■ JMarine Qfoloflical Laboratoru tibraru •yJoods Ofolc, Massachusetts °ÇOYAQ£S • 0? ■ EXPLORATION Colkctcd hï <1\(ÉWC0MB OUoMPSON MûNTjOMERY (1307-1966) Thtfadcfphia arehitect, nepheri of Hhomas CHarnson MontQomcru (1613-1912), est\$ator, and 'Vnsafla ^Braislm CMontyomcru (1874 -1956), MBL Ubranan. (jifiof thetrsons jiughtMontgomcru, MfD. and rRsaum0ndrB. Montgomcrq — 1987. & o ^ V O Y A G S DU CAPITAINE J. M E A R E S. TOME SECOND. tyc IB ^^ "-sa f «» VOYAGE S DE LA CHINE A LA CÔTE NORD-OUEST D'AMÉRIQUE, FAITS DANS LES ANNÉES i788 ET 17895 PuicÉDEs de la relation d'un autre Voyage exécuté e» ^1786 sur le vaisseau le Nootka. , parti du Bengale ; D'un Recueil d'Observations sur la Probabilité d'un Passage Nord - Ouest j Wà d'un Traité abrégé du Commerce entre la Côte Nord- Ouest et la Chine , etc. etc. Vjk le Capitaine J. ME ARES , Commandant le Vaisseau la F e lice. Traduits de l'Anglois Par J. B. L. J. BILLECOCQ, Citoyen Français. Arec une Collection de Cartes géographiques, Vues, Maria Plans et Portraits, gravés en taille - douce. TOME SECOND. A PARIS, Chez F. Buisson, Libraire, rue Hautefeuille , n\ **\ An 3c. » e £ F U S X. I Q V X, t i^OY AGES DU CAPITAINE J. M E A R E S. CHAPITRE VII. Chaleur excessive. Temps orageux «„ V ô * 1780. Le mât de misaine de la Felice con- Mars. sent. — Verte d'une partie des bestiaux. ——Mort, de tous les boucs. — -Destruc- tion de la plupart des vlantes destinées pour les îles Sandwich. Motifs pour diriger la route du vaisseau vers- le nord-ouest. — Manière de nourrir l'équi- page. Occupations à bord. F roi et de construction d'un vaisseau de *ço ton- neaux dans i l'entrée du Hoi Geor°e. —-Les charpentiers en achèvent tes &a- barits et le modèle. — L'art de bâtir les vaisseaux totalement inconnu aux char- pentiers Chinois. Fort considérable Tome II. A (*) 17SS; des jonques chinoises. Dètachemeiï Mars. choisi pour rester dans Ventrée du Ha George. — ■ Queue d'un dragon de me). — Changement des moussons. Effe* terribles des dragons de mer dans le mers de Chine et dans la merTacifîqm du Nord. Dimanche X^E 2 mars , au moyen de plusieurs ob- 2% servations sur les distances du soleil et de la lune , nous nous trouvâmes par les i36 degrés 3y minutes de longitude Est de Greenwich, et les 2 degrés 5i minutes de latitude nord. En ce moment la variation du compas étoit de 2 degrés 3o minutes est, et le mercure du thermomètre montoit à 86 et souvent à 90 degrés , de sorte que nous eûmes beaucoup à souffrir de l'exces- sive chaleur. Les courans nous permettoient rare- ment de tenir une meilleure route qu'au sud - est ; et jusqu'alors > il ne parois- soit guère probable que nous pussions dé- passer la Nouvelle - Guinée. A la vérité , nous étions yciius à bout de doubler le Cap (3 ) NojyI ; mais il nous restoit encore la Nou- 178S. velle-Irkinde , la Nouvelle-Hanovre , plu- M^s» sieurs grouppes et amas d'îles différens,, au nord de la ligne , et à plusieurs degrés à Test de notre position. Si nous avions con- tinué notre route , il auroit fallu nous dé- terminer à avancer au travers des détroits de Dampierre , ou de ceux découverts par le capitaine Carteret , et qui séparent la Nouvelle -Bretagne- de la Nouvelle- Hano- vre. Mais dès que nous ne prenions ni l'un ni Pautre de ces deux passages , il ne se présentoit pas d'autre alternative que de porter au nord et à l'ouest , et de tâcher d'avancer assez dans le premier pour pou- voir virer vent devant et doubler le tout. Après un mûr examen de notre situation et des circonstances , nous préférâmes ce dernier parti. On fit donc virer vent devant au vaisseau , et nous portâmes vers le nord- ouest , le vent au nord - est ; ce point du compas étoit le plus critique pour nous. La provision de rafraîchissemens empor- tée de Samboingan s'étoit trouvée suffisante pour nos besoins jusqu'à ce moment. Nous en avions retiré le double avantage de mé- nager nos viandes salées, et de jouir d'une A % ( 4 ) i78S. meilleure santé sur îe vaisseau. Nous ne Mars, cessions de donner à notre monde de l'eau en abondance, comme étant le meilleur pré- servatif contre le scorbut. S'il pou voit y avoir un endroit du passage où l'eau devînt moins nécessaire , ce seroit dans les lati- tudes plus froides : car , dans le degré où nous nous trouvions, l'extrême chaleur exi- seoit absolument le secours de quelque li- quide pour conserver la santé en soutenant la transpiration. T r Le 3 , le temps devint très-orageux. Nous Lundi r *■ « 3. avions des raffales continuelles du nord- est j accompagnées de déluges de pluie qui nous obligeoient souvent de diminuer de voiles. La meilleure route que nous eussions à tenir étoit au nord-ouest. Nous essayions pourtant quelquefois de faire une bordée ou deux à l'est -sud -est et à l'est quand le Vent étoit favorable. Dans celte position , nous nous apperçûmes, à midi, que le mât de misaine avoit consenti dangereusement au dessous des jottereanx. Il devint néces- saire de prendre toutes les précautions pos- sibles pour l'assurer , attendu que la grosse mer exposoit beaucoup le vaisseau à être démâté par le tangage. Le mat de hune, et (5) le mat de perroquet forent, en conséquence , jj%$. descendus s -rr le pont, et Ton détendit les Mars, voiles. On dressa aussi des échafauds tout autour du mât par le haut _, et les cliarnen- tiers s'occupèrent sur le champ de tailler des jumelles. Cet accident fut accompagné de plusieurs autres malheurs également afiiigeans. Le mauvais temps que nous venions d'essuyer, et le roulis continuel du vaisseau , avoit fait mourir quelques-uns de nos bestiaux et la plupart de nos plantes, entr'autres, un très- bel oranger en fleurs , et la moitié des can- nelliers que nous avions reçus à Samboïa* gan. îl nous restoit cependant un taureau, une vache et un veau encore vivans. Mais les secousses du vaisseau avoient , en un seul jour , causé la mort de tous les boucs. Nous ne conservions plus de nos plantes qu'un limomiier, un oranger en fleurs , six canneiiiers et plusieurs plantes plus petites de différentes espèces. Le 4 , à midi > nous étions par les \3 de- Mardi grés de latitude nord , suivant deux oh- 4- servations sur la hauteur du soleil; et par les 1J7 degrés 09 minutes de longitude Est de Greenwich, calculée d'après la dernière A 3 T78S. observation du soleil et de la lune. Le vent Mars, souffioit de nord - est ; nous poursuivîmes notre route à l'est -sud - est. Le temps étoit obscur et orageux. De grosses raffales de pluie, accompagnées de bouffées de vent, produisoient , en soulevant les vagues, une grande agitation de la mer. Mercredi ^e m'd ne Put ^tre raccommodé dune 5- manière sûre avant le 5, attendu qu'il étoit extraordinairement difficile de le jumeler. D'ailleurs , nous craignions beaucoup qu'il ne se trouvât hors d'état de résister aux vents et aux tempêtes que nous nous atten- dions à essuyer au nord des latitudes du tropique. Mercredi Nous continuâmes jusqu'au 12 à saisir 12» tous les momens ou le vent se montroit favorable. Lorsqu'il sautoit à l'est-nord-est , nous virions vent devant et gouvernions au nord et à l'ouest ; et dès qu'il passoit au nord , nous dirigions notre route vers Test. A la vérité , il ne nous permettoit pas sou- vent «le porter le long de la côte ou de virer vent devant. Car il souffioit presque toujours avec violence , et la pluie tomboit par grosses raffales. Aussi notre latitude nord, à midi , n'étoit elle que de 3 degrés (7 ) l5 minutes, et notre longitude Est de î44 {f*& degrés s5 minutes ; et le \j , nous ne nous Mars, trouvâmes qu'à 3 degrés s5 minutes de lati- Lundi tude nord, et à 146 degrés 3o minutes de longitude est. Ainsi la lenteur mortelle de notre navigation T les rigueurs du temps également ennuyeux et mal sain tendoient plus ou moins à décourager les personnes de l'équipage. Ajoutez que les pluies fré- quentes occasionnoient une humidité con- tinuelle , que nos gens se trouvoient si sou- vent et si long - temps obligés de porter leurs habits tout mouillés , en même temps qu'ils gagnoient de l'humidité sur les ponts, que nous recommencions à craindre de voir augmenter les symptômes du scorbut. Une situation aussi critique nous faisoit douter beaucoup qu'il nous fut possible de doubler les îles de la Nouvelle^- Irlande ou de la Nouvelle-Hanovre \, qui nous restoient alors 9 non-seulement à l'est-sud-est , mais même à plusieurs degrés du côté de l'est. Dans la position où nous étions alors > nous avions toujours manœuvré immédiatement dans la direction du vent. J'ai déjà parié plus haut des obstacles qu'on éprouyeroit probablement en suivant A4 (§) 1788. notre première route. Le soleil approchoî.t Mars. c\e l'équinoxe^^ et il ne nous étoit pas per- mis d'en espérer un changement favorable. Avec un soleil vertical , nous ne devions naturellement nous attendre qu'à un calme ennuyeux et à de grosses pluies. Nous n'a- vions fait encore qu'une très -petite partie du voyage ; il nous restoit à achever un immense trajet pour gagner le 160e degré de longitude où nous aurions nécessaire- ment à traverser la ligne. D'après la manière dont nous avions corn- mencéle voyage, il étoit probable que nous n'atteindrions pas cette distance éloignée avant le 10 avril. D'un autre colé , si nous gouvernions au nord - ouest , nous avions beaucoup de raisons d'espéner un change- ment de vent plus favorable vers le pre- mier avril , si ce n'étoit pas la mousson. En conséquence, il fut résolu une seconde fois de doubler les Philippines, et de diriger constamment notre route vers le nord- ouest. Outre la quantité d'eau que nos gens avoient coutume de recevoir, on leur don- noit^à chacun , dans L cours de la journée, une demi - pinte de liqueurs fortes, dont (9) on xnéioit les deux tiers avec de Peau ; le î7gg. reste , on leur permettent de le boire tout Mars. pur, et c'étoit pour eux , dans les temps humides , un excellent cordial. Nous nous étions approvisionnés le mieux possible de tout ce qui pouvoit conserver la santé > ou, du moins ^ empêcher les progrès du mal. Le matin et le soir, on servoit du thé et du sucre aux gens de l'éqnipage. Ils avolent du riz , des pois et de l'orge en abondance , et on leur en donnoit avec de la farine et du fruit de manière à varier le plus possible leurs repas journaliers. Le porc et Je bœuf étoient toujours bien trempés , et Ton ne cessoit de faire usa^e du vinaigre pour cor- riger les mauvais effets que pou voient pro- duire des provisions de viandes salées. Nous continuâmes de porter au nord- Dimanche ouest, et il ne nous arriva rien de remar- 3°* quable dans l'intervalle qui s'écoula jus- qu'au 3o. Le temps étoit devenu alors très- agréable mous n'essuyions plus de ces grosses bouffées de vent et de pluie qui nous avoient si continuellement tourmentés. Une obser- vation faite à midi , donna 21 degrés 2, mi- nutes de latitude nord, et 189 degrés 48 minutes de longitude est. La variation du (lO.) 1788. compas étoit de 4 degrés 24 minutes es*. Mars. Pendant cette navigation , nous avions ap- perçu , tous les jours, de nombreuses com- pagnies d'oiseaux, parmi lesquels on en re- marquoit plusieurs dont l'espèce ne s'éloi- gne jamais de la terre. Nous saisîmes l'occasion qu'offroit le temps favorable dont nous jouissions alors pour faire la revue de nos voiles , et nous mettre en garde contre les tempêtes que nous avions tout lieu de craindre en avan- çant vers le nord , et sur-tout près du Ja- pon. On prépara deux assortimens complets dévoiles neuves , nouvellement filées, dou- blées^ et cousues dans le milieu. Les vieilles furent en même temps réparées avec tout Je soin possible. On employa sans cesse les tonneliers , armuriers et autres artisans , soit au service ordinaire du vaisseau, soit à préparer, cha- cun suivant son talent particulier, tous les articles de trafic qne nous destinions au marché d'Amérique. Les armuriers chinois étoient fort industrieux. Ils travaiiîoient avec tant d'adresse et de facilité que nous les préférions aux armuriers dl nrope. Les iustrumens dont ils se servent pour leur ouvrage sont extrêmement simples ; et ils 1788. ne mettent jamais beaucoup de temps à Mars, faire la besogne qu'on leur donne. Les charpentiers furent également occu- pés à dresser les gabarits et à tracer le mo- dèle d'un sloop de 5o tonneaux que nous avions le projet de construire dès notre arrivée dans Y entrée du Roi George. Un semblable vaisseau ne pou voit que noua être d'une grande utilité . non - seulement pour recueillir des fourrures, mais encore pour reconnoître la côte. Notre premier charpentier étoit un jeune homme très -intelligent et très-habile dans sa profession qu'il avoit exercée le temps nécessaire à Londres. Quant aux charpen- tiers chinois , notre manière de bâtir les vaisseaux leur étoit totalement inconnue. Ceux sur lesquels ils naviguent dans les mers de Chine et autres mers voisines sont d'une construction particulière. Dans des navires du port de mille tonneaux, ils n'em- ploient pas un seul morceau de fer. Ils font leurs ancres même avec du bois , et leurs voiles qui sont énormes, avec des nattes. Ces bâtimens flottans peuvent cependant résister aux plus violentes tempêtes ; ils (fi%2 ) conservent long - temps le vent favorable , Mars, ont un très- bon mouvement , et sont tra- vailles avec un soin et une adresse qui ex- cite la surprise de tous les marins d'Europe. Il étoit donc assez difficile d'employer l'ha- bileté de nos charpentiers chinois à un genre de travail si différent de celui auquel ils sont accoutumés, et pour lequel ils ont une pratique sûre et une expérience consommée. Je choisis dans l'équipage un détache- ment destiné à rester sur le rivage avec les ouvriers occupés à la construction du vais- seau. Je ne m'y prenois d'aussi bonne heure pour rég!er ce service, qu'afin de mettre nos gens en état de commencer leurs opéra- tions, dès notre arrivée dans Ventrée. Il est vrai que nous n'avions encore rien de prêt : il falloir aller chercher notre bois de char- pente dans les forets de l'Amérique ; tout le fer étoit encore dans le vaisseau , en barrus informes et non travaillées ; un cable renfermoit toute la corde dont nous nous disposions à faire nos cordages. Mais quoi- que nous lussions si peu avancés, ce sen- timent d'espérance qui porte l'homme à hiirer contre tous les obstacles , et qui lui ici l, pour ainsi dire,, la vie, nous donnoit ■ ( i3 ) du courage ; neuf; étions , en quelque sôFtë , i?S3. certains d'avance que notre projet seroit Mars, exécute, et que lé vaisseau que nous nous proposions de construire peurroit être lance à la mer vers le mois d'octobre, j Le premier avril, à midi, notre latitude Avril. nord étoit de ££ degrés 16 minutes,, et Mardi longitude 'Est de 109 degrés P8ê minute^. Le i# temps parois'soit fixé ài'ci^curité : les ntfîif*éé étoient extraordinairement noirs et charges. Il tonnoit et éclairoit .pendant tout' le jour. Le vent nous amenoit de 'nombreuses com- pagnies d'oiseaux. Le bruit qu'ils fkisoient dans leur passage sembloit annoncer qu'ils craignoient lé mauvais temps. Nous' 'passâmes aussi auprès de quelques brins de cette herbe que l'eau détache des rochers, marque certaine que nous n'étions pas à une grande distance de la terre. Le 2 , le tonnerre et les éclairs augnien- Mercredi tèrent sans que le vent soufflât avec plus de 2fc violence. La mer étoit cependant très-api- tée , et le vaisseau tanguoit avec tant de force , que les lisses d'accastillage furent emportées, et que nous éprouvâmes quel- ques autres accidens. Vers midi , le ternos devint raffaleux, et nous essuyâmes plusieurs (MO ,-§g# bouffées de vent de tous les points du corn- Avril, pas. L'obscurité qui augmenta tout-à-coup ne nous permit pas de douter de l'approche d'une violente tempête. Les vergues et les mâts de perroquet furent descendus à l'ins- tant sur le pont : on ferla la grande voile ; les huniers eurent tous leurs ris pris , et la voile d'artimon fut balancée. Toutes les voiles furent ferlées , excepté celle du grand hunier qu'on jugea prudent de laisser dé- ployée. Dans cet état, nous attendîmes l'ar- rivée de la tempête ; elle ne trompa point notre attende. A deux heures P. M. (1) , le vent passa au sud et commença à souffler par fortes raffales. L'avant du vaisseau étoit tourné vers le nord-est. Le tonnerre et les éclairs se succédoient avec une effrayante rapidité. A trois heures et demie passées, U nous vint une grosse bouffée de vent de sud-est, qui fut suivie , au moment même , d'une autre bouffée de sud-ouest. Ces deux vents soufflèrent , pendant quelques mo- mens , avec une fureur incroyable. Enfin celui de sud-ouest remporta,, et continua de souifler pendant près d'une heure. La -■-,-■ - - i — — (i) Post Meridicm : après midi. ' i5 } rencontre de ces deux bouffées sous le vent 1785. de notre vaisseau fut réellement affreuse ; Avril .les flots s'élevoient à une telle hauteur que l'iiorison sembloit une mer d'écume. Heu- reusement pour nous, nous n'eûmes que la queue de ce dragon de mer ou tourbillon : à chaque instant , nous nous attendions à voir nos mâts brisés. Le grand hunier avoit été saccagé et coupé en morceaux! Les vagues continuèrent de monter à une si prodigieuse élévation que nous fûmes obligés de faire vent arrière avec la misaine et d'avancer sur la tempête pour sauver le vaisseau qui fatiguoit d'une manière ef- frayante. Le vent souffla alors de sud-est , et produisit une grosse mer au devant de laquelle nous gouvernâmes. Nous courions ainsi devant le ycnt tout le long de la côte , O 7 lorsque nous apperçûmes , sous le vent du vaisseau , l'eau qui s'élevoit en cercles à plusieurs pieds au dessus du niveau de la mer , ce qui formoit le pins beau spectacle qu'on pût voir. Tel étoit le danger de noire situation, que nous fûmes obligés de nous déterminer à une opération non moins pé- rilleuse que désagréable. Ce fut de virer au cabestan. Par une mer si grosse et si agitée , C *6) j788. nous n'avions pas d'autre moyen d'éviter Avril, le gouffre .affreux ouvert, sous le vaisseau même , et qui continua de nous dérober , pour ainsi dire , l'horison jusqu'à cinq heu- res. Ce terrible tourbillon commença alors à diminuer -, il se termina par une forte brise de sud -ouest, au devant de laquelle nous fîmes vent arrière au nord-est. La violence de ce dragon de mer ne pa- roîtra pas à ceux qui ont lu l'histoire du Japon de Kempfer , une circonstance qui tienne du phénomène. Au rapport de cet auteur , il y a certaines époques de l'année où le vent se déchaîne dans ces mers avec la même fureur. Cependant, nous avions à bord plusieurs marins âgés et pleins d'expé- rience qui ne se rappel! oient pas d'avoir jamais vu rien de semblable. Nous nous consolâmes de l'assaut que nous venions d'essuyer, par l'espérance que nous étions au moment critique du changement des moussons. Ce qui nous soutenoit sur-tout dans cet espoir, ; c'est que le vent .souffloit. de sud - ouest dans un courant si violent. Si cette tempête fût arrivée dans les té- nèbres de la nuit, elle eut pu nous être fu- neste. Nous fûmes très-surpris que quelques- UI1> ( 17 ) uns de nos mâts et de nos vergues n'eussent J7%& pas été emportés. Au reste, nous ne nous AvnV trouvâmes pas assez bien revenus de nos alarmes pour risquer de frire beaucoup de Ja voile la nuit suivante. L'époque du changement des mousspns dans les mers de Chine et dans la mer Pa- cifique du Nord est très-redoutable pour les vaisseaux. Ces changemens ont lieu en gé- néral vers les mois d'avril et d'octobre. Ils arrivent cependant quelquefois beaucoup plutôt , ou beaucoup plus tard. Celui qu'on regarde comme le plus dangereux est la variation du nord-est au sud-est qui pro- duit ordinairement les plus terribles com- motions dans ces mers. C'est sur-tout à la côte du Japon que les changemens de mous- sons se font sentir d'une manière effrayante ; lorsqu'une fois elles se déclarent par le dragon de mer, il n'y a ni force ni puis- sance capable de leur résister. Le désordre affreux qu'elles occasionnent est presqu'in- croyable : il n'est pas moins difficile de se - faire une idée de la fureur avec laquelle elles soufflent de tous les points du compas. Les Chinois redoutent, au-delà de ce qu'il est possible de l'exprimer, ces terribles Tome II, -q nous apperçûmes la terre qui nous 1 estoit à l'est-hord-est , ( ai ) à huit lieues de distance , immédiatement i7S8* clans la direction du vent , ce qui nous era- Avril. pécha d'en approcher. Nous étions,, à midi, par les 2.4 degrés 44 minutes de latitude nord, et les 145 degrés 41 minutes de lon- gitude Est de Greenwich , d'après les der- nières observations de la lune. Nous regret- tâmes beaucoup de ne pouvoir approcher de cette terre, parce que fions n'en con- noissions pas dans cette partie de la mer Pacifique du Nord. Comme nous gouver- nions nord- ouest, elle eut bientôt disparu à notre vue. Le S , le vent sauta au sud-est , ce qui 5ama(jj nous mit en état de porter au nord-est. A 5. deux heures de l'après-midi, nous pensions qu'on de voit voir la terre à l'est -sud -est ; mais le temps étoit si couvert que nous ne pûmes déterminer d'une manière bien sûre si c'étoit, en effet, la terre, ou seule- ment une terre de brunie. Cependant, à trois heures, on la découvrit au nord - e&t , par l'avant du vaisseau; ruais le temps étoit tou- jours si épais et si embrumé, qu'il ne nous fut pas possible de distinguer dans quelle direction elle s'étendoit. A quatre heures et demie passées, nous nous trouvâmes par le B3 (M) i^88. travers de la terre, à cinq ou sîx milles de Avril, distance. Il nous parut que c'étoit une île qui n'avoit pas beaucoup d'étendue. En ce moment, la pluie tomba par torrens , et l'athmosphère restoit toujours si nébuleux que nous ne pûmes observer la terre que. bien imparfaitement. Nous eûmes tout lieu de croire que e'étoit une de ces îles stériles qu'on trouve si souvent dans ces mers. Elle pouvoit bien avoir de i5 à 16 milles de longueur, de nord au sud. Le rivage parois- soit inaccessible à des chaloupes. Un ressao considérable venoit battre contre les rochers qui sembloient s'abîmer dans la mer. Les parties intérieures du pays paroissoient être de hautes montagnes, sur le penchant des- quelles on voyoit quelques arbres dispersés à distances inégales et en petit nombre. Nous côtoyâmes cette île jusqu'à six heures du soir qu'une autre île s'offrit à nos yeux. Elle étoit séparée de la première par un canal de trois ou quatre lieues. Le vent sbuffla alors avec violence ; il plut à verse , et la bruine étoit si épaisse que nous ne pouvions rien distinguer par l'avant du vaisseau. Quoique nous eussions le vent favorable, ( *3 ) comme le temps paroissoit fort incertain , 178* nous pensâmes qu'il seroit prudent de di- Avril, xninuer de voiles , et de n'en conserver qu'autant qu'il nous étoit nécessaire pour serrer le vent. Nous redoublâmes de vigi- lance et d'attention pour nous tenir en garde le plus possible contre toute espèce de danger, et naviguâmes, comme à l'or- dinaire, toute la nuit , observant de carguer les basses voiles. Ces îles , dont nous ne pûmes déterminer précisément le nombre , furent nommées îles Grampus, d'une gram- puse considérable que nous apperçûmes sautant hors de l'eau , tout près du rivage , ce qui ne se voit pas communément dans ces mers. La nuit du 5 au 6 fut très - orageuse ; il ne cessa de pleuvoir. Mais une jolie brise de vent. nous consola de ces désagrémens, et nous poussa avec rapidité vers le nord-est. Le 6, le vent passa tout-à-coup au nord- D;man£he ouest , et nous donna un temps très -clair. 6. Il souffla constamment avec beaucoup de force. A midi , la latitude nord étoit de 27 degrés 3o minutes > et la longitude Est de ' 148 degrés Z-j minutes. En ce moment, la B 4 j (M) i782. variation du compas étoit de 3 degrés 20 Avril, minutes est. Nous commençâmes à être poussés rapi- dement vers le nord iV# nous appelâmes bientôt que nous étions passés tout-à-coup 4u chaud au froid. Nous venions de quitter un climat où l'on avoit éprouvé des cha- leurs étouffantes ; il étoit naturel que tous les gens de l'équipage ressentissent vivement la rigueur du froid. Ce changement nous autorisa à réduire la ratica d'eau d'un gallon à cinq pintes par homme , sans que cette diminution produisît le moindre mal. Mardi Nous continuâmes d'avoir le vent favo- 1. rable au nord - ouest jusqu'à huit heures de l'après-midi. Nous nous trouvions alors par les 28 degrés 58 minutes de latitude nord , et les 154 degrés 19 minutes de longitude est. Notre principal but étoit d'avancer le plus possible au nord , afin de profiter des vents qui soufflent fortement de l'ouest, et de suivre la même longitude dans une haute latitude. Le vent de nord - ouest continua de nous amener le froid glacial dont j'ai déjà parlé. Mercredi Le jour suivant, nous passâmes près d'une •■ quantité considérable d'herbe des rochers. 9- /'/ M II \ //<■(////{(>(//('/•//-(/> a , (-/ rf'e/ePe enviran à u'ûzj cenfo puy/o i/u (/c/,'i//,i <•/■ /a surface t/c /a Mer (f C 25 ) Nous Imaginâmes qu'elle en avoit été ré- 178&. cemment détachée ; nous avions vu, de- Avril* puis quelques jours, de nombreuses com- pagnies d'oiseaux. Nous étions alors tout- à-fàit au nord de plusieurs petites îles dis- persées , soit sous le tropique même , soit aux environs , dans la mer Pacifique du Nord. Nous ne pûmes donc rien conjectu- rer de vraisemblable sur les lieux d'où ve- noit cette herbe, non plus que sur ceux où les oiseaux se retiroient pendant la nuit. Car ils nous quittoient régulièrement au coucher du soleil , et prenoient leur vol vers l'est. Sur les neuf heures du matin, on crut découvrir des voiles par la grands hune , et au bout d'environ une demi -heure , on apperçut du gaillard un vaisseau considé- rable. Il paroissoit faire force de voiles , et présentoit une forme très - singulière. Aucun de nous , même avec le secours des lunettes d'approche , ne put déterminer d'une manière sûre quelle route il tenoit. C'étoit une chose si extraordinaire de voir un vaisseau dans ces mers, que nous fûmes, pendant quelques momens, fort embarras- sés de former aucune conjecture à son sujet. 06) 1788. Enfin, il' résulta de nos observations suc- Avril, cessives , que ce ne pouvoit être qu'un ga- lion , chargé de la Nouvelle -Espagne pour la Chine, qui avoit été poussé ainsi vers le nord par quelqu'accident, quoique la route de ces vaisseaux à Maniila fut ordinaire- ment entre les parallèles des i3e et 14e de- grés de latitude nord. Dans cette croyance , nous avions écrit plusieurs lettres en Chine pour informer nos amis que nous étions parfaitement en sûreté , et que nous avions fait d'heureux progrès dans notre voyage. Nous restâmes dans cette singulière erreur ( car c'en étoit une) jusqu'au moment où nous ne fumes plus qu'à deux lieues de l'objet en question. À ce moment , l'ayant considéré avec la lunette d'approche, nous reconnûmes que c'étoit un rocher énorme placé seul au milieu des eaux. Ceux d'entre nous qui s'apperçurent les premiers de la méprise , gardèrent le silence et s'amusèrent beaucoup savoir l'une , dans leur retour de la côte du Japon en Chine , et l'autre , dans leur trajet à'Ounalashka aux îles Sand- wich» Le capitaine Cook avoit soupçonné qu'on pouvoit trouver la terre entre ces routes et la côte d'Amérique ; et comme nous traversions alors directement cette partie de la mer , il est très -probable que nous eussions découvert la terre , s'il y en avoit réellement eu une aussi voisine de la côte d'Amérique. Lorsque nous entrâmes dans le mois de mai , le temps s'adoucit ; il devint même agréable. Le vent souffioit du sud. Nous continuâmes de gouverner à l'est. La lati- tude nord , à midi, étoit de 46 degrés 5 mi- nutes , et plusieurs observations sur les dis- tances du soleil et de la lune ne donnèrent que 212 degrés 5 minutes de longitude Est de Greenwich ; tandis que , d'après notre estime, nous étions par les 221 degrés 41 minutes de longitude Est. Je crois pouvoir attribuer avec raison cette différence con- sidérable à la variété des courans contraires que nous avions éprouvés dans les basses Mai. Jeudi (37) latitudes , ainsi que de ceux qui , selon toute 178^; apparence , nous avoient poussés à l'ouest, Mai. lorsque nous virâmes vent devant pour gou- verner au nord. Nous pouvions donc con- jecturer avec beaucoup de fondement que nous étions arrivés dans le voisinage du Japon , et que nous avions exécuté notre passage au nord entre les îles luadrone et les Nouvelles - Caroli/ies. La variation du compas étoit alors de ai degrés 18 minutes est. Le vent continua de nous être favorable , Dimanche quoiqu'il soufflât de temps à autre par fortes raffales. La latitude nord, à midi , étoit de 48 degrés 10 minutes , et la longitude Est de 223 degrés 22 minutes , d'après les der- nières observations. Il fit d'abord un brouillard très- épais , et le vent souffla de sud-sud-ouest par grosses bouffées , ce qui nous obligea , pour la première fois , de courir en avant sur notre ancre , la voile de misaine risée. Enfin , le temps devint plus calme dans la matinée ; nous arrivâmes vent arrière, et poursuivîmes notre route à Test. Nous eûmes vent grand frais jusqu'au 7. Mercred Ce jour, à midi, la latitude nord étoit de 7* C3 ( 38 ) 1788. 49 degrés s° minutes ; et plusieurs obser- Mai. vations sur les distances du soleil et de la lune donnèrent 228 degrés 26 minutes de longitude est. Jeudi Le 8 , à midi j nous étions par les 49 de- •• grés 28 minutes de latitude nord. Dans la soirée , nous vîmes un perroquet de mer , et passâmes près d'un morceau de bois flot- tant. Il tomboit souvent de la neige et de la grêle ; mais l'air étoit beaucoup plus doux que nous ne l'avions éprouvé depuis quel- que temps. ç v Le 10, nous étions par les 49 degrés 3a iq. minutes de latitude ; des observations suc- cessives rapportèrent 200 degrés Si minutes de longitude est ; d'après ces mêmes obser- vations , la longitude de Ventrée du Roi George n'étoit que de 3 degrés. Nous for- çâmes de voiles pendant toute la nuit , et courûmes directement sur la cote d'Amé- rique. Une clarté extraordinaire étoit ré- pandue dans toufe l'athmosphère ; ce que nous attribuâmes à la réverbération des vastes montagnes de neige sur le continent. rv , Nous ne nous trompions pas : car, le il Dimanche . 11. mai, au matin, on découvrit enfin cette terre d'Amérique tant désirée. Elle gisait à (»9) l'est-quart-sud , à treize lieues de distance, 17S8. et consistoit en une chaîne de montagnes Mai. dont le sommet alloit se cacher dans les nuages. Par un temps clair , on pourroit appercevoir cette terre de trente lieues. A mesure que nous en approchions dans la soirée , le sommet des montagnes se déga- geoit des vapeurs qui le déroboient à nos yeux. A midi, la latitude nord étoit de 49 degrés 35 minutes , d'après une double ob- servation de la hauteur du soleil , et Ven- trée du Roi George nous restoit à-peu-près à l'est. Nous continuâmes de porter vers la terre ; et quand nous nen fumes plus qu'à quatre lieues, le vent sauta au sud-est-quart- est, ce qui nous obligea de virer vent de- vant et de tenir la mer ; le vent souille it presqu'immédiatement hors de Ventrée que nous distinguions très-bien alors. On découvrit eu ce moment un vaisseau sous la côte qui est au vent de Ventrée. Il gisoit dans une position plus basse que nous ; mais, comme nous forcions de voiles, ■ et que la nuit approchoit, nous ne pou- vions , sans beaucoup de danger , nous ex- poser à parler d'un bord à l'autre. Nous C4 Mai. • (4°) 1788. n'en sûmes pas moins que c'étoit la Vrin- cesse Royale y de Londres , qui a voit entre- pris un voyage de commerce pour se pro- curer des fourrures d'Amérique. La nuit du 1 1 au 12 fut terrible à passer : les coups de vent se succédèrent avec tant de violence qu'il nous fut impossible de faire de la voile. Ces grosses bouffées ap- portèrent avec elles de la grêle et de la neige y et j vers minuit , l'orage se déclara complètement. Au point du jour , nous avions perdu de vue la terre , et le vaisseau avoit tellement fatigué que Feau étoit en- trée dans la cale , et y occupoit plus de six pieds. Deux de nos pompes se trouvoient tout- à -fait hors de service. Ce grand vent ne s'appaisa que le 12 à midi. A ce mo- ment, nous virâmes vent arrière et cou- rûmes sur la terre , occupés sans relâche à empêcher l'eau d'entrer dans la cale , at- tendu que la mer grossissoit sur nous d'une manière effrayante. La latitude nord étoit, à midi, de 49 degrés 26 minutes. Nous continuâmes donc de courir sur la terre jusqu'à sept heures du soir que nous la vîmes une seconde fois très-distinctement. ( 40 Cette vue ranima notre courage. Maïs nous I78& éprouvâmes bientôt un nouveau chagrin en Mai, remarquant que le dernier ouragan nous avoit poussés sous le vent de Ventrée. Nous fûmes donc obligés de virer vent devant en- core une fois,, et de gouverner en mer avec le vent au nord-nord-ouest. Uentrée cou- roit alors nord - est , à sept lieues de dis- tance. L'orage devint si redoutable pendant la nuit du 12 au i3^ que nous fûmes obligés de mettre en panne , la voile de misaine risée. Tous les gens de l'équipage travail- lèrent sans relâche à empêcher l'eau d'en- trer dans la cale ; car il n'étoit pas possi- ble de raccommoder les pompes de manière qu'elles fussent en état de faire sur le champ leur service ordinaire. Le matin du i3 , le vent passa au sud- Mardi quart-est , et souffla avec plus de violence l}m que jamais. La pluie tomba par torrens : nous virâmes vent arrière , et la pointe du vaisseau fut tournée vers la terre. Vers huit heures, le temps s'adoucit; nous fîmes de la voile à l'instant même , et sur les dix heures, nous mouillâmes heureusement dans (4») /78& Y anse des Amis , à X entrée du Roi George 3 /for. par le travers du village de Nootka , sur quatre brasses d'eau , à cent verges du rivage , après un trajet de trois mois et vingt -trois jours depuis notre départ de Chine. Le lecteur qui nous a accompagnés dans ce voyage , dont les peines et les fati- gues égalèrent la longueur , n'aura pas de peine à se faire une idée de la vive satis- faction que nous éprouvâmes d'arriver en- fin dans un port que nous avions cherché avec tant de persévérance et à travers tant' de périls divers. Les observations que j'ai faites dans le passage de la Chine à la côte nord-ouest d'Amérique ne paroîtront sûrement pas dé- placées ici : j'espère même qu'elles pourront être de quelqu'utilité. Il ne seroit pas prudent du tout que des vaisseaux chargés pour l'Amérique entre- prissent le voyage , s'ils n'étoient pas prêts u mettre à la voile vers le milieu de no- vemhre^ou le 10 de décembre au plus tard. Le long et pénible retard que nous essuyâ- mes après avoir quitté Sambûingan , est la plus forte preuve des obstacles que nous (43) «ûmes à éprouver pour pouvoir porter à 178& Test à cette époque de notre voyage où les Mai* courans sont plus rapides et les orages plus fréquens , comme nous avons tout lieu nous pourrions nous procurer sans peine et très-promptement un passage en Amé- rique. I/événement prouva que nous avions calculé juste en adoptant le dernier parti. Mais il y a , aujourd'hui , selon moi , un passage plus sûr et plus facile ouvert aux vaisseaux pour se rendre en Amérique ; et je leur laisse à décider s'il ne seroit pas préférable pour eux à l'avenir de diriger leur route par le passage entre Luconie et Formose. Cette opinion n'est pas le ré- sultat imaginaire de conjectures vagues et chimériques ; elle me semble fondée jus- qu'à un certain point sur les raisons sui- vantes. Lorsque nous arrivâmes en Chine avec la Felice pendant l'automne de 1788, l'a- gent des marchands en Angleterre et celui des marchands dans l'Inde s'unirent d'in- térêts , et formèrent une association en se montant , à frais communs , de provisions pour aller faire le commerce de fourrures C45) en Amérique. Ils équipèrent , en conse- 17S8* quence , un vaisseau qu'on nomma Y Ar- Maù gonaute , et dont le commandement fut confié à M. Colnett , lieutenant de la ma- rine royale , et qui a voit déjà commandé dans les années 1787 et 1788 le vaisseau le V rince de Galles , de Londres , appar- tenant à des marchands qui trafiquoient en Amérique. Ce vaisseau étoit arrivé à la côte. Revenu ensuite à la Chine avec une riche cargaison de fourrures en 1788, il se rendit delà en Angleterre , chargé de thé pour le compte de la compagnie des Indes orientales. M. Colnett quitta le Prince de Galles en Chine pour com- mander Y Argonaute , et se charger de la propriété que les marchands associés des- tinoient aux échanges à la côte d'Amé- rique. Je ne parle pas de ses talens pour la marine : il me suffira d'observer que mon suffrage ne peut rien ajouter à la réputation qu'il s'est acquise. Il fit donc tous les préparatifs nécessaires pour mettre Y Argonaute en mer , ainsi que la Prin- cesse Royale , de Londres , vaisseau ap- partenant à la même compagnie de com- merce. (46) ïy%$. Ces vaisseaux ne furent prêts à mettre j£ai> à la voile qu'au 17 avril 17&9. A cette époque , en comparant les routes de la Felice et de Ylphigénze , et le temps où ces vaisseaux avoient rencontré la mous- son ou les vents de l'ouest dans la mer Pacifique du Nord , on conclut qu'il seroit plus facile de se procurer un passage en Amérique entre Luconie et Formose qu'en Suivant la route de Magindanao. La Princesse Royale mit donc à la voile dans le mois de février , et ne fut pas moins de quatre mois à gagner la côte d'Amérique. Mais la véritable cause du retard que ce vaisseau éprouva dans son Voyage est qu'il étoit mauvais voilier , et qu'on ne l'avoit point doublé de cuivre. L5 Argonaute , au contraire , qui étoit tout ensemble doublé de cuivre et excellent Voilier, quitta la Chine le 26 avril 1789, et arriva dans Ventrée du Bol George le 3 juillet suivant. On peut dire qu'il s'é- toit ainsi procuré un passage avec un suc- cès qui surpassoit toutes les espérances. Les navigateurs qui se rendront désor- mais de la Chine en Amérique , auront à <47) choisir ici entre quatre routes différentes 17S& pour faire ce voyage. Mais si j'étois des- Mai, tiné à l'entreprendre de nouveau , je quit- terois la Chine dès le commencement du mois de mars, et tâcherois de trouver un passage entre Luconie et Formose pour gagner la mer Pacifique où l'on peut es- pérer , dans cette saison , des vents varia- bles au 2.0e degré de latitude nord. D'ail- leurs , la violence de la mousson de nord* est dans les mers de Chine est beaucoup diminuée aussi à cette époque. Il est cons- tant qu'on seroit presque sûr au mois d'a- vril de rencontrer la mousson de sud-ouest ou les Vents de l'ouest par les 2.5 ou 3o de- grés de latitude nord qui régnent dans ces parages , et qui nous poussèrent vers la côte d'Amérique. En quittant Canton , il faudroit avoir grand soin de serrer la côte de Chine à quelque distance entre les îles Lema et jusqu'à Pedro Blanco , ou la Roche Blan- che, avant de traverser la mer de Chine pour gagner Formose. Mais il seroit dan- gereux , à mon avis, de tenter un passage entre les rochers de Vïlle-Rete et l'extrô- (45) 1788. mité méridionale de l'île Formose , si ce A*31» n'est pendant le jour , par un temps très- clair , et lorsque tout annonce un canal d'une assez vaste étendue. CHAPITTvi; IX. PI XVIII (49) M .i ■ m» i ■ ■ i , CHAPITRE IX. 178&, Mai, Situation avantageuse de l'anse des Amis dans l'entrée du Roi George. Nom- bre considérable des naturels rassem- blés pour examiner le vaisseau. — * Joie de Comekala à son arrivée. Hannapa , chef Indien , vient à bord ; quelques détails sur sa visite. — Les na- turels nous apportent des provisions de poisson. Comekala se dispose à aller à terre. Son habillement ; réception que lui font ses compatriotes. Occu- pations des gens de l'équipage. — Arri- vée de Maquilla , chef de l'entrée du Roi George , avec Callicum , l'homme du rang le plus distingué après lui. . Description de leurs liabillemens , et de leurs diverses cérémonies à la vue du vaisseau. — Ils viennent à bord. —Pré- Sens que nous leur fîmes. — Portrait de ces chefs. Ils nous accordent la per- mission de bâtir une maison et un vais- seau, et nous abandonnent un terrein à cet effet. — - Présens que nous leur of- Tome II% P ( 5o) ïyoS. frimes en reconnaissance de ce bienfait: Mai. - — ta! lieu m se plaît dans Le vaisseau > et est chargé pu r Maquillai de protéger le détachement sur le rivage. — Jla.so/i bdlie dans l'anse des Amis. Sa des* cription. — Quille d'un vaisseau dressée. — Récit abrégé au meurtre commis l'an* née suivante par les Espagnols en la personne de Callicum. J_L n'y avoit pas long-temps que le vais- seau etoit amarré , lorsque le vent commença à souffler avec une violence qui semblent présager la tempête. La pluie tomba par torrens. Nous sentîmes alors tout ce qu'a- voit d'avantageux pour nous l'heureuse si- tuation de Y anse des Amis. Nous noyjr y trouvions ainsi placés comme dans un ha- vre protecteur où les vents ni les orales ne pouvoient réveiller nos alarmes ni trou- bler notre repos. Notre attention particulière se fixa sur une foule de naturels» rassemblés sur les bords de la mer, en face du village, pour considérer le vaisseau. Comekala qui eprou- (Sx ) voit, depuis plusieurs jours, la plus vive 178?. impatience , goûta enfin alors l'inexpriina- Mai* ble bonheur de voir encore une fois sa terre natale. Il y rapportoit , non sans un senti- ment d'orgueil, les connoissances qu'il avoit acquises pendant son voyage, et les divers objets d'utilité ou d'embellissement qui dé- voient exciter la surprise de ceux de sa nation , et augmenter la considération qu'ils avoient pour lui. Ce n'est pas que sa joie n'eût été grandement diminuée par l'ab- «ence de Maquijia son frère 3 chef de Yen* trée du Roi George , et de Cal lie um son parent > qui occupoit le premier rang après ce prince souverain. Ces chefs étoient allés rendre, à cette époque, une visite «le céré- monie à Wicananish , prince très -puissant d'une tribu vers le midi. C'est ce dont nous fûmes informés par Hannapa qui , dans l'ab- sence des deux premiers chefs, avoit le suprême commandement à Nootka, et qui étoit venu à bord pour nous rendre visite. Comekala portoit alors un habit d'écar- late, uniforme, avec des boutons de ni étal. Sou chapeau, aussi d'uniforme, étoit orné d'une cocarde élégante. Il avoit de très- beau linge , et eniin toutes les autres par- 1) a Ç5..J ïjSS. ties de riiabillement européen ; c'étoit beau* Mû. coup plus qu'il ne falloit pour exciter une extrême surprise parmi ses compatriotes. Hannapa ne revit pas Comekala sans émo- tion. Non-seulement il le considéroit avec une attention extrême, mais on remarquoit encore sur sa physionomie tous les traits caractéristiques de cette secrette envie qui est )a passion dominante des naturels de cette partie de l'Amérique. En peu de temps, le vaisseau fut envi- ronné d'un grand nombre de canots , rem- plis d'hommes , de femmes et d'enfans. Ils étoient chargés de provisions de poisson : nous n'hésitâmes pas un moment à acheter un article si nécessaire à des hommes qui venoient de faire un voyage long et pé- nible. Dans la soirée , le temps s'éclaircit , et Comekala se disposa à débarquer. Dès que son intention fut connue dans le village , tous les habitans se préparèrent à lui faire un bon accueil au moment où il remet- troit le pied sur la terre qui l'avoit vu naître. Comekala brîlloit alors dans tout son éclat. Son habit d'écarlate çtoit enrichi (53 ) d'une garniture complette de boutons de 17S5. métal et de divers ornemens de cuivre qui Mai. ne pouvoient manquer d'attirer à cet Indien les plus respectueux égards de la part de ses compatriotes , et le rendre le premier objet des vœux de toutes les demoiselles de Nootka. Son pectoral consistent pour le moins en une demi-feuille de cuivre. Divers ornemens du même métal formoient ses pen- . dans d'oreilles. Ilavoit imaginé de suspendre à ses cheveux, qui étoient arrangés en queue, un si grand nombre de queues de poêlons de cuivre , que le poids entraînoit sa tête en arrière ., et le forçoit de la porter si roide et si droite que cette contenance ajoutoit beaucoup à la singularité de sa tournure. Pour se procurer les divers articles de la parure dont il s'enorgueillissoit alors, Corne- kala avoit été en état d'hostilités conti- nuelles avec notre cuisinier , à qui il avoît eu le talent de les escamoter. Mais le der- nier et le plus grave sujet de dispute en- tr'eux étoit le vol que l'Américain lui avoit fait d'une broche énorme , dont il se ser- voit comme d'un javelot, espérant donner, avec cette arme, un nouveau lustre à la magnificence dont il alloit éblouir les yeux D 3 (54) 1788. de sos compatriotes. Dans la situation oï! Mai. nous nous trouvions, il ne nous étoit guère possible de lui refuser cet ustensile de cui- sine y quelque nécessaire qu'il nous fût. Ainsi accoutré , et mille fois plus glorieux de sa parure que ne le furent jamais de leur éclat les potentats de l'Europe ou de l'Orient, nous l'accompagnâmes pour des- cendre sur le rivage, et, à ce moment, des cris et des applaudissemens partis de tou& les coins du village, furent pour lui des garans de la satisfaction que son retour causoit à ses compatriotes. Ils arrivèrent en foule du côté du rivage . et quand il débarqua, ils l'accueillirent en poussant les plus effroyables huriemens. A leur tète , on remarquoit sa tante , très- vieille femme , puisqu'elle avoit environ quatre-vingts ans. On pouvoit croire, en la voyant, qu'elle avoit continuellement vécu dans la mal -propreté depuis sa naissance jusqu'au moment où elle se présentoit à nos regards sous les formes les plus dégoûtantes. Elle embrassa son neveu avec toutes les marques d'une tendre affection , et répan- dit sur les joues de Comckala l'humeur qui découloit de ses yeux. (55) Apres les premières cérémonies de la ré- lyîîl ception , et lorsque ces naturels eurent à Mai- loisir contenté leur curiosité, et lurent re- venus de leur première surprise , toute la foule se mit en marche pour gagner le pa- lais du roi. On n'y laissa entrer que des personnes d'un rang distingué , et bientôt on prépara un repas magnifique d'huile de baleine. Toute la compagnie prit place, et chacun des insulaires mangea avec une sensualité proportionnée à la délicatesse du festiu. Les petits enfans eux-mêmes ava- loient l'huile avec toutes les marques d'un extrême plaisir. Quant à Comekala , son goût sembloit avoir été gâté jusqu'à un cer- tain point par la cuisine de l'Inde et de l'Europe, et il ne dévoroit plus les mets de son pays avec la même gloutonnerie,, que si son estomac n'eût jamais connu d'autre nourriture que celle qu'il prenoit à Nootka. La soirée se passa en grandes réjouissances. Ils continuèrent de chanter et de danser pendant presque toute la nuit. Pour nous, nous étions retournés à bord de bonne heure dans la soirée : mais , long - temps après , nous entendions encore les éclats de leur joie bruyante. D4 Mai. iVW&z est situé sur une hauteur qui fait ^ce à la mer, et que des bois environnent de toutes parts (i). Dans Y anse des Amis y les maisons sont vastes, et bâties à la ma- nière ordinaire du pays. Chacune de ces demeures est destinée à renfermer plusieurs familles. Divisée en compartimens x dans le genre- d'une érable angioise, on y trouve rassemblées toutes les espèces d'ordures dont le mélange avec la chair et l'huile de ba- leine se découvre par plus d'un sens, et forme un dépôt de la plus horrible puan- teur (V). (1) Je réserve les détails particuliers que j'ai à pu- blier sur le village ou la ville de Noctka f pour la partie de cet ouvrage où je traiterai plus au long du commerce , de la géographie , etc. de la côte nord- ouest d'Amérique. Note de l'Auteur. (2) L'intérieur des habitations de tous les peuples du Nord présente un aussi dégoûtant spectacle. Voici ce que nous dit des Ostiaks le professeur F allas dans ses Voyages en Russie : « On se fera facilement une ».idée de la puanteur, des vapeurs fétides et de l'hu- » midité qui régnent dans leurs iourtens, (c Vst le nom » que donnent ces peuples à leurs habitations } lors- » qu'on saura que les hommes, les femmes, les enflas PI XIX. KltSÈA; iisé;;s»*v; iil CALLICUM et MAQUILLA, (Vtt'/S i/c l'entrée de Nootka,. (57 î Le 14 > ^e tGmps nous parut assez beatj 1788. pour permettre d'envoyer à terre un déta- Mai. cliement chargé de dresser une tente pour Mercredi les coupeurs de bois , et pour les hommes 14% qui dévoient aller faire de l'eau , et une autre pour les voiliers. On choisit , à cet effet , un emplacement peu éloigné du village , et voisin d'un petit ruisseau. Le reste de l'é- quipage fut employé à dégarnir les manœu- vres courantes , à détacher les voiles , et à d'autres travaux non moins nécessaires dans le vaisseau. Le 16, Maquilla et Callicum entrèrent Vendredi dans Y anse accompagnés de plusieurs ca- l&* nots de guerre qui se mirent en mouvement autour du vaisseau avec un grand appareil. Les naturels chantèrent en même temps une chanson très^ mélodieuse, quoique fort bruyante. Ces canots étoient au nombre de V et les cliiens y satisfont par-tout à tous leurs be- n soins , et que personne n'a soin d'enlever les or- j> dures ». Voyages de P allas , tome IV, page 60. Le citoyen Lesseps nous donne les mêmes détails sur les Kamstchadales et sur lés Lappons dans son in- téressant Voyage au Kamstchatka. jYû/t1 du Traducteur - (53) <7^9» douze: chacun d'eux portoit dix-huit hom- ^a*~ mes , vêtus , la plupart , de magnifiques peaux de loutres de mer , dont ils étaient couverts depuis le col jusqu'à la cheville du pied. Un duvet blanc d'oiseaux dont leur tête étoit parsemée, la faisoit paroître poudrée : ils avoient le visage barbouillé d'ocre rouge et noir, dans la forme d'une mâchoire de goulu de mer (1) , et l'on y remarquoit comme une ligne spirale qu'ils y avoient tracée : le tout leur donnoit un air extrêmement sauvage, Dans la plupart de ces canots étoient huit rameurs d'un côté , et un seul homme assis sur l'avant. Le chef occupoit une place dans le milieu. On pouvoit le reconnoî-re à un bonnet, de forme très-haute , qui se terminoit en pointe,, et à l'extrémité duquel étoit attachée , en guise d'ornement , une petite touffe de plumes. Nous écoutâmes leur chanson avec au- tant de plaisir que de surprise. On ne pou- voit, en effet, sans être indifférent aux ra- vissans accords de la musique , et pour peu ( 1 ) Sorte de gros poisson. Natc du Traducteur. ( 59 ) qu'on eût reçu de la nature un cceur sen- 178S. sible au pouvoir de cet art enchanteur, en- Mai. tendre , sans les plus vives émotions , un concert si imposant et si peu attendu. Le chœur étoit parfaitement à l'unisson , et d'une extrême jnstesse , quant au ton et à la mesure ; il ne leur seroit pas échappe • une seule note fausse ou discordante. Il leur arrivoit quelquefois de passer tout à- coup d'un ton élevé à un ton plus bas , mais en Tariant leur cbant avec une expression si touchante et remplie d'une si douce mé- lancolie , que nous ne pouvions concevoir comment ils avoient acquis ou imaginé cette harmonie qui avoit quelque chose de plus qu'une musique grossière et sans principes. L'œil pouvoit se satisfaire comme l'oreille ; car l'action dont ils accompagnoient leurs chants ajoutoit beaucoup à l'impression qu'ils faisoient sur nous tous. Chacun d'eux battoit la mesure avec une précision admi- rable contre le p'atbord du vaisseau , la pagaye à la main (1) ; et en finissant chaque (t) La pagaye est une espèce de rame courte et large dont se servent les Indiens. Note du Traducteur, / (6o) J7S8. vers ou chaque strophe, ils étendoient Ieur< Mai. bras au nor(l et au midi., laissant éteindre insensiblement leur voix., mais d'une ma- nière si majestueuse et si imposante qu'il en résultoit un effet que les meilleurs or- chestres ne produisent pas souvent en Eu- rope. Ils firent ainsi deux fois le tour de notre vaisseau , se levant tous ensemble et au même instant, lorsqu'ils arrivoient près de la pouppe y et criant avec force : une manière de donner et de recevoir les pré- sens qui leur est particulière. De quelque valeur que soit un don à leurs yeux , ils ont sur-tout à cœur de ne pas laisser à celui qui le reçoit l'idée qu'il en doit conserver de l'obligation. Nous fûmes témoins d'une entrevue où deux chefs se rendirent en cé- rémonie. Ils étoient chargés tous deux dç ( 62 ) I7gg# très-riches fourrures qu'ils destinoient à des Mai. présens. Ils ^'empressoient de les étaler , l'un aux yeux de l'autre, de Pair le plus libéral et le plus affectueux ; et dans cette aimable réciprocité de manières grandes et généreuses, ils riv.ilisoient, pour ainsi dire, de politesse avec les nations du monde que distingue le plus cet heureux caractère. ■ry « Depuis le moment de notre arrivée à 25. Nooika jusqu'au 2.5 , nous eûmes très-mau- vais temps ; mais cette circonstance ^ quoi- qu'assez fâcheuse j ne nous empêcha pat d'enîreprendre plusieurs opérations que nous avions en vue. Maquilla s'étoit non- seulement prête de la meilleure grâce du monde à nous céder un coin de terre dans ses domaines pour que nous pussions y construire une maison destinée à loger les personnes que nous nous proposions de laisser à Nootka ; il avoit encore promis de nous aider à avancer les travaux , et de protéger le détachement qui devoit rester sur cetie terre pendant notre absence. Pour reconnoître les marques de bienveillance que nous donnoit ce chef, et l'entretenir dans des dispositions aussi favorables à nos projets , je lui lis prespnt d'une paire de (63 ) pistolets qu'il n'avoit cessé de regarder d'nn 171*3. ceU d'envie depuis notre arrivée. Quant à Wfcl» Callicum qui paroissoit avoir conçu le plus ten.lre attac 'jeuteir pour nous, il reçut aussi les preoeas qui pou voient lui être agréa- blés. Nous en offrîmes de même aux fem- mes de sa famille. Il devenolt , en effet , bien essentiel pour nous de ne lien négli- ger de ce qui pouvoit le confirmer dans ses senthnens : ii étoit charge par Maquilla de veiller sur nous , de nous défendre : ce der- nier lui avoit , en ouire, recommandé for- tement d'empêcher que les naturels ne se portassent à aucuns excès contre nous. Nous étions très-disposés , sans doute , à nous confier à la bienveillante amitié de ces chefs. Nous pensâmes, toutefois, qu'il seroit prudent de leur faire connoître notre puissance pendant la durée de nos relations avec eux, en déployant avec toutes nos forces les moyens d'en faire usage , dans le cas où ils viendroient a changer à notre égard. Nous ne desirions pas moins nous rendre redoutables cm'exciter leur recon- noissance : c'étoit , en effet , le meilleur moyen d'assurer le succès de notre voyage. Nous apportâmes une si grande diligence ( 64 ) i-88. dans la construction du bâtiment que , des Mai( le 28 , les travaux étoient complètement Mercredi achevés. Les naturels nous donnèrent tous a8. les secours qui dépendirent d'eux pour nous aider dans cette importante besogne ; et nous leur dûmes , en partie, l'avantage de la voir si promptement terminée. Non - seulement Ils alloient, jusques dans les forêts, cher- cher pour nous le bois de construction; mais ils s'empressoient encore de nous ren- dre tous les services que nous pouvions exiger d'eux. Le soir ^ lorsque la cloche avertissoit nos gens qu'il étoit temps de quitter l'ouvrage , nous faisions toujours assembler ceux des naturels qui a voient travaillé pour nous. Ils rece voient alors leur paie journalière : elle' consistait en grains de fer qu'on leur distribuait , en proportion de l'ouvrage qu'ils avoient fait. Des procédés si généreux de notre part nous méritèrent à tel point la confiance et l'amitié de ces naturels que nous ne pou- vions trouver de l'occupation pour le grand nombre d'entr'eux qui sollicitoient conti- nuellement la faveur d'être employés à notre service. La (65) La maison étoit assez vaste pour loger ,,ss. tout le détachement que nous nous prepo- Maii" sions de laisser dans l'entrée. Au rez-de- chaussée , il y avoit une grande chambre où les tonneliers, les- voiliers et aulnes ou- vriers dévoient travailler clans le mauvais temps. Une autre pièce non moins étendue, et destinée à former le magasin des pro- visions de tout genre, étoit à côté ; l'atelier de l'armurier se trouvoit placé k l'une des extrémités du bâtiment avec laquelle il avoit une communication. L'étage au dessus étoit divisé en salle à manger et en plusieurs chambres pour les personnes qui formoient le détachement. Pour tout dire en un mot, notre maison , sans être digne , par sa cons- truction, de fixer les regards d'un amateur de la belle architecture , se trouvoit pour- tant distribuée de manière à remplir par- faitement l'objet de sa destination : la struc- ture en paroissoit magnifique aux naturels de l'entrée du Roi George qui n'avoient jamais rien vu de si merveilleux. ' On éleva autour de la maison un fort parapet qui renfetmoit une grande étendue de terrein ; on y dressa, pour toute batte- rie , une pièce de canon placée de manière Tome II, £ (66) 7788. c!1T'e^e tlominoit l'entrée et le village de Mai. Nootka; ce qui formôit une fortification assez imposante pour garantir notre déta- chement de toute attaque. En dehors de ce parapet , on construisit la quitte d'un vais- seau de 40 ou 5o tonneaux qu'on étoit sur le point de bâtir , conformément à nos an- ciens arrançemens. Juin Vers le 5 juin, les opérations se trou- Jeudi volent considérablement, avancées. Les vais- 5* seaux avoient été calfatés , les 'manœuvres réoarées , et les voiles examinées avec le plus grand soin. On avoit pris à bord du lest de pierre : nous pensâmes qu'il pouvoit être dangereux d'employer le lest de sable, à cause qu'il embarrassoit le jeu des pom- pes. Enfin, le vaisseau approvisionné d'eau et de bois se trouvoit en état de mettre à la voile. Nous avions achevé tant de tra- vaux divers et si importai! s, quoique le temps n'eût cessé d'être très - désagréable depuis le moment de notre arrivée : la pluie avoit presque toujours tombé par torrens , et les vents souffloient constamment de sud. Ces pluies avoient fait fondre entièrement la nei^e de dessus la terre ; et l'on n'en ap- percevoit plus guère que dans quelques en- ( «7 ) droits , si ce n'est sur le sommet des mon- I^SS. tagnes et des collines les plus élevées. Mais Juin. la végétation étoit encore très - retardée : elle ne cliangeoit que par degrés l'air sau- vage qu'avoit le pays lorsque nous y arri- vâmes. Le détachement choisi pour rester à terre fut employé sur le champ aux diverses oc- cupations auxquelles il étoit destiné. Les tins alloieni chercher le bois de construc- tion jusques dans le fond d'une forêt où ils ne pouvoient arriver qu'à travers mille obs- tacles : d'autres le scioient, et lui donnoient ia forme nécessaire à l'usage qu'ils vouloient en faire , tandis que les armuriers étoient occupés à forger des chevilles et des clous prêts à servir au premier besoin , ou à tra- vailler le fer dans la forme des divers ar- ticles de trafic qui pouvoient nous être né- cessaires, Aussi parvînmes-nous bientôt^ en procédant avec cet ordre et cette régularité^ à composer notre nouvel arsenal de marine. Les charpentiers y avoient déjà construit la quille d'un vaisseau ; la pouppe et l'étam- bord étoient déjà élevés, chevillés, et soli- dement attachés ; de sorte qu'il ne nous fallut pas attendre long -temps pour jouir (68) 1788. de la satisfaction de voir ce vaisseau et* Juin, état de faire le service auquel nous le des- tiniens. Si l'histoire des navigateurs n'étoit écrite que pour amuser un moment les loisirs du riche, ou pour éclairer les recherches la- borieuses du philosophe , il seroit néces- saire, sans doute, de s'interdire dans un pareil ouvrage une foule de petits détails, peu agréahles pour l'un , et trop au dessous des coiHioissances de l'autre. Mais ils doi- vent se proposer un autre but en publiant le journal de huis voyages : en effet, si leurs récits ne sont pas propres à instruire les navigateurs qui leur succéderont, s'ils n'ont pas pour objet d'aider et de faciliter tes progrès des entreprises commerciales > In vainils auront bravé les dangers et sur- monté tous les obstacles de ces périlleux voyages : ie \ « même qu'ils auront em- ployé à en écrire les événemens ira se perdre avec tant d'autres momens inutile- ment cbnsuinés dans la vie. Noire dont! avec les naturels étoit dirigée par les princîj .la politique la plus" remplie d'humant n ne le prou- vera mieux , j'espère , que la bonne intelli- ( «9 ) gence et l'amitié sincère qui régnoient en- 178S. tr'eux et nous. L'hospitalité que ces alliés Juin, fidèles exercèrent envers nous avec des ma- nières si généreuses , donnera aussi une idée avantageuse de la douceur qui les carac- térise , lorsqu'on les traite avec cette bien- veillance qu'on doit à des hommes sans lumières , et qu'il est si fort de la politique d'employer pour l'intérêt du commerce. Les differens services que l'attachement personnel de plusieurs de ces naturels pour nous les avoient portés à nous rendre, suf- jjLsoient pour nous convaincre que la re- eormoissa-nce n'étoit pas un sentiment in- connu sur ce rivage éloigné, et qu'on pou- vait trouver , jusques dans les bois de ^Sootka, des cœurs sensibles à l'amitié. Qal* ■ * licurn étoit doué d'une délicatesse d'ame , et se conduisoit , à notre égard, avec des procédés qui auroient fait honneur à l'hom- me le plus avancé dans la civilisation. On pourroit citer mille preuves de la bienveil- lance et de l'affection qu'avoit pour nous cet homme aimable. Il n'est plus. Là beuie manière dont il nous soit permis de recon- noître les marques d'amitié que nous re- çûmes de lui est de les rappeîler ici. Les E 3 (7°) 1788. termes nous manquent pour exprimer Fhoi*- Juin. reur profonde que nous inspire le souvenir d'un meurtre atroce et commis de gaieté de cœur , qui priva cette contrée de son plus bel ornement, et les navigateurs qui, par la suite, auroient visité ces parages, d'un protecteur et d'un ami ; qui contraignit un peuple uiite et paisible à quitter son pays natal pour aller chercher une nouvelle ha- bitation dans des déserts éloignés (1). (1) Ce chef si aimable fut tué , dans le mois de juin 1789 , par un officier à bord d'un des vaisseaux corn- mandés par don Joseph- Etienne Mariinez , qui lui tira un coup de fusil au travers du corps. Les détails de cet affreux événement nous ont. été donnés, tels qu'on va les lire, par le maître de. la co/e nord-ouest d'A- mérique , jeune homme de la véracité la plus exacte , et qui eut le malheur d'être témoin de cet acLe de la plus barbare inhumanité. Callicum, sa femme et son enfant arrivèrent sur un petit canot , bord à bord de la Princesse , vaisseau du commandant de l'escadre , avec un présent de poisson. Comme on lui prit sou poisson avec beaucoup de ru- desse et de malhonnêteté avant qu'il pût l'offrir au commandant > il se trouva tellement piqué de ce pro- cédé qu'il quitta sur le champ hj vaisseau , en criant, dans le moment de son départ : peshae ! peshae l c'est- à-dire , mauvais I mauvais I L'équipage regarda cette» < 7» ) exclamation comme une si grande offense qu'on tira 178$. «ur le champ, du gaillard d'arrière, un coup de fusil ju:n# à ce malheureux chef, à qui la balle alla frapper le cœur. Au moment où elle l'atteignit , son corps sauta par dessus le bord du canot , et disparut dans les flot3. Sa femme fut conduite à terre avec l'enfant par quel- ques-uns de ses amis qui avoient été les témoins de celte horrible catastrophe. Elle étoit plongée cTans une stupeur déplorable. Bientôt après , cependant , le père de Callicum osa venir à bord du vaisseau espagnol pour demander la permission d'aller chercher sous les eaux le cadavre de son malheureux fils. Quoique ce fut un père éploré qui sollicitât cette grâce , elle lui fut refusée jusqu'à ce que le pauvre sauvage eût re- cueilli parmi ses voisins une quantité de pelleteries as e^ considérable pour pouvoir acheter d'hommes qui fe disoient chrétiens le droit de donner la sépulture à to:i fils qu'ils avoient impitoyablement massacré. Le corps fut bientôt retrouvé 5 l'inconsolable veuve le conduisit elle-même au lieu de l'enterrement , accom- pagnée de tous les habitans de Yeiitrée > qui exhaloient leur vive douleur de la perte d'un chef qui leur étoit cher , et aux vertus duquel c'est un devoir pour moi de paver le tribut de reconnoissance et d'affection qui leur est dû. Note de V 'Auteur. ¥4 ( 72 ) 17S8. Juin. CHAPITRE X. Moyens employés par les naturels pour augmenter le prix des peaux de lou- tres de mer. - — Leur supériorité dans l'arrangement des marchés qu'ils con- cluaient avec nous.— Conduite de Corne- kala. —Nous avons le crédit d'en faire un chef. — Son mariage. — Cérémonie magnifique à cette occasion.— Maquilla et ses chefs adoptent notre habillement et nos manières Présent de grande valeur fait par Maquilla. — Vol d'une meule à aiguiser. ~- Des naturels nous apportent une main d'homme à acheter. Danger qu'ils courent en cette cir- constance. Verte déplorable d'une partie de l'équipage de /'Aigle Impérial , en ij8y. « — Raisons que nous avons de soupçonner Maquilla d'être un canni- bale. Etrange oreiller employé par Callicum Les habitons de l'anse des Amis s'éloignent à une petite distance. Raisons de cet élvignement, et faci- (?3) lîté avec laquelle ils l'effectuent. • On nous apporte une jeune loutre à Juin. acheter. J Jans l'intervalle qui s'étoit écoulé depuis notre arrivée jusqu'au 5 juin , nous avions commencé le commerce de fourrures avec les naturels , et nous possédions déjà plus de cent cinquante peaux de loutres. Dès l'instant de notre arrivée, nous étions con- venus avec ces insulaires d'un prix fixe pour chaque espèce de fourrures différentes : mais dans ces diverses relations de trafic , ils cherchoient à tirer avantage de tout, et, dans l'espoir que nous avions de faire , par la suite, de grands profits avec eux , il étoit de notre intérêt de passer légèrement sur leur conduite, toutes les fois qu'ils tentoient de déroger à nos conventions originaires. Au bout de quelque temps, ils changè- rent entièrement l'ordre de leur trafic avec nous ; et au lieu de l'échange ordinaire qui sa faiso.it en suivant pour règle la valeur particulière des articles échangés , nous finîmes par nous faire réciproquement des (74) 178& présens de tons les objets qui étoient entrés Juin, jusqu'alors dans nos relations commerciales; et dans cette cérémonie , ils déployèrent plus que jamais leur caractère fier et hos- pitalier. Nous avons décrit , avec tous leurs détails , les usages observés par eux en pa- reille circonstance , dans la partie de cet ouvrage ou.il est plus particulièrement traité du commerce. Toutes les fois que Callicum et Maquilla se proposoient de nous faire un présent, ils envoyoient une des personnes de leur suite pour prier le Tighee ou capitaine de venir les trouver à terre. Je ne manquais jamais de me rendre à l'invitation, chargé des di- vers articles que nous avions à leur offrir en retour. Dès notre arrivée à I'habi tation des chefs où un grand nombre de specta- teurs se rendoit pour voir la cérémonie y on apportoit les peaux de loutres de mer , avec de grands cris de joie et des gestes qui marquoierrt la satisfaction que notre présence faisoit éprouver ; on les placoit ensuite à nos pieds. Un silence prorond succédoit bientôt à ces premiers transports; et ils attendoient avec la plus vive impa- tience quels seroient les présens que nous Juin. ( 7*) leur offririons en retour. L'on ne snppo- l7*** sera guère * sans doute, que, connoissant tout ce qu'ils pouvoient se promettre de marchands anglois, nous ayons jamais man- qué de remplir leur attente. D'ailleurs, nos amis de Nootka avoient imaginé, et cela étoit fort adroit de leur part , d'entrepren- dre une nouvelle expédition pour se pro- curer d'autres fourrures , aussitôt que leur provision actuelle de pelleteries se trouvait épuisée. Ce moyen, entre beaucoup d'au- tres aussi avantageux , avoit naturellement pour effet, d'éveiller, de leur côté, comme du notre, l'esprit de commerce. Depuis la découverte de cette entrée par le capitaine Cook, il y étoit arrivé plusieurs vaisseaux dans l'intention de trafiquer avec les naturels. Ceux-ci dévoient à ces com- munications fréquentes l'avantage d'avoir fait de plus grands progrès dans la civili- sation que nous ne l'eussions espéré. Mais ce qui nous surprit beaucoup , ce fut de les voir entièrement dépourvus des divers ar- ticles qu'on apporte chez eux d'Europe : car ils dévoient avoir reçu , en échange de leurs fourrures, une grande quantité de fer, de cuivre , de grains de verre ; et nous n'eu (?6) S. apper eûmes pas un seul morceau parmi eux. Il est difficile de conjecturer comment Ils a voient pu trouver le moyen de dissiper, en si peu de temps , toutes leurs richesses. Dans nos relations de trafic avec ces in- sulaires , nous avions remarqué plusieurs fois de l'inconstance dans leurs goûts ^ et cela étoit assez embarrassant pour nous. Tantôt ils préferoient le cuivre à tous les autres articles ; tantôt ils choisissoient le fer comme la seule marchandise à laquelle ils attachassent quelque prix : d'autres le':,, aussi, les grains de verre leur p'aisoient da- vantage. Mais nous avions réussi à remé- dier aux inconvéniens de leur caractère indécis ; c'étoit en leur donnant une por- tion de ces divers articles mêlés ensemble. Comekala nousavoit d'abord été fort utile pour accélérer nos petits arrangeraens de commerce. Mais il commencoit à oublier la langue de son pays , et parloit un jargon si bizarrement composé des langues chi- noise , anglaise et nootkane , qu'il ne pou- voit presque plus remplir les fonctions d'in- terprète entre les naturels et nous. Ajoutez qu'en revenant aux habitudes de son pays.. il commencoit ù préférer les intérêts de ses ( 17 ) compatriotes aux nôtres, et qu'au milieu 17^" des jouissances qui se renouvelaient pour *Uî°* lui dans ces repas où il mangeoit avec sen- sualité de la chair et de l'huile de baleine, il oublioit insensiblement tous les bienfaits dont nous l'avions comblé. Mais comme il se trouvait , grâces à notre crédit , élevé dans un poste de confiance et d'honneur, nous ëtions intéressés à ne pas lui laisser entrevoir que nous le soupçonnions de faus- seté et d'ingratitude à notre égard. Maquilla lui avoit confié ses trésors les plus précieux , et entr'autres , un mortier d'airain laissé dans le pays par le capitaine Cook , et que le chef de Nootka regardoit comme un objet du plus grand prix. Cet ustensile de cuisine, destiné originairement à un usaae servile , avoit été ennobli par lui au point de devenir le symbole de la magnificence royale. On le tenoit toujours très-brillant ; et , dans les visites ou entrevues de céré- monie, on le portoit devant Maquilla pour ajouter à l'éclat de sa royale dignité. La vue continu: die de cet objet étoit donc plus propre à rendre à Comekala son ancienne affection pour nous en lui rappellant que * Jtre amitié ïie * c toit jamais démentie 7 C?3) 1788. qu'à l'engager à s'écarter des égards que Juin, nous avions droit d'attendre de lui. Nous employâmes tout notre crédit auprès de son frère Maquilla pour obtenir qu'il relevât tout d'un coup au rang de chef en lui fai- sant épouser une femme distinguée par sa naissance dans son propre district. Maquilla accorda > sur le champ , cette faveur à nos sollicitations ; et nous fûmes invités aux noces qui furent célébrées avec toute la magnificence possible. La moitié d'une ba- leine , une quantité considérable d'autre poisson, avec de i'huile en proportion , for- mèrent le repas somptueux qui fut donné en cette circonstance. Près de huit cents convives y assistèrent: ils y furent servis avec le plus grand ordre, se comportèrent très-sagement , et manifestèrent à leur chef toute la satisfaction qu'ils éprouvoient d'une réception si brillante et si honorable. ,T , „ Le 6, il vint à bord un messager de Ma- Vendredi . , , . D 6. quilla, chargé de nous prévenir que ce chef se disposoit à nous faire un magnifique présent , et qu'il noua prioit de venir à terre pour le recevoir. Nous nous rendîmes sur le champ auprès de ce chef, et le trouvâmes yôtu d'un habillement complet européen % (79 ) fivec une chemise à manchettes , les che- 17S3. veux en queue , et poudrés. Nous recon- Jum. eûmes dans tous ces ajustemens dont il avoit forme sa parure , une partie des présens que noL avions faits à Comekala , et Ma- quilla les regardoit ^ ainsi que ses divers ernemens de cuivre dont le poids éroit énoi nie, comme les marques distinctives de la puissance du souverain de Nootka. Ce prince étoit environné de plusieurs chefs qui tous portoient, comme décoration , quel- qu'article particulier de l'habillement an- glois, dont leur vanité paroissoit singulière- ment satisfaite. Nous remarquâmes que , dans cette occasion, ils avoient fait disna- roître de dessus leurs visages les couches d'huile et d'ocre dont ils se barbouillolent ordinairement. Bref, la métamorohose étoit telle qu'en entrant dans la maison , nous eûmes, d'abord, quelque peine à recon- noître nos amis. Cette circonstance fit au'ils nous accueillirent avec un air très-soiem- nel. Ils se levèrent, et imitèrent notre ma- nière de saluer. La façon dont ils ôtoient leurs chapeaux , les gestes très-plaisans qu'ils ' faisoient en se saluant l'un l'autre , et en prononçant quelques mots anglois qu'ils . (8o) 1788. avoient. retentis et qu'ils répétaient alors à Juin. voix haute sans aucune liaison, et même sans les entendre ; tout cela , clis-je , formoit une scène dont ils s'amusoient beaucoup , et qui ne pouvoit pas nous déplaire. Lors- que ces bizarres cérémonies furent termi- nées , le chef ordonna qu'on apportât de- vant nous plusieurs peaux de loutres très- fiches, et ne tarda pas à les envoyer à notre vaisseau. Il y ajouta un daim d'une fort belle espèce qui venoit d'être tué dans les bois par l'un des siens. Nous ne fîmes pas attendre à Maquilla le présent par lequel nous voulions reconnoître sa générosité d'une manière digne de lui ; et à notre re- tour au vaisseau , nous trouvâmes que les peaux de loutres nous y avoient précédés. L'arrivée de Comekala décida ces peu- ples à préférer jà tout antre article de tra- fic ,, les diverses parties de l'habillement eu- ropéen. Un chapeau, un soulier, un bas fcusoit ordinairement pencher en notre fa- veur la balance des négociations commer- ciales; et nous ne négligeâmes aucun des moyens qui se présentèrent d'encourager une idée qui pouvoit les déterminera faire usage des laines. Le ( * ) Le 7, notre tonnelier vint sa plaindre de t gg. tee que les naturels lui avoient pris sa meule juitl " à aiguiser. Ce vol étoit le premier qu'ils same(ji nous eussent fait. On assure pourtant que 7» les différens vaisseaux qui les ont visités avant nous se sont plaints du même vol. Nous avions remarqué , en effet, que toute l'attention des naturels se portoit sur cette pierre. Ils étoient persuadés quelle renfer- moit quelque charme particulier qui lui donnoit la vertu de rendre , sans la moin- dre fatigue , notre fer très - acéré et très^ tranchant , tandis qu'ils ne pou voient se procurer le même avantage pour le leur qu'avec des peines extraordinaires. La perte de cet objet ne laissoit pas que d'être assefc importante. Nous fîmes, mais en vain* tous les efforts imaginables pour le retrouver. Nous nous adressâmes à Ma- quilla : notre réclamation ne fut pas accom- pagnée du succès ordinaire, même auprès de lui. Il nous parut, au reste, plus pru- dent de fermer les yeux sur le vol, que dé nous engager dans une contestation avec ces insulaires. Nous nous contentâmes dé donner les ordres les plus sévères pour qu aucun des naturels, excepté les cheft, £çme II, jp (fe) %7S8, ne fût adm's, à l'avenir, dans l'enceinte Juin, que le parapet formoit autour de la maison. Dimanche Le 8 > nous vîmes entrer dans l'anse un 8. canot de forme assez bizarre , qui portoit plusieurs personnes» Il vint bord à bord du vaisseau , et les naturels nous vendirent un petit nombre de peaux de loutres. Ils nous proposèrent aussi d'acheter une main d'homme , séchée et toute ridée. Les doigts y tenoient encore par des clous très-longs. Mais nous éprouvâmes un sentiment d'hor- reur plus facile à concevoir qu'à expri- mer, en appercevant un cachet qui for- moit le pendant d'oreille d'un des naturels que portoit le canot. Nous sûmes bientôt que ce cachet avoit appartenu à l'infortuné M. Miliar , officier du vaisseau Y Aigle Im- périal, dont aucune personne de notre bord n'ignoroh la trop déplorable histoire ( 1 ). «. .m i . i 1 i - .. .1 irm»»iW WWW " (î) L' Aigle Impérial étoit un vaisseau employé à recueillir des fourrures à la tôle d'Amérique en 1787. Dans le cours de cette expédition , le capitaine envoya sa chaloupe de Ventrée du Roi George faire le trafic jusqu'au 47e degré de latitude nord. Elle mit à l'ancre par le travers d'une rivière. Des bas-fonds qui se trou- v/HwiU À l'entrée, rempècMuent d'y péuétt'cr plus ayant} (83) Les matelots Furent sur le point de déclarer 178& nettement ce qu'ils pensoient de cette main, Juin* savoir, qu'ils la regardoient comme une de celles de M. Millar , et que les naturels en présence desquels ils se trouvoient dans ce moment , étoient les meurtriers de cet offi- cier. Le soupçon seul du crime auroit cer- tainement décidé du sort de ces insulaires p si nous n'eussions pas eu le bonheur de l'aire entendre à nos gens que le cachet en question pouvoit bien avoir été transmis , par succession d'échanges , au possesseur actuel. Mais la vue seule de cette main apportée par les naturels paroissoit à nos matelots une présomption si forte que nous eûmes beaucoup de peine à les contenir ; et nous ne pûmes, malgré nos efforts , les Le capitaine de celte chaloupe envoya un petit bateau qui en dépendoxt remonter la rivière avec M. Miliar , officier de V Aigle Impérial > un autre jeune homme, et quatre matelots. Ils continuèrent de faire force de rames jusqu'à leur arrivée à un village où l'on présume qu'ils furent pris par les naturels, et que ceux-ci les massacrèrent. C'est ce qu'on est fondé à croire , leurs habite ayant été retrouvés depuis tout ensanglantés. Note de V Autour. Fa (84) J7$8. empêcher de chasser les naturels du vais* *u*n' seau en les accablant d'injures et en leur témoignant toute leur indignation. Nous reconnûmes , au reste, qu'ils éfcoient inno- cens du crime dont on les a voit soupçon- nés. Car, dès le jour suivant, nous sûmes de Maquilla lui - même , qui nous l'assura comme un fait à sa connoissance particu- lière , que ces mêmes articles dont la vue seule venoit d'exciter parmi nous une si vive indignation, avoient passé par la voie du trafic à ces naturels qui les tenoient de ceux de Queenhythe , lieu même du mas- sacre de M. Millar et de ses compagnons. Ce chef n'osa cependant pas nier que la main ne fût celle d'un de nos infortunés compatriotes ; et la confusion que nous re- marquâmes dans notre entretien avec lui à ce sujet, ainsi que diverses circonstances à-peu- près semblables dont je parlerai plus tard , cenHourureàt à nous donner l'idée que Maquilla lui-même étoit un cannibale. Il n'y a malheureusement que trop de rai- sons de croire que cet horrible trafic de chair humaine s'étend, à peu de chose près, tout le long de cette partie du continent d'Amérique. Notice ami Cailicum lui-même, Juin. (85) reposoîr sa tête, la nuit , sur un grand sac 1788. rempli de crânes humains qu'il montroit encore avec orgueil comme autant de tro- phées honorables pour son courage et sa supériorité dans les combats ; et il est plus que probable , que les corps des infortunées victimes à qui ces crânes avoient appartenu , avoient été dévorés dans un banquet donné par lui à l'occasion de sa victoire , aux guerriers qui avoient eu la gloire de par- tager ses affreux succès. Le même jour , Wicananish , chef très- puissant qui habitoit au sud _, et à qui Ma- quilla a voit été faire une visite de cérémo- nie , au moment où nous arrivâmes clans Ventrée , vint lui rendre cette visite , avec deux canots de guerre , et la plus grande partie des naturels de sa suite qui et oit trèr.- nombreuse , magnifiquement vêtus de four- rures du plus grand prix. Ces insulaires avoient beaucoup meilleure mine que nos amis de Nootka ; ce que nous attribuâmes avec assez de fondement à davantage de leur situation , puisqu'ils habitent une par- tie de la cote où les baleines abondent en plus grande quantité. Ce poisson qui faî- soit y çn même temps , presque toute leur F 3. ( 8-5 ) '1788. subsistance et toute leur richesse, commen- Juin. ç0it ^ devenir rare dans Ventrée de Nootka. Wicananish nous rendit une visite de cé- rémonie à bord de la Felice , et nous enga- gea à venir le trouver dans le lieu de sa résidence, nous promettant un nombre con- sidérable de belles fourrures. Aucun des ar- ticles que nous avions à leur offrir ne pu- rent , cependant , déterminer ni lui , ni au- cun des siens ^ à partager avec nous les riches habits dont ils étoient couverts. Mardi Le 10 , nous remarquâmes un mouvement Ic' général pa* tout le village, et, en peu de temps , la plus grande partie des maisons disparut à nos y?ux. Lorsque nous arrivâ- mes à terre, Maquilla nous informa que ses insulaires se disposoient à aller gagner une baie placée à la distance d'environ deux: milles de Ventrée , où il se rendoit une quantité considérable de poisson ; que leur projet étoit, non-seulement de se procurer pour le moment une bonne provision de baleine e* d'autre poisson., mais encoro de profiter de l'occasion favorable pour amas- ser de quoi subsister l'biver. La manière dont ies maisons de Nootka ssnj; coustruires , procure aux habitaus ( »7) l'avantage de s'embarquer comme de de- i78S. barquer , et cela en peu d'heures , et sans Juin, le moindre embarras. Une population im- mense se transporte dans une habitation nouvelle avec la même facilité qu'elle y voi- tnreroit une voie d'eau. Mais on trouvera* dans une autre partie de cet ouvrage , ainsi que nous avons déjà eu occasion d'en 'pré- venir le lecteur, des détails semblables et même plus particuliers sur les mœurs et coutumes de ces naturels de la côte nord- craest d'Amérique. De jeunes loutres de mer furent appor- tées à bord , et l'on offrit de nous les ven- dre. Mais il ne se présenta point d'ache- teurs. Une d'elles étoit vivante. Les mères et tous leurs petits avoient été tués par Maquilla , excepté cette dernière qui, selon toute apparence , avoit éprouvé de mauvais traitemens ; car un de ses yeux paroissolt avoir été enlevé , comme par force, de son orbite. Elle étoit fort petite , et faisoit pré- cisément le même bruit qu'un enfant qui crie, C'étoit de tous les animaux que nous avions jamais vus, le plus vif et le plus éveillé. Après l'avoir gardée un jour ou lieux, nous la jettâmes à la mer pour lui F4 hw* (88) '178&. laisser la liberté de s'échapper. Maïs nous ne fûmes pas peu surpris de voir qu'elle ne potfvôit ni plonger, ni nager. Elle continua de suivre quelques momeas le courant de l'eau v jusqu'à ce qu'enfin nous la reprîmes à bord. Elle mourut bientôt après des con- tusions qu'elle avoit reçues. Il est, au reste,, assee facile d'expliquer cette circonstance; on 'naît que les mères portent leurs petits sur k;ur dos jusqu'à une certaine époque qu'elles les laissent aller seuls, ayant acquis alors , en même temps , la force et l'habi- tude de prendre soin d'eux-mêmes. t«o CHAPITRE XL Nous nous disposons à remettre à la voile» .-__ Yol de notre pinasse par les natu* rais. Inutilité de nos efforts pour la retrouver. — Mouvemens à bord du vais- seau. — ■ Débarquement des officiers et du détachement destinés à rester à terre. — Amas de provisions pour l'équipement du nouveau vaisseau. — -Mesures prises pour la sûreté du détaehejnent. Pro- grès des travaux pour la construction du nouveau vaisseau Bonne santé des gens de V équipage. Provisions de poisson. —-Vishe de cérémonie rendue à Maquilla , et renouvellement du traité. — Nous lui donnons avis de V époque probable de l'arrivée de /'Iplii génie. JSIaquilla demande une lettre pour le capitaine de ce vaisseau. — Notre sur- prise en le voyant doué d'une infinité de connoissances ; moyens pa$* lesqisels il se les étoit procurées. Histoire d.e M. Maccay. — Callicum revient de la chasse aux loutres de mer. — Nous troié- 17W, Juin. (90 ty$9ï vons entre ses mains beaucoup d'articles Juin. qUi avoient appartenu à sir Joseph Banks. r— ■ Le vaisseau remet à la voile, — • Plan de notre route y etc. Mercredi J^e 11 juin, le temps étoit très - beau et très-calme. Nous désaffburchâmes le vais- seau, et au moyen des chaloupes, nous le sortîmes de Y anse des Amis pour le re- mettre en mer. Notre intention a voit été de partir le 9 : mais nous éprouvâmes un accident qui nous affligea beaucoup. Cet accident n'étoit rien moins que la perle de la pinasse , chaloupe vaste et fort belle , et en outre , la seule que nous eussions de cette espèce. Nous fûmes d'abord assez portés à croire qu'un coup de vent l'avoit détachée du vaisseau pendant la nuit , et qu'elle avoit été entraînée par le courant, sans que le quart l'eût apperçue. Mais , le ma- tin , on ne la découvrit point, et les canots furent envoyés à la recherche , ainsi que les chaloupes , sans aucun succès. Nous promîmes de grandes récompenses aux na^- turels s'il» vouloient nous la rendre ; sar^ (9* ) ^n réunissant nne foule de différentes cïr- 178&: constances , nous ne pouvions douter qu'elle Juin. ne fût entre leurs mains. Maquilla et Cal- licum protestèrent de leur innocence dans les termes les plus forts : mais nous eûmes tout lieu de croire depuis , comme nous l'avions soupçonné, qu'après l'avoir volée, ils s'étoient hâtés de la mettre en pièces pour avoir le fer et les clous qui furent depuis distribués par toute Ventrée. Ce vol nous fit craindre y d'abord , un éclat fâcheux entre le chef et nous. Tant qu'il nous resta quelqu'espérance de les déterminer à nous rendre la pinasse, nous prîmes avec eux l'air et le ton du mécon- tentement. Mais lorsque nous fûmes con- vaincus qu'il ne falloit plus nous attendre à la revoir , nous laissâmes l'affaire se pas- ser sans bruit et sans altercation. En effets si nous eussions seulement essayé d'aser de représailles à leur égard , il en seroit résulté, selon toute apparence , une rupture entr« le chef de Nootka et nous. En même temns ■ qu'elle auroit beaucoup nui à l'intérêt de nos relations commerciales avec ces natu- rels , elle pou voit attirer des dangers au détajcheinettt aue nous devions laisser dans Ï7SS. ce PaTs» Nous nous contentâmes donc àe Jum» conseiller à Maquilla de se précautionner contre des vols de ce genre , et de suspen- dre les quartiers-maîtres de leurs fonctions, comme si c'eût été à leur négligence seule que nous dussions imputer le malheur que nous avions éprouvé. A cette époque, les mêmes symptômes d'insubordination qui s'étoient manifestés, de temps à autre, parmi les gens de l'équi- page , dès le commencement du voyage , continuèrent de nous donner de l'inquié- tude. Nous nous étions pourtant flattés que cet esprit de révolte étoit tout-à-fait étouffé, avant d'arriver à Samboinn;an. Le contre-» maître avoit manqué récemment à ce res- pect envers les officiers auquel il étoit ri- goureusem«nt tenu par le devoir de son- poste. Mais un esprit de fermeté développe à propos rénrima des mouvcmens si alar- mans ; et il fut dégradé de son poste devint le rrtât où on lui donna un emploi très- inférieur au sien. Un autre contre-maître fut nommé à sa place, et le récit de cet événement fut inséré tout au long dans le journal du vaisseau. La veille de notre départ , nous débar-» h (93) (liâmes les officiers et le détachement des^ 1764. tinés à rester à terre avec les charpentiers Juin* pour achever le vaisseau» Je laissai à l'offi- cier, qui devoit commander, les instructions nécessaires^ si la Felice venoit à échouer dans son projet de retour , ou s'il arrivoit quelque fâcheux accident , soit à ce vais- seau, soit à Ylphigénie s qui étoit attendue dans Y entrée vers la fin de l'automne. Dans le cas où le concours d'un si grand nom- bre de circonstances malheureuses feroit manquer l'expédition , nous laissâmes tous les matériaux que pouvoit exiger l'équipe- ment du nouveau vaisseau , et des provi- sions suffisantes pour le conduire jusqu'aux îles Sandwich , où il trouveroit tous les ra- fraîchissemens dont il auroit besoin pour avancer à la Chine. C'étoit pour nous un. soin indispensable que de nous précaution- ner ainsi , autant qu'il dépendoit de nous, contre tous les événemens. Au reste, l'équi- page ne parut pas avoir conçu un seul mau- vais présage, et nous ne nous séparâmes de ceux de nos compagnons qui rebtoient à terré qu'avec la consolante espérance de les trouver à notre retour, dans la situa- tion la glus agréable et la plus heureuse. (94) 1788. Indépendamment du nouveau vaisseaa Juin, que nous avions entrepris, nous nous pro- mettions des avantages considérables du séjour de notre détachement à terre. Au moins étions - nous bien fondés à espérer qu'ils recueilleroient toutes les fourrures qu'auroient pris pendant l'été les naturels de Ventrée du Roi George ; et nous savions que ces derniers ne pouvoient manquer d'en prendre un grand nombre. A tout événe- ment , nous avions la certitude que nos gens n'éprouveroient aucun désagrément , et qu'on ne les troubleroit pas dans leurs opérations : car, outre une pièce de canon montée sur les travaux , le petit fort étoit bien fourni d'armes et de munitions ; et la garnison , y compris les ouvriers , se trou- voit assez forte pour soutenir avec vigueur toutes les attaques qu'on auroit pu diriger contr'eilc. La construction du vaisseau avaneoit beaucoup : plusieurs des varangues étoient déjà en place , et les armuriers avoient pré- paie une grande quantité de clous et de chevilles. De plus, une corderie très-com- mode étoit établie , et nous avions déjà commencé à y manufacturer des cordages y article si essentiel pour nous. Bref, si Ton 178S. considère tout ce que nous fîmes de beso- Juin, gne ici , si l'on songe que nous y construi- sîmes une maison commode et sûre , qi*e nous y lestâmes et équipâmes la Felice pour remettre ce vaisseau à la mer , que nous fûmes sans cesse occupés de nous procurer le bois de construction, et de préparer tous les matériaux qui nous devenoient néces- saires pour bâtir les nouveaux vaisseaux ; qu'enfin nous apportâmes aussi, comme il le failoit , l'attention nécessaire dans nos arrangemens de commerce , certes , le re- proche de négligence ou de paresse sera le dernier que l'homme , même le plus ir- réfléchi dans ses injustices, pourra être tenté de nous faire. Au moment de notre arrivée dans Ven- trée, le pays nous parut humide , pluvieux et désagréable. Mais nous remarquâmes ensuite qu'il n'y avoit pas beaucoup de nei.je sur la terre , et que le peu qui en restoiî; avoit été bientôt fondu par les grosses pluies qui tomboient après notre arrivée. Nous trouvâmes l'air extrêmement doux ; et les légumes frais , ainsi que les oignons que la terre produisoit en abondance, ne tardèreaç (90 1788. pas à rendre tout-à-fait la santé aux con* Juin, valescens que nous avions à bord* Nous étions très-exactement approvision- nés de poisson : les naturels ne manquoient point de nous apporter chaque jour tout ce qu'ils pouvoient en dérober à leur consom- mation particulière. La veille de notre départ, nous rendîmes une visite de cérémonie à Maquilla pour l'informer que notas nous proposions de quitter Ventrée le jour suivant. Nous lui donnâmes à entendre que le vaisseau ne seroit pas de retour avant trois ou quatre mois. Cette époque étoit, à-peu-près, celle où nous présumions que le vaisseau , ac- tuellement sur le chantier, pourroit être lancé à la mer. Ces naturels donnoient à celui-ci le nom de maûiatlee > ou vaisseau ; l'autre ^ ils le nomm oient Tighee mamatlee^ ou grand vaisseau. Je priai aussi le chei' d'avoir toute l'attention et toute la bienveil- lance possible pour le détachement que nous allions laisser à terre ; et pour m'assurer son amitié, je lui promis que, lorsque nous quitterions définitivement Ventrée , nous le mettrions en plokie jouissance de la mai- son ,1 ainsi que de toutes les marchandises Ctf ) et autres propriétés qui en dépendoient. Je 178& loi offris ensuite, comme une preuve cle Juîik notre estime particulière , des habits garnis de boutons de métal , objet du plus çrand prix à ses yeux. Je fis ensuite plusieurs présens aux femmes de sa famille ; et , à l'instant où nous allions prendre con^e de lui , cette vieille femme , tante de Corne* fcala , dont j'ai déjà fait le portrait . et qui sembloit avoir amassé sur eJie la ui;U pro- preté avec les années , me pria, avec les plus vives instances , de lui donner une paire de boucles. Aussitôt: qu'elle les eut reçues , elle en fit des pendans d'oreille , dont elle se paroit avec la même vanité qu'une belle met en Europe à relever ses charmes par l'éclat des pierreries de l'Inde.; Maquilla, charmé, au -delà de toute ex- pression, àes marques d'amitié que nous lui avions données , s'empressa de souscrire à tout ce que nous jugeâmes à propos de lui demander, et confirma, avec les plus fortes assurances d'une sincère fidélité , le traité d'alliance qui avoit été déjà conclu entre lui et nous. Nous le prévînmes aussi qu'un autre vaisseau devoit arriver dans Ventrée , probablement pendant notre absence , eS Tome JJ> G (93) 1788. que le capitaine de ce vaisseau ëtoit notre Juin, intime ami (i). Sur cet avis , il nous pria, sans hériter un instant , de lui laisser une lettre pour le chef, notre ami. Cette de- mande nous élonna beaucoup. Nous étions loin de soupçonner jusqu'alors que ce peu- ple eut la moindre idée de la faculté que nous avions de nous communiquer récipro- quement nos pensées sur le papier; et nous éprouvâmes bientôt la plus vive curiosité de savoir par quels moyens ils étoient par- venus à se procurer une pareille connois- sance. Quelqu'un des nôtres imagina que ces naturels pouvoient bien la tenir de M. Maccay qui avoit séjourné, je crois, plus de quatorze mois parmi eux, et qui, durant cet espace de teins , avoit tenu un journal que j'ai eu sous les yeux. Je ne (O II s'agit ici, comme le lecteur le présume , sans ajoute i du vaisseau Y I phi génie commandé par le capi- taine Douglas , qui devoit, conformément aux instruc- tions que lui avoit données le capitaine Meates , ainsi qu'on l'a pu voir dans le n°. 11 de l'appendfot du pre- mier volume , page 3-5 , se rendre dans Ventrée , ver» le premier novembre 1788, Note du Traducteur* t 99 ) puis m'arrêter sur cette circonstance ^ dire quelques mots de l'événement qui le Ju.^ força de rester ainsi livré tout entier à la Vie sauvage. Les vaisseaux le Capitaine Cook et Y Eoc- periment avoient été équipés sous les ordres et p;ir les soins de M. Scott, dont le gen'e et les lumières en matière de commerce sont également reconnus dans l'Europe et dans l'Inde. Ils dévoient se rendre de Boni- ha.y à la cote d'Amérique pour recueillir des fourrures. Ils y arrivèrent en 1786 , et M. Maccay, qui étoit second chirurgien à bord de l'un de ces vaisseaux, y resta, de son propre consentement, sous la protec- tion de Maquilla. M. Strange qui avoit la surintendance de ces vaisseaux , pensoit qu'il pourroit résulter de très-grands avan- tages pour le commerce de laisser M. xVlao- cay parmi les naturels de Y entrée du Roi George > pour apprendre leur langue et s'instruire de leurs mœurs et de leurs usages. Il y fut donc laissé en 1786,, et séjouruâ parmi eux jusqu'en 3/87 qu'il s'embarqua pour la Chine à bord du vaisseau Y Algie Impérial. Quoique cet homme intéressant eût reçlt G % (ïoo) 1788. tous Tes habîllemens et toutes les provisions Juin. dont il pouvoii avoir ; esoirt pendant sa ré- sidence à Nvo,ka , il ne tarda pas à se voir tout - a - iai' réduit à i'et.it de sauvage. IL n'est pas laeile de concevoir comment un Européen , avec sa constitution , a \ u sou- tenir son existence en se nourrissant d'ali- iriens si contraires à ses habitudes et à la nature même de son tempérament ; com- ment il a pu s'accoutumer à vivre au mi- lieu de tous ies genres de mai -propreté , et se résigner , même pour appaiser la faim la plus dévorante, à ces repas d huile de ba- leine. Ce n'étoil pas tout encore : pendant le se joi 1 r de /L i î accay à \? entrée de Nootka, la rigueur d'un long hiver y lit naître la famine. La provision de poisson sec fut bientôt consommée , et l'on ne put absolu- ment s'en procurer d'autre; telle fut la dé- tresse que ies naturels se trouvèrent réduits à une pitance déterminée par chat rue jour, et que les chefs apportaient, journellement aussi , à notre infortuné compatriote , la nourriture hxée pour lui^ savoir sept têtes de harengs secs. Il est impossible a quicon- que a reçu de la nature les premiers senti- niens d'humanité de lire, sans frémir d'hor- C 1Q1 ) renr , le journal de ce voyageur. Au reste ,. 3788. les sauvages lui donnèrent une femme, et Juin, nous devons à la vérité de convenir que r quelqu'aït pu être leur conduite à son égard, les chefs de Nootka et "Wicananish nous demandèrent de ses nouvelles avec autant de sollicitude que s'ils éprouvoient vérita- blement pour lui la tendre affection clone ils paroissoient pénétrés. Nous donnâmes donc à Maquilla une lettre , ainsi qu'il l'avoit désiré ; et ne tar- dâmes pas à demeurer convaincus que la crainle qu'il avoit de voir arriver Ylphigé- nie seroitpour nous nn bien plus sûr garant de la protection qu'il accorderoi'i à notre détachement , que toutes les marques d'a- mitié dont nous l'avions comblé, et même que toutes ses protestations de bienveillance et d'attachement. Cailicum, qui nous avo't quittés depuis quelques jours pour aller chasser aux lou- tres , é i oit alors de retour. Ce lut une véri- table satisfaction pour nous que le chef sur lequel nous comptions le plus, et qui s'étoit . déclaré de tout temps ie proiecîeur et 1 ap- pui de notre détachement , lût revenu à JXootka avant notre départ de cette entrée* Gà 17S8, Nous nous donnâmes, selon l'usage , cle§ Juin, gages mutuels d'à initié. Mais nous ne fûmes pis peu su 1 pris de recevoir, en retour du présent que nous venions de lui faire, trois pièces de métal d'airain en forme de petites crosses pour le jeu de balle , où l'on décou- vroir encore les restes du nom et des armes de sir Joseph Banks et la date de l'année 1775. Il y en avoir une où la gravure n'étoit pas tellement effacée qu'on ne pût y re- connaître encore quelque chose. Quant aux autres, une partie des caractères avoit tout- à fait disparu. Nous renvoyâmes à cet ai- mable chef ces gages de son affection, pour qu'il conservât le souvenir de l'homme cé- lèbre dont il les tenoit originairement , de ce philosopha estimable au génie entrepre- nant duquel on peut dire que nous devons la découverte d'une côte qui deviendra , je l'espère , en dépit de tous les obstacles , une source d'avantages pour le commerce de notre pays. En mettant à la voile , il fut résolu de tenir la partie méridionale de la côte , à partir de V entrée du lloi George , attendu pe Ylp/iïgc'iia deyoit suivre la partie sep* ;rionale depuis la rivière de Cook jusque ( îo3 ) la même place. Au moyen de cet arrange- I?S^ ment, nous étions sûrs de recorn on re \e Juin, continent d'Amérique tout entier depuis les 60 jusqu'aux /p degrés nord , ainsi que dif- férentes parties intermédiaires qui n'avaient point été examinées par le capitaine Cook. Nous mîmes donc à la voile , après avoir renouvelle nos instructions et nos avis à ceux des nôtres qui formaient le détache- ment que nous laissions dans Venir e , et leur avoir recommandé de se tenir conti- nuellement sur leurs gardes, et de ne rien négliger pour entretenir la plus parfaite in- telligence avec les naturels de Ventrée. G { Juin,. ( iG4 ) CHAPITRE XI I. Z^ c^8§. commis dans la personne d'un étranger Juin. par les naturels du village. — Pe vais~ seau se trouve forcé par le mauvais temps de relâcher dans le port intérieur \> nommé Tort Cox* J_jE 11 juin, dans la soirée, nous conti- Mercredi Huâmes notre route au sucl-est , à trois milles "• de distance du rivage. Au coucher du so- leil, la Pointe du Brisant % qui forme la côte orientale de l'entrée du canal du Roi George , nous restoit dans la direction de nord-ouest-mi- ouest. L'on appercevoit une pointe qui s'étend oit au sud de la V ointe du Brisant y et à laquelle nous donnâmes le nom de Pointe d'à. moitié chemin , parce qu'elle se trouve placée environ au milieu de la route entre le canal du Poi Georre et le pays où résîdoit Wicananish. Cette pointe gisoit à l'est , et nous pouvions bien être à trois milles de distance de la côte. Au moyen de plusieurs observations sur les amplitudes et les azimuths, la variation du compas étoit de zx dearés 5 minutes à l'est,. 12. ( lo£) 5lts continuâmes neutre route jusqu'à . la chaloupe en louage ; nous ors qu'il seroît prudent de sus- re Je cours de noire navigation pen- dant la nuit. Le 12 , à la pointe du jour , noi s remîmes à la voile, avec des vents va- riables. A raidi, une observation ra])porta 49 degrés 22 minutes de latitude nord , quoique nous eussions déjà remarqué que îa Pohiie du Brisant couroit nord -ouest* quart-nord. Au même moment , nous dé- couvrîmes une haute monta^re sur l'entrée du pays de Wicananish -, elle gisoit à l'est- Bord-est, à sept lieues de distance. Nous avancions toujours en mer avec un tempr> favorable, Notre intention étoit d'exa- miner la côte entre la position eti nous étions alors et le canal du Roi George. Tout à-coup, le vent sauta au sud-est quart- est, et le ciel comrnençn à se couvrir de nuages. Connue ce vent portoit directement contre nous , nous virâmes vent devant, et portâmes en mer, redoutant beaucoup le mauvais temps, dont nous avions éprouvé que les vents de sud est étoient ordinaire- ment accompagnés. Nos craintes ne tardè- rent pas à se confirmer : des nuages amen- ( IG7 ) celés et de vîolens coups de vent an non- 178g. cèrent l'orale. Les huniers eurent tous leurs Juin, ris pris; et nous continuâmes de porter en mer pour avoir le bord au large , ce qu'il est le plus important de ne pas négliger sur cette côte. Pendant la nuit, le vent soufrîa avec une force terrible du sud - est ; nous avions une grosse mer, un temps brumeux , et la pluie ne cessoit de tomber par tor- rens. A minuit, nous virâmes vent arrière^ et courûmes sur la terre. Le i3, à la pointe du jour, le temps me- Vendredi naçoit de l'orage, quoique nous le vissions *5* s'éclaircir de temps en temps. Nous pou- vions bien être à six lieues de distance de 3a terre, et la montagne que nous avions remarquée au dessus delà demeure de Wica-. nanish se montra alors toute entière à nos yeux , unie et sous la forme d'un pain de sucre. Elle couroit nord-est-quart-est , à la distance de sept lieues. Comme nous con- tinuions de cotirir sur la terre , nous vîmes venir à la hauteur de notre vaisseau plu- sieurs canots qui partoient d'un grouppe d'îles situées à-peu près par le travers du vaisseau, Chacun de ces canots portoit plus de vingt hommes d'une physionomie agréa- \ ( ic8 ) 17S8. b.Ie et d'une taille vigoureuse, vetns presque Juin* tous de peaux de loutres de la plus g \ e beauté, lis ramoit e long ;ie la côtt avec une extrême reté . ,uj bout dé qui : nés momens , i eux . eu s bateaux arrivèrent Ipovd à bor I du vaisst au, et les naturels qui étaient -t cl : 1 1 s n'hésitèrent point à venir à bord. Parmi eux se trouvoient deu^. chefs ? nornmésHanna et Detootche , quirésidoient dans \tn village situé par le travers du vais- seau. C'étaient les plus beaux hommes que r>ous eussions jamais vus. Hanna avoit en- viron quarante ans ; ses regards pleins der charmes et de douceur armonçoient le ca- ractère le plus aimable et le plus heureux- Quant à Detootche , c'étoit un jeune homme' en qui des formes très gracieuses se trou- ve lent réunies à la beauté de La figure. IL possède ut aussi , autant qu'il nous fut pos- sible d en juger, les v.t agréables qualités de l'esprit. Un ux paroissoient être par- faitement à leur aist dans notre société ; ils serroient aifi leusement la main à toutes le ^sonnes du vaisseau , et nous invité'* ■\. du i' =i- le plus .in rai à accepter l 'h os- pi '• é qu'ils nous o/froieni &ur leur terri- toire, iailin , ils nous pressèrent avec beauet / ( 109 ) coup d'Instances de conduire le vaisseau 1?8&. jusques dans leurs îles. Juin. Mais connue notre premier objet avoit été de us conduire lui- riêrne d ms son port^ dont l'entrée qu'il »ous montra étok à cinq milles environ de diotance. ( »'• ) 1788. Des bateaux furent envoyés en avant pour Juin, sonder, et nous les suivîmes aidés d'un vent favorable. Après avoir tourné rextiêmité de l'île la plus méridionale , nous entrâmes dans la rade, en passant au milieu de plu- sieurs resciis de rochers. La sonde étoit très-» régulière ; et vers une heure , nous mîmes à l'ancre entre la haute mer et les îles, sur un mouillage où nous étions bien défendus contre la mer. Wicananish prouva qu'il étoit un excellent pilote : non -seulement il se montroit infatigable dans tout ce qui dé- pendoit de ses efforts personnels, mais en- core il veilloit sur ses canots pendant tout le temps qu'ils nous accompagnèrent. Cette rade présentoit l'aspect le plus sau- vage qu'on puisse imaginer. Elle étoit pro- tégée contre la brusque irruption des flots de la mer par plusieurs petites îles et res- cifs qui joignoient presque les uns aux au- tres. Le port que nous remarquâmes étoit situé à deux milles environ du mouillage que nous occupions ; l'entrée ne paroissoit pas avoir en largeur beaucoup plus que la longueur de deux cables. Par le travers du vaisseau , sur l'une des {les, nous découvrîmes un village trois fois ( "i ) aussi grand que le village de Nootka , et ^gfc, d'où nous vîmes , de toutes parts , les natu- Juia, rels lancer leurs canots en mer, et. arriver par les bas-fonds jusqu'au vaisseau, chargés de poisson , d'oignons sauvages et de graines qu'ils livrèrent à nos matelots pour de pe- tits morceaux de fer , et autres articles qui avoient pour eux le même attrait. Wicana- nish fut retenu à bord pendant la plus grande partie du jour avec plusieurs de ses amis : à l'entrée de la nuit, il retourna i terre , suivi d'un cortège considérable de naturels qui avoient attendu pour l'accom- pagner. Le ï4 , il fit un très -beau temps qui nous s^m-di procura l'avantage d'observer le pays. Il 14. nous parut être par-tout une impénétrable forêt, et, nous n'apperçûmes pas un seul espace où il fût à découvert. Le village de Wicananisli est situé sur un banc élevé près de la mer, et environné de bois. Le chef nous envoya un message pour nous inviter a venir dans sa maison prendre notre part d un repas. En conséquence , nous débar- quâmes vers midi. A ce moment, une ïonle nombreuse de femmes et d'enfans vint à ( 112 ) 178$. notre rencontre, et le frère de Wicananisk Juin, nous conduisit au iieu de ia cérémonie. En entrant dans la- maison, nous lûmes très-surpris de sa vaste étendue. Elle ren- fermoit une grande place bordée de tous côtes jus ju'à hauteur de vingt pieds , de planches d'une largeur et dune longueur extraordinaires. Trois arbres énormes , sculptés et peints grossièrement, formoient les solives : elles étoient soutenues à cha- que extrémité et dans le milieu par des figures gigantesques , taillées dans d 'infor- mes morceaux de bois de charpente. Une couverture faite de larges planches de la même espèce abriîoit la maison contre la pluie; mais elles étoient placées de manière qu'on pouvoit les écarter à volonté , soit pour que l'air ou la lumière du jour péné- trassent au travers, soit pour que Ja fumée eût une issue. Dans le milieu de cette vaste chambre , il y avoit plusieurs feux allumés, et auprès de ces Ceum , de grands vases de bois remplis de soupe de poisson. De fortes tran- ches de chair de baleine, toutes préparées, atteridoient qu'on les jettât dans de sem- blables chaudières remplies d'eau ou les- femmes ( "3 ) femmes portoîent avec des espèces de pin- i-»$g. cettes des pierres brûlantes retirées des feux hûiu les pins ardens, afin de faire bouillir cette eau. Tout autour étoient des amas de pois- son, et dans le centre même de la pièce qu'on pourroit avec raison appeller ia cuir sine, il y avoit de grandes peaux de veau marin remplies d'huile où l'on alloit puiser cette délicieuse boisson pour la verser aux convives-. Les arbres qui soutenoient le toit étoient d'une ^si prodigieuse grosseur que le mât d'un vaisseau de guerre de première ligne auroit paru , en comparaison , d'une gros- seur ordinaire. Aussi notre curiosité étoii- elle à. son comble ainsi que notre surprise, lorsque nous songions à ce qu'il avoit fallu de force pour élever ces énormes solives à la hauteur ou nous les voyions > et quelle devoit être cette vigueur par le moyen de laquelle ce peuple suppléoit aux ressources du pouvoir mécanique qui lui étoient ab- solument inconnues. La porte par laquelle nous entrâmes dans ce séjour si extraordi- naire, n'étoit autre chose que la bouche d'une de ces figures gigantesques dont j'ai parlé. De quelqu 'énorme grandeur qu'on Tome II, H ("4) 1788. puisse se la représenter , j'assure qu'elle Juin, étoit exactement proportionnée à tous les autres traits de ce monstrueux visage. Nous arrivâmes , en montant quelques degrés , à la partie extérieure, et après avoir passé ce portail d'un genre si étrange et si bizarre, nous descendîmes par le bas du menton dans la maison où nous trouvâmes un nou- veau sujet d'étonnement dans le grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfans qui composoient la famille du chef, et qui montoit, au moins, à huit cents personnes. Elles étoient partagées par grouppes , selon les divers emplois qu'elles avoicnt à rem- plir , et pour lesquels des places distinctes étoient assignées à chacune d'elles. Le bâ- timent entier étoit entouré par un banc qui s'élevoit à-peu-près à deux pieds de terre , et sur lequel les divers habitanss'assey oient, prenoient leur repas , et se livroient au sommeil. Au bout le plus élevé de la cham- bre , on appercevoit le chef au milieu de plusieurs naturels , les plus distingués du pays, rangés en cercle sur une petite plate- forme d'une médiocre élévation. Tout au- tour de cette plate-forme étoit placé un assez grand nombre de fortes caisses , au • ( i.5 ) dessus desquelles on avoit suspendu des ves* 17$° sies pleines d'huile , d'énormes tranches de j chair de baleine , et des moroeaux de pois* i son d'une grosseur proportionnée. On re^ ! marquoit dans presque tous les endroits de , la chambre où l'on avoit pu en placer , des ! espèces de guirlandes de crânes humains , arrangées avec une sorte de prétention à l l'élégance et à la régularité. Elles étoient i regardées par les naturels comme la plus • noble décoration dont on eût pu orner et embellir l'appartement du roi de ce pays. i Lorsque nous entrâmes , les convives • avoient déjà achevé une grande partie de i leur repas. Devant chacun d'eux, étoit pla- ■ cée une forte tranche de baleine bouillie i qui, avec de petits plats de bois ^ et une , grande coquille de moule dont ils se ser- , voient comme de cuiller, composoit tout i l'état de leur table. Les naturels chargés du ■ service domestique étoient sans cesse oc* i cupés à remplir les plats de chaque con- i vive à mesure qu'ils se vuidoient , tandis ■ que les femmes préparoient et ouvroient en deux une écorce d'arbre qu'ils employoient i en guise de serviette. S'il est permis de i juger de la bonté et de la délicatesse des H % 2788. mets par la voracité avec laquelle ils étoient Juin, avalés et par la quantité prodigieuse que les convives en mangèrent, nous pouvons re- garder ce repas comme le plus splendide et 'e plus délicieux que nous ayons jamais yu. Les enfans eux-mêmes, et quelques-uns d'en tr'eux qui n'avoient pas plus de trois ans, dévorokmt le poisson et s'abreu voient d'huile avec auant de sensualité que leurs pères, Quant aux .femmes , il ne leur est pas ac- cordé d'assister à ces repas de cérémonie. Wicananish vint à notre rencontre à la moitié du chemin depuis l'entrée de la chambre, et -nous offrit l'hospitalité d'un, air gracieux qui eût distingué des per- sonnes d'une société plus policée. Ii nous conduisit à un siège placé près du sien. Nous nous y assîmes, et satisfîmes à loisir notre curiosité pendant 1-e reste du repas , en parcourant des yeux tous les coins de cette singulière habitation. Le repas fini , on nous pria de montrer les présens que nous destinions au chef. En conséquence, nous étalâmes un grand nom- bre d 'articles divers que nous avions ap- portés dans l'intention de les leur offrir , -et parmi lesquels il y ayoit plusieurs cou* r**? ) tertures, et deux chaudières de cuivre pour i fait prisonnier par eux , avoit été amené à terre. C'est avec regret que j'ajoute que ce malheureux captif fut traîné sur le champ dans les bois où nous avons tout lieu de craindre qu'il n'ait été bientôt mis en pièces» Nous intercédâmes en sa faveur avec les plus vivea instances ; nous en vînmes même jusqu'aux menaces : mais, tandis que nous nous épuisions ainsi en sollicitations pour lui sauver la vie , ils se livroient , selon toute apparence, aux charmes de la plus cruelle vengeance. Ce»; événement me con- firma dans l'opinion où j'ai toujours été ij^S. qne, malgré que ce peuple apportât beau- Jlîo. coup de douceur et de fraternité dans son commerce habituel avec nous , la crainte les rendoit barbares et féroces à l'égard les vms des autres. Il est certain que nous avons tous remarqué très-souvent que , par fois , leur physionomie annonçoit une ame sauvage. .Yeadredi Le temps fut très -mauvais jusqu'au 20» Le vent souffla avec violence du sud - est y et nous eûmes une pluie continuelle. Ajou- tes que, de temps en temps , la mer élevoit des houlles prodigieuses par dessus nos tetes^ ce qui rendoit notre position très-critique» II fut donc résolu que nous saisirions le premier moment favorable de gagner l'in- térieur du port qu'on avoit déjà été recon- noître, et qui s'étoit trouvé, non-seulement très- commode , mais encore tout-à-fait à l'abri des vents. Dans la soirée , !e vent se calma ; le vais- seau venoit de mettre à la voile. Wicana- nish ne s'en fat pas plutôt apperçu qu'il vint à bord , et nous conduisit sans le moin- dre accident dans le port auquel nous don- nâmes le nom de Port Cox , en l'honneur de notre ami Jean Henri Cox, écuyer. Nous */. ? . f>> 9 21 /V.XX1, ( 1*3 ) ne crûmes pourtant pas devoir, en cette *7**- circonstance , nous abandonner entièrement à l'habileté de Wicananish ; et en consé- quence, nous envoyâmes les chaloupes en avant pour sonder , particulièrement sur la barre du port. On y trouva de trois et demie à quatre brasses d'eau; et bientôt après, ia sonde descendit jusqu'à treize , quatorze et quinze brasses. Ensuite , elle n'en rap- porta que huit ; ce fut sur cette profondeur que nous jettâmes l'ancre dans un port sûr et bien abrité contre la fureur des vents. ( M ) Juin* j CHAPITRE XIII. Les naturels du pays de Wicananish moins civilisés que ceux de Noolka. — Quelques précautions que nous avions jugées nécessaires offensent le chef , et produisent du refroidissement entre lui et nous, — -La bonne intelligence se ré- tablit y et le trait:! d'alliance est renou- velle. — Présens fa'is de part et d'autre en cette occasion. — L'usage des armes à feu connu à ces insulaires, — Le vil~ lage est transporta à une petite distance. —~ Traité entre Wicananish , Jlanna et Detootche. — Présens à cette occasion. — Heureuses conséquences qui résultent pour nous du traité. > — P résens faits à Wicananish et reçus de lui. — Présent envoyé de l'entrée du Iloi George, — Préparatifs pour me tire h la voile. La Felice continue son voyage*. — &es.- cription du Port Cox , etc. JLJès la première entrevue, les sujets de Wicaricuiisk nous parurent être beaucoup < I** ) înoîns civilisés que nos amis de Y entrée de i?£&. Nootka. En conséquence, nous crûmes de- Jll,n* voir augmenter nos précautions. Le nom- bre de ces naturels était très-considérable , et la fierté qu'ils iaissoient appercevoir dnni tous leurs traités avec nous , nous porta à croire que, pour peu que nous nous relâchai sions de notre vigilance , ce seroit les en- hardir à tenir à notre égard une conduite qui auroit pu être suivie des conséquences les plus Fâcheuses pour nous. Du reste , ilâ l'emportoient de beaucoup., quant à l'intel- ligence et à l'activité , sur les naturels de Ventrée du Roi George. Wicananish lui- même , quoi pie naturellement destiné à être d'une grosse corpulence , étoit vigou*- reux et leste. Sqs frères avoient reçu de la nature les mêmes avantages. Tous les jeunes cens du pays nous parurent très-robustes ; ils ne quiltoient pas un seul moment l'exei- cice ^ occupés sans cesse à difiérens tra- vaux. Nous remarquâmes que les temps les plus orageux ne les empêchoient jamais d'aller en mer pour harponner la baleine ou tuer des loutres. La pêche étoit une occupation qu'ils abandonnoient à la classe du peuple ta moins distinguée parmi eux» ( l^6 ) gg Les domaines de ce chef s'étendoient très* Juin. l°in î de nombreuses tribus reconnoissoient son pouvoir , et le rendaient un prince très- redoutable. Nous avions donc de très- bonnes raisons pour nous tenir continuel- lement sur nos gardes : il étoit le maître de nous faire beaucoup de mal , et il ne falloit qu'une occasion pour le déterminer à nous attaquer. Cette vigilance de notre part parut au chef un manque de confiance dans son amitié. Il s'en trouva très -offensé , et cette circonstance produisit une sorte de refroi- Dlmanche dissement entre nous. Wicananish avoit re- marque que. toutes les fois qu'il nous ren- doit visite , la grande chambre étoit garnie d'armes de toutes espèces , et que l'on te- noit toujours placés sur le gaii'iard plusieurs gros mousquetons. A cette vue , il avoit senti s'allumer sa colère , et non seulement il quitta le vaisseau avec indignation , mais encore il refusa de trafiquer avec nous , et défendit à ses i?isu!aires de nous apporter aucunes provisions en poisson ou en végé- taux. Notre intérêt n'exi^eoit certainement pas que les choses demeurassent en cet état non moins désagréable qu'alarmant pour ( "7 ) nous. Nous pensâmes donc qu'il seroit 178S. prudent de lui rendre visite le jour sui- Juin, vant pour faire la paix. Effectivement , dès Lundi le lendemain, le traité d'alliance fut renou- 22e vellé , grâces aux moyens de conciliation que nous employâmes,, et qui consistoient en présens que nous lui fîmes d'une épée à poignée de cuivre et d'un grand plat de même métal. De son coté, ii scella ce re- tour de la bonne intelligence entre nous par un présent qu'il nous fit de cinq belles peaux de loutres , d'une daine grasse , et d'une provision toute fraîche de poisson pour l'équipage. La générosité que Wicana- nish déploya en cette circonstance , ainsi que la conduite vraiment fraternelle qu'il tint à notre égard , nous parut mériter des efforts extraordinaires pour lui témoigner notre reconnoissance d'une manière digne de lui. Nous le rendîmes heureux au-delà de toute expression _, en ajoutant aux mar- ques de sa puissance royale un pistolet et deux charges de poudre dont il nous a voit sollicités depuis long - temps de lui faire présent. Il est certain que l'usage des armes à feu étoit connu aux naturels de cette tribu avant notre arrivée parmi eux. Lorsque la i7$g. Résolution et la Découverte péndtrèreni Juin, pour la première fois dans \ entrée du Roi George, Wicananish s'y trouva : il y étoit venu rendre visite à Maquilla : ce fut à ceite époque qu'il apprit, sans s'y atten- dre, à connaître celte funeste invention. Le 28 , nous remarquâmes que le village entier quittoit le voisinage de la mer dont il étoit très-près pour se rendre dans l'in- térieur du port. Ce déplacement se fit avec la même facilité qu'à Ventrée de Nootka > où nous avions été témoins d'un mouve- ment semblable. Les naturels établirent leur nouvelle position à un mille environ du Vaisseau , sur sine pointe de terre , précisé* ment à l'entrée du port. Ce jour nous fumes instruits officielle^ ment par Wicananish qu il se né^ocioit entre Jes chefs Hanna et Detootche et lui un traité dans lequel nous devions interve- nir. Il y étoit dit en substance que toutes les fourruies qu'iis avoient en leur posses- sion seroient vendues à Wicananish; qu'ils vivroient en paix et en bonne intelligence avec nous; que toutes les peaux de loutres que pourroient se procurer, après le traité conclu , ) ( 129 ) conclu, l'un ou l'autre des chefs contrac- 17^5. tans, ou quelqu'un des naturels soumis à Juin, leur domination respective , seroient entiè- rement à leur disposition ; qu'ils auroient tous un droit égal à approcher du vaisseau, où ils seroient indistinctement admis à ve- nir faire des échanges à un prix raisonna- ble et même avantageux pour eux. Comme nous n'avions point ignoré qu'il subsistoit entre ces chefs une véritable ja- lousie , nous fumes trè, -satisfaits de cet arrangement. Car , nous avions des preuves convaincantes que , lors de notre arrivée • sur les terres de V/icananish , Hanna m Detootche ne pou voient trafiquer avec nous, ni môme nous rendre une visite , sans qu'il leur en eût été préalablement accordé une permission expresse, Nous nous étions donc prescrit, comme mesure de prudence, de ne presser, de n'encourager aucunes rela- tions commerciales avec eux , attendu que , quelqu'avantageuses qu'elles eussent pu être pour nous , elles auroient probablement allumé l'a ruerre entre les souverains de ces îles. Ce traiîé donna donc à notre com- merce toute l'extension que nous avions désirée , en autorisant des communications Tome II* I ( 1B0 ) • 1788. amicales avec les mds et les autres. Aussi Juin, ne tardâmes-nous pas à en avancer la con- clusion. Les conditions proposées pour l'arrange- ment en question qui avoit été imaginé et conduit avec toute l'adresse de la politique la plus rnfmée , ne pou voient avoir lieu sans que le trésor de Wicananish n'en souf- frît. Il ne savoit trop comment y souscrire. Il ne s'agissoit de rien moins que de céder les deux chaudières de cuivre, à la posses- sion-desquelles il attachoit un si grand prixe Mais comme cette condition formoit le prin- cipal article du traité ^ il fallut enfin qu'il consentît , quoiqu'avec beaucoup de répu- gnance, à ce qu'elles fussent remises à Hanna et à Detootche, qui livrèrent aussitôt toutes les fourrures qu'ils avoieut en leur posses- sion. Nous ne tardâmes pas à dédommager amplement ce chef de la perte qu'il faisoit de ses deux vases favoris. Nous lui fîmes présent de plusieurs articles propres à la lui faire oublier, et qu'il avoit, sans doute, espéré obtenir de notre générosité, lorsqu'il s'étoit déterminé à faire un pareil sacrifice. Nous choisîmes donc,, entr'autres articles > six épées à poignée de cuivre , une paire ( i3i ) de pistolets, et un mousquet avec plusieurs ir$& charges tle poudre ; nous aurions même Juin. remplacé volontiers les trésors dont ses cof- fres étoient naguère enrichis, mais il n'y îivoit pas une seule chaudière dans le vais- seau. Nous lui envoyâmes donc ces pré- sens ; et y compris les Fourrures qu'ils nous donnèrent en retour, nous étions, à cette époque, possesseurs de cent cinquante belles peaux de loutres. Dans ces circonstances , il arriva , sans que nous nous y attendissions, un canot envoyé de Y entrée du Moi George par Maquilla > avec un présent en poisson pour nous. Ce chef avoit été instruit de tous nos mouve- mens depuis l'instant où. nous étions sortis des terres de sa domination. Nous eûmes la satisfaction d'apprendre par la même occasion que les personnes de notre déta- chement étoient en bonne santé , et conti- ïiuoient de travailler avec un grand succès à la construction du vaisseau. Un de ces insulaires , qui étoit plus intelligent que les autres , parvint à nous informer, en mesu- rant un certain nombre d'empans , jusqu'à quel point étoit avancé, en ce moment, le petit mamaîlee , ( c'étoit le nom qu'il don- U ( ^2 ) 1788. noît au vaisseau) ce qui nous donna à enten- Juim dre que les varangues étoient déjà dressées. Le but que nous nous étions proposé en relâchant dans ce port se trouvoit rempli. Nous avions en notre possession toutes les fourrures dont Wicaiianisk s'étoit vu le maître de disposer , et , de pins > des provi- sions considérables de pelleteries que nous a voient fourni Hanna et Detootche. Nous nous préparâmes donc à remettre à la voile pour reconnoître la cote au midi de ce port. Le 28 3 le vaisseau fut toué hors de l'inté- rieur du port sur la barre, et clans la soirée , nous étions sortis de la rade. Nous poursui- vîmes alors notre route le long de la côte 3 avec une jolie brise de vent d'ouest et un très-beau temps. Le ha^re de Wicananish offre un abri très-sûr avec un bon mouillage , tant dans la rade que dans l'intérieur du port. Un Archipel d'îles semble s'étendre depuis Yen- tréé du Roi George jusqu'à ce port , et même plus loin encore vers le midi. Le nombre des canaux qui traversent au mi- lieu de ces îles est incalculable ; mais les besoins du vaisseau ne nous auroient pas laissé le temps d'envoyer les chaloupes pour ( i3S > les examiner. Au reste , autant qu'il est pos- i7SS. sible d'en juger par nos observations , nous Juin, sommes assez portés à croire que , de tous ces canaux , il n'y a de praticable pour les vaisseaux que celui où nous entrâmes , et qui est extrêmement commode. Ces îles sont couvertes par -tout de bois très-épais : très-peu d'endroits en sont dé- garnis, du moins, autant que nous en pûmes juger par ce que nous vîmes. Le sol est riche et produit en abondance des graines sauvages et d'autres fruits. Le bois de cons- truction v est d'une grosseur extraordi- naire et d'une très -bonne qualité. Il peut servir à différens usages. Nous apperçû- rnes de tous côtés des bosquets ; presque toutes les espèces d'arbres étoient propres à construire des mâts de différentes hau- teurs. Dans le nombre considérable de di- vers autres arbres qui s'offrirent à nos .veux,,. nous remarquâmes le chêne rouge , le la- rix , le cèdre r et le spruce ou sapin elle noir et blanc. Dans nos relations commerciales avec ces peuples , nous fûmes toujours , plus ou moinSj. dupes de leur subtilité. Ils se con- âuîsoiênX quelquefois à notre égard ave(? 13 178S. une adresse sî particulière , que toutes les Juin, précautions que nous pouvions prendre ne réussissoient pas à nous garantir de leurs tromperies. Les femmes, sur -tout, nous jouoient mille tours ; et lorsque nous ve- nions à découvrir leurs ruses, elles en plai- santaient les premières avec tant de finesse et de légèreté qu'il étoit impossible de leur faire des reproches. Elles l'emportoient de beaucoup , quant aux agrémens person- nels, sur les femmes de X entrée de Nootka^ et leurs charmes étoient relevés par une modestie qui n'est pas très-commune parmi les femmes chez les nations sauvages. Nous employâmes vainement les prières et toute autre espèce de tentatives pour les déter- miner à venir à bord ; elles n'\ consenti- m rent jamais. Au reste , l'éclat de leur beauté étoit beaucoup terni par l'usage dégoûtant qu'elles font de l'huile et de l'ocre , et par le peu de soin qu'elles ont en général d'en- tretenir cette propreté qui fait le premier charme du sexe aux yeux des Européens. Nous eûmes une occasion de nous con- vaincre par nous-mêmes de l'extrême dé- licatesse de leurs sentimeus. La circons- iance est assez, remarquable pour que je ( i35 ) croie ne devoir pas la passer sous silence. 178?. Parmi les naturels qui venoient nous ren- Juin, dre assez habituellement visite jusqu'au vaisseau , nous fûmes un jour très surpris de voir arriver des femmes qui gouver- naient un canot le loue; de la côte. Elles pouvoient être au nombre cie vingt , et il n'y avoit pas un seul nomme avec elles. Comme nous n'avions pas vu encore un canot monté cle cette manière , celui - là attira toute notre attention .Tandis que nous étions occupés à considérer cette compa- gnie de femmes, un jeune homme sauf à tout • à - coup d'un autre canot au milieu d'elles. Elles furent tellement alarmées de cette audace que , quoiqu'elles fussent vê- tues de leurs plus beaux liabulem-ns , elles se précipitèrent sur le champ à la nier , et saunèrent toutes ensemble la côte à ia nage. Les naturels du pavs de Wicananîsft £ont aussi très- supérieurs à ceux de Veti~ trée du lioi George quant à l'industrie et à l'activité. Dès la pointe du jour , quel- que fût le temps, le village étoit toujours désert. Les hommes alloîent tuer la baleine;, chasser la loutre de mer , ou attraper du poisson ; tandis que les femmes s'occupoien* Juin. (i36) i^W. dans les bois à cueillir des graines, ou coi» roient chercher des écrevkses et des pois- sons à coquille, au travers des sables et des rochers. Pendant notre séjour en ce pays , il ar- riva de la partie méridionale de la côte plusieurs naturels étrangers qui ne s'étoient proposé d'autre but que de nous rendre visite. Mais il leur fut interdit, non -seu- lement de trafiquer, mais même d'avoir la moindre communication avec nous. Cette règle établie, nous jugeâmes prudent de nous y soumettre. Ces visites furent très- avantageuses pour Wicananish s et ajoutè- rent beaucoup à l'idée que nous avions déjà de sa puissance : en effet, nous ne tardâmes pas à savoir que ces insulaires, qui arrivoient de divers districts fort éloi- gnés , étoient tous soumis à sa domina- tion. Outre les deux villages dont j'ai parlé plus haut , il y avoit plusieurs places où ce chef séjournoit, et dans lesquelles il se rendoit de temps à autre , selon que la saison , la nécessité , ou l'intérêt de ses plaisirs l'exigeoit. Dans l'une de ces places, OOUS comptâmes jusqu'à vingt-sîs maisons, «'-ont chacune pouvoit contenir une centaine ( i37) d'habitans. Enfin , telle étoît la puissance ï788. de Wicananisli et la vaste étendue de ses Juia. domaines , qu'il nous importoit beaucoup de nous concilier sa bienveillance et de cultiver son amitié. (i38) — »«— CHAPITRE XIV. Nous continuons notre route au midi le long de la côte. Grand nombre de villages situés sur le rivage.— Les ha- bilans approchent du vaisseau ; leur chagrin de voir que nous ?ie nous arrê- tons pas pour mouiller, Découverte des détroits de Jean de Fuca. heur étendue et leur situation. Les natu- rels arrivent à la Vue du vaisseau. — — Tatootche vient à lord. • — Portrait de cet Indien. — Nous envoyons la chaloupe pour chercher un mouillage : elle revient, Alauvaise conduite des naturels* ~ Nous continuons notre roule le long de lu cote. — Quelques détails succincts sur- les détroits de Jean de Fuca. ■— Nous dépassons l'île de Tatootche. — Les na~ turels arrivent à la vue du vaisseau, etc. « Nous passons un grand nombre de ■villages. « — Côte dangereuse. — Violence des vents de sud- es t. — Cap Fiat ter y. — Village de Classe t — Le vaisseau entre dans la baie de Queephytlie. — Aspect ( i39 ) sauvage du -pays. — Vue du village de 1?s£. Queenuilett ^Isie de la Destruction. — Juin. Da/i°dr que\court le vaisseau > etc. etc. JN ous prîmes alors congé de Wicananish, et pendant la nuit du 28 , nous gouvernâmes à Test -sud-est , à trois lieues de distance de la terre. Le matin du 29 , nous nous Dimanche trouvâmes par le travers d'une entrée con- sidérable d'où nous vîmes sertir un certain nombre de canots pour venir à notre ren- contre. Ces canots furent bientôt arrivés près de nous, et quelques-uns des naturels qu'ils portaient vinrent à bord. Ils nous apprirent qu'il y avoit plusieurs villages dans Y entrée > mais que tous ressortoient à la jurisdiction de Wicananish, Comme nous étions assez fondés à croire que ce chef avoit tire de cette place toutes les fourrures qu'elle pou- voit fournir , nous résolûmes de profiter de la saison actuelle aui nous étoit très -fa vo - j. rable , pour avancer au midi ^ et de repas- ser par cette place dans notre retour. Les naturels employèrent tous les moyens de ( î4° ) Î7'S£ |>erttiasàon qui étoient en leur pouvoir poisr Jwn. noïis retenir quelque temps sur la cote ; mais t lorsqu'ils virent que le vaisseau con- tiïmoît sa route au-delà de leurs villages, Hs nous quittèrent avec tous les signes d'ua véritable chagrin. Nous continuâmes de gouverner à l'est- cnd-est , le long de la côte , à trois milles Se dastance 3 après avoir traversé l'embou- ctere du canal que nous remarquâmes ■©"être pas très- profond, La latitude nord^ à. midi , étok de 48 degrés 09 minutes. En ce moment nous découvrîmes très- distinc- tement un canal dont l'entrée paroissoifi •finesr étendue. Elle couroit est-sud- est, à six lieues environ de distance. Nous tâchâmes «die serrer la côte le plus qu'il nous fut pos- sible , afin de voir parfaitement la terre» Ce soin étoit, pour nous , l'objet d'une in* «psiétude particulière , attendu que la partie êv la côte le loua de laquelle nous lai- lions voiles en ce moment, n'avoit pas été xeconnue par le capitaine Cook : nous ne connoissions aucun navigateur célèbre pour avoir suivi celle route., .si ce n'est Mamelle ; «fr, en parc- anl sa carie que nous avions aîoiô k bord + nuits demeurâmes conv-ain,- Juin, { *4* ) cas , on qu'il n'a voit jamais vu -cette ©©se, *7*& ou qu'il en avoit donné, à dessein , ixa£ (des- cription infldel'e. Comme nous gouvernions le long 'dfe Ib, terre, nous apperçûrnes sur la cote plusîmrs villages. IL en partit bientôt quelques ca- nets remplis de naturels qui ,|par leur jjz&j1- sionomie et par leurs manières , r-esseas* bloîent beaucoup à ceux du port Cox~ 30& venoient nous faire visite. Les habitant de chacun de ces différent villages avoÎHSBE& singulièrement à cœur de s'assurer le cote- merce exclusif avec le vaisseau , et de ra^aas déterminer à choisir un mouillage à la fan» tour de leurs habitations respectives. Mais,/ comme la côte étoit ouverte par - tout ;&gex: irruptions de la mer, avec la meilleure iss- tention d'accéder à leurs désirs . nous m'ana- 9 rions pas été maîtres d-e le faire. Nous nm&s bornâmes donc à leur acheter quelques- unes de leurs peaux de loutres de nier, si continuâmes notre route. Vers les trois heures de l'après - naidl 9 nous arrivâmes à l'entrée du grand canal dont il a été question plus haut; et qui nmsB parut avoir douze ou quatorze lieues de iargeur. On observa du mât de l'avant qu'à IJùù, ( M* > I s'étenJoît à l'est-quart-nord ; et, dans cette Juin. direction, la vue découvrent un vaste et bel horizon aussi loin qu'elle pouvoit porter, JNTous jettâmes la sonde à plusieurs reprises ; mais cent brasses de ligne ne nous rappor* tèrent point de fond. Sur les cinq heures, nous tournâmes à la hauteur d'une petite île, située à. deux milles environ de la par- tie méridionale de la terre, et qui forment l'entrée de ce détroit. Nous vîmes tout au- près un rocher très -remarquable , placé à quelque distance de l'île, et qui avoir la forme d'un obélisque. \ En très-peu de temps, nous faines envi- ronnés de canots remplis de naturels qui avoient un air plus sauvage encore qu'au- cuns de ceux que nous avions vus jusqu'a- lors, lis éteient, pour la plupart , vêtus de peaux de loutres de mer, et avoient le visage étrangement barbouillé d'huile et d'ocre rouge. Leurs canots étoient très- grands , et conîenoient de vingt à trente hommes , tous armés d'arcs et de flèches barbelées avec nri os, et de forts pieux dont une coquille de moule formoit la pointe. Nous approchâmes alors de cette île,, et Virâmes vent devant à - peu - près à deux. ( M» ) milles de la côte. L'île elle-même ne nous i7$s^ parut être qu'un rocher stérile ? presqu'inac- Jum. cessible et d'une médiocre étendue : mais, aussi loin que nos yeux purent atteindre, nous vîmes toute sa surface couverte d ha- bitans qui considéroient le vaisseau avec un, grand étonnement. Il ne nous étoit pas fa- cile de concilier l'aspect inculte et sauvage de celte île avec une population si floris- sante. Le chef, nommé Tatootche , nous ho- nora d'une visite. Nous n'avions jamais vu encore un homme si glorieux et si inso- lent. On ne distinguoit pas sur son visage , comme sur celui des autres naturels , un mélange de couleurs. Il étoit tout noir , et couvert d'une poudre brillante qui ajoutoit encore à son air fier et sauvage. Il nous apprit que ce pays ne faisoit pas partie des domaines de "Wicananislv, que nous étions présentement sur un territoire sou- mis à sa puissance ^ et qui avoit une éten- due considérable vers le midi. Après qu'il nous eut donné cet avis , nous lui fîmes un petit présent qu'il ne daigna pas payer du moindre relour. Nous ne pûmes réussir non pLus à lui persuader de permettre à ses ( Hi ) i788. Insulaires de trafiqué* avec nous, Nous Juin, étions, il est vrai ; déjà prévenus du carac- tère de ce chef par vYicananish , qui nous avoit conseillé de nous tenir en garde contre lui et contre les naturels qu'il gouvernoit , et qu'il nous avoit dépeints comme un peu- ple astucieux et féroce. Nous avions le projet de mouiller , s'il étoit possible > en cet endroit. La chaloupe fut armée et équipée sur le champ pour l'exécution de ce dessein. Je la confiai aux soins d'un officier habile que je chargeai de faire sonder entre l'île et la haute mer pour trouver un bon mouillage. Je lui re- commandai expressément d'éviter , autant qu'il seroït possible , d'avoir la moindre querelle avec les naturels , et je fis mettre dans la chaloupe quelques articles de tra- fic , en cas que les naturels fussent disposés à faire des échanges. Après le départ de la chaloupe qui ne tarda pas à être suivie par tous les canots , nous nous tînmes assez près de la cote , virant vent devant de temps à autre. Nous tûmes le loisir d'examiner l'île en détail. Dans t - direction que noue la consi- dérassions m ( I# ) défissions, elle nous parut être fin rocher l7$fc érile, entouré de rescifi contre lesquels juin» j(l mer venoit se briser avec fureur. ]N(ous avions , pourtant , l'espoir m'entre l'île et h lia u te mer, on pourroit trouver un abri g c ; et cette position nous eût été très- avantageuse et trNès * commode , non-seule- ment pour reconnoître le détroit; m lis aussi pour donner à notre commerce particulier une plus grande étendu ! Sur les sept heures du soir, la chaloupe r< vint sans avoir trouvé un lieu favorable pour le mouillage , et n'ayant recueilli (pie 1 1€ ,-peu de fourrures. Quant à l'île, suivant le rapport de l'officier, nous ne nous étions pas trompés au premier aspect. C etoit un rocher solide , couvert de verdure en quel- ques endroits , et, de toutes parts , entouré de brisans. Un grand nombre de canots ipprocha de la chaloupe. Ils étoient rem- plis d'hommes armés qui se comportèrent de la manière la plus révoltante. Plusieurs d'entr'enx sauter- nt dans la chaloupe , en emportèrent de force quelques bagatelles, et sortirent ainsi, comme en triomphe, apre9 nous avoir volés. Nos îiens, indignés d'une pareille conduite, étoient violemment ten- 2 urne Jln & ( M6 ) . §gt tes d'en tîrer vengeance à l'instant. Mais Juin 1 officier réussit à les calmer par sa pru- dence; et craignant quelques suites fâcheu- ses, il n'eut pas plutôt reconnu ces parages, comme il avoit mission de le faire , qu'il revint à bord. En remarquant sur les naturels de cette île une partie des ariicles que nous avions donnés en échange , et qu'ils ne pouvoient s'être procurés qu'au port Cox ou à l'entrée du Roi George, nous demeurâmes pleine- ment'convaincus que Wicananish avoit tiré du .chef qui la gouvernoit une quantité considérable de ses fourrures. Un des na-) turels , en particulier , avoit en sa posses-J •sion un assortiment complet de boutons! d'habit que chacun de nous se souvenoltf' très - bien d'avoir vu céder dans le cours de nos échanges. Désespérant donc de pouvoir trouver uni mouillage en cet endroit, nous continuâmes jiotre route vers le midi , et examinâmes là cote avec beaucoup d'attention. Nous nom flattions de découvrir enfin un lieu sûr d'oùJ nos vaisseaux pourroient reconnoître , non-, seulement ce détroit , mais encore d'autres, parties cpnsidérables de la cote. Dans co Ruirco des DETROIT S DE Jk\\ DE l'ICA ï dessein, nous fîmes voiles vers huit heures i- du soir, et mîmes à la cape le long de Juin côte , par un temps calme et trés-agreabU;, Une curiosité insurmontable nous déter- mina à entrer dans ce détroit que je dési- gnerai par le nom du navigateur qui i'a découvert dans l'origine, Jean de Fuca. Il nous a été transmis quelques détails sur les détroits de Jean de Fuca par des autorités bien respectables et bien dignes de confiance. Ce sont Hakluit et Purchas (i). Le premier des deux rend compte de l'opi- nion que les ministres de la reine Elisa- beth s'étoient formée de leur importance. Nous eûmes alors par nos propres yeux la preuve qu'ils existoient ; et nous sommes persuadés que si le capitaine Cook eût vu ce détroit, il l'auroit jugé digne d'un examen plus particulier. Dans la suite de ce récit de mon voyage, je rapporterai fidè- lement la circonstance qui nous mit dans l'impossibilité de satisfaire le vif désir qiu L3 (1) Voyez dans le premier volume de cet ouvrage la savante dissertation du capitaine Meares sur ia pro- babilité d'un passage nord - ouest. Note du Traducteur. K 2 ( *»48 ) i7$8. nous avions d'exécuter un pareil dessei*. Juin. Le lecteur a, sans cloute , honoré déjà de quclqu'attention les détails que j'ai donnés sur ces fameux détroits dans le menu ire ttiii sert comme d'introduction à ces voya- ges , et qui traite de la probabilité d'un passage nord-ouest. É/mdi ^ e mat*n ^u ^° îl"n > n°ns ne nous trou- 30. vions pas beaucoup éloignés de Sa terre, le. temps ayant été très calme pendant la plus grande partie de la nuit. Lfile de Tatootche couroit à -peu -près sud- est, à trois lieues de distance seulement. Vers dix heures , nous vîmes venir de l'île un grand nombre de canots, qui ne portaient guère moins de quatre cents hommes, parmi lesquels nous remarquâmes le chef lui-même. Ils s'amu- sèrent à tourner en ramant autour du vais- seau dont chaque partie , et sur-tout l'avant, nous parut attirer toute leur admiration. Il est extrêmement {probable que la plupart d'entr'eux n'avoit point encore vu un vais- seau jusqu'alors. Nous étions déjà si mé- contens de la conduite du chef, que nous ne jugeâmes pas à propos de l'inviter à ve- nir à bord. J es naturels qui l'accompa- gtioient nous donnèrent une chanson qui ( M9 ) lie différoit pas beaucoup du chant que nous 178?. avions entendu chez ceux de V entrée du, Juin. Roi George. Mais, quehpr'indisposés que nous fussions contre ces insulaires qui nous avoient si indignement offensés, nous ne pûmes écouter leur musique sans éprouver un grand plaisir. Placés, comme nous Té- tions , sur une cote sauvage et iniré [tien- tée , à Tune des extrémités du globe ; éloi- gnés de nos amis, de nos affections et de- tous ces liens qui sont le charme et la con- solation de la vie ; continuant noire route au travers d'une mer sur laquelle on rep> contrait à peine quelques îles habitées ; placés, dis je , cl lus une pareille situation , une mélodie simple , comme l'est celle ele la nature , formée par l'accord parfait de quatre cents voix qni chantoient toutes en. mesure, trouva le chemin dfc nos cœurs, et > dans le même moment, réveilla et calma tout à la fois nos pensées les plus tristes. Vers midi, le vent fraîchit 1 nous conti- nuâmes notre route au midi le long de la. côte , à-peu-près à trois milles de distance , et les naturels de l'île de Tatootche retour- nèrent chez eux. A mesure que nous avan- cions en faisant de la voile, nous voyion» K 3 ( iSo ) 1783. sortir continuellement des canots des dit- Juin. ferens villages que nous appercevions , de temps à autre , sur les bancs élevés placés près de la mer. Les naturels qui venoient dans ces canots nous prièrent avec les plus vives instances de nous rendre dans leurs villages respectifs '. mais aucun des moyens que nous employâmes , et des peines que nous prîmes pour les engager à venir à bord du vaisseau , ne purent les y déter- miner. La terre offroit l'aspect le plus sauvage : de quelques côtés que nous portassions nos regards , elle nous parut couverte d'im- menses forêts presque jusques sur le bord de la mer qui étoit très-escarpé et d'une hauteur prodigieuse, et contre lequel la mer venoit se briser avec la plus terrible fureur. Le rivage étoit bordé de rochers et de pe- tites îles de roches ; nous ne pûmes décou- vrir aucune baie , aucune entrée qui parut offrir le moindre abri pour ie plus pelit vaisseau. Je n'imagine pas comment les naturels réussissoient à trouver un abri 3 même pour leurs canots , si ce n'est dans quelques petites anses que nous ne pou- vions appercevoir. Les villages que nous ( iSi ) remarquions étoient en grand nombre et I783. assez considérables. A mesure que nous Juin. gouvernions le long de la côte , chacun pouvoit se convaincre des terribles effets des vents de sud. Leur violence avoit abattu des bois tout entiers : les branches formoient une seule li^rne longue au nord-ouest; elles étoient mêlées avec les racines d'une quan- tité d'arbres que les ouragans avoient arra- chés de leurs creux , et ser voient à attester la puissance de ces terribles ouragans. On se fera une idée de la violence avec la- quelle ces vents soufflent , si l'on songe à l'étendue des mers sur lesquelles i!s exer- cent leurs ravages , sans que rien puisse s'opposer à leurs progrès ou résister à leur furie. Sur les sept heures du soir , nous décou- vrîmes de loin le cap Flattery, ainsi nommé par le capitaine Cook lorsqu'il le vit pour la première fois. Il nous restoit au sud-est- mi-est, à six lieues de distance» Ce cap gît par les 48 degrés 5 minutes de latitude nord , et par les 2d5 degrés 3 minutes de longitude Est de Greenwieh. Il y avoit dans nos calculs une très-légère différence, mais nous consentons h mettre l'erreur de notre s 4 ( *5z) 1788. côté. Nous dist in gu unies aussi de très près Juùi. Je village de Classet, situé sur un rocher très - haut et très - cscaipé , au bord de la mer. Quoique ce village parût avoir une grande étendue, nous ne vîmes venir à nous qu'un seul canot, portant trente hom- mes vêtus de peaux de loutres de msr. La côle, depuis le cap Flatte ry , nous parut alors s'étendre au midi ; et nous fîmes de valus efforts pour découvrir quelque eau al , quelqu'entrée où l'on pût espérer de trouver un sûr abri. Cette partie de la côte é oit bordée de îochcrs^ et l'on ap- percevoit plusieurs brisans à la hauteur de Classet , environ à un demi - mille de dis- tance. Juillet. -^ 'a P°^nî:e Clu jour , nous pôursui\îmes jv: rdi notre route. I e cap F latte ty couroit alors nord /jord- ouest ; car , pendant la nuitj nous avions été poussés vers le midi. Le temps paroissoitx l'oit incertain ; et nous avions uti vent violent d'ouest sud - ouest qui souïfloit de près sur la côle. A sept heures , la L'aie de Quèenhythe. s'offrit à notre vue; et nous y entrâmes avec ce sen- timent d'horreur que produisoit naturelle- îUviit en nous , comme on le concevra sans 1. Juillet. ( »«8 ) pe'ne , bette triste réflexion que nous ap. M*** piochions du pays où les personnes cnjG portoit la chaloupe du vaisseau V Aigle Im- périal 8 voient périj et des barbares qui les avoient massacrés (1). A mesure que nous faisions voiles le long de la côte , nous appercevions la petite ri- \ière et l'Ile de Qucenhythe. Mais le temps devint tdut-à-coup si ténébreux qu'à peine pu mes -nous disinguer la terre dont nous n'étions pourtant qu'à environ quatre milles. Nous ne vîmes ni canots ni habitans : un silence effrayant régnait autour de nous. Mais quoique les ténèbres dont le ciel étoit couvert dérobassent à notre vue le viilage de Queenhvthe , nous punies cependant découvrir très - distinctement la ville de Qiièenuitett , qui en est éloignée d'à-peu- près sept ou huit mil es. Elle est située (iNr Le lecteur se rappellera les circonstances de cet horrible assassinat. Jt: les ai rapportées dans le com- mencement de ce volume. Quel homme sensible nVût pas frissonné d'horreur , comme notre voyageur, en approchant du Lieu où des concitoyens et des frères ftvoiem été aussi cruellement égorgés ? Note du Traducteur.* ( i54 ) 17 8& sur un rocher de hauteur perpendiculaire > Juillet, et joint à la terre-ferme , qui n'est par-tout qu'une vaste forêt , par une chaussée étroite et imprenable de vingt pieds de haut. Nous apperçùmes , à l'aide de nos lunettes d'ap- proche, un grand nombre de maisons dis- persées ea et là snr la surface du rocher. En avançant % nous vîmes l'île de la Des- truction} à-peu-près à un mille de usiance» Elle est située dans le milieu de la baie , et se trouve éloignée du continent à la dis- tance d'environ deux milles. Elle est basse et plate. On n'y remarque pas un seul ar- bre. Elle nous présenta , au reste, un spec- tacle agréable et bien extraordinaire pour nous , celui d'un espace considérable tout couvert de verdure. Elle nous parut envi- ronnée de brisans sur lesquels les flots de la mer rouloient avec fracas, soulevés par le vent de sud - ouest. Dans cette position , nous avions dix brasses d'eau sur un fond de vase. Vers onze heures, le vent sauta au sud- ouest, ce qui obscurcit le temps, et nous amena de la pluie. Nous nous trouvâmes complètement affalés sur la côte , c'est-à- dire , dans une situation que nous aurions ( iSS ) rolontîers évitée, s'il eût dépendu de nous. Déjà une houlla effroyable rouloit dans la baie , et nous annoncent les obstacles que nous éprouverions à jetter l'ancre , sur-tout si le vent venoit à souffler de sud - ouest. Car il exer Joit alors ses ravages sur la terre qui se trouvoit au midi dans une direction telle, qu'en prenant la route sud-est, nous n'en aurions pu doubler la moindre partie. D'un autre côté,, nous ne pouvions espérer de doubler la terre à l'ouest, à cause de l'horrible soulèvement des flots occasionné par le vent d'ouest. En cet état, nous préférâmes, comme la meilleure route que nous eussions à tenir, de gouverner sud-sud -est jusqu'à midi. A cette heure, quoique nous ne fussions qu'à un demi-mille de la côte, nous nous vîmes obligés de virer vent devant , et de porter à l'ouest-nord-ouest. La sonde rapnortoit de quinze à dix - huit brasses près de îa terre, qui étoit couverte de bois jusques sur le bord de la mer. Nous remarquâmes, au reste, que la côte n'étoit pas très-escarpée, et distinguâmes çà et là quelques morceaux de te iacultivés et sablonneux. N îmes alors force de voiles > attendu 1788: Juillet.' ( i56 ) 1788. q le la violence des vents rcdoubloitr : nous Juillet, ij'c âmes pas même prendre un ris à la voile de hune. De pins, îo temps ctoit si couvert que nous ne pouvions pas distin- guer les objets à un mille de distance de l'avant du vaisseau. Nous pensâmes , quoi qu'il en soit,, que nous serions en état de doubler l'île de la Destruction , et conti- nuâmes de faire de la voile en suivant cette route pour éviter les dangers qui nous me- naçaient. Mais , à une heure, le temps s'é- claircit un moment^ et nous appcrçûines Fîie à un point sous le vent de notre vais- seau, à environ un mille et demi de dis- tance. La mer , très « grosse alors , noui chassoit de très -près sur la cote. Il ne nous restoit rien de mieux à faire qu'à jetter l'ancre ; nous nous disposâmes donc à mouiller dans l'endroit le plus sau- vage que l'on ait jam lis vu , et où nous étions moralement certai: ijiie notre ancre ne pourroit pas tenir , quoique ce fût un fond de vase molle , attendu la violence avec laquelle les ilôts de la mer s'y amon- celoient. Telle étoit notre situation : le sentiment de l'aifrcuse détresse où nous étions pion* ( '57. ) gos redoubloit par cène réflexion que nous 17S3. nous trouvions sur une côte où nos infor- Juiliet. tunes ci rapatriâtes avoient été immolés à la barbarie des hommes féroces qui l'habi- toient. Dix minutes pouvoient décider de noire sort. Maïs là Providence velUoit sur nous : le vent sauta tout à-coup au sud-sud- est; ce qui nous procura le moyen de virer vent devant, et de nous éloigner de la côte avec les écoutas largues , et l'heureuse pers- pect:ve de gagner le large avant la nuit. Je crois, certes, qu'il n'y avoit pas à bord une seule personne don' l'esprit n'eût été frappé de la triste pensée qu'il pouvoit devenir victime des cannibales de Quccnhythe. ( i58) 1788. Juillet. CHAPITRE XV. JSfos progrès le long de la côte. Dé* couverte de la baie de Shoal-JVater â inaccessible aux vaisseaux. Les na* turels viennent nous trouver. — — Leur délicatesse dans leur trafic avec nous. — Quelques détails sur ces naturels . — Continuation du voyage. — — Baie de Déception. — Différence qui existe entre la véritable situation de cette côte et les cartes de V Espagnol Maurelle . — • Magnifique aspect du pays . — Nous pas» sons la baie' de Qiùcksand et le cap Look- Oui, — Tue de trois rochers re~ jnarauablas. — Nous cessons d' avancer au midi. Vlan de la route que nous nous proposons de tenir par la suite. — Connoissance que nous parvenons à ac- quérir de cette côte. Parties que le capitaine Cook n'avoit pas reconnues ^ visitées par nous. — JMot'ifs pour retour* ner au nord. — Nous poursuivons la route au nord y — Nous voyons de nouveau les ~ de Je n a j UGtz. . .-Mo, tl liage 178& dans - vghanti Description Juillet. de ce oo/\ . — iVWj voyons quelques animaux marins , etc. jLjA malheureuse destinée clés personnes qui composoient l'équipage de V yligle Im- péiial étoit la seule pensée dont nos gens lussent préoccupés. Comme ils se trouvoient précisément sur la même côte où. cet acte de la plus féroce inhumanité avoit été com- mis , ia crainte d'une mort aussi misérable étoit le sentiment le plus généralement ré- pandu parmi eux. lis ne s'entretenoient que de ces idées1; et elles avoient une telle in- fluence sur leurs esprits qu'elles mirent le yaisseau en danger de sa perte , ainsi que je le rapporterai ci-après. Nous continuâmes de porter en mer pen- dant toute la soirée du premier juillet. A minuit , persuadés que nous avions suffi- samment gagné le large , nous virâmes vent arrière, et courûmes de nouveau sur la terre. A une heure du matin , le vent sauta à l'ouest-sud-ouest , ce qui nous fit espérer ( »&> ) ] i7$3- un temps assez favorable pour que rrous Jutliut. pussions continuer de reconnoîire la cote. Mercredi -^e 2 > >d scPt neure8 du matin , nous re- 2» vîmes la terre. Elle nous restoit à l'est, à sept lieues Je distance , et nous parut être im peu au midi et à l'est de Queenliythe. Elle avoife la forme d'une selle , ce qui la rendoit très - re rrarjuable ; aussi la partie que nous apperçùmes reçut ♦ elle de nous le nom de jnoniagne de la Selle. D'api es notre calcul, elle glsoit par les 46 degrés 3o mlnuîes de latitude nord , et les e35 degrés 20 minutes Est de Gieenwicb. Nous la serrâmes du plus près qu'il nous fut pe.:- sible : il nous parût bientôt que c'étoit la pointe la plus méridionale que nous avions apperçne la veille, de Y île de la Des/ri/c- tlon. Le vent repassa de nouveau au sud- sud-est , et fit évanouir toutes les espérance^ que nous avions conçues de voir un temps favorable. Une brume épaisse accompagnée de giosses pluies nous obligea de virer vent devant, et de porter de nouveau vers la pleine mer. Le mauvais temps dura pendant toute cette journée» La mer grossissoit sur nous du ( IS* ) du côté de l'ouest , ce qui mit en grand danger la chaloupe que nous avions totu r • „ jours touee en arrière depuis notre départ de Ventrée du Roi George. Il étoit donc impossible que nous hasardassions d'appro- cher du la terre sans courir le plus affreux danger. D'ailleurs, nous touchions k uil changement de lune, époque à laquelle nous avions toujours observé que ces mers étoient fécondes en tempêtes. En conséquence, nous fîmes force de voiles pour parvenir à une bonne distance de la terre ; c 'étoit pour nous, en ce moment, un objet de la plus grande importance. le 3 , à midi, nous eûmes un rayon de soleil. La latitude nord étoit de 47 degrés ^ 46 minutes. Le vent passa au sud -ouest. Nous en profitâmes pour virer vent devant et gouverner sud - sud - ouest, en courant sur la terre. Nous étions, en ce moment, à environ vingt lieues de distance du cap Flattery. Pendant la nuit, le temps se calma et l'éclaircit. Le 4 , le vent sauta au sud-est : **?** nous virâmes vent devant une seconde fois et gouvernâmes à l'est-nord-est pour nous rapprocher de la terre. Nous continuâmes •Tome IL L T788. ainsi notre route jusqu'à six heures du soïr Juillet, que nous apperçùmes la terre. Elle couroit tic nord en nord-est. Dans la partie nord , elle doit extraordinairement élevée, et cou- verte de neige. Nous donnâmes à cette montagne le nom de Mont Olympe, à cause de sa position remarquable et de sa prodi- gieuse hauteur. D'après notre calcul , elle nit par les \q degrés 10 minutes de latitude nord, et les 235 degrés de longitude Est de Greenwich. Dans la partie nord est, elle s'étendoit jusqu'à une pointe placée par les 47 degrés 2.0 minutes de latitude nord de notre estime. Nous continuâmes de courir sur la terre pendant la nuit > avec une jolie brise de sud-est ; et le 5, au lever du soleil , 5. la terre nous restoit de nord-quart-ouest à l'est-quart-nord. Nous nous trouvions alors à douze lieues de la côte ; d'où il résulte que , pendant la nuit , nous avions essuyé un fort courant qui nous avoit considéra- blement éloignés de la terre. Une observation faite à midi donna 4? degrés 1 minute de latitude nord , et les hautes montagnes que nous avions vues la veille nous restoient à l'est-nord-est, à sfpt lieues de distance. Nous pouvions être ù- Samedi (xtâ) peu-près à quatre lieues de la côte qui nous 178S. parut courir dans la direction d'est- su dest Juillet. et d'oucst-nord- ouest. Nous y découvrîmes bientôt dans cette même direction une vaste entrée ou ouverture. Vers deux heures , nous étions à deux milles du rivage que nous côtoyâmes. Nous ne vîmes par -tout qu'une immense forêt : liulle trace d'habitans. La terre étoit basse et applatie : la sonde rapportoit de quinze à vingt brasses sur un fond de sable dur. A mesure que nous gouvernions vers la pointe basse qui formoit une partie de l'en- trée dans la baie ou canal , nous diminuâmes d'eau par degrés jusqu'à six brasses. Nous vîmes alors des brisans qui s'étendoient tout-à-fait en travers , de sorte que cette partie sembloit inaccessible aux vaisseaux. Nous nous éloignâmes sur le champ de la côte jusqu'à ce que nous eussions regagné la profondeur de seize brasses. Nous don- nâmes à cette pointe le nom de Pointe hasse , et à la baie , celui de baie de Shoal- Water (1). Un cap élevé et saillant qui for- (1) Ce qui signifie eau de bas-fonds. Le voyageur a eu l'intention de donner à cette partie de la moi- ua La ( i<54 ) 1788. moit l'autre entrée , fut pareillement nommé Juillet. cap Shoal-Water. Nous estimâmes que ce cap étoh situé par les 46 degrés 4y minutes de latitude nord , et les 235 degrés 11 mi- nutes de longitude Est de Greenwich. Il y avoit une trop grande distance de la V ointe basse au cap Shoal-Water pour que , dans la position où nous étions , nous pussions faire avec succès la moindre ob- servation. Les bas -fonds sembloient s'éten- dre d'un rivage à l'autre. Mais lorsque nous fûmes à moitié chemin , nous nous en rap- prochâmes de nouveau , dans le dessein de découvrir s'il ne pourroit pas se trouver un. canal près du cap. Nous portâmes donc vers l'embouchure de la baie, et diminuâmes d'eau jusqu'à huit brasses. En ce moment , nous n'étions pas à plus de trois milles des brisans. Ils paroissoient s'étendre jusqu'au cap Shoal-Water. Nous jugeâmes de nou- veau qu'il seroit prudent de nous en éloi- gner encore. On observa du mât de l'avant que cette baie s'étendoit considérablement nom qui rappellât aux navigateurs la nature des dan- 'S qu'ils auroienl à y courir. Note du Traducteur. ( i65) 3ans l'intérieur des terres , partagée en plu- i-8£. sieurs bras ou branches , tant au nord cm 'à Juillet. Test. Le derrière de cette baie étoit borné par une terre très - liaure et couverte de montagnes qui étoit à une grande distance de nous. Nous apperçûmes au nord-ouest une entrée fort étroite , mais trop éloignée pour que nous pussions, même à l'aide des lunettes d'approche , distinguer si c'étoit une rivière ou une terre basse. A voir cette côte déserte dont l'aspect paroissoit sauvage , nous en avions conclu qu'elle n'étoit point habitée. Mais nous ne tardâmes pas à reconnoître que nous nous étions trompés. Car , nous vîmes venir vers nous, de la pointe, un canot qui por- toit un homme et un jeune garçon. En ap- prochant du vaisseau , ils nous montrèrent deux peaux de loutres de mer. Nous tour- nâmes donc de leur côté : ils vinrent alors bord à bord., et prirent le bout d'un cable ; mais nous ne pûmes jamais les déterminer à entrer dans le vaisseau. Nous attachâmes alors à une corde plusieurs articles de peu de conséquence, et les jettâmes par dessus le bord. A l'instant, le jeune garçon les sai- sit avec beaucoup de dextérité , et les remit L 3 ( 166 ) i7%& entre les mains Je l'homme qui étoît ave<î Juillet, lui Claris le canot. Celui-ci attacha sans ba- lancer les deux peaux de loutres à la corde> et nous lit signe de la m:iiii de venir les prendre. On les prit donc sur le champ, et nous leur fîmes parvenir à l'heure même un nouveau présent , de la môme manière que le premier. Ces étrangers parurent charmés au-delà de toute expression de ce trésor inespéré. Nous remarquâmes que^, dans le premier moment , les divers articles qui le compo- soient ., absorboi.ent toute leur attention. Mais leur curiosité se fixa bientôt toute en- tière sur le vaisseau : ils en parcouroient rapidement des yeux les différentes parties, et témoignoient par leurs gestes une sur- prise et une admiration telles que nous en pûmes conclure avec beaucoup de fonde- ment que c'étoit la première fois qu'un pareil spectacle s'offrait à leurs regards. Nous tâchâmes de nous faire entendre d'eux en leur adressant quelques mots dans la langue des naturels de Ventrée du liai George. Nous avions remarqué qu'on parloit cette langue depuis Ventrée jus- ci ues dans les terres de la domination de ( »«7) Tatootclie. Mais ils ne comprirent aucun 1788. des mots que nous prononçâmes , et nous Juillet* répondirent dans un langage qui , autant que nous pûmes en juger , n'a voit pas la moindre ressemblance , la moindre analo- gie avec aucune des langues que nous avions entendu parler sur la côte d'Amérique. En considérant leurs canots avec une at- tention plus particulière, nous remarquâmes qu'ils différoient beaucoup pour la forme de ceux de leurs voisins plus reculés au nord. A la vérité , quant à la figure et à l'habillement; ces peuples avoient de la res- semblance avec les naturels de Ventrée de Nootka ; mais nous ne vîmes sur eux au- cuns ornemens qui pussent nous donner à croire qu'ils eussent eu quelque communi- cation avec des Européens. Cependant , l'empressement qu'ils avoient mis dès le pre- mier moment à nous montrer des peaux de loutres, et la conduite qu'ils tinrent de- puis avec nous , prouve clairement qu'ils avoient une idée du trafic. Il est plus que probable que quelques - uns des naturels f sujets de Tatootclie, avoient pénétré jus- ques chez ces derniers , et leur avoient donné avis de l'arrivée d'étrangers venu L i ( itfS ) 1788. parmî eux, pour faire le commerce des fou*! Juillet, rures. Mais il y a aussi tout lieu de présumer que ce peuple forme une nation différente et absolument disiincte des naturels de Ventrée du Roi George , du port Cox , et des domaines de Tatootche. Il n'est pas non plus impossible que ces parages même soient les dernières limites de leur district au nord. Dans cette persuasion , nous eûmes un double motif de douter que néus réus- sissions à trouver quelqu'abri, quelque havre ou port où le vaisseau pût rester en sûreté , tandis que les chaloupes seroient occupées à reconnoître cette partie de la cote. Pendant le temps que nous étions de- meurés en panne pour communiquer avec ces naturels, le vaisseau avoit dérivé insen- siblement par le travers jusqu'aux bas-fonds , ce qui nous obligea de fajre de la voile! Ces naturels dirigèrent alors le canot dans la baie. Nous aurions vivement désiré en- voyer la chaloupe pour sonder près des bas- fonds , afin de découvrir s'il y avoit un ca- nal; mais le temps droit si chargé de nuages^ et paroissoit, en même temps, si peu cer- tain, que, dans le découragement où ces considérations nous plongèrent, nous w* ( 169) lionçâmes à exécuter ce dessein. Il ne nous 17G& restoit donc plus qu'à suivre le long de la JuiUct- côte , et à tacher de trouver quelqu'endroit où le vaisseau pût mettre sûrement à l'ancre. En conséquence , nous poursuivîmes notre route , et vers les sept heures , nous n'étions pas à une grande distance du cap Shoal- JVater. A ce moment , nous revîmes très-* dislinctement la baie et les bas-fonds. Nous avions seize brasses d'eau sur un fond de sable , et la terre s'étendoit à l'est-sud est depuis le cap dont nous n'étions guère éloi- gnés que de trois lieues. La terre vers le midî formoit comme des îles ; mais nous attribuâmes cette singularité à la brume , qui commençoit à devenir très-épaisse au- tour de nous. Dès que la nuit arriva, nous nous éloignâmes de la côte^ et mîmes à la cape, en attendant le retour de la lumière. Le matin du 6, le temps ne nous parut Dimanche pas favorable pour faire des découvertes. *>• Le veni sauta au nord , et souffla avec fu- rie. La mer étoit très-grosse. Le eau ShoaU Water couroit est-quart-nord , à six. lieues de distance. Un brouillard impénétrable couvroit la terre de toutes parts. Nous res- tâmes clone en panne jusqu'à neuf heures ( i7° ) ,§£. qtie îe brouillard se dissipa et nous laissa Juillet, voir la terre. A mesure que nous en ap- prochions , la sonde rapportoit régulière- ment de quarante à seize brasses d'eau sur un fond de sable. A dix heures et demie passées, nous étions à trois lieues du cap Shoal-Water , et le distinguâmes parfaite- ment. Nous réussîmes , au moyen des lu- nettes d'approche , à tracer la ligne de la côte au midi ; mais nous n'y découvrîmes point d'ouverture qui nous fît espérer de trouver quelque havre. Un promontoire élevé et saillant nous restoit au sud-est, à la distance seulement de quatre lieues. Nous forçâmes de voiles pour le doubler, espé- rant qu'entre ce promontoire et le cap Shoal-Water, nous trouverions enfin quel- que port. Nous découvrîmes alors au-delà du promontoire une terre éloignée , et nous nous il ittâmes que ce pourroit bien être Je cap Saiut-Roch des Espagnols , près duquel on assure que ces derniers ont découvert un bon port. Vers les onze heures et demie passées , nous doublâmes ce cap à la distance de trois milles. Nous voyions par-tout la cote très - distinctement ; mais nous n'y appo.r- (J?0 eûmes pas une seule créature vivante, ni la 17$$. moindre trace d'habitation. Des houiles Juillet, prodigieuses venoient en roukmt se briser sur la côte,, et la sonde diminuait paar de- grés de quarante à. seize brasses, sur un ibnd de sable dur. Lorsque nous eûmes tourné le promontoire, une vaste baie s'of- frit à nos regards, comme nous nous y étions attendus : elle promettent un bon mouillage ; encouragés par cette apparence, nous nous hâtâmes d'y pénétrer. La terre élevée qui formoit les limites ûc la baie étoit à une grande distance ; et un pays plat et uni occupoit tout l'espace entre cette terre et la baie dont, la direction étoit plus à l'ouest. A mesure que nous avancions, nous diminuions d'eau, à cause des bas-fonds, jusqu'à neuf, huit et sept brasses. Nous vîmes alors du gaillard par proue des brisans , et l'on observa du mât de l'avant qu'ils s'étendoient au travers de la baie. Nous nous éloignâmes donc de cette côte, et dirigeâmes notre route vers la côte opposée pour voir s'il y avoit quelque ca- nal, ou si nous n'y trouverions pas quelque port. Nous donnâmes au promontoire le nom ( *72 ) 178&. <îe r^7 T>isappointement (0 , et à la baie, Juillet, celui de £<2z> afe Déception ( 2 ). D'après une observation assez exacte faite à midi f elle gît par les 46 degrés 10 minutes de la- titude nord , et les 2,35 degrés 04 minutes de longitude est. Nous pouvons aujourd'hui affirmer en toute sûreté qu'il n'existe pas de rivière telle que celle qui se trouve placée sur les cartes espagnoles sous le nom de Saint -Roch : nous revenions conti- nuellement à celles de Maurelle , mais sans en tirer le moindre éclaircissement ni le moindre secours. Nous atteignîmes alors le côté opposé de la baie , où nous éprouvâmes les mômes contrariétés. Presque certains que nous ne réussirions pas à trouver un abri pour le vaisseau , nous portâmes vers un cap éloi- gné, observant de conserver une position a deux milles de la côte. (1) Ou Contre-temps. (2} Ou haie Trompeuse. Par ces deux noms dont* le sens est à-peu-près le même ici , le voyageur a con- sacré le souvenir du sentiment pénible qu'il éprouva à, celte époque de sa navigation , en voyant ses espé- rances ain4i déçues. fiote du Traducteur* Au reste , le pays présentait un aspect i-S2 bien différent de celai de la côte septen- Juillet. trionale. Plusieurs morceaux de terre cou- verts de la plus magnifique verdure , fixè- rent toute notre attention. On voyoit la terre s'élever comme par degrés au niveau des montagnes éloignées ; elle étoit bordée par un banc de sable blanc qui descendoit jusqu'à la mer. A mesure que nous avan- cions le long de la côte, de vastes plaines et des bois suspendus charmoient la vue. Mais nous n'apperçûmes pas une créature humaine , pas un seul habitant de la fertile contrée de la Nouvelle- Albion. Comme nous continuions ainsi notre route le long de la côte , l'observant de toutes parts avec la plus grande attention , nous ^vîmes par proue une vaste ouverture qui réveilla une seconde fois nos espérances , et devint pour nous une source nouvelle de disgrâces. Lorsque nous tînmes le large , le vent souffla avec violence , et une grosse houlle venue de l'ouest roula impétueuse- ment sur la terre. Vers les sept heures, nous nous trouvâmes par le travers de cette ou- verture, dont l'embouchure, à notre grand chagrin, étoit fermée entièrement par ua Cm) 1788. banc assez bas et sablonneux , presqu'au Juillet, niveau de la mer qui paroissoit le couvrir de ses flots, et formoit par derrière un ré- servoir considérable. Au -delà, on décou- vrent une vaste campagne qui se prolon- geons jusques dans un immense éloigne* ment, où elle étoit enfin bornée par de hautes montagnes qui lui servoient de li- mites. Nous donnâmes à la baie le nom de baie de Quicksand , et au cap qui y joint, celui de cap Grenville. Nous nommâmes cap Look Out le cap que nous avions vu s'é- tendre à une grande distance vers le midi. Ce cap est élevé et très- saillant -, il va se perdre insensiblement dans la mer. Envi- ron à deux milles , on apperçoit trois gros rochers très - remarquables par la ressem- blance singulière qui existe dans la forme de chacun d'eux. Celui du milieu a comme une arche pratiquée dans le centre, à tra- vers laquelle nous découvrions parfaitement la mer dans son plus grand éloignement. Ils attirèrent toute notre attention , parce que nous n'avions remarqué entre le canal du Roi George et ces parages , aucuns ro- chers placés dans une situation si apparente /'/ XXII PAYS de la Nouvelle ALBION, Sifrie pur 4.6 (feçreà *• celte entrée. Elle nous parut d'une vaste étendue, mais peu profonde. Presque dans le milieu , on distinguoit plusieurs îles très- élevées , et bien boisées. Nous envoyâmes îa chaloupe à la découverte d'un mouillage, et , vers les onze heures , elle revint nous indiquer un port très - commode et très- srand , formé par un certain nombre d'îles. ï ous nous dirigeâmes vers ce port , et y jettâmes l'ancre , à la profondeur de huit ai a ( i8o ) 1788. brasses d'eau , sur un fond de vase , parfaite- «Juillet, ment à l'abri des vents et des fureurs cle la mer. Des naturels se rendirent sur le champ en grand nombre auprès de nous dans leurs canots, et nous apportèrent du poisson en abondance , tels que du saumon , de la truite , des écrevisses, et d'autres poissons à coquille avec une forte provision d'oi- gnons et de diverses «raines. Ces naturels venoient d'un village considérable , situé sur le sommet d'une très-haute montagne. Nous donnâmes au port le nom de Port F:ffîa- rliam , en l'honneur du noble lord décoré de ce titre (1). (1) J'aime à penser que des talens utiles , que des vertus, sur-tout , ont rendu le lord Efjingliam digne du souvenir honorable par lequel notre voyageur a immortalisé son nom. Mais j'aurois désiré que le capi- taine M. e are s , qui paroît d'ailleurs un homme judi- cieux , au lieu de se contenter de rappeller un titre de noblesse, ce qui suppose un esprit ébloui par les grandeurs, nous eût appris par quels services rendus à la navigation, aux sciences, à l'humanité , ce lord a mérité la mention qu'il en a faite à cette époque de ses vovaees. On ni s'étonnera jamais de voir les noms glorieux des Anson9 des Bovgainville^ des Cook, des Ja Feyrouse j des Entrecccsteaux rappelles sans cesst lié. ( 'Si ) Le î2 , les voiles et les manoeuvras cou- T7gs# rantes furent démarrées : on envoya à terre Juillet, un détachement chargé de faire de l'eau , Samedi et le reste de l'équipage fat employé aux diverses occupations qu'exigeoient les be- soins du vaisseau. Cette entrée avoit été visitée , en 1707 y par le capitaine Barclay, commandant le vaisseau Y Aigle Impérial . qui lui donna son nom. Elle a une étendue considérable , et contient plusieurs îles dispersées çà et là, et entièrement couvertes de bois. Sur la terre - ferme , on distingue de grands vil- lages , très peuplés , et qu'arrosent de petits ruisseaux où l'on prend du saumon en abondance. Lorsque ce poisson est préparé avec les soins nécessaires, les naturels en font leur principale nourriture pendant l'hiver. Le port est assez vaste pour contenir cent voiles. Sa position est tellement avantageuse que ces vaisseaux y seroient à l'abri des plus furieuses tempêtes. Le mouillage y est ^^— — — >— . m ■■». — 1 ■ »■ ■■ ■ uni 1 »m **« * ■■■...,,,—■*— _■■■■■ ■ , .1, , ,. "■ ' 'W'Iiill par les navigateurs qui suivront leurs traces : mais r dans un siècle éclairé', les dignités ou les litres ne peuvent plus être l'objet des hommages des écrivains» J>Tolc du Traducteur* M 3 ( i?a ) 17^' aussi très-bon , c'est une vase molle ; l'ai- Juillet. gUaJe est également très-commode. Dans notre passage du cap Look Ont au Tort Effingham , nous vîmes un très- grand nombre de loutres de mer qui se jouoient. dans l'eau avec leurs petits ; mais à l'appro- che du vaisseau, elles disparurent. Nous passâmes une fois ou deux à quelques verges, de plusieurs d'entr'eiles qui dormoient sur le dos au milieu de la mer. Nous les prîmes d'abord pour des morceaux de bois floltant jusqu'à ce que, réveillées par le bruit du vaisseau, elles se plongèrent à l'instant sous les flots. Nous vîmes aussi plusieurs baleines de l'espèce des spermaceti, un grand nom- bre de veaux de mer, et beaucoup d'autres, animaux marins de forme monstrueuse, ( ri? ) C II A P I T R E XVI. Nous prenons possession des détroits de Jean de Fuda au nom du Bol de la Grande-Bretagne. — Nous recevons la visite des naturels. Position avanta- geuse du vaisseau. La c h 'douve est équipée et envoyée en expédition. — • Objet de cette expédition. ~ Des étran- gers se rendent à bord du vaisseau. — » Nos vives Inquiétudes au sujet de la chaloupe ; elle arrive enfin.— Motifs de son retour précipité. — Combat avec les naturels des détroits de Jean de Fuca } et ses suites. — Bravoure de ces peuples. Situation critique de la chaloupe et du détachement. — Progrès considéra- bles vers les détroits de Jean de Fuca. \ — Leur position. — On vient nous pro- poser d'acheter des têtes d'hommes. . : Découragement que produit cette offre ■ étrange parmi les personnes de V équi- page. Préparatifs pour remettre en mgVm —Nous quittons le Fort Effui-ham»: M 4 ( i34 ) 1788. Quelques détails sur ce port et sur Juillet. l'entrée.— Progrès du nouveau vaisseau, -— Nos succès dans la traite des four- rures. — Attentions de Maquilla. XL ne sera pas inutile d'informer le lec- teur que nous prîmes possession des détroits de Jean de Fuca , au nom du roi d'Angle- terre, avec toutes les formes adoptées en pareille circonstance par les navigateurs qui bous avoient précédés. Dimanche Le i3 juillet, comme le vaisseau occupoit *3- cette position , des naturels vinrent en grand nombre nous y rendre visite. Nous leur achetdmes des fourrures de diverses espèces. Mais nous remarquâmes qu'ils n'étaient point accompagnés de leurs chefs, ni d'au- cune autre personne qui parût avoir quel- qu'autorité parmi eux. Us nous apportèrent aussi une grande quantité de saumons qui remportaient de beaucoup, pour la délica- tesse et le goût, sur ceux de Ventrée de Nootka. Nous reçûmes encore d'eux du poisson à coquille en abondance, une bonne provision d'oignons sauvages aussi ( i85 ) rafraîchissans que salutaires , et des fruits 178?. qu'ils avoient cueillis clans leurs bois , toutes Juiller. productions dont la nature avoit libérale- ment enrichi les diverses parties de la côte où nous avions eu communication avec les naturels. Nous étions alors au plus fort de Tété. L'excès de la chaleur n'empêchoit pas que le temps ne fût agréable. Nous jouissions avec délices de la douce influence de cette charmante saison. On n'appercevoit pas une seule trace de neige sur la cime des mon- tagnes dont l'entrée étoit entourée de toutes parts. Nous ne pouvions donc qu'espérée d'heureux momens pendant le court séjour que nous nous proposions de faire dans un endroit si tranquille, et où notre situation présentoit tant d'agrémens. Nous saisîmes l'occasion favorable qui 6'offroit alors d'envoyer la chaloupe , non- seulement reconnoître les détroits de Jean de Fuca , mais encore prendre , s'il étoifc possible , quelque connois&ance des natu- rels de la baie de SJwaU Water. En con- séquence,, elle fut équipée comme l'exigeoit la circonstance, montée par trente de nos gens , et fournie de provisions pour] vin ( rS6 ) i3$S. mo's. J'en cru fiai le commandement à Juillet $i. Robert Fuffin , m< n premier officier, u qui je donnai des instructions par écrit pour la manière doni il devoit se gouverner dans la conduite de cette petite expédition. Le i3, la cha!ci:pe paitit pour aller faire fies découvertes. L'absence des personnes employées en cette occasion , jointe à celle des hommes du détachement qui faisoit le service de Ventrée du Roi George , avoit tellement diminué l'équipage du vaisseau qu'il devint absolument nécessaire pour nous de nous mettre le mieux } ossible en état de défense. En effet, ces naturels que nous avions pour Toisins en ce moment se trou voient être une nation nombreuse, intrépide et puissante ; il étoit à craindre qu'ils ne fussent tentés de nous attaquer s'ils venûient à connoître noue propre foiblesse. On dressa donc une batterie de tous les canons : toutes les armes furent préparées ; et je donnai des ordres positifs pour qu'on ne laissât venir à bord aucun des naturels, sous quelque piétextô que ce pût être. Un instant après le départ de la cha- loupe , nous vîmes venir du coté du nord ( i87 ) im nombre considérable de canots. Ils ar- 1-,$$ rivèrent bord ù bord du vaisseau. On Cll Juillet, remarquoit peu qui portassent moins du trente hommes. Je crois même qu'il n'y en avoit pas un seul où les naturels ne mon- tassent à ce nombre. Plusieurs eîi conte- noient davantage, sans compter lejs femmes et les enfans. Parmi ces insulaires qui ve- noient nous rendre visite, nous reconnû- mes , à la physionomie seule , plusieurs d'entr'eux que nous avions déjà vus au Port Cocc où ils habîtoient. Les autres étoient des naturels de la côte occidental© qui s'étend en descendant jusqu'aux dé- troits y et qui forme une partie des vastes domaines de Wicananish. Nous pensâmes que ce prince venoit de donner tout récem- ment tin repas s^lendide à un grand nom- bre de ses principaux sujets : et en voyant entre les mains de ces naturels une grande partie des articles qu'il tenoit de nous, nous en conclûmes., avec assez de vraisemblance., qu'il avoit ajouté à la magnificence de la cérémonie , en partageant ses trésors avec ceux à qui il avoit fait l'honneur de les y inviter. Il ne nous arriva rien de remarquait C ira ) 27$$. Jusqu'au 20. Le temps continuent de nous Juiiler. favoriser.il faisoit très-beau- là meilleure D^ncheirrteMiaence régeoit de part et d'autre dans nos communications avec les naturels. Ils venoient nous trouver chaque jour avec des fourrures , du poisson et des légumes. Quelquefois, nous recevions d'eux un pré- sent de gibier. La délicatesse du mets ajou- toit à l'agrément et à l'abondance ordinaire de notre table. Mais dans l'état d'inaction où nous étions alors, îa situation de la cha- loupe nous occupoit sans cesse , et nos es- prits se trouvoient partagés entre l'espoir du succès et la crainte de quelque malheur. Le naturel sauvage du peuple habitant des parages que nos compagnons étoient allés reconnoître, nous alarmoit d'abord : au même instant, la confiance que nous avions dans leur prudence, leur courage et leur bonne conduite nous rassuroit. C'est ainsi que , tandis que notre imagination les sui- voit dans leur voyage , et que nous nous occupions d'eux avec la plus vive sollici- tude , ces infortunés luttoient contre les horreurs de la mort la plus affreuse, et se voyo;ent à la veille de partager le sort dé- plorable de ceux de leurs compatriotes qui ( i§9 ) a voient été dévorés par les cannibales de i~S8. Queenhythe* Juillet. Dans ia soirée du 2.0 , nous appcrçûmes les voiles de la chaloupe. Elle lenoitlelar;re» Les transports de joie auxquels nous nous livrâmes tout- à-coup sans trop de réflexion furent bientôt troublés par le sentiment d'inquiétude qui s'empara naturellement de nous en songeant à la promptitude de son retour. Dans l'intervalle de son arrivée au vaisseau , chacun de nous éprouva l'incer- titude la plus pénible. Enfin, lorsqu'elle se trouva bord à bord , nous remarquâmes , non sans une satisfaction inexprimable , qu'il ne manquoit pas un de nos gens. Mais nous ne tardâmes pas à savoir qu'il nous falloit donner tous nos soins à secou- rir des blessés qui avoient cruellement souf- fert dans une action très - vive qui avoit eu lieu entr'eux et les naturels des dé- troits , et qui étoit la cause de leur retour précipité. Toute notre attention se porta donc sur nos malheureux blessés. Mais quoique plu* sieurs d'entr'eux eussent été très maltraités, ce fut pour nous un grand motif de con- solation que de nous convaincre qu'aucun ( 190 ^ *-S8. d'eux n 'avoit reçu un coup mortel. L'oF- Jiiillet. iicier souffroit beaucoup d'une flèche bar- belée dont il avoit été frappé à la tête, et qui l'auroit tué sur la place si son chapeau très -fort et très-épqis n'eût pas amorti la violence du coup. Un des matelots avoit la poitrine percée ; un autre , le gras de la jambe, où la flèche étoit entrée si avant qu'il devint absolument nécessaire de faire une incision pour l'en tirer. Un quatrième reçut une blessure très-près du cœur ; mais heureusement l'arme cruelle n'atteignit ^>oint le siège de la vie. Le reste de nos gens fut meurtri des coups de massue de l'ennemi , et de la grêle de pierres dont il les accabloit. La chaloupe elle-même fut percée de mille (loches dont plusieurs res- tèrent dans la petite voile qui la couvroit par derrière , et qui , en recevant les flè- ches, et en rompant la violence avec la- quelle les pierres étoient lancées au moyen des frondes , contribua, en grande partie , à proserver les gens de notre détachement d'une destruction qui paroissoit inévitable. Les naturels se conduisirent en cette cir- constance avec un courage et une intrépi- dité qui surmontèrent la terreur que les 1 19* ) armes à feu Inspirent ordinairement aux f788. peuples sauvages. L'action iinie , plusieurs Juillet. des nôtres eurent encore beaucoup de peine à sauver leur vie. Un d'eux avoit été par- ticulièrement désigné pour victime par l'un, de ces sauvages. Il y eut entr'eux un com- bat très-vif et très -opiniâtre. Le naturel étoit armé d'une sorte de bâton fait de pierre; le matelot se défendoit avec un cou- telas. Ils déployèrent l'un et l'autre , pen- dant quelque temps , une adresse égale , et le même courage ; et si an pin qui se trou- voit entr'eux deux n'eût pas rompu le coup porté par le naturel avec toute la force dont il étoit capable , c'en étoit fait de notre brave compatriote ; il eût infailliblement succombé. Le sauvage ainsi déconcerté dans son attente , son adversaire eut le temps de lui enlever son arme d'un coup de coutelas. Alors , malgré cette perte , malgré plusieurs blessures qu'il avoit reçues , il se jetta de la chaloupe à la nage , redevable de la vie à fa générosité de son vainqueur qui dé- daigna de le tuer une fois qu'il fut dans l'eau. Le matelot, blessé à la jambe, continua de se battre pendant toute l'action avec la ( *9* ) ' i7sè. flèche dans la chair ; et sans s'inquiéter d'en Jiyller. retirer cette arme cruelle, il contribua par son courage et par l'activité de ses efforts à sauver la chaloupe. Quoique nous n'eussions jamais eu au- cune communication , aucune* relations avec les habiians des détroits 9 nous nous étions flattés que les détails de notre con- duite fraternelle avec leurs voisins pouvoient être parvenus jusques sur le territoire où ils habitoient, et leur avoir donné des im- pressions avantageuses sur notre compte „ Mais leur conduite prouva qu'ils avoient le naturel le plus féroce et le plus sanguinaire, et la fureur avec laquelle ils attaquèrent nos gens força ceux-ci à montrer le même ca- ractère dans leur résistance. Il faut rendre justice ici à l'humanité de nos compagnons. Malgré les souffrances qu'enduroient la plu- part d'entr'eux ; malgré le sort affreux qu'ils ne pouvoient douter que leurs ennemis ne leur réservassent s'ils eussent été vaincus , ils ne manquèrent jamais, en nous racon- tant les détails de cet événement,, d'expri- mer des regrets sincères sur ces mal heu- reux sauvages qui avoient eu ainsi l'impru- dence ( *93 ) Aence de courir eux-mêmes à leur propre ,-g^ perte. Juillet. L'attaque avoit été commencée par les sauvages. Montés dans deux canots conte- riant chacun de quarante à cinquante hom- mes, qui, sans doute, étoient l'élite de leurs guerriers j ils entourèrent la chaloupe dans le dessein de s en emparer. Plusieurs autres canots restèrent en même temps à une pe- tite distance pour porter du secours en cas de besoin. Le rivage étoit bordé de tous côtés de naturels qui faisoient pleuvoir sur le vaisseau une grêle de pierres et de flè- ches. Dans l'un des canots , il y avoit un chef qui encourageoit par ses discours les autres à avancer. On eut le bonheur de l'at- teindra d'une balle dans la tête , au moment même où il lançoit un javelot énorme au patron de la chaloupe. Cette circonstance força les canots de reculer , et priva les na- turels qui avoient déjà engagé l'action , d'un appui qui pouvoit leur assurer la victoire. En effet , lorsque l'on considère que l'équi- page de la chaloupe n'étoit composé que de trente hommes qui se trouvoienl atta- qués avec tout le courage que donne la fureur par des enaemis en nombre supe- Tome II. . N ( 194) 1788. rieur , et qui ne cessoient d'être cruelle- Juillet, ment incommodés par la grêle de traits qu'on leur décochoit continuellement du rivage , on peut ranger le bonheur qu'ils eurent d'échapper à la mort au nombre de ces événemens qui ne manquent jamais d'exciter, dans les esprits sages, une im- pression de surprise et de reconnoissance envers la Providence. La chaloupe avoit pénétré très-avant, en remontant , dans les détroits de Jean de Fuca , et étoit entrée dans une baie ou espèce de port. Ce fut alors que nos gens qui se disposoient à prendre terre pour re- connoître ces détroits furent attaqués pas les naturels, comme je l'ai raconté plus haut. On conçoit sans peine que cet acci- dent les empêcha de poursuivre leur pre- mier dessein. Dans cette position cependant, ils observèrent que les détroits à L'est-nord* est paroissoient avoir une grande étendue; et aller plutôt en augmentant qu'en dimi- nuant. Comme ils redescendoient les détroits , ils rencontrèrent un petit canot conduit seu- lement par eleux sauvages , sujets de Wica- naniah , auxquels ils achetèrent du puisbon. ( *9* ) -Mai* les expressions manquent pour rendre 178S. la surprise et l'horreur dont nos gens furent Juillet, saisis , lorsque ces barbares exposèrent à leurs yeux deux têtes d'hommes, tout ré- cemment coupées, et- dégoûtantes encore de sang , qu'ils offrirent de leur vendre. Ces têtes si révoltantes à voir, ils les tenoieut par les cheveux avec un air de triomphe et les transports de la joie la plus effrénée : et lorsque les gens de la chaloupe leur té- moignèrent toute l'horreur et l'indignation que leur causoit un si affreux spectacle, ces sauvages les informèrent avec un ton et des gestes qui marquoient la plus grande satis- faction , que ces têtes étoient celles de deux hommes du pays de Tatootche qu'ils avoient massacrés, ce chef ayant tout récemment déclaré la guerre à Wicananish. Cette ren- contre produisit parmi nos gens une im- pression de découragement qui ne cessa de les accompagner pendant tout le reste du voyage. Quoique la chaloupe eût manqué le prin- cipal objet de son expédition , elle ne re- vint cependant pas sans être en état de donner quelque connoissance des détruits de Jean de Fuca. Elle a voit fait près de Na ( »9«) I7§3 trente lieues en montant ces détroits , et à Juillet, cette distance de la mer, ils pouvoient bien avoir quinze lieues de largeur. La vue se portoit dans un bel horizon qui s'étendoit à Test à quinze lieues de plus. Cette singu- lière circonstance nous fit former mille conjectures diverses sur l'extrémité de ces détroits , et nous nous arrêtâmes à l'opinion que j'ai examinée et discutée tout au long dans le Mémoire qui sert d'introduction à ces Voyages, savoir que les détroits de Jean, de Fuca pourroient bien ne pas être à une grande distance de la baie d'Hudson (1). Nous nous vîmes alors forcés d'abandon- ner au moins pour cette époque de l'année tout espoir de nous procurer des renseigne- mens plus satisfaisans sur la véritable éten- due de ces détroits , ou une connoissance plus particulière de la baie de Shoal-Water, Nous nous disposâmes donc à aller rejoin- dre le plutôt possible notre détachement dans Ventrée du Roi George, Lundi Le 21 , nous remîmes en mer avec le 21 » (i) Voyez le premier volume de cet ouvrage , pagt 146 et êuiç. ( *9? ) jusant, et vers midi, nous étions déjà sortis 1788. de Ventrée, Une observation rapporta 40 Juillet, degrés 41 minutes de laûtude nord : le Port Ejfino/iam eouroit nord-ouest-quart-nord , à cinq milles de distance. Fendant le séjour que nous fîmes en ce port, nous y reçûmes la visite d'un grand nombre de naturels de tribus diverses qui résidoient en difiérens pays situés entre le Tort Cox et l'île de Tatootche. Mais aucuns de ceux qui habitent le haut des détroits n'osa venir jusqu'auprès de nous. Peut-être en furent ils détournés par la crainte de déplaire à Tatootche , dont 1 île se trouve située à l'entrée même _, et renferme j dit- on j près de cinq mille hommes. Nous eûmes soin, durant ce séjour , de nous procurer une quantité considérable de peaux de loutres de mer très-belles, ainsi que du poisson en abondance. Nous fîmes provision de saumon , d'halibut ( 1 ) , de (1) Le lecteur a déjà vu , dans le récit du Voyage qui sert d'introduction à celui-ci, que V/ia//but est xiiue espèce de plie. Note le vent sauta au midi , Jeudi et nous amena un temps brumeux et chargé 24- qui nous empêcha , comme on se l'ima- gine aisément , de serrer de trop près la côte. Cependant, vers midi, la brume se dissipa, et nous nous trouvâmes par les 49 degrés 40 minutes de latitude nord. Mais à peine avions-nous pris la différence de longitude que le temps s'obscurcit de nouveau. La sonde ne rapporta pas plus de vingt brasses d'eau. A l'instant même , nous virâmes vent devant , et portâmes en mer. Sur les quatre heures, le ciel s'é- clalrcit une seconde fois , et nous apper- cûmes la Pointe du Brisant , qui gisoit à Test-quart -sud,, à quatre lieues de distance, Kous n'étions qu'à trois lieues de la terre , de sorte que, lorsque nous virâmes vent N4 '( 2.00 ) *7&8. devant , nous la touchions presque di* Juillet. bord- .Vendredi Les brouillards épais dont le temps étoit *5- chargé ne furent tout - à - fait dissipés que le 25 au matin , que nous vîmes l'entrée du canal du Roi George qui couroit est- nord~est , à la distance de six lieues. Mais le temps redevint bientôt si obscur que c'eût été de notre part une inexcusable imprudence de courir sur la terre. Samedi Le matin du 2.6 , sur les huit heures 1 *t* nous mouillâmes heureusement dans Y anse des Amis, Nous y jouîmes du bonheur de retrouver nos amis fort tranquilles et en parfaite santé. La construction du vais- seau étoit aussi très - avancée. Les cou- ples étoient complètement achevées. On avoir déjà couvert les côtés de fortes plan- ches. Les ponts étoient dressés , et Ja plus grande partie des ouvrages de fer se trou- voit iinie. Pendant notre absence , nos compagnons avoient amassé une provision considérable de fourrures qu'ils s'étoieut procurées, non- seulement par les naturels , mais encore par différentes compagnies d'étrangers que la ( 201 ) renommée du vaisseau avolt engagés à se ijfà» rendre à Nootka pour y satisfaire leur eu- Juillet, riosité en examinant une machine si nou- velle pour eux. Maquilla s'étoit montr.é religieux obser- vateur de tous les points du traite ? et le fidèle Callicum n'avoit cessé de veiller à la sûreté et à la tranquillité de nos gens "avec le zèle d'un homme d'honneur et la bien- veillance d'un véritable ami. Non-seulement les habitans du village soumis à sa juris- diction leur apportèrent chaque jour d'a- bondantes provisions de poisson et d'autres comestibles , mais encore ils donnèrent à notre détachement , et de Tordre exprès de Callicum , tous les secours qui dépendirent d'eux. Il m'est impossible de rapporter les preuves de bienveillance et d'inviolable at- tachement que nous avons reçues de ce chef sans verser des larmes sur l'événement affreux qui termina ses jours. Non , je ne penserai jamais qu'avec horreur à la conduite exécrable de ces barbares qui, pourtant , se glorifient d'être nés chez un peuple éclairé , et de professer nne religion de paix dont les préceptes sont ( 202 ) ij$$. ceux de l'humanité et du pardon des m- Juillet, jures (i). (1) Le meurtre commis par les Espagnols dans la personne <îe Callicum, et dont notre voyageur a donné plus haut les tristes détails , rappelle au lecteur que ce peuple s'est acquis une horrible célébrité dans l'histoire par les actes de barbarie qui Font rendu le jftéan du nouveau monde. Note du Traducteur. ( 2°3 ) 17RS. Juillet. C PI A P I T R E XVII. Inquiétudes du détachement que nous- avions laissé à terre , sur f e compte du vaisseau . — Bruits répandus par les na- turels,— Notre détachement parvient à savoir que nous sommes engagés dans les détroits de Jean de Fuca. — S/z conduite en conséquence. — Progrès dans la construction de la maison > pendant L'absence de la Fellce. Etonnement des naturels en voyant bâtir le vais- seau ; attention particulière qu'ils don- nent aux occupations des forgerons. — Notre régularité à observer le sabbat devient un objet de curiosité pour les naturels. — Nous nous procurons à cette occasion une connoissance assez étendue de leur religion. — Projet de retourner au Tort Cooc. Motifs pour lesquels nous 71e nous y arrêtâmes point en re- venant du Tort Effngham. — Nous som- mes déconcertés dans nos projets. Mouvemens séditieux à bord. Les ( so4 ) i7$8. auteurs et instigateurs sont conduits a juillet. terre. — Motifs pour justifier cet acte de rigueur. S ï, dans notre route vers le midi, nous avions éprouvé, de temps à autre, de très- vives inquiétudes sur le bien - être et la sûreté de ceux de nos compagnons que nous venions de laisser à terre , on pré- sume ^ sans peine, cjue , de leur côté r ils songeoient souvent à leurs amis restés à bord de la Feiïce , et concevaient des in- quiétudes semblables sur notre sort, lis ne pouvoient pas oublier que nous étions allés braver de terribles dan sers dans ces mers dont ? peut - être , aucun vaisseau r/avoit jamais fendu les flots , et reconnoitre des côtes où il étoit présumable qu'aucun Eu- ropéen n'avoit encore impri né la trace de ses pas. Leur sollicitude égaloït ta notre : ils emplay oient toujours leurs instans de repos à compter les heures de notre ab- sence, à adresser au ciel des prières pour notre conservation , à former en commun des vœux pour notre retour. Mais ce ne iut ( ao5 ) pas tout : l'inquiétude qu'ils éprouvo'mt 1788. naturellement sur noire compte ne tarda Juillet, pas à se ckafoger en de cruelles alarmes. Quelques - uns des sujets de Wicananish vinrent leur rapporter la nouvelle très-dé- taiilée de L'attaque commencée contre nous parles naturels deTatootche ; ils ajoutèrent que ceux - ci avoient taillé en pièces une partie de l'équipage de la Fel'ice ; qu'enfin, parmi ceux qui étoient tombés dans l'ac- tion , on comptoit les principaux officiers. Ce triste r^ cit que le plus incrédule de nos compagnons ne pou voit pas regarder comme une histoire faite à piaisir , les plongea dans une consternation qui ralentit d'une ma- nière très-fâcheuse l'ardeur de leurs travaux. Ils s'abandonnèrent à une tristesse que ni les plus courageux efforts, ni l'opiniâtreté nécessaire pour vaincre des obstacles sans cesse renaissans , ne parvinrent pas à dissi- per entièrement. Au reste, cette nouvelle étoit alors uniquement i'ouvrage des natu- rels qui la leur apportèrent , puisqu'elle précéda le combat qui eut lieu entre l'équi- page de notre chaloupe et les naturels des détroits y combat dont l'issue ne fut que trop propre à justifier tout ce qu'il y a voit ( -206 ) 1788,, d'exagéré dans le récit de ce déplorable Juillet, événement. Quant aux motifs qui portèrent ces sauvages à fabriquer une pareille nou- velle, nous n'avons pu ni les découvrir, ni même former une seule conjecture satisfai- sante. Quoi qu'il en soit , un naturel du Port Ejjingkam > qui étoit arrivé à X entrée de Nootka pour y traiter avec Maquilla d'une cargaison de fourrures, y porta un compte exact et fidèle de nos opérations dans ce port , et des détails sur l'état de ceux de nos gens qui étoient sortis du com- bat avec des blessures. Un des effets fâcheux que produisit cette nouvelle , fut d'interrompre pour quelque temps toute espèce de communication entre les naturels de Ventrée du Roi George et notre détachement. Elle détermina aussi nos gens qui commençoient à désespérer de nous revoir jamais, à redoubler de précautions jus- qu'à l'arrivée de V Iplii génie. Il est donc plus facile de concevoir que de décrire la joie qu'ils éprouvèrent lorsqu'ils virent la Felice entrer dans le canal j et qu'ils retrouvèrent en bonnes dispositions et en parfaite santé tous ceux qui étoient partis sur ce vais- seau. ( 2o7 ) La situation de notre petite colonie au I7«*> moment de notre retour auprès d'elle , l'état Juillet, des travaux qu'elle avoit entrepris , nous furent une preuve de l'ardeur et de l'exac- titude de nos gens à exécuter le plan de conduite que nous leur avions laissé pour le temps de notre absence. La maison étoit dans le meilleur état de défense contre les attaques des naturels , et pouvoit leur résis- ter quand ils auroient déployé toutes leurs forces pour s'en rendre maîtres. Une palis- sade d'énormes pieux, et un rempart avan- tageux que formoient d'épais buissons, ren- doient notre terrein à -peu près imprenable, A mesure que de nouveaux besoins leur en faisoient une nécessité, ou que l'espoir de se procurer de nouvelles commodités leur en avoit inspiré l'idée , nos gens s'étoient livrés à d'autres travaux de moindre impor- tance , et au moyen desquels ils étoient par- venus à former une espèce de petit arsenal qui augmenta beaucoup La curiosité des na- turels de Nootka , en même temps qu'il excita parmi eux la plus vive surprise. Nous n'avions été absens de Ventrée que cinquante-cinq jours; et, comme nous ve- nons de le remarquer plus haut , la cous- ( 20$ ) 1788, truction du vaisseau avoit avancé considé- Juillet, arable ként pendant cet intervalle. Les na- turels , on le présume sans peine , ne se lassoient point d'en examiner tous les dé- tails. Ils ne pouvoient se persuader qu'un corps de charpente si énorme conserve- roit autant de puissance pour s'éloigner en mer qu'on avoit en de facilité à le retirer du chantier sur lequel il avoit été cons- truit. Mais ce qui atiiroit par dessus tout leur attention , c'étoit l'atelier des forgerons et le travail des forces. Ces hommes sim- pies ? auxquels les connoissances que pro.* curent les lumières de la civilisation étoient si étrangères, contemploient^ avec une cu- riosité égale à celle des enfans^ les travaux mécaniques de nos ouvriers. Au reste , il n'y avoit pas moins d'intérêt de leur part que d'envie de s'instruire, lorsqu'ils consi- déroienf avec tant d'attention les instrumens et les outils qui servoient à fabriquer ces ar- ticles divers avec lesquels ils pouvoient satisfaire leur vanité, augmenter leurs jouis- sances, et se procurer toutes les commodi- tés de la vie. En effet, ils ne s'occupoient qu'à fournir du fer aux ouvriers pour qu'on lui I ( *>9 ) lui donnât la forme des ustensiles ou des i7$g objets d'ornement qui leur plaisoient da« Juillet vantage. Mais ils se montroient si incons- tans dans leurs goûts qu'il devint très-dif* fscile pour nous de réussir à les contenter* D'un moment à l'autre, leur volonté n'étoit plus la même. Nous résolûmes donc de faire tourner à notre avantage leur carac- tère léper et changeant, en leur accordant avec moins de facilité ce qu'ils desiroient* Le résultat de cette détermination fut qu'ils augmentèrent considérablement les provi* sions que nous recevions d'eux chaque jour, et qu'ils nous apportèrent une plus grande quantité de poisson et de fruits* Le 27, qui étoit un dimanche , l'équipage ~. . eut la permission d'aller à terre s'amuse? %j* à courir. Il faisoit le plus beau des temps du monde. L'air étoit doux et agréable. Chacun portoit dans ses regards la satis- faction qu'il éprouvoit de goûter quelques instans de repos après le travail, et de se livrer sans inquiétude au sentiment de sort bonheur. Notre usage, à la vérité ^ étoit d'observer le dimanche avec le plus reli* gieux respect, et d'en remplir l'objet t au* Tome Ils O ( 2lO ) 1782. tant qu'il dépenJoit de nous , en nous re- Juillet. posant un jour de la semaine (i). Les naturels ne purent, d'abord , imagi- ner pourquoi nos occupations étaient sus- pendues pendant tout ce jour. Mais le changement d'habits qu'ils remarquèrent en nous, et sur-tout le. soin que prenolcnt les forgerons et les armuriers de se ]aver le visage, excitèrent tellement leur curiosité qu'ils se déterminèrent à nous demander les motifs d'une règle qu'ils ne pouvoient (i) C'est sur- tout dans ces niomens où le navigateur, isolé, pour ainsi dire , de la nature entière , se voit exposé aux plus affreux malheurs dans des parages inconnus , que le sentiment de la religion agit sur lui avec plus de puissance. Qu'il est doux alors , qu'il est consolant d'élever son c i-ur yers cette Providence qui veille sur tous les êtres qu'elle a créés , de rendre hommage au Père commun de tous les hommes , et | d'espérer de lui seul la protection que lui seul peut donner ! Je ne me rappelle jamais , sans attendrisse- ment , la .siluulion de ces infortunés qui , dans les horreurs d'une tempête, et prêts à périr dans les flots, porroient vers le ciel leurs derniers regards, et mou- roient heureux. 0 sentiment de l'existence dam Dieu, que tu répands nsolatioii ur de l'homme! du 'Traducteur. Lundi ( -"' l ) concevoir. La manière dont i\$ icrurent Rî l'explication, que stottâ leur donnâmes, nous Juillet laissa entrevoir quelque cliOSG de leur FelU gion. J'en parierai dans la suite de ces voyages. Le ^8 , nous reprîmes nos travaux , et envoyâmes un nomorcux détachement dans. 28, les forêts pour couper le boi:j de cumiruc,- tïon nécessaire pour border le vaisseau, C'éto t un travail singulièrement pénible , en ce qu il y aVoit d'énormes troncs eb'ac-t Lres à porter de plus d'un mille de distance., au travers d'une cpaL-.se. foret , jusqu'à notre petit arsenal. Le reste de l'équipage fut employé, soit à faire des cordages, soit à aider les charpentiers, soit à mettre le vais- Seau en état d'être lancé à la mer* Nous nous décidâmes alors à exécuter le projet que nous avions formé de retourner sous peu de jours au Port Cox , pour rendre une seconde visite à Wicananish, etyrenou- veller avec lui nos relations de commerce» Notre première intention , il est vrai, ayoit été de passer par ce port dans notre retour du Port Pffingham ; mais l'accident arrivé à la chaloupe dans les détroits de Jean de O % ( 212 ) o© Fz/ca, et l'impatience que nous avions de Juillet revoir nos compagnons clans Ventrée, l'em- porta sur toute autre espèce de considéra- tion. Comme nous étions alors parfaitement satisfaits de la situation où nous venions de trouver notre détachement de Nootka , ainsi que de l'avancement des travaux , nous nous déterminâmes à remettre en mer. Nous espérions tirer d'immenses profits des chasses considérables que faisoient tous les jours la plupart des sujets de Wicananish. Il étoitj d'ailleurs , très - présumable que , depuis notre départ , ils auroient amassé une grande provision de fourrures. Nous ne balançâmes pas à croire que nous rece- vrions de ce chef un accueil plus gracieux encore que le premier, étant alors en état de remplir ses coffres d'un article auquel il attachoit tant de prix, savoir des chau- dières à faire bouillir le thé. Mais nous fûmes déconcertés dans ce projet par une sédition très-dangereuse qui éclata de nou- veau à bord , et qui nous lit craindre les suites les plus alarmantes. On remarquoit à la tête des révoltés le contre-maître disgracié et les hommes les (*i3) plus utiles du vaisseau. Ils tentèrent un coup 17SS. de désespoir , et essayèrent de s'emparer Juillet; des armes et de mettre à mort le premier officier qui étoit resté chargé de veiller à la garde du vaisseau. Ils profitèrent d'un moment où tous les autres officiers étoient à terre, pour y remplir le devoir de leur place ou pour prendre quelques heures de délassement- Ils avoient bien choisi leur moment pour l'exécution du complot. C'é- toit le soir, à leur retour des bois, et, comme je l'ai déjà observé , il n'y avoit à bord qu'un seul officier. Depuis que de premiers symptômes de rébellion s'étoient manifeôiés , dans le temps où nous nous trouvions à la hauteur des îles Philippines, j'avois fait transporter les armes , du gaillard d arrière dans la chambre de l'officier. Cette précaution sauva le vaisseau : car l'officier ayant été assez heureux pour gagner cette chambre avant les mutins , se plaça à la porte avec un mousquet chargé, et les empêcha d'avan- cer, tandis qu'il appelloit à haute voix du secours. Ce fut un bonheur de plus qu'en ce moment presque tous les officiers étoient Juillet* ( 2.4) 1788. assis sur le gaillard d'arrière du nouveau vaisseau, qui n'étoit pas à plus de cent verbes du vais -eau. Nous entendîmes sur le champ îe cri d'alarme parti de la fenêtre de la cluïinbi e , et ne perdîmes pas un mo- ment pour nous rendre à bord. Noire première attention fut de nous ar- mer nous-mêmes. Ainsi préparés, nous appel lames tout l'équipage sur le gaillard , décidés à terminer l'affaire sans délai. Nous savions qu'il y avoit parmi les séditieux de très - braves gens ; et nous résolûmes de les détacher des autres , s'il étoit pos- sible , avant qu'on les eût gagnés entière- ment , et qu'on les eût associés au com- plot. Tous les gens de l'équipage se trou- vant alors sur le gaillard, il fut bientôt aisé de connerre quels étoient les chefs de parti, quoique nous eussions quelques rai- sons de craindre que l'esprit de la révolte ne lût général , et que le mouvement ne fût concerté entre tous. Nous les prévîn- mes alors que nous étions résolus à en venir aux dernières extrémités contre les rebelles , et avertîmes ceux qui se sentoient disposés à rentrer dans le devoir, de se ( 2l5 ) séparer sur le champ des autres. Dès que 178S. nous eûmes présenté les armes , la plus Juillet, grande partie de l'équipage vînt se ranger auprès de nous, à l'exception de huit mau- vais sujets, à la tête desquels étoit le con- tre maître destitué, qui resta sourd à toutes les invitations que nous pûmes lui faire de se soumettre. Corinne nous nous trou- vions bien supérieurs en nombre, nous ré- solûmes de terminer l'affaire sans effusion de sang. Nous leur laissâmes donc l'alter- native , ou de se rendre dans les forges s ou de se résoudre à être conduits à terre pour y vivre parmi les sauvages. Ils préfé- rèrent ce dernier parti. Je les fis mettre à terre sur le champ avec tous les objets qui pouvoient leur appartenir. Un instant après leur départ, le bon or- dre et la discipline lurent parfaitement ré- tablis. J'envoyai toutefois au détachement eue nous avions à terre des instructions 1 expresses par lesquelles je lui enjoignois de ne pas souffrir que les séditieux vins- sent chercher un refuge dans la maison, et de n'entretenir aucune espèce de com- munication avec eux. Je plaçai également O • ( 2i6 ) «7^ à bord une garde avec une consigne sé- Juillet, yère : car tous mes doutes sur la sincérité des dispositions du reste de l'équipage n 'étaient pas encore , à beaucoup près dissipes. Nous ne fûmes bien instruits du com- plot dans toute son étendue que le jour suivant qu'un des matelots vint de lui-même nous en rapporter les détails. Presque tous les gens de l'équipage avoient signé un écrit par lequel ils s'engageoient à prêter leur secours pour qu'on s'emparât du vais- seau. Ils dévoient quitter sur le champ la côte d'Amérique , et diriger leur route vers les îles Sandwich, d'où ils se proposoient de gagner , en faisant le plus de diligence possible , quelque port où ils espéraient pouvoir disposer de la cargaison du vais- seau qui étoit d'un grand prix. Comme ils avoient eu la précaution d'anéantir cet écrit , nous ne pûmes savoir quelles étoient leurs intentions à l'égard des of/iciers. Mais le meilleur traitement auquel ils eussent dû s'attendre étoit , sans doute d'être laissés à Nootka. Chacune des per- sonnes de l'équipage restée à bord . s'em- ( **1 ) pressa de se disculper. Tous se réunirent 17S?. pour déclarer que les menaces des chefs Juillet, avoient pu seules leur arracher pour un moment la promesse de participer à la révolte ; et que , sans la crainte d'être mas- sacrés sur le champ , ils auroient donné connoissance du complot aux officiers. Si nous eussions été informes de tous ces détails dans la soirée du jour précé- dent , l'affaire , selon toute apparence , ne se seroit pas passée sans qu'il y eût du sang versé. Mais nous les ignorâmes heu- reusement , et c'est ce qui nous préserva de cet affreux malheur. Au moins les chefs se trouvèrent - ils par le parti que nous prîmes de les renvoyer du vaisseau , dans l'impossibilité absolue de faire le moindre mal. Car, outre l'attention qu'il nous eût fallu avoir sans cesse sur eux en les rete- nant dans les forges , nous n'aurions nas pu empêcher que , dans cet isolement même, ils ne trouvassent les moyens de cominu- niquer avec les autres matelots. Et alors , il est certain qu'ils auroient cherché a. faire naître et à entretenir des méconten- temens 3 si même ils n'eussent pas essayé (ai8) 1788. Je former de nouveaux plans pour exëcu- Juillet. ter |eurs affrenx projets. Nous décidâmes donc qu'ils resleroient à terre, au moins jusqu'à l'arrivée de YJphigénie. ( 219 ) 1788. — _ Juillet, C II A P I T R E XVIII. Conclu! Le du détachement eue nous avions à terre , à F époque de la sédition. . Promesses fûtes à 1 équipage d'aller aux îles Sandwich. — Occupation des gens de l'équipage — Les mutins partent pour aller demeurer avec Maquilla et Callicurn. — Ils sont dépouillés de leurs habits y et on les fait travail er. — La Pi incesse Royale est apperçue , tenant le large. V répara tifs pour remettre en mer. — Nous quittons une seconde fois Ventrée du lloi George. — Vrèsens faits à Maquilla et à Callicurn. — Ces chefs se préparent à la guerre. — Nous leur pré tons des armes. — puissance da Ma~ quitta* — // part pour son expédition dans le nord. — Instructions données par nous au détachement laissé à te ire. iious craignîmes, dans le premier mo- ment^ que le mouyement qui avoit eu lieu ( 220 ) X78&. à bord du vaisseau n'influât jusqu'à un cer- Juilkr. tain point sur le reste du voyage. Cette crainte ne fut pas de lorgne durée. Non- seulement nous éprouvâmes une grande consolation , mais encore nous conçûmes de grandes espérances quand nous vîmes la conduite que tenoit le détachement resté à terre. Ces braves compagnons ne se con- tentèrent pas de déclarer dans les termes les plus énergiques combien ces projets de révolte leur faisaient horreur; ils prirent aussi tous les moyens que leur zè'e et leurs lumières purent leur suggérer, pour nous convaincre de leur soumission et nous prouver qu'ils avoient le sentiment de leur devoir. Ils nous renouvellèrent de la ma- nière la plus solemnelle les assurances de leur fidélité, et nous n'hésitâmes point à leur accorder la confiance qu'ils nous pa- roissoient mériter. Cette révolte nous causa d'autant plus de surprise que , depuis noire départ de la Chine , nous n'avions eu à nous plaindre d'aucun relâchement de discipline. Les gens de l'équipage n'avoient cessé d'être em- ployés aux difTérens travaux quexigeoient les circonstances : mais ils étoient tenus ( 2*1 ) avec cette sévérité qui finît toujours par 1788* produire le mécontentement. On peut as- Juillet* surer qu'ils ne jouissoient pas des momens de loisir dont l'homme désœuvré profite si souvent pour faire le mal- Quant à l'ex- travagance de leur projet , elle n'a rien de bien surprenant. Un grand bonheur pour les hommes en générai , c'est que le mé- chant manque presque toujours de juge- ment (1). Dans cette circonstance 9 ce n'é- toit guère que l'impatience de gagner les îles Sandwich qui avoit inspiré à nos gens le dessein de partir avec le vaisseau. Ils savoient de nous que la visite de ces îles entroit pour beaucoup dans le plan de notre voyage , et il leur tardoit d'aller s'y délas- ser de leurs fatigues au milieu des jouis- sances de toute espèce qu'offre ce volup- tueux séjour. Quant aux arrangemens à prendre pour l'avenir, ils les avoient sans doute abandonnés , avec toute l'impré- voyance qui caractérise le matelot, au ha- sard d'une détermination plus éloignée. (1) Cette réflexion est de la plus exacte vérité. Elle prouve que notre voyageur connoît le cœur humain. Noie du Traducteur. ( 222 ) 1788. Il faut convenir que tous les gens a£ Juillet, l'équipage , tarit ceux qui avoieut pris part à la révolte que ceux qui étoient restés fidèles, sonpiroient vivement. , et cela éto:t assez naturel , après le jour où ils quitte-* roient les rivages déserts de iSocika , et les mœurs révoltantes des naturels de cette en- trée , pour la douce température, lafeiti- lité , et les channans plaisirs des îles Sand- wich. Il y avoit un autre motif* qui ne fai-- soit pas moins désirer à la plupart u'en- fr'eux de quitter Ventrée du Roi Georpe. lis ne songeoient pas, sans frémir, que des cannibales habitaient ces parages , et qu'ils pourroient bien, sous quelque méchant pré- texte , leur faire subir le sort de leurs mal- heureux compatriotes iniissaert-s à Oueen* hytfie. 11 est certain, comme nous l'avons déjà remarqué , que cette ci ai nie d'être mangés par les Américains occupoit saus cesse leur imagination , (t les tenoit, pour la plupart, dans un état dé frayeur perpé- tuelle. Nous juge fîmes doue à propos de leur rcnouveller l'assurance de les conduire aux îles Sandwich , et à cette idée seule , la joie qu'ils éprouv<" - 1 I éclata dans lems yeux. ( 223 ) Le nombre des personnes qui compo- 17gg soient l'équipage se trouvant beaucoup nous vîmes avec beaucoup d'étonnement , et nous l'avouerons sans scrupule, avec une vive satisfaction , nos mutins si insolens et si résolus, occupés à aller chercher dé l'eau et à d'autres travaux domestiques auxquels on n'emnloie à Nootka que les esclaves. On ne leur permettoit de quitter dans aucun moment la maison de Gallicum , sans être accompagnés par des naturels de la pluf basse condition dont ils recevoient les or- dres, et aux soins desquels ils étoient confié^ ( **9 ) Cette contrainte dut être quelque chose 'de 1788: bien mortifiant: pour des hommes qui , au Juillet. lieu de se servir du canot que nous leur avions donné pour aller chercher du pois- sou , s'ëtoient défaits, par paresse , d'une partie de leurs habits pour en acheter des naturels. Aussi les chefs prirent -ils grand soin de se procurer leurs habits ; et sans manquer de justice envers ces bonssamis , nous devons à la vérité d'attribuer les di- verses propositions qu'ils nous firent à l'oc- casion des séditieux , au désir de s'assurer la possession des vêtemens qui les cou- vroient , motif que nous ne leur avions pas soupçonné d'abord. Ils en vinrent sans peine à leurs fins; et lorsque ces malheureux exi- lés leur eurent tout donné , ils se virent obligés d'aller en mer les aider à chercher du poisson, non pour eux-mêmes, mais pour les familles de leurs nouveaux maîtres. Nous continuâmes nos travaux avec un Août, zèle et une ardeur infatigables, et il ne nous Mercredi arriva rien de bien remarquable jusqu'au 6 août. Ce jour, sur le midi , nous apper- \ çûrnes un vaisseau qui tenoit la hauts mer, et que nous ne tardâmes pas à reconnoître pour la Princesse Royale. Il nous parut P 3 ( *3© ) 17S8. d'abord se diriger vers Ventrée; maïs le Août, temps devint bientôt après si brumeux et si chargé que nous le perdîmes de vue. Dès que ce vaisseau arriva sur la côte > nous nous disposa» ries à remettre en mer , per-». sua pour nous y mettre en possession des four- rures dont nous avions toute raison de croire que Wicananish avoit amassé une bonne provision pour nous; plan que nous aurions déjà rais à exécution , si la révolte de l'équi- page ne nous en eût empêchés. Jeudi -^e 7> nous revîmes la Princesse Royale 7* dans la haute mer , et le temps qui rede- vint très couvert déroba une seconde fois ce vaisseau à notre vue. Vendredi Le 8, nous fumes prêts à remettre à la mer ; et comme nous n'appercevîons plus la Princesse Royale y nous commençâmes à craindre qu'elle n'atteignît avant nous les rivages de Wicananish, et que les divers articles de nouveauté qui pouvoient se trou- ver à bord de ce vaisseau ne déterminassent (23i) le chef à le faire participer au traité qu'il j„gg# avoit conclu avec nous. Nous partîmes donc Août, de Ventrée sans perdre un moment, et fîmes voiles vers le Port Cox par une jolie brise de vent de l'ouest. Avant notre départ, nous resserrâmes les liens d'amitié qui nous unissoient à Ma- quilla et à Callicum , par des présens que nous nous fîmes réciproquement. Ces chefs se préparoient depuis quelque temps à une expédition contre un peuple ennemi qui résidoit à une distance considérable vers le nord. Ils étoient alors sur le point de par- tir. Quelques-unes des nations voisines de X Archipel du Nord avoient, à ce qu'il pa- roît, envahi un village situé à environ vingt lieues au nord de X entrée du Roi George , sous la jurisdiction de ia grand'mère d'un de ces chefs , établie pour y gouverner. L'ennemi s'étoit livré aux plus grands excès dans ce village. Il avoit massacré quelques - uns des habitans , et emmené quelques autres en esclavage. Dès que la nouvelle de ces actes d'hostilité fut parve- nue à Nootka, les naturels se sentirent en- flammés de colère, et brûlèrent d'impa- tience de se venger. On ne songea plu* P4 ( 232 ) 1788. parmi eux qu'aux moyens de satisfaire îar Août, terrible passion qui les dévoroit. Nous saisîmes cette occasion de nous attacher invinciblement, s'il étoit possible , les chefs dé ces naturels, en leur fournissant des armes à feu et de la munition qui dé- voient leur assurer l'avantage sur leurs en- nemis. Il faut tout dire: nous sentions par- faitement qu'il étoit de notre intérêt que ces peuples ne fussent point occupés par des guerres éloignées , et que , s'ils étoient forcés de se battre, ils revinssent victorieux. Ce nouveau moyen de succès sur lequel ils ne comptolent pas ranima leur courage • •1 . ° ' car ils nous avoient avoué déjà que l'en- nemi qu'ils alloient attaquer étoit plus puis- sant , plus sauvage et plus fort en nombre qu'eux. Nous essayâmes de leur inspirer les sen- timens d'humanité que dos guerriers doi- vent porter même au combat, et nous avions obtenu d'eux qu'ils se eontenteroient de punir les vaincus par l'esclavage ,, et non par la mort, selon l'usage trop commun parmi eux. Mais il n'étoit guère à présumer qu'un peuple sauvnge, qui ne respiroit que ▼engeance, se spuyiendroit , dans la cha- ( aS3 ) leur du combat , des principes d'humanité I7$g. que dicte l'esprit de civilisation ; et c'est Août, avec douleur que nous ajoutons ici que cette expédition se termina par une scène de massacres la plus sanglante et la plus dé- plorable. Les forces que Maquilla conduisit au combat en celte circonstance étoient for- midables, Ses canots de guerre portoient, chacun , trente jeunes hommes très - ro- bustes : vingt de ces vaisseaux avoient été tirés des différens villages qui reconnois- soient la domination de Maquilla. Corne- kala avoit le commandement de deux ba- teaux. Ils s'éloignèrent du rivage avec beau- coup d'ordre et de solemnité, chantant leur chanson de guerre ( 1 ). Les chefs étoient (1) Il s°roit à désirer que le capitaine Mearcs eût connu assez la langue des peuples de Nootka pour nous transmettre ce chant guerrier. Dans la préface que j'ai mise en tête de ma traduction des Voyages du trafiquant J. Long parmi les Sauvages de lyAm ve septentrionale , j'ai inséré un chant de guerre des Ché- rokees rapporté par le lieutenant Henri Timberla dans ses Mémoires , et que je regarde comme un mo- dèle de la poésie des hommes de la nature. Je crois faire plaisir au lecteur en ie lui ofirant ici à l'occasion 17SS. vêtus de peaux de loutres de mer. Tous les Août, guerriers s'étoîent peint le visage et le corps Je ce départ pour le combat , de ces cris précurseur» de la victoire , de ces femmes , émules des Lacédémo- niennes , dont parle notre voyageur. J'ose penser qu'il ne lui paroîtra pas déplacé. Il est traduit fidèlement. ce Que dans tous les lieux de la terre où le soleil 71 donne sa lumière , où la lune prête son flambeau à » l'obscurité de la nuit , où croit l'herbe , où l'eaw j> coule 5 que par-tout enfin on sache que nous allons, j? comme des hommes , courir les hasards d'une guerre 5ï destructrice dans les campagnes de nos ennemis. » Nous marchons comme des hommes à la rencontre •» des ennemis de notre pays qui , semblables à des » femmes , voudront échapper par la fuite à nos coups » qu'ils redoutent. Oui, comme une femme qui , à i'as- *> pect d'un serpent superbe dont Pœil étincelant brille v à travers la fougère, recule en tressaillant d'effroi y reste stupide de surprise , ou fuit , pâle de crainte , tremblante et presqu'inanimée : ainsi ces lâches en- nemis, plus craintifs que la biche, laisseront derrière m eux leurs armes et leurs vètemens; et, tremblant au 3» moindre bruit, tout meurtris par les épines, retour- 35 neront en fuyant parmi ceux de leur nation dont ils a seront devenus la honte et le mépris. Ou , puissent- » ils , dans le fort de l'hiver , Lorsque les bois nus et » stériles refuseront à leurs entrailles dévorées par la » faim la subsistance que produit la nature, s'asseoir •m tristement, loiu de leur pays , loiu de leurs amis , 30 X a35 ) d'ocre ronge ; ils avoient parsemé sur eux 178g. une poudre brillante qui, dans les momens Acût. » et détester mille fois, en versant des pleurs , le jour » où ils seront venus à cette guerre ! »» Nous laisserons nos massues exposées aux pluies » de leur pays , et s'ils osent les rapporter dans le 55 nôtre , leurs chevelures peintes de diverses cou- » leurs seront pour la renommée le noble sujet de » chants sublimes en notre honneur et à la gloire, de ?5 notre pays. Ou si l'ennemi vaincu est épargné par v nous, guerriers illustres, que le perfide se prépare à w souffrir au milieu de nous les plus affreux tourmens, n Mais quand nous partons, qui de nous sait s'il lui » sera donné de revenir , lorsque le matin de chaque 93 jour nouveau voit naître pour nous de nouveaux 55 dangers ? Adieu vous , foibles enfans , adieu ten- * dres épouses. Pour vous seuls , la vie nous eût été r> chère et douce à conserver. Cessez pourtant de ver-j « ser ces larmes. Votre douleur est inutile. Si nôtres j> destinée n'est pas de périr , nous nous re.verrons. 35 bientôt. IVIais , o nos braves amis ! si vos compa- ti gnons succombent , songez que c'est vous que leut » mort demande pour vengeurs. Appaisez notre sang ?> en levant sur nos meurtriers le terrible tomahawk , » en faisant couler des torrens du leur dans ces bois 55 témoins de leurs succès cruels , afin que ces orgueil» n leux ennemis ne puissent du moins jamais indi« }5 quer le lieu où nous aurons succombé victimes de n leurs coups 5», ' ( 236 ) i?&9. sor-tout où le soleil darcloit ses rayons , îetTr donnoit l'air le plus imposant et le plus re- Aou t. St l'on se rappelle que ce morceau est traduit de vers «nglois qui ne sont eux-mêmes qu'une traduction de li langue Ckérokèe} si l'on songe que les pensées per- dent beaucoup de leur force et de leur beauté à mesure qu'on s'éloigne de l'original , on se formera une haute laion des nommes qu'anime un pareil enthousiasme. La grandeur des idées, la vivacité ces sentimens , cette Mchle fierté qui caractérise l'indépendance ,• tout j étonne , tout y annonce des aines vigoureuses , des cœurs magnanimes. Je doute que les vers par lesquels Tyrtée en/la ;nmoit jadis le courage àes Lacédémoniens rolant au combat , fussent le fruit d'une verve plus mâle et plus poétique. Ce n'est pas non plus sans un sentiment d'admiration qu'on retrouve dans une chan- son de guerre de Sauvages Finie des plus belles compa- raisons qu'ait enfantées le génie de l'immortel auteur cîe l'Enéide. Le passage : « oui , comme une femme m qui , à l'aspect d'un serpent superbe , etc. » ne pa- roit-il pas la traduction fidelle de ces beaux vers ? Jmprovisum aspris veluti qui sendbus angnem Pressit humi Jiitens , trepidusque repente réfugia sfttolltjttem iras- et caerula colla tumeiitem : Haud secàs Ajidrogeos t/su trernefaelus abibat. .AEneidos , libre secundo , v. 3~o et s. Une telle conformité de pensées et d'expression ( q37 ) doutahle. De leur coté, les femmes encoa- t~58. rageoient les guerriers : ^lles leur cri r , Aoôt. comme les héroïnes de Sparte : Rèveh & -victorieux , ou ne revenez plus. Il est a présumer nue la pins terrible hi- reur anime ces peuples sauvages dans leurs batailles, ou, pour mieux -(lire, dans leurs brusques attaques, et qu'ils s'y portent *t des actes de ia plus révoltante inhumanité. Ils ne font pas la guerre avec les mouve- mens d'une tactique régulière : mais leur vengeance est satisfaite , leur soif de san<* appaisée, et leur triomphe complet, '.:■■ - qu'ils réussissent dans une irruption sou- daine , ou dans quelque stratagème dont l'effet est prompt. Nous laissâmes aux gens du détacherneTit que nous avions à terre des instructions convenables aux circonstances. Isous leur prouve bien , sans doute , que le poëte puisait lv~* I siennes dans la nature. Voyez aussi dans les Voyages de J. Long quel- ques chansons sauvages. Elles respirent toutes la plus énergique fierté , la plus entière abnégation d'eux- mêmes ? en un mot ; un héroïsme vraiment surnaturel. Noie du Traducteur, ( 238 ) tpSf. recommandâmes de se tenir toujours sur Août, leurs gardes, et de redoubler de vigilance > s'il étoit possible , sur - tout dès qu'il arri- veroit des étrangers dans Ventrée. Nous pré- vîmes le cas où nos boas amis de Nootka seroient vaincus et poursuivis jusques dans leurs parages, et ordonnâmes expressément g. nos gens de leur porter secours sur le champ et d'embrasser la querelle. Enfin , nous les engageâmes à ne pas se laisser en- traîner par un sentiment d'humanité mal entendue à renouveller aucune espèce de communication avec les matelots bannis du vaisseau ; mais plutôt à abandonner ces coupables à toute la misère de leur condi- tion présente , et à l'horreur de leur re- pentir. (*39) CHAPITRE XIX. Nous mettons à la voile pour gagner le Port Cox. — Nous rencontrons la Prin- cesse Royale. — Bons offices que les deux vaisseaux se rendent de part et d'autre. — -Mouillage dans le Port Cox. ha Princesse Royale met à l'ancre dans le Port flan na. — Séjour de TVicana* nish à Clioquatt. — Nous y envoyons la chaloupe à deux fois différentes avec des présens.» — Description de Clioquatt. Occupations des naturels. — agréables relations de trafic avec eux. Nous envoyons une troisième j vis la chaloupe à Wwananish pour prendre congé. — Message de la part de ce chef qui ar- rive ensuite à bord, — Son fils témoigne le désir de s'embarquer avec nous; nous le refusons. Nous mettons à la voile 3 et jettons l'ancre de nouveau dans l'en- trée du Roi George. — Arrivée de /'Iphi- génie. — Conduite amicale de Tianna à notre égajxl.— Arrivée de Maquilla et 17$$. Août. ( ^4° ) ij$$. d tous cannh* baies. — Les ha b i tans des lies Sandwich n'ont point ces affreuses inclinations . .A. peine sortions - nous de l'emboucliure de Ventrée qu'une brume épaisse se répan- dit autour de nous , et nous obligea de res- ter en panne. Dans la soirée , elle se dissipa^ et nous apperçûmes la Princesse Royale à deux ou trois milles de nous , au vent du vaisseau. Dès qu'elle nous eut découvert , on tira de son bord un coup de canon sous le vent du vaisseau , et on hissa pavillon. Nous répondîmes à ce signal , et aussitôt elle arriva vent arrière , et l'on se parla d'un bord à l'autre. Je lis mettre sur le champ la chaloupe en mer, et me rendis à bord de la P/*z7z- cesse Royale. Je ne connoissois pas per- sonnellement le capitaine Dimcan qui com- mandoit ce vaisseau. Mais j'avois été plei- nement (2fl ) foement instruit en Chine de l'obji t et fie 17HS. î'éterulue de son voyage, et j'épr juvoîs la A eut. p!us vive iin patience d'offrir, soit à lui, soit aux personnes qui composoient son petit équipage, tous les services dont ils pôur- roient avoir besoin > ou qu'il seroit en mon pouvoir de leur rendre. Je déclare que loin de m'arrêter à une aussi petite considéra- tion que celle de la rivalité d'intérêts; loin de sentir en moi le moindre éloi^nement. je ne fus alors animé d'autre désir que de eu lui de remplir le devoir que m'imposok îa qualité d'homme et d'Anglois. La Prin- cesse Royale ne portoit pas tout - à - fait cinquante tonneaux. Elle ne contenoit que quinze hommes ; et lorsqu'on sait que ce vaisseau avoit doublé le cap H.rn, et tra- verse la vaste étendue des mers Pacifiques du Nord et du Sua, on peut se former une idée des maux que l'équipage* a soufferts ± ainsi que du courage infatigable et de l'ha- bileté de l'officiel chargé du cotrimande- ment de ce vaisseau. Il y a , certes, toute raison de croire que ce petit vaisseau a plus travaillé pour le bénéfice de ses proprié- taires, qu'aucun de ceux qui ont jamais fait voiles à la côte nord ouest d'Amérique. Tu me II* Q ( M* ) ■57$8. Le capitaine Dnrican et son équipage Août, entier me reçurent sur le gaillard. Pendant qu'il nie conduisent à sa chambre , je ne pouvois m'empêcher de le regarder avec un Deil de surprise mêlée de plaisir. La pre- mière question que me fit cet officier fut quel avoit été le sort du vaisseau le Nootka^ au sujet duquel il me témoigna de vives •inquiétudes (i). Il avoit entendu parler des divers accidens que ce vaisseau avoit es- suyés, et me lit part de ses doutes sur l'au- thenticité de son voyage à la Chine. Je cal- mai ses craintes en l'assurant que je coin- m an dois moi - même le IS'ootka dans ce désastreux voyage dont l'idée seule réveil- loit toute sa compassion , et j'ajoutai qu'il voyoit en moi un concurrent qui , comme lui, poursuivoit , mais sans une jalouse ri- valité, les faveurs de la fortune. Son éton- nement , en cetie circonstance , surpassa tout ce qu'il pouvoit croire ; et sachant ce que j'avois souffert dans mon premier (1) On se souvient , sans doute , que le Nootka est le vaisseau sur lequel le capitaine Meares étoit parti du Bengale pour exécuter son premier voyage en 1786. Note du Traducteur. (a*3) Voyage , il ne concevoit pas comment il 'étoit possible que je me fu§se déterminé si jDromptement à me rembarquer pour aller Courir de nouveaux périls sur la Cote d'A- in érique. Il y avoit près de vingt mois que la Prin^ cesse Royale étoit partie d'Angleterre. Ce vaisseau manquoitd'un grand nombre d'ar« ticles sans lesquels il est surprenant qu'il ait pu continuer son voyage. Quoiqu'épuisé de fatigues ., dans un climat et par une sai- son dont la rigueur exigeoit le secours de cordiaux capables de ranimer la vigueur de ses matelots , il étoit réduit depuis long- temps à se passer de liqueurs , sa provision; étant entièrement consommée. Nous nous trouvâmes très - heureux d'être en état de leur en fournir une petite quantité. Le ca- pitaine Duncan nous offrit en retour et sans réserve tout ce qui pouvoit être à notre convenance parmi les articles qu'il avoit à bord (1)0 (1) Lorsque je questionnai le capitaine Duncan suc l'état déplorable auquel il s'étoit vu réduit , il me dit qu'il avoit rencontré le capitaine Dixon, commandant Au vaisseau la Reine Charlotte} et que 7 malgré que c« 178?. A oui; 17SS. Destinés, comme nous l'étions , à errer Avài. longtemps sur une côte inhabitée et placée à 1-extrêmité du globe , exposés à mille | périls divers et à toutes les horreurs d'une pareille situation , nous éprouvâmes , de part et d'autre, un même sentiment d'intérêt pour un sort qui nous étoit commun , et un même désir d'en adoucir les uns pour le3 autres l'extrême rigueur, du moins au- tant qu'il étoit en notre pouvoir. Nous nous séparâmes alors. La Princesse Royale continua sa route vers le sud-sud- est , et nous poursuivîmes là nôtre le long de la côte. Ce vaisseau touchoit presqn'au terme de son yoyage. Il se dirigeoit vers les îles Sandwich pour y prendre des ra- fraîcliissemens , et delà , retourner en Chine vaisseau retournât alors à la Chine , et lut abondant ment fourni de toutes les provisions nécessaires , mal- gré qu'il appartînt aux mêmes propriétaires que la 2Jrmctsse Royale , le prévoyant officier avoit jugé plus à propos d'emporter toutes ses provisions à la Chine que d'en accorder la moindre partie à ce der- j nier vaisseau , dont l'équipage auroit trouvé dans un» pareille ressource un grand soulagement aux fatigue» Je son périlleux Voyage. Ifote de V Auteur, ( 2(5 ) avec l'a riche cargaison de fourrures qu'il 178$ g'étoit procurée. Août» Vers neuf heures du soir , le vent sauta k l'est-ijuart sud. Comme il nous dcven» ainsi très-contraire, nous fumes obligés de virer vent devant et de porter en mer. Ce ne fut que le 10 dans la matinée que Dimanche- nous arrivâmes par le travers du Port Cocc. l0^ La Princesse Royale venoit d'y mouiller, peu d'heures auparavant, sur la barré d'un petit port où résidoit le chef Hanna notre ami. Au moment où nous passions , le ca- pitaine Duncan nous envoya sa chaloupe pour savoir si nous désirions qu'il nous conduisît dans le havre. Mais comme nous nous proposions de mouiller dans le Port Cox > nous nous conten lames de le remer- cier de ses bienveillantes attentions. Il vou- lut cependant que sa chaloupe nous accom- pagnât jusqu'au moment où nous mîmes à l'ancre dans l'intérieur du port, c'est-à- dire , vers les cinq heures du soir. Elle nous quitta alors pour retourner au vais- seau , et passa au travers des canaux qui se trouvent entre les îles et la p-eine mer, à environ quinze milles de distance. ï^es, derniers vent;:' d'est avoient force la > Q3 ( atf ) $7$?. Princesse Royale de chercher un abri dans Ao'lt. ce havre ; le projet du capitaine étoit aussi d'y faire de l'eau et de recueillir du bois , avant de quitter la côte d'Amérique. A notre arrivée au Port C03;, nous trou- vâmes que Wicanaiiish. étoit déjà parti pour aller prendre plus loin ses quartiers d'hi- ver , dans un lieu situé tout au haut du port , à trente ou quarante milles du vais- seau, kpndi Le 11,, j'envoyai la chaloupe vers ce chef, jV avec des présens pour lui. Elle revint dans la soirée. Elle avoit rencontré Wicananislï y .... . dans un petit village situé à - peu - près à vingt milles du vaisseau, et qui étoit comme son quartier de rafraîchissent en s. Il fit aux ?rens de notre détachement l'accueil le plus distingué. En retour du présent qu'on lui avoit remis de ma part, il envoya à bord quarante peaux de loutres de la plus belle qualité , et s'empressa en outre de témoi- gner combien il desiroit que la chaloupe fût envoyée bientôt après au village où il devoit séjourner l'hiver, et où il se rendoit en ce moment. Mardi, Le 12, quoique le temps fût assez incer- tain , je lis pai tir la chaloupe pour le lieu, ■' y ( *i7 ) de la résidence de Wicananish. On la rem- 17&&. plit de divers articles de trafic et de queU Août» que s présens agréables , parmi lesquels on n'oublia pas de placer la chaudière de cuivre^ dont nous avions déjà parlé à ce chef, et que- toute sa famille atfcendoit avec la plus vive- impatience. La chaloupe ne fut de retour que le i/\. Jeudi Ce jour , l'officier nous donna les détails liX-% de son peut voyage , tels qu'on va les lire. Le matin du i3 , il arriva à Clioquatt y lieu de la résidence de Wicananish pen- dant l'hiver. Ce village coiisistoit , comme les autres petites villes , en plusieurs mai- sons semblables à celies dont nous avons déjà donné la description , mais construites- plus commodément. On y remarquoit, plus que dans aucunes de celles que nous avions déjà vues , cette grossière magnificence dont ils les embellissent. Le village étoit très- gran d et très-peuplé . La- maison du chef avoir/ beaucoup plus d'étendue que celle qu'il occupoit dans le village situé près de la mer, lorsque nous visitâmes , pour îa pre-- œiière fois , les terres de sa domination. Les habitans étoient tous occupés en ce mo- ment à empaqueter du poisson dans des, 1 i ( 243 ) 1788. nattes, à en serrer les laites dans dçs ves- Âoût. sies , à couper des morceaux de baleine, à faire de l'huile de la graisse de ce poisson. et à la verser dans des peaux de ve~u. Tous ces préparatifs leur étoient dictés par une. sage prévoyance pour les besoins de l'hi- ver. La quantité considérable de provisions de tout genre que nos gensTerrrarquèrent cnez eux étoit sans doute un motif de croire qn'i's n'auroierrt point à redouter la famine dans la saison rigoureuse dont on appro- çliok alors. L'hiver est, sur cette côte, le temps I® plus heureux de l'année en ce qu'il favo- rise davantage leur sensualité, et leur offre des ressources à l'aide desquelles ils peu- vent plus facilement pourvoir à leur sub« distance. Ils n'ont d'autres soins, d'autre occupation que de pêcher les énormes ba- leines qui, à Cv.te épo pie de l'année, sem- blent accourir par troupes dans ces mers pour procurer à ces p uples les moyens de bien traiter les chefs voisins qui viennent leur rendre visite. Wicananish reçut nos présens avec toutes les marques de la plus vive satisfaction. Mais il honora la chaudière de cuivre d'une a ( a& ) Uontlon p~\u*> particulière , et la porta lui- 1788. même, d'au air de triomphe, pour être Août, placée parmi ses tréjors. II déclara, à plu- sieurs reprises, qu'aucune considération ne nourroit le déterminer désormais à se des- saisir d nu dépôt au^si précieux. Douze épées à poignées de cuivre composoient une partie des présens que n >s gens étoient chargés d'offrir à ces naturels ; elles attU rôrent tout a la fois leur recbnnpissance et leur admiration. Nous avions fabriqué ex- près plusieurs articles que nous savions être du goût de leurs femmes : aussi disputoient- clies les unes avec les autres d'égards et d'attentions pour nos compagnons. Nos re- lations de trafic avec les sujets de Wicana- nish devinrent alors plus avantageuses et plus agréables qu'elles ne l'avoient encore été jusqu'alors. Nous en reçûmes une pro- vision considérable de fourrures ; la cha- loupe revint chargée des heureux produits de son commerce pendant ce voyage, et l'équipage extrêmement satisfait Je l'accueil que lui a voit fait Wicananish. Quoique nous eussions toute raison d©. xious ieliciter du succès de no- opérations. Commerciales^ nous nous déterminâmes à i8. ( z5o ) ty8$m envoyer à Wicananish une autre ambas- Acût. sade , qui , si elle n'étoit pas , pour le mo- ment , une source de nouveaux avantages, auroit au moins pour effet de laisser dans le cœur du chef et parmi ses sujets des im- pressions avantageuses pour nous et des sentiniens durables. En conséquence, dès Lundi le 18, j'envoyai la chaloupe au village pour prendre congé de Wicananish en notre nom, et ( ce qui étoit beaucoup plus im- portant ) pour lui porter nos présens d'a- dieu. Nous voulûmes prouver , en cette oc- casion , combien notre amitié étoit désin- téressée . en choisissant nour les leur en- voyer , les divers articles qui pouvoient flatter davantage les goûts de ces naturels ïnconstans et légers. IN eus y ajoutâmes aussi" plusieurs habits garnis d'une quantité de boutons, et le couvercle d'un grand alambic de cuivre. J'ordonnai qu'on leur remît de notre part ce magnifique présent., et défen- dis expressément qu'on acceptât d'eux la moindre chose en retour. La chaloupe revint dans la soirée du 19, après avoir exécuté ponctuellement mes ordres. Elle m'apporta de la part du chef un message par lequel il me prévenoit que ( 25l ) son intention étoit de se rendre au vois- î7gg, seau le lendemain , et me témoignolt , en Août, conséquence , désirer que nous différassions notre départ pour le recevoir à bord. En effet, le 10 même, nous eûmes la Mercredi visite de Wicananish. Il étoit accompagné ^ de son frère , de ses deux fils, de trois do ses femmes , et d'un grand nombre de nalu- rels venus du village avec leur chef pour avoir une nouvelle occasion de trafiquer avec nous. Nous profitâmes de la circons- tance pour nous procurer par eux une assez bonne provision de fourrures. De son cûté, le chef nous offrit en présent plusieurs peaux de loutres de la plus riche espèce ; et, quoique nous dussions croire avec fon- dement qu'il voudroit disputer avec nous de générosité en refusant, à notre exem- ple , ce que nous lui offririons en retour, il ne put se déterminer à renvoyer une paire de mousquetons et de la munition que nous lui donnâmes en grande quantité. Un pa- reil présent avoit pour lui quelque chose de trop attrayant pour qu'il écoutât, en ce moment, sa délicatesse ordinaire. 11 le. le-ardoit comme un trop utile moyen de. ( i5i ) i7g£ défense contre Ies-însultes de son puissant Août, voisin, Je chef Ta'tootebe i pour ne pas l'ac- ceptéravec autant de joie que de recon- noissance. Il nous demanda , du ton de la plus sincère sollicitude , combien il se pas- feeroit de lunes avant que nous fussions de retour, et nous pria avec tontes les ins- tances imaginables de préférer son port à tout autre. Un de ses fils, jeune homme d'environ dix - neuf ans, témoigna un. violent désir cle partir avec nous. Mais nous jugeâmes prudent de ne pris déférer à cette demande. Nous nous rappeîlions tout ce que nous avions naguère éprouvé de tourmens et d'inquiétude en consentais à nous char- ger, même de l'aimable Tianua. Ce jeune Homme étoit , par la figure et par la taille, le plu. beau cle tous les naturels que nous avions vus jusqu'alors sur la côte d'Ame- ri .-pie. Non-seulement il paroissoit rempli d'esprit et de vivacité , mais encore tout rnnonçoit en lui un caractère docile et les plus heureuses dispositions. Je ne doute | ls que, s'il eût fait le voyage de la Chine il n'en fut revenu beaucoup plus avancé- ( 253 ) que Oineka^, et bien pins capable lui 178S. d'éclairer son pays et d'm deyeaic L'unie- A ment. V/icaiiamim et S( s naturels nous quitta rent avec toutes les marqués d'un venta.)' ; regret, et en nous réitérant leurs prières ç}a ne pas tarder à revenir p:inui hi.k. Apiîs avoir fait aos adieux à ces naturels si bons et si généreux , nous remîmes à la voile dans la soirée du 20 ; et sans aucun événe- ment remarquable , nous vînmes mouille? . heureusement le 24 dans notre ancienne position de Y entrée du Roi George. Notre absence a voit -nrô si peu de temps que nous n'éprouvâmes au sujet de notre déta- chement resté kNootka , rien cle semblable à cette inquiétude qui nous avolt tourmen- tés si vivement lors de notre première sé- paration. Les matelots bannis de l'équipage restè- rent dans la triste situation où nous les avions laissée. Depuis le jour de leur fatal exil, la douleur, le désespoir et les remords étoient leur affreux partage. Au moins tout ce que nous vîmes fut il très-propre à jus- tifier cette opinion. Lorsque la Fetlce entra danpB Y anse des Amis , nous remarquâmes (^4) 1785. qu'ils la canfempl oient du rivage, et la vii.ë Août, du vaisseau nous parut ranimer un peut leurs esprits abattus. Le temps approchoit où nous avions tout lieu d'espérer le retour de YlpJugénie, d a- près les instructions que j'avois données au (Capitaine Douglas au moment de notre sé- paration. Comme nous connaissions par- faitement tous les dangers que ce vaisseau auroit à surmonter, nous commencions à Être tourmentés à son sujet de cette vive inquiétude que nous devions naturellement éprouver, lorsqu'un jour succedoit à l'autre sans que nous le vissions arriver. Nous pro- menions sans cesse des regards inquiets sur cette mer immense qui baigne la côte d'A- mérique , pour tâcher d'y découvrir des Voiles auxquelles nous pussions reconnoîtrè que nos amis approchoient. Mais nous ne vîmes , pendant quelque temps , qu'une vaste étendue d'eau qu'aucun être vivant n'animoit par sa présence, si ce n'est, de temps à autre, quelque pêcheur de Ventrée de Nootka, seul dans son canot. C'est ainsi que, tantôt nous flattant de revoir bientôt nos chers compagnons , tantôt frémissant a l'idée de ne les revoir jamais , triste* ( 25a ) souets, toitr-à-tour, de l'espérance et de la 1788. crainte , nous passions le temps de notre Août, travail: et, le soir , lorgne les occupations étoient finies, n -.us avions coutume de nous promener sur le rivage, derrière Y anse des -Amis, et de nous communiquer, les uns aux autres, Ie$ diverses réflexions qui s'étoient présentées à nous dans le cours des travaux de la journée. Le 26, à notre promenade ordinaire du soir , comme chacun de nous faisoit part aux autres de ses pensées et de ses conjec- tures sur le sort de Xlplûgénie , nous ap- perçûmes tout-à-coup ? non sans des trans- ports de joie inexprimables , un navire qui tenoit le large. Tout nous portoit à croire epae ce ne pouyoit être que le vais- seau si impatiemment attendu. Nous ne nous trompions point : c'étoit 1' ' Iphigéme ; ^ercrcc]î et dès le 27 , au matin , elle vint mouiller 27. dans Y anse des Amis. Un aussi heureux événement fut célébré, comme on peut le croire , par tcut le vais- seau. Je donnai ordre sur le ciiamo i\\ les travaux fussent suspendus, afin que ce jour fût un jour de repos pour le corps comme il en ésoit un de joie pour l'esprit. En un ( i.56 ) 1-88. mot, notre fête , en cette occasion , et sur Acût. une côte éloignée et affreuse par son as« pect, se pissa avec des transports Je satis- faction qu'on n'a jamais connus clans les brilla? tes cérémonies des nations ies plus policées. Le récit des dangers passés , ies épanchemens d'une vive amitié dont il étoit enfin permis de se renouveller ies témoi- gnages, le succès qui avoit couronné nos périlleuses expéditions , la cjouce perspec- tive de rentrer un jour dans nos foyers pour en recueillir les fiuits , tels éloient les suiets de nos entretiens : les aurémens de la table et le plaisir d'être ensemble met- toient le comble au bonheur de ces déli- cieux instans. Ce qui ajoutoit beaucoup à la satisfaction. dont nous jouissions alors, b'étoit, comme on le concevra sans peine , de voir que l'équipage de Ylphigénie avoit échappé tout entier aux malheurs qui le menaeoient ^ lorsque nous nous séparâmes de lui , et qu'au moment de notre réunion , toutes les personnes à bord de ce vaisseau étôieflt remplies de santé et de vigueur. La joie qu'éprouva Tianna en se retrouvant avec des ( 2^7 ) ictes amis qu'il n'avoit quittés qu'avec les ,-g£. signes de la plus vive douleur , devoit na- Aoâr. turellement attendrir tous ceux qui étoient témoins de ses transports, et des effusions de sa reconnoissance. Mais il seroit impos* sible d'en faire passer le sentiment dan» l'ame de ceux qui n'ont point lu sur soi! visage tout ce qui se passoit dans la sienne. Nous ne fûmes pas moins satisfaits nous- mêmes de ce que nos compagnons le rame- noient au milieu de nous , si heureusement rétabli d'une maladie qui nous avoit fait craindre de ne plus le revoir jamais. Il faut dire la vérité. Sa physionomie étoit tout- à-fait changée : il portoit toujours un bon- ïiet de fourrures , et d'autres habillemens très-chauds dont il avoit pris le parti de se vêtir l'hiver , pendant que VIpJûgénie étoit dans Ventrée du Prince Guillaume et dan* la rivière de Cook , de sorte que nous ne le reconnûmes pas dans le premier moment. Mais la vivacité de sa joie ne nous permit pas de rester long-temps dans l'incertitude. Au reste , quoiqu'elle fût accompagnée de plus de démonstrations que la nôtre , elle n'étoit pas plus sincère. Il est certain que ses manières agréables lui avoient tellement* To/ne //» R ( 258 ) *W88. concilié tous les cœurs qu'il n'y avoit pas Août, dans le vaisseau un seul matelot qui n'ai- niât Tianna autant que lui-même. Nous avions cru d'abord que rien ne pourroit ajouter à son bonheur dès qu'il auroit revu ses bons amis. Mais nous fûmes bientôt persuadés que ses jouissances pou- voient augmenter encore. Car, lorsqu'il sut que nous nous proposions de partir sou« très -peu de jours pour nous rendre aux îles Sandwich 9 les expressions de sa joie n'eu- rent plus de bornes. C'étoit un extravagant abandon j un excès, une véritable frénésie. Il s'écoula quelque temps avant que ses idées se calmassent assez pour qu'il pût goûter plus tranquillement le plaisir qui l'avoit ainsi transporté. Nous réservions le nouveau vaisseau pour le voyage aux îles Sandwich. Quand on le lui eut montré , et qu'on l'eut informé de sa destination > il le contempla avec autant d'attention et d'ar- deur que si ses yeux eussent été jettes hors de leur orbite vers le vaisseau ; et , jusqu'au moment où il fut lancé en mer, il ne cessa de rester auprès des charpentiers dont il examinoit toutes les opérations , et suivolt tous les travaux. Nous l'entretînmes dans ( *% ) ces dispositions ; et l'on ne sauroît croire :78g, combien il s'instruisit de tons les détails de Août, la profession du charpentier pendant le court espace de temps que nous passâmes dans Ventrée du Roi George. Le 2.7, tandis que nous étions occupés à Visiter le village , Maquilla et Callicum re- vinrent de leur expédition guerrière. En entrant dans le canal , leur petite armée jetta le cri de la victoire. Il falloit effecti- vement qu'ils eussent obtenu quelques suc- cès : ear ils rapportoient dans leurs canots plusieurs corbeilles qu'ils ne voulurent point -ouvrir en notre présence ; ce qui nous fit soupçonner y comme nous en acquîmes de- puis la certitude par l'aveu même de Cal- licum , qu'elles renièrmoient les têtes deâ ennemis qu'ils avoient tués dans le combat. On en comptoit trente. Mais les chefs de JSfootka ne remportèrent pas cet avantage Sans avoir aussi à regretter des guerriers. Ils nous rendirent alors les armes qu'ils avoient reçues de nous ; quant à la muni- tion , elle étoit entièrement consommée. Nous nous apperçûmes en effet qu'ils avoient fait feu plusieurs fois avec leurs paousquetS} et Callicum nous assnra qu'ils Ha ( s6o ) i7$8. venoient de tirer une vengeance éclatant© Août, des actes d'hostilités exercés contr'eux par leurs ennemis , et que , Je plus , ils avoient ► conquis un riche butin de peaux de loutres de mer dont ils s'étoient tous empressés de se faire une parure . Le chef de Vile Sandwich ne témoigna pas, comme nous nous y étions d'abord attendus , la moindre surprise à la vue de Maquilla et de son armée. Comme VIpki- génie a voit eu de fréquentes communica- tions avec les naturels qui habitent le long de la côte depuis la rivière de Cook jusqu'à Ventrée du Roi George , ni eux ni leurs mœurs barbares ne pouvoient être quelque chose de nouveau pour Tianna qui n'avoit jamais eu pour eux une grande considé- ration. En effet , lorsque ce chef, avec ses formes vraiment colossales, se tenoit près de Maquilla qui étoit de petite taille , on remar- quons entr'eux une différence qui devcit , non - seulement frapper tous ceux qui les voyoîent ensemble, mais encore faire naître dans le cœur de l'un des mouvemens d'or- gueil, et dans celui de l'autre des sentimens de jalousie, dont l'opposition ne permet- toit pas qu'il existât jamais eau 'eus un* <*«» ) amitié sincère. Tianna et Comekala 5e con- 1788. Iioissoient depuis long-temps, mais ils n'en Aoûr. étoient pas pour cela meilleurs amis. Le premier faisoit très-peu de cas de l'autre ; aussi l'entrevue qui avoit lieu alors nous parut - elle ne pas causer une grande joie ni à l'un ni à l'autre. Lors de son premier départ d'Amérique, Comekala avoit été aux îles Sanawlch. Le vaisseau s'y étoit arrêté pour prendre des provisions fraîches. Ce chef avoit donc été en état, à son retour, de rendre compte à Maquilla 9 ntHL-seùle-f ment de Tianna., mais encore du pays d où. il venoit, et il est probable qu'il ne s'étoit expliqué ni sur l'un ni sur l'autre dune manière avantageuse. Quoi qu'il: en soit , Tianna avoit en exécration les affreux usa- ges des naturels de Nootka : il ne pouvoit songer à leurs inclinations cannibales, sans exprimer en même temps tout ce qu'elles lui inspiroient de répugnance et d'horreur. Il est certain qu'on ne peut pas établir de comparaison entre les habitans des îles Sandwich et leurs mœurs , et l#s naturels parmi lesquels nous nous trouvions alors, non plus qu'avec aucun autre peuple du continent d'Amérique. Les premiers ont une grande ï>3 ( z6z) 1788. supériorité sur tous les autres en ce qui Août, concerne ce que nous appelions les res- sources industrielles. Ils sont aussi beaucoup plus voisins de la civilisation. Ils s'observent particulièrement sur un point qui distingue bien la vie policée de la vie sauvage , sa- voir la propreté. Ce n'est pas seulement clans la manière d'arranger les mets dont ils font leur nourriture qu'on remarque cet heureux goût : on le découvre encore dans l'intérieur de leurs maisons , et dans le soin qu'ils ont de leurs personnes. Les naturels de la côte nord ouest d'Amérique sont, au contraire, si sales qu'ils ne le cèdent en rien, sur cet article, aux animaux les plus dégoûtant, et que nous devons épargner ici au lecteur toute description dont ils seroient l'objet. En effet , outre que leurs alimens sont déjà peu propres à flatter la sensualité, la manière dont ils les mangent, ou plutôt dont ils les dévorent, ajoute en- core à l'extrême dégoût que leur vue ins- pire. Au reste, n'y eût-il pas d'autre motif de leur assigner une place bien au dessous des compatriotes de Tianna , leur canni-ba* iisme seul les tient à une énorme distance du rang qu'occupent ces derniers parmi les ( 263 ) liommes. Je me garderai de passer ici sous 178$. silence la déclaration solenmeile qui m'a Août, souvent été faite par ce chef, savoir, que les naturels des îles Sandwich ont la plus grande horreur pour le cannibalisme. Ils peuvent avoir immolé quelquefois des vic- times humaines sur les autels de leur Divi- nité ; mais ce qu'il y a de certain , c'est qu'ils n'ont jamais songé à satisfaire leur sensualité par de pareils sacrifices. Oui , je crois fermement,, et j'aime à me flatter que ce ne sera pas une vaine espérance , qu'on parviendra à faire abandonner à ces natu- rels leurs barbares usages, même dans leurs actes de religion , et que nous compterons quelque jour au rang des sujets civilisés de l'Empire Britannique , près d'un million d'hommes qui habitent les îles Sandwich. R4 (**4) 178?. Août. CHAPITRE XX. l'équipage de Wphfg&né travaille au nouveau vaisseau. Arrangeons pjis relativement aucc vaisseaux. Les na- turels se disposent à se retirer dans leurs quartiers d'hiver. - Mesures rela- tives à nos bannis ; nous consentons à les recevoir de ?wuveau à bord; quelles sont les conditions. Maquilla et Cal- licum nous rendent une visite avant leur départ. Présens que nous faisons à ces chefs. _ Intelligence du dernier Ingratitude de Comekala.*~Nous apper-* cevons un vaisseau dans la haute mer. La chaloupe est envoyée à son se- cours. — Le Washington arrive dans Ventrée Détails de son voyage > etc>- — - Le nouveau vaisseau reçoit un nom et est lancé à la mer. ~ Choix de per- sonnes destinées à en former l'équipage. -—Ordres donnés au capitaine de l'ïphl génie. — Tianna se remb<:rq7ie à bord 4e ce vaisseau. —Le contre-maître dis* ( 2.65 ) gracié se sauve. // est secouru par le 178?. maître du Washington. — Nous quittons Août. Ventrée du Bol George pour gagner les lies Sandwich. Ij'arrivée de XJphi génie eut pour effet, non-seulement de ranimer notre courage et de nous donner, pour ainsi dire , une nou- velle vie, mais encore de nous déterminer à reprendre nos travaux avec plus de vi- gueur que jamais. Nous formâmes donc un fort détachement, et rien ne nous empêcha plus de croire que Je vaisseau pourroit être lancé à la mer vers le temps où nous nous Tétions proposé. Le voyage A.erVlphî génie avoit beaucoup contribué à augmenter l'espoir flatteur que nous avions conçu de rendre la côte nord- ouest d'Amérique un poste très-important pour le commerce. Ce vaisseau avoit fait voiles tout le long de la côte d'Amérique depuis la rivière de Cook jusqu'à Ventrée du Roi George > et rapportoit les preuves les plus incontestables de l'existence dw grand Archipel du Nord. Mais je crois avoir ( i66 ) 178& pleinement sat'sfait la curiosité du lecteur Aom* sur cet objet si nouveau , et d'un intérêt si général , dans le mémoire qui sert comme d'introduction à ces Voyages. Les ouvriers de Ylphigénie furent em- ployés sur le champ à aider ceux de la Felice dans la continuation des travaux qui avoient pour objet l'achèvement du vais- seau. Ils ne purent se défendre d'un mon- Tement de jalousie en voyant l'ouvrage que nous avions fait. Ils n'en conçurent que plus d'émulation et d'ardeur pour participer à l'honneur d'y avoir contribué, de manière que tout nous laissa présumer que notre arsenal de marine ne tarderoit pas à être complet. Les matelots ne restoient pas non plus dans l'inaction. Quelques-uns se joi- gnirent aux cordiers ; d'autres allèrent gros- sir le détachement chargé de couper des esparres pour les besoins du moment , et sur-tout de tailler un mât de misaine pour la Felice qui , comme je l'ai rapporté plus haut , avoit eu le sien brisé , peu de temps après notre départ de Samhoingan. L'époque approchoit où nous devions nous éloigner de la côte d'Amérique ; et il ( a$7 ) ïious restoit assez de besogne pour remplir i783. l'intervalle. Août. Non-seulement il nous falloit lancer à la nier le nouveau vaisseau , l'armer et l'équi- per pour un voyage de près de quinze cents lieues ; nous avions aussi les deux vaisseaux à réparer de manière qu'ils pussent remettre en mer ; et si l'on considère avec notre situation la nature des ressources qui nous restoient , on conviendra sans ''oute que nous n'eûmes pas de légères difficultés à vaincre , et que ceux qui les ont surmon- tées méritent au moins les éloges dus à la plus active industrie et à la plus courageuse persévérance. On eut bientôt complété un assortiment de voiles neuves pour le vaisseau qui étoit sur le chantier. Il devoit être gréé comme une aoëlette , ce qui ne demanda pas au- tant de temps : mais, à l'exception des voiles destinées à le défendre contre la violence des ouragans, ce fut tout ce que nous pû- mes faire pour lui dans ce genre de ma- nœuvres. Lorsque nous nous vîmes si heureusement avancés dans nos préparatifs pour les nou- veaux voyages que nous étions sur le point ( 268 ) 1788. de faire, nous songeâmes sérieusement à :* nous occuper des diverses réparations qu'exi- geoient les deux autres vaisseaux , non-seu- lement pour la saison actuelle, mais encore pour l'année suivante. Nous avions amassé une riche cargaison de fourrures ; il étoit de notre intérêt de la transporter le pins expéditivement possible à la place de com- merce à laquelle nous la destinions. Il fut t. donc résolu que dès l'instant où le nouveau vaisseau seroit lancé à la mer , la Felice gagneroit directement la Chine , et que Y Iphigénie resteroit avec la goélette , pour suivre l'objet principal de nos travaux com- muns , c'est-à-dire , les opérations de com- merce. Les choses ainsi réglées , tous les efforts se réunirent pour mettre la Felice en état de partir. A cet effet, les voiliers commen- cèrent à travailler à ses manœuvres, et les maîtres-calfats s'appliquèrent à réparer les œuvres mortes qui, ainsi que les préceintes, exposoient beaucoup le vaisseau à faire des voies d'eau. Comme il étoit plus que pro- bable que nous arriverions dans les mers de Chine à l'époque d<* l'année où les tempêtes y exercent le plus souvent leun ( 269 ) ravages, noue apportâmes tous nos soins à 17^. faire les provisions nécessaires , aussi bien Septeaibr; qu'à pourvoir à tous les besoins du voyage. Enfin , nous nous livrâmes à cette impor- tante occupation avec une telle activité que„ dès le 4 septembre, le vaisseau se trouva Jeudi en état de mettre à la voile ; le nuit de misaine de l'avant étoit parfaitement assuré, et nous avions du bois et de l'eau en très- grande quantité. Les naturels commençoient , dès cette époque , à faire leurs préparatifs pour quit- ter le lieu de leur résidence actuelle , et se rendre dans la partie plus intérieure de X entrée. Chaque jour , nous en voyions quelques-uns d'eux s'embarquer de la ma- nière que nous avons rapportée dans un des chapitres précédens. Le 7, Maquilla et Dimanche Callicum nous rendirent une visite pour 7* nous informer officiellement que , sous peu de jours, ils partiroient avec tous leurs na- turels pour aller gagner leurs quartiers d'hi- ver à environ trente milles du vaisseau , et à-peu-près à la même distance de la mer. Dès que nous eûmes reçu cet avis, nous regardâmes comme un devoir pour nous de prendre des mesures relativement à nos ( 27° ) i^SS. bannis. Les maux qu'ils enduroient députa Septembr. leur exil, nous inspirèrent la plus vive com- passion. Le repentir sincère que nous re-* marquâmes dans leurs prières , la promesse qu'ils nous firent , en implorant notre indul- gence , de se mieux comporter et d'être plus fidèles à l'avenir, ne restèrent point sans effet. Mais il nous importoit d'agir, en cette occa- sion, avec toute la prudence et toute la ré- flexion dont nous étions capables. Avant de prendre un parti définitif, il falloit examiner mûrement quelle conduite j avois à tenir dans une crise où le sentiment de la commiséra- tion naturelle se trou voit balancé par le de- voir de ma place. Abandonner ces malheu- reux en partant, c'étoit un acte de rigueur qu'on pouvoit regarder comme une vérita- ble cruauté exercée envers eux : d'un autre côté , reprendre à bord des hommes donfe l'esprit entreprenant et porté à la révolte pouvoit, pour ne rien dire de plus, retar- der notre voyage , si même ils n'en déran- geoient pas entièrement le cours, c'étoit un parti qui pouvoit nous devenir funeste à nous-mêmes. Il est vrai qu'ils avoient expié par de cruelle^ souifrunces leur conduite passée* ; ( V1 ) Lorsqu'ils furent mandes pour entendre l?$%- yiotre dernière détermination à leur égard , Septcmbr, la pâleur de leurs visages , leurs yeux bais- sés , l'humble aveu qu'ils firent de leurs fautes dans les termes de la plus entière soumission et du plus vif repentir , nous dé* sarmèrent sur le champ et éteignirent toute espèce de ressentiment. Ils furent donc re- çus sur le vaisseau : mais je leur imposai pour peine la confiscation des gages qui leur étoient déjà dus pour neuf mois de services, et les prévins que désormais leur paie seroit proportionnée à la conduite qu'ils tiendroient à bord. Ils acceptèrent avec joie ces conditions , et rejoignirent enfin leurs camarades , après un intervalle de temps pendant lequel ils n'avoient éprouvé qu'un chagrin amer et les plus douloureux regrets. En les privant des gages qui leur étoient dus au moment où ils avoient conçu îe perfide dessein de se rendre maîtres du vais- seau , je ne faisois qu'exercer un acte de la plus stricte justice. Car, sans considérer l'atrocité de leur projet et les affreuses con- séquences qui seroient résultées de son exé- cution , ils avoient empêché que nous ne missions à la Yoile pour aller continuer les (b272 ) 17W. recherches et les opérations dont nous étions Scpterabr. chargés par nos commetîans. Ce retard seul avoit été cause dune perte réelle , et suffi» soit pour justifier une mesure par l'effet de laquelle ils se trouvoient souffrir eux-mêmes de cette perte qu'ils avoient occasionnée. Je dois dire , au reste , qu'à notre arri* vée à la Chine , tout ce qui leur avoit été retenu de gages, leur fut rendu, grâces à la générosité des propriétaires du vaisseau qui n'écoutèrent , en cette circonstance , que les sentimens de la commisération et de l'humanité. Après tout , nous ne pouvions prendre trop de précautions en nous déterminant à recevoir de nouveau parmi nous ces hom- mes vraiment dangereux. Ce fut avec une satisfaction mêlée de crainte que nous sui- vîmes l'inclination qui nous portoit à la clémence ; et dans l'intention de diminuer pour eux ^ autant qu'il seroit possible , les moyens de faire du mal , nous les répartîmes dans les deux équipages. Au moins, étoit- ce leur rendre plus difficiles et plus rares les occasions de communiquer ensemble* Le contre-maître , dont la conduite avoit été précédé® (s73) précédée par des preuves de désobéissance t g*. multipliées , et qu'on pouvoit regarder SepLbfc comme le chef de la révolte , fut excepté de l'amnistie générale. Dans tous les cas , lious crûmes nécessaire d'en faire un exem- ple. Ce qui nous décida d'autant plus à cette sévérité à son égard, fut qu'on ne tarda pas à se convaincre qu'il avoit ajouté le vol à ses autres excès. On le laissa donc enfermé dans la maison construite sur Je rivage. C'est ainsi que se termina cette désagréa- ble affaire. Mais., si nous n'avions pa*s eu le bonheur de découvrir à temps le fatal, complot; en un mot, si nous nous fussions trouvés assez loin du vaisseau pour ne pas entendre le premier cri d'alarme qui fut ■jette en cette occasion, les suites de cette sédition seroient non - seulement devenues [désastreuses pour le voyage, mais encore nous auroient peut - être entraînés nous- mêmes dans les derniers malheurs. Maquilla et Callicum vinrent alors pren- dre congé de nous. Ils étoient sur le point [de partir pour aller gagner leurs quartiers [d'hiver. Ils nous renouvelèrent , en cette occasion , dans les termes les plus afïêc- Tome II. g ( *7l ) 1788. tueux, et avec les démonstrations les pl«$ Septembr. expressives , l'assurance de leur amitié. lia savoient que nous ne devions pas tarder à quitter la côte , et nous témoignèrent dé- sirer avec beaucoup d'ardeur notre prompt retour. Maquilla nous conjura avec des ins- tances réitérées d'envoyer vers lui toutesfj les fois que nous voudrions remettre en mer îe petit mamatlee, c'est-à-dire, le vaisseau , promettant de venir lui-même avec ses na- turels nous donner tous les secours qui pourroient nous être nécessaires. Il est cer- tain que,, depuis long - temps, ils s'occu- poient à l'avance des obstacles et des peines que nous éprouverions ^ouv pousser , selon leur expression , le vaisseau dans la mer, lorsqu'il seroit complètement achevé. Ces deux chefs avoient suivi , avec la plus grande attention , les progrès de la construction depuis les premiers travaux jusqu'à ce mo- ment où elle étoit à la veille d'être termi- née. Mais ils n'y comprirent rien , et ne donnèrent aucune preuve de cette in tel li- cence qui croissoit , pour ainsi dire , et ss développoit de jour en jour dans l'esprit de Tianna. Quelque confiance que nous eussions dans '.""'-, » *■•!* . /'„.- ,/<■ /■' Terre /<." à'.. V-" "''■■" '■' ■ ■' mwtttnr,/, ,',>/,/.,./,■ KW. •■«&#*&&%/&■■ m, m ■ 1 !Smi /<>!//» ./• SootltS ( f} ) îa fidélité" de ces chefs, et dans la sincérité ,., . , 1785. des sentimens qu ris nous avoient témoignés c v jusqu'alors , comme c'étoit à nos présens que nous étions redevables des premières marques d'amitié que nous avions reçues d'eux ^ nous pensâmes que , pour nous en assurer la continuation , il seroit prudent de recourir à ces mêmes moyens dont !a puissance nous étoit connue. Le soin de nos intérêts pour l'avenir l'exigeoit ainsi. Nous offrîmes donc à Maquilla, un mousquet «vec une petite provision de munition et quelques couvertures. Callicum ne nous quitta pas non plus sans emporter de même des gges certains de notre affection. Nous fîmes entendre à ces chefs dans combien de lunes nous serions de retour parmi eux. Nous leur annonçâmes que nous amènerions avec nous quelques autres de ïios compatriotes ; qu'alors nous bâtirions am plus grand nombre de maisons , et que nous tâcherions de familiariser nos bons amis de Nootka avec nos moeurs et notre manière de vivre. Cette promesse parut leur causer la plus vive satisfaction ; et non-seu- lement ils s'engagèrent à nous apporter à notre retour une grande quantité de four- f 276 ) T~*$ rnrcs , mais encore Ma juiîla cun> devoir j Su :.,i br. dès l'instant même, nous rendre hoinifiave* comme à ses se'g?ieurs et sôuvehiins. 11 ÔLa son bonnet de plumes, et le jxsn sur ma tête 1' m'affubla ensuite (ie ta rol-e de peaux de loutres,, et ainsi décodé, il me lit asseoir sur un de ses eofires rempli d'o-se- mens hum tins, Quant à lui , il se p'aça à tcire. Son exemple fut sui\i par hais ica na U: els qui et >i^nt pfesgus ; et iis cofnnieri- cèrent alors à ahâhter ^ne de ces ruinai. ces plaintives dont j'ai dej 1 parié coiniile ay.:nt iair la plus grande îuipfesa on sur n >us pat1 les ehets agréables qui résuftôient de [eut musique» Telles urciit l^s cérémonies naif 1 isquelles il se p ut à recon huître , cri pré-» sence de ses sujets , nctre supériorité sur lui. Je pris alors con^c d'eux une seconde fois , et retournai à bord , revêtu de tout 1 attirail de la royau'é , et investi de la suprême puissance. A pt-jiie venions- noue de quitter ce chef que Callicuni accou.ut Vers nous pour nous expliquer en détail ] çtcîe si intéressant que je voulus router avec *?#& lui jus jn .i ■'. dein-'er moment. Je ne puis Scpitqib* SuYiupê.eher de n ndre cumpie de fout ce qui se pas a dans c< tt? entrevue définitive, qndjue minuteux qu'en puisse paroître le. $£ al II nous fi> l'énamération dune Ion- pne liste d'artic es qu'il desïroit que nous, lui apportassions à notre, retour. J'en pris. lii not-- par écrit, ce (]ui lui int infiniment, agi'éible. Les objets qu'il nous demanda put dessus t >'-t furent des bas, des souliers,, un chapeau et. d'autres parties de notre ha- Lijlement : et lors pie je lui eus donné IV-6* simtnce cpje tous ses \œux seroient satis- faits au delà même de son espérance, il part t , après, m'a *K>ir passe ^es liras, autouç du cou , tt m'avoir donné le bai cr le p:us affectueux . Ce tendre mouvement l'amitié, je le s nti.s vivement a'or> , que je>perois lerevoirun jour: je le sens encore au jour* d'hui, tt je sais cependant , helus ! que jq Vie le re verrai plus L Le pauvre Cal icum m'a o=r f iutco/moîrre par iculiérement en nous (jurttant , connus dans beaucoup d'autres occasions précé- dentes, les divers ai tic es ni lui lero-ent plaisir. Je trouvai depuis que tous les ua? S 3 ( Vf 8 > 178s, tureîs clu village avoient chargé , plus on Scptembr. moins , les journaux de nos gens, tant of- ficiers que matelots , de leurs différentes commissions. Les dames de Nootka ne né- gligèrent pas Bon plus de réclamer notre souvenir pour elles. Et je m'empresse de déclarer ici avec un plaisir mêlé toutefois , je dois l'avouer , d'un sentiment pénible 3 que, de notre côté, toutes leurs commis- sions furent le plus fidèlement exécutées. Nous avions confié ces divers objets à X Ar- gonaute , ainsi que plusieurs présens pour Maquilla , Callicum , Wicananish , et pour d'autres chefs résidant au midi de Y entrée du Roi George, tons de notre connoissance ; enfin j, pour ceux qui habitent au nord de cette même entrée , et chez lesquels Vljj/ii- génie avoit pénétré. Tout ce trésor avoit été choisi et arrangé avec la plus grande attention : nous nous éliims fait un plaisir de satisfaire à leurs fantaisies comme de pourvoir à tgus leurs besoins. Le vaisseau fut pris par les Espagnols. La barbare férocité de l'officier espagnol doit faire frémir toïit lAnglbis-, Plus que tout autre ^ je suis pénétré de l'horreur qu'elle inspire. Oa croiroit petit - être q.ue mou ( *79 ) intention est d'en affoiblir le sentiment si r 7î?5. je parlois ici du chagrin , bien moins dou-Septembr. Icmreux sans doute, que j'éprouvai en son- geant que Maquilla et Callicum ne verroient point leur innocente vanité satisfaite par la possession des habilleinens que nous leur avions préparés; et que les coffres de Wica- nanish ne seroient point remplis de ces vases que nous nous étions procurés , avec beau- coup de peine , exprès pour l'enrichir. J'é- pargnerai donc au lecteur rénumération des articles qui composoient la cargaison curieuse destinée à nos amis de Nootka, et dont le commandant du vaisseau espagnol priva ces pauvres naturels en nous les en- levant. Je ne parlerai pas de la quantité de jiiéchans habits que nous avions ramassés à la Chine , et qu'on avoit charges de bou- tons pour contenter leur goût bizarre : je dirai seulement que les Espagnols s'en em- parèrent avec autant d'avidité que s'ils eus- sent eu besoin de cette garde-robe destinée aux peuples sauvages de Nooùka , pour en revêtir des hommes plus sauvages encore. Comekala dont je n'avois jamais eu une i !ée très - avantageuse , et qui , malgré la générosité de mes procédés ii son égard > S4 ( *So ) î7§3, m'avoît prouvé , plus d'une fois , la faussets! fcpteir.br. de sorL caractère pendant son séjour à la Chine , dans son voyage de la Chine à Nootka , et encore après son retour , nous confirma dans l'opinion que nous avions de son ingratitude , en quittant Ventrée sans nous donner une seule marque d'attention ou d'amitié. Aussi perdit - il , comme il le méritoit , le présent qui lui étoit réservé y et le laissâmes-nous partir sans lui envoyer le moindre gage de notre souvenir. ,. Nous continuâmes nos opérations sans ïy. aucun événement remarquable jusqu'au 17 septembre. Ce jour, nous vîmes un vaisseau dans la haute mer. Nous en fûmes très-sur- pris, et commençâmes à craindre que ce ne fût la Princesse Royale qui, ayant es- suyé quelqu'accident , se seroit vue forcée de revenir vers nous. Nous envoyâmes sur le champ la chaloupe à son secours ; mais, au lieu du vaisseau que nous attendions , elle amena avec elle dans Ventrée un sloup, nommé le Washington , du poids d'environ cent tonneaux, venant de Boston dans la Nouvelle Angleterre. M. Grey , maître de ce bâtiment, nous apprit qu'il étoit parti, dans le mois d'août (a8i ) $787, de conserve avec la Columbia ^ vais- r,83. seau du poids de trois cents tonneaux ; que Septereb*, les deux vaisseaux avoient été équipés par les ordres du Congrès pour aller examiner la côte d'Amérique , et ouvrir un commerce de fourrures entre la Nouvelle-Angleterre et cette partie du continent d'Amérique ; que l'objet de ce voyage étoit d'approvi- sionner ceux des vaisseaux du Congrès qui alloient en Chine d'un fonds de pelleteries qui pût leur assurer les moyens de revenir en Amérique avec des thés et des marchan- dises de la Chine. Le TVashington et la Columbia avoient été séparés l'un de l'autre par un violent coup de vent vers les 5a. àë~ grés de latitude sud, et ne 5'é.toient pas di^ tout revus depuis le moment de leur sépa- ration. Mais comme X entrée du Roi George étoit le point de rendez-vous dont ils étoient convenus, on pouvoit attendre de jour eu jour que la Columbia viendroit rejoindre le Washington à Nootka , si toutefois ce vaisseau n'avoit pas éprouvé quelque mal- heur. M. Grey nous informa de plus qu'il avoit relâché dans un port sur la côte de la Nou- velle - Albion $ qu'ayant gagn^ la terre > il ( 282 ) i7$& s'étoit vu en danger de périr sur îa barre. Septembr. Ce n'est pas tout : les naturels l'avoient at- taqué ; il avoit eu un homme tué , et un de ses officiers blessé, et se regardoit lui- même comme très-îieureux d'avoir échappé. Ce port ne pouvoit contenir que des vais- seaux d'une largeur médiocre. Il est pro- bablement situé pies du cap auquel nous avions donné la nom de cap Look Out. Le maître du Washington fut très-surpris de voir un vaisseau sur le chantier, et même d'en avoir trouvé un dans cette entrée ; car \ il soupçonnoit tout au plus qu'on eût jamais fait quelques expéditions commerciales dans cette partie de l'Amérique. Il nous parut persuadé que ses compatriotes de la Nou- velle-Angleterre pouvoient se promettre, plus que tout autre peuple , les plus grands avantages , cette route une fois ouverte au trafic. Noas le vîmes occupé de plusieurs grands projets dans lesquels nous comprîmes bien qu'il étoit soutenu par le Congrus des Etats-Unis. Comme ces entreprises ne nous regardoient en aucune manière, nous nous dispensâmes de lui en dire notre opinion > et traitâmes M. Grey et son équipage avec toutes sortes d'égards e* d'attentions» LE VAISSEAU la Côte Nord- Oiiefl D'AMERIQUE, Vu au mcmie/i/- ok i/Jitr fa/ire e/i Mer U /'<■////•<<■ f/m/ ,/.//,.< ,.//.yw//„ ,/,.- O/fféc , ( 283 ) Le ao , à midi, nous vîmes enfin le mo- i7gg4 ment que nous avions attendu avec tant Septembr. d'impatience et d'inquiétudes. Nous jouîmes Samedi d une satisfaction que nous pouvions re- garder comme achetée par des peines et des fatigues inexprimables. Le vaisseau étoit prêt à quitter le chantier ; et pour célébrer cet heureux succès avec toute la solemnité convenable, nous voulûmes employer, au- tant qu'il dépenclroit de nous , les cérémo- nies usitées en pareille circonstance. Aussi- tôt que la marée fut montée au degré de hauteur nécessaire , on déploya pavillon anelois , tant à terre, sur le haut de la mai- son , qu'à bord du nouveau vaisseau > qui , à l'instant convenu , reçut le nom de la Cote Nord-Ouest d' Amérique , comme étant le premier navire qui eût jamais été cons- truit et lancé dans cette partie du globe (î). mttm^mm ■ ■ ■ ■'-■ i._ i ^_ ' » ' * (i) Cette seule circonstance des voyages du capi- taine J. NLeares appelle sur ce navigateur l'admiration des contemporains et de la postérité. Le courage opi- niâtre avec lequel il poursuivit son entreprise dans des climats où les dangers Tenvironnoient de toutes parts, suffit peur justifier l'éloge que j'ai cru devoir faire de lui dans la préface de cette traduction. Noté du Traducteur* ï^S. Ce moment étort <1< sire depuis îowg-^ %ptçmbr, temps. Dans Ja situation où nous nous trou, vjons _, chacun de nous l.'avoit reg.Lid$ comme l'objet de ses plus chères espérances, Maquilli, (viilllcum, et un g,ra.iid nombre de leurs sujets qui avoiçnt entendu dire qu'on alloit lancer le vaisseau à la mer, étoîenl vt nus pour rtre témoins de ce spec- tacle. Les charpentiers chinois ne tonipre* noient pas ti es bien la dernière opération dune besogne a laquelle ils avoient été eux- mêmes employés d une manière très-part:-» cuîière. Je n'oublierai p?s non plus de di«e que le chef des i/es Sandwich , qui avoi.Ç pris la rés \\ ton de de cendre à bord du Vaisseau dès qu'il auroit été lancé à 'a mer^ vovoit appioch r ce moment avec toute rimpntience imaginable. Celte pensée l'ab* soi boit tout entier. Il n'étoit pas in.ûns in- téressant d'observer les naturels d'Améri- que , sans ces-e présens aiix diverses céré- monies le l < péra on i ni portante dont je donne ici les de mî's. J'ose croire qu'eu réfléchissant aux travaux sans nombre qu'a* voit exiges l ' construction du vaisseau , à Te s inbje de la scène rpii nous environ* njlL, aux. étranges spec. atours qui atWu- ( Ïti5 ) «îo'e^f V Ip^nripuient , enfin , ans nvn^-»trp<î ï*$ft étnnm rcîàux ju, dévoient résulta de cette Séi.nembr; Ci î pri e , t^t aux idjes de civile. itou pi'ei e jvmivo'h fa'ie germer parmi ce - peuples, \e p ! [o&oph'è et le politique ne ta co »si dére- r >nt pas comme û i < irconstance ordinaire et peu digne île leurs méditations* Notre aiten e n • ut pas de ionjue du- rée. Au premï jv < ou,) de canon , le vais eau selanca comme Une »>.d!e. li est certain cju il s éloigna" le la cote avec nrie îelle lé- g:?r té que nous vîmes lahstaïit où ii alloic sortir dd p« >rt Li raison en est cjtie n'étant pas très -familiers av. e cette opéra tiô^n $ nous avions oublié d'attacher" à bord une ancre et nn cable pour Je leteriir, airisi qu'il est d'usage en pareille occas'u -n. lViais les clia'onpes eurent bientôt réussi à le re- in nquer dans l'endroit désigné; ei cri peu de temps* la Côté NorJ-Oi.est cV ' Jmér'que eut mis à 'ancre près de la 1 ellce et de 1 ' lpkigéiiie. Tanna se trouvoit à bord du va^eau à Tins', mt t)ù J lut lnnr:e ; et non Seuleme t ii hit toai )in de l opération , mais on ; eut diiô iju'cile iit sur lui uaie ûupreSiioxi uu^si ( *$6 ) 1 1788. forte que si elle eût été l'effet de Penchât!* Septembr. tenient. il ne se lassoit pas cle manifester sa surprise , en faisant des cabrioles , en frappant dans ses mains ^ en criant de toutes ses forces. îXlyty, Afyty, mot le plus exprès* sif dans la langue des îles Sandwich pour rendre tout à la fois l'admiration, l'appro- bation et la joie. Les charpentiers chinois n'ayant jamais rien vu de semblable , n'é- prouvoient pas un moindre étonnement. Enfin, les naturels de l' entrée qui assistoient à la cérémonie avoient été comme saisis de cette suite d'opérations dont la plus simple surpassoit de beaucoup leur intelligence. Pour tout dire en un mot , cette circons- tance eut pour effet d'augmenter encore l'opinion avantageuse qu'ils avoient déjà de nous , et de leur donner des idées plus exactes et plus claires de la supériorité de l'homme civilisé sur le sauvage , que celles qu'ils s'étoient formées jusqu'alors. Je choisis sur le champ dans la Fellce et dans Y IpMgénie , un commandant , des officiers et des hommes pour compléter l'équipage de la Cote Nord-Ouest d'Amé- rique ; et chacun des vaisseaux envoya. à ( 2s7 ) terre suivant ses moyens une cenaine cmiu- 1788. tité de provisions de tout genre pour mettre Septembr. ce navire en état de partir. La profession que j'avois embrassée exi- geoit autant de persévérance que de cou- rage ; et I jî j, j'ose espérer qu'on ne me re- prochera pas d'être entré dans une digres- sion déplacée, si j'exprime toute ma recoa- noissance pour les exemples que j'ai eu le bonheur d'avoir sous les yeux de l'autre côté du continent où une audace infaisa- ble et des talens consommés ont adouci jusqu'à un certain point pour nous le cha- grin d une guerre malheureuse. On doit tout l'honneur des campagnes faites dans le Ca- nada à la bonne conduite tenuo dans les divers combats qui se sont livrés sur les lacs de cette partie de l'Amérique septen- trionale ; et je dois rne féliciter d'avoir , bien jeune encore , été exercé en pareille école à tous les travaux comme à tous les dangers de la vie des marins , et de m'y être pénétré de bonne heure de cette vé- rité, qu'on ne parvient à vaincre les obs- tacles qu'en réunissant aux connoissances du métier une constance invincible et le plus grand sang-froid. Oui , je suis prêt à 17 SB. déclarer que si j'ai fait preuve de quelqu'ha- Septembr. bileté dans nia profession, si j'ai supporté avec patience les traverses d'une vie péni- ble et Sans cesse agitée ; enfin, si j'ai con- servé quelque courage au milieu des situa- tions les plus critiques, soit dans ce dernier voyage, soit dans tout autre ^ je le dois à la sévérité de discipline qui résultoit né- cessairement des actions continuelles , des hasards et des crises de tout genre insépa- rables du service que j'avois embrassé. Le peu d'expérience que j'ai acquis m'a con- vaincu que les périls et les obstacles for- ment la meilleure école pour l'homme de mer , et que celui qui a été employé de manière à tout connoître, qui s'est trouvé assez dépourvu de tout pour ne mépriser aucune ressource , sera infailliblement un homme utile à son pays. Le 24 > la Felice étant en état de mettre à la voile , je donnai au capitaine Douglas , pour le diriger dans la marche qu'il devoit tenir désormais , les ordres et instructions qu'on trouvera dans le n°. V de l'appen- dice (1). Je lui confiai de plus le comman- (1) Voyez ce même numéro à la fin du volume. dément dément de la Côte Nord-Ouest d^AmJriave , Sg et Tzanna s'embarqua pour la seconde fois à Septemi* bord de YJphigénie qui devoit le conduire aux îles Sandwich. Nous préférâmes cet arrangement après quelques instans de délibération. Car je de- sirois d'abord très-vivement ramener moi, même cet aimable chef dans son pays ; mais comme je ne pouvois rester que très - peu de jours aux îles Sandwich , et que Ylphi. génie étoit destinée à y passer tout l'hiver, nous décidâmes qu'il serait plus à propos que Tianna partît sur ce vaisseau. C'étoit le moyen de l'attacher plus particulièrement aux gens de l'équipage , et d'assurer à ceux- ci protection et sécurité pendant leur sé- jour aux îles Sandwich, séjour qui , selon toute apparence, seroit de plusieurs mois. Il ne me fallut pas d'autres motifs pour me décider à renvoyer Tianna sur VIphigénie. Au reste, ce netoit pas seulement l'intérêt de l'expédition qui le vouloit ainsi. Celui de sa propre sûreté nous auroit encore dé- terminés à prendre le même parti dans cette occasion. Nous savions depuis long-temps par un des va.sseanx qui étoïènt reve d rr~\ T _ ►••»« À orne II. rp ( 290 ) 1788. Sandwich à la Chine après nous , que le Septembr. fr0re de Tianna , Taheo , souverain d'Aîooi , avoit conçu de telles craintes sur l'au£mien- tation de puissance que ce chef pouvoit acquérir par ses relations avec nous, qu'il méditoit sa perte. Il étoit plus que proba- ble que, dès qu'il le verroit de retour, il teroit quelque tentative secrette pour s'en défaire. Il convenoit donc , pour le salut de Tianna , de le garder sur Y Iphigénie , attendu que , pendant le long espace de temps que ce vaisseau passeroit aux îles Sandwich , ce chef seroit en sûreté jusqu'à ce que l'accès de jalousie du tyran son frère fût entièrement dissipé , et qu'on les eût amenés l'un et l'autre à une réconciliation sincère. Nous envoyâmes alors à bord de Y Iphi- génie tout ce qu'il nous fut possible de lui céder de nos diverses provisions , et nous reçûmes d'elle en retour sa cargaison de fourrures. Nous prîmes aussi à bord une quantité considérable de belles esparres , excellentes pour des mâts de hune. Nous les destinions au marché de la Chine où elles sont très-rares, et chères à proportion. Il est constant que les bois de cette partie ( 291 ) de l'Amérique suffiroient pour fournir tous 178?» les vaisseaux européens de ces utiles et pré- Sept&nbr» cieux matériaux. Le 24 1 dans la soirée , les officiers et les personnes composant l'équipage de YlphL- génie et celui de la Cote Nord - Ouest d'Amérique vinrent à bord de la Felice pour nous faire leurs adieux. Tianna ne fut pas le dernier à nous donner cette mar- que de son attachement. Je dois rendre ici justice à son bon cœur, à son caractère aimant et affectueux : il étoit toujours des premiers lorsqu'il s'agissoit de se montrer généreux, ou de prouver ses sentimens. Il ne put dire adieu à Noota, (c'étoit le nom sous lequel j'étois généralement connu , tant en Amérique que dans les îles Sand- wich ) sans être agité de violentes convul- sions et sans qu'un torrent de larmes inon- dât ses joues. Et moi-même , quoique prêt à continuer mon voyage avec les plus belles espérances de succès , je ne pus prendre congé de ce digne chef et des compagnons de notre pénible entreprise sans des émo- tions si vives, qu'elles eussent été capables d'ébranler ma résolution si je ne me fusse empressé de m'en rendre maître. Ta ( *92 ) 1788. Je ne serai pas moins juste à l'égard de Septembr. tous ceux qui ont été employés avec moi dan3 cette expédition commerciale. Je ren- drai le plus éclatant témoignage au zèle avec lequel 3 je ne dis pas seulement les officiers de tout grade , mais encore touteâ ]ei personnes d'un rang inférieur s'accommo- dèrent aux circonstances critiques de notre situation. Il fut nécessaire de faire plu- sieurs cliangemens dans l'équipage des deux vaisseaux pour donner à la Côte Nord- Ouest d'Amérique \m nombre complet d'officiers et de matelots ; en cette occa- sion, tous ne consultèrent que l'intérêt gé- néral de l'expédition -, et je crois de mon devoir de rappeller dans ces lignes consa- crées à la reconnoissance les sentimens que m'ont inspirés leur courage et leur dévoue- ment, et les avantages nombreux qui en sont résultés pour les propriétaires. Nous levâmes l'ancre alors , et la Felice mit à la voile, favorisée d'un bon vent de nord-ouest. Au moment de notre départ , l'équipage de Y Iphi trente et celui de la Cote Nord-Ouest di Amérique jettèrent vers nous trois cris qui furent répétés par tous les échos de Y anse des Amis* Nous leur fîmes. (293) nos adieux de la même manière , et avant 17! la nuit, nous avions déjà perdu de vue S^ptembr, Ventrée de Nootka. Il ne sera pas inutile de faire remar- quer que le lendemain de l'arrivée du sloup américain à Y entrée de Noctka . le contremaître destitué força sa prison , et se sauva dans les bois, emportant plusieurs articles qu'il avoit volés. 11 espéroit obte- nir secours et protection de l'équipage du IVashingtGn. J'ai appris depuis qu'il y avoit réussi ; car le maître de ce vaisseau, "je m'interdis ici d'examiner de quel droit (1) ] non - seulement lui envova des provisions dans la retraite cachée qu'il s'étoit choisie (1) Je réponds : du droit que tout Lomme sensible a d'écouter la voix qui crie au fond de son cœur en faveur du malheureux. Le maître du JVashmgion ne pouvoit connoiire les motifs qui avoient détermine le capitaine ATeares à abandonner ce contre- maître sur une pbtge déserte. Il ne devoit voir , il ne voyoit en lui qu'un nomme souffrant, dénué de toutes res- sources , exposé à tous les maux j son premier mou- vement dut être de le recueillir sur son bord , et de !« consoler dans ses peines. Qui pourroit l'en blâmer ? Note du Traducteur* nn q ± O (294) 1788. au fond des bois, mais encore , dès le mo- Septembr. ment où nos vaisseaux furent en mer , le reçut à bord du sien où il lui fit monter p une faction devant le mât. ( *95 ) ^____ "• e-':':. ■ ■ :'- 1788. Septembr. CHAPITRE XXI. Détails des diverses nations que nous avons vues sur la côte nord - ouest d'Améri- que. Lies quatre nations du pays de Nootka. — Leur situation ; noms de leurs villages y état de leur population , etc. — La connoissance que nous acquîmes des peuples placés au midi de Queen- hythe est fondée , en grande partie > sur de simples conjectures. ÏFicananish nous fait une nouvelle énumération de leurs villages, — Détails sur le continent d' Amérique depuis le cap Saint-Jacques jusqu'au midi. — - Climats. — • Saisons. — Vents. — Tempêtes, — Ports. — Naviga- tion y etc. — II n'y a point de fleuves considérables dans le district de l'entrée de Nootka, JLN ous avions donc quitté la côte d'Amé- rique. Tandis que la Felice va continuer sa route vers les îles Sandwich ^ je rempli- T 4 ( 296 ) 1788. rai l'intervalle de temps qu'elle mettra à y Çcpiembr. arriver, en donnant quelques détails sur le pays que nous laissions derrière nous, au- tant qu'il m'est possible de le faire d'après ce que j'ai vu par moi- môme. J'y joindrai les observations qui se sont présentées à moi en visitant ces parafes. Les hardis navigateurs qui ont entrepris de porter le commerce jusques dans cette parue de l'Amérique, et qui y ont été con- duits par l'espoir de se procurer les four- rures dont elle abonde, avoient aussi cette louable et patriotique curiosité qui guidoit leurs devanciers , et qui e„ a encouragé quelques - uns à rechercher de nouveaux pays pour les ajouter à la carte du monde connu. Mais de quelque zèle qu'ils fussent animés, ils n'étaient pas maîtres de déro- ber à leurs opérations commerciales , objet beaucoup plus intéressant pour eux, le temps nécessaire pour se livrer avec fruit à de pareilles découvertes. Il est vrai que , tout en nous occupant du soin de nos intérêts commerciaux, nous nous trouvâmes jeltés sur des parties de la cote que le capitaine Cook n'avoit pas visi- tées, et que nous communiquâmes avec des ( *97 ) peuples qu'il n'avoit jamais vus. Maïs le I7gg. grand objet de notre voyage étouffoit en Septembre nous tout désir d'entreprendre des décou- vertes. Notre devoir et nos intérêts parti, entiers nous obligcoient de reculer vers les parties de la côte qui présentoient le plus de moyens de remplir le but que nous nous étions proposé. Telle est la raison pour laquelle le compte que je vais rendre de cette portion du continent d'Amérique sera Ei borné. On lui trouvera du moins , je l'es- père, le mérite de l'exactitude, et j'ose me flatter qu'il pourra être de quelqu 'utilité à ceux auxquels sera confiée un jour la mis- sion daller examiner cette extrémité du globe. Les parties dont nous avons une connois- sance plus particulière s'étendent depuis le /j5e jusqu'au 6ae degré de latitude nord. £)'après les observations astronomiques, la longitude est du so5e au 107- dczré Est de Greenwich. Par cette longitude , nous en- tendons les limites occidentales de la côte jusqu'à la mer Pacifique du Nord. Toute la partie de ce pays qui communique aux baies d'Hudson ou de Bafjin n'a pas en- core été visitée : elle est donc absolument ( 298 ) 1788. inconnue , et l'on ne peut rien conjecturer Septembr. de probable sur la question de savoir si ce vaste espace est occupé par des terres ou par la mer. C'est ce que j'ai déjà fait re- marquer à mes lecteurs dans le Mémoire qui sert d'introduction à ces Voyages , et où j'ai traité de la probabilité d'un Passage nord- ouest. A l'égard des habitans de cette côte si étendue , nous connoissons quatre nations différentes dont les occupations et les mœurs ont beaucoup de rapport. D'après tous les renseignemens que je suis parvenu à me procurer, il y a lieu de croire que le peuple qui habite Y entrée de Nootka , et qui s'étend également au nord et au sud de ce port , est très-nombreux , mais qu'il n'a pas la même fierté de carac- tère que ses voisins plus septentrionaux. Ce même Maquilla avec lequel nos lec- teurs ont déjà fait depuis long -temps une intime coimoissance 7 est le souverain de ce territoire qui occupe au nord tout l'es- pace jusqu'au cap Saint- Jacques , par les 5a degrés 20 minutes de latitude nord, et les 228 degrés 00 minutes de longitude Est de Greenmch, Le cap Saint- Jacques forme ( *99 ) l'extrémité méridionale clu grand grouppe 1788. d'îles qui borne l'Archipel du nord vers la Septembre nier Pacifique ; du côté du midi , les do- maines de Maquilla se prolongent jusqu'aux îles où règne Wicananish. Il y a aussi d'autres chefs revêtus d'un pouvoir considérable ^ quoique bien infé- rieurs par leur rang aux princes souverains. Tels étoient Callicum et Hanapa dont j'ai déjà parié avec beaucoup de détails; et dont le premier a été , j'ose le croire, un agréa- ble compagnon pour le lecteur dans plus d'un endroit de ces Voyages. Comme nous n'avions point eu d'occasions de visiter les parties intérieures , à quelque distance qu'elles fussent de Ventrée , nous ne pou- vons transmettre ici d'autres renseignemens que ceux que nous tenons de cet aimable chef. Doué du plus heureux caractère., nous le trouvions toujours disposé à répondre à nos questions ; et comme il avoit reçu de la nature une intelligence bien supérieure à celle de ses compatriotes, il étoit en état de nous donner des lumières dans lesquelles nous pouvions avoir la plus entière con- fiance , quelque loin qu'elles s'étendissent. C'est de lui que nous apprîmes qu'il y ( 3oo ) 1788. ivoit au nord plusieurs villages très-peuplés, Septembr. gouvernés par les plus proches parentes de Maquilla et de Caliicum , telles que grand'- mères, mères, tantes, sœurs, etc. Quant aux frères , fils et autres parens mâles , le chef les tenoit auprès de sa personne par des raisons de politique. On peut se rap- peller en effet qu'en parlant dans un cha- pitre précédent d'un village où l'ennemi avoît fait une irruption soudaine , irruption qui donna lieu à l'expédition guerrière des chefs de Ventrée de Nootka , j'ai dit que ce village étoit gouverné avec un pouvoir sans bornes par l'aïeule de Maquilla. La mère de Caliicum exerçoit de même dans un autre district la souveraine puissance qui lui avoit été ainsi déléguée. Plusieurs autres villages reconnoissoient pareillement les loix d'autres parentes de ces chefs , qui , toutes, ctoient prêles à se réunir au besoin pour l'intérêt de leur commune sûreté, et à exécuter avec une aveugle obéissance les ordres du chef souverain. Cette confédéra- tion formoit une véritable association p& litique très - semblable au système général de gouvernement qui régnoit en Europe dans les premiers temps de la civilisation, /'/. \\\ III ESQUISSE n i C ANSE du RADEAU Dressée oar r. FUlfTEH Maître •/// Vaisseau LA COTL NoRD-OUESl J>WuiRIOll Latitude Nord, .u> degrés 35 mm. Longitude 1.11 de GRI i »WI( n, 2J1 deorres 55 mm * ( 3oi ) et qui est bien connu sons le nom de sys- 17S8. téme féodal. ^ ^ Septembre Le nombre des habitans de Y entrée du Boi George monte à trois ou quatre mille. Le capitaine Cook avoit estimé que le vil- lage de Kootka renfermoit environ deux mille personnes ; et je ne pense pas qu'il soit survenu quelque changement dans la population pendant que nous étions sur cette côte. Mais il y a encore dans Yea~ trée deux autres villages moins considéra- bles , qui nous parurent, l'un dans l'autre , contenir quinze cents habitans. L'un de ces villages est situé à une très - grande dis- tance àeNootka, vers le haut de Y entrée 9 dans un district soumis à la jurisdiction d'ilanapa. Au nord de Ventrée il y a quatre villages, et l'on en compte au midi un pareil nom- bre. Maquilla *en est le chef. D'après les recherches les plus exactes, il est reconnu que chacun de ces villages renferme à-peu- prês dix-huit cents personnes f d'où il ré- sulte que la totalité des sujets de Maquilla ne monte pas à plus de dix mille; et certes ce n'est pas un nombre bien considéra- ble pour occuper une si vaste étendue de ( 3oa ) ! 1788. pays. Mais les guerres fréquentes qui clé- Septembr. solent ces petits états , les affreux excès auxquels se portent ces peuples canni- bales dans le combat et après la vic- toire , expliquent assez pourquoi la popu- lation fait si peu de progrès dans ces vil- lages. Le district qui avoisine X entrée du Bol George au midi est celui de Wicananish. Quoique ce prince ne soit pas regardé comme l'égal de Maquilla par le rang, il est cependant tout-à-fait libre et indépen- dant , et sa puissance surpasse de beaucoup celle de tous les autres chefs de ces con- trées. Dans ce même district résident les chefs Detootche et Hanna. lis gouvernent en souverains deux petites îles et ne relè- vent de personne. Ces îles sont situées un peu au nord du Port Cox* Chacune d'elles peut contenir environ quinze cents habi- tans, et je n'ai point entendu dire qu'elles aient aucune autre dépendance. C'est au Port Cox que Wicananish fait sa résidence la plus habituelle. Il y vit dans un état de magnificence à laquelle celle d'aucun de ses voisins ne peut être com- parée. Il est également aimé et redouté des ( 3o3 ) autres chefs. Le nombre de ses sujets monte I7sg; à environ treize mille. En voici le calcul Septembre approximatif que nous tenons de lui-même : Au Port Cox , quatre mille : au midi du Tort Cox jusqu'au Port Effingham , et dans ce port, deux mille : et dans les autres vil- lages situés dans toute l'étendue qui con- duit à l'embouchure des détroits de Jean de Fuc a sur la côte septentrionale, il peut y avoir environ sept mille personnes. Là finissent les domaines de Wicananish , et commencent ceux du dernier chef du ter- ritoire de Nootka , nommé Tatootche. Wicananish nous apprit lui - même les noms d'une partie des villages qui lui ap- parten oient. J'ai retenu ceux qui suivent : Kenoumahasat , Uth-u-wil ett , Chaisset * Elesaït, Ou-quaet, Lee- cha- ett , Equo- lettj HoW'SchiiC'Selett, E-lolth-ît et Nitta- natt. Ces noms sont écrits tels que Wica- nanish les prononçoit. J'ajoute qu'en pas- sant le long, de la côte , nous eûmes com- munication avec plusieurs de ces villages dont les habitans vinrent de notre côté jus- qu'en mer , principalement ceux de JS'itta- natt, & Elesaït et à'E-loIt/i-it. D'après c& que nous vîmes de la population de ces (3o4) ! 1788. villages dont nous fûmes à portée de juger* Septembr. parfaitement, nous estimâmes que ce chef, soit par modestie, soit par ignorance, avoit calculé la totalité de ses sujets bien au- dessous de leur véritable nombre. Les naturels gouvernés par Wicananish sont un peuple fier , courageux , robuste , et supérieur, sous tous les rapports , à ceux de Ventrée du Roi George, J'ai remarqué aussi qu'ils étoient beaucoup moins sau- vages que les sujets de Tatootche qui réside sur l'île située près du cap Sud qui forme l'entrée des détroits de Jean de Fuca, et à laquelle on a donné son nom. Nous n'avons eu que très - peu de communication avec ces peuples : mais d'après la foule d'habi- tans qui se rassemblèrent pour voir le vais- seau , et le nombre des canots , tous rem- plis de naturels, et dans lesquels ils vinrent nous environner, je ne crois pas porter trop haut le nombre des habitans de cette île en le faisant monter à cinq mille. Le district de ce chef s'étend jusqu'à Queenhythe ; Wicananish nous apprit qu'il contenoit cinq villages , et environ trois mille habitans. Nous vîmes le grand village tic ( 3o5 ) cte Oueenuitett près de Queenhythe , et plu- 1788! sieurs autres moins considérables , à me- ^ePtembr'. sure que nous avancions le long de la côte. Nous ne dûmes la coniioissance plus par- ticulière d'autres villages placés au midi de •Queenhytke , qu'aux nouveaux renseigne- mens que nous donna Wicananish. 11 nous répéta en effet les noms de plusieurs qui j selon ce qu'il nous en dit, sont situés très- avant vers le midi , et dont les habitans différoient des naturels de Nootka^ non- seulement par le langage , mais encore par leurs mœurs et par leurs coutumes. Si nous avions pu douter de l'exactitude des détails qu'ii nous doimoit,nous en aurions eu une preuve incontestable lorsque nous arrivâmes près de la baie de Shoal- TVciter. Car les deux naturels qui s'approchèrent alors du vaisseau partaient un langage qui ne nous parut avoir aucune analogie avec celui de Nootka ; et à leur habillement , ainsi qu'à la forme de leur canot , nous jugeâmes qu'ils appartenoient à un peuple tout-à-fait distinct des nations d'Amérique que nous avions visitées. Les noms suivans des villages situés au midi de Queenhythe ont été transcrits au Tome IL Y ( $o6 ) *?$%. moment même où Tv icananish les pronon- Septembre çoit. Ce sont : Chanutt , Clanamutt , Ckee» mee sctt , Lo e a t skeeth , ï,u nee-cheet£p Thcc \\!cli-c rett , Cheesett , Lino - quoit p Mook^my-gemat , Âmno sketù , Naisset-tuc* fank , Quoit - see - noU, Isa - izimc • chelt et Chu -a-na- skelt. De cela seul que Wicananish connoissoit les noms de ces villages divers , on peut évidemment conclure que lui ou quel- qu'un des siens avoir eu communication avec les naturels qui les habitent. Cette communication fut-elle Le résultat d'un pro- jet ou l'ouvrage du hasard ? Doit-on l'atiri- huer à des relations de trafic imprévues % ou à la violence de quelqu'une de ces tem- pêtes qu'on sait avoir souvent poussé des canots à une distance considérable, et avoir j e t ; é l'Indien épouvanté sur des côtes éloi- gnées où il t. ou voit l'hospitalité ou la mort? C'est ce que je ne prétends point expliquer iei , attendu que nous ne parvenions pas toujours à nous faire entendre de ces sau- vages , ou à les comprendre eux-mêmes. Ces villages sont situés par - delà les li- mites de la partie de l'Amérique comprise dans les quatre nations , qui s'étendent de- N ( 307 ) puis X entrée du Roi George jusqu'aux îles T gg# ' de la Reine Charlotte et à l'Archipel duSeptembr. Nord , et delà à Nobtka et au cap Shoal- îVater, de sorte qu'où peut regarder toute histoire des peuples qui les habitent comme purement conjecturale, et comme ne mé- ritant point d'interrompre ici un récit plus authentique. Nous ne pûmes obtenir des naturels de Nootka aucune espèce de renseignemens sur les peuples qui habitent le haut des dé- troits de Jean de Fuca. Mais d'après le rassemblement prodigieux de ceux qui at- taquèrent notre chaloupe , on peut croire au ils sont très-nombreux. Le continent d'Amérique ne présente presque de toutes parts à l'oeil que des chaînes immenses de montagnes, ou cl'im- pénétrables forêts'. Depuis le cap Saint Jac- ques jusqu'à Queenhytke , espace que nous avons considéré comme formant le district de Nootka, et comme habité par les mêmes nations, on ne volt pas d'autre aspect; et si l'on y remarque quelque varié: é , c'est bien peu de chose. En plusieurs endroits, le pays paroît être au niveau de la côte ; Va ( 3o8 ) ï?8S. mais l'œil se trouve bientôt arrêté par des Septembr. collines et des montagnes escarpées cou- vertes jusqu'au bord de la mer , ainsi que toutes les parties de la terre qui sont plus basses., de bois très-épais. Des chaînes de rochers bruts et saiilans, couverts par tout de neige au lieu de verdure _, f'ormoient le sommet des montagnes les plus élevées. Nous appercevions ça et là quelques places unies ; mais, outre qu'elles étoient en très- petit nombre, elles n'occupoient pas beau- coup d'étendue. La température de ce climat , c'est-à- dire , depuis le cap Saint-Jacques jusqu'au midi, est bien plus douce que celle de la côte orientale . à l'autre côté de l'Arnéri- que, dans une latitude parallèle. L'hiver se fait ordinairement sentir dans le mois de novembre, accompagué de pluies et de vents violens de sud-est. Mais on ne trouve guère de glace dans le pays avant le mois de janvier; et, encore, est-elle si mince à cette époque qu'il est rare qu'elle empêche les naturels de parcourir Xentrée dans leurs canots. Les petites anses et les fbibies ruisseaux gèlent assez commune- (3o9) ment ; mais je ne sache pas qu'aucun des 178$. liabitans de X entrée se soit souvenu de Septembr. l'avoir jamais vue couverte de glace. L'hiver ne dure ,que depuis le mois de novembre jusqu'au mois de mars. Pendant cet intervalle la terre est couverte de nei^e. Elle fond dans les terres basses et unies au mois d'avril,, et dès cette époque , la végé- tation a fait de grands progrès. Avril et mai sont les mois de printemps ; en juin , l'on a déjà cueilli les fruits sauvages. Au nord de Ventrée du Roi George , le froid est plus vif, et les hivers sont plus longs. Par cette raison même , le froid diminue vers le midi, et l'on peut présumer que le pays situé par les 45 degrés de latitude sud est un des climats les plus doux et les plus agréables du monde. Le mercure du thermomètre se tenoit souvent, au milieu de l'été, à 70 degrés,, sur - tout dans les anses et havres qui se trouvoient à l'abri des vents du nord ; mais , le soir , il descendoit rarement au- dessous de 4°- On. se chauffoit avec plai- sir en mai et en septembre ; mais nous attribuâmes , en grande partie , ce besoin o (3io) 17S0. qae nous éprouvions d'avoir du feu , aux Septembr. vents de sud-est , qui étoient toujours ac- compagnés de pluies et de froids très-pi- qjans. Les vents de nord -ouest, au con- traire , soufflent sans déranger le temps , et sont plus chauds que froids. Les vents qui régnent dans les mois d'été sont les vents d'ouest. Ils se font sentir sur tonte la mer Pacifique du Nord , au nord du 3oe degré de latitude nord, de même que les vents d'est soufflent invariablement à l'équateur depuis ce même degré de la- titude. Les ouragans venant du midi sont très- communs pendant les mois d'hiver ; mais il n'est pas à présumer qu'ils soient assez violens pour empêcher en aucun temps de l'année les vaisseaux de faire voiles le long de la côte d'Amérique. On trouve, dans le district de Nootka, plusieurs ports qui peuvent recevoir , sans le moindre danger* des vaisseaux du port le plus considérable. 1j entrée du Roi Geo?*ge n'est absolument formée que de havres et d'anses parfaitement abrités contre la vio- lence de tous les vents. Le Port Cox et (3it) le Tort Effingham sent les plus étendus , . 17$$. et , en même temps , ceux qui présentent Septcxnfcr; le plus de sûreté ; et Ton peut conjecturer avec assez de fondement qu'au nord de Nootka jusqu'au cap Saint - Jacques y il y a des canaux et des havres semblables. à ceux dont j'ai déjà donné la description. Au surplus , cette côte est facilement na- vigable, tant à cause de la profondeur des eaux que parce qu'elle n'offre aucun danger. J'observerai ici , comme une chose assez remarquable , que , pendant toute la durée de mon voyage le long de \d cote , je n'ai pas vu un seul fleuve dont l'étendue mé- rite d'être citée. De très - petits ruisseaux venoient de toutes parts se décharger dans la mer; ils étoient presque tous formes et entretenus par les pluies et par la neige qui s'écouloit des montagnes. Nous ne trou- va, nés non plus qu'un trè3 - petit nombre de sources. Ces diverses observations et plusieurs autres encore , jointes aux ren- seiguemens que nous pûmes obtenir des naturels, me portent souvent à croire que la terre que nous avons prise pour. le con» tlnent d'Amérique, étoit une chaîne d'îles, V4 (3ia) 178S. séparée du continent par des canaux d'une Scptembr. très-vaste étendue (1). (1) On trouvera cette opinion qui , après tout, n'est qu'une conjecture , amplement discutée dans l'un des Mémoires qui servent d'introduction à cet ouvrage 7 à l'endroit où il est parlé du voyage du sloup américain; le Washington , dans l'automne de 1789 5 voyage dont les détails n'ont été connus que lorsque j'étcis déjà fort avancé dans le récit du mien. Note de l'Auteur. ( 3i3 ) «• 178&. Septembr, CHAPITRE XXII. Suite des détails sur le district de Nootka^. ~— Végétaux . —Prodigieuse abondance» de fruits sauvages. Racines bonnes* à manger , etc. — Quadrupèdes. — Cerfs* Renards. — Martres. — Hermines.— Ecureuils. — Animaux marins. Ra- leines , empereurs , veaux marins , etc. — Quelques détails particuliers sur la loutre de mer. -— Différentes espèces d> oiseaux. — Oiseaux aquatiaues. — — Poissons de différentes espèces. — Ma- nière d' en prendî^e quelques-uns ReP*~ tiles. — Insectes. — Minéraux. — Conjec* tures sur les mines de ce pays y etc. J_jes productions végétales du district de Nootka dont je suis parvenu à me procurer la conRoissance , ne sont pas en grand nombre. Je dois avouer,, d'ailleurs , que mes recherches en botanique ne pouvoient pas s'étendre fort loin. On trouveroit, sans (3i4) T7SS. doute, en ce pays, une collection de plantes Septen.br. et d'animaux suffisante pour augmenter con- sidérablement la botanique et la zoolog'e; mais je ne possédois pas les notions néces- saires pour me rendre uti'e dans ce genre de sciences également agréables. Il en a été de moi comme de tous ceux qui se sont trouvés chargés d'une expédition dont le commerce étoit l'objet principal ; c'est à- dire que , non-seulement il n'importoit pas que j'eusse des connoissances dans ces deux branches de la philosophie , mais encore que je dusse faire céder aux intérêts mercan- tilles qui nous étoient confiés , toute recher- che qui eût pu être utile à ces sciences. Parmi les arbres qui peuplent les forêts de Noolka , nous remarquâmes le spruce noir et blanc , le pin et le cyprès. Nous en ■vîmes aussi beaucoup d'autres d'espèces di- verses dont la forme et les feuilles nous étoient absolument inconnues, et dont plu- sieurs pourroient-êt:e employés avec suc- cès à la construction des vaisseaux. Le bois de quelques-uns de ces arbres se trouva si dur que ce ne fut pas sans les plus grandit efforts qu'on parvinl à. lu' donner la forme convenable. Nous remarquâmes p m- ( 3i5 ) librement dans Ventrée du Roi George , au 17^- Fort Cooe , au Port Effingharn , que les ar- SeptemLr. hres y croissent en général à une hauteur assez forte pour qu'on puisse en faire des mâts de toute mesure. Sur les îles couvertes de rochers , ainsi que dans les bois, nous rencontrâmes à tout instant le fraisier sauvage. Nous vîmes aussi du raisin de Corintlie noir^ et des groseil- liers qui ne semnioient porter du fruit qu'en certains endroits. On y cueille encore une espèce de framboise d'un goût délicieux , et qui nous parut d'une qualité bien supé- rieure à tous les autres fruits de la même espèce que nous avions mangés jusqu'alors. Elle croît sur un framboisier beaucoup plus grand que notre framboisier d'Europe , et qui n'a point d'épines; mais le fruit est si délicat qu'une pluie de quelques momens suffit pour le détruire tout-à-fait. Enfin, on y trouve aussi un petit fruit rouge , assez semblable pour la forme , la grosseur et le goût , à notre groseille , et qui croît en abondance sur des arbres d'une hauteur considérable. C'est la nourriture favorite des naturels, et pendant les mois de juillet et d'août, leur occupation principale é oit (3*6) ij$%, de le cueillir, ainsi qu'une espèce de mûre Scptembr, de ronce , rouge et blanche , mais bien pius grosse et bien plus savoureuse que le fruit sauvage de cette espèce que nous avons en Europe. A la quantité de fruits à graines que les naturels nous apportèrent , nous jugeâmes que leur pays en produisoit une grande abondance. C'étoit pour notre table un mets de plus y également sain et agréable ; et les matelots mangeoient chaque jour une es- pèce de boudin fait avec ces fruits. Nous conservâmes aussi plusieurs tonneaux de fruits routes avec du sucre ; ils nous duré- rent plusieurs mois , et nous furent d'une grande ressource en mer. Il croit par - tout à Nootka une prodi- gieuse quantité de porreaux sauvages. On y trouve beaucoup de racines de différentes espèces, très- bonnes à manger : quelques- unes ont le goût d'épinards de mer. De plus , quand on ne pourroit pas s'en pro- curer, on les remplace à merveille par des têtes d'orties nouvellement poussées, que les naturels aiment à l'excès : ils choisissent les plus jeunes , détachent une peau très- mince, et les mangent toutes crues. (3*7) Sur les bords de la mer , nous vîmes j~g$. beaucoup de bled sauvage ou pied-d'oie (1). Septembr. Dans les bois , nous apperçûmes par -tout la rose sauvage et l'églantier odoriférant. L'air en étoit parfumé. Nous trouvâmes aussi l'anthericum qui porte la fleur d'o- range , et plusieurs autres espèces de plantes dont mon peu de connoissance de la bota- nique ne me permet de faire ici ni l'énu- mération ni la description. En effet, les di- vers travaux que nos intérêts de commerce exigeoient sans cesse, ne nous permettaient guère de nous livrer aux recherches et à l'étude de la philosophie naturelle : mais il y a tout lieu de croire qu'un homme ins- truit dans la botanique, qui visiteroit cette cùte en été , y augmenterait de beaucoup la masse de ses connoissances dans cette science également utile et agréable. Nous n'eûmes occasion de voir qu'un très-petit nombre de quadrupèdes ; c'étoient des daims , des ratons , des martres , des écureuils et des renards. Les daims que nous reçûmes des chefs en présens étoient très- (i) Espèce d'herbe. (3:3) gg petits ; mais nous en avons vu d'autres cnez Septetribr. eux de l'espèce du renne, d'une grandeur extraordinaire , avec du bois sur la tête. Nous pensons , au reste , que ces derniers n'y sont pas très - communs : il est cons- tant que,, dans toutes nos excursions, nous n'avons jamais été assez heureux pour en rapporter à la maison , quoique nous en eussions vu et même blessé quelques-uns. Les renards sont beaucoup moins rares. Ils diffèrent singulièrement pour la gros- seur et pour la couleur. Quelques-uns sont jaunes ; leur poil est long, la fourrure très- douce et d'une fort belle qualité. D'autres sont d'un rouge sale ; une troisième espèce est de couleur cendrée» La martre a la plus parfaite ressemblance avec celle du Canada (1) > sur-tout par la grosseur et par la forme. Mais elle n'est (i) Les diverses espèces d'animaux qu'on trouve à Nootka sont absolument les mômes que ceux qui peu- plent les forêts de l'Amérique septentrionale 5 la tem- pérature de ces deux climats étant également froide , 1rs animaux à énaisscs fourrures doivent s'y rencontrer en égale quantité. Voici ce que dit le père Ducrcux des forêts du (3 = 9) point nussi noire, et la fourrure n'en est 178S. pas aussi précieuse que celle des animaux Septemlwv Canada , dans con H:s£oire de ?a Nouvelle-France s « Makria în siivis quadrupedum copia. Quas animan- tes nemora habent nostratia , èasdëm apud eos pleras- que replias : acceJuut co.i.piures. quibus caremus, in- signioies Nec desamt animantes aliae quarum pelles vel ad ves- titum adhibeant , vel allls mercimoniis permutent; ursi , lupi marmi , lutrse , ex mustellarum génère eas qiiES martes diciïhtur : a-dipemque et lier vos et ipsa adeo viscera indidemcjïie expressum oie uni scitè in varias vitse usus verlunt ». Historiée Ca/iacsnsis liuro primo , p \ag. 5 i . J'ajouterai les détails que nous donne J. L>o?ig dans ses Voyages que j'ai déjà cités : « Le pays abonde par-tout en animaux sauvages. On y trouve sur-tout Tours , le renne et autres espèces de daim , le castor j ie lynx , ie renard , l'écureuil , le pêcheur , la loutre 5 le martin , le chat sauvage , ie raton , ie loup . le rat musqué , etc. On nj rencontre guère que quelques babitans sauvages, errant d'un lieu à l'autre pour se procurer de quoi subsister , se nour- rissant des animaux qu'ils tuent , excepté du putois qu'ils ne mangent jamais, à moins qu'ils ne soient en proie à une faim dévorante ». Voyages chez diffé- rentes nations sauvages de V Amérique septentrionale , traduits de Panglois àz J, Long. iïfote du TmdïicteHr, ( 3^o ) 1,788. c'e la même espèce apportés de ce dernier: Septembr. pays. Il y a aussi à Nootka une autre es- pèce de martres dont le poil est si rude que s naturels ne font que très - peu de cas de leur fourrure, si toutefois elle a pour eux quelque valeur. L'hermine est très-rare : celles que nous •vîmes étoient de couleur tirant sur le jaune ; aucune n'avoit cette blancheur éclatante qui les fait si fort rechercher en Europe. Il ne nous parut pas non plus qu'il y eût à Nootka une grande quantité de ratons ni d'écureuils ; les premiers sont aussi doux que ceux de l'Amérique orientale ; les seconds, plus petits que les écureuils d'Europe , n'ont pas la couleur aussi brillante. Pendant le temps que nous passâmes sur la côte , nous ne vîmes que deux peaux de castor ; mais elles étoient les deux plus belles fourrures de cet animal que je me souvinsse d'avoir jamais vues (1). (1) Cet animal si industrieux est trop connu pour que j'en entretienne ici le lecteur. Je me contenterai de rapporter cpielques particularités qu'on trouve clans les Voyages de /. Long f à i'articîe où il parlr des Les ( 3a i ) Les naturels nous parloient souvent des ». ours de leur pays. Ils nous donnoient à en. Sell- tendre qu'a y en avoit u„ grand nombre ^^ dans les forêts , qu'ils étaient d'une nature très-féroce , et qu'ils leur livraient quelque- fois de terribles combats. Mais nous n'eûmes jamais le bonheur d'en voir un seul ; et quoique plusieurs de nos gens sortissent de temps à autre pour aller à la chasse de 1 ours, ils revenoient toujours au logis sans divers animaux qu'il a vus danc 1M * i I ,us a*ns 1 Amérique septen- trionale. l « Le castor , dit „ ,, i m un an.mal cm .eux ma.s ta* d auteurs en ont to la description que je me bor- nerai le grimpereau, le roitelet, le martin-pêcheur , l'alouette de terre ordi- naire , le pluvier, le faucon , et l'aigle à tête blanche. Nuus apperçûmes aussi quelque* fois, mais "rès - rarement, le pigeon ra- mier. Les oiseaux de mer s'y trouvent en plus grand c. Ce sont les mouettes et les ( 33^ ) 178S. shags (1) ordinaires ; plusieurs espèces cllf- Scprembr. férentes de canards et de plongeons ; le per- roquet de mer , et beaucoup d'autres dont les noms ne nous étoient pas connus. On peut se procurer, tant sur la côte que dans les entrées ou havres , une quantité prodigieuse de poissons , et entr'autres , le lialibut , le hareng , la sardine , le brème argenté , le saumon , la truite , le cod , le poisson à trompe, le goulu, le chien de rner , la sèche , et beaucoup de poissons de rochers* Nous en vîmes de toutes ces es- pèces chez les naturels qui les a voient at- trapés. Il y a encore , selon toute appa- rence , un grand nombre d'autres espèces qu'on ne peut pas prendre avec le harpon, seul instrument dont les naturels se servent pour la pèche , et nous n'avions ni ligne ni filets. Au printemps, les harengs et les sardines arrivent par troupes sur la côte. Le hareng a sept ou huit pouces de long ; il est , en ( 1 ) Par ce nom les Anglais désignent un oiseau de mer dont j'ignore le nom François. Jfcte du Traducteur. ( 333 ) généra , plus petit que celui qu'on prend ,7gs. dans les mers d'Angleterre. La sardine res-S^ptembr. semble à celle du Portugal. C'est un man- ger délicieux. Les naturels les prennent ici par milliers. lis en chassent une grande quantité dans las petites anses et vers les eaux basses , où se tiennent dans des canots quelques hommes occupés à agiter l'eau , tandis que d'autres font couler à fond des branches de pin avec des pierres. Le pois- son devient alors très-facile à prendre, et ils le recueillent dans des baquets de bois ou dans des corbeilles d'osier. Nous avons vu les naturels en rapporter des provisions si considérables que tout un village ne suf» fisolt pas pour le nettoyer avant qu'il com- mençât à pourrir. Lorsqu'il a subi cette opération, on le place sur des baguettes, on le suspend par rangées, et à une cer- taine distance , au dessus du feu des ca- hutes, afin qu'il soit bien enfumé ; et lors- qu'il est assez sec > on l'emballe avec beau- coup de soin dans des nattes , et on le met en réserve comme une partie et une partie très - considérable de la provision d'hiver. C'est dans les mois de juillet et d'août que (334) *7o3. se pêche la sardine. A cette époque, quel* Septembr. crues -uns des naturels se postent sur des cminences choisies à cet effet , pour voir arriver le poisson dont il est très facile de reconnoître l'approche à l'agitation singu- lière de la mer. Tous les antres s'embar- quent alors dans leurs canots pour aller commencer la pèche. lis préfèrent la sar- dine à toute autre espèce de poisson , ex- cepté le saumon. Le saumon se pêche dans les mois de juillet, d'août et de septembre. Il n'abonde pas dans ces mers comme les autres pois- sons ; mais il est d'un goût exquis. On le coupe en deux, on le fait sécher, et on ï'empaquète de la manière décrite ci-des- sus ; les naturels le regardent comme un manger très -délicat. Le saumon du district de Nootka est très-différent de celui qu'on pêche vers le nord. Ce dernier est d'une espèce hien inférieure ; c'est le même que celui du Kamstchatha. Pendant le séjour que nous fîmes à Yen- trêe du Roi George , nous vîmes très -peu de goulus de mer et de halibuts ; mais le çod que prenoient les naturels étoit de la ( 335 ) me'l-enrn qnal'té. On l'apprête., commç Tes 178& autres p issor.s , pour la provision d'hiver. Septembre Nous trouvâmes ici le happeur rouge, ; ïmv.s il n'y çtoit pas commun. Nous apper- çûines aussi de temps à autre la grande sèche que les naturels ont grand plaisir à manger toute crue. Les moules sont très -grosses. Elles ren- ferment une petite perle qui ressemble à une graine , grosse à peu - près comme la tête d'une épingle, très-mal conformée, et nullement transparente. Nous vîmes aussi des oreilles de mer, des pétoncles, diverses espèces de moules, des poissons étoiles, et plusieurs autres productions inarines en abondance. Le petit cancre de mer est ex- cellent à manger. On en trouve une grande quantité dans ces mers. Les rep i es de cette contrée se bornent (du moins autant que j'ai pu étendre mes connoissances en ce genre) à un petit ser- pent de couleur brune y long d'environ dix- huit pouces, et qui fuit dès qu'il entend le moindre bruit. Nous n'en découvrîmes point d'autres dans nos fréquentes excursions au milieu des bois. Ainsi, ou peut ies traver- ( 33(5 ) ï7$8. ser salis crainte de rencontrer ces dange- Septembr. reux et venimeux reptiles qui infestent la partie orientale de l'Amérique ( 1 ). Mais (1) Le lecteur trouvera peut-être avec plaisir ici quelques détails sur les serpens qui habitent l'Amérique septentrionale. Ils sont tirés de ma traduction des yoyaqes de J. Long. Quelque suspect que je puisse paroi tre d'une certaine complaisance pour mon ou- vrage , en le citant aussi souvent 7 je ferai remarquer que c'est le voyageur lui-même que je cite , et non pas moi : au surplus , mon excuse est dans l'utilité des observations de tout genre dont il a enrichi le journal de ses voyages. Voici donc les détails qu'il nous donne sur plusieurs espèces de serpens de l'Amérique septen- trionale. a Pendant mon séjour près du lac ScJiaboomoo- chooine , je vis une grande quantité de serpens. Un jour entr'autres que je me pronienois dans les bois , je découvris un de ces reptiles sous l'herbe : au moment où je l'apperrus je coupai un long bâton , et le laissai tomber tout doucement sur la tête du serpent ; il se remua sur le champ et je pus entendre distinctement ses sonnettes. Tandis que j'observois le brillant de ses cou- leurs qui étoit d'une beauté au dessus cfe toute expres- sion, il se replioit en cercle comme une corde pour se lancer autour de moi , cela m'avertit du danger que je courois 5 je saisi* le bâton par la pointe ? et lui laissai on (337) on y est assailli d'épaisses nuées de mos- i7gg. qultos qui sont très- incommodes pour les Septembre tomber le gros bout sur la le te : la force du coup l'étourdit 5 je profitai du moment, le frappai de nou- veau et le tuai. Je le mesurai ensuite , et trouvai que sa longueur étoit d'au moins cinq pieds et demi , et la partie la plus grosse d'environ quatre pouces de circon- férence $ il avoit neuf sonnettes à la queue , ce qui , selon les observations générales , annoncent qu'il avoit neuf ans. Je ne crois pas cependant que ce soit un grand motif de certitude : car , on ne sait pas au juste «n quel temps la sonnette commence à paroitre. » La cliair de ce reptile est délicieuse , et j'en ai «ouvent mangé avec grand plaisir. J'ai vu les Indiens l'empoisonner avec du jus de tabac. » Tandis que j'en suis sur cet article , quoiqu'il ne soit pas tout-à-fait de mon ressort, je nie permettrai quelques remarques sur le serpent poule-d'eau et sur le serpent d'eau noir. » Le serpent poule-d'ettu est plus long que le ser- pent à sonnettes. Il a de5 bandes sur le dos , une pointe au bout de la queue, recourbée comme une ancre , et un double rang de dents dans chaque mâchoire. Il prend son nom de sa voix 'qui ressemble au cri d'une poule sauvage. Au Mississipi_, il se nourrit de ris sau- vage qui croît à travers les longues herbes ; il porte sa tête le plus souvent droite , jette un cri semblable à felui de la poule pour attirer cette dernière : quan,d Tome II. Y ( 338 ) i-S$. naturels '1). Nous vî.nes eue ne des napll- ^Septembr. Ions de diverses espèces. Q.iellut6t qu'on ne l-s voit , et qui ont un aiguillon si pi- quant et si venimeux , que lorsquhis l'appuient sur quelqu'un , il semble que ce soit un dard de :eu qu'd» £ lancent, » iCei pauvres gens sont 6i tourmentés de ces fâcheux ( p$ ) d'une rare beauté. L'abeille , la mouché I7gg commune , et les différentes espèces cle Septemb^ teigne se trouvent en grand nombre à Nootka. Ce sont les seuls insectes que je me souvienne d'avoir vus sur la côte nord- ouest d'Amérique. Quant aux minéraux de ce pays, nous n'un pûmes guère juger que par les diffé- rentes sortes de mine que nous trouvâmes chez les naturels ; et d'après ces échantil- lons, je suis très, porté à croire qu'ils sont d'un prix infini. Les blocs de cuivre pur malléable que nous avons vus entre les mains des natu- rels, ne nous permettent pas de douter qu'il n'y ait des mines de ce métal dans le voi- sinage de ceUe partie de la côte nord-ouest. On nous en présenta une fois un morceau qui paroissoit peser environ une livre M et au travers duquel on avoit percé un trou insectes quand il ne vente point , qu'ils en deviennent comme lépreux ». Voyez les Études dn la Nature de Bernardin de Sein t- Fie rre-> .tome III , étude iz. pages y 5 et j6. Ng£g du Traducteyr* Y a ( Mo ) 1788. assez grand pour y placer un manche afin Sepiciiibr. ^OJ} faire un marteau. \Tous tL mandâmes à t homme qui en étoit possesseur d'où, il le t< • oit 11 nous tlorma'à errendre qrci'il l'W^ri reçu eti échange de quelques natu- rels qui habillent plus au nord. Nous avons vu aussi qurl [Uieroïs' des colliers et une espèce de bracelets qu'on plaçoit au- tour du poignet, et qui étoient du cuivre le plus pi;r. Rien n'ahîiôriçoit qu'ils eussent apjaitonu à qùelqii'ï uroneen. Les naturels fabriquent une espèce d'ocre xonge , grossière , pour se barbou lier le corps, et surtout le visige. 11 est probable que celle ocre contient des particules de nié al. Nous remarquâmes aussi qu'ils se servoient d'un fard noir pour se peindre le corps. Par dessus ce fard , ils éparpii- îôîent une poudre brillante dont ils f'ai- soient beaucoup de cas ; au premier coup- d'csil , nos matelots la prirent pour de l'or. Les naturels la tiroient d'un lit de rochers de couleur blanche au fond d'un petit ruis- seau. Ll e couioit en veines , a voit le plus brillant éclat, et la même couleur que l'or. En brisant un morceau du rocher , ces par- ( U% ) tîcules brillantes disparoissoîent ; la croate 1-fg« qui restoit étoit noire et sans consistance • c l , , . uaiiuc , Septembre mais , réduite en poudre , elle prenoit l'é- clat dont j'ai parlé, et formoit l'ornement dont les habitans de Nootka tiroient le plus de vanité. Sir François Drake parle de cette poudre dans les détails qu'il nous a don- nés sur la Nouvelle -Albion. Mais je n'ai point de notions assez étendues en minéra- logie pour présenter ici quelques observa- tions sur cet article. Nous vîmes aussi plusieurs morceaux de crystal de roche, octogones, d'un trans- parent très - clair , et que les naturels por- toient autour du cou comme une parure. lis avoient presque tous sur eux un petit morceau de verre de Moscovie auquel ils attachaient le plus grand prix. Comme je ne suis parvenu à me procu- rer qu'une connoissance très-imparfaite du district de Nootka , on ne doit pas ajouter une entière confiance à mes conjectures sur ce qu'il peut posséder de minéraux. Ce qu'il y a de bien certain, c'est qu'au mois d'août 178^, les Espagnols qui , plus que tout autre peuple, possèdent le tact Y3 ( 34* ) i;88. nécessaire pour trouver les richesses ren- SejDtembr. fermées dans les entrailles de la terré, ou- vrirent une mine dans une île , nommée Y île du Fore , et située dans le havre de Y anse des Amis , dans Ventrée du Moi George. Leurs ouvriers restèrent constam- ment à l'omrage; eux seuls et les soldats préposés à la garde de l'île pouvoient en approcher. Fiit du second Volume (343) A P P E N D I X DE CE SECOND VOLUME. N°. I I I. Instructions données par le Capitaine Meares , à M. Robert DufEn , premier Officier de la Fe ice , chargé d'aller reconnaître les Détroits de Jean Je Tuca (1). Mo N SIEUR, Vous avancerez avec la chaloupe au midi de ce port, pour faire le commerce des fourrures avec lès (T> Le lecteur se rappellera I'éxpéd tion connee à Robert Dujjln pir le capitaine Meures, et l'événement qui troubla les recherches de ces: officier Ce n'. III des pièces ju tifi- eatives correspond au chapitre XVI de l'ouvrage. Le capi- taine Meares a oublié a y renvoyer le lecteur, eu p3- Y â (344) naturels. Je tous ai approvisionné , à cet effet , d'un© quantité suffisante d'articles de trafic. Vous êtes au- jourd'hui si fort au courant de ces sortes d'expéditions, qu'il seroit superflu de vous donner aucunes instruc- tions sur la conduite que vous devez tenir. Comme j'ai la confianre la plus entière dans votre prudence ? j'espère beaucoup que vous visiterez avec succès les nombreux villages situés le long de la côte qui conduit aux détroits de Jean de JFuca. Vous avancerez dans ces détroits tant que vous y trouverez des Iiabitans , ou que vous compterez vous y procurer des fourrures 5 et comme j'ai idée qu'une nation éloi- gnée habite le haut de cette mer } il iuiporteroit beau- coup que vous allassiez la reconnoître, de manier© cependant à ne pas retarder essentiellement votre route vers le midi , sur-tout si vous avez le bonheur de trou- > ver un p~rt. En quittant ces détroits , vous gagnerez Pile de Tatootche , et les villages situés le long des côtes vers le midi. Je pense qu'il sera prudent d'éviter Queen- hythe. Si le temps et les vents sont assez favorables pour vous permettre de gouverner sur la baie que nous avons nommée haie de Shoal-TVater , il seroit fort in- téressant de vous assurer s'il y existe une autre nation , distincte du peuple de Nootka$ il vous sera plus facile des instructions qu'il donna lui-même à Robert Duffin. Ce* instructions sont curieuses à connoître, ainsi que le journal •me cet officier a dressé de son court voyage. Il forme ta "uivant. Note du Traducteur* ( 345 ) Ae tenter si cette baie ou quelques places voisines ont assez d'étendue pour recevoir des vaisseaux. Comme il est impossible de prévoir tous les événe- mens qui peuvent vous arriver , je n'ai rien de mieux à faire que de m'en rapporter en tout à votre pru- dence. Je vous recommande particulièrement de vous tenir sans cesse sur vos gardes : que vos armes soient tou- jours en bon état, et à l'abri de l'humidité. Ne mouil- lez jamais la nuit dans le voisinage d'un village consi- dérable , ou de quelque partie trop peuplée de la côte. Je vous engage , par dessus toutes choses, à éviter toute espèce de querelle avec les naturels 5 que l'humanité, la bonne foi et la droiture qui ont toujours été jusqu'ici la base de vos actions , soient encore la règle de votre conduite dans les diverses relations que vous pourrea avoir avec eux. Vous avez , je crois , le cœur trop généreux pour souffrir jamais que quelqu'une des per- sonnes placées sous vos ordres se permette d'insulter et de piller , par cela seul qu'elles seroient sans dé- fense , les nations sauvages avec lesquelles vous auriea quelque communication. Vous prendrez possession de ces détroits et des terret adjacentes, au nom du roi et de la couronne d'Angle- terre 5 et vous essaierez de faire entendre aux habitans que vous serez bientôt de retour pour consolider le» traités d'alliance ou de commerce que vous auriez pu faire avec eux , et pour lesquels je vous donne ici toute l'autorisation nécessaire. Ayez soin f je vous prie , de tenir un journal da *otre expédition } dressez une esquisse des terre» que ( 3 \ 6 ) vous verrez , et accueillez toutes les remarques qui se seront présentées à vous. Je- me propose d'aiteadrç votre retour dans ce poit. Si, cependant , quelqu'acoident impr'vu me foreoit à le quitter , aous avancerez vers Nootka où vous vien- drez me rejoindre. Je vous souhaite un heureux succès , et demeure f Monsieur , très-sincérement y Votre , e'c J. Meares. A hnrd au vaisseau Ta Felice , port Efiingham ? i3 juillet 1788. N°. I V. Copie du journal de M. Duffin (1). Le i3 juillet 1788 , je quittai le vaisseau a^ee la chaloupe bien armée et bien équipée. Ma destination Çv) Et c a;é [uéncé d.*s in tr étions qu'on vienr de !ire * Rolft Dujin tint un journal exact de son exp^di-n, à parir du moment où la chai >urfJit est-quart- sud } l'île de Tatootch^ noua restoit au sud-est-quart- est , à quatre lieues de la Pointe- entrée , et à dix de la mer de Jean de Fuca. Une observation donna 48 de- grés 38 minutes de latitude nord. L§ i5. Jolies brises de l'ouest, et beau temps. A un» heure passée de l'après-midi , nous courûmes sur une petite baie sablonneuse où nous avions apperçu deux ou trois maisons, et nous y jettâmes l'ancre. Les natu- rels qui n'étoient que des pêcheurs , s'éloignèrent alors , emportant avec eux leur poisson. Ne voyant rien qui pi'it nous faire espérer de trouver des fourrures en cet endroit , je levai l'ancre et courus de nouveau sur la terre. Je vins mouiller à la hauteur du village de Nittee-natt. , à un quart de mille de la cote. Je tentai ici d'entrer dans un petit ruisseau , mais je trouvai sur la barre une lame trop forte p >ur oser approcher. Je commuai donc de faire de la voile, et vins jelter l'ancre sur dix brasses d'ea 1 , fon 1 Àé sable ; la Pointe-enTêe eourôit su d -quart -est ; le village étoit ilors à un dëmi- miiiede nou.s. Le chef, nommé Kissan, vint bord à bord de la chaloupe. A midi , la latitude nord étoit de 48 degrés 34 minutes. Le 16. Temps agréable 5 vent de nord. A six heures apsès-mrji , nous levâmes l'ancre, f-mportant plusienm pelleteries que nous avions achetées. Nous nmrrmes sur une baie sablonneuse, ou jiiuiot sûr ime £nse où il y avoii un village Des naturels m ntés dan' i , -x ca- nots nous, invitèrent à en approcher. Mais, dès que nous fù es près -le la ente, nous en vîmes un gr?_nd nombre d"autres qui se ras^- m b Soient sur le rivage avec des pieux , des bâtons , des arcs et des flèches. IU poussoient, en même temp , des îiurleniens effroya- bles, et faUoient les gesîes les plus mena ..ans. Je crus qu'ils n'avoient d'autre intention que de nous empê- cher de prendre terre. Mais je me t ompois : car ils lancèrent, à l'instant, du haut d'un rocher peu éloigné de nous , une ^rèle de flèches aux environs de la cha- loupe. Heureusement , nous n'ejâxnes p< rsonne de blessé. Plusieurs de ces flèches tombèrent sur la petite voile de la chaloupe , mais ne pénétrèrent pas au travers. Je me vis en ce montent dans la plus pressante nécessité de leur lâcher de la mousquelerie : mais j'étois trop éloigné d'eux p>our le iUre avec succès. lis commencè- rent , de leur côté , à lancvr a l'eau plusieurs canots chargés d'une grande quantité de pieux , et je tirai alors moi-même un coup de mousquet à l'un d'eu? , mais j'ai tout lieu de croire que personne n'en fut blessé. Quoi qu'il en soit , ils quittèrent sur le champ la partie ? et s'enfuirent jusques dans les bois en pous- sant des hurieinens affreux. aNous vîmes bientôt un de ces naturels accourir sur le rivage avec une pique de moyenne grandeur qu'ils avoient trouvé le moyen d'en- lever de la chaloupe sans être apperçus. Je ne tardai pas à me convaincre que is désir de conserver ce qu'Us ( 35o ) renoîi ni de nous dérober étoit le motif qui les a voit portés à cet acte d'hostilité contre nous. Dès que jVus reçu la pique en question , les hostilités cessèrent. Je me flatte qu'aucun d'eux n'a p 'ri. Ce n'est pas qu'en vérité f ils ne méritassent bien d'être victimes de leur insolence. Nous levâmes l'ancre alors , et innés de la voile sans rien découvrir qui donna; l'espoir de trouver des fourrures. Nous gouvernâmes à l'est, le long de la côte \ et doublâmes la Pointe-entrée à uii demi-mi Hé de distance. A sept heures et demie passées, nous étions environnés de rochers , et la lame se b'isoit avec vio- lence contre la côte après s'être élevée à une hauteur effrayante; à dix heures, nous jellAmes l'ancre sur onze brasses , fond de corail. Nous eûmes câliné plat toute la nuit; la mer fut tranquille. A la pointe du" jour , nous nous trouvâmes par le travers d'un petit village ; plusieurs canots vinrent près de la chaloupé , mais nous ne vîmes point de fourrures. Les natun Is' nous dirent qu'ils étoient tous sujets de Wicanauish , et se conduisirent avec beaucoup de douceur et irhon- nêteté. Nous achetâmes d'eux une petite provision cfe* poisson. A sept heures, nous levâmes l'ancre , et por- tâmes à l'est en remontant les détroits, La mer étoit calme. A neuf heures, nous eûmes une jolie brise de •vent de sud. Cette côte gît précisément est et ouest , d'après le compas. Nous suivîmes le long de la côte à un demi-mille de distance. La sonde rapportoit onze brasses \ en plusieurs endroits , vingt brasses ne trou- voient pas de fond. Cette côte est toute entière un lit de rochers. A onze heures et demie passées , nous dé=- couvrîmes l'entrée d'une baie profonde ', nous y arri- C 35i ) Truies à nidi , avec tout espoi - d'y trouver un bon port. Une observation donna 4^ degr-'s ij minutes de latitude nord. Le iT» A derx heures de l'a: rès-midi , nous mîmes à l'ancre dans une petite anse sur trois brasses tr >is quarts d'eau , près des rochers. Le long de la baie, la sonde rannortoit régulièrement de quinze à quatre brasses d'eau, à un demi-mille de la côte. Ce havre est excellent pour dés vaisseaux du port de cent à cent cinquante tonneaux \ mais il n'y a pas assez d'eau sur la barre pour en former un plus considérable, l'eau. la plus élevée n'étant qu'à deux brasses , et la marée ne montant qu'à dix-huit pieds. Cette baie oifre aux vais- seaux un mouillage très-sûr pendant l'été; Aucun ven£ ne peut les y tourmenter , si ce n'est le vem de pud- est. Mais alors , la baie étant très - profonde , la mer ne peut pas y être fore dangereuse. Le fond nous parut très - bon pour recevoir les vaisseau** étant tout de, sable et de vase molle. Les naturels de ces parages re- connoissent Tatootche pour leur chef. Ils nous semblé- rent une race d'hommes hardis et capables de tout en- treprendre. Mais comme nous étions à une assez gnip.de, distance de leurs villages , je ne craignis neii de leur part. A sept Heures d'après-midi, plusieurs canots-- por- tant, chacun , un grand nombre de naturels, YJ#£&a& "bord à bord de la chaloupe, plusieurs d'entr'*iix es- sayèrent d'y monter. Je les priai de rester dehors , et ne permis à aucun d'eux de venir parmi nous. En même temps , je défendis très-expresséi^'ut au;; gHra de l'équipage de leur dire un seul mot, ou de le r of- frir la moindre chose." Un dos canots s'éloigna alors à *( 352. ) quelque distance de la chaloupe j et bientôt je vis un des sauvages qui étoient dedans , se saisir d'un pieu dont une coquille de moule formoit la pointe. Il l'atta- cha au bout d'un bâton en le serrant très-fort avec une corde. IL se mit , en môme temps , en posture de le lancer , et cherchoit à me faire entendre qu'il me tueroit. Je ne fis pas grande attention à ses menaces . ne pensant pas qu'elles fussent sérieuses. Mais en por- tant mes regards sur leurs canots , je les vis tous rem- plis de pieux , de bâtons , d'arcs et de flèches. J'ap- perçus aussi à terre , entre les arbres , et en face de la chaloupe , un grand nombre d'hommes armés. Je me persuadai alors que leur intention étoit de s'emparer de la chaloupe. J'ordonnai ? en conséquence , à mes gens de préparer leurs armes , et de se tenir sur leurs gardes 5 je leur recommandai sur - tout d'observer les mouvemens de l'homme qui étoit armé du pieu , et de lui tirer un coup de mousquet , s'il faisoit le moindre effort pour le lancer. A peine avois-je cessé de parler que je vis le pieu partir de sa main , dirigé contre Robert Davidson , quartier-maitre et conducteur du coquet. J'ordonnai sur le champ de faire feu 5 un seul de nos gens tira un coup de mousquet. L'homme armé du pieu tomba roide mort sur la place. La balle lui avoit traversé la tête. Les autres naturels sautèrent aussitôt par dessus le bord , et tous les canots s'enfui- rent à force de rames. A l'instant même , une grêle de traits lancés du rivage tomba sur nous : je fis faire feu roulant sur les assaillans , mais sans succès , parce qu'ils se mettoient à couvert derrière dt* gros arbres. Ja lus Ulessé d'une llèche à la tête j au moment même où le ( 353 ) ïe sauvage tomba. Nous levâmes l'ancre , et ne fîmes |ouer que deux rames pour avancer en mer , le reste de nos gens étant sous les armes. Nous trouvâmes les deux côtés du rivage bordés d'hommes armés de pieux de pierres , etc. de sorte que nous ne pûmes douter plus long-temps que leur intention ne fût de s'emparer de la chaloupe. Nous fûmes assaiiiis de nouveau d'une pro- digieuse quantité de pierres et de flèches 5 mais , par bonheur j personne de nous ne fut mortellement blessé. Pierre Salatrass , Italien de nation , reçut une flèche qui resta enfoncée dans sa jambe pendant toute la durée de l'action , et jusqu'au moment où nous fûmes déli- vrés de ces cruels ennemis } il ne pouvoit s'exposer à i'arracher sans s'ouvrir la jambe, attendu que la flèche étoit barbelée, et avoit deux crochets. Je fus obligé de lui faire une incision pour la retirer 5 elle avoit pénétré jusqu'à trois pouces de profondeur. Le Chinois fut aussi blessé au côté : un autre de nos matelots reçut une flèche près du cœur. Aussitôt que nous fûmes hors de leurs atteintes, nous fîmes de la voile, et sortîmes de la baie. Nous jettions régulièrement la sonde à me- sure que nous avancions : le vent étoit de l'ouest. Nous courûmes sur l'autre côté , dans l'intention de retourner à l'instant vers le vaisseau ; je voyois que les naturels étoient absolument déterminés à nous faire beaucoup de mal , et que nous ne pourrions pas avan- cer le long de la côte sans mettre notre vie dans le plus imminent danger. Je souffrois aussi cruellement de la tète 5 car la flèche avoit pénétré jusqu'au crâne , et m'auroit tué infailliblement sans mon chapeau qui rompit le coup. A midi} nous tûmes de jolies brise* Tome IL Z . ( 354 ) de vent , et un beau tenrps. L'ile de Tatootche cou- roit sud -ouest. Nou^ donnâmes à ce havre le nom de port Hawkesbury , et à l'autre baie , celui de baie des Hostilités . Le i8. Nous eûmes un temps agréable 5 le vent étoit de sud - sud - est. A quatre heures après - midi , nous virâmes vent devant , à la hauteur de la cote méridio- nale , à quatre milles de distance , et courûmes sur la côte septentrionale des détroits. A sept heures , nous virâmes vent devant une seconde lois , à la hauteur de la côte , à la distance d'un demi-mille. Au coucher du soleil, l'entrée du port Hawkesbury gisoit nord-quart- est , et File de Tatootche nous restoit au sud. La Pointe - entrée couroit ouest -sud- ouest 5 à huit lieues de l'ile , et à trois seulement du port. Pendant la nuit , nous gouvernâmes nord-ouest-quart-ouest , et ouest- nord-ouest par une jolie brise de vent et une brume assez épaisse. C'est ainsi que nous vînmes rejoindre le vaisseau. (Pour copie) Robert Duffin. ( 355 ) N°. V.' Instructions données par le Capitaine Meares au Capitaine Douglas > en quifa tant lu cote d'Amérique. Au Capitaine Guillaume Douglas , Commandant le vaisseau /'Iphigénie. Monsieur, Comme je me propose de gagner les îles Sandwich f et par suite , la Chine , dès le moment où la Cote Nord" Ouest â9 Amérique aura été lancée à la mer , le double commandement de VIphigcnie et de la Cote Nord- Ouest d* Amérique vous sera naturellement dévolu. JL La haute opinion que j'ai conçue de vous me per- suade facilement que vous êtes capable de soutenir une pareille charge. Je crois nécessaire , cependant , de Vous indiquer la route que vous aurez à tenir après notre séparation. Je ne doute point de l'intelligence avec laquelle vous exécuterez tout ce qui vous sera prescrit pour l'intérêt de nos commettans ; et comme vous avez déjà donne une preuve convaincante de la vôtre dans le dernier voyage que vous venez d'achever, j'ai tout lieu de croire que vous redoublerez d'activité y de vigilance , d'exactitude er de précautions dans la ( 356 ) scène de nouveaux événemens qui va se déployer de- vant vous , et <]ue vous terminerez un second voyagé avec le même succès. Je prends la liberté de vons re- commander de nouveau , comme une chose qui exige toute votre attention , tous vos soins et la plus coura- geuse persévérance , d'exécuter tous les plans que je vous tracerai pour l'avantage des propriétaires qui nous emploient. J'ouvre un champ vaste à vos talens $• je suis bien sûr que vous profiterez de cette circonstance pour prouver à l'univers que je ne me suis point trompé dans mon opinion sur votre compte. Afin de vous procurer tout ce qui peut assurer le ëuccès de votre expédition , j'ai fait porter dans vos vaisseaux une partie des diverses espèces de provisions que j'avoia à bord de la Felice. Quoique je me trouve en état de vous en fournir pour le moment , je dois vous prévenir qu'elles sont extrêmement rares , qu'il vous sera très-difficile de les remplacer par de nou- velles , et que vous n'aurez pas trop de toute votre vi- gilance pour éviter d'en manquer entièrement. La pro- vision que je vous donne de pain et de froment s'aug- mentera , je l'espère, par celle que vous recevrez aux îles Sandwich. Vous y salerez votre porc. Dans cette opération , je vous recommande de suivre avec la plus soigneuse exactitude la méthode indiquée par le capi- taine Cook \ car c'est en négligeant de l'observer , que le capitaine Colnett, commandant le Prince de Galles y a perdu la plus grande partie de ses provisions , avant d'avoir atteint le 3oe degré de latitude nord, dans son voyage à la côte nord-ouest d'Amérique. Je vous ai cédé | à cet effet , tous les tonneaux que j'avois dan* ■ ( 357 ) mon vaisseau , excepté ceux de la rangée. Un objet très-important pour vous, sera de vous procurer des végétaux , et sur-tout des ignames dont j'espère que vous recueillerez , même sur la côte d'Amérique , une assez grande quantité pour en faire au besoin une res- source très-utile. Pendant toute, la durée de votre sé- jour aux îles Sandwich , je vous recommande de ne point donner de pain à vos gens 5 vous y trouverez en abondance des productions végétales qui leur permet- tront de se passer de cette nourriture \ et le soin que vous aurez pris de le ménager alors, vous garantira presque le succès de votre voyage. Je vous recommande la même précaution à l'égard du froment. Comme votre provision de liqueurs est entièrement consommée , et que je n'en ai plus à vous fournir . j'ai envoyé à bord de vos vaisseaux tout ce qui me i*estoit d'essence de spruce , ainsi que des mélasses pour faire de la bière. Vous vous en servirez quand vous le juge- rez à propos 5 et si les mélasses ne vous suffisent pas , je vous engage , arrivé une fois aux îles Sandwich , d'essayer de faire bouillir de la canne à sucre \ le capi- taine Cook en composa pour son équipage une bière agréable au goût. Mais , si vous ne pouvez réussir à faire du sirop, elle sera encore très-agréable à vos gens avec du thé. Car je n'ai point de sucre à vous donner , et le vôtre est consommé tout - à - fait. Vous essaierez aussi s'il est possible de distiller le rum. Je vous envoie , à cet effet , une chaudière et un alambic. Si vous réussissez dans ces difïérens essais , vous aurez découvert toutes les ressources qui pourront vous mettra à portée d'exécuter le plan que je vous aurai tracé Zr6 ( 358 ) . Dans tous les cas , j'espère fortement que vous par-* ■viendrez à vaincre tous les obstacles. D'après les renseignemens aue m'a donnés le capi- taine de la Princesse Royale , je crois devoir voua parler des dangers contre lesquels vous aurez à vous prémunir pendant votre séjour dans ces îles où l'équi- page d'un vaisseau , plongé dans les plaisirs , peut de- venir si facilement victime des caprices d'un peuple liardi et entreprenant. Votre sagacité seule vous déter- minera à tirer vos principales ressources à* Owyhee , l'une des îles du Vent. Le danger d'y mettre à l'ancre est assez démontré lorsqu'on sait qu'elle est habitée par un grand nombre de naturels. Vous connoissez très- bien la baie de Mowce. Je vous invite à y mouiller, si l'on peut y trouver un fond qui ne soit point de roches Je corail. Quoique Titerree gouverne en souve- rain JWowee , Morotoi , et les iies adjacentes 5 les di- visions qui régnent entre les chefs inférieurs ne leur permettront probablement pas de concerter entr'eux un plan d'hostilités contre vous. La distance où vous vous tiendrez du rivage de cette île, sera, d'ailleurs , un motif de plus de sécurité pour vous. Dans tout ce grouppe d'Iles, je ne connois point de place plus sûre, pourvu toutefois qu'on puisse y trouver un bon mouil- lage. Lorsque le vent alizé souffle, il descend un som- met des montagnes en brises rafraîchissantes, et tem- père la chaleur dévorante du soleil , si pernicieuse dans tous les climats. Lorsqu'il cesse , et rait place au vent de nord-ouest , vous avez plusieurs canaux d'une vaste étendue au travers desquels vous pouvez remettre en mer , et , par ce moyen , il n'y a plus à redoutai (359) une cfoe sous le vent du vaisseau. Je vous observe que c'est le seul poste que vous puissiez occuper au milieu des îles en question, sans avoir ce danger à craindre ; et il est tel qu'au moment même où vous verrez le temps se charger de nuages noirs au nord-ouest , je vous conseille de remettre en mer. C'est le seul moyeu de salut. Le caractère, sauvage et féroce du peuple de JValioo vous déterminera , je le présume , à ne faire qu'un court séjour dans cette ile. Le grand nombre des ha- bitans à'Atooi vous détournera également, sans doute, de rester long- temps dans la baie de Wimeo. Onehovf sera donc le terme de votre route. Arrivé à celte île , je vous engage à vous tenir en garde contre les ruses et la malice de Tabeo et d'Abinui que je regarde comme des hommes tiès-redoutables par leur caractère astu- cieux et intéressé. Comme ils ont essayé d'empoisonner l'équipage du Prince de Galles et celui de la Princesse Royale , vous vous prémunirez contre un aussi infer- nal projet , en examinant avec attention les noix de cocos , les ignames , l'eau , etc. dont vous aurez soin de l'aire goûter chaque fois à celui qui vous les vendra. Je sais , à n'en pas douter, par Tianna , qu'ils ont le «ecret d'vwi poison si subtil qu'il corrompt à l'instan* môme les sources de la vie. Dans le cas où vous vien- driez à: découvrir une aussi exécrable tentative de leur part , je vous recommande de vous saisir de ceux qui s'en seroient rendus coupables ; et comme une pareille trahison ne pourroit se commettre sans le consente- ment d'Abinui et de Taheo , vous ne négligerez pas A"' en faire un exemple éclatant. Les relations de com- Z4 ( 36o ) raerce que les naturels (VAtooi ont eues avec des Eu- ropéens ont tellement influé sur leur caractère qu'on ne sauroit s'armer de trop de vigilance et de précau- tions. N'en souffrez jamais, sous quelque prétexte que ce puisse être , plus d'un ou de deux sur votre gaillard. Tenez sans cesse du monde sur vos hunes , avec des armes toutes prêtes ; qu'alors vos fusils soient toujours chargés et amorcés. Ne laissez jamais les naturels faire le tour du vaisseau à la nage 5 autrement , comptez qu'ils ne manqueront pas de couper vos cables. J'espère que vous parviendrez à vous procurer une bonne provision de cordages , et je pense que les san- gles , les badernes (i), les toiles pourroient bien être aussi recherchées sur la côte septentrionale d'Amé- rique, que sur la côte méridionale. Vous en achèterez donc autant que vous le jugerez nécessaire uour le mar- ché d'Amérique. J'espère aussi que Tianna vous sera fort utile. Je vous recommande les plus grandes attentions pour ce chef. J'attache une extrême importance à ce qu'il soit déposé dans un lieu qui lui soit agréable , soit à Owykee , chez sou parent Tome Tomy Haw, prince souverain de cette île et tfAtooi ; soit chez son frère Nawmity Haw et sa famille , dans cette dernière île. Quelqu'arnbition que Tianna puisse concevoir en se •yoyant si puissamment soutenu , nou« ne devons pour- (i) Ou tissu de vieux cordages servant à fourrer des ma- nœuvres- Note du Traducteur, (36i ) tant pas manquer de prudence en établissant notre ami j et ce sera nous montrer ses plus fidèles et ses plus sincères alliés que de le remettre précisément dans le lieu d'où nous l'avions emmené. D'un côté , nous ne devons pas céder à ses vues ambitieuses ; de l'autre , nous avons à nous défier de notre propre inclination qui nous porteroit à élever ce chef, par cela seul qu'il est notre ami, au rang le plus envié dans le monde. Grâces à la générosité de M. Cox , il retourne parmi les siens chargé de richesses. Quoiqu'il mérite beau- coup par lui-même , il ne faut cependant pas dépasser la ligne marquée par la prudence 5 et l'exemple d'Omai suffit pour prouver combien la fortune est perfide dans ses faveurs, même chez les nations sauvages. Toute autre considération à part , il suffit de réfléchir que nous engagerions des débats , au moins inutiles , et dont l'issue pourroit nous devenir très-funeste. Ainsi , tous renverrez ce chef, en ajoutant aux présens qu'il a déjà reçus , ceux que vous jugerez convenable d'y join- dre 5 et comme vous savez parfaitement sa langue , je vous invite à entrer dans ses idées de bonheur autant que la prudence le permettra , ou qu'il vous sera pos~; sible de le faire. On trouve l'huitre-perle dans l'Ile tfOnehow. Vous tâcherez de faire comprendre à Tianna tout ce qu'elle a de valeur, et combien elle seroit précieuse pour nous, J'espère que , pendant votre séjour dans cette île 5 vous saurez à quoi vous en tenir sur cette riche pro- duction. Si vous jugez à propos de chercher Pile nouvelle-* jnent découverte j dont on place le gisement au nord-*. ( 352 ) ouest tfAtoni , vous suivrez en ce point , comme en tout autre , les conseils de votre sagesse. Aussitôt que le vaisseau la Cote Nord-Ouest d'A- mérique va être lancé , je me mets en route pour la Chine. Vous serez dès-lors chargé de toutes les opéra- tions futures. Comme vous n'avez maintenant à bord qu'une très-modique provision de salaisons , et qu'il est fort incertain que vous parveniez à vous procurer du poisson , je vous engage à gagner les îles Sandwich le plus promptement qu'il vous sera possible , aussitAî que la Cote Nord- Ouest d'Amérique sera prête à mettre à la voile. Mais , à cet égard , vous suivrez vos idées j et vous vous réglerez sur ce que vous aurez de poisson. Si vous réussissiez à en recueillir une assez grande quantité pour pouvoir rester sur la cote jusqu'à la fin d'octobre , je vous recommanderois > pour em- ployer utilement cet espace de temps , de gouverner vers le 46e degré de latitude nord , et de suivre le plus que vous pourrez la côte entre les 4°C et 4°C degrés. Le mois d'octobre passe pour être assez favorable. En visitant cette partie de la côte r vous aurez peut-être le bonheur de rencontrer quelques nouvelles tribus de naturels dont j'ai les plus fortes raisons de croire que ces parages sont peuplés. Je sais , à n'en pas douter, que les Espagnols s'y sont procuré une quantité prodi- gieuse de peaux de loutres qui furent apportées dans ctes galions à Manilla , et delà à la Chine où je les ai vues. Je suis moralement certain que ce n'est pas au nord du 46e degré qu'ils ont fait cette riche provision , puisque je n'y trouvai nulle part le moindre article sorti «les manufactures d'Espagne , soit en fer , soit en cuv- ( 363 ) Vre. Cette partie de l'Amérique est aujourd'hui tout ee oui nous reste à reconnoître. Il faut saisir un moment si favorable pour acquérir une connoissance parfaite de eette partie de la cote. Car c'est ainsi que nous pour- rons nous déterminer , soit à abandonner tout-à-fait la partie méridionale du continent dont il s'agit, soit à chercher des peaux de loutres dans ces parages. La question est de "savoir dans quel endroit les Espagnols se sont procuré ces fourrures. J'espère qu'il vous sera facile d'édaircir ce point de manière spie , Tannée prochaine, nous soyons en état de tirer avantage des découvertes que vous aurez pu faire. Mon projet fut toujours de visiter, à quelqu'époque plus éloignée , cette partie de la côte. La nécessité qui m'oblige à gagner la Chine sans délai, s'oppose à toute expédi- tion semblable de ma part. Mais comme vous aurez , pour vous aider , la Cote Nord- Ouest d'Amérique , j'espère que vous serez en état de l'entreprendre et de l'exécuter avec succès , dussiez - vous consentir ^ passer tout le mois d'octobre sur la côte. Au surplus, réglez votre conduite en ce point d'après vos propres idées et sur le concours des circonstances. La connoissance particulière que nous avons ac- quise de la côte d'Amérique et des vents périodiques qui y régnent , ainsi que des époques où elle est le plus redoutable , nous donne un grand, avantage sur tous les çoncurrens. Les années 1790 et 179 1 seront certainement les meilleures, et les plus productives que nous puissions jamais y passer. Avec une perspective. si flatteuse devant les yeux , nous devons redoubler, d'efforts pour parcourir toute la côte avant qu'aucun ▼aisseau n'ait eu le temps d'arriver d'Angleterre. Vous quitterez , à cet effet, les îles Sandwich, le plutôt qu'il vous sera possible dans le commencement de 1789, et, en même temps , de crainte d'accident, ou d'une séparation précipitée , vous donnerez vos ordres à M. Funter afin qu'il aille en avant, et qu'il exécute , de son côté , une partie du plan des opérations. Je vous abandonne , ainsi qu'à la Cote Nord-Ouest d'Amérique , le district septentrional du continent. J'occuperai moi-même le poste méridional , à prendre depuis la Chine , et je ne désespère pas d'être arrivé sur la côte vers le premier mai 1789. J'avancerai alors suivant que les circonstances le permettront : mais , quelque route que je prenne au midi , je n'essaierai pas de faire voiles vers le nord de Nootka. Je ne doute pas que, de votre côté , vous n'arriviez sur la côte d'Amérique à - peu - près vers le premier avril 1789. A cette époque, la mousson aura commencé, et l'expérience nous a appris qu'elle souffle de prè* dans le voisinage de la côte d'Amérique. Ainsi , pour profiter des avantages qu'offre la mousson , au lieu de. gagner sur le champ Ventrée du Prince Guillaume comme ont fait beaucoup d'autres , je vous recom- mande de suivre la côte au midi 5 et comme vous êtes autorisé à découvrir la Grande Isle, dont le côté nord- ouest qui comprend près de quatre degrés de latitude est entièrement inconnu , je vous invite fortement de suivre le cap Saint -Jacques , l'extrémité méridionale de la Grande Isle , comme le point principal sur \q continent d'Amérique. Si ia Côte Nord-Ouest d'Amérique se montrait { 365 ) ttiauvaîs voilier , et retardoit votre navigation , vous avancerez seul à la cote , et laisserez ce vaisseau vous suivre comme il pourra , et exécuter à loisir les ins- tructions que vous lui aurez données. Mais c^tte cir- constance n'est pas vraisemblable, et, selon toute ap- parence, vous le trouverez excellent voilier. Dans ce cas, il avancera vers la côte de conserve avec Vlpài- génie f jusqu'à ce que vous ayez trouvé le cap Saint- Jacques. A ce moment, il se séparera de vous sans délai. A mesure que vous ferez voiles le long de la côte nord - ouest de la Grande Isle , vous la reconnoître* dans tous ses détails avec la plus scrupuleuse exacti- tude jusqu'à la hauteur du 54e degré nord. Dans cette latitude , réside un chef dont le district est très-étendu, et chez lequel le capitaine Dixon réussit à se procurer en peu d'heures deux cents manteaux , ou six cents peaux de loutres. Entre le pays où ce chef est établi , et le cap Saint-Jacques , est une côte non encore re- connue : l'on peut se flatter , sans présomption , qu'il réside plusieurs chefs et un nombre considérable de naturels dans une si vaste étendue de pays. Le souille de la mousson vous accompagnera par degrés le long de la côte 5 et comme vous aurez du temps devant vous , et que vous aurez prévenu la saison , vous pourrez la reconnoître à votre aise. Ce point une lois exécuté , vous devez vous en promettre de grands avantages. Votre route la plus naturelle ensuite , sera d'avancer à Ventrée de la Loutre , et à la baie qu'il vous a plu d'appeller de mon nom. Delà , vous pous- serez insensiblement jusqu'à Ventrée du Prince Guil* ( 366 ) Jaunie , observant de -\ imiter les diverses parties de la < ôte par où vous avez déjà passé , et que vous con- naissez si bien aujourd'hui , sur - tout Ventrée de la Croix qui paroit être d'une importance majeure. Si vous prenez cette route, je vous recommande d'y ar- river vers le 20 mai. Je pense que vous pourrez y res- ter jusqu'au premier juin, afin de tirer quelque chose $ s'il est possible , de la rivière de Cook. Je ne me soucierois guère , après tout , que vous avançassiez à celte place , attendu que les Russes en sont entière- ment les maîtres. Le voyage emploieroit donc sans utilité un temps très-précieux. Ainsi , dès le premier juin , vous quitterez Ventrée y et vous ferez voiles de nouveau vers le midi , en observant de repasser par >os anciens postes, et de recueillir les fourrures dont vous aurez pu faire provision 5 c'est ainsi que vous ar- riverez au lieu où le vaisseau la Cote Nord-Ouest d* Amérique sera convenu de vous rejoindre. Je désire bien que l'époque de cette réunion ne passe pas le premier août 1789. Comme les opérations auxquelles nous destinons la Cote Nord- Ouest d} .Amérique entre les 5oe et 4^e degrés 3o minutes de latitude nord, rempliront suffi- samment notre but, elle pourra rester dans ce poste. Ainsi , que vos instructions pour M. Funter soient claires et précises. Lorsque vous vous séparerez au cap Saint-J acqu'Ls , il avancera dans le grand canal , et remontera le coté nord-e^t de la Grande Isle jusqu'à la hauteur du 54e degré 3o minuits de latitude nord. 11 se livrera à l'exécution de la partie du plan qvl lui seta confiée , entre Filé et le continent d'Améiique ? (367 ) alternativement. Ce plan est actuellement entre vos mains. Vous avez également tous les renseisnemens nécessaires sur les différens chefs et sur les lieux de leur résidence. L'écrit qui contient l'explication éten- due que j'ai eu le bonheur de me procurer de tous ces détails , accompagne les instructions. Vous en donne- rez une conie à M. Funter , et vous lui enjoindrez expressément de ne point se porter vers le côté nord- ouest de la Grande I*le, à moins que dans votre route vous ne trouviez une occasion de le diriger. La Cote XÇurd-Ouest d} 'Amérique est merveilleusement adaptée au poste que nous lui réservons } et nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir construit un pareil vaisseau. Lorsque les vents souffleront avec violence ne la Grande Isle , il cherchera un abri sur la côte d'Amé- rique, au milieu des baies et des havres qui s'y trou- vent en grand nombre. Prévenez -le que ces parages sont peuplés d'habitans. Si des vents plus violens en- core le chassent de ce mouillage, les bords orientaux de la Grande Isle lui offriront une retraite: sûre, prin- cipalement le havre de Port Royal. Il passera ainsi le temps , jusqu'à ce que l'époque convenue pour le ren- dez-vous soit arrivée. Ce sera, je l'espère , à-peu-près dans le commencement d'août. Vers ce temps 5 il aura traversé à plusieurs reprises la pointe de la Grande Isle , son côté nord- est, et tout le continent depsiis. les 5o degrés 3o minutes jusqu'aux 54 degrés aussi 3o minutes de latitude nord. Par ce moyen, tout l'es- pace compris entre Ventrée du Prince Guillaume et Ventrée de Nootka aura été occupé et parcouru plu- sieurs fois . excepté le côté nord-ouest de la Grande ( 368 ) îslé 5 et comme vous pourrez espérer de nouveau -f trouver de nouvelles provisions depuis le moment où vous l'aurez quitté , je laisse à votre sagesse et à votre choix de permettre à la Cote Nord-Ouest d'Amérique de gouverner vers ce poste, dans le voyage qu'elle fera pour me rejoindre à Ventrée de Nootka. Lorsque vous serez réunis à l'époque convenue , vous me donnerez par écrit tous les détails de vos opé- rations. Vous avancerez ensuite , en toute diligence , avec VIphigénic jusqu'à Aîed/ioi , ou Vile de Cuivre. J'espère que vous y serez arrivé vers le 10 septembre , ou du moins avant que les vents de nord-ouest aient commencé à se faire sentir. Cette dernière partie de vos instructions , vous ne l'exécuterez qu'autant que votre prudence ou les cir- < mstances vous le conseilleront. Vous pourriez trou- ver votre poste occupé , ou entendre dire qu'il le soit par d'autres vaisseaux. Dans ce cas, vous vous verriez engagé dans une contestation. Il peut naître de même quelque circonstance importante qui vous forcera de vous écarter de vos instructions. Je vous laisse donc entièrement libre à cet égard , comme aussi , je le répète , sous tout autre rapport. Je vous ai indiqué l'objet d'une visite à Vile de Cuivre ; et aucun temps de l'année ne paroîl plus favorable pour l'entreprendre que le mois d'août. Je me flatte qu'à cette époque y V Iphiucnie et la Côte Nord-Ouest d'Amérique auront parcouru toute l'étendue du poste septentrional. Je compte, du moins , que s'il restoit quelque chose à faire , vous ordonnerez à M. Funter de l'ac* '.l ver avanl de me rejoindre ù Ni>uika. .Taltendrri son arrivée dans t 369) dans cette entrée jusqu'au 10 novembre 1789. Si ^ alors , je n'entends pas parler de lui , je pars ce jour- là même pour gagner les îles Sandwich ; et j'atten- drai son arrivée et la vôtre dans la baie de IVymeo - dans l'ile à^Atooi , ou dans le mouillage de l'Ile One-^ how es Chapitres. 3^3 pour la première fois , un perroquet de mer, — Clarté extraordinaire de l'ath- mo sphère ; à quelle cause il faut V at- tribuer. — Vue de la côte d' Amérique. La Pi incesse B.oyaie part de Ventrée du Roi George. — Détresse de la Felice. —°Nous mouillons dans l'anse des Amis , dans l'entrée du Roi George > Page 19 Chap. IX. Situation, avantageuse de l'anse des Amis dans F entrée du Roi George.*— Nombre considérable des naturels ras- semblés pour examiner le vaisseau.-—* Joie de Comekala à son arrivée. Hannapa , chef Indien , vient à bord ; quelques détails sur sa "visite. — Les na- turels nous apportent des provisions de jpûissojL. — Comekala se dispose à aller à terre. ~ Sert habillement ; réception que lui font ses compatriotes. —Occu- pations des gens de l'équipage. — Arri- vée de Maquilla ^ chef de l'entrée du Roi George , avec Callicu?n , l'homme du rang le plus distingué après lui.— Description de leurs habillemens , et de leurs diverses cérémonies à la vue du vaisseau. — Ils viennent à bord.~T ré- sens que nous leur fîmes. — 1 ortrait de ^L il «3 S?4 T A B t E r^5 cliefs. TZv 7Z0Z/S accordent la per- mission de bâtir une maison et un vais- seau , et nous abandonnent un terrein à cet effet. - — Présens que nous leur of- frîmes en rcconnoissance de ce bienfait. — Callicum se plaît dans le vaisseau , et est chargé par Maquilla de protéger le détachement sur le rivage. — Maison bâtie dans l'anse des Amis. Sa des- cription — Quille d'un vaisseau dressée» —Récit abrégé du meurtre commis l'an* née suivante par les Espagnols en la personne de Callicur?i> Page 49 Cu av. X. Moyens employés par les naturels pour augmenter le prix des peaux de lou- tres de mer. • — Leur supériorité dans l'arrangement des marchés qu'ils con- clu oient avec noz/s. ~~ Conduite de Come- kala. — Nous avons le crédit d' en faire un chef — Son mariage. — Cérémonie m: njfique à ce Lie occasion. — Maquilla et ±cs chefs adoptent notre habille nient et v n nières. «Présent de grande vu' eu) fait pj,r -■'■ piîlla — Vol d une vieille h aiguiser. — Ues naturels nous apt^ "L u une main 'homme i acheter. — Da/ig cr au' ils courent en ce Lie cir- ces Chapitres. 3y5 constance. Perte déplorable d'une partie de l'équipage de /'Aigle Impérial , en ij8j. Raisons que nous avons de soupçonner Maquilla d'être un canni- baie, Etrange oreiRer employé par CaUicum, — Les habita ns de l'anse des Anus s' éloignent à une petite distance. -—~Raisotis de cet éloignenienty et faci- lité avec laquelle ils l' effectuent. — On nous apporte une jeune loutre à acheter, - i paoe 72 Chap. XI. Nous nous disposons à remettre à la voile.-- Vol de notre pinasse par les naturels. — Inutilité de nos efforts pour la retrouver. — Idouveniens à bord du vais- seau.— Débarquement des officiers et du détachement destinés à rester à terre, — Amas de provisions pour l'équipement du nouveau vaisseau. — Mesures prises pour la sûreté du détachement. Pro- grès des travaux pour la construction du nouveau v aisseau \-~B 'ou \ne santé des gens de l'équipage. — ~ Provisio7zs . de poisson. — J ' isi te de cérémonie rendue à Maquilla _, et renouvellement du traité. — — Nous lui don?W7is avis de l'époque probable de l'arrivée cle ./'ipLi^eme» — — A a 4 Zj6 Table Maquilla demande une lettre pour le capitaine dt ce vaisseau. — Notre sur- prise en le voyant doué d'une infinité de connaissances ; moyens par lesquels il se les étoit procurées. Histoire de M. JSIaccay. — Cal lieu m revient de la chasse aux loutres de mer. — Nous trou- vons entre ses mains beaucoup d'articles qui av oient appartenu à sir Joseph Banks \ Le vaisseau remet à la voile. — Flan de notre route , etc. Page ^9 C;;at'. XII. Les chefs Hanna et Detootche visitent le vaisseau dans leur route vers . le lies de la résidence de IVicananish. — IJlcananish vient à bord, et conduit le vaisst\ / i • sa rade. — Arrivée d'un, grand i; c rthre d'habitans à la hauteur du vaisseau. — description du pays et du village de IVicananish _, vus du vais- - se,/ a. Usité rendue au chef. — Des- cription de sa. maison. Surprise que nous cause leur tçrn d'ingénuité, — Nom- h reu se famille de Ificananish. — Son op. rr , ses trésors , sa manière de traiter les convives. Présens offerts à , , . ,, an di. — Prix qu'il attache à nos chaudières ou. don fait bouillir le the. des Chapitres. ojj '•— Sa ma^nifcence dans les présens qu'il nous donne en retour des nôtres. ■ Femmes de FVicananish , leur beauté ; présens qu'elles reçoivent de nous. — ■ Agréables relations de commerce avec les naturels. Ils nous procurent des provisions f raidies. — Trafic avec le chef par la voie de V col: ange, Meurtre commis dans la personne d'un étranger par les naturels du village. — Le vais- seau se trouve forcé par le mauvais temps de rcl de lier dans le port intérieur ^ nommé Port Cocc , . Page 104 Chat. XIII. Les naturels du vays de Wica* nanish moins civilisés que ccujo de Nootka* — Quelques précautions que nous avions jugées nécessaires offensent le chef , et produisent du refroidissement entre lui et nous. —~La. bonne intelligence se ré- tablit , et le traité d'alliance est renou- velle. — F résens faits de part et d'autre en cette occasion. — L'usage des armes à feu connu à ces insulaires* — Le vil' lage est transporta à une petite distance, — Traité entre V/icananisti ? Hanna et Detootche* — Présens à cette occasion. — Heureuses conséquences qui insultent 37B T A B 1 ■ pour nous du traité. — V ré sens farts à Wicananish et reçus de lui.— ¥ résent envoyé de rentrée du Roi George. — "Préparatifs pour mettre à la voile. La Felice coîitinue son voyage. — Des- cription du Port Cox , etc. page 124 Ckap. XIV. Nous continuons notre route au midi le long de la côte. — -Grand nombre de villages situés sur le rivage. — Les ha» b l 'tan s approchent du vaisseau ; leur chagrin de voir que nous ne nous arrê- tons pas pour mouiller. ~~~~ Découverte des détroits de Jean de Fuca. Leur étendue et leur situation. Les natu- rels arrivent à la vue du vaisseau. Tatootche vient à bord. Portrait de cet Indien. — Nous envoyons la clialoupe pour chercher un mouillage ; elle revient. Mauvaise conduite des naturels. — Nous continuons notre route le long de la côte. — Que loues détails succincts sur les détroits de Jean de Fuca. — Nous dépassons l'île atootehe, — Les na- turels arrivent à la- vue du vaisseau^ etc. Nous passons un î ombre de vu s. — Côte dat v se, — Violence des vents de sud-est. — Cap Flattery*-* des Chapitres. 079 Village de Classe t. — Le vaisseau entre dans la baie de Queenhythe. — Aspect sauvage du pays. • — Vue du village de Queeiiuitett. — Isle de la Destruction.— Danger que court le vaisseau , etc. etc. page i38 Ciiap. XV. Nos progrès le long de la côte. — Découverte de la baie de Slioal- Water , inaccessible aux vaisseaux. Les na* turels viennent nous trouver. — ■ Leur délicatesse dans leur trafic avec nous* — Quelques détails sur ces naturels — • Continuation du voyage. Baie de Déception. — Différence qui existe entre la véritable situation de cette côte et les cartes de l'Espagnol Aïau relie. — — Magnifique aspect du pays. — Nous pas* sons la baie de Quicksand et le cap Look Ont. — Vue de trois rochers re- marquables. •— Nous cessons d'avancer au midi. Vlan de la ro u te que nous nous proposons de tenir par la suite. — ■ Connoissance que nous parvenons à ac- quérir de cette cote. — Parties que le capitaine C00L navoit pas reconnues , visitées par nous. — Motifs pour retour» ner au nord. — Nous poursuivons la route 38o T A S L S au nord. — Nous voyons de nouveau les détroits de Jean de Fuca.- — Mouillage dans le port Ejjingham. Descrintion de ce port. A ous voyons quelques animaux marins, etc. Paëe 1^^ Ciïap XVI. Nous prenons possession des dé- troits de Jean de Fuca au nom du Roi dû la Grande-Bretagne.— Nous recevons la visite des naturels. Position avanta- geuse du vaisseau. La chaloir pe est équipée et envoyée en expédition. — Objet de cette expédition. — Des étran- gers se rendent à bord du vaisseau. Nos vives inquiétudes au sujet de la chaloupe ; elle arrive enfin . — Motifs de son retour précipite. — Combat avec les naturels des détroits de Jean de Fuca j et ses suites. — Bravoure de ces peuples. Situation critique de la chaloupe et du détachement. — Progrès considéra- bles vers les détroits de Jean de Fuca. — Leur position. — On vient nous pro~ poser d'acheter des têtes d'hommes. Découragement que produit cette offre étrange parmi les personnes de l'équi- page. ~ Prépar s pour remettre en mer. — Nous quittons le Fort J./J.r.gham. des Chapitres.^ 38 i Quelques détails sur ce port et sur Ventrée. — Progrès du nouveau vaisseau, » — Nos succès dans la traite des four- rures. — Attentions de Maquilla, page i o3 Chap. XVII. Inquiétudes du détachement que nous avions laissé à terre , sur le compte du vaisseau. — Bruits répandus parles na- turels. Notre détachement parvient à savoir que nous sommes engagés dans les détroits de Jean de Fuca. Sa conduite en conséquence. — - Progrès dans la construction de la maison _, pendant l'absence de la Felice. Etonnement des naturels en voyant bâtir le vais- seau ; attention particulière qu'ils don- nent aux occupations des forgerons . — - Notre régularité à observer le jour du re- pos devient un objet de curiosité pour les naturels. — Nous nous procurons à cette occasion une connoissance assez étendue de leur religion, — Projet de retourner au Port Cox. Motifs pour Lesquels nous ne nous y arrêtâmes point- en re- venajit du Port Effingkam. — Nous som- mes déconcertés daris nos projets. Mouvemens séditieux à tara, Les 002 1 A B L E auteurs et instigateurs sont conduits à terre. — Motifs pour justifier cet acte de rigueur , Page 2°3 Chap. XVIII. Conduite du détachement aue nous avions à terre , à l'époque de la sédi- tion. — Promesses faites à l'équipage d'al- ler aux îles Sandwich. — Occupation des gens de l'équipage — Les mutins partent pour aller demeurer avec Maquilla et Callicum. — Ils sont dépouillés de leurs habits y et on les fait travailler. — La Princesse Royale est apperçue , tenant le large. Préparat'fs pour remettre en mer. ■ — Nous quittons une seconde fois l'entrée du Roi George. — Pré sens faits à Maquilla et à Callicum. — Ces chefs se préparent à la guerre. — Nous leur prêtons des armes. — Puissance de-. Ma- quilli. — Il part pour son expédition dans le no'\l. — Instructions données par nous au détachement laissé à terre , 219 Chap. XIX. JS'ous mettons à la voile pour gagner le Port Cox. — Nous rencontrons iaVru cesse Royale. — Bons offices que les deux vaisseaux se rendent de part et d'autre. Mouillage dans le Port Cox. ©es Chapitres. 383 - — .La Princesse Royale met à V ancre dans le Port Hanna — Séjour de iVicana- nish à Clioquatt* — Nous y envoyons la chaloupe à deux fois différentes avec des présens. — Description de Clioquatt. Occupations des naturels, — Agréables relations de trafic avec eux. Nous envoyons une troisième fois la chaloupe à Jficananisâ pour prendre congé. — — Message de la part de ce chef qui ar- rive ensuite à bord. — Son fils témoigne le désir de s' embarquer avec nous; nous le refusons. — - Nous mettons à la voile > et jettons l'ancre de jiouveau dans l'en* trée du Roi George, — Arrivée de /'Iphi- génie. — Conduite amicale de Tianna à notre égard. — Arrivée de Maquilla et de Callicum ; relation qu'ils nous font de leur expédition. Horreur de Tianna pour les mœurs des naturels de la côte d' Amérique.— Ces naturels > tous canni- bales.— Les habitans des îles Sandwich n'ont point ces affreuses inclinations , page 289 Chap. XX. L'équipage le /'Iphi génie tra- vaille, au nouveau vaisseau* -«-*• Arrange* \ ± A B L E mens pris relative ment aux vaisseaux.— JLes naturels se disposent à se retirer dans leurs quartiers d'hiver. — Mesures rela- tives à nos bannis : nous consentons à les recevoir de nouveau a bord ; quelles sont les conditions. Maquilla et Cal' lie uni nous rendent une visite avant leur départ. ]r résens que nous faisons à ces chefs. — Intelligence du dernier. Ingratitude de Co'mekala.% — Nous appcr~ cevons un vaisseau dans la haute mer. La chaloupe est envoyée à son se- cours. — — Le Washington arrive dans Ventrée.' — Détails de son voyage , etc. ■ — Le nouveau vaisseau reçoit un nom , et est lancé à la nier. — Choix de per- sonnes destinées ci en former L'équipage. —^-Ordres donnés au capitaine de /Iphi- pénie. — Tia/ina se rembarque à bord de ce vaisseau. — Le contre-maître dis- gracié se sauve. // est secouru par le maître du Washington. — Nous quittons Ventrée du Roi George pour gagner les îles Sandwich y Page 2^4 Ch a f. XXL Détails des diverses na lions que nous avons vues sur la côte nord- ouest d'Amérique. DES CH À. PITRE St 385 d'Àméiique. — Les quatre nations du pays deNootka. — Leur situation; noms de leurs villages , état de leur population , etc, — La connoissance que nous acquîmes des peuples placés au midi de Queen- hythe est fondée , en grande partie > sur de simples conjectures. Wicananish nous fait une nouvelle é numération de leurs villages. — Détails sur le continent d'Amérique depuis le cap Saint Jacques jusqu'au midi. — ' Climats. — Saisons. — Vents. — Te?npêtes, — Ports. — r Naviga- tion , ete. — II n'y a point de fleuves considérables dans le district de l' entrée de Nootka, page 295 C11 ap. XXII. Suite des détails sur le district de Nootka.— Végétaux . Prodigieuse abondance de fruits sauvages. — Racines bonnes à manger , etc. — Quadrupèdes. — Cerfs . — Penards . — Ma rires . — Hefmin es . • — Ecureuils . — Animaux marins. — Ba- leines > empereurs , veaux marins , etc. ■ — Quelques détails particuliers sur la loutre de mer. — Différentes espèces d'oiseau oc. Oiseaux aquatiques. — Poissons de différentes espèces. — Ma- Tome IL B b 386* Table des Chapitres. nière d'en prendre çuelauesuns. — Rep- tiles. — Insectes. » Minéraux. — Con- jectures sur les mines de ce pays y etc. page 3i3 Appendix de ce second Volume. K°. III. Instructions données par le Capi* taine Meares , à M. Robert Duffin, pre- mier Officier de la Felice , chargé d'aller reconnaître les Détroits de Jean de Fuca, 34*3 N°. IV. Copie du journal de M. Duffin , 346 N°. V. Instructions données par le Capi- taine Meares au Capitaine Douglas , en. quittant la cote d'Amérique , 355 Fin de la Table du Tome second. Errata du Tome II. Tome II, page ^$ , ligne 13, d'une grampuse considérable, Lseï d'une grnmpuse de grosseur considérable. — Page 41, ligne 12, de mettre en panne, Uu\ de mettre à la cnpe — Page 5 3 , ligne 1 1 , queues de poêlons > lisc\ manches de poêlons. Page 90 , ligne 7 , nous le sortîmes de l'anse , lise\ nous le remorquâmes hors de l'anse. — Va»e 295 , ligne I , détails , lue\ détail t I : 1 «■ ; .m PÊM