m if r P'^ h The Robert E. Gross ColleÊtion A Mémorial to the Founder of the Business Administration Library Los Angeles VUES POLITIQ^UES SUR LE COMMERCE, OUVRAGE dans lequel on traite particu- lièrement des Denrées , & où l'on propo- fe de nouveaux moyens pour encoura- ger TAgriculture & les Arts 5 & pour augmenter le Commerce général du Ro- yaume. A AMSTERDAM, jiUK DEPENS DE h A COMPAGNIE; MDCCLIX. F AVANT-PROPOS. IL y a plufieurs années que je médite de don- ner un Ouvrage général fur l'Agriculture, les Arts & le Commerce. J'aurois déjà rempli mon deflein, fans une foule d'obfla- cîes qui fe font fuccédé les uns aux autres,' mais Toujours occupé de ces objets fi efTeiî- liels au, Gouvernement, & toujours animé du zèle patriotique qui m'efl: naturel , je ne veux pas différer davantage de faire part au Public du fruit de mes méditations , & des idées que mon zèle m'a fait naître à ce fu- jet. L'Agriculture , les Arts & le Commerce font la fource de toutes nos richelTes , de l'aifance & du bonheur des Peuples, & le fon- dement de la puilfance du Souverain. J'ai tenté de remonter jufqu'à l'origine &aupre' mier mobile qui anime ces différentes bran- ches, qui les fait mouvoir dans toutes leurs parties , & qui en fait fortir l'abondance de TEtat. J'ai remarqué en même tems les cau- fes premières qui les font languir , qui les dé- truifent même quelquefois, ou qui les empê^ chent d'être portées à ce degré de perfection qui leur eft néceflaire, pour en relTentir tous les avantages. En recherchant tous les moyens poffîbies de les conduire à cette perfedlion, j'ai reconnu que la Nature , loin de fe refufer à une telle en- treprife, y étoit au -contraire plus favorable dans notre Continent, qu'en aucun autre lieu du Monde ; & que la pontipn particulière de la France, au milieu de la zone tempérée, étoit la plus convenable, foit pour la propagation du Genre Humain & de toutes les efpeces d'A- nimaux , foit pour la produftion des Plantes les plus néceffairesà leurconfervation. A 2 I^e IV AVANT-PROPOS. Le terroir de la France , naturellement ferti- le, n'abefoin que du fecours de l'Art pour dé- velopper toutes fes richefles, & fournir abon- damment à la nourriture, au vêtement & à toutes les commodités de fes peuples: les deux mers qui environnent cette partie de l'Euro- pe, & le ?j-and nombre de rivières quife trou- vent dilbibuées fi à propos daiis l'étendue de fon terrein , ne laifîent rien à defirer pour y pouvoir établir un Commerce des plus floris- îant. Le climat y eft des plus heureux pour favorifer la population & l'exécution des plus grandes entreprifes. Le fyflême de notre Gouvernement, nos Loix ni nos Mœurs ne s'oppofent point aux éra- bliflemens utiles qu*on pourroit faire à cet é- gard: le génie de la Nation au- contraire la porte d'elle-même, & la rend plus propre que toute autre, à faire valoir les avantages de fon pays, par fon ardeur à fe procurer les commo- dités & l'aifance de la vie ; par l'ambition qu'elle a d'exceller , & fon amour pour le Beau en tout genre; enfin par fon activité naturelle, & fa paffion pour acquérir tout ce qui peut flatter fon intérêt ou fon plaifir. C'efl de ces heureufes difpofitîons du climat & des habitans, qu'on doit tout elpérer : on peut former hardiment fur ce fondement toutes les entreprifes convenables , & l'on peut fans té- mérité en attendre les plus grands fuccêsic'eft auffi ce qui m'a fait entreprendre l'Ouvrage que je donne ici fur les étabîiflemens que le gé- nie de la Nation & l'avantage du Royaume fem- blent néceflairement demander. Je ne donne quant à préfent qu'un effai, & comme le ta. bleau abrégé d'un Ouvrage confidérable , qui contiendroit tous les moyens de mettre à exé- cution AVANT. PROPOS. v cutionles projets les plusgrauds & les plus cer- tains pour le bonheur delà Nation &la gloire du Monarque qui 1-agouvernc. On verra par cette (impie efquifle, que les Ibibles charjgemensqueje prends la liberté de pfopofer dans i'ordre actuel du Gouvernemenc Ovil , procuTeront des biens infinis. On y vtr» ra que le Commerce des denrées, dont je fais mon principal objet, eft la fource d'où nais- fient tous les rao^nens qui peuvent faciliter la culture & ranvëlîoration des Terres, & que cette culture mife & entretenue dans un état avantageux, portera le Commerce général du Royaume au degré le plus bnl'iant, La réufîî- te de tous ces objets principaux réveillera & animera tous les Arts , y reprendra une faci- lité & une émulation fans égales , & conduira toutes chofes à un point de perfection qui ne s'eft point encore vu. Les Peuples augmen- teront en nombre comme en richeffes ; & le Souverain , dans la même proportion , augmen- tera en force & en puiîTance. Cefl ce que je me propofe de démontrer avec la dernière évidence dans la continuation de cet Ouvrage: l'Effai que j'en donne, fufîîra pour faire concevoir l'Idée d'un femblable pro- jet, ^n: pour en faire fentir les avantages: on trouvera à la fin le point de vue général de toutes les branches de ce projet, que je me propofe de traiter dans Ha fuite , fi le Public & le Gouvernement daignent y faire quelque ac- cueil. T A- TABLE r> E S ARTICLES Contenus dans ce Volume. Article I. TJ Irrégularité de l* Abondance , ^ la difette des Récoltes , caujù des préjudices confidér ailes à l'Agriculture ^ au Commerce. Page i Art. II. Obfervations fur les Magafins à grains qu'on peut établir en France. 14 Art. I1[. Liée générale d'une Compagnie d'A- griculture , divifée en Compagnie particulière, pour la régie des Magafins à grains, ^ aw fres entreprifes tendantes à l'qvantage de l'A- grlçulture. 22 Art. IV. Des Membres qui compoferont cette Compagnie , ^ des qualités requifes pour y être admis. 23 Art. V. Obfervations particulières fur la Com- pagnie d'Agriculture. 33 Art. VI. Des Magafins à grains. 42 Art. Vn. Defcription d'un Magafin à grains, propre à recevoir toutes fortes de grains , ^ à les y conferver avec fureté pendant plufieurs années. 45 Art. Vni. Idée générale de la première dépenfe pour les MajTafins à grains , tels qu'il faut qu'on les conflruife , fuivant le plan qu'on en a donné ci -de [fus, 53 Art. IX. Règlement que la Compagnie fera o- hllgée de fuivre exaàement dans l'achat ^ la vente des Grains en migaftn. 60 Art. X. Obfervations générales fur le produit qui reviendra à la Compagnie , ^ en particu- lier au R')i, de V Etabliffement propofé. 64 Art. Xi* Règlement de Police fur les Grains ^ h Pain. 72 ' AiiT. Xll. Décail des gains que la Compagnie pour" TABLE DES ARTICLES. vu pourra faire fur le Commerce des Grains , ou- tre celui que nous avons compté fur les grains en réferve. 8« Art. XIIL Des Vignes en général. 91 Art. XIV. Des Magafins à vins, ^ de quel- le manière chaque Dijirià fe réglera àcet é- gard , pour y rafjembler les Vins fuperflus des années d'abondance, 98 Art. XV. Obfervations fur les Projets précé- dens, 121 Aut. XVL Projet de quelques Règtemens fur le débit en gros des Vins de la Compagnie. 127 Art. XVn. Defcription des Bateaux ^ autres UJîenfiles pour voiturer les vins par tout le Royaume t ^ même dans les Pays étrangers ^ fans craindre qu'ils perdent de leur qualité fur la route , ni qu'ils Joient expofés à être bus par les Voituriers ou Mariniers. 129 Art. XVllL Des Magafins à fourages. Super- flu que la Compagnie fera obligée de faire dans tout le Royaume, 1 39 Art. XIX, Suite des entreprifes de la Compa- gnie d'Agriculture pour les Boucheries du Royaume. 143 Art. XX. Règlement que la Compagnie d'A- griculture obferveroit pour les Viandes de boucherie. 154 Art. XXI. Quel produit la Compagnie pourrait retirer tous^les ans de la Vente des Beftiaux pour la fourniture de la Viande de boucherie dans tout le Royaume. 164 Art. XXII. Des Maîtrifes des Marchands de vin ^ des Boulangers. 184 Art. XXIII. Calcul politique fur le Commerce du Pain ^ du Vin qui fe confomment jour- nellement dans le Royaume, ^ fur -tout à Paris , avec les proportions relatives qu'il doit y avsir dans le nombre des Marchands de vin Vm TABLE DES ARTICLES. vin ^ des Boulangers débitans, pour fournir à cette confommation. ig^ Art. XXIV. Des Maîtrijes des Boulangers on Marchands de pain, réduits en cbargç. ig$ Art. XXV. Obfervations int ère [Jantes fur les noU' veaux Eîabldfemens des Magafins àgrains.io^ Art. XXVL Obfervations fur le Projet de prêt fur gages, appelle communément Lombard , qu'on propofe de permettre à la Compagnie, 21$ Art. XXVll. Des moyens par kfquels laCow,' pagnie d'agriculture pourroit fe procurer tous les fonds néceffaires pour former toutes fes entreprises, 227 Art. XXVIH. Obfervations fur la nature des Billets de confiance. 231 Art. XXIX. Comment la Compagnie fe procu- rera l* argent dont elle aura befoîn pour être en état d'exécuter toutes fes opérations. 237 Art. XXX. Obfervations fur les avantages que rEtaî ^ le Roi retireront de cei nouveaux Billets de confiance» 247 Art. XXXr. Des facilités que le Roi trouvera au moyen ,de cette Compagnie , pour emprunter dans le befoin telle fomme qu'il voudra , fans jamais payer aucun intérêt, ^ fans qus ces emprunts foient à la charge de perfonne, 256 Art. XXXII. Des moyens que le Roi trouvera par lefecours de la Compagnie d' agriculture ^ pour rembourfer les dettes de VEtat , fans que les Rentiers y perdent la moindre cbofe. 2.6s Art. XXXIIL Suite des Obfervations fur l'é^ tàbliffement de la Compagnie d' ^griculture^lôl Objectons fur l\expofé de la Compagnie i'Jgri^ culture. ihid. Première Objeélion, 269 Seconde Objeélion. 270 Tiroifierne Objcélioni 271 Réponfe aux ObjeUionSt 272 VUES VUES POLITIQUES SUR LE COMMERCE DES DENRÉES. ARTICLE PREMIER. L'irrégularité de r Abondance , 6f la Difette des Récoltes ^caufe des préjudices conjîdé* râbles à l'Agriculture âf au Commerce» ^^^^Uelq^ue foin qu'on emploie 1^ Q V pour améliorer les Terres du |5i^ ^ Jft Royaume , quelque œconomie gli^^p^ que l'on apporte dans l'Ex- ploicacion & dans le Commerce des denrées , jamais on ne pourra empêcher qu'il n'y aie des années de difecte 6c des A an* 2 Commerce années d'abondance; & cette variation caufera toujours un grand dérangement dans le Commerce & dans l'Agriculture* En effet, comme c'ell le produit des Terres du Royaume qui fait l'aifance & la richelTe des habicans, & que ce pro- duit efb fujet à bien des variations, à caufe de la différente température des faifons, fi on ne trouve pas le fecretde donner une balance fixe à ces mêmes revenus qui font mouvoir notre com- merce, aulfi-bien que l'indufiirie des hommes, on ne pourra jamais empêcher que le flux & reflux, que ces extrémités de difette & d'abondance ne foient la caufe d'un dérangement confidérablc dans le Commerce. En général, quand le pain efi: cher dans le Royaume, tout le peuple efi: auffi-tôt dans la confternation , parce qu'alors l'argent monnoyé efi: prefque tout employé à l'achat & au commerce des denrées , tandis que les autres lan- guiffent, faute de cet argent qui les met en aftion. Il y a au moins quatre cinquièmes des habicans du Royaume qui ne vivent qu'au jour le jour, comme on dit, & leurs avances font tellement bornées, qu'à la moindre variation qui furvient dans le prix des denrées, leurs affaires en font dérangées , & ils fe trouvent fouvenc hors d'état d'entreprendre le len- DES Denre'es. 3 lendemain ce qu'ils auroient été en état de faire aifément la veille. Le peu de folidité qu'il y a dans toutes les chofes dépendances des viciflîtudes des tems j donne une incertitude qui décourage tous les Etats & arrête toutes les entre- prit es. Par exemple, fuppofons qu'un Fabri- quant ait eu le bonheur de s'ouvrir un commerce réglé des marchandifes de fa fabrique, peut -il être afluré que fon commerce Ibit durable? Non; ilnefauc qu'un rehauflcîment dans le prix des grains j ou le moindre changement dairs le prix des matières premières ; auffi-tôc cela influe plus ou moins fur la manu- facture, trouvent la met en déroute, fi l'Entrepreneur n'a pas des fonds fuf- fifans pour pouvoir le palier du débit courant. Les Ouvriers ne pouvant pas vivre du même prix, dès que les nour- ritures auront augmenté de valeur, oii ils fe relâcheront dans la folidité de l'ouvrage, qni par conféquenc en fera bien moins eftimé , ou bien il faudra leur donner une augmentation de gages, ce qui renchérira le prix des marchan- difes , & diminuera d'autant le profit du Maître entrepreneur, qui ne pourra plus foutenir fon commerce & fe ruine- ra. Ce n'eft qu'au moyen d'un certain bénéfice , que les Fabriquans trouvent dans leurs entreprifes, qu'ils fe fentent A 2 en* 4 Commerce encouragés à faire certains eflais au ha- zard, qui fouvenc fervent à perfeétion- ner l'invention , & à leur donner de la réputation dans leurs métiers; au -lieu que quand un Fabricateur , un Marchand ou un Agriculteur, fe trouvent bornés dans leurs facultés , pour lors incertains de la féuiîîte , ils n'ofent fuivre que les routes anciennes, & n'arrivent guère à un certain point de perfeftion, auquel les auroient conduites des tentatives nouvelles , qui auroient pu les engager dans une plus grande entreprife, & les auroient peut-être dédommagés avec ufure des rifques qu'ils auroient tentés. D'ailleurs, û les denrées deviennent chères , le produit des Manufactures manquera d'acheteurs ; car la plupart de ceux qui pourroient fe pourvoir font , ou des gens qui vivent de leur revenu , & ceux-là font alors fort ferrés; ou ils fubfiftent par leur induftrie & leurs ta- ]ens, & alors ils manquent d'occupation & font dénués de tout. Le nombre en efl immenfe à Paris & dans les Provin- ces, & fur -tout à la Campagne oii les peuples font prefque tous occupés à l'Agriculture ; comment ces derniers fur- tout feront-ils en état d'acheter de nou- veaux meubles, ou des ajuftemens, fi pour avoir même le néceflaire le plus luccint, ils font forcés de vendre ce qu'ils ont déjà, ou d'emprunter de leurs vol- D E s D E N R E E' s. ^ voifins, dans refpérance de voir arri- ver un tems plus favorable? Souvent des années entières fe paflent fans qu'ils en fuient plus avancés, & voilà des fa- milles ruinées, ou qui du moins ont beaucoup fouffert. L'origine de tous ces malheurs tire fa fource de la cherté des denrées, & celle-ci vient de l'in- tempérie de l'air: il n'eft point au pou- voir de l'homme de s'y oppofcr. L'Artifan , le Fabriquant , le Mar- chand & le Laboureur , font également expofés à ces viciflitudes, qui appor- tent des obftacles invincibles à leurs en- treprifcs, & les empêchent de profiter du fruit de leur induftrie, & de Icuralîi- duité au travail. Par exemple, fi l'Ar- tifan e(t reftreint à vivre de la même quantité d'argent que lui produifent les journées, & que les vivres foicnt plus chers, il efl forcé de fe réduire à une plus petite portion. N'étant pas fuffi- famment nourri , il ne pourra foutenir Tcifort dutravail,niy donner toute l'ap- plication requife, ce qui tombe en pure perte fur la fabrication des différentes matières ou marchandifes, & ce qui eu diminue le prix. Le Laboureur qui cul- tive les terres eft obligé de faire des dé- penfes continuelles pour fes récoltes, à peine le produit ell-il fufïïfant pour la nourriture & les gages des ouvriers qu'il y emploie; comment elt-il en état de A 3 payer 6 Commerce payer les charges & les taxes pour PE- tac. Les Seigneurs , les Bourgeois , ou autres Propriétaires des terres ne pour- ront être payés de leurs baux dans les aunées malheureufes où les récoltes au- ront manqué , par conféquent toutes ces perfonnes feront moins dans rairance& dans la lituation de pouvoir employer une partie de leur revenu à des chofes de luxe & de faite , qui font les voies de confommation pour le Commerce. Les dépenfes de la table , les nourritu- res & les gages des domeftiques étant augmentés de beaucoup, il faut nécef- fafrcment que les facultés de chaque famille décroiflent en proportion, d'oii il arrivera que chacun fe retranchera le plus qu'il pourra à l'égard des dépenfes les moins prelTantes , le Commerce y perdra beaucoup j & loin qu'il y ait un auffi grand nombre d'acheteurs que dans une bonne année, prefque toutes les perfonnes qui fe trouveront dans le be- foin » vendront leurs meubles & effets fuperfîus à un prix fi médiocre , que la valeur des marchandifes neuves en fera avilie ;les Marchands ne trouveront pas à s'en défaire autrement qu'à leur perte, ou n'en tireront point de nouvelles des Manufactures. Dès que les Marchands n'en tireront plus , les Manufadures fe trouveront arrêtées dans leurs opéra- tions, en proportion de la cherté plus ou D E s D E N R ï: E' s. 5i OU moins grarde des denrées : il n*y a pas jufqu'à l'Agriculture qui ne s'en ref- fente ; car dans ces tems critiques , les Cultivateurs font moins en état de don- ner de nouvelles améliorations à leurs terres, qui par la fuite en deviennent moins fertiles. Les peuples, foit des Villes ou des Campagnes, en fouffrent beaucoup, la plupart étant obligés de fe fervir d'alimens qui, dans des années pliïs favorables , auroient été donnés aux beftiaux pour les engrailler. Enfin c'eft une perte fenfible dans Tefpece a- nimale qui diminue & ne fçauroit fi-tôt fe réparer : c'en eft pareillement une pour la population en général; cardans les années dijetteufes on remarque com- munément, qu'il y a beaucoup plus de morts, & bien moins de mariages que dans les années abondantes; ainfi tous ces changemens influent fur tout, &: la population eft toujours plus ou moins grande, à proportion de l'aifance & de l'occupation du peuple: tel eft le tore que caufe la cherté des denrées & de tou- tes les matières premières, qui fervenc auxManufaâ:ures. Les années extrêmement abondantes produifent à-peu-près les mêmes défor- dres, cette autre extrémité plonge pref- que tout le peuple dans l'oifivcté & la débauche: dès que les petites gens fe trouvent avoir leur nécefiaire abondam- A 4 menc> g Commerce ment, ils deviennent infolens & pareA feux, ils oublient aifément leurs cala^ niités pafiees ; & comme ils ne fçavent; pas prévoir l'avenir, ils ne s'occupent que du préfent: c'eft fuivant le prix que les denrées valent au Marché, qu'ils rè- glent leur travail. Si l'on veut alors les engager à faire quelque ouvrage un peu prefle, il faudra pour les faire travail- ler les payer davantage, & par confé- quent les mettre dans le cas d'une plus grande parefle ; car on remarque que dans toutes les profeflions, plus un ou- vrier efl: habile & adroit à l'ouvrage , plus il fe fait payer, & cependant s'af- fujettit moins & en fait beaucoup moins qu'un autre d'une réputation^ bornée ^ ainfi les fabriques font alors bien peu d'ouvrage. Je conviens que l'aifance gé- nérale OLi fe trouvent alors les Peuples & les Grands , occafionnent une con- fommation plus grande des marchandi- fes de toute efpece ; mais aufli les Com- merçans qui trouvent de ces marchandi- fes chez l'étranger à un prix plus modi- que , tâchent d'en introduire en contre- bande une grande quantité, ce qui fait un tore infini aux nôtres. Les ouvriers qui dans les tems de difette étoient reliés fans rien faire , faute de trouver de Poccupation , fe trouvant maintenant dans une efpece d'abondance, ne dai- gnent pas travailler , (Se préfèrent de vi- DES D R N R E* E S. ô vre dans roifiveté & dans la débauché; d'oii il s'enfuie que de toutes les ir.anieres il fe fabrique moins de marchandifes. Le principe de ce vice dans l'ordre politi- que, vient de ce que le prix des denrées eft toujours trop haut ou trop bas, &; que jufqu'à-préfcnt on n'a pas encore pu trouver le moyen de le fixer. Les ouvrages de la Campagne ne font pas moins retardés que les autres, car les ouvriers n'y font pas meilleurs que dans les Villes. Quand lebledeft à bon compte, les Cultivateurs ont de la pei- ne à s'en défaire, & avec toute l'abon- dance imaginable ils fe tr(mvenc dans une efpece de Tiifcre, pour pouvoir pa- yer leurs propriétaires & les impofitions. A-la-véritc ils nourrirent leurs domefti- ques à grand marché; mais auiïi les ga- ges augmentent de beaucoup , fans quoi on ne trouvcroit pas à fe faire fervir. J'ai dit plus haut , que dans les tems de difette, la plus grande partie de l'ar- gent étoit employée à l'achat des den- rées ; ici , c'efl tout le contraire : plus il y a d'abondance dans les denrées, moins on a d'argent à pouvoir y placer; car alors on l'emploie tout aux autres Com^ merces qui ne font que de luxe à. d'a- grément. Voilà ce qui fait la mifere des Laboureurs , qui quelquefois font plus à plaindre dans ces tems, que dans les an- nées qui n'ont fourni qu'une demi- récol- A 5 te. Jc3 CoMMRRCï te. De plus rindolence & roifiveté de leurs domelliques mettent leurs terres dans le cas de n'être pas û bien travail- lées, & il n*eft pas furprenant qu'elles produifent moins les années fuivantes. Ainfi ces deux extrémités , fçavoir , Textrême difette des grains, & leur gran- de abondance dans les excellentes an- nées, cauferont toujours dans le Com^ merce un flux & reflux, qui portera une atteinte générale à tous les Etats, tant qu*on ne trouvera pas moyen de fixer le prix des denrées , dans les bonnes com- me dans les mauvaifes années: dans les tems de difette, les Peuples font expo- fés à la famine ; l'Agriculture efl: négli- gée par rimpuiflance des Cultivateurs ; le Commerce efl: rallentî , parce que les aifances & les facultés des habitans di- minuent en proportion , & qu'ils n*ont tout au plus que le Ample néceflfaire , & qu'il ne leur refte aucun fuperflu dont ils puiflTent difpofer en faveur des Commer- ces de moindre nécefl[ité ; les finances par ce moyen fe trouvent arrêtées, iSc il n'y a d'argent que pour l'achat des den- rées les plus néceflaires à la vie. Dans le fécond cas , c'efl:-à-dire , quand les denrées font abondantes, c'efl: enco- re une fituation critique & dangereufe Ï>our un Etat :1e petit-peuple, comme je 'ai dit plus haut , fe plonge dans l'oifi- vecé &r dans la crapule ,& pouflTe 3 faute dû ©ES D E N R e' B S. Il de réflexion, fes vices à l'excès; il pro- duit un défordre prerqu'aulTi préjudicia- ble qu*auroit pu faire la plus grande cher- té des vivri. s. Les anciens Egyptiens avoient prévu tous ces inconvéniens: conduits par une politique qu'on ne peut trop admirer ; ils avoient, pour y remédier , fait con- struire en différens endroits de l'Egyp- te de vafles magafins. Lorfque les dé- bordemens du Nil avoient caufé dans tout le Royaume une grande abondance, les Rois y faifoient acheter les grains fuperflus que l'on portoit dans ces gre- niers publics ;& quand iis en étoient rem- plis, on jettoit lefurplus dans le Nil. Comme il eft ordinaire qu'après quel- ques années abondantes, il en furvient d'autres qui font flériles,&oh les récol- tes manquent, foit que le Nil manquât à déboraer , ou que la crue d'eau fût trop forte , alors on ouvroit les magafins publics , le peuple alloit chercher du grain pour fa fubfiftance , & on lui dif- tribuoit des fecours , fans lefquels il n'auroit pu réfifter à la difettc & à la famine ; mais en même tems pour tenir le peuple en haleine & dans une occupa- tion continuelle, on l'obligeoit de tra- înailler à la conflruftion de ces fameufes Pyramides ou de ces fameux Edifices publics, plus utiles encore que magni- fiques, qui , par des canaux folides, fer- voienc t^ Commerce voient à voiturer par-tout les eaux du Nilj&portoient la fécondité dans toute la bafle Egypte. Les vertiges qui nous reftent encore des ouvrages de cetems, font autant de monumens de la fagelTe du gouvernement des Egyptiens , qui connoiiTant le foible de l'humanité , & ayant plufieurs fois éprouvé le tort que caufoient ces deux alternatives de la difecte & de l'abondance , prenoient les moyens efficaces de remédier à ces in- convéniens qui font la fuite des irrégu- larités du Nil , de-même que la variation des récoltes cliez nous, eit cauféi par l'irrégularité des faifons. Je conviens que ces deux extrémités ne font pas fi communes , & qu'elles fonc moins feniibles parmi nous. Il n'arrive gueres que nous ayons une difette de grains totale dans tout le Royaume , com- me il eft très-rare d'un autre côté, de rencontrer aes années oii la récolte foie aflez abondante , pour que les grains n'a- yent aucune valeur ; mais fi les chofes ne font pas tout- à-fait portées à ce point , du-moins il n'eft que trop ordinaire que nous éprouvons de tems à autre, tant dans les grains que dans les autres den- rées de première néceffité des chertés , qui, comme je l'ai déjà obfervé,caufent au Commerce un préjudice infini : car quand les grains ne manqueroient pas dans tout le Royaume à la fois,& qu'u^ ne DES D E N R E* E S, I3 ne partie feroic en état d'en fournir à Tautre par la voie du Commerce , les frais de tranfport qui feroient confidéra- bles d'une Province fouvent éloignée à une autre, & les gains que font les Mar- chands dans ce cas, en augmentent de beaucoup le prix, & occafionnent tou- jours une partie du mal que j'ai expofé. Pareillement û l'abondance efl un peu grande, le prix de la denrée en eft en- tièrement avili; le Marchand y met un taux fi bas, que les particuliers qui en ont du fuperflu, font obligés, pour s'en défaire , & faute de pouvoir le confer- ver pour une faifon plus convenable, de le donner prefque pour rien ,^de ma- nière que loin de profiter de cette abon- dance , ils tirent à peine alTez d'argent de leurs grains pour payer les impofi* tions & fe dédommager des frais de cul- ture , qu'ils ont été obligés d'avancer. Le Marchand qui eft contraint de faire voiturer au loin pour en avoir le débit, en voit fouvent doubler & même tripler le prix de la première valeur par lesfrais exorbitans qu'il lui en coûte. Tout cela tombe en pure perte pour le cultivateur & l'acheteur, deforre que tous les or- dres de l'Etat s'en refTentcnt : tels font les inconvéniens dangereux pour le Com- merce & la fubfiftance d'un Etat ; il fe- roit bien à propos de les détruire, & il ae feroit peut-être pas impolTible d'y réuf- Ï4 CoMMEaCE réuflîr, en imitant en quelque forte Te* xemple des Egyptiens , & en faifant con- flruire dans différens endroits de chaque Province, de vafles magafins , oii l'on conferveroit dans les années favorables le furplus des grains, pour fuppléer aux années de difecte. ARTICLE IL Obfervations fur les Magafins à grains qu'on peut établir m France ^ CEtte matière a été beaucoup difcu- tée depuis quelque tems. On a trou- vé que nos pères ont eu , comme nous à ce fujet, les mêmes idées; mais la quef- tion a toujours été indéciîe. Tantôt on a permis le Commerce des grains de province à province , tantôt on l'a em- pêché j à caufe des abus qui s'y commet- toient ; de - même auiïi on a tantôt per- mis, & tantôt prohibé l'exportation des grains chez l'étranger. Comment le dé- terminer ? Le peuple cultivateur n'eft point en état par lui-môme de faire des magafins , & de conferver le furplus de fes grains dans les années d'abondance pour les années de difecte. 11 y auroit même à appréhender 5 fi en général les proprié- taires des terres fe trouvoient dans une aifan- DES D E N R e' E S. "TJ aifance proportionnée à une telle entre- prife 5 qu*ils ne fe relâchafîent dans le travail , & que l'Agriculture n*en fouf- frît une perte confidérable. On a remarqué , qu'auflî-tôt que le Laboureur fe trouve un peu dans l'aifan- ce , il celle de fe livrer aux travaux pé- nibles de la charrue , & s'en débarraiïe fur des mercenaires qu'il tient à fes ga- ges« Il cherche à donner à fes enfans une éducation fupérieure , & difpropor- tionnée à fon état. Voilà pour la fuite autant de fujetsqui abandonnent l'Agri- culture, & qui augmentent, foit dans les Provinces, foit dans les Villes, une efpece de peuple fainéant , qui ne s'occu- pant prefqu'àrien , deviennent autant de membres inutiles dans TEtat: par ce mo- yen , les terres n*ont jamais le nombre des ouvriers néceflaire pour les cultiver comme elles devroient l'être, & pour leur faire produire les fruits dont elles feroient capables, fi on leur donnoic toutes les améliorations pofTibles» Il ell démontré qu'il ne faut jamais que le pe- tit-peuple foit aflez opulent pour fefou- llraire aux travaux nécelTaires de TAgri- culture. Il ne feroit gueres moins dan- gereux de le mettre dans une fituation trop aifée , que de le laifler expofé à u- ne mifere qui le privât du néceflaire, & le réduifît à l'affreufe nécefîité de vivre des alimens deftinés aux brutes. Si ,x<5 Commercé Si on lajfle à des Marchands le foiii d'enlever dans Jes campagnes les bleds fuperflus des années d'abondance, pour en faire des mHgafins iur les lieux mê^ mes, on verra arriver ce qui arrive tous les jours; ces Marchands n'entrepren^ d'.ont ce commerce, que dans la vue d'y gai^ner confidérablement , & de fai- re rapporter à leur argent le même in- térêt que dans les autres Commerces , c*eft-à-dire, au moins dix pour cent. Pour cet effet, comme ils fçavent très- bien leur compte, & qu'ils fçavent fpé* culer aufli-bien que qui que ce foit, ils ne voudront, dans les années d'abon- dance, acheter les grains qu'à un prix très-modique; par conféquent ils n en- lèveront qu'une partie du fuperflu: à regard du reliant, le Cultivateur ne trouvant pas à s'en défaire, la feracon- fommer à fes beftiaux, ce qui eft une pure perre pour l'Etat, comme l'a très- bien obfervé Mr. Duhamel dans fon Traite de lamanure de conferver les grains. Si ce Marchand fait des magafms, ou il faudra qu'il les fafle conftruire à fes propres dépens fur fon propre fonds, & d'une manière propre à fon commer- ce, ou bien il faudra qu'il les loue: voi- là des capitaux ou des intérêts qu'il fera fupporter, comme il eft juile, fur la vente des grains; les pertes & les dé- chets qui furviennent à fes grains , font en-^ I? E s D E N R il' E s. if iencore des raifons pour en augilientei" le prix ; enfin ajoutez fur le tout diîê pour cert de profit fur tous les capi- taux & avances pour chaque année, il s'enfuivra que fi ce bled demeure trois années en magafin^ ce bledj quoiqu'a- cheté à vil prix, deviendra très-cher , jour peu que le Marchand y gagne: fi les Magiltrats veulent s'en mêler, & les ta- xer, comme la chofe paroît afiez jufi:e^ le Marchand qui aura fait cette tentati- ve, n'y trouvant pas à faire un certain profit, ou ne voudra plus l'entreprendre une autre année; ou s'il efi: afifez hardi pour le rifquer encore , il achettera les bleds à des prix fi modiques, que le Cul- tivateur n'y trouvera que de la perte, Enfuite , quand les grains , dans une autre année un peu moins abondante, auront haufiTé de prix, le Marchand cherchant ^ comme il elt jufi:e , à faire rentrer fes fonds, fera en état de lâcher un peu la main pour vendre; la vente qu'il fera de fon grain j nuira encore à la vente du peu de grain qu'aura le Cultivateur, qui par ce moyen n'en deviendra que plus mirérable,&le peuple n'en mangera pas le pain à gueres meilleur marchés Enfin , pour reprendre en deux m.ot3 tout ce que je viens de dire , fi l'on en- treprend de faire des magafins à grains , foit par nn Commerce libre entre plu- iieurs petits Marchands 5 foit que de puif^ B fanicâ î3 Commerce fantes Compagnies de gens riches & opu- le.ns fe formenc pour cela, ou que ce foient des perfonnes prépofées par le Roi qui le falTent au profit de fes finan- ces , on n'en fera pas beaucoup mieux pour cela : car toutes ces perfonnes , quelles qu'elles puilTcnt être, attireront à elles la meilleure partie du profit; de- forte que ni le Cultivateur, ni le Con- fommateur, ne jouiront d'aucun avan- tage , & il y aura toujours une différence immenfe dans le prix du bled, dans les anwées de difette & les années abondan- tes : ces différences laifTeront fubfifter les mêmes inconvéniens , les mêmes dé- fordres, dont je me plaignois au com- mencement de cet Ouvrage , & ne feront qu'ajouter à la cherté ordinaire un prix qui fera toujours tenir le pain cher, fans que celapuiiïe encourager l'Agriculteur , ni les Artifans : car le Laboureur ne pro- fitera d'aucun des avantages de ces ma- gafînsjles Artifans &les Ouvriers fabri- quans feront obligés d'acheter les vi- vres à plus haut prix; par conféquent il eft vifible qu'ils le trouveront hors d'é- tat de donner leurs ouvrages à un prix plus bas, au contraire ils feront forcés d'en augmenter la valeur; & nos voifins qui entretiennent leurs denrées fur un pied plus fixe & plus réglé, feront tou- jours dans le cas de pouvoir donner les marchandifes de leur fabrique à un prix plus DES D E N II E* E S. 10 plus bas que les nôtres. Par exemple ^ r Angleterre efl dans î'ufage de recueil- lir plus de bled que nous à proportion ; & par des réglcmens de Police que le Parlement a fait, il fe maintient prefque toujours au même taux, au moyen d'une certaine gratification de tant par mefure de bled que l'on tranfporte hors de l'Ile. Lorfque le prix du bledpafie une certai- ne fomme fixée , l'Etat encourage les Marchands à faire fleurir le Commerce, & le bled fe foutient à un certain prix, qui n'eflni allez haut pour faire fouffrir le peuple, ni alFez médiocre pour le jet- ter dans l'oifiveté. LeprixdubledpalTe- t-il le taux fixé, la gratification cefre,& alors on n'en fait plus fortir de l'Etat: on remarque aufii que communément les Anglois mangent beaucoup moins de pain que les François à proportion ; par conféquent il efl rare que leurs terres ne produifent pas une quantité de grains fuffifante pour leur confommation. La Hollande eft dans I'ufage d'avoir du bled & de manger le pain en tout tems au même prix , c'elt l'Etat qui fournit le grain au peuple , & qui va le chercher dans les Contrées oti il fe trouve être à meilleur marché. Donc, fi nous n'y fai- fons une férieufe réflexion , ces Peuples qui font nos rivaux pour le Commerce, ont & auront toujours un grand avanta- ge fur nous à cet égard , fur - tout les . B2 Hol- 20 Commerce Hollandois qui font plus fobres & labo-' rieux, moins portés au libertinage que les^ François , tant à caufe de leur climat qui efl plus froid , qu'à caufe du défauc de vin qui nuit & dérange beaucoup les Ouvriers François. il feroit donc fort à fouhaiter que 1*E- tat voulût adopter quelques moyens qui pufTent nous préferver efficacement des inconvéniens qui arrêtent notre Com- merce , ainfî que les progrès de l'Agri- culture & de la Population. S'il m'étoic permis de bazarder quelques idées nou- velles fur cette matière , je ferois pref- que certain d'avoir levé le point de la difficulté. Je me flatte même que la Po- litique de notre Gouvernement trouve- roit dans ce projet des vues aflez éten- dues pour le Bien public , qui ferviroient à affermir encore plus la PuilTance Roya- le, & à augmenter confidérablement fes forces de terre & de mer , ainfi que le Commerce de la Nation. Comme je n'ai d'autre deflein que de me rendre utile à ma patrie, & que mon zèle ne m'écar- ^era jamais de mon devoir envers mon Prince, je ne crois pas être blâmé, en fourniffant au Public un moyen qui me paroît fi efTentiel à fon bonheur, ou du moins qui ne peut jamais lui être préju- diciable , quelque interprétation qu'on puifle donner à mes idées. Voici donc un nouveau Projet que je pré - D F. s D E N R E' E S. 21 préfente au" Public , pour établir dans tout ce Royaume de valles magaÛDS , dans lefquels on pourra , pendant les années d'abondance, raflembler toutes les denrées fuperflues , & même les ma- tières premières, qui fervent à nos fa- briques , afin que dans tous les tems on puifTe maintenir une balance prefque u- niforme dans le Commerce,* de maniè- re, par exemple, que le pain qui fe vend dans les Marchés de la Capitale nepuif- fe jamais valoir moins d*un fol iix de- niers, ni jamais plus de deux fols la li- vre, & à proportion dans toutes les Vil- les du Royaume & dans les Campagnes, pour réferver pareillement & raflembler tous les autres grains, légumes, vins & autres denrées, qui par ce moyen feront toujours à des taux proportionnels à leurs qualités; établiflement qui tourneroit é- galement au profit du Roi, à celui des Cultivateurs, & à celui des Confomma- teurs, & qui maintiendroit l'uniformité Il importante dans le Commerce. B 3 A R- 22 Commerce ARTICLE III. Idée générale d'une Compagnie d'AgricuU ture , divifée en Compagnie particulière , potir la régie des Magafins à grains , (^ autres entreprijes îejïdantes à l'avantage de l'Agriculture, NOus avons commencé par prévenir nos Lecteurs contre les Compa- gnies qui fe forment pour faire des en- treprifes générales à leur profit; nous avons même fait connoître combien el- les font préjudiciables au Bien public, & par la même raifon combien elles ont d'inconvéniens qui nuifent au bien de l'Etat, qui eft inféparable de celui des particuliers. Le nouveau moyen que nous allons propofer , n'aura rien de com- mun avec ces Compagnies , que le nom. A l'égard des principes qui ferviront de bafe à cette Compagnie, ils feront tota- lement oppofés à toutes les règles éta« blîes parmi les Compagnies ordinaires. Les membres mêmes qui la formeront , ne feront pas des gens puiflentfe clioiilr eux-mêmes , & qui foient obligés d'ap- porter des fonds pour avoir intérêt dans la Société. On y recevra indifféremmenc cous ceux qui réuniront les qualités re- quifesj pour y pouvoir entrer : toutes les D E $ D E N K E' E s. 23 les conditions pourront y être admifes indiilinftement, pourvu que leurs inté- rêts femblent fe concilier avec le bien général de la Société. Cette Compagnie n'aura d'autre Chef que le Roi , & fera gouvernée fuivant des règles & des (la- tuts qui feront fimpies , & mis à la por- tée de tout le monde . afin que tous les intérefles , depuis le plus petit jufqu'au plus grand , foient en état d'en être inf- truits, aufli-bien que de toutes fes déli- bérations , fes dépenfes, recettes, &c. Tout fera rendu public , fans en rien excepter; & par ce moyen les moindres membres pourront participer à la con- noiflance des affaires générales de la Compagnie , par la connoiflance qu'ils prendront des affaires particulières. ARTICLE IV. Des Membres qui compoferont cette Compa- gnie > ^ des qualités requifis pour y être admis. LE Bien public nous paroît deman- der 5 que pour compofér cette Com- pagnie d'Agriculture, on ne faffe choix Cjue des gens qui pofTéderont les fonds de terre ou rentes feigneuriales fur les terres qui font dans le Royaume ; ainfl B 4 à E4 Commerce à Texception desEccléfiaftiques &C0111' munautés Religieufes, & de tous parti-* culiers qui n'auront pas au moins en propre cinq arpens de terre en une feu- le pièce, ou pour mille livres de fonds de terre, tout- le monde pourra être adr mis dans la Compagnie. Les actions vaudront à proportion de la valeur des biens en fonds de chaque intérefl'é, ou des rentes feigneuriales qui feront appré- ciées, en exceptant néanmoins le prix des maifons, moulins & autres machi- nes & engins , qui étant fujets à bien des variations , ne paroifTent pas d'une nature aflez folide , pour entrer en com- paraifon avec les fonds de terre qui ne peuvent jamais manquer. J'ai cru devoir écarter de la Compa- gnie les Eccléfiaftiques. Ce foin pour- roit les diflraire de leur occupation principale, qui eft l'inftrudtion des peu- ples; leurs terres étant des fonds morts, elles ne doivent point participer com- me celles desi autres fujets de TEtat, ^u bénéfice qui pourra réfulter pour la Compagnie. A l'égard des particuliers qui n'ont pas au moins cinq arpens de terre en une feule pièce, je lés ai ex- ceptés du nombre de la Compagnie , a- fin d'écarter le petit-peuple qui ne fe- roiç qu'y introduire de la confufion. La précaution d'exiger au moins cinq ar- pens en uns feuk pièce m'& paru utile» dZ^ s D E N R E' E s. 2J afin d'obliger à l'avenir les gens de la Campagne à ne point morceler les ter- res comme ils font en les divifant, ce qui nuit beaucoup à r7\griculture. La Compagnie fera di vifée par diftrids d'environ vingt ou trente ParoifTes, chacun plus ou moins, & fur une efpa-^ ce de terrein, qui, dans les bons pays, pourra contenir à -peu-près quatre lieues quarrées, autant qu'il fe pourra faire; chacun de ces diflriéts formera un arron- diflement, où l'on réunira les Paroifles qui feront le plus à la portée d^un Chef- lieu, où fe tiendra le Bureau de la Com- pagnie pour ce diflrid , & où l'on for- mera les alTemblées» quand il en fera néceflaire; ces diflrifts feront appelles fubdélégations ;siinû toutes les généralités du Royaume fe trouveront divifées en fubdélégations. ^ 11 faudra que dans chaque fubdéléga- tion, on forme un'e carte topographi- que exafte de la poflelîîon de chaque habitant, avec une note de la nature de fes terres, de leurs qualités; pour la cul- ture des bleds & autres plantes néceffai- res à la vie animale ou au commerce , le prix ou la valeur arbitrés de ces terres , fuivant la valeur ordinaire qu'elles ont dans chaque lieu , & relativement à leur valeur naturelle & intrinfeque; on aura foin de marquer dans ces cartes jufqu'aux: moindres eôtcaux, vallons, rivières. z6 Commerce ruilTeaux & fources , les chemins royaux qui y paflent, ainfi que ceux de fervice, les villes , bourgs , villages & hameaux, les moulins & engins, le nombre des habitans , leur profeflîon , leur âge , qua- lité & fexe ; le tout fera mis en noce, à la marge de chaque carte. On en fera de-même dans chaque di- ftridl, fubdélégation par fubdélégation : on confervera une copie de cette carte, qui fera mife en dépôt dans le bureau de chaque fubdélégation , & on en enver- ra une autre au Bureau de la Générali- té. Ce dernier bureau fera compofé de deux perfonnes que chaque diitrid y dé- putera, & qui feront Confeillers-mem- bres de chaque généralité. Il y aura dans ce bureau un Grand-maître nommé par le Roi , un Procureur du Roi , un Controlleur, un Infpefteur , un Ingé- nieur 5 qui feront tous gens pour le Roi , à fes gages & en commilîion. Mrs. les Intendans des généralités préfideront à toutes les aiïemblées du bureau, & y auront une voix; il y aura un Direûeur & un Tréforier, que les Agens de la gé- néralité nommeront à la pluralité des fuiFr âges, mais qui feront des perfonnes choifies d'entre les principaux intéreffés, & les plus capables pour diriger Ie& af- faires; ces deux perfonnes feront élec- tives, & leurs fonâiions dureront deux ans 3 c'eft-à-dire , que tous les ans on en élira DES D E N R e' E S. 27 élira une , & que le Trélbrier paiTera à la direction la féconde année, pour fai- re place au nouveau Tréforier qui fera élu. Il y aura un Greffier perpétuel , que les Agens de la général! ce nomme- ront, ainiî que le nombre des Commis qui feront jugés nécefiaires, pour tenir les Livres & les Regiflres. Il faut abfolument obferver que le Bu- reau de chaque Subdélégation , leracom- pofé de quatre Préiidensjlefquels feront choifîs entre les plus notables du diftrift. On élira tous les ans un nouveau Préû- dent, & ils pafîeront tour-à-tour, félon leur date de réception , à la charge de premier Préiident, & quand ils auront fervi un an en cette qualité , ils feront exempts de fervice, à moins qu'il ne plaife à la Compagnie de les nommer à quelque Emploi fupérieur. En géné- ral, les affemblées feront compofées, I. de tous les Syndics que chaque Pa- roiile aura nommé & député, pour y foutenir & difcuter fes droits. 2. De tous les particuliers qui auront au moins vingt mille livres de fonds en terres dans rétendue de la fubdélégation , on n'y en recevra jamais qui en ayent moins, afin d'en écarter le petit peuple & d'é- viter la confufîon ; d'ailleurs , il y en aura alFez des Syndics qu'ils nommeront par ParoiiTe , pour repréfenter les habi- tans intéreffés qui n'auront pas voix dé- libérative. In- 28 Commerce Indépendamment de ces quatre Préfl- dens, des Syndics & des particuliers oui auront voix délibérative dans l'af- femblée , il y aura un Tréforier pris dans le nombre des quatre Préfidens en char- ge; il ne pourra l'être, que tant qu'il îera quatrième jtroifieme ou fécond Pré- iident; mais lorfque Ton tour fera venu d'être premier Préfldent, il cédera fa charge à celui qui le fuivra immédiate- ment. Les Gens du Roi feront , un Ingénieur, un Infpedeur & un ControUeur, devant qui tout fera propofé & délibéré, fi Ton veut que les Adtes ayent la valeur re- quife,& ces Gens du Roi n'auront qu'u- ne voix chacun. Remarquez que toutes les fois que ces aflemblées tiendront , il ne fe fera aucun repas aux dépens de la Compagnie; chacun vivra à fes frais, ainû qu'il l'entendra : ceux qui manque- ront de fe trouver aux aflemblées que le premier Préfldent convoquera , feront taxés à une amende pécuniaire, au pro- fit de ceux qui feront préfens ; & ceux qui s'abfenteront des aflemblées géné- rales, lefquelles fe tiendront tous les fîx mois, payeront une amende qui fera fi- xée au fixieme du produit qui leur re- viendra pour leur portion dans ladite Compagnie , ^ cette ajnende fera par- tagée au profit des affiftans , après que les PréfiUei^s auront pri« le fol pour li- vre T) E s D E N R E' E s. H^ vre flir la fomme pour leurs droits, com- me Préfidens, & indépendamment de la part qui leur reviendra encore, comme membres particuliers. On ne pourra fe difpenfer d'aiïîfter à ces aflemblées, que pour caufe légitime, comme maladie, difpenfe du Roi pour avoir vaqué à fon fervice, oupour fondions de Charges Royales qui demandent réfidence, & portent avec elle leur exemption. Les Seigneurs titrés pourront pareillemenc fe difpenfer, s'ils le veulent, d'aflîfter à ces afTemblées en perfonne; mais il fau- dra qu'ils y envoient en leur place des perfonnes chargées de procuration, & capables de les repréfenter, encore ne pourront-ils jouir de ce privilège, que dans le cas oii ils poflederont dans le di- flrift pour quarante-mille livres au moins de bien en fonds de terre; les veuves, & en général toutes les femmes n'auront jamais de voix délibérative dans ces af- femblées; mais elles pourront envoyer en leur place des perfonnes fondées de procuration , pourvu qu'elles pofledene dans le didriét pour quarante -mille li- vres de biens de terre, comme il a déjà été dit ci-defllis. Ces obfervations & ces réglemens ne font imaginés que pour fixer un certain ordre, qui fervira de règle & de point fixe à cette Compagnie. Le Lefteur peut déjà entrevoir le but de cette vSa- ciété. 30 Commerce ciété, & fentir que i objet de ces aflem- blées eil de traiter d'une voix unanime, de tout ce qui aura trait à l'Agriculture, & qui peut tendre à l'avantage du Com- merce des denrées. C'efl: cette Compa- gnie qui formera d'abord;un Plan ou Pro- jet d'Agriculture générale pour le di- itriâ:; fes membres qui connoiflent mieux que perfonne la qualité du terroir de leur diftrift, aflîgneront & détermine- ront parParoifle, quelles font les ter- res qui conviendront le mieux à chaque culture 5 foit en grains, en prairies, en vignes, en bois, en chanvre, &c. con- formément à l'objet de la confomma- tion, I. pour le diitrift, 2. pour le com- merce particulier du dehors du diftrift , & ce, fuivant ce qui fera jugé le plus a- vantageux pour l'Etat & pour les parti- culiers. L'Ingénieur pour le Roi, le Controlleur & l'Infpedeur préîideront à toutes ces délibérations, & donneront leurs atteilations pour les projets de ré- forme tendante au bien général de l'A- griculture du diilriâ:. Quand les cartes & projets feront une fois dreiïës, & qu'elles auront palTé à la pluralité des voix , on les enverra tou- tes au Bureau de la Généralité pour y être réunies dans une feule carte, & exa- miner fous d'autres points de vue plus va{les(Sc plus étendus pour le bien com- mun de la généralité, afin de donner à tou- DES D E N R k' F. S. 3I toutes les produélions de la terre de cet- te généralité, la valeur la plus favora- ble que faire fe pourra, par un com- merce égal & proportionné fur chacune, & tendant toujours au plus grand rap- port & à la qualité des terroirs. Les in- térêts de chaque fubdélégation feront difcutés par fes Agens , qui feront tous des gens choifis, en état de connoître les véritables intérêts de leur di(lriâ:, E s D E N R e' E S. 35 rai , dès qu*il y aura des règles qui les fixeront & ne permettront j?cmais de s'en écarter. Nous allons propofer les plus eflentielles de ces règles, qui ferviront de principes & de bafe à toute l'entre- prife. I. On ne fera les diftrids que de dix- huit à vingt ParoilTes , qui feront com- prifes dans un arrondiffement ou il y aura quelque Chef- lieu un peu confidé- rable. Par ce moyen , on évitera les embarras & la confulion qui régneroienc néceiTairement, fi ce département étoit plus étendu. Chaque diftrift fera conte- nu dans ces limites 3& tiendra fes allem- blées particulières, fans que, fous aucun prétexte , ils ayent rien à difcuter les Uns avec les autres , fi ce n'eft vis-à-vis du Bureau de la Généralité, qui fera , à proprement parler , le tribunal de la fé- conde Jurifdiftion, qui décidera des con- teftations entre diftrid & dillrid. On pourra, fi on le juge à propos, en ap- peller au Bureau général d'Agriculture de Paris, qui ferala Jurifdidion Souve- raine ; tous ces Juges feront Royaux, les Confeillers feront des Députés bu Agens des Généralités, gens confommés dans Ja pratique de l'Agriculture, de -même que les Juges ou Magillrats nommés par le Roi, feront pleinement inftruits des vues politiques^ générales du Commer- ce, ik de l'intérêt de la Nation, afin de G 2 veiller 26 CôMMEilCE veiller à ce que le bon ordre foit main- tenu, & qu'il règne cette harmonie qui eft abfolument néeeflaire dans toutes les différentes parties qui compofentle Gou- %'ernement. Mr. le Controlleur-Général fera au Confeil privé du Roi le rapport de toutes les affaires intérefTantes de cette Compagnie , afin d'obtenir , fui- vant les occafions, les nouveaux Edits & Déclarations qui leur paroîtront nécef- iaires,&que la Compagnie aura deman- dés. On voit fous ce point de vue gé- néral, que les intérêts de la Compagnie fe réuniront tous avec celui de l'Etat , &que ces opérations feront toujours dé- pendantes de la volonté du Souverain qui en fera le Chef, & comme un Père de famille. Encore une fois , il n^y aura jamais rien à craindre de f unefle à TEtac de la part de cette Compagnie ; car é° tant partagée en différens diftrids , qui auront chacun leurs intérêts particuliers à conduire , ils ne fe mêleront jamais des affaires les uns des autres ; il n'y aura , comme on l'a dit plus haut , que les fculs Bureaux des Généralités qui en au- ront l'infpeftion ; car chacun des bureaux des diflriéls particuliers fera obligé de faire part au bureau de leur Généralité , de toutes leurs délibérations,qui ne pour- ront avoir de force , que quand elles au- ront été reçues & approuvées dans le Bureau général, fur-tout lorfqu'il s'agira d© DES D E N R E' E S. 27 ^e quelque innovation qui fera jugée importante pour leur intérêt, relative- ment à TAgriculture & au Commerce des denrées. Cette Compagnie ainfî difpofée dans toute rétendue du Royaume, peut, fous un point de vue politique, être confidé- rée comme quelque chofe d'analogue à toutes les troupes qui compofent nos Armées , ou à la régie des Droits Royaux. Ces deux branches du Gouvernement font une partie des forces de la Monar- chie, & font fi bien contenues entr'el- Jes , & fi bien combinées, qu'elles ne font formidables que dans les mains du Souverain , l'ame & le principal mobile de ces deux puiflances , qui donnent i'adlion à tout le refte de l'Etat. Expliquons-nous: il n'y auroit rien de fi terrible & de i\ difficile à contenir , que les troupes militaires , li elles étoient toutes foumifes immédiatement à un même Chef, & qu'il n'y eût h leur tête qu'un feul Colonel-Général , fur-tout en- core , fi en même tems ces troupes fe trouvaient toutes à portée les unes des autres. Comment le Roi pourroitil en difpofer, fi les Chefs qui les comman- deroient , n'avoient à répondre & à obéir qu'à un feul homme qui feroit à leur tê- te, comme étoient autrefois les Gêné- raux Romains qui fe rcndoient maîtres 4u Sénat & de la République. Dans \eh C 3 Go'i: ^3 Commerce Gouvernemens Monarchiques on a très- bien reconnu la défeduofité de cette pratique; auiîi a-t-on partagé toutes les troupes en différentes bandes ou régi- mens , qui ne contiennent qu'un petit nombre d'hommes. On a même fubdi- viie ces régimens en bataillons & eu compagnies particulières , afin de pou- voir mieux diliribuerà chaque petit chef la police de difcipline,& enmêmetems de maintenir la fubordination dans tout ]e corps. On a fait encore plus,* on a donné à chaque régiment des marques diflinftives dans les difterens uniformes , ik on a foin de ne jamais les laifler ha- biter long-rems enfemble , de crainte, qu'ils ne contradent une trop forte union enfemble ; & pour mieux empêcher cet- te union de fentimens , on excite entre les différent corps des jaloufîes & une certaine émulation , qui fait que chacun prend un efprit & un intérêt pariiculier qui devient naturel à chaque régiment. Si l'on met à la tête de ces corps de trou- pes de jeunes Seigneurs pour les com- mander, j'en apperçois deux raifons é- gaiement politiques; la première efl , afin de faire réiiderla puiflance du corn» mandement dans des Chefs encore foi- blés <& fans expérience, tandis que l'on établit fous eux des Chefs fort expéri- mentés ^ qui n'ont d'autre objet que d'en-, tretenir ce corps dans une exacte difci- plinej DES D E N R E' E S. 3P pline , & de commander dans les cas nécelTaires : la féconde raifon efl , qu'en faifant couler les grâces par le canal de ces jeunes Seigneurs , le Souverain fe les attache de plus en plus. Cette con- duite oblige la plupart des Colonels à lui faire affiduement leur cour , ce qui fait en même tems une pépinière de Courtifans, & même de Généraux qui apprennent mieux à la Cour Tart de com- mander , qu'ils ne feroient fans -doute s'ils réfîdoient toujours à la tête de leur régiment, oti leurs vues dans le métier de la guerre fe borneroient aux fimples devoirs du foldat. Pareillement les finances fe trouvent départies entre plufîeurs Chefs particu- liers, éloignés les uns des autres, & ré- pandus généralement dans toutes les par- ties du Royaume , fous l'infpedion d'au- tres perfonnes prépofées parle Roi, qui veillent également aux intérêts du Maî- tre, & à ceux des particuliers. Les In- tendans des Généralités font des Magif- trats placés par le Souverain , pour tenir la balance entre les fujets du Royaume, & les perfonnes prépofées à la levée des Deniers Royaux : ces deniers paflant en- fuite par diiférentes mains avant que d'arriver au Tréfor Royal , font telle- ment divifés, qu'ils ne font pas capables d'exciter l'ambition de perfonèe pour s'en fervir contre l'intérêt de l'Etat : G 4 d'ail- 4© G O M M E H C E d'ailleurs on fe fert, pour les percevoir^ de mains peu fufpedtes, & d'un crédit peu dangereuXç Cette politique n'ef^ point ordinairement apperçue par le vulgaire; il efl perfuadé que les chofes en iroient mieux, <^ qu'il feroit plus ar vantageux pour l'Etat, que les Deniers Royaux pullent parvenir tout d'un coup au Trefor Royal, qui efl le dépôt gé- néral ,& enfin qu'il n'y eût qu'une efpe- ce d'impôt feul & unique: ils ne fentene pas quç plus les impôts font divifés fous différentes dénominations , exploités 6ç Ferçus par différentes perfonnes, donc efprit, le génie & l'intérêt fe trouvcnç partagés, plus le Souverain conlerve de pouvoir ^ d'autorité fur eux. Les Re-^ çeveurs-Générauxfont comme autant de fburces&de canaux particuliers qui ver- ' fent les richelies ou plutôt Içs rçvenu^ de l'Etat dans la maffe générale, qui e(l la Puiffat^ce Royale; aulieu que fi toutç cette finance ne yenoic que par unefeu^ le voie , qui la tranfmît tout d'un coup à la Puiffance Souveraine , il pourroit arriver, qu'avant qu'elle pût y parvenir 3, femblable à un torrent impétueux, elle auroit caufé de grands défordres : il en elt de-même par rapporta ladiftribution de cette finance à tous les lujets qui doivent y avoir part ; ainfi jamais le Prin- ce qui gouverne, n'eft plus puiffant (Sç plus formidable ^ que quand ks reffort;^ ■ ' ' ' ■ P^^= E DES D 15 N R F/ E â. 4| principaux de fon pouvoir fuprême fe trouvent partagés en différentes clafl'es, & diftribués à différentes perlbnnes , dont le principal moteur efl dépendant de la volonté du Souverain. Voilà ce ue l'oil peut appeller la vraie Puillancç égiflative. Si je fuis entré dans ces détails, qui paroîtront peut-être étrangers à mon iu- jet, c'eft afin de faire voir à mes Lec- teurs, par ces deux objets de compa- raifon, que ïa Compagnie d'Agriculture que je propofe pour tout le Royaume ^ étant divifée en petites portions , & fé- parée, comme elle le feroit, & faifant toujours fa réfidence dans toutes les Pro? vinces du Royaume , n'auroit jamais qu'un pouvoir très -limité, puifqu'il fe trouveroit réduit tout au plus à ce que peuvent dix-huit ou vingt Paroilfes, qui n'ont d'autre intérêt à chercher, ni d'au- tre objet à fuivre , que le repos &^ l'oc- cupation domeftique, qui leur fera par- ticulier; mais toutes ces fubdéiégations étant fubprdonnées à la généralité , s'infmuant ainfî dans les interflices des grains de la loge , détachera l'humidité, rafraîchira le bled, & l'empêchera de fe corrompre. Remarquez, que quand les grains ne feront pas parfaitement fecs, on aura un poêle fait exprès, dans le- quel on fei-a pafTer l'air pour l'échauffer, & communiquer la chaleur dans les lo- ges , à l'effet de fécher & de préferver les grains des infedles. J'ai déjà donné au Journal de Novembre 1752 une ex- plication particulière de ces cellules ^ en parlant d'une nouvelle garde -pile. Quand le bled aura été mis dans lescel° Iules où loges , bien net & purgé de tou- tes fortes de mauvais grains , fi on a be- ïbin de le rafraîchir de tems en temspar le moyen du ventilateur, on le confer- 'Vera tant de tems que Ton voudfa, dès qu'une fois on l'aura rafraîchi toujours dans l'automne ^ l'hiver & le printems, & qu'on aura eu la précaution de ne le renfermer entièrement qu'au mois de Juin de l'année fuivante» Depuis le pavé du rez - de - thâuffée ^ jufque fous la clef de la voûte, il y au- ra une élévation de 10 à 11 pieds. Ce tëz-de-chauffée fervira de halle ou mar- ché DES D E N R E' É Ia 0 fché h bled; quand il fera néeeflairé d'ouvrir les magafins pour le Public ^ c'eft dans cetendroic qu'on mefurera leji grains, à raefure qu'ils forciront, avec la même mefure dont on fe fert à. Parisi Pour cela on pratiquera au planchei? & vers le milieu de la loge, un trou de deux pouces en quarré , en forme d'en* tonnoir , & qui percera la voûte. C'efl par ce trou que l'on verfera le bled de la loge , dans ce marché. Il y aura une pareille ouverture d'Uû pied & demi en quarré, pratiquée dans la voûte fupérieure de la loge, qui éta-» blira communication de la loge avec le grenier, qui eft immédiatem.ent au-def- fus; & comme ce grenier eft confacré à recevoir les grains que l'on apportera au magalin , il fera aifé de les faire paf- fer tout de fuite dans la loge, par le moyen de cette ouverture. Ces deux ouvertures fe fermeront & s'ouvriront à la main , toutes les fois qu'on le voudra, par le moyen d'une petite porte, garnie de dejux bonnes ferrures j avec leurs clefs partidilieres , dont l'une reftera entre les mains du premier Préfident, & l'au» tre dans celle du Controlleun C'eft dans ce grenier que feront pla* cées toutes les machines que j'ai décri- tes dans le Journal Oeconomique, année 1757 , en parlant du Commerce des grains, pour les nettoyer de toute or- D du^ j'GT Commerce dore, & pour les trier; on obfervera exadtement d'en faire trois clafles ou fortes, & on ne recevra dans le magafin que les deux premières ; la troifieme fe- ra remife au particulier de qui fera le grain , ainlî que les mauvais grains & les ordures qui lui appartiendront de plein droit, pour les employer à fon ufage ou à celui de les beftiaux, com- me il le jugera à propos. Le particu- lier, dont on aura ainfi criblé ou trié le bled, payera cinq fols par feptier de bon bled, pour les frais du criblage, triage & nettoyage ; & ces cinq fols par feptier appartiendront aux Commis qui feront chargés de ce foin , & leur tien- dront lieu de gages. Si les grains n'é- toient pas bien fecs quand on les appor- tera au magafin , on les fera pafler à l'é- tuve, dont il y en a une à chaque ex- trémité du magafin , conflruite fuivanc le modèle qu'en a donné Mr. Duhamel. Dans le cas oîi le grain fera fec, ou à peu de chofe près , il ne fera pas nécef- faire de le faire pafTer par l'étuve; il a- chévera de fe fécher fuffifamment dan» les cellules, au moyen du ventilateur ou du poêle, s'il le faut; fi cependant il ne rétoit pas alTez , & que fon humi- dité allât jufqu'à un certain point, com- me alors il feroit renflé , & que la mefu- le n'en feroit pas jufle, on le feroit paf- fer à récuve; le propriétaire payera dans ce DES D E N R e' E S-, Jî te cas encore cinq fols par feptier pour cette dépenfe, & on ne mefurera Ton bled que quand il fera fec. Il fera donc de l'intérêt des particuliers de bien fé- cher & nettoyer leurs bleds, avant que de les porter au magafin , afin d'être plutôt expédiés , & d'avoir moins de déchet. Toutes ces opérations fe feront eîi préfence de Tlnfpefteur & du Control- leur nommés par le Roi , & d'un Préfî= dent d'entre les trois derniers en charge. Le Greffier tiendra un regiftre exaâ: des grains qui feront reçus dans le magafin , & il en donnera fon récépiffé , figné auflî du Préfident , en préfence de qui les chofes fe pafleront, afin que le particu- lier puJfTe aller, muni de ce papier, re^ cevoir le prix de fon bled, chezleTré* forier de la Compagnie, Au-defTus du grenier dont nous avons déjà parlé, on en élèvera un qui fera deftiné pour y dépofer 1 es grains de Mars^ comme avoine, orge, légumes en gràiûi ou bled de Turquie. Dans la proportion , ce grenier con- tiendra affez d'efpace pour pouvoir les y placer tous ; car ces efpeces de grainâ ne font ordinairement que la moitié j & fouvent que le tiers de la quantité dû froment & du feigle. Comme ces grains font moins délicats ^ ils feront de meil= îçure garde j & ils ne demanderont paé D 2 tahi 52 Commerce tant d'attention que le bled; cependant on ne les recevra qu'après qu'ils feront bien fecs & bien nettoyés de toute or- dure. Les propriétaires payeront trois fols aux Commis , pour les frais de net- toyage, & pour les emmagafîner. On aura des machines faites exprès pour les monter dans ces greniers. Le logement qui fe trouve immédiatement au-deflbus du grenier, fera deftiné à tenir le mar- ché pour ces grains. S'il arrivoit que l'abandance des grains fût fi confîdéra- ble qu'on ne pût les loger tous dans le grenier commun , on pourroit alors en mettre en magafin dans la partie du lo- gement où il y auroit déjà des cellules garnies. Par ce moyen , on auroit plus de place qu'il n'en faudroit, pour tout ferrer dans ce magafm public. II faut obferver que ce feront les par- ticuliers eux-mêmes, qui feront voitu- rer leurs grains au magafin , quand ils voudront s'en défaire; de -même qu'ils iront tous en chercher au magafin , quand les grains feront augmentés, c'efi:-à-di- re, quand ils feront devenus un peu ra- res, deforte qu'il n'en coûtera rien, ou fort peu de chofe pour la régie de ces magafins ; parce qu'on n'y recevra ja- mais les grains qu'ils ne foient bien fecs, & que quand il fera quellion de les ven- dre, ils fe trouveront un peu gonflés & augmentés de volume ; ce qui donnera un 1? E 5 D E W R e' E S. 53 lin bon de mefure, peu confidérablc à-la-vérité, mais qui dédommagera des petits faux frais. Nous ne compterons donc rien pour cet article,* il n'y au- ra de dépenfe à faire que pour la con- Urudtion même des magafms (Se des lo- gemens des Commis. ARTICLE VIIL Idée générale de la première dépenfe pour les Magaftns à grains , tels qu'il faut qu*on les conjlruife, fuivant le plan qu'on en a donné ci-deffus, SUIVANT les dimenlions que nous avons prefcrites ci-defllis, pour un magafîn à grain, capable de contenir 2222 muids de bled froment, mefurede Paris, & une moitié en -fus pour les grains de Mars , il faudra environ 645 toifes quarrées de gros murs , qui au- ront trois pieds d'épailTeur. Je les efti- me, pour la façon de main-d'œuvre des Maîtres-maçons feulement, à 3 li- vres la toife quarrée , parce que je prends des gens de corvée pour aider aux Ma- çons. Cet objet fait une dépenfe de 1935 livres, auquel fe joint encore 3 li- vres par toife , pour l'achat de la chaux, & le tirage de la pierre feulement, cela D 3 fait jf^ C CI M M E R C 15 fait encore un article de 1935 livres. Il faudra entre les terres (Se le inagalin , nty contremur de 2 pieds d'épaifleur, 23 toifes de longueur, & 4 toifes de hau- teur. Cet article monte à 92 toiles de mur, qui, à raifon de 40 fols la toife pour la façon , & autant pour la pierre & la chaux, montera à une dépenfe de 368 livres. Plus, pour les pierres de taille des portes, des fenêtres & des en- coignures, je mets une fpmme de 300 livres ; la fermeture des portes & fenê- tres s avec les ferrures bien condition- nées, ce qui montera environ à 30 por- te3 ou fenêtres, coûtera de plus, à rai- fon de 15 livres , pour chacune une fom- me de 450 livres ; la boifure de chaque cellule ou loge, & fes planches monte- ront, tant pour la main-d'œuvre, que pour le prix du bois , y compris les pla- ques de fer- blanc trouées, les tuyaux, les fermetures, le ventilateur, en un mot, tout ce qui dépendra defdites lo- ges ou cellules, eilimées, à raifon de 100 livres pour chacune, fera un objet de 2200 livres; la charpente, le plan- cher du grenier & la couverture peuvent être eftimés à peu-près, fuivant un prix: moyen du fort aufoible,une fomme de 4000 livres; les bâtimens des Commis, gui formero.nt deux ailes ^ avec l'enceinte d'entrée, laChambreduConfeil,IeGrefFe, forceront bien encore une dépenfe d.è ' 5000 livres. Ainfî D E s D E N RE' E S. 5J Ainfî la dépenfe totale fe réduira donc g ce qui fuie. 1. Pour la main - d'œuvre de maçonnerie du magafin . IP35 L 2. Pour Tachât des pierres & de la chaux IP3J U 3. Pour les frais de contre- mûr de terrafle 368 %, 4. Pour les pierres de taille des portes , fenêtres & encoi- gnures 300 1. 5. Portes, fenêtres 6c ferru- res 450 !♦ 6. Pour la boiferie des cel- lules & de tout ce qu'il faudra pour les mettre en état de con- lerver les grains , fuivant le projet. . . . 2200 L 7. Pour la dépenfe des char- pentes , planchers, couvertu- res, &c. prifes en bloc. 40CX3L 8. Pour le logement des Com- mis, Chambre du Confeil, Bu- reau, Greffe, &c. , . 5000 L Le total fe montera à î6i88 1. Ajoutons encore à ces foni- mes, pour environ 1200 livres de machines à nettoyer les graina & pour les étuver; cela fera en totalité un objet de 1200 L Total général 17388 1, D4 Corn- |5 G O M M B ïl G E Comme il y aura de quoi loger dans ce magafin, d'une part, 26664 feptier^ ou 2222 muids de bled ou de feigle , & environ la moitié en-fus, en grains de Mars, ou légumes, cela formera un efpace pour loger 39996 feptiers ou 3333 muids de grains. 11 eft très-vifi- Ble qu'il n'en coûtera gueres en géné^ rai, que 10 fols par feptiers, propor- tion gardée du fort au foible : or cet-- te dépenfe ne fait pas le tiers de ce qu'il en coûteroit, pour mettre tous, ces grains dans des facs. On voit d'après cette fuppofition , Que la dépenfe d'une pareille entrepris le, conduite par une Compagnie, qui fera fur les lieux, & intéreffée par el^ le-même à œconomifcr , & à faire tra^ vailler à la corvée, ne coûtera pas moi- tié de ce qu'il en coûteroit à tout au-i ire, qu'aux principaux habitans, qui y apporteront, pour ainfi dire , chacun leur pierre^ On compte en général , qu'il y a dans tout le Royaume 30000 lieues quarrées, qui contiennent à-peu-près 4000 arpcns chacune , mefure de Paris. Cela fera Î20 millions d'arpens, dont on peuc eftimer la moitié en terres vacantes , bois, landes, ou montagnes, chemins ^ rivières ; l'autre moitié aura un tiers PU environ d'occupé en vignes, prai- fies s jardinages emplacement pour les ' ' ' hic*- DES D E N R k' E S. 57 bâtimens ou pour la culture de beau-- coup de plantes qui ne font pas defti- nées pour les alimens. 11 ne reftera donc que 40 millions d'arpens tout au plus, en terres confacrées à la culture du bled : or il n'y a gueres que le tiers de cette étendue qui foit enfemencé toutes les années, en bled-froment ou feigle: le tout le réduira donc à 13 millions & demi ou environ d'arpens en bled, qui, en fuppofant encore qu'ils produifent, proportion gardée, 4 fep- tiers de bled chacun, qui efl à-peu-près Ja quantité moyenne aflez juîle pour tout le Royaume. Le réfultat fera donc environ 54 millions de feptiers de bled, que la France peut produire dans les années ordinaires: mais comme on y compte communément 20 millions d'ha- bitans , depuis que la Lorraine y eft jointe; que du fort au foible, il faut environ une livre & demie de pain à chaque perlbnne par jour, & que, fau- te de le bien fabriquer, on n'en retire gueres que 220 livres par feptier de bled, il fe trouvera, de calcul fait, qu'il faudra, année commune, 54 mil- lions & demi de feptiers de bled pour nourrir tout le peuple. On voit par cette fuppofition, qui ne s'écarte pas beaucoup de la vérité , que la France ne recueille pas fuffifamment de bled pour nourrit fes habitans s ù les légu- P 5 mes s ^8 Commerce mes , les châtaignes & les fruits , dont certaines Provinces font beaucoup d'u- fage & de confommation , ne venoient pas aiJ fecours. Aufîi remarqne - 1 - oa que quand ces reflburces viennent à rnanquer , auiïi-tôt le pain renchérit dans ces Provinces. D'après cet expofé , comptons ce qu'il en coûteroit à la Compagnie générale , pour la première dépenfe feulement de Tes magafins. Par une règle de trois, bien fimple, je dis, fi 26(564 feptiers de bled coûtent 17 mille 388 livres à loger en magafîn , com- bien coûteront 54 millions , par exem- ple; & je trouve que la dépenfe mon- tera à une fomme de 35 millions 213 mille 846 livres ou environ , pour la con- ilrudion générale de tous les magafins à grains qu'il faudra dans tout le Ro- yaume ,en fuppofant un par chaque fub- délégation ou diftriâ: de la Compagnie d'Agriculture. On doit remarquer que dans les didridls oii les grains, feront irès-abondans , les magafms feront tou- jours proportionnés à la quantité des grainç qui peuvent fe recueillir dans une année commune, & que dans les fubdé- légations où les terres ont peu de grain, on aura alors égard à la quantité d'habi- ^ans du diftria:, pour faire ces magafms, en fuppofant qu'il faille à chaque habi- tant trois feptiers de bled, par année, pour les y nourrir , y compris les légu-- mes. n ^ s P E N R e' E s. S9 mes. Cefl: fur ces règles. & principes 5 à-peu-près, qu'il faudra que le Bureau général fe règle, pour conllruire Tes ma- gafins dans des Pays qui ont peu de grain à proportion de leurs habitans. La pro- portion ne montera gueres plus haut ni plus bas que la fuppofltion que je viens de faire, par les connoiflances particu- lières que j'ai acquîtes d'une bonne par- tie des Provinces de ce Royaume. Les diftrifts qui ne feront pas favori- fés d'une certaine abondance de grains j, feront leur levée dans ceux oti le grain fera commun , dans les années d'abon- dance, & au prix qui va être dit tout-à- l'heure. Ces Contrées feront à- la- vérité obligées de payer le bled un peu plus cher que les autres, mais cet excédent de prix ne fera que de la dépenfe que les frais de voiture leur auront coûté : elles auront la même attention de n'en- lever que le grain le meilleur, & tou- jours le plus net, car il eft de meilleure garde : d'ailleurs il eft d'obfer vation fûre, qu'il y a plus de profit dans les' années d'abondance à acheter le plus beau bled, parce que les Fermiers ou le petit-peu- ple mangent ou mettent en valeur le re- but de leur bled , dont ils ne peuvent pas alors fe défaire» AR^ go Commerce A R T I C L E IX. Kêglemenî que la Compagnie fera obligée de Juivre exaStement dans V achat ^ la ven- te des Grains en magajîn. SI le Confeil privé du Roi ne prefcri- voit pas des bornes à cette Compa- gnie 5 elle feroit en état de donner la loi à tout le Royaume , en mettant aux den- rées des prix arbitraires , d'où il pourroit xélulter un grand mal; car, quoiqu'elle fût intérelTée elle-même en quelque for- te à ce que les chofes s'obfervaflent de la manière que l'exige l'intérêt commun & général de l'Etat, fon intérêt parti- culier la feroit toujours pencher d'un autre côté , & on ne verroit pas fubfifter cette balance dans l'équilibre exadt oii il convient qu'elle foit. Ainfi ce fera fur le rapport des Agens de chaque généra- lité , fur leurs mémoires & fur les bon- nes raifons qu'ils pourront alléguer, que le Bureau général fe déterminera. Il pé- fera exadtementles meilleurs moyens de part & d'autre , afin de faifir & d'embraf- fer un jufte milieu , entre l'intérêt du Cultivateur , qui eft la Compagnie , & celui du Confommateur , c'eft-à-dire , celui du Commerce , ou des Peuples fa- bçiquans , difperfés dans les Campagnes •DES D E N R E* E S. 6t & daHs les Villes. Après de mûres & fé* rieufes réflexions, on fixeraune fois pour toutes , & d'une manière fiable & per- manente, le prix de l'achat des grains. Dans les années d'abondance , afin de remplir les magafins , pareillement on déterminera le taux des grains pris au magafin, même dans les années de di- fette ; par ce moyen , la Compagnie fe trouvera reflreinte dans de juftes bor- nes, qui ne lui permettront pas d'anti- ciper fur les droits des Peuples. Ma propre expérience m'a fait connoître que, quand le Laboureur vend le bled ordinaire 15 livres le feptier^mefure de Paris, pefant 230 livres, & la tête ou l'élite du même bled , 20 livres même mefure , pefant 250 livres, le pain ne doit valoir au marché que 18 deniers la livre ; par conféquent le Fermier ou le Laboureur doit trouver dans ce prix de quoi tirer un très-bon parti de fa récolte, fi elle efl abondante , & TArtifan n*achet- tera pas le pain à aflez bon marché , pour qu'il foit tenté de fe relâcher de fon tra- vail; au contraire ce prix, ni trop haut ni trop bas , l'obligera à ne fe point dé- ranger , afin d'être en état de fournir tou- jours la fubfiflance à fa famille. Dans ces années d'abondance, la Compagnie abforbera dans fes magafins le fuperflu de la confommation du bled; & l'argenc qu'elle répandra alors dans le Public, en- ^2 C 6 M M E R e È eilrichira les Laboureurs & fera fieufîr je Commerce. Pareillement tous les înembres de la Compagnie qui feront in- térellës à ce marché, y crouyeront réel- lement leur intérêt; car ce fera à eux-=- mêmes qu'ils le vendront leurs grains , afin d'en faire une ample provifion, pour fervir dans les tems de calamités. Les Artifans , ainfi que le Commerce , en feront excités de plus en plus, comme on l'a déjà fait obfervcr ci-devant. Vo- yons miincenant ce qui en réfultera dans les tems de difette. Pour entretenir une jufte balance en- tre le prix des grains, & en même tems pour donner des moyens à la Compagnie de pouvoir tirer une jufte indemnité de l'intérêt de fes fonds, qui feront reftés quelquefois deux ou trois années de fui- te dans les magalîns fans rien produire ^ j'f ftime qu'il faut permettre à ladite Compagnie de vendre fur le pied de 20 livres le feptier de bled qui lui en aura toute feulement 15 livres, & 26 livres 13 fols 4 deniers la tête du bled qu'elle aura payé 20 livresiC'ell-à-dire ,de fui- vre toujours la même proportion , & de revendre un tiers en-fus de fon capital qu'elle aura employé dans fes achats. Suivant cette règle 3 le pain, dans les tems les plus chers ne vaudra que 2 fols la livre dans les marchés de Paris. Mais- Édmme le bled dans les Provinces fe trou- B E s D É N R E' E S. % ttoùve fur les lieux , & ne vient pas de loin 5 on taxera le prix du bled à 30 fols de moins par feptier, afin que le pain de même qualité y foit de quelque chofe à meilleur marché que dans Paris , & aufli pour fe trouver dans une exacte pro- portion, attendu les frais de tranfport & les droits dont on exige le payement à l'entrée des grandes Villes ; par ce mo* yen , le peuple dans les années de di- fette , qui occafionnent des calamités générales & le jettent dans les plus gran- des extrémités , ne payera au marché de Paris le pain qu'à raifon de 2 fols la li- vre ^c'eft-à-dire, 6 deniers par livre plus cher que dans les années d'abondance. L*œconomie des magafîns aura feule opéré toutes ces merveilles, en rappro- chant les deux extrêmes. Les particu- liers , intérelTés à la vente des grains ^ trouveront encore dans les années de difette l'abondance même: car, quoique la récolte ait manqué, le bénéfice de la vente des grains auquel ils auront leur part , comme membres de la Compagnie , les entretiendra dans uneaifance pareil- le à celle de l'abondance même ; ainfi l'Agriculteur, ou le PoflefTeur des biens fonds de terre, cefTera de tant redouter les années de flérilité : car il y trouvera, dans les profits de cette Compagnie, un dédommagement de ces pertes, qui le mettra en état de payer exactement foa Soa- 64. ^ O M M E Ù C t Souverain , fe? rentes j & les autres char^ ges domefliquesion verra le Commered marcher toujours d'un pas égal* Toutfe reflentira des avantages d'un pareil éta* bliflement, & le peuple ne fe trouvera plus livré à ces extrémités fâcheufes 5 auxquelles il étoit expofé auparavant ^ & qui écoient prefqu'auffi funeftes dans les tems d'une grande abondance, que dans les tems de difette. Après y avoir le plus mûrement réifléchi, je ne crois pas qu'on puifle imaginer de méthode plus l'ûre de procurer le plus grand bien du Royaume , en établiiFant cette ba* lance fi néceffaire au bien de la Société & du Commerce. Paflbns maintenant au détail des avantages que cet établif^ fement procurera à la Compagnie même & au Souverain. ARTICLE X* Obfervaîîom générales fur le produit qui reviendra à la Compagnie , ^ en particU' lier au Roi, de VÉtahUJJement propofé» IL eft afTez ordinaire que dans refpa- ce de fix années, il y en ait environ trois, qui foient d'un médiocre rapport^ tandis que les trois autres produifent, plus 'abondamment Dans les trois an- nées iB Ë s D E N R È' É s. ^5 nées médiocres, il s'en trouvèî quelque- fois dont la récolte eft fi mince, qu'elle ne forme pas ce que les Laboureurs ont coutume d'appeller une demi-antiée* Pareillement dans les trois années plus abondantes, il s*èn rencontre qui le font à tel point 5 que prefque perfonne né veut acheter les denrées, c'eft ce qu'on appelle plus que pleine année. ,^ Sur ce pied-là, notre Compagnie fe^ roit à- peu-près occupée pendant deux ou trois ans à acheter les grains fuper- flus qu*on lui apporteroit j dé -même qu'elle le feroit pendant lés trois autres à revendi-e auPublic ces mêmes grains; deforte que, fuivant cette fuppofition ^ qui eft allez exadle pour toute rétendue du Royaume , il fe trouveroit que les deniers capitaux feroientprefqu'occupés dans les grains pendant quatre ans, & qu'il y. en auroit au moins deux, pen- dant Jefquels ils pourroient produire , au profit de la Compagnie , quelque bé- néfice autre que celui des grains, com- me je me propofe de le faire connoître dans la fuite de cet Ouvrage. Foui* le Çréfent , contentons-nous d'examiner que lur chaque fix années, il y aura prefque toujours une emplette entière & com- plette, & une vente totale des grains des magafms ; car quoique nous n'ayons llippofé en réferve que les grains aune année d'abondance , il eft certain que E €éî* Cô C O 1^1 M E S e B cela fera plus que fufHfant pour fournie à trois années de difette ,• car jamais ces années ne feront dépourvues totalement de récolte , & qu'il y a bien au moins la moitié de la moiflbn ordinaire: joignez à cela que les magafins fourniflianc de tous les genres de grains , feront fuffifan» pour faire face à la difette ; mais quand même il arrlveroit quelquefois qu'ils ne puflent pas y fuppléer en totalité, on verra à la fuite de cet Ouvrage , com- ment j'y pourvoirai ; pareillement que bien des années d'abondance fc fuivif- fent 5 ôc ne fuflent pas interrompues , comme je l'ai fuppofé par des années maigres alternatives, j'indiquerai à cette Compagnie des moyens fûrs pour fe trouver toujours au même taux que je Tai fuppofé. Ainfi donc que rien ne nous arrête dans les fuppofîtions que je viens de faire , c'efl - à - dire , qu'il refte pour confiant que la Compagnie emploira dans l'efpace de fix années fes fonds à acheter des grains , & les fera rentrer auffi une fois , par la vente de ces mê- mes grains. . Les fonds de la Compagnie doivent être très.confidérables,puifqu'il lui fau- dra acheter à -peu -près 50 millions de feptiers en froment ou feigle, & pour 27 millions de feptiers en légumes , a- voine, ou bled de Turquie. Ces der- niers grains ne vont pas au pair avec le bled 5 Î3 Ê s D Ê ÎJ R E^ Ê i» 6f bled ^quoique le prix de Pavoine fuive ordinairement celui du bled , attendu que la mefure en eft double; mais aufli comme le prix des autres n'efi: jamais égal à celui du froment, il y aura une eîpece de compenfation dans tous ces prix ; deforte que j'évalue en général tous les grains d'une nature inférieure à celle du feigle & du froment , à un tiers moins que celle du froment; je ne compterai même qu'une feule clafle de ces bleds , & je réduirai les prix de la Campagne à celui que j'ai fixé pour Paris. En par* tan: de cette obfervation , j'arbitrerai le prix général du feptier de froment^ à I5 livres que la Compagnie fera obligée de Tacheter, & à 10 livres celui de tous les autres grains & légumes inférieurs au froment & au feigle ; ces fuppofîtioûs que tout le monde fent être allez con* formes aux proportions & au rapport ordinaire, qu'il y a entre toutes les dif- férentes fortes de grains que l'on re- cueille dans les Provinces, & dont leâ peuples font leur nourriture, fervironc à nous donner une idée générale des fonds que la Compagnie fera obligée d'avoir ^ & quel fera fon profit dans l'efpace de Hx années. I. 54 millions de fep- tîers de bled, à 15 livres le feptier, font . . . SîoqoQQOô L E2 De 58 Commercé De l'autre parc. 810000000 Xi 2. 27 millions de fep- ! tiers de bled commun ou légumes, à 10 livres le feptier . - ... « 570000000 1. 1080 millions- Total, un milliard, quatre-vingt mil- lions feulement pour l'achat de tous les trains du Royaume , pour une année a- ondante. Or, comme on a fuppofé que dans l'efpace cle fix années il y aura un bénéfice d'un tiers , ce gain montera à 360 millions qui reviendront à la Com- pagnie , pour l'indemnifer des pertes qu'elle auroit faites par le défaut deré^ coite. De plus , cette même Compagnie , dans la partie de fes membres qui ven- dront les grains, recevra dans les années d'abondance un milliard quatre - vingt millions de plus qu'elle n'auioitreçu par le Commerce ordinaire des denrées. Quelle différence pour l'avantage & l'aifance qui en rejailliront fur tout le Comm;.rce de l'Etat en général! Mais fî la Compagnie a tous les fix ans un pro- fit de 360 millions , ce fera 60 millions qui lui reviendront chaque année , & qui feront repartis entre fes membres,' de la manière que nous Talions faire' voir. J'entrevois ici l'inquiétude de nos Lecteurs. Le moyen > dira-t-on , de faire trouver à la Compagnie des fonds fi coa- fidéra- X> E s D E N R E' E 6» (^ lidérables , fur - tout fans en payer un fol d'intérêt ; mais cet article ne fera traité qu'après le détail des réglemens fur le partage des profits. Toutes ces différentes emplettes & ventes des grains fe feront dans chaque fubdélégation du Royaume ; ce feront îes habitans de chaque diflrid:, poiïef- feurs de grands fonds, qui, comme nous l'avons déjà dit, auront le foin de cette manutention , & en tiendront des regif- tres les plus fcrupuleux, afin que toutes Jes femaines on puifFe faire part aux bu- reaux de chaque généralité, des ventes, des achats, en un mot, de toutes les différentes opérations que la Compagnie aura faites; ces états feront envoyés en- fuite au bureau général, qui les rendra publics dans des annonces; de -même qu'on fait connoître au Public le taux des aflions de la Compagnie des Indes, il en fera de -même pour notre Compa- gnie d'Agriculture : le partage fe fera de la manière fuivante. Après'qu'on au ra prélevé tous les frais , les appointe- mens des Commis , & autres petites dé» penfes que je faurai remplacer, com- me on le verra, la Compagnie du diftri(5fc fe réfervera la moitié du profit pour el- le, & la partagera entre tous les mem- bres , iuivant la proportion des fonds de leurs aflions , & de l'intérêt qu'ils auront dans le diftrift. Ce premier par- S 3 tag^ tO C O M M E U C E t:age fera appelle du nom de prim^x; Tau» çre moitié du profit fera mife en dépôt dans la caifle commune à l'Etat, laquel- le fera entre les mains des quatre PréH- dens, du Controljeur (Se de l'Infpefteur, qui en auront chacun une clef différen- te; l'état de cette fomme fera envoyé au bureau de la généralité , & le bureau ouvrira tous ces états par ordre , avec le tableau du fonds des actions de chaque diffcrid , conforme à l'évaluation des biens en fonds de terre compris dans la fubdélégation. Toutes les généralités du Royaume feront la môme opération ; ainli le bureau général de Paris aura une connoifTance parfaite des produits de cette Compagnie , qui , comme on le verra par la fuite , feront bien plus con- fidérables que celui dont nous parlons aâ:uellement,& qui réfulte des magalîns à grains. L'idée de ce petit Ouvragp nous fervira donc pour les autres. Le bureau général ne fera de toutes ces fommes mifes en dépôt , qu*une feulé mafle commune fur laquelle feront pré- levés d'abord deux cinquièmes pour le Roi , ainfi que tous les appointemens qui feront attribués aux Magiftrats , Offi* çiers & Commis des bureaux de chaque généralité du Royaume , & même du bureau général de Paris. Sur les trois autres cinquièmes , le bureau général hïîmt droit fur les repréfentations par» tîculieres des Agens de chaque généra- lité, en deftinera la portion qu'il jugera néceflaire & utile pour ramélioration , & les augmentations qu'il fera à propos de faire dans quelques fubdélégations , afin de favorifer davantage TAgriculture ou le Commerce ; & enfin , ce qui reftera après toutes les fouflradlions , fera ré- parti entre toutes les généralités , au marc la livre , fuivant le montant des aftions de ces mêmes généralités. Les généralités travailleront à faire la répar- tition de ces fommes entre tous les dif- tridts de leur dépendance ; & enfin cha- que diftriâ: difperfera la portion qui lui fera avenue, en raifon des adlions par- ticulières, & la diftribuera à chacun de fes membres, au prorata de l'intérêt qu'il aura dans la Compagnie. On nommera ce fécond pSiU^ge^ fécondes; l'argent qui reviendra à chaque membre , fera pris dans le dépôt , en préfence de tous les principaux Magiftrats afTemblés , & le reliant fera envoyé au Tréforier de la généralité , afin que ce bureau , après avoir retenu fes droits, renvoie le refte au bureau général, qui mettra la part du Roi au Tréibr Royal. Lesappointemens & revenus des charges fe diftrlbueront à chaque Magiftrat& Officier; &les fom- mes qui feront deftinées pour les travaut communs de cette Compagnie , feront dépofées entre les mains d*uu Tréforier E 4 pard= ya C o M M E R c m particulier, qui les délivrera, quand il lui fera ordonné, pour le payemenc do cGs travaux. Ainfi, par le partage des fécondes , il y aura une liaifon d'inté^ rét entre toutes les fubdélégations par- ticulières du Royaume , ce qui les uni« ra fous un même Chef dans la perfonns du Roi , & fous la diredlipn du Bureai* genéraL article; XL Règlement de Police fur Içs Grcdni â? le Paiih NOus avons propofé ci-deflus le prot jet de mettre en magafm les grains fuperflus des années abondantes, afin de fervir au peuple dans les tems de di- fette. La Compagnie d'Agriculture fe- Ta chargée du foin de ces magafins. Il n'y aura de fa part aucun monopole à craindre, dès que les prix d'achat & dô vente feront fixés par un règlement faiç au bureau général , dans les pays & les villes de Provinces oii les grains ne font communs que par le Commerce; il y aura des magafins proportionnés à la quantité des habitans pour y faire provi-! fion de grains , & on ajoutera au prix du bled la dépenfe que coûtera leur tranf-. porc dans les marchés ou magafins de ces^ DES D E N R E* E S. 73 endroits. Cette voiture ne fera pas fort coûteufe , comme on va le voir: car la Compagnie de chaque diftriél, qui fera obligé de faire fes emplettes de grains dans les diflrifts voilins où il y aura eu des récoltes abondantes , enverra fes Commis, ou établira des gens prépofés pour les recevoir à la portée de quelque rort de rivière, oh il y aura des entre- pôts deflinés à raflembler les grains, à mefure que les Fermiers & Cultivateurs les apporteront pour les vendre. Il n'y aura en effet gueres de diftrift oîi il ne fe trouve quelque petite rivière ou ca- nal de navigation: on les fera voiturer par le moyen des bateaux que la Com- pagnie aura en commun , généralité par généralité , & les bateaux de chaque gé- néralité ferviront à tranfporter les den- rées dans les Pays oii la Compagnie au- ra bcfoin de les envoyer ; & comme ou fuppofe que la navigation des rivières & des canaux fera générale dans tous les Pays , on préférera cette voie à celles des voitures par terre, quand il y aura un trajet un peu long à faire: car alors ce fera un objet peu confîdérable, quand même , par les détours qu'il faudra fai- re , on auroit cinquante à foixante lieues de trajet de plus à parcourir. Les grandes Villes Parlementaires , les Capitales des Provinces & des Ports d» msr n'auront point de magafms particu- E s licrsg ^4 CoMMERciE liers , comme les autres Villes moins confidérables. Il faudra toujours lailîer dans ces endroits la liberté aux Mar- chands de faire le Commerce des grains, s'ils le jugent à propos, pour leur comp- te particulier; mais quand les grains fe- ront rares dans la Ville, & que le Com- merce ordinaire ne pourra pas les laifler au prix porté par les réglemens, le bu- reau de la généralité qui aura un état de tous les magafîns de fon reflbrt, ainfi que de tous les habitans, donnera fes ordres, afin que les fubdélégations qui feront les mieux fournies en grains, en détachent chacune de leurs magafîns une certaine quantité pour les Villes & Ports de mer,quifoit proportionnée à lacon- fommation journalière de la Ville qui en demande, & à la quantité qu'il y en au- ra parmagaun, de manière que les grains foient pris un peu fur chaque diftrid , qu'il n'y ait pas plus de fourniture à pro- portion faite pour un Pays que pour un autre, & que les peuples ne rifquentpas d'en manquer. La fubdélégation de cet- te Ville, ou Port de mer, fera chargée de cette commiffion ; c'eil à elle qu'on adreflera les grains ; & i I y aura dans plufîeurs endroits, fila Ville eft grande, de petits magafîns oli l'on mettra le bled en vente pour tout le Public, àl'excep- tion des Marchands qui n'en achetteront pas de la Compagnie» La taxe de ces bleds D E s D E N R E* ïï s. 75 bleds fera la même que nous avons dit^ fçavoir 20 livres le leptier du bled or- dinaire, & 26 livres 13 fols 4 deniers le bled d'élite : on ajoutera feulement au prix les frais de voiture & celui du fé- cond magafin ; il ne fera fait aucun pro- fit fur la vente, autre que celui dont nous avons parlé ; mais pour faciliter ce tranfport des denrées, la Compagnie de chaque diftrid qui fera obligée de faire une fourniture ou un envoi aux Villes qui auront ordre de tirer fur elle, pour- ra faire convertir les grains en farine, & pafTer ces farines pour n'envoyer aux Villes que la plus fine fleur , confervant les gruaux & les fons pour les gens de la Campagne, fi les Payfans n'aiment mieux l'acheter en nature pour l'apprê- ter chez eux. Dans le tems que la Compagnie au- ra fcs greniers ouverts & fes grains en vente , elle tiendra à la portée du ma- gafin une Fabrique de pain, oh elle aura un Entrepreneur général qui s'en- gagera de fournir à deux fols la livre le pain fin de place ; la Compagnie lui livrera des bleds du magafin , a mefu- re que le Boulanger en demandera. Ce Boulanger fera fournis à la police or- , dinaire des Magiftrats, ainfi qu'à celle de la Compagnie, qui veillera à ce que le pain foit bien conditionné. Indépen- damment de la vente du pain, la Com- pagnie p Commerce pagnie livrera fes grains à tous ceux qui voudront les acheter, pourvu qu'ils ibient habicans du diflridl de la fubdé- légation ; mais elle n'en fournira à au- cun étranger , fans un ordre émané du bureau principal de la généralité» Com- me il y aura des magafins par tout le Royaume, le peuple aura également par-tout les mêmes commodités; ainû il feroit fort inutile qu'il y eût d'autres que la Compagnie qui vouluflent faire alors le trafic des grains , ce ne feroit que dans le cas du Commerce étran- ger ; par exemple , fi le grain étoit ra- re dans quelque Royaume voifîn , quç quelques iVlarchands particuliers pour-? roient l'entreprendre j mais comme, mê- me dans ce cas, il pourroit devenir très- préjudiciable à l'Etat que l'on y em^ ployât les grains en magafm, ou, pour mieux m'exprimer, les grains de la ré- ferve, la Compagnie ne le permettroit pas alors,* elle feroit arrêter & confif- quer à fon profit les grains qui forti* roient de fon diftridt, fans en avoir ob-^ tenu fa permiflîon; cependant cette loi n'auroit lieu que dans les tems oii les bleds de réferve feroient en vente : car s'jls n'y écoient pas, &que le grain va- lu: moins de 20 livres le feptier de bled ordinaire, tout particulier fujet, ou au- tre, auroit la faculté libre défaire le Çonunerçe des grains indifFéremmeDÈ dansi DES D E N 11 E* E S. 77 dans tout le Royaume, & même che2 l'Etranger, attendu que ce feroit alors une preuve évidente que l'Etat feroic fuffifamment pourvu de eette denrée, en fuppofant encore que les magafinsen réferve de la Compagnie fuflent pleins ou à peu de chofe près; j'ai dit les ma- gafîns en réferve , pour les diftinguer d'avec d'autres magafîns particuliers , qui feront dépendans de la Compagnie du diftrid pour y ramalTer les grains (uper- flus , après que les magafins en réferve feroient pleins. Ces féconds magafîns, comme il a été dit précédemment, n'en- treront point dans les détails de la Com- pagnie générale du Royaume. La Com- pagnie du diftrift feul en auroit Tadmi- niftration, pour les vendre lorfqu'elle lejugeroit à propos, & dans tous les lieux oh elle voudroit, foit au dedans^ foit au dehors du Royaume. Elle ne pourroit cependant vendre ces grains qu'une livre par feptier moins que les grains du magafin en réferve, parce que ce feroit leur nuire & autorifer la Compagnie à faire quelque monopole, au -lieu qu'en les obligeant de vendre ces grains à un prix un peu plus bas que les grains de réferve , ils ne peu- vent plus nuire au Public ; d'ailleurs la liberté que les autres Marchands (S;; les autres lubdélégations auroient d'ap- porter pour vendre au marché toute force ^8 Commerce forte de grains à des prix libres, ainfl que d'en acheter, ôceroic toute ombre de foupçon, & ne laifleroit aucun mo- yen de faire un Commerce de grain qui fût défavantageux pour l'Etat: car dès que la Compagnie ne pourra vendre les grains des magaûns particuliers de fon diftriâ;, qu'à raifon de 20 fols moins par feptier , que le prix caxé de 20 li- vres , & qu'au contraire il fera permis aux Étrangers de le vendre au prix qu'ils voudront, il efl évident que quand la Compagnie mettra en vente les grains de fes magaûns de réferve , afin que le Public ait toujours la liberté du choix pour acheter au prix qui lui conviendra le mieux, alors les grains étrangers ne pourront porter aucun préjudice à ceux du diffcrid, parce que le magafin aura certainement la vogue, au cas que les Marchands vouluflent vendre leurs grains au-deiïus du prix de l'Ordonnance ; car à qualité égale , il n'eft pas douteux qu'on ne donne la préférence au bled qui fera à meilleur compte : or comme il en coûte pour faire conduire des grains du dehors, & qu'il faut prendre du tems à fuivre les marchés & à le vendre en détail , il eft certain que les Marchands fe garderont bien d'apporter jamais au marché des grains étrangers, pour les vendre à leur perte ; ainfi les magaûns en réferve auront leur vente fûre. Les DES D E N R E' E S. 7^ Les féconds magafins ne feront tolé- rés 5 que par la raifon que la Compagnie fera obligée d'acheter toujours les grains à 15 livres le feptier au plus bas , fans pouvoir le vendre plus de 20 livres. D'a- près cette loi , il faut que la Compagnie ait la faculté de pouvoir commercer les grains fuperflus , quand elle aura rempli fes magafins de réferve. Il lui faut des magafins particuliers pour recevoir fes grains; & fi elle veut les acheter à ua prix plus haut que ij livres pour fon compte, elle aura la liberté d*en faire un commerce particulier; car elle aura toujours la même liberté à cet égard que les Marchands, attendu que la loi doit toujours être à l'avantage du Pu- blic; mais auffi pour ces achats particu- liers la Compagnie ne pourra pas fe fer- vir des fonds qui auront été confacrés au fervice des magafins de réferve : el- le pourra à-la-vérité faire ce Commer- ce, mais avec des fonds particuliers qui lui feront propres , ou avec l'argent des bénéfices qui lui feront venus dans l'ad- miniftratioQ des grains en réferve. Les Officiers pour le Roi que nous avons commis dans chaque fubdélégation , au- ront foin de veiller à tout ce que la Com- pagnie entreprendra , & d'en rendre compte, fans cependant avoir aucune infpedtion particulière fur ces grains qu'elle aura achetés pour fon propre compte ^ eornpte, & de Tes deniers, commdfont les Marchands ordinaires. La Compa- gnie pourra, fi elle veut, employer les mêmes Commis à les magafms particu- liers, & il lui fera libre d'avoir dans la Ville principale du Diocefe ^ & dans celle de la Généralité , des fours à elle pour fabriquer le pain pour le Public , comme nous l'avons déjà dit à Tarticle de la Boulangerie; il n'y aura que ces deux Villes feules, la Ville Epifcopale & le Siège de la Généralité, oh les bu- reaux particuliers pourront tenir des boulangeries & faire le commerce du pain en détail : car il ne fera pas permis à des fubdélégations étrangères au Dio* cefe ou à la Généralité, de venir y éta- blir des fours pour vendre du pain: cet- te liberté qui efl due à tout Boulanger particulier reçu à la Maîtrife, n'eft que pour favorifer la vente & le commerce des grains de cette Compagnie ^ & tou- jours à l'avantage du Public. Il faut bbferver que les Généralités du reiïbrt d'un m.ême Parlement auroient pareille- ment le droit de tenir des boulangeries^ dans la Ville oîile Parlement ell établi, & que toutes les Généralités du Royaii-^ me pourront aufli, fi elles veulent, fai- re conftruire des fours à la portée de la Capitale, & y faire vendre & diflribuer du pain avec la même liberté que les Boulangers de la Ville même. Ces pri^ vi- Des D e n r e' e s* §t Viîeges font accordés , comme on le voie , pour favorifer le commerce de cette denrée, afin que le peuple puifle avoit le pain à meilleur compte qu'il eft pof- fîble, & pour donner au Cultivateur la facilité de retirer de fon grain le plus grand avantage qu'il pourra; & enfla pour empêcher que les Marchands ne fafîent haufler, comme ils font, le prix des denrées , au grand préjudice des Cultivateurs & des Artifans, qui font aflurément les deux portions du peuplo les plus précieufes & les plus eflentiel- les dans un Etat. Par ce moyen , cette Loi contribuera non feulement à l'avantage des Manu- faélures & du Commerce , mais encore à la Population du Royaume; car il eft fans difficulté que cette méthode fera difparoître la mifere, & facilitera beau- coup par conféquent la multiplication de l'Efpece Humaine. La Compagnie fera toujours la maf- trefle, quand elle le jugera à propos, de fe relâcher fur le prix de fes marchandi- fes, foit des magafins particuliers, ou de ceux de réferve ; cela ne fera jamais une matière à repréhenfîon de la part de la Police ordinaire du Royaume ; mais il ne lui fera jamais permis de les ven- dre au-deflus de la taxe, & cette taxe 9 comme nous Savons dit précédemment^ fer^ réglée par le bureau général à Pa- F îisj g2 Commerce ris , & P^i' l^s bureaux des généralités dans ces Provinces. "Loi-rque la Compagnie vendra les grains de Tes magaûns en réferve, elle ne rendra compte que de la quantité des grains qui y auront été dépofés fur le prix fixé par rOrdonnance, fans pouvoir produire des détails des frais , lefquels feront toujours fur Ton compte. L'aug- mentation de volume que les bleds au- ront acquis dans les magafms, & les pe- ïites indemnités fur les criblages , feront bien fuffifans pour payer les frais des Commis régifleurs ,* il n'y aura que les appointemens des Officiers en charge qui feront pris fur les bénéfices qu'au- ront produits les grains en réferve. ARTICLE Xn. Détail des gains que la Compagnie pourra faire fur le Commerce des Grains^ outre celui que nous avons compté fur les Grains en réjèrve, SUIVANT les détails que j'ai donnés ci- deflus au fujet de la Boulangerie, la Compagnie pourra entreprendre le Commerce du pain, & acheter, com- me les Marchands ordinaires, les grains dans les marchés à des prix libres; & comme DES D E N R E* E S. 83 comme elle auroit déjà des perfonnes à fa charge pour les magafîns de réferve , elle pourra les occuper à tenir les li*» vres & regiftres de ces grains particu- liers, d*autant mieux que le travail de ceux-ci n'arrivera jamais dans le tems du travail des grains en réferve, cela lui donnera bien des facilités que de fimples particuliers ne peuvent pas avoir. De- plus elle aura auffi à elle, comme noua Texpliquerons dans la fuite de ces Mé- moires, tous les moulins à grains qui font dans fon diflridt,& dont elle fefer- vira pour moudre fes grains & palTerfes farines. Les rivières, les canaux de na- vigation, & les chemins de traverfe* bien entretenus , qu'il y aura par tout le JR.oyaume , feront à fon ufage avec les barques & autres voitures par eau & par terre, qui lui appartiendront en com- mun dans chaque Généralité , comme nous le dirons ci -après; tout cela lui fournira les moyens de faire le Com- merce des grains & du pain d'une façon plus avantageufe que tout autre ne pour» roit le faire ; deforte que fî nous avions démontré dans notre Syflême du Com- merce du pain, qu'il y avoit pour le Boulanger un profit réel de trois livres par feptier de bled ordinaire, & que le Publie y trouvera cependant un gain conlidérable, qu'il ne trouve pas en fai- iâuc fabriauer le pain chez lui» on peue F 2 ju* 84 Commerce juger quelle différence il y aura pour une Compagnie qui apporte dans ce com- merce tant d'avantages divers ; elle pour- ra donc encore fe relâcher de quelque chofe furie prix que nous avons fixé au pain pour les Boulangers particuliers, & y gagner du fort au foible , au moins trois livres par feptier de profit net,ett mettant un bon ordre, & établiflant des règles exadlesdans la manutention de la régie de fes pains, de fes farines, &de fes grains. Elle gagnera comme mar- chande, comme meunière, comme voi- turiere,(Sc comme boulangère; ainfî réu- nifiant enfemble toutes ces profefilons, ce ne fera pas trop de lui accorder une livre par feptier, comme marchande, autant comme voituriere de près ou de loin, dix fols par feptier comme meu- nière , & deux livres comme boulangère pour la fabrique : tous les frais déduits, luivant notre fyfl:ême, elle aura donc encore quatre livres dix fols de gain par chaque feptier de grain qu'elle diflribue- ra en pain , tant pour les grains de ma- gafins en réferve , que pour ceux qu'el- le aura en fon particulier & qu'elle tra- vaillera à fon profit, foit pour l'intérieur du Royaume , foit pour l'exporter chez l'Etranger, ou même pour en tirer des grains , en cas qu'on vînt à en manquer, c'efl:-à-dire , dans les années que les di-, fettes feroient continues 5 & que les ma- ga- DES D E N R e' E 8. Sj gafins ne pourroient plus fournir: car il n*y a que ces cas oh il lui feroit per- mis d'en introduire d'étrangers; & fon intérêt ne s'y trouvant pas, on ne doit pas craindre que cela arrivât jamais. Si les deux tiers du Royaume font d'abord une confommation des pains provenant du Commerce de la Compagnie ^Cparc^ qu'ils y trouveront leur avantage ) il n'eft pas douteux que cette Compagnie qui aura un intérêt vifîble à un tel éta- bliflement, ne fafle fon poflible pour en introduire l'ufage partout le Royau- me, & que dans peu de tems elle n'at- tire à elle feule, quoique fans aucun privilège, le commerce libre de fournir le pain en général à tous les fujets de î'Etat. Je n'héfite pas à croire que les perfonnes fenfées, qui auront de l'ex- périence fur le Commerce des grains, & quelque pratique fur la Boulangerie, foie domeftique, ou banale, ou publique, trouveront mes tarifs &; mes calculs juf- tes, & mes fuppofitions très-avantageu- fes à la Compagnie, & encore plus pouf le Public & pour le Commerce. Nous pouvons donc hardiment calculer le gain que cette Compagnie fera, fi jamais el- le a lieu dans le Royaume, & le fixer à quatre livres dix fols parfeptier tous les ans,en-fus du profit particulier que nous avons eflimé pour la garde des grains en yéfcrve. En fuppofant donc qu'il fecon- F 3 fom- g5 Commence fomme, année commune, dans le Ro- yaume environ 45 millions de feptiers de grains, fur le pied de 20 million» d'habicans, & plus , à proportion fi le nombre augmente , il en réfultera pour la Compagnie générale, année commu- ne , un bénéfice de 202 millions & demi de furplus de fon gain ordinaire , laquel- le fomme fera partagée entre chaque di- flridl, ou, pour mieux dire, n'en forci- ra pas, & fera proportionnée à leur in- dultrie & au plus de commerce qu'ils pourront faire , toujours en raifon des intérêts de chaque Adionnaire du di- ftrift. Voilà donc vifiblement un avan- tage immenfe pour le Cultivateur; avan- tage qui le mettra en état de pouffer fort loin le progrès de l'Agriculture, puif- qu*il en réfultera de 11 grands biens. Les Seigneurs , la Noblefle & la Bourgeoi- lie du Royaume y ayant la meilleure part, fe trouveront très - favori fés par cette invention , qui augmentera conû* dérablement leur revenu, fans qu'ils fe donnent aucun foin ni aucun embarras particulier; au contraire ce profit leur viendra, comme on die, en dormant, &; donnera à leurs revenus aftuels une valeur réelle & fixe, qui fera monter les baux à des prix fort au-delTusdeceux oh ils font aduellement; car un Fer- mier qui fe verra afluré de la vente de- fcs grains dans ïqs années abondantes , DIS D E N R E* ï S. 87 ne craindra jamais d'en faire venir le plus qu'il pourra, d'oii il réfultera pour tous les Cultivateurs un grand encou- ragement à l'Agriculture. Le peuple confidérant qu'on trouvera dans cette profeflion de« reflburces certaines con- tre la mifere, s'y adonnera davantage. On verra dans les Campagnes augmenter à vue d'œil les Ouvriers : or comme c'eft à. la Campagne oii Ton trouve un air plus fain, la nourriture plus pure, les mœurs plus fimples & plus innocentes que dans les Villes , & les dépenfes beau- coup moins conlidérables , tous ces grands avantages y fixeront leshabitans, qui préféreront alors la Vie Champêtre au bruit & à la confuûon qui règne dans les Villes , & fur-tout les perfonnes nées pour le travail des mains, qui ont ordi- nairement moins d'ambition que les au- tres,* deforte que li le Gouvernement veut encore favorifer l'Agriculture par les réglemens que j'ai propofés ci - de* vant , on verra bientôt les peuples four- miller dans les Campagnes; les maria* ges y deviendront beaucoup plus com* muns , dès que la crainte de la mifere y fera diflipée , auffi-bicn que celle du fort de la milice pour les Laboureurs & Vi- gnerons de profeflion , & que les Bour- geois & autres polTefTeurs des fonds de terre fentiront les avantages de l'Agri- culture & les moyens faciles de mettre F 4 leurs $8 CôMMEaCE leurs terres en valeur. On ne verra plus de toutes parts , que des travaux pour améliorer les Biens de campagne, & des peuples nombreux y feront employés ; ce qui augmentera dans la proportion Tabondance des denrées & celle des ma^ tieres premières pour les Manufactures. La Population fera alors dans une vi" gueur furprenante , tout y contribuera ; une nourriture bonne & fuffifante, un exercice convenable & un travail conti* nucl très-bon pour le corps , & fur-tout la fatisfadion générale de voir renaître le Siècle d'or, par l'aifance que donne* ront au peuple l'Agriculture & le Com^ merce; ces biens procureront aux ef- prits une tranquillité douce, qui ne con- tribue pas peu à la fanté & à la confer- vation. On pourroit s'attendre que dans l'efpace d'an petit nombre d'années, les Campagnes feroient du double pluspeu-^ plées qu'elles ne font maintenant. Il n'en feroit pas de -même des Villes; le progrès de la Population ne s'y fera pas Il bien fentir d'abord ; car les gens de la Campagne trouvant dans leurs hameaux plus de douceur & de tranquillité , ne viendront plus y habiter , comme ils fonc à-préfent , & augmenter le nombre des fainéans. Les Bourgeois & les fimples Gentilshommes qui auront des terres en propre, feront intérelTés à fixer leur ha-» bicatioû fur içs iiçux pour faire commo Içs D E s D E N R ï:* E s. g^ les autres, & profiter des améliorations de leurs terres , puifqu'ils en retireront des avantages fi réels ; enforte que les Villes perdront un peu du nombre de leurs habitans; mais d'un autre côté, l'aifance générale oii l'Agriculture met- tra tout le monde, tant à la Campagne que dans les Villes, donnera au Com- merce une étendue bien plus grande. Chacun ayant le nécefTaire abondam- ment, fera bien-aife de fe procurer le commode & même l'agréable; de-là on verra s'élever quantité de nouveaux bâ- timens dans les Campagnes pour y loger les perfonnes de condition, qui vien- dront les habiter, & defireront fe met- tre à portée de jouir de leurs terres , & de les mettre en valeur, par le moyen du nouveau Syflême d'Agriculture géné- rale, oh tout le monde pourra partici- per: or ces maifons, ainfi que leurs meubles & tout ce qui en eft la fuite, fc feront dans le goût le plus convena- ble aux perfonnes , à leur fortune , & fuivant la mode. C'efl ainfi qu'il s'ou- vrira de nouvelles branches pour le Com- merce, les Arts& les Manufactures. Les Villes qui font le féjour ordinaire des Commerçans , des perfonnes en place & des gens riches, ne s'embelliront pas moins que les Campagnes , puifque les améliorations de la culture des terres in- flueront fur tous les citoyens fans dif- F 5 tinc^ 50 Commerce tin^tion ; que la haute Noblefle en de ^ viendra plus riche & plus puifTante , le Commerce en fera plus brillant, & les Villes à proportion plus agréables. A- lors les Arciftes trouvant tous de Tou- vrage fuffifamment au moyen des fages réglemens qu'on aura établis , il arri- vera que les enfans des Artifans em- brafleront la profefîlon de leurs pères, & y feront un chemin plus convena- ble à leur état, & plus ceruin pour leur fortune & leur repos. En un mot, cet arrangement fera difparoîcre roifiveté & la mifere , & réformera les défordres de nos mœurs. Dans peu les Villes, à Texemple des Campagnes , feront des lieux enchantés, oii les hommes ne trou- veront plus ces objets de débauche qui les perdent, & qui font fi contrairesàla multiplication de l'efpece. Les unions conjugales redevenues en honneur, fe- ront regardées comme les vrais biens de la Société. L'abondance des vivres & î'aifance des familles ne fera plus crain- dre une poftérité trop nombreufe, tout rentrera dans l'ordre de la Nature, & le peuple commencera à entrevoir une ex- pectative heureufe, que nous allons tâ- cher de développer peu -à- peu dans la fuite de ces Mémoires. AR- D E s D E N R E* È s. $)I ARTICLE XIII. De Vignes en général, APre's les Grains qui font la denrée de première néceffité, il n'en eft point de plus précieufe & de fi utile que le Vin ; la culture de la Vigne dans les terreins qui lui font favorables , doit donc, après les Grains & les Prairies, attirer la principale attention du Gou- vernement , & elle mérite de trouver place dans un Syftême général d'Agricul- ture. L'ufage du vin eft très - falutaire & utile pour la nourriture de l'homme , pourvu qu'il en ufc avec Tobriétéôc modé- ration ; mais comme toutes les terres , ni tous les climats, ne font pas convenables pour la production de la vigne, ceux qui ont le bonheur de polTéder des terreins propres à cette culture , doivent s'y appli- quer ti ès-foigneufement à en faire le prin- cipal objet de leur Commerce ; c'eft pour- quoi lorfqu'on fera la carte topographi- que de chaque diftridt , la Compagnie doit être attentive à défigner les difFé- rens crûs , la qualité , l'expoûtion , Té- tendue & la nature particulière de tou- tes les terres du diftridlqui fe trouveront convenables pour y cultiver la vigne, & déterminer à -peu -près la quantité de muids ^2 Commerce inuids de vins , mefure de Paris , qui peuvent croître dans le diftridl, & les autres terres feront deflinées pour y cul- tiver des grains ou autres denrées. Oa doit aufïï envoyer pour eflai au bureau de la Généralité des vins les plus par- faits de chaque terroir, avec la note à- peu-près de ce qu*ils peuvent en produi» re chacun 5 année commune, afin que les Agens , Commiflaires , Juges & Préfi- dens du bureau examinent l'expofition qui en aura été faite par les Chefs aiTem- blés de chaque fubdéiégation , & certifiés par les Officiers propofés par le Roi ; après quoi le bureau général péfera tous les diiFérens avantages qui lui feront pro- pofés par les mémoires , & qui peuvent réfulter de la culture de la vigne pour le bien de l'Etat, à raifon de la qualité naturelle du vin de chaque terroir & de fa propriété , pour être confommés fur les lieux , ou pour être .tranfportés au loin , par le moyen du Commerce. Quand le bureau de la Généralité aura fait fur tous les difFérens crûs, fur leurs quali- tés, expofitions & quantité, des cartes inftrudtives & des mémoires, on les en^ verra à Paris au bureau général, qui par ce moyen aura une exafte connoifTan- ce de toutes les terres du Royaume, de ce qu'elles produifent aduellement en grains & en vi.ns,<5c de ce qu'elles pour- ront produire par la fuite, moyennant la DES D E N R E' E S. pj î* nouvelle culture ; ce même bureau fçaura pareillement U quotité de toutes ces denrées, (Scieur valeur pour le Com- merce; il obfervera de-plus, quelle eft en général la confommation aftuelleqni s'en fait dans le Royaume, celle qu'on peuc faire dans le cas oii ces denrées de- viendroient à meilleur marché, & même il prévoira pour la fuite ce qu'il en fau- droit pour fournir h touc l'Etat , fi 1er Royaume devenoit plus peuplé, ou (î l'Etranger en tiroit davantage qu'il ne fait: car il faut fe perfuader qu'en effet fi l'Etranger pouvoit avoir les vins de France à un prix plus modique qu'on ne les lui vend, il en feroit fans difficulté une confommation bien plus forte ; ainû pour agir en véritable & bon politique , il faudra à-peu-près &en gros parcourir les différentes Nations qui tirent des vins de la France, comme les Hollandois , les Anglois , les Suédois, nos Colonies dans les Iles , &c. Suivant mon ellima- tion, le nombre de ces peuples peut é- galer ceux du Royaume. Or s'il étoic poflîble que nous leur vendifîîons nos vins à un prix affez raifonnable, pour qu'ils puffent en avoir rendu chez eux; à douze fols la bouteille de vin ordinai- re, mefure de Paris, en fuppofant que les droits dans les Ports étrangers fuffenc fupprimés,ou que s'ils ne l'étoient pas, du moins le prix du vin n*augmentât que de 9^ Commerce de la valeur particulière de ces droits ; ce qui ne pourroit être ni fi confîdérable , ni il préjudiciable que les abus du Com- merce aduel , on peut s'attendre qu'il» en feroient une très-grande confomma- tion ; ii faut encore entrer dans le détail des vins qui s'emploient en eau-de-vie , & à divers ufages pour le Commerce. Suivant les obfervations que j'ai fai- tes en général , la Compagnie peut comp- ter que du fort au foible , chaque arpenc de vigne produit environ trois muidsou 900 bouteilles de vin; c'eft à -peu -près tout ce qu'on doit en attendre , année commune 5 quand on veut que les vignes donnent de bon vin ; car fi on tire à la quantité , on l'obtiendra fans doute , mais le vin en aura moins de qualité ; ainfi , tout compenfé , l'eflimation peut être faite fur le taux que je dis Si Ton veut actuellement en régler la quantité , on fe conformera aux obfervations généra- les que j'ai faites ci-deflus, tant pour le Commerce extérieur, que pour la con- fommation du dedans du Royaume , en comptant, comme on Ta déjà fait, fur vingt millions d'habitans, & fuppofant que, proportion gardée, des enfans aux grandes perfonnes,du pauvre au riche, il faille à chacun le quart d'une bouteil- le, ou un demi'feptier pour leur ufage, cela fsra par jour cinq millions de bou- teilles de vin pour la feule boiflbn du Royau- DES D E N R E* E S. pj Royaume, & par année un milliard 825 millions de bouteilles. Je ne mets pour chaque perfonne qu'un quart de bouteil- le ; il eft certain que dans les Pays de vignobles la confommation eft plus for- te , mais auflî elle l'eft moins dans d'au- tres Pays. Suppofons qu'il en faille en- core autant pour l'Etranger, voilà donc trois milliards 650 millions de bouteil- les de vin, fans compter ce qu'on en confomme pour faire des eaux-de-vie , du vinaigre, dans les opérations chymi- ques & pour la cuilîne : or tous ces arti- cles ne monteno gueres moins qu'au quart de la confommation ordinaire du Ro- yaume: voilà donc quatre milliards 562 millions 500000 bouteilles ou 15 , 208 , 333 muids , à raifon de 300 bouteilles par muid , qu'il faudra pour faire face à tout le Commerce , tant intérieur qu'ex- térieur , des vins de France, Pour pro- duire cette quantité de vin, il faut qu'il y ait envirqp cinq millions 69 mille 444. arpens de terre employés en vignes. 11 faudra choilir le terrein le plus avanta» geux à cette culture , & préférer les Pro- vinces oii la confommation & le Com- merce en feront plus faciles ; ainfi la Compagnie générale d'Agriculture don- nera la permiflion de planter & cultiver les vignes à toutes les Provinces méri- dionales de France, & dans tous les Pays ob elle aura été informée exaftemenc que pQ Commerce que les vignes croiflTent avec un certain fuccès. De plus parmi ces divers Pays , elle permettra de planter une plus gran- de quantité de vii^nesàceux dont le cli- mat & le terroir feront dans une meil* leure réputation; ainfi les Coteaux les plus eftimés , toutes les Provinces de Champagne , de Bourgogne , de Quercy , &;c. auront une plus grande quantité de vignes que celles oli la qualité fera infé- rieure. 11 en fera de-même à Tégard des vins qui fupportenc mieux le trajet de la mer , comme ceux de Bergerac , du Lan- guedoc , de Bordeaux, &c. qui auront CHCore la préférence fur les petits vins, qui ne font propres que pour l'eau-de- vie. On prefcrira donc la culture de la vigne dans toutes les terres oh le vin fera médiocre , & elle y fera abfolument défendue, à moins que ce ne foit dans des exportions favorables à la vigne , ÔL en même tems défavantageufes pour toute autre culture. C'ell ainfi que le bureau général régle- ra la quantité des vignes dans chaque diftridl , & en fixera la pofition fur les cartes, fuivant les expofés particuliers qui lui auront été faits conformément au plan général du fyflême. Or il n'y a qu'un bureau général qui puilTe prétendre de pareilles connoiflances , & faire un tel arrangement, parce qu'il ne peut y avoir que lui à qui il convient d'entrer dans de pareils DES D E N R E' Ë s; i)7 pareils détails , & de porter fes vues vaf- tes & réfléchies fur ce qui doit être le plus avantageux à la Nation , foit pour Ion Commerce ou pour l'ufage des Ha- bitans, & pour favorifer la Population relativement aux: denrées qui font de la plus grande néceflîté. On voit par cette fuppofition , que s'il y a en tout 30000 lieues quarrées de 4000 arpens par lieue dans le Royaume, cela fera à-peu-près 120 millions d*arpens: ainfî les vignes occuperont une vingt-quatrième partie de l'étendue qui fera propre à être cul- tivée ; il y refiera donc 114 millions 930 mille 556 d'arpens pour la culture des grains & autres denrées; c'efl beau- coup en comparaifon du peu d'efpace qui fera employé aux vignes. Mais , com- me nous l'avons déjà dit, il y a beaucoup moins de Provinces oii cette culture ne fçauroic fe pratiquer d'une manière avan- tageufe: on n'y en permettra que fort peu , & on leur lailTera la culture de grain qui leur fera plus profitable; auflî en revanche , les Pays propres aux vi- gnobles & ou la vigne pourra réulîir, fe- ront plus favorifés: cependant on ob- fervera que les meilleures terres pour la culture des grains & les prairies ne fe- ront point mifes en vignes. Le Com- merce & la faculté des tranfports par la navigation des rivières & des canaux , donneront les occafions de faire des é- G chan- pg Comme KCE changes refpedifs de Province à Pro- vince ;aiD(i il fefera une confommation confidérable : tels font les points de vue auquel le Bureau général devra s'atta- cher, afin d'établir une harmonie dans le tout qui le maintienne toujours dans l'ordre. D'après ces principes, chaque diftviâ: fe réglera , & exécutera ce qui lui fera prefcrit par le Bureau général » qui aura jugé ce qui conviendra le mieux à chacun pour fon avantage en particu- lier, (Se en général pour le Commerce & pour l'intérêt de l'Etat. ARTICLE XIV. Des Magajïns à vins , £sf de quelle manière chaque Dijirid; fe réglera à cet égard , pour y rcLJjemhler les Vins Juperflus des années d'abondance. LA Compagnie d'Agriculture , lorf- que les réglemens ci-deflus auront été faits, ne pourra donner trop d'atten- tion à ce que tout ce qui lui a été pref- crit, foit obfervé exadlement, particu- lièrement l'article des vignes , afin de faire produire aux diiFérens crûs la plus grande quantité de vins que faire fe pourra , fans en altérer la bonne qualité; mais comme cen*eftpas ajQTez de recueil- lir DES BeNRE'ES. ÇO ïir des vins en abondance, & qu'il faut de plus conferver cette denrée , aulîi- bien que les grains , & empêcher pareil- lement les flux & reflux caufés par l'a- bondance & la difctte des récoltes, qui en font baifler le Commerce, il faudra que dans chaque dillrid oîi il y aura des vignobles , la Compagnie , ou , ce qui eft: la même chofe, leshabitans faflentconf- truire des celliers, des caves & maga- lins , pour y façonner & garder les vins dans les années d'abondance, pour les revendre dans les années dedifette. Ces magafms fe feront de la manière fuivan- te : on creufera fous terre dans la pente d'un coteau, foit dans le tuf ou les ro- chers, des caves dans lefquelles on au- ra des foudres capables de contenir 50, 60, & jufqu'à ICO muids de vin à la fois, afin de les y pouvoir conferver f^ms dan- ger & avec moins de frais. Indépen- damment de ces caves , on aura des cel- liers; mais û le terrein par hafard ne fe trouvoit pas favorable pour creufer de pareils magafins, on les pratiquera dans un lieu fec à rez-de-chauflee, en don- nant aux murs une épaifTeur fuffifance pour foutenir les voûtes; ces voûtes feront recouvertes de tuiles creufes pofées fur la voûte avec du mortier , en forme de toit, pour faire écouler les eaux dans des rigoles qui les emmèneront fort loin de-là. Par-deflus ces tuiles ou toits, on G 2 mettra tC)D CoMMSRCt mettra de gros gravier, ou, ce qui re- vient au même, un lit de petites pier- res, avant que de les recouvrir de ter- re de trois à quatre pieds d'épaifleur par- deflus & par les côtés ; de cette forte , ces lieux feront frais & moins expofés au changement de l'air qui fait que le vin s'altère. Les celliers pour façonner les vins , avant que de les mettre en magafin 5 feront des plus (impies, & faits à-peu-près comme des granges. J'eftime que pour loger environ feize millions de muids , il faudra au moins 160000 foudres, contenant chacune du fort au foible 100 muids de vin ; chacune de ces foudres coûtera bien 200 livres de dé- penfe, ce qui reviendra pour l'article feul des foudres à 32 millions; & afin d'avoir à proportion des caves & d'au- tres uflenfiles néceflaires pour façonner les vins dans les celliers , il faudra une avance de 12 millions. Il faut moins de ces derniers uftenfiles que des foudres, parce qu'on ne recevra tous les ans que les vins fuperflus & dont la quantité eft bornée, puifque trois ou quatre annéei abondantes rempliront à peine les fou- dres 011 l'on garde les vins en réferve : ainû ce n'efl: pas trop avancer que de dire , que ces deux articles monteront à 44 millions; m'ais ce n'eft pas tout, il faut compter encore autant de dépenfe à-peu-près pour conftruire les caves & les CES D E N R F/ B S. lOÎ les celliers dans tous les différons dif- triéts du Royaume : cela fera en tout un objet de 88 millions de dépenfe , pour avoir de quoi loger les vins d'une année commune de tout le Royaume. J'avoue que cette première dépenfe eft bien confidérable & bien lourde; mais aufîî elle produira un très-gros avanta- ge, ainfi que nous allons le faire voir, pour le foutien de cette partie du Com- merce (lintérelfan te pour l'Etat, & pour occuper les peuples,* car les vignobles en emploient beaucoup. On eftime qu'un bon Ouvrier, aidé de fa femme & de fa famille , qu'on fuppofe être de deux en- fans encore foibles, ne peut travailler que quatre arpens de vigne tout au plus par an» Voilà donc quatre perfonnes oc- cupées pour quatre arpens; fur ce pied- là il faudroit cinq millions d'habitans ; ou en fuppofant qu'un de ces enfans par famille, fût capable de travailler autant que Ion père, comme cela efh aiTez or- dinaire , cette famille façonneroit alors huit arpens de vignes par an entre qua- tre perfonnes , ce qui feroit au moins deux millions 500000 perfonnes qui fe- roient occupées la moitié de l'année à la culture des vignes ; cette dernière proportion efl: la plus vraifemblable. On voit par -là combien cette culture feu- le efl intéreflante pour l'Etat, & quelle immenfe quantité de bras elle demande G 3 pour les COMMÏRCR pour pouvoir être mife en valeur , fan» çompcer les autres travaux de la Cam- pagne pour la culture des grains: donc il elt vrai de dire que les hommes man- quent à la terre 3 & non pas la terre aux hommes. Dans les Pays de vignobles , aux environs de Bergerac, qui peuvent pafler fans contredit pour les endroits du Royaume où la vigne eft la mieux cul- tivée, il en coûte communément dix li- vres de façon pour cliaque arpent; mais Ja culture efl: plus chère dans d'autres Pays , par rapport aux différentes façons inutiles que Ton donne aux vignes. On fe conformera à l'ufagedubas Périgord, & alors il en coûtera bien moins: c'eft ce que la Compagnie aura foin d*exa* miner, en faifant quelques efTais dans ces cantons oii la culture de la vigne eft tout-à-fait défavorable, afin de con- noître par le parallèle quelle efl la plus avantageufe des méthodes pour recueil- lir le meilleur vin, & en plus grande quantité. Mais pour prendre un jufte milieu, on peut, avec la dépenfe des améliorations qu'on efl: obligé de faire de tems à autre, faire monter les fa- çons à quinze livres de frais par ar- pent, année comn:iune; & le revenu, proportion gardée , monteroit environ a cent quinze livres par arpent, en fup^ pofant du vin commun & fîx muids de produit par chaque arpent, qui elt la quaii< DES D E N R E* E 8. ÎÔ5 quantité que rendent la plupart des ter- reins qui font fertiles (k qui ne donnent pas le meilleur vin. Ce vin ne vau- droit alors tout au plus chez le Vigne ron qu'un fol fix deniers la bouteille, qui eft le prix ordinaire devS vins com- muns dans les Pays de vignobles; ain- fi il refteroit à - peu -^ près 100 livres de bénéfice au propriétaire , & qui ren* droit fes terres en vignes pour le moins d'un auffî bon rapport que celles en" grains. C'efl: encore un article que le Bureau général doit bien combiner pour pouvoir mettre une balance cxadle dans les produits des différentes cultures* 11 y a auflî des terreins beaucoup moins abondans, & qui coûtent beaucoup plus fans comparaiibn à façonner, que ceux dont je viens de parler ; mais aufli il faut convenir que les vins en font beau- coup plus délicats. Si on n'en retire pas plus de deux ou trois muids par arpent, on eft amplement dédommagé par le prix du vin , qui eft plus haut a proportion de fa qualité. Tels font les bons vins de Béaune , ceux d'E- pernay,ceux de Bourgogne & de Cham- Eagne, qui croiflent dans des endroits ien expofés ; ces vins vaudront fur les lieux cinq ou fix fols la pinte, ce qui rapportera fouvent au propriétaire qua- rante ou cinquante écus de revenu net par arpent. On donne ici des prix aux G 4 vins. 104 Commerce vins, tels qu*ils pourront avoir, lorfque ces nouveaux érabliflemens & le com- merce rapprochera tous les vins du Ro- yaume dans la Capitale, & danslesPays oîi le vin eft adueilement rare, les uns feront bailler le prix aux autres , alors les vins exquis de Béaune & d'Epernay ne feront plus fi chers. Les vins doivent donc s'eftimer à raifon de leur qualité & de leur rareté, autant que par la fertili- té des vignes. La Compagnie fera inté- lelTée à en foutenir le prix & la réputa- tion, dans la proportion exadte au mé- rite de chaque chofe, afin que le peuple ne foit pas tenté de cultiver une denrée par préférence à une autre, & que le produit devienne égal. Les principaux obfi:acles qui s'oppolent à cette com- binaifon, font les tranfports des vins , les coulages ou lesfripponeries que font les Voituriers tant par eau que par ter- re , le gain exorbitant des Marchands , les droits d'entrée & de péages , la plu- part injufiement perçus; car tous cesin- çonvéniens retardent la confommation & le commerce de cette denrée , dont l'Etat pourroit tirer des biens immenfes. Jl n'yaabfolumentqu'un Bureau général d'Agriculture, tel que celui que je pro- pofe, qui pût être en état d'examiner toutes choies , & de fixer des prix arbi- traires qui ferviroient de règle une fois pour toutes, afin de maintenir la balan= ce DES D E N R E' E S. 105 ce & de conferver une uniformité dans le Commerce : or d'après les obfervations générales que j'ai faites ,' il fera facile au Bureau général de Paris de fixer les prix de chaque vin , Généralité par Gé^ néralité, parce que chaque Généralité y enverra un elTai du meilleur vin de foa crû; & tous ces vins, avec les notes par* ticulieres, entreront en comparaifon les uns avec les autres , fuivant leur diffé- rens degrés de qualité, eftimés plus ou moins par des juges experts: dès que ces eflais auront été faits juridiquement fur les lieux, ils feront envoyés avec tous les foins & toutes les précautions poffîbles, munis de cachets deMrs. leslntendans. Officiers pour le Roi , & Préfidens pour la Compagnie , aux Âgens qui feront à Paris, pour foutenir les intérêts de leur didriâ refpedif au Bureau général. Sur la décifion qui fera faite en pleine af- femblée , le prix d'achat du meilleur vin de chaque Généralité fera fixé pour Jcs années abondantes, ainfi que le prix de la vente pour les années de difette. Chaque Généralité enfuite en fera de- même, pour fixer le prix du meilleur Tin du crû de chaque difirid:; & à l'af- femblée du diflriél , ou fubdélégation , on fixera pareillement le prix de tous les crûs, contrée par contrée, fuivanc les degrés de perfeélion qui approchent: le plus du crû lupérieur. Défenfes feront G 5 fui" tocy Commerce faites de rien innover dans l'ordre delà culcure & de ramélioration des vignes, fans une permiflion , ou le confente- ment de la Compagnie de chaque di- flrid. Chacun fe fouiiicttra, quand il voudra faire quelque changement conli- dérable à fes vignes, à la comparaifon du vin qu'elle produit avec celui des au- tres crûs, afin qu'il foit apprécié fuivant fa qualité , & fans avoir aucun ég^rd à la quantité que le terrein produira; car ce fera au propriétaire à fçavoir choifîr ou l'abondance ou la qualité, ainfî ces vins de différens crûs du Royaume fe- ront portés à leurjufte valeur, & iecon- lommeront à proportion. L'état verra au jufte jufqu'à quel point ira le progrès de cette branche d'Agriculture. La Com- pagnie fçaura quels font les terroirs qui ont plus de qualité que les au- tres , & elle les mettra en réputa- tion, au -lieu que jufqu'à- préfent la plupart font inconnus. Pour régler à- peu-près les prix de tous ces vinSjj'efti- merai dans les années abondantes les vins communs vendus par les Vignerons ou Propriétaires dans les celliers de la Compagnie, à raifon de 22 livres 10 fols le muid, & les vins fins les plus recher- chés comme de Béaune , d'Epernay , de Cahors , &c. & autres d'élite , à rai- fon de 90 livres le muid, tout amené dans les celliers de la Compagnie dans le DES D E N R e' ïi S. ÏO7 le diftrift même, fans que le Proprié- taire foie obligé de fournir d'autres u- flenfiles que ceux qui iervironc à le voiturer. A l'égard des premiers vins qui font dans une réputation d'excellen- ce fupérieure, comme ceux de l'Abbaïe d'Auvilliers,de la Côte-rôtie, les muf- cats de Riveialt, & les plus exceliens vins rouges de la Montagne de Reims & de Béaune, qui ne font, pour ainfî dire, que pour les tables des Princes, on ne leur fixera point de prix, (Se ils n'entreront pas en concurrence avec les autres. Les Propriétaires feront les maî- tres de les vendre à qui bon leur fem- blera , & d'en foutenir la réputation , en leur impofant une valeur arbitraire à cel- le des autres vins que j'ai nommés ci-de- vant. Je penfe que dans l'ordre des gra- dations de prix depuis 22 livres 10 fols le muid jufqu'à 90 livres, prix que je trouve très-convenable & le plus propre pour maintenir l'état d'équilibre dans cette denrée relativement à fa qualité & à la quantité que les vignobles produi- fent, année commune Tje penfe, dis-je, que chacun aura lieu d'être fatisfait, parce que ce fera le moyen d'aifurer un débit prompt aux vins,puifque la Com- pagnie fera obligée d'en faire l'emplet- te, fuivant le tarif qui en aura été arrê- té par degrés depuis 22 livres 10 fols jufqu'à 90 livres le muid , qui feront les prix 108 C O M M E R C B prix des vins depuis les plus communs jufqu'à ceux qui tiennent rang après les vins appelles vins de fantaifîe : mais afia qu'on ne puilTe pas tromper la Compa- gnie fur l'achat des vins , elle achettera des particuliers les railîns au fortir de la vigne, avant qu'on les foule, dans des mefuresdont on connoîtrala proportion jufte avec le muid de vin : pour cet ef- fet, on ne vendangera que quand le Bu- reau de la fubdélégation l'ordonnera; par ce moyen ,1a Compagnie aura la fa- cilité de fabriquer les vins à fa fantaifîe, & les Propriétaires feront débarrafles de ce foin. Les marcs des vendanges feronc toujours fuffifans pour dédommager des frais de la façon des vins dans les cel- liers; à l'égard du tranfport, ce feroit au Particulier à fe charger de cette dé- penfe depuis la vigne jufqu'aux celliers de la Compagnie. Il fera permis à la Compagnie de ven- dre fes vins une moitié en -fus, dans les années de difette , du prix qu'elle les aura achetés dans les années d'abon- dance; c'efl-à-dire,que ceux qui auront coûté 22 livres lo fols le muid, fe ven- dront 33 livres ly fols; & ceux de 90 livres , fe vendront 135 livres , & ainfi des autres à proportion : la différence qu'il y a de cette denrée avec les grains, e'eft que la Compagnie aura beaucoup plus de déchet & de dépenfe à faire pouf ï) E s D E ï^ H E* Ë s. IP9 pour la garde , & pour perfectionner fes vins , que pour les grains : d'ailleurs les vins font fujets à de plus grands accidens. Ainfi, tout conlîdéré , ce prix n'eft gueres plus haut que celui du pre- mier achat ; car alors ce font des vins nouveaux qui n'ont pas encore acquis Ja qualité comme ceux qui auront palTé trois ou quatre années dans des foudres, oti le tems les aura mûris & perfection- nés. Il n'y a perfonne qui ne connoifle ia différence des vins vieux aux vins nouveaux; il n'y a point du tout à dou- ter que même dans les années d'abon- dance 5 on ne préfère la même efpece de vin qui fera vieux à 33 livres 15 fols, à du vin nouveau de l'année qui n'auroit encore aucune qualité. Ceux qui achettent des vins , font toujours bien-aifes de les avoir bons & prêts à boire , & à cet égard le vin vieux a tou- jours de l'avantage fur le nouveau; par conféquent on ne doit pas craindre que la Compagnie eût de la peine à trou- ver le débit de fes vins. Au -contraire ce Commerce eft fupérieur de beaucoup à celui des grains , qui font fujets à perdre leur qualité pour être gardés , bien plutôt que le vin. Ainfi il eft dé- montré que le tarif que je propofe eft avantageux tout à la fois, & au Culti- vateur & au Commerce: comme la Com- pagnie aura toute liberté de faire le tra- fic iio Commerce fie des vins, elle diftitigueradanslama- nutention quatre efpeces de vins de prix différens. La chofe lui fera très- facile, en les façonnant dans les cel- liers & les caves , de la manière que je l'ai déjà dit. Quoiqu'elle en ait ache- té à un grand nombre de prix difFérens dans tous les crûs de fon didridt , elle les réduira par fa manière de les façon- ner, à quatre feules qualités; & elle au- ra des tarifs particuliers, depuis le plus bas jufqu'au plus haut prix de la taxe. Les Officiers commis par le Roi auront infpedlion fur ces celliers, &,tiendronc la main à ce que la Compagnie ne fajle aucune fraude, en voulant ajouter à ces vins quelque nouvelle qualité qui ne fût pas naturelle; cependant elle fera lamaî- trefle de faire dans la cave tous les mé- langes qu'elle voudra. Pareillement il fera libre à toutes les fubdélégations ou bureaux particuliers de tenir magafms de vin , & de vendre en gros dans tou- te rétendue du Royaume, dans les Vil- les principales & les Ports de mer,ainfi que la Compagnie le jugera à propos, & chacun fera de fon mieux pour le fur- pafler; mais on obfervera que les vins de chaque diftrift auront leurs marques particulières, auflî-bien que les clafles de chaque qualité qui feront numéro- tées, afin que les acheteurs ne puiflenc pas fe tromper au prix ni à la qualité. D « s D E N R E' E s* III S'il arrivoit que les Bureaux des fubdé- légations tombaflent dans le cas de quel- que fupercherie à cet égard, ilsferoient mis à l'amende, leurs vias confirqués,& ils perdroient le droit d'envoyer des Agens à la Généralité, pendant un tems qui revoit limité par le Bureau de ladite Généralité: avec ces précautions, oa pourroit compter fur la fidélité des vins, Jl y auroit donc dans chaque Générali- té un Port ou un Marché à vins, où les fubdégations expoferoient chacune leurs vins en vente, fuivant ce qu'il leurfe- roic permis & réglé par le Bureau de la généralité ; il n'y auroit d'autre préfé- rence dans la vente , que celle que les acheteurs donneroient eux-mêmes par leur choix, félon que la marchandife leur conviendroit. Cependant le nom- bre de muids de vins en réferve qu'on y pourroit faire conduire, feroit fixé, & il ne feroit pas permis d'en mener davantage. A l'égard des Marchands de vin en détail , que l'on appelle Ca- baretiers , le nombre en feroit limité dans toutes les Villes , Bourgs , Villages , Hameaux , & fur les routes du Royau- me ; au-lieu de former une Communau- té, comme il eft d'ufage dans les gran- des Villes , on créera ces Maîtrifes en charge ; & les Marchands n'auront pas befoin d'autre folvabilité que la va- leur de leurs charges, qui fera unique- ment i:ïa Commerce ment refponrable des vins que la Corn* pagnie leur confiera pour les vendre en détail , fans pouvoir avoir fur eux d'autre hypothèque : ainli les Marchands de vin auront la facilité d'avoir à cré- dit des vins de la Compagnie pour les détailler jufqu'à la concurrence du prix de leurs charges. Chaque efpece de vins leur fera taxée conformément à ce que la Compagnie les vendroit aux Bourgeois, y compris les prix de ports & d'entrée, & en-fus quinze pour cent, qui fera le prix du Marchand qui ven- dra à pot & à pinte hors du cabaret, & trente pour cent vendus dans le caba- ret, outre quinze pintes de bonne me- fure par muid ; enforte que le gain dti Marchand en détail fera fixe ^ fur. Chaque fois qu'il aura befoin d'avoir des vins pour entretenir fon commerce, la Compagnie lui en fournira, en ren- dant compte de celui qu'il aura eu pré- cédemment, & en fatisfaifant à ces en- gagemens. Il fera défendu expreflé- mcnt aux Cabarctiers de falfifier & mé- langer les vins dans leurs caves , fous peine d'une amende pour la première fois , & de punition corporelle en cas de récidive. Il y aura des Commis pour y tenir la main, & une partie des amen- des fervira à payer leurs appointemens. Ces attentions de la part de' la Compa- gnie , feront caufe que le Public en fe- ra DES D E N U L* E S. 115 ra mieux, iSc que l'on fera une confom- rriation beaucoup plus forte; ainfi tanc le Cultivateur que le Confommateur De dépendant plus des Marchands, \&i choies en iront infiniment mieux pour TAgriculture & pour le Commerce» Entrons maintenant dans un certain détail fur la quantité de vins que la Compagnie fera obligée d'acheter mous l'avons eftimée en gros à 16 millions de muids^ à raifon de 22 livres lo fols, ou du plus bas prix, pour foutenir cet- te denrée ; mais il y a communément un bon tiers des vins qui font d'une qualité fupérieure ; nous prendrons , tant pour l'achat que pour la vente, une moyenne proportion relativement à la qualité. Ainfî, pour ne pas pafler les bornes prefcrites , nous prendrons un prix qui foit aux deux tiers plus bas en- tre 21. livres 10 fols & 90 livres , ce qui fait environ 46 livres pour la mo- yenne proportion que nous cherchons: ainfî à eftimer la chofe en général , & du fort au foible , le prix de Tachac des vins pour la Compagnie fe montera à environ 46 livres le muid, & celui de la vente fera de 69 livres: il fau- droit donc que la Compagnie eût à employer à fes achats de tous les vins d'une année commune des fonds confi- dérables , qui fuflent de 736 millions en argent ; mais comme il y a tout H lieu 3Î4 Commerce Jleu de penfer que cecte Compagnie fe- roit un grand commerce de fes vins , outre la vente particulière des vins en réferve qu'elle feroit pendant les années de difette , j'eftirae qu'année commune elle coramerceroit , luit dans les Villes & les Provinces du Royaume, foit par les exportations chez l'Etranger , les trois quarts du vin qui fe recucilleroit en France; joignez à ceci, que par le mélange des différentes vendanges qu'el- le aflbrtiroit dans la cuve, & par lesfa- ges précautions qu'elle apporteroitpour conferver à ces vins toute leur force & leur bonne qualité,ceque des particuliers n'auront pas la commodité de fai;e , elle donneroit à la marchandife un prix qui lui attireroit la préférence dans la vente , foit chez l'Etranger , foit de la part des Villes à Provinces du Royau- me , 011 il fe fait un commerce très-con- lidérable de cette denrée; ainfi on peut aflurer fans exagération , que la moitié du vin qu'elle parviendra à commercer par le dehors du Royaume, lui produi- roit un bénéfice qui , étant joint à la petite quantité qui fe débiteroit pour les Villes & Provinces du dedans , feroit prefque é rai au pmfic qu'elle retireroit, en fuppofant qu'elle fît feule le com- merce de tous les vins du Royaume, principalement au taux que nous avons, fixé ci-deflus. Je ne crois point avoir groffir DES D E N R E* E S» tïj' grolTir les chofes,' car une Compagnie auffi puiflante que colle que je propo- fe, & qui auroic des vaifleaux à elle en commun & par généralité , y chargerolc fes vins, & les tranfporteroic dans les Pays 011 elle les vendroit par elle-mê- me aux Marchands habitans , ayant l'u* fage de porter fes vins, les meilleurs & les mieux conditionnés, dans des vaif- feaux faits exprès, où le vin ne feroiC pas expofé à perdre de fa qualité fur la mer , comme cela arrive le plus fou- vent , & de manière qu'il ne fût pas fu* jet à être bu par les gens de Téquipa* ge. Enfin 5 au moyen de ce que leg vins en arrivant, auroient conférvé tou* te leur force & bonté j comme d'eX'* cellens vins vieux qui n'auroient jamais forti de la cave. Il efl incanteftable quô les Etrangers préféreroient les vins de la Compagnie à ceux des Marchands, tels qu'ils pourroient les y conduire , & qu'ils les auroient enlevés de chez les Vi* gnerons particuliers. On feroit pareil* lement fur que la Compagnie j fi elle le vouloit, pourroit attirer à elle feule ce commerce* Il feroit même avantageux pour elle, qu*aucun autre ne s'en mêlât s auflî feroit elle parfaitement la maîtref- fe de l'empêcher; car (i elle ne le fai*- foit pas , il arriveroit que ce commerce ne pouvant être conduit (i bien par des particuliers , que par une Compagnie H 2 puiflan-^ Jï6 Commerce puiiïante , retomberoit toujours au point où nous le voyons aéluellemenr , oii TE- trani;er fait ce qu'il veut de nos vins, ÔL nous le paye au prix qu'il juge à pro- pos; de manière que le Cukivateur efl oécouragé, & ne travaille , pour ainli dire , que pour retirer les fimples frais de culture; il arrive iouvenc même qu'il ne les retire pas, au lieu qu'une Com- pagnie bien inflruite de Tes vrais inté- rêts , qui auroit dans le Bureau général un Confeil éclairé pour la gouverner, & qui auroit des fonds qui ne lui feroienc point à charge, peut prendre tous les tempéramens qui lui conviennent le mieux, elle mettroic l'Etranger dans le cas de fe conformer à Tes volontés; mais auflî il faudroit que la Compagnie fût judicieufe à Ton égard , & qu'elle lui iburnîc une quantité de vins fixe , & à des prix raiibnnables arrêtés entre le deux Nations, c'eft de cette manière Gue le Commerce peut fe foutenir par- laitement. Nous avons pout exemple celui que les Hollandois font de leurs Epiceries. Ils fçavent exadtement la quantité qu'ils en pcuvert confommer, & s'ils en ont de trop, ils la jettent^à la mer. Sans fuivre jufqu'au bout une mé- thode fi contraire à l'ordre de la Natu- re, on pourroit avoir quelque Nation, par exemple, nos Iles, pourfervir com- , me de relais au commerce qu'on fe fe- roic , D E s D E N 11 E* E S. II7 roit fait à foi-même: on y porteroit les vins fuperflus , qu'on donneroit à des Erix modiques pour s'en défaire j ou ien on pourroic les convertir en Eau- de-vie, que l'on réferveroit pour des tems plus favorables à la vente. Par exemple, les Hollandois confomment beaucoup de nos vins: fi nous pouvions leur vendre nos vins de Bourgogne & de Champagne, rendus dans leurs Ports à 15 fols la bouteille, & à proportion pour les autres qualités de vins, qui fuf- îent tous vieux & bien conditionnés , je fuis perfuadé qu'ils ne demanderoient pas mieux que de les recevoir de nous, Y s D E N R E* E S.' ï'^t , Il feroit permis de vendre de la va- che & de la brebis dans les étails de la bafle viande, mais jamais de veaux, ni moutons gras. Ces boucheries à bas prix feront pour le petit peuple , qui pourra pour peu de chofe avoir tou- jours de la viande à Tes repas. Dans les Campagnes ou les frais de tuerie & de détail feront m.oindres , la viande pourra fe donner à meilleur compte à proportion. On peui; évaluer la cbait des veaux & des agneaux à un fol par livre plus cher que celle du bccuf & du: mouton , d'autant que ce font des vian- des qui ne font point faites, 'S: qui fond plus à l'ufage des perfonnes riches que des pauvres. Quant au mouton, la chair en fera mife de pair avec cell-é du bœuf, c'eft-à-dire , à 5 fols la livre. Il eft à propos que la chair de ces ani- maux foit vendue à un prix un peu plus foutenu que celles des grofles bêtes à cornes , afin d'engager les particuliers à entretenir une plus grande quantité de bêtes à laine, qui font d'un fervice fi eflentiel pour l'engrais des terres & pour les Fabriques. D'après cet arrangement qu'on vienc de faire, il eft vifible qu'il y auroic une grande diminution fur le prix de la viande de boucherie, tant à Paris que dans les autres Villes du Royaume ; les Bouchers ordinaires pourroient faire Je h com» 1(52 C O M M E R C B commerce j acheter des bœufs, les tuet & les vendre à leurs étails , comme ils ont coutume de faire ; & afin qu'ils n'euffent pas lieu de fe recrier , le Roi fupprimeroit toutes les fortes de détails que l'on perçoit à-préfent fur les bœufs: mais quelque chofe qu'ils puflent faire 3 il eft certain qu'ils ne pourroient gue- res fournir la viande au même prix que la Compaqjnie, puifqu'ils payeroient les bœufs aufîî chers qu'elle, & qu'ils n'au- roient pas les miêmes avantages qu'elle: car lorfque les bœufs feroient par ha- zard à un prix plus fort que celui que nous avons fuppofé, la Compagnie fe- roit toujours obligée de fournir la vian- de fur le même pied , pour y pouvoir fuffire,*il faudroit alors qu'il lui fût per- mis d'en tirer des Pays étrangers par la voie du Commerce : en fuivant cette mé- thode, on empêcheroit que l'efpece ne vînt à diminuer de quantité; car quand il arrive que les bœufs font chers, les particuliers ne confultant que le tems préfent , vendent leurs befliaux , & fe trouvent dégarnis & hors d'état de faire les travaux de la Campagne , qui alors produit beaucoup moins dans les années fuivantes, comme on le remarque tou- jours après quelque grande mortalité. C'efl: ce qui n'arriveroit jamais dans no- tre fuppofition : car la Compagnie gé- nérale qui auroit une connoiflauce exac- te DES D E N R E* E S. tÔJ te de tous les beftiaux du Royaume, 5c la confommation annuelle qui s'en fe« roit , ïi cette Compagnie attentive au bien générai & à Tes véritables intérêts > ne trouvoit pas que le nombre des bes- tiaux pût fournir à laconlbmmation , gU le tireroit des Etrangers par la voie du Commerce ce qui lui en manqueroit: ii au-contraire elle en avoit de trop, elle pourroit par la même voie en expc;rter dans les Pays à qui il en faudroic ; mais cette façon de commercer ne feioitper- mife que dans les deux cas particuliers qu'on vient de dire, & ce feroit le Bu- reau général qui en décideroit. Quand le Roi a befoin de viande pour la nourriture de Tes Armées, cette Com- pagnie lui en fourniroic au même prix que nous avons dit, ce qui feroit bien plus avantageux que de la faire fournir par des Traitans, qui la font payer cher au Roi : il en feroit de-même des autres denrées de fesmagafms, de manière que le Roi trouveroit dans cette Compagnie à peu de frais & fans tant d'embarras , des reflburces confidérables pour four- nir à la fubfiftance de fes Armées; au- lieuque ce font ordinairement des Trai- tans qui font ces entreprifes, qui quel- quefois en s'enrichilTant, gâtent les af- faires du Roi , & par conféquent appau- vriffent PEtat. Suivant notre Syftéme,- h Compagnie compofant pour ainiî di- L 2 re 1^4 Commerce re l'Etat elle-même, en oeconomiCaDC les intérêts du Prince, feroit en même tems fon avantage & celui de toute la Société: examinons maintenant fur ce plan le gain particulier que cette Com- Eagnie pourroit faire fur les viandes de oucherie. ARTICLE XXL ^el produit la Compagnie pourroit retirer tous les ans de la trente des Bejîiaux pour la fourniture de la Viande de bouche- rie dans tout le Royaume. NOus avons fuppofé que chaque par- ticulier riche ou pauvre, grand & petit , mange tous les jours un quarteron de viande. Cette ellimation eft bien modique : il en coûtera donc pour cet article, proportion gardée, entre la pri- me viande & la médiocre , un fol par jour : or comme un quarteron de viande eft équivalent à plus d'une demi -livre de pain, les pauvres n'héfiteront pas à man- ger de la viande avec leur pain,-c'eftun principe que Ton doit pofer comme in- conteftable: il faudra donc par jourpour fournir de la viande à tout le Royaume 5 millions de livres de viande; &enfup-. pofant pour un moment, que le tout fur div DES D E N R E' E S. ï6^ du bœuf de 700 livres pefanc , & confon- dant les veaux & moutons tout enfem- ble, il faudroit tous les jours environ 7000 bœufs : or comme il y a à-peu-près 200 jours gras dans l'année, dans lefquels il fe confomme beaucoup de viande , ce- la ira pour le tout à un million 400000 bœufs que la Compagnie pourra débi- ter tous les ans , ce qui ne me paroît pa$ trop fort, fuivant lafuppoûtion quej'ai faite précédemment: li la Compagnie trouve fur chaque bœuf un bénéfice de 33 livres 10 fols, elle profitera en tout chaque année de 46 millions $00000 li- vres; mais il ne lui faudra des fonds que pour acheter des bœufs d'un mois tout au plus , parce que l'argent rentrera à me- fure que le débit fe fera .-elle n'aura donc à acheter d'avance que la quantité de 2 1(5 mille 666 bœufs, qui , fur le pied de 150 livres la pièce, formeront la fomme de 32 millions 500000 livres à-peu-près, dont l'intérêt à 5 pour 100, fera un million 625000 livres qu'il faudra déduire fur le produit: il reftera donc en commua à la Compagnie 45 millions 275000 li- vres, le Roi ayant un cinquième à pren- dre fur les bénéfices que fait la Compa- gnie: il faudra encore diminuer pour cet article 9 millions 55000 livres, ce qui efl: bien plus fort que ce qu'il tireà- préfent fur la partie de la viande ; par conféquent la Compagnie d'Agriculture L 3 reti- l6é C O M M E II C £ retirera du profit net une fomme de 3Q millions 200000 livres 5 qui'fera répartie, fçavoir, moitié entre les diPcrids qui au- ront fourni les bœufs, ccà proportion de leur fourniture, & l'autre moitié en- tre toutes les fubdéiégations , au prora- ta du nombre de leurs Adions dans la Compagnie, comme nous l'avons obfer- yé ci- devant. En fuivant cette métho- de , tout l'Etat proiiteroit de ces arran- gemens. Les Villes en feroient mieux fubflantées, à, les Agriculteurs à qui il en reviendroit un double profit, fe fen- tiroient encouragés de plus en plus à élever une plus grande quantité de bé- tail, dont la confomraation leroit fûre & ne manqueroit jamais de fe faire, puif- que les prix feroient réglés fur un taux proportionné aux autres denrées. De-là il réfulteroit une augmentation de com- merce très-confidérable, à caufe des lai- nes, des cuirs ôcd^s grailles de ces ani- maux , qui font il neceffaires pour nos Arts & nos Manufadures. Le peu de dépenfe qu'il en coûceroitpour la nour- riture donneroit aux Bourgeois, Artifans & autres raifmce de pouvoir fe fatisfài- re à ré2;ard des marchand] fes de fini- pic luxe; par-là le Commerce en aug- ménteroic beaucoup. Ilfe préfente à ce fujet un^ difficulté , qui eftqubn n€ fe- roît gueres de crédit qu'à des perfannes ' bien 'fâres, ou qui auroient d^s répon- dans 5 T) E s D E N R E' E S. 167 dans; mais d'an côté la médiocrité du prix de la marchandife dédommageroit bien de cette légère incommodité, qui au-refte n'en eitpas une pour le bas-peu- ple, puifque d'ordinaire ceh'eft point à lui qu'on fait crédit; il n'y a que quel- ques Seigneurs, &en général beaucoup de Maifons fortes, à qui, en confidé- rant les chofes du premier coup d'œil, cet arrangement ne paroîtroit pas avan- tageux; cependant je ne vois pas quel fu* jet ils pourroient avoir de s'en plaindre; d'une part, le bon marché les dédomma- geroit ; de l'autre le bénéfice qu'ils au- roient eux-mêmes, comme membres de la Compagnie , dont les biens en fonds & les terres f croient le fonds de leurs Adlions. En fe faifant une fois connoî- tre, il leur feroit facile d'obtenir du cré- dit , proportionnément à la portion qui peut leur revenir dans le profit, & alors leurs Billets pafleroient à la Cai fie géné- rale, comme une quittance d'argent a- vancé fur leur part dans le bénéfice. 7\in(i tout pourroit aifément s'arranger à la fa- tisfaàion de tout le monde,. Il nerefte plus qu'une objedlion qu'on peut nous faire, & à laquelle il faut répondre. Si ce projet étoit fuivi , dira- 1 -on , que de- viendroient plus de loco familles de Bouchers qui font établis & difperfés dans tout le Royaume? Laréponfe eft toute fimple. Quand on introduifît l'Im- L 4 pri- ^(58 Commerça primerie , que devinrent les Scribes qui gagnoicnt leur vie à tranfcrire les ma^ nufcrits; ils firent autre chofejOu vrai- fcmblablerrient ils furent admis dans les Irapriiiieries; il en feroit de -même des Bouchers; s'ils ne trouvoient pas à em- braser un état qui leur fût plus conve- nable, la Compagnie pourroit les em- ployer au détail de la viande, ou dans les tueries. Comme ce foj[)t ordinaire- pient des Artifans, leur état ne fetrou- veroit pas dégradé de beaucoup; ilsn'au- roicnt point d'avance à faire, mais feu- lement des comptes à rendre: ainfi je penfe qu'ils ne feroient pas fort a plain- dre"; les deuK liards de profit qu'on leur dônnerpit fur chaque livre de viande qu'ils détaiycroipnt V ïeurfourniroit cha- que jour un gain plus- qije fufHfant pour jes fputenir eux & leur famille ; ainfi je ne vois pas qu'ils euflent tant à fe ré- crier;* au contraire leur profit journalier pourroit bien égaler, pour ne pas dire mêmefurpalîer celui qu'ils foi^t adluel- îement, fur-tout fi l'on y comprend tous les accidens & les rifques auxquels leur commerce eflexpofë, & qui pour lors ne fe rpî e n t p 1 us' à leur ch arge . Comme les fpçculations que nous ve- nons d'offrir aux Lefteurs ne leur parof- tront peut-être pas fuffifantes , entrons, pour les prouver, dans le détail de la viande qui feconfomme à-peu-près dar|s ■ ^ ' Paris p E s D E î? R E' î S.' X6^ Paris les jours gras. On compte dans cette Capitale à -peu -près un million d'habitans: or en luppolant que chacun ne confomme par jour qu'un quarteron de viande, la confommation particuliè- re de Paris dans les jours gras fera de 25000 livres de viande, avec une facilité prodigieufe; & dans le grand nombre il s'en trouve toujours beaucoup qui ne les payent jamais, & leur caul'ent des pertes qu'ils ne réparent qu'en vendant leur marchandife fort cher, comme nous l'avons déjà prouvé. Quoique la viande , le pain & le vin foient des denrées de première nécelîî- té, & dont on ne peut abfolument fe pafler pour vivre, je ne vois rien qui empêche qu'on n'en refufe à ceux qui n'ont point d'argent pour les payer. Dès qu'une fois tout le monde fera in- ftruit que le crédit fera fupprimé, cha- cun s'arrangera en conféquence, com- me on fait pour les emplettes du fel & de quantité d'autres chofes pourlefquel- les il n'y a point de crédit. Cette rè- gle apprendra aux gens portés à la dilîî- çation, à être plus réfervés fur le pré- lent, é, à conferver quelque chofe pour 1 avenir; c*efl à quoi la plupart des gens ne penfent pas lorfqu'ils s'attendent aux facilités qu'ils ont de faire des dettes. Mais, me dira-t-on, en attaquant les crédits, vous ruinerez le Commerce, & leurs Billets feront pafles en compte comme argent comptant, lors du partage des bénétices ; ils y trouve- Tonc même un avantage qu'ils n'ont point à-préfent en prenant à crédit : outre qu'on tî'e leur fera point payer le crédit , com- me font d'ordinaire les Marchands, ils. ^auront l'agrément d'avoir de la viando -^ beaucoup d'autres chofesnécelTairesà ^la vie 5 fans avoir aucune inquiétude "pour les payer. Cette nouvelle métho- 'de d'encourager l'Agriculture dans le 'Royaume par un Commerce fur, qui fa- cilitera la confomination des denrées , fera en même tems un moyen d'augmen- ter confidérabiementla valeur des biens tn fonds de terre ; enforte que tous ceuK •qui ont des pofleffions en fonds de ter- tre 3 verront croître leur revenu à vue p E s D ï: N R e' E S. 187 droits 5 ne vaut que 3 fols 6 deniers U bouteille , il n'eft pas douteux que le peuple de cette Ville n*en conibmmeau moins le double de ce qu'il confomme aftuelleinenc; parce que le prixeft plus analogue à celui des ahmens , qu'il ne l'eft maintenant: or comme nous avons eflimé à -peu -près que la confomma- tion aQuelle pou voit être évaluée à un demi-feptier par perfonne chaque jour, nous pouvons à préfentreftimer,dufort au foible, tant pour le pauvre que pour le riche, à une chopine. Ce n'eft pas trop, dès que cette chopine &: que le nouvel impôt foit mis furies" Agriculteurs , les terres en feront plus négligées; fi c'effc fur le Marchand, le Commerce en eft retardé à proportion ; Il c'eft fur le Fabriquant, il en réfulte le même effet; enfin fi c'eft fur l'état des perfonnes vivant noblement,tous les au- tres états s'en reffentent par la chaîne qui les unit tous: il n'elt pas poflible d'affoiblir , ou de fortifier les autres ^ fans qu'en même tems toute la Société n'en foit affeftée; il eft: aflez ordinaire dans les tems dé guerre, que le Roi foie forcé d'avoir recours à ces expédiens^ lors même que la plupart des homme? utiles à l'Agriculture & aux Arts , font occupés à porter les armes pour la dé- fenfe de la Patrie; au -lieu d'un maU cela en produit deux inévitables à la fois: joignez à cela, que fi nos armées font obligées de porter la guerre dans les Pays ennemis , notre argent alors fort du Royaume , & c'eft autant de perdu pour le Commerce s il fe fait k moins sjS Commerce moins de confommation de notre crûi ^ l'inaclion où fe trouvent alors toutes chofes , caufe un dérangement total dans les affaires des familles les plus à leur aife; par une fuire néceflaire, tout le Royaume s'en relient: il feroit donc fort à fouhaiter que de tant de maux que la guerre caufe à une Nation , il fût poiïible au -moins d'en éviter les principaux : par exemple , il faudroit un moyen pour que le Roi , dans fes be- foins urgens, pût trouver fur le champ toutes les fommes qui lui feroient né- ceffaires, fans être obligé de créer de nouveaux impôts , ni d'emprunter de l'argent, en payant ou faifant payer au peuple un intérêt qui , en le découra- geant 5 ne peut que l'affolblir dans fes entreprifes journalières : au - contraire on devroit , s'il étoit pofiTible , tâcher d'animer fon courage de plus en plus, afin que la petite quantité des hommes qui reftent attachés aux profelîlons mé- clianiques , puiflent , par leurs travaux redoublés, réparer la perte caufée par l'abfence de ceux qui portent les armes pour la défenfe de la Patrie & des droits de leur Souverain. Un tel fecret , à mon avis, ne peut fe trouver que par le moyen de la Compagnie que je pro- pofe. La confiance générale qu'elle fe feroit acquife par une conduite prudem- ment réglée, & par des procédas équi^ 13 E s t) fe N R L' K s. 2J9 tables 5 procUreroit tous les expédient béceflaires à l'exécution de ces grandes entrtprifes : car Tuppolons que le Roi eût belbin tout d'un coup de loo mil- lions j le crédit & la réputation les lui feroient trouver à l'inltant, fans payer aucun intérêt, & fans être obligé de dé- bourfer un foL Le Roi n'auroit qu'à lui permettre de fabriquer des Billets de confiance 5 jufqu'à concurrence des loo millions demandés; au -lieu de ces Bil- lets, la Compagnie fourniroic au Roi dé l'or & de l'argent monnoyé, pour en faire l'ufage qu'il defireroit , foit au- dedans, foie au dehors de fon Royau- me. Les Billets de confiance tien- droient la place de cette monnoie, fé- lon les arrangemcns que le Roi prefcri- roit à cette Compagnie; elle le rem- bourferoit peu-à-peu furie cinquième que le Roi a à prélever fur les bénéfices annuels de la Compagnie : à mefure que ces fonds rentreroieiit, foit en argent^ foit en Billets de confiance, on feroit difparoître une partie de cette fommcj; en fupprimant pour une pareille valeur de Billets , que l'on feroit brûler en préfence des Gens du Roi piépofés pour y afi^ifter : ainfi en fuppofant que chaque année le Roi eût permis à cette Com- pagnie de fc rembourfer de dix mil- lions, on feroit brûler pour dix mil- lions de Billets,* & dans l'efpace de dix R 2 ans. 26o Commerce ans, les loo millions de nouveaux' BiU lets feroient fupprimés , & les chofcs fe retrouveroient au même état qu'avant la guerre: le Roi fe feroit acquitté fans a- voir payé aucun intérêt, & fans que la Compagnie eût été retardée dans fes opérations, ni le peuple furchargé; au- contraire ces Billets, en remplillant le vuide de l'argent qu'on auroit fait for- tir du Royaume pour la paye des Trou- pes, le Commerce ni l'Agriculture n'en auroient rien à fouffrir: les peuples ai- dés par ce véhicule , & pouflës du defir de pouvoir remplir leurs engagemens & fatisfaire à leurs befoins eflentiels ou habituels, ne manqueroient pas de re- doubler leurs travaux , leurs foins & leur application ; ce qui contribueroit à réparer le tort de l'abfence des gens employés à la guerre: la France, par ce moyen, feroit en état de foutenir de longues guerres , & d'être fupérieure en tout à fes ennemis ; c'efl: ce qui ne fe- roit pas difficile , fuivant ce nouveau fyftême, par lequel il eftplus que prou- vé, qu'au moyen d'une femblable Com- pagnie, l'Etat trouveroitplusdereffour- ce , qu'il n'y en a à efpérer aduellement de tous les Financiers, qui ne font ja- mais part au Roi de leur argent, qu© fous des conditions fort onéreufes aux peuples , fur qui les charges tombent toujours. A R' . DES DeNRê'EJ. 261 ART ICLE XXXII. Des moyens que le Roi trouvera par le fecours de la Compagnie d' Agriculture y pour rembourfer les dettes de VEtaî , fans que les Rentiers y perdent la moin* dre cbofe, DAns les tems de paix oli TEtat n*a pas les mêmes dépenfes à faire que dans les tems de guerre , il efl facile au Roi de mettre en réferve une partie de fes revenus ; & c*efi: ordinairement dans ces tems-là que Ton fupprime les impôts qu'on avoit créés au commencement de Ja guerre, & par -là le Roi foulage en quelque forte fes peuples; mais Tardent qu'il tient en réferve dans fes Tréfors, pour s'en fervir dans les occafîons, eft un argent mort pour lui & pour fes peu- ples; s'il veut l'employer à quelque cho- ie d'utile , comme à rembourfer des capitaux & éteindre des intérêts oné- reux, il réduit une infinité de familles dans le cas de faire un ufage défavanta- geux de leur argent , & fouvent de le placer avec risque , ou fur des effets qui ne leur rendent pas le même intérêt. En- fin , de quelque manière que ce foit , il arrive que cet argent n'elî pas toujours R 3 placé l62 G Q M M E R Ç i^ placé de la manière la plus profitable, pour l'Etat; car fi le Roi l'emploie aij rembourfement des dettes , il eft vrai que c'eft en quelque force le placer à in- térêt 5 puisqu'on fupprime alors ceux que le Roi elt obligé de payer j mais aufli quand le Roife trouve avoir befoin d'ar- gent pour des cas imprévus, & qu'il a placé l'argent qu'il auroit pu mettre en réferve, il efl obligé pour faire face à tout, de créer de nouvelles rentes & de recourir à d'autres moyens onéreux, par Ï€iS avantages qu'on attache aux em- pruii^s, pour attirer davantage la con- fiance du Public: ainfi l'Etat fe trouve chargé de nouveaux intérêts plus forts que ceux qu'il auroit rembourlés ci - de- vant ,* c'eit ainfî que le Roi perd tou- jours, & ne peut jamais s'acquitter: s'il arrive qu'on vienne à réduire les intérêts au taux de l'Ordonnance, le crédit dt^ Roi perd beaucoup , comme nous l'a- yons vu arriver de notre tems aux ren- tes de l'Hôtel = de - ville : le m.al de cet- te réduftion ne feroit pas confidéra- ble, fi la plupart des perfonnes qui ont acquis des premiers de ces rentes, ne s'en étoient défaits en faveur d'autres; mais il ell rare qu'il n'y en ait point un grand nombre qui auroient acheté ces; Contrats dans la bonne foi, & les au- yoient payés à raifon du denier vingt, & peut-être davantage, fuivant Ja con^ '" ^ " fiance DES D E N R E* E S. 2CS3 £ance que le Public y mettroit alors: dans ce cas, l'innocenc Ibuffre pour le coupable ; & dans une autre occafion , Je Roi ne trouveroit pas les mêmes fa- cilités pour emprunter de l'argent: il faut donc alors ufer d'autres moyens, <3; offrir toujours un appas leduifant, pour faire rentrer l'argent dont il auroit be- foin. 11 ell donc bien prouvé que pour le préfent , l'Etat n'a pas de reflburce pour avoir de l'argent, s'il n'a payé de gros intérêts qui le ruinent; & quand il peut faire quelque réferve fur fcs reve- nus, il n'a pas encore de moyen afluré pour que cet argent rentre dans le Com- merce & lui porte intérêt, à moins que de s'expofer au dépourvu, comme je l'ai fait voir: au -lieu que parle fecours de cette nouvelle Compagnie , ii le Roi veut mettre en tems de paix une partie de fes revenus en réferve, il en pourra retirer un intérêt confidérable, en rem- bourfant indifféremment les rentes fur l'Hôtel -de- ville , h raifon du denier vingt, fur le pied qu'on les paye aéluel- lement; par ce moyen il augmenteroit fes revenus : comme les Bureaux de la Compagnie d'Agriculture feront toujours ouverts pour recevoir l'argent qu'on y voudra placer à 5 pour 100, les perfon- nes qui auront été rembourfées, ne fe- ront qu'un fimple déplacement de leurs rentes; & au -lieu d'avoir le Roi, ils R 4 au- <, 2(^4 Commerce auront la Compagnie pour débiteur, ôc pus les biens du Royaume pour garans^ ce qui ne feroit pas moins lûr : ainfi le^ l-evenus que le Roi voudra mettre en ré* ferve, rentreront dans les mains de la Compagnie, qui les mettra en valeur; & rÉtac, en le libérant de Tes dettes, augmentera Tes richeflés : par ce moye^i il participera à tous les avantages des. particuliers , & ne fera jamais aucune perte, comme il eil obligé d'en faire a^uellement, lorfqu'il emprunte de l'ar- gent, ou qu'il crée des impôts nou- veaux; car la Compagnie, fans fe gê- ner en rien , lui en procurera autant qu'il fera néceflaire, fans payer le moin- dre intérêt. Des relTources femblables ne peuvent fe trouver que dans le fyflê- meque je propofe: on ne doit pas crain- dre que le Roi manque de moyens pour pouvoir placer le fuperflu de fes reve- nus ; quand fes dettes feront payées, il aura les domaines de la Couronne à re- tirer des mains des Engagifles: il aura encore les charges de l'État à rembour- fer, (i fon Confeil le juge à propos; en- fin il aura mille moyens de le placer avantageufement pour l'intérêt de l'E- tat & de fes fujets, comme je le ferai voir dans la fuite de ces Mémoires. On Be finiroit point, fi l'on vouloit dédui- re ici tous les avantages qu'offre cenou- Y^au projet; le Lefteur en fentira fans-. doute DES D E N R E' E S. 66^ doute toutes les vues, qui fe préfentent à l'imagination la moins étendue. On pourra m'obferver que les rentes fur l'Hôtel -de -ville ne font pas toutes à 5 pour ICO, qu'il y en a beaucoup au denier 40 de leurs premiers capitaux. Cette obfervation cit foibles rien en effet de plus chimérique que de croire que le Roi rembourfe jamais un capital dont il aura réduit la rente: s'il a eu le pouvoir de faire cette réduction , pour» quoi n'auroit-il pas aufll-bien celui de raire le rembourfement fur le pied do cette réduction? Je conviens que peut- être le Gouvernement ne prendra ja-. mais ce parti; mais il l'a déjà fait, cela fuffit pour ne pas mettre en doute qu'il le puiffe faire encore, fuivant les cir^ confiances: il fera donc fort indifférene pour le Rentier de recevoir fa rente fur les Deniers Royaux, ou d'en être payé par une Compagnie qui aura tous les fonds de terre pour la garantie des obli- gations qu'elle contraftera; mais pour faciliter cette mutation de rente, une lîmple Déclaration du Roi fuffiroit fans autre Ade, pour transporter fur la Com- pagnie les rentes aflignées fur les Aides 6 Gabelles, & autres, à mefure que le Roi fera en état de les rembourfer , avec les fonds fuperflus qui lai refte- ront. La Compagnie fera elle-même les Adtes , qui aux termes de la Déclara- R 5 tiQî\ Z66 COMMERCB tioiî feront valables. Les Bureaux de la Compagnie en feront eux-mêmes les payeméns, en ne retenant que 4 de- niers pour livre : par ce moyen , toutes les charges de Payeurs & de Control- leurs des rentes feront fupprimées & rembourfées fur le pied de la première gnance: il n'y aura plus de Sous-payeurs par commifllon , qui trouvent le fecrec de s'cngraifler aux dépens des Rentiers. Ces rentes feront payées exactement h leur échéance; & il y aura un bureau oh Ton ira donner la quittance ,& rece- voir une refcription pour en toucher le montant dans tous les endroits du Royau- me oh la Compagnie aura fes bureaux, fans payer d'autres droits que 4 deniers pour livre. S'il arrive que les Rentiers veulent changer de domicile, il leur fe- ra facile de fe faire afligner le paye- ment de leurs rentes fur tel bureau qu'ils jugeront être le plus à leur bien- féance. Ce fera un lîmple tranfport d'un bureau à un autre, moyennant un droit fixé fuivant la force du Contradl, qui fera le demi -centième denier du capi- tal; ainfi les Rentiers pourront jouir par tout le Royaume de leurs revenus, & être à portée de les toucher eux-mê- mes, s'ils le veulent. k Fég^^rd des Rentes viagères & des Tontines, comme elles s'éteignent d'el- les-mêmes, & que le nombre en dimi- nue P E s P S N R E' E $J. 26j me tous les jours, le Roi ne les rem: bourfera pas: ces fortes de Rentes font utiles dans un Etat pour la commodité publique; ainfi il fera permis à la Com- pagnie d'en créer ainfi que des Tonti- nes; mais fuivant notre fyftêmc, il ne faut jamais que le Roi paye le moindre intérêt pour les fommes dont il aura be- foin. L'expédient que nous avons trou- vé pour lui procurer de l'argent, fuffit: il n'en faudroit jamais employer d'au- tres, puifque celui-là eft fimple , & aulTi prompt qu'on le peut délirer. ARTICLE XXXIII. Suite des Obfervations fur V EtàbliJJemnt de la Compagnie d' Agriculture, M Es Ledeurs apperçoivent déjà fans -doute les différens points de vue qu'oifre de toutes parts ce nou- veau fyftéme. Parmi ceux qui ne fe fe- ront pas donné la peine de l'approfon- dir fuffifamment, il y en aura beaucoup qui le regarderont comme un Roman politique. Il eft aflez d'ufage de traitée ainfi tous les Ouvrages de fpéculation , jufqu'à ce que l'exécution ait pleine- ment juflifié les idées de l'Auteur; je GQ , puis même blâmer \qs premiers ju- ge- |tj58 Commerce gemens qu'on portera de cette nouvelle invention : car fi elle plaît d'abord & faifit l'imagination au premier coup d*OBil, elle a auiîî des défauts ^du-moins en apparence; car elle tient à tant d'ob- jets a la fois, & la multiplicité des ma- tières qu'elle embrafle , donne un air (i compliqué au projet, que l'efprit n'ap- perçoit qu'avec peine toute l'harmonie & la juftefle de fes combinaifons. Ceux qui ne voudront pas donner leur appli- cation pour fuivre la chaîne qui unit le tout, & le lie à des principes tirés de révidence, regarderont cet Ouvrage comme un beau rêve: quoi qu'il en foit, il y a mille chofes beaucoup moins intéreflantes que ces Mémoires, qui cependant ont faic quelque fenfa- tion dans le Public. Tels font La No-^ UeJJe Commerçante j Les Avantages ^ dé- /avantages du Commerce^ Les Intérêts de la France mal entendus , L'Ami des Hom- mesy & une infinité d'autres Ouvrages dont la nouveauté a plû beaucoup. le me flatte que le Public recevra aulTi du même œil tout ce que j'ai à lui donner fur cette matière. Je tâcherai que les combinaifons en foient juftes, & à la portée de tous les efprits qui aiment à s'occuper de pareils objets,* mais avant de pouder plus loin ce travail, je crois .. qu'il convient de préfenter au Lefteur quelques obfervations fur ce que nous DES t)ENRE*ESi 2<5p avons déjà expofé: enfuite nous pré^ viendrons la plupart des objedtions qu'on pourroit nous faire ; nous prépa- rerons le Public fur les autres matières que nous croyons devoir être ajoutées à cet Ouvrage, pour le rendre plus complet & plus digne de fon attention. Objeâions fur r expofé de la Compagnie d'Agriculture» PREMIERE OBJECTION. On nous oppofera peut- être, malgré tout ce qui a été dit dans le commen* cernent de cet Ouvrage , que la force du préjugé eft fi grande en général ,• qu'elle prévaut toujours fur les raifon- nemens qui pourroient raflurer fur là réuflite, & écarter la Crainte que cette Compagnie ne porte des atteintes à la PuiflanceLégiflative. Il efl: très-difficile à des génies ordinaires de concevoir qu'il fubfifte une harmonie parfaite ,• telle qu'on la fuppofe dans ce fyfté- me; & il feroit prefque impofTible qu'il n'y furvînt quelque changement. Or en admettant qu'il puiffe s'y faire la moindre altération dans un certain cf- pace de tems, ils veulent démontrer qu'à la longue , & après une longue fiiccefiion d'années , les changemens s'accroîtront 5 & que la balance &rhar- xno" à7ô ?.I M E R d S nionie ceflerorit d'exifler ; fi ■ tôt que l'équilibre fera détruit, tout retourne- ra dans fon premier état; & pour fon- dement à leur objection, ils ajoutent cette remarque conftante , que de tous les nouveaux établiflemens, il n*en eft pas un qui ait pu conferver parfaite- ment la pofition de fa première inili- tution 5 perdant toujours ou acquérant quelque degré de force, par la con- currence d'une nouvelle inftitution. Or comme il efl de principe que tout dans la Nature a fes oppofitions ou fes con- traires, il s'enfuit, félon eux, que le fyf- tême préfenté n'en fçauroit être exemt. II. OBJECTION. Quand on fuppoferoit que le Roi s'y prêceroit , & que le Public Tadopteroit^ l'ufage qu'on en feroit feroit toujours defavantageux, en ce que fon exécu- tion détruiroit toutes les expedatives des grandes fortunes. Or ces expec- tatives excitent l'émulation (Se l'ambi- tion des hommes, quoiqu'il en réfulte plus de maux que de biens , par la fou- le de miférables qui meurent fans^ avoir pu parvenir, parce que dans le grand nombre de ceux qui y tendent, il s'en trouve toujours quelques-uns dont les nobles efforts & les tentatives pour s'é- DES D E N R e' E S. 2/1 lever aux Grandeurs, quoiqu'ils n*ayenc pas réuiîî, frayent en quelque forte la route à d'autres, qui trouvant le che- min & les difficultés applanies, y par* viennent plus aifément; ainfi la poftéri- té profile des travaux & des efforts de ceux qui l'ont précédée. Or dans le fy- llême que l'on propofe, il n'y a plus lieu à ces expectatives de fortune ; par ce fyflême, tout fe trouveroit ref- lerré dans des bornes très -étroites, & il n'y auroit plus d'émulation: par con- féquent on ne peut pas fe pcrfuader que quand le Roi voudroit y donner les mains, le peuple fût affez ardent à prendre part dans cette Compagnie. III. OBJECTION. Le plan de cette entreprife paroît fî vafte, qu'il ne femble pas praticable, fans rencontrer à chaque infiant une foule d'Qbilacles, que toute la pruden- ce humaine ne fçauroit prévenir, 6g qui en arrêteront l'exécution : d'ailleurs u dans cette foule d'objets enchaînés les uns dans les autres il arrive que quelques-uns viennent à manquer ou à ne plus fi bien cadrer avec les autres, tout l'édifice qu'on aura appuyé fur uq tel fondement, croulera nécelTiiirement. Comme il y a beaucoup de chofes re- latives au fujet qui n'ont pas encore été tou- â7^ G O Ivî U E R C t touchées, il faut en attendre lé dénoue- ment, pour pouvoir alîeoir un jugement folide fur les points d'appui de cette en- treprife j & c*ell en quelque forte la partie la plus intérefTante. Réponfe aux Objections, Il efl certain qu'on rie doit fouffrir dans un Etat Monarchique aucune puif- fance capable de balancer le pouvoir fuprême ; mais il faut auiîi que ce pou- voir foit fi intimement lié aux intérêts de l'Etat, que toutes les parties qui en dépendent, n'en puiflent recevoir au- cun préjudice. C'eft ainfi que peut fe maintenir l'harmonie qui réfulte de notre nouveau fyftême. Le Prince y efl: confldéré comme la tête, qui voit & dirige toutes les adtions & les mouve- mens du corps. Jl efl: le Père commun de tous fes fujets. Peut -on rien appré- hender de la part d'un Père, chéri de fes enfans, de qui il tire comme d'une fource intariflfable toute fa puifTance & fes richefl^es? Le Roi, tout maître qu'il efc dans fes Etats, ne pourroic faire au- cun mul à fes fujets fans fe préjudicier à lui • même. On efl: revenu maintenant de ces terreurs vaines, & du faux pré- jugé OLi l'on étoit autrefois , qu'un Souverain en dépouillant fes peuples de leurs biens , & les rendant efclaves aug- b £ s D È N R E* E s. 273 augmentoit- fa puiflance. il ne faut qu'un peu de réflexion pour fentir tous les maux qui en réfulteroient. Un peu- ple réduit à Tefclavage & privé de Tes biens, cefTeroit d'avoir de l'émulation; les travaux méchaniques , loin d'acquérir de nouveaux degrés de perfedtion , re- tomberoient bientôt dans la barbarie, le Commerce s'anéantiroit , les terres refte- roient incultes, & la population dimi" nueroit confidérablement ; car {)erronne ne fe plait à accroître le nombre des mal- heureux. Les richcfles (Scia puiflance dii Prince, qui confiltent dans le nombre dé fes iujecs & dans l'induftrie de Ton peuple^ en feroient beaucoup moindres ; & il pcr- droit tout ce qu'il auroit voulu avoin L'Empire Ottoman peut en fervir d'ex- emple. Quel amour peut - il y avoir entré un peuple & fon tyran V Expofés tour-à- tour aux caprices & aux revers de la For- tune , ils ne trouveroient ni Tun ni l'autre aucune fécurité. Indépendammetit delà bonté du cœur de notre Souverain , la po- litique de notre Gouvernement eft trop éclairée & trop prudente pour adopter des pratiques lî groflieres & fi évidem- ment contraires à fes intérêts. Il eft eil tout un milieu oiiréfîdelaperfeftion. Un Etat quiferoit gouverné par des maximes qui partageroient par quelque pUiflancd nationnale le pouvoir du Prince entré lui & fon peuple, rendroit la condition des fujetsbien incertaine. Cette alterna- S îh ^74 Commerce tive continuelle entre ces deux Chefs, occafionneroit des troubles (Scdesdéfor- dres fans fin, diminueroit la force &le$ refpefls dûs aux Loix, laifleroic le bri- gandage & le crime impunis , & le peuple leroit tour- à -tour la viétime des deux concurrens. Tel efl le défaut du Gouver- nement qui eft en partie monarchique , (Se en partie populaire. Un Gouvernement Républicain nemeparoîtpas moins con- traire au bien général, parce que les Charges & les Emplois s'y obtiennent par la brigue des compétiteurs, qui ne cher- chent la plupart qu'à élever leur famille & placer leurs créatures, mais toujours au préjudice des citoyens. Les mêmes inconvéniens , dira - 1 - on , arrivent dans un Etat Monarchique: cela peut être; mais les punitions que le Prince en fait , prouvent du-moins que ces fortes d'inju- Itices ne reftent pas impunies, comme dans les Etats Républicains. Au relie il n'y a point de Nation quinefoitjaloufe de fes Loix & de fes Ufages , & qui ne les trouve préférables à ceux des autres Pays» C'eft un préjugé qui croît avec nous ; peut • être même à cet égard, le cli- mat influe- 1 -il un peu fur le génie des peuples. Quoi qu'il en foit, il n'y a point de Gouvernement qui pût mieux s'ac- commoder avec lefy{lêmepropofé,que le Gouvernement Monarchique, & il eft calculé précifément pour les mœurs & le climat de la France. Je n'ajouterai rien de î) E s D E N R E* E S. 275 de plus que ce quej'ai dit au commence- ment de cet Ouvrage pour prouver que la Puillance Souveraine , au - lieu de perr dre rien de fes avantages par ces établif- femens nouveaux, augmentera au -con- traire Ton pouvoir ; c'elt ce qu'on démon- trera dans la fuite avec la dernière évi- dence. Quanta l'harmonie qui régne dans ce nouveau Tyllême, elle eft fi naturelle que rien ne fera capable de la détruire^ tant que les hommes conferveront les in- clinations inféparables de leur nature; je veux dire l'amour de la gloire, de leur intérêt, & le penchant de tout cequipeuc procurer les douceurs & les agrémens de la vie : or comme ces chofes , loin de paf" fer chez les hommes, ne font que s'ac- croître, & que les progrès des Arts & des Sciences développent en nous tous les jours de nouvelles chofes, on doit s'at- tendre à un accroilTement proportionnel dans Tordre & l'harmonie qui régneront toujours dans notre fyflême pour le main- tien d'un établiflement qui fera le bon- heur des peuples , fans dépendre des pré- jugés , comme il eft arrivé à la plupart des fondations qui ont eu les commence- mens les plus brillans, qui ont perdu à mefure que Terreur s'eft diflipée. Dans tout notre projet, il n*y arienquifoito- néreux pour qui que ce foit ; chacun y trouvera fon avantage, & le tout eft ap- puyé fur des principes folides & fur la na- ture même , qui n*eft fujette à aucun des < S 2 chan- 17(5 Commerce changemens dépendans du caprice des mortels. Tout y pourra être auflî perma- nent que la durée des hommes. La féconde objection eft fi foiblepar elle-même, qu'on pourroit fe difpenfer d*y répondre. Quoi! parce que les voies de laFortune ne feront plus fi arbitraires, & que les ambitieux trouveront des bor- nes à leur foif démefurée , on croira qu'il y aura moins d'ambition ? Erreur. On ver- ra peu de ces fortunes extraordinaires, mais il y en aura beaucoup plus de celles qui fuffifent pour opérer le bonheur des hommes: ce n'eft pas connoîtrelecœur humain, (]ue d'imaginer qu'il n'y aura plus d'émulation, parce qu'on ne verra plus de ces hommes de néant s'élever en peu de tems au faîte des Grandeurs & des Ri- ehefles ; il n'y a aucun de ces mortels for- tunés , qui dans les commencemens de leur fortune, ayentefpéréde la porter li loin: leur ambition s'efl accrue par de- grés; à mefure qu'ils ont vu augmenter leur richefles, leurs defirs ont augmenté en même tems : encore ne font - ils pas fa- tisfaits, parce qu'il eft de la nature de l'homme de ne l'être jamais pleinement. Tant qu'il aura la faculté derefpirer,il aura celle de délirer. L'une lui eilaulîî naturelle que l'autre. Il ne faut donc point de ces exemples rares & fînguliers, pour exciter l'émulation des hommes; au - contraire , je ne vois rien de fi perni- cieux dans un Etat que ces fortunes rapi- des. D E 8 D ï: N R E' B s, 577 des , qui raflemblent toutes les richefle* dans la perfonne d'un petit nombre de gens. Il y a peut -être dans chaque fiecle 8 à 900 particuliers qui s'enrichiflent par jeurinduftrie , &quipeuventpolîederda fort au foiblesoooolivres de rente. Ces 8 à 900 familles opulentes n'en font pas plus heureufes ; mais (i ce bien eût été dif- perfé entre 270000 familles à raifon de icoo livres de rente chacune, c'eût été pour la Société un avantage confidérable: car ces 270000 familles peuvent être éva- luées à Quatre perfonnes chacune; ce qui feroit plus d'un million d'habitans, qui n'étant pas aflez riches , travailleroient & ne refteroient pas oiiifs ; au - lieu que 900 particuliers jouiflant de 30000 livres de rente, occuperont tout au plus 20 ou 30 perfonnes chacun, encore eft-ce pour îervir à leur fade; & ces 30 perfonnes ne font utiles en rien à l'Etat, pas même pour la population ; car la plupart , à l'ex- emple de leurs Maîtres , ou ne fe marient pas, ou font une efpece de divorce avec leur femme; cependant ces 270QO perfon- nes abforbent à elles feules desrichefles qui auraient fuffi pour aider un million de perfonnes. Quelle différence pour l'Etat &pour la puiflance du Souverain! Voilà cependant ce que caufent ces fortunes ra- pides & brillantes. Outre le nombre de ci- toyens que ces nouveaux parvenus em^ f)loicnt d'une manière infruftueufe pour 'Etat, ils abforbent encore les terres, S 3 qu'ils g|g COMMERCE qu'ils font fervir à leur plaifir , en les cm? ployant à la décoration de leurs Maifons de plaifance. Ce cerrein eft un terrein perdu, qui fruClifieroit, s'il étoit entre les mains de gens quilecultivaflent&lc iniflent en valeur. On m'objedlera peut - être que la por- tion que le Roi prendra fur les produits nets de la Compagnie eft un peu trop for- te , & qu'étant maître de lagrofllr encore quand il le voudra, ilnerefteraquefort peu de chofe à la Compagnie. Si le Con- ieil du Roi n'étoit pas plus clair-voyant dans les intérêts de la politique que le Vulgaire , on pourroit craindre un pareil inconvénient; mais outre que tout eft toujours pefé mûrement dans cette au- gufte Aiïemblée , la chofe me paroît im- poflible. Car i. cenefcroitque dans les cas extraordinaires & prelTans qu'on pourroit être tenté de faire un pareil changement: or on a vu que même dans ces cas , notre fyftéme donne au Roi la fa- cilité de faire tous les emprunts dont il a befoin , fans qu'il lui en coûte rien, & fans charger ces peuples. 2. En fuppofant que le Roi fût aflez mal confeillé pour pren- dre iine portion plus forte que le cinquiè- me, ce feroit un argent en pure perte pour l'Etat ; car il n'eft rien de tel que le peuple pour mettre en valeur les tré- fors de l'Etat. Chacun place {"qs fonds à acquérir ou à améliorer les terres , ou à réducation de fa famille, ou enfin le$ DES Dknre*es. 279 emploie à des dépenfes néceflairesjouà leurs vues d'intérêt, qui tendent toutes à Tamélioration générale de la Société: ce qui augmente à proportion le Commer- ce, l'Agriculture & la Population; trois parties eflentielles, d'oii dépend lapuif- fance d'un Souverain & d'une Nation. Nous avons fait remarquer précédem- ment , que plus les richefles de l'Etat fonC diftribuées entre plufieurs , mieux elles é- toient mifes en valeur; au -lieu que réu- nies entre les mains d'un petit nombre dé particuliers , elles ne faifoient qu'exciter le faite & la mollefle dans une Nation. Il eft donc de l'intérêt du Souverain qui gouverne fon peuple en père, de travail- ler de fon mieux à le rendre heureux. Semblable à un Berger chargé du foin de fon troupeau, s'il confomme une trop grande partie du lait à fon propre ufage, il diminuera d'autant la lubuance des jeunes agneaux, &par la fuite le trou* peau fe trouvera moins nombreux ik d'un plus foible rapport; mais auflî il faut que le Souverain retire de fes peuples un re^ venu fuffifaiit pour faire face aux affaires communes de la Nation, par exemple, pour entretenir de puiflans Corps de troupes & une Marine formidable , pour faire de nouvelles Places de guerre où il eft néceiraire^entretenir la juftice & la po- lice dans l'Etat , avoir toujours dCvS fonds confidérables à diftribuer pour récom- penfer le mérite & les fervices rendus à S 4 . ^^ û8o Commerce la Patrie , afin d'entretenir dans Tes fujets un zèle &une émulation pour les intérêts cie la Couronne. Ce font lesrichellesqui font l'appui du Trône , & la fureté des Peuples: un Roi qui n'a pas le pouvoir de faire de grands biens , n'a qu'une puiflan- ce limitée; rarement peut -il gouverner l'Etat avec avantage pour fon autorité, & pour le bien commun de la Société: il faut donc qu'à proportion que les re- venus des particuliers augmenteront, ceux du Roi augmentent auflî , afin de fe trouver toujours dans un degré de puiiïance proportionnée pour les pou- voir contenir. Quelle feroit la puiflance de notre Monarque , heureufement ré- gnant , fi fes revenus n'étoient pas plus confidérables que du tems de Fran- çois 1 ? Un Roi ne fçauroit être trop ri- che, pourvu que fes revenus ne portent pointd'obdacleà l'Agriculture, au Corn-, merce, ni à la Population. De la ma- nière dont nous avons établi toutes ces chofes dans notre fyfl:ême, le cinquième du Roi perçu fur les profits de la Comu pagnie d'Agriculture , ne nuira en rien à l'Agriculture & au Commerce. Il reliera toujours fuffifamment de fond» entre les mains des peuples, pour les encourager au travail & à l'économie de leurs affaires particulières, & pour ac- croître de plus en plus les riches- fes de l'Etat ; mais s'ils en avoient da- vantage , H feroit à craindre qu'ils ne tom- DES Î3 E N R E' E S. 2^? J)afrent dans rinaftion & lamollefle,qui font les fuites d'une aifance privées d'é- mulation ; ciu-lieu que les tréfors que le Prince dispenfc à propos fur ceux de fes fujets qui le méritent, excitent une ému- Jation continuelle , qui ne laiffe aux peuples aucun infiant dans l'oifiveté, & ç'eft le feul moyen qui puifle les rendre heureux. Suivant cette vue politique , j*ai trouvé que la cinquième partie prife fur tous les profits nets de la Compagnie, étoit la proportion la plus convenable qu'on pûcaflîgner: elle eft aflezconfidé- jable pour intéreiler le Souverain à tout ce qui pourra contribuer à l'améliora- tion de cette entreprife,- & lesperfonnes prépofées pour veiller aux intérêts du Sou- verain,veilleront pareillement à celui des intérelTés , ce qui produira un bien conlî- dérable pour les uns & pour les autres. Par l'expofé que nous avons donné de îa Compagnie d'Agriculture, le Lcfteur aura vu fans -doute que l'Ouvrage n'efl qu'ébauché, & qu'il manque quantité de parties intéréflantes à notre fyftême. I. Il faut un Traité d'Agriculture phy- fique & raifonné , fuivant la pratique la plus conforme à la nature des Plantes & au climat de chaque Province. 2.Un Traité général des différens arranr gemens que cette Compagnie doit met- tre en ufage pour procurer l'amélioration de toutes les terres du Royaume , en fe fervant 4e tous les moyens que la Nature 282 Commerce & l'Art nous mettent en main : tels font le projet des arrofemens généraux , Ta- in élioration des terres par les terres mê* mes ; ouvrage qui ne peut produire Ton utilité qu'entre les mains d'une Compa-» gnie générale, qui trouvera Ton intérêt à lever tous les obftacles qui fe rencontre-^ roient à un pareil projet pour de fimples particuliers. 3. Il faut auflî donner des moyens pour défricher toutes les landes du Royaume, & répandre dans les terreins les plus ari- des une fécondité , avec le fecours des améliorations générales; ce qui convient très-bien à notre Compagnie d'Agricul- ture. 4. Il manque aufïï des moyens pour que la Compagnie puifle établir de nou- veaux haras, afin d'avoir des chevaux à la fauvage dans les pâturages des Monta- gnes, & d'autres haras de chevaux de harnois dans les pâturages des Plaines. Il faudroit pareillement avoir des moyens pour changer Tefpecedes moutons & des vaches du Royaume , afin d'avoir de plus belles laines , plus de laitage , & une chair plus délicate, & en plus grande quanti- té que nous ne l'avons adluellement. j. Il manque une idée générale furies canaux de navigation, fur la communia cation des rivières ; ce qui peut donner au Commerce une plus grande facilité, ^ les moyens de mettre en valeur les bois , les matières éi les denrées qui font dans DES D E N R E* E S. 2^2 dans les Montagnes & dans tous les Pays éloignés du Commerce : cette partie tient en quelque forte aux arrofemens & à Ta-. mélioration des terres. 6. On uoit avoir un plan général fur la Plantation des meuriers , des bois , des vignes , des prairies , & de toutes les cho- fes qui intérefTent notre Commerce. 7. Une connoiffance exaéle de toutes les Carrières de marbre , de pierre , d'ar- doife & de plâtre, pour pouvoir en tirer le meilleur parti qu'il fera poflible , que la Compagnie fera exploiter à fon profit & voiturer pour les bâtimens publics. 11 faudra aulîî une Defcription de toutes les mines , minéraux & autres fofîîles , afin que la Compagnie qui en fera chargée , prenne {qs dimenfions pour les mettre en valeur de la manière la plus avantageufe pour l'Etat & pour elle - même. Ces en- treprifes tiennent à une infinité d'objets qui font acceflbires les uns des autres, les bois, les fourrages , les voitures par eau & par terre. La main-d'œuvre pour l'ex- ploitation de toutes ces chofes , ne fçau- roit convenir qu'à une Compagnie qui foit propriétaire des fonds de terre , & qui ait tout à fa difpoûtion ; ainfi cette cntreprife fera une branche fort étendue de fon Commerce , & ne contribuera pas peu au progrès des Arts ôç, du Commer» ce de la Nation. 8. Il faudra de nouveaux réglemens de Police pour les perfonnes qui compofe« ront ^84 C O I^I M E R C E ront la clafle des Artifans ^ des Ouvriers de toute efpece, afin de prescrire un nou^ vel ordre qui maintienne le bas -peuple dans le devoir pour les Arts & les Tra- vaux de la Campagne. 9. Comme toutes les conditions fe re* crutent les unes par les autres, lesfupé- rieures par les inférieures , & qu'il n*y a encore eu aucun moyen d'imaginé pour recruter la dernière , celle du bas-peuple qui fait pourtant une partie très - impor^ tante pour les travaux pénibles, cette pièce eflentielle manque au fyfléme gé- néral, ainû que toutes celles que nous avons indiquées ci-deflus, pour perfec- tionner Touvrage qui a trait à la Compa- gnie d'Agriculture: un pareil fyftémefe trouveroit très-limité , fi nous nous bor- nions aux feuls avantages de l'Agricultu- re du commerce des denrées & des ma^ tieres premières. Il faut bien d'autres agens & faire mouvoir bien d'autres res-^ forts pour rendre un Etat heureux , & em- ployer tous les peuples à des occupations utiles pour eux & pour la Société : il n'ed pas poffible que la terre qui leur fournira la nourriture & leurs premiers befoins, puiffe fuffirepour les occuper tous. Nous avons dit précédemment qu'une Nation n'étoit puiflante qu'à proportion du grand nombre de fes habitans & de leur indus- trie. Jufqu'ici nous n'avons parlé que de la terre & de fes productions , ce qui doit faire le fujct de la première partie de cet Ouvrage. L^ DES D E N R E* E S. 285 La féconde partie aura pour objet tout le peuple en général, foninduflrie dans les Arts , les Sciences à, le Commerce. Comme nous avons donné l'idée d'une Compagnie qui aura la direction des pro- dudlionsde la terre, nous donnerons pa- reillement le projet d'une Compagnie gé- nérale de Commerce, qui comprendra la plus grande partie des citoyens du Ro- yaume , oîi tous les états & toutes les con- ditions auroient part, à -peu -près de- même que nous avons formé le plan de rétablillement de la Compagnie d'Agri- culture. Cette Compagnie de Commerce fe gouvernera prefque fur les mêmes prin- cipes que l'autre ; tout le pouvoir & l'es- prit de cette Compagnie dépendront d'un Bureau général de Commerce, femblabîe au Bureau général d'Agriculture, qui fe tiendra à Paris,& qui diltribuera fes ordres à des bureaux particuliers, un dans cha- que Généralité & dans les grandes Villes maritimes du Royaume : ces bureaux par- ticuliers feront compofés des principaux membres de cette Compagnie , qui réfi- deront dans les Villes où feront les bu* reaux. Cette Compagnie aura le foin en général des Manufaâures en tout genre du Royaume, & du Commerce en gros, tant du dedans que du dehors, à l'excep- tion de la partie des denrées, & des ma- tières non fabriquées, qui feront produi- tes du crû des terres. Cette Compagnie, fans jouir d'aucun privilège exclufif , fera cepen" §3(5 Commerce Cependant elle feule fabriquer toutes Icè rnarchandifes qui entretiennent le Com- merce ^ parce qu'elle feule pourra le fai- re à des prix d un tiers plus bas qu*on ne les fabrique actuellement. Elle commen- cera à vendre ces marchandifes en gros par=tout oà pourra s'étendre fon Com- merce ; la Marine marchande & une bon- ne partie des bateaux feront à elle,* les profits feront partagés, de -même que ceux de la Compagnie d'Agriculture; & le Roi aura la cinquième partie fur tout îe gain net qu'elle fera. Il y aura des Maifons ou Ecoles Civi- les & Militaires, pour y recevoir la Jeu- neflTe à un certain âge, oh chaque condi- tion, chaque fexe trouvera des inftruc- tions & des occupations convenables à leur état&à leurs inclinations^ & en mê- me tems avantageufes pour leurs intérêts é, pour celui de l'Etat,* deforte que quel- que nombreux que ibit le peuple, on trou- vera par ce moyen de quoi occuper uti- lement tous les fujets & les rendre heu- reux. On verra dans tous ces artangemens des points de vue qui affermiront la Puis- fan ce Légiflative , & reflerreront de plus en plus les nœuds qui attachent & aug- mentent l'affedtion des peuples envers leur Souverain. Tous les bénéfices que fera cette Compagnie , feront repartis en général fur tous lès fujets du Royaume ^ depuis les plus grands jufqu'aux plus pe-, tits; DES D E N R E* E S. 287 tîts; deforte que chacun pourra en jouir d'une manière proportionnée à Ton état, à fa fortune aftuelle , & à fes taiens par- ticuliers. Ce fyftême général bannira la mifere; on ne verra plus de gens oififs parmi le peuple; Pour établir toutes ces chofes fur des principes fiables &çerma- nens, je me fers des moyens que fournit la nature même, & qui font connus pour être du goût du peuple, & capables de flatter leur amour -propre, exciter leur ambition, & favorifer leur intérêt parti- culier; enfin il fera des reflburces dans lesquelles le Roi trouvera fes forces & fa pulifance augmentée , non feulement fur les fujetSj mais encore pour fe faire res- pedter par toutes les Puiflances étrangè- res. Par rharmonie que j'établis dans ce nouveau fyftême entre ces deux Com- fjagnies de Commerce & d'Agriculture , es Politiques verront que l'un & l'autre fe prêtent des fecours mutuels, qui les feront fleurir perpétuellement, en procu- rant un vrai bonheur au peuple, parce que ce nouveau fyftême trouve la folidité de ces établiffemens dans les vues d'intérêt, de gloire & d'ambition , qui font naturel- les aux Hommes en général, & à la Na- tion Françoife en particulier, & en mê- me tems très -conformes à la politique actuelle de notre Gouvernement. La troifîeme partie de cet Ouvrage au- ra pour objet les impôts mis furies peu- ples, indépendammeoc de ce qui aura été im- ggO Commerce irttpofé fur rinduflne des Compagnies^ qui feront toujours proportionnés à leurs facultés , & fuffifans pour remplir conve- nablement les befoins de l'Etat dans tous lestems & dans toutes les circonftances. Cette balance entre le Souverain & Ton Peuple, affermira l'autorité du Prince,» ainfi que l'amour & le zèle de Tes Sujets: ce qui viendra en partie d'une nouvelle méthode de les percevoir, que je don- nerai 5 &qui fera plusfimple, moins em- barrafrante, moins onéreufe au peuple ^ (Se plus avantageufe pour le Roi. On en- trera dans tous les points de vue de la po- litique la plus recherchée; & par un pa- rallèle du nouveau fyftême&du fyftêmd général adluel , on fera voir combien il ell plus utile au Gouvernement de pré- férer la nouvelle méthode à celle qui fé pratique aftuellement ^ tant pour la fûretê de la PuifranceLégiflative,que pour l'aug- mentation des revenus de l'Etat; car ou- tre que des Troupes nombreufes feront entretenues dignement , la Marjne foute- nue d'une manière fupérieure , les Places de guerre bien tenues, & desrécompen- fes données au mérite , tant militaire que civil, pour les fervices rendus à l'Etat, toutes ces dépenfcs diftraites, il refterà encore tous les ans au Roi une épargne de plus de 400 millions , dont il pourra difpofer à fa volonté, fans compter une forame de 100 millions , qui fera emplo- yée tous les ans aux embellilTemens dii RoyaiH i) fe s D E N II E* E .«: 2,^^ Royaume, fuivant un plan général qiie nous donnerons, & qui fera la dernière partie de cec Ouvrage. Les réglemens que j'ai propofés dans la première partie, 6c ceux qu'on trouvera dans le nouveau fyftême de Finances , fe- ront difparoître l'ufure , faciliceront la circulation des efpeces, mettront toutes les forces de l'Etat en aftion, feront fruc- tifier toutes les parties qui ferment le corps politique du Gouvernement. Pat ces moyens, & les différeîis reflbrts qui feront l'amedc cette partie, le Roi trou- vera à la longue, comme je prétends le démontrer 3 le fecret de payer toutes leé dettes nationales, de retirer d'entre les mains des Engagiftes les biens du domai- ne, fans que cela porte préjudice àceijx qui les pofledent actuellement ;& ce qu'il y aura encore de plus intéreflarit, c'efl que le Roi fera en état de rembourfer tou- tes les Charges du Royaume autant qu'il paroîtra nécefHiire pour le bien des peu» pies. Tous ces objets font autant de points de vue de politique, qui n'ont ja- mais été traités par un lyftéme général, conforme aux inclinations naturelles des hommes -Se aux Loi± fondamentales du Royaume. Si nous ne difions rien dès for- ces militaires, l'Ouvrage feroit impar- fait; c'eil pourquoi la quatrième partie comprendra les forces militaires, tant par mer que par terre , la nature des troupes^ leur difcipline, leur récompenfei foie eii T tr^ 290 Commerce argent , foit par des dignités ou des gra« des qui feront dûs au fervice & au méri- te, félon les clalîes des différentes trou- pes. En conféquence on fera un détail des devoirs qu'ils feront' obligés de rem- plir, tant en guerre qu'en paix. La Marine fera formée fur les mêmes principes; & les récompenfes, ainfi que les appointemcns , feront proportion- nées à l'importance des fervices (S: des dangers, où font continuellement expo- fés les troupes de mer , par eomparaifon avec les troupes de terre. On fera von* par un parallèle politique^ que ces différens Corps de troupes feront très -dépendans du pouvoir du Souverain, par l'affinité qu'ils auront avec l'Agricul- ture , les Arts méchaniques , le Commer- ce 6l la Finance , d e manière que quelque Bombreufes que foient les troupes dans le Eoyaume, elles ne pourront jamais por- ter d'atteinte aux parties eflentielles du Gouvernement; au-contraire,je démon- trerai qu'il fubfiflera dans le tout une li grande liaifon , que plus les branches de l'Agriculture & du Commerce feront é- tendues , plus les forces, tant de terre que de mer, feront conlidérables, fans que pour cela elles puiflent être à charge; car les troupes trouveront par ce fyflême nou- veau toutes les commodités pour la nour- riture & l'entretien, & les moyens faci- les de fe recruter , de - même q'ue toutes les récompenfes, fans que cela coûte à per- D E s D E N R E* E $. 295 perfonne. On prouvera qu*cn moins de dix années de tems, fi le Roi fait ulage de ces projets, il n'y aura dans le Monde aucun Souverain quipuifle avoir plus de Ibldats; les troupes, tant en paix qu'eu guerre, monteront à plus d'un million de Ibldats bien difciplinés, inllruits dans l'Art militaire , (Se autant aguerris qu'il eft polîible de l'imaginer chez une Nation qui, comme la Françoife, aime la pro^ felTion des Armes. Ce qui fait l'excellen- ce de ce fyftême pour le militaire, c'efl que ces différens Corps feront compofés de trois dalles ou conditions qu'il y a adluellement en France, fçavoir, laNo-t bleflTe, les Bourgeois vivant noblement, & les Artifans; on laiflera les Payfans pour cultiver les terres , <îk: faire les' tra- vaux de la campagne: ces trois clafîes fe- ront féparées, & cependant dirigées &; contenues les unes par les autres; de ma- nière qu'elles formeront un tout abfolu- ïiient fous la dépendance du Souverain, 6c dont le ferviçe maintiendra dans touc le Royaume l'Autorité Légiflative, afin que la Police & les Loix ayent leur en- tière exécution ; & en même tems elles imprimeront le refpeét au dehors à tou- tes les Nations qui voudroient tenter de troubler la tranquillité du Royaume, ou faire obftacle à notre Commerce. Tou- tes ces vues me paroiflent conformes au fyitême adtuel du Gouvernement. T 2 La ^p2 Commerce La cinquième partie contiendra do pouveaux établiflemens qui ont pour buç j'embelliflement du Royaume , en com-^ meqçant par la Capitale, & enfuite par les Villes principales des Provinces: ce^ embelliflemens confifteront dans'lacon- ftruétion des édifices publics &; néceflai- res, comme Hôtel- de- ville. Logement des Cours Souveraines, ceux desprinci- paux Magiftrats, les places publiques, les ponts, les quais, le$ ports, &lajufte diftribution des eaux pour Tufage de§ habitans & la propreté des rues. On aur ra foin pareillement des décorations de§ maifons particulières, fur -tout du côté. de la rue, pour donner une régularité & une uniformité aux façades félon le; goût le plus conforme à nos ufages. L*embelli(rement du dedans de tous ces bâti mens publics feront encore robjet;; du fyftéme nouveau. Ces nouveaux établiflemens ne fe borneront pas aux feules décorations» de l'intérieur des Villes; ils s'étendront auffî fur les jardins publics , les prome- nades , les chemins & les canaux qu^ fervent de décorations extérieures aux; Villes: il en fera de -même de l'orne- ment des campagnes , par la forme nou- velle , commode & rjante qu'on don- nera aux Châteaux de plaifance : on trou- vera rutile joint à l'agréable dans touq les édifices publics & particuliersc Le prin- fcj^- DES D E N R B* E S. 293 principal objet de ces nouveaux éta- bliflemens, fera dans la conllrudtion des vailTeaux de haut bord, des navires marchands , des barques & bateaux , ^es éclufes, des porcs de mer; les for- tifications pour aflurer les frontières du Royaume, les Maifons Royales, les Maifons de Manufaftures , les Hô- pitaut. Les Maifons de force feront toutes dépendantes de cette entrepri- fe ; il y aura tous les ans , comme nous l'avons dit, un fonds de 100 millions, qui fera employé à tous ces ouvrages publics; outre cela, j'indiquerai les moyens pour que ces travaux , quoique magnifiques , ne reviennent pas au tiers de la dépenfe qu'il en coûteroic fuivanc l'ufage ordinaire. Quant aux bâtimens des particuliers ^ on les fera payer un tiers moins que ce qu'on donne aux En- trepreneurs aâ:uels;& il y aura cepen- dant encore un bénéfice confîdérable pour la Compagnie, qui fera employé aux progrès des embelliflemens pu- blics: cela accélérera de toutes parts les travaux , de manière que dans l'ef- pace de dix ans , tous les édifices pu- blics auront pris une forme nouvelle; ce qui ramènera le bon goût naturel à la Nation pour la magnificence des bâ- timens. On pourra compter qu'en moins de vingt ou trente années il n'y aura point de Ville en France , qui ne pa- roifle bâtie à neuf fur des madelea a- T 3 gréa, ®94 Commerce gréables à la vue, commodes pour ïù" jage & utiles pour la fan té. Les avan- tages que l'Etat retirera de toutes ces entreprifes, feront conridérabIes;caren répandant ioq millions tous les ans dans le Public pour ces travaux, on donnera un état permanent à quantité de citoyens qui n'en ont point, on. in- fpirera à la Nation un goût pour le fu- blime en tous genres, L'afpecl de tanc d'ouvrages fomptueux fera un puiflant motif d'émulation qui portera l'Agri- culture , les Arts méchaniques , ""les. Sciences & le Commerce à un degré é- minent, & fera rejaillir fur tO-Ute la So- ciété des biens à l'infini , par la finance qui circulera davantage, par la popula- tion qui augmentera à coup fur: les E- trangers enchantés de toutes ces beau- tés, s'emprelîeront à venir s'établir par- mi nous, lorfqu'ils verront les richcfles les plus précieufes de la Nature étalées p.ir-tout aux yeux des fpeftateurs,* mille commodités accompagnées d'ornement, diltribuées avec goût, chafleront les refies de barbarie qui ne ré.2inent enco- re que trop parmi nous; les Beaux- Arts, plus que toutes autres cbofes, font les principes de l'urbanité, de la politefîe & des bonnes mœurs. Ainfi une Nation qui les cultiveroit avec tout le fuccès qu'on doit attendre d'un pareil projet , oh aucun citoyen ne fe- roit inutile ni indigent, atteindroiç bien^> t) E s D E K R ë' F. S. à'çS bientôt le vrai bonheur qui fe trouve dans un néccflaire honnête, & dans la vertu qui fçaic modérer l'ambition com- pagnie du vice. Ces établiflemens qui fc trouveroient favorables à la popula- tion, occafionneroicnt un nombre infi- ni de mariages, & couperoient racine à quantité de dcfordres: ainfi le nombre du peuple s'accroîcroit de jour en jour; oc je crois pouvoir ailurer lans exagéra- tion, que dans le court efpace de dix ans les habitans du Royaume feroient plus que doublés; mais comme de fi beaux établiiremens auroient frayé la route à une réforme générale, il ne fe- roit pas difficile alors d'en faire fur la plupart de nos Loix, qui font trop com- pliquées, trop embarralTantes & trop multipliées: alors on verroit bien mieux qu'à-préfent la néceffité de faire de nouveaux réglemens de Police, plus conformes aux hommes & aux mœurs de ce tcms heureux, afin de les obliger à ne point s'écarter des principes de la fageiïé, qui font les vrais liens de la Société, & fervent de frein aux peu- ples pour les empêcher de tomber dans des écarts contraires au falut de l'Etat, & de la Monarchie, qui méri- teroit alors mieux que toute autre le ti- tre pompeux de médiatrice entre toutes les autres Nations. Nous terminerons ces vues politi- ques à ces feuls objets, qui fuffiront pour ^9(5 C O H M E R C É5. ÔCC. pour appuyer le fyftême que j'ai àvan-î ce. Le Le£leur aura la complaifance de fufpendre fon jugement ^ ^jufqu'à ce qu'il ait eu tout l'Ouvrage, atin qu'il puifle, en rapprochant toutes les par- ties, en former un tout que je foumets de bon cœur à fa décifion. J'efpere que cet Ouvrage aura fes partifans , quand on aura découvert les marches & les diverfes combinaifons de toutes les pièces dont il eft compo- fé: on verra (i toutes chofes ont été bien ménagées, fuivant la force, Té- tendue & la nature du fujet, & toujours relativement aux mœurs de la Nation, au fyftême politique adtuel du Gouver- nement, à la nature du Climat, & aii ^énie des François. I N; '^ i à i