est inutile de prévenir que cette expérience et les suivantes ont été faites dans Fobscuriîé de la ituit. Note de l’auteur .

DANS LES DEUX SICILE S. l5 n sieurs jours des méduses dans des seaux pleins d’eau de mer. Ayant oublié de renouveler l’eau dans un de ces seaux, les méduses qui y étaient renfermées pâtirent beaucoup , et n’oscillaient plus quand je les visitai. C’était un soir , peu après le coucher du soleil ; leur phosphore ne brillait plus , sinon quand je prenais l’animal dans la main , et que j’excitais pour quelque temps son oscillation. Occupé à noter dans mon journal les choses que j’avais observées pendant le jour, trois heures s’écoulèrent 5 je renouvelai ma visite: tout dans le vase me parut complètement obs- cur, malgré ma précaution de transporter ailleurs la lampe qui éclairait ma chambre. Cependant m’étant levé avant le jour , je m’approchai du seau, et je découvris avec surprise que mes mé- duses mourantes , et abandonnées à un parfait repos , ne laissaient pas de jeter une lumière , pâle à la vérité, mais très-sensible, qui me frappa avant que je fusse arrivé jusqu’à elles.

Il était important de répéter cette expérience sur d’autres méduses , c’est ce que je fis avec un égal succès. J’ajouterai qu’elles ne cessaient de briller que lorsqu’elles entraient en putré- faction après avoir cessé de vivre. Ainsi, on ne peut pas dire que la phosphorescence dans ces animaux agisse par intervalles , et soit dépéri-

VOYAGES

dante de leurs oscillations 5 ces mouvemens ne font que donner plus d’éclat , plus de vivacité à leur lumière 3 elle brille par elle-même, et se montre , quoique faible, dans les intervalles de repos. Mais pour l’appercevoir dans cet état, il faut que les yeux soient purgés de toute image étrangère; et moi-même je ne parvins à la dé- couvrir qu’après un sommeil de plusieurs heures dans une chambre très~obscure. Cette leçon me fut très utile pour les expériences qui me res- taient à faire sur la propriété phosphorique de ces animaux.

Poursuivons. Au lieu de les tenir plongés dans leur propre élément, si on les laisse, à sec, la lumière continue à se manifester très-brillante tant que dure l’oscillation; elle décroît à mesure que ce mouvement diminue, ce qui arrive éga- lement dans l’eau ; et alors même , dans les in- tervalles de repos, cette faible lueur frappe en- core les yeux.

Mais voici un fait singulier. Une méduse était étendue depuis vingt-deux heures sur une feuille de papier blanc ; elle ne vivait plus , et déjà la majeure partie de son corps était tombée en dissolution : toute trace lumineuse avait disparu. Sur ma table était un verre plein d’eau de puits ; sans trop y songer, je pris cette méduse et la

DANS LES DEUX SICILE S. 107 jetai dans le verre ; elle tomba subitement au fond 3 elle resta immobile 5 mais quelle fut ma surprise de la voir reprendre incontinent sa lumière , et jeter une clarté assez grande pour qu’à sa faveur je pusse lire de gros caractères! L’eau devint en même temps très-lumineuse : mon doigt plongé dedans se faisait appercevoir très-distinctement. Pensant que la même chose arriverait j et peut-être avec plus de succès, si je substituais l’eau de la mer à l’eau douce , j’ôtai celle-ci pour la remplacer par celle-là. A l’instant toute lumière disparut ; je restituai l’eau douce , etle phosphore brilla comme aupara- vant.

Je ne trouvai point d’explication à ce fait; je l’aurais cru purement accidentel , si je ne l’avais reproduit à volonté dans les mêmes circonstances. Un autre phénomène analogue à celui- ci , et dont je ne sus pas mieux me rendre raison , fut le sui- vant. J’avais à sec sur ma fenêtre une méduse morte , qui depuis quelque temps se trouvait complètement obscure. Comme je l’observaîs dans les ténèbres de la nuit, il survint une pluie légère, et je vis, à ma grande surprise , què chaque goutte qui tombait sur elle se transfor- mait à l’instant en une brillante lumière , de manière qu’elle en fut bientôt toute resplen-

1 58 VOYAGES

dissante. Je voulus imiter cette pluie avec un arrosoir plein d’eau marine, mais ce Tut vaine- ment.

Nous avons considéré jusqu’ici la lumière des méduses telie qu’elle s’offre d’elle-même 5 exa- minons maintenant jusqu’à quel point l’art est capable de l’exciter. Une commotion donnée aux parties du corps de l’animal est non- seule- ment propre à l’accroître , mais à la ranimer quand elle paraît éteinte. Je pêche une méduse, et la place immédiatement dans un vasej sa lu- mière phosphorique conserve le même éclat 5 je prends cette méduse entre mes doigts , je l’agite dans son vase , ou seulement je lui fais sentir le frottement de ma main ; aussi-tôt sa lumière redouble. Si en y séjournant long-temps sa propriété phosphorique s’affaiblit , je puis la ranimer par une friction : le même effet a lieu en tenant l’animal au sec. Enfin , quand toute apparence de lumière est effacée , il est encore en mon pouvoir de la reproduire. Mais ces ac- croissemens, ces régénérations phosphoriques ne constituent qu’un état passager qui cesse pres- tp’en même temps que sa cause, et pour les susciter , il faut que l’animal conserve encore quelqu’intégrité dans ses parties.

Soit qu’on le stimule , soit qu’on le laisse en

DANS LES DEUX SICILE S. 1DQ repos, sa propriété phosphorique se commu- nique au fluide dans lequel il est plongé. L’eau douce est plus propre à la recevoir que l’eau salée : toutes choses égales d’ailleurs , la clarté de la première est presque double de celle de la seconde.

%

C’est par ce moyen que je créai divers phos- phores artificiels pour tenter quelques expé- riences. Ayant versé dans un vase de cristal treize onces d’eau de citerne, j'y exprimai deux grosses méduses récemment pêchées dans la mer. L’eau devint trouble , mais en même temps si resplen- dissante, qu'elle éclairait parfaitement ma cham- bre. Ce phosphore ne dura pas long -temps ; vingt-deux minutes s’étaient à peine écoulées, qu’il commença à s’éclipser 5 il disparut entière* ment au bout d’une heure et demie. Ici comme dans le corps même de l’animal , la commotion servit à le ressusciter. Chaque fois que j’agitais l’eau, soit avec un petit bâton , soit avec la main, elle redevenait brillante; sa clarté cependant al- lait en s’affaiblissant à mesure que le temps s’é- coulait. Je remarquai toutefois que plus l’agita- tion de l’eau était forte , plus le phosphorè ac- quérait d’intensité ; mais l’efFet cessait en même temps que sa cause , comme nous l’avons dit à l’égard des méduses.

VOYAGES

i6o

Le calorique est un second stimulant propre à renouveler la phosphorescence de l’eau quand l’effet du premier est usé. J’agitais vainement celle j’avais exprimé des méduses , elle ne donnait plus de lumière ; sa température appro- chait alors du vingt-quatrième degré du thermo- mètre de Réaumur \ je la poussai au trentième degré, et beau reprit sa vertu phosphorique : un peu plus de chaleur rendit son éclat plust vif j mais l’excès lui fut fatal, et l’éteignit entière- ment.

Je répétai ces expériences avec d’autres li- queurs : telle que l’on n’aurait pas soupçonnée propre à s’imboire de la lumière des méduses, la retint parfaitement , comme l’urine humaine par exemple , qui , .par l’intensité et la durée de sa phosphorescence, ne se montra pas infé- rieure à l’eau douce. Mais aucun fluide ne se comporta mieux à cet égard que le lait : une seule méduse exprimée dans vingt-sept onces de lait de vache le rendit si resplendissant , qu’à trois pieds de distance , on pouvait lire les ca- ractères d’une lettre. La durée de ce phosphore fut aussi plus longue : au bout de onze heures, il conservait encore quelque lumière. Quand il l’eut entièrement perdue , je la lui rendis en agi- tant la liqueur. Ce moyen étant devenu impuis- sant ,

BANS LES DEUX S ICI LE S. l6l

sant , je me servis du calorique avec un égal succès.

Ayant communiqué à ce lait le phosphore d’une nouvelle méduse , je le versai de ma hau- teur sur le plancher de ma chambre. Il forma en l’air une espèce de petite cataracte très- blanche, très-brillante ; et en touchant le sol, il créa subitement comme un lac de lumière qui ne tarda pas à s’obscurcir , et qui finit par s’é- teindre totalement au bout de cinq minutes.

Je plongeai la main dans du lait en phospho- rescence , et la retirant subitement , je la vis tonte argentée ; ce brillant se dissipa bientôt , mais il se reproduisit momentanément par le frot- tement. Cette lumière phosphorique s’attachait non-seulement à la chair , mais au linge , ainsi que je le remarquai sur un essuie-main dont les bords avaient trempé dans la liqueur. Il rede- venait lumineux, soit en le frottant, soit en le chauffant.

Pendant le cours de ces expériences nocturnes, j’eus occasion de reconnaître combien la forte percussion de cette liqueur contre un obstacle très-dur , est capable de ranimer en elle Je phos- phore éteint. Ayant jeté par la fenêtre du lait qui ne produisait plus de lumière , malgré qu% Tome IF'. h

lf)2 VOYAGES

je l’agitasse dans son vase , je le vis à l’instant du choc contre le pavé de la rue , briller d’une clarté , passagère à la vérité, mais très-vive.

Au reste , ces phénomènes s’offraient dans d’autres liqueurs , particulièrement dans l’eau douce : le lait ne l’emportait sur elle que par l’éclat et la ténacité de son phosphore.

Après avoir observé les diverses modifications de cette lumière -, il me restait à savoir si elle s’étendait dans tout le corps des méduses , ou seulement dans quelques parties. Ce dernier examen , ainsi que le précédent , ne pouvait se faire dans leur élément natal. Outre qu’en nageant , leurs tentacules restent couverts en partie par l’ombelle , le mouvement qu’elles se donnent, et celui de la mer, ne laissent distin- guer en elles qu’un globe lumineux. Je pris donc le parti de les placer dans des bocaux de verre emplis d’eau marine , à travers lesquels je dé- couvrais leur corps tout entier quand il brillait dans l’obscurité. Il me parut d’abord que la lu- mière était générale , mais plus vive dans les grands tentacules et dans les bords de l’ombelle. Ne sachant si elle existait par elle- même , ici plus forte et plus faible , j’attendis, pour m’en assurer, que l’oscillation cessât par la mort pro- chaine de l’animal. Nous avons dit comment sa

DANS LES DE 'U X. SICILE S. l63 propriété phosphorique lui survit , et les pré- cautions qu’il faut prendre pour l’appercevoir. Dans cet état de repos absolu , les bords seuls, à l’exception du reste de l’ombelle, jetaient une faible lueur; elle se montrait encore, mais moins faible, dans les grands tentacules. Alors je ne doutai plus que le véritable siège du phosphore ne fût dans ces parties éclairées : les expériences suivantes me prouvèrent que je ne me trompais pas.

Que l’on fasse une section circulaire dans l’om- belle d’une méduse vivante , de manière que ses limbes ne forment plus qu’un anneau qui ait cinq à six lignes de largeur ; que l’on passe le doigt sous cet anneau , il brillera à l’instant dans la partie touchée. Si on le coupe ensuite en plusieurs morceaux, chacun donnera de la lumière en le touchant, et continuera d’en donner pendant un certain temps. Au contraire , le reste de l’om- belle dépouillée de ses tentacules et de ses lim- bes, restera totalement obscur, malgré tous les stimulans imaginables.

On a vu plus haut que toute cette partie bril- lante qui forme l’anneau , est revêtue en dedans d’un tissu musculeux : serait-ce le générateur, ou du moins le coopérateur du phosphore ? Non ; car ayant réussi à détacher et à enlever ce tissu,

L 3

!

VOYAGES

l64

la phosphorescence se manifesta comme aupa- ravant. Mais cette lumière dépend , comme on va le voir , d’une humeur un peu dense et vis- queuse qui baigne le fond de l’ombelle.

Il n’est point de partie dans la méduse qui soit plus brillante què les grands tentacules. Qu’on les prenne , soit réunis , soit séparés > entre le pouce et l’index 3 que d’un bout à l’autre on les parcoure de ces deux doigts , il s’engendrera un vif sillon de lumière dont la durée sera de quel- ques secondes. Le même phénomène aura lieu si on les détache de l’animal. On peut le répéter à volonté huit , dix , et même douze fois , avec cette seule différence, que la lumière s’affaiblit graduellement. La raison en est évidente : la phosphorescence ayant son siège dans une hu- meur visqueuse qui s’attache aux doigts , chaque frottement en emporte une portion 3 l’humeur s’épuise et la lumière s’éteint. Les frictions opè- rent de la même manière sur les limbes , et sur la bourse attachée au sommet de la concavité de l’ombelle , qui sont imprégnés , quoique plus faiblement , de cette humeur. Quelques recher- ches que j’aie faites , je n’ai pu découvrir dans ces mollusques d’autres parties qui fussent douées de lumière. Elles se réduisent à trois : les grands tentacules , la phosphorescence domine 3 les

PANS LES DEUX SICILES. lb5 limbes de l’ombelle , elle règne plus faible- ment ; et la bourse , son action est encore moins sensible. Cette dernière partie commu- nique , comme nous l’avons dit, avec l’ouverture de l’ombelle, qui est peut-être la boucbe de l’animal.

Que ce pbospbore consiste dans l’humeur vis- queuse, c’est de quoi les faits suivans ne permet- tent pas de douter. Dans l’obscurité de la nuit , touchez avec le pouce et l’index Tune ou l’autre des trois parties indiquées, l’humeur s’attachera à vos doigts , et les fera briller d’une vive lu- mière. Pressez les grands tentacules dans votre main, et ouvrez-la 3 vous la trouverez tout- à-la- fois lumineuse et gluante. Répétez ce jeu 3 vous verrez reparaître le même phénomène tant qu’il restera quelques particules d’humeur dans les parties touchées 3 mais du moment qu’elles en seront tout-à-fait dépouillées , vous aurez beau faire, le phénomène ne se reproduira plus. Pal- pez ensuite le reste du corps de l’animal , vos doigts ne contracteront aucune viscosité , et ne brilleront par conséquent d’aucune lumière. Ra- massez avec la lame d’un couteau cette subs- tance visqueuse , faites-la tomber dans un verre plein d’eau ou de lait, remuez ce mélange avec une spatule , il deviendra phosphorique. Expri-

L 3

VOYAGES

l66

iriez dans les mêmes fluides le corps même de l’animal dépouillé de ses tentacules, de ses limbes et de sa bourse , vous n’en obtiendrez aucun effet semblable. Mais pour que l’humeur soit plei- nement douée de sa vertu phosphorique, il faut qu’elle soit récente , ou du moins extraite peu après la mort de la méduse , autrement, n’étant plus capable de luire par elle-même , elle peut encore moins communiquer de la lumière à des corps étrangers.

Nous remarquerons ici une différence très- essentielle entre les méduses du détroit de Mes- sine , et celles que j’ai eu occasion d’observer dans d’autres mers. Ces dernières , soit pendant leur vie , soit peu de temps après leur mort , ne sont point phosphoriques; elles ne le devien- nent que lorsqu’elles tombent en pourriture , tandis que les premières produisent des effets opposés.

Il est donc constant que la liqueur qui s’en- gendre de la dissolution de nos méduses est d’une autre nature que celle qui produit le phosphore. La première s’étend et pénètre dans tout le corps | la seconde a son siège dans trois de ses parties seulement.

Toutefois joignons aux preuves précédentes

DANS LES DEUX S I C I L E S. 167 les deux faits suivans. Après avoir exprimé des grands tentacules l’humeur visqueuse, leur phos- phorescence cessait 5 mais ils n’en continuaient pas moins de se résoudre en liqueur. De plus , en coupant transversalement ces parties pendant la vie de l’animal, c’est-à-dire, dans le teipps qu’elles jetaient le plus de lumière, le plan de l’incision restait dans l’obscurité , malgré l’écou- lement très-abondant du produit de la dissolu- tion : la surface seule des tentacules réside la substance phosphorique paraissait éclairée. Je n’ai pu , faute de moyens , analyser chimi- quement ces deux liqueurs j'mais elles se faisaient suffisamment distinguer parleur saveur.La liqueur de dissolution , chargée de muriate de soude , n’incommodait point l’organe du goût : la liqueur ph osphorique lui causait toujours une sensation douloureuse. Deux fois j’ai essayé d’en goûter avec le bout de la langue t et j’y ai ressenti une impression brûlante qui a duré plus d’un jour. Il en tomba par hasard une goutte sur mon œil , qui fut suivie d’une douleur très-cuisante. Enfin, quand j’avais touché pendant quelque temps ces animaux , la peau même de ma main en était afFectée.

Les méduses phosphoriques du détroit de Mes- sine ne sont pas les seules dont l’attouchement

L 4

VOYAGES

168

provoque ces sensations cuisantes; j’en ai trouvé dans le golfe de la Spezia qui , sans être lumi- neuses , causaient les mêmes effets. Aristote et Pline n’avaient donc pas tort de donner le nom d 'orties à ces mollusques , quoique leur genre comprenne des espèces très-innocentes , telles que celles des cotes du Poitou décrites par Réau- mur, et d’autres que j’ai rencontrées moi-même dans le bosphore de Thrace.

Encore quelques remarques, et j’aurai terminé l’histoire de mes méduses. Je les observais en octobre ; à cette époque de l’année elles étaient très-abondantes, et se plaisaient particulièrement dans les eaux calmes. Ce qu’il y a de certain 3 c’est qu’elles ne peuvent résister aux vagues , qui les poussent et les laissent à sec sur le ri- vage. A Messine , on les appelle brorrii ; les ha- bitans m’ont assuré qu’ils en voyaient en tout temps dans leur canal. Durant le cours de mes navigations autour des îles Æoliennes , je n’ai su en découvrir que deux , et ce fut près de Vulcano. A Lipari elles sont très-communes; on les appelle chandelles de mer .

Une fois je vis un petit poisson qui s’était pris à l’humeur visqueuse des tentacules d’une méduse. Les pêcheurs de l’endroit m’assurèrent que cela arrivait fréquemment. Ces appendices

ï) A N S LES DEUX SICILES. lGg des méduses leur seraient -elles données, non- seulement pour répandre de la lumière , mais pour leur servir comme de gluau pour attra- per les petits êtres vivans dont elles font leur nourriture ? Pline le pensait ainsi : son opinion n’était pas dépourvue de fondement.

Je suis porté à croire que ces animaux sont habiles à se propager sans le concours d’un autre individu de leur espèce , et je tire cette conjec- ture, non de ce que je n’en ai jamais rencontré deux accouplés ensemble , mais de ce que j’ai constamment observé en eux une parfaite simi- litude d’organes. L’extrême transparence de leur corps m’en laissait découvrir tout l’intérieur. J’ai souvent cherché à reconnaître s’ils étaient ovi- pares ou vivipares , sans parvenir à éclaircir mes doutes ; j’ai apperçu seulement dans l’ombelle des grandes méduses, à peu de distance des tubes trachéïformes , comme un amas de petites boules qui n’existaient point dans les jeunes méduses 5 plus leur ombelle acquérait de grosseur, plus ces petits corps sphériques devenaient apparensj d’où j’ai présumé que ce pouvait être des œufs 5 mais le temps ne m’a pas permis de donner des suites à cette observation.

On pourrait caractériser ainsi cette nouvelle espèce de méduse : Médusa phospkorea , orbi -

VOYAGES

IJO

cularis , convexiuscula , margine fimbriato 3 subtus quinque cavitatibus 9 tentaculis quatuor crassioribus centralibus , octo tenuioribus la - teralibus longioribus .

Je terminerai ce chapitre en faisant mention d’autres petits animaux phosphoriques des mêmes parages , à qui on a donné le nom de mouches marines luisantes . Vianelli de Chiozza a été le premier à les faire connaître , en prouvant que les lumières errantes qui brillent pendant les nuits obscures à la surface de la mer dans la lagune de Venise , sur-tout quand elle est sillonnée par les gondoles , ou frappée par les rames , pro- viennent de ces petites mouches très-multipliées en cet endroit. Ce n’est pas cependant la seule partie de la Méditerranée elles soient répan- dues : j’en ai découvert dans la rivière de Gênes cinq nouvelles espèces , que j’ai décrites dans les Mémoires de la Société italienne , tome II , page 2.

Cês phosphores vivans ne m’ont point apparu dans la mer qui baigne les îles de Lipari 5 mais je les ai retrouvés sur les côtes de la Sicile , dans les hauts-fonds tapissés d’algues. Ces plantes , dans les ténèbres de la nuit, semblaient étinceler, sur-tout en les agitant avec le bout d’une rame. J’en saisis plusieurs touffes, et je découvris que

DANS LES DEUX SICILE S. 171

la cause du phénomène résidait dans une multi- tude de ces mouches qui étaient attachées à l’al- gue. Pour les examiner à mon aise , je mis mon paquet d’herbe dans un vase plein d’eau de mer que j’emportai avec moi à Messine. M’étant ren- fermé dans une chambre obscure , je parvins à les détacher de la feuille d’algue , soit en les saisissant doucement avec la pointe des doigts , guidé par la lumière qu’elles renvoyaient , et qui m’indiquait l’endroit précis elles étaient fixées, soit en secouant la plante dans l’eau, après avoir mis un linge au fond du vase. Elles y tombaient parce qu’elles étaient spécifiquement plus pe- santes , et le linge qui les avait reçues parais- sait tout couvert de points brillans. Alors il me fut facile de les observer avec une loupe , et j’y distinguai deux espèces différentes. Comme ces deux espèces se rapportent à celles que j’ai ren- contrées en allant à Constantinople, je me réserve de les décrire dans la relation que je publierai incessamment de ce dernier voyage. En atten- dant, on saura que ces petites mouches phos- phoriques dont l’existence a été ignorée si long- temps , quoiqu’elles se montrassent à tous les yeux, n’habitent pas seulement la lagune de Ve- nise , mais encore la mer de Sicile et de l’Archipel , celle de Marmara , le détroit de Constantinople et la mer Noire,

VOYAGES

CHAPITRE XXVIII.

ulres mollusques découverts dans le détroit de JSlessine .

îi a mer de Messine m’avait offert une recréa- tion aussi amusante qu’instructive , dans le spec- tacle de ses méduses phosphoriques jouant à la surface de ses eaux. Les divers animaux qu’elle recèle dans son sein n’étaient ni moins curieux , ni moins intéressans à connaître. Je parvins , au moyen des filets qui servent à la pêche du corail, à me procurer ceux dont je vais donner la des- cription.

I. Nouvelle espèce d’ascidie dont le genre est ainsi défini par Linné : Corpus fiscum y te - retiusculum > vaginans. ud perturœ binœ ad summitatem : altéra humiliore .

Sa forme et ses dimensions naturelles sont re- présentées dans la planche VII , fig. i. Deux autres petits animaux de son espèce (BC), dont nous ferons abstraction pour le moment, sont attachés à son corps.

Cette ascidie n’est point errante dans la mer$ on la trouve toujours enracinée par son extrémité

DANS LES DEUX SICILE S. 175 inférieure aux rochers, aux pierres , ou à d’au- tres matières solides ( fig. 1 , G ). Son extrémité supérieure se partage en deux becs obtus et sail- lans , l’un plus gros et plus élevé , l’autre plus petit et plus bas. Ces deux becs ont à leur centre une ouverture qui se ferme quand l’animal est tiré hors de l’eau ; qufs’ouvre peu à peu , et reste en cet état quand on le plonge dans un verre plein d’eau de mer , et que le fluide agité par l’immersion a repris son assiette (fig. 2, M N J. L’ouverture supérieure se montre plus grande que l’inférieure 3 la première représente une étoile à huit rayons, la seconde une étoile à sept rayons. Si Ton donne une commotion au vase , l’animal ferme à-la- fois ses deux ouvertures avec moins de lenteur qu’il n’en met à les ouvrir.

Il est des mollusques de mer, tels que certaines olotures , qui , pris simplement dans la main , lancent comme un jet , l’eau qu’ils avaient en- gloutie. L’ascidie dont il est ici question la re- çoit également par ses ouvertures 5 elle s’en sa- ture en quelque façon , mais ne s’en dessaisit pas si l’on se contente de la manier légèrement : il faut la comprimer 5 alors son eau s’échappe et jaillit en l’air. Quand elle est entièrement vide, elle paraît ridée et flétrie ; mais il suffit de lui redonner de l’eau pour qu’elle rouvre ses orifices.

VOYAGES

174

en remplisse son corps , et devienne aussi ronde qu’auparavant.

Dans les diverses études que j’ai faites des productions organiques de la mer , j’ai connu par expérience de petits animaux qui , en absor- bant l’eau par la bouche , excitaient dans ce fluide une espèce de tourbillon. Mon ascidie n’a pas ce pouvoir : l’eau y entre presqu’insensible- ment, en occupant peu à peu son vide intérieur. Il est facile de suivre des yeux ses progrès avec la plus grande précision , en la teignant de co- chenille 5 car l’animal peut , sans incommodité apparente , vivre pendant plusieurs heures dans cette teinture. On voit alors, sur-tout avec le secours d’une loupe , les atomes rouges de la co- chenille pénétrer lentement avec l’eau dans les deux orifices , et remplir le vide de l’animal , sans qu’il s’engendre dans le fluide coloré aucun tournoiement. Au bout de quelque temps , le mouvement lent des atomes s’arrête, c’est-à- dire , quand la cavité intérieure est occupée par le fluide. On peut le faire sortir de nouveau du corps de l’animal en le comprimant entre les doigts, et recommencer, si l’on veut, l’expé- rience.

Si, après avoir vidé ce mollusque, on le plonge dans un vase , en tenant un de ses orifices hprs

D À N $ L E S D E U X S I C IL E S. 170 de l’eau , celui qui se trouve dans le fluide , soit le supérieur, soit l’inférieur , en sature plei- nement le corps de l’anirnal , ce qui prouve qu’il existe une communication entr’eux. En voici une autre démonstration. Si , au moyen d’un petit tube, on fait entrer de l’air par l’orifice supérieur, il sort par l’inférieur , et réciproque- ment 5 de plus , si l’on en bouche un pendant que l’on souffle dans l’autre , l’animai s’enfle comme une outre , sans que l’àir trouve d’issue ailleurs.

Au reste , il paraît certain que l’ouverture su- périeure fait les fonctions de la bouche, et l’in- férieure celles de l’anus. J’ai vu des ascidies se décharger , par cette dernière voie , de matières qui avaient toute l’apparence d’être excrémen- teu ses.

A la réserve de l’action d’ouvrir et de fermer lentement ses deux orifices, l’espèce que nous décrivons ne manifeste aucun mouvement , de quelque manière que l’on s’y prenne pour la stimuler , soit en la piquant, soit en la coupant par morceaux.

Les plus grandes ont à-peu-près deux pouces de longueur sur un de largeur ; elles augmentent de volume à mesure qu’elles prennent de l’âge :

VOYAGES

j’en ai vu qui n’avaient pas encore plus de deux ligues de grosseur. Leur couleur est cendrée ti- rant sur l’azur , semi-transparente , et presque semblable à celle de la calcédoine vulgaire. Pour l’ordinaire, elles ont la peau lisse à l’extérieur 5 quelquefois raboteuse , à cause des petits lima- çons qui s’attachent sur leur dos et sur leurs flancs, de manière qu’une ascidie devient souvent le support de plusieurs êtres vivans. En faisant une incision longitudinale à la peau, sans offenser les parties intérieures , on la trouve dure , co- riace , et on s’apperçoit qu’elle n’est autre chose qu’une gaîne qui enveloppe et protège le corps mou et tendre de l’animal : on peut la lui enlever sans lacération 3 car , à l’exception de la région des orifices , elle a quelque adhésion , par tout le reste du corps elle est presque libre.

La figure 3 représente cette peau coriace coupée longitudinalement, et se tenant debout par sa seule consistance et son élasticité. La fi- gure 4 expose le corps dépouillé de l’animal , avec ses deux becs obtus et leurs ouvertures radiées.

Dans cet état, il paraît presque gélatineux 3 plongé dans l’eau, il ouvre comme auparavant ses deux orifices 3 et s’il est vide , il se remplit comme à l’ordinaire de ce fluide. Sa couleur est

d’un

DANS LES DEUX SICILE S. 177 d’un blanc délicat , excepté près du grand orifice , elle est tachetée de points rouges. En l’op- posant aux rayons du soleil , on y remarque deux ordres de filets très-nombreux, les uns placés longitudinalement, les autres par le travers. Pour rendre ces deux ordres très- distincts , il suffit de mettre l’animal dans l’eau-de-vie , ou de le gon- fler outre mesure ( fig. 5 ).

Quand on examine attentivement ces filets , on s’apperçoit que ce sont autant de muscles qui laissent entr’eux de petits espaces quadran- gulaires , et sont destinés par la nature , les lon- gitudinaux à raccourcir par leur action la lon- gueur du corps , les transversaux à opérer le même effet sur la largeur. Ce double mouvement, quoique très-léger, est visible dans le corps dé- pouillé de sa peau : il ne l’est plus quand il en est revêtu. Les muscles tournent autour des deux orifices , et cela pour les fermer à la volonté de l’animal. La figure 5 exprime ce tissu muscu- leux i on y voit en outre plusieurs lignes noires avec des directions irrégulières , qui s’entre- coupent , et forment des anastomoses comme les rameaux de Yisis noble ; ces lignes représentent de petits faisceaux très-déliés qui s’entrelacent dans les muscles, et dont je n’ai pu découvrir l’usage.

Tome Ifrf M

VOYAGES

î78

L’animal étant nu , si on lui ôte son eau pour la remplacer avec de l’air , on découvrira dans son intérieur un canal dont le fond est en forme de poire ; il correspond à la partie inférieure du corps , s’élève en s’amincissant , fait deux cour- bures sur lui-même, et va aboutir au petit ori- fice F G H (fig. 6).

En comprimant légèrement ce canal, soit à sa base , soit dans ses parties du milieu , on en fait sortir , par l’orifice il aboutit, une abon- dance de matière grenue qui , vue au microscope, est comme un amas de petites vessies dont cha- cune renferme un globule centrai de couleur jaune , l’un et l’autre si délicats , qu’au moindre attouchement ils se décomposent ( fig. 7 ). A l’ex- ception de ce canal et de celui qui fait la com- munication entre les deux orifices , et encore du double ordre de muscles enveloppés de faisceaux irréguliers , tout le reste du corps est composé départies tellement muqueuses et similaires, que je n’ai su y distinguer aucun autre viscère , ou organe caractérisé.

Mais que penser des globules renfermés dans ces vessies transparentes ? sont-ce les œufs ou les fétus de l’animal ? Avant d’exposer ce que je soupçonne à cet égard, je dois porter un moment l’attention du lecteur sur les petites ascidies que

DANS LES DEUX SICILE S. 17g l’on trouve par fois attachées aux grandes ï on en voit deux dans cette situation, figure 1 et 2. L’une , C , adhère uniquement à la grosse ascidie 3 l’autre , B , tient en partie à la concrétion marine dans laquelle la grosse ascidie est enracinée. Leg deux petites sont en tout semblables aux adultes 3 elles ont , comme ces dernières, leurs vessies et leurs globules 5 la seule différence est dans la quantité , qui est moindre. J’en ai trouvé d’aussi jeunes qui étaient solitaires et fixées aux rochers sous-marins 5 mais j’ai voulu observer de préfé- rence celles qui naissent et se développent sur le corps des autres , pour découvrir s’il était des liens qui unissent les premières aux secondes. J’ai reconnu qu’il n’existait aucune communication interne, et que l’adhésion ne tenait qu’à la peau. Ceci est clairement exposé dans la figure 3 , l’on voit une peau évidée , à laquelle sont restées attachées les deux petites ascidies B, C * qui n’ont souffert nullement de cette opération. De plus, il est possible de les séparer sans écor- cher leur peau , ce qui prouve que si elles se collent ensemble , c’est uniquement par le moyen d’un suc visqueux qui baigne toujours ces ascidies dans leur premier âge. Ce suc est encore la cause que d’autres petits animaux étrangers s’y at- tachent , comme nous l’avons remarqué plus haut.

M a

VOYAGES

i8o

Cette observation démontre que la génération de cette espèce d'ascidie n’a aucun rapport avec celle des polypes décrits par Tretnbley , hydra viridis ; h . fusca ; h. grisea , Linn. quoiqu’au premier abord on soit tenté de croire le contraire : mais les petits polypes pullulent sur les grands, et leur corps est une continuation de celui de leur mère. Cependant je ne serais pas éloigné de pen- ser que ces globules microscopiques renfermés dans des vessies, constituent les œufs ou les rudi- mens de nos mollusques ; qu’en sortant de leur canal, ils restent attachés au corps de la mère 5 et que, dans cette situation , ils se développent et croissent, ce qu’ils font également s’ils viennent à tomber et à se fixer sur d’autres matières so- lides dans le fond de la mer. Au reste, ceci n’est qu’une conjecture , et je laisse à des physiciens plus heureux que moi le soin de la vérifier ou de la détruire.

En comparant les diverses espèces d’ascidies décrites par les naturalistes , je trouve que celle qui a le plus de rapport avec la mienne est le tethyum de Bohadsch , qu’il a caractérisé de la manière suivante : Tethium corïaceum , asperum coccineum y organorum orificiis setis exiguis munitis (1)5 et que Linnée, en le plaçant dans

(1) De quibusdam animalibus mariais . Dresdæ, 1761.

DANS LES DEUX SICILE S. 1 B 1 îe genre des ascidies , a défini ainsi : ^4 scidîa scabra tuberculis coccineis. Mais si ce mollusque a quelque ressemblance avec le mien, il en diffère par des traits essentiels. Sans parler de sa taille qui est toujours plus considérable , de sa couleur qui est rouge , de sa peau qui est raboteuse et grenue , je ferai remarquer que son ouverture supérieure est en forme de croix, que l’inférieure est triangulaire , et que les bords des deux orifices sont garnis de petites soies : caractères qui ne se rencontrent pas dans notre mollusque.

On pourrait le définir de la manière suivante : u4scidia coriace a lœvis subdiafana ; apertura superiore octogona ,• humiliore eptagona .

IL Après avoir arraché le corail du fond de la mer, si on le plonge subitement dans un vase plein d’eau marine, on découvre souvent sur ses rameaux un petit animal qui , par la bizarrerie, la singularité de sa forme , mérite quelqu’atten- tîon. Il est représenté dans la figure 8 un peu au-dessus de sa grandeur naturelle , pour le rendre plus apparent. Sa tête M s’élargit des deux côtés ; sa bouche est placée au-dessous. Ses tentacules latéraux sont au nombre de onze, cinq à gauche et six à droite. La privation d’un sixième tentacule au côté gauche n est point accidentelle : sur treize individus que j’ai exa-

M 3

VOYAGES

182

minés , je n’en ai pas trouvé un seul autrement configuré. Les deux tentacules antérieurs H, I , sont rétractiles comme ceux de l’escargot 5 l’ani- mal peut les retirer dans les deux étuis X , Z , et les en faire sortir à volonté ; quant aux neuf autres jls gardent toujours la même position on les voit représentés, soit que l’animal se meuve, soit qu’il t'este en repos. De ces derniers , il y en a sept terminés par trois dents, qui sont O , R, T, V, L , Q , S ; et deux terminés par quatre dents, P, N. La pointe Y , forme l’extrémité inférieure de l’animal. Quand on le tire de l’eau , on le trouve revêtu d’une humeur visqueuse qui s’attache aux doigts , et s’alonge en petits fils comme celle qui enveloppe l’escargot. Son corps est assez charnu, d’un gris cendré tirant sur le jaune, et marqué tout le long du dos par une bandelette de couleur plus claire l’on apperçoit un mou- vement régulier de contraction et de dilatation. J’ai pensé que c’était-là le cœur , ou quelque organe analogue , tel que celui qui se présente au dos des chenilles et d’autres insectes. Il ne* nage point, mais il se traîne et rampe sur les ra- meaux du corail à la manière des vers terrestres et aquatiques, s’alongeant et se contractant tour- à-tour. La partie inférieure de son corps , que l’on pourrait appeler ses pieds , a beaucoup d’a- nalogie avec celle des limaçons. Quoiqu’il soit

DANS LES DEUX SICILE S. 1 83 incapable de nager , il peut, en se gonflant , venir à fleur d’eau.

Placé au sec, il garde encore la vie quelque temps 5 mais il meurt promptement si on le plonge dans l’eau douce. J’ai éprouvé que cette eau est un poison très-actif pour la plupart des petits animaux marins , et qu’elle peut même en peu d’instans décomposer leurs membres.

J’ai du regret de laisser imparfaite l’histoire de ce curieux animal 5 mais , faute de loisir , je n’ai pu porter plus loin mes observations. Dans quel genre le placerons-nous ? Les mollusques avec lesquels il paraît avoir le plus d’affinité, sont les limaçons et les doris 5 cependant les caractères de ces deux genres ne lui conviennent point , comme on peut s’en assurer en consultant Linnée. Doit-il constituer un genre nouveau? c’est ce que je laisse à décider aux naturalistes plus versés que moi dans ces matières.

III. On sait que les escares sont une espèce de croûte mince , composée pour l’ordinaire d’une substance calcaire, qui se trouve à la sur- face des corps solides sous-marins elle est comme enracinée , et qui présente plusieurs or- dres divergens de cellules, au fond desquelles sont implantés de petits polypes munis de bras

M 4

VOYAGES

3 84

filamenteux. Divers auteurs anciens et modernes en ont parlé , et après Linnée, ce genre de zoo- phite a été augmenté d’un grand nombre d’es- pèces par Pallas , qui ne les a observées pour la plupart que dans leur état de mort , et ne les a décrites que d’après leurs dépouilles con- servées dans divers cabinets d’histoire naturelle; mais la nature a tellement multiplié et diversifié les substances organiques dans le sein du vaste Océan , que, malgré la découverte de tant d’es- pèces , il n’est pas difficile d’en trouver encore de nouvelles. Telle est peut-être celle qui vé- gète sur les coraux , et autres corps sous- marins du détroit de Messine , simple dans ses commen- cemens, se ramifiant dans ses progrès, et s’éten- dant jusqu’à couvrir de ses ramifications les corps auxquels elle s’est attachée. La figure 9 en donne une représentation au microscope : on la voit un peu plus que naissante. Elle est formée de petites cellules applaties et ovales, d’une subs- tance membraneuse et calcaire ; chacune pré- sente dans sa partie supérieure une petite bouche avec une saillie longitudinale au-dessous. Je puis . dire que j’ai vu cette production s’engendrer sous mes yeux, en la tenant dans un vase rempli d’eau marine souvent renouvelée. D’abord il n’existait que le tronc A D formé de quatre cellules A, B , C, D , chacune logeant son polype. Ce tronc

1 85

DANS XES DEUX SICILE S. crut dans une direction perpendiculaire, et pous- sa deux rameaux latéraux ÎX) , E M. Alors les polypes des quatre cellules inférieures périrent et il en naquit six autres , savoir deux , S , X , dans la partie alongée du tronc , et quatre, I, L, Z , V, dans les deux rameaux. J’ai presque toujours observé que les plus anciennes cellules perdent leurs habitans , et que * par une sorte de com- pensation, les nouvelles en acquièrent ; mais ces dernières ne les possèdent point, ou ne les ma- nifestent pas incontinent après leur formation. Ainsi , dans le temps que les six polypes en ques- tion apparurent , les quatre cellules supérieures O , N , P, M , n’en produisaient point encore au- dehors.

Cette escare continua de pousser successive- ment de nombreux rameaux qui se pressèrent les uns contre les autres. J?ai cru inutile d’en donner la figure entière , ce que j’en ai montré suffît pour mon objet. Elle s’étendit en forme de croûte très-mince , de nature calcaire , qui , éprouvée par l’acide nitrique délayé dans de l’eau , se décomposa en peu d’instans avec effer- vescence.

Passons maintenant aux polypes, qui en étaient la partie la plus intéressante. Je plaçai un mor- ceau de l’escare dans un verre de montre que

VOYAGES

iS G

Remplis d’eau marine. Cette eau étant parfai- tement calme, je vis, au moyen de ma loupe, les polypes sortir des cellules en manière de pe- tits cylindres, avec leurs bras déployés au som- met. La figure g montre six de ces polypes ; chacun était muni d’environ douze bras, qui, par leur position , représentaient presqu’une cloche renversée. Ces bras, en s’agitant continuellement, engendraient un mouvement circulaire dansl’eau, et ce mouvement la faisait accourir dans le fond de la cloche , était placée la bouche de l’ani- mal. En recevant l’eau , il 'se rendait ainsi maître des corpuscules qui y flottaient , et il pouvait choisir les plus convenables à sa nourriture. Au reste , cet artifice est commun à une infinité de petits animaux marins auxquels la nature a re- fusé la liberté de changer de place , et qui vivent et meurent aux lieux ils sont fixés. Ne pouvant aller à la quête des alimens , les alimens les vien- nent chercher.

Quand, par accident, il se faisait une commo- tion dans l’eau , ou que je l’agitais à dessein , mes polypes , fermant leurs bras , se retiraient incontinent dans les cellules par un petit trou rond pratiqué à leur sommet. Ils y restaient ca- chés jusqu’à ce que l’eau eût repris son état de repos 5 alors , sortant de nouveau , ils éten-

DANS LES DEUX SICILE S. 187 daîent leurs bras et recommençaient leur jeu. Souvent ils rentraient tout- à -coup dans leurs demeures sans qu’aucun mouvement parût trou- bler le calme de l’eau. La transparence des cel- lules permettait de les contempler dans leur in- térieur 3 le corps courbé en arc , et les bras groupés ensemble : leur couleur jaunâtre aidait encore mieux à les faire remarquer. Je les ai vus se mouvoir dans leurs retraites; et , quoique je ne me sois point apperçu qu’ils y fussent fixés par la partie inférieure de leurs corps , cependant j’ai soupçonné une adhérence dans cette partie 3 parce qu’elle restait constamment en contact avec un point de la cellule dans les divers mou- vemens qu’ils se donnaient.

Au bout de quelques jours ils ne sortirent plus , mais ils continuèrent de se mouvoir dans leur habitation ; ensuite ils cessèrent de vivre , et je pus encore observer leurs cadavres à moitié consumés. Pendant ce temps- , de nouvelles cellules pullulaient avec de nouveaux polypes. Ceux-ci parurent d’abord immobiles , bientôt ils s’animèrent , sortirent de leurs cellules , et agi- tant leurs bras , formèrent , comme leurs pré- décesseurs , de petits tourbillons dans l’eau.

A l’inspection de la figure g , on s’apperçoit que chaque nouvelle cellule s’attache à l’ancienn e

VOYAGES

l88

par la partie voisine du trou qui sert d’issue au polype : je ne doute pas que ces cellules et leurs hôtes ne doivent leur origine à des germes ou ru- dimens provenus de vieux polypes, quoique ,, par leur petitesse , ces germes échappent à la vue.

Voici comment je caractérise cette espèce d’escare : j Escara membranaceo-calcareci ^ ra - mosa j cellalis ovatîs subcompressis 3 facie una porosis , polypis retractilibus .

IV. La description de l’animal suivant confir- mera une découverte que je fis pour la première fois en 1786, étant à Constantinople , et me li- vrant à l’étude des productions organiques du Bosphore de Thrace ; je veux parler de la cir- culation des fluides dans certains polypes , phé- nomène qui s’est représenté à mes yeux dans un polype du détroit de Messine. Ayant amené dans mes filets* quelques feuilles de plantes marines, j’en remarquai une qui portait sur ses bords une sorte de duvet. Curieux d’examiner ce que ce pouvait être , j’en pris un morceau , que je posai incontinent dans un verre concave rempli d’eau marine. Je m’apperçus alors que ce duvet n’était autre chose qu’un réceptacle de polypes que la figure 1 o représente dans sa grandeur naturelle.

A B est le morceau d’herbe couronné de chaque

DANS LES DEUX SICILE S. 1 89 coté par une multitude de polypes. A l’exception de trois qui sont ramifiés , tous les autres sont simples. Ils sont attachés par la jambe , et s’élè- vent dans une direction perpendiculaire à l’herbe qui leur sert de support. Mais pour distinguer la forme et l’organisation d’un si petit animal, il faut le considérer au microscope ; alors son image s’ofFre telle qu’on la voit dans la figure 1 1 .

Il paraît d’abord que l’adhésion C C du polype avec l’herbe s’effectue sans l’aide de racines ou de barbillons, et que l’animal y tient immédia- tement par sa jambe. Elle s’élargit dans sa par- tie supérieure , et prend la forme d’une poire , HEM S : je donnerai à cette partie le nom de cloche.

Au-dessus de la cavité M E de cette cloche , s’élève un globe un peu applati , dont le centre est percé d’un petit trou N : nous verrons plus bas que ce trou est la bouche de l'animal.

Sous le globe et à la base de la cloche, s’é- tendent ses bras terminés en pointe. J’en ai comp- té quinze dans cet individu 5 mais le nombre n’en est pas fixé , et j’ai vu d’autres individus de son espèce qui en avaient plus ou moins.

En donnant une secousse à l’eau, l’animal les fait rentrer dans la cloche; il y cache aussi cette

VOYAGES

1€)Q

partie de lui-même qui a la forme d’un globe. Le reste du corps et la jambe restent toujours dans une parfaite immobilité.

Ses bras étendus , tels qu’on les voit ici , sont représentés dans un état de repos et d’inaction, mais il les agite à volonté 5 comme l’escare , il sait au besoin produire dans l’eau un mouvement cir- culaire qui l’attire vers sa bouche.

Pour s’assurer que l’orifice N est l’organe qui en fait les fonctions , il suffit que l’observateur se place de manière que son œil puisse le fixer verticalement de haut en bas. Dans cette situa- tion , il verra cet orifice s’élargir , se rétrécir , se fermer, s’ouvrir, recevoir les atomes flottans apportés par le tourbillon d’eau qu’excite le polype , et ces alimens descendre dans un petit canal contigu avec la bouche , et d’autant plus aisé à distinguer que l’on aura eu soin de donner à l’eau une teinture légère. C’est encore au moyen de ces divers mouvemens que le globe, au som- met duquel est située la bouche , prend des formes diverses.

Les polypes de la figure 10 furent, non les uniques , mais les premiers qui me tombèrent sous la main 5 j’en découvris ensuite des multi- tudes de la même espèce sur d’autres rameaux

DANS LES DEUX SICILES. igt de fucus. Les plus grands avalent quatre lignes de longueur, les plus petits une demi -ligne 5 et ces derniers, tenus dans une eau souvent re- nouvelée , ne tardèrent pas d’acquérir la gran- deur des premiers. Leur couleur blanche les fai- sait aisément distinguer à l’œil nu de l’herbe à laquelle ils étaient attachés 3 en les regardant avec une loupe, ils paraissaient transparens, et cette transparence permettait de contempler la circulation de leurs humeurs.

Le long de la jambe C C R S de chaque po~ tyPe > on voit une colonne d’atomes qui s’élève et passe par l’axe de la cloche. Je crus d’abord que ces atomes faisaient partie de l’organisation de l’animal : point du tout ; ils étaient, non fixes, mais mobiles , et destinés à la fonction que rem- plissent les globules rouges du sang dans les ani- maux d’un ordre supérieur. Or voici comment la nature a déterminé dans nos polypes le mou- vement de ces atomes. Au bout de cinq ou six minutes , on les voit monter rapidement du fond de la jambe C C , et pénétrer dans le milieu longitudinal de la cloche M C R S. Cependant leur nombre diminue dans la jambe 3 ils se réu- nissent presque tous dans la cloche , et y pro- duisent , par leur mouvement général, une sorte d’ébullition qui dure quelques secondes; ensuite

VOYAGES

3()S

ils descendent par le même chemin qu’ils ont pris en montant , et se reportent à l’extrémité inférieure C C de la jambe. , ils restent en repos pendant un court intervalle , et c’est en les voyant dans cet état que je les avais pris pour une portion solide de l’animal ; mais bientôt , animés deleur premier mouvement, ils remontent le long de la jambe, se réunissent dans la cloche, y reproduisent une ébullition intestine, et redes- cendent à la place d’où ils sont partis. Cette al- ternative de repos et d’ascension est constante y régulière 5 sans doute elle suppose l’existence d’un canal longitudinal , mais je n’ai pu en ap- psrcevoir l’orifice à cause de la transparence des polypes.

De tous ceux que j’ai examinés , je n’en ai pas trouvé un seul , grand ou petit , qui n’ait manifesté cette circulation régulière , et telle que je l’ai décrite quand l’animal était plein de vie, mais plus ou moins altérée quand il sôuffrait : ce qui arrivait toutes les fois qu’il était tenu dans une eau non renouvelée. Alors le mouvement des atomes finissait au milieu de son cours sans jamais se réveiller , ou s’il se réveillait après un certain intervalle , c’était avec peine et pour peu de temps 5 ou bien il conservait sa régularité ? mais ne procédait plus qu’avec une extrême len- teur.

BANS LES BEUX S ICI LE S. lg 5

teur. Je ne puis m’empêcher de remarquer ici l’accord qui règne entre ces phénomènes , et ceux de la circulation languissante de certains animaux de diverse température que j’ai observés et décrits dans un autre ouvrage (i). Au reste , pour mieux appercevoir celle de nos polypes , il faut les regarder j non dans le sens de leur longueur i mais en travers 5 autrement le canal des alimens situé dans le premier sens 3 étant plus ou moins embarrassé de matières avalées par l’animal , troublerait la vue des atomes cireu- lans.

j’eus la curiosité de couper transversalement la jambe de plusieurs de ces polypes , et d’en placer d’autres, entiers et pleins de vie , dans l’eau douce. Attentif aux résultats, voici ce que j’ob- servai : dans les premiers, les atomes fluides qui font l’office du sang ayant abandonné leur mou- vement périodique , s’épanchèrent par l’incision , comme le sang qui coule d’une veine ouverte; dans les seconds , la circulation s’étant arrêtée tout-à-coup , les bras de l’animal devinrent lan- guissans et pendans le long de son corps , qui bientôt éprouva une entière décomposition.

(1) Fenomeni délia circolazioné considerata nel giro universale de’ vasL

Tome IfT',

N

VOYAGES

194

J’en plongeai quelques-uns dans un vase d’eau marine échauffée à trente-huit degrés, et par conséquent d’une température bien supérieure à celle de la mer. Ils périrent tous au même instant : mais la plupart des animaux qui habitent cet élément sont sujets à y vivre dans des tem- pératures inégales , et ces mêmes polypes se portaient très-bien dans l’eau des vases je les tenais , quand la chaleur de l’atmosphère marquait vingt et un degrés. Cette chaleur était sans contredit beaucoup plus forte que celle des fonds de mer ils croissent et multiplient.

Mais quel est le principe efficient de cette cir- culation ? quelle force détermine les atomes à se mouvoir le long de la jambe des polypes , à se porter dans l’intérieur de la cloche, et quelle autre force contraire les en fait descendre? Il faut éloigner ici toute idée de cœur , ou d’or- gane analogue , tel que serait la grande artère de certains insectes, de certains vers , qui s’étend à fleur de peau le long de leur dos , et chasse, par un mouvement de systole très-sensible , le sang de la partie postérieure de leur corps à la partie antérieure ; du moins je n’ai discerné rien de semblable dans le corps de nos polypes. On pourrait supposer que les parois delà cloche, trop distendues par l’affluence des atomes, font

DANS LES DEUX SICILE S. 1Ç)5 effort pour revenir à leur place , et obligent ces atomes à retourner dans la jambe, ils trouvent moins de résistance 5 que la jambe à son tour se remplissant de ces atomes , et se dilatant pour les recevoir , vient ensuite à se resserrer par sa force naturelle , et repousse les atomes dans les parties supérieures du polype. Mais , outre que cette hypothèse est précaire , elle ne satisfait pas à tous les phénomènes , et faute de données suffisantes , le problème reste indécis.

On objectera peut-être que le mouvement décrit n’est point une circulation réelle , les atomes allant et venant toujours par le même vaisseau ; que la véritable circulation suppose un double système de vaisseaux, les uns portant le fluide sanguin du centre aux extrémités du corps, les autres le reconduisant des extrémités au centre.

En effet , c’est ainsi que nous la découvrons dans les animaux que nous avons nommés par- faits ; mais dans ceux que nous appelons im - parfaits , quoique diversement modifiée , elle n’en est pas moins réelle : nous devons lui con- server son nom propre , comme nous faisons à l’égard de certains viscères ou organes qui, dans le passage des animaux parfaits à ceux qui le sont moins , restent privés de quelques-unes de leurs parties. Par exemple, le coeur dans l’homme,

N 2

VOYAGES

Ï9S

dans les quadrupèdes , dans les oiseaux , est muni d’une double oreillette et d’un double ventricule. Dans les amphibies , dans les poissons, cet organe n’a qu’une seule oreillette , qu’un seul ventricule; néanmoins nous l’appelons cœur, parce qu’il en remplit les fonctions. Nous donnons le même nofü au vaisseau artériel des insectes , des vers , parce qu’il se dilate et se contracte tour- à-tour. Les poumons , les trachées-artères n’ont pas d’autre dénomination dans les êtres placés au rang le plus bas de l’échelle animale, quoique ces viscères y présentent une structure , une configuration bien différentes de celles qu’ils ont dans les ani- maux des classes supérieures. Il en est ainsi de la circulation : dans l’homme , dans les quadru- pèdes , dans les oiseaux elle est très-active ; elle l’est moins dans les animaux des classes infé- rieures ; elle y suit graduellement des voies plus courtes, plus simples ; elle arrive enfin jusqu’au point de conduire le fluide vital par un seul canal il va et vient, comme dans nos polypes : elle n’en est pas pour cela ni moins complète , ni moins parfaite dans ces petits êtres que dans les grands. Du reste, je renvoie, pour la connais- sance de ces difFérens systèmes de circulation, à la relation de mon voyage à Constantinople que je publierai bientôt. Je crois avoir suffisam- ment montré dans mes autres ouvrages , que

DANS LES DEUX SICILE S. I97 l’étude de cette branche de physiologie ne m’est pas étrangère : celui que j’annonce ici contien- dra un long chapitre relatif à cette fonction dans les animaux marins.

Pour terminer l’histoire de ces polypes , dont l’espèce me paraît nouvelle, j’en donnerai la dé- finition suivante : Polypus nudus , sœpius sim- plex y pedunculatus , affixus y corpore campa - nulato y cirrhis subulatis y retractilibus , cir - culationem humorum exerens.

Y. Voici finalement un cinquième animal du genre des mollusques qui, bien qu’il soit connu, mérite un nouvel examen, ne fut- ce que pour éclaircir une question long-temps agitée par les naturalistes.

On sait que les oursins de mer sont armés d’épines , et munis d’une multitude de tentacules qu'ils étendent ou resserrent à volonté 5 mais on n’est point d’accord si ce sont les épines ou bien les tentacules qui font l’office de pieds, et servent au mouvement progressif de l’animal. Long-temps auparavant , je m’étais déjà occupé de cette recherche dans le golfe de la Spezzia 5 mes ob- servations portèrent sur Yechinus esculentus de Linnée , et j’en rendis compte dans les Mémoires delà Société italienne, tome II, page n .Voici quel

N 5

VOYAGES

198

en fut le résultat. Quand je plaçais ces oursins hors de l’eau , situation ils peuvent vivre quel- que temps , les mouvemens courts et progressifs qu’ils faisaient quelquefois s’exécutaient unique* ment par le moyen de leurs épines agitées; mais quand je les plongeais dans l’eau marine , ces mouvemens n’étaient dûs qu’à leurs tentacules.

Je reviens au détroit de Messine. Assistant un jour à la pêche du corail , les filets amenèrent cinq oursins spatagues ; je les mis incontinent dans un baquet d’eau de mer pour les porter à la ville, je me proposais de les examiner à loisir. Chemin faisant je m’apperçus que, mal- gré l’agitation de l’eau occasionnée par le bal- lottement de la barque , mes cinq oursins étaient montés le long des parois du baquet, presque jusqu’au sommet, ils restaient attachés par leurs tentacules v ce qui me prouva que dans cette espèce , ces parties ne servent pas seule- ment à fixer l’animal à la place il veut s’arrê- ter^ mais à l’en faire changer à volonté , ses épines étant trop rigides pour avoir pu l’aider dans son ascension au bord du baquet. J’eus de la peine à les en détacher, et pour découvrir comment s’exerçait le mécanisme de leurs mou- vemens , je les plaçai dans le fond d’un vase de cristal à parois lisses et verticales empli d’eaji

DANS LES DEUX SICILE S. 199 marine. Mon attention se dirigea d’abord sur un d’eux que j’avais posé à la renverse , c’est-à-dire , la bouche en-dessus , attendu qu’en se mouvant librement dans la mer , ils la portent toujours en-dessous. Cette situation était en effet violente pour ranimai 5 il chercha à se redresser, et pour y parvenir , il commença par étendre d’un côté une cinquantaine de tentacules, en les alongeant le plus qu’il pouvait , et s’attacha par leur ex-' trémité au fond du vase ; cela fait , il les rac- courcit de manière qu’alors son corps se souleva un peu et resta posé sur le côté 5 ensuite il dé- ploya d’autres tentacules en les dirigeant dans le même sens, et par leur moyen, s’accrocha un peu plus loin au fond du vase 5 alors, déta- chant les premiers et raccourcissant les seconds, il fit encore une petite révolution sur lui-même. Au moyen de cette opération répétée trois ou quatre fois, la bouche, qui auparavant regardait le ciel, se trouva dirigée vers la terre, et l’animal, de renversé qu’il était, se remit dans sa position naturelle. Les seuls tentacules furent les auteurs de ces mouvemens : les épines ne firent que s’ou- vrir pour leur donner plus de liberté d’agir. En continuant de les dilater et de les contracter, l’oursin s’avança sous les parois du vase , et les gravit assez promptement jusqu’à la surface de L’eau.

200; VOYAGES

Les épines contribuaient si peu à ses mouve- mens, qu’après les lui avoir coupées, il n’était pas moins libre d’agir : il se redressait de même, marchait de même , soit sur le fond du vase , soit le long de ses parois.

J’ai dit que pour détacher ces animaux, il fallait user d’une certaine force. Curieux d’en mesu- rer le degré, je suspendis un morceau de plomb du poids de trente-deux onces aux épines d’un oursin qui s’était fixé contre un vase de verre, un demi-pouce environ au-dessus du niveau de l’eau : il tint ferme. J’augmentai la charge once par once 3 à la trente-neuvième les tentacules abandonnèrent le verre.

Mais quelle pouvait être la cause d’une adhé- sion si forte à un corps aussi lisse que le verre ? l’examen suivant me mit sur la voie de la dé- couvrir. J’observai, à travers les parois du vase, les tentacules au moment que l’oursin les alon- geait pour les attacher, et je vis que chacun était terminé par un mamelon percé dans le milieu. Je fis une incision à l’un d’eux jusqu’à la racine, et le regardant dans une position horizontale avec le microscope , je découvris que le trou que j’avais apperçu à son extrémité était l’orifice d’un canal qui s’étendait du fond au sommet du tentacule , et s’enfonçait dans le corps de l’anJ-

201

DANS LES DEUX SICILE S. mal* Je pris ensuite un autre tentacule > je le pressai légèrement , et j’en fis sortir par le trou une petite goutte de liqueur dense et très-gluante. C’est donc avec ce gluten que les oursins se collent et se fixent par -tout il leur plaît. La transparence de leurs tentacules rae permet- tait , avec l’aide d’une bonne loupe , de voir à travers les parois du vase l’industrie dont ils usaient pour cette opération. Après y avoir appliqué leurs mamelons , et chassé l’eau du point de contact, ils en élargissaient l’orifice , se for- mait à l’instant un vide qui se remplissait de glu- ten. Les tentacules , ainsi cimentés par leurs ex- trémités,ressemblaient à autant de cordons qui attachaient l’animal à la surface du verre.

Réaumur a observé que les lépas, pour se dé- tacher des rochers sous-marins auxquels ils se collent fortement, laissent échapper un filet d’eau qui rompt leurs liens. Je n’ai point remarqué cela dans nos oursins $ il m’a paru qu’ils employaient un autre moyen pour remplir le même but : c’é- tait d’agiter leurs tentacules et d’en tordre l’ex- trémité , de manière que l’eau trouvant un pas- sage entre le mamelon et le verre , dissolvait en un moment le gluten.

Voilà donc deux fonctions propres aux ten- tacules de ces oursins ; l’une de leur servir de

202 VOYAGES

pieds pour marcher et pour s’accrocher, l’autre de les tenir en arrêt au fond de la mer et dans les lieux qu’ils choisissent. Cette dernière faculté leur était indispensable pour éluder la fureur des tempêtes , sur-tout à ceux qui vivent dans le détroit de Messine , la mer est continuelle- ment agitée ; sans cette providence de la nature , jouets des ondes, comment ces êtres fragiles évi- teraient-ils d’être roulés et déchirés sur les ro- chers ?

Jusque-là je les avais observés dans leur élé- ment naturel , je voulus savoir de quelle manière ils se comporteraient hors de F eau . Dans cette situation , ona remarqué constamment qu’ils ne sortent jamais leurs tentacules 5 un mouvement progressif , s’il avait lieu , ne pouvait s’attendre que de leurs épines. J’en posai deux sur un plan horizontal à la renverse , la bouche en haut. Ils commencèrent par agiter leurs épines en difFé— rens sens , cherchant à se redresser , mais inu- tilement. Leurs efforts ressemblaient à ceux d’une tortue renversée qui veut se relever $ ils décri- vaient comme elle de très-petits espaces , mais avec beaucoup plus de lenteur. Je les mis dans leur position naturelle ; alors les épines infé- rieures qui portaient le corps , entrèrent dans une agitation lente , mais presque continuelle *

DANS LES DEUX SICILE S. 2o5 qui les fit un peu cheminer , non sans une peine extrême.

Ces observations sur l’oursin spatague , que personne avant moi n’avait faites sur aucune es- pèce de ce genre , s’accordent avec ce que j’ai raconté de l’oursin du golfe de. la Spezzia. Il en résulte que les naturalistes qui prétendent que les épines sont les seuls moteurs de ces animaux, et ceux qui attribuent cette fonction uniquement aux tentacules , se trompent les uns et les autres. Le principe mouvant est partagé , avec cette seule différence qu’il est bien plus actif dans les tentacules que dans les épines.

Je ne parlerai point des madrépores , des cel- lulaires , des sertulaires qui se sont trouvées prises dans mes filets , parce que les espèces en sont connues , et que d’ailleurs j’ai donné tout mon temps à l’examen des mollusques. Il me suffit d’indiquer ces productions organisées , comme faisant partie des animaux marins du détroit de Messine.

2o4

VOYAGES

CHAPITRE XXIX.

Pêche du corail.

Malgré l’agitation continuelle des eaux dans le détroit de Messine , on y fait en toute saison îa pêche du corail (1). Les pêcheurs sont des Messinois , tous gens robustes , expérimentés , qui savent surmonter et la peine et le danger.

L’instrument dont ils se servent pour détacher les coraux, et les enlever aux rochers ils sont implantés , ne diffère pas essentiellement de celui qui est figuré et décrit dans Phistoire de la mer du comte Marsilli. Cet instrument est composé de deux morceaux de bois assemblés à angles droits, et portant un filet à chaque extrémité. Au milieu est attachée une grosse pierre pour en faciliter l’immersion. Lié fortement par cette partie à une corde dont l’autre bout est dans la main des pêcheurs , ils le promènent ainsi dans les profondeurs végète le corail , tâchant de l’accrocher avec les filets, de l’envelopper, et de l’attirer à eux.

(i) Isis nobilis . Linn,

DANS tES DEUX SICILE S.

J’ai dit que cet instrument ne diffère pas essen- tiellement de celui qui a été décrit par le natu- raliste de Bologne , et qu’il a vu en usage en d’autres pays. J’observerai cependant que l’ins- trument des Messinois est plus grand, et qu’il est chargé au milieu d’un poids plus considé- rable , à raison de l’impétuosité des courans , qui, sans cette précaution , l’emporteraient inévita- blement avant qu’il eût touché le fond. De plus ils le lancent par la poupe de la barque , jamais par le côté , comme on le voit dans la figure de Marsilli : sans doute à cause du danger qu’en opérant ainsi , le poids de l’instrument , uni à l’action du courant , ne la fît chavirer.

Cette pêche se fait dans le détroit , à partir des bouches du phare jusqu’en face de l’église de la Grotte , dans une longueur de six milles. Hors de cet espace on ne pêche point , soit qu’il n’existe pas de rochers sur lesquels naisse le corail , soit que ces rochers gisent à des pro- fondeurs qui mettent les instrumens hors d’état d’agir , ou que la violence des courans ne per- mette pas aux barques de s’y arrêter long- temps (i).

(1) De vieux mariniers m’ont assuré qu’autrefois , çntre Stromboli et le cap Vatican, on faisait la pêche

2o 6

VOYAGES

Cependant il y a environ six ans que Pon a découvert deux rochers situés au sud , et à huit milles de distance de la ville en face du canal de Saint-Etienne * abondamment pourvus d’ex- cellens coraux. Voilà les seuls endroits les Messinois ont coutume de pêcher cette produc- tion marine ; et quant à présent } ils n’en étendent pas la recherche au - delà de leur canal.

Les rochers qui lui servent de support gisent presqu’au milieu du détroit à diverses profon- deurs , depuis trois cent cinquante pieds jus- qu’à six cent cinquante. Plus on s’approche de l’embouchure du phare , plus le fond de la mer s’abaisse. , on ne jette plus les filets , parce que les rochers , disent les coraillers , sont à mille pieds de profondeur.

Les cavités , les grottes , sont les lieux que l’on sonde avec les filets pour en extirper les coraux 5 ce n’est pas qu’ils ne naissent également en-dehors et sur leurs flancs , mais ils s’y mul- tiplient moins. On observe constamment que chaque branche est perpendiculaire au plan sur

du corail ; mais qu’elle fut abandonnée à cause du danger que couraient les barques , qui , dans ces parages , ne trouvaient aucun abri contre les vents d’ouest ; sud-ouest ou nord-ouest. Note de V auteur.

DANS LES DEUX SICILE S. 207 lequel elle a pris naissance , ne se contournant jamais pour suivre une direction latérale.

Leur multiplication est beaucoup plus abon- dante dans les expositions de Test que dans celles du sud. On en trouve rarement dans les sites de l’ouest : ceux du nord n’en produisent jamais. Les coraux qui croissent sous l’aspect du levant sont plus gros , plus colorés que les autres. Les divers degrés de profondeur sont encore des cir- constances qui influent sur ces deux qualités précieuses. Plus ils s’enfoncent dans la mer , moins ils acquièrent de grosseur et de couleur. Leur plus grande hauteur ne s’élève pas à un pied 5 leur grosseur ordinaire est celle du petit doigt , en quoi ils sont un peu inférieurs aux coraux des cotes de Trapani et de Barbarie 5 mais ils surpassent ces derniers par la vivacité de la couleur. Cette différence , d’après le dire des pêcheurs , provient de ce que leurs coraux naissent dans une mer perpétuellement agitée jusque dans ses fondemens par les courans et par les vents.

Quant à la couleur , on distingue trois sortes de corail : le rouge , le vermeil et le blanc. Le premier se subdivise en rouge cramoisi foncé, et en rouge plus clair. Le vermeil est très-rare, mais le blanc est commun , tant le blanc clair

VOYAGES

£08

que le terne ^ qui sont compris sous la même dénomination.

Les coraillers ont divisé l’espace ils pêchent dans le détroit en dix portions. Chaque année ils ne jettent leurs filets que dans une seule de ces portions , et n’y reviennent qu’au bout de dix ans. Cet intervalle décennal, disent-ils, est nécessaire au corail pour qu’il acquière son en- tier accroissement. En effet, quand ils manquent à cette règle , ils trouvent le corail plus petit et moins consistant : l’intensité de sa couleur est toujours en raison du nombre des années écou- lées depuis la première pêche. Passé le terme de dix ans , ils sont persuadés que le corail croît, non plus en hauteur, mais seulement en grosseur, laquelle a pourtant ses limites. Ils ont observé que le corail extrait du fond qui avoisine Saint- Etienne , lieu de mémoire d’homme on n’a- vait jamais pêché , quoique d’une couleur très- foncée , ne surpassait pas en hauteur le corail ordinaire : il était seulement d’un tiers plus gros*

Dix-huit à vingt barques , chacune montée de huit hommes , font de conserve cette pêche. La quantité de corail qui en est le produit peut monter par an à douze quintaux siciliens. Le quintal est de deux cent cinquante livres, et la

livre

DÀftS tES DEUX siCILÉS. 2 Ô§ livre de douze onces : le bénéfice dédomiiiage de la peine. Cependant ce n’est pour ces pêcheurs qu’une occupation secondaire, et à laquelle ils ne se livrent que lorsqu’ils ne peuvent pas trouver ün autre emploi plus lucratif de leur temps*

On voit que je ne pouvais recevoir ces ren- seignemens de mains plus sûres , puisqu’ils m’é- taient donnés par les coraillers eux-mêmes 5 ce- pendant je fus curieux d’assister à leur pêche 3 et ils en firent une tout exprès pour me procurer cette satisfaction. A l’instant qu’ils amenaient des branches de corail , je les détachais des filets , et les plongeais dans des vases pleins d’eau ma- rine : c’était le moyeu de faire sortir les polypes hors de leurs cellules, à quoi ils ne manquaient pas aussi-tôt que le calme était établi dans les vases. Je les examinai avec d’autant plus de cu- riosité que leur spectacle était nouveau pour moi. Mais qu’aurais-je pu ajouter aux observa^ tions de Peysonnel , de Jussieu , de Guettard , de Donati , et à celles plus récentes de Cavolini ? Ces auteurs ne semblent -ils pas ne plus rien laisser à desirer sur la connaissance et les habi^ tudes naturelles de ces petits êtres organisés ? Tout ce que me permit cet examen , fut de rectifier les idées du comte Marsilli sur quelques points relatifs à leur histoire.

Tome

O

510

VOYAGES

Selon cet auteur, les sites propres à la végé- tation du corail sont ceux la mer est tran- quille et les eaux dormantes ; puis il ajoute que ce zoophyte se propage plus sous l’influence du sud que sous celle de l’ouest , mais qu’il ne vé- gète point sous l’aspect du nord.

Quant à la première observation , elle n’est pas générale , puisque le corail naît , croît , et atteint sa perfection dans une mer aussi profon- dément troublée et agitée que celle du détroit de Messine. Tout ce qu’on peut dire , est qu’il n’y arrive pas à ce degré d’extension dont il jouit ailleurs.

Quant à la seconde , elle s’accorde avec ce que m’ont dit les pêcheurs de Messine, excepté qu’ici l’aspect du levant est le plus favorable , tandis que dans les sites maritimes visités par Marsilli , l’aspect du midi est celui qui influe le plus $ur sa végétation.

Ce naturaliste établit que la moindre profon- deur où croît le corail est de dix pieds , la plus grande de sept cent cinquante , la moyenne et la plus ordinaire entre soixante et cent vingt- cinq.

A Messine , comme nous l’avons remarqué, on le pêche à trois cettt cinquante pieds jusqu’à

ait

DANS LES DEUX SICILE S. six cent cinquante. Ce n’est pas qu’il ne pût y vé- géter plus près de la surface des eaux , mais les rochers qui gisent dans le détroit ne s’en ap- prochent pas davantage. De même , il est pro- bable qu’on y trouverait ce zoophyte végétant au-dessous de six cent cinquante pieds, si Ton se donnait la peine de le chercher 5 mais les pêcheurs ne se soucieraient pas d’une tâche aussi laborieuse. On voit par-là que , si l’information de Marsilli se rapporte à celle des Messinois , quant à ce qui regarde la plus grande et la plus petite profondeur naît le corail , elle difFère à l’égard de la moyenne et la plus ordi- naire, selon lui, qu’il fixe entre soixante et cent vingt -cinq pieds, puisque sa végétation n’est ni moins complète, ni moins abondante sur des fonds beaucoup plus bas , tels que ceux du détroit de Messine , qui ont depuis trois cent cinquante pieds jusqu’à six cent cinquante de profondeur.

Les pêcheurs de Marsilli étaient dans l’opinion que le corail végétant sur les sites les moins profonds il croît le plus rapidement , par- venait à peine en dix ans à un demi -pied de hauteur.

Je ne veux point révoquer en doute leur asser- tion 5 elle peut être appuyée sur quelque fait

O 2

212

voyages local ; mais il ne faudrait pas rétendre plus loin: les coraux de Messine, dans le même espace de temps, acquièrent leur plus grande hauteur, qui est d’environ un pied. On en vit une preuve bien frappante à la première pêche qui se fit au ro- cher de Saint-Etienne nouvellement découvert , et les coraux avaient eu tout le temps de^ parvenir à leur maturité naturelle. Cependant, bien qu’ils fussent un peu plus gros, ils ne sur- passaient pas en hauteur ceux que les coraillers, au bout de tous les dix ans , extraient des ro- chers qui depuis un temps immémorial servent à cette pêche.

Marsilli affirme qu’ils naissent et croissent sous la seule voûte des cavernes , et que leurs ra- meaux sont toujours tournés vers le centre de la terre.

Ce n’est pas, à la vérité, chose rare de trouver le corail suspendu à la voûte des grottes marines avec ses rameaux dirigés de haut en bas; mais il n’en est pas moins certain qu’il végète égale- ment en-dehors , qu’il s’attache et croît sur les pierres au fond de la mer , sur les coquilles et dépouilles des testacées , enfin sur tout corps solide , et qu’alors il dirige constamment ses ra- meaux vers le ciel. Plusieurs fois, dans les filets des pêcheurs, j’ai trouvé des coquilles d’huître et

DANS LES DEUX SICILE S. 2l3 de came auxquelles adhéraient de petites bran- ches de corail. Quelques années auparavant, ces mêmes pêcheurs avaient tiré du fond de la mer un vase de terre cuite fêlé , dont la surface in- térieure était tapissée de corail qui avait ses branches dirigées vers l’orifice, et même quel- ques rameaux qui s’élevaient par-dessus. En par- lant de la pêche qui se fait autour de Lipari , chapitre XXIV, j’ai cité un morceau d’émail volcanique portant une branche de corail , qui fut pêché au fond de la mer sous le château de cette ville.

Ces faits prouvent non-seulement que ce zoo- phyte ne naît pas toujours dans l’intérieur des grottes marines , mais encore qu’il porte quel- quefois ses rameaux dirigés vers le ciel.

Sa couleur naturelle , selon Marsilli , est entre le rouge foncé et le blanc tirant sur la couleur de chair. Quant aux coraux parfaitement blancs, il assure qu’il n’en a jamais vu de semblables revêtus de leur écorce, et dans leur fraîcheur; qu’à la vérité , on parvient à les blanchir en les faisant bouillir dans la cire et dans le lait. Le naturaliste Pallas dit, dans son Traité sur les zoo phytes , qu’il a vu à Londres , dans le muséum britannique, une belle branche de corail de cou- leur de lait , une autre de couleur de chair très-

O 3

•>

VOYAGES

2l4

vive $ maïs il n’ose garantir que ces couleurs? fussent naturelles.

Les pêches du détroit de Messine détruisent tous ces doutes 5 elles procurent des coraux blancs aussi-bien que des coraux rouges. Ceux que l’on pêcha en ma présence furent tous de cette der- nière couleur 5 mais à mon départ de Messine, l’abbé Grano j savant naturaliste, et mon ami, connaissant le; désir que j’avais de posséder quel- ques coraux blancs de son pays, promit de me satisfaire. En effet , peu de temps après mon arrivée à Pavie , je reçus de lui une série de rameaux qui , par nuances , passent du rouge plus ou moins vif au gris foncé , du gris foncé au gris clair, et du gris clair au blanc pur. Cette collection précieuse est maintenant déposée au muséum impérial. Je vais donner une courte in- dication des morceaux les plus remarquables.

I. Ecorce couleur de cire laque 5 corail cou- leur de pourpre 5 transparence légère à l’extré- mité des rameaux.

II. Ecorce semblable y corail d’un rouge moins vif.

III. Ecorce gris -livide 5 corail gris avec un léger nuage rougeâtre.

DANS LES DEUX SICILES. Sl5

IV. Du même tronc sortent quatre rameaux distincts : trois ont l’écorce d’un rouge pâle ; le corail en est blanc tirant un peu sur le rouge ; le quatrième a l’écorce blanchâtre , et cette couleur domine encore plus dans son intérieur.

V. Je réunis sous ce numéro trois branches dont l’écorce , comme l’intérieur du tronc , ont la blancheur du lait.

Voici de plus qüfeîqués observations sur la structure des parties Corticales et des parties solides de ces derniers. Quant à l’écorce , elle est blanche , friable, et se détache avec l’ongle; sur les coraux elle est entière et bien con- servée , on remarque qu’elle s’élève çà et en petites tumeurs conoïdes ouvertes au sommet , et présentant une bouche à huit rayons , qui conduit dans l’intérieur des cellules, jadis habi- tées par les polypes.

La substance intérieure du corail , que Ton peut appeler le squelette ou l’os de l’animal , est sillonnée à sa surface par des stries longi- tudinales très-déliées ; sa solidité égale celle des pierres les plus dures; en la rompant en travers, on s’apperçoit qu’elle est lamelleuse. Soumise à l’action de l’acide nitrique , elle se décompose , et se dissout toute entière avec la plus grande

o 4

si6 voyages

effervescence > comme ferait le carbonate cal"

caire.

On peut juger par-là de la parfaite ressem- blance , ou , pour mieux dire , de l’identité du corail blanc avec le rouge : l’accident de la cou- leur paraît en faire toute la différence.

Il y a plus ; les bouches dés cellules de l’écorce du corail blanc étant à huit rayons comme celles du corail rouge , on doit en inférer que les po- lypes , dans l’un et dans l’autre , ont la même Structure , et ne forment par conséquent qu’une seule espèce ayant huit tentacules.

Mon intention , en écrivant ces remarques , n’a point été de déprécier l’ouvrage du comte Marsilli. Malgré l’erreur très-grande il est tombé en prenant pour des fleurs les polypes du corail , persuadé ainsi que la foule des bota- nistes, que cette production marine n’était qu’un végétal , son travail et l’ensemble de ses obser- vations seront toujours dignes d’éloges,

Les anciens croyaient que ce zoophyte, sous les eaux de la mer , se trouvait dans un état de mollesse qu’il ne perdait qu’au contact de l’air. C’est un préjugé que les naturalistes mo- dernes ont détruit. Les coraillers de Messine , sans autre maître que leur propre expérience ,

ï) À N S LES DEUX S I C I L E S. 217 sont convaincus , comme ces derniers , que le corail se durcit dans la mer 5 cependant ils prétendent que son degré de consistance est en raison de son degré de maturité, et que le jeune corail n’est point aussi dur que celui qui a acquis toute sa croissance. Je n’ai pu vérifier le fait , attendu qu’il aurait fallu pour cela , et contre l’expresse défense des loix, jeter les filets dans une des dix portions du détroit avant le terme révolu de dix ans 5 mais, par une analo- gie tirée des végétaux et des animaux, j’adop- terais sans peine cette dernière opinion*1

Les pêcheurs sur le témoignage desquels Mar- silli a fondé en grande partie ses observations , et les Messinois que j’ai consultés pour établit les miennes , sont également d’avis que plus on descend dans la mer , plus on trouve les coraux petits. Ayant interrogé - dessus d’autres pê- cheurs, tels que ceux qui se transportent, soit sur les côtes de Barbarie , soit sur celles de la Sardaigne ou de la Corse , j’en ai reçu la même réponse. Il paraît donc que cette observation est universelle et constante. Mais d’où vient une telle différence ? Si les coraux ne se pêchaient jamais que dans les endroits parvient la cha- leur du soleil , ou du moins sa lumière , on pour- rait soupçonner que l’un ou l’autre de ces prin-

V O Y A G E S

5l8

cîpes influe plus ou moins sur leur accroisse- ment •, mais il est certain qu’ils végètent souvent sur des bas-fonds , pas un atome de lumière solaire ne petit atteindre , encore moins la cha- leur de cet astre, en admettant toutefois le calcul des physiciens,suivant lequel la lumière du soleil ne pénètre dans la mer que jusqu’à six cents pieds de profondeur, et sa chaleur ne s’étend qu’à un quart de cette distance. D’après les observations de Marsilli, on rencontre des coraux à sept cent cinquante pieds au-dessous du niveau de la mer 5 et cependant si l’on rejette ces deux principes, lumière et chaleur, comme impuissans , en trouver un autre qui puisse influer plus directe- ment surleur croissance , et expliquer comment, à mesure qu’ils s’élèvent vers la surface de la mer , ils parviennent à de plus grands dévelop- pera ens.

Dira-t-on que la pression de l’eau à de grandes profondeurs leur oppose un obstaçle ? Mais cet obstacle , si c’en était un , agirait de même sur une infinité de petites plantes , de petits vers d’une conformation aussi tendre , aussi délicate que les polypes des coraux , et qui naissent , vivent et croissent dans les mêmes sites , et à des profondeurs égales.

Donati assure que des rameaux rompus et dé-

DANS LES DEUX SICILE S. 2IQ tachés de la tige du corail, continuent de vivre et de multiplier dans la mer. Je n’hésite point aie croire, pourvu que ces rameaux rèncontrent un point d’appui stable auquel ils puissent s’atta- cher par le moyen de leur gluten. Autrement, s’ils tombent sur le sable mobile , ils deviennent le jouet des ondes , et je suis persuadé qu’ils ne sauraient éviter de périr. Tel fut , je pense J l’accident survenu à deux rameaux écorcés, et par conséquent privés de vie , que je trouvai pris dans les filets de mes pêcheurs de Messine. Ils me confirmèrent eux- mêmes dans mon opi^# nion , me disant qu’ils amenaient quelquefois di* fond de la mer des coraux vivans , mais toujours attachés par leurs troncs , soit à une écaille , à une pierre , à un fragment de terre cuite , ja^ mais au sable pur. En entrant avec eux dans ces détails , je m’apperçus avec plaisir que le secret de la génération de ce zoophyte ne leur était pas tout-à-fait inconnu ; ils me racontaient que souvent ils avaient remarqué sur des matières dures enlevées du fond de la mer, les germes du corail, qu’ils décrivaient comme une petite tache rouge avec un bouton implanté dans ces matières, tantôt fragile et teudre, tantôt durci , de la cou- leur et de la nature du corail ordinaire.

Vitaliani et Marsilli font mention de certains

22Q

VOYAGES

rameaux percés par des vers lithopliages. Ce fait n’était point non plus étranger à mes Messinois; souvent il leur arrive d’en pêcher de semblables, soit au fond de la mer , soit dans les cavernes, ou sur les flancs des rochers sous- marins. Ces rameaux se trouvent tantôt séparés du tronc , pour l’ordinaire les attaques des vers sont plus multipliées , tantôt attachés aux corps qui leur servaient d’appui. On ne remarque cet acci- dent que dans ceux qui sont secs , soit que leur siccité provienne de vieillesse , soit qu’elle ait été causée par leur séparation d’avec leur base 5 ce qui arrive , tantôt par le choc de quelque poisson , principalement de ceux qui habitent dans les creux des rochers, tantôt par la chute d’une pierre, ou par l’effort même des filets qui les déracinent, et ne s’en saisissent pas toujours.

DANS LES DEUX S I C I L E S. 22t

CHAPITRE XXX.

Pêche de V espadon.

Avant de quitter le détroit de Messine, j’aî pensé que le lecteur verrait avec plaisir quel- ques détails sur deux autres pêches qui y sont en usage 5 l’une de l’espadon , l’autre du chien de mer : la première fera le sujet de ce chapitre, la seconde celui du chapitre suivant.

On prend l’espadon , xiphias ensis , tantôt avec la lance , tantôt avec la palimadara , es- pèce de filet à mailles très-serrées. Cette pêche commence vers la mi-avril et continue jusqu’à la mi- septembre. Depuis la mi-avril jusqu’à la fin de juin , elle se pratique le long des côtes de la Calabre ; passé cette époque , elle a lieu près des côtes de la Sicile. La raison en est que l’espadon , depuis avril jusqu’à la fin de juin , entrant par le phare , longe le rivage de la Ca- labre sans jamais s’approcher de la Sicile , et que depuis juillet jusqu’à la mi-septembre, en- trant dans le détroit par la bouche du sud , il suit la route opposée. Est-ce la pâture qui l’at- tire ainsi alternativement d’un côté à l’autre ?

VOYAGES

322

est-ce le même poisson qui passe et repasse ? je Tignore 5 ce qu’il y a de sûr , c’est qu’il ne côtoyé la Sicile que quand il fraye ; on voit alors les mâles courir après les femelles : souvent une seule a plusieurs poursuivans. L’occasion est belle pour les surprendre ; car une fois que la femelle est tuée, les mâles ne s’en éloignent point , et se laissent facilement approcher.

Il paraît certain que cette espèce de poisson se propage dans la mer de Sicile et de Gênes. En effet , depuis novembre jusqu’aux premiers jours de mars , on en prend chaque année dans le détroit de Messine du poids de demi-livre jusqu’à douze livres. Vers la fin de l’automne et pendant l’hiver , j’en ai vu vendre à Gênes de très-petits qui avaient été pêchés près des côtes.

Quant à Messine , ce n’est que depuis peu que l’on y pratique une aussi mince pêche, non que les habitans ignorassent la fréquentation de petits espadons le long de leurs côtes , mais ils n’avaient pas encore imaginé des filets propres à les prendre , tels que la palimadara , qui a quatre-vingts et tant de pieds de longueur sur quinze de largeur, et dont les mailles étroites, tissues avec de fortes ficelles , emprisonnent des poissons de toute grandeur, tandis que la lance.

225

DANS LES DEUX SI CI LE S. dont autrefois ils se servaient uniquement, n’etait bonne qu’à attaquer les plus gros qui se portent è la surface de l’eau : voilà pourquoi le nombre de ceux - ci diminue. Par une pêche trop pré- maturée, on détruit à pure perte, non- seule- ment un nombre infini de ces poissons , mais on arrête la reproduction de l’espèce.

Ce dégât ruineux et barbare , je l’ai vu s’opé- rer sans ménagement en d’autres parages de la Méditerranée , et sur - tout en face de Porto- Venere dans le pays de Gênes , l’on pêche avec les bilancelles. Ce sont deux bâtimens à grandes voiles latines , marchant l’un à côté de l’autre , auxquels est attaché , moyennant deux grosses cordes de chanvre , un filet d’une pro- digieuse extension qui descend jusqu’au fond de la mer. Traîné par les deux bilancelles voguant à pleines voiles , de ses mailles étroites il enve- loppe tout ce qui se trouve snr son passage. Pendant les vacances de 1783 , m’occupant d’é- tudes relatives à l’histoire des animaux marins des environs de Porto-Venere , dont j’ai ensuite publié un essai dans les Mémoires de la Société italienne , j’assistai plusieurs fois à cette pêche, et je ne puis dire combien de petits poissons en étaient la victime 3 n’étant bons à rien , on les rejetait dans la mer, mais tout mutilés, et

224 VOYAGES

déjà morts par le froissement qu’ils avaient éprou* dans les mailles du filet. J’écrivis contre cette manie destructrice , et je représentai avec force tout le dommage qui en résultait. On me ré-- pondit , à la vérité , qu’il existait une loi à Gênes qui prohibait l’usage , ou , pour mieux dire 3 l’abus des bilancelles; mais cela n’empêche pas qu’il ne sorte chaque année du golfe de la Spezzia trois ou quatre paires de ces bâtimens qui , ga- gnant la haute mer, vont se livrer à cette pêche. Il y a plus \ le gouverneur du lieu , qui devrait surveiller l’exécution de la loi , est le premier â favoriser, moyennant une somme d’argent, l’abus qu’elle proscrit.

A l’époque j’arrivai à Messine , on n’em- ployait pas encore la palimadara, et la pêche à la lance tirait à sa fin. Voici comment elle se pra- tique. Les pêcheurs sont pourvus d’une barque qu’ils appellent luntre ,* sa longueur est dedix-huit pieds sur huit de largeur et quatre de hauteur. Sa proue est plus spacieuse que sa poupe pour donner plus d’aisance à celui qui tient la lance. Au milieu est planté un mât de dix- sept pieds de haut, muni de quelques marches pour y mon- ter, et d’une table ronde à son sommet se place l’homme qui doit faire l’office d’explora- teur, Ce mât , qui se nomme fariere > est tra- versé

i) ANS tES DEUX StCILES. 22§ Versé près de sa base par une pièce de bois de dix-huit pieds de long , coupant à angles droits la barque dans sa largeur. A chaque bout de cette traverse qui dépassé d’un pied et demi les bords de la barque , est attachée une rame qu’un homme fait agir 5 ürt troisième placé au milieu , d’une main tenant la rame droite , de l’autre la rame gauche , sert de timonier, règle le mouvement des rames , et dirige la barque. Son emploi est encore de monter sur le mât , d’observer l’espadon , de le suivre attentivement des yeux , de l’indiquer de la main ou de la Voix aux rameurs du milieu secondés par deux autres dont les rames plus petites sont attachées à la poupe 5 c’est ainsi qu’ils voguent continuel- lement, poursuivant sans relâche le poisson qui fait mille tours et détours , et semble les défier à la course. La lance pour le frapper est faite de bois de charme qui se plie difficilement. Sa longueur est de douze pieds. Le fer qui la termine a sept pouces de long 5 il est armé la- téralement de deux autres fers appelés oreilles ÿ également tranchans et aigus , mais mobiles. On les fixe d’abord pour assurer la main du lancier au moment qu’il va frapper ; quand le coup est parti , ces deux fers latéraux se séparent du fer principal et rendent sa blessure plus large. Ce fer n’est pas fixé dans le bois, il y est seulement Tome IV \ P

VOYAGES

2 2 6

adapté de manière qu’après le coup il s’en dé- tache et reste plongé dans la blessure ; le bois et le fer sont attachés à une corde qu’un homme tient dans la main , et au moyen de laquelle le poisson se traîne encore derrière la barque. Cette corde, grosse comme le petit doigt, a six cents pieds de long.

Cependant ces préparatifs ne se terminent pas 5 quand les espadons côtoyent la Calabre , il est nécessaire d’avoir deux autres explorateurs montés sur les rochers et sur les écueils qui bordent la côte ; de même , quand ces poissons prennent leur route le long de la Sicile $ mais ici , faute d’écueils et de rochers , les explora- teurs se tiennent au sommet de deux mâts de quatre-vingts pieds de haut liés à deux grandes barques , lesquelles sont ancrées au rivage , et distantes l’une de l’autre d’un jet de pierre.

Tout étant disposé , voici l’ordre de la pêche. Lorsque les deux explorateurs perchés sur la cime des rochers ou des mâts jugent de loin l’approche d’un espadon , au changement de la couleur de l’eau sous la surface de laquelle ce poisson nage, ils le signalent de la main aux pêcheurs qui accourent avec leur barque , et ils ne cessent de crier et de faire des signes, que lorsque l’autre explorateur monté sur le fariere

î) ÂÏÏS LES DEUX SICILE S. 22*}

Va découvert et le suit des yeux. A la voix de celui-ci , la barque vogue tantôt à droite , tan- tôt à gauche , tandis que le lancier , debout sur la proue , l’arme en main , cherche à le tenir sous le coup. Quand le poisson est à la portée de la lance ., l’explorateur descend de son mât 3 se met au milieu des deux rames , les dirige selon les signes que lui fait le lancier 3 celui-ci sai- sissant le moment favorable , frappe sa proie sou^ vent à la distance de dix pieds. Aussi-tôt après le coup, il lui lâche la corde qu’il tient en main pour lui donner calme > dit -‘il, tandis que la barque voguant à toutes rames , suit le poisson blessé jusqu’à ce qu’il ait perdu ses forces 5 alors il monte à la surface de l’eau 5 les pêcheurs s’en approchent , le tirent à eux avec un crochet de fer , et le transportent sur le rivage. Quel- quefois il arrive que l’espadon , furieux de sa blessure , s’élance contre la barque et la perce de son épée 5 aussi les pêcheurs se tiennent-ils sur leur garde au moment de l’abordage, sur- tout si l’animal est d’une grandeur considérable et qu’il paraisse conserver de la vie. Quelquefois il se sauve de leur poursuite , soit que le coup n’ait pas pénétré assez profondément , soit que la corde vienne à se rompre en lui laissant le fer dans la blessure. Si elle n’est que légère, il en guérit promptement, plusieurs ayant été pria

P a

VOYAGES

220

couverts de cicatrices 5 si elle est profonde 3 ïî meurt infailliblement 3 et devient la proie des autres poissons , ou du premier occupant. Le poids ordinaire de l’espadon est de cent à deux cents livres 5 mais il y en a qui pèsent jusqu’à trois cents livres.

DANS LE, S DEUX SICILE S. 229

CHAPITRE XXXI.

Pêche des chiens de mer .

Ces poissons appartiennent au genre des squales: ce n’est qu’accidentellement qu’on en prend dans le détroit de Messine, soit parce qu’ils n’ont point de passages réguliers et périodiques , soit parce que leur chair coriace n’est point bonne à man- ger et qu’il y a toujours du danger à les atta- quer. Leur hardiesse est si grande, qu’ils vont assaillir les hommes jusque dans l’intérieur du port. Un pêcheur s’y baignant un jour , fut sur- pris par un de ces poissons qui lui trancha net la cuisse. Peu de temps après le vorace animal fut tué aux environs du phare , et on retrouva dans son corps cette cuisse entière telle qu’il l’avait engloutie.

Cet événement , qui eut lieu quelque temps avant mon arrivée à Messine , et qui me fut attesté par les habitans , n’étonnera point ceux qui connaissent la voracité de ces monstres ma- rins. De pareils exemples ne sont point rares dans la Méditerranée. Il y a peu d’années , près Nervi , et à Chiavari dans la rivière de Gênes ,

P 5

V O Y À G E S

q5q

ils dévorèrent deux personnes qui se baignaient au bord de la mer. En passant par Nice , en 1 y85 > on m’apporta les mâchoires d’un de ces poissons* dans l’estomac duquel on avait trouvé un enfant tout entier. Je conserve ,çes mâchoires armées de leurs dents* leur ouverture est telle qu’elle ne laisse pas douter un moment de la possibilité du fait * qui d’ailleurs avait eu toute la ville pour témoin. Nicolës Stenone , dans sa Notomie de la tête d’un chien de mer saisi â la distance de quelques milles du port de Livourne * observe que le diaipètré transversal de la boqche, pris de l’angle d’une mâchoire à l’autre * avait une coudée de long , mesure de Florence ; et que le second diamètre* perpendiculaire au premier* embrassait les quatre cinquièmes de cette cou- dée. Ce n’est donc point merveille de trouver dans les estomacs de ces animaux des hommes entiers , püîsque leur bouche est très-capable de les recevoir (i).

On en lit un exemple bien mémorable dans l’ouvrage de Brunnih intitulé : Ichtiologia Mas$i - liensis . Je le rapporterai dans les propres termes de l’auteur* parce qu’il y a joint des circonstances qui sont garantes de sa véracité. « Dans le temps

(i) E14m. royoh

DANS LES DEUX S I C I L E S. 23l »que j’étais à Marseille, dit-il , on y prit un pois- »son de cette espèce ( squalus carcarias ) de la » longueur de quinze pieds. Deux années aupa- ravant on avait tué sur les cotes , entre Cassis »et la Ciotat, un autre chien de mer encore plus » grand. On lui trouva dans l’estomac deux scom- »bres peu endommagés , et un homme entier »avec son vêtement intact , qui tous paraissaient » avoir été dévorés depuis peu de temps. Entre » plusieurs témoins oculaires de ce fait, je puis 5> nommer M. Garnier, secrétaire du roi , qui di- rige dans la ville de Cassis une belle manufac- »ture de corail rouge , au moyen de laquelle il svfait vivre une multitude de pauvres gens 5 et »M. Boyer, curé de Ciotat , tous les deux fort » instruits et dignes de foi (1) ».

(1) « Capiebatur tempore quo Massiliæ fui , piscis ejus speciei (squalus carcarias) quindecim pedum lon- gitudine. Major duos abhinc annos occidebatur hærens in littore urbes inter Cassidem et la Ciotat. Yentriculo tenuit duos scombros thynnos , parum læsos , liominem- que integrum cum vestitu omnino intactum , omnes ut apparuit breve ante tempus devoratos. Testes oculâti , inter multos alios , fuere dominus Garnier , secretarius régis Galliæ , qui præclara corallii rubri fabrica urbis Cassidis pauperes sublevat multos , ut et rev. dominus Boyer, parochus urbis la Ciotat dictæj uterque erudi- tione simul ac fide satis pollentes » .

p 4

VOYAGES

&3a

Cette ampleur naturelle de bouche et de gueule dans les chiens de mer , est encore sus- ceptible de s’étendre, davantage par la grande élasticité dçs os maxillaires qui sont de nature cartilagineuse : c’est ainsi que les serpens peuvent, au moyen de la dilatation de leurs mâchoires , engloutir des animaux plus volumineux qu’eux, et qu’une vipère avale facilement une taupe qui est deux fois plus grosse qu’elle.

Pendant mon séjour à Messine , n’ayant pas; eu l’occasion d’assister à la capture d’aucun chien de mer, je ne puis rien dire de la manière dont on s’y prend pour les attaquer et s’en rendre maître ; je me bornerai à décrire un de ces pois- sons d’une grosseur asse?; considérable , qui fut tué dans le détroit quelque temps après mon départ , et dont l’abbé Grano eut soin de m’en- voyer la dépouille à Pavie. Quoique cet animal se rapproche par certains caractères du squalus maximus de Linnée , il en diffère si essentielle- ment par d’autres, que je crois pouvoir le donner pour une espèce nouvelle. Je m’arrêterai prin- cipalement à ses divers ordres de dents , à leur configuration , leur position respective sur le plan des mâchoires, et à quelques Autres circonstances non moins propres à fixer les vrais caractères de çet animal et à nous mettre en état de

DANS LES DEUX SIC ILE S. ^55 comparer avec les espèces connues du même genre.

Son corps, depuis l’extrémité d u museau j usqu à la racine de la queue , a huit pieds neuf pouces de long; il est un peu applati sur le dos, et sa plus grande circonférence est de cinq pieds un pouce et demi. Le museau est pointu, la tête arrondie; l’ouverture transversale de la bouche placée sous le museau, a sept pouces et demi de diamètre : en la mesurant de haut en bas, elle a sept pouces. La mâchoire supérieure est plus longue que l’in- férieure ; elles s’arrondissent un peu vers le mi- lieu , la première moins que la seconde.

Entre la pointe du museau et les yeux, il existe deux trous à-peu-près rectangulaires ; la longueur du plus grand côté , posé horizontale- ment, est de sept lignes; celle du plus petit, posé verticalement, est de trois lignes. Ces deux trous percent à travers la peau de l’animal.

Les yeux , assez grands, sont situés aux deux côtés de la tête. Les soupiraux, qui se présentent de chaque côté au nombre de cinq dans la région du cou , un peu éloignés les uns des autres , correspondent par leur grandeur au volume de l’animal : ils sont plus longs à mesure qu’ils se rapprochent de la tête. La nageoire antérieure

VOYAGES

234

dorsale , placée au-dessous vers la moitié du corps, a trois pouces de longueur ; elle est ronde à son extrémité , et se réunit à une appendice lancéolée qui se dirige vers la queue.

Les deux nageoires pectorales sont posées horizontalement ; elles ont chacune deux pieds de longueur et un de largeur à l’endroit elles s’attachent au corps ; leur origine se trouve im- médiatement au-dessous du dernier soupirail le plus éloigné de la tête.

Les nageoires du ventre ont l’une et l’autre deux pouces de longueur ; elles sont lancéolées au sommet avec une appendice dirigée vers la queue. La nageoire de l’anus est arrondie à son extrémité ; sa longueur est de deux pouces; elle est située un peu au-dessous de la région de la nageoire postérieure dorsale.

La queue est à deux lobes , ou pour mieux dire, à deux pointes ; elle est formée de deux na- geoires , découpées en manière de croissant : la partie dominante a vingt-deux pouces de long.

La couleur du dos et des côtés est d’un gris tirant sur le brun : le dessous du corps est un peu plus clair.

Les dents de la mâchoire inférieure sont au

DANS LES DEUX SICILE S- 2^5 nombre de soixante-quatre , laissant au milieu un espace vide de la largeur d’un pouce. Elles forment autant de groupes séparés les uns des autres : la direction de ces groupes est trans- versale du dehors au - dedans de la mâchoire. Chaque groupe résulte de quatre rangées de dents , à la réserve de ceux qui avoisinent l’es- pace vide , lesquels, au nombre de quatre, deux de chaque côté , sont composés chacun de cinq rangées. Ces dents qui ne sont point contiguës à cause de la séparation des groupes, ont une blancheur éclatante ; elles sont un peu courbes avec la pointe plus ou moins penchée vers le gosier» La face qui regarde l’extérieur de la bouche est à peine convexe : la face opposée l’est davantage. Les bords sont anguleux, tran* chans , mais non pas faits en forme de scie ; les pointes sont très -aiguës. Les plus petites dents gisent à la racine de la mâchoire $ elles ont quatre lignes de long , et à leur base trois lignes et demie. Mais à mesure qu’elles s’approchent du milieu de la mâchoire, elles croissent en dimen- sion et arrivent jusqu’à quinze lignes en longueur sur sept et demie en largeur.

Ce que nous avons dit des groupes, du nombre , de la forme et de la grandeur des dents de la mâchoire inférieure , peut s’appliquer à celles

s36

VOYAGES

que présente la mâchoire supérieure; seulement on n’y trouve point les quatre groupes à cinq rangées de dents : tous en contiennent quatre, et pas davantage. De plus elles sont droites , et si l’on y apperçoit par-ci par-là quelque courbure , cette déviation est presqu’insensible.

Quelques dents de la première rangée dans les deux mâchoires étaient brisées , soit que cet accident fût l’effet des combats que l’animal avait livrés à d’autres poissons, soit qu’il les eût perdues en dévorant sa proie.

Au reste , ce ne sont point des alvéoles qui contiennent les dents, elles sont toutes implan- tées dans une chair dure et fongeuse. Mais il faut remarquer que la première rangée saille hors de la bouche , et qu’elle est presque verticale au plan des mâchoires ; que les autres rangées sont appuyées horizontalement sur le plan avec les pointes tournées vers le gosier , et en tout ou en partie ensevelies dans la chair fongeuse: c’est en préparant la dépouille de ce squale pour le placer dans le musée de Pavie , que j’ai oté cette chair et soulevé les dents , pour que leur système entier fût visible. J’ajouterai que dans les deux mâchoires, il y avait des dents de la dernière rangée encore tendres à leur base , semi - cartilagineuses , et que leur cavité inté-

DANS LES DEUX SICILES. û!5j rîeure était pleine d’une substance blanchâtre et très-tendre.

Pour s’assurer si ce squale est véritablement de l’espèce connue sous le nom de squale très - grand y il conviendrait de comparer ma descrip- tion avec celles que les naturalistes nous ont données de ce dernier. La meilleure , fournie par Gunner, se trouve dans les Mémoires de l’aca- démie de Norwège que je n’ai pu me procurer ; mais, au dire deBroussonnet, elle est encore très- incomplète (1). Linnée, qui s’est servi de cette description , en a tiré les caractères suivans :

Squalus maximus dentibus caninis y pinna dors ali anteriore majore .

Habitat in oceano arctico y victitans me - dusis.

Corpus magnitudine certans cum balœnis , similUmum S. Carthariœ , sed absque fora - minulo ante aut post oculos. Pinna ani parva paulo post regionem pinnœ dorsalis poste- rions.

Au surplus, d’après le témoignage de Fabri- cius (2), ce grand animal se nourrit, non-seu-

(1) Voyez Rozier , an. 1785.

(2) Vid, Fauna Groenl .

VOYAGES

üS8

lement de méduses , mais de marsouins et autres petits cétacées qu’il avale tout entiers.

Résumons les caractères de Linnée : les dents canines , la nageoire antérieure dorsale plus grande que la postérieure 3 celle de l’anus si- tuée un peu derrière la région de la nageoire dorsale postérieure ; privation du petit trou, tant en avant des yeux que derrière.

Cette description se met en concordance avec la mienne , à la réserve des dents qui étant dans leur longueur anguleuses et tranchantes , n’ont pas proprement la forme des canines 3 et du petit trou au-dessus des yeux qui, selon Linnée ou plutôt Gunner , n’existe pas dans le squale très-grand.

La réalité , la permanence de ces deux traits caractéristiques dans l’espèce de squale que je donne comme nouvelle , sont confirmées par l’exemple d’un autre squale beaucoup plus petit qui fut pêché dans la mer de Marseille en 1781, époque je me rendis moi-même dans cette ville pour y travailler à une collection de poissons que je destinais au musée de Pavie. Ce squale , me- suré de la pointe du museau jusqu’à l’origine de la queue , a cinq pieds et demi de long sur deux pieds sept pouces de circonférence. Il cadre

DANS LES DEUX SICILES. 209

parfaitement avec chacun des caractères indi- qués ci-dessus. Les angles solides , longitudinaux et très-aigus des dents , y sont très-sensibles ; on y remarque également les deux trous dont j’ai parlé , situés au - dessus des yeux à la dis- tance d’un pouce neuf lignes , et éloignés de la pointe du museau de trois pouces et demi. Je me rappelle que lorsque j’en fis l’acquisi- tion à Marseille , c’est-à-dire, peu de temps après qu’il fut pêché, j’introduisis la sonde dans les deux trous, et qu’elle pénétra jusque dans la bouche.

Des dents anguleuses dans leur longueur, des trous à la tempe , sont deux particularités qui doivent compter sans doute pour des caractères distinctifs 5 sur-tout les trous qui , avec la nageoire de l’anus , ont servi à Broussonnet de fondement pour diviser les chiens de mer en trois ordres : le premier embrassant les espèces munies de cette nageoire et de trous à la tempe 5 le second comprenant celles qui ont cette nageoire et point de trous 5 le troisième réunissant les autres espèces pourvues de trous, et non de la nageoire. Et comme le squale très-grand décrit par Gunner manque de frous , il se trouve ainsi placé dans le second ordre.

Il faut donc conclure de , ou que Gunner

VOYAGES

%40

est un observateur inexact qui n’a point fait at- tention à ces dents anguleuses , à ces trous dont nous parlons } ou que le poisson qu’il a décrit est d’une espèce différente du mien , ce qui me paraît heaucoup plus vraisemblable. En efFet , comment n’aurait-il pas apperçu deux choses qui sautent aux yeux à la première inspection? Remarquôns encore que ce squale nommé très- grand par Gunner, par Linnée , par Brousson- net , est habitant des mers du nord 5 que celui dont j’ai donné la description vit dans la Médi- terranée j son espèce n’est pas rare 5 qu’il se laisse souvent prendre en été dans le canal de Messine ? qu’il parvient même à une gros- seur trois ou quatre fois plus considérable que celui dont la dépouille m’a été envoyée à Pavie.

J’ai fait observer , qu’à la réserve de la pre- mière rangée de dents qui est saillante , les autres rangées , posées horizontalement avec leurs pointes tournées vers le gosier, sont en- sevelies dans la chair 5 que leurs racines y sont plongées sans alvéoles qui les reçoivent. Cet arrangement se retrouve dans le squalus car- caria , comme l’a remarqué Sterion : Intel - riores ( ordines dentium ) inferiora versus recurvati gingivarum molli et fungosa carnet

ita

DANS LES DEUX SICILE S. . 0^1 ita delitescebant clausi , ut non nisi resectis gingivis in conspectum prodirent .

Mais ensuite voici comment cet auteur s’ex- prime sur l’utilité de ces dents : Cui usui dentes ita incurvatos natura destinarit , n'on perspi - cio , ciim carnes intra sepulti escœ commi - nuendœ nulla ratione potuerint inservire. lie- tinendæ prœdœ , ne dijfugiat y forsitan et dif- fringendœ majori y quam quœ ventrem subire possit y primi ordinis inserviunt : reliqui vero , nisi materiœ necessitate dicantur facti y non video cujus gratiâ sint confecti .

Ainsi ces nombreuses dents couchées sur les mâchoires du squale, et recouvertes d’une chair molle et fongeuse , ne lui sont d’aucun usage, suivant ce naturaliste. Mais les ichthyoîogistes n’ignorent pas qu’Hérissant n’était pas de cet avis, lui qui a trouvé dans l’examen de plusieurs mâ- choires de chien de mer , que les dents plus ou moins ensevelies dans ces chairs , sônt des dents de réserve destinées à remplacer celles de la rangée antérieure $ que si une ou plusieurs de ces premières viennent à manquer, les autres situées plus bas se soulèvent, et vont occuper leur place (1).

(1) Mémoires de FÀcadémie , an. 1 74g.

Tome 1) Q

242 VOYAGES

Le musée de Pavie possédant un petit squale requin , et quelques mâchoires de cette espèce de poisson , on pense bien que la curiosité dut m’inviter à examiner ce fait, et à porter à-la— fois mon attention sur les dents du squale de Messine, qui ont à-peu-près la même position.

Le requin du musée fut acheté l’année der- nière sur les côtes d’Afrique par l’abbé Rosa, un des conservateurs de cet établissement. Il n’a que six pieds de long sur trois pieds quatre pouces de circonférence : c’est un pygmée, en compa- raison des adultes de son espèce. La première rangée des dents de la mâchoire supérieure saille à peine hors de la bouche 5 leurs pointes sont légèrement courbées vers l’intérieur du go- sier. La seconde rangée est plus inclinée dans le même sens ; les autres rangées sont applaties sous celles-là , et s’y cachent en partie. Les plus grandes dents ont quatre lignes et demie de long sur trois et demie de large. On voit les mêmes dispositions dans la mâchoire inférieure, excepté que les dents plus petites ne sont pas découpées en manière de scie comme les précédentes. Mais le dessèchement et la dureté de ces mâchoires auxquelles je ne pouvais toucher sans gâter l’ani- mal , ne me permirent pas d’enlever la chair fongeuse, et de mettre les dents à découvert.

DANS LES DEUX SICILE 3. ^43

Je revins donc aux mâchoires isolées que possédait le muséum , et pouvant en disposer avec liberté , j’en pris deux que je fis macérer dans l’eau à l’effet de les ramollir. Voici le résultat de mes observations. Les dents de la mâchoire supérieure étaient triangulaires , plates en dehors 3 à peine convexes en dedans, dé- coupées en manière de scie sur les bords, ayant huit lignes de long sur six lignes de large à leur base : j’entends celles qui avoisinaient la pointe de la mâchoire , ou qui gisaient latéralement à quelque distance 5 car pour les autres situées près du gosier , elles étaient beaucoup plus pe- tites. Les rangées s’offraient au nombre de quatre. Les dents de la première s’élevaient presque ver- ticalement sur le plan de la mâchoire avec leurs pointes recourbées. Il en manquait quatre , et on ne voyait pas qu’elles eussent encore été rem- placées par celles de la seconde rangée. Cepen- dant un nombre égal de ces dernières, corres- pondantes aux absentes, s’étaient déjà soulevées et poussées en avant, et on pouvait juger qu’avec le temps elles auraient pris leurs places. Quant aux autres dents de la seconde rangée 9 elles étaient couchées presqu’horizontaîement et en- sevelies dans la chair fongeuse , ainsi que les dents de la troisième et quatrième rangée. Une sorte de régularité s’offrait dans leur disposition :

Q a

VOYAGES

244

les dents de la seconde rangée reposaient sur les dents de la troisième, et celles-ci sur les dents de la quatrième. On remarquait encore , après avoir enlevé la chair qui couvrait ces der- rières, que leur tissu était tendre, ou du moins qu’elles n’avaient pas acquis la dureté des autres.

En considérant les dents de la mâchoire infé- rieure , je n’ai su découvrir d’autre différence, sinon qu’elles étaient proportionnellement plus petites ; d’ailleurs elles convenaient dans toutes les circonstances précédentes , sans en excepter leurs limbes découpés en forme de scie. A la réserve de la première rangée, les trois suivantes étaient plus ou moins ensevelies dans la chair maxillaire. On observait, de plus, deux dents appartenant à la première rangée , rompues à leurs racines; la fossette longue et mince elles avaient été implantées paraissait déjà remplie en partie par les deux correspondantes de la seconde rangée , qui étaient venues occuper leur place.

Ainsi je restai convaincu que les dents de la seconde rangée dans le squale requin ne lui sont point inutiles, materiœ necessitate facti , comme le dit Stenon , mais qu’elles sont destinées par la nature à suppléer celles de la première rangée quand elles se perdent : observation ingénieuse dont tout le mérite appartient à Hérissant, mais

]) A N S LES DEUX SICILE S.

qui ne m’en a pas procuré moins de plaisir en la répétant d’après lui. Comme les dents de la troisième et quatrième rangée sont également adhérentes à la chair fongeuse qui est mobile dans les parties antérieures de la bouché, je ne fais aucun doute que lorsqu’il se rompt des dents de la seconde rangée qui ont déjà pris place dans la première , celles de la troisième ne vien- nent les suppléer , et après elles celles de la qua- trième ; de manière que les trois rangées posté- rieures peuvent être regardées comme les sup- pléantes de la première.

Pendant que j’examinais ces deux mâchoires et que je considérais l’ample contour de leurs bords , c’est-à-dire , celui même de la bouche de l’animal , contour qui embrassait alors trente pouces et demi malgré la petitesse des dents dont les plus grandes avaient , comme je l’ai dit , huit lignes de long sur six de large, je me mis à réflé- chir sur l’énorme capacité de gosier , et par con- séquent de corps, que la nature a départie à cette espèce de poisson , dont les dents fossiles, connues sous la dénomination impropre de glossopèti'es , atteignent quelquefois la longueur de plusieurs pouces. J’avais en ce moment sous les yeux un de ces glossopètres , qui comportait trente-deux

lignes de circonférence à sa base sur trente-cinq

Q 3

VOYAGES

246

de hauteur , et qui , vu sous tous les sens , ne pouvait être plus semblable aux dents en forme de scie du requin de la collection du muséum. Or , si ce dernier animal , dont les dents n’ont que trois lignes et demie de large sur quatre lignes et demie de haut, offre un corps de six pieds de longueur sur trois de largeur quel était donc le volume du requin qui a laissé sa dent gi- gantesque dans la terre? Quelle bouche énorme! quel gosier !

Ce n’est pas tout ; j’ai supposé que le glosso- pètre faisait partie des grandes dents situées vers l’extrémité de la mâchoire , et saillantes hors de la bouche ; mais s’il était de l’ordre des petites si- tuées vers les racines de la mâchoire, la propor- tion augmenterait en raison de cette différence.

Quoique l’on pêche aujourd’hui des requins d’un volume considérable , ils sont bien éloignés d’avoir les dimensions qu’indique la dent fossile dont je viens de parler. Ce n’est point un sujet de surprise pour ceux qui savent qu’il existe dans le sein de la terre , des dents , des os fossiles, dont la grandeur témoigne qu’ils ont appartenu à des individus infiniment plus gros que ceux de la même espèce qui vivent actuellement, et qui multiplient dans les parties connues du globe. Telles sont , par exemple , ces défenses d’élé-

DANS LES DEUX SICILE S. 2/<7 phans d’une longueur démesurée qui nous vien~ nent de l’Asie et de l’Afrique. On peut lire à ce sujet un Mémoire aussi curieux qu’instructif de l’abbé Fortis, intitulé : Dell 9 ossa d eleùmti de monti di Romagnano nel V'eronese . En 1791, à quinze milles de Pavie, on pêcba dans le , en face d’Arena>un crâne de daim ( cervus dama), qui fut jugé digne d’entrer dans la collection des os fossiles du musée. Il est parfaitement conservé dans son état naturel d’os , garni de ses dents : une corne lui manque. La grandeur de son vo- lume en fait seul la rareté , car il est bien deux fois et demie plus gros que les têtes de ses sem- blables auxquelles je l’ai comparé, en choisissant dans l’espèce ceux qui , étant nés et' ayant vécu dans l’état de liberté, étaient parvenus à leur en- tière croissance : il faut en dire autant de la corne qui lui reste. L’année suivante j’achetai , pour le même musée , un énorme fémur d’éléphant tiré d’un endroit où, quelque temps auparavant , on avait pêché un crâne qui paraissait être celui d’un bœuf, mais d’une grosseur gigantesque.

Pour revenir aux requins, peut-être en ver- rait-on encore qui parviendraient à ces grandes dimensions dont leurs antiques dépouilles font foi , si les hommes ne leur livraient une guerre continuelle, et ne les détruisaient avant le temps

Q 4

*vs8 Voyages

de leur ender développement , autant pour se défaire de ces redoutables ennemis, que pour l’utilité que leur apportent et leur chair, et leur graisse, et leur peau. D’ailleurs les appétits glou- tons du requin l’attirent aisément dans les pièges qu’on lui tend. C’est ainsi que dans les mers du nord lorsqu’on fit pour la première fois la pêche de la baleine , il s’en trouva d’une grandeur dé-, mesurée qui tombèrent au pouvoir des pêcheurs. Ces énormes baleines disparurent insensiblement, et Ton n’en voit plus de telles aujourd’hui.

Linnée donne au squale requin six rangées de dents découpées en manière de scie. Je n’en ai compté que quatre , mais j’ai en même temps observé que les dents de la dernière étaient molles , et n’avaient probablement commencé à se développer qu’après celles des rangées anté- rieures 5 d’où je présume que les rangées pos- térieures ne se manifestent qu’à la suite les unes des autres. Quant à la forme des dents , j’ai dit que celles de la mâchoire inférieure du petit re- quin du musée n’offraient point de découpures aux limbes en manière de scie, mais que ces dé- coupures se manifestaient dansles deux mâchoires plus grandes d’un autre individu.

Je tire de deux conséquences 5 i°. qu’il pousse avec le temps à ces animaux des dents qui,

DANS LES DE U X SICILES. ^49 dans le principe , n’apparaissaient point ; 2°. que ces dents sont sujettes à des modifications, telles que des découpures aux limbes. C’est ainsi que les dents enfermées dans les alvéoles du museau osseux et très-alongé du poisson scie , squalus sega ; ne se manifestent point dans les premiers temps de son existence.

Mais un phénomène plus remarquable, et qui paraît constant dans tous les âges du requin, est sa faculté de regagner en quelque sorte ses dents perdues. La nature a-t-elle borné cette faculté à lui seul , ou l’a-t-elle départie à d’autres pois- sons qui auraient également plusieurs rangées de dents, non implantées dans les os maxillaires, mais dans une chair molle , recourbées vers le gosier (j’entends celles des rangées postérieures), et couvertes par la chair des mâchoires? Ces trois circonstances s’offrent dans le squale de Messine, qui cependant ne paraît point jouir de la même prérogative. Il lui manque plusieurs dents de la première rangée 3 les correspondantes de la se- conde ne se sont point soulevées, elles conservent au contraire la même courbure en arrière qu’ont toutes les autres de leur ordre.

Avant de terminer cette dissertation , qui m’a paru propre à intéresser les naturalistes, je pro- duirai un fait semblable à celui que je viens de

VOYAGES

$5o

rapporter ; je l’ai trouvé dans la denture très- singulière de deux mâchoires venues de Hollande avec d’autres poissons exotiques , et déposées dans le musée de Pavie. A leur inspection, j’ai jugé que le poisson auquel elles ont appartenu était un très -gros squale, mais d’une espèce inconnue ; du moins je n’ai rien lu dans les livrés qui se rapportât aux deux mâchoires que je vais décrire.

Leur ouverture est d’environ trois pieds et demi : un homme de taille moyenne pourrait y passer aisément. La mâchoire supérieure, arron- die par-devant , est garnie de cinq rangées de dents; la première et la seconde représentent comme autant de peignes qu’il y a de dents , avec cette différence que les plus voisins de la base , et celui du milieu de la mâchoire , sont plus petits. Chaque peigne est denté des deux côtés; il porte dix denticules de part et d’autre , très-aigus par la pointe , recourbés vers la base de la mâchoire , et successivement plus grands à mesure qu’ils s’approchent du milieu de la mâ- choire. Le côté supérieur saille hors de la bouche : l’inférieur est tourné vers le bas. Ces deux côtés ne sont point parallèles, mais ils forment avec le corps du peigne un plan qui va en se rétrécissant vers la base de la mâchoire , et s’élargissant par

DANS LES DEUX SICILE S. 25l conséquent dans le sens opposé. Les peignes , j’entends toujouiVpar cette image les dents de la première et seconde rangée, sont contigus, ne laissant entr’eux , à leur sommet , qu’un petit espace obtusangle : ils s’attachent avec solidité, dans leur milieu longitudinal , à la chair semi- cartilagineuse de la mâchoire.

Telles sont les principales circonstances qui s’offrent dans la première et seconde rangée ; mais sous celle-ci il en naît une troisième , sous la troisième une quatrième, sous la quatrième une cinquième. Chacune de ces dernières représente également autant de peignes dentés , dont les divisions sont au nombre de dix , et absolument semblables à celles des deux rangées supérieures. Toute la différence consiste en ce que ces peignes ne sont dentés que d’un côté, l’autre restant for- tement attaché aux chairs maxillaires. Au sur- plus , il faut noter qu’à la seule réserve de la première rangée , les autres sont profondément ensevelies sous une couche de chair fongeuse , qu’il est nécessaire d’enlever pour les mettre à découvert.

Je passe sous silence une multitude d’autres petites dents lisses, obtuses , situées aux racines de la mâchoire , et placées au-dessous des dents à peigne. Quant à celles-ci qui forment cinq

VOYAGES

25s

rangées , si on multiplie ce nombre par treize , on aura soixante-cinq dents à peigne pour tout le contour de la mâchoire. A la vérité , il en manque une des plus grandes dans la première rangée $ mais sa place reste. Cette privation n’é- tait pas récente à l’époque l’on prit le poisson, car la chair fongeuse couvrait la cicatrice , et y formait une éminence anguleuse de quelque épaisseur. Or , si la seconde rangée des dents avait été destinée par la nature à suppléer celles de la première, la dent sous-correspondante à l’absente , dans l’exemple' que nous avons sous les yeux, n’eût-elle pas pris sa place, ou du moins ne se fût-elle pas soulevée pour s’en approcher? Mais il n’en est rien , et cette prétendue dent supplémentaire a conservé la même position , la même direction que ses compagnes, couvertes comme elle d’une couche de chair fongeuse.

On voit, planche VIII, la représentation de la mâchoire supérieure que nous venons de dé- crire: la lettre A indique la place de la dent qui manque.

La mâchoire inférieure , plus courte que la supérieure, plus effilée dans le milieu, est armée d’une denture bien différente. Chaque dent, de deux tiers plus petite que celles à peigne , est tantôt à deux pointes , tantôt à trois ou à quatre.

DANS LES DEUX SICILE S. z53 sans suivre de règle constante , et les pointes penchent vers les cotes de la mâchoire : la planche VIII qui représente les deux mâchoires, en laisse voir quelques-unes 5 elles forment trois rangées , et chaque rangée dans son contour embrasse quatorze dents. Celles de la première ont une direction presque verticale 5 celles de la seconde et de la troisième sont , comme à l’ordinaire , couchées et recouvertes par la chair fongeuse : toutes y sont profondément enraci- nées. Plusieurs dents manquent dans la première rangée, et n’ont point été remplacées par celles de la seconde ; nulle apparence même que celles- ci dussent les remplacer, puisqu’elles sont restées dans leur situation primitive.

L’exemple de ce squale inconnu , et de celui qui fut pris à Messine et dont j’ai donné la descrip- tion, nous prouve que malgré la conformation et la position relative des dents , semblables à celles dn squale requin, il est dans ce genre des espèces qui ne jouissent pas du même privilège, c’est-à- dire, dont les dents inférieures ne sont point des- tinées par la nature à remplacer les dents supé- rieures.

Mais si ces dents ainsi tournées vers le gosier * et enveloppées de chair, n’ont point la faculté de se relever , et ne sont point mises comme en

VOYAGES

2%4

réserve pour venir prendre la place de celles qui tombent , soit naturellement 3 soit accidentelle- ment > quel est donc leur usage ? Certainement si durant la vie de l’animal elles gardent dans sa bouche la même situation , elles lui sont inu- tiles pour saisir sa proie , pour Parrêter, pour la briser ; il ne doit trouver non plus en elles ni moyens d’attaque t ni moyens de défense contre ses ennemis $ car on sait que ces espèces de pois- sons se livrent continuellement de violens com- bats. Dirons-nous ici avec raison ce que Stenon disait à tort des squales requins , reliqui vero ( les dents des rangées postérieures ) , nisi ma - ieriœ necessitate clicantur facti , non video cujus gratiâ sint confecti ?

Je suis bien loin de vouloir juger les fins de la nature 5 elle en a que nous ignorons profon- dément , et peut-être que nous ne pénétrerons jamais. Toutefois elle en a aussi d’assez manifestes pour que nous ne restions pas dans l’incertitude à leur égard. Il n’est pas douteux , par exemple , que dans plusieurs animaux les dents ne soient une arme offensive et défensive } en même temps qu’elles servent à la trituration et à la mastication des ali mens j mais elles ne sont données à d’autres animaux que pour saisir leur proie , qu’ils en- gloutissent ensuite et font passer toute entière

h

DANS LES DEUX SICILE S. s55 dans leur estomac. Les squales requins ne mâ- chent point, et cela leur est commun avec une infinité d’autres poissons mais ils se servent de leurs dents antérieures pour s’emparer des ani- maux dont ils font leur pâture , et cès dents venant à leur manquer , elles sont remplacées par les dents postérieures , telle étant la destina- tion de ces dernières.

Les deux espèces que j’ai décrites ne peuvent de même employer que les dents de la première rangée , puisqu’elles sont les seules saillantes dans leur bouche. Mais si elles tombent , soit natu- rellement , soit par accident , la perte , comme on l’a vu , en est irréparable $ nulle ressource pour eux dans celles de la seconde , de la troi- sième et de la quatrième rangée. Mais doit-on pour cela les appeler inutiles ? une telle pré- somption n’est pas dans ma pensée. On en jugeait ainsi des dents postérieures des squales requins 5 mais un examen plus approfondi de leurs mâ- choires nous a ensuite découvert leur véritable usage. Je n’ai observé et comparé que celles de deux individus d’espèce différente 5 si j’avais été à portée d’étendre ces recherches à un plus grand nombre , peut-être en aurais- je obtenu des preuves que je ne soupçonne pas , sur-tout en les observant dans des âges divers.

2 5$ VOYAGES, ÛC .

En attendant, profitons de la leçon qui s’offre à nous dans ces remarques 5 soyons circonspects dans l’emploi des argumens fondés sur la seule analogie : pouvait- elle être plus grande entre les circonstances qui , dans les squales requins, ac- compagnent les dents des rangées inférieures , et celles qui se combinent avec les mêmes ran- gées dans les deux squales ci dessus décrits? Com- bien il était facile d’argumenter en soutenant que ces rangées étant suppléantes dans les premiers , elles devaient l’être dans les deux autres ! et ce- pendant l’observation a décidé le contraire.

Dans le cours de cette dissertation , j’ai consi- déré les squales comme faisant partie de la classe des poissons , quoique Linnée les ait rangés au nombre des amphibies, parmi lesquels il compte aussi les raies , les lamproies , &c. parce qu’ils sont pourvus, selon lui, de véritables poumons; mais Vicq-d’Azyr a démontré l’inexistence de ce vis- cère dans ces animaux, et moi-même j’ai confirmé quelque part les preuves qu’il en a données (1).

(1) Voyez Opusc. scelt. di Milano, ann. tjS3yt. VL FIN I) U TOME QUATRIÈME.

TABLE

Zbnt 4.

Fia. III

«

'<*

TABLE ET SOMMAIRES

des chapitres contenus dans ce quatrième volume.

chapitre xxiii, page 1. Considérations sur ly activité des feux volcaniques .

Opinions contraires snr cette activité : les uns veulent qu’elle soit très-grande , les autres très-faible. Exa- men des argumens favorables à la première opinion. Argument déduit des effets produits par le feu d’une lave coulante, et comparés à ceux du feu ordinaire. Ardeur de cette lave au moment de sa sortie, supé- rieure à celle que les fourneaux peuvent communiquer. Second argument déduit de la promptitude avec la - quelle se liquéfia un morceau de lave froide jeté sur une lave en fusion : liquéfaction plus prompte que celle qui s’opère dans les fourneaux. Troisième argu- ment déduit de la conservation d’un calorique très- énergique dans les laves long-temps après qu’elles ont cessé de couler. Quatrième argument déduit de la fusion de grands amas de pierres qui se sont trou- vés sur le passage des laves fluenles, et des grands espaces de pays que ces laves ont parcourus. Cin- quième argument déduit de la grande difficulté que l’on éprouve à liquéfier dans les fourneaux le verre volcanique d’Islande. Sixième argument déduit de l’ébullition de l’eau de la mer causée par des incendies

Tome IV. R

^58 TABLE ET SOMMAIRES

volcaniques. Septième et dernier argument déduit la grande fluidité des laves*en plusieurs circonstances.

Les argumens employés par les partisans de l’opinioH contraire pour prouver la faiblesse des feux volca- niques peuvent aisément se réduire à un seul , qui est que les pierres , en passant à l’état de lave , n’é- prouvent aucun changement essentiel , et que leurs schorls ne se fondent point, tandis que le feu ordi- naire détruit , par la vitrification , les caractères pri- mordiaux de ces mêmes pierres , et opère pour l’or- dinaire la fusion des schorls. Cet argument est plus spécieux que solide. Il n’est pas toujours vrai que les feux volcaniques soient insuflisans pour fondre les schorls; bien plus, ils fondent quelquefois les grenats du Vésuve, réfractaires dans nos fourneaux. La faible altération qui se remarque dans les caractères primi- tifs des laves ne doit point être attribuée la faiblesse des feux volcaniques , mais à leur manière d’agir toute particulière Feux des fourneaux très-propres à fondre les roches , tant volcaniques que naturelles ; mais in- sufîisans pour leur communiquer une véritable flui- dité : si l’on veut l’obtenir , il faut employer un feu beaucoup plus actif. Jusqu’à quel point est fondée l’opi- nion de ceux qui prétendent que le feu volcanique agit plutôt par sa durée que par son activité. Un feu de fourneau tou j ours égal parvient à liquéfier les roches par sa seule durée, mais en même temps il en détruit le tissu, comme il le détruirait s’il était doué d’une plus grande activité. On recherche si le soufre sert de fon- dant aux pierres qui passent à l’état de lave , ou s’il facilite leur fusion : une longue série de faits démontre

B Ê S CHAPITRES.

le contraire. Les laves , outre le calorique qu’elles re- çoivent des incendies souterrains, n’en ont point un qui leur soit propre , et qui se développe par une véri- table combustion à la manière des corps inflammables. Expériences à ce sujet. Nous n’avons aucune idée claire de l’action du feu volcanique. Incertitude nous sommes sur la qualité des alimens de ce feu. Le gaz oxigène est probablement l’auteur et le conservateur des incendies souterrains ; il est propre à produire des combinaisons particulières dans les substances pier- reuses qu’il investit quand il se trouve mêlé avec d’autres gaz et avec des substances salines. L’eau unie nu feu peut encore concourir à produire ces sortes de combinaisons.

chapitre xxiv j page 6 1. Détails sur le climat , les productions , V agriculture et le commerce des îles Æoliennes. Mœurs et usages des habitans .

LIP ART. Population de cette île. Plantes utiles que l’on y cultive. Les vins font l’objet principal du com- merce des insulaires. Leur malvoisie est fameuse. Mé- thode pour la faire. Rareté du bled : moyens d’en augmenter les récoltes par une culture différente. Prodigieuse fécondité des figuiers d’Inde , tant à Li- pari que dans les autres îles Æoliennes. Goût délicieux de leurs fruits. Description de cet arbuste : facilité de le multiplier par-tout. Projet de le rendre plus utile , en nourrissant avec ses feuilles l’insecte coche- nille , comme on nourrit le vers-à-soie avec celles du mûrier. Poissons et corail que l’on pêche aux environ»

R s

26q table et sommaires

de Lipari. Notice sur un physétère qui parut dan3 cette mer pendant que l’auteur la parcourait. Avec une organisation à-peu-près semblable à celle des animaux à mamelles , il peut cependant rester plus long-temps sous l’eau. Rareté des animaux à Lipari : quelle en est la cause. Lapins , les seuls quadrupèdes de l’île. Chasse agréable qu’on en fait avec le furet. Oiseaux de rési- dence en petit nombre. Oiseaux voyageurs s’arrêtent rarement sur ses rivages. Hirondelles sont passagères chez nous : , résidentes. Manière de les prendre dans la ville pendant l’hiver. Commerce extérieur in- troduit à Lipari. Comment on doit entendre Strabon, Diodore et Dioscoride, lorsqu’ils affirment que le sul- fate d’alumine était d’un produit considérable pour Lipari. Son état civil et ecclésiastique. Caractère de ses habitans.

STROMBOLI. Grande chaleur que l’on y éprouve; produite, non par le volcan , mais par le soleil. Nature du climat. Ouragans. Mer tempétueuse. Rivages dé- nués de port. Forme des barques employées par les insulaires. Abondance du poisson , paraît un effet de la chaleur du volcan communiquée aux eaux de la mer» Plantes. Malvoisie , principal produit de l’île. Vigno- bles ; manière de les abriter contre les vents. Popu- lation. Le volcan n’inspire aucune crainte. Hospitalité des insulaires: leur caractère. Fontaine permanente : son origine. Animaux qui se rencontrent dans File.

Y U LC A N O, île inhabitée. Grande abondance du sulfate d’alumine qu’on en tirait autrefois Difficulté actuelle de l’extraire. Elle est susceptible de culture.

DES CHAPITRES. 1

LES SALINES. Ses vignobles abondans. Fontaine qui jaillit au bord du rivage ; doit son origine et son entretien aux eaux de la pluie. Muriate de soude four- ni par un lac voisin de la mer. Méthode pour l’ex- traire.

FÉLICUDA et ALICUDA. Population de ces deux îles. Maisons bâties sur les hauteurs pour se mettre à l’abri des incursions des Barbaresques qui infestaient autre- fois les îles ^Éoliennes. Elles n’en sont pas encore exemptes. Justes craintes des voyageurs qui navigant dans ces parages. Végétaux de Félicuda et d’Alicuda. Le froment qui croît dans la première est excellent. Industrie des habitans qui le cultivent. Leurs barques et l’usage qu’ils en font. Superstition abolie. Les îles Æoliennes, en général, sont exemptes de serpens, et pourquoi. Contentement inaltérable de ces insulaires. Salubrité de l’air qu’ils respirent. Avantages qu’en éprouve l’auteur pendant son séjour. Comparaison entre l’atmosphère de ces îles et celle des plaines de la Lombardie.

chapitre xxv, page io3. Voyage à Mes- sine. Etat de cette mile après les tremble - mens de terre de 178 3. Détails concernant cette horrible catastrophe .

Habit ans de Scylla engloutis dans la mer. Palais ren- versés autour du port de Messine. Ecroulement et ruines d’un nombre prodigieux de maisons Baraques de bois se retirèrent les Messinois pendant la cons- truction de nouvelles maisons plus propres à résister

R 3

202 TABLE ET SOMMAIRES'

aux trembîemens de terre. Description des secousse® qui se firent sentir; événemens qui les précédèrent y événemens qui les suivirent. Edifices bâtis sur le gra- nit furent moins endommagés que les autres. Le mole fondé sur un sol mobile , croula et fut enseveli dans la mer. Enumération des édifices les plus remarquables qui furent détruits. Calcul des pertes immenses de cette ville. Empressement du roi de Naples pour la soulager.

chapitre xxvi, page ii 2. Observations sur Scylla et Cary b de.

Murmure semblable à des aboyemens de chiens, se fait entendre à Eapproche du rocher de Scylla; il est occasionné par le battement des flots de la mer. Des- cription d’Homère et de Virgile. Le rocher de Scylla se montre encore tel aujourd’hui qu’il était du temps du poète grec. La mer n’a éprouvé aucun abaissement sensible depuis cette époque. Danger imminent d’é- chouer contre ce rocher quand le courant va du sud au nord. Matelots de Messine destinés par le gouver- nement à porter secours au:* vaisseaux. Description d’une tempête dans le détroit. Prompts secours don- nés à un vaisseau en perdition. Situation précise de Carybde. Carybde a passé jusqu’à nos jours pour un tourbillon d’eau. On a prétendu que les débris des navires engloutis par le tourbillon étaient revomis à trente milles plus loin ; fait rapporté à ce sujet. Cou- rant du détroit , tantôt ascendant , tantôt descendant. Visite de l’auteur à Carybde. Apparence sous laquelle il se montre. Ce n’est point un tourbillon , mais un

DES CHAPITRES.

265

simple bouillonnement d'eau. Ce que deviennent les corps que l’on y laisse tomber. Profondeur de la mer à cet endroit. Comment les vaisseaux qui y sont pous- sés peuvent courir des dangers. Naufrage récent. Les auteurs qui ont écrit de Carybde ne l’ont point vu. Sa distance de Scylla est de douze milles. Erreur d’Homère à ce sujet. Carybde et Scylla, autrefois célèbres par les tempêtes et les naufrages , ne sont plus si redoutables , et pourquoi.

chapitre xxvn, page 1 57. Méduses phosphoriques observées dans le détroit de Messine .

D’o u leur vient ce nom. Pourquoi on les appelle encore gelées et orties de mer. Peu d’auteurs en ont écrit , aucun n’a fait leur histoire. Ce qu’en dit Lœfling excite la curiosité , mais ne la satisfait pas. Méduses phospho- riques sont rares en comparaison des méduses non phosphoriques. L’auteur a l’avantage de rencontrer un grand nombre des premières dans le détroit de Messine. Leur organisation , leur manière de nager dans la mer , deux choses nécessaires à savoir pour l’intelligence de leur propriété phosphorique. Forme de leur corps semblable à l’orhbelle d’un champignon, concave dessous, convexe dessus. Cette ombelle est munie de douze tentacules. Sa structure indique une bouche et un estomac. Grande simplicité de son orga- nisation. On y appercoit de petits corps qui ont la forme d’intestins et de trachées. Léger tissu muscu- leux dans ses parties internes. Description des ten- tacules. Aucune apparence de circulation d’humeurs.

R 4

table et sommaires

Comment ces méduses se dissolvent. Eau marine com- pose la plus grande partie du volume de ces animaux. Indices de quelque organisation dans les parties mêmes des méduses l’œil n’en apperçoit aucune. Mouve- ment de systole et de diastole dans leur ombelle au moyen duquel elles cheminent dans la mer. Sans ce mouvement alternatif elles tomberaient au fond. Son siège est seulement dans le tissu musculeux. Il con- tinue quand la méduse est tirée hors de l'eau : il cesse quand le tissu musculeux se corrompt. Les faits ne décident pas clairement si ce mouvement est indépen- dant de la volonté de l'animal. Les corpuscules en forme d’intestins et de trachées apperçus dans la cavité de l'ombelle , jouissent de mouvemens particuliers. Indices que les premiers sont de véritables intestins. Phosphorescence des méduses observée de nuit dans la mer et dans des vases emplis d’eau marine ; plus forte dans la systole , moins forte dans la diastole , très-petite dans les intervalles de repos. Ne s’éteint point entièrement, sinon après la mort de l’animal, et quand il commence à se corrompre. Précautions à prendre pour appercevoir une phosphorescence très- faible. Phénomènes s .mblables dans les méduses mortes et mises au sec. Si l’on plonge dans l’eau douce des méduses mortes et en partie dissoutes, elles reprennent subitement leur lumière , et la communiquent à l’eau. Ce phénomène n'a pas lieu dans l’eau de mer. La pluie en tombant sur les méduses dont le phosphore paraît éteint , le ravive : cela n’arrive point en les arrosant de même avec l’eau delà mer. Une friction artificielle augmente leur lumière , et la rallume quand elle ne brille plus. Par le moyen de cette friction , la phos-

DES CHAPITRES. 205

phorescence se communique à l’eau. Cette communi- cation se fait beaucoup mieux avec Peau douce qu’avec l’eau salée. Brillantes clartés phosphoriques dans une eau de puits l’on avait pressuré quelques méduses. Quand ces phosphores ne brillent plus , il suffit d’a- giter l’eau pour les faire reparaître. Un calorique ar- tificiel , supérieur à celui de l’atmosphère , est capable d’y renouveler la lumière quand l’agitation ne la re- produit plus. Ce phosphore brille dans l’urine hu- maine comme dans l’eau douce, beaucoup mieux dans le lait. Phénomènes observés à cet égard. La percus- sion du lait suffit pour faire renaître sa phosphores- cence. Cette liqueur préférable pour ces expériences à toutes les autres liqueurs. Le phosphore des méduses ne s’étend pas à tout leur corps. L’ombelle en est pri- vée , à l’exception de ses bords. Il réside principale- ment dans les grands tentacules. On l’apperçoit moins dans la bourse qui communique avec une ouverture de l’ombelle , ouverture qui paraît être la bouche de l’animal. Il consiste dans une humeur un peu dense et gluante qui baigne les trois parties indiquées. Pour que cette humeur manifeste sa propriété phosphorique, elle doit être récente. Différence entre ces méduses et celles qui ne deviennent phosphoriques que lors- qu’elles tombent en pourriture. Deux humeurs dans ces dernières , l’une très - abondante , salée , et non désagréable au goût; l’autre très-rare, brûlante, et d’une saveur désagréable. Dans cette dernière , réside uniquement la lumière. Les méduses habitent pour l’ordinaire les parages la mer est calme. Leurs divers noms à Messine et dans les îles Æoliennes. Probabilité que les petits poissons leur servent d’ali-

266 TABLE ET SOMMAIRES

menl. Leur manière de les prendre. L’auteur soup- çonne qu’elles sont de vrais hermaphrodites. Carac- tère de cette nouvelle espèce de méduse dont il a don- né la description. Deux sortes de mouches de mer lui- santes vues par l’auteur dans son voyage en Sicile, et semblables à celles qu’il avait rencontrées quelques années auparavant dans l’Archipel et la mer Noire.

chapitre xxvm, page 172. Autres mol- lusques découverts dans le détroit de Mes - sine .

I. Description d’une nouvelle espèces d’ascidie. Deux ouvertures, l’une supérieure, l’autre inférieure, don- nent entrée dans son corps à l’eau marine. Compri- mée entre les doigts, cette eau en sort sous la forme de deux jets. Elle s’insinue dans l’intérieur de l’ani- mal sans produire de tournoiement. Communication entre les deux ouvertures. La supérieure semble faire ia fonction de la bouche , l’inférieure celle de l’anus. Nul autre mouvement dans ce mollusque , sinon d’ou- vrir et de fermer ses deux ouvertures. Sa grandeur ordinaire et sa couleur. Petits animaux qui s’y at- tachent. La peau coriace dont il est revêtu est comme un étui qui enferme et protège son corps extrême- ment mou et tendre. Dépouillé de cette peau , il con- tinue , comme auparavant , d’attirer l’eau par ses ou- vertures. Petits muscles longitudinaux et transversaux destinés à produire quelques légers mouvemens inté- rieurs, mais qui ne sont perceptibles que lorsque l’a- nimal est dépouillé de sa peau. Canal en forme de poire aboutissant à l’ouverture inférieure. Vessies

DES CHAPITRES. 267

semi-transparentes contenant dans leur centre un glo- bule. Petites ascidies attachées aux grandes sans com- munication interne. Suc visqueux , cause de cette adhérence. Leur génération différente de celle des polypes décrits par Trembley. Conjecture que les globules renfermés dans ces vessies sont les œufs ou les rudimens de cette espèce de mollusque. Caractère qui la distingue de celle appelée tethyum par Bohadsch. Sa nomenclature.

II. Petit animal à tentacules très-singulier, adhérent aux coraux pêchés dans le détroit de Messine. Sa descrip- tion. Mouvement de systole et de diastole dans le filet longitudinal du dos. Eau douce est un poison pour cet animal. Incertitude sur le genre de mollusque auquel il appartient.

III. Escare rameuse végétant sur les coraux non décrite jusqu’à présent. Ses accroissemens, ses polypes. Pe- tits tournoiemens qu’ils forment dans l’eau , au moyen desquels les atomes propres à les nourrir sont portés jusque dans leur bouche. Le mouvement de leurs bras cause de ces tournoiemens. Comment les polypes se retirent à volonté dans leurs cellules. Adhésion qu’ils ont avec le fond de ces cellules. Polypes qui cessent de vivre dans les vieilles cellules , remplacés par d’autres qui en reproduisent de nouvelles. Il est vrai- semblable que les nouvelles cellules et les nouveaux polypes sont le développement du germe d’un vieux polype. Nomenclature de cette escare.

IV. Autre espèce de polype du canal de Messine l’on apperçoit la circulation des humeurs. Sa description. Anomalie dans cette circulation occasionnée par di-

268 TABLE ET SOMMAIRES

verses circonstances. A quel degré de chaleur ce po- lype continue de vivre hors de la mer ; à quel autre il périt. Aucun principe actif apparent n’est l’auteur de cette circulation. Considérée en elle-même , elle est aussi entière , aussi parfaite que celle qui s’observe dans les êtres qui occupent un plus haut degré de l’échelle animale. Définition de ce polype.

Y. Observations sur les mouvemens de quelques oursins, spatagus , pêchés au fond du détroit de Messine. Ils se meuvent spontanément , changent de place , et se fixent à volonté au moyen de leurs tentacules, malgré l’agitation des eaux ils sont plongés. Singulière manière dont ils font jouer leurs tentacules pour opé- rer ces mouvemens. Les épines n’y prennent aucune part. Poids requis pour vaincre la force des tenta- cules qui tiennent l’oursin attaché aux parois d’un vase de verre. Humeur visqueuse sortant de chaque tentacule , cause de l’adhésion. Artifice dont use l’our- sin pour se débarrasser de ces liens. Tentacules qui restent toujours dans le corps quand l’animal est hors de l’eau. L’agitation des épines ne produit dans cette dernière circonstance que peu ou point de mouve- ment progressif dans l’animal.

chapitre xxix, page so4. Pêche du corail.

Elle est pénible et dangereuse. Instrumens nécessaires, et manière de s’en servir. Lieux reconnus dans le détroit de Messine pour être propres à cette pêche. Profondeurs diverses se trouve le corail. Sites qu’il

DES CHAPITRES, 269

habite de préférence. Comparaison de ce corail avec celui de Trépani et des côtes de Barbarie. Variété de ses couleurs. Il lui faut dix ans pour parvenir à sa maturité. Bénéfice annuel que Ton en retire. Opinion du comte de Marsigli sur cette production marine. Erreurs de croire, i°. que les lieux tranquilles de la mer sont les seuls propres à sa végétation : elle pros- père à des profondeurs beaucoup plus grande qu’il ne pensait. 20. Que elle croît avec le plus de vigueur , elle arrive à peine en dix ans à un demi- pied de hauteur. 3°. Qu’elle ne se reproduit et ne croît que dans les cavernes, et que ses rameaux sont toujours dirigés vers le centre de la terre, 4°. Que sa couleur est constamment rouge. Coraux blancs , Coraux de diverses couleurs. Celui qui est blanc ne diffère du rouge que par la couleur. L’erreur de Mar- sigli , qui prétendait que les polypes du corail étaient autant de fleurs , a donné lieu à la découverte d’une vérité aussi inattendue qu’importante. Les pêcheurs de Messine croient que le corail qui n’est pas parvenu à sa maturité a moins de consistance que celui qui est mûr. Celte opinion n’est pas sans fondement. Le corail dans la mer n’a point de mollesse : il ne s’en- durcit pas à l’air comme le pensaient les anciens. Diffi- culté d’expliquer pourquoi sa croissance diminue en raison de la profondeur il se trouve. En quel sens on doit prendre l’observation de Donati , que les ra- meaux rompus et détachés de la tige du corail conti- nuent à vivre et à multiplier dans la mer. La véritable génération des coraux n’est pas inconnue aux pêcheurs messinois. Leur opinion sur les coraux morts qu’ils trouvent quelquefois percés par des vers lithophages.

*2 JO TABLE ET SOMMAIRES

chapitre xxx, page 221. Pêche des espadons .

Deux manières de prendre ces poissons dans le détroit de Messine : l’une avec la lance, l’autre avec un filet nommé palimadara . En quel temps on fait usage de la lance. Passages périodiques des espadons dans le détroit, tantôt le long des côtes de la Calabre, tantôt le long de celles de la Sicile , selon la diversité des saisons. 11 paraît que ces poissons multiplient dans la mer de la Sicile. On ne se sert de la lance que pour les gros espadons 5 mais avec la palimadara on en prend de toute grandeur. L’usage de ce filet nuit en général à la multiplication du poisson : les plus petits s’y pren- nent comme les plus gros. Barque de forme particu- lière pour la pêche à la lance , et instrumens néces- saires pour la capture de l’espadon. Adresse des pê- cheurs à les découvrir , à lancer le coup et à s’en saisir. Poids ordinaire de ces poissons dans le détroit de Messine.

chapitre xxxi, page 229. Pêche des chiens de mer.

Espèces diverses de squales. La pêche en est dange- reuse à cause des gros poissons de ce genre qui passent quelquefois dans le détroit de Messine , tels entr’autres ceux que l’on nomme chiens de mer. Exemples de leur fureur exercée contre les hommes dans le port même de Messine. Autres accidens non moins funestes occa- sionnés par eux dans d’autres parties de la Méditerra-

DES CHAPITRES. 2.J 1

née. Enorme largeur de leur bouche capable d’en- gloutir un homme entier. On en a trouvé quelque- fois dans leur estomac. Dépouille d’un gros squale du détroit de Messine envoyée à l’auteur après son retour en Lombardie. Ses caractères d’après l’habitude extérieure du corps. Plusieurs ordres de dents , et leur configuration. Ces caractères cadrent en partie, non en totalité , avec ceux du squalus maximus décrit par les naturalistes , ce qui fait soupçonner que ce poisson fait une espèce différente et non connue. Rap- ports sensibles entre la position de ses dents et celle des dents du squalus carcaria. Opinion de Stenone que la plupart des dents des chiens de mer ne leur sont d’au- cune utilité. Hérissant a combattu cette erreur , et l’auteur achève de la détruire par plusieurs observa- tions. Grosseur de ces poissons , fut plus considérable autrefois qu’elle ne l’est aujourd’hui. Comparaison entre les dents fossiles et les dents naturelles de ces animaux. Os fossiles de divers animaux d’un autre genre : comparés aux os naturels , ils offrent la même disposition. Changement dans la configuration des dents de chiens de mer : leur nombre augmente à mesure qu’ils avancent en âge. Dents de réserve ren- fermées dans leurs mâchoires , qui suppléent à celles qui viennent à leur manquer, soit naturellement, soit par violence. Le squale de Messine ci-dessus cité ne jouit pas de cet avantage , quoique les circonstances de ses dents soient absolument les mêmes. Singulière structure des dents d’une autre espèce de squale. Ou- verture prodigieuse de sa bouche. Cependant il n’y existe point de dents de réserve , comme il y en a dans les chiens de mer. Inutilité apparente de plu-

27 2 TABLE ET SOMMAIRES,^.

sieurs ordres de dents dans ce poisson , et dans celui décrit par l’auteur : elles sont ensevelies sous la chair fangeuse des mâchoires. Examens ultérieurs à faire avant d’en juger ainsi. Comment l’analogie , alors même qu’elle paraît la plus complète, peut induire en erreur. Raisons pour ranger dans la classe des pois- sons les squales que Linnée a transportés dans celle* de ces amphibies.

riN DELA TABLE DU TOME QUATRIÈME.

V - . : tuV

\

-

I

'h