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EX
LIBRIS ^
FEEIHERR MAXMILIAN
w GOLDSCHWIDT-^OTHSCHIL])
^^'6'
ESSAI PHILOSOPHIQUE
CONCERNANT
L'ENTENDEMENT
HUMAIN,
OU L'ON MONTRE QUELLE EST L'ETENDUE DE NOS
CONNOISSANCES CERTAINES , ET LA MANIERE
DONT NOUS Y PARVENONS.
Traduit de l'Anglois de Mr. LOCKE,
Par PIERRE G O S T E,
Sur la Quatriéijje Edition , revûë, corrigée, & augmentée par l'Auteur.
Quam hélium e(t velle confiteri potitts nefcire t^uod nefcias , quant
ijîa ejfutientem naufeare , atqne ipfum fibi difplicere !
Cic. deNat. Deor. Lib. I.
A L A H A Y E,
Chez PIERRE HUSSON.
M. D ce. XIV. ,
Avec PrhUége d* Nofeignem ks Etats de Hollande & de IVeJl.Fnfe.
A MONSEIG NE U R
L E C O M T E
D E
PEMBROKE ET MONTGOMERY,
Baron Herbert de Cardiff , Seigneur Rofs de Kendal , Par,
Fitzhugh , Marmion , St. Quintin , Se Shurland j Prefident
du Confetl Privé de fa Majefié , c^ Lieutenant de Roy
dans le Comté de Wilts ^ de la Province de
Galles Méridionale.
ONSEIGNEUR,
CET Ouvrage qui s^eft formé feus vos yeux & que
'foi bazardé de donner au Ttiblic par vôtre ordre , vient
Je mettre préfentement , par une ejpéce de Droit na-
turel , fetis la Proteâion que Vous luy avez promis de-
puis quelques années. Ce n''ejl pas que je croye qu^ au-
cun Nom., quelque grand qtûtl [oit t mis d la tête d'un
Livre y fott capable de couvrir les fautes qtii peuvent s'*y
rencontrer. Les Ouvrages qui paroi f^ent une fois au jour y
doivent fe foiitenir ou tomber félon leur propre mérite ou
/a fan t ai fie du Leâeur. Al ai s comjne la Vérité ne deman-
de autre chofe que d''être écoutée fine erement & avec un
Efprit libre de préjugez y perfbnne Jt'ejl plus en état de me
procurer cet avantage que Vous , qui avez , comme on fait ^
une fi étroite familiarité avec Elle & qui êtes entré dans
les plus Jecrets recoins du Sanâuaire qiCRlle habite. Guy ,
* 3 MON-
E P I T R E.
MONSEIGNEUR, rVy? unechofe connue que Vorisavei
pénétré fi avant dans lacomwijfance deschojes les plus ab-
firaites-^au delà des Veûes & des Aîéthodes ord'waires^que^fi
Vous approuvez le defjein de cet Ouvrage , une telle appro-
bation empêchera du moins qu^on le condamne fans le lire ,
& fera que bien des chofes qui y Jont traitées , feront con-
fiderées avec quelque foin , au lieu qu^ autrement on les
aur oit peut-être crues indignes de la moindre attention y
parce qii' elles fnt un peu éloignées du chemin battu. D ac-
cu fation de Nouveauté efl d'une terrible conféquence au^
prl'sde ceux qui jugeant de la tête des hommes comme de
leurs Terruc[ues , par l'autorité de la Mode , ne peuvent
reconnoître aucune Doêîrine pour vraye que celles qui font
déjà reçue s dans le Monde. Cependant a peine trouvera-t-
on que , lorfque la Vérité a commencé de fe faire voir , Elle
ait eu le defms quelque part a la pluralité des fujfrages.
Les Opinions nouvelles font toujours fufpeêf es , & combat-
tues ordinairement ^ par cette feule raifon quelles ne font
pas encore communément établie s. Mais la Vérité^ femblable
a l'Or y n"* efl pas moins Vérité , pour avoir été nouvellement
tirée de la Mine. Oefl l'examen , c'^efl la coupelle , fi fofe
ainfidire , qui en doit fixer le prix , e^ non une certaine
forme ancienne : & quoy qu'acné n'ait pas encore cours en
vertu d^une empreinte publique , Elle ne laiffe pûi d'être
auffi ancienne que la Nature , &n^enefi pas moins de bon
aîloy. Ceft dequoy , MONSEIGNEUR , Vous pouvez don-
ner des exemples illuftres & fenfibles-, quand il Vous plair-
ra défaire pré/ent au Public de quelques-unes de ces vajles
é" importantes découvertes que Vous avez fait .^ deVérf
tez inconnues jufqu'ici , hormis a ceux a qui Vous avez eu
la bonté de ne les pas cacher entièrement. Cette feule rai-
fin
E P I T R E.
fon auroit pu fufjire 1 fi je n'en avois point d'autre , pour
nC obliger a vous dédier cet Eflai. Davantage qu'il a
d'avoir quelque rapport avec quelques parties de ce vafle
Syflêrne de Sciences dont Vous avezfor?né un plan fi nou-
veau^ fi exafl & ji inftruâif ^ cet avantage , dis je ^
m'efl a fiez glorieux^ pour que je prenne la liberté de pu-
blier fous votre bon plaifir , que j'ai eu ça ér la quelques
penfées qui ne font pas tout-d-f ait différentes des Vôtres.
Putfque Vous voulez bien ?n' encourager a dominer cet Ou-
vrage au Public , j'e/pére qu'un jour ce pourra être un
motifs pour Vous engager a aller plus avajit ; & Vous me
permettrez de dire qu'ici Vous donnez au Monde un gage
de quelque chofe qui fera certainement bien digne de fon
attente , s'il fait un accueil tant foit peu favorable a cet
Ouvrage. Vous voyez par Pa^ MONSEIGNEUR , quel
Tréfent je vous fais. Il reffemblejuflement a celui qu'un
pauvre homme fait a un grand Seigneur , qui ne laifle
pas de recevoir avec plaijtr de fes mains un Panier de
Fleurs ou de Fruits., quoy qu'il en ait dans fes Terres de
plus beaux & en plus grande quantité que luy. Les moin-
dres chofes ont leur prix quand elles font offertes avec des
fentimens de refpeH , cî'ejlime , c^ de reconnoijjance. Vout
m'avez fourni , M O N S E I G N E U R , ^/^-^ raifons fi impor-
tantes ér fi particulières d'avoir pour Vous ces fentimens
dans leur plus haut point ^ que ^ s'ils peuvent ajouter d ce
qui les accompagne un prix proportionné d leur granaeur y
jepuis dire hardiment que je vous faà le plus riche Préfent
que vous ayiez jamais reçu de perfonne. Mais une chofe
dont je fuis fortement per/uadé , c'e/l que je fuis dans une
obligation indijpen fable dechercher toute forte d'occafions
de reconnoîîre cette longue fuite de faveurs dont vous m'a-
vez
E P I T R E.
vez comblé ; faveurs qui , que/que grandes & importantes
qu'elle s [oient en elles-mêmes^ k font encore beaucoup plm
par l'emprefiement , l'honnêteté , l'afeâion & p/ujieurs
autres circon fiances obligeantes dont Vous ne manquez ja-
mais de les cifaifonner. A tout cela Vous avez la honte d'a-
jouter ce qui donne encore plus de poids & d'agrément à tout
le reflète' efl que Vous continuez de m' accorder quelque pla-
ce dans votre Eflime ér dans vos bonnes penfées , j'ay pref
que dit dans votre ^;«/>/V.CV/?,MONSElGNEUR,r^ que
vos Paroles & vos Aâionsfont voir fie onfl amènent en toutes
rencontres , même a d'autres perfonnes en mon ahfence ,
que ce n'efipas vanité en moy de publier ce que chacun fait
déjà. Ily auroit au contraire de l'Incivilité a ne pas recon»
noître une chofe dont tant de perfonnes font témoinsjufqu'a
médire a moy-même chaque jour co?nbien je vom enfuii
obligé. 'Je fouhaiterok que ces Perfonnes pujfent rn aider
au§i facilement a Vous témoigner ma reconnoiffance , qu'il
leur efiaifé de me convaincre combien je vomfuk redeva-
ble pour tant de grâces que Vous m'avez fait & que Vom
me faites tous les jour s. Et ilfaudroit queje fufje deftitué
d'entendemetit dans le ternps même que f écrirois fur /'En-
tendement, fi ]e n' êtoh extrêmement fenfihle d toutes cei
faveurs , & îieprofitois de cette occafion de témoigner pu-
bliquement combien je fuis obligé d'être avec autant de
refpeâ que je fuis efedivement ,
MONSEIGNEUR,
Vôtre tiès-luimble , très-obcïflant
Se très-obligé Serviteur.
JEAN LOCKE.
AVERTISSEMENT
D U
TRADUCTEUR.
I j'allois faire un long Difcours :i la tête de
ce Livre pour étaler tout ce que j'y ai re-
marqué d'excellent , je ne craindrois pas
le reproche qu'on fait à la plupart des Tra-
dufteurs , qu'ils relèvent un peu trop le
mente de leurs Originaux , pour faire va-
loir le foin qu'ils ont pris de les publier dans une autre
Langue j car je fuis affûré que tout ce que je dirois fur ce
fujetj feroit confirmé par le fuffrage des plus favans hom-
mes de l'Europe. Mais outre que j'ai été prévenu dans
ce deflein par les plus illuftres Ecrivains Anglois, qui tous
les jours font gloire d'admirer la jufteflé , la profondeur
6c la netteté d'Efprit qui paroît dans cet Ouvrage , un E-
loge de ma part ne feroit d'aucun poids dans la Républi-
que des Lettres , où mon nom n'eft pas même connu.
J'aurois beau dire , que je n'ai jamais lu aucun Livre oii
■ il y ait plus à profiter, Se que plus je le lis , plus je l'ad-
mire, l'on ne s'en rapporteroit pas à moy : & s'il faut di-
re la vérité, dans des matières de cette nature Ton ne doit
en croire que fon propre jugement , comrne Monsieur
Locke nous le recommande luy-même dans cet Ouvra-
ge, oii il remarque plufieurs fois, que la foûmijfion aveu-
gle aux fentimens des plus grands hommes , a plus arrêté U
** pro-
AVERTISSEMENT
progrès de la Connotjlance qu' ancum autre chofe. Je me con-
tenterai donc de dire un mot de ma Traduftion , &: de la
difpofition d'Efprit où doivent être ceux qui voudront re-
tirer quelque profit de la leftiire de cet Ouvrage.
Ma pUi> grande peine a été de bien entrer dans la pen-
fée de l'Auteur j £c malgré toute mon application, je fe-
rois fouvent demeuré court fans l'afllftance de Mr. Locke
qui a eu la bonté de revoir ma Traduction. Fort fouvent
après m'être bien tourmenté , je croyois enfin avoir attra-
pé le véritable fens d'un paflage , &: il fe trouvoit au bout
du compte que fçn étois fort éloigné. Je ne djute
pas qu'une partie de ces difficultez ne doivent être attri-
buées à la petitefle de mon génie. Mais il eft pourtant
certain que le fujet de ce Livre &: la manière profonde &
exacte dont il eft traité , demandent un Le£teur fort at-
tentif. Ce que je ne dis pas tant pour obliger le Lecteur
à excufer les fautes qu'il trouvera dans ma Traduction,
que pour luy faire fentir la nécellité de le lire avec appli-
cation, s'il veut en retirer du profit. Sur quoy je croy
qu'on fera bien aife d'apprendre une petite Hiftoire qui
eft venue à ma connoifl'ance. Lorfque cet Ouvrage pa-
rut pour la première fois, un des Amis de l'Auteur, hom-
me d'Efprit, l'ayant lu d'un bout à l'autre comme un Ro-
man Philofophique , le trouva fort à fon goût. Mais quel-
que temps après , l'ayant voulu relire , il y vit quantité
de chofcs qu'il n'entendoit point. Il fe fit alors une affai-
re plus ferieufe de la lefture de cet Ouvrage. Il le lut &
relut jufqu'à trois fois avec toute l'application dont il é-
toit capable, & il découvrit enfin toute la beauté de ce
merveilleux Edifice dont il n'avoit d'abord vu que la fa-
ce èc les ornemens extérieurs. Ceux qui voudront pro-
fiter de la le*Sture de ce Livre , ne feront pas mal d'imiter
cet exemple.
Mais on doit faire encore deux chofes , à mon avis,
pour retirer quelque fruit de cette ledture. La première
eft de laiflér à quartier toutes les Opinions dont on eft
prévenu fur les Quefl"ions qui font traitées dans cet Ou-
vrage,
DU TRADUCTEUR.
vrâge,&:Ia féconde de juger des raifonnemens de l'Auteur
par rapport à ce qu'on trouve en foy-méme , fans fe met-
tre en peine s'ils font conformes ou non à ce qu'a dit F/tf-
torii Ariftote , Gajpndii Defcartes, ou quelque autre cé-
lèbre Philofophe. C'eft dans cette difpofition d'Efprit
que Mr. Locke a compofé cet Ouvrage. Il eft tout vifi-
ble qu'il n'avance rien que ce qu'il croit avoir trouvé con-
forme à la Vérité , par l'examen qu'il en a fait en luy-
méme. On diroit qu'il n'a rien appris de perfonne, tant
il dit les chofes les plus communes d'une manière origi-
nale } de forte qu'on eft convaincu en lifant fon Ouvrage
qu'il ne débite pas ce qu'il a appris d'autruy comme l'a-
yant appris , mais comme autant de veritez qu'il a trou-
vées par (a propre méditation. Je croy qu'il faut nécef-
fairement entrer dans cet Efprit pour découvrir toute la
ftrufture de cet Ouvrage &c voir fi les Idées de l'Auteur
font conformes à la nature des chofes.
Une autre Raifon qui nous doit obliger à ne pas lire
trop rapidement cet Ouvrage , c'eft l'accident qui eft ar-
rivé à quelques perfonnes d'attaquer des Chimères en pré-
tendant attaquer les fentimens de l'Auteur. On en peut
voir un exemple dans la Préface même de Mr. Locke.
Cet avis regarde fur tout ces Avanturiers qui toujours
prêts à entrer en lice contre tous les Ouvrages qui ne leur
plaifent pas, les attaquent avant que de fe donner la pei-
ne de les entendre. Semblables au Héros de Cervantes ,
ils ne penfent qu'à fignaler leur valeur contre tout venanti
ôcaveugles par cette paillon démefurée5il leur arrive quel-
quefois, comme à ce défaftreux Chevalier , de prendre
des Moulins-à-vent pour des Géans. Si les Anglois, qui
font naturellement fi circonfpe£ts , font tombez dans cet
inconvénient à l'égard du Livre de Mr. Locke , on pour-
ra bien y tomber ailleurs , &c par confequent l'avis n'eft
pas inutile. En profitera qui voudra.
Pour les Déclamateurs qui ne fongent ni à s'inftrufre
ni à inftruire les autres , ils n'ont pas befoin de cet avis,
parce qu'ils ne cherchent pas la Vérité. On ne peut leur
** 2 fou-
AVERTISSEMENT
ibuhaiter que le mépris du Public ; jufte recompenfe de.
leurs travaux qu'ils ne manquent guère de recevoir tôt ou
tard! Je mets dans ce rang ceux qui s'aviferoient de pu-
blier j pour rendre odieux les Principes de Mr. Locke ,.
que, félon luy , ce que Dieu nous a révélé n'eft pas cer-
tain , parce que Mr. Locke diftingue la Certititde d'avec
la Foy & qu'il n'appelle certain que ce qui nous paroît vé-
ritable par des raifons évidentes &: que nous voyons de
nous-mêmes. Il eft vifible que ceux qui feroient cette
Objeftionjlé fonderoient uniquement fur l'équivoque du
mot de Certitude qu'ils prendroient dans un fens populai-
re , au lieu que Mr. Locke l'a toujours pris dans un fens
Philofophique pour une Connoiflance évidente , c'eft à
dire pour la perception de lu convenance ou de la difconve-
nance qui ejl entre deux Idées , ainfi que Mr. Locke le dit
luy-méme plufieurs fois , en autant de termes. Comme
cette Objection a été imprimée en Anglois , j'ai été bien
aife d'en avertir les Lecteurs François pour empêcher,
s'il fe peut , qu'on ne barbouille inutilement du Papier
en la renouvellant. Car apparemment elle feroit fififlée ail-
leurs , comme elle l'a été en Angleterre. Je ne puis m'einpê-
cher de dire ici que bien des gens ont fait reflexion fur ce
déchaînement d'Ecrivains qui ont paru tout d'un coup
fur les rangs pour attaquer le Livre de Mr. Locke, après
l'avoir laifie jouir plufieurs années d'une approbation gé-
nérale. Cela leur a paru d'autant plus furprenant qu'on
n'a rien \û de folide dans toutes ces attaques redoublées.
* Htfrrtto Epift. Ne feroit-ce point, difent-ils, ce qu'a remarqué * un bel
Lib. II. Epift. £fpi-]j; (3e la Cour d'ylî/gu/le , que dès que quelqu'un ex-
celle dans quelque art , il devient infupportable à certai-
nes pevfonnts , Ùrit enim fulgore juo , qui priCgravat Artes
infrafe pofitas ? S'il étoit ainfi , je ne ferois pas difficul-
té d'a/^oûter , Extintîns {iniabitur Idem , &: on l'aimera
quand il ne fera plus -, quelle foiblelfe : Qiioy qu'il en
foit, voici ce que vient de dire fur cela Mr. Bold^ favant
Théologien de l'Eglife Anglicane , qui joint à une gran-
de pénétration d'Efprit un amour ardent £c finccre pour
la
DU TRADUCTEUR.
la Vérité. Après avoir déclaré en termes exprès , qu'il
j, ne croit point rabairter les Ouvrages de qui que ce foit,
3, ni relever VEjfai de Mr. Locke au delà de ce qu'il nic-
5, rite 5 en difant que c'eft le Livre le plus propre qu'il
jjconnoifléj à avancer les intérêts de la Vérité, Naturcl-
jjle, Morale &c Divine, ôc que c'eft le meilleur 6c le plus
55 important Ouvrage qu'il ait jamais lu , excepté ceux
„ qui ont été écrits par des perfonnes divinement infpi-
j,rées , il ajoute , -f Cet excellent Traité ayant été publié
depuis pUiJîetirs années ■, ô' ayant été reçu avec une très-
grande approbation parmi tous les Savans qui entendent
l'Anglais, on l'a enfin attaqué tout d'un coup à grand bruit
dans nôtre Ile. C'a été fans doute pour quelque Raifon par-
ticulière que tant de perfonnes ont été employées juftement
dans le même temps a, àrejler leurs batteries dé ce côté-ll,
quoy que peut-être ce puijfant motif qui les a ainfi mis
tous en mouvement , continuera d'être un fccret pendant
long-temps.
Pour revenir à ma Tradudion , je n'ai point fongé à
difputer le prix de l'élocution à Mr. Locke, qui eft, dit-
on, une des meilleures Pkimes d'Angleterre. Ce n'eft
point en traduifant des Ouvrages comme celui-ci qu'il
faudroit tenter d'enchérir fur fon Original. Cela fied
bien dans des Harangues & des Pièces d'Eloquence dont
la plus grande beauté confifte dans la noblefle &; la viva-
cité des expreflîons. C'eft ainfi que Ciceron en ufa en
traduifant les Harangues qu' Efchme &z Démo/lhene avoient
prononcées l'un contre l'autre: Je les ai traduites en O-
rateuri *dk-il, â- non en Interprète, Dans ces fortes Ncc converti ut
*■* 2 (J'Q^j. Iiiterprcs, fediit ■
Oraror.Dcff/)/.-- ■
■f This eîccllent Treatjfc having bcen
published fcvcral yearî , and rectived
through ail thc Lcarned World with ve-
ly grcat Approbation, by thoiè who un-
derrtood Eiiglish , a mighty Out-cry was
at laft , ail on the fuddcn , raifed againft
it hete at Home. Thtrewas, no doubr,
fome rcafcn or other why (b many hands
should be eniploycd , juit at the lame ti-
me,to Artack and Batter this £%. tho' ""> ^.'"''" <'"-'
what was the weigh y confidetation ,*''""'''' P^' '^'
wiiich put thcra ail in motion , may ,
pcrhaps , continue a long time a Sccrer.
îo.HS confideriitwiii on thi Prhicip.zl Objc-
tliom and yirgiinients ■ujhich hâve luii
pubbih'd aj^awjï Mr. LOCK'S KjJ'n.
P-U. 1,1,
Arte Pocticà.
V. i49ii5'5
AVERTISSEMENT
d'Ouvrages, un Tradudbeur ajoute bien des chofes , &
*jj,yat. De cu retranche d'autres , qu'il ne peut faire valoir -, * qiia
dejfcrat traaata mtejcere pojje , rclinqnit. Mais qui ne
voit que cette liberté feroit fort mal placée dans un Ou-
vrage de pur raifonnement comme celui-ci , où une ex-
preliîon trop foible ou trop forte déguifela Vérité 6c l'em-
pêche de fe montrer à l'Efprit dans ù pureté naturelle ?
Je me fuis donc fait une affaire de fuivre fcrupuleufement
mon Auteur (Ixns m'en écarter le moins du monde ; &: fi
j'ai pris quelque liberté (^car on ne peut s'en pafler) c'a
toujours été fous le bon plaifir de Mr. Locke qui entend
affez bien le François pour juger quand je rendois exacte-
ment fa penfée , quoy que je prifl'c un tour un peu diffé-
rent de celui qu'il avoit pris dans fa Langue. Sans cette
permiffion je n'aurois ofé en bien des endroits prendre des
libertez qu'il falloit prendre néceffairement pour bien re-
préfentcr la penfée de l'Auteur. Sur quoy il me vient
dans l'Efprit qu'on pourroit comparer un Tradufteur a-
vec un Plénipotentiaire. La Comparaifoii eft magnifi-
que, 6c je crains bien qu'on ne me reproche de faire un
peu trop valoir un métier qui n'cft pas en grand crédit
dans le Monde. Qiioy qu'il en foit , il me femble que le
Tradufteur 6c le Plénipotentiaire ne fauroient bien pro-
fiter de tous leurs avantages, fi leurs Pouvoirs font trop
limitez. Je n'ai point à me plaindre de ce côté-là.
La feule liberté que je me fuis donné fins aucune re-
ferve , c'eft de m'exprinier le plus nettement qu'il m'a
été poffiblc. J'ai mis tout en ufage pour cela fans me met-
tre beaucoup en peine de la mefure Se de l'harmonie des
Périodes , j'ai répété le même mot toutes les fois qu'il
pouvoit fauver la moindre apparence d'équivoque, Se je
me fuisfervi, autant que j'ai pu m'en reflbuvenir , de
tous les cxpcdiens que nos Grammairiens ont inventé pour
éviter les faux rapports. Toutes les fois que je n'ai pas
bien compris une penfée en Anglois , parce qu'elle ren-
fermoit quelque rapport douteux (car les Anglois ne font
pas fi fcrupuleux que nous fur cet article) j'ai tâché ,
a-
DU TRADUCTEUR.
après l'avoir compriTe , de la déterminer Ci nettement en'
François , qu'on ne pût éviter de l'entendre. C'eft prin-
cipalement par la netteté que la Langue Françoife em-
porte le prix fur toutes les autres Langues , fans en ex-
cepter les Langues Savantes , autant que j'en puis juger.
Et c'efi: pour cela , dit * le P. Lamy , qu'elle eft phis propre *D,%m Çr. Rhe
qnaucnm autre pour traiter les Sciences parce quelle le fait ""?"-ou -"
•' J n 1 ^ ' 1 r ■ r ■ ' , de Parler. Via,.
avec tme aannrable clarté. Je ne luis pas ii vam pour pre- ^9. Edmon
tendre que ma Tradu£lion en foit une preuve , mais je d'Am/ierdmi,
puis dire que je n'ai rien épargné pour me faire enten- '^^^°
dre.
Cependant, comme il n'y a point de Langue qui par
quelque endroit ne foit inférieure à quelque autre , j'ai-
éprouvé dans cette Traduction ce que je ne favois autre-
fois que par ouï-dire , que la Langue Angloife eft beau-
coup plus abondante en termes que la Françoife ,& qu'el-
le s'accommode beaucoup mieux des mots tout-à-fait nou-
veaux. Malgré les Régies que nos Grammairiens ont pref-
crit fur cet article, je croy qu'ils ne défapprouveront pas
la liberté que J'ai prife d'employer des mots qui ne font
pas fort connus dans le Monde , pour pouvoir exprimer
de nouvelles Idées. Je n'ai guère pris cette liberté que
je n'en aye fait voir la nécelllté dans une petite Note. Je
ne fai fi l'on fe contentera de mes raifons. Je pourrois
m'appuyer de l'autorité du plus favant des Romains ^ quij
quelque jaloux qu'il fut de la pureté de fa Langue, com-
me il paroit par fes Difcours de l'Orateur , ne put fe dif-
penfer de faire de nouveaux mots dans fes Traitez Philo-
îbphiques. Mais un tel exemple ne tire point à confé-
quence pour moy, j'en tombe d'accord. Ciceron avoir le
fecret d'adoucir la rudefle de ces nouveaux fons par le char-
me de fon Eloquence. Il dédommageoit bientôt fon Le- '
£leur par mille beaux tours d'exprellion qu'ilavoitàcom- ■
mandement. Mais 11 la Modellie ne me permet pas d'au- ■
torifer la liberté que j'ay prife , par l'exemple de cet illu-
ftre Romain 5 qu'on me permette d'imiter en cela nos Phi-
lofophes Modernes qui ne font aucune difficulté de faire
AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR.
de nouveaux mots quand ils en ont befoin, comme il me
leroit aifé de le prouver, fi la chofe en valoit la peine.
Je ne veux pas finir fans apprendre au Le£teur que le
petit Abrégé de cet Ouvrage qui fut traduit en François
.* tm:. nii. par Monsieur Le Clerc, fie inféré dans la * Bi-
P-'S- 49. hlolhcp/e Univerfèllc , m'a été d'un grand feccurs. J'en ay
trnnfcrit des paragraphes entiers au commencement du
Chapitre X. du Qiiatriéme Livre. Il feroit à fouhaircr
que toute la Traduction fut de la même main , pour que
cet Ouvrage pût paroître en François dans toute fa fleur.
Au refte, quoy que Mr. Locke ait l'honnêteté de té-
moigner publiquement qu'il approuve ma Traduftion, je
déclare que je ne prétens pas me prévaloir de cette Ap-
probation. Elle fignifie tout au plus qu'en gros je fuis en-
tré dans fon fens,mais elle ne garantit point les fautes par-
ticulières qui peuvent m'étre échappées. Qiioy que xMr.
Locke ait oui lire ma Traduction avant qu'elle ait été en-
v^oyée à l'Imprimeur, comme j'ai déjà dit , cela n'empê-
che pas qu'il n'ait pu laiflerpailér bien des expreflîonsqui
ne rendent pas exactement fa penfée. V Errata en efl: une
bonne preuve. Les fautes que j'y ai marquées , fie dont
quelques-unes doivent être mifes fur le compte de l'Im-
primeur , ne font pas toutes également confiderablcs >
mais il y en a qui gâtent entièrement le fens. C'eftpour-
quoy l'on fera bien de les corriger, avant que de lire l'Ou-
vrage , pour n'être pas arrêté inutilement. Je ne doute
pas qu'on n'en découvre plufieurs autres. Mais enfin quoy
qu'on penfe de cette Traduction, je croy que j'y trouve-
ray plus de défauts que bien des LeCteurs , plus éclairez
que moy j parce qu'il n'y a pas apparence qu'ils s'avifcnt
de l'examiner avec autaat de foin que j'ay refolu de faire.
MON-
MONSIEUR LOCKE
A U
LIBRAIRE.
LA netteté d'Efprit à" la connoijpince de In Langue Fran-'
çoife,dont Mr. Coile a déjà donné au Public des preu-
ves Jï vt/wles , pouvaient vous être un aj/ez bon garant de
l'excellence defon travail fur mon Eflai , fans qu'il fut né-
ce ffaire que vous m'en demand^ffiesi mon jcntiment. Si j'é-
îois capable déjuger de ce qui ejt écrit pi oprejnent éf élégam-
ment en François , je tne croirais obligé de vous envoyer un
grtind éloge de cette Traduélion dont fai ouï dire que quel-
ques perforines yplus habiles que moy dans la Langue Fr an çoi-
fe, ont ajjuré quelle pouvait p^ijjer pour un Original. Mais
ce que je puis dire a, l'égard du point fur lequel vous fouhai-
tez de f avoir tnon [entiment y c'eft que Mr. Cofie m'a là cet-
te Verfion d'un bout a l'autre avant que de vous l'envoyer,
€^ que tous les endroits que j'ai remarqué s'éloigner de mes
^enfées, on: été ramenez a/tfens de l'Original , ce qui «V-
ton pas facile dans des Notions aufji abflraites que le font
qudques-unes de mon Effai , les deux Langues n'ayant pas
toujours des mots c^ des expre (fions qutfe répondent fi jufle
l'une à f autre qu'elles remplirent toute l'exaéiitude Philo-
fophique ; mais la jujlejje d'if prit de Mr. Cofie éf lafouplef~
fe de Jd Plume luy oui fait trouver les moyens de corriger tou-
tes ces fautes que fay découvert a me fur e qu'il me lifoit ce
qu'il avoit traduit. De forte que je puis dire au Le6feur
que je préfvme qu'il trouvera dans cet Ouvrage touUs les
qualités; qu'on peut dejîrer dans une bonne Tradu5îion.
*** PRE-
PREFACE
D E
L' A U T E U R.
JO 1 c I , cher Lc6teur , ce qui a fait le divertillcment
de quelques heures de loilîr que je n'étois pas d'hu-
meur d'employer à autre chofc. Si cet Ouvrage a le
bonheur d'occuper de la même manière quelque pe-
tite partie d'un t^mps oii vous ferez bien aife de vous
relâcher de vos atfaircs plus importantes, 6c que vous
preniez feulement la moitié tant de plaifir à le lire que j'en ai cû
a le compofcr , vous n'aurez pas , je croy , plus de regret à vôtre
argent que j'en ai eii à ma peine. N^allcz pas prendre ceci pour
un Eloge de mon Livre , m vous figurer que , puilque j'ay pris
du plaiiir à le faire je l'admire à préfent qu'il eft fait. Vous au-
riez tort de m'attribucr une telle pcnfée. Quoy que celui qui chaf-
fe aux Alouettes ou aux Momeaux. n'en puiflc pas retirer un grand
profit, il ne fe divertit pas moins que celui qui court un Cerf ou
un Sanglier. D'ailleurs , il faut avoir fort peu de connoillance du
fujet de ce Livre, je veux dire l'E n t e n d e m e n t , pour ne pas
favoir, que, comme ceft la plus fublime Faculté de l'Ame, il n'y
en a point auffi dont l'exercice foit accompagné d'une plus grande
& d'une plus confiante fatisfaélion. Les recherches où l'Enten-
dement s'engage pour trouver la Vérité , font une efpéce de chaf-
fc, oii la pourfuite même fut une grande partie du plaifir.
Chaque pas que PEfprit fait dans la Connoin'ance , cii une ef-
péce de découverte qui eil non feulement nouvelle , mais aufll h
plus parfaite, du moins pour le préfent. Car l'Entendement, pa-
reil à l'Oeuil , ne jugeant des Objets que par ù propre vcûc , ne
peut que prendre plaifir aux découvertes qu'il fait , moins inquiet
pour ce qui luy eft échappé , parce qu'il luy eft inconnu. Ainfi,
qui-
PREFACE DE L'AUTEUR.
quiconque ayant formé le généreux deflèin de ne pas vivre d'au-
mône , je veux dire de ne pas fe repofcr nonchalamment fur des
Opinions empruntées au hazard , met fes propres pcnlécs en œu-
vre pour trouver & emSralîèr la Vérité , goûicra du contentement
dans cette Chaflc , quoy que ce foit qu'il rencontre : chaque mo-
ment qu'il employé à cette recherche , le recompenfcra de fa pei-
ne par quelque plaifir , & il aura fujet de croire fon temps bien
employé, quand bien même il ne pourroit pas fe glorifier d'avoir
fait de grandes acquifitions.
Tel ell le contentement de ceux qui laiflcnt agir librement leur
Efprit dans la Recherche de la Vérité , ôc qui en écrivant fuivent
leurs propres penfccs^ ce que vous ne devez pas leur envier, puif-
qu'ils vous fourniflcnt l'occafion de goûter un femblable plaifir, fi
en lifant leurs Produélions vous voulez auffi faire uhigedc vos pro-
pres pensées. C'eft à ces pcnfées, fi elles viennent uj votre fonds,
que j'en appelle. Mais fi elles font empruntées au hazard des au-
tres hommes , elles ne méritent pas d'entrer en ligne de compte ,
puifque ce n'efl: pas la Venté , mais quelque confideration plus
badc qui les met en mouvement. A quoy bon fe mettre en peine
de favoir ce que dit ou penfe un homme qui ne dit ou ne penfc
que ce qu'un autre luy fuggere? Si vous jugez par vous-même, je
fuis aflûrc que vous jugerez finceremcnti & en ce cas-là, quelque
cenfure que vous faffiez de mon C)uvrage , ie n'en ferai nullement
choqué. Car encore quil foit certain qu'il n'y a rien dans ce Trai-
té dont je ne fois pleinement pei-fuadé qu'il cil conforme à la Vé-
rité, cependant je me regarde comme aullfî fujet à erreur qu'aucun
de vous ; & je fai que. c'eft de vous que dép-^nd le fort de mon Li-
vre, qu'il doit fe foûtenir ou tomber, félon l'opinion que vous en
aurez & non félon celle que j'en ai moy-même. Si vous y trou-
vez peu de chofcs nouvelles ou inftruétives à vôtre égard, vous ne
devez pas vous en prendre à moy. Cet Ouvrage n'a pas été com-
pofé pour ceux qui font maîtres fur le fujet qu'on y traite, 6c qui
connoiflint à fonds leur propre Entendement , mais pour ma pro-
pre inlb-uéfcion, & pour contenter quelques Amis qui confeflbienc
qu'ils n'étoient pas entrez affez avant dans l'examen de cette im-
portante matière. S'il étoit à propos de vous faire l'Hiftoirc de
cet Ejfai,]c vous dirois que cinq ou fix de mes Amis s'étantaflcm-
bleï chez moy 6c venant à diicourir lur un point fort différent de
celui que je traite dans cet Ouvrage, fe trouvèrent bientôt pouflêz
à bout par les difficultez qui s'élevèrent de difïerens cotez. Après
nous être fatiguez quelque temps, fans nous trouver plus en état
de réfoudre les doutes qui nous embarrafibient , il me vint daiis
l'Efprit que nous prenions un mauvais chemin i& qu'avant que de
P^ R E F A C E
nous engager dans ces fortes de recherches, il écoit néceflairc d'exr*
miner nôtre propre capacité , & de voir avec qu^ls objets nôtre
Entendement peut ou ne peut pas avoir à faire. Je propofai cela
à la compagnie , Sc tous l'approuvèrent auffi-tôt. Sur quoy l'oiî
convint que ce feroit là le fujet de nos premières recherches. II
me vint alors quelques pcnfées indigertes fur cette matière que je
n'avois jamais examinée auparavant. Je les jcttai fur le papier; 8c
ces penfées formées à la hâte que j'écrivis pour les montrer à mes
Amis, à nôtre prochaine entrevue, fournirent la première occafon
de ce Difcours, qui ayant ainlî commencé par ha>aid,6c concmué
à la follicitation de ces mêm^s pcrfonnes, fut écrit par pièces dé-
tachées 6c après avoir été long-temps négligé, fur repris félon c]ue
mon humeur ou l'occafion me le pcrmcttoit. Et enfin pcndanc
une retraite que je fis pour le bieni de ma fanté, je le mis dans l'é-
tat oïl vous le voyez préfentement.
En compofant ainfi à diverils reprises, je puis être tombé dans
deux défauts oppofez, outre quelqu':-s autres , c^elt que j'aurai é-
crit trop ou trop peu fur divers fujcts que je traite dans cet Ou-
vrage, Si vous y trouvez qu'il y manque quelque chofc , je ferai
bien aife, que ce que j'ai écrit vous fille fouhaiter que j'eulîé été
plus avant. Et fi mon Livre vous paroît trop gros , vous dever
vous en prendre au fujet; car lorfquc je commençai de prendre la
plume , je crus que tout te que i avois à dire fur cette matière ,
pourroit être renfermé Jam une f.uiUe de Papier. Mais à mefure
que j'avanyai, je dèc.juvris toujours plus de pais. Les nouvelles
découvertes que je fis, me firent aller toujours plus avant , de forte
que l'Ouvrage parvint infei-'iblementà la grofTeur où vous le voyez
à préilnt. Je ne veux pas nier qu'on ne pût le réduire peut-être
à un plus petit Volume, & en abréger quelques parties ; parce que
la manière dont il a été écrit, par parcelles , à ciiverfes reprifcs 6c
en differens intervalles de te-ips , a pu m'entrainer dans quelques
répétitions. Mais à vous parler franchement, je n'ai préfentement
ni le courage ni le loifir de le fiire plus court.
Je n'ignore pas à quoi j'cxpyle ma propre réputation en mettant
au jour mon Ouvrage avec un défaut fi propre à dégoûter les
Leéleurs le.s plus iuelicieux qui font toujours les plus délicats.
Mais ceux qui lavent que la Parefîc fe paye aifèment des moindres
cxcuils, me pardonneront fi je luy ai laiifé prendre de l'empire
fur moy dans cette oecafion, où je pcnfc avoir une fort bonne rai-
fon de ne pas la combattre. Je n'alléguerai donc pas pour ma dè-
fenfe, que la même Notion fl\ant differens rapports , peut être
propre ou nèccfiairc à prouver ou liéelaircir différentes pr./:irsLrun
sûême Difcours, Se c]ue c'cll là ce qui eft arrivé en pkuieurs en-
droits
DE L' A U T E U R.
droits de celui que je donne préfentement au Public. Sans, dis-je, ap-
puyer fur cela, j'avouerai franchementquc j'ai fouvent infifté long-
temps fur le même Argument-, 6c que je l'ai exprimé endiv^rfes ma-
nières dans des vcûës tout-à-fait différentes. )e ne prétens pas publier
cet Eifai pour inftruirc ces perfonncs d'une vailc comprchcnfion, dont
l'Efprit vif & pénétrant voit auili-tot le fond des chofes ijeme rc-
connois un fimplc Ecolier auprès de ces grands Maîtres. C'cll-
pourquoy je les avertis par avance de ne s'attendre pas à voir ici-
autre chofe que des penfécs communes que mon Efprit m'a four-
nies, & qui font proportionnées à des Éfprits de la même portée
qui ne trouveront peut-êrre pas mauvais que j'aye pris quelque pei-
ne pour leur fiire voir clairement certaines veritcz que des Préju-
gez établis, ou ce qu'il y a de trop abftrait dans les Idées mêmes,
peuvent avoir rendu difficiles à comprendre. Certains Objets ont
befoin d'être tournez de tous cotez pour pouvoir être vus diftin-
ftemcnt; Sc lorfqu'une Notion eft nouvelle à l'Efprit, comme ]e,
confclfe que quelques-unes de celles-ci le font à mon égard, ou
qu'elle eft éloignée du chemin battu , comme je m'imagine que
plufieurs de celles que je propofe dans cet Ouvrage, le paroîtronc.
aux autres, une fimple veûë ne fuffit pas pour la faire entrer dans
l'Entendement de chaque perfonne, ou pour l'y fixer par une im-
preflîon nette 6c durable. Il y a peu de gens , à mon avis , qui
n'ayent obfervé en eux-mêmes, ou dans les autres, que ce qui propo-
fe d'une certaine manière, avoit été fort obicur , eft devenu fort
clair 8c fort intelligible, exprimé en d'autres termes ; quoy que
dans la fuite l'Efprit ne trouvât pas grand' différence dans ces dif-
férentes phrafes, 6C qu'il fut furpris que l'une eut été moins aiféa
à entendre que l'autre. Mais chaque chofe ne frappe pas égale,
ment l'imagination de chaque homme en particulier. Il n'y a pas
moins de différence dans l'Entendement des hommes que. uiuis leur.
Palais; §c quiconque fe figure que la même vérité fera également;
goiJtéc de tous , étant propofée à chacun de la ménîe manière y
peut cfpérer avec autant de fondement de régler tous les hommes
avec le même ragoût. Le mets peut être le même êc d'un bon fbc fans
être pourtant au goût de chacun lorfqu'il eft ainfi affailbnné; de forte
qu'il doit être apprêté d'une autre manière, fi vous voulez que cer--
taines gens , qui ont d'ailleurs l'eftomac fort bon , puifîént le différer.
La vérité eft que les mêmes perfonncs qui m'ont exhorté àpiiblier
cet Ouvrage, m'ont conleillé par cette raifbn de le publier tel qu'i\
c-ft; ce que je fuis bien aife d'apprendre à quiconque fè donner»
la peine de le lire,puifque je me fuis laiffé perfuadorà.le'.k)nnt;r-aa
Public, j'ai !i peu d'eiTvie d'être imprimé, que fi je ne me ^lucois--
t^ue cet Ellai pourroit- être de quelque ufige aux autres^ cotî^me.:
PREFACE
je croy qu'il l'a été à moy , je me fcrois contenté de le faire voir
à ces mêmes Amis qui m'ont fourni la première occafion dr le
compofer. Mon defllin ayant donc été,cn publiant cetOu\M-age,d'ctre
autant utile qu'il dépend de moy, j'ai crû que je devois néccilaire-
mcnt rendre ce que j'avois à dire , auffi clair 6c auffi intelligible
que je pourrois , à toute forte de Leéteurs. J'aime bien mieux
que les Efprits fpeculatifs ficpénétrans fe plaignent que je les ennuyé
en quelques endroits démon Livre, que fi d'autres perfbnnes qui
ne font pas accoutumées à des fpcculations abftraites, ou qui font
prévenues de notions différentes de celles que je leur propofc , n'cn-
troicnt pas dans mon fcns ou ne pouvoient abfolument point com-
prendre mes penfécs.
On regardera peut-être comme l'effet d'une vanité ou d'une in-
folence infupporrable, que je prétende infl;ruire un fiécle auîîi é-
clairé que le nôtre, puifque c'efb à peu près à quoy fe réduit ce
43UC je viens d'avoûër.que je publie cet Eflai dans l'efpérance qu'il
pourra être utile à d'autres. Mais, s'il eil permis de parler libre-
ment de ceux qui par ime feinte modeftic publient que ce qu'ils
écrivent n'eff: d'aucune utilité, je croy qu'il y a beaucoup plus de
vanité 6c d'infolence de fe propofcr aucun autre but que l'utilité
publique en mettant un Livre au jour ; de forte que qui fait impri-
mer un Ouvrage où il ne prétend pas que les Lcéteurs trouvent
rien d'utile ni pour eux ni pour les autres, pèche vifiblemcnt con-
tre le refpeét qu'il doit au Public. Quand bien ce Livre fcroit
effèétivement de cet ordre, mon deffein ne lailîéra pas d'être loua-
ble, & j'efpére que la bonté de mon intention exculêra le peu de
valeur duPréfent que je fais au Public. C'ell là principalement ce
qui me raflure contre la crainte des Cenfures auxquelles je n'attens
pas d'échapper pliîtôt que de plus cxccllcns F.crivains. Les Prin-
cipes, les Notions & IcsGoiJts des hommes font fi différens, qu'il
eft mal-aifé de trouver un Livre qui plaife ou déplaifc à tout le
monde. Je rcconnois que le Siècle où nous vivons n'eH pas le
moins éclairé, & qu il n'cft pns par conicqucnt le plus facile à
contenter. Si je n'ai pas le bonheur de plairre , perfonne ne doit
s'en prendre à moy. Je déclare naïvement à tous mes Leéteurs
qu'excepté une demi-douzaine de perfonncs , ce n'étoit pas pour
eux que cet Ouvrage avoit d'abord été delliné, Se qu'ainfi il n'efi:
pas néceflairc qu'ils fe donnent la peine de fe ranger dans ce pe-
tit nombre. Mais fi , malgré tout cela , quelqu'un juge à pro-
pos de critiquer ce Livre avec un Efprii ti'aigreur 6c de médi-
fince,il peut le faire hardiment ; car je trouverai le moyen d'em-
ployer mon temps à quelque chofe de meilleur qu'à un tel dcbac.
j'auray toujours la fatisfaction d'avoir eu pour but de chercher la
Vc«
DE L' A U T E U R.
Vérité 8c d'être de quelque utilité aux hommes , quoy que par un
moyen fort peu coniîderable. La République des Lettres ne man-
que pas préfentement deflimeux Archite6tes, qui, dans les grands-
deffein? qu'ils fc propofcnt pour l'avancement des Sciences , laifleronc
des Monuincns admirez de la Pofteritc la plus reculée j mais tout
le Monde ne peut pas cfpércr d'ttrc un BojU , ou un Sydenbam ;
& dans un Siècle qui produit d'aufll grands Maîtres que l'illuftre
H-:\g'ns & l'incomparable Mr. Is^ewton avec quelques autres de k
même volée, c'eft un ulîbz grand honneur que d'être employé en
qualité de. fimple ouvrier à nettoyer un peu le terrain 6c à écarter une
partie des vieilles ruïnesqui le rencontrent dans le chemin de laCon-
noiflànce, qui lans doute auroit fait de plus grands progrès dans
le Monde, fi les recherches de bien des gens pleins d'Efprit ôc la-
borieux n'euflènt été cmbarraflecs par un favant mais frivole ufli-
ge de termes barbares, afîèél:ez& inintelligibles, qu'on a introdiiic
dans les Sciences, 6c qu'on a réduit en Art, de forte que laPhilo-
fophie , qui n'eft autre chofe que la véritable Connoilîance des
Choies, a été jugée indigne ou incapable d'être admife dans les
Converfations des gens polis 6c bien élevez. II y a fi long-temps
que l'abus du Langage, 6c certaines façons de parler vagues 6c de
nul fens , paflènt pour des Myftércs de Science , 6c que de «rrands
mots ou des termes mal appliquez qui fignifient fort peu de chofe
ou qui ne fignifient abfolument rien, fe font acquis , par prefcrip-
tion, un tel droit de paiïer faulferaent pour le Savoir le plus pro-
fond 6c le plus abftrus, qu'il ne fera pas ficile de perfuader à ceux
qui parlent ce Langage, ou qui l'entendent parler, que ce n'eft au-
tre chofe qu'un moyen de couvrir l'Ignorance 6c d'arrêter le pro^
grès de la vraye Connoilîance. Ainfi , je m'imagine que ce (êra
rendre fervice a l'Entendement humain, de faire quelque brèche
à ce Sanftuaire d'Ignorance 6c de Vanité. Quoy qu'il y ait fore
peu de gens qui s'avifent de foupçonner que dans l'ufage des mots
ils trompent ou foient trompez , ou que le Langage de la Scéte
qu'ils ont embraflce ait aucun défaut qui mérite d'être examiné '
ou corrigé, j'efpére pourtant qu'on m'excufera de m'être fi forr
étendu fur ce fujet dans leTroifiémc Livre de cet Ouvrage j6c d'a-
voir tâché de faire voir fi évidemment cet abus des Mots que la'
longueur invétérée du mal , ni l'empire de la Coutume nepuilîènt
fervir d'excufe à ceux qui ne voudront pas fe mettre en peine da
fens qu'ils attachent aux mots dont ils fe fervent , ni permettra
qu'on recherche la fignification de leurs exprefiions.
Ayant fait imprimer un petit Abrégé de cetEllài en i688. deux
ans avant la publication de tout l'Ouvrage , j'ouïs dire qu'il fur
condamne par quelques perfonnes avant qu'elles fe fuHent donné
PREFACE
la peine de le lire, par la raifon qu'on y nioit les Idées »»«w, con-
cluant avec un peu trop de précipitation que fi l'on ne fuppolbit
•pas des làces innées^ il rcllcroit à peine quelque notion des Efprits
ou quelque preuve de leur exiilencc. Si quelqu'un conçoit un
pareil préjufTc à l'entrée de ce Livre , je le prie de ne laiflér pas
de le lire d'un bout à l'autre ; après quoy j'cfpére qu'il fera con-
vaincu qu'en renvcrfant de faux Principes on rend fervice à la
Vérité bien loin de luy faire aucun tort, la Vente n'étant jamais
fi fort bicflce ou expofée à de fi grands dangers que lorfque la
l'auflèté eft mêlée avec elle ou qu'elle eft employée à luy fervir de
fundement.
foicl ce ejHe f Ajoutai dam la frconde Edition.
L E Libraire ne me le pardonneroit pas , fi je ne difois rien de cet-
te Nouvelle Edition , qu'il a promis de purger de tant de fautes
qui d'^liguroient la Première. 11 fouhaite auflî qu'on fâche qu'il
y a dans cette fccondc Edition un nouveau Chapitre touchant 1'/-
defitite, & quantité d'additions & de corrcétions qu'on a fut en
d'autres endroits. A l'égard de ces Additions , je dois avertir le
Leéleur que ce ne font pas toujours des chofcs nouvelles, mais
que la plupart font ou de nouvelles preuves de ce que j'ai déjà dit,
ou des explications , pour prévenir les faux fcns qu'on pourroic
donner à ce qui avoit été publié auparavant, £c non des rctrafta-
tions de ce que j'avois déjà avancé. J'en excepte feulement le chan-
gement que j'ai fait au Chapitre 21. du fécond Livre.
Je crus que ce que j'avois écrit en cet endroit fur la Liberté' &
la Volonté ^ meritoit d'être revu avec toute l'exaftitudedont j'étois
capable, d'autant plus que ces Matières ont exercé les Savans dans
tous les fiécles , & qu'elles fe trouvent accompagnées de Queftions
Se de .iifficultez qui n'ont pas peu contribué à embrouiller la Mo-
rale 6c la Théologie, deux parties de k Connoiflance fur lefquel-
Ics l':s hommes font le plus interefléz à avoir des idées claires 6c di-
ili'.ctes. Après avoir donc confideré de plus jM-ès la manière dont
l'£;prit de l'Honmie agit, 6c avoir examine avec plus d'exaftiiu-
de quels lont les motifs 6c les vcûès qui le déterminent, j'ai trou-
ve que j'avois raifon de faire quelque changement aux peufccs que
j'avois eues auparavant fur ce qui détermine la Volonté en dernier
refibrt dans toutes les aétions volontaires. Je ne pu-s m'empècher
d'en faire un aveu public avec autant de facilité 6c de franchiic
que je publiai d'abord ce qui me parut alors le. plus raifonnabie,
me croyant plus l'bligc de renoncer à une de mes Opinions lorfque
la Vérité luy paroît contraire, que de combattre celle d'une autre
pcrfcnne. Car je ne cherche autre chofe que la Vérité, qui fera
roû'iours bien- venue chez moy , en quelque temps 6c de quelque
lieu qu'elle vienne. Mais
DE L' AUTEUR.
Mais quelque penchant que j'aye à abanJonner mes opinions 8c
à corriger ce que j'ai écrit , dès que j'y trouve quelque chofe à
reprendre , je lliis pourtant obligé de dire que je n'ai pas eu le
bonheur de retirer aucune lumière de toutes les Objc£bions qu'on
a publié contre difFérens endroits de mon Livre , & que je n'ai
point cû lujct de changer de penlcc fur aucun des articles quiayent
été mis en queftion. Soit que le fujet que je traite dans cet Ou-
vrage, exige ibuvent plus d'attention Se de méditation quedes Le-
cteurs trop hâtez ou du moins déjà préoccupez d'autres Opinions,
ne ibnt d'humeur d'en donner à une telle leéture , foit que mes
exprcffions répandent des ténèbres fur la matière même & que la
manière dont je traite de ces Notions empêche les autres de les
comprendre facilement ; je trouve que fouvcnt on prend mal le
léns de mes paroles & que je n'ay pas le bonheur d'être entendu
par tout comme il faut.
C'eft dequoy l'ingénieux * Auteur d'un Difcoars fur la Nature de * Mr. Uwiie,
f Homme, m'a fourni depuis peu un exemple fenfible , pour ne par- Êfcler»tftique
1er d'aucun autre. Car l'honnêteté de fes expreffions 8c la candeur ■^"g'.°'s ■ mort
qui convient aux perfonnes de Ion Ordre , m'empêchent de penfer ^l^^l *^"^ '^"^
qu'il ait voulu iniinuer fur la fin de (à Préfiice que par ce que j'ai
dit au Chapitre XXVIIl. du fécond Livre j'ai voulu changer U
FertH en Vtce & le Vice en Vertu, à moins qu'il n'ait mal pris ma
penfée^ ce qu'il n'auroit pu faire, s'il le fut donné la peine de con-
fîderer quel étoit le fujet que j'avois alors en main , 6c le deflein
principal de ce Chapitre qui ell aflcz nettement expofè dans * le *Pa£'.4i«,^tf
quatrième Paragraphe & dans les fuivans. Car en cet endroit mon
but n'étoit pas de donner des Règles de Morale, mais de montrer
l'origine & la nature des Idées Morales, £c de défigner les Règles
dont les hommes fe fervent dans les Relations morales , foit que
ces Régies foient vrayes ou fauflés ; en vertu dequoy je dis ce que
c'eft qu'on nomme Vertu Sc Vice en divers endroits du Monde , ce
qui ne change point la nature des chofes , quoy qu'en général les
hommes jugent de leurs aétions félon l'eftime 6c les coutumes du
Pais ou de la Seéte oii ils vivent , 6c que ce foit fur cette eftime
qu'ils leur donnent telle ou telle dénomination.
Si cet Auteur avoit pris la peine de réfléchir fur ce que j'ai dit
f'-ig. ^6. §. i8. (^45^. $. 15, 14, if- & 440- §. 2o. il auroit appris
ce que je penlê de la nature éternelle 6c inaltérable du jufte 6c de
l'Injufte, 6c ce que c'eft que je nomme Vertu 6c Vtce : 6c s'il eût
pris garde que dans l'endroit qu'il cite , je rapporte feulement com-
me un point de fait , ce que c'eft que d'autres appellent Vertu 6c
Vice, il n'y auroit pas trouvé matière à aucune cenfure confidera-
ble. Car je ne croy pas me mécompter beaucoup en difant qu'une
* * * * des
PREFACE
des Régies qu'on prend dans ce Monde pour fondement ou mefu-
rc d'une Relation Morale , c'cfl: l'ellime & la réputation qui eft
attachée à diverfes forces d'aftions endiflerentes Sociéccz d'hommes
en conféqucnce dcquoy ces aétions font appellées F'ertus ou P'tcej:
&C quelque fonds que le fàvant Mr. Lowde fafle fur fon -vieux Di-
Bionnaire ty^ttglois , j'ofe dire (fi j'étois obligé d'en appeller à ce
Diélionnaire) qu'il ne luy enfeignera nulle part , que la même a-
ftion n'eft pas autorifée dans un endroit du Monde , fous le nom
de ^erttt , 6c diffamée dans un autre endroit oîi elle paflé pour f^ice
& cft défignée par ce nom-là. Tout ce que j'ai fait , ou qu'on
peut mettre fur mon compte pour en conclurre que je change le
l^tce en Venu Se U Ferta en Ftce , c'efl d'avoir remarqué que les
hommes impofent les noms de Vertu & de Vice félon cette régie de
réputation. Mais le bon homme fait bien d'être aux aguets fur
ces fortes de matières. C'eil un employ convenable à fa Vocation.
11 a raifon de prendre l'allarme à la Icule veiië des expreffions qui
prifes à part ÔCen elles-mêmes peuvent être fufpeétes Sc avou- quel-
que chofe de choquant.
C'eft en confidcration de ce zèle permis àunhommedefaProfcf-
fion que je l'excufe de citer, comme il fait , ces paroles de mon
Livre ( p'ig- 451. §• 1I-) î»-^^-' Doreurs infpirez n^ont pas même fait
„ difficulté' dans leurs exhortations d'en appeller à la commune rcpu-
„ taticn ;, Que toutes les chofes qui font aimables , dit S. Paul, que tou-
„ tes les chofes qui font de bonne renommée , s'il y a quelque vertu 8c
„ quelque louange , penfèz à ces chofes, Phtl. Ch. IV.^î'.S. fans prendre
connoiiTance de celles-ci qui précèdent immédiatement 6c qui leur
fervent d'introduélion , Ce ijut fit ejtte parmi la dépravation même des
mœurs , les véritables homes de la Loy d.e la Nature ejui doit être la 1{e.
^le de la Vertu & du Vice , furent aj]èz. bien confervées ; de forte que les
DoïlcHrs inffirez. n'ont pas même fait difficulté ^c. Paroles qui mon-
trent vifiblement , auffi bien que le refte du Paragraphe , que je
n'ai pas cité ce palîage de S.Paul , pour prouver que la réputation
& la coiitume de chaque Société particulière confiderée en elle-
même foit la régie générale de ce que les hommes appellent Vertu
& Vice par tout le Monde , mais pour faire voir que , fi cette
coutume étoit cffèclivement la régie de la Vertu 6c du Vice , ce-
pendant pour les raifons que je propofedans cet endroit, les hom-
mes pour l'ordinaire ne s'élcHgneroient pas beaucoup dans les dé-
nominations qu'ils donncroient à-lcurs aélions ronfidcrées dans ce
rapport , de la Loy de la Nature qui eft la Régie conftante S<.
inaltwi-able, par laquelle ils doivent juger de la rectitude morale 6c
de la dépravation , pour leur donner en conféquence de c<^ juge-
ment, les dénominations de Venu ou de Vice. Si Mi" Lowde eut
ton»
DE L' AUTEUR.
confideré cela , il auroit vu qu'il ne pou voit pas tirer un grand
avantage de citer ces paroles dans un fêns que je ne leur ai pas
donné moy même; & lans doute qu'il le feroit épargné l'explica-
tion qu'il y ajoute qui n'étoit pas fort néceflaire. Mais j'cfpére
que cette féconde Edition le fatisfera fur cet article, 6c quelacho-
lè eft préfentement exprimée de telle manière qu'il ne pourra s'em-
pêcher de voir qu'il n'avoit aucun fujet d'en prendre oml)rage.
Quoy que je fois contraint de m'éloigncr de fon fentimcnt fur
le fujet de ces apprehenfions qu'il étale fur la fin de fa Préface, à ^
l'égard de ce que j'ai dit de la Fertu & du ^/f^, nous fommcs pour-
tant mieux d'accord qu'il ne penfe, fur ce qu'il dit dans fon Cha-
pitre troifiéme p'tg. 78. faj De finfcription tiatmelle & des noiiont
innées. Je ne veux pas luy refufer le privilège qu'il prétend {p'tg,
52 ) de pofcr la Qutftion comme il le trouvera à propos , & fur
tout puifqu'il la pofe de telle manière qu'il n'y met rien de con-
traire à ce que j'ai dit moy-même ; car fuivant luy, les Notions in-
nées font des chofes conditionnelles ejm dépendent du concours de plufieurs
antres circonftances pour <fue l'Ame les * fafe paraître : tout ce qu'il * Exer,xt^m La-
dit en faveur des Notions innées , imprimées , gravées (car pour "" Nousn'a-
les Idées innées il n'en dit pas un feul mot) fe réduit enfin à dire, J,°q^ ^°'""^ 'j*
Qu'il y a certaines Propofitions qui, quoy qu'inconnues à l'Ame mot François
dans le commencement, des que l'Homme irft né, peuventpour- qui exprime ex-
tant venir à fa connoiflànce dans la fuite par PajJîjlancecjH'elle tire des ^^^"^'^"^ '» ^-
Sens extérieurs & de quelque culture précédente , de forte Qu'elle foit 8'""""°" ^^, .
^ /r« ' j I •. ' 5 '1 " terme Latin,
certamement ailuree de leur vente, ce qui n'emporte pas davan-Les Anelois
tage que ce que j'ai avancé dans mon Premier Livre. Car je fup- l'ont adopté
pofe que par cet aéte qu'il attribue à l'Ame de -^ faire paroitre ces «^^ns kur Lan-
Koituns, il n'entend autre chofe que commencer de les connoître ; p^' "l ''^ ^
autrement, ce fera, à mon égard , une expreffion tout-à-fait in- /"/,"qui"v^nt
intelligible, £c du moins très-peu propre, à mon avis, dans cette du mot Latin
occafion, où elle nous donne le change en nous infinuant en quel- '""''"■'' &fig"i-
quc manière , que ces Notions étoient dans l'Efprit avant qu'il les f^ pre'cilc'ment
fAjfe paraître , c'eft-à-dire avant qu'elles luy foicnt connues; au (^ ""^" "
lieu qu'avant que ces Notions foient connues â l'Efprit , il n'y a -fExe
cfFeétivement dans l'Efprit rien autre chofe qu'une capacité de les
connoître , lorfque le concours de ces circonflances que cet ingénieux
Auteur juge nècelTaire , pour que l' Ame fajfe paroitre ces Notions,
nous les fait connoître.
=K^ 4f= # # ly Tp
(a) 11 y a dans l'Anglois, Katural in- ' l'Auteur de cette Objedlion n'cntendoit
fcription. fe croy qu II eft bon de con- pas trop bien ce qu'il vouloit dire parla,
fervcr en François cette expreinon, quel- je ne dois pas l'exprimer plus nettement
que étrange qu'elle patoifle. Comme 1 que luy.
la même cho-
PREFACE
Je trouve qu'il s'exprime ainfi à la page fl- Ces Notions tiaturdles
• Siipf»! tm- „g fçfii p,ij imprimées de telle forte d.tns l''Ame (jn'elles * fe prodt'.ifent
'■*"*• tUes-mêmes nécejfiirement (même dans les Enfans (^ les Imbealles] fws
aucune aptftance des Sens extérieurs , ou fans le fecours de quelcjue culinre
précédente. Il dit ici qu'elles fe prodiufcnt elles-mêmes , fie à la pao;e
78. que c'eft l'Ame qui \cs fait paraître. Qiiand il aura explique à
luy-même ou aux autres ce qu'il entend par cet aâ:e de l'Ame qui
fait paraître les Notions innées, ou par ces Notions c\ui fe produi/ènt
0 elles-mêmes , 6c ce que c'eft que cette culture précédente 6c ces
* Sutrantur. circonftances requifcs pour que les Notions innées * Joient produites,
il trouvera, je penfc, qu'excepté qu'il appelle produire des Notions
ce que je nomme dans un ftile plus commun connaître , il y a fi
peu de difiércnce entre Ton fentiment 6c le mien fur cet article ,
que j'ai raifon de croire qu'il n'a inféré mon nom dans fon Ouvra-
ge que pour avoir le plaiiir de parler honnêtement de moy , ce que
j'avoûë avec des léntimens d'une véritable reconnoUlance qu'il a fait
par tout où il a parlé de moy, en me donnant, aufîî bien que d'au-
tres Ecrivains, un titre fur lequel je n'ai aucun droit.
Qiie fi quelques autres Auteurs pour ne pgs perdre aucune de
leurs bonnes pcnfées , ont publié des critiques fur mon Ejfii en
luy faifant l'honneur de ne vouloir pas permettre qu'il pafl'e pour
un Elfai, je lailîé au Public le ibin de leur témoigner l'obligation
Îiu'il leur a d'avoir pris la plume pour cenfurer mon Ouvrage,
ans engager mon Lecteur à perdre fon temps à me voir employé
à un foin aufiî frivole ou aufiî malicieux que le feroit celui de di-
minuer le plaifir qu'un Auteur goûte en luy-même ou qu'il donne
aux autres dans une réfutation précipitée de ce que j'ai mis au
jour.
C^efl la ce que je jugeai ne'cejfaire de dire fur U féconde Edition
de cet Ouvrage , & voici ce que je fuis obligé d'ajouter pre-
fentement.
L E Libraire fe difpofîint à publier cette Qiiatriéme Edition de
mon Effdty m'en donna avis, afin que je puilè fliire les Additions
ou les Correétions que je jugerois à propos, fi j'en avois le loifir.
Sur quoy il ne fera pas inutile d'avertir le Leéteur, qu'outre plu-
fieurs correftions que j'ai fiiit çà & là dans tout l'Ouvrage , il y a
un changement dont je croy qu'il eft néceflaire de dire un mot
dans cet endroit , parce qu'il fe répand fur tout le Livre 8c qu'il
importe de le bien comprendre.
On parle fort fou vent à^ Idées claires & diJlinBes, rien n'cft plus
ordinaire que ces termes ; mais quoy qu'ils foient communément
dans la bouche des hommes , j'ay raifon de croire que tous ceux
qui s'en fervent, ne les cutcudent pas parBùtemcnt. Et peut-être
n'y
DE L' AUTEUR.
n'y a-t-il que quelque perfonne çà 6c li qui prenne la peine d'exa-
miner ces termes , jufqucs à connoîtrc ce que Uiy ou les autres
entendent précifémcnt par là. C'eilpourquoy j'ai mieux aimé met-
tre ordinairement au lieu des mots cl,w & dijhn^i celui de daer-
mtué , comme plus propre à faire comprendre à mes Lecteurs ce
que je penle fur cette matière. J'entcns donc par une ide'c de'ter-
minée un certain Objet dans l'Efprit, & par conféquent un <Jb\et
détermine, c'eft-à-du-e , tel qu'il y eil vu & aftucUcment apperçu.
C'eft là, je penfc, ce qu'on peut commodément appeller une/^/tf
déterminée , lorfqiie telle qu'elle eft cbjeiiivemtnt dans l'Efprit en
quelque temps que ce foit, & qu'elle y eft, par conféquent, dé-
termmée , elle eft attachée & fixée fuis aucune variation à un cer-
tain nom ou fon articule qui doit être conftamment le figne de ce
même objet de l'Efprit, de cette Idée précil'e 6c d terminée.
Pour expliquer ceci d'une manière un peu plus particulière ;
lorlquece mot déterminé t'a appliqué à une Idée fimple , j'cntenspar
là cette fimple apparence que l'Efprit a , pour ainfi dire , devant
les yeux , ou qu'il apperçoit en ioy-mèmc lorfque cette Idée eft
dite être en luy. Par le même terme , appliqué à une Idée com-
flexe , i'entens une Idée compofée d'un nombre déterminé de cer-
taines Idées fimples, ou d'Idées moins complexes, unies dans cet-
te prtfportion & fituation où l'Efprit la confidere préfente àfaveuë,
ou la voit en luy-mêmc, lorfque cette Idée y eft ou devroity être
prélènte quand on luy donne un certain noxndéterminé. Jedis qu'el-
le ^ewo/> être fréfente , parce que, bien loin que chacun ait foin de
n'employer aucun terme avant que d'avoir vu dans fon Efprit l'i-
dée précile 8c déterminée dont il veut qu'il foit le figne , il n'y a
prefque perfonne qui dcfcende dans cette grande exaftitude. C'eft
pourtant ce défaut d'exaélitude qui répand tant d'obfcurité 6c de
confufion dans les penfécs & dans les difcours des hommes.
Je fai qu'il n'y a pas aflcz de mots dans aucune Langue pour ex-
primer toute cette variété d'Idées qui entrent dans les Dilcours ^
les raifonncmens des hommes. Mais cela n'empêche pas que lorf-
qu'un homme employé un mot, il ne puiflé avoir dans fon Efprit
une Idée diiermtnée dont il le faflc figne, & à laquelle il dcvroit le
tenir conftamment attaché pendant ce préfent dilcours. Et lorf-
qu'il ne le fait pas ou qu'il ne peut le faire , c'eft en vain qu'il
prétend à des Idées claires & diftinélcs. Il eft vifiblc que les fien-
nes ne le font pas, 8c par conféquent par tout où l'on employé de
ces fortes de termes auxquels on n'a point attaché de telles idées
déterminées, on ne peut attendre que confufion 8c obfcurité.
Sur ce fondement , j'ai ctû que de donner aux Idées l'épithete
de déterminées , ce feroit une exprcfilon moins fujcttc à être mal
PREFACE DE L'AUTEUR.
entendue que fi je les appellois cLures & diftinEles ; 8c lorfque les hom-
mes auront acquis de telles Idées déterminées fur toutes les chofes
qui font le fujet de leurs raifonnemens , de leurs recherches Se de
leurs difputcs , ils trouveront k fin d'une grande partie de leurs
doutes & de leurs démêlez j car la plupart des Queftions 8c des
Controverfcs qui erabarraOcnt l'Efprit des hommes dépendent de
l'ufage douteux Sc incertain qu'on fuit des mots, ou (ce qui eft la
même chofe) des Idées inâéurmmees qu'ils leur font fignificr. j'ai
choifi ce terme pour donner à entendre , premièrement, quelque
Objet immédiat de l'Efprit qu'il apperçoit 8c qu'il a devant luy
comme diftinét dufon qu'il employé pour en être le figne \ 8c en
fécond lieu, que cette Idée ainfi déterminée , c'ell à dire que l'Ef-
prit a en luy-même, qu'il connoit 8c voit comme y étant actuelle-
ment, eft attachée fans aucun changement, à un tel nom, Se que
ce nom eft déterminé à cette idée précife. Si les hommes avoicnt
de telles Idées déterminées dans leurs Difcours Sc dans les Recherches
oîi ils s'engagent , ils verroient juiqu'où s'étendent leurs recher-
ches 8c leurs découvertes, Se en même temps ils éviteroientlaplus
grande partie des Difputes 8c des Querelles qu'ils ont avec les au-
tres hommes.
Outre cela, le Libraire trouve à propos que j'avertifle le Leéteur
que cette Edition eft augmentée de deux Chapitres tout-à-fait nou-
*Pag.'48 5,îS'f. veaux, dont l'un traite de * V ^'IJfoctanon des Idées 8c l'autre de -|- 1'£«-
tPag-903»^''- thoufi^ime. Du refte, afin que ces Additions Se quelques autres %(-
fez étendues qui n'ont pas encore vu le jour, ne foient pas perdues
pour ceux qui les voudront avoir fins acheter encore ce Livre, le
Libraire s'eft engagé de les imprimer à part , comme il avoic fait
en publiant la féconde Edition.
TABLE
TABLE
DES
MAT 1ERE
Contenues dans chaque Chapitre , article
par article.
AVANT-PROPOS.
Deffein de l'^Atiteur dans cet Ouvrage.
G
Ombien il eft agréable & uti-
le de connoîtrc l'Entende-
ment Humain.
, DefTein de cet Ouvrage.
Méthode qu'on y obierve.
Combien il eft utile de connoître l'é-
tendue de nôtre Comprehenfion.
L'Etendue de nos Connoi{Iànces eft
proportionnée à nôtre état dans ce
Monde & à nos befoins.
6. La connoiflance des forces de nôtre
Efprit fufEt pour guérir du Scepticifme
& de la négligence où l'on s'abandon-
ne lorfqu'on doute de pouvoir trou-
ver la Vérité.
7. Quelle a été l'occafion de cet Ou»
vrage.
8. Ce que fignifie le fnot à'Idée.
LIVRE PREMIER.
Des Notions Innées.
CHAR I.
§iu^il ny a point de Principes
j'pecîilatifs , i7mez dans l' Ef-
prit de l'homme.
I. T A manière dont les hommes ac-
I j qniérent leurs connoifi'ances
prouve qu'elles ne font point innées.
4. On dit que ceitains Principes font
reçus d'un confentement univerfêî
Principale raifon par laquelle on pré-
tend prouver que ces Principes ibnî
innez.
3 . Le Confentement «niverfel ne prou-
ve rien.
4. Ce qui ejl, efl : & // ejl impofflble
qu'une chofe [oit ^ ne foit pas en mê-
me temps ; deux Piopofitions qui ne
font pas unJverrellement reçues.
5. Elles ne font pas gravées naturelle-
mear
ment dans l'Ame, puifqu'elles ne font
pas connues des Enfans , des Imbe-
cilles , is'i:-
6, 7. Réfutation d'une féconde raifon
qu'on employé pour prouver qu'il y
a des veritez inn.^es , qui eft que les
liommes connoifTent ces veritez dès
qu'ils ont l'ufage de la Raifon.'
8. Suppofé que la Raiibn ûécouvre ces
premiers Principes, il ne s'enfuit pas
delà qu'ils fuient innez.
o-ii. 11 ell faux que la Raifon décou-
vre ces Principes.
T.«i. Qiiand on commence à faire ufage
de la Raifon , on ne commence pas
à connoître ces Maximes générales
qu'on veut faire pafler.pour innées.
15. On ne peut point les diftinguer p ru-
là de plufieurs autres Veritez qu'on
peut connoître dans le même temps.
14. Quand on commenceroit à les con-
noître, dès qu'on vient à faire ufage
'de la Raifon , cela ne prouveroit point
qu'elles foient innées.
15, 16. Par quels dégrez l'Efprit vient
à connoître plufieurs veritez.
17. De ce qu'on reçoit ces Maximes
dès qu'elles font propofées & con-
çues, il ne s'enfuit pas qu'elles foient
innées.
i8. Ce confcntement prouveroit que
ces Propofitions , l/« is" deux {ont c-
gaux à trois , Lf doux n'cfi poiat T'a-
mer , & mille autres femblables , fe-
roient innées.
19, 10. De telles Propofitions moins gé-
nérales , font plutôt connues que les
Maximes uni verfelles qu'on veut faire
pafler pour it^nees.
il. Ce qui piouve que les Propofitions
qu'on appelle innées ne le font pas,
c'eil qu'elles ne font connues qu'après
qu'on les a propofées.
il. Si l'on dit qu'elles font connues im-
plicitement avant que d'être propo-
fées , ou cela i'igniine que l'Efprit elt
cafiable de les comprendre, ou il ne
fignifie rien.
i}. La conféquerce qu'on prétend tirer
de ce qu'on reçoit ces Propofitions
dès qu'on les entend dire , eu fondée
Table des Matières
fur cette faulTe fuppodtion qu'en ap-
prenant ces Prcpofitions on n'apprend
rien de nouveau.
4. Les Propofitions qu'on veut faire
paflèr pour innées , ne le font point ,
parce qu'elles ne font pas univerfelle-
ment reçues.
L5. Elles ne font pas connues avant tou-
te autre chofe.
16. Par conféquent elles ne font point
innées.
17, i8. Elles ne font point innées parce
qu'elles paroidèi t moins où elles de-
vroient fe montrer avec plus d'éclat.
C H A P. II.
Glue nuls Principes de pratique
ne font mnez.
I. TL n'y a point de Principe de Mo-
_L raie fi clair ni fi généralement
reçu que les Maximes ipeculatives
dont on vient de parler.
1. Tons les hommes re regardent pas
la Fidélité & la Juftice comme des
Principes.
} . On objefte que les hommes démentent
par leurs avions ce qu^ils cruycnt dans
leur ame , réponfe à cette Ôbjeétion.
4. Les Régies de Morale ont befoin
d'être prouvées , donc elles ne font .
point innées.
5. Exemple tiré des raifons pourquoy
il faut obferver les Contrads.
6. 7. La Vertu efl généralement approu-
vée, non pas à caufe qu'elle efl: »»»tr,
mais parce qu'elle ell; utile.
8. La Confcience ne prouve pas qu'il
y ait aucune Régie de Morale , »'»-
■née.
9. Exemples de plufieurs aârions énor-
mes, commifes fans aucuns remords
de confcience.
10. Les hommes ont des Principes de
pratique , oppofez les uns aux au-
tres.
11-13. Des Nations entières rejettent
plulieurs régies de Murale.
14.
^es Chapitres
3(4. Ceux qui foûtiennent qu'il y a des
Principes de pratique innez , ne nous
difenc pas quels font ces Principes.
15-19. Examen des Principes innez que
propofe Mylord Herbert.
10. On objeàe y^e h^i Principes innez.
fcHvent être corrompis. Réponfe à
cette objeftion.
zi. On reçoit dans le Monde des Prin-
cipes qui fe détruifent les uns les au-
tres.
ii-z^. Par quels dégrez les hommes
viennent communément à recevoir
certaines chofes pour Principes.
z6. Comment les hommes viennent pour
l'ordinaire à fe faire des Principes.
iy. Les Principes doivent être exami-
nez.
C H A P. m.
^lil ny a point de Principes
mnes:.
i. "TnEs Principes ne fauroient être
JL/ innez , à moins que les Idées
dont ils font compofez , ne le foicnt
auffi.
2. Les Idées & fur tout celles quicom-
pofent les Propofitions qu'on appel-
le Principes , ne font point nées avec
les Enfans.
;. Preuve de la même vérité.
. Liv. IL
4, 5. L'Idée de V Identité' n'eft point in-
née.
6. Les idées de To^u & de Partie ne
font point innées.
7. L'idée à'adoratwn n'eft pas innée.
8-n. L'idée de Dieu n'eft point innée.
iz. Il eft convenable à la bonté de Dieu,
que tous les homnies ayent une idée de
cet Etre fuprcme : Donc Dieu a gravé
eetti id^e dans Carne de tons les hommes.
Réponfe à cette Objeftion.
13-16. Les idées de Dieu font difleren-
tes en différentes perfonnes.
17. Si l'idée de Dieu n'eft pas innée ,"
aucune autre idée ne peut être regar-
dée comme innée.
18. L'idée de la Sulflance n'eft pas in-
née.
19. Nulles Propofitions ne peuvent être
innées , parce qu'il n'y a point d'idées
innées.
zo. Il n'y a point d'idées innées dans la
Mémoire.
zi. Les Principes qu'on veut faire paf-
fer pour innez. , ne le font pas , par-
ce qu'ils font de peu d'ufage,ou d'u-
ne évidence peu lénfible.
2,z. La différence des découvertes que
font les hommes , dépend du différent
ufage qu'ils font de leurs Facultez.
Z3. Les hommes doivent penfenSc con-
noîtie les chofes par eu.x-mêmes.
14. D'où vient l'opinion qui polè des
Principes innez.
ij. Conclufion du Premier Livre.
LIVRE SECOND.
Des Idées.
c H A P. I.
Del'Origine des Idées-, 1^ fi l'A-
me de V fjomme penfe toiîjoiirs.
I. /^E qu'on nomme Idée, c'eft l'objet
^^ de I4 Penfée.
z. Toutes les Idées viennent par Senfa-
tion ou par Reflexion.
3. Objets de la i'<r»/«;/5«, première four-'
ce de nos Idées.
4. Les Opérations de nôtre Efprit, au-
tre fource de nos Idées.
5. Toutes nos Idées viennent de l'une
de ces deux fources.
***** ^
Table des Matures
6. Ce qu'on pcnt obfcrver dans les En-
fans.
7. Les hommes reçoivent plusoa moins
de ces Idées, félon que differens Ob-
jets fe prélentent à eux.
8. Les Idées qui viennent par Reflexion,
font plus tard dans l'Êfprit , parce
qu'il faut de l'attention pour les dé-
couvrir.
9. L'Ame commence d'avoir des Idées
lorfqu'elle commence d'appercevoir.
10. L'Ame ne penfe pas toujours.
n. L'Ame ne lent pas toujours qu'elle
penfe.
I i. Si un homme endormi penfe fans le
favoir, un homme qui dort , & qui
enfuite veille , ce font deux perfon-
nes.
13. Il eft impcffible de convaincre ceux
qui dorment fans faire aucun fonge ,
qu'ils pe.ifent pendant leur fommeil.
14. C'eft en vain qu'on oppofe que les
hommes font des fonges dont ils nefe
reflbuviennent point.
15. Selon cette Hypothéfe, les penfées
d'un homme endormi devroient être
plus conformes à la Raifon.
16. Suivant cette Hypothéfe , l'Ame
doit avoir des idées qui ne viennent
ni pnr Senfation ni par Reflexion, à
quoy il n'y a nulle apparence.
17. Si je penfe fans le favoir moy-mê-
me , nulle autre perfonne ne peut le
favoir.
18. 19. Perfonne repeut connoîtreque
l'Ame penfe toujours , fans en avoir
des preuves , paice que ce n'eft pas
une Propofition évidente par elle-
même.
io. L'Ame n'a aucune idée que par Sen-
fation ou par Retlexion.
ii-13. C'eft ce que nous pouvons ob-
ferver évidemment dans les Enfans.
2-4- Quelle cft l'origine de toutes nos
ConnoifTances.
i5 L'Entendement eft pour l'ordinaire
paflif dans la réception des Idées fim-
ples.
C H A P. II.
Des Idées /impies.
1. "I Dées qui ne font pas compo-
Jl fées.
1, } . L'Efprit ne peut ni faite ni détrui-
re des Idées fimples.
C H A P. III.
Des Idées qui nous viennent par
iinfeul Sens.
I. T~Xlyifion des Idées fimples. Idées
Xj qui viennent dans l'Efprit par
un feul Sens.
1. Il y a peu d'Idées fimples qui ayent
des noms.
C H A P. IV.
T>e la Solidité.
I. /~^'Eft par l'attouchement que nous
^^ recevons l'idée de la Solidité,
i. La Solidité remplit l'Efpace.
3. La Solidité eft différente de l'Efpa-
ce.
4. En quoy la Solidité diifére de la Du-
reté.
5. De la Solidité dépend l'impulfion mu-
tuelle des Corps , leur refiftance & leur
fimplc impuliion.
6. Ce que c'eft que la Solidité.
C H A P. V.
Des Idées fimples qui nous vien-
nent par divers Sens.
CHAP.
des Chapitres. Liv. II.
C H A P. VI.
Des Idées Jimples qui viennent
par Rejlexion.
1. /^Es Idées font les Opérations de
^ l'Efprit fur Tes autres Idées.
2. Les Idées de la Perception & de la
Volonté nous viennent par Reflc-
C H A P. VII.
Des Idées /impies qui viennent
par Senfation & p^r Re-
jlexion.
1—6. "pvU Piaifir & de la Dou-
\_J leur.
7, Comment on vient à fe former des
Idées de l'Exiftence & de l'Unité.
8. La Puiflance, autre Idée fimple qui
nous vient par Senfation & par Re-
flexion.
g. L'Idée de la Succeffion comment in-
troduite dans l'Efprit.
10. Les Idées fimples font les matériaux
de toutes nos Connoiflances.
C H A P. VIII.
entres confiderations fur les
Idées Jimpîes.
I — 6. TDécs pofitivesqui viennent de
X caufes privatives.
7, 8. idées dans l'Èlprit à l'occafion des
Corps & Qualitez dans les Corps ,
deux chofes qui doivent être diftin-
guées.
9, 10. Premières & fécondes Qualitez
dans les Corps-
II, II. Comment les Premières Qualitez
produifeiit des Idées en nous.
15, 14. Comment les fécondes Qualités
excitent en nous des Idées.
15-11. Les Idées des Premières Qualitez
reflêmblent à ces Qualitez , 8c celles
des fécondes ne leur reflêmblent en
aucune manière.
13. On diftingue trois fortes de Qualitez
dars les Corps.
24,15". Les premières Qualitez font dans
les Corps : Les fécondes Ibnt jugées
y être & n'y font point : Les troillé-
mes n'y font p.ns , & ne font pas ju-
gées y être.
26. Diftinftion qu'on peut mettre entre
les fécondes Qualitez,
, C H A P. IX.
De la Perception.
I. T A Perception efl: la première
l_j Idée iirnple produite par la
Reflexion.
2-4. II n'y a de la Perception que lors-
qu'il fe fait une impreflîon fur l'Ef-
prit.
5,6. De ce que les Enfans ont des Idées
dans le foin de leur Mère, il ne s'en-
fuit pas qu'ils ayent des Idées innées.
7. On ne peut favoir évidemment quel-
les font les premières Idées qui en-
trent dans l'Efprit.
8-10. Les Idées qui viennent par Senfa-
tion font fouvcnt altérées par le Ju-
gement.
II- 14. C'eft la perception qui diflin-
gue les Animaux d'avec les Etres in-
térieurs.
15. C'eft par la Perception que l'Efprit
commence à acquérir des ConnoiA
fances.
C H A P. X.
De la Rétention.
I. T A Contemplation.
.. J_,La--
Mémoire.
Table des Matières
^. L'Attention , la Répétition^ , le
Plaifir & la Douleur fervent à fixer
les idées dans l'Efprit.
4, 5. Les Idées s'effacent de la Mémoi-
re-
6, 7. Des Idées conftamment répétées
peuvent à peine fe perdre.
S, 9. Deux défauts dans la Mémoire,
un entier oubli , & une grande len-
teur à rappeller les Idées qu'elle a en
dépôt.
10. Les Bêtes ont de la Mémoire.
C H A P. XI.
De la Faculté de dijlingucr les
Idées CT" de quelques autres
Opérations de l'Efprit.
-\. TL n'y a point de connoifTance fans
X difcernement.
i, 3. Différence entre l'Efprit & le Ju-
gement.
C H A P. XII.
Des Idées complexes.
I. T" Es Idées «w/ï/^A-w font celles que
1 j l'Efprit compofe des Idéeijiy»-
pks.
2." C'eft volontairement qu'on fait des
Idées complexes.
3. Les Idées complexes font ou des Mo-
des , ou des Subftances ou des Rela-
tions.
4. Des Modes.
5. Deux fortes de Modes, les uns fim-
ples, & les autres Mixtes.
6. Subftances fingulieres ou colleétives.
7. Ce que c'eft que ReJatto^t.
8. Les Idées les plus abftrufes ne vien-
nent que de deux fources ; la Senfation
ou la Reflexion.
De la faculté que nous avons de com-
parer noo Idées.
j. Les Bêtes ne comparent des Idées
que d'une manière imparfaite.
6. Autre Faculté qui confifte à compo-
fer des Idées.
7. Les Bêtes font peu de compofitions
d'Idées.
8. Donner des noms aux Idées.
9. . Ce que c'eft qu'abftradlion.
10,11. Les Bêtes ne forment point d'ab-
ftraftions.
1 i. Défaut des Imbecilles.
1 5, 14. Différence entre les Imbecilles &
les Fous.
J5. Source des Connoiffances Humai-
nes.
16. Sur quoy on en appelle à l'Expé-
rience.
17. Nôtre Entendement comparé à une
Chambre obfcure.
C H A P. XIII.
Des Modes Simples ; e^ premiè-
rement de ceuxdeVEfpace.
1. X-, Es Modes fimples.
i, }. Idée de l'Efpace.
4. L'Immenfité.
j,6. La Figure.
7-10. Le Lieu.
1 1-14. Le Coyps 8f VEtenJue ne font pas
la même chofe.
15. La Définition de l'Etendue ne prou-
ve point qu'il ne fauroit y avoir de
l'Elpace fans Corps.
16. La Divifion des Etres en Corps &
Efpritï , ne prouve point que l'Efpa-
ce & le Corps foient la même choie.
i-,i8. LaSubftance, que nousne con-
noiilbns pas, ne peut fervir de preu-
ve contre 1 exiftence d'un Efpace fans
Corps.
19, io. Les mots de Snhflancc Sià^/lcci-^
dent font de peu d'ufage dans la Phi-
iofophie.
il. Qu'il y a un vuide au delà desder
nieres bornes des Corps.
il. La puifTance d'annihiler prouve le
Vuide.
23. Le Mouvement prouve le Vuide.
i4. Les Idées de l'Efpaee & du Corps
font diftinâ-es l'une de l'autre.
i{, z6. De ce que l'étendue eft infépa-
rsble du Corps il ne s'enluit pas que
l'Efpaee & le Corps foient une feula
& même chofe.
17. Les Idées de l'Efpaee & de la Soli-
dité différent l'une de l'autre.
î8. Les liomnics différent peu entr'eux
fur les Idées qu'ils conçoivent claire-
ment.
f C H A P. XIV.
De la Durée , c^ defes Modes
fimples.
i. V—'E que c'eft que la Durée.
2,-4. L'idée que nous en avons , nous
vient de la reflexion que nous faifons
fur la fuite des Idées qui fe fuccedent
dans nôtre Efprit.
y. Nous pouvons appliquer l'idée de la
Durée a des chofes qui exiftent pen-
dant que nous dormons.
6-8. L'Idée de la Succeffion ne nous vient
pas du Mouvement.
9-11. Nos Idées fe fuccedent dans nô-
tre Efprit , dans un certain degré de
vîtcflè.
11. Cette fuite de nos Idées eft la me-
fure des autres Succeffions.
13-15. Nôtre Efprit re peut fe fixer
long-temps fur une feule idée qui re-
fte purement la même.
16, De quelque manière que f;os Idées
foient produites en nous , elles n'en-
ferment aucune fenfation de mouve-
ment.
17. Le Temps efl: une Durée diftinguée
par certaines mefures.
e8. Une bonne tnefure du Temps doit
mefurer toute fa Durée en Périodes
égales,
des Chapitres. Liv. II.
19. Les Révolutions du Soleil & de la '
Lune Ibnt les mefures du Temps les
plus commodes.
io. Ce n'eft pas par le mouvement du
Soleil & de la Lune que le Temps efl:
mefuré , mais par leurs apparences
périodiques,
il. On ne peut point connoître certai-
nement que deux parties de Durée
foient égales.
22. Le Temps n'eft pas la mefure diî
Mouvement.
25. Les Minutes , les Heures , les ÂK'
ne'es ne font pas des mefures necefiai-
res.
24-26. Nôtre mefure du Temps peut
être appliquée à la Durée qui a exifté
avant le Temps.
27-50. Comment nous vient l'Idée de
VEterKtté.
C H A P. XV.
De la Durée ^ de V ExpanJIûfs
conjlderées enfemble.
1. T A Durée & l'Expanfion capables
8 ,, du plus & du moins.
2. L'Expanfion n'eft pas bornée par la
Matière.
3. La Durée n'eft pas bornée non plus
par le Mouvement.
4. Pourquoy on admet plus aifément
une Durée infinie , qu'une Expanfion
infinie.
5. Le Temps eft à la Durée ce que le
Lieu eft a l'Expânfion.
6. Le Temps & le Lieu f )nt pris pour
autant de portions de Durée & d'Ef-
pace qu'on en peut defigner par l'exi-
ftence & le mouvement des Corps.
7. Quelquefois pour tout autant deDu>
rée & d'Efpace que nous en defignons
par des mefures prifes de la groflèat
oU du mouvement des Corps.
8. Le Lieu & le Temps appartiennent *
à tous les Etres finis.
9. Chaque partie de rExtenfion,eftex'-"
***** < tenfion»'
Table des
tcnfion, & chaque pai tiède la Durée,
eft durée.
10. Les parties de l'ETpanfion , & de
la Durée font infeparables.
11. La Durée eft comme une Ligne, &
l'Expanfion comme un folide.
li. Deux parties de la Durée n'exiftent
jr.mais enfemblc , & les parties de
TExpai fion exiftent toutes enfemble.
C H A P. XVI.
Du Nombre.
1. -r E Ncmbre eft la plus fimple &
Lr la plus univerlelle de toutes
ne s Idée?,
i. Les Modes du Nombre fe fcnt par
voye d'Addition.
5. Chaque Mode exaftement diftincl
dans le Nombre.
4. Les Demonftratiors dans les Nom-
bres font plus précifes.
5. Combien il eft nécelTaire de donner
des Noms aux Nombres.
6. Autre railbn pour établir cette né-
ce flké.
7. Pourquoy les Enfans ne cornptent
pas plîitôt , qu'ils n'ont accoutumé
de faire.
8. Le Nombre mefure tout ce qui eft
capable d'être raefuré.
C H A P. XVII.
I)e l'Infnité.
,. "7^"TOu3 attribuons immédiatement
J^ l'idée de \' Infinité à l'Efpace,
à la Durée & au Nombre.
1. 5. L'Idée du FiTii nous vient aifément
dans l'Efprit.
4. Nôtre Idée de l'Efpace eft fans bor-
nes.
j. Nôtre Idée de la Durée eft aulli fans
bornes.
6. Pourquoy d'autres Idées ne font pas
capables d'Infinité.
Matières
7. Différence entre l'infinité de l'Efpace,
& un Efpace infini.
8. Nous n'avons pas l'idée d'un Efpace
infini.
9. Le Nombre nous donne la plus nette
idée de l'Infinité.
10. Nous concevons difteremment l'in-
finité du Nombre, celle de la Durée &
celle de l'Expanfion.
11. Comment nous concevons l'Irifinité
de l'Elpace.
II. 11 y a une infinie divifibilité dansia
Matière.
I). 14. Nous n'avons point d'idée pofi-
tive de l'Infini.
15. Ce qu'il y a de pofitif & de négatif
dans nôtre idée de l'Infini.
i6. 17. Nous n'avons point d'idée pofi-
tive d'une Durée infinie.
18. Nous n'avons point d'idée pofitive
d'un Efpace infini.
19. Ce qu'il y a de pofitif, & de négatif
dans nôtre Idée de l'Infini.
10. Il y a des gens quicroyent avoir une
idée pofitive de \' Eternité., & non de
X'Rfpace.
11.11. Les idées pofitives qu'on fuppofe
avoir de r/»/î»//t''caufentdesméprifes
fur cet article.
C H A P. XVIII.
T>e quelques autres Modes
fiw^les.
1. 1. iVJLO'-les du Mouvement.
5. Modes des Sons.
4. Modes des Couleurs.
5.6. Modes des Saveurs &: des Odeurs.
7. Pourquoy quelques Modes ont des
noms ; & d'autres n'en ont pas.
CHAP.
des Chapitres. L i v. II.
CHAP. XIX.
T>es Modes , qui regardent la
Fenfe'e.
j. 2. T~vlvers Modes de penfer , la Sen-
_L/ fation, laRcminifcence, la
Contemplation , &c.
3. Différens dégrez d'attention dans
l'Efprit, lors qu'il penfe.
4. Il s'enfnit probablement de là, que la
Penfée cft l'aftion & non l'eflènce de
l'Ame.
CHAP. XX.
Des Modes du Flaijir é^ de la
Douleur.
I. T E Plaifir & la Douleur font des
■*-' Idées (impies.
£. Ce quec'eft que le Bien & le Mal.
3. Le Bien & le Mal mettent nos Paf-
fions en mouvement.
4. Ce que c'efl: que l'Amour.
5 . La Haine.
6. Le Defir.
7. La Joye.
8. LaTriftefTe.
9. L'Efperance.
ïo. La Crainte.
II. Le Defefpoir.
II. la Colère.
13. L'Envie.
14. Quelles Pallions fe trouvent dans
tous les Hommes.
15. 16. Ce que c'cft que le Plaifir & la
Douleur.
17. La Honte.
1%. Ces Exemples peuvent fervirâmon-
tier comment les Idées des Paillons
nous viennent par Senfation & par Re-
flexion.
CHAP. XXI.
De la Puijfance.
I. comment nous acquérons l'Idée
^-^ de la Piiiffatice.
z. Puiflance aftive & pafllve.
3- La Puiflance renferme quelque Re-
lation.
4- La plus claire idée de la Puiflance
aflrive nous vient de l'Efprit.
5.6. La Volonté & l'Entendement fonC
deux Puifiànces.
7. D'où nous viennent les Idées de la
Liberté & de la Neceffué.
8. Ce que c'eft que la Liberté.
9. La Liberté fuppofe l'Entendement,
& la Volonté.
*o. 1 1. La Liberté n'appartient pas à la
volition.
II. Ce que c'efl: que la Liberté.
13. Ce quec'eft que laNecelIité.
14. La Liberté n'appartient pas à la Vo-
lonté.
ij. De la Volition.
16-19. La Puiflance n'appartient qu'à
des Agents.
20. La Liberté n'appartient pas à la Vo-
lonté.
ii.^ La Liberté appartient uniquement
à l'Agent ou à l'Homme.
ii-14. L'Homme n'eft pas Libre par
rapport à l'aftion de vouloir.
25-17. La Liberté déterminée par quel-
que cbofe qui eft hors d'elle-même.
i8. Ce que c'eH que Vulttion.
~9- Qj'eft-ce qui détermine la Volonté.
30. La Volonté & le Defir ne doivent
pas être confondus.
31. C'efl V Jaquiétude qui détermine la
Volonté.
31. Que le Defir e^Ifiquiétnde.
3 3- L'Inquiétude caUfée par le Defir ell
ce qui détermi.ne la Volonté.
34. Et qui nous porte à l'aïftion.
35. Ce n'eft pas le grand Bien pofitif,
mais V Inquiétude qui décerjaioe la Vo-'
îoncé.
3&"«
Table des Matières
<>,6. L'éloignement de la Douleur cfl le
prémiei-'dégré vers le bonheur.
37. Parce que c'ell la feule chofe qui
nous eft, prélente.
38. Parce que tous ceux qui reconnoif-
fent iapolfibilité d'un Bonlieur après
cette Vie, ne le recherchent pas.
On ne néglige pourtant jamais une
orande inquiétude.
3^7 Le Dellr accompagne toute itiquié-
iude.
40. Vifiquiétade la plus preflante déter-
mine la Volonté.
41. Tous les hommes défirent le bon-
heur.
41.45. Ce quec'eft que le Bonheur.
.44. Ponrquoy l'on ne defire pas tou-
jours le plus grand Bien.
45. Pourquoy le plus grand Bien n'é-
meut pas la Volonté, lors qu'il n'eft
pas defiré.
46. Deux confiderations excitent le dé-
fi r en nous.
47. La puiflance que nous avons defuf-
pendre chacun de nos defirs , nous
fournit le moyen d'examiner , avant
que de nous déterminer à agir.
48. Etre déterminé par Ton propre Ju-
- gement, n'eft pas une chofe qui dé-
truife la Liberté.
49. Les Agents les plus» libres font dé-
terminez de cette manière.
jo. Une conllante détermination vers
le Bonheur ne diminue point la Li-
berté.
51. La néceffité de rechercher le véri-
table Bonheur eft le fondement de la
Liberté.
52. Pourquoy.
55. La grande perfeétion de la Liberté
confille à maitrifer fes propres paf-
fions.
54, ^5. Comment il arrive que tous les
hommes ne tiennent pas tous la mê-
me conduite.
56. Cequi efigage les horamcs à faire de
mauvais choix.
57. I Les Douleurs du Corps.
1 Les Defirs caufez par de faux Ju-
gemens.
j3-62. Le Jugement préfent que nous
faifors du Bien ou du Mal eft toujours
droit.
61,62. Idée plus particulière des faux
Jugemens des Hommes.
6j. i.Faux Jugement dans la compa-
raifon du préfent & de l'avenir.
64,65. Quelles en font Ie> caufes.
66. IL Faux Jugement qu'on fait du
Bien & du Mal conficerez dans leurs
cor.féquences.
67. Quelles font les caufes de cette cf-
péce de faux Jugemens.
68. Nous jugeons mal de ce qui eft né-
cefl'aire à nôtre Bonheur.
69. Nous pouvons clianger l'agrément
ou le defagrément que nous trouvons
dans les chofes.
70 73. Préférer le Vice à la Vertu, c'eft
vifiblement mal juger.
C H A P. XXII.
Des Modes Mixtes.
I. f^E que c'eft que les Modes Mix-
^ tes.
I. Ils font formez par l'Efprit.
5. On les acquiert quelquefois par l'ex-
plication des termes qui fervent à les
exprimer.
4. Les noms attachent les parties des
Modes mixtes à une feule Idée.
5. Pourquoy les hommes font des Mo-
des mixtes.^
6. Comment dars une Langue , il y a
des mots qu'on ne peut exprimer dans
une autre par des mots qui leur répon-
dent.
7. Pourquoy les Langues changent?
8. Où exiftent les Modes mixtes.
9. Comment nous acquérons les idées
des Modes mixtes.
10. Les idées qui ont été les plus mo-
difiées , font celles du Mouvement ,
de la Penfée & de la Puillance.
I I . Plufieurs mots qui femblent exprimer
quelque aftion ne fignifient que l'Effet.
12. Modes mixtes corapofez d'autres
idées.
C H A-
des Chapitres. Liv. II.
C H A P. XXIII.
De nos Idées Complexes des Sub-
Jiances,
I. "TDées des Subftances , comment
J. formée^;.
i. Quelle eft nôtre idée de laSiibllance
en général.
}. De différentes Efpéces de Subftan-
ces.
4. Nous n'avons aucune idée claire de
la Subftance en général.
5. Nous avons une Idée aufli claire de
l'Elprit que du Corps.
6. Des différentes fortes de Subftances.
7. Les Puiflances font une grande par-
tie de nos Idées complexes des Sub-
ftances.
8. Et comment.
9, 10. Trois ibrtes d'Idées conflituent
nos Idées complexes des Subftances.
II. Les fécondes Qualitez que nous re-
marquons préfentement dans les
Corps , difparoitroient fi nous ve-
nions à découvrir les premières Qua-
litez de leurs plus petites parties.
3 1. Les Facultez qui nous fervent à con-
noitre les choies font proportionnées
à nôtre état dans ce Monde.
15. Conjedure touchant les Elprits.
14. Idées complexes des Subftances.
15. L'Idée complexe des Subllancesfpi-
rituelles eft aullî claire que celle des
Subftances corporelles.
16. Nous n'avons aucune idée delà Sub-
ftance abftraite.
tj. La Cohéfion de parties folides &
l'impulfion, font les idées originales
du Corps.
i8. -La penfée & la puiffance dedonner
du mouvement , font les idées origi-
nales de l'Efprit.
19- 21 . Les Efprits font capables de mou-
vement.
il. Comparaifon entre l'idée du Corps
& celle d^ l'Ame.
2^-27, La cgliéfion de parties folides
dans le Corps, aufli difficile à conce-
voir que la penfée dans l'Ame.
28,19. La communication du mouve-
ment par l'impulfion ou par la pen-
fée également inintelligible.
50. Comparaifon des Idées que nous a-
vons du Corps & de l'Ame.
31. La notion d'un Efprir n'enferme
pas plus de ditficulté que celle du
Corps.
3 1. Nous ne connoiflbns rien au delà
de nos Idées ilniples.
33-35. Idée de Dieu.
36. Dans les Idées complexes que nous
avons des Efprits , il n'y en a aucune
que nous n'ayions reçue de la Ssnfa-
tion ou de la Reflexion.
37. Recapitulation.
C H A P. XXIV.
Des Idées Colleéîives des Snb-
Jlduces.
1. "T TNe feule idée faite de l'aflem-
V»J blage de plufieurs idées.
2. Ce qui fe fait par la Puiflànce qu'a
l'Efprit de compofer ScrafTembler des
Idées.
3 . Toutes les chofes artificielles font de?
Idées colleétives.
C H A P. XXV.
De la Relation.
1. ^E que c'efl: que Relation.
2. ^On n'apperçoit pas aifément les
Relations qui manquent de termes cor-
relatifs.
5, Quelques termes d'une fignification
abloluë en apparence font eft'eétive-
ment relatifs.
4. La Relat'cn diffère des chofes qui
font le f ijet de la Relation.
5, Il pgut y avoir un changement de
****** Re-
Table des Matières
Relation fans qu'il arrive aucun chan-
gement dans le fujet.
6. La Relation n'ett qu'entre deux cho-
fes.
7. Toutes chofes font ca.pables de Re-
lation.
8. Les idies des Relation? font fouvent
plus claires que celles des choies qui
font les fujets des Relations.
9. Toutes les Relations fe terminent à
des idées fimples.
»o. Les Termes qui conduifent l'Efprit
au delà du fujet de la dénomination,
font Relatifs.
II. Conclufion.
C H A P. XXVI.
De la Caufe & de /'Effet -, &
de quelques antres Rela-
tions.
\. T\'Où nous viennent les Idées de
iJ Caufe & à'Effa.
*. Ce que c'cft que Création , Généra-
tion, Faire, & Altération.
3, if. Les Relations fondées far le
Temps.
) . Les Relations du Lieu & de \' Eten-
due.
6. Des termes ahft!ns fignifient fouvent
des Rclatuns.
C H A P. XXVII.
Ce que c'efi ^«'Identité c^ Di-
verfitc.
I . in N quoy confifte Vldeutité.
i. Jti Identité des Subftances.
Identité des Modes.
3. Ce que c'eft qu'on nomme dans les
Ecoles Principium Individuatioms.
4. Identité des Végétaux.
5. Identité des Animaux.
6. Identité de l'Homme.
7. L'Identjté répond à l'idée qu'on fe
fait des chofes.
8. Ce qui fait le rusme Homme.
9. En quoy confifte \' Identité perfon-
ttelle.
10. La Con-fcience fait \' Identité per-
fonMelle.
11. L'Identité perfonnelle fuhfifte dans
le changement des Subftances.
11-15. Si elle fubfifte dans le change-
ment des Subftances penfantes.
16. La Con-fcience fait la mcme fer-
[onne.
17 Le Soy dépend de la con-fcience.
i8-io. Ce qui eft l'objet des Récom-
penfes & des Châtimens.
11, li. Différence entre l'identité d'/:»»"»-
me & celle de perfon/ie.
23-15. La Con-fcience feule conftituë
le Soy.
16 19. Le mot de Perfonne eft un ter-
me de Barreau.
C H A P. XXVIII.
T)e quelques autres Relations,
é- fur tout des Relations
Morales.
1 . T\ Elations proportionnelles.
2. ix Relations naturelles.
3. Rapports d'inftitution.
4. Relations Morales.
5. Ce que c'eft que Bien moral, Si Mal
moral.
6. Régies Morales.
7. Combien de fortes de Loix.'
8. La Loy Divine régie ce qui eft p/ché
ou devoir.
9. La Loy Civile eft la régie du Crime
& de \' Inm(ence .
i», II. La Loy Philofophiqueeft lame-
fure du l^ne & de la Fertu.
1 z. Ce qui fait valoir cette dernière L07
c'eft la louange & le blâme.
13,14 Trois régies du Bien moral & du
Mal moral.
15. Ce qu'il y a de moral dans les
Ac-
des Chapitres.
Adionseft un rapport des Adions à
ces Régies-là.
i6. La dénomination des Adioiis nous
trompe fouvent.
17. Les Relations font innombrables.
18. Toutes les Relations le terminent
à des Idées fimples.
19. Nous avons ordinairement une no-
tion auffi claire ou plus claire de la
Relation que de fou fondement.
10. La notion de la Relation eft la mê-
me , foit que la régie à laquelle une
aftion eft comparée foit vraye ou
fauflè.
. -. I
C H A P. XXIX.
Des Idées claires & objcures , ^
dijlin^es ér confufes. 4
I. T L y a des Idées claires & diftin-
1. ftes, d'autres obfcures & con- 5
fiifes.
2.. La clarté & l'obfcurité des idées ex-
pliquée par comparaifon à la veijë.
}. Quelles font les caufes de l'obfcurité
des Idées.
4. Ce que c'eft qu'une idée diftinde &
confufe.
5. Objeébion.
6. La confufion des Idées fe rapporte
aux noms qu'on leur donne.
7. Défauts qui caufent la confufion des
idées. Premier défaut : Les Idées
complexes compofées de trop peu
d'idées fimples.
8. Second défaut: Les idées fimples qui
forment une Idée complexe , brouil-
lées & confondues enfemble.
9. Troifiéme caufe de la confufion de
nos Idées , elles font incertaines &
indéterminées.
10. Il eft difficile de concevoir de la con-
fufion dans les Idées fans aucun rap-
port aux noms.
II, li. La confufion regarde toiijours
deux Idées.
13. Nos Idées complexes peuvent être
claires d'un côté, & confufes de l'au-
tre.
Lrv. II.
14. Il peut arriver bien du défordre dans
nos raifonnemens pour ne pas prendre
garde à cela.
I <, . Exemple de cela dans l'Eternité.
16. Autre exemple dans la divifibilité
de la Matière.
C H A P.
Des Idées réelles
ques.
XXX.
& chimeri-
T Es Idées réelles font conformes
\_j à leurs Archétypes.
Les Idées fimples font toutes réelles.
Les Idées complexes font des con»-
binaifons volontaires.
Les Modes mixtes corapofez d'Idées
qui peuvent compatir enfemble, font
réels.
Les Idées desSubftances font réelles,
lors qu'elles conviennent avec l'exi-
ftence des chofes.
C H A P. XXXI.
Des Idées complètes ^ incom-
plètes.
I. T Es Idées complètes rcpréfentent
J_, parfaitement leurs Archéty-
pes.
2 • Toutes les Idées fimples font com-
plètes.
3. Tous les Modes font complets.
4,5. Les Modes peuvent être incom-
plets , par raport à des noms qu'on
leur a attaché.
6, 7. Les Idées des Subftances entant
qu'elles fe rapportent à des Eflcnce?
réelles , ne font pas complètes.
8-1 1 . Entant que des colledions de leurs
Qualitez, elles font toutes incomplè-
tes.
li. Les Idées fimples font complètes,
quoy que ce foient des copies.
13. Les Idées des Subftances font des
Table des Matières
copies, & incomplètes.
14. Les Idées des Modes & des Rela-
tions font des Archétypes & ne peu-
vent qu'être complètes.
C H aX XXXll.
Des Frayes & des Fanjfes Idées.
toujours affirmation ou négation.
19. Les Idées confiderées en elles-mêmes
ne font ni vrayes ni faufles.
II. En quel cas elles font faufles.
Premier cas.
il. Second cas.
zf. Troiiléme cas.
24. Quatrième cas.
c. T A /W& la FauffetJ appartien- M- Cinquième cas.
-L nent proprement aux Propofi- ^6. On pourro.t plus proprement ap-
jj g peller les Idées ,7;.^/<?; ou /.varrtvj, que
z. Ce qu'on nomme vérité Metapliyfi- vrayes ou faxjfes.
que contient une proportion tacite. ' '
}. Nulle idée n'cfl: vraye ou far.fle en-
tant qu'elle ed: une apparence dans
l'Efprit.
4. Les Idées entant qu'elles font rappor-
tées à quelque chofe peuvent être
vrayea ou faufles.
5. Les Idées des autres hommes, l'exi-
Pcence réelle, les exiftences fuppofées
réelles , font les chofas à quoy les
hommes rapportent ordinairement
leurs Idées.
6-8. La caufe de ces fortes de rapports.
9. Les Idées fimples peuvent être faufles
par rapport à d'autres qui portent le
même nom , mais elles font moins fu-
jettes à l'être en ce fens qu'aucune
autre elpéce d'Idées.
10. Les Idées des Modes mixtes font
les plus fujettes à être faufles en ce
fens-là.
11. Ou du moins à pafler pour faufl"cs.
I i. Pourquoy cela ?
13. Il n'y a que les Idées des Subftances
qui puilfent être faufles par rapport à
l'exiftence réelle.
«4. Les Idées fimples ne peuvent l'être à
cet égard . & pourquoy.
15. Quand bien l'idée qu'un homme a
du piHue feroit difterente de celle
qu'un autre en a.
■t6. Les Idées fimples ne peuvent être
faufles par rapport aux choies exté-
rieures, & pourquoy.
17. Les Idées des Modes ne peuvent
l'être non plus.
■»8. Qiiand c'eft que les Idées des Sub-
ftances peuvent être faufles.
t<^. La Vérité é\; la Pauflèté fuppofent
C H A P. XXXllI.
De l'Afiociation des Idées.
I. TJ Izarre aflbrtiment d'Idées qu'on
J) découvre dans les difcours ou
lesaftionsd'autrui.
I. Ne vient point abfolument de l'A-
mour propre.
}. Il ne fufiit pas, pour expliquer ce dé-
faut , d'en attribuer la caufe à l'Educa-
tion & aux préjugez.
4. Pourquoy on luy donne le nom àe folie.
5. Ce défaut vient d'une liaifon d'idées
non-naturelle.
6. Comment fe forme cette liaifon ?
7. Elle efl la caufe de la plijpart des
fympatliies & antipathies qui paflent
pour naturelles.
8. 9. Combien il importe de prévenir de
bonne heure cette bizarre connexion
d'Idées.
10, Exemple de cette liaifon d'idées.
II. Autre exemple.
1 1. Troifiéme cxsmple.
13. Quatrième exemple.
14. Cinquième exemple bien remarqua-
ble.
I ç . Autres exemples.
16. Exemple qu'on ajoute pourfafingu-
larité.
17. On contrafte de la même manière
des habitudes intelleftuelles.
18. Ces combinaifons d'idées contraires
à la nature produilent tant de divers
fentimens extravagans dans la Philofo-
phie & dans la Religion.
19. Conclufion de ce lecond Livre.
LIVRE
des Chapitres] Liv. III.
LIVRE TROISIEME.
Des Mots.
CHAR I.
Des Mots ou du Langage en
gênerai.
L'
I Homme a des organes pro-
pres à former des Ions ar-
ticulez.
Afin de fe fervir des cesfons
pour être fignes de fes idées.
, 4. Les mots fervent aufli de fignes gé-
néraux.
. Les mots tirent leur première origi-
ne d'autres mots qui fignifient des
Idées fenfibles.
. Divifion générale de ce Troifiéme
Livre.
C H A P. II. ,
De la Jîgnificaîmi des Mots.
i. T Es Mots font des fignes fenfibles
i j néceflaires aux hommes pour
s'entre-communiquer leurs penfécs.
i-6. Ils font des fignes fenfibles des I-
dées de celui qui s'en fert.
7. On fe fert fouvent de Mots aux-
quels on n'attache aucune fignifica-
tion.
8. La fignification des mots eft parfai-
tement arbitraire.
C H A P. III.
Des Termes généraux.
I. 1* A plus grande partie des Mots
.!__/ font généraux.
i. Il eft impoflible que chaque chofe
particulière ait un nom particulier ik.
diftindl.
3,4. Cela feroit inutile.
5 . A quoy c'eft qu'on a donné des nom?
propres.
6-8. Comment fe font les termes géné-
raux.
9. Les Natures générales ne font autre
chofe que des Idées abftraites.
10. Pourquoy on fe fert ordinairement
du Genre dans les Définitions.
11. Ce qu'on appelle Général , & Uni-
verfel^ eft un Ouvrage de l'Entende-
ment.
li. Les Idées abftraites font les efîènccs
des Gemei & des Efpéccs.
13. Les Efpéces font l'ouvrage de l'En-
tendement , mais elles font fondées
fur la reflemblance des Chofes.
14. Chaque Idée abftraite diftinfte eft
une Efiènce diftindre.
ij. Il y a une Ellènce réelle & une no-
minale.
16. Il y a une confiante liaifon entre le
nom Si. l'cflence nominale.
17. La fuppofition , que les Efpéces font
diftinguees par leurs eflènces réelles,
eft inutile.
18. L'efTence réelle & nominale la mê-
me dans les Idées fimples & dans les
Modes ; difierente dans les Subllances.
»*•»>«
19.
Tahle des Matières
19. EfTences ingân'rahks & incorrupti-
bles.
10. Recapitulation.
C H A P. IV.
Des Noms des Idées Jïm^les.
r. 1* Es noms des Idées fimples , des
L Modes , & des Subftances ont
chacun quelque chofe de particulier,
i. I. Les noms des Idées (Impies & des
Subfiances donnent à entendre une
exifience réelle.
j. II. Les noms des Idées fimples &
des Modes fignifient toujours l'eflen-
ce réelle & nominale.
4. III. Les noms des Idées fimples ne
peuvent être définis.
5 . Si tous pou voient être définis cela iroit
à l'ii-fini.
6 Ce que c'eft qu'une définition.
7. Les Idées fimples pourquoy ne peu-
vent être définies.
8, 9. Exemple tiré du MouveweKt.
10. Autre exemple tiré de la Lumière.
11. On continue d'expliquer pouiquoy
les Idées fimples ne peuvent être de-
finies.
11,13. Le contraire paroit dans les I-
dées complexes par les exemples d'une
Statue & de l'Arc-en-Ciel.
14. Quand les noms des Idées comple-
xes peuvent être rendus intelligibles
par le fecours des Mots.
!<,. IV. Les noms des Idées fimples font
les moins douteux.
16. V. Les Idées fimples ont très-peude
fubordination dans ce que les Logi-
ciens nomment Linea pncdkamoita-
Hs.
17. VI. Les noms des Idées fimples em-
portent des idées qui ne font nnlle-
ment arbitraires.
C H A P. V.
Des Noms des Medes Mixtes ,
^ des Relations.
1. r Es noms des Modes mixtes figni-
\_j fient deî Idées abftraites, com-
me les autres noms généraux.
1. I. Les Idées qu'ils fignifient font for-
mées par l'Entendement.
3. II. Elles font formées arbitrairement
& fans modelles.
4. Comment cela.
5. Il paroit évidemment qu'elles font
arbitraires en ce que l'idée d'un Mo-
de mixte efl; fouvent avant l'exiften-
ce de la chofe qu'elle repréfente.
6. Exemples tirez àvi^Meurtr* , de l'/w-
cefle ., &c.
7,. Les Idées des Modes mixtes quoy
qu'arbitraires font pourtant propor-
tionnées au but qu'on fe propofe dans
le Langage.
8. Autre preuve, que les Idées des Mo-
des mixtes fe forment arbitrairement,
tirée de ce que pluûeurs mots d'une
Langue ne peuvent être traduits dans
une autre.
9. On a formé des Efpéces de Modes
mixtes pour s'entretenir commodé-
ment.
10,11. Dans les Modes mixtes c'eft le
nom qui lie enfemble la combiraifon
de diverfes Idées & en fait voir une
Elpece.
1 1. Nous ne confiderons point les Ori-
ginaux des Modes mixtes au delà
de l'Efprit , ce qui prouve encore
qu'ils font l'Ouvrage de l'Entende-
ment.
13. La raifon pourquoy ils font fi com-
pofez, c'eft parce qu'ils font former
par l'Entendement fans modelles.
14. Les noms des Modes mixtes figni-
fient toujours leurs Eifenccs réelles.
15. Pourquoy l'on apprend d'ordinaire
leurs noms avant les Idées qu'ils ren-
ferment.
16. Pourquoy je m'étends fi fort fur ce
fujet. CHAP.
des Chapitres. Liv. III.
C H A P. VI.
Des Noms des Subjlances.
I. TT Es noms communs des Subftan-
\_j c;s emportent l'idée de Sorte.
z. L'eflence de chaque i'or/e,c'eft l'Idée
abftraite.
3. Dificrence entre Veffence réelle & Yef-
fcnce nominale.
4-6. Rien n'eft eflcntiel aux Indivi-
dus.
7, 8. L'EfTence nominale détermine l'Ef-
péce-
9. Ce n'eft pas VEjpme réelle qui dé-
termine l'Efpece ; puis que cette Ef-
fcnce nous eft inconnue.
10. Ce n'eft pas non plus les Formes
fitbflaKtielU's que nous connoiflôns en-
core moins.
1 1 . Par les Idées que nous avons des Ef-
prits il paroit encore quec'eftparl'f/^
Jence nominale que nous diftinguons
les Efpeces.
II. Il eft probable qu'il y a un nombre
innombrable d'Efpeces d'Efprits.
13. Il paroit par VEau & par la GUce
que c'cft l'Éflence nominale qui con-
ftituë l'Efpece.
14-18. Difficultcz contre le fentiment
qui établit un certain nombre déter-
miné d'Eflences réelles.
19, io. Nos eftences nominales des 8ub-
ftances ne font pas de parfaites col-
lerions de toutes leurs propriétez.
21. Mais elles renferment telle coUedion
qui eft fignifiée par le nom que nous
leur donnons.
il. Les Idées abftraitcs que nous nous
formons des Subftances font les mefu-
res des Efpeces par rapport à nous :
Exemple dans l'idée que nous avons
de l'Homme.
23. Les Efpeces ne font pas diftinguées
par la Génération.
14. Ni par les Formes fubftantielles.
25. Les ElTences fpecifiques font faites
par l'Efprit.
z6j 27. C'eft pour cela qu'elles font fort
di»erfes & incertaines.
28. Les Eflences nominales des Subftan-
ces , ne font pas formées fi arbitrai-
rement que celles des Modes mixtes.
29. Quoy qu'elles foient fort imparfai-
tes.
0. Elles peuvent pourtant fervir pou/
la convcrfation ordinaire.
1. Les Eflences des Efpeces font fort
différentes fous un même nom.
1. Plus nos Idées font générales, plus
elles font incomplètes.
5 . Tout cela eft adapté à la fin du Lan-
gage- ,
4. Exemple dans les Caffio^varis.
5. Ce font les hommes qui détermi-
nent les Efpeces des Choies.
6,37. La Nature fait la refièmblance
des chofes.
8. Chaque Idée abftraiteeft une Enèt:-
La formation des Genres & des Ej-
fèces fe rapporte aux noms géné-
raux.
40. Les Efpeces des chofes artificielles
font moins confufes que celles des na-
turelles.
41. Les chofes artificielles font de di-
verfes Efpeces diftindes.
41. Les feules Subftances ont des noms
propres.
4 3 . Difficulté qu'il y a à traiter des Mots.
44, 45. Exemple de Modes mixtes dans
les mots Kinneah & Niouph.
46, 47. Exemple des Subftances dans le
mot Zahab.
48. Les Idées des Subftances font im-
parfaites , & à canfe de cela , diver-
fcs.
49. Pour fixer leurs Efpeces onfuppofe
une eflènce réelle.
50. Cette fuppofition n'eft d'aucun u»
fage.
51. ConclufioD.
C H A P. VIL
Des Particules.
I. 1" Es Particules lient les parties des
JL Propoûtions ou les Propsfitions
Table des Matières
i. C'eft dans lebonufage cks Particules
(]ue conlifte l'art de bien parler.
^,4. Les Particules fervent à montrer
quel rapport l'Efprit met entre fes
Penlees.
^. Exemple tiré de la Particule Mais.
6. On n'a touché cette matière que fort
légèrement.
C H A P. VIII.
Des Termes abjlraiîs à" con-
crets.
1. T Es termes abftraits ne peuvent
X_/ être aifirmez l'un de l'autre ,
6>: pourquoy.
i. Ils montrent la différence de nos
Idées.
C H A P. IX.
"De l' ImperfeÛion des Mots.
X . "V "T Ous nous fervons des Mots pour
XN| enregîtrer nos propres pen-
fées & pour les communiquer aux au-
tres.
2. Tout mot peut fervir à enregîtrer
nos penfées.
3. 11 y a une double communication par
paroles, l'une eft Civile & l'autre Phi-
loropiiique.
4. L'imperfedion des Mots c'eft l'ambi-
guiré de leurs fignifications.
5. Quelles font les caufes de leur imper-
fection.
6. Les noms des Modes mixtes font dou-
teux : I. à caufe que les Idées qu'ils
lignifient, font fort complexes.
7. II. Parce qu'elles n'ont point de mo-
delles.
"è. La propriété du Langage ne fuffit pas
pour remédier à cet inconvénient.
j). La manière dont on apprend les noms
des Modes mixtes contribue encore à
leur incertitude.
iOj II. C'eft ce qui rend les Anciens
Auteurs inévitablement obfcurs.
1 1. Les noms des Subllances fe rappor-
tent premièrement à des Eflcnces réel-
les qui ne peuvent être connues.
i),i4. Secondement à des Qualitez qui
coëxiftentdans les Subftances & qu'on
ne connoît qu'imparfaitement.
1 5 . Malgré cette imperfedion ces noms
peuvent fervir dans la converfation
ordinaire, mais non pas dans desDif-
cours Phrlofophiques.
\6. Exemple remarqu.^ble fur cela.
I-. Exemple tiré du mot Or.
18. Les noms des Idées fimples font les
moins douteux.
19. Et après cela ceux des Modes Am-
ples.
i3. Les noms les plus douteux font ceux
des Modes mixtes fort complexes &
des Subftances.
II. Pourquoy l'on rejette cette imper-
fedion lur les Mots.
il, 23. Cette incertitude des Mots nous
devroit apprendre à être modérez,
quand il s'agit d'impofer aux autres
le fens que nous attribuons aux An-
ciens Auteurs.
C H A P. X.
jDe l'Abus des Mots.
I. A Bus des Mots.
il J ■ XA. I- On fe fert de mots auxquels on
n'attache aucune idée , ou du moins
aucune idée claire.
4. Cela vient de ce qu'on apprend les
mots avant que d'apprendre les idées
qui leur appartiennent.
5. II. On appliquelesmotsd'unemanie-
re inconftante.
6. IIL Obfcurité afiedée pardcmauvai-
fes applications qu'on fait des mots.
7. La Logique iSc les Difputes ont beau-
coup contribué à cet abus.
8. Cette obfcurité cft fauflement appel-
McfubtilitJ.
9. Ce Savoir ne fait pas grand bien à la
Soeieté.
10. Il détruit au contraire les inftru-
inens
des Chapitres. L i v. III.
mens de l'infiruftion & de la conver-
fation.
II. II efl aufTi utile que le feroit l'art de
cdhfondre les carafteres.
I i. Cet art d'oblcurcir les mots a em-
brouillé la Religion & la Juftice.
13. Il ne doit pas pafler pour Savoir.
14. IV. Autre abus du Langage; pren-
dre les mots pour des chofes.
I ^ . Exemple fur le mot de Matière.
16. C'eft ce qui perpétue les Erreurs.
17. V. On prend les mots pourcequ'ils
ne fignifient en aucune manière.
18. Comme , lors qu'on les met pour
les eilences réelles des Subftances.
19. Ce qui fait que nous ne croyons pas
que chaque changement qui arrive
dans nôtre idée d'une Subftance n'en
change pas l'Efpéce.
20. La'caufe de cet abus , c'eft qu'on
fuppofe que la Nature agit toujours
régulièrement.
21. Cet abus eft fondé fur deux fauflès
fuppofitions.
21. VI. On abufe encore des mots en
fuppofant qu'ils ont une fignification
certaine & évidente.
2}. Les fins du Langage font, i.de fai-
re entrer nos Idées dans l'Elprit des
autres hommes.
24. 2. De le faire promptement.
25. j.De leur donner par là laconnoif-
fance des Chofes-
26 5 1 . Comment les mots dont fe fer-
vent les hommes manquent à remplir
ces trois fins.
} 2. Comment à l'égard des Subftances.
33. Comment à l'égard des Modes &
des Relations.
34. VII. Les termes figurez doivent ê-
tre comptez pour un abus du Lan-
gage-
C H A P. XI.
Des Remèdes qu'on peut appor-
ter aux imperfeBions , ^
aux abus dont on vient
de parler.
1. 1^ 'Eft une cihofe digne de nos foins
V_^ de chercher les moyens de re-
médier aux abus dont on vient de
parler.
2. Ils ne font pas faciles à trouver.
3. Mais ils font nécellàires en Pbilofo-
phie.
4. L'abus des mots caufe de grandes
Erreurs.
5. Comme l'opiniâtreté.
6. Les Difputes.
7. Exemple tiré d'une Chauve-fouris &
d'un Oifeau.
8. I. Remède , n'employer aucun mot
fans y attacher une idée.
9. II. Remède , avoir des idées diftin-
â:es attachées aux mots qui expriment
des Modes.
10. Et des idées diftindtes & conformes
aux chofes à l'égard des Mots qui ex-
priment des Subftances.
11. III Remède , fe fervir de tenues
propres.
II. IV. Remède, déclarer en quel fens
on prend les mots.
1 3 . Ce qu'on peut faire en trois maniè-
res.
14. I. A l'égard des Idées fimples, par
des termes fynonymes , ou en mon-
trant la choie.
1 j. 2. A J'égard des Modes mixtes par
des définitions.
16. Que la Morale eft capable de Dé-
monftration.
17.^ Les matières de Morale peuvent
être traitées clairement par le moyen
des définitions.
18. Et c'eft le feul moyen.
19. ) . A l'égard des Subftances le moyen
de faire connoitre en quel fens on
«? w TT ^ w * * nrtnc^
Jabk des Matières
prend leurs noms , c'eft de montrer la
Chofe & de définir le nom.
lo, il. On ncquiert mieux les idées des
qualitez fciilibles des Sabftances par
la prélentation des Subftances mê-
mes.
21. On acquiert mieux les idées de leurs
puilTances par des définitions.
i3. Reflexion fur la manière dont les
purs Efprits connoiflent les chofes cor-
porelles.
2,4. Les Idées des Subfiances doivent é-
tre conformes aux Chofes.
i<. Il n'eft pas aifé de les rendre tel-
'les.
16. V. Remède , employer conflam-
ment le même terme dans le même
fens.
17. Quand on change la fignification
d'un mot, il faut avertir en quel fens
on le prend.
LIVRE a,U A T R I E M E.
De la ConnoifTance.
C H A P. I.
De la Comoiffance en géné-
X.
T
rai.
Oute nôtre connoiffance rou-
le fur nos Idées.
La connoiflance eft la percep-
tion de la convenance ou
t\e la difconvenance de deux Idées. ^
3. d'être convenance eft de quatre efpé-
4. La première efi: de V Identité ou de la
Dtverflté.
j. La féconde peut être appellée Rela-
tive. ,
6. La troifie'me eft une convenance ue
coëxiftence.
7. La quatrième eft celle d'une exiften-
ce réelle.
8. Il y a une connoiffance aSuelle & ha-
bituelle.
ç. Il y a une double connoiflance habi-
tuelle.
C H A P. IL
Des Végres de nôtre Connoif-
fance.
1. /^E que c'eft que la Connoiflance
^ intuitive.
2. Ce que c'eft que la Connoiflance dé-
monftrative.
3. Elle dépend des preuves.
4. Elle n'eft pas fi facile à acquérir.
5. Elle eft précédée de quelque doute.
6. Elle n'en: pas fi claire que laConnoil-
fance intuitive.
7. Chaque degré de la déduflion doit
être connu intuitivement, & par luy-
mème.
8. De là vient le frux fens qu'on don-
ne à cet Axiome que tout raifonne-
meyit vient de cbojes dc'/.i connues l^
d/ja accordées.
j). La Connoiflance démonftrative n'eft
pas bornée à la Qi^iantité.
10-15. Pourquoy on l'a ainfi crû.
14. La Connoiflance fenfitive établit
l'exiftence des Erres particuliers.
J5. La Connoiflance n'eft pas toujours
claire, quoy que les Idées le loient.
CHAP.
des Chapitres.
C H A P. m.
De V Etendue de la Connoijfan-
ce humaine.
L^Otre
ConnoifTànce ne va
point au delà de nos Idées.
II. Elle ne s'étend pas plus loin que
la perception de la convenance ou
de la difconvenance de nos Idées.
3. III. Nôtre connoiflance intuitive ne
s'étend point à toutes les Relations
de toutes nos Idées.
4. IV. Ni nôtre connoiflance démon-
ftrative.
5. V. La Connoiflance fenfitive eft
moins étendue que les deux préce^
dentés.
6. VI. Par conféquent, nôtre Connoif-
fance eft plus bornée que nos Idées.
7. Jufqu'où s'étend nôtre Connoiflàn-
8. I. Nôtre connoiflance d'Identité &
de Diverfité va aiifll loin que nos I-
dées.
9. II. Celle de la convenance ou dif-
convenance de nos idées par raport à
leur coSxiftence , ne s'étend pas fort
loin.
10. Parce que nous ignorons la conne-
xion qui eft entre la plupart des idées
fimples.
11. Et fur tout celle des Secondes Qua-
litez.
11- 14. Parce que nous ne faurions dé-
couTrir la connexion qui efl:entreau-
cune Seconde Qualité & les Premiè-
res Qualitez.
15. La connoifl!ance de l'incompatibili-
té des Idées dans un même lujet , s'é-
tend plus loin que celle de leur coe-
xifl:er,ce.
16. Celle de la coexiflence des Puiflan-
ces ne s'étend pas fort avant.
17. La connoiflance que nous avons des
Efprits eft encore plus bornée.
18. III. Il n'eft pas aifé de marquer les
bornes de nôtre Connoiflance des au»
Liv. IV.
très Relations. La Morale eft capa-
ble de Démonftration.
19. Deux chofes pourquoy on a cru les
Idées Morales incapables de Démon-
ftration.
I Parce qu'elles ne peuvent être re-
préfentées par des marques fenfibles ;
& 1. parce qu'elles font fort com-
plexes.
10, Moyens pour remédier à ces difli-
cultez.
21. IV. A l'égard de l'exiftence réelle,
nous avons une connoiflance intuiti-
ve de nôtre Exiftence , une démon-
ftrative de l'exiftence de Dieu , &
une connoiflance fenfitive de quelque
peu d'autres chofes.
il. Combien grande eft nôtre Igno-
rance.
23. I. Une des caufes de nôtre Igno-
rance, c'ert que nous manquons d'i-
dées ^ou de celles qui font au defliis
de nôtre comprehenllon ou de celles
que nous ne connoifibns point en par-
ticulier.
24. Parce que les Objets font trop é-
loignez de nous.
25. Parce qu'ils font trop petits.
26. D'où il s'enfuit que nous n'avons
aucune connoiflance [cicntifique tou-
chant les Corps.
27. Encore moins touchant les Ef-
prits.
28. II. Autre foiirce de nôtre Ignoran-
ce , c'eft que nous ne pouvons pas
trouver la connexion qui eft entre les
Idées que nous avons.
29. Exemples.
30. III.TroJiiéme caufe d'ignorance ^
nous ne liiivons pas nos idées.
31 Aune étendue de nôtre connoif-
fance par rapport à fon univerfalité.
C H A P. IV.
De la Rc'aiité de nôtre Connoif-
Jance.
I. /^Bjeftion : Si nôtre connoifl^n-
Vy ce eft placée dans nos Idées,
Table des Matières
elle peut être toute chimérique.
'%, 5. Réponfc : Nôtre connoiflance
n'eft pas chimérique , par tout ou
nos Idées s'accordent avec les cho-
(es.
4. Et premièrement de ce nombre font
toutes les Idées fimples.
5. Secondement, toutes les Idées com-
plexes , excepté celles des Subftan-
ees.
6. C'eft fur cela qu"eft fondée la réali-
té des ConnoifTances Mathématiques.
7. Et la réalité des ConnoifTances Mo-
rales.
%. L'Exiftence n'eft pas requife pour
rendre cette connoiflnnce réelle.
9. Notre ConnoifFance n'eft pas moins
veiitable ou certaine , parce que les
idées de Morale font de nôtre propre
invention & que c'eft nous qui leur
donnons des noms.
10. Des noms mal impofez ne confon-
dent point la certitude de nôtre Con-
noifi'ance.
11. Les Idées des Subftances ont leurs
Archétypes hors de nous.
II. Autant que nos Idées conviennent
avec ces Archétypes , autant nôtre
ConnoifFance eft réelle.
13. Dans nos recherclies fur les Subftan-
ces, nous devons confidererjes Idées,
& ne pas borner nos penlées à des
noms ou à des Efpéces qu'on fuppofe
établies par des noms.
84, 15. Objeétion contre'ce que je dis,
qu'un Innocent eft quelque chofe en-
tre l'Homme & la Bête. Képonfe.
»6. De ce qu'on nomme Monftre.
17. Les Mots & la diftinétion des chû-
fes en Efpeces nous impofent.
18. Récapitulation.
C H A P. V.
!De la Vérité en général.
ï. Ç^Y. que c'eft que la Vérité.
X. ^ Une jufte conjonélion ou fepara-
tion des fignes , e'eft à dire des I-
dées ou des Mots.
5. Ce qui fait les Propofitions Mentales
& Verbales.
4. Il eft fort difficile de traiter des Pro-
pofitions mentales.
5. Elles ne font que des Idées jointes
ou feparées fans l'intervention des
mots.
6. Quand c'eft que les Propofitions men-
tales & verbales contiennent quelque
vérité réelle.
7. Objedion contre la vérité verbale ,
que i'uivant ce que j'en dis, elle peut
être entièrement chimérique.
8. Réponfe à cette Objeftion. La Vé-
rité réelle regarde les Idées conformes
aux chofes.
9. La FaufTetéconlIfte à joindre les noms
autrement que leurs Idées ne convien-
nent.
io. Les Propofitions générales doivent
être traitées plus a-i long.
II. Vérité Morale & Metaphyfique.
C H A P. \ I.
Des Propofitions itniverfelles ,
de leur Venté y à- de leur
Certitude.
I. TL eft neccffaire de parler de? Mots
X en traittant de' la ConnoifFance.
1. 11 eft difficile d'entendre des veritez
générales fi elles ne font exprimées
par des Propoiltions verbales.
3. Il y a une double Certitude , l'une
de Vérité , & l'autre de Connoif^
fance.
4. On ne peut être afFuré d'aucune Pro-
Iiofition générale qu'elle eft véritable
ors que "l'Eflènce de chaque Efpece
dont il y eft parlé , n'eft pas con-
nut.
5. Cela regarde plus particulièrement
les Subftances.
6^ 11 n'y a que peu de Propofitions uni-
verfelles fur les Subftances , dont \a
vérité foit connue
7. Parce t^u'on ne peut connoitre qu'ctr
pca
des Chapitres.
peu de rencontres la coëxiftence de
leurs Idées.
8, g. Exemple dans VOr.
10. Jufqu'où cette coëxiftence peut être
connue , jufque-là les Propofiticns
univerfelles peuvent être certaines.
Mais cela ne s'étend pas fort loin.
11, II. Parce que les Qualitezquicom-
pofent nos idées complexes des Sub-
ftances, dépendent, pour la plupart,
des caufes extérieures , éloignées ,
& que nous ne pouvons apperccvoir.
13. Le Jugement peut s'étendre plus
avant , mais ce n'eft pas Connoif-
fancc.
14. Ce qui efl: néceflaire pour que nous
puifTions connoitre les Subftances.
15. Tandis que nos Idées des Subftan-
ces ne renferment point leurs confti-
tutions réelles , nous ne pouvons for-
mer fur leur fujet , que peu de Pro-
jwfitions générales , certaines.
16. En quoy confifte la certitude géné-
rale des Propofitions.
C H A P. VII.
Des Proportions qu'on nomme
' Maximes ou Axiomes.
1. ■¥" Es Axiomes font évidens par eux-
X_^ mêmes.
2. En quoy confifte cette évidence im-
médiate.
3. Elle n'eft pas particulière aux Pro-
portions qui pafient pour Axiomes.
4. I.A l'égard de l'Identité & de la
Diverfité toutes les Proportions Ibnt
également évidentes par elles -mê-
mes.
j. II. Par rapport à la coëxiftence, nous
avons fort peu de Proportions évi-
dentes par elles-mêmes.
6. III. Nous en pouvons avoir dans les
autres Relations.
7. IV. Touchant l'exiftence réelle nous
n'en avons aucune.
%. Les Axiomes n'ont pas beaucoup
d'influence fur les autre? parties de
Liv. IV.
nôtre Connoiflance.
9, 10. Parce que ce ne forjt pas 'es vc-
ritez, les premières connues.
II. De quel ufage font ces Maximes
générales.
t^, I}. Si l'on ne prend pas gardeàl'ts-
fage qu'on fait des mots , ces Maxi-
mes peuvent prouver des contradi-
étions. Exemple dans le Viiide.
14. Ces Maximes ne prouvent point,
l'exiftence des chofes hors de nous.
iç. Leur ufage eft dangereux à l'égard
des Idées complexes.
i6-i8. Exemple dans VHoynme.
19. Combien ces Maximes fervent peu
à prouver quelque chofe , lors que
nous avons des idées claires & di-
ftinétes.
io. Leur ufage eft dangereux , lorfque
nos idées ibnt confufes.
C H A P. VIII.
Des Propojitwns Frivoles.
I. /^Ertaines Propofitions n'ajoiitenir
^-^ rien à nôtre ConnoifTance.
1, 3. I. Les Propofitions Identiques.
4. II. Lors qu'on affirme une partie-
d'une Idée complexe du nom' du
Tout.
5. Comme lors qu'une partie de la Dé'
finition eft affirmée du mot défini.
6. Exemples, Homme & fakfroy.
7. On n'apprend par là que la lignifica-
tion des mots.
8. Et non aucune connoifTance réelle.
9. Les Propofitions générales concer-
nant les Subftances , font fouvent fri-
voles.
10. Et pourquoy.
II. III. Employer les mots en diverj
fens , c'eft fe jouer fur des fons.
iz. Marques des Propofitions verbales.
I. Lors qu'elles font compofécs de
deux termes abftraits affirmez l'un de
l'autre.
13. 1. Lors qu'une partie de la définition
eft affirmée du terme défini:
*4?*ft*»* , CHAP.-
Table des Matières
C H A P. IX.
De la Connoijfance que noits.a-
vons de notre Exijtence.
I. T" Es Propofitions générales Srcer-
i ^ raines ne fe rapportent pas à
l'exiftence.
1. Triple connoiflance de l'exiftence.
3. La Connoiflance de nôtre exiftence
ett inutile.
C H A P. X.
De la Connoijfance que nous
avons de l'Extfience de
Dieu.
i. ^70us fommes capables de con-
XN noitre certainement qu'il y a
un Dieu.
a. L'homme connoit qu'il eft lui-mê-
me.
3. Il connoit auflî que le Néant ne fau-
roit produire quelque chofe ; Donc il
y a quelque chofe d'éternel.
4. Cet Etre éternel doit être tout-puif-
fant.
.5. Tout intelligent.
6. Et par conféquent , Dieu lui-même.
•;. L'Idée que nous avons d'un Ktie
tout parfait n'eft pas la feule preuve
de l'exiftence d'un Dieu.
8. Quelque chofe exifte de toute éter-
nité.
9. Il y a deuK fortes d'Etres , les uns
penfans & les autres non-penfans.
10. Un Etre iion-penfant ne fauroit
produire un Etre penfant.
j I, II. 11 y 3 donc eu un Etre fage de
toute éternité.
13. S'il eft matériel ou non.
14. Il n'eft pas matériel, I. parce que
chaque partie de Matière eft iion-
penfantc.
15. II. Parce qu'une feule partie de Ma-
tière ne peut être penfaiite.
i 6. III. Parce qu'un certain amas de Ma-
tière non-penfante ne peut être pen-
fant.
1 7. Soit qu'il foit en mouvement ou en
repos.
18,19. La Matière ne peut pas être
coêternelle avec un Efprit éternel.
C H A P.
:i.
De la Connoijfance que nous a-
'vons de l' exijtence des au-
tres Chofes.
i. /^N ne peut avoir une connoiflan-
V_y ce des autres chofes que par
voye de Senfation.
i. Exemple , la blancheur de ce Pa-
pier.
3 . Quoi que cela ne foit pas fi certain
que les Démonftrations , il peut être
appelle du nom de connoiflance , &
prouve l'exiftence des chofes hors de
nous.
4. I. Parce que nous ne pouvons en a-
voir des idées qu'à la faveur des Sens.
5. II. Parce que deux Idées dont l'une
vient d'une Senfation aftuelle , &
l'autre de la Mémoire , font des Per-
ceptions fort diftinftes.
6. III. Parce que le Plaifir ou la Dou-
leur qui accompagnent une fenfation
aétuelle , n'accompagnent pas le re-
tour de ces Idées , lors que les Objets
extérieurs font abfens.
7. IV. Nos Sens fe rendent témoignage
l'un à l'autre fur l'exiftence des Cho-
fes extérieures.
8. Cette certitude eft aufli grande que
nôtre état le requiert.
9. Mais elle ne s'étend point au delà
de la fenfation aduelle.
13. C'eft une folie d'attendre une Dé-
monftration fur chaque chofe.
II. L'exiftence paflL'e eft connue par le
moyen de la Mémoire.
des Chapitres. Liv. IV.
II. L'exirtence des Efpfics ne peut nous
être connue par c!le-m-3me.
13. Il y a des Propi'fitiors particuliè-
res fur l'exiflence qu'on peut connoî-
tre.
14. On peut connoître aufll des Propo-
fitions générales touchant les Idées
abrtraites.
C H A P. XII.
Des Moyens d'augmenter nôtre
ConnoiJJ'ance.
I. T A ConnoilTance ne vient pas des
I y Maximes.
i. De l'occafion de cette opinion.
3. La connoifFance vient de la compa-
raifon des Idées cl tires & diftinftes.
4. Il eft dangereux de bâtir fur des Prin-
cipes gratuits.
5. Ce n'eft point un moyen certain de
trouver la Vérité.
6. Mais ce moyen confifte à comparer
des Idées claires & complètes fous
des noms fixes & déterminez.
7. La vraye méthode d'avancer la con-
noiflance , c'ell: en confiderant nos
Idées abftraites.
8. Par cette méthode la Morale peut
être portée à un plus grand degré
d'évidence.
9. Pour la connoiflance des Corps , on
ne peut y faire des progrès que par
l'Expérience.
10. Cela peut nous procurer des com-
moditez , & non une connoiflance
générale.
II. Nous fommes faits pour cultiver les
ConnoifTances Morales , & les Arts
néceflaires à cette vie.
11. Nous devons nous garder des Hy-
potheles & des faux Principes.
13. Véritable ufage des Hypothefes.
14. Avoir des idées claires &: didinftes
avec des noms fixes & trouver d'au-
tres Idées qui puiflent montrer leur
convenance ou leur difconvenance ,
ce font les moyens d'étendre nos Con-
noifl'ances.
15. Les Mathématiques en font un exem-
ple.
C H A P. XIIL
Autres Conjîderations fur nôtrt
Connoijjance.
I. ^^T^i^''^ Connoiflance eft en par-
J.>l tie necefllaire & en partie vo-
lontaire.
1. L'application efl: volontaire , mais
nous connoiflôns les cliofes comme
elles font , & non comme il nous
plaît.
3 . Exemple dans les Nombres.
Et dans la Religion naturelle.
C H A P. XIV. .
Du Jugement.
1. ^TOtre Connoiflance étant fore
i_\| bornée , nous avons befoin
de quelque autre chofe.
2. Quel ufage on doit faire de ce crc-
pufcule où nous fommes dans ce Mon-
■ de.
3 . Le Jugement fupplée au défaut de la
Connoiflance.
4. Le Jugement confifte à préfumer que
les chofes font d'une certaine maniè-
re, fans l'appercevoir certainement.
C H A P. XV.
De la Probabilité,
1. 1" A Probabilité efl: l'apparence de
I A la convenance fur des preuves
qui ne font pas infaillibles.
i. La Probabilité fupplée au défaut de
Connoiffance.
3. Parce qu'elle nous fait préfumer que
les chofes font véritables, avant que
noi»
nous connoiflîons qu'elles le foient.
4. Il y a deux fondemens de probabi-
lité ; I. la confoi-mité d'une chofe
avec nôtre Expérience , ou i- le té-
moignage de l'Espérierxe des au-
tres.
5. Sur quoy il faut examiner toutes les
convenances pour & contre , avant
que de juger.
6. Car tout cela eft capable d'une gran-
de variété.
C H A P. XVI.
Des Degrés: d'JJJentiment.
ï. "TVTOtre Aflentiment doit être ré-
_[_\ glé par les fondemens de Pro-
babilité.
!.. Tous ne fauroient être toujours a-
(fbuellement préfens à l'Efprtt ; nous
devons nous contenter de nous fou-
venir que nous avons vu une fois un
fondement fuffifant pour un tel degré
d'aficntiment.
3. Dangereufe conféquence de cette
conduite, fi nôtre premier Jugement
n'a pas été bien fondé.
^. Le véritable uinge qu'on en doit fai-
re c'eft d'avoir de la charité & de la
tolérance les uns pour les autres.
5. La Probabilité regarde ou des points
de fait, ou de fpcculation.
6. Lors que les expJ.iences de tous les
autres hommes s'accordent avec les
nôtres , il en nait une aflurance qui
approche de la Connoiflance.
7. Un Témoic'.nage & une Expérience
qu'on ne peut révoquer en doute pro-
duit pour l'ordinaire la confiance.
■8. Un Témoignage non-fufpeéb & la
nature de la chofe qui eli indifieren-
te , produit aulli une ferme croyan-
ce.
3. Des Expériences & des Témoigna-
ges qui fe contredifent diverfihent à
rinfini les dégrez de Probabilité.
10. Les Témoignages connus par Tra-
dition , plus "ils ibnt éloignez , plus
Table des Matières
foible eft la preuve qu'on en peut ti-
II. L'Hiftoire eft d'un grand ufage.
1 1. Dans les chofes qu'on ne peut dé-
couvrir par les Sens , Y Analogie eft
la grande Régie de la Probabilité.
13. Il y a un cas où l'Expérience con-
traire ne diminue pas la force du té-
moignage.
14. Le fimple Témoignage delà Révé-
lation exclut tout doute , auifi par-
faitement que la Connoiflance la plus
certaine.
C H A P. XVII.
De la Raifon.
i. T^Ifterentes fignifications du mot
J_^ Raifon.
z. En quoy confiftc le Raifonnement.
3. Ses quatre parties.
4. Le Syllogifme n'eft pas le grand In-
ftrument de la Raifon.
j. Le Syllogifme n'eft pas d'un grand
fecours dans la Démonftration , moins
encore dans les Probabilitez.
6, 7. Il ne fert point à augmenter nos
connoiflànces , mais à chamailler a-
vec celles que nous avons déjà.
8. Nous raifonnons fur des chofes par-
ticulières.
9. Pourquoy la Raifon vient à nous
manquer en certaines rencontres.
I. Parce que les Idées nous man-
quent.
10. II. Parce que nos Idées fontobfcu-
res & imparfaites.
ir. III. Parce que les Idées moyennes
nous manquent.
iz. IV. Parce que nous fommes imbus
de faux Principes.
15. V. A caufe des termes douteux &
incertains.
14. Le plus haut degré de nôtre Con-
noiflance elT; l'intuition fans rail'on-
nement.
rj. Le fuivant eft la Démonftration par
voye de raifonricment,
«6.
ï6. Pour fuppléer à ces bornes étroites
de la Raifon , il ne nous refte que ic
Jugement fondé fur des raifonnemens
probables.
17. Intuition , Démonftration , Juge-
ment.
18. Conféquences déduites des paroles,
& conféquences déduites des Idées.
19. Quatre fortes d'Arguraens.
Le premier ad verccundiam.
10. Le fécond ad Ignoranttam.
il. Le txox'îiimz lid hommem.
11. Le quatrième ad Juâicium.
2}. Ce que c'tft que , Selon la Raifon,
Ah dejfus de la Ratfo» , & Contraire à
U Raifon.
24. La Raifon & la Foy ne font point
deux chofes oppofées.
C H A P. XVIII.
De la Foy ér de la Raifon; ér
de leurs bornes dijlin£îes.
ï. TL eft neceflàire de connoître les
X bornes de la Foy & de la Raifon.
1. Ce que c'efl: que la Foy& la Raifon,
entant qu'elles font diftmdes l'une
de l'autre.
3. Nulle nouvelle Idée fimple ne peut
être introduite dans l'Efprit par une
Révélation Traditionale.
4. La Révélation Traditionale peut
nous faire connoître des Propofitions
qu'on peut connoître par le fecours
de la Raifon, mais non pas avec au-
tant de certitude que par ce dernier
moyen.
5. La Révélation ne peut être reçue
contre une claire évidence de la Rai-
fon.
6. Moins encore la Révélation Tradi-
tionale.
7. Les chofes qui font au deffus de la
Raifon.
8. Ou non contraires à la Raifon , fi el-
les font révélées , font des Matières
de Foy.
9. Il faut écouter la Révélation dans des
des Chapitres. Liv. IV.
matières où la Raifon ne faaroit ja-
gcr ou dont elle ne peut porter que
des Jugemens probables.
10. Il faut écouter la Raifon dans des
matières où elle peut fournir une Con-
noiflance certaine.
11. Si l'on n'établit pas des bornes en-
tre la Foy & la Raifon, il n'y a rien
de fi fanatique ou de fi extravagant
en matière de Religion qui puiflè être
refuté.
CHAP. XIX.
De l'Enîhoufiafme.
1, ^Ombien il eft néceffaire d'aimer
^^ la Vérité.
2. D'où vient le penchant que les hom-
mes ont d'impofer leurs opinions aux
autres.
). La force de l'Enthoufiafme.
4. Ce que c'efl: que la Raifon & la Ré-
vélation.
5. Source de l'Enthoufiafme.
6, 7. Ce que c'ell: que l'Enthoufiafme'.
8, 9. L'Enthoufiafme pris fauflèmcnt
pour une veûe & un fentiment.
10. Comment on peut découvrir l'En-
thoufiafme.
1 1 . L'Enthoufiafme ne fauroit prouver
qu'une Propofition vient de Dieu.
1 2. La force de la perfuafion ne prouve
point qu'une Propofition vienne de
Dieu.
1}. Une lumière dans l'Efprit, ce que
c'eft.
14. C'eft la Raifon qui doit juger de la
vérité de la Révélation.
15,16. La Croyance ne prouve pas la
j. Révélation.
CHAP. XX.
De l'Erreur.
I. T Es Caufes de l'Erreur,
i. \ A I. Le manque de preuves.
3) 4-
Table des Matières des Chapitres-. L i v. IV.
5,4. Of>ieâio» , que deviendront ceux 17 4. Fauflè mefure de Probabilité,
qui manquent de preuves ? /Ji'/'asi/ê. l'Autorité.
5. II. Caufe de l'Erreur, défaut d'adrefTe i». Les Hommes ne font pas engagez-
pour faire valoir les preuves. dans un fi grand nombre d'Erreur*
6. IlI.Caufe, défaut de volonté. qu'on s'imagine.
7. IV. Came, faulfes mefures de Proba-
bilité. " ■
8-10. I. Propofitions douteufes prifes
pour Principes.
II. i.Embraflèr certaines Hypothefes.
li. j.Des partions dominantes.
ij. Moyens d'échapper aux Probabili-
tez , I. Sophiftiquerie fuppofée.
14. II.Argumens fuppofez pour le Parti
contraire.
15. Quelles probabilitez déterminent
l'AÏTentiment.
16. Quand c'eft qu'il eft en nôtre pou-
voir de fufpendre nôtre Aflèntiment.
CHAP. XXI.
De la Vivifion des Sciences.
I . TT Es Sciences divifées en trois Ef-
X_/ peces.
1. I. Fhyfique.
3. II. Pratique.
4. IIT. Connoiflance des fignes.
5. C'efl: là la première divifiondes Ob-
jets de nôtre Connoiflance.
Fin de la Table des Chapitres.
fag.:
Lig.
iV.
M-
?)•
4-
ih.
14.
M-
10.
ih.
z 1.
3r-
18,19.
38.
37-
39-
II.
61.
4.
ib.
17-
107.
i.î-
ib. 10.
114.
19-
l%i.
II.
147.
»5-
157-
»5-
171.
10.
ERRA
p»g.
effacez, farce ijiie ce.
leurs fecours. ///. leur fècours. 189.
ne les défendent. Itf. ne le défendent. 1 98.
aux Idiots. Itf. aux Imbecilles.
des Idiots. /;/. des Imbecilles. 170.
.des.lHiots lif. des Imbecilles.
ainfi à. lif atfifî les uns à. 408.
Les biens, lif. Les liens. 431.
par Icfciucls. lif parmi lefc]Uels. 441.
leur paroître. li(. fe montrer à eux. 444,
l'Ame doit la faculté' de penicrraifon- 4^0.
nablement au Corps lif l'Ame
tient du Corps la faculté de penfcr f 45.
raifonnablement. SU-
être; fi. Mettetunefimf le virgule,
être, fi. <j6%.
deftituc'e. Itf. exempte. 601.
peut, lif pût.
a.^it & confidere. lif. agit , & qu'il
confidere.
dans le même temps qu'elle, lif en 64$-.
même temps , qu'elle. 788.
qu'elles raiionneiu. /;/! qu'il y en a ^7.
quelques-unes qui laifouucut eu 8^5.
T A.
Lig.
certaine» rencontres.
15. enclins, lif. fujets.
16. font toutes femblables. /;y! coirvie»-
nent enfcmble.
17. Douleur contentement, lif. don-
leur, par contentement.
5. immatérielles, ajoiitet qui pen{cBt.
II. après. Qu'il, lif. après, qu'il.
8. l'impulfion. ///. la preflîon.
4. voir. lif. juger.
II. exifle; que mettex. une fim^U vir-
gule , exifte, que.
;î. l'obfeivet /:/. s'obferver.
14. tetrcfbes & aquatiques, lif. terre-
lires , & des aquatiques.
34. incertaines lif ceriaims.
I, qu'on employé dans l'ufnge ordi-
naire pour exprimer la même.
lif, qu'on luy donne dans l'ufjge
ordinaire, la même.
10. trompeurs. /;/." e'quivoqucs.
10, Il un homme, tif. une femme.
4 union lif juxta-fojitio».
xj. Il eu eil même, lif. Il eu eR de même.
ESSAI
f^g- 1.
ESSAI PHILOSOPHIQUE
CONCERNANT
L'ENTENDEMENT HUMAIN.
A VAN T - PROPO S.
Deffeîn de P Auteur dans cet Ouvrage,
%. I. fPiijgaei^iaig^^jUisQUE rEntendement élevé THom- Com^jgnilcit
me au defliis de tous les Etres fenfi- af c^nokre"
blés , & luy donne cette fupériorité i Entcndemenc
^ cette efpéce d'empire qu'il a fur ^"™*"''
eux , c'efl lans doute un fujet qui par
fon excellence mérite bien que nous
nous appliquions à le connoître autant
que nous en fommes capables. L'Entendement, comme
rOeuil , nous fait voir êc comprendre toutes les autres cho-
fes,maisilnes'apperçoitpas luy-même. C'eftpourquoy i\
faut de l'art 6c des foins pour le placer à une certaine diftan-
ce, Se faire en forte qu'il devienne l'Objet de fes propres
contemplations. Mais quelque difficulté qu'il y ait à trou-
ver le moyen d'entrer dans cette recherche, & quelle que foit
lachofe qui nous cache fi fort à nous-mêmes ; je fuis afTu ré
néanmoins, que toute la lumière que cet examen peut ré-
A pandre;
2 AVANT- PROPOS.
pandre dans nôtre Efprit , que toute la connoiflance que
nous pouvons acquérir de nôtre Entendement , nous donne-
ra non feulement beaucoup de plaifir , mais nous fera d'une
grande utilité pour nous conduire dans la recherche de plu-
fieurs autres chofes.
DciTcindecet § 2. Dans Ic deflcin que j'ai formé d'examiner la certi-
*^' tude & l'étendue des Connoiflances humaines , aufli bien
que les fondemcns 6c les dégrez de Foy , d'Opinion , &
d'AfTentiment qu'on peut avoir par rapport aux differens
fujets qui fe préfentent à nôtre Efprit > je ne m'engagerai
pomt à confiderer cnPhyficien, la nature de l'Ame ; à voir
ce qui en conftituë l'eflénce, quels mouvemens doivent
s'exciter dans nos Efprits animaux , ou quels changemens
doivent arriver dans nôtre Corps , pour produire , à la fa-
veur de nos Organes, certaines fenfations ou certaines idées
dans nôtre Entendement > Se û quelques-unes de ces idées,
ou toutes enfemble dépendent , dans leur principe , de la
Matière , ou non. Qiielque curieufes & inftruftives que
foient ces fpéculations , je les éviterai , comme n'ayant au-
cun rapport au but que je me propofe dans cet Ouvrage.
Il fuffira pour le defléin que j'ai préfentement en veûë ,
d'examiner les différentes Facultez de connoître , qui fe
rencontrent dans l'Homme, entant qu'elles agiflent fur les
divers Objets qui fe préfentent à fon Efprit : &c je croi que
je n'aurai pas tout-à-fait perdu mon temps à méditer fur
cette matière , fi en examinant pié-à-pié , d'une manière
claire, ôchiftorique, toutes ces Facultez de nôtre Efprit,
je puis faire A'oir en quelque forte , par quels moyens nôtre
Entendement vient à fe former les idées qu'il a des chofes,
& que je puifle marquer les bornes de la certitude de nos
ConnoifTances , èc les fondemens des Opinions qu'on voit
régner parmi les Hommes j Opinions fi différentes, fiop-
poiees, & qui fecontredifent directement ; mais qu'on foû-
tient néanmoins dans un endroit du Monde, ou dans l'au-
tre, avec une fi grande confiance, que qui prendra la peine
de confiderer les divers featimens du Genre Humain , d'exa-
miner l'oppofition qu'il y a entre cesfentimens, & d'obfer-
ver
AVANT. PROPOS. j
rer en même temps , avec combien peu de fondement on
les embrafle, mais avec quel zélé & avec quelle chaleur on
les défend, aura peut-être fujet de foupçonner l'une de ces
deux chofesj ou qu'il n'y a rien d'abfolument vrai, ou que
les Hommes n'ont aucun moyen fur pour arriver à la con-
noi {Tance certaine de la Vérité.
§. 3. C'eft donc une chofe bien digne de nos foins, de Méthode qu'on
chercher les bornes qui féparent l'Opinion d'avec la Con- ^ ° "'"''
noiflance, 8c d'examiner quelles régies il faut obferver pour
déterminer exactement les dégrez de nôtre perfuafion à l'é-
gard des chofes dont nous n'avons pas une connoiflance cer-
taine. Pour cet effet, voici la Méthode que j'ai réfolude
fuivre dans cet Ouvrage.
I. J'examinerai premièrement, quelle eftl'origine desl-
dées, Notions, ou comme il vous plairra de les appeller,
que l'Homme apperçoit dans fonAme, & que fon propre
fentiment l'y fait découvrir -, êc par quels moyens l'Enten-
dement vient à recevoir toutes ces idées.
II. En fécond lieu, je tâcherai de montrer quelle efl: la
connoifTance que l'Entendement acquiert par le moyen de
CCS Idées , &c quelle eft la Certitude , l'Evidence , & l'E-
tendue de cette connoifTance.
III. Je rechercherai en troifiéme lieu , la nature &■ le»
fondemensde la Foy , owOpinion ; par où j'entens cet Jlf'
fentiment que noMS donnons a jme Fropofuion entant que vé'
ritable , mais de la vente de laquelle nous n avons pas une
connoiffance certaine. Et de là je prendrai occafion d'exa-
miner les raifons Se les dégrez du confentement que l'on
donne à différentes Propofitions.
§.4. Si en examinant la nature de l'Entendement félon Combien ileft
cette Méthode, je puis découvrir, quelles font fes princi- ""'f ^Jeconnoî-
pales propriétez -, quelle en eft l'étendue -, ce qui efl de nôtrrcompre-"
leur compétence ; jufques à quel degré elles peuvent nous hcnfion.
aider à trouver la vérité, & où c'eft que leur fecours vient
à nous manquer -, je m'imagine que , quoy que nôtre Efprit
foit naturellement a6tif& plein de feu, cet examen pourra
fervir à régler cette activité immodérée, en nous obligeant
A 2 à
•4 AVANT-PROPOS.
à prendre garde avec plus de circonfpe£tion que nous n'a-
vons accoutumé de faire, de ne pas nous occuper à descho-
fes qui partent nôtre comprehenfion j à nous arrêter, lors
que nous avons porté nos recherches jufqu'au plus haut
point où nous foyons capables de les porter > &c à vouloir
bien ignorer ce que nous voyons être au defllis de nôtre
conception, après l'avoir bien examiné. Si nous enulîons
de la forte, nous ne ferions peut-être pas fi emprefTez, par
un vain defir de connoître toutes chofes, à exciter inceffam-
ment de nouvelles Qiicftions , &: à nous embarrafler nous-
mêmes &: les autres dans des Difputes fur des fujets qui font
tout-à-fait difproportionnez à nôtre Entendement , & dont
nous ne fçaurions nous former une idée claire &c diftin6te ,
ou même (ce qui n'eft peut-être arrivé que tropfouvent}
dont nous n'avons abfolument aucune idée. Si donc nous
pouvons découvrir jufqu'où nôtre Entendement peut por-
ter fa veûë -, jufqu'où il peut fe fervir de fes Facultez , pour
connoître les chofes avec certitude ; &: en quels cas il ne
peut juger que par de fimples conjectures , nous appren-
drons à nous contenter de la connoiflance des chofes , où
nôtre Efprit eft capable d'atteindre , dans l'état où nous nous
trouvons dans ce Monde.
LVtcnduëdc §■")■ Et en effet , quoy qu'il y ait Une infinité de chofès
Bosconnoidan- que nôttc Efprit ne fçauroit comprendre j la portion Scies
ces cit propor- (j^crrez de connoifi^ancc que Dieu nous a accordez avec beau-
tionncc a notre t> r r ^ , tti- j t.
^tatdansce coup plus de proruuon qu aux autres Habitans de ce bas
Mondcac à nos Monde , cette portion de connoiflance qu'il nous a départie
fi libéralement, nous fournit un aflez ample fujet d'exalter
la Bonté de cet Etre fuprême , de qui nous tenons nôtre
propre exiftence. Ouy , quelque bornées que foient les con-
noi fiances des Hommes , ils ont raifon d'être entièrement fa-
tisfaits des grâces que Dieu ajugé à propos de leur faire , puis
•nivT«T/w? qu'il leur a donné, commedit *St. Pierre, toutes les chofes
<uv;v Mai eùjé- _,^^ regardent la vie & la piété ; les ayant mis en état de dé-
ck. 1. 3. couvrir par eux-mêmes ce qui leur elt necellaire pour les
befoins de cette vie , êc leur ayant montré le cliemin qui
peut les conduire à un état beaucoup meilleur que celui où
ils
AVANT-PROPOS. f
ils fe trouvent dans ce Monde. Qiielque éloignez qu'ils
foient d'avoir une connoiflance univerfelle & parfaite de tout
cequiexiftcj lalumiére qu'ils ont, leur fuffit pour démêler
ce qu'il leur importe abfolument de fçavoir ; puifqu'àla fa-
veur de cette Lumière ils peuvent parvenir à la connoiflance
de Celui qui les a faits , 6c des Devoirs fur lefquels ils font o-
bligez de régler leur vie. Les Hommes trouveront toujours
le moyen d'exercer leurs Efprits, & d'occuper leurs Mains
à des chofes également agréables par leur diverfité, Se par le
plaifir qui les accompagne ; pourvu qu'ils ne s'amufent point
à former des plaintes contre leur propre nature, &c à rejet-
ter les thréfors dont leurs mains font pleines, fous prétexte
qu'il y a des chofes qu'elles ne fçauroient embraffer. Et ja-
mais nous n'aurons fujet de nous plaindre du peu d'étendue
de nos connoiflfances , fi nous appliquons uniquement nôtre
Efprit à ce qui peut nous être utile, car en ce cas-là il peut
nous rendre de grands fervices. Qiiefi, loin d'en u fer de la
forte, nous venons à ravaler l'excellence de cette Faculté
que nous avons d'acquérir certaines connoiflfances , Se à né-
gliger de la perfectionner par rapport au but pour lequel elle
nous a été donnée , fous prétexte qu'il y a des chofes qui
font au delà de fafphére ; c'eft: un chagrin puéril , Se tout-à-
fait inexcufable. Car , je vous prie , un Valet parefleux &
opiniâtre qui pouvant travailler de nuit à la chandelle , n'au-
roit pas voulu le faire , auroit-il bonne grâce de dire pour
excufe que le Soleil n'étant pas levé,il n'avoit pas pu jouir de
l'éclatante lumière de cet Aftre? Non fans doute. Il en efl:
de même à nôtre égard , fi nous négligeons de nous fervir
des lumières que Dieu nous a données. Nôtre Efprit efl:
comme une Chandelle que nous avons devant les yeux , 6c
qui répand aflez de lumière pour nous éclairer dans toutes
nos affaires. Nous devons être fatisfaits des découvertes que
nous pouvons faire par fon moyen j &: nous ferons toujours
un bon ufage de nôtre Entendementjfi nous confiderons tous
les Objets , entant que proportionnez à nos Facultez , êc que
nous fuppofions qu'ils ne peuvent nous être propofez que
lur ce foudement 3 6c fi, au lieu de demander abfblument&
A 3 pac
6 AVANT- PROPOS.
par un excès de délicatefle , une Démonftration & une certi-
tude entière , nous nous contentons d'une fimple probabili-
té , Icrs que nous ne pouvons obtenir qu'une probabilité i
puifque cette efpéce de connoiflance fumt pour régler tous
nos intérêts dans ce Monde. Qiie fi nous voulons douter de
chaque chofe en particulier , parce que nous ne pouvons pas
les connoître toutes avec certitude , nous ferons aufTi dérai-
fonnables qu'un homme quinevcudroit pasfefervir de fes
jambes pour fe tirer d'un lieu dangereux, mais s'opiniâtreroit
à y demeurer ôcyperirmiierablement, fous prétexte qu'il
n'auroit pas des ailes pour s'enfuir avec plus de vîtefle.
la connoilTancc g^ ^j j^^^^ COnnoiflonS UnC foîs UOS proprCS forces , cet-
nôtre El^rit te connoiflance ferviraàncus faire d'autant mieux fentir ce
fuffit pour guc- que nous pouvons entreprendre avec fondement : &c lors
[!ic . & dda ne- ^"^ ^lous aurons examiné foigneufcment ce que nôtre Efprit
g! grnc<- où Ion eft Capable de faire , &: que nous aurons vu , en quelque ma-
s'abanHonne j^i^j-e , cc Quc ucus eu Douvous attendre , nous ne ferons por-
lors c]U on don- ■ v , ^ , ^ , , , -r ' o j ■ '
fc de pouvoir tez ni a demeurer dans une lâche oiuvete , & dans une entière
trouver la Vcn- fnaftion , ccmme fi nous défefperions de jamais connoître
quoy que ce foit , ni à mettre tout en quefticn , & à décrier
toute forte de connoiflances , fous prétexte qu'il y a certaines
chofes que l'Efprit Humain ne fçauroit comprendre. Il en
eft de nous, à cet égard, comme d'un Pilote qui voyage fur
mer. Il luy eft extrêmement avantageux de fçavoir quelle eft
la longueur du cordeau de fa fonde , quoy qu'il ne puifle pas
toujours reconnoître , par le moyen de la fonde, toutes les
différentes profondeurs de l'Océan. Il fuffit qu'il fçache ,
que le cordeau eft aflcz long pour trouver fend en certains
endroits de la Mer , qu'il luy importe de connoître pour bien
diriger fa courfe , & pour éviter les Bas-fonds qui pourroient
le faire échouer. Nôtre affaire dans ce Monde n'eft pas de
connoître toutes chofes , mais celles qui regardent la condui-
te de nôtre vie. Si donc nous pouvons trouver ces Régies,
fur lefquelles une Créature Raifonnable , telle que THom-
me confideré dans l'état où il fe trouve dans ce Monde ,
peut &: doit conformer fes fentimens , & les adions qui en
dépendent i fi, dis-jc, nous pouvons enTenij là, nous ne
•...'•»■{■ . ' ■ de-
AVANT-PROPOS. 7
devons pas ncus inquiéter de ce qu'il y a plufieurs autres
chofes qui échappent à nôtre connoiflance.
§. 7. Ce font là les confiderations qui me firent venir la Q,uc"f acf=
première penfée de travailler à cet Effaiconcernant l' Enten- ounaec"
f/fwfw/'î lequel je donne préfentement au Public. Carjefon-
geois en moy-même , que le premier moyen qu'il y auroit de
fatisfaire rÈfprit de l'Homme fur plufieurs Recherches,
dans lesquelles il eft fort porté à s'engager , ce feroit de pren-
dre, pour ainfi dire, un état des Facultezde nôtre propre
Entendement, d'examiner l'étendue de ks forces , Se de voir
quelles font les chofes qui font proportionnées à fa capaci-
té. Je foupçonnois, que jufqu'à ce que nous eufîions pris
ces précautions , nous prendrions la chofe tout-à-fait à con-
tre-fens , ^ que nous chercherions en vain cette douce fatis-
faftion, que nous pourroit donner la pofTefîîon tranquille
6c affurée des veritez qui nous font les plus néceffaires , tan-
dis que nous nous fatiguerions à courir après la recherche de
toutes les chofes du Monde fans diflinftion, comme fi toutes
ces chofes, dont le nombre efl infini, étoient l'objet naturel
de nôtre Entendement , &: que l'homme pût en acquérir une
connoifTance certaine > de forte qu'il n'y eut abfolument rien,
dont il ne fut capable déjuger , ou qui fut au defTus de fa
portée. En effet , lors que les hommes infatuez de cette pen-
fée, viennent à pouffer leurs recherches plus loin que leur
capacité ne leur permet de faire , & à s'abandonner fur ce
vafte Océan , où ils ne trouvent ni fond ni rive > il ne faut
pas s'étonner qu'ils faffentdes QueftionsSc multiplient des
difîîcultez , qui ne pouvant jamais être terminées d'une ma-
nière claire &: diftinfte, nefçrvent qu'à perpétuer 6c aug-
menter leurs doutes , ^ enfin à les confirmer eux-mêmes
dans un parfait Scepticifme. Mais, fi au lieu de fuivre cette
dangereufe méthode, les hommes commençoient par exa-
miner avec foin quelle eft la capacité de leur Entendement ,
s'ils venoient à découvrir jufques où peuvent aller leurs con-
noiffances , 6c qu'ils trouvafîent les bernes qui féparent la
partie lumineufe des difFerens Objets de leurs connoifTances,
d'avec la partie obfcure &: entièrement impénétrable , ce
qu'ils
8 AVANT- PROPOS.
qu'ils peuvent concevoir d'avec ce qui pafle leur intelligen-
ce j peut-être qu'ils auroient beaucoup moins de peine à
reconnoître leur ignorance fur ce qu'ils ne peuvent point
comprendre , & qu'ils tourneroient leurs penfées & leurs
raifonnemens avec plus de fruit &: de fatisfaftion , du côté
des chofes qui font proportionnées à leur capacité.
k'mo^d-'ij'ét'^ §.8. Voilà ce que j'ai jugé néceflaire de dire touchant
l'occailon qui m'a fait entreprendre cet Ouvrage fc»«rfr«^«f
V Entendement Humain. Mais avant que de toucher à ce que
j'ai médité fur cette matière , je prierai mon Leftcur d'excu-
fer le fréquent ufage que j'ai fait du mot d'Idée dans le Traité
fuivant. Comme ce terme eft , ce me femble , le plus propre
qu'on puifTe employer pour lignifier tout ce qui efl l'objet
de nôtre Entendement lors que nous penfons -, je m'en fuis
fervi pour exprimer tout ce qu'on entend par phantôme , no-
îion , efpéce , ou quoy que ce puifle être qui occupe nôtre ef-
prit lors qu'il penfe } & je n'aurois pu éviter de m'enfervir
auflî fouventque j'ai fait.
Je croi qu'on n'aura pas de peine à m'accorder qu'il y a
de telles idées dans l'Efprit des Hommes. Chacun les fent
en foy-même , &; peut s'aflurer qu'elles fe rencontrent dans
les autres Hommes, s'il prend la peine d'examiner leurs dif-
cours Se leurs a£tions.
Nous allons voir préfentement de quelle manière ces I-
dées viennent dans l'Efprit.
ESSAI
l'ag.^
ESSAI PHILOSOPHIQUE
CONCERNANT
L'ENTENDEMENT HUMAIN.
^^ ««^So» ««^So» *îfie» ««^fio» ^So» ^^ ««ÎSo» ««^îo» ^^
LIVRE PREMIER.
Des Notions Innées.
CHAPITRE I.
C^u'il n'y a point de Principes inne^ dans l'Efpriû
de l'Homme.
§• !'• ^^)^^^*^^Êii L y a des gens qui fuppofent comme La manière
une Venté inconteftable. Qu'il v a ^°''' '" "°'"-
Tt . ■ ^ . •' mes acquièrent
certams Principes mnez , certaines leurs connoif-
Notions primitives , autrement ap- f^"f«> prouve
pellées * Notions communes, ç^xùioni Z^lTt^t
gravées, pour ainfl dire, dans nôtre p
Ame , qui les reçoit dès le premier moment de fon exi- *
ftence, Se les apporte au monde avec elle. Sij'avois à fai-
re à des Lefteurs dégagez de tout préjugé , je n'aurois ,
pour les convaincre de'la faufTeté de cette Suppofition ,
B qu'à
poiiit innées.
MOiCtl.
lo ^i''il n'y a point
Chap.I. qu'à leur montrer , (comme j'cfpere de le faire dans les
autres Parties de cet Ouvrage) que les Hommes peuvent
acquérir toutes les connoifîances qu'ils ont, par lefimple
ufage de leurs Facaltez naturelles, fans lefecoursd'aucu-
ne imprcflîon innée -, & qu'ils peuvent arriver à une entiè-
re certitude de certaines chofes, fans avoir befoin d'aucu-
ne de ces Notions naturelles ou Principes innés;. Car je
croi que tout le Monde tombera aifément d'accord , qu'il
feroit ridicule tie fuppofer , par exemple , que les idées
des Couleurs ont été imprimées dans l'Ame d'une Créa--
ture, à qui Dieu a donné la veûë &: la puilîlmce de rece-
voir ces idées par l'impreilion que les Objets extérieurs
feroient fur fes yeux. Or il ne feroit pas moins abfurde
d'attribuer à des imprellîons naturelles 8c à des caractères
innés; la connoiflance que nous avons deplufieurs veriteZi
lî nous pouvons remarquer en nous-mêmes des Facultez,
propres à nous faire connoître ces veritez avec autant de
facilité &de certitude, que il elles étoient originairement
gravées dans nôtre Ame.
Mais parce qu'un limple particulier ne peut éviter d'ê-
tre cenfure lors qu'il cherche la Venté par un chemin
qu'il s'eft tracé luy-même, fi ce chemin l'ecarte le moins
du monde de la route ordinaire > je propoferai les raifons
qui m'ont fait douter de la vérité du Sentiment qui fup-
pofe des idées innées dans l'Efprit de l'Homme , afin
que ces raifons puiffent fervir à excufer mon erreur , fi
tant eft que je fois eifectivement dans Terreur fur cpt ar-
ticle ; ce que je laiflé examiner à ceux qui font comme
moy difpofez à recevoir la Vérité par tout où ils la ren-
contrent.
Onditqueccr- §. 2. 11 n'y a pas d'Opinion plus communément reçue
taius Principes q,^,g ^elle qui établit , QiTil Y a de certains Principes , tant
loin reçus d'un ^,r,fi- i-d..- r
confciKèraciit pout U Spccitlûîlon quc pour la trafique , (car on en compte
iniivcifci. Triii- de CCS deux fortes} de la vérité defquels tous les hommes
^ucii"i"pre'' conviennent généralement > d'où l'on infère qu'iltaut que
tend prouver, CCS Principcs-Ià foicut autant d'impreflions , que nos Ef-
KsVonïia P^^f ^ reçoivent avec l'exiftencej 6c qu'ils apportent au Mon-
' de
univer(èl
ve rien.
de Principes innejt. Lrv. I. ii
de avec eux ; impreflions qui leur font communiquées Chap. I
d'une manière aufîi nécefTaire &: aufîi réelle qu'aucune des
Facultez inhérentes qui fe rencontrent dans tous les hom-
mes.
§.3. Je remarque d'abord que cet Argument , tiré du Ceconfcme
confentement imiuerfel, eft fujet à cet inconvénient, c'ell que, "'^"'"""" ""
quand le rait leroit certam, je veux dire qu 11 y auroit ef-
fectivement des veritez fur lefquelles tout le Genre Hu-
main feroit d'accord, ce confentement univerfel ne prouve-
roit point que ces veritez fiiflent innées ; fi l'on peut mon-
trer une autre voye , par laquelle les Hommes ont pu arri-
ver à cette uniformité de fentiment fur les chofes dont ils
conviennent ; &c c'elt ce qu'on peut faire , fi je ne me
trompe.
§. 4. Mais, ce qui eft bien pis, la raifon qu'on tire du ce^,iiejf,cj}:S:,
Confentement univerfel, pour faire voir qu'il y a des Prin- ^'f^ ""pos/ihu
n /- t 1 1 ' /i au nne cho e sii
cipes tnne:::; elt, ce me lemble, une preuve demonftrative ^n, fin pas en
qu'il n'y a point de femblable Principe j parce qu'il n'y a '" '"' '""P' ■'
eifedivement aucun Principe fur lequel tous les hommes tiom cfuT^nJ'
s'accordent généralement. Et pour commencer par les no- '""f p^s univer-
tions fpeciilatives , voici deux de ces Principes célèbres, '^l'.'^"'"^"' ^^'
auxquels on donne, prererablement a tout autre, la qua-
lité de Principes innez : Tout ce qui ejl , ejl-, ^, Ilejiim-
foffihle qu'une chofe foit (ér ne foit pas en même temps. Ces
Propofitions ont paife fi conilamment pour des Âlaximes
univerfellement reçues , qu'on trouvera, fans doute, fort
étrange, que qui que ce foit ofe mettre cela en queftion.
Cependant je prendrai la liberté de dire , que , tant s'en
faut qu'on donne un confentement général à ces deux Pro-
pofitions, qu'il y a une grande partie du Genre Humain à
qui elles ne font pas même connues.
§.5, Car premièrement, il eft clair quelesEnfans&Ies Eii«ncfontpaç
Idiots n'ont pas la moindre idée de ces Principes &- qu'ils ^^ravecsnnurei-
, r - ■ ■ r^ ■ {• rr i-- lemc"t dans
n y penient en aucune manière. Ce qui fuffitpourdetrui- v, me , puis
fê ce Confentement univerfel , qtfe toutes les inritez in- q^'^' «'^ "c font
nées doivent produire néceflairement. Car dé dire, qu'il Enfans"'des'^i!
y a des veritez imprimées dans l'Ame qu'elle n'apperçoit diocs, cv.
B 2 pour-
T2: ^''il n'y à point
Chap.I. pourtant point-, c'eft, ce me femble, une véritable con-
tradiftion, ou peu s'en faut; l'aftion d'imprimerne pou-
vant marquer autre chofe (fuppofé qu'elle lignifie quel-
que chofe de réel en cette rencontre) que faire apperce-
voir certaines veritez. Carileft, à mon fens ,. bien diffici-
le de comprendre , que quelque chofe puiffe être impri-
mée dans l'Ame , fans que l'Ame l'apperçoive. Si donc ces
fortes d'imprelllons ont ete faites fur les Ames des Enfans
& des Idiots , il faut néceflairement que les Enfans &: les
Idiots apperçoivcnt ces impreflions, qu'ils connoiflent les
veritez qui font gravées dans leur Efprit, Se qu'ils y don-
nent leur confentement. Mais comme cela n'arrive pas >il
eft évident qu'il n'y a point de femblables impreflions. Op
il ce ne font pas des Notions imprimées naturellement dans
l'Ame, comment peuvent-elles être innées ? Et fi elles y
font empreintes , comment peuvent-elles luy être incon-^
nues? Dire qu'une Notion eft gravée dans l'Ame , ôcfoû-
tenir en même temps que l'Ame ne la connoît point , &
qu'elle n'en a eii encore aucune connoifiance , , c'eft faire
de cette impreflîon un pur néant. On ne peut point aflu-
rer qu'une certaine Propoiition foit dans l' Efprit, lors que
r Efprit ne l'a point encore apperçuë , & qu'il n'en a dé-
couvert aucune idée en luy-même. Car fi on peut le dire
de quelque Propofition en particulier ; on pourra foûtenir
par la même raifon , que toutes les Propollrions qui font
véritables & que l'Efprit pourra jamais regarder comme
telles, font deja imprimées dans l'Ame. Puis que , fi l'on
peut dire qu'une chofe eft dans l'Ame , quoy que l'Ame
ne l'ait pas encore connue , ce ne peut être qu'à caufe
qu'elle a la capacité ou la faculté de la connoîtrej facul-
té qui s'étend fur toutes les veritez qui pourront venir à
fa connoifiance. Bien plus ; à le prendre de cette maniè-
re,, on peut dire qu'il y a des veritez gravées dans l'Ame,
que l'Ame n'a pourtant jamais connues Se qu'elle ne con-
noîtra jamais. Car un homme peut vivre long-tems , &
mourir enfin dans l'ignorance de plufieurs veritez que fon
Efprit étoit capable de connoître , 6c même avec une en-
tiéic
de Principes inne:^. Liv. I. 13
ri ère certitude. De forte que 11 par ces imprejjiom naturel- Chaf-.1^
les qu'on foûtient être dans l'Ame, on entend la capacité
que l'Ame a de connoître certaines veritez , il s'enfuivra
de ce fentiment , que toutes les veritez qu'un homme
vient à connoître , font autant de veritez innées : & ainfi
cette grande Qiieftion fe réduira uniquement à dire, que
ceux qui parlent de Principes innez , parlent très-impro-
prement , mais que dans le fonds ils croyent la même chofe
que ceux qui nient qu'il y en ait. Car je ne penfe pas que
perfonne ait jamais nié , que l'Ame fut capable de connoîtra
plufieurs veritez. C'eft cette capacité, dit-on, qui eft
innée y &: c'eft laconnoiïïance de telle ou telle vérité qu'on
doit appeller acquife. Mais fi cela eft ainfi,. à quoy bon
s'échauffer à foûtenir qu'il y a certaines maximes innées?
Que s'il y a des veritez qui puiflént être imprimées dans
l'Entendement, fans qu'il les apperçoive , je ne vois pas
comment elles peuvent différer , par rapport à leur origi-
ne , d'avec les veritez que l'Efprit elt capable de con-
noître. Il faut ou que toutes foient innées , ou bien qu'el-
les viennent toutes d'ailleurs dans l'Ame. G'eft en vain
qu'on prétend les diftinguer à cet égard. Et par confé-r
quent , quiconque parle de Notions innées dans l'Enten-
dement, ne fçauroit imaginer, (^s'il entend par-là certai-
nes veritez particulières) que ces Notions foient dans
l'Entendement de telle manière que l'Entendement ne les
ait jamais apperçuës &: qu'il n'en ait effectivement aucu--
ne connoiffance. Car fi ces mots , être dans l'Entende-
ment, emportent quelque chofe de pofitif, ilsfignifient, .
être apperçù &: compris par l'Entendement. De forte que
iî l'on foûtient, qu'une chofe eft dans l'Entendement, &
qu'elle n'eft pas conçue par l'Entendement , qu'elle eft
dans l'Efprit fans que l'Efprit l'appcrçoive , c'eft autant
que fi l'on difoit, qu'une chofe eft Se n'eft pas dans l'Ef-,
prit ou dans l'Entendement. Si donc ces deux Propofî-
tions. Ce qui eft, e/i; 6c, Il ejl impoffible qu tint chofe foie
^ ne [oit pas en même temps, étoient gravées dans l'Ame
des hommes parla Nature, les Enfans ne pourroient pas
B X ks.
î4 Çhùl 7î'y apoint
CiiAp.I. les ignorer; les petits Enfans , dis-je', &■ tous ceux qui
ont une Ame , dcvroient les avoir néceflairement dans
l'Efprit, en reconnoîrre la vérité, & y donner leur con-
fcntement.
■ Réfutation d'u- g;. 5. Pour éviter Cette Difficulté , les Défenfeurs des
fon dmlÈ onlé ^'^^'^^ Innécs Ont accoûtumé de répondre , Qiie les Honi-
fcrt pour prou- mcs conuoiflent CCS vcritcz èc y donnent leur confcntemint ,
verc|n iiyades ^Xj, ^.^-^/^ Viennent à avoir lufape de leur Rai fon : Ce qui
■ quiefi, {]ueicslumt, Iclon jLux , pour taire vo-ir quc cesventez lont in-
Jionimes con- ripgc
ritcz àz-. qu'ils §• 7- Je répons à cela , Qiie des exprefllons ambiguës
ont Tufage de qyj ne fisinifient prefque rien , paflent pour des raifons
évidentes dans 1 hlpnt de ceux qui pleins de quelque pré-
jugé j ne prennent pas la peine d'examiner avec aflez d'ap-
plicâtion ce qu'ils difent pour défendre leur propre fen-
timent. C'eft ce quiparoît évidemment dans cette occa-
fion. Car pour donner à la Réponfe que je viens de pro-
pofer , un fens tant floit peu raifonnable par rapport à
la Qiicftion que nouj aA'ons en main , on ne peut luy fai-
re fignificr que l'une ou l'autre de ces deux chofes , fça-
voir, qn'auiîi-tôç que les Hommes viennent à fiiireufage
de la Raifon , i's apperçoivent ces Principes qu'on fup-
■ pofe être imprimez uaturellement dans l'Efprit ; ou bien,
que l'ufage de la Raifon les leur fait découvrir & connoî-
tre avec certitude. Or ceux à qui j'ai à faire , ne fçau-
roient montrer par aucune de ces deux chofes qu'il y ait
des Principes imie«.
Soppofc que la §• 8. Et pour Commencer par la dcmiérc ; S'ils difent,
Raifon décou- q^^g c'eft par l'ufage de la Raifon, que les Hommes peu-
i'i'innpcr,"ii"e vcut découvrir ces Principes , & que cela faffitpour prou-
6 enfuit pa5 de ver qu'ils font m«?^, leur riifonnement fe réduira à ceci $
la qu'ils loicHt Q tontes les vérités que la Raifon peut nous faire connoU
tre & recevoir comme autant de i-entez certaines (y- indu-
bitahles , font naturellement gravées dans notre Efprit.
Puis que 1: confcntement univerfcl qu'on a voulu faire
regarder comme le fceau auquel on peut reconnoître que
certaines veritez font innées, ne fignifiedans le fonds au-
tre
de Principes inncz. Liv. I. i^
tre cliofe fi ce n'eft qu'en faifant ufage de la liaifcn , nous Chap.I,
fomnies capables de parvenir à une connoiilance certaine
de ces verittz , & d'y donner nôtre conlentement. De
forte que , fuivant cette Régie , il n'y aura aucune diffé-
rence entre les Axiomes des Mathématiciens & les Théo-
rèmes qu'ils en déduifent. Principes &: Concluions , tout
fera également inné -, puis que toutes ces chofes font des
découvertes qu'on fait par le moyen de la Raifon, &: que
ce font des ventez qu'une Créature Raifonnable peutcon-
noître certainement fi elle s'applique comme il faut à les
rechercher.
§. 9. Mais comment peut-on penfer j c[\\cV ufage delà iieft faux que
Raifon foit nécelîaire pour découvrir des Principes qu'on couwccsPna-
fuppcfe imie^ -, puis que la Ra-fon n'eft autre chofe , (s'il cipes.
en faut croire Ceux contre qui je difpute} que la Faculté
de tirer de Principes déjà connus des veritez inconnues ?
Certainement , on ne pourra jamais regarder comme un
Principe in?iéi ce qu'on ne fçaurcit découvrir que par le
moyen de la Raifon , à moins qu'on ne reçoive , comme
je l'ai déjà tiitj toutes les veritez certaines que la Raifon
peut nous faire connoître, pour autant de -veritez innées.
Nous ferions aulîî bien fondez à dire , que l'ufage de la
Raifon eft néceflaire pour difpofer nos yeux à difcerner '
les Objets vifibles ; qu'à foùtenir que ce n'eft que par la
Raifon ou par l'ufage de la Raifon que l'Entendement
peut voir ce qui eft originairement imprimé dansTEnten-
dçment luy-même j &: qui ne fçaurcit y être avant qu'il
l'apperçoive. De forte que de donner à la Raifon la char-
ge de découvrir des veritez , qui font imprimées dans
î'Efprit de cette manière , c'eft dire , que l'ufage de la
Raifon fait voir à l'Homme ce qu'il fçavoit déjà ; & par
conféquent l'Opinion de ceux qui cfent avancer que ces
A'eritez font innées dans I'Efprit des Hommes , qu'elles y
font origmairement empreintes avant l'ufage de la Raifon s
mais que cependant ils les ignorent toujours , jufqu'à ce
qu'ils viennent à fe fervir de la Raifon , cette Opinion 3
dis-je, revient proprement à ceci 3 Qiie les Hommes con- -
noiflfent:
r6 ^i'il nj a point
Ch A P. I. noifleiit &: ne comioiflent pas en même temps ct^ forfes de
veritez.
§. lo. On répliquera peut-être , que les Démonftra-
tions Mathématiques & plufieurs autres veritez qui ne
font point innées , ne trouvent pas créance dans nôtre
Efprit, dès que nous les entendons propofer ; ce qui les
diftingue de ces Premiers Principes que nous ATnons de
voir, & de toutes les autres veritez innées. J'aurai bien-
tôt occafion de parler d'une manière plus précife du con-
fentcment qu'on donne à certaines Propofitionsdès qu'on
les entend prononcer. Je me contenterai de reconnoître
ici franchement, que les Maximes qu'on nomme innées y
£c les Démonftrations Mathématiques différent en ce que
celles-ci ont befoin du fecours de la Raifon, qui les ren-
de fenllbles & nous les fafle recevoir par le moyen de cer-
taines preuves ; au lieu qu'à l'égard des Maximes qu'on
veut faire regarder comme autant de Principes innés: ^ on
les rcconnoît pour véritables dès qu'on les comprend,
fans qu'on ait befoin pour cela du moindre raifonnement.
Mais qu'il me foit permis en même temps de remarquer,
que cela même fait voir clairement le peu de folidité
qu'il y a à dire , comme font les Partifans des Idées in-
nées ^ que l'ufage de la Raifon cft néceflaire pour décou-
vrir ces veritez générales ; puifqu'on doit avouer de bon-
ne foy qu'il n'eft befoin d'aucun raifonnement pour en
reconnoître la certitude. Et en effet , je ne penfe pas que
ceux qui ont recours à cette réponfe , ofent foûtenir par
exemple , que la connorfîance de cette Maxime , // eji
impo^ible qu'une chofe foit (^ ne foit pas en même temps ^
foit fondée fur une conféquence tirée par le fecours de nô.
tre Raifon. Car ce fcroit détruire la Bonté qu'ils préten-
dent que Dieu a eii pour les Hommes en gravant dans
leurs Ames ces fortes de Maximes -, ce feroit , dis-je , ané-
antir tout-à-tait cette grâce dont ils paroiflent fi jaloux,
que de faire dépendre la connoifTance de ces Premiers
Principes , d'une fuite de pcnfecs déduites avec peine les
unes des autres. Comme tout raifonnement fuppofe quel-
que
de Principes innez. Ljv. I. ij
xiiie recherche , il demande du foin & de l'application, Chap.I.
cela cil inconteftable. D'ailleurs, en quel fens rant foit
peu raifonnable peut-on foûtenir , qu'afin de découvrir
ce qui a été imprimé dans nôtre Ame par la Nature, pour
fervir de guide Se de fondement à nôtre Raifon , il faille
faire ufage de cette même Raifon?
§. II. Tous ceux qui voudront prendre la peine de
réfléchir avec un peu d'attention fur les opérations de
l'Entendement , trouveront que ce confentement que
l'Efprit donne fans peine à certaines veritez , ne dépend
en aucune manière ni de l'impreflion naturelle qui en ait
été faite dans l'Ame , ni de î'ufage de la Raifon ; mais
d'une Faculté de l'Efprit Humain , qui ell tout-à-fait
différente de ces deux chofes , comme nous le verrons dans la
iliite. Puis donc que la Raifon ne contribue du tout
point à nous faire recevoir ces Premiers Principes , il Ceux
qui foùtiennent que les Hoînnies les connoiffent à^ y donnent
leur confentement , des qu'ils viennent à faire t/pi^e de leur
Raifon , veulent dire par-là , que l'IJfage de la Raifon
nous conduit à la connoiffance de ces Principes , cela eft
entièrement faux -, 6c quand il feroit véritable , il ne prou-
veroit point que ces Maximes foient innées.
§. 12. Mais loi'S qu'on dit que nous connoiffons ces Qys'K'oncom-
veritez & que nous y donnons nôtre confentement , des ."^lac jela ali-
que nous venons k faire ufage de la Raifon -, fi l'on entend ronron necm-
par-là, que c'eft dans ce temps que l'Ame s'appercoit de """"'^, p^' ^
o ' /V .. « 1 r- r ■ ^ » - comioitre ces
ces ventez , & qu aulii-tot que les Enfans viennent a fo viaximesgâié-
fervir de la Raifon , ils commencent aufli à connoître &: "'^'^ qu on veut
à recevoir ces Premiers Principes; cela eft encore faux& î'n^cs'"^'^''"
inutile. Je dis premièrement que cela eft faux ; parce
qu'il eft évident, que ces fortes de Maximes ne font pas
connues à l'Ame, dans le même temps qu'elle commen-
ce à avoir I'ufage de la Raifon , 6>r par confequent qu'il
n'eft point vray , que le temps auquel on commence à
faire ufage de la Raifon , foit le même que celui auquel
on commence à découvrir ces Maximes. Car je vous prie,
combien de marques de Raifon n'obferve-t-on pas dans
C les
iS ^i^il fi^y a point
Chap. I. les Enflms , long-temps avant qu'ils ayant aucune con-
noifîlmce de cette Maxime , // c/i impojfiblc qu'une chofs
fait cj-ne foit pas en même temps ? Combien y a-t-il de gens
fans Lettres , èc de Peuples Sauvages qui étant parvenus
à rà2;e de raifon , paflent une bonne partie de leur vie
(uns faire aucune réflexion à cette Maxime & aux autres
Propolltions générales de cette nature? Je conviens que
les hommes n'arrivent point à la connoiflance de ces veri-
tez générales &: abftraites qu'on croit innées , avant que
de fiire ufage de leur Raifon-, mais j'ajoute qu'ils ne les
connoifTent pas même alors. Et cela, parce qu'avant que
de faire ufage de la Raifon , les idées générales Se abftrai-
tes, d'oii réfultent ces Maximes générales qu'on prend
mal-à-propos pour des Principes inne.z , ne font pas for-
mées dans l'Efprit, mais parce que ce font effectivement
des connoiflances ëc des veritez qui s'introduifent dans
l'Efprit par la même voye , 6c parles mêmes dégrez , que
pluileurs autres Propofitions que l'on nefçauroit regarder
comme innées. C'eft ce que j'efpére faire voir dans la
fuite de cet Ouvrage. Je reconnois donc qu'il faut né-
ceilairemcnt que les Hommes faiîent ufxgc de leur Rai-
fon , avant que de parvenir à la connoiiTimce de ces A^eri-
tez générales j mais encore un coup, je nie que le temps
auquel ils commencent à fe fervir de leur Raifon , foit
juftement celui auquel ils viennent à découvrir ces veri-
tez.
On ne peut §. i^. Cependant il eft bon de remarquer, que ce
P°'|«'" '^'j^'"- qu'on dit, aue , dès an' on fait iifas^e de la Raifon, ons'ap-
sucr par la de •'• i ^ -k ^ ■ ^ , ^ , •' "^ ■ r ■> j
piufieurs autres perçoit de ces Maximes & qu on y acqiiiejce , n emporte dans
veritez cjuon Ig fonds autrc chofc quc ceci ; fçavoir, qu'on ne connoît
d'ns k'méme i^"wis CCS Maximes avant l'ufige de la Raifon, quoyque
temps. peut-être on n'y donne un confentement aftiiel que quel-
que temps après , durant le cours de la vie; &: du refte,
le temps auquel on vient à les connoître&rà les recevoir,
eft tout-à-fait incertain. D'où il paroît qu'on peut dire
la même chofe de toutes les autres veritez qui peuvent
être connues , auffi bien que de ces Maximes générales.
Et
de Pnncifes innez. Liv. I. 19
Et par conféquent il ne s'enfuit point, de ce qu'on con- Chap.L
noît ces Maximes lors qu'on vient â faire ufage de h Rai-
fon , qu'elles ayent , à cet égard , aucune prérogative qui
les dillingue des autres veritez ; Se bien loin que ce foit
une marque qu'elles foient mnees , c'eft une preuve du
contraire.
§. 14. Mais en fécond lieu, quand il feroit vrai, qu'on CHiand on com'
viendroit à connoître ces Maximes &: à v acquiefcer, ju- "enccroita les
_ •/ 1 -' j conuoitrc > des
ftement dans le temps qu'on vient à faire ufage de la Rai- qu'on vient à
fon, cela neprouveroit point encore qu'elles foient /««m. [^'■'^ "^='2'^ 'j^
Ce raifonnement eft aufli frivole , que la fuppofition fur ,,e^ ptou'veroit
laquelle il eft fonde , eft faufîc. Car par quelle régie de P"i»t qu'elles
Logique peut-on conclurre qu'une certaine Maxime a été °"^'"'"""^-
imprimée originairement dans l'Ame auffi-tôt que l'Ame
a commencé à exifter, de ce qu'on vient à s'appercevoir
de cette Maxime & à l'approuver , dès qu'une certaine
Faculté de l'Ame, qui eft appliquée à toute autre chofe,
vient à fe déployer ? Suppofé que le temps auquel on
vient à recevoir ces Maximes , fut le même que celui au-
quel on commence à parler, (qui peut l'être avec autant
de fondement , que celui auquel on commence à faire u-
fage de la Raifon) on feroit tout aulTi bien fondé à dire
que ces Maximes font innées , parce qu'on les reçoit dès
qu'on commence à parler , qu'à foûtenir qu'elles font
innées i parce que les Hommes y donnent leur confente-
ment lors qu'ils viennent à fe fervir de leur Raifon. Je
conviens donc avec les Partifans des Principes mnez, , que
l'Ame n'a aucune connoiiîance de ces Maximes générales
qui font évidentes par elles-mêmes , jufqu'à ce qu'elle
commence à faire ufage de la Raifon j mais je nie que le
temps , auquel on commence à faire cet ufage , foit pré-
cifément celui auquel on commence à s'appercevoir de
Ces Maximes, &: quand cela feroit, je nie qu'il s'enfuivit
de là , qu'elles foient innées. Lors qu'on dit , que les
Hommes donnent leur consentement à ces veritez, des qu'ils
viennent à faire ufage de la Raifon -, tout ce qu'on peut fai-
re lignifier raifonnablement à cette Propofition , c'eft
C 2 que
20 ^t'il «7 ^ point
Chap.I. que l'Efprit venant à fe former des idées générales' & a6-
ftraires , &: à comprendre les noms généraux qui les re-
préfentent , dans le temps que la Faculté de raifonner
commence à fe déployer, &: tous ces matériaux fe multi-
pliant à mcfure que cette Faculté fe perfectionne, il arri-
ve d'ordinaire que les Enfans n'acquièrent point ces idées'
générales & n'apprennent point les noms qui fervent à
les exprimer, jufqii'à ce qu'ayant exercé leur ivaifon pen-
dant un alTez long-temps fur des idées familières & plus'
particulières , ils foient devenus capables d'un entretien
raifonnable par le commerce qu'ils ont eu avec d'autres
perfonnes. Si l'on peut dire dans un autre fens , que les
Hommes reçoivent ces Maximes générales lors qu'ils vien-
nent à faire ufage de leur Raifon , c'efl: ce que j'ignore,
ôc je voudrois bien qu'on prit la peine de le faire voir,
ou du moins qu'on me montrât , (^quelque fens qu'on'
donne à cette Fropofition, celui-là , ou quelque autre)
comment en en peut inférer , que ces Maximes font in-
nées.
Patquelsde'- §• 15- D'abord Ics fens remplirent , pour ainll dire,
grcz l'Efprit nôtre Efprit de diverfes idées qu'il n'avoit point -, &
«cTlufierve' l'Efprit fe familiarifmt peu-à-peu ces idées , les place
mez. dans fa Mémoire, & leur donne des Noms. Enfuite, il
vient à fe repréfenter d'autres idées, qu'il abflrait de cel-
les-là, 6c il apprend l'ufige des noms généraux. De cet-
te manière l'Efprit prépare des matériaux d'idées &: de
paroles, fur lefquels il exerce fi Faculté de raifonner j&r
l'ufige de la Raifon devient , chaque jour, plus fenfible,
à mefure que ces matériaux fur lefquels elle s'exerce,
s'augmentent. Mais quoy que toutes ces chofes, c'eft à
dire, l'acquifition des idées générales , l'ufage des noms
généraux qui les repréfentent , & l'ufage de la Raifon,
croiflént, pour ainfi dire, ordinairement enfemble , je ne
vois pourtant pas que cela preuve en aucimc manière que
ces idées foient innées. J'avoûë qu'il y a certaines veri-
tez, dont la connoiflance eil dans l'Efprit de fort bonne
heure, mais c'elt d'une manière qui fait voir que ces ve^
ritez-
de Principes innés:. Liv. I. ji
rirez ne font point innées. En eiFet , fi nous y prenons gàr- Chap. I,'
de, nous trruverons que ces fortes de veritcz font com-
poféesd' décs qui ne font nullement innées, nuis acqui-
fes j car ces premières idées qui occupent l'Efprit des En-
fans , font celles qui leur viennent par l'imprellion des
chofes extérieures , qui font les premiers objets dont ils
font frappez , ôc qui font de ^us fréquentes impreflîons
fur leurs fens. C'eft en reflêchiflant fur ces idées, acqui-
fes par cette voye, que l'Efprit juge du rapport , ou de
la différence qu'il y a entre les unes & les autres -, Se cela
apparemment , dès qu'il vient à faire ufage de la iMémoi-
re, & qu'il eft capable de recevoir &: de retenir diverfes
idées dillinftes. Mars que cela fe faiTe alors ou non ; il
eft certain du moins , que les Enfiuis apperçoivent cette
différence long-tems avant qu'ils ayent appris à parler ,
6c qu'ils foient parvenus à ce que nous appelions l'âge de.
Rtîifon. Car un Enfant connoît auiîl certainement , avant
que de fçavoir parler, la différence qu'il y a entre les idées
du dou:ii &■ de Vamer , c eft à dire, qu'il connoît auiîî fû-
rement que le doux n'eft point l'amer, qu'il fçait dans la
fuite quand il vient à parler , que l'abfinthe & les dragées
ne font pas la même chofe.
§. 1 6 . Un Enfant ne vient à connoître q ue trois ô" qua^
tre font égaux àfept , que lors qu'il eft capable de compter
jufques à fept , qu'il a acquis l'idée de ce qu'on nomme
égalité i & qu'il fçait comment on la nomme. Du refte ,
quand il en eft venu là ; dès qu'on luy dit , que trois à^
quatre font égaux à. fept , il n'a pas plutôt compris le fens
de ces paroles qu'il donne fon confentement à cette Pro-
pofition , ou pour mieux dire , qu'il en apperçoit la vé-
rité. Mais s'il y acquiefce fi facilement alors , ce n'eft
point à caufe que c'eft une 'uerité innée : &c s'il avoit dif-
féré jufqu'à ce temps-là à y donner fon. confentement , ce
n'étoit pas non plus , à caufe qu'il n'avoit pas encore l'u-
fage de la Raifon. Mais plutôt, il reçoit cette Propofi-
tion, parce qu'il reconnoît la vérité de ces paroles, trois
& quatre font égaux a fept , dès qu'il a mis dans fon Ef,-
Ç 3 prit:
2 2 Ciu'il n'y a point .
Chap. I. prit les idées claires &c diftinftes qu'elles llgnifîent. Par
confëquent , il coiinoît la vérité de cette Propofition fur
les mêmes fondemens, 6c de la même manière, qu'il fça-
voit auparavant , ^ue la Verge c^ 7ine Cerife fie font pas la mê-
me choje : Se c'eft encore fur les mêmes fondemens qu'il
peut venir à connoître dans la fuite , Cluil e(l impofftble
qu'une chofe foit é^ ne foit pans en même temps , comme nous
le ferons voir plus amplement dans la fuite. De forte que
plus tard on vient à connoître les idées générales dont ces
Maximes font compofées,ou à fçavoir la fignifi cation des
termes généraux dont on fe fert pour les exprimer , ou à
rafTembler dans fon Efprit les idées que ces termes repré-
fentent j plus tard aullî l'on donne fon confentement à ces
Maximes, dont les termes aufli bien que les idées qu'ils
repréfentent , n'étant pas plus innez que ceux de C/;^? ou
de Belette , il faut attendre que le temps &; les reflexions
que nous pouvons faire fur ce qui fe pafle devant nos yeux,
nous en donnent la connoiflance : &: c'eil alors qu'on fera
capable de connoître la vérité de ces Maximes , dès la pre-
mière occafion qu'on aura de joindre ces idées dans fon
Efprit , &: de remarquer fi elles conviennent ou ne con-
viennent point enfemble , félon qu'elles font exprimées
dans ces Propofitions. D'oîi il s'enfuit qu'un homme fçair,
que dix-huit é^ dix-neuf font égaux k trente-fept , avec la
même évidence qu'il fçait c^w' un O' d'eux font t'gaux a trois -,
mais que pourtant un Enfant ne connoît pas la première
Propofition fi-tôt que la féconde ; ce qui ne vient pas de
ce que l'ufage de la Raifon luy manque, mais de ce qu'il
n'a pas fi-tôt formé les idées que les mots dix-huit , dix-
neuf y 6c trente-fept figni fient , que celles qui font expri-
mées par les mors un , deux , 6c trois.
De ce qu'on §• I /• La raifon qu'on tire du confentement général
fcçoitcesMaxi- pour faire voir qu'il y a des veritez innées , ne pouvant
mcsdcs qu'elles „ -.r-vi c ^ ^ .iiT'
font propofees po^i^t Icrvir a le prouver, èc ne mettant aucune ditrerence
& conçues ,ii ne entre les veritez qu'on fuppofe innées , 6c plufieurs autres
qn'cit'sfoknt *^°"^ ^^ acquiert la connoiflance dans la fuite , cette rai-
inntfes. fon , dis-je , Venant à manquer -, les Défenfeurs de cette
Hy.
de Principes inne:^. Liv. I. 25
Hypothefe ont prérendu conferver aux Maximes qu'ils Chap.I,
nomment innées y le privilège d'être reçues d'unconfente-
ment général , en ibùtenant , que, dès que quelqu'un
propoYe ces Maximes, &" qu'on entend lafignificariondes
termes qu'on employé pour les exprimer , on s'y rend.
Voyant, dis-je, que tous les hommes , & même les En-
fans, donnent leur confentementàcesPropofitionSjaullî-
tôt qu'ils entendent Se comprennent les mots dont on fe
fert pour les exprimer j ils s'imaginent que cela fuffit pour
prouver que ces Propofitions font innées. Comme les
hommes ne manquent jamais de les reconnoître pour des
veritez indubitables dès qu'ils en ont compris les termes ,
les Defenfeurs des idées innées voudroient conclurre de
là, qu'il eft évident que ces Propofitions étoient aupara-
vant imprimées dans l'Entendement, puis qu'à la premiè-
re ouverture qui en eft faite à l'Efprit , il les comprend
fans que perfonne les luy cnfeigne, 6c ydonnefoaconfen-
tement fans les révoquer jamais plus en doute.
§. 18. Pour répondre à cette Difficulté , je demande à Ce confcme-
ceux qui défendent de la forte les idées innées , fi ce con- "o^Leces'prô-
fentement que l'on donne à une Propofition , dès qu'on poiîtions, u« e;?
l'a entendue, eft un caractère certain d'un Princir>e;«w//' '''■'«/''"' y""^
c;-i jT > n • )-i 1 a trou, ^e Poux
b lis dilent que non , c eit en vam qu ils employcnt cette »\jipmt I'a-
preuvej 6c s'ils répondent qu'oui , ils feront obligez de "'" ' ^ '"',"'=
« 73 1 n /- • autres fembla-
reconnoitre pour rrmcipes inne^ toutes les rropolitions L,ies , icroien-.
dont on reconnoît la vérité dès qu'on les entend pronon-
cer, c'eft à dire un très-grand nombre. Car s'ils pofent
une fois que les veritez c]u'on reçoit dès qu'on les entend
dire, èz t|u'on les comprend, doivent palier pour autant
de Principes imiez , il faut qu'ils reconnoiflènt en même
temps que plufieurs Propofitions qui regardent les nom-
bres font innées y comme celles-ci , Un ô' deux font égaux
a trois , 'Deux cr deux /ont égaux a quatre , 6c quantité
d'autres femblablcs Propofitions d'Arithmétique, que cha-
cun reçoit dès qu'il les entend dire, 6c qu'il comprend les
termes dont on fe fert pour les exprimer. Et ce n'ell pas
là un privilège attache aux Nombres & aux differens Axio-
mes
iHuees,
2 4 CliiU ny a point
Chap. I. mes qu'on en peut ccmpofer , on rencontre auflî dans la
Phyfique &: dans toutes les autres Sciences , des Pr(;pofi-
tions auxquelles on acquiefce infailliblement dès qu'on les
entend. Par exemple, cette Propofition , Deux Corps ne
peuvent pûs être en un même heu a la fois , eft une vérité
dont on n'eil pas autrement perfuadé que des Maximes
Suivantes, // ejt impojjiole qu'une chofe foit cr ne foit pas en
wême temps; Le hlanc n'eft pas le rouge .; Un Onarré n'eji
p/js un Cercle; La couleur jaune n'eJi pas la douceur. Ces
Propofitions 5 dis-je , S< un million d'autres femblables,
-ou du moins toutes celles dont nous avons des idées diftin-
.£tes j font du nombre de celles que tout homme de bon
fens &: qui entend les termes dont on fe fert pour les ex-
primer, doit recevoir neceilairement , dès qu'il les entend
dire. Si donc les Partifans des Idées innées veulent s'en
tenir à leur propre Régie , 6c pofer pour marque d'une
-vérité innée le conjentement qu'on luy donne , des qu'on
l'entend cr qu'on comprend les termes qu on employé pour l' ex-
primer, ils feront obligez de reconnoître , qu'il y a non
feulement autant de Propofitions /««m que d'idées diftin-
£tes dans l'Efprit des Hommes, mais même autant que les
Hommes peuvent faire de Propofitions , dont les idées dif-
férentes foient niées l'une de l'autre. Car chaque Propo-
lition , qui ell compofée de deux différentes idées dont
Pune eft niée de l'autre, fera auili certainement reçue com-
me indubitable , dès qu'on l'entendra pour la première
fois fie qu'on en comprendra les termes , que cette Maxi-
me générale, // ejl impojjible qu'une chuje Joiî cr ne foit pas
en même temps , ou que celle-ci, qui en eft le fondement,
fie qui eft encore plus aifee à entendre. Ce qui efi la même
chofe, 71 ejt pas differetit : &c à ce compte , il faudra qu'ils
reçoivent pour \critez innées un nombre infini de Propo-
fitions, de cette feule efpece, fms parler des autres. A-
joûtez à cela, qu'une Propofition ne pouvant é:re innée,
à moins que les idées dont elle eft compofce, ne le foient
aulîi , il faudra fuppofcr que toutes les idées que nous avons
■des Couleurs , des Sons, des Goûts , des Figures , c^f. font
innées ;
de Principes inntz. Liv. I. 25
innées-, ce qui feroit la chofe du monde la plus contraire Chap. I.
à la Raifon -Se à l'Expérience. Le confentement qu'on
donne fans peine à une Propofition dès qu'on l'entend
prononcer Se qu'on en comprend les termes , eft , fans
doute , une marque que cette Propcfition ell évidente
par elle-même j mais cette évidence , qui ne dépend d'au-
cune imprefllon innée , mais de quelque autre chofe ,
comme nous le ferons voir dans la faite, appartient àplu-
lîeurs Propofiticns , que perfonne n'a été encore fi dérai-
fonnable que de vouloir les faire paiTer pour des veritez
innées.
§. 10. Et qu'on ne dife pas, que ces Propofitions par- Deteiiespro-
.,..■' n ■ ■ ^ ir » 1 politions moins
ticulieres, & évidentes par elles-mêmes , dont on recon- ^e'néraif<;, font
noît la vérité dès qu'on les entend prononcer , comme p'ùiôt connues
Qii'//« c^ àetix font égaux k trois , Qiie le Vaà n'efi pas ^^"^5 univ'wreî-
roîtge y Ôcc. font reçues comme des conféquences de ces les , nu'on veut
autres Propofitions plus génei'ales qu'on regarde comme faire pafler peut
autant de Principes innez, : Car tous ceux qui prendront
la peine de réfléchir fur ce qui fe pafle dans l'Entende-
ment i lors qu'on commence à en faire quelque ufage ,
trouveront infailliblement que ces Propofitions particuliè-
res, ou moins générales , font reconnues & reçues com-
me des veritez indubitables par des gens qui n'ont aucu-
ne connoiflance de ces Maximes plus générales. D'où il
s'enfuit évidemment, que, puis que ces Propofitions par-
ticulières fe rencontrent dans leur Efprit plutôt que ces
Maximes qu'on nomme premiers Principes , ils ne pour-
roient les recevoir comme ils font , dès qu'ils les enten-
dent prononcer pour la première fois , s'il étoit vrai que ce
ne fulTent que des conféquences de ces premiers Prin-
cipes.
§..20. Mais fi l'on ajoute, que ces Propofitions, D^7/x
C^ deux font égaux k quatre .^ Le Rouge neft pas bleu, Sec.
ne font pas des Maximes générales , èc dont on puifTe fai-
re un fort grand ufage -, je répons , que cette inftance ne
touche en aucune manière l'argument qu'on veut tirer du
Confentement univerfel qu'on donne à une Propofition
D dès
2$ Çlu'il n'j a point
Chap.I. dès qu'on l'entend dire &: qu'on en comprend lefens. Car
fi ce Confentement cil une marque afîurce d'une Pr. po-
{ition innée, toute Propofition qui eft généralement reçue
dès qu'on l'entend dire &: qu'on la comprend , doitpafler
pour une Propofition innée , tout auiîi bien que cette Ma-
xime , // ejl imp-)(/ijtc qunne chofe joit à' ne j oit pas en
nicme temps-, puis cu'^ cet égard elles font dans une par-
faite égalité. Qiiant à ce que cette dernière Maxime eft
plus générale, tant s'en faut que cela la rende plutôt in-
née, qu'au contraire c'eft pour cela même qu'elleeftplus
éloignée de l'être ; Car les idées générales èc abftraites
;' • étant d'abord plus étrangères à nôtre Efprit que les idées
:, des Propofitions particulières, qui font évidentes par el-
les-mêmes, elles entrent par confequent plus tard dans un
Efprit qui commence à fe former. Et pour ce qui eft de
l'utilité de ces Maximes tant vantées, on verra peut-être
qu'elle n'eft pas fi conilderable qu'on fe l'imagine ordi-
nairement , lors que nous examinerons plus particulière-
ment en fon lieu, quel eft le fruit qu'on en peut recueuil-
lir.
Ce qui prouve §-2 1. Mais il rcfte encore une chofe à remarquer fui
f)uc les Propo- ^e confcntcment , qu'on donne À certaines PropoJitions,dés
a'ppeiTeTniu4s,^^''<'» ^^^ entend prononcer éf qnon en comprend le fens-,
ne le font pa'!, c'cft , quc , bien loin que ce confentement fiiffe voir que
fomcomiûls'"' ces Propofitious foient innées, c'eft juftement une preuve
ciu'après qu'on du Contraire; car cela fuppofe que des gens, qui fontin-
ks a propokes. ftruits de diverfcs chofes , ignorent ces Principes jufqu'à
ce qu'on les leur ait propofez , & que pcrfonne ne les
fçait avant que d'en avoir oui parler. Or fi ces veritez
étoient innées, quelle néceflite y auroit-il de les propo-
fer, pour les faire recevoir ? Car étant déjà gravées dans
l'Entendement par une imprellion naturelle 5c originale,
(fuppofe qu'il y eut une telle imprellîon , comme on le
prétend} elles ne pourroient qu'être deja connues. Dira-
t-on qu'en les propofant on les imprime plus nettement
dans r Efprit que la Nature n'avoit fçu faire? Mais ficela
eit i il s'enfuivra de là , qu'un homjaie connoit mieux
CCS
de Principes innez. L i v. I. 27
ces veritez , après qu'on les luy a enfeignées , qu'il ne Chap. L
faiibit auparavant. D'où il faudra concliirre-, que nous
pouvons connoître ces Principes d'une manière plus évi-
dente , lors qu'ils nous font expofez par d'autres hom-
mes , que lors que la Nature feule les avoit imprimez
dans nôtre Efprit ; ce qui s'accorde mal avec ce qu'on
dit qu'il y a des Principes innez , rien n'étant plus pro-
pre à en diminuer l'autorité ; car dès-là , ces Principes
deviennent incapables de fervir de fondement à toutes
nos autres connoiflances , quoy qu'en veuillent dire les
Partiûns des Idées innées , qui leur attribuent cette préro-
gative. A la vérité , l'on ne peut nier que les Hommes
ne connoilTent d'abord plufieurs de ces veritez , éviden-
tes par elles-mêmes , dès qu'elles leur font propofées ;
mais il n'eft pas moins évident , que tout homme à qui
cela arrive , eft convaincu en luy-même que dans ce mê-
me temps-là il commence à connoître une Propofition
qu'il ne connoiflbit pas auparavant , & qu'il ne révoque
plus en doute dès ce moment. Durefte, s'il y acquiefce
Il promptement, ce n'elt point à caufe que cette Propo-
fition étoit gravée naturellement dans fon Efprit , mais
parce que la confideration même de la nature des chofes
exprimées par les paroles que ces fortes de Propofitions
renferment, ne luy permet pas d'en juger autrement, de
quelque manière &: en quelque temps qu'il vienne à y ré-
fléchir. Que fi l'on doit regarder comme un Principe
inné , chaque Propofition à laquelle on donne fon con-
fentement, dès qu'on l'entend prononcer pour la premiè-
re fois , èc qu'on en comprend les termes ; toute obfer-
vation qui , fondée légitimement fur des expériences par-
ticulières , fait une règle générale , devra donc paflerpour ■•
innée. Cependant il eft certain que ces obfervations ne
font pas d'abord connues de tous les hommes , mais feu-
lement de ceux qui ont le plus d'efpnt , 5c qui fçavent
les réduire à certaines Propofitions générales, qui ne font
nullement innées , mais qui découlent de quelque con-
noiffance précédente , &: des reflexions qu'on a fait fur
D 2 des
2 8 ^{'il n'y a point
Chap. I. des exemples particuliers. Mais ces obfervations ayanr
été une fois faites par d'habiles gens de la manière que je
viens de dire , fi on les propofe aux autres hommes qui
ne penfent à rien moins qu'à cette efpécede recherche, ils
ne peuvent refuier d'y donner leur confentement.
Sironditqu'ei- §. 2 2. Les Partifans dcs Z^m />/«m diront pcut-être,
i"^?'",'"'"""" que l'Entendement n'avoit pas une connoiflance explici-
avant que d être tc de CCS Principcs j mais Iculcment implicite, avant qu'on
propofecs , ou [^^ |^y proposât pour la première fois , comme ils font
ïECpm eft ca- oDugcz de le loutcnir necellairement , puis qu ils dilent
pibie de les q^ig qq^ Principes font dans l'Entendement avant qued'ê-
comprendicou a * ■ -i n i • jn- -i i ■ >
il ne Cemfie ^^^ connus. Mais il clt biendirncile de concevoir ce qu on
ïicn. ' entend par un Principe grave dans l'Entendement d'une
manière implicite , à moins qu'on ne veuille dire par-là,
Qiie l'Ame eil capable de comprendre ces fortes de Pro-
pcfitions Se d'y donner un entier confentement. Auquel
cas , il faudra reconnoître toutes les Démonftrations Ma-
thématiques pour autant de veritez gravées naturellement
dans rEfprit, au fTi bien que les premiers Principes. Alais
je crains bien, que les Mathématiciens auront de la peine
à mettre au rang des Principes inne.z , ces fortes de Dé-
monftrations, Eux qui voyent par expérience qu'il eft plus
difficile de démontrer une Propofition , que d'y donner
fon confentement, &: il s'en trouvera peu qui puilfent fe
perfuader, que toutes les Figures qu'ils ont tracées , ne
foient que des copies tfe ces Carafteres innez , que laNa-^
ture a gravez dans leur Ame.
La confequence §. 23. Il y a un fccond défaut , fi je ne me trompe,
quon veut tirer ^^^^ ^ct Argument par lequel on prétend prouver , que
çoirceTpTôpo- i^s Maximes que les Hommes reçoruent des quelles leur foîit
•filions , des pfopofe'es doivent pajjer pour innées , parce que ce font des
^"Tdrc^" ef> P^'opofttions auxquclUs ils donnent leur confentement fans
fondée fur cctre /?.f ûvoir appTifes auparavant , cf fans avoir été porter a.
fauiTe fuppofi- /^j. Yece'^mr par la force d'au eu fie preuve ou de'mofiflration
^l°"n3\TJ"vio- précédente , mais par la /impie explication ou intelligence des
pofiti' ns on termes. Il me femble , dis-je , que cet Argument eft ap-
l^nou'v'èau.""' P"Yé fur UHC fauflé fuppofition y qui eft que ceux à qui
oa
de principes inne'.z. Liv. I. 29
on propofe ces Maximes pour la première fois' n'appren- Chap.I,
nent quoy que ce foit qui leur foit entièrement nouveau :
bien qu'on leur enfeigne&: qu'ils apprennent effedivement
des chofes qu'ils ignoroient tout-à-fait avant que de lesa^
voir apprifes. Car premièrement , il eft clair qu'ils ont
appris les noms des chofes que ces Propofitions expriment,
& leur figniiîcation i 6;^ par conféquent les termes dont on
fe fert pour exprimer ces chofes n'étoient point nez avec
euXj non plus que leur figniiîcation. Mais ce n'eft pas
encore là toute la connoiiîance qu'ils acquièrent en cette
cccafion> les Idées mêmes que ces Maximes renferment,
ne font point nées avec eux, non plus que les termes dont
on fe fert pour les exprimer, mais ils les ont acquifcs dans
la fuite. Puis donc que dans toutes les Propcfitions aux-
quelles les hommes donnent leur confentement dès qu'ils
les entendent dire pour la première fois, il n'yariend'/«-
né , ni les termes dont on fe fert pour exprimer la Pro-
pofition, ni la fignification des idées qu'ils prèfentent à
l'Efprit , ni enfin les idées mêmes que les termes repré-
fentent j je ne fçaurois voir ce qui relie d'/w«/dans ces for-
tes de Propofitions. Qiie fi quelqu'un peut trouver une
Propofition dont les termes ou les idées foient innées ,
qu'il me la nomme, il ne fçauroit me faire un plus grand
plaifir.
C'eft par dégrez que nous acquérons des Idées , que
nous apprenons les termes dont on fe fert pour les expri-
mer, & que nous venons à connoître la véritable liaifon
qu'il y a entre ces Idées. Après quoy, nous n'entendons
pas plutôt les Propofitions exprimées par les termes dont
nous avons appris la fignification , & dans lefquelles pa-
roît la convenance ou la difconvenance qu'il y a entre nos
idées lors qu'elles font jointes enfemble , que nous y don-
nons nôtre confentement -, quoy que dans le même temps
nous ne foyons du tout point capables de recevoir d'autres
Propofitions qui font en elles-mêmesauflî certaines Se aufil
évidentes que celles-là, mais qui font compofées d'idées,
q^u'on n'acquiert pas de fi bonne heure , ni avec tant de
D 3 fa=
^o ^«'/7 ?ï'j' a point
Chap. I. facilité. Ainfi , quoy qu'un Enfant commence bientôt â
donner fon confentement à cette Propofition , Une Pom-
me ncji pas du Feu; fçavoir, dès qu'il a acquis, par l'u-
flige ordinaire , les idées de ces deux différentes chofes,
gravées dillinctement dans fon Efprit , &: qu'il a appris
les noms de Pomme &" de Feu qui fervent à exprimer ces
idées: cependant ce même Enfant ne donnera peut-être
fon confentement , que quelques années après , à cette au-
tre Propofition, // cfl impojjible rpiiine chofe [oit ér ne foi f
pas en même temps. Parce que , bien que les mots qui ex-
priment cette dernière Propofition, foient peut-être au ili
faciles à apprendre que ceux de Pomme Se de Feu ; cepen-
dant comme la fignification eneft plus étendue Ôc plus ab-
ftraite que celle des noms deftinez à exprimer ces chofes
fenfibles qu'un Enfimt a occafîon de connoître , il n'ap-
prend pas fi-tôt le fens précis de ces termes abftraits , 6c
il luy faut effectivement plus de temps pour former clai-
rement dans fon Efprit les idées générales qui font expri-
mées par ces termes. Jufque-là , c'eft en vain que vous
tacherez de fliire recevoir à un Enfant une Propofition
compofée de ces fortes de termes généraux j car avant que
d'avoir acquis la connoilTance des idées qui font renfermées
dans cette Prcpolîtion, Sz qu'il ait appris les noms qu'on
donne à ces idées 5 il ignore abfolument cette Propoiition,
aufli bien que cette autre dont je viens de parler , Une Pom-
me n'efl pas du Feu ; fuppofé qu'il n'en connoiffe pas non
plus les termes ni les idées : il ignore , d;s-je , ces deux
Propofitions également , 6c cela , par la même raifon,
c'eft à dire parce que pour porter un jugement il faut qu'il
trouve que les idées qu'il a dans l'Efprit, conviennent ou
ne conviennent pas entre elles , félon que les mots qui
ibnt employez pour les exprimer , font affirmez ou niez
l'un de Tautre dans une certaine Propofition. Or fi on luy
donne à confiderer des Propofitions conçues en àcs ter-
mes , qui expriment des Idées qui ne foient point encore
dans fon Efprit ^ il ne donne ni ne refufe fon confentement
à ces fortes de Propofitions , foit qu'elles foient évidem-
ment
de Principes inné :z. Liv. I. 51
' ment vrayes ou évidemment faufles,mais il les ignore en- Chap.I.
tierement. Car comme les mots ne font que de vains fons
pendant tour le temps qu'ils ne font pas des lignes de nos
idées , nous ne pouvons les recevoir qu'entant qu'ils ré-
pondent aux idées que nous avons dans l'Efprit , fans quoy
nous ne fçaurions leur donner nôtre confentement. Il fuf-
iît d'avoir dit cela en paflant comme une raifon qui m'a
porté à révoquer en doute les Principes qu'on appelle in-
nez; car du refte je ferai voir plus au long, dans le
Livre fuivant , quelle eft l'origine de nos connoiflan-
ces , par quelle voye nôtre Efprit vient à connoître les
chofes , Se quels font les fondemens des dilTerens dégrez
à' ajlfentiment que nous donnons aux diverfes véritez que
nous embraflbns.
§. 24. Enfin pour conclurre ce que j'aiàpropofercon- Les Propoû-
tre l'i^rgument qu'on tire du Confentement ">iiverfel /^^""JpYfrcrVour
pour établir des Principes innez , je conviens avec ceux innées, ne le
qui y ont recours. Que fi ces Principes font /y^wé"^ , il faut '"';f po'nt.parcc
^ , V,, . ,., 7r . ^, r ■ quelles lie lonc
neccllairement qu ils loient reçus d un conlentement uni- pas univerfdlc- -
verfel. Car qu'une vérité foit innée ■, & que cependant on ment reçues.
n'y donne pas fon confentement -, c'efl à mon égard une
chofe aulîî difiîcile à entendre que de concevoir qu'un hom-
me connoifî'e & ignore une certaine vérité dans le même
temps. Mais cela pofé , les Principes qu'ils nomment
innez , ne fçauroient être innez , de leur propre aveu j
puisqu'ils ne font pas reçus de ceux qui n'entendent pas les
termes qui fervent à les exprimer, ni par une grande par-
tie de ceux qui , bien qu'ils les entendent , n'ont jamais
oui parler de ces Propofitions , 6c n'y ont jamais fongé >
ce qui , je penfe , comprend pour le moins la moitié du
Genre Humain. Mais quand le nombre de ceux qui ne
connoifTent point ces fortes de Propofitions , feroit beau-
coup moindre , quand il n'y auroit que les Enfans
qui les ignoraflent , cela fuffiroit pour détruire ce con-
fentement univerfel dont on parle , & pour faire voir
par conféquent, que ces Propofitions ne foat nullement
innées.
§.• 2.5. .
5^ ^i'il »y à point
Chap.I. §• 25. Mais afin qu'on ne m'accufe pas de fonder des'
Elles ne ibnt raifonncmens fur les penfées des Enfans qui' nous font in-
v'inroute autre connuës , &■ de tirer des conclufions de ce qui fe pafle
ciiofe. dans leur Entendement , avant qu'ils faffent connoître
eux-mêmes ce qui s'y paffe efFeftivement > j'ajouterai que
* Il eji im^ff- CCS deux * Proportions «générales dont nous avons parlé
ble qu'une choie j n" r • *" j • • r 1
fuit, -d ne fou cy-delius , ne lont pomt des veritez qui le trouvent les
pas en même premières dans l'Efprit des Enfans , ôc qu'elles ne préce-
temp!,sc,ce>jn! j^^^j. pQJj^^ toutcs les uotious acouifes, &■ qui viennent de
fp l.i même choje r _ _ _^ T. ' _ T. ^
7i'eftpaniiffe- dehots i ce qui .devroit etre,fi elles eto-ent innces. Dcfça-
«/«£. voir fi on peut , ou fi on ne peut point déterminer le temps
auquel les. Enfans commencent à penfer , c'eft deqiioy il
ne s'agit pas prefentement ; mais il ert certain qu'il yaun
temps auquel les Enfans commencent à penfer: leurs dif-
. tours fie leurs actions nous en affûrent inconteftablement.
Or fi les Enf^ms font capables de penfer , d'acquérir dts
connoiflances & de donner leur confentement à différen-
tes veritez ; peut-on fuppofer raifonnablement , qu'ils
puiflent ignorer les Notions que la Nature a gravées dans
leur Efprit, fi ces Notions y font efïé£livement emprein-
tes ? Peut-on s'imaginer avec quelque apparence de raifon,
qu'ils reçoivent des iniprelfions des chofes extérieures, ^
qu'en même temps ils méconnoilfent ces caractères que la
Nature elle-même a pris foin de graver dans leur Ame ?
Eft-il pollible que recevant des Notions , qui leur vien-
nent de dehors, &r y donnant leur confentement, ilsn'a-
yent aucune connoiflance de celles qu'on fuppt^fe être nées
avec eux. Se faire comme partie de leur Efprit , où elles
font empreintes en carafteres ineffaçables prair fervir de
fondement &■ de régie à toutes leurs connoiffances acqui-
fes , & à tous les raifonncmens qu'ils feront dans la fuite
de leur vie? Sicelaétoit, la Nature fe feroit donné delà
peine fort inutilement, ou du moins Elle auroit mal gra-
vé ces caractères, puis qu'ils ne fçauroient être apperçûs
par des yeux, qui voyent. fort bien d'autres chofes. Ain-
îî c'eil: fort mal à propos qu'on fuppofe que ces Princi-
pes qu'on veut faire paflér pour mnez 3 font les rayons
les
de Principes innêz. Liv. I. 35
ks plus lumineux de la Vérité , Se les vrais fondemens de Chap.I.
toutes nos connoiflances , puis qu'ils ne font pas connus
avant toute autre chofe , £c que l'on peut acquérir , fans
leurs fecours , une connoiflance indubitable de plufieurs
autres veritez. Un Enftmt , par exemple , connoit fort
certainement, (\UG.(zNotirriie n'eft point le Chat avec le-
quel il badine, ni le Negrc dont ita peur. Il fçait fort
bien, que le Semencontra ou Xi Moutarde dont il refufede
manger, n'eft point la Pomme ouïe J'wav qu'il veut avoir.
Il fçait , dis-je , cela très-certainement , & en eft forte-
ment perfuadé, fans en douter le moins du monde. Mais
qui oferoit d re, que c'eft en vertu de ce Principe, // ejl
tmpojjible qu'une chofe [oit ^ ne foit pas en mime temps ^
qu'un Enfant connoît fi fûrement ces chofcs Se toutes les
autres qu'il fçait ? Se trouveroit-il même quelqu'un qui
ofat foûtenir, qu'un Enfant ait aucuns idée , ou aucune
connoiflance de cette Propofition dans un âge, oii cepen-
dant on voit évidemment qu'il connoit plufieurs autres
veritez? Qiie s'il y a des gens qui ofent affûrer que les En-
fans ont des idées de ces Maximes générales & abftraires
dans le temps qu'ils commencent à connoître leurs Joaits
&: leurs Poupées , on pourroit peut-être dire d'eux , fans
leurfure grand tort, qu'à la venté ils font fort zélez pour
leur fentiment , mais qu'ils ne les défendent point av^ec
cette aimable fincerité qu'on découvre dans les Enfans.
§.26. Donc , quoy qu'il y ait plufieurs Propofitions Par confc'quent
générales qui font toujours reçues avec un entier confen- '^"" "^ '°'"
r^ ^j^>l r^j r ■ r point innées.
tement des qu on les propole a des perfonnes qui font par-
venues à un âge raifonnable, & qui étant accoutumées à
des idées abftraites &c univerfelles,fçavent les termes dont
on fe fert pour les exprimer ; cependant , comme ces ve-
ritez font inconnues aux Enfans dans le temps qu'ils con-
noiflent d'autres chofes , on ne peut point dire qu'elles
foient reçues d'un confentement univerfel de tout ce qui a
intelligence, 6c par conféquent on nefçauroitfuppoferen
aucune manière , qu'elles foient innées. Car il eft impof-
fible qu'une vérité mnce (s'il y en a de telles) puifle être
E in-
54*. ^l'il n^y a point
ChAP. I. inconnue , du moins à une perfonne qui connoît déjà quel-
que autre chofe ; parce que s'il y a des veritcz innées , il
faut qu'il y ait des penfées innées ■, car on ne fçauroit con-
cevoir qu'une vérité foit dans l'Efprit, fi l'Efprit n'a ja-
mais penfé à cette vérité. D'où il s'enfuit évidemment,
que s'il y a des veritcz innées , il faut de neceilite que ce
foient les premiers Objets de la penfée , la première chofe
qui paroilfe dans l'Efprit.
Eiicsnefont §. 27. Or quc ccs Maximes générales , dont nous avons
parce !""eiTcs P^''^'^ jufqucs ici , foicnt incounués aux Enfans , aux Idiots,
paroiiîcnt & à uuc grande partie du Genre Humain , c'eft ce que
moins, ou elles j^^^^^^ avons déjà fuffifamment prouve ; d'oii il paroit évj-
moiitreravec Qemment , quc ces fortes de Maximes ne iont pas reçues
j.iusd'cdat. ^\\n confentement univerfel, de qu'elles ne font point na-
turellement gravées dans l'Efprit des Hommes. Maison
peut tirer de là une autre preuve contre le fentiment de
Ceux qui prétendent que ces Maximes font innées , c'eil
que , fi c'etoient autant d'imprellions naturelles &c origi-
nales, elles devroient paroître avec plus d'éclat dans l'Ef-
prit de certaines Perfonnes , oii cependant nous n'en voyons
aucune trace. Ce qui ell, à mon avis, une forte prefomp-
rion que ces Caractères ne font point mne^ , puis qu'ils
font moins connus de ceux en qui ils devroient fe faire
voir avec plus d'éclat , s'ds etoient effectivement imiex.
Je veux parler des Enfans, des Idiots, des Sauvages, &
des gens fans Lettres j car de tous les hommes ce font ceux
qui ont l'Efprit moins altéré &: corrompu par la coutume
Se par des opinions étrangères. Le fçavoir & l'éducation
n'ont point fait prendre une nouvelle forme à leurs pre-
mières penfées, ni brouillé ces beaux cara£téres , gravez
dans leur Axwc par la Nature même , en les mêlant avec
des Doctrines étrangères 6c acquifes par art. Cela pofé ,
l'on pourroit croire raifonnablement, que ces Notions ;«-
nées devroient fe faire voir aux yeux de tout le monde
dans ces fortes de perfonnes , comme il efl: certain qu'on
s'apperçoit fans peine des penfées des Enfans. Ondevroit
fur tout s'attendre à reconnoître diftindement ces Princi-
pes
de Principes innéiz. Lrv. I. Jf
pes dans ces pauvres ïnnocens qui font deftitnez d'efpntj Chap.L
car comme ces cara£téres font immédiatement gravez dans
i'Ame,firon en croit les Parti fans des Idées innées -, ils ne
dépendent point de la conftitution du Corps ou de la dif-
férente difpofition de fes organes , en quoy çonfifte , de
leur propre aveu, toute la différence qu'il y a entre ces
premières Maximes , 6c les autres , dont la connoiflance
n'eft point innée. On croiroit , dis-je , à raifonner fur ce
Principe, que tous ces rayons de lumière , tracez naturel-
lement dans l'Ame, (fuppofé qu'il y en eût de tels) de-
Vroient paroître avec tout leur éclat dans ces perfonnes qui
n'employent aucun déguifement ni aucun art à cacher leurs
penfées} de forte qu'on devroit découvrir plus aifément
en eux ces premiers rayons , qu'on ne s'apperçoit du pen-
chant qu'ils ont au plaifir, èc de l'averfion qu'ils ont pouf
la douleur. Mais il s'en faut bien que cela foit ainfi : câf
je vous prie , quelles Maximes générales , quels Principe*
univerfels découvre-t-on dans l'Efprit des Enfans , des I-
diots, des Sauvages, & des gens grcfliers &fans Lettres?
•On n'en voit aucune trace. Leurs idées font en petit nom-
bre, &■ fort bornées. Se c'eft uniquement à l'occafion des
Objets qui leur font le plus connus &: qui font de pi us fré-
quentes oc de plus fortes impreffions fur leurs fens , que
ces idées leur viennent dans l'Efprit. Un Enfant connort
fa Nourrice &c fon Berceau , Se infenfiblement il vient â
connoître les différentes choies qui fervent à fes jeux , à
lîiefure qu'il s'avance en âge. De même un jeime Sauvage
a peut-être la tête remplie d'idées d'Amour & deChafie,
félon que ces chofes font en ufage parmi ùs femblab'es.
Mais fi l'on s'attend à voir dans l'Efprit d'un jeune En-
fant fans inftruftion , ou d'un groflier habitant des Bois ,
ces Maxmies abftraites & ces premiers Principes des Scien-
ces, on fera fort trompé, à mon avis. On ne parle guère
de ces fortes de Propofttions générales dans tes Cabanes
des Indiens ; & elles entrent encore moins dans l'Efprit
des Enfans , &: dans l'Ame de ces bons ïnnocens en qiu il
ne paroïï atîciine étincelle d'efprit. Mais où elles font con-
E 2 nues
36 Giv' il n'y a f oint de Principes innez.
Chap.I. nues ces Maximes, c'eft dans les Ecoles & dans les Acade-
niies où l'on fait profeflion de fcience , Se où l'on efl accou-
tumé à ces frrtes d'enrretiens 6c à cette efpéce de fçavoir
qui coniille à dilputer fur des matières abftraites. C'eft,
dis-je, dans ces lieux-là qu'on ccnncît ces Maximes, parce
qu'on peut s'^n fervir à argumenter dans les formes , Ôc à
réduire au filence ceux contre qui l'on difputCj quoy que
dans le fends elles ne contribuent pas beaucoup à décou-
vrir la Vérité , ou à faire faire des progrès dans la connoif-
• Vof. i/f. fance des chofes. Mais j'aurai occafion de montrer * ail-
' '' ''^' leurs plus au Icng, combien ces fortes de Maximes fervent
peu à faire connoiire la Vérité.
§. 28. Au refte , je ne fçai quel jugement porteront de
mes raifons ceux quif^^nt exercez dans l'art de démontrer,
une vérité. Je ne fçai, dis-je, fi elles leur paroitront ab-
furdes. Apparemment, ceux qui les entendront pour la
première fois , auront d'abord de la peine à s'y rendre.
C'ellpourquoy je les prie de fufpendre un peu leur juge-
ment, & de ne pas me condamner avant que d'avoir oui
ce que j'ai à dire dans la fuite de ce Difcours. Comme je.
n'ai d'autre veûè que de trouver la Vérité, je ne ferai nul-
lement fâché d'être convaincu d'avoir fait trop de fonds
fur mes propres rai fonnemens i inconvénient, dans lequel
je reconnois que nous pouvons tous tomber, lors que nous
nous échauffons la tête à force de penfcr à quelque fujct
avec trop d'application.
QLioy qu'il en foit, je ne fçaurois voir , jufqu'ici, fur
quel fondement on pourroit faire paifer pour des Maxi-
mes innées ces deux célèbres Axiomes fpéculatifs , Tout
ce qui ejl, ejl, &c i II ejl tmpoffible qu'une chofefott cr ne
foit pas en même temps: puis qu'ils nefontpasunivcrfelle-
ment reçus , 6c que le confentement général qu'on leur
donne, n'efl en rien différent de celui qu'on donne à plu-
ficurs autres Propofitions qu'on convient n'être point ;«-
nées ; 6c enfin puis que ce confentement eft produit par
une autre voye, ^ nullement par une impreffion naturel-
le , comme j'efpere de le faire voir dans le fécond Livre.
Or.
^e nuls Principes de pratiefue ne font inne^. L i v. I. 37
Or fixes deux célèbres Principes fpécularifs ne font point Chap.L
;>/«?« , je fuppofe , fans qu'il foit néceffaire de le prouver,
qu'il n'y a point d'autre Maximede pure fpéculation qu'on
ait droit de faire palfer pour inne£.
C H A P I T R E IL
^l'tl n'y a point de Principes de pratique qui Chap. IL
foient innez.
§. I. Ç I les Maximes fpéculatives , dont nous avons 11 n'y a point de
O parlé dans le Chapitre précèdent , ne font pas mÔ"X (î'^daic
reçues de tout le Monde , par un confentement aftuel , m a generaic-
comme nous venons de le prouver ; il eft beaucoup plus ,'^^"', ^'^5" ^"^
évident à l'égard des Principes de pratique , Qu'il s'en fpéculatives
fûttt bien qu'ils ne foient reçus d'un confentement //«/"y^;^. dont on vient de
fel. Et je croy qu'il feroit bien difficile de produire ^^^ "'
une Régie de Alorale , qui foit de nature à être re-
çue d'un confentement auffi général S: auili prompt que
cette Maxime , Ce qui cjî , e/i ; ou qui puifTe pafler
pour une vérité auffi manifefte que ce Principe , // c/i
tmpoffible qiiune chofe foit ^ m foit pas en mcme temps.
D'où il paroît clairement que le privilège d'être inné con-
vient beaucoup moins aux Principes de pratique qu'à
ceux de fpéculation , & qu'on eft plus en droit de dou-
ter que ceux-là foient imprimez naturellement dans l'A-
me que ceux-ci. Ce n'eft pas que ce doute contribue en
aucune manière à mettre en queftion la vérité de ces dif-
férens Principes. Ils font également véritables , quoy
qu'ils ne foient pas également évidens. Pour les Maxi-
mes fpéculatives que je viens d'alléguer , elles font évi-
dentes par elles-mêmes ; mais il n'en eft pas de même des
Principes de Morale. Ce n'eft que par des raifonnemens 5
par des difcours , & par quelque application d'efprit qu'on
peut s'afTûrer de leur vérité. Ils ne paroiflent point com-
me autant de caradéres gravez naturellement dans l'Ame;,
E 3 car.-
5 8 ^le nids Principes
Chap. II. car s'ils y étoient effefti vement empreints de cette ma-
nière, il faudroit néceflairement que ces caradéres feren-
diflent vifibles par eux-mêmes, & que chaque homme les
pût reconnoître certainement par les propres lumières.
Mais en rcfufant aux Principes de Morale la prérogative
d'être inncjs , qui ne leur appartient point, on n'afFoiblit
en aucune manière leur vérité ni leur certitude , comme
on ne diminue en rien la vérité ôc la certitude de cette
Propofition, Les trois Angles d'un Trtangle font égaux i
deux droits , lors qu'on dit qu'elle n'eft pas fi évidente
que cette autre Propofition , Le tout ejl plus grand que fa
pûrtte, & qu'elle n'eft pas fi propre à être reçue dès qu'on
l'entend pour la première fois. Suffit , que ces Règles
de Morale loicnt capables d'être démontrées ; de forte
que, fi nous ne venons pas à nousaffùrer certainement de
leur vérité , c'eft nôtre faute. Mais de ce que pluficurs
perfonnes ignorent abfolument ces Régies , & que d'au-
tres les reçoivent d'un confentement foible Se chancelant,
il paroît clairement qu'elles ne font rien moins qii' mnees,
èc qu'il s'en fiut bien qu'elles fepréfentent d'elles-mêmes
à leur veiië , fans qu'ils fe mettent en peine de les cher-
cher.
Tons les hom- §• 2 • Pour favoir s'il y a quelque Principe de Morale
mes ne regar- dont tous Ics hommcs Conviennent , j'en appelle à ceux
dcii[c''& la jù- ^"^ <^nt quelque connoiffance de l'Miftoire du Genre Hu-
ftice comme main , Sc qui ont , pour ainfi dire , perdu de veûë le clo-
siPnucipes. ^^^^ j^ ^^^^^ village , pour aller voir ce qui fc pafile hors
de chez eux. Car oii eft cette vérité de pratique quifoit
univerfellement reçue fans aucune difficulté, comme elle
doit l'être , fi elle eft inne'e ? La Juftice Se l'obfervation
des conrra(fïs eft le point fur lequel la plûpa<rt des hom-
mes fcmblent s'accorder entr'eux. C'eft un Principe qui
eft reçu , à ce qu'on croit , dans les Cavernes même des
Brigans &: parmi les Sociétez des plus grands fcékrats -,
de forte que ceux qui détruifenf le plus l'humanité , foîit
iîdéles les uns aux autres & obfervcnt entr'eux les régies
de la Juftice. Je conviens que les Bandits en ufent ainfi
i
de pratique ne font irmez. Liv. I. 39
à l'égard des autres, mais c'eft fans confiderer ces Régies Chap. II,
de juftice qu'ils gardent entr'eux , comme des Principes
innez èc comme des Loix que la Nature ait gravées dans
leur Ame. Ils les obfervent feulement cornme des régies
de convenance dont la pratique elt abfolument nécelfiire
pour conferver leur Société > car il eft impoffible de con-
cevoir qu'un homme regarde la Juftice comme un Princi-
pe de pratique, fi dans le même temps qu'il en obferve
les régies avec fes Compagnons voleurs de grand chemin ,
il dépouille ou tuë le premier homme qu'il rencontre. La
Juftice & la Vérité font les biens communs de toute fo-
ciété i c'eftpourquoy les Bandits &c les Voleurs qui ont
rompu avec tout le refte des hommes , font obligez d'a-
voir de la fidélité &c de garder quelques régies de juftice
entr'eux , fans quoy ils ne pourroient vivre enfemble.
Mais qui oferoit conclurre de là , qwe ces gens , qui ne
vivent que de fraude & de rapine , ont des Principes de
Vérité éc de Juftice , gravez naturellement dans l'Ame,
auxquels ils donnent leur confentement ?
§. 3. On dira peut-être, Qiie la conduite desBrigans efi Onobjeûe.que
contraire à leurs lumières ^ qiCils approuvent tacitement dans ^'^ *"»"«'■« i'-
7 . T t 1 / I r-i ■ T' mentent par
leur Ame ce qu us démentent par leurs actions, je répons /„,« atiiim «
premièrement, que j'avois toujours crû qu'on ne pouvoit i"''^' ""y"''
mieux connoître les penfées des hommes que par leurs Re-ponTàTetis
a£tions. Mais enfin puis qu'il eft évident parla pratique ObjcaioH.
de la plupart des hommes £c par la profeflion ouverte de
quelques-uns d'entr'eux , qu'ils ont mis en queftion , ou
même nié la vérité de ces Principes , il eft impoftlble de
foûtenir qu'ils foient reçus d'un confentement univcrfel,
fans quoy l'on ne fauroit conclurre qu'ils foient innez -, &
d'ailleurs il n'y a que des hommes faits qui donnent leur
confentement à ces fortes de Principes. En fécond lieu ,
c'eft une chofe bien étrange & tout-à-fait contraire à la
Raifon , de fuppofer que des Principes de pratique , qui
fe terminent en fimple fpéculation , foient mnez. Si la
Nature a pris la peine de graver dans nôtre Ame des Prin-
cipes de pratique , c'eft fans doute afin qu'ils foient mis
4,0 Çltie nuls Principes
Chap. II. en œuvre ; & par conféquent ils doivent produire des
aftions qui leur foient conformes -, &c non pas un llmple
confentement qui les faffe recevoir comme véritables. Au-
trement , c'eft en vain qu'on les diftingue des Maximes
de pure fpcculation. J'avoûë que la Nature a mis , dans
tous les hommes, l'envie d'être heureux, &c une forte a-
verfion pour la mifére. Ce font là des Principes de pra-
tique, véritablement /««f-s, 6c qui, félon la deftination
de tout Principe de pratique, ont une influence continuel-
le fur toutes nos aftions. On peut, d'ailleurs, les remar-
quer dans toutes fortes de pcrftjnnes , de quelque âge
qu'elles foient, en qui ils paroiffcnt conftaniment & fans
difcontinuation : mais cefont-là des inclinations de nôtre
Ame vers le bien, &c non pas des imprelTions de quelque
vérité, qui foit gravée dans nôtre Entendement. Je con-
viens qu'il y a dans l'Ame des Hommes certains pcnchans
qui y font imprimez naturellement, èc qu'en conféquen-
ce des premières impreflions que les hommes reçoivent
par le moyen des fens , il fe trouve certaines chofes qui
leur plaifent , & d'autres qui leur font désagréables, cer-
taines chofes , pour lefquelles ils ont du penchant, &
d'autres , dont ils s'éloignent 6c qu'ils ont en averfion.
Alais cela ne fert de rien pour prouver qu'il y ait naturel-
lement dans l'Ame des Principes de connoifTance, qui é-
tant des Principes de pratique , doivent régler a>ituelle-
ment nôtre conduite. Bien loin qu'on puifle établir par-
là l'exiftence de ces fortes de cara£tcres , on peut en in-
férer au contraire, qu'il n'y en a point du tout : car s'il
y avoit dans nôtre Ame certains caractères qui y fiifl'ent
gravez naturellement , comme autant de Principes de
connciflance -, nous ne pourrions que les appercevoir a-
giflant en nous, comme nous fentons rinfl.uence que ces
autres imprelîions naturelles ont actuellement fur nôtre
volonté 6c fur nos defirs, je veux dire l'envie d'être heu-
reux, 6c la crainte d'être miferable , deux Principes qui
agiflent conftammcnt en nous, qui font les rcfibrts 6c les
motifs inféparables de toutes nos adions , auxquelles nous
fen-
de pratique ne font innés:. Liv. I. 41
fentons qu'ils nous pouffent ôc nous déterminent inceffam- Chap. II.
ment.
§. 4. Une autre railon qui me fait douter s'il y a aucun Les Règles Je
r> • • 1 ' ■> n ■> r J^ ^ r Morale ont bc-
rrmcipe de pratique mnc ^ c elt qu on ne jmtroit propûjer , ,-„ j-^„e
à ce que je croi, aucune Régie de Morale dont on ne pniffe prouvées, donc
demander la raifon avec jujîice. Ce qui feroit tout-à-fait !,'ôint,>^„[°"^
ridicule &: abfurde, s'il y en avoit quelques-unes quifuf-
fent innées , ou même évidentes par elles-mêmes ; car tout
Principe mné doit être 11 évident par luy-même , qu'on
n'ait befoin d'aucune preuve pour en voir la vérité , ni
d'aucune raifon pour les recevoir avec un entier confente-
ment. En effet , on croiroit deftituez de fens commun
ceux qui demanderoient , ou qui effiyeroient de rendre
raifon , pourquoy // ejl impojjlble qu'une chofe fait et ne
fuit pas en même temps. Cette Fropofition porte ayec elle
fon évidence, 6c n'a nul befoin de preuve , de forte que
celui qui entend les termes qui fervent à l'exprimer , la
reçoit tout auffi-tôt , en vertu de la lumière qu'elle a par
elle-même , ou rien ne fera capable de la luy faire rece-
voir. Mais fi l'on propofoit cette Régie de Morale , qui
eft la fource & le fondement inébranlable de toutes les ver-
tus qui regardent la Société, Ne faites k autrui que ce que
vous voudriez qui vous fut fait à. vous-même ; fi , dis-je,
on propofoit cette Régie à une perfonne qui n'en auroit
jamais ouï parler auparavant , majs qui feroit pourtant ca-
pable d'en comprendre le fens , ne pourroit-elle pas , fans
abfurdité, en demander la raifon? Et celui qui la prppo-
feroit , ne feroit-il pas obligé d'en faire voir la vérité ?
D'oii il s'enfuit clairement , que cette Loy n'eft pas née
avec nous , puifque , fi cela étoit , elle n'auroit aucun be-
foin d'être prouvée, &: ne pourroit être mife dans un plus
grand jour, mais devroit être reçue comme une vérité in-
conteffable qu'on ne fauroit révoquer en doute, dès lors,
au mo.ns, qu'on l'entendroit prononcer S>: qu'on en com-
prendroit le fens. D'oii il paroît évidemment que la véri-
té des Régies de Morale dépend de quelque autre vérité
antérieure, d'oîi elles doivent être déduites par voye de
F rai-
4^ êll^^ w''^-^ Principes
Chap. II. raifonnement -, ce qui ne poUrroit être fl ces Régies é-
toient innées , ou même évidentes parelles-mêmes.
Exemple tire §. ^. L'ôblcrvation dcs Contracts &: des Traitez eft
pourquof'ii f^ns -Contredit un des plus grands & des plus incontella-
fiutobrerverics blcs Dévoirs dc la Morale. Mais li vous demandez à un
G)ntradts. Chrétien qui croit des recompenfes 5c des peines après
cette vie , Pourquoy un homme doit tenir fa parole, il
en rendra cette raiibn, c'ell que Dieu qui -eft l'arbitre du
bonheur & du malheur éternel , nous le commande. Un
Difciple à'Hobbcs à qui vous ferez la même demande,
vous dira que le Public leveutanifi, & que le Leviathan
vous punira, fi vous faites le contraire. Enfin, un Phi-
lofophe Payen auroit répondu à cette Qiicftion , que de
violer fa promeflé , c'etoit faire une chofe deshonnéte,
indigne de l'excellence de l'homme Se contraire à la Ver-
tu, qui élevé la Nature humaine au plus haut point de
perfection , oii elle foit capable de parvenir.
La Vertu eft ^' ^" C'cft de CCS différcns Principes que découle na-
généraicmenc turcUement Cette grande diverfite d'Opinions qui fe ren-
apptouve'e non contre parmi les hommes à l'égard des Régies de Morale,
c]ireifecft/Wc, félon les différentes efpeccs de bonheur qu'ils ont en vue ,
mais parce OU dont ilslé propofcnt l'acquifition. Cequi nepourroit
t]ue ecft uak. ^^ j.^ ^ ^'jj y avoitdes Principes de pratique qui fuflent in-
né z & gravez immédiatement dans nôtre amepar ledoisjt
de Dieu. Je conviens que l'exiftence de Dieu paroît par
tant d'endroits , &: que l'obeillance que nous devons à cet
Etre fupréme, eft li conforme aux lumières de la Raifon,
qu'une grande partie du Genre Humain rend témoignage
à la Loy de la Nature fur cet important article. Mais
d'autre part , on doit reconnoître , à mon avis , que tous
les hommes peuvent s'accorder à recevoir plufieurs Ré-
gies de Morale , d'un confentement univerfcl , fins con-
noître ou recevoir le véritable fondement de la Morale,
lequel ne peut être autre chofe que la volonté ou la Loy
de Dieu, qui voyant toutes les attions des hommes, &: pé-
nétrant leurs plus fecretes penfées, tient, pour ainfi dire,
entre ies mains les peines Se les recompenfes , 6c a afléz de
' • pou-
de pratique ne font innez. Liv. I. 43
pouvoir pour faire venir à compte tous ceux qui violent Chap. II.
infolemment fes ordres. Car Dieu ayant mis une liaifon
inféparable entre la Vertu &: la Félicité publique, & ayant
rendu la pratique de la Vertu necelîaire pour la conferva-
tion de la Société humaine, &: vifiblement avantagèufe à
tous ceux avec qui les gens-de-bien ont cà fiiire, il ne faut
pas s'étonner que chacun veuille non feulement approuver
ces Régies, mais aulîî les recommander aux autres, puif-
qu'il elt perfuadé que s'ils les obfervent, il luy en revien-
dra à luy-même de grands avantages. Il peut, dis-je,être
porté par intérêt , auili bien que par conviftion , à faire
regarder ces Régies comme ficrees , parce que fi elles
viennent à être profanées & foulées aux pies , il n'ell plus
en fureté luy-même. Quoy qu'une telle approbation ne
diminué en rien l'obligation morale & éternelle que ces
Régies emportent évidemment avec elles , c'eft pourtant
une preuve que le confentement çxterieur ôc verbal que
les hommes donnent à ces Régies , ne prouve point que
ce foient des Principes inyiez. Que dis-je ? Cette appro-
bation ne prouve pas même , que les hommes les reçoi-
vent intérieurement comme des Régies inviolables de leur
propre conduite ; puifqu'on voit tous les jours , que l'in-
térêt particulier oc labienféance obligent plufieursperfon-
nes à s'attacher extérieurement à ces Règles & à les ap-
prouver publiquement, quoy que leurs actions flifléntaf-
fez voir qu'ils ne.fongent pas beaucoup au Legiflateurqui
les leur a prefcrites, ni à l'Enfer qu'il a deitine à la puni-
tion de ceux qui les violeroient.
§. 7. Eneffet, fi .nous ne voulons par civilité attribuer
à la plupart des hommes plus de lincerité qu'ils n'en ont
effectivement , mais que nous regardions leurs actions
comme les interprètes de leurs penfées , nous trouverons
qu'en eux-mêmes ils n'ont point tant de refpe£t pour ces
fortes de Régies , ni une fort grande perfuafion de leur
certitude & de l'obligation oîi ils font de les obferver.
Par exemple, ce grand Principe de Morale, qui nous or-
donne de faire aux autres ce que nous voudrions qm nous
F 2 fut
44- §lîfi ^tils Principes
Chap. 11. fut fait à nous-mêmes i eft beaucoup plus recommandé que
pratiqué. Mais l'infraftion de cette Kégle ne fauroit être fi
crmiinelle, que la folie de celui qui enfeigneroit aux au-
tres hommes que ce n'ell pas un Précepte de Morale qu'on
foit obligé d'obferver, paroitroit abfurde &■ contraire à ce
même intérêt qui porte les hommes à violer ce Pré-
cepte.
La confcience §. g. On dira peut-être , que puifque la confcience
qu->i7auaucu! Hous rcprochc l'uifraftiou de ces Règles, il s'enfuit delà
ne Règle de que uous cureconnoiffons intérieurement la juftice&ro-
Morak, '«"«^' bligation. ■ A cela je répons , que , fans que la Nature
ait rien gravé dans le cœur des hommes , je fuis afluré
qu'il y en a plufieurs qui par la même voye qu'ils par-
viennent à la connoiflance de plufieurs autres veritez , peu-
vent venir à connoître plufieurs Régies de Morale 5c être
convaincus qu'ils font obligez de les mettre en pratique.
D'autres peuvent en être inftruits par l'éducation , par
les Compagnies qu'ils fréquentent Se par les coutumes de
leur Pais : & cette perfuallon une fois établie met en action
leur Confcience , qui n'eft autre chofe que VOpinion que
nous devons nous-mêmes de ce que nous jaifons. Or fi la
Confcience étoit une preuve de l'exiftence des Principes
%nnez-) ces Principes pourroient être oppofez les uns aux
autres ; puifque certaines perfonnes font par principe de .
confcience ce que d'autres évitent par le même motif.
Exemples lîc §. Cf. D'aillcurs, fi CCS Régies de Morale étoicnt /««w
viufieurs a- g^ empreintes naturellement dans l'Ame des hommes , je
ttioiis énormes, ^ ^ . ., . -ni
coma,i(b fai.s ne laurois comprendre comment ils pourroient venir a les
aucun remords y ioiej. tranquillement, & avec une entière confiance.
Confidercz une Ville prife d'aflaut , &: voyez s!il paroit
dans le cœur des foldats, animez au carnage &: au butin,
quelque égard pour la Vertu, quelque Principe de Mo-
rale, & quelque remords de confcience pour toutes les
injullices qu'ils commettent. Rien moins qtie cela. Le
brigandage , la violence , &" fe meurtre ne font que des
jeux pour des gens qui peuvent s'abandonner- à ces crimes
fans craindre d'en être cenfurcz ni punis. Et en effet n'y
a-
de pratique ne font innez. Liv. I. 45
a-t-il pas eu des Nations entières & même des plus polies 3 Chap. II.
qui ont crû qu'il leur étoit aulli bien permis d'expofer
leurs Enfans pour les laiiler mourir de faim , ou dévorer
par les bêtes farouches, que de les mettre au Monde? Il
y a encore aujourd'hiiy des Pais où l'on enfevelit les Eiï-
fans tout vifs avec leurs Mères , s'il arrive qu'elles meu-
rent dans leurs couches; ou bien on les tuë , fiunAftro-
logue affûre qu'ils font nez fous une mauvailê Etoile.
Dans d'autres Lieux, les Enfans tuent ou expofent leurs
propres Parens, fans aucun remords , lorsqu'ils font par-
venus à un certain âge. Dans (rî) un endroit de VA fie , C') ^'«'yfr apud
dès qu'on defefpêre de la fanté d'un Malade , on le met \'Cvi^'\î^^^'
dans une fofTe creufée en terre, & là expofé au vent & à
toutes-les injures de l'air, on le laifTe périr impitoyable-
ment , fans luy donner aucun fecours. C'eft une chofe
ordinaire Qb~) parmi les Mingrelie?is , qui font profelîîon dii W Lambert a-
Chriftianifme , d'enfevelir leurs Enflins tout vifs , fans ^ "f f'"^"""-
aucun fcrupule. Ailleurs, les Pérès (^f) mangent leurs pro- (cf rasjim jc
près Enfans. Les Caribes (d) ont accoutumé de les châ- '^''' ""'g^ne»
rrer, pour les engraiflèr &les manger. Et GarciUa[?o de ('/) 'p^ucm.
la Fega rapporte (?) que certains Peuples du Pérou a- ^^'^- '•
voient accoutumé de garder les femmes qu'ils prenoient ['Las'.Uy'^i .
prifonniéres , pour en faire des Concubines , & nourrif- c'i- 'î-
îbient aufîi délicatement qu'ils pouvoient , les: Enfans
qu'ils en avoient, jufqu'à l'âge de treize ans ; après quoy
ils les mangeoicnt , Sctraitoient de même leurs Mères dès
qu'elles ne faifoient plus d'Enfans.. Les Toupmamhons ( fj (/)i^7>cii.i^.'
ne connoiflbient pas de meilleur chemin pour aller en Pa-
radis que de fe vanger cruellement de leurs Ennemis , &
d'en manger le plus qu'ils pourroient. Ceux que les
Turcs canonifent &c mettent au nombre des Saints, mè-
nent une vie qu'on ne fam'oit rapporter fans blefièr la pu-
deur. Il y a , fur ce fujet , un endroit fort remarquable
dans leyoyage de Banmgûrten. Comme ce Livre eil affez
rare, je tranfcrirai ici le pafiage tout au long dans la mê-
me Langue qu'il a été pubhe. Ibi (fcil. prope Belbes in
iEgypto) "vidimus [aniiiim tintim Saracemcum intèr arc- ■
F 3. na-'
4.6 §ltte nuls Principes
Chap. il nâruw cmmdos--, ita jit ex titero matris proâiit , nudmn fe-
dctitem. Mos ejt , ut didi:imns Nhbotnetifiis , tit eos , qui
amentes ^ fine ratione Junt , profaucîis calant ^ veneren-
tv.r. InÇiiper ô" eos qui cum dm vitam egerint inqmrhxtif-
Jimam , voluntariam demum pœmtentiam ô" pdvperta-
tcm , ÇanBitate venerûndos députant. Ejufmodi vcro genus
boinininn liber tatem quand a^n ejfranem habent ^ domosqnas
uolHnt jntrandi) edcndi, bibendi, cr quod majus eji , con-
cumbefidi; ex quo concvbitu ■, fi proies fec ut a fuent , fdnÛa
Jlnnliter habetur. Hisergohomimbus , dum'vivmit ymagnos
exhibent honores -, mortuis yer'o vel templa vel mo7inmenta
extruunt ampliffima , eofque conttngere ac fepelire maxima;
fortuna ducnnt loco. Anài"Jimns hac àiBa i^ dicenda per
interpretem à. Mucrelo nojlro. Infv.per fantîum illum , quem
eo loci -vidimus , publicités apprime commenduri , eum ejje
honunem fancium , divmum ac integritate pracipuum ; eo
quod , fiec fœminarum unqnam ejjet nec puerorum ,Jed tan-
tnmmodo afellarum concubitor atque mularum. Peregr.
Baumgartenj Lib.2. cap. i. -ç-Jt,. Où font, je vous prie,
ces Principes mnesn de fuftice, de piété, de reconnoi fian-
ce, d'équité &: de chaiteté , dans ce dernier exemple &:
dans les autres que nous venons de rapporter ? Et ou eft
ce confentement univerfel qui nous montre qu'il y a de
tels Principes, gravez naturellement dans nos Ames ? Lors
que la mode avoir rendu les Duels honorables , on com-
mettoit des meurtres fans aucun remords de confcicnce >
&: encore aujourd'huy., c'eft un grand deshonneur en cer-
tains Lieux que d'être innocent fur cet article. Enfin , lî
nous jettons les yeux hors de chez-nous, pour voir ce qui
fe paÛé dans le refte du Monde, 6c confiderer les hommes
tels qu'ils font effectivement , nous trouverons qu'en un
Lieu ils font fcrupule de faire , ou de négliger certaines
chcfes, pendant qu'ailleurs d'autres croyent mériter re-
corapenfe.en s'abftenant des mêmes chofes que ceux-là font
par wn motif de confcicnce, ou en failant ce que ces pre-
miers n'oferoient fiiire.
Les Hommes §. lo. Qui prendra la peine de lire avec foin l'Hiftoirc
ont lies Pniici- j .
de pratique 7ie font inné z. Liv. I. 47
du Genre Humain Se d'examiner d'un œuil indilïerent Ja Chap. IL
conduite des Peuples de la Terre , pourra fe ccnvaincre pes(3e pratique,
luv-méme , qu'excepté les Devoirs qui font abfolument ^ppo''^^ '" ""*
/ ^. . , ,^ ^ ^ . 1 1 o • ' 1 ■ /- • aux autres.
neceflau-es a la conlervation de la bociete nuniauie ( qui
ne font même que trop fouventviolez.par des Sociétez en-
tières à l'égard des autres Sociétez} on ne fauroit nommer
aucun Principe de Morale, ni imaginer aucune Régie de
vertu qui dans quelque endroit du Monde ne foit mépri-
fée ou contredite par la pratique générale de quelques
Sociétez entières , gouvernées par des Maximes de prati-
que , &: par des régies de conduite tout-à-fait oppofées à .
celles de quelque autre Société.
§. 1 1. On objeftera peut-être ici , qu'il ne s'enfuit pas DcsNationsen-
qu'une régie foit inconnue , de ce qu'elle eft violée. L'Ob-."|"^'.y7f "J"|"jj
jeftion eft bonne , lors que ceux qui n'obfervent pas'la ré- de Morale. °
gle, ne laillcnt pas de la recevoir en qualité de Loy j lors,
dis-je, qu'on la regarde avec quelque refpeft par la crain-
te qu'on a d'être deshonoré, cenfuré , ou châtié , fi on
vient à la négliger. Mais il eft impolîîble de concevoir
qu'une Nation entière rejettât publiquement ce que cha-
cun de cz\y%. qui la compofent, connoîtroit certainement
& infailliblement être une véritable Loy , car telle eft la
connoiflance que tous les hommes doivent néceflairemcnt
avoir des Loix dont nous parlons , s'il eft vrai qu'elles
foient naturellement empreintes dans leur Ame. On con-
çoit bien que des gens peuvent reconnoître quelquefois
certaines Régies de Morale comme véritables , quoy que
dans le fonds de leur ame , ils les croyent faufles > il peut
être, dis-je, que certaines perfonnes en ufentainfi en cer-
taines rencontres , dans la feule veûë de conferver leur ré-
putation &" de s'attirer l'eftime de ceux qui croyent ces
Régies d'une obligation indifpenfable. Mais qu'une So-
ciété entière d'hommes rejette & viole, publiquement &
d'un commun accord, une Régie qu'ils regardent chacun
en particulier comme une Loy , de la vérité & de laju-
ftice de laquelle ils font parfaitement convaincus , & dont
ils font perfuadez que tous ceux à qui ils ont à faire , por-
tent
^Jè Oue nuls Principes
Chap. II. tent le même jugement, c'eft une chofe qui paiïe l'imagi-
nation. Et en effet, chaque Membre de cette Société qui
viendroit à méprifer une telle Loy, devroit craindre né-
ceflairement de s'attirer, de la part de tous les autres, le
mépris &• l'horreur que méritent ceux qui font profeffion
d'avoir dépouillé l'humanité ; car une perfonne qui con-
noîtroit les bornes naturelles du Jufte & de rinjufte , èc
ne laifleroit pas de les confondre enfemble , ne pourroit
être regardé que comme l'ennemi déclaré du repos Se du
bonheur de la Société dont il fait partie. Or tout Princi-
■ pe de pratique qu'on Tuppcfe mnc , ne peut qu'être con-
mi d'un chacun comme julte ôc avantageux. C'eft donc
une véritable contradiction ou peu s'en faut, que de fup-
pofer. Que des Nations entières puflent s'accorder à dé-
mentfr tant par leurs difcours que par leur pratique, d'un
confentement unanime & univerlel, une chofe, de la vé-
rité, de la juftice fie de la bonté de laquelle chacun d'eux
feroit convaincu avec une évidence tout-à-fait irréfraga-
ble. Cela fuffit pour faire voir, que toute Règle de pra-
tique qiii ert violée univerfellement & avec l'approbation
publique, dans un certain endroit du Monde , ne peut
■ pafler pour mnee. Mais j'ai quelque autre chofe à répondre
à l'objeftion que je viens de propofer.
§. 12. Il ne s'enfuit pas , dit-on , qu'une 'Loy foit in-
connue de ce qu'elle eft violée. Soit -, j'en tombe d'ac-
cord. Mais je foûtiens qu'une fcrmijfton publique de la vio-
ler , prouve que cette Loy neji pas muée. Prenons, par
• exemple, quelques-unes de ces Règles que moins de gens
ont eu l'audace de mer, ou l'imprudence de révoquer en
•doute , comme étant des confequences qui fe prefentent
le plus aifément à la Raifon humaine, & qui font le plus
conformes à l'inclination naturelle de la plus grande par-
tie des hommes. S'il y a quelque régie qu'on puifle re-
garder comme innée 3 il n'y en a point, ce me fcmble., à
qui ce privilège doive mieux convenir qu'à celle-ci, /V-
res é^ Mères , atmez^ zTConjervez, vosLnfans. Si l'on dit,
cjue cette Régie eu innée , on doit entendre par là l'une
de
àe pratiqué m [ont irmtz. Liv. I. 49
de ces deux chofes, ou que c'eft un Principe conftamment Chap. IL
obfervé de tous les hommes j ou du moins, que c'eft une
venté gravée dans l'Ame de tous les hommes , qui leur
eft , par conféquent , connue à tous j Se qu'ils reçoivent
tous d'un commun confentement. Or cette Régie n'eft
innée en aucun de ces deux fens. Car premièrement ce
n'eft pas un Principe que tous les hommes prennent pour
règle de leurs aftions , comme il paroît par les exemples
que nous venons de citer ; Se fans aller chercher en Min-
grelie êc dans le Pérou des preuves du peu de ibinquedes
Peuples entiers ont de leurs Enfans , jufques à les fau-e
mourir de leurs propres mains ; fans recourir , dis-je , à la
cruauté de quelques Nations Barbares qui furpafte celle
■des Bêtes mêmes, qui ne fait que c'étoit une coutume or-
dinaire 6c autorifée parmi les Grecs 6c les Romains , d'ex-
pofer impitoyablement &: fans aucun remords de confcien-
ce , leurs propres Enfans , lors qu'ils ne vouloient pas les
élever ? Il eft faux , en fécond lieu , que ce foit une véri-
té innée èc connue de tous les hommes > car tant s'en faut
qu'on puifte regarder comme une vérité innée ces paro-
les, Pérès, (ér Mères, ayez foin de confcrver vos Enfans y
qu'on ne peut pas même leur donner le nom de vérité,
car c'eft un commandement èz non pas une Propofition j
■&r par conféquent on ne peut pas dire qu'il emporte vérité
ou fauffeté. Pour faire qu'il puifte être regardé comme
vrai , il faut le réduire à une Propofition , comme eft
celle-ci , Cefl le devoir des Pérès ér des Mères de confer,'
ver leurs Enfans. Mais tout Devoir emporte l'idée de
Loy ; & une Loy ne fauroit être connue ou fuppofée fans
un Legiflateur qui l'ait prefcrite , ou fans recompenfe; &
fans peine ; de forte qu'on ne peut fuppofer , que cette
Régie , ou quelque autre Régie de pratique que ce foit ,
puifte être innée , c'eft à dire imprimée dans l'Ame fous
l'idée d'un Devoir, fans fuppofer que les idées d'un Dieu,
d'une Loy , d'une vie à venir , & de ce qu'on nomme
obligation oc peine , foient auiTi innées avec nous. Car
parmi les Nations dont nous venons de parler , il n'y a
G point
50 §lite nids Principes ' -.
Chap. II. point de peine à craindre dans cette vie pour ceux qui
violent cette Régie > &: par conféquent , elle ne fauroit a-
voir force de Loy dans les Pais oîi l'ufage généralement
établi , y eft direftement contraire. Or ces idées qui
doivent toutes être néceflairement innées , fi rien eft inné
en qualité de 'Devoir -, font fi éloignées d'être gravées na-
turellement dans l'efprit de tous les hommes, qu'elles ne
paroiflent pas même fort claires &: fort diftinftes dans
l'efprit de plufieurs perfonnes d'étude &: qui font profef-
fiôn d'examiner les chofes avec quelque exactitude ; tant
s'en faut qu'elles foient connues de toute créature humai-
ne. Et parmi ces idées dont je viens de faire l'énumera-
tion, je prouverai en particulier dans le Chapitre fuivant
qu'il y en a une qui femble devoir être innée preferable-
ment à toutes les autres , qui ne l'eft pourtant point , je
veux parler de l'idée de Dieu : ce que j'efpére faire voir
avec la dernière évidence à tout homme qui eft capable de
fuivre un raifonnement.
Des Nations §• i?- De ce que je viens dédire , je croypouvoircon-
eiitie'res rejet- clurrc fûremcnt , qu'fiw^ Rcgle de pratique qui e/i violée en
R"v!«"dc"Mo ^^'^^P^^ endroit du Monde d'un confentement général a- fans
raie! ducune oppo/ition , ne fattroiî pajj'er pour innée. Car il eft
impofllble , que des hommes puflent violer fans crainte
ni pudeur, de lang froid, & avec une entière confiance ,
xme Règle qu'ils iauroient évidemment 6c fans pouvoir
l'ignorer , que c'eft un Devoir que Dieu leur a prefcrit,
&: dont il punira certainement les infracteurs , d'une ma-
nière à leur faire fentir qu'ils ont pris un fort mauvais par-
ti en la violant. Or c'eft ce qu'ils doivent reconnoître
néceflairement , fi cette Régie eft née avec eux ; & fins
une telle connoiflance , l'on ne peut jamais être aflïiré
d'être obligé à une chofe en qualité de Devoir. Ignorer
la Loy , douter de fon autorité , efpérer d'échapper à la
connoiflance du Legiflateur , ou de fe fouftraire à Ion
pouvoir ; tout cela peut fervir aux hommes de prétexte
pour s'abandonner à leurs partions prefentes. Mais fi l'on
fuppofe qu'on voit le péché 6c la peine l'un près de l'au-
tre.
de pratique ne font innez. Liv. I. ^%
tre , le fupplice joint au crime , un feu toujours prêt à Chap. IL
punir le coupable -, &c qu'en confiderant d'un côté le plai-
fir qui follicite à mal faire , on découvre en même temps
la main de Dieu levée &c en état de châtier celui qui s'a-
bandonne à la tentation ; (car c'efl: ce que doit produire
un Devoir qui eft gravé naturellement dans l'Ame,} cela,
dis-je, étant pofé, concevez-vous qu'il foit polTibleque
des gens placez dans ce point de veùë , 6c qui ont une
connoilfance fi diftin<£te 5c fi alfùrée de tous ces objets,
puiflent enfraindre hardiment 6c fans fcrupule , une Loy
qu'ils portent gravée dans leur Ame en cara£téres ineffa-
çables, 6c qui fe préfente à eux toute brillante de lumiè-
re à mefure qu'ils la violent ? Pouvez-vous comprendre
que des hommes qui lifent au dedans d'eux-mêmes les or-
dres d'un Legiflateur tout-puiffant , foient capables dans
ce même temps de méprifer , 6c fouler aux pieds avec
confiance 6c avec plaifir , fes commandemens les plus fa-
crez ? Enfin , eft-il bien pofîlble que , pendant qu'un
homme fe déclare ouvertement contre une Loy innée , èc
contre le fouverain Legiflateur qui l'a gravée dans fon a-
me , eft-il poiTible , dis-je , que tous ceux qui le voyent
faire fans avoir aucun intérêt à fon crime , que les Gou-
verneurs même du Peuple qui ont la même idée de la
Loy Si: de Celui qui en eft l'Auteur , la laifient violer
fans faire femblant de s'en appercevoir, fans rien dire, 6c
fans en témoigner aucun déplaifir , ni jetter le moindre
blâme fur une telle conduite ?
A la vérité , les Principes qui nous font agir , font
dans nôtre volonté , mais ils font fi éloignez de pouvoir
pafl^er pour Principes de Morale , gravez naturellement
dans nôtre Ame , que fi nous lâchions la bride à nos de-
firs, ils nous feroient violer tout ce qu'il y a de plus fa-
cré dans le Monde. Les Loix font comme une digue
qu'on oppofe à ces defirs déréglez pour en arrêter le
cours; ce qu'elles ne peuvent faire que par le moyen des
recompenfes 6c des peines qui contre-balancent la fatisfa-
ftion que l'çn pourroit trouver à fe laiifer emporter à fes
G 2 de-
5 2 Gine nuls Principes
Chap. Il.defirs. Si donc quelque chofe étoit gravée dans rEfprit
de l'Homme , en qualité de Loy , il faudrait que tous
les hommes fiiflcnt aflurez d'une manière certaine èc à
n'en pouvoir jamais douter, qu'une peine inévitable fera
le partage de ceux qui violeront cette Loy. Car fi les
hommes peuvent ignorer ou révoquer en doute ce qui eft
inne'i c'elt en vain qu'on nous parle de Principes innez,
ôc qu'on en veut faire voir la nécefllté. Bien loin qu'ils
puiflent fervir à nous inftruire de la vérité &: de la certi-
tude des chofes , comme on le prétend , nous nous trou-
vons dans le même état d'incertitude avec ces Principes ,
que s'ils n'étoient point en nous. Une Loy innée doit
être accompagnée d'une connoifTance claire 5c indubita-
ble d'une punition aflurée , & allez grande pour faire
qu'on ne puiflé être tenté de violer cette Loy fi l'oncon-
fulte fes véritables intérêts j à moms qu'en fuppofantunc
Loy imic'e , on ne veuille fuppofer aulîi un Evangile /««/.
Du refte , on auroit tort de conclurre de ce que je nie
qu'il "y ait aucune Loy innée, que je croi qu'il n'y a que
des Loix pofitives. Ce feroit prendre tout-à-fait mal ma
penfée. Il y a une grande différence entre une Loy in-
née, Se une Loy de Nature, entre une vérité gravée ori-
ginairement dans l'Ame , Se une vérité que nous ignorons ,
mais dont nous pouvons acquérir la connoiffance en nous
fervant comme il faut des Facultez que nous avons reçu
de la Nature. Et pour moy , je croy que ceux qui don-
nent dans les extrémitez oppofées , fe trompent égale-
ment, je veux dire , ceux qui pofent une Loy innée , &
ceux qui nient qu'il y ait aucune Loy qu i pu iiïe être con-
nue par la lumière de la Nature, c'elt-ù-dire , fans le fe-
cours d'une Révélation pofitive.
Ceuxquifoû- §.14. Il eft fi évident , que les hommes ne s'accordent
aTs^Prmc^pcs P'^^ ^"'' '^^ Principcs de pratique , que je ne penfc pas ,
de prati<]uc m- qu'il foit néceflaire d'en dire davantage pour faire voir
nez , ne nous qi,'i[ n'^j^ p^^ poilîble de prouver par leconfentemcntçé-
font CCS Trinci- ncral qu il y ait aucune Kegle de Morale, tnnee ; èc cela
P«- fuiîit pour faire foupçonner que la fuppofition de ces for-
tes
de pratique ne font innez. Liv. I. 53
tes de Principes n'eft qu'une opinion inventée à plaifiri Chap. II.
puifque ceux qui parlent de ces Principes avec tant de con-
fiance, font fi réfervez à nous les marquer en détail. C'eft
pourtant ce qu'on auroit droit d'attendre de ceux qui font
tant de fonds fur cette opinion > &: leur refus nous donne
fujet de nous défier de leurs lumières ou de leur charité ,
puifque foûtenant d'un côté que Dieu a imprimé dans l'A-
me des hommes , les fondeniens de leurs connoifîances , &
les régies néceflaires à la conduite de leur vie, ils ont pour-
tant il peu d'ardeur pour.l'inftruftion de leurs prochains,
& pour le repos de tout le Genre Hiunain qui eft partaj^é
fur ce fujet , qu'ils négligent de leur montrer quels font
ces Principes de fpéculation &: de pratique. Mais à dire
vrai, s il y avoir de tels Principes, il ne feroit pas nécef-
faire de les indiquer à perfonne. Si les honmies les trou-
voient gravez dans leur anie , ils poiu-roient aifément les
diftinguer des autres veritez qu'ils apprendroient dans la
fuite , & qu'ils déduiroient de ces premières connoifian-
ces j de forte qu'il n'y auroit rien de fi facile que de con-
noître quels feroient ces Principes , & combien il y en au-
roit. Nous ferions aufll aflurez de leur nombre que nous;
le foriimes du nombre de nos doigts > &: il y a apparence
que, quelque fyftéme qu'on embraflat , on pourroit les
marquer un par un. Mais comme perfonne n'a encore en^
trepris, que je fâche, de nous donner un Catalogue exa6t
de ces Principes qu'on fuppofe mnez , on ne fauroit blâ-
mer ceux qui doutent de la vérité de cette fuppofition ,
puifque ceux-là même qui veulent impofer aux autres la
néceflité de croire qu'il y a des Propofitions innées , ne
nous difent point quelles font ces Propofitions. Ileftaifé
de prévoir, que fi différentes perfonnes , attachées à diffé-
rentes Sedes, entreprenoient de nous donner une lifte des
Principes de pratique qu'ils regardent com^me innez , ils
ne mettroient dans ce rang que ceux qui s'accorderoient
avec leurs hypothefes , & qui feroient propres à défendre
les opinions qui régnent dans leurs Ecoles, ou dans leurs
Eglifes particulières: preuve évidente qu'il n'yapointde
G 3 telles
54 §ll'^ ^"^^ Principes
Chap. II. telles veritez innées. Bien plus , une grande partie des
hommes font fi éloignez de trouver en eux-mêmes de tels
Principes de Morale innez , que dépouillant les hommes
de leur Liberté, èc les changeant par-là en autant de Ma-
chines, ils détruifent non feulement les Régies de Morale
qu'on veut faire paffer pour innées , mais toutes les autres,
quelles qu'elles foient , fans laifler aucun moyen de croire
qu'il y en ait aucune, à tous ceux qui ne fauroient conce-
voir qu'une Loy puifTe convenir à autre chofe qu'à un A-
gent libre, fie qui fur ce fondement font néceflairement o-
bligez de rejetter tout Prmcipe de vertu , pour ne pouvoir
allier la Morale avec la nécellké d'agir en Machine j deux
chofes qu'il n'eft pas effectivement fort aifé de concilier,
ou de faire fubfifter enfemble.
Examen des §.15. Après avoir écrit ccci , j'appris que Mil ordH^r-
que propoir "' ^^^^ avoit indiqué ces Principes qu'on prétend être /wwf^r,
UûotdHerétrt. dans fou Ouvrage intitulé. De Feritate, touchant la Vé-
rité. J'allai d'abord le confulter, efpérant qu'un homme
d'un fi grand efprit , auroit dit quelque chofe qui pour-
roit me fatisfaire , & terminer toutes mes recherches fur
cet article. Dans le chapitre où il traite de l'inftiniSl na-
turel. De injlmctu naturali i pag. 76. Edit. 1656. voici
les fix marques auxquelles il dit qu'on peut reconnoître ce
c\}.\'i\ ?iY>^c\\c Notions communes , i. Priorittis , ou l'avan-
tage de précéder toutes les autres connoifl'anccs. 2. Inde-
pendentia, l'indépendance. i-Univerfalitas , l'uni verfali-
té. ^.Certitude, la certitude. ^.Necejfitas, lanécefllté,
c'eft à dire, comme il l'explique luy-mêmc , ce qui fert
à la confervation de l'homme, qua facnmt ad hommiscon-
fervationem. 6. Modiis conformationis , ideft, Af^enftis
ntiltâ interpofitâ morâ , la manière dont on reçoit une cer-
taine vérité , c'eft à dire un prompt confentement qu'on
donne Hms héfiter le moms du monde. Et fur la fin de fon
*Df/4Rf/(j;o« petit Traité * De Religione Laici, ilparleainfideccsPrin-
duLaïqui. cipes innez , pag. 3. Jdco ut non uniufcujuf'vis Religionis
confinio artfenîur qna nbiqiie 'vigent veritates. Sunt enim
in ipfâ mente cœlitàs defcripta , nulhfque traditionibus ,five
Jcriptis ,
de pratique ne font inne^. Liv. I. t^e
fcriptiSi Jïve non fcriptis obnoxia : C'eftàdire, «Ainfi ces Chap. IL
„ Vcritez qui font reçues par tout , ne font point refler-
„rées dans les bornes d'une Religion particulière , car é-
„ tant gravées dans l'Ame même par le doigt de Dieu ,
5, elles ne dépendent d'aucune Tradition , écrite ou non
écrite. Et un peu plus bas , il ajoute , Ver liâtes noftra: Ca-
îholicat qiia tanqnam indnbia T)ei ejfata-, in for o intcriori
defcriptiC -, c'eft à dire , „ nos veritez catholiques , qui font
j, écrites dans la Confcience, comme autant d'Oracles in-
„ faillibles émanez de Dieu. Milord Herbert ayant ainii
propofé les cara£téres des Principes innez ou notions com-
munes 5 & ayant afliiré que ces Principes ont été gravez
dans l'Ame des hommes par le doigt de Dieu , il vient à
les propofer , Se les réduit à ces cinq : * Le premier eft ,
qu'/Zj a un Dieu fitprême : Le fécond j que ce Dieu doit
être J'ervi: Le troifiéme, que la 'vertu jointe aïKc la piété
eji le culte le plus excellent qu'on puijfe rendre à la Divini-
té: Le quatrième j i\i\'il faut fe repentir de fis pèches^: Le
cinquième, c^u'ily a des peines ou des recompenfes après cet-
te vie i filon qu'on aura bien ou mal vécu. Quoy (que je
tombe d'accord que ce font là des veritez évidentes , èc
d'une telle nature qu'étant bien expliquées , une créature
raifonnable ne peut guère éviter d'y donner fon confente-
menti je croi pourtant qu'il s'en faut beaucoup que cet
Auteur fafle voir que ce font autant d'impreflîons innées ,
naturellement gravées dans la confcience de tous les hom-
mes, in Foro mterion defcripta. Je me fonde fur quelques
obfervations que j'ai pris la liberté de faire contre fon hy-
pothefe.
§. 1 6 . Je remarque , en premier lieu , que ces cinq Pro-
portions ne fauroient être toutes des Notions commîmes,
gravées dans nos Ames par le doigt de Dieu , ou bien qu'il
y en a beaucoup d'autres qu'on devroit mettre dans ce
rang , Il l'on etoit fondé à croire qu'il y en eût aucune
d'innée.
* 1. Ejfe aliquod fapremmn Nume>i. j. N/imea illnd coli ilebere. 3. Virtatem
ctim fiieiale torijaridiim cpnmam ejp raÙDuem ctiltîis divini. 4. Re/ipifcen-
dttm cffe à peccatis. J. D.in pramium vel j/œnam poji banc vitam tranf-
<^é * ^e nuls Principes
Chap. II. d'innée. En effet, il y a d'autres Propofitions , qui,
fuivant les propres Régies de Milord Herbert , ont pour
le moins Autant de droit à une telle origine , & peuvent
aufll bien paflér pour innées , que quelques-unes de ces
cinq qu'il rapporte , comme par exemple , cette Régie
de Morale , Faites comme vous voudrie.z qu'il vous fut
fait , Se peut-être cent autres , fi l'on prenoit la peine de
les chercher.
§.17. En fécond lieu , toutes les marques qu'il donne
d'un Principe inrie , ne fauroient convenir à chacune de
ces cinq Propofitions. Ainfi, la première, la féconde èc
la troifiéme de ces marques ne conviennent pas parfaite-
ment à aucune de ces Propofitions : Scia première, la fé-
conde, la troifiéme, la quatrième ,&: la fixiéme quadrent
fort mal à la troifiéme Propofition , à la quatrième &: à la
cinquième. On pourroit ajouter , que nous favons certai-
nement par l'Hilloire , non feulement que plufieurs per-
fonnes , mais des Nations entières regardent quelques-unes
de ces Propofitions , ou même toutes , comme douteufes
ou comme fauffes. Mais cela mis à part , je ne faurois voir
comment on peut mettre au nombre des Principes irme^
la troifiéme Propofition , dont voici les propres termes,
La Vertu jointe avec la pie'tc , eji le culte le plus excellent
qu'on fîiiffe rendre a la Divinité: tant le mot de Vertu eft
difficile à entendre, tant la lignification eneil équivoque,
&: la chofe qu'il exprime , difputée &: mal-aifee à connoi-
tre. D'où il s'enfuit qu'une telle Règle de pratique ne
peut qu'être fort peu utile à la conduite de nôtre vie,
&; que par conféquent elle n'eft nullement propre à être
mife au nombre des Principes de pratique qu'on prétend
être innées.
§. 18. Confiderons, pour cet effet , cette Propofition
félon le fens qu'elle peut recevoir j car ce qui conftituè
& doit conftituer un Principe ou une Notion commune,
c'eft le fens de la Propofition £c non pas le fon des termes
qui fervent à l'exprimer. Voici la Propofition : La Ver-
tu eJi le culte le plus excellent qu'on puijje rendre à Dieu ,
c'eft-
de pratique ne font innez. Liv. I. 57
c'eft-à-dire 5 qui luy eft le plus agréable. Or fi on prend Chap. II.
le mot de Vertu dans le fens qu'on luy donne le plus com-
munément, je veux dire pour les a£tions qui pafTent pour
louables félon les différentes opinions qui régnent en dif-
férens Pais , tant s'en faut que cette Propofition foit évi-
dente, qu'elle n'eft pas même véritable. Que fi on appelle
Vertu les aftions qui font conformes à la Volonté de Dieu,
ou à la Régie qu'il a prefcrite luy-mcme, qui eft le véri-
table 6c le feul fondement de la Vertu, à entendre parce
terme ce qui eft bon 8c droit en luy-même; en ce cas-là,
rien n'eft plus vrai ni plus certain que cette Propofition ,
La Vertu ejl le culte le plus e:^ccllent qu'on piiiffe rendre à
Dieu. Mais elle ne fera pas d'un grand ufige dans la vie
humaine, puifqu'elle ne fignifiera autre chofe , finonque
Dieu fe plaît à voir pratiquer ce qu^il commande : vérité
■dont un homme peut être entièrement convaincu fans fa-
voir ce que c'eft que Dieu commande , fie fe trouver par
conféquent aulîl éloigné d'avoir aucune règle ou aucun
principe de fes actions , que lors que cette vérité luy étoit
tout-à-fait inconnue. Or je ne penfe pas qu'une Propo-
fition qui n'emporte autre chofe finon c|ue Dieufe plaît à.
voir pratiquer ce qu'il commande , foit reçue de bien des
gens pour un Principe de Morale , gravé naturellement
dans l'Efprit de tous les hommes , quelque véritable 8c
quelque certaine qu'elle foit} puis qu'elle enfeigne fi peu
de chofe. Mais quiconque luy attribuera ce privilège,
fera en droit de regarder cent autres Propofitions comme
des Principes innez, car il y en a plufieurs que perfonne
ne s'eft encore avifé de mettre dans ce rang , qui peuvent
y être placées avec autant de fondement que cette premiè-
re Propofition.
§.-19. La quatrième Propofition , qui porte que ?<?/« o„ continue
les hommes doivent Je repentir de leurs péchez- , n'eft pas d'examiner les
plus inftruaive , jufqu'à ce qu'on ait expliqué quelles pro'poftz'""par
font les aârions qu'on appelle àcs Péchez. Carie mot Miiord «er^erf.
de péché étant pris (comme il l'eft ordinairement) pour
fignifier en général de mauvaifes actions qui attirent quel-
H que
5 8 ^te nuls Principes
Chap. il que châtiment fur ceux qui les commettent -, nousdonne-
t-on un grand Principe de Morale , en nous difant que
nous devons être affligez d'avoir commis , 6c que nous
devons céder de commettre ce qui ne peut que nous ren-
dre malheureux; û nous ignorons quelles font cesaclions
particulières que nous ne pouvons commettre fans nous
réduire dans ce trille état? Cette Propoiltioneit fans dou-
te très-veritable. Elle ell aulll très-propre à être incul-
quée dans l'efprit de ceux à qui on fuppofe qu'on a fait
connoître les acbions qui dans les différentes circonllan-
ces de la vie font des péchez , &: elle doit être reçue de
ceux qui ont ces connoiffances. Mais on ne fauroit con-
cevoir que cette Propdfition ni la précédente, foientdes
Principes imicz., ni qu'elles foient d'aucun uiage, quand
bien elles feroicnt innées -, à moins que la mefure 6c les
bornes précifes de toutes les Vertus 6c de tous les Vices
n'euflcntauili été gravées dans l'Ame des hommes, 6c ne
fuflént autant de Principes innez jdequoy rona,jepenfe,.
grand fujet de douter. D'où je conclus qu'il ne femble
prefque pas pcfiible , que Dieu ait imprimé dans l'Ame
des hommes , des Prmcipes , conçus en termes vagues,
tels que ceux de l^ertn &c de Pèche , qui parmi différen-
tes perfonnes flgnifient des chofes fort différentes. On
ne fauroit, dis-je , fuppofer que ces fortes de Principes
puifiént être attachez à certains mots , parce qu'ils font
pour la plupart compofez de termes généraux qu'on ne
fauroit entendre, avant que de connoitre les idées parti-
culières qu'ils renferment. Car dans les exemples de pra-
tique, on doit fe conduire parlaconnoifTancedes aftions
mêmes , 6c des réglés f\ir lefquellés ces agirions font fon-
dées ; 6c cela , independemment des mots , 6c avant la
connoiflance des termes: de forte qu'un homme doit con-
noître ces régies, quelque Langage qu'il apprenne, l'An-
glois , le François , ou le Japonnois > quoy qu'il n'ap-
prenne même aucun Langage , te qu'il ne vienne jamais
à entendre l'ufiige des mots , comme il arrive aux fourds
6c aux muets. Quand on aura fait voir j que des hom-
mes
de pratique ne font innez. Liv. I. 59
mes qui n'entendent aucun Langage , & qui n'ont pas Chap. IL
appris par le moyen des Loix & des coutumes de leur
Pais , Qu'une partie du Culte de Dieu confifte à ne tuer
perfonne, à n'avoir de commerce qu'avec une feule fem-
me, à ne pas faire périr des Enfans dans le ventre de leur
Mère , à ne pas les expofer , à n'ôter point aux autres ce
qui leur appartient, quoyque nous en ayons befoin nous-
mêmes, mais au contraire à les fecourir dans leurs nécef-
fitez , &: lors que nous venons à violer ces règles , à en
témoigner du repentir, à en être affligez &: à prendre une
ferme refolution de ne pas le faire une autre fois -, quand ,
dis-je, on aura prouvé que ces gens-là connoifTent & re-
çoivent a£tuellement pour régie de leur conduite tous ces
Préceptes &: mille autres femblables qui font compris fous
ces deux mots Vertu &c Pèche , l'on fera mieux fondé à
regarder ces Régies Se autres femblables , comme des No-
tions communes Se des Principes de pratique. Mais avec
tout cela , quand il feroit vrai , que tous les hommes
s'accorderoient fur les Principes de Morale , ce confente-
ment univerfel donné à des veritez qu'on peut connoître
autrement que par le moyen d'une imprelllon naturelle,
ne prouveroit pas bien que ces verijtez fuflént efFe£ti-
vement innées ; &c c'eft là tout ce que je prétens foûte-
nir.
§. 20. Ce feroit inutilement qu'on oppoferoit ici ce On objcac,
qu'on a accoutumé de dire, Ghie la Coutume, l'éducation 1"^ ''* P"»"?"
> 1 ' / 1 j ■ 1, f uiux. peuvent
(y les opinions générales de ceux avec qui l on con-verfe peu- ife conompus.
vent objcurcir ces Principes de Morale qu'on fuppofe innez^ Reponfeà cette
(ér enfin les effacer entièrement de l'efprit des hommes. Car *-'^''^'^^'°"'
fi cette réponfe eft bonne , elle anéantit la preuve qu'on
prétend tirer du confentement univerfel , en faveur des
Principes innez ; à moins que ceux qui parlent ainii , ne
s'imaginent que leur opinion particulière , ou celle de
leur Parti, doit pafTer pour un confentement général j ce
qui arrive alTez fouvent à ceux qui fe croyant les feuls ar-
bitres du vray & du faux , ne comptent pour rien les fuf-
frages de tout le relie du Genre Humain. De forte que
H 2 le
6o ^le nuls Principes
Chap. II. le raifonnement de ces gens-là fe réduit à ceci : 3, Les
„ Principes que tout le Genre Humain reconnoît pour
j, véritables, ïonx. innez : ceux que les perfonnes de bon
5,fens reconnoifient , font admis par tout le Genre Hu-
„ main : Nous & ceux de nôtre Parti fommes des gens
,,debonfens; Donc nos Principes font innez. Plaifm-
te manière de raifonner , qui va tout droit à l'infciillibi-
litéi Cependant, Il l'on ne prend la chofe de ce biais, il
fera bien difficile de comprendre comment il y a certains
Principes que tous les hommes reconnoifTent d'un commun
confentement , quoy qu'il n'y ait aucun de ces Principes
que la CoiUmne ou l'Éducation n'ait ejfacé de l'efprit de
bien des gens : car c'cil comme fi l'on difoit que tous les
hommes reçoivent ces Pi-incipes , mais que cependant plu-
fieurs perfonnes les rejettent , &: refufent d'y donner leur
confentement. D'ailleurs , la fuppoiition de ces fortes
de premiers Principes ne fauroit nous être d'un grand ufa«
ge ; car que ces Principes foient innez ou non , nous fe-
rons dans un égal embarras , s'ils peuvent être altérez , ou
entièrement effacez de notre Efprit par quelque moyen
humain, comme par la volonté de nos Maîtres &: par les
fentimens de nos Amis , &■ tout l'étalage qu'on nous fait
de ces premiers Principes & de cette lumière m«/i?, n'em-
pêchera pas que nous ne nous trouvions dans des ténèbres
■ \ auffi epaiflés, & dans une auili grande incertitude que s'il
n'y avoit point de femblable lumière. Il vaut autant n'a-
voir aucune Règle, que d'en avoir une qui peut fe cour-
a ■ berpar quelque voye, ou que de ne pas connoître parmi-
plufieurs Règles différentes , & contraires les unes aux
autres , quelle eft celle qui eft droite. Mais je voudrois
bien , que les Partifans ties idées innées me diifent , fi ces
Principes peuvent , ou ne peuvent pas être effacez par
l'Education &r par la Coutume. S'ils ne peuvent l'être,
nous devons les trouver dans tous les hommes , &: il faut
qu'ils paroiffent clairement dans l'Efprit de chaque hom-
me en particulier. Qiie s'ils peuvent être altérez par des
Notions étrangères , ils doivent paroître plus diftinde-
ment
de pratique ne font innez. Liv. I. Gi
ment ôcavec plus d'éclat, lors qu'ils font plusprèsdeleur Chap. II.
fource , je veux dire dans les Enfans 8c les Ignorans fur
qui les opinions étrangères ont fait le moins d'impreflion.
Qii'ils prennent tel parti qu'ils voudront, ils verront clai-
rement qu'il eft: démenti par des faits conftans 6c par une
continuelle expérience.
§. 2 1. J'avoûë que des perfonnes de différent Pais, O" reçoit dans
d'un tempérament différent, & qui n'ont pas été élevées rrma'es '^'^* r
de la même manière , reçoivent quantité d'Opinions com- dcttuifait les
me autant de premiers Principes, qu'on ne peut révoquer ""«'"autres.
en doute; quoy que plufieurs de ces Opinions ne puifîent
être véritables, pour être abfurdes en elles-mêmes & di-
reftement contraires les unes aux autres. Mais quelque
oppofées qu'elles foient à la Raifon , elles ne laifîent pas
d'être reçues dans quelque endroit du Monde avec un fi
grand refpeft , qu'il fe trouve des gens de bon fens en tou-
te autre chofe qui aimeroient mieux perdre la vie 6c tout
ce qu'ils ont de plus cher, que de les révoquer en doute,
ou de permettre à d'autres de les contefler.
§.22. Qiielque étrange que cela paroifîe, c'efb ce que l'arqneisdc-
l'expérience confirme tous les jours ; 6c l'on n'en fera pas meTi^emie^c'
fi fort furpris , fi l'on conlidére par quels dégrez il peut communcmenî
arriver que des Doftrines qui n'ont pas de meilleures four- areccvoircer-
ir /L-- jj-NT • 1, ■'!■> taincs choies
ces que fa luperftition d une JNourrice, ou lautonted u- pour Principes-
ne vieille femme, peuvent devenir , par la longueur du
temps èc le confentement des voifins , autant de Principes
de Keligion 6c de Morale. Car ceux qui ont foin de don-
ner , comme ils parlent , de bons Principes à leurs Enfans,
(èc il y en a peu qui n'ayent fait provifion pour eux-mê-
mes de ces fortes de Principes qu'ils regardent comme au-
tant d'articles de Foy) leur infpirent les fentimens qu'ils
veulent leur faire retenir 6c profefler durant tout le cours
de leur vie. Et les Efprits des Enfans étant alors fans coii-
noiffance , èc indifférens à toute forte d'opinions , reçoi-
vent les impreflions qu'on leur veut donner , femblables
à du Papier blanc fur lequel on écrit tels cara£téres qu'on
veut. Etant ainfi imbus de ces Doctrines, dès qu'ils cora-
H 3 mencent
62 ^e nuls Principes
Chap. il mcnccnt à entendre ce qu'on leur dit , ils y font con-
firmez dans la fuite, à mefure qu'ils avancent en âge, foit
par la profeflion ouverte ou le confentement tacite de ceux
par Icfquels ils vivent, foit par l'autorité de ceux dont la
fagelîc , la fcience , èc la piété leur eft en recommanda-
tion, fie qui ne permettent pas que l'on parle jamais de ces
Doârrines que comme des fondemens de la Religion & des
bonnes mœurs. Et voilà comment ces fortes dePrinxripes
pajlént enfin pour des veritez inconteftables, évidentes &
nées avec nous.
§.23. A quoy nous pouvons ajouter , que ceux qui font
inftruits de cette manière venant à faire reflexion fur eux-
mêmes lors qu'ils font parvenus à l'âge de raifon , ôc ne
trouvant rien dans leur Efprit de plus vieux que ces opi-
nions, avant que leur Mémoire tint , pour ainfi dire, re-
gîtrc de leurs actions , & marquât la datte du temps , au-
.qucl quelque chofc de nouveau commençoit de leur pa-
roitre , ils s'imaginent que ces penjc'es dont ils ne peuvent
d€Cou"jrir en eux la prcmure fonrce , fotit ajfurc ment des im-
prejjions de Dieti & de la Nature , c^ non des chofes que
à' mitres hommes leur ayentapprifes. Prévenus de cette pen-
fee, ils confervent ces opinions dans leur Efprit , ôc les
reçoivent avec la même vénération que pluiieurs ont ac-
coutumé d'avoir pour leurs Parens ; non que cette véné-
ration foit l'etïet d'une impreffion naturelle, (car en cer-
tains Lieux ou les Enfans font élevez d'une autre manière
elle leur eft inconnue) mais feulement paixe qu'ayant re-
^u une autre éducation, ^ ne fe fouvenant plus du temps
auquel ils ont commencé de concevoir ce refpect , ils
croyent qu'il eft naturel.
§. 24.. C'eft ce qui paroîtra fort vraifemblable , 6cpref-
que inévitable , fi l'on fait reflexion fur la nature de l'hom-
me 6c fur la conftitution des aff^aires de cette vie. En effet,
de la manière que les chofes font établies dans ce Monde^
la plupart des hommes font obligez d'employer prefque
tout leur temps à travailler à leur profeflion , pour gagner
leur vie, fie ne fauroient néanmoins joûïr de quelque re-
pos
de pratique ne font innez. L i v . 1 . 65
pos ct'efprit , fans avoir des Principes qu'ils regardent com- Chap. Il,
me indubitables , Se auxquels ils acquiefcent entièrement.
Il n'y a perfonne qui foit d'un efprit fi fuperficiel ou 11 flot-
tant, qu'il ne fe déclare pour certaines JPropofitions qu'il
tient pour fondamentales , fur lefquelles il appuyé fes rai-
fonnemens, 6c qu'il prend pour régie du Vrai & du Faux,
du Julie & de l'Injufte. Les uns n'ont ni aflez d'habileté,
ni aflez de loillr pour les examiner; les autres en font dé-
tournez par la parefle; &: il y en a qui s'en abftiennent par-
ce qu'on leur a dit , depuis leur enfance , qu'ils fe cie-
voient bien garder d'entrer dans cet examen: de forte qu'il
y a peu de perfonnes que l'ignorance , la foiblefle d'ef-
prit , les diilraftions , la parefle , l'éducation ou la légè-
reté n'engagent à embrafler les Principes qu'on leur a ap-
pris, fur la bonne foy de ceux qui les ont propofez.
§.25. C'efl:-là, villblement, l'état où fe trouvent tous
les Enfans , Se tous les jeunes gens ; Se la Coutume plus
forte que la Nature, ne manquant guère de leur faire a-
dorer comme autant d'Oracles émanez de Dieu , tout ce
qu'elle a fait entrer une fois dans leur El'prit , poiu* y être
reçu avec un entier acquiefcement ; il ne faut pas s'éton-
ner fi dans un âge plus avancé, ou ils font ou embarraflez
des aftaires indifpenfables de cette vie , ou engagez dans
les plaiflrs, ils ne penfent jamais ferieufement à examiner
les opinions dont ils font prévenus , particulièrement fi
l'un de leurs Principes efl: , que les Principes ne doivent
pas être mis en qnejiion. Mais fuppofé même que l'on ait
du temps, de l'efpritScde l'inclination pour cette recher-
che j qui efl: afléz hardi pour entreprendre d'ébranler les
fondemens de tous fes raifonnemens Se de toutes fes actions
paflées ? Qiii peut foûtenir une penfee auiîi mortifiantes
qu'eft celle cie foupçonner que l'on a été , pendant long--
temps, dans l'erreur? Combien de gens y a-t-il qui ayent
afléz de hardiefl^e Se de fermeté pour envifager fans peur."
les reproches que l'on fait à ceux qui ofent s'éloigner du.
fentiment de leur Païs , ou du Parti dans lequel ils f ,nn
nez r Et où eft l'homme qui puiflTe fe réfoudre patiemmcnc
a:
64 §Ï3( ftif^s Principes
Chap. II. à porter les noms odieux de Pyrrhonien, de Deïfte^c d'A-
thée, dont il ne peut manquer d'être régalé s'il témoigne
feulement qu'il doute de quelqu'une des opinions com-
munes? Ajoutez qu'il ne peut qu'avoir encore plus de ré-
pugnance à mettre en queftion ces fortes de Principes , s'il
croit j comme font la plupart des hommes , que Dieu a
gravé ces Principes dans fon Ame pour être la régie &: la
pierre de touche de toutes fes autres opinions. Et qu'eft-
ce qui pourroit l'empêcher de regarder ces Principes com-
me facrez , puifque de- toutes les penfées qu'il trouve en
luy, ce font les plus anciennes , 6c celles qu'il voit que
les autres hommes reçoivent avec le pkis de refpeft ?
Comraentles §.26. 11 cft aifé de s'imagmcr, après cela, comment il
hommes vien- ^^ùv^ que Ics hommcs viennent à adorcr Ics Idoles qu'ils
nciit pour l'or r ■ ■ •■ r n- J ■ J ' >-1
dmaircàiefaircont fait eux-memcs, a le paliionner pour des idées qu ils
des Piincipes. fe font renduës familières pendant long-temps , &c à regar-
der comme des véritez divines , des erreurs &: de pures ab-
furditeZi zélez adorateurs de finges & de veaux d'or, je
veux dire de vaines Se ridicules opinions, qu'ils regardent
avec un fouverain refpeft, jufques à difputer , fe battre,
6c mourir pour les défendre ,
TuvenaiisSflf - - - * quum folos crcdat habenàos
XV. i!. iT.'-d E/^e Deos, qttos ipfe colit :
38.
Chacun s'imaginant que les Dieux qu'il fert , font feuls
dignes de l'adoration des hommes. Car comme les Facul-
tez de raifonner , dont on fait prefque toujours quelque
ufage, quoy que prefque toujours fans aucune circonfpe-
ftion, ne peuvent être mifcs en aftion , faute de fonde-
ment &: d'appui , dans la plupart des hommes , qui par
parelfe ou par diftradiion ne découvrent point les vérita-
bles Principes de nos connoiffances, ou qui faute de temps,
ou de bons fecours , ou pour quelque autre raifon que ce
foit , ne peuvent point les découvrir pour aller chercher
eux-mêmes la Vérité jufque dans fa foiirce ; il arrive na-
turellement 6c d'une manière prefque inévitable, que ces
fortes de gens s'attachent à certains Principes qu'ils em-
braffent
de pratique ne font intiez. Liv. I. • .65
-brâflent fur la foy d'autruy} de forte que venant à les re- Chap. IL
garder comme des preuves de quelque autre chofe , ils s'i-
maginent que ces^Principes n'ont aucun befoin d'être prou-
vez. Or quiconque a admis une fois dans fon Efprit quel-
ques-uns de ces Principes , &: les y conferve avec tout le
refpeâ: qu'on a accoutumé de rendre à des Principes , c'eft
à dire fans fe hazarder jamais de les examiner , mais en fe
faifant une habitude de les croire parce qu'il faut les croi-
re ; une perfonne , dis-je , qui ett dans cette difpofition
d'efpritj peut fe trouver engagé par l'éducation Se par les
coûtivmes de fon Pais à recevoir pour des Principes, innez
les plus grandes abfurditez du Monde ; &: à force d'avoir
les yeux long-temps attachez fur les mêmes objets, il peut
s'offufquer la veûë jufques à prendre des Monftres qu'il
a forgez dans fon propre Cerveau, pour des images de la
Divinité & pour l'œuvre de fcs mains.
§.27. On peut voir aifément par ce progrès infenfible. Les Principes
comment dans cette grande diveriîté de Principes oppo- ^°^'^^^^ç^^
{ez que des gens de tout ordre &c de toute profelllon re-
çoivent oc défendent comme inconteftables , il y en a tant
qui paffent pour mnez. Qiie fi quelqu'un prétend nier
que ce foit là le moyen par oii la plûpartdes hommes vien-
nent à s'aflurer de la vérité ôc de l'évidence de leurs Prin-
cipes, il aura peut-être bien de la peine à expliquer d'u-
ne autre manière comment ils embraffent des opinions
tout-à-fait oppofées , qu'ils croyent fortement, qu'ilsfoù-
tiennent avec une extrême confiance, &: qu'ils font prêts,
pour la plupart , de féeller de leur propre fang. Et dans
le fonds, fi c'eft là le privilège des Principes inne^à'èx.xc
reçus fur leur propre autorité , fans aucun examen , je ne
vois pas qu'il y ait rien qu'on ne puiffe croire , ni com-
ment les Principes que chacun s'ell choifi en particulier,
pourroient être révoquez en doute. Mais fi l'on dit, qu'on
peut &" qu'on doit examiner les Principes Se les mettre ,
pour ainli'dire, à l'épreuve, je voudrois bien favoir com-
ment de premiers Principes , des Principes gravez natu-
Tellement dans l'ame , peuvent être mis à l'épreuve : ou
I du
66 ^'ii n'y a point
Chap. II. du moins qu'il foit permis de demander par quelles mar-
ques &c par quels caraftércs on peut dillinguer les vérita-
bles Principes , les Principes innez , d'avec ceux qui ne
le font paSi afin que parmi le grand nombre de Principes
aufquels on attribue ce privilège , je puifîe être à l'abri de
Ferreur dans un point aulîî important que celui-là. Cela
fait, je ferai tout prêt à recevoir avec joye ces admirables
Propofitions qui ne peuvent être que d'une grande utili-
té. Mais jufque-là , je fuis en droit de douter quil y ait
aucun Principe véritablement inné, parce que j'apprehen-
de que le confentement univerlel , qui eft le feul carafté-
re qu'on ait encore produit pour difcerner les Principes
im2e:s , ne foit pas une marque allez fùre pour me déter-
miner en cette occalîon , ôc pour me convaincre de l'exi-
ftence d'aucun Principe inné. De tout ce que je viens de
dire, il paroit clairement , à ce que )e croy , qu'il n'y a
point de Principe de pratique dont tous les liommes con-
viennent, &" qu'il n'y en a, par confequent , aucun qu'on
puiflé appeller inné.
CHAPITRE III.
Chap. Autres confiderations touchant les Principes inné.::: , tant .
m ceux cfui regardent la fpecnlaticn que ceux qui
appartiennent a la pratique.
Des Principe'; §. I. Ql ccux qui nous Veulent perfuader qu'il y a des
r.e fauroiciit e- O Pnncipes inuez , ne les euflént pas confiderez
moinsciutics en gtos, mais eullent examine a part, lesdiverles parties
idées dont ils dout font compofées ces Proportions qu'ils <iomment
font compof.'Z, -y-, i » • - » ,-
neicioient âui- Principes innez y lis n auroient pas ete peut-être ii prompts
(i- à croire que ces Propofitions font effectivement innées.
Parce que fi les idées dont ces Propofitions ibnt compo-
fées, ne font pas innées, il eft impoiîible que les Propo-
fitions elles-mêmes foient innées , ou que la connoiflance
que nous en avons , foit née avec nous. Car fi ces idées
ne
de Principes innez- Liv. I. (,y
-ne font point innées, il y a eu un temps auquel l'Amené C h a p.
connoiflbit point ces Principes , qui , par confcquent j III.
ne font point innez, mais viennent de quelque autre four-
ce. Or oii il n'y a point d'idées , il ne peut y avoir au-
cune connoiflance, aucun aflentiment, aucunes Propor-
tions mentales ou verbales concernant ces idées.
§.2. Si nous conilderons avec foin les Enfans nouvel.- Les ide« Sf fut
lement nez, nous n'aurons pas grand fuiet de croire qu'ils t°"f"i!«qui
1 j;-J ■ n * corn pulent les
apportent beaucoup d idées avec eux en venant au Mon- rropofinons
de. Car excepté, peut-être, quelques foibles idées de ^".'<^".^pp^"c
faim, de foif, de chaleur , 6c de douleur qu'ils peuvent ZlT^linL
avoir fenti dans le fein de leur Mère, il n'y a nulle appa- avec les Enfans,
rence qu'ils ayent aucune idée établie, & fur tout de cel-
les qui répondent aux ternies dont font compofées ces
Propofitions générales , qu'on veut faire paflér pour in-
nées. On peut remarquer comment différentes idées leur
viennent enfuite par dégrez dans l'Efprit , & qu'ils n'en
acquièrent juftement que celles que l'expérience, Scl'ob-
fervation des chofes qui fe préfententàeux, excitent dans
leur Efprit; ce qui peut fuffire pour nous convaincre que
ces idées ne font point des cara£téres gravez originairement
•dans l'Ame.
§.3. S'il y a quelque Principe /«w/, c'efl, fans Contre- Preuve de u
dit , celui-ci , // ejl impojjible qu'une chofefoit & ne fat ™'^'™e vente,
pas en même temps. Mais qui pourra fe perfuader, ou qui
ofera foûtenir , que les idées à'impojjibilité èc d'identité
foient innées ? Eft-ce que tous les hommes ont ces Idées ,
Se qu'ils les portent avec eux en venant au Monde ? Se
trouvent-elles les premières dans les Enfans, & précèdent-
elles dans leur Efprit toutes leurs autres connoiflanccs ,
car c'eft ce qui doit arriver néceflairement , fi elles font
innées? Dira-t-on qu'un Enfant ait les idées à'impojjibilité
&c d'identité, avant que d'avoir celles du blanc ou du. noir,
du doux ou de Vamer , &c que c'eft de la connoiflance de
ce Principe qu'il conclut , que l'abfinthe dont on frotte
le bout des mammelles , n'a pas le même goût que celui
<[u'il avoit accoiitumé de fentir auparavant, lors qu'il tet-
I 2 toit?
68 §lu'il n'y a point
Ghap. toit? Eft-ce la connoiflance qu'il a , qu^tine chofeNepeM'
m. pas être & n'être pas en même temps , eft-ce , dis-je , k^
connoiflance aftuelle de cette Maxime qui fait qu'il di--
ftingue fa Nourrice d'avec un Etranger, qu'il aime celle-
là. Se évite l'approche de celui-ci? Ou bien, eft-ce que
l'Ame régie fa conduite. Se la détermination de fes juge-
mens , fur des idées qu'elle n'a jamais eues ? Et l'Enten-
dement tire-t-il des Conclufions de Principes qu'il n'ct'
point encore connus ni compris? Ces mots à'impojfibilité'
èc d'identité marquent deux idées , qui font û éloignées'
d'être innées èc gravées naturellement dans nôtre Âme,
que nous avons befoin , à ce que je croy , d'une grande-
attention pour les former comme il faut dans nôtre En-
tendement ; fie bien loin de naître avec nous , elles font
fi fort éloignées des penfées de l'Enfance fie de laprémié- .
re Jeuneflé, que fi l'on y prend bien garde , on trouve- .
ra, je penfe , qu'il y a bien des hommes faits à qui elles
font inconnues.
L'idée de 17- §-4- Si l'idée de l'Identité ("pour ne parier que dé cd--
jentiteneO. Ic-ci} cft naturelle, fie par conféquent fi évidente fie fi pré-
fomtmnee. {^j^^g à nôtrc Efprit , que nous devions la connoître dèS'
le berceau -, je voudrois bien qu'un Enfiint de fept ans j-
ou même un homme de foixante-dix ans , me dit , il un
homme qui eft une Créature compofée de corps fie d'ame,..
eft le .même , lorfque fon Corps eft changé ? fi Euphorbe
fie Pythngore qui avoient eu la même Ame , n'étoient qu'un ■
même homme quoy qu'ils eulTent vécu éloignez de plu-
fieurs fiécles l'un de l'autre ? Et-, fi le Coq dans lequel
cette même Ame pafla enfuite , étoit le même qu'Euphor-
be fie que Pythagore? Il paroîtra peut-être par l'embarras
oii il fera tie refoudre cette Qiieftion , que l'idée A'Identi-> .
te n'eft pas fi établie, ni i\ claire , pour mériter de pafler.
pour />/«fV. Or fi ces idées , qu'on prétend éxrcmHées ^
ne font ni aflez claires ni afl'ez diftinftes , pour être uni— .
verfellement connues, fie reçues naturellement , elles ne*
fauroient fervir de fondement à des veritez univerfellesfiC:
indubitables , mais elles feront au contraire une occafiorv
cer- .
de Prinvipes innez. Liv. I. 69
certaine d'une perpétuelle incertitude. Car fuppofë que C h a p.
rout le Monde n'ait pas la même idée de V identité que III.
Pythagore, £c mille de fes Seftaîeurs en ont eii ; quelle
eft donc la véritable idée de Vidcnîite, celle qui nous eft
naturelle , <3c qui eft proprement née avec nous ? ou bien,
y a-t-il deux idées à'idcnîitc , différentes l'une de l'autre,
qui font pourtant toutes deux innées ?
§.5. C'eft en vain qu'on repliqueroit à cela , que les
Queftions que je viens depropoiér fur V identité àç.Vhora-
me, ne font que de vaines fpéculations ; car quand cela
feroit, on ne laiileroit pas d'en pouvoir- conclurre, qu'il
n'y a aucune idée innée dcV identité dans l'Efprit des hom-
mes. D'ailleurs, quiconque confiderera , avec un peu
d'attention , la Refurreftion des Morts , où Dieu fera
fortir du Tombeau les mêmes hommes qui feront morts
auparavant, pour les juger &: les rendre heureux ou mal-
heureux félon qu'ils auront bien ou mal vécu dans cette
viej quiconque, dis-je, fera quelque reflexion fur ce qui
doit arriver alors à tous les hommes, avira peut-être aflez
de difficulté à déterminer en luy-même ee qui fait le mê-
me homme , ou en quoy confille V identité, &c n'aura gar-
de de s'imaginer que luy ou quelque autre que ce foit, &
les Enfans eux-mêmes , en ayent naturellement une idée
claire Ôcdiftintlre.
§. 6. Examinons ce Principe de Mathématique, L^ i^" ^dca Je
tout efi plus grand que fa partie. Je fuppofe qu'on le met ]Z^r^ti Join^
au nombre des Principes innez , êc je fuis afliiré qu'il peut umcss.
y être mis avec autant de railon , qu'aucun autre Princi-
pe que ce foit. Cependant perfonne ne peut regarder ce
Principe com.me inné, s'il confidéreque les idées dcTout
& de Partie qu'il renferme, font parfaitement relatives,
& que- les idées pofitives auxquelles elles fe rapportent
proprement & immédiatement , font celles à' Extenfiort
& de Nombre , dont ce qu'on nomme Tout & Partie ne
font que de fimples relations. De forte que , fi les idées
de Tout & de Partie étoient innées , il faudroit que celles
d'^xtenlion 6c de Nombre le fullént aulll , car il eft im>
1-3 polîl-
jnnec.
70 §lu'il n'y a point
'C H A p. poiïible d'avoir l'idée d'une Relation , fans eri avoir au-
III. cunc de la chofc même à laquelle cette Relation appar-
tient, 6c fur quoy elle eft fondée. Du relie, je lailTe à
examiner aux Partifans des Principes innez , û les idées
d'Extenfion & de Nombre font naturellement gravées dans
l'Ame de tous les hommes.
L'idc'e ilMo- §■ 7- Une autre vérité qui eft , fans contredit, l'une
ration n'cil: pas Jes plus importantes qui puifi'ent entrer dans l'Efprit des
Hommes &c qui mérite de tenir le premier rang parmi
tous les Principes de pratique , c'eft , Otie Dieu doit être
adore. Cependant elle ne peut en aiicune manière pafler
pour innée , à moins que les idées de Dieu & (X adoration
ne foient aufll innées. Or que l'idée ilgniliée par le ter-
me d'adoration , ne foit pas dans l'Entendement des En-
fans, comme un caractère originairement empreint dans
leur Ame , c'ell: dequoy l'on conviendra , je penfe , fort
aifément , fi l'on conlldere qu'il fe trouve bien peu d'hom-
mes faits qui en ayent une idée claire 6c diftincVe. Cela
pofé, je ne vois pas qu'on puifle imaginer rien de plus ri-
dicule que de dire, que les Enfans ont une connoifTance
innée de ce Principe de pratique , Dieu doit être adore ;
mais que pourtant ils ne favent point quelle eft cette ado-
ration qu'il-faut rendre à Dieu, en quoy conlifte tout leur
devoir. Mais fans appuyer davantage fiu- cela , pafTons
outre.
L'iiice ie Dieu §. g. Si aucunc idée peut être regardée comme innée ^
pw'" '"'on doit pour plufieurs raifons recevoir en cette qualité
l'idée de Dieu , préferablement à toute autre ; car il eft
difficile de concevoir comment il pourroit y avoir des
Principes de Morale mnez fans une iciee innée de ce qu'on
nomme Divinité ; parce qu'ôté l'idée d'un Legiflateur,
il n'eft plus pofîible d'avoir l'idée d'une Loy , 6c de fe
croire obligé de l'obferver. Or fans parler des Athées
dont les Anciens ont fait mention , 6c qui font flétris de
ce titre odieux fur la foy de l'Hiftoire , n'a-t-on pas dé-
couvert , dans ces derniers fiécles , par le moyen de la
Navigation , des Nations entières qui n'avoient aucune
ne
de Principes innsz. Liv. I. 71
id€e de Dieu , à (rt) la Baye de Soldanie , dans (ù) leBre- C h a p.
iH, 6c dans les (c) Iles Caribes , Sec. Voici ks propres III.
termes de Nicolas àd Tccho dans les Lettres qu'il écrit {^iJ^J^'" ^P"*^
*du Paraguai touchant la Converllon dçs Caaigues: Rc- rm^'^^î'&'o*
pen eamgentem (à) nulinm nomen habere qitod Deum , ^ vm^ton jif.
Honnnis animatn fignificet ^ 7tiillafacra haljet , nullâidola; ^^^'j^^^'^'^^'^'
c'elt-à-dire 3 „ )'ai trouvé que cette Nation n'a aucun (0 pansleB«-
„niot qui fignifie Dieu & TAme de l'Homme ; qu'elle 2^^p'--^^^^
„ n'obferve aucun culte religieux , & n'a aucune idole, trionlux par le
Et peut-être que H nous examinions avec foin la vie Scies ^^-/-^^ 1^1 Mam-
difcoUrs de bien des gens qui ne font pas fi éloignez y T'ExFÙaqM-
nous n'aurions que trop de fujet d'appréhender que dans ''"^ <^' caaigaa-
les Pais les plus civilifez il ne fe trouve plufieurs perfon- ^'"'--'-.V"'"^-
nes qui ont des idées fort roibles oc tort obicures cl une piex de rcbus
Divinité , Se que les plaintes qu'on fait en chaire du pro- |^"''"^'^ *^^//-
grès de l'Atheifme , ne font pas fans fondement. De " * '"'
forte que , bien qu'il n'y ait que quelques fcélerats en-
tièrement corrompus qui ayent l'impudence de l'avoùèr,
nous en entendrions , peut-être , beaucoup plus qui tien-
droient le même langage, fi la crainte de l'Epée du Ma-
giftrat j ou les cenfures de leurs voifins ne leur fermoient
la bouche -, tout prêts d'ailleurs à publier auffi ouverte-
ment leur Atheïfme par leurs difcours , qu'ils le font par
les déreglemens de leur vie , s'ils étoient délivrez de la
crainte du châtiment , 6c qu'ils euflent étouifé toute pu-
deur. .
§. 9. Mais fuppofé que tout le Genre Humain eut
quelque idée de Dieu dans tous les endroits du Monde,
(quoy que l'Hiftoire nous enfeigne dire£lement le con-
traire) il ne s'enfuivroit nullement de là que cette idée
fut tnnee. Car bien qu'il n'y eut aucune Nation qui ne
defignât Dieu par quelque nom , 6c qui n'eut quelques
notions obfcures de cet Etre fuprême , cela ne prouve-
rtoit pourtant pas que ces notions fu lient autant de carac-
tères gravez naturellement dans l'Ame > non plus que les-
mots de Feu , de Soleil, de chaleur , ou de nombre , ne
prouvent point que les idées que. ces mots fignifient ,
foienc
•p. Gît'il n'y a point
Chap. {oient innées , parce que les hommes connoiffent &: reçoi-
IIL vent univerfellement les noms Sz les idées de ces chofes.
•Comme au contraire, de ce que les Hommes ne défignent
Dieu par aucun nom, &c n'en ont aucune idée , on n'en
peut rien conclurre contre l'exiftence de Dieu , non plus
que ce ne feroit pas une preuve , qu'il n'y a pomt d'Ai-
mant dans le Monde, parce qu'une grande partie des
hommes n'ont aucune idée d'une telle chofe , ni aucun
nom pour la déilgner > ou bien, qu'il n'y a point d'Efpé-
ces différentes , &: diftindes d'Anges ou d'Etres Intelli-
gens au delfus de nous , par la raifon que nous n'avons
point -d'idée de ces Efpéces diftinftes , ni aucuns noms
pour en parler. Comme c'eft par le langage ordinaire
de chaque Pais que les hommes viennent à faire provi-
fion de mots , ils ne peuvent guère éviter d'avoir quel-
que efpéce d'idée des chofes dont ceux avec qui ils con-
verfent , ont fouvent occafion de les entretenir fous cer-
tiiiias noms: & fi c'eft une chofe qui emporte avec elle l'i-
dée d'excellence , de grandeur , ou de quelque qualité
extraordinaire, qui interefle par quelque endroit , ècqm
s'imprime dans l'efprit fous l'idée d'une puillance abfoluë
&: irréfillible qu'on ne puifTe s'empêcher de craindre , une
relie idée doit , fuivant toutes les apparences, faire de
plus fortes imprellions Se fe répandre plus loin qu'aucune
autre, fur tout fi c'eft une idée qui s'accorde avec les plus
fimples lumières de la Raifon , èc qui découle naturelle-
ment de chaque partie de nos connoiflances. Or telle eft
Vidée de Dien -, car les marques éclatantes d'une fagefié &:
d'une puiflance extraordinaires paroiflent fi vifiblemcnt
dans tous les Ouvrages de la Création , que toute Créa-
ture raifonnable qui voudra y faire une ferieufe reflexion,
ne fauroit manquer de découvrir l'Auteur de toutes ces
merveilles : &c l'imprellion que la découverte d'un tel E-
tre doit fliire necefiairement fur l'Ame de tous ceux qui
en ont entendu parler une feule fois , eft fi grande & en-
traîne avec elle une fuite de penfees d'un fv grand poids,
&: fi propres à fe répandre dans le Monde , qu'il me pa-
roit
de Principes innêz. L i v. I. 73
roît tout-à-fait étrange , qu'il puifîe fe trouver fur la Ter- C h a p..
re une Nation entière d'hommes, affez flupides pour n'a- III.
voir aucune idée de Dieu > cela, dis-je, me femble aulli
furprenant que d'imaginer des hommes qui n'auroient au-
cune idée des Nombres , ou du Feu.
§. 10. Le nom de Dieu ayant été une fois employé en
quelque endroit du Monde pour lignifier un Etre fuprê-
me, tout-puiiTant , tout-fige, &:inviiible> la conformi-
té qu'une telle idée a avec les Principes de la Raifon , 6c
l'intérêt des hommes qui les portera toujours à faire fou-
vent mention de cette idée , doivent la répandre nécefîai-
rement fort loin , & la faire paifer dans toutes les Géné-
rations fuivantes. Mais fuppofé que ce mot [oit générale-
ment connu j & que cette partie du Genre Humain , qui
eft peu accoutumée à penfer , y ait attaché quelques idées
imparfaites c^ chancelantes , il ne s'enfuit nullement de là
que l'idée de Dieu fait innée. Cela prouveroit tout au
plus, que ceux qui auroient fait cette découverte, fe fe-
roient fervis comme il faut de leur Raifon , qu'ils auroient
fait des réflexions ferieufes fur les Caufes des chofes Se les
auroient rapportées à leur véritable origine > de forte que
cette importante notion ayant été communiquée par leur
moyen à d'autres hommes moins fpéculatifs , 6c ceux-ci
l'ayant une fois reçue , il ne pouvoir guère arriver qu'elle
lie perdit jamais plus.
§. 1 1. C'eft là tout ce qu'on pourroit conclurre de l'i- QyeliJceJc
dée de Dieu, s'il étoit vrai qu'elle fe trouvât univerfelle- p*-'^ "'«ft P°'n''
ment répandue dans l'Efprit de tous les hommes , ôrqu'el-
le fi-it généralement reçue , dans tous les Pais du Monde,
de tout homme qui feroit parvenu à un dge mûr ; car le
confentement général de tous les hommes à reconnoître
un Dieu , ne s'étend pas plus loin , à mon avis. Qiie fi
l'on foûtient qu'un tel confentement fuffit pour prouver
que l'idée de Dieu eft innée , on en pourra tout aiifîi bien
conclurre que l'idée du Feu eft innée j parce qu'on peut,
à ce que je croy , affùrer pofitivement qu'il n'y a perfon-
iie dans le Monde, qui ait quelque idée de D/>«, qui n'ait
K aulîi
74 ^''i^ «'y ^ point
C H A P. aufli l'idée du Feif. Or je fuis certain qu'une Colonie de
III. jeunes Enfans qu'on enverroit dans une lie oii li n'y au-
roit point de feu , n'auroient abfolument aucune idée du
feu, ni aucun nom pour le dëfigner, quoy quccefutune
ch(.fe généralement connue par tout ailleurs. Et peut-être
ces Enfans feroient-ils aullî éloignez d'avoir aucun nom
ou aucune idée pour exprimer la Divinité, jufqu'à ce que
quelqu'un, d'entr'eux eût appliqué fonEfprità laconlide-
ration de ce Monde & des caufes de tout ce qu'il contient,
par oii il parviendroit aifément à l'idée d'un Dieu. Après
quoy, il n'auroit pas plutôt fait part aux autres de cette
découverte, que la Raifon de le penchant naturel qui les
porteroit à occuper leurs penfees d'un tel Objet, la repan-
droient enfuite, 6c la provigneroient, pour ainli dire, au
milieu d'eux.
iieftconvena- §. 12. Mais OU réplique à Cela quc c'cft unc cliofc cou-
cLu'.^quTLfy^^'^^'^l^ à la Bonté de Dieu , d'imprimer dans l'Ame des
les hommes a^int kommcs y dcs caYaBércs éf' des idées de Itiy-meme , pour ne
uneidéedtcet jgg «^^ laifîcr dans les ténèbres & dans l'incertitude à l'é-
votscDierut gatcl cl uu article qui les touche de li près , comme aulli
granii cette Me pour s'aflurcr à luy-même les refpeds & les hommages
tZlusZlnmts.'^^'^^'^^ Créature intelligente, telle que l'homme, eilobli-
Reponfeà cette gce de luy tendre. D'où l'on conclut qu'il n'a pas man-
ohjca.ou. q^^^ j^ jg ^^j^^
Si cet Argument a quelque force , il prouvera beaucoup
plus que ceux qui s'en fervent en cette occalion , ne fe
• l'imaginent. Car fi nous pouvons conclurre que Dieu a
fait pour \^i hommes , tout ce que les hommes jugeront
leur être le plus avantageux , parce qu'il ell convenable
à fa Bonté cî'en ufer ainfi ; il s'enfuivra de là , non feule-
ment que Dieu a imprimé dans l'Ame des hommes une
idée de Luy-même, mais qu'il y a empreint nettement 6c
en beaux caractères tout ce que les hommes doivent i"a voir
ou croire de cet Etre fuprême , tout ce qu'ils doivent
faire pour obéir à fes ordres , 6c qu'il leur a donné une vo-
lonté 6c des afleîlions qui y font entièrement conformes >
car tout le Monde conviendra fans peine , qu'il ell beau-
coup
àe Principes innez. Liv. I. 75
coup plus avantageux aux hommes de fe trouver dans cet C h a p,
état, que d'être dans les ténèbres j à chercher la lumière III.
êc la connoifTance comme à tâtons, ainfi que S. Paid nous
repréfente tous les Gentils , yl^-. XVII. 27. & que d'é-
prouver une perpétuelle oppofition entre leur Volonté &:
leur Entendement , entre leurs Paillons & leur Devoir.
Je croy pour moy , que c'efl raifonner fort jufte que de
dire. Dieu qui ejl infiniment [âge , a fait une chofe d'une
telle manière ; 'Donc elle efi: trh-bien faite. Mais il me fem-
ble que c'eft préfumer un peu trop de nôtre propre figef-
fe, que de dire, Je croy qtte cela feroit mieux ainfi ; Donc
Dieu l'a ainfi fait. Et à l'égard du point en queftion, c'eft
en vain qu'on prétend prouver fur ce fondement , que
Dieu a gravé certaines idées dans l'Ame de tous les Hom-
mes ; puifque l'expérience nous montre clairement qu'il
ne l'a point fait. Mais Dieu n'a pourtant pas néglige les
hoiîimes, quoy qu'il n'ait pas imprimé dans leur Ame ces
idées &: ces caraftéres originaux de connoiflance -, parce
qu'il leur a donné d'ailleurs des Facultez qui fuffifent
pour leur faire découvrir toutes les chbfes néceflaires à un
Etre tel que l'Homme , par rapport à fa véritable dcfti-
nation. Et je me fais fort de montrer , qu'un homme
peut , fans le fecours d'aucuns Principes innez , parvenir
a la connoiflance d'un Dieu Se des autres chofes qu'il luy
importe de connoître , s'il £iit un bon ufage de fes Facul-
tez naturelles. Dieu ayant doué l'Homme des Facultez
de connoître qu'il poflede , n'étoit pas plus obligé par fa
Bonté , à graver dans fon Ame les Notions innées dont
nous avons parlé jufqu'ici , qu'à luy bâtir des Ponts, ou
des Maifons, après luy avoir donné la Raifon, des mains
& des matériaux. Cependant il y a des Peuples dans le
Mond£, qui quoy qu'ingénieux d'ailleurs, n'ont ni Ponts
ni Maifons , ou qui en font fort mal pourvus > comme
il y en a d'autres qui n'ont abfolument aucune idée de
Dieu ni aucuns Principes de Morale , ou qui du moins
n'en ont que de fort mauvais. La raifon de cette igno-
rance, dans ces deux rencontres, vient de ce que les uns
K 2 &
7^ ^i'il ny a point'
C H A p. & lies autres n'ont pas employé leur Efprit , leurs Facu^
m. tez, & leurs for ces, avec toute l'induftrie dont ils étoient
capables , mais qu'ils fe font contentez des opinions , des
coutumes & des ufages établis dans leurs Païs fans regar-
der plus loin. Si vous ou moy étions nez dans la Baye de
Soldaîiie , nos penfées Se nos idées n'auroient pas été peut-
être plus parfaites , que les idées & les penfées grolîîéres
des Hottentots qui y habitent ; èc fi Apochauca7ia Roy
de la Virginie , eût été élevé en Angleterre , peut-être
auroit-il été aufli habile Théologien &" auffi grand Ma-
thématicien que qui que ce foit dans ce Royaume. Tou-
te la dilférence qu'il y a entre ce Roy , 6c un Angloisplus
intelligent, conîlilc limplement en ceci, c'eil que l'exer-
cice de fes Facultez a été borné aux manières , aux ufages
&r aux idées de fon Pais , fans que fon Efprit ait été ja-
mais pouffé plus loin , m appliqué à d'autres recherchesj
de forte que s'il n'a eu aucune idée de Dieu , ce n'eft que
pour n'avoir pas fuivi le fil des penfées qui l'y aiuoient
conduit infailliblement.
jLcsidcesdc §-i3- Jecouvicns, que s'il y avoit aucune idée, natu-
Dicufon: diffe- rellemcut empreinte dans l'Arne des Hommes , nous au-
leutes en diftc- . .^ J . * .- • i,-j' j /-> i •
rentes ferfon- Tions railou de croire , que ce leroit 1 idée de Celui qux
«>«• les a faits , laquelle feroit comme une marque que Dieu
auroit imprimé luy-même fur fon propre Ouvrage, pour
faire fouvenir les hommes qu'ils font dans fa dépendance,
èc qu'ils doivent obéir à fes ordres. C'eft par là , dis-je,
que devroient éclatter les premiers rayons de la connoif-
fance humaine. Mais combien fe pafle-t-il de temps , a-
vant qu'une telle idée puiflé paroître dans les Enfans? Et
lors qu'on vient à la découvrir ^ qui ne voit qu'elle ref-
femble beaucoup plus à une opinion ou à une idée qui
vient du Maître de l'Enfant, qu'à une notion qui repre-
fente direftement le véritable Dieu ? Qiiiconque obferve-
ra le progrès par lequel les Enfans parviennent à la con-
noiflance qu'ils ont, ne manquera pas de rcconnoître ,
que les Objets qui fe préfentent premièrement à eux , &c.
avec qui ils ont , pour ainfi dire , le plus de familiarité y
font
de Principes itmez. Liv. T. 77
font les premières imprcllions dans leur Entendement , C h a p.
fans qu'on puifle y trouver la moindre trace d'aucime au- III.
tre impreflion que ce foit. Il eft aifé de remarquer , ou-
tre cela j comment leurs penfées ne s'augmentent qu'à
mefure qu'ils viennent à connoître une plus grande quan-
tité d'Objets fenfibles , à en confervcr les idées dans leur
Mémoire, & à lé faire une habitude de les aflémbîer, de
les étendre &c de les combiner en différentes manières. Te
montrerai dans la fuite, comment par ces différens moyens
ils viennent à former dans leur Efprit l'idée d'un Dieu.
§.' 14. Peut-on fe figurer que les idées que les Hom-
mes ont de Dieu, foient autant de caractères de cet Etre
fupréme qu'il ait gravez, dans leur Ame, de fon propre
doigt , quand on voit que dans un même Pais , les hom-
mes qui le délignent par un feul & même nom , ne laif-
fent pas d'en avoir des idées fi différentes > fouvent con-
traires, & entièrement incompatibles? Dira-t-on qu'ils
ont une idée innée de Dieu, dès-là feulement qu'ils s'ac-
cordentfurle nom qu'ils luy donnent ?
§. 1'^. Mais quelle vraye ©u même fupportable idée,
de Dieu pourroit-on trouver dans. l'Efprit de ceux c|ui.
reconnoi {foient & adoroient deux ou trois cens Dieux?
Dès-là qu'ils en reconnoiflbient .plus d'un , ils faifoient
voir d'une manière claire & inconteftable , que Dieu leur
étoit inconnu , & qu'ils n'avoient aucune véritable iô.cQ
de cet Etre fuprême, puifqu'ils luy ôtoient ft/w^V/, Vln-
jinité y èc V Eternité. Si nous ajoutons à cela les idées
grolîiéres qu'ils avoient d'un Dieu corporel, idées qu'ils^,
exprimoient par les Images Se les repréfentations qu'ils
Êiifoient de leurs Dieux ; il nous confidcrons les amours ,
les mariages, les impudicitez , les débauches , les que-
relles , & les autres baflelfes qu'ils attribuoient à leurs
Dieux ; quelle raifon pourrons-nous avoir de croire que.
le Monde Payen , c'elt à dire , la plus grande partie da
Genre Humain , ait eu dans l'Efprit des idées de Dieu s,
que Dieu luy-même ait eu foin d'y graver, de peur qu'ils. '
ne tonibaiTent dans l'erreur fur fon fujet ? Que fi ce con-
K 3 fea=»-
78 §U*'il ny a point
C H A p. fcntement univerfel qu'on prefle fi fort, prouve qu'il y a
111. quelque idée innée de Dieu , elle ne lignifiera autre cho-
fej finon que Dieu a grave dans l'Ame de tous les hom-
mes qui parlent le même Langage , un nom pour le dé-
flgner , mais fans attacher à ce nom aucune idée de Luy-
mcme -, puifque ces Peuples qui conviennent du nom ,
ont en même temps des idées fort différentes touchant la
chofe iignifiée. Si l'on m'oppofe, que par cette diverilté
de Dieux que les Payens adoroient, ils n'avoientcnveûé
que d'exprimer figurément les différens attributs de cet
Etre incomprehenfible , ou les différens emplois de fa
Providence, je répons , que fans m'amufer ici à recher-
cher ce qu'étoient ces différens Dieux dans leur première
origine , je ne crois pas que perfonne ofe dire , que le
Vulgaire les ait regardez comme delimples attributs d'un
feul Dieu. Et en effet , fans recourir à d'autres témoi-
gnages, on n'a qu'à confulter le Voyage de l'Evéque de
Beryte fchap. 13.} pour être convaincu que la Théologie
des Siamois admet ouvertement la pluralité des Dieux ,
ou plutôt, comme le remarque judicieufement V Abbé de
Choify dans fon * Journal du Voyage de Stam , qu'elle
confifte proprement à ne reconnoître aucun Dieu.
§. lé. Si l'on dit , que parmi toutes les Nations du
Monde les fages ont eii de véritables idées de VL'nité &
^cVInfniîé de DieUi j'en tombe d'accord. Mais fur cela
je remarque deuxchofcs.
La première, c'eft que cela exclut l'univerfalitédecon-
fentement en tout ce qui regarde Dieu, excepté le nom -,
car ces fages étant en fort petit nombre , un peut-être entre
mille, cette univerfalité fe trouve refferréedans des bornes
fort étroites.
Je dis en fécond lieu , qu'il s'enfuit clairement de là
que les idées les plus parfaites que les Hommes ayent de
Dieu, n'ont pas été naturellement gravées dans leur Ame,
mais qu'ils les ont acquifcs par leur méditation , S>: par
un légitime ufage de leurs Facultez , puilqu'en différens
Lieux du Monde les perfonnes fages &c appliquées à la re-
cher-
•P,--
àe Principes innez. Liv. I. y^
cherche de la Vérité , fe font fiiit des idées juftes fur ce C h a p.
point , aulîl bien que fur pkifieurs autres , par le foin 111,
qu'ils ont pris de faire un bon ufage de leur Raifon ; pen-
dant que d'autres croupifîant dans une lâche négligence,
Q>c c'a toujours été le plus grand nombre) ont formé
leurs idées au hazard j fur la commune tradition , & fur
les notions vulgaires , fans fe mettre fort en peine de les
examiner. Ajoutez à cela , que fi l'on a droit de con-
clurre que Vidée de Dieu foit innée , de ce que tous les
gens fages ont eu cette idée ; la Vertu doit aufli être innée,
parce que les gens figes en ont toujours eu une véritable
idée.
Tel étoit vifiblement le cas où fe trouvoient tous les
Payens : &c quelque foin qu'on ait pris parmi les Juifs,
les Chrétiens Se les Mahometans , qui ne reconnoiffent
qu'un feul Dieu, de donner de véritables idées de ce Sou-
verain Etre , cette Doctrine n'a pas fi fort prévalu fur
l'Efprit des Peuples, imbus de ces différentes Religions,
pour faire qu'ils ayent uneveritable idée de Dieu 8c qu'ils
en ayent tous la même idée. Combien trouveroit-on de
gens, même parmi nous , qui fe rcpréfentent Dieu aihs
dans les Cieux fous la figure d'un homme , &z qui s'en
forment plufieurs autres idées abfurdes & tout-à-fait in-
dignes de cet Etrefouverainement parfait? Il y a eu par-
mi les Chrétiens , aulîî bien que parmi les Turcs , des
Se£tes entières qui ont foûtenu fort lérieufement que Dieu
étoit corporel, & de forme humaine} &c quoy qu'àpré-
fent on ne trouve gueres de perfonnes parmi nous , qui
faffent profellion ouverte d'être Anthropomorphites ,(j'Qn
ai pourtant vu qui me l'ont avoué} je croy que qui vou-
droit s'appliquer à le rechercher , trouveroit parmi les
Chrétiens ignorans 6c malinftruits, bien des gens de cet-
te opinion. Vous n'avez qu'à vous entretenir fur cet ar-
ticle avec le fimple Peuple de la campagne, fans prefque
aucune diflindtion d'âge, êc avec les jeunes gens fans fai-
re prefque aucune différence de condition. Se vous trou-
verez que , bien qu'ils ayent fort fouvent le nom de
Dl£U
8o C^n'il ny a point
C H A p. Dieu dans la bouche , les idées qu'ils attachent à ce
III. mot , font pourtant fi étranges , H grotefques , Il baflés
& û pitoyables ; que perfonne ne pourroit fe figurer qu'ils
les ayent apprifes d'un homme railbnnable , tant s'en faut
que ce foient des caraftéres qui ayent été gravez dans
leur Ame par le propre doigt de Pieu. Et dans le fonds,
je ne vois pas que Dieu déroge plus à fa Bonté, en n'ayant
point imprimé cians nos Ames des idées de Lu y-même ,
qu'en nous envoyant tout nuds dans ce Monde fins nous
donner des habits , ou en nous faifant naître fans la con-
noiffance innée d'aucun Art. Car étant douez des Fa-
cultez néceflaires pour apprendre à pourvoir nous-
mêmes à tous nos befoins , c'eft faute d'induftrie 6c
d'application, de nôtre part, & non im défaut de Bonté,
de la part de Dieu , li nous en ignorons les moyens. Il
ell au m certain qu'il y a un Dieu , qu'il eft certain que
les Angles oppofez qui fe font par l'interfeftion de deux
lignes droites, Jont égaux. Et il n'y eut jamais de créa-
ture raifonnable qui fe foit appliquée fincerement à exa-
miner la vérité de ces deux Propolitions qui ait manqué
d'y donner fon confentement. Cependant il eft hors de
doute , qu'il y a bien des hommes qui n'ayant pas tour-
né leurs penfées de ce côté-là , ignorent également ces
. deux veritez. Qiie fi quelqu'un juge à propos de don-
ner à cette difpofitionoii font tous les hommes de décou-
vrir un Dieu , s'ils s'appliquent à rechercher les preuves
de fon exiftencc, le nom de Confentement univerfel , qui
fûrement n'emporte autre chofe dans cette rencontre, je
ne m'y oppofe pas. Mais un tel Confentement ne fert
non plus à prouver que l'idée de Dieu foit innée , qu'il
le prouve à l'égard de l'idée de ces Angles dont je viens
de parler.
Si l'idcc de §. 17. Puis donc que , quoy que la connoifiance de
•Dieu ii'eft pas j)- ^^ ç^^^ p^^j^ j découvertes qui fe prcfcntent le plus
ïiinee, aucune v 1 tt, • ,- i • li- • 1 r-
autre idée ne naturellement a la Kailon humanie , 1 idée de cet htre
peut être rcgar- fi,prême n'cft pourtant pas innée , comme je viens de le
.dce en cette ^ i i ■ j ^
.qiuiiK. montrer évidemment, u je ne me trompe ^ je croyqu on
aura
C H ,V p.
111.
de Trinci^es innez. Lrv. I. 8i
aura de la peine à trouver aucune autre idée qu'on ait
droit de faire paiïer pour innée. Car fiDieu eût imprimé
quelque caradére dans l'Efprit des hommes , il eiî plus
raifonnable de penfer que ç'auroit été quelque idée claire
&: uniforme de Luy-même , qu'il auroit gravée profon-
dément dans nôtre Ame, autant que nôtre foible Enten-
dement elt capable de recevoir TimpreHion d'un Objet in-
fini & qui eft fi fort au deffus de nôtre portée. Puis donc
que nôtre Ame fe trouve , d'abord , fans cette idée , qu'il
nous importe le plus d'avoir, c'eft là une forte préfomp-
tion contre tous les autres caraftéres qu'on vcudroit fau-e
paflér pour innés:;. Et pour moy , je ne puis m'empêcher
de dire que je n'en faurois voir aucun de cette eipéce ,
quelque foin que j'aye pris pour cela , & que je ferois
bien aife que quelqu'un voulut m'apprendre fur ce point,
ce que je n'ai pu découvrir de moy-même.
§. i8. T'avoue qu'il v a une autre idée qu'il feroit o-é- L■idc'^c^eIa/■»#-
neralement avantageux aux nommes d avoir , parce quCi^nee,
c'eft le fiijet général de leurs difcours , oîi ils font entrer
cette idée comme s'ils la connoiflbient efte£tivement ; je
veux parler de l'idée de Izfiibjlance , que nous n'avons ni
ne pouvons avoir par voye de fenfation , ou de re flexion.
Si la Nature fe chargeoit du foin de nous donner quelques
idées, nous aurions fujet d'efperer, que ce feroient celles
que nous ne pouvons point acquérir nous-mêmes par l'u-
fage de nos Facultez. Mais nous voyons au contraire ,
que , ' parce que cette idée ne nous vient pas par les mê-
mes voyes que les autres idées , nous ne la connoifTons du
tout point, d'une manière diftinftej de forte que le mot
de ftibjiânce n'emporte autre chofe à nôtre égard , qu'un
certain fujet indéterminé que nous ne connoifibns point ,
c'eft à dire , quelque chofe , dont nous n'avons aucune
idée particuhére, diftincte&pofitive, mais que nous re-
gardons comme le *yô«f/>» des idées que nous coniK)iffons.
L §.19.
* '^uhjlramm : L'Auteur a employé ce
mot Litin Jans cet endroit , ne croyant pas
trouver un mot Angloi'î qui exprimât fi
bien fa peule'e. Le îiançois n'eu fournit
pas non plus de fi propre, à mon avis ; c'eft-
pourquoy je le conferve ici pour faire mieux
comprendre ce que j'ai mis dans le Texte.
82 Gin' H n-y a point
C H A p. §-19. Qiioy qu'on dife donc des Prinripes inm^ , tant
III. de ceux qui regardent la. fpécnlation que de ceux qui ap-
Nuiks propofi- partiennent à la pratique ; on feroit aufli bien fondé à foù-
tions ne peuvent fenir qu'un homme auroit cent francs dans flx poche , ar-
errc innées par- '■ , a ,., „'■.,.
ce qu'il n'y a g^nt Comptant , quoy qu on mat qu il y eut m denier ,
point d'idces ni fou , ni écu, ni aucune pièce de monnoyc qui pûtflii-
n^ès.°'^"' '" ^^ cette fomme , on feroit , dis-je , tout aulTi bien fondé
à dire cela, qu'à fe figurer, que certaines Propolltions
font innées y quoy qu'on ne puille fuppofer en aucune ma-
nière, que les idées dont elles font compofées, foient/«-
nées. Du relie , le confentement général qu'on donne
à ces Propofitions , ne prouve nullement que les idées
qu'elles contiennent , foient innées , car en plufieurs ren-
contres d'oii que viennent les idées , on reçoit néceflaire-
ment des Propofitions qui expriment la convenance ou la
difcom'enance de certaines idées. Qtiiconque a , par exem-
ple , une véritable idée de Dieu fie du culte qu'on lu y
doit rendre , donnera fon confentement à cette Propofi-
tipn, Dieu doit être fer'vi , fi elle eft exprimée dans un
Langage qu'il entende : & tout homme raifonnable qui
n'y a pas fait reflexion aujourd'huy , fera prêt à la rece-
voir demain fins aucune difficulté. Or nous pouvons fort
bien fuppofer qu'un million d'hommes , manquent au-
jourd'huy de l'une de ces idées ou de toutes deux enfem-
ble. Car pofé le cas que les Sauvages 5c la plus grande
partie des Pailans ayent effeclivement des idées de Dieu
ik: du culte qu'on luy doit rendre , ("ce qu'on n'ofera ja-
mais foûtenir , fi on entre en converfition avec eux lur
ces matières) je croy du moins qu'on ne fauroit fuppofer
qu'il y ait beaucoup d'Enfans qui ayent ces Idées. Cela
étant, il faut que les Enfans commencent à les avoir dans
\\x\ certain temps, quel qu'il foitj & ce feraalors, qu'ils
commenceront aulîl à donner leur confentement à cette
PtopolTtion , &: à n'en douter jamais plus. Mais un tel
confentement donne à une Propofition dès qu'on l'entend
pour la première fois , ne prouve pas plus , que les idées
qu'elle contient , font mnéis ^ qu'il prouve qu'un aveugle
de
de Principes inne^. Liv. I. 8^
de naifîance à qui on lèvera demain les cataracl'cs , avoit C h: A p,
des idées innées du Soleil, de la Lumière, du Saffran , ou III.
du Jaune, parce que dès que fa veûë fera éclaircie, il ne
manquera pas de donner fon confentement à ces deux Pro-
pofitions , Le Soleil ejî Inmineux , Le Sfifprnn ejl jaune. Or
Il un tel confentement ne prouve point, que les idées dont
ces Propofitions font compofées , foient/w«m, il prouve
encore moins que les Propofitions le fuient. Qiie fi quel-
qu'un a des idées innées , je ferois bien aife qu'il voulut
prendre la peine de me dire , quelles font ces Idées , 6c
combien il en connoit de cette efpéce.
§. 20. A quoy j'ajouterai, que s'il y a des Idées innées y iin'yapomc
qui foient dans l'Efprit fms que l'Efprit y penfea£tuelle- j^'î^^f ?!'"' ■
ment , il fiut , du moins , qu'elles foient dans la Memoi- re.
re d'où elles doivent être tirées par voye de .ieminifcen-
ce, c'eft à dire, être connues, lors qu'on en rappelle le
fouvenir, comme autant de perceptions qui ayent été au-
paravant dans l'Ame -, à moins que la Reminifcence ne
puiffe fubfilter fans reminifcence. Car fe reflbuvenir d'u-
ne chofe , c'eil l'apperccvoir par mémoire ou par une
convittion intérieure qui nous perfuade cjue nous avons
eii auparavant une connoifîance ou une perception par-
ticulière de cette chcfe. Sans cela, toute idée qui vient
dans l'Efprit , eft nouvelle , & n'eft point apperçuë
par voye de reminifcence , car cette perfuafion où Ton
eft intérieurement qu'une telle idée a été auparavant
dans nôtre Efprit, eft proprement ce qui diftingue la re-
minifcence de toute autre voye de penfer. Toute idée
que l'Efprit n'a jamais apperçué, n'a )amais été dans l'Ef-
prit ; & route idée qui eft dans l'Efprit , eft ou une per-
ception atluelle , ou bien ayant été adluellement apper-
çué, elle eft en telle forte dans l'Efprit, qu'elle peut re-
devenir une perception a£tuelle par le moyen de la Mé-
moire. Lors qu'il y a dans l'Efprit une perception aftuel-
le de quelque idée fans mémoire , cette idée paroît tout-
à-fait nouvelle à l'Entendement : èc lorfque la Mémoire
rend quelque idée ai^uellement préfente à l'Efprit , c'eft
L 2 en
84- ^n'^l ny a point
C H A p. en faifaiit fentir intérieurement , que cette idée a été aèluef-
III. lement dans l'Efpiit , & qu'elle ne luy etoit pas tout-à-
fiiit inconnue, j'en appelle à ce que chacun obferve en-
foy-même , pour favoir 11 cela n'eft pas ainfi ; fie je vou-
drois bien qu'on me donnât un exemple de quelque idée,
prétendue innée , que quelqu'un pût rappeller dans fon
Efprit comme une idée qu'il auroit déjà connue avant que
d'en avoir reçu aucune impreOl'jn par les voyes dont nous
parlerons dans la fuite ; car encore im coup , fans ce fen-
timent intérieur d'une perception qu'on ait déjà eùë , il
n'y a point de reminifcence , &:on ne fauroit dire d'aucu-
ne idée qui vient dans TEfpritflms cette conviftion, qu'on
s'en refTouvienne , ou qu'elle forte de la Mémoire , ou'
qu'elle foit dans l'Efprit avant qu'elle commence de fe
montrer actuellement à nous. Lors qu'une idée n'eft pas
actuellement prefente à l'Efprit , oucnreferve, pourain-
iî dire , dans la Mémoire , elle n'eft du tout point dans
l'Efprit, & c'eft comme il elle n'y avoit jamais été. Sup-
pofons un Enfant qui ait l'ufage de fes yeux jufqu'à ce
qu'il connoifle & diltingue les Couleurs , mais qu'alors.
les cataractes venant à fermer l'entrée à la lumière, il foit
quarante ou cinquante ans, fans rien voir abfolument, &
que pendant tout ce temps-là il perde entièrement le fou-
venir des idées des couleurs qu'il avoit eues auparavant.
C'etoit là juftement le cas ou fe trouvoit un aveugle au-
quel j'ai parle une fois, qui dès l'enfance avoit ete privé
de la veûë par la petite vérole, &:n'avoit aucune idée des
Couleurs, non plus qu'un Aveugle-né. Je demande fi un
homme dans cet etat-là , a dans l'Efprit quelque idée des
Couleurs, plutôt qu'un Aveugle-né ? Et je ne croy pas
que perfonne d'fe que l'un ou l'autre en ayent abfolument
aucune. Mais qu'on levé les cataractes de celui qui eft
devenu aveugle , il aura de nouveau des idées des Cou-
leurs, qu'il ne fe fouvient nullement d'avoir ci'iés,&: que
la veùè qu'il vient de recouvrer , fait paflér dans fbn Ef-
prit, fans qu'il foit convaincu en luy-mcme d'avoir con-
nu auparavant ces fortes d'idées, A prcfcnt il peut les
rap-
(le Printipes injîcz. Erv. I. 85
rappeller Ce fe les rendre comme préfentes à rEfprit au Chap;.
milieu des ténèbres. Et c'eft dans ce cas-là qu'on dit de IIl.
toutes ces idées des Couleurs qu'on peut rappeller dans
fon Efprit quoy qu'elles ne foient p.is prefentes aux yeuxj
qu'étant dans la Mémoire elles font aulli dans l'Efprit.
D'où je conclus, Que toute idée qui eil dans l'Efprit ians
être aduellement préfente à l'Efprit , n'y elt qu'entant
qu'elle eft dans la Mémoire : Qiie "fi elle n eft pas dans la
Mémoire, elle n'eft point dans l'Efprit} 6c Qiieficlleell
dans la Mémoire, elle ne peut devenir actuellement pre-
fente à l'Efprit , fans une perception qui fliflé connoîrrc
que cette idée procède de la Mémoire, c'eft à dire qu'on
l'a auparavant connue , &: qu'on s'en reflbuvient préfen-
tement. Si donc il y a des idées innées 3 elles doivent ê-
tre dans la Mémoire , ou bien on ne fiuroit dire qu'elles
foient dans l'Efprit; &: fi elles font dans la Mémoire, el-
les peuvent être retracées à l'Efprit fans qu'aucune im-
preilion extérieure précède ; &: toutes les fois qu'elles fe
préfentent à l'Efprit , elles produilént un fentiment de
reminifcence , c'eft-à-dire qu'elles portent avec elles une
perception qui convainc intérieurement l'Efprit, qu'elles
ne luy font pas entièrement nouvelles. Telle étant la
différence qui fe trouve conilamment entre ce qui eil &
ce qui n'eit pas dans la Mémoire ou dans l'Efprit ; tout
ce qui n'eft pas dans la Mémoire, eft regardé comme une
choie entièrement nouvelle, &quiétoit auparavant tout-
à-fait inconnue, lors qu'il vient à fe préfenter à l'Efprit:
au contraire, ce qui eft dans la Mémoire ou dans l'Efprit,
ne paroit point nouveau , lors qu'il vient à paroître par
l'intervention de la Mémoire , mais l'Efprit le trouve en
luy-méme, & connoit qu'il y etoit auparavant. On peut
éprouver par là s'il y a aucune idée dans l'Efprit avant
l'impreflion faite par Senjation , ou par Réflexion. Du
refte, je voudrois bien voir un homme, qui étant parve-
nu à l'âge de raifon , ou dans quelque autre temps que
cefoit, fe reftbuvint de quelqu'une de ces Idées qu'on
prétend èixc innées ; ôc auquel elles n'auroientjarriais paru
L 3 nou-
86 §ln'il n'y a point
C H A p. nouvelles depuis fa naidance. Qiie fi quelqu'un veutfoù-
III. tenir qu'il y a dans l'Efprit des Idées qui ne font pas dans
la Mémoire, je le prierai de s'expliquer , 6c de me faire
comprendre ce qu'il veut dire.
Le5 Principes §. 2 I . Outre cc quc j'ai déjà dit, il y a une autre rai-
qu'on veut faire f^^ • ^^^ £^jj doutcr fi ccs Principcs Que je viens d'exa-
pallcr pour ;n- . T r ■ /- • i i
!Hi,, neieionc miner, OU quelque autre que ce loit, iont véritablement
pas, parce qiiMs^^j^f^ Etant pleinement convaincu que Dieu qui eft
font de peu d'u- . ^ . ^ '■ , ■ r ■ ■ r ^ C ■
fat;e, ou d'une infiniment lage , n a rien rait qui ne foit parraitement
ëv'idcncc peu couformc à fon infinie fageffe , je ne faurois voir pour-
lîuiibk. quoy l'on devroit fuppofer , que Dieu imprime certains
Principes univerfels dans l'Ame des hommes ; puifque
les Principes de fpccnlation qu'on prétend être innez , ne
font pas d'un fort grand ufage, & que ceux qui concernent
la pratique , ne font point évidens par eux-mêmes -, cr que
les uns ni les autres ne peuvent être difiinguez de quelques
autres veritez qui ne font pas reconnues pour innées. Car
pourquoy Dieu auroit-il gravé de fon propre doigt dans
l'Ame des Hommes, des caratteres qui n'y paroifîent pas
plus nettement , que ceux qui y font introduits dans la
fuite , ou qui même ne peuvent être diftinguez de ces
derniers ? Que fi quelqu'un croit qu'il y a effectivement
des Idées &: des Propofitions innées, qui par leur clarté
fie leur utilité peuvent être diftinguées de tout ce qui
vient de dehors dans l'Efprit , & dont on a une connoif-
fance acquife ; il n'aura pas de peine à nous dire quelles
font ces Propofitions &: ces Idées -, &c alors tout le mon-
de fera capable de juger , fi elles font véritablement /«-
nées ou non. Car s'il y a de telles idées qui foient vifi-
blement différentes de toute autre perception ou connoif-
fance, chacun pourra s'en convaincre par Uiy-même. J'ai
deja parlé de l'évidence des Maximes qu'on fiippofc in-
nées, &: j'aurai occafion de parler plus au long de leur u-
tilité.
LadifFc'rence §-22. Pout conclurre ; il y a quclqucs Idées qui fe
des découvertes prtffentent d'abord comme d'e'les-mêines à l'Entende-
LoLmè" , "de- ment de tous les Hommes , &: certaines véritez qui re-
ful-
de Principes itmez. Liv. I. 87
Inltent de quelques Idées dès que l'Efprit joint ces idées C h a p.
enfemble pour en faire des Propofirions. Il y a d'autres III.
véritez qui dépendent d'une fuite d'idées , difpofées en P""d ^^ '^'ff^'-
ordre , de Icxadte comparailon qu on en fait , 6c de cer- f,„„ ^% 'i,^,^
taines déductions faites avec application , fins quoy l'on Ficuitez.
ne peut les découvrir ni leur donner fon corifentement.
Certaines véritez de la première efpéce ont été regar-
dées mal à propos comme innées , parce qu'elles font re-
çues généralement & fuis nulle peine. Mais la vérité eft ,
que les Idées , quelles qu'elles ibient , ne font pas plus
nées avec nous, que les Arts &c les Sciences j quoy qu'il
y en ait effedlivement quelques-unes qui fe préfcntcnt
plus aifément à nôtre Efprit que d'autres , & qui par
conféquent font plus généralement reçues , bien qu'au
refte elles ne viennent à nôtre connoiflance , qu'en con-
féquence de l'ufage que nous faifons des Organes de nô-
tre Corps Se des Facultez de nôtre Ame : Dien ayant
donne aux hommes des facilitez ér des moyens , four décoii-
vrir , recevoir (ér retenir certaines veritez, jelon qiCils fe
fervent de -ces facultez cr de ces moyens dont il les a pour-
vus. L'extrême différence qu'on trouve entre les idées
des hommes, vient du différent ufagc qu'ils font de leurs
Facultez , les uns recevant les chofes fur la foy d'autrui ,
(^& ceux-là font le plus grand nombre} abufent de ce pou-
voir qu'ils ont de donner leur confentement à telle ou à
telle chofe , en foûmettant lâchement leur Efprit à l'autori-
té des autres dans des points qu'il cft de leur devoir d'exa-'
miner eux-mêmes avec foin, au lieu de les recevoir aveu-
glément avec une foy implicite : d'autres n'appliquent
leur Efprit qu'à un certain petit nombre de chofes dont
ils acquièrent une alfez grande connoifîance , mais ils
ignorent toutes les autixs chofes , pour n'avoir jamais a-
bandonné leurs penfées à d'autres recherches. Ainfi, rien
n'eil plus certain que cette vérité , Trois angles d'iinTrian-
gle font e'gnux k deux droits-, cette vérité, dis-je, eftnon
feulement très-certaine , mais même plus évidente , à:
mon avis, que plulieurs de ces Propofirions qu'on regar-
de
88 ^l'il n'y a point
C H A p. de comme des Principes. Cependant il y a des millions
UI. d'hommes , qui , quoy qu'habiles en d'autres chofcs ,
ignorent entièrement celle-là , parce qu'ils n'ont jamais
appliqué leur Efprit à l'examen de ces fortes d'Angles.
D'ailleurs j celui qui connoit très-certainement cette Pro-
pofition , peut néanmoins ignorer entièrement la venté
de pluiieurs autres Propofitions de Mathématique , qui
font aulli claires ^ aulîi évidentes que celles-là ; parce
qu'il n'a pas pouflé fcs recherches jufques à l'examen de
ces véritez de Mathématique. La même chofe peut ar-
river à l'égard des idées que nous avons de Dieu > car
quoy qu'il n'y ait point de vérité que l'homme puifle
connoître plus évidemment par luy-méme, que l'exiften-
cc de Dieu , cependant quiconque regardera les chofes
de ce Monde , félon qu'elles fervent à fes plaifirs &: au
contentement de fes pallions, fans fe mettre autrement en
peine d'en rechercher les caufesj les diverfes fins, &: l'ad-
mirable difpofition , pour s'attacher avec foin à en tirer
les conféquences qui en naiflént naturellement , un tel
homme peut vivre long-temps fans avoir aucune idée de
Dieu } & s'il s'en trouve d'autres qui viennent à mettre
cette idée dans leur tête pour en avoir oui parler en con-
verfation , peut-être croiront-t-ils l'exiftence d'un tel E-
tre : mais s'ils n'en ont jamais examiné les fondemcns ; la
connoilTance qu'ils en auront ne fera pas pUis parfaite que
celle qu'une perfonne peut avoir de cette vérité , Les
trois angles d'un Triangle font égaux à deux droits , s'il la
reçoit fur la foy d'autruy , par la feule raifon qu'il en a
oui parler comme d'une vente certaine , fans en avoir ja-
mais examiné luy-même la démonftration. Auquel cas
ils peuvent regarder l'exiftence de Dieu comme une opi-
nion probable , mais ils n'en voyent pas la vérité, quoy
qu'ils ayent des Facultez capables de leur en donner une
connoilTance claire & évidente; s'ils les employcnent foi-
gneufement à cette recherche. Mais cela ioit dit en paf-
iiint , pour montrer , co?nbien nos ccnnoijjances dépendent
4u bon iijage des l-acnlte:z que la Nature nous a données ,
de Principes innés;. Liv. I. 89
• Se combien peu , de ces Principes qu'on fuppofe lans rai- C h a p.
fon avoir été imprimez dans l'Ame de tous les hommes III.
pour être la régie de leur conduite : Principes que tous
les hommes connoîtroient néceflairement , s'ils étoient
dans leur Efprit , ou bien , qui y feroient inutilement.
Or puifque tous les hommes ne les connoiflent pas, ôcne
peuvent même les diftinguer des autres véritez , dont la
connoiflance leur vient certainement de dehors , nous
fommes en droit de conclurre qu'il n'y a point de tels.
Principes.
§. 23. Je ne faurois dire^ quelles cenfures je puis m'ê- Leshommo*
tre expofé , en doutant qu'il y ait des Principes innez , & 'conno'urc fcs
& fi on ne dira point que je renverfe par là les anciens chofes par cm-
fondemens de la connoiflance ôc de la certitude ; mais je "^"'"■
croy du moins que la méthode que j'ai fuivie, étant con-
forme à la Vérité , rend ces fondemens plus inébranla-
bles. Une autre chofe dont je fuis fortement perfuadé,
c'eft que dans le Difcours fuivant je ne me fuis point fait
une affaire , d'abandonner ou de fuivre l'autorité de qui
cjue ce foit. La Vérité a été mon unique but. P.ar tout
oîi Elle a paru me conduire , je l'ai fuivie fans aucune pré-
vention , & fans me mettre en peine fi quelque autre a-
voit fuivi ou non le même chemin. Ce n'eft pas que je
n'aye beaucoup de refpeft pour les fentimens des autres
hommes , mais la Vérité doit être refpe6tée par defliis
tout ; &c j'efpére qu'on ne me taxera pas de vanité, fi je
dis , que nous ferions peut-être de plus grands progrès
dans la connoiflance des chofes , fi nous allions à la four-
ce , je veux dire à l'examen des chofes mêmes , Ôc que
BOUS nous fifllons une affaire de chercher la Vérité en fui-
vant nos propres penfées , plutôt que celles des autres
hommes. Car je croy que nous pouvons efpérer avec au-
tant de fondement de voir par les yeux d'autruy que de
connoître^les chofes par l'Entendement des autres hom-
mes. Plus nous connoiffons la Vérité Se la Raifon par
nous-mêmes , plus nos connoiffances font réelles Se vérita-
bles. Pour les opinions des autres hommes , fi elles vien-
M nent
90 §lliil «'y ^ point
Ch AP. nent à rouler ôc flotter, pour ainfi dire , dans nôtre £f-
III. prit , elles ne contribuent en rien à nous rendre plus in-
telligens , bien que d'ailleurs elles foient conformes à la
Vérité. Tandis que nous n'embralTons ces opinions que
par refpett pour le nom de leurs Auteurs , &: que nous
n'employons point nôtre Raifon , comme eux , à com-
prendre ces veritez , dont la connoiflance les a rendus fi
iliuftres dans le Monde > ce qui en eux étoit véritable
jfcience, n'eft en nous que pur entêtement. Anjiote étoit
fans doute un très-habile homme ; mais perfonne ne s'eft
encore avifé de le juger tel , parce qu'il embraflbit aveu-
glément 6c foùtenoit avec confiance les fentimensd'autruy.
Et s'il n'eft pas devenu Philofophe en recevant fans exa-
men les Principes des Savans qui l'ont précédé, je ne vois
pas que perfonne puilîé le devenir par ce moyen-là. Dans
les Sciences, chacun ne pofléde qu'autant qu'il a de con-
noifiances réelles , dont il comprend luy-méme les fon-
demens. C'eft là fon véritable tréfor , le fonds qui luy
appartient enpropre^c dont il fe peut dire le maître. Pour •
cequieft des choies qu'il croit, &: reçoit ilmpicment fur la
foy d'autruy , elles ne fiuroient entrer en ligne de compte}
ce ne font que des lambeaux, entièrement inuriles à ceux
qui les ramuflént , quoy qu'ils vaillent leur prix étant
joints à la pièce d'où ils ont été détachez. Monnoye
d'emprunt, toute pareille à ces pièces enchantées qui font
d'or entre les mains de celui dont on les reçoit, mais qui
fe changent en feuilles &: en cendres dès qu'on vient à s'en
fervir.
LVoùvientio- §. 2^ Lcs hommcs ayant une fois trouvé certaines
pimoii qui éta p jjj^j crénérales , qu'on ne fauroit révoquer en
blit des Prmci- r t-> ' n . ... K ,
pcs imiix., doute , des qu on les comprend , je vois bien que rien n e-
toit plus court 6c plus aifè que deconclurre que ces Pro-
polltions font /;wm. Cette conclufion une fois reçue,
délivre les parcffeux de la peine de faire des rgcherches ,
fur tout ce qui a été déclaré inné , 6c empêche ceux qui
doutent, de fonger à s'en inftruire par eux-mêmes. D'ail-
leiiFS, ce n'eft pas un petit avantage pour ceux qui font
les
de Principes innez. Liv. I. 91
les Maîtres & les Dodreurs , de pofer pour Principe de Ch a p,
tous les Principes , que les Principes ne doivent point être III.
mis en qnejlton > car ayant une fois établi qu'il y a des
Principes mnez , ils ont mis leurs Sedlateurs dans la né-
celîité de recevoir certaines Doctrines , comme innées, Se
leur ont ôté parce moyen l'ufage de leur propre Raifon,
en les engageant à croire ôc à recevoir ces Dodtrines fur la
foy de leur JVlaître , fans aucun autre examen ; de forte
que devenus efclaves de cette aveugle crédulité , ils font
bien plus aifez â gouverner, 6c peuvent beaucoup mieux
être à l'ufage de certaines gens , qui ont l'adrelle êc la
charge de leurdi£ter des Principes &: de fe rendre maîtres
de leur conduite. Or ce n'eft pas un petit pouvoir que
celui qu'un homme prend fur un autre, lors qu'il a l'au-
torité de luy inculquer tels Principes qu'il veut, comme
autant de veritez qui ne doivent point être mifcs en que-
ftion , &c de luy faire recevoir comme un Principe inné
tout ce qui peut fervir à (es propres fins. Mais fi au lieu
d'en ufer ainfi , l'on eût examiné les moyens par oîi les
hommes viennent à la connoiflance de plulieurs véritez
univerfelles , on auroit trouvé qu'elles fe forment dans
l'Efprit par la conlldération exafte des chofes mêmes , &c
qu'on les découvre par l'ufage de ces Facultez , qui par
leur propre deilination font très-propres à nous fan-e en-
trer dans l'examen de ces chofes, &: à nous en faire juger
droitement , fi nous les appliquons comme il faut à ce'tte
recherche.
§. 25. Tout le defléin queje me propofe dans le Livre condufion.
fuivant , c'efl: de montrer comment l'Entendement pro-
cède dans cette alfaire. Mais j'avertirai auparavant, qù'a-
fin de me frayer le chemin à la découverte de ces fonde-
mens, .qui font les feuls, à ce que je croy , fur lefquels
les notions que nous pouvons avoir de nos propres con-
noilîances, puiflent être folidement établies , j'ai été obli-
gé détendre compte des raifons que j'avois de douter qu'il
y ait des Principes mnez. Et parce que parmi les Argu-
mens qui combattent ce fentiment , il y en a quelques-
M 3 uns
92 ^i'tl n'y a point de Principes innées;.
Ghàp. uns qui font fondez fur les opinions vulgaires , j'ai été
111% contraint de fuppofer plurieurs chofes -, ce qu'on ne peut
guère éviter, lors qu'on s'attache uniquement à montrer
la fauflêté ou l'inconfiftence de quelque fentiment parti-
culier. Dans les controverfes il arrive la même chofe que
dans le fiége d'une Ville, oii, pourvu que la terre fur la-
quelle on veut drefler les batteries , foit ferme , on ne fe
met point en peine d'où elle eft prife , ni à qui elle ap-
partient } fuffit , qu'elle ferve au befoin préfent. Mais
comme je me propofe dans la fuite de cet Ouvrage, d'é-
lever im Bâtiment uniforme , 8c dont toutes les Parties-
foient bien jointes enfemble, autant que mon expérience
& les obfervations que j'ai. £iites,. mêle pourront permet-
tre, j'efpére de le conftruire en telle forte fur fes propres-
fondemens , qu'il ne faudra ni piliers , ni arc-boutans pour
le foûtenir. Que fi l'on montre ea le minant , que c'eft
un Château bâti en l'air, je ferai du moins en forte qu'il
foit tout d'une pièce , ôc qu'il ne puifTe être enlevé que
tout à la fois. Au relie , j'avertirai ici mon Lcfteur de
ne pas s'attendre à des Démonftrations inconteftablcs , à
moins qu'on ne m'accorde le privilège, que d'autres s'at-
tribuent affez fouvent , de fuppofer mes Principes com-
me autant de véritez reconnues j auquel cas je ne ferai pas
en peine de faire aulîides Démonftrations. Tout ce que
j'ai à dire en faveur des Principes fur lefquels je vais fon-
der mes raifonnemens, c'eft que j'en appelle uniquement
à l'expérience &: aux obfervations que chacun peut faire
par foy-méme ians aucun préjugé , pour fivoir s'ils font
vrais ou faux: fie cela fuiÎTt pour uneperfonne qui ne fait
profellion que d'expofer fincerement Se librement fes pro-
pres conjectures fur un fujet afléz obfcur , fans autre def-
feîn que de chercher la Vérité fans aucune préoccupation, .
Fm Ju Premier Livre
ESSAI
Pag. ^3'
ESSAI PHILOSOPHIQ.UE
GONCERNANT
L'ENTENDEMENT HUMAIN.
«ôf S^ «0^50» *î£ô^ «OÎS* «oîSo» *îfi* *?So» «oSSo» -o^io» ^^is^ ■
LIVRE SE GOND»
Des Idées.
CHAPITRE I.
Où l'on traite àes Idées en général , o" àe leur Origine ;
O- on Von examine par occafion fi l'Ame de
l'Homme-penfe toujours.
H A QUE homme étant convaincu err Ce qu'on nom-
luy-même qu'il penfe, Se ce quieft ??'^J'''j\ '^
dans ion Llpnt lors qu il penle , e- penfee.
tant des Idées qui l'occupent aftuel-
Icnient , il eft hors de doute que les
hommes ont plulleurs Idées dans
l'Eiprit 3 comme celles qui font exprimées par ces mors ,
blancheur •> dureté i douceur^ penfée, mouvement y h otnme,
éléphant 3 , armée i meurtre y S< plulleurs autres. Cela po-
M 3 fé.
c)^, De l'Origine des Idées.
Chap. I. le, la première chofe qui fe préfente à examiner , c'eft ,
Comment l'Homme vient k avoir tontes ces Idées ? Je fai
que c'eft un fenriment généralement établi, que tous les
hommes ont des Idées innées , certains caradéres originaux
qui ont été gravez dans leur Ame , dès le premier mo-
ment de leur exiftence. J'ai déjà examiné au long ce fen-
tinient; &: je m'imagine que ce que j'ai dit dans le Livre
précèdent pour le réfuter , fera reçu avec beaucoup plus
de facilité, lorfque j'aurai fliit voir, d'où l'Entendement
peut tirer toutes les idées qu'il a , par quels moyens &;
par quels dégrez elles peuvent venir dans l'Efprit ; fur
quoy j'en appellerai à ce que chacun peut obferver fie é-
prouver en foy-même.
Toutes les Idées §. 2. Suppofons donc qu'au commencement l'Ame eft
viennent par (-g qu'on appelle Tabula rafa , vuide de tous caraftéres ,
RetoTou!" ''''^ ^iris aucune idée , quelle qu'elle foit -, Comment vient-
elle à recevoir des Idées r Par quel moyen en acquiert-
elle cette prodigieufe quantité que l'Imagination de
l'homme , toujours agiflante fie uns bornes , luy préfente
avec une variété prefque inlinie ? D'où puife-t-elle tous
ces matériaux qui font comme le fonds de tous fesraifon-
nemens fie de toutes fes connoifîlmces ? A cela je répons
en un mot, De V Expérience : c'eft-là le fondement de tou-
tes nos connoiflances , fie c'eft de là qu'elles tirent leur
première origine. Les obfervations que nous faifons fur
les Objets extérieurs cfjcnjiblesi ou fur les opérations inté-
rieures de nôtre Ame ■> que nous appercevans ô'fur le/quel-
les nous reflechiffons nous-mêmes , fournijjent à nôtre Ef prit
les matériaux de toutes /es penfées. Ce font-là les deux
fources d'oii découlent toutes les Idées, que nous avons,
ou que nous pouvons avoir naturellement.
Objets de la fen. §. ^. Ef premièrement nos Sens étant frappez par cer-
ll'Se'nosi- t^i"s Objets extérieurs , font entrer dans nôtre Ame plu-
dees. fieurs perceptions diftinftes des chofcs , félon les diverfes
manières dont elles agilfent fur nos Sens. C'eft ainfique
nous acquérons les idées que nous avons du /'/</w, du jaune,
du chaud i du froid, du dur, du mou , du doi: x , dcV amer.
De l'Origine des Idées. Liv. II. 95^
& de tout ce que nous appelions qualitez fenfibîes. Nos Chap.I,
fenSi dis-je, font entrer toutes ces idées dans nôtre Ame,
par où j'entens qu'étant frappez par les Objets extérieurs,
ils excitent dans l'Ame ce qui y produit ces fortes de per-
c épions. Et comme cette grande fource de la plupart des
Idées que nous avons , dépend entièrement de nos Sens,
&: fe communique à l'Entendement par leur moyen , je
l'appelle Sensation.
§. 4. L'autre fource d'où l'Entendement vient à rece- Les Opérations
voir des Idées , c'cft la uerception des Opérations de nô- ^"^ ""r^ ^'^"^ '
. r 1 TJ' ^'11 •• 1 r- ' autre fource
tre Ame lur les Idées qu elle a reçues par les bens , ope- didces.
rations qui devenant l'Objet dés reflexions de l'Ame , pro-
duifent dans l'Entendement une autre efpéce d'idées, que
les Objets extérieurs n'auroient pûluy fournir; telles que
font les idées de ce qu'on appelle appercevoir , penfer ,
douter, croire, rûifomicr, connoiîre , vouloir , &c toutes
les différentes aârions de nôtre Ame ; de l'exiftence def-
quelles étant plemement convaincus parce que nous les
trouvons en nous-mêmes , nous recevons par leur moyen
des idées aulli diltinftes , que celles que les Corps pro-
duifent en nous , lors qu'ils viennent à frapper nos Sens.
C'eft-la une fource d'idées que chaque homme a toujours
en luy-mêmc; Se quoy que cette Faculté ne foit pas un
Sens, parce qu'elle n'a rien à faire avec les Objets exté-
rieurs, elle en approche beaucoup, & le nom de Sens in-
térieur ne luy conviendroit pas mal. Mais comme j'ap-
pelle l'autre fource de nos Idées Senfation , je nomme cel-
le-ci R E F L E X 1 ON, parce que l'Ame ne reçoit par fon
moyen que les Idées qu'elle acquiert en reflechiflant fur
Tes propres Opérations. C'eftpourquoy je vous prie de
remarquer, que dans la fuite de ceDifcours, j'entens par
Réflexion la connoiffance que l'Ame prend de fes pro-
pres opérations, & de leurs diff'érences , par où l'Enten-
dement vient à recevoir des idées de ces opérations. Ce
font-là, à mon avis , les feuîs Principes d'où toutes nos
Idées tirent leur origine ; favoir , les chofes extérieures
Se. matérielles qui font les Objets de la Sensation,
■v H A p.
Toutes nos I-
dées viennent
de l'une de CCS
iaux touices.
Ce qu'on peut
obferver dans
ks Enfaos.
de
re-
de
96 De V Origine des Idées.
I- & les Opérations de nôtre Efprit , qui font les Objets de
la Reflexion, {'employé ici le mot d'opération dansun
fens étendu , non feulement pour fignifier les aftions de
l'Ame concernant fes Idées , mais encore certaines Pallions
qui font produites quelquefois par ces Idées, telle que le
plaillr ou la douleur que caufc quelque penfeequecefoit.
§.5. L'Entendement ne me paroît avoir abfolument
aucune idée , qu'elle ne reçoive de l'un de ces deux
Principes. Les Objets extérieurs fournijfent à. l' Efprit
les idées -des qualités: fc^tijibles , c'eil à dire , toutes ces
différentes perceptions que ces qualitez produifent en
nous : &■ f Efprit fournit à l'Entetidement les idées
fes propres Opérations. Si nous faifons une . cxafte
veùë de toutes ces idées 6c de leurs differens modes .,
Leurs combinaifons fie relations, nous trouverons quec'eft
à quoy fe reduifent toutes nos idées, 6c que nous n'avons
rien dans l'Efprit qui n'y vienne par l'une de ces deux
voyes. Qiie quelqu'un prenne feulement la peine d'exa-
miner fes propres, penfées 6c de fouiller exactement dans
fon Efprit pour confiderer tout ce qui s'y paffe > &c qu'il
me dife après celajfi toutes les Idées originales qui y font,
viennent d'ailleurs que des Objets de fes Sens, ou desO-
pérations de fon Ame , confiderées comme des objets de
\â. Reflexion qu'elle fait fur les idées qui liiy font i^enuës
par les Sens. Q^ielque grand amas de connoiflances qu'il
y découvre, il verra, je m'affùre, après y avoir bienpcn-
fé, qu'il n'a d'autre idée dans l' Efprit , que celles qui y ont
été produites par ces deux voyes-, quoy que peut-être com-
binées ^ étendues par l'Entendement , avec ime variété
infinie , comme nous le verrons dans la fuite.
§. 6. Qiiiconque confiderera avec attention Vctzx. oùfe
trouve un Enfant , dès qu'il vient au Monde , n'aura pas
grand fujet de fe figurer qu'il ait dans l'Efprit ce grand
nombre d'Idées qui font la matière des connoiflances qu'il
a dans la fuite. C'eft par dégrez qu'il acquiert toutes ces
Idées } & quoy que celles des qualitez c[ui font le plus
.«xpofées à fa veùë ôcqui luy font le pkis familières, s'im-
priment
De l'Origine des Idées. Liv. II. 97
^priment dans fon Efprit, avant que la Mémoire commcn- Chap. I,
ce de tenir regître du temps & de l'ordre des chofes , il
arrive néanmoins aflez fouvent , que certaines qualitez
peu communes fe préfentent fi tard à l'Efprit , qu'il y a
peu de gens qui ne puilTent rappeller lefouvenirdutemps
auquel ils ont commencé à les connoître : & fi cela en
valloit la peine , il eft certain , qu'un Enfiint pourroit é-
tre conduit en telle forte , qu'il auroit fort peu d'idées ,
même des plus communes, avant que d'être homme fait.
Mais tous ceux qui viennent dans ce Monde , étant d'a-
bord environnez de Corps qui frappent leurs fens conti-
nuellement & en différentes manières, une grande diverfi-
té d'Idées fe trouvent gravées dans l'Amedes Enfans,foit
qu'on prenne foin de leur en donner la connoilTance , ou
non. La Lumière & les Couleurs font toujours en état
de faire impreflion p.ar tout où l'Oeuil eft ouvert pour leur
donner entrée. Les fons , 5c certaines qualitez qui con-
cernent l'attouchement , ne manquent pas non plus d'a-
gir fur les Sens qui leur font propres , èc de s'ouvrir un
paffage dans l'Ame. Je croy pourtant qu'on m'accordera
fans peine, que fi un Enfant étoit retenu dans un Lieuoii
il ne vit que du blanc &; du noir , jufqu'à ce qu'il devint
homme fait , il n'auroit pas plus d'idée de l'écarlate ou
du vert, que celui qui dès fon Enfance n'a jamais goûté
ni huitre ni pomme de pin , connoit le goût particulier
de ces deux chofes.
§. 7. Par confèquent les hommes reçoivent de dehors Les hommes re-
plus ou moins d'idées fimples , félon que les Objets qui Ç"'^^'" p'"s ou
K r - 1 r n- j- ;- ' 1 moins de ces X-
fe prelentent a eux, leur en rournilient une diverliteplus dces, rdonquc
ou moins grande , comme ils en reçoivent aufli plus ou 4'^"™,s obj^s
moins en eux-mêmes , par les Opérations de leur Efprit, eux^*^'""^"' *
félon qu'ils reflechiflent plus ou moins fur ces premières
idées que les objets extérieurs ont produit en eux. Car
quoy que celui qui examine les opérations de fon Efprit,
ne puifle qu'en avoir des idées claires 6c diftinftes, il eft
pourtant certain , que , s'il ne tourne pas fes penfées de
ce côté-là pour faire une attention particulière fur ce qui
N fe
^8 De l'Origine àerTdets.
Ch AP. I. fe pafle dans fon Ame , il fera aiifli éloigné d'avoir des
idées diftinftes de toutes les opérations de fon Efprit,
que celui qui prétendroit avoir toutes les idées particu-
lières qu'on peut avoir d'un certain Paiiage, ou des par-
ties èz des divers mouvemens d'une Horloge , fans avoir
jamais jette les yeux fur ce Paifage ou fur cette Horloge ,
pour en conlklerer exadtement toutes les parties. L'Hor-
loge ou le Tableau peuvent être placez d'une telle ma-
nière, qu'ils peuvent fe rencontrer tous les jours fur fon-
chemin; &: cependant il n'aura que des idées fort confu-
fes de toutes leurs Parties, jufqu'à ce qu'il fe foit appli-
qué avec attention à les confiderer chacune en particu-
lier.
Leside'csqui §' ^- Et dc là nous voyous poutquoy il fc pafTebien du
•viennent par tcmps avant quc la plupart desEnfans ayent des idées des
Reflexion, font Opérations de leur propre Efprit, &: pourquoy certaines
plus tsru u3ns ■*■ - . . ^- ' c i ■ * tr /* •
l'Efprir . parce pcrfouncs n en connoilient m tort clairement, m tort parrai-
cju'ii faut de temcut , la plus grande partie pendant tout le cours de leur
ks'd^comnr."' ^ic. La raifon de cela crt:,que quoy que ces Opérations foient
continuellement excitées dans l'Ame , elles n'y paroiffent
que comme des viilons flottantes , &: n'y font pas d'affez
fortes imprellions pour en laifler dans l'Ame des idées
claires, diftindles , & durables , jufqu'à ce que l'Enten-
dement vienne à fe replier, pour ainfi dire , fur foy-mê-
me, à réfléchir fur fes propres opérations; &: àfepropo-
fer luy-mênie pour l'Objet de fcs propres Contemplations.
Les Enfans ne font pas plutôt au Monde , qu'ils fe trou-
vent environnez d'une infinité de chofcs nouvelles, qui
par l'imprelllon continuelle qu'elles font lur leurs fens ,
attirent à elles l'Ame de ces petites Créatures , que leur
penchant porte à connoître tout ce qui leur eft nouveau ,
& à prendre du plaifir à la diverfité des Objets qui les
frappent en tant de différentes manières. Ainfi , ils em-
ployent ordinairement leurs premières années à voir ce
qui fe fait au dehors , &: à en prendre connoilTlxnce > de
forte que perfiftant dans cette application continuelle à
tour ce qui frappe les fens , il arrive rarement qu'ils faf-
fent
Les Hommes ne penfent pas toujours. L i v. IL 99
fent aucune ferieufe reflexion fur ce qui fe pafle au de- C h a p. T;
dans d'eux-mêmes 5 julqu'à ce qu'ils foient parvenus à un
âge plus avancé -, & il s'en trouve même qui s'avifent
à peine de donner quelque moment de leur vie à ces for-
tes de penfées.
§. 9. Du relie , demander en ^ud temps l'homme com- L'Ame com-
mence à' avoir quelque Idée, c'eft demander en quel temps jç5"y^^f''][°|^
il commence d'^/^^ÉTf^rm' ; car avoir des idées , 6c avoirqueiie com-
des perceptions , c'eil une feule «k même chofe. Je fai™*^"'^^ à-af^er.
bien qu'il y a une Opinion qui pofe , Glue l'Ame penfe '"''"'
toujours, &: qu'elle a conftamment en elle-même une per-
ception aftuelle de certaines idées , auili long-temps
qu'elle exifte , Se que la pcnfce aftuellc efl aulîi infépara-
ble de l'Ame que l'extenfion adhielle eft inféparable du
Corps ; de forte que , fi cela eft vrai , rechercher en quel
temps un homme commence d'avoir des idées , c'eft la
même chofe , que de rechercher quand fon Ame a com-
mencé d'exifter. Car, à ce compte, l'Ame & fes Idées
commencent à exifter dans le même temps , tout de mê-
me que le Corps 6c fon étendue.
§. 10. Mais foit qu'on fuppofe que l'Ame exifteavant, i/Ame nepei>-
après , ou dans le même temps que le Corps commence '^ P*'' toujours,
d'être grollîerement organife, ou d'avoir les principes de nu7\T°" "'
la vie , (ce que je lailTe difcuter à ceux qui ont mieux ver. '
médité fur cette matière que moy) quelque fuppofttion ,
dis-je, qu'on faffe à cet égard , j 'avoué c|u'il m'eft tom-
bé en partage une de ces Ames pefanres qui ne fe fent pas
toiijours appliquée à quelque idée, 6c qui ne fiuroit con-
cevoir qu'il foit plus nécellaire à l'Ame de penfer toujours ,
qu'au Corps d'être toujours en mouvement ; la perception
des idées étant à l'Ame, comme je croy, ce que le mou-
vement eft au Corps , favoir une de fes Opérations , 6c
non pas ce qui en conftitué l'effence. D'où il s'enfuit
que, quoy que la penfée foit regardée comme l'aélion la
plus propre à l'Ame , il n'eft pourtant pas néceftaire de
fuppofer que l'Ame penfe toujours , 6c qu'elle foit tou-
jours en aâion. C'eft:-là peut-être le privilège de l'Au-
N 2 teur
loo Les Hommes ne penfent pns toujours:
ChAp, I. teur & du Confervareur de toutes chofes, qui étant inrfi-
ni dans fes perfeftions ne dort ni ne fommeiUe jamais -, ce
qui ne convient point à aucun Etre fini, ou du moins, à un
Etre tel que l'Ame de l'Homme. Nous ûvons certaine-
ment par expérience que nous penfons quelquefois ; d'où
nous tirons cette Conclufion infaillible , qu'il y a en
nous quelque chofe qui a la puifTimce de penfer. Mais
de favoir, fî cette liibftance penfe continuellement , ou
non , c'eft dequoy nous ne pouvons nous alTùrer qu'au-
tant que l'Expérience nous en inftruit. Car de dire, que
c'eft une propriété eflentielle à l'Ame , &■ qui ne peut en
être feparée, de penfer aftuellement, c'eft pofer vifible-
ment ce qui cft en queftion fins en donner aucune preu-
ve; ce qu'on ne fiuroit pourtant fe difpenfer de faire , fl
ce n'eft pas une Propofition évidente par elle-même. Or
j'en appelle à tout le Genre Humain , pour favoir s'il eft
vrai que cette Propofition , l'Âme penje toujours , foit é-
vidente par elle-même , en forte que chacun y donne fon
confentement , dès qu'il l'entend pour la première fois.
Je doute fi j'ai penfé la nuit précédente, ou iion. Com-
. ' me c'eft une queftion de fait , c'eft la décider gratuite-
ment êc fans raifon , que d'alléguer en preuve une fuppo-
iîtion qui eft la chofe même dont on difpute. 11 n'y a
rien qu'on ne puiflé prouver par cette méthode. Je n'ai
qu'à fuppofer , que toutes les Pendules pcnlént tandis
que le balancier eft en mouvement , ?<. dés-là j'ai prou-
vé fuffifamment 6c d'une manière incontcftable que
ma Pendule a penfé durant toute la nuit précéden-
te. Mais quiconque veut éviter de fe tromper foy-mé-
me, doit établir fon hypothefe fur une matière de tait,
&" en montrer la vérité par des expériences fenfibles ,
bc non pas juger d'un fait par fon hyporhéfc , c'eft à
dire , juger de la vérité d'un fait fur ce qu'il le fup-
pofe véritable : manière de prouver qui fe réduit à ceci.
Il faut néceflairement que j'aye penfé pendant toute la
nuit précédente, parce qu'un autre a fuppofé que je pen-
fé toujours j quoyqueje ne puifle pas appercevoir moy-
niê-
Les Hommes n? penfent pas toujours. Liv. II. lor
même que je penfe effeftivement toujours. Chap, ï.
Je ne puis m'empccher de remarquer ici, que des gens
paffionnez pour leurs fentimens font non feulement capa-
bles d'alléguer en preuve une pure fuppofition de ce qui
eft en queftion , mais encore de faire dire à ceux qui ne
font pas de leur avis , toute autre chofe que ce qu'ils ont
dit effe£tivement. C'eft ce que j'ai éprouvé dans cette
occafion ; car il s'eft trouvé un Auteur qui ayant lu la
première Edition de cet Ouvrage, Se n'étant pas fatisfixit
de ce que je viens d'avancer contre l'opinion de ceux qui
foûtiennent que VAme penfe toujours , me fait dire, qu'u-
ne choie cejfe d'exijler parce que nous ne [entons pas qu'elle
exifte pendant nôtre fommcil. Etrange conféquence, qu'on
ne peut m'attribuer fans avoir l'Efprit rempli d'une aveu-
gle préoccupation ! Car je ne dis pas , qu'il n'y ait point
d'Ame dans l'Homme , parce que ciurant le fommeil ,
l'Homme n'en a aucun fentiment ; mais je dis que l'Hom-
me ne fiuroit penfer , en quelque temps que ce foit ,
qu'il veille ou qu'il dorme , fans s'en apperccvoir. Ce
fentiment n'eft néceffaire à l'égard d'aucune chofe , ex-
cepté nos penfees , auxquelles il eft & fera toujours né-
celfairement attaché , jufqu'à ce que nous puiflions pen-
fer, fans être convaincus en nous-mêmes que nous pen-
fons.
§. 1 1. Je tombe d'accord que l'Ame n'eft jamais fans LAme ne fem:
penfer dans un homme qui veille, parce que c'eft ce qu'em- ^^^ toujours,..
porte l'état d'un homme éveillé ; mais de favoir s'il ne
peut pas convenir à tout l'Homme, y compris l'Ame au (îi
bien que le Corps, de dormir fansavoir aucun fonge, c'eft
une queftion qui vaut la peine d'être examinée par un hom-
me qui veille ; car il n'eft pas aifé de concevoir qu'une
chofe puiffe penfer, &: ne point fentir qu'elle penfe. Qiie
Û l'Ame penîé dans un homme qui dort fans en avoir une
perception aftuelle , je demande fi pendant qu'elle penfe
de c^tte manière , elle fent du plaifir ou de la douleur , fi
elle eft capable de félicité ou de mifére? Pour l'homme,
je fuis alTûré qu'il n'en eft pas plus capable dans ce temps-
N 3 là
102 Les Hommes ne penfent pas toujours.
Chap. I. là que le Licb ou la Terre où il cil couché. Car d'être
heureux ou malheureux (ans en avoir aucun fentiment ,
c'eft une chofe qui me paroit tout-à-fait incompatible.
Qiie fi l'on dit, qu'il peut être, que, tandis que le Corps
efl; accablé de fommeil , l'Ame a fes penfees , fes fenti-
mens , fes plaiilrs , ce fes peines , feparément &c en elle-mê-
me, fans que l'Homme s'en apperçoive&y prenne aucu-
ne part ; il eft certain , que Socrate dormant , £c Socrate
éveillé n'eft pas la même perfonne , &: que l'Ame de So-
crate lors qu'il dort , &: Socrate qui ell un homme com-
pofé de Corps & d'Ame lors qu'il veille, font deux per-
sonnes; parce que Socrate éveillé n'a aucune connoifTiince
du bonheur ou de la mifére de fon Ame , qui y participe
toute feule pendant qu'il dort , auquel état il ne s'en ap-
perçoit point du tout , oc n'y prend pas plus de part qu'au
bonheur ou à la mifére d'un homme qui efl aux Indes &
qui luy eft abfolument inconnu. Car fi nous fjparons de
nos aftions & de ncs fenfations , Se fur tout du plaifir &
de la douleur , le fentiment intérieur que nous en avons
&: l'intérêt qui l'accompagne, il fera bien mal-aife de fa-
voir ce qui fait la même perfonne.
sîunUomme §• 1.2- L'Ame penfc , difent ces gens-là , pendant le
endormi peiiiè pi^s profond f )rameil. Mais lors que l'Ame penfe , &
uiriionime'qùi qu'cllc a dcs perceptions, elle eft , fans doute , aulli ca-
dort, & qui en pablc de rcccvoir des idées de plaifir ou de douleur qu'au-
fuue veille , ce ^^j^g autrc idée que ce foit , &: elle doit néceftairement
fonues. fentir en elle-même fes propres perceptions. Cependant
fi l'Ame a toutes ces perceptions à part, ileft vifible,que
l'homme qui eft endormi, n'en a aucun fentiment enluy-
même. Suppofons donc que Cajlor étant endormi, Ibn
Ame eft feparée de fon Corps pendant qu'il dort: fuppo-
fition , qui ne doit point paroître impolTible à ceux avec
qui j'ai préfentement à faire , lefquels accordent fi libre-
ment la vie à tous les autres Animaux difterens de l'Hom-
me, fans leur donner une Ame qui connoilTc Se L]ui penfe.
Ces gens-là , dis-je , ne peuvent trouver aucune impofîi-
bilité ou cooti-adidion à dire que le Corps puiffe vivre
fans
hcs "Hommes m fenfent pas toujours. Liv. II. 103
làns Ame , ou que l'Ame puilTe fiiblifter , penfcr , ou a- C H A p. T.
voir des perceptions , même celles de pUiillr ou de dou-
leur, fans être |ointe à un Corps. Cela étant, fuppofons
que l'Ame de Cajior , feparée de fon Corps pendant qu'il
dort , a ks, penfées à part. Suppofons encore , qu'elle
choifit pour théâtre de fes penfées , le Corps d'un autre
homme y celui de Pollnx, par exemple, qui dort fans A-
me ; car fi , tandis que Caftor ell endormi , fon Ame peut
avoir des penfées dont il n'a aucun fentiment en luy-mê-
me , n'importe quel lieu fon Ame choififTe pour penfer.
Nous avons par ce moyen les Corps de deux hommes ,
qui n'ont entr'eux qu'une feule Ame , Se que nous fuppo-
fons être endormis &" éveillez tour à tour , de forte que
l'Ame penfe toujours dans celui des deux qui eft éveillé ,
dequoy celui qui eft endormi n'a jamais aucun fentiment
en luy-même , ni aucune perception quelle qu'elle foit.
Je demande préfentement , fi Cûjlor &: Pollvx n'ayant
qu'une feule Ame qui agit en eux par tour , de forte qu'el-
le a, dans l'un, des penfées Se des perceptions, dont l'au-
tre n'a jamais aucun fentiment , èc auxquelles il ne prend
jamais aucun intérêt, je demande, dis-je , fi en ce cas-là
Cûjlor & Pollîtx ne font pas deux perfonnesaulîidiftin£tes,
que Cajlor &z Hercule , ou que Socrate Se FU fon-, fie fi l'un
d'eux ne pourroit point être fort heureux ,& l'autre tout-
à-fait miferable ? C'eft juftement par la même raifon que
ceux qui difent , que l'Ame a en elle-même des penfées
dont l'homme n'a aucun fentiment, feparent l'Ame d'avec
l'Homme, &: divifent l'Homme même en deux perfonnes
diftintles ; car je fuppofe qu'on ne s'avifera pas de faire
confifter Videnlitc des perfonnes dans l'union de l'Ame avec
certaines particules de matière qui foient les mêmes en
nombre; parce que fi cela étoit nécefTairepourconftituer
Videntité , il feroit impoflible dans ce flux perpétuel où
font les particules de nôtre Corps, qu'aucun homme pût
être la même perfonne , deux jours , ou même deux mo-
mens de fuite.
§. 13. Ainfi le moindre afibupilTement où nous jette le ^l^^ impofflbie .•
fom-*^"°"^'''""*-
I04 Le Hommes ne penfent pas toujours.
Chap.I. fommeil, fuffit, ce me femble, pour renverfer la doftri*
ceux qui Jor- j-^e ^q QQ^^y^ q^i foûtienneiit que l'Ame penfe toujours. Du
ment lans faire • i-l •! ^ • ■ • ^ i • r
aucun fon^e, Hioms clt-il Certain, que ceux qui viennent a dormir fans
qu'ils pcnicnt faire aucun fonge, ne peuvent jamais être convaincus que
îainmciL"' Icurs pciiiees Ibient en aîtion , quelquefois pendant qua-
tre heures , fans qu'ils en ayent aucune connoiflance ; 6c
fî on vient à les éveiller au milieu de cette contemplation
dormante, li j'ofe m'exprimer ainfi , &c qu'on les prenne
juftement dans ce point, ils ne peuvent en aucune maniè-
re rendre compte de ces prétendues contemplations.
Ccftcnvain §. 14. On dira peut-être , que dans le plus profend
quoiioppofe fommeil l'Ame a des penfées, que la Mémoire ne retient
que les hommes . -\ t ■ ■< i- iT-^
font d« l'oiigc-; point. Mais il paroit bien mal-aile a concevoir que dans
dontiisnc(e cc moment l'Ame penfe dans uu homme endormi , & le
^oint. moment luivant dans un homme éveille , lans quelle le
rcflbuvienne ni qu'elle foit capable de rappcllcr la mé-
moire de la moindre circonftance de toutes les penfées
qu'elle vient d'avoir en dormant : 6c pour perfuader une
chofe qui paroit h inconcevable , il faudroit la prouver
autrement que par une fimple affirmation. Car qui peut
fe figurer , fans en avoir d'autre raifon que l'affertion ma-
giltrale delà pcrfonne qui le dit, qui peut, dis-je, fe per-
fuader fur un aulii foible fondement , que la plus grande
partie des hommes penfent durant toute leur vie , plu-
lleurs heures chaque jour, à quelque chofe , fur laquelle
étant interrogez , dans le même temps que leur Efprit en
eft occupé, pour favoir ce que c'eft, ils ne lauroieuts'en
relfouvenir le moins du monde ? Je croy que la plupart
des hommes paflent une grande partie dç leur fommeil
fans fonger -, 6c j'ai fù d'un homme qui dans fa jeunefle
s'étoit appliqué à l'étude , 6: avoit la mémoire afléz hcu-
reufe, qu'il n'avoit jamais fiit aucun fonge , avant que
d'avoir eu la fièvre dont il venoit d'être guéri dans le temps
qu'il me parloit , âgé pour lors de vingt-cinq ou vingt-
fix ans. Il y a apparemment plufieurs exemples fembla-
bles dans le Monde, 6c du moins , il n'y a perf>nnc qui
parmi ceux de fa connoiflance n'en trouve afléz qui
paf-
Les Hommes ne penfent pas toujours. L i v . IL 1 05"
"pafTent la plus grande partie des nuits fans fonger. C h A p. I.
<S. i<. D'ailleurs, penfer fouvent , & ne pas conferver ^'='';'" "»« ^^y-
■^ . , ' , r ■ ^ y r in. pothcle,lespcii-
•xm feul moment le fouvenir de ce qu on penle, c eltpen-fces d'unhom-
fer d'une manière bien inutile , 6c l'Ame dans un tel état me endormi dc-
/-■i- iirnï -^ r A/f "vroieiu être plus
fait bien peu de chofe. Se n a aucun avantage lur un Mi-^o,,^,^^ l ,j
roir qui reçoit conftamment une grande diverfité d'ima- Raifon.
ges, fans en retenir aucune, les objets qui s'y impriment,
n'ayant pas plutôt difparu qu'il n'en refte plus aucune
trace } de forte que , comme le Miroir n'acquiert aucu-
ne perfection en recevant ces images , l'Ame ne fauroit
non plus devenir plus parfaite par de telles penfées. On
dira peut-être , que dans un homme éveillé qui penfe ,
fon Corps y efl pour quelque chofe , 6c que le fouvenir
de {es penfées fe conferve par le moyen des impreillons
qui fe font dans le Cerveau Se des traces qui y relient a-
près qu'on a penfé , mais qu'à l'égard des penfées que
l'homme n'apperçoit point lors qu'il dort , l'Ame les rou-
le à part en elle-même, fans faire aucun ufagedes organes
du Corps , c'eftpourquoy elle n'y laiffe aucune imprellîon ,
ni par conféquent aucun fouvenir de ces fortes de pen-
fées. Mais fans repeter ici ce que je viens de dire de
l'abfurdité qui fuit d'une telle fuppoiltion , favoir que le
même homme fe trouve par là divifé en deux perfonnes
diftiniftes -, je répons outre cela , que quelques idées que
l'Ame puiiTe recevoir èc confiderer fans l'intervention du
Corps, il ell raifonnable de conclurre, qu'elle peutaufli
en conferver le fouvenir fans l'intervention du Corps , ou
bien, la faculté de penfer ne fera pas d'un grand avanta-
fe à l'Ame &c à tout autre Efprit feparé du Corps. Si
Ame ne fe fouvient pas de fes propres penfées , fi elle ne
peut point les mettre en referve, ni les rappeller pour les
employer dans l'occafion ; fi elle n'a pas le pouvoir de ré-
fléchir furie pafTe Se de fe fcrvir des expériences, des rai-
fonnemens & des reflexions qu'elle a fait auparavant , à
quoy luy fert de penfer ? Ceux qui reduifent l'Ame à
penfer de cette manière , n'en font pas un Etre beaucoup
plus excellent , que ceux qui ne la regardent que comme
O un
io6 Les Hommes ne penfent pas toujours.
Chap. I. un aflemblage des parties les plus fubtiles de la Matière,
gens qu'ils condamnent eux-mêmes avec tant de hauteur.
Car enfin des caractères tracez fur la poulllére que le pre-
mier foufBe de vent efface, ou bien des imprelllons faites
fur un amas d'atomes ou d'Efprits animaux , font aullî
utiles &: rendent le fujet auflî excellent que les penfées de
l'Ame qui s'évanoûiflent à mefure qu'elle penfe , n'étant
pas plutôt hors de fa veûë , qu'elles font difîipées pour
jamais, fans laifler aucun fouvenir après elles. La Natu-
re ne fait rien en vain , ou pour des fins peu confidera-
bles : & il eft bien mal-aifé de concevoir que nôtre divin
Créateur dont la iageflé eft infinie , nous ait donné la fli-
culte de penfer, qui ell fi admir.ible, £c qui approche le
plus de l'excellence de cet Etre incomprehenfible , pour
être employée , d'une manière fi mutile , la quatrième
partie du temps qu'elle eft en a£tion , pour le moins ; en
forte qu'elle penfe conftamment durant tout ce temps-là y
fans fe fouvenir d'aucune de fes penfées , fans en retirer
aucun avantage pour elle-même , ou pour les autres , &:
fans être par là d'aucune utilité à quoy que ce foit dans
ce Monde. Si nous penfons bien à cela , nous ne trou-
verons pas , je m'afiiire , que le mouvement de la Matiè-
re, toute brute & infcnfible qu'elle eft, puifiè être, nul-
le part dans le Monde , fi inutile (Se fi abfolumcnt hors
d'œuvrc.
Suivant cefe §• i6. A la vcrité , nous avons quelquefois des exem-
Hypothcfci'A pies de certaines perceptions c|ui nous viennent en dor-
des iHe'esquMie "1''^'^^ ' & dont nous confcrvoiis Ic fouveuir j mais quoy
viennent ni par de plus extravagant & dc plus mal lié, que la plupart de
Rcflexi'on"'r^ ces pcufècs ? coiubien pcu de rapport ont-elles avec lapcr-
»]uoy il n-'y a fettiou qui doit convcuir à un Etre raifonnable? C'cftce
Biiik apparence, ç^^q favcnt fort bien tous ceux qui font accoiitumez à
faire des fonges, fans qu'il foit nèceffaire de les en aver-
tir. Sur quoy je voudrois bien qu'on me dit, fi lorsque
l'Ame penfe ainfi à part , & comme fcparèe du Corps,
elle agit moins raifonnablement que lors c[u'clle agit con-
jointement avec le Corps , ou non. Si les penfées qu'elle
a
Les Hommes ne penfent pas toujours. Liv. II. 107
a dans ce premier état, font moins raifbnnables , cesCiiAP. I.
gens-là doivent donc dire , que l'Ame doit la faculté de
penfer raifonnablement au Corps. Qiie lî fes penfées ne
font pas alors moins raifonnables que lors qu'elle agit a-
vec le Corps, c'eft une chofe étonnante que nos fonges
foient pour la plupart fi frivoles & fi abfurdes , &: que
l'Ame ne retienne aucun de ces Soliloques ni aucune de
ces Méditations raifonnables qu'elle a en elle-même, fans
l'intervention du Corps.
§. 17. Je voudrois auiîi que ceux qui aflurent avec si je peufc fins
tant de confiance , que l'Ame penfe aftuellement toù- '^/^"o"^ '""r-
jours , nous diflent quelles font les idées qui font dans autre perfounc
l'Ame d'un Enfant, avant que d'être unie au Corps, ou "^ P'^"' '« ^*-
juftement dans le temps de fon union , avant qu'elle ait ''°"^"
reçu aucune idée par voye de Senfation. Les fonges d'un
homme endormi ne font compofez, à mon avis, que des
idées que cet homme a eu en veillant, quoy que pour la
plupart jointes bizarrement enfemble. Si l'Ame a des
idées par elle-même, qui ne luy viennent niparfenfation
ni par réflexion , comme cela doit être ; fi elle penfe a-
vant que d'avoir reçu aucune impreflîon par le moyen du
Corps , c'eft une chofe bien étrange , que plon2;ée dans
ces méditations particulières , qui le font à tel point que
l'homme luy-même ne s'en apperçoit pas , elle ne puifle
jamais en retenir aucune dans le même moment qu'elle
vient à en être retirée par le dégourdiflcment du Corps ,
pour donner par là à l'homme le plaifir d'avoir fait quel-
que nouvelle découverte. Et qui pourroit trouver la
raifon pourquoy pendant tant d'heures qu'on pafi*e dans
le fommeil , l'Ame recueuillie en elle-même Se ne ceflànt
de penfer durant tout ce temps-là, ne rencontre pourtant
jamais aucune de ces idées qu'elle n'a reçu ni par fenfa-
tion ni par reflexion , ou du moins , n'en conferve dans
fi Mémoire abfolument aucune autre, que celles qui luy
viennent à l'occafion du Corps , & qui dès-là doivent
néceffairement être moins naturelles à l'Efprit? C'eft une
chofe bien furprenante, que pendant la vie d'un homme,
O 2 fon
io8 Les Hommes ne pcnfent pttstoâjonrs.
C H A p. I. fon Ame ne puifîe pas rappeller , une feule fois , quel-
qu'une de ces penfees pures oc naturelles , quelqu'une de
ces idées qu'elle a eues avant que d'en emprunter aucune
du Corps , & que jamais elle ne luy prefente , lors qu'il
ell éveillé, aucunes autres idées que celles qui retiennent
l'odeur du vafe où elle eil renfermée , je veux dire qui
tirent manifellement leur origine de l'union qu'il y a en*
tre l'Ame &: le Corps. Si l'Ame penfe toiîjom-s , &
qu'ainfi elle ait eii des idées avant que d'avoir été unie
X ' ' au Corps, ou que d'en avoir reçu aucune par le Corps,
on ne peut s'empêcher de fuppofer , que durant le fom-
• ■'..■l meil elle ne rappelle fes idées naturelles, 8c que pendant
cette efpece de fcparation d'avec le Corps , il n'arrive,
, au moins quelquefois , que parmi toutes ces idées dont
elle eft occupée en fe recueuillant ainfi en elle-même , il
s'en préfente quelques-unes purement naturelles fie qui
foient juftement du même ordre que celles qu'elle avoit
eues autr^ement que par le Corps , ou par fes reflexions
fur les idées qui luy font venues des Objets extérieurs.
Or comme jamais homme ne rappelle le fouvenir d'aucu-
ne de ces fortes d'idées lors qu'il ell éveille , nous devons
conclurre de cette hypothefe , ou que l'Ame fe reflbit-
vient de quelque chofe dont l'Homme ne fauroit fe ref-
fouvenu- , ou bien que la Mémoire ne s'étend que fur les
idées qui viennent du Corps, ou des Opérations de l'Ame
fur ces idées.
PctfoiincBe §. i8. Je voudrois bien auifi que ceux qui foûtienneat
peut conroure^^.g^ tant de confiance , que l'Ame de l'Homme , ou ce
quel Ame peu- n \ /■ ^ r imt r '■
fe toûiours, laiis qui clt la mcmc choie , que 1 Homme penle toujours ,
tii avoir des jj-^^ diflént , Comment ils le lavent , & par quel mo)en ils
preuves , parce ^ , ,., ^ •/
\\xm v^'Â ^ii'vicnmnt a comioitre qu ils penjent eux-metnes , lors même
uncPropoficion ^;/'//_f j^^ _j'^;; apfer çoïvcnt point. Pour moy , je crains
^c-méisr'^ fort que ce ne foit une affirmation deltituée de preuves ,
&: une connoillance fans perception, ou plutôt, une no-
tion très-confufe qu'on s'eft formée pour défendre une
. hypothefe , bien loin d'être une de ces véritez claires que
leiir propre évidence nous force de recevoir, ou qu'on ne
peut
Les Hommes ne penfent pas toujours. Lrv. II. 109 .
peut nier fans contredire groiliérement la plus commune Cktà p. îi
expérience. Car ce qu'on peut dire tout au plus fur cet
article, c'eft, qu'il eft poflible que l'Ame penfe toujours,
mais qu'elle ne conferve pas toujours le fouvenir de ce
qu'elle penfe: & moy, je dis qu'il eil aufli polîible, que
l'Ame ne penfe pas toujours ; &: qu'il eft beaucoup plus
probable qu'elle ne penfe pas quelquefois , qu'il eft pro-
bable qu'elle penfe fouvcnt& pendant un allez long-temps
tout de fuite, fans pouvoir être convamcuè, un moment
après, d'avoir eu aucune penfée.
§. 19. Suppofer que l'Ame penfe &: que THomme ne
s'en apperçoit point , c'eft , comme j'ai déjà dit , faire
deux perfonnes d'un feul homme -, & c'eft dequoy l'on
aura fujet de fou'pçonner ces Meilleurs , fi on prend bien
garde à la manière dont ils s'expriment en cette occafion.
Car il ne me fouvient pas d'avoir remarqué , que ceux qui
nous difent, que VAmc penfe toujours ., difent jamais, que
Y Homme penfe toujours. Or TAme peut-elle penfer, fans
que l'Homme penfe? ou bien, l'Homme pej,it-il penfer j
fans en être convaincu en luy-même ? Cela pafferoit ap^
paremment pour galimathias , fi d'autres le diibient. Qiie
s'ils viennent à foûtcnir que l'Homme penfe toujours ,
mais qu'il n'en eft pas toujours convaincu en liiy-mêmej
ils peuvent tout aulli bien dire , que le Corps eft étendu
fans avoir des parties. Car de dire que le Corps eft éten-
du fans avoir des parties, &: qu'une chofe penie fans con-
noître &: fans s'appercevoir qu'elle penfe , ce font deux
aflértions également inintelligibles., Et ceux qui parlent
ainfi , feront tout auili bien fondez à foiitenir , fi cela
peut fervir à leur hypothefc , que l'Homme a toujours
faim, mais qu'il ne le fent pas toujours) puifque la Faim
confifte dans ce fentiment, comme la penfée confifte àê-
tre convaincu qu'on penfe. S'ils difent , que l'Homme
eft toujours convaincu en luy-même qu'il penfe , je de-
mande, D'où le favcnt-ils ? Cette conviftion n'eft autre
chofe que la perception de ce qui fe pafle dans l'Ame de
l'iHomme. Or un autre Homme peut-il s'aflïirer que js
O 3. £ens-
1 10 Le Hommes m fenfent pas toujours.
Chap. I. fens en moy ce que je n'apperçois pas moy-niême ? C'cft
ici que la connoiirance de l'Homme ne fauroit s'étendre
au delà de 'fa propre expérience. Reveillez un homme
d'un profond fommeil , 6c demandez luy à quoy il pen-
foit dans ce moment. S'il ne fent pas luy-méme qu'il ait
penfe à quoy que ce foit dans ce temps-là , il faut être
grand Devin pour le pouvoir aflurer qu'il n'a pas laiflede
penfer effeftivement. Ne pourroit-on pas luy foùtenir a-
vec plus de raifon , qu'il n'a point dormi ? C'eft là fans
doute une affaire qui padé la Philofophie : oc il n'y a
qu'une Révélation exprefîe qui puiffc découvrir à un au-
tre , qu'il y a dans mon Ame des penfées , lors que je ne
puis point y en découvrir moy-même. Il faut que ces
gens-là ayent la veûë bien perçante pour voir certaine-
ment que je penfe , lorfque je ne le faurois voir moy-mé-
me , & que je déclare expreflement que je ne le vois pas ;
& ce qu'il y a de plus admirable , des mêmes yeux qu'ils
pénétrent en moy ce que je n'y faurois voir moy-même,
ils voyent que les Chiens 6c les Elephans ne penfent point,
quoy que ces Animaux en donnent toutes les démonllra-
tions imaginables ^ excepté qu'ils ne nous le difent pas
eux-mêmes. Il y a en tout cela plus de myftére , au ju-
gement de certaines perfonnes , que cians tout ce qu'on
rapporte des Frères de la Rofe-Croix -, car enfin il paroit
plus aifé de fe rendre invifible aux autres , que de faire
que les penfees d'un autre me foient connues j tandis qu'il
ne les connoit pas luy-même. Mais pour cela il ne faut
„que définir , que l'Ame eft une Çubjiance qui petife ton-
jours, 6c l'affaire eft faite. Si une telle définition eft de
quelque autorité, je ne vois pas qu'elle puiffe fervir à au-
tre chofe qu'à faire foupçonner à plufieiirs perfonnes ,
qu'ils n'ont point d'Ame , puifqu'ils éprouvent qu'une
bonne partie de leur vie fe paffe fans qu'ils ayent aucune
penfee. Car je ne connois point de définitions ni de fup-
pofitions d'aucune Sede qui foient capables de détruire
une expérience conftante ; 6c c'eft fans doute une pareil-
le aftedation de vouloir lavoir plus que nous ne pouvons
com-
De lOrigine des Idées. Liv. II. m
comprendre qui caulc tant de bruit &: tant de vaines dif- Chap.I.v
putes dans le Mcnde.
§. 20. Je ne vois donc aucune raifon de croire, que L'Amen'aau-
l'Ame penfe avant que les Sens luy avent fourni des idées '^""^'^^«1"=
pour être 1 objet de les penlees ; èc comme le nombre de ou parRefic-
ces idées augmente , &: qu'elles fe confcrvent dans l'Ef- '^'°"-
prit j il arrive que l'Ame perfectionnant , par l'exercicej
ïx faculté de penfer dans ies différentes parties , en com-
binant diverfement ces idées , &: en retlechiflant fur fcs
propres opérations, augmente le fonds de fes idées, aulli
bien que la facilité d'en acquérir de nouvelles par le
moyen de la mémoire , de l'imagination , du raifonne-
ment, & des autres manières de penfer.
§.21. Qiuconque voudra prendre la peine de s'inftrui- Ceftceque
re par obfervation & par expérience , au lieu d'aflujettir oblè'vTJvT
la conduite de la Nature à fes propres hypothéfes , n'a <iemmeiudan?
q.u'à confiderer un Enfant nouvellement ne, &: il ne trou- '"^"^^"5.
vera pas , je m'afllire , que ion Ame donne beaucoup de
marques d'être accoutumée à penfer beaucoup , & moins
encore à former aucun raifonnement. Cependant il eft
bien mal-aifé de concevoir, qu'une Ame raiibnnable puif-
fe penfer beaucoup , fans raifonner en aucune manière.
D'ailleurs, qui confiderera que les Enfans nouvellement
nez , paffent la plus grande partie du temps à dormir , 8c
qu'ils ne font guère éveillez que lorfque la faim leur fait
fouhaitter le tetton, ou que la douleur , (qui eft la plus-
importune de nos Senfations) ou quelque autre violente
im-preffion , faite fur le Corps , forcent l'Ame à en pren-
dre connniOance, & à y fliire attention : quiconque, dis-
je, confiderera cela, aura fans doute raifon de croire, que
le Fœtus dans le 'ventre de la Me're , ne dijfere pas beanconù-
de l'état d'un vegetable ; & qu'il pafle la plus grande par-
tie du temps fans perception ou penfée , ne fliifant guère
autre chofe que dormir dans un Lieu , où il n'a pas befoin
de tetter pour fe nourrir, &: oii il eft environné d'une li-
queur, toujours également fluide, &: prefque toujours é-
galemeut tempérée 3 où les yeux ne font frappez d'aucu-
ne
112 T)î l'Origine des Idées.
Chap. I. ne lumière ; où les oreilles ne font guère en état de rece-
voir aucun fon, & où il n'y a que peu, ou pomtdechan-
-gement d'objets qui puiflent émouvoir les Sens.
§. 2 2. Suivez un Enfant depuis fil naiiïance, obfervez
les changemens que le temps produit en luy , 8c vous trou-
verez que l'Ame venant à fe fournir de plus en plus d'i-
dées par le moyen des Sens , fe reveille , pour ainfi dire,
de plus en plus , & penfe davantage à mefure qu'elle a
plus de matière pour penfer. Qiielque temps après , elle
commence à connoître les objets qui ont fait fur elle de
fortes imprelFions à mefure qu'elle s'eft plus familiarifée
avec eux. C'eft ainfi qu'un Enfant vient , par dégrez , à
connoître les perfonnes avec qui il eft tous les jours, &: à
les diftingucr d'avec les Etrangers ; ce qui montre en effet,
qu'il commence à retenir & à dillinguer les idées qui luy
: viennent par les Sens. Nous pouvons voir par même
moyen comment l'Ame fe perfeftionne par degrez de ce
côté-là, auill bien que dans l'exercice des autres Facultez
qu'elle a d'étendre fes idées, de les compofer ■> d'en former
des abftraBiom , de raifonner & de réfléchir fur toutes
h^ idées, dequoy j'aurai occadon de parler plus particu-
lièrement dans la fuite de ce Livre.
§.23. Si donc on demande, §luand ejt-ce quel' Homme
commence d'avoir des idées ? Je croy que la véritable ré-
ponfe qu'on puiffe faire , c'eft cie dire , Dès qu'il a quel-
que fenfatton. Car puifqu'il ne paroit aucune idée dans
l'Ame, avant que les Sens y en ayent introduit , je con-
çois que l'Entendement commence à recevoir des Idées :,
' juftement dans le temps qu'il vient à recevoir des fenfa-
tions, &: par confequent que les idées commencent d'y
être produites dans le même temps que la fenfation , qui
eft une impreffion , ou un mouvement excite dans quel-
que partie du Corps , qui produit quelque perception
dans l'Entendement.
Quelle "eft l'ori- §• 24. Voici donc , à mon avis , les deux fources de
giiie de tomes ^outcs nos connoiffances , VImpreJJion que les Objets ex-
noscomioi çérieurs font fiu" nos Sens , & les propres Opérations de
l'Ame
De l'Origine des Idées. Liv. II. 1 1 ^
i'i^me concernant ces Imprellions , fur lefquelles elle re- Chap. I.
fléchit comme fur les véritables Objets de fes Contempla-
tions. Ainfi la première capacité de l'Entendement Hu-
main conllfte en ce que l'Ame eft propre à recevoir les
imprefilons qui fe font en elle , ou par les Objets exté-
rieurs à la faveur des Sens , ou par fes propres Opérations
lors qu'elle réfléchit fur les idées qu'elle a par le moyen
des Sens. C'eft-là le premier pas que l'Homme fait vers
la découverte des chofes quelles qu'elles foient. C'efl: fur
ce fondement que font établies toutes les notions qu'il au-
ra jamais naturellement dans ce Monde. Toutes ces pen-
fées fublimes qui s'élèvent au deflus des nues &: pénétrent
jufque dans les Cieux, tirent de là leur origine ; & dans
toute cette grande étendue que l'Ame parcourt par fesva-
fl:es fpéculations , qui femblent l'élever fi haut , elle ne
pafie point au delà des Idées que la Senfation ou la Refle-
xion luy préfentent pour être les objets de ks contempla-
tions.
§.2^. L'Efprit eft:, àcetés;ard, purement pailif , gc L'Entendement
.1 •) n r j-> ■ J ' • elt pour l'ordi-
il n elt pas en Ion pouvou" d avoir ou de n avoir pas ces nair' paffif dans
rudimens , &: , pour ainfi dire , ces matériaux deconnoif- 1"! réception des
fance. Car les idées particulières des Objets des Sens ' '^" '"^ "'
s'introduifent dans nôtre Ame , foit que nous veuiliions
ou que nous ne veuiliions pas ; & les Opérations de nô-
tre Entendement nous laiflènt pour le moins quelque no-
tion obfcure des Idées que les Sens excitent en nous , per-
fonne ne pouvant ignorer abfolument ce qu'il fait lors
qu'il penfe. Lors , dis-je , que ces idées particulières fe
préfentent à l'Efprit , l'Entendement n'a pas la puiftfan-
ce de les refufer , ou de les altérer lors qu'elles ont fait
leur imprellîon , de les effacer , ou d'en produire de nou-
velles en luy-même , non plus qu'un Miroir ne peut
point refufer, altérer ou effacer les images que les Ob-
jets tracent fur la Glace devant laquelle ils font pla-
cez. Comme les Corps qui nous environnent , frap-
pent diverfement nos Organes , l'Ame eft: forcée d'en
recevoir les impreflions , èc ne fauroit s'empêcher d'a-
P voir
114 T>cs Idées f^inplcs..
Chap.I. voir la perception des idées qui font attachées à ces int-
prelîions-là.
CHAPITRE IL
Chap. II. Des Idées fim^les.
ideesquiiie §• I- "DO u R ttiicux Comprendre (quellc eft la nature fie
foiupascompo- ■*■ l'ctenduë de nos connoiflances , il y a une cho-
*^"' fe qui concerne nos idées à laquelle il faut bien prendre
garde; c'eft qu'il y a de deux fortes d^tdées, les unes Jim-
fies , & les autres compofées.
Bien que les Qiialitez qui frappent nos Sens , foient fl
fort unies, & fi bien mêlées enfemble dans les chofes mê-
mes, qu'il n'y ait aucune feparation ou diftance entre el-
les; il eft certain néanmoins, que les idées que ces diver-
fes Qiialitcz produifent dans l'Ame, y entrent par les Sens,
d'une manière fimple & fans nul mélange. Car quoy que
la Veùé & l'Attouchement excitent fouvent dans le même
temps différentes idées par le même objet , comme lors
qu'on voit le mouvement & la couleur tout à la fois ,. fie
que la Main fent la mollefle fie la chaleur d'un même mor-
ceau de cire ; cependant les idées fimplcs qui font ainlî
réunies dans le même fujet, font aulll parfaitement diftin-
£tes que celles qui entrent dans l'Efprit par divers Sens.
Par exemple, la froideur 8c la dureté qu'on fent dans un
morceau de Glace, fcmt des Idées auffi diftinctes dans l'A-
me, que l'odeur fie la blancheur d'une Fleur de Lis , ou
que la douceur du Sucre fie l'odeur d'une R.cfe :: ^ rien
n'eft plus évident à un homme que la perception claire fie
diftinfte qu'il a de ces idées fimplcs , dont chacune prife
à part, eft deftituée de toute compofition èc ne produit
par conféquent dans l'Ame qu'une conception entièrement
uniforme , qui ne fauroit être diftinguéeen différentes idées.
rEfpritnepeiit g j. Or CCS idées fimples , qui font les matériaux de
miifedcs idcct toutes Hos connoiflaHces , ne font fuggerecs à l'Ame, que
fimplcs. par
Des Idées /impies. Liv. IL ii^
par tes deux voyes dont nous avons parlé cy-defliis , jcChap. IL
veux dire , par la Senfation , & par la Reflexion. Lors
que l'Enrendement a une fois reçu ces idées fimples, il a
la puiflance de les repeter, de les comparer , de les unir
enlbmble , avec une variété prefque infinie , & de faire
par ce moyen de nouvelles idées complexes , félon qu'il
le trouve à propos. Mais il n'eft pas au pouvoir des Ef-
prits les plus fublimes, & les plus vaftes , quelque viva-
cité &: quelque fertilité qu'ils puiffent avoir , de former
dans leur Entendement aucune nouvelle idée fimple qui
ne vienne par l'une de ces deux voyes que je viens d'indi-
quer ; S>: il n'y a aucune force dans l'Entendement qui
foit capable de détruire celles qui y font déjà. L'Empire
que l'homme a fur ce petit Monde , je veux dire fur fon
propre Entendement , eft le même que celui qu'il exerce
dans ce grand Monde d'Etres vifibles. Comme toute la
puilTance que nous avons fur ce Monde Matériel , ména-
gée avec tout l'art ^ toute l'adreffe imaginable, ne s'étend
dans le fonds qu'à compofer & à divifer les Matériaux qui
font à nôtre difpofition , fans pouvoir faire la moindre par-
ticule de nouvelle matière, ou détruire un feul atome de
celle qui exifte déjà ; nous ne pouvons non plus former
dans nôtre Entendement aucune idée fimple, qui ne nous
vienne par les Objets extérieurs à la faveur des Sens , ou
par les reflexions que nous faifons fur les propres opéra-
tions de nôtre Efprit. C'eft ce que chacun peut éprouver
par luy-même. Et pour moy, je ferois bien ai fe que quel-
qu'un voulut elTayer de fe donner l'idée de quelque Goût,
dont fon Palais n'eut jamais été frappé , ou de fe former
l'idée d'une odeur qu'il n'eut jamais fentie : ôc lors qu'il
pourra le faire, j'en conclurrai tout aufli-tôt qu'un Aveu-
gle a des idées des Couleurs , 6c un Sourd des notions di-
ftindes des Sons.
§. 3. Ainfi , bien que nous ne puiilîons pas nier qu'il
ne foit auilî poflible à Dieu de faire une Créature qui re-
çoive dans fon Entendement la connoiffance des chofes
corporelles par des organes différens de ceux qu'il a don-
P 3 nez
1 1 6 Des Idées /impies.
Chap. II. nez à l'Homme, & en plus grand nombre que ces derniers
qu'on nomme les Sens , & qui font au nombre de cinq,
félon l'opinion vulgaire; je croy pourtant que nousnefiu-
rions imaginer ni connoître dans les Corps , de quelque
manière qu'ils foient difpofez , aucunes qualitez , dont
nous puilllons avoir quelque connoiflance, qui foient dif-
férentes des Sons, des Goûts, des Odeurs, &c des Qiia-
lirez qui concernent la Veûe Se l'Attouchement. Par la
même raifon , fi l'Homme n'avoit reçu que quatre de ces
Sens, les Qiialitez qui font les Objets du cinquième Sens,
auroient été aulîi éloignées de nôtre connoiflance, imagi-
nation & conception, que le font prefentemcntlesQLiali-
tez qui appartiennent au llxiéme , feptieme ou huitième
Sens, que nous fuppofons pollibles , ik: dont onnefauroit
dire, fans une grande préfomption , que quelques autres
Créatures ne peuvent être enrichies , dans quelque autre
partie de ce vafte Univers. Car quiconque n'aura pas la
vanité ridicule de s'élever au delfus de tout ce qui c{\ for-
ti de la main du Créateur , mais confiderera rimmenfité
de ce prodigieux Edifice qu'on nomme le Monde , & la
grande variété qui paroît dans cette petite & fi peu confi-
dcrable Partie où il fe trouve placé , quiconque , dis-je ,
examinera fcrieufement ces chofes, fera porté à croire que
dans d'autres Habitations de cet Univers , il peut y avoir
d'autres Etres Intelligens dont les facuUez luy font auflî
peu connues , que les Sens ou l'Entendement de l'Hom-
me font connus à un ver cache dans le fonds d'un cabinet.
Une telle variété & une telle excellence dans les Ouvra-
ges de Dieu , conviennent à la lagefle & à la puiffance de
ce granci Ouvrier. Au relie, j'ai fuivi dans cette occafion
le fentiment commun qui ne donne que cinq Sens à l'Hom-
me, quoy que peut-être on eût droit d'en compter davan-
tage. Mais ces deux fuppofitions fervent également à mon.
delfein.
CHA.-
"Des Idées qui viennent par tinfcttl Sc?is. L i v . 1 1 . 117
CHAPITRE III.
Des Idées qui nous "jiennent par unfeul Sens.
§. I. 1") Ou R mieux connoître les Idées c[ue nous re- Divifion des
X cevons par les Sens, il ne fera pas inutile de les ^''"^^""P'*^-
confiderer par rapport aux différentes voyes par où elles
entrent dans l'Ame , & fe font connoître à nous.
I. Premièrement donc il y en a quelques-unes qui nous
viennent parun feul Sens.
II. En fécond lieu, il y en a d'autres qui entrent dans.
l'Efprit par plus d'un Sens.
III. D'autres y viennent par la feule Réflexion.
IV- Et enfin il y en a d'autres que nous recevons par
toutes les voyes de la Senfation, auiîi bien que par la Ré-
flexion-
Nous allons les ccnfidercr à part fous ces diffcrens
chefs.
Premièrement, il y a des Idées qui n'entrent dansl'Ef- ^'''^'« 1"' ^jen-
prit que par unfeul Sens, qui efl: particulièrement difpofépt'"p^^'"'unld.
aies recevoir. Ainfi , la Lumière & les Couleurs, comme Sens,
le Blanc, le Rcuge, le Jaune, & le B'eu avec leurs mé-
langes Se leurs différentes nuances qui ferment le vert,
l'ecarlate , le pourpre, le vert de mer & le refte , entrent
uniquement par les yeux -, toutes les fortes de bruits, de
fons 6c de tons diflérens , entrent par les Oreilles -, les'
diiférens Goûts par le Palais, & les Odeurs par le Nez.
Et fi les Organes ou Nerfs, qui après avv ir reçu ces im-
preflions cie dehors , les portent au Cerveau , qui eft 3^
pour ainfi dire , la Chambre d'audience,, ou elles fe pré--
fentent à l'Ame, pour y caufer dift^èrentes fenûtions, fij,
dis-je , quelques-uns de ces Organes viennent à être dé-
traquez , en forte qu'ils ne puiflent point exercer leur;
fcndion , ces fenfations ne fauroient y être admifes par
quelque faufle porte, elles ne peuvent plus fe préfenter à .
l'Entendement ôc en être appercuës par aucune autre voye.
P 3. Les
T 1 8 Des Idées qui l'iennent par unfeul Sens,
C H A p. Les plus confidérables des Qualitez tatiiles , font le
III. froid i le chavd & l^foliditc. Pour toutes les autres, qui
ne confiftent prefque en autre chofe que dans la configu-
ration des parties fenfibles , comme ell ce qu'on nomme
foli èz riide y ou bien , dans l'union des parties , plus ou
moins forte , comme eft ce qu'on nomme compaBa , de
mon, dur, &c fragile-, elles fe prefentent affez d'elles-mê-
mes.
H y a peu d'i- §• 2. Je nccroypas qu'il foit neceffaire de faire ici une
dc'tsfimpiesqm énumcratiou de toutes les idées fimples qui font les Ob-
ayciit des noms. . ■ i- i n t- ^ • a
jets particuliers des bens. Lt on nepourroit même en ve-
nir à bout quand on voudroit -, parce qu'il y en a beau-
coup plus, que nous n'avons de noms pour les exprimer.
Les (3deurs , par exemple , qui font peut-être en auJÏÏ
grand nombre , ou même en plus grand nombre q-.ie les
différentes Efpéces de Corps qui font dans le Monde,
manquent de nom pour la plupart. Nous nous fervons
communément des mots dejenîir bon, ou fentir mauvais,
pour exprimer ces idées -, par où nous ne difons , dans le
fonds , autre chofe , fmon qu'elles nous font agréables ,
ou désagréables ; quoy que l'odeur de la Rofe , & celle
de la Violette, par exemple, qui font agréables l'une &
l'autre , foient fans doute des idées fort diftinftcs. On
n'a pas eu plus de foin de donner des noms aux différens
Goûts , dont nous recevons les idées par le moyen du Pa-
lais. Le doux , l'amer , Maigre , l'âpre , èc le fale font
prefque les feuls termes que nous ayions pour défigner ce
nombre infini de faveurs qui fe peuvent remarquer diftin-
^ement , non feulement dans prefque toutes les Efpéces
d'Etres fenfibles, mais dans les différentes parties de la
même Plante , ou du même Animal. On peut dire la
même chofe des Couleurs &: des Sons. Je me contente-
rai donc fur ce que j'ai à dire des idées fimples , de ne
propofer que celles qui font le plus à mon deffein , ou
qui font en elles-mêmes de nature à être moins connues ,
quôy que fort fxivent elles faffent partie de nos idées
complexes. Parmi ces Idées fimples, auxquelles on fait
peu
L'Idée de la Sûltdite. Liv. II. rr^f
peu d'attention , il me femble qu'on peut fort bien met- Chap.
tre la Solidité, dont je parlerai pour cet eiïet dans le Cha- III.
pitre fuivant.
CHAPITRE IV.
De la Solidité. Chap,
IV.
|. I. T 'Ide'e delà J'o//^/V/ nous vient par l'Attouche- c'cftpariAt-
L ment -, & elle eft caufee par la refiftance que 'Z^'^^IZZ.
nous trouvons dans un Corps jufqu'à ce qu'il ait quitté !''//<•£■ ^e usoh-
le lieu qu'il occupe , lors qu'un autre Corps y entre a- ''"'■'
ftuellcment. De toutes les Idées qui nous viennent par
Senfution , il n'y en a point que nous recevions plus con-
ftamment que celle de la Solidité. Soit que nous foyons
en mouvement ou en repos , dans quelque fituation que
nous nous rencontrions , nous Tentons toujours quelque-
chofe qui nous foiiticnt &: qui nous empêche d'aller plus
bas ; èc nous éprouvons tous les jours en maniant des
Corps, que, tandis qu'ils font entre nos mains , ils em-
pêchent , par une force invincible , l'approche des par-
ties de nos mains qui les preffent. Or ce qui empêche
ainfl l'approche de deux Corps lors qu'ils fe meuvent l'un
vers l'autre, c'eft ce que j'appelle J'o//W/Yf. Je. n'exami-
ne point fi le mot de Solide , employé dans ce fens , ap-
proche plus de fa figniiîcation originale, que dans le fens
auquej s'en fervent les Mathématiciens ; fuffit que la no-
tion ordinaire de la Solidité doive , je ne dis pas juftifier ,.
mais autonfer l'ufage de ce mot , au fens que je viens de
marquer i ce que je ne croy pas queperfonne veuille nier.
Mais fi quelqu'un trouve plus à propos d'appeller impéné-
trabilité, ce que je viens de nommer Solidité , j'y donne
les mains. Pour moy, j'ai crû le terme de Solidité , beau-
coup plus propre à exprimer cette idée , non feulement
à caufe qu'on l'employé communément en ce fens-là,mais
aufli parce qu'il emporte quelque chofe de plus pofitif
que
120 L'Idée de la Solidité'.
C H A p. que celui d'in^penetrabilite , qui eft purement négatif, &
ly. qui , peut-être , eft plutôt un effet de la folidité , que la
folidité elle-même. Du refte , c'eft de toutes les idées,
celle qui paroît la plus eflêntielle &z la plus étroitement
unie au Corps , en forte qu'on ne peut la trouver ou ima-
giner ailleurs que dans la Matière : Se quoy que nos Sens
ne la remarquent que dans des amas de matière d'une
groficur capable de produire en nous quelque fenfation ,
cependant l'Ame ayant une fois reçu cette idée par le
moyen de ces Corps grofllers , la porte encore plus loin,
la confiderant , auiîi bien que la Figure , dans la plus pe-
tite partie de matière qui puifle exifter , &c la regardant
comme infeparablemcnt attachée au Corps , où qu'il foit,
& de quelque manière qu'il foit modifié.
La folidité rem- §• 2. Or par Cette idée qui appartient au Corps , nous
^lurEfpace. coucevons que le Corps remplit VL/pace : autre idée qui
emporte, que par tout où nous imaginons quelque efpa-
ce occupé par une fubftance folide , nous concevons que
cette fubftance occupe de telle forte cet efpace , qu'elle
en exclut toute autre fubftance folide , ôc qu'elle empê-
chera à jamais deux autres Corps qui fe meuvent en ligne
droite l'un vers l'autre , de venir à fe toucher , fi elle ne
s'éloigne d'entr'eux par une ligne qui ne foit point paral-
lèle à celle fur laquelle ils fe meuvent aftuellement. C'eft
là une idée qui nous eft fuffifamment fournie par les Corps
que nous manions ordinairement.
(LaSoUdi'.ecft §. 3. Or cette réfiftance qui empêche que d'autres
diftcVente de Corps n'occupeut l'Efpacc dont un Corps eft a£luelle-
ment en poflcilion, cette rcfiftance, dis-}c^ eft fi grande
qu'il n'y a point de force , quelque grande qu'elle foit,
qui puilTe la vaincre. Que tous les Corps du Monde
preflént de tous cotez une goutte d'eau , ils ne pourront
jamais furmcnter la'réfiftance qu'elle fera, quelque 'rriolle
qu'elle foit, jufqu'à s'approcher l'un de l'autre; fi aupa-
ravant ce petit Corps n'eft ôté de leur chemin. En quoy
nôtre idée de h Solidité c{\: difterente de celle de V Efpace
/>wr,(qui n'eft capable ni de réfiftance ni de mouvement)
&
U Idée de la Solidité. Liv. II. 121
&. de l'idée ordinaire de la Dureté. Car un homme peut con- C h a p,
cevoir deux Corps éloignez l'un de l'autre qui s'approchent IV.
fans toucher ni déplacer aucune chofe folide , jufqu'à ce que
leurs furfaces viennent à fe rencontrer. Et parla nous avons,à
cequejecroy, une idée nette de l'Efpace fans Solidité j car
fans recourir à l'annihilation d'aucun Corps particulier, je
demande , fi un homme ne peut point avoir l'idée du mouve-
ment d'un feul Corps fans qu'aucun autre Corps fuccede im-
médiatement à fi place ? Il efl évident , ce me femble , qu'il
peut fort bien fe former cette idée ; parce que l'idée de mou-
vement dans un certain Corps, ne renferme pas plutôt l'idée
de mouvement dans un autre Corps , que l'idée d'une figure
•quarrée dans un Corps , renferme l'idée de cette figure dans
un autre Corps. Je ne demande pas fi les Corps exillent de tel-
le manière que le mouvement d'un feul Corps ne puifle exi-
fler réellement fans le mouvement de quelque autre rdéter-
mniercela, c'eft foûtenir ou combattre l'exiftence aftuelle
du Vuide > à quoyje nefonge pas préfentement. Je demande
feulement , fi on ne peut pomt avoir l'idée d'un Corps parti-
culier qui foit en mouvement, pendant que les autres font
en repos ? Je ne croy pas que perfonne le nie. Cela étant,
la place que le Corps abandonne en fe mouvant , nous
donne l'idée d'un pur efpace fans folidité, dans lequel un
autre Corps peut entrer fans qu'aucune chofe s'y oppofe,
ou l'y pouffe. Lors qu'on tire le pifton d'une Pompe,
l'efpace qu'il remplit dans le tube , eft vifiblement le mê-
me, foit qu'un autre Corps fuive le pifton à mefure qu'il
fe meut , ou non : & lors qu'un Corps vient à fe mou-
voir, il n'y a point de contradiftion à fuppofer qu'un au-
tre Corps qui luy eft feulement contigu , ne le fuive pas.
La nécelîîte d'un tel mouvement n'eft fondée que fur la
fuppofition , Qiie le Monde eft plein -, mais nullement,
fur l'idée diftinfte de l'Efpace & de la Solidité, qui font
deux idées auflî diflxrentes que la réfiftance ôc la non-ré-
fiftance , l'impulfion & la non-impulfion. Les Difputes mê-
mes que les hommes ont fur le vuide, montrent clairement
qu'ils ont des idées d'un Efpace fans corps , comme je le ferai
voir ailleurs. Q_ §.4,.
iit L'Idée de la SoUâité'.
Ch A p. §• 4- Il s'enfuit encore de là, que la Solidité diffère de
IV. laDrfrete, en ce que la Solidité d'un Corps n'emporte au-
Enquoyia5<)/;- tre chofc , fi cc n'eft que ce Corps remplit l'Efpace qu'il
c«w!f"'^'^^'* occupe, de telle forte qu'il en exclut abfolument tout au-
tre Corps ; au lieu que la Dureté confifte dans une forte
union de certaines parties de matière, qui compofent des
amas d'une grofleur fcnfible , de forte que toute la mafle
ne change pas aifément de figure. Et en effet , le dur &c
le mou font des noms que nous donnons aux chofes , feu-
lement par rapport à la conft itution particulière de nos
Corps ; ainii nous donnons généralement le nom de dur à
tout ce que nous ne pouvons fans peine faire chane;er de
figure en le preflant de quelque partie de nôtre Corps ; &
au contraire , nous appelions mon ce qui change la fitua-
tion de fes parties, lors que nous venons à. le toucher fans
faire aucun effort confiderable 6c pénible.
Mais la difficulté qu'il y a à faire changer de fituation
aux différentes parties fénfibles d'un Corps, ou à changer
la figure de tout le Corps , cette difficulté , dis-je , ne
donne pas plus de Solidité aux parties les plus dures de la
Matière qu'aux plus molles ; &c un Diamant n'eft point
plus folide que l'Eau. Car quoy que deux plaques de
Marbre foient plus aifément jointes l'une à l'autre , lors
qu'il n'y a que de l'eau ou de l'air entre deux , que s'il y
avoir un Diamant , ce n'eft pas à caufe que les parties du
Diamant font plus folides que celles de l'Eau , ou qu'el-
les rcilftent moins , mais parce que les parties de l'Eau
pouvant être plus aifément feparees les unes des autres ,
elles font écartées plus facilement par un mouvem.ent o-
blique, 6c laiflént aux deux pièces de Marbre le moyen
de s'approcher l'une de l'autre. Mais fi les parties de l'Eau
pouvoient n'être point chaffées de leur place par ce mou-
vement oblique, elles empêcheroient éternellement l'ap-
proche de ces deux pièces de Marbre, tout aulfi bien que
le Diamant; ec il feroit aufiî impolfible defurmonterleur
refiftance par quelque force que ce fut, que de vaincre la
réfillance des parties diL Diamant. Car que les parties de
ma-
L'Idée delà Solidité. Liv. II. 123
matière les plus molles & les plus pliables qu'il y ait au Chap,
Moiide , foient entre deux Corps quels qu'ils foient , lî IV.
on ne les chaiïe point de là , fie qu'elles relient toujours
entre deux, elles réiifterontaullî invinciblement à l'appro-
che de ces Corps que le Corps le plus dur qu'on puifle
trouver ou imaginer. On n'a qu'à bien remplir d'eau ou
d'air un Corps louple & mou , pour fentir bientôt de la
réfiftance en le preflant : & quiconque s'imagine qu'il n'y
a que les Corps durs qui puifïent l'empêcher d'approcher
fes mains l'une de l'autre, peut fe convaincre ailement du
contraire par le moyen d'un Ballon rempli d'air. L'Expé-
rience que j'ai oui dire avoir été faite à Florence , avec,
un Globe d'or concave , qu'on remplît d'eau Se qu'on re-
ferma exaftement , fait voir la Solidité de l'eau , toute li-
quide qu'elle eft. Car ce Globe ainfi rempli étant mis
fous une Preffe , qu'on ferra à toute force autant que les
vis le purent permettre , l'eau fe fit chemin elle-même à
travers les pores de ce Métal fi compafte ; èc comme fes
particules ne trouvoient point de place dans le creux du
Globe pour fe reflerrer davantage , elles fe firent jour par
le dehors , où elles s'exhalèrent en forme de rofée , ôc tojii-
bérent ainfi goutte à goutte, avant qu'on peut faire céder
les cotez du Globe à l'effort de la Machine qui les prelToit
avec tant de violence.
§. 5. Selon cette idée de la Solidité, V étendue du Corps
eft diftinfte de V étendue de l'Efpace. Car l'étendue du Corps
n'eft autre chofe qu'une union ou continuité de parties foli-
des,divifibles,8c capables de mouvement} au lieu que l'é-
tendue de l'Efpace eft une continuité de parties non folidos,
indivifibles, & immobiles. C'eft d'ailleurs de la Solidité. des
Corps que dépend leur impulfion mutuelle , leur réfiftan-
ce &: leur llmple impulfion. Cela pofé , il y a bien des gens,
au nombre defquels je me range , qui croyent avoir des
idées claires Se diftin£tes du pur Efpace & de la Solidité j
& qui s'imaginent pouvoir penfer à l'Efpace fans y conce-
voir aucune chofe qui refifte, ou qui foit poufTee par au-
cun Corps. C'eft-là , dis-je , l'idée de VEjpace /^^/r, qu'ils
Q^ 2 croyent
IV.
124 L'Idée de U Solidité.
C H A p. croyent avoir aufil nettement dans l'Efprit , que nd'éé'
qu'on peut fe former de l'érendiië du Corps ; car l'idée de
la dillance qui eft entre les parties oppnlees d'une liirface
concave, eft tout aufll daire , félon eux, fans l'idée d'au-
cune partie folide qui foit entre deux, qu'avec cette idée.
D'un autre côté, ils fe perfuadcnt qu'outre l'idée der£','^ .
face pur t ils en ont une au'-rc tout-a-fait différente de quel-
que choft qui rempîit cet Efpace,&:qui peut enêtrechaf-
fé par l'impulfion de quelque autre Corps , ou rcfifteràce-
mouvement. Qiie s'il fe trouve d'autres gens qui n'ayent
pas ces deux idées diftinttes , mais qui les confondent &:
des deux n'en faffent qu'une , je ne vois pas que des per-
fcnnes qui ont la même idée fous différens noms , ou qui
donnent le même nom à des idées différentes , puiffenr
non plus s'entretenir enfemble, qu'un homme qui n'étant
ni aveugle ni. fourd 6c ayant des idées diftuiftcs de la cou-
leur nommée Ecarlatc, &: du fon de la Trompette, vou-
droit difcourir de l'écarlate avec cet Aveugle, dont je'
parle ailleurs , qui s'étoit figuré que l'idée de l' Ecarlatc
reffembloit au fon d'une Trompette.
§. 6. Si, après cela, quelqu'un me demande, ce qxie
e'eft que la Solidité , je le renverrai à fes Sens pour s'en=
inftruire. Qii'iî mette entre fes mains un caillou ou un
ballon; qu'il tache de joindre fes mains , & il connoîtra
bientôt ce que c'eft que la Solidité. S'il croit que cela ne
fuflit pas poiu- expliquer, ce que c'eft que la Scjlidité, Se
en quoy elle confifte , je m'engage de le luy dire , lors
qu'il m'aura appris ce que c'eft que la Penfée &: en quoy
elle confifte, ou, ce qui eft peut-être plus aifé, lorsqu'il
m'aura expliqué ce que c'eft que l'étendue , ou le mou-
vement. Les idées fimples font telles précifément que
l'expérience nous les fait connoître } mais fi non con-
tens de cela , nous voulons nous en former des idées
plus nettes dans l'Efprit, nous n'^avancerons pas davan-
tage, que fi nous entreprenions de diffiper par de fim-
ples paroles les ténèbres dont l'Ame d'un Aveugle eft
environnée, & d'y produire par le difcours des idées
de
Des Idées /impies ô'C. Liv. II. 12^
de la Lumière &: des Couleurs. J'en donnerai la rai- Chap;
fon dans un autre endroit. IV.
CHAPITRE V.
Des Idées fimples qui nous viennent par divers Sens. Chap. V.
LE s Id £'e s qui viennent à rEfprit par plus d'un Sens,
font celles de VEjpace ou de V Etendue , de la Figure 3
du Mouvement & du Repos. Car toutes ces chcfes font
des unprellîons fur nos yeux & fur les organes de l'attou-
chement j de forte que nous pouvons également , par le
moyen de la veûë & de l'attouchement , recevoir Se faire
entrer dans nôtre Efprit les idées de l'Etendue, de la Fi-
gure , du Mouvement , ôc du Repos des Corps. Mais
comme j'aurai occafion d'en parler ailleurs plus au long ,
je me contente d'en avoir fait ici l'énumeration.
CHAPITRE VI.
Des Idées Simples qui viennent par Reflexion. Chap
VI.
§. I. T Es Objets extérieurs ayant fourni à TEfprit les
*-• Idées dont nous avons parlé dans les Chapitres
précedens , l'Efprit faifant reflexion fur luy-même , &
confiderant fes propres opérations par rapport aux idées
qu'il vient de recevoir , rire de là d'autres Idées qui font
aufli propres à être les Objets de fes contemplations qu'au-?
cune de celles qu'il reçoit de dehors.
§. 2. Il y a deux grandes & principales: aftions de nôtre Lesidccstkia
Ame dont on parle le plus ordmairement , &: qui font en effet b vol'om" itoî
fifréquentes,que chacun peut les découvrir aifément en lu y- viennent par k.
même, s'il veut en prendre la peme. Et ces deux adions font ^'^"^°^"
La Perception ou la Puiffance de penfer , 6c
hâVolontéj ou la Puiffance de vouloir.
ÇL3 ^ La
T2^ Des làc'es [Impies qui viennent
î H A p. La Puiflance de penfer eft ce qu'on nomme VEntenâe-
yi. ment , &: la Puiflance de vouloir eft ce qu'on nomme la
Volonté; deux Puiffances ou difpciitions de l'Ame .aux-
quelles on donne le nom de Facultés:. J'aurai occafion
de parler dans la fuite de quelques-uns des modes de ces
idées fimples produites par la iCétiexion , comme efty^
rejfouvenir des idées , les dt [cerner ou dijlmguer , raifon-
ner, juger» connaître) croire y 6zc.
CHAPITRE VII.
Ch AP. Des Idées Jîm pies qui viennent par Senfation cr
yil. par Réflexion.
§. I. TL y a d'autres Idées fimples qui s'introduifent
J. dans l'Efprit par toutes les voyes de la Senfa-
tion , & par la Réflexion , favoir
Le Tlaifir , & fon contraire ,
La Douleur ) ou l'incommodité,
La Puijfancc i
h' Exigence , vc
UUntté.
DuPUiGr&dc §-2. Le Plai[îr Se la Douleur font deux Idées dont
U Douleur. l'une ou l'autre fe trouve jointe à prefque toutes nos I-
dées, tant celles qui nous viennent par fenfation que cel-
les que nous recevons par reflexion > »k: à peine trouve-
roit-on quelque perception caufée fur nos Sens par des
Objets extérieurs, ou aucune penfee renfermée dans nô-
tre Efprit , qui ne foit capable de produire en nous du
plaifir ou de la douleur, j'entens par ces mots de plaillr
£c de douleur tout ce qui nous plait ou nous incommo-
de ; foit qu'il procède des penfées de nôtre Efprit , ou
de quelque chofe qui agiife fur nos Corps. Car foit que
nous l'appellions d'un côté fattsfaÛion , contentement »
plaiflry bonheur. Sec. ou de l'autre, incommodité » peine,
douleur 3 tourment , ajjliéiim , mij'ére j &:c. ce ne font
dans
far Senfaîion é^ par Réflet<ion. L i v. II. 127
dans le fonds que difîerens dégrezde la même chofe, Icf- Ch a r
quels fe rapportent aux idées de plaifir , & de douleur, VII.
de contentement , ou d'incommodité ; termes dont je me
fervirai le plus ordinairement pour defigncr ces deux for-
tes^ d'Idées.
§.3. Le fouverain Auteur de nôtre Etre , dont la fa-
gefle eft infinie , nous a donné la puiflance de mouvoir
différentes parties de nôtre Corps , ou de les tenir en re-
pos j comme il nous plaît , & par ce mouvement que
nousleur imprimons, de nous mouvoir nous-mêmes, 8c
de mouvoir les autres Corps contigus , en quoy confi-
ftcnc toutes les aftions de nôtre Corps. Il a aulîl accor-
dé à nôtre Efprit le pouvoir de chi ihr en différentes ren-
contres, entre fes idées, celle qu'il veut faire le fujet de
fes penfées, & de s'appliquer avec une attention particu-
lière à la recherche de tel ou tel fujet. Et afin de nous
porter à ces mouvemens & à ces penfées, qu'il eft en nôtre
pouvoir de produire quand nous voulons , il a eii la bon-
té d'attacher un fentiment de plaifir à différentes penfées,
& à diverfes fenfations. Rien ne pouvoit être plus fage-
ment établi j car fi ce fentiment étoit entièrement déta-
che de toutes nos fenfations extérieures , & de toutes les
penfées que nous avons en nous-mêmes , nous n'aurions
aucun fajet de préférer une penfée ou une a£lion à une
autre , la nonchalance par exemple , à l'attention , 6c le
repos au mouvement. Et ainfi nous ne fongerions point
à mettre nôtre Corps en mouvement, ou à occuper nôtre
Efprit , mais nous laifferions aller nos penfées au hazard ,
fans les diriger vers aucun but particulier, nous ne ferions
aucune attention fur nos idées , qui femblables à de vai-
nes ombres viendroient fe montrer à nôtre Efprit , fuis
que nous nous en millions autrement en peine. Or l'Hom-
me réduit dans cet érat , quoy que doué des facilitez de
l'Entendement &: de la Volonté , ne feroit qu'une Créa-
ture inutile , plongée dans une parfaite inaftion , paffant
toute fa vie dans une lâche 6c continuelle léthargie. Il a
donc plu à nôtre fage Créateur d'attacher à plufieurs
Ob-
128 Des Idées Jîmpks qui 'viennent
Chap. Objets, 5c aux Idées que nous recevons par leur moyen,
VII. aufli bien qu'à la plupart de nos penfées , certain plaifir
qui les accompagne, ôc cela en différens dégrez félonies
diffcrens Objets dont nous femmes frappez , afin que
nous ne lailîions pas ces Facultez dont il nous a enrichis,
dans une entière oifiveté, & fans en faire aucun ufage.
§. 4. La Douleur n'eft pas moins propre à nous met-
tre en mouvement a que le Plaifir} car nous fommestout
aulll prêts à employer nos Facultez à éviter la Douleur
qu'à rechercher le Plaifir. La feule chofe qui mérite d'ê-
tre rerîiarquée en cette occalion , c'ell: que la Douleur eji
fonvcfit produite par les mêmes Objets ô" par les mêmes
Idées qui nous caufent du Plaifir. L'étroite liaifon qu'il
y a entre l'un Se l'autre , & qui nous caufe fouvent de la
douleur par les mêmes fenfaticns d'où nous attendons du
plaifir, nous fournit un nouveau fujet d'admirer lafagefle
& la bonté de nôtre Créateur qui pour la confervation
de nôtre Etre a établi que certaines chofes venant à agir
fur nos Corps , nous cauiaflent de la douleur , pour nous
avertir par là du mal qu'elles nous peuvent . faire , afin
que nous fongions à nous en éloigner. Mais comme il n'a
pas eu feulement en veûë la confervation de nos perfon-
nes en général , mais la confervation entière de toutes les
parties &: de tous les organes de nôtre Corps en particulier ,
il a attaché , en plulleurs occafions , un fentiment de dou-
leur à ces mêmes idées qui nous font du plailir en d'au-
tres rencontres. Ainli la Chaleur , qui dans un certain
degré nous eft fort agréable , venant à s'augmenter un
peu plus, nous caufe une extrême douleur. La Lumière
elle-même qui eft le plus charmant de tous les Objets
•fenfibles , nous incommode beaucoup fi elle frappe nos
yeux avec trop de force & au delà d'une certaine pn por-
tion. Or c'eft une chofe fagement &: utilement établie
par la Nature, que, lors que quelque Objet met cndés-
. ordre , par la force de fes imprelîions , les organes du fen-
timent, dont la ftrufture ne peut qu'être fort délicate,
rHous pu i fiions êtr£ avertis , par la douleur que ces fortes
d'im-
par Senfation ér far Re'Jlexion. L i v. IL 129
d'impreffions produifent en nous , de nous éloigner de C h a p.
cet objet , avant que l'organe foit entièrement déréglé , VII.
^ hors d'état de fiiire fes fondions à l'avenir. Il ne Faut
que réfléchir fur les Objets qui caufent de tels fentimens ,
pour être convaincu que c'eft là elfeftivement la fin ou
l'ufage de la douleur. Car quoy qu'une trop grande Lu-
mière foit infupportable à nos yeux , cependant les ténè-
bres les plus obfcures ne leur caufent aucune incommodi-
té , parce que la plus grande obfcurité ne produifant au-
cun mouvement déréglé dans les yeux , laifle cet excel-
lent Organe de la veûé dans fonétat naturel fans leblefler
en aucune manière. D'autre part , un trop grand Froid
nous caufe de la douleur aulll bien que le Chaud -, parce
que le Froid eft également propre à détruire le tempéra-
ment qui eft nécefiliire à la confervation de nôtre vie , & .
à l'exercice des fondions différentes de nôtre Corps -,
tempérament qui confifte dans un degré modéré de cha-
leur, ou fi vous voulez , dans le mouvement des parties
infenfibles de nôtre Corps , réduit à certaines bornes.
§. 5. Outre cela, nous pouvons trou ver une autre rai-
fon pourquoy Dieu a répandu différens dégrez de plaifir
&: de peine , dans toutes les chofes qui nous environnent
&: qui agiffent fur nous , &: pourquoy il les a joints enfem-
ble dans la plupart des chofes qui frappent nôtre Efprit
êc nos Sens. C'eft afin que trouvans dans tous les plai-
firs que les Créatures peuvent nous donner , quelque a-
mertume , une fatisfa£tion imparfaite & éloignée d'une
entière félicité, nous foyons portez à chercher nôtre bon-
heur dans la pofreflîon de celui en qui il y a un rajjajlement
àe joye , ^ Ha droite duquel il y a des ^laijlrs four tou-
jours.
§. 6. Quoy que ce que je viens de dire ne puiiTe peut-
être de rien fervir à nous faire connoître les idées du plai-
fir 6c de la douleur plus clairement que nous les connoif-
fons par nôtre propre expérience , qui eft la feule voye
par laquelle nous pouvons avoir ces Idées j cependant
comme en confiderant la raifon pourquoy ces Idées fe
R trou^
130 Des Idées flrapJes qui viennent
C H A p. trouvent attachées à tant d'autres , nous femmes portez
VU. p^t là à concevoir de juftcs fentimens de la fagefl'e & .de
la bontc du fouverain Conducteur de toutes chofes > cet-
te confideration convient aflez bien au but principal de
ces Recherches ; car la connoiflance 6c l'adoration de cet
Etre Suprême , eft la principale fin de toutes nos pen-
fces , &: la véritable occupation de nôtre Entende-
ment.
Commnn OH §. 7. L'^A^/yïfWf f & l'C/w/Y/ fout dcux autrcs Idécs , qui
nurd^idë'cs'dê ^'^"^ communiquees à l'Entendement par chaque objet
Vex.flemc &. de extérieur & par chaque idée que nous appercevons en
VUmie. nous-mêmes. Lors que nous avons des idées dans l'Ef-
prit, nous les confiderons comme y étant actuellement,
tout ainfi que nous confiderons les chofes comme étant
actuellement hors de nous , c'eft: à dire comme actuelle-
ment exijianies en elles-mêmes. D'autre part , tout ce
que nous confiderons comme une feule chofe , foit que
ce foit un Etre réel , ou une fimple idée , fuggere à nô-
tre Entendement l'idée de VUmte.
La PiiifT.vue, §.8. La Pui(fûnce eft encore une de ces Idées fimples
pïerqurnMs 1"^ '^^"^ rcccvons par Senfation êc par Réflexion. Car
vient parSenfa. Venant à obfeîvcr en nous-mêmes , que nous penfons Se
non & par Rc- ^^^ nous pouvons pcnfct , que nous pouvons , quand
nous voulons , mettre en mouvement certames parties de
nôtre Corps qui font en repos , & d'ailleurs les effets que les
Corps naturels font capables de produire les uns liir les
autres , fe préfentant , à tout moment , à nos Sens , nous
acquérons par ces deux voyes l'idée de la Puiffancc.
L'idc'e de la §. Cf. Outtc CCS Idées , il y en a unc auttc , qui,quoy
"^"ennn'roXré 'l'-*^^^^ "^^-'^ ^^^^ proprement communiquée par les Sens ,
daiislEtiuit. nous eft néanmoins offerte plus conftamment par ce qui
fe paftê dans nôtre Efprit -, &c cette Idée eft celle de la
SucceJJlon. Car fi nous nous confiderons immédiatement
nous-mêmes j èc que nous reflechillions fur ce qui peut y
être obferve , nous trouverons toujours , que , tandis que
nous fommes éveillez , ou que nous avons quelque pen-
fée 3 nos Idées paflênt j pour airJl dire , en revcùë de-
vant
par S en fat ion & par "Réflexion. Liv. II. 131
vant nôtre Eijprit , l'une allant j &: l'autre venant , fans C h a p.
aucun relâche. VII.
§. 10. Voilà, à ce que je croy , les plus confidérables, L«Wcesfim-
pour ne pas dire les feules Idées fimples que nous ayions, Matcruurdc
defquelles nôtre Efprit tire toutes fes autres connoiflances, toutes nos co«-
& qu'il ne reçoit que par les deux voyes de Senfation 6c de "°''*""^-
Reflexion dont nous avons déjà parlé. •
Et qu'on n'aille pas fe figurer que ce font là des bornes
trop étroites pour fournir à la valte capacité de l'Enten-
dement Humain qui s'élève au dcffus des Etoiles , Se ne
pouvant être renferme dans les limites du Monde , fe
tranfporte quelquefois bien au delà de l'étendue matériel-
le, &fait des courfes jufques dans ces Efpaces incompre-
henfibles qui ne contiennent aucun Corps. Telle eft l'e-
tenduë & la capacité de l'Ame, j'en tombe d'accord; mais
avec tout cela , je voudrois bien que quelqu'un prit la
peine de marquer une feule idée fimple , qu'il n'ait pas
reçue par l'une des voyes que je viens d'indiquer, ou quel-
que idée complexe qui ne foit pas compofée de quelqu'u-
ne de ces Idées fimples. Du refi:e, on ne fera pas fi fort
furpris que ce petit nombre d'idées fimples fuffife à exer-
cer l'Efprit le plus vif & de la plus vafte capacité , & à
fournir les matériaux de toutes les diverfes connoifTances,
des opinions &: des imaginations les plus particulières de
tout le Genre Humain , fi nous conliderons quel nombre
prodigieux de mots on peut faire par le différent afi^^mbla-
ge des vingt-quatre Lettres de l'Alphabet , oc fi avançant
plus loin d'un degré nous faifons reflexion fur ladiverfité
des combinaifons qu'on peut faire par le moyen d'une
feule de ces idées fimples que nous venons d'indiquer , je
veux dire le nombre ; combinaifons dent le fonds eft iné-
puifable &: véritablement infini. Qiie dirons-nous de l'é-
tendue ? Qiiel large &; vafte champ ne fournit-elle pas aux
Mathématiciens f
R 2 CHA-
1^2 Autres Confiàerations
CHAPITRE VIII.
Autres C onfidérations fur les Idées Jlmples.
idcespofitives §• I. A L'égard dcs Idécs fimplcs qui Viennent par Scn-
qui viennent de X> fation , il faut confidcrer , que tout ce qui en •
cauesptnai- ^^^^^^ ^ç, l'inftitution de la Nature eft capable d'exciter
quelque perception dans l'Efprit , en frappant nos Sens,
produit par même moyen dans l'Entendement une idée
fimple } qui par quelque caufe extérieiu:e qu'elle foit pro-
duite , ne vient pas plutôt à nôtre connoiflance 3 ,que nô-
tre Efprit la regarde & la coniidere dans l'Entendement
comme une Idée aullî réelle Se aulTi pofitive , que quel-
que autre idée que ce foit ; quoy que peut-être la caufe
qui la produit , ne foit dans le fujet qu'une fimple priva-
tion.
§.2; Ainfi les idées dû Chaud & du Froid, de la Lu-
mière & des Ténèbres, du Blanc &: du Noir, du Mou-
vement Se du Repos , font des idées également claires 5c
pofitives dans l'Efprit > bien que quelques-unes des cau-
ics qui les produifent, ne foient, peut-être , que de pu-
res privations dans les fujers , d'oii les Sens tirent ces I-
dées. Lors, dis-je , que l'Entendement voit ces Idées,
il les confidére toutes comme dillinftes &: p::lîtives, fans
fonger à examiner les caufcs qui les produifent ; examen
qui ne regarde point l'idée entant qu'elle eft dans l'En-
tendement; mais la nature même des chofes qui exillent
hors de nous. Or ce font deux chofes bien différentes , &
qu'il faut diftinguer exaftement j car autre chofeeftjd'ap-
percevoir &: de connoître l'idée du Blanc ou du Noir , oc
autre chofe, d'examiner quelle efpéceôc quel arrangement
de particules doivent fe rencontrer fur la furtacc d'un Corps
pour faire qu'il paroiflé blanc ou noir.
§. 3, Un Pemtre ou un Teinturier qui n'a jamais re-
cherché les caufes des Couleurs , a dans Ion Entendement
les
fur les Idées ^mples. Lrv. II. 135
les Idées du Blanc Se du Noir , & des autres couleurs , Cha?^^
d'une manière aufll claire, aufli parfaite 6c auflî diftinde, VIIL
qu'un Philofophe qui a employé bien du temps à exami-
ner la nature de toutes ces différentes Couleurs , & qui
penfe connoître ce qu'il y a précifément de politif ou de
privatif dans leurs Caufes. Ajoutez à cela , que Xidée dti
Noir n'eft pas moins pofitive dans l'Efprit , que celle du,
Blanc i quoy que la caitfe du Noir , confideré dans l'Ob-
jet extérieur, pnfje n'être qu'une Jimple pivation.
§. 4. Si c'étoit ici le lieu de rechercher les caufes na-
turelles de. la Perception, jeprouverois par làqu'««ef«K-
fe privative peut , du moms en certaines rencontres , pro~-
duire une idée po/itive : je veux dire , que, comme toute-
fenfation efl: produite en nous , feulement par diiférens
dégrez & par dilférentes déterminations de mouvement
dans nos Efprits animaux, diverfement agitez par les Ob-
jets extérieurs , la diminution d'un mouvement qui vient
d'y être excité , doit produire auiîi néceflairement une
nouvelle fenfation , que la variation ou l'augmentation
de ce mouvemcnt-là , Se introduire par conféquent dans
nôtre Efprit une nouvelle idée , qui dépend uniquement
d'un mouvement différent des Efprits animaux dans l'or-
gane defliné à produire cette fenfation.
§. 5. Mais que cela foit ainfl ou non , c'eft ce que je;
ne veux pas déterminer préfentement. Je me contenterai
d'en appeller à ce que chacun éprouve en fo y-même ,
pour favoir fi l'Ombre d'un homme , par exemple , (la- -
quelle ne confifte que dans l'abfence de la lumière , en
forte que moins la lumière peut pénétrer dans le lieu où
l'Ombre paroit , plus l'Ombre y paroit diftinftement) fi
cette Ombre, dis-je, ne caufe pas dans l'Efprit de celui
qui la regarde une idée auili claire & aufïï pofitive , que-
le Corps même de l'Homme, quoy que tout couvert des
rayons du Soleil ? La peinture de l'Ombre eft de même
quelque chofe de pofitif. A la vérité , nous avons des
Noms négatifs qui ne fignifient pas direftement des idées
pçlitiyes , mais l'abfence de ces idées 5 tels font ces mots,.
R 3 inf-' ^
134 Autres Confîderatiom
Ch^\p. infipiâe , Jilcnce -, rien. Sec. lefquels défîgnent des idées
VIII. politives, comme celles du ^0//^ , du /o« , ècdcVEtre,
avecunefignificacionde rabfence de ces chofes.
idc'es pofitives §. 6. Onpeutdoiic dire avec vérité qu'un hommevoit
«lîfa "prl'vau! ^^^ ténèbres. Cir fuppofons un trou parfaitement obfcur,
v«. d'où il ne reflechifle aucune lumière, il eft certain qu'on
en peut voir la figure ou la reprefenter j & je ne lai il l'i-
dée produite par l'ancre dont j'écris, vient par une autre
voye. En propoiant ces privations comme des caufes
d'idées pofitives j j'ai fuivi l'opinion vulgaire; mais dans
le fonds il fera mal-aifé de déterminer s'il y a effective-
ment aucune idée , qui vienne d'une caufe privative ,
jufqu'à ce qu'on ait déterminé , Ji le Repos e[t piâtk une
privation que le Mouvement.
Tdees<3ans TEf- §. 7. Mais afin de mieux découvrir la nature de nos
des'ïrp?''& ^^^^^■> ^ d'en difcourir d'une manière plus intelligible,
Quaiitez dans il clt néccflaire de les diftinguer entant qu'elles font des
les Corps, deux pej-cepf ions &c dcs idées de nôtre Efprit, èc entant qu'el-
vent être diflin- les font, dans Ics Corps , dcs modifications de matière
guces. qui produifent ces perceptions dans l' Efprit. Il faut ,
dis-je , diftinguer exactement ces deux chofes , de peur
que nous ne nous figurions (comme on n'eft peut-être que
trop accoutumé à le faire) que nos Idées font de vérita-
bles images ou reflemblances de quelque chofe d'inhérent
dans le fujet qui les produit; car la plupart des Idées de
Senfation qui font dans nôtre Efprit , ne rcflémblent pas
plus a quelque chofe qui exifte hors de nous , que les
noms qu'on employé pour les exprimer, reflemblent à nos
Idées, quoy que ces noms ne lailfent pas de les exciter en
nous , dès que nous les entendons.
§.8. J'appelle idée tout ce que l'Efprit apperçoit en
luy-mém€ , toute perception qui eft dans nôtre Elprit
lors qu'il penfe: Se j'appelle qualité du lujet , la puiflan-
ce ou faculté qu'il a , de produire une certaine idée dans
l'Efprit. Ainfi j'appelle /^cVj, la blancheur, la froideur
&: la rondeur, entant qu'elles font des perceptions ou des
fcnfations qui font dans l'Ame : Se entant qu'elles font
dans
fur les Idées Jîmples. L i v. II. 15^
dans une balle de neige , qui peut produire ces idées en C h a p.
nous , je les appelle qualité^. Qiie fi je parle quelque- VllI.
fois de ces idées comme fi elles étoient dans les chofes
mêmes, on doit fiippofer que j'entens par là les qualitez
qui fe rencontrent dans les Objets qui produifent ces idées
en nous.
<S. 0. Cela pofé , l'on doit diftino;uer dans les Corps Premières &
deux fortes de Qiialitez. rremierement , celles qui font li^ez dans le?
entièrement infeparables du Corps , en quelque état qu'il Corps,
foit j de forte qu'il les conferve toujours , quelques alté-
rations 6c quelques changemens que le Corps vienne à
fouffrir. Ces qualitez , dis-je , font de telle nature que
nos fens les trouvent toujours dans chaque partie de ma-
tière, qui eft allez grofle pour être apperçuë, S<. l'Efprit
les regarde comme infeparables de chaque partie de ma-
tière, lors même qu'elle eft trop petite pour que nos fens
puiflent l'appercevoir. Prenez , par exemple , un grain de
blé , Ôc le divifez en deux parties } chaque partie a tou-
jours de V étendue i de la foUdiîc , une certaine figure , &c
de la mobilité. Divifez-le encore , il retiendra toijjours
les mêmes qualitez } 6c fi enfin vous le divifez jufqu'à ce
que fes parties deviennent infenfibles , toutes ces quali-
tez refteront toujours dans chacune des parties. Car une
divifion qui va à réduire un Corps en parties infenfibles *
(^qui eft tout ce qu'une meule de moulin , un pilon ou
quelque autre Corps peut faire fur un autre Corps,} une
telle divifion ne peut jamais ôter à un Corps la folidité 5
l'étendue , la figure & la mobilité , mais feulement faire
plufieurs amas de matière , diftin£ts 6c feparez de ce qui
n'en compofoit qu'un auparavant , lefquels étant regar-
dez dès-là comme autant de Corps diftin6ts , font un
certain nombre déterminé , après que la divifion eft finie-
Ces qualitez du Corps qui n'en peuvent être feparèes, je
les nomme qualitez originales 6c premières , qui font la
folidité, l'étendue, la figure, le nombre ,1e mouvement
ou le repos, 6c qui produifent en nous des idées fimples^
comme chacun peut 5 à mon avis 3. s'en afliirer par foy-
même. §, io.>
136 Autres ConJIderations
C H AP. §. 10. Il y a , en fécond lieu , des qualitez qui dans
VIII. les Corps ne font effectivement autre chofe que la puif-
fânce de produire diverfes fenfations en nous par le moyen
de leurs premières qualitez , c'eft: à dire par la grofleur,
figure , contexture &: mouvement de leurs parties infen-
flbles, comme font les Couleurs , les Sons, les Goûts,
&c. Je donne à ces qualitez le nom àt fécondes qualitez -y
auxquelles on peut ajouter une troilléme efpéce , que
tout le monde s'accorde à ne regarder que comme une
puilTance que les Corps ont de produire tels 8c tels effets,
quoy qtie ce foient des qualitez aulli réelles dans le fujet
que celles que j'appelle qualitez, pour m'accommoder à
Tufage communément reçu, mais que j^ nomme fécondes
qualitez pour les diftingucr de celles qui font réellement
dans les Corps, Se qui n'en peu vent être feparées. Car par
exemple la puiffance qui eft dans le Feu , de produire par
le moyen de fes premières qualitez une nouvelle couleur
ou une nouvelle confiftence dans la cire ou dans la boûë ,
eft autant une qualité dans le Feu, que la puiffance qu'il
a de produire en moy, par les mêmes qualitez , c'eft-à-
dire par la groffeur , la contexture & le mouvement de
fes parties infenfibles , une nouvelle idée ou fenfation de
chaleur ou de brûlure que je ne fentois pas auparavant.
-CoTnmtnt les , §• 1 1 • Ce que l'on doit confiderer après cela , c'eft
premières fii'i- la manière dont les Corps agiffent les uns fur les autres.j
dérilc'w^cn"' Il eft vifible, du moins autant que nous pouvons le con-
mouj. cevoir , que c'eft par impuljïon , fie non autrement. Car
il nous eft impoffible de comprendre que le Corps puiffe
agir fur ce qu'il ne touche point, (ce qui eft autant que
d'imaginer qu'il puiffe agir où il n'eft pas) & comment ve-
nant à toucher un autre Corps , il pourroit agir fur luy
fans fe mouvoir.
§. 12. Si donc les Corps ne peuvent agir que par con-
tait i ôc fi les Objets extérieurs ne s'uniffent pas immé-
diatement à l'Ame lors qu'ils y excitent des idées, 6c que
cependant nous appercevions ces §lualitez originales dans
;Ceux de ces Objets qui viennent à tomber fous nos Sens ,
il
fur les Idées /impies. Liv. II. 137
ri eft vifible qu'il doit y avoir , dans les Objets extérieurs, C h a p.
un certain mouvement , qui agiflant fur certaines parties VIII.
de nôtre Corps, foit continué par le moyen des Nerfs ou
des Efprits animaux, jufques au Cerveau, ou au fiégede
nos Senfations, afin d'exciter dans nôtre Efprit les idées
particulières que nous avons de ces Premières Çlualites:.
Ainfi , puifque l'Etendue , la figure , le nombre & le
mouvement des Corps qui font d'une grofleur propre à
frapper nos yeux , peuvent être apperçus par la veûë à
une certaine diftance , il e(l évident , que certains petits
Corps imperceptibles doivent venir de l'Objet que nous
regardons , jusqu'aux yeux , &" par là communiquer au
Cerveau certains mouvemens qui produifent en nous les
idées que nous avons de ces différentes Qiialitez.
§. 15. Nous pouvons concevoir par même moyen. Gommait les
comment les idées des Seconàes GluaUtez font produites ['^"^.^1^^^^^
en nous , je veux dire par i'aftion de quelques particules nous des idées.
infenfibles fur les Organes de nos Sens. Car il eft évident
qu'il y a un grand amas de Corps dont chacun eft fi petit,
" que nous ne pouvons en découvrir, par aucun de nos Sens, la
grofleur , la figure Se le mouvement , comme il paroît par les
particules de l'Air Se de l'Eau, &: par d'autres beaucoup plus
déliées , que celles de l'Air &: de l'Eau , &: qui peut-être le
font beaucoup plus , que les particules de l'Air ou d j l'Eau
ne le font, en comparaifon des pois, ou de quelque autre
grain encore plus gros. Cela étant , nous fommes en àxoix. de
fuppofer que ces fortes de particules , différentes en mou-
vement, en figure, en groffeur , & en nombre , venant
à frapper les differens organes de nos Sens, produifent en
nous ces différentes fenfations que nous caufent les Cou-
leurs Se les Odeurs des Corps j qu'une /^(?to/f, par exem-
ple, produit en nous les idées de la couleur bleuâtre , &
de la douce odeur de cette Fleur , par l'impulfion de ces
fortes de particules infenfibles, d'une figure & d'une grof-
feur particulière , qui diverfement agitées viennent à frap-
per les organes de la veùë & de l'odorat. Car il n'eft pas
plus difficile de concevoir , que Dieu peut attacher de
S tel-
î38 Autres Confiderations
C H A p. telles làècs à des mouvemeiis avec lefquels elles n'ont au^
VIII. ciine refTeniblance , qu'il efl difficile de concevoir qu'il
a attaché l'idée de la douleur au mouvement d'un mor-
ceau de fer qui divife notre Chair , auquel mouvement
la douleur ne refTemble en aucune manière.
§. 14.. Ce que je viens de dire ties Couleurs & des O-
deurs , peut s'appliquer aufll aux Sons, aux Goûts, & à
toutes les autres Qiialitez fenfibles , qui (quelque réalité
que nous leur attribuyions faufTement} ne font dans le
fonds autre chofe dans les Objets que la puiflance de pro-
duire en nous diverfes fenfations par le moyen de leurs
Fremie'res Clualitez, qui font , comme j'ai dit , la grof-
feur j la figure , la contexture & le mouvement de leurs
Parties.
Lesidéesdes §• If- Il cft aifé j je pcnfe j de tirer de là cette conclu-
p^^mûresQuit- ^jQj^ ^ qj^jg j^g idées des premières Giitalitez des Corps ref-
bieiu à cesqua- femblcut à CCS Qiialitez , &: que les exemplaires de ces i-
litez, & celles dgcs cxiftcnt réellement dans les Corps , mais que les I-
kurrdTèm-' "'dées, produitcs en nous par \cs fécondes ^lalit es , ne leur
Menten aucune reiïemblent en aucune manière , & qu'il n'y a rien dans
manière. j^^ Corps ménies qui ait de la conformité avec ces idées.
Il n'y a , dis-je , dans les Corps auxquels nous donnons
certaines dénominations fondées fur les fenllitions produi-
tes par leur préfence j rien autre chofe que la puilVance de
produire en nous ces mêmes fenfitions ; de forte que ce
qui eft Doux , Bleu , ou Chaud dans l'idée , n'eft autre
chofe dans les Corps auxquels on donne ces noms , qu'une
certaine groffeur , figure &; mouvement des particules in-
fenfibles dont ils font compofez.
§. 16. Ainfi , l'on dit que le Feu eft chaud Se lumi-
neux , la neige blanche & froide , &: la Manne blanche 2c
douce , à caufe de ces différentes idées que ces Corps pro-
duifent en nous. Et l'on croit communément que ces
Qiialitez font la même chofe dans ces Corps , que ce que
ces idées font en nous , en forte qu'il y ait une parfaite
relTemblance entre ces Qiialitez & ces Idées , telle qu'en-
tre un Corps j ôc fou Image repréfentée dans un Miroir.
On
fur les Idées ^mple s. Liv. II. 139
On le croit , dis-je , fi fortement , que qui voudroit dire C h a p.
le contraire , palleroit pour extravagant dans l'Efprit de VIII.
la plupart des hommes. Cependant, quiconque prendra
la peine de conilderer , que le même Feu qui à certaine
diftance produit en nous la fenfation de la chaleur , nous
caufe , fi nous en approchons de plus près , une fenûtion
bien différente, je veux dire celle de la Douleur, quicon-
que , dis-je , fera reflexion fur cela , doit fe demander à
luy-même , quelle raifon il peut avoir de foûtenir que l'i-
dée de Chaleur i que le Feu a produit en luy, eft a£tuel-
lement dans le Feu, 6c que lldée de Dof/Zi'wr, que le mê-
me Feu fait naître en luy par la même voye , n'eft point
dans le Feu ? Par quelle raifon la blanchenr &c la froideur
eft dans la Neige-, &: non la douleur, puifquec'eft la Nei-
ge qui produit ces trois idées en nous ; ce qu'elle ne peut
faire que par la grofl'eur , la figure , le nombre Se le mou-
vement de fes parties ?
§. 17. Il y a réellemeîit dans le Feu ou dans la Neige
des parties d'une certaine grofléur, figure, nombre &: mou-
vement, foit que nos Sens les apperçoivent,ounon jc'eft-
pourquoy ces qualitez peuvent être appellées réelles , par-
ce qu'elles exiftent réellement dans ces Corps. Mais pour
la Lumière, la Chaleur , ou la Froideur , elles n'y font
pas plus réellement que la langueur ou la douleur dans la
Manne. Otez le fentiment que nous avons de ces quali-
tez , fiiites que les yeux ne voyent point la lumière ou les
couleurs, que les oreilles n'entendent aucun fon , que le
palais ne foit frappé d'aucun goût , ni le nez d'aucune o-
deur ; &r dès-lors toutes les Couleurs , tous les Goûts ,
toutes les Odeurs, Se tous les Sons , entant que ce font
telles ôc telles Idées particulières , s'évanouiront, & ceù
feront d'exifter , n'étant autre chofe que les caufes mêmes
de ces idées, c'eft à dire certaine groffeur , figure 6c mou-
vement des parties des Corps qui produifent toutes ces
idées en nous.
§. 18. Prenons un morceau de A/rfww d'une groffeur
fenfible > il eft capable de produire en nous l'idée d'une
S 2 figure
140 Autres Confiderations
Chap. figure ronde ou quarrée , &: fi elle eft tranfportée d'un;
VIII. lieu dans un autre , l'idée du mouvement. Cette derniè-
re Idée nous repréfente le mouvement comme étant réel-
lement dans la Manne qui fe meut : La figure ronde ou
quarrée de la Manne eft aufll la même,, foit qu'on la con-
fidere dans l'idée qui s'en préfente à l'Efprit , foit entant
qu'elle exifte dans la Manne ; de forte que le mouvement
ôc la figure font réellement dans la Manne , foit que nous
y fongions, ou que nous n'y fongions pas ; c'eft dequoy
tout le monde tombe d'accord. Mais outre cela , la Man-
ne a la puiflance de produire en nous , par le moyen de
la grofifeur , figure , contexture &c mouvement de fes par-
ties, des fenfations de douleur, & quelquefois de violen-
tes tranchées. Tout le monde convient encore fans pei-
ne , que ces Idées de douleur ne font pas dans la Manne , ,
mais que ce font des effets de la manière dont elle opère
en nous, & que , lors que nous n'avons pas ces-percep-
tions, elles n'exiftent mille part. Mais que U 'Douceur
ér la Blancheur ne j'oient pas non plus réellement dans la
Manne , c'eft ce qu'on a de la peine à fe perfuader , quoy
que ce ne foient que des effets de la manière dont la Man-
ne agit fur nos yeux & fur nôtre palais ,. par le mouve-
ment , la fltuation & la figure de fes particules , tout de
même que la douleur caufee par la Manne , n'cft autre
chofe , de l'aveu de tout le monde , que l'effet que la
Manne produit dans l'eftomac 6c dans les inteftins par la
contexture , le mouvement , ôc la figure de fes parties in-
fenfibles; car un Corps ne peut agir par aucune autre cho-
fe, comme je l'ai déjà prouvé. On a, dis-je, de la pei-
ne à fe figurer que la Blancheur ôc la Douceur ne foient
pas dans la Manne ; comme 11 la Manne ne pou voit pas
agir fur nos yeux èc fur nôtre palais , &: produire par ce.
moyen , dans nôtre Efprit , certaines idées diftindes qu'elle
n'a pas elle-même , tout aufll bien qu'elle peut agir , de
nôtre propre aveu , fur nos inteftins 6c fur nôtre cftomac,
& produire par là des idées diftinttes qu'elle n'a pas en
dle-mênie. Puif que. toutes ces idées font des eftets de la
mar
fîir les Idées Jirnples. L i v. II. 141.
manière dont la Manne opère fur différentes parties de no- C h a p,
tre Corps , par la fitiiation , la figure , le nombre & le VIII.
mouvement de fes parties , il feroit iiécefTaire d'expliquer, ^
quelle raifon on pourroit avoir de penfer que les idées y
produites par les yeux & par le palais, exiftent réellement
dans la Manne , plutôt que celles qui font caufees par
l'eftomac & les inteftms , ou bien fur quel fondement on
pourroit croire , que la douleur 6c la langueur , qui font
des idées caufees par la Manne , n'exiftent nulle part , lors
qu'on ne les fent pas, &: que pourtant la douceur & la
blancheur :q;ji font des effets de la même Manne , agiffant
fur d'autres parties du Corps par des voyes^ également in-
connues exiftent a£tuellement dans la Manne , lorfqu'on
n'en a aucune perception ni par le goût ni par la veûé.
§. 19. Contlderons la. couleur rouge & blanche dans le
Porphyre: Faites que la lumière ne donne pas deffus , fa
couleur s'évanouit , & le Porphyre ne produit plus de tel-
les idées en nous. La lumière revient-elle , il fait renaî-
tre en nous l'idée de ces couleurs. Peut-on fe figurer qu'il
foit arrivé aucune altération réelle dans le Porphyre par la
préfence ou l'abfence de la Lumière , ik que ces idées de
blanc & de rouge foient réellement dans le Porphyre , lors
qu'il eft expofé à la. lumière , puifqu'il eft évident qu'il
n'a aucune couleur dans les ténèbres ? A la vérité , ii a ,
de jour 6c de nuit, telle configuration de parties qu'il faut,
pour que les rayons de lumière réfléchis de quelques par-
ties de ce Corps dur , produifent en nous l'idée du rouge,
&c qu'étant réfléchis de quelques autres parties , ils nous
donnent l'idée du blanc ; cependant la blancheur ou la
rougeur n'eft jamais dans le Porphyre , mais feulement
l'arrangement des parties , qui eft propre à produire une
telle fenfation en nous.
§. 20. Autre expérience qui confirme vifiblement que
[qs fécondes qualitez ne font point dans les Objets mêmes
qui en produifent les idées en nous : Prenez une amande,
&C la pilez dans un mortier , fa couleur nette 6: blanche
fera aufîi-tôt changée en une couleur plus chargée 6c plus
S 3 ob-
142 Autres Confiderntions
Ch A p. obfciire, &: le goût de douceur qu'elle avoit , fera changé
Vlil. en un goût fade & huileux. Or en froiflant un Corps a-
vec le pilon, quel autre changement réel peut-on y pro-
duire que celui de la contexture de fes parties?
§. 21. Les Idées étant ainfi diftinguees, entant que ce
font des Senfations excitées dans l'Efprit, &" des effets de
, la configuration &: du mouvement des parties infenfibles
du Corps j il eft aifé d'expliquer comment la même Eau
peut en même temps produire l'idée du froid par une
main, fie celle du chaud par l'autre ; au lieu qu'il feroit
impofllble , que la même Eau pût être en même temps
froide & chaude , fi ces deux Idées étoient réellement
dans l'Eau. Car fi nous imaginons que la chaleur telle
qu'elle eft dans nos mains , n'eft autre chofe qu'une cer-
taine efpéce de mouvement produit , en un certain degré,
dans les petits filets des Nerfs ou dans les Efprits Ani-
maux, nous pouvons comprendre comment il fe peut fai-
re que la même Eau produit dans le même temps le fen-
timent du chaud dans une main , 5c celui du froid dans
une autre. Ce que la Figure ne fait jamais ; car la même
Figure qui appliquée à une main , a produit l'idée d'un
Globe, ne produit jamais l'idée d'unQiiarré étant appli-
quée à l'autre main. Mais fi la Senfation du chaud 6c du
froid n'eft autre chofe que l'augmentation ou la diminu-
tion du mouvement des petites parties de nôtre Corps ,
caufée par les corpufcules de quelque autre corps , il eft
aifé de comprendre, Qiie fi ce mouvement eft plus grand
dans une main que dans l'autre , 6c qu'on applique fur les
deux mains un Corps dont les petites parties foient dans
Un plus grand mouvement que celles d'une main ,6c moins
agitées que les petites parties de l'autre main , ce Corps
augmentant le mouvement d'une main 6c diminuant celui
de l'autre, caufera par ce moyen les diftcrentcs fenfations
de chaleur ?^ de froideur qui dépendent de ce diff"érent
degré de mouvement.
§. 22. Je viens de m'engager peut-être un peu plus que
je n'avois rélblu , dans des recherches Phyfiques. Mais
comme
fur les Idées Jimphs. Liv. II. 1^5
comme cela eft néce flaire pour donner quelque idée de la C h a p.
nature des Senfations , ôc pour faire concevoir diftintSte- VIIL
ment la différence qu'il y a entre les Qiialitez qui font
dans les Corps , &c entre les Idées que les Corps excitent
dans l'Efpritjfans quoy il feroit impoiîlble d'en difcourir
d'une manière intelligible, j'elpére qu'on me pardonnera
cette petite digrelîion > car il ell d'une abfoluë néceflîté pour
nôtre defléin de diftinguer les §lualitesz réelles &: originales
des Corps, qui font toujours dans les Corps 6c n'en peu-
vent être feparées, favoir {■xfolidite\ V étendue , la figure^
le nombre , & le mouvement ,' ou le repos -, qualitez que
nous appercevons toujours dans les Corps lorfque pris à
part ils font aflez gros pour pouvoir être difcernez ; il eft,
dis-je , abfolunient néceflaire de diftinguer ces fortes de
qualitez d'avec celles que je nomme jec ondes Gïnalites:,
qu'on regarde fauflément comme inhérentes aux Corps ,
&* qui ne font que des eftets de différentes combinaiions
de ces premières Qiialitez, lors qu'elles agiffent fans qu'on
les difcerne diftin£temenr. Et par là nous pouvons par-
venir à connoître ce que font les Idées , & quelles font
celles qrn ne relfemblent point à quelque chofe qui exif-
te réellement dans les Corps auxquels on donne des noms
tirez de ces Idées.
§. 23. Il s'enfuit de tout ce que nous venons de dire , Ontiiftingue-
qu'à bien examiner les Oitalites des Corps on peut les di- ""is/""""^*:
ftmguer en trois efpeces. ]7s c^^ps.
Premièrement , il y a la grolfeur , la figure , le nombre,
la fituation , &c le mouvement ou le repos de leurs parties
folides. Ces Qualitez font dans les Corps, foit que nous
les y appercevions ou non j & lors qu'elles font telles que
nous pouvons les découvrir , nous avons par leur moyen
une idée de la chofe telle qu'elle eft en eire-même, com-
me on le voit dans les chofes artificielles. Ce font ces
Qualitez que je nomme Çimlit^sn ûriginales ^ ou f rémé-
rés.
En fécond lieu , il y a dans chaque Corps la piiifTance
d'agir d'une manière particulière fur quelqu'un de nos Sens
par
ijj,;^ Autres Confiàerations
CïîAP. par le moyen de fes premières Qiialitez imperceptible.^
VIII. & par là de produire en nous les différentes idées des Co«-
leurs i des Sons , des Odeurs , des Goâts , &cc. C'eft ce
qu'on appelle communément les §luaUte.z fenfibles .
On peut remarquer , en trcifiéme lieu , dans chaque
Corps la puiffance de produire en vertu delaconftitution
particulière de fes premières Qiialitez ., de tels change-
mens dans la grofleur , la figure-, la contexture &: le mou-
vement d'un autre Corps , qu'il le fafTe agir fur nos Sens
d'une autre manière qu'il ne faifoit auparavant. Ainfi, le
Soleil a la puifiance de blanchir la Cire ; & le Feu celle
de rendre le plomb fluide.
Te croy que les premières de ces Qualitez peuvent être
proprement appellèes des ^tahte^ réelles , originales èc
premières i comme il a été déjà remarqué, parce qu'elles
exiftent dans les chofes mêmes , foit qu'on les apperçoive
ou non ; èc c'eft de leurs différentes modifications que dé-
pendent les fécondes Qiialitez.
Pour les deux autres , ce n'eft qu'une puiffance d'agir
en différentes manières fur d'autres chofes > puiffance qui
refulte des combinaifons différentes des premières Qtia-
litez.
iesprcmiercs §• 24. Mais quoy quc CCS deux demiércs fortcs de Qua-
Qualitczfont ^fez , foicnt de pures puiffances , qui fe rapportent à d'au-
Sondesfont trcs Corps & qui refultent des différentes modifications
jugées y être & des premières Qualitez , cependant on en juge generale-
ny font point : j^ent d'unc manière toutc différente. Car à l'égard des
n-y"ontpTs"& Qualitcz de la fecojade efpèce , qui ne font autre chofe
refont pas ju- n^Q \a puiflance de produire en nous différentes idées par
gcesyctrc. j^ moyen des Sens , on les regarde comme des Glualitesi
qui exiftent réellement dans les chofes qui nous caufent tels
& tels fentimens: Mais pour celles de latroifièmeefpéce,
on les appelle de [impies Puijfances , êc on ne les regarde
pas autrement. Ainfi, les Idées de chaleur ou de lumiè-
re que nous recevons du Soleil par les yeux , ou par l'at-
touchement , font regardées communément comme des
qualitez réelles qui exiftent dans le Soleil , 6c qui y font
fitr les làécsfimplts. L i v . II. r 45
autrement que comme de fimples puiiïances. Mais lors C h a p.
que nous confiderons le Soleil par rapport à la Cire qu'il VHI.
amollit ou blanchit , nous jugeons que la blancheur &: la
mollefle font produites dans la Cire non comme des Qua-
litez qui exiftent actuellement cians le Soleil, mais com-
me des effets de la puilîance qu'il a d'amollir Se de blan-
chir. Cependant à bien confiderer la chofe , ces quali-
tez de lumière & de chaleur qui font des perceptions en
moy lors que je fuis échauîïe ou éclairé par le Soleil, ne
font point dansleSoleil d'une autre manière que leschan-
gemens produits dans la Cire lorfqu'elle eft blanchie ou
fondue , font dans cet Aftre. Les unes & les autres font
également, dans le Soleil, des Puiflances qui dépendent
de fes premières Qualitez , par lefquelles il eil capable
en certain cas d'altérer en telle forte la groffeur, la figu-
re , la contexture de quelques-unes des parties infenfibles
de mes yeux ou de mes mains, qu'il produit en moy ,
par ce moyen , des idées de lumière ou de chaleur, &:en
une autre rencontre, de changer de telle manière la grof-
feur , la figure , la contexture 8c le mouvement des par-
ties infenfibles de la Cire , qu'elles deviennent propres à
exciter en moy les idées diflinctes du Blanc Se du Fluide.
§. 25. La raifon pourquoy les anus font regardées com-
munément comme des ^/ahte^ réelles , ^ les autres com-
me de /Impies puijjances , c'eft, ce me femble, parce que
les idées que nous avons des Couleurs , des Sons , ^-c.
ne contenant rien en elles-mêmes qui tienne de la grof-
feur, figure, & mouvement des parties de quelque Corps,
nous ne fommes point portez à croire que ce foient des
effets de ces premières Qiialitez , qui ne paroiflént point
à nos Sens comme ayant part à leur production ôc avec
qui ces Idées n'ont eifedtivement aucun rapport apparent,
ni aucune liaifon concevable. De là vient que nous a-
vons tant de penchant à nous figurer que ce font des ref-
fcmblânces de quelque chofe qui exifte réellement dans
les Obiets mêmes ; parce que nous ne faurions découvrir
par les Sens, que la groffeur, la figure ou le mouvement
T des
146 Autres Confidcrations fur les Idéésfimples.
C H A p. des parties contribue à leur produftion , & que d'ailleurs
VIII. la Raifon ne peut faire voir comment les Corps peuvent
produire dans l'Efprit les idées du Bleu , ou du jaune , e;>^c.
parle moyen de la grofleur, figure, &: mouvement de
leurs parties. Au contraire , dans l'autre cas , je veux
dire dans les opérations à\\n Corps fur un autre Corps,
dont ils altèrent les Qiialitez , nous voyons clairement
que la Qualité qui eft produite par ce changement , n'a
ordinairement aucune reficmblance avec quoy que ce foit
qui exiils dans le Corps qui vient de produire cette nou-
velle qualité. C'eftpourquoy nous la regardons comme
un pur effet de la puiffance qu'un C(;rps a fur un autre
Corps. Car bien qu'en recevant du Soleil l'idée de la
chaleur , ou de la lumière , nous foyons portez à croire
que c'eil une perception &: une reiïemblance d'une pareil-^
le qualité qui exiîte dans le Soleil , cependant lorfque
nous voyons que la Cire ou un beau vifage reçoivent du
Soleil un changement de couleur, nous ne faurions nous
figurer, que ce foit une émanation, ou reflémblance d'u-
ne pareille chofe qui foit a£tuellement dans le Soleil, par-
ce que nous ne trouvons point ces différentes couleurs
dans le Soleil même. Comme nos Sens font capables de
remarquer la reffemblance ou la diflémblancc des qualitez
fenfibles qui font dans deux diffcrens Objets extérieurs ,
nous ne faifons pas difficulté de ::x)nc]urre, que la produ-
ction de quelque qualité fenfible dans un fujet , n'eft
que l'effet d'ime certaine puillance , &c non la com-
munication d'une qualité qui exifte réellement dans
celui qui la produit. Mais lors que nos Sens ne font
pas capables de découvrir aucune difléinblance entre
l'idée qui eft produite en nous. Se la qualité de l'Ob-
jet qui la produit , nous fommes portez à croire que
nos Idées font des rcflemblances de quelque chofe qui
exifte dans les Objets , fie non les effets d'une certaine
puifîiince, qui confifte dans la modification de leurs pre-
mières qualitez , avec qui les Idées, produites en nous,
n'ont aucune refl'erablance.
De la Perception. L i v. II. 147
%. 26. Enfin , excepté ces premières Qualitcz qui font C H A p.
réeliement dans les Corps , je veux dire îa grofieur , la VIII.
figure, l'étendue 5 le nombre &: le mouvement de leurs piftiniiion
' parties foiides , tout lereftepar où nous ccnnoiflbns les ^^""l'^eTs^-
Corps & les difcinguons les uns des autres , n'eft autre «ndes Quali-
chofe qu'un différent pouvoir qui cil «en eux , & qui dé- '"^"
pend de ces premières qualitez y par le moyen defqueiles
ils font capables de produire en nous plufieurs différentes
Idées , en agiffant immédiatement fur nos Corps , ou d'a-
gir fur d'autres Corps en changeant leurs premières qua-
litez & par là de les rendre capables de taire naître en
nous des idées différentes de celles £ue cq.s Corps y cy^cï-
toient auparavant. On peut appeîler les premières de
ces deux puiillinces , des j'econdcs §hL%litcz qu'on r^pperçoit
immediaieuicnt , & les dernières 3 des fécondes 0nahte^
qtiOii apperçoit mediatemcnt.
tioii
ic're
CHAPITRE IX.
T)e la Perception. C h a p.
IX.
§. I. T A Parf/J/w/ eft la première Faculté de l'Ame Li Perccptic
J_^ qui efl occupée de nos Idées. C'efl aullî la '^^^}^ prcfmiâ
première & la plus fimple idée que nous recevions par le produilê"p!ï fa
moyen de la Réflexion. Qiîelques-uns la dèilgnent par Rcflcxion.
le nom général de pcr:fce. Mais comme ce dernier mot
fignifle fouvent l'opération del'Efprit fur fes propres I-
dées lors qu'il agit ôc confidere une chofe avec un certain
degré d'attention volontaire , il vaut mieux employer ici
le terme de Perception y qui fait mieux comprendre la na-
ture de cette Faculté. Car dans ce qu'on nomme fim-
^\&xa&\\x. Perception y l'Efpriteuj pour l'ordinaire, pure-
ment pafîif, ne pouvant éviter d'appercevoir ce qu'il ap-
perçoit aftuellement.
§. 2. Chacun peut mieux ccnnoître ce que c'efl que nn'yadeiâ
Derception i en reliechilîant fur ce qu'il fait Iny-méme, r^'^'^P'"'" 1"^
T 2 ^^^g_ lors que r™-
14,8 De ht Perception.
Chap. loriqu'il voit, qu'il entend , qu'il fent > S>zc. on qu'il
IX. pcnfe, que par tout ce que je luy pourrois dire fur ce fu-
prefilon agit fur jej. Qi.iiconque réfléchit fur ce qui fe paffe dans fon Ef-
'^"'" prit , ne peut éviter d'en être inftruit ; &: s'il n'y fiiit au-
cune reflexion , tous les difcours du Monde ne fauroicnt
luy en donner aucune idée.
§. 3. Ce qu'il y a de certain , c'efl: qu'il n'y a point
de perception, quelques changenicns qui arrivent dans le
Corps, Il l'Elprit n'cw efl: point frappé ; comme il n'y
en a point non plus, quelques inipreilions qui fe faffent
fur les parties extérieures du Corps, fi ces imprelîîons ne
parviennent point jufque dans l'intérieur de l'Ame. Le
Feu , par exemple , peut brûler nôtre Corps , fans pro-
duire pas plus d'effet fur nous , que s'il confumoit une
pièce de bois ; à moins que le mouvement caufé dans nos
Corps par le moyen du Feu , ne foit continué jufqu'au
Cerveau , &: que le fentiment de chaleur ou l'idée de la
douleur ne vienne à frapper nôtre Efprit, en quoyconfifte
l'aftuelle perception.
§. 4. Chacun a pu obferverfouvent en foy-même,que
lorfque fon Efprit eft: fortement appliqué à contempler
certains Objets & à réfléchir fur les Idées qu'ils excitent
en luy , il ne s'apperçoit en aucune manière àc l'impref-
fion que certains Corps font fur l'organe de l'ouïe, quoy
qu'ils y caufcnt les mêmes changemcns qui fe font ordi-
nairement pour la produitioji de l'idée du fon. Bien que
l'impreflion qui fe fait fur l'organe , foit aflcz forte , il
n'en provient aucune perception , fi l'Ame n'en prend
aucune connoiflance ; èz quoy que le mouvement qui a
accoutumé de produire l'Idée du fon , vienne à frapper
aftuellement l'oreille , on n'entend pourtant aucun fon.
Dans ce cas, le manque de fentiment ne vient ni d'aucun
défont dans l'organe , ni de ce que l'oreille de Thomme
eft moins frappée que dans d'autres temps oîi il entend,
mais de ce que le mouvement qui a accoutumé de pro-
' duire cette Idée, quoy qu'introduit par le même organe,
n'étant point obfervé par rEntendcmentj 6c n'excitant
par
De la Perception. L i v. II. 149
par conféquent aucune Idée dans l'Ame, il n'en provient C h a p.
aucune fenfation. De forte que par tout où il y a fcnîi- IX.
ment , ou perception , il y a (quelque idée atTuelkment pro-
duite , ^ pre fente à l'Entendement.
§. 5. C'eftpourquoy , je ne doute pas que les Enfens, r)ccec]uelcs
■1 A 11' ,-%■* liiitiins ont Qcs
avant que de naître , ne reçoivent par 1 imprellion que uces dans le
certains Objets peuvent faire fur leurs Sens dans le fein de fcuiHdcurMc-
leurMére, quelque petit nombre d'idées, comme des '^^ l^^^îl",, "g" '",1^
effets inévitables des Corps qui les environnent, ou bien des ijc'cs umccs.
des befoins oîi ils fe trouvent , 6c des incommoditez qu'ils
fouffrent. Je compte parmi ces Idées , (s'il eft permis
de conjefturer dans des chofes qui ne font guère capables
d'examen} celles de la faim Se de la chaleur , qui félon
toutes les apparences font des premières que les Enfans
ayent, &: qu'à peine peuvent-ils jamais perdre.
§. 6. Mais quoy qu'on ait raifon de croire , que les
Enfans reçoivent certaines Idées avant que de venir au
Monde, ces Idées ilmples font pourtant fort éloignées
d'être du nombre de ces Principes mnes; , dont certaines
gens fe déclarent les défenfeurs , quoy que fans fonde-
ment , ainfi que nous l'avons déjà montré. Car les Idées
dont je parle en cet endroit , étant produites par voye de
fenfation, ne viennent que de quelque impreiîion faite
fur le Corps des Enfans lors qu'ils font encore dans le
fein de leur Mère , Se. par conféquent elles dépendent de
quelque chofe d'extérieur à l'Ame , de forte que dans
leur origine elles ne différent en rien des autres Idées qui
nous viennent par les Sens , que par rapport à l'ordre du
temps. Ce qu'on ne fauroit dire des Principes innez
qu'on fuppofe d'une nature tout-à-fait différente , puis-
qu'ils ne viennent point dans l'Ame à l'occafion d'aucun
changement ou d'aucune opération qui fe faffe dms le
Corps , mais que ce font comme autant de carailréres
gravez originairement dans l'Ame dès le premier moment
qu'elle commence d'exiffer.
§. 7. Comme il y a des idées que nous pouvons rai- OiuicpentQ-
fonnablement fuppofcr pouvoir être introduites dans l'Ef- '""■ ^'''"'«"y
^ ^ ^ r^ . nient quelles
T 3 prit
l'fo De laTcrception.
G H A p. prit des Enfims lorfqu'ils font encore dans le fein de leur Mé-
IX. re, je veux dire celles qui peuvent fervir à la confervation de
fonticsprciy.il'- l^iii- yic , & à Icurs dilFérens befoins, dans Tctat où ils (c
l?emdL?rvEC- trcuvcnc aîorà : De même les Idées des Qualitez fenllbles,
prit. qui le préfentent les premières à eux dès qu'ils font nez ,
font celles qui s'impriment le plutôt dans leur Efprit:
; defquelles la Lumière n'eil pas une des moins confidera-
bles, ni des moins puiflantes. Et l'on peut conjefturer
en quelque fcrte avec quelle ardeur l'Ame defire d'acqué-
rir toutes les idées dont les impreilions ne îay caufent au-
cune douleur , par ce qu'on remarque dans les Enfans
nouvellement nez , qui de quelque manière qu'on les
place, tournent toujours les yeux du côté de la Lumiè-
re. Mais parce que les premières idées qui deviennent
familières aux Enfans , font différentes félon les diverfes
circonltances dont on les conduit dès leur entrée dans ce
Monde ; l'ordi'e dans lequel plufieurs Idées commencent
à s'introduire dans leur Efprit, ell fort différent. Se fort
incertain. C'eft d'ailleurs une chofe qu'il n'importe pas
beaucoup de fxvoir.
Les idées qui §. 8. Une autre obfervation que nous devons faire à
séXToii ^'font ^'égard de la Perception , c'eft que les Idées qui viennent
louvciu altérées par voye de Seniation, font fouvent altérées par le Juge-
par le Juge- j^-ient dans l'Efprit des perfonnes faites, fans qu'elles s'en
apperçoivent. Ainil , lorfque nous plaçons devant nos
yeux un Corps rond d'une couleur uniforme , d'or par
exemple, d'albâtre ou de jaiet , il eft certain que l'Idée
-qui s'imprime dans notre Efprit à la veûc de ce Globe,
• repréfente un cercle plat , divcrfement ombragé , avec
■diffèrens dégrez de lumière dont nos yeux fe trouvent
frappez. Mais comme nous fommes accoutumez parl'u-
iage à diftinguer quelle forte d'image les Corps convexes
produifent ordinairement en nous , êc quels changcniens
iirrivent dans la reflexion de la lumière félon la dilferen-
ce des figures fenfibles des Corps , nous mettons auili-
•tôt, à la place de ce qui nous paroît , la caufc même de
l'image que nous voyons, 6c cela ^ en vertu d'un juge-
ment
De h Perception. Ltv. II. 151
ment que la coutume nous a rendu habituel j de forte que C h a Pi
joignant à la viilon un jugement que nous confondons a- IX.
vec elle, nous nous formons l'idée d'une figure convexe-
& d'une couleur uniforme, quoy que dans le foijds nos.
yeux ne nous reprefentent qu'un plain ombragé ôc coloré,
cliverfement, comme il paroît dans la peinture. A cette
occaficn-, j'mfererai ici un Problême du favant Mr. Alo-
linetix qui employé fi utilement fon beau génie à l'avant
cernent des Sciences. Le voici tel qu'il me l'a commu-
niqué luy-méme dans une Lettre qu'il m'a fait l'honneuc
de m'écrire depuis quelque temps : Suppofes un aveugle
de r.aijjhnce , qui foit préjentement homme fait , auquel on
ait appris k difinigner par l'attouchement un Cube z^ un
Globe , du même métal , &■ à peu près de la même groffenr,
en forte que lors qu'il touche fun Cf l'autre , il puijje dire
quel efl le Cube , ér quel cjl le Globe. Suppofe^ que le C71-
be cr le Globe étant pofe^ fur une Table, cet Aveugle vien-
ne à jouïr de la veilé. On demande Jl en les voyant fans les
toucher, il pourroit les difcerner, ér dire quel efi le Globe
& quel efl le Cube. Le pénétrant Se judicieux Auteur de
cette Qiiellion, répond en même temps, que non j car j
ajoûte-t-il , bien que cet Aveugle ait appris par expérience
de quelle m.tniére le Glcbe ^ le Cube ajfecient fon attouche- '
ment , il ne fait pourtant pas encore , que ce qui ajfeBe fon
attouchement de telle ou de telle manière ^doive frapper fis yeux
dételle ou de telle manière , ni que l'Angle avancé d'un Cube
quipreffefa mam d'une manière inégale ■> doive paroître à.
fis yeux, tel qu'il par oit dans le Cube. Je fuis tout-à-fait
du fentiment de cet habile homme , que j'ai pris la li-
berté d'appeller mon ami , quoy que je n'aye pas eu en-
core le bonheur de le voir. Je croy, dis-je, que cet A^
veugle ne feroit point capable , à la première veûë , de
dire avec certitude, quel feroit le Globe & quel feroit le
Cube , s'il fe contentoit de les regarder > quoy qu'en les
touchant , il put les nommer & les diftinguer fûrement par
la différence de leurs figures qu'il appercevroit par l'ac-
touchement. J'ai voulu propofer ceci à mon Ledbeur,
pour.
î^i Delà Perception.
C H A p. pour liiy fournir une occafion d'examiner combien il eft:
IX. redevable à l'expérience 3 de quantité d'idées acquifes,
dans le temps qu'il ne croit pas en faire aucun ufage , ni
en tirer. aucun fecours > d'autant plus que Mr. Molmeux
ajoute dans la Lettre où il me communique ce Problème,
Ght'aynnt p'opofe , à l'occâfion de mon Livre , cette §liie-
ftion k diverjes fer formes d'un efprit fort pénétrant , à pei-
ne en d-t-il trouvé une qui d'ûhord lity ait répondu fur cela
comme il croit qu'il faut répondre-, qnoy qu'ils ayent été con-
vaincus de leur niéprife après avoir oui Jes raifons.
§. 9. Du relie , je ne croy pas qu'excepté les Idées
qui hoils viennent par la Vêùéj la mémechofe arrive or-
dinàirernent à l'égard d'aucune autre de nos Idées , je
veux dire, que le Jugement change l'idée de laSenfation,
Se nous la reprefente autre qu'elle eft en elle-même. Mais
cela eft ordinaire dans les Idées qui nous viennent par les
yeuX; parce que la Veùë, qui eft le plus étendu de tous
nos Sens , venant à introduire dans notre Elprit , avec
les idées de la Lumière Se des Couleurs qui appartiennent
uniquement à ce Sens, d'autres idées bien difterentes, je
veux dire celles de l'Efpace , de la figure Se du mouve-
ment, dont la variété change les apparences de la Lumiè-
re &: des Couleurs , qui foiit les propres objets de la Veùë,
il arrive que parl'ufige nous nous faifons une habitude de
juger de l'un par l'autre. Et en pluficurs rencontres, ce-
la fe fait par une habitude formée , dans des chofes dont
nous a^ ons de fréquentes expériences , d'une manière fl
conftante & fi prompte, que nous prenons pour une per-
ception des Sens ce qui n'eft qu'une idée formée par le
J'-'g^^'^^nt ; en forte que l'une, c'eft à dire la perception
qui vient des Sens, ne fert qu'à exciter l'autre , Se eft à
peine obfervèe elle-même. Ainfi, un homme qui lit, ou
écoute avec attention , &" comprend ce qu'il voit dans
lin Livre, ou ce qu'un autre luy dit , fonge peu aux
caraftéres ou aux fons , 5c donne toute fou attention
aux Idées que ces fons ou ces caractères excitent en
luy.
§• 10.
De la Perception. L i v. II. 153
§. 10. Nous ne devons pas être furpris , que nous faf-
fions il peu de réflexion à des chofes qui nous frappent
d'une manière Ç\ intime , fi nous confiderons combien les
aftions de l'Ame font fubites. Car on peut dire , que,
comme on croit qu'elle n'occupe aucun efpace, 6c qu'el-
le n'a point d'étendue , il femble auflî que fes actions n'ont
bcfoin d'aucun intervalle de temps pour être produites,
& qu'un inftant en renferme plufieurs. Je dis ceci par
rapport aux actions du Corps. Qiiiconque voudra pren-
dre la peine de réfléchir fiir fes propres penfees pourra s'en
convaincre aifément luy-méme. Comment , par exem-
ple, l'Efprit voit-il dans un inftant, &: pour ainfidire,
dans un clin d'œuil , toutes les parties d'une Démon-
ftration qui peut fort bien pafler pour longue fi nous
confiderons le temps qu'il faut employer pour l'exprimer
par des paroles , 6c pour la faire comprendre pié-à-pié à
une autre pcrfonne ? En fécond lieu , nous ne ferons pas
fi fort furpris que cela fe pafl'e en nous fans que nous en
ayions prefque aucune connoiflance , fi nous confiderons
combien la facilité que nous acquérons par habitude de
faire certaines chofes , nous les fait faire fort fouvent ,
fans nous en appercevoir nous-mêmes. Les habitudes ^
fur tout celles qui commencent de bonne heure , nous
portent enfin à des avions que nous faifons fowvent fans y
prendre garde. Combien de fois dans un jour nous arri-
ve-t-il de fermer les paupières , fans nous appercevoir
que nous fommes tout-à-fait dans les ténèbres ? Ceux qui
fe font fait une habitude de fe fervir de certains * mots
hors d'oeuvre, fi j'ofe ainfi dire, prononcent à tout pro-
pos des fons qu'eux-mêmes n'entendent ou ne remarquent
point j quoy que d'autres y prennent fort bien garde ,
jufqu'à en être entêtez. 11 ne faut donc pas s'étonner,
V que
* C'eft ce qu'on appelle en Anglois terme propre pour exprimer cela. C'cfl:
By-word, c'eft à dire, uii niùt qui vient pour l'apprendre de mes amis ou de ceux
A la traverfe dnni le Difcours oli l'on lin- cjui me voudront dire leur fentiment fut
fére à tout propos fans ancum nécesfit'e. cette Tradudlion , que je fais cette Re-
Je doute que nous ayions en François un marque.
Ch AP
IX.
154 De la Perception.
Chap. que nôtre Efprit prenne fouvent l'idée d'un Jugement
IX. qu'il forme luy-même , pour l'idée d'une fenfation dont
il ell aftucllement frappé, Se que, fans s'en appercevoir,
il ne fe fcrve de celle-ci que pour exciter l'autre.
Ceft h Pcrrep- §. II. Au reftc , ccttc Faculté d'^ppprcevoir eft , ce
non qui diftiii- j.^^g femble , ce qui diftin2;ue les Animaux d'avec les E-
d'avec les Etres très d uuc clpece mrerieure. Car quoy que la plupart
lufeneurs. ^q^ J^egetaux aycut quelques dégrez de mouvement , 6c
que par la différente manière dont d'autres Corps font ap-
pliquez fur eux, ils changent promptement de figure fie de
mouvement, de forte que le nom de Plantes fe njit ive s \cut
ait été donné en conféquence d'un mouvement qui a quel-
que reflemblance avec celui qui dans les Animaux eft une
fuite de la fenfition ; cependant tout cela n'cft , à mon
avis, qu'un pur mechanifme, ëc ne fe fait pas autrement
que ce qui arrive à la Barbe qui croît au bout de l'avoine
fauvage , que l'humidité fait tourner aufli-tôt fur elle
même , ou que le raccourcifiement d'une corde qui fe
gonfle par le moyen de l'eau dont on la mouille. Ce
qui fe fait, fans que le fujct foit frappé d'aucune fen-
fation, & fins qu'il ait, ou reçoive aucune Idée.
§. 12. Dans toute forte d'Animaux il y a , à mon a-
vis , de la Perception dans un certain degré , quoy que
dans quelques-uns les avenues que la Nature a formées
pour la réception des Senfations , foient , peut-être , en.
il petit nombre , & la perception qui en provient fi foi-
ble &c fi grofliére, qu'elle diffère beaucoup de cette viva-
cité &: de cette cfiverfité de fenfations qui fe trouve dans
d'autres Animaux. Mais telle qu'elle eft , elle eft ûge-
ment proportionnée à l'état de cette efpécc d'Animaux
qui font ainfi fliits, de forte qu'elle fuffit à tous leurs be-
foins > en quoy la fagefle Se la bonté de l'Auteur de la
Nature, éclattent vifiblement dans toutes les parties de
cette prodigieufe Machine, Se dans tous les dilférens or-
dres de créatures qui s'y rencontrent.
§. 13. De la manière dont eft faite une Huître ou un
Moule , nous en pouvons raifonnablcmenc inférer , à
mon
De la Perception. L i v. II. 155
mon avis, que ces Animaux n'ont pas les fens fi vifs , ni C h a p.
en fi grand nombre que l'Homme ou que plufieurs autres IX.
Animaux. Et s'ils avoient précifément les mêmes Sens ,
je ne vois pas qu'ils en fuflent mieux , demeurans dans
le même état où ils font , &" dans cette incapacité de fe
tranfporter d'un lieu dans un autre. Quel bien feroit la
veûé &: l'ouïe à une créature qui ne peut fe mouvoir vers
les Objets qui peuvent luy être agréables , ni s'éloigner
de ceux qui luy peuvent nuire ? A quoy ferviroient des
Senfations vives qu'à incommoder un animal comme ce-
lui-là , qui eft contraint de demeurer toujours dans le
lieu où le hazard l'a placé, 6c où il eft arrofé d'eau froi-
de ou chaude , nette ou file , félon qu'elle vient à
luy ?
§. 14. Cependant, je ne faurois m'empêchcr de croi-
re que dans ces fortes d'animaux il n'y ait quelque foi-
ble perception par où ils font diftinguez des Etres parfai-
tement infenfibles. Et que cela puifie être ainfi , nous
en avons des exemples vifibles dans les hommes mêmes.
Prenez un de ces vieillards décrépits à qui l'âge a fait
perdre le fouvenir de tout ce qu'il a jamais fçu : il ne luy
refte plus dans l'Efprit aucune des idées qu'il avoit au-
paravant } l'âge luy a fermé prefque tous les pafi'ages à
de nouvelles Senfations, en le privant entièrement de la
veùë, de l'ouie & de l'odorat , ëc en luy étant prefque
tout fentiment du Goût j ou fi quelques-uns de ces paifa-
ges font à demi-ouverts , les impreflions qui s'y font , ne
font prefque point apperçuës , ou s'evanouïflent en peu
de temps. Cela pofe , je laiflé à penfer, (malgré tout
ce qu'on publie des Principes innez} en quoy un tel hom-
me eft au deflus de la condition d'une Huître , par fes
connoiflances Se par l'exercice de fes facultez intellectuel-
les. Qiie fi un homme avoit pafle foixante ans dans cet
état, (ce qu'il pourroit aulîl bien faire que d'y paf-
fer trois jours) je ne faurois dire quelle différence il y
auroit eu , à l'égard d'aucune perfeftion intelleâruelle ,
entre luy ôc les Animaux du dernier ordre.
V 2 §. 15.
156 De la Rétention^
Chap. §. 15. Puis donc que la Ferception e fi le premier de-.
IX. gre vers la connoijjancc à" quelle efi Ventrée k tout ce qui,
C'cft par la en fait le fnjet ; li un homme , ou quelque autre Créature.
rErpnt'°com-^ ^"-^^ ^^ ^^^^ ' '^'^ P'^^ ^^^^^ ^^^ ^-^^ ^'^^^ ^^^^ ^^^^^^ cft enri-
menceà acque- clii j II les imprelllons que les Sens ont accoutumé de pro-
ûnce" """°''' duire font en plus petit nombre & plus foibles , & que
les facultez que ces impreilîons mettent en œuvre, Ibient
moins vives, plus cet homme, & quelque autre Etre que
ce foit , font inférieurs par-là à d'autres hommes , plus,
ils font éloignez d'avoir les connoiiïances qui fe trouvent
dans ceux qui les furpaffent à l'égard de tous ces points. Mais
comme il y a en tout cela une grande diverfité de dégrez,
(ainli qu'on peut le remarquer parmi les hommes} on ne.
lauroit le démêler certainement dans les diverfes efpéces,
d'Animaux, & moins encore dans chaque Individu. Il
me fuiîît d'avoir remarqué ici , que la Perception eil: \x
première Opération de toutes nos Facultez mtelle£tuel-
îes, & l'entrée à toutes les connoiflancesque nôtre Efprit
peut acquérir. J'ai d'ailleurs beaucoup de penchant à
croire , que c'eft la Perception , conliderée dans le plus
bas degré, qui diftingue les Animaux d'avec les Créatu-
res du dernier rang. Mais jq ne donne cela que comme
une fmiple conje£ture, faite en paflanti car quelque par-
ti que les Savans prennent fur cet article , peu importe
eu égard au fujet que j'ai préfentement en main..
CHAPITRE X.
Ghap. X. T^s l^ Rétention.
LaContsm-§. I. T ' A u T R E Faculté tie l'Efprit, par laquelle il
P'^"°"' \_j avance plus vers la connoiflance des chofcsque
par la fimple Perception, c'eft ce que je nomme ReteH"
tion: Faculté par laquelle l'Efprit conlérve les Idées fim-
ples qu'il a reçues par la Senfation ou par la .Reflexion.
* . • Ce qui fe fait en deux manières. La première j en conr
fer-
De h Rétention. Liv. IL 157
ifervant l'idée qui a été introduite dans l'Efprit , aituel- C h a p.
lement préfente pendant quelque temps, ce que j'appelle X.
Contemplation.
§. 2. L'autre voye de retenir les Idées eit la puiflance ^•'^^^«n^o'f^'
de rnppeller &: de ramener devant l'Efprit ces Idées qui
après y avoir été imprimées , avoient disparu , & avoient
été entièrement éloignées de fa veûë. C'eft: ce que nous
faifons , quand nous concevons la chaleur ou la Iwniére ,
lejatme , ou le doux , lorfque l'Objet qui produit ces Sen-
fations, eft abfent j Se c'eft ce qu'on appelle la Memoirey
qui eft comme le refervoir de toutes nos idées. Car l'Ef-
prit étroit de l'Homme n'étant pas capable de confidercr
plufieurs idées tout à la fois , il étoit nécelTaire qu'il eut
un refervoir oii il mit les Idées, dont ilpourroit avoir be-
foin dans un autre temps. Mais comme nos Idées ne font
rien autre chofe que des Perceptions qui font actuelle-
ment dans l'Eiprit j lefquelles ceifent d'être quelque cho-
fe dès qu'elles ne font point aftuellement apperçuës,dire
qu'il y a des idées en referve dans la Mémoire , cela ne
fignifie dans le fonds autre chofe fi ce n'eft que l'Ame a ,
en plufieurs rencontres , la puiffance de réveiller les per-
ceptions qu'elle a déjà eues , avec un fentiment qui la
convainc dans le même temps qu'elle a eu , auparavant,
ces fortes de perceptions. Et c'eft dans ce fens qu'on
peut dire que nos Idées font dans la Mémoire, quoy qu'à
parler proprement , elles ne foient nulle part. Tout ce
qvi'on peut dire là-defliis , c'eft que l'Ame a la puiffance
de reveiller ces idées lorfqu'elle veut , 6c de fe les pein-
dre , pour ainfi dire , de nouveau à elle-même , ce que
quelques-uns font plus aifément , & d'autres avec plus de
peine , quelques-uns plus vivement , 6c d'autres d'une
manière plus foible S<. plus obfcure. C'eft par le moyen
de cette Faculté qu'on peut dire que nous avons dans nô-
tre Entendement, toutes les Idées que nous pouvons rap-
peller dans nôtre Efprit, S< faire redevenir l'objet de nos
penfées, fans l'intervention des Qiialitez feniibles qui les
ont premièrement imprimées dans l'Ame.
V 3, §, 3.. .
1^8 Delà Rétention.
Ohap. §■ 3- L'Attention, oc la Répétition fervent beaucoup
X. à fixer les Idées dans la Mémoire. Mais les Idées qui
L'Attei.tion, h naturellement font d'abord les plus profondes &c les plus
riaifTr &°i'l ' '^ durables imprefîlcns , ce font celles qui font accompa-
Douicur fervent guécs dc pla;fir OU de doulcur. Comme la fin principale
àfiïcr les idccs des Sens confiile à nous fiiire connoître ce qui fait du bien
ptic. ^^^ ^^^ ^^^^^ ^ nôtre Corps , la Nature a fagcmcnt établi
(comme nous l'avons déjà montre) que la Douleur dût
accompagner l'impreilion de certaines idées , parce que
tenant la place du raifonnement dans les Enfans , 6c agif-
fant dans les hommes faits d'une manière bien plus prom-
pte que le raifonnement, elle oblige lesjeuncs 8c les Vieux
à s'éloigner des CJbjets nuifibles avec toute la promptitu-
de qui eft néceflaire pour leur confervation , £v par le
moyen de la mémoire elle leur infpire de la précaution
pour l'avenir.
LesideVss'efFa- §• 4- Mais pour ce qui cft de la différence qu'il y a
"Î^L'l^'*^'^' ^^^^ ^^ durée des Idées qui ont été gravées dans la Mé-
moire , nous pouvons obferver , que quelques-unes de
ces idées ont été produites dans l'Entendement par un
Objet qui n'a affedé les Sens qu'une feule fois, que d'au-
tres ayant agi plus d'une fois fur les Sens , on n'y a pas
fait grand' reflexion , foit par nonchalance , comme dans
les Enfans , foit à caufe que l'Ame cil occupée ailleurs,
comme dans les perfonnes actuellement appliquées à au-
tre chofe , ce qui empêche que ces Objets y faficnt de
profondes impreilions. D'autres perfonnes en qui les Ob-
jets ont été gravez avec foin Se par des impreilions fou-
vent réitérées , oiit la mémoire fort foible , foit à caufe
du tempérament de leur Corps , ou pour quelque autre
défaut. Et dans tous ces cas , les Idées qui s'impriment
dans l'Ame , fe diilipent bientôt , êc fouvent s'effacent
pour toujours de l'Entendement, fans laificr aucunes tra-
ces , non plus que l'ombre qu'un Oifeau fait en volant
fur la Terre; de forte qu'elles ne font pas plus dans l'Ef-
prit, que fi elles n'y avoient jamais été.
§. 5. Ainfi, plufieurs des Idées qui ont été produites
dans
moire.
De la Rétention. Lrv. IL i^c)
dans rEfprif des Enfans , dès qu'ils ont commencé d'à- Ch ap,
voir des Senfations (quelques-unes delqueUes , comme X.
celles qui confiftent en certains pîairiis& en certaines dou-
leurs , ont peut-être été excitées en eux avant leur naif-
fanccj &: d'autres pendant leur Enfance) piufieurSjdis-je,
de ces Idées fe perdent entièrement , lans qu'il en relie le
moindre veftige 3 fi elles ne font pas renouvellees dans la
fuite de leur vie. C'eft ce qu'on peut remarquer dans
ceux qui par quelque malheur ont perdu la veûè , lorf-
qu'iis étoient fort jeunes ; car comme ils n'ont pas fait
grand' retlexion fur les couleurs , ces idées n'étant plus
renouvellees dans leur Efpnt 3 s'effacent entièrement j de
forte que , quelques années après , il ne leur relie non
plus d'idée ou de foiivenir des Couleurs qu'à des aveugles
de naiffance. Il y a, à la vérité , des gens dont la Mé-
moire eft heureufejufqu'au prodige i cependant ilmefem-
ble qu'il arrive toujours du déchet dans toutes nos Idées ,
dans celles-là même qui font gravées le plus profondé-
ment, &: dans les Efprits qui les confervent le plus long-
temps j de forte que fi elles ne font pas renouvellees quel-
quefois par le moyen des Sens , ou par la reflexion de
l'Efprit fur cette efpece d'(3bjets qui en a été la première
occafion , l'empreinte s'efface , & il n'en relie plus enfin
aucune image. Ainfi les Idées de nôtre Jeuneffe , auiîi
bien que nos Enfans , meurent fouvent avant nous j en
quoy nôtre Efprit reffemble à ces tombeaux dont la ma-
tière fubfifte encore : on voit l'airain & le marbre , mais
le temps a effacé les Infcriptions & réduit en poudre tous
les cara£léres. Les Images tracées dans nôtre Efprit , font
peintes avec des couleurs légères -, i\ on ne les rafraichit
quelquefois j elles paffent & difparoiffent entièrement. De
favoir quelle part a à tout cela la conftitution de nos Corps
& l'action des Efprits animaux , & fi le tempérament du
cerveau produit cette différence , en forte que dans les
uns il conferve, comme le Marbre , les traces qu'il a re-
çues, en d'autres comme une pierre de taille, &: en d'au-
tres à peu près comme une couche de fable , c'eft ce que
je
i6o 'Delà Rétention.
C H A p. je ne prétens pas examiner ici; quoy qu'il puifle paroitre
X. alVez probable que la conftitution du Corps a quelquefois
de l'influence fur la Mémoire , puifque nous voyons fou-
vent qu'une Maladie dépouille l'Ame de toutes fes idées,
6c qu'une Fièvre ardente confond en peu de jours &: ré-
duit en poudre toutes ces images qui fembloient devoir
durer auili long-temps que Ci elles euifent été gravées fur
le Marbre.
Deside'escon- g. 6. Mais par rapport aux Idécs niémes , ileftaiféde
tc^rpTuveiuT' remarquer , que celles qui par le fréquent retour des Ob-
ptine fe perdre, jets OU dcs adîions qui les produifent, font le plus fouvent
renouvellées, comme celles qui font introduites dans l'A-
me par plus d'un Sens , s'impriment auilî plus fortement
dans la Mémoire 6c reftent plus long-temps 6c d'une ma-
nière plus diftinfte. C'eftpourquoy les Idées des quali-
tés originales des Corps , je veux dire la Solidité , l'é-
' tendue, la figure, le mouvement &c le repos ; celles qui
alfeftent prefque inceflamment nos Corps , comme le froid
6c le chûîid ; 6c celles qui font des affedlions de toutes les
fortes d'Etres, comme Vext/lence , la durée 6c le nombre i
que prefque tous les Objets qui frappent nos Sens , &z
toutes les penfées qui occupent nôtre Efprit, nous four-
niffent à tout moment ; toutes ces Idées , dis-je , 6c au-
tres femblables , s'effacent rarement tout-à-f-iit de la me-
moircj tandis que nôtre Efprit en conferve encore quel-
ques-unes.
§. 7. Dans cette féconde Perception , ou, fij'ofcainfi
parler , dans cette revillon d'Idées placées dans la Mé-
moire, V Efprit pjl fouvent autre chofe que purement pajjifi
car la repréfentation de ces peintures dormantes , dépend
quelquefois de la Volonté. L'Efprit s'applique fort fou-
vent à découvrir une certaine Idée qui eft comme enfe-
velie dans la Mémoire , 6c tourne , pour ainll dire , les
yeux de ce côte-là. D'autres fois aulli ces Idées fe pré-
fentent comme d'elles-mêmes à nôtre Entendement , êc
bien fouvent elles font reveillées , 6c tirées de leurs cachet-
tes pour être expofées au grand joiu-, par quelque violen-
te
De la Rétention. Liv. IL i6i
fe pafllon ; car nos affcftions oÛTent à nôtre mémoire des C h a p.
idées qui fans cela auroient été enfevelies dans un parfait X.
^ubli. 11 faut obferver, d'ailleurs, à l'égard des Idées
qui font dans la mémoire , & que nôtre Efprit reveille
par occafion j que , félon ce qu'emporte ce mot de re-
'veiller , non feulement elles ne font pas du nombre des
Idées qui font entièrement nouvelles à l'efprit , mais en-
core que l'Efprit les confidére comme des effets d'une
imprelfion précédente, & qu'il recommence à les con-
noître comme des Idées qu'il avoir connues auparavant.
De forte que , bien que les Idées qui ont été déjà impri-
mées dans l'Efprit, ne foient pas conftamment préfentes
à l'Efprit, elles font pourtant connues , à l'aide de la
R&minifcence , comme y ayant été auparavant emprein-
tes , c'eft-à-dire comme ayant été actuellement apperçuës
&c connues par l'Entendement.
§. 8. La A/f?/7C/W eft néceflaire à une Créature raifon- i^euxde'fàuts
nable, immédiatement après la Perception. Elle elld'u- "^^'^ '^ Memoi-
f , ■ ^ /- 1 1 • V re , un entier
ne il grande importance , que ii elle vient a manquer , oubli , & une
toutes nos autres Facuitez font, pour la plus grande par- S^'^^-^i^nteur à
ÛQ , inutiles ; car nos penfées , nos raifonnemens & nos Tàéll "n'dù »
connoiffances ne peuvent s'étendre au delà des objets pré- endf'pôt.
fens fans le fecours de la Mémoire , qui peut avoir ces
deux défauts.
Le premier eil , de laifTer perdre entièrement les idées,
ce qui produit une parfaite ignorance. Car comme nous
ne faurions connoître quoy que ce foit qu'autant que
nous en aA^ons l'idée } dès que cette idéeeft effacée, nous
fommes dans une parfaite ignorance à cet égard.
Un fécond défaut dans la Mem^oire , c'eft d'être trop
lente , & de ne pas reveiller affez prom.ptement les idées
qu'elle a en dépôt , pour les fournir à l'Efprit à point
nommé lorfqu'il en a befoin. Si cette lenteur vient à un
grand degré, c'eft (tnpidité. Et celui qui pour avoir ce
défaut , ne peut rappeller les idées qui font actuellement
dans fa Mémoire , juftement dans le temps qu'il en a be-
foin, feroit prefque aufli bien fans ces idées, puifqu'elle.<î
X ne
ïSî 10e la Rétention.
C H A p. ne liiy font pas d'un grand ufagc; car un homme naturel-
X. lement pefant, qui venant à chercher dans fon Efprit les
idées qui hiy font neceflaires , ne les trouve pas à point
nomme, n'eft guère plus heureux qu'un homme entière-
ment ignorant. C'ell donc l'affaire de la Mémoire de
fournir à l'Efprit ces idées dormantes dont elle eft la de-
pofitaire, dans le temps qu'il en a befoin ; Se c'ell à les
avoir toutes prêtes dans l'occafion que confifte ce que
nous appelions invention , imagination , 6c iivacité d'ef-
frtt.
§. 9. Tels font les défauts que nous obfervons dans la
Mémoire d'un homme comparé à un autre homme. Mais
il y en a un autre que nous pouvons concevoir dans la
Mémoire de l'Homme en gênerai, comparé avec d'au-
tres Créatures intelligentes d'une nature fuperieure qui
peuvent exceller en ce point au deffus de l'homme juf-
qu'à avoir conftamment un fentiment aftuel de toutes
' leurs aftions précédentes , en forte qu'aucune des pen-
fées qu'ils ayent jamais eues, ne difparoiflent à leur veùë.
Qiie cela foit poffible, nous en pouvons être convaincus
par la confideration de la Toute-fcience de Dieu qui con-
noit toutes les chofes préfentes , paflêes , &: à venir , &
devant qui toutes les penfées du cœur de l'homme font
toujours à découvert. Car qui peut douter que Dieu
ne puifie communiquer à ces Efprits Glorieux , qui font
immédiatement à fa fuite , quelques-unes de fes perfe-
ctions , en telle proportion qu'il veut , autant que des
Etres créez en font capables. On rapporte de Mr. Pafcali
dont le grand efprit tenoit du prodige, que jufqu'à ce
que le déclin de i\\ lanté eût affoibli fa mémoire , il n'a-
voit rien oublié de tout ce qu'il avoit fait , lu ou pcnfé
depuis l'âge de raifon. C'eft là un privilège i\ peu coa-
mi de la plupart des hommes , que la chofe paroît pref-
que incroyable à ceux qui , félon la coutume , jugent de
tous les autres par eux-mêmes } cependant la confidera-
tion d'une telle Faculté dans Mr. Pafcal peut fervir à nous
rcpréfenter de plus grandes perfections de cette efpéce
dans
De Ja Rétention. Liv. IL 163
dans des Efprits d'un rang fiipërieur. Car enfin cette Chat».
qualité de Mr. Pafcal étoit réduite aux bornes étroites où X.
l'Efprit de l'Homme lé trouve reflérré , je veux dire à
n'avoir une grande diverfité d'idées que par fucceflion ,
& non tout à la fois : au lieu que différens ordres d'An-
ges peuvent probablement avoir des veûës plus éten-
dues , 6c quelques - uns d'eux être aâruellement enri-
chis de la Faculté de retenir & d'avoir conitamment &
tout à la fois devant eux , comme dans un Tableau , tou-
tes leurs connoiflances précédentes. Il eft aife de voir
que ce ferait un grand avantage à un homme qui cultive
fon Efprit , s'il avoit toujours devant les yeux toutes \ts
penfées qu'il a jamais eues, & tous les raifonnemens qu'il
a jamais faits. D'où nous pouvons conclurre en forme
de fuppofition , que c'eft là un des moyens par lefquels
la connoiffance des Efprits feparez peut être exceilivement
fuperieure à la notre.
§. 10. Ilfemble, au relie, que cette Faculté de raf- LeîPca-îomdc
fembler &: de conferver les Idées fe trouve en un grand '^'''^^™'^'''^'
degré dans pluiieurs autres Animaux , auflî bien que dans
l'Homme. Car fans rapporter plufieurs autres exemples>
de cela feul que les Oifeaux apprennent des Airs de chan-
fon, &" s'appliquent vifiblement à en bien marquer les
notes , je ne faurois m'empécher d'en conclurre que ces
Oifeaux ont de la perception , &: qu'ils confervent dans
leur Mémoire des Idées qui leur fervent de modèle : car
il me paroit impoilîble qu'ils puflént s'appliquer (comme
il eft clair qu'ils le font} à conformer leurs voix à des
tons dont ils n'auroient aucunes idées. Et en effet quand
bien j'accorderois que le fon peut exciter mechaniquement
un certain mouvement d'Efprits animaux dans le cerveau
de ces Oifeaux tandis qu'on leur joué aftuellement un air
de chanfon , & que ce mouvement peut être continué
jufqu'au mufcle des aîles , en forte que l'oifeau foit pouf-
fe mechaniquement par certains bruits à prendre la fuite ,
parce que cela peut contribuer à fa confervation > on ne
îauroit pourtant fuppofer cela comme uneraifonpourquoy
X 2 en
164 "De la Faculté que nous avom
C H A p. en joîiant un Air à un Oifeau , 6c moins encore après a*
X. voir cefTé de le jouer , cela devroit produire mechaniquc- ■
ment dans les organes de la voix de cet Oifeau un mou-
vement qui l'obligeât à imiter les notes d'unfon étranger;,
dont l'imitation ne peut être d'aucun ufage à la conferva-
tion de ce petit Animal. Mais qui plus eft , on ne fau-
roit fuppofer. avec quelque apparence de raifon, &: moins
encore prouver, que des Oifeaux puiiïent fans fentimene
ni mémoire conformer peu à peu Se par dégrez les in-
flexions de leur voix à un Air qu'on leur joua hier, puif-'
que s'ils n'en ont aucune idée dans leur Mémoire, iln'eft
préfentement nulle part , Se par confequent ils ne peuvent
avoir aucun modelle, pour l'imiter, ou pour en appro-
cher plus près par des eflais réitérez. Car il n'y a point?
de raifon pourquoy le fon du flageolet laifleroit dans leur
Cerveau des traces qui ne devroient point produire d'a-
bord de pareils fons, mais feulement après certains efforts
que les Oifeaux font obligez de faire lorfqu'ils ont oui
le flageolet ; fie d'ailleurs il eft impoflible de concevoir-
pourquoy les fons qu'ils rendent eux-mêmes , ne feroient
pas des traces qu'ils dcvroient fuivre aulîl bien que celles
que produit le fon du flageolet.
CHAPITRE XI.
C H A p. De la Faculté de difiinguer les Idées , ô' de quelques autres ■
XL Operatmjs de l'Efprit.
Il n'y a point g_ i_ T TNe autre Faculté que nous pouvons remar--
iTdiicèLT VJ quer dans nôtre Efprit , c'eft celle de difcer-
ment, ner ou diftinguer fes diflerentes idées. Il ne fufifit pas
que l'Efprit ait une perception confufe de quelque chofc!
en général: s'il n'avoit pas , outre cela, une perceptioa
diftinfte de divers ObjetsSc de leurs différentes Qualitez,
il ne feroit capable que d'une très-petite connoiflarrce ,
quand bien les Corps qui nous aftedent , feroient auflî
actifs
de dijiingner les Idées. Liv. II. 165
attifs autour de nous qu'ils le font préientcmentj &:quoy C h A p,
que l'Efprit fut continuellement occupé à penfer. C'èll XL
de cette Faculté de diftiiiguer une chofe d'avec une autre
que dépend l'évidence & la certitude de plulicurs Propo-
fitions, de celles-là même qui font les plus générales, &
qui ont pafîe pour des ^fnV^^/;i!;//t'j, parce que les hom-
mes ne confiderant pas la véritable caufe qui fait recevoir
ces Propofitions avec un confentement univerfel , l'ont
entièrement attribuée à une imprelîion naturelle & uni-
forme, quoy que dans le fonds ce confentement depejide
■proprement de cette Faculté qîte l'Efprit a d^ difcerner nette-
jnent les Objets , par oli il apperçoit que deux Idées font
les mêmes, ou différentes entr'elles. Mais c'eft dequoy
nous parlerons plus au long dans la fuite.
§. 2 . Je n'examinerai point ici combien l'imperfeftion Difffrence en-
dans la Faculté de bien diftineuer les idées, dépend de la "'^''E'pf" & !e
n' ' ^ ^ C ^ i i / / jugement.
grollierete ou du deraut des organes, ou du manque de péné-
tration, d'exercice £c d'attention du côté de l'Entendement,
ou d'une trop grande précipitation, naturelle à certains tem-
peramens. Il fuffit de remarquer que cette Faculté eftune
des Opérations fur laquelle l'Amepeutreflechir, oc qu'el-
le peut obferver en elle-même. Elle ell, au refte, d'une
telle conféquence par rapport à nos autres connoi fiances,
que plus cttte. Faculté cil grofîîére , ou mal employée à
marquer la diftindtion d'une chofe d'avec une autre , plus
nos Notions font confiifes , &: plus nôtre Raifon s'égare.
Si la vivacité de l'Efprit confifteàrappellerpromptement
& à point nommé les idées qui font dans la Mémoire ;
c'eft à fe les reprefenter nettement , &: à pouvoir les di-
ftinguer exaftement l'une de l'autre , lorfqu'il y a de la
différence entr'elles , quelque petite qu'elle foit , que
eonfifte, pour la plus grand' part , cette juftefTe Se cette
netteté de Jugement , en quoy l'on voit qu'un homme
excelle au defllis d'un autre. Et par là on pourroit , peut-
être, rendre raifon de ce qu'on obferve communément.
Que les perfonnes qui ont le plus d'efprit , èz la memoi-
XQ. h. plus prompte , n'ont pas toujours le jugement le plus
X 3 nc£
i66 Delà Faculté que nous avons
C H \ p. net & le plus profond. Car au lieu que ce qu'on appelle
XL Efprit, conilfte pour Tcrdinaire à aflembler des idées , 8c
à joindre promptementéc avec une agréable variété celles
en qui on peut obferver quelque reflemblance ou quelque
rapport, peur en faire de belles peintures quidivertiffent
£c frappent agréablement l'imagination: le Jugement con-
fifle j au contraire , à diilinguer foigncufement une idée
d'avec une autre, fi l'on peut y trouver la moindre difl'é-
rence, afin d'éviter qu'une llmilitude ou quelque affini-
té ne nous donne le change en nous faifant prendre une
chofe pour l'autre. 11 faut, pour cela, faire autre chofe
que chercher une métaphore &: une allufion , en quoy
confiilerit , pour l'ordinaire , ces belles & agréables pen-
fces qui frapent fi vivement l'imagination, fie qui plaifent
fi fort à tout le Monde, parce que leur beauté paroit d'a-
bord , fie qu'il n'cft pas néceflliire d'une grande applica-
tion d'efprit pour exammer ce qu'il y a de vray , ou de
raifonnable. L'Efprit ell fitisfait de la beauté de la pein-
ture fie de la vivacité de l'imagination , fans fonger à re-
garder plus avant. Et c'eft en effet choquer en quelque
manière ces fortes de pcnfées fpirituelles que de les exa-
miner par les règles levéres de la Vérité Se du bon raifon-
nement -, d'où il paroit que l 'efprit confifle en quelque
chofe qui n'ell pas tout-à-fait ci'accord avec la Vérité fiç
la Raifon.
§. 3. Bien diftinguer nos Idées, c'eft ce qui contribue
le plus à faire qu'elles foient claires <^ déterminées ; fie fi
elles ont une fois ces qualitez , nous ne nfquerons point
de les confondre, ni de tomber dans aucune erreur à leur
occafion , quoy que nos Sens nous les repréfentent de la
part du même objet divcrfement en différentes rencontres,
(comme il arrive quelquefois) fie qu'ainfi ils femblcntêtre
dans l'erreur. Car quoy qu'un homme reçoive dans la
fiéA'rc un goût amer par le moyen du Sucre, qui dans un
autre temps auroit excité en luy l'idée de la douceur j ce-
pendant l'idée de Vamer dans l'Efprit de cet homme , eft
une idée auill diftincte de celle du doux que s'il eut goûté
du
de difiingîter les Idées. Liv. II. 167
diT Fiel. Et de ce que le même Corps produit ', parle C h a p.
moyen du Goût, l'idée du doux dans un temps , ^ celle XI.
de Vamer dans un autre temps , il n'en arrive pas plus de
confufion entre ces deux Idées , qu'entre les deux Idées
de blanc & de doux , ou de bUnc & de rond que le même
morceau de Sucre produit en nous dans le même temps.
Ainfi, les idées de couleur citrine & d'azur qui font ex-
citées dans rEfprit par la même infulion du Bois qu'on
nomme communément Ligniim Nephriticttm , ne font pris
des idées moins diftmdles , que celles de ces Couleurs ,
produites par deux diiférens Corps.
§. 4. Une autre opération de l'Efprit à l'égard de fes De la Facuitd
Idées , c'eft la comparcilon qu'il fait d'une idée avec l'au- ^"^"""sa^o'is
V HT- t -r\ ' r^ de comparer nos
tre par rapport a 1 Etendue , aux Uegrez , au Temps , idées.
au Lieu , eu à quelque autre circonftance ; &: c'eft de là
que dépend ce grand nombre d'Idées qui font comprifes
fous le nom de Relation. Mais j'aurai occafion dans la
fuite d'examiner quelle en eft là vafte étendue.
§5. Il n'eft pas aifé de déterminer jufqu'à quel point LesBêtesne
cette Faculté fe trouve dans les Bêtes, le crov , pour ^''':'''P»renrdes
.11 1 rr Si j î: 1 iV , laces que dune
moy, quelles ne la polledent pas clans un tort grand degré; mametc impar-
car quoy qu'il foit probable qu'elles ont plulieurs Idées af- f*"^-
fez diftin6tes, il me femble pourtant que c'eft un privi-
lège particulier de l'Entendement humain , lors qu'il a
fuiïifamment diftingué deux Idées jufqu'à reconnoître
qu'elles font parfiiitement différentes , & à s'aflurcr par
conféquent que ce font deux Idées , c'eft , dis-je , une de
fes prérogatives de voir Se d'examiner en quelles circon-
ftances elles peuvent être comparées enfemble. C'eft-
pourquoyje croi que les Bêtes ne comparent leurs Idées -
que par rapport à quelques circonftances fenfibles , atta-
chées aux (3bjets mêmes. Mais pouf ce qui eft de l'au-
tre puiflance de comparer qu'on peut obfervef dans \ç^s
hommes, qui roule fur les Idées générales, &" ne fertque
pour les raifonnemens abftraits , nous pouvons conjectu-
rer probablement qu'elle ne fe rencontre pas dans les Bê-
tes.
§. 6.
i68 Delà Faculté que nous avons
Chap. §.6. Une autre opération que nous pouvons remar-
XI. quer dans l'Efprit de l'Homme par rapport à fes Idées ,
AutK Ï3c\ikc c'eû la. Compofùion , par laquelle l'Efprit joint enfemble
Tmp°jfrdcs'^ plufieurs Idées limples qu'il a reçues par le moyen de la
Idées. Senfation & de la Réflexion , pour en faire des Idées com-
plexes. On peut rapporter à cette Faculté de compofer
des Idées , celle de les étendre ; car c^noy que dans cette
dernière opération , la compofition ne paroifle pas tant,
que dans l'aflemblage de plufieurs Idées complexes , c'eft
pourtant joindre plufieurs idées enfemble , mais qui font
de la même efpéce. Ainfi, en ajoutant plufieurs unirez
enfemble, nous nous formons l'idée d'une âoitz:xine , &
en joignant enfemble des idées répétées de pluûeurstoifeSy
nous nous formons l'idée d'un fiade-
LcsBctesfont g_ y_ jg fuppofe cucore , que dans ce point les Bêtes
uoLd'id(fcs°'fo"t inférieures aux Hommes. Car quoy qu'elles reçoi-
vent 6c retiennent enfemble plufieurs combinaifons d'Idées
fimples , comme lors qu'un Chien regarde fon Maître,
dont la figure, l'cdeur, Scia voix forment peut-être une
idée complexe dans le Chien, ou font, pour mieux dire,
plufieurs marques diftinftes auxquelles il le reconnoîtj ce-
pendant je ne croi pas que jamais les Bêtes aflemblent d'el-
les-mêmes ces idées pour en faire des Idées complexes.
Et peut-être que; dans les occafions oii nous penfons re-
connoître que les Bêtes ont des Idées complexes , il n'y
a qu'une feule idée qui les dirige vers la connoifTance de
plufieurs chofcs qu'elles diftinguent beaucoup moins par la
veùë, que nous ne croyons. Car j'ai appris de gens di-
gnes de foy, qu'une Chienne nourrira de petits Renards,
badinera avec eux, & aura pour eux la même paflion que
pour fes Petits, fi l'on peut fitire en forte que les Renar-
deaux la tettent tout autant qu'il faut pour que le lait fe
répande par tout leur Corps. Et il ne paroît pas que les
Animaux qui ont quantité de Petits à la fois , aycnt au-
cune connoiflance de leur nombre ; car quoy qu'ils s'in-
téreffcnt beaucoup pour un de leurs Petits qu'on leur en-
levé en leur préfcncc ou lors qu'ils viennent à l'entendre ;
ce-
de difiitigner les Idées. L i v. IL 169
•cependant fi on leur en dérobe un ou deux en leur abfen- C h a p,
ce, ou fans faire du bruit, ils ne femblent pas s'en met- XL
tre fort en peine , ou même s'appercevoir que le nombre
ait été diminué.
§. 8. Lorfque les Enfans ont acquis , par des Senfa- Donner des
tions réitérées, des idées qui fe font imprimées dans leur "°'"'*"'' *■"•
Mémoire; ils commencent à apprendre par dégrez l'ufa-
ge des fignes. Et quand ils ont plié les organes de la pa-
role à former des fons articulez , ils commencent à fe fer-
vir de mots pour faire comprendre leurs idées aux autres.
Et ces Jignes nominaux , ils les apprennent quelquefois
des autres hommes , & quelquefois ils en inventent eux-
mêmes , comme chacun peut le voir par ces mots nou-
veaux 6c inufitez que les Enfans donnent fouvent auxcho-
fes lors qu'ils commencent à parler.
§. 9. Or comme on n'employé les mots que pour être Ce que c'cft
des fignes extérieurs des idées qui font dans l'Efprit , Se <]""2'^ft"'^'°n-
que ces Idées font prifes des chofes particulières , fi cha-
que Idée particulière que nous recevons , devoit être mar-
quée par un terme diftind:, le nombre des mots feroit in-
fini. Pour prévenir cet inconvénient, l'Efprit rend gé-
nérales les Idées particulières qu'il a reçu par l'entre-
mife des Objets particuliers ; ce qu'il fait en confide-
rant ces Idées comme des apparences feparéesde toute au-
tre Chofe, Se de toutes lescirconfi:ancesqui font qu'elles
repréfentent des Etres particuliers aftuellement exiftans,
comme font le temps , le lieu &: autres Idées concomitan-
tes. C'eft ce qu'on uppeWc j4b fi fû Si i en, par où des Idées
tirées de quelque Etre particulier devenant générales, re-
préfentent tous les Etres de cette efpéce ; de forte que
les noms généraux qu'on leur donne, peuvent être appli-
quez à tout ce qui dans les Etres actuellement exiftans
convient à ces Idées abftraites. Ces Idées fimples &:pré-
cifes que l'Efprit fe repréfente, fans conllderer comment»
d'où &: avec quelles autres Idées elles luy font venues j
l'Entendement les met à part avec les noms qu'on leur
donne communément , comme autant de modèles j aux-
Y quels
I yo De la Faculté que nous avons
C H A p. quels on puifle rapporter les Etres réels fous différentes
XL efpéces félon qu'ils correfpondent à ces exemplaires , en
les defignant fuivant cela par différens noms. Ainfi, re*
marquant aujourd'huy, dans de lacraye ou dans la neige,
la même couleur que le lait excita hier dans mon Efprit,
je confidére cette idée unique , je la regarde comme une
repréléntation de toutes les autres de cette efpéce, & luy
ayant donné le nom de blancheur , je fignifie par ce fon
la même qualité, en quelque endroit que je puiffe l'ima-
giner , ou la rencontrer : & c'eft ainli que fe forment les
idées univerfelles , &c les termes qu'on employé pour les
défigner.
Les Bétes ne §. lo. Si l'on pcut doutct que Ics Bêtes compofent ôc
Khftîaaionr étendent leurs Idées de cette manière, à un certain degré j
je crois être en droit de fuppofer que la puiflance de for-
mer des abftraftions ne leur a pas été donnée , & que cet-
te Faculté de former des idées générales eft ce qui met
une parfaite diflinftion entre l'Homme ôc les Brutes, ex-
cellente qualité qu'elles ne f-iuroient acquérir en aucune
manière par le fecours de leurs Facultez. Car il eft évi-
dent que nous n'obfervons dans les Bêtes aucunes preu-
ves qui nous pui fient faire connoître qu'elles fe fervent
de fignes généraux pour défigner des Idées univerfelles j
S>c puifqu'elles n'ont point l'ufage des mots ni d'aucuns
autres ilgnes généraux, nous avons raifonde penfer qu'el-
les n'ont point la Faculté de faire des abftradions, ou de
former des idées générales.
§. II. Or on ne fauroit dire, que c'eft faute d'organes
propres à former des fons articulez qu'elles ne font aucun
ufage ou n'ont aucune connoiflance des mots généraux}
puifque nous en voyons plufieurs qui peuvent rendre de
tels fons, 6c prononcer des paroles aflez diftindcmcnt j
mais qui n'en font jamais une pareille application. D'au-
tre part, les hommes qui par quelque défaut dans les or-
ganes , font privez de l'ufage de la parole , ne laifîént
pourtant pas d'exprimer leurs idées univerfelles par des
lignes qui leur tiennent lieu de termes généraux i Faculté
que
de diflinguer les Idées. L i v. IL 171
que nous ne découvrons point dans les Bêtes. Nous pou- C H A?,
vons donc fuppofer , à mon avis , que c'eft en cela que XI.
les Bétes différent de l'Homme. C'eft-là , dis-je , la
propre différence, à l'égard de laquelle ces deux fortes
de Créatures font entièrement diftinftes , èc qui met en-
fin une 11 vafte diftance entre elles. Car fi les Bêtes ont
quelques idées , & ne font pas de pures Machines , com-
me quelques-uns le prétendent , nous ne faurions nier
qu'elles n'ayent de la raifon dans un certain degré. Et
pour moy , il me paroit auiTi évident qu'elles raiibnnent ,
qu'il me paroit qu'elles ont du fentimentj mais c'eft feu-
lement fur des idées particulières qu'elles raifonnent , fé-
lon que leurs Sens les leur préfentent. Les plus parfaites
d'entre elles font renfermées dans ces étroites bornes , n'a-
yant point, à ce que jecroy, la Faculté de les étendre par
aucune forte d'abftrattion.
§. 12. Si l'on examinoit avec foin les divers égaremens Défaut des Im-
des Imbecilles , on découvriroit ians doute jufqu'à quel ^" "•
point leur imbécillité procède du manque ou delafoiblef-
fede quelqu'une desFacultez donnions venons déparier,
ou de ces deux chofes enfemble. Car ceux qui n'apper-
çoivent qu'avec peine, 6c qui ne retiennent qu'imparfai-
tement les idées qui leur viennent dansl'Efprir, &: qui ne
fauroient les rappel 1er ou affembler promptement , n'ont
que très-peu de penfées. Ceux qui ne peuvent diftinguer,
comparer & abjlrairc des idées , ne fauroient être fort ca-
pables de comprendre les chofes, de faire ufage des ter-
mes, ou déjuger 8-r de raifonner paffablement bien, mais
fort peu oc d'une manière imparfaite fur des chofes pré-
fentes &: qui font f )rt flmiiliéres à leurs Sens. Et en effet,
qu'une de ces Facultez dont j'ai parlé ci-deffus, vienne à
manquer ou ?. fe dérégler , elle produit dans l'Entende-
ment de l'Homme des défauts, qui dépendent de l'abfen-
ceou du dérèglement de cette Faculté.
§. 13. Enfin, il me fembleque le défaut des Imbecil- Différence en-
les vient de manque de vivacité , d'a6tivité &: de mouve- jes& ksFous.' '
ment dans les Facultez intelleftuelles , par oîi ils fe trou-
Y 2 vent
1/2 De la Fâculte que nous avons
C H A p. vent privez de l'ufage de la Raifon. Les Fous, au con-
XI. traire, femblent erre dans rcxtremité oppofée. Car il
ne me paroît pas que ces derniers ayent perdu la faculté
de raifonner > mais ayant joint mal à propc s certaines Idées,
ils les prennent pour des veritez, & fe trompent de la mê-
me manière que ceux qui raifonncnt juftefur de faux Prin-
cipes. Après avoir converti leurs propres fantaifies en
réalitez par la force de leur imagination, ils en tirent des
conclurions fort raifonnables. Ainfi, vous verrez un Fou
qui s'imaginant être Roy, prétend, par une jufte confé-
qucnce, être fervi, honoré & obei félon la dignité. D'au-
tres qui ont crû erre de verre , ont pris toutes les précau-
tions néceflV.ires p.Hir empêcher leur Corps de fe cafler.
De là vient qu'un homme fort fige & de très-bon fcns en
toute autre chc^fe, peut être auiîî fou fur un certain arti-
cle qu'aucun de ceux qu'on renferme dans les Petites^
, i > ' ; Maifons, fi par quelque violente imprelîlon qui fe foit
' faite fubitement dans fon Efprit, ou par une longue ap-
plication à une efpéce particulière de penfees , il arrive
que des Idées incompatibles foient jointes fi fortement en-
femble dans fon Efprit, qu'elles y demeurent unies. Mais
il y a des dégrez de folie aufli bien que d'imbécillité > cet-
te union déréglée d'Idées étant plus ou moins forte dans
les uns que dans les autres. En un mot , il me femble
que ce qui fait la différence qu'il y a entre les Imbecilles
& les Fous, c'efl: que les Fous joignent enfemble des idées
mal-afîbrties , & font ainfi des Propofitions extravagan-
tes, fur lefquelles néanmoins ils raifonnent jufte: au lieu
que les Imbecilles font très-peu ou point de Propofitions,
& ne raifonnent prefque point.
§. 14. Ce font là, je croy, les premières Facultez &
opérations de l'Efprit , par lefquelles l'Entendement eft
mis en aftion. Qiioy qu'elles regardent toutes fes Idées
en général , cependant les exemples que j'en ai donné
jufqu'ici , ont principalement roulé fur des Idées fimples.
Qiie fi j'ai joint l'explication de ces Facultez à celle
des Idées fimples 3 avant que de propofer ce que j'^i
à.
de dijlingner les Idées. Liv. II. 175
à dire fur les Idées complexes , c'a été pour les raifons fui- Ch a f,.
vantes. XL
Premièrement j à caufe que plufieurs de ces Facukez
ayant d'abord pour objet les Idées fimples , nous pouvons,
en fuivant l'ordre que la Nature s'eft prefcrit , fuivre &
découvrir ces Facultez dans leur fource , dans leurs pro^
grès & dans leurs accroiflemens.
En fécond lieu, parce qu'en obfervant de quelle ma-r
niére ces Facultez opèrent à l'égard des Idées fimples j
qui pour l'ordinaire font plus nettes, plus precifes & plus
diilmftes dans l'Efprit de la plupart des hommes , que
les Idées complexes , nous pouvons mieux examiner &
apprendre comment l'Efprit fait des abftraftions , com-
ment il compare, diftingue Se exerce fes autres opérations
à l'égard des Idées complexes > fur quoy nous fommes
plus fujers à nous méprendre.
En troifièmc lieu , parce que ces mêmes Opérations
de l'Efprit concernant les Idées qui viennent par voye de
Senfation , font elles-mérnes , lors que l'Efprit en fait
l'objet de fes reflexions , une autre efpéce d'Idées , qui
procèdent de cette féconde fource de nos connoifTances
que je nomme Réflexion -, lefquelles il étoit à propos , à
caufe de cela, de confiderer en cet endroit , après avoit
parlé des Idées fimples qui viennent par Senfation. Du
relie, je n'ai fait qu'indiquer en pafTant ces Facultez de
compofer des Idées , de les comparer , de faire des abilra-
dtions, é^c. parce que j'aurai occafion d'en parler plus au
long en d'autres endroits.
§. 15. Voilà en abrégé une véritable hiftoire , fi je ne5o'if«<J« con-i
me trompe , des premiers commencemens des connoiflan- maines'" ^*""
ces humaines. Par oii l'on voit d'où l'Efprit tire les pre-
miers objets de fes penfées , & par quels dégrez il vient à
faire cet amas d'Idées, qui compofent toutes les connoif-
fances dont il eft capable. Sur quoy j'en appelle à l'ex-
périence Se aux obfervations que chacun peut faire enfoy-
même, pour fivoir fi j'ai raifon ; car le meilleur moyen
de trouver la Vérité j c'eit d'examiner les chofes comme -
Y 3 elles
t74 2^^ ^^ Facilite que nous avons Sec.
C H A p. elles font réellement en elles-mêmes , ôc non pas de con-
XI. clurre qu'elles font telles que nôtre propre imagmation
ou d'autres perfonnes nous les ont repréfentées.
surquoyoncn §. i6. Quant à nioy , je déckre fmcerement quc c'cft
appciieàiex- j^ \.^ feule voyc par où je puis découvrir que les Idées des
pcnence. chofes entrent dans l'Entendement. Si d'autres perfonnes
ont des Idées innées ou des Principes infus , je conviens
qu'ils ont raifon d'en jouir ; 8c s'ils en font pleinement
allurez, il eft impofllble aux autres hommes de leur refu-
for ce privilège qu'ils ont par defllis leurs Voifms. Je ne
faurois parler, à cet égard , que de ce que je trouve en
moy-méme , Se qui s'accorde avec ces notions , lefquelles
fomblent dépendre des fondemens que j'ai pofez , &■: s'y
rapporter dans toutes leurs parties &: dans tous leurs dif-
ftrerïs dcgrez , félon la méthode que je viens d'expofer ,
comme on peut s'en convaincre en examinant tout le
cours -de la vie des hommes dans leurs differens âges, dans
leurs differens Païs , & par rapport à la différente maniè-
re dont ils font élevez,
jsîôtre Entende- §. I /. Je ne prétens pas enfeigner , mais chercher la
mentcomparc Yerifé. C'ellpourouoy )e ne puis m'empêcher de décla-
■a une chambre \^ . ^ •' - , c^ r - • • o •
cbfcuie. rer encore une rois, que les benlations extérieures oc in-
térieures font les foules voyes par où je puis voir que la
connoiffance entre dans l'Entendement Humain. Ce font
là, dis-je, autant que je puis m'en appercevoir, les fouis
pafîages par lefquels la lumière entre dans cette Chambre
, obfoure. Car, à mon avis, l'Entendement ne reflcmble
pas mal à un Cabinet entièrement obfour , qui nauroit
que quelques petites ouvertures pour laiffei entrer par de-
hors les images extérieures & vifibles, eu, pour ainfi di-
re , les idees^ des chofos ; de forte que fi ces images venant
à fo peindre dans ce Cabiitet obfour , pouvoient y reder,
&- y être placées en ordre, en forte qu'on put les trouver
dans l'occafion, il y auroit une grande rcflémblance en-
tre ce Cabinet 6c rÈntendemcnt humain , par rapport à
tous les Objets de la veûé , 6c aux Idées qu'ils excitent
dans rEfprit.
Ce
cm-
celles-
Des Idées coMpïexes. Liv. II. ïjf
Ce font là mes conjeftures touchant les moyens par lef- Chap;
quels l'Entendement vient à recevoir & à conferver les XI.
Idées fimples & leurs differens Modes , avec quelques au-
tres Opérations qui les concernent. Je vais préfentement
examiner , avec un peu plus de precilîon j quelques-unes
de ces Idées fimples avec leurs Modes.
CHAPITRE XII.
Des Idées complexes. C h a p.
XII-
§. I, ^jOus avons confideré jufques ici les Idées , Les idées ^
•*-^ dans la réception defquelles l'Efprit eft pure- /''"*''! '""'
ment paflîf , c'eft-à-cUre , ces Idées fimples qu'il reçoit compofl^des
par la Senfation &: par la Reflexion , en forte qu'il n'eft idéesjim^ies.
pas en fon pouvoir d'en produire en luy-même aucune
nouvelle de cet ordre , ni d'en avoir aucune qui ne foit
pas entièrement compcfee de celles-là. Mais quoy que
l'Efprit foit purement pallif dans la réception de toutes
fes Idées fimples , il produit néanmoins de luy-même plu-
fieurs aftes par lefquels il forme d'autres Idées , fondées
fur les Idées fimples qu'il a reçues &c qui font les maté-
riaux &c les fondemens de toutes fes penfées. Voici en
qtioy confiftent principalement ces aftes de l'Efprit j i. à
combiner plufieurs Idées fimples en une feule ; &c c'eft
par ce moyen que fe font toutes les Idées complexes : 2 . à
joindre deux Idées enfemble , foit qu'elles foient fimples
ou complexes 3 &: à les placer l'une près de l'autre , en
forte qu'on les voye tout à la fois fans les combiner en une
feule idée : c'eft par là que l'Efprit fe forme toutes les
Idées des Relations. 3 . Le troifiéme de ces a£tes confi-
fte à feparer des Idées d'avec toutes les autres qui exiftent
réellement avec elles > c'eft ce qu'on nomme ai/JlraÛion ;
& c'eft par cette voye que l'Efprit forme toutes fes Idées
générales. Ces differens a6tes montrent quel eft le pouvoir
de l'Homme , ôc que fes opérations font à peu près les .
mêmes
1/6 Des Idées complexes,
C H A p. mêmes dans le Monde matériel èc dans le Monde intel- .
XII. leftuel. Car les matériaux de ces deux Mondes font de
telle nature, que l'Homme ne peut ni en faire de nou-
veaux , ni détruire ceux qui exiftent ; toute fa puiffance
fe terminant uniquement ou à les unirenfemble, ou aies
placer les uns auprès des autres , ou à les feparer entièrement.
Dans le deflein que j'ai d'examiner nos Idées complexes ,]&
commencerai par le premier de ces a£bes , 6v je parlerai
des deux autres dans un autre endroit. Corome on peut
obferver que les Idées fimples exiftent en différentes com-
binaifons, l'Efprit a la puifl'ance de confidercr comme u-
ne feule idée plufieurs de ces idées jointes enfemble , 6c
cela, non feulement félon qu'elles font unies dans les
Objets extérieurs , mais félon qu'il les a jointes luy-mê-
me. Ces Idées formées ainfi de plufieurs idées fimples
mifes enfemble, je les nomme complexes, telles font la
Beauté, larecoiinoifjance , itn homme , une arm/e , VUni-
'uers. Et quoy qu 'viles foient compofees de différentes
Idées fimples , ou d'Idées complexes formées d'Idées
fmiples , l'Efprit confidere pourtant , quand il veut,
chacune d'elles par elle-même, comme une chofe unique
qui fait un tout, qu'on défigneparunfeulnom.
C'fft volontai- §. 2. Par cctte faculté que l'Efprit a de repeter & de
&iTdesidc°" joindre enfemble fes Idées, il peut varier &: multiplier
■complexes. à l'infini les Objets de fes penfées , au delà de ce qu'il
reçoit par Senfation ou par Reflexion ; mais toutes ces
Idées fe reduifent toujours à ces Idées fimples que l'Efprit
a reçu de ces deux Sources, & qui font les matériaux
auxquels fe refolvent enfin toutes les compofitions qu'il
peut faire. Car les Idées fimples lont toutes tirées des
chofes mêmes, &i l'Efprit n'en peut avoir d'autres que
celles qui Luy font fuggerées. Il ne peut fe former d'au-
tres Idées des qualitez fenfibles que celles qui luy vien-
nent de dehors par les Sens, ni celles d'aucune autre for-
te d'opération d'une Subftance qui penfc, que celles qu'il
trouve-en luy-même. Mais lors qu'il a une fois acquis
ces Idées fimples, il n'eft pas réduit à une fimple con-
tem.
ï)e!! Idées complexes. Liv. II. 177
tcmplation des objets extérieurs qui fe préfentent à luy -, C h a p.
il peut encore, parla propre puiflance, joindre enfemble XIL
Iqs Idées qu'il a acquifes & en faire des Idées complexes,
toutes nouvelles , en forte qu'il ne les ait jamais reçues
ainli unies.
§. 3. De quelque manière que les Idées complexes Les Wcs com-
foient compofées & divifées , quoy que le nombre en foit derModé"°ou
infini, & qu'elles occupent les penfées des hommes avec des subftances,
une diverfite fans bornes , elles peuvent pourtant être re- °" "^^ ^^'**
duites à cqs trois chefs :
1. Les Modes:
2. Les Sîîbfiances:
3. Les Relations..
§. 4. Et premièrement j'appelle Modes , ces Idées com- Des Modes.
plexes, qui, quelques compofces qu'elles foient, ne ren-
ferment point la fuppofition de fubfifter par elles-mêmes,
mais font confiderées comme des dépendances ou des af-
feftions des Subftances ; telles font les idées fignifices par
les mox.s àc Triangle , de gratitude, de meurtre , &cc. Que
fi j 'employé dans cette occafion le terme de Mode dans un
fens un peu différent de celui qu'on a accoutumé de luy
donner , je prie mon Lefteur de me pardonner cette li-
berté, car c'eft: une nécelfité inévitable dans desDifcours
où l'on s'éloigne des notions communément reçues , de
faire de nouveaux mots , ou d'employer les anciens ter-
mes dans une fignification un peu nouvelle > Se ce dernier
expédient ell, peut-être, le plus tolerable dans cette ren-
contre.
§. 5 . Il y a de deux fortes de ces Modes , qui méritent Deuxfoitesde
d'être confiderez à part, i . Les uns ne font que des com- ^°^il^^ '^""3
binaifons d'Idées fimplesde la même efpece, fans mêlan- autres Mutes.
ge d'aucune autre idée , comme une douzaine , une vin-
taine , qui ne font autre chofe que des idées d'autant d'u-
nitez dillinftes jointes enfemble. Et ces Modes je les
nomme Modes Simples , parce qu'ils font renfermez dans
les bornes d'une feule idée fimple. 2. Il y en a d'autres
qui font compofez d'idées fimplcs de différentes efpéces,
Z qui
I T'S I^es Idées complexes.
C H A p. qui jointes enfcmble n'en font qif une ; par exemple î'fcFée
XII. de la Béante , qui eft un certain LifTenTolage de ccatleurs
&: de traits, qui fait du plaifir à voir . ainii le Fol , qxii
eft un tranfport fecret de la pcfTellion d'une chofe , fans
le confentement du propriétaire , contient vifiblement
une combinaifon de plufieiirs idées de différentes efpécesj
& c'eft ce que j'appelle Modes mixtes.
subftances Cn- §• 6. En fccond lieu, les Idées des Stibji^nces font cer-
■^"l'rX"'"" taines combinaifons d'Idées iîmples , qu'on fuppofe re-
préfenter des chofes particulières & diftin£tes, qui fubfr-
ftent par elles-mêmes ; parmi lefquelles idées on confidé-
re toujours la notion obfcure de Snbftnnce , comme la pre-
mière 6c la principale , qu'on fuppofe fans la connoître ,
quelle qu'elle foit en elle-même. AinlI , en joignant à
l'idée de Subftance celle d'une certame couleur blanchâ-
tre, avec certains dégrez de pefanteur , de dureté , de
malléabilité &: de fuiibilité, nous avons l'idée du Plomb:
Se une combinaifon d'idées d'une certaine efpéce de figu-
re, avec la puiilance de fe mouvoir , de penfer, &rde rai-
fonner , jointes avec l'idée de la Subftance , forme l'idée
ordinaire d'un homme.
Or à l'égard des Sjfbjîances , il y a aufli d'eux fortes d'I-
dées , l'une des Subftanccs ftnguliéres entant qu'elles exi-
ftent feparément , comme celle d'un Ho-mme ou d'une
Brebis , Se l'autre de plufieursSubrtances jointes enfenible,
comme une armée d'hommes , ècfinfrovfeau de brchu ; car
ces Idées cnlleâives deplufieurs Subftances jointes de cette
manière, forment aufli bien une feule idée que celle d'un
homme , ou d'une nnite.
€equec'eftque §• /• La troiffcme efpéce d'Idées complexes , eft ce
Kehtmi. qi^e nous nommons Relation, qui confifte dans la ccmpa-
raifon d'une idée avec une autre, comparaifon qui f.\itque
l'a confideration d'une chofe enferme en elle-même la con-
fideration d'une autre. Nous traiterons par ordre de ces
trois différentes efpéces d'Idées.
Us Idées les §. 8. Si uous prcuons la pcinc dc fuivrc pïé-à-pié Ics
piusabitrufcs progrès de nôtre Efprit , Ôc que nous nous appliquions à
ne vicuncnt que*^»-' xr ^ ^ i. i. x
OD-
icxion.
Des Modes Simples de l'Efpace. L i v. IL 1 79
obferverj aaiiment il répète, ajoute & unit enfemble les Ch ap,
idées iin.p'es qu'il reçoit par le moyen de la Senfationou XU.
•de la Keflexion , cet examen nous conduira plus loin que fJ^dcux fources;
A 1 ,- 1,11 -V- 'a Sfiilanon ou
nous ne poumons peut-être nous le figurer d abord. Lt URefle
û nous obfervons foigneufement les ongmes de nos Idées,
nous trouverons , à mon avis , que les idées même les plus
abftrufes, quelque éloignées qu'elles parciflent des Sens
ou d'aucune opération de nôtre propre Entendement , ne
font pourtant que des notions que l'iintendement fe for-
me en répétant 8c comoinant les Idées qu'il avoit reçues
des Objets des Seus , eu de fes propres Opérations con-
cernant les Idées qui luy ont été fournies par les Sens. De
forte que les idées les plus étendues ér les phis ahjirûitts
nous Viennent par la Scnfation ou par la Reflexion ; car
l'Efprit ne connoit 8c ne fkuroit connoitre que par l'ufa-
ge ordinaire de fes facultez , qu'il exerce fur les Idées qui
luy viennent par les Objets extérieurs, ou par les Opéra-
tions qu'il obferve en luy-même concernant celles qu'il a
reçues par les Sens. C'ell ce que je tâcherai de fiiire voir
à l'égard des Idées que nous avons deVEfpace ,duTempSy
de l'Infinité y &c de quelques autres qui paroifTent les plus
éloignées de ces deux fomrces.
CHAPITRE XIII.
Des Mfides Simples ; ^ prémi-érement , de ceux C h a p
deTE/pace. XIII.'
§. I . Ç\ U 0 Y QU E j*aye déjà parlé fort fouvent des Les Modes
^^-^Idées fimples , qui font les matériaux de tou- i»"!!?'".
tes nos connoiflances -, cependant comme je les ai plutôt
confiderées par rapport à la manière dont elles font intro-
duites dans î'Efprit , qu'entant qu^elles font diftindes des
autres Idées plus compofées , il ne fera peut-être pas hors
de propos d'en examiner encore quelques-unes fous ce
dernier rapport , & de voir ces di#érentes modifications
Z 2 de
i8o T>es Modes Simples àe V Efface.
C H A p. de la même Idée , que l'Efprit trouve dans les chofesmé-
XIII. mes , ou qu'il eft capable de former en luy-méme fans le
fecQurs d'aucun objet extérieur , ou d'aucune caufe étran-
gère.
Ces Modifications d'une Idée Simple , quelle qu'elle
foit, auxquelles je donne le nom de Modes Simples ^zom}-
me il a été dit , font des Idées auill parfaitement diftin-
ftes dans l'Efprit que celles entre lefquelles il y a le plus
de diftance ou d'oppofition. Car l'idée de «^f /a" par exem-
ple , eft auilî différente 6c aulfi diftinde de celle d'un j
que l'idée du Bleu diffère de celle de la Chaleur , ou que
l'une de ces idées eft diftindte de celle de quelque autre
nombre que ce foit> &: cependant deux n'eft compofeque
de l'idée Simple de l'unité répétée ; &: ce font ces répéti-
tions d'idées de la même efpecejomtesenfemble, c[uifont
les idées diftinctes ou les modes fimples d'une Dou^zame,
d'une Gmjfe , d'un Million y &cc.
idc'cderEfpa- §. 2. ^c commencerai pAY Vid/e /impie de l'Efpace. J'ai
'•' déjà montré dans le Chapitre Qiiatriéme de ce Second Li-
vre, que nous acquérons l'idée de l'Efpace Se parlaveûë
&€ par l'attouchement > ce qui eft , ce me femble , d'une
telle évidence , qu'il feroit aulli inutile de prouver que
les hommes apperçoivcnt , par la veùé , la diftance qui
eft entre des Corps de diverfes couleurs, ou entre les par-
ties du même Corps , que de prouver qu'ils voyent les
couleurs mêmes. Il n'eft pas moins aifé de fe convaincre,
que l'on peut appercevoir î'efpace dans les ténèbres par le
moyen de l'attoucTiement.
§. 5. L'Efpace confideré fimplement par rapport â la
longueur qui fepare deux Corps fans confiderer aucime
autre chofe entredeux , s'appelle Dijlance -, s'il eft confi-
deré par rapport à la longueur, à la largeur Se à la profon-
deur , on peut , à mon avis , le nommer capacité. Pour
le terme d'Etendue ^ on l'applique ordinairement à l'Efpa-
ce de quelque manière qu'on le confideré.
L'immenfit^. 4. Chaque diftance diftindte eft une différente modifi-
cation de l'Efpace 3 6c chaque Idée d'une diftance diftinfte
ou
Des Modes Simples de VEfpace. L i v. IL i Si
ou d'un certain Efpace , eft un Mode Simple de cette Idée. C h A p;
Les hommes ont établi dans leur efpritj pourl'ufage, 6c XIII.
par la coiftume de mefurer, les idées de certaines longueurs
déterminées, comme font un ponce , un pie , une aune ,
xmjlade, un mille, le Di^meire de la Terre ,&zc. qui font
tout autant d'Idées diftinftes qui ne font compofées que
de l'Efpace. Lors que ces fortes de longueurs ou mefures
de l'Efpace , nous font devenues familières , nous pou-
vons les repeter dans nôtre Efprit aulli fouvent qu'il nous
plaît, fans y joindre ou mêler l'idée du Corps ou d'aucu-
ne autre chofe ; èc par cette répétition nous pouvons nous
former à nous-mêmes les idées de la longueur, d'unquar-
ré, ou d'un cube, d'un pié, d'une aune, ou d'un llade:
idées que nous pouvons rapporter dans cet Univers aux
Corps qui y font. , ou tranfporter au delà de cette vafte
étendue qui renferme tous les Corps ; èc en multipliant
ainfi ces idées par de continuelles additions , étendre celle
de l'Efpace autant que nous voulons. Par cette puiflan-
ce de repeter ou doubler l'idée que nous avons d'une cer-
taine diftanee, & de l'ajouter à la précédente aulîî fou-
vent que nous voulons , fans pouvoir être arrêtez nulle
part , nous nous formons l'idée de Vimmenfité.
§.5. Il y a une autre modification de cette Idée de LaPigu
l'Efpace, qui n'eft autre chofe que la relation qui eil en-
tre les parties qui terminent l'étendue. C'eil ce que l'at-
touchement découvre dans les Corps fenfibleslorfque nous
en pouvons toucher les extremitez , ou que l'œuil apper-
çoit par les Corps mêmes & par leurs couleurs , lors qu'il
en voit les bornes > auquel cas venant à oblérver comment:
les extremitez fe terminent ou par des lignes droites qui
forment des angles diftin£ts , ou par des lignes courbes >
où l'on ne peut appercevoir aucun angle , ëc les confide-
rant dans le rapport qu'elles ont les unes avec les autres,
dans toutes les parties des extremitez d'un Corps ou de
l'Efpace, nous nous formons l'idée qvie nous appelions
Figure, qui fe multiplie dans l'Efprit avec une infinie va-
riété. Car outre le nombre prodigieux de figures diffé-
Z 3 rente»
îure,'
ïSî Des Modes Simples de V Efface.
C H A p. rentes qui exiftent réellement en diverfes mafles de matié-
XIII. re , l'Efprit en a un fonds abfolument inépuifable par la
puiflance qu'il a de diverfifier l'idée de l'Lfpace , & d'en
faire par ce moyen de nouvelles compoiltions en répé-
tant fes propres idées , &: les affemblani comme il luy
plaît. C'ell ainlî qu'il peut multiplier les Figures à l'in-
fini.
§. 6. En eifet , TEfprit ayant la puiiTance de repeter
l'idée d'une certaine ligne droite , 6c d'y en joindre une
autre toute femblablc fur le même plan , c'eil à dire de
doubler la longueur de cette ligne , oa bien de la joindre
à une autre avec telle inclination qu'il juge à propos , &
ainli de faire telle forte d'angle qu'il veut ; nôtre Efprit,
dis-je , pouvant outre cela accourcir une certaine ligne
qu'il imagine , en en ôtant la moitié , un quart ou telle
partie qu'il luy plait, fans pouvoir arriver à 'a fin de .ces
fortes de divi fions , il peut faire un angle de telle gran-
deur qu'il veut. Il peut faire aulli les lignes qui encon-
ftituent les cotez , de telle longueur qu'il le juge à pro-
pos, &: les joindre encore à d'autres lignes de différentes
longueurs, & à differens angles , jufqu'à ce qu'il ait en-
tièrement ferme un certain cfpace ; d'où il s'enfuit évi-
demment que nous pouvons multiplier les Figures à l'in-
fini tant à l'égard de leur particulière configuration, qu'à
l'égard de leur capacité ; Se toutes ces Figures ne font au-
tre chofe que des Modes Simples de l'Efpace , ditfercns
les uns des autres.
Ce qu'on peut faire avec des lignes droites , on peut le
faire au ill avec des lignes courbes, ou bien avec des.l ignés
courbes &: droites mélces tout enfemble:&' ce qu'on peut
faire fur des lignes , on peut le faire fur des furfaces ^ ce
qui peut nous conduire dans la connoiflance d'une diver-
fite infinie de Figures que l'Efprit peut fe former à luy-
mérae 6c par où il devient capable de multiplier fi fort
les Modes Simples de l'Eipace.
Le Lieu. §. 7. Une autre Idée qui fe rapporte àcet article, c'eft
ce que nous appelions la pièce, ou le ke». Cooîime dans
le
Des Menées Simples de VEfpace. Lrv. IL i%^
le {impie Efpace n-ous confiderons le rapport de diftance C h a p.l
qiu eft entre deux Corps , ou deux Points -, dans l'idée XIIL
que nous avons du Lien , nous confiderons le rapport de
diftance qui eft entre une certaine chofe , &: deux Points
ou plus encore ^ qu'on regarde comme gardant la même
diftance l'un à l'égard de l'autre &: qu'on fuppofeparcon-
féquent en repos : car lorfque nous trouvons aujourd'huy
une chofe à la même diftance qu'elle étoit hier, de certains
Points qui depuis n'ont point change de fituation les uns
à l'égard des autres , 8c avec lefquels nous la comparions
alors, nous difons qu'elle a garde la même place. Mais fî
fa diftance à l'égard de l'un de ces Points , a changé fen-
fiblement , nous difons qu'elle a changé de place. Cepen-
dant à parler vulgairement , èc félon la notion commune
de ce qu'on nomme le lien , ce n'eft pas toujours de cer-
tains points précis qiie nous prenons exaftement la diftan-
«e 5 mais de quelques parties confiderables de certains Ob-
jets fenfrbles auxquels nous rapportons la chofe dont nou-s
obfervons la place èc dont nous avons quelque raifon de
remarquer la diftance qui eft entre elle Se ces Objets.
§. 8. Ainfi dans le jeu des Echecs quand nous trou-
vons toutes les Pièces placées fur les mêmes cafés de l'E-
ehiqiiier oii nous les avions laiflees , nous difons qu'elles
font toutes dans la même place , fans avoir été remuées;
quoy que peut-être l'Echiquier ait été tranfporté , dans
le même temps , d'une chambre dans une autre : parce
que nous ne confiderons les Pièces que par rapport aux
parties de l'Echiquier qui gardent la même diftance entre
ell'es. Nous difons aulfi , qive l'Echiquier eft dans le
même lieu qu'il étoit, s'il refte dans le même endroit de
la Chambre d'un Vaiftéau oîi l'on l'avoit mis , quoy que
le Vaifleau ait flxit voile pendant tout ce temps-là. On
dit auili que le Vaifleau eft dans le même lieu , fuppoféc-,
qu'il- garde la même diftance à l'égard des parties des
Païs voifins, quoy que la Terre ait peut-être tourné tout
autour j & qu'ainfi les Echecs j l'Echiquier &: le Vaifleau
ayent changé de place par rapport à des Corps plus éloignez
qui
ï 64, Des Modes Simples de VEfpace.
Châp. qui ont gardé la même diftancel'un à l'égard de l'autre. !
XIII. Cependant comme la place des Echecs eft déterminée par
leur dillance de certaines parties de l'Echiquier ; comme
la diftance oîi font certaines parties fixes de la Chambre
d'un VaifTeati à l'égard de l'Echiquier , fert à en déter-
miner la place , &z que c'eft par rapport à certaines parties
fixes de la Terre que nous déterminons la place du Vaif-
feau , on peut dire à tous ces differens égards , que les
Echecs 3 l'Echiquier , & le VaifTeau font dans la même
place, quoy que kur diftance de quelques autres chofes,
auxquelles nous ne faifons aucune reflexion dans ce cas ,
ayant changé , il foit indubitable qu'ils onr aulîl changé
de place à cet égard > Se c'ell: ainfi que nous en jugeons
nous-mêmes , lorfque nous les comparons avec ces autres
chofes.
§. 9. Mais comme les Hommes ont inflitué pour leur
ufage, cette modification de Diftance qu'on nomme L;>«i
afin de pouvoir défigner la polition particulière des cho-
fes, lorsqu'ils ont befoin d'une telle dénotation, ils con-
fidérent & déterminent la place d'une certaine chofe par
rapport aux chofes adjacentes qui peuvent le mieux fervir
à leur préfent deifein , fans fonger aux autres chofes qui
dans une autre veûé feroient plus propres à déterminer le
lieu de cette même chofe. Ainfi , l'ufage de la dénota-
tion de la place que x:haque Echec doit occuper , étant
déterminé par les différentes cafés tracées fur l'Echiquier,
ce feroit s'embarraflér inutilement par rapport à cet ufage
particulier que de mefurer la place des Echecs par quel-
que autre chofe. Mais lorfque ces mêmes Echecs font
dans un Sac, fi quelqu'un dcraandoit où eft le Roy noir t
il faudroit en déterminer le lieu par certains endroits de la
Chambre où il feroit, &: non pas par rEchit|uier j parce
que l'ufage pour lequel on défigne la place qu'il occupe
prefentement,efl différent de celui qu'on en tire en jouant
îorfqu'il eft fur l'Echiquier, &: par conféquent , la place
€n doit être déterminée par d'autres Corps. De même,
j j l'on deniandoit oii font les Vers qui contiennent l'avan-
turc
T>es]Modes Simples de VEfpace. Liv, II. 185
tiire de Nifit-s Se à'Enrialus -, ce feroit en déterminer fort C h A p.
mal l'endroit que de dire qu'ils font dans un tel lieu delà XIII.
Terre , ou dans la Bibliothèque du Roy ; mais la vérita-
ble détermination du lieu où font ces Vers , devroit être
prife des Ouvrages de l^irgile-, de forte que pour bien ré-
pondre à cette Qiieftion , il faudroit dire qu'ils font vers
le milieu du Neuvième Livre de fon Enéide ,&c qu'ils ont
toujours été dans le même endroit , depuis que Virgile a
été imprimé, ce qui eft toujours vrai,quoy que le Livre
luy-même ait changé mille fois de place , l'ufage qu'on
fait en cette rencontre de l'idée du Lieu , confiilant feu-
lement à connoître en quel endroit du Livre fe trouve
cette Hiftoire, afin que dans l'occafîon nous puiffionsfi-
voir où la trouver , pour y recourir quand nous en aurons
befoin.
§. 10, Qiie l'idée que nous avons du LieUi ne f jit Du Lieu,
qu'une telle pofition d'une chofe par rapport à d'autres ,
comme je viens de l'expliquer , cela eft , à mon avis , tout-
à-fïit évident ; 6c nous le reconnoîtrons fans peine , fi
nous confiderons que nous ne faurions avoir aucune idée
de la place de VUnivers , quoy que nous puiiîîons avoir
une idée de la place de toutes fes parties; parce qu'au de-
là de l'Univers nous n'avons point d'idée de certains E-
tres fixes , diftinfts , & particuliers auxquels nous puif-
fions juger que l'Univers ait aucun rapport de diftance,
n'y ayant au delà qu'un Efpace ou Etendue uniforme, où
l'Efprit ne trouve aucune variété ni aucune marque dedi-
ftindtion. Que fi l'on dit que l'Univers eft quelque part,
cela n'emporte dans le fonds autre chofe , fi ce n'eft que
l'Univers exiftc; car cette expreflion, quoy qu'emprun-
tée du Lieu, fignifie fimplement fon exiftence, & non fa
fituation ou location, s'il m'eft permis de parler ainfi. Et
quiconque pourra trouver 8c fe repréfenter nettement Se
diftinftement la place de l'Univers, pourra fort bien nous
dire fi l'Univers eft en mouvement ou dans un continuel
repos , dans cette étendue infinie du Vuide où l'on ne
iaiiroit concevoir aucune diftinclion. Il eft pourtant vrai,
A a que
i86 "Des Modes Simples de VEfpace.
Cha p. que le mot de place ou de lieu fe prend fouvent d-\ns un
XIII. Sens plus confus, pour cet efpice que chaque Corps oc-
cupe ; &c dans ce (eus , l'Univers eft dans un certain
lieu.
Il ell donc certain que nous avons l'idée du Lieu parles
mêmes moyens que nous acquérons celle de l'Efpacedont
le Lieu n'eft qu'une confideration particulière, bornée à
certaines parties ; je veux dire par la veûë & l'attouche-
ment qui font les deux moyens par lefqucls nous re-
cevons ks idées de ce qu'on nomme étendue ou diilan-
ce.
LiCerps & ]'E- §. II. Il y a des gens qui voudrcient nous perfuader>
tendue ne font Qj^g ig Qoyps (h" V Etcndiie (ûTit Une même chofe. Mais ou
pas la mcme f> , ' i r • r • j j ■
chofe. ils changent la lignincation des mots , dequoy je ne vou-
drois pas les foupçonner , eux qui ont fi féverement con-
damné la Philofcphie qui étoit en vogue avant eux, pour
être trop fondée fur le fens incertam ou fur l'obfcurité
illufoire de certains termes ambigus ou qui ne figniiioient
rien; ou bien ils confondent deux Idées fort diiférentcs,
fi par le Corps &c ['Etendue ils entendent la même chofe
que les autres hommes , favoir par le Corps ce qui ell fo-
lide & étendu , dont les parties peuvent être divifées &
meuës en différentes m.aniéres , &: par V Etendue , feule-
ment l'efpace qui eft entre les extremitez de ces parties
folides jointes enfemble , qu'elles occupent. Car j'en
appelle à ce que chacun juge en foy-méme , pour favoir
fi l'Idée de l'Efpace n'ell pas auili diftinfte de celle de la
fohdité que de l'Idée même de la Couleur du Feu ? Il
eft vray que lu fûlidité ne peut fubfiftcr fans l'étendue,
mais la couleur du Feu ne fauroit exifter non plus fins
l'étendue, ce qui n'empêche pas que la folidite &c V éten-
due ne foient des Idées différentes. Flufieurs Idées ont
abfolument befoin d'autres Idées pour exifter , ou pour
pouvoir être conçues , dont elles font pourtant fort dif-
férentes. Le Mouvement ne peut être , ni être conçu
fans l'Efpace ; & cependant le Mouvement n'eft point
l'Efpace, ni l'Efpace le Mouvement j l'Efpace peut exi-
fter
Des Modes Simples de VEfpace. L i v. IL 187
fier fans le Mouvement , Se ce font deux Idées fort diftin- C h a p^
£les. 11 en eft de même , à ce que je croy , de l'Efpace XIII..
&: de la folidité. la Solidité eft une idée fi inféparable
du Corps, que c'cft parce que le Corps eft folide, qu'il
remplit l'Efpace, qu'il touche un autre Corps , qu'il le
pouffe, &; par là luy communique du mouvement. Qiie
fi Ton peut prouver que l'Efprit eft différent du Corps j
parce que ce qui penfe, n'enferme point l'idée de l'éten-
due ; fi cette raifon eft bonne , elle peut , à mon avis ,
fervir tout aulli bien à prouver qucV Efpace n'ejl p^s Corps^
parce qu'il n'enferme pas l'idec de la Solidité , l'Efpace
&c h Solidité étant des Idées auili différentes entr'elles
que la Penfée & l'Etendue , en forte que l'Efprit peut
les feparer entièrement l'une de l'autre. Il eft donc évi-
dent que le Corps Se VEtendué font deux Idées diftin-
ftes.
§. 12. Car premièrement , l'Etendue n'enferme ni So-
lidité ni refiftance au mouvement d'un Corps , comme
fait le Corps.
§. 13. En fécond lieu , les Parties de l'Efpace pur
font inféparables l'une de l'autre , en forte que la conti-
nuité n'en peut être ni réellement ni mentalement feparée.
Car je detîe qui que ce foit de pouvoir écarter , même
par la penfée , une partie de l'Efpace d'avec une autre.
Divifer 6c feparer actuellement , c'eft , à ce que je croy ,
faire deux fuperficies en écartant des parties qui faifoient
auparavant une quantité continue; Se divifer mentalement,
c'eft imaginer deux fuperficies oii auparavant il y avoit
continuité , Se les confiderer comme éloignées l'une de
l'autre > ce qui ne peut fe faire que dans les chofes que
l'Efprit confidére comme capables d'être divifées , Se de
recevoir i par la divifion , de nouvelles furfiices diftin Aes,
qu'elles n'ont pas alors , mais qu'elles font capables d'à-,
voir. Or aucune de ces fortes de divifions , foit réelle ,
ou mentale, ne fiuroit convenir, ce me femble , à l'Ef-
pace pur. A la vérité, un homme peut confiderer autant
d'un tel efpace , qui réponde ou foit commenfurable à un
Aa 2 pié,
i88 Des Modes Simples de VEfpace.
Ch A p. piéj uns penfer au refte -, ce qui efl: bien une confidera-
XIII. tion de certaine portion de l'Efpace , mais ce n'eil point
une diviiion même mentale , parce qu'il n'eft pas plus
pollible à un homme de faire une divifion par l'Efprit
ians réfléchir fur deux furfaces feparées l'une de l'autre ,
que de divifer aituellement , fans faire deux furfaces , é-
cartées l'une de l'autre. Mais confiderer des parties , ce
n'eft point les divifer. Je puis confiderer lalumiéredans
le Soleil, fans faire reflexion à fi chaleur , ou la mobili-
té dans le Corps , fans penfer à fon étendue , mais par là
je ne fonge point à feparer la lumière d'avec la chaleur ,
ou la mobilité d'avec l'étendue. La première de cescho-
fes n'eft qu'une fimple conilderation d'une feule partie ,
au lieu que l'autre eft une confideration de deux parties^
entant qu'elles exiftent feparément.
§. 14. En troifiéme lieu , les parties de VEfpace pur
font immobiles } ce qui fuit de ce qu'elles font indivifi-
bles, car comme le mouvement n'eft qu'un changement
de diftance entre deux chofes, un tel changement ne peut
arriver entre des parties qui font infeparables , car il f;uit
qu'elles foient par cela même dans im perpétuel repos l'u-
ne à l'égard de l'autre.
Ainfi l'Idée déterminée de VEfpace pur le diftingue é*
videmment & fuffifamnient du Corps, puifque fcs parties
font infeparables, immobiles. Se fans refiftance au mou-
vement du Corps.
La Définition §• 15- Qiie fi quelqu'un me demande , ce que c'eft
dePEtenduë ne que Cet Efpacc y dont je parle ; je fuis prêt à le luy dire,
^u°hK(Ét q"^nd il me dira ce que c'eft que V Etendue. Car de dire-
yavoir de l'Ef- commc on fait ordinairement , que l'Etendue c'eft d'a-
pace fans Cor^s. -y-Qj-j. partes e>:tra partes, c'eft dire fimplement que l'Eten-
due eft étendue. Car, je vous prie , fuis-je mieux in-
ftruit de la nature de l'Etendue lorfqu'on me dit qu'elle
confifte à avoir des parties étendues , extérieures à d'au--
très parties étendues > c'eft à dire que l'Etendue eft com-
pofée de parties étendues , fuis-je mieux inftruit fur ce
point, que celui qui me demandant ce que c'eft qu'une
Fibre y
Des Modes Simples de VEfpace. Liv. II. 189
Fibre i recevroit pour réponfe , que c'efl une chofe com- Chap,
pofée de plufieurs Fibres ? Entendroit-il mieux , après XIII
une telle réponfe, ce que c'eft qu'une Fibre, qu'il ne l'en-
tendoit auparavant? ou plutôt , n'auroit-il pas raifon de
croire que j'aurois bien plus en veûëdememcquerdeluy,
que de l'inflruire ?
§. 16. Ceux qui foûtiennent que l'Efpace &C le Corps LaDivifion des
font une, même chofe , fe fervent de ce Dilemme : Ou I'e^';"^'^"',^'
l'Efpace eft quelque chofe , ou ce n'eft rien. S'il n'y a prouve point
rien entre deux Corps , il faut néceffairement qu'ils fe^"^i'EfF':e&
- 1, 1- i)T-r /-L 1 1 r le Corps loicut
touchent: & li Ion dit que 1 Elpace elt quelque choie , h même choie.
ils demandent fi c'eft Corps , ou Efprit ? A quoy je ré-
pons par une autre Qiieftion > Qiii vous a dit , qu'il n'y
a, ou qu'il n'y peut avoir que des Etres Solides qui ne
peuvent peafer , de des Etres penfans qui ne font point
étendus ? Car c'eft là tout ce qu'ils entendent par les ter-
mes de Corps &: à'Efprit.
§. 17. Si l'on demande j comme on a accoutumé deiaSubdance,
faire , fi l'Efpace fans Corps eft Subftance ou Accident, 1"="°^»=
, . f , ,r yx 5 r ■ o ■ •> coniioiflons
je répondrai lans heliter , Que je n en lai rien j oc je n au- pas, ne peut fer-
rai point de honte d'avoiiër mon ignorance , iufqu'à ce ^'^'e preuve
■ c ^ ^/^/L- J .l'j' contre l'exiftcn-
que ceux qui font cette Qiieltion me donnent une idee^çj^j^^fp^^ç
claire Se diftin£be de ce qu'on nomme Subjtance. fans Corps.
§. 18. Je tâche de me délivrer , autant que je puis,
de ces illufions que nous fommes enclins à nous faire à
nous-mêmes , en prenant des mots pour des chofes. 11 ne
nous fert de rien de faire femblant de favoir ce que nous
ne favons pas, en prononçant certains fons qui ne ligni-
fient rien de diftinft Se de pofitif. C'eft battre l'air inu-
tilement j car des mots faits à plaifir ne changent point
la nature des chofes 5 6c ne peuvent devenir intelligibles
qu'entant que ce font des fignes de quelque chofe de po-
fitif, ôc qu'ils expriment des Idées diftinctes £c détermi-
nées. Je fouhaiterois au refte, que ceux qui appuyent fi
fort fur le fon de ces trois fyllabes, Suhjiance , priifentla
peine de confiderer li l'appliquant , comme ils font , à
Dieu 3 cet Etre infini ôc incomprehenfible , aux Efpritsfi-
Aa 3 nisj;
Ï90 Di'j Modes Simples de VEfpace.
C H A p. nis , & au Corps, ils le prennent dans le même fens , &
XIII. fi ce mcjt emporte la même idée lorfqu'on ledonnc à cha-
cun de ces trois Etres fi différens? S'ils difent qu'oui, je
les prie de voir s'il ne s'enfuivra point de là. Que Dieu,
les Efprits finis, &: les Corps participans en commun à la
même nature de Siihfiance , ne différent point autrement
que par la différente modification de cette Subftance ,
comme un Arbre & un Caillou qui étant Corps dans le
même fens & participant également à la nature du Corps,
ne différent que dans la (impie modification de cette ma-
tière commune dont ils font compofez ; ce qui feroit un
dogme bien difficile à digérer. S'ils difent qu'ils appli-
quent le mot de Subftance à Dieu , aux Efprits finis Se à
la Matière en trois différentes fignifications ; que , lors
qu'on dit que Dieu eft une Subftance , ce mot marque
une certaine idée; qu'il en fignifie une autre lors qu'on le
donne à l'Ame , Sz une troifiéme lors qu'on le donne au
Corps ; fi , dis-je , le terme de Subftance a trois différen-
tes idées, abfolument diftinâres, ces Meilleurs nous ren-
droient un grand fervice s'ils prenoient la peine de nous
faire connoître ces trois idées , ou du moins de leur don-
. ner trois noms diftinfts , afin de prévenir , dans un fujer
fi important , la confufion Se les erreurs que caufera natu-
rellement l'ulhge d'un terme fi ambigu , fi on l'applique
indifféremment &: fans diftinftion à des ch^fcs fi différen-
tes; puifqu'ii a, à peine, une feule fignification claire 6c
déterminée, tant s'en faut que dans l'ufage ordinaire on
foupçonne qu'il en renferme trois. Et du refte, s'ils peu-
vent attribuer trois idées diftin£tes à la Svbft:r.nre , qui
peut empêcher qu'un autre ne luy en donne une qua-
trième ?
Les mots (3e §. 19. Ceux qui les premiers fe font avifez de regarder
suhflatusSi les y^fr/i^c;?^ comme une efpéce d'Etres réels qui ont be-
â' Jiccideiit lom r ■ t i t/-.-ir' t '/
depeud'ufage loiu de qucIquc choic a quoy ils loient attachez , ont ete
dans la Phiiofo- contraints d'inventer le mot de Svbflnncf , pour fervir de
^ foûtien aux Accidcns. Si un pauvre Pbilo/ophe Indien qui
s'imagine que la Terre a auflî*befoin de quelque appuy,
fc
Des Modes Simples de V'Effjace . L i v . I ï . 191
fe fut avifé feulement du mot de Subfiance , il n'auroit C h a p.'
pas eu rembarras de chercher un Eléphant pour fbûtenir XllI,
la Terre, & une Tcrtuë pour foûtenir fon Eléphant -, le
mot de Snhftance auroit entièrement fait fon affaire. Et
quiconque demanderoit après cela , ce que c'eft qui foù-
tient la Terre , devroit être aullî content de la réponfe
d'un Ph'lofcphe Indien qui luy diroit , que c'eft la Sub-
(lance , lims f.ivoir ce qu'emporte ce mot , que nous le
fommes d'un Philof^phe Européen qui nous dit , que la
Siibflance y terme dont il n'entend pas non plus la lignifi-
cation, eft ce qui foùtient les Acciàens. De forte que
toute l'idée que nous avons de la Subftance , eft une idée
obfcure de ce qu'elle fait , 8c non une idée de ce qu'elle
eft.
§. 20. Qiioy que pût faire un Savant en pareille ren-
contre, je necroy pas qu'un Américain d'un efprit un peu
pénétrant qui voudroit s'inftruire de la nature des choies,
fut fatisfait , fi délirant d'apprendre nôtre manière de bâ-
tir , en luy difoit , qu'un Pdier eft une chofe foùrenuë
par une Bafe, & qu'une Bafe eft quelque chcfe qui foù-
tient un Pilier. Ne croiroit-il pas qu'en luy tenant un tel
difcours , on auroit envie de fe moquer de luy , au lieu de
fbnger à l'inftruire ? Et fi un Etranger qui n'auroitjamais
vu des Livres, vouloit apprendre exaftement , comment
ils font faits & ce qu'ils contiennent , ne feroit-ce pas un
plaifant moyen de l'en mftruire que de luy dire, que tous
les bons Livres font compofez de Papier & de Lettres ,
que les Lettres font des chofes inhérentes au Papier , &: le
Papier une chofe qui foùtient les Lettres? N'auroit-il pas,,
après cela , des Idées fort claires des Lettres & du Pa-
pier? Mais 11 les mots Latins , mharentia Se fitbjianîia ,,
étoient rendus nettement en François par des termes qui
exprimaflent \'a5îion de s'attacher èc l'avion de foûtenir >,
(^car c'eft ce qu'ils fignifient proprement} nous ver-
rions bien mieux le peu de clarté qu'il y a dans tout
ce qu'on dit de la Subjlance &: des yîccidens , &c de
quel ufage ces mots peuvent être en Philofophie piDUt
dé-
1^2 T)cs Modes Simples de V Efface.
Chap. décider les Queftions qui y ont quelque rapport.
XIII. §- 2 1. Mais pour revenir à nôtre Idée de l'Efpace. Si
Qu'iiyauii l'on ne fuppofe pas le Corps infini, ce que perfcnne n'o-
dcsdermVxes'^ fera fdirc , à ce que je croy , je demande , fi un homme
bornes des que Dicu auroit place à l'extrémité des Etres Corporels»
^°^i"- ne pourroit point étendre fa main au delà de fon Corps.
S'il le pouvoit, il niettroit donc fon bras dans un endroit
où il y avoit auparavant de l'Efpace fans Corps -, & fi fa
main étant dans cet Efpace, il venoit à écarter les doigts,
il y auroit encore entredeux de l'Efpace fans Corps. Qiie
s'il ne pouvoit étendre fa main , ce devroit être à caufe de
quelque empêchement extérieur , car je fuppofe que cet
homme eft en vie , avec la même puifl'ance de mouvoir
les parties de fon Corps qu'il a préfentement , ce qui de
foy n'eft pas impollible , fi Dieu le veut ainfi ; ou du moins
eft-il certain que Dieu peut le mouvoir en ce fens : &: alors
je demande fi ce qui empêche fa main de fe mouvoir en
dehors , efl: fubftance ou accident , quelque chofe , ou
rien ? Quand ils auront fatisfait à cette queftion , ils fe-
ront capables de déterminer d'eux-mêmes ce que c'eft qui
fans être Corps 6c fans avoir aucune Solidité , eft , ou peut
être entre deux Corps éloignez l'un de l'autre. Du refl:e,
dire qu'un C( rps en mouvement , petit fe mouvoir vers
où rien ne peut s'oppofer à fon mouvement , comme au
delà de l'Efpace qui borne tous les Corps , c'eft raifon-
ner pour le moins aulli conféquemment que ceux qui di-
fent, que deux Corps entre lefquels il n'y a rien , doivent
fe toucher necefiairement. Car au lieu que l'Efpace qui
eft entre deux Corps, fuffit pour empêcher leur contatt
mutuel , l'Efpace pur qui fe trouve fur le chemin d'un
Corps qui fe meut, ne fuifit pas pour en arrêter le mou-
vemait. La vérité eft, qu'il n'y a que deux partis à pren-
dre pour ces Meilleurs, ou de déclarer que les, Corps font
infinis, quoy qu'ils ayent de la répugnance à le dire ou-
vertement, ou de reconnoître de bonne foy que l'Efpace
n'eft pas Corps. Car je voudrois bien trouver quelqu'un
de ces Efpnts profonds qui par la peiifce put plutôt met-
tre
T>es Modes Simples de VEfpace. L i \ . II. 19^
tre des bornes à l'Efpace qu'il n'en peut mettre à la Du- C h a p.
rée, ou qui, à force de penfer à l'étendue de l'Elpace &: XIII.
de la Durée, pût les épuifer entièrement &: arrivera leurs
dernières bornes. Que fi fon Idée de V Eternité e?c infi-
nie , celle qu'il a de Vimmenftté l'eft auiîi , toutes deux
étant également finies, ou infinies.
§. 22. Bien plus, non feulement il fliut que ceux quiLapu'^'^n^
foùtiennent que l'exiflence d'un Efpacc fans matière efl pro"ûve'icVtii-
impoflible, reconnoifTent que le Corps ell infini j il faut, de-
outre cela, qu'ils nient que Dieu ait la puiifance d'anni-
hiler aucune partie de la Matière. Je fuppofe que perfon-
ne ne me niera que Dieu ne puifle faire cefler tout le mou-
vement qui eft dans la Matière , ôc mettre tous les Corps
de l'Univers dans un parfait repos , pour les laiflér dans
cet état tout auill long-temps qu'il voudra. Or quicon-
que tombera d'accord que durant ce repos univerfel Dieu
peut annihiler ce Livre, ou le Corps de celui qui le lit,
ne peut éviter de reconnoître la poiîibilité du Vnide. Car
il ell évident que l'Efpace qui étoit rempli par les parties
du Corps annihilé , reliera toujours , & fera un efpace
fans corps j parce que les Corps qui font tout autour, é-
tant dans un parfait repos , font comme une muraille de
Diamant , & dans cet état mettent tout autre Corps dans
une parfaite impolfibilité d'aller remplir cet Efpace. Et
en effet , ce n'ell que de la fuppolltion , que tout eft
plein , qu'il s'enfuit qu'une partie de matière doit nècef-
fairement prendre la place qu'une autre partie vient de
quitter. Mais cette fuppofition devroit être prouvée au-
trement que par un fait en queilion, qui bien loin de pou-
voir être démontré par l'expérience , eft vifiblcment con-
traire à des Idées claires &" diftincles qui nous convain-
quent évidemment qu'il n'y a point de liaifon néceffaire
entre VEfpace &c la Solidité , puifque nous pouvons con-
cevoir l'un fans fonger à l'autre. Et par conféquent ceux
qui difputent pour ou contre le î^uide , doivent reconnoî-
tre qu'ils ont des idées diftinftes du J-^tnde &c du Plein ,
c'cft a du'c qu'ils ont une idée de l'Etendue exempte de
Bb fo-
194' ^^^ Mcdcs Simples de V Efface.
C H A p. folidité > quoy qu'ils en nient l'exiftence ; otr bien ily
XIII. difputent fur le pur né:\nt. Car ceux qui changent fi fort
la lignification des mots qu'ails dionncnt'iV Etendiielcnonx
de Corps, &c qui reduifent , par conféquent , toute l'ef-
fence du Corps à n'être rien autre choie qu'une pure éten-
due Hms lolidité , doivent parler d'une manière bien ab-
furde lorfqu'ils raifonnent du Vuide, puifqu'ileftimpof-
fible que l'Etendue foit uns étendue. Car enfin , qu'on
reconnoiflé ou qu'on nie l'exillence du Vuide, il eft cer-
tain que le Vuide fignifie un Efpace llins Corps dontper-
fonne ne peut désavouer la polîibilité , s'il ne veut éta-
blir que la Matière eit infinie , èc s'il fait difficulté d'ô-
ter à Dieu la puiffance d'en annihiler quelque parti-
cule.
^'oîÏÏc vm-"' §• - 3- ^^'^'^ ^^"^ ^^^^^^ ^^ l'Univers pour aller au delà
d:. des dernières bornes des Corps, 6c fans recourir àlatoute-
puiiïance de Dieu pour établir le Vuide, il melémbleque
le mouvement des Corps que nous voyons & dont nous
fommes environnez , en démontre clairement l'exiftence.
Car je voudrois bien que quelqu'un eflayât de divilér un
Corps folide , de telle dimenfion qu'il voudroit , en for-
te qu'il fit que ces parties folides puflent fe mouvoir li-
brement en haut , en bas , èc de tous cotez dans les bor-
nes de la fupcrfîtie de ce Corps , quoy que dans l'éten-
due de cette fuperficie il n'y eut point d'efpace vuide
aulîi grand que la moindre partie dans laquelle il a di vifé
ce Corps folide. Qiie II lorfque la moindre partie du.
Corps divilé eft auHi grofle qu'un grain de fcmence de
moutarde, il faut qu'il y ait un efpace vuide qui foit é-
gol à la groflèur d'un grain de moutarde, pour faire que
les parties de ce Corps ayent de la place pour fe mouvoir
librement dans les bornes de fa fuperficie > il fliut aulîi ,.
que lorfque les parties de la Matière font cent millions de
fois plus petites qu'un grain de moutarde , ii y ait un ef-
pace, vuide de matière folide, qui foit aulll grand qu'une
partie de moutarde , cent millions de fois plus petite qu'un
grain de cette fcuicnce. Et fi ce Vuide proportionnel eft
ne-
Des Modes Simples de VEfpace. L r v. IL 195
néceflaire dans le premier cas , il doit l'être dans le fe- C h A p.
cond, ëc ainfi à l'infini. Or que cet Efpace vuide foit XÏII.
fi petit qu'on voudra, cela fi.iffit pour détruire l'hypothe-
fe qui établit que tout eft plein. Car s'il peut y avoir
un Efpace, vuide de Corps, égal à la plus petite partie
diftinàe de matière qui exifte préfentement dans le Mon-
de, c'eil toujours un Efpace vuide de Corps, &: qui met
une auiîî grande différence entre l' Efpace pur , &: le Corps,
que fi c'étoit un Vuide immenfe, i^yx. ')^<^\j^. Par con-
féquent, fi nous fuppofons que l'Efpace vuide qui eft né-
ceflâire pour le mouvement , n'eft pas égal à la plus pe-
tite partie de la Matière folide, actuellement divifee, mais
à Vs ou à Tô'33 de cette partie , il s'enfuivra toujours égale-
ment qu'il y a de l'Efpace fans matière.
§. 24. Mais comme ici la Qiieftion eft de fa voir , fi LeUdcesde
l'idée de l'Efpace ou de l'Etendue eft la même que celle '^F-fp-''ce ^ f'"
du Corps , il n eit pas necellaire de prouver 1 exiftence ftii.des l'une de
réelle du Vuide, mais feulement de montrer qu'on peut ^'*""^-
avoir l'idée d'un Efpace fans Corps. Or je dis qu'il eft
évident que les hommes ont cette idée , puifqu'ils cher-
chent & difputent s'il y a du Vuide , ou non. Car s'ils
n'avoient point l'idée d'un Efpace fans Corps, ils ne pour-
roient pas mettre en queftion fi cet Efpace exifte j Se Ç\.
l'idée qu'ils ont du Corps, n'enferme pas en foy quelque
chofe de plus que l'Idée fimple de l'Efpace , ils ne peu-
vent plus douter que tout le Monde ne foit parfaitement
plein j & en ce cas-là, il feroit aufti abfurde de demander
s'il y auroit un Efpace fans Corps , que de demander s'il
y auroit un Efpace fans efpace , ou un Corps fans corps ,
puifque ce ne feroient que différens noms d'une même
Idée.
§. 25. Il eft vray que l'Idée de l'Etendue eft fi infepa- Dcceciael'c-
rablement jointe à toutes les Qiialitez vifibles,&: àlapiû- 'en^fui^eft i"^*-
part des Qualitez taftiles, que nous ne pouvons voir au- CoTpsHnes'en-
cun Objet extérieur , ni en toucher fort peu , fans rece- fuit pas que
voir en même temps quelque impreftionde l'Etendue. Or co'rpsfoknc^
parce que l'Etendue lé vient mêler fi conftamment avec une feule &
Bb 2 J'^^,. même chofc.
196 Des Modes Simples de VEfpâce.
C H A p. d'autres Idées, je conjefture que c'eft ce qui a donné oc-
XllI. calion à certaines gens de déterminer que toute l'cflence
du Corps conlifte dans l'étendue. Ce n'eft pas une chofe
fort étonnante j puifque quelques-uns fefont fifort rem-
pli TEfprit de l'idée de l'Etendue par le moyen de la
veùë & de l'attouchement, (les plus occupez de tous les
Sens} qu'ils ne fauroient donner de l'exiilence à ce qui
n'a point d'étendue, cette Idée ayant occupé, pourain-
û dire , toute la capacité de leur Ame. Je ne prétens
pas difputer prcfentement contre ces perfonnes, qui ren-
ferment la mefure & la poffibilité de tous les Etres dans
les bornes étroites de leur Imagination groilîére. Mais
comme je n'ai à faire ici qu'à ceux qui concluent que l'ef-
fence du Corps confifte dans l'Etendue, parce qu'ils ne
fauroient, difent-ils, imaginer aucune qualité fenfible de
quelque Corps que ce foit fans étendue , je les prie de
confiderer, que, s'ils euflent autant réfléchi fur les Idées
qu'ils ont des Goûts &: des Odeurs, que fur celles de la
Veiië & de l'Attouchement , ou qu'ils euffent examiné
les idées que leur caufe la faim , la foif , 5c plufieurs au-
tres incommoditez, ils auroient compris que toutes ces
idées n'enferment en elles-mêmes aucune idée d'étendue,
qui n'eft qu'une affe£lion du Corps, comme tout le re-
fte de ce qui peut être découvert par nos Sens , dont
la pénétration ne peut guère aller jufqu'à voir la pure ef-
fence des choies.
§. 26. Que fi les Idées qui font conftamment jointes
à toutes les autres, doivent pafler dès-là pour l'efTence des
chofes auxquelles ces Idées fe trouvent jointes , & dont
elles font inféparables , l'Unité doit donc être, fans con-
tredit , l'cn'ence de chaque chofe. Car il n'y a aucun
Objet de Senfation ou de Reflexion , qui n'emporte
l'idée de l'unité. Mais c'eft une forte de raifonne-
ment dont nous avons déjà montré fuffifamment la foi-
■^ blefle.
Les Mecs de §• 2/. Enfin, qucUcs quc foicut Ics penfécs des hom-
rEipacc&de la mej fLij- l'exiftence du Vuide, il me paroît évident , que
nous
Des Modes Simples de VEfpace. L i v. II. 197
nous avons une idée auiïï claire de l'Efpace , diftinft de C h a p.
la Solidité , que nous en avons de la Solidité , diflinfte XIII.
du Mouvement , ou du Mouvement diftinft de l'Efpace. ^l^f^f^^f
Il n'y a pas deux Idées plus diftinftes que celles-là , &: rautre.
nous pouvons concevoir auflî aifément l'Efpace fans fo-
lidité , que le Corps ou l'Efpace fans mouvement ; quoy
qu'il foit très-certain, que le Corps ou le Mouvement ne
fauroient exifter fans l'Elpace. Mais foit qu'on ne regar-
de l'Efpace que comme une Relation qui refulte de l'exi-
ftence de quelques Etres éloignez les uns des autres , ou
qu'on croye devoir entendre littéralement ces paroles du
fage Roy Salomon , Les deux & ^es deux des Cienx ne
te peuve}ît contenir, ou celles-ci de St. Pailla ce Philofo-
phe infpiré de Dieu , lefquelles font encore plus empha-
tiques,* C'f/? en lîty que nous aiwns la -vie, te ?)iôuvement,
ér l''ê(re,je laiiTe examiner ce qui en efb à quiconque vou-
dra en prendre la peine , Se je me contente de dire , que
l'idée que nous avons de l'Efpace, eft, à mon avis, telle
que je viens de la repréfenter, & entièrement diftinfte de
celle du Corps. Car foit que nous confiderions dans la
Matière même la diftance de fes parties folides, jointes
enfemble. Se que nous luy donnions le nom d'étendue par
rapport à ces parties folides , ou que confiderant cette di-
ftance comme étant entre les extrcmitez d'un Corps , fé-
lon fes diflerentes dimenfions, nous l'appellions longueur,
largeur, Se profondeur , ou foit que la confiderant comme
étant entre deux Corps, ou deux Etres pofitifs,fans pen-
fer s'il y a entredeux de la Matière, ou non, nous la nom-
mions dijtance : quelque nom qu'on luy donne , ou de
quelque manière qu'on la confidére , c'eil toujours la mê-
me idée fimple 6c uniforme de l'Efpace, qui nous efb ve-
nue par le moyen des Objets dont nos Sens ont été occu-
pez , de forte qu'en ayant établi des idées dans nôtre Ef-
Bb 3 prit.
* ^(i. xvn.ven. 18. Ev «ùtî! ÇwMf» ,
lî: )t(ï(iu'ftEf«! KKi eVftsv. Ces paroles de l'O
riginal expriment, ce me femble, quelque
chofc de plus que la traduftion Fiançoife ,
ou du moins elles reprcrentcnt la même
chofè plus vivement &: plus nettement, je
m'en rapporte à ceux qui entendent ks
I deux Langues mieux que moy.
198 Ves Modes Simples de VEfpaee.
Ch A p. prit, nous pouvons les reveiller , les repeter Se les ajoû-
XIII. ter l'une à l'autre aufli fouvent que nous voulons ,& ainfl
confiderer l'Efpacç ou la diftance , foit comme remplie
de parties foUdes en forte qu'un autre Corps n'y puifle
point venir, fans déplacer & chaffer le Corps qui y étoit
auparavant» ou bien comme vuide d'aucune chofe îolidej
en forte qu'un Corps d\ine dlmenfion égale à ce pur Ef-,
pace, puiiTe y être placé , fans en éloigner ou chafler au-
cune chofe qui y foit déjà. Mais pour éviter la confu-
fion en traitant cette matière , il feroit peut-être à fouhai-
ter qu'on n'appliquât le nom à' Etendue qu'à la Matière
ou à la diflance qui ell; entre les extremitez des Corps par-
ticuliers, & qu'on donnât le nom à' Expanjïon à l'Efpace
en général, foit qu'il fut plein ou vuide de matière foli-
dej de forte qu'on dît , l'Efpace a de VexpAtifion , 6c le
Corps eft étendu. Mais en ce point , chacun eft maître
d'en ufer comme il luy plairra. Je ne propofe ceci que
comme un moyen de s'exprimer plus clairement &: plus
diflinftement.
Les hommes §. 28. Pour nioy , je m'imagine que dans cette occa-
emr'^'ai'" fuHcs ^^°" auilî bien que dans plufieurs autres , toute la difpute
iJecsfimpies feroit bientôt terminée fi nous avions une connoiflance
qu'ils conçoi- précife &: diftinfte de la fiofnification des termes dont nous
vent clairement. ^ r ^r-^-v-
nous lervons. Car je luis porte a croire que ceux qui vien-
nent à réfléchir fur leurs propres penfées , trouvent qu'en
général leurs idées fimples font toutes femblables , quoy
que dans les difcours qu'ils ont enfemble , ils les confon-
dent par difFerens noms : de forte que ceux qui font ac-
coutumez à faire des abftra£lions , Se qui examinent bien
les idées qu'ils ont dans l'Efprit , ne fauroient penfer fort
différemment; quoy que peut-être ils s'embarraffent par
des mots , en s'attachant aux façons de parler des Acadé-
mies ou des Se£tes dans lefquelles ils ont été élevez. Au
contraire , je comprens fort bien , que les difputes , les
criailicries &: les vains galimathias doivent durer lans fin
parmi les gens qui n'écant point accoutumez à penfer, ne
fe font point une affiiire d'examiner fcrupuleufement Se
avec
De la Durée ) ècc. Liv. II. 199
avec foin leurs propres Idées , & ne les dïffingitënt point C m a p.
d'arec les fignes que les hommes employent pour les fai- XIIL
re connoître aux autres , & fur tout , 11 ce font des Sa-
vans de profeflion , chargez de le£ture , dévouez à cer-
taines Seftes, accoutumez au langage qui y eft en ufage,
& qui fe font fait une habitude de parler après les autres
fans favoir pourquoy. Mais enfin , s'il arrive que deux
perfonnes qui font des reflexions fur leurs propres pen-
fécsj ayent des Idées diffcrentes , je ne vois pas comment
ils peuvent difcourir ou raifonner enfemble. Au refte ,
ce fcroit prendre fort mal ma penfee que de croire que
toutes les vaines imaginations qui peuvent entrer dans le
cerveau des hommes , foient précisément de ecîre efpéce
d'Idées dont je parle. Il n'eft pas facile à l'Efprit de fe
débarraffer des notions confufes & des préjugez dont il a
été imbu par la coutume , par inadvertance ou par les
Gonverfations ordinaires. Il faut de la peine ^ & une lon-
gue èc férieufe application pour examiner fes propres I-
dées , jufqu'à ce qu'on les ait réduites à toutes les idées
fimples, claires & diftinctes dont elles font compofées,
& pour démêler parmi ces idées fimples , celles qui ont
ou qui n'ont point de liaifon éc de dépendance néceflaire
entre elles. Car jufqu'à ce qu'un homme en foit venu
aux notions premières 6c originales des chofes, il ne peut
Mtir qife fur des Principes incertains 3 & tombera fouvent
dans de grands mécomptes.
CHAPITRE XIV.
De la Ditrée , & de fes Modes Simples. C h a p.
XIV.
§. I. T L y a une autre efpéce de Diflance ou de Lon- Cetiucc-cft^ue
1. gueur, dont l'idée ne nous eft pas fournie par'*^""^'
les parties permanentes de l'Efpace, mais par les change-
mens perpétuels de la fuccejfion , dont les parties déperif--
fent inceflamment. C'eft ce que nous appelions Durée y.
Se:
200 De la Vitrée ,
C H A p. & les Modes ilmples de cette durée font toutes fes diffé-
XIV. rentes parties , dont nous avons des idées di{lin£tes, com-
me les //£7/rf-T , \<zs Jours i las Années 3 &:c. le Temps, &c
VEternité.
L'iîce que nous §. 2. La rcponfe qu'un grand homme fit à celui qui
vi-m'dè b l'eHc- ^"^ demaudoit ce que c'étoit que le Temps, Si non rogas,
xioii que poiis intelligo, je comprens ce que c'eil:, lors que vous ne me
faifous (ur la jg demandez pas , c'ell à dire , plus je m'applique à en
luiK des Idf es ,,, . , ^ ^ ..,'■ •' ^ '^ '^ ,
duifc fucccdciit découvrir la nature, moms je la comprens ; cette repon-
dans nôtre El- fe , dis-je, poutroit peut-être faire croire à certaines per-
f "^" fonnes , Qiie le Temps , qui découvre toutes chofes , ne
iauroit être connu luy-mème. A la vérité , ce n'eft pas
fans raifon qu'on regarde la Durée, le Temps, &: l'Eter-
nité , comme des chofes dont la nature eil , à certains é-
gards , bien difficile à pénétrer. Mais quelque éloignées
qu'elles paroilîcnt être de nôtre conception , cependant iî
nous les rapportons à leur véritable origine , je ne cioute
nullement que l'une des fources de toutes nos connoiflan-
ces , qui font la Senfation &c la Reflexion , ne puifTe nous
en fournir des idées , tout aufll claires Se diftinîtes , que
plufieurs autres qui paffent pour beaucoup moins obfcu-
resj & nous trouverons que l'idée de V Eternité elle-mê-
me découle de la même fource , d'oii viennent toutes nos
autres Idées.
§. 3. Pour bien comprendre ce que c'efl: que le Temps
fie l'Eternité , nous devons confiderer avec attention
quelle eft l'idée que nous avons de la Durée ^^ comment
elle nous vient. 11 eft évident à quiconque voudra ren-
trer en foy-même èc remarquer ce qui fe pafle dans Ion
Efprit, qu'il y a, dans fon Entendement , une fuite d'I-
dées qui fe fucccdent conftamment les unes aux autres ,
pendant qu'il veille. Or la Reflexion que nous faifons
fur cette fuite de différentes Idées qui paroiflent l'une a-
près l'autre dans nôtre Efprit , eft ce qui nous donne l'i-
tiée de la Succeffion -, &: nous appelions Durée la diftance
qui eft entre quelque partie de cette fuccelîion , ou entre
les apparences de deux Idées qui fe prefentcat à notre Ef-
prit.
é' àe [es Modes Simples, Liv. IL 201
prit. Car tandis que nous penfons , ou que nous rece- C h a p.
vons fucceflivement plufieurs idées dans nôtre Efprit , XIV.
nous connoiffons que nous exilions , &: ainiî nous pou-
vons appeller nôtre exiftence , ou la continuation de nô-
tre Etre, ou de toute autre chofe qui foit commenfurable
à la fucceflîon des Idées qui paroiflent i>: difparoiflent
dans nôtre Efprit, durée de nous-mêmes, ou de toute au-
tre chofe qui coëxifte avec nos penfées.
§. 4. Qiie la notion que nous avons de la Succeflion
& de la Durée nous vienne de cette fource, je veux dire,
de la Reflexion que nous faifons fur cette fuite d'Idées
que nous voyons paroître l'une après l'autre dans nôtre
Efprit , c'eft ce qui me femble fiuvre évidemment de ce
que nous n'avons aucune perception de la Durée , qu'en
confiderant cette fuite d'Idées qui fe fuccedent les unes
aux mitres dans nôtre Entendement. En effet , dès que
cette fucceflion d'Idées vient à cefler , la perception que
nous avions de la Durée, ceffe aulll , comme chacun l'é-
prouve clairement par luy-méme lorfqu'il vient à dormir
profondément 5 car qu'il dorme une heure , ou un jour,
un mois, ou une année, il n'a aucune perception de la
durée des chofes tandis qu'il dort , ou qu'il ne fonge à
rien. Cette durée eft alors tout-à-fiiit nulle à fon égard ,
& il luy femble qu'il n'y a aucune diftance entre le mo-
ment qu'il a cefle de penfer en s'endormant , &: celui au-
quel il s'eft reveillé. Et je ne doute pas , qu'un homme
éveillé n'éprouvât la même chofe , s'il luy étoit polllblc
de n'avoir qu'une feule idée dans l'Efprit ,fans qu'il y ar-
rivât aucun changement , &: qu'aucune autre ne s'y vint
joindre. Nous voyons , tous les jours , que , lors qu'une
perfonne fixe fes penfées avec une extrême application
fur une feule chofe, en forte qu'il ne fonge prefque point
à cette fuite d'idées qui fe fuccedent les unes aux autres
dans fon Efprit , il laifle échapper , fans y faire reflexion,
une bonne partie de la Durée qui s'écoule pendant qu'il
eft dans cette forte contemplation , s'imaginant que ce
temps eft beaucoup plus court , qu'il n'eft effed'ivement.
Ce Qiie
202 VelaTiure'e ,
C H A p. Qvie fi le foiTuneil nous fait regarder ordinairement les
XIV. parties diftrantes de la Durée comme un feul point , c'ell
parce que , tandis que nous dormons , cette fuccellion
d'idées ne fe prefente point à nôtre Efprit. Car fi un
homme vient à fonger en dormant , èc que fcs fonges luy
préfentent une fuite d'idées différentes, il a pendant tout
ce temps-là une perception de la Durée ôc de la longueur
de cette durée. Ce qui , à mon avis , prouve évidem-
ment, que les hommes tirent les idées qu'ils ont de la Du-
rée , de la Rc'dcxion qu'ils font fur cette fuite ti' Idées
dont ils obfervent la fucceillon dans leur propre Entende-
ment, fins quoy ils ne fauroient avoir aucune idée de la
Durée , quoy c]u'il put arriver dans le Monde.
NoiispotiTOns §. ^. En effet , dès qu'un homme a une fois acquis
^c',7^';/;f| l'idée de k Durée par la reflexion qu'il a fait fur la fuc-
des chofcs qui ceflion &: le nombre de fes propres penfées , il peut ap-
exineat pendant pjjqj^j^j. ç^q^^q notiou à dcs cliofcs QUI cxiltent tandis qu'il
<iuc nous dor- '•^^ . , '■ . . ^ . , .^
Hions. ne pente point j tout de même que celui a qui la veué ou
l'attouchement ont fourni l'idée de l'Etendue , peut ap-
pliquer cette idée à différentes diflances ou il ne voit ni
ne touche aucun Corps. Ainli ,. quoy qu'un hf)rame n'ait
aucune perception de la longueur de La durée qui s'ecou-
le pendanj: qu'il dort ou qu'il n'a aucune penfee -, cepen-
dant comme il a obfervé la révolution des Jours &: des
Nuits , fie qu'il a trouvé que la longueur de cette durée
eit , en apparence , régulière 6c conitante , dès là qu'il
fuppofe que , tandis qu'il a dormi, ou qu'il a pcnfe à au-
tre chofe, cette Révolution s'efl faite comme à l'ordinai-
re,il peut juger de la longueur de la durée qui s'eft écou-
lée pendant fon fonimeil. Mais \ox{^\x' Adam £c Eve e-
toient feulsjfi au lieu de ne dormir que pendant le temps
qu'on employé ordinairement au fommeil,ils eufîbnt dor-
mi vingt-quatre hcure,s fans interruption , cet efpace de
vingt-quatre heures auroitérc aLfolumcnt perdu pour eux,
&: ne feroit jamais entré dons le compte qu'ils faiibient du
temps.
ïU-îi dî la §-6. C'cft ainfi qu'f« refiechi^ant fur cette fuite de nou-
iclies
é- défis Modes Simples. Li v. II. 205
'velles Idées qui fe préfintent a. nous Vtme après Vautre , nous C h a p.
acquérons Vidée de la Succeffion. Qiie fi quelqu'un fe figu- XIV.
re qu'elle nous vienr plutôt de la reflexion que nous fai- ^"cccflion ne
fons fur le Mouvement par le moyen des Sens, il change- duM^i^vènferl
ra , peut-être , de fentiment pour entrer dans ma penfée ,
s'il confidere que le Mouvement même excite dans fou
Efprit une idée defiiccejjion , juftement de la même maniè-
re qu'il y produit une fuite continue d'Idées diftinâres les
unes des autres. Car un homme qui regarde un Corps qui fe
meut actuellement n'y appcrçoit pourtant aucun mouve-
ment , à moins que ce mouvement n'excite en luy une
fuite confiante d'Idées fHCceJJi'ves : Par exemple , qu'un
homme foit fur la Mer lorfqu'elle eft calme , par im beau
jour & hors de la veùë des Terres , s'il jette les yeux \trs
le Soleil , fur la Mer , ou fur fon Vaifl^eau , une heure de
fuite , il n'y appercevra aucun mouvement , quoy qu'il
foit afluré que deux de ces Corps , Se peut-être , tous trois
ayent fait beaucoup de chemin pendant tout ce temps-là:
que s'il apperçoit que l'un de ces trois Corps ait changé
de diftance à l'égard de quelque autre Corps , ce mouve-
ment n'a pas plùt-ôt produit en luy une nouvelle idée ,
qu'il reconnoit qu'il y a eu du mouvement. Mais quel-
que part qu'un homme fe trouve, toutes chofes étant en
repos autour de luy , fans qu'il apperçoive le moindre
mouvement durant l'efpace d'une heure ; s'il a etl despen-
fées pendant cette heure de repos , il appercevra les dif-
férentes idées de fes propres penfées , qui tour d'une fuite
ont paru les unes après les autres dans fon Elprit , Se par
là il obfervera &: trouvera de la fucceflion ou il ne fauroit
remarquer aucun mouvement.
§. 7. Et c'eft là , je croy , la raifon pourquoy nous
n'appercevons pas des mouvemens fort lents , quoy que
conftans ; parce qu'en paflant d'une partie fenfible à une
autre, le changement de diftance cft fi lent , qu'il ne cau-
fe aucune nouvelle idée en nous , que long-temps l'un a-
près l'autre. Or comme ces mouvemens fuccelîifs ne nous
frappent point par une fuite conftante de nouvelles idées
Ce 2 qui
204 De la Durée,
C H A p. qui fc fuccedenc immcdiatement l'une à l'autre dans nô-
XIV. tre Efprit , nous n'avons aucune perception de mouve-
ment ; car comme le Mouvement conlîtle dans une fuc-
cefllon continue , nous ne l'aurions appercevoir cette fuc-
celllon , fans une iuccenion conftante d'idées qui en pro-
viennent.
§. 8. On n'apperçoit pas non plus les chofes, qui fe
meuvent fi vite qu'elles n'afi'ectent point les Sens ; parce
que les différentes diftances de leur mouvem.ent ne pou-
vant frapper nos Sens d'une manière diftin£l:c , elles ne
produifent aucune fuite d'idées dans l' Efprit. Car lors
qu'un Corps fe meut en rond , en moins de temps qu'il
n'en faut a nos Idées pour pouvoir fe fucceder dans nôtre
Efprit les unes aux autres , il ne paroit pas être en mou-
vement, mais femble être un cercle parfait & entier , de
la même matière ou couleur que le Corps qui eft en mou-
vement , & nullement une partie d'un Cercle en mouve-
ment.
Kosidc'csfe §. ^_ Qii'on juge après cela , s'il n'eft p.is fort proba-
liôueEipritT ^^^' que pendant que nous fommes éveillez, nos Idées
dans un certain fe fuccedcnt Ics uucs aux auttcs daus nôtre Efprit , à peu
^tgre de vKcfle. pj.^g de la même manière que ces Figures difpofées en
rond au dedans d'une Lanterne, que la chaleur d'une bou-
gie fait tourner fur un pivot. Or quoy que ces Idées fe
ïiiivcnt peut-être quelquefois un peu plus vite 6c quel-
quefois un peu plus lentement , elles vont pourtant , à
mon avis, prefque toujours du même train dans un hom-
me éveillé ; &: il me femble même , que la vîtede 6c la
lenteur de cette fuccelîion d'idées , ont certaines bornes
qu'elles ne fauroient palier.
§. lo. La raifon pourquoy je fais cette conjefturc, eft
fondée fur ce que j'obferve que nous ne faurions apper-
cevoir de la fucceflion dans les imprellions qui fc font fur
aucun de nos Sens , que lorfqu'elles fe font dans un cer-
tain degré de vîteflé ou de lenteur j fi par exemple. Tira-
preflton eft extrêmement prompte , nous n'y fentons au-
cune fuccelîion , dans les cas mêmes , où il cil évident
qu'il
C^ ^efes Modes Shnples. Liv. II. 205
<^u'il y a une fucceflîon réelle. Qii'un Boulet de canon Chap.
palîc au travers d'une Chambre , & que dans fon chemin XIV.
Il emporte quelque membre du Coi-ps d'un homme , c'efl:
une chofe aufli évidente qu'aucune Démonllration puifle
l'être , que le boulet doit percer fucccllîvement les deux
cotez oppofez de la Chambre. Il n'eft pas moins certain
qu'il doit toucher une certaine partie de la Chair avant
l'autre , Se ainfi de fuite ; &c -cependant je ne penle pas
qu'aucun de ceux qui ont jamais iénti ou entendu un tel
coup de canon , qui ait percé deux murailles éloignées
l'une de l'autre , ait pu obferver aucune fuccellîon dans
la douleur , ou dans le fon d'un coup fi prompt. Une
telle partie de Durée en qui nous ne remarquons aucune
fuccellion , c'eft ce que nous appelions un infta?it ; qui
rioccnpe jtiftement que le temps auquel une feule idée eH
dans notre Ej^rit , fans qu'une autre luy fuccede , &; en
qui , par conféquent 3 nous ne remarquons abfolument
aucune fucceflîon.
§. II. La même chofe arrive , lorfque le Mouvement
eft li lent, qu'il ne fournit point à nos Sens une fuite con-
fiante de nouvelles idées , dans le degré de vîtefle qui efl
requis pour taire que l'Efprit foit capable d'en recevoir
de nouvelles. Et alors comme les Idées de nos propres
penfées trouvent de la place pour s'introduire dans nôtre
Efprit entre celles que le Corps qui eft en mouvement
prefente à nos Sens , le fentiment de ce mouvement fe
perd , &: le Corps , quoy que dans un mouvement a£tuel,
îémble être toujours en repos , parce que fa diftance d'a-
vec quelques autres Corps ne change pas d'une manière
vifible, auHî promptement que les idées de nôtre Efprit
fe fuivent naturellement Tune l'autre. C'eft ce qui paroit
évidemment par l'éguille d'une Montre, par l'ombre d'un
Cadran à Soleil , & par plufieurs autres mouvemens con-
tinus, mais fort lents ; où après certains intervalles, nous
appercevons par le changement de diftance qui arrive au
Corps en mouvement , qu'il s'eft mû , mais fans que nous
ayions aucune perception du mouvement luy-même.
Ce 3 §. 12.
2o6 De la Durée ^i
Chap, §. 12. C'eftpourquoy il me femble , qu'âne covjî^jnte
XIV. ^- régulière fncceffion d'Idées dans un homme éveillé , cB
Cette fuite d.- conwic la rnefnre & la régie de toutes les autres fucce(jions.
xnefuie dis an- Amii , lonquc ccrtamcs choies le uiccedcnt puis vite que
msiucceflioiis. nos Idées, comme quand deux Sons, ou deux Senfations
de douleur, éfC. n'enferment dans leur fuccelïïon que la
durée d'une feule idée , ou lorfqu'un certam r.iouvcment
elt il lent qu'il ne va pas d'un pas égal avec les idées qui
roulent dans nôtre Efprit , je veux dire avec la même vî-
teflé,que cc% Idées fe luccedent les unes aux autres , com-
me lorfque dans le cours ordinaire, une ou plufieurs idées
viennent dans l'Efprit entre celles qui s'offrent à la veùé
par les dilFérens changemens de diftance qui arrivent à un
Corps en mouvement , ou entre des Sons ôc des Odeurs
dont la perception nous frappe fuccclîivement ; dans tous
ces cas 3 le fentiment d'ime confiante »?c continuelle fuc-
ceilion fe perd -, de forte que nous ne nous en apperce-
vons qu'à certains intervalles de repos qui s'écoulent en-
tre deux.
KotrcErpiit lie . §. 13. Mais , dira-t-on i „ s'il eft vrai , que, tandis
pcm fe fixer „ qu'il y a des idées dans notre Efprit , elles fe fuccedent
luîlffcuk iJcc «continuellement, il eft impolîible qu'un homme penfc
c]ui leftepure- „ long-tcmps à uuc fcule chofc ". Si l'on entend par là
ment a même, ç^^y^^^ hommc peut avoir dans l'Efprit une feule idée qui
y refte long-temps purement la même, fans qu'il y arrive
aucun changement , je croy pouvoir dire qu'en effet cela
ji'eil pas polllble. Mais comme je ne fai pas de quelle
manière fe forment nos idées , dequoy elles font compo-
sées, d'oîi elles tirent leur lumière &c comment elles vien-
nent à paroître , je ne faurois rendre d'autre raifon de ce
Fait que l'expérience , £c je fouhaitcrois que quelqu'un
voulut eflayer de fixer fon Efprit , pendant un temps
-confiderable fur une feule idée qui ne fut accompagnée
d'aucune autre, 5c fans qu'il s'y fit aucun changement.
§. 14,. Qis'il prenne par exemple , une certaine figure,
un certain degré de lumière ou de blancheur, ou telle au-
tre idce qu'il voudra , t-c il aura je m'alîure , bien de
la
O' de/es Modes Simples. L i v. II. 207
la. peine à tenir fon Efprit vuide de toute autre idée , C h a p.
ou plutôt j il éprouvera qu'efFeftivement d'autres idées XIV.
d'une cfpcce différente , ou diverfes confiderations de la
même idée, (chacune defquelles ell: une idée nouvelle)
viendront fe prefenter inceflamment à fon Efprit les unes
après les autres, quelque foin qu'il prenne pour fe fixer à
une feule idée.
§. 15. Tout ce qu'un homme peut faire en cette ocea-
flon, c'efl, je croy, de voir &: de confiderer quelles font
les idées qui fe fuccedent dans fon Entendement, ou bien
de diriger ion. Efprit vers une certaine efpéce d'Idces , &
de rappeller celles qu'il veut , ou dont il a befoin. Mais
d'empêcher une conllante fucceflion de iiouveUes idées ,
e'eft, à mon avis, ce qu'il ne fauroit fiiii-e , quoy qif'or-
dinairement il foit en fon pouvoir de fe déterminer à les
confiderer avec application, s'il le trouve à pH-opos.
§. 16. De fa voir fi ces différentes Idées que nous avons d? m^i^zz
dans r Efprit , font produites par certains raouven^ens, "'^"'^'f ^ae
,,-. ' , '^ ^... . ^ nos Idées CmaM
C elt ce que je ne pretens pas examiner ici ; mais une cho- proAnrcs fn
fe dont le fuis certain , c'eft qu'elles n'enferment aucune "ous.eiksn'e]!-
•11 r ^ ^ ^ n 1- tcnneiit aucune
idée de mouvement en le montrant a nous , &r que celui ih^k-Aou a?
qui n'auroit pas l'idée du Mouvement par quelque autre mouvcmair,
voye, n'en auroit aucune, à mon avis j ce qui fufHt pour
le deffcin que j'ai préfentement en veùé , comme auÛi ,,
pour faire voir que c'ell par ce changement perpétuel d'i-
dées que nous remarquons dans nôtre Efprit , 6c par cet-
te fuite de nouvelles apparences qui fe préfentent à luy,
que nous acquérons les idées de la Succejjlon &z de la Du-
rée y fans quoy elles nous feroient abfolument inconnues.
Ce n'eil d®nc pas le Mowvenient , mais une fuite conlL-m-
te d'idées qui fe préfentent à nôtre Efprit pendant que
BOUS veillons, qui nous donne Vidée de la Durée j. que le A
Mouvement ne nous fait appercevoir qu'entant qu'il pro- )|
diiit dans nôtre Elprit une con liante fucceflion d'idées» |l
comme je l'ai déjà montré ; de forte que fans l'idée d'au- {|
£un mouvement cous avons une idée aufù claire de la fuc-
ceiîioa & de la Durée par cette fuite d'idées qui fe pre-
fentenc
I
2o8 De la Durée i
C H A p. fcntent à nôtre Efprit les unes après les autres , que par
XIV. une fuccenion d'Idées produites par un changement fen-
fible & continu de diftance entre deux Corps, c'eft à di-
re par des idées qui nous viennent du Mouvement. C'eft-
pourquoy nous aurions l'idée de la Durée , quand bien
nous n'aurions aucune perception du Mouvement.
LcTenipstflu- §. i/. L'Efptit ayant ainil acquis l'idée de la Durée,
ncDurccdi- j^ première chofe qui fe préfente naturellement à faire a-
Itiiinucc p.ir f , 1 n ^ r j
cerraincs mefu- pres Cela, C clt de ttouvcr une melure de cette commune
«■«*• Durée, par laquelle on puiflc juger de fes ditférentes lon-
gueurs, &: voir l'ordre diftin£t dans lequel plufieurs cho-
fes exiftentj car fans cela , la plupart de nos connoiflan-
ces tomberoient dans la confiillon , & une grande partie
de l'Hiftoire deviendroit entièrement mutile. La Durée
ainfi diftinguée en certaines Périodes , 6c défignée par cer-
taines mefures ou Epoques, c'eft, à mon avis, ce que nous
appelions plus proprement le Temps.
Une bonne me- §. i8. Pour mcfurcr l'Etenduë , il ne faut qu'appli-
furedu Temps g^^^j. ^^ mefure dont nous nous fervons , à la chofe dont
doit mclurer i . .,,, t ■■ n t ■ ■> n.
toute fa durée nous voulous lavoir 1 etcndue. Mais c elt ce qu on ne
en Périodes cga- peut faire pour mefurer la Durée j parce qu'on ne fauroit
joindre enfemble deux dijflerentes parties de fucceflîon
pour les faire fervir de mefure l'une à l'autre. Comme la
Durée ne peut être mefurée que par la Durée même, non
plus que l'Etenduë par autre chofe que par l'Etendue ,
nous ne fiurions retenir auprès de nous une mefure con-
fiante &: invariable de la Durée , qui confifte dans une
perpétuelle fucceflîon , comme nous pouvons garder des
mefures de certaines longueurs d'étendue , telles que les
pouces, les pics, les aunes, c^C qui font corfipofees de
parties permanentes de matière. Aufll n'y a-t-il rien qui
puiflc fervir de règle propre a bien mefurer le Temps , que
ce qui a divife toute la longueur de fa durée en parties ap-
paremment égales , par des Périodes qui fe fuivent con-
llamment. Pour ce qui eft des parties de la Durée qui ne
font pas diftinguées, ou qui ne font pas confiderées com-
me ddhnftes ccmcfurées par de femblables Périodes, elles
ne
(^ de fes Modes Simples. Liv. II. 209
ne peuvent pas être comprifes fi naturellement fous la no- C h a p,
tion du temps , comme il paroît par ces fortes de pîira- XIV.
fes , avant tous les temps , oc lorjqu'il n'y aura plus de
temps.
§. 19. Comme les Revolufions diurnes 8c annuelles du LcsKevoiutmns
Soleil ont été, depuis le commencement du Monde, con- ^"Soieiiscdda
Itantes , régulières , généralement oblervees de tout le mefurcs du
Genre Humain, & fuppofécs égales entr'elles , on a cù '^'^"''P' '" r'"'
raifon de s'en fervir pour raefurer la Durée. Mais parce """^^"^ "'
que la diftinftion des Jours & des Années a dépendu du
mouvement du Soleil, cela a donné lieu à une erreur fort
commune, c'eft qu'on s'eft imaginé que le Mouvement
^ la Durée étoit la mefure l'un de Fautre. Car les hom-
mes étant accoutumez à fe fervir, pour mefurer la lon-
gueur du Temps , des idées de Minutes , d'Heures , de
Jours j de Mois, d'Années, SjCc. qui fe préfentant àl'Ef-
prit dès qu'on vient à parler du Temps ou de la Durée,
& ayant mefuré différentes parties du Temps par le mou-
vement des Corps Célelles , ils ont été portez à confon-
dre le Temps &: le Mouvement , ou du moins à penfer
qu'il y a une liaifon néceflaire entre ces deux chofes. Ce-
pendant , toute autre apparence périodique , ou altéra-
tion d'Idées qui arriveroit dans des Efpaces de Durée
équidiftans en apparence;, & qui feroit conftamment &:u-
niverfellement obfervée,ferviroit auffibienà diflinguer les
intervalles du Temps , qu'aucun des moyens qu'on ait
employé pour cela. Suppofons par exemple, que le So-
leil, que quelques-uns ont regardé comme un Feu , eût
été allumé à la mémediftance de temps qu'il paroit main-
tenant chaque jour fur le même Méridien, qu'il- s'éteignit
enfuite douze heures après , &: que dans l'Efpace d'une
Révolution annuelle , ce Feu augiPiCntât fenfiblement en
éclat Se en chaleur , & diminuât dans la même propor-
tion; une apparence ainfi réglée ne ferviroit-elle pas à tous
ceux qui pourroient l'obferver, à mefurer les dillancesde
la Durée fans mouvement tour aulli bien qu'ils pourroient
le faire à l'aide du mouvement ? Car fi ces apparences
Dd é-
2 10 De la Durée 3
C H A p. ctoient conftiiiites , à pofcée d'être littiverfellemeiit ob-
XIV. fervées , &r dans des Périodes éqnidtftanîes , elles fervi-
roient également au Genre Humain à mefurer le Temps >
quand bien il n'y auroic aucun Mouvement.
r ' n. Ç. 2 0. Car fi la selée j ou une certaine efpece de Fleurs
le mouveniciit rcvenoient règlement dans toutes les parties de la Terre ,
^11 Soleils de la ^ certaines Périodes éqtnâifiantes ^ les hommes pourroient
l'Une OIÎC le -, I J y.
Temps eft me- auili bicH s'cn fcrvir pour compter les années que desRe-
fure, mais par yolutions du Solcil. Et en effet , il y a ^fs, Peuples en
cB^peuodiqucs. Amniqv.e qui comptent leurs années par la venue de cer-
tains Oifeaux qui dans quelques-unes de leurs faifons pa-
roiflent dans leur Pais , &: dans d'autres fe retirent. De
même, lui accès de fî'évre , un fentiment de faim ou de
foif, une odeur, une certaine faveur, ou quelque autre
idée que ce fut , qui revint conftamment dans des Pério-
des/^?/i^//?.2«/w, & fe fit univerfellement fentir , tout ce-
la feroit également propre à mefurer le cours de la fuccef-
fion &: à diftinguer les diitances du Temps. Ainfi, nous
voyons que les Aveugles-nez comptent aflez bien par an-
nées , dont ils ne peuvent pourtant pas diftinguer les ré-
volutions par des Mouvemens qu'ils ne peuvent appcce-
voir. Sur quoy je demande fi un homme qui diftingue
les Années par la chaleur de l'Eté &: par le froid de P Mi-
ver, par l'odeur d'une Fleur dans le Printemps, ou par
le goût d'un Fruit dans l'Automne, je demande, fi un tel
homme n'a point une meilleure mefure du Temps, que
les Romains avant la reforniation de leur Calendrier par
Jules Cefar -, ou que plufieurs autres Peuples dont les an-
nées font fort irréguliéres maigre le mouvement du Soleil
dont ils prétendent faire ufage. Et ce qui ne caufe pas
pai d'embarras dans la Chronologie , c'eft qu'il n'eft pas
aifé de trouver exadVement la longueur que chaque Na-
tion a donné à fes Années , tant elles différent les unes
des autres, &: toutes enfemble, du mouvement précis du
Soleil, comme je croi pouvoir l'affùrer hardiment. Qiie
û depuis la Création jufqu'au" Déluge , le Soleil s.'efl mû
conftamment fur l'Equateur , & qu'il ait ainfi répandu
e^a.>.
e^ de fes Modes Simples. L i v. II. 211
également fa chaleur Se fa lumière fur toutes les Parties C h a p.
habitables de la Terre, faifant tous les Jours d'une même XIV. .
longueur, fans s'écarter vers les Tropiques dans unje Ré-
volution annuelle, comme l'a fuppofé un favant & ingé-
nieux* Auteur de ce temps, je ne vois pas qu'il foit fort * Mr. Bmnn
aifé d'imaginer, msilsré le mouvement du Soleil, queks ^^^f m'V»"^^
t> ■'"^ O -^ T; , intitule, Tf//.-<m
hommes qui ont vécu avant le Déluge aycnt compte par Thoua saa-a.-
années depuis le commencement du Monde , ou qu'ils
ayent mefurë le Temps par Périodes, puifque dans cette
fuppolîtion ils n'ayoient point de marques fort naturelles
pour les diftinguer.
§. 2 1'. Mais, dira-t-on peut-être , le moyen que fuis Ou ne peut
un mouvement régulier comme celui du Soleil, ou quel- po"'t connokrc
A^ ■ ■ A j ,, T-, • cert.iuiement
que autre, on put jamais connoitre que de telles Perio- que deus parties
des fallent égales î A quoy je répons que l'égalité de tou- ^,^ ^"f^''-' '^'<^'"
te autre appareijce qui reviendroit à certains, intervalles, '^^^"°
pourroit être connue de la même manière qu'au commen-
cement on connut, ou qu'on prefuma de connoître l'éga-
lité des Jours ; ce qu'on ne fit qu'en jugeant de leur lon-
gueur par cette fuite d'Idées qui durant les intervallespaf-
férent dans l'Efprit des hommes. Car venant à remarquer
par là qu'il y avoit de l'inégalité dans les Jours artificiels,,
&: qu'il n'y en avoit point dans les Jours naturels qui
comprennent le jour èc la nuit, ils ont conjecturé que ces-
derniers étoient égaux, ce qui fuffifoit pour les faire fer?^
virdemefure, quoy qu'on ait découvert après une ex-
afte recherche, qu'il y a effectivement de l'inégalité dans;
les Révolutions diurnes du Soleil ; Se nous ne fivons pas
fi les Révolutions annuelles ne font point aulli inéo-ales;
Cependant par leur égalité fuppofée Se apparente elles
fervent tout auffi bien à mefurer le ïenips , que fi l'on;
pouvoir prouver qu'elles font exactement égales, quoy./
qu'au refte elles ne puilTent point mefurer les parties de
la Durée darft la dernière exaftitude. Il faut donc prenr
dre garde à diftinguer foigneufement entre la Durée en
elle-même, Se entre les mefures que nous employons pour
juger de fa longueur. La Durée en elle-même doit être
Dd 2 con-
212 Vc la Durée ,
Chap. confidcrée comme allant d'un pas condamment égal , 8c
. XIV. tout-à-foit un. forme. Mais nous ne pouvons point favoir
qu'aucune des mefures de la Durée ait la même proprié-
té , ni être aflurez que les parties ou Périodes qu'on leur
afribuë foient égales en durée l'une à l'autre ; car on ne
peut jamais démontrer , que deux longueurs fucceflîves
de'Durée foient égales, avec quelque foin qu'elles ayent
été mefurées. Le mouvement du Soleil , dont le Monde
s'eft fervi û long-temps & avec tant d'adùrance comme
d'une mefure de Durée parfaitement exacte, s'eft trouvé-
inégal dans fes diifércntes parties , comme je viens de di-
re. Et quoy que depuis peiî Ton ait employé le* Pendu-
le comme un mouvement plus confiant &c plus régulier
que celui du Soleil , ou, pour mieux dire, que celui de
la Terre ; cependant 11 l'on demandoit àquelqu-'un , com-
ment il fait certainement que deux vibrations fuccellives
d'un Pendule font égales , il auroit bien de la peine à fe
convaincre luy-méme qu'elles le font indubitablement,
parce que nous ne pouvons point être afl'ûrez que la cati-
fe de ce Mouvement, c]ui nous eft inconnue, opère toii-
jours également , &: nous favons certainement que le mi-
lieu dans lequel le Pendule fe meut , n'eft pas conftam-
ment le même. Or l'une de ces deux chofes venant ;r
varier, l'égalité de ces Périodes peut changer, & par ce
moyen la certitude éc la juftefle cie cette mefure du Mou-
vement peut être tout auili bien détruite que la juftefle des
Périodes de quelque autre apparence que ce foit. Du
refte, la notion de la Durée demeure toii)ours claire &:
diftin£te,quoy que parmi Icsmefures que nous employons
pour en déterminer Jes parties, il n'y en ait aucune dont
on puilTe démontrer qu'elle eft parfaitement exa£te. Puis
donc que deux parties de fuccellion ne fauroient être join-
tes enfemble, il eft impoUlble de pouvoir jamais s'afTùrer
qu'elles font égales. Tout ce que nous pouvons faire,,
pour mefui-er le Temps, c'eft- de prendre certainespai-ties
qui femblent fe fuccedcr conftamment à diftances égales >
égalité apparente dont nous n'avons point d'autre mefure-
qiie.
à^ de fes Moiies Simples. Liv. II. 213
que celle que la fuite de nos propres idées a placé dans Chap.
nôtre Mémoire -, ce qui avec le concours de quelques au- XI V.
très raifons probables nousperfuade que ces Périodes font
effeîïivement égales entre elles.
§. 22. Une chofe qui me paroit bien étrange dans cet LcTcmp? n'eflr
article, c'eft que pendant que tous les hommes mefurent ^^'J"^ '"'^'"'^^
vifiblemcnt le Temps paï le mouvement des Corps Céle-
ftes, on ne laifTe pas de définir le Temps , la mejure dn
Mowvement ; au lieu qu'il cft. évident à quiconque y fait
la moindre reflexion, qile pour mefurer le mouvement il
n'eft pas moins néceflairc de confidercr l'Efpacc , que le
Temps : & cetrx qui porteront leur veûë un peu plus
loin , trouveront encore , que pour bien juger du mouve-
ment d'un Corps, & en faire une jufte ellimation , il fliut
néceilaircment faire entrer en compte la grofleur de ce
Corps. Et dans le fonds le Mouvement ne fert point
autrement à mefurer la Durée , qu'entant que dans le re-
tour de certaines Idées fenfibles, il ramené conftamm.ent
par des Périodes qui paroifTent également éloignées l'une
cie l'autre. Car fi le mouvement du Saleil étoit auiîi in-
égal que celui d'un VaifTeau pouffé par des vents, tantÔE
foiblcs , & tantôt impétueux , &: toujours fort irré-
guliers dans leur courfe : ou fi étant conilamment d'unfe
égale vîteiTe, il n'étoit pourtant pas circulaire ,& nepro-
d:uifoit pas les mêmes apparences , nous ne pourrions non
plus nous en fervir à mefurer le Temps que du mouve-
ment des Comètes, qni efl inégal en apparence.
§. 23. Les Minutes , les Heures, l^sjorns S>i \cs An-u-,M^,ntes,\is
nées-, ne font pas plus tiécejfaires a mefurer le Temps , ou ^^""^ >!«.-<«-
la Durée , que le Pouce , le Pic , Y Anne , ou la Lieûc ZZS^-
qu'on prend fur qtielque portion de Matière, font necef- ceiTaircs de la-
fàires à nîefurer l'Etendue. Car quoy que par l'ufage ^"'"^'
que nous en faifons conftamment dans cet endroit du
Monde , comme d'autant de Périodes , déterminées par
les Révolutions du Soleil , ou comme de portions con-
nues de ces fortes de Périodes, nous ayions fixé dans nô-
tre Efprit les idées de ces différentes longueurs de DuréCy
Dd 3 que
2 14 De la purée,
C H A p. que nous appliquons à toutes les parties du temps dont
XIV. nous vculons confiderer la longueur , cependant il peut
y avoir d'autres Parties de l'Univers oîi l'on ne fe fert
rion plus de ces fortes de mefures , qu'on fe fert dans le
Tapcn de lîos ponces , de nos pies , ou de nos Ueûés. Il
ïaut pourtant qu'on employé jpar tout quelque chofe qui
ait du rapport à ces niefures. C^r fins quelques retours
périodiques & réguliers , nous ne faurions mcfurer, ni
faire conhoître aux autres, la longueur d'aucune Durée;
qiioy qu'il y eut , dans le même temps , autant de mou-
vement dans le Monde qu'il y en a prefentement , Se que
cependant aucune partie de ce Mouvement ne fut difpo-
fée de manière à faire des révolutions régulières & appa-
remment éqmdifiuntes. Du refte , les diîfcrentes mefures
dont on peut fe fervir pour compter le Temps , ne chan-
gent en aucune manière la notion de la Durée, qui eft la
chofe à mefurer j non plus que les différens modèles du
Pie & de la Coudée n'altèrent point l'idée de l'Eten-
• • due , à l'égard de ceux cpi employent ces différentes me-
fures.
Nôtre mcfure §■ 24- L'Efpnt ayant une fois acquis l'idée d'une me-
^u Temps peut fure du Tcmps, telle que la révolution annuelle du So-
î Ta Durl'e'^qm ^^il > pcut ^ppliquct Cette mclure à une certaine durée,
aexiftcavaiit kavec laquelle cette mefure ne coesijie point, &: avec qui
Temps. çije jj'^ aucun rapport , confidcrée en elle-même. Car
dire, par exemple, <\u' Abraham naquit l'an 2712. de la
Période Julienne i c'efl parler au fîî intelligiblement,, que
fi l'on comptoit du commencement du Monde; bien que
dans une diilance fi éloignée il n'y eût ni mouvement du
Soleil, ni aucun autre mouvement. En effet, quoy qu'on
fuppofe que la Période Julienne a commencé plulîeurs
centaines d'années , avant qu'il y eût des Jours , des
Nuits ou des Années , défjgnecs par aucune révolution
jSolaire , nous ne laiflbns pas de compter & de mefurer
aufll bien la Durée par cette Epoque, que fi le Soleileût
riéçllement exifté dans ce temps-là, & qu'il eût gardé Iç
iniênje mouvement qu'il a prefentement. L'Idée d'une
Du-
cr àefes Moàe^ Simples. Liv. IL 21^
Durée égale à une révolution annuelle du Soleil, peut Chap.
être auffi aifément appliquée dans nôtre Efprit à la Du- }CIV.
rée, quand il n'y auroit ni Soleil ni Mouvement , que
l'idée d'un pié ou d'une aune , prife fur les Corps que
nous voyons fur la Terre , peut être appliquée par la pen-
fée à des DifLonces qui foient au delà des limites du Mon-
de, où il n'y a aucun Corps.
§. 25. Car fuppofé que de ce Lieu jufqu'au Corps qui
borne l'Univers il y eut 5639. Lieûës , ou millions de
Lieùës, (^car le Monde étant fini , (qs bornes doivent ê-
tre à une certaine diftance} comme nous fuppofons qu'il
y a 5639. années depuis le temps préfent jufques à la pre-
mière exiHence d'aucun Corps dans le conimencementdu
Monde, nous pouvons appliquer dans nôtre Efprit cette
mefure d'une année à la durée qui a exifté avant la Créa-
tion , au delà de la Durée des Corps ou du Mouvement,
tout de même que nous pouvons appliquer la mefure d'u-
ne lièûê à l'Efpace qui eft au delà des Corps qui termi-
nent le Monde ; &z ainfi par l'une de ces idées nous pou-
vons aulll bien mefurer la durée là où il n'y avoit point
dé mouvement , que nous pouvons par l'autre mefu-
rer ért nous-mêmes l'Efpace la oii il n'y a point de
Corps.
§^. 26. Si l'on ni'objefte ici, que dé la manière dont
j'explique le Temps , je fuppofe ce que je n'ai pas droit
de fuppofér , favoir. Que le Monde n'eft ni éternel ni
infini, je répons qu'il n'eft pas néceflaire pour mon def-
fein , de prouver en cet endroit que le Monde eft fini,
tant à l'ég^ird de fx durée que de foh étendue. Mais com-
me cette dernière fuppofition eft pour le moins aulll faci-
le à concevoir que celle qui luy eft oppofée , j'ai fans
contredit la liberté de m'en fervir auffi bien qu'un autre
a celle de pofer le contraire) &: je ne doute pas que qui-
conqvte voudra faire reflexion fur ce point , ne puiife ai-
fément concevoir en luy-même le commencement- du
Mouvement, quoy qu'il ne puifle comprendre celai de
ia Durée prife dans route fon étendue. 11 peut auffi , en
eoa.^
2i6 Delà Durée,
Chap. confiderant le Mouvement, venir à un dernier point,
XIV. fans qu'il luy foit pofllble d'aller plus avant. Il peut de
même donner des bernes au Corps &: à l'Etendue qui ap-
partient au Corps > mais c'eft ce qu'il ne fauroit faire à
l'égard de l'Efpace vuide de Corps , parce que les derniè-
res limites de l'Efpace & de la Durée font au deiTus de
nôtre conception, tout ainfi que les dernières bornes du
Nombre paiîent la plus vall;e,capacité de l'Efprit > ce qui
eft fondé , à l'un & à l'autre égard , fur les mêmes raifons ,
comme nous le verrons ailleurs.
Corament nous §• 2/. Aiufi dc la même fource qvic nous vient Vidée
vient ride'c de ^^ T tmp iWows vicut aufll celle que nous nommons Eter-
\BHmHi. ^■^^,^ ^^^ ayant acquis l'idée de la Succellion & de la Du-
rée en reflechiflant fur cette fuite d'idées qui fe fuccedenc
en nous les unes aux autres , laquelle eft produite en nous,
ou par les apparences naturelles de ces Idées qui d'elles-
mêmes viennent fe préfenter conftamment à nôtre Efprit
pendant que nous veillons , ou par les Objets extérieurs
qui affeftent fucceflivement nos Sens , ayant d'ailleurs acr
quis, par le moyen des Révolutions du Soleil , les idées
de certaines longueurs de Durée , nous pouvons ajouter
dans nôtre Efprit ces fortes de longueurs les unes aux au-
tres, aullî fouvent qu'il nous plait > & après les avoir
ainfi ajoutées , nous pouvons les appliquer à des durées
paffécs ou à venir , ce que nous pouvons continuer de
faire fans jamais arriver à aucun bout , pouflant ainfi nos
penfées à l'infini, & appliquant la longueur d'une révo-
lution annuelle du Soleil à une Durée qu'on fuppofe a-
voir été avant l'exiftence du Soleil, ou de quelque autre
Mouvement que ce foit. Il n'y a pas plus d'abfurditeou
de difficulté à cela, qu'à appliquer la notion que j'ai du
mouvement que fait l'Ombre d'un Cadran pendant une
heure du jour , à la durée de quelque chofe qui foit arri-
vé la nuit paflee, par exemple à la flamme d'une chan-
delle qui aura été brûlée pendant ce temps-là ; car cette
flamme étant prefentement éteinte, eft entièrement fepa-
r«e de tout mouvement acl:ucl , &^ il eft autli impolîible
que
ér àe fis Modes Simples. L i v. II. 217
que la durée de cette flamme, qui a paru pendant une Chap.
heure la nuit paiTée , coëxifie avec aucun mouvement qui XIV.
exifte préfentement ou qui doive exifter à l'avenir , qu'il
ell impoilible qu'aucune portion de durée qui air exifte
avant le commencement du Monde, coëxifte avec le mou-
vement prcfent du Soleil. Mais cela n'empêche pourtant
pas , que fi j'ai l'idée de la longueur du mouvement que
l'ombre fiiit fur un Cadran en parcourant l'efpace qui mar-
que wnc heure , je ne puifle mefurer auflî dillin£tcment
en moy-mcme la durée de cette chandelle qui a brûlé la
nuit paflee, que je puis mefurer la durée de quoy que ce
foit qui exifte préfentement : & ce n'eft faire dans le fonds
autre chofe que d'imaginer que, fi le Soleil eût éclairé de
fes rayons un Cadran , & qu'il fe fut mû dans la même
proportion qu'à cette heure , l'Ombre auroit paifé fur ce
Cadran depuis une de ces divifions qui marquent les heu-
res jufqu'à l'autre, pendant le temps que la chandelle au-
roit continué de brûler.
§. 28. La notion que j'ai d'une Heure, d'un jour, ou
d'une Année, n'étant que l'idée que je me fuis formé de
la longueur de certains mouvemens réguliers &: périodi-
ques , dont il n'y en a aucun qui exifte tout à la fois ,
mais feulement dans les idées que j'en conferve dans ma
Mémoire , & qui me font venues par voye de Senfation
ou de Reflexion , je puis avec la même facilité , &: par
la même raifon appliquer dans mon Efprit la notion de
toutes ces dift^érentes Périodes à une durée qui ait précé-
dé toute forte de mouvement , tout aufll bien qu'à une
chofe qui n'ait précédé que d'une minute ou d'un Jour ,
le mouvement où fe trouve le Soleil dans ce moment-ci.
Toutes les chofes paflees font dans un égal & parfait re-
pos ; &■ â les confiderer dans cette veûë , il eft indifférent:
qu'elles ayent exifte avant le commencement du Monde
ou feulement hier j car pour mefurer la durée d'une chofe
par un mouvement particulier , il n'eft nullement nécef-
làire que cette chofe coëxifte réellement avec ce mouve-
ment-là , ou avec quelque autre révolution périodique ,
Ee mais
2 1 8 Delà Durée ,
C H A p. mais feulement que j'aye dans mon Efprit une idée clairede
XIV. la longueur de quelque mouvement périodique , ou de
quelque autre intervalle de durée , Se que je l'applique à
la durée de la chofe que je veux mefurer.
§. 29. Aulîi voyons-nous que certaines gens comptent
que depuis la première exiftence du Monde julqu'à
l'année 1689. il s'elï écoule 56:9. années, ou que la du-
rée du Monde cft égale à 5639. Révolutions annuelles du
Soleil j 8c que d'autres l'etendent beaucoup plus loin ,
comme les anciens Egyptiens , qui du temps à' Alexandre
comptoient 23000. années depuis le Règne du Soleil , &:
lesChiriois d'aujourd'huy , qui donnent au Monde 3,269,
000. années, ou plus. Qiioy que je ne croye pas que les
Egyptiens 6c les Chinois ayent raifon d'attribuer une û.
longue durée à l'Univers , je puis pourtant imaginer cet-
te durée tout aulîl bien qu'eux, & dire que l'une eft plus
grande que l'autre , de la même manière que je comprens
que la vie àcMathufalcm a été plus longue que celle d'£-
noch. Et iuppofé que le calcul ordinaire de 5639. années
foit véritable , qui peut l'être auffi bien que tout autre , cela
ne m'empêche nullement d'imaginer ce que les autres pen-
fent lorfqu'ils donnent au Monde mille ans de plus ; parce
que chacun peut aulll aifément imaginer, Ç]q ne dis pas
croire} que le Monde a duré 50000. ans , que 5639. an-
nées , par la raifon qu'il peut aufli bien concevoir la durée
de 50000. ans que de 5639. années. D'où il paroit que
pour mefurer la durée d'une chofe par le Temps , il n'eft
pas néceflaire que la chofe foit coexiftanle au mouvement,
ou à quelque autre Révolution Périodique que nous em-
ployions pour en mefurer la durée. 11 fuffit pour cela que
nous ayions l'idée de la longueur de quelque apparence
régulière 6c périodique, que nous puillions appliquer en
nous-mêmes à cette durée , avec laquelle le mouvement ,
ou cette apparence particulière n'aura pourtant jamais
exifté.
De l'iJc'e de §. 30. Car commc dans l'Hiftoire de la Création telle
Bwmu. qjjg ^f^y^ uQj^jj; pj rapportée, je puis imaginer que la Lu-
mière
^ defes Modes Simples. Liv. II. 219
miere a exifté trois jours avant qu'il y eût ni Soleil ni au- C h a p.
cun Mouvement, & cela lîmplement en me repréfentant XIV.
que la durée de la Lumière qui fut créée avant le Soleil ,
fut fi longue qu'elle auroit été égale à trois révolutions
diurnes du Soleil , fi alors cet Aftre fe fut mû comme à
préfent -, je puis avoir par le même moyen , une idée du
Chaos ou des Anges , comme s'ils avoient été créez une
minute, une heure, un jour, une année, ou mille an-
nées, avant qu'il y eût ni Lumière, ni aucun mouvement
continu. Car fi je puis feulement confiderer la durée
comme égale à une minute avant l'exiftence ou le mou-
vement d'aucun Corps , je puis ajouter une minute de
plus, &: encore une autre , jufqu'à ce que j'arrive à 60.
minutes , & en ajoutant de cette forte des minutes , des
heures ou des années, c'eft à dire, telles ou telles parties
d'une Révolution folaire , ou de quelque autre Période ,
dont j'aye l'idée , je puis avancer à l'infini , &: fuppofer
une Durée qui excède autant de fois ces fortes de Pério-
des , que j'en puis compter en les multipliant aufli fou-
vent qu'il me plaît j &: c'eft là , à mon avis , l'idée que
nous avons de V Eternité , dont l'infinité ne nous paroit
point différente de l'idée que nous avons de V infinité des
Nombres , auxquels nous pouvons toujours ajouter, fans
jamais arriver au bout.
§. 51. Il eft donc évident , à mon avis , que les idées
& les mefures de la Dilrée nous viennent des deux four-
ces de toutes nos connoiflances dont j'ai déjà parlé , fa-
voir, la Reflexion Se la Senfaticn.
Car premièrement , c'eft en obfervant ce qui fe pafie
dans nôtre Efprit, je v^ux dire cette fuite conftante d'I-
dées dont les unes paroîflent à mefure que d'autres vien-
nent à difparoître , que nous nous formons l'idée de la
Succeflion.
Nous acquérons , en fécond lieu , l'idée de la T)nrée
en remarquant de la diftance dans les parties de cette Suc-
ceflion. •
En troifiéme lieu , venant à obferver , par le moyen
Ee 2 des
120 De la Dur ce , c^ de fes Modes Simples.
Chap. des Sens , certaines apparences , diftinguées par certaines
XIV. Périodes régulières , &: en apparence cqmàifianîes , nous
nous formons l'idée de certaines longueurs ou mefures de
durée, comme font les Minutes, les Heures, les Jours ,
les Années, 6cc.
En quatrième lieu , par la Faculté que nous avons de
repeter aulîi fouvent que nous voulons , ces mefures du
Temps , ou ces idées de longueurs de durée déterminées
dans nôtre Efprit, nous pouvons venir à imaginer de la
durée là-même oii rien n'exifte réellement. C'eft ainfi
que nous imaginons ^ewï^o/ , Vannée (nivante -, on fept an-
nées qui doivent fucceder au temps préfent.
En cinquième lieu , par ce pouvoir que nous avons
de repeter telle ou telle idée d'une certaine longueur de
temps , comme d'une minute , d'une année ou d'un fié-
cle , aufli fouvent qu'il nous plaît , en les ajoutant les u-
nes aux autres , fans jamais approcher plus près de la fin
d'une telle addition , que de la fin des Nombres aux-
quels nous pouvons toujours ajouter, nous nous formons
à nous-mêmes l'idée de V Eternité , qui peut être aufll
bien appliquée à l'éternelle durée de nos Ames, qu'à l'E-
ternité de cet Etre infini qui doit néceflairement avoir
toujours exifté.
6. Enfin, en confiderant une certaine partie de cette
Durée infinie entant que défignée par des mefures pério-
diques , nous acquérons l'idée de'ce qu'on nomme géné-
ralement le Temps.
eu A'
VelaVurée & deVExpanJîoni 6cc. Liv. II.
221
CHAPITRE XV.
De la Durée & de fExpanJion , conjidere'es C h a p.
cnfembk. XV.
§. I.
a'
U o Y Qju E dans les Chapitres précedens je La Durée &
me fois arrêté allez long-temps à confiderer pfbrs'''i,','Xs*^^"
l'Efpace &: \x Durée ; cependant comme ce du moins.
font des Idées d'une importance générale , Se qui de leur
nature ont quelque chofe de fort abilrus & de fort parti-
culier, il fera , peut-être , de quelque ufagc de les com-
parer l'une avec l'autre , pour les fiiire mieux connoître ,
perfuadé que nous pourrons avoir des idées plus nettes fie
plus diftinftes de ces deux chofes en les examinant jointes
enfemble. Pour éviter la confufion , je donne à la Di-
ftance ou à l'Efpace confideré dans une idée fimple & ab-
flraite, le nom d'Exp^nfîoji, afin de le diftinguer de VE-
tendtie 5 terme que quelques-uns n'employent que pour
exprimer cette diftance entant qu'elle eft dans les parties
folides de la Matière , auquel fens il renferme , ou défigne
du moins l'idée du Corps ; au lieu que l'idée d'une pure
diftance n'enferme rien de femblable. Je préfère aufli le
mot à" Expanjion à celui à'Efpace , parce que ce dernier
eft fouvent appliqué à la diftance des parties fuccellives
& tranfitoires qui n'exiftent jamais enfemble , aulli bien
qu'à celles qui font permanentes.
Pour venir maintenant à la comparaifon de l'Expan-
fion & de la Durée , je remarque d'abord que l'Efprit y
trouve l'idée commune d'une longueur contmuée , capa-
ble du plus ou du moins , car on a une idée auHl claire
de la différence qu'il y a entre la longueur d'une heure êc
celle d'un jour, que de la différence qui eft entre un pou-
ce & un pié.
§. 2. L'Efprit s'étant formé l'idée de la longueur d'u- L'Expanfion
ne certaine partie de V Expânfion , d'un empan, d'un pas, "'^ft pas bonn/^e
Ee 3 *^^^^parlaMaàére.
2 2 2 De la Durée & de V Espanfion
•C H A p. ou de telle longueur que vous voudrez , il peut repeter
XV. cette idée, comme il a été dit, &: ainfi en l'ajoutant à la
première , étendre l'idée qu'il a de la longueur 6c l'égaler
à deux empans, ou à deux pas, fie cela auili fouvent qu'il
veut, jufqu'à ce qu'il égale la diftance de quelques par-
ties de la Terre qui foient à tel éloignement qu'on vou-
dra l'une de l'autre , 6c continuer ainfi jufqu'à ce qu'il
parvienne à remplir la diftance qu'il y a d'ici au Soleil,
ou aux Etoiles les plus éloignées. Et par une telle pro-
greflîon , dont le commencement foit pris de l'endroit où
nous fommes , ou de quelque autre que ce foit , nôtre
Efprit peut toujours avancer 6c paflér au delà de toutes
ces diftances ;en forte qu'il ne trouve rien qui puifTe l'em-
pêcher d'aller plus avant , foit dans le lieu des Corps , ou
dans l'Efpace vuide de Corps. Il eft vray,que nous pou-
vons aifément parvenir à la fin de l'Etendue fclide, 6c
que nous n'avons aucune peine à concevoir l'extrémité S<.
les bornes de tout ce qu'on nomme Corps : mais lors que
l'Efprit eft parvenu à ce terme , il ne trouve rien qui l'em-
pêche d'avancer dans cette Expanfion infinie qu'il imagi-
ne au delà des Corps , & où il ne fauroit ni trouver ni
concevoir aucun bout. Et qu'on n'oppofe point à cela,
qu'il n'y a rien du tout au delà des limites du Corps , à
moins qu'on ne prétende renfermer Dieu dans les bornes
de la Matière. Salomon , dont l'Entendement étoit rem-
pli d'une fagefle extraordinaire , qui en avoir pcrfeilion-
né Se étendu les lumières , femble avoir d'autres penfées
lorfqu'il dit en parlant à Dieu, Les deux ér les Cteux des
deux ne peuvent te contenir ; 6c je croy pour moy que ce-
lui-là fe fixit une trop haute idée de la capacité de fon pro-
pre Entendement qui fe figure de pou voir étendre fes pen-
fées plus loin que le lieu où Dieu exifte, ou imaginer une
expanfion où Dieu n'eft pas.
i-iDurtcii'cft §. 3. Ce que )e viens de dire de l'Expanfion, convient
pas LWc non parfaitement à la Durée. L'Efprit ayant conçu l'idée d'u-
iiouvcmem. ne Certaine durée, peut la doubler , la multiplier 6c l'é-
tendre non feulement au delà de fa propre exiftence , mais
au
C07if!derées enfemble. Liv. II. 22 j
an delà de celle de tous les Etres corporels , & de toutes C h a p,
les mefures du Temps, prifes fur les Corps Céleftes &fur XV.
leurs mouvemens. Mais quoy que nous fafllons la Durée
infinie , comme elle l'eft certainement , perfonne ne fait
difficulté de reconnoître que nous ne pouvons pourtant
pas étendre cette Durée au delà de tout Etre , car Dieu
remplit l'Eternité , comme chacun en tombe aifément
d'accord. On ne convient pas de même que Dieu rem-
plifTe rimmenfité, mais il eft mal-iaifé de trouver la rai-
ion pourquoy l'on douteroit de ce dernier point , pendant
qu'on aflure le premier, car certainement fon Etre infini
eft aufli bien fins bornes à l'un qu'à l'autre de ces égards ;
& il me femble que c'eft donner un peu trop à la Matiè-
re que de dire , qu'il n'y a rien , là où il n'y a point de
Corps.
§. 4<. De là nous pouvons apprendre , à mon avis , Pourquoy on
pourquoy l'on parle communément d'une Eternité , dont niènpjncDur^'c
on fuppofe l'exiftence fans hefiter le moins du monde, & mfinie, qu'une
pourquoy l'on ne fait aucune difficulté d'attribuer l'infi- E'^pau-lon mh-
nité à la Durée, pendant que ceux qui admettent ou fup-
pofent l'infinité de l'Efpace, le font avec plus de rcferve,
ôc d'une manière beaucoup moins affirmative. La raifon
de cette différence vient , ce me femble , de ce qu'étant
accoutumez à employer la Dur ce 8c V Etendue comme des
noms de qualitez qui appartiennent à differens Etres , nous
concevons fans peine une durée infinie en Dieu, &: nous
ne fauricns même nous empêcher de le faire. Mais com-
me nous n'attribuons pas de l'étendue à cet Etre infini ,
mais feulement à la Matière qui eft finie, nous avons plus
de penchant à douter de l'exiftence d'une Expanfion fans
Matière, de laquelle feule nous fuppofons ordinairement
que l'Expanfion eft un attribut. C'eftpourquoy , lors
que les hommes fuivent les penfees qu'ils ont de l'Efpace,
ils font portez à leur donner les mêmes bornes qui termi-
nent les Corps, comme fi l'Efpace finiffoit là fans s'éten-
dre plus loin ; ou fi en examinant la chofe de plus près ,
leurs idées les engageât à porter leurs penfèes encore plus
avant ,
2 24* De la Durée c^ ^e V Expanfion
C H A p. avant , ils ne laiflent pas d'appcller tout ce qui eO; au delà
XV. des bornes de l'Univers j Èfpace imaginaire , comme 11
cet Efpace n'etoit rien , dès là qu'il ne contient aucun
Corps. Mais à l'égard de la Durée qui précède tous les
Corps & les mouvemens par lefquels on la mefure jilsrai-
Ibnncnt tout autrement , car ils ne la nomment jamais
imaginaire, parce qu'elle n'eft jamais fuppofée vuide de
quelque lujet qui exifte réellement. Qiie fi les noms des
chofes peuvent nous conduire en quelque manière à l'ori-
gine des idées des hommes, (^comme je fuis tenté de croi-
re qu'elles y peuvent contribuer beaucoup) lemotdeZ)«-
rée peut donner fujet de penfer , que les hommes crurent
qu'il y avoit quelque analogie entre une continuation
d'exiftence qui enferme comme une efpéce de rcfiftance à
toute force clcilruftive , ôc entre une continuation de foli-
dité , (propriété des Corps qu'on ell fou vent porté à con-
fondre avec la dureté , &: qu'on trouvera effectivement
n'en être pas fort ditferente , lî l'on confidere les plus pe-
tits atomes de la Matière,} &: que cela donna occafion à
la formation des mots durer , &: être dur-, qui ont une fi
étroite affinité enfemble. Cela paroit fur tout dans la
Langue Latine d'où ces mots ont pafle dans nos Langues
Modernes ; car le mot Latin dvrare ell aulîl bien emplo-
yé pour fignifier l'idée tie la dureté proprement dite, que
l'idée d'une cxiltence continuée, comme il paroit par cet
endroit à' Horace , (Epod. xv i .} fcrro duraz-it facula.
Qiioy qu'il en foit , il eft certain , que quiconque fuit
fes propres penfées , trouvera qu'elles fe portent quelque-
fois bien au delà de l'étendue des Corps , dans l'infinité
de l'Efpace ou de l'Expanfion , dont l'idée eft diftinde
du Corps 6c cie toute autre chofe > ce qui peut être le fu-
jet d'une plus ample méditation à qui voudra s'y appli-
quer.
LeTempsea à §• f • E" général , le Temps eft à la Durée , ce que le
la Durée ce que Lieu eft à l'Expanfion. Ce font autant de portions de
ï%>ts!^nLu ^^^ deux Océans infinis à^ Eternité à' d' bnmcnfité , diftin-
guées du rcftc comme par autant de Ecornes ; fie ainll elles
fervent
conjldere'es ênfemble. Liv. II. 225
fervent à marquer la pofition des Etres réels & finis , félon C h a p.
le raport qu'ils ont entr'eux dans cette vafte Se infinie é- XV.
tendue de Durée & d'Efpacc. Ainfi , à bien confidcrer
le Temps & le Lieu , ils ne font rien autre chofe que des
idées de certaines diftances déterminées, prifes de certains
points connus & fixes dans les chofes fenfibles , capables
d'être diftinguées & qu'on fuppofe garder toujours la mê-
me diftance les unes à l'égard des autres. C'eft de ces
points fixes dans les Etres fenfibles que nous comptons la
durée particulière & que nous mefurons la dillance dedi-
vcrfes portions de ces Qiiantitcz infinies j &: ces diftin-
£tions obfervées font ce que nous appelions le Temps &:
le Lieu. Car la Durée &c l'Efpace étant en elles-mêmes
uniformes j fi l'on ne jettoit la veûë fur ces fortes de points
fixes , on ne pourroit point obferver dans la Durée & dans
l'Efpace, l'ordre Se la pofition des chofes, Se tout feroit
dans un confus entaflément que rien ne feroit capable de
débrouiller.
§. 6. Mais à confiderer le Temps ic le L/>« comme Le Temps & k
autant de portions déterminées de ces Abymcs infinis L'cu lont pris
d'Efpace Se de Durée , qu'on défigne , ou qu'on fappofe pomûmTDu!
être diftinguées du refte , par des marques Se des bornes r^^e & d'Efpace
connues, on peut leur donner à chacun deux fens diffé- 1",^" "" P'^'"'
■^ dciii;iicr par
renS. Icx.ftcnce &: le
Et premièrement , le Temps confideré en général fe '""uvcnunt
prend communément pour cette portion de Durée infi- ""' ^^^^'
nie, qui eft mefurée par l'exiftence àc le mouvement des
Corps Céleftes, Se qui coèxifte à cette exiftence Se à ce
mouvement, autant que ces Corps nous font connus. A H
prendre la chofe de cette manière , le Temps commence M
Se finit avec la formation de ce Monde fenfible , Se c'eft
le fens qu'il faut donner à ces exprelîîons que j'ai déjà
citées, ava7ît tons les temps , ou lorfqu'd n'y âttra plus de
temps. Le Lieu fe prend aufil quelquefois pour cette por-
tion de l'Efpace infini qui eft comprifc dans le Monde
matériel, Se qui par là eft diftinguée du refte de V Expan-
fion ; quoy que ce fut parler plus proprement de donner
Ff à
2 20 DelaDuree é" deVExp'anfiott
C H A p. à une telle portion de l'Efpace , le nom d'Etendue plutôt
XV. que celui de Lien. C'efl dans ces bornes que font ren-
fermez le Temps èz le Lieu , pris dans le fens que je viens
d'expliquer j oc c'eft par leurs parties capables d'être ob-
fervées, qu'on mefiire ^ qu'on détermine le temps ou la
durée particulière de tous les Etres corporels, aulTi bien
que leur étendue & leur place particulière.
Quelquefois §. /. En fccond licu , le !rc;?;/)j fe prend quelquefois
r°"^ ^'°"' .^'""dans un fens plus étendu, 5c cft applique aux parties de
dTfpace que 1^ Duréc infinie, non à celles qui font réellement diftin-
iious cil de- guées &: mefurées par l'exiftence réelle &: par les mouve-
nfcfurcs^^iirs Tiens penodiqucs des Corps, qui ont été deftinez dès le
de la groiicur Commencement * à fervir de figne , êc à marquer les fai-
i°i«KdcsC°o"T ^""^ ' les jours (Se les années, 6c qui fuivant cela nous fer-
vent à mcfurcr le Temps ; mais à d'autres portions de
i-^Tm.'*^ ^^ cette Durée infinie 6c uniforme que nous fuppofons éga-
les , dans quelques rencontres , à certaines longueurs d'un
temps précis , 6c que nous confiderons par conféquent
comme déterminées par certaines bornes. Car fi nous
fuppofions par exemple , que la création des Anges ou
leur chute fut arrivée au commencement de la Feriode
Julienne i nous parlerions aflez proprement, èc nous nous
ferions fort bien entendre , lî nous difions que depuis la
création des Anges il s'eft écoulé 764. ans de plus, que
depuis la Création du Monde. Par où nous defigncrions
tout autant de cette Durée indiftin£te , que nous fuppo-
ferions égaler 764. Révolutions annuelles du Soleil , de
forte qu'elles auroient été renfermées dans cette portion,
fuppofé que le Soleil fe fut mû félon les mêmes propor-
tions qu'à prèfent. De même, nous fuppofons quelque-
fois de la place, de la diftance ou de la grandeur dans ce
Vuide immenfe qui eft au delà des bornes de l'Univers,
lorfquc nous confiderons tout autant de cet Efpace, qui
foit égal à un Corps d'une certaine dimenfion déterminée,
comme d'un pié cubique, ou qui foit capable de le rece-
voir , ou lors que dans cette vafte Expanfion , vuide
de Corps , nous concevons un Point , à une diftance
pré-
confiâerées enfemble. Liv. II. 227
précife d'une certaine partie de l'Univers. Chap.
§. 8. Oh & Giv.anà font des Qiieftions qui appartien- XV.
nent à toutes les exiftences finies, dont nous deduifons LcLieu&ic
toujours le temps &; le lieu, de quelques parties connues tienne,^: âToJt
de ce Monde fenfible, &: de certaines Epoques qui nous i« Etres fims. .
font marquées par les mouvemens qu'on y peut obierver.
Sans ces fortes de Périodes ou Parties fixes , l'ordre des
cliofes fe trouveroit anéanti par rapport à nôtre Entende-
ment borné , dans ces deux valles Océans de Durée &:
d'Expanfion , qui invariables & fans bornes renferment
en eux-mêmes tous les Etres finis , & ne conviennent
dans toute leur étendue qu'à la Divinité. Il ne faut donc pas
s'étonner que nous nepuilllons nous former une idéecom-
plette de la Durée 6c de l'Expanfion , &: que nôtre Efprit
ié trouve, pour ainfi dire, fi fouvent hors de route, lorf-
que nous venons à les confiderer, on en elles-mêmes par
voye d'abftraftion , ou comme appliquées en quelque ma-
nière à l'Etre fupréme & incomprehenfible. Mais lorf-
que l'Expanfion & la Durée font appliquées à quelque
Etre fini , l'Etendue d'un Corps eft tout autant de cet
Efpace infini, que la grofléur de ce Corps en occupe > &
ce qu'on nomme le hieu , c'eft la pofition d'un Corps
conlideré à une certaine diltance de quelque autre Corps.
Et comme l'idée de la durée particulière d'une chofe, eft
l'idée de cette portion de durée infinie, qui paflé durant
l'exiftence de cette chofe } de même le temps pendant le-
quel une chofe exifte , eft l'idée de cet Efpace de durée
qui s'écoule entre quelques périodes de durée , connues
& déterminées , & entre l'exiftence de cette chofe. La
première de ces Idées montre la diftance des extremitez
de la grandeur ou des extremitez de l'exiftence d'une feu-
le & même chofe , comme que cette chofe eft d'un pîé
en quatre , ou qu'elle dure deux années ; l'autre fait voir
la diftance de fa location , ou de fon exiftence d'avec cer-
tains autres points fixes d'Efpace ou de Durée , comme
qu'elle exifte au milieu de la Flace Royale , ou dans le
premier degré du Taureau , ou dans l'année 167 1. ou
F f 2 l'an
228 Delà Dur ce c3" de l'ExpanJîon
Chap. l'an iooo.de la Période Julienne-, toutes diftances qtic
XV. nous mefurons par les idées que nous avons conçues au-
paravant de certaines longueurs d'Efpace ou de Durée,
comme font, à l'égard de rEfpace,des pouces, des piés,
des lieûés, des dégrez ; &c à l'égard de la Durée, des Mi-
nutes, des Jours, Se des Années, crf.
Chaque partie §• 9. 11 y a Une autrc chofe fur quoy l'Efpace Se la
dei'Exîciifion, Di^jj-ée out enfcmble une grande conformité , c'eft que
chaque partie <;e quoy quc uous Ics mcttions avec railon au nombre de nos
la Durée, efl Jdc'es Jimph'S i Cependant de toutes les idées diflinctcs que
^"''^^' nous avons de l'Efpace & de la Durée , il n'y en a aucu-
ne qui n'ait quelque forte de compofition. Telle eft la
nature de ces deux chofes d'être compofccs de parties.
Mais comme ces parties font toutes de la même efpece,
& fans mélange d'aucune autre idée , elles n'empêchent
pas que l'Efpace 6c la Durée ne foient du nombre des I-
dées llmples. Si l'Efprit pouvoit arriver , comme dans
les Nombres, à une fi petite partie de l'Etendue ou de
la Durée, qu'elle ne pût être divifee , ce feroit , pour
ainfi dire, une idée, ou une unité indivillble, par la ré-
pétition de laquelle l'Efprit pourroit fe former les plus
vaftes idées de l'Etendue &: de la Durée qu'il puiflé avoir.
Mais parce que nôtre Efprif n'efl: pas capable de fe repré-
fenter l'idée d'un Efpace fans parties , on fe fcrt , au lieu
de cela, des mefures communes qui s'impriment dans la
mémoire par l'uilige qu'on en fait dans chaque Pais , com-
me font à l'égard de l'Efpace , les pouces , les piés , les
coudées & les parafanges ; 6c à l'égard de la Durée , les fé-
condes , les minutes, les heures, les jours 6c les années }
nôtre Efprit , dis-ie , regarde ces idées ou autres fcmbla-
bles comme des idées Ihnples dont il fe fert pour compo-
fer des idées plus étendues , qu'il forme dans l'occafion
par l'addition de ces fortes de longueurs qui luy font de-
venues familières. D'un autre cote , la plus petite me-
fure ordinaire que nous ayons de l'un 6c de l'autre, eft re-
gardée comme l'Unité dans les Nombres jlorfque l'Efprit
veut réduire l'Efpace ou la Durée en plus petites fraftions,
par
conjidere'es enfembk. L i v. II. 229
par voye de divifion. Du refte , dans ces deux opéra- C h a p.
tions , je veux dire dans l'addition Se la divifion de l'Ef- XV.
pace ou de la Durée , lorfque l'idée en queftion devient
fort étendue , ou extrêmement reiTerrée , fa quantité pré-
cife devient fort obfcure & fort confufc ; &; il n'y a plus
que le nombre de ces additions ou divifions répétées qui
foit clair &: diftinft. C'cft dequoy l'on fera aifément
convaincu , fi l'on abandonne fon EÏprit à la contempla-
tion de cette vafte expanfion de l'Efpace, ou de la divi-
fibilité de la Matière. Chaque partie de la Durée , eft
durée, Se chaque partie de l'Extenfion, eft extenfion j &
l'une &; l'autre font capables d'addition ou de divifion à
l'infini. Mais il eft, peut-être, plus à propos que nous,
nous fixions à la confideration des plus petites parties de
l'une 6c de l'autre, dont nous ayions des idées claires &
diftiniStes , comme à des idées fimples de cette efpece,
defquelles nos Modes complexes de l'Efpace , de l'Eten-
due & de la Durée , font formez , &: auxquelles ils peu-
vent être encore diftin£tement réduits. Dans la Durée ,
cette petite partie peut être nommée un moment , 6c c'eft;
le temps qu'une Idée refte dans nôtre Efprit , dans cette
perpétuelle fucceflîon d'idées qui s'y fait ordinairement.
Pour l'autre petite portion qu'on peut remarquer dans
l'Efpace, comme elle n'a point de nom, je ne fai fi l'on
me permettra de l'appeller Pw;? /f«/?<&/É' , par oùj'entens
la plus petite particule de Matière ou d'Efpace , que
nous puillions difcerner, 6c qui eft ordinairement environ
une minute, ou aux yeux les plus pénétrans , rarement
moins que trente fécondes d'un cercle dont l'Oeuil eft le
centre.
§. 10. L'Expanfion ^ la Durée conviennent dans cet Lespamcsie
autre point} c'eft que , bien qu'on les confidere l'une 8c ','£"'P»"^°", &
i> ,^ ■"■ j ■ j , . de la Durée
1 autre comme ayant des parties 3 cependant leiirs parties font mfepara-
ne peuvent être feparées Tune de l'autre , pas même par t'es-
la penfée ; quoy que les parties des Corps d'où nous ti-
rons la mefure de l'Expanfion, ?^ celles du Mouvement,
ou plutôt , de la fucceflion des Idées dans nôtre Efprit ,
Ff 3 d'où
230 De la "Durée éf àe V Expnnfion
'C H A p. d'où nous empruntons la mefure de la Durée , pulHent
XV. <^tre divifées 5c interrompues -, ce qui arrive aflez fouvcnt ,
le Mouvement étant terminé par le Repos, &: lafuccellîon
de nos idées parle fommeil, auquel nous donnons auflîle
nom de repos.
LaDurJecft §. II. Il y a pourtant cette différence vifible entre
Xi^ieT&l'Ex- l'Efp^ce & la Durée , que les idées de longueur que
panfion comme nous avons de l'Expanilou, font appliquées de tous côtes: ^
uu Solde. ^ £qj^j. ^jj^pj ^g qijg j^Q^jg nommons figure , largeur & é-
paifleur; au lieu que la Durée n'eft que comme une lon-
gueur continuée à l'infini en ligne droite j qui n'cft capa-
ble de recevoir ni multiplication ni figure , mais eft une
commune nielure de tout ce quiexifte, de quelque natu-
re qu'il foit, 8c à laquelle toutes chofes participent éga-
lement pendant leur exiftence. Car ce moment-ci eft
commun à toutes les chofes qui exiftent preléntement , &:
renferme également cette partie de leur exiftence , tout
de même que fi toutes ces chofes n'etoient qu'un feul E-
trC} de forte que nous pouvons dire avec vérité, que tout
ce qui eft,exille dans un feul &: même moment de temps.
De favoir fi la nature des Anges &: des Efprits a , de mê-
me, quelque analogie avec l'Expanfion, c'eft ce qui eflr
au defl'us de ma portée : & peut-être que par rapport à
nous, dont l'Entendement ell tel qu'il nous le fiiut pour
la confervation de nôtre Etre , & pour les fins auxquelles
nous fommes deftincz , &: .non pour avoir une véritable
& parfaite idée de tous les autres Etres , il nous eft pref-
que aufll difficile de concevoir quelque exiftence , ou
d'avoir l'idée de quelque Etre réel, entièrement privé de
toute forte d'Expanfion, que d'avoir l'idée de quelque
exiftence réelle qui n'ait abfolument aucune efpece de
durée. C'eftpourquoy nous ne favons pas quel rapport
les Efprits ont avec l'Efpace , ni comment ils y partici-
pent. Tout ce que nous favon*;, c'eft que chaque Corps
pris à part occupe fi portion paiticuliére de l'Efpace,
lelon l'étendue de fes parties lolidcs, &; que par là il
empêche tous les autres Corps d'avoir aucune place
dans
confiderées enfemble. Liv. II. 251
dans cette portion particulière , pendant qu'il en eft en C h a p,
ponefllon. XV.
§. 12. La Durée eft donc , aufli bien que le Temps Deux parties Je
qui en fait partie, l'idée que nous avons d'une diftan- ç^çm\lm^\%ln.
ce qui périt , & dont deux parties n'exiftcnt jamais en- fembie. & les
femble, mais fe fuivent fuccellîvement l'une l'autre ; & ^3",^" '^^ '7'''
l'Expanfion eft l'idée d'une diftance durable dont toutes mutes enfcm-
les parties cxiftent enfemble , & font incapables de fuc- '^'^•
ceiîion. C'eft pour cela que, bien que nous ne puiifions
concevoir aucune Durée fans fuccelîion , ni nous mettre
dans l'Efprit, qu'un Etrecoéxifte préfentement à Demain,
ou poffede à la fois plus que ce moment prefent de Du-
rée, cependant nous pouvons concevoir que la Durée é-
ternelle de l'Etre infini eft fort différente de celle de
l'Homme, ou de quelque autre Etre fini. Parce que la
connoilîance ou lapuiflance de l'Homme ne s'étend point
à toutes les chofes paflees &: à venir j fes penfées ne font ,
pour ainfi dire, que d'hier , &: il ne fait pas ce que le
jour de demain doit mettre en évidence. Il ne fauroit
rappeller le pafle , ni rendre prefent ce qui eft encore à
venir. Ce que je dis de l'Homme , je le dis de tous les
Etres finis, qui, quoy qu'ils puiflént être beaucoup au
deflus de l'Homme en connoiflance 6c en puiflance , ne
font pourtant que de foibles Créatures en comparaifonde
Dieu luy-méme. Ce qui eft fini , quelque grand qu'il
foit , n'a aucune proportion avec l'Infini. Comme la
durée infinie de Dieu eft accompagnée d'une connoiflance
5c d'une puiflance infinies , il voit toutes les chofes paf-
fées ôc a venir ; en forte qu'elles ne font pas plus éloignées
de fa connoifl'ance , ni moins expofées à fa veûë que les
chofes préfentes. Elles font toutes également fous fes
yeux, ^- il n'y a rien qu'il ne puifle faire exifter , chaque
moment qu'il veut. Car l'exiftence de toutes chofes dé-
pendant uniquement de fon bon-plaifir , elles exiftent
toutes dans le même moment qu'il juge à propos de leur
donner l'exiftence. Enfin l'Expanfion &: la Durée font
renfermées l'une dans l'autre, chaque portion d'Efpace
étant
232 Vn Nombre.
C H AP. étant dans chaque partie de la Durée, Se chaque portion
XV. de Durée dans chaque partie de l'Expanfion. Je croy
que parmi toute cette grande variété d'idées que nous
concevons ou pouvons concevoir , on trouveroit à peine
une telle combinaifon de deux Idées diftinctes ; ce qui
peut foiurnir matière à de plus profondes fpeculations.
CHAPITRE XVI-
C II A p. I^tL Nombre.
XVI.
Le Nombre cft §• I- /"^ Omme parmi toutcs Ics Idécs que nous a-
hpiusilmpie& \^ VOUS, il n'y en a aucune qui nous foit fugge-
rcirde"iorc"s rée par plus de voyes que celle de VUmté , aulll n'y^en
tiosidccs. a-t-il point de plus llmple. Il n'y a, dis-je, aucune ap-
parence de variété ou de compofition dans cette Idée, ôc
elle fe trouve jointe à chaque Objet qui frappe nos Sens,
à chaque idée quife préfente à nôtre Entendement, Se à
chaque penfée de nôtre Efprit: C'eftpourquoy il n'y en
a point qui nous foit plus familière, comme c'cfl aulîila
plus univerfelle de nos Idées dans le rapport qu'elle a a-
vec toutes les autres chofes , car le Nombre s'applique
aux Hommes , aux Anges , aux aftions , aux penfees ,
en un mot, à tout ce qui exille , ou qui peut être ima-
giné.
Les Modes du §• 2- En répétant. ccttc idée de l'Unité dans nôtre Ef-
Kombre refont prit j & ajoutant CCS répétitions enfemble , nous venons
£ion?^ ^^^' à former les Modes ou Idées complexes du Nombre. Ainli
en ajoutant un à r/;/,nous avons l'idée complexe de deux-,
en mettant enfemble douze unitez , nous avons l'idée
complexe d'une douzaine , 5c ainfi d'une centaine , d'ua
million i ou de tout autre nombre.
châqaeMode 5- 3. De tous les Modcs fimplcs il n'y en a point de
exaftemcnt di- p^^j diftiuds quc ccux du Nombre -, chaque variation-,
^■olnbre. tant petite foit elle, c elt a dire pour le plus d une unité,
fait une combinaifon aulll clairement dillincte de celle
qui
Du Nombre. Liv. IL 255
qui en approche de plus près , que de celle qui en eft le C h a p,
plus éloignée , deux étant aulli diftmâ: d'«» , que de XVI.
deux cens ■•, Se l'idée de deiM auiîl diftinfte de celle de
trots y que la grandeur de toute la Terre eft diftinfte de
celle d'un Ciron. Il n'en eft pas de même à l'égard des
autres Modes Simples , dans lefquels il ne nous eft pas G.
aifé , ni peut-être polîible de mettre de la diftinftion en-
tre deux idées approchantes , quoy qu'il y ait une diffé-
rence réelle entre elles. Car qui voudroit entreprendre
de trouver de la diff^érence entre la blancheur de ce Pa-
pier & celle qui en approche d'un degré , ou qui pourroit
former des idées diftinftes du moindre excès de grandeur
en différentes portions d'Etendue ?
§. 4. Or de ce que chaque Mode du Nombre paroît LcsDemonftta-
fi clairement diftin£l: de tout autre, de ceux-là même qui x,°"^u^"V'"
,, , . ~ . , ^ T- Nombres (orK
en approchent de plus près ,je luis porte a conclurre que, plus précifes,
fi les Démonftrations dans les Nombres ne font pas plus
évidentes &: plus exaftes que celles qu'on fait fur l'Eten-
due-, elles font du moins plus générales dans l'ufage , Se
plus déterminées dans l'application qu'on en peut faire.
Parce que , dans les Nombres , les idées font Se plus pré-
cifes & plus propres à être diftinguées les unes des autres,
que dans l'Etendue , où l'on ne peut point obferver ou
mefurer <:haque égalité & chaque excès de grandeur aufli
aifément que dans les Nombres , par la raifon que dans
l'Efpace nous ne faurions arriver par la penfée à une cer-
taine petiteflé déterminée au delà de laquelle nous ne puif-
fions aller , telle qu'eft l'unité dans le Nombre. C'eft-
pourquoy l'on ne fauroit découvrir la quantité ou la pro-
portion du moindre ^xcès de grandeur , qui d'ailleurs pa-
roît fort nettement dans les Nombres , où , comme il a
été dit, 91. eft aufll aifé à diftinguer de 90. que de 9000,
quoy que 91. excède immédiatement 90. Il n'en eft pas
de même dans l'Etendue, où tout ce qui eft quelque cho-
ie de plus qu'un pié ou un pouce , ne peut être diftingué
de la mefure jufte d'un pié ou d'un pouce ; ainfi dans des
lignes qui paroiflent être d'une égale longueur , une peut
Gg être
Chap.
XVI.
Combien il cft
nccefTaire de
donner des
noms aux
Nombres.
ii4, Du Nombre'.
être plus Ibrigiie que l'autre par des parties innombrable*;?
& il n'y a perfonne qui puifle donner Un Angle qui com-
paré â im Droit , foit immédiatement le plus grand , en*
forte qu'il n'y en ait point d'autre plus petit qui fe trou-
ve plus grand que le Droit.
■ §. 5 . En répétant , comme nous avons dit , l'idée de
l'Unité, 8c la joignant à une autre unité, nous en faifons.
une Idée colleiîive que nous nommons Deux. Et quicon-
que peut faire cela, Se avancer en ajoutant toujours un de
plus à la dernière idée colleftive qu'il a d'un certain nom-
bre quel qu'il foit , 6c à laquelle il donne un nom parti-
culier, quiconque, dis-je, fait cela , peut compter, ou
avoir des idées de différentes coUeârions d'Unitez, di-
flinftes les unes des autres , tandis qu'il a une fuite de
noms pour défigner les nombres fuivans , &: aflez de mé-
moire pour retenir cette fuite de nombres avec leurs dif-
férens noms j car compter n'cft autre chofe qu'ajouter tou-
jours une unité de plus, & donner au nombre total regar-
dé comme compris dans une feule idét , un nom ou un
ligne nouveau ou diftin£t , par où l'on puiflé le difeemer
de ceux qui font devant 6c après, 6c le diftinguer de cha-
que multitude d'Unitez qui eft plus petite ou plus gran-
de. De forte que celui qui fait ajouter un à un 6c ainfi à
deux , 6c avancer de cette manière dans fon calcul , mar-
quant toujours en luy-même les noms diftinftsqui appar-
tiennent à chaque progrefllon , 6c qui d'autre part ôtant
une unité de chaque collection peut les dimmuer autant
qu'il veut , celui-là eft capable d'acquérir toutes les idées
des nombres dont les noms font en ufige dans fa langue
ou qu'il peut nommer luy-même , quoy que peut-être il
n'en puifle pas connoître davantage. Car comme les dif-
férens Modes des Nombres ne font dans nôtre Efprit que
tout autant de combinaifons d'uniteZ , qui ne cliangent
point, èc ne font capables d'aucune autre différence que
du plus ou du moins, il fembk que des noms ou des li-
gnes particuliers font plus neceflaires à chaque combinai-
k>n diftinde qu'à aucune autïe efpéce d'Idées,. La raifon
de
Vu Nombre. L;v. IL tif
de cela cft , que fans de tels noms ou fignes à peine pou- C h a p.'
vons-nous faire ufage des Nombres en comptant, fur tout XVI..
lorfque la combinaifon eft compofée d'une grande multi-
tude d'Unitez, car alors il eft difficile d'empêcher , que
de ces unitez jointes enfemble fans qu'on ait diftingué
cette collection particulière par un nom ou un figne pré-
cis , il ne s'en faffe un parfait cahos.
§. 6. C'eft là , je croy , la raifon pourquoy certains Autre raifon
Américains avec qui je me fuis entretenu , ^ qui avoient 1°^^ ^'^eiuic
d'ailleurs l'efprit aflez vif &; aflez raifonnable , ne pou-
voient en aucune manière compter comme nous jufqu'à
mille 5 n'ayant aucune idée difl:in£be de ce nombre quoy
qu'ils pufTent compter jufqu'à vingt. C'eft que leur Lan-
gue étant peu abondante, & uniquement accommodée au
peu de befoins qu'exige une pauvre èc fimple vie, Se n'a"
yant d'ailleurs aucune connoifTance du Négoce ou des Ma-
thématiques, ils n'avoient point de mot quifignifiâtwi//fi
de forte que lorfqu'ils étoient obligez de parler de quel-
que grand nombre , ils montroient les cheveux de leur tê-
te, pour marquer en général une grande multitude qu'ils
ne pouvoient nombrerj incapacité qui venoit , fi je ne me
trompe, de ce qu'ils manquoient de noms. Un * Voya-?M>j de lerf,
geur qui a été chez les Tonpinamôous , nous apprend qu'ils ^'^°^re<J'un
n'avoient point de noms de nombres au defllis de cinq , &c hrlneàl^c.
que lorfqu'ils vouloient exprimer quelque nombre au de- '''> '''■ io-i"'i.
là , ils montroient leurs doigts , Se les doigts des autres j^^.
perfonnes qui étoient avec eux. Leur calcul n'alloit pas
plus loin : Se je ne doute pas que nous-mêmes ne puflions
compter diftm£tement en paroles , une beaucoup plus
grande quantité de nombres que nous n'avons accoutumé
de faire , Il nous trouvions feulement quelques dénomi-
nations propres à les exprimer; au lieu que fuivantletouf
que nous prenons de compter par millions de millions ,
de millions , ë<c. il eft fort difficile d'aller fans confulion
au delà de dix-huit , ou pour le plus , de vingt-quatre
progreffions décimales. Mais pour faire voir , combien
des noms dijlmds nous peuvent fervir à bien compter,
Gg 2 ou
2^6 Du N'ombre.
C H A p. ou à avoir des idées utiles des Nombres , je vais ranger
XVI. toutes les figures fuivantes dans une feule ligne , comme
fî c'étoient des fignes d'un feul nombre :
Tiemlntti.Oéliliens. StftiUmts, Stxiititni. ^Inintilleni. §iHsJrilitn:.TTiliens, Bitims. Miltiint.XJuitez-
85731^. 162-186.34^896. 457916. 4231.17. 248106. 235421.261734.368149.613157.
La manière ordinaire de compter ce nombre * en Fran-
çois, feroit de repeter fouvent de millions , de millions,
de millions, dé millions , &:c. Or millions eft la propre
dénomination de la féconde fizaine -, 368149. Selon cet-
te manière , il feroit bien mal-aifé d'avoir aucune notion
diftinfte de ce nombre ; mais qu'on voye Ç\ en donnant à
chaque fis^atne une nouvelle dénomination félon l'ordre
dans lequel elle feroit placée, l'on ne pourroit point com-
pter fans peine ces figures ainfi rangées , oc peut-être plu-
ileurs autres , en forte qu'on s'en formât plus aifément des
idées diltin£bes à foy-même , & qu'on les fît connoître
plus clairement aux autres. Je n'avance cela que pour
faire voir, combien des noms diftinfts font néceflaires
pour compter , fans prétendre introduire de nouveaux ter-
mes de ma façon.
?cBrquoy les §. 7. Ainfi les Enfans commencent afTez tard à compter^ ,
ïnfansnecom- ^ ^^ comptent point fott avaut , ni d'une manière fort
pteiit pas plu- _., , ^ 1 ^ V 5-i i>i-r • 1-1
iôr,quiis n'ont afluree que long-temps après qu ils ont 1 blprit rempli de
^coûtuffljfde quantité d'autres idées i foit que d'abord il leur manque
des mots pour marquer les différentes progreflions des
Nombres, ou qu'ils n'ayent pas encore la faculté de for-
mer des idées complexes , de plufieurs idées fimples &:
détachées les unes des autres , de les difpofer dans un cerT
tain ordre régulier , Se de les retenir ainfi dans leur Mé-
moire, comme il eft néceflaire pour bien compter. Qiioy
qu'il en foit , on peut voir , tous les jours , des Enfans
qui parlent èc raifonnent aflez bien , & ont des notions
fort claires de. bien des chofes , avant que de pouvoir
compter
"On fe fett bien dans les Livres d'A- mais ces termes Çont inronnus dans I»
riihmctique du mot de Milliard pour fi- Monde. On ne les trouve point dans h
eniCct mille millions , comme audi de ceux Diîlwrm.jirt de l'^iadcmie Frnnçi>ije , ni.
'is BjLous f Jriliios ^ gff^drili>ris t £((• daus Eclui «le funutre.
Dît Nomire. L i v. II. a'37
compter jufqu'à vingt. Et il y a des perfonnes qui faute C h a p.
de mémoire ne pouvant retenir différentes combinaifons XVI.
de Nombres , avec les noms qu'on leur donne par rapport
aux rangs diftinfts qui leur font afïïgnez , ni la dépendan-
ce d'une fi longue fuite de progreffions numérales dans la
relation qu'elles ont les unes avec les autres, font incapa>-
bles durant toute leur vie de compter, ou de fuivre régu-
lièrement une affez petite fuite de nombres. Gar qui veut
compter Vingt , ou avoir une idée de ce nombre , doit
favoir que Dix-neuf le précède , & connoîrre iè nom ou
le flgne dé ces deux nombres , félon qu'ils font marquez
dans leur ordre -, parce que dès que cela vient à manquer \
il fe fairime brèche, la chaine fe rompt , & il n'y a plus
aucune progreffion. De forte que , pour bien compter',
il eft néceffaire , i. Qiie l'Efprit diftingue exadement
deux Idées, qui ne différent l'une de l'autre que par l'ad-
dition ou la.fouftra£tion d'une Unité. 2. Qii'il confcrve
dans fa mémoire les noms , ou les fignes des différentes
combinaifons depuis l'unité jufqu'à ce Nombre , ôccela,
non d'une manière confufe èc fans régie , mais félon cet
ordre exaft dans lequel les Nombres fe fuivent les uns les
autres. Qiie s'il s'égare dans l'un ou l'autre de ces points, .
tout le calcul eft co^ifondu , & il 'ne refte plus qu'une
idée confufe de multitude , fans qu'il foit pofflble d'at-
trapper les idées qui font néceffaires pour compter diftin-
ûement.
§. . 8- Une autre chofè qu'il faut remarquer dans le ^-^ ^^'^'^r»
Nombre, c'eft que l'Efprit s'en fert pour mefurer toutes JJ,f"ft capabte:
les chofcs que nous pouvons mefurer , qui font principa- d'ôue mefuK
lement VExpanJïon &:• la Durée , Se que l'idée que nous
avons de l'Infini., lors même qu'on l'applique à l'Efpace
& à. la Durée, ne femble être autre chofe qu'une infinité
de Nombres. Car que font nos idées de l'Eternité & de
Flmnienfité , fmon des additions de certaines idées de
parties imaginées dans la Durée &c dans l'Expanfion que
nous repetons avec l'infinité du Nombre qui fournit à de
continuelles additions fans que nous en puilîions jamai*
Gg 3 trouver.
2^8 . 'DeVInfinitt*.
C H A p. trouver le bout ? Chacun peut voir fans peine que le
XVI. Nombre nous fournit ce fonds inépuifable plus nettement
que toutes nos autres Idées -, car qu'un homn\e affemble ,
en une feule fomme , un aulîi grand nombre qu'il voudra,
cette multitude d'Unitez , quelque grande qu'elle foit ,
ne diminue en aucune manière la puiflance qu'il a d'y en
ajouter d'autres , ni ne l'approche plus près de la fin de
•ce fonds intariflable de nombres , auquel il relie toujours
autant à ajouter que fi l'on n'en avoir ôté aucun. Et c'eft
de cette addition infinie de nombres qui fe préfente fi na-
turellement à l'Efprit , que nous vient , à mon avis j la
plus nette 6c la plus diftinfte idée que nous puilîîons a-
voir de V Infinité , dont nous allons parler plus au long
•dans le Chapitre fuivant.
CHAPITRE XVIL
Nousattri- 5- I- f^ Ui voudta favoir de quelle efpéce eft l'idée
buousimme- Il à QUI nous donnons le nom à' Infinité , ne
diatenicntl i.ice ■ ^'^- ^ - - -'
Chap. , De V Infinité.
XVII.
de vutfimté à ^^ peut mieux parvenu- a cette connoiflance
lEfpacc, à !a qvi'en eonfiderant à quoy c'elt que nôtre Efprit attribué"
Kombre. *" P^"^ immédiatement l'Infinité, &: comment il vient à fe
former cette idée.
f.'r.. ' ■ Il me femble que le Fini 6c V Infini font regardez com-
me des Modes de la §lnantité , ^ qu'ils ne font attribuez
, , . originairement Se dans leur première dénomination qu'aux
çhofcs qui ont des parties 6c qui font capables du plus ou
du moins par l'addition ou la fouftradtion de la moindre
partie. Telles font les idées de l'Efpace , de la Durée 6c
du Nombre , dont nous avons parlé dans les Chapitres
précedens, A la vérité , nous ne pouvons qu'être perfua-
dez , que Dieu cet Etre fuprême, de qui 6c par qui font
toutes chofcs, eft inconcevable ment infini; cependant lorf-
que nous appliquons , dans nôtre Entendement, dont les
: „ , vcùcs
De V Infinité. ' t'i v. IL 759
reûes font fi foibles & lî bornées , nôtre Idée de V Infini à C h a>,
ce Premier Etre, nous le faifons originairement par rap- XV U
port à fa Durée &: à fon Ubiquité , Se plus figurément , à
mon avis, à l'égard de fa puiflance , de (a fagefle , de fa
bonté êc de ks autres Attributs qui font efl'eftivement in>-
épuifables &c incomprehenllbles. Car lorfque nous appel-
Ions ces attributs, infinis, nous n'avons aucune autre idée
de cette Infinité, que celle qui porte l'Efprit à fairequel-
que forte de reflexion fur le nombre ou l'étendue des A-
Ûes ou des Objets de la Puiflance , de la Sagefle 6c de la
Eonté de Dieu j A£tes ou Objets qui ne peuvent jamais
être fuppofez en fi grand nombre que ces Attributs ne
foient toujours bien au delà, quoy que nous les multipli-
yons en nous-mêmes avec wne mfinité de nombres multi*-
pliez fans fin. Du reft:e, je ne prétens pas expliquer com-
ment ces Attributs font en Dieu , cet Etre fuprême qui
eft infiniment au deflus de la foible capacité de nôtre Ef«
prit, dont les veûès font fi courtes. Ces Attributs con-
tiennent fans doute en eux-mêmes toute perfection pofll-
ble, mais telle cfl: la manière dont nous les concevons, &
telles font les idées que nous avons de leur infinité. C'efl:
là tout ce que j'ai voulu dire.
§. z. Après avoir donc établi , que l'Efprit regarde le L"Wce tîu f/«;
Fini 6c l'Infini comme des Modifications de l'Expanfion mTnt dalllrkK
•& de la Durée, il faut commencer par examiner comment pt't
l'Efprit vient à s'en former des idées. Pour ce qui eft: de
l'Idée du Finif la chofe eft: fort aifée à comprendre j car
des portions bornées d'Etendue venant à frapper nos Sens,,
introduifent dans l'Efprit l'idée du Fini > èc les Périodes
ordinaires de Succelilon , comme les Heures, les Jours &
Ifes Années , qui font autant de longueurs bornées, par
lefquelles nous mefurons le Temps Ôc la Durée, nous
fourniflent encore la même idée. La difliculté confifte à
favoir comment nous acquérons ces idées infinies d^Etef"
Ttité ôc à! Immenfité; puifque les Objets qui nous environ-
nent font fi éloignez d'avoir aucune aifinité ou propor^
tion av«c cette étendue infinie.
- ■ §-3'
240 T)e V Infinité.
"Chap. §. 3. Quiconque a l'idée de quelque longueur déter-
XVII. minée d'Efpace, comme d'un Fié , trouve qu'il peut re-
peter cette idée, ôc en la joignant à la précédente former
l'idée de deux pies, 6c enfuite de trois par l'addition d'u-
ne troifiéme , &c avancer toujours de même fans jamais
venir à la fin des additions , foit de la même idée d'un
pié, ou s'il veut, d'une double de celle-là , ou de quel-
que autre idée de longueur , comme d'un Mille , ou du
Diamètre de la Terre , ou de VOrbù Mignus -, car la-
quelle de ces idées qu'il prenne, &: combien de fois qu'il
les double, ou^de quelque autre manière qu'il les multi-
plie , il voit qu'après avoir continué ces additions en luy-
Jiiême, ôc étendu aufll fouvent qu'il a voulu , l'idée fur
laquelle il a d'abord fixé fon Efprit , il n'a aucune raifon
de s'arrêter , & qu'il ne fe trouve pas d'un point plus
près de la fin de ces fortes de multiplications , qu'il étoit
îorfqu'il les a commencées. Ainfi , la puiflance qu'il a
d'étendre fans fin fon idée de l'Efpace par de nouvelles
additions, étant toujours la même , c'eil: de là qu'il tire
i^idée d'un Efface infini.
Nôtre idée de §. 4.. Tel eft , à mon avis , le moyen par où l'Efprit
Wpacecftiansfg fQj.j^g l'idée d'un Efpace infini. Mais parce que nos
idées ne font pas toujours des preuves de l'exiftencc des
chofes , examiner après cela d un tel Efpace fans bornes
dont l'Efprit a l'idée, exirte aâruellement , c'eft uneQiie-
flion tout-à-fait différente. Cependant , puis qu'elle fe
préfente ici dans nôtre chemin , je penfe être -en droit de
dire , que nous fommes portez à croire , qu'effectivement
l'Efpace eft en luy-même aftuellement infini} & c'eft l'i-
dée même de l'Efpace qui nous y conduit naturellement.
En effet foit que nous eonfiderions l'Efpace comme l'é-
tendue du Corps, ou comme exiftant par luy-même fans
contenir aucune matière folide , (car non feulement nous
avons l'idée d'un tel Efpace vuidc de Corps , mais je pen-
fe avoir prouvé la nécellîté de fon exiftence pour le mou-
-vcment des Corps , } il eft impollible que l'Efprit y puifTe
jamais trouver ou fiippofcr des bornes , ou être arrêté
jiullc
De l'Infinité. Liv. II. 241
nulle part en avançant dans cet Efpace , quelque loin qu'il C 11 a p>
porte fes pen fées. Tant s'en faut que des bornes de quel- XVII»
que Corps folide , quand ce feroient des murailles de
Diamant, puifTent empêcher l'Efprit de porter fes pen-
fées plus avant dans l'Efpace 6c dans l'Etendue , qu'au
contraire cela luy en facilite les moyens. Car aulîi loin
que s'étend le Corps , aullî loin s'étend l'Etendue , c cft
dequoy perfonne ne peut douter -, mais lorfque nous fom-
mes parvenus aux dernières extremitez du Corps , qu'y
a-t-il là qui puiffe arrêter l'Efprit, &: le convaincre qu'il
cft arrivé au bout de l'Efpace , puifque bien loin d'ap-
percevoir aucun bout , il eft perfuadé que le Corps luy-
même peut fe mouvoir dans l'Efpace qui efb au delà ? Car
s'il eft néceffaire qu'il y ait parmi les Corps de l'Efpace
vuide, quelque petit qu'il foit, pour que les Corps puif-
fent fe mouvoir, ôc par conféquent, fi les Corps peuvent
fe mouvoir à travers un Efpace vuide , ou plutôt , s'il eft
impoflible qu'aucune particule de Matière fe meuve que
dans un Efpace vuide, il eft tout vifible qu'un Corps
doit être dans la même pollîbilité de fe mouvoir dans un
Efpace vuide, au delà des dernières bornes des Corps,
que dans un Vuide * difperfé parmi les Corps. Car l'i- ^v'ummdijfèr
dée d'un Efpace vuide , qu'on appelle autrement pur Ef- "'''"'"''"'-.
face eft exaftement la même, foit que cet Efpace foit en-
tre les Corps, ou au delà de leurs dernières limites. C'eft
toujours le même Efpace. L'un ne difFéro point de l'au-
tre en nature, mais en expanfion, &: il n'y arien qui
empêche le Corps de s'y mouvoir > de forte que partout
où l'Efprit fe tranfporte par la penfée, parmi les Corps,
ou au delà de tous les Corps, il ne fauroit trouver , nulle
part, des bernes & une fin à cette idée uniforme de l'Ef-
pace j ce qui doit l'obliger à conclurre néceffairement de
la nature èc de l'idée de chaque partie de l'Efpace , qu'il
eft actuellement infini.
§. 5. Comme nous acquérons l'idée de l'Immenfité Nôtre idce de
par la puiflance que nous trouvons en nous-mêmes de re- '■^ ^^"'^^ ^
peter l'idée de l'Elpace, aulli fouvent que nous voulons; ncs.' "^ ^'
H h nous
242 De V Infinité.
C H A p. nous venons aiiflî à nous former Vidée de l'Eternité par le
XVII. pouvoir que nous avons de repérer l'idée d'une longueur
particulière de Durée, avec ime infinité de nombres, a-
joutez fans fin. Car nous fentons en nous-mêmes que
nous ne pouvons non plus arriver à la fin de ces répéti-
tions, qu'à la fin des nombres , ce que chacun eft con-
vaincu qu'il ne fauroit faire. Mais de favoir s'il y a quel-
que Etre réel dont la durée foit éternelle , c'eft une que-
ftion toute diflerente de ce que je viens de pofer , que
nous avons une idée de l'Eternité. Et fur cela je dis, que
quiconque confidere quelque chofe comme actuellement
exiflant , doit venir néceflairement à quelque chofe d'é-
ternel. Mais comme j'ai prefle cet Argument dans un
autre endroit , je n'en parlerai pas davantage ici, & je
pafîérai à quelques autres reflexions fur l'idée que nousa-
vons de l'Infinité.
Pourquoyd'au- §■ 6. S'il eft vray que nôtre idée de l'Infinité nous
trcs Idées ne vienne de cc Douvoit quc nous remarquons en nous-mê-
font 035 capa- i r r • j - 1
bicsd'iufiiiiie. mes, de repeter lans nn nos propres idées , on peut de-
mander, Fotirqnoy nous n'' attribuons pas l'Infinité à d'au-
tres idées i anffii bien qiiW celles de l'Efpace ér de laDure'e-,
puifque nous les pouvons repeter aulTi aifément &: aufll
fouvent dans nôtre Efprit que ces dernières -, &z cepen-
dant perfonne ne s'eft encore avifé d'une douceur infi-
nie , ou d'une infinie blancheur, quoy qu'on puifle repe-
ter l'idée du Doux ou du BLinc aufil fouvent que celles
d'une Aune, ou d'un Jour ? A cela je répons, que la ré-
pétition de toutes les idées qui font confiderées comme
ayant des parties 8c qui font capables d'accroiffement
par l'addition de parties égales ou plus petites , nous four-
nit Vidée de l'Infinité-, parce que par cette répétition fans
fin, il fe fait un accroiifement continuel qui ne peut a-
voir de bout. Mais dans d'autres Idées ce n'eft plus la
même chofe; car que j'ajoute la plus petite partie qu'il
loit poflible de concevoir, à la plus valteidée d'Etendue
ou de Durée que j'aye préfentement , elle en deviendra
plus grande j mais fi à la plus parfaite idée que j'aye du
Blanc
De V Infinité. Liv. IL 2^5
Blanc le plus éclatant, j'y en ajoute une autre d'un BLmc C h a p,
égal ou moins vif, (^car je ne fîiurois y joindre l'idée d'un XVII,
plus blanc que celui dont j'ai l'idée , que je fuppofe le
plus éclatant que je conçoive aduellement) cela n'aug-
mente ni n'étend mon idée en aucune manière } c'eft-
pourquoy on nomme degrés , les différentes idées de blan-
cheur, &:c. A la vérité, les idées compofées de parties,
font capables de recevoir de l'augmentation par l'addition
de la moindre partie ; mais prenez l'idée du Blanc qui
fut hier produit en vous par la veùê d'un morceau de nei-
ge, 6c une autre idée du Blanc qu'excite en vous un au-
tre morceau de neige que vous voyez préfentement ; fi
vous joignez ces deux idées enfemble , elles s'incorporent,
pour ainfi dire , & fe reiinilTent en une feule , fans que
l'idée de Blancheur en foit augmentée le moins du mon-
de. Qiie fi nous ajoutons un moindre degré de blancheur
à un plus grand , bien loin de l'augmenter , c'efl jufte-
ment par là que nous le diminuons. D'où il s'enfuit vi-
fiblement que toutes ces Idées qui ne font pas compofées
de parties , ne peuvent point être augmentées en telle pro-
portion qu'il plaît aux hommes , ou au delà de ce qu'el-
les leur font repréfentées par leurs Sens. Au contraire,
comme l'Efpace , la Durée &c le Nombre font capables
d'accroiffement par voye de répétition, ils laiffent à l'Ef-
prit une idée à laquelle il peut toujours ajouter fans jamais
arriver au bout j en forte que nous ne faurions concevoir
un terme qui borne ces additions ou ces progreflions ; Se
par conféquent , ce font là les feules idées qui conduifent
nos penfées vers l'Infini.
§. 7. Mais quoy que nôtre Idée de l'Infinité procède DifFcrence en-
de la confideration de la Qiiantité , & des additions que [•Ef'a"c''" & '^^
l'Efprit eft capable d'y faire par des répétitions fans fin Efpace infim.
réitérées de telles portions qu'il veut -, cependant je croy
que nous mettons une extrême confufion dans nos penfées,
lorfque nous joignons l'Infinité à quelque idée précife de
Quantité, qui puifle être fuppofée prélênte^à l'Efprit, 6c
qu'après cela nous difcourons iur la Quantité infinie, corn-
Hh 2 me
244- ^' VInfnité.
C H A p. me fur un Efpace infini ou une Durée infinie ; car mtrs
^Vll. Idée de V Infinité étant , à mon avis, une idée qui s'aug-
mente fans fin, &: l'idée que l'Efprit a de quelqueQiian-
tité étant alors terminée à cette idée , parce que quelque
grande qu'on la fuppofe , elle ne fauroit être p'us grande
qu'elle eft actuellement , joindre l'mfinité à cette derniè-
re idée , c'eft appliquer une mefure déterminée à une
grandeur indéterminée 6c qui va toujours en augmentant.
C'eftpourquoy je ne penfe pas que ce foit une vaine fub*
tilité de dire qu'il faut diltinguer foigneufement entre l'i-
dée de l'Infinité de l'Efpace, &: l'idée d'un Efpace infini.
La première n'eft autre chofe qu'une progrefiîon fans fin ,
qu'on fuppofe que l'Efprit fait par des répétitions de tel-
les idées de l'Efpace qu'il luy plait de choifir. Mais de
fuppofer qu'on ait actuellement dans l'Efprit l'idée d'un
Efpace infini , c'eft fuppofer que l'Efprit a déjà parcouru
& qu'il voit actuellement toutes ces idées répétées de
l'Efpace, qu'une répétition à l'infini ne peut jamais luy
repréfenter totalement -, ce qui renferme en foy une ma-
nifefte contradiction.
Nous n'avons §. 8. Cela fera peut-être un peu plus clair, fi nous
frpace wfini."" ^'^PP^^'î"^"^ aux Nombres. L'infinité des Nombres,
auxquels tout le monde voit qu'on peut toujours ajou-
ter, fans pouvoir approcher de la fin de ces additions,
paroit fans peine à quiconque y fait reflexion. Mais quel-
que claire que foit cette Idée de l'infinité des Nombres ,
rien n'eft pourtant plus fenfible que l'abfurdité d'une idée
actuelle d'un Nombre infini. Qiielques idées pofitives
que nous ayions en nous-mêmes d'un certain Efpace,
Nombre ou Durée, de quelque grandeur qu'elles foicnt,
ce feront toujours des idées finies. Mais lorfque nous fup-
pofons un refte inépuiflible en qui nous ne concevons au-
cunes bornes > de forte que l'Efprit y trouve dequoy faire
des progrcfilons continuelles fans en pouvoir jamais rem-
plir toute l'idée, c'eft là que nous trouvons nôtre idée de
l'Infini. Or^laiert qu'à la confiderer dans cette veûë , je
.veux, dire 3 à 'n'y concevoir autre chofe qu'une négation
de.
I
TieV Infinité. Liv. If. z^,^"
de limites,, elle nous paroifle fort claire ; cependant lorf- C h a p;
que nous voulons nous former l'idée d'une Expanfion, XVH.
ou d'une Durée infinie, cette idée devient alors fort obf-
cure & fort embrouillée , parce qu'elle eft compofée de
deux parties fort différentes , pour ne pas dire entière-
ment mcompatibles. Car luppofons qu'un homme for-
me dans fon Eiprit l'idée de quelque Efpace ou de quel-
que Nombre, aufll grand qu'il voudra, il ell vifiblequo
l'Efprit s'arrête 5c fe borne à cette idée ; ce qui eft dire-
ftement contraire à l'idée de V Infinité qui ccnfifte dans
une progreflion qu'on fuppofe fans bornes. De là vient ,
à mon avis, que nous nous brouillons fiaifément lorfque
nous venons à raifonner fur un Efpace infini, ou fur une
Durée infinie; parce que voulant combiner deux Idées
qui ne fauroienr fubfifttr enfemble, bien loin d'être deu:c
parties d'une même idée, comme, je l'ai dit d'abord pour
m'accommodera la fuppofition de ceux qui prétendent'
avoir une idéepofitive d'un Efpace ou d'un Nombre infi-
ni, nous ne pouvons tirer des conféquences de l'une à-
l'autre fans nous engager dans des difficulrez infurmonta-
bles & toutes pareilles à celles où fe jetteroit celui qui
voudroit raifonner du Mouvement fur l'idée d'un mou--
vement qui n'avance point , c'efl: à dire , fur une idée
aulîi chimérique &: auiîi frivole que celle d'un Mouve-
ment en repos. D'oii je crois être en droit deconclurre,
que l'idée d'un Efpace, ou, ce qui ell la même chofe,
d'un Nombre infini , c'eft à dire ,.d'un Efpace ou d'un
Nombre qui foit actuellement préfent à l'Efprit , &: fur'
lequel il fixe é^c termine fa veûë , eft différente de l'idée.
d'un Efpace ou d'un Nombre qu'on ne peut jamais épui-
fer par la penfee, quoy qu'on l'étende hns ceffe par des.
additions & des progreiTions , continuées fans fin. Car-
de quelque étendue, que foit l'idée d'un Efpace que j'ai
actuellement dans l'Efprit, fa grandeur ne furpaffe point
la grandeur qu'elle a dansl'inftant même qu'elle eft pré-
fente à mon Efprit, bien que dans le moment fuivant je:
puilTe l'étendre au double, & ainfi j à l'infini 3 car enfin :
Hh 3 rieEi
246 De V Infinité.
C H A P. rien n'eft infini que ce qui n'a point de bornes , & telle
XVII. eft cette idée de V Infinité à laquelle nos penfees ne fau-
roient trouver aucune fin.
Le Nombre §. 9. Mais entre autres idées qui nous fourni iTent l'i-
nous '^o""is la^j^ig de l'Infinité, telle que nous fommes capables de l'a-
phis nette idce . , ^ -1,1 ^ , 1 i-
de l'iuiiiiuc. voir , rien ne nous en donne une idée fins nette e?' plus di-
ftinlte que le Nombre , comme nous l'avons déjà remar-
qué. Car lors même que l'Efprit applique l'idée de l'in-
finité à l'Efpacc Se à la Durée , il fe fert d'idées de nom-
bres répétez, comme de millions de raillions de Lieûës
ou d'Années, qui font autant d'idées diftindes, que le
Nombre empêche de tomber dans un confus entaflement
où l'Efprit ne peut éviter de fe perdre. Mais quand nous
avons ajouté autant de millions qu'il nous a plù, de cer-
taines longueurs d'Efpace ou de Durée , l'idée la plus
claire que nous nous puillîons former de l'Infinité , c'eil
ce refle confus & incomprchenfible de nombres, qui mul-
tipliez fms fin ne laiflent voir aucun bout qui termine ces
additions.
Nous coiice- §. 10. Pour pénétrer plus avant dans cette idée que
vous diffejcm- nous avons de l'Infinité, & nous convaincre que ce n'eft
ment 1 inhnuc ■ ,• ■ ' j t^t 1 i-
du Nombre, auttc chole qu UHC mfinitc de iN ombres que nous apph-
^i^*^ ^^ 'm°"'. qiions à des parties déterminées dont nous avons des idées
|'£xpanfioD. °^ diftinftes dans l'Efprit, il ne fera peut-être pas inutile de
confidercr qu'en général nous ne regardons pas le Nombre
comme infini, au lieu que nous fommes portez à attacher
cette idée à la Durée fie à l'Expanfion -, ce qui vient de
ce que dans le Nombre nous trouvons une fin > car comme
il n'y a rien dans le Nombre qui foit moindre que l'Uni-
té, nous nous arrêtons là, 6c y trouvons, pour ainfidire,
le bout de nos comptes. Du reftc , nous ne pouvons
mettre aucunes bornes à l'addition ou à l'augmentation
des Nombres: nous fommes à cet égard comme à l'extré-
mité d'une ligne qui peut être continuée de l'autre côté
au delà de tout ce que nous pouvons concevoir. Mais il
n'en eft pas de même à l'égard de l'Efpace Se de la Du-
rée j car dans la Durée, nous confiderons cette ligne de
nom-
De V Infinité. Liv. IL 247
nombres , comme étendue de deux côrez , à une Ion- C h a p.
gueur inconcevable , indéterminée , &: infinie. Ce qui XVII,
parcîtra évidemment à quiconque voudra réfléchir fur l'i-
dée qu'il a de l'Eternité, qui, je croy, ne luy paroîtra
autre chofe , que cette Inlinité de nombres étendue de
deux cotez, à l'égard de la Durée paflée, &:de celle qui
eft à venir, à parte ante, &c à parte po/ly comme on par-
le dans les Ecoles. Car lorfque nous voulons confiderer
l'Eternité à parte antC) que faifons-nous autre choie, que
repeter dans nôtre Efprit en commençant par le temps
préfent où nous exilions , les idées des Années , ou des
Siècles , ou de quelque autre portion que ce foit de la
Durée paflee , convaincus en nous-mêmes que nous pou-
vons continuer ces additions avec une infinité dénombres
qui ne peut jamais nous manquer ? Et lorfque nous con-
fiderons l'Eternité À parte poji , nous commençons aufii
par nous-mêmes , précifément de la même manière , en
étendant, par périodes à venir multipliées fans fin, cette
ligne de nombres que nous continuons toujours comme
auparavant) fie ces deux Lignes jointes enfemble font cet-
te Durée que nous nommons Eternité ; laquelle paroît
infinie de quelque côté que nous la confiderions, ou de-
vant, ou derrière; parce que nous appliquons toiijours
au côté que nous envifagéons l'infinité de nombres , c'eft
à dire, la puiflance d'ajourer toujours plus, fans jamais
parvenir à la fin de ces Additions.
§. II. La même chofe arrive dans l'Efpace , oii nous Comment fioas
nous confiderons comme placez dans un Centre , d'oii fi*^iiiTdè"i£fpa-
nous pouvons ajouter de tous cotez des lignes indéfinies ce.
de nombre , comptant vers tous les endroits qui nous en-
vironnent, une aune, une lieiié,un Diamètre de la Ter-
re , ou de ÏOrbis Magmis que nous multiplions par cette
infinité de nombres aufli fouvent que nous voulons j
& comme nous n'avons pas plus de raifon de don-
ner des bornes à ces Idées répétées , qu'au Nombre ,
nous acquérons par là l'idée indéterminée de Vlmmenfi-
te,
§■ 12-
248 De VInjînite'.
Chap. §. 12. Et parce que dans quelque mafle de Matière
XV II. que ce foit , nôtre Efprit ne peut jamais arriver à la dernié-
II y a une in- ^z divifibilite ■, il fe trouvc aufli en cela une infinité à nô-
dràsbMàSîc': tre égard, £c qui eft aulîi une infinité de Nombre , mais
avec cette différence que dans l'infinité qui regarde l'Ef-
pace oc la Durée , nous n'employons que l'addition des
nombres , au lieu que la divifibilité de la Matière eft
femblable à la divifion de l'Unité en (ts fractions, où
r Efprit trouve à fiiire des additions à l'infini , aufli bien
que dans les additions précédentes , cette divifion n'étant
en effet qu'une continuelle addition de nouveaux nom-
bres. Or dans l'addition de l'un nous ne pouvons non
plus avoir l'idée pofitive d'un Efpace infiniment grand,
que par la divifion de l'autre arriver à l'idée d'un Corps
infiniment petite nôtre idée de l'Infinité étant à tous é-
gards, une idée fugitive, êcqui, pour ainfi dire, groflît
toujours par une progreilion qui va à l'infini fans pouvoir
être fixée nulle part.
Nous n'avons §• 13. H feroit , je penfe , bien difficile de trouver
pointdidee po- quelqu'un aflcz extravagant pour dire qu'il a une idée
ûLivcde l'Infini. r ai -v i o. 11 _ • c • ^ ■ a ■ '
pofitive d un Nombre actuellement inhni, cette inhnite
ne confillant que dans le pouvoir d'ajouter quelque com-
binaifon d'unitez au dernier nombre quel qn'il foit , èc
cela auffi long-temps 6c autant qu'on veut. Il en .eft de
même à l'égard de l'Infinité de l'Efpace èc de la Durée,
où ce pouvoir dont je viens de parler , laiffe toujours à
l'Efprit le moyen d'ajouter fins .fin. Cependant il y a
des gens qui fc figurent d'avoir des idées pofitives d'une
Durée infinie, ou d'un Efpace infini. Mais pour anéan-
tir une telle idée pofitive de l'Infini que ces perfonncs
prétendent avoir , je croy qu'il fiiffit de leur demander
s'ils pourroient ajouter quelque chofe à cette idée , ou
non} ce qui montre fans peine le peu de fondement de
cette prétendue idée. En effet, nous ne fuirions avoir,
ce me femble , aucune idée pofitive d'un certain Efpace
ou d'une certaine Durée qui né foit compcféc d'un cer-
tain nombre de pies ou d'aunes, de jours ou d'années, ou
qui
T>e VInfinite. L i v. II. 149
qui ne folt commenfurable aux nombres répétez de ces C h a p.
communes mefurcs dont nous avons des idées dans l'Ef- XVII.
prit , & par lefquelles nous jugeons de la grandeur de ces
fortes de quantitez. Puis donc que l'idée d'un Efpace in-
fini ou d'une Durée infinie doit être nécefTairement coni-
pofée de parties infinies , elle ne peut avoir d'autre infi-
nité , que celle des nombres capables d'être multipliez
fans fin, &c non, une idée pofitive d'un nombre adluelle-
ment infini. Car il eft évident , à mon avis que l'addi-
tion des chofes finies (comme font toutes les longueur*
dont nous avons des idées pofitives} ne fauroit jamais pro-
duire l'idée de l'Infini qu'à la manière du Nombre , qui
étant compofé d'unitez finies , ajoutées les unes aux au-
tres, ne nous fournit l'idée de l'Infini que par la puiflan-
ce que nous trouvons en nous-mêmes d'augmenter fans
cefTe la fomme,&:de faire toujours de nouvelles additions
de la même efpéce , fans approcher le moins du monde de
la fin d'une telle progreflion.
§. 14. Ceux qui prétendent prouver que leur idée, de
l'Infini eft pofitive, fe fervent pour cela 5 d'un Argument
qui me paroît bien frivole. Us le tirent cet Argument de
la négation d'une fin , qui eft , difent-ils , quelque chofe
de négatif, mais dont la négation eft pofitive. Mais quicon-
que confiderera que la fin n'eft autre chofe dans le Corps
que l'extrémité ou la fuperficie de ce Corps , aura peut-
être de la peine à concevoir que la fin foit quelque chofe
de purement négatif -, &c celui qui voit que le bout de fa
plume eft noir ou blanc , fera porté à croire , que la Fin
eft quelque chofe de plus qu'une pure négation : &c en ef-
fet lorf qu'on l'applique à la Durée , ce n'eft point une
pure négation d'exiftence , mais c'eft , à parler plus pro-
prement , le dernier moment de l'exiftence. Qiie fi ces
gens-là veulent que la fin ne foit, par rapport à la Durée,
qu'une pure négation d'exiftence, je fiiis afl'ùré qu'ils ne
fauroient nier que le Commencement ne foit le premier
inftant de l'exiftence de l'Etre qui commence à exifter,
^ jamais perfonne n'a imaginé que ce fût une pure ncga-
1 1 tien.
2^0 De V Infinité'^
C H A p. tion. D'où il s'enfuit , par leur propre raifonnement , que
XVII. l'idée de l'Eternité a parte ante , ou d'une Durée fans
commencement n'elt qu'une idée négative.
Ce qu'il y a de §. 15 . L'Idée de l'Infini a, je l'avoué , quelque chofe
pofitif &denc-^ç pofitif dans les chofes mêmes que nous appliquons à
gatif dans notre ^ . , , -, ^ , '■ r ^ rr
&c'e de iiiifîiii. ccttc idée, Lorlque nous voulons penier a un Lipace m-
fini ou à une Durée infinie , nous nous repréfentons d'a-
bord une idée fort étendue , comme vous diriez de quel-
ques millions de iiécles ou de lieues , que peut-être nous
doublons & multiplions plufieurs fois. Et tout ce que
nous aflemblons ainfi dans nôtre Efprit , eft pofitif} c'eflr
l'amas d'un grand nombre d'idées pofitives d'Efpace ou
de Durée j niais ce qui refte toujours au delà , c'efl: de-
quoy nous n'avons non plus de notion pofitive &c diftin-
fte qu'un Pilote en a de la profondeur de la Mer, lorfqu'y
ayant jette un cordeau de quantité de brafles , il ne trou-
ve aucun fond. Il connoît bien par là > que la profondeur
eft de tant de braffes 6c au delà, mais il n'a aucune notion
diftindte de ce furplus. De forte que s'il pouvoit ajouter
toujours ime nouvelle ligne , Se qu'il trouvât que le Plomb
avançât toujours fans s'arrêter jamais, il feroit à peu près
dans l'état où fe rencontre nôtre Efprit lorfqu'il tâche
d'arriver à une idée complette 6c pofitive de l'Infini : &:
dans ce cas, que le cordeau foit de dix brafles, ou de dix
mille > il fert également à faire voir ce qui eft au delà, je
veux dire en nous découvrant fort confulemcnt & par
Yoye de comparaifon , que ce n'eft pas là tout , Ôc qu'on
peut aller encore plus avant. L' Efprit a une idée pofiti-
ve d^autant d'Efpace, qu'il en conçoit acbuellement j mais
dans les efforts qu'il fait pour rendre cette idée infinie, il
a beau l'étendre & l'augmenter fansceffe, elle eft toujours;
incomplette. Autant d'Efpace que l'Efprit fe reprefente
4 luy-meme dans l'idée qu'il fe forme d'une certaine gran-
deur , c'eft tout autant d'étendue nettement Se réellement
tracée dans l'Entendement > mais Tlnfim eft encore plus
grand. D'où j'infére, i. §lne Vidée d'autant eji claire cr
fojltivc : 2. §l^e l'idée de quelque chofe de 2liis grand f/?
aujjl.
De V Infinité. Liv. II. 2fï
aujji claire , mais que ce n'ejl qu'tine idée comparative : C h a p.
^.^ie ridée d'une ^tantité, qui pajfe d'autant toute gran- XVII.
deur qu'on ne faurott le comprendre , efi une idée purement
négative , qui n'a abfolument rien de pofitif > car celui
qui n'a pas une idée claire èc pofitive de la grandeur d'une
certaine Etendue (^ce qu'on cherche précifément dans l'idée
de l'Infini} ne fauroit avoir une idée comprchenfive des di-
menfions de cette Etendue > 6c je ne penfe pas qUe perfonne
prétende avoir une telle idée par rapport à ce qui eft infi-
ni. Car de dire qu'un homme a une idée claire 6c pofiti-
ve d'une Qiiantité fans lavoir quelle en eft^la grandeur ,
c'eft raifonner aufil jufte , que de dire que celui-là a une
idée claire 6c pofitive des grains de fable qui font fur \t
Rivage de la Mer , qui ne fait pas à la vérité , combien
il y en a, mais qui fait feulement qu'il y en a plus de vingt.
Or c'eft juftement là l'idée parfaite 6c pofitive que nous
avons d'un Efpace ou d'une Durée infinie, lorfque nous di-
fons de l'un 6c de l'autre, qu'ils furpafl'ent l'étendue ou la
durée de lo, loo, looo, ou de quelque autre nombre de
Lieûës ou d'Années, dont nous avons, ou dont nous pou-
vons avoir une idée pofitive. Et c'eft là, je croy, toute
l'idée que nous avons de l'Infini. De forte que tout ce
qui eft au delà de nôtre idée pofitive à l'égard de l'Infini,
eft environné de ténèbres j èc n'excite dans l'Efprit qu'u-
ne confufion indéterminée d'une idée négative , où je ne
puis voir autre chofe fi ce n'eft que je ne comprens point
ni ne peux comprendre tout ce que j'y voudrois conce-
voir , 6c cela parce que c'eft un Objet trop vafte pour une
capacité foible èc bornée comme la mienne. Ce qui ne
peut être que fort éloigné d'une idée complette 6c pofiti-
ve , puifque la plus grande partie de ce que je voudrois
comprendre , eft à l'écart fous la dénomination vague de
quelque chofe qui eft toujours plus grand. Car de dire
qu'après avoir mefuré autant , ou avoir été fi avant dans
une Qiiantité, on n'en trouve pas le bout, c^eft dire feu-
lement , que cette Qiiantité eft plus grande. De forte
que nier d'une certaine Quantité qu'elle ak onefiii 3 figni-
li z fie
ree
2:^2: De V Infinité.
C H A P. fie feulement en d'autres termes , qu'elle eft plus grande ;■
XVU. &: la totale négation d'une fin n'emporte autre chofe que
l'idée d'une Qiiantitë toujours plus grande, que vous re-
tenez en vous-même pour l'appliquer à toutes les pro-
grelllons que vôtre Efprit fera fur la Qiiantité , en l'ajou-
tant à toutes les idées de Qiiantité que vous avez, ou
qu'on peut fuppofer que vous ayiez. Qii'on juge à pré-
fent fi c'eft là une idée pofitive.
Nous n'avons §. i6. Je voudrois bicn que ceux qui prétendent avoir
T.°^'^'^'^}'^^^^°' une Idée po/Itive de r Eternité , me difTent fi l'idée qu'ils
■ec infime. ont de la Durée enferme de la fucceilion , ou non ? Si elle
n'enferme aucune fucceilion, ils font obligez de faire voir
la différence qu'il y a entre la notion qu'ils ont de la Du-
rée, lorfqu'elle eft appliquée à un Etre éternel , Se à un
Etre fini ; parce qu'ils trouveront peut-être d'autres per-
fonnes que moy , qui leur faifans un libre aveu de la foi-
blefle de leur Entendement dans ce point , déclareront
que la notion qu'ils ont de la Durée , les oblige à conce-
voir, que de tout ce qui a de la Durée, la continua-
tion en a été plus longue aujourd'huy , qu'hier. Que
fi pour éviter de mettre de la fucceilion dans l'exiftenec
éternelle, ils recourent à ce qu'on appelle dans les Ecoles
Punâîtim fians y, Point fixe Se permanent j je croy que cet
expédient ne leur fervira pas beaucoup à éclaircir la cho-
fe, ou à nous donner une idée plus claire & plus pofitive
d'une Durée infinie , rien ne me paroiflant plus inconce-
vable qu'une Durée fans fucceflion. Et d'ailleurs, fuppo--
fé que ce Point permanent fignifie quelque chofe, comme
•*xfl» eft qu.m- il n'a aucune * quantité de durée, finie ou infinie, on ne
'"?"' ft.^"" '" peut l'appliquer à laDurée infime dom nous parlons. Mais
fi nôtre foible capacité ne nous permet pas de feparer la
fucceilion d'avec la Durée quelle qu'elle foit , nôtre idée
de l'Eternité ne peut être compofée que d'une fucceflion
infinie de Momens , dans laquelle toutes chofes exiftent.
Que fi quelqu'un a, ou peut avoir une idée pofitive d'un
Nombre a6buellcment infini , je m'en rapporte à luy-mê-
mcj Qii'il voye quand eft-ce que ce Nombre infini, dont
il-
De V Infinité. Liv. IL 25^
S prétend avoir l'idée , eft aflez grand pour qu'il ne puifle Chai-,
y rien ajouter luy-même; car tandis qu'il peut l'augmen- XVH:
ter , je m'imagine qu'il fera convaincu en luy-méme , que
l'idée qu'il a de ce nombre , eft un peu trop refîerrée pour
faire une infinité pofitive.
§. 17. Je croy qu'une Créature raifonnable , qui fai-
fant ufage de fon Efprit , veut bien prendre la peine de
faire reflexion fur fon exiftence , ou fur celle de quelque
autre Etre que ce foit, ne peut éviter d'avoir l'idée d'un.
Etre tout fagCjqui'n'a eii aucun commencement: &:pour
moy, je fuis affûréd^ avoir une telle idée d'une Durée in-
finie. Mais cette Négation d'un commencement n'étant
qu'une négation d'une chofe pofitive, ne pcutgueres me
donner une idée pofitive de l'Infinité , à laquelle je ne
fauroi s parvenir, quelque eflbr que je donne à mes pen-
fées pour m'en former une notion claire &: complette..
J'avoûë , dis-je, que mon Efprit fe perd dans cette pour-
fuite, &: qu'après tous mes efforts, je me trouve toujours 5
au deçà du but, bien loin de l'atteindre.
§. 18. Qiiiconque penfe avoir une idée pofitive d'un Nous n'ayons
Efpace infini, trouvera, je m'aflure, s'il y fait un peu de ^°|vcd'unEf!"
reflexion , qu'il n'a pas plus d'idée dû plus grand que du pace infini. .
plus petit E^ace. Gar pour ce dernier , qui des deux
femble le plus aifé à concevoir, & le plus proportionné a
nôtre portée, nous ne pouvons, au fonds , y découvrir
autre chofe qu'une idée comparative de petitefl^e , qui fe-
ra toujours plus petite qu'iîucunc de celles dont nous a-
vons une idée pofitive. Toutes les Idées pofitives que
nous avons de quelque Quantité que ce foit , grande ou
petite, ont toujours des bornes > quoy que nos idées de
comparaifon , par où nous pouvons toujours ajouter à .l'u-
ne , 6c ôter de l'autre , n'en ayent point -, car ce qui re-
lie, foit grand ou petit , n'étant pas compris dans l'idée
pofitive que nous avons , eft dans les ténèbres , & ne con-
fifte,à nôtre égard, que dans la puifl.ance que nous avons
d'étendre l'une, §c de diminuer l'autre fms jamais ceflér.
Un Pilon ôc un Mortier réduiront tout auili-tôt une partie-
li 2,, ds,:
2 54 De V Infinité.
C H A p. de Matière à VinàivifibiUté , que l'Efprit du plus fubtîl
XVII. Mathématicien; Se un Arpenteur pourrait aulTi-tôtmefu-
rer à la Perche l'Efpace infini, qu'un Philofophe s'en for-
mer l'idée par la pénétrante vivacité de fon Êfprit , ou le
concevoir par la penfée , ce qui eft en avoir une idée po-
fitive. Celui qui penfe à un Cube d'un pouce de Diamè-
tre, en a dans fon Efprit une idée claire &; poiltive. Il
peut de même fe former l'idée d'un Cube d'un \ pouce,
d'un i ou d'un \ de pouce, ôc toujours en diminuant, juf-
qu'à ce qu'il ne luy refte dans l'Efprit que l'idée de quel-
que chofe d'extrêmement petit , mais qui cependant ne
parvient point à cette petitefTe incomprehenfible , que la
Divifion peut produire. Son Efprit eft aufli éloigné de
ce refte de petitefTe , que lorfqu'il a commencé la divi-
fion j c'eftpourquoy il ne vient jamais à avoir une idée
claire & pofitive de cette petitefTe qui eft la fuite d'une
infinie Divifibilité.
Gc qu'il y a de §. 19. Quiconquc jette les yeux vers l'Infinité, fe fait
pofîtif , &de d'abord une idée fort étendue de la chofe à quov il l'ap-
ncganf dans 110- ,. r t- r i->. - o « /- r ■ -i
trc Idée de iiu- phque , loit Elpace ou Uureej ce peut-être le ratigue-t-il
£ui. luy- même à force de multiplier en fon Efprit cette pre-
mière Idée. Cependant , après tous ces efforts , il ne fe
trouve pas plus près d'avoir une idée pofitive &: diftinde
de ce qui refte , pour faire un Infini pofitif, que ce Païfan
en avoir de l'Eau qui devoitpafler dans le Canal d'un Fleu-
ve qu'il trouva fur fon chemin ;
* Ce pauvre fût que l'Eau du Fleuve arrête^
Porn' pouvoir à. pie'fec plus aife'ment pajfer^
Va fe mettre dans la tête
De la voir écouler.
Il attend ce moment ^ mais le Fleuve rapide
Continué afuivrefon cours y
Et lefuivra toujours.
§. 20.
"* Ru]}kii! expellat dum dfjla.n Miwis , | Labitw-, 'i^ !abetur in «mne vtlubtlis *■
at Uie I vum^
îiom.EpiJl. Lib. I. Epift. i. I
J.ue,
T)e l'Infinité. Lrv. II. 25 f
§. 20. J'ai vu quelques perfonnes qui mettent une fi Ch a v-.
grande différence entre une Durée infinie , & un Efpace XVII.
infini, qu'ils fe perfiiadent à eux-mêmes qu'ils ont une ^' y ^ ''^ 8f"s
idée pofitive de l'Eternité , mais qu'ils n'ont ni ne peu- voir"nr^c'e'
vent avoir aucune idée d'un Efpace infini. Voici, à mon poiltiyede ve.
avis , d'où vient cette erreur , c'eft que ces gens-là trou- [■^J,"'^ "°" ^"^
vant par les reflexions folides qu'ils font fur les caufes &
les effets , qu'il eft néceffaire d'admettre quelque Etre é-
ternel, oc ainfi de regarder l'exiftence réelle de cet Etre,
comme correfpondante à l'idée qu'ils ont de l'Eternité y
& d'autre part ne voyant pas qu'il foit néceiïlure , mais
jugeant au contraire qu'il eft apparemment abfurde que
le Corps foit infini, ils concluent liardiment qu'ils nefau-
roient avoir l'idée d'un Efpace infini ; parce qu'ils ne fui-
roient imaginer la Matière infinie: Conféquence fort mat
tirée , à mon avis , parce que l'exiftence de la Matière
n'eft non plus néceflaire à l'exiftence de l'Efpace , que
l'exiftence du Mouvement ou du Soleil l'eft à la Durée,,
quoy qu'on foit accoutumé de s'en fervir pour lamefurerj
& je ne doute pas qu'un homme ne puiffe auffi bien avoir
l'idée de loooo. Lieùês en quarré fans penfer à un Corps
de cette étendue, que l'idée de^ loooo. années fans fon-
ger à un Corps qui ait exifté auffi long-temps. Pour moy,.
il ne me femble pas plus mal-aifé d'avoir l'idée d'un Ef-
pace vuide de Corps ,. que de penfer à la capacité d'un
Boiffeau vuide de ble , ou au creux d'une Noix fans Cer-
neaux. Car de ce que nous avons une idée de l'Infinité
de l'Efpace, il ne s'enfuit pas plus néceffairement qu'il y
a un Corps folide infiniment étendu , qu'il eft néceffaire
que le Monde foit éternel , parce que nous avons l'idée
d'une Durée infinie. Et pourquoy , je vous prie , nous
irions-nous figurer que l'exiftence réelle de la Matière
foit néceffaire pour foûtenir nôtre Idée d'un Efpace infi-
ni , puifque nous voyons que nous avons une idée claire
d'une Durée infinie à venir, tout de même que d'une Du-
rée infinie déjà paffée, quoy qu'il' n'y ait perfonne, à ce
que je croy , qui s'imagine qu'on puiffe concevoir qu'une-
chofa.'
256 DeVInJîmte,
Ch A p. chofe exlfte ou ait exifté dans cette Durée à venir ? Car
XVII. il eft aufli inipofllble de joindre l'idée que nous avons
d'une Durée à venir à une exiftence préfente ou paflee ,
que de faire que l'idée du Jour d'hier foit la même que
celle d'aujourd'huy ou de demain , ou que d'aflémbler
des fiécles paffez & à venir , èc les rendre , pour ainfi dire,
contemporains. Mais fi ces p.erfonnes fe figurent d'avoir
des idées plus claires d'une Durée infinie, que d'unEfpa;-
ce infini , parce qu'il eft certain que D r e u a exifté de
toute éternité, au lieu qu'il n'y a point de Matière réelle
qui remplifle l'étendue de l'Efpace infini, cependant com-
me il y a des Philofophes qui croyent que l'Efpace infini
eft occupé par l'infinie omnipréfence de Dieu, tout de
même que la Durée infinie eft occupée par l'exiftence é-
ternelle de cet Etre"fuprême,il faudra qu'ils conviennent
que ces Philofophes ont une idée aufîi claire d'un Efpace
infini que d'une Durée infinie > quoy que dans l'un ou
l'autre de ces cas ils n'ayent , à mon avis , ni les uns ni les
autres aucune idée pofitive de X Infinité. Car quelque idée
pofitive de Qiiantité qu'un homme ait dans fon Efprit ,
il peut repeter cette idée , t< l'ajouter à la précédente a-
vec autant de facilité qu'il peut ajouter enfembleaulîi fou-
vent qu'il veut, les idées de deux Jours ou de deux Pas ,
qui font des idées pofitives de longueurs qu'il a dans fon
Efprit. D'où il s'enfuit que fi un homme avoit une idée
pofitive de l'Infini , foit Durée ou Efpace , il pourroit.
joindre deux Infinis cnfemble , Se même fiiire un Infini ,
infiniment plus grand que l'autre j abfurditez trop grof-
Ceres pour devoir être refutées.
S,csiacespofiti- §• 2 1. Si Cependant aprc'S tout cc quc je Viens de dite,
ves qu'on fup- il fe ttouvc des gcus gui ie perfuadent à eux-mêmes qu'ils
r°5.„'rfcau' ont des idées claires .Se pofitives de V Infinité , il eft jufte
lent des mépri- qu'ils jouifiént de ce rare privilège : 6c je fcrois bien aife ,
les fur cet arti- /^m,]}] \,\q,\\ que d'autres perfonnes que je connois , qui
confcflenr ingemiment que ces idées leur manquent) qu'ils
vouluflent me faire part de leurs découvertes fur cette ma-
nérCj car je me fuis figure jufqu'ici , que ces grandes 6c
iii-
"De V Infinité. Liv. IL 257
inexplicables difficultez qui ne ceflent d'embrouiller tous C h a p.
les difcours qu'on fait fur l'Infinité foit del'Efpace, de XVII.
la Durée, ou de la Divifibilité, étoient des preuves cer-
taines des Idées imparfaites que nous nous formons de l'In-
fini, fie de la difproportion qu'il y a entre l'Infinité 6c la
comprehenfion d'un Entendement aufiî borné que le nô-
tre. Car tandis que les hommes parlent &: difputent fin-
un Efpace infini, ou une Durée infinie , comme s'ils en
avoient une idée aufll complette &: auili pofitive, que
i\çs noms dont ils fe fervent pour les exprimer , ou de l'i-
dée qu'ils ont d'une aune , d'une heure , ou de quelque
autre Qiiantité déterminée} ce n'eft pas merveille que la
nature incomprehenfible de la chofe dont ils difcourent ,
les jette dans des embarras ôc des contradictions perpé-
tuelles, ôc que leur Efprit fe trouve accablé par un Objet
qui eft trop vafte Se trop au deffus de leur portée , pour
qu'ils puilîent l'examiner, ôc le manier, pour ainfi dire,
à leur volonté.
§. 22. Si je me fuis arrêté affez long-temps à confide-
rer la Durée, l'Efpace, le Nombre, ôc l'Infinité qi^i dé-
rive de la contemplation de ces trois chofes , ce n'a pas
été peut-être au delà de ce que la matière exigeoit -, car
il y a peu d'Idées fimples dont les Modes donnent plus
d'exercice aux penfées des hommes que celles-ci. Te ne
prétens pas , au refte , traiter de ces chofes dans toute
leur étendue > il fuffit pour mon defléin , de montrer
comment l'Efprit les reçoit, telles qu'elles font, de la
Senfatton ôc de la Re flexion , ôc comment l'idée même que
nous avons de V Infinité, quelque éloignée qu'elle paroiffe
d'aucun Objet des Sens ou d'aucune opération de l'Efprit,
ne laifle pas de tirer de là fon origine aulîi bien que
toutes nos autres idées. Peut-être fe trouvera-t-il quel-
ques Mathématiciens qui exercez à de plus fubtiles fpe-
culations, pourront introduire dans leur Efprit les idées
de l'Infinité par d'autres voyes ; mais cela n'empêche
pas , qu'eux-mêmes n'ayent eu , comme le refte des
hommes , les premières idées de l'Infinité par la Sen-
K k fation
258 De quelques autres Modes Simples.
C H A p. fation &; la Reflexion , de la manière que je viens del'ex-
XVII. pliquer.
CHAPITRE XVIII.
Cnki\ ^^ quelques autres Modes Simples.
XVIII. . r ■ .
§. I. T'A I fait voir dans les Chapitres précedens , com-
Jf ment l'Efprit ayant reçu des Idées /impies par le
moyen des Sens , s'en icrt pour s'élever jufqu'à l'idée
même de V Infinité, qui, bien qu'elle paroifTe plus éloi-
gnée d'aucune perception fenfible, que quelque autre
idée que ce foit , ne renferme pourtant rien qui ne foit
compofé d'idées fimples qui nous font venues par voye de
Senfation, &C que nous avons enfuite joint enfemble par
le moyen de cette Faculté que nous avons de repeter nos
propres Idées. Mais quoyque les exemples que j'ai don-
nez jufqu'ici , de Modes fimples , formez d'idées lîmples
qui nous font venues par les Sens , puffent fuffire pour
montrer comment l'Efprit vient à connoître ces Modes i
cependant en confideration de l'ordre, je parlerai encore
de quelques autres , mais en peu de mots ; après quoy, je
pafTerai aux Idées plus compofées.
Modes du §.2. Il ne faut qu'entendre le François pour comprcn-
Mouvcmeat. dre ce que c'eft c\uc glifier , rouler, pirouetter, ramper y
fe promener , courir , danjcr , fauter , voltiger , Se plufieurs
autres termes qu'on pourroit nommer -, car dès qu'on les
entend, on a dans l'Efprit tout autant d'idées diftinftes
de différentes modifications du Mouvement. Or les Mo-
des du Mouvement répondent à ceux de l'Etendue j car
vite Se lent font deux différentes idées du Mouvement,
dont les mefures font prifes des diftances du Temps & de
l'Efpace jointes enfemble, de forte que ce font des Idées
complexes qui comprennent Temps, & Efpace avec du
Mouvement.
ModcsdcsScns. §. ^, La mémc diverfité fe rencontre dans les Sons.
Cha-
Ve quelques autres Modes Simples. Liv. II. 259
Chaque mot articulé eft une différente modification du C h a p.
Son ; d'où il paroît qu'à la faveur de ces Modifications XVIH
l'Ame peut recevoir , par le Sens de l'Ouïe, des idées
diftinftes dans une quantité prefque infinie. Outre les
cris diftinfts qui font particuliers aux Oifeaux 5c aux au-
tres Eétes, les Sons peuvent être modifiez par le moyen
de diverfes Notes de différente étendue , jointes enfem-
ble , ce qui fait cette Idée complexe que nous nommons
\\n Air , 5c qu'un Muficien peut avoir préfente à l'Ef-
pnt, lors même qu'il n'entend ni ne forme aucun fon ,
en reflêchiffant fur les idées de ces fons qu'il affem-
ble ainfi tacitement en luy-même 6c dans fa propre ima-
gmation.
§. 4. Les Modes des Couleurs font auffifort différens. moJk de*
Il y en a quelques-uns que nous regardons fimplement ^'^'^""•
comme divers dégrez, ou pour parler en termes de l'Art,
comme des ombres d'une même Couleur. Mais parce que
nous faifons rarement des affemblages de Couleurs foit
pour l'ufage ou pour le plaifir , fans que la figure y ait
quelque part, comme dans la Peinture , dans les Ouvra-
ges de Tapifferie , de Broderie , &:c. ceux qui font le
plus connus appartiennent pour l'ordinaire aux Modes
Mixtes, parce qu'ils, font compofcz d'idées de différentes
efpéces , favoir de figure 6c de couleur, comme font la
Beauté^ VArc-en-Ciet, &cc.
§. 5. Toutes les Saveurs ér les Odeurs compofées font Modes des Sa-
aufli des Modes compofez des Idées fimples de ces deux ^"'^ ^ '^«
Sens. Mais on y fait moins de reflexion , parce qu'en ° '^""'
général on manque de noms pour les exprimer} 6c par la
même raifon il n'eft pas poffible de les défigner^n écri-
vant. C'eftpourquoy je m'en rapporte aux penfées 6c à
l'expérience de mes Lefteurs , fans m'arrêter à en faire
l'énumeration.
§. 6. Mais il eft bon de remarquer en général , que
ces Modes/impies qui ne font regardez que comme diffé-
rens dégrez de la même Idée fimple , quoy qu'il y en ait
plufieurs qui en eux-mêmes font des idées fort diftinftes
Kk 2 de
26o De quelques antres Modes Simples.
C H A p. de tout autre Mode , n'ont pourtant pas ordinairement
XVIII. des noms diftincts, fie ne font pas fort confiderez comme
des idées diftindes, lorlqu'il n'y a entr'eux qu'une très-
petite différence. De favoir fi les hommes ont négligé
de prendre connoiffance de ces Modes &: de leur donner
des noms particuliers , pour n'avoir pas des mefures pro-
pres à les diftinguer exactement > ou bien parce qu'a-
près qu'on les auroit ainfi diftinguez , cette connoif-
fance n'auroit pas été fort néceffaire ni d'un ufage géné-
ral, j'en laifle la déciilon à d'autres. 11 fuffit pour mon
deflein, que je fafle voir que toutes nos idées Hmples ne
nous viennent dans l'Efprit que par Senlation 6c par Re-
flexion, &: que, lorfqu'elles y ont été introduites, nôtre
Efprit peut les repeter 6c combiner en différentes maniè-
res , 6c faire ainll de nouvelles idées complexes. Mais
quoy que le Blauc ^ le Ronge , ou le Doux, 6cc. n'ayent
pas été modifiez , ou réduits à des Idées complexes par
différentes combinaifons qu'on ait defigné par certains
noms 6c rangé après cela en différentes Efpeces , il y a
pourtant quelques autres Idées /impies , comme VUiufe^la.
Durée , le Mouvement dont nous avons déjà parlé , la
Pmjfance ^ la Penfée ; defquelles on a forme une grande
diverfité d'Idées complexes qu'on a eu foin de diftinguer
par différens noms.
Pourquoyquci- §• /• Et voici , à ttion avis , la raifon pourquoy on en
cucsModcsoiit a ufé ainfi, c'eft que, comme le grand intérêt des hom-
j",„'r^r!!vn ^ nies roule fur la focieté qu'ils ont entr'eux , rien n'étoit
eut ps. plus néceffiire que de connoitre les hommes ^ leurs a-
d:ions, afin qu'ils puffent s'en donner l'intelligence les
uns aux autres. C'eft pour cela qu'ils ont diftingué ces
Adtions, en différentes idées , modifiées avec une extrê-
me précifion, èz qu'ils ont donné à chacune de ces idées
complexes , des noms particuliers , afin de pouvoir fe
fouvcnir plus aifement de ces chofes qui fe prefentoient
tous les jours à leur Efprit 6c de pouvoir s'en entretenir
fans recourir à de grands détours 6c à de longues circon-
locutions. Se afin qu'elles fuffcnt plus facilement 6c plus
prom-
De quelques autres Modes Simples. Liv. IL 261
promptement entendues, puis qu'ils dévoient à toute Chap.
heure en inftruire les autres 6c en être inftruits eux-mê- XVIIL
mes. Qiie les Hommes ayent eu cela en veûë , je veux
dire qu'ils ayent été principalement portez à former dif-
férentes Idées complexes y &c à leur donner des noms, par
le but général du Langage, l'un des plus prompts 6c des
plus courts moyens qu'on ait pour s'entre-communiquer
fes penfées , c'elt ce qui paroît évidemment par les noms
que les hommes ont inventez dans plufieurs Arts ou Mé-
tiers, qu'ils ont appliquez à différentes Idées complexes
de certaines Aftions compofées qui regardent leurs diffé-
rens Métiers , &: cela pour abréger lorfqu'ils en parlent ,
6c en veulent inftruire les autres : lefquelles Idées ne fe
trouvent point en général dans l'Efprit de ceux à qui ces
occupations font étrangères, de forte que les Mots qui
expriment ces Aftions-là font inconnus à la plupart des
hommes qui parlent la même Langue , comme font les
mots de *frtjjer , -f aynalgamer -, fublimation, cohobation; * Terme d'fm-
car étant employez pour défigner certaines idées com- F'iierie.
plexes qui font rarement dans l'Efprit d'autres perfonnes cinnii'i'"
que de ceux à qui elles font fuggerées de temps en temps
par leurs occupations particulières , ils ne font entendus
en général que des Imprimeurs , ou des Chymiftes , qui
ayant formé dans leur Efprit les idées complexes que ces
mots fignifîent, 6c leur ayant donné des noms ou ayant
reçu ceux que d'autres avoient déjà inventez pour les ex-
primer , ne les entendent pas plutôt prononcer par les
perfonnes de leur Métier que ces Idées fe préfentent à
leur Efprit. Ainfi , les Chymiftes à l'ouïe du terme de
Cohobatioti ont dans l'Efprit toutes les idées, limples de
Diftillation 6c le mélange qu'on fait d'une liqueur avec
la matière dont elle a été extraite pour la diftiller de nou-
veau. Nous voyons par-là qu'il y a une grande diverfité
d'Idées fimples, comme de Goûts &c d'Odeurs, qui n'ont
point de nom : 6c quantité d'autres Modes , foit qu'ils
n'ayent pas été aflez généralement remarquez , ou qu'ils
ne foient pas d'un grand ufage dans les Affaires 6c dans
Kk 3 les
202 Des Modes qui regardent la Tenfee.
Chap. les Entretiens des hommes pour mériter qu'on en prenne
XVIII. connoiflance , n'ont pas été non plus défignez par des
noms particuliers, &: ne font pas , par conféquent , re-
gardez comme différentes Efpéces. Mais j'aurai occafion
dans la fuite d'examiner plus au long cette matière, lorf-
que je viendrai à parler des Mois.
CHAPITRE XIX.
Chai». Des Modes qui regardent la Penfee.
XIX.
Divers Modes g. i. T O R S Qju E l'Efprit vicut à réfléchir fur foy-
Se[iiitio",'ia* i_> même, & à contempler fes propres a£tions ,
Rcmiiiifcence , la Penfcc cft la première chofe qui fc préîénte à luy -, &:
tion^&r"^'*' ^^ y remarque une grande variété de Modifications , qui
luy fourniflént différentes idées diftinftes. Ainfi, la per-
ception ou penfée qui accompagne actuellement les im-
prelîîons faites fur le Corps, &: y eft comme attachée,
cette perception , dis-je , étant dillin£te de toute autre
modification de la Penfee, produit dans l'Efprit une idée
diftindte de ce que nous nommons Senfaîion , qui eft ,
pour ainfi dire, l'entrée a£tuelle des Idées dans l'Enten-
dement par le moyen des Sens. Lorfque la même Idée
revient dans l'Efprit, fans que l'Objet extérieur qui l'a
d'abord fait naître, agiflé fur nos Sens, cet A£te de l'Ef-
prit fe nomme Reminifcence. Si l'Efprit tâche de la rap-
peller, 6c qu'enfin après quelques efforts il la trouve &
fêla rende préfente, c'eft Recueuillemcnt. Si l'Efprit l'en-
vifige long-temps avec attention , c'efl Contemplation.
Lorfque l'Idée que nous avons dans l'Efprit , y flotte i
pour ainfi dire , fans que l'Entendement y fade aucune
attentioiî, c'eft ce qu'on appelle i^evfn^. Lorfqu'on ré-
fléchit fur les idées qui fe préfcntent d'elles-mêmes (car
comme j'ai remarqué ailleurs , il y a toujours dans nôtre
Efprit une fuite d'Idées qui fe fucccdent les unes aux au-
tres tandis que nous veillons) 6: qu'on les enrcgître, pour
ainfi
Des Modes qui regardent la Penfe'e. L i v. II. 263
ainfi dire, dans fa Mémoire, c'eft Attention ; & lorlque Ch a p,
l'Efprit fe fixe fur une Idée avec beaucoup d'application, XIX,
qu'il la confidere de tous cotez , Se ne veut point s'en dé-
tourner malgré d'autres Idées qui viennent à la traverfe,
c'eft ce qu'on nomme Etude ou Contention d'Efprit. Le
Sommeil qui n'eft accompagné d'aucun fonge , eft une
cefTation de toutes ces chofes ; & fonger c'eft avoir des
idées dans l'Efprit pendant que les Sens extérieurs font
fermez , en forte qu'ils ne reçoivent point l'impreiîion
des Objets extérieurs avec cette vivacité qui leur eft or-
dinaire j c'eft, dis-je , avoir des idées fans qu'elles nous
foient fuggerées par aucun Objet de dehors , ou par au-
cune occafion connue , ^ fans être choifies ni détermi-
nées en aucune manière par l'Entendement. Qiiant à ce
que nous nommons Extafe , je laifie juger à d'autres fi ce
n'eft ^oint fonger les yeux ouverts.
§. 2. Voilà un petit nombre d'exemples de divers Mo-
des de penfer , que l'Ame peut obferver en elle-même, &:
dont elle peut, par conféquent, avoir des idées aufli di-
ftindes que celles qu'elle a du Blatic &c du Rouge, d'un
Cluarré eu d'un Cercle. Je ne prétens pas en faire une
énumeration complette , ni traiter au long de cette fuite
d'idées qui nous viennent par la Refc.xion. Ce fcroit la
matière d'un Volume. Il me fuffit pour le deifein que je
me propofe préfentemcnt , d'avoir montré par ce peu
d'exemples, de quelle cfpéce font ces Idées, &: comment
l'Efprit vient aies connoître j d'autant plus que j'aurai
occafion dans la fuite de parler plus au long de ce qu'on
nomme Raifonner , Juger , Vouloir , & Conno'itre , qui
tiennent un des premiers rangs parmi les Modes de peyijer y
ou Opérations de l'Efprit.
§. 3. Mais peut-être m'excufera-t-on fi je fais ici en Diffcrens dc-
paflTant quelque reflexion fur le différent état okfe trouve m^- à' m^mion
notre Ame lorfau'elle penfe. C'eft uneDigreflîon quifem- ^^"r ',^'r"^'-
11 ■ rr ^ v ^ 'ri<Y--^„ iùdqu il penis.
Die avoir aflez de rapport a notre prêtent deflein -, 6c ce
que je viens de dire de l'Attention , de la Rêverie & des
Songes, &CC. nous y conduit aflez naturellement. Qii'un
Hom-
264 Ves Modes qui regardent la Penfée.
C H A p. Homme éveillé ait toujours des idées préfentes à l'Efprir ,
XIX. quelles qu'elles foient , c'elt dequoy chacun ell convain-
cu par fa propre expérience, quoy que l'Efprit les con-
temple avec diflerens dégrez d'attention. En effet, l'Ef-
prit s'attache quelquefois à confiderer certains Objets a-
vec une fi grande application , qu'il en examine les idées
de tous cotez , en remarcjue les rapports &: lescirconftan-
ces, & en obfcrve chaque partie 11 exa£tement & avec
une telle contention qu'il écarte toute autre penfee,&ne
prend aucune connoillance des imprelllons ordinaires qui
îé font alors fur les Sens &: qui dans d'autres temps lu y
auroient communiqué des perceptions extrêmement fenfi-
blcs. Dans d'autres occafions il obferve la fuite des Idées
qui fe fuccedent dans fon Entendement , fans s'attacher
particulièrement à aucune ; & dans d'autres rencontres il
les laifle pafler fans prefque jetter la veùé deflus , comme
autant de vaines ombres qui ne font aucune imprelllon
fur lu y.
11 s'enfuit pro- §. 4. Je croy que chacun a éprouvé en foy-même cet-
babiement de (-g contention OU cc relâchement de l'Efprit lorfqu'il pen-
cft laaion & 16 5 iclon ccttc divcrlite de degrez qui le rencontre entre
lion idiéiiccde la plus forte application Se un certain état où il eft fort
' "^'^^ près de ne penfer à rien du tout. Allez un peu plus a-
vant , & vous trouverez l'Ame cians le fommeil , éloignée ,
pour ainC dire , de toute fenfation , &: à l'abri des mou-
vemens qui fe font fur les organes des Sens , & qui luy
caufent dans d'autres temps des idées 11 vives &■ fi fenfi-
bles. Je n'ai pas befoin de citer pour cela , l'exemple de
ceux qui durant les nuits les plus orageufes dorment pro-
fondément fans entendre le bruit du Tonnerre , fans voir
les éclairs ou fentir le fecoùement de la Maifon ; toutes
chofes fort fenfibles à ceux qui font éveillez. Mais dans
cet état oia l'Ame fe trouve aliénée des Sens, elle confer-
ve fouvent une manière de penfer , foible &: flins liaifoa
que nous nommons /owger; & enfin un profond fommeil
ferme entièrement la fcene, & met fin ;\ toute forte à^ap-
parenc.es. C'eil , je croy , ce que prelque tous les hom-
mes
Des Modes du Plaifi' ècc. Liv. II. 265
mes ont éprouvé en eux-mêmes , de forte que leurs pro-
pres obfervations lesconduifcnt fans peine jufques-là. 11
me refte à tirer de là une conféquence qui me paroît aflez
importante: car puifque l'Ame peut fenfiblement fe faire
dilterens dégrez de penfée en divers temps , ôc quelque-
fois fe détendre , pour ainlî dire , même dans un homme
éveille , à un tel point qu'elle n'ait que des penfécs foi-
bles ôc obfcures , qui ne font pas fort éloignées de n'être
rien du tout , & qu'enfin dans le ténébreux recueuille-
ment d'un profond fommeil , elle perd entièrement de
veûë toutes fortes d'idées quelles qu'elles foient j puis ,
dis-je , que tout cela ell: évidemment confirmé par une
confiante expérience, je demande, s'il n'eft pas fort pro-
bable, §lue la Penfée ejl fanion , dr non l'ejfence de i'A-
tne ; par la raifon que les Opérations des Agents font ca-
pables du plus & du moins , mais qu'on ne peut conce-
voir que les Eifences des chofes foient fujettes à une telle
variation. Et cela foit dit en paflant } continuons d'exa-
miner quelques autres Modes Simples.
Chap.
XIX.
CHAPITRE XX.
Des Modes du Plaijir & de la Douleur.
Chap.
XX
§. I . T^ N T R E les Idées Simples que nous recevons Le rhifir & la
Ci par voye de Senfation &: de Reflexion , celles ?°"1?5 ""'^
du Plaijîr 6c de la Douleur ne font pas des moins confide- pk,.
râbles. Comme parmi les Senfations du Corps il y en a
qui font purement indifférentes , Se d'autres qui font ac-
compagnées de plaifir ou de douleur , de même les pen-
fées de l'Efprit font ou indifférentes, ou fuivies de plaifir
ou de douleur , de fatisfaftion ou de trouble , ou comme
il vous plairra de l'appeller. On ne peut décrire ces Idées,
non plus que toutes les autres idées limples, ni donner au-
cune définition des mots dont on fe fert pour lesdéfigner.
La feule chofe qui puiffe nous les faire connoître , aufli
L l bien
2 66 Des Modes du Plaijïr
C H A p. bien que les Idées fimples des Sens , c'efl: l'Expérience.
XX. Car de les définir par la préfence du' Bien ou du Mal , c'eft
feulement nous faire refléchir , fur ce que nous fentons en
nous-mêmes , à l'occafion de diverfes opérations que le
Bien ou le Mal font fur nos Ames , félon qu'elles agif-
fenc différemment fur nous , ou que nous les confiderons
nous-mêmes.
Cequec'cftciuê §. 2. Donc Ics chofcs ne font bonnes ou mauvaifes
Mal'^" '^ ''^ ^^^ P^'' r^PPOî't 3U Plaiilr, ou à la Douleur. Nous nom-
mons Bien, tout ce qui eft propre à produire é' ^ aug-
menter le plaijir en nous , ou à diminuer cr abréger quelfjue
douleur , ou bien , k nous procurer ou confer'ver la pojfef-
fion de quelque autre Bien, ou l'abfence de quelque Mal. Au
contraire, nous appelions Mal, ce c^n cÇt. propre a pro-
-... duire ou augmenter la douleur en nous , ou a diminuer quel-
que plaifir-, ou bien, à nous eau fer quelque mal, eu à nous
priver de quelque bien. Au relie , je parle du Plaifir fie de
la Douleur du Corps & de l'Ame félon qu'on les diftin-
gue ordinairement , quoy que dans la vérité ce ne foient
que différentes conftitutions de l'Ame , qui font quel-
quefois caufées par le défordre qui arrive dans le Corps,
6c quelquefois par les penfées de l'Efprit.
Le Bien & le §. 3. Le Pldifir Sc la Douleur ,tz ce qui les produit, fa-
110s Partions en ^°"' > ^^ ^i^n &c le Mal , font les pivots fur lefquels rou-
niouvcmen:. lent toutes nos Paifions : fie 11 nous entrons en nous-mê-
mes fie que nous obfervions comment ces chofes agiflént
en nous fous differens égards , quelles modifications ou
difpolitions d'Efprit, fie, fi )'ofe ainfi parler, quelles fen-
Hitions intérieures elles produifent en nous, parla nous pour-
rons nous former à nous-mêmes des idées de nos Pallions.
Ce (]ue c'efl c]U(( §. ^. Ainfi, quiconque vicut à réfléchir fur la pcnféc
™'"''* qu'il a du plaifir , que quelque chofe préfente ou abfente
peut produire en luy,a l'idée que nous appelions Amour.
Car lorfque quelqu'un dit en Automne , quand il y a des
Raifins, ou au Printemps qu'il n'y en a point , qu'il les
aime , il ne veut dire autre chofe finon que le goût des
Raifins luy donne du phiifir. Mais fi l'altération de fa
fanté
^ de la Doiiïem\ Lrv. II. 26 f
fanté ou de (x conflitution ordinaire luy ôte le plaifir qu'il C H a p.
trouvoit à manger des Raiilns , on ne pourra plus dire de XX.
luy qu'il les aime.
§. 5. Au contraire la penfée de trillefle ou de douleur La Haine,
qu'une chofe préfente ou abfente peut produire en nous,
c'eft ce que nous appelions Hai-ae. Si c'étoit ici le lieu
de porter mes recherches au delà des lîmples idées des
Pallions, entant qu'elles dépendent des dift'érentes modi-
fications du Plaifir &: de la Douleur, je remarquerois que
l'Amour &: la Haine que nous avons pour les chofes ina-
nimées 6c infenfibles, font ordinairement fondées. fur le
plaifir de la douleur que nous recevons de leur ufage , &
de l'application qui en eft faite fur nos Sens de quelque
manière que ce foit, bien que ces chofes foient détruites
par cet ufage même. Mais la Haine ou l'Amour qui fe
rapportent à des Etres capables de bonheur ou de mal-
heur , eft fouvent un déplaifir ou un contentement que
nous fentons être produit en nous par la confideration de
leur exiftence ou du bonheur dont ils jouiiîent. Ainfi ,
l'exiftence &: la profperité de nos Enfans ou de nos Amis,
nous donnant conftamment du plaifir , nous difons que
nous les aïtnoyis conftamment. Mais il fuffit de remarquer
que nos idées à' ylnjor/r S: de Haine ne font que des difpo-
fitions de l'Ame par rapport au Plaifir & à la Douleur en
général , de quelque manière que ces difpofitions foient
produites en nous.
§. 6. * L'/«^?//Vî//^^ qu'un homme reflent en luy-mê- Le Defir.
Ll 2 me
"* Unea/meff: c'cft le mot Anglois dont
l'Autcui fe fcrt dans cet endroit & que je
rends par celui d'tiiqrà'etniie , qui n'cxpii-
me pas prc'cife'mcnt ia même idée. Mais
nous n'avons-point , à mon avis, d'au-
tre terme en François qui en approche de
plus près. Par tineafineff l'Auteur entend
ï'etat d'un homme ijtii n'ejl p.is à jon aife,
le manque (i'ailc {3 de tranquillité d.iiis
l'Jme , qui à cet e'gard eft putcment paf-
five. De (brte que (î l'on veut bien en-
trer dans la penfee de l'Auteur , il faut
ncccfiairement attacher toujours cette
idce au mot à' inquiétude lorlqu'on le
verra imprime' en Italique , car c'elt ainfi
que j'ai eu foin de l'c'ctire, toutes les fois
qu'il fe prend dans le feus que je viens
d'expliquer. Cet Avis efl; fur tout ne'ceC-
faire par rapport au chapitre fuivant, où
l'Auteur railonnc beaucoup fur cette efpé-
ce d'Inquiétude ; car fi l'on n'attachoit
pas à ce mot l'ide'c que je viens de niai-
quer, il ne feroit pas poffible de comprendre
exaélemcnt les matières, qu'on traite dans
ce chapitre, & qui (ont des plus importan-
tes & des plus délicates de tout l'Ouvrage.
268 Des Modes du Plaijïr
C H A p, me pour l'abfence d'une chofe qui luy donneroit du plai-
XX. fir fi elle étoit préfente , c'eft ce qu'on nomme Defir , qui
eft plus ou moins grand , félon que cette inquiétude eft
plus ou moins ardente. Et ici il ne fera peut-être pas in-
utile de remarquer en paiïiint , que V Inquiétude eft le prin-
cipal , pour ne pas dire le feul aiguillon qui excite l'indu-
ftrie & l'aftivité des hommes. Car quelque Bien qu'on
propofe à l'Homme , fi l'abfence de ce Bien n'eft fuivie
d'aucun déplaifir , ni d'aucune douleur &: que celui qui
en eft privé , puifle être content & à fon ailé fans le pof-
feder , il ne s'avife pas de le defirer &c moins encore de
faire des efforts pour en jouir. Il ne fent pour cette efpé-
ce de Bien qu'une pure velleïté , terme qu'on employé
pour fignifier le plus bas degré du Vcfir ^èc ce qui appro-
che le plus de cet état oîi fe trouve l'Ame à l'égard d'une
chofe qui luy eft tout-à-fait indifférente , 6c qu'elle ne
defire du tout point, lors que le déplaifir que caufe l'ab-
fence d'une chofe eft fi peu confiderable , èc fi mince ,
pour ainii dire, qu'il ne porte celui qui en eft privé, qu'à
former quelques foibles fouhaits fans s'engager en aucune
manière à fe fervir àçs moyens d'en obtenir la pofleifion.
Le Defir eft encore éteint ou rallcnti par l'opinion ou l'on
eft, que le Bien fouhaité ne peut être obtenu, à propor-
tion que V inquiétude de l'Ame eft guérie ou diminuée par
cette confideration particulière. Cette reflexion pour-
roit porter nos penfées plus loin , fi c'en étoit ici le
lieu.
La joyc. §. -j , La Joje eft un plaifir que l'Ame rcflcnt , lorfqu'el-
le conlidere la pofleifion d'un Bien préfentou futur, com-
me alfùréc} &: nous fommes en pofleifion d'un Bien , lorf-
qu'il eft de telle forte en nôtre pouvoir , que nous pou-
vons en jouir quand nous voulons. Ainfi un homme à
dcmi-mcrt rcflént de la joye lorfqu'il luy arrive du fe-
cours, avant même qu'il ait le plaifir d'en éprouver l'ef-
fet. Et un Père à qui la profperité de fes Enfans donne
de la joye, eft en pofleifion de ce Bien, aulîi long-temps
que
ér de la Douleur. Liv. II. 269
que (çs Enfans font dans cet état ; car il n'a befoin que Ch ap.
d'y pcnfer pour fentir du plaifir. XX.
§. 8. La Triftejfe eft une inquiétude de l'Ame , lorfqu'el- ^^ TriftefTe.
le penfe à un Bien perdu , dont elle auroit pu jouir plus
long-temps , ou quand elle eft tourmentée d'un mal a£tuel-
lement préfent.
§. 9. \J Efperance eft ce contentement de l'Ame que L'Efperance.
chacun trouve en fo y-même lorfqu'il penfe à la jouïflance
qu'il doit probablement avoir , d'une chofe qui eft pro-
pre à luy donner du plaifir.
§. 10. La Crainte eft une inquiétude de l'Ame ,LaCraintc,
lorfqu'elle penfe à un Mal futur qui peut nous arri-
ver.
§. II. Le Defefpoir eft la penfée qu'on a qu'un Bien Le Dcfefpoir,
ne peut être obtenu , penfée qui agit diff^éremment dans
l'Efprit des hommes , car quelquefois elle y produit
Vtnquiétude , & l'afîlidion , Se quelquefois le repos Se
l'indolence.
§. 12. La Colère eft cette inquiétude ou ce défor- La Coiere,
dre que nous reffentons après avoir reçu quelque inju-
re, Se qui eft accompagné d'un dellr préfent de nous van-
ger.
§. 13. L'Envie eft une inquiétude de l'Ame, caufée L'Envie,
par la confideration d'un Bien que nous defirons , Se qui
eft polîcdé par un autre j qui, à nôtre avis , n'auroit pas
dû l'avoir préférablement à nous.
§. 14. Comme ces deux dernières Pafîions , VEnvie Quelles Paf-
& la Colcre , ne font pas Amplement produites en elles- ''°"M^ "?"'
mêmes par Ja Douleur ou le rlailir, mais qu elles renfer- les Hommes.
ment certaines confiderations de nous-mêmes Se des au-
tres, jointes enfemble, elles ne fc rencontrent point dans
tous les Hommes , parce qu'ils n'ont pas tous cette eftime
de leur propre mérite , ou ce dellr de vangeance , qui font
partie de ces deux Paillons. Mais pour toutes les autres
qui fe terminent purement à la Douleur Se au Plaifir , je
croy qu'elles fe trouvent dans tous les hommes ; car nous
aimons 3 nous dejirons,nous nous réjouijfons , nous efperonst
Ll 3. feu-
Je Plaifir &
Douk-ur,
2 70 Des Modes du Plaijir ér de la Douleur.
Chap. feulement par rapport au Plaifu* ; au contraire c'eft uni-
XX. qucment en veùë de la Douleur que nous ha'tJJ'ons , que
nous craignons , Se que nous nous affligeons -, 6c ces Paillons
ne font excitées que par les chofes qui paroiflent être les
caufcs du Plaifir &: de la Douleur , en forte que le Plaifir
ou la Douleur s'y trouvent joints d'une manière ou d'au-
tre. Ainfi , nous étendons ordinairement nôtre haine fur
le fujet qui nous a caufé de la douleur , du moins fi c'eft
un Agent fenfible , ou volontaire , parce que la crainte
qu'il nous laille, cil: une douleur conftante. Mais nous
n'aimons pas fi conftaniment ce ejiii nous a fait du bien ,
parce que le Plaifir n'agit pas fi fôi^tement fur nous que la
Douleur , 6c parce que nous ne fomnies pas fi difpoîez à
cfperer qu'il agira une autre fois fur nous } mais cela foit
dit en paflant.
Ceque c'eft que §. 15. Je prie encore un coup mon LedVeur de remar-
quer, que i'entens toujours par Piciifir 6c Douleur , con-
tentement 6c inquiétude , non feulement un plaifir 6c une
douleur qui viennent du Corps , mais quelque efpéce de
fatisfiiclion 6c d'inqnictude que nous fentions en nous-mê-
mes , foit qu'elles procèdent de quelque Senfition , ou
de quelque Réflexion , agréable ou delagréable.
§. i6. Il faut confiderer , outre cela, que par rapport
aux Paillons, l'éloignement ou la diminution de la Don-
leur eft confideré èc agit effevStivcmcnt comme le Plailir,
6c que la privation ou la diminution d'un plaifir eft con-
fiderée 6c agit comme la douleur.
§. 17. On peut remarquer aulli , que la plupart des
Paflions font en plufieurs pcrfonnes des imprellions fur le
Corps Sz y caufcnt divers changemens. Mais comme ces
changemens ne font pas toujours fenfibles , ils ne font
point une partie néceflaire de l'Idée de chaque Paillon ,
car par exemple, la Hontes qui eft' une inmtiétude de l'A-
me , qu'on refTcnt quand on vient à confiderer qu'on a
fait quelque chofc d'indécent , ou qui peut diminuer l'e-
ftime que les autres font de nous , n'eft pas toujours ac-
compagnée de rougeur.
§. 18.
La Honte.
De la Puijfance. Liv. IL 271
§. r8. Je ne voudrois pas au refte qu'on allât s'imagi- Chap.'
ner que je donne ceci pour un Traité des Paffions. Il y XX.
en a beaucoup plus que celles que je viens dénommer, &c c« Exemple*
chacune de celles que j'ai indiquées, auroit be foin d'être ^^^l'I^"^^^-^"^*
expliquée plus au long èc d'une manière beaucoup plus mène le? idé«
exa£le. Mais ce n'eft pas mon delTein. Te n'ai propofé ^" ^^f^'oas
.... , . j^. 1^1 "ous viennent
ICI celles qu on vient de voir , que comme des exemples parSenfation&:
de Modes du Plaifir & de la Douleur , qui refultent en par Reflexion.
nous de différentes confiderations du Bien 6c du Mal.
Peut-être aurois-je pii propofer d'autres Modes de PlaiiTr
êc de Douleur plus fimples que ceux-là, comme l'inquié-
tude que caufe la faim & la foif , ôc le plaifir de manger
Se de boire qui fait cefîer ces deux premières Senfations,
la douleur qu'on fent quand on a les dents agacées, le
charme de la Mufique , le chagrin que caufe un ignorant
chicanneur , &: le plaifir que donne la converfation rai-
fonnable d'un Ami , ou une étude bien réglée qui tend à
la recherche & à la découverte de la Vérité. Alais com-
me les Paillons nous intereflent beaucoup plus, j'ai mieux
aimé prendre de là des exemples , pour faire voir com-
ment les idées que nous en avons , tirent leur origine de
la Senfation 6c de la Reflexion..
CHAPITRE XXI.
De la Pifijfance. C h a p.
XXL
§. I. T 'Esprit étant inftruit tous les jours , par le Comment nous
JL moyen des Sens, de l'altération qui arrive aux j^J''|"p^',j^^^^^^
Idées fimples , qu'il remarque dans les chofes extérieu-
res} 6c obfervant comment une chofe vient à finir 6ccefi!er
d'être , 6c comment une autre , qui n'étoit pas aupara^-
vant, commence d'exifter > reflêchiflant , d'autre part 3-
fur ce qui fe paflTe en luy-méme , &c voyant un perpétuel
changement de fes propres Idées , caufé quelquefois par
l'impreiTion des Objets extérieurs fur fes Sens , Se quel'-
qiiefoia.
272 De la Pvijfancs.
C H A p. quefois par la détermination de fon propre choix , &: con-
XXI. cluant de ces changemens qu'il a vu arriver fi conftam-
ment, qu'il y en aura , à l'avenir, de pareils dans les mê-
mes chofes, produits par de pareils Agents oc par de fem-
blables voyes , il vient à confiderer dans une chofe , la
polfibilité qu'il y a qu'une de les Idées fimples foit chan-
gée, & dans une autre, lapollibilité de produire ce chan-
gement > &:par là l'Efprit fe forme l'idée que nous nom-
mons Fmjpriice. Ainfi, nous diions, que le Feu a la puif-
lîuKC de fondre l'Or , c'eft i dire, de détruire l'union de
{es parties infenfibles , &: par confequenc fa dureté , &:
par là de le rendre fluide ;iSc que TOr a la puiflance d'être
fondu: Qiie le Soleil a la puiflance de blanchir la Cire,
èc que la Cire a la puiflance d'être blanchie par le Soleil,
qui fait que la Couleur Jaune efl: détruite, &; que la Blan-
cheur exifte à fa place. Dans ces cas &c autres femblables,
nous confiderons la Pmjpince par rapport au changement
des Idées qu'on peut appercevoir > car nous ne faurions
découvrir qu'aucune altération ait été fliite dan»^ une cho-
fe, ou que rien y ait opéré fi ce n'eft par un changement
remarquable de fes Idées fenfibles ; Se nous ne pouvons
comprendre qu'aucune altération arrive dans une chofe,
qu'en concevant un changement de quelques-unes de {es
Idées.
ruKTinceaaive §. 2. La Pw/j/T^/ïwr^ ainfi confideréc cft de dcux fortcs ,
*; pafTivc. entant qu'elle efl: capable de produire , ou de recevoir
quelque changement. L'une peut être appel loe Puif-
fance Acîi'i}e , Se l'autre Piiijpince Pajfive. De favoir Si la
Matière n'efl pas entièrement defl:ituée de Puiffance a^i-
ve i tout ainfi que Dieu, qui l'a créée, efl: fans doute
au defllis de toutcPuiJ^dnce paffive ,^Si les Efprits créez ,
qui tiennent comme le milieu entre la Matière ôc cet Etre
fuprêmc , ne font pas les feuls qui foient capables de la
Pinjfance a£îive Se pnjfive ^ c'efl. une chofe qui meriteroic
afléz d'être examinée. Je ne toucherai pourtant pas à cet-
te Qiieftion ; car mon deflein n'efl pas à prcfent de cher-
cher l'origine de la Pmjfance , mais de voir comment nous M j
ve-
De la Pui(Jance. Liv. II. 273
venons à en acquérir l'idée. Cependant , comme les C h a p.
Puiffances avives font une grande partie des Idées com- XXI.
plcxes que nous nous formons des Subftances naturelles ,
(^ainfi que nous verrons dans la fuite} & que je les propo-
le comme telles, pour m'accommoder aux notions qu'on
en a communément , quoy qu'elles ne foient peut-être
pas des Pjiiffances afîivcs auili certainement que nôtre
Efprit décifif eft prompt à fe le figurer, je croy qu'il n'eft
pas mal à propos , pour cela même , de porter nos pen-
fées à la conlîderation de D i e u oc des Efprits, afin d'a-
voir une idée plus claire de ce qu'on nomme Pmjjance
aEîive.
§. 3. J'avoiië que la Puiffance renferme en foy quel- Li PuiiTance
que efpéce de relation à l'adtion , ou au changement : & '^u"/7e^t^ou"^''
dans le fonds à examiner les chofes avec foin , quelle idée
avons-nous, de quelque forte qu'elle foit, qui n'enferme
quelque relation ? Nos Idées de l'Etendue, delà Durée
ôc du Nombre , ne contiennent-elles pas toutes en elles-
mêmes un fecret rapport de parties ? La même chofe fe
remarque d'une manière encore plus vifible dans la Figu-
re &: le Mouvement. Et les Qiialitez fenfibles, comme
les Couleurs , les Odeurs , ficc. que font-elles que des
Pmjfances de diiférens Corps par rapport à nôtre Percep-
tion , &c .' Qiie fi l'on les confidere dans les chofes mê-
mes, ne dépendent-elles pas de la grofleur, de la figure,
de la contexture, & du mouvement des parties, ce qui
met une efpece de rapport entre elles ^ Ainfi , nôtre Idée
de la Pniffance peut fort bien être placée , à mon avis ,
parmi les autres Idées fimples , & être confiderée comme
de la même efpéce > puifqu'cUe eft une de celles fur qui
nos Idées complexes des Subftances , font principale-
ment fondées , comme nous aurons occafion de le faire
voir dans la fuite.
§. 4. Il n'y a prefque point d'Efpéce d'Etres fenfibles, lapius dairc
qui ne nous fournifle amplement l'idée de la Piti(rance^r'^'^^'^^\^'^'^'
fajjive -, car nous ne laurions éviter de remarquer dans la nous vient Je
plupart, que leurs Qiialitez fenfibles ôc leurs Subftances '"^'F"-
M m mê-
2 74 ^^ ^^ Puiffance.
C H A p. mêmes font dans un JIux continuel j Se par conféquent
XXI. c'eit avec raifon que nous regardons ces Etres comme
encore l'iiiets au même changement. Nous n'avons pas
moins d'exemples de la Puiffance a[îive , qui eft ce que
le mot de Piiiffûnce emporte plus proprement ; car quel-
que changement qu'on oblerve, l'Efprit en doit conclur-
re qu'il y a, quelque part, une Puiflance capable de fai-
re ce changement , aulli bien qu'une difpolition dans la
chofe même à le recevoir. Cependant , fi nous y prenons
bien garde , les Corps ne nous fourniflent pas , par le
moyen des Sens , une idée fi claire &: fi diftinde de la
Piiijfânce active , que celle que nous en avons par les re-
flexions que nous faifons fur les opérations de notre Ef-
prit. Car comme toute Puiflance a du rapport à l'Aftion,
& qu'il n'y a, je croy , que deux fortes d'Aftions dont
nous ayions d'idée , fa voir P enfer &c Mouvoir , voyons
d'où nous avons l'idée la plus diftinfte des Pui/^ances qui
produifent ces Adions. I. Pour ce qui efl: de la Penfâi
le Corps ne nous en donne aucune idée ; & ce n'efl que
par le moyen de la Reflexion que nous l'avons. II. Nous
n'avons pas non plus , par le moyen du Corps , aucune
idée du commencement du Mouvement. Un Corps en
repos ne nous fournit aucune idée d'une Puiff^ance aBive
capable de produire du Mouvement } 6c quand le Corps
luy-même eft en mouvement , ce mouvement eft dans le
Corps une Paflîon plutôt qu'une Aftion } car loifqu'u-
ne boule de billard cède au choc duBùton, ce n'eft point
une action de la boule, mais une fimplc paflion. De mê-
me , lorfqu'elle vient à poulVcr une autre boule qui fe
trouve fur fon chemin ^ 8c la met en mouvement, elle ne
fait que luy communiquer le mouvement qu'elle avoir
reçu, fie en perd tout autant que l'autre en reçoit -, ce qui
ne nous donne qu'une idée fort obfcure d'une Puiffance
cMive de mouvoir qui foit dans le Corps, tandis que
nous ne voyons autre chofe finon que le Corps transfère
le mouvement , mais fans le produire en aucune manière.
C'eftjdis-jejuncidée bien obfcure de la Puiflance que cel-
le
De la Pmjfance. Liv. II. 275
Te qui ne s'étend point jufqu'à la produiStion de l' Aftion , C h a p.
mais eil une fîmple continuation de Palîion. Or tel eft XXI.
le Mouvement dans un Corps poufle par un autre Corps ,
car la continuation du changement qui eft produit en luy
du repos au mouvement n'ell pas plutôt une a£tion , que
la continuation du changement de figure qui eft produit
en luy par l'imprefTion du même coup. Qiiant à l'idée
du commencement du Mouvement , nous ne l'avons que
par le moyen de la reflexion que nous fliifons fur ce qui
fe pafle en nous-mêmes , lorfque nous voyons par expé-
rience qu'en voulant Amplement mouvoir des parties de
nôtre Corps , qui étoient auparavant en repos , nous pou-
vons les mouvoir. De forte qu'il me femble que l'obfer-
vation que nous faifons par nos Sens fur l'opération des
Corps, n'eft qu'une idée fort imparfaite & fort obfcure
d'une Pnijfance aSive ; puifque les Corps ne fauroient
nous fournir aucune idée en eux-mêmes de la puiiïànce
de commencer aucune action , foit penfée , ou mouve-
ment. Que fi quelqu'un penfe avoir une idée claire de
la Pitijpifjce , par le moyen de l'impulfion qu'il obferve
que les Corps reçoivent les uns des autres , cela fert éga-
lement à mon deflein ; puifque la Senfation eft une des
voyes par où l'Efprit vient à s'en former l'idée. Du re-
fte, j'ai crû qu'il étoit important d'examiner ici en paf-
. faut, 11 l'Efprit ne reçoit point une idée plus claire &: plus
diftinde de la Ptnffance aBive par la reflexion qu'il
fait fur (ts propres opérations , que par aucune fenfation
extérieure.
§. 5 . Une chofe qui du moins eft évidente , à mon a- La Voiomc' &
vis , c'eft que nous trouvons en nous-mêmes la puiflance ''E'"end<--menc
j j 1 • 'ont deux Puif-
de commencer ou de ne pas commencer, de contmuerou fances.
de terminer plufieurs actions de nôtre Ame &: plufieurs
mouvemens de nôtre Corps , 6c cela fimplement par une
penfée ou un choix de nôtre Efprit , qui détermine &
commande, pour ainfi dire , que telle ou telle aftion par-
ticulière foit faite , ou ne foit pas faite. Cette Puiflance
que nôtre Efprit a de difpofer ainfi de la préfence ou de
Mm 2 l'ab-
276 De la Puijpaîice.
C H A p. l'abfence d'une idée particulière , ou de préférer le mou-
XXI. vement de quelque partie du Corps au repos de cette mê-
me partie, ou de faire le contraire, c'eft ce que nous ap-
pelions Volonté. Et l'ufage aftuel que nous faifons de
cette Puiflance, en produifant ou ceflant de produire tel-
le ou telle a£tion , c'efl: ce qu'on nomme VoUrion. La
celTation ou la production de l'adion qui fuit d'un
tel commandement de l'Ame , s'appelle volontaire -, &
toute a£tion qui cil faite fans une telle direftion de l'A-
me , fe nomme involontaire. La PuilTance d'appcrcevoir
eft ce que nous appelions Entetidement -, &c la Perception
que nous regardons comme un A£te de l'Entendement eft
de trois fortes, i. 11 y a la Perception des Idées dans
nôtre Efprit. 2. La Perception de la fignification des
Signes. 3. La Perception de la liaifon ou oppofition ,de
la convenance ou difconvenance qu'il y a entre quelqu'u-
ne de nos Idées. Toutes ces différentes Perceptions font
attribuées à l'Entendement ou à la PuilTance d'apperce-
voir que nous fentons en nous-mêmes, quoy quel'Ufage
ne nous permette pas d'appliquer le mot d'entendre qu'aux
deux dernières feulement.
§. 6. Ces Puiflances que l'Ame a d'appercevoir, &de
préférer une chofe à une autre , font ordinairement déli-
gnées par d'autres nomsi Se Ton dit communément, que
l'Entendement &: la Volonté font deux Facnltesi de l'A-
me > terme aflez commode, fi l'on s'en fervoit, comme
on devroit fe fervir de tous les mots , en prenant garde
qu'ils ne fiffent naître aucune confufion dans les penfécs
des hommes, comme je foupçonne qu'on a fait dans cette
rencontre, en fuppofant que V Entendement Se la Volonté
fignifient quelques Etres réels dans l'Ame qui produifent
les a£les d'entendre &c de vouloir. Car lorfque nous di-
fons que la Volonté efl cette l'acuité fupe'rieure de VArne
qui régie ér" ordonne toutes chofcs , qu'elle efl ou n'ejl pas
libre , qu'elle détermine les Facultez inférieures , quelle
fuit le didamcn de ^Entendement , é^c. quoy que ces
exprelUons fie autres fcmblables puiflent être entendues
en
De la Pîtijjfancè. Liv. IL 277
en un fens clair &: dillin£t par ceux qui examinent avec C 11 a p.
attention leurs propres Idées, ^ règlent plutôt leurs pen- XXI.
iees fur l'évidence des chofes que fur le fon des mots; je
crains pourtant que cette manière de parler des Facultez
de l'Ame, n'ait fait venir àpluficursperfonnes l'idée con-
fufe d'autant d'Agents qui exiflent diftindlement en nous ,
qui ont différentes fondions & différens pouvoirs , Se qui
commandent, obeifîent , Se exécutent diverfes chofes,
comme autant d'Etres dillinfts ; ce qui a caufé quantité
de vaines difputes , de difcours obfcurs Se pleins d'incer-
titude fur les Qiiellions qui fe rapportent à cqs différens
Pouvoirs de l'Ame.
§. 7. Chacun, je penfe, trouve en foy-même la Puif. Doùnousvien-
fance de commencer différentes actions, ou de s'en abfte- '!^".' '" î^^«
nir, de les- continuer ou de les terminer. Et c'eft lacon- delà nilsfue.
fideration de l'étendue de cette Ptiijfance que l'Ame a fur
les Actions de l'Homme, Se que chacun trouve en foy-
même , qui nous fournit l'idée de la Liberté Se de la
NéceJJité.
§. 8. Toutes les Aftions dont nous avons quelque i- Ceoucc'cftque
dée , fe reduifent à ces deux , mouvoir , èc penjer , com- '^ ^'^"''^■
me nous l'avons déjà remarqué. Tant qu'un Homme a
la puilîance de penfer ou de ne pas penfer, de mouvoir
ou de ne pas mouvoir, conformément à la préférence ou
au choix de fon propre Efprit , jufque-là il eft Libre. Au
contraire , lorfqu'il n'eft pas également au pouvoir de
l'Homme d'agir ou de ne pas agir, tant que l'un Se l'au-
tre ne dépend pas également de la préférence de fon Ef-
prit, à cet égard l'Homme n'eft point Libre; quoy que
peut-être l'aftion qu'il fait , foit 'volontaire. De forte
que l'idée de la Liberté eft l'idée d'une Puiffance dans un
certain Agent de faire ou de s'abftenir de faire une certai-
ne aîtion , conformément à la détermination de fon Ef-
prit en vertu de laquelle il préfère l'une à l'autre. Mais
lorfque l'Agent n'a pas le pouvoir de faire l'une de ces
deux chofes en conféqucnce de la détermination aftuelle
de fa Volonté , que je nomme autrement volition 3 il n'y
M m 3 a
2/8 De la Ptiijfance.
C H A p. a plus de Liberté , Se l'Agent eft nécefiîté à cet égard.
XXI. D'où il s'enfuit que là où il n'y a ni penfce , ni voli-
tion-, ni volûfjte, il ne peut y avoir de L/^fr//; mais que
la penfée, la "volonté 6c la "jolition peuvent fe trouver où
il n'y a point de Liberté. 11 ne faut que faire un peu de
reflexion fur un ou deux exemples familiers, pour en être
convaincu d'une manière évidente.
laLibrrtc fup- §. 9. Perfounc ne s'cft encorc avifé de prendre pout
pofe lEmendc- ^j^ Agent Libre une Balle , foit qu'elle foit en mouve-
ment & la Vo- ^ ^ ■ ' ' rr r , %
lontc. ment après avoir ete pouliee par une raquette, ou qu el-
le foit en repos, Si nous en cherchons la raifon, nous
trouverons que c'eft parce que nous ne concevons pas
qu'une Balle penfe, ni qu'elle ait , par conféquent, au-
cune volition qui lu y fafle préférer le mouvement au re-
pos , ou le repos au mouvement. D'où nous concluons
qu'elle n'a point de Liberté , qu'elle n'eft pas un Agent
Libre -, c'eftpourquoy nous regardons fon mouvement 5c
fon repos fous l'idée d'une chofe nécejfairCi Se nous l'ap-
pelions ainfi. De même , un Homme venant à tomber
dans l'Eau, parce qu'un Pont fur lequel il marchoit,s'eft
rompu fous luy , n'a point de liberté &: n'eft pas un Agent
libre à cet égard. Car quoy qu'il ait la volition , c'eft à
dire qu'il préfère de ne pas tomber à tomber , cependant
comme il n'eft pas en fa puiffance d'empêcher ce mouve-
ment , la ceflation de ce mouvement ne fuit pas fa voli'
non -y c'eftpourquoy il n'eft point libre dans ce cas-là. Il
en eft de même d'un homme qui fe frappe luy-méme ou
qui frappe fon Ami, par un mouvement convulfif defon
Bras, qu'il n'eft pas en fon pouvoir d'empêcher ou d'ar-
.rêter par la direftion de fon Efprit > perfonne ne s'avife
de penfer qu'un tel homme foit libre à cet égard , mais
on le plaint comme agiflanç par néceflîté èc par con-
trainte.
La Liberté n'jp- §• lo. Auttc exemple : Suppofons qu'on portc Un Hom-
partient pas à la nie , pendant qu'il eft dans un profond fommcil, dansu-
voiition. j^g Chambre où il y ait une perfonne qu'il luy tarde fort
de voir & d'entretenir, 6c que l'on ferme à clef la porte
fur
De la Piiijfance. Liv. IL 279
fur luy , en forte qu'il ne foit pas en fon pouvoir de for- C h a p.
tir. Cet homme s'éveille , £c eft charmé de fe trouver XXI.
avec une perfonne dont il fouhaitoit fi fort la compagnie,
Se avec qui il demeure avec plaifir, aimant mieux être là
avec elle dans cette Chambre que d'en fortir pour aller
ailleurs : je demande s'il ne refte pas volontairement dans
ce Lieu-là ? Je ne penfe pas que perfonne s'avife d'en
douter. Cependant, comme cet homme eft enfermé à
clef, il eft évident qu'il n'eft pas en liberté de ne pas de-
meurer dans cette Chambre, Se d'en fortir s'il veut. Et
par conséquent ,. la Liberté n'ejl pas une idée qui appar-
tienne à la voUticn , ou à la préférence que nôtre Ëfprit
donne à une aftion plutôt qu'à une autre , mais à la Per-
fonne qui a la puiiTance d'agir ou de s'empêcher d'agir,
félon que fon Efprit fe déterminera à l'un ou à l'autre de
ces deux partis. Nôtre Idée de la Liberté s'étend aulîi
loin que cette Puiflance , mais elle ne va point au delà.
Car toutes les fois que quelque obftacle arrête cette Puif-
fance , &: que quelque force vient à détruire cette indif-
férence d'agir ou de n'agir pas, il n'y a plus de Liberté ,
& la notion que nous en avons , difparoit tout auiîi-
tôt.
§. II. C'eft dequoy nous avons allez d'exemples dans
nôtre propre Corps , &: fouvent plus que nous ne vou-
drions. Le Cœur d'un homme bat, vS: fon fang circule,
fans qu'il foit en fon pouvoir de l'empêcher par aucune
penfee ou volition particulière > il n'eft donc pas un Agent
libre par rapport à ces mouvemens dont la ceflation ne
dépend pas de fon choix ôc ne fuit point la détermination
de fon Efprit. Des mouvemens convulfifs agitent fes
jambes , de forte que , quoy qu'il vetiifle en arrêter le
mouvement , il ne peut le faire par aucune puiflance de
fon Efprit , mais eft contraint de danfer incefl!amment ,
comme il arrive dans la maladie qu'on nomme Chorea
SanEît Viti ; il eft vifible qu'il n'eft pas en liberté à cet é-
gard, mais qu'au contraire il eft dans une auiîi grande né-
cefllté de fe mouvoir, qu'une pierre qui tombe, ou une
Bal-
2 8o Delà Ptnjfance.
C H A p. Balle pouflee par une Raquette. D'un autre côté , la Para-
XXI. lyfie empêche que fes Jambes n'obeiflent à la détermina-
tion de Ton Efprit , s'il veut s'en fervir pour porter fon
Corps dans un autre Lieu. La Liberté manque dans tous
ces cas., quoy que dans un Paralytique même ce foit une
choie volontaire de demeurer allls , tandis qu'il préfère
d'être affis à changer de place. J^olontatre n'cft donc pas
oppofé à Nécej[airc , mais à Involontaire ; car un homme
peut préférer ce qu'il veut faire , à ce qu'il n'a pas U
puiflancc de faire j il peut préférer l'état oîi il eft, àl'ab-
ience ou au changement de cet état , quoy que dans le
fonds la nécefilte l'ait réduit à ne pouvoir changer.
Cequec'cfl: §■ i^- Il en cfl dcs pcnfée* de l'Efprit commc des
.^iielaLiberti:. mouvemens du Corps. Lorfqu'une peniée eft te' le que
nous avons la puifTance de l'éloigner ou de la conferver,
conformément à la préférence de nôtre Efprit , nous fom-
mes en liberté à cet égard. Un homme éveillé étant dans
la néceiîlté d'avoir conftamment quelques idées dansl'Ef-
prit 5 n'eft non plus libre de penlér ou de ne pas pcnfer,
qu'il eft en liberté d'empêcher ou de ne pas empêcher que
fon Corps touche ou ne touche point aucun autre Corps.
Mais de tranfporter fes penfées d'une idée à l'autre, c'eft
ce qui eft fouvent en fa difpofition -, &: en ce cas-là , il
eft autant en liberté par rapport à (es Idées, qu'il y eft
par rapport aux Corps fur lefquels il s'appuye , pouvant
îé tranfporter de l'un fur l'autre comme il luy vient en
fantaifie. Il y a pourtant des Idées, qui comme certains
Mouvemens du Corps , font tellement fixées dans l'Ef-
prit, que dans certaines circonftances on ne peut les éloi-
gner quelque eftbrt qu'on fafle pour cela. Un homme a
la torture n'eft'pas en liberté de n'avoir pas l'idée de la
douleur &c de l'éloigner en s'attachant à d'autres contem-
plations; èc quelquefois une violente paflîon agit fur nô-
tre Efprit, comme le vent le plus furieux agit fur nos
Corps , fins nous laifler la liberté de pcnfer à d'autres
chofes auxquelles nous aimerions bien mieux pcnfer. Mais
lorfque l'Eiprit reprend la puifl'ance d'arrêter ou de con-
tinuer j
De la Puijfance. Liv. IL 281
tinuer j de commencer ou d'éloigner quelqu'un des mou- C h a p.
vemens du Corps ou quelqu'une de fes propres penfccs , XXI.
félon qu'il juge à propos de préférer l'un à l'autre , dès-
lors nous le confiderons comme un Agent libre.
§. 13. La Nécejjiîé -x lieu par tout où la penfée n'a au- Ce q-^e c'eft que
cune part, ou bien la puiflance d'agir ou de n'agir pas ^ *"" "'^'
ielon la direction particulière de l'Efprit. Et lorfq\ie cet-
te nécefllté fe trouve dans un Agent capable de volUion ,
&: que le commencement ou la continuation de quelque
Aftion eft contraire à cette Préférence de fon Efprit , je
la nomme Contrainte , 6c lorfque l'empêchement ou la
celîation d'une Action , eft contraire à la volitwîi de cet
Agent , qu'on me permette de l'appellcr * Cvhibitïon.
Quant aux Agents qui n'ont abfolument ni penfée ni vo-
Ittion , ce font des Agents néceffaires à tous égards.
§. 14. Si cela eft ainll , comme je le croy j qu'on voye, ta Liberté
fi, en prenant la chofe de cette manière, l'on ne pourroit "'•'PP""f"f,ras
point terminer la Qiieition agitée depuis li long-temps ,
mais qui eft, à mon avis, fort deraifonnable, puifqu'el-
le eft inintelligible. Si la volonté de l'homme eft libre , 011,
non. Car de ce que je viens de dire , il s'enfuit nettement,
fi je ne me trompe, que cette Queftion confiderée en elle-
même, eft très-mal conçue, &: que demander à un hom»
me jîfa volonté eft libre ^ c'eft tomber dans une aufli gran-
de abfurditè , que de luy dcmcLndcr Jî fon fommeil eji ra-
pide ^ ou fa vertu quarree ; parce que la Liberté peut ê-
tre aulîi peu appliquée à la Volonté, que la rapidité du
mouvement au fommeil , ou la figure quarrée à la vertu.
Tout le monde voit l'abfurdité de ces deux dernières Qiie-
ftions, èc qui les entendroit propofer ferieufement , ne
pourroit s'empêcher d'en rire; parce que chacun voit fins
peine , que les modifications du Mouvement n'appartien-
nent point au fommeil , ni la difterence de figure à la Ver-
Nn tu.
* Ce mot n'cft pas Fratiiçois , mais je ] Jaiis Ibii Dictionnaire Laiin & François n'a
m'en fers faute d'autre, car, il je ne me I pu bien expliijner le terme latin cohibttioy
iroinpe, nou5 n'en avons aucun pour ex- | que par cette pcriphrare, r.-/iii<)a^'fHjf)«i!'>'
primer cette idée. En effet , le P. TitdniTt ' ipim ne f.tjj'e ijmli/ae chofe.
282 De la PuiJIdTice.
C H A p. tu. Je croy de même j que quiconque voudra examiner
XXI. la chofe avec foui , verra tout auflî clairement, que la Li-
berté qui n'eft qu'une Puiflance , appartient uniquement
à des Agents, &: ne fauroit être un attributouune modi-
fication de la Folonîi' ) qui n'elt elle-même rien autre ckofe
qu'une Pui(Tl:nce.
Dc!ar»/<(.w. §.15- La difficulté d'exprimer par des fons les Aftions
intérieures de l'Lfprit , pour en donner par là des Idées
claires aux autres , eft il grande , que je dois avertir ici
mon Lecteur , que les mots ordonner , diriger , choijïr ,
préférer, &c. dont je me fuis fervi dans cette rencontre ,
n'expriment pas allez diftinftement ce qu'on entend par
volition , à moins que chacun ne retlêchifîé fur ce qu'il
fait luy-même , quand il veut. Par exemple , le mot de
préférence qui femble peut-être le plus propre à exprimer
l'afte de la voUtion , ne l'exprime pourtant pas precifé-
ment -, car quoy qu'un homme préférai de voler à mar-
cher, cependant qui peut dire qu'il l'emlle jamais voler ?
La Volition eft viiiblement un Acîe de l'Efprit faifant pa-
roître avec connoifUnce lempire qu'il fuppofe avoir Jur queU
mie partie de V Homme pour l'appliquer i quelque aâion par-
ticulière, on pour l'en détourner. Et qu'eft-ce que la f^o-
lonté finon la Faculté de produire cet Ade? Or cette Fa-
culté, qu'eft-elle dans le fonds autre chofe , que la Puif-
fance que l'Efprit a de déterminer fes penfees à la produ-
ftion , à la continuation ou à la cedation d'une Action ,
autant qu'il dépend de nous ? Car peut-on nier que tout
Agent qui a la puiflance de penfer à fes propres actions ,
éc^de préférer l'exécution d'une chofe à l'omilïïon de cet-
te chofe , ou au contraire , peut-on nier qu'un tel Agent
n'ait la Faculté qu'on nomme Volontés Soit donc conclu
que la Volonté n'elt autre chofe que cette puiflance. La
Liberté ià'm\.ïç. part, elt la puiflance qu'un Homme a de
faire ou de ne pas faire quelque Adion particulière, con-
formément à la préférence aftucUe que nôtre Efprit a don-
née à l'adion ou à la ceflation de l'action, ce qui efl: autant
que fi l'on dibitj conformément à ce qu'il i;e«/^ luy-même.
§. 16.
De la Pmjpince. Liv. II. 283
§. 16. II eft donc évident , que la ^/<?«//n'e{l: autre ChAk
chofe qu'une PuifTance ou Faculté, &: que la Liberté ell XXI.
une autre Puiflance ou Faculté ; de forte que demander ^^ Pu'i'ancc
fi la Volonté a de la Liberté, c'eft demander fi unePuif- "c^A^^'t
fance a une autre Puiflance, 6c fi une Faculté a une autre §«'"•
Faculté : Qiiefticn qui paroît , dès la première veûë , trop
groflierement abfiirde, pour devoir être agitée , ou avoir
befoin de réponfe. Car qui ne voit que les Pnijfan ces n'ap-
partiennent qu'à des Agents ,&: font tniiqnement des Attri^
buts des Subjtances (y- nullement de quelque autre Pjiijf/rnee?
De forte que de pofer ainfi la Queftion , La Volonté eff-
elle libre ? c'eft demander en eft^et , fi la Volonté cû une
Subftance, êc un Agent proprement dit, ou du moins
c'eft le fuppofer réellement ; puifque ce n'eft qu'à un A-
gent que la Liberté peut être proprement attribuée. Que
fi l'on peut appliquer la Liberté à quelque Puiflance, fans
parler improprement , on pourra l'attribuer à la puiflance
que l'Homme a de produire ou de s'empêcher de produi-
re du mouvement dans les parties de fon Corps, par choix
ou par préférence ; ce qui fait qu'on le nomme Libre &t
qui eft la Lî/'^r/^/ même. Mais fi quelqu'un s'avifoit de
demander, Jî la Liberté ejt libre , on le regarderoit fans
doute comme un homme qui ne fait luy-même ce qu'il
ditj 6c on le jugeroit digne d'avoir des oreilles femblables
à celles du R.oy Midas, qui fâchant que la pofléflion des
Richeflés donne à un homme la dénomination de Riche ,
demanderoit fi les Richeflés elles-mêmes font riches.
§. 17. Qiioy que le nom de Faculté c^wq les Hommes
ont donné à cette Puifllince qu'on appelle Volonté ^ Se qui
les a conduit à parler de la Volonté comme d'un fujet a-
giflTant, puiflfe un peu fervir à pallier cette abfurditéj à ïà
faveur d'une adaptation qui en déguife le véritable fens ,
il eft pourtant vray que dans le fonds la Volonté ne figm-
fie autre chofe qu'une puifl!ance , ou capacité de préférer
ou choifir ; £c par conféquent , (i fous le nom de faculté
l'on la regarde fimplement comme une capacité de faire
quelque chofe, ainfi qu'elle eft eftectivement , on verra
Nn 2 fans
284 De la Pmjfance.
C H A p. fans peine combien il eft abfurde de dire qu'elle eft , oit
XXI. n'eft pas libre. Car s'il peut être raifonnable de fuppofer
les Facultez comme autant d'Etres diftinfts qui puiffent
agir, Se d'en parler fous cette idée , comme nous avons
accoutumé de faire , lorfque nous difons que la Volonté
ordonne, que la Volonté eft libre, crc. il faut que nous
établirons aulîi une Faculté parlante , une Faculté mar-
chante ■> fie une Faculté danjante ■, par lefquelles foient pro-
duites les a£tions de parler , de marcher , &: de danfer ,
qui ne font que différentes Modifications du Mouvement,
tout de même que nous faifons de la Volonté &: de l'En-
tendement des Facultez par qui font produites les a£tions
de choifir &: d'appercevoir qui ne font que différens Mo-
des de la Penfee. De forte que nous parlons aulli propre-
ment en difant , que c'elt la Faculté chantante qui chante,
fie la Faculté danjante quidanfe,que lors que nous difons,
que c'ejl la Volonté qui choifit , ou l' Entendement qui con-
çoit ^ ou, comme on a accoutumé de s'exprimer , que la
Volonté dirige l'Entendement , ou que r Entendement obéît
ou yi^ obéit pas à la Volonté. Car qui diroit , que la puif-
fance de paVler dirige la puiflance de chanter , ou que la
puiflance de chanter obéit ou défobeit à la puiflance de
parler , s'exprimeroit d'une manière aufll propre &c aulîi'
intelligible.
§. 18. Cependant cette façon de parler a prévalu , oc
caufé, fi je ne me trompe , bien du defordrej car toutes
ces chofes n'étant que diflérentes Puiflances , dans l'Ef-
prit , ou dans l'Homme , de faire diverfes Actions , l'Hom-
me les met en œuvre félon qu'il le juge à propos. Mais la
puiflance de faire une certaine A£tion , n'opère point fur.
la puifllance de faire une autre Action -, car la puiflance de
penfer n'opère non plus fur la puiflance de choifir , ni la
puiflance de choifir fur celle de penfer , que la puiflance
de danfer opère fur la puiflance de chanter, ou la puif-
fance de chanter fur celle de danfer , comme tout hom-
me qui voudra y faire reflexion , le reconnoîtra fans pei-
ne. C'eft poLU-tant là ce qiie nous difons , lorfque nous
nous
Delà Puijfance. Liv. II. 285
nous fbrvons de ces façons de parler , La Volonté agit fur C h a p.
V Entendement , ou f Entendement fur la Volonté. XXI.
§. 19. Je conviens que telle ou telle Penfée actuelle
peut donner lieu à la Volnion , ou pour parler plus nette-
ment , fournir à l'homme une occalion d'exercer la puif-
fance qu'il a de choifir ; Se d'autre part , le choix aftuel-
de l'Efprit peut être caufe qu'il penle a£tuellement à telle
ou à telle chofe , de même que de chanter aftuellement
un certain Air peut être l'occalion de danfer une telle Dan-
fe , 6c qu'une certaine Danfe peut être l'occafion de chan-
ter un tel Air. Mais en tout cela ce n'eft pas une Puilîan-
ce qui agit fur l'autre , mais c'eft l'Efprit ou l'Homme
qui met en œuvre ces différentes Puiffancesj car les Puif-
fances font des Relations Se non des Agents. C'eft celui
qui fait l'Aftion qui a la puiffance ou la capacité d'agir.
Et par conféquent , ce qui a , ou qui n'a pas ta puiffance
d'agir i c'ejl cela [eut qui eji ou qui n'eji pas libre , èc non
la Puiflance elle-même > car la Liberté ou l'abfence de la.
Liberté ne peut appartenir qu'à ce qui a , ou n'a pas k'
puiflance d'agir.
§. 20. L'erreur qui a fait attribuer aux Facultez ce La Libcrtc'n'ap-
qui ne leur appartient pas , a donné lieu à cette' façon de p^""^"' P*^ à h
parler ; mais la coutume qu on a pris en dilcourant de
l'Efprit , de parler de {es différentes opérations fous le
nom de faculté y cette coutume, dis-je, a , je croy , auflr
peu contribué à nous avancer dans la connoiffance de cet--
te partie de nous-mêmes, que le grand ufige qu'on a fait
des Facultés , pour defigner les opérations du Corps , a
fervi à nous perfectionner dans la connoiffance de la Mé-
decine. Je ne nie pourtant pas qu'il n'y ait des Facultez
dans le Corps &: dans l'Efprit. Ils ont , l'un & l'autre ,
leurs Puiflances d'opérer > autrement , ils ne pourroienc
opérer ni l'un ni l'autre ; car rien ne peut opérer , qui
n'eft pas capable d'opérer , & ce qui n'a pas la puiffance
d'opérer , n'eft pas capable d'opérer. Tout cela eft in-
Gonteftable. Je ne nie pas non plus que ces mots & autres
femblables ne doivent avoir lieu dans l'ufage ordinaire des
Nn 3 Lan-
2 86 Ve la PuijJ'ance.
Chap. Langues, où ils font communément reçus. Ce fe'roif iirtê
XXI. trop grande afteftation de les rejetter ablblument. La
Philofophie elle-même peut s'en fervir ; car quoy qu'elle
ne s'accommode pas d'une parure extravagante, cepen-
dant quand elle fe montre en public , elle doit avoir la
complaifance de paroître ornée à la mode du Pais, je veux
dire fe fervir des termes ulltez , autant que la vérité &: la
clarté le peuvent permettre. Mais la faute qu'on a com-
mis dans cet ufage des Facultez , c'eft qu'on en a parlé
comme d'autant d'Agents & qu'on les a repréfentées effé-
ftivement ainfi i car qu'on vint à demander. Ce que c'é-
toit qui digeroit les viandes dans l'Eftomac. C'étoit, di-
foit-on , une Faculté digejlive. La réponfe étoit toute
prête 6t fort bien reçue. Si l'on demandoit, ce que c'é-»
toit qui faifoit fortir quelque chofe hors du Corps > on ré-
pondoit, Une Faculté expuljîve. Qii'eft-ce qui y caufoit
du mouvement? L^ne Faculté motive. De même à l'égard
de l'Efprit, on difoit que c'étoit la Faculté intelle [îuelle
ou V Entendement -, qui entendoit , Se la Faculté éleéfive
ou la Volonté qui vouloit ou ordonnoit : Ce qui en peu
de mots ne fignifie autre chofe fmon que la Capacité de
digérer, digère , que la Capacité de mouvoir, meut, &
que la Capacité d'entendre , entend. Car ces mots dé
Faculté ,' de Capacité &c de Puiffance ne font que difFé-
rens noms qui fignifient purement les mêmes chofes. De
forte que ces façons de parler, exprimées en d'autres ter-
mes plus intelligibles , n'emportent autre chofe , à mon
avis , fmon que la Digeftion eft faite par quelque chofë
qui eft capable de digérer, que le Mouvement eft produit
par quelque chofe qui eft capable de mouvoir , &: l'En-
tendement par quelque chofe , capable d'entendre. Et
dans le fonds il feroit bien étrange , que cela fut autre-
ment, èc tout autant qu'il le feroit, qu'un homme fut li-
bre fans être capable d'être libre.
Le Liberté ap- §.21- Pour revenir maintenant à nos recherches tou-
partieiu unique- (^j^aut la Liberté , la Oueftion ne doit pas être , à mon
mental A<;ciit, . xr / . / nti > rL i j>
ouàiHomme. avis , // la Folonte ejt libre i car c elt parler dune ma-
nière
De la PuiJJance. Liv. II. 287
niére fort impropre , mais , Jî V Homme efi libre. Chap.
Cela pofé, je dis , I.Qiie, tandis que quelqu'un peut XXI.
par la direction ou le choix de fon Efprit , préférer l'éxi-
ftence d'une aftion à la non-exiftence de cette aftion , &
au contraire, c'eft à dire , tandis qu'il peut faire qu'elle
exifte ou qu'elle n'exifte pas, félon qu'il le i;fw? , jufque-
là il eft Libre. Car fi par le moyen d'une penfée qui di-
rige le mouvement de mon Doigt , je puis faire qu'il fe
meuve lorfqu'il eft en repos ou qu'il celle de fe mouvoir,
il eft évident qu'à cet égard-là je fuis libre. Et fi en con-
féquence d'une femblable penfée de mon Efprit préférant
une chofe à une autre , je puis prononcer des mots ou
n'en point prononcer , il eft vifible que je fuis en Liberté
de parler ou de me taire ; Se par conféquent , Anjfi loin
que s^ étend cette Puiffance d'ttgir ou de ne pas agir , confor-
mément à la préférence que l' Efprit donne a, l'un ou k l'au-
tre, jitfque-lk l'Homme efi Libre. Car que pouvons-nous
concevoir de plus , pour faire qu'un homme foit Libre ,
que d'avoir la puiflance de faire ce qu'il veut ? Or tandis
qu'un homme peut en préférant la préfence d'une Aftion
à fon abfence , ou le Repos à un mouvement particulier ,
produire cette Aftion ou le Repos , il eft évident qu'il
peut à cet égard faire ce qu'il veut -, car préférer de cette
manière une a£tion particulière à fon abfence , c'eft vou-
loir faire cette a£tion,& à peine pourrions-nous direcom»
ment il feroit poiîible de concevoir un Etre plus libre
qu'entant qu'il eft capable de faire ce qu'il veut ; de forte
que l'Homme femble être aufli libre, par rapport aux A-
ftions qui dépendent de ce pouvoir qu'il trouve en luy-
même, qu'il eft polllble à la Liberté de le rendre libre,
fi j'ofe m'exprimer ainfi.
§. 22. Les Hommes naturellement curieux, &: qui^-'i^oni'^fu'cft
aiment à éloigner autant qu'ils peuvent de leur Efprit la [ jppof/4 p^^
penfée d'être coupables, quoy que ce foit en fe reduifant ftiondevou
dans un état pire que celui d'une fatale néceflîté , ne font ^°"^'
pourtant pas fatisfaits de cela. A moins que la Liberté
ne s'étende encore plus loin , elle n'eft pas à leur gré -, ^
c'eft.
2S8 De la Ptiijpince.
C H A p. c'eft , à leur avis, une fort bonne preuve , que l'Homme
XXI. n'eft du tout point libre , s'il n'a auili bien la liberté de
vouloir, que celle de faire ce qu'il veut. C'cftpourquoy
l'on fait encore cette autre Qiieftion fur la Liberté de
l'Homme , fi l'Homme cjl libre de 'vouloir ; car c'eft là , je
penfe, ce qu'on veut dire, lorfqu'on difpute , Ji la Vo-
lonîé efi libre on non.
§.23. Sur quoy je croy , II. Qiie vouloir ou choijir
étant une A£tion , & la Liberté confiftant dans le pou-
voir d'agir ou de n'agir pas , un Homme ne faiiroit ctre li-
bre far rapport à, cet Acie particulier de "vouloir une aBion
qui ejî en fa puijfance y lorfque cette Atfion a été une fois
propffée k fon Kfprtt. La raifon en eft toute vifible -, car
l'Aftion dépendant de fa Volonté , il faut de toute nécef-
fité qu'elle exifte ou qu'elle n'exifte pas , Se fon exiften-
ce ou fa non-exirtence ne pouvant manquer de fuivre exa-
ftement la détermination & le choix de fa Volonté , il
ne peut éviter de vouloir l'exiftence ou la non-exiftence
de cette Action, il eft, dis-je, abfolument néceffaire qu'il
veuille l'un ou l'autre , c'eft à dire , qu'il préfère l'un à
l'autre , puifque l'un des deux doit fuivre néceflairement,
&c que la choie qui fuit, procède du choix Se de la déter-
mination de fon Efprit , c'eft à dire de ce qu'il la veut y
car s'il ne la vouloit pas , elle ne feroit point. Par con-
fequent, l'Homme n'eft point libre par rapport à l'afte
même de vouloir , la Liberté confiftant dans la puiffance
d'agir ou de ne pas agir, puiflance que l'Homme n'a pas
par rapport à la * Folition. Car un Homme eft dans une
néceflité inévitable de choifir de faire ou de ne pas faire
une Aftion qui eft en fa puiftance lorsqu'elle a été une
fois propofée à fon Efprit. Il doit néceflairement vouloir
l'un ou l'autre > 6c fur cette préférence ou volitton,V-:!i9:ion
«u Vabjlinence de cette aftion fuit certainement , êc ne laifle
pas
* Pour bien entrer Jans le (èns de | >' , comme il l'a expliciuc cy delTus §. 5.
l'Auteur, il faut toujours avoir dans l'Ef- 1 & J. i/. Cela foit dit une fois pour tou-
pii: ce qu'il cutciid pat l'olmsn ySifûlcn- ' tes.
De la Puiffance. Liv. II. 289
pas d'être abfolument volontaire. Mais l'acte de vouloir C h a p.
ou de préférer l'un des deux étant une chofe qu'il ne fau- XXL
roit éviter, il eft néceillté par rapport à cette aftion, &
ne peut, par conféquent , être libre à cet égard; à moins
que la Necelîîté & la Liberté ne puiflént fubfifter enfem-
ble, &: qu'un honime ne puifTe être libre &: lié tout à la
fois. D'ailleurs, en faifant l'Homme libre de cette for-
te, je veux dire en faifant que l'aftion de 'vouloir dépen-
de de fa Volonté ■) il faut qu'il y ait une autre Volonté ou
Faculté de vouloir antécédente, pour déterminer les ades
de cette Volonté ^ &: une autre pour déterminer celle-là*,
&: ainfi à l'infini. Car où qu'on s'arrête , les Actions de
la dernière Volonté ne fauroient être libres. Enfin autant
que je puis concevoir les Etres qui font au defîus demoy,
il n'y en a aucun qui foit capable d'une telle Liberté de
Volonté i qu'il puilfe s'empêcher de vouloir , c'efb à dire
de préférer l'exiftenceou la nou-exiftence d'une chofe qui
eft en fa puiflance, lorfqu'il l'a une fois confiderée com-
me étant en fa puiflance.
§.24. Il eft donc évident , qu'«« Homme ri eft. pas en
liberté de vouloir ou de ne pas vouloir une chofe qiu efl en fa
fuiffance , quand une fois il y fait réflexion ,1a. Liberté con-
fiftant dans la puiflance d'agir ou de ne pas agir , 8c en
cela feulement. Car un homme qui eft alîis, eft dit être
en liberté, parce qu'il peut fe promener s'il veut. Un
homme qui fe promené , eft aufiî en liberté , non parce
qu'il fe promené 5c fe meut lu y-même , mais parce qu'il
peut s'arrêter's'il veut. Au contraire , un homme qui é-
tant aflis , n'a pas la puiflance de changer de place , n'eft pas
en liberté. De même , un homme qui vient à tomber
dans un Précipice , quoy qu'il foit en mouvement , n'eft pas
en liberté, parce qu'il ne peut pas arrêter ce mouvement,
s'il veut le faire. Cela étant ainfi , il eft évident qu'un
homme qui fe promenant , fe propofe de ceffer de fe pro-
mener, n'eft plus en liberté de vouloir -z/ow/o/r, (permet-
tez-moy cette exprellion} car il faut néceflairement qu'il
choilifle l'un ou l'autre , je veux dire de fc promener ou
O o de
tc)o DelaTuiJfame.
C.HA p. de ne pas fe promener. Il en eft de même par rapport à
XXI. toutes fes autres aftions qui font en fa puiflance : dès
qu'elles luy font propofëes , l'Efprit n'a plus le pouvoir
d'agir ou de ne pas agir , en quoy confitte la Liberté,
l'Efprit, dis-je 5 n'a point, en cecaSjlapuiiTancede s'empê-
cher de vouloir i il ne peut éviter de fe déterminer d'une
manière ou d'autre à l'égard de fes aftions. Qiie la reflexion
foit aufli courte, & lipenlee aulli rapide qu'on voudra,
ou elle laiffe l'Homme dans l'état où il etoit avant que
de penfer, ou elle le fait changer > ou il continue l'action,
ou il la termine: d'où il paroit clairement, qu'il ordonne
& choifit l'un preferablement à l'autre , fie que par là ou
la continuation ou le changement devient inévitablement
volontaire.
La Volonté dé- §. 25. Piùs donc qu'il eft évident qu'un Homme n'cft
terminée par ^^^ ^^ liberté de vouloir vouloir y ou non ; (car lorfqu'u-
qm eii hoTs*^ ne aftion qui eft en la puiflance, fe préfente à fon Efprit,
celle même, il ne peut s'cmpécher de vouloir , il fi.xut qu'il fe déter-
mine d'une manière ou d'autre;) la première chofe qu'on-
demande après cela , c'eft , fl V Homme ejl en liberté de
vouloir lequel de deux tl luy plaît , le Mouvement ou le Re-
pos. Cette Queftion eft fl viflblement abfurde en elle-
même, qu'elle peut fuffire à convaincre quiconque y fera
reflexion , que la Liberté ne concerne dans aucun cas la
volonté. Car demander fl un homme eft en liberté de
vouloir lequel il luy plait du Mouvement ou du Repos, de
parler ou de fe taire, c'eft demander fl un homme peut vou-
loir ce qu'il veut , ou fe plaire à ce à quoy il fe plaît :
Queftion qui , à mon avis , n'a pas befoin de reponfe.
Qiiiconque peut mettre cela en queftion, doit fuppofer
qu'une Volonté détermine les Aftes d'une autre Volonté,
& qu'une autre détermine celle-ci, & ainfl à l'infini j ab-
*î-*5- fsrdité qui a été ren'uirquée*cy-dcfliis.
§. 26. Pour éviter ces abfurditez fie autres femblable-s,
rien ne peut être plus utile, que d'établir dans nôtre Ef-
prit des Idées diftincles èc déterminées des chofes en
queftion. Ciu: fl les Idées de Liberté fit de î^oUtiou étoient
bien
De la PuiJJance. Liv. II. 291
bien fixées dans nôtre Entendement , Se que nous les euf- C h a p.
■fions toujours préfentes à l'Efprit telles qu'elles font, XXI.
pour les appliquer à toutes les Qiieftions qu'on a excitées
îiir ces deux articles, je croy que la plupart des difficul-
tez qui embarraflént bc brouillent l'Efprit des Hommes
fur cette matière , feroient beaucoup plus aifément refo-
luëSi & par là nous verrions où c'eft que l'obfcurité pro-
cederoit de la fignitkation confufe des termes , ou de la
nature même de la cliofe.
§. 27. Premièrement donc, il faut fe bien reflbuvenir, Cequccvftquc
Qiie la Liberté confijle dans la dépendance de l'exijîcnce ou ^'^'~''-
de la ncn-exijlence d'une ABion d'avec la préférence de nô-
tre Efprit felen cjii'il veut agir ou n'agir pas , ^ non dans
la dépendance d'une Aâion ou de celle qui luy efl oppofée
d'avec nôtre préférence. Un homme qui eft fur un Ro-
clier, eft en liberté de iauter vingt braflés en bas dans la
Mer, non pas à caufe qu'il a la puifîance de faire le con-
traire, qui eft de fauter vingt braflés en haut , car c'eft
ce qu'il ne fauroit faire j mais il eft libre , parce qu'il a
la puifîance de fauter ou de ne pas fauter. Qiie fi une
plus grande force que la fienne le retient , ou le poufle
en bas, il n'eft plus libre à cet égard, par la raifon qu'il
n'eft plus en fa puiflance de faire ou de s'empêcher de fai-
re cette aftion. Un Prifonnier enfermé dans une Cham-
bre de vingt pies en quarré , lorfqu'il eft au Nort de la
Chambre, eft en liberté d'aller l'efpace de vingt pies vers
le Midi, parce qu'il peut parcourir tout cet Efpaceoune
le pas parcourir. Mais dans le même temps il n'eft pas
en liberté de faire le contraire, je veux dire d'aller vingt
pies vers le Nort.
Voici donc en quoy confifte la Liberté, c'eft en ce que
nous fomrnes capables d'agir on de ne pas agir ■, en conféquen-
ce de nôtre choix, <?« volition.
^ §.28. Nous devons nous fouvenir,Tw/^fo«^ //>«, que Ce que c'eft rue
la Fb/iY/ow eft un a£te de l'Efprit, dirigeant fes penfées à'"^'"""-
la produftion d'une certaine action , &: par là mettant en
œuvre fa puiflance de la produire. Pour éviter une en-
Oo 2 nuveufc
292 De la Pnijfance.
CiîAP. nuycufe multiplication de paroles, je demanderai ici la
XXI. permiilion de comprendre fous le terme à' Aftiuti, Vabfli-
nence même d'une action que nous nous propofons en
nous-mêmes, coxmwz être ajjis ^ o\\ demeurer à ans le fdm-
ce, lorfque l'adion de 7^ promener , ou de parler font pro-
poféesj car quoy que ce foient de pures abftinences d'u-
ne certaine aftion , cependant comme elles demandent
aulll bien la détermination de la Volonté, & font fouvent
auiîi importantes dans leurs fuites , que les Actions con-
traires, on efl: allez autorifé par ces confiderations-là, à
les regarder auilî comme des Avions. Ce que je dis pour
empêcher qu'on ne prenne point mal le fensde mes paro-
les, fi pour abréger je parle quelquefois ainfi.
Quvft ce qui §. 29. En troifïcme lieu , comme la /-^/ow// n'eft autre
dctcrmiiie la ç]^q{q g^g cQHc Puillance que l'Efprit a de dirieer les Fa-
Volonte; T 1 i,iT ^ \ii ^ T^
ciiltez, operatii'es de 1 Homme , au Mouvement ou au Re-
pos , autant qu'elles dépendent d'une telle direftion ; lorf-
qu'on demande , ^l'cjl-ce qui détermine la f^olonte ? la
véritable réponfe qu'on doit faire à cette Qi^ieilion , con-
fifte à dire, que c'elT: l'Efprit qui détermine la Volonté.
Car ce qui détermine la puiflance générale de diriger à
telle ou telle direction particulière , n'eft autre chofe que
l'Agent luy-même qui exerce fa puiflance de cette maniè-
re particulière. Si cette Réponié ne fatisfait pas , il eft
vifible que le fens de cette Qiieftion fe réduit à ceci,
Clueji-ce qui pouffe L'Efprit , dans chaque occafion particu-
lière , k de'termwer k tel mouvement on à tel repos particu-
lier la pui(fance générale qu'il a de diriger fes facultez vers
le Mouvement on vers le Repos ? A quoy je répons, que
le motif qui nous porte à demeurer dans le même état ou
à continuer la même aftion , c'eil uniquement la iatisfa-
£Vion prefente qu'on y trouve. Au contraire , le motif
qui incite à changer c'eft toujours (\\.\c\c^\.\c* inquiétude ,
rien
* Vm.ffinef'. C'cfl le mot Angloisquc l'ETprit ce qui a ctJ remarque (i.ins cet
; If terme d'hii/riietiide ne rend qu'impar- endroit, pour bien entendre ce que l'Au-
faitemcut Voyez ce que nous avons di: teur va dire dans le rcftc de cç Chapitre
cy-dcflus dans une Noie fur ce mot) pag. fur ce qui nous de'termine à cette fuite
167. Il inipone fur tout ici d'avoir dans d'adions dout nôtre vie cil compore'e.
De la Pmjfance. L i v. II. 295
rien ne nous portant à changer d'état, ou à quelque nou- Ch a p.
velle aftion , que quelque inqmc'nidc. C'eft là, dis-je, XXL
le grand motif qui agit fur l'Efprit pour le porter à quel-
que Aftion, ce que je nommerai , pour abréger , déter-
ifjhier la volonté. Se que je vais expliquer plus au long
dans ce même Chapitre.
§. 30. Pour entrer dans cet examen , il eft néceHaire L.iVoiontc'&
de remarquer avant toutes chofes , que, bien que j'ayc '*^i^f''r "5 dor-
tâché d'exprimer l'afte de voUîion par les termes de 'choi- confondus"''
Jïr , f référer , Se autres femblables qui fignifientauni bien
le De/ir que la P^olition , &: cela faute d'autres mots pour
marquer cet Afte de l'Efprit dont le nom propre c^ Fou-
loir ou VoUtion ; cependant comme c'eft un Aiite fort fim-
ple, quiconque fouhaite de concevoir ce que c'eft, le'
comprendra beaucoup mieux en refléchifîant fur fon pro-
pre Efprit, Se obfervant ce qu'il fait lorfqu'il tient , que
par tous les difterens fons articulez qu'on peut employer
pour l'exprimer. Et d'ailleurs, il eft à propos de fe pré-
cautionner contre l'erreur où nous pourroient jetter des
exprellions qui ne marquent pas aftéz la différence qu'il
y a entre la Volonté & divers Adcs de l'Efprit qui font
tout-à-fait difterens de la Volonté. Cette précaution,
dis-je, eft d'autant plus néceflaire, à mon avis, que j'ob-
ferve que la Volonté eft fouvent confondue avec diff'é-
rentes Afteftions de l'Efprit, fie fur tout, avec le Defir-,
de forte que l'un eft fouvent mis pour l'autre , & cela
par des gens qui feroient fâchez qu'on les foupçonnât de
n'avoir pas des idées fort diftin£les des chofes &: de n'en-
avoir pas écrit avec une extrême clarté. Cette méprife
n'a pas été, jepenfe,une des moindres occafions del'obf-
curité èc des egaremens oii l'on eft tombé fur cette matiè-
re. Il faut donc tâcher de l'éviter autant que nous pour-
rons. Or quiconque réfléchira en luy-même fur ce qui
fe pafle dans fon Efprit lorfqu'*! -veut , trouvera que la
Volonté ou la puiflance de vouloir ne fe rapporte qu'à nos
propres Actions, qu'elle fe termine là, fans aller plus
loin 6c que la Vchtion n'eft autre chofe que cette déter-
Oo 3 mi-
2^4 ^^ ^^ Ptiijfance.
Chap. mination particulicre de l'Efprit par laquelle il tâche,
XXI. par un fimple eftet de la penfee , de produire , continuer ,
ou arrêter une aârion qu'il fuppoie être en fon pouvoir.
.Cela bien confideré prouve évidemment que la Volonté
eft parfaitement diftintte du Defir ^ qui dans la même A-
£tion peut avoir un but tout-à-fait différent de celui où
nous porte nôtre Volonté. Par exemple , un Homme que
je ne faurois refufer , peut m'obliger à me fervir de cer-
taines paroles pour perfuader un autre homme fur l'Ef-
• . prit de qui je puis fouhaiter de ne rien gagner , dans le
même temps que je luy parle. 11 eft vifible que dans ce
cas-là la Volonté &c le Ùejir fe trouvent en parfaite oppo-
fitioui carje veux une aftion qui tend d'un côté, pen-
dant que mon Vejîr tend d'un autre qui eft direftement
contraire. Un homme qui par une violente attaque de
Goûte aux mains ou aux pies , fe fent délivré d'une pe-
fanteur de tête ou d'un grand dégoût , dcfirc d'être aufli
foulage de la douleur qu'il fent aux pies ou aux mains ,
(car par tout oii fe trouve la Douleur, il y a un dellr d'en
être délivré;} cependant s'il vient à comprendre que l'é-
loignement de cette douleur peut caufer le tranfport d'u-
ne dangereufe humeur dans quelque partie plus vitale j fa
volonté ne fauroit être déterminée à aucune Action qui
puifle fervir à dilîiper cette douleur ; d'où il paroit évi-
demment 5 que dcjlrer Se vouloir font deux A£tes de l'Ef-
prit, tout-à-fait diftinclrs , 6c par conféquent , que la Z^-
bnté qui n'eft que lapuilfance de vouloir ^cû encore beau-
coup plus diftincte du Dejir.
Cïft \',„^tiu. §.31. Voyons préfentement Ce que c'ejl qui détermint
tKde qui dtrter- /^ VoloTité tar rapport à. nosABions. Pour moy , après avoir
mine u Volon- • ■ i i r r j r ■ ■ r ■ • ^
t4 examine la choie une Icconde rois, je luis porte a croire,
que ce qui détermine la Volonté à agir , n'eft pas h plus
grand Bien , comme on le fuppofe ordinairement , mais
plutôt quelque /«^///V/A'^^aftuelle, &, pour l'ordinaire,
celle qui eft la plus preflante. C'eft là, dis-je, ce qui
détermine fuccelîîvcment la Volonté , & nous porte à
faire les aâtions que nqus faifons. Nous pouvons donner
à
De U Pîiiffance. Liv. IL 295'
à cette inquiétude le nom de Dcflr qui eft effeAivement C h a p,
une inquiétude de l'Efprit , caufée par la privation de quel- XXJ.
que Bien abfent. Toute douleur du Corps, quelle qu'el-
le foit, & tout mécontentement de l'Efprit , eft une in-
quiétude ^ à laquelle eft toujours joint un Defir propor-
tionné à la douleur ou à Vinqmétude qu'on reflent , &
dont il peut à peine être diftingué. Car le Deflr n'étant
que Vinquiétude que caufe le manque d'un Bien abfent
par rapport à quelque douleur qu'on reiTent actuellement,
le foulagement de cette inquiétude eft ce Bien abfent , ôc
jufqu'à ce qu'on obtienne ce foulagement ou cette * quié-
tude, on peut donner à cette inquiétude le nom de dejîr y
parce que perfonne ne fcnt de la douleur qui ne fouhaitte-
d'en être délivré, avec un defir égal à cette douleur , &&'
qui en eft inféparable. Mais outre le defir d'être délivre
de la douleur, il y a un autre defir d'un bien pofitif qui
eft abfent , &: encore à cet égard le dejii' &c Vmquiétndé
font dans une égale proportion j car autant que nous de-
firons un bien abfent , autant eft grande Vinqmétude que-
nous caufe ce defir. Mais il eft à propos de remarquer
ici, que tout bien abfent ne produit pas une douleur pro-
portionnée au degré d'excellence qui eft en luy, ou que
nous y reconnoiffons, comme toute Douleur caufe un ^^r
égal à elle-même i parce que l'abfence du Bien n'eft pas
toujours un mal , comme eft la préfence de la Douleur.
C'eftpourquoy l'on peut confiderer Se envifager un Bien
abfent fans defir. Mais à proportion qu'il y a du defir
quelque part, autant y ix-t-'\\ à' inquiétude .
§. 32. Qiiiconque réfléchit fur foy-même trouvera Que le DeCrefV
bientôt que le Defir eft un état à' inquiétude ; car qui eft- ""i""""'^'
ce qui n'a point fenti dans le Defir ce que le Sage dit
de
* Eitfe : c'cft le mot Anglois dont (è
fert l'Auteur pour exprimer cet Btat de
r Ami: lorfijit'tlle efl d fan aife. Le mot
de quieiHiU ne finnifie peut-être pas ex-
aÛemciit cela , non plus que celui à'in-
Qiuemde l'état contraire. Maisjenepnis
faire autre chofe qjied'en avertir le Ledcur,
afin qu'il y attache l'icVc que je viens de
marquer. C'cft dequoy je le prie de fe hiefi"
reflouvenir , s'il veut entrer cxaôcmeBî
dans la pcnfe'e de l'AutcvK.
29e De la Puijptnce.
.Chap. de VEfperance , qui n'eft pas fort différente du Dehr,
XXI. * qu'étant àijferée elle fait lanitnr le cœur , & cela d'une
*^"'^-'*'""- manière proportionnée à la grandeur du de/îr^ qui quel-
quefois porte V inquiétude à un tel point, qu'elle fait crier
'Gcn.y.^x.1. ^vcc* Rachel, Donnez-moy des Enfans , donnez- moy ce
quejedefire, ou je "vais mourir? La Vie elle-même avec
tout ce qu'elle a de plus délicieux, feroit un fardeau in-
fupportable, fi elle étoit accompagnée du poids accablant
d'une inquiétude qui fe fît fentir fans relâche, &: fans qu'il
fut pofllblc de s'en délivrer.
vi'iqmctude §• 33- 11 eft vrai que le Bien Se le Mal, préfent &:
D^fi^eft ce^ abfent, agiifent fur l'Efprit) mais ce qui de temps à au-
ddtcrmine U ttc détermine immédiatement la J^olonté à chaque action
Voijiuc. volontaire, c'eilV inquiétude du Dejîr , fixé Jur quelque
Bien abfent , quel qu'il foit , ou riegatif , comme la pri-
vation de la Douleur à l'égard d'une perfonne qui en efl
aftuellement atteinte, ou pofitif , comme lajouïflance
d'un plaifir. Qiie ce foit cette inquiétude qui détermine
la Volonté aux allions volontaires , qui fe fuccedent en
nous les unes aux autres , qui occupent la plus grande
partie de notre vie , Se par lefquelles nous fommes con-
duits à -différentes fins par des voyes différentes , c'eft ce
que je tâcherai de fiire voir, & par l'expérience, 6c par
l'examen de la chofe même,
it qui nous §• 34" Lorfquc l'Honime cfl: parfaitement ûtisfait de
portciradion. l'ctat où il eft , ce qui arrive lorfqu'il eft abfolument libre
de toute inquiétude-, quel foin , quelle P^olonté luy peut-il
refter, que de continuer dans cet état ? Iln'a vifiblement
autre chofc à faire , comme chacun peut s'en convaincre
par fa propre expérience. Ainli nous voyons que le fage
Auteur de notre Etre ayant égard à nôtre conftirution,&:
fichant ce qui détermine nôtre Volonté , a mis dans les
Hommes l'incommodité de la faim Se de la foif Se des
autres defirs naturels qui reviennent dans leur temps, afin
d'exciter Se de déterminer leurs Volontez à leur propre
Gonfervation Se à la continuation de leur Efpéce. Car fi
la fimple contemplation de ces deux fins auxquelles nous
fom-
T>e la PîiiJJance. Liv. II. 297
fommes portez par ces difFérens defirs , eût fufR pour dé- C h a p.
terminer nôtre Volonté & nous mettre en action , on peut, XXI.
à mon avis , conclurre fùrement , qu'en ce cas-Là nous
n'aurions été fujets à aucunes de ces douleurs naturelles ,
&: que peut-être nous n'aurions fenti dans ce Monde que
fort peu de douleur , ou que même nous en aurions été
entièrement exempts. * Il vaut mieux , dit S. Paul , fe *" i.c»r.vii.».
marier que brûler ; par ou nous pouvons voir ce que
c'efl: qui porte principalement les Hommes aux plaifirsde
la vie Conjugale. Tant il ei\ vrai , que le fentmient pré-
fent d'une petite brûlure a plus de pouvoir fur nous que
les attraits des plus grands plaifirs confiderez en éloigne-
ment.
§. 35. C'efl: une Maxime fi fort établie par le confen- Ce «'cft pas le
tement général de tous les hommes , ^te c'ejl le Bien & loCnfr"maT
le plus grand Bien qui détermine la Folonté y que je ne fuis VLnqwétude qm
nullement furpris d'avoir fuppofé cela comme indubita- yji"";^'"^ '*
ble, la première fois que je publiai mes penfées fur cette
matière , 6c je penfe que bien des gens m'excuferont plutôt
d'avoir d'abord adopté cette Maxime, que de ce que je me
hazarde préfentement à m'éloigner d'une opinion li gé-
néralement reçue. Cependant , après une plus exafte re-
cherche, je me fens forcé de conclurre, que le Bien & le
plus grand Bien , quoy que jugé &: reconnu tel , ne dé-
termine point la Volonté; à moins que venans à le defirer
d'une manière proportionnée à fon excellence , ce defir
ne nous rende inquiets de ce que nous en fommes privez.
En effet, perfuadez à un Homme, tant qu'il vous plair-
ra , que l'abondance eft plus avantageufe que la pauvre-
té, faites luy voir £c confefler que les agréables commo-
ditez de la vie font préférables à une fordide indigence j
s'il efl: fatisfait de ce dernier état , Se qu'il n'y trouve au-
cune incommodité , il y perfifl:e malgré tous vos difcoursj
fa Volonté n'eft déterminée à aucune aftion qui le porte
à y renoncer. Qu'un homme foit convaincu de l'utilité
de la Vertu , jufqu'à voir qu'elle efl: auflî néccflaire à qui-
conque fe propoîe quelque chofe de grand dans ce Mon-
Pp de,
298 De la Tttijfancc.
C H A p. de , ou efpére d'être heureux dans l'autre , que la nourrr
XXI. ture eft neceflaire au Ibûticn de nôtre vie -, cependant juf-
qu'à ce que cet homme foit â-ffnmé <^ altère de la Jiifticc,
jufqu'à ce qu'il fe fente mqtuet de ce qu'elle luy manque ,
fa volonté ne fera jamais déterminée à aucune action qui
le porte à la recherche de cet excellent Bien dont ilrecon-
noit l'utilité j mais quelque autre inquiétude qu'il fent en
luy-même , venant à la travcrfe entraînera fa Volonté' z
d'autres chofes. D'autre part, qu'un Homme adonné au
vin confidere , qu'en menant la vie qu'il mené , il ruine
fa fanté , difllpe ion Bien , qu'il va le deshonorer dans le
Monde, s'attirer des maladies , & tomber enfin dans l'in-
digence jufques à n'avoir plus dequoy fatisfaire cette paf-
fion de boire qui le poflede il fort , cependant les retours
de V inquiétude qu'il fent à être abfent de fes compagnons
de débauche , l'entraînent au cabaret aux heures qu'il eft
accoutumé d'y aller , quoy qu'il ait alors devant les yeux
la perte de fi fanté &: de îbn Bien , Se peut-être même
celle du Bonheur de l'autre Vie : Bonheur qu'il ne peut
regarder comme un Bien , peu confiderable en luy-même,
puifqu'il avoué au contraire qu'il eft beaucoup plus ex-
cellent que le plaifir de boire , ou que le vain babil d'une
troupe de Débauchez. Ce n'eft donc pas faute de jetter
les yeux fur le fouverain Bien qu'il periîfte dans ce dérè-
glement , car il Tenvifage bc en reconnoît l'excellence ,
jufque-là que durant le temps qui s'écoule entre les heu-
res qu'il employé à boire , il refout de s'appliquer à le
rechercher ce fouverain Bien, mais quand V inquiétude d'ê-
tre privé du plaifir auquel il eft accoutumé , vient le tour-
menter , ce Bien qu'il reconnoît être plus excellent que
celui de boire , n'a plus de force fur fon Efprit -, Se c'eft
cette inquiétude aftuelle qui détermine fa Volonté à l'A-
£bion à laquelle il eft accoutumé , & qui par là faifant de
plus fortes impreflîons prévaut encore à la première occa-
fion , quoy que dans le même temps il s'engage, pour
ainfi dire, à luy-même par de fecretes promeflés à ne plus
faire la même chofe , 6c qu'il fe figure que ce fera là la
der-
De la Piiijfance. Liv. II. 299
dernière fois qu'il agira contre fon plus grand intérêt. Chap.
Ainfi il fe trouve de temps en temps réduit dans l'état de XXI.
cette miferable perfonne qui foûmife à une paflîon impe-
rieufe difoit
— — * Video meliora i proboque i *ovM. Meta-
Détériora fequor: vntfl^
II.
Je vois le meilleur parti , je l'approuve , ér je prens le pi-
re. Cette fentence qu'on reconnoit véritable , & qui
n'eft que trop confirmée par une confiante expérience ,
eft aifée à comprendre par cette voye-là , &: ne l'eft peut-
être pas j de quelque autre fens qu'on la prenne.
§. 36. Si nous recherchons la raifon de ce que l'Expe- LVioigncment
rience fait voir fi évidemment par des faits incontefta- ^^ ',* p °-'^^;"^^
blesj & que nous examinions comment cette inquiétude dégié vm k
opère toute feule fur la Volonté , & la détermine à pren-''°"^^"^-
dre tel ou tel parti , nous trouverons , que , comme nous
ne fommes capables que d'une feule détermination de la
Volonté vers une feule aftion à la fois , V inquiétude pré-
fente qui nous preffe , détermine naturellement la Volon-
té en veùë de ce bonheur auquel nous tendons tous dans
toutes nos Aftions. Car tant que nous fommes tourmen-
tez de quelque inquiétude j nous ne pouvons nous croire
heureux ou dans le chemin du bonheur , parce que cha-
cun regarde la douleur &: * V inquiétude comme des chofes * Vtienjinfjr.
incompatibles avec la félicité , Se qui plus eft , on en eft
convaincu par le propre fentiment de la Douleur qui
nous ôte même le goût des Biens que nous pofledons a-
ftuellement , car une petite Douleur fuffit pour corrom-
pre tous les plaifirs dont nous jouïfl'ons. Par conféquent
ce qui détermine inceflamment le choix de nôtre Vo-
lonté à l'adtion fuivante , fera toujours l'éloignement
de la Douleur , tandis que nous en fentons quelque
atteinte , cet éloignement étant le premier degré vers
le bonheur & fans lequel nous n'y fiurions jamais par-
venir.
Pp 2 §. 37.
3O0 De la Ptiijpmce.
ChAp. §• 37- Une autre raifon pourquoy l'on peut dire que
XXI. Vinqméttidc détermine feule la Volonté , c'eft qu'il n'y a
?arcequecVft q^e Cela de préfent à l'Efprit , Se que c'cft contre la na-
l]m''nôus'df'' t"fe des chqfes que ce qui efl: abfenc , opère où il n'eft
prefcnte. pas. On dira peut-être , qu'un Bien abfent peut être of-
fert à l'Efprit par voye de contemplation &; y être com-
me préfent. 11 efl vrai que l'idée d'un Bien abfent peut
être dans l'Efprit Se y être confiderée comme préfente ,
cela eft inconteftable ; mais rien ne peut être dans l'Ef-
prit comme un Bien préfent en forte qu'il foit capable de
contrebalancer l'éloignement de quelque inquiétude dont
nous fommes actuellement tourmentez , jufqu'à ce que ce
Bien excite quelque defir en nous : Se Vinqiiic'tude caufée
par ce Dejïr eft juftement ce qui prévaut pour détermi-
ner la Volonté, jufque-là, l'idée d'un Bien quel qu'il foit,
fuppofee dans l'Efprit, n'y eft, tout ainli que d'autres I-
dées , que comme l'Objet d'une fimple fpéculation tout-
à-fait inaftive, qui n'opère nullement fur la Volonté &
n'a aucune force pour nous mettre en mouvement -, de-
quoy je dirai la raifon tout à l'heure. En effet , combien
y a-t-il de gens à qui l'on a repréfenté les joyes indicibles
du Paradis par de \i\ts peintures qu'ils reconnoifTent pof-
fiblcs Se probables , qui cependant fe contenteroient vo-
lontiers de la félicité dont ils jouïflént dans ce Monde ?
C'eft que les inquiétudes de leurs préfens dcflrs venant à
prendre le defîu.s ^ ^ (ç^ porter rapidement vers les plai-
firs de cette Vie, déterminent, chacune à fon tour, leurs
voîontez à rechercher ces plaifirs j Se durant tout ce temps-
là ils font entièrement infenfibles aux Biens de l'autre Vie,
quelque excellens qu'ils fc les repréfentcnt , Se ne font
pas le moindre pas pour les acquérir.
Pifce f]iic tou<; §. ;8. Si la Volonté czoiz déterminée par la vcûë du
«ux qmrfcoii gig^ felou qu'il paroît plus ou moins important à l'En-
noilTcnt I,i roi- -, i r ii • • i i -ni
libiiirc d'en tendemcnt lorfqu il vient a le contempler , ce qui efl le
Bonheur aprt-: cas OU fe ti'ouve tout Bicn abfcnt , par rapport ù nous ; fi ,
rechmhair''^'^^''^' la Volouté s'y portoit Se y etoit entraînée par la
pas. confideration du plus ou du moins d'excellence , comme
on
De la Puijfance. Liv. II. ^oï
on le fuppofe ordinairement , je ne vois pas que la Volon- C h a p.
té pût jamais perdre de veûë les délices éternelles & infî- XXI.
nies du Paradis, lorfque l'Efprit les auroit une fois con-
templées & confiderées comme polîlbles. Car fuppofé
comme on croit communément que tout Bien abfent pro-
pofé & repréfenté à l'Efprit , détermine par cela feule-
ment la Volonté & nous mette en aftion par même mo-
yen, comme tout Bien abfent ell: feulement polllble , 6c
non infailliblement allure , il s'enfuivroit inévitablement
de là, que le Bien poilible qui feroit infiniment plus ex-
cellent que tout autre Bien, devroit déterminer conftam-
ment la Volonté par rapport :1 toutes les Aftions fuccef-
fives qui dépendent de fa direction , & qu'ainfi nous de-
vrions conftamment porter nos pas vers le Ciel , fans nous
arrêter jamais, ou nous détourner ailleurs, puifque l'état
d'une éternelle félicité après cette vie eft infiniment plus
con-fiderable que l'efpérance d'acquérir des Richeflés, des
Honneurs , ou quelque autre Bien dont nous puilîions
nous propofer la jouïlîance dans ce Monde , quand bien
la poÎTelfion de ces derniers avantages nous paroîtroit plus
probable. Car rien de ce qui eft à venir , n'eft encore
poflédé , & par conféquent nous pouvons être trompez
dans l'attente même de ces Biens. Si donc il étoit vrav
que le plus grand Bien , offert à l'Efprit , déterminât en
même temps la volonté -, un Bien aullî excellent que ce-
lui qu'on attend après cette vie , nous étant une fois pro-
pofé , ne pourroit que s'emparer entièrement de la Volon-
té & l'attacher fortement à la recherche de ce Bien infini-
ment excellent, fans luy permettre jamais plus de s'en é-
loigner. Car comme la Volonté gouverne & dirige les
penfées auffi bien que les autres aftions,elle fixeroit l'Ef-
prit à la contemplation de ce Bien , s'il étoit vray qu'el-
le fut nécelTairement déterminée vers ce qui eft confideré
& envifagé comme le plus grand Bie*.
Tel feroit , en ce cas-là , l'état de l'Ame Se la pentç On ne néglige
régulière de la Volonté dans toutes its déterminations. P'^j^f'antjamais
Mais c'eft ce qui ne paroît pas fort clairement par l'expé- ,""L^«1",
Pp 3 riencc;
30Z De la Puijfance.
C H A p. rience j puifqu'au contraire nous négligeons fou vent ce
XXI. Bien, qui, de nôtre propre aveu , ell infiniment au def-
fus de tous les autres Biens , pour contenter des defirs in-
quiets qui nous portent fucceflivement à de pures baga-
telles. Mais quoy que ce fouverain Bien que nous recon-
noiflbns d'une durée éternelle & d'une excellence indici-
ble, & dont même nôtre Efprit a quelquefois été touché,
ne fixe pas pour toujours nôtre Volonté , nous voyons
pourtant qu'une grande &; violente inojuiétude s'étant une
fois emparée de la Volonté , ne luy donne aucun répit }
ce qui peut nous convaincre que c'efl: ce fentimcnt-lâ qui
détermine la Volonté. Ainfi quelque véhémente douleur
du Corps , l'indomptable paflîon d'un homme fortement
amoureux , ou un impatient defir de vengeance arrêtent
& fixent entièrement la Volonté-, Se la Volonté ainfi dé-
terminée ne permet jamais à l'Entendement de perdre fon
objet de vcûe , mais toutes les penfees de l'Efprit & tou-
tes les puiflances du Corps font portées fans interruption
de ce côté-là par la détermination de la Volonté , que
cette violente inquiétude met en a£tion pendant tout k
temps qu'elle dure. D'où il paroit évidemment , ce me
femble, que la Volonté, ou la puilîance que nous avons
de nous porter à une certame aftion preferablement à tou-
te autre, eft déterminée en nous par ce que j'appelle in-
quiétude ; fur quoy je fouhaite que chacun examine en
iby-même fi cela n'eft point ainfi.
leDcfirac- §• 39- Jufqu'ici je me fuis particulièrement attaché à
compagne tou- confidcrcr VincjUiétude qui naît du Defïr , comme ce qui
te u>q,MtH4e. détermine la Volonté; parce que c'en eft le principal &: le
plus fenfible reflbrt. En effet , il arrive rarement que la
Volonté nous pouflé à quelque aftion , ou qu'aucune a-
ition volontaire foit produite en nous , fans que quelque
defir l'accompagne , &; c'eft là , je penfe , la raifon pour-
quoy la Volonté &: le Dejir font fi fouvent confondus en-
femble. Cependant il ne faut pas regarder Vinqiiiétude
qui fait partie , ou qui eft du moins une fuite de la plu-
part des autres Pallions , comme entièrement exclue de
cet
De la Pitîjpifjce. Liv. IL 503
cet article. Car Ij. Haine, Xz Crainte, Iz Colère , VEn- Ctïap.
vie, h Honte, Sec. ont chacune leurs inquiétudes &: par XXI.
là opèrent fur la Folontc. Je doute que dans la vie & dans
la pratique aucune de ces Pallions exifte toute feule , dans
une entière llmplicitéjfans être mêlée avec d'autres ; quov
que dans le Difcours èc dans nos Reflexions nous ne nom-
mions 6c ne conlidenons que celle qui agit avec plus de
force , & qui paroît le plus par rapport à l'état préfent
de l'Ame. Je croy même qu'on auroit de la peine à trou-
ver quelque Paillon qui ne foit accompagnée de Defir.
Du relie je fuis afliiré que par tout où il y a de V inquiétu-
de, il y a du delir -, car nous délirons inceflamment le bon-
heur , &: autant que nous fentons d' inquiétude , il eft cer-
tain que c'elt autant de bonheur qui nous manque j félon
nôtre propre opinion , dans quelque état ou condition
que nous foyons d'ailleurs. Et comme outre cela nôtre
Eternité ne dépend pas du moment préfent où nous exi-
lions, nous portons nôtre veûé au delà du temps préfent,
quels que foient les plaifirs dont nous jouiflions actuelle-
ment > ôc le defir accompagnant ces regards anticipez fur
l'avenir , entraîne toujours la Volonté à fa fuite. De for-
te qu'au milieu même de \-xjoye , ce qui foûtient l'aftioii
d'où dépend le plaiilr préfent, c'ell le defir de continuer
ce plaifir èc la crainte d'en être privé ; ôc toutes les fois
qu'une plus grande inquiétude que celle-là , vient à s'em-
parer de l'Efprit, elle détermine aulll-tôt la Volonté à
quelque nouvelle aftion , è<. le plaifir préfent eft né-
gligé-
§. 40. Mais comme dans ce Monde nous fommes cif- VmqmetHiie \i
fiégez de diverfes inquiétudes , èc diftraits par différens •,''"' prenante
j P ■ r r 11 ^ 1 I détermine na-
deiirs , ce qui le prelente naturellement a rechercher a- tureiiemem u
près cela, c'eft laquelle de ces inquiétudes e/i la première Volonté,
à déterminer la Volonté a l'avion fuivante ? A quoy l'on
peut répondre qu'ordinairement c'eft la plus prefTante de
toutes celles dont on croit être alors en état de pouvoir
fe délivrer. Car la Volonté étant cette puiflance que nous
avons de diriger nos Facultez operatives à quelque aftion
pour
504 J^^ ^^ Puiffance'.
C H A p. pour une certaine fin , elle ne peut être mue vers une cho-
XXI. ië dans le temps même que nous jugeons ne pouvoir ab-
folument point l'obtenir. Autrement, ce lëroit fiippofer
qu'un Etre intelligent agiroit de deflein formé pour une
certaine fin dans la feule veùé de perdre ix peine , car a-
gir pour ce qu'on juge ne pouvoir nullement obtenir ,
n'emporte prccifëment autre chofe. C'eft pour cela aufii
que de fort grandes inquicîitdes n'excitent pas la Volonté,
quand on les juge incurables. On ne fait en ce cas-là au-
cun eifort pour s'en délivrer. Mais celles-là exceptées ,
Vtnquie'tttde la plus confiderable & la plus prefiànte que
nous fentons a£tuellement , eft ce qui d'ordinaire détermi-
ne fucceflivement la Volonté , dans cette fuite d' Actions
volontaires dont nôtre Vie eft compofée. La plus gran-
de inquiétude , actuellement prefentc , eft l'aiguillon à
l'aftion, lequel on fent toujours le plus èc qui pour l'or-
dinaire détermine la Volonté au choix de i'adtion immé-
diatement fuivante. Car nous devons toujours avoir ceci
devant les yeux , Que le propre &: le feul objet de la frô-
lante c'eft quelqu'une de nos aftions , &: rien autre cho-
fe. Et en effet par nôtre Vohtion nous ne produifons au-
tre chofe que quelque aftion qui eft en nôtre puifiance.
C'eft à quoy fe termine nôtre f-^olonte 3 fans aller plus
loin.
Tous les hom- §. 4,1. Si OH demande , outre cela, Ce que c\Jl qui ex-
TTies défirent le ç^^^ [^ defÏT , je répons que c'eft le Bonheur , &: rien autre
chofe. Le Bonheur &: la Mifcre font des noms de deux
cxtrémitez dont les dernières bornes nous font inconnues:
*,i.or.ii.9. * C'eji ce que Vœuil nn foint 'vâ , que l'oreille na point en-
tendu , cr que le cœur àe V Homme n'a jamais compris:
Mais il fe fait en nous de vives imprefiions de l'un &" de
l'autre, par difterentes efpéces de fatisfaftion &: de joye,
de tourment &c de chagrin ; que je comprendrai , pour
abréger, fous le nom de Flaijir 6c de Douleur , qui con-
viennent, l'un 6c l'autre, à l'Efprit audi bien qu'au Corps,
ou qui , pour parler exadcment , n'appartiennent qu'à
l'Ecrit, quoy que tantôt ils prennent leur origine dans.
TEljprit
De la Pitijjhnce. Liv. II. 305
ï'Efprit à l'occafion de certaines penfées , & tantôt dans C H A p.
le Corps à Toccafion de certaines modifications du mou- XXI.
vemcnt.
§. 42. Ainfi, \c Bonheur pris dans toute fon étendue Ce que c'cit
eft le plus grand plaifir dont nous foyons capables, com-'^""^
me la Mifcrc confiderée dans la même étendue, eft la plus
grande douleur que nous puiilîons rcflentiri & le plus bas
degré de ce qu'on peut appeller Bonheur , c'eft cet état ,
ou délivré de toute douleur on jouit d'une telle mefi.ire
de plaifîr préfent , qu'on ne fauroit être content avec
moins. Or parce que c'ell: l'impreflion de certains Objets
fur nos Efprits ou fur nos Corps qui produit en nous le
Plaifir ou la Douleur, en différents dégrez j nous appel-
ions Bien, tout ce qui eft propre à produire en nous du
Plaifir , & au contraire nous appelions Mal , ce qui eft
propre à produire en nous de la Douleur; & nous ne les
nommons ainfi qu'à caufe de cette propriété que ces cho-
fesont, de nous caufer du plaifir ou de la douleur, en
quoy confifte nôtre bonheur & nôtre mijc're. Du refte ,
quoy que ce qui eft propre à produire quelque degré de
plaifir, foit bon en luy-même, ^ que ce qui eft propre à
produire quelque degré de ciouleur foit mauvais ; cepen-
dant, il arrive fouvent que nous ne le nommons pas ain-
fi, lorfque l'un ou l'autre de ces Biens ou de ces Maux
fe trouvent en concurrence avec un plus grand Bien ou un
plus grand Mal , car alors on donne avec raifon la préfé-
rence à ce qui a plus de dégrez de bien ou de mal. De
forte qu'à juger exactement de ce que nous appelions fi/(?«
&: Mal, on trouvera qu'il confifte pour la plupart en i-
dées de comparaifon, car la caufe de chaque diminution
de douleur aufii bien que de chaque augmentation de
plaifir, participe de la nature du Bieyi , êc au contraire,
on regarde comme Mal la caufe de chaque augmentation
de douleur ^ de chaque diminution de plaifir.
§• 43- Qiioy que ce foit là ce qu'on nomme Bien èc
Malt &c que tout Bien foit le propre objet du Defir en
général; cependant tout Bien , celui-là même qu'on voit
0.4 ^^
30(3 De la Pniffance.
C fi A p. & qu'on reconnoit erre tel , n'émeur pas néceiïliirement
XXI. le defir de chaque homme en particulier , mais feulement
chacun délire tout autant de ce Bien qu'il regarde Comme
foilaatune partie ncceflaire de fon bonheur. Tous lesautres
Biens, quelque grands qu'ils foient , réellement ou en
apparence , n'excitent point les deiirs d'un homme qui
dans la difpofition prcfente de fcn Efprit ne les conlidere
pas comme fliifant partie du Bonheur dont il peut fe con-
tenter. Le Bonheur conlideré dans cette veûe , eft le
but auquel chaque homme vife conftamment Se fans au-
cune interruption j Se tout ce "qui en fait partie, eft l'ob-
jet de fes Defirs. Mais en même temps il peut regarder
d'un œuil indiffèrent d'autres chofes qu'il rcconnoit bon-
nes en elles-mêmes. Il peut, dis-je, ne les point defirer,
les négliger, &: être farisfait , fans en avoir la jouiflance.
Il n'y a perfonne,je penle, qui foit affez deftitué de fens
pour nier qu'il n'y ait du plaifir dans la connoiffance de
la Vérité; 6c quant aux plaifirs des Sens , ils ont trop de
feftateurs pour qu'on puiffe mettre en queftion fi les
Hommes les aiment ou non. Cela étant , fuppofons qu'un
homme mette fon contentement dans la joûifTance des
plaifirs fenfuels,& un autre dans les charmes de la Science,
quoy que l'un des deux ne puifTc nier qu'il n'y ait du
plaifir dans ce que l'autre recherche , cependant comme
nul des deux ne fait une partie de fon bonheur de ce qui
plaît à l'autre , l'un ne defire point ce que l'autre aime
pafllonnément, mais chacun eft content fans jouir de ce
que l'autre pôfTede, &: ainfi Hi Volonté n'cft point déter-
minée à le rechercher. Cependant , fi l'homme d'étude
vient à être préfixe de la faim & de la foif , luy dont la
Volonté n'a jamais été déterminée à chercher la bonne
chère, les faufles piquantes , ou les vins délicieux, par
le goût agréable qu'il y ait trouvé , il eft d'abord déter-
miné à manger iSc à boire , par Vuiptieti/de que luy cau-
fent la faim êc la foif; &: alors quelque bonne nourvinire
qui fe préfente à luy , il s'en repaît, quoy que peut-être
avec beaucoup d'indifterencc. D'un autre côte, l'Epi-
curien
De la Pm'lptnce. Liv. IL 207
curien fe donne tout entier à l'étude , lorfque la honte de Ç h a p,
pailcr peur ignorant, ou le defir de fe flxire eftimcr de fa XXL
Maîfrefic, peuvent luy faire regarder avec inquiétude le
défaut de connoifîance. Ainfi avec quelque ardeur ôc
quelque perfcverance que les hommes courent après le
bonheur, ils peuvent néanmoins fe reprcfenter clairement
un Bien qui i'oii excellent en foy-méme 6c qu'ils recon-
noiiïent pour tel, fans s'y intcreHcr ou y être aucunement
fenfibles s'ils croyent pouvoir être heureux fans luy. II
n'en eft pas de même de la Douleur. Elle interefle tous *u>,,^,/;e,ccii
les Hommes, car ils ne fiuroient fentir aucune inquiétude à duc"', «»« à
fans en être émus > d'oii il s'enfuit que le manque de tout ^î'^-^ "rmis'dc
ce qu'ils jugent nécelTairc à leur bonheur, les rendant parier ainfi , ou
* inquiets, un Bien ne paroît pas plutôt faire partie de '"'^'"^'^' '""?'
leur bonheur, qu ils commencent a le deiirer. autrefois.
§. 44. Je croy donc que chacun peut obferver en foy^ rovzc.uoy loti
même éc dans les autres , que le pins ër and Bien vi/îùle"^..'^^^'^'^ pa'
n excite pas toujours les dejirs des hommes a. proportion de ..raud Bien.
VexceUence qu'il paro'it a-voir çt qu'on ■y reconnaît , quoy
que le moindre petit trouble nous émeuve fie nous porte
aéVucllcment à nous en délivrer. La raifon de cela fe dé-
duit évidemment de la nature même de nôtre bonheur &
de nôtre mijére. Tcute douleur aéiuelle, quelle qu'elle
foitj fait partie de nôtre zw//^V^ préfente. Mais tout Bien
abfent n'eft jamais confKieré comme devant fliirc une par-
tie nécefiaire de nôtre préfent Bonheur ; ^ l'abfence de
toute forte de Bien n'cll pas regardée non plus comme
une partie de nôtre mifére. Si cela étoit , nous ferions
conftamment &: infiniment mifcrables ; parce qu'il y aune
infinité de dégrez de bonheur , dont nous ne joûifTons
point. Ceftpourquoy toute inquiétude écartée, une por-
tion médiocre de Bien fuffit pour donner aux hommes
une fatisfaftion préfente -, de forte que peu de dégrez de
plaifirs qui fe fuccedent les uns aux autres , conllituenC
une félicité dont ils peuvent être contens. Sans cela , il
ne pourroit point y avoir de place pour ces a(3:iQns indif-
férentes èc vifiblement frivoles , auxquelles nôtre volon-
Qjq 2 té
goS De îa Piiijfûrice.
Chap. té fe trouve fouvent déterminée jufqu'à y confumer vo-
XXI. lontairement une bonne partie de nôtre vie. Ce relâche-
ment, dis-je, ne fauroit s'accorder en aucune manière a-
vec une confiante détermination de la Volonté ou duDe-
fir vers le plus grand Bien apparent. C'eft dcquoy il eft
aifé de fe convaincre ; & il y a fort peu de gens , à mon
avis, qui ayent befoin d'aller bien loin de chez eux pour
en être perfuadez. En effet , il n'y a pas beaucoup de
perfonncs ici-bas , dont le bonheur parvienne à un tel
point de perfeftion qu'il luy fourniffe une fuite confiante
de plaifirs médiocres fans aucun mélange à' inquiétude ; Se
cependant , ils feroient bien aifes de demeurer toujours
dans ce Monde , quoy qu'ils ne puiflént nier qu'il eft
poffible qu'il y aura , après cette vie , un état éternelle-
ment heureux Se infiniment plus excellent que tous les
Biens dont on peut joûïr fur la Terre. Ils ne fauroient
même s'empêcher de voir, que cet état efl plus poilible,
que l'acquifition (k la confervation de cette petite por-
tion d'Honneurs, de Richeflés ou de Plaiiïrs, après quoy
ils foûpirent &c qui leur fait négliger cette éternelle féli-
cité. Mais quoy qu'ils voyent diftinftement cette diiTé-
rence , &: qu'ils foient perfuadez de la poflîbilité d'un
bonheur parfait , certain &: durable dans un état à venir , &
convaincus évidemment qu'ils ne peuvent s'en aflurer ici-
bas la poffelTion tandis qu'ils bornent leur fehciré à quel-
que petit plaillr, ou à ce qui regarde uniquement cette
vie, èc qu'ils excluent les déUccs du Paradis du rang des
chofes qui doivent faire une partie néccflaire de leur bon-
heur, cependant leurs defirs ne font point émus par ce
plus grand Bien apparcnt, ni leurs volontez déterminées
à aucune aélion ou à aucun effort qui tende à le leur faire
obtenir.
Poiirquoy le §. 45. Lcs néceflltcz ordinaires de la Vie, en rem-
r'.",'S""'^^'^"pliflcnt une grande partie par les inqitu'tudes de la faim y
voîome^, brs de \x foify du Chaud y du Froid, de la lajjitude cauft^ par
^u'ii ueft F^'î le travail , de Venvie de dormir ,&:c. lefquelles reviennent
conftamment à certains temps. Qiie fi , outre les maux
d'ac-
Vc la Ptiijfance. Liv. IL 509
d'accident , nous joignons , à cela les inpiie'tudes chime- C h A p-.
riques , (comme la démangeaifon d'acquérir des honneurs , XXL
du crédit ou des richejfes , &:c.) que la Mode , l'Exem-
ple ou l'Education nous rendent habituelles, &c mille au-
tres defirs irréguliers qui nous font devenus naturels par
la coutume , nous trouverons qu'il n'y a qu'une très-pe-
tite portion de nôtre Vie qui foit afTez exempte de ces
fortes d' inquiétudes pour nous laifler en liberté d'être at-
tirez par un Bien abfent plus éloigné. Nous fomnics ra-
rement dans une entière quiétude , &c afléz dégagez de la
follicitation des defirs naturels ou artificiels ; mais ces
inquiétudes qui fe fuccedcnt conftammcnt en nous , 6c qui
émanent de ce foads que nos befoins naturels ou nos ha-
bitudes ont fi fort grolli, fe faififlcnt par tour de la Vo-
lonté > de forte que nous n'avons pas plutôt terminé l'a-
£tion à laquelle nous avons été engagez par cette particu-
lière détermination de la Volonté , qu'une autre inquié-
tude eft prête à nous mettre en œuvre , fi j'ofe m'exprimer
ainfi. Car -comme c'cfl: en éloignant les maux que nous
fentons, Se dont nous fommes aftuellement tourmentez ,
que nous nous délivrons de la Mifére , éc que c'eft là ,
par conféquent , la première chofe qu'il faut faire pour
parvenir au bonheur , il arrive de là , qu'un Bien ab-
fent, jugé, reconnu, &c paroiflant un vrai Big n , niais
dont i'abfence ne fait pas actuellement partie de nô-
tre Mifére , s'éloigne infenfiblement de nôtre Efprit
pour faire place au foin d'écarter les inquiétudes a£tuel-
les que nous fentons, jufqu'à ce que confiderant de nou-
veau ce Bien comme il le mérite , cette reflexion l'ait ,
pour ainfi dire, approché plus près de nôtre Efprit, nous
en ait donné quelque goût, & infpiré quelque dcfir , qui
commençant alors. à faire partie de nôtre préfente inquié-
tude, eft plus en état d'être fatisfait ainfi que nos autres
defirs, 6c détermine effectivement nôtre Volonté à fon
tour, félon fa véhémence &: l'impreflion qu'il fait fur nous.
§.46. Ainfi en confiderant & examinant comme il faut, Dchx conWe-
un Bien qui nous eft propofé , il eft en nôtre puifi^ance ""°"' excircnt
Qjq. ? d ex-
3IÔ T>e la Puijj'arjce.
CiiA P. d'exciter nos defirs d'une manière proportionnée à l'cx-
XXI. cellencc de ce Bien j & par là il peut à Ton tour &ren fon
lieu opérer fur nôtre Volonté 6c devenir aituellement l'ob-
jet de nos recherches. Car un Bien , pour grand qu'on
le rcconnoifié , ne p:irvient pourtant pas julqu'a émou-
voir nôtre Volonté , avant que d'avoir excité des defirs
dans nôtre El'prit &: de nous en avoir fait fupporter la
privation avec mqmétuàe. Jufque-là nous ne iommes
point dans la fphcrc de fon aârivité , nôtre Volonté n'é-
tant foùmife qu'à la détermination de ces mquîetndes qui
fe trouvent aftuellement en nous , qui , tant qu'il en reiîe,
ne ceflént de nous prcflcr ^ de fournir à la Volonté le
fujet de fa prochaine détermination. Quant à l'incerti-
tude, lors qu'il s'en trouve dans l'Efprit, comme elle ne
fc réduit qu'à favoir quel delir doit être le premier fatis-
fiiit, i^ucWc inquiétude doit ctrc la première éloignée, il
arrive de là , qu'auiîl long-temps qu'il refte dans l'Ef-
prit quelque inqme'înde ^ quelque deîlr particulier, il n'y
a aucun Bien , conlîderé fimplcmcnt comme tel qui ait
lieu d'atteindre à la Volonté ou de la déterminer en au-
cune manière. Parce que, comme nous avons déjà dit,
le premier pas que nous faifons vers le Bonheur étant de
nous délivrer entièrement de la mifére Se d'en éloigner
tout fentimcnt, la Volonté ne peut foagcr à lUitre chofe,
avant que chaque inquic'titde que nous léntons , foit par-
faitement diilipée: 6c dans la multitude de bcfoins 6c de
defirs dont nous fommes coaime afllégez vu l'état d'ini-
f)erfed:ion oli nous vivons, il n'y a pas apparence que
dans ce Monde, nous nous trouvions jamais entièrement
libres à cet égard.
La puifiancc §. 47. Comme donc il fe rencontre en nous un grand
cjuc nous avons nombre à'inûTiietudes qui nous preiïent.fans celle , 6c qui
chacun de nos lont coujours cn ctat de déterminer la Volonté, il elt na-
dcfirs , nous furcl , commc j'ai déjà dit , que celle qui ell la plus con-
nioy'cn d'/xa- fidcrabic 6c la plus veliementc détermine la f-^olonté à l'A-
niinex > avant Qc[ot\ ptocliaine. C'cft là cn effet ce qui arrive pourl'or-
Knr.tieTTâ^iT. ^^''^♦'^^'"^ ' na;us noH pas toujours. Car l'Ame ayant le pou-
voir
T)e la PuiJJance. Liv. II. ^n
voir de fufpendre l'accompliflement de quelqu'un de its C h a p.
defirs , comme il paroîr évidemment par l'expérience , XXL
elle eft, par conféquenr, en liberté de les confiderer tous
l'un après l'autre j d'en examiner les Objets , de les ob-
ferver de tous cotez &: de les comparer les uns avec les
autres. C'eft en cela que confifte la liberté de l'Homme j
&: c'eft du mauvais ufage qu'd en fait que procède toute
cette diverfité d'égaremens , d'erreurs , 8c de fautes où
nous nous précipitons dans la conduite de nôtre Vie &:
dans la recherche que nous faifons du Bonheur -, lorfque
nous déterminons trop promptement nôtre Volonté &
que nous nous engageons trop tôt à agir, avant que d'a-
voir bien examiné quel parti nous devons prendre. Pour
prévenir cet inconvénient , nous avons la puiflance de
fufpendre l'exécution de tel ou tel defir , comme chacun
le peut éprouver tous les jours en foy-méme. C'eft là ,
ce me femble, la fource de toute Liberté, & c'eft en
quoy confifte , fi je ne me trompe , ce que nous nom-
mons, quoy qu'improprement, à mon avis , Libre Ar.
biîre. Car en fufpendant ainfi nos defirs avant que la
Volonté foit déterminée à agu* , & que l'action qui fuie
cette détermination, foit faite, nous avons, durant tout
ce temps-là , la commodité d'examiner, de confiderer,
6c de juger quel bien ou quel mal il y a dans ce que nous
allons faire; éc lorfque nous avons jugé après un légiti-
me examen , nous avons fait tout ce que nous pouvons
ou devons faire en veûé de nôtre Bonheur ; &: ce n'eft
plus après cela nôtre faute de defirer, de vouloir, ^ d'a-
gir conformément au dernier refultatd'un finoére examenj
c'eft plutôt une perfeftion de nôtre Nature.
§. 48. Tant s'en faut, dis-je, que ce foit là ce qui Ecred«crmine
étouffe ou abrège la Liberté , que c'eil ce qu'elle a àç. P" 'on propre
plus parfait gc de plus avantageux. C'eft la fin & Tufa-'I^f r"'';'f
ge de la Liberté , bien loin d en être la diminution ; & mil dctnnie i»
plus nous fommcs éloignez de nous déterminer de cette ^'''="^'-
manière, plus nous fommes près de la mifére Se de l'ef-
elavage. Eneifet, fuppofez dans l'Efprit une parfaite &:
ab-
312 De la Puijfânce.
C H A p. abfoluë indifférence qui ne puiiïe être déterminée par le
XXI. dernier Jugement qu'il fait du Bien 6c du Mal dont il
croit que fon choix doit être fuivi > une telle indifféren-
te fcroic fi éloignée d'être une belle & avantagcufe quali-
té dans une Nature Intelligente , que ce feroit un état
auili imparfait que celui où fe trouvcroit cette même Na-
ture, fi elle n'avoir pas l'indilTé'-cnce d'agir oj de ne pas
agir, jufqu'à ce qu'elle fut déterminée par fli Volonté.
Un Homme eft en liberté de porter (x main fur fa tête,
ou de la laiflér en repos, il eft parfaitement indifférent à
l'égard de l'une & de l'autre de ces chofes , & ce feroit
une imperfection en luy fi ce pouvoir luy manquoit , s'il
etoit privé de cette indifférence. Mais ce feroit uneauilî
grande imperfe£tion s'il avoit la même indifférence , ibit
qu'il voidut lever fa main ou la lailfcr en repos, lorfqu'il
voudroit défendre fa tête ou fes yeuK d'un coup dont il
fe verroit prêt d'être frappé. Ccft donc une aulfi grande
perfeiStion, que le dellr ou la puiifance de préférer une
chofe à l'autre foit déterminée par le Bien, qu'il efl avan-
tageux que la puiifance d'agir foit déterminée par la Vo-
lonté j & plus cette détermination eft fondée fur de bon-
nes raifons , plus cette perfeftion etl grande. Bien plus -,
û nous étions déterminez par aiitre chofe , que par le der-
nier refultat que nous avons formé dans nôtre propre Ef-
prit félon que nous avons jugé du Bien ou du Mal d'une
certaine Aifion, nous ne ferions point libres.
Lc5 Agents les §- 49- Si nous jcttons les yeux fur ces Etres fupcrieiirs
plus libres font qui font au deflus de nous & qui jouiifcnt d'une parfiitc
'mc"mrnieK! i'elïcité , nous aurons fujet de croire qu'ils font plus forte-
ment déterminez au choix dn Bien , que nous ; Se cepen-
dant nous n'avons pas raifon de nous figurer qu'ils foient
moins heureux ou moins libres que nous. Et s'il conve-
noit à de pauvres Créatures finies comme nous fommes,
de juger de ce que pourroit faire une fageOeSc une Bonté
infinie, je croyque nous pourrions dire , Qiie Dieu luy-
même ne fauroit choifir ce qui n'cft pas bon, &: que la
Liberté de cet Etre tout-puiflant ne l'empêche pas d'être
4crerraixié par ce qui clt le meilleur. §. f^o.
Delà Puijfdnce. Liv. IL 313
§. 50. Mais pour faire connoître exa£tement en quoy Chap.
confifte l'erreur où l'on tombe fur cet article particulier XXI.
de la Liberté , je demande s'il y a quelqu'un qui voulut "^,"^ conftante
être Imbecille , par la raifon qu'un Imbecille eft moins vcis^iT'boii'hè'uc
déterminé par de fages reflexions , qu'un homme de bon ne diminue
fens ? Donner le nom de Liberté a.\\ pouvoir de faire le P°'"''*'^"''""=*
fou & de fe rendre le jouet de la honte oc de la mifére ,
n'eft-ce pas ravaler un fi beau nom ? Si la Liberté confifte
à fecouér le joug de la Raifon 6c à n'être point fournis à la
nécefiité d'examiner 8c de juger, par oii nous fommes em-
pêchez de choifir ou de faire ce qui eft le pire ; Il c'eft-
là , dis-je j la véritable Liberté , les Fous Oc les Infenfez
feront les feuls Libres > mais je ne croy pourtant pas, que
pour l'amour d'une telle Liberté perlbnne voulut être
fou, hormis celui qui l'cft déjà. Pcrfonne, je penfe, ne
regarde le defir conftant d'être heureux &; la nécelllt^qui
nous eft impofée d'agir en veiié du bonheur, comme une
diminution de fa Liberté, ou du moms comme une dimi-
nution dont il s'avife de fe plaindre. Dieu luy-même eft
foûmis à la nécelfité d'être heureux ; &z plus un Etre in-
telligent eft dans une telle néccfllté , plus il approche
d'une perfe£tion Se d'une félicité infinie. Afin que dans
l'état d'ignorance oii nous nous trouvons , nous puiiîlons
éviter de nous méprendre dans le chemin du véritable
Bonheur, foibles comme nous fommes Se d'un efprit ex-
trêmement borné > nous avons le pouvoir de fufpendre
chaque defir particulier qui s'excite en nous , & d'empê-
cher qu'il ne détermine la Volonté &c ne nous porte à a-
gir. Ainfi , fufpendre un defir particulier , c'eft comme
s'arrêter où nous ne fommes pas affez bien afturez du che-
min. Examiner c'eft confulter un guide ; & Déterminer
fa volonté après un folide examen , c'cïifuivre la dire£fion
de ce guide: & celui qui a la puifiance d'agir ou de ne pas
agir félon qu'il eft dirigé par une telle détermination, c'eft
un Agent libre , & cette détermination ne diminue en au-
cune manière ce pouvoir en quoy confifte la Liberté. Un
Prifonnier dont les chaînes viennent à fe détacher Se à qui
Rr les
Ch AP.
XXI.
L.T Ntcedite de
314, Delà Ptiijfance.
les portes de la Prifon font ouvertes , eft parfaitement en
liberté , parce qu'il peut s'en aller ou demeurer félon
qu'il le trouve à propos ; quoy qu'il puifle être détermi-
ne à demeurer, par l'obfcurité de la nuit, ou par le mau-
vais temps , ou faute d'autre Logis oii il put fe retirer. Il
ne cefTe point d'être libre , quoy que le defir de quel-
que commodité qu'il peut avoir en prifon l'engage à
y refter & détermine abfolument fon choix de ce cô-
té-là.
§.51. Comme donc la plus haute perfection d'un
Trrkah!e'"BÔn- ^^^'^ Intelligent confiftc à s'appliquer foigncufcmcnt &
heur eft le fou- conitammcnt à la recherche du véritable &: du folide Bon-
demeiK de la hcur , de même le foin que nous devons avoir, de ne pas
prendre pour une félicité réelle celle qui n'eft qu'imagi-
naire , ell le fondement néceflaire de nôtre Liberté. Plus
nou5 fommes liez à la recherche invariable du Bonheur en
général qui eft nôtre plus grand Bien , & qui comme tel
ne celle jamais ci'être l'objet de nos defirs , plus nôtre Vo-
lonté fe trouve dégagée de la néceflité d'être déterminée
à aucune aftion particulière 6c cie complairrc au dcilr qui
nous porte vers quelque Bien particulier qui nous paroit
alors le plus important -, jufqu'à ce que nous ayions exa-
miné avec toute l'application néceflaire fi effectivement
ce Bien particulier fe rapporte ou s'oppofe à nôtre vérita-
ble Bonheur. Et jufqu'à ce que par cette recherche nous
foyons autant inftruits que l'importance de la matière &:
la nature de la chofe le demande , nous fommes obligez
de fufpcndre la fatisfaftion de nos defirs dans chaque cas
particulier, 6c cela par la nécelllté qui nous eft impofée
de préférer Se de rechercher le véritable Bonheur comme
nôtre plus grand Bien.
§.52. C'eft fur cela que roule -toute la Liberté des E-
tres Intelligens dans les continuels etforts qu'ils emplo-
yent pour arriver à la véritable félicité, &: dans la vigou-
reufe 6c conftante recherche qu'ils en font ; je veux dire
fur ce qu'ils peuvent fufpendre cette recherche dans les
cas particuliers, jufqu'à ce qu'ils ayent regardé devant eux,
&
rcurouoy.
T>e la Puijjance. Liv. II. 315
&: reconnu fi la chofe qui leur eft alors propofée ou qu'ils C h a p.
défirent , peut les conduire à leur principal but , Se faire XXI.
une partie réelle de ce qui eft leur plus grand Bien. Car
cette pente qu'ils ont de leur nature \ ers le Bonheur , leur
ell une obligation Se un motif de prendre foin de ne pas
méconnoître ou manquer ce Bonheur, Se par là les enga-
ge néceffairement à fe conduire, dans la direction de leurs
actions particulières, avec beaucoup de retenue , de pru-
dence, 6c de circonfpection. La même nécellite qui dé-
termine à la recherche du vrai Bonheur , emporte auUî
une obligation indifpenfable de fufpendre , d'examiner &
de confiderer avec circonfpedtion chaque defir qui s'élève
fuccellivement en nous , pour voir 11 l'accompliiTemenc •
n'en eft pas contraire à nôtre véritable bonheur , en forte
qu'il nous en éloigne au lieu de nous y conduire. C'eil
là, ce me femble , le grand privilège d'un Etre fini qui
eft doué d'intelligence; Se je voudrois bien qu'on prit la
peine d'examiner avec foin , fi le premier 5c le plus con-
liderable exercice de toute la liberté qu'ont les hommes ,
qu'ils font capables d'avoir, ou qui peut leur être de quel-
que ufage , celle d'où dépend la conduite de leurs actions,
ne confifte point en ce qu'ils peuvent fufpetid^'e leurs de-
firs Se les empêcher de déterminer leur volonté à aucune
action , jufqu'à ce qu'ils en ayent deùement Se fincere-
ment examiné le bien Se le mal , autant que l'importance
de la chofe le requiert. C'eft ce que nous fommes capa-
bles de faire; Se quand nous l'avons fait, nous avons fait
nôtre devoir, tout ce qui eft en nôtre puifiance , Se dans
le fonds tout ce qui eft néceflaire ; car puifqu'on fuppofe
que c'eft la connoiflance qui régie le choix delà Volonté,
tout ce que nous pouvons faire , c'eft de retenir nos vo-
lontez indéterminées jufqu'à ce que nous ayions examiné
le bien Se le mal de ce que nous defirons. Ce qui fuit a-
près cela, vient par une fuite de conféquences enchiinées
l'une à l'autre, qui dépendent toutes de la dernière déter-
mination du Jugement, laquelle eft en nôtre pouvoir foit
qu'elle foit formée fur un examen fait à la hâte Se d'une
Kr 3 n]a-
5 1 6 De la Pnijfance.
Ch A p. manière précipitée, ou mûrement & avec toutes les pré-
XXI. cautions rcquifes, l'expérience nous fiiifant voir que dans
la plupart des cas nous fommes capables de fufpendre l'ac-
compliflement prefentdes defirs particuliers qui s'excitent
au dedans de nous.
La grande per- §. 53. Mais fi quelquc ttouble exccfTif vient à s'empa-
fcdion de la Li- j.gj. entièrement de nôtre Ame, ce qui arrive quelquefois,
Inerte coMiiit" A 1/" 111 1) 11
inaîtrifer Tes comme lorlque la douleur d une cruelle torture , un mou-
proprcspaf- yemcnt impétueux d'amour, de colère ou de quelque
°"*' autre violente paillon , nous entraînent avec rapidité &: ne
nous donnent pas la liberté de penfer , en forte que nous
ne fommes pas allez maîtres de nôtre Efprit pour conllde-
rer êc examiner les chofes à fonds & fans préjugé > en ce
cas-là Dieu qui connoit nôtre fragilité , qui compatit à
nôtre foibleflé , qui n'exige rien de nous au delà de ce que
nous pouvons faire , & qui voit ce qui étoit & n'étoit pas
en nôtre pouvoir, nous jugera comme un Père tendre &:
plein de compallion. Mais comme la jufte direftion de
nôtre conduire par rapport au véritable bonheur, dépend
du foin que nous prenons de ne pas fatisfaire trop prom-
ptement nos defirs, de modérer 6c de reprimer nos Paf-
fions, en forte que nôtre Entendement puiflè avoir la li-
berté d'examiner. Se la Raiion , celle déjuger fans aucu-
ne prévention > c'eft à quoy nous devons nous attacher
principalement. Et c'efb en cette rencontre que nous de-
vrions tâcher de faire prendre à nôtre Efprit le goût du
bien ou du mal , réel &: effectif , qui fe trouve dans les
chofes, 6c de ne pas permettre qu'un Bien excellent 6c con-
fiderable, reconnu tel, ou fuppofé poillble , nouséchap-
. •; pedel'Efprit, fans en confcrver quelque goût, 6c juf-
qu'à ce que par \\n^ jufte confideration de fon véritable
prix j nous enfilons excité en nous des defirs proportion-
nez à fon excellence, de forte que fon abfcnce ne nous fut
pas indifférente , mais qu'elle nous rendit inquiets aulli
bien que la crainte de le perdre lorfque nous en jouïfTons.
11 eft aife à chacun en particulier d'éprouver jufqu'où ce-
la eft en fon pouvoir , en formant en luy-méme les réfo-
lutions
De la Pîiijpince. Liv. II. 317
lutions qu'il eft capable d'accomplir. Et que perfonne C h a p.
ne dile ici qu'il ne fauroit maîrrifer fes paillons , ni empê- XXI.
cher qu'elles ne fe déchaînent & ne le forcent d'agir ; car
ce qu'il peut faire devant un Prince ou quelque grand
homme, il peut le faire, s'il veut , lorfqu'il eil feul ou
en la préfencc de Dieu.
§. 54,. Par ce que nous venons de dire ,il eft aifé d'ex- Comment iUr-
pliquer comment il arrive, que, quoy que tous les hom- '^^^^"^5 "^
mes défirent d'être heureux, cependant leurs volontezriennciupas
les entraînent à des choies fi oppoîées , ^ qu'ainfi qucl-'""','^ ™^'"^
,, , r '^^^ • n > conduite.
ques-uns d entr eux font portez a ce qui elt mauvais en
foy-même. En eifet , tous ces dilférens choix que les
Hommes font dans ce Monde , quelque oppofez qu'ils
foient, ne prouvent point que les Hommes ne vifent pas
tous à la recherche du Bien , mais feulement que la même
chofe n'eft pas également bonne pour chacun d'eux. Cette
variété de recherches montre que chacun ne place pas le
bonheur dans la jouiilance de la même chofe, ou qu'il ne
choifit pas le même chemin pour y parvenir. Si les in-
térêts de l'Homme ne s'étendoient point au delà de cette
Vie, la raifon pourquoy les uns s'appliqueroient à l'Etu-
de, &c les autres à la ChaiTe , pourquoy ceux-ci fe plon-
geroient dans le luxe &c dans la débauche. Se ceux-là pré-
férant la tempérance à la Volupté , fe feroient un plaiilr
d'amaiîér des richeflés , la raifon , dis je , de cette diver-
lité d'inclinations ne procederoit pas de ce que chacun
d'eux n'auroit pas en veûë fon propre bonheur, mais feu-
lement de ce qu'ils placeroient leur bonheur dans des cho-
fes différentes. C'eilpourquoy cette réponfe qu'un Me- -
decin fit un jour à un homme qui avoit mal aux yeux, é-
toit fort raifonnable , Si vous prenez; plus de plaifrr au
goât du vin qu'a l'iifage de la Veàe ^ U vm vous ejt fort
bon j mais fi le platfiv de voir vous paroit plus grand
que celui de boire , le vin vous eft. fort mauvais.
§.55. L'Ame a diiFérens Goûts auffi bien que le Pa-
lais j & fi vous prétendiez faire aimer à tous les Hommes
la gloire ou les richeflés , auxquelles pourtant certaines
Rr 3 per-
5 1 8 Delà Piiijpince.
C H A p. perfonnes attachent entièrement leur Bonheur , vous y
XXI. travailleriez aufll inutilement que il vous vouliez fatisfai-
re le goût de tous les hommes en leur donnant du froma-
ge ou des huîtres, qui font des mets fort exquis pour cer-
taines gens, mais extrêmement dégoutans pour d'autres >
de forte que bien des perfonnes prei'ercroient avec raifort
les incommoditez de la fliim la plus piquante à ces mets
que d'autres mangent avec tant de plaifir. C'etoit là, je
croy, la raifon pourquoy les Anciens Philof^phes cher-
choient inutilement il le Souverain Bien coniiftoit dans
les RichefTes , ou dans les Voluptez du Corps , ou dans
la Vertu , ou dans la Contemplation. Ils auroient pu
difputer avec autant de raifon, s'il falloir chercher le goût
le plus délicieux dans les Pommes , les Prunes , ou les
Abricots , &: fe partager fur cela en différentes fectes. Car
comme les Goûts agréables ne dépendent pas des chofcs
mêmes , mais de la convenance qu'ils ont avec tel ou tel
Palais, en quoy il y a une grande diverilté -, de même le
plus grand bonheur conilfte dans la jouïflance des chofes
<\m produifent le plus grand plailir, fie dans l'abfence de
celles qui caufent quelque trouble & quelque douleur :
chofes qui font fort diiférentes par rapport à différentes
perfonnes. Si donc les hommes n'avoient d'efpérance &:
ne pouvoient goûter de plaifir que dans cette vie , ce ne
feroit point une chofe étrange ni deraifonnable qu'ils fîf-
fent confifter leur félicité à éviter toutes les chofes qui
leur caufent ici bas quelque incommodité , & à recher-
cher tout ce qui leur donne du plaifir; & l'on ne devroit
point être furpris de voir fur tout cela une grande variété
d'inclinations. Car s'il n'y a rien à efperer au delà du
Tombeau , la coniéquence eft fans doute fort jnlle, Man-
geons cr buvons ,]o\\ïÇ[ons de tout ce qui nous fait plaifir}
car demain nous mourrons. Et cela peut fervir , ce me
femble, à nous faire voir la raifon pourquoy , bien que
tous les hommes défirent d'être heureux, ils ne font pour-
tant pas émus par le même Objet. Les hommes pour-
roient choifir différentes chofes , 6: cependant taire tous
un
De la PiiiJSunce. Liv. II. ^lo
un bon choix, fiippofé que femblables à une troupe de Ci?a^
ehetifs Infeûes, quelques-uns comme les Abeilles aimaf- XXL
fent les Fleurs & le doux fuc que ces Animaux en re-
cueillent , & d'autres comme les Efcarbots fe pluflent
à quelque autre chofe, Se qu'après avoir pafle une cer-
taine faifon ils ceflalfent d'être , pour n'exifter jamais
plus.
§. 56. Ce que je viens de dire fuffit pour montrer Cc-imengsg»
comment les Hommes fe déterminent dans ce Monde à [" ^^"""';' "*
difFérenres chofes, & recherchent le bonheur par desche- vaTs^hoiT"
mins oppofez. Mais comme ils ont conftamment ôc fe-
rieufement les mêmes penfées à l'égard du Bonheur & de
la Mifére, il refte toujours à examiner, Comment il arri-
ve que les Hommes préfèrent fouvent le pire à ce quiejl meil'
leur , Se choififTent ce qui , de leur propre aveu , les a
rendus miferables ?
§. 57. Pour rendre raifon de tous les Chemins diffé-
rens & oppofez que les Hommes prennent dans ce Mon-
de, quoy que tous afpirent également au Bonheur, il faut
confidererd'où c'eft que les diverfes inquiétudes qui déter-
minent la Volonté au choix de chaque adion volontaire,
tirent leur origine.
I. Qiielques-unes font produites par des caufes qui ne Les Douleurs
font pas en nôtre puiflHnce, comme font fort fouvent les 'lu Corps.
Douleurs du Corps, qui procèdent de quelque chofe qui
nous manque , de quelque maladie ou de quelque vio-
lence extérieure, comme la torture, ôcc. lefquelles a^if-
fant actuellement &: d'une manière violente fur l'Efprit
des hommes forcent pour l'ordinaire leur volonté , les
détournent du chemin de la Vertu , leur font abandon-
ner le parti de la Piété 6c de la Religion , 6c renoncer
à ce qu'ils croyoient auparavant propre à les rendre
heureux j 5c cela , parce que tout homme ne tâche pas
ou n'eft pas capable d'exciter en foy même , par la con-
templation d'un Bien éloigné ôc à venir, des defirs de ce
Bien qui foient aflez puiffans pour contrebalancer 1'/»-
quiciude que luy caufent ces toiurmens corporels , &c pour
coa-
520 De la PniJ^ance.
C H A p. conferver fa Volonté conftamment fixée au choix des
XXI. aftions qui conduifent au Bonheur qu'il attend après
cette vie. C'eft dequoy le Monde nous fournit une
infinité d'exemples, fie l'on peut trouver dans tous les
Pais £c dans tous les temps affez de preuves de cette
commune obfervation " Qiie la Necellité entraine les
j, hommes à des a^Stions honteufes , Necejjitas cogit ad
tt.rpta. C'eftpourquoy nous avons grand fujet de prier
»wj»;;.vi. i;. Dieu, * Clu'il m nous induife point en tentation.
LcsDefirscau- H. H y a d'autres inquiétudcs qui procèdent des de-
jagcme^l^^"' ^''^ l"^^ "^"^ avons d'uu Bien abfent , lefquels defirs
font toujours proportionnez au jugement que nous for-
mons de ce Bien abfent} de forte ^que c'eft de là qu'ils
dépendent aulîî bien que du goût que nous en conce-
vons : fie à ces deux occafions nous fommes fujets à tom-
ber en divers égaremens , fie cela par nôtre propre
faute.
Le Jugement §.58. Confidcrous avant toutes chofes , les faux ju-
ml^faifon^s du g^niens que les Hommes font du Bien &: du Mal à
Bien ou du Mal venir , par oii leurs defirs font feduits > car pour ce
eft toujours q^i gf]- ^^ |.^ félicité 6c de la mifére prefentc, lorfque la
reflexion ne va pas plus loin , fie que toutes confequen-
ces font entièrement mifes à quartier, l' Homme ne choi-
Jit jamais mal. Il connoit ce qui luy plaît le plus ,
fie s'y porte a£tuellement. Or les chofes confiderées en-
tant qu'on en jouit actuellement , font ce qu'elles fem-
blentétre; dans ce cas-là , le bien apparent fie réel font
toujours une feule fie même chofc. Car la Douleur ou
le Plaifir étant juftement aufli confiderables qu'on les
fent , ?i^ pas davantage , le Bien ou le Mal préfent eft
réellement aufli grand qu'il paroit. Et par conféquent ,
fi chacune de nos A£tions étoit renfermée en elle-même,
fans traîner aucune conféquence après elle , nous ne
pourrions jamais nous méprendre dans le choix que nous
ferions du Bien , mais infailliblement nous prendrions
toujours le meilleur parti. Que dans le même temps la
peine qui fuit un honnête travail le prefentât à nous
d'un
De la Pt'.ijfance. Liv. IL 321
d'un côté , & de l'autre la nécellité de mourir de faim &: C h a p.
de froid, perfonne ne balanceroit à choifir. Si l'on of^ XXI.
froit tout à la fois à un homme le moyen de contenter
quelque pafllon prefente, &: la jouïlTance aftuelle des Dé-
lices du Paradis , il n'auroit garde d'héfiter le moins du
monde, ou de fe méprendre dans la détermination de fon
choix.
§. 59. Mais parce que nos Actions volontaires ne pro-
duifent pas juftemcnt dans le temps de leur éxecution
tout le Bonheur &: toute la Mifére qui en dépend, mais
qu'elles font des caufes antécédentes du Bien & du Mal,
qu'elles entraînent après elles & attirent fur nous après
même qu'elles ont cefle d'exifter; par cette raifon nosde-
firs s'étendent au delà du plaifir préfent &: obligent nôtre
Efprit à jettcr les yeux fur le Bien abfent , félon que nous
le jugeons nécefiaire pour faire ou pour augmenter nôtre
Bonheur. C'eft cette opinion que nous avons de fa né-
cellîté qui nous attire à luy. Se fans cela, un Bien abfent
ne nous touche point. Car dans cette petite mefure de
capacité que nous éprouvons en nous-mêmes & à quoy
nous fommes tout accoutumez , nous ne jouiffons que
d'un feul plaifir à la fois , qui tandis qu'il dure , fuffit
pour nous pcrfuader que nous fommes heureux , fi dans
ce même temps nous fommes libres de toute inojttiétnde.
C'eltpourquoy tout Bien qui eft éloigné , ou même qui
nous eft actuellement offert , ne nous émeut point , par-
ce que l'indolence & la jouïlfance aftuelle de quelque au-
tre Bien fuiîîfant à nôtre Bonheur préfent , nous ne nous
foncions pas de courir le hazard du changement, par la
raifon qu'étant contens nous nous croyons déjà heureux,
ce qui îliftit, car qui eft content , eft heureux. Mais dès
que quelque nouvelle mquictude vient à la traverfe, le
Bonheur eft interrompu , èc nous nous trouvons réduits
de nouveau à nous mettre en quête pour l'obtenir.
§. 60. Par confcquent , une des grandes occafionspour-
quoy les Hommes ne font pas excitez à defirer le plus
grand Bien abfent, c'eft ce penchant qu'ils ont à conclurre
S f qu'ils
32 2 T>e la Fuijptnce.
Chap. qu'ils peuvent être heureux fans en jouir. Car tandis
XXI. qu'ils font préoccupez de cette pcnlee , les Délices d'un
état à venir ne les touchent point , ils n'y prennent pas
grand' part èc ne s'en mettent pas fort en peine; de forte
que la Volonté n'étant point déterminée par ces fortes de
defirs , eft abandonnée au foin de rechercher de plaifirs
plus prochains Se à éloigner les inquiétudes que luy caufe
alors l'abfence de ces plaifu-s ou l'envie de les pofîeder.
Mais que ces chofes fe préfentent à l'Homme dans ua
autre point de veùé ; qu'il voye que la Vertu &: la Reli-
gion font nécefTaires à fon Bonheur ; qu'il jette les yeux
fur cet état à venir qui doit être accompagné de bonheur
ou de mifére félon la fage difpenfation de Dieu ; &: qu'il
fe rcpréfente ce jufte Juge prêt k rendre à chacun félon fes
œuvres , en donnant la vie éternelle X ceux qui par leur
fcrjcverance à bien faire , cherchent la gloire ■, l'honneur ô"
l'immortalité , & en répandant fur VAmc de tout homme
qui fait le tnal les effets de fon indignation & de fa fureur ,
l'affli^ion & rangoiffe ; qu'un homme , dis-je , fe forme
unejufte idée de ce différent état de Bonheur ou de Mi-
fére, deftiné aux hommes après cette vie félon qu'ils fe
feront conduits dans ce Monde, ôc dès-lors les Régies du
Bien ou du Mal qui déterminent fon choix , feront tout
autres à fon égard. Car puifque les plailirs & les peines
de ce Monde ne peuvent avoir aucune proportion avec le
Bonheur éternel ou la Mifére extrême que l'Ame doit
fouffrir après cette vie , un tel homme ne réglera pas les.
aftions qui font en fx puiiTlmce par rapport aux plaifirs
paflagers ou à la douleur dont elles font accompagnées ou
fuivies ici-bas, mais félon qu'elles peuvent contribuer à
luy aflurer la poflénion de cette parfaite &: éternelle féli-
cité qu'il attend après cette vie.
jdce piii'; parti- _§. 6i. Mais pout tendre plus particulièrement taifou
cuiièredcs faux ^^ j^ Mifcrc oii Ics Homnics fe précipitent fouvent d'eux-
Tuyeniens des , ,., , , ' i n i
Hommes. memcs , quoy qu ils rech-erchent tous le bonheur avec
une entière fincerité , il faut confiderer comment les cho-
fes viennent à êtrcreprefentées à nos Defirs fous des appa-
rences
De la TuiJJance. L i v. II. 325
rences trompeufes , ce qui vient du faux Jugement que C h A p.
nous portons de ces chofes. Pour voir jufqu'où cela s'é- XXÎ.
tend , fie quelles font les caufes de ces faux Jugemens , il
faut fe reftouvenir que les chofes font jugées bonnes ou
mauvaifes en deux fens.
Et premièrement , §lHe ce qui ejl proprement bon ou
mauvais , n'efi autre choje que le Plaijïr ou la Douleur.
Mais en fécond lieu , parce que ce qui efl le propre
objet de nos delirs , ^ qui eft capable de toucher une
Créature douée de prévoyance, n'eft pas feulement la fa-
tisfadion èc la douleur préfente , mais encore ce qui par
fon efficace ou par fes fuites eft propre à produire ces fen-
timens en nous , à une certaine diitance de temps ; on
conildére aulli comme bonnes (^ mauvaifes les chofes qui
entraînent le plaifr é^ la douleur après elles.
§. 62. Le faux Jugement qui nous feduit , Se qui dé-
termine fouvent la Volonté au plus méchant parti , con-
fifte à faire un mauvais rapport fur les diverfes ' comparai-
fons du Bien 6c du Mal confidcrcz dans les chofes capa-
bles de nous caufer du plaifir &: de la douleur. Or ce
faux Jugement dont je parle en cet endroit , n'eft point
ce qu'un homme peut penfer de la détermination d'un
autre homme, mais ce que chacun doit confeflér en foy-
même être déraifonnable. Car après avoir pofé pour fon-
dement indubitable , Que tout Etre Intelligent cherche
réellement le Bonheur, qui confifte dans la jouïflance du
Plaifir fins aucun mélange conlîderable d'inquiétude , il
eft impoflible que perfonne pût rendre volontairement fa
condition plus malheureufe , ou négliger une chofe qui
feroit en fon pouvoir & contribueroit à fa propre latisfa-
£tion & à l'accompliflément de fon bonheur, s'il n'yétoit
porté par un faux Jugement. Je ne prétens point parler
ici de ces fortes de méprilés qui font des fuites d'une er-
reur invincible, 6c qui méritent à peine le nom de faux
Jugement: je ne parle que de ce faux Jugement qui eft tel
par la propre confciîion que chaque Homme en doit faire
en luy-même.
Sf2 §.63.
524 De la Piiijfance.
Ch A p. §.63. Premièrement donc, pour ce qui eft du Plaifir
XXI. & de la Douleur que nous Tentons aftiiellement , l'Ame
_ ' ne fe méprend jamais dans le jugement qu'elle fait du
dans la Tompa Bien OU du Mal réel , comme * nous avons déjà dit > car
raifon du prc- cg q,^,; gft Ic plus grand plaifir , ou la plus grande dou-
pjr. ^^ ^"^'leur, eft jufbement tel qu'il paroît. Mais quoy que la
* Voyez cy- différence & les dégrez du Plaifir préfent & de la Dou-
3„"'j^ ^^ ^^^^^ préfente foient fi vifibles qu'on ne puifle s'y mépren-
dre, cependant lorfque nous comparons ce Phijîr on cette
Douleur avec un Flaifir ou une Douleur a. venir , (Se c'eft
pour l'ordinaire fur cela que roulent les plus importantes
déterminations de la Volonté) nous faifons fouvent de faux
Jugetnens , en ce que nous mefurons ces deux fortes de
plaifirs 6c de douleurs par la différente diftance oli elles fe
trouvent à nôtre égard. Comme les Objets qui font près
de nous, paffent aifément pour être plus grands que d'au-
tres d'une plusvafte circonférence qui font plus éloignez,
de même à l'égard des Biens 6c des Maux , le préfent
prend ordinairement le deflus , 6c dans la comparaifon
ceux qui font éloignez , ont toujours du défavantage.
Ainfi la plupart des Hommes, femblables à des Héritiers
prodigues, font portez à croire qu'un petit Bien préfent
eft préférable à de grands Biens à venir; de forte que pour
la poffeifion préfente de peu de chofe ils renoncent à un
grand héritage qui ne pourroit leur manquer. Or , que
ce foit là un faux Jugevierit chacun doit le rcconnoître,
en quoy que ce foit qu'il f:iffc confiftcr fon plaifir, parce
que ce qui eft à venir, doit certainement devenir préfent
un jour, 6c alors ayant le même avantage de proximité,
il fe fera voir dans fa jufte grandeur 6c mettra en jour la
prévention déraifonnablc de celui qui a jugé de fon prix
par des mcfures inégales. Si dans le même moment qu'un
homme prend un verre en main , le plaifir qu'il trouve
à boire étoit accompagné de cette douleur de tête 6c de
ces maux d'eftomac qui ne manquent pas d'arriver à cer-
taines gens , peu d'heures après qu'ils ont trop bû , je ne
croy pas que jamais pcrfonne voulut à ces couditions goû-
ter
De la PuiJpiNCC. Liv. II. 315
ter du vin du bout des lèvres , quelque plaifir qu'il prit C h a p^
à en boire -, &c cependant , ce même homme fe remplit XXL
tous les jours de cette dangereufe liqueur , uniquement
déterminé à choifir le plus mauvais parti par la feule illu-
iîon que luy fait une petite différence de temps. Mais fi le
Plaifir ou la Douleur diminué fi fort par le feul éloigne-
mcnt de peu d'heures , à combien plus forte raifon une
plus grande difbance produira-t-elle le même effet dans
i'Efprit d'un homme qui ne fait point, par un jufte exa-
men de la chofe même, ce que le temps l'obligera de fai- ,
re en la luy mettant aftuellement devant les yeux, c'eft
à dire qui ne la confidére pas comme préfente pour en
connoître au jufte les véritables dimenilons ? C'eft ainfi
que nous nous trompons ordinairement nous-mêmes par
rapport au Plaifir & à la Douleur confidérez en eux-mê-
mes , ou par rapport aux véritables dégrez de Bonheur
ou de Mifére que les chofes font capables de produire.
Car ce qui eft à venir perdant flx juûc proportion à nôtre
égard, nous préferons le préfent comme plus confidera-
ble. Je ne parle point ici de ce faux Jugement par lequel
ce qui eft abfcnt n'eft pas feulement diminué, mais tout-
à-fait anéanti dans I'Efprit des hommes ; quand ils jouïf-
fent de tout ce qu'ils peuvent obtenir pour le préfent, &;
s'en mettent en poffellîon , concluant fauflement qu'il
n'en arrivera aucun mal ; car cela n'eft pas fonde fur la
comparaifon qu'on peut faire de la grandeur d'un Bien&;
d'un Mal à venir , dequoy nous parlons préfentement,
mais fur une autre efpéce de faux Jugement qui regarde
le Bien ou le Mal confidérez comme la caufe&: l'occafion
du plaifir & de la douleur qui en doit provenir.
§. 64. C'eft, ce me fcmble , la foihle e^r c'troite capa-Q}-^e\]c^ f^^arx
cite de nôtre Efprit qm ejt la caiife des Faux Jiigemens que '" ""'^''
nous faifons en comparant le Plaifir préfent ou la Dou-
leur préfente avec un Plaifir ou une Douleur à venir.
Nous ne faurions bien jouir de deux Plaifirs à la fois , &:
moins encore pouvons-nous guère jouir d'aucun plaifir
dans le temps que nous fommes obfedez par la Douleur.
Sf 3 Le
5 2 (3 DelaPtiiJJ^ance.
C H A p. Le Plaifir préfent , s'il n'eft extrêmement foible , jufqu'à
XXI. n'être prefque rien du tout , remplit l'étroite capacité de
nôtre Ame , & par là s'empare de tout nôtre Efprit en
forte qu'il y laifle à peine aucune penfée de chofes abfen-
tes. Ou H parmi nos Plaifirs il s'en trouve quelques-uns
qui ne nous frappent point afléz vivement pour nous dé-
tourner de la confideration des chofes éloignées , nous a-
vons pourtant une telle averfion pour la Douleur, qu'une
petite douleur éteint tous nos plaiHrs. Un peu d'amer-
tume mêlée dans la coupe , nous empêche d'en goûter
la douceur} 6c de là vient que nous defirons à quelque
prix que ce foit d'être délivrez du Mal prefent ^que nous
fommes portez à croire plus rude que tout autre Mal ab-
fent ; parce qu'au milieu de la Douleur qui nous prcfle
aftuellement , nous ne nous trouvons capables d'aucun
degré de Bonheur. Les plaintes qu'on entend faire tous
lesjours aux Hommes, en font une bonne preuve, car le
Mal que chacun fent actuellement , eft toujours le plus
rude de tous , témom ces cris qu'on entend fortir ordi-
nairement de la bouche de ceux qui fouftrcnt, Ab ! toute
antre douleur plutôt que celle-ci: Rien ne peut être plus in-
fupportable que ce que j'endure préfcntement. C'efl pour
cela que nous employons tous nos efforts &: toutes nos
penlees à nous délivrer avant toutes chofes du mal pré-
lent j confiderans cette délivrance comme la première
condition abfolument néceflaire pour nous rendre heu-
reux , quoy qu'il en puifle arriva*. Dans le fort de la
paillon nous nous figurons que rien ne peut furpailér ou
prefque égaler Vinquiétude qui nous prefle fi violemment.
Et parce que l'abftinence d'un plaifir prefent qui s'offre à
nous, eft une douleur. , &: qui même eft fouvcnt très-ai-
gué, à caufe de la violence du deilr qui eft enflamme par
la proximité & par les attraits de l'Objet ; il ne faut pas
s'étonner qu'un tel fentiment agifle de la même manière
que la douleur, qu'il diminué dans notre Efprit l'idée de
ce qui eft à venir , &" que par confequcnt il nous force,
pour ainfi dire, à l'embrafler aveuglement.
§• 65.
De la Pmjfmce. Liv. IL 527
§. 6«^. Ajoutez à cela qu'un Bien abfent, ou ce qui C H A p.
efl: la même chofe , un plailir à venir , & fur tout , s'il XXI.
eft d'une efpéce de plaifirs qui nous foient inconnus, eft
rarement capable de contrebalancer une inquiétude caufée
par une douleur ou un delir actuellement préfent. Car la
grandeur de ce plaifir ne pouvant s'étendre au delà du
goût qu'on en recevra réellement quand on en aura la
jouilfance., les Hommes ont aflez de penchant à dimi-
nuer ce plaifir à venir , pour luy faire céder la place
à quelque defir prefent , & à conclurre en eux-mêmes,
que quand on en vicndroit à l'épreuve , il ne répondroit
peut-être pas à l'idée qu'on en donne , ni à l'opinion
qu'on en a généralement, ayant fouvent trouvé par leur
propre expérience que non feulement les plaifire que d'au-
tres ont exalté , leur ont paru fort infipides , mais que ce
qui leur a caufé à eux-mêmes beaucoup de plaifir dans un
temps, lésa choqué & leur a déplu dans un autre, &
qu'ainfi ils ne voyent rien dans ce Bien avenir pourquoy
ils devroient renoncer à un plaifir qui s'otfre actuellement
à eux. Mais que cette manière de juger foit deraifonna-
ble, étant appliquée au Bonheur que Dieu nous promet
après cette vie, c'eft ce qu'ils ne fauroient s'empêcher de
reconnoître, à moins qu'ils ne difcnt que Dieu ne fauroit
rendre heureux ceux qu'il a defléin de rendre tels effecti-
vement. Car comme c'ell: là ce qu'il fe propofe en les
mettant dans l'état du bonheur , il faut néceflairement
que cet état convienne à chacun de ceux qui y auront
part; de forte que fuppofé que leurs goûts foient là auflî
différens qu'ils font ici-bas, cette Manne celefte convien-
dra au Palais de chacun d'eux. En voilà affez fur lefujet
des Faux Jiigemens que nous faifons du Plaifir & de la
Douleur, à les confidercr comme prefens 6c à venir, lorf-
que les comparant enfemble,on regarde ce qui eft abfent,
comme à venir.
§. 66. Pour ce qui eil, en fécond lieu, deschofes bon- ^^x luaénienj
ncs ou mauvaifes dans leurs conféquences , & par l'^pr/- qu'on t^r «iu
îude qu'elles ont à nous procurer du Bien ou du Mal à ^^^||;j^'^^^ ^^^J^
l'a-
52S De laPuiffance.
C H A p. l'avenir , nous en jugeons fauflement en différentes ma-
XXI. niéres.
leurs conië- I. Lorfque nous jugcons qu'cllcs ne font pas capables
<jucnces. ^jg j^^j^jj f^^-^g réellement autant de mal qu'elles le font
effeftivement.
2. Lorfque nous jugeons , que , bien que la conféquen-
ce foit fi importante , il n'eft pourtant pas fi afluré que
h chofe ne puifle arriver autrement , ou du moins qu'on
ne puifle l'éviter par quelques moyens , comme par indu-
Une, paraddrefle, par un changement de conduite, par
la repentance , c^c. Il feroit aife de montrer en dérail que
■ce font là tout autant de Jugcmens deraifonnables , fi je
les voulois examiner au long un par un -, mais je méconten-
terai de remarquer en général , Qiie c'eft agir direîVement
contre la Raifon que de hazardcr un plus grand Bien pour
un plus petit , fur des conjectures incertaines , 6c avant
que d'être entré dans un jufle examen , proportionné à
l'importance de la matière ôc à l'intérêt que nous avons
de ne pas nous méprendre. C'cll, à mon avis, ce que
chacun eft obligé d'avoùër, & fur tout s'il confidere les
caufes ordinaires de ce faux Jvgemcnî , dont voici quel-
ques-unes.
Quelles font les §. 6/. I. Premièrement , VIgnorance ; car celui qui
caufes de cette ^^^g ç.^^^ s'inftruire autant qu'il en ell capable , ne peut
clpece de mux- , '^ i i ■
jijgcmcijs. S exempter de mal juger.
II. La féconde eft V Inadvertance ; quand un homme
ne fiiit aucune reflexion fur cela même dont il eft inftruit.
C'eft une ignorance afteftee &: prelente qui feduit le Ju-
gement autant que l'autre. Juger, c'eft, p air ainfi dire,
balancer un compte , &: déterminer de quel coté eft la
différence. Si donc on affcmble confafémentSc à la hâte
l'un dis cotez , Se qu'on laifle échapper par négligence
plufieurs forames qui doivent faire partie du compte ,
,: cette précipitation ne produit pas moins de faux Juge-
ment 3 que fi c'étoit une parfaite ignorance. Or la caufc
la plus ordmaire de ce défaut, c'eft la force prédominan-
te de quelque fcntimeiit préfent de plaifir ou de douleur,
ans-
De la Puijjance. Liv. II. 329
augmentée par nôtre Nature foible & palîionnée , fur Chap,
qui le préient fait de fi fortes imprelTions. L'Entende- XXI.
ment & la Raifon nous ont été donnez pour arrêter cette
précipitation , fi nous en voulons faire un bon ufage , en
confiderant Jes chofes en elles-mêmes, éc jugeant alors
fur ce que nous aurons vu. L'Entendement fans Liberté
ne feroit d'aucun ufage, & la Liberté fans l'Entendement
(fuppofé que cela pût être} ne fignifieroit rien. Si un
homme voit ce qui peut luy faire du bien ou du mal, ce
qui peut le rendre heureux ou malheureux , mais que du
relie il ne foit p.as capable de faire un pas pour s'avancer
vers l'un ou s'éloigner de l'autre , en eft-il mieux pour a-
voir l'ufage de la vetiê ? Et celui qui eft en liberté de cou-
rir çà & là au milieu d'une parfaite obfcurité , en quoy
cette Liberté luy eft-clle plus avantageufe que s'il étoit
balotté au gré du vent comme ces bouteilles qui fe for-
ment fur la furface de l'Eau? Qii'on foit entraîné par une
impulfion aveugle qui vienne de dedans ou de dehors , la
différence n'eft pas fort grande. Ainll , le premier 6c le
plus grand ufage de la Liberté conilile à reprimer ces pré-
cipitations aveugles , & fa principale occupation doit être
de s'arrêter, d'ouvrir les yeux , de regarder autour de foy
èc de pénétrer dans les conféquences de ce qu'on va faire,
autant que l'importance de la matière le requiert. Je n'en-
trerai point ici dans un plus grand examen pour faire
voir combien la parcfle, la négligence , lapaflîon, l'em-
portement , le poids de la coutume , ou des habitudes
qu'on a contractées , contribuent ordinairement à produi-
re ces faux Jugemens. Je me contenterai d'ajouter un
autre faux Jugement dont je croy qu'il eft néceffaire de
parler, parce qu'on n'y fait peut-être pas beaucoup de re-
flexion j quoy qu'il ait une grande influence fur la con-
duite des hommes.
§. 68. Tous les hommes défirent d'être heureux, cela Nous jugeons
eft inconteftable ; mais , comme nous avons déjà remar- '"f'^l^feciuicft
que , loriqu ils lont exempts de douleur , ils font iujets tre bonheur
à prendre le premier plaifir qui leur vient fous la main ,
Tt ou
33° Vêla Puijfance.
C H A p. ou que la coutume leur a rendu agréable , &; à en demeu-
XXI. rer fatisfaits j de forte qu'erant heureux , jufqu'à ce que
quelque nouveau deilr les rendant inquiets vienne troubler
cette félicité 6c leur faire fentir qu'ils ne font point heu-
reux, ils ne regardent pas plus loin, Se leur v.olonté n'eft
point déterminée à aucune action qui tende à la recher-
che de quelque autre connoifl'ance, ou de quelque autre
Bien apparent. Car étant convaincus par expérience >
que nous ne faurions jouir de toute forte de Biens , mais
que la poflélîion de l'un exclut la jouilfance de l'autre ,
nous ne fixons point nos defirs fur chaque Bien qui paroît
le plus excellent, à moins que nous ne le jugions nécef-
faire à nôtre Bonheur ; de forte que , Il nous croyons pou-
voir être heureux fans en jouir , il ne nous touche point,
C'eil encore là une occafion aux hommes de mal juger ,
lorfqu'ils ne regardent pas comme néceflaire à leur Bonheur
ce qui l'eft efl'eftivement: Erreur qui nous feduit, &; par
rapport au choix du Bien que nous avons en veûë , & fort
fouvent par rapport aux moyens que nous employons
pour l'obtenir, lorfque c'eft: un Bien éloigné. Mais de
quelque manière que nous nous trompions , foit en met-
tant nôtre bonheur oii dans le fonds il nelauroitconfifter,
foit en négligeant d'employer les moyens néccffaires pour
nous y conduire, comme s'ils n'y pouvoient fcrvirderienj
il efl hors de doute que quiconque manque fon principal
but, qui eft fa propre félicité, doit reconnoître qu'il n'a
pas jugé droitement. Ce qui contribué à cette Erreur,
c'eft le défagrément ^ réel ou fuppofé , des actions qui
conduifent au Bonheur ^ car les hommes s'imaginent qu'il
eft fi fort contre l'ordre de fe rendre malheureux foy-mé-
me pour parvenir au Bonheur , qu'ils ont beaucoup de pei-
ne à s'y réfoudre.
Nous poiivcn^; §. 69. Ainfi , la dernière chofe qu'il refte à examiner
memouiid'cfi-^'-"^ Cette matière, c'eft, s'il eji an pouvoir d'un homme de
grcment que changer V agrément ou le défagrément qui accompagne quel-
iioiis trouvons ^^^^ a^ictt particulière? &c il eft vifible qu'on peut le faire
uâns les Ciîolci»
en plufieurs rencontres. Les Hommes peuvent 6c doivent
cor-
De la Pttijfance. Liv. IL 531
corriger leur Palais , Se luy faire prendre du goût pour C h a p,
des choies qui ne luy conviennent point , ou qu'ils fup- XXJ
pofent ne luy pas convenir. Le Goût de l'Ame n'ell pas
moins divers que celui du Corps , £c l'on peut y faire des
changemens auili bien qu'à ce dernier. C'eft une erreur
de s'imaginer, que les Hommes ne fauroient changer leurs
inclinations jufqu'à trouver du plaifir dans des actions
pour lefquelles ils ont du dégoût 6c de l'uidilférence , s'ils
veulent bien faire tout ce qui eft en leur pouvoir. En
certains cas un jufte examen de la chofe produira ce chan-
gement, 6c dans la plupart, la pratique, l'application Se
la coutume feront le même effet. Quoy qu'on ait oui di-
re que le Pain ou le Tabac font utiles à la iante, on peut
en négliger l'ufage à caufe de l'indifférence ou du dégoût
qu'on a pour ces deux chofes i mais la raifon ôc la réfle-
xion venant à nous les rendre recommandables , on com-
mence à en faire l'épreuve, 6c l'ufage ou la coutume nous
les fait trouver agréables. Il efl certain qu'il en eft de
même à l'égard de la Vertu. Les Aftions font agréables
ou défagréables , confiderées en elles-mêmes , ou comme
des moyens pour arriver à une fin plus excellente 6c plus
défirable. Qii'un homme mange d'une viande bien alfai-
fonnée &z tout à fait à fon goût , fon Ame peut être tou-
chée du plailir même qu'il trouve en mangeant , fans a-
voir égard à aucune autre fin ; mais la confideration du
plaifir que donne la fanté Se la force du Corps , à quoy
cette viande contribue, peut y ajouter un nouveau goût,
capable de nous faire avaler une potion fort défagréable.
A ce dernier égard, une a£tion ne devient plus ou moins
agréable que par la confideration de la fin qu'on fe pro-
pofe, Se par la perfuafion plus ou moins forte où l'on eft,
que cette aftien y conduit , ou qu'elle a une liaifon né-
ceffaire avec elle. Pour ce qui eft du plaifir qui fe trouve
dans l'Aftion même , il s'acquiert ou s'augmente beau-
coup plus par l'ufige 6c par la pratique. En elFet l'expé-
rience nous rend f uvent agréable ce que nous regardions
de loin avec averfion , Si. nous fait aimer , par la repeti-
Tt 2 tion
3^2 Vêla Pitijfdncc.
C H A p. tion des mêmes aftes , ce qui peut-être nous avoit déplu
XXI. au premier cilay. Les habitudes font de puiflans char-
mes, &: attachent un fi grand plaifir à ce que nous nous
accoutumons de faire, que nous ne faurions nous en ab-
llenir , ou du moins omettre fans inquiétude ces Aftions
qu'une pratique habituelle nous a rendues propres êc fa-
milières , èz par même moyen recommandables. Qvioy
que cela foit de la dernière évidence , & que chacun foit
convaincu par fa propre expérience , qu'il en peut venir
là ; c'eft néanmoins un Devoir que les Hommes négli-
gent fi fort dans la conduite qu'ils tiennent par rapport
au Bonheur, qu'on regardera peut-être comme un Para-
doxe fi je dis , que les hommes peuvent faire que des cho-
fes ou des actions leur foient plus ou moins agréables , &:
par là remédier à cette difpofition d'efprit , à laquelle on
peut juftcment attribuer une grande partie de leurs égare-
mens. La Mode & les Opinions communément reçues
ayant une fois établi de fauffes idées dans le Monde , &:
l'Education fc la Coutume ayant formé de mauvaifes ha-
bitudes, on perd enfin l'idée du iufi:e prix des chofes, &:
le goût des hommes fe corrompt entièrement. Il fliudroit
donc prendre la peine de le rectifier & de contracVer des
habitudes oppofées qui puflent changer nos Plaifirs 6c nous
faire aimer ce qui eft necefiaire, ou qui peut contribuer
à nôtre félicité. Chacun doit avouer que c'efl: là ce qu'il
peut faire; &" quand un jour ayant perdu le Bonheur il
fe verra en proye à la Mifére, il confefiTera qu'il a eu tort
de le négliger, 6c fe condamnera luy-même pour cela. Je
demande" à chacun en particulier s'il ne luy cil pas fou-
vent arrivé de fe reconnoître coupable à cet égard ?
Prcferet le vice §• jo. Je ne m'étendrai pas préfentement davantage
à la Vertu, c'eft fur les faux Jvgemcm des Hommes, ni lur leur négligen-
yifiblemeut mal ^ l'égard de cc qui eft en leur pouvoir ; deux grandes
fourccs des egaremens ou ils le précipitent malheureufe-
ment eux-mêmes. Cet examea pourroit fournir la ma-
tiére d'un Volume , 6c ce n'cft pas mon affiiire d'entrer
dans une telle difcullion. Mais quelque faulles que foient
les
Ve la Puijfance. Liv. II. 333
les notions des hommes , ou quelque honteufe que foit C h a p.
leur négligence à l'égard de ce qui eft en leur pouvoir ; XXI.
&: de quelque manière que ces faullés notions èz cette né-
gligence contribuent à les mettre hors du chemin du Bon-
heur, èc à leur faire prendre toutes ces différentes routes
où nous les voyons engagez , il eft pourtant certain que ^
la Morale établie fur fes véritables fondemens ne peut que '
déterminer à la Vertu le choix de quiconque voudra pren-
dre la peine d'examiner fes propres aftions : &: celui qui
n'eft pas raifonnable jufqucs à fe faire une affaire de réflé-
chir ferieufement fur un Bonheur &: un Malheur infini ,
qui peut arriv^er après cette vie , doit fe condamner luy-
méme , comme ne faifant pas l'ufage qu'il doit de fon
Entendement. Les recompenfes oc les peines d'une au-
tre Vie que Dieu a établies pour donner plus de force
à fes Loix, font d'une affez grande importance pour dé-
terminer nôtre choix j contre tous les Biens , ou tous les
Maux de cette Vie > lors même qu'on ne confidére le Bon-
heur ou le Malheur à venir que comme poiTible; dequoy
perfonne ne peut douter. Qiiiconque , dis-je , voudra
convenir qu'un Bonheur excellent 5c infini peut être une
fuite de la bonne vie qu'on aura mené fur la Terre , ou
qu'un Etat oppofe peut être le châtiment d'une conduite
déréglée, un tel homme doit néceflairement avouer qu'il
juge très-mal, s'il ne conclut pas de là, qu'une bonne vie
jointe à l'attente certaine d'une éternelle félicité qui peut
arriver, eft préférable à une mauvaife vie , accompagnée
de la crainte de cette affreufe mifére , dans laquelle il eft
fort poflible que le Méchant fe trouve un jour envelop-
pé , ou pour le moins , de l'épouvantable 6c incertaine ef-
pérance d'être annihilé. Tout cela eft de la dernière évi-
dence , quand même les gens de bien n'auroient que des
maux à efluyer dans ce Monde , & que les Méchans y
goùteroient une perpétuelle félicité , ce qui pour l'ordi-
naire eft tout autrement , de forte que les Méchans n'ont
pas grand fujèt de fe glorifier de la différence de leurEtar,
par rapport même aux Biens dont ils jouilfent aftuelle-
Tt 3 ment:
534 De la Puijfance.
C H A p. ipent : ou plutôt , à bien confiderer toutes chofes , ils ont,
XXI. je croy , la plus mauvaile part même dans cette vie. Mais
lorfqu'on met en balance un Bonheur infini avec une in-
finie Mifére , fi le pis qui puilTe arriver à l'Homme de
bien, fuppofé qu'il fe trompe, eft le plus grand avantage
que le Méchant puifle obtenir , au cas qu'il vienne à ren-
- .. contrer jufte, qui eft l'homme qui peut en courir le ha-
zard, s'il n'a tout-à-fait perdu l'Efprit ? Qiii pourroit ,
dis-je, être aftez fou pour rëfoudrc en foy-même de s'ex-
pofer à un danger poflible d'être infiniment malheureux ,
en forte qu'il n'y ait rien à gagner pour luy que le pur
néant, s'il vient à échapper à ce danger ? L'Homme de
bien, au contraire, hazarde le néant contre un Bonheur
infini dont il doit jouir fi le fuccès fuit fon attente. Si
fon efpérance fe trouve bien fondée , il eft éternellement
heureux; 6c s'il fe trompe , il n'eft pas malheureux, il
ne fent rien. D'un autre côté, fi le Méchant a raifon, il
n'eft pas heureux; & s'il fe trompe, il eft infiniment mi-
ferable. N'eft-ce pas un des plus vifibles déréglemens
d'efprit , où les hommes puiflént tomber, que de ne pas
voir du premier coup d'œuil quel parti doit être préféré
dans cette rencontre? J'ai évité de rien dire de la certitu-
de ou de la probabilité d'un Etat à venir ; parce que je
n'ai d'autre defléin en cet endroit que de montrer le faux
Jugement dont chacun doit fe rcconnoîrre coupable félon
its propres Principes , quels qu'ils puiflcnt être , lorfque
pour quelque confideration que ce foit on s'abandonne
aux courtes voluptez d'une vie déréglée , dans le temps
qu'il fait d'une manière à n'en pouvoir douter , qu'u-
aie Vie après celle-ci eft , tout au moins , une chofe
pofilble.
§. 71. Pour conclurre cette difcuifion fur la Liberté
de l'Homme, je ne puis m'empêcher de dire, que '«a pre-
mière fois que ce Livre vit le jour , je commençai à crain-
dre qu'il n'y eût quelque méprife dans ce Chapitre tel
qu'il étoit alors. Un de mes Amis eîit la même penfée
après la publication de l'Ouvrage , quoy qu'il ne pût m'in-
diquer
Delà Pnijfûnce. Liv. II. 33^
diquer précifément ce qui liiy etoit fufpect. C'eft ce qui C h A p.
m'obligea à revoir ce Chapitre avec plus d'exa£titude ; & XXL
ayant jette par hazard les yeux fur une mépriie prefque
imperceptible que j'avois faite en mettant un mot pour
un autre, ce qui ne fembloit être d'aucune conféquence j
cette découverte me donna les nouvelles ouvertures que
je foûmets préfentement au jugement des Savans , & dont
voici l'abrégé. La Liberté ell une puiflance d'agir ou de
ne pas agir , félon que nôtre Elprit fe détermine à l'un
ou à l'autre. Le pouvoir de diriger les Facvltez Operati-
•ves au mouvement c u au repos dans les cas particuliers ,
c'eft ce que nous appelions la yolonté. Ce qui dans le
cours de nos A£tions volontaires détermine la Volonté à
quelque changement d'opération , eft quelque inquiétude
prefente, qui confifte dans le Defir ou qui du moins en
eft toujours accompagnée. Le Velîr eft toiijours excité
par le Mal en veûë de le fuir j parce qu'une totale exem-
ption de douleur fait toujours une partie nécefûiire de nô-
tre Félicité. Mais chaque 5/f« 5 m même chaque 5if«
fins excellent n'émeut pas conftamment le Defir , parce
qu'il peut ne pas faire ou être confideré comme ne faifant
pas une partie néceflaire de notre Bonheur ; Se tout ce que
nous defirons , c'eft uniquement d'être heureux. Mais
quoy que ce Defir général d'être heureux agiffe conftam-
ment &c invariablement dans l'Homme , nous pouvons
fufpcndre la fatisfaftion de chaque defir particulier & em-
pêcher qu'il ne détermine la Volonté à faire quoy que ce
foit qui tende à cette fatisfa£tion , jufqu'à ce que nous
ayions examiné mûrement , fi le Bien particulier qui fe
montre à nous 6c que nous -defirons dans ce temps-là j
fait partie de nôtre Bonheur réel , ou bien s'il y eft
contraire , ou non. Le réfutent de nôtre Jugement en
conféquence de cet examen eft ce qui, pour ainfi di-
re , détermine en dernier reflbrt l'Homme , qui ne fau-
roit être Libre , fi fa Volonté étoit déterminée par au-
tre chofe que par fon propre Dejir guidé par fon pro-
pre Jugement.
5^5 T)^ ^^ PiiijJ'ance.
Ch A p. §. 72. Il eft d'une fi grande importance d'avoir de ve-
XXI. ritables notions fur la nature &: l'étendue de la Liberté ,
que j'efpére qu'on me pardonnera cette Digreflîon où m'a
engagé le defir d'éclaircu- une matière Ç\ abftrufc. Les I-
dces de Folonté ^ de Volition , de Liberté &: de Néceffité
ié préiéntoient naturellement dans ce Chapitre de \xPuiJ-
fance. J'expofai mes penfées l'ur toutes ces chofes dans la
Première Edition de cet Ouvrage , fuivant les lumières
que j'avois alors; mais en qualité d'amateur fincére delà
Vérité qui n'adore nullement fes propres conceptions ,
j'avoue que j'ai fait quelque changement dans mon opi-
nion , croyant y être fuffifamment autorife par des raifons
que j'ai découvertes depuis la première publication de ce
Livre. Dans ce que j'écrivis d'abord > je fuivis avec une
entière indifférence la Vérité , où je croyois qu'elle me
conduifoit. Mais comme je ne fuis pas aflèz vain pour
prétendre à l'Infaillibilité, ni 11 entête d'un faux honneur
pour cacher mes fautes de peur de ternir ma réputation ,
je n'ai pas eu honte de publier , dans le même dcflein de
fuivre ilncerement la Vérité , ce qu'une recherche plus
exa£te m'a fait connoître. 11 pourra bien arriver , que
certaines gens croiront mes premières notions plus jufteSj
que d'autres, comme j'en ai dej a trouvé , approuveront
les dernières > &: que quelques-uns ne trouveront ni les u-
nes ni les autres à leur gré. Je ne ferai nullement furpris
d'une telle diverfitè de fentimens; parce quec'cltunecho-
fe aflez rare parmi les hommes que deraifonner flms aucu-
ne prévention fur des points controverfez , & que d'ailleurs
iln'ell pas fort aife de faire des déductions exaftes dans des
fujets abftraitsj & fur tout lorfqu'elles font de quelque é-
tenduè. C'eflpourqupy je me croirai fort redevable à qui-
conque voudra prendre la peine d'cclaircir iincercment
les difficultez qui peuvent relier dans cette matière de la
Liberté; , foit en raifonnant fur les fondemens que je viens
de pofer, ou fur quelques autres que ce foient. Du relie,
-avant que de finir ce Chapitre , je croy que , pour avoir
des Idées plus dillind'cs de la Fuifpince , il ne fera ni hors
de
DelaPnijJ'ance. Liv. II. 337
de propos ni inutile de prendre une plus exafte conaoif- C ha p,
fance de ce qu'on nomme yi<J7?c;^z. J'ai déjà dit* au com- XXI.
mencement de ce Chapitre, qu'il n'y a que deux fortes •^a.s^i?-}- !>•<
à.'A£tiGî2s dont nous ayions d'idée , lavoir , le Mouve-
ment Scia Pen fée. Or quoy qu'en donne à ces deuxcliofes
le nom à'A5fion , & qu'on les confidére comme telles ,
on trouvera pourtant, à les confiderer de près, que cette
(^lalité ne leur convient pas toujours parfaitement. Et
iî je ne me trompe, il y a des exemples de ces deux efpé-
ces de chofcs , qu'on reconnoîtra après les avoir exami-
nées exa£tement , pmir des P^/yî(??w plutôt que pour des
Atliotis-, & par conféquent , pour de fimples effets de
puiflances pallives dans des fujets qui pourtant paflent à
leur occafion pour véritables Agents. Car dans ces exem-
ples, la fubftance en qui fe trouve le mouvement ou la
penfée , reçoit purement de dehors l'impreiïïon par où
l'action luy eft: communiquée j & ainfi , elle n'agit que
par la feule capacité qu'elle a de recevoir une telle im-
prellion de la part cie quelque Agent extérieur ; de forte
qu'en ce cas-là , la Puijfance n'eft pas proprement dans le
fujet une Puiflance aftive, mais une pure capacité pafîi-
ve. Qvielquefois, la Subftance ou l'Agent fe met en a-
clion par fa propre puifl^mce, &: c'efl: là proprement une
Pnijfance a5îive. On appelle yf<5?/ow, toute modification
qui fe trouve dans une fubftance Se par laquelle clic pro-
duit quelque effet > par exemple, qu'une fubftance foli-
de agifle par le moyen du mouvement fur les Idées fenlî-
bles de quelque autre fubftance , ou y caufe quelque al-
tération , nous cionnons à cette modilîcation du mouve-
ment le nom à'ABion. Cependant, à bien conilderer la
chofe , ce mouvement n'eft dans cette fubftance folide
qu'une fimple paillon , li elle le reçoit uniquement de
quelque Agent extérieur. Et par conféquent , la Fuijfan-
ce a[five de mouvoir ne fe trouve dans aucune fubftance,
qui étant en repos ne fuuroit commencer le mouvement
en elle-même , ou dans quelque autre fubftance. De mê-
me, à l'égard de la Penjee , la puiflance de recevoir des
V V idées
538 De la Piiijfance.
C H A p. idées ou des penfées par l'opération de quelque fubftance
XXI. extérieure, s'appelle Ptuffance de penfer , mais ce n'eft
dans le fonds qu'une puijjarice pafjlve , ou une fimple ca-
pacité. Mais le pouvoir que nous avons de rappeller des
Idées abfentes , à nôtre choix , &c de comparer enfemble
celles que nous jugeons à propos , eft véritablement un
Pûwvoir a^if. Cette réflexion peut nous empêcher de
tomber, à l'égard de ce qu'on nomme Puijfance ik Action,
dans des erreurs , où la Grammaire &: le tour ordinaire
des Langues peuvent nous engager facilement, parce que
ce qui eft fignifie par les verbes que les Grammairiens
nomment AHifs ^ ne fignifie pas toujours VA^ion: Par
exemple, ces Propofitions , Je 'vois la Lvtie y ou une E-
toile , Je fens la chaleur du Soleil ,quoy qu'exprimées par
un verbe aftif , ne fignifient en moy aucune aftion par
où i'opére fur ces fubftances, mais feulement la réception
des idées de lumière, de rondeur &c de chaleur} en quoy
je ne fi,ùs point aftif, mais purement paflif} de forte que,
pofé l'état ou font mes yeux ou mon Corps, je ne faurois
éviter de recevoir ces Idées. Mais lorfque je tourne mes
yeux d'un autre côté , ou que j'éloigne mon Corps des
rayons du Soleil, je fuis proprement adif, parce que par
mon propre choix , &c par une puiffance que j'ai en moy-
méme, je me donne ce mouvement-là > fie une telle adlion
eft la production d'une Puijfance A£iive.
§. 73. Voilà préfentement en racourci un extrait de
nos Idées Originales, d'où toutes les autres viennent, &
dont elles font compofées. De forte que , fi je voulois
exammer ces dernières en Philofophe , &: voir quelles en
font les caufes & la matière , je croy , qu'on pourroit les
réduire à ce petit nombre à' Idées p'imittves & originales ,
(avoir,
L'Etenduëy
La Solidité' i
La Mobilité ou la Puiflance d'être mù >
Idées que nous recevons du Corps par le moyen des
Sens:
La
De la Pmjpince. Liv. II. 559
La Pcrceptivite , ou la PuifTance d'appercevoir ou C h a i>.
penfcr, . XXI.
La Mûiiviie, ou la Puiflance de mouvoir. (Qu'on
me permette * de me fervir de ces deux mots nouveaux,
de peur qu'on ne prit mal ma penfée i\ j'cmployois
les termes ufitez qui font équivoques dans cette rencou-
tre.)
Ces deux dernières Idées nous viennent dans l'Efprit
par voye de Re flexion. Si nous leur joignons
UExiJlence ,
La Durée ,
6c Le Nombre ,
qui nous viennent par les deux voycs de Sensation &: de
Reflexion , nous aurons peut-être toutes les Idées Origi-
nales, d'où dépendent toutes les autres. Car par ces I-
dées-là, nous pourrions expliquer, fi je ne me trompe ,
la nature des Couleurs, des Sons, des Goûts, des Odeurs
Se de toutes les autres Idées que nous avons > Ci nos Fa-
cultez étoient allez fubtiles pour appercevoir les différen-
tes modifications d'étendue. Se les divers mouvemensdes
petits Corps qui produifent en nous toutes ces différen-
tes fenfations. Mais comme je n'ai préfentement en veûë
que d'examiner quelle eft la connoiffance que l'Efprit a
des chofes par le moyen des Idées ou apparences qu'elle
en reçoit félon que Dieu l'en a rendue capable , &: com-
ment l'Ame vient à acquérir cette connoiffance , plutôt
que de rechercher les caufes de ces Idées Sz la manière
dont elles font produites -, je ne m'engagerai point contre
le but que je me fuis propofé dans cet (Xivrage , à confi-
derer en Phyficien la forme particulière des Corps 6c la
Vv 2 con-
* si Mr. Locl^e s'cxcufc à fês Lecteurs ' ci , rempli de difquifîrions fi cxaftes ,
Je ce qu'il employé ces deux mots, je ; l'on nepcutc'vitcrde faire des mots , pour
<!ois le faire à plus forte raifoii , parce , pouvoir exprimer de nouvelles idc'es. Nos
c]ue la Langue Fr.inçoifc permet beaucoup ; plus grands Purifies conviendront fans
moins (]ue l'Angloife qu'on fabrique de i doute que dans un tel cas c'eft une
nouveaux termes. Mais dans un Ouvra- i liberté qu'on doit prendre, fans craindre
ec de pur raifonnement , comme ctlui. ' de choquer leur délicarcfre.
340 D^^ Modes Mixtes.
C H A p. configuration des parties , par où ils ont le pouvoir de
XXI. produire en nous les Idées de leurs Qualitez fenfibles. Je
n'entrerai pas plus avant dans cette recherche ; car il fuf-
fit , pour mon delTein , d'cbfervcr par exemple , que l'Or
ou le Sajfran ont la puifl'ance de produire en nous l'idée
de la Couleur Jaune , Se la Neige ou le Latcl celle du
Blanc ; idées que nous pouvons avoir feulement par le
moyen de la Veùë j fans que je fois obligé d'cxammer la
contexture des parties de ce Corps , non plus que les fi-
gures particulières ou les mouvemens des particules qui
font retléchies de leur furface pour caufer en nous ces
Senfations particulières ; quoy qu'au fonds , Ç\ fans nous
arrêter aux fimples Idées qui font dans nôtre Efprit juous
voulons en rechercher les Caufes , nous ne faurions con-
cevoir qu'il y ait aucune autre chofe dans chaque Objet
fenfible, par où il produife différentes idées en nous, que
la différente grolTeur , figure , nombre 3 contexture &
mouvement de fes parties infenfibles.
CHAPITRE XXII.
C H A p. 2)f J Modes Mixtes.
XXII.
Ccquccvftqre §. I . A P R E"s avoir traité des Modes Simples dans les
]« Modes Ml!.- j-^ Chapitres précedens , & donné divers exem-
ples de quelques-uns des plus confiderables , pour faire
voir ce qu'ils font , 6c comment nous venons à les acqué-
rir, il nous faut examiner enfuite les Modes que nous ap-
pelions Mixtes , comme font les Idées complexes que
nous defignons par les noms d" Oblige tio?i , âCyhnitie, de
MenÇonge , 6cc. qui ne font que diverfes combinaifons
d'Idées /impies de différentes efpéces. Je leur ai donné le
nom de Modes Mixtes , pour les diftinguer des Modes plus
fimples, qui ne font compofez que d'idées fimples de la
même efpece. Et d'ailleurs , comme ces Modes Mixtes
font de certaines combinaifons d'Idées fimples, qu'on ne
re-
Vcs Modes Mixtes. Liv. II. 34Ï
regarde pas comme des marques cara£teriftiques d'aucun C'o.ap.
Etre réel qui ait une exiftence fixe , mais comme des I- XXII.
dées détachées &: indépendantes, que l'Efprit joint enfem-
blcj elles font par là dillinguées des Idées complexes des
Subftances.
§. 2. L'Expérience nous montre évidemment, que Us ^om formez
l'Efprit eft purement paflîf à l'égard de fes Idées fimples, P" ' ^'P"^'
&: qu'il les reçoit toutes de l'exiftence & des opérations
des chofes , fclon que la Senfation ou la Reflexion les
luy préfente, fans qu'il foit capable d'en former aucune
de luy-méme. Mais il nous examinons avec attention les
Idées que j'appelle Modes Mixtes &c dont nous parlons
préfentement , nous trouverons qu'elles ont une autre ori-
gine. En effet, l'Efprit agit fouvent par luy-même en
faifant ces différentes combinaifons > car ayant une fois
reçu des Idées fimples , il peut les joindre Se combiner
en diverfes manières, & faire par là différentes Idées com-
plexes, fans confiderer fi elles exiftent ainil réunies dans
la Nature. Et de là vient, à mon avis, qu'on donne à
ces fortes d'idées le nom de Notion; comme fi leur origi-
ne &: leur continuelle exiftence étoient plutôt fondées
fur les penfées des honimcs que fur la nature même des
chofes , Se qu'il fuffit , pour former ces Idées-là ,, que
l'Efprit joignît cnfemble leurs différentes parties , Se
qu'elles fubfiftaffent ainfi réunies dans l'Entendement,
làns examiner fi elles avoient , hors de là , aucune exi-
ftence réelle. Je ne nie pourtant pas , que plufieurs de
ces Idées ne puiffent être déduites de l'obfervation Se de
l'exiftence de plufieurs idées fimples , combinées de la
même manière qu'elles font réunies dans l'Entendement.
Car celui qui le premier forma l'idée de V Hypo en fi e , peut
l'avoir reçue d'abord , de la reflexion qu'il fit fur quel-
que perfonne qui faifoit parade de bonnes qualitez qu'il
n'avoit pas , ou avoir formé cette idée dans fon Efprit.
fans avoir eu un tel patron devant fes yeux. En effet, il
eft évident , que lorfque les hommes commencèrent à.
difcourir entr'eux , Se à entrer en focieté , plufieurs de
Vv 3 CCS.
34^ Des Modes Mixtes.
•C H A p. ces idées complexes qui étoient des fuites des rc2;lcmens
XXII- établis parmi eux j ont été nécelîairement dans l'Efprtt
des hommes , avant que d'exiiter nulle autre part , & que
pluiieurs noms qui fignifîoient ces fortes d'idées comple-
xes , étoient en ufage , & que par conféqueut ces'idées
étoient formées avant que les combinaifons qu'elles re-
préfentent, euflent jamais exiilé.
On le-: acquiert g. 5. A la vcrité , préfentcment quc les Langues font
TCvpliou^on''^^ formées èc qu'elles abondent en termes qui expriment ces
des termes ciui Combinaifous, le moycH ordmatre d' acqim ir ces Idées com-
feryent a les plgxes s c'efl par l'expliCdtioH des termes même; ani fervent
a les exprimer. Car comme eues lont compolees d un
certain nombre d'Idées fimples combinées enfemble, elles
peuvent , par le moyen des mots qui expriment ces Idées
llmples, être préfentées à l'Efprit de celui qui entend ces
mots, quoy que l'exiftence réelle des chofes n'eût jamais
fait naître dans fon Efprit une telle combinaifon d'Idées
fimples. Ainfi un homme peut venir à fe rcprefenter l'i-
dée de ce qu'on nomme Meurtre , ou Sacrilège , fi l'on
luy fait une énumeration des Idées fimples que ces deux
mots fignifient,fans qu'il ait jamais vu commettre ni l'un
ni l'autre de ces crimes.
Les nomsarta- §. 4. Chaque Modc mixte étant compofé de plufieurs
tierdcl^^Modes l'^'^cs fimplcs , diftinftcs les unes des autres , il femble
mixtes à une raifonnablc de rechercher d'où c'efl qu'il tire fon Utiité, &
kuic idtc. comment une telle multitude particulière d'Idées vient à
faire une feule Idée, puis que cette combinaifon n'exifte
pas toujours réellement dans la nature des chofes ? Il eft
évident, que l'Unité de ces Modes vient d'un A£le de
, l'Efprit qui combine enfemble ces différentes Idées fim-
plcs , &: les confidére comme une feule Idée complexe
cjui renferme toutes ces diverfes parties : & ce qui elt la
marque de cette union , ou qu'on regarde en général
comme ce qui la détermine exactement , c'eft le nom
qu'on donne à cette combinaifon d'idées. Car c'eft fur
les noms que les hommes règlent ordinairement le compte
qu'ils font d'autant d'efpéces diflindles de Modes mix-
tes.
Des Modes Mixtes. Liv. II. 343
tes, 5c rarement ils reçoivent ou confiderent aucun nom- C n a p.
bre d'Idées fimples comme faifant une idée complexe, XXII.
excepté les colle£tions qui font dellgnées par certains
noms. Ainfi , quoy que le crime de celui qui tué un
Vieillard, foit, de îa nature, auflî propre à former une
idée complexe, que le crime de celui qui tué" fon PérCj
cependant parce qu'il n'y a point de nom qui fignifîe
précifément le premier, comme il y a le mot de Parrici-
de pour défigner le dernier, on ne regarde pas le premier
comme une particulière Idée complexe , ou comme une
efpéce d'adion diftinde de celle par laquelle on tué un
jeune homme, ou quelque autre homme que ce foit.
§. 5. Si nous pouflons un peu plus loin nos recherches Pourquoy les
pour voir ce que c'eft qui donne occafion aux hommes ^,°^VT'^l *°"*
K ■ ^■ r 1 ■ ■/■ j'-j - r i des Modes miï-
de convertir diverles combinauons a idées iimples en au- tes?
tant de Modes diftinfts, pendant qu'ils en négligent d'au-
tres , qui , à confiderer la nature même des chofes , font
aufli propres à être combinées 5c à former des idées di-
Itinftes, nous en trouverons la raifon dans le but même
du Langage. Car les hommes l'ayant inftitué pour fe
faire connoître ou fe communiquer leurs penfées les uns
aux autres, aufli promptement qu'ils peuvent, ils font
d'ordinaire de ces fortes de collerions d'idées qu'ils con-
vertiflént en Modes complexes auxquels ils donnent cer-
tains noms , félon qu'ils en ont befoin par rapport à leur
manière de vivre 6c à leur converfation ordinaire. Pour les
autres idées qu'ils ont rarement occafion de faire entrer
dans leurs difcours, ils les laiflent détachées, & fans noms
qui les puiflent lier cnfemble , aimant mieux , lorfqu'iîs
en ont befoin , compter l'une après l'autre toutes les idées
qui les compofent, que de fe charger la mémoire d'idées
complexes & de leurs noms , dont ils n'auront que rare-
ment , 6c peut-être jamais aucune occafion de fe fer-
vir.
§. 6. Il paroît de là comment il arrive, §lu''ily a dans Comment dans
chaque Langue des termes particuliers qiCon ne peut rendre ""'^^fi^^^ ' ''
mot pour mot dans une autre- Car les Coutumes , les qu^on "e p°ît
Moeurs ,
34+ ï^^-f Modes Mixtes.
Chap. Mœurs, &: les Ufages d'une Nation faifaat tout autant
XXII. de combinaifons d'idées, qui font familières Se néccflai-
cxptinicr dans j.^^ ^ ^^j^ Peuple, &: ou'un autre Peuple n'a jamais eu oc-
une autre par , i r • * • 11
des mors qui calion de romier , m peut-être même d en prendre aucu-
leur répondeur, j^g connoiflance , on i'c fait une habitude d'y attacher des
nomsj pour éviter de longues periphrafcs dans des cho-
fes dont on parle tous les jours , 6c par ce moyen elles de-
viennent dans leur Efprit tout autant à' Idées complexes,
f' oç^a-.i^fik. entièrement diftinftcs. Ainfi *VOjîrr<ciftne parmi les Grecs
t Profiuftio. Se la -j- Frofcripfion parmi les Romains , étoient des mots
que les autres Langues ne pouv'oient exprimer par d'au-
tres termes qui y repondifTent exactement, parce que ces
mots fignifioient parmi les Grecs &: les Romains des idées
complexes qui ne fe rencontroient pas dans l' Efprit des
autres Peuples. Où de telles Coutumes n'étoient point
en ufage, on n'y avoit aucune notion de ces fortes d'a-
ctions 6c l'on ne s'y fervoit point de femblables combinai-
fons d'Idées, jointes, 6c, pour ainfi dire , liées enfem-
ble par ces termes particuliers > &: par conféqucnt , dans
d'autres Païs il n'y avoit point de noms poiir les expri-
mer.
Ponrquoy les g - p^j. |^ j^(^^,ç, pouvons voir aufii la raifon potirquoy
ccur? «^-^ Langues Jontjv.jettes a. de continuels chatigemens, pour-
quoy elles adoptent des mots nouveaux & en abandon-
nent d'autres qui ont été en ufage depuis long temps.
C'eft que le changement qui arrive dans les Coutumes
£c dans les Opinions , inrroduilcnt en même temps de
nouvelles Combinaifons d'idées dont on eft fouvent obli-
gé de s'entretenir en foy-mémc &: avec les autres hom-
mes , on leur donne des noms pour éviter de longues
periphrafes ; 8c ainfi , elles deviennent de nouvelles ef-
péces de Modes complexes. Pour être convaincu com-
bien d'idées différentes font comprifes par ce moyen
dans un feul mot , &; combien on épargne par là de
temps tz d'haleine , il ne faut que prendre la peine de
faire une énumeration de toutes les Idées qu'emportent
<:es deux termes de Palais , Siirjéiwce o\\ ylppcl , 6c d'em-
ployer
Des Modes Mixtes. L i v. II. 345
ployer à la place de l'un de ces mots itne periphrafe pour C h a p.
en faire comprendre le fens à un autre. XXII.
§. 8. Qiioy que je doive avoir occafion d'examiner où exiOcnt !«
cela plus au long , quand je viendrai à traiter des * i^/(!?/j^'^i'"j['j''""-
& de leur ufage, je ne pouvois pourtant pas éviter de fai-
re quelque réflexion en paflant fur les noms des Modes
mixtes, qui étant des combinaifons d'Idées fimples pure-
ment tranfitcires , qui n'exiftent que peu de temps , &
cela fimplement dans l'Efprit des Hommes , oîi même
leur exiftence ne s'étend point au delà du temps qu'elles
font l'objet aftuel de la penfee , nont par conféquent V ap-
parence d'une cxijlence confiante e^ durable , nulle autre
part que dans les mots dont on fe fert pour les exprimer ;
qui par cela même font fort fujets , dans ces fortes d'I-
dées 5 à être pris pour les Idées mêmes qu'ils fignilient.
En effet , fi nous examinons oîi exifte l'idée d'un Triom-
phe ou d'une Apotheofe , il eft évident qu'aucune de ces
Idées ne fiuroit exiiler nulle part tout à la fois dans les
chofes mêmes , parce que ce font des actions qui deman-
dent du temps pour être exécutées , & qui ne pourroient
jamais exifter toutes enfemble. Pour ce qui cit de l'Efprit
des hommes , oii l'on fuppofe que fe trouvent les idées
de ces Actions, elles y ont aullî une exiltcnce fort incer-
taine } c'eftpourquoy nous fommes portez à les attacher
à des noms qui les excitent en nous.
§. 9. C'eft donc ^^r trois moyens que nous acquérons Commcat mus
ces Idées complexes de jModes mixtes: I. par l'Expérience ï'î'^"",°"»I"j
ouïr ■ j ^ r /> a ,-'■ ' ^ -, "^'■'^5 °'^^ Modes
6c 1 oblervation des choies mêmes. Ainfi , en voyant deux mixtes.
hommes luter , ou fliire des armes , nous acquérons l'idée
de ces deux fortes d'exercices. II. Par V invention , ou
l'aflémhlage volontaire de diflrerentes idées fimples que
nous joignons enfemble dans notre Efpritj ainfi celui qui
le premier inventa l'Imprimerie ou la Gravure , en avoit
l'idée dans l'Efprit , avant qu'aucun de ces Arts eut ja-
mais exifté. III. Le troifiéme moyen par ou nous acqué-
rons plus ordinairement des idées de Modes mixtes , c'eft
par l'explication qu'on nous donne des termes qui expri-
Xx menr
54.6 Dûs Modes Mixtes.
C H A p. ment des Actions que nous n'avons jamais vues , ou des
XXII. Notions que nous ne fauriôns voir ; fie nous préfentant
une à une toutes les Idées dont ces Adtions doivent être
compofces, &: les peignant, pour ainll dire, à nôtre pro-
pre imagination. Car après avoir reçu des idées fimples
dans l'Efprit par voye de Senllition 6c de Reflexion , &c
avoir appris par l'ufage les noms qu'on leur donne , nous
pouvons par le moyen de ces noms repréfenter à un autre
l'idée complexe que nous voulons luy faire concevoir ,
pourvu qu'elle ne renferme aucune idée fmiple qui ne luy
foit connue , fie qu'il n'exprime par le même nom que
nous. Car toutes nos Idées complexes peuvent être ré-
duites aux Idées Amples dont elles font originairement
compofées , quoy que peut-être leurs parties immédiates
foient aulîi des Idées complexes. Ainfi , le Mode mixte
exprimé par le mot de Mcnfonge , comprend ces Idées
fimples: i. des fons articulez : 2. certaines idées dans
l'Efprit de celui qui parle: 3. des mots qui font les flgnes
de ces idées: 4. l'union de ces fignes par affirmation ou
par négation, différente dans l'Efprit de celui qui parle,
de celle qui eft entre les idées mêmes qu'ils repréfentent.
Je ne croi pas qu'il foit néceffaire de pouffer plus loin l'a-
nalyfe de cette Idée complexe que nous appelions Men-
fonge. Ce que je viens de dire fuffit , pour faire voir qu'el-
le efl: compofée d'Idées fimples ; fie il ne pourroit être que
fort ennuyeux à mon Lefteur 11 j'allois luy fiiire un plus
grand détail de chaque Idée fimple qui fait partie de cet-
te Idée complexe ; ce qu'il peut aifement déduire par luy-
mêmc de ce que nous venons de dire. Nous pouv^ons fai-
re la même chofe à l'égard de toutes nos Idées comple-
xes, fans exception, car quelque complexes qu'elles foient,
elles peuvent enfin être réduites à des Idées fimples , qui
font tous les matériaux des connoiffances ou des penfées
que nous avons ou que nous pouvons avoir. Et il ne fiiut
pas appréhender, que par là nôtre Efprit fe trouve réduit
à un trop petit nombre d'Idées , fi nous confidcrons quel
fonds inépuifable de Modes fimples nous eft fourni par le
Nombre
Des Modes Mixtes. Liv. II. 347
Nombre 6c la figure feulement. Par où nous pouvons ai- C h a p.
fément imaginer, que les Modes mixtes qui contiennent XXII.
diverfes combinaifons de différentes Idées fimples 6v de
leurs Modes dont le nombre eft infini , font bien éloignez
d'être en petit nombre & renfermez dans des bojaes fort
étroites. Nous verrons même , avant que de finir cet
Ouvrage, que perfonne n'a fujet de craindre de n'avoir
pas un champ aifcz vafte pour donner eflbr à fes penféesj
quoy qu'à mon avis elles fe reduifent toutes aux Idées fim-
ples que nous recevons de la Senfation ou de la Rejîexi07îy
ôc de leurs différentes combmaifons.
§. 10. Une chofe qui mérite d'être examinée, c'eft , Les idces c|ai
lefquelles de totites nos Idées (Impies ont été le plus moâi-fiées , °"' f'?',''^ ?!"*
C^ ont fervi a compojer le plus de Modes mixtes , qu on ait celles du Mou-
■déjïgné par des noms particuliers. Ce font les trois fuivan- Tcmem , de la
tes, laPenfée, le Mouvement , deux Idées auxquelles fe p^'i',£j,^'^_ *■" ^
reduifent toutes les acl:ions,& la Puijfance , d'où l'on con-
çoit que ces Actions découlent. Ces Idées fimples de
Penfée, de Mouvement, Se de Puiflance ont , dis je, re-
çu plus de modifications qu'aucune autre ; èc c'eft de
leurs modifications qu'on a formé plus de Modes com-
plexes, défignez par des noms particuliers. Car comme
la grande affaire du Genre Humain confifte dansl'Aftion,
&: que c'eft à VAdùon que fe rapporte tout ce qui fait
le fujet des Loix, il ne faut pas s'étonner qu'on ait pris
connoiffance des differens Modes de penfer &c de mou-
voir, qu'on en ait obfervé les idées , qu'on les ait com-
me enregîtrées dans la Mémoire, & qu'on leur ait donné
des noms -, fans quoy les Loix n'auroicnt pu être faites ,
ni le vice ou le dérèglement reprimé. Il n'auroit guère
pu y avoir, rton plus, de commerce entre les hommes ,
îans le fêcours de telles idées complexes , exprimées par
certains noms particuliers ; c'eftpourquoy ils. ont établi
des noms , & fuppofé dans leur Efprit des idées fixes de
Modes de dfverfes Aftions, diftinguées par leurs Caufes,
Moyens, Objets, Fins, Inftrumens, Temps, Lieu, &
autres Circonftances , comme aulli des Idées de leurs dif-
Xx 2 fc-
Î14S Des Modes Mixtes.
C H A p. ferentes Vv.ijfances qui fe rapportent à ces Aclions , telle
XXII. eft la Hardicjfe qui eft la Puilîancê de faire ou dire ce qu'on
veut, devant les autres, fans craindre, ou fe décontenan-
cer en aucune manière -, confiance qui par rapport à cette
dernière partie qui regarde le difcours , avoir un nom par-
* waiirM'-- ticulier * parmi les Grecs. Or cette Puiflance ou aptitu-
de qui fe trouve dans un homme de faire une chofe, con-
ftituè l'idée que nous nommons Habit Jide ,\oïÏ(]u' on a ac-
• quis cette puiflance en faifant fouvxnt la même chofe > &:
quand on peut la réduire en acVe , à chaque occafion qui
s'en préfente , nous l'appelions Dijpofàiou -, ainfi la Ten-
dreté eft une difpofition à Vamitic ou à V amour.
Qu'on examine enfin tels Mocies d'Aftion qu'on vou-
dra , comme la Contemplation Se Y Ajjentimcnt qui font
des Aftions de l'Efprit, le Marcher èc le Parler qui font
des Allions du Corps , la Vengeance &c le Meurtre qui
font des Actions du Corps Se de l'Efprit -, & l'on trouve-
ra que ce ne font autre chofe que des Colleftions d'Idées
fimples qui jointes enfcmble conftituent les Idées comple-
xes qu'on a defignées par ces noms-là.
riufieiirs mots §. II. Commc la Piiijjance eft la fource d'oirproce-
1'" (êmbient ^gj^j- toutes Ics A6Vions , on donne le nom de Caufe aux
eue" Aûion ne fubftanccs OÙ ces Piiijfances refident , lorfqu'elles rcdui-
fignificnti]ue fent Icut puiflTance en a£te ; &; on nomme Efets les fub-
' ftances produites par ce moyen , ou plutôt les Idées fim-
ples qui, par l'exercice de telle ou telle Puilfance, font
introduites dans un fujet. Ainfi , V Efficace par laquelle
une nouvelle Subftance ou Idée eft produite , s'appelle
A^ion dans le fujet qui exerce ce pouvoir, 6c on la nom-
me PaJJion dans le fujet ou quelque Idée fimplc eft alté-
rée ou produite. Mais quelque diverfe que foit cette ef-
ficace , 6c quoy que les eftets qu'elle produit , foient pref-
que infinis , nous pouvons cependant rcconnoître à mon
avis, que dans les Agents Intellectuels ce n'eft autre cho-
fe que différens Modes de penfer & de vouloir , 6c dans
les Agents corporels , que diverfes modifications du Mou-
vement 5 nous ne pouvons , dis-jc , concevoir , à mon
a-
Des Modes Mixtes. Lrv. IL 549
avis , que ce foit autre chofe que cela -, car s'il y a quel- C h A p.
que autre forte d'A6tion , outre celles-là , qui produife XXIL
quelques effets, j'avoûë ingénument que je n'en ai ni no-
tion ni idée quelconque , Se que c'eft une chofe tout-à-
fait éloignée de mes conceptions , de mes penfées 6c de
ma connoiflance , & qui m'eft aulfi obfcure que la notion
de cinq autres Sens ditférens des nôtres, ou que les Idées
des Couleurs font inconnues à un Aveugle. D'où il s'en-
fuit , que flttfienrs mots ^ui femblent exprimer- quelque a-
ifion, nejigfiificnt rien de l'j^èJio?!) ou de la manière d'o-
pérer, mais limplement la Caufe opérante , ou bien V effet
avec quelques circonllances du fujet qui reçoit l'aftion :
par exemple, la Création fie V Jyinihilation ne renferment
aucune idée de l'action , ou de "la manière , par où ces
deux chofes font produites, mais frmplcment de la caufe,
& de la chofe même qui cil produite. Et lorfqu'un Pay-
fan dit que le Froid glace l'Eau , quoy que le terme de
glacer femble emporter quelque aftion,il ne fignifie pour-
tant autre choie que V effet ;{x\'o\x que l'Eau qui étoit au-
paravant fluide, cft devenue dure fie confiilante, fans que
ce mot emporte dans fa bouche aucune idée de l'aftion-
par laquelle cela fe fait.
§. 12. Je ne croy pas , au refte , qu'il foit néceflaire Modes Mivtc?
de remarquer ici, que, quoy que la PuifTance fie l'Aftion "^^["jî^,^ ''•*"'
conflituent la plus grande partie des Modes mixtes qu'on
a déilgnez par des nonis particuliers èc qui font le plus
fouvent dans l'Eiprit fie dans la bouche des hommes , il
ne faut pourtant pas exclurre les autres Idées fimples avec
leurs différentes combinaifons. Il efl , je penfe , encore
moins neceflaire de faire une énumeratioVi de tous les Mo-
des mixtes qu'on a fixez èc défîgnez par des noms parti-
culiers. Ce feroit vouloir faire un Didionnaire de la plus
grande partie des Mots qu'on employé dans la Théolo-
gie, dans la Morale, dans la Jurifprudence , dans la Po-
litique fie dans diverfes autres Sciences. Tout ce qui fait
à mon préfent deffein , c'eft de montrer , quelle efpéce
d'Idées font celles que je nomme Modes Mixtes , com-
X X 3 ment
C H A P.
XXII.
55 o De nos Idées Complexes
ment l'Efprit vient à les acquérir , 6c que ce font des
combinaifbns d'Idées fimples qu'on acquiert par la Sen-
fation 6c par la Reflexion; 6c c'cll là, à mon avis , ce que
j'ai déjà fait.
C H A P I T Pv E XXIII.
C H A p. De nos Idées Complexes des Subftances.
XXIII.
i.k'cs des Sub- §. I. y 'Esprit étant fourni, comme j'ai déjà re-
u'cM Vormê'cs. ' -L marque , d'un grand nombre d'Idées limples
qui luy font venues par les Sens félon les diverfes impref-
lions,qu'ils ont reçu des Objets extérieurs, ou par la Re-
flexion qu'il fait fur fes propres opérations, remarque ou-
tre cela , qu'un certain nombre de ces Idées fimples vont
conflamment enfemble , qui étant regardées comme ap-
partenantes à une feule chofe , font deiignées par un feul
nom lorfqu'elles font ainfi réunies dans un feul fujet , par
la raifon que le Langage eft accommode aux communes
conceptions 6c que fon principal ufage eft de marquer
promptement ce qu'on a dans l'Eiprit. De là vient, que
quoy que ce foit véritablement un amas de pluficurs idées
jointes enfemble , dans la fuite nous fommes portez par
inadvertance à en parler comme d'une feule Idée fimple,
6c à les confiderer comme n'etJnt eiïeftivement qu'une
feule Idée; parce que , comme j'ai déjà dit , ne pouvant
imaginer comment ces Idées fimples peuvent fubfifter par
elles-mêmes , nous nous accoutumons à fuppofer quelque
* chofe qui les foûticnne, où elles fubfiftent S^ d'où elles
refultent, à qui pour cet effet on a donné le nom de 15"//^-
c'rc faite fur ce [Idfjce.
o°\'i''"'a -'" §• 2- De forte que qui voudra prendre la peine de fe
Quelle eft no:tc / ^ ri • '1 J i ri
idccdesubftan-coniulter loy-meme lur la notion qu li a ae la ptire (ui;-
cecngcncui. Jîafice Cri géfiéml , trouvera qu'il n'en a abfolument point
d'autre que de je ne ilii quel fiijct qui luy eft tout-à-fait
inconnu ;, 6c qu'il fuppofe être le foùtien des Qiialitcz
qui
Voyez la re-
marque qui a
des Snbjlances. Lxv. II. q|^i
qui font capables d'exciter des Idccs fimples dans nôtre Chap.
Efprit, Qiialitez qu'on nomme communément des Acci- XXIII.
dents. En effet , qu'on demande à quelqu'un ce que c'eft
que le fujet dans lequel la Couleur ou le Poids exiftent,
il n'aura autre chofe à dire finon que ce font des parties
folides &: étendues. Mais fi on luy demande ce que c'eft
que la chofe dans laquelle la folidité &: l'étendue font in-
hérentes, il ne fera pas moins en peine que l'Indien dont
* nous avons déjà parlé, qui ayant dit que la Terre étoit '^■î.'î- '9*.
foùtenuë par un grand Eléphant, répondit à ceux qui luy ^''''^"'"•^'^
demandèrent fur quoy s'appuyoit cet Eléphant , que c'e-
toit fur une grande Tortue , 6c qui étant encore preflc de
dire ce qui foûtenoit la Tortue, répliqua que c'étoit quel-
que chofe , un je ne ùi quoy qu'il ne connoifibit pas.
Dans cette rencontre aufîi bien que dans plufieurs autres
où nous employons des mots fans avoir des idées claireS
&■ diftincVes de ce que nous voulons dire , nous parlons
comme des Enfans, à qui l'on n'a pas plutôt demandé ce
que c'eft qu'une telle chofe qui leur eft inconnue y qu/ils
font cette réponfe fort fatisfaifante à leur gré , que c'cfi
quelque chofe; mais qui employée de cette manière ou par
des Enfans ou par des Hommes faits , fignifie purement
&: ilmplement qu'ils ne favent ce que c'eft, Se que la cho-
fe dont ils prétendent parler fie avoir quelque connoiflan-
ce, n'excite aucune iâ.éc dans leur Efprit , &: leur eft par
confequent tout-à-fait inconnue. Comme donc toute
l'idée que nous avons de ce que nous deftgnons par le ter-
me général de Snbftance , n'eft autre chofe qu'un fujet que
nous ne connoiflons pas , que nous fuppofons être le foû-
tien des Qiialitez dont nous découvrons l'exiftenceuc que
nous ne croyons pas pouvoir fubiifterj^w^ re fa bjîûnte, {ans
quelque chofe qui les foii tienne , nous donnons à ce fou-
tien le nom de Subjlance qui rendu nettement en François
félon fa véritable fignification veut dire ce qui efl àeffous
ou qui foûtient.
§. 3. Nous étant ainfi fait une idée obfcure & relative ^f'^iffcVcnrcs
de laSubftance en général , nous venons àsnous fermer des^l^^^^l^^ ^'^^'
idées
3^2 De tios Idées Complexes
Chap. idées d'cfpcces particulières de fubJîanceSi en aflemblant ces
XXIII. Combinailbns d'Idées fimples , que rExpériencc Se les
Obfcrvations que nous faifons par le moyen des Sens,
nous font remarquer exiftant enfemble , 6c que nous fup-
polbns pour cet effet émaner de l'interne &c paj-ticuliére
conftitution ou effence inconnue de cette fubftance. C'eft
ainfi que nous venons à avoir les idées d'un Homme ,d\m
Cheval, de l'Or, AnPlcnib., de V Eau, &:c. defquelles
fubllances fi quelqu'un a aucune autre idée que celle de
certaines Idées limples qui exiftent enfemble, je m'en rap-
porte à ce que chacun éprouve en foy-même. Les Qiia-
litez ordinaires qui fe remarquent dans le Fer ou dans un
Diamant, conllituent la véritable idée complexe de ces
deux Subftances qu'un Serrurier ou un JouaiUier connoit
communément beaucoup mieux qu'un Philofophe , qui ,
quoy qu'il dife des formes fnbftantielles , n'a dans le fonds
aucune autre idée de ces Subftances que celle qui eft for-
mée par la coUeftion des Idées fimples qu'on y trouve.
Nous devons feulement remarquer , que nos Idées com-
plexes des fubftances, outre toutes les Idées fimples dont
elles font compofecs , emportent toujours une idée con-
fufe de quelque chofe à quoy elles appartiennent &: dans
quoy elles fubfiftent. C'eft pour cela que , lorfque nous
parlons de quelque cfpéce de fubftance , nous difons que
c'eft une Chofe qui a telles ou telles Qualitez ; comme ,
que le Corps eft une Chofe étendue , figurée , &c capable
de Mouvement , que VEfprit eft une Chofe capable de
penfer. Nous difons de même que la Dureté , la friabi-
lité èc la puiflance d'attirer le Fer , font des Qiialitez
qu'on trouve dans l'Aimant. Ces façons de parler 6c au-
tres fcmblablcs donnent à entendre que la fubftance eft
toujours fuppofec comme quelque chofe de diftindl de
l'Etendue , de la Figure , de la Solidité , du Mouve-
ment , de la Penfée & des autres Idées qu'on peut ob-
ferver, quoy que nous ne fâchions ce que c'eft.
Koiis n'avons §• +■ C)^'^ ^icnt , que lorfque quelque Efpécc parti-
ancune idée culiérc dc iubftauccs corporelles comme un Cheval, une
Pierre ,
àes Sttbjlames. Liv. IL 353
Pierre i &:c. vient à faire le fujet de nôtre entretien Se de Ch a p.
nos penfées, quoy que l'idée que nous avons de l'une ou XXIII.
de l'autre de ces chofes ne foit qu'une combinaifon ou «^'^'re <^e la fub-
coUeftion de différentes Idées fimples des Qiialitez fenfi-^^''^^"'^'^'"^"
blés que nous trouvons unies dans ce que nous appelions
Cheval ou Pierre , cependant comme nous ne fau rions
concevoir que ces Qiialitez fubfiftent toutes feules , ou l'une
dans l'autre, nous fuppofons qu'elles exiftent dans quel-
que fujet commun qui en eft Icfoûtien-, ôc c'eft cefo/itien
que nous défignons par le nom de fnbjlance , quoy qu'au
fonds il foit certain que nous n'avons aucune idée claire
6c diftinfte de cette Chofe que nous fuppofons être le loû-
tien de ces Qiialitez ainlî combinées.
§. 5. La même chofe arrive à l'égard des Opérations ^;°"=^^°"5 une
del'Efprit, fa voir, h Penfee , \c Raifor/nement ,hCrain-àell"^,^^^"^l
te, S<c. Car voyant d'un côté qu'elles ne fubfiftent point du Corps.
par elles-mêmes , £c ne pouvant comprendre, de l'autre,
comment elles peuvent appartenir au Corps ou être pro-
duites par le Corps, nous fommes portez à pcnfer que ce
font des Aftions de quelque autre fubftance que nous nom-
mons £/pr7/i d'oîi il paroit pourtant avec la dernière é-
vidence , que, puifque nous n'avons aucune autre idée
ou notion de la Matière que comme de quelque chofe
dans quoy fubfiftent plufieurs Qiialitez fenllbles qui frap-
pent nos fens, nous n'avons pas plutôt fuppofé un fujet
dans lequel exifte la penfee , la connoijfânce , le doute & la
fuijfance de mouvoir , Sec. que nous avons une idée aujji
claire de lafubjlance de VEfprit que de celle du Corps j celle-
ci étant fuppofée le * foâtien des Idées fimples qui nous* Snijimum,
viennent de dehors , fans que nous connoilîîons ce que
c'eft que ce foûtien-là ; & l'autre étant regardée comme
\e foâtien des Opérations que nous trouvons en nous-mê-
mes par expérience , 6c qui nous eft aulli tout-à-fait in-
connu. Il eft donc évident, que l'idée d'une fubftance
corporelle dans la Matière eft auftî éloignée de nos con-
ceptions , que celle de la fubftance fpirituelle , ou de
l'Efprit. Et par conféquent , de ce que nous n'avons
Y y au-
Des différentes
fortes de fuli-
ftaiices.
554 De nos Idées Complexes
C H A p. aucune notion de la fabftance fpirituelle , nous ne fonimcs
XXIII. pas plus autorifcz à conclurre la non-cxillcace des Ef-
prits qu'à nier par la même raifon l'exiftcnce des Corps;
car il eft aullî raifonnablc d'aflïirer qu'il n'y a point de
Corps parce que nous n'avons aucune idcc de la fubftan-
ce de la Matière, que de dire qu'il n'y a point d'Efprits
parce que nous n'avons aucune idée de la fubitance d'un
EJ'prit.
§. 6. Ainfi > quelle que foit la nature abllraite de la
Siibjiance en général, toutes les idées que nous avons des
efpéces particulières & diftmdtes des fubllances , ne font
autre chofe que différentes combinaifons d'Idées iimples
qui cocxiftent par une union à nous inconnue, qui en fait
\\n Tout exiftant par luyméme. C'eft par de telles com-
binaifons d'idées iimpks , &: non par autre chofe , que
nous nous repréfentons à nous-mêmes des efpéces particu-
lières de fubltances. C'ell à quoy fe reduifent les Idées
que nous avons dans l'Efprit de différentes efpéces de
fubftances, 6c celles que nous fuggerons aux autres en les
leur défignant par ties noms fpécifiqucs y comme font ceux
d' Homme , de Cheval , de Soleil , d'Enn , de Fer , Sec.
Car quiconque entend le François fc forme d'abord à
l'ouïe de ces noms , une combinaifon de diverfes idées
fimples qu'il a communément obfervé ou imaginé cxifter
enfemble fous telle ou telle dénomination; toutes lefquel-
les idées il fuppofe fubfifter, 6c être, pour ainfi clire, at-
tachées à ce commun fujct inconnu , qui n'cll pas inhé-
rent luy-même dans aucune autre chofe; quoy qu'en mc-
•■'••' me temps il foit manifelle , comme chacun peut s'en
convaincre en reflêchiflant fur fes propres penlécs, que
nous n'avons aucune autre idée de quelque fubltance par-
ticulière, comme de l'Or , d'un Cheval, dw Fer , d'un
Homme , du Vitriol , du Pam , 6cc. que celle que nous
avons des Qiialitez fenfibles que nous iuppofons jointes
enfemble par le moyen d'un certain fujet qui fert , pour
*siti'firatiim. ainfi dire , de * j'oûtien à ces Qiialircz ou Idées fmiples
qu'on a obfervé cxiller jointes enfemble. Ainfi, qu'eft-
ce
des Subfiances. Liv. II. 355
ce que le Soleil, linon un alTemblage de cts difFcrenres Chap.
Idées finiples , favoir , la lumière , la chaleur , la ron- XXIII.
deur, un mouvement confiant &c régulier qui eft à une
certaine diftance de nous , & peut-être quelques autres,
félon que celui qui réfléchit fur le Soleil ou qui en par-
le , a été plus ou moins exact à obferver les Qualitez ,
Idées , ou Propriétez fenfibles qui font dans ce qu'il
nomme Soleil?
§. 7. Car celui-là a l'idée la pltis parfaite de quelque Les PuitTanccs
fubftance particulière qui a joint &: raflemblé un plus f'""."";^r.^andc
grand nombre d Idées lunples c|ui exiltent dans cette fub- Uecs complexes
fiance , parmi lefquelles il faut compter fes Puijfances '^" fi^iî^ances.
a^îives &c fes capacité^::; pajjives ; car quoy qu'à parler à la
rigueur, ce ne foient pas des Idées lîmples, néanmoins
pour abréger on peut , à cet égard , les mettre affez com-
modément dans ce rang-là. Ainfi , la puifTance d'attirer
le Fer eft une des Idées de la fubftance que nous nom-
mons Aimant .) 6c la puiflance d'être ainfi attiré, fait par-
tie de l'idée complexe que nous nommons Fer: deux for-
tes de Puiffances qui paiîent pour autant de Qiialitez in-
hérentes dans l'Aimant , cc dans le Fer. Car chaque fub-
ftance étant aufll propre à changer certaines QLialitez fen-
fibles dans d'autres fujcts par le moyen de diverfes Puif-
fances qu'on y obferve , qu'elle eft capable d'exciter en
nous les idées fimples que nous en recevons irmnédiate-
ment , elle nous fait voir par le moyen de ces nouvelles
Qiialitez fenfibles produites dans d'autres fujets , ces for-
tes de Puiffances qui par là frappent mediatement nos
Sens, & cela d'une manière aulTi régulière que les Quali-
tez fenfibles de cette fubftance , lorfqu'elles agiflént im-
médiatement fur nous. Dans le Fen , par exemple , nous
y appercevons immédiatement , par le moyen des Sens,
de h. cbaletir èi de \^ couleur i qui, à bien conftderer la
chofe , ne font dans le Feu , que des Puijfances de pro-
duire ces Idées en nous. De même , nous appercevons
par nos Sens la couleur Se la friabilité du Charbon , par
où nous venons à connoître une autre Puiflance du Feu
Yy 2 qui
556 Ve nos Idées Complexes
C H A p. qui confifte à changer la couleur &: la confidence du Bois.
XXIII. Ces différentes Puiilances du Feu fe découvrent à nous
immédiatement dans le premier cas , & mcdiatement dans
le fécond j C'eftpourquoy nous les regardons comme fai-
fant partie des Qiialitcz du Feu , &: par conféquent, de
l'idée complexe que nous nous en formons. Car comme
toutes ces Piii([anccs que nous venons à connoîrre , fe
terminent uniquement à l'altération qu'elles font de quel-
ques Qiialitez fenfibles dans les fujcts fur qui elles exer-
cent leur opération , &: qui par là excitent de nouvelles
idées fenfibles en nous, je mets ces Pmjfances au nombre
des Idées fimples qui entrent dans la compofition des
efpéces particulières des Subftances > quoy que ces Puif-
fances confiderées en elles-mêmes foient effcftivement des
Idées complexes. Je prie mon Le£teur de m'accorder la
liberté de m'exprimer ainfi , &: de fe fouvenir de ne pas
prendre mes paroles à la rigueur , lorfque je range quel-
qu'une de ces Potentialités parmi les Idées fimples que
nous rafi!cmblons dans nôtre Efprit , toutes les fois que
nous venons à pcnfer à quelque fubftance particulière.
Car fi nous voulons avoir de vrayes Se diftinftes notions
des Subftances, il eft abfolument néceiTaire de confiderer
les différentes Puiffances qu'on y peut découvrir.
Et comment. §. 8. Au rcfte , nous ne devons pas être furpris , que
les Pitijfances fajjeut une grande partie des Idées complexes
que nous avons desSuhftances ; puifque ce qui dans la plu-
part des Subftances contribué le plus à les diftingucr l'u-
ne de l'autre , êc qui fait ordinairement une partie con-
fiderable de l'Idée complexe que nous avons de leurs dif-
*Voy«z cy- fércntcs efpéces, ce font leurs ^fécondes Qiialitez. Car
deiTus ^^^'^j^^ nos Sens ne pouvant nous faire appercevoir la groffeur,
pitre vui où la contcxture & la figure des petites parties des Corps
l'Auteur e^T''-d'où dépendent leurs conftitutions réelles &: leurs verira-
qu'^ii^au"ii'<rr.ir blés différences, nous fomines obligez d'employer leurs
fccmiAts Qji^ii- fécondes Gh'alitez comme des marques caraileriftiques,
"^" par lefqucllcs nous puiffions nous en former des idées
dans l'Efprit , £c les diftiuguer les uiîcs des autres. Or
tou-
des Sitbjiances. Liv. II. 357
toutes ces fécondes Qualitez ne font que de lîmpics Puif- C h a p.
fanceSi comme nous l'avons * déjà montré. Car la cou- XXIIÏ.
leur êv le goût de VOpium font auflî bien que fa vertu fo-'^-^i- 137- '^
porifique ou anodyne, de pures PvijJ^ances qui dépendent '^"'^'
de fes Premières 0ualitez. , par lefquelles il eft propre à
produire ces différentes Opérations fur diverfes parties de
nos Corps.
§. 9. Il y a trois fortes d'Idées qui forment les idées Trois fortes
complexes que nous avons des fubftances corporelles.'*'''^^" 'T/""
T->'' I TJ- 1 Tl ' ■ ' ^ l^ tU'^"f "°5 Mecs
rremierement , les Idées des Ircmieres GriaUte^ que complexes doi
nous appercevons duns les chofcs par le moyen des Sens , '"u^'^-^'i^s-
& qui y font lors même que nous ne les y appercevons
pas , comme font la grofleur , la figure , le nombre , la:
Situation 6c le mouvement des parties des Corps qui exi-
ftent réellement , foit que nous les appercevions ou non.
Il y a , en fécond lieu , les fécondes 0nalitez qu'on appel-
le communément §^ialite^ fenfïbles , qui dépendent de
ces Premières §luditeZi '&c ne font autre chofe que diffé-
rentes Pmffances que ces Subftances ont de produire di-
verfes idées en nous à la fiiveur des Sensj idées qui ne
font dans les chofes mêmes que de la même manière qu'u-
ne chofe cxifte dans la caufe qui l'a produite. Il y a, en
troifiéme lieu , VaptitvJe que nous obfervons dans une
fubftancc, de produire ou de recevoir tels Se tels change-
mens de fes Premières §naUtez; de forte que la Subftan-
ce ainfi altérée excite en nous des idées , différentes de
celles qu'elle y produifoit auparavant , Se c'eft ce qu'on
nomme Pmffance aBive & Puijfnnce pnfflve ; deux Pmf~
fances , qui , autant que nous en avons quelque percep-
tion ou connoillance, fe terminent uniquement à des I-
dées fimples qui tombent fous les SenSj car quelque alté-
ration qu'un Aimant ait pu produire dans les petites par-
ticules du Fer , nous n'aurions jamais aucune notion de
cetite puiffance par laquelle il peut opérer fur le Fer, fî
le mouvement fenfible du Fer ne nous le montroit ex-
prelTément -, Se je ne doute pas que les Corps que nou3
manions tous les joars , n'ayent la puiffance de produire
Yy 3 l'un
r5'8 De nos Idées Complexes
C H A p. l'un dans l'autre mille changemens auxquels nous ne fon-
XXIII. geons en aucune manière , parce qu'ils ne paroilTent ja-
mais par des effets fenhbles.
§. lo. Il eft donc vrai de dire , que lesF////7^î«rw font
une grande partie de nos Idées complexes des Subftances.
Qj-iiconque réfléchira, par exemple, fur l'idée complexe
qu'il a de l'Or, trouvera que la plupart des Idées dont
elle eft compofée , ne font que des Paiffânces ; ainfi la
puifiance d'être fondu dans le Feu mais fans rien perdre
de fa propre matière , &: celle d'être diflbus dans V Eau
Regale i (ont des Idées qui compofent auliî nécefiairenient
l'idée complexe que nous avons de l'Or , que fa couleur
& fa pefmteur , qui , à le bien prendre , ne font aufll
-que différentes Putjjûuces. Car à parler exadement , la
Couleur jaune n'eft pas aftuellcment dans l'Or , mais c'eft
une Puiffance que ce Métal a d'exciter cette idée en nous
par le moyen de nos yeux , lorfqu'il eft dans fon véritable
jour. De même , la chaleur que nous ne pouvons fépa-
rer de l'idée que nous avons du Soleil ■> n'eft pas plus réel-
lement dans le Soleil que la blancheur que cet Aftre pro-
duit dans la Cire. L'une éc l'autre font également de
lîmples Piiijfances dans le Soleil , qui par le mouvement
& la figure de fes parties infenfibles opère tantôt fur
l'Homme en luy faifmt avoir l'idée de la Chaleur , Se tan-
tôt fur la Cire en la rendant capable d'exciter dans l'Hom-
me l'idée du Blanc.
les fcfondis §. II. Si nous avions Ics Scns affez vifs pour difcemcr
Qiiai)icz que j^g pctitcs particulcs des Corps , &: la conftitution réelle
^p),sp[^J(èntc- d'où dépendent leurs Qiialitez fenfibles , je ne doute pas
ment dans les qu'ils ne produififfcnt de tout autres idées en nous ; que
fo"t'^oiciit 'fi^' 1^ couleur jaune, par exemple, qui eft prefentement dans
nous venions à l'Or, uc difparùt , &c qu'au lieu de cela, nous ne vilîlons
«k'couvnr les admirable contexture de parties, d'une certaine c^rof-
inn de knrs Icur & hgure, C clt cc qui paroit évidemment par les
plus petites par jfvlicrofcopcs } Car cc quï vu fimplemcnt des yeux , nous
donne l'idée d'une certaine couleur , fé trouve tout au-
tre chofe, lorfque nôtre veûc vient à s'augmenter par le
moyen
des Snbfîances. Liv. II. ^59
moyen d'un Microfcope ; de forte que cet Inftrument C h a, p.
changeant , pour ainfi dire , la proportion qui eft entre XXI'II.
la grolTeur des particules de l'Objet coloré & nôtre veûë
ordinaire, nous fait avoir des idées différentes de celles
que le même Objet excitoit auparavant en nous. Ainfi ,
le fable , ou le verre pile , qui nous paroit opaque Se
blanc , eft tranfparent dans un Microfcope > & un che-
veu que nous regardons à travers cet Inftrument , perd
aulîi fa couleur ordmaire , Ôc paroit tranfparent pour la
plus grande partie , avec un mélange de quelques cou-
leurs brillantes , femblables à celles qui font produites
par la rcfraftion d'un Diamant ou de quelque autre Corps
pelltictck. Le Sar{^ nous paroît tout rouge, mais par le
moyen d'un bon Microfcope qui nous découvre (es plus
petites parties, nous n'y voyons que quelques Globules
rouges en fort petit nombre, qui nagent dans une liqueur
tranfparente ; & l'on ne fait de quelle manière paroî-
troient ces Globules rouges , fi l'on pouvoir trouver des
Verres qui les puffent g;-ofîir mille ou dix mille fois da-
vantage.
§. 12. Dieu qui par fa fageffe infinie nous a fait tels Les Facuhez
que nous fommes, avec toutes les chofés qui font autour T^H'^'l'^irJTl
de nous , a difpofé nos Sens , nos Facultez èc nos Orga- thoics , font
nés de telle forte qu'ils puflent nous fervir aux néceflltez piopo'^""';""»
de cette vie, & a ce que nous avons a faire dans ce Mon- dans « Monde.
de. Ainfi , nous pouvons par le fecours des Sens , con-
noître 6c difiinguer les chofes , les examiner autant qu'il
eft néceffaire pour les appliquer à nôtre ufage Se les em-
ployer, en difl'érentes manières, à nos befoins dans cette
vie. Et en efî^et, nous pénétrons affez avant dans leur
admirable conformation (3c dans leurs effets furprenans,
pour reconnoitre & exalter la fageffe, la puiffance, .6c la
bonté de Celui qui les a faites. Une telle connoifTance
convient à l'état ou nous nous trouvons dans ce Monde,
Se nous avons toutes les Facultez néceffaires pour y par-
venir. Mais il ne paroit pas que Dieu ait eu en veûë de
faire que nous paillons avoir une connoifTance parfliite,.
claire
500 De nos Idées Complexes
Chap. claire &: abfoluë des Chofes qui nous environnent -, &
XXllI. peut-être même que cel i eft bien au deflus de la portée
de tout Etre fini. Du refte, nos Facultez , toutes groillé-
res 6c foibles qu'elles font , fufïîfent pour nous faire ccn-
noître le Créateur par la connoifTancc qu'elles nous don-
nent de la Créature , &: pour nous inllruire de nos de-
voirs , comme aufll pour nous faire trouver les moyens
de pourvoir aux nécellitez de cette vie. Et c'elt à quoy
fe réduit tout ce que nous avons à faire dans ce Monde.
Mais fi nos Sens recevaient quelque altération conildera-
ble, & devenoient beaucoup plus vifs &: plus pénétrans,
l'apparence & la forme extérieure des chofes fcroit toute
autre à nôtre égard ; Se je fuis tenté de croire que dans
cette partie de l'Univers que nous habitons, un tel chan-
gement feroit incompatible avec nôtre nature , ou du
moins avec un état aufll commode & aulll agréable que
celui où nous nous trouvons prei'cntement. En effet,
qui confiderera combien par nôtre conftitution nous fom-
ines peu capables de fubfifter dans un endroit de l'Air un
peu plus haut que celui où nous refpirons ordinairement,
aura raifon de croire que fur cette Terre qui nous a été
aflignée pour demeure > le fage Architecte de l'Univers a
mis de la proportion entre les organes Se les Corps dont
ils doivent être afFedez. Si par exemple, nôtre Sens de
VOuie étoit mille fois plus vif qu'il n'eft , combien fe-
rions-nous diftraits par ce bruit qui nous battroit incef-
famment les oreilles , puis qu'en ce cas-là nous ferions
moins en état de dormir ou de méditer dans la plus tran-
quille retraite que parmi le fracas d'un Combat de Mer?
11 en eft de même à l'égard de la "jcitë ^ qui eft le plus in-
ftruftif de tous nos Sens. Si un homme avoit la vcùë
mille ou dix mille fois plus fubtile, qu'il ne l'a par le
fecours du meilleur Microfcopc, il verroit avec les yeux
fans l'aide d'aucun Microfcopc des chofes , pluficurs mil-
lions de fois plus petites , que le plus petit objet qu'il
puifle difcerner préfentemcnt -, &c il fcroit ainii plus en
état de découvrir la contcxture fie le mouvement des pe-
tites
des Subfîdnces. Liv. IL 561
tites particules dont chaque Corps eft compofé. Mais C h A p.
dans ce cas il feroit dans un Monde tout différent de ce- XXIII.
lui où fe trouve le refte des hommes. Rien ne paroîtroit
le même à luy Se aux autres , mais les idées vifiblcs de
chaque chofe leroient tout autres à fon égard que ce qu'el-
les paroiffcnt au refte du Monde. C'eftpourquoy je dou-
te qu'il pût difcourir avec les autres hommes des Objets
de la veîië ou des Couleurs dont les apparences feroient •
en ce cas-là iî fort différentes. Peut-être même qu'une
veûë il perçante Se fi fiibtile ne pourroit pas foùtenir l'é-
clat des rayons du Soleil, ou même la Lumière du Jour,
ni appercevoir à la fois qu'une très-petite partie d'un Ob-
jet, & feulement à une fort petite diftance. De forte que.
Il par le fecours de ces fortes de Microfcopes, (^qu'on me
permette cette expreffion) un homme pou voit pénétrer
plus avant qu'on ne fait d'ordinaire , dans la contexture
radicale des Corps , il ne gagneroit pas beaucoup à ce
changement , fi une veûé fi perçante ne pouvoit fervir à
le conduire au Marché ou à la Bourfe ; s'il ne pouvoit
point voir à une jufte diftance les chofes qu'il luy impor-
teroit d'éviter^ ni diftingucr celles dont il auroit befoin ,
par le moyen des Qualitcz fenfibles qui les font connoi-
tre aux autres. Celui qui auroit les yeux affez pénétrans
pour voir la configuration des petites parties du reffort
d'une Horloge, & pour obferver quelle en eft la ftra£tu-
re particulière, êc la jufte impulfion d'où dépend fon
mouvement élaftique , découvnroit fans doute quelque
chofe de fort admirable. Mais fi avec des yeux ainfi faits
il ne pouvoit pas voir tout d'un coup l'aiguille Scies nom-
bres du Cadran, &: par là connoitre de loin, quelle heu-
re il eft , une veûé fi perçante ne luy feroit pas dans le
fonds fort avantageufe , puis qu'en luy découvrant la
configuration fecrete des parties de cette Machine , elle
luy en feroit perdre l'ufage.
§. 13. Permettez moy ici de vous propofer une Con- Conjecluretoa-
jefturc bizarre qui m'eft venue dans l'Efprit. Si l'on peut '''•"" '"^''
ajouter foy au rapport des chofes dont nôtre Philofophie
Zz ne
7,62 De noi Idées Complexes
C H A p. ne fauroit rendre raifon , nous avons quelque fujet de croi-
XXIII. re que les Efprits peuvent s'unir à des Corps de différen-
te grofleur, figure, Se conformation de parties. Cela é-
tant , je ne fai fi l'un des grands avantages que quelques-
uns de ces Efprits ont fur nous , ne confifte point en ce
qu'ils peuvent fe former & fe façonner à eux-mêmes des
organes de fenfation ou de perception qui conviennent ju-
ftemcnt à leur préfent deflein , 6c aux circonftances de
l'Objet qu'ils veulent examiner. Car combien un hom-
me furpaflcroit-il tous les autres en connoiiïance, qui au-
roit feulement la faculté de changer de telle forte la ftru-
£ture de fes yeux , que le Sens de la veûë devint capable
de tous les différcns dégrez de vifion que le fccours des
Verres au travers defquels on regarda au commencement
par hazard j nous a fait connoître ? Quelles merveilles
ne découvriroit pas celui qui pourroit proportionner fes
yeux à toute forte d'Objets, jufqu'à voir, quand il vou-
droit, la figure &: le mouvement des petites particules du
fixng £c des autres liqueurs qui fe trouvent dans le Corps
des Animaux, d'une manière aulîi dillinfte qu'il voit la
figure 6c le mouvement des Animaux mêmes ? Mais dans
l'état où nous fommes prefentement , il ne nous fcroit
peut-être d'aucun ufage d'avoir des organes invariables ,
façonnez de telle forte que par leur moyen nous pullîons
découvrir la figure 6c le mouvement des petites particules
des Corps , d'où dépendent les Qualitcz fenfibles que
nous y remarquons prefentement. Dieu nous a faits fans
doute de la manière, qui nous cft la plus avantageufe par
rapport à nôtre condition , 6c tels que nous devons être
à l'égard des Corps qui nous environnent 6c avec qui nous
avons à faire. Ainfi , quoy que nos Facultez ne puiffenc
nous conduire à une parfaite connoiffance des chofcs , el-
les peuvent néanmoins nous être d'un affez grand ufage
par rapport aux fins dont je viens de parler, en quoycon-
fifte nôtre grand intérêt. Encore une fois , je demande
pardon à mon Le*fteur de la liberté que j'iai pris de luy
propofer une pcnfee fi étrange touchant la manière dont
ks
des Subfiances. Liv. II. 365 .
les Etres qui font au deflus de nou?, peuvent appercevoir C h a p.
les chofcs. Mais quelque bizarre qu'elle foit , je doute XXIII.
que nous puillions imaginer comment les Anges viennent
à connoître les chofes, autrement que par cette voye, ou
par quelque autre femblable, je veux dire qui ait quelque
rapport à ce que nous trouvons & obfervons en nous-mê-
mes. Car bien que nous ne puiilions nous empêcher de
reconnoître que Dieu qui eft infiniment puiflant & infi-
niment fage , peut faire des Créatures qu'il enrichifle de
mille facultez , Se manières d'appercevoir les cliofes exté-
rieures, que nous n'avons pas j cependant nos penfées ne
fauroient fe repréfenter d'autres facultez que celles que
nous trouvons en nous mêmes , tant il nous eft impofilble
d'étendre nos conjeftures mêmes , au delà des Idées qui
nous viennent par la Senfation & par la Reflexion. Il ne
faut pas 5 du moins, que ce qu'on fuppolé que les Anges
s'umflent quelquefois à des Corps, nous furprenne, puif-
qu'il femble que quelques-uns des plus anciens & des plus
favans Pérès de l'Eglife ont crû , que les Anges avoient
des Corps. Et ce qu'il y a de certain , c'eft que leur é^
tat 8c leur manière d'éxillcr nous eft tout-à fait incon-
nue.
§. 14. Mais pour revenir à nôtre fujet , je veux dire , idées comfWc-
aux Idées que nous avons des Subftances, &: aux moyens '■"desTubiba-
par lefquels nou-s venons à les acquérir , je dis que les I-"^"
dées fpecifiques que nous avons des Subftances , ne font
autre chofe qu'?/«e colleûion d'un certain nombre d'Idées
■Jimples, confiderées comme unies en une feule chofe. Qiioy
qu'on appelle communément ces idées de fubfiances Jim-
ples apprehcn/ions, 6c les noms qu'on leur donne , Termes
/impies, elles font pourtant complexes dans le fonds. Ain-
fi , l'idée qu'un François fignifie par le mot de Cigne ,
c'eft une couleur blanche , un long cou , un bec rouge ,
des jambes noires , un pié uni , fie tout cela d'une certaine
grandeur, avec la puiflance de nager dans l'eau Se de fai-
re un certain bruit ; à quoy un homme qui a long-temps
obfervé ces fortes d'Oifeaux , ajoute peut-être quelques
Zz 2 au-
3^4 ^^ '^"^ ^^^'^^ Complexes
C H A p. autres propriétez qui fe terminent toutes à des Idées fim-
XXllI. pies, unies dans un commun fujet.
L'Idée des fuiv §• 15- Outre Ics Idecs Complexes que nous avons des
fiances fpiri- fubllanccs matérielles èc fenfibles dont je viens de parler,
cUi'r'rnuc cdk"0"s pouvons cncore nous former Vidée complexe d'un Ef-
dcs fubftances prit immatériel , par le moyen des Idées fimples que nous
corporelles. ^vons déduites des opérations de nôtre propre Efprit , que
nous fentons tous les jours en nous-mêmes , comme pen-
fer , entendre , -vouloir , connaître &c pouvoir mettre des
Corps en mouvement , 6cc. qualitez qui coèxiilent dans
une même fubftance. De forte qu'en joignant cnfemble
les idées de pcnfee , de perception , de Liberté Se de pmjfance
de mouvoir nôtre propre Corps fie des Corps étrangers, nous
avons une notion auiîi claire des fubftances immatérielles
que des matérielles. Car en conilderant les idées de Penfer,de
Vouloir i ou de pouvoir exciter ou arrête^' le mouvement des
Corps iCommQ inhérentes dans une certaine fubftance dont
nous n'avons aucune idée diftindlejnous avons l'idée d'un
Efprit immatériel : (Se de même en joignant les idées de
folidiiéy de cohejion de parties avec la puijpince d'être mû ,
& fuppofant que ces chofes coéxiftent dans une fubftance
dont nous n'avons non plus aucune idée pofitive, nous a-
vons l'idée de la Matière. L'une de ces Idées eft au fli clai-
re & aufli diftinfte que l'autre; car les Idées de pcnfcr &:
de mouvoir un Corps peuvent être conçues aulll nette-
ment & auHl diftinftenicnt que celles d'etenduë , de foli-
dité & de mobilité > &: dans l'une 6c l'autre de ces cho-
fes, l'idée dQfubJlance eft également obfcure , ou plutôt
n'eft rien du tout à nôtre égard , puifqu'elle n'eft qu'un
je ne fai quoy, que nous fuppofons être le foùtien tie ces
Idées que nous nommons /Jccidens. C'eft donc faute de
reflexion que nous fommes portez à croire , que nos Sens
ne nous prefententquedes chofes matérielles. Chaquea<3:e
de Senfation , à le confiderer exatlrement , nous fait éga-
lement envifager les chofes corporelles &: fpirituelles. Car
dans le temps que voyant ou entendant , c^f. je connois
qu'il y a quelque Etre corporel hors de nioy qui ell
l'ob-
des Siibjlances. L i v. II. 365
l'objet de cette fenfation , je fai d'une manière encore C h a p.
plus certaine qu'il y a au dedans de moy quelque Etre XXIII.
fpirituel qui voit ëc qui entend. Jenefaurois, dis-je, é-
viter d'être convaincu en moy-même que ce n'eft point
là l'aftion d'une matière purement infenfible , &c que ce-
la ne pourroit jamais fe faire fans un Etre penfant & im-
matériel.
§. 16. Par ridée complexe d'étendue , de figure , de Nou; n'avons
couleur, 6c de toutes les autres Qiialitez fenfibles,:! quov f'","^ ''^^ ^
le réduit tout ce que nous connoiflons du Corps , nous abrtraitc.
fommes aulîi éloignez d'avoir quelque idée de la fubftan-
ce du Corps, que fi nous ne le connoillions point du tout.
Et quelque connoifTance particulière que nous penfions
avoir de la Matière, &: malgré ce grand nombre de Qiia-
litez que les hommes croyent appercevoir & remarquer
dans- les Corps -, on trouvera , peut-être , après y avoir
bien penfe , que les idc'es originales qu'ils ont du Corps , ne
font m en plus grand nombre m plus claires , que celles qu'ils
ont des Efprits immatériels.
§. 1 7. Les Idées originales que nous avons du Corps , u cohefion de
comme lu y étant particulières , entant qu'elles fervent à P3"'"'''iiJes&
le dirtinguer de l'Efprit, font la cohejîon de parties folides^Zklw^so.
^ par conféquent feparables , c^ ta puijfance de communia rigmaies du
quer le mouvement par voye d'impul/Jon. Ce font là , dis-^°'P^'
je, à mon avis, les idées originales du Corps qui hiy font
propres &: particulières , car la Figure n'eft qu'une fuite
d'une Extenfion finie.
§. 18. Les Idées que nous confiderons comme parti- Li pcnfe'e & Vi
culieres à l'Efprit, font la Penfee , la Volonté ^ ou la puif- ^ij"'*^^"" ^«
fance de mettre un Corps en mouvement par la penfèe,'ëmon,rom°es
&: la Liberté qui eft une fuite de ce pouvoir. Car corn- ' ^"^'^^ orii;iiiaies
me un Corps ne peut que communiquer fon mouvement '^'^ i£%:c.
par voye d'impulfion à un autre Corps qu'il rencontre en
repos j de même l'Efprit peut mettre des Corps en mou'-
vement, ou s'empêcher de le faire, félon qu'il luy plaîr.
Quant aux idées d'Exiftence , de Durée &: de Mobilité,
elles font communes à l'une & à l'autre,
2z 3 §• 191-
366 De nos Idées Complexes
C H A p. §■ 19- On ne doit point , au refte , trouver étrange
XXIII. quej'attnbuë la Mobilité à l'Efprit ; car comme je ne
''^^ ^,^P"f'°'"cor.'nois le mouvement que fous l'idée d'un changement
mouvcniait. de diitance par rapport 2 a autres btres qui (ont conlide-
rez en repos , £c que je trouve que les Eiprits non plus
que les Corps ne fuiu-oient opérer qu'où ils font , èc que
les Eiprits opèrent en divers temps dans differens lieux ,
je ne puis qu'attribuer le changement de place à tous les
Efprits finis ; car je ne parle point ici de l'Efprit Infini.
...: En effet , mon Ëfprit étant \\\\ Etre réel aulli bien que
mon Corps, il eft certainement aulli capable que le Corps
même , de changer de dillancc par rapport à quelque
Corps ou à quelque autre Etre que ce foit , &: par con-
féquent il eft capable de mouvement. De forte que , li
un Mathématicien peut confiderer une certaine diftance ,
ou un changement de diftance entre deuK points ; qui que
ce foit peut concevoir fans doute une diftance & un chan-
gement de diftance entre deux Efprits , &: concevoir par
ce moyen leur mouvement, l'approche ou l'éloignemenc
- • de l'un à l'égard de l'autre.
§. 20. Chacun fent en luy-même que fon Ame peut
penfer, vouloir, &; opérer fur fon Corps , dans le Lieu
où il eft, mais qu'elle ne fauroit opérer fur un Corps ou
dans un Lieu qui feroit à cent lieûés d'elle. Ainli , per-
fonne ne peut s'imaginer que, tandis qu'il eft à Londres ^
fon Ame puifTe penler ou remuer un Corps à Cambridge ,
& ne pas voir que fon Ame étant unie à fon Corps , elle
change continuellement de place durant tout le chemin
qu'il fait de Cambridge à Londres , de même que le Car-
, ; , rollé ou le Cheval qui le porte. D'où l'on peut fùrcment
conclurrc, à mon avis, que fon Ame eft en mouvement
pendant tout ce temps-là. Que 11 l'on fait difficulté de
reconnoître que cet exemple nous donne une idée aflez
claire du mouvement de l'Ame ; il ne faut que refléchir,
à ce que je croy , fur fa feparation du Corps par la Mort ,
pour être convaincu de ce mouvement ; car confiderer
l'Ame comme fortam: du Corps & abandonnant le Corps,
fans
des Stibjlances. L i v. II.
5^7
fans avoir pourtant aucune idée de fbn mouvement , c'eft, C h a p.
ce me femble , une chofe entièrement impoilible. XXIII.
§.2 1. C^ie 11 quelqu'un dit , Que l'Ame ne fauroit
changer de lieu, parce qu'elle n'en occupe aucun, les Ef-
prits Ji'étant pas * in loco , fed nbi ; je ne croy pas que
bien des gens flificnt maintenant beaucoup de fonds fur
cette façon de parler, dans un fiécle où l'on n'eft pas fort
difpofé à admirer , ou à fe laifler tromper par ces fortes
d'expreflions inintelligibles. Mais fi quelqu'un s'imagi-
ne que cette diftin£lion peut recevoir un fens raifonnable,
& qu'on peut l'appliquer à nôtre préfente Qucftion , je
le prie de l'exprimer en François intelligible , te d'en ti-
rer, après cela, une raifon qui montre que les Efprits im-
matériels ne font pas capables de mouvement. On ne peut,
à la vérité, attribuer du mouvement à Dieu, non pas
parce qu'il eft un Efprit immatériel , mais parce qu'il eft
un Efprit infini.
§.2 2. Comparons donc l'idée complexe que nous a- Comparaiton
vons de V Efprit avec l'idée complexe que nous avons du ^""^ '"^'^^ IJ""
Corps, & voyons s'il y a plus d'obfcurité dans l'une que dc'^î'Ame/
dans l'autre, &: dans laquelle il y en a davantage. Nôtre
idée du Corps emporte, à ce que je croy, une lubilance
étendue , folide & capable de communiquer du mouve-
ment par impulllon ; & l'idée que nous avons de nôtre
Ame confiderée comme un Efprit immatériel , eft celle
d'une fubftance qui penfe &: a la puifîance de mettre un
Corps en mouvement par la volonté ou la penfee. Telles
font, à mon avis , les idées complexes que nous avons de
l'Efprit £c du Corps entant qu'ils font diftincts l'un de
l'au-
* Comme ces mots emplovei de cette
manicic , ne lïgniHent licii , il n'cft pas
pcflîble de les traduite en François. Les
Scholaftiques ont cette ccmmoditd de
fe fervir de mots auxquels ils n'attachent
aucune idc'e-, & à la faveur de ces termes
barbares ils foûtiennent tout ce qu'ils veu-
lent , ce qu'ils n'entendent pas auiïl bien
îjiic ce c^u'ils entendent. Mais quand on
les oblige d'expliquer ces termes pat
d'autres qui ibicnt ufitez dans une Lan-
gue vulgaire , l'impodibilite' oii ils font
de le faire , montre nettement qu'ils ne
cachent fous ces mots que de vains gali-
mathias, & un jargon niyftérieux par le-
quel ils ne peuvciK tromper que ceux qui
font alTez fots pour admirer ce qu'ils n'eu-
teadent point.
I
5^6'8 De nos Idées Complexes
Ch A,p. l'autre. Voyons prefcntement laquelle de ces deux idée
XXIII. eft la plus obfcure & la plus difficile à comprendre. Je
fai que certaines gens dont les penlces font , pour ainil di-
re, enfoncées dans la matière , 6v qui ont ii fort aflervi
leur Efprit à leurs Sens , qu'ils élèvent rarement leurs pen-
fées au delà, font portez :i dire , qu'ils ne fauroient con-
cevoir une chofe qui penfe > ce qui eft , peut-être , fort
véritable. Maisje foûtiens que s'ils y fongent bien, ils
trouveront qu'ils ne peuvent piis mieux concevoir une cho-
fe étendue.
La coliefion àc §. 23. Si quclqu'un dit à ce propos , Qii'il ne flxit ce
parties foiides q^,g (.'^{^ q,^,j penfe en luy , il entend par la qu'il ne fait
auir' difîraFe'à' quelle eft la fubftance de cet Etre penfant. Il ne connoit
concevoir que la pas nou plus , repondrai-jc , quelle eft la fubftance d'une
TaIuc^ ^^''^ chofe folide. Et s'il ajoute qu'il ne fait point comment
il penfe , je répliquerai , qu'il ne fiit pas non plus com-
ment il eft étendu > comment les parties folides du Corps
font unies ou attachées enfemble pour faire un tout éten-
du. Car quoy qu'on puifl'e attribuer à la preftion des
particules de l'Air, la cohefion des différentes parties de
Matière qui font plus groftes que les parties de l'Air , 6c
qui ont des pores plus petits que les corpufcules de l'Air}
cependant la preffion de l'Air ne fauroit fervir à expliquer
la cohefion des particules de l'Air mcme,puifqu'elle n'en
fauroit être la caufe. Qiie fi la prellîon de VEther ou de
quelque autre matière plus fubtile que l'Air, peut unir &
tenir attachées les parties d'une particule d'Air auiTi biea
que des autres Corps, cette Maticre fubtile ne peut fervir
de lien à elle-même , £c tenir unies les parties qui com-
pofcnt l'un de fes plus petits corpufcules. Et ainiî, quel-
que ingenieufement qu'on explique cette Hypothci'e, en
faifant voir que les parties des Corps fenfibles font unies
par la prellîon de quelque autre Corps infenfible , elle ne
Icrt de rien pour expliquer l'union des parties de V Ether
même; &: plus .elle prouve évidemment que les parties
des autres Corps font jointes enfemble par la preiîion ex-
:té,ricure de V Ether ^^ qu'elles ne peuvent avoir une autre
caufe
des Snbjiances. Liv. II. 569
caufe intelligible de leur coliéfion , plus elle nous laiflc Chap.
dans robfcunté par rapport à la cohefion des parties qui XXIII.
compofent les corpufcules de V Ether luy-même;car nous
ne ùurions les concevoir fans parties , puifqu'ils font
Corps & par conféquent divifibles , ni comprendre com-
ment leurs parties font unies les unes aux autres , puif-
qu'il leur manque cette caufe d'union qui fert à expliquer
la coheilon des parties des autres Corps.
§. 24. Mais dans le fonds on ne fauroit concevoir que
Ja preflîon d'un Ambiant tluide , quelque grande qu'elle
foit, puille être la caufe de la cohefion des parties folides
de la Matière. Car quoy qu'une telle preiîîon puifTe
empêcher qu'on n'éloigne deux furfaces polies l'une de
l'autre par une ligne qui leur foit perpendiculaire , com-
me on voit par l'expérience de deux Marbres polis, po-
fez l'un fur l'autre 3 elle ne fauroit du moins empêcher
qu'on les fcpare par un mouvement parallèle à ces furfa-
ces. Parce que , comme V /Imbiant fluide a une entière
liberté de fucceder à chaque point d'efpace qui eft: aban-
donné par ce mouvement de côté, il ne refifte pas davan-
tage au mouvement des Corps ainfi joints , qu'il refifte-
roit au mouvement d'un Corps qui feroit environné de
toiis cotez par ce Fluide , & ne toucheroit aucun autre
Corps. C'eft pour cela que s'il n'y avoir point d'autre
caufe de la cohefion des Corps , il feroit fort aifé d'en
feparer toutes les parties 3 en les faifant ainfi glifTer de
côté. Car fi laprelîion de V Ether eft la caufe abfoluc de
la cohefion , il ne peut y avoir de cohefion , là où cette
caufe n'opère point. Et puifque la prelfion de V Ether
ne fauroit agir contre une telle feparation de côté , ainfi
que je viens de le faire voir , il s'enfuit de là qu'à pren-
dre tel plain qu'on voudroit , qui coupât quelque mafle
de Matière , il n'y auroit pas plus de cohefion qu'entre
deux furfaces polies , qu'on pourra toujours faire glifler
aifément l'une de deflus l'autre , quelque grande qu'on
imagine la prelfion du Fluide qui les environne. De
forte que, quelque claire que foit l'idée que nous croyons
A a a avoir
5 70 T^s nos Idées Complexes
Ch AP. avoir de l'ctenduë du Corps, qui n'cft autre chofe qu'u-
XXIII. ne cohefion de parties Iblidcs , peut-être que qui confi-
derera bien la chofe en luy-mcme, aura iliiet de conclur-
re qu'il luy eft aufll flicile d'avoir une idée claire de la
manière dont l'Ame penfe , que de celle dont le Corps
eft étendu. Car comme le Corps n'cft point autrement
étendu que par l'union & la cohefion de les parties foli-
des, nous ne pouvons jamais bien concevoir l'étendue du
Corps , fans voir en quoy confifte l'union de ks parties j
ce qui me paroit aufll incomprehenfible que la penfée bc
la manière dont elle fe forme.
§. 25 . Je fai que la plupart des gens s'étonnent de voir
qu'on trouve de la difficulté dans ce qu'ils croyent obfer-
ver chaque jour. Ne voyons-nous pas , diront-ils d'a-
bord , les parties des Corps fortement jointes enfemble ?
Y a-t-il rien de plus commun ? Qiiel doute peut-on avoir
là-deflus ? Et moy, je dis de même à l'égard de la Pen-
fée 6c de la Puiftance de mouvoir , ne fentons-nous pas
ces deux chofes en nous-mêmes par de continuelles expé-
riences, &" ainfi, le moyen d'en douter? De part &: d'au-
tre le fait eft évident, j'en tombe d'accord. iMais quand
nous venons à l'examiner d'un peu plus près , 6c a confi-
derer comment fe fait la chofe , je croy qu'alors nous
fommes hors de route à l'un ôc à l'autre égard. Car je
comprens aufli peu comment les parties du Corps font
jointes enfemble, que de quelle manière nous penfons ou
produifons le mouvement j ce font pour moy deux énig-
mes également obfcures. Et je voudrois bien que quel-
qu'un m'expliquât d'une manière intelligible , comment
les parties de l'Or 6c du Cuivre qui venant d'être fon-
dues tout à l'heure , étoient aufll dcfunics les unes des
autres que les particules de l'Eau ou du lable , ont èté>
quelques momens après, fi fortement jointes 6c attachées
l'une à l'autre, que toute la force des bras d'un homme
ne fauroit les feparer. Je croy, que toute perfonne qui eft
accoutumée à faire des reflexions , fe verra ici dans l'ini-
poflibilité de trouver quelque chofe qui puiflc le latisfai-
re luy ou quelque autre. §. 26-
des Subjlances. Liv. II. 571
§. 26. Les petits corpufcules qui compofent ce Flui- Chap.
<ie que nous appelions Eau, font d'une li extraordinaire XXIII.
petiteffe , que je n'ai pas encore oui dire que perfonne
ait prétendu appercevoir leur grofleur, leur figure diftin-
6te ou leur mouvement particulier , par le moyen d'au-
cun Microfcope , quoy qu'il y en ait , à ce qu'on m'a
dit, qui ont fait voir les Objets, dix mille &: même cent
mille fois plus grands qu'ils ne nous paroiflent naturelle-
ment. D'ailleurs , les particules de l'Eau font fi fort dé-
tachées les unes des autres , que la moindre force les fe-
pare d'une manière fenfible. Bien plus ; fi nous confide-
rons leur perpétuel mouvement , nous devons reconnoî-
tre qu'elles ne font point attachées l'une à l'autre. Ce-
pendant, qu'il vienne un grand froid, elles s'unifient &:
deviennent folides -, ces petits atomes s'attachent les uns
aux autres, 6c ne fauroient être feparezque par une gran-
de force. Qui pourra trouver les liens qui attachent fi
fortement enfemble les amas de ces petits corpufcules qui
étoient auparavant feparez } quiconque, dis-je, nous fe-
ra connoître le ciment qui les joint fi étroitement l'un à
l'autre, nous découvrira un grand fecret, jufqu'à cette
heure entièrement inconnu. Mais quand on en feroit
venu là, l'on feroit encore aflez éloigné d'expliquer d'u-
ne manière intelligible l'étendue du Corps , c'eft à dire ,
la cohefion de fes parties folides , jufqu'à ce qu'on put
faire voir en quoy confifte l'union ou la cohefion des par-
ties de ces liens , ou de ce ciment , ou de la plus petite
partie de Matière qui exille. D'oii il paroit que cette
première qualité du Corps qu'on fuppofe fi évidente , fe
trouvera, après y avoir bien penfé, tout aulli incompre-
henfible qu'aucun attribut de l'Efprit; on verra , dis-je,
qu'une fubftance folide &: étendue efi: aulîî difficile à con-
cevoir qu'une fubftance qui penfe , quelques difficultez
que certaines gens forment contre cette dernière fubftan-
ce.
§. 27. En effet, pour poufler nos penfccs un peu plus La cohefion de?
loin, cette preiiion qu'on propofe pour expliquer 'a co- P""" '^^''J"
A a a 2 hefion '
^j2 De nos Idées Complexes
Chap. hefion des Corps, eft auni inintelligible que k cohefion-
XXIII. elle-même. Car il la Matière eit regardée comme finie,
aiiiTi difficile à ainfi qu'elle ell fans doute ; que quelqu'un ie tranfporte
îrperfdc'^daiis en efprit jufqu'aux extremitez de l' Univers, &: qu'il voye
i'Anîc. là quels cerceaux , quels crampons il peut invaginer qui
retiennent cette mafle de matière dans cette étroite union,
d'où V Acier tire toute la folidiré , èc les parties du Dia-
mant leur dureté &; leur indijfohibilité , fi j'ofe me fervir
de ce terme ; car fi la Matière ell finie , elle doit avoir
fes limites, & il faut que quelque chofe empêche que fes
parties ne fe dillîpent de tous cotez. Qiie fi pour éviter
cette difficulté, quelqu'un s'aviié de fuppofer la Matière
infinie, qu'il voye à quoy luy fervira de s'engager dans
cet abyme, quel fecours il en pourra tirer pour expliquer
la cohefion du Corps, &: s'il fera plus en état de la ren-
dre intelligible en l'établiflant fur la plus abfurde & la
plus incomprchenfible fuppofition qu'on puiffe faire j
tant il eft vray que fi nous voulons rechercher la nature,
la caufe Se la manière de l'Etendue du Corps , qui n'elt
autre chofe que la cohefion de parties folides , nous trou-
verons qu'il s'en faut de beaucoup que l'idée que nous
en avons foit plus claire que l'idée de la Penfi'e.
La commiiiii- §. 2,8. Une autte idée que nous avons du Corps, c'eft
cation du mou- j_j puiffance de communiquer le mouvement par irnpulfion ,
Tcment par ' w •' j i> /i > n. i /r
rimpulfioii ou cv une autre que nous avons de 1 Ame , c eit la puijjance
parla pcnree ^g produire du mouvement par la peu fée. L'expérience
àu^euî^^bic.'" î^oi-is fournit chaque jour ces deux Idées d'une manière e-
vidente j mais {\ nous voulons encore rechercher com-
ment cela fe fait, nous nous trouvons également dans les
ténèbres. Car à l'égard de la communication du mou-
vement , par où un Corps perd autant de mouvement
qu'un autre en reçoit , qui eft le cas le plus ordinaire,
nous ne concevons par là rien autre chofe qu'un mouve-
ment qui pafie d'un Corps à un autre Corps , ce qui eft,
je croy , aulli obfcur 6c aufll inconcevable, que la maniè-
re dont nôtre Efprit met en mouvement ou arrête nôtre
Corps par la penfce , ce que nous voyons qu'il fait à
tout
dfs Subllanccs. L i v. IL 372
tout moment. Et il eft encore plus mal-aiïé d'expliquer Chap
l'augmentation du mouvement par voye d'impuUlon , XXIII*
qu'on cbferve, ou qu'on croit arriver en certaines ren-
contres. L'expérience nous fait voir tous les jours des
preuves évidentes du mouvement produit par l'impul-
fion j & par la penfée ; mais nous ne pouvons guè-
re comprendre comment cela fe fait. Dans ces deux
cas notre Efprit cft également à bout. De forte que de
quelque manière que nous conllderions le mouvement ,
6c fa communication , comme des effets du Corps ou
de l'Efprit , l'idée qui fc rapporte à V Efprit , efi pour le
moins avjji claire , qve celle qui appartient au Corps.
Et pour ce qui eft de la Puiffance adive de mouvoir ,
ou de la motiviîé, fi j'ofe me fervir de ce terme 3 elle
eft beaucoup plus claire dans l'Efprit que dans le Corps j
parce que deux Corps en repos , placez l'un auprès
de l'autre, ne nous fourniront jamais * l'idée d'une Puif- k voy. cy-def-
fance qui foit dans l'un de ces Corps pour remuer l'autre ^"s , ch. xxi.
autrement que par un mouvement emprunté; au licuque ^^^'j.^^'i^''"*"
l'Efprit nous prefentc chaque jour l'idée d'une Puiflance prouva! plus au
a£tive de mouvoir les Corps. C'eftpLOurquoy ce n'eft '°"°"
pas une cliofe indigne de nôtre rechercTie de voir fi la
Puiffance a^îive eft l'attribut propre des Efprits , 6c la
Puîjjance pa/Jive celui des Corps. D'où l'on pourroit
conjedurer, que les Efprits créez étant aûifs & pa^ffs
ne font pas totalement feparez de la Matière. Car l'Ef-
prit pur, c'eft à dire Dieu, étant feulement ^r^?//", 6c
la pure Matière fimplement paj/ive , on peut croire que
ces autres Etres qui font aÛifs &c paj/ifs tout enfcmble,
participent de l'un &c de l'autre. Mais quoy qu'il en ibit,
les idées que nous avons de l'Efprit, lont, je penfe, en
aufïï grand nombre ccaulFi claires que celles que nous avons
du Corps , la fubftance de l'un 6c de l'autre nous étant
également inconnue , &c l'idée de la penfee que nous
trouvons dans l'Efprit nous paroiffant auifi claire que
celle de l'étendue que nous remarquons dans le Corps j
6c la communication du mouvement qui fe fait par la
Aaa 3 pen-
^y^ De nos Idées Complexes
C H A p. penfée Se que nous attribuons à l'Efprit , eft aufli évi'den-
XXIII. te que celle qui fe fait par impuUion &: que nous attri-
buons au Corps. Une confiante expérience nous fait
voir ces deux communications d'une manière fcnfible ,
qnoy que la foible capacité de nôtre Entendement ne
puifle les comprendre ni l'un ni l'autre. Car dès que
l'Efprit veut porter fa veûë au delà de ces Idées origina-
les qui nous viennent par Senfation ou par Reflexion , &:
pénétrer dans leurs caufes &c dans la manière de leur pro-
duftion, nous trouvons que cette recherche ne fert qu'à
nous faire fentir combien font courtes nos lumiè-
res.
§. 29. Enfin pour conclurre ce Parallèle , la Sejifation
nous fait connoitre évidemment, qu'il y a des fubftances
folides & étendues , 8c la Reflextofi , qu'il y a des fub-
ftances qui penfent. L'Expérience nous perfuade de
l'exiftence de ces deux fortes d'Etres , fie que l'un a la
Puifiance de mouvoir le Corps par impulfion, fie l'autre
par la penfée -, c'eft dequoy nous ne fau rions douter.
L'Expérience, dis-je, nous fournit à tout moment des
idées claires de l'un 6c de l'autre > mais nos Facultez ne
peuvent rien ajouter à ces Idées au delà de ce que nous
y découvrons par la Senfation ou par la Reflexion. Que
û nous voulons rechercher, outre cela, leur nature, leurs
caufes , é^c. nous appercevons bientôt que la nature de
l'Etendue ne nous eft pas connue plus nettement que
celle de la Penfèe. Si , dis-je , nous voulons les expli-
quer plus particulièrement, la facilité eft égale des deux
cotez , je veux dire que nous ne trouvons pas plus de
difficulté à concevoir comment une fubftance que nous
-ne connoiffons pas , peut par la penfèe mettre un Corps
en mouvement, qu'à comprendre comment une fubftan-
ce que nous ne connoiffons pas non plus , peut remuer un
Corps par voye d'impulfion. De forte que nous ne fom-
mes p.is plus en état de découvrir en quoy confiftent les
Idées qui regardent le Corps, que celles qui appartien-
nent à l'Efprit. D'où il paroit fort probable que les
Idées
des Suhjlances. Liv. II. 575"
Idées fimples que nous recevons de la Senfation &: de la C h a p.
Réflexion font les bornes de nos penfécs , au delà defquel- XXIII.
les nôtre Efprit ne fauroit avancer d'un feul point , quel-
que effort qu'il foffe pour cc\i; Se par conféquent, c'eft
en vain qu'il s'attacheroit à rechercher avec foin la natu-
re &: les caufes fecretes de ces idées , il ne peut jamais y
faire aucune découverte.
§. 30. Voici donc en peu de mots à quoy fc réduit Comparaifon
l'idée que nous avons de l'Efprit comparée à celle que, ^"yj'^^^'^j'lj^
nous avons du Corps. La fubllance de l'Efprit nous eft Corps & de
inconnue 5 &: celle du Corps nous l'eft tout autant. Nous'^'P"^
avons des idées claires & ditlinftes de deux Premières
§lnalitez ou propriétez du Corps , qui font la cohefion
de parties folides è<. l'impuUion ; de m-ême nous connoif-
fons dans l'Efprit deux premières Qiialitez ou propriétez
dont nous avons des idées claires & diftinctes , favoir la
penfée & la puiflance d'agir > c'eft à dire , de commen-
cer ou d'arrêter différentes penfées ou divers mouvemens.
Nous avons aulH des idées claires & diftinftes de plu-
fîeurs Qualitez inhérentes dans le Corps j lefquelles ne
font autre chofe que différentes modifications de l'éten-
due de parties folides , jointes enfemble & de leur mou-
vement. L'Efprit nous fournit de même des idées de
plufieurs Modes de penfer 3 comme croire , douter , être
npplicjué, craindre y efperer ,&cc. nous y trouvons aufîl les
idées de Vouloir y &c de mouvoir le Corps en conféquencc
de la volonté , Se avec le Corps de fe mouvoir luy-même j
car l'Efprit eft capable de mouvement , comme nous l'a- # p^^ ^^
vons * déjà montré. S.i^lio. li.
§. 31. Enfin, s'il fe trouve dans cette notion de l'Ef- La notion d'un
prit quelque difficulté , qu'il ne foit peut-être pas facile ^'f""^ ""cnfer-
d'expliquer , nous n'avons pas pour cela plus de raifondifficuiic cjue^
de nier ou de révoquer en doute l'exifterice des Efprits,«"e du Corps.
que nous en aurions de nier ou de révoquer en doute
l'exiftence du Corps , fous prétexte que la notion du
Corps eft embarralîee de quelques difficultez qu'il eft
fort difficile & peut-être inipoilible d'expliquer ou d'en-
tendre.
3 7^ De nos Idées Complexes
C H A p. tendre. Car je youdrois bien qu'on me montrât dans la
XXIII. notion que nous avons de l'Elpric, quelque chofedcplus
embrouille ou qui approche plus de la contradiction ,
que ce que renferme la notion même du Corps , je veux
parler de la Divifîbilité k l'inftn d'une étendue finie -, car
îbit que nous recevions cette divifibilité à l'infini, ou que
nous la rejettions,elle nous engage dans des conféquences
qu'il nous eft impoiîlble d'expliquer ou de pouvoir conci-
lier, &: qui entraînent de plus grandes diflicukez 8c des ab-
furditez plus apparentes que tout ce qui peut fuivre de la
notion d'une fubftance immatérielle douce d'intelligence.
Nousnecon- §. ^2. Et c'eft dequoy nous ne devons point être fur-
dciàT"iios*"p''^s, puifque n'ayant que quelque petit nombre d'Idées
Idées fimples, fiiperficielles des cliofes , qui nous viennent uniquement
ou des Objets extérieurs à la faveur des Sens , ou de nô-
tre propre Efprit reflechiflant fur ce qu'il éprouve en
luy-mêmcj nôtre connoiffance ne s'étend pas plus avant,
tant s'en faut que nous puillîons pénétrer dans la confti-
tution intérieure & la vraye nature des chofes , étant de-
llituez des Facultez néceflaircs pour parvenir jufque-là.
Puis donc que nous trouvons en nous-mêmes de la con-
noiffance, Se le pouvoir d'exciter du mouvement en con-
féquence de nôtre volonté , &: cela d'une manière auilî
certaine que nous découvrons dans des chofes qui font
hors de nous, une cohefion Se une divifion de parties fo-
lides , en quoy confide l'étendue èc le mouvement des
Corps , Î20US avons autant de rai (on de nous contenter de
l'Idée que nous avons d'un Efprit immatériel , que de celle
que nous avons du Corps, c^ d'être également convaincus de
rexiftcncc de tous les deux. Car il n'y a pas plus de con-
tradiftion que la Penfée exifte fcparée hc indépendante
(\c\^ Solidité 1 qu'il y en a que la Solidité exillc fcparée &:
indépendante de la Penfée; \â. folidite èz la penfée n'étant
que des Idées fimples, indépendantes l'une de l'autre. Et
comme nous trouvons d'ailleurs en nous-mêmes des idées
audi claires 6c auill diftinftes de la Penfcc que de la Soli-
dité, je ne vois pas pourquoy nous ne pourrions pas ad-
mettre
des Siibflancts. Liv. II. 577
mettre aufil bien l'exiftence d'une chofe qui penfe fans é- C h a p.
trefolide, c'eft à dire , qiu {oit immatérielle ^ que l'exi- XXIII.
ftence d'une chofe folide qui ne penfe pas , c'eft à dire,
de la Matière; ôc fur tout , puifqu'il n'eft pas plus diffi-
cile de. concevoir comment la peniee pourroit exifter fans
Matière , que de comprendre comment la Matière pour-
roit penfer. Car dès que nous voulons aller au delà des
Idées Simples qui nous viennent par la Senfation ou parla
Réflexion^ &c pénétrer plus avant dans la nature des Cho-
fes , nous nous trouvons aulll-tôt dans les ténèbres , &
dans un embarras de difficultez inexplicables , &: ne pou-
vons après tout découvrir autre chofe que nôtre ignoran-
ce & riôtre propre aveuglement. Mais quelle que foit la
plus claire de ces deux Idées complexes , celle du Corps
ou celle de l'Efprit , il eft évident que les Idées fimples
qui les compofent ne font autre chofe que ce qui nous
vient par Senfation ou par Reflexion. Il en eft de même
de toutes les autres Idées de Subjlances fans en excepter
celle de Dieu, luy-méme.
•§. 33. En effet, fi nous examinons l'Idée que nous a- W^'eJeDicw.
vons de cet Etre fupréme fie incompréhenfible,nous trou-
verons que nous l'acquérons par la même voye , & que
les Idées complexes que nous avons de Dieu ôc des Ef-
*pritspurs, (om com^oiécs des Idées Jimples ç\ne nous re-
cevons de la Reflexion. Far exemple , après avoir formé
par la confideration de ce que nous éprouvons en nous-
mêmes, les idées d'exiflence èc de durée y de connoijfance ,
de pitiffance^ de plaifir , de bonheur &c de plufieurs autres
Qiialitez & Puiflances , qu'il eft plus avantageux d'avoir
que de n'avoir pas , lorfque nous voulons former l'idée la
plus convenable à l'Etre fuprême , qu'il nous eft poflîble
d'imaginer , nous étendons chacune de ces Idées par le * Dont il eft
moyen de celle que nous avons cie * V Infini , &: joignant P^"^'*^ cy-<iciTus
■' Tj-rii c ^ T1' dans tout le
toutes ces idées eniemble, nous formons notre idée com- r : ?.p,trc xvii.
plexe de D 1 E u. Car que l'Efpnt ait cette pu'flAp.ce d'é- «f^Liv- n. pag,
tendre quelques-unes de fcs Idées , qui luy font veniës par \\>^,y, \6î.-^,-
Scnfntionow par Reflexion, c'eft ce que nous avons -f déjà dup-xi. ^.e.
§•3+-"
montré. B b b «c -, . 2»
378 T>e nos Idées Complexes
C H A p. §. 54. Si je trouve que je connois un petit nombre de
XXIII. chofes, & quelques-unes de celles-là, ou, peut-être, tou-
tes , d'une manière imparfiiite , je puis former une idée
d'un Etre qui en connoit deux fois autant , que je puis
doubler encore auflî fouvent que je puis ajouter au nom-
bre , & ainfi augmenter mon idée de connoiflance en é-
tendant llx comprehenfion à toutes les chofes qui exiftent
ou peuvent exifter. J'en puis faire de même à l'égard de
la manière de connoître toutes ces chofes plus parfaite-
ment , c'eft à dire , toutes leurs Qualitez , Puiflances,
Caufes, Conféquences , Se Relations, ^c. jufqu'à ce que
tout ce qu'elles renferment ou qui peut y être rapporté
en quelque manière , foit parfaitement connu : Par où je
puis me former l'idée d'une connoiffance infinie , ou qui
n'a point de bornes. On peut faire la même chofe à l'é-
gard de la Puiflance que nous pouvons étendre jufqu'à ce
que nous foyons parvenus à ce que nous appelions Infîm ,
comme aufll à l'égard de la Durée d'une exillencc fans com-
mencement ou fans fin , &: ainfi former l'idée d'un Etre
Eternel. Les dégrez ou l'étendue dans laquelle nous at-
tribuons à cet Etre fuprême que nous appelions Dieit ,
l'exiftence , la puiflance , la fagefle , Se toutes les autres
Perfections dont nous pouvons avoir quelque idée, ces
dégrez , dis-je , étant infinis &: fans bornes , nous nous^
formons par là la meilleure idée que nôtre Efprit foit ca-
pable de fe faire de ce Souverain Etre 5 6c tout cela fe fait,
comme je viens de dire , en élargiflant ces Idées fimples
qui nous viennent des opérations de nôtre Efprit par la
Réflexion, ou des choies extérieures par le moyen des
Sens, jufqu'à cette prodigieufe étendue où l'Infinité peut
les porter.
§. 35. Car c'eft Vlnfnite qui jointe à nos Idées d'exi-
ftence , de puiflance , de connoiflance , é^c. conftituë
cette idée complexe , par laquelle nous nous reprefentons
l'Etre fuprême le mieux que nous pouvons. Car quoy
que Dieu dans fa propre eflence,qui certainement nous
çft inconnue à nous qui ne connoiflbns pas même l'eflcnce
d'un
des Subjlances. Liv. IL 579
d'un Caillou , d'un Moucheron ou de nôtre propre per- C h a p.
fonne,foit fimple Se fans aucune compofition; cependant XXIII.
je croy pouvoir dire que nous n'avons de Luy qu'une idée
complexe d'exiftence, de connoiflance , de puiflancejde
félicité , &c. infinie & éternelle : toutes idées diftincles
& dont quelques-unes étant relatives, font compofées de
quelque autre idée. Et ce font toutes ces Idées , qui pro-
cédant originairement de la Senfation &; de la Retiexion ,
comme on l'a déjà montré , compofent l'idée ou notion
que nous avons de D i e u.
§. 26. Il faut remarquer, outre cela, qu'excepté l'/w-D'^''^ '«W«s
/./-,, j . ^^ -, K |->.. complexes que
mte , il n y a aucune igee que nous attribuyons a Dieu , nous avons des
qui ne foit aufîî une partie de l'Idée complexe, que nousEi'prits , il n'y
avons des autres Efprits. Parce que n'étant capables de ^^g^j^^^fj"^
recevoir d'autres Idées fimples que celles qui appartien- reçut- delà seu-
nent au Corps ,• excepté celles que nous recevons de 1^!^^"°".°" ''*^''*
Kejlexton que nous railons lur les Opérations de notre pro-
pre Efprit , nous ne pouvons attribuer d'autres idées aux
Efprits que celles qui nous viennent de cette fource j &
toute la différence que nous pouvons mettre entre elles en
les rapportant aux Efprits , confifte uniquement dans la
différente étendue, éc les divers dégrez de leur Connoif-
fance , de leur Puiffance , de leur Durée , de leur Bon-
heur, c^r. Car que les Idées que nous avons tant des Ef-
prits que des autres Chofes , fe terminent à celles que
nous recevons de la Senfation &: de la Reflexion , c'eft ce
qui fuit évidemment de ce que dans nos idées des Efprits,
à quelque degré de perfection que nous les portions au
delà de celles des Corps , même jufqu'à celle de l'Infini,
nous ne fiurions pourtant avoir aucune idée de la maniè-
re dont les Efprits fe découvrent leurs penfées les uns aux
autres ; quoy que nous ne puifiions éviter de conclurre,
que les Efprits feparez , qui ont des connoiflances plus
parfaites 6c qui font dans un état beaucoup plus heureux
que nous , doivent avoir aufii une voye plus parfaire de
s'entre-communiquer leurs penfées, que nous qui fommes
obligez de nous fervir de fignes corporels, Ôcparticuliere-
B b b 2 ment
380 Ve nos Idées Complexes des Sub fiances.
Chap. ment de fons, qui font de l'iifige le plus général comme
XXIII. les moyens les plus conmiodes &: les plus prompts que
nous puîllions employer pour nous communiquer nos pen-
fées les uns aux autres. Mais parce que nous n'avons en
nous-mêmes aucune expérience Se par conféquent , aucu-
ne notion d'une communication immédiate , nous n'a-
vons point aulH d'idée de la manière dont les Efprits qui
n'ufent point de paroles >peuventfe communiquer promp-
îement leurs penfées , fie moins encore comprenons-nous
comment n'ayant pomt de Corps ils peuvent être maîtres
de leurs propres penfees 6c les faire connoître ou les ca-
cher comme il leur plaît , quoy qjue nous devions fuppo-
fer néceflairement qu'ils ont une telle PuilTance.
Récapitulation. §• 37- Voilà donc préfentcment , quelles fortes d'Idées
nous avons de toutes les différentes efpéces de Subfiances ,
en quoy elles confiftent , ôc comment nous les acqué-
rons. E)'où je croy qu'on peut tirer évidemment ces trois
confequences.
La première , que toutes les Idées que nous avons des
différentes Efpeces de fubftances , ne font que des Colle-
ctions d'Idées fimples avec la fuppolltion ci'un Sujet au-
quel elles appartiennent &: dans lequel elles fubiiilent >
quoy que nous n'ayons point d'idée claire 6c diilinde de
ce Sujet.
La féconde, que toutes les Idées fîmples quî ainfi unies
^ stibiîratmn. dans un commun * fujet compofent les Idées complexes
que nous avons de différentes fortes cie fubllances , ne font
autre chofe que des idées qui nous font venues par Scnf'a-
tion ou par Reflexion. De forte que dans les chofes mê-
mes que nous croyons connoître de la manière la plus in-
time, 6c comprendre avec le plus d'exaclitude , nos plus
vaftes conceptions ne fauroient s'étendre au delà cie ces I-
dées fimples. De même , dans les chofes qui paroilTent.
les plus éloignées de toutes les autres que iious connoif-
fons te qui furpaffent infiniment tout ce que nous pou-
vons appercevoir en nous-mêmes par la Reflexion ou dé-
couvrir dans les autres chofes par \cm.o^cnàc\xScnJation:i
nous
I
Des Idées Colle ^ives de Subfiances. Liv. II. 581
nous ne faurions y rien découvrir que ces Idées fimples Cha?.
qui nous viennent originairement de !a Senfatmi ou de la XXIII.
Réflexion , comme il paroit évidemment dans les Idées
complexes que nous avons des Anges & en particulier de
Dieu luy-même.
Ma troifiéme confequence eft,que la plupart des Idées
fimples qui compofent nos Idées complexes des Subflan-
ces, ne font, à les bien conllderer , que des Puifiances,
quelque penchant que nous ayions à les prendre pour des
Qiialitez pofitives ; par exemple , la plus grande partie
des Idées qui compofent l'idce complexe que nous avons
de l'Or, font la Couleur jaune, une grande pefanteur, la
àvÈîdUé, hfnflbilite , la capacité d'être fondu par l'Eau
Regale, &c. toutes lefquelles idées unies enfemble dans
un fujet inconnu qui en eft comme * le foâtien , ne font *^"¥ '■•""'"-
qu'autant de rapports à d'autres Subflances , &c n'exiftent
pas réellement dans l'Or confideré purement en luy-mê-
me, quay qu'elles dépendent des Qiialitez originales Se
réelles de fa conftitution intérieure , par ou il ell capable
d'opérer diverfement , £c de recevoir différentes impref-
fions de la part de plufieurs autres fubftances.
CHAPITRE XXIV.
Des Idées CoUeÛtves de Suhfiances. C h a p
.^ TT T, xxiy.
§■ I- /^Utre ces idées complexes de différentes uncfcuic idée
Vy fabftoinccs finguliéres , comme d'un //^;;/îw:j?, [-'"'^'^^''a'ifm-
d\m Cheval, de VGr, d'une Roje , d'nne Pomme , ficc.Sfde'ï'
l'Efprit a auill des Idées collcéiives de fîihft,inces. Je les
nomme- ainfi, parce que ces fortes d'idées f nt compofees
de plufieurs fubftances particulières , confiderees enfemble
comme jointes en une feule Idée , & qui ainiî unies ne
font efFeftivement qu'une idée : par exemple , l'idée de
cet amas d'iiommes qui compofe une Armce ^e^ aulîibiea
une feule idée que celle d'un homme , quoy qu'elle foit
B b b 3 corn-
582 Dis Idées ColkEîives de Subjlances.
C H A p. compofée d'un grand nombre de fubftances diftinctes. De
XXiy. même cette grande idée collective de tous les Corps qu'on
défigne par le terme âJ Univers , e(l auill bien une feule
idée, que celle de la plus petite particule de Matière qui
foit dans le Monde > car pour faire qu'une idée foit uni-
que , il fuffit qu'elle foit confiderée comme une feule i-
mage , quoy que d'ailleurs elle foit compofée du plus
grand nombre d'Idées particulières qu'il foit poUible de
concevoir.
Ce qui fc fait §. 2. UEfprit fomic CCS Idces collcâives de Siiù/iauces
par la Puiflaiice p^j. j^ Puiflance qu'il a de compofer &: de réunir diverfe-
quci Elprit.adc 1 i t 1 - J- 1 1 r 1 -J '
compofer & iticnt dcs Idccs limplcs ou complexes en une leule idée,
raiTembler des ^{j^{[ qu'il fe forme, par la même faculté, des idées com-
'""* plexes des fubftances particulières , qui font compcfées
d'un aflémblage de diverfcs idées ilmples , unies dans une
feule fubftance. Et comme l'Efprit enjoignant enfcmble
des idées répétées à'nmté, fait les modes colleftifs ou l'i-
dée complexe de quelque nombre que ce foit , comme
d'une, douzaine , d\inc vnigtaine , d\mc G fojfe , Sec. de
même en joignant enfemble diverfes fubftances particuliè-
res, il forme des idées colleftives de fubftances , comme
une Troupe , une Armée , un Ejjain , une J^iUe , une
Flotte ; car il n'y a perfonne qui n'éprouve en luy-même
qu'il fc repréfente , pour ainfi dire , d'un coup d'œuil
chacune de ces Idées en particulier par une feule idée > 6c
qu'ainfi fous cette notion il confidére auili parfaitement
ces difterens amas de chofes comme une feule chofe , que
lorfqu'il fe repréfente un Vaiffeau ou un atome. En eftet,
il n'eft pas plus mal-aifé de concevoir comment une Ar-
mée de dix mille hommes peut faire une feule idée , cjue
comment un homme peut nous être repréfente fous une
feule idée; car il eft aullI facile à l'Efprit de réunir l'idée
d'un grand nombre d'hommes en une feule , Se de la con-
fidérer comme une idée effetStivemcnt unique, que défor-
mer une idée finguliére de toutes les idées diftinftes qui
entrent dans la compofition d'un homme , 6c les regarder
routes enfemble comme une feule idée.
§• 3-
De la Relation. Liv. II. 385
§.3. Il faut mettre au nombre de ces fortes d'/^fW Chap.
CoUeâives , la plus grande partie des Chofes artificielles, XXIV.
ou du moins celles de cette nature qui font compofées del^°"'^''''''^'^°"
fubftances diftinctesi &c dans le fonds , à bien confiderer fonrdès'^idecs
toutes ces Idées colleftives, comme une Armée, une Cc«- '^""'^'^tives.
Jiellation , VUnivcrs , nous trouverons qu'entant qu'elles
forment autant d'Idées finguliéres , ce ne font que des Ta-
bleaux artificiels que l'Efprit trace , pour ainii dire , en
aflemblant dans un point de veûé des chofes fort éloignées,
6c indépendantes les unes des autres , afin de les mieux
contempler , Se d'en difcourir plus commodément lorf-
qu'elles font ainfi réunies fous une feule conception , &
défignces par un feul nom. Car il n'y a rien de il éloip-né
ni de fi contraire que l'Efprit ne puiflé rafîembler en une
feule idée par le moyen de_ cette Faculté, comme il pa-
roît vifiblement par ce que fignifie le mot d'Univers qui
n'emporte qu'une idée , quelque compofé qu'il puilfe
être.
CHAPITRE XXV.
De la Relation. Chap.
XXV.
§. I. /^U'^^'^ l^s Idées fimples ou complexes que Ce que c'eft que
Vy l'Efprit a des Chofes confiderées en clles-mé- ^'^'"""'
mes , il y en a d'autres qu'il forme de la comparaifon qu'il
fait de ces chofes entre elles. Lors que l'Entendement
confidére une chofe , il n'eft pas borné précifement à cet
Objet 5 il peut tranfporter, pour ainfi dire , chaque idée
hors d'elle-même , ou du moins regarder au delà , pour voir
quel rapport elle a avec quelque autre idée. Et lorfque
l'Efprit envifage ainfi une chofe , en forte qu'il la conduit
&: la place, pour ainfi dire, auprès d'une autre , &: jette
les yeux de l'une fur l'autre , c'eft une Relation ou rap-
port y félon ce qu'emportent ces deux mots -, les dénomi-
nations qu'on donne aux chofes pofitives , pour défigner
ee
3S4 ^^ ^'^ Relation.
C H A p. ce rapport &: être comme autant de marques qui ferrent
XXV. à porter nos penfées au dz\i du fiijet même qui reçoit la
dénomination vers quelque chofe quienfoitdiitinft, c'eit
ce qu'on nomme termes Relatifs , 6c pour les chofes qu'on
• Rc'.u.u approche ainli l'une de l'autre , on les appelle * fyets de
la Relation. Ainil, lorfque l'Efpnt coniidere T/^/z/j com-
me un certain Etre pofitif , il ne renferme rien dans cette
idée que ce qui exille réellement dans Titius : par exem-
ple, lors que je le conlldere comme un homme , je n'ai au-
tre chofe dans l'Efprit que l'idée complexe de cette efpéce
Ho7time ; de même quand je dis que Titius eil un homme
blanc 5 je ne me repréfente autre chofe qu'un homme qui
a cette couleur particulière. Mais quand je donne à Ti-
îins le nom de Mari , je defigne en même temps quelque
autre perfonne, favoir, L\ femme-, & lorfque je dis qu'il
eft plus blanc , je déligne aulli quelque autre chofe , par
exemple l'yvo/rf , car dans ces àci\x cas ma penfée elt con-
duite à quelque chofe au delà de Titius , de forte qu'il y
a deux ob|ets préfents à l'Efprit. Et comme chaque idée
foit fimple ou complexe, peut fournir à l'Efprit une oc-
cafion de mettre ainfi deux chofes enfemble, &: de les en-
vifager en quelque forte tout à la fois , quoy qu'il ne laif-
fe pas de les confiderer comme diilindes , c'etl pour cela
que chacune de nos idées peut ferv'ir de fondement à un
rapport : ainfi dans l'exemple que je viens de propofer,
le contracl & la cérémonie du mariage de7//z«5avec<5'^»/-
f renia eft l'occaiion de la dénomination ou de laR^elation
de Mari -, Se la couleur blanche eft l'occafion pourquoy
je dis qu'il eft phts blanc que Vyvoire.
On n'apperçoit §. 2. Ccs K.elations-là & autrcs femblables exprimées
pasaifémciitics p,^^ ^^^^ temics iielutifs auxqucls il y a d'autres termes qui
manquent H: répondent réciproquement , comme rere bc tas ; plus
termes corrda- gratid 6c plus pctit j Caiije 6c tffet ; toutes ces fortes de
^■^' Relations fe préfentent aifement à l'Efprit , 6c chacun dé-
couvre aulll-tot le rapport qu'elles renferment. Car les
mots de Pe're S< de fils ., de Mari 6c de Femme , & tels
autres termes corrélatifs paroiflent avoir une fi étroite liai-
fou
De la Relation. Liv. II. 585
Ion l'un avec l'autre , &c par coutume fe répondent fi Chap.
promptement l'un à l'autre dans l'Efprit des hommes, XXV.
que dès qu'on nomme un de ces termes, lapenlée fe por-
te d'abord au delà de la chofe nommée ; de lorte qu'il
n'y a perfonne qui manque de s'appercevoir ou qui doute
€n aucune manière d'un rapport qui eft déligne avec tant
d'évidence. Mais lorfque les Langues ne fourniflent point
de noms corrélatifs , j on ne s'apperçoit pas toujours fi
facilement de la Relation. CoîKubine eft fans doute un
terme relatif aullî bien que femme -, mais dans les Langues
où ce mot & autres femblablcs n'ont point de terme cor-
relatif, on n'eft pas fi porté à les regarder fous cette idéc>
parce qu'ils n'ont pas cette marque évidente de relation
qu'on trouve entre les termes corrélatifs , qui femblent
s'expliquer l'un l'autre , ôc ne pouvoir exifter que tout
à la fois. De là vient que plufieurs de ces termes , qui ,
à les bien confidérer, enferment des Rapports évidents,
ont pafle fous le nom de dénominations extérieures Mais
tous les noms qui ne font pas de vains fons, doivent ren-
fermer néceflairement quelque idée-, &: cette idée eft, ou
dans la chofe à laquelle le nom eft appliqué , auquel cas
elle eft pofitive, 6c eft confidérée comme unie &: exiftan-
te dans la chofe à laquelle on donne la dénomination, ou
bien elle procède du rapport que l'Efprit trouve entre
cette idée &" quelque autre chcfe qui en eft diftinft , a-
vec quoy il la confiderc j 6c alors, cette idée renferme u-
ne relation.
§. 3. Il y a une autre forte de tcrtacs relatifs qu'on ne Quciqn« ter-
regarde point fous cette idée, ni mémccomme des deno- !^"ficat]oiT ab-
minations extérieures, 6c qui paroiflant fignifier quelque îoiuë en arpa-
chofe d'abfolu dans le fujet auquel on les applique, ca- ^"^^ fomcfTc-
chent pourtant fous la forme de termes pofilifs une rela- tifs.
tion tacite , quoy que moins remarquable ; tels font les
termes en apparence pofitifs de vieux, grand , imparfait,
&:c. dont j'aurai occafion de parler plus au long dans les
Chapitres fuivans.
§. 4. On peut remarquer , outre cela , Que les idées ^» Relation
CCC ^g diffère des cho-
5 86 De la Relation.
C H A p. de Relation peuvent être les mêmes dans l'Efprit de cer-
XXIII. taines perfonnes qui ont d'ailleurs des idées fort différentes
ffs <iiii font le des chofcs , fut lefouelles la Relation eft fondée, ou qu'on
tiou. fait entrer amli en comparaiion. Ceux qui ont, par exem-
ple, des idées extrêmement différentes dcV Homme , peu-
vent pourtant s'accorder fur la notion de Pe're, qui eft
une notion ajoutée à cette Subftance qui conftituë l'hom-
me , Se fe rapporte uniquement à un a£te particulier de la
chofe que nous nommons Homme , par lequel cet homme
contribué à la génération d'un Etre de fon Efpeccj que
l'Homme foit d'ailleurs ce qu'on voudra.
Il peut y avoir §. ^. \\ s'enfuit de là que la nature de la Relation con-
deReia'wn^fans ^'^^ ^^"S 1-^ comparaifou qu'on fait d'une chofe avec une
<]u'ii arrive au- autrc j de laquelle comparaifon l'une de ces chofes ou
cun change- joutes dcux teçoivcnt une dénomination particulière.
ment dans le , ,, n^ ■ r -^ ^■, > /»- j) * i r> i ■
fijjet. Qiie 11 1 une eft mife a lecart ou cefle d être, la Relation
celle, aufîi bien que la dénomination qui en eft une fui-
te j quoy que l'autre ne reçoive par là aucune altération
en elle-même ; ainil Titins que je confidére aujourd'huy
comme P^W, cefle de l'être demain , fans qu'il fe faflé
aucun changement en luy,par cela feul que fon Fils vient
à mourir. Bien plus , la même chofe eft capable d'avoir
des dénominations contraires dans le même temps , dès
là feulement que l'Efprit la compare avec un autre objet ;
par exemple, en comparant ^ltliis à différentes perfonnes
on peut dire avec vérité qu'il eft ^lus vieux &: fins jeune ,
plus fort , &c plus foible , 5cc.
La Relation §. 6. Tout cc qui cxifte , qui peut cxifter OU être con-
n'cft qu'entre fideré coHime uue fculc chofc , clt polltif, &: par confe-
"*' ■ quent, non feulement les Idées fimples 6c les Subftanccs
font des Etres pofitifs , mais aufll les Modes ; car quoy
que les parties dont ils font compofez , foient fort fou-
vent relatives l'une à l'autre , le tout pris enfemble eft
confideré comme une feule chofe , & produit en nous
Vidc'e complexe d'une feule chofe ; laquelle idée eft dans
nôtre Efprit comme un feul Tableau , bien que ce foit
un aflémblagede diverfes' parties, & nous préfente fous un
feul
De la Relation. Liv. II. 387
Teul nom une chofe ou une idée pofitive &: abfoluê. Ain- Chap.
il, quoy que les parties d'un Triangle , comparées l'une XXV.
à l'autre foient relatives , cependant l'idée du tout , eft
une idée pofitive Se abfckië. On peut dire la même cho-
fe d'une Famille , d'un ylir fie chanfon^bac. car il ne peut
y avoir de Relation qu'entre deux chofes confiderées com-
me deux chofes. Un rapport fuppofe neceflairement deux
idées ou deux chofes , réellement feparées l'une de l'au-
tre ou confiderées comme diftincles, &: qui par là fervent
de fondement ou d'occafion à la comparaifon qu'on en
fait.
§. 7. Voici quelques obfervations qu'on peut faire tou-
chant la Relation en général.
Premièrement , §}u'il n'y a aucune chofe , foit Idée fim- Toutes chofes
pie, fubftance. Mode, foit Relation , ou dénomination d'au- rSuI''" '^*'
cune de ces chofes , fur laquelle on ne puijfe faire un nombre
prefque infini de confiderations par rapport à d'autres cho-
fes. Ce qui fait une grande partie des penfées & des
paroles des hommes > un homme , par exemple , peut
foûtenir tout à la fois toutes les Relations fuivantes, Pè-
re, Frère, Fils, Grand-pére , Pctit--fils,Beau-pcre , Beau-
fils , Mari , Ami , Ennemi, Sujet, Général, Juge, Pa-
tron, Profeffeur , Européen, Anglois , Infulaire , Valet ,
Maître , Pojjeffeur , Capitaine , Supérieur , Inférieur ,
Plus grand. Plus petit. Plus vieux. Plus jeune , Contem-
porain , Semblable, Dijfemblable , &:c. Un homme, dis-
je, peut avoir tous ces différens rapports Se plufieurs au-
tres dans un nombre prefque infini , étant capable de re-
cevoir autant de relations , qu'on trouve d'occafions de le
comparer à d'autres chofes, eu égard à toute forte de con-
venance, de difconvenance, ou de rapport qu'il eft pof-
fible d'imaginer ; car , comme il a été dit , la Relation
eft un moyen de comparer , ou confiderer deux cho-
fes enfemble , en donnant à l'une ou à toutes deux
quelque nom tiré de cette comparaifon ; fie quelque-
fois en défignant la Relation même , par un nom parti-
culier.
Ccc 2 §.8.
388 De la Relation.
Chap. §. 8. On peut remarquer, en fécond lieu , que, quoy
XXV. que la Relation ne foit pas renfermée dans l'exiftence
Les idées des réelle des chofes, mais que ce foit quelque chofe d'exté-
RebtiODS font . . ../^,-- 3 \ j a ' r ■
foiiveiic plus rieur ce comme ajoute au lujet, cependant les Idées ligni-
ciaires que cci- fiécs pat dcs termes relatifs , font fouvent plus claires 6c
cui font les"'" P^"^ dilliuftes quc celles des Subftances à qui elles appar-
jets des Rcij- tiennent. Ainfi , la notion que nous avons d'un Père ou
tions. ^^^^^ Fre're i eft beaucoup plus claire 6c plus diftincte que
celle que nous avons d'un Homme ^ ou fi vous voulez,
la paternité eft une chofe dont il eft bien plus aifé d'avoir
une idée claire que de Y humanité. Je puis de même con-
cevoir beaucoup plus facilement ce que c'eft qu'un Ami ,
que ce que c'eft que Dieu. Parce que la connoiflance
d'une aftion ou d'une fimple idée fuffit fouvent pour me
donner la notion d'un Rapport -, au lieu que pour connoî-
tre quelque Etre Subjiantiel , il faut faire néceflairement
une collection exacte de difterentes idées. Lors qu'un hom-
me compare deux chofes enfemble, on ne peut gueres fuppo-
fer qu'il ne connoit point ce qu'eft la chofe fur quoy il les
compare; de forte qu'en comparant certaines chofes enfem-
ble, il ne peut qu'avoir une idée fort nette de ce rapport. Et
par conféquentj/i'j Idées des Relations font tout au moins ca-
pables d'être plus parfaites c^plusd//lin0es dans nôtre Efprit
que les Idées des Stib/lances; pince qu'il eft difficile pourl'or-
dinaire deconnoître toutes les Idées /impies qui (ont réelle-
ment dans chaque fubftance. Se qu'il eft au contraire aflez fa-
cile laplûpart du temps de connoitre les Idées fimplcs qui
conftituent un Rapport auquelje penfe,ouqueje puis ex-
primer par un nom particulier. Ainfi en comparant deux
hommes par rapport à un commun Père, il m'eft fort ai-
fé de former les idées de Frères, fans avoir pourtant une
idée parfaite d'un Homme. Car comme les termes rela-
tifs qui renferment quelque fens , ne fignifient que des
idées, non plus que les autres > 6c ces Idées étant toutes,
ou fimplcs, ou compofées d'autres Idées fimplcs ; pour
connoitre l'idée précife qu'un terme relatif fignifie , il
ûiffit de concevoir nettement ce qui eft le fondement d'^
De la Relation. Liv. IL 389
la Relation ; ce qu'on peut faire fans avoir une idée clai- C h a p.
re & parfaite de la chofe à laquelle cette Relation ell at- XXV.
tribuée. Ainil , lorfque je fai qu'un oifeau a pondu *^^ '°'". '''"*
l'Oeuf d'où eft éclos un autre oifeau, j'ai une idée claire nus"nEu'rope[
de la Relation de Mère & de Petit ^ qui eft entre les deux qui apparem-
* Cajfiovaris qu'on voit dans le-f Parc de S t. J âmes iquoy ^Jj"^^ j'.^"'';^
que je n'aye peut-être qu'une idée fort obfcureôc fort im- nom en Fum-
parfaite de ces deux Oifeaux. i°''- , „
r ,. , . t [^Jfc au Roy
§. 9. Ln troilieme lieu , quoy qu il y ait un grand d'Angleterre, à
nombre de confiderations qui puifl'ent fervir à comparer Londres.
1 r ^ o >-i ^.. Toutes les Re-
une choie avec une autre , ce qu u y ait par ce moyen étions fetcrmi-
quantité de Relations, elles fe terminent pourtant toutes "^nt àdes idées
à des Idées fimples qui tirent leur origine de la Senfation ""'P'"-
ou de la Reflexion , & qui font , à mon avis , les feuls
matériaux de toutes nos connoiflances. C'eft ce que je
ferai voir, pour mieux éclaircir cette matière , dans les
plus confidérables Relations qui nous foient connues , Se
dans quelques-unes qui femblcnt les plus éloignées des
Sens ou de la Rejlexion , dont on verra pourtant qu'elles
tirent leur origine, en forte qu'il n'y aura aucun lieu de
douter, que les notions que nous en avons , foient autre
chofe que certaines Idées fimples , 6c que par conféquent
elles viennent originairement de. la Senfation ou de l'a Ré-
flexion.
§. 10. En quatrième lieu, comme la Relation cï^ la L-'; Termes qni
confideration d'une chofe par rapport à une autre, ce qui conduiientiEf-
I n '■ r ■ ■ -1 r> • 1 1 prit au delà du
luy elt tout-a-rait exteneur, il elt évident que tous les aijcidciadcuo.
Mots qui conduifent néceflairement l'Efprit à d'autres ""'^'"O" > '°'"
Idées qu'à celles qu'on fuppole exifter réellement dans la ^' '"'^''
chofe à laquelle le mot eft appliqué , font des termes re-
latifs. Par exemple, quand je dis un homme noir , gui ,
pen/ifj altère , chagrin , étendu -, ces termes & plufieurs
autres femblable« font tous termes abfolus, parce qu'ils ne
fignifient ni ne défignent aucune autre chofe que ce qui
exifte ou qu'on fuppofe exifter réellement dans l'Hom-
me, à qui l'on donne ces dénominations. Mais les mots
fiuvans, Père 3 Frère, Roy, Mari, Plus noir , Plus gai ,
CCC 3 wCG-
Chap.
XXV.
Conclufioii.
590 De la Caufe à" de V Effet i
Sec. font des mots qui , outre la chofe qu'ils dénotent ,
renferment auili quelque autre chofe de feparé de l'exi-
ftence de cette chofe-là cc qui luy eft tout-à-fait exté-
rieur.
§. II. Après avoir propofé ces Remarques préliminai-
res touchant la Relation en général, je vais montrer pré-
fentement par quelques exemples , comment toutes nos
Idées de Relation ne font compoféesque d'Idées fimplcs,
aufli bien que les autres, 6c fe terminent enfin à des Idées
fimples, quelque déliées, & éloignées des Sens qu'elles
paroiflent. Je commencerai par la Relation qui eft de la
plus vafte étendue , Se à laquelle toutes les chofes qui
exiftent ou peuvent exifter , ont part , je veux dire la
Relation de la Caufe Se de V Effet : idées qui découlent
des deux fources de nos coimoiiTances , la Setifatwn & la
Réflexion } comme je le ferai voir dans le Chapitre fui-
vant.
CHAPITRE XXVI.
Chap.
XXVI.
De la Caufe ^ de /'Effet ; é" àe quelques autres
Relations.
EN confiderant, par le moyen des Sens,lacon-
ftante viciffitude des chofes , nous ne pou-
D*où nous vien- S • ^ •
tient les Idées de
caHfe&.d-£ff^t. y^^^^ ,^Qys empêchcr d'obferver que plufieurs chofes par-
ticulières , foit Qiialitez ou Subfiances , conimenccnt
d'cxifter , Se reçoivent leur exiftence de l'application Se
opération légitime de quelque autre Etre. Et c'elt par
cette obfervarion que nous acquérons les Idées de Caufe
Se à' Effet. Nous défignons par le terme général de Cau-
fe ^ ce qui produit quelque idée yZwp/^ ou fow/».'f.v? j Se ce
qui eft produit , par celui d'Effet. Ainfi , après avoir
vii que dans la fubftance que nous appelions Cire , la
Fluidité qui eft une idée fimple, qui n'y étoit pas aupa-
ravant, y eft conftamment produite par l'application d'un
cer-
^ de quelques autres Relations. Liv. II. 591
certain degré de chaleur , nous donnons à l'idée 11 mple Chap.
de chaleur le nom de Caufe, par rapport à la fluidité qui XXVI.
eft dans la Cire &c celui d'Effet à cette fluidité. De mê-
me , éprouvant que la Subftance que nous appelions
Bois i qui eft une certaine colle£tion d'Idées llmples à qui
l'on donne ce nom, eft réduite par le moyen du Feu dans
une autre Subftance qu'on nomme Cendre , autre idée
complexe qui confifte dans une colleftion d'Idées [impies y
entièrement différente de cette Idée complexe que iious ap-
pelions Boù ; nous confidérons le Feu par rapport aux
Cendres , comme Caufe Se les cendres comme un Effet.
Ainfi , tout ce que nous confidérons comme contribuant
à la production de quelque idée fimple ou de quelque
collection d'Idées fimples, foit fubftance ou Mode qui
n'exiftoit point auparavant , excite par là dans nôtre Ef-
prit la relation d'une Caufe , &; nous luy en donnons le
nom.
§. 2. Après avoir ainfi acquis la notion de Va. Caufe Se Ce que cv-fl
de V Effet y par le moyen de ce que nos Sens font capa- ?,".'^ '^'""°"'
Il j j ' • J 1 r\ ■ 1 ^ 1, ^ ^ Génération,
bles de découvrir dans les Opérations des Corps lun a Faire, &Alte-
l'égard de l'autre, c'eft-à-dire, après avoir compris que""°"'
la Caufe eft ce qui fait qu'une autre chofe, foit idée fim-
ple, fubftance, ou Mode, commence à exifterj ôc qu'un
Effet eft ce qui tire fon origine de quelque autre chofe j
l'Éfprit ne trouve pas grand' difficulté à diftinguer les
différentes origines des Chofes en deux efpéces.
Prejriiérement , lorfque la chofe eft tout-à-fait nouvel-
le , de forte qu'aucune de fes parties naît encore jamais
exifté , comme lorfqu'une nouvelle particule de Matière
qui n'avoit eu auparavant aucune exiftence, commence à
paroître dans la nature des Chofes > & c'eft ce que nous
appelions Création.
En fécond lieu i quand une chofe eft compofée de par-
ticules qui exiftoient toutes auparavant ; quoy que la
chofe même ainfi formée de parties préexiftantes , qui
confiderées dans cet aflemblage compofent une telle col-
leftton d'Idées fimpks , n'eût point encore exifté , comme
cet
39t De la Caufe ér de l'Efet,
Chap. cet homme, cet œuf ^ cette ro[e , cette cerife , Sec Et lorf-
XXVI. que cetrc efpéce de formation fe rapporte à une fubftan-
ce, produite fclon le cours ordinaire de la Nature, par
un Principe intcrns qui eft mis en œuvre par quelque A-
î^ent ou quelque Caufe extérieure , d'où elle reçoit fa for-
me par des voyes que nous n'appercevons pas , nous la
nommons Génération. Lorfque la Caufe eft extérieure,
6c que l'Eiïet eft produit par une feparation ou jnxtnpo-
Jîtion fenfible de parties qui peuvent être difcernées, nous
appelions cela faire, & dans ce rang font toutes les Cho-
ies artificielles'. Et lorfqu'une idée fimplc , qui n'étoit
pas auparavant dans un fiijet , y eft produite , c'eft ce
qu'on nomme jilteration. Ainfi , un homme eft engeu-
4re, un Tableau fait , Se l'une ou l'autre de ces chofes
eft altcrce lorfque dans l'une ou l'autre il fe fait une pro-
duction de quelque nouvelle Qiialité fenfible , ou Idée
fimple, qui n'y etoit pas auparavant; Se les Chofes qui
reçoivent ainfi une ex:iftence qu'elles n'avoient pas aupa-
ravant, font des Lfets , celles qui procurent cette exi-
ftence , font des Caufes. Nous pouvons obferver dans
ce cas-là Se dans tous les autres, que la notion de Caufe
&■ dCEifet tire fon origine des Idées qu'on a reçu par Scn-
Cation ou par Rc flexion, & qu'ainfi ce Rapport, quelque
étendu qu'il foit , fe termine enfin à ces fortes d'Idées.
Car pour avoir les idées de Caufe & à' Effet , il fuffit de
confidcrer quelque idée fimple ou quelque fubftance
comme commençant d'exifter par l'opération de quelque
autre chofe , quoy qu'on ne connoifle point la manière
dont fe fait cette opération.
LesRei-tions §. 3. Le Temps éc le Lieu fervent aullî de fondement à
fondées fur U' ^es Relations fort étendues, auxquelles ont part tous les
cmps. Etres finis pour le moins. Mais comme j'ai de)a montré
ailleurs, de quelle manière nous acquérons ces Idées, il
fuffira de faire remarquer ici, que la plupart des dénomi-
nations des chofes, fondées fur le temps, ne font que de
pures Relations. Ainfi , quand on dit , que la Reine
Elis^abeth a vécu foixante neuf ans 6c en a règne quaran-
te
ir de quelques autres Relations. L i v. IL 5^^
te cinq, ces mots n'emportent autre chofe qu'un rapport Ch A p.
de cette Durée avec quelque autre Durée jêc fignifie fim- XXVI.
plement , que la Durée de l'exiftencc de cette Princefle
étoit égale à foixante neuf Révolutions annuelles du So-
leil ,&; la Durée de fon Gouvernement à quarante cinq de
ces mêmes Révolutions ; &: tels font tous les mots par
lefquels on répond à cette Qiieftion , Combien de temps i
De même, quand je dis, G;/z//^ï/we le Conquérant enva-
hit l'Angleterre environ l'an 1070. cela fignifie qu'en pre-
nant la Durée depuis le temps de nôtre Sauveur jufqu'à •
préfent pour une longueur entière de temps , il paroit à
quelle dillance de ces deux extrémitez fut fiiite cette Ifj-
'vafion. 11 en eft de même de tous les termes deftinez à
marquer le temps, qui répondent à la Quellion, G)uanà?
lefquels montrent feulement la diftance d'un certain point
de temps, d'avec une Période d'une plus longue Durée,
d'où nous mefurons , & à laquelle nous confiderons que
cette diftance a du rapport par ce moyen-là.
§. 4. Outre ces termes Relatifs qu'on employé pour
défigner le Temps, il y en a d'autres qu'on regarde ordi-
nairement comme ne lignifiant que des Idées pofitives,
qui cependant, à les bien confiderer , font efFeftivcment
Relatifs ■, comme, jeune, vieux, &:c. qui renferment &
fîgnifient le rapport qu'une chofe a avec une certaine lon-
gueur de Durée , dont nous avons l'idée dans l'Efprit.
Ainfi, après avoir pofé en nous-mêmes , que l'idée de la
Durée ordinaire d'un homme comprend foixante-dix ans,
lorfque nous difons qu'un homme c{\i jeune , nous enten-
dons par là, que fon âge n'eft encore qu'une petite partie
de la Durée à laquelle les hommes arrivent orclinaircmenti
& quand nous difons qu'il eft w//a', nous voulons donner
à entendre que fa Durée eft prefque arrivée à la fin de
celle que les hommes ne paflént point ordinairement. Et
par là on ne fait autre chofe que comparer l'âge ou la du-
rée particulière de tel ou tel homme avec l'idée de la Du-
rée que nous jugeons appartenir ordinairement à cette cf-
péce d'Animaux. C'ell ce qui paroit évidemment dans
Ddd l'ap-
394 Ve la Caufe é" àe l'Effet y
C H A p. l'application que nous faifons de ces noms à d'autres cho-
XXVI. fes. Car un Homme eft: appelle jeune à l'âge de vingt
ans , Se fort jeune à l'âge de lept ans ; cependant nous ap-
pelions Vieux, un Cheval qui a vingt ans , & un Chien
qui en a fept ; parce que dans chacun de ces Animaux , nous
comparons leur âge à différentes idées de Durée que nous
avons fixé dans nôtre Efprit , comme appartenant à ces
diverfes efpéces d'Animaux, félon le cours ordmaire de la
Nature. Car quoy que le Soleil 6c les Etoiles ayent du-
ré depuis quantité de générations d'hommes, nous ne di-
fons pas que ces Affres foient vieux , parce que nous ne
favons pas quelle durée D i e u a afiîgné à ces fortes d'E-
tres. Ainfi , ce terme de vieux appartient proprement aux
chofes dont nous pouvons obferver fuivant le cours ordi-
naire, que dcperiffant naturellement elles viennent à finir
dans une certaine période de temps > 6c par là nous avons
dans l'Efprit une efpéce de mefure à laquelle nous pou-
vons comparer les différentes parties de leur Durée, ôc en
vertu de la Relation fondée là-deffus , les appeller jeunes
ou vieilles-, ce que nous ne faurions faire par conféquent
à l'égard d'un Rubis ou d'un Diamant , parce que nous ne
connoifTons pas les périodes ordinaires de leur Durée.
Les Relations §• 5- Il eft aufli fort aifé d'obfcrver le rapport que les
t|u LieH&c de chofes ont l'une à l'autre à l'égard des Lieux qu'elles oc-
£te» ae. cupcnt 5c de leurs diflances, comme quand on dit qu'une
chofe eft en haut , en bas , à une liciié de Verfailles , en
Angleterre , à Londres, &c. Mais il y a certaines Idées,
à l'égard de V Etendue 6c de la Grandeur , aufli bien qu'à
l'égard de la Durée , qui font Relatives , quoy que nous
les exprimions par des termes qui paffent pour pofitifs.
Ainfi^r^w^ 6c petit font des termes effectivement Relatifs.
Car ayant aufll fixé dans nôtre Efprit des idées de la gran-
deur de différentes efpéces de chofes que nous avons fou-
vent obfervees, 6c cela, par le moyen de celles de chaque
efpéce qui nous font le plus connues , nous nous fervons
de ces Idées comme d'une Mefure pour défigner la gran-
deur de toutes les autres de la même efpéce. Ainfi, nous
ér de quelques autres Relations. L i v. IL 59^
appelions une grojfe Pomme celle qui eft plus grofle que Chap.
rEfpécc ordinaire de celles que nous avons accoutumé de XXVL
voir: nous appelions de même un. p^?/Y Cheval celui qui
n'égale pas l'idée que nous nous fommes faite de la gran-
deur ordinaire des Chevaux > &c un Cheval qui fera grand
félon l'idée d'un Gallois, paroît fort petit à un Fiivnnnd y
parce que les différentes races de Chevaux qu'on nourrit
dans leurs Pais, leur ont donné différentes idées de ces A-
nimaux, auxquelles ils les comparent, &: à l'égard defquel-
les ils les appellent grands & petits.
§. 6. Les mots , fort i-c foible , font auilî des (^/«(jw/- 1^« termes «b-
nations relatives de Puilfance , comparées à quelque idée({'|^'4nf"jj5^^
que nous avons alors d'une Puiffance plus ou moins gran- /«/»«;.
de. Ainfi , quand nous difons d'un homme qu'il efl foi-
ble, nous entendons qu'il n'a pas tant de force, ou de puif-
fance de mouvoir, que les hommes en ont ordinairement,
ou que ceux de fa taille ont accoutumé d'en avoir ; ce qui
eft comparer fa force avec l'itiée que nous avons de la for-
ce ordinaire des hommes, ou de ceux qui font de la même
grandeur que luy. Il en eft de même quand nous difons,
que toutes les Créatures font foibles ; car le "terme de foi-
ble eft purement relatif dans cette occafion, & ne fignifîe
autre chofe que la difproportion qu'il y a entre la Puiffan-
ce de D I E u & fes Créatures. Ainfi dans le Difcours or-
dinaire, quantité de mots , (&: peut-être la plus grande
partie} ne renferment autre chofe que de fimples Rela-
tions, quoy qu'à la première veûë ils ne paroiffent point
avoir une fignification relative : ainfi quand on dit qu'un
VaifTeau a les provifions néceffaires , les mots nécejfaire &C
provtjion font tous deux relatifs ; car l'un fe rapporte à l'exé-
cution du Voyage qu'on a deffein de faire , Se l'autre
à l'ufage à venir. Du refte, il eft fi aifé de voir coniinent
toutes ces Relations fe terminent à des Idées qui viennent
par Senfation ou par Reflexion qu'il n'eft pas neceftaire de
l'expliquer.
Ddd 2 CHA-
396 Ce que c\fl. qu'' Liait iîe\
CHAPITRE XXVir.
Qn ^^, Ce que c'ejl ^?^'Idcntité , é^ Diverfité.
XXVII.
En ciuoy confi- §. I . "I" T N E autrc occafion que nous avons fouvent
fte Xiieutiû. y^ ^Q fjjj-e ^£5 comparaifons , c'eft: l'exiftence
même des chofes, lorfque venant à confidérer une chofe
comme exiftant dans un tel temps ^ dans un tel lieu dé-
terminé, nous la comparons avec elle-même exiftant dans
un autre temps, &: par là nous formons les Idées d'Iden-
tité &c de Diverfité. Qiiand nous voyons qu'une chofe eft
dans une telle place durant un certain moment , nous fom-
raes affûrez (quoy que ce puifle être} que c'eft la chofe
même que nous voyons , & non une autre qui dans le
même temps exifte dans un autre lieu , quelques fembla-
bles &: difficiles à diftinguer qu'elles foient , à tout autre
égard. Et c'eft en cela que confifte V Identité ^ je veux
dire en ce que les Idées auxquelles on l'attribué , ne font
en rien différentes de ce qu'elles étoient dans le moment
que nous confiderons leur première exiftence , & à quoy
nous comparons leur exiftence préfente. Car ne trouvant
jamais Se ne pouvant même concevoir qu'il foit pollible ,
que defix chofes de la même efpéce exiftent en même
temps dans le même lieu , nous avons droit de conclur-
re , que tout ce qui exifte quelque part dans un certain
temps , en exclut toute autre chofe de la même efpéce >
fie exifte là tout feul. Lors donc que nous demandons ,
Jï une chofe ejl la même , ou non , cela fe rapporte toujours
à une chofe qui dans un tel temps exiftoit dans une telle
place, & qui dans cet inftant étoit certainement la mcrae
avec elle-même, &: non avec une autre. D'où il s'enfuit,
qu'une chofe ne peut avoir deux commencemens d'cxi-
ftence, ni deux chofes un feul commencement, étant ini-
pofllble que deux chofes de la même efpéce fuient ou exi-
ftent, dans le même inftant , dans un feul &: même lieu,
ou
CT- Viverfîte. L i v. IL ^^y
ou qu'une feule 6c même chofe cxifte en différens lieux. C h a p.
Par conféquent , ce qui a un même commencement par XX VII.
rapport au temps &: au lieu, elt h même chofe ,&: ce qui
à ces deux égards a un commencement différent de celle-
là , n'eft pas la même chofe qu'elle , mais en eft diffé-
rent. Ce qui a caufé de l'embarras dans cette forte de
Relation , c'a été le peu de foin qu'on a pris de fe
faire des notions précifes des chofes auxquelles on l'at-
tribué.
§. 2. Nous n'avons d'idée que de trois fortes de fub- ^''«"ti-e <<«
fiances, qui font, i. D i e u > 2. les Intelligences Finies; ^"^'i^"""'-
3. & les Corps.
Premièrement , Dieu eft fans commencement , éter-
nel , inaltérable , 6c préfcnt par tout j c'eftpourquoy
l'on ne peut former aucun doute fur fon Identité.
En fécond lieu , les Efprits finis ayant eu chacun im
certain temps 6c un certain lieu qui a déterminé le com-
mencement de leur exiftence , la relation à ce temps 6c à
ce lieu déterminera toujours Vldentitc de chacun d'eux ,
aufli long temps qu'elle fubfiftera.
En troifiéme lieu, l'on peut dire de même à l'égard de
chaque particule de Matière, que, tandis qu'elle n'eft ni
augmentée ni diminuée par l'addition ou la fouftradtion
d'aucune matière, elle eft la même. Car quoy que ces
trois fortes de fvbjlances , comme nous Içs nommons , ne
s'excluent pas l'une l'autre du même lieu , cependant nous
ne pouvons nous empêcher de concevoir , que chacune
d'elles doit néceflairement exelurre du même lieu une au-
tre qui foit de la même efpéce. " Autrement , les notions
6c les noms à' Identité Sz de Z)wfr//>f' feroient inutiles j 6c
il ne pourroityavoir aucune diftinftion entre des fubftan-
ces ou deux autres chofes de même efpéce. Par exemple,.
fi deux Corps pouvoient être dans un même heu tout à
la fois, deux particules de Matière fcroient une feule 6c
même particule, foit que vous les fuppof^ez grandes on
petites i ou pliàtôt, tous les Corps ne feroient qu'un feul
6c même Corps. Car par la même raifon que deux par-
Ddd 3 ticuks
598 Ce que c^ejl qu'Identité" i
C H A p. ticulcs de Matière peuvent être dans un feul lieu , tous
XXVJI. les Corps peuvent être aufli dans un feul lieu : fuppofi-
tion qui étant une fois admife détruit toute diftin£lion en-
tre V Identité Se la Diverfité y entre un hc plufieurs , 6c
la rend tout-à-fait ridicule. Or comme c'eft une contra-
diction , que deux ou plus d'un ne foient qu'un, V Identi-
té &r la 'Diverjité font des rapports <Sc des moyens de
comparaifon très-bien fondez ôc de grand ulage à l'En-
tendement.
iJcnriie des Toiitcs Ics autres chofes n'étant , après les fubftances ,
y.dfi. ^^ ^^g Modes, ou des Relations qui fe terminent aux Sub-
ftances , on peut déterminer encore par la même voye l'/-
dentité &c la Diverfîté de chaque exiftence particulière qui
leur convient. Seulement à l'égard des chofes dont l'exi-
flence confille dans une perpétuelle fucceflion , comme
font les aftions des Etres finis , le Moin-ement 6c la Pen-
fée , qui confil^ent Fun Se l'autre dans une continuelle
fucceflion , on ne peut douter de leur diverfîté -, • car cha-
cune periflant dans le même moment qu'elle commence,
elles ne fauroient exiller en diifèrens temps , ou en diffé-
rens lieux, ainii que des Etres permanens peuvent en di-
vers temps cxitler dans des lieux diffcrens -, &c par confé-
qucnt, aucun mouvement ni aucune penfèe qu'on confi-
dere comme dans differens temps , ne peuvent être les
mêmes , puifquf chacune de leurs parties a un différent
commencement d' exiftence.
Ce que c'ca §• 3- Par tout ce que nous venons de dire il eft aife de
qu'on nomme yoir cc quc c'cft qui conftituè un Individu 6c le diftingue
p'ijLw" de tout autre Etre ; ce qu'on nomme Frtnciptum Indivi-
in-utnau»ns. duationis dans les Ecoles, oii l'on fe tourmente 11 fort pour
favoir ce que c'eft > il eft, dis-je, évident, que ce /^a7«-
cipe confifte dans l'exiftcnce même qui fixe, chaque Etre ,
de quelque forte qu'il foit, à un temps particulier , &c z
un lieu incommunicable à deux Etres de la même e(péce.
Qiioy que cela paroiflc plus aifé à concevoir dans \c'sSub-
Jtances , ou Modes les plus fimplesi on trouvera pourtant,
il l'on y fait reflexion qu'il n'cft pas plus diliicile de le
com-
^ Diverjïte. Liv. II. 59c)
comprendre dans les Subftances ou Modes les plus com- C h a p.
plexes, fi l'on prend la peine de confiderer , à quoy ce XXV II.
Principe eft précifément appliqué. Suppofons par exem-
ple un Atome , c'eft à dire , un Corps continu fous une
furface immuable , qui exifte dans un temps & dans un
lieu déterminé} il eft évident , que dans quelque inftant
de fon exiftence qu'on le confidere, il eft dans cet inftant
le même avec luy-même. Car étant dans cet inftant ce
qu'il eft efFe£tivement &: rien autre chofe , il eft le même
& doit continuer d'être tel , aulîi long-temps que fon exi-
ftence eft continuée ; car pendant tout ce temps il fera le
même, fie non un autre. Qiie 'îv deux, trois, quatre A-
tomeSi &c davantage, font joints enfemble dans une même
Majfe i chacun de ces Atomes fera le même , par la règle
que je viens de pofer j^ pendant qu'ils exiftent joints en-
femble , la ffjalje qui eft compofée des mêmes Atomes ,
doit être la même wajfe, ou le même Corps , de quelque
manière que les parties foient anémblccs. Mais fi on ote
un de ces Atomes , ou qu'on y en ajoure un nouveau, ce
n'eft plus la même majfe , ou le même corps. Qiiant aux
créatures vivantes, leur Zj/m^/Y/ ne dépend pas d'une m^ffe
compofée des mêmes particules , mais de quelque autre cho-
fe. Car en elles un changement de grandes parties de ma-
tière ne donne point d'atteinte à V Identité. Un Chêne
qui d'une petite plante devient un grand arbre , & qu'on
vient d'émonder j eft toujours le même Chêne; ôc un Pou-
lain devenu Cheval , tantôt gras , ôc tantôt maigre , eft
durant tout ce teinps-là le même cheval ; quoy que dans
ces deux cas il y ait un manifefte changement de parties i
de forte que ni l'un ni l'autre n'eft une même majfe de
matière , quoy qu'ils foient véritablement l'un le même
chêne i 6c l'autre le même cheval. La raifon de cela, c'eft
que lorfqu'on confidere une fimple mafle de matière , ou
un corps vivant , V Identité dans ces deux cas n'eft pas ap-
pliquée à la même chofe.
§. 4. Il refte donc de voir en quoy un r^^w^ diffère Mf"t'te <?«
d'une mafle de Matière 5 6c c'eft , ce me fembk , en ce '^^^R"^"''-
que
400 €•£ que c\jl qiClâentite i
C II A P. que la dernière de ces chofes n'eft que la coliéfion de cer-
XXVII. taincs particules de Matière, de quelque manière qu'elles
foienc unies, au lieu que l'autre eft une telle difpofitioii
de CCS particules qui eil requilc pour conftituer les parties
d'un chêne , Se une telle organt-zation de ces parties qui
foit propre à recevoir S: à diltribuer la nourriture nècef-
Hure pour former le bois, l'ecorce, les feuilles, c^f- d'un
chêne y en quoy conlîftc la vie des Végétaux. Puis donc
que ce qui conllituë Vnnité d'une Plante , c'efl: d'avoir
une telle organization de parties dans un feul Corps qui
participe à une commune vicj une Plante continue d'être
la même Fiante aufli long-temps qu'elle a part à la même
vie, quoy que cette vie vienne à être communiquée à de
«ouvciles parties de matière, unies vitalement à la Plante
déjà vivante , félon une pareille organijzation continuée ,
fie convenable à cette efpéce de Plante. Car cette orga-
nization ne ceflant d'être dans un certain amas de Matiè-
re, ell: diilinguée de toute autre orgamzation dans cette
mafle particulière, &: conllituë cette vie individuelle , qui
dès-lors cxiftant par une continuelle circulation dans la
même continuité de parties infenlîbles qui fc fuccedent
les unes aux autres , unies au Corps vivant de la F/tf«?f ,
poflede cette Identité qui conllituë la même Plante , Se
qui fait que toutes (es parties font les parties d'une même
Plante, pendant tout le temps qu'elles exillent jointes à
cette organisation continuée , qui eft propre à tranfmet-
îre cette commune vie à toutes les parties ainil unies.
,.,-,, <s. <. Le cas n'eit pas fi diflerent dans les Brutes que
Identité des ^ ' , r ^ 1
Animaux. chacun ne puille conclurre de la , que leur identité conn-
ue dans ce qui conllituë un Animal Se le fait continuer
d'être le même. Il y a quelque chofe de pareil dans les
Machines artificielles , & qui peut fervir à éclaircir cet
article. Car par exemple , qu'eft-ce qu'une Montre.' Il
eft évident que ce n'ell autre chofe qu'une organization
ou conftru6lion de parties , propre à une certaine fin,
qu'elle eft capable de remplir, lorfqu'elle reçoit l'impref-
ilon d'une force fuiîifantc pour cela. De forte que ii nous
fup-
é" "Diva- flic. Liv. II. 401
fuppofions que cette Machine fut un fcul Corps continu, C h a p.
dont toutes les parties organizëcs fuflent reparées , au^- XXVII.
mentées, ou diminuées par une confiante addition ou Ic-
paration de parties infenilbles par le moyen d'une com-
mune vie qui entretint toute la machine , nous aurions
quelque chofe de fort femblable au Corps d'un Animal ,
avec cette différence, Que dans un Animal la juflefîe de
l'organization & du mouvement, en quoy confifle la vie,
commence tout à la fois , le mouvement venant de de-
dans) au lieu que dans les Machines la force qui les fait
agir, venant de dehors, manque fouvent lorfque l'organe
efi en état &: bien difpofé à en recevoir les impreflions.
§. 6. Cela montre encore en quoy confifte VIdenfite du Wemitc' <!e
même hommes favoir, en cela feul qu'il jouit de la même ''^"'"™'^-
vie, continuée par des particules de Matière qui font dans
im flux perpétuel, mais qui dans cette fucceffion font vi-
tûlement unies au même Corps organizé. QLiiconque at-
tachera V Identité de fHotmne à quelque autre chofé qu'à
ce qui conftitué celle des autres Animaux, je veux dire à
un Corps bien organizé dans un certain inftant, 6c qui
dès lors continué dans cette orgamzation vitale par une
fuccefîlon de diverfes particules de Matière qui luy font
unies, aura de la peine à faire qu'un Embryon, un hom-
me âgé , un fou &: un fage foient le même homme en vertu
d'une fuppofition d'oîi il ne s'enfuive qu'il eft poilibleque
Sethf IJ'maël, Socrate y Filâtes St. Auguftmy &: Céfar
Borgia font un feul Se même homme. Car li \ Identité de
l'Ame fait toute feule qu'un homme eft le même , &: qu'il
n'y ait rien dans la nature de la Matière qui empêche
qu'un mcmeEfprit individuel nepuifle être uni àdilFérens
Corps, il fera fort pollible que ces hommes qui ont vécu
en différens fiécles 6c ont été d'un tempérament difî'érent, '
ayent été un fcul 6c même homme : façon de parler qui
feroit fondée fur l'étrange ufage qu'on feroit du mot hom-
me en l'appliquant à une idée dont on exclurroit le Corps
6v' la forme extérieure. Cette nianiére de parler s'accorde-
loit encore plus mal àwcc les notions de ces Philofophcs
Eec qui
402 Ce que c^ejl qu'' Identité ,
C H A p. qui reconnoifleiit la Tranfmigration , ôc croyent que les
XXVII. Ames des hommes peuvent être envoyées pour punition
de leurs déreglemcns , dans des Corps de Bêtes, comme
dans des habitations propres à l'adouvinement de leurs
paillons brutales. Car je ne croy pas qu'une perfonne qui
feroitaffùrëe que l'Ame à' Heliogabûlc exiftoit dans l'un de
fes Pourceaux iVonXwt dire que ce Pourceau étoitun hom-
me ^ ou le même homme qu.' Heliogabale.
L'idemité ré- g -; Qq n'eft donc pas l'unité de fubftance qui com-
qu'on fe faitd'cs prend toute forte d'Identité ou qui la peut déterminer
chofcs. dans chaque rencontre. Mais pour la bien concevoir cette
identité, & en juger fainement,il faut voir quelle idéeeft
fignifiée par le mot auquel on l'applique ; car être lamê-
mcfub/iance , le même homme, & la même perfonne font
trois chofes différentes , s'il eft vray que ces trois termes ,
Perfonne, homme, Se fubjiance emportent trois différentes
idées ; parce que telle qu'eft l'idée qui appartient à un cer-
tain nom , telle doit être V identité. Cela confideré avec
un peu plus d'attention vc d'exaftitude auroit peut-être
prévenu une bonne partie des embarras oii l'on tombe fou-
vent fur cette matière, &c qui font fuivis de grandes diffi-
cultez apparentes, principalement à l'égard de l'Identité
ferfoîinelle que nous allons examiner pour cet effet avec
un peu d'application.
Gc qui fait le §. 8. Un Animal eft un Corps vivant organizé ; Se par
mime Homme, conféqucnt , U mêmc Animal ell, comme nous avons déjà
remarqué , la même vie continuée , qui eft communiquée
à différentes particules de Matière , félon qu'elles vien-
nent à être fucceilivemcnt unies à ce Corps organizé qui
a de la vie : 6c la notion que nous avons de l'Homme ,
quelles que foient les autres définitions qu'on en donne,
n'enferme dans le fonds qu'une cfpéce particulière d'Ani-
mal. C'eft dequoy je ne doute en aucune manière ; car
je croy pouvoir avancer hardiment, que qui de nousver-
roit une Créature faite & formée comme (oy-mcme , quoy
qu'elle n'eût jamais fait paroître plus de raifon qu'un
Chat ou un Perroquet , ne laifferoit pas de l'appcUer /^aot-
mc ;
c^ Viver^té. Liv. IL 405
fMi ; ou que j s'il entendoit un Perroquet difcourîr raifon- C h a p-
nablernent 6c en Fhilofophe , il ne l'appelleroit ou ne leXX VU-
croiroit que Perroquet ^ &: qu'il diroit du premier de ces
Animaux que c'eft un Homme grolîler, lourd &: deftitué
de raifon, & du dernier que c'ell un Perroquet plein d'ef-
prit & de bun fens. Car je m'imagine, que ce n'eft pas la
feule Idée d'un Etre penflinr & raifonnable qui conftituë
l'idée d'un homme dans l'Efprit de la plupart des gens,
mais celle d'un Corps formé de telle & de telle manière
qui eft joint à cet Etre. Or fi c'eft là l'idée d'un Homme y
le même Corps formé de parties fucccllives qui ne fe
diflipent pas toutes à la fois , doit concourir au (Il bien
qu'un même Efprit Immatériel à fixire le même homme.
§. 9. Celapofé, pour trouver en quoy confiftel'/^^/z- En quoy confi-
tite perfonnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot deP^r- ^'^ }'''^''""'
jonne. C elt, a ce que je croy, un Etre penlant oc intel-
ligent , capable de raifon & de reflexion , & qui fe peut
confiderer foy-même comme le même , comme wnc même
cliofe qui penfe en difterens temps èc en difFérens lieux;
ce qu'il fait uniquement par le fentiment qu'il a de fes
propres a£tions , lequel efl: infeparable de la penfce, ôc
îuyeft, cemefemble, entièrement eflentiel , étant im-
poflible à quelque Etre que ce foit d'appercevoir , fans
appercevoir qu'il apperçoit. Lorfque nous voyons, que
nous entendons, que nous flairons , que nous goûtons,
que nous fentons , que nous méditons , ou que nous voulons
quelque chofe , nous le connoiflbns à raefure que nous le
faifons. Cette connoiflancc accompagne toujours nos
Senfations & nos perceptions préfentes ; Se c'eft par là
que chacun eft à luy-même ce qu'il appelle Çoy-mhne-., on
ne confidére pas dans cette rencontre fi le même * Soy eft
Eee 2 con-
* Le Ho) de Mr. P.j/^a/ m'nutorifc en
quelque manie're à me fervir du mot /i)' ,
foy-mcme , pour eiprincr ce fentiment
que chacun a en luy même qu'il eft /•
même; ou peur mieux dire, j'y fùisobli
ge' par une iie'celTitt i.^d.fpcnUblej car je
ne faurois exprimer autrement le (eus do
mon Auteur qui a pris la même liberté'
dans fa Laiit»ue. Les Periphralès que je
pourrois employer dans cette orcalîon ,
cmbarrafTeroient le Difcnius , & le ren-
dtoiciit peut être tcutà-fait ir.inteliinibic.
404 Ce qne c^cjt qii' Identité ,
C H A p. continué dans la même fiibftance , ou dans diverfes fiib-
XXVII. fiances. Car puifque la * con-fcience accompagne tou-
jours la penfce, &: que c'cft là ce qui fait que chacun eft
ce qu'il nomme foj-mêmc , 2c par où il fe diftingue de
tou-
* Le mot Anç^lois cfl confcisumefs
qu'on pourroit exprimer en Latin par ce-
lui de iOiijae/iii.t , j: (iimAUir projiluilli)
homiriis qno filn eji ca'nfims. Et c'cfl en
ce Cens que les Latins on: fouvent em-
ployé ce mot, témoin cet endroit de Ci-
teren (Efifï, sd Famil. Lib.VL Epijl. 4.J
Confciemiii yeiiti •volitnt.itis m.ixhna con-
jiLitio f/î rer/im incônim^.i.irum. En Fran-
çois nous n'avons à mon avis que les
mots de Jhiiiment & de convitlion qui
répondent en quelque forte à cette idée.
Mais en plufieurs endroits de ce Chapitre
ils ne peuvent qu'exprimer fort niiparfai-
tcment la penfée de Mr. Locl^e qui fait
abfolument dépendre l'Llentii'e per/mitiei/e
de cet aifle de 1 Homme quo fihi efl cnii-
fcitts. J'ai appréhendé que tous les rai-
fonnemens que l'Auteur fait fur cette ma-
tière , ue fullcnt cnticrcment perdus, fi
je me lervois en certaines rencontres du
mot àe jentiment pour exprimer ce qu'il
entend par corifiinrunefs ii que je viens
d'expliquer. Après avoir fongé quelque
temps aux moyens de remédier à cet in-
convénient , je n'en ai point trouve' de
meilleur que de me (crvir du terme de
Corifuence pour exprimer cet afte même.
C'cftpourqiioy j autai foin de le faire im-
primer en Italique , afin que le Ledeur
k (ouvienne d'y attacher toiijours cette
idée. Et pour faire qu'on diflinj;ue en
core nvieux cette lignification d'avec celle
qu'on donne ordinairement à ce mot , il
ni'cft venu dans l'Efprit un expédient qui
paroîtra d'abord ridrcule à bien des gens,
mais qui lera au goiit de plufieurs autres
fi je ne me ttompe, c'cft d'écrire canfucn-
ci en deux mots joints par un tirer, de
cette manière, cûn-picuer. Mais, d'r.i t on >
voila une étrange licence , de détourner
tm mot de fi figinficttion ordinaire , pour
hiy en aitribucrunc qu'on ne Itiy a j.imais
donnée dans nôtre Langue. A cela je
n'ai tien àrcpoiiJre. Je '"i^ clioquémoy-
même de la liberté que je prens , & peut-
être (êrois je des premiers à condamner
un autre Ecrivain qui auroit eu recours à
un tel expédient. MjIs j'aurois tort, ce
me (emblc , fx après m'être mis à la pla-
ce de cet Ecrivain . je trouvois enfin qu'il
ne pouvoir fc tirer autrement d'affaire.
C'eft à quoy je fouhaite qu'on falTe re-
flexion , avant que de décider li j'ai bien
ou mal fait, .l'avoué que dans un Ou-
vrage qui ne fcroit p.is comme celui ci,
de par raifonnement, une pareille liberté
feroit tout-à fâir iiiexcufable. Mais dans
un L")ifcours Philofophiquc non feulement
on peut , mais on doit employer des mots
nouveaux , ou hors d'ufage , lorfqu'oii
n'en a point qui expriment l'idée pr'ecife
de l'Auteur. Se faire un fcrupuk d'ulèt
de cette liberté dans un pareil cas, ce (c-
roit vouloir perdre ou atloiblir un raifon-
nement de gayeté de coeur ; ce qui (croit ,
à mon avis , une dél;catelle forr mal ph-
cée. J'entens, lorfqii'ony efl réduit pat
une néceflité indifpcnfabic , qui ciT: le cas
oii je me trouve dans cette occafion , fi
je ne me trompe. Je viens de voir au telle
une Bible de la Traduction de Gencvt où
l'on s'irt: fcrvi du mot de ConfdeNte dans
le fens qi>e je viens de marquer. C'eft
dans la Première Epîtrc aux Corinthiens.
Cb.ip. Vlll.vers. 7. Il ti'y a pas connoifjan-
cc tn tous , car qiitlqucs-nns en maii'^cnt
(de ces viandes facrifécs).i;iv conlciencc
de l'Idole, c'ellà dire , quoy qu'ils (tii-
tent, qu'ils croyent en eux-mêmes que
l'Idole à qui ces vianJcs font oftcttcs.eû
quel 'uc chofc,&qn'illeut a communiqué
quelque vertu, te ne rapporte pas cet
endroit pour confirmer l'ulage du mot de
coit/citnce en ce (eus là , car je (ai que la
Vrrfion de Genève n'eft d'aucune autori-
té dans nôtre Langue , mais feulement
pour faire voir le beloin que iwus ci> a.-
vons.
é^Di-vcrfité. Liv. II. 405
toute autre chofc pcnflmte , c'eft auilî en cela feul que C h a p.
coni'ï'àe Vldentite pcrfonnelle , ou ce qui fait qu'un Etre XX VU.
raifonnable eft toujours le mènic. Et auiîl loin que cette
con-fcience peut s'étendre fur les aftions ou les penfées dé-
jà paflees, aulli loin s'étend l'Identité de cette Perfonne j.
le foy elt préfentement le même qu'il étoit alors, 6c cette
aciion pafTée a été faite par le même foy que celui qui fe
la remet à prefent dans l'Efprit.
§. 10. Mais on demande outre cela, fi c'efl: précifé- "Li cen-fc^me
ment & abfolumcnt la même fiibftance. Peu de genscroi- perVomitns."^
roient être en droit d'en douter , fi les perceptions avec
la cofi-fcience qu'on en a en foy-même , fe trouvoient tou-
jours préfentes à l'Efprit, par où la niême Chofe penfûnte
feroit toujours fclemtnent prélénte,6c à ce qu'on cron-oit,
évidemment la même à elle-même. Mais ce qui femble
fixire de la peine dans ce point, c'eft que cette con-fcience
eft toujours interrompue par l'oubli , n'y ayant aucun,
moment dans nôtre vie, auquel toute l'enchaînure des
aftions que nous avons jamais faites , fort préfente à nô-
tre Efprit, c'eft que ceux qui ont le plus de mémoire per-
dent de veùë une partie de leurs actions ,, pendant qu'ils
confiderent l'autre , c'eft que quelquefois , ou plutôt la
plus grande partie de nôtre vie, au lieu de réfléchir fur
nôtre foy pafle , nous fommcs occupez de nos penfées.
prefentes, & qu'enfin dans un profond fommeil ,. noua
n'avons abfolument aucune penfée , ou aucune du moins,
qui foit accompagnée de cette con-fcicme qui eft attachée,
aux penfées que nous avons en veillant. Comme, dis-je>
dans tous ces cas le fentiment que nous avons de nous-
mêmes eft interrompu , S>c que nous nous perdons notiS'^
mêmes de veùë par rapport au palfé , on peut douter fi
nous fommes toûiours la même Choje penfante , c'eft à
dire, la même fubftance, ou non. Leqiiel doute, quel-
que raifonnable ou deraifonnable qu'il foit, n'interefle en
aucune manière V Identité perfonnelle. Car il s'agit de fa-^
voir ce qui fait la mèwe pcrfonne , &c non il c'eft précifé-
ment la même fubftance qui penfe toujours dans la même
Eee 3 per-
4o6 Ce que c\'Jl qu'Identité^
Gh AP. perfonnej ce qui ne fait rien dans ce cas; parce que dif-
XXVII- férentcs fubilances peuvent erre unies dans une feule per-
fonne par le moyen de la même con-fcience à laquelle ils
ont part , tout ainfi que diflerens Corps font unis par la
même vie dans un feul animal j dont Vldentite eft confer-
vee parmi le changement de fublbances , à la faveur de
l'unité d'une même vie continuée. En effet , comme
c'cft la même con-fcience qui fait qu'un homme eft le mê-
me à luy-même , V Identité perfonnelle ne dépend que de
li , foit que cette con-fcience ne foit attachée qu'à une feu-
le fubftance individuelle, ou qu'elle puiflé être continuée
dans difterentes fubftances qui fe fuccedent l'une à l'au-
tre. En effet , tant qu'un Etre inteUigent peut repeter
en foy-même l'idée d'une aftion paffée avec la même con-
fcience qu'il en avoit eu premièrement, &: avec la même
qu'il a d'une aftion préfente, jufque-là il eft le même foy.
Car c'eft par la con-fcience qu'il a en luy-même de fes
penfées & de fes actions prefentes qu'il eft dans ce mo-
ment le même à luy-même ; &: par la même raifon il fera
Je même yè}', aulfi long-temps que cette con-fcience peut
s'étendre aux actions paflees ou à venir : de forte qu'il ne
fauroit non plus être deux perfonnes par la diftance des
temps, ou par le changement de fubftance, qu'un hom-
me être deux hommes, parce qu'il porte aujourd'huy un
habit qu'il ne portoit pas hier , après avoir dormi entre-
deux pendant un long ou un court cfpace de temps. Cet-
te même con-fcience réunit dans la même perfonne ces
a£tions qui ont exifté en ditfcrens temps , quelles que
foient les fubftances qui ont contribué à leur produ-
£tion.
vidniiits pey §. II. Qiie ccla foit ainfi , nous en avons une efpéce
y^««f//f (ubfirte jjg démonftration dans nôtre propre Corps , dont toutes
dans le change- , -ir ^-J ' ^ n. i- j
rient des l'ub- '^s patticulcs tont partie de nous-mêmes, c elt-a-dire,de
Jtanccs. cet Etre penfant qui fe rcconnoit intérieurement le même ,
tandis qu'elles font vitalement unies à ce mcmcfoy penfant,
de forte que nous fcntons le bien ou le mal qu i leur arrive par
l'attouchement ou par quelque autre Aoye que ce foit. Ainfi
les
ér Diverfité. Liv. II. 407
les Membres du Corps de chaque homme font une partie de C h a p.
luy-même; il prend part Se eft interefle à ce qui \qs tou- XXVII.
che. Mais qu'une main vienne à être coupée , &c par là
feparée du fentiment que nous avions du chaud , du froid,
èc des autres afFeftions de cette main ; dès ce moment elle
n'eft non plus une partie de ce que nous appelions nous-
mêmes , que la partie de Matière qui eft la plus éloignée
de nous. Ainfi nous voyons que la fubftance qui dans
un temps appartenoit au/oy pcrfonnel , peut varier dans un
autre temps, fans qu'il arrive aucun changement à V Iden-
tité ferfonnelle , car on ne doute point de la continuation
de la même perfonne , quoy que les membres qui en fai-
foient partie il n'y a qu'un moment , viennent à être re-
tranchez.
§. 12. Mais la Queftion eft , /7 Z^ même fubjiance qui si dic fubfiilc
penfe , étant changée , la Perfonne peut être la même , ou îl^^cnt'defrùb-^'
Jl cette fubjiance demeurant la même , il peut y avoir di-ffé- fiances penQn-
rentes Perfonnes. '"•
A quoy je répons en premier lieu , que cela ne fauroit
être une Qiieftion pour ceux qui font confifter la penfée
dans une conftitution animale , purement matérielle , fans
qu'une fubftance immatérielle y ait aucune part. Car que
leur fuppofition foit vraye ou fauffe , il eft évident qu'ils
conçoivent que l'Identité perfonnelle eft confervée dans
quelque autre chofe que dans l'Identité de fubftance,
tout de même que l'Identité de l'Animal eft confervée
dans une Identité de vie & non de fubftance. Et par con-
féquent , ceux qui n'attribuent la penfée qu'à une fub-
ftance immatérielle , ne doivent point s'engager avec ces
premiers , avant que d'avoir montré comment V Identité
perfonnelle ne peut être confervée dans un changement de
fubftances immatérielles , ou dans la variété de ces fub-
ftances, tout auffi bien que V Identité animale fe conferve
dans un changement de fubftances matérielles , ou dans
une variété de Corps particuliers > à moins qu'ils ne veuil-
lent dire qu'un feul Efprit mimateriel fait la même vie
dans les Brutes , comme un feul Efprit immatériel fait
la
40 8 Ce que c^ejl qu'Identité,
Chap. la même pcrfonne dans les Hommes, ce que les Crfr-
XXVII. te/îcns au moins n'admettront pas, de peur d'ériger aufli
les Bêtes Brutes en Etres penfans.
§. 13. Mais, fuppofe qu'il n'y ait que des fubftances
immatérielles -, je dis fur ia première partie de la Qiie-
iHon, qui eft, jî la. même Çiibftance qui penfc , étant chan-
gea , la Pcrfoîmc peut être la même > je répons , dis-je ,
qu'elle ne peut être refoluê que par ceux qui favent quel-
le eft l'efpéce de fubftance qui penfe en eux , & fi la con-
fcience qu'on a de fes aftions paflees , peut ^tre transférée
d'une fubftance penfante à l'autre. Je conviens, que ce-
la ne pourroit fe faire, Il 4;ette con-Jdence étoit une feule
êc même a£lion individuelle. Mais comme ce n'eft qu'u-
ne rcprcfentation aftuclle d'une aftion paflee j il refte à
prouver comment il n'eft pas poflible que ce qui n'a ja-
mais été réellement ,puifl"e être rcpréfenté à l'Efprit com-
me ayant été véritablement. C'eftpourquoy nous aurons
* confàoumfs. <ie la peine à déterminer jufques où le * fentiment des
aftions paffées eft attaché à quelque Agent individuel, en
forte qu'un autre Agent ne puifte l'avoir ; il nous fera ,
dis-je, bien difficile de déterminer cela , jufqu'à ce que
nous connoiftlons quelle efpéce d'Aftions ne peuvent être
faites fans un Afte réfléchi de perception , qui les accom-
pagne , & comment ces fortes d 'allions font produites
par àts fîibjîances penfajites qui ne fauroient penfer fans en
être convaincues en elles-mêmes. Mais parce que ce que
nous appelions la même con-fcience n'eft pas un mêmeAfte
individuel 5 il n'eft pas facile de s'aflurer par la nature
des chofes, comment une fubftance intellectuelle ne fau-
Toit recevoir la repréfentation d'une chofe comme fliite
par elle-même, qu'elle n'auroit pas faite, mais qui peut-
■ètre auroit été faite par quelque autre Agent , tout aullî
bien que pluileurs repréfcntations en fonge, que nous re-
gardons comme véritables pendant que nous fongcons.
Et jufques à ce que nous connoiflions plus clairement la
nature des fubftances penfantes , nous n'aurons point de
.meilleur moyen pour nous aflurcr que cela n'eft point
.ain-
crDivcrfite. Liv. II. ^09
ainfi , que de nous en remettre à la Bonté de Dieu ; car C h a p.
autant que la félicité ou la miferc de quelqu'une de fes X X V II.
créatures capables de fentiment , fe trouve interelîee en
cela , il faut croire que cet Etre fuprcme dont la Bonté
eft infinie, ne tranfportera pas de l'une à l'autre en con-
féquence de l'erreur où elles pourroient être , le fentiment
qu'elles ont de leurs bonnes ou de leurs mauvaifesa£lions,
qui entraine après luy la peine ou la rccompenfe. Je laiflc
à d'autres à juger jufqu'ou ce raifonnement peut êtrepref-
fé contre ceux qui font conlifter la Penfée dans un aflem-
blage d'Efprits Animaux qui foient dans un flux conti-
nuel. Mais pour revenir à la Qiieftion que nous avons en
main , on doit reconnoître que il la même con-fcietice ,
qui eft une chofe entièrement différente de la même figu-
re ou du même mouvement numérique dans le Corps,
peut être tranfportée d'une fubftance penfante à une au-
tre j il fe pourra faire que deux fubftances penfantes ne
conftituent qu'une feule perfonne. Car V Identité perfon-
nelle eft confervée, dès là que la même con-fctence eft pré-
fèrvée dans la même fubftance j ou dans des fubftances
différentes.
§. 14. Quant à la féconde partie de la Qiieftion , qui
eft , St la même ftibjlance immatérielle re fiant , il peut y a-
voir deux Perfùnnes difim^es ; voici ^ cerne femble, fur
quoy elle eft fondée , c'eft fi le même Etre immatériel
convaincu en luy-même de (es aftions paftees , peut être
tout-à-fait dépouillé de tout fentiment de fon exiftence
pafl'ée J 6c le perdre entièrement , fans pouvoir jamais plus
le recouvrer ; de forte que commençant , pour ainfi dire ,
un nouveau compte depuis une nouvelle période , il ait
une con-fcience , qui ne puiffe s'étendre au delà de ce nou-
vel état. - Tous ceux qui croyent la préexiftence des A-
mes, font vifiblement dans cette penfée, puifqu'ils re-
connoiftent que l'Ame n'a aucun refte de connoiilànce de
ce qu'elle a fait dans l'état où elle a préexifté , ou entiè-
rement feparée du Corps , eu dans un autre Corps. Et
s'ils faifoient difficulté de l'avoûër , l'Expérience feroit
Fff VI.
410 Ce que c*cjl qu^ Identité y
Chap. vifiblement contre eux. Ainfi , V Identité perfonnelle ne
XX VII. s'étendant pas plus loin que le fentiment intérieur qu'on
a de fa propre exiftencc,un Efprit préexiltant qui na pas
paffé tant de fiécles dans une parfaite ;w/f«/,'^////t'j doit ne-
ceflairement conftituer différentes pcrfonncs. Suppofez
un Chrétien Platonicien ou Pythgoncien qui fe crut en
droit de conclurre de ce que Dieu auroit terminé le fep-
tiéme jour tous les Ouvrages de la Création , que fon A-
me a exifté depuis ce temps-là, &: qu'il vint à s'imaginer
qu'elle auroit paffe dans difterens Corps Humains, com-
me un homme que j'ai vu , qui étoit perfuadé que fon
Ame avoit été l'Ame de Socrate ; je n'examinerai point fi
cette prétenfion étoit bien fondée , mais ce que je puis
afsûrer certainement , c'eft que dans le pofte qu'il a rem-
pli, & qui n'étoit pas de petite importance , il a paflé
pour un homme fort raifonnablej &; il a paru par fes Ou-
vrages qui ont vu le jour , qu'il ne manquoit ni d'efprit
ni de favoir. Cet homme ou quelque autre qui crut la
Tranfmigration des Ames, diroit-il qu'il peut être la mê-
me perfonne que Socrate, s'il ne trouve en luy-même au-
cun fentiment des actions ou des penfées de Socrate? Qu'un
homme, après avoir réfléchi fur foy-même, conclue qu'il
a en luy-même un Efprit immatériel , qui eft ce qui penfe
en luy, & le fait être le même, dans le changement con-
tinuel qui arrive à fon Corps , Se que c'eft là ce qu'il ap-
pellefoy-même • Qu'il fuppofe encore que c'eft la même
Ame qui étoit dans Nejtor ou dans Therfite au fiege de
l'roye ; car les Ames étant indiff"érentes à l'égard de quel-
que portion de Matière que ce foit , autant que nous le
pouvons connoître par leur nature , cette fuppofition ne
renferme aucune abfurdité apparente , èc par confcquent
cette Ame peut avoir été alors aufll bien celle de A'ejior
ou de Tberjïte i qu'elle eft prefentement celle de quelque
autre homme. Cependant celui qui à prefcnt n'a aucun
•oa.c»n-j'iime.* fentiment de quoy que ce foit que AV//(7r ou Jher/ite
ait jamais fiiit ou penfé; conçoit-il, ou peut-il concevoir
qu'il eft la même perfonne que Nejtor ou 'Iherjite^. Peut-il
preaJre
^Diverfité. Liv. II. 411
prendre part aux adtions de ces deux anciens Grecs ? Peut- C h a p.
il fe les attribuer, ou penfer qu'elles foient plutôt fespro-XX VII.
près Actions que celles de quelque autre homme qui ait
jamais exifté ? D'où il paroît que le fentiment qu'il a de
fa propre exiftence , ne s'étendant point à aucune des a-
ârions de Neftor ou de Therfite , il n'eft pas plus une
même perfonne avec l'un des deux, que fi l'Ame ou l'Ef-
prit immatériel qui ell préfentement en luy , avoit été
créé, & avoit commencé d'exifter , lorfqu'il commença
d'animer le Corps qu'il a préfentement j quelque vray
qu'il fut d'ailleurs que le même Efprit qui avoit animé le
Corps de Neftor ou de Therfite , étoit le même en nom-
bre que celui qui anime le fien préfentement. Cela , dis-
je, ne contribueroit pas davantage à le faire la même per-
fonne que Neftor, que fi quelques-unes des particules de
matière qui une fois ont fait partie de Neftor , étoient à
préfent une partie de cet homme-là > car la même fubftan-
ce immatérielle fans la même con-fcience , ne fait non plus
la même perfonne pour être unie à tel ou tel Corps, que
les mêmes particules de matière unies à quelque Corps
fans une con-fcience commune , peuvent faire la même ,
perfonne. Mais que cet homme vienne à trouver en luy-
mêmc que quelqu'une des adtions de Neftor luy appartient ^
comme émanée de luy-même , il eft alors la même per-
fonne que Neftor.
§. 15. Et par là nous pouvons concevoir fans aucune
peine ce qui à la Refurreftion doit faire la même perfon-
ne, quoy que dans un Corps qui n'ait pas exactement la
même forme 6c les mêmes parties qu'on avoit dans ce
Monde, pourvu que la même con-fcience fe trouve jointe
à l'Efprit qui l'anime. Cependant l'Ame toute feule, le
Corps étant changé , peut à peine fuffire pour faire le mê-
me homme } horfmis à l'égard de ceux qui attachent toute
l'effence de l'Homme à l'Ame qui eft en luy. Car que
l'Ame d'un Prince accompagnée d'un fentiment intérieur
de la vie de Prince qu'il a déjà menée dans le Monde,
vint à entrer dans le Corps d'un Savetier , auffitôt que
F f f 2 l'A-
413 Ce qne c'eji qu^ Identité ^
C H A p. l'Ame de ce pauvre homme auroit abandonné fon Corps ,
XXVII. chacun voit que ce feroit la même perfonne que le Prin-
ce, uniquement refponfabîe des a£tions qu'elle auroit fait
étant Prince. Mais qui voudroit dire que ce feroit le
même homme ? Le Corps doit donc entrer aulîi dans la
compofition de l'Homme ; Se je m'imagine qu'il déter-
mineroit VHomme dans ce cas-là , au jugement de tout le
monde, & que l'Ame accompagnée de toutes les penfées
de Prince qu'elle avoit autrefois , ne conftitueroit pas un
autre homme. Ce feroit toujours le même Savetier, dans
l'opinion de chacun , luy feul excepté. Je fai que dans
le Langage ordinaire la même perfonne &: le même hom-
me fignifient une feule & même chofe. A la vérité , il
fera toujours libre à chacun de parler comme il voudra ,
& d'appliquer tels fons articulez à telles idées qu'il juge-
ra à propos, éc de les changer aulîi fouvent qu'il luyplair-
ra. Mais lorfque nous voudrons rechercher ce que c'eft
qui fait le même Efprit , le même homme , ou la même per-
jonne , nous ne faurions nous difpeafer de fixer en nous-
mêmes les idées à' Efprit , àH Homme Ce de Personne ; 6c
, après avoir ainfi établi ce que nous entendons par ces trois
mots , il ne fera pas mal-ailé de déterminer à l'égard d'au-
cune de ces chofes ou d'autres femblables , quand c'eft
qu'elle eft , ou n'eft pas la même.
Ucon-fciettct §. i6. Mais quoy quc la même fubftaoce immatérielle
fcic la mtmi Qy j^ même Ame ne fuffife pas toute feule pour conftituer
FHomme, où qu'elle foit , 6c dans quelque état qu elle
exifte} il eft pourtant vifible que la con-fcience , aulliloin
qu'elle peut s'étendre , quand ce feroit jufqu'aux fiécles
paflez , réunit dans une même perfonne les exi/lences 6c les
actions les plus éloignées par le temps , tout de même
qu'elle unit l'exiftence 6c les aftions du moment immé-
diatement précèdent -, de forte que quiconque a une con-
fcience , un fentim.ent intérieur de quelques actions pré-
fentes 6c paflees, eft la même perlonne à qui ces acbions
appartiennent. Si par exemple, je fentois également en
moy-même , que j'ai vu l'Arche 6c le Déluge de AVj
com-
perjonne.
éf Tiiverfité. Liv. IL 41^
comme je/?«j que j'ai vu , l'hy ver pafle , l'inondation de la C h a p.
Tamife, ou que j'écris préfentement , je ne pourrois non XXVII.
plus douter, que le Moy qui écrit dans ce moment , qui
a vu, l'hy ver paiïe, inonder la Tamife, &c qui a été pré-
fent au Déluge Univerfel , ne fut le même foj , dans quel-
que fubfiance que vous mettiez ce foy , que je fuis certain,
que moy qui écris ceci , fuis , à préfent que j'écris , le
même moj que j'étois hier , foit que je fois tout compofé 9
ou non de la même fubfiance matérielle ou immatérielle.
Car pour être le même foy , il eft mdiiférent que ce mê-
me foy foit compofé de la même fubftance , ou de diffé-
rentes fubftances} car je fuis autant interefle , & auiîl ju-
ftement refponfable pour une aftion faite il y a mille ans,
qui m'eft préfentement adjugée par cette * con-faence c^\c*seif-cor,fci(,nf-
j'en ai comme ayant été faite par moy-même , que je Ie"^-^"^°| "*
fuis pour ce que je viens de faire dans le moment préce- giois t^u on ne
^Jgj^f _ faiiroit rendre
§t r n 1 r r ■ , . en François
. 1 7. Lejoy eit cette choie penlante , mteneurement dans toute fa
convaincue de fes propres aftions (de quelque fubilance for"-. J<: ■«
qu'elle foit formée, foit fpirituelle ou matérielle, iimple^^y^j^'^^y/^'
ou compofée, il n'importe} qui fent du plailir &c de la qm entendent
douleur , qui eft capable de bonheur ou de mifére , t< par '"'^"8'°'*; ,
IV n. ■ ' ^rr ' ^ r ' /r t • ' r Le Soy dépend
la elt mtereliee pour loy-meme , auiu lom que cette con-deUcon-jhence.
fcience peut s'étendre. Ainfi chacun éprouve tous les
jours , que , tandis que fon petit doigt eft compris fous
cette con-fcience , il fait autant partie de foy-même , que
ce qui y a le plus de part. Et fi ce petit doigt venant à
être feparé du refte du Corps , cette con-fcience accompa-
gnoit le petit doigt , Se abandonnoit le refte du Corps , il
eft évident que le petit doigt feroit la perfonne , la même
perfonne , &z qu'alors le foy n'auroit rien à démêler avec le
refte du. Corps. Comme dans ce cas ce qui fait la même
perfonne &c conftituë ce foy qui en eft inféparable , c'eft
la con-fcience qui accompagne la fubftance lorfqu'une par-
tie vient à être feparée de l'autre > il en eft de même par
rapport aux fubiîances qui font éloignées par le temps.
Ce à quoy la con-fcience de cette prefente chaje penjanîe
Fff 2 fe
414. Ce que c\'Jî qu'* Identité' i
C H A p. fii peut joindre , fait la même perfonne Se le même foy avec
XXVII elle, Se non avec aucune autre chofejSc ainfi il reconnoit
& s'attribue à luy-même toutes les aftions de cette chofe
comme des attions qui luy font propres , autant que cette
con-fcience s'étend , 6c pas plus loin , comme l'apperce-
vront tous ceux qui y feront quelque reflexion.
Ceciiiieft lot- §. 18. C'ciï (ur cette Identité perfonnelle qu'eft fondé
jet d(|f Recom- j^^^j^. j^ Jroit & toutc la juftice des pemes &c des recom-
chitimcns. pcnfes, du bonheuf &c de la mifére , puifque c'eft fur cela
que chacun efl: interefle pour luy-même , ians fe mettre en
peine de ce qui arrive d'aucune fubitance qui n'a aucune
liaifon avec cette con-faence , ou qui n'y a point de part.
Car comme il paroit nettement dans l'exemple que je viens
de propofer, fi la con-fctence fuivoit le petit doigt , lorf-
qu'il vient à être coupé , ce feroit le même foy qui hier
étoit intereffé pour tout le Corps , comme failant partie
de ce foy dont il ne peut s'empêcher de regarder les avions
qui furent faites hier, que comme des actions qui luy appar-
tiennent préfentement. Et cependant, fi le même Corps
continuoit de vivre & d'avoir, immédiatement après la
feparation du petit doigt , fa con-fcience particulière à la-
quelle le petit doigt n'eut aucune part , il n'auroit garde
d'y prendre aucun intérêt comme à une partie de luy-mê-
me ■, il ne pourroit avouer aucune de fes a£tions oc l'on ne
pourroit non plus luy en imputer aucune.
§. 19. Nous pouvons voir par là en quoy confifle 1'/-
dentite perfonnelle i Se que ce n'eft pas dans l'Identité de
fubftance , mais comme j'ai dit , dans l'Identité de row-
fcience -, de forte que fi Socrate Se le préfent Roy de Mogol
participent à cette dernière Identité , Socrate & le Roy
de Mogol font une même perfonne. Qiie fi le même So-
crate veillant Se dormant ne participe pas à une feule &
même con-fctence , Socrate veillant & dormant n'eft pas la
-même perfonne. Et il n'y auroit pas plus de juftice à pu-
nir Socrate veillant pour ce qu'auroit penfe Socrate dor-
mant, 6c dont Socrate veillant n'auroit jamais eu aucun
fentiment, qu'à punir un Jumeau pour ce qu'auroit fait
fon
ô" Tiiverjite. Liv. II. 4.15
fon frère & dont il n'auroit aucun fentiment ; parce que C h a p.
leur extérieur feroit fî femblable qu'on ne pourroit les XXVII.
diftinguer l'un de l'autre > car on a vu de tels Ju-
meaux.
§. 20. Mais voici une Obje£tion qu'on fera peut-être
encore fur cet article : Suppofe que je perde entièrement
le fouvenir de quelques parties de ma vie , fans qu'il foit
polîible de le rappeller , de forte que je n'en aurai peut-
être jamais plus aucune connoiilance ; ne fuis-je pourtant
pas la même perfonne qui a fait ces aftions , qui a eu ces
penfées, dont j'ai eu une fois en moy-même un fentiment
politif , quoy que je les aye oubliées prefentement ? Je
répons à cela , Qiie nous devons prendre garde à quoy ce
mot j E eft appliqué dans cette occafion. 11 eftvifibleque
dans ce cas il ne deligne autre chofe que l'homme. Et
comme on préfume que le même homme eft la même per-
fonne j on fuppofe aifément qu'ici le mot j e fignifie aulîi
la même perfonne. Mais s'il ell pollible à un même hom-
me d'avoir en différens temps une con-fcie7ice diftin£le &
incommunicable , il eft hors de doute que le même hom-
me doit conftituer différentes perfonnes en différens tempsi
6c il paroit par des Déclarations folemnelles que c'eft là
le fentiment du Genre Humain , car les Loix Humaines
ne punilfent ^^zsV homme fou ^o\\x\cs2.^ioTis qwcïzitV hom-
me de fens rajjis , ni l'homme de fens rafîls pour ce qu'a
fait l'homme fou -, par où elles en font deux perfonnes:
ce qu'on peut expliquer en quelque forte par une façon
de parler dont on fe fert communément en François , quand
on dit, nn Tel n^eji plus le même , ou , Il ejl hors de luy-
wm^.-expreffions qui donnent à entendre en quelque ma-
nière que ceux qui s'en fervent prefentement, ou du moins
qui s'en font fervis au commtnccment , ont crû que le
joy étoit changé, que ce foy , dis-je, qui conftituë la mê-
me perfonne , n'étoit plus dans cet homme.
§. 21. 11 eft pourtant bien difficile de concevoir que DifTerenceen-
Socrate , le même homme individuel , foit deux perfon- 'f^ i''<^e""te
T) -1 A - ,- 1 "^^ c hrmmt- & celle-
nés. rour nous aider un peu nous-mêmes a foudre cette deperjhmt.
dif-
41 6 Cî que c'eft qu'Identité ,
Cn A p. difficulté , nous devons confiderer ce qu'on peut enten-
XXVII. drc par Socrate , ou par le même homme individuel.
On ne peut entendre par là que ces trois chofes:
Premièrement, la même fubftance individuelle, im-
matérielle & penfante, en un mot, la même Ame en nom-
bre , fie rien autre chofe.
Ou, en fécond lieu , le même Animal fans aucun rap-
port à l'Ame immatérielle.
Ou , en troifiéme lieu , le même Efprit immatériel uni
au même Animal.
Qiron prenne telle de ces fuppofitions qu'on voudra,
il eft impollîble de faire conCiQicr V IJent it é perfonne lie dins
autre chcfe que dans la con-fcience, ou même de la port^
au delà.
Car par la première de ces fuppofitions on doit recon-
noître qu'il eil polîible qu'un homme né de différentes
femmes 6c en divers temps , foit le même homme. Fa-
çon de parler qu'on ne fauroit admettre fans avouer qu'il
eft poflîble qu'un même homme foit aulli bien deux di-
ftinftes perfonnes, que deux hommes qui ont vêcuendif-
férens fiecles fans avoir eu aucune connoiflance mutuelle
de leurs penfées.
Par la féconde & la troifiéme fuppofition, Socrate dans
cette vie , & après , ne peut être en aucune manière le
même homme qu'à la faveur de la même con-fcience ; &
ainfi en faifant confifter V Identité humaine dans la même
chofe à quoy nous attachons V Identité perfonnelle , il n'y
aura point d'inconvénient à reconnoître que le même hom-
me eft la même perfonne. Mais en ce cas-là , ceux qui
ne placent V Identité humaine que dans la cofi-Jaence , fie
non dans aucune autre chofe, s'engagent dans un fâcheux
défilé} car il leur relie à voir comment ils pourront faire
que Socrate Enfant foit le même homme que Socrate a-
près la refurre£tion. Mais quoy que ce foit qui , félon
certaines gens , conftituc l'homme èc par conféquent le
même homme individuel , fur quoy peut-être il y en a
peu qui foient d'un même avis -, il eft certain que nous
ne
^ Diverjlte. Liv. IL 4.17
ne faurions placer l'Identité perfonnelledans aucune autre C h a p.
chofe que dans la con-fcience , qui feule fait ce qu'on ap- XXV II.
pelle (oy-mêtne , fans s'embarrafler dans de grandes abfur-
ditez.
§. 22. Mais fi un homme qui eft yvre. Se qui enfuite
n'ell plus yvre , n'eft pas la même perfonne , pourquoy
le punit-on pour ce qu'il a fait étant yvre, quoy qu'il
n'en ait jamais plus aucun fenriment ? Je répons à cela
qu'il eft tout autant la même perfonne qu'un homme qui
pendant fon fommcil marche 6c fait plufieurs autres cho-
ieSi &c qui eft refponfable de tout le mal qu'il vient à
faire dans cet état. Les Loix humaines puni fient l'un &
l'autre par une juftice conforme à la manière dont les hom-
mes connoiflent les chofesj parce que dans ces fortes de
cas ils ne fauroient diftinguer certainement ce qui eft réel
& ce qui eft contrefait -, ainfi l'ignorance n'eft pas reçue
pour excufe de ce qu'on a fait étant yvre ou endormi.
Car quoy que la punition foit attachée à la perfonalite ,
& la perfonalité à la con-fcience , & qu'un homme yvre
n'ait peut-être aucune con-fcience de ce qu'il fait > il eft
pourtant puni devant les Tribunaux humains, parce que
le fait eft prouvé contre luy, 6c qu'on ne fauroit prouver
pour luy le défaut de con-fcience. Mais au grand 6c re-
doutable Jour du Jugement , où les fecrets de tous les
cœurs feront découverts, on a droit de croire que perfon-
ne n'aura à repondre pour ce qui luy eft entièrement in-
connu , mais que chacun recevra ce qui luy eft dû , étant
accufé ou excufé par fa propre Confcience.
§. 23. Il n'y a que la con-fcience qui puifl'e réunir dans La con-faena
une même perfonne des exijiences éloignées. L'Identité [^"'^ conftituë
de fubftance ne peut le faire. Car quelle que foit la fub- *" "''
ftance, de quelque manière qii'elle foit formée , il n'y a
point de perfonalité (ans con-fcience i Se un Cadavre peut
au 111 bien être une perfonne, qu'aucune forte de fubftan-
ce peut l'être fans con-fcience.
Si nous pouvions fuppofer deux Con-fcicnces diftin£lcs
8c incommunicables, qui agiroient dans le même Corps j
Ggg l'une
41 8 Ce que c'ejl qu'Identité ,
C H A p. l'une conftamment pendant le jour , Se l'autre durant la
XXVII. nuit, &: d'un autre côté la même cori-Jcience a^[(Çznt par
intervalle dans deux Corps différens ; je demande fi dans
le premier cas l'homme de jour Se l'homme de nuit , fi
j'oie m'exprimer de la forte, neferoient pas deux perfon-
nes aufll diftinftes que Socrate Se Platon , Se fi dans le
fécond cas ce ne feroit pas une feule Perfonne dans deux
Corps diftinfts , tout de même qu'un homme eft le mê-
me homme dans deux différens habits? Et il n'importe en
rien de dire, que cette même con-fcience qui affefte deux
différens Corps &• ces con-fciences diftinftes qui afïedent
le même Corps en divers temps, appartiennent l'une à la
même fubftance immatérielle , Se les deux autres à deux
diftinftes fubftances immatérielles qui introduifent ces di-
verfes con-fciences dans ces Corps-là. Car que cela foit
vray ou faux , le cas ne change en rien du tout ; puifqu'il
eft évident que V Identité perfonnelle feroit également dé-
terminée par la con-fcience , foit que cette con-fcience fut
attachée à quelque fubftance individuelle immatérielle , ou
non. Car après avoir accordé que la fubftance penfante
qui eft dans l'Homme, doit êtrefuppofée néceffairement
immatérielle , il eft évident qu'une chofe immatérielle
qui penfe , doit quelquefois perdre de veùë fa con-fcience
pafTée Se la rappellcr de nouveau, comme il paroit en ce
que les hommes oublient fouvent leurs aftions paflees , 6c
que plufieurs fois l'Efprit fe remet des chofes qu'il avoit
faites Se dont il avoit perdu le foiivenir depuis l'efpacede
vingt années. Suppofez que ces intervalles de mémoire &:
d'oubli reviennent par tour , le jour Se la nuit , dès-là
vous avez deux Personnes avec le même Efprit immaté-
riel , tout ainfi que dans l'Exemple que je viens de pro-
pofer , on voit deux Perfonnes dans un même Corps.
D'oii il s'enfuit que le foy n'eft pas déterminé par l'Iden-
tité ou la Diverfité de Subftance , dont on ne peut être
afTiiré, mais feulement par l'Identité de con-fcience.
§. 24. A la vérité, le foy peut concevoir que la fub-
ftance dont il eft préfentement compofé, a exifté aupa-
ravant
^ Dii'erjitc. Liv. II. 4,19
ravant} uni au même Etre qui fe fent le même. Mais Chap.
feparez-en la con-fcietîce, cette fubftance ne conftituc non XXVII.
plus le même foy , on n'en fait non plus une partie que
quelque autre fubftance que ce foit , comme il paroit par
l'exemple que nous avons déjà donné , d'un Membre re-
tranché du refte du Corps, dont la chaleur, la froideur,
ou les autres affedtions n'étant plus attachées au fentiment
intérieur que l'Homme a de ce qui le touche , ce Mem-
bre n'appartient pas plus au foy de l'Homme qu'aucune
autre matière de l'Univers. 11 en fera de même de tou-
te fubftance immatérielle qui eft deftituée de cette con-
fcience par laquelle je fuis moj-mème à moy-même; car
s'il y a quelque partie de fon exiftence dont je ne puifle
rappeller le fouvenir pour la joindre à cette con-Jcience
préfente par laquelle je fuis préfentement moy-même , elle
n'eft non plus moy-même par rapport à cette partie de
fon exiftence , que quelque autre Etre immatériel que ce
foit. Car qu'une fubftance ait penfé ou fait des chofes
que je ne puis rappeller en moy-même, ni en faire mes
propres penfées & mes propres aftions par ce que nous
nommons con-fcience , tout cela , dis-je, a beaa avoir été
fait ou penfé par une partie de moy , il ne m'appartient
pourtant pas plus , que fi un autre Etre immatériel qui
eût exiftéen tout autre endroit, l'eût fait ou penfé.
§. 25. Je tombe d'accord que l'opinion la plus proba-
ble, c'eft, que ce fentiment intérieur que nous avons de
nôtre exiftence èc de nos actions, eft attaché à une feule
fubftance individuelle &: immatérielle.
Mais que les Hommes décident ce point comme ils
voudront félon leurs difterentes hypothefes, chaque Etre
Intelligent fenfible au bonheur ou à lamifére, doit re-
connoître qu'il y a en luy quelque chofe qui eft luy-mê-
me y à quoy il s'interefTe &c dont il defire le bonheur ; que
ce foy a exifté dans une durée continué plus d'un inftant,
qu'ainfi il eft pollible qu'à l'avenir il exifte comme il a
déjà fait, des mois Se des années, fans qu'on puifle met-
tre des bornes précifes à fa durée , 6c qu'il foit le mê-
Ggg 2 me
42 o Ce que c'ejl qiî' Identité y
C H A p. me foy , à la faveur de la même con-fcience j continuée
XXVII. pour l'avenir. Et ainfi par le moyen de cette coti-fcience
, il fe trouve être le même foy qui fit , il y a quelques an-
nées, telle ou telle aftion , par laquelle il eft préfente-
ment heureux ou malheureux. Dans cette expofition de
ce qui conftituë \c foy , on n'a point d'égard à la même
fubftance numérique comme conftituant le même foy yvaivs
à la même con-fcicnce continuée , à laquelle différentes
fubftances peuvent avoir été unies , 6c en avoir été enfui-
te feparées, mais qui cependant ont fait partie de ce mê-
mejoy, tandis qu'elles ont p;rfifté dans une union vitale
avec le fujet oii refidoit alors cette con-fcience. Ainfi cha-
que partie de nôtre Corps qui eft vitalement unie à ce
qui agit en nous avec con-fcience , fait une partie de notis-
WJcmes ; mais dès qu'elle vient à être feparéc de cette union
vitale 5 par laquelle cette con-fcience luy eft communiquée,
ce qui etoit partie de nous-mêmes il n'y a qu'un moment,
ne l'eft non plus à préfent, qu'une portion de matière u-
nie vitalement au Corps d'un autre homme eft une partie
de mcy-mème-, &: il n'eft pas impolTible qu'elle puiflé de-
venir en peu de temps une partie réelle d'une autre per-
fonne. Voilà comment une même fubftance numérique
vient à faire partie de deux dillerentes Perfonnes , & com-
ment une même Pcrfonne eft confervée parmi le change-
ment de différentes fubftances. Si l'on pouvoit fuppolér
un Efprit entièrement privé de tout fouvenir & de toute
con-fcience de fes actions paftecs , comme nous éprouvons
que les nôtres le font à l'égard d'une grande partie, Se
quelquefois de toutes , l'union ou l'éloigncment d'une
telle fubftance fpirituelle ne feroit non plus de change-
ment à V Identité perfomielle que celle que fait quelque
particule de Matière que ce puifte être. Toute fubftan-
ce vitalement unie à ce préfent Etre pcnfant, eft une par-
tie de ce même/oy qui exifte préfcntement ; & toutefub-
ftance qui luy eft unie parla con-fcience des aftions paflees,
fait auilî partie de ce mèvac foy , qui eft le même alors 6v
préfentement.
§. 26.
ô- Diverjite. L i v. II. 421
§. 26. Je regarde le mot de Perfonne comme un nom C h a p.
qu'on a employé pour défigner ce qu'on entend par/£?y- XXVII.
même. Partout où un homme trouve ce qu'il appelle Le mot de ptr-
foy-même^ je croy qu'un autre peut dire que là refide laf^l'^g j^g""^
même Perfonne. Le mot de rerfonne ell un terme dereau.
Barreau, qui eft approprié aux aurions &: à leur déméri-
te, & qui par conléquent n'appartient qu'à des Agents
Intelligens , capables de Loy , & de bonheur ou de mi~
fére. Cette ^•fr/i'w.î//// s'étend au delà de l'exiftence pré-
fente, jufques à ce qui eft paiïe , par le feul moyen de
la con-fcience, par où elle prend intérêt à des actions paf-
fées, en devient refponfable, les reconnoit &:fe les impu-
te fur le même fondement &: pour la même raifon qu'elle
s'applique les adions préfentes. Et tout cela eft fondé
fur l'intérêt qu'on prend au bonheur qui eft inévitable-
ment attaché à la con-fcience ; car qui fe fent capable de
plaifir & de douleur, defire que ce foy qu'il fent en luy-
méme foit heureux. C'eftpourquoy il ne peut s'intcreftér
aux actions paflees qu'il ne peut adapter ou approprier
par la con-fcience à ce préfent (oy , non plus que s'il ne les
avoit jamais faites; de forte que s'il venoit à recevoir du
plaifir ou de la douleur, c'eft-à-dire, des recompenfesou
des peines en vertu d'aucune telle a£tion, ce feroit autant
que s'il devenoir heureux ou malheureux dès le premier
moment de fon exiftence fans l'avoir mérité en aucune
manière. Car fuppofons un homme puni préfentement
pour ce qu'il a fait dans une autre vie , &: dont on ne
puiffe luy faire avoir abfolument aucune con-fcience , quel-
le différence y a-t-il entre un tel traitement , &c celui qu'on
luy feroit en le créant miferablePEn confequence dequoy
S. Paul nous dit, qu'au Jour du Jugement où Dieu ren-
dra à chacun feîon jes œuvres , les Jecrets de tous les cœurs
feront mamfejiez. La fentence fera juftifiée par la convi-
ction même où feront tous les hommes, que dans queL
que Corps qu'ils paroiffent , ou à quelque fuhftance que
ce fentiment inférieur foit attaché , ils ont eux-mêmes
commis telles eu telles actions &: qu'ils méritent le châtir
Ggg 3 iiicnt
42 2 Ce que c'ejl qu'Identité t
C H A p. ment qui leur efl: inflige pour les avoir commifes.
XXVII. §. 27. Te n'ai pas de peine à croire que certaines fup-
pofitions que j'ai faites pour éclaircir cette matière , pa-
roîtront étranges à quelques-uns de mes Lefteurs -, &c peut-
être qu'elles le font eftedivement. Elles font pourtant
pardonnables , à mon avis , vu l'ignorance oîi nous fom-
mes à l'égard de la nature de cette Chofe penfante quieft
en nous ôc que nous regardons comme nous-mêmes. Si
nous favions ce que c'elt que cet Etre , comment il efl
uni à un certain aflémblage d'Efprits Animaux qui font
dans un flux continuel , ou s'il pourroit ou ne pourroit
pas penfer ôc fereflbuvenir hors d'un Corps organizé com-
me font les nôtres , ôc fi Dieu a jugé à propos d'établir
qu'un tel Efprit ne fut uni qu'à un tel Corps , en forte
que fa faculté de retenir ou de rappellerles Idées dépendit
de la Julie conHitution des organes de ce Corps j fi, dis-
je, nous étions une fois bien inftmits de toutes ces cho-
fes , nous pourrions voir l'abfurdité de quelques-unes des
fuppofitions que je viens de faire. Mais fi dans les ténè-
bres où nous fommes fur ce fujet , nous prenons l'Efprit
de l'homme , comme on a accoutumé de faire préfente-
ment , pour une fubilance immatérielle , indépendante
de la Matière , à l'égard de laquelle il efl: également in-
différent, il ne peut y avoir aucune abfurdité , fondée fur
la nature des chofes à fuppofer que le même Efprit peut
en divers temps être uni à différens Corps , ôc compofer
avec eux un feul homme durant un certain temps j tout
ainfi que nous fuppofons que ce qui étoit hier ime partie
du Corps d'une Brebis peut être demain une partie du
Corps d'un homme, Se faire dans cette union une partie
vitale de Mehbée aufli bien qu'il faifoit auparavant une
partie de fon Bélier.
§. 28. Enfin, toute fubft:ance qui commence à exifl:er,
doit néceflfaircment être la même durant fon exiflence i
de même, quelque compofition de fubflanccs qui vienne
à exifter, le compofé doit ctre. le même pendant que ces
fubftances font ainfi jointes enfemble , ôc tout Mode qui
corn-
é' Diverfite. Liv. II. 425
commence à exifter , eft auflî le même durant tout le Chap.
temps de fon exiftence. Enfin la même Régie a heu , fi X X V II
la compofition renferme des fubftances diftin£tes &: difFé-
rens Modes. D'où il paroît que la difficulté ou l'obfcu-
rité qu'il y a dans cette matière vient plutôt des Mots
mal appliquez , que de l'obfcurité des Chofes mêmes.
Car quelle que ibit la chofe qui conftituë une idée fpeci-
fique, defignée par un certain nom , fi cette Idée eft con-
ftamment attachée à ce nom , la diftindion de l'Identité
ou de la Divcrfité d'une chofe fera fort aifée à concevoir,
fans qu'il puifi^e naître aucun doute fur ce fujet.
§. 29. Suppofons par exemple qu'un Efprit raifonna-
ble conftituë Vidée d'un Homme , il eft aifé de favoir ce
que c'eft que le même Homme ; car il eft vifible qu'en ce
cas-là le même Efprit , feparé du Corps , ou dans le
Corps, fera le même homme. Qiie fi l'on fuppofe qu'un
Efprit raifonnable , vitalement uni à un Corps d'une cer-
taine configuration de parties, conftituë un homme,
l'homme fera le même , tandis que cet Efprit raifonnable
reftera uni à cette configuration vitale de parties , quoy
que continuée dans un Corps dont les particules fe fucce-
dent les unes aux autres dans un flux perpétuel. Mais fi
d'autres gens ne renferment dans leur idée de l'Homme
que l'union vitale de ces parties avec une certaine forme
extérieure, un Homme reftera le même aufli long-temps
que cette union vitale & cette forme refteront dans un com- *
pofé , qui n'eft le même qu'à la faveur d'une fuccefiîon
de particules , continuée dans un flux perpétuel. Car
quelle que foit la compofition dont une Idée complexe
eft formée , tant que l'exiftence la fait une chofe particu-
lière fous une certaine dénomination , la même exiftence
continuée fait qu'elle continue d'être le même individu
fous la même dénomination.
CHA-
^2^ T>es Relations Morales.
CHAPITRE XXVIII.
C H A p. ^^ quelques autres Relations , c^ fur tout , des
XXVIII. Relations Morales.
Reijiions pro- §. I . /'^ U T R E Ics occafîons de Comparer ou de rap-
poiuoniiciics. y^ porter les chofes l'une à l'aurre, dont je viens
de parler , êc qui font fondées fur le temps , le lieu Se la
caufalite, il y en a une infinité d'autres, comme j'ai déjà
dit , dont je vais propofer quelques-unes.
Je mets dans le premier rang toute Idée Jïmple qui
étant capable de parties &: de dégrez , fournit une occa-
fion de comparer les fujets où elle fe trouve , l'un avec
l'autre , par rapport à cette Idée fimple } par exemple,
■plus blanc , plus doux , plus gros , égal , davantage , ccc.
Ces Relations qui dépendent de l'égalité & de l'excès de
la même idée fimple , en difFérens fujets , peuvent être
appellées, fi l'on veut, proportionnelles. Orque ces for-
tes de Relations roulent uniquement fur les Idées fimples
que nous avons reçues par la Senfation ou par la Re-
fiexion , cela eft fi évident qu'il feroit inutile de le prou-
ver.
Relations natu- §. 2. En fecond lieu , une autre occafion de comparer
icU«. ^£5 chofes enfemble , ou de confidercr une chofc en forte
qu'on renferme quelque autre chofe dans cette confide-
ration , ce font les circonftances de leur origine ou de
leur commencement qui n'étant pas altérées dans la fuite,
fondent des relations qui durent auilî long-temps que les
fujets auxquels elles appartiennent, par exemple, Pe're
■U Enfant., Frères, -Confins-germains, &rc. dont les Re-
lations font établies fur la communauté d'un même fang
auquel ils participent en diifcrens dégrez , compatriotes ,
c'eîl-à-dire , ceux qui font nez dans un même Pais. Et
ces Relations je les nomme Naturelles. Nous pouvons
obferver à ce propos que les Hommes ont approprié leurs
no-
Des Relations Morales. Lrv. IL 42^'
notions & leur langage à l'ufage de la vie commune , & C h a p,
non pas à la vérité & à l'étendue des chofes. Car il eft XXVIII.
certain que dans le fonds la Relation entre celui qui pro-
duit Se celui qui eft produit , elt la même dans les diffé-
rentes races des autres Animaux que parmi les Hommes ;
cependant on ne s'avife guère de dire, ce Taureau eft le
grand-Pére d'un tel Veau, ou que deux Pigeons font cou-
fms-germains. II eft fort néceftaire que parmi les hommes
ces Kelations foient obfervées , & dcfignées par des noms
diftinfts, parce que dans les Loix & dans d'autres liaifons
qu'ils ont entr'eux , on a occallon de parler des Hommes
èc de les délîgner fous ces fortes de relations. Mais il n'en
eft pas de même des Bêtes. Comme les hommes n'ont que
peu ou point du tout de fujet de leur appliquer ces rela-
tions,ils n'ont pas jugé à propos de leur donner des noms
diftinds & particuliers. Cela peut fervir en paflantànous
donner quelque connoilTance du différent état S< progrès
des Langues qui ayant été uniquement formées pour la
commodité de communiquer enfemble , font proportion-
nées aux notions des hommes & au defir qu'ils ont de s'en-
tre-communiquer des penfées qui leur font familières;,
mais nullement à la realité ou à l'étendue des chofes , ni
aux divers rapports qu'on peut trouver entr'ellcs , non
plus qu'aux différentes confiderations abftraites dont elles
peuvent fournir le fujet. Oii ils n'ont point eu de notions
Philofophiques , ils n'ont point eu non plus de termes
pour les exprimer: &: l'on ne doit pas être furpris que les
hommes n'ayent point inventé de noms pour exprimer des
penfées , dont ils n'ont point occafion de s'entretenir.
D'oîi il eft aifé de voir pourquoy dans certains Païs les
hommes n'ont pas même un mot pour défigner un Che-
val , pendant qu'ailleurs moins curieux de leur propre gé-
néalogie que de celle de leurs Chevaux , ils ont non feu-
lement des noms pour chaque cheval en particulier, mais ■ •
aufli pour les differens dégrez de parentage qui fe trouvent
entre eux.
§. 3. En troifiéme lieu, le fondement fur lequel on'^^rF*^'"'^''"-
Hi I ■'• ftitiuion.
rilî con-
4,2 0 Des Relations Morales.
Ch AP. confidere quelquefois les chofcs, l'une par rapport àTait-
XXyiIL tre, c'eft un certain afte par lequel on vient à faire quel-
que chofe en vertu d'un droit moral , d'un certain pou-
voir, ou d'une particulière obligation. Ainli un G^w/ra/
cft celui qui a le pouvoir de commander une Armée ; êc
ime Armée qui eft fous le commandement d'un General ,
eft un amas d'hommes armez , obligez d'obéir à un feul
homme. Un Citoyen ou un Bourgeois eft celui qui a droit
à certains privilèges dans tel ou tel Lieu. Toutes ces for-
tes de Relations qui dépendent de la volonté des hommes
ou des accords qu'ils ont fait entr'eux,je les appelle i?tfj!?-
forts d'injlitiition ou volontaires -y^Von^cwt les diftinguer
des Relations naturelles en ce q ue la plûpart,pour ne pas dire
toutes , peuvent être altérées d'une manière ou d'autre 6c
feparées des perfonnes à qui elles ont appartenu quelque-
fois , fans que pourtant aucune des fubftances qui font le
fujet de la Relation vienne à être détruite. Mais quoy
qu'elles foient toutes réciproques auiîi bien que les autres
êc qu'elles renferment un rapport de deux chofes , l'une
à l'autre; cependant parce que fouvent l'une des deux n'a
point de nom relatif qui emporte cette mutuelle corref-
pondance, les hommes n'en prennent aucune connoiflan-
ce pour l'ordinaire , & ne penfent point à la Relation
qu'elles renferment effectivement. Par exemple, on re-
Gonnoit fans peine que les termes de Patron hz de Client
font relatifs; mais dès qu'on entend ccwy. à^ Di dateur
ou de Chancelier , on ne fe les figure pas fi prompte-
ment fous cette idée; parce qu'il n'y a poinc de nom par-
ticulier pour défigner ceux qui font fous le commande-
ment d'un Dictateur ou d'un Chancelier, Se qui exprime
un rapport à ces deux fortes de Magiftrats ; quoy qu'il
foit indubitable que Tun & l'autre ont certain pouvoir fur
quelques autres perfonnes par oii ils ont relation avec eux,
tout aufli bien qu'un Patron avec fon Client , ou un Gé-
néral avec fon Armée.
Relations Mo- §• 4. Il y a , en quatrième lieu , unc autrc forte de Rc-
•^"î lation, qui eft la convenance ou la difconvenance qui fe
trouve
Des Relations Morales. Liv. IL 427
trouve entre les Allions volontaires des hommes 5 & une C h a p.
Régie à quoy on les rapporte 6c par où l'on en juge j ceXXVlH'
qu'on peut appeller , à mon avis, Relation morale ; par-
ce que c'eft de là que nos actions morales tirent leur dé-
nomination: fujet qui- mérite bien ians doute d'être exa-
miné avec foin, puifqu'il n'y a aucune partie de nos coa-
rroiffances fur quoy nous deviens être plus foigneux de fer-
mer des idées déterminées , & d'éviter la confufion & l'obl-
curité , autant qu'il eft en nôtre pouvoir. Lcrfque les
Adtions humaines avec leurs difterens objets , leurs diver-
jfes fins, manières & circonftances viennent à former des
Idées diftinâres ^ complexes , ce font , comme j'ai déjà
montré , autant de Modes Mixtes dont la plus grande par-
tie ont leurs noms particuliers. Ainfi, fuppofant que la
Gratitude eft une difpofition à recomioître éc à rendre les
honnêtetez qu'on a reçues , que la Polygamie eft d'avoic
plus d'une femme à la fois -, lors que nous formons ainii
ces notions dans nôtre Efprit , nous y avons autant d'I-
dées déterminées de Modes Mixtes. Mais ce n'eft pas à
quoy fe terminent toutes nos actions ; il ne fuffit pas d'en
avoir des Idées déterminées , 6c de favoir quels noms ap-
partiennent à telles & à telles conibinaifons d'Idées qui
compofent une Idée complexe, défignée par un tel nom >
nous y avons un intérêt qui va plus loin ôc qui eft d'une
beaucoup plus grande importance , c'eft de favoir ii
ces fortes d'Aftions font moralement bonnes ou mauvai-
fes.
§. 5. Le Bien &c le M^/ n'eft , comme * nous avons Ce que c'eft qot
montré ailleurs, que le Plaifir ou la Douleur, ou bien ce l',"l ,^J',''f/ ^
qui eft l'occafion ou la caufe du Plaifir ou de la Douleur *c%. xx-. §.
que nous fentons. Par confequent le Bien 6c le Mal con- '■■ ^. '*'/'•
fideré moralement , n'eft autre chofe que la conformité
ou l'oppofition qui fe trouve entre nos actions volontaires
&c une certaine Loy : conformité &c oppofition qui nous
attire du Bien ou du Mal par la Volonté 6c la Puiflance
du Legiflateur j 6c ce Bien &c ce Mal qui n'eft autre cho-
fe que le plaifir on la douleur qui par la détermination du
Hhh 2 Le-
428 Des Relations Morales.
C H A p. Legiflateur accompagnent l'obfervation ou la violation
XXVIII. de la Loy^ c'eft: ce que nous appelions recompenfe ôc pu-
nition.
Règles Morales. §. é. H y a, cc me fcmble , trois fortes de telles Re.
gles, ou Loix Morales auxquelles les Hommes rappor-
tent généralement leurs Allions , &c par où ils jugent fi
elles font bonnes ou mauvaifesj &c ces trois fortes de Loix
font foûtenués par trois différentes efpéces de recompenfe
& de peine qui leur donnent de l'autorité. Car comme il,
feroit entièrement inutile de fuppofer une Loy impofée
aux Aftions libres de l'Homme fans être renforcée par
quelque Bien ou quelque Mal qui pût déterminer la Vo-
lonté , il faut pour cet effet que par tout où l'on fuppofe,
une Loy , l'on fuppofe auili quelque peine ou quelque
recompenfe attachée à cette Loy. Ce feroit en vain qu'un
Etre Intelligent prétendroit foûmettre les a£tions d'un au-
tre à une certaine régie, s'il n'eft pas en fon pouvoir de le
recompenfer lorfqu'il fe conforme à cette régie , &: de le
punir lorfqu'il s'en éloigne , & cela par quelque Bien ou
par quelque Mal qui ne foit pas la production Se la fuite
naturelle de l'action même ; car ce qui eft naturellement
commode ou incommode agiroit de luy-même fans le fe-
cours d'aucune Loy. Telle eft , û je ne me trompe ,
la nature de toute Loy , proprement ainfi nommée.
Combien de §. 7. Voici , cc me femblc j les trois fortes de Loix
fortes de Loix ? ^yjjqygjlgj jg^ Hommcs rapportent en général leurs A-
ftions , pour juger de leur droiture ou de leur obliquité :
I. la Loy Divine: 2. la Loy Civile: ^.la Loy d'opinion
ou de réputation, fi j'ofe l'appeller ainfi. Lorfque les
hommes rapportent leurs aftions à la première de ces
Loix , ils jugent par là fi ce font des Pèches ou des
Devoirs; en les rapportant à la féconde ils jugent fi elles
font criminelles ou innocentes y & à la troifieme, fi ce font
des vertus ou des vices.
LaLoy Divine §. g. Il y a, premièrement, la Loy Divine, par où
/L^o" l^votr. j'entens cette Loy que Dieu a prefcrite aux hommes pour
régler leurs aftions , foit qu'elle leur ait été notifiée par la
Lu-
Des Relations Morales. Lrv. IL 4,29
Lumière de la Nature , ou par voye de Révélation. Je C h a p.
ne penfe pas qu'il y ait d'homme afîez groflier pour nier XXVIiL
que Dieu ait donné une telle régie par laquelle les hom-
mes devroient fe conduire. Il a droit de le faire, puifque
nous fommes fes créatures. D'ailleurs , fa bonté & fa fa-
geflé le portent à diriger nos aftions vers ce qu'il y a de
meilleur > ôc il eft Puiffant pour nous y engager par des
recompenfes 6c des punitions d'un poids 6c d'une durée
infinie dans une autre vie ; car perfonne ne peut nous en-
lever de fes mains. C'eft la feule pierre-de-touche par oii
l'on peut juger de la Reâitude Morale , 6c c'eft en com-
parant leurs aftions à cette Loy , que les hommes jugent
du plus grand bien ou du plus grand mal moral qu'elles
renferment , c'eft-à-dire , fi en qualité de Devoirs ou de
■ Péchez elles peuvent leur procurer du bonheur ou du mal-
heur de la part du Tout-puiffant.
§. 9. En fécond lieu , la Loy Civile qui eft établie par La loy Civile
la Société pour diriger les aiStions de ceux qui en font par- ov^. &dd'-f«-
tie , eft une autre Régie à laquelle les hommes rapportent m^ertce.
leurs aftions pour juger fi elles font criminelles ou non.
Perfonne ne méprife cette Loy -, car les peines 8c les re-
compenfes qui luy donnent du poids font toujours prêtes,
&c proportionnées à la Puilfance d'où cette Loy émane ,
c'eft à dire , à la force même de la Société qui eft engagée
à défendre la vie , la liberté S<: les biens de ceux qui vi-
vent conformément à ces Loix, 6c qui a le pouvoir d'ô-
ter à ceux qui les violent , la vie , la liberté ou les
biens } ce qui eft le châtiment des offenfes commifes
contre cette Loy.
§. 10. Il y a, en troifiéme lieu , la hoy d'opinion ouLaLoyPhilofo-
àe réputation. On prétend Se on fuppofe pa'r tout le Mon- ^^^"^^ ^^ '^.^^
de que les mots de f^erin 6c de F'ice fignifient des a£tions & de la -.«;«,
bonnes 6c mauvaifes de leur nature ; 6c tant qu'ils font
réellement appliquez en ce fens , la l^ertu convient parfai-
tement avec la Loy Divine dont je viens de parler , 6c le
f^ice eft tout-à-fait la même chofe que ce qui eft contrai-
re à cette Loy. Mais quelles que foient les prétenfions
Hhh 3 des
^30 Ves Relations Morales.
C H A p. des hommes fur cet article, il efl; vifible que ces noms de
XXVIII- Fertu &: de Vtce , coniiderez dans les applications parti-
culières qu'on en fait parmi les diverfes Nations , &c les
différentes Sociétez d'hommes répandues fur la Terre , font
conftamment & uniquement attribuez à telles ou telles a-
£tions qui dans chaque Pais & dans chaque Société font
réputées honorables ou honteufes. Et il ne faut pas trou-
ver étrange que les hommes en ufent ainfi , je veux dire
que par tout le Monde ils donnent le nom de vertu aux
adions qui parmi eux font jugées dignes de louange , ôc
qu'ils appellent vice tout ce qui leur paroit digne de blâ-
me. Car autrement, ils fe condamneroient eux-mêmes ,
s'ils jugeoient qu'une chofe ell bonne &: jufte fans l'ac-
compagner d'aucune marque d'efî:ime,6c qu'une autre efl
mauvaife fans y attacher aucune idée de blâme. Ainfi , la
mefure de ce qu'on appelle vertu èc vice &c qui paffepour
tel dans tout le Monde , c'eft cette approbation ou ce mé-
pris, cette eftime ou ce blâme qui fe forme par un fecret
& tacite confentement parmi les différentes Sociétez , 5c
Aflemblecs d'hommes ; par oii difl'érentes Aftions font e-
flimées ou méprifées parmi eux , félon le jugement , les
maximes éc les coutumes de chaque Lieu. Car quoy que
les hommes reiinis en Sociétez politiques , ayent reflgné
entre les mains du Public la difpofition de toutes leurs
forces , en forte qu'ils ne peuvent pas les employer con-
tre aucun de leurs Concitoyens au delà de ce qui eft per-
mis par la Loy du Pais , ils retiennent pourtant toujours
la puiflance de penfer bien ou mal , d'approuver ou de
défapprcuver les aftions de ceux avec qui ils vivent 6c en-
tretiennent quelque liaifon -, &c c'eft par cette approbation
&■ ce defiveu qu'ils etabliffent parmi eux ce qu'ils veu-
lent appellcr Fertu &z Ficc.
§. II. Que ce foit là la mefure ordinaire de ce qu'on
nomme Vertu Se Vice, c'eft ce qui paroitra à quiconque
confiderera, que, quoy que ce qui palTe pour vice dans
un Pais foit regardé dans un autre comme une vertu, ou
du moins comme une aftion indifférente , cependant \x
vertu
Des Relations Morales. Liv. II. 4,31
vertu & la louange , le vice & le blâme vont par tout de C h à p.
compagnie. En tous lieux ce qui pafle pour vertu , eit XXVIIL
cela même qu'on juge digne de louange , Se l'on ne don-
ne ce nom à aucune autre chofe qu'à ce qui remporte l'e-
ftime publique. Qiie dis-je ? La vertu & la louange font
unies li étroitement enfemble , qu'on les défigne Ibuvent
par le même nom : * Sunt hic etiamfua frarma laudi, dit *>««"'•'• Lij.
f^ngile; & Ciceron, .Nihil habet natura pr^cjiautius <?«'«/» iieftlitkciK
honefiatem ■) qv.îim tandem, quhn âigmtatem , qv.am decnsJi"^'OtLa,is(\,\xi
Quxlt. Tufculanarum Lih. 1. cap. 20. à quov il ajoute ini-''"'"'^^f"^"'^''
mediatement après, -f (411 li ne prétend expruner par tous hanonduc a ia
CCS noms d' honnêteté , de lo/ïar/ge , de dignité , èz d'honneur, ^""^ ' '^ ?'^"^
qu'une feule Se même chofe. Tel étoit le langage des tumémef'*^""
Philofophes Payens qui favoient fort bien en quoy confi- t H'J^e ego pu-.-
floient les notions qu'ils avoient de la Vertu & du Vice. tnrJ'reTd"'
Et bien que le divers tempérament , l'éducation , les coû- culûm voh.
tûmes , les maximes , & les intérêts de différentes fortes
d'hommes fuffent peut-être caufe que ce qu'on eftimoit
dans un Lieu, étoit cenfuré dans un autre, & qu'ainfi les
vertus èz les vices changeaient en différentes Sociétez, ce-
pendant quant au principal , c'étoient pour la plupart les
mêmes par tout. Car comme rien n'eft plus naturel que
d'attacher l'efbime & la réputation à ce que chacun recon-
noit être avantageux à foy-même , &: de blâmer 6c de dé-
erediter le contraire î l'on ne doit pas être furpris que l'e-
flime Se le deshonneur , la vertu &: le vice fe trouvaffent
par tout conformes, pour l'ordinaire, à la Régie invaria-
ble du Jufte & de rinjuffe , qui a été établie par la Loy
de Dieu -, car rien dans ce Monde n'affùre & n'avance le
Bien général du Genre Humain d'une manière fi dire£te
6c fi vifible que l'obeiffaiice aux Loix que Dieu a impo-
fées à l'Homme , 6c rien au contraire n'y caufe tant de
maux 6c tant de défordre que la négligence de ces mêmes
Loix. C'eftpourquoy à moins que les hommes n'euffent
renoncé tout-à-fait à la Raifon , au fens commun , 6c à
leurs propres intérêts . auxquels ils s'attachent fi conftam-
mentjils nepouvoientpas en gênerai fe méprendre jufques
43 2 T>es Relations Morales.
C H A p. à ce point que de faire tomber leur eftime Se leur mépris
X XVII ï. fur ce qui ne le mérite pas réellement. Ceux-là même
dont la conduite étoit contraire à ces Loix , ne laiflbienC
pas de bien placer leur eftime , peu étant parvenus à ce
degré de corruption , de ne pas condamner , du moins
dans les autres , les fautes dont ils étoient eux-mêmes cou-
pables : ce qui fit que parmi la dépravation même des
mœurs , les véritables bornes de la Loy de Nature qui
doit être la Régie de la ï-^ertu & du Vice , furent afiez
bien confervées ; de forte que les Docteurs infpirez n'ont
pas même fait difficulté dans leurs exhortations d'en ap-
peller à la commune réputation : §)uc tentes les chofes qui
font aimables ■) dit S. Paul, que toutes les chofes qui font de
bonne renommée , s'il y a quelque vertu ^ quelque loûangcy
fenfez à ces chofes. Philip, ch. IV. y. 8.
Ce qui fait va- §• 12. Je nc fai 11 quelqu'un ira fe figurer que j'ai ou-
loir cette dcr- \^\[q \^ notion quc je vicus d'attacher au mot de Loy , lorf-
îâ"oûaii"e ^ic que je dis que la Loy par laquelle les hommes jugent de
blâme. ia Vertu &" du /7fé',n'eft autre chofe que le confentenient
de fimpies Particuliers , qui n'ont pas aflez d'autorité
pour faire une Loy, & fur tout, puifque ce qui eft fi né-
celfaire &z fi effentiel à une Loy leur manque, je veux di-
re la puiflance de la faire valoir. Mais je croy pouvoir
dire que quiconque s'miagine que l'approbation &c le blâ-
me ne font pas de puifians motifs pour engager les hom-
mes à fe conformer aux opinions &: aux maximes de ceux
avec qui ils converfcnt , ne paroît pas fort bien inftruit
de l'Hift'oire du Genre Humain , ni avoir pénétré fort a-
vant dans la nature des hommes , dont il trouvera que la
plus grande partie fe gouverne principalement , pour ne
pas dire uniquement, par la Loy de la Coutume > d'où
vient qu'ils ne penfent qu'à ce qui peut leurconferverl'e-
ftime de ceux qu'ils fréquentent , fans fe mettre beaucoup
en peine des Loix de Dieu ou de celles du Magiftrat.
Pour les peines qui font attachées à l'infraclion des Loix
de Dieu, quelques uns & peut-être la plupart y font ra-
rement de ferieufes rciiexions ; ik parmi ceux qui y penfent,
il
Des Relations Morales. Liv. IL 4:53
il y en a plufieurs qui fe figurent à mefure qu'ils violent C h a p.
cette Loy, qu'ils fe réconcilieront un jour avec celui qui en XXVHI.
eft l'Auteur -, &c à l'égard des chatimens qu'ils ont à craindre
de la part des Loix de l'Etat, ils fe flattent fou vent de l'ef-
perance de l'impunité. Mais il n'y a point d'homme qui
venant à faire quelque chofe de contraire à la coutume
& aux opinions de ceux qu'il fréquente, 6c à qui il veut
fe rendre recommandable, puifle éviter la peine de leur
cenfure & de leur dédain. De dix mille hommes il ne
s'en trouvera pas un feul qui ait afl"ez de force &: d'infen-
fibilité d'efprit , pour pouvoir fupporter le dédain & le
mépris continuel de fa propre Cotterie. Et celui qui
peut être fatisfait de vivre fans réputation &c dans une
perpétuelle difgrace parmi ceux-là même avec qui il eft
en focieté , doit avoir une difpofition d'efprit fort étran-
ge, &c bien différente de celle des autres hommes. Il y
a eii bien des gens qui ont cherché la folitude , &c qui s'y
font accoutumez , mais perfonne à qui il foit refté quel-
que fentiment de fa propre nature , ne peut vivre en fo-
cieté, conftamment dédaigné Se méprifé par £es Amis &c
par ceux avec qui il converfe. Un fardeau fi pefant eft
au deffus des forces humaines ; èc quiconque peut pren-
dre plaifir à la compagnie des hommes, &c fouffrir pour-
tant avec infenfibilité le mépris &c le dédain de fes com-
pagnons doit être un compofé bizarre de contradictions
tout-à-fait incompatibles.
§. 13. Voilà donc les trois Loix auxquelles les Hom- Trois Regiesdu
mes rapportent leurs adions en différentes manières, la^'^" ™°''*' ^
Loy de Dieu, la Loy des Sociétez Politiques, Scia Loy '^ ^ ™"'^''
de la Coutume ou la Cenfure des Particuliers. Et c'eft
par la conformité que les actions ont avec l'une de ces
Loix que les hommes fe règlent quand ils veulent juger
de leur rectitude morale , & les qualifier bonnes ou mau-
vaifes.
§. 14. Soit que la Régie à laquelle nous rapportons
nos aftions volontaires comme à une pierre-de-touchc par
oii nous puilîions les examiner , juger de leur bonté , &c
I i i leur
434 ^^^ Relations Morales.
C H A p. leur donner , en conféquence de cet examen , un certain
XXVIII. nom qui elt comme la marque du prix que nous leur af-
fignons , foit , dis-je , que cette régie foir prife de la
Coutume du Pais ou delà volonté d'un Legiflateur , l'Ef-
prit peut obferver aifément le rapport qu'une action a
avec cette Régie, Se juger fi l'aftion luy eft conforme ou
non. Et par là il a une notion du Bien ou du Mal moral
qui eft la conformité ou la non-conformité d'une a£tion
avec cette Régie , qui pour cet effet eft fouvent appellée
Re5iitude morale. Or comme cette Régie n'eft qu'une
collection de différentes Idées [impies , s'y conformer n'eft
autre chofe que difpofer l'aâtion de telle forte que les
Idées fimples qui la compofent , puiftent correfpondre à
celles que la Loy exige. Par où nous voyons comment
les Etres ou Notions morales fe terminent à ces Idées (im-
pies que nous recevons par Senfation ou par Reflexion , 6c
qui en font le dernier fondement. Confiderons par exem-
ple l'idée complexe que nous exprimons par le mot de
Meurtre. Si nous l'épluchons exactement Se que nous
examinions toutes les idées particulières qu'elle renfer-
me j nous trouverons qu'elles ne font autre chofc qu'un
amas d'Idées fimples qui viennent de la Reflexion ou de
la Senfation , car premièrement par la Reflexion que nous
faifons fur les opérations de nôtre Efprit nous avons les
Idées de vouloir, de délibérer, de réfoudre par avance, de
fouhaiter du mal à un autre , d'être mal intentionné con-
tre luy, comme aufli les idées de vie ou de perception &
de faculté de fe mouvoir. La Senfation en fécond heu
nous fournit un affemblagc de toutes les idées fimples &
fenfibles qu'on peut découvrir dans un homme, &c d'une
action particulière par où nous détruifons la perception
8c le mouvement d'un tel homme j toutes lefquelles idées
fimples font compnfes dans le mot de Meurtre. Selon
que je trouve que cette collc£tion d'Idées fimples s'accor-
de ou ne s'accorde pas avec l'eftime générale dans le Païs
où j'ai été élevé , êc qu'elle y eft jugée par la plupart
digne de louange ou de blâme, je la nomme une aftion
ver-
Des Relations Morales. Liv. II. 435
vertueufe ou vitieufe. Si je prens pour régie la Volonté C h a p.
d'un fuprême & invifible Legiflateur, comme je fuppofe XXVIII.
en ce cas-là que cette aftion eft commandée ou défendue
de Dieu j je l'appelle bonne ou mauvaife , un Péché ou
un Devoir i & fi j'en juge par rapport à la Loy Civile,
à la Régie établie par le pouvoir Legillatif du Pais , je
dis qu'elle eft permife ou non permife, qu'elle eft crimi-
nelle, ou non criminelle. De forte que d'où que nous
prenions la régie des Avions Morales , de quelque me-
fure que nous nous fervions pour nous former des Idées
des Vertus ou des Vices , les A£tions morales ne font com-
pofées que de collerions d'Idées fimples que nous rece-
vons originairement de la Senfation ou de la Réflexion ,
& leur reftitude ou obliquité confifte dans la convenan-
ce ou la dtfconvenance qu'elles ont avec des modelles
préfcrits par quelque Loy.
§. 15. Pour avoir des idées juftes des Adbions Morales , Cc qu'il y a de
nous devons les confiderer fous ces deux égards. Prémié- "^°"' ''^"' '«
, 11 r 1 K " „ 11 Attions eft un
rement , entant qu elles font chacune a part & en elle- rapport des
même compofées de telle ou telle collection d'Idées fim- Avions à ces
pies. Ainfi, VTvrognerie on le Menfonge renfermçnt tel *-^"'*'
ou tel amas d'Idées fimples que j'appelle Modes Mixtes;
& en ce fens ce font des Idées tout autant pofltives Se aù-
foluës que l'adbion d'un Cheval qui boit ou d'un Perro-
quet qui parle. En fécond lieu , nos aftions font conii-
derées comme bonnes , mauvaifes , ou indifférentes , oc à
cet égard elles font relatives -, car c'eft leur convenance
ou difconvenance avec quelque Régie , qui les rend régu-
lières ou irreguliéres , bonnes ou mauvaifes ; fc ce rap-
port s'étend aufîi loin que s'étend la comparaifon qu'on
fait de ces Aftions avec une certaine Régie , 6c que la
dénomination qui leur eft donnée en vertu de cette com-
paraifon. Ainfi l'aftionde défier 6c de combattre un hom-
me, confiderée comme un certain Mode pofitif, ou une
certaine efpéce d'a£tion diftinguée de toutes les autres par
des idées qui luy font particulières , s'appelle Duel -, la-
quelle aftion confiderée par rapport à la Loy de Dieu ,
lii 2 me-
4.36 T>es Relations Morales.
C H A p. mérite le nom de pe he, par rapport à la Loy de la Coû-
XXVIII- tume pafle en certains Pais pour une aftion de valeur 5c
de vertu ,6c par rapport aux Loix municipales de certains
Gouvernemens efl un crime'capital. Dans ce cas, lorf-
que le Mode pofitif a différens noms félon les divers rap-
ports qu'il a avec la Loy , la diftinction efl auffi facile à
obferver que dans les fubftances , où un feul nom, par
exemple celui d'homme, eCx employé pour fignilîer la cho-
fe même , Se un autre comme celui de Père pour exprimer
la Relation.
La dcnomina- §■ i6. Mais parcc quc fort fouvcnt l'idée pofitive d'u-
tioii des adions ne Aftiou &c ccUc de fa relation morale , font comprifes
îbu"vent°"^^ fous un feul nom , &: qu'un même terme eft employé pour
exprimer le Mode ou l'Aftion , &c fa rectitude ou fon
obliquité morale ; on réfléchit moins fur la Relation mê-
me, & fort fou vent on ne met aucune diftin£tion entre
l'idée pofitive de l'Adion 6c le rapport qu'elle a à une
certaine Régie. En confondant ainfi fous un même nom
ces deux confiderations diftincles , ceux qui fe laiffent
trop aifément préoccuper par l'impreilion des fons , cc qui
font accoutumez à prendre les mots pour des chofes , s'é-
garent fouvent dans les jugemens qu'ils font des Avions.
Par exemple, boire du vin ou quelque autre liqueur for-
te jufqu'à en perdre Tufage de la Raifon , c'efl ce qu'on
appelle proprement s'enyvrer -, mais comme ce mot figni-
lîe auili dans l'ufage ordinaite la turpitude morale qui ell
dans l'aftion par oppofition à la Loy , les hommes font
portez à condamner tout ce qu'ils entendent nommer
jvre(fe, comme une aftion mauvaife &: contraire à la Loy
"Moralîy. Cependant fi un homme vient à avoir le cerveau
troublé pour avoir bu une certaine quantité de vin qu'un
Médecin luy aura prefcrit pour le bien de fa fante, qnoy
qu'on puiffe donner proprement le nom d'yvrejje à cette
a£tion , à la confiderer comme le nom d'un tel Mode
Mixte, il efl viilble que coniideréc par rapport à la Loy
de Dieu Se dans le rapport qu'elle a avec cette fouveraine
Régie, ce n'ell point un péché ou une transgreilion de
la
Des Relations Morales. Liv. II. 457
la Loy 5 bien que le mot d'yvrejfe emporte ordinairement C h a p.
une telle idée. " XXVIII.
§. 17. En voilà aflez fur les actions humaines confide- l« Relations
rées dans la relation qu'elles ont à la Loy , oc que je nom- ^"1"; "'"'^'"'^''^
me pour cet effet des Relations morales.
Il faudroit un Volume pour parcourir toutes les efpc-
ces de Relations. On ne doit donc pas attendre que je
les étale ici toutes. Il fuffit pour mon préfent deilein de
montrer par celles qu'on vient de voir , quelles font les
Idées que nous avons de ce qu'on nomme Relattoti, ou
Rapport: confideration qui eft d'une fi vafte étendue, fi
diverfe , &c dont les occafions font en fi grand nombre
Ccar il y en a autant qu'il peut y avoir d'occafions de
comparer les chofes l'une à l'autre) qu'il n'eil pas fort
aifé de les réduire à des régies précifes , ou à certains chefs
particuliers. Celles dont j'ai fait mention , font, jecroy,
des plus confiderables Se peuvent fervir à faire voir d'où
c'eft que nous recevons nos idées des Relations , & fur
quoy elles font fondées. Mais avant que de quitter cet-
te matière, permettez-moy de déduire de ce que je viens
de dire, les obfervations fuivantes.
§. i8. La première eft , qu'il eft évident que toute Toutes les Re-
Relation fe ternune à ces Idées fimples que nous avons '*''°"' '*; \'^'^'
c r ^ ■ Tt n ■ 1 ,n . 1 rnincnt a des
reçu par ùenjation ou par Reflexion, que c en eft le der- id^'cs fimples.
nier fondement} de forte que ce que nous avons nous-
mêmes dans l'Efprit en penfant, (fi nous penfons eftedi-
vement à quelque chofe, ou qu'il y ait quelque fens à ce
que nous penfons) tout ce qui eft l'objet de nos propres
penfées ou que nous voulons faire entendre aux autres
lorfque nous nous fervons de mots, &qui renferme quel-
que relation , tout cela , dis-je , n'eft autre chofe que
certaines Idées fimples , ou un affemblage de quelques
Idées fimples, comparées l'une avec l'autre. Cela eft Ç\
vifible dans cette efpéce de Relations que j'ai nommé
proportionnelles i que rien ne peut l'être davantage. Car
lorsqu'un homme dit , Le Miel efl pins doux qtie la Cire ,
il eft évident que dans cette relation fes penfées fe termi-
ïii 3 nent
43 s ^^^ Re^^t^ons Morales.
C H A p. nent à l'idée fimple de douceur-. Se il en eft de même de
XXVIII- toute autre relation, quoy que peut-être quand nos pen-
fées font extrêmement compliquées , on faflc rarement
reflexion aux Idées Amples dont elles font compofées.
Par exemple, quand on met en avant le terme de Pe're,
premièrement on entend par là cette Efpéce particulière,
ou cette idée colledtive fignifiée par le mot homme ; fe-
condement, les idées fimples 6c îenfibles , fignifiées par
le terme de génération -, fie en troifiéme lieu , fes effets ,
&: toutes les idées fimples qu'emporte le mot d' Enfant.
Aind le mot d'Ami étant pris pour un homme qui aime
un autre homme ér ejl prêt à luy faire du bien , contient
toutes les Idées fuivantes qui le compofent ; première-
ment, toutes les idées fimples comprifes fous le mot Hom-
me j ou Etre Intelligent -, en fécond lieu , l'idée d'amour -,
en troifiéme lieu , l'idée de dijpofition à faire quelque cho-
fe j en quatrième lieu l'idée d'avion qui doit être quel-
que efpéce de penfée ou de mouvement , fie enfin l'idée
de Bien, qui fignifie tout ce qui peut luy procurer du
Donheur, Se qui à l'examiner de près , fe termine enfin à
des idées fimples Se particulières, dont chacune eft ren-
fermée fous le terme de Bien en général , qui s'il eft en-
tièrement feparè de toute idée fimple , ne fignifie rien du
tout. Voilà comment les termes de Morale fe terminent
enfin à une colle£bion d'Idées fimples , quoy que peut-
être de plus loin ; puifque la fignification immédiate des
termes Relatifs contient fort fouvent des relations qu'on
fuppofe connues, qui étant conduites comme à la trace
de l'une à l'autre ne manquent pas de fe terminer à des
Idées fimples.
Nous avons or- §. 19. La feconde chofe que j'ai à remarquer, c'eft
dinairement in q^jç ^^^^^ [ç^ Relations uous avons pour l'ordinaire, fi ce
ne notion aulli ^, „ . , . ... .t i • j
claire ou plus u cit poiut toujours , unc idcc aulii claire du rapport, que
claire delà Re- ^jej Idècs fimplcs fur lefquellcs il eft fondé, la convenan-
iron°fondemcm. ^^ OU la difcowvenance d'où dépend la Relation étant des
chofes dont nous avons communément des idées aufli
claires que de quelque autre que ce foit, parce qu'il ne
faut
"Des Relations Morales. Liv. IL 439
faut pour cela que diftinguer les idées fimples Tune de C h A p.
l'autre , ou leurs difFérens dégrez , fans quoy nous ne XXVIII.
pouvons abfolument point avoir de connoiflance diftin-
fte. Car 11 j'ai une idtfe claire de douceur i de lumière ou
ai étendue , j'ai aufll une idée claire d'autant, de plus, ou
de moins de chacune de ces chofes. Si je fai ce que c'eft
à l'égard d'un homme d'être né d'une femme , comme
de Sempronia ,je fai ce que c'eft à l'égard d'un autre hom-
me d'être né de la même Sempronia , 6c par là je puis avoir
une notion auflî claire de la fraternité que de la naijfaricc ,
ôc peut-être plus claire. Car fi je croyois que Sempronia
a pris Titus de delTous un Chou , comme * on a accoû-* Te ne fai a
tumé de dire aux petits Enfans, 6c que par là elle eft de-'"" '^ 'f"
n 5 r • Il ^ y • 11 A communément
venue fa Mere> ôc qu enluite elle a eu Lajus de la même en France de ce
manière, j'aurois une notion aufll claire de la relation de'°"/ ' p""^ ^^^
/cr ^ c /-• r j ■ 1 r • tistaire lacuno-
rere entre Ittus ôc Lajus , que li j avois tout le lavoir Hnf des Enfans
des fages-femmes } parce que tout le fondement de cette f"f<:« anide.
relation roule fur cette notion , que la même femme a p^^ ^^^ dans cet'-
également contribué à leur naiflance en qualité de Mère te veuë. Quoy
Cquov que je fufl!e dans l'ignorance ou dans l'erreur à l'é-T''-^". a"''*
gard de la manierej oc que la nailiance de ces deux En- jecroy.degran-
fans convient dans cette circonftance , en quoy que ce^ importance.
foit qu'elle confifte effe6tivement. Pour fonder la notion Angiois '^dun
de fratertiite qui eft ou n'eft pas entr'eux, il me fufllt de 'o"'' "" P<^'-"^'f-
les comparer fur l'origine qu'ils rirent d'une même per- n'ÙT'revicnt^a'u
fonne, fans que je connoifl^e les circonftances particulié- même compte.
res de cette origine. Mais quoy que les idées des Rela-
tions particulières puiflent être aufll claires &: aufll diftin-
ftes dans l'Efprit de ceux qui les confiderent dûement,
que les idées des Modes mixtes , 6c plus déterminées que
celles des Subftances -, cependant les noms de Relation
font fouvent aufll ambigus , 6c d'une figniflcation aufll
incertaine que ceux des Subftances ou des Modes mixtes,
6c beaucoup plus que ceux des Idées fimples. La raifan
de cela , c'eft que les termes relatifs étant des figncs d'u-
ne comparaifon qui fe fait uniquement par les penfees
des hommes, S>c eft une idée qui n'exifte que dans leur
Efprit 3
44^ -Dé-j Idées claires é^ ohfcures ,
C H A p. Efprit , les hommes appliquent fouvent ces termes à dif-
XXVIII. férentes comparaifons de chofes par rapport à leurs pro-
pres imaginations , qui ne correfpondent pas toujours
à l'imagination d'autres perfonnes qui fe fervent des mê-
mes noms.
La notion (5e la §. 20. Je remarque en troifiéme lieu, que dans les
Rchtion cil la Relations que je nomme morales , j'ai une véritable no-
meme, loit que . , ,^ ■*■ -^ i, riS-
la rcgic à la- tion du Rapport en comparant i aètion avec une certai-
t]iiciie une a- ne Régie , foit que la Régie foit vraye , ou fauflc. Car
par^'è foi: v°^c ^^ j^ mcfurc une chofe avec une Aune , je fai fi la chofe
ou fauffe. que je mefure eft plus longue ou plus courte que cette
aune prétendue , quoy que peut-être l'Aune dont je me
fers, ne foit pas exactement jufte , ce qui à la vérité eft
ime Qiieftion tout-à-fait différente. Car quoy que la
Régie foit fauffe &: que je me méprenne en la prenant
pour bonne , cela n'empêche pourtant pas , que la con-
venance ou la difconvenance qui fe remarque dans ce que
J€ compare à cette Régie, ne me faffe voir la relation.
A la vérité en me fervant d'une fauffe régie, je ferai en-
gagé par là à mal juger de la rectitude morale de l'adbionj
parce que je ne l'aurai pas examinée par ce qui eft la vé-
ritable Régie ; mais pourtant je ne me trompe point dans
le rapport que cette aftion a avec la Régie à laquelle je
la compare , ce qui fait la convenance ou la difconve-
nance.
CHAPITRE XXIX.
C H A p. Des Idées claires & obfcitres , dijli}t5ïes é"
XXIX. confiifes.
Il y a des Idées ^. I. A F R ES avoir montré l'origine de nos Idées &
SsTS"; ^ /> faitunereveûë de leurs différentes efpécesi
obfcutcs&coii- après avoir confideréla différence qu'il y a entre les Idées
faics. flmples 6c complexes , Se avoir obfervé comment les Com-
plexes fe reduifent à ces trois forces d'Idées , les Modes , les
Sub-
dijlmcîes o- confit fes. Liv. II. 441
Sïibftances êc les Relations : examen où doit entrer necef- C h a p.
fairement quiconque vent connoirre à fonds les progrès XXIX,
de fon Efprit dans fii manière de concevoir èz de connoï-
tre les chofes : on s'imaginera peut-être qu'ayant parcou- '
ru tous ces chefs, j'ai traité alfcz amplement des Idées. Il
faut pourtant que je prie mon Lecleur , de me permettre
de luy propofer encore un petit nombre de reflexions qu'il
me refte à faire fur ce fujet. La première eft, que certai-
nes Idées font claires & d'autres obfcures , quelques-unes
diJimSîes èc d'autres conftifes.
S. 2. Comme rien n'explique plus nettement la per- La clarté &
• j l'T^r • 1 ' - t -if ' ■■ l'obfcuritc des
ception de 1 bfpnt que les mots qui ont rapport a la V eue, ,jg'„ expliquée
nous comprendrons mieux ce qu'il faut entendre par la par comparai-
clarté & l'obfcurité dans nos Idées , û nous faifons refle- '°" * ''* ''^"''"
xion fur ce qu'on appelle clair 6c obfctir dans les Objets
de la Veûë. La Lumière étant ce qui nous découvre les
Objets vilibles , nous nommons obfcur ce qui n'eft pas
expofé à une lumière qui fuffife pour nous faire voir exa-
ftement la figure &: les couleurs qu'on y peut obferver ,
& qu'on y difcerneroit dans une plus grande lumière. De
même nos Idées fimples font claires lorfqu'elles font tel-
les, que les Objets mêmes d'oii l'on les reçoit , les pré-
fentent ou peuvent les préfenter avec toutes les circon-
flances requifes à une fenfation ou perception bien ordon-
née. Lorfque la Mémoire les conferve de cette manière ,
&: qu'elle peut les exciter ainfi dans l'Efprit toutes les fois
qu'il a occafion de les confiderer, ce font en ce cas-là des
Idées claires. Et autant qu'il leur manque de cette exa-
ftitude originale, ou qu'elles ont, pour ainil dire, perdu
de leur première fraîcheur , & qu'elles (ont comme ternies
êc flétries par le temps , autant font-elles obfcures. Qiiant
aux Idées complexes , comme elles font compofées d'idées
fimples, elles font claires quand les Idées qui en font par-
tie , font claires , 6c que le nombre ic l'ordre des Idées
iîmples qui compofent chaque idée complexe, ell certai-
nement fixé 6c déterminé dans l'Efprit.
§. 3. La caufe de l'obicuritè des Idées fimples , c'ell Qiciies font les
Kkk eu
443 î^c-f Idc'cs claires à- obfciires ,
C H A p. ou des organes groiliers , ou des imprelfions foibles Se tr^ii-
XXIX. fitoires faites par les Objets, ou bien la foibleffe delà Me-
""v ^^ '"'^'^ moire qui ne peut les retenir comme elle les a reçues. Car
(j^js_ pour revenir encore aux Objets viilbles qui peuvent nous
aider à comprendre cette matière-, fi les organes ou les fa-
cultez de la Perception , iemblablcs à de la Cire durcie
par le froid, ne reçoivent pas l'imprellion du Cachet, en
confequence de l'impulllon qui fe fait ordinairement pour
en tracer l'empreinte , ou û ces organes ne retiennent pas
bien l'empreinte du cachet , quoy qu'il foit bien appli-
qué , parce qu'ils reflemblent à de la Cire trop molle où
l'impreflion ne fe conlerve pas long-temps , ou enfin par-
ce que le feau n'eft pas appliqué avec toute la force né-
ceflaire pour faire une imprellion nette Se diftinfte, quoy
que d'ailleurs la Cire foit difpofée comme il faut pour re-
cevoir tout ce qu'on y voudra imprimer ; dans tous ces
cas l'imprellion du feau ne peut qu'être obfcurc. Je ne
croy pas qu'il foit néceflaire d'apphcation pour rendre ce-
la plus évident.
Ce qi!c c'cfc §. 4. Commc une Idée claire eft celle dont l'Efprit a
t,u-uiic idée di- ^^.jg pleine ^ évidente perception, telle qu'elle eft quand
fufè. il la reçoit d un Objet extérieur qui opère duementlurun
organe bien difpofé ; de même une idc'e dijiinûc eft celle
oîi l'Efprit apperçoit une différence qui la diftingue de
toute autre idée : &: wnc idée confufe eft celle qu'on ne peut
pas fuffifamment diftinguer d'avec une autre , de qui elle
doit être différente.
oi>jcaion. §. ^. Mais, dira-t-on, s'il n'y a d'Idée confufe que
celle qu'on ne peut pas fullifamment diftinguer d'avec une
autre de qui elle doit être différente, il fera bien difficile
de trouver aucune idée confufe ; car quoy que puiffe être
une certaine idée , elle ne peut être (\\\-z telle qu'elle eft
apperçué par l'Efprit ; £c cette même perception la di-
ftingue fuffifamment de toutes autres Idées qui ne peu-
vent être autres, c'eft à dire différentes, fins qu'on s'ap-
perçoive qu'elles le font. Par confequent , nulle idée ne
peut être dans l'incapacité d'être diRinguéc d'une autre
^ ' de
I
dijlitj^es é- confnfes. Liv. II. 44.3
de qui elle doit ctre différente, à moins que vous ne Chap.
la veuilliez fuppofcr différente d'elle-même ; car clic XXIX.
cft évidemment différente de foute autre.
§. 6. Pour lever cette difficulté & trouver le moyen de ^^ ^j"/"*^""
concevoir au jufte ce que c'eit qui fait la confufion qu'on poncj"- noms
attribue aux Idées, nous devons confidercr que les chofes q^'o" i*;"f 'ion-
rangées fous certains noms diftindts font fuppofées affez '"^"
différentes pour être dillinguées, en forte que chaque ef-
pece puiffe être défignée par fon nom particulier, Retrai-
tée à part dans quelque occafion que ce foit : &: il cft de
la dernière évidence qu'on fuppofe que la plus grande par-
tie des noms differens lignifient des chofcs différentes. Or
chaque Idée qu'un homme a dans l'Efprit , étant vifible-
ment ce qu'elle cft , 6z dillinfte de toute autre Idée que
d'elle-même , ce qui la rend confufe , c'eft lorfqu'elle
eft telle, qu'elle peut être auffi bien délîgnée par un au-
tre nom que par celui dont on s'ell fervi pour l'exprimer,
& cela parce qu'on a négligé de marquer la différence qui
conferve entre les chofes toute la diftinftion requife pour
qu'elles foient rangées fous deux differens noms &" qui fait
que l'un de ces noms convient plutôt à quelques-unes &
l'autre à quelques autres ; d'où il arrive que la diftin-
â:ion qu'on s'étoit propofé de conferver par le moyen
de ces divers noms cft entièrement perdue.
§. 7. Voici, à mon avis , les principaux défauts qui Dcf;iut<: nui
caufent ordinairement cette confufion: «iifcnt h con-
T '-nir 1 -1' 1 /■ tiidon des iikfs.
JLe premier eff , iorique quelque idée complexe, (car prcmicrdcfiur;
ce font les Idées complexes qui font leplusfujettesàtom- ï« id'^'" com-
ber dans la confufion) eft compofée d'un trop petit nonv fées dVrrop^cu
bre d'Idées fimples , &; de ces Idées feulement qui font d idées (impies.
communes à d'autres chofes , par oîi les différences qui
font que cette Idée mérite un nom particulier , font laif-
fees à l'écart. Ainfi , celui qui a une idée uniquement
compofée des Idées fimples d'une Bête tachetée, n'a qu'u-
ne idée confufe d'un Léopard, qui n'eft pas fuffifammcnt
diftingué par là d'un Lynx 6c de plufieurs autres Bêtes
qui ont la peau tachetée. De forte qu'une telle idée, bien
Kkk 2 que
44+ -^^■^ ^^-'^^^ claires ô- obfctms ,
C H A p. que défignée par le nom particulier de I^eopard, ne peut
XXIX. être diftinguée de celles qu'on dellgne par les noms de
Ly)ix ou de Panthère , èc ell^ peut aulli bien recevoir le
nom de Lynx que celui de Léopard. Je laifle voir à d'au-
tres combien la coutume de définir les mots par des ter-
mes généraux, contribue à rendre confufes 6c indétermi-
nées les idées qu'on veut exprimer par ces mots-là. Il ell
évident que les Idées confufes rendent l'ufage des mots
incertain , & détruifent l'avantage qu'on peut tirer des
noms diftincts. Et lorfque les Idées que nous défignons
par différens termes, n'ont point de différence qui ré-
ponde aux noms diftinfts qu'on leur donne , &: qu'ainlî
l'on ne peut les diftmguer par ces noms-là, elles font dans
ce cas véritablement confufes.
Second ik'faut: §. 8. Un autre Défaut qui rend nos Idées confufes ,
Lesidccs fim- ^'gfj. jqj.^ qu'cncore que les Idées particulières qui com-
pics OUI ror- ^ . ^ , ■*■ - -^
ment uncidce pofcnt quclquc idée complexe , foient en aflez grand nom-
compicxc, bre, elles font pourtant fi fort confondues enfenible qu'il
brouillées & , r, -r ^ ac r i''
confondues " ^^^ P^s aile de dilcerncr li cet amas appartient plutôt au
sufcaibk. nom qu'ou donne à cette idée qu'à quelque autre. Rien
n'eft plus propre à nous faire comprendre cette confufion
que certaines Peintures qu'on montre ordinairement com-
me ce que l'Art peut produire de plus furprenant, où les
couleurs de la manière qu'elles font appliquées parle pin-
ceau fur la Toile même , repréfentent des figures fort bi-
zarres &: fort extraordinaires , &: paroiflent pofées au ha-
zard 6c fans aucun ordre. Un tel Tableau compofé de
parties oii il ne paroit ni ordre ni fymmetrie , n'eft pas en
luy-même plus confus que le Portrait d'uu Ciel couvert
de nuages, que perfonnenes'avifede regarder comme con-
fus quoy qu'on n'y remarque pas plus de fymmetrie dans
les figures ou dans l'application des couleurs. Qii'eft-ce
donc qui fliit que le premier Tableau pafle pour confus ,
fi le manque de fymmetrie n'en eft pas la caufe , comme
il ne l'elt pas certainement ,puifqu'un autre Tableau , fait
fimplemcnt à l'imitation de celui-là , ne feroit point ap-
pelle confus ? A cela je répons , que ce qui le fair pafler
pour
dijlin^es lér confiifes. Liv. II. 445
pour confus , c'eft de luy appliquer un certain nom qui C H A f.
ne luy convient pas plus dillinftement que quelque au- XXIX.
tre. Ainfij quand on dit que c'eft le Portrait d'un Hom-
me ou de CéJ'nr , on le regarde dès-lors avec raifon com-
me quelque chofe de confus , parce que dans l'état qu'il
paroit, on ne fauroit connoitre que le nom d'homme ou
de CéJar luy convienne mieux que celui de Singe ou de
Pompée; deux noms qu'on fuppofe fignifîer des idées dif-
férentes de celles qu'emportent les mots d'homme ou de
Céfar. Mais lorfqu'un Àliroir Cylindrique placé comme
il fiiut par rapport à ce Tableau , a fait paroître ces traits
irreguliers dans leur ordre, & dans leur jufte proportion ,
la confiifion difparoît dès ce moment j & l'Oeuil apper-
çoit aulli-tôt que ce Portrait eftun homme ou G^^r , c'eft-
à-dire que ces noms-là luy conviennent 6c qu'il eft fuffi-
famment diftingué d'un Smge ou de Pompée y c'eft à dire,
des idées que ces deux noms fignifient. Il en eft jufte-
ment de même à l'égard de nos Idées qui font comme les
peintures des chofes. Aucune de ces peintures mentales,
fi j'ofe m'exprimer ainfi , ne peut être appellée confufe , de
quelque manière que leurs parties foient jointes enfem-
ble j car telles qu'elles font , elles peuvent être diftin-
guées évidemment de toute autre , jufqu'à ce qu'elles
foient rangées fous quelque nom ordmaire auquel on ne
fiuroit voir qu'elles appartiennent plutôt qu'à quelque
autre nom qu'on reconnçit avoir une lignification dif-
férente.
§. 9. Un troifiéme défaut qui fait fouvent regarder Tmificme cau-
nos Idées comme confufes , c'eft quand elles font incer- ^ '^^^ '^ "^""r^*^"
.tames & mdctermmees. Amiî l on peut voir tous les jours décs, elles font
des gens qui ne faifmt pas difficulté de fe fervir des mots '"rç/'amcs &
r ^ t r M j> • iiidetcrminces^
uiitez dans leur Langue maternelle, avant que d en avoir
appris la figniiication précife, changent l'idée qu'ils atta-
chent à tel ou tel mot , prefque auÛi fouvent qu'ils le
font entrer dans leurs difcours. Suivant cela , l'on peut
dire, par exemple, qu'un homme a une idée confufe di:,
VEgliJe &: de V Idolâtrie , lorfque par l'incertitude oii il
Kkk 5 eft
4,4,6 T>es Idées claires & obfcnres ,
C H A p. eft de ce qu'il doit exclurre de l'idée de ces deux mots , ou
XXIX. de ce qu'il doit y faire entrer toutes les fois qu'il penfe à
l'une ou à l'autre, il ne fe fixe point conftamment à une
certaine combinaifon précife d'Idées qui compofent cha-
cune de ces Idées ; & cela pour la même raifon qui vient
d'être propofée dans le Paragraphe précèdent, fàvoir,
parce qu'une Idée changeante (Il l'on veut la faire pafler
pour une feule idée) ne fauroit appartenir à un feul nom}
&c par là elle perd la diftinftion pour laquelle les nomsdi-
ftintSts ont été inventez.
iicftaifficicHc §. 10. On peut voir par tout ce que nous venons de
"'!rT"^ d ^ '"^ *^'^^ ' combien les Noms contribuent ù cette dénomina-
ks'idifcsiàiir tion d'iàecs dijiin^es èc confufes, fi l'on fuppofe que ce
aucun rapport font autant de fignes fixes des chofes^qui félon qu'ils font
aux uonis. Jifférens fignifient des chofes diftindes , &: confervent de
la dillinftion entre celles qui font efFeftivement différen-
tes , 6c cela par un rapport fecret 6c imperceptible que
l'Efprit met entre fes Idées &c ces noms-là. C'eft ce que
l'on comprendra peut-être mieux après avoir lu 6c exami-
né ce que je dis des Mots dans le Troifiéme Livre de cet
Ouvrage. Du refte , fi l'on ne réfléchit fur ce rapport
que les Idées ont à des noms diftinfts confiderez comme
des fignes de chofes diftinftes , il fera bien mal-aifé de dire
ce que c'efl: qu'une Idée confufe. C'ellpourquoy lorf-
qu'un homme défigne par un certain nom une efpéce de
chofes ou une certaine chofe particulière diftinfte de tou-
te autre, Tidée complexe qu'il attache à ce nom , ell: d'au-
tant plus diftinfte que les Idées font plus particulières , 6c
que le nombre 6c l'ordre des Idées dont elle eft compofee,
eft plus grand Sz plus déterminé. Car plus elle renferme
de ces Idées particulières, plus elle a de différences fenfi-
bles par où elle fe conferve diftinfte èc feparée de toutes
les idées qui appartiennent à d'autres noms , de celles-là
même qui luy font le plus femblables , 6c avec qui elles
ne font plus en danger d'être confondues.
Licoiifiifioiirc- §. II. La confnJioHy qui rend difficile la feparation de
srardctoCiiours ^Q^y^ cliofes QUI devtoient être feparèes, concerne toitjours
^^"""'- " deux
diflm^es ir confufcs. L i v. II. 44,7
deux Idées , & celles-là fur tout qui font le plus appro- C h a p.
chantes l'une de l'autre. C'eftpourquoy toutes les fois XXIX.
que nous foupçonnons que quelque Idée foit confufe ,
nous devons examiner quelle e(l l'autre idée qui peut être
confondue avec elle , ou dont elle ne peut être aifément
feparée, &: l'on trouvera toujours que cette autre Idée eft
defignée par un autre nom , &: doit être par conféquent
une chofe différente , dont elle n'eft pas encore aflez di-
ftinâ:e parce que c'eft ou la même, ou qu'elle en fait par-
tie, ou du moins qu'elle eft auHî proprement défignée par
le nom fous lequel cette autre eil: rangée , Se qu'ainfi elle
n'en eft pas tant différente que leurs divers noms le don-
nent à entendre.
§. 12. C'eft là , je penfe , la confufion qui convient
aux Idées, & qui a toujours un fecret rapport aux noms.
Qiie s'il y a quoique autre confufion d'Idées , celle-là du
moins jette le defordre plus qu'aucune autre dans les pen-
fees & dans les difcours des hommes ; car la plupart des
idées dont les hommes raifonnent en eux-mêmes , & cel-
les qui font le continuel fujet de leurs entretiens avec les
autres hommes, ce font celles à qui on a donné des noms.
C'eftpourquoy toutes les fois qu'on fuppofe deux Idées
différentes , défignées par deux difterens noms, mais qu'on
ne peut pas diftinguer 11 facilement que les fons mêmes
qu'on employé pour les déilgner ; dans de telles rencon-
tres il ne manque jamais d'y avoir de la confufion : &: au
contraire lorfque deux Idées font aullî diftinâ:es que les
Idées des deux fons par lefquels on les déngne,il ne peut
y avoir aucune confulion entre elles. Le moyen de pré-
venir cette confufion , c'eft d'affembler & de réunir dans
nôtre Idée complexe , d'une manière auffi précife qu'il
eft pofllble , tout ce qui peut fervir à la fliire diftinguer
de toute autre idée, &: d'appliquer conftamment le même
nom à cet amas d'idées, ainll unies en nombre fixe 6c dans
un ordre déterminé. Mais comme cela n'accommode ni
la pareffe ni la vanité des hommes , Se qu'il ne peut fer-
vir à autre chofe qu'à la découverte 6c à la défenfe de la
Ve-
44.8 Des Idées claires & ohfciires ,
C H A p. Vérité, qui n'eft pas toujours le but qu'ils fe propofcnt ,
XXIX. une telle exallitude eft une de ces chofes qu'on doit plu-
tôt fouhaitcr qu'elperer. Car comme l'application vague
des noms à des idées indéterminées , variables Se qui l'ont
prefquc de purs néants , fert d'un côté à couvrir nôtre
propre ignorance , & de l'autre à confondre &: embarraf-
lér les autres, ce qui pafle pour véritable favoir & pour
marque de fupériorité en fait de connoifîance , il ne faut
pas s'étonner que la plupart des hommes faflent un tel
ufage des mots , pendant qu'ils le blâment en autruy.
Mais quoy que je croye qu'une bonne partie de l'obf-
curité qui fe rencontre dans les notions des hommes ,
pourroit être évitée il l'on s'attachoit à parler d'une ma-
nière plus exafte & plus fincére ; je fuis pourtant fort é-
loigne de conclurre que tous les abus qu'on commet fur
cet article foient volontaires. Certaines Idées font fi com-
plexes, Se compofées tie tant de parties, que la Mémoire
ne fauroit aifément retenir au jufte la même combinaifon
d'Idées fimples fous le même nom; moins encore fomnies-
nous capables de deviner conllammcnt quelle elt précifé-
ment l'Idée complexe qu'un tel nom {îgnilîe dans l'ufage
qu'en fait une autre perfonne. La première de ces choies
met de la confufion dans nos propres fentimensScdansles
raifonnemens que nous faifons en nous-mêmes. Se la der-
nière dans nos difcours èc dans nos entretiens avec les au-
tres hommes. Mais comme j'ai traite plus au long , dans
le Livre fuivant , des Mots éc de l'abus qu'on en fait , je
n'en dirai pas davantage dans cet endroit.
•Kosidéescom- §. 13. Comme nos Idccs complcxes conuftent en au-
plexes peuvent ^^ combinaifous de diverfes Idées fimples , elles peu-
etrc claires du 11 ^ i-n- r» t. ' - n r
cotc,& confu- vent être fort claires ^^ fort diltinctes d un cote , Se fort
fesderautrc. obfcures Sc fort confulés de l'autre. Par exemple, lî un
homme parle d'une figure de mille cotez, l'idée de cette
figure peut être fort obfcurc dans Ion Efprit , quoy que
celle du Nombre y foit fort diftinfte > de forte que pou-
vant difcourir èz faire des dcmonftrations fur cette partie
de fon Idée complexe qui roule fur le nombre de mille , il
eft
I
àifiin^es éf confufes. L i v. IL 449
eft porté à croire qu'il a auflî une idée diftinâre d'une Fi- C h a p.
gure de mille cotez j quoy qu'il foit certain qu'il n'en a XXIX.
point d'idée précife, de forte qu'il puilTe diftinguer cette
Figure d'avec une autre qui n'a que neuf cens nouante
neuf cotez. 11 s'eft introduit d'alîez grandes erreurs dans
les penfées des hommes , fie beaucoup de confufion dans
leurs difcours , faute d'avoir obfervé cela.
§. 14. Qiie fi quelqu'un s'imagine avoir une idée di- H peut arriver
ftindre d'une Figure de mille cotez > qu'il en fafîé l'e- S^^dt S°"
preuve en prenant une autre partie de la même matière raifomiement
uniforme, comme d'or ou de cire , qui foit d'une é^ale f°"^"'^ ^^S
/r 0 'I £• /r Ci c ° prendre garde
grolleur, ce qu il en ralle une hgure de neuf cens nonan-a «la.
te neuf cotez. Il eft hors de doute qu'il pourra diftin-
guer ces deux idées l'une de l'autre par le nombre des co-
tez. Se raifonner diftinftement fur leurs difl^érentes pro-
prietez, tandis qu'il fixera uniquement fes penfées bc fes
raifonnemens fur ce qu'il y a dans ces Idées qui regarde
le nombre, comme que les cotez de l'une peuvent être
divifez en deux nombres égaux , &: non ceux de l'autre,
é^c. Mais s'il veut venir à diftinguer ces idées par leur
figure , il fe trouvera d'abord hors de route , Se dans
l'impuiflance , à mon avis , de former deux idées qui
foient diftinftes l'une de l'autre, par la fimple figure que
ces deux pièces d'or préfentent à fon Efprit , comme il
feroit, fi les mêmes pièces d'or étoient formées l'une en
Cube &■ l'autre dans une figure de cinq cotez. Du refte,
nous fommes fort fujcts à nous tromper nous-mêmes , &:
à nous engager dans de vaines difputes avec les autres au
fujet de ces idées incomplètes , 6c fur tout lorfqu'elles
ont des noms particuliers 6c généralement connus. Car
étant convaincus en nous-mêmes de ce que nous voyons
de clair- dans une partie de l'Idée > 6c le nom de cette
idée, qui nous eft familier, étant appliqué à toute l'idée,
à la partie imparfaite S>c obfcure auill bien qu'à celle qui
eft claire 6c diftinfte, nous fommes portez à nous fervir
de ce nom pour exprimer cette partie confufe , 6c à en
tirer des conclufions par rapport à ce qu'il ne fignifie
LU que
450 Des Idées claires ér obfciiresj
C H A p. que d'une manière obfcure , avec autant de confiance
XXIX. que nous le faifons à l'égard de ce qu'il fignifie clai-
rement.
Exemple de ce- §• i5- Ainfi , commc nous avons fouvcnt dans la bou-
la dans l'Eter- ^he le mot d' Eternité , nous fommes portez à croire, que
""^' nous en avons une idée politive &: complète j ce qui eft
autant que fi nous difions , qu'il n'y a aucune partie de
■'" ' ■ ■ " cette durée qui ne foit clairement contenue dans nôtre
" ., idée. Il eft vray que celui qui fe figure une telle cliofe,
peut avoir vme idée claire de la Durée. Il peut avoir j
outre cela, une idée fort évidente d'une très-grande éten-
due de durée , comme auflî de la comparaifon de cette
grande étendue avec une autre encore plus grande. Mais
comme il ne luy eft pas poflible de renfermer tout à la
fois dans fon idée de la Durée, quelque vafte qu'elle foit,
toute l'étendue d'une durée qu'il fuppofe fans bornes ,
cette partie de fon idée qui eft toujours au delà de cette
vafte étendue de durée, 6c qu'il fe repréfente en luy-mê-
me dans fon Efprit, eft fort obfcure 8c fort indéterminée.
De là vient que dans les difputes 6c les raifonnemens qui
regardent l'Eternité , ou quelque autre Infini , nous fom-
mes fujets à nous embrouiller nous-mêmes dans de mani-
feftes abfurditez.
Autre Exem- §. i^. Dans la Matière Hous n'avons gucrc d'idée clai-
pie, dans la di- ^^ ^^ |^ petitcffe de fes parties au delà de la plus petite
vifibilitc de la . ■ J. r , ^ , , c o ' A.
Matière. qui puilïe frapper quelqu un de nos bens ; 6c c elt pour
cela que lorfque nous parlons de la Divifibilité de la Ma-
tiére à Vmfim , quoy que nous ayions des idées claires de
divijïon 6c de divtfïbilité ^ aufli bien que de parties déta-
chées d'un Tout par voye de divifion , nous n'avons pour-
tant que des idées fort obfcures 6c fort confufes des cor-
pufcules qui peuvent être ainfi divifez , après que par
des diviilons précédentes ils, ont été une fois réduits à
une petiteflè qui va beaucoup au delà de la perception
de nos Sens. Ainfi, tout ce dont nous avons des idées
claires èz diftindes , c'eft de ce qu'eft la divifion en gé-
néral ou par abftraction , ^ le rapport de Tout &: de Par-
tic*
àijlin^es c^' confufes. L i v. II. 45' ï
tie. Mais pour ce qui eft de la grofleur du Corps en- C h a p-.
tant qu'il peut être ainfi divifé à l'infini après certaines XXIX-
progrelîlons 5 c'eft dequoy je penfe que nous n'avons
point d'idée claire &diftinâ:e. Car je demande fi un hom-
me prend le plus petit Atome de poufllere qu'il ait jamais
vu , aura-t-il quelque idée diftin£te Q'excepte toujours le
nombre, qui ne concerne point l'Etendue} entre la 100,
000"= & la I, 000, 000™= particule de cet Atome ? Et
s'il croit pouvoir fuùtdifer fes idées jufqu'à ce point, fans
perdre ces deux particules de veûéj qu'il ajoute dix chif-
fres à chacun de ces nombres. La fiippofition d'un tel
degré de pctitefle ne doit pas paroîfrederaifonnable,puif-
que par une telle divifion , cet Atome ne fe trouve pas
plus près de la fin d'une Divifion infinie que par une di-
vifion en deux parties. Pour moy, j'avoue ingénument
que je n'ai aucune idée claire 6c diftin£te de la différente
grofleur ou étendue de ces petits Corps , puifque je n'en
ai même qu'une fort obfcure de chacun d'eux pris à part
ôc confideré en luy-même. Ainfi, je croy que, lorfque
nous parlons de la Divifion des Corps à l'infini , l'idée
que nous avons de leur grofleur diftin£te, qui eft le fiijet
& le fondement de la divifion , fe confond après une pe-
tite progreflion &c fe perd prefque entièrement dans une
profonde obfcurité. Car une telle idée qui n'eftdeftinée
qu'à nous repréfenter la grofleur , doit être bien obfcure
êc bien confufe , puifque nous ne faurions la diftinguer
d'avec l'idée d'un Corps dix fois aufii grand , que par le
moyen du nombre ; en forte que tout ce que nous pou-
vons dire , c'eft que nous avons des idées claires £c diftin-
£tes d'Un &c de Dix , mais nullement de deux pareilles
Etendues. Il s'enfuit clairement de là, que lorfque nous
parlons-de l'infinie divifibilité du Corps ou de l'Etendue,
nos idées claires & diftinftes ne tombent que fur les nom-
bres, mais que les idées claires Se diftin£tes d'Etendue fe
perdent entièrement après quelques dégrez de divifion ,
ôc que nous n'avons aucune idée diftinfte de ces fortes de
petites parcelles ; de forte que ces Idées fe terminent com-
Lll 2 me
45 2 Des Idées claires ér obfcures ,
Chap. me toutes celles que nous pouvons avoir de l'Infini , à
XXIX. l'idée du Nombre fufcepriblc de continuelles additionsj
mais par là elles n'arrivent jamais à une idée diftinfte de
parties aftuellement infinies. Nous avons , ileltvrai,
une claire idée de la Divifion aulfi fouvent que nous y
voulons penfer, mais par là nous n'avons non plus d'idée
claire de parties infinies dans la Matière , que nous en a-
vons d'un Nombre infini dès-là que nous pouvons ajou-
ter de nouveaux nombres à tout nombre donné qui eft
préfent à nôtre Efprit , car la dhifibilite a l'mfim ne nous
donne pas plutôt une idée claire &: diftinfte départies
actuellement infinies, que cette addîbilitc fûtis fn, fi j'o-
fe m'exprimer ainfi,nousdonneune idée claire 6cdift:in£te
d'un nombre aftuellement infini ; puifque l'une &: l'autre
n'eft autre chofe qu'une capacité de recevoir fans cefle une
augmentation de nombre , que le nombre foitdéja fi grand
qu'on voudra. De forte que pour ce qui relie à ajouter (en
quoy confifte l'infinité} nous n'en avons qu'une idée obf-
cure j imparfiiite &: confufe , fur laquelle nous ne fau-
rions non plus raifonner avec aucune certitude ou clarté
que nous pouvons raifonner en Arithmétique fur un nom-
bre dont nous n'avons pas une idée aullî diftincte que de
quatre ou de cent , mais feulement une idée obfcurc &
purement relative qui eft que ce nombre comparé à quel-
que autre que ce foit , eft toujours plus grand ; car lorf-
que nous difons ou que nous concevons qu'il eft plus
grand que 400, 000, coo, nous n'en avons pas une idée
plus claire éc plus pofitiveque fi nous difions qu'il eft plus
grand que 40, ou que 4: parce que 400,000, ooo n'a pas
une plus prochaine proportion avec la fin de l'Addition ou
du Nombre, que 4. Car celui qui ajoûtefculemcnt 4 à4,
fie avance de cette manière , arrivera aufll-tôt à la fin de
toute Addition que celui qui ajoute 400,000,000 à 400,
000, 000. Il en eft de même à l'égard de V Eternité: ce-
lui qui a une idée de 4 ans feulement, a une idée de l'E-
ternité auili pofitive fie aufii complète, que celui qui en
a une de 400,000,000 d'années > car ce qui refte de l'E-
ter-
dijîin^es ^ confîifes. Liv. II. 455
ternité au delà de l'un Se de l'autre de ces deux nombres C h a p.
d'Années, eft audî clair à l'égard de l'une de ces perfon- XXIX.
nés qu'à l'égard de l'autre , c'efl à dire que nul d'eux
n'en a abfolument aucune idée claire & pofitive. En
effet, celui qui ajoute feulement 4 à 4, ôc continue
ainfi , parviendra aulli-tôt à l'Eternité , que celui qui
ajoute 400, 000, 000 d'années ôc ainfi de fuite, ou
qui , s'il le trouve à propos , double le produit aufli
fouvent qu'il luy plairra : l'Abyme qui relie à rem-
plir , étant toujours autant au delà de la fin de toutes
CCS progreflions qu'il furpafle la longueur d'un jour ou
d'une heure. Car rien de ce qui eft fini , n'a aucune
proportion avec l'Infini , £c par conféquent elle ne fe
trouve point cette proportion dans nos Idées qui font
toutes finies. Ainfi, lorfque nous augmentons nôtre I-
dée de l'Etendue par voye d'addition 6c que nous vou-
lons comprendre par nos penfées un Efpace infini , il
nous arrive la même chofe que, lorfque nous diminuons
cette idée par le moyen de la divifion. Après avoir dou-
blé peu de fois les idées d'étendue les plus vaftes que
nous ayions accoutumé d'avoir , nous perdons de veûe
l'idée claire 6c diftinfte de cet Efpace , ce n'eft plus
qu'une grande étendue que nous concevons confufément
avec un refte d'étendue encore plus grand fur lequel tou-
tes les fois que nous voudrons raifonner , nous nous trou-
verons toujours déforientez 6c tout à fait hors de route ,,
J.es idées confufes ne manquant jamais d'embrouiller les
raifonnemens S<. les conclufions que nous voulons déduire
du côté confus de ces Idées.
LU ? CHA-
45+ î^^^ -^^^'^^ réelles, ir chimériques.
CHAPITRE XXX.
C j^ ^ p Des Idées réelles , éf chimériques.
XXX
Les rdccs rcci- §. I. T L rcftc encore quelques réflexions à faire fur les
ics foiitconfor- 1 Jdées , par rapport aux chofcs d'où elles font
mes a leurs Ar- ^ , -, ■ , '■ r r in ' r
cheiypes. dcduites , OU qu On pcut luppoler quelles reprelentent,
& à cet égard je croy qu'on les peut confiderer fous cette
triple diftinftion :
Premièrement, comme Réelles ou Chimériques:
En fécond lieu, comme Complètes ou Incomplètes:
Et en troifiéme lieu , comme Vraies ou Fauffcs.
Et premièrement : par Idées réelles j'entens celles qui
ont du fondement dans la Nature > qui font conformes à
un Etre réel, à l'exiftence des Cliofes, ou à leurs Arche-
types. Et j'appelle Idées pbatitajliques ou chimériques
celles qui n'ont point de fondement dans la Nature , ni
aucune conformité avec la réalité des chofes auxquelles
elles fi rapportent tacitement comme à leurs Archéty-
pes.
Les Idées fini- §. 2. Si nous examinons les différentes fortes d'Idées
pies font toutes jQfjj. ^ous avons parlé cy-devant , nous trouverons en
premier lieu , ^le nos Idées [impies font toutes réelles c^
conviennent toutes avec la réalité des chofes. Ce n'eft pas
qu'elles foient toutes des Images ou repréfentations de
* c%. viiLce quiexiftc} nous avons déjà * fait voir le contraire à
p.i^.ij5. §. 9' l'égard de toutes ces Idées, excepté les premières Ghiali-
10-, -éj'iiv. ^y ^ -KM ■ in/r o 1 '^ •
jiifqu'à la fin tez des Corps. Mais quoy que la Blancheur Sz la Irot-
du Chapitre, ^gf/y j^q foient nou plus dans la neige que la Douleur; ce-
pendant comme ces Idées de blancheur, de froideur, de
douleur, c^c. font en nous des effets d'une Puiiîance at-
tachée aux chofes extérieures , établie par l'Auteur de
nôtre Etre pour nous faire avoir telles & telles fenfitions,
ce font en nous des Idées réelles par oii nous diftinguons
les Qiialitez qui font réellement dans les chofes mêmes.
Car
Des Idées réelles , & chimériques. Liv. II. 455
Car ces diverfes apparences étant deftinées à être les mar- C h a p.
ques par où nous puiflîons connoître oc diftinguer les XXX.
chofes dont nous avons à faire , nos Idées nous fervent
également pour cette fin, 6c font des cara£téres également
propres à nous faire diftinguer les chofes , foit que ce ne
îbient que des effets conftans ou bien des images exa£tes
de quelque chofe qui exifte dans les chofes mêmes j la
réalité de ces Idées confiftant dans cette continuelle &
variable correfpondance qu'elles ont avec les conftitu-
tions diftin-Sbes des Etres réels. Mais il n'importe qu'el-
les répondent à ces conftitutions comme à des caufes ou
à des modèles) il fuffit qu'elles foient conftamment pro-
duites par ces conftitutions. Et ainfi nos Idées fimples
font toutes réelles ôc véritables , parce qu'elles répondent
toutes à ces Puiflances que les chofes ont de les produire
dans nôtre Efpritj car c'eft là tout ce qu'il faut pour fai-
re qu'elles foient réelles , 6c non de vaines fiftions forgées
à plaifir. Car dans les Idées fimples, l'Efprit eft unique-
ment borné aux opérations que les chofes font fur luy ,
comme nous l'avons déjà montré , 6c il ne peut fe pro-
duire à foy-même aucune idée fimple au delà de celles
qu'il a reçues.
§. 3. Mais quoy que l'Efprit foit purement paflîf à Les idées com-
l'é^ard de (ts Idées fimples, nous pouvons dire , à mon P'"" '"'" '^^
y , , ij rL VU' j 1 r T 1 ' I combinailons
avis, qu il ne 1 eft pas a 1 égard de les Idées complexes, volontaires.
Car comme ces dernières font des combinaifons d'Idées
fimples, jointes enfemble S>c unies fous un feul nom gé-
néral, il eft évident que l'Efprit de l'homme prend quel-
que liberté en formant ces Idées complexes. Autrement
d'oii vient que l'idée qu'un homme a de l'or ou de la Ju-
ftice eft difterente de celle qu'un autre fe fait de ces deux
chofes, fi ce n'eft de ce que l'un admet ou n'admet pas
dans fon Idée complexe des Idées fimples que l'autre n'a
pas admis ou qu'il a admis dans la fienne ? La Queftion
eft donc de favoir , quelles de ces combinaifons font réelles
ôc quelles purement imaginaires ; quelles colleitions font
conformes à la réalité des chofes , 6c quelles n'y font pas
conformes? §.4.
45^ T^^s Idées réelles , ér chimériques.
C HAP. §. 4. A cela je dis , en fécond lieu , Que les Modes'
XXX. mixtes Se les Relations n'ayant d'autre réalité que celle
Les Modes qu'ils ont dans l'Efprit des hommes , tout ce qui eft re-
mixtts co:npo- '■ ■ ,- . "^ ^ jit j r -m , n
fez d Idées qui 1"-"S pour tairc que ces lortes d idées loient réelles , c eft
peuvent com- la poilibilité d'exiftcr Se dé compatir enfemble. Comme
Foma'ch™ '^' CCS idées font elles-mêmcs des Arclict y pcs , elles ne fau-
roient différer de leurs originaux , & par confequent être
chimériques ; à moins qu'on ne leur afVocie des Idées in-
compatibles. A la vérité , comme ces Idées ont des noms
iiiitez dans les Langues vulgaires , qu'on leur a alîlgnez
&: par lefquels celui qui a ces idées dans l'Efprit , peut
les faire connoître à d'autres perfonncs, une fimple polfi-
bilité d'exifter ne fuflit pas , il faut d'ailleurs qu'elles
ayent de la conformité avec la fignification ordinaire du
nom qui leur eft donné, de peur qu'on ne les croye chi-
mériques , comme on feroit , par exemple , fi un homme
donnoit le nom de Jnjiice à cette vertu qu'on appelle
communément Libéralité; mais ce qu'on appelleroit chi-
mérique en cette rencontre, fe rapporte plutôt à la pro-
priété du Langage qu'à la réalité des Idées. Car être
tranquille dans le danger pour confidérer de fang froid ce
qu'il eft à propos de fliire , &: pour l'exécuter avec fer-
meté, c'eft un Mode mixte ou une idée complexe d'une
Aftion qui peut exifter. Mais de fe troubler dans le pé-
ril fans faire aucun ufage de fa raifon , de fes forces ou de
fon induftrie , c'eft aulfi une chofe fort poflible, &: par
confequent une idée aulll réelle que la précédente. Ce-
pendant la première étant une fois défignée par le nom
de Courage qu'on luy donne communément , peut être
une idée jufte ou faufle par rapport à ce nom-là j au lieu
que fi l'autre n'a point de nom commun 6c ullté dans
quelque Langue connue, elle ne peut être , durant tout
ce temps-là, fufceptible d'aucune difformité , puifqu'el-
le n'eft formée par rapport à aucune autre chofe qu'à elle-
même.
Lesidifcs des §. 5. III. Pour nos Idées complexes des fubftances,
t2dJcs""'ior'r- comme elles font coûtes formées par rapport aux chofes
qui
"Des làéis complètes éf incomplètes. L i v. II. 45 7
qui font hors de nous , 6c pour reprefenter les fubftances C h A p.
telles qu'elles exiftent réellement , elles ne font réelles XXX.
qu'entant que ce font des combinaifons d'Idées fimples, q"'fil« co"-
reellement unies &; coexiftantes dans les chofes qui exi- [^Tiftencrdcs
Itent hors de nous. Au contraire , celles-là font chimen- chofes.
ques qui font compofées de telles colle£tions d'Idées fim-
ples qui n'ont jamais été réellement unies , qu'on n'a ja-
mais trouvé enfemble dans aucune fubftance , par exem-
ple une Créature raifonnable avec une tête de cheval, join-
te à un corps de forme humaine, ou telle qu'on reprefen-
te les Centaures , ou bien , un corps jaune , fort malléa-
ble , fufible 6c fixe , mais plus léger que l'Eau j ou un
Corps uniforme, nonorganizé, toutcompofé, à en ju-
ger par les Sens, de parties fimilaires , qui ait de la per-
ception 6c une motion volontaire. Mais quoy qu'il en
foit , ces Idées de fubftances n'étant conformes à aucun
Patron aftuellement exiftant qui nous foit connu, 6c étant
compofées de tels amas d'Idées qu'aucune fubftance ne
nous a jamais fait voir jointes enfemble; elles doivent paf-
fer dans nôtre Efprit pour des Idées purement imaginai-
res } mais ce nom convient fur tout à ces Idées comple-
xes qui font compofées de parties incompatibles ou con-
tradiftoires.
CHAPITRE XXXI.
Des Idées complètes (^ incomplètes. C h a p.
XT TJ ' '11 XXXl.
§. I. T2 Ntre nos Idées réelles quelques-unes font l« idées com,
jOj * complètes &c quelques autres -f mcompletes. r'«" reprciin-
j'appelle Idées complètes celles qui repréfentent parfai- n,cm^kii''rrAt-
tement les Originaux d'où l'Efpnt fuppofe qu'elles font cheiypcs.
tirées , qu'il prétend qu'elles repréfentent , 6c auxquels
il les rapporte. Les Idées incomplètes font celles qui ne
M m m re-
* En Latin attu'qrtat.e, ■^ Iit.id.ejiMt.e,
4-5 8 Des Idées complètes ér incomplètes.
C H A p. repréfentent qu'une parrie des Originaux auxquels elles fc
XXXI. rapportent.
Toutes its idc'cs g_ 2. Cela pofé , il e(l évident en premier lieu, ^«e
comyetesT îoutes tios Idées /Impies font complètes. Parce que n'étant
autre chofe que des effets de certaines Puiflances que Dieu
a mifes dans les Chofes pour produire telles Se telles fen-
fations en nous, elles ne peuvent qu'être conformes ëccor-
refpondre entièrement à ces PuilTances ; &: nous fommes
afsûrez qu'elles s'accordent avec la réalité des chofes. Car
fi le fucre produit en nous les idées que nous appelions
blancheur &c douceur , nous fommes afsûrez qu'il y a dans
le fucre une puiifance de produire ces Idées dans nôtre Ef-
prit , ou qu'autrement le fucre n'auroit pu les produire.
Ainfi chaque fenfation répondant à la puiflance qui opère
fur quelqu'un de nos Sens , l'idée produite par ce moyen
efl: une Idée réelle , 6c non une fiction de nôtre Efprit ,
car il ne fauroit fe produire à luy-méme aucune idée fim-
ple, comme nous l'avons déjà prouve : ôc cette Idée ne
peur qu'être complète , puifqu'il iufiît pour cela qu'elle
réponde à cette Puiflance > d'où il s'enluit que tontes les
Idées Jîmples fotit complètes. A la vérité , parmi les cho-
fes qui produifent en nous ces Idées fimples , il y en a peu
que nous défignions par des noms qui nous les faflent re-
garder comme de fimples caufes de ces Idées ; nous les
confiderons au contraire comme des fujets où ces Idées
font inhérentes comme autant d'Etres réels. Car quoy
» Qui caiifo //f que nous difions que le Feu eft * douloureux lorfqu'on le
ladanieur ^ fouche , par où nous défignons la puiflance qu'il a de pro-
Mis. de Vacj- duirc en nous une idée de douleur j on l'appelle auflic/?,^//^
«lermcFraiçoiic ^ lummcux , commc fi la chaleur , 6c la lumière éroient
mot^dl'n'sXur ^^"s le fcu des chofes réelles , différentes de la puiflance
Didioniiaire, & d'excitct CCS idccs en nous j d'où vient qu'on les nomme
ff je'rcm!"' ^^s Qiialitcz du Feu ou qui exirtent dans le Fcu. Mais
ployé en cet commc cc ne font elfeftivcment que des Puifl'anccs de pro-
eudioic. duire en nous telles Se telles Idées , on doit fe fouvenir
que c'etl ainfi que je Tcntens lorfquc je parle des fécondes
Çlualites^i comme fi elles exiftoicnt dans les chofes j ou
de
Des Idées complètes é" incomplètes. Lrv. II. 4,59
de leurs Idées, comme fi elles étoient dans les Objets qui C h a p,
les excitent en nous. Ces façons de parler quoy qu'ac- XXXL
commodées aux notions vulgaires , fans lefquelles on ne
fauroit fe faire entendre , ne fignifient pourtant rien dans
le fonds que cette puiffance qui eft dans les chofes , d'ex-
citer certaines fenfations ou idées en nous. Car s'il n'y a-
voit point d'organes propres à recevoir les imprclîions du
Feu fur la Veûé &: fur l'Attouchement, èc qu'il n'y eut
point d'Ame unie à ces organes pour recevoir des idées
de Lumière &: de Chaleur par le moyen des impreffions
du Feu ou du Soleil , il n'y auroit non plus de lumière
ou de chaleur dans le Monde , que de douleur s'il n'y a-
voit aucune créature capable de la fcntir, quoy que le So-
leil fut précifément le même qu'il cil à préfent &c que le
mont Gibel vomit des flammes plus haut &: avec plus d'im-
petuofité qu'il n'a jamais fait. Pour hfoUdtte\ Vétenducy
lafgure, le mouvement &c le repos , toutes chofes dont
nous avons des idées , elles exiftcroient réellement dans
le Monde telles qu'elles font , foit qu'il y eût quelque ê-
tre capable de fentiment pour les appercevoir ou qu'il n'y
en eût aucun} c'eftpourquoy nous avons raifon de les re-
garder comme des modifications réelles de la Matière, &
comme les caufes de toutes les diverfes fenfations que nous
recevons des Corps. Mais fans m'engager plus avant
dans cette recherche qu'il n'eft pas à propos de pourfui-
vre dans cet endroit , je A'ais continuer de faire voir
quelles Idées complexes font, ou ne font pas complè-
tes.
§. 3. En fécond lieu , comme nos Idées complexes dessous IcsMoJcs
Modes font des aflcmblages volontaires d'Idées fimples'"'"*^"'"^''"*
que l'Efprit joint enfemble , fans avoir égard à certains
Archétypes ou Modèles réels & actuellement exiftans , el-
les font complètes , & ne peuvent être autrement. Parce
que n'étant pas regardées comme des copies de chofes réel-
lement exiftantes , mais comme des Archétypes que l'Ef-
prit forme pour s'en fervir à ranger les choies fous certai-
nes dénominations, rien ne (auroit kurmanquer ,puifqiie
M m m 2 cha-
460 Des Idées complètes à- incomplètes.
Chap. chacune renferme telle combinaifon d'Idées que l'Efprit
XXXI. a voulu former &: par conféqucnt telle perfection qu'il a
eu deffein de luy donner; de forte qu'il en elt fatisfait Se
n'y peut trouver rien à dire. Ainfi , lorfque j'ai l'idée
d'une figure de trois cotez qui forment trois angles , j'ai
une idée complète, où je ne vois rien qui manque pour
la rendre parfaite. Que l'Efprit, dis-je, foit content de
la perfedion d'une telle idée , c'eft ce qui paroit évidem-
ment en ce qu'il ne conçoit pas que l'Entendement de
qui que ce foit ait ou puilfe avoir une idée plus complè-
te ou plus parfaite de la Chofe qu'il défigne par le mot
de Triangle fuppofe qu'elle exille; que celle qu'il trouve
dans cette idée complexe de trois cotez &de trois angles,
dans laquelle eft contenu tout ce qui eft ou peut être ef-
fentiel à cette idée, ou qui peut être néceflaire à la ren-
dre complète , dans quelque lieu ou de quelque manière
qu'elle exille. Mais il en ell autrement de nos Idées des Sub-
ftances. Car comme par ces Idées nous nous propofons
de copier les chofcs telles qu'elles exiftent réellement, ôc
de nous repréfenter à nous-mêmes cette conftitution, d'où
dépendent toutes leurs Propriétez , nous appercevons que
nos Idées n'atteignent point la perfection que nous avons
en veùë; nous trouvons qu'il leur manque toujours quel-
que chofe que nous ferions bien aifes d'y voir> 6c par con-
féquent elles font toutes incomplètes. Mais les Modes
mixtes Se les Rapports étant des Archétypes fins aucun mo-
delle, ils n'ont à repréfenter autre chofe qu'eux-mêmes,
&" ainfi ils ne peuvent être que complets ^ car chaque cho-
fe ell complète à l'égard d'elle-même. Celui qui aflem-
bla le premier l'idée d'un Danger qu'on apperçoit, l'exem-
ption du trouble que produit la peur , une confideration
tranquille de ce qu'il feroit raifonnable de faire dans une
telle rencontre , &■ une applicaticni aftuelle à l'exécuter
fans fe défaire ou s'épouvanter par le péril ou l'on s'enga-
ge, celui-là, dis-je, qui réunit le premier toutes ces cho-
fes, avoit fins doute dans fon Efprit une idée complexe,
compofée de cette combinaifon d'idcc? > 5c comme il ne
vou-
Des Idées complètes é' incomplètes. Liv. II. 461
vouloit pas que ce fut autre chofe que ce qu'elle efl , ni C H A p.
qu'elle contuit d'autres idées fimples que celles qu'elle XXXI.
contient, ce ne pouvoit être qu'une idée complète > de
forte que la confervant dans fa mémoire en luy donnant
le nom de Courage pour la dellgner aux autres & pour s'en
fervir à dénoter toute aiStion qu'il verroit être conforme à
cette idée , il avoit par là une Règle par oii il pouvoit
mefurer &: défigner les actions qui s'y rapportoient. Une
iàé& ainll formée, &" établie pour fervir de modelle, doit .
néceflairement être complète , puifqu'elle ne fe rapporte
à aucune autre chofe qu'à elle-même, &: qu'elle n'a point
d'autre origine que le bonplailir de celui qui forma le pre-
mier cette combinaifon particulière.
§. 4. A la vérité, fi après cela un autre vient à appren- LesModcspeu-
dre de luy dans la converfation le mot de cour âge, i\ peut compietr, par
former une idée qu'il déligne aufll par ce nom de courage) rapor: àdc^
qui foit différente de ce que le premier Auteur marque par ""^^^^'^'^""''^"'^
ce terme-là & qu'il a dans l'Efprit lorfqu'il l'employé. Et
dans ce cas s'il prétend que cette idée qu'il a dans l'Efprit,
foit conforme à celle de cette autre perfonne , ainfi que
le nom dont il fe fert dans le difcours,ell: conforme, quant
au fon, à celui qu'employé la perfonne dont il l'a appris,
en ce cas-là, dis-je, fon idée peut être très-fauffe & très-
incomplete. Parce qu'alors prenant l'idée d'un autre hom-
me pour le patron de l'idée qu'il a luy-même dans l'Ef-
prit, tout ainfi que le mot ou le fon employé par un autre
luy fert de modelle en parlant , fon idée eft autant defc-
tînenfc 8c incomplète, qu'elle eft éloignée de l'Archétype
&: du modelle auquel il la rapporte & qu'il prétend ex-
primer & faire connoitre par le nom qu'il employé pour
cela-, l< qu'il voudroit faire paflcr pour un figne de l'idée
de cette autre perfonne (à laquelle idée ce nom a été ori-
ginairement attache) & de fa propre idée qu'il prétend luy
être conforme. Mais 11 dans le fonds fon idée ne s'accor-
de pas exactement avec celle-là , elle eft dès-là défeftueu-
fe & incomplète.
§. 5 . Lors donc que nous rapportons dans nôtre Efprit
M m m 3 ces
46 2 Des Idées complètes ér incomplètes.
C H A p. ces idées complexes des Modes à des Idées de quelque aii-
XXXI. tre Etre Intelligent , exprimées par les noms que nous leur
appliquons, prétendant qu'elles y repondent exadement,
elles peuvent être en ce cas-là très-défe^tueufes , fauflésSc
incomplètes j parce qu'elles ne s'accordent pas avec ce
que l'Efpnt fe propofe pour leur Archétype ou modelle.
Et c'cll à cet égard feulement qu'une idée de Modes peut
être faufle, imparfaite ou incomplète. Sur ce pié-là nos
Idées des Modes mixtes font plus fujettes qu'aucune au-
tre à être faufles ôc defe£tueufes ; mais cela a plus de
rapport à la propriété du Langage qu'à lajufteiTedescon-
noi fiances.
LesWccsdes §. 6. J'ai déjà montré * quelles Idées nous avons des
yubftanccsen- f^i bilan CCS , il me reite à remarquer , en troifiéme lieu ,
tant quelles le ' 111-/- t
rapportent à des que CCS Idccs out un doublc rapport ciaus 1 Efprit. i.Quel-
tiicnccs rcciics, q^,£fQJ5 g^gg {"^ rapportent à une eflence, fuppofée réelle,
Complètes. de chaquc Efpece de chofcs. 2. Et quelquefois elles font
•chapxxiii. uniquement regardées comme des peintures & des repré-
F»S- 350- fentations des chofes qui cxillent , peintures qui fe for-
ment dans l'Efprit par les idées des Qiialitez qu'on peut
découvrir dans ces chofes -là. Et dans ces deux cas ,
les copies de ces originaux font imparfaites Se incom-
plètes.
Je dis en premier lieu , que les hommes font accoutu-
mez à regarder les noms des fubftances comme des chofes
qu'ils fuppofent avoir certaines eflences réelles qui les font
être de telle ou de telle efpéce : & comme ce qui eft (i-
gnifié par les noms,n'efl: autre chofe que les idées qui font
dans l'Efprit des hommes , il faut par conféquent qu'ils
rapportent leurs idées à ces eflences réelles comme à leurs
Archétypes. (3r que les hommes Se fur tout ceux qui ont
été imbus de la doctrine qu'on enfeigne dans nos Ecoles,
fuppofent certaines ElTences fpécifiques des fubftances,
auxquelles les Individus le rapportent Se participent, cha-
cun dans fon Efpéce ditférente , c'cft ce qu'il eft 11 peu
néccflaire de prouver , qu'il paroitra étrange que quel-
qu'un parmi nous veuille s'éloigner de cette méthode.
Ainfi ,
Des Idées complètes à' incomplètes. Liv. II. 463
Ainfi, l'on applique ordinairement les noms fpécifîques Chap,
fous lefquels on range les fubftances particulières , aux XXXI.
chofes entant que didinguées en Efpéces par ces fortes
d'eflences qu'on fuppofe exifter réellement Et en effet
on auroit de la peine à trouver un homme qui ne fut cho-
qué de voir qu'on doutât qu'il fe donne le nom d'hom-
me fur quelque autre fondement que fur ce qu'il a l'efîen-
cc réelle d'un Homme. Cependant fi vous demandez ,
quelles font ces Eflences réelles , vous verrez clairement
que les hommes font dans une entière ignorance à cet é-
gard, & qu'ils ne fivent abfolument point ce que c'eft.
D'oii il s'enfuit que les Idées qu'ils ont dans l'Efprit , é-
tant rapportées à des effences réelles comme à des Arche-
types qui leur font inconnus , doivent être fi éloignées
d'être complètes , qu'on ne peut pas même fuppofer qu'el-
les foient en aucune manière des repréfentations de ces
Effences. Les Idées complexes que nous avons des fub-
ftances, font, comme j'ai déjà montré , certaines colle-
ftions d'Idées fimples qu'on a obfervé ou fuppoié exifter
conftamment enfemble. Mais une telle idée complexe ne
fauroit être l'efTence réelle d'aucune fubUancCi car fi cela
étoit , les proprietez que nous découvrons dans tel ou tel
Corps, dépendroient de cette idée complexe} elles en
pourroient être déduites, &: l'on connoîtroit la connexion
néceffaire qu'elles auroient avec cette idée , ainil que tou-
tes les proprietez d'un Triangle dépendent , & peu-
vent êire déduites, autant qu'on peut les connoître , de
l'idée complexe de trois lignes qui enferment un Efpace.
Mais il efl: évident que nos Idées complexes des fubllan-
ces ne renferment point de telles idées d'oii dépendent tou-
tes les autres Qiialitez qu'on peut rencontrer dans les fub-
ftances. Par exemple , l'idée commune que les hommes
ont du Fer , c'efl un Corps d'une certaine couleur , d'un
certain poids & d'une certaine dureté :& une des proprie-
tez qu'ils regardent appartenir à ceCorps, c'efl la malléa-
bilité. Cependant cette propriété n'a point de liaifon ns-
cclVairc avec une telle idée complexe , ou avec aucu-
ne
4.64- T>es Idées complètes cf incomplètes.
C H A p. ne de fes parties -, car il n'y a pas plus de raifon de juger
XXXI. que la malléabilité dépend de cette couleur , de ce poids
& de cette ciureté, que de croire que cette couleur ou ce
poids dépendent de (a malléabilité. Mais quoy que nous ne
connoiflions point ces Eilences réelles , rien n'ell pourtant
plus ordmaire que de voir des gens qui rapportent les dif-
férentes cfpéces des chofes à de telles eflénces. Ainfi la
plupart des hommes fuppofent hardiment que cette partie
particulière de Matière dont efb compofe l'Anneau que
j'ai au doigt, a une eflence réelle qui le fait être de Vor y
& que c'ell de là que procèdent les Qiialitez que j'y re-
marque , favoir , fa couleur particulière , fon poids, fa
dureté, ù fnfihilité, (afixité, comme parlent les Chymi-
fl:cs,8c le changement de couleur qui luy arrive des qu'el-
le elt touchée légèrement par du Mercure ; ^c. Mais quand
je veux entrer dans la recherche de cette Eflence , d'où
découlent toutes ces proprietez , je vois nettement que je
ne faurois la dé^couvrir. Tout ce que je puis faire, c'elt
de préfumer que cet Anneau n'étant autre chofe que corps,
fon eflence réelle ou fa conftitution intérieure d'où dépen-
dent ces Qiialitez , ne peut être autre chofe que la figure,
la grofleiir ôc la liaifon de fes parties folides> mais comme
je n'ai abfolument point de perception diftincte de nulle
de ces chofes , je ne puis avoir aucune idée de fon eflence
réelle , qui fait que cet Anneau a une couleur jaune qui
luy eft particulière, une plus grande pefanteur qu'aucune
chofe que je connoiflé d'un pareil volume, &: une difpo-
fition à changer de couleur par l'attouchement de l'argent
vif. Qi^ie fi quelqu'un dit que l'eflénce réelle èc la con-
flitution intérieure d'où dépendent ces proprietez , n'eft
pas la figure , la grofleur &■ l'arrangement ou la contcxtu-
re de fes parties folidcs , mais quelque autre chofe qu'il
nomme L\ forme particulière , je me trouve plus éloigné
d'avoir aucune idée de fon eflence réelle , que je n'etois
auparavant. Car j'ai en général une idée de figure, de
grofleur, fie de fituation de parties folides , quoy que je
n'en aye aucune en particulier de la figure, de la grofleur,
ou
Des Idées complètes c^ incomplètes. Liv. II. 465
ou de la liaifon des parties , par où les Qualitez dont je C h A p.
viens de parler , font produites : Qualitez que je trouve XXXI.
dans cette portion particulière de Matière que j'ai au
doigt, èc non dans une autre portion de Matière dont je
me fers pour tailler la Plume avec quoy j'écris. Mais
quand on me dit que fon efl'ence eft quelque autre chofe
que la figure , la groffeur &: la fituation des parties foli-
des de ce Corps , quelque chofe qu'on nomme Forme
Jubftantielle , c'eft dequoy j'avoûè que je n'ai abfolument
aucune idée, excepté celle du fon de ces deux fyliabes,
forme ; ce qui eft bien loin d'avoir une idée de fon eflen-
ce ou conftitution réelle. Je n'ai pas plus de connoiiïan-
ce de l'eiîénce réelle de toutes les autres fubftances natu-
relles, que j'en ai de celle de l'or dont je viens de parler.
Leurs effences me font également inconnues , je n'en ai
aucune idée diftinfte, & je fuis porté à croire que les au-
tres fe trouveront dans la même ignorance fur ce point,
s'ils prennent la peine d'examiner leurs propres connoif-
fances.
§. 7. Celapofé, lorfque les hommes appliquent à cet- Les idées des
te portion particulière de Matière que j'ai au doigt, un t^anf^u'^-eiiJ"'
nom général qui eft déjà en ufage , ôc qu'ils l'appellent font rapportées
Or, ne luy donnent-ils pas, ou ne fuppofe-t-on pas or- ^ '^.f «:"«"=«
d-* , , , / '■ '■ *• réelles ne font
mairement qu ils luy donnent ce nom comme apparte- pas complètes.
nant à une Efpéce particulière de Corps qui a une elTcn-
ce réelle &: intérieure , en forte que cette fubftance par-
ticulière foit rangée fous cette efpece, &: défignée par ce
nom-là, parce qu'elle participe à l'Eflence réelle 6c in-
térieure de cette Efpéce particulière ? Qiie fi cela eft ain-
fi , comme il l'eft vifiblement , il s'enfuit de là que les
noms par lefquels les chofes font défignées comme ayant
cette efiTence , doivent être originairement rapportez à cette
eflence 6c par conféquent que l'idée à laquelle ce nom eft
attribué , doit être aullî rapportée à cette Eflence, 6c regar-
dée comme en étant la reprefentation. Mais comme cette
Eflence eft inconnue à ceux qui fe fervent ainfi des noms,
il eft vifible que toutes leurs idées des fubftances doivent
N n n être
4-66 Des Idées complètes cr incomplètes.
C H A p. être incomplètes à cet égard , puifqu'au fonds elles ne
XXXI. renferment point en elles-mêmes l'eflence réelle quel'Ef-
prit fuppofe y être contenues.
Enrant que des §. 8. En fccond licu , d'auttcs ncgllgeans ccttc fiippo-
coiicaions de fidon inutile d'eflénces réelles inconnues, par où font di-
elie" fonrcou- ftinguées les différentes Efpéces des fubftances , tâchent
Ks incomplètes, de fc rcpréfentcr les fubftances en aflemblant les idées des
Qiialitez fenfibles qu'on y trouve exifter enfemble. Bien
que ceux-là foient beaucoup plus près de s'en faire de ju-
ftes images, que ceux qui fe figurent je ne fai quelles ef-
fences fpecifiques qu'ils ne connoiflént pas , ils ne par-
viennent pourtant point à fe former des idées tout-à-fait
complètes des fubftances dont ils voudroient fe faire par
là des copies parfaites dans l'Efpritj &: ces copies ne con-
tiennent pas pleinement êcexaftement tout ce qu'on peut
trouver dans leurs originaux Parce que les Qj-ialitez &
Pinjfances dont nos Idées complexes des fubftances font
compofées , font fi diverfes & en fi grand nombre , que
perfonne ne les renferme toutes dans l'idée complexe
qu'il s'en forme en luy-même.
Et premièrement, que nos Idées abftraites des fubftan-
ces ne contiennent pas toutes les idées fimples qui font
unies dans les chofes mêmes, c'eft ce qui paroit vifible-
ment en ce que les hommes font entrer rarement dans
leur idée complexe d'aucune fubftance , toutes les idées
fimples qu'ils favent exifter aftuellement dans cette fub-
ftance: parce que tâchant de rendre la fignification des
noms fpecifiques des fubftances aullî claire 6c aulfi peu
embarraflee qu'ils peuvent , ils compofent pour l'ordi-
naire les idées fpecifiques qu'ils ont de diverfes fortes de
fubftances, d'un petit nombre de ces Idées fimples qu'on
y peut remarquer. Mais comme celles-ci n'ont originai-
rement aucun droit de paffer devant ni de compofér l'i-
dée fpécifique plutôt que les autres qu'on en exclut ^ il
cft évident qu'à ces deux égards nos Idces des fubftances
font défeftueufes & incomplètes.
D'ailleurs, fi vous exceptez dans ccrtaiaes E p:ces de
fub-
Des Idées complètes cr incomplètes. L i v. II. 4,67
fubftances la figure ôc la groflcur, toutes les Idées dm- Çhap.
pies dont nous formons nos Idées complexes des lubftan- XXXI.
ces, font de pures Puiflances ; & comme ces Puiffances
font des Relations à d'autres fubftances, nous ne pouvons
jamais être aflurez de connoître toutes ks puiflances qui
font dans un Corps jufqu'à ce que nous ayions éprouvé
quels changemens il eft capable de produire dans d'au-
tres fubftances , ou recevou- de leur part dans les diffé-
rentes applications qui en peuvent être faites. C'eft ce
qu'il n'eft pas pofliblc d'eflaycr fur aucun Corps en parti-
c-ulier, moins encore fur tous ; &: par conféquent il nous
eft impolîible d'avoir des idées complètes d'aucune fub-
ftance, qui comprennent une colle£tion parfaite de tou-
tes leurs Propriétez.
§. 9. Celui qui le premier trouva une pièce de cette
efpéce de fubftance que nous défignons par le mot d'Or ,
ne put pas fuppofer raifonnablement que la grofleur 6c la
figure qu'il remarqua dans ce morceau , dépendoient de
fon eflence réelle ou conftitution intérieure. C'eftpour-
quoy ces chofes n'entrèrent point dans l'idée qu'il eût de
cette efpéce de Corps ; mais peut-être , ù couleur parti-
culière & fon poids furent les premières qu'il en déduifit
pour former l'idée complexe de cette Efpéce : deux cho-
ies qui ne font que de fimples Puiflances , l'une de frap-
per nos yeux d'une telle manière & de produire en nous
l'idée que nous appelions jaune , &: l'autre de faire tom-
ber en bas un autre Corps d'une égale grofleur , fi l'on
les met dans les deux baflins d'une balance en équilibre.
Un autre ajouta peut-être à ces Idées , celles de fjiflbiUté
èc de Jîxité,deuxautTes Pui(fances pâjïves qui fe rapportent
à l'opération du Feu fur l'or. Un autre y remarqua la (:^.'<(î?/-
lité èc la capacité d'êtrediflfout dans de l'Eau Regale , deux
autres Puiflances quife rapportent à ce que d'autres Corps
opèrent en changeant fa figure extérieure, ou en le divifant
en parties infenfibles. Ces Idées, ou une partie jointes
enfemble forment ordinairement dans l'Efprit des hom-
mes l'idée complexe de cette efpéce de Corps que nous
appelions Or. Nnn 2 §10.
468 Des Idées complètes éf incomplet es.
Chap. §. 10. Mais quiconque a fait quelques reflexions fur
XXXI. les propriétez des Corps en général , ou fur cette efpéce
en particulier , ne peut douter que ce Corps que nous
nommons Or, n'ait une infinité d'autres propriétez, qui
ne font pas contenues dans cette idée complexe, Qiielques-
uns qui l'ont examine plus exactement , pourroient com-
pter, je m'aflure, dix fois plus de propriétez dans l'or,
toutes aufîi inféparables de fa conftitution intérieure que
fa couleur ou fon poids. Et il y a apparence que fi quel-
qu'un connoiflbit toutes les propriétez que différentes per-
fonnes ont découvert dans ce Meta! , il entreroit dans l'i-
dée complexe de l'or cent fois autant d'idées qu'un hom-
me ait encore admis dans l'idée complexe qu'il s'en eft
formé en luy-méme: &c cependant ce ne feroit peut-être
pas la millième partie des propriétez qu'on peut décou-
vrir dans l'orj car les changemens que ce feul Corps eft
capable de recevoir , &c de produire fur d'autres Corps
furpaffent de beaucoup non feulement ce que nous en
connoiflbns , mais tout ce que nous faurions imaginer.
C'eft ce qui ne paroîtra pas un fi grand paradoxe à qui-
conque voudra prendre la peine de confiderer , combien
les hommes font encore éloignez de connoitre toutes les
propriétez du Triangle , qui n'eft pas une figure fort com-
pofee; quoy que les Mathématiciens en ayent déjà dé-
couvert un grand nombre.
§. II. Soit donc conclu que toutes nos Idées com-
plexes des fubftances font imparfaites & incomplètes. Il
en feroit de même à l'égard des Figures de Mathémati-
que fi nous n'en pouvions acquérir des idées complexes
qu'en raffemblant leurs propriétez par rapport à d'autres
Figures. Combien par exemple, nos idées d'une Ellipfe
feroient incertaines &: imparfaites, fi l'idée que nous en
aurions, fe reduifoit à quelques-unes de fcs propriétez .^
Au lieu que renfermant toute l'eflence de cette Figure
dans l'idée claire 6c nette que nous en avons, nous endé-
duifons ces propriétez , èc nous voyons demonllrativement
comnient elles en découlent & y font infcparablement at-
tachées. §.12.
Des Idées complètes éf wcompletes. L i v. II. 4,69
§. 12. Ainfi l'Efprit a trois fortes d'Idées abftraites ou C h a p.
effences nominales. XXXI.
Premièrement des Idées fimples qui font certainement ^« W«s ^"i-
completes, qiioy que ce ne foient que des copies, parce p!etes?quoy°q^é
que n'étant deftinées qu'à exprimer la puiflance qui eft ccfoiencdcsco-
dans les chofes de produire une telle fenfation dans l'Ef- '""*
prit , cette fenfation une fois produite ne peut qu'être
î'eiFet de cette puiflance. Ainfi le Papier fur lequel j'é-
cris, ayant la puiflance , étant expofé à la lumière , Qe
parle de la lumière félon les notions communes} de pro-
duire en moy la fenfation que je nomme blanc , ce ne peut
être que l'eflet de quelque chofe qui eft hoi's de l'Efprit -,
puifque l'Efprit n'a pas la puiflance de produire en luy-mê-
me aucune femblable idée: de forte que cette fenfation ne
fignifîant autre chofe que l'eflxît d'une telle puifl^ance, cette
idée fimple efl: réelle &c complète. Car la fenfation du
hlanc qui fe trouve dans mon Efprit, étant l'effet de la
Puifl^ance qui eft dans le Papier, de produire cette fenfa-
tion, * répond parfaitement à cette Puiflance, ou autre-
ment cette puiflance produiroit une autre idée.
§. 13. En fécond lieu, les Idées complexes des fub- Les idées dfs
ftances font aufll des copies , mais qui ne font point en- j"j'\^"pi^e^j '°^
tierement complètes. C'eft dequoy l'Efprit ne peut dou- incomplètes.
ter, puifqu'il apperçoit évidemment que de quelque a-
mas d'idées fimples dont il compofe l'idée de quelque
fubflance qui exiftie , il ne peut s'afliirer que cet amas
contienne exaftement tout ce qui efl: dans cette fubftan-
ce. Car comme il n'a pas éprouvé toutes les opérations
que toutes les autres fubftances peuvent produire lur cel-
le-là, ni découvert toutes les altérations qu'elle peut rece-
voir des autres fubflances , ou qu'elle y peut caufer,il ne
fauroit fe faire une colleftion exa£te & complète de tou-
Nnn 3 tes
* Unie pot'iitix perftîlè aiUqit.ittt efï ,
c'tft ce qu'emporte l'Anglois mot pour
mot. S: qu'on ne fauroit , je cro)" , tra-
duire en François que comme je l'ai tra-
duit dans le Texte. Je pourtois me trom-
per ; & j'aurai obligation à quiconque
voudra prendre la pcnie de m'en convain-
cre en me Iburniffant une tradudion plus
direûe & plus juRc de cette cxprcflîou
LaiMie.
470 Des Idées complètes ér incomplètes.
C H A p. tes fcs capacités aHi'vts & pafjives , ni avoir par conféquent
XXXI. une idée complète des PuifTances d'aucune fubftance exi-
llante &: de fes Relations , à quoy le réduit l'idée com-
plexe que nous avons des fubftances. Mais après tout fi nous
pouvions avoir, &: fi nous avions aâruelkment dans nôtre
idée complexe une colleftion exatte de toutes ies fécondes
Gludttez ou PuifTances d'une certaine fubftance , nous
n'aurions pourtant pas par ce moyen une idée de Teflence
de cette chofe. Car puifque les PuifTances ou Qualitez
que nous y pouvons oblcrver, ne font pas l'efTence réelle
de cette Tubftance , mais en dépendent & en découlent
comme de leur Principe ; un amas de ces qualitez ; quel-
que nombreux qu'il foit, ne peut être l'efTence réelle de
cette chofe. Ce qui montre évidemment que nos Idées
des Subftances ne font point complètes, qu'elles ne font
pas ce que l'Efprit fe propofe qu'elles foient. Et d'ail-
leurs , l'Homme n'a aucune idée de la fubftance en géné-
ral , &: ne fait ce que c'eft que lnfub/iance en elle-même.
Lesidcesdcs §. 14. En troifiénic lieu , les Idées complexes des Mo-
Tvhdes & des ^j,^ ^ ^g^ Relations font des Archétypes ou originaux. Ce
dcVArchctyi-«, Hc fout point des copics > elles ne font point formées d'a-
sc ne peuvent p^ès le pati'on de quelque exiftence réelle , à quoy l'Ef-
''ïetcr *^°"' P^^^ ^^^ ^" veùë qu'elles foient conformes & qu'elles ré-
pondent exaftement. Comme ce font des colleftions
d'Idées fimples que l'Efprit afTemble luy-méme , & des
colleftions dont chacune contient précifément tout ce
que l'Efprit a defTein qu'elle renferme , ce font des Ar-
chétypes 6c des EfTences de Modes qui peuvent exifterj
& ainii elles font uniquement deftinées à reprefenter ces
fortes de Modes , elles n'appartiennent qu'à ces Modes qui
lorfqu'ils exiftent , onx une exafte conformité avec ces
Idées complexes. Par conféquent, les Idées des Modes &
des Relations ne peuvent qu'être complètes.
CHA-
Des Frayes à' des Faujfes làées. L i v. IL 471
CHAPITRE XXXII.
Des Vrcijes é' àcs Fanges Idées. C h a p.
XXXII.
§. I. /"^UoY qu'a' parler exa£tement, la Vérité & u Tenté & h
y) la Fauffeté n'appartiennent qu'aux Propofi- ^-^'^^'^^ "P^'J^
^^ tions , on ne laifTe pourtant pas d'appeller ptemenc aux
fouvent les Idées, vrayes 6c fauffes ; &" ou font les mots Propofuions.
qu'on n'employé dans un fcns fort étendu , 8c un peu éloi-
gné de leur propre & jufle fignification? Je croy pourtant
que, lorfque les Idées font nommées vrayes ou fatiffes, il
y a toujours quelque propofition tacite , qui eft le fonde-
ment de cette dénomination , comme on le verra, fi l'on
examine les occafions particulières 011 elles viennent à ê-
tre ainfi nommées. Nous trouverons, dis-je , dans tou-
tes ces rencontres , quelque efpéce d'affirmation ou de
négation qui autorife cette dénomination-là. Car nos I-
dées n'étant autre chofe que de fimples apparences ou per-
ceptions dans nôtre Efprit, on ne fauroit dire, à lescon-
fiderer proprement & purement en elles-mêmes , qu'elles
foient vrayes ou faufres,non plus que le fimple nom d'au-
cune chofe ne peut être appelle vray ou faux.
§. 2. On peut dire, à la vérité, que les Idées ôc les Cf qu'on nom-
Mots font véritables à prendre le mot de venté dans un^^^^"^]^^^^^
fens metaphyfique , comme on dit de toutes les autres tien: uue pro-
chofes , de quelque manière qu'elles exiftent , qu'elles P°^'"°" ""^
font véritables , c'eft à dire qu'elles font véritablement
telles qu'elles exiftent : quoy que dans les chofes que
nous appelions véritables même en ce fens, il y ait peut-
être un fecret rapport à nos Idées que nous regardons
comme la mefure de cette efpéce de vérité > ce qui revient
à une Propofition mentale , encore qu'on ne s'en apper-
çoive pas ordinairement.
§. ^. Mais ce n'eft pas en prenant le mot de i/enY/ Nui'e i<J« n'^ft
dans ce fens metaphyfique , que nous examinons fi nos entant°qu'e!j/^
Idées.
472 T>es Frayes ér des Faujjes Idées.
Chap. Idées peuvent erre vrayes ou fauffes , mais dans le fens
XXXII. qu'on donne le plus communément à ces mots. Cela
eftunejpp.ircii pofé , je dis QUC Ics Idccs n'étant dans l'Efprit qu'autant
ce dans lECprit j, ^ '■ ■, ^- i' j^jrr
^ d apparences ou de perceptions , il n y en a point de raul-
fc. Ainfi l'idée d'un Centaure ne renferme pas plus de
fLiuiïetc lorfqu'elle fe préfente à nôtre Efpritj que le nom
de Centaure en a loriqu'il eil: prononcé ou écrit fur le
papier. Car la vérité ou la fauffete étant toujours atta-
chées à quelque affirmation ou négation, mentale ou ver-
• baUi nulle de nos Idées ne peut être faufle, avant que
l'Efpric vienne à en porter quelque jugement, c'eft à di-
re, à en affirmer ou nier quelque chofc.
Les idieç entant §. ^. Toutcs Ics fois quc l'Efprit rapporte quelqu'une
ra'pponecs'"â ^^ ^^^ Idécs à quelquc chofe qui leur eft extérieur , elles
quelque chofc pcuvcnt être nommccs vrayes ou fauffes > parce que dans
peuvent ctre ^-^ rapport l'Efprit fait une fuppofition tacite de leurcon-
vrayes ou riul- /• *■
f«. forrmté avec cette chofe-là:^ félon que cette fuppofition
vient à être vraye ou fauffe , les Idées elles-mêmes font
nommées vrayes ou fauffes. Voici les cas les plus ordi-
naires où cela arrive.
Les Idées des §. e^ . Premièrement, lorfque l'Efprit fuppofe que
?,""n''°"'Tf quelqu'une de (es idées efl conforme à une idée qui eft
le.iescxiftencesdans 1 Efprit d uuc auttc perlonne lous un même nom
iuppofc'es rcei- ^■Qj^.jj^-jm^ . quand par exemple l'Efprit s'imagine ou juge
les à" quoy les q^c fcs Idécs de Jujlicei de Tempérance , de Religion, (ont
hommes rap- les mêmcs quc celles que d'autres hommes defignent par
portent ordinal- 1/
reracnt leurs ^^^ nomS-U.
Uc'cs. En fécond lieu , lorfque l'Efprit fuppofe qu'une Idée
qu'il a en luy-même eft conforme à quelquc chofe qui
exifte réellement. Ainfi, l'Idée d'un homme 6c celle d'un
Centaure étant fuppofées des Idées de deux fubftances
réelles, l'une eft véritable & l'autre fauffe , l'une étant
conforme à ce qui a cxifté réellement , &: l'autre ne l'é-
tant pas.
En troifiéme lieu, lorfque l'Efprit rapporte quelqu'u-
ne de fes Idées à cette eflence ou conftitution réelle d'où
dépendent toutes fes proprietcz ; «k en ce fens , la plus
grande
Des Vrâyes c^ àes FatiJJes Idées. L r v. II. 473
grande partie de nos Idées des fubftances , pour ne pas di- C h a p.
re toutes, font fliufles. XXXII.
§.6. L'Elprit eft fort porté à faire tacitement ces for- ^^ ""''^ ^^ "'
tes de fuppofitions touchant fcs propres Idées. Cepen- p""" ^ "^'
dant à bien examiner la chofe,on trouvera que c'eft prin-
cipalement, ou peut-être uniquement à l'égard àc(cs Idées
complexes , confiderées d'une manière abllraite qu'il en
ufe ainfi. Car l'Efprit étant comme entraîné par un pen-
chant naturel à favoir &: à ccnnoître, & trouvant que s'il
ne s'appliquoit qu'à la connoiffance des chofcs particu-
lières, fes progrès feroient fort lents , & fon travail infi-
ni } pour abréger ce chemin &: donner plus d'étendue à
chacune de ics perceptions , la première chofe qu'il fait
6c qui luy fert de fondement pour augmenter fes connoif-
fances avec plus de facilité, foit en confiderant les chofes
mêmes qu'il voudroit connoître , ou en s'en entretenant
avec les autres, c'eft de les lier, pour ainfidire,en autant
de faifceaux , & de les réduire ainfi à certaines efpéces ,
pour pouvoir par ce moyen étendre fùrement la connoif-
fance qu'il acquiert de chacune de ces chofes , fur toutes
celles qui font de cette efpéce , & avancer ainfi à plus
grands pas vers la Connoiflance qui eft le but de tou-
tes fes recherches. C'eft là , comme j'ai montré ail-
leurs , la raifon pourquoy nous reduifons les chofes à
des Idées d'une certaine comprehenfion auxquelles nous
attachons des noms , & que nous diftribuons en Genres vc
en Efpéces.
§. 7. C'eftpourquoy fi nous voulons faire une ferieufe
attention fur la manière dont nôtre Efprit agit , & confi-
dcrer quel cours il fuit ordinairement pour aller à la con-
noiflance, nous trouverons, fi je ne me trompe, que l'Ef-
prit ayant acquis une idée dont il croit pouvoir faire quel-
que uiage, foit par la confideration des chofes mêmes ou
par le difcours, la première chofe qu'il fait , c'eft de fe
la reprèfenter par abftradion , & alors de luy trouver un
nom & la mettre ainfi en referve dans ia Mémoire comme
une idée qui renferme l'eilènce d'une efpéce de chofes
Ooo dont
474- î^^î Vrâyîs ^ dts Fanjfes Idées.
C H A p. dont ce nom doit toujours être la marque. De là vient
XXXII. que nous remarquons fort fouvcnt , que , lorfque quel-
qu'un voit une chofe nouvelle d'une efpéce qui luy eft in-
connue, il demande aulîi-tôt ce que c'eft , ne fongeant
par cette Qiicftion qu'à en apprendre le nom , comme fi le
nom d'une chofe emportoitavec luy la connoifiance de fon
efpéce, ou de fon Eflence dont il cft effeftivement regar-
dé comme le figne ; de forte qu'on fe fert généralement
du nom en fuppofant que l'eflence de la chofe y eft atta-
chée.
§. 8. Mais cette Idée abftraite étant quelque chofe
dans l'Efprit qui tient le milieu entre la chofe qui exifte
&• le nom qu'on luy donne, c'eft dans nos Idées que con-
fifte la juftefle de nos connoiflances ëc la propriété ou la
netteté de nos exprelllons. De là vient que les hommes
font fi enclins à fuppofer que les Idées abftraites qu'ils
ont dans l'Efprit s'accordent avec les chofes qui exiftent
hors d'eux-mêmes, & auxquelles ils rapportent ces Idées,
^ qu'elles font les mêmes auxquelles les noms qu'ils leur
donnent , appartiennent félon l'ufage &: la propriété des
Langues dont ils fe fervent ; car fi cette double conformi-
té ne fe trouve point dans leurs idées , ils trouvent qu'ils
n'ont point de juftes penfées des chofes, &: qu'ils en par-
lent inintelligiblement aux autres.
Les Idées fim- §. 9. Je dis donc cn premier lieu , Qiie lorfque nous ju-
pics peuvent c- gcons de la vcfiîé de nos Idées par la conformité qu^ elles ont
r'appon'rd'ïu'- ^'^^'^ ^^^^^^ ^'" fi trouvcnt dafis l'Efprit des autres hommes y
très qui portent ^ qti'Hs défïgnent Communément par le même nom , ;/ n'y
Je même nom , fttf/«; qhi ne piiisfcnt être faillies dans ce fens-là. Ce-
mais elles font f ,^ tj' r 1 f u f "T n.
moinsfujettcsà pendant les Idées Innples iont celles lur qui l on eit moins
l'être en ce feus jj^^j^j- X fç niéprcndrc cn cette occafion, parce qu'un hom-
qu'aucune au- - .^.* . ^ i^ o 1
u-e efpc'ce d I- nic peut ailement connoitre par les propres bens te par de
^«s. continuelles obfervations , quelles font les Idées fimples
qu'on defigne par des noms particuliers autonfezparl'U-
fage, à caufc que ces noms font en petit nombre, 6c tels,
que s'il en doute ou s'il s'y méprend effeftivement, il peut
fc redrcfser facilement par le moyen des Objets auxquels
ils
Des Vrayes éf des Faujfes Idées. L i v. II. 475
ils ont été attachez. C'eftpourquoy il efl: rare que quel- C h a p.
qu'un fe trompe dans le nom de fes Idées llmples , qu'il XXXU.
applique le nom de rouge à l'idée du "vat , ou le nom de
doux à l'idée de Vamer : moins encore les hommes font-ils
fujets à confondre les noms qui appartiennent à des Sens
difFérens, qu'ils donnent le nom d'un Goût à une Cou-
leur , à'^- Ce qui montre évidemment que les Idées fim-
ples qu'on défigne par certains noms , font ordinairement
les mêmes que celles que les autres ont dans l'Efprit quand
ils employent les mêmes noms,
§. 10. Lfj Idées complexes yî?«/ beaucoup plus ftijettes i--^ Wces des
à être faujfes a cet égard, à- les Idées complexes ^^/ Modes fo"t'^^es"iu''/fu-
Mixtes beaucoup plus que celles des fubftances. Parce que jettes à être
dans ks fubjlances y & fur tout celles qui font défignees ':''"''" «" '^^
par des noms communs Se ufitez dans quelque Langue que
ce foit , il y a toujours quelques qualitez fenfibles qu'on
remarque fans peine &c qui fervant pour l'ordinaire à di-
ftinguer une Eipéce d'avec une autre , empêchent facile-
ment que ceux qui apportent quelque exaftitudedansl'u-
fage de leurs mots, ne les appliquent à des efpéces de fub-
ftances auxquelles ils n'appartiennent du tout point. Mais
nous nous trouvons dans une plus grande incertitude à l'é-
gard des Modes mixtes } parce qu'il n'eft pas fi facile de
déterminer fur bien des actions , s'il faut leur donner le
nom dejujlice ou de Cruauté, de Libéralité ou de Pro-
digalité. Ainfi en rapportant nos idées à celles des autres
hommes qui font défignées par les mêmes noms , nos Idées
peuvent être faufses, ôc l'idée que nous avons dans l'Ef-
prit 6c que nous exprimons par le mot de Jujiice repré-
fente peut-être une chofe qui devroit porter un autre
nom.
§. II. Mais foit que nos Idées des Modes mixtes foient Oudu moins i
plus ou moins fujettes qu'aucune autre efpéce d'idées à ê- ^^^yf^^j''""^
tre difterentes de celles des autres hommes qui font défi-
gnées par les mêmes noms , il eft du moins certain que
cette efpéce de faufseté eft plus communément attribuée
à nos Idées des Modes mixtes qu'à aucune autre. Lorfqu'on
Ooo 2 juge
4/6 Des Vïâjcs à" àa Fanjfes Idées.
C H A p. juge qu'un homme a une fauffe idée de "Jnflice , de Recon-
XJXXII. noiffance ou de Gloire , c'ell: uniquement parce que fon I-
« dée ne s'accorde pas avec celle que chacun de ces noms
defit^nent dans rEfprit des autres hommes.
Poiirquoy cela? §. 12. Et voici , ce me feuible , quelle en eft la rai-
fon , c'eft que les Idées abftraites des Modes mixtes étant
des combinaifons volontaires que les hommes font d'un
tel amas d'Idées limples , Se ainfi l'cflence de chaque ef-
péce de ces Modes étant uniquement formée par les hom-
mes , en forte que nous n'en pouvons a\oir d'autre mefu-
re fenfible qui exifte nulle part , que le nom même d'une
telle combinaifon , ou la définition de ce nom , nous ne
pouvons rapporter les idées que nous nous faifons de ces
Modes mixtes à aucune autre régie à laquelle nous puif-
fions vouloir les conformer, qu'aux; idées de ceux qu'on
croit employer ces noms dans leur plus jufte &: plus pro-
pre fignification. De cette manière , félon que nos Idées
font conformes à celles de ces gens-là, ou en font "différen-
tes, elles paflént pour -T^r^yw ou /iî// //(?.$'• En voilà affez
fur la vente 6c la faufleté de nos Idées par rapport à leurs
noms.
iin-y a que les §■ 1 3. Pour cc qui eft , en fécond lieu , de la vérité
itiecsHcsiub- ^7- faufleté de nos Idées par rapport à l'exiftence réelle des
puiTsent'a're chofcs , lorfquc c'cfl Cette cxillence qu'on prend pour ré-
fiufses par rap gle de Icur vcrité , il n'y a que nos Idées complexes de
^""^y| "'^^"' îubftanccs qu'on puiflx; nommer faufses.
Les Idées fim- §■ 14- Et premièrement, comme nos Idées fimples ne
pics ne peuvent font quc dc putcs perceptions , telles c|ue Dieu nousaren-
catdV&^mT *^"^ capables de les recevoir, par la puiflance qu'il a don-
fluoy. né aux Objets extérieurs de les produire en nous , en ver-
tu de certaines Loix ou moyens conformes à fa figeffe ôc
à fa bonté , quoy qu'incomprehenfibles à nôtre égard ,
toute la vérité de ces Idées fimples ne confifte en aucune
autre chofe que dans ces apparences qui font produites en
nous &: qui doivent répondre à cette puiflance que Dieu
a mis dans les Objets extérieurs, fans quoy elles ne pour-
roient être produites dans nos Efprits^ôcainfi dès-là qu'el-
les
Des Vraycs à^ àes Fatifses Idées. L i v. ÎI. 477
les répondent à ces piii([ariccs , elles font ce qu'elles doi- Ch A p.
vent être, de véritables Idées. Qiie fi l'Efprit juge que XXXII.
ces Idées font dans les chofes mêmes, (ce qui arrive, com-
me je croy , à la plupart des hommes) elles ne doivent
point être taxées pour cela d'aucune faufleté. Car Dieu
ayant par un effet de fa fageffe, établi ces idées , comme
autant de marques de dillmftion dans les chofes , par où
nous puffions être capables de difcerner une chofe d'avec
une autre, & ainfi de choifir pour nôtre propre ufage,
celles dont nous avons befoin ; la nature de nos Idées lim-
ples n'eft point altérée, foit que nous jugions que l'idée
de. jaune eft dans le fond même, ou feulement dans nôtre
Efprit, en forte qu'il n'y ait dans le foitci que la puifl'an-
ce de produire cette idée par la contexture de fes parties
en reflêchifllint les particules de lumière d'une certaine ma-
nière. Car dès-là qu'une telle contexture de l'objet pro-
duit en nous la même idée dej^f/wf par une opération con-
fiante & régulière , cela fuffit pour nous faire diftinguer
par les yeux cet Objet de toute autre chofe , foit que cet-
te marque diftmtTi've qui cil: réellement dans le fouci , ne
foit qu'une contexture particulière de fes parties, ou bien
cette même couleur dont l'idée que nous avons dansl'Ei-
prit, ell une exade reffemblance. C'eft cette apparence ,
qui luy donne également la dénomination de jaune , foit
que ce foit cette couleur réelle, ou feulement une contex-
ture particulière du fouci qui excite en nous cette idée ;
puifque le nom de jaune ne défigne proprement autre cho-
fe que cette marque de diftindtion qui eil dans wnfouci &
que nous ne pouvons difcerner que par le moyen de nos
yeux, en quoy qu'elle confifte, ce que nous ne fommes
pas capables de connoîrre diftindement, 6c qui peut-être
nous * feroit moins utile, fi nous avions des facultez ca- * Voy. q àd~
pables de nous faire difcerner la contexture des parties d'où xxnî^riî..
dépend cette couleur.
§. 15. Nos Idées fimpks ne devroient pas non plus ê- Quand bien li.
tre foupçonnées d'aucune fiuffctè , quand bien il feroit é- f'^ qu'un
11- 11 1 -1- - n r} 1 /-\ nomme a du
tabli eu vertu de la oïlierente liructure ae nos Organes,;,,,,,» («ou di&
Ooo 3 §lue.
4.78 Des Vra)ti ér àts Faufjfs Idées.
Chap. §lue le même Objet dût produire en même temps dijfc'rentes
XXXII. idc'cs dans fEfprtt de différentes perfonnes; Il par exemple,
ferenre de celle l'idife qu'unc P^ioUtte produîC par les yeux dans l'Efprit
^uun autxc<n ^,^^^ homiTic, étoit là mêmc que celle qu'un fouet excitç
dans rEfprit d'un autre homme, &c au contraire. Car
comme cela ne pourroit jamais être connu, parce que l'A-
me d'un homme ne fauroit pafler dans le Corps d'un au-
tre homme pour voir quelles apparences font produites
par ces organes , les Idées ne feroient point confondues
par là, non plus que les noms , Se il n'y auroit aucune
fauffeté dans l'une ou l'autre de cas chofes. Car tous les
Corps qui ont la contexture d'une J^iolette venant à pro-
duire conftamment l'idée qu'il appelle ^/?«.îVre&: ceux qui
ont la contexture d'un fouci ne manquant jamais de pro-
duire l'idée qu'il nomme aufli conftamment j(7««e , quel-
les que fuflent les apparences qui font dans fon Efprit , il
feroit en état de diftinguer aulîi régulièrement les chofes
pour fon ufage par le moyen de ces apparences , de com-
prendre & defigner ces diftinftions marquées par les noms
de bien & àc jaune ^ que fi les apparences ou idées que ces
deux Fleurs excitent dans fon Efprit, étoient exaftement
les mêmes que les idées qui fe trouvent dans l'Efprit des
autres hommes. J'ai néanmoins beaucoup de penchant à
croire que les Idées fenfibles qui font produites par quel-
que objet que ce foit, dans l'Efprit de différentes perfon-
nes, font pour l'ordinaire fort femblables. On peut ap-
porter , à mon avis, plufieurs raifons de ce fentiment >
mais ce n'eft pas ici le lieu d'en parler. C'eftpourquoy
fans engager mon Le£teur dans cette difcuffion,je mécon-
tenterai de luy faire remarquer , que la fuppofition con-
traire n'eft pas d'un grand ufage , foit pour l'avancement
de nos connoiffances, ou pour la commodité de la vie»
quand bien elle pourroit être prouvée , &: qu'ainfi il
n'eil pas néceflaire que nous nous tourmentions à l'exa-
miner.
Les Wces fim- §. 16. De tout cc quc nous vcuons de dire fur nos I-
pics ne peuvent ^^' fi,^pigs ■{[ s'cnfuit évidemment, à mon Ci\iS)Ghi'au-
ctre faulici par i ' ' ''^^
cune
Des Frayes ér àes Fatijfes Idées. L i v. II. 479
Cîfne de nos Idées /impies ne peut être faîijfe par rapport aux C u a p.
chofes qui exijlent hors de nous. Car la vérité de ces appa- XXXII.
renées ou perceptions qui font dans nôtre Efprit, ne con- "pp°" ="",''
r CL ^ -l'-j- j >ii diufcscxccncu-
Iiltant, comme u a ete dit , que dans ce rapport qu elles ^es, &pout-
ont à la puiflance que Dieu a donné aux Objets extérieurs f]upy-
de produire de telles apparences en nous par le moyen de
nos Sens, éc chacune de ces apparences étant dans l'Efprit,
telle qu'elle ell, conforme à la puiflance qui la produit,
6c qui ne repréfente autre chofe , elle ne peut être faufle
à cet égard , c'eft à dire entant qu'elle fe rapporte à un
tel Patron. Le bleti ou le jaune , le doux ou Varner ne fau-
roient être des Idées faulfes ; ce font des perceptions dans
l'Efprit qui font juftement telles qu'elles y paroiflent, &;
qui répondent aux puiflances que Dieu a établies pour
leur production; £c ainfi elles font véritablement ce qu'el-
les font & qu'elles doivent être félon leur deftination na-
turelle. L'on peut à la vérité appliquer mal-à-propos les
noms de ces idées, comme fi un homme qui n'entend pas
bien le François donnoit à la Pourpre le nom VEcarla-
te-, mais cela ne met aucune fauflété dans les Idées mê-
mes.
§. 17. En fécond lieu , nos Idées complexes des Modes'^^^'^^^^^ ^'^^
ne Jaur oient non plus être jau(fes par rapport a l'ejfence d'u- ^^.tmiJ^a
ne chofe réellement exilante. Parce que quelque idée com- plus,
plexe que je me forme d'un Mode , il n'a aucun rapport à
un modelle exiftant &: produit par la Nature. Il n'eftfup-
pofé renfermer en luy-même que les idées qu'il renferme
a\3:uellement , ni repréfenter autre chofe que cette combi-
naifon d'Idées qu'il repréfente. Ainfi , quand j'ai l'idée
de l'aftion d'un homme qui refufe de fe nourrir, de s'ha-
biller, &: de jouir des autres commoditez de la vie félon
que fon Bien & ics richeffes le luy permettent , &: que fa
condition l'exige, je n'ai point une faufle idée, mais une
idée qui repréfente une aftion , telle que je la trouve, ou
que je l'imagine; 6c dans ce fens elle n'eft capable ni de
vérité ni de fauflété. Mais lorfque je donne à cette aiSbion
le nom àc frugalité ow de -zw/// , elle peut alors être appel-
lée
Tes,
4,80 T>es Vrayes c^ des Faufses Idées.
C H A p. lée une faufle idée , fi je fuppofe par là qu'elle s'accorde
XXXII. avec l'idée qu'emporte le nom de frugalité félon la pro-
priété du langage , ou qu'elle ell conforme à la Loy qui
ell la mefure de la vertu Ôc du vice.
Quand c'cH: que §. 18. En trolfiémc lieu , nos Idecs coDjplcxcs dcs fttb-
fubfhiKCï" ^_ft(inces peuvent être faufses , parce qu'elles fe rapportent
veut êtie iâuf- toutes à des modcUesexiftans dans les chofes mômes. Qii'el-
les foient faufîés, lorfqu'on les confidére comme des re-
pré Tentations des Effences inconnues des chofes , cela eil
fi évident qu'il n'eft pas néceflaire de perdre du temps à
le prouver. Sans donc m'arrêter à cette fuppofition chi-
mérique, je vais confidérer les fubftances comme autant
de coUcftions d'Idées fimples, formées dans l'Efprit qui
les déduit de certaines combinaifons d'Idées fimples qui
exiftcnt conftamment enfemble dans les chofes mêmes ,
combinaifons qui font les originaux dont on fuppofe que
ces collections formées dans l'Efprit , font des copies. Or
à les confidérer dans ce rapport qu'elles ont à l'exiftence
des Chofes, elles font faufîes , 1. Lorfqu'elles réuniffent
des idées fimples qui ne fe trouvent point enfemble dans
les chofes actuellement exiftantes, comme lorfqu'à la for-
me & à la grandeur qui exiftent enfemble dans un Cheval,
on joint dans la même idée complexe la puilfance à'abbo-'
yer qui fe trouve dans un Chien ; trois Idées qui , quoy
que réunies dans l'Efprit en une feule, n'ont jamais été
jointes enfemble dans la Nature. On peut donc appeller
cette Idée complexe, une faufle idée d'un Cheval. II. Les
Idées des fubftances font encore faufles à cet égard , lorf-
que d'une colleftion d'Idées fimples qui exiilent toujours
enfemble, on en fepare par une négation directe & for-
melle , quelque autre idée fimple qui leur ell conftam-
ment unie. Si par exemple, quelqu'un joint dans fonEf-
prit à l'étendue, à la folidité, à la fufibilitc, à la pefan-
teur particulière fie à la couleur jaune de l'Or, la négation
d'un plus grand degré de Jîxitc, que dans le Plomb ou le
Cuivre , on peut dire cp'il a une fauffe idée complexe ,
tout ainfi que lorfqu'il joint .1 ces autres idées fimples l'idée
d'une
Des P'î-ûyes é^ des Fan (fes Idées. Liv. IL 481
d'uncTf-wV/ parfaite &: abfoluë. Car l'idée complexe de Chaï>.
l'or étant compofée, à ces deux égards , d'Idées fimples XXXII.
qui ne fe trouvent point enfemble dans la Nature , on
peut l'appeller une faudc idée. Mais s'il exclut entière-
ment de l'idée complexe qu'il fe forme de ce Métal, cel-
le de la fixité, (oit en ne l'y joignant pas aftiiellemcnt ,
ou en la féparant, dans fon Efpnt, de tout le relie ; on
doit regarder, à mon avis, cette idée complexe plutôt
comme incomplète &: imparfaite que comme fauflé: puif-
que, bien qu'elle ne contienne point toutes les Idées fim-
ples qui font \mies dans la Nature, elle ne joint enfemble
que celles qui exiftcnt réellement enfemble.
§. 19. Qiioy que pour m'accommoder au Langage or- La Veritc & b
dinaire-, j'aye montré en quel fens fie fur quel fondement fem'^toùjouT'
nos Idées peuvent être quelquefois vrayes ou faufj^s ; co- affirmation ou
pendant fi nous voulons examiner la chofe de plus près "^S^"""-
dans tous les cas où quelque idée eft appellée vraye ou
faujfe , nous trouverons que c'eft en vertu de quelque
jugement que l'Efprit fait, ou eft fuppofe faire , qu'elle
eft vraye ou faufie. Car la vérité ou la faufiété n'étant ja-
mais fans quelque affirmation ou négation , exprefle ou
tacite, elle ne fe trouve qu'oîi des lignes font joints ou
féparez , félon la convenance ou la difconvenance des
chofes qu'ils repréfentent. Les figncs dont nous nous fer-
vons principalement, font ou des Idées ou des Mots,
avec quoy nous formons des Propofitions tnentales ou
verbales. La vérité confifte à unir ou à féparer ces fignes,
félon que les chofes qu'ils repréfentent , conviennent ou
difconviennent entre elles ; &: la Fauflété confifte à faire
tout le contraire , comme nous le ferons voir plus au long
dans la fuite de cet Ouvrage.
§. 20. ■ Donc , nulle idée que nous ayons dans l'Efprit , Les idées conri-
foit qu'elle foit conforme ou non à l'exiftence réelle des |^J^.^" '^'^ '^J.'""
chofes, ou à des Idées qui font dans l'Efprit des autres ni vrayes i,i
hommes , ne fauroit pour cela feul être proprement ap- f^"""-
pellée faufle. Car fi ces repréfentations ne renferment
rien que ce qui exifte dans les chofes extérieures , elles
Ppp ne
^Î2 Ves Vrayes cr des Fauffes Idées.
C H A p. ne fauroient paiïer pour faufTes , puifque ce font de juftes
XXXII. repréfentations de quelque chofe: & fi elles contiennent
quelque chofe qui diffère de la réalité des Chofes , on
ne peut pas dire proprement que ce font de faufles repré-
fentations ou idées de Chofes qu'elles ne repréfentent
point. Qiiand eft-ce donc qu'il y a de l'erreur &: de la
fauflété? Le voici en peu de mots.
En quel cas §. 2 1 . Premièrement , lorfque l' Efprit ayant une idée y
elles font hui- j^^g ^ concliit qu'elle eji la même que celle qui efl dans
Premier «as. l' Ëfprit des autfcs hommes , exprimée par le même nom ;
ou qu'elle répond à la fignification ou définition ordinai-
re &: communément reçue de ce Mot , lorfqu'elle n'y
répond pas efFeftivemcnt , méprife qu'on commet le plus
ordinairement à l'égard des Modes mixtes , quoy qu'on y
tombe aufli à l'égard d'autres Idées.
Second cas. §. 22. En fecoud licu , quaud l'Efprit s' étant formé
une idée complexe, compofée d'une telle colleftion d'I-
dées fimples que la Nature ne mit jamais enfemble, il
juge ç^yCelle s'accorde avec une efpe'ce de Créatures réelle-
ment e XI fiantes , comme quand il joint la pefanteur de
l'Etain , à la couleur, à la fufibilité, ôc à la fixité de
l'Or.
Troificmc CM. §. 23. En troifiémc licu j lorfqu'ayant réuni dans fon
Idée complexe , un certain nombre d'idées fimples qui
exiftent réellement enfemble dans quelques efpéccs de
créatures, 6c en ayant exclu d'autres qui en font autant
infeparables , il juge que c''efi l'idée parfaite cf complète
d'une efpe'ce de chofes , ce qui n'ejl point efe£fiz-ement :
comme l'i venant à joindre les idées d'une fubftance jau-
ne, malléable, fort pefmte 5c fufible , il fuppofe que
cette Idée complexe eft une idée complète de l'Or, quoy
qu'une certaine fixité èc la capacité d'être dilfout dans
VEau Recale foient aulli infeparables des autres idées ou
qualitez de ce Corps, que celles-là le font l'une de l'au-
tre,
Qiuttiône cas. §. 2^. En quatrième licu , la mcprifc eft encore plus
grande , quand je juge que celte Idée complexe renferme
l'ef-
Des Vrayes ér des Faujfes Idées. L i v. II. 483
Veffence réelle d'aticf/n Corps exiftant ; puifqu'il ne con- C h a p,
tient tout au plus qu'un petit nombre de propriétez qui XXXII.
découlent de fon eflence Se conftitution réelle. Je dis un
petit nombre de ces propriétez , car comme ces proprié-
tez confident , pour la plupart , en PuiJJ'ances avives êc
pajfives que tel ou tel Corps a par rapport à d'autres cho-
fesj toutes celles qu'on connoit communément dans un
Corps, 6c dont on forme ordinairement l'idée complexe
de cette efpéce de chofes, ne font qu'en très-petit nom-
bre en comparaifon de ce qu'un homme qui l'a examiné
en différentes manières, connoit de cette efpéce particu-
lière j & toutes celles que les plus habiles connoiiîént ,
font encore en fort petit nombre, en comparaifon de cel-
les qui font réellement dans ce Corps &: qui dépendent de
fa conftitution intérieure ou effentielle. L'eflence d'un
Triangle eft fort bornée: elle confifte dans un très-petit
nombre d'idées > trois lignes qui terminent un Efpace ,
compofent toute cette eflence. Mais il en découle plus
de propriétez qu'on n'en fuiroit connoître ou nombrer.
Je m'imagine qu'il en eft de même à l'égard des fubftan-
ces } leurs efl^ences réelles fe reduifcnt à peu de chofe > oc
les propriétez qui découlent de cette conftitution inté-
rieure, font infinies.
§. 25. Enfin, comme l'Homme n'a aucune notion de
quoy que ce foit hors de luy , que par l'idée qu'il en a
dans fon Efprit,&: à laquelle il peut donner tel nom qu'il
voudra, il peut à la vérité former une idée qui ne s'ac-
corde ni avec la réalité des chofes ni avec les Idées expri-
mées par des mots dont les autres hommes fe fervent com-
munément, mais il ne fauroit fe faire une faufl'e idée d'u-
ne chofe qui ne luy eft point autrement connue que par
l'idée qu'il en a. Par exemple, lorfque je me forme une
idée des jambes , des bras 8c du corps d'un Homme, &;
que j'y joins la tête Se le cou d'un Cheval, je ne me fais
point de faufle idée de quoy que ce foit > parce que cet-
te idée ne repréfente rien hors de moy. Mais lorfque je
nomme cela un homme ou un Tartare , & que je me k-
Ppp 2 gure
4^844 "Des Pirayes éf des Faujfes Idées.
C H AP. gure qu'il repréfente quelque Etre réel hors de moy, oir
XXXII. que c'eft la même idée que d'autres défignent par ce mê-
me nom , je puis me tromper en ces deux cas. Et c'eft
dans ce fens qu'on l'appelle une faufle idée , quoy qu'à
parler eîiactement , la fauHeté ne tombe pas fur Vidée y
mais fur une Propofîtion tacite é^ mentale , dans laquelle
on attribue à deux cliofes une conformité & une reiïem-
blance qu'elles n'ont point effectivement. Cependant ,
fi après avoir formé une telle idée dans mon Efprit, fans
penfer en moy-méme que l'exiftence ou le nom ô-'homme
ou de Tartare luy convienne , je veux la dellgner par le
nom d'homme ou de Tartare , on aura droit de juger-
qu'il y a de la bizarrerie dans l'impolltion d'un tel nom,
mais nullement que je me trompe dans mon Jugement,
6c que cette Idée eft fauffe.
On poutroit §. 26. Enuumot, je croy que nos Idées, confide-
plus propre- j-^gs par l'Efprit ou par rapport à la fignification propre
ment appcHer , ^ \ , '^ , ^ ' _ *- _ v , ■ 1 • ' j
ksidees,;«îï«^'^s noms qu on leur donne ou par rapport a la réalité des.
o-a fautives, cliofcs , pcuvcnt être fort bien nommées idées *jujles ou.
J^tiTa'^^^' ^^f^titives , félon qu'elles conviennent ou difconviennent
aux Modèles auxquels on les rapporte. Mais qui voudra,
les appeller véritables ou fauffes , peut le faire. Il eft
jufte qu'il jouïfle de la liberté que chacun peut prendre,
de donner aux chofes tels noms qu'il juge leur convenir
le mieux, quoy que félon la propriété du Langage , la
vérité & la fauflété ne puifient guère convenir aux Idées,,
ce me femble, finon entant que d'une manière ou d'autre
elles renferment virtuellement quelque Fropofition men-
tale. Les Idées qui font dans l'Efprit d'un homme, con-
fiderécs fimplement en elles-mêmes, ne f:uiroient être fauf-
fcs, excepte les Idées complexes dont les parties font,
inconipatibles. Toutes les autres Idées font droites ea
elles-
* Il n'y a point de mots en Ihwçois
r.ui répondent mieux aux deux mots An-
£;lois right or 'Mreiig , dont l'Auteur le
(crt en cette orcafon. On entend c; que
vons point , à ce rue je croy , de teritic
oppofc à fitih , pris en ce l'ens 11 , cjut
(bit plus propre que celui de y.i.-';./', qui
l'eft pour:ant pas trop bon , mais dont
.'eft q«.'une idée, jnjlc > & nous n'a- | il faut ("c létvir, fau.e d'autre.
DeVAJ^ociation des Idées. Liv. II. 485
elles-mêmes , Se la connoiflance qu'on en a, eft une con- C h A p.
noiflance droite Se véritable. Mais quand nous venons à XXXIL
les rapporter à certaines chofes , comme à leurs Model-
les ou Archétypes , alors elles peuvent être faufles , au-
tant qu'elles s'éloignent de cesx^rchetypes.
r
CHAPITRE XXXIIL
De VÂf^ociation des Idces. r^ ^, ,
-^ v^ H A p.
, , r r ■ . XXXIIL
L N Y A prelque perlonne qui ne remarque dans v,\zxk afTom-
les opinions , dans les raifonnemens Se dans les "■'l"'^ d'idées
aftions des autres hommes quelque chofe qui luy paroit da'nî"es''diA"*
bizarre Se extravagant , S>z qui l'eft en effet. Chacun a cours on les
la veùë allez perçante pour obferver dans un autre le a*^^'»'" d autnir,
moindre défaut de cette efpéce s'il eft différent de celui
qu'il a luy-même, SiC il ne manque pas de fe fervir de fa
Raifon pour le condamner j quoy qu'il y ait dans fes opi-
nions Se dans fa conduite de plus grandes irrégularitez
dont il ne s'apperçoit jamais , Se dont il feroit difficile ,
pour ne pas dire impolfible de le convaiacre.
§. 2. Cela ne vient pas abfolument de TAmour pro- Ne v;e„t point
pre , quoy que cette paflion y ait fouvent beaucoup de j',''^'°'"'^^"^ «^^
part. On voit tous les jours des gens coupables de ce dé- pre.
faut qui ont le cœur bien fait, Se ne font point fottement
entêtez de leur propre mérite. Et fouvent une perfonne
écoute avec furprife les raifonnemens d'un habile homme
dont il admire l'opiniâtreté , pendant que luy-mêmc re-
fiile à des raifons de la dernière évidence qu'on luy pro-
pofe fort diftindement.
§. 3. On eft accoutumé d'imputer ce défaut de raifon. If ne fuffit paj,
à l'Education Se à la force des préiuErez ; Se ce n'eft pas p°'"; «*p''i"cr
r r \-> ^■ ■ \ ■> ■^^ f^ ^ ^'^ défaut d'en
lans lujet pour 1 ordinaire 5 quoy que cela n aille pas juf- attribuer la eau-
qu'à la racine du mal, Se ne montre pas afléz nettement '^ ^ l'Educa-
d'où il vient Se en quoy il confifte. On eft fouvent très- ll°olï. ^"^ ^"^'
bien fondé à en attribuer la caufe à V Education -, Se le '^
Ppp 3 ter-
4.86 Ve l'Jffoctation des Tdces.
C H A p. terme de Préjugé eft un bon mot général pour défigner la
XXXllI. chofe même.' Cependant je croy que qui voudra condui-
re cette efpéce de folie jufques à lafource, doit porter
la veiie un peu plus loin , &c en expliquer la nature de
telle forte qu'il fafle voir d'où ce mal procède originaire-
ment dans des Efprits fort raifonnables , 6c en quoy c'eft
qu'il confille prccifément.
Pourquoy on §. ^_ Quelque rudc que foit le nom de folie que je
Iwm'dc'M'' •' ^"y donne, on n'aura pas de peine à me le pardonner, fi
l'on confidére que l'oppofition à la Raifon ne mérite
point d'autre titre. C'ell effeftivement une folie, Se il
n'y a prefque perfonne qui en foit fi exempt , qu'il ne fat
jugé plus propre à être mis aux Petites- Maifons qu'à être
reçu dans la compagnie des honnêtes gens , s'il raifonnoit
& agiflbit toujours & en toutes occafions, comme il fait
conftamment en certaines rencontres. Je ne veux pas di-
re , lors qu'il eft en proye à quelque violente paflion,
mais dans le cours ordinaire de fa vie. Ce qui fervira en-
core plus à excufer l'ufage de ce mot , 6c la liberté que
je prens d'imputer une chofe fi choquante à la plus gran-
^Pag. 171. & de partie du Genre Humain , c'eft ce que j'ai * déjà
J72,.chap. XI. jjjj. çpj paflant , &c en peu de mots fur la nature de
^■''' la Folie. J'ai trouvé que la folie découle de la mê-
me fource , èc dépend de la même caufe que ce dé-
faut dont nous parlons préfentement. La confidera-
tion des chofes mêmes me fuggera tout d'un coup cette
penfée , lorfque je ne fongeois à rien moins qu'au fujet
que je traite dans ce Chapitre. Et fi c'eft effeftivenient
une foiblefi'e à laquelle tous les hommes foient fi fort fu-
jetSj fi c'eft une tache fi univerfellement répandue fur le
Genre Humain, il faut prendre d'autant plus de foin de
la faire connoîtrc par fon véritable nom ; afin d'engager
les hommes à s'appliquer plus fortement à prévenir ce
défaut, ou à s'en défaire lorfqu'ils en font entachez.
Ce défaut vkiit §. 5. QLielc]ues-unes de nos Idées ont entr'elles une
I.T^ ''?,'"" corrcfpondancc 6c une liaifon naturelle. Le devoir Se la
d idées non- r r il.- j « i> r rn. - J-
«atuicile- plus grande perrection de notre Kai Ion conu (te a décou-
vrir
De VAjfociation des Idées. L i v. II. 487
vrir ces Idées & à les tenir enfemble dans cette union Se C h a p.
dans cette correfpondance qui eft fondée fur leur exiften- XXXIIL
ce particulière. Il y a une autre liaifon d'idées qui dé-
pend uniquement du hazard ou de la coi'itume ; de forte
que des Idées qui d'elles-mêmes n'ont abfolument aucune
connexion naturelle , viennent à être fi fort unies dans
l'Efprit de certaines perfonnes , qu'il ell fort difficile de
les féparcr. Elles vont toujours de compagnie , & l'une
n'eft pas plutôt préfente à l'Entendement , que celle qui
luy eft aflbciée, paroit auffitôt ; &c s'il y en a plus de
deux ainfi unies, elles vont auiVi toutes enfemble, fans fe
féparer jamais.
§. 6. Cette forte combinaifon d'Idées qui n'eft pas ci- Comment fc
mentée par la Nature, l'Efprit la forme en lu y-même, f°"I"^/'^"'^
ou volontairement, ou par hazard; & de là vient qu'el-
le eft fort difi'érente en diverfes perfonnes félon la diverfi-
té de leurs inclinations, de leur éducation ôc de leurs in-
térêts. La coutume forme dans l'Entendement des ha-
bitudes de penfer d'une certaine manière, tout ainfi qu'el-
le produit certaines déterminations dans la Volonté , &:
certains mouvemens dans le Corps : toutes chofes qui
lemblent n'être que certains mouvemens continuez dans
les Efprits animaux qui étant une fois portez d'un cer-
tain côté, coulent dans les mêmes traces auxquelles ils
ont été accoutumez , 6c qui par le cours fréquent des Ef-
prits animaux deviennent comme autant de chemins bat-
tus, de forte que le mouvement y eft produit d'une ma-
nière fort aifée, Se pour ainfi dire naturelle. Il me fem-
ble, dis-je, que c'eft ainfi que les Idées font produites
dans nôtre Efprit, autant que nous fommes capables de
comprendre ce que c'eft que f enfer. Et fi elles ne font
pas produites de cette manière, cela peut fervirdu moins
à expliquer comment elles fe fuivent l'une l'autre dans un
cours habituel, lorfqu'elles ont pris une fois cette route,
comme il fert à expliquer de pareils mouvemens du Corps.
Un Muficien accoutumé à chanter im certain Air , le
trouve dès qu'il l'a une fois commencé. Les idées des
di-
488 De VAjJociatmt des Idées.
Chap. cliverfes notes fe fuivent l'une l'autre dans fon Efprit,
XXXIII. chacune à fon tour , fans aucun effort ou aucune altéra-
tion, aufli régulièrement que fes doigts fc remuent fur le
clavier d'une Orgue pour joûer l'air qu'il a commencé ,
quoy que fon Efprit diftrait promené fespenfées fur toute
autre chofe. Je ne détermine point, fi le mouvement des
Efprits animaux eft la caufe naturelle de fes idées , aufli
bien que du mouvement régulier de fes doigts , quelque
probable que la chofe paroiffc par le moyen de cet exem-
ple. Mais cela peut fervir un peu à nous donner quelque
notion des habitudes intelledluelles, & de la liaifon des
Idées.
Jîiie cil: la caufe §. j . Qu'il y ait de tcllcs afTociations d'Idécs , que la
dL^m^p^ithies coutume ait produit dans l'Efprit de la plupart des hom-
& aiiiipth.cs, mes, c'eft dequoy je ne croy pas que perfonne qui ait fait
<iui pafsciit ^ fericufes réflexions fur foy-méme &: fur les autres hom-
pout iiaturdlcs. , -r i i t- ? n. -> > i -,
mes, s avife de douter. Et c eit peut-être a cela qu on
peut juftement attribuer la plus grande partie des fympa-
thies &: des antipathies qu'on remarque dans les hommes ,
£-: qui agiflent auili fortement & produifent des effets aufli
réglez, que fi elles étoient naturelles, ce qui fait qu'on
les nomme ainfij quoy que d'abord elles n'ayent eu d'au-
tre origine que la liaifon accidentelle de deux Idées , que
la violence d'une première imprelfion , ou une trop gran-
de indulgence a fî fort unies qu'après cela elles ont tou-
jours étéenfemble dans l'Efprit de l'Homme comme fi ce
n'étoit qu'une feule iàce. je dis la plupart des antipa-
thies Se non pas toutes > car il y en a quelques-unes véri-
tablement naturelles , qui dépendent de nôtre conftitu-
tion originaire , & font nées avec nous. Mais fi l'on ob-
fervoit exa£bement la plupart de celles qui paflént pour
naturelles , on reconnoitroit qu'elles ont été caufées au
commencement par des imprefllons dont on ne s'cft point
apperçu , quoy qu'elles ayent peut-être commence de
fort bonne heure, ou bien par quelques fantaifies ridicu-
les. Un homme fait qui a été incommodé pour avoir
trop mangé de miel 3 n'entend pas plutôt ce mot , que
fon
De VAJSociation des Idées. Liv. II. 489
fou imagination luy caufe des foulevemens de cœur. Il Chap,
n'en fauroic fupporter la feule idée. D'autres idées de dé- XXXIII.
goxit, & des maux de cœur , accompagnez de vomifle-
ment, fuivent auflî-tôt, 6c Ton edoniLic eft tout en défor-
dre. Mais il lait à quel temps il doit rapporter le com-
mencement de cette foibleiTe, & comment cette indifpo-
fition luy efl: venue. Qiie fi cela luy fut arrivé pour a-
voir mangé une trop grande quantité de miel , lorfqu'il
étoit Enfant , tous les mêmes effets s'en feroient enfui-
vis, mais on fe feroit mépris fur la caufe de cet accident
qu'on auroit regardé comme une antipathie naturelle.
§. 8. Je ne rapporte pas cela , comme s'il étoit fort Comiien n im.
néceflaire en cet endroit de diftinguer exaftement entre P""J '^^ P"""^'
les antipathies naturelles &: acquifes > mais j'ai fait cette heure c«"e"^b^-
remarque ckns une autre veûë, favoir, afin que ceux qui zi"ecomiciion
ont des Enfans, ou qui font chargez de leur éducation , ' "''
voyent parla que c'eft une chofe bien digne de leurs foins
d'obferver avec attention & de prévenir foigneufement cet-
te irréguliére liaifon d'Idées dans l'Efprit des jeunes gens.
C'eft le temps le plus fufceptible des impreilions dura-
bles. Et quoy que les perfonnes ralfonnables faffent re-
flexion à celles qui fe rapportent à la ianté & au Corps
pour les combattre, je fuis pourtant fort tente de croire,
qu'il s'en faut bien qu'on ait eu autant de foin que la cho-
fe le mérite, de celles qui fe rapportent plus particulière-
ment à l'Ame , &: qui fe terminent à l'Entendement ou
aux Pallions : ou plutôt , ces fortes d'impreflions , qui
fe rapportent purement à l'Entendement , ont été, je pen-
fe , entièrement négligées par la plus grande partie des
hommes.
§. 9. Cette connexion irréguliére qui fe-fait dans nô-
tre Efprit , de certaines Idées qui ne font point unies par
elles-mêmes , ni dépendantes l'une de l'autre , a une 11
grande influence fur nous , oc eft fi capable de mettre du
travers dans nos a£lions tant morales que naturelles, dans
nos Pallions, dans nos raifonnemens & dans nos Notions
Q.qq mê-
Chap.
XXXIII.
Exemple de cet-
te liailoii d'i-
dées.
Autie exemple.
Ttoifie'me
eiemple.
Quatrième
exemple.
490 De rjffociation des Idées.
mêmes , qu'il n'y a peut-être rien qui merit ^davantage
que nous nous appliquions à le conhderer pour le préve-
nir ou le corriger le plutôt que nous pourrons.
§. 10. Les Idées des Efpnts ou des Phantomes n'ont
pas plus de rapport aux ténèbres qu'à la lumière -, mais (i
une fervante étourdie vient à inculquer fouvent ces ditFé-
rentes idées dans l'Efprit d'un Enfant., & les y exciter
comme jointes enfemble, peut-être que l'Enfant ne pour-
ra jamais plus les féparer durant tout le refte de fa vie ,
mais l'obfcurité luy paroîtra toujours accompagnée de ces
effrayantes Idées; &c ces chofes feront fi étroitement join-
tes dans fon Efprit qu'il ne fera non plus capable de fouf-
frir l'une que l'autre.
§. II. Un homme reçoit une injure fenfible de la part
d'un autre homme, il penfe Se repenfe à la petfonne Se à
l'aftion; &: en y penfant ainll fortement ou pendant long-
tems, il cimente fi fort ces deux Idées enfemble qu'il le.s
réduit prefque à une feule, ne fongeant jamais à cet hom-
me, que le mal qu'il luy a fait , ne luy vienne dans l'Ef-
prit ; de forte que diftinguant à peine ces deux chofes il
a autant d'averfion pour l'une que pour l'autre. C'eft
ainfi qu'il naît fouvent des haines pour des fujets fort lé-
gers &c prefque innoccns, & que les querelles s'entretien-
nent 6c fe perpétuent dans le Monde.
§. 12. Un homme a fouffert de la douleur , ou a été
malade dans un certain Lieu ; il a vu mourir fon ami dans
une telle chambre. Qiioy que ces chofes n'ayent naturel-
lement aucune liaifon l'une avec l'autre , cependant l'im-
preffion étant une fois faite, lorfque l'idée de ce Lieu (c
préfente à fon Efprit, elle porte avec elle une idée de dou-
leur & de déplaifir; il les confond enfemble, 6c peut aufli
peu fouffrir l'une que l'autre.
§. 13. Lorfque cette combinaifon efl: formée , 6c du-
rant tout le temps qu'elle fubfifte , il n'eft pas au pouvoir
de la Raifon d'en détourner les effets. Les Idées qui font
dans nôtre Efprit, ne peuvent qu'y opérer tandis qu'elles
y
De V AJ^ociation des Idées. L i v. II. 49 1
y font j félon leur nature &: leurs circonftances : d'où nous C h a p.
pouvons connoître pourquoy le temps guérit certaines XXXIII.
paflîons que la Raifon , quelque bien fondée qu'elle foit
& qu'on la reconnoifle, ne fauroit vaincre j foible &: im-
puifTante en cette occafion fur ceux qui font portez à la
fuivre dans d'autres rencontres. La mort d'un Enfant
qui faifoit le plaifir continuel des yeux de fa Mère & la
plus grande fatisfaftion de fon Ame , bannit la joye de fon
cœur & la privant de toutes les douceurs de la vie luy
caufe tous les tourmens imaginables. Employez , pour
la confoler, les meilleures raifons du monde , vous avan-
cerez tout autant que fi vous exhortiez un homme quieft
à la queftion , à être tranquille , Se que vous prétendif-
fiez adoucir par de beaux difcours la douleur que luy cau-
fe la contorfion de fes membres. Jufqu'à ce que le temps
ait infenfiblement diffipé le fentiment que produit , dans
l'Efprit de cette Mère affligée , l'idée de fon Enfant qui
luy revient dans la mémoire , tout ce qu'on peut luy re-
préfenter de plus raifonnable , cfl: abfolument inutile. De
là vient que certaines perfonnes en qui l'union de ces I-
dées ne peut être diUipée, paflent leur vie dans le deuil
ôc portent leur triilefle jufque dans le tombeau.
§. 14. Un de mes Amis a connu un homme qui ayant cinquicme
été parfaitement guéri de la rage par une opération extre- exemple bien
mement lenlibic , le reconnut oblige toute fa vie a celui
qui luy avoit rendu ce fervice qu'il rcgardoit comme le
plus grand qu'il pût jamais recevoir. Mais malgré tout
ce que la reconnoiflance & la raifon pouvoient luy fugge-
rer, il ne put jamais fouffrir la veûë de l'Operateur. Son
image luy rappelloit toujours l'idée de l'extrême douleur
qu'il avoit enduré par fes mains : idée qu'il ne luy écoit
pas poffible de fupporter,tant elle faifoit de violentes im-
prelîlons fur fon Efprit.
§. 15. Plufieurs Enfans imputant les mauvais traite- Autres «em-
mens qu'ils ont endurez dans les Ecoles , à leurs Livres P'"-
qui en ont été l'occafion , joignent fi bien ces idées qu'ils
Qjqq 2 rc-
49 2 "De VAJfociaîion des Idées.
C H A p. regardent un Livre avec averfion , & ne peuvent jamais
XXX m. plus concevoir de l'inclination pour l'étude 6c pour les
Livres } de forte que la lecture, qui autrement auroit peut-
être fait le plus grand plaifir de leur vie , leur devient un
véritable fupplice. Il y a des Chambres affez commodes
où certaines perfonnes ne fauroient étudier , Se des V'aif-
feaux d'une certaine forme où ils ne fauroient jamais boi-
re, quelque propres & commodes qu'ils foient ; & cela»
à caufe de quelques idées accidentelles qui y ont été at-
tachées, 6c qui leur rendent ces Chambres & cesVaifleaux
défagréables. Et qui elt-ce qui n'a pas remarqué certai-
nes gens qui font atterrez à la prefence ou dans la com-
pagnie de quelques autres perfonnes qui ne leur font pas'
autrement fuperieures, mais qui ont une fois pris de l'af-
cendant fur eux en certaines occafions ? L'idée d'autorité
& de refpeft fe trouve il bien jointe avec l'idée de la per-
fonne, dans l'Efprit de celui qui a été une fois ainfi fou-
rnis , qu'il n'eft plus capable de les féparer.
îiempie qu'on §. i6. On trouvc par tout tant d'cxcmplcs dc ccttc cf-
ajoùte pour la ^^qq q^g fi j'^n ajoùte un autre , c'eft feulement pour fa
'^ planante Imgularite. C elt d un jeune homme qui avoit
appris à danfer, &r cela dans une grande perfe£tion. Mais-
étant arrivé que dans la Chambre où il apprit , il y avoit
un vieux cofre, l'idée de ce cofre fe combina de telle ma-
nière avec les tours èc les pas de toutes fes Danfes , que
quoy qu'il pût fort bien danfer dans cette Chambre , il
ne pouvoit le faire que lorfquc ce vieux Cofre y étoit ; &
il ne pouvoit danfer ailleurs fi ce cofre ou quelque autre
femblable n'avoit dans la Chambre fa jufte pofition. Si
l'on foupçonne que cette hilloire n'ait pas été rapportée
dans toute fa fimplicité , mais qu'on l'ait embellie de
quelques plaifantes cuxonllanceSjje répons pour moy que
je la tiens depuis quelques années d'un homme d'honneur,
plein de bon fens , qui a vu luy-méme la chofe telle que
je viens de la raconter. Et j'ofe dire que parmi les per-
fonnes accoutumées à. faire des réflexions , qui liront ceci.
'DeVAjJ'ociâtiûn d(s Idées. L/v. II. 493
ri y en a peu qui n'ayent oui raconter ou même vu des Chap,
exemples de cette nature , qui peuvent être comparez à XXXIIL
celui-ci, ou du moins le jullitier.
§. 17. Les habitudes intelleftuelles qu'on a contracte On contrade,
de cette manière, ne font pas moins fortes ni moins frc- ,i' j.;'e"deT habt
quentes , pour être moins obfervées. Qiie les Idées de tuJcs imelle-
l'Etre & de la Matière foient fortement unies enfemble '-'^"'^''"•
ou par l'Education ou par une trop grande application à
ces deux idées pendant qu'elles font ainfi combinées dans
l'Efprit, quelles notions &: quels raifonnemens ne produi-
ront-elles pas touchant les Efprits feparez ? Qii'une cou-
tume contraftée dès la première Enfance, ait une fois at-
taché une forme &: une figure à l'Idée de Dieu, dans quel-
les abfurditez une telle penfée ne nous jettera-t-elle pas à
l'égard de la Divinité ?
§. 18. On trouvera, fans doute, que ce font de pareil- Ces combinai-
les combinaifons d'Idées , mal fondées Se contraires à la ^'^"' "^ '^'''■?
■KT • j -r r ■ ■ -i- I I eo'itraircs a la
JNature , qui produilent ces oppolitions irréconciliables nature pioaui-
qu'on voit entre différentes Seftes de Philofophie & de ^'"^'j?"^'''^ ^'-
■j-^ ,. . ^ . . . ^. vers leiuinieiis
Keligiouj car nous ne laurions imagmer que chacun decxtrava^ans
ceux qui fuivcnt ces différentes Seftes , fe trompe volon- '^^'" ';t ■'iiiofo-
tairement foy-même, & rejette contre fa propre confcien- Rcli^mn/"^ ^
ce la Vérité qui luy eft offerte par des raifons évidentes.
Quoy que l'Intérêt ait beaucoup de part dans cette affai-
re, on ne fauroit pourtant fe perfuader qu'il corrompe fi
univerfellement desSociétez entières d'hommes, que cha-
cun d'eux jufqu'à un feul foûtienne la fauflétè contre fes
propres lumières-. On doit reconnoitre qu'il y en a au.
moins quelques-uns qui font ce que tous prétendent fai-
re, c'eil à dire qui cherchent fincerement la Vérité. Et
par conféqueht , il faut qu'il y ait quelque autre chofe
qui aveugle leur Entendement , Se les empêche de voir
la fauffeté de ce qu'ils prennent pour la Vérité toute pu-
re. Si l'on prend la peine d'examiner ce que c'eft qui
captive ainfi la Raifon des perfonnes les plus fincères , &
quL leur aveugle l'Efprit jufqu'à les faire agir contre le
dqq 3 fens
494' ^^ VAffociation des Idées.
C H A p. fens commun , on trouvera que c'eft cela même dont nous
XXXIII. parlons préfentement, je veux dire quelques Idées indé-
pendantes qui n'ont aucune liaifon entre elles , mais qui
font tellement combinées dans leur Efprit par l'éducation,
par la coutume &: par le bruit qu'on en fait inceflamment
dans leur Parti , qu'elles s'y montrent toujours enfem-
blc; de forte que ne pouvans non plus les féparer en eux-
mêmes, que fi ce n'étoit qu'une feule idée , ils prennent
l'une pour l'autre. C'eft ce qui fait paffer le galimathias
pour bon fens , les abfurditez pour des démonftrations,
& les difcours les plus incompatibles pour des raifonne-
mens folides &: bien fuivis. C'eft le fondement, j'ai pen-
fé dire , de toutes les erreurs qui régnent dans le Monde ,
mais fi la chofe ne doit point être pouilée jufque-là , c'eft
du moins l'un des plus dangereux, puifque par tout où il
s'étend, il empêche les hommes de voir & d'entrer dans
aucun examen. Lorfque deux chofes a£tuellement fépa-
rées paroiifent à la veûë conftamment jointes , fi l'Ocuil
les voit comme colées cnfemble quoy qu'elles foient fé-
parées en effet , par où commencerez- vous à re£tifier les
erreurs attachées à deux Idées que des perfonnes qui vo-
yent les objets de cette manière font accoutumées d'unir
dans leur Efprit jufqu'à fubftituer l'une à la place de l'au-
tre, fie fi je ne me trompe, fans s'en appercevoir eux-mê-
mes ? Pendant tout le temps que les chofes leur paroifTent
ainfi , ils font dans l'impuiflance d'être convaincus de
leur erreur, &■ s'applaudiflent eux-mêmes comme s'ils é-
toient de zelez défenfeurs de la Vérité , x^uoy qu'en ef-
fet ils foûtiennent le parti de l'Erreur ; Se cette confufion
de deux Idées différentes , que la liaifon qu'ils ont accou-
tumé d'en faire dans leur Efprit , leur tait prefque regar-
der comme une feule idée , leur remplit la tête de fauf-
fes veûës , fie les entraîne dans une infinité de méchans rai-
fonnemens.
ConciuGon de §• 19- Après avoir expofé tout ce qu'on vient de voir
«(econd Livre. fur l'origine, les différentes efpéces Se l'étendue de nos
De V Affociation des Idées. L i v. IL 4,0 ^
Idées , avec plufieurs autres confiderations fur ces inftru- C h a p.
mens ou matériaux de nos connoiflances , Qe ne fai la- XXXIIL
quelle de ces deux dénominations leur convient le mieux)
après cela , dis-je , je devrois en vertu de la méthode que
je m'étois propofé d'abord , m'attachera fiiire voir quel
eft l'ufage que l'Entendement fait de ces Idées, &: quelle
eft la connoiflance que nous acquérons par leur moyen.
Mais venant, à confiderer la chofe de plus près , j'ai trou-
vé qu'il y a une 11 étroite iiaifon entre les Idées & les
Mots, &: que les Idées abftraites & les Termes généraux
ont un rapport fi conftant l'un à l'autre , qu'il eil impof-
fible de parler clairement &: diftinftement de nôtre Con-
noijfance qui confiile toute en Propolitions , fans exami-
ner auparavant , la nature, l'uûge & la fignification du
Langage : ce fera donc le fujet du Livre fuivant.
Fin du Second Livre.
m
"h r^
ESSAI
Fag, 496
ESSAI PHILOSOPHIQUE
CONCERNANT
L'ENTENDEMENT HUMAIN.
•CÎS^ ^^ ««î^ '^è» oî£* ^£o» «o^Sc ^^ •oî:^^ «oJc^
LIVRE TROISIEME.
Des Mots.
CHAPITRE I.
Des Mots on du Langage en général.
X'homme ades §.
organes propres
à former des
ions articulez.
z^;"-; I E u
ayant fait l'Homme pour é-
trc une créature fociable , luy a non
feulement infpiré le defir , Se l'a mis
dans la nécellité de vivre avec ceux
defon Efpéce5mais luy a donné auiîl
la faculté de parler, qui devoit être
le grand inftrument Se le lien commun de cette Société.
C'eftpourquoy l'Homme a naturellement fes organes fa-
çonnez de telle manière qu'ils font propres à former des
fons articulez- que nous appelions des Mots. Mais cela ne
f.iffifoit pas pour faire le Langage -, car on peut dreller
les
Ves Mots ou du Lang/tge en gênerai. Liv. III. 497
les Perroquets 6c plufieurs autres Oifeaux à former des C h a p. I,
fons articulez Se aflez diftinfts : cependant ces Animaux
ne font nullement capables de Langage.
§. 2. Il étoit donc néceffaire qu'outre les fons arricu- Afindefcrervit
lez , l'Homme fut capable de fe fen'ir de ces fons comme ^<: "Y^^ns pout
de Jignes de concertions intérieures , ^ de les établir com- fcs^iddwT^
me autant de marques des Idées que nous avons dans
l'Efpritjafin que par là elles puffent être manifeftées aux
autres, 6c qu'ainfi les hommes puffent s'entre-communi-
quer les penfées qu'ils ont dans l'Efprit.
§. 3. Mais cela ne lliffifoit point encore pour rendre Les mots fer-
les Mots aulll utiles qu'ils doivent être. Ce n'eft pas af- rane/Sc-'^'
fez pour la perfeftion du Langage que les fons puiffent wu.^T '
devenir fignes des Idées , à moins qu'on ne puiffe fe fer-
vir de ces fignes en forte qu'ils comprenent plufieurs cho-
fes particulières i car la multiplication des Mots en auroit
confondu l'ufage, s'il eût flillu un nom diftinft pour dé-
figner chaque chofe particulière. Afin de remédier à cet
inconvénient , le Langage a été encore perfectionné par
l'ufage des termes généraux , par où un feul Mot eft de-
venu le figne d'une multitude d'exiftences particulières :
Excellent ufage des fons qui a été uniquement produit
par la différence des Idées dont ils font devenus les
lignes } ceux-là devenans généraux qu'on a établi pour
lignifier des Idées générales, 6c ceux-là demeurans par-
ticuliers dont les idées qu'ils expriment , font particu-
lières. .
§. 4. Outre ces noms qui fignifient des Idées , il y a
d'autres mots que les hommes employent,non pourfigni-
ficr quelque idée, mais le manque ou l'abfcnce d'une cer-
taine idée fimple ou complexe, ou de toutes les idées en-
femble, "comme font les mots , Rien , ignorance , ^ Jié-
rtlité. On ne peut pas dire que tous ces mots négatifs ou
privatifs n'appartiennent proprement à aucune idée, eu ne
ilgnifient aucune idée; car en ce cas-là ce fcroient des funs
qui ne fignifiéroient abfolurnent rien > mais ils fe rappor-
tent à des Idées pofitives 6c en dèfignent l'abfence.
Rrr §.5.
498 T>es Mots on au Langage en général.
C H A p. I. §. 5 . Une autre chofe qui nous peut approcher un peu
L.s Mots tirent plus de l'origine de toutes nos notions & connoiiïances ,
cneine dTu't"^s ^'^^ d'obferver combien les mots dont nous nous fer-
mots qui figni. vous , dépendent des Idées fenfibles , 6c comment ceux
fient des Idées qu'on emolove pour fienifier des actions &; des notions
tout-a-rait éloignées des bens , tirent leur origine de ces
mêmes Idées fenfibles , d'où ils font transferez à des figni-
fications plus abftrufes pour exprimer des Idées qui ne
tombent point fous les Sens. Ainfi, les mots fuivans ima-
giner, comprendre ■) s^ attacher , concevoir ^ injiilier , dé-
goûter, trouble i tranquillité , Sec. font tous empruntez
des opérations de chofes fenfibles , & appliquez à cer-
tains Modes de penfer. Le mot Efprit dans fa première
fignification , c'eft le fouffle , &: celui à' Auge fignifie
MeJJager. Et je ne doute pas que, fi nous pouvions con-
duire tous les mots jufqu'à leur fource , nous ne trouvaf-
fions que dans toutes les Langues , les mots qu'on em-
ployé pour fignifier des chofes qui ne tombent pas fous
les Sens, ont tiré leur première origine d'Idées fenfibles.
D'oîi nous pouvons conjecturer quelle forte de notions
avoient ceux qui les premiers parlèrent ces Langues-là ,
d'oii elles leur venoient dans l'Efprit, &: comment la Na-
ture fuggera inopinément aux hommes l'origine &z le
principe de toutes leurs connoiflances, par les noms mê-
mes qu'ils donnoient aux chofes ; puifque pour trouver
des noms qui puflent faire connoitre aux autres les opé-
rations qu'ils fentoient en eux-mêmes , ou quelque autre
idée qui ne tombât pas fous les Sens , ils furent obligez
d'emprunter des mots , des idées de fenfaticn les plus
connues , afin de fliire concevoir par là plus aifement les
opérations qu'ils éprouvoient en eux-mêmes , 6c qui ne
pouvoient être reprefentées par des apparences fenfibles
è: extérieures. Après avoir ainfi trouvé des noms con-
nus &c dont ils convenoient mutuellement , pour fignifier
ces opérations intérieures de l'Efprit, ils pouvoient fans
peine faire connoître par des mots toutes leurs autres i-
dées, puifqu'elles ne pouvoient confiltcr qu'en des per-
ceptions
Des Mots ou du Langage en général. Liv. III, 499
ceptions extérieures 6c fenfibles , ou en des opérations Chap. I.
intérieures de leur Efprit fur ces perceptions ; car com-
me il a été prouvé , nous n'avons abfolument aucune idée
qui ne vienne originairement des Objets fenlibîes 3c ex-
térieurs, ou des opérations intérieures de l'Efprit , que
nous fcntons, &: dont nous fommes intérieurement con-
vaincus en nous-mêmes.
§. 6. Mais pour mieux comprendre quel eft rufage Diviiîon Rnit-
& la force du Langage , entant qu'il fert à l'inftruftion ^Î^Ji^.V'"'
& a la connciliance , il elt a propos de voir en premier
lieu , Â qnoj c'cji que les noms font immédiatement appli-
quez dans l'ufûge qu'on fait du Langage.
Et puifque tous les noms (excepté les noms propres)
font généraux , oc qu'ils ne fignifient pas en particulier
telle ou telle chcfe fmguliérejmais les efpéces des chofes;
il fera néceflaire de confidérer , en fécond lieu , Ce que
c'efl que les Efpéces ^ les Genres des Chofes , en quoy ils
confiftent , éf comment ils viennent à être forme.?;. Après
avoir examiné ces chofes comme il faut , nous ferons
mieux en état de découvrir le véritable ufage des mots,
les perfections & les imperfeftions naturelles du Langa-
ge, & les remèdes qu'il faut employer pour éviter dans
la lignification des mots l'cbfcurité ou l'incertitude j fans
quoy il eft impoflible de difcourir nettement ou avec
ordre de la connoiflance des chofes, qui étant comprife
dans des Propofitions , pour l'ordinaire univerfelles , a
plus de liaifon avec les mots qu'on n'eft peut-être porté
à fe l'imaginer.
Ces confiderations feront donc le fujet des Chapitres
faivans.
Rrr 2 CHA-
500 T>e la fignif cation des Mots.
CHAPITRE II.
Çj^^p jj De la Jîgnification des Mots.
Les Mof; font §. I- /~\ U o Y Q^u E l'Homme SIC Une grandc diver-
des figues icnfi- V^ ^^^^ ^^ penfécs , qui font telles que les autres
res"urhom- ^^ honimcs en peuvcnt recueuillir aufli bien quc
mes pour s'en- kiy , bcaucoup de plaifir £c d'utilité ; elles font pourtant
tre - comnuini- j-Qm-^g renfermées dans fcn Efprit , invifibles & cachées
quer leurs pcn- . «jjn « ^^
fe'es. aux autres , oc ne lauroient paroitre d elles-mêmes. Com-
me on ne fauroit jouir des avantages fie des commoditez
de la Société, fans une communication de penfées, il é-
toit néceffaire que l'Homme inventât quelques fignes
extérieurs 6c fenfibles par lefquels ces Idées invifibles
dont fes penfées font compofées, puflént être manifeftées
aux autres. Rien n'étoit plus propre pour cet effet, foit
à l'égard de la fécondité ou de la promptitude , que ces
fons articulez qu'il fe trouve capable de former avec tant
de facilité &: de variété. Nous voyons par là, comment
les Mots qui étoient fi bien adaptez à cette fin par la Na-
ture , viennent à être employez par les hommes pour
être fignes de leurs Idées , 6c non par aucune liaifon na-
turelle qu'il y ait entre certains fons articulez 6c certaines
idées, (car en ce cas-là il n'y auroit qu'une Langue par-
mi les hommes) mais par une inftitution arbitraire en
vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le
figne d'une telle Idée. Ainfi , l'ufage des Mots confifte
à être des marques fenfibles des Idées ; 6c les Idées qu'on
défigne par les Mots, font ce qu'ils fignifient proprement
6c immédiatement.
Us font des §• 2. Comme les hommes fe fervent de ces fignes, ou
fignes feniibics pour enrcgîtrer, fi j'ofe ainfi dire , leurs propres penfées
jm^^ y^j.ç^'^'afin de foulager leur mémoire , ou pour produire leurs
fert. Idées 6c les expofer aux yeux des autres hommes , les
Mots ne fignifient autre chofe dans leur première &z im-
médiate
De la lignification des Mots. Liv. III. 501
médiate fignification, que les idées qui font dans l'Efpnt Chap. IÏ.
de celui qui s'en fert, quelque imparfaitement ou négli-
gemment que ces Idées foient déduites des chofes qu'on
fuppofe qu'elles repréfentent. Lorfqu'un homme parle
à un autre, c'eft afin de pouvoir être entendu , & le but
du Langage efl: que ces fons ou marques puiflént faire
connoître les idées de celui qui parle, à ceux qui l'écou-
tent. Par conféquent c'eft des Idées de celui qui parle
que les Mots font des fignes , 6c perfonne ne peut les ap-
pliquer comme fignes à aucune autre chofe qu'aux idées
qu'il a luy-même dans l'Efprit ; car ce feroit les faire
fignes de fes propres conceptions &: les appliquer cepen-
dant à d'autres idées, c'eft à dire, établir en même temps
qu'ils feroient des fignes fie qu'ils ne feroient pas des fi-
gnes de fes idées, &: par là faire qu'ils ne fignifiaflent ef-
feftivement rien du tout. Comme les Mots font des
fignes arbitraires par rapport à celui qui s'en fert , ils ne
fauroient être des fignes arbitraires appliquez par luy à
des chofes qu'il ne connoît point. Ce feroit vouloir les
rendre fignes de rien , de vains fons deftituez de toute fi-
gnification. Un homme ne peut faire que fes Mots foient
fignes, ou des Qiialitez qui font dans les chofes, ou des
conceptions qui fe trouvent dans l'Efprit d'une autre
perfonne, s'il n'en a luy-même aucune idée dans l'Efprit.
Jufqu'à ce qu'il ait quelques idées de fon propre fonds,
il ne fauroit fuppofer qu'elles font conformes aux con-
ceptions d'une autre perfonne ni fe fervir d'aucuns fignes^
pour les exprimer; car alors ce feroient des fignes de ce
qu'il ne connoîtroit pas, c'eft à dire des fignes d'un Rien.
Mais lorfqu'il fe repréfente à luy-mcme les idées des au-
tres hommes par celles qu'il a luy-méme , s'il confent de
leur donner les mêmes noms que !< s autres hommes leur
donnent , c'eft toujours à fes propres idées qu'il donne
ces noms , aux idées qu'il a j & non à celtes qu'il n'a
pas.
§. 5. Cela eft fi néceflaire dans le Langage , qu'à cet
égard l'homme habile & l'ignorant , le favant 8c l'idiot
Rrr 3 fe
502 De la Jîgnif cation des Mots.
Chah. 11. fe fervent des mots de la même manière , lorfqu'ils y at-
tachent quelque fignification. Je veux dire que les mots
fi^nitient dans la bouche de chaque homme les idées qu'il
a'dans l'Efprit, 6c qu'il voudroit exprimer par ces mots-
là. Ainfi , un Enfant n'ayant remarqué dans le Métal
qu'il entend nommer Or , rien autre chofe qu'une bril-
lante couleur jaune , applique feulement le mot d'Or à-
l'idée qu'il a de cette couleur , Se à nulle autre chofe >
c'efcpourquoy il donne le nom d'Or à cette même cou-
leur qu'il voit dans la queùë d'un Paon. Un autre qui
a mieux obfervé ce métal, ajoute à la couleur jaune une
grande pefanteur -, & alors le mot d'Or ilgnifie dans fa
bouche une idée complexe d'un Jaune brillant, & d'une
fubftance fort pefante. Un troiiiemc ajoute à ces Qiia-
litez la ftifibihte 3 &c dès-là ce nom fignitîe à fon égard un
Corps brillant , jaune, fufible, 6c fort pefant. Un au-
tre ajoute la malléabilité. Chacune de ces perfonnes fe
fervent également du mot d'Or , lorfqu'ils ont occafion
d'exprimer l'idée à laquelle ils l'appliquent ; mais il eft
évident que chacun peut l'appliquer uniquement à fa
propre idée, 6c qu'il ne fauroit le rendre ligne d'une idée
complexe qu'il n'a pas dans l'Efprit.
§. 4. Mais encore que les Mots , confiderez dans l'u-
fage qu'en font les hommes, ne puiflent lignifier propre-
ment &<: immédiatement rien autre chofe que les idées qui
font dans l'Efprit de celui qui parle; cependant les hom-
•mes leur attribuent dans leurs pcnfées un fecret rapport à
deux autres chofes.
Premièrement, ils fuppofent que les Mots dont ilsfe fer-
l'ent i font /ignés des idées qui fe trouvent au(fi dans i'Ef-
prit des autres hommes avec qui ils s''entretiennent. Car
autrement ils parleroient en vain 6c ne pourroient être en-
tendus, fi les fons qu'ils appliquent à une idée , étoient
attachez à une autre idée par celui qui les écoute , ce qui
feroit parler deux Langues. Mais en cette occafion , les
hommes ne s'arrêtent pas ordinairement à examiner il l'i-
dée qu'ils ont dans l'Efprit , eft la même que celle qui
cil
DelaJîgniJîcatîonàesMots. Lrv. III. 503
èft dans l'Efprit de ceux avec qui ils s'entretiennent, lis Chap. II.
eroyent qu'il leur fuffit d'employer le mot dans le fens
qu'il a communément dans la Langue qu'ils parlent , ce
qu'ils eroyent faire -, &c dans ce cas ils fuppofent que l'i-
dée dont ils le font ligne , elV précifément la même que
les habiles gens du Pais attachent à ce nom-là.
§. 5. En fécond lieu, parce que les hommes feroient
fâchez qu'on crût qu'ils parlent limplement de ce qu'iis
imaginent, mais qu'ils veulent auiH qu'on s'imagine qu'ils
parlent des chofes félon ce qu'elles font réellement en el-
les-mêmes , ils fuppofent fouvent à caufe de cela , que
leurs paroles fîgnijîent aujfi la réalité des chofes. Mais com-
me ceci fc rapporte plus particulièrement aux Snbfiances
&c à leurs noms , ainli que ce que nous venons de dire
dans le Paragraphe précèdent fe rapporte peut-être aux
Idées /impies êc aux Modes , nous parlerons plus au long
de ces deux différens moyens d'appliquer les Mots, lorf-
que nous traiterons en particulier des noms des Modes
Mixtes & des Subftances. Cependant , permettez-moy
de dire ici en paffant que c'eft pervertir l'ufage des Mots,
ôc embarrafîer leur fignification d'une obfcurité & d'une
confufion inévitable , que de leur faire tenir lieu d'aucune
autre chofe que des Idées que nous avons dans l'Efprit.
§. 6. Il faut confiderer encore à l'égard des Mots , pre-
mièrement qu'étant immédiatement les fignes des Idées
des hommes &: par ce moyen les inftrumens dont ils fe
fervent pour s'entre-communiquer leurs conceptions, &
exprimer l'un à l'autre les penfées qu'ils ont dans l'Efprit,
il fe fait, par un confiant ufage, une telle connexion en-
tre certains fcns & ks idées défignées par ces fons-là , que
les noms qu'on entend excitent dans l'Efprit certamcs
idées avec prefque autant de promptitude Se de facilité ,
que fi les Objets propres à les produire, affectoient actuel-
lement les Sens. C'eit ce qui arrive évidemment à l'égard
de toutes les Qualirez fenfibles les plus communes, ficde
toutes les fubftances qui fe préfentent fouvent & familiè-
rement à nous.
§• 7.
504. De UJïgnificationdes Mots. ■
Chap. II. §. 7. Il faut remarquer, en fécond lieu , que , quoy
On (e ("crt (ou- q^g \q^ jVIots ne fisnifient proprement 5c immédiatement
vent He mots ,i'ii- i j
2Mxnueis on q^c Ics idees de celui qui parle ; cependant parce que
n'attache aucu- par uu ufdgc qui uous devient familier dès le berceau ,
nciignihation, ^^^^^ apprcnoHS très-parfixitement certains fons articulez
qui nous viennent promptement fur la langue , & que
nous pouvons rappeller à tout moment , mais dont nous
ne prenons pas toujours la peine d'examiner ou de fixer
exadlement la fignification, d ariive fouveni que les hom-
mes appliquent daiiantnge leurs penfées aux mots qu'aux
chofes , lors même qu'ils voudroient s'appliquer à confi-
derer attentivement les chofes en elles-mêmes. Et parce
qu'on a appris la plupart de ces mots, avant que de con-
noître les idées qu'ils fignifient, il y a non feulement des
Enfans, mais des hommes faits, qui parlent fouvent com-
me des Perroquets , fe fervant de plufieurs mots par la
feule raifon qu'ils ont appris cqs fons & qu'ils fe font fait
une habitude de les prononcer. Du refte , tant que les
Mots ont quelque fignification , il y a , jufque-là, une
conitante liaifon entre le fon 6c l'idée, ôc une marque que
l'un tient lieu de l'autre. Mais fi Ton n'en fait pas cet
ufage , ce ne font plus que de vains fons qui ne fignifient
rien.
La fignification §. 8. LesMots, par un long & familier ufagc , exci-
desMotscft tent, comme nous venons de dire, certaines Idées dans
arbitraire. lEfpnt 11 règlement 6c avec tant de prompfritude , que
les hommes font portez à fuppofer qu il y a une liaifon
naturelle entre ces deux chofes. Mais que les mots ne
fignifient autre chofe que les idées particulières des hom-
mes , 6c cela par une inftitution tout-à-fait arbitraire,
c'efl: ce qui paroit évidemment en ce qu'ils n'excitent pas
toujours dans l'Efprit des autres, ( lors même qu'ils par-
lent le même Langage) les mêmes idées dont nous (up-
pofons qu'ils font les fignes. Et chacun a une fi invio-
lable liberté de faire fignifier aux Mots telles idées qu'il
veut, que perfonne n'a le pouvoir de faire que d'autres
ayent dans l'Efprit les mêmes idées qu'il a luy-même
q uand
Des Termes généraux. Liv. III. 50^
quand il fe fert des mcmes Mots. C'eftpourquoy Avgvfte C h a p.
luy-mcme élevé à ce haut degré de puiflance qui le ren- II.
doit maître du Monde, reconnut qu'jl n'étoit pas en fon
pouvoir de faire un nouveau mot Latin } ce qui vouloit
dire qu'il ne pouvoit pas établir par fa pure volonté , de
quelle idée un certain fon devroit être le ligne dans la bou-
che &: dans le langage ordinaire de fes Sujets. A la vérité,
dans toutes les Langues l'Ufage approprie par un confen-
tement tacite certains fons à certaines idées , &: limite de
telle forte la fignification de ce fon , que quiconque ne
l'applique pas juftcment à la même idée, parle impropre-
ment: à quoy j'ajoute qu'à moins que les Mots dont un
homme fe ferc , n'excitent dans l'Efprit de celui qui l'é-
coute, les mêmes idées qu'il leur fait fignifîer en parlant,
il ne parle pas d'une manière intelligible. Mais quelle que
foit la conféquence que produit l'ufage qu'un homme fait
des mots dans un fens différent de celui qu'ils ont généra-
lement, ou de celui qu'y attache en particulier la perfon-
ne à qui il addreffe fon difcours , il eft certain que leur
fignification eft limitée, par rapport à celui qui s'en fert,
aux idées qu'il a dans l'Efprit , ôc qu'ils ne peuvent être
fignes d'aucune autre chofe.
CHAPITRE III.
Des Termes généraux. C h a p.
III.
§. I. 'T"' O u T ce qui exifte, étant des chofes particu- La plus grande
I liéres,on pourroit peut-être s'imaginer, qu'il {^""^ d« Mots
raudroit que les Mots qui doivent être conrormes aux
chofes, fuflent aufli particuliers par rapport à leur figni-
fication. Nous voyons pourtant que c'eft tout le contrai-
re } car la plus grande partie des mots qui compofent les
diverfes Langues du Monde , font des termes généraux ;
ce qui n'eft pas arrivé par négligence ou par hazard , mais
par raifon 6c par néceflité.
Sff §. 2.
^ o 6 Ves Tnmes généraux:
Chap. §.2. Premièrement, il e(l tmpoJfMe quê chaque chofe
III. particulière pût ûvoir iiti nom particulier à^ dijbnèf. Car
iieii Importable la figiiification & l'ufage des mors dépendant de la con-
irpamcuiietr "cxion que l'Efprit met entre les Idées 6c les fons qu'il
ait un iinm par- employé pour en être les fignes , il ell nécefl'aire qu'en
ftuidî" ^ "^^ appliquant les noms aux chofes l'Efprit ait des idées di-
ftm£tes des chofes, 6c qu'il retienne aufli le nom particu-
lier qui appartient à chacune avec l'adaptation particuliè-
re qui en ell faite à cette idée. Or il eft au defTus de la
capacité humaine de former 6c de retenir des idées diftin-
£tes de toutes les chofes particulières qui fe prèfentent à
nous. Il n'elt pas poiîible que chaque Oifeau , chaque
Bête que nous voyons, que chaque Arbre 6c chaque Plan-
te qui frappent nos Sens, trouvent place dans le plus va-
ille Entendement. Si l'on a regardé comme un exemple
d'une mémoire pro'digieufe, que certains Généraux ayent
pu appeller chaque foldat de leur Armée par fon propre
nom , il eft aifé de voir la raifon pourquoy les hommes
n'ont jamais tenté de donner des noms à chaque Brebis
dont un Troupeau eft compofé , ou à chaque Corbeau
qui vole fur leurs têtes, 6c moins encore de défigner par
un nom particulier, chaque feuille des Plantes qu'ils vo-
yent , ou chaque grain de fable qui fe trouve fur leur che-
min.
Cela feroit in- §. 5. En feccnd licu , fi ccla pouvoit fe faire , ilferoit
""'^' pourtant mutile , parce qu'il ne ferviroit point à la fin
principale du Langage. C'eft en vain que les hommes en-
tafferoicnt des noms de chofes particulières , cela ne leur
feroit d'aucun ufage pour s'entre-communiqucr leurs pen-
fées. Les hommes n'apprennent des mots &c ne s'en fer-
vent dans leurs entretiens avec les autres hommes , que
pour pouvoir être entendus ; ce qui ne fe peut faire que
lorfque par l'ufage ou par un mutuel confentemcnt , les
fons que je forme par les organes de la voix, excitent dans
l'Efprit d'un autre qui l'écoute, l'idée que j'y attache en
moy-mcme lorfque je le prononce. Or c'eil ce qu'on ne
pourroit faire par des noms appliquez à des chofes parti-
cu-
Des Termes généraux. Liv. III. ço/
culiéres , dont les idées fe trouvant uniquement dans mon C h a p,
Efprit, les noms que je leur donnerais , ne pourroient ê- III.
tre intelligibles à une autre perfonne , qui ne connoîtroit
pas précifement toutes les mêmes chofes qui font venues
à ma connoiflance.
§. 4. Mais en troifiéme lieu , fuppofé que cela pût fe
faire, (ce que je ne croy pas} cependant w« nom dijlinli
pour chaque chofe particulière ne Jeroit pas d'un grand uja-
ge pour l'avancement de nos connoifjances , qui , bien que
fondées fur des chofes particulières , s'étendent par des
veûës générales qu'on ne peut former qu'en reduifant les
chofes à certaines efpéces fous des noms généraux. Ces
Efpéces font alors renfermées dans certaines bornes avec
les noms qui leur appartiennent, &c ne fe multiplient pas
chaque moment au delà de ce que l' Efprit efl: capable de
comprendre, ou que l'ufage le requiert. C'eft pour cela
que les hommes fe font arrêtez pour l'ordinaire à ces con-
ceptions générales} mais non pas pourtant jufqu'à s'abfte-
nir de diftinguer les chofes particulières par des noms di-
ftin£ts, lorfque la néceflîté l'exige. C'eftpourquoy dans
leur propre Efpéce avec qui ils ont le plus à faire, Se qui
leur fournit fouvent des occafions de faire mention de per-
fonnes particulières, ils fe fervent de noms propres , cha-
que dillinâ: Individu étant défigné par une particulière &
diftinfte dénomination.
§. 5. Outre les perfonnes , on a donné communément a quoy c'eft
des noms particuliers aux Pais , aux Villes ^ aux Rivières ^ 3"°" ^ ''°"'"^
aux Montagnes-, & a d autres telles diltmthons de Lieu , prcs.
& cela par la même raifonj je veux dire , à caufe que les
hommes ont fouvent occafion de les défigner en particu-
her , 6c de les mettre , pour ainfi dire , devant les yeux
des autres dans les entretiens qu'ils ont avec' eux. Et je
ne doute pas , que , fi nous étions obligez de faire men-
tion de Chevaux particuliers aufli fouvent que nous avons
occafion de parler de différens hommes en particulier ,
nous aurions pour défigner les Chevaux des noms pro-
pres , qui nous feroient auflî familiers , que ceux dont
Sff 2 nous
^o8 Des Termes généraux.
C H A p. "°"s '"^°"^ fervons pour défigner les hommes ; que le mot
|jj_ de Biicephale par exemple feroit d'un uflige aufli commun
que celui d'Alexandre. Aulll voyons-nous que les Ma-
quignons donnent des noms propres à leurs chevaux aufll
communément qu'à leurs valets , pour pouvoir les con-
noitre , 6c les diftinguer les uns des autres , parce qu'ils
ont fouvent occafion de parler de tel ou tel cheval parti-
culier, lorfqu'il eft éloigné de leur veûë.
Comment fe §■ 6. Une autre chofe qu'il faut confiderer après cela,
foin les terni«c'ell, Comment fc font les termes généraux. Car tout ce
généraux. ^^ exille , étant particulier, comment eft-ce que nous a-
vons des termes généraux , &■ ou trouvons-nous ces natu-
res univerfelles que ces termes figni fient ? Les A'Iots de-
viennent généraux lorfqu'ils font inllituez lignes d'Idées
générales j &" les Idées deviennent générales lorfqu'on en
fépare les circonftances du temps, du lieu & de toute au-
tre idée qui peut les déterminer à telle ou telle exiftence
particulière. Par cette forte d'abitraftion elles font ren-
dues capables de repréfenter également plufieurs chofes
individuelles, dont chacune étant en elle-même conforme
à cette idée abfl:raite,efl: par là de cette cfpéce de chofes,
comme on parle.
§. 7. Mais pour expliquer ceci un peu plus diftinfte-
ment, il ne fera peut-être pas hors de propos de confide-
rer nos notions à' les noms que nous leur donnons dès leur
origine , 6c d'obferver par quels degrez nous venons à
former 6c à étendre nos Idées depuis nôtre première En-
fance. 11 eft tout vifible que les idées que les Enfans fe
font des perfonnes avec qui ils converfent (pour nous ar-
rêter à cet exemple} font femblables aux perfonnes mê-
mes, 6c ne font que particulières. Les Idées qu'ils ont
de leur Nourrice ^ de leur Mère , font fort bien tracées
dans leur Efprit, £c comme autant de fidelles tableaux y
repréfentent uniquement ces Individus. Les noms qu'ils
leur donnent d'abord, fe terminent aulll à ces Individus;
ainfi les noms de Nourrice &c de Maman , dont fe fervent
les Enfans , fe rapportent uniquement à ces perfonnes.
Qii and
Des Termes généraux. Liv. III. 509
Qiiand après cela le temps Se une plus grande connoiflan- C h A p.
ce du Monde leur a fait obferver qu'il y a plu fieurs autres III.
Etres, qui par certains communs rapports de figure & de
plufieurs autres qualitez reflemblent à leur Père , à leur
Mère, &: aux autres perfonnes qu'ils ont accoutumé de
voir, ils forment une idée à laquelle ils trouvent que tous
ces Etres particuliers participent également , &" ils luy
donnent comme les autres le nom à' homme , par exemple.
Voila comment ils viennent à avoir un nom général 6c une
idée générale. En quoy ils ne forment rien de nouveau,
mais écartant feulement de l'idée complexe qu'ils avoient
de Pierre &c de Jaques , de Marie &c d'Elisabeth ce qui
eft particulier à chacun d'eux , ils ne retiennent que ce
qui leur eft commun à tous.
§. 8. Par la même voye qu'ils acquièrent le nom &c
l'idée générale d'Homme , ils acquièrent aifément des
noms,& des notions plus générales. Car venant à obfer-
ver que plufieurs chofes qui différent de l'idée qu'ils ont
de V homme i&c qui ne fauroient par conféquent êtrccom-
prifes fous ce nom , ont pourtant certaines qualitez en
quoy elles conviennent avec l'Homme, ils fe forment une
autre idée plus générale en retenant feulement ces Oiiali-
tez 6c les rèùniffant dans une feule idée ; 6c en donnant
un nom à cette idée, ils font un terme d'une comprehen-
fion plus étendue. Or cette nouvelle Idée ne fe fait point
par aucune nouvelle addition , mais feulement comme la
précédente , en étant la figure Se quelques autres pro-
priétez défignées par le mot d'homme, 6c en retenant feu-
lement un Corps, accompagné de vie, de fentiment,
èi de motion fpontanee , ce qui eft compris fous le nom
di Animal.
§. 9. -Qiie ce foit là le moyen par où les hommes for- l« Natures
ment premièrement les idées générales 6c les noms gêné- p"="'" "^
' ,., , . , r\ ■ 1 r^ y lotit autre choie
raux qu ils leur donnent, c eit , je croy , une chofe fi e- que des idées
vidente qu'il ne faut pour la prouver que confiderer ce ^bitraitcs.
que nous faifons nous-mêmes , ou ce que les autres font,
Ôc quelle eft la route ordinaire que leur Efprir prend pour
Sff3 ar-
5 lo Des Termes généraux.
C H A p. arriver à la Connoiflance. Que fi l'on fe figure que les
III, natures ou notions générales font autre chofe que de tel-
les idées abfirattes &z partiales d'autres Idées plus comple-
xes qui ont été premièrement déduites de quelque exi-
llence particulière, on fera, je penfe , bien en peine de
favoir ou les trouver. Car que quelqu'un reflêchifle en
foy-méme fur l'idée qu'il a de V Homme , Se qu'il me dife
enfuite en quoy elle diffère de l'idée qu'il a de Pierre &c
de Paul , &c en quoy fon idée de Cheval eft différente de
celle qu'il a de Encéphale , fi ce n'eft dans l'éloignement
de quelque chofe de particulier à chacun de ces Individus,
6 dans la confervation d'autant de particulières Idées com-
plexes qu'il trouve convenir à plufieursexillences particu-
lières. De même, enôtant, des Idées complexes , figni-
fiees par les noms d'homme Se de cheval , les feules idées
particulières en quoy ils diffèrent, en ne retenant que cel-
les dans lefquelles ils conviennent , & en faifant de ces
idées une nouvelle èc diftindte Idée complexe , à laquelle
on donne le nom à' Animal ^ on a un terme plus général,
qui avec l'Homme comprend plufieurs autres Créatures.
Otez après cela , de l'idée à' Animal le fentiment 6c le
mouvement fpontanéej dès-là l'idée complexe qui reflie,
compofée d'idées fimples de Corps , de vie &: de nutri-
tion , devient une idée encore plus générale , qu'on
défigne par le terme Fivant qui eft d'une plus grande é-
tenduë. Et pour ne pas nous arrêter plus long-temps fur
ce point qui eft fi évident par luy-mêmc,c'eft par la mê-
me voye que l'Efprit vient à fe former l'idée deCor/)j,de
Siéftance, &: enfin d'Etre^ de Chofe &c de tels autres ter-
mes univerfels qui s'appliquent à quelque idée que cefoit
que nous ayions dans l'Efprit. En un mot, tout ce my-
ftère des Genres 6c des Efpeces dont on fait tant de bruit
dans les Ecoles , mais qui hors de là eft avec raifon fi
peu confideré , tout ce myftère , dis-je , fe réduit uni-
quement à la formation d'Idées abftraites, plus ou moins
étendues , auxquelles on donne certains noms. Sur quoy
ce qu'il y a de certain Se d'invariable , c'eft que chaque
terme
tions.
T>es Termes généraux. Liv, III. 511
terme plus général fignifîe une certaine idée qui n'eft C h a p,
qu'une partie de quelqu'une de celles qui font contenues III.
fous elle.
§. 10. Nous pouvons voir par là quelle eft: la raifon Pourqnoy on fe
pourquoy en defîniflant les mots, ce qui n'ell autre cho- m"„rdù"Gr««
îe que faire connoitre leur fignification , nous nous fervons Hjus ics Dcfiw-
du Genre i ou du terme général le plus prochain fous le-
quel eft compris le mot que nous voulons définir. On ne
fait point cela par nécelîité , mais feulement pour s'épar-
gner la peine de compter les différentes idées limples que
le prochain terme général fignifie , ou quelquefois peut-
être pour s'épargner la honte de ne pouvoir faire cette é-
numeration. Mais quoy que la voye la plus courte de dé-
finir foit par le moyen du Genre vc de h Différence , com-
me parlent les Logiciens , on peut douter , à mon avis ,
qu'elle foit la meilleure. Une chofe du moins , dont je
fuis afiuré, c'eft qu'elle n'eft pas l'unique , ni par confé-
quent abfolument nécelfaire. Car définir n'étant autre
chofe que faire connoître à un autre par des paroles quel-
le eft l'idée qu'emporte le mot qu'on définit, la meilleu-
re définition confifte à faire le dénombrement de ces idées
fimples qui font renfermées dans la fignification du terme
défini; & fi au lieu d'un tel dénombrement les hommes
fe font accoiitumez à fe fervir du prochain terme général,
ce n'a pas été par néceflité , ou pour une plus grande
clarté, mais pour abréger. Car je ne doute point que,
fi quelqu'un defiroit de connoître quelle idée eft fignifiée
par le mot homme, Se qu'on luy dit que l'Homme eft une
fubftance folide, étendue, qui a de la vie, du fentiment,
un mouvement fpontanée , 6c la faculté de raifonner , je
ne doute pas qu'il n'entendit aufli bien le fens de ce mot
homme , - £c que l'idée qu'il fignifie ne luy fût pour le
moins aufll clairement connue , que lorfqu on le définit
un Animal raifonnable , ce qui par les différentes défini-
tions d'Animal, de Vivant , & de Corps , fe réduit à ces
autres idées dont on vient de voir le dénombrement. Dans
l'explication du mot homme je me fuis attaché , en cet en-
droit 3
Chap.
UL
Ce qu'on appel-
le General , &
V>:;verjtl cil un
Ouvrage de
rEiucndement.
* Mot5 . idc'eî
»u chofes.
^ 1 2 T>is Termes généraux.
droit, à la définition qu'on en donne ordinairement dans
les Ecoles , qui quoy qu'elle ne foit peut-être pas la plus
exafte , fert pourtant afTez bien à mon préfent deiïein.
On peut voir par cet exemple , ce qui a donné occafion
à cette régie , §ji'une Définition doit être compofée de Gen-
re & de iJijférence .: &c cela fuffit pour montrer le peu de
nécelllté d'une telle Régie, ou le peu d'avantage qu'il y
a à rcbferver exaftement. Car les Définitions n'étant,
comme il a été dit, que l'explication d'un Mot par plu-
ficurs autres, en forte qu'on puifle connoitre certamemenc
le fens ou l'idée qu'il fignifie , les Langues ne font pas
toujours formées félon les régies de la Logique , de forte
que la fignification de chaque terme puifTe être exa£te-
mcnt fie clairement exprimée par deux autres termes. L'ex-
périence nous fait voir fuffifamment le contraire; ou bien
ceux qui ont fait cette Régie ont eu tort de nous avoir
donné fi peu de définitions qui y foient conformes. Mais
nous parlerons plus au long des Définitions dans le Chapi-
tre fuivant.
§. II. Pour retourner aux termes généraux , il s'enfuit
évidemment de ce que nous venons de dire , que ce qu'on
aTppeWc général 6c univcrfel n'appartient pas à l'exiftence
réelle des choies, mais que c'eÙ an Ouvrage de V Entende-
ment qu'il fait pour fon propre ufage , &" qui fe rapporte
uniquement aux figncs , foit que ce foient des Mots ou
des Idées. Les Mots font généraux, comme il a été dit,
lorfqu'on les employé pour être des fignes d'Idées géné-
rales ; ce qui fait qu'ils peuvent être indifféremment ap-
pliquez à plufieurs chofes particulières : Se les Idées font
générales , lorfqu'elles font formées pour être des repré-
fcntations de plufieurs chofes particulières. Mais l'uni-
verfalité n'appartient pas aux chofes mêmes qui font tou-
tes particulières dans leur exificnce , fans en excepter les
mots &c les idées dont la fignification efi: générale. Lors
donc que nous laiffons à part les * Particuliers ; les Gé-
néraux qui relient , ne font que de fimplcs productions
de nôtre Efprit, dont la nature générale n'cft autre chofe
que
Des Termes généraux. Liv. IIl. 513
que la capacité que l'Entendement leur communique, de C h a p.
lignifier ou de repréfenter plufieurs Particuliers. Car la III.
fignification qu'ils ont , n'eft qu'une relation , qui leur
eft attribuée par l'Elprit de l'Homme.
§. 12. Ainfi, ce qu'il faut confiderer immédiatement ^"H"^^''-
après, c'eft quelle forte de fignif cation appartient aux Mots Jc^cL^°2ls'^^
généraux. Car il eft évident qu'ils ne fignifient pas fim-c w^j & des
plement une feule chofe particulière, puifqu'en ce cas-là ^-^^''"""
ce ne feroient pas des termes généraux , mais des noms
propres. D'autre part il n'eft pas moins évident qu'ils
ne fignifient pas une pluralité de chofes, car fi cela étoit,
homme & hommes fignifieroient la même chofe ; & la di-
ftinftion des nombres, comme parlent les Grammairiens,
feroit fuperfluë 8c inutile. Ainfi, ce que les termes gé-
néraux fignifient c'eft une efpéce particulière de chofes-,
& chacun de ces termes acquiert cette fignification en
devenant figne d'une Idée abftraite que nous avons dans
l'Efprit, & à mefure que les chofes exiftantcs fe trouvent
conformes à cette idée , elles viennent à être rangées fous
cette dénomination , ou ce qui eft la même chofe , à être
de cette efpéce. D'où il paroit clairement que les Eflen-
ces de chaque Efpéce de chofes ne font que ces Idées ab-
ftraites. Car avoir l'eflence d'une Efpéce étant ce qui
fait qu'une chofe eft de cette Efpéce , 6c la conformité à l'i-
dée à laquelle le nom fpécifique eft attaché, étant ce qui
donne droit à ce nom de défigner cette idée, il s'enfuit né-
ceffairement de là , que d'avoir cette eflénce & cette oon-
formité , c'eft une feule & même chofe ; puifqu'être d'u-
ne telle Efpéce, 6c avoir droit au nom de cette Efpéce,
c'eft une feule S< même chofe, comme par exemple, c'eft
la même chofe d'être un homme ou de l' Efpéce d^ homme ^
6c d'avoir droit au nom à.' homme. De même, être un
homme , ou de l'Efpéce d'homme , 6c avoir l'efTence
d'un homme, c'eft la même chofe. Or comme rien ne
peut être un homme , ou avoir droit au nom d'homme
que ce qui a de la conformité avec l'idée abftraite que
le nom d'homme fignifie , 8c qu'aucune chofe ne peut être
Ttt un
514- Des Termes généraux.
C H A p. un homme ou avoir droit à l'Efpéee d'homme, que ce
III. qui a l'efTence de cette Efpéce , il s'enfuit que l'idée ab-
ftraite que ce nom emporte , &: l'eflenee de cette Efpéce,
c'eft une feule & même chofe. Par où il eft aifé de voir
que les eflences des Efpéces des Chofes 6c par conféquent
la réduction des Chofes en efpeces eft un ouvrage de
l'Entendement qui forme luy-même ces idées générales
par abftraftion.
Les Efpccfs g. 15. Je ne voudrois pas qu'on s'imaginât ici, que
di'VÈmendT J'°"^^^^' ^ ^loins cncorc que je nie que la Nature dans
ment, mais ei- la production dcs Chofcs en l'ait plufieurs femblables.
les font fondées Rjcn n'cft plus Ordinaire fur tout dans les races des Ani-
lur la re(sem- ni i \ r • r r
hiancc des cho- maux , 6c dans toutes les choies qui le perpétuent par fe-
i'«- mence. Cependant , je croy pouvoir dire que la rédu-
ction de ces Chofes en efpéces fous certaines dénomina-
tions, eft l'Ouvrage de l'Entendement qui prend occa-
fion de la reffembtance qu'il remarque entre elles de for-
mer des idées abftraites ôc générales , 6c de les fixer dans
l'Efprit fous certains noms, qui font attachez à ces idées
dont ils font commp autant de modelles auxquels à me-
fure que les chofes particulières actuellement exiftantes fe
trouvent conformes , elles viennent à être de cette Efpé-
ce , à avoir cette dénomination , ou à être rangées fous
cette Clafle. Car lorfque nous difons , c'eft un homme i
c'eft un cheval i c\ci\ijujlice , c'eft rr«^«//, c'eft mie mon-
tre, c'ctt. fine bouteille i que faifons-nous par là que ran-
ger ces chofes fous différens noms fpecifiqucs entant
qu'elles conviennent à ces idées abftraites dont nous a-
vons établi que ces noms feroient les fignes ? Et que font
les Eflences de ces Efpéces , diftinguées èc défignccs par
certains noms , finon ces idées , formées par abftraCtion
dans l'Efprit, qui font comme des liens qui attachent les
chofes particulières actuellement exiftantes aux noms fous
lefquels elles font rangées ? En effet , lorfque les termes
généraux ont quelque liaifon avec des Etres particuliers,
ces Idées abftraites font comme le médium qui les unit >
de forte que les Eflences des Efpéces, félon qu'elles font
diftia-
Des Termes généraux. Liv. III. ^i^
diftînguées Se nommées par nous , ne font &: ne peuvent C h a p.
être autre chofe que ces Idées precifcs &: abftraires que III,
nous avons dans l'Efprit. C'eftpcurquoy fi les Eflenccs,
fuppofées réelles 5 des fiabltances , l'ont différentes de nos
Idées abflraites , elles ne fauroient être les Eflences des
Efpéces fous lefquelles nous les rangeons. Car deux Ef.
péces peuvent être avec autant de fondement une feule
Efpéce, que deux différentes Effences peuvent être l'ef-
fence d'une feule Efpéce: écje voudrois bien qu'on me
dît quelles font les altérations qui peuvent ou ne peuvent
pas être faites dans un Cheval ou dans le Plomb , fans
faire que l'une de cqs deux chofes foit d'une autre Efpé-
ce. Si nous déterminons les Efpéces des Chofes par nos
Idées abftraites , il eft aifé de réfoudre cette Qiieftion j
mais quiconque voudra fe borner en cette occafion à des
Effences fuppofées réelles, fera, je m'affûre, tout-à-fait
défonenté,&: ne pourra jamais connoître quand une Cho-
fe ceffe précifément d'être de ï'Efpéce d'un Cheval, ou
du Plomb.
§. 14. Perfonne, au refte, ne fera furpris de m'enten- chaque îdee
dre dire , que ces Effences ou Idées abftraites qui font ae'^eft'unfÉf-
les mefures des noms & les bornes des Efpéces foient fence diftinélc.
l'Ouvrage de l'Entendement, fi l'on confidére qu'il y a
du moins des Idées complexes qui dans l'Efprit de diver-
fes perfonnes font fouvent différentes colleftions d' Idées
fîmples, & qu'ainfi ce qui eft Avance dans l'Efprit d'un
homme ne l'eft pas dans l'Efprit d'un autre. Bien plus ,
dans les fubftances dont les Idées abftraites femblent être
tirées des Chofes mêmes , on ne peut pas dire que ces
Idées foient conftamment les mêmes, non pas même dans
TEfpéce qui nous eft la plus familière, & que nous con-
noifîbns de la manière la plus intime; puifqu'on a douté
plufieurs fois fi le fruit qu'une femme a mis au Monde
étoit homme, jufqu'à difputer fi l'on devoit le nourrir
oc le baptifer: ce qui ne pourroit être, fi l'Idée âbftraite
ou l'Effence à laquelle appartient le nom d'homme, étoit
l'ouvrage de -la Nature , & non une diverfe & incertaine
Ttt 1 col-
ç 1 6 Des Termes généraux.
C H A p. coUeftion d'Idées fimples que l'Entendement joint en-
111. femble &: à laquelle il attache un nom après l'avoir ren-
due générale par voye d'abftraftion. De>.^jfo.rte que dans
le fonds chaque Idée diflinfte formée par abftraftion eft
une eflence diflindbe ; 6c les noms qui fignifient de telles
Idées diftinftes font des noms de Chofes eflentiellement
différentes. Ainfi, un Cerr/^ diffère auiÏÏ eflentiellement
d'un Ovale , qu'une Brebis d'une Chèvre ; 6c la Pluye
eilr auflî effentiellement différente de la Neige , que l'Eau
diffère de la Terre ; puifqu'il eft impoflible que l'Idée
abftraite qui eft l'effence de l'une , foit communiquée à
l'autre. Et ainfi deux Idées abftraites qui différent entre
elles par quelque endroit Se qui font défignées par deux
noms diftinds, conftituent deux /^r/M ou efpeces diftin-
ftes, qui font auffi effentiellement différentes , que les
deux Idées les plus éloignées 6c les plus oppofées du
monde.
II y a une g. i^. Mais parce qu'il y a des gens qui croyent , &
tnc^omfllief """ ^^"^ raifon , que les Effences des Chofes nous font
entièrement inconnues, il ne fera pas hors de propos de
confiderer les différentes fignifications du mot Ejjence.
Premièrement, l'Eflénce peut fe prendre pour la pro-
pre exiftence de chaque chofe. Et amfi dans les fubftan-
ces en général , la conftitution réelle, intérieure 6c incon-
nue des chofes , d'où dépendent les Qualitez qu'on y
peut découvrir, peut être appellée leur f//'^«f?. C'eft la
propre èc originaire fignification de ce mot, comme il
paroit par fa formation , le terme d.'e(fence fignifiant pro-
* Ab tJP ejfen- premcut * l'Etre, dans fa première denotation. Et c'eft
"'*• dans ce fens que nous l'employons encore quand nous
parlons de l'eflénce des chofes particulières fans leur don-
ner aucun nom.
En fécond lieu , la doftrine des Ecoles s'ètant fort ex-
ercée fur le Genre ôc- VEfpece qui y ont ère le fujet de
bien des difputes , le mot d'ejfeuce a prefque perdu fa pre-
mière fignification , 6c au lieu de défigner la conftitu-
tion réelle des chofes , il a prefque été entièrement ap-
pli-
DesTefwes ge'ne'raux.. Liv. III. 517
pliqué à la conftitution artificielle du Genre & de VEfpe- C h A p,
ce. Il eft vray qu'on fuppofe ordinairement une confti- III.
tution réelle de l'Efpéce de chaque chofe -, &c il eft hors
de doute qu'il doit y avoir quelque conftitution réelle ,
d'où chaque amas d'Idées fimples coexijiantes doit dépen-
dre. Mais comme il eft évident que les Chofes ne font
rangées en Sortes ou Efpeces fous certains noms qu'entant
qu'elles conviennent avec certaines Idées abftraites , aux-
quelles nous avons attaché ces noms-là , VeJJence de cha^
que Genre ou Efpece vient ainfi à n'être autre chofe que
l'idée abftraite , fignifiée par le nom général ou fpécifi-
que. Et nous trouverons que c'eft là ce qu'emporte le
mot d'ejfence félon l'ufage le plus ordinaire qu'on en fait.
Il ne feroit pas mal, à mon avis , de défigner ces deux
fortes d'eflences par deux noms difFérens , & d'appeller
la première ejfence réelle , Se l'autre efience fiominale.
§. lé. Il y a une Ci étroite liaifon entre l'effence nomina- 1' y a une con-
le O" le nom , qu on ne peut attribuer le nom d aucune ^^^^^^ \^, „o,„ 5^
forte de chofes à aucun Etre particulier qu'à celui qui a l'efseuce nomi-
cettéeflence par qù il répond à cette Idée abftraite , dont "^'^^
le nom eft le figne.
§.17. A l'égard des Eflences réelles des Subftances Lafuppofition,
corporelles pour ne parler que de celles-là, il y a daix fom d^ftinju^es
opinions , fi je ne me trompe. L'une eft de ceux qui fe par leurs cf-
fervant du mot effence fans^favoir ce que c'eft, fuppofent eft"nuti'ic^""'
un certain nombre de ces Efl'ences , félon lefquelles tou^
tes les ohofes naturelles font formées, & auxquelles cha-
cune d'elles participe exaftement, par où elles viennent
à être de telle ou de telle Efpéce. L'autre opinion qui
eft beaucoup plus raifonnable, eft de ceux qui reconnoif-
fent que toutes les Chofes naturelles ont une certaine con-
ftitution réelle, mais inconnue de leurs parties infenfibles,
d'où découlent ces Qiialitezfeniibles qui nous fervent àdi-
ftinguer ces Chofes l'une de l'autre, félon que nous avons
occafion de les diftinguer en certaines y2)r/w, fous de com-
munes dénominations. La première de ces Opinions qui
fuppofe ces Eflences comme autant de moules où font
Ttt 3 jet-
5 1 8 Des Termes généraux.
Chap. jettées toutes les chofes naturelles qui exiftent 8c aux-
ni. quelles elles ont également part, a , je penfe, fort em-
brouille la connoiilance des Chofes naturelles Les fré-
quentes produftions de Monftres dans toutes les Efpéces
d'Animaux, la naiflance des Imbecilles , & d'autres fui-
tes étranges des tnfantemens forment des difficultez
qu'il n'eft pas polllble d'accorder avec cette hypothefc;
ptrifqu'il eft aufli impoflible que deux chofes qui partici-
pent exactement à la même eflence réelle ayent différen-
tes propriétez , qu'il efl impoflible que deux figures par-
ticipant à la même efl'ence réelle d'un Cercle ayent dif-
férentes propriétez. Mais quand il n'y auroit point d'au-
tre raifon contre une telle hypothefe , cette fuppolltion
d'Efl"ences qu'on ne fauroit connoître , Se qu'on regarde
pourtant comme ce qui diftingue les Efpéces des Chofes,
eft fi fort inutile, êc fi peu propre à avancer aucune par-
tie de nos connoifTances , que cela feul fuffiroit pour nous
la faire rejetter, 6c nous obliger à nous contenter de ces
Efl^ences des Efpéces des Chofes , que nous fommes ca-
pables de concevoir , & qu'on trouvera , après y avoir
bien penfé , n'être autre chofe que ces Idées abftraites 6c
complexes auxquelles nous avons attaché certains noms
généraux.
L'efsence rceik §. jg. Lcs Elfenccs étant ainfi diftinguées en M0w;«/7-
niêmTd'anUcs ^" ^ ^'éellcs , nous pouvous remarquer outre cela , que
Idées (impies & dans les Efpéces des Idées Jimples & des Modes ^ elles font
clans les Mode? ; ;^,%-^^^^.^ /« mèmes y mais que dans les fubftances elles font
ditterente dans /. . , .., A \- r i-"
ksSubftjiiccs. toujours entièrement difterentes. Amii, une 1^ igure qui
termine un Efpace par trois lignes , c'cft l'eflénce d'un
Triangle, tant réelle que nommai le ; car c'eft non feule-
ment l'idée abftraite à laquelle le nom général eft atta-
ché, mais l'eflénce ou l'Etre propre de la chofe même,
le véritable fondement d'où procèdent toutes fes proprié-
tez. Se auquel elles font infeparablement attachées. Mais
il en eft tout autrement à l'égard de cette portion de ma-
tière qui compofe l'Anneau que j'ai au doigt, dans la-
quelle ces deux eflences font viliblement différentes. Car
c'eft
Des Termes généraux. Liv. IIL 519
c*eft de la conftitution réelle de fes parties infenfiblesque C h a p.
dépendent toutes fes propriétez de couleur , de pefan- 111.
teur, de fufibilité , àc fixité , &zc. qu'on y peut ob fer-
ver. Et cette conftitution nous eft inconnue -, de forte
que n'en ayant point d'idée, nous n'avons point de nom
qui en foit le ligne. Cependant c'eft fa couleur , fon
poids , fa fufibilité , &: fa fixité , ^c. qui la font être
de l'or, ou qui luy donnent droit à ce nom, qui eft pour
cet effet fon ejfence nominale ; puifque rien ne peut avoir
le nom d'or que ce qui a cette conformité de qualitez a-
vec l'idée complexe &z abftraite à laquelle ce nom eft at-
taché. Mais comme cette diftin£tion d'eftences appar-
tient principalement aux Subftances , nous aurons occa-
fion d'en parler plus au long , quand nous traiterons des
noms des Subftances.
§. 19. Une autre chofe qui peut faire voir encore que EfTcnces »■«??-
ces Idées abftraites , défignées par certains noms, font "ôjju''4te '""
les Eflences que nous concevons dans les Chofes , c'eft
ce qu'on a accoutumé de dire, qu'elles font mgenérables
6c incorruptibles. Ce qui ne peut être véritable des
Conftitutions réelles des chofes , qui commencent & pe-
riflent avec elles. Toutes les chofes qui exiftent, ex-
cepté leur Auteur, font fujettes au changement , 6c fur
tout celles qui font de nôtre connoiffance , &c que nous
avons réduit à certaines Efpéces fous des noms diftinfts.
Ainfi , ce qui hier étoit herbe , eft demain la chair d'une
Brebis , &: peu de jours après fait partie d'un homme.
Dans tous ces changemens 6c autres femblables l'Eflence
réelle des Chofes, c'eft à dire , la conftitution d'où dé-
pendent leurs dift^érentes propriétez , eft détruite S>c périt
avec elles. Mais les Eflences étant prifes pour des Idées
établies dans l'Efpnt avec certains noms qui leur ont été
donnez , font fuppofées refter conftarnment les mêmes ,
à quelques changemens que foient cxpofées les fubftances
particulières. Car quoy qu'il arrive d'Alexandre 6c de
Bucephale , les idées auxquelles on a attaché les noms
à' homme 6c de cheval font toujours fuppofées demeurer
les
^ 2 o Ves Termes généraux;
C H A p. les mêmes ; &: par conféquent les efTences de ces Efpéces
liX. * font confervées dans leui entier , quelques changemens
qui arrivent à aucun Individu, ou même à tous les Indi-
vidus de ces Efpeces. C'eft ainll , dis-je , que reflence
d'une Efpéce relie en fureté &: dans fon entier, fans l'exi-
ftence même d'un feul Individu de cette Efpéce. Car
bien qu'il n'y eût prefentement aucun Cercle dans le
Monde (comme peut-être cette Figure n'exifte nulle
part tracée exadement) cependant l'idée qui efl: attachée
à ce nom , ne cefferoit pas d être ce qu'elle eft , 6c de
fervir comme de modelle pour déterminer quelle des Fi-
gures particulières qui fe préfentent à nous , ont ou n'ont
pas droit à ce nom de Cercle , & pour faire voir par mê-
me moyen laquelle de ces Figures feroit de cette Efpéce
dès-là qu'elle auroit cette elTence. De même, quand bien
il n'y auroit prefentement, ou n'y auroit jamais eu dans
la Nature aucune Bête telle que la Licorne , ni aucun
PoifTon tel que la Sirène , cependant fi l'on fuppofe que
ces noms fignifient des idées complexes 6c abftraites qui
ne renferment aucune impolVibilité , l'eflence d'une Sirè-
ne eft auffi intelligible que celle d'un homme > 6c l'idée
d'une Licorne eft aufli certaine , aufli conftante 6c auflî
permanente que celle d'un Cheval. D'où il s'enfuit évi-
demment que les Eflences ne font autre chofe que des i-
dées abftraites , par cela même qu'on dit qu'elles font
immuables; que cette doftrine de l'immutabilité des Ef-
fences eft fondée fur la Relation qui eft établie entre ces
Idées abftraites 6c certains fons confiderez comme lignes
de ces idées , 6c qu'elle fera toujours véritable , pen-
dant que le même nom peut avoir la même fignifica-
tion.
Récapitulation. §. 20, Pour conclurre j voici en peu de mots ce que
j'ai voulu dire fur cette matière, c'eft que tout ce qu'on
nous débite à grand bruit fur les Genres , fur les Efpéces
& fur leurs Eflences, n'emporte dans le fonds autre cho-
fe que ceci, favoir,que les hommes venant à former des
idéçs abftraites , Se à les fixer dans leur Efprit avec des
noms
Des Noms des Idées Jimples. Liv. III. 521
noms qu'ils leur affignent , fe rendent par là capables de C h a p.'
confiderer les chofes & d'en difcourir , comme fi elles é- III.
toient affemblees , pour ainfi dire , en divers faiflcaux ,
afin depouvoirplus commodément, plus promptement &;
plus facilement s'entrc-communiquer leurs penfées, &; a-
vancer dans la connoiffance des chofes , où ils ne pour-
roient faire que des progrès fort lents , fi leurs mots ôc
leurs penfées etoient entièrement bornées à des chofes par-
ticulières.
CHAPITRE IV.
Ves No m s des Idées Jimples. C h a p .
IV.
§. I. {~\ UoY Qjj E les Mots ne fignifîent rien im- Les noms dc$
\} mediatement que les idées qui font dans l'Ef- '/'^'" ''^p'".
^^»^ -1 1 ■^ • 1 ^ .,,.,,. des Mode; , &
^" prit de celuy qui parie , comme je 1 ai de)a des fubftanccs
montré 5 cependant après avoir fait une reveûè plus exa- "'"^ «^i'^cun
Sec , nous trouverons que les noms des Idées (impies ^ ^'^^T^^^aclïKt.
Modes mixtes (fous lefquels je comprens aulfi les Rela-
tions^ & des Jiibjlances ont chacun quelque chofe de par-
ticulier, par cil ils différent les uns des autres.
§. 2. Et premièrement, les noms des Idées fi m pies Se i-
des fubftances marquent , outre les idées abftraites qu'ils [d^euim f"'^:
lignifient immédiatement , quelque exiftence réelle , d'oii des fabibnces
leur patron original a été tiré. Mais les noms des Modes ^«"."^''^ ^ «'•-
/ r ^ • ^ 1) 1 ' • n. j i.T-r • n tcntire une cxi-
mixtes le terminent a i idée qui elt dans lEfprit , &: ne ficncc iid\z.
portent pas nos penfées plus avant , comme nous verrons
dans le Chapitre fuivant.
§. 3. En fécond lieu , les noms des Idées fimples &c n.
des Modes fignifient toujours VefTcnce réelle de leurs Ef- \?, """"^ ,''"'
rt' L- 1 / A/i • I 1,-1 laces (impies &•
peces aulli bien que la nominale.- Mais les noms des lub- des Modes dgni-
ftances naturelles ne fignifient que rarement , pour ne pas j^,^"' toujours
dire jamais , autre chofe que l'efiTence nominale de leurs & Mmindl'^
Efpéces, comme on verra dans le Chapitre 011 nous trai-
tons * des Noms des fiibjlances en particulier. *chap. vi. du
Vvv §. ^..^''•"^-
52 2 Des Noms àes Idées fîmpîes.
Chap. §. 4. En troifiéme lieu , les noms des Idées Jîm pi es ne
IV. peuvcnr être définis, &: ceux de toutes les Idées complexes
III- peuvent l'être. Jufqu'ici perfonne, que je fâche, n'a re-
idirîimpi'crne "larqué quels font les ternies qui peuvent, ou ne peuvent
f.enve.it être pas être définis ; &: je fuis tenté de croire qu'il s'élève
defims. îbuvent de grandes difputes ëc qu'il s'introduit bien du
galimathias dans les Difcours dcshommespour ne pas fon-
ger à cek}, tandis que les uns demandent cju'on leur défi-
nifîe des termes qui ne peuvent être définis, £c que d'au-
tres croyent devoir fe contenter d'une explication qu'on
leur donne d'un mot par un autre plus général, £c par ce
qui en reftraint le {ens,ou pour parler en termes de l'Art,
par un Genre 8c une Différence , quoy que fouvent ceux
qui ont ouï cette définition régulière n'ayent pasunecorr-
noifilince plus claire du fens de ce mot qu'ils avoient au-
paravant. Je croy du moins qu'il ne fera pas tout-à-fait
hors de propos de montrer en cet endroit quels mots peu-
vent & quels ne peuvent pas être définis, ^ en quoy con:-
fifte une bonne Définition > ce qui fervira peut-être fi fort
à faire connoitre la nature de ces fignes & de nos Idées,
qu'il vaut la peine d'être examiné plus particulièrement
qu'on n'a encore fait,
s» tous pou §. 5. Je ne m'arrêterai pas ici à prouver que tous les
finfs'"«U iiou Mots ne peuvent point être définis, par la railon tirée du
à riufini. progrès à. l'infini , où noivs nous engagerions vifiblement,
fi nous reconnoilllons que tous les Mots peuvent être dé-
finis. Car où s'arrêter , s'il falloit définir les mots d'une
Définition par d'autres mots ? Mais je montrerai par la
nature de nos Idées y Se par la fignification de nos paro-
les, pourquoy certains noms peuvent 6c pourquoy d'au-
tres ne peuvent pas éts'e définis, ôc quels ils font
Ce cjuec'cft g ^ Qfj convient , je pcnfe , que Définir n'eji autre
c|u mie dcfim- ^^^^ ^^^^ ^^,^.^ comioUve k feus d'iiH Mot par le moyen de
plufieurs autres mots qui n& foient pas fynonymes. Or com-
me le fens des mors n'ell autre chofc que les idées mêmes-
dont ils font établis les fignes par celui qui les employé ,
. ■ • la. fignification d'un mot cft connue , ou le mot eft défini
de?
I
Des Noms des Idées Jîtnpîes. Liv. III. 523
dès que l'idée dont il eft rendu ligne , &: à laquelle il efl: C h a p.
attaché dans l'Efprit de celui qui parle , efl , pour ainfi IV.
dire, repréfentée fie comme expofée aux yeux d'une au-
tre perfonne par le moyen d'autres termes, &: que par là
la fignification en eft déterminée. C'eft là le feul ufage
& l'unique fin des Définitions , ôc par conféquent l'uni-
que régie par où l'on peut juger fi une définition eft bon-
ne ou mauvaife.
§. 7. Cela pofé , je dis que les noms des Idées fimples Les idées (im
ne peuvent être définis , &: que ce font les feuls qui ne P'"P°'^'^fi""r
■rr M» tr • ■ I r /^' n. i j-.-i-- "^ Peuvent être
puiflent 1 être, hn voici la railon. C eft que les diff^e- définies.
rens termes d'une Définition fignifiant différentes idées ,
ils ne fauroient en aucune manière repréfenter une idée
qui n'a aucune compofition. Et par conféquent, une Dé-
finition , qui n'eft proprement autre chofe que l'explica-
tion du fens d'un Mot par le moyen de plulieurs autres
Mots qui ne fignifient point la même chofe , ne peut a-
voir lieu dans les noms des Idées fimples.
§. 8. Ces célèbres vétilles dont on fait tant de bruit ^«"'p's "'«^
dans les Ecoles, font venues de ce qu'on n'a pas pris gar- '^^"''^""'"'■
de à cette différence qui fe trouve dans nos Idées 6c dans
les noms dont nous nous fervons pour les exprimer , comme
il eft aifé de voir dans les définitions qu'ils nous donnent de
quelque peu d'Idées fimples. Car les plus grands Maî-
tres dans l'art de définir, ont été contraints d'en laifîér la
plus grande partie fans les définir , par la feule impoflibi-
lité qu'ils y ont trouvé. Le moyen , par exemple , qu€
l'Efprit de l'homme pût inventer un plus fin galimathias
que celui qui eft renfermé dans cette Définition, UA&e
d'un Etre en puijfance entant qu'il ejl en puijfance ? Un
homme raifonnable , à qui elle ne feroit pas connue d'a-
vance par fon extrême abfurditéqui l'a rendue fi fameufe,
feroit fans doute fort embarraffé de conjefturer quel mot
on pourroit fuppofer qu'on ait voulu expliquer parla. Si,
par exemple , Ciceron eut demandé à un Flamand ce que
c'étoit que bClDC(Stl1Q[^ ^ 'I"^ le Flamand luy en eut don-
né cette explication en Latin , EJi ABus Entis tn potentii
Vvv 2 qiia-
^24 ^^-f ^oms des Idées fimplcs.
C H A p. qnateuiis in poîcntiû , je demande fi Ton pourroit fe figurer
IV. que Ciccron eût entendu par ces paroles ce que fignifioic
le mot de belVfCgingC/ ou qu'il eût même pu conjecturer
quelle étoit l'idée qu'un Flamand avoir ordinan-emenc
dans l'Efprit) £c qu'il vouloit faire conncitre à une autre
*Qui fii^nifie perfonne, lorfqu'il prononçoit ce * mot-là.
Cl) Flamand ce §. C). Nos Philofophes modcmes qui ont taché de fc
peiio'iT».'.««t''- défiiire du jargon des Ecoles 6c de parler intelligiblement,
tn!!t,ea Ftan- n'ont pas mieux réuiîi à définir les idées fimplesjpar l'ex-
^°^ plication qu'ils nous donnent de leurs caufes ou par quel-
que autre voye que ce foit. Ainlî les Partilans des Ato-
mes qui défîniflent le Mouvement , L » p^fpige d'un lieu
dans lin autre , ne font autre chofe que mettre un mot fy-
nonyme à la place d'un autre. Car qu'eft-ce qu'un p^jf^-
ge fmon un Mouvement ? Et fi l'on leur demandoit jceque
c'eil que p^ffage , comment le pourroient-i!s mieux défi-
nir que par le terme de mouvement.^ En effet, dire qu'un
pûjsûge e/i un moîivetnent d'un heu dans un autre j n'eft-ce
'• pas s'exprimer pour le moins d'une manière aufll propre
ôcaulli fignificative que de dire, Le Mouvement eji unpaf-
fûge d'un heu dans un autre? C'eft traduire &; non pas dé-
finir, que de mettre ainfi deux mots de la même fignifi-
carion l'un à la place de l'autre. A la vérité, quand l'un
elt mieux entendu que l'autre, cela peut fervir àfairecon-
noitre quelle idée elt fignifiée par le terme inconnu ; mais
il s'en faut pourtant beaucoup que ce foit une défijiition,
à moins que nous ne difions que chaque mot François
qu'on trouve dans unDi«£tionnaireeft la définition du mot
Latin qui luy répond , te que le mot de mouvement eft
une defijiition de celui de motus. Que fi l'on examine bien
la définition que les Cartcfiens nous donnent du Mouve-
ment ^ qiumd ils difent que c'ell l'apphcation fucceffive des
parties de la fur face d'un Corps aux parties d'un autre CorpSy
on trouvera qu'elle n'eft pas meilleure.
Autre exemple- §. lo. L'ylÛe du Tranfparent entant que tranfparent y
{iré de 1* Lu- q(]- ^j^e nutrc définition que lesPeripateticiensont préten-
du donner d'une Idée fimple , qui n'eft pas dans Ig fonds
plus
T^es Noms des Idées flmpJes. L i v. III. 525
plus abfurde que celle qu'ils nous donnent du Mouve- Chap,
ment , mais qui paroit plus vifiblement inutile, & ne fi- IV.
gnifier abfolument rien ; parce que l'expérience convaincra
ailement quiconque y fera réflexion , qu'elle ne peut fai-
re entendre à un Aveugle le mot de lumière dont on veut
qu'elle foit l'explication. La définition du Mouvement
ne paroît pas d'abord fi frivole , parce qu'on ne peut pas
la mettre à cette épreuve. Car cette Idée fimple s'intro-
duifant dans l'Efprit par l'attouchement auili bien que
par la veûë, il eft impolllblc de citer quelqu'un qui n'ait
point eu d'autre moyen d'acquérir l'idée du Mouvement
que par la fimple définition de ce Mot. Ceux qui difent
que la Lumière eil un grand nombre de petits globules
qui frappent vivement le fonds cie l'œuil , parlent plus
intelligiblement qu'on ne parle fur ce fujet dans les £4^0-
les : mais que ces mots foient entendus avec la dernière é-
vidence, ils ne fauroient pourtant jamais faire que l'idée
fignifiée par le mot de Lumière foit plus connue à un hom-
me qui ne l'entend pas auparavant , que fi on luy difoit
que la Lumière n'eft autre choie qu'un amas de petites
balles que des Fées pouflent tout le jour avec des raquet-
tes contre le front de certains hommes , pendant qu'elles
négligent de rendre le même fervice à d'autres. Car fup-
pofe que l'explication de la chofe foit véritable , cette
idée de la caufe de la Lumière auroit beau nous être con-
nue avec toute l'exaftitude poflîble , elle ne ferviroit non
plus à nous donner l'idée de la- Lumière même , entant
que c'eft une perception particulière qui ell en nous, que
l'idée de la figure èc du mouvement d'une épingle nous
pourroit donner l'idée de la douleur qu'une épingle eft
capable de produire en nous. Car dans toutes les Idées
fimples.qui nous viennent par un feul Sens, la caufe de la
fenfation, &c la fenfation elle-même font deux idées , Se
qui font fi diifèrentes Se fi éloignées l'une de l'autre , que
deux Idées ne fauroient l'être davantage. C'eftpourquoy
les Globules de Defcartes auroient beau frapper la rétine
d'un homme que la maladie nommée Gutta JèreKa auroit
Y v V 3 ren.-
526 Des Noms des Idées Jînipîes.
•Chaj?. rendu aveugle , jamais il n'auroit , par ce moyen , aucu-
JV- ne idée de lumière m de quoy que ce foit d'approchant,
encore qu'il comprît à merveille ce que font ces petits
Globules , 6c ce que c'ell: que frapper un autre Corps.
Pour cet eflet les Cartcllens qui ont fort bien compris ce-
la , diftinguent exaftement entre cette lumière qui eft la
caufe de la fenfation qui s'excite en nous à la veùë d'un
Objet, &: entre l'idée qui eft produite en nous par cette
caufe. Se qui eft proprement la Lumière.
On coxiiinuc §. II. Lcs Idecs fmiples ne nous viennent , comme
poum'iilTies °^ ^ ^^''^ ^'•^ ' ^"^ P^"* '^ moyen des impreflions que les
idccsfimpiesiie Objcts font fut nôtre Efprit , par les organes appropriez
peuvent cttc ^ chaque efpéce. Si nous ne les recevons pas de cette ma-
niere, tous les mots qu on empoter oit pour expliquer ou de-
fimr quelqu'un des noms qu'on donne a ces Idées , ne pour-
roient jamais produire en nous l'idée que cenom figmfie. Car
les mots n'étant que des fons , ils ne peuvent exciter d'au-
tre idée fimple en nous que celle de ces fons mêmes , ni
nous faire avoir aucune idée qu'en vertu de la liaifon vo-
lontaire qu'on reconnoit être entre eux êc ces idées fim-
ples dont ils ont été établis lignes par l'ufage ordinaire.
Qiie celui qui penfe autrement fur cette matière , éprou-
ve s'il trouvera des mots qui puiffent luy donner le goût
* L'un des des * Ananas ^ & luy fiure avoir la vraye idée de l'exqui-
ri-Amcrï" fe faveur de ce Fruit. Qiie fi l'on luy dit que ce goût ap-
comniccn parle ptoclie de quclquc auttc goût , dont il a déjà l'idée dans
lAutcur de "a f^ Mémoire où elle a été imprimée par des Objets fenfî-
voyaiedeMrje oles qui nc iont pas inconnus a ion palais, il peut appro-
G<«n«,pag.79. cher dc ce goût en luy-même félon ce dégre de relTem-
-dWfterdam?" blancc. Mais ce n'eft pas nous faire avoir cette idée par
le moyen d'une définition. C'eft feulement exciter en
nous d'autres idées fimples par leurs noms connus > ce qui
fera toujours fort différent du véritable goût de ce Fruit.
Il en eft de même à l'égard dc la Lumière , des Couleurs
fie de toutes les autres Idées fimples ; car la fignification
<ies fons n'eft pas naturelle, mais impofée par une inftitu-
tion arbitraire. C'cftpourquoy il n'y a aucune définition
de
Des Noms des Idées /impies. L i v. III. 5-27
de la Lumière ou de la Rongeur qui foit plus capable d'ex- C h a p-.
cirer en nous aucune de ces Idées , que le fon du mor lu- IV.
mure i o\\ rougeur "^owxxoix. le faire par luy-méme. Car
efpérer de produire une idée de lumière ou de couleur
par un fon, de quelque manière qu'il foit formé, c'eft fe
iigurer que les ions pourront être vus ou que les couleurs
pourront être ouïes ; &: attribuer aux oreilles la fonftion
de tous les autres Sensj ce qui eft autant que fi l'ondifoir
que nous pouvons ^fl«/fr , flairer , &: "voir par le moyen
des oreilles; efpéce de Philofophie qui ne peut convenir
qu'à Sancho Pança qui avoit la faculté de voir Dulcinée
par ouï-dire. Soit donc conclu que quiconque n'a pas dé-
jà reçu dans fon Efpnt par la porte naturelle , l'idée fim-
ple qui eft fignifîée par un certain mot, ne fauroit jamais
venir à connoître la lignification de ce Mot par le moyen
d'autres mots ou fons quels qu'ils puiflent être , de quel-
que manière qu'ils foient joints eniémblc par aucunes ré-
gies de Définition qu'on puiflé jamais imaginer. Le feul
moyen de la luy faire connoître, c'eil de frapper fes Sens
par l'objet qui leur eft propre , &: de produire ainfi en
luy l'idée dont il a déjà appris le nom. Un homme aveu-
gle qui aimoit l'étude, s'étant fort tourmenté la tête fur
les (Jbjets vifibles, & ayant confulré ks Livres 6c fes A-
mis pour pouvoir comprendre les mots de lumière fie de
eouleur qu'il rencontroit fouvent dans fon chemin , dit un
jour avec une extrême confiance , qu'il comprenoit enfia
ce que fignifîoit VEcarlate. Sur quoy fon Ami luy ayant
demandé ce que c'étoit que l'Ecarlate , c'eft , répondit-
il , quelque chofe de femblable au fon de la Trompette.
Qiùconque prétendra découvrir ce qu'emporte le nom de
quelque autre Idée Imiple par le feul moyen d'une Défi-
nition , . ou par d'autres termes qu'on peut employer
pour l'expliquer, fe trouvera juftement dans le cas de cet
Aveugle.
§. 12. Il en eft tout autrement à l'égard des Idées com-Ltamtnhepi-
plexes. . Comme elles font compofées de plufieurs Idées '.'''' '^-"'^ ''"^ '-
fimples> les Mots qui fignificnt les difterentes idées qui parkscx'^ud"
528 Des Noms des Idées Jîmples.
C H A p. entrent dans cette compofition , peuvent imprimer dans
■I^'^. l'Efprir des Idées complexes qui n'y avoient jamais été ,
d'une 5f,.f?« & 2c en rendre par là les noms intelligibles. C'ell dans de
de 1 Arc en- 1 1 -. • j ; t j ' j - r ' ri >
Ciel. telles collections d idées, deiignees par un leul nom qu a
lieu la définition ou l'explication dlin Mot par plufieurs
autres , &c qu'elle peut nous faire entendre les noms de
certaines choies qui n'étoient jamais tombées fous nos
Sens , &: nous engager à former des Idées conformes à cel-
les que les autres hommes ont dans l'Efprir , lorfqu'ils fe
fervent de ces noms-là; pourvu que nul des termes de la
Définition ne fignifie aucune idée llmplc, que celui à qui
on la propofe, n'ait encore jamais eu dans l'Efprit. Ain-
fi , le mot de Statue peut bien être expliqué à un Aveugle
par d'autres mots, mais non pas celui de peinture , fesSens
luy ayant fourni l'idée de la figure, èz non celle des cou-
leurs , qu'on ne fauroit pour cet effet exciter en luy par
le fecours des mots. C'efl: ce qui fit gagner le prix au
Peintre fur le Statuaire. Etant venus à difputer de l'ex-
cellence de leur Art, le Statuaire prétendit que la fculptu-
re devoit être préférée à caufe qu'elle s'étendoit plus loin,
&" que ceux-là mêmes qui étoient privez de laveûë,pou-
voient encore s'appercevoir de fon excellence. Le Pein-
tre convint de s'en rapporter au jugement d'un Aveugle.
Celui-ci étant conduit oii etoit la Statué du Sculpteur fie
Je Tableau du Peintre , on luy préfenta premièrement la
Statué , dont il parcourut avec fes mains tous les traits du
vifjge 6c la forme du Corps ; 6c plein d'admiration il ex-
alta l'addrefle de l'Ouvrier. Mais étant conduit auprès
du Tableau, on luy dit, à mefure qu'il etendoit la main
deilus, que tantôt il touchoit la tête, tantôt le front, les
yeux, le nez, o^c. à mefure que fa main fe mouvoir fur
les différentes parties de la peinture qui avoir été tirée fur
la Toile, fans qu'il y trouvât la moindre diftinîtion; fur
quoy il s'écria que ce devoit être fans contredit un Ou-
vrage tout-à-fait admirable , 6c divin , puifqu'il pouvoir
leur repréfenter toutes ces parties où il n'en pouvoit ni
fentir ni appercevoir la moindre trace.
§. 13.
Des Noms des Idées JiînpUs. Liv. III. ^29
§. 13. Celui qui fe ferviroic du mot Ârc-en-ciel, en Chai»,
parlant à une peiionne qui connoîtroit toutes les couleurs IV.
dont il eft compoié , mais qui a'auroit pourtant jamais
vu ce Fhénoméne , déflniroit li bien ce mot en reorefen-
tant la ligure, la grandeur , la pofition & l'arrangement
des Couleurs, qu'il pourroit le luy faire tout-à-fait bien
comprendre. Mais quelque exafte & parfaite que fut
cette définition , elle ne feroit jamais entendre à un A-
veugle ce que c'eft que l'Arc-en-ciel , parce que plufieurs
des Idées fimples qui forment cette Idée complexe, étant
de telle nature qu'elles ne luy ont jamais été connues par
fenfxtion & par expérience, il n'y a point de paroles qui
puiflént les exciter dans fon Efpnt.
§. 14.. Comme les Idées fimples ne nous viennent que Q»?^à i«
de l'expérience par le moyen des Objets qui font propres comp!c''xeVpeu!
à produire ces perceptions en nous , dès que nôtre Ef- ^f» être ren-
prit a acquis par ce moyen une certaine quantité de ces '^"^ ""='|igii^'«
Idées, avec la connoiflance des noms qu'on leur donne, des MotJ*^""^*
nous fommes en état de définir 6c d'entendre, à la faveur
des définitions, les noms des Idées complexes qui font
compofées de ces Idées fimples. Mais lorfqu'un terme
fignifie une idée fimple, qu'un homme n'a point eu en-
core dans l'Efprit, il efl: impofiîble de luy en faire com-
prendre le fens par des paroles. Au contraire , fi un terme
fignifie une idée qu'un homme connoit déjà , mais fans
favoir que ce terme en foit lefigne, on peut luy faire en-
tendre le fens de ce mot par le moyen d'un autre qui
fignifie la même idée & auquel il efl: accoutumé. Mais
il n'y a abfolument aucun cas oh. le nom d'aucune idée
fimple puifi^e êcre défini.
§. 15. En quatrième lieu, quoy qu'on ne puifle faire ^^•
concevoir la fignification précife des noms des Idées fim- idcVs "Zpies"
pies en les dcfiniifant,cela n'empêche pourtant pas qu'en '"" '" ">"""
général ils ne foient moins douteux 6c incertains que**"^"'^"^"
ceux des Modes Mixtes S>c des Subjtances. Car comme
ils ne fignifient qu'une fimple perception , les hommes
pour l'ordinaire s'accordent facilement &: parfaitement
X X X fur
5 3<3 Des Xoms S.cs Idées [Impies. ■
C-H A p. fur leur fignification ; &: ainfi, l'on n'y trouve pas grand
IV. fujet de fe méprendre , ou de dii'puter. Celui qui fait
une fois que la blancheur eft le nom de la Couleur qu'il
a obfervee dans la Neige ou dans le Lait , ne pourra guè-
re fe tromper dans l'application de ce mot, tandis qu'il
conferve cette idée dans l'Efprit ; ^ s'il vient à la perdre
entièrement, il n'eft plus fujet à n\n pas prendre le vray
fens , mais il apperçoit qu'il ne l'entend abfolumcnt
point. Il n'y a, dans ce cas, ni multiplicité d'Idées fim-
pies qu'il faille joindre enfemble , ce qui rend douteux
les noms des Modes mixtes ; ni une eflénce , fiippofée
réelle, mais inconnue, accompagnée de propriétez qui
en dépendent 6c dont le jufte nombre n'eft pas moins
inconnu , ce qui met de l'obfcurité dans les noms des
Subftances. Au contraire dans les Idées fimples toute la
lignification du nom eft connue tout à la fois, 6c n'eft
point compofée de parties dont un plus grand ou un plus
petit nombre étant mis enfemble , l'idée peut varier , 5c
par conféquent la fignification du nom qu'on luy donne,
être obfcure &c incertaine,
y. §. i6. On peut obferver, en cinquième lieu , touchant
^ll^^^^l très- '^"^5 Idées fimples Se leurs noms , qu'ils n'ont que très-
peu de fubordi- peu de fubordinations dans ce que les Logiciens appellent
nations dans ce [^if^g^ pr^dicawentalis , depuis la * dernière Efpéce iuf-
que les Logi- f r ^ r \ c > n. i J ■ '
ciepsnommeut qu au -f Genre jupreme. Lt la railon, c eft que la dernie-
x»»M prxdica- re Efpéce n'étant qu'une feule Idée fimple, on n'en peut
mentais. ^-^^ retrancher pour faire que ce qui diftingue des autres
*Species irihma. , r- • \\ ■ rf • 1 ir
'^ -' étant ote, elle punie convenir avec quelque autre choie
là.-*»». P^'" "'^'^ ^^^^ *î"^ ^^"'" ^^^^ commune a toutes deux , 5c
qui n'ayant qu'un nom , foit le genre des deux autres:
par exemple , on ne peut rien retrancher de l'idée du
Bbuc Se du Rouge pour faire qu'elles conviennent dans
une commune apparence. Se qu'ainfi elles ayent un feul
nom général , comme lorfque la faculté de raifonner é-
tant retranchée de l'idée complexe d'Homme y la fait con-
venir avec celle de Br^^", dans l'idée &" la dénomination
plus générale d' Animal. C'cft pour cela que , lorfque
les
Des Noms de; Idées fimpïcs. Liv. III. 531
les hommes fouhaitant d'éviter de longues Se ennuyeufes Ch ap.
énumerations ont voulu comprendre le Blanc &: le Ronge IV.
6c plufieurs autres femblables Idées fimples fous un feul
nom général, ils ont été obligez de le faire par un mot
qui exprime uniquement le moyen par où elles s'intro-
duifent dans l'Efprit. Car lorfque le Bbnc , le Roi/ge Se
le Jaune font tous compris fous le Genre ou le nom de
Couleur , cela ne défigne autre chofe que ces Idées entant
qu'elles font produites dans l'Efprit uniquement par la
veûë, &: qu'elles n'y entrent qu'à travers les yeux. Et
quand on veut former un terme encore plus général qui
comprenne les Couleurs , les Sons &c femblables Idées
fimples, on fe fert d'un mot qui fignifie toutes ces fortes
d'Idées qui ne viennent dans l'Efprit que par un feul
Sens ; &c ainfi fous le terme général de ^/alné pris dans
le fens qu'on luy donne ordmairement on comprend les
Couleurs, les Sons, les Goûts, les Odeurs &: les Quali-
tez taftiles, pour les diftinguer de l'Etendue, du Nom-
bre, du Mouvement, du Plaifir Se de la Douleur qui a-
giflént fur l'Efprit &: y introduifent leurs idées par plus
d'un Sens.
§. 17. En fixiéme lieu, une différence qu'il y a entre vi.
les noms des Idées fimples , des Subftances ôc des Modes uéL"°7iL 1"
mixtes, c'eft que ceux des Modes mixtes défignent des Idées emportent des
parfaitement arbitraires , qu'// n'en e(l pas tont-à-fait de r^" ''",', "^
' t j j V I a T 5-1 c N '°"t nullement
même de ceux des ôuùjtances y puilqu ils le rapportent à arbiciaites.
un modelle, quoy que d'une manière un peu vague , 8c
enfin que les noms des Idées /impies font entièrement pris de
l'exifience des chofes cr ne font nullement arbitraires. Nous
verrons dans les Chapitres fuivans quelle différence naît
de là dans la fignification des noms de ces trois fortes d'I-
dées.
Quant aux noms des Modes fimples , ils ne différent
pas beaucoup de ceux des Idées fimples.
X X X 2 CHA-
5 3 - ^f-f Noms des Modes Mixtes.
CHAPITRE V.
C H A p. ^^^ Noms des Modes Mixtes , ér des Relations.
V. '
Les noms des §. I. T Es noms dcs Modcs mixtes étant généraux, ils
Memïs'" L lignifient, comme il a été dit, des ïlfpéces
Idées abarinc?, de chofcs dont chacune a Ton eflence particulière. Et les
comme les au- eflénces de ces El'péces ne font que des Idées abitraites,
très noms scne- ,, ' , , ■ *■ -, ^ .s,
rjux. auxquelles on a attache certams noms. Julque-la les
noms &: les effences des Modes mixtes n'ont rien qui ne
leur foit commun avec d'autres Idées ^ mais 11 nous les
examinons de plus près, nous y trouverons quelque cho-
fe de particulier qui peut-être mérite bien que nous y
falllons attention.
- ,,^ ., §.2. La première chofe que je remarque, c'cft que
Les Idces quils 1 y,. , n'^ ■ r i i r ,v
iîgnifîent , font ^£S Idccs abltraites , ou , Il vous voulez , les Ellenccs
formées par dcs différentes Efpéces de Modes mixtes font formées
Entendement, par l'Entendement , en quoy elles difl'erent de celles des
Idées fimples, car pour ces dernières l'Efprit n'en fauroit
produire aucune) il reçoit feulement celles qui lu y font
offertes par l'exiftence réelle des chofes qui agifient fur
lu y.
IL §. 3- Je remarque , après cela , que les Eflénces des
mde^s '^"bitrai- ^^P^'^cs dcs Modcs mixtcs fout nou feulement formées
rement & fans par l'Entendement , mais qu'elles font formées d'une
raodelics. manière purement arbitraire , fans modelle , ou rapport
à aucune exiftence réelle. En quoy elles différent de
celles des Subftances qui fuppofent quelque Etre réel,
d'oîi elles font tirées , &■ auquel elles font conformes.
Mais dans les Idées complexes, que l'Efprit fe forme des
Modes mixtes, il prend la liberté de ne pas fuivre exacte-
ment Texillence des Chofes. llafl"emble, & retient cer-
taines combinaifons d'idées, comme autant d'Idées fpeci-
■jïqnes S< diftinctcs, pendant qu'il en laiifc à quartier d'au-
tres qui fe prcfenrent auiîi fouvcnt dans la Nature , &
qui
T>es Noms des Modes Mixtes. Liv. III. 535
qui font auni clairement fuggerées par les chofes exté- C h a p..
rieures, fans les déllgner par des noms , ou des fpécifîca- V,
tions diftinftes. L'Efpnt ne fe propofe pas non plus
dans les Idées àts Modes mixtes, comme dans les Idées
complexes des fubflances de les examiner par rapport à
l'exillence réelle des Chofes , ou de les vérifier par des
modelles qui exiftent dans la Nature , compofez de tel-
les idées particulières. Par exemple, fi un homme veut
favoir fi fon idée de Vadultere ou de Vmcejte eft exafte ,
ira-t-il la chercher parmi les chofes a£tuellemcnt exiftan-
tes? Ou bien, ell-ce qu'une telle idée eft véritable, par-
ce que quelqu'un a été témoin de l'aftion qu'elle fuppo-
fe.' Nullement. Il fuffit pour cela que les hommes ayent
réuni une telle Collection dans une feule Idée complexe,
qui dès-là devient modeîle original &: idée fpecifique ,
foit qu'une telle aftion ait été commife, ou non.
§. 4. Pour bien comprendre ceci, il nous faut voir en Comment cc'a;
quoy confifte la formation de ces fortes d'Idées com-
plexes. Ce n'eft pas à faire quelque nouvelle Idée, mais
à joindre enfemble celles que l'Efprit a déjà. Et dans
cette occafion , l'Efprit fait ces trois chofes: Première-
ment, il choifit un certain nombre d'Idées > en fécond
lieu, il met une certaine liaifon entre elles, & les réunie
dans une feule idée j enfin il les joint enfemble par un
feul nom. Si nous examinons comment l'Efprit agit,
quelle liberté il prend en cela , nous verrons fans peine
comment les Eflences des Efpéces des Modes mixtes font
un ouvrage de l'Efprit, &: que par conféquent les Efpé-
ces même font de l'invention des hommes.
§. 5. Qiiiconque confidercra qu'on peut former cette '' P^"^'' '■""
forte d'Idées complexes , les abftraire , leur donner des le^Tbluarburai^
noms, & qu'ainfi l'on peut conliituer une Efpéce diftin-resencequeii-
fte avant qu'aucun Individu de cette Efpéce ait jamais ^"tt eft îbu-"
exifté, quiconque, dis-ie, fera reflexion à cela, ne pour- ventavaiurcn-
ra douter que ces Idées de Modes mixtes ne {oiem faites 1^",-^ '^^,1?
par une combinaifon volontaire d'Idées réiinies dans l'Ef-icprcièm*,
prit. Qiu ne voir , par exemple , que les hommes peu-
Xxx 5 ysnt
^5^ T>es Noms des Modes Mixtes.
Qn Kv ^^'"^ former en eux-mêmes les idées de fiurilcge ou dV-
Y dultére , 6c leur donner des noms , en forte que par là
ces Efpéces de Modes mixtes pourroient erre établies a-
vant que ces chofes ayent été commifes , & qu'on en
pourroit difccurir aufli bien , 6c découvrir fur leur fujet
des vcritez auilî certaines , pendant qu'elles n'exiftoient
que dans l'Entendement , qu'on fauroit le faire à préfent
qu'elles n'ont que trop fouvent une exiftence réelle PD'oli
il paroît évidemment que les Efpéces des Modes mixtes
font un Ouvrage de l'Entendement , où ils ont une exi-
ftence aufll propre à tous les ufages qu'on en peut tirer
pour l'avancement de la Venté , que lorfqu'ils exiftent
réellement. Et l'on ne peut douter que les Legiflateurs
n'ayent fouvent fait des Loix fur des efpéces d'Adions
qui n'étcient que des Ouvrages de leur Entendement,
c'eft-à-dire , des Etres qui n'exiftoient que dans leur Ef-
.1: ir.5 ni. prit. Je ne croy pas non plus que perfonne nie , que la
Refiirrecîiou ne fut une Efpéce de Mode mixte , qui exi-
ftoit dans l'Efprit avant que d'avoir hors de là une exi-
ftence réelle.
Exemples tirez §. 6. Pour voir avcc quelle liberté ces Effences des
.AaMamriy de ^jodes mixtcs font formées dans l'Efprit des hommes, il
ne faut que )etter les yeux lur la plupart de celles qui
nous font connues. Un peu de reflexicn que nous ferons fur
leur nature nous -convaincra que c'eft l'Efprit qui combi-
ne en une feule Idée complexe différentes Idées difper-
fées , Se indépendantes les unes des autres , &: qui par le
nom commun qu'il leur donne, les fait être l'effence d'u-
ne certaine Efpéce, fans fc régler en cela fur aucune liai-
fon qu'elles ayent dans la Nature. Car comment l'Idée
d'un homme a-t-elle une plus grande liaifon dans !a Natu-
re que celle d'une Brebis avec l'idée de tuer , pour que
celle-ci jointe à celle d'un homme devienne l' Efpéce par-
ticulière d'une adion fignifîée par le mot de Meurtre ^ &
-, non quand elle eft jointe avec l'idée d'une Brebis ? Ou
bien, quelle plus grande union l'idée de la relation de
Pm a-t-elle , dans la Nature , avec celle de tuer, que
cette
Des Noms àes Modes Mixtes. Liv. III. 535
cette dernière idée n'en a avec celle de Fils ou de voifin,
pour que ces deux premières Idées foient combinées dans
une feule Idée complexe , qui devient par-là l'eflence de
cette Efpéce diftinfte qu'on nomme Fiima^é', tandis que
les autres ne conftituent pomt d'Efpéce diftinfte ? Mais
quoy qu'on ait fait de l'aition de tuer fonPére ou fa Mè-
re une efpéce diftinûe de celle de tuer fon Fils ou fa Fil-
le , cependant en d'autres cas , le Fils ôc la Fille font
combinez avec la même aftion auilt bien que le Père Se
la Mère , tous étant également compris dans la même
Efpéce, comme dans celle qu'on nomme Incejle. C'eft
ainfî que dans les Modes mixtes l'Efprit réunit arbitraire-
'ment en Idées complexes telles Idées fimples qu'il trou-
ve à propos j pendant que d'autres qui ont en elles-mê-
mes autant de liaifon enfemble , font laiflees défunies ,
fans être jamais combinées en une feule Idée, parce qu'on
n'a pas befoin d'en parler fous une feule dénomination. Il
efl", dis-je, évident que l'Efprit réunit par une libre dé-
termination de fa Volonté , un certain nombre d'Idées
qui en elles-mêmes n'ont pas plus de liaifon enfemble que
les autres dont il néglige de former de femblables combi-
naifons. Et fi cela n'étoit ainfi , d'où vient qu'on fait
attention à cette partie des Armes par où commence la
blefliire, pour conftituer cette Efpéce d' Action diftinde
de toute autre , qu'on appelle en Anglois * Stabbmg , pen-
dant
Chap.
V.
* Rien ne prouve mieux le raifonne-
mcnt de Mr. Lockf fur ces fortes d'Idées
e]u'il nomme Mottes mixtes (]ue l'importî-
bilité qu'il y a de traduire en François ce
moi àe Stabbing, dont l'ulage efl fonde'
fur une Loy d'Angleterre . par laquelle
celui qui tuç un homme en le frappant
d'efloc cft condamne' à la mort fans el^é-
rance de pardon , au lieu que ceux qui
tuent en frappant du tranchant de l'e'pe'e,
peuvent obtenir grâce. La Loy ayant con-
fidete' différemment ces deux atflions , on
a e'te' oblige' de faire de cet aiîle de tuer
tu frappant d'ejioc une Efpe'ce particuliè-
re, & de la de'figner par ce mot de Stab-
hing. Le terme François qui en appro-
che le plus, cft celui àc psigimrdir ; mais
il n'exprime pas prc'cifc'ment la même i-
dee. Car poignardeT lignifie feulement
bleffer , tner avec un poign,xrd , Jortcd' Jr-
nte penr frapper de la pointe , plus cvmie
qu'une epee : au lieu due le mot Anglois
Stab fïgnifie, tuer en frappant de la poin-
te d'une Arme propre à cela. De forte
que la feule chofe qni conftiiuë cette Ef-
pe'ce d'ailion , c'ell de tuer de la pointe
d'une ArmCi courte ou longue, il n'im-
porte; ce qu'on ne peut exprimer en Fran-
çois par un feul mot , fî je ne me trom-
pe.
536 Des Noms des Modes Mixtes.
C H A p. dant qu'on ne prend garde ni à la figure ni à la matière
V. de l'Arme même? Je ne dis pas que cela fe fafle fans rai-
l'on. Nous verrons le contraire tout à l'heure. Je dis feu-
lement que cela fe fait par un libre choix de l'Eiprit qui
va par là à fes fins, 6c qu'ainfi les Efpéces des Modes mix~
?(■.? font r(3uvrage de l'Entendement i &: il eft vifibleque
dans la formation de la plupart de ces Idées l'Efprit n'en
cherche pas les modelles dans la Nature , 6c qu'il ne rap-
porte pas ces Idées à l'exiftence réelle des chofes , mais
aflemble celles qui peuvent le mieux fervir à fon deflein^
fans s'obliger à une jufte &: précife imitation d'aucune
chofe réellement exiftante.
les idtesdfs g ^ Mais quoy que ces Idées complexes ou Eflences
quoy c]u"arbi- des Modcs mixtcs dépendent de l'Efprit qui les forme a-
uaircî font ycc unc grande liberté, elles ne font pourtant pas formées
porc?oiinées°âu ^^^ hazard , iSc eutaflees enfemble fans aucune raifon. En-
but ciuon fe corc qu'cUcs ne foient pas toujours copiées d'après natu-
lanwî'^e'^^"^'^ ^^ ' elles font toujours proportionnées à la fin pour la-
quelle on forme des Idées abllraites -, & quoy que ce
foient des combinaifons compoiees d'Idées qui font natu-
rellement aflez défunies & qui ont entre elles aulll peu de
liaifon que plufieurs autres que l'Efprit ne combine ja-
mais dans une feule idée, elles font pourtant toujours u-
nies pour la commodité de l'entretien qui cfl: la principa-
le fin du Langage. L'ufage du Langage efl: de marquer
par des fons courts d'une manière fiicile S^ prompte des
conceptions générales , qui non feulement renfern'ient
quantité de chofes particulières , mais aufli une grande
variété d'idées indépendantes, raflemblées dans une feule
Idée complexe. C'eftpourquoy dans la formation des
différentes Efpéces de Modes mixtes , les hommes n'ont
•eu égard qu'à ces combinaifons d(>nt ils ont occafion de
s'entretenir enfemble. Ce font celles-là dont ils ont for-
mé des Idées complexes diftindtes, & auxquelles ils ont
donné des noms, pendant qu'ils en laifient d'autres déta-
chées qui ont une liaifon aufli étroite dans la Nature ,
fans fonger le moins du monde à les réunir. Car pour ne
par-
Des Noms des Modes Mixtes. L i v. III. 537
parler que des Adtions humaines , s'ils vouloient former Chap.
des idées diftin£tes & abltraites de toutes les varierez qu'on V.
y peut remarquer, le nombre de ces Idées iroit à l'infini j
&; la Mémoire feroit non feulement confondue par cette
grande abondance, mais accablée fans néceffité. Il fuffit
que les hommes forment & deilgnent par des noms parti-
culiers autant d'Idées complexes de Modes mixtes , qu'ils
trouvent qu'ils ont befoin d'en nommer dans le cours or-
dinaire des affaires. S'ils joignent à l'idée de tuer celle de
Père ou de Mère , &: qu'ainli ils en faflent une Efpéce di-
llin6be du meurtre de fon Enfant ou de fon voifin , c'eft
à caufe de la différente atrocité du crime , &: du fupplice
qui doit être infligé à celui qui tué fon Père ou fa Mère,
différent de celui qu'on doit faire Ibuffrir à celui qui tuë
fon Enfant ou fon voifin. Et c'elt pour cela auffi qu'on
a trouvé néceffaire de le défigner par un nom diltind:, ce
qui eft la fin qu'on fe propofe en faifant cette combinai-
fon particulière. Mais quoy que les Idées de Mère &c de
Fille foient traitées fi différemment par rapport à l'idée
de tuer 3 que l'une y eft jointe pour former une idée di-
ftinfte &c abftraite, défignée par un nom particulier , &
pour conftituer par même moyen une Efpéce diftin6le ,
tandis que l'autre n'entre point dans une telle combinai-
fon avec l'idée de meurtre , cependant ces deux Idées de
Me're & de Fille confiderees par rapport à un commerce
illicite font également renfermées fous Vincefle , &: cela
encore pour la commodité d'exprimer par un même nom
& de ranger fous une feule Efpéce ces conjonftions impu-
res qui ont quelque chofe de plus infâme que les autres j
ce qu'on fait pour éviter des circonlocutions choquan-
tes , ou des defcriptions qui rendroient le difcours ennu-
yeux.
§. 8. Il ne faut qu'avoir une médiocre connoiffance de Autre preuve,
différentes Langues pour être convaincu fins peine de la q"f'"idcesdes
vérité de ce que je viens de dire, que les hommes forment feformauarbi-
arbitrairement diverfes Efpéces de Modes mixtes , car '?'^^'^'^"f> t"-
rien n'eft plus ordinaire que de trouver quantité de mots dans p^ufîturT '^"^
Y y y une
mots
^ 3 8 Des Noms des Modes Mixtes.
Chap. une Langue auxquels il n'y en a aucun dans nne^autre Lan-
V. gve qui leur réponde. Ce qui montre évidemment , que
d'une Langue ceux d'im même Pais ont eîi befoin en conféqucnce de
uadSanf'' le^rs coiitumes Se de leur manière de vivre , de former
une autre. plulkurs Idées complexes & de leur donner des noms ,
que d'autres n'ont jamais réuni en Idées fpécifiques. Ce
qui n'auroit pu arriver de la forte , fi ces Efpéces étoient
un confiant ouvrage de la Nature, & non des combinai-
fons formées ôc abfiraites par TEfprit pour la commodité
de l'entretien, après qu'on les a dèfignèes par des noms
difl:in£ts. Ainfi l'on auroit bien de la peine à trouver en
Italien ou en Efpagnol qui font deux Langues fort abon-
dantes , des mots qui rèpondiflent aux termes de nôtre
Jurifprudence qui ne font pas de vains fons; moins enco-
re pourroit-on, à mon avis, traduire ces termes en Lan-
gue Caribe ou dans les Langues qu'on parle dans les Iles
Occidentales..' Il n'y a point de mots dans d'autres Lan-
gues qui répondent au mot verfura ullté parmi les Ro-
mains, ni à celui de ror^^w , dont fe fervoient les Juifs.
Il eft aifè d'en voir la raifon par ce que nous venons de
dire. Bien plus> fi nous voulons examiner la chofe d'un
peu plus près , & comparer exaftement diverfes Langues,
nous trouverons que quoy qu'elles ayent des mots qu'on
* Sans aller plus fuppofe ^j^ns Ics * Tradudions ôc dans les Dictionnaires
duaion"i7eft fe répondre l'un à l'autre , à peine y en a-t-il un entre
une preuve, dix , parmi les noms des Idées complexes , &: fur tout >
îevora°" ud' ^^^ Modes mixtcs , qui fignifie précifement la même idée
quKRaMr- que Ic mot par lequel il eft traduit dans les Diftionnaires.
(]uesquejaiete' j^ j^>y ^ point d'idécs plus communcs 6c moins compofécs
poïf en avenu que cellcs dcs mefures du Temps , de l'Etendue &: du
icLeacui. Poids i 6c l'on rend hardiment en François les mors La-
tins, horUi peSi 6c hbra par ceux à' heure , de pie 6c de
livre ; cependant il eft évident que les idées qu'un Ro-
main attachoit à ces mots Latins étoient fort différentes
de celles qu'un François exprime par ces mots François.
Et qui que ce fut des deux qui viendroit à fe fcrvir des
mefures que l'autre défigne par des noms ulïtez dans fa
Lan-
T>es Noms des Modes Mixtes. Liv. III. 539
Langue, fe méprendroit infailliblement dans fon calcul, Chap.
s'il les regardoit comme les mêmes que celles qu'il expri- V.
me dans la fienne. Les preuves en font trop fenfibles
pour qu'on puifle le révoquer en doute , & c'eft ce que
nous verrons beaucoup mieux dans les noms des Idées
plus abftraites & plus compofées , telles que font la plus
grande partie de celles qui compofent les Difcoursde Mo-
rale} car fi l'on vient à comparer exaftement les noms de
ces Idées avec ceux par lefquels ils font rendus dans d'au-
tres Langues , on en trouvera fort peu qui correfpon-
dent exadement dans toute l'etenduë de leurs fignifica-
tions.
§. o. La raifon pourquov j'examine ceci d'une manié- Onaformcde*
^^.,.. ^ ^ n.^ r ^ ^ ^ ■ Efpcces de Mo-
re fi particulière , c elt afin que nous ne nous trompions jj^jj^te; p^^j
point fur les Genres , les Efpeces & leurs ElTences, com- sanretcmc
me fi c'étoienr des chofes formées régulièrement &: con- ««'"modcment.
ftamment par la Nature, Se qui euflent une exiftence réel-
le dans les chofes mêmes ; puifqu'il paroît , après un exa-
men un peu plus cxa£t , que ce n'ell qu'un artifice dont
l'Efprit s'eft avifé pour exprimer plus aifément les colle-
ftions d'Idées dont il avoit fouvent occafion de s'entrete-
nir , par un feul terme général , fous lequel diverfes cho-
fes particulières peuvent être comprifes , autant qu'elles
conviennent avec cette idée abftraite. Que fi la fignifica-
tion douteufe du mot Efpe'ce fait que certaines gens font
choquez de m'entendre dire que les Efpéces des Modes
mixtes font formées par l'Entendement , je croy pourtant
que perfonne ne peut nier que ce ne foit l'Efprit qui for-
me ces idées complexes 6c abftraites auxquelles les noms
fpécifiques ont été attachez. Et s'il eft vray , comme il
l'eft certainement , que l'Efprit forme ces modelles pour
réduire les Chofes en Efpéces , ôc leur donner des noms ,
je laiffe à penfer qui c'eft qui fixe les limites de chaque
Sorte ou Efpece , car ces deux mots font chez moy tout-à-
fait fynonymes.
§. 10. L'étroit rapport qu'il y a entre les Efpe'ces y les Dans les Modes
Ejjences & leurs noms généraux ^ du moins dans les Modes ™i^'qu- f^ll.
Yyy 2 mix-
5 ^o Des Noms des Modes Mixtes.
C H A p. mixtes y paroîrra encore davantage , fi nous confiderons
V. que c'eft le nom qui fenible preferver ces Eflences & leur
fcmMe lacom- afsûrcr unc perpétuelle durée. Car l'Efprit ayant mis de
binaifon de di- j^ ijaifou cuttc Ics parties détachées de ces Idées comple-
verles idées & . ' . r j • i ■ i
en fait une Ef- xes , cettc union qui n'a aucun rondement particulier dans
P"«- la Nature, cefleroit , s'il n'y avoit quelque chofe qui la
maintint , fie qui empêchât que ces parties ne fe difper-
faflent. Ainii , quoy que ce foit l'Efprit qui forme cet-
te combinaifon , c'eft le nom , qui eft , pour ainfi dire ,
le nœud qui les tient étroitement liez enfemble. QLielle
prodigieufe variété de différentes idées le mot Latin Trnim-
fhns joint-il pas enfemble , 8c nous prcfente comme une
Efpece unique i Si ce nom n'eut jamais été inventé ou
eût été entièrement perdu, nous aurions pu fans doute a-
voir des defcriptions de ce qui fe paflbit dans cette folem-
nité , mais pourtant je croy que ce qui tient ces dift'éren-
tes parties jointes enfemble dans l'unité d'une Idée com-
plexe , c'eft ce même mot qu'on y a attaché , fans lequel
on ne rcgarderoit non plus les différentes parties de cette
-v folemnite comme faifant une feule Chofe , qu'aucun au-
tre fpe£tacle qui n'ayant paru qu'une fois n'a jamais été
>• réuni en une feule idée complexe fous une feule dénomi-
nation. Qii'on voye après celajufques à quel point l'u-
nité nécefTaire à l'efl'ence des Modes mixtes dépend de
l'Efprit, &• combien la continuation fie la détermination
de cette unité dépend du nom qui luy eft attaché dans
l'ufage ordinaire j je laifle , dis-je , examiner cela à ceux
qui regardent les Eflences fie les Efpéces comme des cho-
fes réelles &: fondées dans la Nature.
§. II. Conformément à cela , nous voyons que les
hommes imaginent 6c confidérent rarement aucune autre
idée complexe comme une Efpece particulière de Modes
mixtes, que celles qui font diftinguées par certains noms>
parce que ces Modes n'étant formez par les hommes que
pour recevoir une certaine dénomination , l'on ne prend
point de connoiflancc d'aucune telle Efpece, l'on ne fiip-
pofe pas même qu'elle exifte , à moins qu'on n'y attache
un
Des Noms des Modes Mixtes. Liv. III. 541
un nom qui foit comme un figne qu'on a combiné plu- C h a p.
fleurs idées détachées en une feule, &; que par ce nom on V.
afsùre une union durable à ces parties qui autrement cef-
feroient d'être jointes , dès que l'Efprit laifleroit à quar-
tier cette idée abftraite , &: dilcontinueroit d'y penfer a-
£tuellement. Mais quand une fois on y a attaché un nom
dans lequel les parties de cette Idée complexe ont une u-
nion déterminée éc permanente, alors l'elîénce eft, pour
ainfi dire, établie, & l'Efpéce eft conliderée comme com-
plète. Car dans quelle veûë la Mémoire fe chargeroit-
elle de telles compofitions , à moins que ce ne fut par
voye d'abftraârion pour les rendre générales; 6c pourquoy
les rendroit-on générales fi ce n'étoit afin de pouvoir avoir
des noms généraux dont on put fe fervir commodément
dans les entretiens qu'on auroit avec les autres hommes?
Amfi nous voyons qu'on ne regarde pas comme deux Ef-
péces d'aftions diftin£Vcs de tuer un homme avec une épée
ou avec une hache , mais fi la pointe de l'épée entre la
première dans le Corps , on regarde cela comme une Ef-
péce diftinfte dans les Lieux où cette aftion a un nom di-
ftin£t comme * en Angleterre. Mais dans un autre Pais *où on la
où il eft arrivé que cette aftion n'a pas été fpécifiée fous "°™"^5, '""*-
un nom particulier, elle ne paflè pas pour une Efpéce di- c'y-deiius plg.
ftin£te. Du refte , quoy que dans les Efpéces des Sub- 5n "qui aé-
ftances corporelles , ce foit l'Efprit qui forme l'Eflencel^^otli^ "^'^'^
nominale; cependant parce que les Idées qui y font com-
binées , font fuppofées être unies dans la Nature , foit
que l'Efprit les joigne enfemble ou non , on les regarde
comme des Efpéces diftin£tes , fans que l'Efprit y inter-
pofe fon opération , foit par voye d'abftraftion , ou en
donnant un nom à l'idée complexe qui conftituë cette ef-
fence.
§. 12. Une autre remarque qu'on peut faire en confé- Nous ne confi-
d.
péces des Modes mixtes, qu'elles font produites parl'En- Modes m
qucnce de ce que je viens de dire fur les EfTences des £f. ^™" po'"' '"
^, • , . 7- - . . .. ^ , . ..„ Oncuuuï des
rendement plutôt que par la Nature, c'eil qtte leurs noms =>". '^eià deiEC
condinfenî nos penfees à ce qui eft dans l'Efprit , & non an prouVc" '^"'
Yyy 3 deU.
encore
542 Des Noms des Modes Mixtes.
C H A p. diU. Lorfque nous parlons de Jtijîice éc de Reconnoijfan-
V. ce, nous ne nous reprefentons aucune chofe exiftante que
cju'ii? font nous (ongions à concevoir, mais nos penfëes fe terminent
l'£ntenl:mcii:. âux Idées abllraitcs de ces vertus, 6c ne vont pas plus loin,
comme elles font quand nous parlons d'un Cheval ou du
Fer , dont nous ne confiderons pas les idées fpëcitîques
comme exiftantes purement dans l'Efprit , mais dans les
chofes mêmes, qui nous fournirent les patrons originaux
de ces Idées. Au contraire , dans les Modes mixtes , ou
du moins dans les plus confidérables qui font les Etres de
morale, nous confiderons les modelles originaux comme
exiftans dans l'Efprit, 6c c'eft à ces modelles que nous a-
* On dit , /.» vous égard pour diftinguer chaque Etre particulier par
Horion de la ju- dcs uoms diftiufts. De là vient, à mon avis, qu'on don-
pccde la tem- ^Q aux eflénccs des Efpéces des Modes mixtes le nom
iiedit point, /.! plus particulier de * Notion, comme li elles appartenoient
*""/*" '^ ""*"*'' à l'Entendement d'une manière plus particulière que les
val,a une pierre, t i '
Sec. autres Idées.
La raifonpour- §. 13. Nous pouvons aulTi apprendre par là, pour-
'î"°y ''^ ^°"; îî quoy les Idées complexes des Modes mixtes font communé-
Conipolcz,ce(t ' -'^ , ^/ 11 1 r 1 n n
parcequ'iisfont ^^«^ pl^is compo/ecs , que celles des Jitb/iances naturelles.
loimez par C'cfl parcc quc l'Entendement qui en les formant par
fans modelles. luy-meme lans aucun rapport a un original preexutant ,
s'attache uniquement à fon but, 6c à la commodité d'ex-
primer en abrégé les idées qu'il voudroit faire connoître
à une autre perfonne , réunit fouvent avec une extrême
liberté dans une feule idée abftraitc des chofes qui n'ont
aucune liaifon dans la Nature : 6c par là il affemble fous
un feul terme une grande variété d'Idées diverfementcom-
pofées Prenons pour exemple le mot de Proceffion;
. quel mélange d'idées indépendantes, de perfonncs, d'ha-
bits , de tapifferies , d'ordre , de mouvemcns , de fons ,
e^T. ne renferme-t-il pas dans cette idée complexe que
l'Efprit de l'homme a formée arbitrairement pour l'ex-
primer par ce nom-là ? Au lieu que les Idées complexes
qui conrtituent les Efpéces des Subilances , ne font ordi-
nairement compofécs que d'un petit nombre d'idées llmpleS}
6c
Des Noms des Modes Mixtes. Liv. III. 54,3
&• dans les différentes Efpéces d'Animaux, l'Efprit fe Chap.
contente ordinairement de ces deux Idées, {■x figure &z la V.
voix , pour conftituer toute leur efîénce nominale.
§. 14. Une autre chofe que nous pouvons remarquer Les noms des
à propos de ce que je viens de dire, c'eft aiie les noms des r^°'H^ """'"
Modes mixtes Jignijient toujours les ejjences réelles de leurs jours leurs Ef-
Efpéces lorj qu'ils ont une Jignifi cation déterminée. Car ces '^"'^'^^ '^"""'
Idées abflraites étant une produftion de l'Efprit , &: n'a-
yant aucun rapport à l'exillence réelle des chofes , on ne
peut fuppofer qu'aucune autre chofe foit lignifiée par ce
nom , que la feule idée complexe que l'Efprit a formé
luy-méme, & qui eft tout ce qu'il a voulu exprimer par
ce nom-là -, & c'eft de là aulîi que dépendent toutes les
propriétez de cette Efpéce , ëc d'où elles découlent uni-
quement. Par conféquent dans les Modes mixtes l'eflén-
ce réelle ôc nominale n'eft qu'une feule oc même cho-
fe. Nous verrons ailleurs de quelle importance cela
eft pour la connoiflance certaine des veritez généra-
les.
§. 15. Ceci nous peut encore faire voir la raifon, Pourquoyion.
ptirquoy l'on vient a apprendre la plupart des noms des ^/<?- î',a!'rc'ieufs°"^''
des mixtes avant que de connoître parfaitement les idées noms avant le»
qu'ils fignifient. C'eft que n'y ayant point d'Efpéces Je J.*^"- ''"''^ '^*"'
ces Modes dont on prenne ordinairement connoiflance ft". ''™^"'
non de celles qui ont des noms, & ces Efpéces ou plutôt
leurs eflences étant des Idées complexes ^ abftraites, for-
mées arbitrairement par l'Efprit, il eft à propos, pour ne
pas dire néceflaire, de connoître les noms , avant que de
s'appliquer à former ces Idées complexes} à moins qu'un
homme ne veuille fe remplir la tête d'une foule d'Idées
complexes & abftraites , auxquelles les autres hommes
n'ont attaché aucun nom ,&: qui luy font fi inutiles àluy-
même qu'il n'a autre chofe à faire après les avoir formées
que de les laifl^er à l'abandon &: les oublier entièrement.
J 'avoué qu£ dans les commencemens des Langues, il étoit
néceflaire qu'on eût l'idée, avant que de luy donner un
certain nom ; ôc il en eft de même encore aiijourd'huy ,
Lorf.
544 •^^•^ Noms des Modes Mixtes.
C H A p. lorfque l'Efprit venant à faire une nouvelle idée comple-
V. xe & la réunifiant en une feule par un nouveau nom qu'il
lu y donne , il invente pour cet effet un nouveau mot.
JViais cela ne regarde point les Langues établies qui en
général font fort bien pourvues de ces idées que les hom-
mes ont fouvent occafion d'avoir dans l'Efpnt &;de com-
muniquer aux autres. Et c'cft fur ces fortes d'Idées que
je demande ,s'il n'eft pas ordinaire que les Enfans appren-
nent les noms des iModes mixtes avant qu'ils en ayent les
idées dans l'Efprit? De mille perfonnes à peine y en a-t-il
une qui forme l'idée abftraite de Gloire ou d'Ambition a-
vant que d'en avoir oui les noms ? Je conviens qu'il en
eft tout autrement à l'égard des Idées fimples 6c des Sub-
fiances ; car comme ce font des Idées qui ont une exi-
ftence &: une liaifon réelle dans la Nature, on en acquiert
les idées ou les noms, l'un devant l'autre , comme il fe
rencontre.
Pourquoy je §• i6. Cc quc je vicus de dire des Modes mixtes peut
m'crcndsfi fort être aullî appliqué aux Relations , fans v chaneer grand'
(ur ce (met. x. r o i > • j i
choie ; u parce que chacun peut s en appercevoir de uiy-
même , je m'épargnerai le foin d'étendre davantage cet
article, & fur tout à caufe que ce que j'ai dit fur les Mots
dans ce Troifiéme Livre , paroitra peut-être à quelques
uns beaucoup plus long que ne meritoit un fujet de fi pe-
tite importance. On auroit pu le renfermer dans un plus
petit efpace, j'en tombe d'accord. Mais j'ai été bien aife
d'arrêter mon Lefteur fur une matière qui me paroit nou-
velle, &: un peu éloignée de la route ordinaire , (je fuis
du moins afsùré que je n'y avois point encore penfé ,
quand je commençai à écrire cet Ouvrage) afin qu'en la
creufantjufqu'au fondement , &: en la tournant de tous
cotez, quelque partie puiffe frapper çà ou là l'Efprit de
chacun de ceux qui liront cet Ouvrage , & donner occa-
fion aux plus opiniâtres ou aux plus negligens de réflé-
chir fur un defordre général , dont on ne s'apperçoit pas
beaucoup , quoy qu'il foit d'une extrême confequence.
Si l'on confidére quel bruit on fait touchant les Eflences,
&
Des Noms des Modes Mixtes. Liv. III. 54^
& combien on embrouille toutes fortes de Sciences , de Chap.
difcours &: de convcrûtions par le peu d'exaftitude Se V.
d'ordre qu'on employé dans l'ufage &r l'application des
mots , on jugera peut-être que c'elt une chofe bien digne
de nos foins d'approfondir entièrement cette matière 6c
de la mettre dans tout fon jour. Ainfi , j'efpére qu'on
m'excufera de ce que j'ai traité au long un fujet que je
croy d'autant plus digne d'être inculqué dans l'Efprit
des hommes, que les fautes qu'ils commettent ordinaire-
ment dans ce genre , apportent non feulement les plus
grands obftacles à la vraye Connoilfance, mais font dans
une telle eftime qu'on les regarde comme des fruits de
cette même Connoilfance. Les hommes s'appercevroient
fouvent que dans ces Opinions dont ils font tant les fiers,
il y a bien peu de raifon Se de vérité , ou peut-être qu'il
n'y en a abfolument point, s'ils vouloient porter leur Ef-
prit au delà des fons qui font à la mode , &■ confidérer
quelles idées font ou ne font pas comprifes fous ces ter-
mes, dont ils fe muniflent à toutes fins &" en toutes ren-
contres & dont ils fe fervent avec tant de confiance pour
expliquer toutes fortes de matières. Je croirai avoir ren-
du quelque fervice à la Vérité, à la Paix, & à la vérita-
ble Science, fi en m'étendant un peu fur ce fujet, je puis
engager les hommes à réfléchir fur l'ufage qu'ils font des
mots en parlant , & leur donner occafion de foupçonner
que puifqu'il arrive fouvent à d'autres d'employer dans
leurs difcours &: dans leurs Ecrits de fort bons mots, au-
torifez par l'ufage, dans un fens fort incertain 6c qui fe
réduit à très-peu de chofe ou même à rien du tout , ils
pourroient bien tomber auflî dans le même inconvénient.
D'oii il s'enfuit évidemment qu'ils ont grand' raifon de
l'obferver exaftement eux-mêmes fur ces matières, 6c d'ê-
tre bien- aifes que d'autres s'appliquent à les examiner.
C'eft fur ce fondement que je vais continuer de propofer
ce qui me refte à dire fur cet article.
Zzz CHA-
54.6 Des Noms des Subjlances.
CHAPITRE VI.
Qnxv. ^^^ Noms des Subjlances.
VI.
Lcsnomscoir,- §. I. T Es noms communs des Subftances emportent ,
muiis des Sub- 1^ auffi bien que les autres termes "enéraux, l'i-
itances empor- i/'-iir> j- t/-
teiit iidc'e de "ec générale de dorte ; ce qui ne veut dire autre choie
'«"'• finon qu'ils font faits fignes de telles ou telles Idées com-
plexes , dans lefquelles plufieurs fubftances particulières
conviennent ou peuvent convenir ; & en vertu dequoy
elles font capables d'être comprifes fous une commune
conception, &r fignifiées par un feul nom. Je dis qu'el-
les conviennent ou peuvent convenir, car quoy qu'il n'y
ait qu'un feul Soleil dans le Monde , cependant l'idée
qu'on en forme par abftra£tion , en forte que d'autres
fubftances , s'il y en avoit plufieurs , peuvent chacune y
participer également, eft aulli bien une Sorte ou Efpece ^
que s'il y avoit autant de Soleils qu'il y a d'Etoiles. Et
ce n'eft pas fans raifon que certaines gens croyent qu'il y
en a tout autant , &■ que chaque Etoile fixe répondroit à
l'Idée que le nom de Soleil fignifie, à l'égard d'une per-
fonnc qui feroit placée à une jufte diftanccj ce qui, pour
le dire en paflant , nous peut faire voir combien les Sortes j
ou 11 vpus voulez , les Genres &: les Efpe'ces des Chofes
(^car ces deux derniers mots dont on fait tant de bruit
dans les Ecoles , ne fignifient autre chofe chez moy que
ce qu'on entend en François par le mot de Sorte^ dépen-
dent des Colleftions d'idées que les hommes ont faites ,
&: nullement de la nature réelle des chofes ; puifqu'il n'eft
pas impoflible que dans la plus grande exactitude du Lan-
gage , ce qui eft une Etoile à l'égard d'une perfonne,
puifle être un Soleil à l'égard d'une autre.
L'efseiice de §. 2. La mcfure 6c les bornes de chaque Efpece ou Sor-
'•'ftTiJ^'' 'b' ^^» P^"- °^^ ^^^^ ^^ érigée en une telle Efpéce particulière
ftraitc. 6c diftinguée des autres , c'eft ce que nous appelions fon
Efien-
Des Noms des Subjîances. L i v. III. 547
Ej[ence ; qui n'eft autre chofe que l'Idée abftraite à la- Ch aï».
quelle le nom eft attaché , de forte que chaque chofe VI.
contenue dans cette Idée , eft effentielle à cette Efpéce,
Qiioy que ce foit là toute l'eflence des Subftances natu-
relles qui nous eft connue , & par où nous diftinguons
ces Subftances en différentes Efpéces , je la nomme pour-
tant efience nominale , pour la diftinguer de la conftitu-
tion réelle des Subftances , d'oii dépendent toutes les i-
dées qui entrent dans VeJJence nominale , &c toutes les pro-
priétez de chaque Efpece : Laquelle conftitution réelle
quoy qu'inconnue peut être appellée pour cet effet Vef-
Jènce réelle , comme il a été dit. Par exemple , Veffence
nominale de l'Or, c'eft cette Idée complexe que le mot
Or fignifie, comme vous diriez un Corps jaune, d'une
certaine pefanteur , malléable, fufible & lixe. MnxsVEf-
fence réelle y c'eft la conftitution des parties infenfibles de
ce Corps , de laquelle ces Qualitez &: toutes les autres
propriétez de l'Or dépendent. Il eft aifé de voir d'un
coup d'œuil combien ces deux chofes font différentes
quoy qu'on leur donne à toutes deux le nom d'ejjèn-
ce.
§. 5. Car encore qu'un Corps d'une certaine forme , Différence en-
accompagné de fentiment , de raifon , Se de motion vo- "= iv/r««i<
iontaire conftitué peut-être l'idée complexe à laquelle ^ritwf'''
moy ôc d'autres attachons le nom d'^(3»/;??^ , ôcqu'ainfice
foit l'effence nominale de l'Efpéce que nous défignons
par ce nom-là j cependant perfonne ne dira jamais , que
cette Idée complexe eft l'effence réelle &: la fource de
toutes les opérations qu'on peut trouver dans chaque In-
dividu de cette Efpéce. Le fondement de toutes ces
Qualitez qui entrent dans l'Idée complexe que nous en
avons , eft tout autre chofe ; & fi nous connoiilîons cette
conftitution de l'homme , d'où dérivent ces facultez de
mouvoir , de fentir , de raifonner , 8c fes autres puiflan-
ces, & d'où dépend fa figure fi régulière, comme peut-
être les Anges la connoiffentaSc comme la connoit certai-
nement celui qui en eft l'Auteur , nous aurions une idée
Zzz 2 de
5 48 Des Nom: des Stibjlances.
C H A p. de fon eiïence tout-à-fait différente de celle qui eft pré-
VI. fentemcnt renfermée dans nôtre définition de cette Efpé-
ce, en quoy elle confifte; &: l'idée que nous aurions de
chaque homme individuel feroit auiîi différente de celle
que nous en avons à préfent, que l'/dée de celui qui con-
noit tous les reflbrts, toutes les roues & tous les mouve-
mens particuliers de chaque pièce de la fameufe Horloge
de Strasbourg^ eft différente de celle qu'en a un Paifan
grofller qui voit fimplement le mouvement de l'Aiguille,
qui entend le fon du Timbre, 6c qui n'obfcrve que les
parties extérieures de l'Horloge.
Rien n'eO ef- §. 4. Cc qui fait voit que VEjfcnce fe rapporte aux
divid^'s^"" ^" Efpéces, dans l'ufage ordinaire qu'on fait de ce mot, &
qu'on ne la confidére dans les Etres particuliers qu'entant
qu'ils font rangez fous certaines Efpéces, c'eil qu'ôté les
Idées abdraitcs par où nous reduifons les Individus à cer-
taines fortes, & les rangeons fous de communes dénom.i-
nations, dès-lors rien n'eft plus regardé comme leur étant
effentiel. Nous n'avons point de notion de l'un fans l'au-
tre, ce qui montre évidemment leur relation. Il eft né-
ceflaire que je fois ce que je fuis. Dieu & la Nature
m'ont ainfi fait , mais je n'ai rien qui me foit elfentiel.
Un accident ou une maladie peut apporter de grands
changemens à mon teint ou à ma taille ; une Fièvre ou
une chute peut rn'ôter entièrement la Raifon ou la mémoi-
re, ou toutes deux enfemble, &: une Apoplexie peut me
réduire à n'avoir ni fentiment , ni entendement, ni vie.
D'autres Créatures de la même forme que moy peuvent
être faites avec un plus grand ou un plus petit nombre
de facilitez que je n'en ai , avec des facultez plus excel-
lentes ou pires que celles dont je fuis doûéi fie d'autres
Créatures peuvent avoir de la Raifon 6c du fentiment
dans une forme 8c dans un Corps fort différent du mien.
Nulle de ces chofcs n'eft effentielle à aucun Individu, à
celui-ci ou à celui-là, jufqu'à ce que l'Efprit le rapporte
à quelque/ôr/f ou e(féce de Chofes; mais l'Efpéce n'eft
pas plutôt formée qu'on trouve quelque chofc d'efléntiel
par
Des Noms des Subjldnces. Liv. III. 549
par rapport à l'idée abftraite de cette Efpéce. Que cha- C H A p.
cun prenne la peine d'examiner fes propres peafées , &: il VI.
verra, jem'afTùre, que dès qu'il fuppofe quelque chofe
d'eflentiel, ou qu'il en parle, la confideration de quel-
que Efpéce ou de quelque Idée complexe , fignifiée par
quelque nom général, Te préfente à fon Efprit , 6c c'eft
par rapport à cela qu'on dit que telle ou telle QLialité
cft eiïentielle. De forte que, il l'on me demande s'il eft
eflentiel à moy ou à quelque autre Etre particulier & cor-
porel d'avoir de la Railbn , je répondrai que non , 6c
qu'il ne l'efl: non plus qu'il ell eflentiel à cette Chofe
blanche fur quoy j'écris, qu'on y trace des mots defllis.
Mais lî cet Etre particulier doit être compté parmi cette
Efpéce qu'on appelle homme 6c avoir le nom d'homme ,
dès-lors la Raifon luy eft eflentielle, fuppofé que laRai-
fon faile partie de l'Idée complexe qui elî lignifiée par le
nom d'homme, comme il eft eflentiel à la Chofe fur quoy
j'écris, de contenir des mots, fi je luy veux donner le
nom de Traite &z le ranger fous cette Efpéce. De forte
que ce qu'on appelle ejj'entiel è^ non-ejfcntiel , fe rapporte
uniquement à nos Idées abitraites èc aux noms qu'on leur
donne > ce qui ne veut dire autre chofe, fmon que toute
chofe particulière qui n'a pas en elle-même les Qiialitez
qui font contenues dans l'idée abftraite qu'un terme gé-
néral fignifie, ne peut être rangée fous cette Efpéce ni
être appellée de ce nom, puifque cette Idée abftraite eft
la véritable efl^ence de cette Efpéce.
§. 5. Cela pofé , Cl l'idée du Corps eft , comme veu-
lent quelques-uns, une fimple étendue, ou le pur Efpa-
ce, alors la folidité n'eft pas effenîielle au Corps. Si d'au-
tres établifl"ent que l'Idée à laquelle ils donnent le nom
de Corps , emporte folidité 6c étendue , en ce cas la foli-
dité eft efl^entielle au, Corps. Par conféquent ce qui fait
partie de l'idée complexe que le nom fignifie, eft la cho-
ie, 6: la feule chofe qu'il faut confiderer comme eflfen-
tielle, 6c fans laquelle nulle chofe particulière ne peut
être rangée fous cette Efpéce ni être défignée par cenom-
Zzz 3 là
550 T>es Noms des Subjlances.
C H A p. U. Si l'on trouvoit une partie de Matière qui eût toutes
VI. les autres qualitez qui fe rencontrent dans le Fer, excepte
celle d'être attiré par l'Aimant Se d'en recev^oir une dire-
ction particulière, qui eft-cc qui s'aviferoit de mettre en
queftion s'il manqueroit à cette portion de matière quel-
que chofe d'eflentiel? Qiii ne voit plutôt l'abfurdité qu'il
y auroit de demander s'il manqueroit quelque chofe d'ef-
lentiel à une chofe réellement exiftante? Ou bien, pour-
roit-on demander fi cela feroit ou non une différence ef-
fentielle ou fpécifique, puifque nous n'avons point d'au-
tre mcfure de ce qui conftituë l'cffence ou l'Efpécc des
chofes que nos Idées abftraitesj fie que parler de différen-
ces fpécifiques dans la Nature , fans rapport à des Idées
générales êc à des noms généraux , c'eft parler inintelli-
giblement? Car je voudrois bien vous demander ce qui
fuffit pour faire une différence effentielle dans la Nature
entre deux Etres particuliers fans qu'on ait égard à quel-
que Idée abftraite , qu'on confidére comme l'effence 6c
le patron d'une Efpéce. Si l'on ne fait abfolument point
d'attention à tous ces Modelles , on trouvera fans doute
que toutes les Qiialitez des Etres particuliers , confiderez
en eux-mêmes, leur font également effentielles -, &c dans
chaque Individu chaque chofe luy fera ejfentielle, ou plu-
tôt, rien du tout ne luy fera effentiel. Car quoy qu'on
puiffe demander raifonnablement s'il eft effentiel au Fer
d'être attiré par l'Aimant; je croy pourtant que c'eft une
chofe abfurde Se frivole de demander fi cela eft effentiel à
cette portion particulière de matière dont je me fers pour
railler ma plume, fans la confiderer fous le nom de fer^
ou comme étant d'une certaine Efpéce. Et fi nos Idées
abftraites auxquelles on a attaché certains noms , font les
bornes des Efpcces, comme nous avons déjà dit, rien ne
peut être effentiel que ce qui eft renfermé dans ces I-
dées.
§ 6. A la vérité , j'ai fou vent fait mention d'une effen-
ce réelle , qui dans les Subftances eft diftinde des Idées
abftraites qu'on s'en fait Se que je nomme leurs efjences
no-
Des Noms des Subjlances. L i v. III. 551
nominales. Et par cette eflence réelle, j'entens la con- Chap.
ftitution réelle de chaque chofe qui eft le fondement de VI.
toutes les proprietez , qui font combinées 6c qu'on trou-
ve co'exifler conftamment avec l'eflénce nominale , cette
conftitution particulière que chaque chofe a en elle-mê-
me fans aucun rapport à rien qui luy foit extérieur. Mais
l'eflénce prife même en ce fens-là fe rapporte à une ccr-
taine forte , &: fuppofe une Efpéce j car comme c'eft la
conftitution réelle d'où dépendent les proprietez , elle
fuppofe néceflairement une forte de chofes, puifque les
proprietez appartiennent feulement aux Efpéces , &: non
aux Individus. Suppofé, par exemple, que Veljence no-
minale de l'Or foit d'être un Corps d'une telle couleur,
d'une telle pefanteur , malléable èc fufible , fon eflence
réelle eft la difpofition des parties de matière , d'où dé-
pendent ces Qiialitez &: leur union, comme elle eft aufli
le fondement de ce que ce Corps fe diflbut dans VEatt
Régale , & des autres proprietez qui accompagnent cette
Idée complexe. Voilà des cflences &c des proprietez ,
mais toutes fondées fur la fuppofition d'une Efpéce ou
d'une Idée générale Se abftraite qu'on confidere comme
immuable} car il n'y a point de particule individuelle de
Matière, à laquelle aucune de ces Qiialitez foit fi fort
attachée, qu'elle luy foit eflentielle ou en foit infepara-
ble. Ce qui eft eflentiel , luy appartient comme une con-
dition par où elle eft de telle ou telle Efpéce j mais cefl!ez
de la confiderer cette portion de matière comme rangée
fous la dénomination d'une certaine Idée abftraite , dès-
lors il n'y a plus rien qui luy foit nécefl!airement attaché,
rien qui en foit inféparable. Il eft vray qu'à l'égard desEf-
fenccs réelles des Subftances, nous fuppofons feulement
leur exiftiïnce fans connoître prècifément ce qu'elles font.
Mais ce qui les lie toujours à certaines Efpéces , c'eft
VeJSence nominale dont on fuppofe qu'elles font la caufeôc
le fondement.
§.7. Il faut examiner après cela par quelle de ces deux LErsence no-
Eflences on range les Subftances fous diff'érentes Efpéces. mine'VEfp^ce'
II ^ '
^ ^ 2 Des Noms des Subjlances,
Cha"p 11 eft évident que c'eft par Vejjence nominale. Car c'eft
Yj cette feule cflcnce qui eit fignifiëe par le nom qui eft la
marque de l'Efpéce. Il eft donc impoflible que les Ef-
pcces des Choies que nous rangeons fous des noms géné-
raux, foient déterminées par autre chofe que par cette
idée dont le nom efl établi pour fignc} &: c'efl: là ce que
nous appelions ejfence nominale , comme on l'a déjà mon-
tré. Fourquoy difons-nous, c'ell: un Cheval , c'eft une
Mule, c'eft un Animal, c'eft une Herbe? Comment une
chofe particulière vient-elle à être de telle ou telle Efpé-
ce, fi ce n'eft à caufe qu'elle a cette eflence nominale, ou
ce qui revient au même, parce qu'elle convient avec l'I-
dée abftraiie à laquelle ce nom eft attache ? Je fouhaite
feulement que chacun prenne la peine de refléchir fur fes
propres penfées,lorfqu'il entend tels & tels noms deSub-
ilances, ou qu'il en parle luy-méme pour favoir quelles
fortes d'efTences ils fignifient.
§. 8. Or que les Efpéces des Chofes ne foient à nôtre
égard que leur réduction à des noms diftin£ts , félon les
idées complexes que nous en avons, & non pas félon les
efîénces precifes, diftinftes & réelles qui font dans les
Chofes, c'eft ce qui paroit évidemment de ce que nous
trouvons que quantité d'Individus rangez fous une feule
Efpéce, défignez par un nom commun 6c qu'on confidé-
re par conféquent comme d'une feule Efpéce , ont pour-
tant des Qiialitez dépendantes de leurs conftitutions réel-
les, aulll dilïerentes l'une de l'autre qu'elles le font d'au-
tres Individus dont on compte qu'ils différent jpécifîque-
ment. C'eft ce qu'obfervent fans peine tous ceux qui
examinent les Corps naturels ; & en particulier les Chy-
miftes ont fouvent occafion d'en être convaincus par de
fàcheufes expériences , cherchant quelquefois en vain
dans un morceau de fouphre, d'antimoine, ou de vitriol
les mêmes Qiialitez qu'ils ont trouvées dans d'autres par-
tics de ces Minéraux. Qiioy que ce foient des Corps de
la même Efpéce , qui ont la même ejfcttce nominale fous
^ , , le même nom > cependant après un rigoureux examen il
y
"Des Noms des Subjlances. Liv. III. 553
y paroit des Qualitez fi difPérentes l'une de l'autre qu'ils C h A p.
trompent l'attente & le travail des Chymiftes les plus exacts. VI.
Mais fi les Chofes étoicnt diftinguées en Efpeccs félon
Jeurs eflences réelles j il feroit aufli impolTible de trouver
différentes propriétez dans deux bubftances individuelles
de la même Efpéce, qu'il l'eft de trouver différentes pro-
priétez dans deux Cercle-; ou dans deux Triangles équi-
lateres. C'efl: proprement l'effence, qui à nôtre égard dé-
termine chaque chofe particulière à telle ou à telle Claffe,
ou ce qui revient au même , à tel ou tel nom gênerai ; Se
que peut-elle être autre chofe que l'idée abftraite à laquel-
le le nom eft attaché ? D'où il s'enl'uit que dans le fonds
cette Effence n'a pas tant de rapport à l'exiftence des cho-
fes particulières qu'à leurs dénominations générales.
§. 9. Et en effet , nous ne pouvons point réduire les Ce ned pai
chofes à certaines Efpéces ni par conféquent leur donner '"^.^^'f '«"«
des dénominations (ce qui eit le but de cette réduction} rECpéce •'^ûîs^
en vertu de leurs effences réelles , parce que ces effences i"*^ «:tf L<sen-
nous font inconnues Nos Facultez ne nous conduifent comîuë. ^^ '"
point, pour la connoiffance èc la diftinftipn des Subltan-
ces au delà d'une collection de ces Idées fenfibles que nous
y obfervons actuellement , laquelle collection quoy que
faite avec la plus grande exactitude dont nous foyons ca-
pables, eft pourtant plus éloignée de la véritable confti-
tution intérieure d'où ces Qiialitez découlent, que l'Idée
qu'un Païfan a de l'Horloge de Strasbourg n'eft éloignée
d'être conforme à l'artifice intérieur de cette admirable
Machine, dont le Paifan ne voit que la figure Se les mou-
vemens extérieurs. Il n'y a point de Plante ou d'Animal
fi peu Gonfiderable qui ne confonde l'Entendement de la
plus valte étendue. Qiioy que l'ufage ordinaire des cho-
fes qui font autour de nous, étouffe l'admiration qu'elles
nous cauferoient autrement > cela ne guérit pourtant point
nôtre ignorance. Dés que nous venons à examiner les pier-
res que nous foulons aux pieds , ou le Fer que nous manions
tous les jours , nous fommes convaincus que nous n'en
connoiffons point la fabrique , 6c que nous ne faunons
Aaaa ren-
554 -^^-^ Noms des Snb[lances.
Chap. rendre raifon des différentes Qiialitez que nous y décou-
VI, vrons. Il eft évident que la conftitution intérieure, d'où
dépendent leurs Qiulitez nous ell: inconnue. Car pour
ne parler que des plus groffiéres & des plus communes
que nous y pouvons obferver, quelle ell la contexture de
parties, l'cflence réelle qui rend le Plomb &r l'Antimoine
fufibles , &: qui empêche que le Bois 6c les Pierres ne fe
fondent point ? Qii'ell-ce qui fait que le Plomb & le Fer
font malléables , ôc que l'Antimoine èc les Pierres ne le
font pas? Cependant quelle infinie diftance n'y a-t-il pas
de ces Qiialitez aux arrangemens fubtils Seaux inconceva-
bles effences réelles des Plantes Se des Animaux ? C'eft ce
que tout le Monde reconnoir fins peine. L'artifice que
Dieu , cet Etre tout fage 5c tout puiflant a employé dans
le grand Ouvrage de l'Univers 6c dans chacune de lés par-
ties , furpafle davantage la capacité Se la comprehenfion
de l'homme le plus curieux & le plus pénétrant , que la
plus grande fubtilité cie l'Efprit le plus ingénieux ne (ur-
pafle les conceptions du plus ignorant fie du plus grolller
des hommes. C'eft donc en vain que nous prétendons
réduire les chofes à certaines Efpéces £c les ranger en di-
verfes claffes fous certains noms , en vertu de leurs eflen-
ces réelles, que nous fommes fi éloignez de pouvoir dé-
couvrir ou comprendre. Un Aveugle peut aulll-tôt ré-
duire les Chofes en Efpéces par le moyen de leurs cou-
leurs } 6c celui qui a perdu l'odorat peut aulll bien
diftinguer un Lis èz une Rofe par leurs odeurs que
par ces conftitutions intérieures qu'il ne connoit pas.
Celui qui croit pouvoir diftinguer les Brebis èc les
Chèvres par leurs eflences réelles, qui luy font incon-
nues , peut tout aufll bien exercer fi pénétration fur ces
fortes de bêtes qu'on nomme CaJJio-ji'aris hz Querechtn-
chio , 6c déterminer à la faveur de leurs eflences réelles
6c intérieures , les bornes de leurs Efpéces fans connoî-
tre les Idées complexes des Qiialitez fenfibles que cha-
cun de ces noms fignifie dans les Pais oii l'on trouve ces
Animaux-là.
§. 10.
moins.
Des Noms des Subjlances. Liv. III. 555
§. 10. Ainfi, ceux à qui l'on a enfeigné que les diffé- Chap.
rentes Efpéces de Subftances a voient leurs formes fubflan- yi.
t telles diftinctes &: intérieures, & que c'étoient ces formes Ce n'eftp.is non
qui font la diftinftion des Subftances en leurs vrais Gen- T'?!, '«^j'"""
7 es & leurs véritables hlpeces , ont ete encore plus eloi-c]ue nous con-
gnez du droit chemin , puifque par là ils ont appliqué "'"''o"s encore
leur Efprit à de vaines recherches ûir des formes fub-'""
ftantielles entièrement inintelligibles , cc dont à peine
avons-nous quelque obfcure ou confufe conception en
général.
§. I r. Que la diftin£tion que nous faifons des Subftan- PjriesUcesque
ces naturelles en Efpéces particulières , confifte dans des """'. ^''°'" <^«
Eflences nominales étabhes par l'Efprit , ôc nullement a,corcque^c'eft
dans les Eflences réelles qu'on peut trouver dans les cho- par ^'ejjhr.e „<,.
fes mêmes -, c'eft ce qui paroit encore bien clairement par '"oul'à^v^-
les Idées que nous avons des Efprits. Car nôtre Enten- guons les Efp^
dément n'acquérant les idées qu'il attribué aux Efprits"*
que par les reflexions qu'il fait fur fes propres opérations,
il n'a ou ne peut avoir d'autre notion d'un Efprit , qu'en
attribuant toutes les opérations qu'il trouve en luy-même,
à une forte d'Etres, fans aucun égard à la Matière. L'idée
même la plus parfaite que nous ayons de Dieu, n'eft
qu'une attribution des mêmes Idées /impies qui nous font
venues en reflêchiflant fur ce que nous trouvons en nous-
mêmes , & dont nous concevons que la poflélîion nous
communique plus de perfection , que nous n'en aurions fi
elles éfoient abfentesj ce n'eft, dis-je, autre chofe qu'u-
ne attribution de ces Idées fimples à cet Etre fuprême ,
dans un degré illimité. Ainfi après avoir acquis par la re-
flexion que nous faifons fur nous-mêmes , l'idée d'exi-
ftence, de connoiflance, de puiflance êc de plaifir , de
chacune defquelles nous jugeons qu'il vaut mieux en jouir
que d'en être privé , &c que nous fommes d'autant plus
heureux que nous les pofliedons dans un plus haut degré ,
nous joignons toutes ces chofes enfemble en attachant
V Infinité à. chacune en particulier , &: par là nous avons
l'idée complexe d'un Etre éternel, omnij'cient, tout-puif-
Aaaa 2 fant.
55^ Des Noms des Subjlances.
Chap. fane, infiniment fage, 6c infiniment heureux. Or quoy
VI. qu'on nous dife qu'il y a différentes Efpéces d'Anges, nous
ne f-ivons pourtant comment nous en former diverfes idées
fpccifiqucs; non que nous foyons prévenus de la penfée
qu'il efi impofllble qu'il y ait plus d'une Efpéce d'Efprits,
mais parce que n'ayant ic ne pouvant avoir d'autres idées
fimples applicables à de tels Etres , que ce petit nombre
que nous tirons de nous-mêmes &: des aftions de nôtre
propre Efprit , lorfque nous penfons , que nous reiïentons
du plaifir ëc que nous remuons différentes parties de nôtre
Corps , nous ne faurions autrement diftinguer dans nos
conceptions, différentes fortes d'Efprits, l'une de l'autre,
qu'en leur attribuant dans un plus haut ou plus bas degré
ces opérations 8c ces puiflances que nous trouvons en nous-
mêmes ; Se ainfi nous ne pouvons point avoir des Idées
fpecifiques des Efprits , qui foient fort diftindbes , Dieu
feul excepté , à qui nous attribuons la durée &i toutes ces
autres Idées dans un degré infini, au lieu que nous les at-
tribuons aux autres Efprits avec limitation. Et autant
que je puis concevoir la chofe, il me femble que dans nos
Idées nous ne mettons aucune différence entre Dieu 5c les
Efprits par aucun nombre d'idées fimples que nous ayons
de l'un &: non des autres, excepté celle de l'Infinité. Com-
me toutes les idées particulières d'exifbence , de connoif-
fance , de volonté , de puiflance , de mouvement , éfC-
procèdent des opérations tie nôtre Efprit , nous les attri-
buons toutes à toutes fortes d'Efprits, avec la feule diffé-
rence de dégrez jufqu'au plus haut que nous puifilons ima-
giner, &: même jufqu'à l'infinité , lorfque nous voulons
nous former, entant qu'il ert en nôtre pouvoir, une idée
du Premier Etre, qui cependant eft toujours infiniment
plus éloigné, par l'excellence réelle de fa nature, du plus
élevé &: du plus parfait de tous les Etres créez , que le
plus excellent homme , ou ph'itôt que l'Ange 6: le Séra-
phin le plus pur cft éloigne de la partie de Matière la plus
contemptible, & qui par conféquent doit être infiniment
au deiTus de ce que nôtre Entendement borné peut conce-
voir de Luy. §12
Des Noms des Suh fiances. L i v. III. 557
§. 12. Il n'ell ni impollibîe de concevoir , ni contre Chap.
la Raifon qu'il puifle y avoir plulleurs Efpéces d'Efpnts, VI.
autant différentes l'une de l'autre par des propriétez di- " ^li^ P''"'^^'^''^
intrcs dont nous n avons aucune idée , que les hlpeces nombreinnom-
des chofes fenfibles font diilinguces l'une de l'autre par '^'^^'^'^.''■'^'pe-
des Qiulitez que nous connoiiïons &: que nous y obfer- "^ ^""'
vons aftuellement. Sur quoy il me femble qu'on peut
conclurre probablement de ce que dans tout leJVIonde vi-
fible & corporel nous ne remarquons aucun vuide , qu'il
devroit y avoir plus d'Êfpéces dé Créatures Intelligentes
au deffus de nous , qu'il n'y en a de fenfibles & de maté-
rielles au deflbus. En effet en commençant depuis nous
jufqu'aux chofes les plus baffes, c'eil une defcente qui fe
fait par de fort petits degrez , &: par une fuite continuée
de chofes qui dans chaque éloignement différent fort peu
l'une de l'autre. Il y a des Poiffons qui ont des aîles, &:
à qui l'Air n'eft pas étranger , Se il y a des Oifeaux qui
habitent dans l'Eau , qui ont le fang froid comme les Poif-
fons Se dont la chair leur reffemble fi fort par le goût qu'on
permet aux fcrupuleux d'en manger durant les jours mai-
gres. Il y a des animaux qiii approchent fi fort de l'Efpé-
ce des Oifeaux Se des Bêtes qu'ils tiennent le milieu entre
deux. Les Amphibies tiennent également des Bêtes ter-
reftres & aquatiques. Les Veaux marins vivent fur la
Terre S: dans la Mer; ^ les Marfouins ont le fang chaud
Se les entrailles d'un Cochon , pour ne pas parler de ce
qu'on rapporte des Sirènes ou des hommes marins. Il y a
des Bêtes qui femblent avoir autant de connoiffance Se de
raifon que quelques animaux qu'on appelle hommes ; Se
il y a une 11 grande proximité entre les Animaux Se les
Végétaux , que fi vous prenez le plus imparfait de l'un
6e le plus parftiit de l'autre, à peine remarquerez-vous au-
cune différence confiderable entre eux. Et ainfi , jufqu'à
ce que nous arrivions aux plus baffes Se moins organifées
parties de matière, nous trouverons par tout que les dif-
férentes Efpéces font liées enfemble , Se ne différent que
par des dégrez prefque infenfibles. Et lorfque nous confi-
Aaaa 3 derons
558 Des Noms des Subjlances.
C H A p derons la puifTance 6c la {\igefle infinie de l'Auteur de tou-
\\. tes chofes, nous avons fujet de penfer que c'eft une choie
conforme à la fomptueufe harmonie de l'Univers , 6c au
grand deflein , aulU bien qu'à la bonté infinie de ce fou-
verain Architecte que les différentes Efpeces de Créatures
s'élèvent aulli peu-à-peu depuis nous vers fon infinie per-
fection , comme nous voyons qu'ils vont depuis nous en
defcendant par des degrez prefque infenfibles. Et cela
une fois admis comme probable, nous avons raifon de nous
perfuader qu'il y a beaucoup plus d'Efpéces de Créatures
au defliis de nous qu'il n'y en a au deflbusj parce que nous
fommes beaucoup plus éloignez en dégrez de perfection
de l'Etre infini de D i e u , que du plus bas état de l'Etre
6c de ce qui approche le plus prés du néant. Cependant
nous n'avons nulle idée claire èc diftinCte de toutes ces
différentes Efpéces , pour les raifons qui ont été propo-
fées cy-deffus.
Il paroit par §. 15. Mais pour revenir aux Efpéces des Subftanccs
Gu'quccVft corporelles: Si je demandois à quelqu'un fi la Glace 6c
rdicnce nonii- l'Eau font deux diverfes Efpéces de chofes , je ne doute
"'■Mp7^°"^'' P^s qu'il ne me répondit qu'ouy j 6c l'on ne peut nier
qu'il n'eût raifou. Mais fi un Anglois élevé dans la Ja-
maïque où il n'auroit peut-être jamais vu de la glace ni
ouï dire qu'il y eut rien de pareil dans le Monde , arrivant
en Angleterre pendant l'hyver trouvoit l'Eau qu'il auroit
mife dans un Ballîn, gelée le matin en grande partie , 6c
que ne (lichant pas le nom particulier qu'elle a dans cet
état, il l'appeilàt de VEau durcie , je demande i\ ce feroit
à fon égard une nouvelle Efpece différente de l'Eau ; 6c
je croy qu'on me répondra que dans ce cas-là ce ne feroit
non plus une nouvelle Efpece à l'égard de cet Anglois ,
qu'un fuc de viande qui fe congelé quand il eft froid, eft
une Efpece diilinfte de cette même gelée quand elle eft
chaude Se fluide ; ou que l'or liquide dans le creufet eft
ime Efpece diltincte de l'or qui eft en confiltence dans
les mains de l'Ouvrier. Si cela eft ainfi, il eft évident que
nos Efpéces diftinCtes ne font que des amas diftincts d'I-
dées
Des Noms des Subfiances. Liv. III. 559
dées complexes auxquels nous attachons des noms di- Chap,
ftinfts. Il eft vray que chaque fubftance qui exifte, a fa VI.
conftitution particulière d'où dépendent lesQualitez fen-
fibles & les Puiflances que nous y remarquons ; mais la
redudion que nous faifons des chofes en Efpéces qui n'em-
porte autre chofe que leur arrangement fous des Efpéces
particulières défignées par certains noms diftinfts , cette
réduction , dis-je , fe rapporte uniquement aux Idées que
nous en avons -, &c quoy que cela fuffife pour les diftin-
guer par des noms ,en forte que nous puifîions en difcou-
rir lorfqu'elles ne font pas devant nous , cependant fi nous
fuppofons que cette diilinftion foit fondée fur leur confti-
tution réelle 6c intérieure , S: que la nature diftingue les
chofes qui exiftent , en autant d'Efpéces par leurs eflen-
ces réelles, de la même manière que nous les dirtinguons
nous-mêmes en Efpéces par telles 6c telles dénomina-
tions , nous ferons fujets à faire de grands mécomptes.
§. 14. Pour diftinguer les Etres fubftantiels en Efpé- Diflicuitezcon-
ces félon la fuppofition ordinaire qu'il y a certaines^'"'^ '^/'i';"'"'^"'
r-rr ^ r J UT ■ 1 T <lu' établit un
hjjfnces on formes preciles des choies, par ou tous les In- certain nombre
dividus exiftans font diftinguez naturellement en Efpé-^"'^^'"'"fY^^"
ces , voici les conditions qui font neceffairement requi-
fes.
§. 15. La première eft d'être afsûré que la Nature fe
propofe toujours dans la produ£tion des Chofes de les fai-
re participer à certaines Effences réglées 6c établies , qui
doivent être les modelles de toutes les chofes à produire.
Cela propofé ainfi cruement comme on a accoutumé de
-faire, auroit befoin d'une explication plus précife avant
qu'on pût le recevoir avec un entier confentement.
§. i6. Il feroit néceflaire, en fécond lieu, de fa voir fi
la Nature arrive toujours à cette Ejpnce qu'elle a en veûë
dans la produ£tion des Chofes. Les naiifarices irrégulié-
res 6c monflrueufès qu'on a obfervé en différentes Efpé-
ces d'Animaux, nous donneront toujours fuj et de dou-
ter de l'un de ces articles ou de tous les deux enfem-
ble.
§• 17'
5 6o Des Noms des Suhjlances.
C H A p. §. 1 7. Il faut déterminer, en troificme lieu , fi ces E-
VI. très que nous appelions des Monftres , font réellement u-
ne Efpéce diftincte félon la notion fcholaftique du mot
d'Efpc'ce j puifqu'il e(l certain que chaque chofe qui exi-
i\c, a fa conftitution particulière ; & nous trouvons ce-
pendant que quelques-uns de ces Monftres n'ont que peu
ou point de ces Qiialitez qu'on fuppofe refulter de l'Ef-
fence de cette Efpece d'où elles tirent leur origine , &: à
laquelle il femble qu'elles appartiennent en vertu de leur
nailfance.
§. 18. Il faut , en quatrième lieu , que les Ef^ences
réelles de ces chofes que nous diftinguons en Efpéces 6c
auxquelles nous donnons des noms après les avoir ainfi
dirtinguées , nous foient connues , c'eft à dire que nous
devons en avoir des idées. Mais comme nous fommes
dans l'ignorance fur ces quatre articles, les effences réelles
des Chofes ne nous fer-vent de rien à dijlmguer les Siib/iances
en Efpéces.
Nos eiïcnccs §■ 19. En cinquicmc licu , le feul moyen qu'on pour-
nominaies des j-Qit imaginer pour l'eclairciffemeni d.' cette Qiieftion, ce
font pa^de par- ^*^'^<^it qu'après avoir formé des Idées complexes entière-
faites coiie- ment parfaites des Proprietez des Chofes , qui découle-
Srpfopnr'^'oienr de leurs différentes clTences reel'es, nous les di'lin-
tc2. guaflions par là en Efpéces. Mais c'eft encore ce qu'on
ne fauroit faire y car comme TEfiencc réelle ne nous eft
pas connue, il eft impoillble de connoît e toutes ces Pro-
prietez qui en dérivent , 6c qui y font fi fort attachées
que chacune d'elles en étant détachée, nous puiflîonscon-
clurre certainement que cette Effence n'y eft pas, &:qu'ain-
fi la chofe n'eft pas de cette Efpéce. Nous ne pouvons
jamais connoître quel eft précifément le nombre des pro-
prietez qui dépendent de l'efl'ence réelle de VOr , en for-
te que chacune d'elles venant à manquer dans un fujec ,
l'eflénce réelle de l'Or Se par conféquent l'Or ne s'y trou-
vât point, à moins que nous ne connufùons l'elTcnce de
rOr luy-méme,pour pouvoir par là déterminer cette Ef-
péce. Il faut fuppofer qu'ici par le mot d'Or, je défignc
une
Des Noms des Snbjlances. L i v. III. 561
une pièce particulière de matière comme la dernière* G';//- C h A p.
7iée qui a ètè frappée en Angleterre. Car fi ce mot etoit VI.
pris ici dans fa figniiication ordinaire pour l'idée comple- ' ^îoimoye
xe que moy ou quelque autre appelions Or , c'efl à dire ^oi,:^ cTi"a^i-
pour l'eflènce nominale de l'Or, ce feroit un vrai galtma- sicxrre.
thiasj tant il eft difficile de faire voir la différente figni-
fication des Mots & leur imperfeclion , lorfque nous ne
pouvons le fliire que par le lecours même des mots.
§. 20. De tout cela il s'enfuit évidemment que les di-
ftinftions que nous faifons des Subllances en Efpèces par
différentes dénominations, ne font nullement fondées fur
leurs Ejjences réelles , &: que nous ne faunons prétendre
les ranger &: les réduire exactement à certames Efpèces
en confèquence de leurs différences cffentielles &: inté-
rieures.
§ 21. Mais puifque nous avons befoin de termes gè- ^i^'s dUs reu-
néraux, comme il a été remarqué cy-deffus , quoy que concd!oiT''m
nous ne connoiffions pas les e (Pences rf>//w des chofes; tout cft iigmfiec pat
ce que nous pouvons faire, c'eft d'affembler tel nombre ''^ """' i"^
,,T , - /- 1 - - nous leur don-
d Idées limples que nous trouvons par expérience unies nous.
enfemble dans les Chofes exi(l:antes,&: d'en faire une feu-
le Idée complexe. Bien que ce ne foit point là l'Effence
réelle d'aucune Subftance qui exifte,c'eff pourtant l'^z/cw-
ce fpccifîqne à laquelle appartient le nom que nous avons
attaché à cette Idée complexe, de forte qu'on peut pren-
dre l'un pour l'autre 5 par où nous pouvons enfin éprou-
ver la vérité de ces Ejjences nommalcs. Par exemple , il
y a des gens qui difent que l'Etendue eft l'effencedu Corps.
S'il eft ainfi ; comme nous ne pouvons jamais nous trom-
per en mettant l'effence d'une Chofe pour la Chofe mê-
me, mettons dans le difcours V étendue peur le Corps , &:
quand nous voulons dire que le Corps fe meut , difons
que l'Etendue fe meut ,& voyons comment cela ira. Qlù-
conque diroit qu'une Etendue met en mouvement une au-
tre Etendue par voye d'impulfion , montrèrent fuffifam-
ment l'abfurdité d'une telle notion. L'Efiénce d'une
Chofe eft , par rapport à nous , toute l'idée complexe ,
B b b b corn-
5^2 Des Noms des Subjlances.
C H A p. comprife êc défignée par un certain nom ; 8c dans les Sub-
VI. fiances , outre les différentes Idées fimples qui les com-
pofent, il y a une idée confufe de fubftance ou d'un foû-
tien inconnu , 6c d'une caufe de leur union qui en fait
toujours une partie C'eftpourquoy l'Eflence du Corps
n'efb pas la pure Etendue , mais une Chofc étendue éf fo-
lide ; de forte que dire qu'une chofe étendue &r folide en
remue ou poufle une autre, c'eft autant que fi l'on difoit
qu'un Corps remue ou pouflc un autre Corps. La pre-
mière de ces exprefllons eft autant intelligible que la der-
nière. De même quand on dit qu'un Animal raifonna-
ble efb capable de converfation , c'eft autant que fi l'on
difoit qu'un homme en eft capable. Mais perfonne ne
s'avifera de dire que la * Raifonnabilité eft capable de con-
verfation, parce qu'elle ne conftituë pas toute l'eflence à
laquelle nous donnons le nom à^honnne.
Les Idées ab- §.22. Il y a dcs Créatures dans le Monde qui Ont Une
^ous"ourfor- f'°rn^6 pareille à la nôtre , mais qui font velues, &: n'ont
nions des Sub- point l'ufagc dc la parole Se de la raifon. Il y a parmi
naiices ^o"t 1^,' nous des Imbecillcs qui ont p.irfaitement la même forme
péce"par rap-' q"e nous , mais qui font deftituez de raifon, £c quelques-
port à nous: uns d'entre eux qui n'ont point aulll l'ufage de la parole.
nJc^'quc''n'ous II y a tles Créatures, à ce qu'on dit, qui avec l'ufage de
avons de la parolc , de la raifon , & une forme femblable en toute
l'Homme. autre chofe à la nôtre ont des queues velues > je m'en rap-
porte à ceux qui nous le racontent , mais au moins ne pa-
roit-il pas contradictoire qu'il y ait de telles Créatures. Il
y en a d'autres dont les Mâles n'ont point de barbe 6c d'au-
tres dont les Femelles en ont. Si l'on demande fi toutes
ces Créatures font hommes ou non j fi elles font d'Efpé-
ce
* Ou faculté de raifoiiner. Quny que 1 teur n'auroit pu faire comwître la meil-
ces fortes de mots (oient inconnu'; dans le Icure partie de (es penfces , s'il n'eut jn-
Monde , l'on doit en permettre l'iilage , | vente de nouveaux termes, pour pouvoir
ce me femble , dans un Ouvrage cop."ime ( exprimer des conceptions toutes nouvelles,
celui-ci Je prcns d avance cette liberté' & i Qui ne voit rjue je ne puis me dilpen(èr
je Ihai fouvcnt nbiirre de la prendre dans ; de l'imiter en cela; Ceci (bit du une fois
Ja fuite de ce Ti.ïiiicmc Livre , où l'Au. ' pour toutes.
Des Noms des Sithjlances. Liv. III. 56;
ce humaine , il eft vifible que cette Qiieftion le rapporte C h a p.
uniquement à Y EJfctice nominale ; car entre ces Créatures- VI.
là celles à qui canvient la définition du mot homme , ou
l'idée complexe fignifiée par ce nom , font hommes > 6c
les autres ne le font point à qui cette définition ou cette
idée complexe ne convient pas. Mais fi la recherche rou-
le fur Veffence fuppofée réelle, ou que l'on demande fi la
conftitution intérieure de ces différentes Créatures eft fpe-
cifiquement différente , il nous eft abfolument impoflîble
de répondre , puifque nulle partie de cette conftitution
intérieure n'entre ààmnonrc Idée fpecijique :k\x\ementno\\s
avons raifon de penfer que là où les facultez ou la figure
extérieure font fi différentes , la conftitution intérieure
n'eft pas exadlement la même. Mais c'eft en vain que
nous rechercherions quelle eft la diftinftion que la diffé-
rence fpécifique met dans la conftitution réelle Se intérieu-
re, tandis que nos mefures des Efpéces ne feront, comme
elles font à préfent , que les Idées abftraites que nous con-
noiffons , &: non la conftitution intérieure qui ne fait point
partie de ces Idées. La différence de poil fur la peau
doit-elle être une marque d'une différente conftitution in-
térieure & fpécifique entre un Imbecilleôcun Magot, lorf-
qu'ils conviennent d'ailleurs par la forme , fie par le man-
que de raifon 8c de langage ? Le défaut de raifon fie de
langage ne nous doif-il pas fervir d'un figne de différen-
tes conftitutions S>z Efpéces réelles entre un Imbecille èc
un homme raifonnable ? Et ainfi du refte , fi nous pré-
tendons que la diftinftion des Efpéces foit juftement éta-
blie fur la forme réelle fie la conftitution intérieure des
Chofes.
§. 23. Et qu'on ne dife pas que dans les Animaux la Les Efpi;
propagation par l'accouplement du Mâle fie de la Eemel- |J^"f p-"' ^f^^-
le ; fie dans les Plantes par le moyen des femences coiïfer- Genc'tanou!
ve les Efpéces fuppofées réelles , diftrinftes fie dans leur en-
tier. Car cela fuppofé véritable ne nous ferviroit à fixer
la diftinftion des Efpéces des Chofes qu'à l'égard des A-
nimaux fie des Végétaux. Que faire du refte ? Mais cela
•Bbbb 2 ne
ces ne
,^64 Des Noms des Suhjlances.
C H A p. ne fiiffit pas même à l'égard de ceux-là ; car s'il en faut
VI. croire l'Hilloire , des temmes ont été engroflees par des
Magots, &: voilà une nouvelle Qiieftion de favoirdequel-
le Efpéce doit être dans la nature une telle produdion en
vertu de cette Régie. D'ailleurs , nous n'avons aucun
fujet de croire que cela foit impolTibk , puifqu'on voit fi
» Voy. fur ce fouvcnt dcs Mulcts éc dcs * Jumarts , les premiers engen-
"°'''p?v?n7n drez d'un Ane & d'une Cavale, & les derniers d'un tau-
raire Erymolo- t» • ^ a • 1 1 - n
gique de Mr. reau &" d une Jument. J ai vu un Animal engendre d un
Mai.i^e. Chat & d'un Rat , & qui avoit des marques vifibles 4e
ces deux Bêtes ; en qucy il paroifToit que la Nature n'a-
voit fuivi le modcUe d'aucune de ces Efpeces en particu-
lier, mais les avoit confondues enfemble. Et qui ajou-
tera à cela les productions monilrueufes qu'on rencontre
fi fouvent dans la Nature, trouvera qu'il eft bien mal-aifé
à l'égard même des races des Animaux de déterminer par
la génération de quelle efpéce eft la race de chaque ani-
mal , &: fe reconnoïtra dans une parfaite ignorance tou-
chant l'efTence réelle qu'il croit provignée certainement
par le moyen de la génération, ik qu'elle feule a droit au
nom fpécitîque. Mais outre cela, Il les Efpéces des Ani-
maux (Se des Plantes ne peuvent être diftinguées que par
la propagation , dois-je aller aux Indes pour voir le père
&: la mère de l'un , & la Plante d'où la femence a été
cueuillie qui produit l'autre, afin de fa voir fi cet Animal
eft un Tigre i 6c fi cette Plante eft du 'Thé ?
KipariesPor- §-24. Enfin il eft évident que c'eft dcs colle£tions que les
mes lub^aiitici- homnics font cux-mêmes des Qiialitez fenfibles, qu'ils com-
'"■ pofent les Eflences des diftercntcs fortes de lubftances dont
ils ont des idées, &■ que la plupart ne fongcnt en aucune
., ._ manière à leur ftrufture intérieure 8c réelle, quand ils les
reduifent à telles ou telles Efpéces : moins encore aucun
',,.,.. d'eux a- t-il jamais penfe à certaines formes fh bjt.int telles ,
fi vous en exceptez ceux qui dans ce feul endroit du Mon-
de ont appris le Langage de nos Ecoles. Cependant ces
pauvres ignorans qui fins prétendre pénétrer dans les Ef-
fences réelles , ou s'embarraffcr l'Efprit de formes fubftan-
tielles
Des Noms des Subjiances. L i v. III. 565
tielles j fe contentent de connoître les chofes une à une Chap.
par leurs Qiialitez fenfibles font fouvent mieux inftruits VI.
de leurs ditïerences , peuvent les dillinguer plus exafte-
ment pour leur ulagejSc connoiflent mieux ce qu'on peut
faire de chacune en particulier que ces Docteurs fubtils
qui s'appliquent fi fort à en pénétrer le fonds Se qui par-
lent avec tant de confiance de quelque chofe de plus ca-
ché &: de plus efîentiel que ces Qiialitez fenfibles que tout
le Monde y peut voir fins peine.
§. 25. Mais fuppofé que les ElTences réelles des fub- Les Eirences
fiances puiTent être découvertes par ceux qui s'applique- [ji'jcf \""Ef"'
roient foigneufement à cette recherche , nous ne faunons pnt.
pourtant croire raifonnablement qu'en rangeant les Cho-
ies fous des noms généraux , on fe foit réglé par ces con-
ftitutions réelles &: ultérieures , ou par aucune autre cho-
fe que par leurs apparences qui fe prefentent naturelle-
ment; puifque dans tous les Pais, les Langues ont été
formées long-temps avant les Sciences. Cène font pas des
Philofophes, des Logiciens ou tels autres gens, qm après
s'être bien tourmentez à penfer aux formes & aux efien-
ces des Chofes ayent formé les noms généraux qui font
en ufage parmi les différentes Nations ; mais plutôt dans
toutes les Langues, la plupart de ces termes d'une exten-
fion plus ou moins grande ont tiré leur origine 6c leur fi-
gnification du Peuple ignorant 6c fans Lettres , qui a ré-
duit les chofes à certaines Efpéces , 6c leur a donné des
noms en vertu des Qiialitez fenfibles qu'il y rencontroit ,
pour pouvoir les défigner aux autres lorfqu'elles n'é-
toient pas préfentes , loit qu'ils euffent befoin de p.irler
d'une Efpéce, ou d'une feule chofe en particulier.
§. 26. Puis donc qu'il eft évident que nous rangeons cvd pour cela
les Subftances fous différentes Efpéces èc fous diverfes ^'^''^''^ '°"t
j ■• 1 rr I r, 1 ^"^" diverfçs &
dénominations par leurs efjences nominales -tOC non parleurs insetunies.
ejfences réelles-, ce qu'il faut confiderer enfuite,c'eil: com-
ment 6c par qui ces Effences viennent à être faites. Pour
ce qui elt de ce dernier point , il eft vifible que c'eft l'Ef.
prit qui eft auteur de ces effences, 6: non la Naturejpar-
Bbbb 3 ic
566 Des Noms des Siibjlances.
C H A p. ce que û c'étoit un Ouvrage de la Nature , elles ne pour-
VI. roient point être fi difFéientes en différentes perfonnes, com-
me il eft vifible qu'elles font. Car fi nous prenons la peine de
l'examiner, nous ne trouverons point que l'Eiïence nomi-
nale d'aucune EfpécedeSubftances foitla même danstous
les hommes, non pas même celle de toutes , qu'ils con-
noiffent de la manière la plus intime. Il ne feroit peut-
être pas polîlble que l'Idée abftraite à laquelle on a don-
né le nom d'homme fut différente en diiîerens hommes ,
û elle étoit formée par la Nature j 6c qu'à l'un elle fut
un Animal raiformable -.^ à l'autre un Animal fans plume ,
à deux ptes avec de larges ongles. Celui qui attache le nom
d'homme à une idée complexe, compofée de fentiment Se
de motion volontaire, jointe à un Corps d'une telle for-
me, a par ce moyen, une certaine eflence de l'Efpéce qu'il
appelle homme , & celui qui après un plus profond exa-
men , y ajoute la Raifonnabihté , a une autre eflence de
l'Efpéce à laquelle il donne le même nom d'homme-, de
forte qu'à l'égard de l'un d'eux le même Individu fera
par là un véritable homme, qui ne l'eft point à l'égard
de l'autre. Je ne penfe pas qu'il fe trouve à peine une
feule perfonne qui convienne que cette flature droite , fi
connue , foit la différence effentielle de l'Efpéce qu'il dé-
figne par le nom d'homme. Cependant il eft vifible qu'il
y a bien des gens qui déterminent plutôt les Efpèces des
Animaux par leur forme extérieure que par leur nai fian-
ce , puifqu'on a mis en queftion plus d'une fois 11 certains
/c/?/.f humains dévoient être admis au Baptême ou non,
par la feule raifon que leur configuration extérieure diffè-
roit de la forme ordinaire des Enfans , fans qu'on fçut
s'ils n'étoient point auili capables de raifon que des En-
flms jettez dans un autre moule; dont il s'en trouve quel-
ques-uns, qui, quoy que d'une forme approuvée, ne
font jamais capables de faire voir, durant toute leur vie,
autant de raifon qu'il en paroit dans un Singe ou un Elé-
phant, &: qui ne donnent jamais aucune marque d'être
conduits par une Ame raifonnablc. D'oîi il paroit évi-
demment ,
Des Noms des Snb fiances. L i v. III. 567
demment , que la forme extérieure qu'on a feulement C h a p.
trouvé à dire , êc non la faculté de raifonner, dont per- VI.
fonne ne peut favoir fi elle devoir manquer dans fon
temps, a été rendue eflentielle à l'Efpéce humaine. Et
dans ces occafions les Théologiens & lesjurifconfultes les
plu s habiles, font obligez de renoncer à leur facrée défini-
tion d'Animal raifonnable , ôc de mettre à la place quel-
que autre effence de l'Efpéce humaine. Mr. Ménage nous
fournit l'exemple d'un certain Abbé de St. Martin qui
mérite d'être rapporté ici; * G^riand cet Abbé de St. Mar- *Meti.^iana,
tin , dit-il , vint au monde , // avait Ji peu la fgiire d'un 1°"^'}'^'^^
homme qu'il reffembloit plutôt k un Monjlre. On fut quel- non de Howin.
que temps .i délibérer fi on le batiferoit. ■ Cependant il fut <ic;aii. 1694.
batiféi (^ on le déclara homme par provifion , c'ell: à dire,
jufqu'à ce que le temps eut fait connoitre ce qu'il étoit.
// étott fi difgracié de la Nature , qu'on l'a appelle toute fa
vie /'Abbé Malotru. // étoit de Caén. Voilà un Enf;jnt
qui fut fort près d'être exclus de l'Efpéce humaine fim-
plement à caufe de fa forme. 11 échappa à toute peine
tel qu'il étoit, &: il eft certain qu'une figure un peu plus
contrefaite , l'en auroit privé pour jamais , ïz l'auroit fait pé-
rir comme un Etre qui ne devoir point pafler pour un hom-
me. Cependant on ne fauroit donner aucune raifon , pour-
quoy une Ame raifonnable n'auroit pu loger en lu y fi les
traits de fon vifage euffent été un peu plus altérez , pour-
quoy un vifage un peu plus long ,ou un nez plus plat , ou
une bouche plus fendue n'auroient pu fubfifter, auflî bien
que le refte de fa figure irreguliére , avec une Ame &: des
qualitez qui le rendirent capable , tout contrefait qu'il
étoit, d'avoir une dignité dans l'Eglife.
§. 27. Pour cet effet , je ferois bien aife de favoir en
quoy CQiîfiftent les bornes précifes &: invariables de cette
Efpéce. Il eft évident à quiconque prend la peine de
l'examiner, que la Nature n'a fait, ni établi rien defem-
blable parmi les hommes. On ne peut s'empêcher de voir
que l'Effence réelle de telle ou telle forte de Subftances
nous eft inconnue, 6c de là vient que nous fommes fi in-
dé-
568 Des Noms des Subfiances.
C II A p déterminez à l'égard des E/fences nommales que nous for-
yj mons nous-mêmes, que il l'on interrogeoit diverfes per-
fonncs fur certains Fœins qui font difformes en venant au
monde, pour lavoir s'ils les croyent hommes, il eft hors
de doute qu'on en recevroit différentes réponlcs ; ce qui
ne pourroit arriver , fi les Eflcnces nominales par oîi nous
limitons Se diftinguons les Efpéces des Subftances, n'é-
toient point formées par les hommes avec quelque liber-
ré, mais qu'elles fun"entexa£tement extraites de certaines
bornes précifes, établies par la Nature, qui eût diftingué
.toutes les Subftances en certaines Efpéces. Qvii voudroit,
par exemple, entreprendre de déterminer de quelle efpé-
ce étoit ce Monftre dont parle Licetns^ÇL'w 1. Chap. 3.)
qui avoit la tête d'un homme, ôc le corps d'un pourceau i
ou ces autres qui fur des corps d'hommes avoient des tê-
tes de Bêtes, comme de Chiens, de Chevaux, 6cc. ? Si
quelqu'une de ces Créatures eut été confervée en vie 8c
eiit pu parler, la difficulté auroit été encore plus grande.
Si le haut du Corps jufqu'au milieu eut été de figure hu-
maine, &: que tout le reile eut repréfenté un pourceau,
auroit-ce cté un meurtre de s'en défaire? Ou bien auroit-
il fallu confulter l'Evêque, pour favoir fi un tel Etre é-
toit affez homme pour devoir être préfenté fur les fonts,
ou non, comme j'ai ouï dire que cela eft arrivé en Fran-
ce il y a quelques années dans un cas à peu près fembla-
ble ? Tant les bornes des Efpéces des Animaux font in-
certaines par rapport à nous qui n'en pouvons juger que
par les Idées complexes que nous raflemblons nous-mê-
mes ; Se tant nous fommcs éloignez de connoître certai-
nement ce que c'eft qu'un Homme. Ce qui n'empêchera
peut-être pas qu'on ne regarde comme une grande igno-
rance d'avoir aucun doute là-deflus. Qiioy qu'il en foit,
je penfe être en droit de dire, que, tant s'en faut que les
bornes incertaines de cent Efpéce foient déterminées, Se
que le nombre précis des Idées fimples qui conftituent
rdlencc nominale, foit fixé 6c parfaitement connu, qu'on
peut encore former des doutes fort unportans fur cela} 6c
je
Des Noms des Subjtances. Liv. III, 569
je croy qu'aucune des Définitions qu'on ait données juf- C h a p.
qu'ici du mot Homme , ni aucune defcription qu'on ait VI.
faite de cette efpéce ci' Animal, ne font aflez parfaites ni
allez exaftes pour contenter une perfonne de bon fensqui
approfondit un peu les chofes , moins encore pour être
reçues avec un confentement général , en forte que par
tout les hommes vouluflent s'y tenir dans la décifîon de
toute forte de cas, &: pour déterminer s'il faut conferver
la vie ou donner la mort , accorder ou refufer le Baptê-
me aux Productions qui peuvent naître.
§. 28. Mais quoy que ces Eflences nominales des Sub- Les EiTences
fiances foient formées par l'Efprit, elles ne font pourtant """a'"'" ''"
pas formées Ii arbitrairement que celles des Modes mixtes, font pas for-
Pour faire une efîénce nominale il faut premièrement que '"'^'" '' ^'^''
les Idées dont elle eft compofée , ayent une telle union cé!ies'desAW«
qu'elles ne forment qu'une idée, quelque complexe qu'el-""^'"-
le foit ; &: en fécond lieu , que les Idées particulières ain-
fi unies, foient exaftement les mêmes, fans qu'il yen
ait ni plus ni moins. Pour la première de ces chofes,
lorfque l'Efprit forme fes idées complexes des Subftan-
ces, il fuit uniquement la Nature , &: ne joint enfemblc
aucunes idées qu'il ne fuppofe unies dans la Nature. Per-
fonne n'allie le beflement d'une Brebis à une figure de Che-
val, ni la couleur du Plomb à la pefmteurSc à lu. fixité d&
l'Or pour en faire des idées complexes de quelques Sub-
ftances réelles, à moins qu'il ne veuille fe remplir la tête
de chimères ôc embarrafler fes difcours de mots inintel-
ligibles. Mais les hommes obfervans certaines qualitez
qui toujours éxiftent &: font unies enfemble, en ont tiivé
des copies d'après Nature, 6c de ces Idées ainfi unies en
ont formé leurs Idées complexes des Subftances. Car en-
core que les hommes puifTent faire telles Idées complexes
qu'ils veulent & leur donner tels noms qu'ils jugent a
propos , il faut pourtant que , lorfqu'ils parlent de cho-
fes réellement exiftantes ils conforment jufqu'à un cer-
tain degré leurs idées aux chofes dont ils veulent parler,
s'ils fouhaitent d'être entendus. Autrement, le Langage
Cccc des
parfaites.
5 70 Des Noms des Snbjlmices.
Chap. des hommes feroit tout-à-fait femblable à celui de Babel >
VI. &: les mots dont chaque particulier fe ferviroit , n'étant
intelligibles qu'à luy-même , ils ne feroient plus d'aucua
ufagc, pour la converfation &: pour les affaires ordinaires
de la vie, fi les idées qu'ils déllgnent, ne répondoient en
quelque manière aux communes apparences & conformi-
tez des Subilancesj confiderées comme réellement exi-
llantes.
Qiioy qu'elles §. 29. En fccond licu , quoy que l'Efprit de l'Hom-
foient fort im ^^^ ^^ formant fes Idées complexes des Subftanccs , n'en
réunifie jamais qui n'exiftent ou ne foient fuppolees exi-
fter enfemble, &: qu'ainfi il fonde véritablement cette u-
nion fur la nature même des chofes , cependant le nombre
d'idces qn''d combine , dépend de la différente application ,
indujlrie , on fantaijie de celui qui forme cette Efpéce de com-
binaison. En général les hommes fe contentent de quel-
que peu de qualitez fenfibles qui fe préfentent fans aucu-
ne peine -, & fouvent , pour ne pas dire toujours , ils en
omettent d'autres qui ne font ni moins importantes ni
moins fortement unies que celles qu'ils prennent. Il y a
deux fortes deSubftances fenfibles > l'une des Corps orga-
nifez qui font perpétuez par femence , Se dans ces Subftan-
ces la forme extérieure eft la Qualité fur laquelle nous
nous réglons le plus , c'ell la partie la plus cara£terift:ique
qui nous porte à en déterminer l'Efpéce. C'efl:pourquoy
dans les Végétaux &c dans les Animaux , une lubfl:ance é-
tendué Se folide d'une telle ou telle figure fert ordinaire-
ment à cela : Car quelque eft:ime que certaines gens faf-
fent de la définition d'Animal raifonnabk pour défigner
l'Homme , cependant fi l'on trouvoit une Créature qui
eût la faculté de parler fie l'ufage de la Raifon , mais qui
ne participât point à la figure ordinaire de l'Homme, elle
auroit beau être un Animal raifonnable , l'on auroit , je
croy, bien de la peine à la reconnoitre pour un homme.
Et fi l'Aneffe de Balaam eût difcouru tonte (à vie auilirai-
fonnablement qu'elle fit une fois avec fon Maître, je dou-
te que perfonne l'eût jugée digne du nom d'homme ou
re-
Des Noms des Subjîdnccs. Liv. III. 571
reconnue de la même Efpéce que luy-même. Comme Chap,
c'eft fur la figure qu'on fe régie le plus fouvent pour dé- VL
terminer l'Elpéce des Vcgetaux &: des Animaux, de même
à l'égard de la plupart des Corps qui ne font pas produits
par femence , c'elt à la couleur qu'on s'attache le plus."
Ainfi là où nous trouvons la couleur de l'Or , nous lom-
mes portez à nous figurer que toutes les autres Qiialitez
comprifes dans nôtre Idée complexe y font aulfi , de forte
que nous prenons communément ces deux Qiialitez qui
fe préfentent d'abord à nous , la figure & la couleur j pour
des Idées Ç\ propres à défigner ditFerentes Efpéces , que
voyant un bon Tableau , nous difons aullitôt , CeH un
Liorii c'ejl une Rofe , c'e/l une coupe d'or ou d'argenl: ; £c
cela feulement à caufe des diverfes figures 6c couleurs re-
préfentées à l'Oeuil par le moyen du Pinceau.
§. 30. Mais quoy que cela foit aflez propre à donner Elles peuvent
des conceptions grofïïéres Se confufes des chofes , ôc à p°""^'" ^""""^
fournir des expreflions 8c des penfées inexactes ; cepen- fa°ion ordinaire.
dant il s'en faut bien que les hommes conviennent du nombre
précis des Idées fimples ou des ^lalitez qui appartiennent à
une telle Efpéce de chofes é^ qui font défignées par le nom
qu'on luy donne. Et il n'y a pasfujet d'en être furpris,puif-
qu'il faut beaucoup de temps, de peine, d'addreffe, une
exafte recherche 5c un long examen pour trouver quelles
font ces Idées fimples qui font conftamment 6c infepara-
blement unies dans la Nature, qui fe rencontrent toujours
enfemble dans le même fujet , Se combien il y en a. La
plupart des hommes n'ayant ni le temps ni l'inclination
ou l'addrefle qu'il faut pour porter fur cela leurs veùës
jufqu'à quelque degré tant foit peu raifonnable , fe con-
tentent de la connoiflance de quelques apparences com-
munes, extérieures 6c en fort petit nombre , par oii ils
puiffent les diftinguer aifément , &c les réduire à certaines
Efpéces pour l'ufage ordinaire de la vie-. Se ainfi, fans un
plus ample examen , ils leur donnent des noms , ou fe fer-
vent , po.ur les défigner , des noms qui font déjà en ufa-
ge. Or quoy que dans la converfation ordinaire ces noms
Cccc 2 paf-
57^ ^^^ Noms des Subjlances.
C H A p. paflent aflez aifément pour des figncs de quelque peu de
VI. Qitalitez communes qui coëxiftent enfemble, il s'en faut
pourtant beaucoup qu'ils comprennent dans unefignifica-
tion déterminée un nombre précis d'Idées fimpleSjôc en-
core moins toutes celles qui font unies dans la Nature.
Alalgré tout le bruit qu'on a fait fur le Genre &c VEfpece,
& malgré tant de difcours qu'on a débitez fur les Diffé-
rences fpécifiques , quiconque confiderera combien peu
de mots il y a dont nous ayions des définitions fixes Se dé-
terminées, fera fans doute en droit de penfer que lesF^r-
Pies dont on a tant parlé dans les Ecoles > ne font que de
pures Chimères qui ne fervent en aucune manière à nous
faire entrer dans la connoiflTance de la nature fpécifique
des Chofes. Et qui confiderera combien il s'en faut que
les noms des Subftances ayent des fignificationsfurlcfquel-
les tous ceux qui les employent foient parfaitement d'ac-
cord, aura fujet d'en conclurre qu'encore qu'on fuppofe
que toutes les Eflences nominales des Subftances foient co-
piées d'après nature, elles font pourtant toutes ou la plu-
part, très-imparfaites ; puifque l'amas de ces Idées com-
plexes eft fort différent en différentes perfonnes, 6c qu'ain-
fi ces bornes des Efpéces font telles qu'elles font établies
par les hommes , 6c non par la Nature , fi tant eft qu'il y
ait dans la Nature de telles bornes fixes 6c déterminées.
Il eft vray que plufieurs Subftances particulières font for-
mées de telle forte par la Nature , qu'elles ont de la ref-
femblance Se de la conformité entre elles. Se que c'eft là
un fondement fuffifant pour les ranger fous certaines Ef-
péces Mais cette réduction que nous faifons des chofes
en Efpéces déterminées, n'étant deftinee qu'à leur don-
ner des noms généraux Se à les comprendre fous ces noms,
je ne faurois voir comment en vertu de cette reduftionon
peut dire proprement que la Nature fixe les bornes des
Efpéces des Chofes. Ou fi elle le fait , il eft du moins
vifible que les limites que nous aflignons aux Efpéces, ne
font pas exaftement conformes à celles qui ont été éta-
blies par la Nature. Car dans le bcfoin que nous avons
de
Vts Noms des Stibjîances. Liv. III. 575
de noms généraux pour l'ufage préfent , nous ne nous C h a pj
mettons point en peine de découvrir parfaitement toutes VI.
ces Qiialitez , qui nous feroient mieux connoître leurs
différences & leurs cbnformitez les plus eflentielles,mais
nous les diftinguons nous-mêmes en Efpéces, en vertu de
certaines apparences qui frappent les yeux de tout le Mon-
de, afin de pouvoir par des noms généraux communiquer
plus aifément aux autres ce que nous en penfons. Car
comme nous ne connoillons aucune Subftancc que par le
moyen des Idées fimples qui y font unies , ôc que nous
obfervons plufieurs chofes particulières qui conviennent
avec d'autres par plufieurs de ces Idées fimples j nous for-
mons de cet amas d'idées nôtre Idée Jpccifïque , ôc luy
donnons un nom général , afin que lorfque nous voulons
enregîtrer, pour ainfi dire, nos propres penfées , &: dif-
counr avec les autres hommes , nous puillions défigner
'par un fon court tous les Individus qui conviennent dans
cette Idée complexe , finis faire une énumeration des I-
dées fimples dont elle eil: compofée , pour éviter par là
de perdre du temps 6c d'ufer nos poumons à fiiire de vai-
nes & ennuyeufes defcriptions ; ce que nous voyons
que font obligez de faire tous ceux qui veulent parler
de quelque nouvelle efpéce de chofes qui n'ont point en-
core de nom.
§.31. Mais quoy que ces Efpéces de Subftances puif- LcsEflenccsdes
fent affez bien palier dans la converfation ordinaire . il E'F'ces font
ftf ■ ^ i>Tj' I j I 11 '"'■^ différentes
évident que 1 Idée complexe dans laquelle on remar- fous un même
que que plufieurs Individus conviennent, efl formée dif- "°™-
féremment par différentes perfonnes,parles uns plus exa-
ftement, & par les autres moins , quelques-uns y com-
prenant un plus grand, & d'autres un plus petit nombre
de qualitez, ce qui montre vifiblcment que c'eft un Ou-
vrage de l'Efprit. Un Jaune éclattant conflituë l'or à l'é-
gard des Enfiins, d'autres y ajoutent la pefanteur,la mal-
léabilité & la fufibilité, & d'autres encore d'autres Qiia-
litez qu'ils trouvent aufli conflamment jointes à cette cou-
leur jaune, que fa pefanteur ou fa fufibilité. Car parmi
Cccc 3 tou-
5 74 -^^^ Noms des Snbftnnces.
C H A p. toutes ces Qiialitez 6c autres femblables , l'une a autant de
VI. droit que l'autre de faire partie de l'Idée complexe de cet-
te Subllance , où elles font toutes réunies enlemble. C'eft-
pourquoy différentes perfonnes omettant dans ce fujet ,
ou y faifant entrer plufieurs Idées fimples, félon leur dif-
férente application ou addrcfl'e à l'examiner , ils fe font
par là diverfes eflences de l'Or , lefquelles doivent ê-
tre , par conféquent, une produ£tion de leur Efprit , ôc
non de la Nature.
rius nos Wcis g ^2. Si le nombre des Idées fimples qui compofent
plus eiks"iLu ' l'efTence nominale de la plus bafle Efpéce, ou la prémié-
hicompictcs. re dillribution des Individus en Efpéces, dépend de l'Ef-
prit de l'Homme qui alTemble diverfement ces idées, il eft
bien plus évident qu'il en eft de même dans lesClaflesles
plus étendues qu'on appelle Genres en terme de Logique.
En effet , ce ne font que des Idées qu'on rend imparfaites
à deffeinicar qui ne voit du premier coup d'ceuil que di-
verfes qualitez que l'on peut trouver dans les chofes mê-
mes ) font exclues exprès des Idées génériques ? Comme
l'Efprit pour former des Idées générales qui puifTent com-
prendre divers Etres particuliers , en exclut le temps , le
lieu 6c les autres circonftances qui ne peuvent être com-
munes à plufieurs Individus -, ainfi pour former des Idées
encore plus générales, 6c qui comprennent différentes Ef-
péces, l'Efprit en exclue les Qiialitez qui diftinguerft ces
Efpéces les unes des autres, 6c ne renferme dans cette nou-
velle combinaifon d'Idées que celles qui font communes à
différentes Efpéces. La même commodité qui a porté les
hommes à défigner par un feul nom les diverfes parties de
cette Matière jaune qui vient de la Guinée ou du Pero»,
les engage auill à inventer un fcul nom qui puifle com-
prendre l'Or , l'Argent 6c quelques autres Corps de diffé-
rentes fortes; ce qu'on fait en omettant les qualitez qui
font particulières à chaque Efpéce , 6c en retenant une
idée complexe , formée de celles qui font communes à
toutes ces Efpéces. Ainfi le nom de Mei/jl leur étant af-
figné, voilà un Genre établi, dont l'eflenccn'eft autre cho-
fe
Des Noms des Sub fiancés. L i v. III. 575
fe qu'une Idée abftraite qui contenant feulement la mal- C H A p^
leabiliré 6c la fufibilité avec certains dégrez de pefanteur VI.
6c de fixité, en quoy quelques Corps de différentes efpé-
ces conviennent, laifî'e à part la couleur 6c les autres qua-
litez particulières à l'Or, à l'Argent ^ aux autres fortes
de Corps compris fous le nom de Métal. D'où il paroît
évidemment, que, lorfque les hommes forment leurs /-
dées génériques des Subftances , ils ne fuivent pas exa6te-
ment les modelles qui leur font propofez par la Nature j
puifqu'on ne fauroit trouver aucun Corps qui renferme
fimplement la malléabilité , 6c la fufibilité fans d'autres
Qualitez , qui en font auffi inséparables que celles-là.
Mais comme les hommes en formant leurs idées générales,
cherchent plutôt la commodité du Langage, 6c le moyen
de s'exprimer promptement , par des fignes courts &z d'u-
ne certaine étendue , que de découvrir la vraye 6c précife
nature des chofes, telles qu'elles font en elles-mêmes, ils
fe font principalement propofé, dans la formation de leurs
Idées abftraites, cette fin , qui confifte à faire provifion
de noms généraux , 6c de différente étendue. De forte
que dans cette matière des Genres &c des Efpéces, le Gen-
re ou l'idée la plus étendue n'eft autre chofe qu'une con-
ception partiale de ce qui eft dans les Efpéces,6c VEfpéce
n'eft autre chofe qu'une idée partiale de ce qui eft dans
chaque Individu. Si donc quelqu'un s'imagine qu'un hom-
me, un cheval, un animal, 6c une plante, cf'C- font di-
ftinguez par des effences réelles formées par la Nature , il
doit fe figurer la Nature bien libérale de ces effences réel-
les, fi elle en produit une pour le Corps, une autre pour
l'Animal , 6c l'autre pour un Cheval , &c qu'il communi-
que libéralement toutes ces effences à Bucephale. Mais fi
nous confiderons exaftement ce qui arrive dans la forma-
tion de tous ces Genres àz de toutes ces Efpéces , nous
trouverons qu'il ne fe fait rien de nouveau , mais que ces
Genres 6c ces Efpéces ne font autre chofe que des fîgnes
plus ou moins étendus , par où nous pouvons exprimer
en peu de mots un grand nombre de chofes particulières,
en-
576 Des Noms des Subjlances.
C H A p. entant qu'elles conviennent dans des conceptions plus ou
VI. moins générales que nous avons formées dans cette veùë.
Et dans tout cela nous pouvons obferver que le terme le
plus général efl: toujours le nom d'une Idée moins com-
plexe, ôc que chaque Genre n'ell qu'une conception par-
tiale de l'Elpéce qu'il comprend fous luy. De forte que
fi ces Idées générales èc abltraites paflent pour complètes,
ce ne peut être que par rapport à une certaine relation é-
tablie entre elles &: certains noms qu'on employé pour les
défigner , Se non à l'égard d'aucune chofe exiflante , en-
tant que formée par la Nature.
Tout cela cft a- §• ?3- Ceci cft adapté à la véritable fin du Langage
daptc à la fin qui doit être de communiquer nos notions par le chemin
" ^'"S^g*^ le plus court &c le plus facile qu'on puifle trouver. Car
par ce moyen celui qui veut difcourir des chofes entant
qu'elles conviennent dans l'Idée complexe à' étendue &c ^ç.
jolidité , n'a befoin que du mot de Corps pour défigner
teut cela. Celui qui à ces Idées en veut joindre d'autres
fignifiées par les mots de vie , de fentiment &: de mouve-
mmt fpontanée , n'a befoin que d'employer le mot à.' Ani-
mal pour fignifier tout ce qui participe à ces idées: & ce-
lui qui a formé une idée complexe d'un Corps accompa-
gné de vie, de fentiment £c de mouvement , auquel e(l
jointe la faculté de raifonner avec une certaine figure, n'a
befoin que de ce petit mot homme pour exprimer toutes
les idées particulières qui répondent à cette idée comple-
xe. Tel eft le véritable ufage du Genre & de VEfpéce , &
c'eft ce que les hommes font fans fongcr en aucune maniè-
re aux e^èwre^- m//fj , ou formes ptb/lûntielles , qui ne
font point partie de nos connoiflances quand nous pen-
fons à ces chofes , ni de la fignification des mots dont
nous nous fervons en nous entjretenant avec les autres
hommes.
f^'TÈ'^ns ^' ^4" ^^ '^ veux parler à quelqu'un d'une Efpéce
'd'Oifeaux que j'ai vu depuis peu dans le Parc de S. Ja-
mes , de trois ou quatre pies de haut , dont la peau eft
couverte de quelque chofe qui tient le milieu entre la
plume
Des Noms des Subjiances. Liv. III. 577
plume êc le poil , d'un brun obfcur , fans aîles , mais qui au C h a p.
lieu d'ailes a deux ou trois petites branches femblables à yi.
des branches de genêt qui luy defcendentaubasduCorps,
avec de longues & grofles jambes , des pies armez feule-
ment de trois griftes , &: fans queue j je dois faire cette
defcription par oîi je puis me faire entendre aux autres.
Mais quand on m'a dit que CaJJio-ji'arts eft le nom de cet
Animal , je puis alors me fervir de ce mot pour deilgner
dans le difcours toutes mes idées complexes comprifes
dans la defcription qu'on vient de voir, quoy qu'en ver-
tu de ce mot qui eft prefentement devenu un nom fpéci-
fique je ne connoifl'e pas mieux la conftitution ou l'eifen-
ce réelle de cette forte d'Animaux que je la connoiflbis
auparavant, 6c que félon toutes les apparences j'eulfe au-
tant de connoifTance de la Nature de cette efpeced'oifeaux
avant que d'en avoir appris le nom , que plufieurs Fran-
çois en ont des Cignes ou des Hérons , qui font des noms
fpécifiques , fort connus , de certaines fortes d'Oifeaux
affez communs en France.
§. 35. Il paroit par ce que je viens de àixQi(\\\tce font ce font les
les hommes qui forment les Efpe'ces des Chojes. Car comme J^om^es qui
ce ne font que les différentes eflTences qui conftituent les J™s'deT '"
différentes Efpéces, il eft évident que ceux qui forment Chofes.
ces idées abftraites qui conftituent les effences nominales ,
forment par même moyen les Efpéces. Si l'on trouvoit
un Corps qui eût toutes les autres qualitez de l'Or excep-
té la malléabilité , on mettroit fans doute en queftion s'il
feroit de l'or ou non , c'eft à dire s'il feroit de cette Efpé-
ce. Et cela [ne ipourroit être détermine que par l'idée
abftraite à laquelle chacun en particulier attache le nom
d'Or ; en forte que ce Corps-là feroit de véritable Or , èc
appartiendroit à cette Efpéce par rapport à celui qui ne
renferme pas la malléabilité dans l'eflence nominale qu'il
défigne par le mot d'Or ; ôc au contraire il ne feroit pas
de l'or véritable ou de cette Efpéce à l'égard êe celui qui
renferme la malléabilité dans l'idée fpécifîque qu'il a de
l'or. Qui eft-ce, je vous prie, qui fait ces diverfes Efpé-
Dddd ces.
578 Des Noms des Snbjlances.
Chap. ces , même fous un feul Se même nom , fmon ceux qui
VI. forment deux différentes idées abftraites qui ne font pas
exaftement compofees de la même colleftion de Qii ali-
tez f Et qu'on ne dife pas que c'ell une pure fuppolltion ,
d'imaginer qu'il puifle exifter un Corps, dans lequel, ex-
cepté la malléabilité, l'on puifle trouver les autres quali-
tez ordinaires de l'Or^ puifqu'il eft certain que l'or luy-
niême eft quelquefois 11 ,^/^rf (comme parlent les Artifans}
qu'il ne peut non plus relifter au marteau que le Verre.
Ce que nous avons dit que l'un renferme la malléabilité
dans l'idée complexe à laquelle il attache le nom d'or, èc
que l'autre l'omet, on peut le dire de fa pefanteur parti-
culière, de fa fixité & deplufieurs autres femblables Qiia-
litez j car quoy que ce foit qu'on exclue ou qu'onadmet-
te-, c'eft toujours l'idée complexe à laquelle le nom eft
attaché qui conftituë l'Efpece , & dès-là qu'une portion
particulière de matière répond à cette Idée , le nom de
î'Efpèce luy convient véritablement , 5c elle eft de cette
efpéce. C'eft de l'or véritable , c'eft un parfait métal.
Il eft vifible que cette détermination des Efpéces dépend
de l'Efprit de l'Homme qui forme telle ou telle idée com-
plexe.
La Nature fait §.36. Voici donc en un mot tout le myftére. La Na.'
des'choTè'''^'" ^^^""^ produit pluficurs chofes particulières qui conviennent
entre elles en plufieurs Qiialitez fenfibles , &" probable-
ment aullîjpar leur forme & conftitution intérieure, mais,
ce n'eft pas cette eflence réelle qui les diftingue en Efpé-
ces > ce font les hommes qui prenant cccafion des quali-
tez qu'ils trouvent unies dans les Chofes particulières, ^
auxquelles ils remarquent que plufieurs Individus parti-
cipent également , les reduifent en Efpéces par rapport
aux noms qu'ils leur donnent -, afin d'avoir la commodi-
té de fe fervr de fignes d'une certaine étendue , fous lef-
quels les Individus viennent à être rangez comme fous
autant d'E#ndards , félon qu'ils font conformes à telle
ou telle Idée abftraite } de forte que: celui-ci eft du
Régiment bleu, celui-là du Régiment rouge, ceci eft
un
Des Noms des Subjlmces. Liv. III. 579
un homme, cela un linge. C'eft-là , dis-je, à quoy fe Chap.
réduit , à mon avis , tout ce qui regarde le Genre èc VI.
VEfpcce.
§. 7,"/. Je ne dis pas que dans la confiante produftion
des Etres particuliers la Nature les falTe toujours nou-
veaux Se différens. Elle les fait , au contraire, fort fem-
blables l'un à l'autre, ce qui, je croy , n'empêche pour-
tant pas qu'il ne foit vray que les bornes des Efpeces font e-
tahlies par les hommes , puifque les Eflences des Efpeces
qu'on diftingue par différens noms , font formées par les
hommes, comme il a été prouvé , 6c qu'elles font rare-
ment conformes à la nature intérieure des chofes , d'oîi el-
les font déduites. Et par conféquent nous pouvons dire
avec vérité , que cette réduction des chofes en certaines
Efpeces , eft l'Ouvrage de l'homme.
§. 38. Une chofe qui, je m'affùre,paroîtra fort étran- Chaque Idée
ge dans cette Dodrine, c'efl: qu'il s'enfuivra de ce qu'on ^b'^aiteertune
vient de dire , que chaque Idée abflraite qui a un certain ^"'^^'
nom-, forme une Efpéce dijlin£ie. Mais que faire à cela,
fi la Vérité le veut ainfi ? Car il faut que cela refte de cet-
te manière , jufqu'à ce que quelqu'un nous puifTe mon-
trer les Efpeces des chofes , limitées Se diftinguées par
quelque autre marque , &: nous faire voir que les termes
généraux ne fignifient pas nos Idées ab'ftraites , mais quel-
que chofe qui en eft différent. Je voudrois bien fa voir
pourquoy un Bichon Se un Lévrier ne font pas des Efpe-
ces auffi diftinftes qu'un Epagneul èc un Eléphant. Nous
n'avons pas autrement d'idée de la différente effence d'un
Eléphant & d'un Epagneul , que nous en avons de la dif-
férente effence d'un Bichon & d'un Lévrier , puifque
toute la différence effentielle par où nous les connoiffons
& les diftinguons l'un de l'autre confifte uniquement
dans le différent amas d'idées fimples auquel nous avons
donné ces différens noms.
§. 39. Outre l'exemple de la Glace Se de l'Eau que d/''^î!°™^^'°"
nous avons rapporté * cy-deffus, en voici un fort fami- des eipéds k
lier par où il fera aifé de voir combien la formation des "pporre aux
ddd 2 Gcn- *Pag.^y8.§ ij.
580 Des Noms des Subjiances.
C H A p. Genres 6c des Efpéces a du rapport aux noms généraux ,
YJ 6c combien les noms généraux Ibnt neceflaires, fi ce n'eft
pour donner l'exiilence à une Efpece ; du moins pour la
rendre complète, 6c la faire pafler pour telle. Une Mon-
tre qui ne marque que les heures , 6c une Montre fonante
ne font qu'une feule Efpece à l'égard de ceux qui n'ont
qu'un nom pour les defigner ; mais à l'égard de celui qui
a le nom de Montre pour déiîgner la première , èz celui
à.' Horloge pour fignifier la dernière, avec les différentes
idées complexes auxquelles ces noms appartiennent , ce
font, par rapport à luy, des Efpéces différentes. On dira
peut-être que la difpolltion intérieure ell différente dans
ces deux Machines dont un Horloger a une idée fort di-
ftinfte. Qii'importe? 11 eft pourtant vilible qu'elles ne
font qu'une Efpece par rapport à l'Horloger, t.mdis qu'il
n'a qu'un feul nom pour les defigner. Car qu'eft-ce qui
fufïit dans la difpofition intérieure pour faire une nouvel-
le Efpece? Il y a des Montres à quatre roûës, 6c d'autres
à cinq; eft-ce là une différence fpécifique par rapport à
l'Ouvrier ? Qiielques-unes ont des cordes Se des fufées,
6c d'autres n'en ont point i quelques-unes ont le balancier
libre , S>c d'autres conduit par un reflbrt fait en ligne fpi-
,';• raie, èc d'autres par des foyes de Pourceau : quelqu'une
i de ces chofes ou toutes enfemble fufïifent- elles pour faire
une différence fpécifique à l'égard de l'Ouvrier qui con-
noit chacune de ces différences en particulier, 6c plufieirs
autres qui fe trouvent dans la conflitution intérieure des
Montres.^ Il eft certain que chacune de ces chofes diffère
réellement du refte > mais de favoir 11 c'eft une différence
eiTentielle 6c fpécifique, ou non, cela fe rapporte unique-
ment à l'idée complexe à laquelle le nom de montre eft
appliqué. Tandis que toutes ces chofes conviennent dans
l'idée que ce nom lignifie , 6c que ce nom ne comprend
pas différentes Efpeces fous luy en qualité de tcxmc géné-
rique , il n'.y a entre elles ni difîerence effcntielle, ni fpé-
cifique. Mais fi quelqu'un veut faire de plus petites di-
vifions fondées fur les différences qu'il connoit dans la
con-
Des Noms des Subjlances. L i v. IIL 581
configuration intérieure des Montres , & donner des noms C h a p.
à ces idées complexes, formées fur ces précifions, il peut VL
le faire; 8c en ce cas-là ce feront tout autant de nouvelles
Efpéces à l'égard de ceux qui ont ces idées & qui leur af-
fignent des noms particuliers: de forte qu'en vertu de ces
différences ils peuvent diilinguer les Montres en toutes
ces diverfes Efpéces ; fie alors le mot de Montre fera un
terme générique. Cependant ce ne fcroient point d'Efpé-
ces diftmiSbes par rapport à des gens qui n'étant point hor-
logers ignorent la compofition intérieure des Montres, fie
n'en ont point d'autre idée que comme d'une Machine
d'une certaine forme extérieure, d'une telle groffeurjqui
marque les heures par le moyen d'une aiguille. Tous ces
autres noms ne feroient à leur égard qu'autant de termes
fynonymes pour exprimer la même idée , 6c ne fignifie-
roient autre chofe qu'une Montre. Il en eft juftement de
même dans les chofes naturelles. Il n'y a perfonne , je
m'afliire, qui doute que les Roues ou les Reflbns ÇÇ\. j'o-
fe m'txprimer ainfi} qui agiflent intérieurement dans un
h mime raifonnable 6c dans un Imbecille ne foient'difte-
rens , de même qu'il y a de la différence entre la forme
d'un finge 6c d'un Imbecille. Mais de favoir fi l'une de
ces différences, ou routes deux font elfentielles ou fpeci-
fîques , nous ne faurions le connoître que par la confor-
mité ou non-conformité qu'un Imbecille 6c un fmge ont
avec l'idée complexe qui efb fignifîée par le mot homme ;
car c'eft uniquement par là qu'on peut déterminer , fil'un
de ces Etres eft hcmme , ou tous deux , ou b:en fi l'un ni
l'autre ne l'eft pas.
§. 40. Il eil aifé de voir par tout ce que nous venons Les Efpt'ces
de dire, la raifon pourquoy dans les Efpéces de Chofes ar- <J" chofes am-
■ /- • 1; ) ' ' / J r r > J< .■ ncielles font
Jificiclles tiy a en gêner al moins de conjnjion a- dmcertitti- ^oins confufcs.
de qve dans celles des chofes naturelles. C'eft qu'une cho- <]ue cciks dts
fe artificielle étant un ouvrage d'homme que l'Artifans'eft "^'"'^^""•
propofé de faire, Se dont par conféquent l'idée luy eft fort
connue , on fuppcfe que le nom de la chofe n'emporte
point d'autre idée ni d'autre effcnce que ce qui peut être
Dddd 3 eer-
^82 Des Noms des Stibjlances.
C KAP. certainement connu & qu'il n'eftpas fort mal-aifé de com-
VI. prendre. Car l'idée ou l'eflence des différentes fortes de
chofes artificielles ne confiftant pour la plupart que dans
une certaine figure déterminée des parties fenfibles , 6c
quelquefois dans le mouvement qui en dépend , Tce que
l'Artifan opère fur la Matière félon qu'il le trouve nécef-
ûire à la fin qu'il fe propofe) il n'elt pas au defliis de la
portée de nosfacultez de nous en former une certaine idée,
6c par là de fixer la fignification des noms qui diftinguent
les différentes Efpéces des chofes artificielles, avec moins
d'incertitude , d'obfcurité 6c d'équivoque que nous ne
pouvons le faire à l'égard des chofes naturelles , dont les
différences 6c les opérations dépendent d'un mechanifme
que nous ne faurions découvrir.
Les chofes ar- §• 4,1. J'efpérc qu'on n'aura pas de peine à me par-
tificidies font donner la penfée où je fuis , que les chofes artificielles
p^crsdiftiudcs. font de diverfes Efpéces diltinftes , aufli bien que les na-
turelles; puifque je les trouve rangées aufli nettement 6c
aufli diftindlement en différentes fortes par le moyen de
différentes itfées abftraites , 6c des noms généraux qu'on
leur alfigne , qui font aufli diftinfts l'un de l'autre que
ceux qu'on donne aux fubflances naturelles. Car pour-
quoy ne croirions-nous pas qu'une Montre &i un Pijlolet
font deux Efpéces diflinftes l'une de l'autre auflî bien
qu'un Cheval 6c un Chien , puifqu'elles font repréfen-
tées à nôtre Efprit par des idées diflinctes, 6c aux au-
tres hommes par des dénominations diftinctes?
Les feules fub- §• 42; U faut de plus remarquer à l'égard des Subflan-
ftances ont des ces , que de toutes les diverfes fortes d'idées que nous a-
noms propres, y^^^^ ce foHt Ics fculcs qui aycut dcs noms propres, par
ovi l'on ne défigne qu'une feule chofe particulière. Et
cela , parce que dans les Idées fimples , dans les Modes
& dans les Relations il arrive rarement que les hommes
ayent occafion de faire fouvent mention d'aucune telle
idée individuelle S< particulière lorfqu'elle eft abfénte.
Outre que la plus grande partie des Modes mixtes étant
des adions qui periffent dès leur naiffance , elles ne font
pas
Des Noms des Siib fiances. Liv. III. 585
pas capables d'une longue durée , ainfi que les Subftances C h A p.
qui font des Agents & dans lefquelles les Idées fimples VI.
qui forment les Idées complexes, défignées par un nom
particulier, fubfiftent long-temps unies enfemble.
§. 43. Je fuis obligé de demander pardon à mon Le- Difficulté' qu-i!
£teur pour avoir difcouru fi lonf^-temps furcefuiet, & Y ^ à traiter des
/ 1 1 r •-»«•• I • ■' . Mots.
peut-être avec quelque oblcunte. JVIais )e le prie en mê-
me temps de confidercr combien il eft difficile de faire en-
trer une autre perfonne par le fecours des paroles dans
l'examen des chofes mêmes lorfqu'on vient à les dé-
pouiller de ces diiférenccs fpécifiques que nous avons ac-
coutumé de leur attribuer. Si je ne nomme pas ces cho-
fes, je ne dis rienj & fi je les nomme, je les range par là
fous quelque Efpéce particulière ,' Ssz je fuggére à l'Efprit
l'ordinaire idée abftraite dé cette Efpéce-là,par où je tra-
verfe mon propre deflein. Car de parler d'un homme &c
de renoncer en même temps à la fignification ordinaire du
nom d'homme qui eft l'idée complexe qu'on 'y attache
communément, 6c de prier le Lefteur deconfidererl'/:?;?»/-
me comme il eft en luy-même & félon qu'il eft diftingué
réellement des autres par fa conftitution inférieure ou ef-
fence réelle, c'eft à dire par quelque chofe qu'il ne con-
noit pas, c'eft, cefemble, un vray badinage. Et cepen-
dant c'eft ce que ne peut fe difpenfer de faire quiconque
veut parler des Effences ou Efpéces fuppofées réelles, en-
tant qu'on les croit formées par la Nature > quand ce ne
feroit que pour faire entendre qu'une telle chofe fignifiée
par les noms généraux dont on fe fert pour défigner les
fubftances, n'exifte nulle part. Mais parce qu'ileft dif-
ficile de conduire l'Efprit de cette manière en fe fervant
de noms connus & familiers , permettez-moy de propofer
encore un exemple qui falle connoître plus clairement les
différentes veûés fous lefquelles l'Efprit confidére les noms
&: les idées fpécifiques, & de montrer comment les idées
complexes des Modes ont quelquefois du rapport a des
Archétypes qui font dans l'Efprit de quelque autre Etre
intelligent, ou ce qui eft la même chofe , à la fignifica-
tion
Exemple de
Modes mixics
dans les mots
Kwiieah &
^8^ Des Noms des Snbjîances.
C H A p. tion que d'autres attachent aux noms dont on fefert com-
VI. munement pour défigncr ces Modes > Ôc comment ils ne
le rapportent quelquefois à aucun Archétype. Permeftez-
moy aulîl de faire voir comment l'Efprit rapporte toujours
fes idées des Suhjiances aux Subftances mêmes, ou à la li-
gnification de leurs noms comme à leurs Archétypes, com-
me aivHl de montrer nettement , quelle efl: la nature des
Efpéces ou de la réduction des Chofes en efpeces , félon
que nous la comprenons 6c que nous la mettons en ufagej
6c quelle eft la nature des eflences qui appartiennent à ces
Efpéces } ce qui eft peut-être d'une plus grande impor-
tance que nous ne croyons d'abord , pour nous faire voir
l'étendue & la certitude de nos connoiOances.
§. 4,4,. Suppofons ^^^w dans l'état d'un homme fait,
doué d'un Elprit folide, mais dans un Pais Etranger, en-
vironné de chofes qui luy font toutes nouvelles 6c incon-
nues, fans aucres facultcz pour en acquérir la connoilTan-
ce , que. celles qu'un homme de cet âge a préfentement.
Il voit Lamcch plus trifte qu'à l'ordinaire , 6c il fe figure
que ceU vient du foupçon qu'il a conçu que fa femme A-
dab qu'il aime palîîonnément , n'ait trop d'amitie pour
un autre homme. Adam communique ces penfées-là à
Eve i 6c luy recommande de prendre garde qu'Adah ne
fafle quelque folie > 6c dans cet entretien qu'il a avec
Eve , il fe fert de ces deux mots nouveaux Kinneah 6c
NiûHph. Il paroit dans la fuite qu'Adan\ s'eft trompé ;
car il trouve que la mélancolie de Lamech vient d'avoir
tué un homme. Cependant les deux mots Kinneah èc
Nioiiph ne perdent point leurs fignifications diftinctes , le
premier fignifiant le foupçon qu'un Mari a de l'infidélité
de fa femme, 6c l'autre l'afte par lequel une femme com-
met cette infidélité. Il eft évident que voilà deux diffé-
rentes Idées complexes de Modes mixtes , défignées par
des noms particuliers , deux efpéces diftincbes d'adions
effcntiellement différentes. Cela étant , je demande en
quoy confiftoient les effences de ces deux Efpeces diftin-
ctes d'actions. Il eft vifible qu'elles confiftoient dans une
com-
Des Noms des SubjU7ices. Liv. III. 585
combinaifon précife d'Idées fimples, différente dans l'ime C h a p.
ôc dans l'autre. Mais l'idée complexe qu'Adam avoit dans VI.
l'Efprit Se qu'il nomme Kinneah , étoit-elle complète j ou
non ? Il eft évident qu'elle ctoit complète ; car étant une
combinaifon d'Idées fimples qu'il avoit afiemblées volon-
tairement fans rapporta aucun Archétype, fans avoir égard
à aucune chofe qu'il prit pour modelle d'une telle combi-
naifon , l'ayant formée luy-même par abftradtion fc luy
ayant donné le nom de Kinneah pour exprimer en abrégé
aux autres hommes par ce feul fon toutes les idées fimples
contenues & unies dans cette idée complexe , il s'enfuit
néceffairement de là que c'étoit une idée complète. Com-
me cette combinaifon avoit été formée par un pureffetde
fa*volonté,ellerenfermoit tout ce qu'il avoit deflein qu'el-
le renfermât -, Se par conféquent elle ne pouvoit qu'être
parfaite &: complète, puifqu'on ne pou voit fuppofer qu'el-
le fe rapportât à aucun autre Archétype qu'elle dût répré-
fenter.
§. 4.5. Ces mots /ù'wwc.^/:; 6c A7(7«/)^ furent introduits
par dégrez dans l'ufage ordinaire , 5c alors le cas fut un
peu différent. Les Enfans d'Adam avoicnt les mêmes fa-
cultez. Se par conféquent, le même pouvoir qu'il avoit>
d'affembler dans leurEfprit telles idées complexes de Mo-
des mixtes qu'ils trouvoient à propos , d'en former des
abftraftions &" d'inflituer tels fons qu'ils vouloient pour
les défigner. Mais parce que l'ufage des noms confi lie à
faire connoître aux autres les idées que nous avons dans
l'Efprit, on ne peut en venir là que lorfque le même flgne
fignifîe la même idée dans l'Efprit de deux perfonnes qui
veulent s'entre-communiquer leurs penféesScdifcouriren-
femble. Ainfi ceux d'entre les Enfans d'Adam qui trou-
vèrent ces deux mots , Kinneah 6c Niouph reçus dans l'u-
fage ordinaire, ne pou voient pas les prendre pour de vains
fons qui ne fignifîoient rien, mais ils dévoient conclurre
néceflairement qu'ils fignifîoient quelque chofe, certaines
idées déterminées, des idées abflraites, puifque c'étoient
des noms généraux -, lefquelles idées abftraites étoient des
Eeee cf-
5 86 Ves Noms des Sîibfiances.
Chap. eflences de certaines Efpéces diftinguées de toute autre
VI. par ces noms-là. Si donc ils vouloient fe fervir de ces
Mois comme de noms d'Efpéces déjà établies 8c reconnues
d'un commun confentement , ils etoient obligez de con-
former les idées qu'ils formoient en eux-mêmes comme
fignifiées par ces noms-là aux idées qu'elles ilgn)fîoient
dans l'Elprit des autres hommes, comme à leurs véritables
niodelles. Et dans ce cas les idées qu'ils fe formoient de
ces Modes complexes étoient fans doute fujettes à être in-
complètes, parce qu'il peut arriver facilement que ces for-
tes d'Idées & fur tout celles qui font compofees de coni-
binaifons de quantité d'idées , ne répondent pas exacte-
ment aux idées qui font dans l'Efprit des autres hommes
qui fe fervent des mêmes noms. Mais à cela il y a pour
l'ordinaire un remède tout prêt , qui eft de prier celui qui
fe fert d'un mot que nous n'entendons pas , de nous en
dire la fignifîcation > car il eft aulîl impollible de fivoir
certainement ce que les mots de jalou/îeècd'udiiltere ,quiy
» nxjp figiiifîe je croy , répondent aux mots hébreux * Kinneah & Nioiiphy
jaiùiijieSi ^i^j lignifient dans l'Efprit d'un autre homme avec qui je m'en-
" " '""' tretiens de ces chofes, qu'il étoit impollible dans le com-
mencement du Langage de fivoir ce que Kinneah 6c Niouph
lîgnifioient dans l'Efprit d'un autre homme fans en avoir
entendu l'explication , puifque ce font des fignes arbitrai-
res dans l'Efprit de chaque perfonne en particulier.
Exemple des §. 46. Coiifidcrons prefcntement de la même manière
subrtances dans jg^ noms dcs Subftauces , dans la première application qui
en rut faite. Un des Enrans d Adam courant ça &: la (ur
des Montagnes découvre par hazard une Subftancc écla-
tante qui luy frappe agréablement la veûë. 11 la porte à
Adam qui, après l'avoir confideree , trouve qu'elle eft
dure, d'un jaune fort brillant & d'une extrême pefanteur.
Ce font peut-être là toutes les Qiialitez qu'il y remarque
d'abord, & formant par ai)ftra£bion une idée complexe,
compofée d'une Subftance qui a cette particulière couleur
jaune, & une très-grande pefinteur par rapport à fa maffe,
il luy donne le nom de Zahab , pour dellgner par ce mot
tou-
"Des Noms àes Subjlances. Liv. III. 587
toutes les Subftances qui ont ces qualitez fenfibles. Il eft C h a p.
évident que dans ce cas Adam agit d'une toute autre ma- VI.
niére qu'il n'a fait en formant les idées de Modes mixtes
auxquelles il a donné les noms de Kinneah Se de Niouph.
Car dans ce dernier cas il joignit enfemble, par le feul fe-
cours de fon imagination , des Idées qui n'étoient point
prifes de l'exiftence d'aucune chofe , & leur donna des
noms qui puflént fervir à défigner tout ce qui fe trouve-
roit conforme à ces idées abllraitcs qu'il avoit formées ,
fans confiderer fi aucune telle chofe exiftoit ou non. Là
le modelle étoit purement de fon invention. Mais lorf-
qu'il fe forme une idée de cette nouvelle Subftance, il fuit
un chemin tout oppoié ; car il y a en cette occafion un
modelle formé par la Nature , de forte que voulant fe le
repréfenter à luy-niême par l'idée qu'il en a lors même
que ce modelle eft abfent , il ne fait entrer dans fon idée
complexe nulle idée fimple dont la perception ne luy vien-
ne de la chofe même. 11 a foin que fon idée foit confor-
me à cet Archétype, & veut que le nom exprime une idée
qui ait une telle conformité.
§. 47. Cette portion de Matière qu'Adam défigna ain-
fi par le terme de Zahab , étant entièrement difterente de
toute autre qu'il eût vu auparavant, il ne fe trouvera, je
eroy , perfonne qui nie qu'elle ne conftitué une Efpéce
diftinfte qui a fon elTence particulière, &: que le mot de
Zahab ne foit le figne de cette Efpéce , &: un nom qui
appartient à toutes les chofes qui participent à cette Éf-
fence. Or il eft vifible qu'en cette occafion l'eflence
qu'Adam défigna par le nom de Zahab , ne comprenoit
autre chofe qu'un corps dur , brillant , jaune &: fort pe-
fant. Mais la curiofité naturelle à l'Efprit de l'Homme
qui ne fauroit fe contenter de la connoiflance de ces Qua-
litez fuperficielles, engage Adam à confiderer cette Ma-
tière de plus près. Pour cet effet , il la frappe avec un
caillou pour voir ce qu'on y peut découvrir en dedans.
Il trouve qu'elle cède aux coups, mais qu'elle n'eft pas
aifement divifée en morceaux , & qu'elle le plie fans fe
Eeee 2 rompre.
588 "Des Noms des Siibjianccs.
C H A p. rompre. La duftilité ne doit-elle pas , après cela , erre
YI. ajoutée à fon idée précédente, & faire partie de l'eflénce
de l'Efpéce qu'il défigne par le terme de Zahnb? De plus
particulières expériences y découvrent la fufibilité 8c la
fixité. Ces propriétez ne doivent-elles pas entrer auflî
dans l'idée complexe qu'emporte le mot de Zahab , par
la même raifon que les autres , qui y ont été première-
ment admifes ? Si l'on dit que non i comment fera-t-on
voir que l'une doit être préférée à l'autre? Qiie s'il faut
admettre celles-là, dès-lors toutes les autres propriétez
que de nouvelles obfervations feront connoître dans cette
Matière, doivent par la même raifon faire partie de ce
qui conftiruc cette idée complexe , fignifiée par le mot
de Zahab , & être par conféquent l'eflénce de l'Efpéce
qui eft défignée par ce nom-là; & comme ces propriétez
font infinies , il eit évident qu'une idée formée de cette
manière fur un tel Archétype , fera toujours incomplè-
te.
Lesidc'csdcî §. 4,8. Mais cc n'cft pas tout ; il s'enfuivroit encore
subftances font ^^ ^^ ^^ j^^ nouis dcs Subltanccs auroient laon feulement
â caufc de cela, différentes fignifications dans la bouche de diverfcs per-
jiveries. fonncs (cc qui efl: effectivement} mais qu'on le fuppofe-
roitainfi, ce qui répandroit une grande confufion dans
le Langage. Car fi chaque qualité que chacun décou-
vriroit dans quelque Matière que ce fut , étoit fuppofee
faire une partie neceffaire de l'idée complexe fignihéc
par le nom commun qui luy ell donné, il s'enfuivroit né-
ceffairement de là que les hommes doivent fuppoier que
le même mot fignifie différentes chofes en différentes per-
fonnes, puifqu'on ne peut douter que diverfes perfonnes
ne puiflént avoir découvert plufieurs qualitez dans des
Subllances de la même dénomination , que d'autres ne
connoiffent en aucune manière,
■font fixerieurs §• 49" I^our éviter cet inconvénient, certaines gens ont
Efpi'ccs onfup- fuppofé une effence réelle, attachée à chaque Kfpece ,
rokuiKciïencc^^'Q-j découlent toutes ces propriétez , êc ils prétendent
que les noms dont ils fe fervent pour défign;r les Efpe-
ces-s
Des Noms des Sitbjlances. Liv.III. 589
ces, flgnifîent ces fortes d'Eflences. Mais comme ils Chap."
n'ont aucune idée de cette efFcnce réelle dans les Subftan- VJ.
CCS, & que leurs paroles ne fignifîent que les Idées qu'ils
ont dans l'Efprit, cet expédient n'aboutit à autre chofe
qu'à mettre le nom ou le fon à la place de la chofe qui a
cette eflénce réelle, fans favoir ce que c'eft que cette ef-
fence, &: c'eft là effedtivement ce que font les hommes
quand ils parlent des Efpéces des chofes en fuppofant
qu'elles font établies par la Nature , Se diftinguées par
leurs eflences réelles.
§. 50. Et pour cet effet , quand nous difons que tout Cette fuppofî-
Oreftfixe, voyons ce qu'emporte cette affirmation. Ou """ "/^ '^'•i'»-
cela veut dire que L\ fixité eit une partie de la Définition,
une partie de l'ElTence nominale que le mot Or fignifîe,
&: par conféquent cette affirmation , Tout Or e(l fxe , ne
contient autre chofe que la fignification du terme d'Or.
On bien cela lignifie que la fixité ne faifant pas partie de
la Définition du mot Or , c'eft une propriété de cette
Subftance mêmej auquel cas il eft vifible que le mot Or
tient la place d'une Subftance qui a l'efténce réelle d'une
Efpéce de chofes , formée par la Nature : fubftirution
qui donne à ce mot. une fignification fi confufe & fi in-
certaine , qu'encore que cette Propofition , l'Or efi fxe ,
foit en ce fens une affirmation de quelque chofe de réel ,
c'eft pourtant une vérité qui nous échappera toujours
dans l'application particulière que nous en voudrons fiii-
re ; & ainfi elle eft incertaine &: n'a aucun ufage réel.
Mais quelque v,ay qu'il foit que tout Or , c'eft-à-dire
tout ce qui a l'effence réelle de l'Or , eft fixe, à quoy
fert cela, puifqu'à prendre la chofe en ce fens, nous igno-
rons ce que c'eft qui eft ou n'eft pas Or? Car fi nous ne
connoifibns pas l'eflcncc réelle de l'Or, il eft impoffible
que nous connoiffions quelle particule de Matière a cette
tÇîcnce, & par conféquent fi c'eft du véritable Or, ou
non.
§.51. Pour conclurre; la même liberté qu'Adam eût Concluden.
au commencement de former telles idées complexes de
Eeee 3 Mo-
590 Des Noms des Snbftances,
C H A p. Modes mixtes qu'il vouloit", fans fuivre aucun autre mo-
VI. délie que fes propres penfées , tous lès hommes l'onr eue
depuis ce temps-là > Ôc la même nécefllté qui fut impofée
à Adam de conformer fes idées des Subftances aux chofes
extérieures , s'il ne vouloit point fe tromper volontaire-
ment luy-méme , cette même nécefllté a été depuis im-
pofée à tous les hommes. De même la liberté qu'Adam
avoit d'attacher un nouveau nom à quelque idée que ce
fut, chacun l'a encore aujourd'huy, & fur tout ceux qui
font une Langue, fi l'on peut imaginer de telles perfon-
nes ; nous avons , dis-je , aujourd'huy ce même droit ,
mais avec cette différence que dans les Lieux ou les hom-
mes unis en focieté ont deja une Langue établie parmi
eux , il ne faut changer la lignification des mots qu'avec
beaucoup de circonfpe£tion 6z le moins qu'on peut , par-
ce que les hommes étant déjà pourvus de noms pour dé-
figner leurs idées , & l'ufage ordinaire ayant approprié
des noms connus à certaines idées, ce feroit une chofe
fort ridicule que d'affefter de leur donner un fens diffé-
rent de celui qu'ils ont deja. Celui qui a de nouvelles
notions , fe hazardera peut-être quelquefois de faire de
nouveaux termes pour les exprimer j mais on regarde ce-
la comme une efpéce de hardieffe ; ôc il eft incertain lî
jamais l'ufage ordmaire les autorifera. Mais dans les en-
tretiens que nous avions avec les autres hommes, il faut
néccffairement faire en forte que les idées que nous dé-
fignons par les mots ordinaires d'une Langue, foient con-
formes aux idées qui font exprimées par ces mots-là dans
leur fignification propre & connue , ce que j'ai deia ex-
plique au long i ou bien il faut faire connoître diltinfte-
ment le nQuveau fens que nous leur donnons.
CHA-
Des Particules. Liv. IIL 59 f
CHAPITRE VII.
Des Particules.
§. I. •^XUtre les Mots qui fervent à nommer les Les Parricofe*
V_^ idées qu'on a dans ]'Efprit,il y en a un î^rand ''e'" ■c' paries
nombre d'autres , qu'on employé pour fignifier lançon- JonsouTsp'ro-
nexion que l'Efprit met entre les Idées ou les Propofi- pofitions cmié-
tions, qui compofent le Difcours. Lorfque l'Efprit com- ^"'
munique fes penfées aux autres, il n'a pas feulement be-
foin de flgnes qui marquent les idées qui fe préfentent
alors à luy , mais d'autres encore pour défigner ou faire
connoître quelque aftion particulière qu'il fiait luy-mê-
me,&: qui dans ce temps-là fc rapporte à ces idées. C'eft
ce qu'il peut faire en diverfes manières. Cela ejl , cela
n'efl pas , font les fignes généraux dont l'Efprit fe fert en
affirmant ou en niant. Mais outre l'affirmation & la né-
gation j fms quoy il n'y a ni vérité ni fauffeté dans les
paroles ; lorfque l'Efprit veut faire connoître fes penfées
aux autres , il lie non feulement les parties des PropoU-
tions, mais des fenterices entières l'une à l'autre , dans
toutes leurs différentes relations &: dépendances, afin d'en
faire un difcours fuivi.
§. 2 . Or ces Mots par lefquels l'Efprit exprime cette cvftdansie
liaifon qu'il donne aux différentes affirmations ou nega- ''°" ^^^"^ ^^^
r ■ T • ' Particules que
tions pour en raire un rationnement contmue , ou une condftc rare
narration fuivie, on les appelle en général des Particules ; de bien parler,
^r c'eft de la jufte application qu'on en fait , que dépend,
principalement la clarté èc la beauté du ftile. Pour qu'un
homme penfe bien , il ne fuffit pas qu'il ait des idées-
claires & diftinftes en luy-méme, ni qu'il obferve la con-
venance ou la difconvenance qu'il y a entre quelques-unes
de ces Idées, mais il doit lier fes penfées, & remarquer
la dépendance que fes raifonnemens ont l'un avec l'autre:
£c pour bien exprimer ces fortes de penfées j rangées me-^
tho-
592 Des Particules.
Chap. thodiquement, 6<: enchainées l'ufle à l'autre par des rai-
VII. fonnenicns fiiivis, il luy faut des termes qui montrent la
connexion , la reflri[îton , la dijiin^ion , Voppo/îtion , Vem-
phûfc , crc. qu'il attaehe à chaque partie refpcctive de fon
Difcours. Qiie il l'on vient à fe. méprendre dans l'appli-
cation de ces particules, on embarralle celui qui écoute,
bien loin de l'inftruire. Voilà pourquoy ces Mots, qui
par eux-mêmes ne font point effeîtivement le nom d'au-
tune idée, font d'un ufage fi confiant &: fi indifpenfable
dans la Langue , &: fervent fi fort aux hommes pour fe
bien exprimer.
Les Partiaiks §. 3. Cette partie de la Grammaire qui traite des Par-
fcrvent a mon- ficulcs a peut-étre été aulli négligée que quelques autres
port r'Efpnt''' °'^^ ^té cultivées avec trop d'exaftitude. Il eft aifé d'é-
mct entre fes crire l'uu après l'autre des Cas & des Genres , des Modes
pcnees. &c dcs Temps y des Gérondifs Se des Supins. C'eft à quoy
l'on s'eft attaché avec grand foin j Se dans quelques Lan-
gues on a aufli rangé les particules fous differens chefs a-
vec une extrême apparence d'exaftitude. Mais quoy
que les Prépojïtions ,\cs Cotîjon^ions ,&zc. foient des noms
fort connus dans la Grammaire , &z que les Particules
qu'on renferme fous ces titres, foient rangées exactement
fous des fubdivifions diftinftes ; cependant qui voudra
montrer le véritable ufage des Particules , leur force &;
toute l'étendue de leurs lignifications , ne doit pas fe
borner à parcourir ces Catalogues: il faut qu'il prenne un
peu plus de peine , qu'il reflêchiile fur fes propres pen-
lées, & qu'il obferve avec la dernière exactitude les dif-
férentes formes que fon Efprit prend en difcourant.
§. 4. Et pour expliquer ces Mots, il ne fuiîit pas de
les rendre, comme on fait ordmairement dans lesDièVion-
naires, par des Mots d'une autre Langue qui approchent
le plus de leur fignification , car pour l'ordinaire il eft
aufli mal-aifé de comprendre dans une Langue que dans
l'autre ce qu'on entend précilément par ces Mots-là. Ce
font tout autant de tnnrcjues de qneltjue a^ion de V Efprit
£i.u de quelque cbofe qu'il vent donner à entendre : ainfi ,
pour
Des Particules. Liv. III. 595
pour bien comprendre ce qu'ils fignifient , il faut confi- C h a p.
derer avec foin les différentes veùës, poftures , fîtuations, VII.
tours, limitations, exception s ôc autres penfées de l'Efprit
que nous ne pouvons exprimer faute de noms , ou parce
que ceux que nous avons , font très-imparfaits. Il y a
une grande variété de ces fortes de penfées , &: bien au de-
là du nombre des Particules que la plupart des Langues
fourniflent pour les exprimer. C'eftpourquoy l'on ne
doit pas être furpris que la plupart de ces Particules ayent
des fignifications différentes , Se quelquefois prefque op-
pofées. Dans la Langue Hébraïque il y a une particule
qui n'cft compofée que d'une feule Lettre, mais dont on
compte , s'il m'en fouvient bien , foixante-dix , ou cer-
tainement plus de cinquante fignifications différentes.
§. 5. * Mais eft une des particules les plus communes Excmpîet-téae
dans nôtre Langue, & après avoir dit que c'eft une Con- '•* ''^"""'^
jonEiion difcretive qui répond au Sed des Latins, on penfe
l'avoir fuffifamment expliquée. Cependant il me femble
qu'elle donne à entendre divers rapports que l'Efprit at-
tribué à différentes Propofitions ou parties de Propofi-
tions qu'il joint par ce Monofyllabe.
Premièrement , cette Particule fert à marquer contra-
riété, exception, différence. Il eft fort honnête homme ^
Mais il eft trop prompt. Vous pouvez faire un tel mar-
ché 3 Mais prene.z garde qu'on ne vous trompe. Elle
n' eft pas fi belle qu'une telle y Mais enfin elle eft jolie.
II. Elle fert à rendre raifon de quelque chofe dont on
fe veut excufer. // eft vray , je Vai battu , Mais j'en a-
voisfujet.
III. Mais pour ne pas parler davantage fur ce fujet:
Exemple où cette Particule fert à faire entendre que l'Ef-
prit
* En Anglois But. Nôtre Mais ne
repond point cxaûement à ce mot An-
glois , comme il paroit vifiblement par
les divers rapports que l'Auteur remarque
dans cette Particule , dont il y en a quel-
(jues-uns qui ne fautoienc être appliquez
à nôtre M.I». Comme je ne pouTois tra-
duire ces exemples en nôtre Langue , j'en
ai mis d'autres à la place , que j'ai tirez
en partie du Didlionnaire de ï'jlcadimie
Françoife.
Ffff
Chap.
VIL
594 Des Particules.
prit s'arrête dans le chemin où il alloit , avant que d'être
arrivé au bout.
IV. Qa') Fous pries Dieu , Mais ce n'eff pas , qu'il
veuille vous amener à. la connoifiance de la vraye Reli-
gion-,
V. Mais qu'il vous confirme dans la vôtre. Le pre-
mier de ces Mais défigne une fuppofition dans l'Efprit de
quelque chofe qui eft autrement qu'elle ne devroit être ;
& le fécond fait voir , que l'Efprit met une oppofition
directe entre ce qui fuit &: ce qui précède.
VI. Mais fert quelquefois de tranfition Qb^ pour reve-
nir à un fujet , ou pour quitter celui dont on parloit.
Mais revenons À ce que nous dijiotis tantôt, (r) Mais
laijfons Chapelain pour la dernière fois.
On n'a touché §. 6. A CCS fignificatioHS du mot de Mais , j'en pour-
cette^matiere^ Tois ajoûtcr fans doutc pluficuts autrcs , fi je me faifois u-
ne affaire d'examiner cette Particule dans toute fon éten-
due , & de la confiderer dans tous les Lieux où elle peut
fe rencontrer. Si quelqu'un vouloit prendre cette peine,
je doute que dans tous les fens qu'on luy donne, elle pût
mériter le titre de difcretive y par où les Grammairiens la
défignent ordinairement. Mais je n'ai pas deifein de don-
ner une explication complette de cette efpéce de fignes.
Les exemples que je viens de propofer fur cette feule par-
ticule, pourront donner occâfion de réfléchir fur l'ufage
&
c]ue
meut.
(a) Cet exemple eft dans PAnglois.
NosPutiftes blâmeront peut-être ces deux
Mais dans une même période , mais ce
n'eft pas dequoy il s'aj^it. Suffit qu'oo
voye pat là que l'Efprit marque par une
feule particule deux rapports fort diffé-
rens ; & je ne fai même , fi malgré' les
régies fcrupulculès de nos Grammairiens,
il n'eft pas nécelTaire d'employerquelque-
fois ces deux Mjij , pour marquer plus
vivement & plus nettement ce qu'on a
daus rEfprit. Cela (bit dit fans décider.
(i) Une chofc bien digne de rcmar-
tjuc , c'cft que les Latins fe fctvoicnt quel-
quefois de nam en ce (ênvIà. Kam rjuii
eg) Jicam de Pâtre , dit Teieice , Andr.
Ail. I, 5(.VI. V. i8. 11 ne faut que voir
l'endroit pour être convaincu qu'on ne le
peut mieux traduire en François ijue par
ces paroles , M a i s ^'<.- iltrai-je ilc mnn
Père ? Ce qui , pour le dire en palFant ,
prouve d'une manière bien feiifible ce que
vient dédire Mr. Loi^t- , qu'il ne faut pas
chercher dans les Dictionnaires la llgni-
ficatton <k ces Particules . mais dans la
difpolitioK d'cfpnt où le trouve celui qui
parle.
(i) Defpreauxt Sat. IX.
Des Termes abjiraits é" concrets. Liv. III. 595
& fur la force que ces Mots ont dans le Difcours , & nous C h A p.
conduire à la confideration de plufieurs aftions que nôtre VIL
Efprit a trouvé le moyen de faire fentir aux autres par le
fecoui s de ces Particules , dont il y en a quelques-unes qui
renferment conftamment le fens d'une Propofition entiè-
re, 6c d'autres lorfqu'elles font conftruites d'une certaine
manière.
p.
CHAPITRE VIII.
Des Termes abjlraits à" concrets. C m a
VIII
§. I. T Es Mots communs des Langues, & l'ufage or- Les termes' al» -
i j dinaire que nous en faifons , auroient pu nous '^"''s "« pe"-
fournir des lumières pour connoître la nature de nos Idées, mé" Pund*'^
fi l'on eût pris la peine de les confiderer avec attention, l'autre, &
L'Efprit , comme nous avons fait voir , a la puifTance P°"^^"°y-
à'abjiraire fes idées , qui par là deviennent autant d'eflcn-
ces générales par où les chofes font diftinguées en Efpè-
ces. Or chaque idée abftraite étant diftinde , en forte
que de deux l'une ne peut jamais être l'autre , l' Efprit
doit appercevoir par fa connoifTance intuitive la différen-
ce qu'il y a entre elles j 6c par conféquent dans des Pro-
pofitions deux de cts Idées ne peuvent jamais être affir-
mées l'une de l'autre. C'eft ce que nous voyons dans l'U-
fage ordinaire des Langues , qui ne permet pas que deux
termes abjlraits , ou deux noms d'Idées abflraites /oient af-
firmées l'un de l'antre. Gar quelque affinité qu'il paroifîe
y avoir entr'eux, &c quelque certain qu'il foit,par exem-
ple , qu'un homme eft un Animal , qu'il eft raifonnable ,
qu'il eft blanc , ^c. cependant chacun voit d'abord la
faufleté de ces Propofitions , V Humanité ejl Animalité ^
ou Raifonnabilité , ou Blancheur. Cela eft d'une aufïï
grande évidence qu'aucune des Maximes le plus généra-
lement reçues. Toutes nos affirmations roulent donc uni-
quement fur des idées concrètes , ce qui eft affirmer non
Ffff 2 qu'une
59^ ^^^ T^fi''*^^^ al^/îraits à- concrets.
C H A p qu'une idée abftraite eft une autre idée , mais qu'une idée
VIII. abftraite eft jointe à une autre idée. Ces idées abftraites
peuvent être de toute Efpéce dans les Subftances , mais
dans tout le refte elles ne font guère autre chofe que des
idées de Relations. D'ailleurs , dans les Subftances, les
plus ordinaires font des idées de Puiftance j par exemple,
îtn homme efi blanc ^ fignilie que la Chofe qui a l'eflencc
d'un homme, a aufli en elle l'eflence de blancheur , qui
n'eft autre chofe qu'un pouvoir de produire l'idée de blan-
■^- cheur dans une perfonne dont les yeux peuvent difccrner
les Objets ordinaires : ou , un homme efi raifonnable , veut
dire que la même chofe qui a l'effence d'un homme a aufli
en elle l'effence de Raifonnabilit e ^c'cR. à dire, la puiflance
de raifonner.
Ils montrent la §• 2- Cette diftindion des Noms fait voir auflî la dif-
diffërencc de fércncc de nos Idées ; car fi nous y prenons garde , nous
nos idccs. trouverons que nos Idées /impies ont toutes des noms abfiraits
'■ auljï bien que de concrets, dont l'un (pour parler en Gram-
mairien) eft un Subftantif, & l'autre un Adjeftif, comme
blancheur , blanc ; douceur , doux. 11 en eft de même à
l'égard de nos Idées des Modes &" des Relations , comme
Juftice , jii/le -y égalité i égal ; mais avec cette feule diffé-
rence, que quelques-uns des noms concrets des Relations,
fur tout parmi les hommes , font Subftantifs , comme pa-
ternité , père ; de quoy il ne feroit pas difficile de rendre
raifon. Quant à nos idées des Subftances , elles n'ont
que peu de noms abftraits, ou plutôt elles n'en ont abfo-
lument point. Car quoy que les Ecoles ayent introduit
les noms à' Animalité , d'Humanité , de Corporetté , Se
quelques autres > ce n'eft rien en comparaifon de ce nom-
bre infini de noms de Subftances auxquels les Scholafti-
ques n'ont jamais été aflez ridicules pour joindre des noms
abftraits } 6c le petit nombre qu'ils ont forgé, 6c qu'ils ont
mis dans la bouche de leurs Ecoliers, n'a jamais pu entrer
dans l'Ufage ordinaire , ni être autorifé dans le Monde.
D'cii l'on peut au moins conclurre , ce me femble , que
tous les hommes reconnoiffent par là qu'ils n'ont point
d'idée
De rifftperfeÛion des Mots. Liv. III. 597
d'idée des eflences réelles des Subftances , puifqu'ils n'ont C h a p. '
point de noms dans leurs Langues pour les exprimer, dont VIII.
ils n'auroient pas manqué fans doute de fe pourvoir, fi le
fentiment par lequel ils font intérieurement convaincus
que ces Efîences leur font inconnues , n« les eût détour-
nez d'une fi frivole entreprife. Ainfi, quoy qu'ils ayent
aflez d'idées pour diftinguer l'Or d'avec une pierre, 6c le
Métal d'avec le Bois , ils n'oferoient pourtant fe fervir
des mots * Aureitas , Saxeitas , Metalleitas , Ligneitas , * Ces Mots qm
éc de tels autres noms, par où ils prétendroient exprimer barbares"^ hl'^
les effences réelles de ces Subftances dont ils feroient con- tin, paroîtroici.t
vaincus qu'ils n'ont aucune idée. Et en effet ce ne fut ^^ '* fermeté
que la Doftrine des Formes Subjianttelles , &: la confiance Ftançolsf""^"
téméraire de certaines perfonnes , deftituées d'une con-
noifiance qu'ils prérendoient avoir , qui firent première-
ment fabriquer le enfuite introduire les mots à' Animalité'
& d'Humanité i &c autres femblables, qui cependant n'al-
lèrent pas bien loin de leurs Ecoles , &c n'ont jamais pii
être de mife parmi les gens raifonnables. Je fai bien que
le mot hnmanitas étoit en ufage parmi les Romains , mais
dans un fens bien différent -, car il ne fignifioit pas l'efTen-
ce abftraite d'aucune Subftance. C'étoit le nom ■\ ah- t De même,
ftrait d'un Mode-, fon concret étoit humanus , Se non pas «^'*''"""» """'
, ' ■» r avons fait hii-
homO. mamti.
CHAPITRE IX.
T>e l'Imperfection des Mots. C h a p
IX.
§. I. TL eft aifé de conclurre de ce qui a été dit dans Nous nous fcr^
■■■ les Chapitres précedens , quelle imperfeftion il *°ns <^« Mots
j 1 T o 1 A , pour enrcgitrer
y a dans le Langage , & comment la nature même des nos propres
Mots fait qu'il eft prefque inévitable que plufieurs d'en- P'^"'"^" &
, ,^ ^ ~ ^. ^ . ^ r a • • pour les com-
tr eux n ayent une lignification douteule & mcertaine. muniqucr aux
Pour découvrir en quoy confifte la perfe£t:ion & l'imper- autres.
feftion des Mots , il eft néceflaire , en premier lieu , d'en
Ffff 3 con-
598 De l' Imperfection des Mots.
C H A p. confidérer l'ufage 6c la fin > car felôn qu'ils font plus ou
IX. moins proportionnez à cette fin , ils font plus ou moins
parfaits. Dans la première partie de ce Difcours nous
avons fou vent parlé par occafion d'un double ufage qu'ont
les Mots.
1. L'un eft, d'enregîtrer , pour ainfi dire , nos propres
penfées.
2. L'autre, de communiquer nos penfées aux autres.
Tout mot peut §. 2 . Qiiant au premier de ces ufages qui eft d'enregî-
u«'nos%^n-' ^"^^^ "°^ propres penfées pour aider notre Mémoire , qui
fées. nous fait , pour ainfi dire , parler à nous-mêmes -, toutes
fortes de paroles , quelles qu'elles foient, peuvent fervir
à cela. Car puifque les fons font des fignes arbitraires &
indifFerens de quelque idée que ce foit , un homme peut
employer tels mots qu'il veut , pour exprimer à luy-mê-
me fes propres idées j &r ces mots n'auront jamais aucune
imperfection , s'il fe fert toujours du même figne pour
défigner la même idée , car en ce cas il ne peut manquer
d'en comprendre le fens, en quoy confifte le véritable u-
fage & la perfeftion du Langage.
11 y a unedou- g. ^. En fccond lieu, pour la communication qui fe
citionpaTparo- ^^^^ entre les hommes par le moyen des paroles, les Mots
les, rmieeil oot auiîî un doublc ufage:
S-n^KiÔr I- L'un eft Cw/7,
II. Et lautre Fhilofophique.
Premièrement, par l'ufage civil j'entens cette commu-
nication de penfées & d'idées par le fecours des Mots,
autant qu'elle peut fervir à la converfation &: au com-
. , merce qui regarde les affaires &c les commoditez ordinai-
res de la Vie Civile dans les différentes Sociétez qui lient
les hommes les uns aux autres.
En fécond lieu , par ^ ufage philofophique des Mots j'en-
tens l'ufage qu'on en doit faire pour donner des notions
précifes des Chofes , &: pour exprimer en propofitions
générales des veritez certaines &; indubitables fur lefqiipl-
les l'Efprit peut s'appuyer , êc dont il peut être fatisrait
dans la recherche de la Vérité, Ces deux Ufages font
lort
De l' Imperfection des Mots. Liv. III. 599
fort diftinfts ; Se l'on peut fe pafler dans l'un de beaucoup C h a p.
moins d'exaftitude que dans l'autre , comme nous verrons IX.
dans la fuite.
§. 4. La principale fin du Langage dans la communi- L-imperfecfiion
cation que les hommes font de leurs penfées les uns auxj!^'" ^°''^^']^
autres , étant d'être entendu , les Mots ne fauroient bien leuTs ifg!i'[fica.^
fervir à cette fin dans le Difcours Civil ou Philofophi- "o"*-
que, lorfqu'un mot n'excite pas dans l'Efprit de celui
qui écoute, la même idée qu'il fignifie dans l'Efprit de
celui qui parle. Or puifque les fons n'ont aucune liaifon
naturelle avec nos Idées , mais qu'ils tirent tous leur figni-
fication de l'impofition arbitraire des hommes } ce qu'il y
a de douteux &c d'incertain dans leur fignification , en
quoy confifte l'imperfeftion dont nous parlons préfente-
ment, vient plutôt des idées qu'ils fignifient que d'au-
cune incapacité qu'un fon ait plutôt qu'un autre, de
fignifier aucune idée i car à cet égard ils font tous égale»
ment parfaits.
Par conféquent , ce qui rend la fignification de quel-
ques Mots plus douteufe &: plus incertaine que cel-
le des autres , c'eft la différence des Idées qu'ils figni-
fient.
§. 5 . Comme les Mots ne fignifient rien naturellement, Quelles font («3
il faut que ceux qui veulent s'entrecommuniquer leurs""'" /^^ '^"*
penfées, & lier un difcours intelligible avec d'autres per- ""^' ^ ""''
fonnes en quelque Langue que ce foit , apprennent & re-
tiennent l'idée que chaque mot fignifie. Ce qui eft fort
diâîcile à faire dans les cas fuivans.
I. Lorfque les idées que les Mots fignifient ,font extrê-
mement complexes , ôc compofées d'un grand nombre
d'idées jointes enfcmble.
II. Lorfque les Idées que ces Mots fignifient , n'ont
point de liaifon naturelle les unes avec les autres, de forte
qu'il n'y a dans la Nature aucune mefure fixe , ni aucun
modelle pour les reftifier & pour les régler.
III. Lorfque la fignification d'un Mot fe rapporte à
un modelle, qu'il n'eft pas aifé de connoître.
IV.
6oo De l'Imperfection des Mots.
C H A p. IV. Lorfque la fignification d'un Mot , & l'eflence
IX. réelle de la Chofe , ne font pas exadement les mê-
mes.
Ce font là des difficultez attachées à la fignification de
plulîeurs Mots qui font intelligibles. Pour les Mots qui
font tout-à-fait inintelligibles , comme les Noms qui fi-
gnifient quelque idée fimple qu'on ne peut connoîtrc
faute d'organes ou de facultez propres à nous en donner
la connoiflance , tels que font les noms des Couleurs a
l'égard d'un Aveugle, ou les Sons à l'égard d'un Sourd,
il n'eft pas néceffaire d'en parler en cet endroit.
Dans tous ces cas , dis-je, nous trouverons de l'imper-
fedion dans les Mots > ce que j'expliquerai plus au long ,
en confidérant les Mots dans leur application particuliè-
re aux différentes fortes d'idées que nous avons dansl'Ef-
prit i car fi nous y prenons garde , nous trouverons que
les noms des Modes mixtes/b»/ le plusfujets à être douteux
ér imparfaits dans leurs Jignifications pour les deux premiè-
res raifons , & les noms des Subftances pour les deux der-
nières.
Les noms des §. 6. Je dis premièrement , que les noms des Modes
Modes mixtes f^j^tes font la plupart fuiets à une grande incertitude , &
font douteux : , i i /- ■ ' i i r • r
a une grande oblcurite dans leurs lignifications.
I. à caufe que I. A caufe de l'extrême compofition de ces fortes d'i-
ics idées qu'ils ^j^g^ complcxcs. Pout faire que les Mots fervent au but
lienihent , loiit , r i -i r -i ' ' i- vi
fort complexes, d un entretien mutuel , il raut, comme il a ete dit, qu ils
excitent exa£tement la même idée dans celui qui écoute ,
que celle qu'ils fignifient dans l'Efprit de celui qui par-
le. Sans quoy les hommes ne font que fe remplir les uns
les autres la tête de vains fons , fans pouvoir fe communi-
quer par là leurs penfées, éc fe peindre, pour ainfi dire,
i. leurs idées les uns aux autres , ce qui eft la fin du Difcours
^ du Langage. Mais lorfqu'un mot fignifie une idée fort
complexe , compofce de différentes parties qui font el-
les-mêmes compofées de plufieurs autres , il n'efl pas fa-
cile aux hommes de former ^ de retenir cette idée avec
une telle exactitude qu'ils faflént fignifier au nom qu'on
em-
'Derimperfe6Tioiides Mots. Liv. III. 60 1
employé dans l'iifage ordinaire pour exprimer la même Chap.
idée precife, fans la moindre variation. Delà vient que IX.
les noms des Idées fort complexes, comme font pour la
plupart les termes de Morale, ont rarement la même fi-
gnifîcation précife dans l'Efprit de deux différentes per-
fonnes -, puifque l'idée complexe d'un homme convient
rarement avec celle d'un autre, fie qu'elle diffère fou vent
de celle qu'il a luy-même en divers temps, de celle par
exemple qu'il avoit hier, & qu'il aura demain.
§. 7. En fécond lieu, les noms des Modes mixtes font 11. p.ircc quvi-
fort équivoques , parce qu'ils n'ont , pour la plupart , '" """"f p°''"
aucun modelle dans la Nature, fur lequel les hommes '^''"''"^'''"'
puiffent en reftifîer & régler la fignifîcation. Ce font des
amas d'Idées mifes enfemble , comme il plaît à l'Efprit,
qui les forme par rapport au but qu'il fe forme dans le
difcours & à fes propres notions ; par où il n'a pas en veûë
de copier aucune chofe qui exifle aftuellement, mais de
nommer 6c de ranger les chofes félon qu'elles fe trouvent
conformes aux Archétypes ou modelles qu'il a faits luy-
même. Celui qui le premier a mis en ufage les mots
^brtifquer-, deùrutalifer , depicquer , ôcc. a joint enfem-
ble, comme il l'a jugé à propos , les idées qu'il a fait
flgnifîer à ces Mots : &: ce qui arrive à l'égard de quel-
ques nouveaux noms de Modes qui commencent préfen-
tement à être introduits dans une Langue , efl arrivé à
l'égard des vieux Mots de cette Efpéce", lors qu'ils ont
commencé d'être mis en ufage. Il en ell de ces derniers
comme des premiers. D'où il s'enfuit que les noms qui
fignifîent des colleârions d'Idées que l'Efprit forme à
plaifir , doivent être néceffairement d'une fignifîcation
douteufe, lorfque ces collections ne peuvent fe trouver
nulle part, constamment unies dans la Nature, &c qu'on
ne peut montrer aucuns modelles par où l'on puifîe les
retti"
* Ce font des termes /nouveaux dans 1 être que plus propres à faire (èntir le
la Langue ; & par cela même qu'ils ne raifonnement queMr. i^i^ fait en cet cii-
ibiit pas fort eu ufage, ils n'en font peut- ) droit
G çy <y or
6o2 De V Imper fe5î ion des Mots.
C H A p.- reftifîer. Ainfi , l'on ne fauroit jamais connoître par les
IX. chofes mêmes ce qu'emporte le mot de Meurtre ou de Sa-
crilège , ^c. 11 y a plufieurs parties de ces Idées comple-
xes qui ne paroilTent point dans l'aibion même ; l'inten-
tion de l'Efprit , ou le rapport aux chofes faintes , qui
font partie du Meurtre ou du Sacrilège n'ont pas une liai-
fon necefl'aire avec l'aftion extérieure &c vifible de celui
qui commet l'un ou l'autre de ces Crimes : &: l'aftion de
tirer à foy la détente du Moufquet par où l'on commet
un meurtre , 6c qui cil peut-être la feule aftion vifible ,
n'a point de liaifon naturelle avec les autres idées qui com-
pofent cette idée complexe, nommée meurtre; lefquelles
tirent uniquement leur union Scieur combinaifon de l'En-
tendement qui les aflemble fous un fcul nom. Mais com-
me il fiiit cet afTemblage fins régie ou modelle,il faut né-
cefîairement que la fignification du Nom qui defigne de
telles collections arbitraires , fe trouve fouvent différente
dans l'Efprit de différentes perfonnes qui ont à peine au-
cun modelle fixe fur lequel ils règlent eux-mêmes leurs
notions dans ces fortes d'idées arbitraires.
Lapropricttdu §• 8. L'ou pcut fuppofcr à la vctité que TUfage com-
LangûgetKfuf- niun qui régie la propriété du Langage, nous efl: dequel-
md!JrTcc:ni- ^"^ fccours en ccttc rencontre pour fixer la fignification
tonvcnicnt. dcs Mots , èc l'on ne peut nier qu'il ne le faffe en partie.
Il eft , dis-je , hors de doute que TUfage commun régie
affez bien le fens des Mots pour la converfation ordinai-
re i mais comme perfonne n'a droit d'établir la fignifica-
tion précife des Mots , ni de déterminer à quelles idées
chacun doit les attacher, l'Ufage ordinaire ne fuffit pas
pour nous autorifer à les adapter à des Difcours Phi-
lofophiques ; car à peine y a-t-il un nom d'aucune Idée
fort complexe (pour ne pas parler des autres} qui dans
l'Ufage ordinaire n'ait une fignification fort vague èc qui
fans devenir impropre ne puifie être fait figne d'Idées fort
différentes. D'ailleurs , la régie & la mefurc de la pro-
priété des termes n'étant déterminée nulle part, on a fou-
vent occafion de difputer fi fuivant la propriété du Lan-
De VhnperfeEîion dea Mois. Liv. III. 603
gage on peut employer un mot d'une telle ou d'une telle C h a p.
manière. Et de tout cela il s'enluit fort vifiblement que IX.
les noms de ces fortes d'idées fort complexes font natu-
rellement fujets à cette imperfedion d'avoir une lignifica-
tion douteufe & incertaine , & que même dans l'Efprit de
ceux qui défirent fincerement de s'entendre l'un l'autre ,
ils ne fignifient pas toujours la même idée dans celui qui
parle & dans celui qui écoute. Qiioy que les noms de
Gloire 8c de Gratitude foient les mêmes dans la bouche
de chaque homme du même Pais, cependant l'idée com-
plexe que chacun a dans l'Efprit, ou qu'il prétend {\2,ni-
fier par l'un de ces noms, eft apparemment fort diiféren-
te dans l'ufage qu'en font des hommes qui parlent la mê-
me Langue.
§. 9. D'ailleurs, la manière dont on apprend ordinai- Le majiiere
rement les noms des Modes mixtes , ne contribué pas peu '^°'"/'" *P-
/-•/-• j r ^^ i~ rr prend lis iioni$
à rendre leur lignification douteufe. Car fi nous prenons des uodes mix.
la peine de confiderer comment les Enfans apprennent les f contribué en-
f '■ . ^ ^ i. . cote a leur in-
Langues, nous trouverons , que , pour leur faire enten- certitude.
dre ce que fignifient les noms des Idées fimplesScdesSub-
ftances , on leur montre ordinairement la chofe dont on
veut qu'ils ayent l'idée , & qu'on leur dit plufieurs fois
le nom qui en efl: le figne , blanc , doux , lait , fncre , chieri)
chat, &c. M.^is ^owT ce c[m c^ des Modes mixtes , & fur
tout les plus importans, je veux dire ceux qui expriment
des idées de Morale , d'ordinaire les Enfans apprennent
premièrement les fons jôcpour favoir enfiiite quelles idées
complexes font fignifiées par ces fons-là , ou ils en font
redevables à d'autres qui la leur expliquent , ou Çcc qui
arrive le plus fouvent) on s'en remet à leur induftrie 6c à
leurs propres obfervations ; Et comme ils ne s'appliquent
pas beaucoup à rechercher la véritable &: précife lignifica-
tion des noms, il arrive que ces ternies de Morale ne font
guère autre chofe que de fimples fons dans la bouche de
la plupart des hommes ; ou s'ils ont quelque fignification,
c'ell pour l'ordinaire, une fignification fort vague Se fort
indéterminée. Se par conféquent très-obfcure 6c très-con-
Gggg 2 fufe.
604. De VlmperfcFtion des Mots.
C H A p. fufe. Ceux-là même qui ont été les plus exafts à déter-
IX. miner le fens qu'ils donnent à leurs notions , ont pour-
tant bien de la peine à éviter l'inconvénient de leur faire
lignifier des idées complexes , différentes de celles que
d'autres perfonnes habiles attachent à ces mêmes noms.
Où trouver, par exemple , un difcours de Controverfe,
ou un entretien familier fur V Honneur , la Foy ^ la Grâce,
la Religion, V Eglife , &c. où il ne foit pas facile de re-
marquer les différentes notions que les hommes ont de
ces Chofes> ce qui ne veut dire autre chofe, finon qu'ils
ne conviennent point fur la fignification de ces Mots, Se
que les idées complexes qu'ils ont dans l'Efprit &: qu'ils
leur font rignifier,ne font pas les mêmes > ce qui fait que
toutes les Difputes qui (nivtnx. de là , ne roulent que fur
la fignification d'un fon. Aufii voyons-nous en confé-
quence de cela qu'il n'y a point de fin auxmterpretations
des Loix , divines ou humaines : un Commentaire pro-
duit un autre Commentaire ; une explication fournit de
matière à de nouvelles explications ; ik; l'on ne ceflé ja-
mais de limiter , de didinguer & de changer la fignifica-
tion de ces termes de Morale. Comme les hommes' for-
ment eux-mêmes ces Idées, ils peuvent les multiplier à
l'infini , parce qu'ils ont toujours le pouvoir de les for-
mer. Combien y a-t-il de gens qui fort fatisfaits à la pre-
mière le£ture, de la manière dont ils entcndoient un tex-
te de l'Ecriture, ou une certaine claufe dans le Code, en
ont tout-à-fait perdu l'intelligence en confultant les Com-
mentateurs i de forte que ces explications n'ont fcrvi qu'à
leur faire avoir des doutes , ou à augmenter ceux qu'ils a-
voient déjà, & à répandre des ténèbres fur le partage en
queftiion. Je ne dis pas cela pour donner à oitendrc que
je croye les Commentaires inutiles , mais feulement pour
faire voir combien les noms des Alodes mixtes font
naturellement incertains , dans la bouche même de
ceux qui vouloient &: pouvoient parler au (11 claire-
ment que la Langue etoit capable d'exprimer leurs
penfèes.
§• 10..
De VImperfe5îiondes Mots. Liv. III. 605
§. 10. Il feroit inutile de faire remarquer quelle obf- C H A p.
curité doit avoir été inévitablement répandue par ce mo- IX.
yen dans les Ecrits des hommes qui ont vécu dans des ^'^^}.'^^ ^"'
temps reculez. Se en différens Pais. Car le grand nom- cicns Auteurs
bre de Volumes que de favans hommes ont écrit pour é- '"cvitabkment
claircir ces Ouvrages , ne prouve que trop quelle atten- °
tion, quelle étude, quelle. pénétration , quelle force de
raifonnement eft néccflaire pour découvrir le véritable fens
des Anciens Auteurs. Mais comme il n'y a point d'Ou-
vrages dont il importe extrêmement que nous nous met-
tions fort en peine de pénétrer le fens , excepté ceux qui
contiennent ou des veritez que nous devons croire , ou
des Loix auxquelles nous- devons obéir , & que nous ne
pouvons mal expliquer ou tranfgreflér fans tomber dans
de fâcheux inconveniens , nous fommes en droit de ne pas
nous tourmenter beaucoup à pénétrer le fens des autres
Auteurs qui n'écrivent que leurs propres opinions ; car
nous ne fommes pas plus obligez de nous inftruire de ces
opinions qu'ils le font de favoir les nôtres. Comme nô-
tre bonheur ou nôtre malheur ne dépend point de leurs
Décrets , nous pouvons ignorer leurs notions fans courir
aucun danger. Si donc en lifant leurs Ecrits nous voyons
qu'ils n'employent pas les mots avec toute la clarté & la
netteté requife , nous pouvons fort bien les mettre à
quartier fans leur faire aucun tort , Se dire en nous-mê-
mes,
* Pourcjuoy fe fatiguer i pouvoir te comprendre , *si nm vis in.
Si tu ne veux te faire entendre? teitigt^debssu:-
§. II. Si la fignification des noms des Modes mixtes ''
eft incertaine , parce qu'il n'y a point de modelles réels ,
exiftans dans la Nature , auxquels ces Idées puiflent être
rapportées, 6c par où elles puiffent être réglées, les noms
des Subftances font équivoques par une raifon toute con-
traire, je veux dire à caufe que les idées qu'ils fignifient
font fuppofées conformes à la réalité des Chofes & qu'ils
fe rapportent à des Modelles formez par la Nature. Dans
nos Idées des Subftances nous n'avons pas la liberté , conv
Gggg 3 me
éo6 De l'Imperfecîion des Mots.
C Jî A p. me dans les Modes mixtes , de faire telles combinaifons
- IX. que nous jugeons à propos , pour être des fignes-caradbe-
riftiques par lefqucls nous puillions ranger &: nommer les
choies. Dans les idées des Subftances nous fommes obli-
gez de fuivre la Nature , de conformer nos idées com-
plexes à des exiftcnces réelles, &: de régler la lignification
de leurs noms fur les chofes mêmes , fi nous voulons que
les noms que nous leur donnons , en l'oient les fignes , &
fervent à les expruner. A la vérité , nous avons en cette
occafion des modelles à fuivre, mais des modelles qui ren-
dront la fignification de leurs noms fort incertaine j car
les noms doivent avoir un fens fort incertain 6c fort di-
vers, lorfque les idées qu'ils lignifient , fe rapportent à
des modelles hors de nous , qu'on ne peut abfolument point
eonno'itre ) ou qu'on ne peut connoître que d'une manière im-
parfaite, àr incertaine.
Les noms ikî §. 12. Lcs noms des Subllances ont dans l'ufage
subftiiiccs fe ordinaire un double rapport , comme on l'a déjà mon-
tapportcnt prc- , r r ■' j
miércment à trc.
desEtTcnccs Premièrement , on fuppofe quelquefois qu'ils fignifient
pcuvciit^élre la conftitution réelle des Chofes , ôc qu'ainfi leur fignifi-
£onnuës. cation s'accorde avec cette conftitution , d'où découlent
toutes leurs propriétez , 6c à quoy elles aboutiflent tou-
tes. Mais cette conftitution i-éelle, ou (comme on l'ap-
pelle communément} cette eflence nous étant entièrement
inconnue, tout fon qu'on employé pour l'exprimer doit
être fort incertain dans cet ufage, 6c il fera impollible de
favoir quelles chofes font ou doivent être appellées Che-
val ou Antimoine , à prendre ces mots pour des eflences
réelles dont nous n'avons abfolument aucune idée. Com-
me dans cette fuppofition l'on rapporte les noms des Sub-
ftances à des Modelles qui ne peuvent être connus , leurs
lignifications ne peuvent être établies 6c réglées par ces
Modelles.
sccoiidefnein à §. 13. En fccond lieu , ce que les noms des Subftan-
des Quaiitcz ^-gs fignifient immédiatement, n'étant autre chofe que les
dans les Sub- Idees Jimples qu on trouve coextjier dans les bubftances ,
' ces
De V Imperfection des Mots. Liv. III. 607
ces Idées entant que réunies dans les différentes Efpéces C h a p,
des Chofes , font les véritables modelles , auxquels leurs IX.
noms fe rapportent, & par lefquels on peut le mieux re- lances &qu-on
crifier leurs lignifications. Mais c elt a quoy ces Arche- qu'impaifaue-
types ne ferviront pourtant pas fi bien , qu'ils puiiïent ™ent.
exempter ces noms d'avoir des fignificationsfort différen-
tes & fort incertaines ; parce que ces Idées fimples qui
coexillent êc font unies dans un même fujet, étant en très-
grand nombre , .Se ayant toutes un égal droit d'entrer dans
l'idée complexe &: Spécifique que le nom fpécifique doit
défigner, il arrive qu'encore que les hommes ayent def-
fein de confiderer le même fujet , ils s'en forment pour-
tant des idées fort différentes -, ce qui fait que le nom
qu'ils employent pour l'exprimer , a infailliblement dif-
férentes fignifications en différentes perfonnes. Les Qiia-
litcz qui compofent ces Idées complexes , étant pour la
plupart des Puiilances , par rapport aux changemens qu'el-
les font capables de produire dans les autres Corps , ou
de recevoir des autres Corps , font prefque infinies. Qui
confiderera combien de divers changemens eff capable de
recevoir l'un des plus bas Métaux , feulement par la dif-
férente application du Feu , 8c combien plus il en reçoit
entre les mains d'un Chymifte par l'application d'autres
Corps , ne trouvera nullement étrange de m'entendre di-
re qu'il n'eft pas aifé de raffenibler les propriétez de quel-
que forte de Corps que ce foit , &: de les connoître exa-
ftement par les différentes recherches oi^i nos facultez peu-
vent nous conduire. Comme donc ces Propriétez font
du moins en fi grand nombre que perfonne ne peut en
connoître le nombre précis fie défini , elles font diverfe-
ment découvertes par différentes perfonnes félon la diver-
fité qui fe trouve dans l'habileté , dans l'attention ou dans
les moyens qu'on employé à manier les Corps qui en font
le fujet : & par conféquent ces perfonnes ne peuvent qu'a-
voir différentes i^ées de la même fubftance , &: rendre la
fignification de fon nom commun , fort diverfe & fort in-
certaine; Car les Idées complexes des Subftances étant
com-
écS De l'Lnperfeûion des Mots.
C H A p. compofées d'Idées fimples qu'on fuppofe co'éxijler dans \x
IX. Nature, chacun a droit de renfermer dans fon idée com-
plexe les qualitez qu'il a trouvées jointes enfemble. En
effet, quoy que dans la fubllnnce que nous nommons Or,
l'un fe contente d'y comprendre la couleur &: lapefanteur,
un autre fe làgurc cjue la capacité d'être difl'outdans V Eau
Régale doit èuQ auffi néccfiairement jointe à cette coukur,
dans l'idée qu'il a de l'Or, qu'un troifiéme croit être en
droit d'y fliire entrer la fufibilité ; parce que la capacité
d'être diflbut dans V Eau Regale eft une Qiialitéaufli con-
(ramment unie à la couleur Se à la pefanteur de l'Or, que
la fufibilité ou quelque autre Qiialité que ce foit. D'au-
tres y mettent la ductilitc\ la fxitc. Sec. félon qu'ils ont
appris par tradition ou par expérience que ces propriétez
fe rencontrent dans cette Subftance. Qiii de tous ceux-
là a établi la vraye lignification du mot Or , ou qui choi-
Tira-t-on pour la déterminer? Glîacun a fon modelle dans
la Nature, auquel il en appelle} Se c'eft avec raifon qu'il
croit avoir autant de droit de renfermer dans fon idée com-
plexe lignifiée par le mot Or , les Qiialitez que l'expé-
rience luy a fait voir jointes enfemble , qu'un autre qui
n'a pas il bien examiné la chofe en a de lesexclurredefon
Idée, ou un troifiéme d'y en mettre d'autres qu'il y a trou-
vées après de nouvelles expériences. Car l'union naturel-
le de ces Qiialitez étant un véritable fondement pour les
unir dans une feule idée complexe , l'on n'a aucun fujet
de dire que l'une de ces Qiialitez doive être admife ou re-
jettée plutôt que l'autre. D'oii il s'enfuivra toujours in-
évitablement , que les idées complexes des Subftances ,
feront fort différentes dans l'Efprit des gens qui (c fervent
des mêmes noms pour les exprimer , &r que la lignifi-
cation de ces noms fera , par conféquent , fort incertai-
ne.
§. 14. Outre cela à peine y a-t-il une chofe exiftante
qui par quelqu'une de fes Idées fimples n'ait de la con-
venance avec un plus grand ou un plus petit nombre d'au-
tres Etres particuliers. Qiu déterminera dans ce cas, quel-
les
De l'Imperfe^ion des Mots. Liv. III, 609
ks font les idées qui doivent conftitucr la colleftion pré- C h a p.
cifc qui efl llgnificc par le nom fpécifiqucjou qui a droit IX.
de définir quelles qualirez communes &: vifiblcs doivent
erre exclues de la fignilîcation du nom de quelque Sub-
ftance,ou quelles plus lecretcs & plus,particuliére<; y doi-
vent entrer? Toutes chofes qui confiderees er.femble, ne
manquent guère , ou plutôt jamais de produire dans les
noms des Subftances cette variété & cette ambiguïté de
lignification qui caufe tant d'incertitude, de dil'puteSj Se
d'erreurs , loriqu'on vient à les employer à un ulage Phi-
lofophique.
§. 15. A la vérité, dans le commerce civil Ce dans la Mal^^rc' cette
converfation ordinaire , les noms généraux des Subllan- '"'P^'^'^'^'p"
, , . j 1 /- • r I • 1 "' i^orwi peu-
ces, determmez dans leur lignihcation vulgaire par quel- veiitfervir dam
ques qualitez qui fe préfentent d'elles-mêmes , (^comme '•" comeiduov,
par la figure extérieure dans les chofes qui viennent par non "pàsdl""'^
une propagation feminale &: connue , &; dans la plupart '^^\ Oifcours
des autres Subftances par la couleur , jointe à quelques qués°'°^'^'
autres Qualitez fenfibles,} ces noms , dis-je , font aOez
bons pour défigner les chofes dont les hommes veulent
entretenir les autres ; auili conçoit-on d'ordinaire aflez
bien quelles Subftances font fignifiées par le mot Or ou
Pomme , pour pouvoir les diftinguer l'une de l'autre.
Mais dans des Recherches Se des Controverfes Philofo-
phiques , où il faut établir des veritez générales 6c tirer
des confequences de certaines pofitions déterminées , oa
trouvera dans ce cas que la fignification précife des noms
des Subftances n'eft pas feulement bien établie, mais qu'il
eft même bien difficile qu'elle le foit. Par exemple, ce-
lui qui fera entrer dans fon idée complexe de l'Or la mal-
léabilité , ou un certain degré de fixité , peut faire des
propofitions touchant l'Or, &c en déduire des confequen-
ces qui découleront véritablement & clairement de cette
fignification particulière du mot Or, mais qui font tel-
les pourtant qu'un autre homme ne peut jamais être obli-
gé d'admettre , ni être convaincu de leur vérité , s'il
ne regarde point la malléabilité ou le même degré de
H h h h fxîtc'j
6 10 Vc l'Impcrfe^ion des Mots.
C H AP. fixité , comme une partie de cette idée complexe que le
IX. mot Or lignifie dans le fens qu'il l'employé.
Exemple re- §. i6. C'cft là unc imperfection naturelle 6c prcfquc
majcjuabie far jf,évitablement attachée à prefque tous les noms des Sub-
llances dans toutes. fortes de Langues > ce que les hommes
reconnoîtront fans peine toutes les fois que renonçant aux
notions confufes ou indéterminées ils defcendront à des re-
cherches plus exaftes &: plus précifes. Car alors ils ver-
ront combien ces Mots font douteux &: obfcurs dans leur
fignification qui dans l'ufage ordinaire paroiflbit fort clai-
re & fort expreflé. Je me trouvai un jour dans une Aflem-
blée de Médecins habiles 5c pleins d'efprit , où l'on vint
à examiner par hazard li quelque liqueur paiToit à travers
les filamens des nerfs : les fentimens furent partagez , fie
la difpute dura affez long-temps, chacun propofant de
part éc d'autre différens argumens pour appuyer fon opi-
nion. Comme je me fuis mis dans l'Efprit depuis long-
temps, qu'il pourroit bien être que la plus grande partie
des Difputes roule plutôt fur la fignification des Mots que
fur une différence réelle qui fe trouve dans la manière de
concevoir les chofes , je m'avifai de demander à ces Mef-
lleurs qu'avant que de pouffer plus loin cette difpute, ils
vouluffent premièrement examiner Se établir enrr'eux ce
que fignifioit le mot de liqueur. Ils furent d'abord un
peu fu rpris de cette propofition ; & s'ils euffent été moins
honnêtes , ils l'auroient peut-être regardée avec mépris
comme frivole Se extravagante , puifqu'il n'y avoit per-
fonne dans cette Affemblee qui ne crut entendre parfaite-
ment ce que fignifioit le mot de liqueur , qui , je croy ,
n'eft pas effectivement un des noms des Subitances le plus
embarraffé. Qiioy qu'il en foit , ils eurent la complai-
fance de céder à mes inftancesj & ils trouvèrent enfin , a-
près avoir examiné la chofe , que la fignification de ce
mot n'étoit pas Çx déterminée ni fi certaine qu'ils l'avoient
tous crû jufqu'alors, &: qu'au contraire chacun d'eux le
faifoit ligne d'une différente idée complexe. Ils virent par
là que le fort de leur difpute rouloit fur la fignification
de
Tie VImperfe5îioH des Mots. Liv. III. 6i i
de ce terme , & qu'ils convenoient tous à peu près de Ui C H A p.
même chofe, fa voir que quelque matière fluide & fubtile IX.
paflbit à travers les pores des nerfs ; quoy qu'il ne fut pas
fi facile de déterminer fi cette matière devoit porter le nom
de liqueur, ou nonj chofe qui bien confiderée par cha-
cun d'eux fut jugée indigne d'être mife en difpute.
§. 17. J'aurai peut-être occallon de faire remarquer E^f^^pie liré
ailleurs que c'efl de là que dépend la plus grande partie '"^^ mot or.
des Difputes où les hommes s'engagent avec tant de cha-
leur. Contentons-nous de ccnfiderer un peu plus exafte-
ment l'exemple du mot Or que nous avons propofé cy-
deffus, &: nous verrons combien il eft difficile d'en déter-
miner précifément la figniftcation. Je croy que tout le
Monde s'accorde à luy faire fignifier un Corps d'un cer-
tain jaune brillant ; ôc comme c'eft l'idée à laquelle les
Enfans ont attaché ce nom-là, l'endroit de la queue d'un
Paon qui a cette couleur jaune, eft proprement Or à leur
égard. D'autres trouvant la fujibilité jointe à cette cou-
leur jaune dans certaines parties de Matière , en font une
idée complexe à laquelle ils donnent le nom d'Or pour
défigner une forte de Subftance , & par là excluent du
privilège d'être Or tous ces Corps d'un jaune brillant que
le Feu peut réduire en cendres , & n'admettent dans cette
efpèce,ou ne comprennent fous le nomd'ÛA' que lesSub-
ftances qui ayant cette couleurjaune font fondues parle fcu^ "
au lieu d'être réduites en cendres. Un autre par la même
raifon ajoute la /?^y^«/f«r, qui étant une qualité aufll étroi-
tement unie à cette couleur que la fufibilité , a un égal
droit , félon luy , d'être jointe à l'idée de cette Subftan-
ce , 6c d'être renfermée dans le nom qu'on luy donne }
d'où il conclut que l'autre idée qui ne contient qu'un
Corps d'une telle couleur & d'une telle fufibilité eft im-
parfaite, Se ainfi de tout le refte -, en quoy perfonne ne
peut donner aucune raifon , pourquoy quelques-unes des
Qiialitez infeparables qui font toujours unies dans la Na-
ture , devroient entrer dans l'eflence nominale , & d'au-
tres en devroient être exclues ; ou pourquoy le mot Or
Hhhh 2
qui
6i2 De l'Imper fe^ion des Mots.
C H A p. qui fignifie cette forte de Corps dont eft compofé l'an-
IX. neau que j'ai au doigt , devroit déterminer cette efpéce
par i\\ couleur , par fon poids & par fa fufibilité plutôt
que par fa couleur, par fon poids 6c par ù capacité d'être
diflbut dans VEau Rcgnle ipniÇquc cette dernière proprié-
té d'être diflbut dans cette liqueur en eftaufli infeparable
que la propriété d'être fondu par le feu : proprietez qui
ne font toutes deux qu'un rapport que cette Subltance a
avec deux autres Corps , qui ont la puiflance d'opérer in-
différemment fur elle. Car de quel droit la fullbilité vient-
elle à être une partie de l'Effence, fignifiéepar le mot Or,
pendant que cette capacité d'être diffout dans l'Eau Ré-
gale n'en eft qu'une propriété ? Ou bien , pourquoy fa
Couleur fait-elle partie de fon effence, tandis que fa mal-
léabilité n'eft regardée que comme une propriété? Je veux
dire par là, que toutes ces chofes n'étant que des proprie-
tez qui dépendent de la conftitution réelle de ce Corps ,
&c ces proprietez n'étant autre chofe que des puiffances
aÛives ou paffives par rapport à d'autres Corps , perfonnc
n'a le droit de fixer la fignifîcation du mot Or , entant
qu'il fe rapporte à un tel Corps exiftant dans la Nature,
perfonne, dis-ie,ne peut la fixer à une certaine colleclion
d'Idées qu'on peut trouver dans ce Corps , plutôt qu'à
une autre. D'où il s'enfuit que la lignification de ce mot
• doit être néceffairement fort incertaine jpuifque differen-
-tes perfonnes obfervent différentes proprietez dans la mê-
me Subftance, comme il a été dit; 6c je croy pouvoir a-
joùter que perfonne ne les découvre toutes. Ce qui fait
que nous n'avons que des defcriptions fort imparfaites
des Chofes , 6c que la fignification des Mots eft très-
incertaine,
les noms des (C jg Qg {.q^j^ ^c qu'on vient de dire , il eft aifé d'en
Idées liniples ^ . 4 , , in- /-i ;
font les moins conclurre ce qui a ete remarque cy-dellus , ^ie les
douteux. jjoifjs des Idées /impies font le tnoitis fujets à écfiiivoqiie , &
cela, pour les raifons fuivantes. La première, parce que
chacune des idées qu'ils fignifient n'étant qu'une fimple
perception , on les forme plus aifcmcnt , 6c on les con-
fcrvc
De l'Imperfe^îion des Mots. L i v. III. 6 1 3
ferve plus diftinftement que celles qui font plus complc- C H a p,
xes ; Se par confequent elles font moins fujettes à cette IX.
incertitude qui accompagne ordinairement les idées com-
plexes des Siibjiances &c des Modes mixtes ) dans lefquelles
on ne convient pas fi facilement du nombre précis des
tdécs Jirnples dont elles font compofées , qu'on ne retient
pas non plus li bien. La féconde raifon pourquoy l'on
cil moins fujet à fe méprendre dans les noms des Idées
fimplesj c'eil qu'ils ne fe rapportent à nulle autre eflence
qu'à la perception même que leschofesproduifentcnnous
6c que ces noms fignifient immédiatement ; lequel rap-
port ell au contraire la véritable caufe pourquoy la figni-
iîcation des noms des Subfiances ell naturellement fi per-
plexe, 6c donne occafion à tant de difputes. Ceux qui
n'abufent pas des termes pour tromper les autres ou pour
fe tromper eux-mêmes, fe méprennent rarement dans une
Langue qui leur eft connue, lur l'ufage 6: la fignification
des noms des Idées fimples ; Blanc , doux, jaune , amer ^
font des mots dont le fensfe préfente fi naturellement que
quiconque l'ignore èc veut s'en inftruire , le comprend
auili-tôt d'une manière précile, ou l'apperçoit fans beau-
coup de peine. Mais il n'cft pas fi aife de favoir quelle
colleftion d'Idées fimples eft defignée au jufte parles ter-
mes de Modeflie ou de Frugalité , félon qu'ils font em-
ployez par une autre perfonne. Et quoy que nous foyons
portez à croire que nous comprenons afîez bien ce qu'on
entend par Or ou par /y'^ ; cependant il s'en faut bien que
nous connoifllons cxa6tement l'idée complexe dont d'au-
tres hommes fe fervent pour en être les lignes ; Se c'eft
fort rarement , à mon avis , qu'ils fignifient précifément
la même colleftion d'idées , dans l'Efprit de celui qui
parle , Se de celui qui écoute. Ce qui ne peut que
produire des mécomptes Se des difputes , lorfque ces
Mots font employez dans des Difcours où les htjmmes
font des propofitions générales Se voudroient établir dans
leur Efprit des veritez univerfelles, S: confidcrer les con-
féquences qui en découlent.
Hhhh 5 §. 19..
6 14- T>ê l'ImperfcBion des Mots.
C H A p. §. 19. Âprï's les noms des Idées flrffples, ceux des Modes
IX. Jimples font , par la même régie, le "moins fnjets a, être am-
Et après cela, bigf.s , Sc fur tout ccux dcs Fi^ures Se des Nombres dont
ceux des MO.LS ^^^^ .^ ^^^ -^^^^ ^^ ^^^j^^^ ^ ^- diltiiiaes. Car qui jamais a
mal pris le lens dcjept ou d'un Triangle , s'il a eii deflein
de comprendre ce que c'eft ? Et en général on peut dire
qu'en chaque Efpece les noms des Idées les moins com-
pofécs (ont le moins douteux.
Les noms les g. 20. C'eftpourquoy les Modes mixtes qui ne font
fj'nt ceux des compofez que d'un petit nombre d'Idées limples les plus
Modes iiux-es , communes , ont ordinairement des noms dont la fignifi-
f°"^°'^P','-"f=^' cation n'eft pas fort incertaine. Mais les noms des Mo-
ff;. '^ ■* ' des mixtes- qui contiennent un grand nombre d'Idées Am-
ples, ont communément des figniiîcations fort douteufes
&: fort indéterminées, comme nous l'avons déjà montré.
Les noms des Subftances qu'on attache à des idées qui ne
font ni des Eflences réelles ni des reprefentations exactes
des Modelles auxquels elles fe rapportent , font encore
fujets à une plus grande incertitude, fur tout quand nous
les employons à un ufige Philofophique.
Pourt^uoy Ton §• 2 1. Comme la plus grande confufion qui fe trouve
rejette cette im- dans Ics noHis dcs Subftances procède pour l'ordinaire du
îc^Mot"" ""^ défaut de connoiflance 5c de l'incapacité où nous fommes
de découvrir leurs conftitutions réelles, on pourra s'éton-
ner avec quelque apparence de raifon, que j'attache cette
imperfection aux Mots , plutôt que de la mettre fur le
compte de nôtre Entendement. Et cette Objeîtion paroît
fi jufte , que je me crois obligé de dire pourquoy j'ai fui-
vi cette méthode. J 'avoué donc que , lorfque je com-
mençai cet Ouvrage, 6c long-temps après, il ne me vint
nullement dans l'Efprit qu'il fut ilécefl;iire de faire aucu-
ne réflexion fur les Mots pour traiter cette matière. Mais
quand j'eus parcouru l'origine 6c la compofition de nos I-
dees 5 éc que je commençai à examiner letenduë 6c la cer-
titude de nos Connoifl'ances , je trouvai qu'elles ont une
liaifon fi étroite avec nos paroles, qu'à moins qu'on n'eût
confideré auparavant avec exactitude , quelle efl: la force
des
T)e VlmperfeHion des Mots. L i v. III. 615
des Mots, 8c comment ils fignifient les chofesjon ne fau- Chap.
roit guère parler clairement Scraifonnablementde laCon- IX.
noifîance, qui' roulant uniquement fur la Vérité eft tou-
jours renfermée dans des Propoiîtions. Et quoy qu'elle
fe termine aux Chofes, je m'apperçus que c'étoit princi-
palement par l'intervention des Mots , qui par cette rai-
fon me fembloient à peine capables d'être feparez de nos
Connoiflances générales. Il eit du moins certain qu'ils
s'interpofent de telle manière entre nôtre Efprit &: la vé-
rité que l'Entendement veut contempler 6c comprendre,
que femblables au Milieu par où paflént les rayons des
Objets vifibles, ils répandent fouvent des nuages fur nos
yeux Se impofent à nôtre Entendement par le moyen de
ce qu'ils ont d'obfcur &: de confus. Si nous confiderons
que la plupart des illufions que les hommes fe font à eux-
mêmes, aulli bien qu'aux autres, que la plupart des mé-
prifes qui fe trouvent dans leurs notions Ôc dans leurs Dif-
putes viennent des Mots , & de leur figniiîcation incer-
tame ou mal-entendué , nous aurons tout fujet de croire
que ce défaut n'eft pas un petit obftacle à la vraye & fo-
lide ConnoifTance. D'oîi je conclus qu'il efl: d'autant
plus neceffaire, que nous foyons foigneufement avertis ,
que bien loin qu'on ait regardé cela comme un inconvé-
nient , l'art d'augmenter cet inconvénient a fait la plus
confiderable partie de l'Etude des hommes , 6c a pafle
pour érudition , 6c pour fubtilité d'Efprit , comme nous
le verrons dans le Chapitre fuivant. Mais je fuis tenté
de croire, que, fi l'on examinoit plus à fonds les imper-
fe£tions du Langage confideré comme l'inftrument de nos
connoiflances, la plus grande partie des Difputes tombe-
roient d'elles-mêmes , 6c que le chemin de la Connoif-
fance,6c peut-être de la Paix feroit beaucoup plus ouvert
aux hommes qu'il n'eft encore.
§. 22. Une chofe au moins dont je fuis afluré , c'eft Cette incenitu.
que dans toutes les Laneues la fienification des Mots dé- ^'^ ^^\ ^°'^
^ , ^ JP . . nousdevroitap-
pendant extrêmement des penlees , des notions 6c des prendre à «rc
idées de celui qui les employé , elle doit être inévitable- modérez, quaml
ment
tcurs
6 1 6 Ve l'Imperfediion des Mots.
C H A p. ment très-incertaine dans l'Efprit de bien des gens du mê-
IX. me Pais & qui parlent la même Langue. Cela eft il vi-
iis'aoitd'impo- fibie dans les Auteurs Grecs , que quiconque prendra la
fcnrq^rnnuV'^ pcinc dc fcuillctcr Icurs Ecrits , trouvera dans prcfque
artribuoiis aux chacun d'cux lui Langage différent , quoy qu'il voye par
Aiiaciis Au- j-Q^^j j^g mêmes Mots. Que fi à cette difficulté naturelle
qui fe rencontre dans chaque Pais , nous ajoutons celles
que doit produire la difterence des Pais, & l'éloignement
des temps dans lesquels ceux qui ont parlé & écrit ont eu
différentes notions, divers temperamens, différentes cou-
tumes , alluilons , & figures dc Langage , o-r. chacune
defquelles chofes avoit quelque influence dans la lignifi-
cation des Mots, quoy que prefentemcnt elles nousibient
tout-à-flut inconnues , la raifon nous obligera à avoir de
l'indulgence &: de la charité les uns pour les autres à l'é-
gard des interprétations ou des faux fens que les uns ou
les autres donnent à ces Anciens Ecrits , puifqu'encore
qu'il nous importe beaucoup de les bien entendre, ils ren-
ferment d'inévitables diiiicultez , attachées au Langage,
qui excepté les noms des Idées /impies &c quelques autres
fort communs, ne fauroit faire connoitre d'une manière
claire Se déterminée le fens 6c l'intention de celui qui par-
le, à celui qui écoute , ians de continuelles définitions
des termes. Et dans les Difcours de Religion , de Droit
&c de Morale, où les matières font d'une plus haute im-
portance i on y trouvera auiîl de plus grandes difficul-
tez.
§.23. Le grand nombre de Commentaires qu'on a é-
crit fur le Vieux &: fur le Nouveau Teftament , en font,
des preuves bien fenflbles. Qiioy que tout ce qui eft con-
tenu dans le Texte foit infailliblement véritable , le Le-
fteur peut fort bien fc tromper dans la manière dont il
l'explique, ou plutôt il ne iauroit éviter de tomber fur
cela dans quelque méprife. Et il ne faut pas s'étonner
que la Volonté de Dieu, lorfqu'elle çft ainfi revêtue de
paroles, foit fujette à des ambiguitez qui font inévitable-
ment attachées à cette manière dc communication ,puifque
fon
Bil'Abtii des Mots. Liv. m. 617
fon Fils même étoit fiijet à toutes les foiblefles &: à ton- Ch a p.
tes les incommoditez de nôtre Nature, excepté le péché, IX.
tandis qu'il a été revêtu de la Chair humaine. Du refte
nous devons exalter fa bonté de ce qu'il a daigné expofer
en cara£téres fi lifibles fes Ouvrages & fa Providence aux
yeux de tout le Monde, Se de ce qu'il a accordé au Gen-
re Humain une afiez grande mefure de Raifon pour que
ceux qui n'ont jamais entendu parler de fa Parole écrite,
ne puiflent point douter de l'exiftence d'un Dieu , ni de
l'obéïflance qui luy eft due , s'ils appliquent leur Efprit
à cette recherche. Puis donc que les Précseptes de la Re-
ligion Naturelle font clairs Se tout-à-fait proportionnez à
l'intelligence du Genre Humain , qu'ils ont rarement été
mis en queilion , & que d'ailleurs les autres Veritez révé-
lées qui nous font inftillécs par des Livres 6c par le moyen
des Langues, font fujettes aux obfcuritez & aux difficul-
tez qui font ordinaires & comme naturellement attachées
aux Mots, ce feroit, cemefemble, une chofe bienféan-
te aux hommes de s'appliquer avec plus de foin Se d'exa-
ftitude à l'obfervation des Loix naturelles, &: d'être moins
impérieux 8c moins décillfs à impofer aux autres le fens
qu'ils donnent aux Veritez que la Révélation nous pro-
pofe.
CHAPITRE X.
De VAbus des Mots. C h a c
§• I
X.
OU T R E l'imperfeftion naturelle au Langage , Abus des Mots.
Se l'obfcurité 6c la confufion qu'il eft fi diffi-
cile d'éviter dans l'ufage des Mots, il y a plufieurs fautes
6c plufieurs négligences volontaires que les hommes com-
mettent dans cette manière de communiquer leurs pen-
fées , par où ils rendent la fignification de ces fignes
moins claire. 6c moins diftinfte qu'elle ne devroit être na-
turellement.
liii §. 2.
ne idée claire.
6i8 T>eV Abus des Mots.
C H A p. §. 2. Le premier & le plus vifible abus qu'on commet
X. •en ce point, c'efl: qu'on fe fert de Mots auxquels on n'at-
I. On fe fert «3e tachc aucunc idée claire & diftinfte , ou , qui pis eft ,
mots auxquels q^'q^ établit fij^ncs , (ans leur faire lignifier aucune chofe.
on 11 attache au- t- i-n- x ,r j /^i rr
cuneidc'e , ou On pcut diltmguer ces Mots en deux Clalles.
du moins aucu- \ Chacuu peut remarquer dans toutes les Langues >
certains Mots, qu'on trouvera , après les avoir bien exa-
minez, ne fignificr dans leur première origine &: dans leur
ufage ordinaire , aucune idée claire & déterminée. La
plupart des Seftcs de Philofophie 6c de Religion en ont
introduit quelq^ies-uns. Leurs Auteurs ou leurs Promo-
teurs affeftans des fcnrimens finguliers Se au delà de la
portée ordinaire des hommes , ou bien voulans foûtenir
quelque opinion étrange ou cacher quelque endroit foi-
ble de leurs Syitèmes, ne manquent guère de fabriquer de
nouveaux termes qu'on peut juftcmcnc appcllcr de vains
/owj, quand on vient à les examiner de près. Car ces mots
ne contenans pas un amas déterminé d'idées qui leur ayent
été alHgnées quand on les a inventez pour la première
fois , ou renfermans du moins des idées qu'on trouvera
incompatibles après les avoir examinées , il ne faut pas
s'étonner que dans la fuite ce ne foient,dans l'ufage ordi-
naire qu'en fait le Parti , que de vains fons qui fignifîent
peu de chofe, ou plutôt qui ne fignifient rien du tour par-
mi des gens qui fe figurent qu'il fuffit de les avoir fouvent
à la bouche , comme des cara£téres diltinftifs de leur E-
glife ou de leur Ecole , fans fe mettre beaucoup en peine
d'examiner quelles font les idées précifes que ces Mots
fignifient. Il n'efl: pas nécefl'aire quej'entafle ici des exem-
ples de ces fortes de termes , chacun peut en remarquer
un affez grand nombre dans les Livres & dans la Conver-
fation, ou s'il en veut faire une plus ample provifion , je
croy qu'il trouvera dequoy fc contenter pleinement chez
les Scholaftiques 6c les Metaphyficicns, parmi lefquels
on. peut ranger, à mon avis, les Philofcphes de ces der-
niers fiecles qui ont excité tant de difpivtes fur la Phyfi-
que 6c fur la Morale.
§• 3-
De l'Jhis des Mots. L i v. III. 6 r^
§. 3. II. 11 y en a d'autres qui portent cet abus enco- Chap.
re plus avant , prennns fi peu garde de ne pas fe fervir des X.
Mots qui dans leur premier ufage font à peine attachez à
quelque idée claire &: diftinfte , que par une négligence
inexcufablcj ils employent communément des Mots que
la Langue a approprié à des idées fort importantes , fans
leur attacher aucune idée dillinfte. Les mots de fagefje ^
àc gloire , de grâce , &c. font fort fouvent dans la bou-
che des hommes j mais parmi ceux qui s'en fervent, com-
bien y en a-t-il qui , fi l'on leur demandoit ce qu'ils en-
tendent par là , s'arrêteroient fans favoir que répondre ?
Preuve évidente qu'encore qu'ils ayent appris ces fons &c
qu'ils les rappellent aifément dans leur Mémoire, ils n'ont
pourtant pas dans l'Efprit des idées déterminées qui puif-
fent être, pour ainfi dh-e^exhibees aux autres par le moyen
de ces termes.
§. 4.. Comme il eft facile aux hommes d'apprendre éc CcU vient de ce
de retenir des Mots , &: qu'ils ont été accoutumez à cela ?" °" ^pp™"*
1^ 1 t >j rr ,-i «- les mots avant
des le berceau avant qu ils connullent ou qu ils euflentqued'.ipprcndre
formé les idées complexes auxquelles les Mors font atta- '""^^'^ '!"'''•'"'
chez ou qui doivent fe trouver dans les Chofes dont jj^ 'PP*'"'^""'^"^'
font regardez comme les fignes, ils continuent ordinaire-
ment d'en ufer de même pendant toute leur vie j de forte
que fans prendre la peine de fixer dans leur Efprit des I-
dées déterminées , ils fe fervent des Mots pour défigner
les notions vagues 6c confufes qu'ils ont dans l'Efprit,
contens des mêmes mots que les autres employent , com-
me fi conftamment le fon même de ces mots devoit ne-
eeflairement avoir le même fens. Mais quoy que les hom-
mes s'accommodent de ce défordre dans les affaires çrdi-
naires de la vie où ils ne laiflent pas de fe faire entendre
en cas de befoin , fe fervans de tant de différentes expref-
fions qu'ils font enfin concevoir aux autres ce qu'ils veu-
lent dire ; cependant lorfqu'ils viennent à,raifonner fur
leurs propres opinions , ou fur leurs intérêts , ce défaut
de fignification dans leurs mots remplit vifiblement leur
difcours de quantité de vains fons , & principalement fur
liii 2 des
6 2 o Ve l'Abus des Mots.
C H A p. des matières de Morale , où les Mots ne fignifîans pour
X. l'ordinaire que des amas nombreux & arbitraires d'idées
qui ne font point unies régulièrement & conftamment
dans la Nature , il arrive fouvent qu'on ne penfe qu'au
fon des Syllabes dont ces Mots font compofez , ou du
moins qu'à des notions fort obfcures 6c fort incertaines
qu'on y a attachées. Les hommes prennent les mots qu'ils
trouvent en ufage chez leurs Voilins ; èc pour ne pas pa-
roître ignorer ce que ces mots lignifient , ils les emplo-
yent avec confiance fans fe mettre beaucoup en peine de
les prendre en un fens fixe Se déterminé.. (3utre que cet-
te conduite eft commode , elle leur procure encore cet a-
/ vantage, c'eft que comme dans ces fortes de difcours il
leur arrive rarement d'avoir raifon, ils font aufli rarement
convaincus qu'ils ont tort -, car entreprendre de tirer d'er-
reur ces gens qui n'ont point de notions déterminées, c'eft
vouloir dépofiédcr de fon habitation un Vagabond qui n'a
point de demeure fixe. C'eft ainfi que j'imagine la cho-
fc} & chacun peut oblerver en luy-mêmc &: dans les au-
tres, ce qui en eft.
ii.Onappliqne §. (^ _ Lu fecond licu , un autrc grand abus qu'on com-
nWre mco.> ^let en Cette rencontre , c'eft Vujûge mcouflant qnon fait
ftaïue. des mots. Il eft difi:cile de trouver un Difcours écrit fur
quelque fujetfic particulièrement de Conrroverfe où celui
qui voudra le lire avec attention, ne s'apperçoive que les
mêmes mots & pour l'ordinaire ceux qui font les plus ef-
fentiels dans le Difcours 6c fur lefquels roule le fort de la
Queftion, y font employez en divers fens , tantôt pour
défigner une certaine collection d'Idées fimples , 6c tan-
tôt pour en défigner une autre ; ce qui eft un parfait a-
bus du Langage. Comme les Mots font deftmez à être
fignes de mes Idées, pour me fervir à faire connoitre ces
idées -aux autres hommes , non par une fignification qui
leur foit naturelle , mais par une inftitution purement
arbitraire 5 c'etl une manifefte tromperie que de faire figni-
£er aux Mots , tantôt une chofe , & tantôt une autre : pro-
cédé qu'on ne peut attribuer, s'il eft volontaire, qu'à une
ex-
De VAbus des Mots. L i v. III. 621
extrême folie , ou à une grande malice. Un homme qui C h a p!
a un compte à faire avec un autre , peut aulîl honnête- X.
ment faire fignifier aux cara£téres des nombres quelque-
fois une certaine collection d'unitez & quelquefois une
autre, prendre par exemple ce caraftére 3 , tantôt pour
trois, tantôt pour quatre 6c quelquefois pour huit, qu'il
peur dans un Dil'cours ou dans un Raifonnement emplo-
yer les mêmes mots pour lignifier différentes colleitions
d'idées fimples. S'il fe trouvoit des gens qui en ufaflent
ainll dans leurs comptes, qui , je vous prie , voudroit a-
voir affaire avec eux ? Il ell vifible que quiconque parle-
roit de cette manière dans les affaires du Monde, donnant
à cette figure 8 , quelquefois le nom de fepr ,ëc quelque-
fois celui de neuf , félon qu'il y trouveroit mieux fon
compte , iéroit regardé comme un fou ou un méchant
homme. Cependant dans les Difcours &: dans les Difpu-
tes des Savans cette manière d'agir pafTe ordinairement
pour fubtilité & pour véritable favoir. Mais pour moy,
je n'en juge point ainfi , & (i j'oie dire librement ma pen-
fée, il me fenible qu'un tel procédé eft auffi malhonnête
que de mal placer les jettons en fupputant un compte, &
que la tromperie eft d'autant plus grande que la Venté
elt d'une bien plus haute importance ôc d'un plus grand
prix que l'Argent.
§. 6. Un troifiéme abus qu'on fait du Langage , c'eft "V oK-nfitc
une obfcurtté ûjfeBée , foit en donnant à des termes d'ufa- nf^u'îa^es^'^p-'^
ge des fignifications nouvelles &: inufitées , foit en intrô- piicationsquon
duiiant des termes nouveaux & ambigus fans définir ni les ^-"^ "^«m"".
uns m les autres , ou bien en les joignant enfemble d'une
manière qui confonde le fens qu'ils ont ordinairement.
Qiioy que la PhdoJ'ophie Péripatéticienne fe foit rendue re-
marquable par ce défaut , les autres Seftes n'en ont pour-
tant pas été tout-à-fait exemptes. A peine y en a-t-il au-
cune, (telle eft rimperfe£bion des connoifl'ances humai-
nesj qui n'ait été embarraffée de quelques difficultez qu'on
a été contraint de couvrir par l'obfcurité des termes &c en
confondant la fignification des Mots, afin que cette obf-
Iiii 3 curité
$21 De VAbîis des Mots.
C H A p. çurité fut comme vin nuage devant les yeux du Peuple
X. qui put l'empêcher de découvrir les endroits foiblcs de
leur Hyporhefe. Qiiiconque eft capable d'un peu de re-
flexion voit fans pemc que dans l'ufage ordmaire , Corps
£c Extenfiou lignifient deux idées diftinctes> cependant il
y a des gens qui trouvent nécelîaire d'en confondre la ligni-
fication. 11 n'y a rien qui ait plus contribué à mettre en
vogue le dangereux abus du Langage qui conillte à con-
fondre la fignification des termes, que la Logique & les
Sciences, telles qu'on les a maniées dans les Ecoles; Se
l'art de difputer, qui a été en fi grande admiration, a auflî
beaucoup augmenté les imperfeilions naturelles du Lan-
gage, tandis qu'on l'a fait fcrvir à embrouiller la fignifi-
cation des Mots plutôt qu'à découvrir la nature éc la ve-
nte des Chofes. En effet , qu'on jette les yeux fur les
favans Ecrits de cette efpéce , &: l'on verra que les Mots
y ont un fens plus obfcur, plus incertain à: plus indéter-
miné que dans la Converfation ordinaire.
La Logique & §. 7. Cela doit éttc néceifairement aiufi , partout où
icsDiipmesoiit ^qj^^ nxçrQ de l'Eforit & du Savoir des hommes par l'ad-
beaucoup cou- , rr ^ ,■, v i-r t- 1 1 • o
tiibué à cet a- drelle t^u ils ont a diiputer. Et lors que la réputation ce
^"5. les recompenfes font attachées à ces fortes de conquêtes,
r ^ qui dépendent le plus fouvent de la fubtilité des mots ,
ce n'eft pas merveille que l'Efprit de l'homme étant tour-
ne de ce côté-là, confonde, embrouille 8c fubtilife la figni-
fication des fons , en forte qu'il luy refte toujours quel-
que chofe à dire pour combattre ou pour défendre quel-
que Qiieftion que ce foit , la Victoire étant adjugée non
à celui qui a la Vérité de fon côté , mais à celui qui par-
le le dernier dans la Difpute.
Cette obfcutitc §. 8. Quoy quc ce foit une addrefle bien inutile , 6c à
cit faun^meiu j-qqj^ .^yis , entièrement propre à nous détourner du che-
appe Leji.c.-i ^_^^.^_^ ^^ ^^ Connoilfancc , elle a pourtant pafle jufqu'ici
pour fubtilité ik pénétration d'Efprit,& a remporte l'ap-
plaudiffement des Ecoles i?c d'une partie des Savans. Ce
qui n'eft pas fort furprenant > puifque les anciens Fhilo-
fophes (j'entens ces Philofophcs fubtils tSc chicaneurs que
Ln-
De V Abus des Mots. Liv. III. 613 •
Lucien tourne fi joliment Se fi raifonnablement en ridicu- Chap,
le) Se depuis ce temps-là les Scholaftiques, prétendant ac- X.
quérir de la gloire & gagner l'eftime des hommes par une
connoiflance univerfelle à laquelle il eft bien plus aifé de
prétendre qu'il n'eft facile de l'acquérir effectivement,
ont trouvé par là un bon moyen de couvrir leur 'gnoran-
ce par un tiil\i curieux mais inexplicable de paroles obf-
cures Se de fe faire admirer des autres hommes par des ter-
mes inintelligibles , d'autant plus propres à caufer de l'ad-
miration qu'ils peuvent être moins entendus -, bien qu'il
paroiffe par toute l'Hiftoire que ces profonds Dofteurs
n'ont été ni plus fages ni d'une plus grande utilité que
leurs Voifins,& qu'ils n'ont pas fait grand bien aux hom-
mes en général , ni aux Sociétez particulières dont ils ont
fait partie i à moins que ce ne foit une chofe utile à la vie
humaine , 6c digne de louange 5c de récompense que de
fabriquer de nouveaux mots iàns propofcr de nouvelles
chofcs auxquelles ils puiflent être appliquez , ou d'em-
brouiller 6c d'obfcurcir la fignification de ceux qui font
déjà ufitez ,6c par là de mettre tout en queftion ôc en dif-
pute. •
§. 9. En effet, ces favans Dilputeurs, ces Dofteurs fi Ce savoir ne
capables 6c fi intelligens ont eu beau paroître dans le Mon- blènTii^socie,
de avec toute leur fcience , c'eft à des Politiques qui igno- te.
rent cette do£trine des Ecoles que les Gouvernemens du
Monde doivent leur tranquillité , leur défenfe 6c leur li-
berté: 6c c'eft de la Mechanique , toute idiote 6c mépri-
fée qu'elle eft (car ce nom eft difgracié dans le Monde}
c'eft de la Mechanique , di^e , exercée par des gens fans
Lettres que nous viennent ces Arts fi utiles à la vie , qu'on
perfectionne tous les jours. Cependant le favoir qui s'eft
introduit dans les Ecoles , a fait entièrement prévaloir
dans ces derniers fiécles cette ignorance artificielle, 6c ce
dode jargon , qui par là a été en fi grand crédit dans le
Monde qu'il a engagé les gens de loifir 6c d'efprit dans
mille difputes embarraffées fur des mots inintelligibles j
Labyrinthe où l'admiration des Ignorans 6c des Idiots qui
pren-
62 4- I^^ l'Abus des Mots.
C H A p prennent pour favoir profond tout ce qu'ils n'entendent
V pas , les a retenus , bon gré , malgré qu'ils en eulTent.
D'ailleurs, il n'y a point de meilleur moyen pour mettre
en vogue ou pour défendre des doctrines étranges & ab-
iiirdes que de les munir d'une légion de mots obfcurs,
douteux &: indeterminez. Ce qui pourtant rend ces re-
traites bien plus femblables à des Cavernes de Brigands
ou à des Tanières de Renards qu'à des ForterefTes de gé-
néreux Guerriers. Qiie s'il eft mal aifé d'en chafler ceux
qui s'y réfugient, ce n'eft pas à caufe de la force de ces
Lieux-là, mais à cauié des ronces, des épines ôc de l'obf-
curité des Builîbns dont ils font environnez. Car laFauf-
feté étant defagréable par elle-même à l'Efprit de l'hom-
me , il n'y a que l'obfcurité qui puiffe fervir de defenfe à
ce qui eft abfurde.
Il dciri'it au §. lo. C'eft ainfi que cette docle Ignorance , que ctt
contraire les in ^ft qui ne tend qu'à éloigner de la véritable connoiiîan-
lïiXuaion &: ce les gens mêmes qui cherchent à s'inftruire , a été pro-
dc h coiiverià- vipné dans le Monde 6c a répandu des ténèbres dansl'En-
i^ tiou, rendement , en prétendant l'éclairer. Car nous voyons
\ tous les jours que d'aiicres perfonnes de bon fens qui par
\leur éducation n'ont pas ete drefléz à cette efpéce de fub-
tilité, peuvent exprimer nettement leurs penfées les uns
\ ■ ' aux autres fie fe fervir utilement du Langage en le prc-
\ nant dans fa fimplicité naturelle. Mais quoy que les gens
- \ fans étude entendent afléz bien les mots blatic & jioir , fie
"^ qu'ils ayent des notions conftantes des idées que ces mots
fignifient, il s'eft trouvé des Philofophes qui avoient af-
fez de favoir fie de fubtilite pour prouver que la Nage eft
»o/rf, c'eft à dire, que le bicnic eft noir ; par ou ils avoient
l'avantage d'anéantir les inftrumens du Dilcours, delà
Converfation , de l'inftruclion fie de la Société, tout leur
art fie toute leur fubtilite n'aboutillant à autre chofe qu'à
brouiller fie confondre la lignification des Mots fie à ren-
dre ainfi le Langage moins utile qu'il ne l'eft par fcs dé-
fauts réels: admirable talent, qui a été inconnu jufqu'ici
aux gens (Ims lettres.
§.ii.
T)eV Abus des Mots. Liv. III. 625
§. II. Ces fortes de Savans fervent autant à éclairer Chap,
l'Entendement des hommes & à leur procurer des com- X.
moditez dans ce Monde, que celui qui altérant la llgnifi- " d^anni utile
cation des Cara£téres déjà connus, feroit voir dans fes E- ['"^^tjg cm°fon-
crits par une favante fubtilité fort fuperieure à la capacité drc les caraû^-
d'un Efprit idiot, groiîier & vulgaire , qu'il peut mettre '^"^
un A pour un B, & un D pour un E , 6cc. au grand é-
tonnement de fon Le£teur à qui. une telle invention feroit
fort avantageufe; car employer le mot de noir qu'on re-
connoit univerfellement lignifier une certaine idée fimple,
pour exprimer une autre idée, ou une idée contraire, c'ell
à dire appeller la neige noire , c'efl: une aufli grande extra-
vagance que de mettre ce caradére A à qui l'on eft con-
venu de faire fignifier une modification de fon , faite par
un certain mouvement des organes de la Parole , pour B
à qui l'on eft convenu de faire fignifier une autre modifi-
cation de fon, produite par un autre mouvement des mê-
mes Organes.
§. 12. Mais ce mal ne s'eft pas arrêté aux pointillé- Cet art d'obf-
ries de Logique , ou à de vaines Spéculations ; il s'eft in- '^^'"^ i<.-s mots
finué dans ce qui interefle le plus la vie & la fociéré hu- iJii!Tion"&b.*
maine, ayant obfcurci 6c embrouillé les veritez les plus Juft*«-
importantes du Droit &: de la Théologie, oc jette le défor-
dre & l'incertitude dans les affaires du Genre Humain; de
forte que s'il n'a pas détruit ces deux grandes Régies des
adlions de l'homme, la Religion &c la Jujlice, il les a ren-
dues en grand' partie inutiles. A quoy ont fervi la plu-
part des Commentaires 6c des Çontroverfes fur les Loix
de D I E u 6c des hommes , qu'à en rendre le fens plus
douteux d<: plus embarraffé? Combien de diftinftions cu-
rieufcs, multipliées fans fin , combien de fubtilitez déli-
cates a-t-on inventé ? Et qu'ont-elles produit que l'obfcu-
rité &c l'incertitude, en rendant les mots plus inintelligi-
bles , 6c en dépaifant davantage le Lecteur ? Si cela n'é-
toit , d'où vient qu'on entend fi facilement les Princes
dans les ordres communs qu'ils donnent de bouche ou
par écrit , &c qu'ils font fi peu intelligibles dans les Loix
Kkkk qu'ils
626 De l'Abus des Mots.
C H A p. qu'ils prefcrivent à leurs Peuples ? Et n'ari ive-t-il pas fou-
X. vent, comme il a été remarque cy-deilus, qu'un homme
d'une capacité ordmaire lifant un pafl-ige de l'Ecriture ,
ou une Loy, l'entend fort bien, jufqu'à ce qu'il ait con-
fulté un Interprète ou un Avocat, qui après avoir emplo-
yé beaucoup de temps à expliquer ces endroits , fait en
forte que les Mots ne lignifient rien du tout , ou qu'ils
fignifient tout ce qu'il luy plaît?
Il ne doit pas §. 1^. Je ne prétcns point examiner , en cet endroit >
pafict pour fa- ç^ quelques-uns de ceux qui exercent ces Profefîîons ont
introduit ce défordre pour l'intérêt du Parti -, mais je laif-
fe à penfer s'il ne feroit pas avantageux aux hommes, à
qui il importe de connoitre les chofes comme elles font
oc de faire ce qu'ils doivent, êc non d'employer leur vie
à difcourir de ces chofes à perte de veûë , ou à fe jouer
fur des mots, fi , dis-je , il ne vaudroit pas mieux qu'on
rendît l'ufagc des mots fimple & dire£t , & que le Lan-
gage qui nous a été donné pour nous perfcftionner dans la
connoiflance de la Vérité , &: pour lier les hommes en
fociété , ne fût point employé à obfcurcir la Vérité , à
■ confondre les droits des Peuples , 6c à couvrir la Morale
& la Religion de ténèbres impénétrables ; ou que du
moins, fi cela doit arriver ainfi, on ne le fit point pafler
pour connoiflance & pour véritable favoir ?
IV. Autre abus §• ^4- En quatrième lieu , un grand abus qu'on fait
du Langage; dcs Mots , c'cft qu'oti Ics prciid poiiv des Chofes. Qiioy
prendre les | j-gaarde en quclque manière tous les noms en j^è-
mots pour des 1, o. T. n v ti • j j ^
thofcs. neral, il arrive plus particulièrement a 1 égard des noms
des SubftanceSj Se ceux-là font fur tout fujets à commet-
tre cet abus qui renferment leurs penfees dans un certain
Syftême , Se fe laiflènt fortement prévenir en faveur de
quelque Hypothefe reçue qu'ils croyent fans défauts ; par
où ils viennent à fe perfuader que les termes de cette Se-
fte font fi conformes à la nature des chofes, qu'ils répon-
dent parfaitement à leur exiftence réelle. Qiii eft-ce, par
exemple , qui ayant été élevé dans la Philofophie Péri-
patéticienne ne fe figure que les dix noms fous lefquels
font
De V Abus des Mots. Liv. III. 627
font rangez les dix Prédicaments font exa£bement confor- C h a p.
mes à la nature des Chofes ? Qiii dans cette Ecole n'eft X.
pas perfuadé que les Formes Suùjiantielles, les Âmes végé-
tatives , V horreur du Vmde , les Efpeces intentionnelles , &c.
font quelque chofe de réel ? Comme ils ont appris ces
mots en commençant leurs Etudes Se qu'ils ont trouvé
que leurs Maîtres, & les Syftémes qu'on leur mettoit en-
tre les mains, faifoient beaucoup de fonds fur ces termes-
là , ils ne fauroient fe mettre dans l'Efprit que ces mots
ne font pas conformes aux chofes mêmes, èc qu'ils ne re-
préfentent aucun Etre réellement exiftant. Les Platoni-
ciens ont leur Ame du Monde , & les Epicuriens la tendan-
ce de leurs Atomes vers le Mouvement jdunsle temps qu'ils
font en repos. A peine y a-t-il aucune Se£te de Philofo-
phie qui n'ait un amas diftinft de termes que les autres
n'entendent point. Et enfin ce jargon , qui, vu la foi-
blefle de l'Entendement Humain , eft fi propre à pallier
l'ignorance des hommes &c à couvrir leurs erreurs , deve-
nant familier à ceux de la même Se£te , il pafle dans leur
Efprit pour ce qu'il y a de plus eflentiel dans la Langue,
6c de plus exprellif dans le Difcours. Si les véhicules aé-
riens èc éthenens du Dofteur More eu fient été une fois
généralement introduits dans quelque endroit du Monde
où cette Doftrine eût prévalu , ces termes auroient fait
fans doute d'affez fortes imprelîlons fur les Efprits des hom-
mes pour leur perfuader l'exiftence réelle de ces véhicu-
les, tout aufli bien qu'on a été cy-devant entêté des For-
mes fubjiantielles , & des Efpeces intentionnelles.
§. 15. Pour être pleinement convaincu, combien des Exemple fur k
noms pris pour des chofes font propres à jetter l'Entende- "lo'dcM.uwf.
ment dans l'erreur , il ne faut que lire avec attention les
Ecrits des Philofophes. Et peut-être y en verra-t-on des
preuves dans des mots qu'on ne s'avife guère defoupçon-
ner de ce défauj;. Je me contenterai d'en propoferunfeul,
Se qui eft fort commun. Combien de difputes embarraf-
fées n'a t-on pas excité fur la Matière , comme fi c'étoit
un certain Etre réellement exiftant dans la Nature , di-
Kkkk 2 flinft
628 De l'Abus des Mots.
C H A p. ftin£b du Corps ,&c cela parce que le mot de Matière figni-
' X. fie une idée diftiniVe de celle du Corps , ce qui eil de la
dernière évidence ; car II lés idées que ces deux termes
fignifient, étoient précifément les mêmes, on pourroit
les mettre indifféremment en tous lieux l'une à la place
de l'autre. Or il eft viiible que, quoy qu'on puiffe dire
proprement qu'une feule Matière compoje tons les Corps ,
on ne fauroit dire , que le Corps compoje toutes les Matiè-
res. Nous difons ordinairement , Un Corps ejt plus grand
qu'un antre , mais ce fcroit une façon de parler bien cho-
quante Se dont on ne s'eft jamais avifé de fe lervir , à ce
que je croy , que de dire , Une matière efl plus grande
qu'une autre. Fourquoy cela ? C'eft qu'encore que la
Matière & le Ccr/*J ne Ibient pas réellement diil:in£ls, mais
que l'un foit par tout oii ell l'autre , cependant la Matu-
re &■ le Corps lignifient deux différentes conceptions, dont
l'une eft incomplète , &: n'eft qu'une partie de l'autre.
Car le Corps fignifie une fubftance folide, étendue, 6c fi-
gurée , dont la Matière n'eft qu'une conception partiale
6c plus confufe , qu'on n'employé , ce me femble , que
pour exprimer la lubftance 6c la folidité du Corps fans
confiderer fon étendue 6c fi figure. C'eft pour cela qu'en
parlant de la Matière .^ nous en parlons comme d'une cho-
ie unique , parce qu'en effet elle ne renferme que l'idée
d'une Subftance folide qui eft par tout la même, qui eft
par tout uniforme. Telle étant nôtre idée de la Matiè-
re, nous ne concevons non plus différentes Matières dans
le Monde que différentes yî?//^/?fs , nous ne parlons non
plus de différentes Matières que de différentes foliditez ,
■' quoy que nous imaginions différcns Corps èc que nous
en parhons à tout moment , parce que l'étendue 6c la fi-
gure font capables de variation. Mais comme la fohditè
ne fauroit exifter fans étendue 6c fins figure , dès qu'on
a pris la Matière pour un nom de quelque chofc qui exi-
ftoit réellement fous cette précifion , cette penfee a pro-
duit fans doute tous ces difcours obfcurs 6c inintelligibles!
toutes ces Difputes embrouillées fur la Matière première
qui
De l'Abus des Mots. Li v. III. Gif)
qui ont rempli la tête & les livres des Philofophes. Je Chap.
laifle à penî'er jufqu'à quel point cet abus peut regarder X.
quantité d'autres termes génériux. Ce que je croy du
moins pouvoir aflurerjc'elt qu'il yauroit beaucoup moins
de difputes dans le Monde, fi les Mots étoient pris pour
ce qu'ils font, feulement pour des flgnes de nos Idées, èc
non pour les Chofcs mêmes. Car lori'que nous raifonnons
lur la Matière ou fur tel autre terme, nous ne raifonnons
eiïbftivement que fur l'idée que nous exprimons par ce
fon, foit que cette idée précife convienne avec quelque
chofe qui exifte réellement dans la Nature, ou non. Et
fi les hommes vouloicnt dire quelles idées ils attachent
aux Mots dont ils fe fervent, il ne pourroit point y avoir
la moitié tant d'obfcuritez ou de difputcs dans la recher-
che ou dans la défenfc de la Vérité , qu'il y en a.
§. i6. Mais quelque inconvénient qui naifle de cet Ccfl ce qm
abus des Mots, je fuis afTùré que par le confiant &" ordi- Ferpf'"^ itsEr-
naire ufage qu'on en fait en cefens,ils entraînent les hom- ''""'
mes dans des notions fort éloignées de la vérité des Cho-
its. En effet, il feroit bien mal-aifé de perfuader à quel-
qu'un que les mots dont fe fert fon Père, fon Maître, fon
Miniftre ou quelque autre vénérable Do6teur ne fignifient
rien qui exifte réellement dans le Monde .Prévention qui
n'eft peut-être pas l'une des moindres raifons pourquoy il
eft fî difficile de défabufcr les hommes de leurs erreurs ,
même dans des Opinions purement Philofophiques , èz
où ils n'ont point d'autre intérêt que la Vérité. Car les
mots auxquels ils ont été accoutumez depuis long-temps,
demeurans fortement imprimez dans leur Efprit, ce n'eft
pas merveille que Ton n'en puiflé éloigner les faufles no-
tions qui y font attachées.
§. 17. Un cinquième abus .qu'on fait des Mots , c'cil v. Oii prend iw
de les mtttre à la place des chofes qii'ils ncjJgwfient ni m '"°" P""!: «
peu-vent Jigmfer en attcmie mamne. On peut obferver à fienTciTa'lfcmÎE
r<^gard des noms généraux des Subftances , dent nous ne manicre.
connoiflbns que les efTences nominales , comme nous l'a-
vons dcja prouvé, que,lorfque nous en formons d<zs pro-
Kkkk 3 pofitions>
630 De l'Abus des Mots.
C H A p. pofitions, & que nous affirmons ou nions quelque chofe
X. iur leur fujet , nous avons accoutumé de fuppofer ou de
prétendre tacitement que ces noms fignifient l'eflencc
réelle d'une certaine efpece de Subftances. Car lorfqu'un
homme dit, L'Or ejl malléable ^ il entend & voudroit
donner à entendre quelque chofe de plus que ceci, Ce •pie
j'appelle Or y ejl mnllc'able ■, (quoy que dans le fonds cela
ne fignifie pas autre chofe} prétendant faire entendre par
là , que VOr , c'eft à dire , ce qui a Veffence réelle de l'Or
eft malléable -, ce qui revient à ceci , Que la Malléabilité
dépend ér ejl inféparable de l'effence réelle de l'Or. Mais Ci
un homme ignore en quoy confifte cette eflence réelle , la
Malléabilité n'eft pas jointe efféftivement dans fon Efprit
avec une eflence qu'il ne connoit pas , mais feulement a-
vec le fon Or qu'il met à la place de cette eflence. Ainfi,
quand nous difons que c'eft bien définir V Homme que de
dire qu'il eft un Animal raifonnable , & qu'au contraire
c'eft le mal définir que de dire que c'eft un Animal fans
plume , à deux piés , avec de larges ongles , il eft vifible
que nous {uppofons que le nom à' homme fignifie dans ce
cas-là i'eflence réelle d'une Efpéce , Se que c'eft autant
que fi l'on difoit , qu'un Animal raifonnable renferme une
meilleure defcription de cette Eflence réelle, qu'un Ani-
mal a, deux piés , fans plume , c^ ^"^ec de larges ongles.
Car autrement, pourquoy Platon ne pouvoit-il pas faire
fignifier auili proprement au niotat'9pM'7r(^ou homme , une
idée complexe, compofée des idées d'un Corps diftingué
des autres par une certaine figure Se par d'autres apparen-
ces extérieures , qn'Ari/lote a pu former une idée com-
plexe qu'il a nommée avOfaTr©* ou homme , compofée
d'un Corps fie de la faculté de raifonner qu'il a joint
enfemble > à moins qu'on ne fuppofe que le mot îLi-
^fiCTti^ ou homme fignifie quelque autre chofe que ce
qu'il fignifie, &■ qu'il tient la place de quelque autre
chofe que de l'idée qu'un homme déclare vouloir ex-
primer par ce mot.
Comme, lorf- §• 18. Alavcrité, Ics Homs des Subftances feroient
beau-
De l'Abus des Mots. L i v. III. 631
beaucoup plus commodes, & les Proportions qu'on for- Chap.
meroit fur ces noms , beaucoup plus certaines , fi les ef- X.
fences réelles des Subftances étoient les idées mêmes qucq"'°", '«!""
1 Di^r • o r • r r Pour leseflences
nous avons dans I hlpnt & que ces noms ngnihent. Lt relies desSub-
c'eft parce que ces eflences réelles nous manquent , que ftances.
nos paroles répandent fi peu de lumière ou de certitude
dans lesDifcours que nous faifons fur les Subftances. C'eft
pour cela que l'Efprit voulant écarter cette imperfeftion
autant qu'il peut, fuppof^ tacitement que les mots figni-
fient une chofe qui a cette eflence réelle , comme fi par
là il en approchoit de plus près. Car quoy que le mot
homme ou Or ne fignifie effectivement autre chofe qu'une
idée complexe de proprietez , jointes enfemble dans une
certaine forte de Subftances -, cependant à peine fe trou-
ve-t-il une perfonne qui dans l'ufige de ces Mots ne fup-
pofe que chacun d'eux fignifie une chofe qui a l'eflence
réelle , d'oîi dépendent ces proprietez. Mais tant s'en
faut que l'imperfection de nos Mots diminue par ce mo-
yen , qu'au contraire elle eft augmentée par l'abus vifible
que nous en faifons en leur voulant faire fignifier quelque
chofe dont le nom que nous donnons à notre idée com-
plexe , ne peut abfolunient point être le figne i parce
qu'elle n'eft point renfermée dans cette idée.
§. 19. Nous voyons en cela la raifon pourquoy à l'é- Ce qui fait que
gard des Modes mixtes dès qu'une des idées qui entrent pas"nue"haque
dans la compofition d'un Mode complexe, eft exclue ou changement qui
chaneée, on reconnoit aufli-tôt qu'il eft autre chofe, c'eft f"''^'^^"j."°'
V J- >-l n. J' T?r - -1 , .^ "e idée dune
a dire qu il eft d une autre hlpece , comme il paroit viii- subftance n'en
blement par ces mots * meurtre .> a jfajjinat , parricide ièKC.^^]^"?>^'i^^^'^-
La raifon de cela , c'eft qive l'idée complexe fignifiée par ^"^'
le nom d'un Mode mixte eft l'eflTence réelle aufli bien que
ia
* L'Auteur propofe, outre le mot de meurtre commis par hazard & faiisaucun
parricide , trois mots qui marquent trois delTein. Le ftcond m,ïri fau^hier , meur-
efpe'ces de meurtre , bien dilbndcs. J'ai tre qui n'a pas été fait de ifeflcin pre'mc-
éte' oblige' de les omettre, parce qu'on ne dite , quoy que volontairement. Le tioific-
peut les exprimer en François que par pe- | me , muriher , homicide de dellcm pic-
riphrafc. Le pic'micr eft chMice-medly , I médite'.
632 De l'Abns des Mots.
C H A p. la nominale, Ce qu'il n'y a point de fecret rapport de ce
X. nom à aucune autre cflence qu'à celle-là. Mais il
n'en cft pas de même à l'égard des Subllances. Car quoy
que dans celle que nous nommons Or , Tua mette dans
ion idée complexe ce qu'un autre omet , 5c au contraire j
les hommes ne croyent pourtant pas que pour cela l'Efpé-
ce foit changée , parce qu'en eux-mêmes ils rapportent
fecretement ce nom à une efTence réelle fie immuable d'une
Chofe exiftante , de laquelle efTence ces Propriétez dé-
pendent Se à laquelle ils fuppofent que ce nom cft atta-
ché. Celui qui ajoute à fon idée complexe de l'Or celle
de fixité on de capacité d'être diflbut dans VEaH Regale ,
qu'il n'y mettoit pas auparavant, ne paftc pas pour avoir
changé rErpéce,mais feulement pour avoir une idceplus
parfaite en ajoutant une autre idée fimple qui eft toujours
adtuelîement jointe aux autres , dont étoit compofée ix
première idée complexe. Mais bien loin que ce rapport
du nom à une chofe dont nous n'avons point d'idée, nous
foit de quelque fecours , il ne fert qu'à nous jetter dans
de plus grandes difficultez. Car par ce fecret rapport à
l'eflence réelle d'une certaine efpéce de Corps , le mot Or
par exemple, (qui étant pris pour une coUeélion plus ou
moins parfaite d'Idées Timples , fert aflez bien dans la
Converfation ordinaire à défigner cette forte de corps}
vient à n'avoir abfolument aucune fignification , fi on le
prend pour quelque chofe dont nous n'avons nulle idéej
^ & par ce moyen il ne peut fignifier quoy que ce foit,lorf-
que le Corps luy-même eft hors de veûë. Car bien qu'on
puifTe fe figurer que c'eft la même chofe de raifonner fur
le nom d'Or, £c fur une partie de ce Corps même, com-
me fur une feiitUe d'or qui eft devant nos yeux , & que
dans le Difcours ordinaire nous foyons obligez de mettre
le nom à la place de la chofe même , on trouvera pour-
tant, fi l'on y prend bien garde , que c'eft une chofe en-
tièrement différente.
Lacaufcdecct g. 20. Ce qui , je croy , difpofe fi fort les hommes à
fuppofc que°a "lettre les noms à la place des efiTenccs réelles des Efpé-
ces.
De V Abus des Mots. Liv. III. 633
ces , c'eft la fuppofition dont nous avons déjà parlé , que C H a p.
la Nature agit régulièrement dans la produârion des cho- X.
fes , 6c fixe des bornes à chacune de ces Efpéces en don- Nature agit
nant exa6tement la même conftitution réelle & intérieure ]°erin,'e",t/^"'
à chaque individu que nous rangeons fous un nom géné-
ral. Mais quiconque obferve leurs difFérentes qualitez,
ne peut'guere douter que plufieurs des Individus qui por-
tent le même nom, ne foient auiîi diiférens l'un de l'au-
tre dans leur conftitution intérieure, que plufieurs de ceux
qui font rangez fous difFérens noms fpécifiques. Cepen-
dant cette fuppofition qu'on fait , que la même conftitu-
tion intérieure fuit toujours le même nom fpécifique , porte
les hommes à prendre ces noms pour des repréfentations
de ces eflences réelles jquoyquedans le fonds ils ne figni-
fient autre chofe que les idées complexes qu'on a dans
l'Efprit quand on fe fert de ces noms-là. De forte que
fignifiant , pour ainfi dire , une certaine chofe &: étant
mis à la place d'un autre, ils ne peuvent qu'apporter beau-
coup d'incertitude dans les Difcours des hommes, & fur
tout, de ceux dont l'Efprit a été entièrement imbu de la
doftrine des formes fub/lantielles , par laquelle ils font for-
tement perfuadez que les difterentes Efpéces des chofes
font déterminées & diftinguées avec la dernière exaftitu-
de.
§.21. Mais quelque abfurdité qu'il y ait à faire figni- Cet abus eft
fier aux noms que nous donnons aux chofes , des idées [3^'^^/"^ "^X-
que nous n'avons pas, ou (ce qui eft la même chofe} des tions.
efifences qui nous font inconnues , ce qui eft en eftet ren-
dre nos paroles fignes d'un Rien , il eft pourtant évident
à quiconque réfléchit un peu fur l'ufage que les hommes
font des mots, que rien n'eft plus ordinaire. Qiiand un
homme demande fi telle ou telle chofe qu'il voit , (que
ce foit un Magot ou un Fœtus monftrueux} eft un hom-
me ou non , il eft vifible que la queftion n'eft pas fi cette
chofe particulière convient' avec l'idée complexe que cet-
te perfonne a dans l'Efprit 3c qu'il fignifie par le nom
d'homme , mais fi elle renferme refi"ence réelle d'une Efpe-
Llll ce
634 ^^ l'Abus des Mots.
C H A p. ce de chofes -, laquelle eflence il fuppofc que le nom à'hom-
X. fne fignifie. Manière d'employer les noms des Subftances
qui contient ces deux faulTes fuppofitions.
La première, qu'il y a certaines Eiïences précifes félon
lefquelles la Nature forme toutes les chofes particulières,
&: par où elles font dittinguées en Efpéces. Il eft hors
de doute que chaque chofe a une conftitution réelle par
où elle eft ce qu'elle eft, &; d'où dépendent fes Qiialitez
fenfiblesj mais je penfe avoir prouvé que ce n'eft pas là
ce qui fait la diftinftion des Efpéces , de la manière que
nous les rangeons , ni ce qui en détermine les noms.
Secondement, cet ufage des Mots donne tacitement à
entendre que nous avons des idées de ces EfTences. Car
autrement , à quoy bon rechercher fi telle ou telle chofe
a l'eflence réelle de l'Efpéce que nous nommons homme y
a nous ne fuppofions pas qu'il y a une telle eflence fpéci-
lîque qui eft connue? Ce qui pourtant eft tout-à-fait fauXi
d'où il s'enfuit que cette application des noms par où nous
voudrions leur faire fignifier des idées que nous n'avons
pas, doit apporter nècefl'airement bien du dèfordre dans
les Difcours & dans les Raifonnemens qu'on tait fur ces
noms-là, 6c caufer de grands inconveniens dans la com-
munication que nous avons enfemble par le moyen des
Mots.
vi.Onabufe §. 2 2. En fixiéme lieu , un autre abus qu'on fait des
cn'fuppofar" Mots, Sc qui eft plus général quoy que peut-être moins
qu'ils ont une remarqué , c'eft que les hommes étant accoutumez par
fignification ^j^ \onor gc familier ufase, à leur attacher certaines idées,
certaine & cvi- ^ ^ •. r ,~ i i ;/-/--. > /■
dente. lont portez a le hgurer qu il, y a mie uaijon (i étroite & Ji
néceffaire entre les noms ^ la fignification qu'on leur donne y
gn^dsfuppofent fans peine qu'on ne peut qu'en comprendre le
fenSi & qu'il faut, pour cet effet , recevoir les mots qui
entrent dans le difcours fans en demander la fignification ,
comme s'il ètoit indubitable que dans l'ufage de ces fons
ordinaires &: ufitez , celui qiù parle & celui qui écoute
ayent néceflairement &: prèciièment la même idée ; d'où
ils concluent , que , lorfqu'ils fe font fervis de quelque
terme
De V Abus des Mots. Liv. IIL 63-5
terme dans leur Dii'cours, ils ont par ce moyen mis, pour Chap.
ainfi dire, devant les yeux des autres la choie même dont X.
ils parlent. Et prenans de même les mots des autres com-
me fi naturellement ils avoient au jufte la fignification.
qu'ils* ont accoutumé eux-mêmes de leur donner, ils ne fe
mettent nullement en peine d'expliquer le lens qu'ils at-
tachent aux mors, ou d'entendre nettement celui que les
autres leur donnent. C'eft ce qui produit communément
bien du bruit & des difputes qui ne contribuent en rien à
l'avancement ou à la connoiflance de la Vérité , tandis
qu'on fe figure que les Mots font des fignes conftans Se ré-
glez de notions que tout le Monde leur attache d'un com-
mun accord , quoy que dans le fonds ce ne foient que des
fignes arbitraires & variables des idées que chacun a dans
l'Efprit. Cependant , les hommes trouvent fort étrange
qu'on s'avife quelquefois de leur demander dans un En-
treaen ou dans la Difpute, oii cela efl: abfolument nécef-
faire , quelle eft la fignifîcation des mots dont ils fe fer-
Vent, quoy qu'il paroifle évidemment dans les raifonne-
mens qu'on fait en converfation , comme chacun peut
s'en convaincre tous les jours par luy-mêrae,qu'ily a peu
de noms d'Idées complexes que deux hommes employent
pour fignifier précifement la même colledion. Il eft dif-
ficile de trouver un mot qui n'en foit pas un exemple fen-
fible. Il n'y a point de terme plus commun que celui de
vie , 6c il fe trouveroit peu de gens qui ne priflent pour
un affront qu'on leur demandât ce qu'ils entendent par ce
mot. Cependant, s'il eft vray qu'on mette en queftion,
fi une Plante qui eft déjà formée dans la femence , a de la
vie, fi le Poulet dans un œuf qui n'a pas encore été cou-
vé , ou un homme en défaillance fans fentiment ni mou-
vement, eft en vie ou non > il eft aifé de voir qu'une idée
claire , diftinfte & déterminée n'accompagne pas toujours
l'ufage d'un Mot aufli connu que celui de vie. A la vé-
rité, les hommes ont quelques conceptions groiliéres &
confufes auxquelles ils appliquent les mots ordinaires de
leur Langue i &: cet ufage vague qu'ils font des mots leiur
LUI 2 fert
6^6 De V Abus des Mots.
C H A p. fert aflez bien dans leurs difcours &: dans 'eiirs affaires or-
,X. dinaires. Mais cela ne fuffit pas dans des recherches Phi-
lofophiques. La véritable connoinance& le raifonnement
exa demandent des idées prccifcs 6: déterminées. Et
quoy que les hommes ne veuillent pas paroitre fi peu in-
teUigens ôc fi importuns que de ne pouvoir comprendre
ce que les autres difent, fans leur demander une explica-
tion de tous les termes dont ils fc fervent , ni critiques fi
incommodes pour reprendre fans cefle les autres de l'ufa-
ge qu'ils font des mots -, cependant lorfqu'il s'agit d'un
point où la Vérité eft intéreffée 6c dont on veut s'inftrui-
re exad'ement , je ne vois pas quelle faute il peut y avoir
à s'informer de la fignification des Mots dont le fens pa-
roît douteux, ou pourquoy un homme devroit avoir hon-
te d'avouer qu'il ignore en quel fens une autre perfonne
prend les mots dont il fe fert, puifque pour le favoir cer-
tainement , il n'a point d'autre voye que de luy faire dire
quelles font les idées qu'il y attache précifémcnt. Cet
abus qu'on fait des mots en les prenant au hazard fans fa-
voir exa£tement quel fens les autres leur donnent , s'eft
répandu plus avant «Se a eu de plus dangereufes fuites par-
mi les gens d'étude que parmi le refte des hommes. La
multiplication & l'opiniâtreté des Difputes d'où font ve-
nus tant de défordres dans le Monde Savant , ne doivent
leur principale origine qu'au mauvais ufage des mots. Car
encore qu'on croye en général que tant de Livres £c de
Difputes dont le Monde eft accablé , contiennent une
grande diverfité d'opinions, cependant tout ce que je puis
voir que font les Savans de difterens Partis dans les rai-
fonnemens qu'ils étalent les uns contre les autres , c'eft
qu'ils parlent difFérens Langages > & je fuis fort tenté de
croire, que, lorfqu'ils viennent à quitter les mots pour
penfer aux chofes &: confiderer ce qu'ils penfent , il arri-
ve qu'ils penfent tous la même choie, quoy que peut-être
leurs intérêts foient différens.
lesfinsduian- g 23. Pour conclurre ces confiderations fur l'imperfe-
^e cuiicruos ftion & l'abus du Langage i comme la fin du Langage
dans
De V Abus des Mots. Liv. III. 637
dans nos entretiens avec les autres hommes , confifte pria- C h A p.
cipalement dans ces trois chofes , premièrement , à faire X.
connoître nos penlées ou nos idées aux autres , féconde- idc'es dans l'Ef-
ment , à le faire avec autant de facilité èc de promptitude f"' '^^ *"''"
qu il elt poliible, &c en troijicme lieu , a faire entrer dans
l'Efprit par ce moyen la connoiflance des chofes j le Lan-
gage eft mal appliqué ou imparfait , quand il manque de
remplir l'une de ces trois fins.
Je dis en premier lieu , que les mots ne répondenc pas
à la première de ces fins , &: ne font pas connoître les
idées d'un homme à une autre perfonne , premièrement ,
lorfque les hommes ont des noms à, la bouche fans avoir
dans l'Efprit aucunes idées déterminées dont ces noms
foient les fignesj ou en fécond lieu, lorfqu'ils appliquent
les termes ordinaires Se ufitez d'une Langue à des idées
auxquelles l'ufage commun de cette Langue ne les appli-
que point ; &: enfin lorfqu'ils ne font pas conftans dans
cette application , faifant fignifier aux mots tantôt une
idée , & bientôt après une autre.
§. 24. En fécond lieu, les hommes manquent à faire 1. De le ûire
connoître leurs penfées avec toute la promptitude & tou- P^ompfemfi't.
te la facilité poliible, lorfqu'ils ont dans l'Efprit des idées
complexes , fans avoir des noms diftin£ts pour les défigner.
C'eft quelquefois la faute de la Langue même qui n'a
point de terme qu'on puifle appliquer à une telle lignifi-
cation , &; quelquefois la faute de l'homme qui n'a pas
encore appris le nom dont il pourroit fe fervir pour ex-
primer l'idée qu'il voudroit faire connoître à un au-
tre.
§.25. En troifiéme lieu, les mots dont fe fervent les j De leur don-
hommes ne fauroient donner aucune connoiflance des Cho- "" P^'' '» ^
c ji -J' > J un cûiinoilTance
les, quand leurs idées ne s accordent pas avec 1 exiftence des chofo.
réelle des Chofes. Qiioy que ce défaut ait fon origine
dans nos Idées qui ne font pas fi conformes à la nature
des chofes qu'elles peuvent le devenir par le moyen de
l'attention , de l'étude 6c de l'application j il ne laifl^e
pourtant pas de s'étendre aulîi fur nos Mots , lorfque nous
LUI 5 ks
638 De l'Abus des Mots,
C H A p ^^^ employons comme fignes d'Etres réels qui n'ont ja-
■V- mais eu aucune réalité.
Comment les §■ 26. Car premièrement , quiconquc retient Ics Mots
mots dont le d'une Langue fans les appliquer a des idée^ diftinftes qu'il
hommes"man- ^it daus l'Efprit, ne fait autre chofc, toutes les fois qu'il
quem à remplir lescmploye dans le Difcours, que prononcer des fons qui
ces trois tins. „£ f,g,-,ifient tien. Et quelque lavant qu'il paroifle par l'u-
fage de quelques mots extraordinaires ou fcicntijîques , il
n'ell pas plus avancé par là dans la connoiifance desCho-
fes que celui qui n'auroit dans fon Cabinet que deilmples
titres de Livres , fans favoir ce qu'ils contiennent , pour-
roit être chargé d'érudition. Car quoy que tous ces ter-
mes foient placez dans un Difcours , félon les régies les
plus exades de la Grammaire , 6c cette cadence harmo-
nieufe des périodes les mieux tournées , ils ne renfer-
ment pourtant autre chofe que de (impies fons , &: rien
davantage.
§. 27. En fécond lieu , quiconque a dans l'Efprit des
idées complexes fans des noms particuliers pour les dé-
llgner, eft à peu près dans le cas où fe trouveroit un Li-
braire qui auroit dans fa Boutique quantité de Livres en
feuilles & fans titres j qu'il ne pourroit par conféquent
faire connoître aux autres qu'en leur montrant les feuilles
détachées, &: les donnant l'une après l'autre. De même,
cet homme eft embarrafle dans la Converfation , faute de
mots pour communiquer aux autres fes idées complexes
qu'il ne peut leur faire connoître que par une énumera-
tion des idées ilmples dont elles font compofees > de
forte qu'il eft fouvent oblige d'employer vingt mots pour
exprimer ce qu'une autre perfonne donne à entendre par
un feul mot.
§. 28. En troifiéme lieu, celui qui n'employé pas con-
ftamment le même figne pour lignifier la même idée , mais
fe fert des mêmes mots tantôt dans un fens & tantôt dans
un autre, doit paflér dans les Ecoles &: dans les Converfa-
tions ordinaires pour un homme aulli ilncére que celui qui
au Marche &; à la Bourfe vend différentes chofes fous le
même nom. §29.
De VAbîis des Mots. Liv. III. 639
§. 29. En quatrième lieu, celui qui applique les mots Chap.
d'une Langue à des Idées différentes de celles qu'ils figni- X.
iîent dans l'ufage ordinaire du Pais, a beau avoir l'Enten-
dement rempli de lumière, il ne pourra guère éclairer les
autres fans définir fes termes. Car encore que ce foient
des fons ordinairement connus , &: aifémcnt entendus de
ceux qui y font accoutumez , cependant s'ils viennent à
fignifier d'autres idées que celles qu'ils fignifient commu-
nément &: qu'ils ont accoutumé d'exciter dans l'Efprit
de ceux qui les entendent , ils ne fauroient faire con-
noître les penfées de celui qui les employé dans un au-
tre fens.
§. 30. En cinquième lieu , celui qui venant à imagi-
ner des Subftances qui n'ont jamais exillc &: à fe remplir
la tête d'idées qui n'ont aucun rapport avec la nature
réelle des Chofes , ne laiflé pas de donner à ces Subftan-
ces 6c à ces idées des noms fixes & déterminez , peut bien
remplir ks difcours &; peut-être la tête d'une autre per-
fonne de fes imaginations chimériques , mais il ne fauroic
faire par ce moyen un feul pas dans la vraye & réelle con-
noiflance des Chofes.
§. 31. Celui qui a des noms fans idées , n'attache au-
cun fens à ics mots &: ne prononce que de vains fons. Ca-
lui qui a des idées complexes fans noms pour les défigner,
ne fauroit s'exprimer facilement ^ en peu de mots, mais
eft obligé de fe fervir de périphrafe. Celui qui employé
les mots d'une manière vague & inconftante , ne fera pas
écouté , ou du moins ne fera point entendu. Celui qui
applique les Mots à des idées différentes de celles qu'ils
marquent dans l'ufage ordinaire , ignore la propriété de
fa Langue Se parle jargon : &: Celui qui a des idées
des Subftances , incompatibles avec l'exiftence réelle
des Chofes, eft deftitué par cela même des matériaux
de la vraye connoiflance , ôc n'a l'Efprit rempli que de
chimères.
§. 32. Dans les notions que nous nous formons des Commenta iv-
Subftances , nous pouvons commettre toutes les fautes ^{l^^^^^^^ ^"^'
dont
640 De l'Abus des Mots.
Chap. dont je viens de parler, i. Par exemple, celui qui fe
X. fert du mot de Tnrentule fans avoir aucune image ou idée
de ce qu'il fignifie, prononce un bon mot ; maisjufque-
là il n'entend rien du tout par ce fon. 2. Celui qui dans
un Pais nouvellement découvert, voit plufieurs fortes d'A-
nimaux 6c de Végétaux qu'il ne connoiflbit pas aupara-
vant , peut en avoir des idées aufli véritables que d'un
Cheval ou d'un Cerf, mais i\ ne fauroit en parler que par
des defcriptions , jufqu'à ce qu'il apprenne les noms que
les habitans du Pais leur donnent, ou qu'il leur en ait im-
pofé luy-même. 3. Celui qui employé le mot de Corp^,
tantôt pour défigner la fimple étendue , 6c quelquefois
pour exprimer l'étendue ôc la folidité jointes enfemble ,
parlera d'une manière trompeufe Se entièrement fophifti-
que. 4. Celui qui donne le nom de Cheval à l'idée que
l'Ufage ordinaire défigne par le mot de Mule , parle im-
proprement èc ne veut point être entendu. 5. Celui qui
fe figure que le mot de Centaure fignifie quelque Etre
réel, fe trompe luy-même, ôc prend des mots pour des
chofes.
Comment à §• 33- D^iis les Modcs 8c dans les Relations nous ne
l'cgard des A'«-fommes fuiets en général qu'aux quatre premiers de ces in-
lions. conveniens. Car i. je puis me rellouvenir des noms des
Moâes^ comme de celui àc gratitude ou de chante, &z ce-
pendant n'avoir dans l'Efprit aucune idée précife , atta-
chée à ces noms-là. 2. Je puis avoir des idées, Se ne fa-
voir pas les noms qui leur appartiennent -, je puis avoir,
par exemple, l'idée d'un homme qui boit jufqu'à ce qu'il
change de couleur &: d'humeur, qu'il commence à béga-
yer , à avoir les yeux rouges fie à ne pouvoir fe foùtenir
ifur fcs pies , & cependant ne favoir pas que cela s'appelle
yvrejje. 5. Je puis avoir des idées des vertus ou des vi-
ces ficenconnoîtreles noms, mais les mal appliquer, com-
me lorfque j'applique le mot de frugalité à l'idée que
d'autres appellent avarice, fie qu'ils defignent par ce fon.
4. Je puis enfin employer ces noms-là d'une manière in-
conftante , tantôt pour être fignes d'une idée fie tantôt
d'une
t
De l'Abus des Mots. L i v. IIÎ. 641
d'une autre. 5. Mais du refte dans les Modes 6c dans les C h a p.
Relations je ne faurois avoir des idées incompatibles avec X.
l'exiftence des chofes ; car comme les Modes font des
Idées complexes que l'Efprit forme à plailir, 6c que la
Relation n'eft autre chofe que la manière dont je confidé-
re ou compare deux chofes enfemble , 6c que c'eft aulliune
idée de mon mvention , a peine peut-il arriver que de tel-
les idées ne conviennent pas avec aucune chofe exiftante,
puifqu'elles ne font pas dans l'Efprit comme des copies
de chofes faites régulièrement par la Nature , ni comme des
propriétez qui découlent iniéparablement de la conibru-
tion intérieure ou de l'ellénce d'aucune Subftance, mais
plutôt comme des modelles placez dans ma Mémoire a-
vec des noms que je leur ailigne pour m'en fervir à déno-
ter les actions 6c les relations, à mefure qu'elles viennent
à exifter. La niéprife que je fais communément en cette
occalion , c'eft de donner un faux nom à mes conceptions}
d'où il arrive qu'employant les Mots dans un fens diffé-
rent de celui que les autres hommes leur donnent, je me
rends inintelligible, 6c l'on croit que j'ai de fauflés idées
de ces chofes lorfque je leur donne de fixux noms. Mais
fi dans mes idées des Modes mixtes ou des Relations je
mets enfemble des idées incompatibles , je me remplirai
aufll la tête de chimères; puifqu'a bien examiner de tel-
les idées , il eft tout vifible qu'elles ne fauroient exifter
dans l'Efprit, tant s'en faut qu'elles puiffent fervir à dé-
noter quelque Etre réel.
§. 34.. Comme ce cp'on appelle efprit 6c imagination vir Lesrermes
cft mieux reçu dans le Monde que la Connoiffance réelle fisur^z dnivaic
6c la Vérité toute feche , on aura de la peine à regarder pour'^"u™abus
les termes figurez e^ les alltijions comme une u-npcrftftion du Langage.
6v un véritable abus du Langage. J'avoiië que dans des
Difcours où nous cherchons plutôt à plairre 6c à divertir,
qu'à inftruire 6c à perfectionner le Jugement, on ne peut
guère faire pafter pour fautes ces fortes d'ornemens qu'on
emprunte des figures. Mais fi nous voulons repréfenter
les chofes comme elles font , il faut reconnoître qu'ex-
Mmmm cepté
642 De l'Abus des Mots.
C H A.p. cepté l'ordre &: la netteté , tout l'Art de la Rhétorique-,
X- toutes ces applications artificielles &" figurées qu'on fait
des mots, fuivant les régies que l'Eloquence a inventées,
ne fervent à autre chofe qu'à infinuer de faulTes idées
dans l'Efprit, qu'à émouvoir les Paillons & à feduire par
là le Jugement; de forte que ce font en effet de parfaites
fupercheries. Et par conféquent l'Art Oratoire a beau
faire recevoir ou même admirer tous ces différens traits,
il eil hors de doute qu'il faut les éviter abfolument dans
tous les Difcours qui font deftinez à l'inftruftion , & l'on
ne peut les regarder que comme de grands défauts ou
dans le Langage ou dans la perfonne qui s'en fert, par
tout oii la Vérité eft intéreflée. Il feroit inutile de dire
ici quels font ces tours d'éloquence, £c de combien d'ef-
péces différentes il y en a ; les Livres de Rhétorique dont
le JVIonde eft abondamment pourvu, en informeront ceux
qui l'ignorent. Une feule chofe que je ne puis m'empê-
cher de remarquer , c'eft combien les hommes prennent
peu de foin &c d'intérêt à la confervation 6c à l'avance-
ment de la Vérité , puifque c'eft: à ces Arts fallacieux
qu'on donne le premier rang &: les recompenfes. Il eft,
dis-je , bien vifible que les hommes aiment beaucoup à
tromper & à être trompez , puifque la Rhétorique , ce
puifiant inftrument d'erreurs &c de fourberie, a fes Pro-
feffeurs gagez, qu'elle eft enfeignée publiquement, &
qu'elle a toujours été en grande réputation dans le Mon-
de. Cela eft fi vray , que je ne doute pas que ce que je
viens de dire contre cet Art, ne foit regardé comme l'ef-
fet d'une extrême audace, pour ne pas dire d'une bruta-
lité fans exemple. Car VElocjueyice , femblable au beau
Sexe, a des charmes trop puiflans pour qu'on puiffe être
admis à parler contre elle ; & c'eft en vain qu'on decou-
vriroit les défauts de certains Arts décevans par lefqiiels
les hommes prennent plaifir à être trompez.
€HA.-
Itemedes contre V Imperfection j é-c. Liv. III. 643
CHAPITRE XL
Des Remèdes qii'on petit apporter aux imperfeBions ,
jér aux abus dont on vient de parler.
%. I. "^T ^u ^ venons de voir au long quelles font les Ccdune d-.ofc
]J\ imperfettions naturelles du Langage, Se cel- '%"ec'e"os
les que les hommes y ont introduit : & comme le Difcours che'rie5''mo5ens
eft le grand lien de la Société humaine, & le canal com- de remcdieraus
mun par où les progrès qu'un homme fait dans la Con- vL"': dc'park"
noiflance font communiquez à d'autres hommes, ^ d'u-
ne Génération à l'autre , c'eft une chofe bien diçne de
nos foins de confiderer quels remèdes on pourroit appor-
ter aux inconveniens qui ont été propofez dans les deux
Chapitres précedens.
§. 2. Je ne fuis pas aïïez vain pour m'imaginer que qui ils ne font pas
que ce foit puiffe fonger à tenter de reformer parfaite- *'"^''" * "°'*"
ment, je ne dis pas toutes les Langues du Monde, mais '"
même celle de fon propre Pais, fans fe rendre luy-même
ridicule. Car exiger que les hommes employaflént con-
ftamment les mots dans un même fens , &: pour n'expri-
mer que des idées déterminées Se uniformes , ce feroit fe
figurer que tous les hommes devroient avoir les mêmes
notions, & ne parler que des chofes dont ils ont des idées
claires 6c diftinctes; ce que perfonne ne doit efpérer, s'il
n'a la vanité de fe figurer qu'il pourra engager les hom-
mes à être fort éclairez ou fort taciturnes. Et il faut a-
voir bien peu de connoiflance du Monde pour croire
qu'une grande volubilité de Langue ne fe trouve qu'à la
fuite d'un. bon Jugement , 6c que la feule régie que les
hommes fe font de parler plus ou moins, foit fondée fur
le plus ou fur le moins de connoiflance qu'ils ont.
§. 5. Mais quoy qu'il ne faille pas fe mettre en peine Mais ils fom
de reformer le Langage du Marché 6c de la Bourfe, 6c "j'^,"!^"^':'. "'
d'ôter aux Femmelettes leurs anciens privilèges de s'af- ^' ° °^ "^'
M mm m 2 fembler
64.4. Remèdes contre l'ImperfeBinn
C H A p. fembler pour caquetter fur tout à perte de veùe ; Se quoy
XL qu'il puifle peut-être fembler mauvais aux Etudians éc
aux Logiciens de profellion qu'on propofe quelque mo-
yen d'abréger la longueur ou le nombre de leurs Difpu-
teg , je croy pourtant que ceux qui prétendent ferieufc-
ment à la recherche ou à la défenfe de la Vérité , de-
vroicnt fe faire une obligation d'étudier comment ils
pourroient s'exprimer fans ces obfcuritez &c ces équivo-
ques auxquelles les Mots dont les hommes fc fervent j
font naturellement fujets, fi l'on n'a le foin de les en dé-
gager.
L'abusdesmots g. ^. Car qui confidcrera les crreurs , la confufion ,
Errelrs.^"' " ^^^ méprifes & les ténèbres que le mauvais ufage des Mots
a répandu dans le Monde, trouvera quelque fujet de dou-
ter fi le Langage confideré dans l'ufage qu'on en a fait , a
plus contribué à avancer ou à interrompre la connoilîan-
ce de la Vérité parmi les hommes. Combien y a-t-il de
gens qui , lorfqu'ils veulent penfer aux chofes , attachent
uniquement leurs penfées aux Mots , & fur tout , quand
ils appliquent leur Efprit à des fujets de Morale ? Le
moyen de s'étonner après cela que le refultat de ces con-
templations ou raifonnemens qui ne roulent que fur des
fons , en forte que les idées qu'on y attache , font très-
confufes ou fort incertaines , ou peut-être ne font rien du
tout, le moyen , dis-je, d'être furpris que de telles pen-
fées èc de tels raifonnemens ne fe terminent qu'à des déci-
fions obfcures 6c erronées fans produire aucune connoiflan-
ce claire &c raifonnée.
Comme l'opi- §. 5. Lcs lîommes foufFtent de Cet inconvenient , cau-
fé par le mauvais ufage des mots , dans leurs Méditations
particuliéreSjmais les défordres qu'il produit dans leur Con-
verlation, dans leurs difcours &: dans leurs raifonnemens
avec les autres hommes , font encore plus vifibles. Car
le Langage étant le grand canal par ou les hommes s'en-
tre-communiquent leurs découvertes , leurs raifonnemens,
& leurs connoiifances -, quoy que celui qui en fait un mau-
vais uftge ne corrompe pas les fources de laConnoiflance
qui
niatrcii;.
à- l'Abus des Mots. L i v. III. 645
qui font dans les Chofes mêmes , il ne laifle pas , autant Chap.
qu'il dépend de luy,de rompre ou de boucher les tuyaux XI.
par lefqiiels elle fe répand pour l'ufage & le bien du Gen-
re Humain. Celui qui fe fert des mots (luis leur donner
un fens clair & déterminé, ne fait autre chofe quefetrom-
per luy-même S: induire Jes autres en erreur ; Se quicon-
que en ufe ainfi de propos délibéré , doit être regardé
comme ennemi de la Vérité 6c de la ConnoifTance. L'on
ne doit pourtant pas être furpris qu'on ait fi fort accablé
les Sciences 6c tout ce qui fait partie de la Connoiflance,
de termes obfcurs 6c équivoques, d'expreOlons douteufes
6c deftituées de fens , toutes propres à faire que l'Efprit
le plus attentif ou le plus pénétrant ne foit guère plus in-
ftruit ou plus orthodoxe, ou plutôt ne le foit pas davan-
tage que le plus groflîer qui reçoit ces mots fans s'appli-
quer le moins du monde à les entendre ; puifque la fubti-
lité a pafle fi hautement pour vertu dans la perfonne de
ceux qui font profefllon d'enfeigner oudedéfendre la Vé-
rité : vertu qui ne confiftant pour l'ordinaire que dans un
ufage illufoire de termes obfcurs ou trompeurs , n'eft pro-
pre qu'à rendre les hommes plus vains dans leur ignoran-
ce, 6c plus obftinez dans leurs erreurs.
§. 6. On n'a qu'à jetter les yeux fur des Livres de Les Difpmcs.
Controverfe de toute efpéce , pour voir que tous ces
termes obfcurs , indéterminez ou équivoques , ne pro-
duifent autre chofe que du bruit èc des querelles fur
des fons , fans jamais convaincre ou éclairer l'Efprit.
Car fi celui qui parle , 6c celui qui écoute , ne con-
viennent point entr'eux de l'idée qu'un mot fignifîe ,
le raifonnement ne roule point fur des Chofes , mais
fur des noms. Pendant tout le temps qu'un mot dont
la fignifieation n'eft point déterminée entr'eux , entre
dans le difcours , il ne fe préfente à leur Efprit au-
cun autre Objet fur lequel ils conviennent qu'un fim-
ple fon , les chofes auxquelles ils penfent en ce temps-
la comme exprimées par ce mot, étant tout-à-fait dif-
férentes.
Mmmm 3 §. 7.
64.6 Remèdes contre V Imper feBion
Chap. §• /• Lorfqu'on demande fi une Chauve-fouris eft un
XI. Oifean ou non , la queftion n'elt pas fi une Chauve-fouris
Excn-.pic tire ell autrc chofc que ce qu'elle eft effeftivement , ou fi elle
/.>"'!'> & d'uii ^ d'autres qualitez qu'elle n'a pas véritablement , car il fe-
oifcat. roit de la dernière abfurdité d'avoir aucun doute là-defTus.
Mais la Qiieftion eft, i. ou entre ceux qui reconnoiflent
n'avoir que des idées imparfaites de l'une des Efpéces ou
de toutes les deux Efpeces de chofes qu'on fuppofc que
ces noms ilgnifient -, 6c en ce cas-là , c'eft une recherche
réelle fur la nature d'un Oifean ou d'une Chuuvefouris ,
\ par où ils tachent de rendre les idées qu'ils en ont , plus
complètes, tout imparfaites qu'elles font, &c cela en exa-
minant, Il toutes les idées fimples qui combinées enfem-
ble font defignées par le nom à! oifean ^ fe peuvent toutes
rencontrer dans une Chanve-fom is : mais ce n'eft point là
une Queftion de gens qui difputent , mais feulement de
perfonnes qui confidcrent les chofes en elles-mêmes, qui
examinent fans affirmer ou nier quoy quecefoit. Ou bien,
en fécond lieu , cette Qiieftion fe pafle entre des gens qui
di(putent,dont l'un affirme &: l'autre nie qu'une Chauve-
fouris foit un Oifean ; mais alors la queftion roule fimple-
inent fur la fignification d'un de ces mots ou de tous les
deux enfemble , en ce que n'ayant pas de part &: d'autre
les mêmes idées complexes qu'ils dcfignent par ces deux
noms , l'un foùtient 6c l'autre nie que ces deux nomspuif-
fcnt être affirmez l'un de l'autre. Qiie s'ils étoient d'ac-
cord fur la fignification de ces deux noms, il feroit impof-
fible qu'ils y puflcnt trouver un fujet de difpute , car ce-
la étant une fois arrêté entr'eux, ils verroient d'abord Se
avec la dernière évidence , fi toutes les idées du nom le
plus général c}ui eft Oifeau , fe trouveroient dans l'idée
complexe d'une Chauve-fouris ou non , &: par ce moyen
on ne fauroit douter fi une Chauve-fouris feroit un Oifeau
ou non. A propos dequoy je voudrois bien qu'on confi-
deràt, &c qu'on examinât foigneufement fi la plus grande
partie des Difputes qu'il y a dans le Monde ne font pas
purement verbales j 6c ne roulent point uniquement fur
la
é' l'Abus des Mots. L i v. III. 647
îa fignification àts Mots,&: s'il n'eft pas vray que, fi l'on C h a p.
venoit à définir les termes dont on Te fert pour les expri- XL
mer, iSc qu'on les reduifit aux colledrions déterminées des
idées fimples qu'ils fignifient, (ce qu'on peut faire, lorf-
qu'ils fignifient effeftivement quelque chofe} ces Difpu-
tes fîniroient d'elles-mêmes & s'évanouïroient aulTi-tôt.
Qii'on voye après cela , ce que c'eft que l'Art de difpu-
ter 5 & combien l'occupation de ceux dont l'étude ne con-
fille que dans une vaine oflentation de fons , c'eft: à dire'
qui employent toute leur vie à des Difputes&: à desCon-
troverfes, tend à leur propre avantage ou à celui des au-
tres hommes. Du refte , quand je remarquerai que quel-
qu'un de ces Difputeurs écarte de tous fes fermes l'équi-
voque Se l'obfcuritc, (ce que chacun peut faire à l'égard
des Mors dont il fe fert luy-même} je croirai qu'il com-
bat véritablement pour la Vérité & pour la Paix, ôc qu'il
n'eft point cfclave de la Vanité j de l'Ambition , ou de
l'Amour de Parti.
§. 8. Pour remédier aux défauts de Langage dont on a i.RemcJe,
parlé dans les deux derniers Chapitres , Se pour prévenir les "un" mot^aur'
inconveniens qui s'en enfuivent , je m'imagine que l'ob- attacha une
fervation des Régies fuivantes pourra être de quelque u- ^^'^'^•
fage , jufqu'à ce que quelque autre plus habile que moy ,
veuille bien prendre la peine de méditer plus profondé-
ment fur ce fujet, & faire part de fes penfées au Public.
Premièrement donc , chacun devroit prendre foin de
ne fe fervir d'aucun mot fans fignification , ni d'aucun'
nom auquel il n'attachât quelque idée. Cette Régie ne
paroitra pas inutile à quiconque prendra la peine de rap-
peller en luy-même, combien de fois- il a remarqué des'-
mots de cette nature , comme inftin£i , fympathie , anti-
fathie y 'Scx:. employez de telle manière dans le difcours
des autres hommes, qu'il luy ert aifé d'en conclurre que
ceux qui s''en fervent , n'ont dans l'Efprit aucunes idées
auxquelles ils ayent foin de les attacher , mais qu'ils lés
prononcent feulement comme de fimples fons ,- qui dans
ces rencontres tiennent pour l'ordinaire lieu de raifon. Ce
n'effi:
648 Remèdes contre l' Imperfection
C H A p. n'eft pas que ces Mots & aurres fembîables n'ayent des fi-
XI. gnifications propres dans lefqucUes on peut les employer
raifonnablement ; mais comme il n'y a point de liaifon
naturelle entre aucun mot Se aucune idée , il peut arriver
que des gens apprennent ces mors-là 6c quelques autres
que ce foient par routine , 6c qu'ainfi ils les prononcent
ou les écrivent fans avoir dans l'Efprit des idées auxquel-
les ils les ayent attachez 6c dont ils les rendent fignes-, ce
qu'il faut pourtant que les hommes fiilîentnéceflairement,
s'ils veulent fe rendre intelligibles à eux-mêmes.
II. Remède, a- §. c>. En fccond licu , il OC fuffit pas qu'un homme
dii'4iacs"'atta- employé les mots comme fignes de quelques idées , il faut
chécs aux mots cncorc quc Ics idécs qu'il leur attache , Il elles font iim-
quiexprimem j^ foient claitcs 6c diftindcs , & fi elles font comple-
xes ««./a. r ' ., >n.-j- » 1
xcs , c|u elles loient déterminées , c elt a dire qu une col-
leftion précife ti' Idées fmiples foit fixée dans l'Efprit avec
un fon qui luy foit attache comme ligne de cette coUe-
£lion précife fie déterminée, 6c non d'aucune autre chofe.
Ceci eft fort nécefîaire dans les noms des Modes , 6c fur
tout dans les Mots qui n'ayant dans la Nature aucun Ob-
jet déterminé d'oii leurs idées foient déduites comme de
leurs originaux, font fujets à tomber dans une grande con-
fullon. Le mot de Jtijlice eft dans la bouche de tout le
monde, mais il eft accompagne le plus fouvent d'une fi-
gnification fort vague èz fort indéterminée > ce qui fera
toujours ainfi, à moins qu'un homme n'ait dans TEfprit
une colleftion diftinfte de toutes les parties dont cette
idée complexe eft compofée ; 5c il ces parties renferment
d'autres parties j il doit pouvoir les divifer encore , juf-
qu'à ce qu'il vienne enfin aux Idées fimples qui la com-
pofent. Sans cela l'on fait un mauvais ufage des mots , de
celui de Jiijlice par exemple, ou de quelque autre que ce
foit. Je ne dis pas qu'un homme foit obligé de rappeller
6c de faire cette analyfe au long , toutes les fois que le
nom de jiijiice fe rencontre dans fon chemin > mais il faut
du moins qu'il ait examiné la fignification de ce mot te
qu'il ait fixé dans fon Efprit l'idée de toutes fes parties ,
de
ér VAbus des Mots. Liv. III. 649
de telle manière qu'il puifTe en venir là quand il luy plaît. C h a p.
Si, par exemple, quelqu'un fe repréfente la Juftice com- XI.
me une conduite à. l'égard de la perfonne éf des biens d'au-
truy , qui f oit conforme à. la Loy , mais que cependant il
n'ait aucune idée claire Ôc diftinde de ce qu'il nomme
Loy qui fait une partie de fon idée complexe de Jujlice y
il eft évident que ion idée de la Juftice même fera confu-
fe & imparfaite. Cette exattitude paroîtra , peut-être ,
trop incommode & trop pénible ; & par cette raifon la
plupart des hommes croiront pouvoir être excufez de dé-
terminer fi précifément dans leur Efprit les idées comple-
xes des Modes mixtes. N'importe ; je fuis pourtant obli-
gé de dire que jufqu'à ce qu'on en vienne là , il n'y a pas
lieu de s'étonner que les hommes ayent l'Efpritrenipli de
tant de ténèbres ,& que leurs difcours avec les autres hom-
mes foient fujets à tant de difputes.
§. 10. Qiiant aux noms des Subftances , il ne fuffit pas. Et des idées Ji-
pour en faire un bon ufage , d'en avoir des idées détermi- ^'"'-'^" ^ '^°"-
" , -, c 1 r • r formes aux
nées , il raut encore que les noms loient conrormes aux chofes à l'egard
chofes félon qu'elles exiftent j mais c'eft dequoy j'aurai ^" "^"'^ 1"'
bientôt occafion de parler plus au long. Cette exaftitu- ^snl^^nw.
de eft abfolument nécelTiiire dans des recherches Philofo-
phiques &: dans les Controverfes qui tendent à la décou-
verte de la Vérité. Il feroit auflî fort avantageux qu'elle
s'introduifit jufque dans la Converfition ordinaire tScdans
les affaires communes de la vie , mais c'eft ce qu'on ne
peut guère attendre, à mon avis. Les notions vulgaires
s'accordent avec les difcours vulgaires , &: quelque con-
fufion qui les accompagne, on s'en accommode affez bien
au Marché & à la Promenade. Les Marchands , les A-
mans , les Cuifiniers , les Tailleurs , ^c. ne manquent
pas de mots pour expédier leurs affaires ordinaires. Les
Philofophes , oc les Controverfiftes pourroient auflî ter-
miner les leurs , s'ils avoient envie d'entendre nettement
& d'être entendus de même.
§. II. En troifiéme lieu , ce n'efl: pas affez que les ni- Remède, fe
hommes ayent des idées, & des idées déterminées , aux- prop'/j^ '"'"^
N n n n quelles
65 o Remèdes contre VlmperfeSiion
C H A p quelles ils attachent leurs mots pour en être les fignes j il
Vf faut encore qu'ils prennent foin à'appropner leurs mots
autant qn'tl ejl pojjible , aux idées cjue l'Ufage ordinaire leur
a ajjlgné. Car comme les Mots , &" fur tout ceux des Lan-
gues déjà formées , n'appartiennent point en propre à au-
cun homme , mais font la régie commune du commerce
Se de la communication qu'il y a entre les hommes , il
n'eft pas raifonnable que chacun change à plaifir l'em-
preinte fous laquelle ils ont cours, ni qu'il altère les idées
qui y ont été attachées ; ou du moins , lorfqu'il doit le
faire néccffairement , il eft obligé d'en donner connoiflan-
ce. Quand les hommes parlent , leur intention eft , ou
devroit être au moins d'être entendus , ce qui ne peut ê-
tre, lorfqu'on s'écarte de l'Ufage ordinaire, fans de fré-
quentes explications , des demandes & autres telles inter-
ruptions incommodes. Ce qui fait entrer nos penféesdans
l'Éfprit des autres hommes de la manière la plus facile Se
la plus avantageufe, c'eft la propriété du Langage, dont
la connoifTance eft par conféquent bien digne d'une partie
de nos foins ^ de nôtre Etude, & fur tout à l'égard des
Mots qui expriment des idées de Morale. Mais de qui
peut-on le mieux apprendre la fignifîcation propre & le
véritable ufage des termes ? C'eft fans doute de ceux qui
dans leurs Ecrits ^ dans leurs Difcours paroiflent avoir
cû de plus claires notions des Chofes , 6c avoir employé
les termes les plus choifis oc les plus juftes pour les expri-
mer. A la vérité , malgré tout le foin qu'un homme prend
de ne fe fervir des mots que félon l'exadte propriété du
Langage, il n'a pas toujours le bonheur d être entendu }
mais en ce cas-là , l'on en impute ordinairement la faute
à celui qui a fi peu de connoifTance de fa propre Langue
qu'il ne l'entend pas , lors même qu'elle paroît telle qu'el-
le doit être.
iv.Remeae, §. 12. Mais parcc que l'Ufage commun n'a pas fi vifi-
dcîdarer en quel élément attaché des fignifications aux Mots, qu'on puif-
fcns on prend r*- k " ■ -, y ^^ ■ r
ies Mots. ie toujours connoitre certamement ce qu ils lignihent au
jufte i & parce que les hommes en perfeftionnant leurs
con-
à- V Abus des Mots. Liv. III. 651
connoiffances , viennent à avoir des idées qui ditlerent C h a p.
des idées vulgaires , en forte que pour déiigner ces nou- XL
velles idées , ou ils font obligez de faire de nouveaux
mots , (à quoy l'on fe hazarde rarement , de peur que ce-
la ne pafle pour affeftation ou pourundefir d'innover) ou
bien il faut qu'ils fe fervent des termes ufitez , dans un
nouveau fens : pour cet effet après avoir obfervé les Ré-
gies précédentes , je dis en quatrième lieu , qu';/ ejl quel-
quefois nécejfaire , pour fixer la fignifi cation des mots , de
déclarer en quel fens on les prend, lors que l'ufage commun
les a laifTez dans une lignification vague Se incertaine , com-
me dans la plupart des noms des idées fort complexes , ou
lorfqu'on s'en fert dans un fens un peu particulier , ou
que le terme étant fi eflentiel dans le Difcours que le prin-
cipal fujet de la Quellion en dépende , fe trouve fujet à
quelque équivoque ou à quelque mauvaife interpréta-
tion.
§. 13. Comme les Idées que nos mots fignifient, font Cequon prui
de différentes Efpéces , il y a aufîi différens movens de ^^"^^';" ""''
faire connoitre dans 1 occaiion les idées qu us lignifient.
Car quoy que la Définition paffe pour la voye la plus com-
mode de faire connoître la fignification propre des Mots,
il y a pourtant quelques mots qui ne peuvent être définis,
comme il y en a d'autres dont on ne fauroit faire connoî-
tre le fens précis que par le moyen de la Définition j &c
peut-être y en a-t-il une troifiéme efpéce qui participe un
peu des deux autres , comme nous verrons en parcou-
rant les noms des Idées fimples , des Modes &c des Subjian-
ces.
§. 14. Premièrement donc , quand un homme fe fert i-a iL^garddes
du nom d'une idée fimple qu'il voit qu'on n'entend.pas, pardew^mes
ou qu'on peut mal interpréter , il eft obligé dans les ré- lynonynics . ou
gles de la véritable honnêteté &: félon le but même du ''^ jpon^am la
Langage de déclarer le fens de ce mot , & de faire con-
noître quelle eft l'idée qu'il luy fait fignifier. Or c'eft
ce qui ne fe peut faire par voye de définition , comme * Liv. ni. ch.
nous l'avons * déjà montré. Et par conféquent,lorfqu'un ^v. ^.«j.y.s.
XS nnn 2 ter-
652- Remèdes contre V Imper fe^ion
Chap. terme fynonyme ne peut fervir à cela , l'on n'en peut ve-
XI. nir à bout que par l'un de ces deux moyens. Première-
ment, il fuffit quelquefois de nommer le fujet où fe trou-
ve l'idée limple pour en rendre le nom intelligible à ceux
qui connoiflent ce fujet, 6c qui en favent le nom. Ainfi ,.
pour faire entendre à un Païfan quelle efl la couleur qu'on
nomme feuille-morte , il fuffit de luy dire que c'eft la cou-
leur des feuilles féches qui tombent en Automne. Mais
en fécond lieu , la feule voye de faire connoître fûrement
à un autre la fignification du nom d'une Idée fimple, c'eft
de préfenter à les Sens le fujet qui peut produire cette idée
dans fon Efprit, & luy faire avoir actuellement l'idée qui
eft fignifiée par ce nom-là.
2. A l'cWdtJes §■ ^^' Soyons en fécond lieu le moyen de fxiire enten-
Modes mixtes , drc Ics noms des Modes mixtes. Comme les Modes mix-
par des derim. ^^^ ^ g, ç^^^ ^^^^^ ^^^^^ ^^^-^ appartiennent à la Morale , font
pour la plupart des combinaifons d'idées que l'Efprit joint
'•■ • enfemble par un effet de fon propre choix, &: dont on ne
.jj trouve pas toujours des modelles fixes fie actuellement e-
xiftans dans la Nature, on ne peut pas faire connoître la
fignification de leurs noms comme on fait entendre ceux
des Idées fimples , en montrant quoy que ce foit -, mais
en recompenfe, on peut les définir parfaitement S: avec
la dernière exactitude. Car ces Modes étant des combi-
naifons de différentes idées que l'Efprit a affemblées arbi-
trairement fans rapport à aucun Archétype , les hommes
peuvent connoître cxaétement , s'ils veulent , les diver-
fes idées qui entrent dans chaque combinaifon , fie ainfi
employer ces mots dans un fens fixe fie afiûré, fie déclarer
parfaitement ce qu'ils fignifient , lorfque l'occafion s'en
préfente. Cela bien obférvé expoferoit à de grandes cen-
' fures ceux qui ne s'expriment pas nettement fie diitinfte-
'" ment dans leurs difcours de Morale. Car puifqu'on peut
connoître la fignification précife des noms des Modes mix-
tes, ou ce qui efl: la même chofe, l'effence réelle de cha-
que Efpéce , parce qu'ils ne font -pas formez par la Na-
" ; ■.; ture, mais par Jes hommes mêmes , c'eft une grande né-
gligence
é' fJbtts des Mots. Liv. ÏII 653
gligence ou une extrême malice que de difcourir de cho- C h a p.
fes morales d'une manière vague ôc obfcure -, ce qui eft XI,
beaucoup plus pardonnable lorsqu'on traite des Subftan-
ces naturelles , auquel cas il eft plus difficile d'éviter les
termes équivoques , par une raifon toute oppofée , comme
nous verrons tout à l'heure.
§. 16. C'eft fur ce fondement que j'ofe me perfuader Que la Moral»
que la Morale eft capable de démonftration auffi bien que ^f^,"pal^'e de
/i , , , , . -ri ' r ■ Dcmonlcra-
les Mathématiques ; puiiqu on peut connoitre parfaite- tion.
ment& précifément l'eflence réelle des chofes que les ter-
mes de Morale lignifient, par oii l'on peut découvrir cer-
tainement, quelle eft la convenance ou la difconvenance
des chofes mêmes en quoy confifte la parfaite Connoif-
fance. Et qu'on ne m'objecte pas que dans la Morale on
a fouvent occafion d'employer les noms des Subftances
aufli bien que ceux des Modes, ce qui y caufera de Tobf-
curité : car pour les Subftances qui entrent dans les Dif-
cours de Morale, on en fuppofe les diverfes natures plu-
tôt qu'on ne fonge à les rechercher. Par exemple, quand
nous difons, que VhomTne efl fiijet aux Loïx , nous n'en-
tendons autre chofepar le mot homme qu'une créature cor-
porelle 6c raifonnable , fans nous mettre aucunement en
peine de favoir quelle eft l'eflence réelle ou les autres Qlu-
litez de cette Créature. Ainfi , que les Naturaliftes dif-
putent tant qu'ils voudront entr'eux, fi un Enfant ou un
Imbecille eft homme dans un fens Phyllque , cela n'in-
tereflfe en aucune manière V homme wor^/, fi j'ofe l'appel 1er
ainfi, qui ne renferme autre chofe que cette idée immua-
ble & inaltérable d'un Etre corporel c^ raifonnable. Car fi
l'on trouvoit un Singe ou quelque autre Animal qui eût
l'ufage de la Raifon jufqu'à tel degré qu'il fut capable
d'entendre les fignes généraux Se de tirer des conféquenr
ces des idées générales, il feroit fans doute fujet aux Loix
Se feroit homme en ce fens-là , quelque différent qu'il fut ,
par fa forme extérieure , des autres qui portent ce nom. Si
les noms des Subftances font employez comme il faut dans
les Difcours de Morale, ils n'y cauferont non plus de défor-
Nnnn 3 dre
654. Remèdes contre Vlm^erfeSîion
C H \ p. dre que dans des difcours de Mathématique, dans lefquels
XI. Ti les Mathématiciens viennent à parler d'un Cube ou d'un
Globe dor , ou de quelque autre Corps , l'idée en eft
claire & déterminée , fans varier le moins du monde, quoy
qu'elle puifle être appliquée par erreur à un Corps parti-
culier, auquel elle n'appartient pas.
Les mati</tes de §. ij _ j'ai propofé Cela en pafTant pour faire voircom-
Moraie peuvent ^- ^^ importe quc daus les noms que les hommes don-
ctrc traitées r n r- j 1
clairement par ncut aux Modcs nilxtes ^ & par conlequcnt dans tous leurs
le moyen des difcours de Morale ils avent foin de définir les mots lorf-
dcnnitioïK. ,, _ , ,^' .(. .s
que 1 occafion s en prelente , puilque par la on peut por-
ter la connoiflance des veritez morales à un fi haut point
de clarté 6c de certitude. Et c'eft avoir bien peu de fin-
cerité, pour ne pas dire pis , que de refufer de le faire j
puifque la définition eft le feul moyen qu'on ait de faire
connoîrre le fens précis des termes de Morale j & un moyen
par où l'on peut en faire comprendre le fens d'une maniè-
re certaine & fans laifler fur cela aucun lieu à la difpute.
C'eftpourquoy la négligence ou la malice des hommes eft
inexcufable , fi les Difcours de Morale ne font pas plus
clairs que ceux de Phyfique ; puifque ces premiers rou-
lent fur des idées qu'on a dans l'Efprit , & dont aucune
n'eft ni faufle ni difproportionnée , par la raifon qu'elles
ne fe rapportent à nuls Etres extérieurs comme à des Ar-
chétypes auxquels elles doivent être conformes. Il eft
bien plus facile aux hommes de former dans leur Efprit
une idée, pour être un Modelle auquel ils donnent le nom
de JujUcCi de forte que toutes les allions qui feront con-
formes à un Patron ainfi fait , paflent fous cette dénomi-
nation , que de fe former , après avoir vu Arijlide , une
telle idée qui en toutes chofes reflemble exaftemcnt cette
perfonne, qui eft telle qu'elle eft, fous quelque idée qu'il
plaife aux hommes de fe la repréfenter. Pour former la
première de ces idées , ils n'ont befoin que de connoître
la combinaifon des idées qui font jointes enfemble dans
leur Efprit , &: pour former l'autre , il faut qu'ils s'enga-
gent dans la recherche de la conftitution cachée Se abftrufe
de
ér VAbtii des Mots. Liv. III. 65^
de toute la nature èc des diverfes qualitez d'une Chofe C h a p.
qui exifte hors d'eux-mêmes. XI:
§. 18. Une autre raifon qui rend la définition des Mo- Et c'cft k ftul
des tnixtes fi néceflaire, & lur tout celle des mots qui ap- """J"'-
partiennent à la Morale , c'eft ce que je viens de dire en
paflant , que c'eft la feule -voje par où l'on peut connoHre
certainement la plupart de ces mots. Car la plus grande
partie des idées qu'ils fignifient , étant de telle nature
qu'elles n'exiftent nulle part enfemble , mais font difper-
fées &: mêlées avec d'autres; c'eft l'Efprit feul qui les af-
femble & les réunit en une feule idée; 6c ce n'eft que par
le moyen des paroles que venant à faire l'énumerationdes
différentes idées fimples que l'Efprit a joint enfemble,
nous pouvons faire connoître aux autres ce qu'emportent
les noms de ces Modes mixtes-, car les Sens ne peuvent en
ce cas-là nous être d'aucun fecours en nous préfentant des
objets fenfibles, pour nous montrer les idées que les noms
de cts Modes fignifient, comme ils le font fouvent à l'é-
gard des noms des idées fimples qui font fenfibles , 6c à
l'égard des noms des Subftances jufqu'à un certain dé-
§. 19. Pour ce qui eft en troifiéme lieu des moyens î a iVgard des
d'expliquer la fignification des noms des Subftances , en- mofen'dc faire
tant qu'ils fignifient les idées que nous avons de leurs Ef-connoitreen
péces diftinftes, il faut, en plufieurs rencontres , recou- 1"*^' [^^^ °°
■*.,—.. , '^ , , prend leurs
nr necefiairement aux deux voyes dont nous venons de noms , c'eft de
parler qui eft de montrer la chofe dont on veut connoître m^""" 'a
c Jl'C ■ 1 „ 5 — I i> ■ r^ Chofe & de d<^-
& définir les noms qu on employé pour lexprimer. Car ^mr je nom.
comme il y a ordinairement en chaque forte de Subftan-
ces quelques Qiialitez dire6îricesy fi j'ofe m'exprimer ain-
fi , auxquelles nous fuppofons que les autres idées qui com-
pofent nôtre idée complexe de cette Efpéce , font atta-
chées , nous donnons hardiment le nom fpécifique à la
chofe dans laquelle fe trouve cette marque cara5iérijlique
que nous regardons comme l'idée la plus diftin£tive de
cette Efpéce. Ces Qiialitez directrices , ou , pour ainfi
dire , caraCferiftiques , font pour l'ordinaire dans les difïe-
reates
656 Remèdes contre l'ImperfeSfion
Çh a p. rentes Efpéces d' Animaux &c de Végétaux la figure, com-
XI. rne * nous l'avons déjà remarqué, & la couleur dans les
*Liv.iii. ch. Corps inanimez i Ce dans quelques-uns , c'eft la couleur
ci.v.ix.§.i5. & la figure tout enlemble.
On acciuicrc §. 2 0. Ccs Qiialitez fcnfiblcs que je uomme </;>? c?n-
niicux les idées ^^^^ ^^^^^ ^ p^^j. ^^j^^^ ^jjj.g ^ j^g priucipaux ingrediens de
(é.iiibics des nos Idées fpécifiques , Se font par conféquent la plus re-
Siii-ftaïKcs par j-narquablc Se la plus immuable partie des définitions des
la prcicntacion ■•■ , rr r ' j o 1 n
des subftances noms que nous donnous aux hlpeces des bubitances qui
nicmcs. viennent à nôtre connoiflance. Car quoy que le fon hom-
me foit par fa nature aufli propre à fignifier une idée com-
plexe, compofée d'^w/w^Z/^fSc de ratfonnabiUte , unies
dans un même fujet qu'à fignifier quelque autre combi-
naifon, néanmoins étant employé pour défigner une for-
te de créature que nous comptons de nôtre propre Efpé-
ce, peut-être que la figure extérieure doit entrer aufii né-
ceflaircment dans nôtre idée complexe , fignifiee par le
mot homme , qu'aucune autre qualité que nous y trou-
vions. C'eftpourquoy il n'ell pas aife de faire voir par
quelle raifon V Animal de Platon /^wj plume , a deux pies y
avec de larges ongles , ne feroit pas une aufli bonne défini-
tion du mot homme y condàcxé comme fignifiant cette Ef-
péce de créature j car c'eft la figure qui comme qualité
dire^rice femble plus déterminer cette Efpécc , que la fa-
culté de raifonner qui ne paroît pas d'abord , Se même
jamais dans quelques-uns. Qiie fi cela n'eft point ainfi,
je ne vois pas comment on peut exculer de meurtre ceux
qui mettent à mort des produdions monfiruettfes (comme
on a accoutumé de les nommer) à caufe de leur formeex-
traordinaire , fans connoitre fi elles ont une Ame raifon-
nable ou non ; ce qui ne fe peut non plus connoitre dans
un Enfant bien formé que dans un Enfant contrefait ,
lorfqu'ils ne font que de naître. Et qui nous a appris
qu'une Ame raifonnable ne fauroit habiter dans un Logis
qui n'a pasjuifcment une telle forte de frontifpice , ou
qu'elle ne peut s'unir à une Efpéce de Corps qui n'a pas
précifément une telle configuration extérieure ?
§. 21.
é- l'Abus des Mots. L i v. III. 657
§.21. Or le meilleur moyen de faire connoître ces Chap.
quahtez^ cara^enftiojnes , c'eft de montrer les Corps où XI.
elles fe trouvent j 6c à grand' peine pourroit-on les faire
connoître autrement. Car la figure d'un Cheval ou d'un
CaJJio'-ji'ary ne peut être empremte dans l'Efprit par des
paroles , que d'une manière fort groiliére & fort impar-
faite. Cela fe fait cent fois mieux en voyant ces Ani-
maux. De même, on ne peut acquérir l'idée de la cou-
leur particulière de VOr par aucune defcription , mais feu-
lement par une fréquente habitude que les yeux fe font
de confiderer cette couleur , comme on le voit évidem-
ment dans ces perfonnes accoutumées à examiner ce Mé-
tal, qui diftinguent fouvent par la vcûë le véritable or
d'avec le faux , le pur d'avec celui qui eft flilfifié , tandis
que d'autres qui ont d'auili bons yeux , mais qui n'ont
pas acquis j par ufage, l'idée précife de cette couleur par-
ticulière, n'y remarqueront aucune différence. On peut
dire la même chofe des autres idées fimples , particulières
en leur efpèce à une certaine Subftanccj auxquelles idées
précifes on n'a point donné de noms particuliers. Ainfi ,
le fon particulier qu'on remarque dans l'or, te qui eft: di-
ftinft du fon des autres Corps , n'a été défigné par aucun
nom particulier , non plus que la couleur jaune qui ap-
partient à ce Métal.
§.22. Mais parce que la plupart des Idées llmples qui On acquiert
compofent nos Idées fpécifiques des Subftances, font des '?^'|'"^ icsidccs
Puilfances qui ne font pas prefentes à nos Sens dans les fa„c'es pir des
chofes confiderées félon qu'elles paroiflent ordinairement, JCfinitions.
il s'enfuit de là que dans les noms des Subjtanccs l'on peut
mieux donner a connoître une partie de leur Jigni fie ntion en
faifant une énumeration de ces idées frnples qu'en montrant
In Subfiance même. Car celui qui outre ce jaune brillant
qu'il a remarqué dans l'or par le moyen de la veûé , ac-
querra les idées d'une grande duftilitè , de fufibilite , de
fixité ôc de capacité d'être diflbut dans VEau Regale , en
confèquence de l'énumeration que je luy en ferai , aura
Oooo une
658 Remèdes contre V Imper fe^ion
Chap. une idée plus parfaite de l'Or, qu'il ne peut avoir en
XI. voyant une pièce d'or , par ou il ne peut recevoir dans
l'Efprit que la feule empreinte des qualitez les plus ordi-
naires de l'Or. Mais fi la conftitution formelle de cette
Chofe brillante , pefante , duftile , éfC. d'oii découlent
toutes ces propriétez , paroiflbit à nos Sens d'une manière
aufli diftincte que nous voyons la conftitution formelle
ou l'eflénce d'un Triangle , la lignification du mot Or
pourroit être aulli aifément déterminée que celle d'un
Triangle.
Reflexion fur la §, 23. Nous pouvous voir par là combicn le foudc-
ies^purs Efprirs ^ent de toute la connoiflance que nous avons des Chofes
connoiiTeut ic5 corporcllcs , dépend de nos Sens. Car pour ce qui eft
chofes corporel- j^g Efprits féparcz dcs Corps, la connoiflance &: les idées
qu'ils ont de ces chofes, font certainement beaucoup plus
parfaites que les nôtres , 6c nous n'avons abfolument au-
cune idée ou notion de la manière dont elles leur font
connues. Mais quant à nos connoiflances ou imaginations,
elles ne s'étendent point au delà de nos propres idées qui
font elles-mêmes bornées à nôtre manière d'appercevoir
les chofes. Qiioy qu'on ne puilfe point douter que les
Efprits d'un rang plus fublime que ceux qui font comme
plongez dans la Chair , ne puiflcnt avoir d'aufll claires
idées de la conftitution radicale des Subftances , que cel-
les que nous avons de la conftitution d'un Triangle , Se
reconnoître par ce moyen comment toutes leurs proprié-
tez fie opérations en découlent, il eft toujours certain que
la manière dont ils arrivent à cette connoiflance , eft au
delà de nôtre conception.
Les Wees des §. 24. Mais bien que les Définitions fervent à expli-
Subibnces doi- gj. y^^ noms dcs Subftances entant qu'ils fignifient nos
formes^uT" idécs , cllcs Ics laiflfent pourtant dans une grande imper-
Chofes. feftion entant qu'ils fignifient des Chofes. Car les noms
des Subftances n'étant pas fimplemenr employez pourdé-
figner nos Idées , mais étant aufli deftinez à rcprefenter
les chofes mêmes > 6c par conféquent à en tenir la place,
leur
& l'Abus des Mots. L i v. III. 659
leur fignifîcation doit s'accorder avec la vérité des chofes , G h a p.
aufli bien qu'avec les idées des hommes. C'eftpourquoy dans XI.
les Subftances il ne faut pas toujours s'arrêter à l'idée com-
plexe qu'on s'en forme d'ordinaire, &: qu'on regarde com-
munément comme la fignification du nom qui leur a été
donné } mais nous devons aller un peu plus avant , recher-
cher la nature Se les propriétez des Chofes mêmes , &: par
cette recherche perfeftionner , autant que nous pouvons,
les idées que nous avons de leurs Efpéces diftinftes , ou
bien apprendre quelles font ces propriétez de ceux qui
connoifTent mieux cette Efpéce de chofes par ufageSc par
expérience. Car puifqu'on prétend que les noms des Sub-
ftances doivent lignifier des colleftions d'idées fimples qui
exiftent réellement dans les chofes mêmes, aulïï bien que
l'idée complexe qui eft dans l'Efprit des autres hommes
^ que ces noms fignifient dans leur ufage ordinaire $ il
faut, pour pouvoir bien définir ces noms des Subftances,
étudier l'Hiftoire naturelle , & examiner les Subftances
mêmes avec foin, pour en découvrir les propriétez. Car
pour éviter tout inconvénient dans nos difcours & dans
nos raifonnemens fur les Corps naturels &: fur les chofes
fubftantiellesjil ne fuffit pas d'avoir appris quelle eft l'i-
dée ordinaire, mais confufe, ou très-imparfaite à laquel-
le chaque mot eft appliqué félon la propriété du Langa-
ge, 5c toutes les fois que nous employons ces mots , de
les attacher conftamment à ces fortes d'idées ; mais nous
devons acquérir, outre cela, une connoiflance hiftorique
de telle ou telle Efpéce de chofes , afin de redifier 6c de
fixer par là nôtre idée complexe qui appartient à chaque
nom fpécifique : & dans nos entretiens avec les autres
hommes (fi nous voyons qu'ils prennent mal nôtre pen-
fée} nous devons leur dire quelle eft l'idée complexe que
nous faifons fignifier à un tel nom. Tous ceux qui cher-
chent à s'inftruire exaftement des chofes , font d'autant
plus obligez d'obferver cette méthode , que les Enfans
apprenans les Mots quand ils n'ont que des notions fort
Oooo 2 im-
é6o B.emeàes contre V Imper feâ ion
C H AP. imparfaites des chofes, les appliquent au hazard, &" fans
XL fonger beaucoup à former des idées déterminées que ces
mots doivent Cgmfier: & comme cette coutume n'engage
à aucun eftbrt d'Elprit & qu'on s'en accommode aflez
bien dans la Converiation 6c dans les affaires ordinaire- de
la vie, ils font fujets à continuer de la fuivre après qu'ils
font hommes faits; & ainfi, ils prennent la chofe tout à
rebours , commençant premièrement par apprendre par-
faitement les mots , iSv formant fort grofliérement les no-
tions auxquelles ils appliquent ces mots dans la fuite. Il
arrive par là que des gens qui parlent la Langue de leur
Pais proprement , c'eft à dire félon les régies grammati-
cales de cette Langue , parlent pourtant fort impropre-
ment des chofes mêmes j de forte que malgré tous les rai-
fonncmens qu'ils font entr'eux -, ils ne découvrent pas
beaucoup de veritez utiles 6c n'avancent que fort peu
dans la connoiflancc des Chofes , à les confiderer comme
elles font en elles-mêmes , &: non dans nôtre propre ima-
gination. Du refte , il n'importe pas beaucoup , pour
l'avancement de nos connoiflances j que nous fâchions
comment on les appelle,
il n'cftpasaifc §.25. Pour cet eîfet , il feroit à fouhaiter que ceux
de icsrnidic ^^jj ^^ ç^^^ excrccz à dcs Rccherches Phyfiqucs6cqui ont
une connoiflance particulière de diverlés fortes de Corps
naturels , vouluflént propofer les idées fimples dans lef-
quelles ils obfervent que les Individus de chaque Elpece
conviennent conilammcnt. Cela remedieroit en grande
partie à cette confuiion que produit l'ufage que différen-
tes perfonnes font du même nom pour deligncr unecolle-
ftion d'un plus grand ou d'un plus petit nombre de Qi^ia-
litez fenfiblesj félon qu'ils ont été plus ou moins indruits
des Qiialitez d'une telle Efpéce de Chofes qui partent
fous une feule dénomination, ou qu'ils ont été plus ou
moins exacts à les examiner. Mais pour compofcr un
Didionnaire de cette efpece qui contint, pour ainfi dire,
v.ue Hiltoire Naturelle , il fuulroit trop de perfonnes ,.
trop
^l'Abus des Mots. Liv. III. 66 1
trop de temps , trop de dépenfe , trop de peine & trop C h a ?.
de. fagacité pour qu'on puifl'e jamais efpërer de voir un. XI.
tel Ouvrage : & jufqu'à ce qu'il foit fait , nous devons
nous contenter des définitions des noms des Subftances
qui expliquent le fens auquel ils font pris par ceux qui
s'en fervent. Et ce feroit un grand avantage , s'ils vou-
loient nous donner ces définitions , lorfqu'il eft nécefTai-
re. C'eft du moins ce qu'on n'a pas accoutumé de fai-
re. Au lieu de cela les hommes s'entretiennent &: difpu-
tent fur des Mors, dont le fens n'cll point fixé entr'eux ,
s'imaginans fauifement que la fignification des Mots com-
muns eft déterminée mconteftablement , Se que les idées
précifes que ces mots fignifient , font parfaitement con-
nues, de forte qu'il y a de la honte à les ignorer. Deux
fuppofitions entièrement fauflés ; car il n'y a point de
noms d'idées complexes qui ayent des fignifications fi fi-
xes &: fi déterminées qu'ils foient conftamment emplo-
yez pour fignifier juftement les mêmes idées > &: un hom-
me ne doit pas avoir honte de ne connoître certainement
une chofe que par les moyens qu'il faut employer nécef-
fairement pour la connoître. Par conféquent , il n'y a
aucun deshonneur à ignorer quelle eft l'idée précife qu'un
certain fon fignifie dans l'Efprit d'un autre homme , s'il
ne me le déclare luy-même , d'une autre manière qu'en
employant fimplement ce fon-là ; car fans une telle dé-
claration , je ne puis le favoir certainement par aucune
autre voye. A la vérité , la néceflité de s'entre-commu-
niquer fes penfées par le moyen du Langage , ayant en-
gagé les hommes à convenir de la fignification des mots
communs dans une certaine latitude qui peut aflez bien
fervir à la converfation ordinaire , l'on ne peut fuppofer
qu'un homme ignore entièrement quelles font les idées
que rUf-îge commun a attachées aux Mots dansune Lan-
gue qui luy eft familière. Mais parce que l'Ulage ordi-
naire eft une Régie fort incertaine qui fe réduit enfin aux
idées des Particuliers , c'eft fouvent un modelle fort va-
Oooo 3 riable.
66 1 ReMedes contre r Imperfection
Chap. riable. Au refte, quoy qu'un Dictionnaire tel que celui
XL dont je viens de parler , demandât trop de temps , trop
de peine &: trop de dépenfe pour pouvoir efpérer de le
voir dans ce fiécle , il n'eft pourtant pas , je croy ,
mal à propos d'avertir que les mots qui fignifîent des
chofes qu'on connoit Se qu'on diftingue par leur figu-
re extérieure , devroient être accompagnez de petites
tailles-douces qui rcpréfentaflfent ces chofes. Un Di-
ctionnaire fait de cette manière enfeigneroit peut-être
plus facilement èc en moins de temps la véritable fi-
gnification de quantité de termes , fur tout dans des
Langues de Pais ou de fiécles éloignez , 6c fixeroit
dans l'Efprit des hommes de plus juftes idées de quan-
tité de chofes dont nous lifons les noms dans les An-
ciens Auteurs , que tous les vaftes 6c laborieux Com-
mentaires des plus favans Critiques. Les Naturaliftes
qui traitent des Plantes &c des Animaux , ont fort bien
compris l'avantage de cette méthode > 6c quiconque a
eu occafion de les confulter , n'aura pas de peine à re-
connoître qu'il a , par exemple , une plus claire idée
* jpimn. de * VAche ou d'un -f- Bouquetin j par une petite fi-
le'bouc^ûuva- B"''^ ^^ CQttQ Hcrbc OU dc cct Animal , qu'il ne pour-
ge. roit avoir par le moyen d'une longue définition du
nom de l'une ou de l'autre de ces Chofes. De mê-
me , il auroit fans doute une idée bien plus diftin£te
de ce que les Latins appelloient Strigilis Se Sijlrum ,
fi au lieu des mots Etrille Se Cymbale qu'on trouve
dans quelques Dictionnaires François comme l'explica-
tion de ces deux mots Latins , il pouvoit voir à la
marge de petites figures de ces Inftrumens , tels qu'ils
étoient en ufage parmi les Anciens. On traduit fans
peine les mots toga , tnnica Se pallmm par ceux de ro-
ue, de vejie S>: de manteau -, mais par là nous n'avons
non plus de véritables idées de la manière dont ces
habits étoient faits parmi les Romains que du vifage
des Tailleurs qui les faifoient. Les figures qu'on tra-
ceroit
a- l'Abus des Mots. Liv. III. 663
ceroit de ces fortes de chofes que l'Oeuil diftingue par Chap.
leur forme extérieure , les feroient bien mieux entrer XI.
dans l'Efprit , & par là détermineroient bien mieux la
figniiîcation des noms qu'on leur donne, que tous les
mots qu'on met à la place j ou dont on fe fert pour les
définir. Mais cela foit dit en paflant.
§. 26. En cinquième lieu, fi les hommes ne veu- v. RemeJe .
lent pas prendre la peine d'expliquer le fens des mots n^'^'"^"?"'
dont ils fe fervent , &: qu'on ne puifle les obliger à même terme
définir leurs termes ; le moins qu'on puifle attendre , ^^"^ '^ ^^""^
c'eft que dans tous les Difcours oii un homme en pré- ""'
tend inftruire ou convaincre un autre , il employé con-
flamment le même terme dans le même fens. Si l'on en
ufoit ainfi , (ce que perfonne ne peut rcfufer de fai-,
re , s'il a quelque fincerité} combien de Livres qu'on
auroit pu s'épargner la peine de faire ? combien de
Controverfes qui malgré tout le bruit qu'elles font dans
le Monde , s'en iroient en fumée ? Combien de gros
Volumes , pleins de mots ambigus , qu'on employé
tantôt dans un fens & bientôt après dans un autre, fe-
roient réduits à un fort petit efpace ? Combien de Li-
vres de Philofophes (pour ne parler que de ceux-là}
qui pourroient être renfermez dans une coque de noix
aufll bien que les Ouvrages du Poète?
§. 27. Mais après tout , il y a une fi petite provifion Qiwndondun-
de mots en comparaifon de cette diverfité infinie de ?^ '■* fignifio.-
penfées qui viennent dans l'Efprit , que les hommes ii'fàuMvër'tTni
manquant de termes pour exprimer au jufte leurs veri- qu<^i ^«ns on !e
tables notions , feront fouvent obligez , quelque pré- ^'^'^°^'
caution qu'ils prennent, de fe fervir du même mot dans
des fens un peu différens. Et quoy que dans la fuite
d'un Diicours ou d'un Raifonnement , il foit bien mal-
aifé de trouver l'occafion de donner la définition par-
ticulière d'un mot , aufll fouvent qu'on en change la
fignification } cependant le but général du Difcours ,
fuffira pour l'ordinaire , fi l'on ne s'y propofe rien de
fo-
664 Remèdes contre V Imperfection & l'Abus des Mots.
Chap. fophiftique , à conduire un Lecteur intelligent &: fin-
XL cére dans le vrai fens de ce Mot. Mais lors que cela
n'eft pas capable de guider le Lecteur , l'Ecrivain eft
engagé, dans ce cas , à expliquer fa penfée 6c à faire
voir en quel fens il employé ce terme dans cet endroit-
là. ,
Fin du Troifiéme Livre.
ESSAI
Pag. 66^
ESSAI PHILOSOPHIQ.UE
CONCERNANT
L'ENTENDEMENT HUMAIN.
*0Q^ ^£o» «05^ «e^So» «oî^ -QîS^ «oî5o» ^5«» ««î^* «oîfio»
LIVRE CLU A T R I É M E.
De la Connoilîànce.
§. I-
CHAPITRE I.
De la Connoijfance en général.
UisQUE l'Efprit n'a point d'autre Toute nôtre
Objet de fes pcnfées &c de fes rai- '°""°i""^n^<=
, _ . roule fur nos
lonnemens que fes propres Idées qui idées.
font la feule chofe qu'il contemple
ou qu'il puiflfe contempler , il eft é-
vident que ce n'eft que fur nos Idées
que roule toute nôtre Connoiflance.
§. 2. Il me femble donc que la Connoijfance n'efi autre LaconnoifTancc
chofe que la perception de la liaifon ô' convenance , ou de e^ 'a perception
1, r y , r r i i OC la convcnan-
/ oppojition O" difconvenance qui je trouve entre deux de nos ce ou de ladir-
Idees. C'eft , dis-je, en cela feul que confifte la Connoif- convenance de
Tj . f deux Idées.
P p p p lance.
Chap.
I.
Cette conve-
nance eft de
qaatreefpeces.
666 De la Connoi[f(tnce en général.
fance. Par tout où fe trouve cette perception , il y a de
la Connoiflance, êc où elle n'eft pas, nous ne faurions ja-
mais parvenir à la connoiflance, quoy que nous puifllons
y trouver fujet d'imaginer , de conjcùurer , ou de croire.
Car lorfque nous connoiflbns que le Blanc n'ejl pas Noir ,
que faifons-nous autre chofe qu'appercevoir que ces deux
idées ne conviennent point enfemble? De même, quand
nous fommes fortement convaincus en nous-mêmes, Qiie
hs trois Angles d'un Triangle font égaux à deux Droits ,
nous ne faifons autre chofe qu'appercevoir que l'égalité à
deux Angles droits convient néceflTairement avec les trois
Angles d'un Triangle, 6c qu'elle en eft entièrement infe-
parable.
§. 3 . Mais pour voir un peu plus diftinftement en quoy
coniîfte cette convenance ou difconvenance , je croy qu'on
peut la réduire à ces quatre Efpéces.
1 . Identité ou Diverjité.
2. Relation.
3 . Coexijiencc , ou connexion néce (faire.
4. Exigence réelle.
§. 4. Et pour ce qui eft de la première efpéce de con-
àeViTJuiéouVcnance ou de difconvenance, qui eft l'Identité on la Di-
deiiDive>j,té. ijerfité; le premier & le principal afte de l'Efprit , lorf-
qu'il a quelque fentiment ou quelque idée, c'eft d'apper-
cevoir les idées qu'il a, &: autant qu'il les apperçoit, de
voir ce que chacune eft en elle-même , fie par là d'apper-
cevoir aulîî leur difterence , bz comment l'une n'eft pas
l'autre. C'eft une chofe fi fort neceflaire , que fans cela
l'Efprit ne pourroit ni connoître, ni imaginer, ni raifon-
ner, ni avoir abfolument aucune penfée diftinîte. C'eft
par là, dis-je, qu'il apperçoit clairement 6c d'une maniè-
re infaillible que chaque idée convient avec elle-même, Se
qu'elle eft ce qu'elle eft j 6c qu'au contraire toutes les i-
dées diftindes difconvienncat entre elles, c'eft à dire, que
l'une n'eft pas l'autre : ce qu'il voit fans peine , fans ef-
fort, fans faire aucune déduction , mais dès la première
Yeûë par la puilïance naturelle qu'il a d'apperccvoir 6c de
La premie're eft
"Delà Connoijfance en gênerai. Liv. IV. 667
diflringuer les chofes. Qiioy que les Logiciens ayent re- Chap.
duit cela à ces deux Régies générales, Ce ûjtii rji-^ e(i ; &:, I.
// c(l impoff[.}le qn^iaie même chofe foit (^ ne foU pas en mê-
me temps, afin de les pouvoir promptement appliquera
tous les cas où l'on peut avoir fujet d'y faire reflexion, il
eft pourtant certain que c'eft fur des idées particulières
que cette fjculré commence de s'exercer. Un homme
n'a pas plutôt dans l'E-fprit les idées qu'il nomme bbnc
&: rond, qu'il connoit infailliblement que ce font les idées
qu'elles font véritablement , & non d'autres idées qu'il
appelle ronge ou quarré. Et il n'y a aucune Maxime ou
Propofition dans le Monde qui puiffe le luy faire connoî-
tre plus nettement ou plus certainement qu'il ne faifoit
auparavant fans le fecours d'aucune Régie générale. C'eft
donc là la première convenance ou difconvenance que l'Ef-
prit apperçoit dans fes Idées ôc qu'il apperçoit toujours
dès la première veûè. Que s'il s'élève jamais quelque
doute fur ce fujet , on trouvera toujours que c'eft fur les
noms & non fur les idées mêmes , dont on appercevra
toujours l'Identité Se la Diverfité , auflitôt &: aufîi clai-
rement que les idées mêmes. Cela ne fauroit être autre-
ment.
§. 5. La féconde forte de convenance ou de difconve- La fccondepem
nance que l'Efprit apperçoit dans quelqu'une de fes idées, ^"/.Jw.'"
peut être appellée Relative , &: ce n'eft autre chofe que
la perception du rapport qui eft entre deux Idées , de
quelque efpèce qu'elles foient , Suhjtances , Modes , ou
autres. Car puifque toutes les Idées diftinftes doivent ê-
tre éternellement reconnues pour n'être pas les mêmes «
ôc ainfi être univerfellement 6c conftamment niées l'une
de l'autre , nous n'aurions abfolument point de moyen
d'arriver à aucune connoiflance pofitive , fi nous ne pou-
vions appercevoir aucun rapport entre nos idées , ni dé-
couvrir la convenance ou la difconvenance qu'elles ont
l'une avec l'autre dans les différens moyens dont l'Efprit
fe fert pour les comparer cnfemble.
§. 6. La troifiéme efpèce de convenance ou de difcon- La troifîemc eft
Pppp 2 venance
66.8 "De la ConmiJJance en gênerai.
C H A p. venance qu'on peut trouver dans nos Idées , &c fur laquel-
le le s'exerce la Perception de l'Efprit c'eft la coexiftence ou
«ne convenance la nou-coexiftence dans le même fujet ; ce qui regarde par-
de cocïiftence. j|^.yii(;rement les Subftances. Ainii, quand nous affirmons
touchant l'Or, qu'il eft fixe, la connojfTance que nous a-
vons de cette vérité fe réduit uniquement à ceci , que la
fixité ou la puiflance de demeurer dans le Feu fans fecon-
funier , eft une idée c[ui fe trouve toujours jointe avec
cette efpéce particulière de jaune, de pefanteur, de fufî-
bilité , de malléabilité & de capacité d'être diflbut dans
VEati Regale ,c{m compofe nôtre idée complexe que nous
défignons par le mot d'Or.
La quatrième §• J- La dernière Se quatrième efpéce de convenance,
eftceiiedune c'cft Celle d'uue cxifteuce aftuelle 6c réelle qui convient
encerce e. ^ q^^giq^g chofe dont uousavons l'idéedansl'Efprit. Tou-
te la connoiflance que nous avons ou pouvons avoir , eft
renfermée, fi je ne me trompe, dans ces quatre fortes de
convenance ou de difconvenance. Car. toutes les recher-
ches que nous pouvons faire fur nos Idées , tout ce que
nous connoiflbns ou pouvons affirmer touchant aucune de
ces idées, c'eft qu'elle eft ou n'eft pas la même avec une
autre , qu'elle coëxifte ou ne coëxifte pas toujours avec
quelque autre idée dans le même fujet j qu'elle a tel ou
tel rapport avec quelque autre idée ; ou qu'elle a une exi-
ftence réelle hors de l'Efprit. Ainfi , cette Propofition
le Bleu neji pas le Jaune y marque une difconvenance d'I-
dentité : Celle-ci , Deux triangles dont la bafe efi égale
^ qui font entre deux lignes parallèles , font égaux , figni-
iîe une convenance de rapport : Cette autre , le Fer eft
fufceptible des impreffions de V Aimant , emporte une con-
venance de coexiftence : Et ces mots , Dieu exifle , ren-
ferment une convenance d'exiftence réelle. Qiioy que
V Identité èc la Cocxifience ne foient effi^ftivement que de
fimples relations, elles fourniflént pourtant à l'Efprit des
moyens fi particuliers de confiderer la convenance ou la
difconvenance de nos Idées, qu'elles méritent bien d'être
confiderées comme des chefs diftinfts , &: non fimplement
fous
De la Connoifiance tn général. Liv. IV. 669
fous le titre de Relation en général j puifque ce font des Chap.
fondemens d'affirmation & de négation fi difFérens , com- I.
me il paroîtra aifément à quiconque prendra feulement la
peine de réfléchir fur ce qui eft dit en plufieurs endroits
de cet Ouvrage. Je devrois examiner préfentemeni les
différens dégrez de nôtre Connoiflance > mais il faut
confiderer auparavant les divers fens du mot Connoijfan-
ce.
§. 8. Il y a différens états dans lefquels l'Efprit fe l' y » une con-
trouve imbu de la VeritéjSc auxquels on donne le nomdeaftucTic&ha-
Connoiffance. bitueiie.
I. Il y a une connoiflance aftuelle qui efl: la percep-
tion préfente que l'Efprit a de la convenance ou de la
difconvenance de quelqu'une de fes Idées, ou du rapport
qu'elles ont l'une à l'autre.
II. On dit , en fécond lieu , qu'un homme connoit
une Propofition lorfqu'ayant été une fois préfente à fon
Efprit, il a apperçu évidemment la convenance ou la dif-
convenance des Idées dont elle eft compofée , & l'a pla-
cée de telle manière dans fa Mémoire, que toutes les fois
qu'il vient à réfléchir fur cette Propofition , il la voit
d'abord par le bon côté fans douter ni héfiter le moins du
monde , il l'approuve & eft afsûré de la vérité qu'elle
contient. C'eft ce qu'on peut appeller, à mon avis, Con-
noijfance habituelle. Suivant cela , l'on peut dire d'un
homme, qu'il connoit toutes les veritez qui font dans fa
Mémoire , en vertu d'une pleine &: évidente perception
qu'il en a eu auparavant 6c fur laquelle l'Efprit fe repofe
hardiment fans avoir le moindre doute , toutes les fois
qu'il a occafion de réfléchir fur ces veritez. Car un En-
tendement aulli borné que le nôtre , n'étant capable de
penfer clairement & diftinftement qu'à une feule chofe à
la fois , fi les hommes ne connoiflbient que ce qui eft
l'objet aftuel de leurs penfées , ils feroient tous extrême-
ment ignorans ; èc celui qui connoîtroit le plus , ne
connoîtroit qu'une feule vérité , car il n'eft capable d'en,
confiderer qu'une feule à la fois.
bli riHinoillan
ce habituelle
670 De la Connoijfance en général.
Chap. §• 9- llyaaLilH, vulgairement parlant, deux degrez
I. de connoilTance habituelle.
iiyaiincdou I. L'un regarde ff^î Preniez mifes comme en referve dans
la Mémoire qm ne fe préjentent pas plutôt a l'Efprit qu'il
"joit le rapport qui efi entre ces idées. Ce qui fe rencontre
dans toutes les Veritez dont nous avons une connoiflan-
ce intuitive, où les idées mêmes font connoître par une
veùc immédiate la convenance ou la difconvenance qu'il
y a entre elles.
II. Le fécond degré de Connoiiïance habituelle appar-
tient à ces f^eritex:; , dont l'E/prit ayant été une fois con-
vaincu , il conferve le fouvenir de la convi£}ion fans en re-
tenir les preuves. Amfi , u'n homme qui fe fou vient cer-
tainement qu'il a vu une fois d'une manière démonftrati-
ve } Qiie les trois angles d'un Triangle font égaux à deux
Droits, eft afsûré qu'il connoit la vérité de cette Propo-
rtion j parce qu'il ne fauroit en douter. Qiioy qu'un
homme puifle s'imaginer qu'en adhérant ainfi à une véri-
té où la Démonftration qui la luy a fait premièrement
connoître , a échappé de fon Efprit , il croit plutôt fa
Mémoire, qu'il ne connoit réellement la venté en que-
flion y £c quoy que cette manière de retenir une vérité
m'ait paru autrefois quelque chofe qui tient le milieu en-
tre l'opinion & la connoiflance , une efpéce d'afsûrance
qui furpaffe la lîmple croyance qui eft fondée fur le té-
moignage d'autruy ; cependant je trouve après y avoir
bien penfé, que cette connoiflance renferme une parfaite
certitude, Se eft en effet une véritable connoiflance. Ce
qui d'abord peut nous faire illufion fur ce fujet,c'eft qu'en
ce cas-là on n'apperçoit pas la convenance ou la difcon-
venance des Idées comme on avoit fait la première fois,
par une veùè actuelle de toutes les Idées mtermediates par
le moyen defquellcs la convenance ou la difconvenance
des idées contenues dans la Propofirion avoit été apper-
çuë la première fois , mais par d'autres idées moyennes
qui font voir la convenance ou la difconvenance des Idées
renfermées dans la Propofition dont la certitude nous eft
con-
De la Connoijfance tn général. Liv. IV. é/i
connue par voye de reminifcence. Par exemple , dans Chap.
cette Propofition , les trois Angles d'un Triangle font égaux 1.
à deux Droits , quiconque a vu 6c apperçu clairement la
démonftration de cette vérité , connoit que cette Pro-
pofition eft véritable lors même que la Démonftration
luy cft fi bien échappée de l'Efprit, qu'il ne la voit plus,
&: que peut-être il ne fixuroit la rappeller, mais il le con-
noit d'une autre manière qu'il ne faifoit auparavant. Il
apperçoit la convenance des deux Idées qui font jointes
dans cette Propofition , mais c'cft par l'intervention d'au-
tres idées que celles qui ont premièrement produit cette
perception. Il fe Ibuvient , c'eft à dire , il connoit (car
le fouvenir n'eft autre choie que le renouvellement d'une
chofe pafTée) qu'il a été une fois afsûré de la vérité de
cette Propofition, Qiie les trois Angles d'un Triangle font
égaux X deux Droits. L'immutabilité des mêmes rapports
entre les mêmes chofes immuables , eft préfentement l'i-
dée qui fait voir , que fi les trois Angles d'un Triangle
ont été une fois égaux à deux Droits , ils ne céderont ja-
mais d'être égaux à deux Droits. D'où il s'enfuit cer-
tainement que ce qui a été une fois véritable , eft tou-
jours vray dans le même cas , que les Idées qui convien-
nent une fois entre elles , conviennent toujours ; èc par
conféquent que ce qu'il a une fois connu véritable , il le
reconnoîtra toujours pour véritable , aufll long-temps
qu'il pourra fé refiTouvenir de l'avoir une fois connu com-
me tel. C'eft fur ce fondement que dans les Mathéma-
tiques les Démonftrations particulières fourniflent des
connoifTances générales. En effet , fi la Connoiflance
n'étoit pas fi fort établie fur cette perception , Qiie les
mêmes idées doivent toujours avoir les mêmes rapports,
il ne pourroit y avoir aucune connoifiTancedePropofitions
générales dans les Mathématiques ; car nulle Démon-
ftration Mathématique ne feroit que particulière; êclorf-
qu'un homme auroit démontré une Propofition touchant
un Triangle ou un Cercle, fa connoifTance ne s'ètendroit
point au delà de cette Figure particulière. S'il vouloit
l'é-
éy 2 De la ConnoiJSance en général.
C H A p. l'étendre plus avant , il feroit obligé de renouveller fa Dé-
I. monftration dans un autre exemple , avant qu'il pût être
afsûre qu'elle ell véritable à l'égard d'un autre femblable
Triangle , 6c ainli du refte -, auquel cas on ne pourroit
jamais parvenir à la connoiflance d'aucune Propolltion
générale. Je ne croy pas que perfonne puiflc nier que
Mr. Neizîon ne connoilîé certainement que chaque Pro-
polltion qu'il lit préfentement dans fon Livre en quelque
temps que ce foit, efl véritable , quoy qu'il n'ait pas a-
ftuellement devant les yeux cette fuite admirable d'Idées
moyennes par lefquelles il en découvrit au commence-
ment la vérité. On peut dire fûrement qu'une Mémoi-
re qui feroit capable de retenir une telle enchainure de
veritez particulières ell: au delà des Facultez humaines ;
puifqu'on voit par expérience que la découverte, la per-
ception &: l'afTemblage de cette admirable connexion d'I-
dées qui paroit dans cet excellent Ouvrage furpafle la com-
prehenfion de la plupart des Lefteurs. 11 eft pourtant vi-
fible que l'Auteur luy-même connoit que telle Se telle
Propolltion de fon Livre eft véritable , dès là qu'il fe
fouvient d'avoir vu une fois la connexion de ces Idées
aulîî certainement qu'il fait qu'un tel homme en a blefle
un autre , parce qu'il fe fouvient de luy avoir vu paflér
fon épée au travers du Corps. Mais parce que le fimple
fouvenir n'eft pas toujours fi clair que la perception a-
ttuelle, & que par fuccelllon de temps elle déchoit, plus
ou moins, dans la plupart des hommes, c'eft une raifon,
entre autres , qui fait voir que la Connoijfnnce àémoyijlra-
îive eft beaucoup plus imparfaite que la Connoijfance in-
tuitive, ou de limple veûë, comme nous allons voir dans
le Chapitre fuivant.
C H A-
I
Des De'grez^ de nôtre Connoijfance . L i v. IV. Sf^
CHAPITRE IL
Des Dégrez de nôtre Connoijfance.
§. I. '~S~'OuTE nôtre Connoinànce confinant, com- Ce que ccft
I me j'ai dit , dans la veûë que l'Efprit a de 5"'^ laCo.moif-
les propres idées , ce qui rait la plus vive lumière Se la
plus grande certitude dont nous foyons capables avec les
Facultez que nous avons, & félon la manière dont nous
pouvons connoître les Chofes ; il ne fera pas mal à pro-
pos de nous arrêter un peu à confiderer les difFerens dé-
grez d'évidence dont cette Connoiffanceeft accompagnée.
11 me femble que la différence qui fe trouve dans la clar-
té de nos Connoiflances, confifte dans la différente ma-
nière dont nôtre Efprit apperçoit la convenance ou la dif-
convenance de fes propres Idées. Car fi nous reflêchif-
fons fur nôtre manière de penfer , nous trouverons que
quelquefois l'Efprit apperçoit la convenance ou la dif-
convenance de deux Idées , immédiatement par elles-
mêmes , fans l'intervention d'aucune autre , ce qu'on
peut appeller une Connoijjance intuitive. Car en ce cas
l'Efprit ne prend aucune peine pour prouver ou examiner
la vérité , mais il l'apperçoit comme l'Oeuil voit la Lu-
mière, dès-là feulement qu'il eft tourné vers elle. Ainfi,
l'Efprit voit que le Blanc n'eft pas le Noir , qu'un Cer-
cle n'eft pas un Triangle, que 'Trois ell plus que Deux
& eft égal à deux ^ un. Dès que l'Efprit voit ces idées
enfemble, il apperçoit ces fortes de veritez par une fim-
ple intuition , fans l'intervention d'aucune autre idée.
Cette efpèce de Connoiffance eft la plus claire 6c la plus
certaine dont la foibleffe humaine foit capable. Elle agit
d'une manière irrefijlible. Semblable à l'éclat d'un beau
Jour, elle fe fait voir immédiatement &; comme par for-
ce, dès que l'Efprit tourne la veùé vers elle , èc fans luy
permettre d'héfiter, de douter , ou d'entrer dans aucun
Qjq q q exa-
6y4> ^^^ Végrez de nôtre Connoiffance',
Chap. examen, elle le pénétre auflî-tôt de fa Lumière. Ceff
1 1. fur cette fimple veùé qu'eft fondée toute la certitude &
toute l'évidence de nos Connoiffances -, &C chacun fent en
luy-même que cette certitude eft il grande , qu'il n'en
fauroit imaginer ni par conféqucnt demander une plus
grande. Car perfonne ne fe peut croire capable d'une
plus grande certiradCique d« connoître qu'une idée qu'il
a dans l'Efprit, eft telle qu'il l'apperçoit , &c que deux
Idées entre lefquelles il voit de la différence , font diffé-
rentes & ne font pas précifément la même Qiiiconque
demande une plus grande certitude que celle-là, ne fait
ce qu'il demande , & fait voir feulement qu'il a envie
d'être fceptique fans en pouvoir venir à bout. La certi-
tude dépend lî fort de cette intuition , que dans le degré
fùivant de Connoiffance que je nomme Demoriflratiotîy
cette intuition eil il néceffaire dans toutes les connexions
des Idées moyennes, que fans elle nous ne faurions par-
venir à aucune Connoiffance ou certitude.
Ccquec'cftque §. 2. Ce qui conftitué Cet autre degré de nôtre Con-
'?,^°"'r''^*"'^ noiffance , c'eft quand nous découvrons la convenance
ou la difconvenance de quelques idées, mais non pas d u-
ne manière immédiate. Qiioy que par tout ou l'Efprit
apperçoit la convenance ou la difconvenance de quelqu'u-
ne de fes Idées , il y ait une Connoiffimce certaine > il
n'arrive pourtant pas toujours que l'Efprit voye la conve-
nance ou la difconvenance qui eft entre elles , lors même
qu'elle peut être découverte: auquel cas il demeure dans
l'ignorance , ou ne rencontre tout au plus qu'une conje-
£ture probable. La raifon pourquoy l'Elprit ne peut pas
toujours appercevoir d'abord la convenance ou la difcon-
venance de deux Idées, c'eft qu'il ne peut joindre ces
idées dont il cherche à connoitre la convenance ou la dif-
convenance , en forte que cela feul la luy faffe connoître.
Et dans ce cas, où l'Eipfit ne peut joindre enfemble fes
idées , de forte qu'il apperçoive leur convenance ou leur
difconvenance en les comparant immédiatement , 6c les
appliquant, pour ainfi dire, l'une à l'autre, il eft obligé
de
Des Dégrez de nôtre Connoijpince. Liv. IV. 675
•de fe fervir de l'intervention d'autres idées (^d'iine ou de C H A p,
pluficurs , comme il fe rencontre} pour découvrir la con- 1 1,
venance ou la difconvenance qu'il cherche > & c'eft ce
que nous appelions rrf//tf»«^r. Ainli, dAnslo. Grandeur y
l'Efprit voulant connoître la convenance ou la difconve-
nance qui fe trouve entre les trois Angles d'un Triangle
& deux Droits , il ne peut le faire par une veûë immé-
diate &: en les comparant enfemble ; parce que les trois
Angles d'un Triangle ne fauroient être pris tout à la fois,
& comparez avec un ou deux autres Angles ; èc par con-
féquent l'Efprit n'a pas fur cela une connoiflance immé-
diate ou intuitive. C'eftpourquoy il eft obligé de fe fer-
vir de quelques autres angles auxquels les trois angles
d'un Triangle foient égaux j ôc trouvant que ceux-là font
égaux à deux Droits, il connoit par là que les trois an-
gles d'un Triangle font aufli égaux à deux Droits.
§. 3. Ces Idées qu'on fait intervenir pour montrer la Elle dc'pend d«i
convenance de deux autres, on les nomme des preuves j P""^"-
&c lorfejue par le moyen de ces preuves , on vient à apper-
cevoir clairement & difbinftement la convenance ou la .
difconvenance des idées que l'on confidére, c'eft ce qu'on
appelle Démonjlration , cette convenance ou difconve-
nance étant alors montrée à l'Entendement, de forte que
l'Efprit voit que la chofe eft ainli, &: non autrement. Au
relie , la difpolîtion que l'Efprit a à trouver prompte-
ment ces idées moyennes qui montrent la convenance ou
la difconvenance de quelque autre idée , ôf à les appli-
quer comme il faut , c'eft , à mon avis , ce qu'on nomme
Sagacité.
§. 4. Qiioy que cette efpécede ConnoilTmce qui nous Eiien-efl pas fi
vient par le fecours des preuves, foit cénacle, elle ^'^ facile à acque-
pourtant pas une évidence 11 forte ni fi vive , & ne fe
fait pas recevoir fi promptement que la ConnoilTance de
fimple veûë. Car quoy que dans une Démonftration >
l'Efprit apperçoive enfin la convenance ou la difconve-
nance des idées qu'il confidére, ce n'eft pourtant pas fans
peine & fans attention > ce n'eft pas par une feule veûé
Qqqq 2 pafta-
(i-]G Des Degrez de nôtre ConnoifJ'ance.
C H A p. paflagére qu'on peut la découvrir , mais en s'appliquant
II_ fortement &: fans relâche. Il faut s'engager dans une cer-
taine progrelllon d'Idées, faite peu à peu Se par dégrez,
avant que l'Efprit puiife arriver par cette voye à la Cer-
titude &: appercevoir la convenance ou l'oppofition qui
eft entre deux idées , ce qu'on ne peut reconnoître que
par des preuves enchaînées l'une à l'autre , & en faifant
ufage de iz Raifon.
Elle eft prece- §. ^. Une autre différence qu'il y a entre la Connoif-
dcede quelque fance Intuitive Se la Démonftrative , c'eft (Qu'encore qu'il
ne rejîe aucun doute dans cette dernière lorfque par Vinter-
'vention des idées moyennes on apperçoit une fois la conve-
nance ou la dtfconvenance des idées qu'on confïdére , il y en
avoit avant la Dérnonflraiton; ce qui dans laConnoiOan-
ce intuitive ne peut arriver à un Efprit qui pofTede la Fa-
culté qu'on nomme Perception dans un degré affez par-
' fait pour avoir des idées diftinctcs. Cela, dis-je, ellaulll
impoflible, qu'il eft impolîlble à l'Oeuil qui peut voir
<3iftindement le blanc Oc le noir, de douter fi cette ancre
& ce papier font de la même couleur. Si la Lumière re-
fléchie de deiTus ce Papier , vient à le frapper , il apper-
cevra tout aullî-tôt, fans héfiterle moins du monde, que
les mots tracez fur le Papier, font différens de la Cou-
leur du Papier ; de même fi l'Efprit a la faculté d'apper-
cevoir diftin£tement les chofes, il appercevra la conve-
nance ou la dikonvenance des Idées qui produifent la
Connoiflance intuitive. Mais fi les Yeux ont perdu la
faculté de voir, ou l'Efprit celle d'appercevoir, c'eft en
vain que nous chercherions dans les premiers une veùë
pénétrante, &: dans le dernier une * Perception claire ôc
diftinfte.
EHen-eftpas fi §■ 6- Il eft vray que la perception qui eft produite par
claire c]ue la yoyc de Démonftratiou , eft au m fort claire; mais cette
imuui'vf.'"'" évidence eft fouvent bien difterente de cette Lumière
écla-
* Ce mot fe prend ici pour uneF.KiiI t Liv. II. Cli. IX""^. intitule , De l,\ Ver-
ts , à: c'eft dans es fens qu'un l'a pris au I ccjjujil.
Des Degrez de nôtre Connoiffance. L i v. IV. 6jy
éclatante Se de cette pleine afïïirance qui accompagne C h a p,
toujours ce que j'appelle Connoiflance intuitive; enquoy IL
cette première perception peut être comparée à l'image
d'un Vifage réfléchi par plufieurs Miroirs de l'un à l'au-
tre, qui auffi long-temps qu'elle conferve de la reflem-
blance avec l'Objet , produit de la Connoiflance , mais
toujours en perdant , à chaque reflexion fucceflive , quel-
que partie de cette parfaite clarté Se difl:in6tion qui eflidans
la première image, jufqu'à ce qu'enfin après avoir été éloi-
gnée plufieurs fois, elle devient fort confufe, Se n'eft
plus d'abord fi reconnoiflable , Se fur tout par des yeux
foiblcs. Il en eft de même à l'égard de la Connoifl'an-
ce qui eft produite par une longue fuite de preuves.
§. 7. Aurefte, à chaque pas que la Raifon fait dans ci>aqiie ikVrif
ime Démonftration , il faut qu'elle apperçoive par une ^^'*.''''J'i"^i'°n
connoiflance de Ample veùë la convenance ou la difcon- fnwniremTiu7
venance de chaque idée qui lie enfemble les idées entre & p" luy-niô-
lefquelles elle intervient pour montrer la convenance ou ™^'
la difconvenance des deux idées extrêmes. Car fans cela,
on auroit encore befoin de preuves pour faire voir la con-
venance ou la difconvenance que chaque idée moyenne
a avec celles entre lefquelles elle eft placée ; puifque fans
la perception d'une telle convenance ou difconvenance,
il ne fauroit y avoir aucune connoifl"ance. Si elle eft ap-
perçuè par elle-même , c'eft une connoiflance intuitive}
Se fi elle ne peut être apperçuë par elle-même , il faut
quelque autre idée qui intervienne pour fervir, en qua-
lité de mefure commune , à montrer leur convenance ou
leur difconvenance D'où il paroit évidemment, que
dans le raifonnement chaque degré qui produit de lacon-
noiflfance, a une certitude intuitive, que l'Efprit n'a pas
plutôt apperçué qu'il ne refte autre chofe que de s'en
reflbuvenir, pour faire que la convenance ou la difcon-
venance des Idées, qui eft le fujet de nôtre recherche ,
foit viflble Se certaine. De forte que pour faire une Dé-
monftration, il eft néceflTaire d'appercevoir la convenan-
ce immédiate des idées moyennes , fur lefquelles eft fon-
Q.qqq 3 dée.
678 Des Dégrez de notre Connoijfance.
Chap. dée la convenance ou la difconvenance des deux idées
I L qu'on examine , &: dont l'une eft toujours la première ôc
l'autre la dernière qui entre en ligne de compte. L'on
doit auili retenir exactement dans l'Efprit cette perception
intuitive de la convenance ou difconvenance des idées
moyennes, dans chaque degré delà Démonftration, Se
il faut être alTiiré qu'on n'en omet aucune partie. Mais
parce que, lorfqu'il faut faire de longues deduftions &
employer une longue fuite de preuves , la Mémoire ne
conferve pas toujours fi promptement êc fi exactement
cette liaifon d'idées, il arrive que cette connoiflance où
l'on arrive par voye de Démonftration eft plus imparfaite
que la Connoiflance intuitive, £c que les hommes pren-
nent fouvent desfauflTetez pour des Démonftxations.
De là vient le §-8. La néceflîté de cette connoiflance de fimpleveûê
faux fcns qu'on à l'égard dc chaque degré d'un raifonnement démonftra-
Axlorne^ "^(/L ^^^5 ^i j^ pcufe , donué occafion à cet Axiome, que
tout rMfmnc tout raifonnement vient de chofes déjà connues 6c déjà
7hoL Té'l cou- ^-ccordées , ex pracogmtis cr fraconceffis , comme on par-
nues ^iteja ac- Ic daus Ics Ecoks. Mais j'aurai occafion de montrer plus
cordées. ^^ j^j^g ^-g qu'il y a dc faux dans cet Axiome, lorfque je
traiterai des Propofitions, Se fur tout de celles qu'on ap-
pelle Maximes , qu'on prend mal à propos pour les fon-
demens de toutes nos Connoifl'ances &: de tous nos Rai-
fonnemens , comme je le ferai voir au même endroit.
la connoi (Tance §• 9- C'cft uoe Opinion communément reçue, qu'il
Demonftraiive n'y a que Ics Mathématiques qui foient capables d'une
\' iw^nw',"" certitude démonftrative. Ivlais comme je ne vois pas que
ce loit un privilège attache uniquement aux Idées de
Nombre, d'Etendue & de Figure, d'avoir une conve-
nance ou difconvenance qui puiflé être apperçue intui-
tivement , c'eft peut-être faute d'application de nôtre
part, & non d'une afléz grande évidence dans les chofes,
qu'on a crû que la Démonftration avoit il peu de part
dans les autres parties de nôtre Connoiflance , 6c qu'à
peine qui que ce foit a fongé à y parvenir , excepté
les Mathématiciens : car quelques idées que nous ayons,
où
II
Des Degrez de nôtre ConnoiJJ'ance. Liv. IV. 6-j<^
où l'Efprit peut appercevoir la convenance ou la difcon- C h a p,
yenance immédiate qui eft entre elles, l'Efprit eft capa- II.
ble d'une connoiflance intuitive à leur égard , Se par tout
oia il peut appercevoir la convenance ou la difconvenance
que certaines idées ont avec d'autres idées moyennes ,
l'Efprit eft capable d'en venir à la Démonftration qui par
conféquent n'eft pas terminée aux feules idées d'Etendue,
de Figure, de Nombre & de leurs Modes.
§. lo. La raifon pourquoy l'on n'a cherché la Démon- Pourqnoy or
ftration que dans ces dernières Idées, 6c qu'on a fuppofé '* *'"'' '^'"*
qu'elle ne fe rencontroit point ailleurs, c'a été, je croy,
non feulement à caufe que les Sciences qui ont pour ob-
jet ces fortes d'Idées , font d'une utilité générale , mais
encore parce que lorfqu'on compare l'égalité ou l'excès
de différens nombres , la moindre différence de chaque
Mode eft fort claire 6c fort aifee à reconnoître. Et quoy
que dans l'Etendue chaque momdre excès ne foit pas Ci
perceptible, l'Efprit a pourtant trouvé des moyens pour
examiner ^ pour faire voir démonftrativement la jufte é-
galité de deux Angles, ou de différentes figures ou éten-
dues: &c d'arlleurs, on peut décrire les Nombres 6f les
Figures par des marques vifibles 6c durables , par où les
Idées qu'on confidére font parfaitement déterminées , ce
qu'elles ne font pas pour l'ordinaire, lorfqu'on n'employé
que des noms 6c des mots pour les défigner.
§ 1 1 . Mais dans les autres idées fimples dont on forme 6c
dont on compte les Modes 6c lesdifterences par des dégrez.
Se non par la quann téj nous ne diftinguons pas fi exactement
leurs diftérences,que nous puilîlons appercevoir ou trou-
ver des moyens de mefurer leur jufte égalité , ou leurs
plus petites différences} car comme ces autres Idées Am-
ples font des apparences ou des fenfations produites en-
nous par la groffeur , la figure, le nombre èc le mouve-
ment de petits Corpufcules qui pris à part font abfolu-
ment imperceptibles , leurs différens degrcz dépendent
auffi de la variation de quelques-unes de ces Caufes ,. ou
de toutes enfemble j de forte que ne pouvant obferver
cette
68o Des T)égrez de notre Connoijfance.
C H A p, cette variation dans les particules de Matière dont chacii-
11. ne eft trop fubtile pour être apperçuë , il nous eft impof-
fi'ble d'avoir aucunes mefures exaftes des difFérens dégrez
de ces Idées fimples. Car fuppofë que la Senfation, ou
l'idée que nous nommons blancheur foit produite en nous
par un certain nombre de Globules quipirouëttans autour
de leur propre centre, vont frapper la rétine de l'Oeuil
avec un certain degré de tournoyement 6c de vitelfe pro-
grelîîve , il s'enfuivra aifément de là que plus les parties
t|ui compofent la furface d'un Corps , font difpofécs de
telle manière qu'elles reflêchiflent un plus grand nombre
de globules de lumière, &: leur donnent ce tournoyement
particulier qui eft propre à produire en nous la fenfation
du Blanc , plus un Corps doit paroltre blanc , lorfque
d'un égal efpace il poufîe vers la rétine un plus grand
nombre de ces Globules avec cette efpéce particulière de
mouvement. Je ne décide pas que la nature de la Lu-
jniére confifte dans de petits globules , ni celle de la
blancheur dans une telle contexture de parties qui en re-
flêchiflant ces globules leur donne un certain pirouètte-
ment} car je ne traite point ici enPhyficien de la Lumiè-
re ou des Couleurs i mais ce que je croy pouvoir dire,
c'efl que je ne faurois comprendre comment des Corps
qui exiftent hors de nous , peuvent affeder autrement
nos Sens, que par le contaft immédiat des Corps fenfi-
bles, comme dans le Goût &: dans l'Attouchement, ou
par le moyen de l'impulfion de quelques particules infen-
fibles qui viennent des Corps , comme à l'égard de la
veùë , de l'ouïe, & de l'odorat > laquelle impulfion é-
tant différente félon qu'elle eft caufée par la différen-
te groffeur, figure Se mouvement des parties , produit
en nous les différentes fenfations que chacun éprouve
en foy-même. Que fi quelqu'un peut faire voir d'une
manière intelligible qu'il conçoit autrement la chofe , il
me feroit plaifir de m'en inftruire.
§. 12. Ainfi, qu'il y ait des globules, ou non,^ que
ces globules par un certain piroucttement autour de leur
pro-
\
J)es Ddgrez de n'otî'e ConnoiJSance. Liv. IV. 68 1
propre centre, produifent en nous l'idée de la blancheur ; C H A p!
ce qu'il y a de certain, c'ell: que plus il y a de particules H.
de lumière refléchies d'un Corps difpofe à leur donner ce
mouvement particulier qui produit la fenfation de blnn-
cheur en nousj èc peut-être aulli, plus ce mouvement
particulier eft prompt , plus le Corps d'où le plus grand
nombre de globules efl réfléchi , paroit blanc, comme
on le voit évidemment dans une feuille de papier qu'on
met aux rayons du Soleil , à l'ombre , ou dans un trou
obicur; trois difterens endroits oîi ce Papier produira en
nous l'idée de trois dégrez de blancheur fort difierens.
§. 13. Or comme nous ignorons combien il doit y a-
voir de particules & quel mouvement leur eft néceflaire,
pour pouvoir produire un certain degré de blancheur
quel qu'il foit , nous ne faurions démontrer la jufte égalité
de deux dégrez particuliers de blancheur, parce que nous
n'avons aucune régie certaine pour les mefurer, ni aucun
moyen pour diftinguer chaque petite différence réelle,
tout le fecours que nous pouvons efpérer fur cela venant
de nos Sens qui ne font d'aucun ulage en cette occafion.
Mais lorfque la différence eft fi grande qu'elle excite dans
l'Efprit des idées clairement diftinftes dont on peut rete-
nir parfaitement les différences j dans ce cas-là ces idées
des Couleurs, comme on le voit dans leurs différentes
efpeces telles que le Bleu & le Rouge , font auffi capables
de demonftration que les idées du Nombre & de l'Eten-
due. Ce que je viens de dire de la BLticheur & des Cou-
leurs, eft , je penfe , également véritable à l'égard de
toutes les fécondes Qiialitez & de leurs Modes.
§. 14.. Voilà donc les deux dégrez de nôtre Connoif- La CoimoiiTan-
fance, V Intuition Se la Démonllration. Pour tout le refte "''^."''''^^ ^''^'
qui ne peut ie rapporter a l un des deux , avec quelque des Etres parti-
affùrance qu'on le reçoive, c'eft foy ou opinion -, & non ^"''«s-
pas connoiJJ'ance j du moins à l'égard de toutes les véritez
générales. Car l'Efprit a encore une autre Perception qui
regarde l'exiftcnce particuHére des Etres finis hors de
nous : Connoiflance qui va au delà de la fimple probabi-
Rrrr lité.
68 1 Des Végress de notre ComtoiJ^ance.
C H A p. lité , mais qui n'a pourtant pas toute la certitude des
IX. deux dégrez de connoiflance dont on vient de parler.
Que l'idée que nous recevons d'un objet extérieur foit
dans nôtre Efprit , rien ne peut être plus certain , 6c c'eft
une connoiflance intuitive. Mais de favoir s'il y a quel-
que chofe de plus que cette idée qui eft dans nôtre Ef-
prit, & fi de là nous pouvons inférer certainement l'exi-
ftence d'aucune chofe hors de nous qui correfponde à cette
idée, c'eft ce que certaines gens croyent qu'on peut mettre
en queftion -, parce que les hommes peuvent avoir de tel-
les idées dans leur Efprit , lors que rien de tel n'cxifte
a£tuellement , &: que leurs Sens ne font affeftez de nul ob-
jet qui correfponde à ces idées. Pour moy , je crois pour-
tant que dans ce cas-là nous avons un degré d'évidence
qui nous élevé au defllis du doute. Car je demande à qui
que ce foit, s'il n'eft pas invinciblement convaincu en
luy-même qu'il a une différente perception , lorfque de
jour il vient à regarder le Soleil, Se que de nuit il penfe
à, cet Aftre -, lorfqu'il goûte a£tuellement de l'abfynthe 5c
qu'il fent une Rofe, ou qu'il penfe feulement à ce goût
ou à cette odeur? Nous lentons auili clairement la diffé-
rence qu'il y a entre une idée qui eft renouvel lée .dans-
nôtre Efprit par le fecours de la Mémoire,, ou qui nous
vient actuellement dans TEfprit par le moyen des Sens ,
que nous voyons la difterence qui eft entre deux idées
abfolument diftinCtes. Mais II quelqu'un me réplique
qu'un fonge peut faire le même effet , & que toutes ces
Idées peuvent être produites en nous fans l'intervention
d'aucun objet extérieur; qu'il fonge, s'il luy plait, que
je luy répons ces deux chofes : Premièrement qu'il n'im-
porte pas beaucoup que je levé ou non ce fcrupule , car
îi tout n'eft que fonge, le raifonnement & tous les argu-
mens qu'on pourroit faire font inutiles, la Vérité ôc la
Connoiflance n'étant rien du tout: & en fécond lieu,
Qii'il reconnoitra , à mon avis, une difterence tout à
fait fcnfible entre fonger d'être dans un feu , 6c y être
aftuellemeat. Que s'il periifte à vouloir paroitre fccpti-
que
Des Degrez de nôtre Conmifiance. Liv. IV. 685
que jufqu'à foûtenir que ce que j'appelle être aéhielle- Cha»,
ment dans le feu n'eft qu'un fonge, & que par là nous ne II,
(aurions connoître certainement qu'une telle chofe telle
que le Feu exifte aftuellement hors de nous ; je répons
que comme nous trouvons certainement que le Plaifir ou
la Douleur vient en fuite de l'application de certains Ob-
jets fur nous, defquels Objets nous appercevons l'exi-
ftence aûuellement ou en fonge , par le moyen de nos
Sens , cette certitude eft aufli grande que nôtre bonheur
ou nôtre mifére , deux chofes au delà defquelles nous n'a-
vons aucun intérêt par rapport à nôtre ConnoifTance,
ou à nôtre exiftence. C'cft pourquoy je croy que nous
pouvons encore ajouter aux deux précédentes efpéces de
Connoiflance , celle qui regarde l'exiftence des objets
particuliers qui exiftent hors de nous, en vertu de cette
perception 6c de ce fentiment intérieur que nous avons
de l'mtrodudtion actuelle des Idées qui nous viennent de
la part de ces Objets } & qu'ainfi nous pouvons admettre
ces trois fortes de connoiflances , favoir V intuitive , la dé-
tnonfirative y S<. lufenfitive, entre lefquelles on diftingue
différens dégrez & différentes voyes d'évidence 6c de
certitude.
§. 15. Mais puifque nôtre Connoiflance n'eft fondée ^a Ç^nnoiflan;
ôc ne roule que fur nos Idées, ne s'enfuivra-t-il pas de là [ours*ciaire'°°°
qu'elle eft conforme à nos Idées , 6c que par tout oii nos quoy que les
Idées font claires 6c diftinftes , ou obfcures 8c confufes,''^"'''^"'*"'
il en fera de même à l'égard de nôtre Connoiflance?
Nullement i car nôtre ConnoiflTance n'étant autre chofe
que la perception de la convenance ou de la difconvenan-
ce qui eft entre deux idées, fa clarté ou fon obfcurité
confifte dans la clarté ou dans l'obfcurité de cette Per-
ception , 6c non pas dans la clarté ou dans l'obfcurité des
Idées mêmes: par exemple, un homme qui a des idées
auflî claires des Angles d'un Triangle Se de l'égalité à
deux Droits, qu'aucun Mathématicien qu'il y ait dans
le Monde , peut pourtant avoir une perception fort obf-
cure de leur convenance , 6c en avoir par conféquent une
Rrrr 2 con-
684 T^e l'Etendue de la Connoijjance humaine.
Chap. connoiflance fore obfcure. Mais des idées qui font con-
JI, fufes à caufe de leur obfcurité ou pour quelque autre rai-
fon , ne peuvent jamais produire de connoifTance claire
& diftindte, parce qu'à niefure que des idées font confu-
kSi l'Efprit ne fauroit jufque-là appercevoir nettement fi
elles conviennent ou non ; ou pour exprimer la même
chofe d'une manière qui la rende moins fujette à être mal
interprétée, quiconque n'a pas attaché des idées déter-
minées aux Mots j dont il fe fert , ne fauroit en former
des Propofitions de la vérité defquelles il puifle être af-
sûré.
CHAPITRE III.
Chap. T>e l'Etendue de la Connoiffance humaine.
m.
I. Nôtre §• I- T A CoNNOi S S ANC E confiltant, comme nous
Connoiffaiice J|___^ avons déjà dit , dans la perception de la con-
!ktàYe°D'os*" venance ou difconvenance de nos idées , il s'enfuit de là,
idccs. premièrement , Qiie nous ne pouvons avoir aucune con-
noifTance oii nous n'avons aucune idée.
II. Eiiene g 2. En fecond lieu, Oiie nous ne faurions avoir de
s'étend pas plus . ^ , ^
loinque laper- connoilhmce qu autant que nous pouvons appercevoir
ception Hc la cette convenance ou cette difconvenance : Ce qui fe fait ,
de'ïadif"onv°" l- OU par intuition i c'eftàdire, en comparant immedia-
nancedenos tement deux idees j II. ou par raifon, en examinant la
idew. convenance ou la difconvenance de deux idées , p.ir l'in-
tervention de quelques autres idées } III. ou enfin, par
fenfatton, en appercevant l'exiftence des chofcs particu-
lières.
III. Nôtre §. 3. D'où il s'enfuit, en troifiéme lieu, Qiic nous ne
connoiiTance faurjons avoir une connoiflance intuitive qui s'ctende à
intuitive ne -in» i r ■
s'étend point toutcs nos idccs , c< u tout cc que nous voudrions lavoir
atomes icsRe- f^. |gy,. fLijet} parce que nous ne pouvons point examiner
lacions de tou- „ -^ ■ ^ ^, , ■ ■ ,- \
tcsuoside'es. & appercevoir toutes les relations qui le trouvent entre
elles en les coipparant immédiatement lune avec l'autre.
.3 '.'.-. l'ar
De V Etendue de la Conmijfance humaine. Liv.IV. 685
Par exemple, fi j'ai des idées de deux Triangles, l'un Chap,
oxygone Se l'autre amblygone, tracez fur une baze égale IH»
^ entre deux lignes parallèles, je puis appercevoir par
une connoiflance de fimple veùè que l'un n'cft pas l'au-
tre , mais je ne faurois connoître par ce moyen fi ces deux
Triangles font égaux ou non ; parce qu'on ne fauroit ap-
percevoir leur égalité ou inégalité en les comparant im-
médiatement. La différence de leur figure rend leurs par-
ties incapables d'être exaftement 6c immédiatement ap-
pliquées l'une fur l'autre > c'eft pourquoy il eft néceflai-
re de faire intervenir quelque autre quantité pour les me-
furer, ce (^n c'a démontrer , ou connoître par raifon.
§. 4. En quatrième lieu, il s'enfuit aufll de ce qui a iv. Ninûtre
été obfervé cy-deflus, que nôtre Connoiflance raifonnée comioidance
ne peut point embrafler toute l'étendue de nos Idées. '™''" ""^^*
Parce qu'entre deux différentes idées que nous voudrions
•examiner , nous ne faurions trouver toujours des idées
moyennes que nous puiflions lier l'une à l'autre par une
Gonnoiffance intuitive dans toutes les parties de la dédu-
£lion: &: par tout où cela nous manque, la connoiflance
cc la démouftration nous manquent aufll.
§. 5. En cinquième lieu, comme la Connoiflancey?«- v. La Con-
fitive ne s'étend point au delà de l'exiftience des cliofes "O''^^"'^^ '«"fi-
qui frappent a£tuellement nos Sens , elle eft beaucoup ctcnduë que L
moins étendue que les deux précédentes. '^'^"^ préce'den-
§ 6. De tout cela il s'enfuit évidemment que l'éten-
due de nôtre Connoiflance eft non feulement au defTous de fôquencnô'tre'
la réalité des chofes , mais encore qu'elle ne répond pas Connoiiiance
à l'étendue de nos propres idées. Mais quov que nôtre ^"^^'"^ '??'""
■n' r ■ ^ • 1 ' 1 r ^ , 11 quenosldees.
connoiflance le termine a nos idées, de lorte quelle ne
puifle les furpafler ni en étendue ni en perfe£tion ; quoy
que ce foient là des bornes fort étroites par rapport à l'é-
tendue de tous les Etres , &c qu'une telle connoifl^ince
foit bien éloignée de celle qu'on peut juftement fuppofer
dans d'autres intelligences créées, dont les lumières ne fe
terminent pas à l'inftruftion grolfiere qu'on peut tirer de
quelques voyes de perception , en aufll petit nombre, &
Rrrr 3 aufll
^86 De VEtendu'é de la Connoiffance humaine.
CsiA9. auflî peu fubtiles que le font nos Sens^ ce nous feroit
IIL pourtant un grand avantage, fi nôrre connoiflance s'éten-
doit aufli loin que nos Idées , & qu'il ne nous reftât bien
des doutes ôc bien des queftions fur le fujet des idées que
flous avons, dont la folution nous eft inconnue, 6c que
nous ne trouverons jamais dans ce Monde, à ce que je
croy. Je ne doute pourtant point que dans l'état Se la
conftitution préfente de nôtre Nature, la connoiflance
humaine ne pût être portée beaucoup plus loin qu'elle ne
l'a été jufqu'ici, fi les hommes vouloient s'employer fin-
cerement & avec une entière liberté d'efprit , à perfe-
ctionner les moyens de découvrir la Vérité avec toute
l'application 6c toute l'indullrie qu'ils employeur à colo-
rer, ou à foûtenir la Faufleté , à défendre un Syftême
pour lequel ils fe font déclarez , certain Parti , 6c certains
Intérêts où ils fe trouvent engagez. Mais après tout ce-
la , je croy pouvoir dire hardiment , fans faire tort à la
Perfeftion humaine , que nôtre connoiflfance ne fauroic
jamais embrafler tout ce que nous pouvons defirerdecon-
noitre touchant les idées que nous avons , ni lever toutes
les difficultez &c réfoudre toutes les Qiieftions qu'on peut
faire fur aucune de ces Idées. Par exemple , nous avons
éts idées d'un G)uûrréy d'un Cercle , ôc de ce qu'emporte
égalité; cependant nous ne ferons, peut-être, jamais ca-
pables de trouver un Cercle égal à un Quarré , 6c de fa-
yoir certainement s'il y en a. Nous avons des idées de la
Matière &c de la Penfee ; mais peut-être ne ferons-nous
* jamais capables de connoitre fi un Etre purement maté-
riel penfe ou non , par la raifon qu'il nous eft impofllble
de découvrir par la contemplation de nos propres idées,
fans Révélation , fi Dieu n'a point donné à quelques amas
de Matière difpofez comme il le trouve à propos, la puif-
fance d'appercevoir 6c de penfer; ou s'il n'a pas uni 6c
joint à la Matière ainfi difpofée une fubftance immatériel-
le qui penfe. Car par rapport à nos notions il ne nous
eft pas plus mal aifé de concevoir que Dieu peut, s'il
luy plait , ajouter à nôtre idée de la Matière la faculté de
pcn-
•'^i
De V Etendue de la Conmijfance humaine. Liv.IV. 687
penfer, que de comprendre qu'il y joigne une autre fub-
ftance avec la faculté de penfer , puifque nous ignorons
en quoy confifte la penfée , & à quelle efpéce de fubftan-
ces cet Etre tout-puiflant a trouvé à propos d'accorder
cette puiffance qui ne fauroit être dans aucun Etre créé
qu'en vertu du bon plaifir & de la bonté du Créateur. Je
ne vois pas quelle contradi£tion il y a , que Dieu cet E-
tre penfant, éternel & tout-puiffant donne, s'il veut,
quelques dégrez de fentiment , de perception & de pen-
fée à certains amas de Matière créée 6c infenfible, qu'il
joint enfemble comme il le trouve à propos > quoy que
j'aye prouvé, fi je ne me trompe, ÇLiv. If^. Ch. 10.)
que c'eft une parfaite concradi£tion de fuppofer que la
iVIatiére qui de (x nature eft évidemment deftituée de fen-
timent &: de penfée, puifle être ce Premier Etre penfant
qui exifte de toute éternité. Car comment un homme
peut-il s'afsùier, que quelques perceptions, comme vous
diriez le Plaifir & la Douleur, ne fauroient fe rencontrer
dans certains Corps, modifiez Se mus d'une certaine ma-
nière, aulîî bien que dans une fubllance immatérielle en
conléquence du mouvement des parties du Corps ? Le
Corps, autant que nous pouvons le concevoir, n'eft ca-
pable que de frapper uc d'affeder un Corps,. & le Mou-
vement ne peut produire autre chofe que du mouvement,
lî nous nous en rapportons à tout ce que nos Idées nous
peuvent fournir fur ce fajet> de forte que lorfque nous
convenons que le Corps produit le Plaifir ou la Douleur,
ou bien l'idée d'une Couleur ou d'un Son, nous fommes
obligez d'abandonner nôtre Raifon , d'aller au delà de
nos propres idées , & d'attribuer cette produdion au feut
bon plaifir de nôtre Créateur. Car puifque nous fommes
contraints de reconnoître que Dieu a communiqué au
Mouvement des eifets que nous ne pouvons jamais com-
prendre que le Mouvement foit capable de produire,
quelle raifon avons-nous de conclurre qu'il ne pourroit
pas ordonner que ces effets foient produits dans un fujet
que nous ne aurions concevoir capable de les produire
auflt
III,
688 De V Etendue de la Connoijfance humaine.
Çhap. auflî bien que dans un fujet fur lequel nous ne faurions
III. comprendre que le Mouvement de la Matière puifle opé-
rer en aucune manière? Je ne dis point ceci pour dimi-
nuer en aucune forte la créance de Vhnmaterialiré de l'A-
me. |e ne parle point ici de probabilité, mais d'une con-
noiffance évidente -, & je croy que non feulement c'eft
uJie chofe digne de la modeftie d'un Philofophe de ne pas
prononcer en maître, lorfque l'évidence requife pour pro-
duire la connoilîance , vient à nous manquer, mais enco-
re, qu'il nous eft utile de diftinguer jufqu'oii peut s'éten-
dre nôtre Connoifl'ance j car l'état où nous lommes pré-
fentement, n' éza.nx.T^zs, un état de vifioUi comme parlent
les Théologiens, la Foy &: la Probabilité nous doivent
fuffire fur plufieurs chofesi &: à l'égard de V Immatenali-
té de VAme dont il s'agit prefentement , fi nos Facultez
ne peuvent parvenir à une certitude démonftrative fur cet
article, nous ne le devons pas trouver étrange. Toutes
les grandes fins de la Morale 6c de la Religion font éta-
blies fur d'affez bons fondemens fans le fecours des preu-
ves de l'immatérialité de l'Ame tirées de la Philofophie;
puifqu'il eft évident que celui qui a commencé à nous
faire fubfifter ici comme des Etres fenfibles &:intelligens,
Se qui nous a confervez plufieurs années dans cet état,
peut & veut nous fliire jouir encore d'un pareil état de
lénfibilité dans l'autre Monde, &: nous y rendre capables
de recevoir la rétribution qu'il a deftinée aux hommes fé-
lon qu'ils le feront conduits dans cette vie. C'elt pour-
quoy la necellité de fe déterminer pour ou contre l'im-
niaterialité de l'Ame n'eft pas fi grande, que certaines
gens trop pafilonnez pour leurs propres fentimens ont
voulu le perfuader: dont les uns ayant l'Efprit trop en-
fonce, pour ainfi dire, dans la Matière, ne fauroient ac-
corder aucune exiftence à ce qui n'eft pas matériel ; & les
Autres ne trouvant point que la perifee foit renfermée dans
les fiicultcz naturelles de la Matière, après l'avoir exa-
minée en tout fens avec toute l'application , dont ils font
.Ciipables, ont l'afsùrance de conclurre de là, que Dieu
I
De V Etendue de la Connoijfanà humaine. Liv.IV. 689
luy-même ne fauroit donner la vie 6c la perception à une C h a p.
fubftance folide. Mais quiconque conliderera combien 111,
il nous eft difficile d'allier la fenfation avec une matière
étendue, & l'exiftence avec une chofe qui n'ait abfolu-
ment point d'étendue, confeflera qu'il eft fort éloigné de
connoître certainement ce que c'eft que fon Ame. C'eft
là, dis-je, un point qui me femble tout- à-fait au deffus
de nôtre Connoiflance. Et qui voudra fe donner la pei-
ne de confiderer êc d'examiner librement les embarras &z
les obfcuritez impénétrables de ces deux hypothefcs, n'y
pourra guère trouver de rai Ions capables de le déterminer
entièrement pour ou contre la materialtîé àcV Amç-, puif-
que de quelque manière qu'il regarde l'Ame , ou comme
une fubftance non-etendué, ou comme de la Matière é-
tenduè qui penfe , la difficulté qu'il aura de comprendre
l'une ou l'autre de ces chofes, l'entraînera toujours vers
le fentiment oppofé , lorfqu'il n'aura l'Efprit appliqué
qu'à l'un des deux: Méthode deraifonnable qui eft fuivie
par certaines perfonnes , qui voyant que des chofes confi-
derées d'un certain côté font tout-à-fait incompréhenii-
bles, fe jettent tête baiflee dans le parti oppofé, quoy
qu'il foit aufli inintelligible à quiconque l'examine fans
préjugé. Ce qui ne fert pas feulement à faire voirlafoi-
blefîé &: l'imperfeftion de nos Connoiflances , mais auilî
le vain triomphe qu'on prétend obtenir par ces fortes d'ar-
gumens qui fondez fur nos propres veûës peuvent à la
vérité nous convaincre que nous ne faurions trouver au-
cune certitude dans un des cotez de la Queftion , mais
qui par là ne contribuent en aucune manière à nous ap-
procher de la Vérité , fi nous embraflbns l'opinion con-
traire, qui nous paroitra fiijette à d'auffi grandes difficul-
tez, dès que nous viendrons à l'examiner ferieufement.
Car quelle fureté , quel avantage peut trouver un hom-
me à éviter les abfurditez & les difficultez infurmonra-
bles qu'il voit dans une Opinion , fi pour cela il embrafle
telle qui luy eft oppofèe , quoy que bâtie fur quelque
chofe d'auffi inexplicable, £c qui eft autant éloigné de fa
Sflf com-
690 J^n l'Etendue de la ConnoijJ'ance humaine.
Chap. comprehenfion ? On ne peut nier que nous n'ayions en
III. nous quelque chofe qui penfe j le doute même que nous
avons fur fa nature, nous eft une preuve indubitable de
la certitude de fon exiftence , mais il faut fe réfoudre à
ignorer de quelle efpéce d'Etre elle eft. Du refte, c'eft
en vain qu'on voudroit à caufe de cela douter de fon exi-
ftence , comme il eft deraifonnable en plufieurs autres
rencontres de nier pofitivement l'exiftence d'une chofe,
parce que nous ne faurions comprendre fa nature. Car
je voudrois bien favoir quelle eft la Subftance actuelle-
ment exiftante qui n'ait pas en elle-même quelque chofe
qui pafte vifiblement les lumières de l'Entendement Hu-
main. S'il y a d'autres Efpnts qui voyent êc qui connoif-
fent la nature &■ la conftitution intérieure des Chofes,
comme on n'en peut douter , combien leur connoiflance
doit-elle être fuperieure à la nôtre? Et fi nous ajoutons
à cela une plus vafte comprehenfion qui les rende capa-
bles de voir tout à la fois la connexion &: la convenance
de quantité d'idées , 6c qui leur fournifle promptement
les preuves moyennes, que nous ne trouvons que pié-à-
pié, lentement, avec beaucoup de peine , ëc après avoir
tâtonné long-temps dans les ténèbres, fujets d'ailleurs à
oublier une de ces preuves avant que d'en avoir trouvé
une autre, nous pouvons imaginer par conjecture, quel-
le eft une partie du bonheur des Efprits du premier Or-
dre, qui ont la veùè plus vive & plus pénétrante, &: un
champ de connoiflance beaucoup plus vafte que nous.
Mais pour revenir à notre fujet, nôtre connoifi'ance ne fe
termine pas feulement au petit nombre d'idées que nous
avons, &: à ce qu'elles ont d'imparfait, elle refte même
en deçà, comme nous Talions voir à cette heure en exa-
minant jufqu'ou elle s'étei>i.
Jufqu'ou se- g y L^g affirmations ou négations que nous faifons
iioiiUiicc. 'iii" le fujet des idées que nous avons , peuvent le ré-
duire comme j'ai déjà dit en général , ù ces quatre
Efpcces , Identité , Cocxiftcnce , Relation , &: Exijien-
ce rielle. Voyons jufqu'ou nôtre Connoift'ance s'erend
à
Ve VEtendué de la Connoijfance humaine. Liv.IV. 691
à l'égard de chacun de ces articles en particulier. C h a p.
§. 8. Premièrement , à l'égard de l'Jdentité &: de la III.
Diverfité confiderées comme une fource de la convenan- i. Nôtre
ce ou de la difconvenance de nos Idées, nôtre connoif-j?jj"°||H"^^ j^
fance de fimple veûë eft auflî étendue que nos Idées mê- Divetfué v»
meS} car l'Efprit ne peut avoir aucune idée qu'il ne voye ='"''' '°'" ^''^
aulîi-tôt par une connoiflance de fimple veûë qu'elle eft
ce qu'elle eft , Se qu'elle eft différente de toute autre.
§.9. Qiiant à la féconde efpéce qui eft la convenance n, Cfiledc
ou la difconvenance de nos Idées par rapport à Itnrcoëxi- '^ convenance
Jlence , nôtre connoiflance ne s'étend pas fort loin à cet °",^^ '^j^^'^'os
égard , quoy que ce foit en cela que confifte la plusgran- idc'es pu u^-
de & la plus importante partie de nos Connoiflânces tou- P°^^|'J^"^
chant les Subftanccs. Car nos Idées des Efpéces des Sub- ne sctcnd pas
ftances n'étant autre chofe, comme j'ai déjà montré, que^*'"'"'"-
certaines colledlions d'Idées fimples, unies en un fcul fu-
jet, ôc qui par là coëxiftent enfemble; par exemple, nô-
tre idée de la i^/tf»?»î^ eft un Corps chaud, lumineux &c
qui fe meut en haut, oc celle de VOr un corps pefant juf-
qu'à un certain degré, jaune, malléable &; fulible> ces
deux noms de différentes fubftances , Flamme Se Or, fi-
gnifient ces idées complexes ou telles autres qui fe trou-
vent dans l'Efprit des hommes. Et lorfque nous voulons
connoître quelque chofe de plus fur ces Subftances, ou
aucune autre efpéce de fubftances, nos recherches ne ten-
dent qu'à favoir quelles autres Qiialitez ou Puiflànces fe
trouvent ou ne fe trouvent pas dans ces Subftances , c'eft-
à-dire, quelles autres idées fimples coëxiftent, ou ne coëxi-
ftent pas avec celles qui conftituent nôtre idée complexe.
§. 10. Qiioy que ce foit là une partie fort importante Parce que nous
de la fcience humaine, elle eft pourtant fort bornée, S<.'A"°^°"^^^
fe réduit prefque à rien. La raifon de cela eft que ieSciTeiuR°i"^i'iCi-
idées fimples qui compofeiit nos idées complexesdes Sub- p-'-t des idces
ftances, font de telle nature, qu'elles n'emportent avec ''''"'
elles aucune liaifon vifible 6c néceffaire ou aucune incom-
patibilité avec aucune autre idée llmple, dont nous vou-
drions connoître la çoëxiftence avec l'idée complexe que
nçus avons déjà. Sffl 2 §• ii- Les
692 De V Etendue de la Connoiffance humaine.
Chap. §. II. Les Idées dont nos idées complexes des S'.ib-
III. llanccs font compofées , & fur quoy roule prefque toute
Et fur tout la connoiffance que nous avons des Subftances, font cel-
des'^QuaiKez!"* ^^^ ^^^ Sccoudes §lualitez. Et comme toutes ces Secondes
t Liv.ii. Qi-ialitez dépendent, ainfi que nous l'avons -f déjà mon-
ch.viii. fré, des Pr/«2/f>M ^'/^î//rf« des particules infenlibles des
Subftances, ou il ce n'eft de là, de quelque chofe enco-
re plus éloigne de nôtre comprehenlion , il nous eil im-
poflible de connoitre la liaifon ou l'incompatibilité qui
le trouve entre ces Secondes Qiialitez ; car ne connoiflant
pas la fource d'oii elles découlent , je veux dire la grof-
îeur, la figure £c la contexture des parties d'oii elles dé-
pendent, 6c d'où refultent, par exemple, les Qiialitez
qui compofent nôtre idée complexe de l'Or, il efl: im-
poflible que nous puillions connoitre quelles autres Qiia-
litez procèdent de la même conilitution des parties infen-
fibles de l'Or, ou font incompatibles avec elle, Se doi-
vent par conféquent coéxifter toujours avec l'idée com-
plexe que nous avons de l'Or, ou ne pouvoir fubfifter
avec une telle idée.
Parce que nous §. 12. Outre Cette ignorance où nous fommes à l'égard
rc (aurions de- j Trémieres Qualités des parties infenfibles des Corps
couvrir li con ., , , , j '^ 1 V j r> 1 • i ^
iiexionquicft d OU dépendent toutes leurs lecondes Qiiiiiitez , il y aune
filtre aucune jiyf-^g jg-norance encore plus incurable, 6c qui nous met
lecoiide Qualité , ^ . , .^ ._. , '■^
Se les Prémié- dans uuc plus grande impuiliance de connoitre certaine-
les Quaiiiez. ment la coexiflence ou la «(Jw-f<?fA'//?^wre de différentes idées
dans un même fujet, c'eft qu'on ne peut découvrir au-
cune liaifon entre une féconde Qualité fie \cs premières
Qiialitez dont elle dépend.
§• ^3- Qi'^ '^ groffeur , la figure 6c le mouvement
d'un Corps caufent du changement dans la grofleur , dans
la figure èz dans le mouvement d'un autre Corps, c'eft
ce que nous pouvons fort- bien comprendre. Que les par-
ties d'un Corps foient divifées en conféquence de l'intra-
fion d'un autre Corps, ^ qu'un Corps foit transféré du
repos au mouvement par l'impulfion d'un autre Corps,
ces chofes ^ autres femblables nous paroiirent avoir quel-
que
T>e V Etendue de la Connoifjance humaine. Liv.IV. 695
que liaifon l'une avec l'autre: Se fi nous connoiflions ces Ch Ap,
premières Qiialitez des Corps , nous aurions fujet d'efpé- III.
rer que nous pourrions connoître un beaucoup plus grand
nombre de ces différentes manières dont les Corps opè-
rent l'un fur l'autre. Mais nôtre Efprit étant incapable
de découvrir aucune liaifon entre ces premières Qt-ialitez
des Corps, &: les fenfations qui font produites en nous
par leur moyen , nous ne pouvons jamais être en état d'é-
tablir des règles certaines 6c indubitables de laconfèquen-
ce ou de la coèxiftence d'aucunes fécondes Qiialitez,
quand bien nous pourrions découvrir la grolTeur, la figu-
re ou le mouvement des Parties infenfibles qui les pro-
duifent immédiatement. Nous fommes fi éloignez de
connoître quelle figure, quelle grofîeur, ou quel mou-
vement de parties produit la couleur jaune, un goût de
douceur, ou un fon aigu, que nous ne faurions compren-
dre comment aucune grofîeur, aucune figure, ou aucua
mouvement de parties peut jamais être capable de pro-
duire en nous l'idée de quelque couleur , de quelque
goût, ou de quelque fon que ce foit. Nous ne faurions,
•dis-je, imaginer aucune connexion entre l'une 6c l'autre
de ces chofes.
§. 14.. Ainfi quoy que ce foit uniquement par le fe-
cours de nos Idées que nous pouvons parvenir à une
connoiflance certaine 6c générale, c'eft en vain que nous
tâcherions de découvrir par leur moyen quelles font les
autres idées qu'on peut trouver conftamment jointes avec
celles qui conftituent nôtre Idée complexe de quelque
fubftance que ce foit ; puifque nous ne connoiflbns point
la conftitution réelle des petites particules d'où dépen-
dent leurs fécondes Qiialitez , 6c que , fi elle nous étoit
connue , nous ne faurions découvrir aucune liaifon nécef-
faire entre telle ou telle conllitution des Corps 6c aucune
de leurs fécondes Qiialitez , ce qu'il faudroit faire nécef-
fairement avant que de pouvoir connoître leur coèxiften-
ce nccefiaire. Et par confequent, quelle que foit nôtre
idée complexe d'aucune efpéce de" Subftances , à peine
Sfff 3 pou-
6ç}4> ^^ l'Etendue de la Cmnoiff'ame humaine.
Chap. pouvons -nous déterminer certainement, en vertu des
m. Idées fimples qui y font renfermées, la coéxiftence né-
ceflaire de quelque autre Qiialité que ce foit. Dans tou-
tes ces recherches nôtre Connoiflance ne s'étend guère au
delà de nôtre expérience. A la vérité, quelque peu des
premières Qiialitez ont une dépendance néceffaire ôc une
vifible liaifon entr'ellesj ainfi la figure fuppofe néceffai-
rcment l'étendue , &c la réception ou la communication
du mouvement par voye d'impulfion fuppofe la folidité.
Mais quoy qu'il y ait une telle dépendance entre ces
idées , &" peut-être entre quelques autres , il y en a pour-
tant fi peu qui ayent une connexion vifible, que nous ne
fautions découvrir par intuition ou pardémonftrationque
la coéxiftence de fort peu de Qualitez qui fe trouvent
unies dans les Subftances> de forte que pour connoître
quelles Qualitez font renfermées dans les Subftances, il
ne nous refte que le fimple fecours des Sens. Car de tou-
tes les Qiialitez qui coéxiftent dans un fujet fans cette
dépendance & cette évidente connexion de leurs idées,
on n'en fauroit remarquer deux dont on puifl'e connoître
certainement qu'elles coéxiftent, qu'entant que l'Expé-
rience nous en afsûre par le moyen de nos Sens. Ainfi ,
quoy que nous voyions la couleur jaune , & que nous
trouvions, par expérience, la pefanteur, la malléabili-
té, la fufibilité 6c la fixité, unies dans une pièce d'or-,
cependant parce que nulle de ces Idées n'a aucune dépen-
dance vifible, ou aucune liaifon néceflaire avec l'autre,
nous ne faurions connoître certainement que làoùfetrou-
vent quatre de ces Idées, la cinquième y doive étreaulîi,
quelque probable qu'il foit qu'elle y eft eftectivement}
parce que la plus grande probabilité n'emportejamais cer-
titude, fans laquelle il ne peut y avoir aucune véritable
Connoifi!ance. Car la connoiflance de cette coéxiftence
ne peut s'étendre au delà de la perception qu'on en a , &
on ne peut l'appercevoir dans les lujets particuliers que
par le moyen des Sens , ou en général que par la conne-
xion néceflaire des Idées mêmes,.
§. 15. Qiiant
De VEtenduë de la Conmijfance humaine: Liv. IV. 695
§. 15. Qiiant à l'incompatibilité des idées dans un Chap
mémefujetj nous pouvons connoître qu'un fujec ne fau- jjj
roit avoir, de chaque efpéce de premières Qiialitez , La connoiiiàncc
qu'une feule à la fois. Par exemple, une étendue parti- <ie rincompati-
culiére, une certaine figure , un certain nombre de par- dL"siinmcme
ties, un mouvement particulier exclut toute autre éten- fujct, sVtend
due . toute autre fleure, tout autre mouvement Se nom- P',f '?"] ^""^
. r* • celle de leur
bre de parties. Il en eft certainement de même de toutes cocxiftence.
les idées fenfibles particulières à chaque Sens; car toute
idée de chaque forte qui eft préfente dans un fujet, ex-
clut toute autre de cette efpéce, par exemple, aucun fu-
jet ne peut avoir deux odeurs, ou deux couleurs dans un
même temps. Mais, dira-t-on peut-être, ne voit-on pas
dans le même temps deux couleurs dans une Opale , ou
dans l'infufion du Bois, nommé Lignum Nepbnticum?
A cela je répons que ces Corps peuvent exciter dans le
même temps des couleurs différentes dans des yeuxdiver-
fement placez j mais auffi j'ofe dire que ce font différen-
tes parties de l'Objet, qui reflêchiflent les particules de
lumière vers des yeux diverfement placez; de forte que
ce n'eft pas la même partie de l'Objet, ni par conféquent
le même fujet qui paroit jaune 6c azur dans le même
temps. Car il eft aufll impoffible que dans le même temps
une feule &: même particule d'un Corps modifie ou reflê-
chiflé différemment les rayons de lumière, qu'il eft im-
poffible qu'elle ait deux différentes figures &; deux diffé-
rentes contextures dans le même temps.
§. i6. Pour ce qui eft de la puiffance qu'ont les Sub- Ccjle de la
ftances de changer les Qiialitez fenfibles desautres Corps, j"^''],'^,^!^^^^^.^^
ce qui fait une grande partie de nos recherches fur les ne sc'tend pas
Subftances, ôc qui n'eft pas une branche peu importante ^°" ^^'""'•
de nos Connoiffances, je doute qu'à cet égard nôtre Con-
noiffance s'étende plus loin que nôtre expérience, ou que
nous puiffions découvrir la plupart de ces Puiffances ^
être aisùrez qu'elles font dans un fujet en vertu de la liai-
fon qu'elles ont avec aucune des idées qui conilituentfon
effence par rapport à nous. Car comme les Pmjfances
aÛives
696 De V Etendue de la Conmijfance humnine.
C H A p. actives Se pajjives des Corps , &c leurs manières d'opérer
III. confiftcnt dans une certaine contexture &C un certain
mouvement de parties que nous ne fau rions découvrir en
aucune manière , ce n'eft que dans fort peu de cas que
nous pouvons être capables d'appercevoir comment elles
dépendent de quelqu'une des idées qui conftituent l'idée
complexe que nous nous formons d'une telle efpéce de
chofesj ou comment elles leur font oppofées. J'ai fuivi
t Qui expii- en cette occalion l'hypothefe des Philofophes "f Matériau
guem lei tjfets /^.^^j commc ccllc oui nous pcut conduirc plus avant , à
Ae la nature ' ' 1 i-^- II-IIJ /-»1
farhfaiU cc qu on ctoit , dans l cxplication mtelligible dcs (^iiali-
conjiderat^n ^ç^. dcs Cotps : & jc doutc quc l'Entendement humain ,
JetlfiHrr/^foihlc comme il eft , puilTe en fubftituer une autre qui
du mouvnntitt nous donnc une plus ample &: plus nette connoiflance de
i"lZ"" ^' la connexion nécefTaire ik de la coëxiftence desPuiflances
qu'on peut obferver unies en différentes fortes de Corps.
Ce qu'il y a de certain au moins , c'eft que , quelle que
foit l'hypothefe la plus claire &c la plus conforme à la vé-
rité, (car ce n'eft pas mon affaire de déterminer cela pré-
fentement) nôtre Connoiffance touchant les fubllances
corporelles ne fera pas portée fort avant par aucune de ces
hypothefes, jufqu'à ce qu'on nous faffe voir quelles Qiia-
litez fie quelles Puiffances des Corps ont une liaifon ou
une oppofition néceffaire entr'elleS) ce que nous ne con-
noiffons, à mon avis, que jufqu'à un très-petit degré dans
l'état où fe trouve prcfentement la Philofophie. Et je
doute qu'avec les facultcz que nous avons, nous foyions
jamais capables de porter plus avant fur ce point, je ne
<lis pas l'expérience particulière, mais nos Connoiffances
générales. C'eft de l'Expérience que doivent dépendre
toutes nos recherches en cette occafion ; &: il feroit àfou-
haiter qu'on y eut fait de plus grands progrès. Nous
voyons tous les jours combien la peine que quelques per-
sonnes gènèreules ont pris pour cela , a augmente le fonds
des Connoiffances Phyfiques. Si d'autres perfonncs 6c
iur tout les Chymiftes, qui prétendent perfeftionner cet-
te partie de nos connoiffances , avoient été aufli exafts
dans
De l'Etendue de la Connoijfance humaine. Liv. IV. 6^7
dans leurs obfcrvations 6c aufli fincéres dans leurs rapports C h A p.
que devroient l'être des gens qui fe difent PhilojbpheSi III.
nous connoîtrions beaucoup mieux les Corps qui nous
environnent , ôc nous pénétrerions beaucoup plus avant
dans leurs Puiflances &; dans leurs opérations.
§. 17. Si nous fommes fi peu inftruits des Puiflances & LaconnoiiTaiice
des Opérations des Corps , je croy qu'il eft aifé de con- 5"^ ''°"^ *'"J"*
clurre que nous lommes dans de plus grandes ténèbres a encore plus
l'égard des Efprits , dont nous n'avons naturellement ^aiwit.
pomt d'autres idées que celles que nous tirons de l'idée
de nôtre propre Efprit en refléchiflant fur les opérations
de nôtre Ame, autant que nos propres obfcrvations peu-
vent nous les faire connoître. J'ai propofé ailleurs en
paflant une petite ouverture à mes Lecteurs pour leur
donner lieu de penfer combien les Efpnts qui habitent nos
Corps, tiennent un rang peu confiderable parmi ces dif-
férentes, & peut-être innombrables Efpéccs d'Etres plus
excellens , 6c combien ils font éloignez d'avoir les qua-
litez.6c les perfections des Chérubins 6c des Séraphins y Se
d'une infinité de fortes d'Efprits qui font au defl'us de
nous.
§. 18. Pour ce qui efl: de la troifiéme efpéce de Con- in. \\ ncft
noiffance, qui eft la convenance ou la difconvenance de P^^2■'"'^',^<^"'«-
quelqu'une de nos idées, confiderées dans quelque autre de n'élue côn-
rapport que ce foit ; comme c'eft là le plus vafte champ noiiiancc des
de nos Connoifïïmces, il eft bien difficile de déterminer j||,'[," La'Mo-
jufqu'où il peut s'étcftdre. Parce que les progrès qu'on «le eii <rap.ibic
peut faire dans cette partie de nôtre Connoiifance, dépen- ''.* Demonftu-
dent de nôtre fugacité à trouver des idées moyennes qui
puiflént faire voir les rapports des idées dont on ne confi-
dére pas la coëxiftence, il eft mal-aifé de dire quand c'eft
que nous -fommes au bout de ces fortes de découvertes,
êc que la Raifon a tous les fecours dont elle peut faire
ufage pour trouver des preuves, 6c pour examiner la con-
venance ou la difconvenance des iàécs éloignées Ceux
qui Ignorent VAlgeire ne faurcient fe figurer les choies
étonnantes qu'on peut faire en ce genre par le moyeu de
Tttt cet-
698 De l'Etendue de la Connoiffance humaine.
C H A p. cette Science ; & je ne vois pas qu'il foit facile de déter-
III. miner quels nouveaux moyens de perfedionner les autres
parties de nos Connoiflances peuvent être encore inven-
tez par un Efprit pénétrant. Je croy du moins que les
Idées qui regardent la Qiiantité , ne font pas les feules
capables de demonftrationj mais qu'il y en a d'autres qui
font peut-être la plus importante partie de nos Contem-
plations , d'où l'on pourroit déduire des connoiflances
certaines, files Vices, les Pallions, &: des Intérêts do-
minans, ne s'oppofoient dire£tement à l'exécution d'une
telle entreprife.
L'idée d'un Etre fuprême , infini en puifTance , en
bonté &: en fagefl'e, qui nous a faits, èc de qui nous dé-
pendons > &: l'idée de Nous-mêmes comme de Créatures
Intelligentes & Raifonnables , ces deux Idées, dis-je, é-
tant une fois clairement dans notre Efprit, en forte que
nous les confiderailions comme il faut pour en déduire
les confequences qui en découlent naturellement, nous
fourniroient , à mon avis , de tels fondemens de nos De-
voirs , &c de telles régies de conduite , que nous pour-
rions par leur moyen élever la Morale au rang des Scien-
ces capables de Demonftration. Et à ce propos je ne fe-
rai pas difficulté de dire, que je ne doute nullement qu'on
ne puiffe déduire, de Propoiltions évidentes par elles-
mêmes, les véritables mefures du Jufte &: de l'Injufte par
des confequences néceflaires , 6c auffi inconteftables que
celles qu'on employé dans les Mathématiques , fi l'on
veut s'appliquer à ces difcufllons de Morale avec la mê-
me indiiférence 6c avec autant d'attention qu'on s'attache
à fuivre des raifonnemens Mathématiques. On peut ap-
percevoir certainement les rapports des autres Modes aufli
bien que ceux du Nombre &c de l'Etendue} S>: je ne fau-
rois voir pourquoy ils ne feroient pas auffi capables de
demonftration , fi on fongeoit à fe faire de bonnes métho-
des pour examiner pié-à-pié leur convenance ou leur dif-
convenance. Par exemple , cette Propofition , // nefan-
roit y avoir de l'mjnjlice oh il n'y a point de propriété 3 eft
auffi
on a
iàccs
De V Etendue de la CoptoiJJ'ance humaine. Liv.IV. 699
auflî certaine qu'aucune Démonftration qui foit dans Eu- C h a p
clide ; car l'idée de propriété étant un droit à une certaine III.
chofc} & l'idée qu'on défigne par le nom d'injujlice étant
l'invafton ou la violation d'un Droit, il eft évident que
ces idées étant ainfî déterminées , & ces noms leur étant
attachez, je puis connoître auiîi certainernent que cette
Propofition eft véritable que je connois qu'un Triangle a
trois angles égaux à deux Droits. Autre Propolition
d'une égale certitude , Nul Gouvernement n^ accorde une
abfolue liberté; car comme l'idée du Gouvernement eft un
établiflement de fociété fur certaines régies ou Loix dont
il exige l'exécution , & que l'idée d'une abfolué liberté eft
à chacun une puiflance de faire tout ce qu'il luy plaît , je
puis être aufîî certain de la vérité de cette Propofition
que d'aucune qu'on trouve dans les Mathématiques.
§. 19. Ce qui a donné à cet égard, l'avantage aux Deux ciH>rcs
idées de Quantité , &: les a fait croire plus capables de P°"-,^"'^T,
certitude & de démonftration, c eft, Mor.i!cîiiic3pa
Premièrement , qu'on peut les repréfenter par des mar- ^'" ^'= ^'-''n<"«-
ques fenfibles qui ont une plus grande & plus étroite cor- i.'^pjr'c" qu'elles
refpondance avec elles, que quelques mots ou fons qu'on ne peuvent être
puifle imaginer. Des figures tracées fur le Papier font au- p7r jcsm"ques
tant de copies des idées qu'on a dans l'Efprit , 6c qui ne ibndbics ; &
font pas fuiettes à l'incertitude que les Mots ont dans leur f- F^" fi "''•■'-
lignmcation. Un Angle, un Cercle, ou un Qiiarre qu on^compicies.
trace avec des lignes, paroît à la veùë, fans qu'on puifle
s'y méprendre, il demeure invariable , & peut être con-
ilderé à loifir ; on peut revoir la démonftration qu'on a
faite fur fon fujet , & en confiderer plus d'une fois toutes
les parties fans qu'il y ait aucun danger que les idées chan-
gent le moins du monde. On ne peut pas faire la même
chofe à l'égard des idées Morales -, car nous n'avons point
de marques fenfibles qui les repréfentent, & par où nous
puiftions les expofer aux yeux. Nous n'avons que des
mots pour les exprimer > mais quoy que ces mots reftent
]es mêmes quand ils font écrits , cependant les idées
qu'ils lignifient, peuvent varier dans le même homme j
Tttt 2 &
700 "De V Etendue de la Conn^iJ^ance humaine.
C H A p. & il eft fort rare qu'elles ne Ibient pas différentes en dif-
111. férentes perfonnes.
En fécond liea , une autre chofe qui caufe une plus
grande difficulté dans la Morale, c'efl: que les Idées Mo-
rales font communément plus complexes que celles des
Figures qu'on' confidére ordinairement dans les Mathé-
matiques. D'oii il naît ces deuK inconveniens, le pre-
mier que les noms des idées morales ont une fignification
plus incertaine, parce qu'on ne convient pas li aifément
de la coUeftion d'Idées fimples qu'ils fignifient précifé-
ment; &: par conféquent le iigne qu'on met toujours à
leur place lorfqu'on s'entretient avec d'autres perfonnes,
&■ fouvent en méditant en foy-même, n'emporte pas con-
ftamment avec luy la même idéej ce qui caufe le même
défordre &: la même méprife qui arrivcroit, li un homme
voulant démontrer quelque chofe d'un Heptagone omet-
toit dans la figure qu'il feroit pour cela un des angles,
on donnoit fans y penfer, à la Figure un angle de plus
que ce nom-là n'en défigne ordinairement, ou qu'il ne
vouloit luy donner la première fois qu'il penfa à fa Dé-
monftration. Cela arrive fouvent , ôc à peine peut-on
l'éviter dans chaque idée complexe de Morale, où en re-
tenant le même nom, on omet ou l'on infère, dans un
temps plutôt que dans l'autre, un Angle, c'eft à dire une
idée llmple dans une Idée complexe qu'on appelle tou-
jours du même nom. Un autre inconvénient qui naît de
la complication des Idées morales, c'eft que l'Efprit ne
fauroit retenir aifément ces combinaifons précifes d'une
manière aufll exafte £c aulli parfaite qu'il eft néceflaire
pour examiner les rapports, les convenances, ou les dif-
convenances de plufieurs de ces Idées comparées l'une à
l'autre. Se fur tout lorfqu'on n'en peut juger que par de
longues déductions, &: par l'intervention de plufieursau-
îres Idées complexes dont on fc fert pour montrer la con-
venance de deux Idées éloignées.
Le grand fecours que les Mathématiciens ont trouvé
contre cet inconvénient dans les Figures qui étant une
fois
Ve V Etendue delà ConnoiJSance humaine. "Liv. TV. 70 r
fois tracées reftent toujours les mêmes, eft fort vifiblej Chap.
& en effet fans cela , la Mémoire auroit fouvent bien de III.
la peine à retenir ces Figures fi exactement, tandis que
l'Elprit en parcourt les parties pié-à-pié, pour en exami-
ner les différens rapports. Et quoy qu'en aflemblant une
grande femme dans Vjiddition , dans la Multiplication , ou
dans la Divifion, où chaque partie n'eft qu'une progref-
fion de l'Efprit qui envifage fes propres idces, Scquicon-
fidére leur convenance ou leur difconvenance, la refolu-
tion de la Qiieftion ne foit autre chofe que le refultat du
Tout compofé de nombres particuliers dont l'Efprit a
une claire perception -, cependant li l'on ne défigne les
différentes parties par des marques dont la fignification
précife foit connue, 6c qui reftent & demeurent en veùë
ïorfque la Mémoire les a laifle échapper, il feroit pref-
que impollible de retenir dans l'Efprit un iî grand nom-
bre d'idées différentes, fans brouiller ou laiffer échapper
quelques articles du Compte , & par là rendre inutiles
tous les raifonnemens que nous ferions fur cela. Dans ce
cas les chiffres n'aident en aucune manière à faire apper-
cevoir à l'Efprit la convenance de deux ou de plufieurs
nombres , leurs égalitez ou leurs proportions -, ce que
l'Efprit fait uniquement par l'intuition "des idées qu'il a
des nombres mêmes. Les cara6téres numériques fervent
feulement à la Mémoire pour cnregîtrer Se conferver les
différentes idées fur lefquelles roule la Démonftration; &
par leur moyen un homme peut connoître jufqu'où eft
parvenue fa Connoiflance intuitive dans l'examen de plu-
fieurs de ces nombres particuliers > afin que par là il puif-
fe avancer fans confufion vers ce qui luy eft encore in-
connu. Se avoir enfin devant luy, d'un coup d'œuil, le
refultat de toutes fes perceptions & de tous (es raifonne-
mens.
§. 20. Un moyen par où l'on peut beaucoup remédier Moyens pour
à une partie de ces inconveniens qui fe rencontrent dans j^™*^*^'"^"^
les Idées Morales 6c qui les ont fait regarder comme in-
capables de démonftration , c'eft d'expofer, par des dé-
Tttt 3 fini-
70 2 De l'Etendue de la Conmijptnce humaine.
C H A p. finitions , la colleftion d'idées fimples que chaque terme
III. doit fignifier, &z d'employer enfuite les termes pour dé-
figner conftamment cette colle£tion précife. Du relie,
il n'ell pas aifé de prévoir quelles méthodes peuvent être
luggerées par VÂlgebre ou par quelque autre moyen de
cette nature , pour écarter les autres difficultez. Je fuis
afsûré du moins que, fi les hommes vouloient s'appliquer
à la recherche des Veritez morales félon la même métho-
de, ôc avec la même indifférence qu'ils cherchent les Ve-
ritez Mathématiques > ils trouveroient que ces premières
ont une plus étroite liaifon l'une avec l'autre, qu'elles
découlent de nos idées claires & diftinâres par des confe-
quences plus nécefiaires , &c qu'elles peuvent être démon-
trées d'une manière plus parfaite qu'on ne croit commu-
nément. Mais il ne faut pas efpérer qu'on s'applique
beaucoup à de telles découvertes, tandis que le defir de
l'Eftime , des Richefles ou de la Puiflance portera les
hommes à époufer les opinions autorifées par la Mode,
& à chercher en fuite des Argumens ou pour les faire paf-
fer pour bonnes, ou pour les farder, & pour couvrir leur
difformité. Car comme rien n'eft aufll agréable à l'Oeuil
que la Vérité l'cft à l'Efprit , il n'y a rien de fi diftbrme,
& de fi incompatible avec l'Entendement que le Mcn-
fonge. Un homme peut bien reconnoîtrc pour fa femme
avecaflcz de plaifir une perfonne qui ne foit pas fort bel-
le } mais qui eft aHcz hardi pour avouer ouvertement
qu'il a époufé la FaufTeté, Se reçu dans fon fein une cho-
fe aullî affreufe que le Menfonge.' Pendant que les difFé-
rens Partis font recevoir leurs opinions à tous ceux qu'ils
peuvent avoir en leur puiflance, fans leur permettre d'exa-
miner fi elles font fiuiflcs ou véritables , 6c qu'ils ne veu-
lent pas laifl'er , pour ainfi dire, à la Vérité fes coudées
franches, ni aux hommes la liberté de la chercher, queis
progrès peut-on efpérer de ce côtè-là, quelle nouvelle
lumière pcur-on efpérer dans les Sciences qui appartien-
nent à la Morale? Cette partie du Genre Humain qui cû
fous le joug, devroit attendre, au lieu de cela, dans la
plû-
De V Etendue de la Conmiffance humaine. Liv.IV. 703
plupart des Lieux du Monde, les ténèbres auflî bien que C h a p.
l'efclavage d'Egypte , fi la Lumière du Seigneur ne fe IIL
trouvoit pas d'elle-même préfente à l'Efprit des hommes -,
lumière facrée que tout le pouvoir des hommes ne fauroit
éteindre entièrement.
§. 21. Qiiant à la quatrième forte de Connoiflance ^^- A''^'g"<i
que nous avons , qui eft de Texiftence réelle & aftuelle t^eUf ^ iJ^^
des chofesj nous avons une connoiflance intuitive de nô- ■*'"'" une con.
tre exiftence , & une connoiflance dèmonftrative de l'exi- "ivfdrnô"rr"
flence de Dieu. Pour l'exiftence d'aucune autre chofe Exiftence , une
nous n'en avons point d'autre qu'une connoifl^ance fenfi- fj^-°'^^^^^
tive qui ne s'étend point au delà des objets qui font pré- de Dieu, & une
fens à nos Sens. 'ci"fic°«^dT
§. 22. Nôtre Connoifl^ance étant refl'errèe dans des quelque pj'^
bornes fi étroites, comme je l'ai montré j pour mieux ^'autres cho-
voir l'état prèfent de nôtre Efprit, il ne fera peur-être pas "'
inutile d'en confidèrer un peu le côté obfcur, & de pren- deTft'nôtf""'
dre connoifl'ance de nôtre propre Ignorance, qui étant ignorance »
infiniment plus étendue que nôtre Connoifl"ance, peut fer-
vir beaucoup à terminer les Difputes & à augmenter les
connoiflanccs utiles , fi après avoir découvert jufqu'où
nous avons des idées claires Se diftinftes, nous terminons
nos penfées à la contemplation des chofes qui font à la
portée de nôtre Entendement, & que nous ne nous en-
gagions point dans cet abyme de ténèbres (oîi nos Yeux
nous font entièrement inutiles , &: où nos Facultez ne
fauroient nous faire appercevoir quoy que ce foit } entê-
tez de cette folle penfée que rien n'eft au deflîis de nôtre
comprehenfion. Mais nous n'avons pas befoin d'aller fort
loin pour être convaincus de l'extravagance d'une telle
imagination. Qiiiconque fait quelque chofe , fait avant
toutes chofes qu'il n'a pas befoin de chercher fort loin des
exemples de fon Ignorance. Les chofes les moins confi-
derables & les plus communes qui fe rencontrent fur nô-
tre chemin , ont des cotez obfcurs où la Veûë la plus pé-
nétrante ne fauroit fe faire jour. Les hommes accoutu-
mez à pesfer , Ce qui ont l'Efprit le plus net & le plus
éten-
•/oj^, De l'Etendue de la Connoijfancé humaine.
Chap. étendu, fe trouvent enibarraflez &c hors de route, dans
III. l'examen de chaque particule de Matière. C'eft dequoy
nous ferons moins furpris , fi nous conllderons les Canf'es
de nôtre Ignorance , lefquelles peuvent être réduites à ces
trois principales, Il je ne me trompe.
La première , que nous manquons d'Idées.
La féconde, que nous ne faurions découvrir la conne-
xion qui eft entre les idées que nous avons.
Et la troifiéme, que nous négligeons de fuivre & d'exa-
miner exactement nos idées.
I Une des S. 2^. Premièrement, il v a certaines chofes, & qui
caufes de notre *V -" . , •' . r
Ignorance, Hc font pas cn petit nombre , que nous ignorons raute
c'cft que nous d'IdécS.
d'e^es^oTde'^cê'!- E" premier lieu , toutes les Idées fimples que nous
les qui font au avons, font bornées à celles que nous avons par les Sens
*^'^'^'' "^hen"'^ ou par Ics opérations de nôtre Efpritj c'eft dequoy nous
fo^^ ou de fommes convaincus en nous-mêmes. Or ceux qui ne font
celles que nous p^j ailéz dcftitucz de raifon pour fe figurer que leurcom-
point en pacti- prehenfioD S étende a toutes choies, n auront pas de pei-
cniier. ne à fe convaincre que ces chemins étroits £c en fi petit
nombre n'ont aucune proportion avec toute la valle éten-
due des Etres. Il ne nous appartient pas de déterminer
quelles autres idées fimples peuvent avoir d'autres Créa-
tures dans d'autres parties de l'Univers, par d'autres Sens
êc d'autres Facultez plus parfaites &: en plus grand nom-
bre que celles que nous avons, ou ditferentes de celles
que nous avons. Mais de dire ou de penfer qu'il n'y a
point de telles facultez parce que nous n'en avons aucu-
ne idée, c'cft raifcnncr aufli jufte qu'un Aveugle qui foù-
ticndroit qu'il n'y a ni Veùé ni Couleurs, parce qu'il
n'a abfolument point d'idée d'aucune telle choie, &: qu'il
ne fauroit fe reprefenter en aucune manière ce que c'eft
que voir. L'ignorance qui eft cn nous, n'cTiipéche ni
ne borne non plus la connoiflance des autres, que le dé-
faut de la veùé dans les Taupes empêche les Aigles d'a-
voir les yeux i\ perçans. Qiiiconquc confidercra la puif-
fance infinie j la fagcflé ^ la bontc du CrCvXtcur de tou-
tes
De V Etendue de la Connaiptnce himaine. Liv.IV. 70^
tes chofes , aura tout fujct de penfer que ces grandes Ver- C h a p.
tus n'ont pas été bornées à la formation d'une Créature HI.
auffi peu confiderable & aufll impuiflante que luy paroî-
tra l'Homme , qui félon toutes les apparences tient le
dernier rang parmi tous le> Etres Intelle£tuels. Amft
nous ignorons de quelles facultez ont été enrichies d'au-
tres Efpéces de Créatures pour pénétrer dans la nature 6c
dans la conltitution intérieure des Chofes , ôc quelles
idées elles peuvent en avoir, entièrement ditférentes des
nôtres. Une chofe que nous favons ôc que nous voyons
"certainement, c'eft qu'il nous manque d'en avoir d'autres
connoiffances que celles que nous en avons , pour les voir
d'une manière plus parfaite. Et il nous efl: aifé d'être
convaincus , que les idées que nous pouvons avoir par le
fecours de nos Facultez , n'ont aucune proportion avec
les Chofes mêmes , puifque nous n'avons pas une idée
claire èc diftin£te de la Subftance même qui eft le fonde-
ment de tout le refte. Mais un tel manque d'idées étant
une partie aufll bien qu'une caufe de nôtre Ignorance , ne
fauroit être fpecilîé. Ce que je croy pouvoir dire hardi-
ment flir cela, c'eft que le Monde Intellectuel &: le Mon-
de Matériel font parfaitement femblables en ce point,
Qiie la partie que nous voyons de l'un ou de l'autre n'a
aucune proportion avec ce que nous ne voyons pas, 6c
que tout ce que nous en pouvons découvrir par nos yeux
ou par nos penfées , n'eft qu'un point , 6c prefque rien en
comparaifon du refte.
§. 24. En fécond lieu , une autre grande caufe de nô- Parce que !«
tre Ignorance , c'eft le manque des Idées que nous fom- J^p'^dioitu'cz
mes capables d'avoir. Car comme le manque d'idées que de nous.''
nos Facultez font incapables de nous donner , nous ôte
entièrement la veûe des chofes qu'on doit fuppofer rai-
fonnablément dans d'autres Etres plus parfaits que nousi
ainfi le manque des idées dont je parle préfentement,
nous retient dans l'ignorance des chofes que nous conce-
vons capables d'être connues par nous. La grojfeur y la
fgtire 6c le mouvement font des chofes dont nous avons
Vvvv des
7o6 De l'Etendue àe la Connoiffance humainf.
C H A p. des idées. Mais quoy que les idées de ces premières ^tit"^
111. htez des Corps ne nous manquent pas; cependant C(>m-
rne nous ne connoiflbns pas ce que c'eft que la groffeur
particulière, la figure 6c le mouvement de la plus grande
partie des Corps de l'Univers, nous ignorons les diffé-
rentes puifl'ances , produftions & manières d'opérer, par
où font produits les Effets que nous voyons tous les
jours. Ces chofes nous font cachées en certains Corps
parce qu'ils font trop éloignez de nous, &c ert d'autres
parce qu'ils font trop petits. Si nous confiderons l'extrê-^
me dilîance des parties du Monde qui font expofées à
nôtre veûè & dont nous avons quelque connoiflancç, &
les raifons que nous avons de penfer que ce qui eft expo-
fé à nôtre veûè n'eft qu'une petite partie de cet immenfe
Univers, nous découvrirons aufli-tôt un vafte abyme
d'ignorance. Le moyen de favoir quelles font les fabri-
ques particulières des grandes Mafles de matière qui com-
pofent cette prodigieufe machine d'Etres corporels; juf-
qu'où elles s'étendent > quel eft leur mouvement; com-
ment il eft perpétué ou communiqué, 6c quelle influen-
ce elles ont l'une fur l'autre : Ce font tout autant de re-
cherches où nôtre Efprit fe perd dès la première reflexion
qu'il y fait. Si nous bornons nôtre contemplation à ce
petit Coin de l'Univers où nous fommes renfermez, je
veux dire au Syftème de nôtre Soleil 6c à ces grandes
MafTes de matière qui roulent vifiblement autour de luy,
combien de diverfes fortes de Végétaux, d'Animaux &:
d'Etres corporels, douez d'intelligence, infiniment dif-
férens de ceux qui vivent fur nôtre petite Boule, peut-il
y avoir, félon toutes les apparences, dans les autres Pla-
nètes , defquels nous ne pouvons rien connoître , pas
même leurs figures & leurs parties extérieures, pendant
que nous fommes confinez dans cette Terre; puifqu'il
n'y a point de voyes naturelles qui en puiflent introduire
dans nôtre Efprit des idées certaines par Senfation ou par
Reflexion. Toutes ces chofes, dis-je, font au delà de
îa portée de ces deux fources de toutes nos ConnoifTan-
De r Etendue de la Conmiffance humaine. Liv.IV. 707
ces i de forte que nous ne faurions même conjecturer de- C h a p.
quoy font parées ces Régions &: quelles fortes d'habitans .111.
il y a , tant s'en faut que nous en ayions des idées clai-
res & diftinftes.
§. 25. Si une grande partie, ou plutôt la plus grande Parce qu'ils
partie des différentes efpéces de Corps qui font dans ^'"" ""^^ ^'^'
l'Univers , échappent à nôtre ConnoilTance à caufe de
leur éloignement; il y en a d'autres qui ne nous font pas
moins cachez par leur extrême- petitefTe. Comme ces
corpufculcs infeniibles font les parties a£tives de la Ma-
tière & les grands inftrumens de la Nature , d'où dépen-
dent -non feulement toutes leurs Secondes §luali(ez, mais
auflî la plupart de leurs opérations naturelles , nous nous
trouvons dans une ignorance invincible de ce que nous
defîrons de connoître fur leur fujet , parce que nous n'a-
vons point d'idées précifes èc diftinftes de leurs premiè-
res Qiialitez. Je ne doute pas, que, fi nous pouvions
découvrir la figure, la grofléur, la contexture & le mou-
vement des petites particules de deux Corps particuliers,
nous ne puffions connoître , fans le fecours de l'expé-
rience, plufieurs des opérations qu'ils feroient capables
de produire l'un fur l'autre , comme nous connoiflbns
preléntement les propriétez d'un Qiiarré ou d'un Trian-
gle. Par exemple , fi nous connoifîions les affedtions
mécaniques des particules de la Rhubarh ^ de la C;>?/c,
de VOpiiim & d'un Homme , comme un Horloger connoit
celles d'une Montre par oîi cette Machine produit fes
opérations, 6c celles d'une Lime qui agiflant fur les par-
ties de la Montre doit changer la figure de quelqu'une de
fes roués , nous ferions capables de dire par avance que
la Rhubarbe doit purger un homme, que la Ciguë le
doit tuer,. 6c l'Opium le faire dormir, tout ainfi qu'un
Horloger peut prévoir qu'un petit morceau de pipier
pcfé fur le Balancier, empêchera la Montre d'iUer, luf-
qu'a ce qu'il f;Mt ôré , ou qu'une certaine petite partie de
cette Machme étant détachée par la L.imc, !un mouve-
jnent ceflcra entièrement, 6c que la Montre n'ira plus.
V V v v 2 En
708 De VEtmduè de la Connoijfancé himaîne.
Chap. En ce cas, la raifon pourquoy l'Argent fe difToiit dai?s
III. l'Eau forte, &c non dans l'Eau Regale où l'Or fe diflbut
quoy qu'il ne fe diflblve pas dans l'Eau forte , feroit peut-
être aulTi facile à connoître , qu'il l'eft à un Serrurier de
comprendre pourquoy une clé ouvre une certaine ferru-
.,„^., re S>c non pas une autre. Mais pendant que nous n'avons
pas des Sens aflêz pénétrans pour nous faire voir les peti-
tes particules des Corps & pour nous donner des idées de
leurs afteftions mécaniques, nous devons nous réfoudre à
ignorer leurs propriétez &c la manière dont ils opèrent»
& nous ne pouvons être afsûrez d'aucune autre chofe fur
leur fujet que de ce qu'un petit nombre d'expériences
peut nous en apprendre. Mais de favoir fi ces expérien-
ces réu (liront une autre fois, c'eft dequoy nous ne pou-
vons pas être certains. Et c'eft là ce qui nous empêche
d'avoir une connoiflance certaine des Véritez univerfel-
ks touchant les Corps naturels ; car fur cet article nôtre
Raifon ne nous conduit guère au delà des Faits particu-
liers.
D'où il s'enfuit §. 26. C'cft poufquoy quclquc loin que l'induftrie
i]\ie nous n'a- j^^mainc puifTe porter la Philofophie Expérimentale fur
vous aucune r r ■ r ■ ' j ■
fcn:w:fram-t dcs chofcs Phyliques , je luis tente de croire que nous ne
fcienufi,jHt tou- pourrons jamais parvenir fur ces matières à une connoif-
Co^rpl" imce fcientifique i fi j'ofe m'exprimer ainll , parce que
nous n'avons pas des idées parfaites êc complettes de ces
Corps mêmes qui font le plus près de nous èc le plus à
nôtre difpofition. Nous n'avons, dis-je, que des idées
fort imparfaites êc incomplettes des Corps que nous a-
vons rapportez à certaines ClalTcs fous des noms géné-
raux Se que nous croyons le mieux connoître. Peut-être
pouvons-nous avoir des idées diftin£tes de différentes for-
tes de Corps qxii tombent fous l'examen de nos Sens>
mais je doute que nous ayions des idées complettes d'au-
cun d'eux. Et quoy que la première manière de connoî-
tre ces Corps nous lufiife pour l'ufage 6c pour le difcours
ordinaire , cependant tandis que la dernière nous man^
quci nous ne femmes point capables d'une Connoijjfarjct
fcien-^
De l'Etendue de la ConnoiJJ'ancè humaine. Liv.IV. 709
fcientifique , & nous ne pourrons jamais découvrir fur leur C h a p\
fujet des veritez générales , inftruftives &: entièrement III^
inconteftables. La Certitude & la De'monjlration font des
chofes auxquelles nous ne devons point prétendre fur ces
matières. Par le moyen de la couleur, delà figure, du
goùt> de l'odeur 8c des autres Qualitez fenfibles, nous
avons des idées aufll claires ^ aufli diftindres de la Sauge
& de la Ciguë que nous en avons d'un Cercle Se d'un
Triangle j mais comme nous n'avons point d'idée des
premières Qiialitez des particules infenfibles de l'une &
de l'autre de ces Plantes ôc des autres Corps auxquels
nous voudrions les appliquer, nous ne faurions dire quels
effets elles produiront > & lorfque nous voyons ces effets ,
nous ne faurions conje£turer la manière dont ils font pro-
duits bien loin de la connoître certainement. Ainlî, n'a-
yant point d'idée des particulières affe£tions mécaniques
des petites particules des Corps qui font près de nous j,
nous Ignorons leurs conilitutions , leurs puiffances & leurs
opérations. Pour les Corps plus éloignez, ils nous font
encore plus inconnus, puifque nous ne connoiflbns pas
même leur figure extérieure , ou les parties fenfibles 6c
groffiéres de leurs Conftitutions.
§■ 2j. Il paroît d'abord par là combien nôtre Con- Encore moiiig
noiflance a peu de proportion avec toute l'étendue des J?"'^''-^"^ '^
très mêmes matériels. Qiie fi nous ajoutons a cela la
confideration de ce nombre infini d'Efprits qui peuvent
exifter & qui exiftent probablement , mais qui font en-
core plus éloignez de nôtre Connoiflance , puifqu'ils
nous font abfolument inconrais Se que nous ne faurions
nous former aucune idée diftinfte de leurs difïcrens or-
dres ou différentes Efpéces; nous trouverons que cette
Ignorance nous cache dans une obfcuritc impénétrable
prefque tout le Monde intelleâruel, qui certainement eft
& plus grand & plus beau que le Monde matériel. Car
excepté quelque peu d'idées fort fiiperficielles que nous
nous formons d'un Efprit par la reflexion que nous fai-
fons fiu: nôtre propre Efpnt , d'où nous déduifons le
Vvvv 3 mieu.^
710 De V Etendue de la Connoijfance humaine'.
Chap. mieux que nous pouvons l'idée du Père des Efprits, cet
JII. Etre éternel èc indépendant qui a fait ces excellentes
Créatures , qui nous a faits avec tout ce qui exifte > nous
n'avons aucune connoiflance des autres Efprits , non pas
même de leur exiftence , autrement que par le fecours de
la Révélation. L'exiftence actuelle des Anges & de leurs
différentes Efpéces, eft naturellement au delà de nos dé-
couvertes ; & toutes ces Intelligences dont il y a appa-
remment plus de diverfes fortes que de Subftanccs corpo-
relles , font des chofes dont nos Facultez naturelles ne
nous apprennent abfolument rien d'afsùré. Chaque hom-
me a fujet d'être perfuadé par les paroles fie les actions
des autres hommes qu'il y a en eux une Ame> un Etre
penfant aulli bien que dans foy-méme ; Se d'autre part la
connoiflance qu'on a de fon propre Efprit, ne permet pas
à un homme qui fait quelque reflexion fur la caufe de fon
exifl:ence d'ignorer qu'il y a un D i e u. Mais qu'il y ait
des dégrez d'Etres Ipirituels entre nous & Dieu, qui elt-
ce qui peut venir à le connoitre par fes propres recher-
ches & par la feule pénétration de fon Efprit? Encore
moins pouvons nous avoir des idées diftindes de leurs
difljérentes natures, conditions, états, puiflances Se di-
verfes conltitutions, par où ces Etres différent les uns
des autres fie de nous. C'efl:pourquoy nous fommes dans
une abfolué ignorance fur ce qui concerne leurs diiféren-
tes Efpeces fie leurs diverfes Propriétez.
n. Autre g. 2^. Après avoir vu combien parmi ce grand nom-
îonoTai'c'c"°"ft l^re d'Etres qui exiltent dans l'Univers il y en a peu qui
que nous ne nous foicnt conuus, fautc d'idées j confiderons, enjecofid
pouYons paî ^^ ^^^^ autre fource d'Ignorance qui n'efl: pas moins
trou cr la con- ■* o i r
«xion tiui cit importante , c elt que nous ne (aurions trouver la conne-
«mre ks Idées -^{qj^ m^i eft entre les Idccs que nous avons aftuellement-
que nous ^, ^^ , •^ .
arons. Car par tout ou cette connexion nous manque , nous
f(;mmes entièrement incapables d'une Connoiflance uni-
vcrfelle & certaine j ôc toutes nos veùës fe reduifent com-
me dans le cas précèdent à ce que nous pouvons appren-
dre par i'Oblervation èi par l'Expcnence, djnt il n'elt
pas
îDeVEtenduë delà Connoiffanct humaine. IjIv. IV. 711
pas néceflaire de dire qu'elle eft fort bornée 8c bien éloi- C h a p,
gnée d'une Connoiflance générale , car qui ne le fait ? Je III.
vais donner quelques exemples de cette caufe de nôtre
Ignorance, &• pafîer enfuite à d'autres chofes. Il eft évi-
dent que la grofleur , la figure & le mouvement des difFé-
rens Corps qui nous environnent , produifent en nous dif-
férentes fenfations de Couleurs, de Sons, de Goûts ou
d'Odeurs, de plaifir ou de douleur, c^f. Comme les affe-
ctions mécaniques de ces Corps n'ont aucune liaifon avec
ces Idées qu'elles produifent en nous (car on ne fauroit
concevoir aucune liaifon entre aucune impulfion d'ua
Corps quel qu'il foit, &: aucune perception de couleur
ou d'odeur que nous trouvions dans nôtre Efprit} nous
ne pouvons avoir aucune connoiflance diftin£te de ces
fortes d'opérations au delà de nôtre propre expérience ,.
ni raifonner fur leur fujet que comme fur des effets pro-
duits par l'inftitution d'un Agent infiniment fage , laquel-
le eft entièrement au deffus de nôtre comprehenfion. Mais
tout ainfi que nous ne pouvons déduire, en aucune ma-
nière , les idées des Qiialitez fenfibies que nous avons
dans l'Efprit , d'aucune caufe corporelle, ni trouver au-
cune correfpondance ou liaifon entre ces Idées &: les pre-
mières Qiialitcz qui les produifent en nous , comme il
paroît par l'expérience; il nous eft d'autre part aufîi im-
pofllble de comprendre comment nos Efprits agiflent fur
nos Corps. Il nous eft, dis-je, aufïï difficile de concevoir
qu'une Penfée produife un Mouvement dans le Corps,,
que de Concevoir qu'un Corps puilTe produire aucune
penfée dans l'Efprit. Si l'Expérience ne nous eût con-
vaincu que cela eft ainfi , la conllderation des chofes mê-
mes n'auroit jamais été capable de nous le découvrir en
aucune manière. Qiioy que ces chofes 6c autres fembla-
bles ayent une liaifon conftante ^ régulière dans le cours-
ordinaire, cependant comme cette liaifon ne peut être re^
connue , dans les Idées mêmes , qui ne femblent avoir
aucune dépendance nécefl^aire , nous ne pouvons attribuer
leiu: connexion à aucune autre chofe qu'à la détermina-
rioB'
712 De V Etendue de la Connoijfdnce humaine.
C H A p. tion arbitraire d'un Agent tout fage qui les a fait être ^
II L agir ainfi par des voyes qu'il eft abfolument impofllble à
nôtre foible Entendement de comprendre.
exemples. §. 29. 11 y a, dans quelques-unes de nos Idées des re-
lations Se des liaifons qui font fi vifiblement renfermées
dans la nature des Idées mêmes , que nous ne faurions
concevoir qu'elles en puifTent être feparces par quelque
Puifl'ance que ce foit. Et ce n'eft qu'à l'égard de ces idées
■ que nous fommes capables ci'une connoiflance certaine 6c
univerfelle. Ainfi l'idée d'un Triangle rectangle emporte
néceflairement avec foy l'égalité de fes Angles à deux
Droits i & nous ne faurions concevoir que la relation 6c
la connexion de ces deux Idées puifle être changée, ou
dépende d'un Pouvoir arbitraire qui l'ait fait ainfi à fa
volonté, ou qui l'eut pu faire autrement. Mais la cohé-
iîon èc la continuité des parties de la Matière, la manière
dont les fenfatior^s des Couleurs , des Sons, 6cc. fe pro-
duifenc en nous par impulfion ôc par mouvement, les rè-
gles 6c la communication du Mouvement même étant
des chofes oîi nous ne faurions découvrir aucune conne-
xion naturelle avec aucune idée que nousayions, nous
ne pouvons les attribuer qu'à la volonté arbitraire 6c au
,bon plaifir du fage Ar<:hiteâ:e de l'Univers. Il n'eft pas
néceffaire, à mon avis, que je parle ici de la Refurre-
-ftion des Morts, de l'état à venir du Globe de la Terre
-Se de telles autres chofes que chacun reconnoit dépendre
entièrement de la détermination d'un Agent libre. Lorf-
que nous trouvons que des Chofes agiffent reguliére-
jnent, aufli loin que s'étendent nos Obfervations, nous
pouvons conclurre qu'elles agiflcnt en vertu d'une Loy
.qui leur eft prefcrite, mais qui poiu-tant nous eft incon-
nue: auquel cas, encore que les Caufes agiffent règle-
ment 6c que les Effets s'en enfuivent conftammcnt, ce-
pendant comme nous ne faurions découvrir par nos Idées
leurs connexions 6c leurs dépendances , nous ne pouvons
^n avoir qu'une connoiflance expérimentale. JPar tout
cela il eft aifé de voir dans quelles ténèbres nous fommes
pion-
De V Etendue de la Cotmoijfance himmne. Liv.IV. 715
plongez , 6c combien la Connoiflance que nous pouvons C h a p.
avoir de ce qui exifte, eft imparfaite & fuperfîcielle. Par III.
conféquent nous ne luy ferons aucun tort en penfant mo-
deftement en nous-mêmes, que nous fomraes fi éloignez
de nous former une idée de toute la nature de l'Univers
& de comprendre toutes les chofes qu'il contient , que
nous ne fommes pas même capables d'acquérir une con-
noiflance Philofophique des Corps qui font autour de
nous, & qui font partie de nous-mêmes j puifque nous ne
iâurions avoir une certitude univerfelle de leurs fécondes
Qiialitez, de leurs Puiflances & de leurs Opérations. Nos
Sens apperçoivent chaque jour difterens Effets, dont nous
avons jufque-là une connoijfance fenfitiie ; mais pour les
caufes , la manière 6c la certitude de leur produftion,
nous devons nous réfoudre à les ignorer pour les deux rai-;
fons que nous venons de propofer. Nous ne pouvons al-
ler, fur ces chofes, au delà de ce que l'Expérience parti-
culière nous découvre comme un point de fait, d'oii nous
pouvons enfuite conjecturer par analogie quels effets il
eft apparent que de pareils Corps produiront dans d'au-
tres Expériences. Mais pour une parfaite fcience tou-
chant les Corps naturels (^pour ne pas parler des Efprits)
nous fommes , je croy , fi éloignez d'être capables d'y
parvenir, que je ne ferai pas difficulté de dire que c'elt
perdre fa peine que de s'engager dans une telle recherche.
§. 30. En troifiémelieujlàoù nous avons des idées com- nr. Troidcmc
plettcs 6c oii il Y a entr'elles une connexion certaine que "" •""°'
r 1 ' • r r 1 raiice, nous ne
nous pouvons découvrir, nous lommes iouvent dans 1 i- fuivons pas nos
gnorance, faute de fuivre ces idées que nous avons, ou "''^^*" •
que nous pouvons avoir, 6c pour ne pas trouver les idées
moyennes qui peuvent nous montrer quelle efpece de con-
venance ou de difconvenance elles ont l'une avec l'au-
tre. Ainfi, plufieurs ignorent des veritez Mathémati-
ques , non en conféquence d'aucune imperfection dans
leurs Facultez, ou d'aucune incertitude dans les Chofes
mêmes, mais faute de s'appliquer à acquérir, examiner,
& comparer ces Idées de la manière qu'il faut. Ce qui
Xxxx a' le
•ji 4. I>^ l'Etendue de la Cafmaijpinee humaine.
C H A p. a îe plus cç>ntribuéà empêcher de bien conduire nos Idéesr
Jll. 6c de découvrir leurs rapports, la convenance ou la dif-
convenance qui h trouve entr' elles , c'a été , à mon a-
vis , le mauvais ufage des Mots. Il eft impoflîble que
les hommes puiflent jamais chercher exactement , ou dé-
couvrir certainement la convenance, ou la difconvenance
des IdéeSjtandis que leurs penfées ne roulent &r ne volti-
gent que fur des fons d'une rignifîcation douteufe &c in-
certaine. Les Mathématiciens en formant Icurspenfées in-
dépendamment des noms, & en s'accoûtumant à préfen-
rer à leurs Efprits les idées mêmes qu'ils veulent conlide-
rer, Se non les fons à la place de ces idées, ont évité par
là une grande partie des embarras &c des difputes qui ont
fi fort arrêté les progrès des hommes dans d'autres Scien-
ces. Car tandis qu'ails s'attachent à des mots d'une figni-
fication indéterminée & incertaine, ils font incapables de
d-ifl:inguer,dans leurs propres Opinions,.le Vray du Faux^
le Certain de ce qui n'eft que Probable, & ce qui eft fui-^
vi 5c raifonnable de ce qui eft abfurde. Tel a été le dief-
tin ou le malheur d'une grande partie des GensdeLettres^
ôc par là le fondis des ConnoilTances réelles n'a pas été
fort augmenté à proportion des Ecoles, des Difputes ôc
des Livres, dont le Monde a été rempli , pendant que les
gens d'^étudé perdus dans un vafte labyrinthe de Mots
n'ont fçù où ils en étoient , jufqu'où leurs Découvertes
étoient avancées &: ce qui manquoit à leur propre fonds,
ou au Fond général des Connoifl'ances humaines^ Si les
hommes avoient agi dans leurs Décoivverres du Monde
Matériel comme ils en ont ufé à l'égard de celles qui re-
gardent le Monde Intelleftuel, s'ils avoient tout confon-
du dans un eahos de termes ôc de façons de parler d'une
fio-nification douteufe &• incertaine j tous les Volumes
qu'on airroit écrit fur la Navigation & fur les Voyages,
toutes les fpeculations qu'on auroit formées , toutes les
difputes qu''on auroit excité Se multiplié fans fin fur les
Zones 8c fur les Marées, les vaifleaux même qu'on auroit
bâtis & les Flottes, qu'on auroit mis en Mer, tout cela ne
nous
De V Etendue de la Cmmipmce humaine. Liv.IV. 715
nous auroit jamais appris un chemin au delà de la Ligne, Cha p.
& les Antipodes feroient toujours auffi inconnus que lors IH,
qu'on avoit déclaré que c'étoic une Hérefie de foûre-
nir, qu'il y en eût. Mais parce que j'ai déjà traité aflez
au long des Mots & dix mauvais iifagc qu'ion en fait
communément , je n'en parlerai pas davantage en cet
endroit.
§. 31. Outre l'étendue' de nôtre Connoiflamce que Amree'tMK^uc
flous avons examiné iufqu'ici, 6c qui fc rapporte aux dif- ''<■ lî°'^ ^^-
(.. ^, i,r- -n noillaiice . par
rerentes elpeces d htres qui exiltent, nous pouvons y con- rapport à fot«
iîdérer une autre forte d'étendue , par rapport à fon Uni- an»^erûiit«.
verfalité, & qui eft bien digne aulïï de nos reflexions.
Nôtre CormoifTance fuit , à cet égard , la nature de no»
idées. Lorfque les Idées dont nous appercevons la con-
venance ou la difconTenance , font abftraites , nôtre Con-
noiflanœ eft univerfellc. Car xx qui eft connu de ces
fortes d'Idées générales, fera toujours véritable de chaque
chofe particuUére , où cette efTence, c'eft à dire, cette i-
dée abftraite doit fe trouver renfermée > &: ce qui eft une
fois connu de ces Idées , fera continuellement &: éternel-
lement véritable. Ainfi pour ce qui eft de toutes les con-
noiflances générales , c'eft dans nôtre Efpnt que nous de-
vons les chercher & les trouver uniquement , 6c ce n'eft
que la confidération de nos propres Idées qui nous les
fournit. Les veritez qui appartiennent aux EfTences des
chofes, c'eft à dire, aux idées abftraites , font éternelles,
& l'on ne peut les découvrir que par la contemplation de
ces Eflences , tout ainfi que l'exiftence des Chofes ne
peut être connue que par l'Expérience. Mais je dois par-
ler plus au long fur ce fujet dans les Chapitres où je trai-
terai de la Connoiflance générale 6c réelle, ce que ;e viens
de dire en général de l' U niverfalité de nôtre CannoiÛan-
ce peut fuffire pour le préfent.
Xxxx .2 CHA-
/lô De la Réalité de mire Connoijfance.
/ CHAPITRE IV.
De la Réalité de notre Connoiffance.
Objeaion: §. T. TE ne doutc pas qu'à préfent il ne piiifle venir
Si notre con- I j^j^g l'Efprit de mon Lefteur que je n'ai travail-
pi^cf'e Hsns nos ic jufqu ICI qu a batir un château en 1 air, & qu il ne foic
Uitu elle peut tenté de me dire, „ A quoy bon tout cet étalage de rai-
cire .toute clur ^ , t r^ ■ rr Jv > n.
metiçiDe. y) lonnemens ? La L>onnoiilance , dîtes-vous, n eit autre
„ chofe que la perception de la convenance ou de la dif-
>, convenance de nos propres idées. Mais qui fait ce que
j, peuvent être ces Idées ? Y a-t-il rien de il extravagant
/, que les Imaginations qui fe forment dans le cerveau
„ des hommes? Où eft celui qui n'a pas quelque chimère
j, dans la tête ? Et s'il y a un homme d'un fens radis &
i, d'un jugement tout-à-fait folide , quelle différence y.
}, aura-t-il, en vertu de vos Régies,, entre la Connoiflan-
33 ce d'un tel homme 6c celle de l'Efprit le plus extrava-
3, gant du monde ? Ils ont tous deux leurs idées-, Se ap-
5, perçoivent tous detix la convenance ou la difconvenan-
j, ce qui eft entre elles. Si ces Idées différent par quel-
5, que endroit, tout l'avant-ige fera du côté de celui qui
3, a l'imagination la plus échauffée, parce qu'il a des idées
j, plus, vives 6c en plus grand nombre ; de forte que félon
j, vos propres Régies il aura auffi plus de connoiffancc.
5, S'il eft vray que toute la Connoiffmce confifte unique-
j, ment dans la perception de la convenance ou de la dif-
3, convenance de nos- propres Idées, il y aura autant de
3, certitude dans les Vifions d'un Enthoufiafte que dans
3,-les raifonnemcns d'un homme de bon fens.. 11 n'impor-
33 te de quelque manière que foient les chofes : pourvu
a, qu'un homme obferve la convenance de {qs propres ima-
33 ginations 6c qu'il parle conféquemment , ce qu'il dit,
33.eft certain,- c'eft la vérité toute pure. Tous ces Ghà-
»3 teaux bâtis eisr l'air feront, d'auffi fortes Retraites de la.
Ve..-
T>e la Réalité de notre Connoiffance. Liv. IV. 717
■„ Vérité que les Démonfttatfons d'EucUde. A cecompte, Ch Ap,
„ dire qu'une Harpye, n'eft pas un Centaure , c'eft aulli IV,
„ bien une connoiflance certaine &: une vérité , que de
,, dire qu'un Qiiarré n'eft pas un Cercle.
„ Mais de quel ufage fera toute cette belle Connoiflan-
„ ce des imagmations des hommes , à celui qui cherche à
,, s'inftruire de la réalité des Chofes ? Qii'importe de (&-
,, voir ce que font les fantaifies des hommes.' Ce n'eft
3, que la connoiflance des Chofes qu'on doit eftimer, c'eft
j, cela feul qui donne du prix à nos Raifonnemens, &
„ qui fait préférer la Connoiflance d'un homme à celle
j, d'un autre , je veux dire la connoiflance de ce que les
„ Chofes font réellement en elles-mêmes , & non une
„ connoifl^ance de fonges ôc de vifions.
§. 2. A cela je répons^que fi la Connoiflance que nous Rcpoufc: nôtre
avons de nos Idées, fe termine à ces idées fans s'éten- ,'i"^]^''"'!^'"^^
dre plus avant lors qu'on fe propofe quelque chofe de nieiujueVpàr
plus, nos plus férieufes penfces ne feront pas d'un beau- j""' ^" "°^ ^•
coup plus grand ulage que les rêveries d un Cerveau de- dent avec les
réglé; &: que les Veritcz fondées liir cette Connoiffance '^'^°^«-
ne feront pas d'un plus grand poids que les difcours d'un
homme qui voit clairement les chofes en fonge & les dé-
bite avec une extrême confiance. Mais avant que de fi-
nir, j'efpére montrer évidemment que cette voye d'ac-
quérir de la certitude par la connoiflance de nos propres
idées renferme quelque chofe de plus qu'une pure ima-
gination , mais du relie il paroîtra vifiblement, à mon
avis, que toute la certitude qu'on a des veritez généra-
les ne confifte effectivement en autre chofe.
§. 3. 11 eft évident que l'Efprit ne connoit pas les-
chofes immédiatement, mais feulement par l'intervention!
des idées, qu'il en a. Et par conféquent nôtre Connoif-
-fance n'eft réelle, qu'autant qu'il y a de la conformité
■entre nos Idées èc la réalité des Chofes. Mais quel fera
ici nôtre Criterion f Comment l'Efprit qui n'appercoit
rien que fes propres idées, connoîtra-t-il qu'elles convien-
nent avec les chofes mêmes ? Qiioy que cela ne femblc
Xxxx 3, pas.
7 1 8 De la ReaVte de nkre ConmiJ^ance.
Chai», pas exempt de difficulté , je croy pourtant qu'il y a deux.
-IV. fortes d'Idées dont pous pouvons étte afsûrez qu'elles
font conformes aux chofes.
tt première- g_ ^. Les premières font les Idées Jlmpks ; car puifquc
nombre fonT l'Efprit DC fouroit CH aucunc iB^ére fe les former à luy-
toutes les /^<'«4Tiéme,comme DOITS l'avons iàit voir, il faut néoeflâirement
/'«v "■ qu'elles foient produites par des chofcs qui agiflent natu-
rellement furl'Eijprit &: y font naître les perceptions aux-
quelles elles font appropriées par la fageflé & la volonté de
Celui qui nous a faits. Il s'enfuit de là que les idées lim-
ples ne font pas des fitbions de notre propre imagination,
mais des produ£tions naturelles 8c régulières de Chofcs
exiftantes hors de nous , qui opèrent réellement fur nous,
& qu'ainfi elles ont toute la conformité à quoy elles font
<ieftinées, ou que nôtre état exige -, car elles nous répré-
fentent les chofes fous les apparences que les chofes font
capables de produire en nous, par où nous devenons capa-
bles nous-mêmes de diftinguer les Efpéces des fubftances
particulières , de difcerner l'état oii elles fe trouvent , &
par ce moyen de les appliquer à nôtre ufage. Ainfi ,
l'idée de blancheur, ou d'amertume telle qu'elle eft dans
l'Efprit , étant exaftement conforme à la Puilfance qui
€fl: dans un Corps d'y produire une telle idée, a toute la
conformité réelle qu'elle peut ou doit avoir avec les cho-
fes qui exillent hors de nous. Et cette conformité qui
fe trouve entre nos idées fimples & l'exiftence des cho-
fes, fuffir pour nous donner une connoifTance réelle.
ScfoniScmcnr , §. 5. En lécond lieu , toutes nos Idées complexes, ex-
toiircs les uùs cgpfé cclles dcs Subftanccs , étant des Archétypes que
"epf/ccii'cs^'cs l'Efprit a formé luy-mêmc , qu'il n'a pas deftiné à être
Aubftanccs. des copies de quoy que ce foit , ni rapporté à l'exiftence
d'aucune chofe comme à leurs originaux, elles ne peuvent
manquer d'avoir toute la conformité néceffaire à unecon-
-noiflance réelle. Car ce qui n'eft pas deftiné à repréfen-
ter autre chofe que foy-même, ne peut être capable d'u-
ne faufle repréfentation , ni nous éloigner de la jufte con-
ception d'aucune chofe par fa diflcmblance d'avec clic.
Or
De la Réalité de notre Conmiffance. Eiv. IV. -jk)-
Or excepté les idées des Subftaaces, telles font toutes nos C h A p;
idées complexes qui, comme j'ai fait voir ailleurs, font I Y.
des combinaifons d'Idées qiie l'Efprit joint enfemble par
ïui libre choix , fans examiner fi elles ont aucune liaifon
dans k Nature. De là vient que toutes les idées de cet
ordre font ellesrmêmes confidecées comme Azs Archéty-
pes, & les chofes ne font confiderées qu'entant qu'elles
y font conformes. De forte que nous ne pouvons qu'ê-
tre infailliblement affûrez que foute nôtre Connoiflanca
touchant ces idées eft réelle , & s'étend aux chofes mê-
mes, parce que dans toutes nos Fenfées , dans cous nos»
Raifonnemens &: dans tous nos Difcours fuj ces fortes
d'idées nous n'avons defléin de confiderer les chofes
qu'autant qu'elles font conformes à nos Idées , &: par
conféquent nous ne pouvons manquer d'attraper fur ee.
fujet une réalité certaine 6c mdubitable.
§. 6. |e fuis afluré qu'on m'accordera fans peine que C'efl fur cela
la Connoiffance que nous pouvons avoir des Veritez Ma- '^'îf^^f^!^''^'
thematiquesj nelt pas leulement une connoillance certai- noinknccs Ma-
ne, mais réelle , que ce ne font point de fi.mples vifions, ilicniaùques..
&■ des chimères d'un cerveau fertile en imaginations fri-
voles. Cependant à bien confiderer la chofe , nous trou-
verons que toute cette connoiffance roule uniquement
fur nos propres idées. Le Mathématicien examine la ve--
rite &: les propriétez qui appartiennent à un Re£tangle
ou à un Cercle, à les confiderer feulement tels qu'ils ionc
en idée dans fon Efpritjcar peut-être n'a-t-il jamais trou-
vé en fa vie aucune de ces Figures , qui foient mathéma-
tiquement, c'eflàdire, précifément & exactement véri-
tables. Ce qui n'empêche pourtant pas que la connoif^
fence qu'il a de quelque vérité ou de quelque propriété
que ce foit , qui appartienne au Cercle ou à toute autre:
Figure Mathématique , ne foit véritable 6c certaine, mê-
me à l'égard des chofes réellement exiftantes , parce que
les chofes réelles n'entrent dans ces fortes de PropofitionS'
6c n'y font confiderées qu'autant qu'elles conviennent ré-
ellement avec les Archétypes qui font dans l'Efprit diu
720 De la Réalité de nôtre Connoijfancê.
Chap. Mathématicien. Eft-il vray de l'idée du Triangle que
IV. fes trois Angles font égaux à deux Droits? La même cho-
fe eft aufli véritable d'un Triangle , en quelque endroit
qu'il exifte réellement. Mais que toute autre Figure
actuellement exiftante, ne foit pas exa£tement conforme à
l'idée du Triangle qu'il a dans l'Efprit , elle n'a abfolu-
rnent rien à démêler avec cette Proponrion. Et par con-
féquent le Mathématicien voit certainement que toute fa
connoifTance touchant ces fortes d'Idées eft réelle ; parce
que ne confiderant les chofes qu'autant qu'elks convien-
nent avec ces idées qu'il a dans l'Efprit, il eft afTiiré, que
tout ce qu'il fait fur ces Figures, lorfqu'elles n'ont qu'u-
ne exiftence idéale dans fon Efprit, fe trouvera aulli vé-
ritable à l'égard de ces mêmes Figures fi elles viennent a
exifter réellement dans la Matière: fes réflexions ne tom-
bent que fur ces Figures , qui font les mêmes , où qu'el-
les exiftent &: de quelque manière qu'elles exi lient.
Et la réalité des g. 7. H s'cnfuit de là que la connoiflfance des Véritez
connoiiranccs ]\4Qi.ales eft audl capable d'une certitude réelle que celle
des Veritez Mathématiques, car la certitude n étant que
la perception de la convenance ou delà difconvenance de
nos Idées , &■ la Démonftration n'étant autre chofe que
la perception de cette convenance par l'intervention d'au-
tres idées moyennes > comme nos Idées Morales font el-
les-mêmes des Archétypes aullI bien que les Idées Mathé-
matiques &: qu'ainfi ce font des idées complettes, toute
la convenance ou la difconvenance que nous découvri-
rons entr'clles produira une connoilfance réelle, aulli bien
que dans les Figures Mathématiques.
iTxifteiiw §. 8. Pour parvenir à la Cornioiffhnce Se à la certitude,
it'crt pas rec]ui- j| gf|. nécelTaite que nous ayions des idées déterminées ; &c
clJecomoïC- pour fiiirc , que notre Connoillance foit réelle, il fiiut que
iancciceiK-. nos Idécs répondent à leurs Ai'chetypes. Durefte, l'on
ne doit pas trouver étrange , que je place la certitude de
nôtre Connoillance dans la conildcration de nos Idées ,
fans me mettre fort en peine (à ce qu'il femble) de l'exi-
flence réelle des Chofes j pui (qu'après y avoir bien penfé,
l'on
De la Réalité de nôtre Conmijpincê. Liv.IV. 721
l'on trouvera, fi je ne me trompe, que la plupart des Chap.
Difcours fur lefquels roulent lesPcnfées 8cles Difputes de IV.
ceux qui prétendent ne fonger à autre chofe qu'à la re-
cherche de la Vérité 6c de la Certitude , ne font effecti-
vement que des Propofitions générales Se des notions aux-
quelles l'exiftence n'a aucune part. Tous les Difcours
des Mathématiciens fur la Qiiadrature du Cercle, fur les
Seftions Coniques , ou fur toute autre partie des Mathé-
matiques , ne regardent point du tout l'exiftence d'au-
cune de ces Figures. Les Démonftrations qu'ils font fur
cela & qui dépendent des idées qu'ils ont dans l'Efprit,
font les mêmes, foit qu'il y ait un Quatre ou un Cercle
aftuellement exiftant dans le Monde, ou qu'il n'y en ait
point. De même , la vérité ôc la certitude des Difcours
de Morale eft confiderée indépendamment de la vie des
hommes &c de l'exiftence que les Vertus dont ils traitent,
ont aftuellement dans le Monde i Se les Offices de Ciceron
ne font pas moins conformes à la Vérité , parce qu'il n'y
a perfonne dans le Monde qui en pratique exattement
les maximes, &: qui régie fa vie fur le Modelle d'un hom-
me de bien , tel que Ciceron nous l'a dépeint , dans cet
Ouvrage , 6c qui n'exiftoit qu'en idée lorfqu'il écrivoit.
S'il eft vray dans la fpéculation, c'eft-à-dire en idée, que
le Meurtre mérite la mort, il le fera aufil à l'égard de tou-
te adlion réelle qui eft conforme à cette idée de Meurtre.
Quant aux autres aftions, la vérité de cette Proportion
ne les touche en aticune manière. 11 en eft de même de
toutes les autres efpéces de Chofes qui n'ont point
d'autre eflence que les idées mêmes qui font dans l'Ef-
prit des hommes.
§. 9. Mais, dira-t-on , fila connoiffance Morale ne j^ôtreConnoif-
confifte que dans la contemplation de nos propres Idées moh^,s'venrabL
Morales, 6c que ces Idées, comme celles des autres Mo- ou certaine,
des, foient de nôtre propre invention, quelle étrange no- fjjg, ^'^^ '^^j_
tion aurons-nous de la Jufiice &c de la Tempérance ? Qiiel- raie font de
le confufion entre les Vertus 6c les Vices, fi chacun peut •'°"'^ 1"^°?^^
■> c 11 •]' 511 !• Tiï invention ec
S en former telles idées qu il lu y plairra ? il n y aura pas (]ue ccft uoas
Yyyy plus
iKiiis des noms.
72 z Delà Réalité de nôtre Connoijfaace.
C H A p. plus de confufion , ou de défordre dans les chofes mc-
I V. lïies , &c dans les raifonnemens qu'on fera fur leur fujet,
i]ui leur don- que daus les Mathématiques il arriveroit du défordre
dans les Démonftrations,ou du changement dans les Pro-
priétez des Figures èc dans les rapports que l'une a avec
l'autre, fi un homme faifoit un Jriangle à quatre coins,
fie un Trapèze à quatre Angles droits , c'eft-à-dire en bon
François , s'il changeoit les noms des Figures , ôc qu'il
appellàt d'un certain nom ce que les Mathématiciens
appellent d'un autre. Car qu'un homme fe forme l'idée
d'une Figure à trois angles dont l'un foit droit , èc qu'il
l'appelle, s'il veut, Equilatere ou Trapèze , ou de quel-
que autre nomj les propriétez de cette Idée & les Démon-
ftrations qu'il fera fur fon fujet , feront les mêmes que
s'il l'appelloit Triangle Re^ angle. J'avoûë que ce chan-
gement de nom , contraire à la propriété du Langage,
troublera d'abord celui qui ne fait pas quelle idée ce
nom fignifie ; mais dès que la Figure eft tracée, les con-
féquences font évidentes 6c la Dénionftration paroit clai-
rement. Il en eft juftement de même à l'égard des Con-
noiflances Morales. Far exemple , qu'un homme ait l'i-
dée d'une Adtion qui conilfte à prendre aux autres fans
leur confentement ce qu'une honnête induftrie leur a
fait gagner , 6c qu'il luy donne , s'il veut , le nom de
Jvftice ; celui qui dans ce cas reçoit ce nom fous l'idée
qui luy eft attachée , fe trompera vifibleraent , s'il joint
à ce nom-là une idée de fa façon. Mais féparez l'idée
d'avec le nom , ou prenez le nom tel qu'il eft dans la
bouche de celui qui s'en fert; 6c vous trouverez que les
mêmes chofes conviennent à cette idée qui luy convien-
dront fi vous l'appeliez injufiice. A la vérité , les noms
impropres caufent ordinairement plus de défordre dans
les Difcours de Morale , parce qu'il n'eft pas fi facile de
les reftifier que dans les Mathématiques , ou la Figure
une fois tracée 6c cxpofée aux yeux fait que le mot eft
inutile , 6c n'a plus aucune force ; car qu'eft-il befoin
de figne lorfqiie la chofc fignifiée eft préfente? Mais dans
les
De la Réalité de nôtre Conmijfance. Liv.IV. 725
les termes de Morale on ne fauroit faire cela fi aifément C h a p.
ni fi promptement, à caufe de tant de compontions com- IV.
pliquëes qui conftituent les idées complexes de ces Mo-
des. Cependant qu'on vienne à nommer quelqu'une de
ces idées d'une manière contraire à la fignification que
les Mots ont ordinairement dans cette Langue , cela
n'empêchera point que nous ne puiflions avoir une con-
noiflance certaine & dëmonftrative de leurs diverfes con-
venances ou difconvenances, fi nous avons le foin de nous
tenir conftamment aux mêmes idées précifes , comme
dans les Mathématiques , Se que nous fuivions ces Idées
dans les différentes relations qu'elles ont l'une à l'autre
fans que leurs noms nous faflent jamais prendre le chan-
ge. Si nous féparons une fois l'idée en queftion d'avec
lefignequi tient fa place, nôtre Connoiflance tend égale-
ment à la découverte d'une vérité réelle 6c certaine,
quels que foient les fons dans nous nous fervions.
§. 10. Une autre chofe à quoy nous devons prendre De? noms ma!
garde , c'eft que lorfque Dieu ou quelque autre Le- '"po^^^ ne
giflateur ont défini certains termes de Morale , ils ont point la cem-
établi par là l'eflence de cette Efpéce à laquelle ce nom '"'^^ 'î= """=
appartient j & il y a du danger , après cela , de l'appli- <=°""°'"'^"'=-
quer ou de s'en fervir dans un autre fens. Mais en d'au-
tres rencontres c'eft une pure impropriété de Langage que
d'employer ces termes de Morale d'une manière con-
traire à l'ufage ordinaire du Pais. Cependant cela même
ne trouble point la certitude de la Connoiflance , qu'on
peut toujours acquérir , par une légitime confideration
& par une exafte comparaifon de ces Idées , quelques
noms bizarres qu'on leur donne.
§. II. En troifiéme lieu, il y a une autre forte d'Idées leî iJc'« dts
complexes qui fe rapportant à des Archétypes qui exi- subibnces om
ftent hors de nous , peuvent en être différentes -, Se ainfi ty^cs hors^de
nôtr.e Connoiffance touchant ces Idées peut manquer d'ê- nous.
tre réelle. Telles font nos Idées des Subftances, qui con-
fiftant dans une Colledion d'idées fimples , qu'on fup-
pofe déduite des Ouvrages de la Nature , peuvent pour-
Y y y y 2 tant
Chap.
IV.
Amant que nos
Idc'cs convien-
nent avec ces
Archétypes >
autant nôtre
ConnoifTancc
çft lee'Jk.
724 De la Réalité de nôtre Connoi(fance.
tant être différentes de ces Archétypes , dès-là qu'elles
renferment plus d'idées , ou d'autres Idées que celles
qu'on peut trouver unies dans les chofes mêmes. D'où
il arrive qu'elles peuvent manquer y èz qu'en effet elle^
manquent d'être exactement conformes aux Chofes mêmes,
§. 12. Je dis donc que pour avoir des idées des Sub-
fiances qui étant conformes aux Chofes puiffent nous
fournir une connoiffance réelle, il ne fuffit pas de joindre
enfemble, ainfi que dans les Modes , des idées qui ne
foient pas incompatibles , quoy qu'elles n'ayent jamais
exiilé auparavant de cette manière, comme font, par exem-
ple, les idées de facnlege ou de parjure^ &cc. qui étoienc
aufli véritables 6c aulîi réelles avant qu'après l'exillence
d'aucune telle Aftion. Il en eft , dis-je , tout autrement
à l'égard de nos Idées des Subftancesj car celles-ci étant
regardées comme des copies qui doivent repréfenter des
Archétypes exiflans hors de nous , elles doivent être tou-
jours formées fur quelque chofe qui exifte ou qui ait exi-
ûé ; iSc il ne faut pas qu'elles foient compofées d'idées
que nôtre Efprit joigne arbitrairement enfemble fans fui-
vre aucun Modelle réel d'oii elles ayent été déduites,quoy
que nous ne puiiîlon s appercevoir aucune incompatibilité
dans une telle combinaifon. La raifon de cela eft , que
ne fâchant pas quelle eft la conftitution réelle desSubftan-
ces d'où dépendent nos Idées fimples , éc qui eft effecti-
vement la caufe de ce que quelques-unes d'elles font é-
îroitement liées enfemble dans un même fujet , & que
d'autres en font exclues ; il y en a fort peu dont nous
puilïïons affûrer qu'elles peuvent ou ne peuvent pas exifter
enfemble dans la Nature , au delà de ce qui paroit pas
l'Expérience & par des Obfervations fcnfibles. Par con-
féquent toute la réalité de la Connoiffance que nous avons
des Subftances eft fondée fur ceci, Qiic toutes nos Idées
complexes des Subftances doivent être telles qu'elles
foient uniquement compofées d'Idées (impies qu'on aie
reconnu coëxifter dans la Nature. Jufque-là nos Idées
font véritables i tC quoy. qu'elles ne foient peut-être pas
des
t)e la Réalitë de nôtre Conmijfance. Liv. IV. 725
des copies fort exa£tes des Subftances , elles ne laiflent Cïtap,
pourtant pas d'être les fiijets de la Connoiflance réelle que I V.
nous avons des Subftances rConnoiflance qu'on trouvera ne
s'étendre pas fort loin, comme je l'ai déjà montré. Mais ce
fera toùjoursuneConnoiflanceréelle,auflI loin qu'elle pour-
ra s'étendre. Quelques Idées que nous ayons, la convenan-
ce que nous trouvons qu'elles ont avec d'autres , fera toù-
foursun fujet deConnoiflance. Si ces idées font abftraites,
la ConnoifTance fera générale. Mais pour la rendre réelle
par rapport aux Subftances, les idées doivent être déduites
de l'exiftence réelle des Chofes. Qiielques Idées fimplcs
qui ayent été trouvées coëxifter dans une Subftance,nous
pouvons les rejoindre hardiment enfemble, & former ainfi
des Idées abftraites des Subftances». Car tout ce qui a été
une fois uni dans la Nature, peut l'être encore.
§. 13. Si nous confiderions bien cela , & que nous ne Dans nos tc-
bornaflions pas nos penfées &: nos idées abftraites à des sgbftances"' '"
nomsj comme s'il n'y avoit, ou ne pouvoit y avoird'au- nous devons
très Efpéces de Chofes que celles que les noms connus J°';''d':r<^r les
ont déjà déterminées,. S)C pour ainfl dire, produites, nous pas borner'n9s
penferions aux chofes mêmes d'une manière beaucoup penf«s à des
plus libre te moins eonfufe que nous ne faifons. Si je E(^éccs^\^oiT
difois de certains Innocens qui ont vécu quarante ans fans (iippofe établies
donner le moindre figne de raifon, que c'eft quelque cho- P'*' "^^ "°'*^*
fe qui tient le milieu entre l'Homme &: la Bête, cela paf-
feroit peut-être pour un Paradoxe bien hardi , oir même
pour une faufleté d'une très-dangcreufe eonféquencc) 6c
cela en vertu d'un Préjugé, qui n'eft fondé fur autre cho-
fe que fur cette faufls fuppofition , que ces deux noms.
Homme & Bcte figniiîent des Efpéces diftindes , fi bien
marquées par des Éflences réelles que nulle autre Efpéce
ne peut intervenir entre elleS} au lieu que fi nous voulons
faire abftradion de ces noms, 6c renoncer à la fuppofition
de ces Eflences fpécifiques, établies par la Nature, aux-
quelles toutes les chofes de la même dénomination parti-
cipent exaftement Se avec une entière égaUté, ûi dis-je,
Rous ne voulons pas nous figurer qu'il y ait un certain nom-
Yyyy 3 bra:
72 6 De la Réalité de nôtre ConmiJJance.
.Chap, bre précis de ces EflencesTur lefquelles toutes les Cho-
. XV. fes ayent été formées &: comme jettées au moule, nous
trouverons que l'idée de la figure , du mouvement Se
de la vie d'un homme deftitué de Raifon , eft aulli bien
une Idée diftinde , Se conftituë auffi bien une efpéce de
Chofes diitinâre de l'Homme & de la Béte, que l'Idée
de la figure d'un Ane accompagnée de Raifon feroit dif-
férente de celle de l'Homme ou de la Béte, de conftitue-
roit une Efpéce d'Animal qui tiendroit le milieu entre
l'Homme Se la Béte, ou qui feroit diftin£t de l'un &c
de l'autre.
Objcftion con- §. 14. Ici chacun fera d'abord tenté de me dire, vS^î
tre ce que je p^„ pg^f fuppofer auB dcs Inuoceus Cont quelque choie entre
dis qu'un Iiino- ,, --,' j^i r»? r 1/ ^.ï -'-.t
tentcii quelque * tiotnme Q' lu tiete , que jont-ils donc , /^ vous prie ? Je
chofe entre répous , ce font des Innocens ; ce qui eft un auiîi bon mot
Eé!e.™Répo^c* P°"^ quelque chofe de différent de la fîgnification du mot
Homme ou Bête , que les noms d'homme Se de bête font
propres à marquer des fignifications diftinftes l'une de
l'autre. Cela bien confideré pourroit réfoudre cette Qiie-
ftion , Se faire voir ma penfée fans qu'il fut befoin de
plus longs difcours. Mais je ne connois pas fi peu le zè-
le de certaines gens, toujours prêts à tirer des conféquen-
ccs Se à fe figurer la Religion en danger , dès que quel-
qu'un fe hazarde de quitter leurs façons de parler, pour
ne pas prévoir quelles odieufes épithetes on peut donner
â une telle Propofition; Se d'abord on me demandera fans
doute, fi les Innocens font quelque chofe entre l'Homme
Se la Bête , que deviendront-ils dans l'autre Monde ? A
cela je répons , premièrement , qu'il ne m'importe point
*Rim. iiv. A- de le favoir ni de le rechercher: * Gju'ils tombent oh qu'ils
fe foûtiennent , cela regarde leur Maître. Et foit que nous
déterminions quelque chofe ou que nous ne déterminions
rien fur leur condition , elle n'en fera ni meilleure ni pire
pour cela. Ils font entre les mains d'un Créateur fidelle.
Se d'un Père plein de bonté qui ne difpofe pas de fes Créa-
tures fuivant les bornes étroites de nos penfées ou de nos
opinions particulières , Se qui ne les diftingue point con-
for-
De la Réalité àe nôtre Conmijfance. Liv. IV. 727
formément aux noms &: aux Efpéces qu'il nous plaît d'i- C h a p»
maginer. Du refte , comme nous connoiflbns fi peu de 1 V,
chofes de ce Monde, où nous vivons aftuellement , nous
pouvons bien , ce me femble , nous réfoudre fans peine à
nous abftenir de prononcer définitivement fur les difte-
rens états par où doivent pafier les Créatures en quittant
ce Monde. Il nous peut fuffire que Dieu ait fait connoî-
tre à tous ceux qui font capables d'inftruftionjde difcours
Se de raifonnement , qu'ils feront appeliez à rendre com-
pte de leur conduite, & qu'ils recevront * félon ce qu'ils * ^ <^'"'«'*=
atir ont fait dans ce Corps. "'***
§. 15. Mais je répons , en fécond lieu , que tout le
fort de cette Q\\Q^ion fi je veux priver les Imbecilles
d''un Etat A venir , roule fur une de ces deux fuppofitions
qui font également faufles. La première eft que toutes
ks chofes qui ont la forme & l'apparence extérieure
d'homme, doivent être néceflaireraent deftinées à un é-
tat d'immortalité après cette vicj ou en fécond lieu , que
tout ce qui a une naiflance humaine doit jouir de ce pri-
vilège. Otez ces imaginations j &: vous verrez que ces
fortes de Queftions font ridicules & fans aucun fonde-
ment. Je fupplie donc ceux qui fe figurent qu'il n'y a
qu'une différence accidentelle entr'eux & des Innocens,
{l'effence étant exa£tement la même dans l'un & dans
l'autre} de confiderer s'ils peuvent imaginer que l'Im-
mortalité foit attachée à aucune forme extérieure du Corps.
Il fuffit , je penfe , de leur propofer la chofe , pour I«
leur faire desavouer. Car je ne croy pas qu'on ait encore
vu perfonne dont l'Efprit foit aflez enfoncé dans la Ma-
tière pour élever aucune figure compofée de parties grof-
fiéres , fenfibles , & extérieures , jufqu'à ce point d'ex-
cellence que d'affirmer que la vie éternelle luy foit due,
ou en foit une fuite néceffaire j ou qu'aucune Mafle de
matière une fois diffoute ici-bas doive enfuite être réta-
blie dans un état où elle aura éternellement du fentimentr
de la perception & de la connoifiance , dès-là feulement
qu'elle a été moulée fur «ne telle figure > 6c que fes par-
728 De la Réalité de noire ConnoiJJ'ance.
Chap. ^^^^ extérieures ont eu une telle configuration particulié-
IV. re. Si l'on admet une fois ce Sentiment , qui attache*
l'Immortalité aune certaine configuration extérieure, il
ne faut plus parler d'Ame ou d'Efprit, ce quia étéjuf-
qu'ici le feul fondement fur lequel on a conclu que cer-
tains Etres Corporels étoient immortels, &: que d'autres
ne l'étoient pas. C'efl: donner davantage à l'extérieur
qu'à l'intérieur des Chofcs. C'cft faire confifter l'excel-
lence d'un homme dans la figure extérieure de fon Corps
plutôt que dans les perfeftions intérieures de fon Ame;
ce qui n'eft guère mieux que d'attacher cette grande ôc
ineftimable prérogative d'un Etat immortel 5c d'une Vie
éternelle dont l'Homme joiiit préferablement aux autres
Etres Matériels , <jue de l'attacher , dis-je , à la manière
dont fa Barbe eft faite ou dont fon Habit eft taillé ; car
une telle ou une telle forme extérieure de nos Corps n'em-
porte pas plutôt avec foy des efpérances d'une durée éter-
nelle, que la façon dont eft fait l'habit d'un homme luy
donne un fujet râifonnable de penfer que cet habit ne s'u-
fera jamais, ou qu'il rendra fa perfonne immortelle. On
dira peut-être, Qiie perfonne ne s'imagine que la Figure
rende quoy que ce foit immortel , mais que c'eft la Fi-
gure qui eft le figne de la rcfidence d'une Ame râifonna-
ble qui eft immortelle. J'admire qui l'a rendue figne d'u-
ne telle chofc} car pour faire que cela foit , il ne fufîît
pas de le dire fimplemcnt. Il faudroit avoir des preuves
pour en convaincre une autre perfonne. Je ne fâche pas
qu'aucune Figure parle un tel Langage, c'eft à dire, qu'el-
le défigne rien de tel par elle-même. Car on peut con-
clurre auiîi raifonnablement que le corps mort d'un hom-
me , en qui l'on ne peut trouver non plus d'apparence de
vie ou de mouvement que dans une Statue , renferme
pourtant une Ame vivante à caufe de fa figure, que de
dire qu'il y a une Ame râifonnable dans un Innocent y par-
ce qu'il a l'extérieur d'une Ame râifonnable , quoy que
durant tout le cours de fa vie il paroifté, dans fes actions,
de moindres marques de raifon qu'on n'en peut remarquer
.dansplufieurs Bêtes. §• lô*
nomme Mm-
De la Realite de notre Connoijfance. Liv. IV. 729
§. 16. Mais un /w«off«? vient de parens raifonnablesj Chap,
& par conféquent il faut qu'il ait une Ame raifonnable. ly.
Je ne vois pas par quelle régie de Logique vous pouvez De « qu'oc
tirer une telle conféquence 5 qui certainement n'eft recon- T^
nuë en aucun endroit de la Terre 5 car fi elle l'étoit, com-
ment les hommes oferoient-ils détruire , comme ils font
par tout , des produ£tions mal formées &: contrefaites ?
Oh, direz- vous, mais ces Produ£lions font des Monftres;
Eh bien, foit. Mais que feront ces Innocens ^ toujours
couverts de bave , fans intelligence Se tout-à-fait intrai-
tables ? Un défaut dans le corps fera-t-il un Monftre ,
& non un défaut dans l'Efprit , qui eft la plus no-
ble, & comme on parle communément, la plus effen-
tielle partie de l'Homme? Eft-ce le manque d'un Nez ou
d'un Cou qui doit faire im Monftre ôc exclurre du rang
des hommes ces fortes de Produ£tions; & non , le man-
que de Raifon &: d'Entendement ? C'eft réduire toute la
Qiieftion à ce qui vient d'être refuté tout à l'heure ; c'efc
faire tout confifter dans la figure Se ne juger de l'Homme
que par fon extérieur. Mais pour faire voir qu'en eiFet
de la manière dont on raifonne fur ce fujet , les gens fe
fondent entièrement fur la Figure, Se reduifent toute VEf-
fence de l'Efpece humaine (fuivant l'idée qu'ils s'en for-
ment) à la forme extérieure , quelque déraifonnable que
cela foit, Se malgré tout ce qu'ils difent pour le défavoùer,
nous n'avons qu'à fuivre leurs penfées éz leur pratique un
peu plus avant , Se la chofe paroîtra avec la dernière évi-
dence. Un Innocent bien formé eft un hom.me , il a une
Ame raifonnable quoy qu'il ne paroiftè pas : cela eft , di-
tes-vous, hors de doute. Faites les oreilles un peu plus
longues ^ plus pointues, & le nez un peu plus plat qu'à
l'ordinaire j alors vous commencez à hefiter. Faites le
vifage plus étroit, plus plat 6c plus îong> vous voilà tout-
à-fait indéterminé. Donnez-luy encore plus de reffem-
blance à une Brute , jufqu'à ce que la tête foit parfaite-
ment celle de quelque autre Animal , dès-lors c'eft un
Monjîre, S: ce vous eft une Démonftration qu'il n'a point
Z z z z d' A-
73° T^e ^^ Réalite de notre ConnoiJ^ance.
C H A p. d'Ame, 8c qu'il doit être détruit. Je vous demande pré-
IV. fentement, où trouver la jufte mefure & les dernières bor-
nes de la Figure qui emporte avec elle une Ame raifon-
nable ? Car puifqu'il y a eu des Fœtus humains , moitié
bête & moitié homme , & d'autres dont les trois parties
participent de l'un , &: l'autre partie de l'autre ; & qu'il
peut arriver qu'ils approchent de l'une ou de l'autre for-
me félon toute la variété imaginablej &: qu'ils reflemblent
à un homme ou à une bête par élifférens dégrez mêlez en-
femble j je ferois bien aife de favoir quels font au jufte les
lineamens auxquels une Ame raifonnable peut ou ne peut
pas être unie , félon cette Hypothefe ; quelle forte d'ex-
térieur eft une marque afîurée qu'une Ame habite ou n'ha-
bite pas dans le Corps. Car jufqu'à ce qu'on en foit
venu là , nous parlons de l'Homme au hazard ; 6c nous
en parlerons, je croy, toujours ainfi, tandis que nous nous
fixerons à certains fons 6c que nous nous figurerons cer-
taines efpéces déterminées dans la Nature , fans favoir ce
que c'eft. Mais après tout , je fouhaiterois qu'on confi-
derât que ceux qui croyent avoir fatisfait à la difticulté ,
en nous difant c^unn Fœtus contrefait eft unMonftrCjtom-
bent dans la même faute qu'ils veulent reprendre , c'eft
qu'ils établiflent par là une Efpéce moyenne entre l'Hom-
me & la Bêtej car je vous prie, qu'eft-ce que leur Mon-
ftre en ce cas-là, (li le mot de Monflre fignifie quoy que
ce foit} finon une chofe qui n'eft ni homme ni bête, mais
qui participe de l'un êc de l'autre ? Or tel eft juftement
V Innocent dont on vient de parler. Tant il eft néceflairc
de renoncer à la notion commune des Efpéces 6c des Ef-
fences , fi nous voulons jetter les yeux fur la nature
des chofes mêmes 6c les examiner par ce que nos
Facultez nous y peuvent faire découvrir , à les confide-
rer telles qu'elles exiftent , 6c non pas , par de vaines fan-
taifies dont on s'eft entêté fur leur fujet fans aucun fon-
dement.
Les Mots & ç jy T'ai propofé ccci dans cet endroit ; parce que
î« «hofes en Jc ctoy quc nous ne faurions prendre trop de loin pour e-
viter
•De la Réalité de nôtre Comoijfance. Liv.IV. 731
viter que les Mots , & les Efpe'ces , à en juger par les no- C lï A p."
rions vulgaires félon lefquelles nous avons accouru më de IV.
les employer, ne nous impofent; car je fuis porté à croi- Efpcccs- nous
re que c'ell là ce qui nous empêche le plus d'avoir des "'?"'*"*'
connoiflances claires Se diftindtes, particulièrement à l'é-
gard des Subilances -, &c que c'eft de là qu'eft venue une
grande partie des difficultez fur la Vérité , & fur la
Certitude. Si nous nous accoutumions feulement à fépa-
rer nos Keflexiops &c nos Raifonnemens d'avec les Mots,
nous pourrions remédier en grand' partie à cet inconvé-
nient par rapport à nos propres penfées que nous confi-
derericns en nous-mêmes; ce qui n'empécheroit pourtant
pas que nous ne fuflîons toujours embrouillez dans nos
Difcours avec les autres hommes , pendant que nous per-
iifterons à croire que les Efpéces ôc leurs Eflences font
autre chofe que nos Idées abftraites telles qu'elles font,
auxquelles nous attachons certains noms pour en être
les fignes.
§. 18. Enfin, pour reprendre en peu de mots ce que Rccapitu!»tioi8.
nous venons de dire fur la certitude 6c la réalité de nos
Connoiflances j par tout oii nous appercevons la conve-
nance ou la difconvenance de quelqu'une de nos Idées ,
il y a là une Connoifl'ance certaine , Se par tout où nous •
fommes afl"ûrez que ces Idées conviennent avec la réali-
té des ChofeSj il y a une Connoifl!ance certaine Se réelle.
Et ayant donné ici les marques de cette convenance de
nos Idées avec la réalité des chofes , je croy avoir mon-
tré en quoy confifte la vraye Certitude , la Certitude
réelle -, ce qui de quelque manière qu'il eut paru à
d'autres , avoir été jufqu'ici , à mon égard , un de ces
Dejiderata dont , à parler franchement , j'avois grand
befoin.
Zzzz 2 CHA»
73^
De la Vérité en général.
Ce c]uc c'cft §
que la Veritc.
Une jufte con
jonftiou ou lé-
ou des Mois.
CHAPITRE V.
De la Vérité en général.
IL y a plufieurs fiécles qu'on a demandé ce que
c'eft que la Venté ;?^ comme c'eft là ce que tout
le Genre Humain cherche ou prétend chercher, il ne peut
qu'être digne de nos foins d'examiner avec toute l'exafti-
tude dont nous fommes capables , en quoy elle confifte»
&: par là de nous inftruirc nous-mêmes de fd Nature ^ de
remarquer comment l'Efprit la diftingue de la FaufTcté.
§. 2. Il me femble donc que la Venté n'emporte autre
chofe, félon la fignifîcation propre du mot , que la con-
^(îgaîi" c'À-i- jon6îion ou la féparation des fignes fnivant que les Chofes
dne^d^sidéa, m^^nes couvicnncHt ou difconviennent entr' elles. Il faut en-
tendre ici par la conjonition ou la féparation des fignes
ce que nous appelions autrement Proportion. De forte
que la Vérité n'appartient proprement qu'aux Propofi-
tionS} dont il y en a de deux fortes , l'une Mentale , &c
l'autre Verbale , ainfi que les fignes dont on fe fert com-
munément font de deux fortes , favoir les Idées Se les
Mots.
§. 3. Pour avoir une notion claire de la Vérité , il efl:
fort néceflaire de confiderer la vérité mentale éc la vérité
verbale diftinitement l'une de l'autre. Cependant il efl
très-difficile d'en difcourir féparément , parce qu'en trai-
tant des Fropoikions mentales on ne peut éviter d'em-
ployer le fécours des Mors ; &: dès-là les exemples qu'on
donne de Propofitions Mentales cefifent d'être purement
mentales èc deviennent Verbales. Car une Propofitioa
mentale n'étant qu'une Ilmple confidcrarion des Idées
comme elles font dans nôtre Efprit fins être revêtues de
mots , elles perdent leur nature de Propofitions pure-
ment mentales dès qu'on employé des Mots pour les exr
primer.
Ce qui fait les
Propofitions
Mentales &
Verbales.
De la Vérité en général. Liv. IV. 733
§. 4. Ce qui fait qu'il eft encore plus difficile de trai- C h a p.
ter des Propofitions mentales &: des verbales feparément , V.
c'eft que la plupart des hommes , pour ne pas dire tous, ^^',^"\f°" ^'^-
mettent des mots a la place des idées en rormant leurs pen- des Propofi-
fées & leurs raifonnemens en eux-mêmes , du moins lorf- "onsœcutaies,
que le fujet de leur méditation renferme des idées com-
plexes. Ce qui eft une preuve bien évidente de l'impcr-
fedion 5c de l'incertitude de nos Idées de cette efpéce , &
qui, à le bien confiderer, peut fervir à nous faire voir
quelles font les chofes dont nous avons des idées claires
ic parfaitement déterminées , &: quelles ne le font point.
Car fi nous obfervons foigneufement la manière dont nô-
tre Efprit fe prend à penfer Se raifonner , nous trouve-
rons, à mon avis, que quand nous formons en nous-mê-
mes quelques Propofitions fur le Blanc ou le Noir^ fur le
Doux ou VÂmer^ fur un Triangle ou un Cercle, nous pou-
vons former dans nôtre Efprit les Idées mêmes, &: qu'en
effet nous le faifons fou vent , fans réfléchir fur les noms
de ces Idées. Mais quand nous voulons faire des refle-
xions ou former des Propofitions fur des Idées plus com-
plexes, comme fur celles d'homme, de vitriol, de valeur y
de gloire, nous mettons ordinairement le nom à la place
de l'Idée } parce que les idées que ces noms fignifient, é-
tant la plupart imparfaites, confufes &: indéterminées,
nous reflechiflTons fur les noms mêmes ; parce qu'ils font
plus clairs, plus certains, plus diftinfts, & plus propres
a fe préfenter promptement à l'Efprit que de pures Idées;
de forte que nous employons ces termes à la place des I-
dées mêmes, lors même que nous voulons méditer &; rai-
fonner en nous-mêmes , & faire tacitement des Propofi-
tions mentales. Nous en ufons ainfi à l'égard desSubftan-
ces , comme je l'ai déjà remarqué , à caufe de l'imperfe-
ction de nos Idées , prenans le nom pour l'efl^ence réelle
dont nous n'avons pourtant aucune idée. Dans les Modes,
nous faifons la même chofe, à caufe du grand nombre d'I-
dées fimples , dont ils font compofez. Car la plupart
d'entr'eux étant extrêmement complexes , le nom fe pré-
Zzzz 3 fente
734 ^^ ^^ Vérité en général.
C H A p. fente bien plus aifément que l'Idée même qui ne peut é-
V. tre rappellée , Se pour ainii dire , exaftement retracée à
rEfprit qu'à force de temps Se d'application, même à l'é-
gard des perfonnes qui ont auparavant pris la peine d'é-
plucher toutes ces ditférentes idées, ce que ne fauroient
faire ceux'qui pouvant aifément rappeller dans leur Mé-
moire la plus grande partie des termes ordmaires de leur
Langue, n'ont peut-être jamais fongé , durant tout le
cours de leur vie, à confiderer quelles font les idées pré-
cifes que la plupart de cts termes fignifient. Us fe font
contentez d'en avoir quelques notions confufes & obfcu-
res. Combien de gens y a-t-il , par exemple, qui parlent
beaucoup de Religion &C de Confcience ^ d Eglife Se de Foy^
de PnijJ'ance & de Droit y d'ObJiru^ions fie à! humeurs , de
mélancolie &c de bile; mais dont les penfees fie les médita-
tions fe reduiroient peut-être à fort peu de ch(jfe, fi on
les prioit de réfléchir uniquement fur les Chofes mêmes,
fie de laiffer à quartier tous ces mots avec lesquels il eft fi
ordinaire qu'ils embrouillent les autres &: qu'ils s'embaraf-
fent eux-mêmes?
Elles ne font § 5- ^^^^^ pout revenir à confiderer en quoy confifte
que des Idées la Vérité, je dis qu'il faut diftinguer deux fortes de Pro-
P°arX"f°n5rm. pofitions que nous fommes capables de former.
terventioii des Premièrement, \ts Mentales , ou les Idées font jointes
'"°"' oufcparées dans nôtre Entendement , fans l'intervention
des Mots, par l'Efprit, qui appercevant leur convenance
ou leur difconvenance, en juge actuellement.
Il y a , en fécond lieu , des Propofitions Verbales qui
font des Mots , fignes de nos Idées , joint: on Jepûrez en
des fentences nffirmatives on négatives. Et par cette maniè-
re d'affirmer ou de nier, ces fignes formez par des fons,
font, pour ainfi dire , joints enlemble ou feparez l'un de
.l'autre. De forte qu'une Propofition confille à joindre ou
à feparer des lignes ; fie la Vérité confilte à joindre ou à
feparer ces fignes félon que les chofes qu'ils fignifient,con-
viennent ou difconviennent.
Quand c'eft g ^ Chacun peut être convaincu par fa propre expé-
De la Vérité en général. L i v. I V. 735
rience, que l'Efprit venant à appercevoir ou à fuppofer Chap.
la convenance ou la difconvenance de quelqu'une de (es V.
Idées, les réduit tacitement en luy-même à une Efpéce fîtions menra-
de Propofition affirmative ou négative, ce que j ai tache
coutienncnt
d'exprimer par les termes de joindre enfemble Se de fepa- queitiue vérité
rer,; Mais cette action de l'Efprit qui eft fi familière à '" ^"
tout homme qui penfe £c qui raifonne, eft plus facile à
concevoir en reflechiflant fur ce qui fe pafle en nous,
lorfque nous affirmons ou nions , qu'il n'eft aifé de l'ex-
pliquer par des paroles. Qiiand un homme a dans l'Efprit
l'idée de deux Lignes , favoir la latérale & la diagonale
d'un Qiiarré , dont la diagonale a un pouce de longueur,
il peut avoir auffi l'idée de la divifion de cette Ligne en
un certain nombre de parties égales, par exemple en cinq,
en dix, en cent, en mille , ou en tout autre nombre, 6c
il peut avoir l'idée de cette Ligne longue d'un pouce
comme pouvant , ou ne pouvant pas être divifée en tel-
les parties égales qu'un certain nombre d'elles foit égal à
la ligne latérale. Or toutes les fois qu'il apperçoit, qu'il
croit, ou qu'il fuppofe qu'une telle Efpéce de divifibili-
té convient ou ne convient pas avec l'idée qu'il a de cet-
te Ligne , il joint ou fepare , pour ainfi dire, ces deux
idées , je veux dire celle de cette Ligne , 6c celle de cet-
te efpéce de divifibilité , &c par là il forme une Propofi-
tion mentale qui eft vraye ou faufle , félon qu'une telle
efpéce de divifibilité,ou qu'une divifibilité en dételles par-
ties aliquotes convient réellement ou non avec cette Li-
gne. Et quand les Idées font ainfi jointes ou feparées dans
l'Efprit 5 félon qu'elles ou les chofes qu'elles fignifient
conviennent ou non , c'eft là , fi j'ofe ainfi parler , t/m
Venté mentale. Mais la. Venté 'verbale eft quelque chofe
de plus. C'eft une Propofition où des Mots font affirmez
ou niez l'un de l'autre, félon que les idées qu'ils figni-
fient, conviennent ou difconviennent : 6c cette Vérité eft
encore de deux efpéces , ou purement verbale & frivole ^
de laquelle je traiterai dans le Chapitre X"". ou bien ré~
die Se inftruftive ; êc c'eft elle qui eft l'objet de cet-
te
Chap.
V.
Objeftion con-
tre !a vcritc
TCibalc , que
fuivant ce que
j'en dis , elle
peut être cn-
ti<frement chi-
aie'rique.
736 De la Vérité en général.
te Connoîfl'ance réelle dont nous avons déjà parlé.
§. 7. Mais peut-être qu'on aura encore ici le même
fcrupule à l'égard de la Vérité qu'on a eu touchant la
Connoiflance &: qu'on m'obje£lera „ que , fi la Vérité
,, n'eft autre chofe qu'une conjondion ou feparation de
„ Mots , formans des Propofitions , félon que les Idées
„ qu'ils fignifient , conviennent ou difconviennent dans
„ l'Efprit des hommes, la connoiflance de la Vérité n'eft
„ pas une chofe fi eftimable qu'on fe l'imagine ordinaire-
j, ment; puifqu'à ce compte, elle ne renferme autre cho-
„ fe qu'une conformité entre des mots ôc les productions
„ chimériques du cerveau des hommes; car qui ignore de
5, quelles notions bizarres eft remplie la tête de je ne fai
j, combien de perfonnes , &: quelles étranges idées peu-
„ vent fe former dans le cerveau de tous les hommes? Mais
j, fi nous nous en tenons là , il s'enfuivra que par cette
,j Régie nous ne connoiflbnsla vérité de quoy quecefoit,
,, que d'un Monde vifionnaire, £■: cela en confultant nos
3, propres imaginations; èc que nous ne découvrons point
j, de vérité qui ne convienne aufli bien aux Harpyes &
„ aux Centaures qu'aux Hommes Se aux Chevaux. Car
„ les idées des Centaures &: autres femblables chimères
„ peuvent fe trouver dans nôtre Cerveau , èc y avoir une
„ convenance ou difconvenance , tout aufli bien que les
,, idées des Etres réels, Se par conféquent on peut former
,, d'auflî véritables Propofitions fur leur fujet , que fur
,, des idées de Chofes réellement exift:antes, de forte que
,, cette Propolltion, Tons les Centaures font des AmtnauXi
„ fera aufli véritable que celle-ci , Tous les hommes font
„ des Animaux, &c la certitude de l'une fera aufli grande
„ que celle de l'autre. Car dans ces deux Propofitions
,, les mots font joints enfemble félon la convenance que
„ les Idées ont dans nôtre Efprit, la convenance de Î'I-
„ dée d'Animal avec celle de Centaure étant aufli claire
„ 5c aufli vifible dans l'Efprit , que la convenance de l'i-
„ dée d'Animal avec celle d'homme ; 6c par conféquent
,j ces deux Propofitions font également véritables , &
d'une
De la Vérité en général. Liv. IV.- j-if-j
,, d'une égale certitude. Mais à quoy nous fert une telle C n a p.
„ Vérité ? ^ . , , ^\
§. 8. Qiioy que ce qui a été dit dans le Chapitre pré- ^fP"!!^^^ '^^"*
cèdent pour diftinguer la connoiflance réelle d'avec l'ima- vcntd "c^'ciic
ginaire put fuffire ici à diflipér ce doute, & à faire difcer- ^'^g^^i': les i-
ner la Vérité réelle de celle qui n'eft que chimérique, ou, mes'a^ux ci»ô-
fi vous voulez , purement nomma le, ces deux diftinârions fcs.
étant établies fur le même fondement, il ne fera pourtant
pas inutile de faire encore remarquer , dans cet endroit,
que, quoy que nos Mots ne fignilient autre chofe que nos
Idées , cependant comme ils font deftinez à figniiier des
chofes , la vérité qu'ils contiennent , lorfqu'ils viennent
à former des Propofitions , ne fauroit être que verbale ,
quand ils défignent dans l'Efprit des Idées qui ne con-
viennent point avec la réalité des Chofes. C'eftpourquoy
la Vérité , aufîi bien que la Connoiflance peut être fort
bien diflinguée en verbale^ &c en réelle; celle-là étant feu-
lement verbale , où les termes font joints félon la conve-
nance ou la difconvenance des Idées qu'ils fignifient, fans
conliderer fi nos Idées font telles qu'elles exiftentou peu-
vent exifter dans la Nature. Mais au contraire les Pro-
pofitions renferment une vérité réelle , quand les fignes
dont elles font compofées , font joints félon que nos I-
dées conviennent , & que ces Idées font telles que nous
les connoiflfbns capables d'exifter dans la Nature > ce que
nous ne pouvons connoître à l'égard des Subftances
qu'en fâchant que telles Subfiances ont aduellement exi-
Ité.
§. 9. Lx Vérité ei\: la. dénotation en paroles de la con- La Fauir-tJ
venance ou delà difconvenance des Idées, telle qu'elle '°"''*^'^ * '^"••
cft. La Fan [fêté eft la dénotation en paroles de la conve- au'ucmenTquc
nance ou de la difconvenance des Idées, autre qu'elle n'eft leurs idces ne
effeftivement. Et tant que ces Idées, ainfi defignées par'"
certains fons, font conformes à leurs Archétypes, jufque-
là feulement la vérité eft réelle j de forte que la Connoif-
fance de cette Efpéce de venté confifte à favoir quelles
font les Idées que les mots fignifient, 6c à appercevoir la
Aaaaa con-
conviciinciu.
738 De Id Vérité en gênerai.
C H A p. convenance ou la difconvenance de ces Idées, fclon qu'el-
V. le ell defignée par ces mots.
Le? Propofi- §• 10. Mais parcc qu'on regarde les Mots comme les
tions gciK'raics grands -véhicules de la Vérité &; de la Connoifiance , fi
tra'itc'fs plus j'^»^^ m'cxprïmer ainfi, Se que nous nous fervons de mots
auiong. 6c de Propofitions en communiquant 6c en recevant la Vé-
rité, 6c pour l'ordinaire en raifonnant fur fon fujet, j'exa-
minerai plus au long en quoyconfifte la certitude des Ve-
ritcz réelles, renfermées dans des Propofitions, 6c oii c'eft:
qu'on peut la trouver, 6c je tâcherai défaire voir dans
quelle efpéce de Propofitions univerfelles nous femmes
capables de voir certainement la vérité ou la faufieté réel-
le qu'elles renferment.
]e commencerai par les Propofitions générales , com-
me étant celles qui occupent le plus nos penfées ^ qui
donnent le plus d'exercice à nos fpeculations. Car com-
me les Vcritez générales étendent le plus nôtre Connoif-
fance 6c qu'en nous mftruifint tout d'un coup de plufieurs
chofes particulières, elles nous donnent de grandes veûcs
6c abrègent le chemin qui nous conduit à la Connoifl"an-
ce, riifprit en fait aufli le plus grand objet de Ces recher-
ches.
Venrij Morale, §. II. Outrc ccttc Vctifé , prifc daus ce fens refferré
&Metaf.hy- (jout jc vicus de parler , il y en a deux autres efpéces.
La première eft la Venté Morale, qui confille à parler des
chofes félon la perfuafion de nôtre Efprit , quoy que la
Propofition que nous prononçons, ne foir pas conforme
à la réalité des chofes. Il y a , en fécond lieu , unt Vé-
rité Meta^hyfiqite , qui n'elt autre chofe que rexifl:ence
réelle des chofes , conforme aux idées auxquelles nous
avons attaché les noms dont on fe fert pour defigner ces
chofes. Qiioy qu'il femble d'abord que ce n'eft qu'une
fimple confideration de l'exiftence même des chofes, ce-
pendant à le confiderer de plus près , on verra qu'il ren-
ferme wwQ Propofition tacite par oii l'Efprit joint telle
chofe particulière à l'idée qu'il s'en étoit formé aupara-
vant en lu y aflignant un certain nom. Mais parce que cç.s
confi-
Vis Propojitions univerfelles, Szc. Liv. IV. 739
confiderations fur la Vérité ont été examinées auparavant, C h A p,
ou qu'elles n'ont pas beaucoup de rapport à nôtre préfent V.
defTein , c'eft affez qu'en cet endroit nous les ayions in-
diquées en paflant.
CHAPITRE VI.
Des Propo/îtions univerfelîcs , de leur Vérité, é' Chap.
de leur Certitude. V 1.
§. I. /^^ Uo Y Qjj E la meilleure Se la plus fûre voye 11 cft necefTaire
V_Z pour arriver à une connoiflance claire &c di- i^. F^''" '^"
^>-*T ^,, 1 -j ' o 1) • Mots cil trai-
ftintte , loit d examiner les idées & d en juger par elles- tant de h Cou«
mêmes, fans p«nfer à leurs noms en aucune manière} ce- "oiffauce.
pendant c'eft ce qu'on pratique fort rarement , à ce que
je croy -, tant la coutume d'employer des fons pour des i-
dées a prévalu parmi nous. Et chacun peut remarquer
combien c'eft une chofe ordinaire aux hommes de fe fer-
vir des noms à la place des idées , lors même qu'ils médi-
tent &: qu'ils raifonnent en eux-mêmes , fur tout fi les i-
dées font fort complexes Ce compofées d'une grande col-
lection d'Idées fimples. C'eft là ce qui fait que la conft-
deration des mots & des Propofitions eft une partie il né-
celîaire d'un difcours où l'on traite de la ConnoilTance,
qu'il eft fort diificile de parler intelligiblement de l'une
de ces chofes fans expliquer l'autre.
§. 2. Comme toute la connoiflance que nous avons fe il eft difficile
réduit uniquement à des veritez particulières ou généra- ^'-^ntendre des
les , il eft évident, que. quoy qu on puifle faire a legard raies fi dks i>=
des premières, nous ne faurions jamais faire bien cnten- ^°"f exprimées
dre ces dernières qui font avec raifon l'objet le plus or- ti"of"vabTs.
dinaire de nos recherches , ni les comprendre que fort ra-
rement nous-mêmes , qu'entant qu'elles font conçues &c
exprimées par des paroles. Ainfi , en recherchant ce qui
conftituë nôtre ConnoifTance , il ne fera pas hors de pro-
Aaaaa 2 pos
740 Des Propojîtions nniverfelles,
C H A p. pos d'examiner la vérité ^ la certitude des Propofirions
y I. Univerfelles.
iiyauncdou- §. 3. Mais afin de pouvoir éviter ici l'illufion où
b!c ccriimdc, nQ^5 pourroit jettcr l'ambieuité des termes, écueuil dan-
l'uiic de Vciiie, ^ ■' r i n. ^ j
& l'autre de gcfcux cn toutc occaiion j il elt a propos de remarquer
Comioiiiiiice. qu'il y a Une double certitude, une Certitude de Vérité h^
• ' imc Certitude de CounoiJJânce. horfquc les mots (ont joints
de telle manière dans des Propofitions, qu'ils expriment
exadlement la convenance ou la difconvenance telle qu'el-
le ell réellement , c'eft une Certitude de Vérité. Et la
Certitude de Connoijfance confifte à appercevoir la conve-
nance ou la' difconvenance des Idées , entant qu'elle eft
exprimée dans des Propofitions. C'eft ce que nous ap-
pelions ordinairement connoitre la venté d'une Propofi-
tion, ou en être certain.
On ne peut '^ §• 4- Or comme nous ne {iiurions être aljurez de la
erre aisfirc l'enté d'aucune Fropojition générale , i moins que nous ne
poiiiTùr gl^n'e- connoi [fions les bornes précijes , cr l'étendue des Efpéces que
raie quelle cil: Jignifient Ics Termes dont elle cfi compofée , il feroit nécef-
Tentabjc lori- fjiij-g q^g nous connulHons l'Èilénce de chaque Efpéce,
cjue 1 Ellence n n.- ■ n • nr-r
dechac];ic puifquc c clt Cette Lilence qui eonltitue & termine 1 fc-1-
Efpcce dont péce. C'eit ce qu'il n'cft pas mal aifé de faire à l'égard
!r<V pasuCî- de toutes les Idées Simples & des Modes -, car dans les 1-
wi-^- dees Simples & dans les Modes , l'Eflence réelle &: la
nommale n'eft qu'une feule &: même chofe, ou , pour ex-
primer la même penfee en d'autres termes, l'idée abftrai-
te que le terme général lignifie étant la feule chofe qui
conftituê ou qu'on peut iuppofer qui conllituè l'eflence
& les bornes de l'Efpece, on ne peut être en peine de fa-
voir jufqu'où s'étend l'Efpece , ou quelles chofes font
comprifes fous chaque terme ; car il eft évident que ce
font routes celles qui ont une exafte conformité avec l'i-
dée que ce terme lignifie, &; nulle autre. Mais dans les
Subtlances, où une Efléncc réelle, diilin£be de la nomi-
nale , eft fuppofée conftitucr, déterminer 6c limiter les
Efpéces, il eft vifible que l'étendue d'un terme général eft
fort incertaine ; parce que ne connoillant pas cet^e eflen-
de leur Vérité ér de leur Certitude. Liv. IV.' 741
ce réelle, nous ne pouvons pas favoir ce qui efl: ou n'eft C h ap,
pas de cette Eipéce , & par conféquent , ce qui peut ou V I.
ne peut pas en être affirmé avec certitude. Ainfi , lors-
que nous parlons d'un Homme ou de VOr, ou de quelque
autre Efpéce de Subftances naturelles , entant que déter-
minée par une certaine EJfence réelle que la Nature don-
ne régulièrement à chaque Invidu de cette Efpéce, Se qui
le fait être de cette Efpéce, nous ne faurions être certains
de la vérité d'aucune affirmation ou négation faite fur le
fujet de ces Subftances. Car à prendre V homme ou VOr
en ce fens, pour une Efpéce de chofes , déterminée par
des Eflénces réelles , différentes de l'idée complexe qui
eft dans l'Efprit de celui qui parle, ces chofes ne ligni-
fient qu'un je ne fay quoy ; & l'étendue de ces Efpéces,
fixée par de telles limites, eft fi inconnue & fi indétermi-
née qu'il eft impoffible d'affirmer avec quelque certitude,
que tous les hommes font raifonnables , &" que tout Or
eft jaune. Mais lors qu'on regarde l'Effence nominale
comme ce qui limite chaque Efpéce , &r que les hommes
n'étendent point l'applicarion d'aucun terme général au
delà des Chofes particulières , fur Icfquelles l'idée com-
plexe qu'il fignifie , doit erre fondée , ils ne font point
en danger de méconnoîrre les bornes de chaque Efpéce,
&: ne fauroient douter fur ce pié-là , fi une Propolltion
eft véritable, ou non. J'ai voulu expliquer en ftile Scho-
laftique cette incertitude des Propofitions qui regardent
les Subftances , & me fervir en cette occafion des termes
d' EJfence & à' Efpéce , afin de montrer l'abfurdire t< l'in-
convénient qu'il y a à fe les figurer comme quelque forte
de réalitez qui foient autre chofe que des idées abftraites,
défignées par certains noms. En eff^et , fuppofé que les
Efpeces des Subftances foient autre chofe que la réduction
même des Subftances en certaines fortes, rangées fous di-
vers noms généraux , félon qu'elles conviennent aux dif-
férentes idées abftraites que nous défignons par ces noms-
là , c'eft confondre la vérité, & rendre incertaines toutes
les Propofitions générales qu'on peut faire fur lesSubftan-
Aaaaa 3 ci^s^.
74* 'Des Propofitions nniverfdles ,
Chap. ces. Ainfij quoy que peut-être ces matières pufTent être
V 1'. expofces plus nettement ôc dans un meilleur tour , à des
gens qui n'auroient aucune connoiflance de la Science
Scholaftique > cependant comme ces faufles notions à'Ef-
fenccs Se d'Efpcces ont pris racine dans l'Efprit de la plu-
part de ceux qui ont reçu quelque teinture de cette efpé-
ce de favoir qui a fi fort prévalu dans cet endroit du
Monde , il efl bon de les faire connoîrre èc de les difllper
pour donner lieu à faire un tel ufage des mots, qu'il puif-
fe faire entrer la certitude dans l'Efprit.
Cela regarde §, ^. l^gfs donc que tes noms des Subjlances foîit em-
UztmcMki ployez pour Jignijîer des Ejpéces qu'on fuppofe déterminées
Subftanccs. far des Ejfences réelles que fions ne connoijfons pas , ils font
tncapables d'mtroduire la certitude dans V Entendement ; &
nous ne faurions être afliirez de la vérité des Propofitions
générales, compofées de ces fortes de termes. La raifon
en efl évidente. Car comment pouvons-nous être affù-
rez que telle ou telle Qiialité eft dans l'Or, tandis que
nous Ignorons ce qui eil, ou n'eft pas dans l'Or^ puifque
félon cette manière de parler , rien n'eft Or, que ce qui
participe à une efl'ence qui nous eft inconnue , & dont
par conféquent nous ne faurions dire, oii c'eft qu'elle eft,
ou n'eft pas ; d'où il s'enfuit que nous ne pouvons jamais
être afl'ùrez d'aucune partie de Matière qui foit dans le
Monde, qu'elle eft, ou n'eft pas Or en ce fens-làj par la
raifon qu'il nous eft abfolumentimpollible de favoir, il elle
a, ou n'a pas ce qui fait qu'une chofe eft appellèe Or, c'eft-
à-dire, cette eflènce réelle de l'Or dont nous n'avons abfo-
lument aucune idée. 11 nous eft, dis-je, aulîî impolTible de
favoir cela, qu'il l'eft à un Aveugle de dire en quelle Fleur
» c'cft k nom fe trouve ou ne fe trouve point la Couleur de * Penfée ,
cî-uiK f'^".'' 2'- tandis qu'il n'a abfolument aucune idée de la Couleur de
kz connue. -t) r r^ u' r • r ■
Voyez le Di- rcnjee. Ou bien , ii nous pouvions lavoir certainement
ftioiinaire de ç^^q q^,{ ^'(.^ p^g poiHblc) OÙ cft l'eflence réelle que nous
Fran'ioife. ne conuoiflons pas, dans quels amas de Matière eft, par
exemple, l'eflence réelle de l'Or, nous ne pourrions pour-
tant point être alTùrez que telle ou telle Qiialitè puifle ê-
tre
ia vcritc foic
' comme.
àe leur Vérité é" de leur Certitude. Liv. IV. 745-
tre attribuée avec vérité à l'Or, puifqu'il nous cft impof- C h a p.
fible de connoître qu'une telle Qi.ialité ou Idée ait une y I.
liaifon néceflaire avec une Ejfence réelle dont nous n'a-
vons aucune idée, quelle que foit l'Efpéce qu'on puifle
imaginer que cette Eflence qu'on fuppofe réelle , confti-
tué effedlivement.
§. 6. D'autre part, quand les noms des Subfiances font n ny a que
emplovez , comme ils devroient toujours l'être , pour l^^ ^'^ Vio^o'
, , r J , ., - , , ■', ijr-^ ■ niions univcr-
deligner les idées que les hommes ont dans Ibiprit, quoy ftiics fur les
qu'ils ayent alors une fignification claire &: déterminée , ^"'^'^^."^"''^°"*
îls nejervent pourtant pas encore a former plti/ieiirs 1 ropo-
fitions nmverjelles , de la venté àefqnclles notis pni(fions
être ûf^ârczi. Ce n'eft pas à caufe qu'en failant \\n tel u-
fagc des mots, nous fommes en peine de favoir quelles
chofes ils flgnifient; mais parce que les Idées complexes
qu'ils flgnifient j font de telles combinaisons d'Idées fim-
ples qui n'emportent avec elles nulle connexion, ou in-
compatibilité vifible qu'avec très-peu d'autres Idées.
§. 7. Les Idées complexes que les Noms que nous Parce qu'on ne
donnons aux Efpéces des Subftanccs, flgnifient, font des P^"^ '^°'""''"^
Collerions de certaines Qualitez que nous avons reniar- rcnconrTc" \l
que coéxifter dans un * foâtien inconnu que nous appel- «^"'^^'ilciice de
Ions Suhjiancî. Mais nous ne faurions connoître certai-»^l"/,y?^^,",',»,
nement quelles autres Qiiaîitez coëxiflent néccflaircment
avec de telles combinaifons ; à moins que nous ne puif-
fions découvrir leur dépendance naturelle , dont nous ne
faurions porter la connoifTance fort avant , à l'égard de
leurs Premières ^lalites;. Et pour toutes leurs Secondes
ÇlualiteZi nous n'y pouvons abfolument point découvrir
de connexion pour les raifons qu'on a vu dans le Chapi-
tre III. de ce IV. Livre i premièrement, pance que
nous ne connoiflbns point les conftitutions réelles des
Subftances , defquelles dépend en particulier chaque j^.
cmde Çlualité; Se en fécond lieu , parce que fuppofe que
cela nous fut connu , il ne pourroit nous fervir que pour
une connoifîance expérimentale , &■ non pour une con-
noifîance univerfelle, ne pouvant s'étendre avec certitu-
de
lu,
^44 Des Propo/itiofis univerfelles ,
Ch A p. de au delà d'un tel ou d'un tel exemple , parce que nôtre
y I. Entendement ne fauroit découvrir aucune connexion ima-
ginable entre une féconde ^talité & quelque modification
que ce foit d'une des Premières ^Inalttcz. Voila pour-
quoy Ton ne peut former fur les Subftances que fort peu
de Propofitions générales qui emportent avec elles une
certitude indubitable,
ijemple (îaiij §• 8. Tout Or cjl jîsc , eft une Propofition dont nous
ne pouvons pas connoître certainement la vérité, quel-
que généralement qu'on la croye véritable. Car fi félon
la vaine imagination des Ecoles , quelqu'un vient à fup-
pofer que le mot Or fignifie une Efpece de chofes, di-
llinguée par la Nature à la faveur d'une Eflence réelle qui
luy appartient , il eft évident qu'il ignore quelles Sub-
fiances particulières font de cette Efpéce , & qu'ainfi il
ne fauroit avec certitude affirmer univerfellement quoy
que ce foit de l'Or. Mais s'il prend le mot Or pour une
Efpéce déterminée par fon Eflence nominale; que l'Eflen-
ce nominale foit , par exemple , l'idée complexe d'un
Corps à\\nc certaine couleur jnune ^ malléable, fufible, &c
plus pefant qu'aucun autre Corps connu ; en employant
ainfi le mot Or dans fon ufage propre , il n'eft pas diffi-
cile de connoître ce qui eft ou n'eft pas Or. Mais avec
tout cela , nulle autre Qiialité ne peut être univerfelle-
ment affirmée ou niée avec certitude de l'Or, que ce qui
a avec cette Eflence nominale une connexion ou une in-
compatibilité qu'on peut découvrir. La Fixité , par
exemple , n'ayant aucune connexion néceflaire avec la
Couleur, la Pefantcur, ou aucune autre idée fimple qui
entre dans l'idée complexe que nous avons de l'Or, ou
avec cette combinaifon d'Idées prifes enfemble, il eft im-
poflible que nous puifllons connoître certainement la vé-
rité de cette Propofition , Qiie tout Or e(l fixe.
§• 9. Comme on ne peut découvrir aucune liaifon en-
tre la Fixité & la Couleur, la Pefantcur, fie les autres i-
dées fimples de l'Eflénce nominale de l'Or , que nous
venons de propofer5 de même fi nous fiiifons que nôtre
Idée
àe leur Vérité éy àe leur Certitude. Liv. IV". 74f
Idée complexe de l'Or , foit un Corps jtf««e , fnfibki Chap,
du^ile, pefant ècfxe, nous ferons dans la même incer- VI,
titude à l'égard de fa capacité d'être diflbut dans VEau
Régate , &c cela par la même raifon } puifque par la con-
fideration des idées mêmes nous ne pouvons jamais affir-
mer ou nier avec certitude d'un Corps dont l'Idée com-
plexe renferme la couleur jaune , une grande pefanteur ,
la dudilité , la fufibilité Se la fixité , qu'il peut être dif-
fout dans VEau Regale; & ainfi du refte de fes autres Qiia-
Iftez. Je voudrois bien voir une affirmation générale
touchant quelque Qiialité de l'Or , dont on puifle être
certainement afluré qu'elle eft véritable. Sans doute qu'on
me répliquera d'abord; voici une Propofition Univerfel-
le tout-à-fait certaine , Tout Or eji mdléâble. A quoy
je répons: C'eft là, j'en conviens, une Propofition très-
alTurée, fi la Malléabilité fait partie de l'idée complexe
que le mot Or fignifie. Mais tout ce qu'on affirme de
l'Or en ce cas-là, c'eft que ce fon fignifie une idée dans
laquelle eft renfermée la Malléabilité ; efpéce de vérité &:
de certitude toute femblable à cette affirmation , Un Cen-
taure ejl un Animal k quatre pies. Mais fi la Malléabilité
ne fait pas partie de l'Eflénce fpécifique, fignifiée par le
mot Or , il eft vifible que cette affirmation , Tout Or eji
malléable, n'eft pas une Propofition certaine -, car que l'i-
dée complexe de l'Or foit compoféede telles autres Qiia-
litez qu'il vous plairra fuppofer dans l'Or, la Malléabi-
lité ne paroîtra point dépendre de cette idée complexe,
ni découler d'aucune idée fimple qui y foit renfermée.
La connexion que la Malléabilité a avec ces autres Qiiali-
tez , fi elle en a aucune , venant feulement de l'interven-
tion de la conftitution réelle de fes parties infenfibles, la-
quelle conftitution nous étant inconnue , il eft impoffible
que nous appercevions cette connexion, à moins que nous
ne puilfions découvrir ce qui joint toutes ces Qiialitez
enfemble.
§. lo. A la vérité, plus le nombre de ces Qiialitez jufcjuoû cette
cûéxiftantes que nous réunifions fous un fcul nom dans c°';"''jc"fe
^ -n I I 1 I peut tue coa-
b b b b b une
74^ T>es Prvpojïtions univer [elles,
C H A p. une Idée complexe, cil grand, plus nous rendons la figni-
V I. ficacion de ce mot précile & déterminée. Mais pourtant
rue. jufqueià nous ne pouvons jamais la rendre par ce moyçn capable
univwllief °"' à.\\nc certitude univcrfelle par rapport à d'autres Qiuli-
peuvent être tcz qui ne font pas contenues dans nôtre Idée complexe}
"['*'r' 'ew'a P^ii^'î'^16 nous n'appercevons point la liaifon ou la depen-
pas fort loin, dancc qu'cllcs ont l'une avec l'autre, ne connoifllxiis ni la
conftitution réelle ilir laquelle elles font fondées, ni com-
ment elles en tirent leur origine. Car la principale partie
de nôtre Connoiffance fur les Subftances ne confifte pas
fmiplement , comme en d'autres chofes , dans le rapport
de deux Idées qui peuvent exifter feparément , mais dans
la liaifon & dans la coëxillcnce néceflaire de plufieurs i«
dées diftindtes dans un même fujet,ou dans leur incompa-
tibilité à coëxifter de cette manière. Si nous pouvions
commencer par l'autre bout, -Se découvrir en quoy con-
fifte une telle Couleur, ce qui rend un Corps plus léger
ou plus pefant, quelle contcxturc de parties le rend mal-
léable , fufible , fixe Se propre à être dilfout dans cette
efpéce de liqueur 6c non dans une autre y fi , dis-je , nous
avions une telle idée des Corps, &: que nous pufiîons ap-
percevoir en quoy confiftcnt originairement toutes leurs
Qiialitez fenfibles, Se comment elles font produites, nous
pourrions nous en former de telles idées abftraites qui
nous ouvriroient le chemin à une connoidance plus géné-
rale &: nous mettroient en état de former desPropolitions"
iiniverfelles, qui emportcroient avec elles une certitude
ôc une vérité générale. Mais tandis que nos Idées comple-
xes des Efpeccs des Subftances font fi éloignées de cet-
te conftitution réelle &: intérieure , d'où dépendent leurs
Qiialitez fenfibles, Se qu'elles ne font compofees que d'u-
ne collection imparfaite des QLialitez apparentes que nos
Sens peuvent découvrir , il ne peut y avoir que très-peu
de Propofitions générales touchant les Subftances, de la
vérité réelle defquelles nous puiillons être certainement
afl"ûrez , parce qu'il y a fort peu d'Idées fimples dont la
connexion 6c la. coëxillcnce néceflaire nous foient con-
nues
de leur Vérité ér àe leur Certitfide. Liv. IV. 747
nues d'une manière certaine Se indubitable. Je croy pour C h A p.
moy, que parmi toutes les fécondes ^tahte^ des Subftan- Vl-
ces j 6c parmi les Puiflances qui s'y rapportent , on n'en
fluiroit nommer deux dont la coèxiilence néceflaire ou
l'incompatibilité puifie être connue cerramement, hormis
dans les Qiialitez qui appartiennent au même Sens, lef-
quelles s'excluent néceffairement l'une l'autre, comme je
l'ai déjà montré. Perfonne , dis-je , ne peut connoîtrc
certainement par la couleur qui eft dans un certain Corps,
quelle odeur, quel goût , quelfon, ou quelles Qualitez
ta£tiles il a , ni quelles altérations il eft capable de faire
fur d'autres Corps , ou de recevoir par leur moyen. On
peut dire la même chofe du Son , du Goût , c^f • Comme
les noms fpécifiques dont nous nous fervons pour défî-
gner les Subfiances , lignifient des Collections de ces for-
tes d'Idées, il ne faut pas s'étonner que nous ne puif-
fions former avec ces noms que fort peu de Propofitions
générales d'une certitude réelle &: indubitable. Mais
pourtant lorfque l'Idée complexe de quelque forte de
Subflanccs que ce foit, contient quelque idée fimple dont'
on peut découvrir la coëxiftence néceffaire qui eft en-
tr'elle & quelque autre idée, jufque-là l'on peut former
fur cela des Propofitions univerfélles qu'on a droit de re-
garder comme certaines: Si par exemple, quelqu'un pou-
voit découvrir une connexion néceffaire entre la Malléa-
bilité &c la Couleur ou la Pefû7iteur de l'Or, ou quel-
que autre partie de l'Idée complexe qui eft defignée par
ce nom-là , il pourroit former avec certitude une Propo-
fition univerfelle touchant l'Or confideré dans ce rap-
port; dealers la vérité réelle de cette Propofition , Tb«?
Or Cjl malléable , feroit aulîi certaine que la vérité de
celle-ci. Les trois Jngles de tout Triangle re£tangle^ font
égaux à deux Droits.
§. II. Si nous avions dételles idées des Subftances, Parce que !es
que nous pufîions connoître , quelles conftitutions réel- Q"^''^^^ <]"■
1 j -r i /^ 1- r r\ y comiiclein nos
les produuent les Cjiiahtez fenfi blés que nous y remar- idées compie-
quonSiSc comment ces Qiialitez en décoiilehtj nous pour- "^^ ^^^ ^'^^•
B b b b b 2 rions
74^ ^^■^ P^opojitions univerfelles,
Chap. rions par les Idées fpécifiques de leurs Eflences réelles
VI. que nous aurions dans rEfprit , déterrer plus certaine-
ftances, dé- ment kurs Propriétez, & découvrir quelles font les Qiia-
Fa^"'irart ^°^^ ^^^^2- qi-ic les Subftances ont , ou n'ont pas j que nous ne
de caufcs êxté- pouvons le faire préfentement par le fecours de nos SenS}
rieurcs, e'ioi- ^g forte Que Dour coonoître les propriétez de l'Or, il ne
gnees & que r ■ i ' rr ■ \^r\ tl- o
nous ne pou- Icroit Hon plus neccllaire , que 1 Or exiltat, &z que nous
vous apperce-. fiflions des expcnences fur ce Corps que nous nommons
ainfi , qu'il eft néccffaire , pour connoitre les propriétez
d'un Triangle , qu'un Triangle exifte dans quelque por-
tion de Matière. L'idée que nous aurions dans l'Efprit
ferviroit auilî bien pour l'un que pour l'autre. Mais tant
s'en faut que nous ayions été admis dans les Secrets de la
Nature , qu'à peine avons-nous jamais approché de l'en-
trée de ce SanÂuaire. Car nous avons accoutumé de con-
fiderer les Subftances que nous rencontrons , chacune à
part, comme une chofe entière qui fubfilte par elle-mê-
me, qui a en elle-même toutes les Qiialitez, &: qui eft
indépendante de toute autre chofe ; c'eft, dis-je, ainfi que
nous nous repréfentons les Subftances fans fongcr pour
l'ordinaire aux opérations de cette m.itiére fluide ik invi-
fible dont elles font environnées , des mouvemens 5c des
opérations de laquelle matière dépend la plus grande par-
tie des Qiialitez qu'on remarque dans les Subftances , 6c
que nous regardons comme les marques inhérentes de di-
ilinction , par oîi nous les connoiflbns , ôc en vertu def-
quelles nous leur donnons certaines dénominations. Mais
une pièce d'Or qui exiitcroit en quelque endroit par el-
le-même, feparée de l'impreiTion £c de l'influence de toirt
autre Corps, perdroit aulîl-tot route fa couleur 6c fa pe-
flinteur,6v peut-être aufîî fa Malléabilité qui pourroit bien
fe changer en une parfaite friabilité ; car je ne vois rien
qui prouve le contraire. L'Eau dans laquelle la fluidité
eft par rapport à nous une Qiialité eflentielle , cefleroit
d'être fluide , fi elle ètoit laiilce à elle-même. Mais fi
les Corps inanimez dépendent fi fort d'autres Corps ex-
térieurs , par rapport à leur état prefent , en" forte qu'ils
ne
de leur Ferite. o" de leur Certitude. Liv. IV. 749
ne feroient pas ce qu'ils nous paroiflent être , fi les Corps C h a p.
qui les environnent , étoient éloignez d'eux -, cette dé- V I.
pendance eft encore plus grande à l'égard des Végétaux
qui font nourris, qui croifTent Se qui produifent des feuil-
les, des fleurs, &: de la femence dans une confiante
fucceflion. Qiie fi nous examinons de plus près l'état
des Animaux , nous trouverons que leur dépendance par
rapport à la vie , au Mouvement ôc aux plus confidéra-
bles Qiialitez qu'on peut obferver en eux , roule fi fort
fur des caufes extérieures &: fur des Qiiahtez d'autres
Corps qui n'en font point partie , qu'ils ne fauroient fub-
fifl:er un moment fans eux , quoy que pourtant ces Corps
dont ils dépendent ne foient pas fort confiderez en
cette occafion &: qu'ils ne faflent pomt partie de l'Idée
complexe que nous nous formons de ces Animaux. Otez
l'Air à la plus grande partie des Créatures vivantes pen-
dant une feule minute , Se elles perdront aufll-tôt le (en-
timent , la vie Se le mouvement. C'eft dequoy la nécefîl-
té de refpirer nous a forcé de prendre connoi (Tance. Mais
combien y a-t-il d'autres Corps extérieurs , Se peut-être
plus éloignez , d'où dépendent les reflbrts de fes admira-
bles Machines , quoy qu'on ne les remarque pas com-
munément. Se qu'on n'y fafle même aucune reflexion>
ôc combien y en a-t-il que la recherche la plus exafte
ne fauroit découvrir ? Les Habitans de cette petite Bou-
le que nous nommons la Terre, quoy qu'éloignez du
Soleil de tant de millions de lieùës , dépendent pour-
tant fi fort du mouvement tempéré des Particules qui
en émanent Se qui font agitées par la chaleur de cet
Aftre , que fi cette Terre étoit transférée de la fi-
tuation où elle fe trouve préfentement , à une pe-
tite partie de cette diftance , de forte qu'elle fut
placée un peu plus loin ou un peu plus près de cet-
te fource de chaleur , il eft plus que probable que la
plus grande partie des Animaux qui y font , peri-
roient tout aufli-tôt ; puifque nous les voyons mourir (I
fouvent par l'excès ou le défaut de la Chaleur du So-
Bbbbb 3 leil.
7^o Des Propofitions nniverfelles y
C H A p. leil , à quoy une pofition accidentelle les expofe dans
V I. quelques parties de ce petit Globe. Les Qualitez qu'on
remarque dans une Pierre d'Aimant doivent néceffaire-
ment avoir leur caufe bien au delà des limites de ce
Corps; &• la mortalité qui fe répand fouvent fur différen-
tes efpéces d'Animaux par desCaufes invifibles,& la mort
qui , à ce qu'on dit , arrive certainement à quelqu'un
d'eux dès qu'ils viennent à pafler la Ligne, ou à d'autres,
comme on n'en peut douter , pour être tranfportez dans
un Païs voifin > tout cela montre évidemment que le con-
cours Se l'opération de divers Corps avec lefquelson croit
rarement que ces Animaux ayent aucune relation, eft abfo-
lument néceflaire pour faire qu'ils foient tels qu'ils nous
paroifl'ent, fie pour conferver ces Qiialitez par où nous
les connoiffons &: les diftinguons. Nous nous trompons
donc entièrement, de croire que les Chofes renferment en
elles-mêmes les Qiialitez que nous y remarquons : 6c c'eft
en vain que nous cherchons dans le corps d'une Mouche
ou d'un Eléphant la conftitution d'oii dépendent les Qua-
litez & lesPuiflances que nous voyons dans cesAnimauX}
pnifque pour en avoir une parfaite connoiffance il nous
faudroit regarder non feulement au delà de cette Terre &
de nôtre Atmofphere, mais même au delà du. Soleil , ou
des Etoiles les plus éloignées que nos yeux ayent encore
pu découvrir ; car il nous eft impoffible de détermmer
jufqu'à quel point l'exiftence Se l'opération des Subilan-
ces particulières qui font dans nôtre Globe dépendent de
Caufes entièrement éloignées de nôtre veùë. Nous vo-
yons & nous appercevons quelques mouvcmens Se quel-
ques opérations dans les chofes qui nous environnent j
mais de fivoir d'où viennent ces flux de Matière qui con-
fervent en mouvement 6c en état toutes ces admirables
Machines , comment ils font conduits Se modifiez, c'eft
ce qui paffe nôtre connoifl'ance Se toute la capacité de
nôtre Efprit;de forte que les grandes parties. Se les roués,
fi j'ofe ainfi dire , de ce prodigieux Bâtiment que nous
nommons VUni'vers , peuvent avoir cntr'elles une telle
con-
I
àe leur Vérité é' àe leur Certitude. Liv. IV. 75 1
connexion &: une telle dépendance dans leurs influences C h a p^
êc dans leurs opérations (car nous ne voyons rien qui aille V I.
à établir le contraire) que les Chofes qui font ici dans le
coin que nous habitons , prendroient peut-être une toute
autre face, Se cefleroient d'être ce qu'elles font, fi quel-
qu'une des Etoiles ou quelqu'un de ces vaftes Corps qui
font à une diftance inconcevable de nous , cclToit d'être ,
ou de fe mouvoir comme il fait. Ce qu'il y a de certain ,
c'efl que les Chofes , quelque parfaites &: entières qu'el-
les paroifîent en elles-mêmes , ne font pourtant que des
apanages d'autres parties de la Nature , par rapport à ce
que nous y voyons de plus remarquable ; car leurs Qiia-
litez fenfibles, leurs adions èc leurs puiflances dépendent
de quelque chofe qui leur eft extérieur. Et parmi tout
ce qui fait partie de la Nature , nous ne connoifibns rien
de fi complet & de fi parfait qui ne doive fon exillence
ëc fes perfections à d'autres Etres qui font dans fon voifi-
nagCjde forte que pour comprendre parfaitement les Qiu-
litez qui font dans un Corps , il ne faut pas borner nos
penfées à la confideration de fa furface, mais porter nôtre
veûë beaucoup plus avant.
§. 12. Si cela eft ainfi , il n'y a pas lieu de s'étonner
que nous ayions des idées fort imparfaites des Subftances;
&: que les Efl"ences réelles d'où dépendent leurs proprié-
tez & leurs opérations , nous foient inconnues. Nous
ne pouvons pas même découvrir quelle eft la grofleur, la
figure &:la contexture des petites particules actives qu'el-
les ont réellement 6c moins encore les différens mouvc-
mens que d'autres Corps extérieurs communiquent à
ces particules, d'où dépend 6c par où fe forme la plus
grande 6c la plus remarquable partie des Qiialitez que
nous obfervons dans ces Subftances, èc qui conftituent les
Idées complexes que nous en avons. Cette feule confide-
ration fuffit pour nous faire perdre toute efpérance d'a-
voir jamais des idées de leurs efiences réelles , au défaut
defquelles les Efiences nominales que nous leur fubfti-
tuons, ne feront guère propres à nous donner aucune Con-
noif-
Chap.
VI.
Le Jugement
peut s'étendre
plus avant,
mais ce n'cft
pas Comwif-
ÛIKC,
752 Des Propojîtions univerfelles ,
noiflance générale, ou à nous fournir des Propofîtions
univerfelles capables d'une certitude réelle.
§• 13. Nous ne devons donc pas être furpris qu'on ne
trouve de certitude que dans un très-petit nombre de
Propofîtions générales qui regardent les Subftanccs. La
connoifTance que nous avons de leurs Qiialitez & de leurs
Proprietez s'étend rarement au delà de ce que nos Sens
peuvent nous apprendre. Peut-être que des gens curieux
& appliquez à faire des Obfervations peuvent, par la for-
ce de leur Jugement, pénétrer plus avant, & par le moyen
de quelques probabilitez déduites d'une obfervation ex-
a6te , &z de quelques apparences réunies à propos , faire
fouvent de juftes conjeàures fur ce que l'Expérience ne
leur a pas encore découvert. Mais ce n'eft toujours que
conjecturer , ce qui ne produit qu'une fimple opinion , &
n'ell nullement accompagné de la certitude néceflaire à
une vraye connoifTance ; car toute nôtre Connoiflance gé-
nérale eft uniquement renfermée dans nos propres pen-
fées, &^ne confifte que dans la contemplation de nos pro-
pres Idées abftraites. Par tout oii nous appercevons quel-
que convenance ou quelque difconvenance entr'elles,nous
y avons une connoiflance générale -, de forte que formant
des Propofîtions ou joignant comme il faut les noms de
ces Idées , nous pouvons prononcer des l' entez générales
avec certitude. Mais parce que dans les Idées abftraites
des Subftances que leurs noms fpécifiques fignifient, lorf-
qu'ils ont une fignification diftinde &: déterminée, on
n'y peut découvrir de liaifon ou d'incompatibilité qu'a-
vec fort peu d'autres Idées > la certitude des Propofîtions
univerfelles qu'on peut faire fur les Subftances, eft extrê-
mement bornée Se defe£tueufe dans le principal point dt.s
recherches que nous faifons fur leur fujet -, 6c parmi les
noms des Subftances à peine y en a-t-il un fcul (^cjue l'i-
dée qu'on luy attache foit ce qu'on voudra} dont nous
piiiflions dire généralement &: avec certitude qu'il renfer-
me telle ou telle autre Qualité qui ait une coèxiftence ou
une incompatibilité conftante avec cette Idée par tout où
elle fe rencontre. §. 14.
1
^e leur Fente éf àe leur Certitude. Liv. IV. 755
§. 14. Avant que nous puiflions avoir une telle con- Chap»
noiflance dans un degré pafTable, nous devons favoir pré- VI.
miérement quels font les chanfremens que les premières %'^''' ''* "'^-'
^ I i\ .^ ^ ■ r ' y J 1 ce'i^ire pour
^laltte^ d un Corps produilent régulièrement dans les que nous puif.
premières Qiialitez d'un autre Corps, & comment fe fait C'°"^ co""°*'-
cette altération. En fécond lieu, nous devons favoir quel-|[^„"s
les premières Qualitez d'un Corps produifent certaines
fenfations ou idées en nous. Ce qui, à le bien prendre,
ne fignifie pas moins que connoître tous les eflets de la
Matière fous fes diverfes modifications de grofleur , de
figure , de cohéfion de parties , de mouvement 6c de re-
pos j ce qu'il nous eft abfolument impofllble de connoî-
tre fans Révélation , comme tout le Monde en convien-
dra, fi je ne me trompe. Et quand même une Révéla-
tion particulière nous apprendroit quelle forte de figure,
de grofleur Se de mouvement dans les parties infenfibles
d'un Corps devroit produire en nous la (enfation de la
Couleur jaune, fie quelle efpécc de figure, de groflTeurSc
de contexture de parties doit avoir la fuperficic d'un
Corps pour pouvoir donner à de tels corpufcules le
mouvement qu'il faut pour produire cette couleur , cela
fuffiroit-il pour former avec certitude des Propofitions u-
niverfelles touchant les différentes efpèces de figure , de
grofl!eur , de mouvement , & de contexture , par où les
particules infenfibles des Corps produifent en nous un
nombre infini de fenfations ? Non fans doute , à moins
que nous n'euflîons des facultez aflfcz fubtiles pour ap-
percevoir au jufte la grofleur , la figure , la contexture,
& le mouvement des Corps , dans ces petites particules
par où ils opèrent fur nos Sens -, afin que par cette con-
noifl!ance nous pu liions nous en former des idées abftrai-
tes. Je n'ai parlé dans cet endroit que des Subfl:ances
corporelles , dont les opérations femblent avoir plus de
proportion avec nôtre Entendement ; car pour les opéra-
tions des Efprits , c'eft-à-dire , la Faculté de penfer 8c
de mouvoir des Corps , nous nous trouvons d'abord
tout-à-fait hors de route à cet égard 3 quoy que peut-
Ccccc être
754 T^^^ Propofitions nniverfeUes ,
Chap. être après avoir examiné de plus près la nature des
VI. Corps 6c leurs opérations, & conlideré jufqu'où les
notions mêmes que nous avons de ces Opérations peu-
vent être portées avec quelque clarté a.u delà des faits
fenfibles , nous ferons contraints d'avouer qu'à cet égard
même toutes nos découvertes ne fervent prefque à autre
chofe qu'à nous faire voir nôtre ignorance , & l'abfoluë
incapacité où nous fommes de trouver rien de certain fur
ce fujet.
Tandis que ^ j- j| gj^ dis-jc , de la demiérc évidence , que les
nos Idées des -^ „ . > . , .. j c i n. ' .. C '
subftanccs ne couftitutions recUes des bubltances n étant pas renfermées-
renferment (Jans Ics Idées abftraitcs & complexes que nous nous for-
KionTr^cî- "ions dcs Subftanccs 5c que nous defignons par leurs
les, nous ne noms généraux j ces idées ne peuvent nous fournir qu'un
mcTfuHe°Jt P^^^'^ degré de certitude univerfelle. Parce que dès-là
fujet , que peu quc Ics Idécs quc uous avous des Subftances , ne com-
de Propofitions prennent point leurs conftitutions réelles , elles ne font
^ncracs, ccr- ^^-^^^ compofecs de la chofe d'oii dépendent les Qiiali-
tez que nous obfervons dans ces Subftances, ou avec la-
quelle elles ont une liaifon certaine, 6c qui pourroit nous
en faire connoître la nature. Par exemple , que l'idée à
laquelle nous donnons le nom à' homme foit, comme elle
eft communément, un Corps d'une certaine forme exté-
rieure avec du Sentiment , de la Raifon , S<. la Faculté de
fe mouvoir volontairement. Comme c'eft là l'idée ab-
ftraite, 6c par conféquent l'Eflcnce de l'Efpéce que nous
nommons Homme , nous ne pouvons former avec certi-
tude que fort peu de Propolltions générales touchant
V Homme i pris pour une telle Idée complexe. Parce que
ne connoiflànt pas la conftitution réelle d'où dépend le
fentiment, la puiflance de fe mouvoir 6c de raifonner,.
avec cette forme particulière , 6c par où ces quatre cho-
fes fe trouvent unies enfemble dans le même fujct , il y a-
fort peu d'autres Qiialitez avec Icfquelles nous puilîîons
appcrcevoir qu'elles ayent une liaifon néceflaire. Ainfi,
nous ne faurions affirmer avec certitude que tons les hom-
?ms dorment a certains intervalles, qn' aucun homme ne peut
fi
âe leur Trente & de leur Certitude. Liv. IV. "j^^
fe nourrir avec du bois ou des pierres , que la Ciguë ejï un C h A 15
foifoti pour tons les homwes ; parce que ces Idées n'ont au- V h
cuneliaifon ou incompatibilité avec cette Eflence nomina-
le que nous attribuons à Vllofame , avec cette idée ab-
ftraite que ce nom fignifie. Dans ce cas & autres fenibla-
bles nous devons en appel 1er à des Expériences faites fur
dcsi fujcts particuliers, ce qui nefauroits'ctendre fort loin,
A l'égard du refte nous devons nous contenter d'une fim-
ple probabilité ; car nous ne pouvons avoir aucune cer-
titude générale , pendant que nôtre Idée fpécifique de
l'Homme ne renferme point cette conftitution réelle qui
eft la racine à laquelle toutes fes Qiialitez infeparables
font unies & d'où elles tirent leur origine. Et tandis que
l'idée que nous faifons fignifier au mot homme n'eft qu'u*
ne colleftion imparfaite de quelques Qiialitez fenfibles
&: de quelques Puiffances qui fe trouvent en luy, nous
ne faurions découvrir aucune connexion ou incompatibi-
lité entre nôtre Idée fpécifique & l'opération que les par-
ties de la Ciguë ou des pierres doivent produire fur fa
conftitution. Il y a des Animaux qui mangent de la Ci-
guë fans en être incommodez. Se d'autres qui fe nourrif-
îcnt de bois & de pierres ; mais tant que nous n'avon$
aucune idée des conftitutions réelles de différentes fortes
d'Animaux , d'oîi dépendent ces Qiialitez , ces Puiffan-
ces , ^ d'autres femblables , nous ne devons point efpé-
rer de venir jamais à former, fur leur fujet, des Propcfi*
tions univerfelles d'une entière certitude. Il n'y a que
ce peu d'Idées , unies avec nôtre Elfence nominale ou
avec quelqu'une de fes parties par des liens qu'on ne fau-
roit découvrir, qui puiifent nous fournir de telles Propo*
fitions. Mais ces Idées font en fi petit nombre Se de fi
peu d'importance, que nous pouvons regarder avec rai-
fon nôtre Connoiffançe générale touchant les Subftances
(j'entens une connoiffançe certaine} comme n'étant pref-
que rien du tout. En cjuoy cèn-
§. 16. Enfin, pour conclurré j les Propofitions gêné- ''^^^^["''^"'^'
f aies j de quelque efpéce qu'elles foient j ne font capables P:opofiiioi",
C c c c c 2 de
75^ T)es Axiomes.
C H A p. de certitude , que lorfque les termes dont elles font com-
VI. pofées , fignifient des Idées dont nous pouvons décou-
vrir la convenance & la difconvenance félon qu'elle y eft
exprimée. Et quand nous voyons que les Idées qu'ils
fignifient , conviennent ou ne conviennent pas , félon
qu'elles font affirmées ou niées l'une de l'autre, c'eft alors
que nous fommes certains de leur vérité ou de leur fauf-
feté. D'où nous pouvons inférer qu'une Certitude géné-
rale ne peut jamais erre fondée que fur nos Idées. Qiie
fi nous Talions chercher ailleurs dans des Expériences ou
des Obfervations hors de nous, dès-lors nôtre Connoif-
fance ne s'étend point au delà des exemples particuliers.
C'eft la contemplation de nos propres Idées abftraites
qui feule peut nous fournir une Connoijfance générale.
CHAPITRE VII.
C H A P. Des Pro^ofitions qu'on, nomme Maximes on Axiomes.
VII.
Les Axiomes §- I. T L y a une efpéce de Propofitions qui fous le
fonr c'vidcns J nom dc Mûximes ôc à^ Axiomes ont paiïe pour les.
wes.^"^ '"^' Principes des Sciences : Se parce qu'elles font évidentes
par elles-mêmes , on a fuppofé qu'elles étoient innées y
fans que perfonne ait jamais tâché (que je fâche} défaire
voir la raifon & le fondement de leur extrême clarté , qui
nous force, pour ainfi dire, à leur donner nôtre confen-
tement. Il n'eft pourtant pas inutile d'entrer dans cet-
te recherche, & de voir fi cette grande évidence eft par-
ticulière à ces feules Propofitions , comme aulfi d'exa-
miner jufqu'où elles contribuent à nos autres Connoif-
fances.
Eiiciuoycon. §-2. La Connoiffance confifte , comme je l'ai déjà,
fifte cette ivi- montré, dans la perception de la convenance ou de la dif-
itme '""""''*' convenance des Idées. Or par tout oii cette convenance
ou difconvenance eft apperçuë immédiatement par elle-.
même, j
Des Axiomes. Liv. IV. 757
même , fans l'intervention ou le fecours d'aucune au-
C H A p.
VU.
tre Idée , nôtre Connoi (Tance eft évidente fdr elle-même.
C'eft dequoy fera convamcu tout homme qui confiderera
une de ces Propofitions auxquelles il donne fon confente-
ment dès la première veùê fans l'intervention d'aucune
preuve ; car il trouvera que la raifon pourquoy il reçoit
toutes ces Propofitions » vient de la convenance ou de la
difconvenance que l'Efprit voit dans ces Idées en les
comparant immédiatement entr'elles félon l'affirmation
ou la négation qu'elles emportent dans une telle Propos-
fition.
§. ;. Cela étant ainlî , voyons préfentement fi cette Elle n'cft pa?
* évidence immédiate ne convient qu'à ces Propofitions Ç,"'"^"/'"^ ^'"
auxquelles on donne communément le nom de Maximes ^ai ^Mim
& qui ont l'avantage de pafler pour Axiomes. Il eft tout P°"^ Axiomes
vifible, que plufieurs autres Veritez qu'on ne reconnoit
point pour Axiomes font auffi évidentes par elles-mê-
mes que ces fortes de Propofitions. C'eft ce que nous
verrons bien-tôt , fi nous parcourons les différentes for-
tes de convenance ou de difconvenance d'Idées que bous
avons propofé cyTdefllis , favoir, V Identité ^ la relation 3
la coèxijlence y èc Vexiftence réelle-, par où nous reconnoî-
trons que non feulement ce peu de Propofitions qui ont
pafle pour. Maximes font évidentes par elles-mêmes, mais
que qiwntité , ou plutôt une infinité d'autres Propofi-
tions le font auiîi.
§. 4. Car premièrement la perception immédiate d'u-i i. Ait'gardcJe
ne convenance ou difconvenance d'/^f»?///, étant fondée !''^'"'."^' ^^^
fil r ce que l'Efprit a; des Idées diftindtes, elle nous four- toiit«i«[^ro-
nit autant de Propofitions évidentes par elles-mêmes qu© P^'î^^s^o ;c
nous, avons d'Idées diftindes. Qiiiconque a quelque con- daûcspr et'
Ccccc 3 noif-
les mtmes.
* Self-evidence : mot exprcITif en An-
glois, qu'on ne peut rendre en François fi
je ne me trompe, que par periphrate. C'eft
/.» propriété qu'a une ?ropojnion à être évi-
dente par elle-même; ce que j'appelle ézi-
dence immédiate , pour ne pas embarraflcr
le Difcouts par une longue circonlocution.
Aptes Ce que l'Auicui nient de dite dans
le Paragraphe prc'ccdenf, il c'toit aife' d'en-
tendre ici ce que j'ai voulu dire par cette
fxprefTion'. Mais comme j'en aurai peut^
êrrebelbin dans la fuite, j'ai crû qu'il ne
Ceroit pîs inutile d'âvettii le Lefteur que
c'eft là le- fens que je, luy donne ru coij-
ftamment.
758 Des Axiomes.
C H A p. noiiTance , a des idées différentes 8c diftinftes qui font
VU. comme le fondement de cette Connoiffancer&le premier
afte de l'Efprit fans quoy il ne peut jamais être capable
d'aucune connoiffance, confifte à connoître chacune de
f.'S Idces par elle-même , Se à la diftinguer de toute autre.
Chacun voit en luy-même qu'il connoit les idées qu'il a
dans TEfprit, qu'il connoit aulîî quand c'eft qu'une Idée
eft préfente à fon Entendement, &: ce qu'elle eft, Se que
lorfqu'il y en a plus d'une , il les connoit diilinftement
&■ fans les confondre l'une avec l'autre. Ce qui étant tou-
jours ainfi, (car il eft impoffible qu'il n'apperçoive point
ce qu'il apperçoit) il ne peut jamais douter qu'une Idée
qu'il a dans l'Efprit, n'y foit actuellement , & ne foit ce
qu'elle eft, & que deux Idées diftinftes qu'il a dans l'Ef-
prit', n'y foient effectivement , &" ne foient deux idées.
Ainfi , toutes ces fortes d'affirmations & de négations fe
font fans qu'il foit poffible d'héfiter , d'avoir aucun dou-
te ou aucune incertitude à leur égard, & nous ne pouvons
éviter d'y donner nôtre confentement , dès que nous les
cor»prenons, c'eft-à-dire , dès que nous avons dans l'Ef-
prit les idées déterminées qui font défignées par les mots
contenus dans la Propofition. Et par conféquent , toutes
les fois que l'Efprit vient à confiderer attentivement une
Propofition , en forte qu'il apperçoive que les deux Idées
qui font fignifiées par les termes dont elle eft compofée,
éc affirmées ou niées l'une de l'autre, ne font qu'une mê-
me idée , ou font difterentes, dcs-là il eft infiuUiblement
certain de la vérité d'une telle Propofition ,■ 6c cela éga-
lement , foit que ces Propolîtions foient compofées de
termes qui fignifient des idées plus ou moins générales i
par exemple, foit que l'idée générale de VEîre foit affir-
mée d'elle-même, comme dans cette Propofition, Tout
ce qui eft i eft ; ou qu'une idée plus particulière foit affir-
mée d'elle-même, comme Un homme e[i nn homme ^ ou
Ce qui eft blanc , eft blanc: foit que l'idée de XEtre en gé-
néral foit niée du Non-Etre , qui eft (fi j'ofe ainfi parler}
la feule idée différente de l'Etre, comme dans cette autre
Propo-
Des Axiomes. Liv. IV. 759
Propodtion , // eft impojjible qii'ime même chofefoit ç^ ne C h a p.
foit pas ; ou que l'idée de quelque Etre particulier foit VII.
nice d'une autre qui en eft différente , comme, Un hom-
me fCeft pas un cheval , Le Rouge n'efi pas Bleu. La dif-
férence des Idées fait voir aufli-tôt la vérité de la Pro-
pofition avec une entière évidence , dès qu'on entend les
termes dont on fe fert pour les défigner , & cela avec au-
tant de certitude & de facilité dans une Propofition moins
générale que dans celle qui l'eft davantage^ le tout par la
même raifon , je veux dire à caufe que l'Efprit apperçoit
dans toute idée qu'il a , qu'elle eft la même avec elle-
même , &: que deux Idées différentes , font différentes
& non les mêmes. Dequoy il eft également certain, foie
que ces Idées foient d'une plus petite ou d'une plus gran-
de étendue , plus ou moins générales , & plus ou moins
abftraites. Par conféquent , le privilège d'être évident
par foy-même n'appartient point uniquement £c par un
droit particulier à ces deux Proportions générales , Tout
ce qui eft, eft , 6c , Il eft impoftlble qu'une même chofe foit
Cr ne foit pas en même temps. La perception d'être ou de
n'être point n'appartient pas plutôt aux idées vagues ,
jfîgnifîées par ces termes, Tout ce qui, &" chofe, qu'à quel-
que autre idée que ce foit. Car ces deux Maximes n'em-
portent dans le fonds autre chofe finon que Le même eft
le même , ou que Ce qui eft le même , nejl pas différent:
veritez qu'on reconnoit aulH bien dans des Exemples
plus particuliers que dans ces Maximes générales ; ou ,
pour parler plus exadement , qu'on découvre dans des
Exemples particuliers avant que d'avoir jamais penfé à
ces Maximes générales, & qui tirent toute leur force de
la Faculté que l'Efprit a de difcerner les idées particu-
li;^rcs qu'il vient à confiderer. En effet , il eft tout vifi-
ble que l'Efprit connoit & apperçoit que l'idée du Blanc
ft l'idée du Blanc, &: non celle du Bleu, &: que, lorf-
que l'idée du Blanc eft dans l'Efprit, elle y eft &c n'en eft
pas abfente , qu'il l'apperçoit , dis-je, fi clairement &: le
eonnoit fi certainement fans le fecours d'aucune preuve,
ou
e
■760 T>es Jlxiomes.
Ç H A p. ou fans refléchir fur aucune de ces deux Propofitions gé-
VII. nérales , que la confideration de ces Axiomes ne peut
rien ajouter à l'évidence ou à la certitude de la connoif-
fance qu'il a de ces chofes. Il en cft juitement de même
à l'égard de toutes les idées qu'un homme a dans l'I'.fprit,
comme chacun peut l'éprouver en foy-même. 11 connoit
que chaque Idée ell cette même idée, Se non une autre,
èc qu'elle eft dans fon Efprit , & non hors de fon Efprit
lorfqu'elle y eft aftuellementj il le connoit, dis-je, avec
une certitude qui ne fauroit être plus grande. D'où il
s'enfuit qu'il n'y a point de Propoiltion générale dont la
vérité puifle être connue avec p'usde certitude, ni qui
foit capable de rendre cette première plus parfaite. Ain-
fi , nôtre Connoilfance de fimple veùé s'étend auHî loin
que nos Idées par rapport à l'Identité , &: nous fommes
capables de former autant de Propofitions évidentes par
elles-mêmes, que nous avons de noms pour déilgner des
idées diftindes ; fur quoy j'en appelle à l'Efprit de cha-
cun en particulier, pour favoir fi cette Propofition , Vn
Cercle eji un Cercle , n'eft pas une Propofition audl évi-
dente par elle-même que celle-ci qui eft compofée de
termes plus généraux , Tout ce qui ejl , e/i ; & encore , fi
cette Propofition , le Bleu n'efi pas Rouge , n'eft point u-
ne Propofition dont l' Efprit ne peut non plus douter, dès
qu'il en comprend les termes , que de cet Axiome, // f(l
impfljfible qu'une même chofe foit (^ ne fait pas : èc ainfi de
toutes les autres Propofitions de cette efpéce.
I Par rapport §. 5. En fccoud licu , pout cc qui eft de la coêxiften-
àiacoëxifteu- ^q ^ „y d'une connexion entre deux Idées , tellement né-
forcpcu de ' cclfaire , que dès que l'une eft fuppofée dans unfujet,
rropofitionî l'autre doive l'être aufii d'une manière inévitable, l'Efprit
dkwnimcs.' n'a Une perception immédiate d'une telle convenance ou
difconvenance qu'à l'égard d'un très-petit nombre d'Idées.
C'eftpourquoy nôtre Connoiflance intuitive ne s'étend
pas fort loin fur cet article , Se l'on ne peut former là-
defliis que très-peu de Propofitions évidentes par elles-
mêmes. 11 y en a pourtant quelques-unesi par exemple,
l'idée
Des Axionies. Liv. IV. 761
l'idée de remplir un lieu égal au contenu de fa furface, Chap.
étant attachée à nôtre Idée du Corps , je croy que c'eft VU.
une Propofition évidente par elle-même , ^e deux Corps
ne fattrotent être dans le même lieu.
§. 6. Qiiant à la troifiéme forte de convenance qui re- ni. Nous a»
carde les Relations des Modes , les Mathématiciens ont po"^'^ns avoir
c ' 1 r n ■ r 1 r 1 i- i,,-i/ dans les auircs
forme pluheurs Axiomes lur la leule relation a Egalité ^ Rclatious,
comme que fi de chofes égales on en ote des chofes égales, le
refie eji égal. Mais encore que cette Propofition &" les
autres du même genre foient reçues par les Mathémati-
ciens comme autant de Maximes , Se que ce foient eiïe£ti-
vement des Veritez inconteftablesjje croy pourtant qu'en
les confiderant avec toute l'attention imaginable, on ne •
fauroit trouver qu'elles foient plus clairement évidentes
par elles-mêmes que celles-ci, t7« c^ un font égaux àdeux^
Ji de cinq doigts d^ime Main , 'vous en otez deux j ér deux
autres des cinq doigts de l^ autre Main , le nombre des doigts
qui rejlerafera égal. Ces Propofitions èc mille autres fem-
blables qu'on peut former fur les Nombres, fe font rece-
voir néceflairement dès qu'on les entend pour la première
fois , &: emportent avec elles une aufli grande , pour ne
pas dire une plus grande évidence que les Axiomes de
Mathématique.
§. 7. En quatrième lieu, à l'égard de l'exiftence réel- iv. Touchanc
le , comme elle n'a de liaifon avec aucune autre de nos '"'j'^''^'^"" ^f-
Idées qu'avec celle de Nous-mêmes & du Premier Etre, avonTaucune"
tant s'en faut que nous ayons fur l'exiftence réelle de tous
les autres Etres une connoifTa^ce , qui nous foit évidente
par elle-même, que nous n'avons pas même une connoif-
fance dèmonftrative. Et par conféquent il n'y a point
d'Axiome fur, leur fujet.
§. 8. Voyons après cela quelle eft l'influence que ces Les Axiomes
Maximes reçues fous le nom d'Axiomes , ont fur les au- " °"' P?' ''""'
. . • I »^ /^ ■ n- X V» ' 1 . COUT d'iiifluen-
très parties de notre Connoiffance. La Règle qu'on po- ccfiir les autres
fe dans les Ecoles, Que tout Raifonnement vient de cho- P^"'"^' ^^ ."°:
fes déjà connues. Se déjà accordées, ex pr^cognitts é- pra- [huce°""°'^"
concejisi comme ils parlent j cette Régie j dis-je, fem- "
Ddddd ble
y Si J^es Axiomes.
Cha p. ble faire regarder ces Maximes comme le fondement de
VII. toute autre connoiflance , &: comme des chofes déjà con-
nues : par où l'on entend , je croy , ces deux chofes ; la
première , que ces Axiomes font les véritez , les pre-
mières connues à l'Efprit -, &: la féconde , que les au-
tres parties de nôtre Connoiflance dépendent de ces
Axiomes.
Parce cjue ce §.9. ^t premièrement y il paroit évidemment par l'Ex-
ycriîcz'/ies " périencc, que ces Véritez ne font pas les premières con-
prénucïes cou- nucSj conimc nous l'avons * déjà montré. En effet, qui
11"?' I ^/ I ne s'aoperçoit qu'un Enfant connoit certainement qu'un
Etranger n elt pas la Mère , que la verge qu il cramt n eit
. pas le fucre qu'on luy préfente, long-temps avant que de
favoir, ëln'il eji impoj/ible qu'une chofe foit cr ne foit pas?
Combien peut-on remarquer de véritez fur les Nombres,
dont on ne peut nier que l'Efprit ne les connoilTe parfai-
tement Se n'en foit pleinement convaincu , avant qu'il ait
jamais penfé à ces Maximes générales, auxquelles les Ma-
thématiciens les rapportent quelquefois dans leurs raifon-
nemens ? Tout cela efl: inconteftable , &; il n'eft pas dif-
ficile d'en voir la raifon. Car ce qui fait que l'Efprit
donne fon confentement à ces fortes de Propofitions , n'é-
tant autre chofe que la perception qu'il a de la convenan-
ce ou de la difconvenance de fes Idées , félon qu'il les
trouve affirmées ou niées l'une de l'autre en des termes
qu'il entend -, Se connoiflant d'ailleurs que chaque Idée
eil ce qu'elle eft, èc que deux Idées diftmdes ne font ja-
mais la même Idée , il doit s'enfuivre néceflairement de
là, que parmi ces fortes de véritez évidentes par elles-mê-
mes, celles-là doivent être connues les premières qui font
compofées d'idées qui font les premières dans l'Efprit:
fie il eft vifiblc que les premières idées qui font dans l'Ef-
prit, font celles des chofes particulières, defquelles l'En-
tendement va par des dègrez infenfibles à ce petit nom--
bre d'idées générales qui étant formées à l'occafion des
Objets des Sens qui fe préfentent le plus communément,
font fixées dans l'Efprit avec les noms généraux dont on
fe
I
Des Axiomes. Liv. IV. 763
fe fert pour les défigner. Ainfi, les idées particulières font C h a p.
les premières que l'Efprit reçoit , qu'il difcerne , & fur VII.
lefquelles il acquiert des connoifTances. Après cela, vien-
nent les idées moins générales ou les idées fpecifiques qui
fuivent immédiatement les particulières. Car les Idées
abîlraites ne fe préfentent pas fi-tôt ni fi aifènicnt que les
Idées particulières, aux Enfans, ou à un Efprit qui n'eft
pas encore exercé à cette manière de penfer. Qiie fi elles
paroiffent aifées à former à des perfonnes faites , ce n'efl:
qu'à caufe du conftant & du familier ufage qu'ils en fontj
car fi nous les confiderons exactement, nous trouverons
que les Idées générales font des fixions de l'Efprit qu'on
ne peut former fans quelque peine , Se qui ne fe préfen-
tent pas fi aifément que nous fommes portez à nous le
figurer. Prenons , par exemple , l'idée générale d'un
Trianglcj quoy qu'elle ne foit pas la plus abilraite, la plus
étendue , 6c la plus mal-aifée à former , il eft certain
qu'il faut quelque peine ôc quelque addrelfe pour fe la
reprèfcnter , car il ne doit être ni Oblique, ni Rectangle ,
ni Equilatére , ni Ifofcele , ni Scalene , mais tout cela à
la fois, & nul de ces Triangles en particulier. Il eft vray
que dans l'état d'imperfection où fe trouve nôtre Efprit ,
il a befoin de ces Idées , &: qu'il fe hâte de les former le
plutôt qu'il peut , pour communiquer plus aifément ics
penfées & étendre fes propres connoifTances , deux chofes
auxquelles il eft naturellement fort enclin. Mais avec tout
cela , l'on a raifon de regarder ces idées comme autant de
marques de nôtre imperfection > ou du moins, cela fuffit
pour faire voir que les Idées les plus générales & les plus
abftraites ne font pas celles que l'Efprit reçoit les premiè-
res Se avec le plus de facilité , ni celles fur qui roule fa
première Connoiflance.
§. 10. En fécond Imi, il s'enfuit évidemment de ce que
je viens de dire, que ces Maximes tant vantées ne font pas
les Principes 6c les Fondemens de toutes nos autres Con-
noifl'ances. Car s'il y a quantité d'autres Veritez qui foient
autant évidentes par elles-mêmes que ces Maximes , Se
Ddddd 2 plu-
764 ^^^ Axiomes.
Chap. plurieurs même qui nous font plûtôr connues qu'elles, il'
VIL eft impofîible que ces Maximes foient les Principes d'où
nous déduifons toutes les autres veritez. Ne fauroit-on
voir par exemple, qu'z/« ^ deux font égaux à trois , qu'ea
vertu de cet Axiome ou de quelque autre femblable , Le
tout eji égal à toutes fes parties prifcs enfemble ? Qiii ne
voit au contraire qu'il y a bien des gens qui favent qu'un
êc deux font égaux à trois , fans avoir jamais penfé à-
cet Axiome, ou à aucun autre femblable, par oii l'on
puifle le prouver , èc qui le favent pourtant aufli cer-
tainement qu'aucune autre perfonne puifle être aflurée de
la vérité de cet Axiome , Le Tout efi égal k toutes fes par-
ties,ou de quelque autre que ce foit , & cela par la même
' ■j'.ù Mt dans miion qui cft * V évidence immédiate qu'ils voyent dans
une >iote , ccttcFropoûtion, tuî & deux font égaux À trots-, l'égalité de
Im-'tifaute"- ccttc idée leur étant aufli vifible &: aullî certaine fans le
uaJre jiar là. fecours d'aucun Axiome que par fon moyen, puifqu'ils
n'ont befoin d'aucune preuve pour l'appercevoir? Et a-
près qu'on vient à favoir , Qiie le Tout ell égal à toutes
fes parties, on ne voit pas plus clairement ni plus certai-
nement qu'auparavant , §ln'un ^ deux font égaux à trois.
Car s'il y a quelque différence entre ces Idées , il eft vi-
fible que celles de Tout 6c de Partie font plus obfcures,
ou qu'au moins elles fe placent plus difficilement dans
l'Efprit , que celles d'L^«, de Deux, & de Trois. Et je
voudrois bien demander à ces Meilleurs qui prétendent
que toute Connoiflance , exceptécclle de ces Principes
généraux , dépend de Principes généraux, innez , & évi-
dens par eux-mêmes, de quel Principe on. a befoin pour
prouver qu'/(« c?" ?•'» font deux, que deux a^ deux (ont
quatre, Se que trois fois deux font fix? Or comme on con-
noit la vérité de ces Propofirions fans le fecours d'aucune
preuve, il s'enfuit de làvifiblement, ou que toute Con-
noiflance ne dépend point de certaines veritez déjà con-
nues , Se de ces Maximes générales qu'on nomme Prin-
cipes, ou bien que ccsPropontions-là font autant de Prin-
cipes i & fi on les met au rang des Principes, il faudr%
i
Des Axiomes. L i v. lY. fS')
y mettre aufll une grande partie des Propofitions qui re- Chap,
gardent les nombres. Si nous ajoutons à cela toutes les VIL
Propofitions évidentes par elles-mêmes qu'on peut for-
mer fur toutes nos Idées diftinctes , le nombre des Prin-
cipes que les hommes viennent à connoitrc en différens
âges, fera prefque infini ou du moins mnombrable, & il
en faudra mettre dans ce rang quantité qui ne viennent
jamais à leur connoiflance durant tout le cours de leur vie.
Mais que ces fortes de veritez fe préfentent à l'Efprit,
plutôt ou plus tard; ce qu'on en peut dire véritablement,
c'eft qu'elles font très-connues par leur propre évidence,
qu'elles font entièrement indépendantes , &: qu'elles ne
reçoivent &: ne font capables de recevoir les unes des autres
aucune lumière ni aucune preuve , Se moins encore les
plus particulières des plus générales , ou les plus fimples
des plus compofées ; car les plus fimples &c les moins ab-
ftraites font les plus familières &: celles qu'on apperçoit
plus aifément & plutôt. Mais quelles que foient les plus
claires idées, voici en quoy confifce l'évidence Se la cer^
titude de toutes ces fortes de Propofitions , c'ell en ce
qu'un homme voit que la même idée elt la même k\ée f
&: qu'il apperçoit infailliblement que deux différentes I-
dèes font des Idées dilférentes. Car lorfqu'un homme a
dans l'Efprit les idées d'Un &c de Deux , l'idée du Jaime
& celle du Bleu ,- il ne peut que connoîfre certainement
que l'idée d'Un efl: l'idée d't/» Se non celle de Deux ^ &
que l'idée du Jaune efl: l'idée du Jaune Se non celle du
Bleu. Car un homme ne fauroic confondre dans fon Ef-'
prit des idées qu'il y voit diftinftes ; ce feroit fuppofer
ces idées confufes Se diftinftes en même temps , ce qui
eO: une parfaite contradiftion ; Se d'ailleurs n'avoir point
d'idées dift:in£tes , ce feroit être privé de l'ufage de nos
Facultez,Se n'avoir abfolument aucune connoilî'ance. Par
cônféquent, toutes les fois qu'une idée efl: affirmée d'elle-
même , ou que deux Idées parfaitement difl:in6les font
niées l'une de l'autre, l'Efprit ne peut que donner fort
confentement à une telle Propofition , comme à une ve-
Ddddd ; rite
766 Des Axiomes.
Chap. rite infaillible} dès qu'il entend les termes dont elle eft
VIL compoféej il ne peut, dis-je, que la recevoir fans héfiter
le moins du monde , fans avoir befoin de preuve, ou pen-
fer à ces Propofitions compofées de termes plus généraux,
auxquelles on donne le nom de Alaximes.
De quel ufage §. 1 1 . Qiie dirons-nous donc de ces Maximes généra-
simes"^!^- ^^^ ^ Sont-elles abfolument inutiles ? Nullement -, quoy
u!cs. " que peut-être leur ufage ne foit pas tel qu'on s'imagine
ordinairement. Mais parce que douter le moins du mon-
de des privilèges que certaines gens ont attribuez à ces
Maximes , c'eit une hardieffe contre laquelle on pourroit
Te recrier, comme contre un attentat horrible qui ne va
pas à moins qu'à renverfer toutes les Sciences , il ne fera
pas inutile de confidererces Maximes par rapport aux au-
tres parties de nôtre Connoiffance , èc d'examiner plus
particulièrement qu'on n'a encore fait , à quoy elles fer-
vent, &c à quoy elles ne fauroicnt fervir.
I. 11 paroit évidemment par ce qui vient d'être dit,
qu'elles ne font d'aucun ufage pour prouver , ou pour
confirmer des Propofitions plus particulières qui font évi- .
dentés par elles-mêmes.
II. 11 n'eft pas moins vifible qu'elles ne font ni n'ont
jamais été les fondemens d'aucune Science. Je fai bien
que fur la foy des Scholaftiques, on parle beaucoup de
Sciences, Se des Maximes , fur qui ces Sciences font fon-
dées. Mais je n'ai point eu encore le bonheur de rencon-
trer quelqu'une de ces Sciences , êc moins encore aucune
qui foit bâtie fur ces deux Maximes , Ce qui ejt ,ejl y Se,
Il efi impoffible qu'une même chofe foit & ne foit pas en
même temps. Je ferois fort aife qu'on me montrât oii je
pourrois trouver quelqu'une de ces Sciences bâties fur ces
, Axiomes généraux , ou fur quelque autre femblable i Se
je ferois bien obligé à quiconque voudroit me faire voir
le plan Se le fyH:ême de quelque Science, fondée fur ces
Maximes ou fur quelque autre de cet ordre; dont on ne
puiiTe fiiire voir qu'elle fe foûticnt aufli bien fans le fe-
ccurs de ces fortes d'Axiomes. Je demande fi ces Maxi-
mes
Des Axiomes. Liv. IV. 767
mes générales ne peuvent point être du même ufage dans Ch a p.
l'Etude de la Théologie è: dans les Qiieftions Théologi- VII.
ques , que dans les autres Sciences. Il eft hors de doute
qu'elles peuvent fervir auflî dans la Théologie à fermer la
bouche aux Chicaneurs Se à terminer les Difputes j mais
je ne croy pourtant pas que perfonne en veuille conclurre
que la Religion Chrétienne eft fondée fur ces Maximes,
ou que la Connoiflance que nous en avons , découle de
ces Principes. C'eft de la Révélation que nous eft venue
la connoiflance de cette Sainte Religion ; & fans le fe-
cours de la Révélation ces Maximes n'auroient jamais été
capables de nous la faire connoître. Lorfque nous trou-
vons une idée par l'intervention de laquelle nous décou-
vrons la liaifon de deux autres Idées, c'eft une Révélation
qui nous vient de la part de Dieu par la voix de la Rai-
fon, car dès-lors nous connoiflbns une vérité que nous ne
connoilîions pas auparavant. Quand Dieu nous enfeigne
luy même une vérité , c'eft une Révélation qui nous eft*
communiquée par la voix de fon Efprit, & dès-là nôtre
Connoiflance eft augmentée. Mais dans l'un ou l'autre de
ces cas ce n'eft point de ces Maximes que nôtre Efprit
tire fa lumière ou fa connoifl!ance; car dans l'un elle nous
vient des chofes mêmes dont nous découvrons la vérité
en appercevant leur convenance ou leur difconvenancc}
& dans l'autre la Lumière nous vient immédiatement de
Dieu, dont l'infaillible Véracité ^ fi j'ofe me fervir de ce
terme , nous eft une preuve évidente de la vérité de ce
qu'il dit.
III. En troifiéme lieu , ces Maximes générales ne con-
tribuent en rien à faire faire aux hommes des progrès dans
les Sciences , ou des découvertes de veritez auparavant
inconnues. Mr. Neii-îon a démontré dans * fon Livre * r„tirui^',
qu'on ne peut aflèz admirer, plufieurs Proportions qui font ^hHofod-u Na-
tout autant de nouvelles veritez, inconnues auparavant ''■"'"t' •^''"'"'
dans le Monde, & qui ont porte la connoiflance des Ma- tka.
thématiques plus avant, qu'elle n'avoit été encore; mais
ce n'eft point en recourant à ces Maximes générales, Ce
ûîii
768 Des Axiomes.
.CiiAP. qui efl, f/? , Le Tout ejl phis grand que fa partie ^ fie au-
yil. très fcmblables , qu'il a fait ces belles découvertes. Ce
n'eft point j dis-je , par leur moyen qu'il eft venu à con-
noitre la werizé &c la certitude de ces Propofitions. Ce
ji'eit pas non plus par leur fecours qu'il en a trouvé les
démonftrations, mais en découvrant des Idées moyennes
qui puHent luy faire voir la convenance ou la difconve-
nance des Idées telles qu'elles étoient exprimées dans les
Propofitions qu'il a démontrées. C'elt-là le principal
employ de l'Entendement Humain, &: le plus grand pro-
grès où il puifle afpirer pour étendre fes connoiffiinces,
£c pour perfectionner les Sciences , en quoy il ne reçoit
abfolument aucun fecours de la confideration de ces Ma-
ximes ou autres femblables qu'on fait tant valoir dans les
Ecoles. Qiie fi ceux qui ont conçu, par tradition , une
fi haute eftime pour ces fortes de Propofitions , qu'ils
croyent qu'on ne peut faire un pas dans la Connoiflance
des chofes fans le fecours d'un Axiome, & qu'on ne peut _.
pofer aucune pierre dans l'édifice des Sciences fans une y
Maxime générale, fi ces gens-là, dis-je, prenoient feule-
ment la peine de diftinguer entre le moyen d'acquérir la
Connoiilance , 6c celui de communiquer la connoiflance j
qu'on a une fois acquife, entre la Méthode d'inventer u-
ne Science, &r celle de l'enfeigner aux autres, autant qu'el-
le efl: connue , ils verroient que ces Maximes générales ne
font point les fondemens fur lefquels les premiers laven- •
teurs ont élevé ces admirables Edifices , ni les Clefs qui
leur ont ouvert les fccrets de la Connoiflance. Qiioy que
dans la fuite après qu'on eut érigé des Ecoles 5c établi des ^ j
Profefléurs pour enfeigner les Sciences que d'autres a-
voient déjà inventées , ces Profefl^eurs fe foient fouvent
fervi de Maximes , c'eil-à-dire qu'ils ayent établi certai-
nes Propofitions évidentes par elles-mêmes ou qu'on ne
pouvoit éviter de recevoir pour véritables après les avoir
examinées avec quelque attention ; de forte que les ayant
une fois imprimées dans l'Efprit de leurs Ecoliers comme
autant de veritcz inconteitables 3 ils les ont employées
dans
Des Axhmes. Liv. IV. 769
dans Toccafion pour convaincre ces Ecoliers de quelques C h a p.
veritez particulières qui ne leur croient pas fi familières VII.
que ces Axiomes généraux qui leur avoient été aupara-
vant inculquez , & fixez foigneufement dans l'Efprit.
Du refte j ces exemples particuliers , confiderez avec at-
tention , ne paroiffent pas moins évidens par eux-mêmes
à l'Entendement que ces Maximes générales qu'on pro-
pofe pour les confirmer^ &: c'cft dans ces exemples parti-
culiers que les premiers Inventeurs ont trouvé la Vé-
rité fans le fecours de ces Maximes générales, 6c tout
autre qui prendra la peine de les confiderer attentive-
ment, pourra faire encore la même chofe.
Pour venir donc à l'ufage qu'on fait de ces Maximes;
premièrement elles peuvent fervir,dans la Méthode qu'on
employé ordinairement pour enfeigner les Sciences, juf-
qu'oii elles ont été avancées , mais elles ne fervent que
fort peu, ou rien du tout pour porter les Sciences plus
avant.
En fécond lieu, elles peuvent fervir dans les Difputes,
à fermer la bouche à des Chicaneurs opiniâtres , èc à ter-
miner ces fortes de conteftations. Sur quoy je prie mes
Lecteurs de m'accorder la liberté d'examiner fi la nécef-
fité qu'on a eu de ces Maximes dans ce but , n'a pas été
introduite de la manière qu'on va voir. Les Ecoles ayant
établi la Difpute comme la pierre-de-touchc de l'habileté
des gens , & comme la preuve de leur Science , elles ad-
jugeoient la viftoire à celui à qui le champ de bataille
demeuroit , & qui parloit le dernier , de forte qu'on en
concluoit, non feulement qu'il argumentoit mieux, mais
qu'il avoit défendu le meilleur parti. Mais parce que fé-
lon cette Méthode il pouvoit arriver que la Difpute ne
pourroit point être décidée entre deux Combattans éga-
lement experts, tandis que l'un auroit toujours \m terme
TTioyen pour prouver une certaine Propofition,&: que l'au-
tre par une dilhndion ou fans diftinftion pourroit nier
coniiamment la majeure ou la mineure de l'Argument qui
luy feroit objedé j pour éviter que la Difpute ne s'enga-
E e e e e geât
770 "Des Axiomes.
C ri A p. geât dans une fuite infinie de Syllogifmes , on introduifit
VII. dans les Ecoles certaines Fropofitions générales dont la
plupart font évidentes par elles-mêmes , & qui étant de
nature à être reçues de tous les hommes avec un entier
confentement , dévoient être regardées , comme des me-
fures générales de k Vérité, & tenir lieu de Principes
(lorfque les Difputans n'en avoient point pofé d'autres
entr'eux) au delà dcfquels on ne pouvoir point aller, 6c
auxquels on feroit obligé de fe tenir de part &: d'autre.
Ainfi, ces Maximes ayant reçu le nom de Principes qu'on
ne pouvoir point nier dans la Difpute, ils les prirent, par
erreur, pour l'origine 8c la fource d'où toute la Connoif-
fance avoit commencé à s'introduire dans l'Efprit, 8c pour
les fondemens fur lefquels les Sciences étoient bâties }
parce que lorfque dans leurs Difputes ils en venoient à
quelqu'une de ces Maximes, ils s'arrêtoient fans aller plus
avant, 8c la queftion étoit terminée. Mais j'ai déjà fait
voir que c'eft-là une grande erreur.
Cette Méthode étant en vogue dans les Ecoles qu'on
a regardé comme les fources de la Connoiflance , a intro-
duit le même ufage de ces Maximes dans la plupart des
Converfations hors des Ecoles , ^ cela pour fermer la
bouche aux Chicaneurs avec qui l'on eft excufe de raifon-
ner plus long-temps dès qu'ils viennent à nier ces Princi-
pes généraux , évidens par eux-mêmes èc admis par tou-
tes les perfonnes raifonnables qui y ont une fois fait quel-
que reflexion. Mais encore un coup, ils ne fervent dans
cette occafion qu'à terminer les Difputes. Car au fonds
fi l'on en préffe la fignification dans ces mêmes cas, ils ne
nous enfeignent rien de nouveau. Cela a été déjà fait par
les Idées moyennes dont on s'eft fervi dans la Difpute, 8c
dont on peut voir la liaifon fans le fecours de ces Maxi-
mes, de forte que par le moyen de ces Idées la Vérité
peut être connue avant que la Maxime ait été produite,.
6c que l'Argument ait été pouffe jufqu'au premier Prin-
cipe. Car les hommes n'auroient pas de peine à connoî-
îre 6c à quitter un méchant Argument avant que d'en ve-
nii*
I
Des Axiomes. Liv. IV. 771
nir là , fi dans leurs Difputes ils avoieiit en veùë de cher- C h A p.
cher 6c d'embrafler la Vérité , & non de contefter pour VU.
obtenir la vidoire. C'etl ainll que les Maximes fervent à
reprimer l'opiniâtreté de ceux que leur propre fincerité
devroit obliger à fe rendre plutôt. Mais la Méthode des
Ecoles ayant autonfé éc encouragé les hommes à s'oppo-
fer & à refifter à des veritez évidentes , jufqu'à ce qu'ils
foient battus , c'eft-à-dire qu'ils foient réduits à fe con-
tredire eux-mêmes , ou à combattre des Principes établis,
il ne faut pas s'étonner que dans la Converfation ordinai-
re ils n'ayent pas honte de faire ce qui eft un fujet de
gloire & pafle pour vertu dans les Ecoles , je veux dire ,
de foûtenir opiniâtrement 6c jufqu'à la dernière extrémi-
té le côté de la Qiieftion qu'ils ont une fois embrafle,
vray ou faux, même après qu'ils font convaincus: Etran-
ge moyen de parvenir à la Vérité Se à la Connoiflance ,
èc qui l'eft à tel point que les gens raifonnables répandus
dans le refte du Monde , qui n'ont pas été corrompus par
l'Education, auroient, je penfe, bien de la peine à croi-
re qu'une telle méthode eut jamais été fuivie par des per-
fonnes qui font profeflion d'aimer la Vérité , & qui paf-
fent leur vie à étudier la Religion ou la Nature, ou qu'el-
le eut été admife dans des Séminaires établis pour enfei-
gner les Véritez de la Religion ou de la Philofophie à
ceux qui les ignorent entièrement ! Je n'examinerai point
ici combien cette manière d'inftruire eft propre à détour-
ner l'Efprit des Jeunes-gens de l'amour 6c d'une recherche
fincére de la Vérité, ou plutôt, à les faire douter s'il y
a effeftivement quelque Vérité dans le Monde, ou du
moins qai mérite qu'on s'y attache. Mais ce que croy
fortement , c'eft qu'excepté les Lieux qui ont admis la
Philofophie Péripatéticienne dans leurs Ecoles , où elle a
régné plufieurs fiécles fans enfeigner autre chofe au Mon-
de que l'art de difputer, on n'a regardé nulle part ces Ma-
ximes , dont nous parlons préfentement , comme les fon-
demens des Sciences , èc comme des fecours importans
pour avancer dans la Connoiflance des chofes.
Eeeee 2 Ces
772 T>ss jixiomes.
Cha p. Ces Maximes générales font donc d'an grand ufage
Vn dans les Difpiites , comme j'ai déjà dit , pour fermer la
bouche aux Chicaneurs , mais elles ne contribuent pas
beaucoup à la découverte àcs Veritez inconnues, ou à
fournir à TEfprit le moyen de faire de nouveaux progrès
dans la recherche de la Vérité. Car qui eft-ce , je vous
pricj qui a commencé de fonder fes connoiflances fur cet-
te Propofition générale, Ce qui ejl , ejl, ou, Il ejl tmpof-
Jihle qu'une chofe fott c^ ne fait pas en même temps? Qiti
eft-ce qui ayant pris pour Principe l'une ou l'autre de ces
Maximes , en a déduit un Syftéme de Connoiflances uti-
les ? L'iuie de ces Maximes peut fort bien fervir comme
de pierre-de-touche, pour faire voir où aboutiflént certai-
nes faufles opinions qui renferment fouvent de pures con-
tradidionsj mais cjuelque propres qu'elles foient à dévoi-
ler l'abfai'dité ou la faafleté du raifonnement ou de l'opi-
nion particulière d'un homme , elles ne fauroient contri-
buer beaucoup à éclairer l'Entendement , 8c l'on ne trou-
vera pas que l'Efprit en reçoive beaucoup de fecours à
l'égard du progrès qu'il fait dans laConnoiflance des cho-
fes; progrès qui ne feroit ni plus ni nioins certain, quand
bien l'Efprit n'auroit jamais penfé à, ces deux Propofi-
tions générales. A la vérité , elles peuvent fervir dans
l'Argumentation , comme j'ai déjà dit,, pour réduire un
Chicaneur au filence, en luy faifant voir l'abfurdité de ce
qu'il dit, 6c en l'expofant à la honte de contredire ce que
tout le Monde voit , &" dont il ne peut s'erapécher luy-
ir.cme de reconnoître la vérité. Mais autre chofe eft de
montrer à un homme qu'il eft dans l'erreur, 6c autre cho-
fe de l'inftruire de la Vérité. Et je voudrois bien favoir
quelles veritez ces Proportions peuvent nous ap-
prendre Se nous faire connoître par leur mfluence , que
nous ne connuillons pas auparavant , ou que nous ne
pufllons connoître fans leur fecours. Tirons-en toutes
les conféquences que nous pourrons ; ces conféquences
£e réduiront toujours à des Propofitions purcmenc
Des Axiomes. Liv. IV". 775
* identiques , 6c toute l'influence de ces Maximes , fi el" C h a p.
le en a aucune, ne tombera que fur ces fortes de Propolr VU.
tiens. Chaque Propoiition particulière qui regarde VI-
àentité ou la THverfité^ eft connue aufll clairement ^ auf-
Il certamement par elle-même , fi on la confidere avec
attention, qu'aucune de ces deux Propofitions générales,
avec cette feule différence , que ces dernières pouvant ê-
tre appliquées à. tous les cas, on y infifte davantage. Qiiant
aux autres Maximes moins générales , il y en a plufieurs
qui ne font que des Propofitions purement verbales , &
qui ne nous apprennent autre chofe que le rapport que
certains noms ont entr'eux. Telle elt celle-ci, he Tout
ejl égal a toutes fes parties-, car, je vous prie, quelle véri-
té réelle nous eift enfeignée par cette Maxime ? Qiie con^
tient-elle de plus que ce qu'emporte par foy-même la Ci-
gnification du mot 'Tout? Et comprend-on que celui qui
fait que le mot Tout fignifîe ce qui eft compofé de toutes
fes parties , foit fort éloigné de favoir , que le Tout eft
égal à toutes fes parties ? Je croy fur le même fondement
q,ue cette Propofition , Une Montagne eft plus haute qu'u-
ne f^aliee ,&z plufieurs autres femblablcs peuvent aulli paf-
fer pour des Maximes. Cependant lorfque les Profefléurs
en Mathématique veulent apprendre aux autres ce qu'ils
favent eux-mêmes de cette Science, ils font très-bien de .
pofer à l'entrée de leurs Syftêmes cette Maxime & quel-
ques autres femblables , afin que dès le commencement
leurs Ecoliers s'ètaat rendu tout-à-fait familières ces for-
tes de Propofitions, exprimées en termes généraux, ils
puifTent s'accoutumer aux reflexions qu'elles renferment
&; à regarder ces Propofitions plus générales comme au-
tant de fentences 6c de régies établies, qu'ils foient en érac
Eeeee 3 d'ap-
• C'eft-à dire, 0:1 uvi idé^ ejl n'Jirmét
d'elle-même. Comme le mot iiUniiqne
eft touc-à-f^ic inconnu djns nôtre Lan-
qne je ferai bien-côc inJirnciifabfementr
oblige' de me fefvir de ce icrme, autant,
'a'-ir-il que je l'employé prc'lcntcmenr,
gue , je me ferois contente d'en mettre Le Ledeur s'y cccoùiuniera plùlô:-, eui
rexplication dans le Texte, s'il ne (c fut 1 le voyant plus fouvesit..
leucontie cjue dans cet cndroi:. Mais paice j
774 ^''^ Jxiomes.
C H A p. d'appliquer à tous les cas particuliers ; non qu'à les con-
VII. fiderer avec une égale application elles paroifTent plus
claires & plus évidentes que les exemples particuliers pour
la confirmation delquels on les propofcj mais parce qu'é-
tant plus familières à l'Efprit , il fuffit de les nommer
pour convaincre l'Entendement. Cela, dis-je, vient plu-
tôt , à mon avis , de la coutume que nous avons de les
mettre à cet ufage &: de les fixer dans nôtre Efprit à for-
ce d'y penfer fouvent , que de la différente évidence qui
foie dans les Chofes. En effet, avant que la coutume ait
établi dans nôtre Efprit des méthodes de penfer &c de rai-
fonner, je m'imagine qu'il en elt tout autrement , &: qu'un
Enfant à qui l'on ôte une partie de fa pomme, le connoit
mieux dans cet exemple particulier que par cette Propo-
fition générale, Le Tout eji égal à toutes jes parties, &:c[uc
û Tune de ces chofes a befoin de luy être confirmée par
l'autre , il eft plus néceffaire que la Propofition générale
foit introduite dans fon Efprit , à la faveur de la Propo-
fition particulière qnc la particulière par le moyen de la
générale ; car c'eft par des chofes particulières que com-
mence nôtre Connoiffance qui s'étend enfuite par dégrez
à des idées générales. Cependant , nôtre Efprit prend
après cela un chemin tout différent, car reduifant fa Con-
. noiffance à des Propofitions auili générales , qu'il peut,
il fe les rend familières Se s'accoutume à y recourir com-
me à des modelles de la Vérité 6c de la Fauffetéj &c les
employant ordinairement comme des Régies pour mcfu-
rer la vérité des autres Propoiltions , il vient à fe figurer
dans la fuite, que les Propofitions plus particulières em-
pruntent leur vérité &c leur évidence de la conformité
qu'elles ont avec ces- Propofitions plus générales fur lef-
quelles on appuyé fi fouvent en Converfation &: dans les
Difputes , èc qui font fi conflamment reçues. C'eft là,
jepcnfe, la raifqn pourquoy parmi tant de Propofitions
évidentes par elles-mêmes on n'a donne le nom de Maxi'
mes qu'aux plus générales.
Si Ton reprend §. 12. Une autrc chofc qu'il ne fera pas, je croy, mal
pâs garde à v
Des Âxiornês. Liv. IV. 775'
à propos d'obferver fur cts Maximes générales , c'eft C h a p.
qu'elles font fi éloignées d'avancer ou de confirmer nôtre VII.
Efprit dans la vraye Connoiflance , que , fi nos notions '"f'^gc qu'on
font faufles, vagues ou incertaines, & que nous attachions ccs^MalimeT'
nos penfées au fon des mots , au lieu de les fixer fur les peuvent prou-
idées confiantes & déterminées des Chofes, ces Maximes ^" ^«.<:on-
générales lerviront a nous connrmer clans des erreurs, oc Exemple dans
félon cette méthode fi ordinaire d'employer les Mots fans '"^ ''""'*' ■
aucun rapport aux chofes , elles ferviront même à prou-
ver des contradictions. Par exemple, celui qui avec Z)^
cartes fe forme dans fon Efprit une idée de ce qu'il ap-
pelle Corpx, comme d'une chofe qui n'eft qu'Etendue,
peut démontrer aifément par cette Maxime , Ce qui eft y
eft, qu'il n'y a point de Vuide y c'eft-à-dire, d'Efpace fans
Corps. Car l'idée à laquelle il attache le mot de Corps
n'étant que pure étendue, la connoiflance qu'il en déduit,
que l'Efpace ne fauroit être Corps, eft certaine. Car il
connoit clairement ^ diftinârement fa propre iàéc d'E-
tendue y &C il fait qu'elle ejt ce qu'elle ejl , &c non une autre
idée, quoy qu'elle foit defignée par ces trois noms Eten^
diiëi Corps , Se Efpace : trois mots qui fignifiant une feu-
le & même idée, peuvent fans doute être affirmez l'un de
l'autre avec la même évidence & la même certitude que
chacun de ces termes peut être affirmé de foy-même : &
il eft auili certain , que , tandis que je les employé tous
pour fignifier une feule & même idée , cette affirmation,
le Corps eJt Efpace, t^ aufli véritable & auflî identique dans
ifa fignification que celle-ci , te Corps ejl Corps , l'eft tant
à l'égard de fa fignification qu'à l'égard du fon.
§. 13. Mais fi une autre perfonne vient à fe repréfenter
ïa chofe fous une idée différente de celle de Defcartes, fe
fervant pourtant avec Defcartes du mot de Corps , mais
regardant l'idée qu'il exprime par ee mot y comme une
chofe qui eft étendue & folide tout enfemble, il démon-
trera aufli aifément qu'il peut y avoir du Vuide , ou un
Efpace fans Corps , que Defcartes a démontré le contrai-
re 3 parce que l'idée à laquelle il donne le nom d'Efpace-
n'é-
7/6 Des Axiomes.
C H A p. n'étant qu'une idée fimple à'ExtenJion , & celle à laquel-
VII. le il donne le nom de Corps étant une idée compofée d'ex-
tenfion ëz de refiflibilité ou folidité jointes enfemble dans
le même fujet, les Idées de Corps & d'Efpace ne font pas
exadtement une feule &: même idée , mais font aulîi di-
ilindesdans l'Entendement que les Idées à'UnècàcDeux,
* Voyez cy- de Blanc Sz de Noir, ou que celle de Corporctté Se * d'hu-
j(^^ " tnanite , h j oie me lervu- de ces termes barbares : d ou il
s'enfuit que l'une n'eft pas affirmée de l'autre ni dans nô-
tre Efprit, ni par les paroles dont on fe fert pour les dé-
figner,mais que cette Propofition négative qu'on en peut
former , VExtenfion on l'Ejpace nejt pas Corps, eil aulll
véritable &: aufll évidemment certaine qu'aucune Propo-
fition qu'on puifle prouver par cette Maxime , // ejl
impojjible qu'une même chofe joit ô' «^ foit pas en mê-
me temps.
c« Maximes §. 14,. Mais quoy qu'on puifCe également démontrer
poinrrcxîiLn-^^-'^ deux Propofitions, Il y a du Fuide,èc II n'y en a point,
ce des ciiofcs par le moyen de ces deux Principes indubitables, Ce qui
hors de nous, efi , ejl , iSc , Il efl impoffihle qu'une même chofe foit c^ ne
Jèit pas ; cependant nul de ces Principes ne pourra jamais
fervir à nous prouver qu'il y ait des Corps acluellemenC
exiflans, ou quels font ces Corps. Car pour cela, il n'y
a que nos Sens qui puiflent nous l'apprendre autant qu'il
efl: en leur pouvoir. Qiiant à ces Principes univerfels &
évidens par eux-mêmes , comme ils ne font autre chofe
que la connoiffancc conltante, claire &: dillinfte que nous
avons de nos Idées les plus générales & les plus étenduës>
ils ne peuvent nous affùrcrde rien qui fe paiTe hors de no-
tre Elpriti l^i't certitude n'eft l'ondée que fur la connoif-
fancc que nous avons de chaque Idée confiderée en elle-
même , Se de fa diili.aiStion d'avec \ts, autres 5 fur quoy
nous ne faurions nous, méprendre j tandis 'que ces Idées
font dans nôtre Efprit ; quoy que nous puilllons nous
tromper & que fouvent nous nous trompions effective-
ment , lorfquc nous retenons les noms fans les Idées, ou
que nous les employons confufémcnt, pour delîgner tan-
tôt
Des Axiomes. Liv. IV. 777
tôt une idée. Se tantôt une autre. La force de ces Axio- C h a p.
mes ne portant dans ces cas-là que fur le fon , &c non fur VI ï.
la lignification des Mots, elle ne fert qu'à nous jetter dans
la confufion &c dans l'erreur. J'ai fait cette Remarque
pour montrer aux hommes , que ces Maximes , quelque
fort qu'on les exake comme les grands boulevards de la
Vérité , ne les mettront pas à couvert de l'Erreur , s'ils
cmployent les mors dans un fcns vague £c indéterminé.
Du refte , dans tout ce qu'on vient de voir fur le peu
qu'elles contribuent à l'avancement de nos Connoiflances,
ou fur leur dangereux ufage lors qu'on les applique à des
idées indéterminées, j'ai été fort éloigné de dire oudepré-
tendre qu'elles doivent être * laij^ées à l'écart , comme cer-
taines gens ont écé un peu trop prorapts à me l'imputer.
Je les reconnois pour des véritez , & des véritez éviden-
tes par elles-mêmes , 6c en cette qualité elles ne peuvent
point être laijfe'es à Vécart. Jufques où que s'étende leur
influence, c'eft en vain qu'on voudroit tacher de la reffer-
rer , &: c'eft à quoy je ne fongeai jamais. Je puis pour-
tant avoir raifon de croire , fans faire aucun tort à la Vé-
rité , que , quelque grand fonds qu'il femble qu'on faffe
fur ces Maximes, leur ufige ne répond point à cette idée,
ôc je puis avertir les hommes de n'en pas faire un
mauvais ufage pour fe confirmer eux-mêmes dans l'Er-
reur.
§.15. Mais qu'elles ayent tel ufage qu'on voudra dans Leur ufage eft
des Propofitions Verbales , elles ne fauroient nous faire lî^,"."^^^"'' \
voir , ou nous prouver la mpuidre connoiOance qui ap-dées complexes,
partienne à la nature des Subftances telles qu'elles fe trou-
vent , Se qu'elles exiftent hors de nous , au delà de ce que
l'Expérience nous enfeigne. Et quoy que la conféquen-
ce de ces deux Propofitions qu'on nomme Principes ^ foit
fort claire 8c que leur ufage ne foit ni nuifible ni dange-
F f f f f reux
* Ce font les propres termes d'une
Auteur qui a attaqué ce que Mr. Locks
a dit du peu d'ufage qu'on peut tiret
4cs M.jumies, On np yon pas trop bien
ce qu'il entend pat Liijfer à l'éc.trt.
Mais quoy qu'il ait voulu dire par là >
on re peut mieux faire que de rappor-
ter fes propres termes.
7/8 "Des Axiomes.
Chap, reux pour prouver des chofes , où le fecours de ces Ma-
\il.. ximes n'eft nullement néceiraire pour en établir la preu-
ve, parce qu'elles font aflcz claires par elles-mêmes fans
leur entremife, c'cft-à-dire, où nos Idées font déterminées
ôc connues par le moyen des noms qu'on employé pour
les dciîgner > cependant lorfqu'on fe fert de ces Princi-
pes j Ce qui eji i eji, &c , Il efi impojjible qu'une même cho-
Jejôii cr nefoit pas , pour prouver des Propolitions où il
y a des Mots, qui lignifient des Idées complexes, comme
ceux-ci , Homme , Cheval , Or , f'^ertn , 6cc. alors ces
Principes font extrêmement dangereux, &: engagent ordi-
nairement les hommes à regarder & à recevoir la Faufleté
comme une Vérité manifelte , 6c des chofes fort incertai-
nes comme des Démonftrations , ce qui produit l'erreur,
l'opiniâtreté , Se tous les malheurs ou peuvent s'engager
les hommes en raifonnant mal. Et la raifon de cela n'eft
pas , parce que ces Principes font moins véritables, ou
qu'ils ont moins de force pour prouver des Propofitions
compofées de termes qui fignifient des idées complexes,
que lorfque les Propofitions ne roulent que fur des Idées
fimplesj mais parce qu'en général les hommes fe trompent
en croyant, que, lorfqu'on retient les mêmes termes, les
Propofitions roulent fur les mêmes chofes, quoy que dans
le fonds les idées que ces termes fignifient , foient diffé-
rentes. Ainfi , l'on fe fert de ces Maximes pour foùtenir
des Propofitions qui par le fon &: par l'apparence font vi-
fiblement contradictoires , comme oii l'a pii voir claire-
ment dans les Démonftrations que je viens de propofer
fur le Vuide. De forte que, tandis que les hommes pren-
nent des mots pour des chofes, comme ils le font ordinai-
rement , ces Maximes peuvent fervir &: fervent commu-.
nément à prouver des Propofitions contradictoires, com-
me je vais le faire voir encore plus au long.
Eiempk dans §• i6. Par exemple, que l'homme foit le fiijet fur le-
i'Homme. quel OU vcut démontrer quelque chofe par le moyen de
ces premiers Principes, 6c nous verrons que tant que la
Déirionftration dépendra de ces Principes, eile ne fera que
ver-
Des A<)ciûmef. Liv. IV. 779
verbale, & ne nous fournira aucune Propofition certaine, C h A t».
véritable & univerfelle , ni aucune connoiflance de quel- VU.
que Etre exiftant hors de nous. Premièrement , un En-
fant s'étant formé l'idée d'un homme , il eft probable que
fon idée eft juftement femblable au Portrait qu'un Pein-
tre fait des apparences vifibles qui jointes enfemble con-
ftituent la forme extérieure d'un homme ; de forte qu'u-
ne telle complication d'Idées unies dans fon Entendement
compofe cette particulière Idée complexe qu'il appelle hom-
me ; &c comme le Blanc ou Vscoiileurde Chair hk partie de
cette Idée , l'Enfant peut vous démontrer qu'f/« Nègre
n'eji pas un homme , parce que la Couleur blanche eft une
des idées fimples qui entrent conftamment dans l'idée
complexe qu'il appelle ^<?W7^«^ , il peut, dis-je , démon-
trer en vertu de ce Principe , // e(l impojfible qu'une même
chofefoit é^ nefoit pas, qu'un Nègre n'eft pas un homme,
fa certitude n'étant pas fondée fur cette Propofition uni-
verfelle, dont il n'a peut-être jamais oui parler , ou à la-
quelle il n'a jamais penfé , mais fur la perception claire ^
diftinfte qu'il a de fes idées fimples de noir 6c de blanc,
qu'il ne peut confondre enfemble , ou prendre l'une pour
l'autre, foit qu'il connoiflé ou ne connoifle pas cette xVIa-
xime. Vous ne fauriez non plus démontrer à cet Enfant,
ou à quiconque a une telle idée qu'il defigne par le nom
d'homme, qu'un homme a une Ame, parce que fon Idée
d'homme ne renferme en elle-même aucune telle notion j
Se par conféquent ce point ne peut luy être prouvé par le
Principe , Ce qui ejl , eji , mais il dépend de conféquen-
ces éc d'obfervaticns par le moyen defquelles il doit
former fon idée complexe , défignée par le mot d'hom-
me.
§. 17. En fécond lieu, un autre qui en formant 1a col-
leftion de l'idée complexe qu'il appelle homme , eft allé
plus avant, & qui a ajouté à la forme extérieure le rire Se
le difcotirs raifonnable, peut démontrer que les Enfans qm
ne font que de naître & les Imbecilles , ne font pas des
hommes^ par le moyen de cette Maxime , // £jl tmpoJfiijU
Fffff 2 qu'u-
7S0 Des Axiomes.
C H A p. qu'une fnème chofe foit & ne foit pas. Et en effet il m'eft
VIL arrivé de dilcourir avec des perfonnes fort raifonnables
qui m'ont nié aftuellement , que les Enfans 8c les Imbe-
cilles fufl'ent hommes. ?i
§. 18. En troifiéme lieu, peut-être qu'un autre ne
compofe fon idée complexe qu'il appelle homme, que des
idées de Corps en général, 6c de la puiflance de parler 6c
de raifonner, &: en exclut entièrement la forme extérieu-
re. Et un tel homme peut démontrer qu'un homme peut
n'avoir point de mains & avoir quatre pies -, puifqu'au-
cune de ces deux choies ne fe trouve enfermiée dans fon
idée d'homme : 6c dans quelque Corps ou Figure qu'il
trouve la faculté de parler jointe à celle de raifonner, c'eft
là un homme , à ion égard ; parce qu'ayant une connoif-
fance évidente d'une telle Idée complexe, il cil certain
que Ce qui ejl, (Jl.
Combien cei §. i c) . De forte qu'à bien confiderer la chofe, je croy
vcm^pcu i' qi-is nous pouvcns alfùrer , que , lorfque nos Idées font
prouver quelque déterminées dans nôtre Efprit, 6c dellgnées par des noms
chofe , lorUiuc ^^^gg ^ couuus QUC nous Icur avous attachez fous ces dé-
nous avons des . . t. . f • r c ■ c
idées claires & tcrminations preciks , ces Maxmies iont tort peu necei-
diilinaes. faires, ou plutôt ne font abfolument d'aucun ufage, pour
prouver la convenance ou la difconvenance d'aucune de
ces Idées. Qiiiconque ne peut pas difcerner la vérité, ou
la fliuflété de ces fortes de Propofitions fans le fccours de
ces Maximes ou autres femblablcs , ne pourra le faire par
leur entremife > puilqu'on ne fauroit fuppofcr qu'il con-
noifle fans preuve la vérité de ces Maximes mêmes, s'il
ne peut connoître fans preuve la vérité de ces autres Pro-
polîtions qui font aulli évidentes par elles-mêfnes que ces
Maximes. C'eft fur ce fondement que la Connoiffance In-
tmtire n'exige ou n'admet aucune preuve, dans une de fcs
parties plutôt que dans l'autre. Qiiiconque fuppofc qu'el-
le en a beibin , renverfe le fondement de toute Connoif-
fance 6c de toute Certitudcj 6c celui à qui il faut une preu-
ve pour être allure de cette Propolirion, Veuxfotit cgaitx
A Vais î 6c pour y donner fon ccnfentemeiit , aura aufli
befoxn
Des Tropojitions Frivoles. Liv. IV. 78 r
befoin d'une preuve pour pouvoir admettre celle-ci ^ Ce Chap,
quiejl,eft. De même, tout homme qui a befoin d'u- VII.
ne preuve pour être convaincu que Deux ne font pas
Trois , que le Blanc n'ejl pas Noir , qu'//« Triangle n'cji
pas un Cercki &c. ou que deux autres Idées déterminées
& diftinftes, quelles qu'elles Ibient, ne font pas une feu-
le &c même idée, aura auiîî befoin d'une Démonftration
pour pouvoir être convaincu , ^i'il ejl impoffiùle qu'une
chofe joit ér ne foit pas.
§. 20. Or comme ces Idées font d'un fort petit ufage, Leur ufjgeeft
lorfque nous avons des Idées déterminées, elles font d'ail- l'T,^"'"^'
leurs d un ulage tort dangereux, comme je viens de le iJe'es ibnt eoE-
montrer , lorfque nos Idées ne font pas déterminées , & ^"^"•
que nous nous fervons de Mots qui ne font pas attachez
à des Idées déterminées , mais qui ont une fignification
vague & mconftante , fignifians tantôt une idée , & tan-
tôt une autre j d'où s'enfuivent des meprifes Se des erreurs
que CCS Maximes citées en preuve pour établir des Pro-
pofitions dont les termes lignifient des idées indétermi-
nées, fervent à confirmer Se à graver plus fortement dans
l'Efprit par leur autorité.
CHAPITRE VIII.
Des Fropofitlons Frivoles. Virr '
§. I. TE laiflc préfentement à d'autres à juger Ci les Certaine? Pro».
Jl Maximes dont je viens de parler dans le Chapi- p<^J'tio"s na-
tre précèdent , font d'un aiilll grand ufas:e pour la Con- ^°?'("' r°"
* /y' 'Il î ^ r ^ ' ' I notre C^oa*-
noiilance réelle , qu on le fuppolc généralement. Ce que "oiilance.
je croy pouvoir aHVirer hardiment, c'eil qu'il y a des Pro-
pofitions univerfelles , qui, quoy que certainement véri-
tables, ne répandent aucune lumière dans l'Entendement,
6c n'ajoutent rien à nôtre Connoiflance.
§. 2. Telles font , premièrement, toutes les Propofi-'^: ^^^'^ropa^-
tious purement identiques. Onreconnoit d'abord 6c à la pré- 1"!,'""' ''^*""'
Fffff 3 miéra
yîi Des Propofitiom Frivoles.
C H A p. miére veûë qu'elles ne renferment aucune inflruftion. Car
VIII. lorfque nous affirmons le même terme de luy-même, foit
qu'il ne foit qu'un (impie Ibn , ou qu'il contienne quel-
que idée claire & réelle , une telle Propofition ne nous
apprend rien que ce que nous devons déjà connoître cer-
tainement, foit que nous la formions nous-mêmes, ou que
d'autres nous la propofent. A la vérité, cette Propofition
fi générale. Ce qui ejl ^ eft, peut fervir quelquefois à faire
voir à un homme l'abfurdite oii il s'ell engagé lorfque
par des circonlocutions t)u des termes équivoques , il veut ,
dans des exemples particuliers, nier la même chofe d'elle-
même} parce que perfonne ne peut fe déclarer fi ouverte-
ment contre le bon fens que de foûtenir des contradictions
Vifibles èc directes en termes évidens, ou s'il le fait , on
eft excufable de rompre tout entretien avec luy. Mais avec
tout cela je croy pouvoir dire que ni cette Maxime ni au-
cune autre Propofition identique i ne nous apprend rien du
tout : ôc quoy que dans ces fortes de Propofitions , cette
célèbre Maxime qu'on fait fi fort valoir tomme le fonde-
ment de la Démonltration , puiiïe être &: foit fouvent em-
ployée pour les confirmer, tout ce qu'elle prouve n'em-
porte dans le fonds autre chofe que ceci, c'elt §luelemême
mot peut être affirmé de luy-mème avec une entière certitude j
fans qu'on puijj'c douter de la vérité d'une telle Propofition 3
éc permettez-moy d'ajouter, fans qu'on puijfe aujfi arri'
ver par Ll À aucune connoijfance réelle.
§. 3. Car à ce compte , le plus ignorant de tous les
hommes qui peut feulement former une Propofition £c qui
fait ce qu'il penfe quand il dit ony ou non, peut faire un
million de Propofitions de la vérité defquelles il peut être
infiulliblcmentafi'ùré fans être pourtant inftruit de la moin-
dre chofe par ce moyen , comme , Ce qui efl A>ne , ejl
Ame, c'eft à dire, urte Ame ejl une Ame, un Elpriteftun
Efprit , une Fétiche eft une Fctichc , Sec. toutes Propo-
fitions équivalentes à celle-ci, Ce qui efl 3 ejl 3 c'eft-à-di-
re, Ce qui a de l'cxijlence , a de l'exijlcnce , ou celui qui a
une Ame a une Ame. Qifeit-ce autre chofe que fe jouer
^ des
ll
Des PropoJIîions Frivoles. L-iv. IV. 783
des mots? C'ôft faire juftement comme un Singe qui s'a- Cha^.
muferoit à jetter une Huitre d'une main à l'autre, Se qui, VHI.
s'il avoit des mots, pourroit fans doute dire, l'Huitredans
la main droite eft le fujet , & l'Huitre dans la main gau-
che eft * l'attribut , &: former par ce moyen cette Propo-
fition évidente par elle-même , L'Huitre efl l'Huifre , * ^^ '^''°"
y- ^ . . ., .,-' ._, nommeautre-
lans avoir pour tout cela le moindre grain de connoiffan- ment dai)'> les
cède plus. Cette manière d'agir pourroit tout auiîî ^'^°'^*i"'*'^"'"
bien fatisfaire la faim du Singe que l'Entendement d'un """*
homme -, 6c elle ferviroit également à faire croître le
premier en groffeur qu'à faire avancer le dernier en Con-
noifTance.
Je fai qu'il y a des gens , qui s'intereflent beau-
coup pour les Fr<?p(>///(?«5M'«/;:^«f5, & s'imaginent qu'el-
les rendent de grands fervices à la Philofophie , parce
qu'elles font évidentes par elles-mêmes. Ils les exaltent,
comme fi elles renfermoient tout le fecret de la Connoif-
fatice, Se que l'Entendement fut conduit uniquement par
leur moyen dans toutes les veritez qu'il eft capable de
comprendre. J'avoûé aufli librement que qui que ce foit>
que toutes ces Propofitions font véritables & évidentes
par elles-mêmes. Je conviens de plus que le fondement de
toutes nos Connoilîances dépend de la Faculté que nous
avons d'appercevoir que la même Idée ell la même , 6c
de la difcerner de celles qui font différentes , comme je
l'ai fait voir dans le Chapitre précèdent. Mais je ne vois
pas comment cela empêche que l'ulage qu'on prétendroit
faire des Propofitions Identiques pour l'avancement de la
Connoiflance ne foit juftement traité de frivole. Qii'on
répète aufli fouvent qu'on voudra , Qiie la volonté eji Icu
volonté -, &c qu'on faffe lur cela autant de fonds qu'on ju-
gera à propos } de quel ufagc fera cette Proportion 6c une
infinité d'autres femblables pour étendre nos Connoiffan-
ces ? Qii'un homme forme autant de ces fortes de Propo-
fitions que les mots qu'il fait pourront luy permettre d'en
faire, comme celles ci, Une Loy efi une Loy , 6c l'Oèli-.
gation eJi V Obligation 3 le Droit eJl le Droit , 6c V Injîifie efi-
Vlri'
784 J^es Propo/itions Frivoles.
Chap. l'Injîifie ; ces Propofitions 6c autres fcmblables luy fervi-
VIlI. ront-elles pour apprendre la Morale ? Luy feront-
elles connoîrre à luy ou aux autres les devoirs de la vie?
Ceux qui ne favent &: ne fauront peut-être jamais ce que
c'eft que y îijie S<InjtiJîe, ni les mefures de l'un & de l'au-
tre , peuvent former avec autant d'alTùrance toutes ces
fortes de Propofitions £c en connoîtreauflî infailliblement
la vérité, que celui qui eft le mieux inftruit des veritcz
de la Morale. Mais quel progrès font-ils par le moyen
de ces Propofitions dans la Connoiflance d'aucune chofe
néceflaire ou utile à leur conduite ?
On regarderoit fans doute comme un pur badi na-
ge les efforts d'un homme qui pour éclairer l'Entende-
ment fur quelque Science, s'amuferoit â entafler des Pro-
pofitions Identiques 6c à infifter fur des Maximes comme
celle-ci , La Sub (lance eji la Snbfta7ice , le Corps eft le Corps,
le Vuiâe eji le Vniàe , an Tourbillon efl un Tourbillon , un
Centaure eji un Centaure , èc une Chime're cjl une Chimère' ^
&CC. Car toutes ces Propofitions 6c autres femblabks font
également véritables, également certaines , 6c également
évidentes par elles-mêmes. Mais avec tout cela, elles
ne ptnvcnt p^΍r qucpom des Propofitions frivoles i fi l'on
vient à s'en fervir comme de Principes d'inftruftion , 6c à
s'y appuyer comme fur des moyens pour parvenir a la Con-
noiffance; puisqu'elles ne nous enfeignent rien que ce que
tout homme, qui ell capable de difcourir, fait luy-même
fans que perfonne le luy dife, [avoir , que le même ter-
me elt le même terme , 6c que la même Idée eft la même
Idée. Et c'eft fur ce fondement que j'ai crû 6c queje crois
encore , que de mettre en avant èc d'inculquer ces fortes
de Propofitions dans le deflein de répandre de nouvelles
lumières dans l'Entendement, ou de luy ouvrir un chemin
vers la Connoiflance des chofes , c'eft une imagination
tout-à-fait ridicule. L'înftruftion confifte en quelque
chofe de biendifterent. Quiconque veut entrer luy-même,
ou faire entrer les autres dans des veritez qu'il ne connoit
point encore , doit trouver des Idées moyennes , &c les
ran-
Des Propo/itions Frivoles. L i v. TV. 78^
ranger l'une auprès de l'autre dans un tel ordre que l'En- C h A p.
rendement puifle voir la convenance ou la difconvenance VIIL
des Idées en queftion. Les Proportions qui fervent à
cela, font véritablement inftruftives ; mais elles font
bien différentes de celles où l'on affirme le même terme '
de luy-même, par oii nous ne pouvons jamais parvenir ni
faire parvenir les autres à aucune efpece de Connoiffance.
Cela n'y contribué pas plus, qu'il ferviroit à uneperfon-
ne qui voudroit apprendre à lire , qu'on luy inculquât ces
Fropofitions ,imAeJl nu A , hk B eji un B , &:c. Ce qu'un
Idiot peut favoir aufli bien qu'aucun Maître d'Ecole,
fans être pourtant jamais capable de lire un feul mot durant
tout le cours de la vie ) de forte que ces Propofitions 6c
autres femblables purement Identiques , ne contribueront
en aucune manière à luy apprendre à lire , quelque ufage
qu'il en puifle faire.
Si ceux, qui défapprouvent que je nomme Fri'vO'
les ces fortes de Propofitions, avoient lu Se pris la peine
de comprendre ce que j'ai écrit cy-deflus en termes fort
intelligibles, ils n'auroient pu s'empêcher de voir que par
Propo/itions Identiques je n'entens que celles-là feulement
cil le même terme emportant la même Idée eft affirmé de
luy-même. C'efl: là, à mon avis ce qu'il fluit entendre
proprement par de» Propofitions Identiques ; &c je croy
pouvoir continuer de dire furement à l'égard de toutes ces
fortes de Propofitions , que de les propofer comme des
moyens d'inftruire l'Efprit , c'eft un vray badinage. Car
perfonne qui a l'ufage de la Raifon ne peut éviter de les
rencontrer toutes les fois qu'il eft néceflaire qu'il en pren-
ne connoiflance, 6c lorfqu'il en prend connoiflance , il ne
fauroit douter de leur venté.
Qiie fi certaines gens veulent donner le nom
d'Identique à des Propofitions où le même terme n'eft pas
affirmé de luy-même , c'eft à d'autres à juger s'ils par-
lent plus proprement que moy. Ce qu'il y a de certain ,
c'eft que tout ce qu'ils difent des Propofitions qui ne font
pas Identiques i ne tombe point fur moy , ni fur ce que
Ggggg j'ai
786 Des Propojitions Frivoles.
C H A p. j'ai dit; puifque tout ce que j'ai dit , fe rapporte à ces
VIII- Propofitions où le même terme eft affirmé de luy-même j
& je voudrois bien voir un exemple oii l'on put fe fervic
d'une telle Propofition pour avancer dans quelque Con-
noiflance que ce foit. Quant aux Propofitions d'une au-
tre Efpéce, tout l'ufage qu'on en peut faire, ne m'inte-
refle en aucune manière , parce qu'elles ne font pas du
nombre de celles que je nomme Identiques.
II. Lorfqu'on §■ 4- En fecoud lieu , une autre Efpéce de Propofi-
atHrmeuncpar- tiens Frivoles, c'cft quaud une partie de l'Idée complexe
comp"iexe'^du ^^ affirmée du nom du Tout, ou ce quieftla mêmecho-
BomduTout. fe, quand on affirme une partie d'une définition du mot
défini. Telles font toutes les Propofitions où le Genre
eft affirmé de l' Efpéce , & où des termes plus généraux
font affirmez de termes qui le font moins. Car quelle in-
ftruftion, quelle connoiflance produit cette Propofition ,
Le Plomb efi un Métal , dans l'Efprit d'un homme qui
connoit l'Idée complexe que le mot de Plomb fignifie;
puifque toutes les Idées fimples qui conftituent l'Idée
complexe qui eft fignifiée par le mot de Métal , ne font
autre chofe que ce qu'il comprenoit auparavant fous le
nom de Plomb. Il eft bien vray qu'à l'égard d'un homme
qui connoit la fignification du mot de Métal , 6c non pas
celle du mot de Plomb , il eft plus court de luy expliquer
la fignification du mot de Plomb y en luy difant que c'eft
un Métal (ce qui défigne tout d'un coup plufieurs de
fes Idées fimples} que de les compter une à une , en luy
difant que c'eft un Corps fort pefant , fufiblc , &: mal-
léable.
Comme lor5- §. 5- C'eft cncorc fe jouer fur des mots que d'affirmer
<]u'uiie partie quelque partie d'une Définition du terme défini, oud'af-
eiVaffirmde'd'u firmcr unc dcs Idées dont eft formée une Idée complexe,
mot défini. du nom de toute l'Idée complexe , comme Tout Or eji
fufîble; car la fufibilité étant une des Idées fimples qui
compofent l'Idée complexe que le mot Or fignifie, affir-
mer du nom d'Or ce qui eft déjà compris dans fa fignifica-
tion reçue , qu'eft-cc autrechofe que fe jouer fur des fons?
On
'Des Proportions Frivoles. Liv. IV. 787
On trouveroit beaucoup plus ridicule d'aflurer gravement C h a p.
comme une vérité fort importante que rOrp/^j<?««f} mais VIH.
je ne vois pas comment c'eft une chofe plus importante de
dire que l'Or ejlfuflble, û ce n'efl que cette Qiialité n'en-
tre point dans l'idée complexe dont le mot Or eft lefigne
dans le difcours ordinaire. Dequoy peut-on inftruire un
homme en luy difant ce qu'on luy a déjà dit , ou qu'on
fuppofe qu'il fait auparavant? car on doit fuppofer queje
fai laiignification du mot dont un autre fe fert en me par-
lant, ou bien il doit me l'apprendre. Qiie fi je fai que le
mot Or fignifie cette idée complexe de Corps ^ jaune y pe~
faut , fujible , malléable , ce ne fera pas m'apprendrc
grand'chofe que de réduire enfuitecelafolemnellement en
une Propofition , &" de me dire gravement , Tout Or eji
fufible. De telles Propofitions ne fervent qu'à faire voir
le peu de fincerité d'un homme qui veut me faire accroire
qu'il dit quelque chofe de nouveau en ne faifant que re-
pafler fouvent fur la définition des termes qu'il a déjà ex-
pliquez. Mais quelque certaines qu'elles foient , elles
n'emportent point d'autre connoifTance que celle de la
lignification même des Mots.
§. 6. Eclaircilfons ceci par d'autres exemples : C/^^- Esempies.f/w»..
que homme ejt un Animal oxx un Corps vivant , eft une Pro-*"^ ^ ffiefroy;
pofition auiîi certaine qu'il puiffe y en avoir, mais qui ne
contribue pas plus à la connoiflance des Chofcs , que fî
l'ondifoit. Un Palefroy eJi un Cheval, ou un Animal qui
va l'amble éy qui hennit ; car ces deux Propofitions rou-
lent également fur la fignification des Mots , la première
ne me faifant connoître autre chofe , finon que le Corps y
lefentiment &c le mouvement , ou la puiffancede fentir &
de fe mouvoir, font trois idées que je comprens toujours
fous le mot d'homme , & queje défignepar ce nom-là} de
forte que le nom d'homme ne fauroit appartenir aux chofes
où ces Idées ne fe trouvent point enfemblc} comme d'au-
tre part quand on me dit qu'un Palefroy eft un Animal
qui va l'amble &c qui hennit, on ne m'apprend par là au-
tre chofe , fmon que l'idée de Corps , le fentiment , &
Ggggg 2 une
788 Des Tropofitions Frivoles.
C H A p. une certaine manière d'aller avec une certaine efpéce de
yill. voix font quelques-unes des Idées que je renferme tou-
jours fous le terme de Palefroy , de forte que le nom de
Palefrcy n'appartient point aux chofes où ces Idées ne fe
trouvent point enfemble. Il en efl: jullcmxnt de même,
lorfqu'un terme concret qui figmfie une ouplufieurs idées
fimples qui compoient enfemble l'Idée complexe qu'on
défigne par le nom d'homme cil affirmée du mot Homme:
fuppofez par exemple qu'un Romain eut fignifié par le
mot Hoffio toutes ces idées diftindxs unies dans un feul
fujet, corporeitas , fenflhilitâs ) poîentiafe movetidi^ ratio-
nabilttas , rifibilitas -, il auroit pu fans doute affirmer très-
certainement , & univerfellement du mot Homo une ou
plufieurs de ces idées, ou toutes enfemble, mais par là il
n'auroit dit autre chofe , fi non que dans fon Pais le mot
homo comprenoit dans fa fignifîcation toutes ces idées. De
même un Chevalier de Roman qui par le mot de Palefroy
fignifieroit les idées fuivantes, an Corps d'une certaine fi-
gure, qui a quatre jambes ^ du fentiment ^ du mouvement y
gui ^va l'amble y qui hennit y & cji accoutumé a porter un
homme fur fon dos , pourroit avec autant de certitude affir-
mer univerfellement une de ces Idées du mot de Palefroy
ou toutes enfemble , mais il ne nous enfeigneroit par là
autre chofe fi ce n'eft que le mot de Palefroy en termes de
Roman fignifioit toutes ces Idées , &■ ne devoit être ap-
pliqué à aucune chofe en qui l'une de ces idées ne îc rcn-
controit pas. JVÎais fi quelqu'un me dit que tout Etre
en qui le fentiment, le mouvement , la raifon £c le rire
font unis enfemble , a acluellement une notion de Dieu,
ou peut être aflbupi par V opium y un tel homme fait fans
doute une Propofition inftruftive ; ^■xrct(\\\' avoir une no-
tion de Dieu ou être plongé dans le fommeil par V opium y
étant deux chofes qui ne fe trouvent pas renfermées dans
l'idée que le mot d'/^ow/wf fignifie, nousfommesinltruits,
par ces Propofirions, de quelque chofe de plus que de ce
que le mot d'homme fignifie Amplement; c'eftpourquoy
la connoifTance que ces Propolitions renferment eft plus
que verbale, §. 7. On
Des Propofuions Frivoles. Liv. IV. 789
§. 7. On doit fuppofer qu'avant qu'un homme forme Chap.
une Propofition, il entend les termes qu'il y fait entrer: VIII.
autrement , il parle comme un Perroquet , ne fongeant O" 'l'apprend
qu'à faire du bruit , & à former certains fons qu'il a ap- lit^nificaïToi*
pris de quelque autre 6c qu'il prononce après luy fans û- desmots.
voir pourquoy, & non comme une Créature raifonnable
qui employé ces fons comme autant de fignes des idées
qu'elle a dans TEfprit. Il faut fuppofer auflî que celui
qui écoute, entend les termes dans le même fens que s'en
fert celui qui parle; ou bien , fon difcours n'eft qu'un
vray jargon , un bruit confus 6c inintelligible. C'efl-
pourquoy , c'eft fe jcuër des mots que de faire une Pro-
pofition qui ne contienne rien de plus que ce qui eft ren-
fermé dans l'un des termes , 6c qu'on fuppofe être déjà
connu de celui à qui l'on parle, comme, Un Triangle a
trou cotez, ou Lefaffran eji jaune. Ce qui ne peut être
foufFert que , lorfqu'un homme veut expliquer à un autre
les termes dont il le fert , parce qu'il fuppofe que la ligni-
fication luy en eft inconnue, ou lorfque la perfonne avec
qui il s'entretient luy déclare qu'il ne les entend point:
auquel cas il luy enfeigne feulement la Jigmjicationde ce mot j
6c l'ufage de ce ligne.
§. 8. Il y a donc deux fortes de Propofitions dont nous Etnon,aucmic:
pouvons connoître la vérité avec une entière certitude , j^g,""'"^*"'^
l'une eft de ces Propofitions frivoles qui ont de la certi-
tude, mais une certitude purement verbale , £c qui n'ap-
porte aucune inftru£tion dans l'Efprit. En fécond lieu ,
nous pouvons connoître la vérité , 6c par ce moyen être
certains des Propofitions qui affirment quelque chofe d'une
autre qui eft une conféquence néceflaire de fon idée com-
plexe, mais qui n'y eft pas renfermée, comme &ne l'An-
gle extérieur de tout Triangle efl fins grand injne Vundes An~
gles i7itérieurs oppofez ; car comme ce rapport de i' Angle
extérieur à l'un des Angles intérieurs oppofez ne fait point
partie de l'Idée complexe qui eft fignifiée par le mot de
Triangle, c'eft là une vérité réelle qui emporte une con-
noilfance réelle &c inftruftive.
Ggggg 3 §.9. Corn-:
79'^ D^^ Propojitions Frivoles.
Chap. §-9. Comme nous n'avons que peu ou point de con-
VIll. noiflance des Combinaifons d'Idées fimples qui exiftent
Lf?rropo(i- enfemble dans les Subftances , que par le moyen de nos
nous générales o r ■ r-riV- -r»
conccminties ^^ns, nous nelauHons raire lur leur lujec aucunes rropo-
SuL;iaiices,iont fitions univerfelles , qui foient certames au delà du ter-
fouventfmo- ^^^ ^^ ^^^^^^ ElTenccs nominales nousconduifent} &: com-
me ces Eiïences nominales ne s'étendent qu'à un petit
nombre de veritez , très-peu importantes, eii égard à cel-
les qui dépendent de leurs conftitutions réelles , il arrive
de là que les Propofitions générales qn' on forme fur lesSub-
Jîances, font pour la plupart frivoles , fi elles font certaines y
& que fi elles font inftru£tives , elles font incertaines Se
de telle nature que nous ne pouvons avoir aucune con-
noiflance de leur vérité réelle , quelque fecours que de
confiantes obfervations &: l'analogie puiflent nous fournir
pour former des conje£tures. D'où il arrive qu'on peut
îbuvent rencontrer des difcours fort clairs &: fort fuivis
qui fe reduifent pourtant à rien. Car il eft vifible queles
noms des Etres fubftantiels , aufli bien que les autres étant
confiderez dans toute l'étendue de la fignification relative
qui leur eft aflignée , peuvent être joints , avec beaucoup
de vérité , par des Propofitions affirmatives &" négatives ,
félon que leurs Définitions refpeftives les rendent propres
à être unis enfemble, fie queles Propofitions, compofées
de ces fortes de termes , peuvent être déduites l'une de
l'autre avec autant de clarté que celles qui fournifîént à
l'Efprit les veritez les plus réelles; Se tout cela fans que
nous ayions aucune connoiffance de la nature ou de la
réalité des chofes exiftantes hors de nous. Selon cette
méthode, l'on peut faire en paroles des démonftrationsSc
des Propofitions indubitables , fans pourtant avancer par
là le moins du monde dans la connoifTance de la vérité
des chofes ; par exemple, celui qui a appris les mots fui-
vans, avec leurs fignifications ordinaires Se refpeftives
qu'on leur a attaché. Subfiance, homwe , animal , forme ^
(ime, végétative , fenfitive, raifonnable : peut former plu-
fieurs Propofitions indubitables touchant V^me fans
favoir
Des Propojîiions Frivoles. Liv. IV. 791
favoir en aucune manière ce que l'Ame eft réellement. C h a p.
Chacun peut voir une infinité de Propofitions, de raifon- YHI.
nemens & de concluilons de cette forte dans des Livres de
Metaphyfique, de Théologie Scholaftique, & d'une cer-
taine efpéce de Phyfique, dont la le6ture ne iuy appren-
dra rien de plus de Dieu , des Efprits & des Corps , que
ce qu'il en fa voit avant que d'avoir parcouru ces Li-
vres.
§. 10. Celui qui a la liberté de définir , e'eft à dire, Etpourquoy.
de déterminer la fignification des noms qu'il donne aux
Subftances, (ce que tout homme qui les établit fignes de
fes propres idées fait certainement} &; qui détermine ces
fîgnifications au hazard fur fes propres imaginations ou fur
celles des autres hommes, 6c non fur un ferieux examen de
la nature des chofes mêmes, peut démontrer facilement
ces différentes fignifications l'une à l'égard de l'autre félon
les différens rapports & les mutuelles relations qu'il a éta-
bli entr'elles , auquel cas foit que les chofes conviennent
ou difconviennent , telles qu'elles font en elles-mêmes,
il n'a befoin que de réfléchir fur fes propres idées Se fur
les noms qu'il leur a impofé. Mais aulîi par ce moyen
il n'augmente pas plus fa connoiffance que celui-là
augmente fes richeffes qui prenant un fac de jettons, nom-
me l'un placé dans un certain endroit un Ecu , l'autre
placé dans un autre une Livre 3 Se l'autre dans un troifié-
me endroit un fou-, il peut fans doute en continuant tou-
jours de même compter fort exadement, ôcafTemblerune
grofle forame , félon que fes jettons feront placez , Se
qu'ils fignifiéront plus ou moins comme il le trouvera à
propos , fans être pourtant plus riche d'une pite , Se fans
favoir même combien vaut un Ecu , une Livre ou un Sou ,
mais feulement que l'un eft contenu trois fois dans l'au-
tre, Se contient l'autre vingt foisj ce qu'un homme peut
faire aulïï dans la fignification des Mots en leur donnant
plus ou moins d'étendue confiderez l'un par rapport à
l'autre.
^. II. Mais à l'occafion des Mots qu'on employé dans m. Employai
ipc les Mots en
792 Des Proposions Frivoles.
Chap. l^s Difcours Se fur tout dans ceux de Controverfe, Se où
VIII. l'oi^ difpute félon la méthode établie dans les Ecoles, voici
divers feus, c'cft une manière de fe jouer des mots qui eft d'une conféquen-
foiis"" ' ^^ encore plus dangereufe, Se qui nous éloigne beaucoup
plus de la certitude que nous efpérons trouver dans les
Mots ou à laquelle nous prétendons arriver par leur mo-
yen > c'eft que la plùpJrt des Ecrivains, bien loin defon-
ger à nous indruire dans la connoifTance des chofes telles
qu'elles font en elles-mêmes, employent les mots d'une
manière vague &z incertaine , de forte que ne tirant pas
même de leurs mots des déduirions claires Se évidentes
l'une par rapport à l'autre , en prenant conftamment les
mêmes mots dans la même fignificacion, il arrive que leurs
difcours , qui fans être fort inftructifs pourroient être du
moins fuivis Se faciles à entendre , ne le font point du
tout j ce qui ne leur feroit pas fort mil-aifé , s'ils ne
trouvoient à propos de couvrir leur ignorance ou leur
opiniâtreté fous l'obfcurité Se l'embarras des termes , à
quoy peut-être l'inadvertance Se une mauvaife habitude
contribuent beaucoup à l'égard de pludeurs perfonnes.
Marques des g. u. Mais pour conclurc , voici les marques auxquel-
YeTbrie"°K ^^s o" pci-it connoitre les Propofitions purement verbales.
Lorfqu'eiies Premièrement, toutes les Propofitions où deux termes
S"dcurtenlies ''^^•ftraits font affirmez l'un de l'autre , n'appartiennent qu'à
abibaitsaffit- la fignificatiou des fons. Car nulle idée abftraite ne pou-
mezruii de \^x\t être la même, avec aucune autre qu'avec elle-même >
lorfque fon nom abftrait eft affirmé d'un autre terme ab-
ftrait, il ne peut ilgnitîer autre chofe fi ce n'eil: que cette
idée peut ou doit être appellée de ce nom ; ou que ces
deux noms lignifient la même idée. Ainfi, qu'un homme
dife , que l'Epargne e/i Frugalité , que la Gratitude efl'Ju-
Jiice, ou que telle ou telle action eft ou n'eft pas Tempe-
Tance-, quelque fpécieufes que ces Propofitions Se autres
femblablcs paroiilént du premier coupd'œuil, cependant
fi nous venons à en prcfier la fignification Se à examiner
exaftement ce qu'elles contiennent, nous trouverons que
tout cela n'emporte autre chofe que la lîgnificarion de ces
termes. §• i3- ^"^
i
De nôtre Exiflence. Lrv. IV. 795
§. 13. En fécond lieu j toutes les Propofitions où une Chap.
partie de l'idée complexe qu'un certain terme lignifie , VIII.
eft affirmée de ce terme, font purement verbales, com- '• i-o'^fqu'une
me fi je dis que l'Or eft un métal ou qu'// eft pefant. Et fi^t'on eft af-
ainfi toute Propofition où les Mots de la plus grande firmes du terme
étendue qu'on appelle Genres font affirmez <^c ceux '''^^"'
qui leur font fubordonnez ou qui ont moins d'éten-
due , qu'on nomme Efpe'ces ou Jndiviiius y eft purement
verbale.
Si nous examinons fur ces deux Régies les Propofi-
tions qui compofent les Difcours écrits ou non écrits»
nous trouverons peut-être qu'il y en a beaucoup plus
qu'on ne croit communément qui ne roulent que fur la
lignification des Mots, 6c qui ne renferment rien que l'u-
fage &c l'application de ces fignes.
En un motj je croy pouvoir pofer pour une Régie in-
faillible, Que par tout où l'Idée qu'un mot fignifie, n'eft
pas diftindement connue Se préfente à l'Efprit , & où
quelque chofe qui n'eft pas déjà contenu dans cette Idée,
n'eft pas affirmé ou nié , dans ce cas-là nos penfées font
uniquement attachées à desfons, & n'enferment ni venté
ni faufleté réelle. Ce qui pourroit peut-être , fi l'on y
prenoit bien garde , épargner bien des Difputes Se de
vains amufemens , &c abréger la peine que nous prenons
& les égaremens où nous nous engageons dans la recherche
d'une CJonnoifl'ance réelle £c véritable.
§•
CHAPITRE IX. Chap.
IX
De la Connoijfance que nous avons de nôtre Exiftence.
I. "N/T O u s n'avons confideré jufqu'ici que les Ef- LesPropofi-
X.\ fences des Chofesj 6c comme ce ne font que t'o"s générales
des Idées abftraites que nous raflemblons dans nôtre Efprit ^r^a"'o"" ""^
en les détachant de toute exiftence particulière (car toutpasài'exiftence.
"ormant des Abftradions , c'eft
Hhhhh fe
794 ^^ "^^'"^ Exifience.
Ch AP. de confiderer une idée fans aucun rapport à aucune autre
IX. exiftence que celle qu'elle a dans l'Entendement} elles ne
nous donnent abfolument point de connoiflance d'aucu-
ne exiftence réelle. Sur quoy nous pouvons remarquer en
paflant que les Propofitions univerfelles de la vérité ou de
la faufleté defquelles nous pouvons avoir une connoiflan-
ce certaine, ne fe rapportent point à l'exiftence, ôc d'ail-
leurs que toutes les affirmations ou négations particulières
qui ne feroient pas certaines, fi on les rendoit générales,
appartiennent feulement à l'exiftence) donnant feulement
à connoître l'union ou la feparation accidentelle de cer-
taines idées dans des Chofes exiftantes , quoy qu'à les
confiderer dans leurs natures abftraites, ces Idées n'ayenc
aucune liaifon ou incompatibilité ncceflaire que nous puif-
fions connoître.
Tripiecon- § 2. Mais fans parler ici de la naturc dcs Propofitions ,
noiHancede que nous confidercrons plus au long dans un autre endroit -,
venons préfentement à l'examen de la connoiflance que
nous pouvons avoir de l'exiftence des Chofes , Se com-
ment nous y parvenons. Je dis donc que nous avons une
connoiflance de nôtre propre exiftence par Intuition, de
l'exiftence de Dieu par Demonjlration , & d'autres
chofes par Senfation.
La ConnoiiTan- §• 3- Pour ce qui cft de nôtre cxiftencc , nousl'apper-
cede nôtrecxi cevous avec tant d'évidence & de certitude, que la chofe
ti\è"'^ '"'"' n'a pas befoin Se n'eft point capable d'être démontrée par
aucune preuve. Je pen/'e , je rai forme t jefens du plaifir ér
de la douleur ; aucune de ces chofes peut-elle m'êrre plus
évidente que ma propre exiftence ? Si je doute de toute
autre chofe , ce doute même me convainc de ma propre
exiftence, Se ne me permet pas d'en douter ^ car fi je con-
nois que Jf Cens de la douleur , il cft évident que j'ai une
perception aufli certaine de ma propre exiftence que de
l'exiftence de la douleur que je fens -, ou fi je connois que
Redoute, j'ai une perception aufll certaine de l'exiftence
de la Chofe qui doute, que de cette Penfée que j'appelle
Doute. Ceû donc l'Expenence qui nous convainc que
nous
De VExiftence ^e Dieu. L i v. I V. 795
nous avons une Connotjfance intuitive de nôtre propre Ext- C h A p.
Jtence , 6c une inf.iillible perception intérieure que nous IX.
fommes quelque chofe. Dans chaque Afte de fenfation >
de raifonnement ou de penfee , nous fommes intérieure-
ment convaincus en nous-mêmes de nôtre propre Etre ,
& nous parvenons fur cela au plus haut degré de certitude
qu'on puifle imaginer.
CHAPITRE X. ^^
C H A P,
De la Connoijfance que nous avons de Vexijîence ^"^
de Dieu.
§. I. C^ UoY QUE Dieu ne nous ait donné au- Nous fommes
'l/ cune idée de luv-mêmequi foit née avec nous : "P^'''"'^econ;
quoy qu il n ait grave dans nos Ames aucuns caractères ment qu'il y a '
originaux qui nous y puifTent faire lire fon exiftencC} ce- "« ^«.«••
pendant on peut dire qu'en donnant à nôtre Efprit les
Facultez dont il eft orné , il ne s'eft pas laiffé fans té-
moignage > puifque nous avons des Sens, de l'Intelligence
6c de la Raifon , 6c que nous ne pouvons manquer de preu-
ves manifeftes de fon exiftence , tandis que nous fommes
avec nous- mêmes. Nousnefaurions, dis-je , nous plain-
dre avec juftice de nôtre ignorance fur cet important
article; puifque Dieu luy-même nous a fourni 11 abon-
damment les moyens de le connoître, autant qu'il eft né-
cefl'aire à la fin pour laquelle nous exilions, 6cpournôtre
félicité qui eft le plus grand de tous nos intérêts. Mais
encore que l'exiftence de Dieu foit la vérité la plus aiféc
à découvrir par la Raifon, 6c que fon évidence égale, fî
je ne me trompe , celle des Démonftrations Mathémati-
ques, elle demande pourtant de l'attention, 6c il faut que
l'Efprit s'applique a la tirer de quelque partie incontefta-
ble de nos Connoiflances par une dédu£tion régulière.
Sans quoy nous ferons dans une aufti grande incertitude 6c
dans une aulîi grande ignorance à l'égard de cette vérité,
Hhhhh 2 qu'à
796 Ve l'ExiJlenceâc Dieu.
C H A p. qu'à l'égard des autres Propofitions qui peuvent être dc-
X. montrées évidemment. Du rcfte , pour faire voir que
mus [ommes capables de connokre , c?- de connaître avec
certitude qu'il y a un Dieu, Ôc pour montrer comment
nous parvenons à cette connoilîance , je croy que nous
n'avons befoin que de faire reflexion fur nous-mêmes, 6c
fur la connoiflance indubitable que nous avons de notre
propre exiftence.
fhciv.mccoii- §• 2- C'eft, je penfe, une chofe inconteflable , que
iioitciu'ikft l'Homme connoit clairement &" certainement, qu'ilexifte
luy-\neme. ^ ^^^,-j ^ç^ quelque chofc. S'il y a quelqu'un qui en
puifle douter , je déclare que ce n'eft pas à luy que je
parle, non plus que je ne voudrois pas difputcr contre le
pur Néant, ôc entreprendre de convaincre un Non-être
qu'il eft quelque chofe. Qiic i\ quelqu'un veut pouffer
le Pyrrhonifme jufques à ce point que de nier fa propre
exiftence (car d'en douter eifedivement, il efl clair qu'on
ne fuiroit le faire} je ne m'oppofc point au plaifir qu'il
ad'êtrcun Véritable Néant ; qu'il jouïflé de ce prétendu
bonheur, jufqu'à ce que la hnn pu quelque autre incom-
modité luy perfuade le contraire. Je croy donc pouvo:'r
pofer cela comme une vérité, dont tous les hommes font
convaincus certainement en eux-mêmes, fans avoir la li-
berté d'en douter en aucune manière, Çh/e chacun connoit ^
qu'il ejt quelque chofe qui exifiè a£fuellement.
II connoit aiifTi §• 3- L'iioiiime fait cncore , par une ConnoiiTmce de
<]ucie Nc.iiit ne fmiple veûë , quele pur Néant ne peut non plus produire un
^udiTchak] Etre réel; quele même Néant peut être égal ,i deux angles
Donciiya dïoits. S'il y a quelqu'un qui ne fache pas , qucleNon-
queiquechofe ^j. ^g ^ (^^^ l'abfcncc dc tout Etre ne peut pas être égale à
deux Angles droits , il eft impoilible qu'il conçoive au-
cune des Demonfirations d'/if/rZ/^r. Et par conféquent,
fi nous favons que quelque Etre réel exifte", 6c que le
Non-être ne fauroit produire aucun Etre , il eft d'une
évidence Mathématique que quelque chofe a exifté de
toute éternité i puifque ce qui n'eft pas de toute éternité,
a un commencement , 6c que tout ce qui a un commen-
ce-
De -VExii/lence de Dieu. L i v. I V. 797
cément , doit avoir été produit par quelque autre C h a p,
chofe. X.
§. 4. 11 eft de la même évidence , que tout Etre qui CetEtreétcr-
tire fon exiftence & fon commencement d'un autre, tire "«''^°'têtre
auili d un autre tout ce qu il a & tout ce qui luy appar-
tient. On doit reconnoître, que toutes fes Facuitez luy
viennent de la même fource. 11 faut donc que 'la fource
éternelle de tous les Etres , foit auffi la fource & le Prin-
cipe de routes leurs Puiiïances ou Facuitez ; de forte que
cet Etre éternel doit être anj]} 'Totit-pitijfant.
§. 5. Outre cela, l'homme trouve en luy-mênie de la Toutintellj.
perception èc de la connoijfance. Nous pouvons donc en- S"-'"'-
core avancer d'un degré , 6c nous aflurer non feule»ient
que quelque Etre exilte, maisencore, qu'il y a au Mon-
de quelque Etre Intelligent.
Il faut donc dire l'une de ces deux chofes , ou qu'il y
a eu un temps auquel il n'y avoit aucun Etre , &: auquel
lu Connoifîlince a commencé à exifter; ou bien qu'il y a
eu un Etre intelligent de tonte Eternité. Si l'on dit, qu'il
y a eu un temps, auquel aucun Etre n'a eu aucune Con-
noilTance , &: auquel l'Etre éternel étoit privé de toute
intelligence , je réplique , qu'il étoit donc impolîible
qu'aucune Connoiflance exiftàt jamais. Car il eft auflî
impofîible , qu'une chofe abfolu ment deftituée de Con-
noiffance &: qui agit aveuglément &: fans aucune percep-
tion, produife un Etre intelligent , qu'il eft impodible
qu'un Triangle fe faflc à foy-méme trois angles quifoient
plus grands que deux Droits. Et il. eft aulli contrau-e à
ridée de la Matière privée de fentiment , qu'elle fe pro-
duife à elle-même du fentiment, de la perception Se delà
connoiflance, qu'il eft contraire à l'idée d'un Triangle,
qu'il fe fafle à luy-niéme des angles qui foient plus grands
que deux Droits. . ,
§. 6. Ainfi, par la confideration de nous-mêmes , ^CEtparconfc.
de ce que nous trouvons infailliblement dans nôtre propre 51"'^'"'. ^^^^
nature , la Raifon nous conduit à la connoiflance de cette '
vérité certaine ôc évidente , ^Ijt'il y a un Etre éternel i,
Hhhhh 3 très-
798 De VExiJlence de Diett.
Chap. tres-piiijj'ant , ér tres-mtelligent , quelque nom qu'on lu y
X. veuille donner , foit qu'on l'appelle Dieu ou autre-
ment, il n'importe. Rien n'efl; plus évident; ôcencon-
fiderant bien cette idée, il fera aifé d'en déduire tous les
autres Attributs que nous devons reconnoître dans cet Etre
éternel. Qiic s'il fe trouvoit quelqu'un aiïez deraifonna-
ble pour fuppofcr , que l'Homme eft le feul Etre qui
ait de la Connoiflance &: de la fagefle ," mais que néan-
moins il a été formé par le pur hazard, éc que c'elt ce
même Principe aveugle & fans connoiflance qui conduit
tout le refte de l'Univers , je l'avertirai d'examiner à
loifir cette Cenfure tout-à-fait folide fie pleine d'emphafe
» Df Legibttt, que fiiceron fait * quelque part contre ceux qui pour-
Lib. 1. roient avoir une telle penfée : §iind cnim venus , dit ce
fage Romain , qnhn neimném ejje oportere tam (Inlte arro-
ganîcm , iit in le mentem cj- rationem pittet inej/e , in Calo
Mîindoque non pntet ? Atiî nt ea qua "Jix juîmna tngenii
ratione comprehendat , nulla ratione movcri pntet ? „ Cer-
5, tainement perfonnene devroitétrefifottement orgueil-
î, Icux que de s'imaginer qu'il y a au dedans de luy un
j, Entendement &: de la Raifon , & que cependant il
3, n'y a aucune Intelligence qui gouverne les Cieux'ôc
3, tout ce vafte Univers i ou de croire que des choies que
3, toute la pénétration de fon Efpnt eft à peine capable
3, de luy faire comprendre , fe meuvent au hazard , ôc
jj fans aucune régie.
De ce que je viens de dire , il s'enfuit clairement , ce
me femble , que nous avons une connoiflance plus cer-
taine de l'exiftence de Dieu que de quelque autre chofe
que ce foit que nos Sens ne nous ayent pas découvert im-
médiatement. Je croy même pouvoir dire que nous con-
noiflbns plus certainement qu'il y a un Dieu, que nous
ne connoiflTons qu'il y a quelque autre chofe hors de nous.
Qiiand je dis que 710hs co?inotjJ'ûns y je veux dire que nous
avon^ en nôtre pouvoir cette connoiflance qui ne peur nous
manquer, fi nous nous y appliquons avec la même atten-
tion qu'à plufieurs autres recherches.
§• 7- Je
De VExiJlence de Dieu. Liv. IV. 799
§. 7. Je n'examinerai point ici comment l'idée d'un Chap.
Etre fouveramement parfait qu'un homme peut fe former X.
dans fon Efprit, prouve ou ne prouve pomt l'exiftence L Mecque
de Dieu. Car il y a une telle diverfité dans les tempe- """"^""^J'"-'
J , r ^ Etre tout parfaïc
ramens des hommes éc dans leur manière de penfer , qu'a neii pas la feule
l'égard d'une même vérité dont on veut les convaincre, jl^^""^!*'*""
les uns font plus frappez d'une raifon, 6c les autres d'une Dieu.
autre. Je croy pourtant être en droit de dire, quecen'eft
pas un fort bon moyen d'établir l'exiftence d'un Dieu
& de fermer la bouche aux Athées que de faire rouler tout
le fort d'un Article aulîi important que celui-là furcefeul
pivot, èc de prendre pour ieule preuve de l'exiftence de
Dieu l'idée que qûelcpes perfonnes ont de ce fouverain
EtrCi je dis quelques perfonnes ; car il eft évident qu'il y
a des gens qui n'ont aucune idée de Dieu , qu'il y en a
d'autres qui en ont une telle idée qu'il vaudroit mieux
qu'ils n'en enflent point du tout , & que la plus grande
partie en ont une idée telle quelle , fi j^'ofe me'fervir de
cette exprellion. C'eft , dis-je, une méchante méthode
que de s'attacher trop fortement à cette découverte favo-
rite, jufques à rejctter toutes les autres Démonftrations
de l'exiftence de Dieu , ou du moins à tacher delesaffoi-
blir, & à défendre de les employer comme il elles étoient
foibles ou fauflês } quoy que dans le fonds ce foient des
preuves qui nous font voir fi clairement & d'une manière
fi convainquante l'exiftence de ce fouverain Etre, par la
confideration de nôtre propre cxiftcnce &: des Parties fen-
fibles de l'Univers , que je ne penfe pas qu'un homme
fage.y puiffe refifter. Car il n'y a point, '^ cequejecroy,
de vérité plus certaine & plus évidente que celle-ci, J^;/e
les perfecîions invi/ibles de Dieu, fa Fmffance éierneUe
^ fa DiviMté font devenues vifibles depuis la création du
Monde , par la commjfance que nous en donnent fesCréatu^
res. Mais bien que nôtre propre exiftence nous fournifle
«ne preuve claire &: inconteftable de l'exiftence de Dieu ,
comme je l'ai déjà montré j & bien que je croye que per-
fonne ne puifle éviter de s'y rendre , fi on l'examine avec
autant
8oo De VExiJlence de Dieu.
C H A p. autant de foin qu'aucune autre Démonftration d'une aufli
X. longue déduction ; cependant comme c'eft un point fi
fondamental 6c d'une fi haute importance , que toute la
Religion & la véritable Morale en dépendent, )e ne doute
pas que mon Lecteur ne m'excufe fans peine , fi je reprens
quelques parties de cet Argument pour les mettre dans un
plus grand jour.
Quciqnechofe §. 8. C'eft Une vcrité tout-à-fait évidente qu'il doit y
c'tcnuf/ '°"'^ avoir quelque chofe qui exijle de toute éternité. Je n'ai
encore oui perfonne qui fut aflez deraifonnabie pour fup-
pofer une contradiftion aulîi manifefte que le feroit celle
de foûtenir qu'il y a eu un temps auquel il n'y avoit ab-
folument rien. Car ce feroit la plus grande de toutes les
abfurditez, que de croire, que le pur Néant, une parfaite
négation, &: une abfence de tout Etre pût jamais produire
quelque chofe d'aftuellement exift:ant.
Puis donc que toute Créature raifonnable doit néceflai-
rement reconnoître, que quelque chofe a exifté de toute
éternité j voyons préfentement quelle efpéce de chofe ce
doit être.
ilyacîcux.ror- §• 9- L'hommc ne conuoit OU uc conçoitdans cc Mon-
tes d'Eues, les de que deux fortes d'Etres.
kslmîes'non- Premièrement, ceux qui font purement matériels, qui
peuùiis. n'ont ni fcnciment , ni perception , ni penfée , comme
l'extrémité des poils de la Barbe , de les rogneures des
Ongles.
Secondement, des Etres qui ont du fentiment , delà
perception, & des penfées, tels que nous nous reconnoif-
Ibns nous-mêmes. C'eftpourquoy dans la fuite noijs dé-
fignerons, s'il vous plait , ces deux fortes d'Etres par le
nom à.' Etres penfans 6c non-penfans ; termes qui font peut-
être plus commodes pour le dedéin que nous avons pré-
fentement en veûë, (s'ils ne le font pas pour autre chofe}
que ceux de matériel & d'i/nm^teriel.
Un Etre non- §. lo. Si douc il doit y avoit un Etre qui exifte de
peiifanmefau- toutc éternité, voyons de quelle de ces deux fortes d'Etre
Eu/pcnflut."" il fiiLit qu'il foit. Et d'abord la Kaifim porte naturelle-
ment
De VExiftence de Dieu. L i v. IV. Soi
ment à croire que ce doit être néceflairement un Etre qui C h A p.
penfe; car il eft aufîi impoillble de concevoir que la fi m- X.
pie Matière ttow-jîJfw/^w/é' produife jamais un Etre intelli-
gent qui penfe, qu'il eft impoillble de concevoir que le
Néant put de luy-même produire la Matière. En effet,
fuppofons une partie de Matière , grofle ou petite , qui .
exifte de toute éternité, nous trouverons qu'elleeft inca-
pable de rien produire par elle-même. Suppofons par
exemple , que la matière du premier caillou qui nous
tombe entre les mains, foit éternelle , que les parties en
foient exaftement unies , &: qu'elles foient dans un par-
fait repos les unes auprès des autres : s'il n'y avoit aucun
autre Etre dans le Monde , ce caillou ne demeureroit-il
pas éternellement dans cet état, toujours en repos 6c dans
une entière inaftion ? Peut-on concevoir qu'il puiflé fe
donner du mouvement à luy-même , n'étant que pure
Matière , ou qu'il puifle produire aucune chofe ? Puis
donc que la Matière ne fauroit , par elle-même, fe don-
ner du mouvement, il faut qu'elle ait fon mouvement de
toute éternité, ou qu'il luy ait été imprimé par quelque
autre Etre plus puiflant que la Matière, laquelle, comme
on voit, n'a pas la force de fe mouvoir elle-même. Mais
fuppofons que le Mouvement foit de toute éternité dans
la Matière ; cependant lâf Matière qui eft un Etre nori-
penfant y 6c le Mouvement ne fauroient jamais faire nairre
Ja Penfée, quelques changemens que le AîouvementpuilTe
produire tant à l'égard de la Figure qu'à l'égard de la
grofiéur des parties de la Matière. 11 fera toujours autant
au defllis des forces du Mouvement ^ de la Matière de
produire de la ConnoifTance qu'il eft au deflus des forces
du Néant de produire la Matière. J'en appelle à ce que
chacun penfe en luy-même : qu'il dife s'il n'eft point vray
qu'il pourroit concevoir auiîi aifément la Matière produi-
te par le Néant que fe figurer que la Penfée ait été pro-
duite par la fimple Matière dans un temps, auquel il n'y
avoit aucune chofe per/Jante , ou aucun Etre intelligent
qui exiftât aduellement, Divifez la Ma.tiere en autant
liiii de
8o2 "De VExïfience deDictt.
C H A p. de petites parties qu'il vous plairra , (ce que nous foni-
X. mes portez à regarder comme un moyen de la fpiritunli-
fer &c d'en faire une chofe penfante^ donnez-luy , dis-je,
toutes les Figures Se tous les differens mouvemens que
vous voudrez j faites-en un Globe, un Cube , un Cône,
un Prifme , un Cylindre , é^c. dont les Diamètres ne
foient que la loooooo'"' partie d'un ^Gry., certePar-
ticule de matière n'agira pas autrement fur d'autres Corps
d'une grofleur qui luy foit proportionnée , que fur des
Corps qui ont un pouce ou \\n pié de Diamètre ^ & vous
pouvez efpérer avec autant de raifon de produire du fen-
timent, des Penfëes 6c de la Connoiffmce , enjoignant
enfemble de grofles parties de matière qui ayent une cer-
taine figure & un certain mouvement , que par le moyen
des plus petites parties de JVIatière qu'il y ait au Monde.
Cesdernieres fe heurtent, fe pouffent 6c refiftent l'une à
l'autre, juftement comme les plus grofles parties ; 6cc'eft
là tout ce qu'elles peuvent faire. Par confequent, flnous
ne voulons pas fuppofer un Premier Etre qui aitexiftède
toute éternité , la Matière ne peut jamais commencer
d'exifter. Qiie fi nous difons que la fimple Matière, de-
flituèe de Mouvement , eft èrernelle , le Mouvement ne
peut jamais commencer d'exiiler ; 6c fi nous fuppofons
qu'il n'y a eu que la Matière Sy»\c iVlouvement qui ayent
exifte, ou qui foient éternels, on ne voit pas que la Pen~
fee puilfe jamais commencer d'exiller. Car il elt impolli-
ble de concevoir que la Matière, foit qu'elle le meuve ou
ne fe meuve pas, puiflè avoir originairement en elle-mê-
me, ou tirer, pour ainfi dire, de fon (ein le fentiment,
la perception 6c la connoifîance -, comme il paroit èvi-
dem-
* 'J'appelle G:y ,-„ de Ligne : la I.iriie l craytjri'il Jiraitd'.-irie csmma.iiiè générale ijiu
_-. d'un Pouce: le Pan. e ^l d'un PtéPb:-l tins les Sav.tns i'.tccord.iJJ'dit à employer
lofophique : le Pie Philajophiqtte ^ d'un cette mefiot dans leurs c»l.lt!!^^ Cette
Pendille , dont chaque -vibration , dans la Note eft de Mr. Lucide. Le mot Giy eft
latitude de 4y décret., efl é^ale à une] de fa façon II l'a invente' peut cxptimer
féconde de temps, on à ^\ de minute. 'j'ai\ i', de Ltgiic , nicfiire qui iiif^n'ici n'i
-ajfedéde tne fer-uir ici de cette mcfitre ,\ point eu de nom , & qu'on pcJtaulli bien
(3» de fes parties divife'es par div , m leur dc'figntr par ce mot que pat quelque au-
dtnnaut des notns particuliers , parce que je tie que ce loit.
T)e rExiflcfiCC âeDicu. Liv. IV. 803
demment de ce qu'en ce cas-là ce dcvroit erre une Pro- Ch a p.
prière éternellement infeparable de la Matière &: de cha- X.
cune de fes parties, d'avoir du fentimentj de la perception,
èz de la connoifll'.nce. A quoy l'on pourroit ajouter,
qu'encore que l'idée générale 6c Ipécifique que nous avons
de la Matière nous porte à en parler comme fi c'étoit une
chofe unique en nombre , cependant toute la xMatiére n'eft
pas proprement une chofe individuelle qui exifte comme
un Etre matériel , ou un Corps fingulier que nous con-
noiflbns, ou que nous pouvons concevoir. De forte que
fi la Matière étoit le premier Etre éternel /)e«/^«/, il a n'y
auroit pas un Etre unique éternel, infini Se penfant, mais
un nombre infini d'Etres éternels, finis, p en fans y qui fe-
rœent indépendansles uns des autres , dont les forces fe-
roient bornées & les penfécs diftinftes, 6c qui par confé-
quent ne pourroientjamais produire cet Ordre, cette Har-
monie 6c cette Beauté qu'on remarque dans la Nature.
Puis donc que le Premier Etre doit être nécelTairement
un Etre penjant ■, &z que ce qui exifte avant toutes chofes,
doit néceflairement contenir , 6c avoir actuellement, du
moins, toutes les perfe£tions qui peuvent exifter dans la
fuite j fcsLT il ne peut jamais donner à un autre des Per-
fections qu'il n'a pomt ou aftaellement enluy-même, ou
du moins dans un plus haut degré} il s'enfuit néceflaire-
ment de là, que le premier Etre éternel ne peut être la
Matière.
§. II. Si donc il eft évident , que quelque chofe ^0/? 11 y a donc eu
nécefiairement exifter de toute éternité ■, il ne l'eft pas moins, "" Eireiage de
que cette chofe doit être néceflairement un Etre penjant. ""'"^ «'"nue.
Car il eft aulll impoflible que la Matière non-penfante
produife un Etre penfant , qu'il eft impoflible que le
Néant ou.l'abfence de tout Etre pût produire un Etre po-
fitif , ou la Matière.
§. 12. Qiioy que cette découverte d'7/«^//?n'/ «/fc//'^/-
rement exijlant de toute éternité fuffifepour nous conduire
à la connoiflance de Dieu; puis qu'il s'enfuit de là,
que tous les autres Etres Intelligens, qui ont iin com-
liiii 2 men-
liel > ou non.
804 ' De VExiftence de Dieu.
Chap. mencementj doivent dépendre de ce Premier Etre , &
X. n'avoir de connoilîlince &: de puiflance qu'autant qu'il
leur en accorde j 6c que s'il a produit ces Etres Intelligens ,
il a fait auHi les parties moins confiderables de cet Uni-
vers 5 c'cft à dire , tous les Etres inanimez ; ce qui fait
néceffaireinent connoître fa toute-fcience , {^iputffance , fa H
providence, £c tous fes autres attributs : encore, dis-je,
que cela fuffife pour démontrer clairement l'cxiltence de
Dieu, cependant pour mettre cette preuve dans un plus
grand jour, nous allons voir ce qu'on peut objecler pour
la rendre fufpcdle.
5;i! cft mate- §. i^. Frem:ereMenf , On dira peut-être, que, bien
" que ce foit une vérité auili évidente que la Demonftra-
tion la plus certaine, Qii'il doit y avoir un Etre éter-
nel , Se que cet Etre doit avoir de la Connoiflancei il ne
s'enfuit pourtant pas de là, que cet Etrepenfmt nepuifle
être matériel. Eh bien, qu'il foit matériel > il s'enluivra
toujours également de là, qu'il y a un Die u. Car s'il
y a un Etre éternel qui ait une fcience & ime puilTiince
infinie, il eft certain qu'il y a un Dieu , foit que vous
fuppofiez cet Etre matériel ou non. Mais cette fuppofi-
tion a quelque chofe de dangereux Se d'illufoire , fijene
me trompe; car comme on ne peut éviter de fe rendre à
la Démonftration qui établit un Etre éternel qui a de la
connoiflance, ceux qui foùtiennent l'éternité de la Ma-
tière , feroient bien aifcs qu'on leur accordât , que cet
Etre Intelligent eft matériel ; après quoy laiil'ant échap-
per de leurs Efprits , & banniftant entièrement de leurs
Difcours la Démonftration , par laquelle on a prouvé l'e-
xiftence néceftaire d'un Etre éternel intelligent, ils vien-
droient à foûtenir que tout eft Matière , Se par ce moyen
ils nieroient l'exiftence de Dieu, c'eft à dire , d'un Etre
éternel, penfant; ce qui bien loin de confirmer leur Hy-
pothefe ne fert qu'à la renverfer entièrement. Car s'il peut
être, comme ils le croyent, que la Matière exifte de tou-
te éternité fans aucun Etre éternel penfant, il eft évident
qu'ils feparent la Matière 6c la Pcnfee , comme deux cbo-
fe&
De VExiJîence de Dieu. L i v. IV. 8of
fcs qu'ils fuppofent n'avoir enfemble aucune liaifon né- Chap,
ceflaire ; par où ils érablillent , contre leur propre pen- X.
fée, l'exiftence nécefiaire d'un Efpnc éternel, Scnon pas
celle de la Matière; puifque nous avons deja prouvé qu'on
ne fauroit éviter de reconnoitre un Etre penfantquiexille
de toute éternité. Si donc la Penfée 5c la Matière peu-
vent être feparées , Vexijlence c'tcrnclle de la Matière m
Jera point une fuite de l'exijience éternelle d'un Etre penfant j
ce qu'ils fuppofent fins aucun fondement.
§. 14. Mais voyons à prefent comment ils peuvent feiln'cn: pasma-
perfuader à eux-mêmes &c faire voir aux autres , que cet ''^^"^V ' P"*^*^
,- ' t r n ' I ^ que chaque par-
Etre éternel penfant eit matériel. tic de Mancro
Premièrement, je voudrois leur demander s'ils croyent^i^"°"'P'^""
que toute la Matière , c'eft à dire , chaque partie de la
Matière , penfe. Je fuppofe qu'ils feront difficulté de le
dire ; car en ce cas-là il y auroit autant d'Etres éternels
penfans, qu'il y a de particules de Matière, &:parconfé-
quent, il y auroit un nombre infini de Dieux. Qiie s'ils
ne veulent pas reconnoîrre , que la Matière comme
Matière, c'eft à dire chaque partie de Matière, foitauilî
bien penfante qu'elle eft étendue , ils n'auront pas moins
de peine à faire fentir à leur propre Raifon , qu'un Etre
penfant foit compofè de parties non-penfantcs , qu'à luy
taire comprendre qu'un Être étendu foit ec;mpofc de par-
ties non-étendues.
§. 15. En fécond lieu, fi toute la Matière ne penfe 11 Parce qu'une
pas, qu'ils me difent j'// ny a au un feul Atome qnipen- ^<^"'=. p"'e ^^
r V> r ■ CL r ■ - ^ n- -^ j 11,1 Maiicre ne peuc-
fe. Ce lentmient eft uijet a un aulu grand nombre d ab- ctrcpenfantf^
lurditez que l'autre; car ou cet Atome de Matière eft feul
éternel, eu non. S'il eft feul éternel, c'eft doncluy feul
qui par fa penfée ou fa volonté toute puiflante a produit
tout le refte de la Matière. D'où il s'enfuit que la Ma-
tière a été créée par une Penfée toute-puiffante , ce que ne
veulent point avouer ceux contre qui je difpute préfente-
ment. Car s'ils fuppofent qu'un feul Atome penfant a
produit tout le refte de la Matière , ils ne fauroient luy
attribuer cette prééminence fur aucun autre fondement
liiii 3 q^ue;
8o6 De VExiflence de Dieu.
C H A p. que fur ce qu'il penfc ; ce qui-eft l'unique difrcrence qu'on
X. fuppofe entre cet Atome & les autres parties de la Matiè-
re. Qi-ie s'ils difent que cela fe fait de quelque autre ma-
nière qui eft au deflus de nôtre conception , il faut tou-
jours que ce foit par voye de création ; &: par là ils font
obligez de renoncer à leur grande Maxime, Rien ne fe fait
de Rien. S'ils difent que tout le relie de la Matière exifte
de toute éternité aulli bien que ce feul Atonie penfant, à
la vérité ils difent une chofe qui n'eft pas tout-à-fait ii
abfurde, mais ils l'avancent ^r-î/'/J èc fans aucun fonde-
ment j car je vous prie, n'cft-ce pas bâtir une hypothefe
en l'air fans la moindre apparence de raifon , que de fup-
pofer que toute la Matière eft éternelle , mais qu'il y en
a une petite particule qui furpadé tout le refte enconnoif-
fance 6c en puiffance ? Chaque particule de Matière , en
qualité de Matière , eft capable de recevoir toutes les
mêmes figures &: tous les mêmes mouvemens que quel-
que autre particule de Matière que ce puiflé être ; &: je
défie qui que ce foit de donner à l'une quelque chofe de
plus qu'à l'autre, s'il s'en rapporte précifément à ce qu'il
en penfe en luy-même,
m. Parce qu'un §-^ i6. En ttoifième lieu, fi donc un feul Atome parti-
ccrtaiiiamas de culict ne pcut point être cet Etre éternel penfant, qu'on
Matic're non- j-j ■ rr ■ d j-'
peiifantc ne ^^^^ admettre necellairement comme nous 1 avons deja
peutêtrepcn- prouvé j fi toutc la Matière , en qualité de Matière, c'cft-
""'■ à dire , chaque partie de Matière ne peut pas l'être non
plus, le feul parti qui refte à prendre à ceux qui veulent
que cet Etre éternel penfant foit matériel , c'eft de dire
qu'il eft nn certain amas particti lier de Matière jointe
enfemble. C'eft là , je penfe , l'idée fous laquelle
ceux qui prétendent que Dieu foit matériel , font le
plus portez à fe le figurer, parce que c'eft la notion qui
leur eft le plus promp.temcnt fuggerèe par l'idée commu-
ne qu'ils ont d'eux- mêmes 6c des autres hommes qu'ils
regardent comme autant d'Etres matériels qui penfent.
Mais cette imagination, quoy que plus naturelle , n'eft
pas moins abfurde que celles que nous venons d'examiner;
car
Del'EiàJlence de Vien. Liv. IV. 807
car de fuppofer que cet Erre éternel penfnnt ne foit autre Chap.
choie qu'un amas de parties de Matière dont chacune eft X.
non-penfûnte , c'eft attribuer toute la fagefle 6c la con-
noiflance de cet Etre éternel à hi iîniple union des
Parties qui le compofenti ce qui eit la choie du monde U
plus abfurde. Car des parties de Matière qui ne penfent
point, ont beau être étroitement jointes enfemble , elles
ne peuvent acquérir par là qu'une nouvelle relation loca-
le, qui confifte dans une nouvelle pofition de ces difl'é-
rentes parties; &: il n'eit pas pollible que cela fcul puilîe
leur communiquer la Penlée &: la Connoifîl^nce.
§. 17. Mais de plus, ou toutes les parties de cet ^;w.^.$" Soitqu-il foit
j ^ '. r ^ u- 11 ^ • en niouveiîienrj
de înatiere lont en repos , ou bien elles ont un certain ç,y£„,g„05^
mouvement qui fait qu'il penfe. Si cet amas de matière
ell dans un parfait repos , ce n'efi: qu'une lourde mafle
privée de toute a£lion , qui ne peut par cBnféqucnt avoir
aucun privilège fur im Atome.
Si c'eft le mouvement de fes parties qui le fliit penfer,
il s'enfuivra de là , que toutes fes penfées doivent être
néceflairement accidentelles & limitées; car toutes les par-
ties dont cet amas de matière eft compofè 6c qui par leur
mouvement y produifent la penfèe, étant en elles-mêmes
6c prifes feparément, deftituées de toute penfèe, elles ne
fauroient régler leurs propres mouvemens, 6c moins enco-
re être réglées par les penfées du Tout qu'elles compofent>
parce que dans cette fuppolition , le Mouvement devant
précéder la penfèe 6c étreparconfequent fanselle, la pen-
fèe n'eft point la caufe, mais la fuite du mouvement; ce
qui étant pofé, il n'y aura ni Liberté , ni Pouvoir , ni
Choix, ni Penfèe, ou Action quelconque réglée par la
Raifon 6c par la SagelTe. De forte qu'un tel Etre pen-
fant ne fer-a pas plus parfait ou plus fage que la fimple
Matière toute brute; puifque de réduire tout à des mou-
vemens accidentels 6c déréglez d'une Matière aveugle,
eu bien à des penfées dépendantes des mouvemens déré-
glez de cette même matière, c'eft la même chofe , pour
ne rien dire des bornes étroites où fe trouveroient relfer-
fées
8o8 "De l'ExiJlence de Dieu.
C H A p. rées ces fortes de penfees 6c de connoiflances qui feroient
X. dans une abfoluë dépendance du mouvement de ces diffé-
rentes parties. Mais quoy que cette Hypothefe foit iu-
jette à mille autres ablurditez , celle que nous venons de
propoiér fuffit pour en faire voir l'impollibilité, fans qu'il
foit nécefTaire d'en rapporter davantage. Car fuppole
que cet amas de Matière penfant fut toute la Matière ,
ou feulement une partie de celle qui compofe cet Uni-
vers , il feroit impollible qu'aucune Particule connut
ion propre mouvement , ou celui d'aucune autre Parti-
cule j ou que le Tout connut le mouvement de chaque
Partie dont il feroit compolé , êc qu'il put par confé-
quent régler fcs propres penfées ou mouvemens, ou plu-
tôt avoir aucune penfee qui refultat d'un femblable mou-
vement.
LaMatie'renc §' ^^- î^'^'-'^^rcs s'imaginent que la Matière eftéterncl-
peutpasctre le, quoy qu'ils reconnoillent un Etre éternel, penfant &
cobtcriKiicavec immatériel. A la vérité , ils ne détruifent point par là
un^ pti i pexiftence d'un Dieu, cependant comme ils luy ôtent
une des parties de fon Ouvrage, la première en ordre ÔC
fort conîiderable par elle-même, je veux dirclà Création y
examinons un peu ce fentiment. Ilfaut, dit-on, recon-
noître que la Matière eft éternelle. Pourquoy ? Parce
que vous ne fauriez concevoir , comment jelle pourroic
être faite de rien. Pourquoy donc ne vous regardez- vous
point aulll vous-même comme éternel? Vous répondrez
peut-être , que c'eft à caufe que vous avez commencé
d'exiiler depuis vingt ou trente ans. Mais (ï je vous de-
mande ce que vous entendez par ce f^oiis qui commença
alors à exiller, peut-être ferez-vous embarraife aie dire.
La Matière dont vous êtes compofé , ne commença pas
alors à exifterj parce que H cela etoit , elle ne feroit pas
éternelle : elle commença feulement à être formée & ar-
rangée de la manière qu'il faut pour compofer vôtre Corps.
Mais cette difpofition de parties n'cil pas ylous , elle ne
conftituc pas ce Principe pcniant qui cil en vous & qui
eft vous-même > car ceux à qui j'ai à faire préfentement,
admet-
T>e VExiJîence de Vicu. Liv. IV. 809
admettent bien un Erre penfant , éternel ôc immatériel j Chap,
mais ils veulent auffi que la Matière, quoy que non-peu- X.
fanle , foit auifi éternelle. Qiiand efl:-ce donc que ce
Principe penfant qui eft en vous, a commencé d'exifter?
S'il n'a jamais commencé d'exifter, il faut donc que de
toute éternité vous ayez été un Etre penfant ; abfurdité
que je n'ai pas befoin de réfuter, jufqu'à ce que jetrouve
quelqu'un qui foit afléz dépourvu de fens pour la foûte-
nir. Que fi vous pouvez reconnoître qu'un Etre penfant
a été fait de rien (^comme doivent être toutes les chofes
qui ne font point éternelles} pourquoy ne pouvez- vous
pas aufiî reconnoître, qu'une égale Puiflance puifle tirer
du néant un Etre matériel , avec cette feule différence que
vous êtes alTûré du premier par vôtre propre expérience,
&: non pas de l'autre? Bien plus > on trouvera , tout bien
confideré, qu'il ne faut pas moins de pouvoir pour créer
unEfprit, que pour créer la Matière. Et peut-être que
fi nous voulions nous éloigner un peu des idées commu-
nes, donner l'eflbr à nôtre Efprit , &: nous engager dans
l'examen le plus profond que nous pourrions faire de la
nature des chofes, nous pourrions en venir jufques à con-
cevoir, quoy que d'une manière imparfaite, comment la
Matière peut d'abord avoir été faite, &z comment elle a
commencé d'exifter par le pouvoir de ce premier Etre éter-
nel} mais on verroit en même temps que de donner l'être
à un Efprit, c'eft un eftet de cette Puiflance éternelle Se
infinie , beaucoup plus mal aifé à comprendre. Mais
parce que cela m'écarteroit peut-être trop des notions fur
lefquelles la Philofophie eft prefentement fondée dans le
Monde, je ne ferois pasexcufablede m'en éloigner fi fort,
ou de rechercher autant que la Grammaire le pourroit
permettre-, fi dans le fonds l'Opinion communément éta-
blie eft contraire à ce fentiment particulier, j'auroistort,
dis-je, de m'engager dans cette difcuflion , fur tout dans
cet endroit de la "1 erre où la Doftrine reçue eft afl!ez bon-
ne pour mon defl"ein , puifqu'elle pofe comme une chofe
indubitable, que fi l'on admet une fois la Création ou le
Kkkkk com-
8 10 Ve l'ExiJietice de Dieu.
C H A p. commencement de quelque Substance que ce foit ,
X. tirée du Néant, on peut fuppofer, avecla même facilité,
la Création de toute autre Subftance, excepté le Créa-
teur luy-méme.
§. 19. Mais, direz-vous, n'eft-il pas impoilîble d'ad-
mettre, c^n'iine chofe ait été faite de rien 3 puisque nous
ne {ixurions le concevoir? Je répons que non. Première-
ment, parce qu'il n'eft pas raifonnable de nier la Puiiïiin-
ce d'un Etre iniini , fous prétexte que nous ne (aurions
comprendre fes opérations. Nous ne refufons pas de croi-
re d'autres effets fur ce fondement que nous ne faurions
comprendre la manière dont ils font produits. Nous ne
faurions concevoir comment quelque autre chofe que
l'impulfion d'un Corps peut mouvoir le Corps -, cepen-
dant ce n'efl: pas une raifon fuffifante pour nous obliger à
nier que cela fe puifle faire, contre l'Expérience conllan-
te que nous en avons en nous-mêmes, dans tous les mou-
vemens volontaires qui ne font produits en nous, que par
l'adion libre, ou la feule penfee de nôtre Efprit : mou-
vemens qui ne font ni ne peuvent être des effets de l'im-
pulfion ou de la détermination que le Mouvement d'une
Matière aveugle caufe au dedans de nos Corps, ou fur nos
Corps i car fi cela étoit , nous n'aurions pas le pouvoir ou
la liberté de changer cette détermination. Par exemple >
ma main droite écrit , pendant que ma main gauche eft
en repos: qu'eft-ce qui caufelerepos de l'une, 6c le mou-
vement de l'autre? Ce n'ell: que ma volonté, une certai-
ne penfée de mon Efprit. Cette penfée vient-elle feule-
ment à changer, ma main droite s'arrête auflî-tôt , & la
gauche commence à fe mouvoir. C'eft un point de fait
qu'on ne peut nier. Expliquez comment cela fe fait,
rendez-le intelligible, & vous pourrez par même moyen
comprendre la Création. Car de dire, comme font quel-
ques-uns pour expliquer la caufe de ces mouvemcns vo-
lontaires, que l'Ame donne une nouvelle détermination
au mouvement des Efprits animaux , cela n'eclaircit nulle-
ment la difficulté. C'eft expliquer une chofe obfcure
par
De l'ExiJlence des autres Cbûfes. Liv. IV. 8ii
par une autre auffi obfcure , cardans cette rencontre il Chap,
n'eft ni plus ni moins difficile de changer la détermina- X.
tion du mouvement que de produire le Mouvement mê-
me j parce qu'il faut que cette nouvelle détermination
qui eft communiquée aux Efprits animaux foit ou produi-
re immédiatement par la Penfée, ou bien par quelque au-
tre Corps , que la Penfée mette dans leur chemin , où il
n'étoit pas auparavant, de forte que ce Corps reçoive fon
mouvement de la Penfée > Se lequel des deux partis qu'on
prenne, le mouvement volontaire eft auflî difficile à ex-
pliquer qu'auparavant. 2 . D'ailleurs , c'eft avoir trop
bonne opinion de nous-mêmes que de réduire toutes cho-
fesaux bornes étroites de nôtre capacité j & deconclurre
que tout ce qui pafle nôtre comprehenfioneftimpoffible,
comme fi une chofe ne pouvoir être, dès-là que nous ne
faurions concevoir comment elle fe peut faire. Borner ce
que Dieu peut faire à ce que nous pouvons compren-
dre, c'eft donner une étendue infinie à nôtre comprehen-
fion, ou faire Dieu luy-même, fini. Mais fi vous ne
pouvez pas concevoir les opérations de vôtre propre Ame
qui eft finie, de ce Principe penfant qui eft au dedans de
vous, ne foyez poinr éronnez de ne pouvoir comprendre
les opérarions de cet Esprit éternel & infini qui a fait
&: qui gouverne routes chofes, Se que les Cieux des Cieux
ne Jaur oient contenir.
CHAPITRE XL
De la ConnoiJJ'ance que nous avons de Vexijîence XT
des autres Chofes.
§. I. T A Connoiflance que nous avons de nôtre pro-Onnepeut
JL/pre exiftence nous vient 'ft^r intuition : 6c c'eft ^^°'f""^'^o"-
la Raifon qui nous fait connoître clairement l'exiftence "mrcsdwès
de Dieu, comme on l'a montré dans le Chapitre pré- quepa^voyc
cèdent. ^^ r«fation.
Kkkkk 2 Qiianc
8 1 2 De VExiJîence des autres Chofes.
C H A p. Qiiant à l'exiftence des autres chofes , on ne fanroic la
•^I. connoitre que par Scnfation; car comme l'exiftence réelle
n'a aucune liaifon nécelTliire avec aucune des Idées qu'un
homme a dans fa mémoire, &: que nulle exiftence , ex-
cepté celle de Dieu, n'a de liaifon neceflaire avec l'exi-
ftence d'aucun homme en particulier, il s'enfuit de là que
nul homme ne peut connoître l'exiftence d'aucun autre
Etre, que lorfque cet Erre fe fait appcrcevoir à cet hom-
me par l'opération a£luelle qu'il fait fur luy. Car d'avoir
l'idée d'une chofe dans nôtre Efprit , ne prouve pas plus
l'exiftence de cette Chofe que le Portrait d'un homme dé-
montre fon exiftence dans le Monde , ou que les vifions
d'un fonge établiffent une véritable Hiftoire.
Exemple, la §-2. C'cft donc par !a réception aftuelle des Idées qui
blancheur de ce nous viennent de dehors , que nous venons à connoître
^' ' l'exiftence des autres Chofes, &: à être convaincus en nous-
mêmes que dans ce temps-là il exifte hors de nous quel-
que chofe qui excite cette idée en nous, quoy que peut-
être nous ne fâchions ni ne confiderions point comment
cela fe fait. Car que nous ne connoillîons pas la manière
dont ces Idées font produites en nous , cela ne diminue
en rien la certitude de nos Sens ni la réalité des Idées que
nous recevons par leur moyen : par exemple , lorfque
j'écris ceci , le papier venant à frapper mes yeux , pro-
duit dans mon Efprit l'idée à laquelle je donne le nom de
blanc i quel que (bit l'Objet qui l'excite en moy } &: par
là je connois que cette Qiialité ou cet Accident , dont
l'apparence étant devant mes yeux produit toujours cette
idée, exifte réellement &: hors de moy. Et l'afrùrance
que j'en ai, qui eft peut-être la plus grande que je puifte
avoir, 6c à laquelle mes Facultexpuilfent parvenir, c'eft
le témoignage de mes yeux qui font les véritables & les
feuls juges de cette chofe, & fur le témoignage defquels
j'ai raifon de m'appuyer, comme fur une chofe d certai-
ne, que je ne puis non plus douter, tandis que j'écris
ceci , que je vois du blanc 5c du noir , &: que quelque
chofe exifte réellement qui caufe cette Icnfation en moy,
: l^e
nous.
De l'Exiflmce des autres Chofes. L i v. I V. 813
que je puis douter que j'écris ou que je remue ma main j C H a p.
certitude aullî grande qu'aucune que nous foyons capable XI.
d'avoir fur l'exiftence d'aucune chofc, excepté feulement
la certitude qu'un homme a de fa propre exiftence &c de
celle de Dieu.
§. 3. QLioy que la connoiiïiance que nous avons, par Q.™yqupcfia
le moyen de nos Sens, de i'exiftence des chofes qui font c'ç*ft3^„g,g5
hors de nous, ne foit pas tout-à-fait fi certaine que nôtre Démonftra-
Connoilîance de fimple veûë, ou que les conclufionsque "°"^' ''ffj"
notre Kailon déduit , en conhderant les idées claires &: nomdecon-
abllraites qui font dans nôtre Efprit , c'eft pourtant une "o'^^^i", &
, ^ ■ -1 j /^ rr o- prouve lexi-
certitude qui n^ente le nom de Lonnoîfjance. Si nous (tence des cho-
fommcs une fois perfuadez que nos Facultez nous inftrui- feshois de
fent comme il faut, touchant I'exiftence des Objets par
qui elles font affciStées , cette aflïirance ne fauroit paflér
pour une confiance mal fondée > car je ne croy pas que
perfonne puifie être ferieufement fi Sceptique que d'être
incertain de I'exiftence des chofes qu'il voit & qu'il fent
actuellement. Du moins, celui qui peut porter ks dou-
tes fi avant, (quelles que foient d'ailleurs fes propres pen-
fées} n'aura jamais aucun différend avec moy , puifqu'il
ne peut jamais être afluré que je ôÀïc quoy t^ue ce foit con-
tre fon fentiment. Pour ce qui eft de moy , je croy que
Dieu m'a donné une aflez grande certitude de I'exiftence
des chofes qui font hors de moy , puifqu'en les appliquant
différemment je puis produire en moy du plaifir & de la
douleur , d'où dépend mon plus grand intérêt dans l'état
où je me trouve préfentement. Ce qu'il y a de certain
c'eft que la confiance où nous fommes que nos Facultez
ne nous trompent point en cette occafion, fonde la plus
grande affûrance dont nous foyons capables à l'égard de
I'exiftence des Etres matériels. Car nous ne pouvons
rien faire que par le moyen de nos Facultez , nous ne
fautions parler de la Connoiflance elle-même que par le
fecours des Facultez qui foient propres à comprendre ce
que c'eft que Connoiffance. Mais outre l'affûrance que
nos Senseux-mêmes nous donnent', qu'ils ne fe trompent
Kkkkk 3 point
814. De VExiflcnce des autres Chofes.
Chap point dans le rapport qu'ils nous font de l'exiftence des
XI. chofes extérieures, par les imprellions adluelles qu'ils en
reçoivent, nous fommes encore confirmez dans cette af-
fûrance par d'autres raifons qui concourent à l'établir.
I. rarirequ: §• 4- Premièrement, il eft évident que ces Perceptions
nous ne pou- font produites en nous par des Caufes extérieures qui af-
d«idc'csq°''à feftent nos Sens ; parce que ceux qui font dcllituez des
la faviur des Organes d'un certain Sens, ne peuvent jamais faire que les
^'"' Idées qui appartiennent à ce Sens, foientaduellementpro- "
duites dans leur Efprit. C'eft une vérité fi manifefte,
qu'on ne peut la révoquer en doute j &c par conféquent,
nous ne pouvons qu'être aflùrez que ces Perceptions nous
viennent dans l'Efprit par les Organes de ce Sens, 6c non
par aucune autre voye. 11 eft vifible que les Organes eux-
mêmes ne les produifent pas ; car fi cela étoit , les yeux
d'un homme produiroient des Couleurs dans les Ténè-
bres , &c fon nez fentiroit des Rofes en hyver. Mais
nous ne voyons pas que perfonne acquière le goût des
Ananas , jufqu'à ce qu'il aille aux Indes où fe trouve cet
excellent Fruit, Se qu'il en goûte aftucllement.
II. Farccque §• 5- En fccoud licu , Ce qui prouve que ces Percep-
cieux Idées dont tious viennent d'une caufe extérieure , c'eft que feproti-
ie'nfanôTadtu" ^^ cjttelqtiefois ^ quc je nc fauTois empêcher qu'elles ne [oient
elle, &rautre produites dûus moH Efprit . Car encore que , lorfquej'ai
fontfcPer-'^'^' ^^^ Y^"^ fermez ou que je fuis dans une Chambre obfcu-
ccpnoDsfort Tc , je puiJTc rappellcr dans mon Efprit , à ma fantaifie,
diiliii(5ies. j^s idées de Lumière ou du Soleil, que des fenfitions pré-
cédentes avoicnt placé dans ma Mémoire, 6<:quejepui(re
quitter ces idées , quand je veux , 6c me reprefenter celle
de l'odeur d'une Rofe, ou du goût du fucre j cependant
fi à midi je tourne les yeux vers le Soleil ^ je ne fiurois
éviter de recevoir les idées que la Lumière ou le Soleil
produit alors en moy. De forte qu'il y a une difteren-
ce vifible entre les idées qui s'introduifent par force en
moy, 6c que je ne puis éviter d'avoir , 6c celles qui font
comme en referve dans ma Mémoire, furlefqucUcs, fup-
pofé qu'elles ne fuflènt que là , j'aurois conftamment le
même
De VExifience des autres Chofes. Liv. IV. 815
même pouvoir d'en difpofer Se de les lailTer à l'écart , fe- C h a p.
Ion qu'il me viendroit en fantaifie. Et par conféquentil XL
faut qu'il y ait néceflairement quelque caufe extérieure,
& Tmipreilion vive de quelques Objets hors de moy dont
je ne puis furmonter l'efficace, qui produifent ces Idées
dans mon Efprit, foit que je veuille ou non. Outre ce-
la , il n'y a perfonne qui ne fente en luy-même la diffé-
rence qui fe trouve entre contempler le Soleil, félon qu'il
en a l'idée dans fa Mémoire, iSc le regarder ainruellement j
deux chofes dont la perception eft li diftincVe dans fon
Efprit que peu de fes Idées font plus diftinftes l'une de
l'autre. Il connaît donc certainement qu'elles ne font pas
toutes deux un effet de fa Mémoire , ou des produftions
de fon propre Efpnt , & de pures fantaiiies formées en
luy-mcme j mais que la veûë actuelle du Soleil ell produi-
te par une caufe qui exifte hors de luy.
§. 6. En troifiéme lieu, ajoutez à cela , que phi fie tirs \u. Parceciue
de ces Idées font produites en nous avec douleur; quoy qu''en- 'ePiaiiirouia
fuite nous nous en fouvenions fans reffenttr la moindre m- compa^lieiu^'^*
commodité. Ainfi, un fentiment defigréable de chaud ou uneiciïàtion
de froid ne nous caufe aucune fticheufe impreffion , lorf- ^'^"'"'=' "'•^'="
que nous en rappelions 1 idée dans notre Elprit , quoy pas icrctourde
qu'il fut fort incommode -quand nous l'avons fenti , & ces i .^ces, ior(-
*■ ,., 1 r jl ., . , , _ que les Objets
qu il le loit encore, quand il vient a nous rrapper attu- extérieurs fooc
ellement une féconde fois ; ce qui procède du defordre «l^'^'"-
que les Objets extérieurs caufent dans nôtre Corps parles
imprelîlons actuelles qu'elles y font. De même , nous
nous reffouvenons de la douleur que caufe la Faim, la Soif
&: le Mal de tête, fans en reffentir aucune incommoditéj
cependant , ou ces différentes douleurs devroient ne nous
incommoder jamais , ou bien nous incommoder conftam-
ment, toutes les fois que nousypenfons, fi elles n'étoient
autre chofe que des idées flottantes dans nôtre Efprit, &
de fimples apparences qui viendroient occuper nôtre fan-
taifie , fans qu'il y eût hors de nous aucune chofe réelle-
ment exiftante qui nous caufât ces différentes perceptions.
On peut dire la même chofe du plaifir qui accompagne
plu-
Ch AP,
XI.
IV. Nos Sens
fe rendent tc-
moignageTun
à l'autre fur
l'exiftencc des
Chofcsexté-
tkates.
8i6 De VExifience des autres Chofes.
plùfieurs fenfarions actuelles; &" quoy que les Démon ftra-
tions Mathématiques ne dépendent pas des Sens , cependant
l'examen qu'on en fait par le moyen des Figures, fert beau-
coup à prouver l'évidence de nôtre Veùé , 8c femble luy
donner une certitude qui approche de celle de la Démon-
flration elle-même. Car ce ieroit une chofe bien étrange
qu'un homme ne fit pas difficulté de reconnoître que de
deux Angles d'une certame Figure qu'il mefure par des
Lignes &c des Angles d'une autre Figure , l'un efl: plus
grand que l'autre, & que cependant il doutât de l'exi-
llence des Lignes &: des Angles qu'il regarde pour s'en
fervir à mefurer cela.
§. 7. En quatrième lieu , nos Sens en plufieurs cas fe
rendent témoignage l'un à l'autre de la vérité de leurs
rapports touchant l'exiftence des chofes fenfibles qui font
hors de nous. Celui qui 'voit le feu, peut le fentir, s'il
doute que ce ne foit autre chofe qu'une fimple imagina-
tion , ôc il peut s'en convaincre en mettant dans le feu fa
propre main qui certainement ne pourroit jamais reflentir
une douleur fi violente à l'occafion d'une pure idée ou
d'un fimple phantômej à moins que cette douleur ne foie
elle-même une imagination , qu'il ne pourroit pourtant
pas rappeller dans fon Efprit, en fe repréfentant l'idée de
la brûlure après c[u'elle eft ailuellem.ent guérie.
Amfi en écrivant ceci je vois que je puis changer les ap-
parences du Papier, &: en traçant des Lettres , dire d'a-
vance quelle nouvelle Idée il préfentera à l' Efprit dans le
moment immédiatement fuivant , par quelques traits que
j'y ferai avec la plume j mais j'aurai beau imaginer ces
traits , ils ne paroîtront point , fi ma main demeure en
repos, ou fi je ferme les yeux, en remuant ma main ; &
CQs Carafteres une fois tracez fur le Papier je ne puis plus
éviter de les voir tels qu'ils font , c'eit à dire , avoir les
idées de telles èc telles lettres que j'ai formées. D'où il
s'enfuit vifiblemenc que ce n'eil pas un fimple jeu de mon
Imagination, puifque je trouve que les caraftéresqui ont
été tracez félon la fantaifie de mon Efprit, ne dépendent
plus
T>e VExiftence des autres Chofes. Liv. IV. 817
plus de cette fantaifie , &■ ne ceflent pas d'être , dès que je C h a p.
viens à me figurer qu'ils ne font plus > mais qu'au con- XI.
traire ils continuent d'atïe£Ver mes Sens conftamment Ôc
régulièrement félon la figure que je leur ai donné. Si nous
ajoutons à cela , que la veûë de ces caractères fera pro-
noncer à un autre homme les mêmes fons que je m'ètois
propofè auparavant de leur faire fignifier , on n'aura pas
grand' raifon de douter que ces Mots que j'écris , n'exi-
ftent réellement hors de moy, puifqu'ilsproduifent cette
longue fuite de fons réguliers dont mes oreilles font aiStu-
ellement frapées , lefquelles ne fauroient être un effet de
mon Imagination, & que ma Mémoire ne pourroit jamais
retenir dans cet ordre.
§. 8. Qiie fi après tout cela , il fe trouve quelqu'un Cette certitude;
qui foit aficz Sceptique pour fe défier de fes propres Sens ^ ^ ^''^'i' gr.!i"ie
^ n" que notre ctat
OC pour arnrmer j que tout ce que nous voyons , que nous le lequiert.
entendons , que nous fentons , que nous goûtons , que
nous penfons, & que nous faifons pendant tout le temps
que nous fiibfillons , n'eft qu'une fuite Se une apparence
trompeufe d'un long fonge qui n'a aucune réalité -, de for-
te qu'il veuille mettre en queftion l'exiftence de toutes
chofes , ou la connoiffance que nous pouvons avoir de
quelque chofequecefoit, je le prierai de confidererque,
fi tout n'efl que fonge , il ne fait luy-même autre cliofe
que fonger qu'il forme cette Qiieftion , & qu'ainfi il n'im-
porte pas beaucoup qu'un homme éveille prenne la peine
de luy répondre. Cependant, il pourra fonger s'il veut,
que je îuy fais cette réponfe , Qiie la certitude de l'exi-
ftence des Chofes qui font dans la Nature, étant une fois
fondée fur le témoignage de nos Sens , elle eft non feule-
ment aulli parfaite que nôtre Nature peut le permettre ,
mais même que nôtre condition le requiert. Car nos Fa-
cultez n'étant pas proportionnées à toute l'étendue des
Etres ni à une connoiflance des Chofes claire, parfaite,
abfoluë & dégagée de tout doute Scde toute incertitude,
mais à la confervation de nos Perfonnes en qui elles fe
trouvent, telles qu'elles doivent être pour l'ufage de cette
LUU vie.
S-i8 De l' Exigence- des autres Chofes.
Chap. vie, elles nous fervent aOez bien dans cette veiie, en
XI. nous donnant feulement à connoitre d'une manière certai-
ne les chofes qui font convenables ou contraires à nôtre
Nature. Car celui qui voit brûler une Chandelle 6c qui
a éprouvé la chaleur de fa flamme en y mettant le doigt ,
ne doutera pas beaucoup que ce ne foit une chofeexiftan-
te hors de luy, qui luy fait du mal «k luy caufe une vio-
lente douleur ; ce qui elt une afléz grande alliirance,
puifque perfonne ne demande une plus grande certitude
pour luy fervir de règle dans fes aftions j que ce qui eft
aufli certain que les actions mêmes. Qiie fi nôtre fongeur
trouve à propos d'éprouver il la chaleur ardente d'une
fournaife n'eft qu'une vaine imagination d'un homme en-
dormi , peut-être qu'en mettant la main dans cette four-
naife, il fe trouvera 11 bien éveillé que la certitude qu'il
aura que c'eft quelque chofe de plus qu'une llmple ima-
gination luy paroitra plus grande qu'il ne voudroit. Et
par conféquent, cette évidence eit auill grande que nous
pouvons le fouhaiter } puifqu'elle efl: aufli certaine que le
plaillr ou la douleur que nous fenrons, c'eft-à-dire , que
nôtre bonheur ou nôtre mifere, deux chofes au delà def-
quelles nous n'avons aucun intérêt par rapport à.la con-
noiflance ou à l'exillence. Une telle aflïirancc de l'exi-
flence des chofes qui font hors de nous, fulTlt pour nous
conduire dans la recherche du Bien éc dans la fuite du
Mal qu'elles caufent, à quoy fe réduit tout l'intérêt que
nous avons de les connoitre-
Maisellene §• 9- Lors donc que nos Scns introduifeut aftuellemcnt
s'etnia point quelque idée dans nôtre Efprit , nous ne pouvons éviter
fenfation'^adu- d'être convaiucus qu'il y a , alors, quelque chofe qui exi-
<ile. fie réellement hors de nous, qui affecte nos Sens , & qui
par leur moyen fe fait connoitre aux P'acultez que nous
avons d'appercevoir les Objets , 6c produit a£tueliement
l'idée que nous appercevons en ce temps-là -, èc nous ne
faurions nous défier de leur témoignage jufqu'à douter Ci
ces collerions d'Idées fimples que nos Sens nous ont fait
voir unies enfemble , exiilcnt réellement cnfcmble. Cette
con-
De VExiflmce des mitre-s €hofes. L i v. IV. 8 1 9
connoiflance s'étend au Ifi loin que le témoignage aftuel Chap.
de nos Sens, appliquez à des (Jb/ers particuliers qui les IX.
afFe6lent en ce temps-Là , mais elle ne va pas plus avant.
Car fi j'ai vu cette colle£bion d'Idées qu'on a accoutumé
de défigner par le nom à'homme , fi j'ai vu ces Idées exi-
fter enfemble depuis une minute , & que je fois préfen-
tement feul, je ne faurois erre afTùré que le même hom-
me exifte préicntement , puifqu'il n'y a point de liaifon
néceflaire entre fon exiftence depuis une minute , & fon
exiflence d'à préfent. Il peut avoir ccfle d'exiller en
mille manières, depuis que j'ai été afluré de fon exiften-
ce par le témoignage de mes Sens. Qiie fi je ne puis être
certain que le dernier homme que j'ai vu aujourd'huy,
exifte prefentement , moins encore puis-je l'être que ce-
lui-là exifte qui a été plus long-temps éloigné de moy ,
& que je n'ai point vu depuis hier ou l'année dernière j
&: moins encore puis-je être afîïiré de l'exiftence des per-
fonnes que je n'ai jamais vues. Ainfi , quoy qu'il foit ex-
trêmement probable, qu'il y a prefentement des millions
d'hommes actuellement exiftans, cependant tandis que je
fuis feul en écrivant ceci, je n'en ai pas uneconnoiflance
indubitable; quoy que la grande vraifemblance qu'il y a
à cela ne me permette pas d'en douter, 6c que je fois obli-
gé raifonnablement de faire plufieurs chofes dans l'aflù-
rance qu'il y a prefentement des hommes dans le Monde,
&■ des hommes même de ma connoilTance avec qui j'ai
des affaires. Mais ce n'eft pourtant que probabilité 6c
non Connoiftance.
§. 10. D'oîi nous pouvons conclurre en paflant quelle cvflunefoiic
fohe c'eft à un homme dont la connoiffanceeft 11 bornée, '^'■^,'"^"''f"'?=
oc a qui la Kailon a ete donnée pour juger de la diite- fur chaque
rente évidence &: probabilité des chofes , &: pour fe ré- '^''°''«-
gler fur cela, d'attendre une DémoTïftration &: une entiè-
re certitude fur àç.s, chofes qui en font incapables , de re-
fufer fon confentement à des Propofitions fort raifonna-
•bles. Se d'agir contre des veritez claires Se évidentes, par-
ce qu'elles ne peuvent être démontrées avec une telle
LlUl 2 évi-
82 0 De VExiftence des autres Chofes.
C H A p. évidence qui ôte je ne dis pas un fujet raifonnable , mais
XL le moindre prétexte de douter. Celui qui dans les affai-
res ordinaires de la vie, ne voudroit rien admettre qui ne
fut fondé fur des démonftrations claires èc directes , ne
pourroit s'afTùrer d'autre chofe que de périr en fort peu
de temps. Il ne pourroit trouver aucun mets ni aucune
boiflbn dont il put bazarder de fe nourrir j 5c je voudrois
bien favoir ce qu'il pourroit faire fur de tels fondemens,
qui fut à l'abri de tout doute fc de toute forte d'obje-
â:ion.
L'eiiflencc paf- §• lï- Commc nous connoiflons qu'un Objet exifte
fee eft comiuL' lorlqu'il frappe a£tuellement nos Sens , nous pouvons de
irhMc'mciirc. ^'''ême être aflurez par le moyen de nôtre Mémoire que
les chofes dont nos Sens ont été affe£lez , ont exifte au-
paravant. Ainfi , nous avons une connoiifance de l'exi-
flence paflée de plufieurs chofes dont nôtre Mémoire con-
ferve des idées après que nos Sens nous les ont fait con-
noître j 6c c'eft dequoy nous ne pouvons douter en aucu-
ne manière , tandis que nous nous en fouvenons bien.
Mais cette connoiflance ne s'étend pas non plus au delà
de ce que nos Sens nous ont premièrement appris. Ainfi,
voyant de l'eau dans ce moment, c'eft une vérité indubi-
table à mon égard que cette Eau exifte ; 8c fi je me ref-
fouviens que j'en vis hier, cela fera aulll toujours vérita-
ble, 6c au ni long-temps que ma Mémoire le retiendra,
ce fera toujours une Propolltion inconteftable à mon
* C'eft en ce *^g^'''^ o^v'ïl y avoit de l'Eau actuellement exiftante * le
temps-là c)ue lo'"^ de Juillct de l'an i688. comme il feratoutaullî ve-
Uz.Lockç ecii- rjfable qu'il a exifte un certain nombre de belles couleurs
que je vis dans le même temps fur des bouteilles qui fe
formèrent alors fur cette Eau. Mais à cette heure que je
fuis éloigné de la veûé de l'Eau 6c de ces Bouteilles , je
ne connois pas plus certainement que l'Eau exifte préfen-
tement , que ces Bouteilles ou ces Couleurs ; parce qu'il
n'eftpas plus néceflaire que l'Eau doive exiileraujourd'huy
parce qu'elle exiftoit hier , qu'il eft neccftlurc que ces
Couleurs ou ces Bouteilles-là exiftcnt aujourd'huy parce
qu'el-
De VExiJlence des autres Chofes. Liv. IV. 821
qu'elles exiftoient hier , quoy qu'il foit infiniment plus C H a r>.
probable que l'Eau exifte ; parce qu'on a obfervé que XL
l'Eau continue long-temps en exiftence, & que les bou-
teilles qui fe forment fur l'Eau , fie les couleurs qu'on y
remarque, difparoiflent bientôt.
§. 12, J'ai déjà montré quelles idées nous avons des L'cxirtenceJfs
Efprits , ôc comment elles nous viennent. Mais quov ^'p"''"^^'"^
• T j ' 1 DT^r • o !• nous ctre ini-
que nous ayions ces Idées dans 1 Eiprit , oc que nous fa- ««^ pardk-
chions qu'elles y font actuellement , cependant ce que "'^™«'
nous avons ces idées ne nous fait pas connoître qu'aucune
telle chofe exifte hors de nous , ou qu'il y ait aucuns
Efprits finis , ni aucun autre Etre fpintuel que Dieu.
Nous fommes autorifez par la Révélation &c par plufieurs
autres raifons à croire avec aflïirance qu'il y a de telles
créatures; mais nos Sens n'étant pas capables de nous les
découvrir , nous n'avons aucun moyen de connoître leurs
exiftences particulières. Car nous ne pouvons non plus
connoître qu'il y ait des Efprits finis réellement exiftans
par les idées que nous avons en nous-mêmes de ces fortes
d'Etres , qu'un homme peut venir à connoître par les
idées qu'il a des Fées ou des Centaures qu'il y a des cho-
fes actuellement exiftantes qui répondent à ces Idées.
Et par conféquent fur l'exillence des Efprits auflî bien
que fur plufieurs autres chofes nous devons nous conten-
ter de l'évidence de la Foy. Pour des Propofitions uni-
vcrfelles èc certaines fur cette matière, elles font au delà
de nôtre portée. Car par exemple , quelque véritable
qu'il puiflé être, que tous les Efprits intelligens que Dieu
ait jamais créé, continuent encore d'exifterj cela ne fau-
roit pourtant jamais faire partie de nos Connoiflances cer-
taines. Nous pouvons recevoir ces Propofitions & au-
tres femblables comme extrêmement probables , mais dans
l'état où nous fommes , je doute que nous puifllons les
connoître certainement. Nous ne devons donc pas de-
mander aux autres des Démonftrations ni chercher nous-
mêmes une certitude univerfelle fur toutes ces matières,
où nous ne fommes capables de trouver aucune autre con-
LllU 3 noif-
C H A p.
XI.
Il y a des l'ro-
politions parti-
culières uirTc-
xirtciice qu'on
peut conuoltre.
On peut fon-
noîcreanfiî des
Proportions
gc'ne'ralcç tou-
chant les Idées
ablUaites.
822 Ve VExifience des autres Chofes.
noiflance que celle que nos Sens nous fournifTent dans tel
ou tel exemple particulier.
§. 13. D'oii il paroit qu'il y a deux fortes de Propofl-
tions. I. L'une eft de Propolltions qui regardent l'exillen-
ce d'une chofe qui réponde à une telle idée -, comme fi
j'ai dans mon Efprit l'idée d'un Eléphant , d'un Phénix,
du Mouvement ou d'un Ange , la première recherche qui
ie prélente naturellement, c'eft, il une telle chofe exiite
quelque part. Et cette connoiflance ne s'étend qu'à des
chofes particulières. Car nulle exiftence de chofes hors
de nous, excepte feulement l'exiftence de Dieu, nepeut
être connue certainement au delà de ce que nos Sens nous
en apprennent. II. Il y a une autre forte dePropofitions
où eft exprimée la convenance ou la difconvfenance de nos
Idées abftraites &: la dépendance qui eft entr'elles. De
telles Propolltions peuvent être univerfelles Se certaines.
Ainfi , ayant l'idée de Dieu &: de moy-méme , celle de
crainte & d'obeïfùnce , je ne puis qu'être aflu ré que je
dois craindre Dieu Se luy obéir : &z cette Propofition fera
certaine à l'égard de V Homme en général , Il j'ai formé
■une idée abftraite d'une telle Efpéce dont je fuis un fiijet
particuher. Mais quelque certaine que foit cette Propo-
îltion. Les hoffimes doivent craindre Dieu ^ Iny obetr ,
elle ne me prouve pourtant pas l'exiftence des hommes
dans le Monde ; mais elle fera véritable à l'égard de tou-
tes ces fortes de Créatures dès qu'elles viennent à exifter.
La certitude de ces Proportions générales dépend de la
convenance ou de la difconvenance qu'on peut découvrir
dans ces Idées abftraites.
§. 14. Dans le premier cas , nôtre Connoiflance eft la
conféquence de l'exiftence des Chofes qui produifent des
idées dans nôtre Efprit par le moyen des Sens ; ^^ dans le
fécond , nôtre ConnoilVance eft une fuite des idées qui
(quoy qu'elles foient} exiftent d.ms nôtre Efprit £c y pro-
■duifent ces Propofitions générales S: certaines. La plu-
part d'entr'elles portent le nom de ventes; éternelles -, &
■en eftét , elles le font toutes. Ce n'cft pas qu'elles foient
tou-
DeVExiflence de^atmesChofi^. Liv. TV. 823;
toutes ni aucunes d'elles gravées dans l'Ame de tous les Ghap.
hommes , ni qu'elles ayant été formées en Propo- XI.
fitions dans rEfprit de qui que ce foit , jufqu'à ce qu'il
ait acquis des idées abftraites & qu'il les ait jointes ou
feparées par voye d'affirmation ou de négation : mais par
tout où nous pouvons fuppofer une Créature telle que
l'homme , enrichie de ces fortes de facultez & par ce
moyen fournie de telles ou telles idées que nous avons ,
nous devons conclurre que, lorfqu'il vient à appliquer fes
penfées à la confideraticn de fes Idées , il doit connoitre
•néceffairement la vérité de certaines Propofitions qui dé-
couleront de la convenance ou de la difconvenance qu'il
appercevradans lés propres Idées. C'eftpourquoy ces Pro-
pofitions font nommées veniez éternelles ■, non pas à cau-
fé que ce font des Propofitions aftuellement formées de
toute éternité, & qui exiftent avant l'Entendement qui
les forme en aucun temps, ni parce qu'elles font gravées
dans l'Efprit d'après quelque modelle qui foit quelque
part hors de l'Efprit , & qui exiftoit auparavant ; mais
parce que ces Propofitions étant une fois formées fur des
idées abftraites, en forte qu'elles foient véritables , elles
ne peuvent qu'être toujours actuellement véritables , en
quelque temps que ce foit, paflé ou avenir , auquel ort
fuppofe qu'elles foient formées une autre fois par un Efprit
en qui fe trouvent les Idées dont ces Propofitions font
compofées. Car les noms étant fuppofez lignifier tou-
jours les mêmes idées -, Se les mêmes idées ayant conftam-
ment les mêmes rapports l'une avec l'autre , il elt vifible
que des Propofitions qui étant formées fur des Idées ab-
ftraites, font une fois véritables, doivent être néceflaire-
ment des veniez éternelles.
CHA-
824 l^es Moyens à^ augmenter nôtre ConnoiJTance^
La Coiinoi (Tan-
ce ne vient pas
des Maïimes.
* Vr.icognita.
De l'occafioii
de cette opi-
nion.
§•
CHAPITRE Xil.
"Des Moyens d' avgmenter nôtre Connoijfûnce.
I. /'^'A été une opinion reçue parmi les Savans,
Laconroiflr^n-
cc vient de la
comparaifon
des Idées claitcs
& diftiiidlcs.
que les Maximes font les fondemens de toute
connoiflance , & que chaque Science en particulier ell
fondée fur certaines chofcs * déjà connues, d'où l'Enten-
dement doit emprunter fes premiers rayons de lumière,
£c par oîi il doit fe conduire dans fes recherches fur les
matières qui appartiennent à cette Science ; c'cllpour-
quoy la grande routine des Ecoles a étédepofer, en com-
mençant à traiter quelque matière, une ou plufieurs iMa-
ximes générales comme les fondemens furlefquelsondoit
bâtir la connoiflance qu'on peut avoir fur ce fujet. Et
ces Doftrines ainfi pofees pour fondement de quelque
Science , ont été nommées Principes , comme étant les
premières chofcs d'où nous devons commencer nos re-
cherches, fans remonter plus haut, comme nous l'avons
déjà remarqué.
§. 2. Une chofe qui apparemment a donné lieu à cette
méthode dans les autres Sciences , c'a été , je penfe , le
bon fuccès qu'elle femble avoir dans les Mathématiques
qui ont été ainfi nommées par excellence du mot Grec
Uoi''iy,iJt(ATu. qui fignifie Chofes apprifes , exactement èc par-
faitement apprilès , cette Science ayant un plus grand
dégre de certitude, de clarté fie d'évidence qu'aucune
autre Science.
§. 3. Mais je croy que quiconque confidcrcra la chofe
avec foin , avouera que les grands progrès & la certitude
de la ConnoilTance reelleou les hommes parviennent dans
les Mathématiques , ne doivent point être attribuez à
l'influence de ces Principes , 6c ne procèdent point de
quelque avantage particulier que produifenr deux ou trois
Maximes générales qu'ils ont pofé au commencement,
mais des idées claires , diilinctcs , Ôc complettes qu'ils
ont
Tfcs Moyens d'atigmenîernkre Connoijfance. Liv.IV. 82^
ont dans l'Efpritj &: du rapport d'égalité Se d'inégalité Chap.
qui eft il évident entre quelques-unes de ces Idées qu'ils XII.
le connoiflent intuitivement , par où ils ont un moyen de
le découvrir dans d'autres idées. Se cela fans le fecoursde
ces Maximes. Car je vous prie , un jeune Garçon ne
peut-il connoître que tout fon Corps ell plus gros
que fon petit doigt, fmon en vertu de cet Axiome , Le
tout efl plus grand qtiunt partie , ni en être alTùré qu'a-
près avoir appris cette Maxime.' Ou, ell-ce qu'une Paï-
fanne nefauroit connoître qu'ayant reçu un fou d'une per-
fonne qui luy en doit trois, £c encore un fou d'une autre
perfonne qui luy doitaufîl trois fous, le reile de ces deux
dettes eft égal , ne peut-elle point, dis-je, connoître cela
faus en déduire la certitude de cette Maxime , quey?^^
chofes égales vous en ôtes des chofes égales , ce qui rejie , efl
égal; maxime dont elle n'a peut-être jamais ouï parler,
ou qui ne s'eft jamais préfentée à fonEfprit? Je prie mon
Lciteur de confiderer fur ce qui a été dit ailleurs, lequel
des deux eft connu le premier & le plus clairement par la
plupart des hommes , un exemple particulier , ou une
Règle générale , &: laquelle de ces deux chofes donne
nailfance à l'autre. Les Régies générales ne font autre
chofe qu'une comparaifon de nos Idées les plus générales
ôc les plus abftraites qui font un Ouvrage de l'Efprit qui
\ç.s forme &: leur donne des noms pour avancer plus aifé-
ment dans fes Raifonnemens, ^ renfermer toutes izs dif-
férentes obfervations dans des termes d'une étendue géné-
rale & les réduire à de courtes Régies. Mais la Connoif-
fance a commencé par des idées particulières} c'eft, dis-
je, fur ces idées qu'elle s'eft établie dans l'Efprit , quoy
que dans la fuite on n'y faffe peut-être aucune reflexion >
car il eft naturel à l'Efprit , toujours emprefle à étendre
ÎÇ.S connoiflances , d'aflémbler avec foin ces notions géné-
rales, & d'en foire un jufte ufage , qui eft de décharger,
par leur moyen, la Mémoire d'un tas embarraffant d'idées
particulières. En effet , qu'on prenne la peine de confi-
derer comment un Enfant ou quelque autre perfonne que
M m m m m ce
826 Des Moyens d^ augmenter nôtre ConmiJJ'ance .
C H A p. ce foit , après avoir donné à fon Corps le nom de Tout Se
XII. à fon petit doigt celui départie , a une plus grande cer-
titude que fon Corps & fon petit doigt , tout enfemble,
font plus gros que fon petit doigt tout feul , qu'il ne pou-
voit avoir auparavant , ou quelle nouvelle connoiflance
peuvent luy donner fur le fujet de fon Corps ces deux
termes relatifs, qu'il ne puifle point avoir fans eux. Ne
pourroit-il pas connoître que fon Corps eft plus gros que
fon petit doigt , fi fon Langage etoit fi imparfait , qu'il
n'eut point de termes relatifs tels que ceux de tout 8c de
partie? Je demande encore, comment eft-il plus certain,
après avoir appris ces mots , que fon Corps eft un Tout
ôc fon petit doigt une partie-, qu'il n'étoit ou ne pouvoic
être certain que fon Corps étoit plus gros que fon petit
doigt, avant que d'avoir appris ces termes ? Une perfon-
ne peut douter ou nier avec autant de raifon , que foa
petit doigt eft une partie de fon Corps , qiie douter ou
nier qu'il foit plus petit que fon Corps. De forte qu'où
ne peut jamais fe fervir de cette Maxime , Le tout eji plus
grand qu'une partie , pour prouver que le petit doigt eft
plus petit que le Corps , linon en la propofant fans ne-
ceflité pour convaincre quelqu'un d'une vérité qu'il con-
noit déjà. Car quiconque ne connoit pas certainement
qu'une particule de Matière avec une autre particule de
Matière qui luy eft jointe, eft plus groflè qu'aucune des
deux toute feule, ne fera jamais capable de le connoître
par le fecours de ces deux termes relatifs tout 2c partie ,
réduits à telle Maxime qu'il vous plairra.
lied dangereux §• 4- Mais de quelque manière que cela foit dans les
de bâtir fi7r des Mathématiques; qu'il foit plus cbiir de dire qu'en ôtanç
wit""^" ""' ^^ pouce d'une Ligne noire de deux pouces , 6c un pou-
ce d'une Ligne rouge de deux pouces , le refte des deux
Lignes fera égal, ou tfe dire que fi de chofes égales vous
en ôrez des chcfes égales, le refte fera égal -, je laiflè dé-
terminer à quiconque voudra lefliire, quelle de ces deux
Propofitions eft plus claire Se pk\tôt connue , cclan'etant
d'aucune importance pour ce que j'ai préfentcment en
veùè.
Des Moyens d'avgmenternoîreConnoiJJance. Liv. IV. 827
veûë. Ce que je dois faire en cet endroit , c'eft d'exami- C h A p.
ner fi , fuppofé que dans les Mathématiques le plus prompt XII.
moyen de parvenir à la Connoiilance , foit de commen-
cer par des Maximes générales , & d'en faire le fonde-
ment de nos recherches, c'eft une voye bien fûre de re-
garder les Principes qu'on établit dans quelque autre
Science, comme autant de véritez inconteftables, 6c ainfi
de les recevoir fans examen , &: d'y adhérer fans permet-
tre qu'ils foient révoquez en doute, fous prétexte que les
Mathématiciens ont été fi heureux ou fi fincéres que de
n'en employer aucun qui ne fut évident par luy-même &
tout-à-fait inconteftable. Si cela eft , je ne vois pas ce
que c'efl: qui ne pourroit point pafler pour vérité dans la
Morale, ni être introduit Se prouvé dans la Phyfique.
Qii'on reçoive comme certain S>z indubitable ce Princi-
pe de quelques Anciens Philofophes , §lue tout ejl Ma-
tière , &■ qu'il n'y a aucune autre chofe , il fera aifé de
voir par \ts Ecrits de quelques perfonnes qui de nos jours
ont renouvelle cette Dodtrine , dans quelles confequences
elle nous engagera. Qii'on fuppofe avec Polcmon que le
Monde eft Dieu , ou avec les Stoïciens que c'eft VEther
ou le Soleil, ou avec j^naximetàs que c'eft VAir-, quelle
Théologie , quelle Religion , quel Culte aurons-nous !
Tant il eft vray que rien ne peut être fi dangereux que
des Principes qu'on reçoit fans les mettre en queftion, ou
fans les examiner , & fur tout s'ils intéreffent la Morale
qui a une fi grande mfluence fur la vie des hommes & qui
donne un tour particulier à toutes leurs aftions. Qiii n'at-
tendra avec raifon une autre forte de vie âJAriJli-ppe qui
faifoit confifter la félicité dans les Plaifirs du Corps , que
à^ Antijihene qui foûtenoit que la vertu fuffifoit pour nous
rendre heureux? De même, celui qui avec Platon place-
ra, la Béatitude dans la connoiffance de Dieu élèvera
fon Efprit à d'autres contemplations que ceux qui ne por-
tent point leur veûë au delà de ce coin de Terre & des
chofes perifTables qu'on y peut pofleder. Celui qui po-
fera pour Principe avec Archelaus , que le Jufte èz l'In-
Mmmmm 2 jufte.
8^8 Des Moyens d'augmenter nôtre Connoi/fance.
Chap. jufte, l'Honncce 6c le Deshonnéte font uniquement dé-
XII. terminez par les Loix 6c non pas par la nature , aura fans
doute d'autres mefures du Bien Se du Mal moral , que
ceux qui reconnoiflent que nousfommcsfujets à des Obli-
gations antérieures à toutes les Conftitutions humaines,
cen'eft point §. 5. Si donc CCS Principes , je veux dire ceux qui
unmoycncer- paflent poiir tcls , ne font pas certams , fce que nous de-
tainde trouver * '^ ^ ' ,r ■> v ri
ka Verne. vons connoitre par quelque moyen , afin de pouvoir les
diftingiier de ceux qui font douteux) mais le deviennent
feulement à notre égard par un confentement aveugle qui
nous les fliit recevoir en cette qualité , nous fommes ili-
jets à être jettez dans l'erreur par leur moyen , de forte
qu'au lieu d'être conduits par des Principes dans le che-
min de la Vérité , ils ne ferviront qu'à nous confirmer
dans l'Erreur.
Maiscemryen §. 6. Mais commc la connoiflancc de la certitude des
par'e''r'des''iaJeT l'riicipes, aufll bien que de toute autre vérité , dépend
(laircç & com- Uniquement de la perception que nous avons de la con-
pietcs fous des ycnancc OU de la difconvenance de nos Idées , ie fuis fur,
dctcrmiucz. Qi-ie le moyen a augmenter nos Lonuoifjances n elt pas de re-
cevoir des Principes aveuglément &: avec une foy impli-
cite > mais plutôt, à ce que je croy , d'acquérir Ôc de fi-
xer dans nôtre Efprit des idées claires , diftin£tes 6c com-
plètes , autant qu'on peut les avoir , 6c de leur ailigner
des noms propres 6c d'une fignification confiante. Et
peut-être que par ce moyen , lans nous faire aucun autre
Principe que de confiderer ces Idées , &: de les comparer
l'une avec l'autre , eu trouvant leur convenance , leur
difconvenance , 6c leurs ditïcrens rapports , en fuivant,
dis-je , cette feule Régie , nous acquerrons plus de vrayes
& claires connoifTances qu'en époufant certains Principes,
& en fcûmettant ainfi nôtre Efprit à la difcretion d'au-
truy.
Lifrajemé- §. 7. C'eftpoutquoy , fi nous voulons nous Conduire
ihode d'avancer ^^ ^^^.-^ felon Ics avis de la R.aifon , il faut que nous réglions
c'eàenconfidc-i^ mctbode que nous fuivons dans nos recherches fur les
ramno idLcs v^/^'^^ ^j^g ^^q^^ examinons , 6c fur la vérité que nous cher
abitraitcs, * '
Des Moyens d'augmènternôtreConnoiJfance. Liv. IV. 829
chons. Les véritez générales 6c certaines ne font fondées C H ap,
que fur les rapports des Idées abilraites. L'application XIL
de l'Efprit ^ réglée par une bonne méthode , oc accom-
pagnée d'une grande pénétration qui luy flifTe trouver ces
différens rapports , eft le feul moyen de découvrir tout ce "
qui peut former avec vérité Se avec certitude des Propo-
fitions générales fur le fujet de ces Idées. Et pour ap-
prendre par quels dégrez on doit avancer dans cette re-
cherche, il faut s'addreflér aux Mathématiciens qui de
commencemens fort clairs & fort faciles montent par de
petits dégrez Se par une enchainure contmuée de raifon-
ncmens, à la découverte 8c à la démonftrationde Veritez
qui paroiflent d'abord au -deflus de la capacité humaine.
L'Art de trouver des preuves j 6c ces méthodes admirables
qu'ils ont inventées , pour démêler 6c mettre en ordre ces
idées moyennes qui font voir démonftrativement l'égalité
ou l'inégalité des Qiiantitez qu'on ne peut joindre immé-
diatement enfemble , eft ce qui a porté leurs connoiiïan-
ces fi avant, &c qui a produit des découvertes fi étonnan-
tes Se fi inefperées. Mais de fa voir fi avec le temps on ne
pourra point inventer quelque femblable Méthode à l'é-
gard des autres idées aufli bien qu'à l'égard de celles qui
appartiennent à la Grandeur, c'eft ce queje neveux point
déterminer. Une chofe queje croy pouvoir aflurer, c'eft
que , fi d'autres Idées qui font les effences réelles aufll
bien que les nominales de leurs Efpéces , étoient exami-
nées félon la méthode ordinaire aux Mathématiciens,
elles conduiroient nos penfées plus loin èc avec plus de
clarté &c d'évidence que nous ne fommcs peut-être portez
â nous le figurer.
§. 8. C'eft ce qui m'a donné la hardiefie d'avancer cet- Par cette mé-
te conjeâure qu'on a vu dans le Chapitre IIL * de ce '''°'^','* Morale
dernier Livre, favoir , §lue la Morale ejt aiijji capable de aunpîus^granl
Démonjlration que les Mathématiques. Car les idées fur '^%e d'=vi'
qui roule la Morale, étant toutes des Effences réelles, 6c
de telle nature qu'elles ont entr'elles , fi je ne me trom-
pe, une connexion 6c une convenance qu'on peutdécou-
Mmmmm 3 vrir.
dencc.
18. ige,.
830 Des Moyens d'augmenter notre Connoiffance.
Chap. vrir , il s'enfuit de là qu'aiilll avant que nous pourrons
XII. trouver les rapports de ces Idées , nous ferons ju(que-là
en poflellîon d'autant de véritez certaines , réelles 6c gé-
nérales : &c je fuis fur qu'en fuivant une bonne méthode
® on pourroit porter une grande partie de la Morale à un
tel degré d'évidence & de certitude, qu'un homme atten-
tif, 6c judicieux n'y pourroit trouver non plus de fujet
de douter que dans les Propositions de Mathématique qui
luy ont été démontrées.
Pouriacon- §• 9- Mais dans la rccherchc quc nous faifons pout pcr-
noiirance des feftionncr la connoiflance que nous pouvons avoir des
^e"uty&rr'ec!ès SubUanccs, le manque d'Idées néceflaires pour fui vrecet-
progrèsquc par tc méthode uous oblige de prendre un tout autre chemin.
lExpericace. j^-j j^q^j n'augmentons pas nôtre Connoiflance comme
dans les Modes (dont les Idées abftraites font les EflTences
réelles aufll bien que les nominales} en contemplant nos
propres Idées , 6c en confiderant leurs rapports 6c leurs
correfpondances qui dans les Subftances ne nous font pas
d'un grand fecours , par les raifons que j'ai propofé au
long dans un autre endroit de cet Ouvrage. D'oii il s'en-
fuit évidemment, à mon avis, que les Subftances ne nous
fournifl!ent pas beaucoup de Connoiflances générales , 6c
que la fimple contemplation de leurs Idées abftraites ne
nous conduira pas fort avant dans la recherche de la Véri-
té 6c de la Certitude. Qiie fliut-il donc que nous fallions
pour augmenter nôtre Connoiflance à l'égard des Etres
fubftantiels ^ Nous devons prendre ici une route dire£te-
ment contraire > car n'ayant aucune idée de leurs eflcnces
réelles nous fommes obligez de confiderer les chofes mê-
mes telles qu'elles exiftent, au lieu de confuker nos pro-
pres penfées. L'Expérience doit m'inftruire en cette oc-
cafion de ce que la Raifon ne fauroit m'apprcndre; 6c ce
n'eft que par des expériences que je puisconnoitrc rertai-
nement quelles autres Qiialitez coéxiftent avec celles de
mon Idée complexe , li par exemple , ce Corps jnunei
pefcint , fiifïblc que j'appelle Or , cft mûllér,ble , ou non;
laquelle expérience de quelque manière c^u'ellc reùlîifle
fur
Des Moyens d'augmenter nôtre Connoijfance. Liv. IV. 831
fur le Corps particulier que j'examine , ne me rend pas Chap,
certain qu'il en eft de même dans tout autre Corps jaune, XII.
pefant, fufible, excepté celui fur qui j'ai fait l'épreuve.
Parce que ce n'eft point une conféquence qui découle, en
aucune manière, de mon Idée complexe j la néceflîté ou
l'incompatibilité de la malléabilité n'ayant aucune conne-
xion vilible avec la combinaifon de cette couleur, de cet-
te pefanteur, de cette fiifibilité dans aucun Corps. Ce
que je viens de dire ici de l'elTence nominale de l'Or, en
fuppofant qu'elle confifte en un Corps d'une telle cou-
leur déterminée , d'une telle pefanteur Se fufibilité , fe trou-
vera véritable, li l'on y ajoute la malléabilité , la fixité,
& la capacité d'être difîbut dans l'Eau Régale. Les rai-
fonnemens que nous déduirons de ces Idées ne nous fer-
viront pas beaucoup à découvrir certainement d'autres
Proprictez dans les Mafîés de matière où l'on peut trou-
ver toutes celles-ci. Parce que les autres propriétez de
ces Corps ne dépendant point de ces dernières, mais d'une
eflénce réelle inconnue , d'où celles-ci dépendent aullî ,
nous ne pouvons point les découvrir par leur moyen.
Nous ne faurions aller au delà de ce que les Idées fimples
de nôtre eflénce nominale peuvent nous faire connoître,
ce qui n'eft guère au delà d'elles-mêmes ; fie par confé-
quent, ces Idées ne peuvent nous fournir qu'un très-petit
nombre de véntez certaines, univerfelles, & utiles. Car
ayant trouvé pur expérience que cette pièce particulière
de Matière eft malléable aullî bien que toutes les autres de
cette couleur, de cette pefanteur, & de cette fufibilité ^
dont j'aye jamais fait l'épreuve, peut-être qu'à préfent la
^rtZ/c'^^/Z/Zf' fait aulîi une partie de mon Idée complexe,
une partie de mon eflénce nominale de l'Or. Mais quoy
que par là je fallé entrer dans mon idée complexe à laquel-
le j'attache le nom d'Or, plus d'idées fimples qu'aupara-
vant, cependant comme cette idée ne renferme pas l'ef-
fence réelle d'aucune Efpèce de Corps , elle ne me fert
point à connoitre certainernent le refte des propriétez de
ce Corps , qu'autant que ces propriétez ont une conne-
xioQ.
832 Des Moyens d'augmenter nôtre Connoijfance.
Chap- xion vinble avec quelques-unes des idées ou avec toutes
XII. les idées fi mples qui conftituent mon Eflence nominale:
je dis connoître certainement, car peut-être qu'elle peut
nous aider à imaginer par conjecture quelque autre Pro-
priété. Par exemple, je ne faurois être certain par l'idée
complexe de l'Or que je viens de propofer, fi l'Or eft fixe
ou non, parce que ne pouvant découvrir aucune conne-
xion ou incompatibilité nécefl'aire entre l'idée complexe
d'un Qor^s jaune , pefant , fnjïble &: malléable , entre ces
Qiialitez, dis-je, Se celles de \z. fixité y de forte que je
puifl'e connoître certainement , que dans quelque Corps
que fe trouvent ces Qualitez-là, il foit afluré que la fixité
y eft auilî. Pour parvenir à une entière certitude fiir ce
point , je dois encore recourir à l'Expérience -, 6c aufll
loin qu'elle s'étend, je puis avoir une connoiflance cer-
taine, ôc non au delà.
Ceb peut nous g jq Je ne nie pas qu'un homme accoutumé à faire
lommodiuz, des Expétienccs raifonnables 6c régulières ne foit capable
& non une con- ^e pénétrer plus avant dans la nature des Corps , ôc de
auce geiie- ^^j-j^^j. jç^ conjedturcs plus juftcs fur leurs propriétez en-
core inconnues , qu'une perfonne qui n'a jamais fongé à
examiner ces Corps ; mais pourtant ce n'eft , comme j'ai
déjà dit, que jugement 6c opinion, 6c non Connoiflance
6c certitude. Cette voye d'acquérir de la connoiflTance
fur le fujet des Subllances 6c de l'augmenter par le feul fe-
cours de l'Expérience 6c de l'Hiftoire , qui eft tout ce
que nous pouvons obtenir de la foiblefle de nos Facultez
dans l'état de médiocrité où elles fe trouvent dans cette
vici cela, dis-je, me fait croire que la Phyfique n'eft pas
capable de devenir une Science entre nos mains. Je m'ima-
gine que nous ne pouvons arriver qu'à une fort petite
connoifl^ance générale touchant les Efpcces des Corps 6c
leurs différentes propriétez. Qiiant aux Expériences ^
aux Obfervations Hiftoriques , elles peuvent nous fervir
par rapport à la commodité 6c à la fanté de nos Corps,
&: par là augmenter le fonds des commoditez de la vie,
mais je doute que nos talcns aillent au delà , 6c je
m'ima-
1101
lalc
Des Moyens d'atigmenternotreConnoiJSance. Liv.IV. 855
m'imagine que nos Facilitez font incapables d'étendre Chaf.
plus loin nos Connoiflances. XII.
Ç. II. Il eft naturel de conclurre de là, que, puifque Nous fommcs
•'t^ , r i-r c c • A- r raitîpour culii-
nos tacultez ne iont pas dilpolees pour nous raire clilcer- vcricsConnoif-
ner la fabrique intérieure & les effences réelles des Corps, f«ii«s Morales,
quoy qu'elles nous découvrent évidemirent l'exiftence ce'iiaLs"! cette
d'un Dieu, &: qu'elles nous donnent une affez grande vie.
connoiflance de nous-mêmes pour nous inftruire de nos
Devoirs &: de nos plus grands intérêts , il nous iléroit bien,
en qualité de Créatures raifonnables, d'appliquer ces Fa-
cultez dont Dieu nous a enrichis , aux chofes auxquelles
elles font le plus propres, ôc de fuivre la direction de la
Nature, où il femble qu'elle veut nous conduire. Il eft,
dis-je, raifonnable de conclurre de là que nôtre véritable
occupation coniifte dans ces recherches & dans cette efpé-
ce de connoiflance qui eft la plus proportionnée à nôtre
capacité naturelle 8c d'oii dépend nôtre plus grand inté-
rêt, je veux dire nôtre condition dans l'éternité. Je croy
donc être en droit d'inférer de là , que la Morale eji la
propre fcience ô" lO' grande affaire des hommes en général i
qui font intereffez à chercher le fouverain Bien , & qui
font propres à cette recherche, comme d'autre part diffé-
rens Arts qui regardent différentes parties de la Natu-
re, font le partage & le talent des Particuliers , qui doi-
vent s'y appliquer pour l'ufage ordinaire de la vie & pour
leur propre fubfiftance dans ce Monde. Pour voir d'une
manière inconteftable de quelle conféquence peut être
pour la vie humaine la découverte & les propriétez d'un
feul Corps naturel , il ne faut que jetter les yeux fur le
vafte Continent de VAmcricjue , où l'ignorance des Arts
les plus utiles , & le défaut de la plus grande partie des
commoditez de la vie, dans un Pais où la Nature a ré.
pandu abondamment toutes fortes de biens, viennent, je
penfe , de ce que ces Peuples ignoroient ce qu'on peut
trouver dans une Pierre fort commune &: très-peu eftimée,
je veux dire le Fer. Et quelle que foit l'idée que nous a-
vons de la beauté de nôtre génie ou de la perfe£tion de
Nnnnn nos
8^4 ^^^ Moyens à'avgmenîcr nôtre Connoijfance.
Ch AP. nos Lumières dans cet endroit de la Terre où laConnoif-
XII. lance &: l'Abondance femblent fe difputer le premier rang,
cependant quiconque voudra prendre la peine de conft-
dererlachofe de près ,fera convaincu que fil'ufage du Fer
étoit perdu parmi nous , nous ferions en peu de fiécles
inévitablement réduits à la néceflîté Se à l'ignorance des
anciens Sauvages de V Amérique , dont les talens naturels
& les providons néceflaires à la vie ne font pas moins con-
fiderables que parmi les Nations les plus florifTiunes &:les
plus polies. De forte que celui qui a le premier fliit con-
noitre l'ufage de ce feul Métal dont on fait fi peu de cas,
peut être juftenient appelle le Père des Arts 6c l'Auteur
de l'Abondance.
Kous devons §. 12. Je ne voudrois pourtant pas qu'on crut que je
d^Hypodicfcs n^éprife ou que je diffuade l'étude de la Nature. Je con-
& des faux viens fans peine que la contemplation de fes Ouvrages
Principes. j^q^j douue fujct d'admirer , d'adorer Se de glorifier leur
Auteur , &" que fi cette étude eft dirigée comme il faut ,
elle peut être d'une plus grande utilité au Genre Humain
que les Monumens de la plus infignc Charité , qui ont
été élevez à grands frais par les Fondateurs des Hôpi-
taux. Celui qui inventa l'Imprimerie , qui découvrit
l'ufage de la BouflolcjOu qui fit connoitre publiquement
la vertu 6c le véritable ufage du ^hiinquina a plus con-
tribué à la propagation de la Connoiflance , à l'avance-
ment des commoditez utiles à la vie, 5c a fauve plus de
gens du tombeau que ceux qui ont bâti des Collèges, des
♦Cemotfigni- * Manufactures £c des Hôpitaux. Tout ce que je pré-
r'^'"rav^ÎMe°" ^^^^ dire, c'efl: que nous ne devons pas être trop prompts
\oy. le Diction, à nous figurcr que nous avons acquis ou que nous pou-
naire deiAca- yg^s acQucrir dc la Connoiflance oii il n'y a aucune con-
AiuAdJuions, noiliance a eiperer, ou bien par des voyes qui ne peuvent
Eiiition dtHoi- nous y conduire 6c que nous ne devrioiis pas prendre des
^ '' Syftêmes douteux pour des Sciences complettes , ni des
notions inintelligibles pour des démonilrations parfaites.
Sur la connoiflance des Corps nous devons nous conten-
ter de tirer ce que nous pouvons des Expériences particu-
lières 1
Des Moyens d^augmmternotreConnoiJ^ance. Liv.IV. 855
liéres ; puifque nous ne faurions former un Syftême corn- C h a p.
plct fur la découverte de leurs eflences réelles 8c raffem- XII.
bkr en un tas la nature ôc les propriétez de toute l'Efpé-
ce. Lorfque nos recherches roulent fur une cocxiftence
ou une impoflibilité decoëxifter que nous ne faurions dé-
couvrir par la confideration de nos ^dées, il faut que l'Ex-
périence , les Obfervations & l'Hiftoire Naturelle nous
faflént entrer en détail fie par le fecours de nos Sens dans
la connoifîance des Subftances Corporelles. Nous de-
vons , dis-je , acquérir la connoiflance des Corps par le
moyen de nos Sens , diverfement occupez à obferver leurs
Qiialitez , & les différentes manières dont ils opèrent l'un
fur l'autre, Qiiant aux Efprits feparez nous ne devons ef-
pérer d'en favoir que ce que la Révélation nous en enfei-
gne. Qui confiderera combien les Maximes générales , les
Principes avances gratuitement , e^ les Hypothefes faites à
flaijir ont peufervi a avancer la véritable Connoijfance , Se
z fatisfaire les gens raifonnables dans les recherches, qu'ils
ont voulu faire pour étendre leurs lumières ; combien
l'application qu'on en a fait dans cette veûé , a peu con-
tribué pendant plufieurs fiécles de fuite , à avancer les
hommes dans la connoiflance de la Phyfique , n'aura pas
de peine de reconnoître que nous avons fujet de remercier
ceux qui dans ce dernier flecle ont pris une autre route,
fie nous ont tracé un chemin , qui , s'il ne conduit pas (i
aifément à une dofte Ignorance mène plus fùrement à des
Connoiflances utiles.
§. 15. Ce n'eft pas que pour expliquer des Phénome- Véritable ufage
nés de' la Nature nous ne puiffions nous fcrvir de quelque "^"^^potl^î'"-
Hypothefe probable, quelle qu'elle foitj caries Hypo-
thefes qui font bien faites font au moins d'un grand fecours
à la Mémoire , 6c nous conduifent quelquefois à de nou-
velles découvertes. Ce que je veux dire , c'eil que nous
n'en devons embrafl'er aucune trop promptement Çce que
l'Efprit de l'Homme eft fort porté à faire parce qu'il vou-
droit toujours péuétrer dans les Caufes des chofes Savoir
les Principes fur lefquels il pût s'appuyer} jufqu'à ce que
Nnnnn 2 nous
836 Des Moyens d'augmenter notre Connoiffance.
Chap. nous ayons exactement examine les cas particuliers, &
XII. fait plufieurs expériences dans la chofe que nous voudrions
expliquer par le fecours de nôtre Hypothefe, 6c que nous
ayions vu H elle conviendra à tous ces cas ; fi nos Princi-
pes s'étendent à tous les Phénomènes de la Nature, èc ne
font pas au (11 incompatibles avec l'un, qu'ils femblentpro-
pres à expliquer l'autre. Et enfin , nous devons prendre
garde, que le nom de Principe ne nous fafle illufion , &
ne nous impofe en nous faifant recevoir comme une véri-
té inconteftable ce qui n'eft tout au plus qu'une conjeiStu-
re fort incertaine , telles que font la plupart des Hypo-
thefes qu'on fait dans la Phyfique , j'ai penfé dire toutes
fans exception.
Avoir des Idées §. j^. Mais foit quc la Pliyfique foit capable de cer-
a« a^xc'dw"' titude ou non , il me femble que voici en abrégé les deux
noms fixes & nioyens d'étendre nôtre Connoifl'ance autant que nous fom-
trouverd-autres capables de le faire.
Idées qui l'Uif- r , . ' ■ ' jw, /? j
fcnc mon- I. Le premier elt a acquérir o' a établir dans notre
trerieur couve- £fpyi{. ^gs Idécs déterminées des chofe s dont nous avons des
iiance ou leur -^ ' , , r ■ r j J ^ ^ ii
difconvenaiice , noms gcueraux Oft ipecifiqucs , ou du moins de toutes celles
ce font les mo- qi(g ^qjis voulons coujïdérer , ^ fur lefqvelles mus l'oulons
nos ConnoH:^ raifomier & augmenter notre Connotjjance. Que fi ce font
fances. dcs Idées fpécifiques de Subftances , nous devons tacher
de les rendre aufli complètes que nous pouvons ; par où
j'entens c[ue nous devons réunir autant d'Idées fimplcs qui
paroiflant exiflcr conftamment enfemble peuvent parfai-
tement déterminer VE/péce-, &z chacune de ces Idées fim-
ples qui conftituent nôtre Idée complexe , doit être clai-
re &c diftinfte dans nôtre Efprit. Car comme il eft vifible
que nôtre Connoiflance ne fauroit s'étendre au delà de nos
Idées, jufqu'où elles font imparfaites , çonfufcs ou obf-
cures , nous ne pouvons efpérer d'avoir une connoifTance
certaine, parfaite ou évidente.
II. Le fécond moyen c'eft Vart de trouver des Idées
moyennes qui nous puijjetit faire voir la convenance ou l'm-
compatfbtlité des autres Idées qu'on ne petif comparer immé-
diatement.
§• 15-
Des Moyens d'angmentermîreConnciJJ'ance. Liv. IV. 837
§. 15. Que ce foit en mettant ces deux moyens en pra- C h a p.
tique 8c non en fe repofimt fur des Maximes & en tirant XII.
des conféquences de quelques Propofitions générales, quel-" Mathema-
confifte la véritable méthode d'avancer nôtre Connoiflan- '"'"" "' !°'"
\i>'ii 11*1 iiy-> "" exemple.
ce a 1 égard des autres Modes , outre ceux de la Giuantiîe\
c'eft ce qui paroîtra aifément à quiconque fera reflexion
fur la connoifTance qu'on acquiert dans les Mathémati-
ques} où nous trouverons premièrement, que quiconque
n'a pas une idée claire & parfaite des Angles ou des Figu-
res fur quoy il defire de connoître quelque chofe, eft dès-
là entièrement incapable d'aucune connoilfance fur leur
fujet. Suppofez qu'un homme n'ait pas une idée exa£te
& parfciite d'un Angle droit , d'un Scaiene ou d'un Trapè-
ze , il eft hors de doute qu'il fe tourmentera en vain à
former quelque Démonftration fur le fujet de ces figures.
D'ailleurs, il eft évident que ce n'eft pas l'influence de ces
Alaximes qu'on prend pour Principes dans les Mathéma-
tiques , qui a conduit les Maîtres de cette Science dans
les découvertes étonnantes qu'ils y ont faites. Qti'un hom-
me de bon fens vienne à connoître auilî parfaitement qu'il
eft poflible, toutes ces Maximes dont on fe fert également
dans les Mathématiques ; qu'il en confidere l'étendue &
les conféquences tant qu'il voudra , je croy qu'à peine il
pourra jamais venir à connoître par leur iczowxs^&nedans
un Triangle reEîangle le quarré de l'Hypoteniife eft égal au
qiiarré des deux autres cotez. La connoiflance de ces Ma-
ximes , Le Tout eft plus grand que tontes fes parties , &: ,
Si de chofes égales vous en ôtez des chofes égales , le refie
fera égal y ne l'aideroient pas, je penfc, à démontrer cet-
te Propofition j & je m'imagine qu'un homme pourroit
ruminer long-temps ces Axiomes fans voir jamais plus clair
dans les Veritez Mathématiques. C'eft en appliquant fes
penfées d'une tout autre manière qu'on les a découvertes.
L'Efprit a eu devant luy des objets oc des veûës bien dif-
férentes de ces Maximes , lorfqu'il a commencé d'acqué-
rir la connoiflance de ces fortes de Veritez dans les Mathé-
matiques que des gens à qui ces Axiomes ne font pas in-
Nnnnn 3 connus 3,
8^8 Autres Confiàerations
C H A p. connus , mais qui ignorent la méthode de ceux qui ont
XII. trouvé les premiers ces Démonftrations , ne fauroient ja-
mais aflcz admirer. Et qui fait li pour étendre nos Con-
noi fiances dans les autres Sciences , on n'inventera point
un jour quelque Méthode qui foit du même ulage que
V Algèbre dans les Mathématiques , par le moyen de la-
quelle on trouve fi promptement des Idées de Quantité
pour en mefurer d'autres jdont nous ne pourrions connoî-
tre autrement l'égalité ou la proportion qu'avec une ex-
trême peine , ou que nous ne connoîtrions peut-être ja-
mais ?
CHAPITRE XIII.
C H A p. Autres Confiàerations fur nôtre Connotjfance.
KôtrcConnoir-§. I- "V 7 ô T R E Connoiflancc a beaucoup de confor-
("ancecftcnpr- [^ mile avcc nôtre Veùë par cet endroit aufli
en partie volon- ^icn qu en d auti'cs choies , c elt qu elle n elt ni entiere-
tairc. ment néceflaire, ni entièrement volontaire. Si nôtre Con-
noifilance étoit tout-à-fait néceilaire , non feulement tou-
te la connoiflancc des hommes feroit égale , mais encore
chaque homme connoîtroit tout ce qui pourroit être con-
nu ; &c fi elle étoit entièrement volontaire, il y a des gens
qui y attachent fi peu leur Efprit , ou qui en font fi peu
de cas , qu'ils en auroient très-peu ou n'en auroient abfo-
lunient point. Les hommes qui ont des Sens, ne peuvent
que recevoir quelques Idées par leur moyen j Se s'ils ont
la faculté de dift:inguer les (objets , ils ne peuvent qu'ap-
percevoir la convenance ou la difconvenance que quel-
ques-unes de ces Idées ont entr'elles j tout de même que
celui qui a des yeux , s'il veut les ouvrir en plein jour ,
ne peut que voir quelques Objets &: reconnoître de la dif-
férence entr'eux. Mais quoy qu'un homme qui a les yeux
ouverts à la Lumière, ne puiflc éviter de voir, il y a pour-
tant certains Objets vers lefquels il dépend de luy de tour-
ner
furnôtre Connoijfance. Liv. IV. 839
ner les yeux , s'il veut. Par exemple , il peut avoir à fa C h a p.
difpofition un Livre qui contienne des Peintures 6c des XIII.
Difcours , capables de luy plairre & de l'inftruire , mais
il peut n'avoir jamais envie de l'ouvrir , & ne prendre ja-
mais la peine d'y jetter les yeux defliis.
§. 2. Une autre chofe qui ell: au pouvoir d'un homme, L'application
c'eft qu'encore qu'il tourne quelquefois les yeux vers un maiwioùTcoi;
certain objet , il eft pourtant en liberté de le confiderer «oiiTons les
curieufement & de s'attacher avec une extrême applica-'^M°^'>''^°'^'"'
V ri 1 ^ '^ . elles loiK, &
non a y remarquer exactement tout ce qu on y peut voir, noncommcii
Mais du refte il ne peut voir ce qu'il voit , autrement qu'il °°"^ P'*"-^-
ne fait. 11 ne dépend point de fa Volonté de voir noir
ce qui luy ^nxoizjamiCi ni de fe perfuader que ce qui i'é-
chauffe actuellement , eil froid. La Terre ne luy paroî-
tra pas ornée de Fleurs ni les Champs couverts de verdure
toutes les fois qu'il le fouhaitcra -, 6c fi pendant l'hyvcr il
vient à regarder la campagne , il ne peut s'empêcher de la
voir couverte de gelée blanche. Il en eft juftement de
même à l'égard de nôtre Entendement ) tout ce qu'il y a
de volontaire dans nôtre Connoiflancc, c'eft d'appliquer
quelques-unes de nos Facultcz à telle ou a telle efpéce
d'Objets, ou de les en éloigner, & de confiderer ces Ob-
jets avec plus ou moins d'exactitude. Mais ces Facultez
une fois appliquées à cette contemplation , nôtre Volon-
té n'a plus la puiflance de déterminer la Connoiffance de
l'Efprit d'une manière ou d'autre. Cet effet eft unique-
ment produit par les Objets mêmes, jufqu'où ils font clai-
rement découverts. C'eftpourquoy tant que les Sens d'u-
ne Perfonne font affedez par des Objets extérieurs , juf-
que-là fon Efprit ne peut que recevoir les idées qui luy
font prefentes par ce moyen , & être alfûré de l'exiftence
de quelque chofe qui eft hors de luyj ôc tant quelespen-
fées des hommes iont appliquées à confiderer leurs pro-
pres idées déterminées, ils ne peuvent qu'obferver en quel-
que degré la convenance Se la difconvenance qui fe peut
trouver entre quelques-unes de ces Idées, ce qui jufque-là
eft vrayement Connoilîance j ^ s'ils ont des noms pour
di...
84.0 Autres Confideraîions fur notre Connoijfance.
C H A p. défigner les idées qu'ils ont ainfi confiderées , ils ne peu-
XIII. vent qu'être ailurez de la vérité des Propofitions qui ex-
priment la convenance ou la difconvenance qu'ils apper-
coivent entre ces Idées, 6c être certainement convaincus
de ces Veritez. Car un homme ne peut s'empêcher de
voir ce qu'il voit , ni éviter de connoître qu'il apperçoit
ce qu'il apperçoit.
Exemple dans S 2. Ainll , cclui oui a acouis Ics idécs des Nombres
ks Nombres. ol'-J j c.
&" a pris la peme de comparer , un , deux , ce trois avec
Jïx ne peut s'empêcher de connoitre qu'ils font égaux.
Celui qui a acquis l'idée d'un Triangle , 6c a trouvé le
moyen de mefurer fes Angles 6c leur grandeur , eft afsùré
que fes trois Angles font égaux à deux Droits , ôc il n'en
peut non plus douter que de la vérité de cette Propofition,
Il cjl impojjible qu'une chofe foit éf »e foit pas.
Erdjiisia RcK- De même, celui qui a l'idée d'un Etre Intelligent,
giou naturelle. y^^\^ foible &: fragile, formé par un autre dont il dépend,
qui eft éternel , tout-puiffant , parfaitement fage àc par-
faitement bon , connoîtra au fli certainement que l'Hom-
me doit honorer Dieu, le craindre 6c luy obéir , qu'il
eft afsûré que le Soleil luit quand il le voit aftuellement.
Car s'il a feulement dans fon Efprit des idées de ces deux
fortes d'Etres, 6c qu'il veuille s'appliquer à les confiderer,
il trouvera aufli certainement que l'Etre inférieur, fini 6c
dépendant eft dans l'obligation d'obeïr à l'Etre fupérieur
6c infini, qu'il eft certain de trouver que trois , quatre &c
fept font moins que quinze , s'il veut confiderer 6c calcu-
ler ces Nombres, 6c il ne fauroit être plus afl'ûré par un
temps ferein que le Soleil eft levé en plein Midi , s'il veut
ouvrir fes yeux 6c les tourner du côté de cet Aftre. Mais
pourtant quelque certaines 6c claires que foient ces veri-
tez , celui qui ne voudra jamais prendre la peine d'em-
ployer fes Facu!tez comme il devroit, pour s'en inftruire,
pourra en ignorer quelqu'une, ou toutes enfemble.
CHA-
Du Jugement. Liv^IV. 841
CHAPITRE XIV.
Du jugement.
§. I. T Es Facilitez Intelleftuelles n'ayant pas été feu- Nôtre Connoif-
i j, lement données à l'homme pourlafpeculation, /a"« '^'taut fort
„- 1 i-jr-iM r ■ t bornée^ lions a-
mais aulli pour la conduite de la vie , 1 homme leroit dans vous befoin de
un trille état, s'il ne pouvoit tirer du fecours pour cette quelque autre
direftion que des chofes qui font fondées fur la certitude "^ °^'
d'une véritable connoiflance } car cette efpéce de connoif-
fance étant reflerrée dans des bornes fort étroites , com-
me nous avons déjà vu , il fe trbuveroit fouvent dans de
parfaites ténèbres, èc tout-à-fait indéterminé dans la plu-
part des aftions de fa vie, s'il n'avoit rien pour fe condui-
re dès qu'une Connoiflance claire.Sc certaine viendroit à
luy manquer. Quiconque ne voudra manger qu'après a-
voir vu démonftrativement qu'une telle viande le nourri-
ra, ôc quiconque ne voudra agir qu'après avoir connu in-
failliblement que l'affaire qu'il doit entreprendre, fera fui-
vie d'un heureux fuccès , n'aura guère autre chofe à faire
qu'à fe tenir en repos & à périr en peu de temps.
§. 2. C'eftpourquoy comme Dieu a expofé certaines Quel uiige ou
chofes à nos yeux dans une entière évidence ,&r qu'il nous ^°^^ ^r"^^ "^^ ^^
a donne quelques connoiHances certaines , quoy que re- nous fommcs
duites à un très petit nombre, en comparaifon de tout ce '^^'"" Monde.
que des Créatures Intelleftuelles peuvent comprendre, &
dont celles-là font apparemment comme des Avant-goûts,
par où il nous veut porter à defirerSc à rechercher un meiU
leur état -, il ne nous a fourni auflî , par rapport à la plus
grande partie des chofes qui regardent nos propres inté-
rêts, qu'une lumière obfcure, Se un flmple crepufcule de
probabilité^ fi j'ofe m'exprimer ainfi , conforme à l'état
de médiocrité 6c d'épreuve où il luy a plû de nous met-
tre dans ce Monde -, afin de reprimer par là nôtre pré-
fomption 6c la confiance cxceflîve que nous avons en
O o o o o nous-
S^t , Du Jugement.
Chap. nous-mêmes, en nous faifant voir fenfiblement par une
XIV. Expérience journalière combien nôtre Efprit eft borné Se
fujet à l'erreur i Vérité dont la conviction peut nous être
un avertiflement continuel d'employer les jours de nôtre
Pèlerinage à chercher &: à fuivre avec tout le foin 6c tou-
te l'induftrie dont nous fommes capables , le chemin qui
peut nous conduire à un état beaucoup plus parfait. Car
tien n'eft plus raifonnable que de penfer , (quand bien la
Révélation fe tairoit fur cet article) que , félon que les
hommes font valoir les talens que Dieu leur a donné dans
ce Monde ils recevront leur recompenfe fur la fin du Jour,
lorfque le Soleil fera couché pour eux , &c que la Nuit
aura terminé leurs travaux.
Le jugemciu §.5. La Faculté quc Dieu a donné à l'Homme pour
fuppiee au de- fjjppjéer au défaut d'une Connoifîance claire le certaine
faut de la Cou- ,^^^ , ,, ,, , . . ,-1 1 .-v
noifiance. dans dcs cas OU 1 on ne peut 1 obtenir , c eit le Jugement,
par OLi r Efprit fuppofe que fes Idées conviennent ou dif-
convienncnt , ou ce qui cft la même chofe , qu'une Pro*
pofition eft vraye ou fliuflc, fans appercevoir une évident
ce démonftrative dans les preuves. L'Efprit met fouvent
en ufage ce Jugement par nécelllté , dans des rencontres
où l'on ne peut avoir des preuves démonftratives & une
connoiffance certaine, & quelquefois aulli il y a recours
par négligence , faute d'addreflc , ou par précipitation,
lors même qu'on peut trouver des preuves démonftratives
& certaines. Souvent les hommes ne s'arrêtent pas pour
examiner avec foin la convenance ou la difconvenance de
deux Idées qu'ils fouhaitcnt ou qu'ils font intereficz de
connoîtrCj mais incapables de ce degré d'attention qui
eft requis dans une longue fuite de gradations, ou de dif-
férer quelque temps à fe déterminer, ils jettent légère-
ment les yeux deifus, ou négligent entièrement d'en cher-
cher les preuves j 8c ainfi lans découvrir la Dëçjpnftra-
tion, ils décident de. la convenance ou delà difconvenan-
ce de deux Idées à veùë de pais , fi j'ofe ainfi dire , Se
comme elles paroificnt confiderées en éloignemcnt , fup-
pofant qu'elles couvicnneni ou difconvicnnentjl'c.lon qu'il
kur
I
De la Probabilité. L i v. IV. 84,3
leur paroît plus vraifemblable , après un fi léger examen. C h a p.
Lorfque cette Faculté s'exerce immédiatement fur les XIV.
chofes , on la nomme Jugement 5 oc lorfqu'elle roule fur
des veritez exprimées par des paroles , on l'appelle plus
communément Ajfentiment ou Dijjentiment ; & comme
c'eft là la voye la plus ordinaire dont l'Efprit a occafion
d'employer cette Faculté , j'en parlerai fous ces noms-là
comme moins fujets à équivoque dans nôtre Langue.
§. 4. Ainfi l'Efprit a deux Facultez qui s'exercent fur Le jugement
la Vérité & fur la Fauifeté. fum?' tlks
La première eit la Connoiffance par où l'Efprit apper- chofes font du-
çoit certainement , Se eft indubitablement convaincu de '«^fc^^ine ma-
la convenance eu de la difconvenance qui eft entre deux ""^^^' ^'" ^'^'
Idées.
La féconde eft le Jugement qui confifte à joindre des
Idées dans l'Efprit, ou à les feparer l'une de l'autre, lorf-
qu'on ne voit pas qu'il y ait entr'elles une certaine con-
venance ou difconvenance , mais qu'on le fréfume , c'eft
à dire félon ce qu'emporte ce mot, lorfqu'on le prend mnCi
avant qu'il paroiffe certainement. Et fi l'Efprit unit ou
fepare les Idées , félon qu'elles font dans la réalité des
chofes , c'eft un Jugement droit.
percevoir cec-
lainemciit.
CHAPITRE XV.
r'
De la Probabilité'. C h a p.
XV.
Omme la Démonftration confifte à montrer la La Probabilité
(Convenance ou la difconvenance de deux Idées, j*^, ''^PP^^^""
,,. u 11,- • deuconvenan-
par 1 intervention d une ou de pluiieurs preuves qui ont ce fur des preu-
entr'elles une liaifon conftante, immuable, & vifible jde ^"^"' "'^ |°"'
même la Probabilité n'eft autre chofe que l'apparence ^^^ '" ^ ' ^^'
d'une telle convenance ou difconvenance par l'interven-
tion de preuves dont la connexion n'eft point conftante
& immuable, ou du moins n'eft pas apperçue comme tel-
le, mais eft ou paroit être ainfi , le plus fouventj 6c fufîit
OoQoo 2 pour
84*4. De la Probabilité.
C H A p. pour porter l'Efprit à juger que la Propolîtion eft vraye
XV. ou fauiïe plutôt que le contraire. Par exemple , dans la Dé-
monftration de cette vérité, L^j trois Angles d'un Triangle
font égaux a, deux Droits , un homme apperçoit la con-
nexion certaine 6c immuable d'égalité qui eft entre les
trois Angles d'un Triangle , 6c les Idées moyennes dont
on fe fert pour prouver leur égalité à deux Droits -, 6c
ainfi, par une connoifTance intuitive de la convenance ou
de la difconvenance des Idées moyennes qu'on employé
dans chaque degré de la déduftion , toute la fuite fe trou-
ve accompagnée d'une évidence qui montre clairement la
convenance ou la difconvenance de ces trois Angles en
égalité à deux Droits ; &c par ce moyen il a une connoif-
fance certaine que cela eft ainfi. Mais un autre homme
qui n'a jamais pris la peine de confiderer cette Démon-
ftration, entendant affirmer à un Mathématicien , hom-
me de poids, que les trois Angles d'un Triangle font é-
gaux à deux Droits , y donne fon confentement , c'eft-à-
dire, le reçoit pour véritable : auquel cas le fondement
de fon AfTentiment, c'eft la Probabilité de la chofe,dont
la preuve eft telle qu'elle eft accompagnée de la vérité
pour l'ordinaire > l'homme fur le témoignage duquel il
la reçoit , n'ayant pas accoutumé d'affirmer une chofe
qui foit contraire à fa ConnoifTance ou au delà , 6c fur
tout dans ces fortes de matières. Ainfi , ce qui luy fait
donner fon confentement à cette Propofition , Qiie les
trois Angles d'un Triangle font égaux à, deux Droits, ce
qui l'oblige à fuppofer de la convenance entre ces Idées
fans connoître qu'elles conviennent eft^e£tivcment , c'eft
la véracité de celui qui luy parle , qu'il a fouvent éprou-
vée en d'autres rencontres , ou qu'il fuppofe dans cel-
le-ci.
La Probaî)iiit(f §. 2. Comme nôtre ConnoifTance eft reflerrée dansdes
fBppfce au dé- {jornes fort étroites , comme on l'a déjà montré , 6c que
Boiïïànce. nous ne lommes pas allez heureux pour trouver certame-
ment la vérité en chaque Chofe que nous avons occafion
de confiderer -, la plupart des Propofitions qui font l'ob-
jet
De la Probabilité. L i v. IV. 84^
jet de nos penfées , de nos raifonnemens , de nosdifcours, C h a p,
6c même de nos aftions , font telles que nous ne pouvons XV.
pas avoir une connoiflance indubitable de leur vérité. Ce-
pendant , il y en a quelques-unes qui approchent fi fort de
la certitude que nous n'avons aucun doute fur leur fujeti de
forte que nous leur donnons nôtre confentement avec au-
tant d'aflurance , & que nous agiflbns avec autant de fer-
meté en vertu de cet ajjentiment , que fi elles étoient dé-
montrées d'une manière infaillible , <k que nous en euf-
fions une connoiflance parfaite Se certaine. Mais parce
qu'il y a en cela des dégrez depuis ce qui eft le plus près
de la Certitude 6c de la Démonftration jufqu'à ce qui eft
contraire à toute vraifemblance &c près des confins de l'im-
pofTibilitéj ^ qu'il y a aufli des dégrez d'Affentiment de-
puis une pleine ajfûrance juCqu'k la conje^tire , au doute y
6c à la défiance ; je vais confiderer préfentement (après
avoir trouvé , fi je ne me trompe , les bornes de la Con-
noiflance &c de la Certitude humame} quels font les diff'é-
rens dégrez éf fonde mens de la Probabilité, ^ de ce qii'on
nomme Foy ou Aflcntiment.
§.3. La Proùabihté eu. la vraifemblance qu'il y aqu\i- ^'■l'-ce qn'ei(«
ne chofe eft véritable, ce terme même défignant une Pro- "°e"/c]^ûc^f«'"'
pofition pour la confirmation de laquelle il y a des preu- chofes font ve-
"ves propres à la faire pafler ou recevoir pour véritable. '_'"'''"' *^*"^
JLa manière dont 1 lilprit reçoit ceslortes de rropolitions, noiffions qu'eît
eft ce qu'on nomme frf(!ï«ff 5 a£entiment ou opinion; ce '" '^ *'^'""°
qui confifte à recevoir une Propofition pour véritable fur
des preuves qui nous perfuadentde la recevoir comme vé-
ritable ; fans que nous ayions une cotinoijfance certaine
qu'elle le foit effectivement. Et en ceci confifte la dtff'é-
rence entre la Probabilité ^ la Certitude , entre la Foy ^
la Connoijfance , c'eft que dans toutes les parties de la
Connoiffance, il y a intuition, de forte que chaque Idée
immédiate , chaque partie de la dédu£tion a une liaifon.
vifible S^ certaine} ce qui n'eft pas de même à l'égard de
ce qu'on nomme créance. Car ce qui me fait croire , eft
quelque chofe d'étranger à ce que je croy, quelque chofe
Ooooo 5 qui.
846 T^ê la Probabilité,
C H A p. qui n'y efl: pas joint évidemment par les deux bouts , &:
XV. qui par là ne montre pas évidemment la convenance ou
la difccnvenance des Idées en queftion.
Il y a deux fon- §. 4. Ainfi, la Probabilité étant deitinée à fuppléerau
j|''"'".''J^'P"j^ défaut de nôtre Connoi (Tance & à nous fervir de guide
coi.form'ité dans les endroits où la Connoifl'ance nous manque , elle
d'DiK chofe a- roulc tcûjours fur des Propofitions que quelques motifs
rKiice/ou l'ie Rous portcnt à rcccvoir pour véritables fans que nouscon-
tcmo.siiioge de noillions certainement qu'elles le font. Et voici en peu
dcsTuacs!" '^^ mots qucls en font les fondemens.
Premièrement j la conformité d'une chofe avec ce que
nous connoiifons , ou avec nôtre Expérience.
En fécond lieu, le témoignage des autres appuyé fur ce
qu'ils connoiflént} ou qu'ils ont expérim^enté. On doit
confiderer dans le témoignage des autres , i. le nombre j
î.l'mtegritéj 3. l'habileté des témoins; 4.1e but de l'Au-
teur lorfque le témoignage eft tiré d'un Livre j 5. l'ac-
cord des parties de la Relation Se fes circonltances > 6. les
témoignages contraires.
Surquoyiifauc §. 5. Comme la Probabilité n'efl: pas accompagnée de
csammer tou- ^ettc évidcncc oui détermine l'Entendement d'une ma-
tes les convc- • - • r -n 1 1 o ■ j ■ • ,1-
iianccs pour & uicre inraillible oc qui produit une connoiilance certaine,
contre , avant [\ £^^,f q^,£ pour agir raifonnablement, l'Efpnt examine tous
<]Le e juger, jg^; fQnjej-,-,Q,-,5 jg probabilité , & qu'il voye comment ils
font plus ou moins , pour ou contre quelque Propofition
probable, afin de luy donner ou refufer fonconfcntement:
ôc après avoir dùement pefé les raifons de part 6c d'autre
il doit la rcjetter ou la recevoir avec un confentement plus
ou moins ferme , félon qu'il y a de plus grands fonde-
mens de Probabilité d'un côté plutôt que d'un autre.
Par exemple, fi je vois moy-méme un homme qui mar-
che fur la glace, c'cft plus que probabilité, c'eft connoif-
fance: mais fi une autre perfonne me dit qu'il a vu en An-
gleterre un homme qui au milieu d'un rude hy ver marchoit
fur l'Eau durcie par le froid, c'eft une chofe fi conforme
à ce qu'on voit arriver ordinairement , que je fuis difpofé par
la nature même de la chofe à y donner mon confentement ; à
moins
De la Probabilité. L i v. IV. 847
moins que la relation de ce Fait ne foit accompagnée de C h a p.
quelque circonftance qui le rende vifiblement fufpe£t, XV.
Mais fi on dit la même chofe à une perfonne née entre les
deux Tropiques , qui auparavant n'ait jamais vu ni oui
dire rien de femblable , en ce cas toute la Probabilité fe
trouve fondée fur le témoignage du Rapporteur, & félon
que les Auteurs de la Relation font en plus grand nombre,
plus dignes de foy , & qu'ils ne font point engagez par
leur intérêt à parler contre la vérité , le Fait doit trou-
ver plus ou moins de créance dans l'Efprit de ceux à qui
il eft rapporté. Néanmoins à l'égard d'un homme qui
n'a jamais eîi que des expériences entièrement contraires,
&: qui n'a jamais entendu parler de rien de pareil à ce
qu'on luy raconte, l'autorité du témoin le moins fufpeîb
fera à peine capable de le porter à y ajouter foy, comme
on peut voir par ce qui arriva à un Ambaiïadeur Hollan-
dois qui entretenant le Roy de Sinm des particularitez de
la Hollande dont ce Prince s'informoit , luy dit entr'au-
trcs chofes que dans fon Pais l'Eau fe durciffoit quel-
quefois fi fort pendant la faifon la plus froide de l'année,-
que le , hommes marchoient deffus , & que cette Eau ainfi
durcie porteroit des Elephans s'il y en avoit. Sur quoy le
Roy reprit , J'ai crû jufquici les chofes extraordinaires
que vous m'aves; dites , parce que je vous prenais pour un
homme d'honneur e^ de probité , mais présentement je fuis
affâré que vous mentez.
§. 6. C'eft de ces fondemens que dépend la Probabili- Car tom cd.i eft-
té d'une Propolition ; Se félon que nôtre Connoifrance,"''^H'^ d'u.e^
1 • 1 j I r *• 1 ' • n. grande var.cic;
la certitude de nos oblervations , les expériences conltan-
tes fie fouvent réitérées que nous avons faites , le nombre
& la crédibilité des témoignages conviennent, plus ou
moins avec elles ou luy font plus ou moins contraires,
fiiivant cela , dis^je , une Propofition eft en elle-même
plus ou moins probable. J'avoùë qu'il y a une autre cho-
fe, qui, biea qu'elle ne foit pas par elle-même un vray
fondement de Probabilité , ne lailîe pas d'être fouvent
employé comme un fondement fur lequel les hommes onç
ac-
84.8 Des Végrez d'Ajfentiment.
C rt A p. accoutumé de £e déterminer & de fixer leiir croyance plus
XV. que fur aucune autre chofe , c'eft V opinion des autres ;
quoy qu'il n'y ait rien de plus dangereux ni de plus pro-
pre à nous jetter dans l'erreur qu'un tel appuy , puifqu'il
y a beaucoup plus de faufleté 6c d'erreur parmi les hom-
mes que de connoiflance & de vérité. D'ailleurs , H les
fentimens ôc la créance de ceux que nous connoiflbns 6c
que nous eftimons , font un fondement légitime d'aflen-
timent, les hommes auront raifon d'être Fayens dans le
Japon , Mahometans en Turquie , Catholiques Romains
en Efpagne , Proteftans en Angleterre 6c Luthériens en
Suéde. Mais j'aurai occafion de parler plus au long, dans
un autre endroit, de ce faux Principe d'Affentiment.
CHAPITRE XVI.
C H A p. Des De'grez d'AjJentiment.
XVI.
Kôtre AiTemi §, i. /^ O M M E Ics fondcmcus de Probabilité que
ment doit être ■ _..-_. t
C
ment aoit être ■ ^ r' J i /^l '
réglé par les V^ uous avous ptopolc daus Ic Chapitre prece-
fonacmens de dcut , font la bafc fur laquelle nôtre Ajjentiment eft bâti ,
Pcobabiiud. jjg ^Qj^j. jj^^^i j^ rnefure par laquelle fes différens dégrez
font ou doivent être réglez. Il faut feulement prendre garde
que quelques fondemens de probabilité qu'il puiflfe y a-
voir, ils n'opèrent pourtant pas fur un Efprit appliqué à
chercher la Vérité &c à juger droitement , au delà de ce
qu'ils paroiflent, du moins dans le premier Jugement de
l'Efprit , ou dans la première recherche qu'il fait. J'a-
voûë qu'à l'égard des opinions que les hommes embraf-
fent dans le Monde 6c auxquelles ils s'attachent le plus
fortement , leur aflentiment n'eft pas toujours fondé fur
une veûë aftuelle des Raifons qui ont premièrement pré-
valu fur leur Efprit -, car en plufieurs rencontres il eft pref-
que impoflible, 6c dans la plupart très-difficile , à ceux-
là même qui ont une Mémoire admirable, de retenir tou-
tes les preuves qui les ont engagez , après un légitime
exa-
Des De'grez d'Alfentiment. L i v. IV. 849
examen , à fe déclarer pour un certain fentiment. Il fuffit C h a p.
qu'une fois ils ayent épluché la matière fincerement èc XVI.
avec foin, autant qu'il étoit en leur pouvoir de le faire,
qu'ils foient entrez dans l'examen de toutes les chofes par-
ticulières qu'ils pouvoient imaginer qui répandroient quel-
que Lumière fur la Qiieftion, & qu'avec toute l'addrcfle
dont ils font capables, ils ayent, pour ainfi dire , arrêté
le compte, fur toutes les preuv^es qui font venues à leur
connoiflance} &: ainfi ayant une fois trouvé de quel côté
la Probabilité leur paroit être, après une recherche auflî
parfaite èc auflî exacte qu'ils puiflént fiiire, ils impriment
dans leur Mémoire la conclufion de cet examen, comme
une vérité qu'ils ont découverte , cc pour l'avenir ils
font convaincus fur le témoignage de leur Mémoire, que
c'eft là l'opinion qui mérite tel ou tel degré de leuraflen-
timent , en vertu des preuves fur lefquelles ils l'ont trou-
vée établie.
§. 2. C'eft: là tout ce que la plus grande partie des Tous ne ùn-
hommes eft: capable de faire , pour régler leurs opinions ^"'^'"^'n"^ '?,""
„, . "^ s f 11 •'^,, jours aftuelic-
& leurs jugemens , a moins qu on ne veuille exiger d eux ment prcTens d
qu'ils retiennent dans leur Mémoire toutes les preuves '^'p"!^* "°"*
d'une vérité probable , &: cela dans le même ordre & dans comémcrde
cette fuite régulière de confèquences dans laquelle ils les """^ fouvcnir
ont placées ou veûës auparavant ; ce qui peut quelque- vû^ml^^foirur
fois remplir un gros Volume fur une feule Qiieftion > ou fondement fui-
bien il faut leur impofer la néceftité d'examiner chaque ^'^',", f°"J,""
jour les preuves de chaque opinion qu'ils ont embraflee : femiment.
deux chofes également impoflibles. C'efl:pourquoy l'on
ne peut éviter dans ce <ras de fe repofer fur fa Mémoire^
6c il eft: d'une abfoluë néceflité que les hommes foient per-
ftiadez de flujieiirs opinions dont les preuves ne font pas
a^îuellem.ent prefentes à. leur Efprit , fie même qu'ils ne
font peut-être pas capables de rappeller. Sans cela, il faut
que la plupart des hommes foient, ou fortfceptiques, ou
qu'ils changent d'opinion à tout moment & fe rendent à
tout homme qui ayant examiné la QLieft:ion depuis
peu 5 leur propofe des Argumens auxquels ils ne font
Ppppp pas
850 ï)w Degrez èTAjfentiment.
C H A p. pas capables de répondre fur le champ , faute de mc-
XVI. moire.
Dangcreufe §. 5. Je ne puis m'empêchcr d'avoûèr , que ce que les
conféqueDcc de hommes adhèrent ainfi à leurs Tueemens précedens & s'at-
cette conduite, , r t r y-t ^ c • c
fi nôtre premier tachent fortement aux conclulions qu ils ont une fois for-
jugcment n'a mées , cft fouvcnt caufc qu'ils font fort obftinez dans
^LàL *"'" l'Erreur. Mais la faute ne vient pas de ce qu'ils fe repo-
fent fur leur Mémoire , à l'égard des chofes dont ils ont
bien jugé auparavant , mais de ce qu'auparavant ils ont
jugé qu'ils avoient bien examiné avant que defe détermi-
ner. Combien y a-t-il de gens, (pour ne pas mettre dans
ce rang la plus grande partie des hommes} qui penfent
avoir formé des Jugemens droits fur différentes matières,
par cette feule raifon qu'ils n'ont jamais penfé autrement,
qui s'imaginent avoir bien jugé par cela feul qu'ils n'ont
jamais mis en queftion ou examiné leurs propres opinions?
Ce qui dans le fonds fignifie qu'ils croyent juger droitc-
ment, parce qu'ils n'ont jamais fait aucun ufage de leur
Jugement à l'égard de ce qu'ils croyent. Cependant ces
gens-là font ceux qui foùtiennent leurs fentimens avec le
plus d'opiniâtreté j car en général ceux qui ont le moins
examiné leurs propres opinions , font les plus emportez
& les plus attachez à leur fens. Ce que nous connoiflbns
une fois, nous fommes certains qu'il eft tel que nous le
connoiflbns i & nous pouvons être afTûrez qu'il n'y a point
de preuves cachées qui puiffent renverfer nôtre Connoif-
fance , ou la rendre douteufe. Mais en fait de Probabili-
té , nous ne pouvons point être afl!urez que dans chaque
cas nous avons devant les yeux tous les articles particu-
liers qui touchent à la Qiieftion par quelque endroit ,
qu'il n'y a aucune preuve qui ait été laiflee en arriére, ou
qui n'ait pas été encore veûë , &: qui pourroit fiire pafTer
la probabilité de l'autre côté , &: contrebalancer tout ce
qui nous paroît jufqu'ici de plus grand poids. A peine y
a-t-il dans le Monde un feul homme qui ait le loifir, la
patience & les moyens d'afremb'<'r touces les preuves qui
peuvent établir la plupart des opinions qu'il -.i . en forte
qu'il
DesDégre&d'Affentiment. Lrv. IV. 851
qu'il puifle conclurre fùrement qu'il en a une idée claire C H a p.
& entière , ôc qu'il ne luy refte plus rien à favoir pour XVI.
une plus ample inftruftion. Cependant nous fommes con-
traints de nous déterminer d'un côté ou d'autre. Le foin
de nôtre vie & de nos plus grands intérêts ne fauroitfouf-
frir du delay^ car ces chofes dépendent pour la plupart
de la détermination de nôtre Jugement fur des articles où
nous ne fommes pas capables d'arriver à une connoiflance
certaine & demonftrative, & où il eft abfolument nécef-
faire que nous nous rangions d'un côté ou d'autre.
§. 4.. Puis donc que la plus grande partie des hommes. Le véritable
pour ne pas dire tous , ne fauroient éviter d'avoir divers j[^s%^"°",*;?
fentimens fans être aflurez de leur vérité par des preuves d'avoir leL
certaines 6c indubitables, &: que l'on regarde d'ailleurs '^''^'^"<=' ^ '^e '«
comme une grande marque d'ignorance , de légèreté ou ims"po"r !«
de folie , fi un homme renonce aux opinions qu'il a déjà ««"es,
embralTees, dès qu'on vient à luy oppofer quelque argu-
ment dont il ne peut montrer la foiblefle fur le champ i
Ce feroit , je croy , une chofe bien-féante aux hommes de
conferver la paix entr'eux & d'exercer les communs de-
voirs d'humanité Ôc d'amitié parmi cette diverfité d'opi-
nions j puifque nous ne pouvons pas attendre raifonnable-
ment que perfonne abandonne promptement & avec foû-
mifîion fes propres fentimens pour embraffer les nôtres
avec une aveugle déférence à une Autorité que l'Entende-
ment de l'Homme ne reconnoit point. Car quoy qu'il
puifTe tomber fouvent dans l'Erreur, il ne peut reconnoî-
tre d'autre guide que la Raifon , ni fe foùmcttrc aveuglé-
ment à la volonté & aux déciiions d'autruy. Si celui que
vous voulez attirer dans vos fentimens , eft accoutumé
à examiner avant que de donner fon confentement, vous
devez luy permettre de repaffer à loifir fur le Point en
queftion , de rappeller ce qui luy eft échappé de l'Efprit,
d'examiner toutes les particularitez & de voir de quel cô-
té panche la balance: & s'il ne croit pas que vos Argu-
mens foient alfez importans pour devoir l'engager de nou-
veau dans une difcuffion fi pénible , c'eft ce que nous fai-
Ppppp 2 fons
85 ï Des Dcgre-z d'Affentiment.
Ch AP. tons fouvent nous-mêmes en pareil cas ; & nous trouve-
XVI. rions fort mauvais que d'autres vouluflent nous prefcrire
quels articles nous devrions étudier. Que s'il eft de ces gens
qui fe rangent à telle ou telle opinion au hazardëc fur la foy
d'autruy, comment pouvons-nous croire qu'il renoncera à
des fentimens que le temps & la coutume ont fi fort enraciné
dans fon Efprit qu'il les croit évidens par eux-mêmes , 6c
d'une certitude indubitable, ou qu'il les regarde comme
autant d'impreiTions qu'il a reçues de Dieu même, ou
de perfonnes envoyées de fa part? Comment, dis-je, pou-
vons-nous efpérer que les Argumens ou l'Autorité d'un
Etranger ou d'un Adverfaire détruiront des fentimens ainiî
établis, fur tout , fi l'on a lieu de foupçonner que cet
Adverfaire agit par intérêt ou dans quelque deffein parti-
culier; ce que les hommes ne manquent jamais defe figu-
rer lorfqu'ils fe voyent mal-traitez ? Le parti que nous
devrions prendre en cette occafion , ce feroit d'avoir pitié
de nôtre mutuelle Ignorance , ce de tacher de la diiliper
par toutes les voyes douces fie honnêtes dont on peuts'a-
vifer pour éclairer l'Efprit, & non pas de mal-traiter d'a-
bord les autres comme des gens obftinez 6c pervers , par-
ce qu'ils ne veulent point abandonner leurs opmions &
embrafler les nôtres , ou du moins celles que nous vou-
drions les forcer de recevoir , tandis qu'il eft plus que
probable que nous ne fommes pas moins obftinez qu'eux
en refufant d'embraiïer quelques-uns de leurs fentimens.
Car ou eft l'homme qui a des preuves inconteftables de
la vérité de tout ce qu'il foûtient , ou de la faufleté de
tout ce qu'il condamne, ou qui peut dire qu'il a exami-
né à fonds toutes fes opinions ou celles des autres hom-
mes ? La néceftité oîi nous nous trouvons de croire fans
connoiflance <k fouvent même fur de fort légers fonde-
mens , dans cet état paflager d'a£lion fie d'aveuglement
où nous vivons fur la Terre, cette néceilité , dis-je, de-
vroit nous rendre plus foigneux de nous inftruire nous-
mêmes que de contraindre les autres à recevoir nos fenti-
mens. Du moins, ceux qui n'ont pas examiné parfaite-
ment
Des Dégresi d'Affentiment. Liv. IV. 853
ment & à fonds toutes leurs opinions > doivent avouer C h a p.
qu'ils ne font point en état de les prefcrire aux autres, 6c XV I.
qu'ils agiflent vifiblement contre la Raifon en impofant à
d'autres hommes la nécelîité de croire comme une Véri-
té ce qu'ils n'ont pas examiné eux-mêmes , n'ayant pas
pefé les raifons de probabilité fur lefquelles ils devroient
le recevoir ou le rejetter. Pour ceux qui font entrez fin-
cerement dans cet examen & qui par là fe font mis au
deflus de tout doute à l'égard de toutes les Do£trines
qu'ils profefTent 6c par où ils règlent leur conduite , ils
pourroient avoir un plus juile prétexte d'exiger que les
autres fe foûmiflcnt à eux -, mais ceux-là font en fi petit
nombre, èc ils trouvent fi peu defujet d'être décififsdans
leurs opinions , qu'on ne doit s'attendre à rien d'infolent
& d'impérieux de leur part , 6c l'on a raifon de croire,
que, fi les hommes étoient mieux inftruits eux-mêmes ,
lis fcroient moins fujets àimpofer aux autres leurs propres
fentimens.
§. 5. Mais pour revenir aux fondemens d'aflentiment La Probabilité
&c à fes différens dégrez , il efl à propos de remarquer pomcs'^drfoit^*
que les Propofirions que nous recevons fur des motifs de ou de fpecuia.
Probabilité font de deux fortes ; les uns qui regardent "°""
quelque exiftence particulière , ou, comme on parle or-
dinairement,, des chofes de fait, qui dépendant de l'Ob-
fcrvation peuvent être fondées fur un témoignage hu-
main j 6c les autres qui regardent les chofes qui étant au
delà de ce que nos Sens peuvent nous découvrir , ne font
pas capables d'un femblable témoignage.
§. 6. A l'égard des Propofitions qui appartiennent à Lorfque les cï-
la première de ces chofes , je veux dire , à des faits parti- P'^'ncnccs de
r • ■ !• r>. '\ r 1 tous les autres
Cîuiers , je remarque en premier lieu , Qiie lorlqu une hommes sac-
chofe particulière, conforme aux obfervations confiantes c"/dentavec les
faites par nous-mêmes èc par d'autres en pareil cas , fe "^""ne'ârsû-
trouve atteftée par les rapports uniformes de tous ceux rance qui ap-
qui la racontent, nous la recevons auflî aifément 5c nous Pfo'^'^e de la
nous y appuyons aulli rermement que li c etoit une Con-
ooiflance certaine 3 6c nous raifonnons 6c agifTons en con-
Ppppp 3 fé-
854* ^^^ Végresi d'ÂJfentiment .
C H A p. féquence , avec auflî peu de doute que fi c'étoit une par-
XVI. faite démonftration. Par exemple, fi tous les Anglais qui
ont occafion de parler de l'hyver pafle , affirment qu'il
gela alors en Angleterre , ou qu'on y vit des Hirondelles
en Eté , je croy qu'un homme pourroit prefque aufli peu
douter de ces deux faits, comme que fept Se quatre font
onze. Par conféquent , le premier & le plus haut degré
de Probabilité , c'eft lorfque le confentement général de
tous les hommes dans tous les fiécles , autant qu'il peut
être connu , concourt avec l'expérience confiante & con-
tinuelle qu'un homme fait en pareil cas , à confirmer la
vérité d'un Fait particulier attefté par des Témoins fin-
céres: telles font toutes les conftitutions &c toutes lespro-
priétez communes des Corps, & la liaifon régulière des
Caufes &c des Eff^ets qui paroit dans le cours ordinaire de
la Nature. C'eft ce que nous appelions un Argument pris
de la nature des chofes mêmes. Car les chofes qui par
nos confiantes obfervations &: celles des autres hommes fe
font toujours trouvées de la même manière , nous avons
raifon de les regarder comme des effets de caufes confian-
tes &c régulières , quoy qu'elles ne viennent pas immédia-
tement à nôtre connoiflance. Ainfi , Qiie le Feu ait é-
chauff'é un homme, Qu'il ait rendu du Plomb fluide, ôc
changé la couleur ou la confifiance du Bois ou du Char-
bon , Qiie le Fer ait coulé au fonds de l'Eau & nagé fur
le vif-argent ; ces Propofitions fie autres femblables fur
des faits particuliers, étant conformes à l'expérience que
nous faifons nous-mêmes aufli fouvent que l'occafion s'en
prefente ; & étant généralement regardées par ceux qui
ont occafion de parler de ces matières , comme des cho-
fes qui fe trouvent toujours ainfi, fans que perfonne s'a-
vife jamais de les mettre en quefiion , nous n'avons aucun
droit de douter qu'une Relation qui aflure que telle cho-
fe a été, ou que toute affirmation qui pofe qu'elle arrive-
ra encore de la même manière , eft véritable. Ces fortes
de Probabilitez approchent il près de la Certitude , qu'el-
les règlent nos penfées aufli abfolument 6c qu'elles ont
une
Des "Degrés d'AJJentimênt. Liv. IV. 855
une influence aufîi entière fur nos aftions que k Démon- C h A p.
ftration la plus évidente j & dans ce qui nous concerne, XVI.
nous ne faifons que peu ou point de différence entre de
telles Probabilitez & une connoiflance certaine. Nôtre
Créance bâtie fur ces fondemens s'élève jufqu*à VÂJfu-
rance.
§. 7. En fécond lieu , le degré fuivant de Probabilité , Un Temoigi^a-
c'eft lorfque je trouve par ma propre expérience Se par leS'^^^^E^P'^'-
rapport unanime de tous les autres hommes qu'une chofe pcuTrcToqucr
eft la plupart du temps telle que l'exemple particulier qu'en «", ^°ufc j.ro-
donnent pluficurs témoins dignes de foy > par exemple , Hmlire*!! [on^
l'Hiftoire nous apprenant dans tous les âges , &*ma pro- fiance
pre expérience me confirmant autant que j'ai occafion de
î'obferver, que la plupart des hommes préfèrent leur in-
térêt particulier à celui du Public , fi tous les Hiftoriens
qui ont écrit de Tibère y difent que Tibère en a ufé ainfi,
cela eft probable. Et en ce cas , nôtre aflentiment eft
afl*ez bien fondé pour s'élever jufqu 'à un degré qu'on peut
appeller confiance.
§. S. En troifiéme lieu , dans des chofes qui arrivent un T(/mf>.qna.
indifféremment, comme qu'un Oifeauvole de ce côté ou R^ "o" fii'pf'S
de celui-là , qu'il tonne à la main droite ou à la main L cho'i's qm cii
gauche d'un homme , c^f. lorfqu'un fait particulier eft '"''''^""'c^
attefté par le témoignage uniforme de Témoins non-fuf- un°e"^"fcrn,c"
pefts y nous ne pouvons pas éviter non plus d'y donner croyance.
nôtre confentement, comme qu'il y ^ en Italie nno. ville
appellée /?tf«ï^ , où vivoit il y a environ 1700. ans un
homme nommé Jules Cefar , qu'il fut Général d'Armée ,
& qu'il gagna une Bataille contre un autre Romain nommé
Fornpée. Quoy qu'il n'y ait rien dans la nature des chofes
pour ou contre ces faits , cependant comme ils font
rapportez par des Hiftoriens dignes de foy 6c qui n*ont
été contredits par aucun Ecrivain, un homme ne fau-
roit éviter de croire leur rapport , & n'en peut non plus
douter, qu'il doute de l'exiftence 8c des aftions des per-
fonnes de fa connoiffance dont il eft témoin luy-mê-
me.
§• 9-
856 Des Degrés d'Jjfentment.
Chap. §. 9. Jufqne-lâ, la matière eft aflez aifce à compren-
XV /. dre. La Probabilité établie fur de tels fondemens empor-
D.sEspcrieii fg ^y^^ q\[q ^n fj grand degré d'évidence qu'elle détermi-
n^oi^iuaes c]ui "c naturellement le Jugement, &: nous laifle auflî peu en
A comrcdiieiic liberté de croire eu de ne pas croire qu'une Démonftra-
ni.finMc" d^c^ tion laifle en liberté de cnnnoitre ou de ne pas connoitre.
gicz de Pioba- Mais OÙ il y a de la difficulté , c'eft lorlque les Témoi-
bihu:. gnages contredifcnt la commune expérience , &: que les
Relations hiftoriques &: les témoins fe trouvent contrai-
res au cours ordinaire de la Nature , ou entr'eux. C'eft
là qu'il faut de l'applicarian & de l'exaftitude pour for-
mer un^Ligement droit, Se pour proportionner nôtre af-
fcntiment à la difl-erente probabilité de la chofe , lequel
afléntiment hauflé ou baifle félon qu'ileft favorifé ou con-
tredit par ces deux fondemens de crédibilité, je veux di-
re l'obfervation ordinaire en pareil cas , Se les témoigna-
ges particuliers dans tel ou tel exemple. Ces deux fonde-
mens de crédibilité font fujets à une fi grande variété
d'obfervations, de circonftances 5c de rapports contrai-
res, à tant de différentes qualifications, temperamens ,
defleins, négligences, Sec. de la part des Auteurs de la
Relation, qu'il eft impoffible de réduire à des réglespré-
cifes les difterens dégrez félon lefquels les hommes don-
nent leur afléntiment. Tout ce qu'on peut dire en géné-
ral, c'eft que les raifons &: les preuves qu'on peut appor-
ter pour ^ contre , étant une fois foûmifes à un examen
légitime où l'on pefe exaftement chaque circonftance
particulière, doivent paroitre fur le tout l'emporter plus
ou moins d'un côté que de l'autre -, ce qui les rend pro-
pres à produire dans l'Efprit ces difterens dégrez d'aflén-
timent, que nous appelions fr5)'^«ff, conje^jtre , doute,
incertitude i défiayicc, Sec.
Les Témoigna- §. lo. Voilà ce qui regarde l'aflentiment dans dcs ma •
ges connus p-ir ^.jç^çg ç.^^[ dépendent du témoignage d'autruy ; fur quoy
Trjduion ,plus 1 ,\ r i i ji^'
ils font éioi- je penfe qu il ne fera pas hors de propos de prendre con-
piicz, pii:sfoi- noifl^ance d'une Ré^le obfervée dans la Loy d'Jnolcterre,
blcclu.i preuve . n ""i/^-j'in. ■•
ciuon eu peut qw^ cft quc , quoy que la Copie d un Atzc , reconnue au-
tiKT. thcn-
Des Degrés; d'AjSentiment. Liv. IV. 857
thentique par des Témoins, foit une bonne preuve , ce- Chap,
pendant la copie d'une Copie , quelque bien atreftée XVI.
qu'elle foit èc par les témoins le plus accréditez n'eft ja-
mais admife pour preuve en Jugement. Cela pafle fi gé-
néralement pour une pratique raifonnable , 6c conforme
à la prudence ôc aux lages précautions qu'il faut employer
dans les recherches que nous faifons fur des matières im-
portantes, que je ne l'ai pas encore oui blâmer de per-
fonne. Or fi cette pratique doit être reçue dans les déci-
fions qui regardent le Jufte ôc l'Injufte, on en peut tirer
cette obfervation qu'un Témoignage a moins de force 6c
d'autorité, à mefure qu'il eft plus éloigné de la vérité o-
riginale. J'appelle vérité originale , l'être &c l'exillence
de la chofe même. Un homme digne de foy venant à té-
moigner qu'une chofe luy eil connue , eft une bonne
preuve} mais fi une autre perfonne également croyable ,
la témoigne fur le rapport de cet homme, le témoignage
eft plus foible } & celui d'un troifiéme qui certifie un
oui-dire d'un oui-dire, eft encore moins confiderablej de
forte que dans des veritez qui viennent par tradition ,
chaque degré d'éloignement de la fource aftoiblit la for-
ce de la preuve} &c à mefure qu'une Tradition paflé fuc-
ceflivement par plus de mains , elle a toujours moins de
force &: d'évidence. J'ai crû qu'il étoit néceflaire de fai-
re cette remarque, parce que je trouve qu'on en ufe or-
dinairement d'une manière directement contraire parmi
certaines gens chez qui les Opinions acquièrent de nou-
velles forces en vieiUiflant , 6c que ce qui n'auroit du
tout point paru probable il y a raille ans à un homme rai-
fonnable , contemporain de celui qui la certifia le pre-
mier, pafle préfentement pour certaine &<: tout-à-fait in-
dubitable, parce que depuis ce temps-là plufieurs perfon-
nes l'ont rapportée fur fon témoignage les uns après les
autres. C'eft fur ce fondement que des Propofitions évi-
demment faufles ou afléz incertaines dans leur commen-
cement viennent à être regardées comme autant de veri-
tez authentiques , par une R.égle de probabilité prife à
Qjq q q q re-
858 Des Degrez, d'Affentiment.
C H AP. rebours , de forte qu'on fe figure que celles qui onttrou-
XVI. vé ou mérité peu de créance dans la bouche de leurs pre-
miers Auteurs , deviennent vénérables par l'âge ; 6c l'on
y infifte comme fur des chofes inconteftables.
L'Hiftoirc eft §. n. Je ne voudrois pas qu'on s'allât imaginer que
f ^"" S""'* "^*' je prétens ici diminuer l'autorité & l'ufage de l'Hiftoire.
C'eft elle qui nous fournit toute la lumière que nous a-
vons en plufieurs cas ; 6c c'eft de cette fource que nous
recevons avec une évidence convaincante une grande par-
tie des veritez utiles qu? viennent à nôtre Connoiflance.
Je ne vois rien de plus eftimable que les Mémoires qui
nous reftent de l'Antiquité > 6c je voudrois bien que nous
en eufllons un plus grand nombre 6c moins corrompus.
Mais c'eft la Vérité qui me force à dire que nulle Proba-
bilité ne peut s'élever au-deffus de fon premier Original.
Ce qui n'eft appuyé que fur le témoignage d'un feul Té-
moin , doit uniquement fe foûtenir ou être détruit par
fon témoignage , qu'il foit bon , mauvais ou indiffèrent }
6c quoy que cent autres perfonnes le citent enfuite les
uns après les autres , tant s'en faut qu'il reçoive par-là
quelque nouvelle force, qu'il n'en eft que plus foible.
Lapaflîon, l'intérêt, l'inadvertance, une faulfe inter-
prétation du fens de l'Auteur, 6c mille raifons bizarres
par oii l'efprit des hommes eft déterminé, 6c qu'il eftim-
poflible de découvrir, peuvent faire qu'un homme cite à
faux les paroles ou le fens d'un autre homme. Quicon-
que s'eft un peu appliqué à examiner les citations des E-
crivains , ne peut pas douter que les citations ne méri-
tent peu de créance lorfque les originaux viennent à man-
quer, &c par conléquent qu'on ne doive fe fier encore
moins à des citations de citations. Ce qu'il yade certain,
c'eft que ce qui a été avancé dans un fiécle fur de légers
fondemens, ne peut jamais acquérir plus de validité dans
les fiécles fuivans , pour être répété plufieurs fois. Mais
au contraire, plus il eft éloigné de l'original , moins il a
de force , car il devient toujours moins confiderable
dans la bouche ou dans les Ecrits de celui qui s'en eft
fervi
Des Dégrez à' Ajlmîitnmt. Lrv. IV. 859
fervi le dernier, que dans la bouche ou dans les Ecrits de Chap.
celui de qui ce dernier l'a appris. XVI.
§. 12. Les Probabilirez dont nous avons parlé jufqu'i- Dans leschofcs
ci, ne regardent que des matières de fait ôcdes chofes ca- ??''^" "^P'^'J^
1 1 1, A ' I r • n ' • découvrir pac
pables d être prouvées par oblervation Se par témoignage, les sens,r^/w.
II refte une autre efpéce de Probabilité qui appartient à ^'J-" f'^'as''a;'-
des chofes fur lefquelles les hommes ont des opinions, ac- probaSii'îtc'!^
compagnées de différens dégrezd'afléntiment, quoy que
ces chofes foient de telle nature que ne tombant pas fous
nos Sens, elles ne font capables d'aucun témoignage. Tel-
les font, i.l'exiftence, la nature 6c les opérations des E-
tres finis Se immatériels qui font hors de nous, comme les
Efprits, les Anges, les Démons, érc ou l'exiftence des
Etres matériels que nos Sens ne peuvent appercevoir à caufe
de leur petitefTe ou de leur éloignement , comme de fa-
voir s'il y a des Plantes, des Animaux &; des Etres Intel-
ligens dans les Planètes & dans d'autres Demeures de ce
vafte Univers. 2. Tel eft encore ce qui regarde la ma-
nière d'opérer dans la plupart des parties des Ouvrages de
la Nature où, quoy que nous voyions des Effets fenfibles,
leurs Caufes nous font abfolument inconnues , de forte
que nous ne faurions appercevoir les moyens 6c la maniè-
re dont ils font produits. Nous voyons que les Animaux
font engendrez , nourris 6c qu'ils fe meuvent , que l'Ai-
mant attire le Fer 6c que les parties d'une Chandelle ve-
nant à fe fondre fucceflivement fe changent en flamme ,
& nons donnent de la lumière 6c de la chaleur. Nous
voyons 6c connoifTons ces Effets 6c autres femblables>
mais pour ce qui eft des Caufes qui opèrent , 6c de la
manière dont ils font produits, nous ne pouvons faire au-
tre chofe que les conjefturer probablement. Car ces cho-
fes 6c autres femblables ne tombant pas fous nos Sens, ne
peuvent être foûmifes à leur examen, ou arteftèes par au-
cun homme, ^ par confèquent elles ne peuvent paroître
plus ou moins probables qu'entant qu'elles conviennent
plus ou moins avec les veritez qui font établies dans nô-
tre Efprit , 6c qu'elles ont du rapport avec les autres par-
Q.qqqq 2 tics
8éo Des Degrés d'AJlfentiment.
Ch A p. ties de nôtre Connoiflance S: de nos Obfervations. UA-
XVI. nalogie eft le feul fecours que nous ayions dans ces matiè-
res j &■ c'eft de là feulement que nous tirons tous nosfon-
demens de Probabilité. Ainti, ayant obfervé qu'un frot-
tement violent de deux Corps produit de la Chaleur, ôc
fouvent même du Feu , nous avons fujet de croire que ce
que nous appelions Chaleur èz Feu confifte dans une cer-
taine agitation violente des particules imperceptibles de
la Matière brûlante : obfervant de même que les différen-
tes refraftions des Corps pellucides excitent dans nos yeux
différentes apparences de plufieurs Couleurs >comme aufli
que la diverfe pofition 6c le différent arrangement des
parties qui compofent la furface de différens Corps com-
me du Velours , de la foye façonnée en ondes , S'C. pro-
duit le même effet, nous croyons qu'il eft probable que
la couleur & l'éclat des Corps n'eft autre chofe de la part
des Corps , que le différent arrangement &: la refraftion
de leurs particules infenfibles. Ainfi, trouvant que dans
toutes les parties de la Création qui peuvent être le fujet
des obfervations himiaines, il y a une connexion graduel-
le de l'une à l'autre , (lins aucun vuide coniiderablc , ou
vifible, entre- deux, parmi toute cette grande diverfitéde
chofes que nous voyons dans le Monde, qui font fi étroi-
tement liées enfemble, qu'en divers rangs d'Etres il n'eft
pas facile de découvrir les bornes qui feparent les uns des
autres, nous avons tout fujet de penfer que les chofes s'é-
lèvent aufli vers la perfection peu à peu fie par des degrez
infenfibles. 11 eft mal-aifé de dire oii le Senfible &r le
Raifonnable commence, 6c où l'Infenfible 6c le Deraifon-
nable finit -, 6c qui eft-ce, je vous prie , qui a la veûë af-
fez pénétrante pour déterminer précifement quel eft le
plus bas degré des Chofes vivantes, 6c quel eft le premier
de celles qui font deftituées de vie ? Les chofes diminuent
& augmentent , autant que nous fommes capables de le
diftinguer, tout ainfi que laQiiantité augmente ou dimi-
nué dans un Cône régulier , oîi , quoy qu'il y ait une
différence vifible entre la grandeur du Diamètre, à des
di-
Des Devrez d'JJfe miment. L i v. IV. 86 r
diftances éloignées, cependant la différence qui eft entre C H a p.
le defliis & le deflbus lorfqu'ils fe touchent l'un l'autre, XVI.
peut à peine être difcernée. Il y a une différence exceffi-
ve entre certains hommes &c certains Animaux Brutes -,
mais fi nous voulons comparer l'Entendement 6c la capa-
cité de certains hommes &c de certaines Bétes , nous y
trouverons fi peu de différence qu'il fera bien mal-aifé
d'affûrer que l'Entendement de l'Homme foit plus net ou
plus étendu. Lors donc que nous obfervons une telle gra-
dation infenfible entre les parties de la Création depuis
l'Homme jufqu'aux parties les plus baffes qui font au
deffous de luy, la Régie de l'Analogie peut nous condui-
re à regarder comme probable, &h'iI y a une pareille gra-
dation dans les chofes qui font au deffus de nous c^ hors de
la fphére de nos Oùfervations , &c qu'il y a par conféquent
diifférens Ordres d'Etres Intelligens, qui font plus excel-
lens que nous par difterens dégrez de perfeftion en s'éle-
vant vers la perfedbon infinie du Créateur, à petit
pas &: par des différences , dont chacune eft à une très-
petite diftance de celle qui vient immédiatement après.
Cette efpéce de Probabilité qui eft le meilleur guide
qu'on ait pour les Expériences dirigées par la Raifon , Se
le grand fondement des Hypothefes raifonnablcs , a auffi
fes ufages & fon influence j car un raifonnement circonf-
pc£t , fondé fur l'Analogie nous mené fouvent à la dé-
couverte de véritez & de productions utiles qui fans cela
demeureroient enfevelies dans les ténèbres.
§. 13. Quoy que la commune Expérience & le cours n y a un cas où
ordinaire des Chofes ayent avec raifon une grande influen- ''E'^P"'en«
r yir^ r ■ j I i vi Contraire ne di-
ce lur 1 Elprit des hommes, pour les porter a donner ouminuc pas la
à refufer leur coftfentement à une chofe qui leur eft pro-^°'^'^^ dutémoi-
pofée à croire} il y a pourtant un cas où ce qu'il y a d'é- ""^^^"
trange dans un Fait , n'affoiblit point l'affentiment que
nous devons donner au témoignage fincére fur lequel il
eft fondé. Car lorfque de tels Evenemens furnaturels
font conformes aux fins que fe propofe celui qui a le pou-
voir de changer le cours de la Nature, dans un tel temps
802 Des "DégYQZ d'JJJentiment.
C H A p. &: dans de telles circonftances ils peuvent être d'autant
XVI. plus propres à trouver créance dans nos Efprits qu'ils
font plus au defTus des obfervations ordinaires , ou même
qu'ils y font plus oppofez. Tel eft juftement le cas des
Miracles qui étant une fois bien atteftez , trouvent non
feulement créance pour eux-mêmes , mais la communi-
quent auili à d'autres veritez qui ont befoin d'une telle
confirmation.
Le fimpic Te- §• 14- Outre les Propofitions dont nous avons parle
nioigna-;c de la jufqu'ici , il y en a uuc autre Efpéce qui fondée fur un
dunout^dou^i fimple témoignage l'emporte fur le degré le plus parfait
aufiî parfaite- de nôtre Affcntiment, foit que la chofe établie fur ce té-
rncnt que la nioicnaee convienne ou ne convienne point avec la com-
plus ceitamc. mune Expérience ce avec le cours ordmaire des chofes.
La raifon de cela eft que le témoignage vient de la part
d'un Etre qui ne peut ni tromper ni être trompé , c'eft à
dire de Dieu luy-méme ; ce qui emporte avec foy une
aflurance au defllis de tout doute , & une évidence qui
n'eft fujette à aucune exception. C'eft là ce qu'on dé-
figne par le nom particulier de Révélation ; Se l'aflenti-
ment que nous luy donnons s'appelle Foy , qui détermine
auflî abfolument nôtre Efprit ,& exclut auffi parfaitement
tout doute que nôtre Connoiflance peut le faire j car nous
pouvons tout auft] bien douter de nôtre propre exiftence
que nous pouvons douter, fi une Révélation qui vient de
la part de D i e u , eft véritable. Ainfi , la Foy eft un
Principe d' Affcntiment & de certitude, fur ,6c établi fur
des fondemens inébranlables , Se qui ne laiflé aucun lieu
au doute ou à l'hefitation. La feule chofe dont nous de-
vons nous bien alTùrer, c'eft que telle Se telle chofe eft
une Révélation divine , Se que nous en comprenons le
véritable fensj autrement , nous nous expoferons à tou-
tes les extravagances duFanatifme, Sz à toutes les erreurs
que peuvent produire de faux Principes lors qu'on ajoute
foy à ce qui n'eft pas une Révélation divine. C'eftpour-
quoy dans ces cas-là , Il nous voulons agir raifonnable-
ment , il ne faut pas que nôtre AfiTentiment furpafie le
degré
De la Raifort. Liv. IV. 863
degré d'évidence que nous avons que ce qui en eft l'objet C h a p.
eft une Révélation divine , & que c'ell là le fens des ter- XVI,
mes par lefquels cette Révélation eft exprimée. Si l'évi-
dence que nous avons que c'eft une Révélation , ou que
c'en eft là le vray fens , n'eft que probable, nôtre Aflen-
timent ne peut aller au delà de l'aflurance ou de la dé-
fiance que produit le plus ou le moins de probabilité qui
fe trouve dans les Preuves. Mais je traiterai plus au lon^
dans la fuite , de la Foy &: de la préfeance qu'elle doi*!;
avoir fur les autres argumens propres àperfuader, lorsque
je la confidererai telle qu'on la regarde ordinairement com-
me diftinguée d'avec laRaifon & mife en oppofitionavec
elle, quoy que dans le fonds la Foy ne foit autre cho-
fe qu'un Afléntiment fondé fur la Raifon la plus par-
faite.
L'
CHAPITRE XVir.
Delà Raifon. Chap.
E mot de Raifon fe prend en divers fens. Qiiel- Différentes
/ quefois il fignifie des Principes clairs 6c véri- %)ifications
tables, quelquefois des conclufions évidentes & nette- ''""^°^^'"-^'"''
ment déduites de ces Principes , & quelquefois la caufe
& particulièrement la caufe finale. Mais c'eft dans un fens
tout différent que je vais la confiderer dans ce Chapitre ,
je veux dire comme une Faculté par oii l'on fuppofe que
l'Homme eft diftingué des Bêtes, Se en quoy il eft évi-
dent qu'il les furpaffe de beaucoup.
§. 2. Si la Connoiflance générale confîfte , comme on En quoy confT-
Ta déjà montré , dans une perception de la convenance ^^ '•= ^*'^°""^*
ou de la difconvenance de nos propres Idées, 6c que nous "^"'*
ne puiflîons connoître l'exiftence d'aucune chofe qui foit
hors de nous que par le fecours de nos Sens, excepté feu-
lement l'exiftence de D i e u , de laquelle chaque homme
peut s'inftruire luy-même certainement & d'une manière
dé.
S^j^ ^^ ^^ Raifon.
C H A p. démonftrative par la confideration de fa propre exiftencci
XVII. quel lieu, refte-t-il donc à l'exercice d'aucune autre Facul-
té que de la Perception extérieure des Sens £cde la Percep-
tion intérieure de l'Efprit? Quel befoin avons-nous de la
Raifon? Nous en avons un fort grand befoin , tant pour
étendre nôtre Connoiflance que pour régler notre Aflén-
timent j car elle a lieu la Raifon 6c dans ce qui appartient
à la Connoiflance &: dans ce qui regarde l'Opinion. Elle
eft d'ailleurs néceflairc Se utile à toutes nos autres Facul-
tez Intelleftuelles, &■ à le bien prendre, elle conftitué
deux de ces Facultez , favoir la Sagacité -, & la Faculté
d'inferej ou de tirer des conclufions. Par la première elle
trouve des Idées moyennes, fie par la féconde elle les ar-
range dételle manière, qu'elle découvre la connexion qu'il
y a dans chaque partie de la Déduction , par oii les Ex-
trêmes font unis enlcmble , 6c qu'elle amène au jour ,
pour ainfi dire , la vérité en queftion , ce que nous appel-
ions inférer i 6c qui ne confilte en autre chofe que dans
la perception de la liaifon qui eft entre les idées dans cha-
que degré de la Déduction ; par où l'Efprit vient à décou-
vrir la convenance ou la difconvenance certaine de deux
Idées , comme dans la Demonftration oii il parvient à la
Connoiflance, ou bien à voir Amplement leur connexion
probable , auquel cas il donne ou retient fon confentement,
comme dans l'Opinion. Le Sentiment 6c l'Intuition ne
. ■ 5'étendent pas fort loin. La plus grande partie de nôtre
Connoiflance dépend dedédu£tions 6c d'Idées moyennes}
6c dans les cas où au lieu de Connoifl!ance , nous fommes
obligez de nous contenter d'un fimplc afléntiment, 6c de
recevoir des Propofitions pour véritables fans être certains
qu'elles le foient, nous avons befoin de découvrir, d'exa-
miner, 6c de comparer les fondemens de leur probabilité.
•' Dans ces deux cas , la Faculté qui trouve éc applique
comme il faut ks moyens nécefl'aires pour découvrir la
certitude dans l'un , 6c la probabilité dans l'autre , c'eft
jce que nous appelions Raifon. Car comme la Raifon
.apperçoit la connexion nécefl"aire 6c indubitable que tou-
tes
De la Raifon. h i v. IV. 8ô$
tes les idées ou preuves ont l'une avec l'autre dans cha- Chap.
que degré d"une Démonftration qui produit la Connoif- XVIL
fance; elleapperçoit aufli la connexion probable que tou-
tes les idées ou preuves ont l'une avec l'autre dans chaque
degré d'un Difcoiu-s auquel elle juge qu'on doit donner
fon afléntiment ; ce qui eft le puis bas degré de ce qui
peut être véritablement appelle Râifon. Car lorfque l'Ef-
prit n'apperçoit pas cette connexion probable , & qu'il
ne voit pas s'il y a une telle connexion ou non , en ce
cas-là les opinions des hommes ne font pas des produ-
irions du Jugement ou de la Raifon , mais des efFets du
hazard, des penfées d'un Efprit flottant qui embraflé les
chofes fortuitement, fans choix &: fans régie.
^. 3. De forte que nous pouvons fort bien confiderer Ses cjuitre par-
dans la Raifon ces quatre dégrez ; le premier 6c le plus ^"•
important conllfte à découvrir des preuves j le fécond à
les ranger régulièrement & dans un ordre clair ôc conve-
nable qui falTe voir nettement & flicilement la connexion
& la force de ces preuves ; letroifiémc à appercevoir leur
connexion dans chaque partie de la Déduction j & le qua-
trième à tirer une julle conclufion du tout. On peut ob-
ferver ces différens dégrez dans toute Démonftration Ma-
thématique , car autre chofe eft d'appercevoir la con-i
nexion de chaque partie , à mefure que la Démonftration
eft faite par une autre perfonne, 8c autre chofe d'apperce-
voir la dépendance que la conclufion a avec toutes les par-
ties de la Démonftration ; autre chofe eft encore de faire
voir une Démonftration par foy-méme d'une manière clai-
re ôc diftinfte , ôc enfin une chofe difterente de ces trois-
là , c'eft d'avoir trouvé le premier ces Idées moyennes ou
ces preuves dont la Démonftration eft compofée.
§. 4. Il y a encore une chofe à confiderer ftir le fujet Le Syiiogifmc
de la Raifon que je voudrois bien qu'on prit la peine d'ex- "'"'^P'^^ '^
^ n. r I c 11 r n ■ > ■ grand Iiiltru-
aminer, c eft// k ôyUogtJme efit comme on croit gênera- mcm de la
lement , le grand Infiniment de la Raifon ér le tneilleur ^^'^°"-
moyen de mettre cette Faculté en exercice. Pour moy j'en
doute 3 6c voici pourquoy.
Rrrrr Pré-
866 De la Raifon.
C H A p. Premièrement à caule que le Syllogifme n'aide la Rai-
XVII. fon que dans l'une des quatre parties dont je viens dépar-
ier, c'cft à dire pour montrer la connexion des preuves
dans un feul exeniple, & non au delà. Mais en cela mê-
me il n'efl: pas d'un grand ufage , puifque l'Efprit peut
appercevoir une telle connexion oii elle eft réellement ,
auifi facilement , & peut-être mieux fans le fecours du
Syllogifme, que par fon entremife.
Si nous faifons reflexion fur les actions de nôtre Efprit ,
nous trouverons que nous raifonnons mieux 6c plus claire-
ment lorfque nous obfervons feulement la connexion des
preuves, fans réduire nos penfées à aucune régie ou for-
me de Syllogifme. Auiîi voyons-nous qu'il y a quantité
de gens qui raifonnent d'une manière fort nette Se fort
jufte, quoy qu'ils ne fâchent point faire un Syllogifme
en forme. Qiiiconque prendra la peine de confiderer la
plus grande partie de VAfle & de \ jimeriqiie , y trouvera
des hommes qui raifonnent peut-être aufli fubtilement
que luy , mais qui n'ont pourtant jamais ouï parler de
Syllogifme, &: qui ne fauroient réduire aucun Argument
à ces fortes de Formes ; Se je doute que perfonne s'avife
prefque jamais de faire un Syllogifme en raifonnant en
luy-même. A la vérité , les Syllogifmes peuvent fervir
quelquefois à découvrir une faufleté cachée fous l'éclat
brillant d'une Figure de Rhétorique , Se adroitement en-
veloppée dans une Période harmonieufe , qui remplit a-
gréablement l'oreille ; ils peuvent , dis-je , fervir à fiire
paroître un raifonnement abfurde dans fa difformité natu-
relle, en le dépouillant du faux éc^at dont il ell couvert,
6c de la beauté de l'exprcllîon qui impofe d'abord à l'Ef-
prit. Mais la foibleiTe ou l» fauffjté d'un tel Difcours ne
le montre par le moyen de h forme ariiiicieîle qu'on luy
donne, qu'à ceux qui ont étudié à fonds les Modes Se les
Figures du fyllogifne, & qui ont fi bien examiné les dif-
férentes manières félon lefquelles trois Propofitions peu-
vent être jointes enfemble , qu'ils connoiflent laquelle
produit certainement une jufle conclufion, 6c laquelle ne
fau-
T>e la Raifon. L ï v. IV. 867
fauroit le faire; & fur quels fondemens cela arrive. Pour C H ap.
ceux qui ont étudié les Régies du Syllogifme jufqu'à voir iXVII.
Ja raifon pourquoy en trois Propofitions jointes enfemble
dans une certaine Forme, la Conclufion fera certainement
jufte , & pourquoy elle ne le fera pas certainement dans
une autre, je conviens que ces gens-là font certains de la
Conclufion qu'ils dcduifcnt des pretvijfes félon les Modes
& les Figures qu'on a établies dans les Ecoles. Mais pour
ceux qui n'ont pas pénétré fi avant dans les fondemens de
ces Formes, ils ne font point aflurez en vertu d'un Ar-
gument fyllogiftique , que la Conclufion découle certai-
nement des Prémifles. Ils le fuppofent feulement ainfipar
une foy implicite qu'ils ont pour leurs Maîtres Se par une
confiance qu'ils mettent dans ces Formes d'argumenta-
tion } mais ce n'efl: pourtant autre chofe que croire , &
non, être certain. Or fi parmi tous les hommes ceux-là
font en fort petit nombre qui peuvent faire un fyllogif-
me , en comparaifon de ceux qui ne fauroient le faire ;
6c fi entre ce petit nombre qui ont appris la Logique , il
n'y en a que très-peu qui faffent autre chofe que croire ,
que les Syllogifmes réduits aux Modes & aux Figures éta-
blies, font concluans, fans connoître certainement qu'ils
le foient ; cela , dis-je , étant fuppofé ; fi le Syllogifme
doit être pris pour le feul véritable Inftrument de la Rai-
fon, ôc le feul moyen de parvenir à la ConnoifTance , il
s'enfuivra qu'avant Artjlote il n'y avoit perfonne qui con-
nût ou qui pût connoître quoy que ce foit par Raifon ,
ôc que depuis l'invention du Syllogifme il n'y a pas un
homme entre dix mille qui jouifi!e de cet avantage.
Mais Dieu n'a pas été fi peu libéral de fes faveurs en-
vers les hommes , que fe contentant d'en faire des Créa-
tures à deux jambes , il ait laifle à An flot e le foin de les
rendre Créatures raifonnables , je veux dire ce petit nom-
bre qu'il pourroit engager à examiner de telle manière les
fondemens du Syllogifme, qu'ils viflent qu'entre plus de
foixante manières dont trois Propofitions peuvent être
rangées , il n'y en a qu'environ quatorze où l'on puifle
Rrrrr 2 être
868 Delà Raifort.
C H A p. être afluré que la Conclullon eft jufte , & fur quel fonde-
XVII. ment la Conclufion eft certaine dans ce petit nombre de
Syllogifmes, & non dans les autres. Dieu a eu beaucoup
plus de bonté pour les hommes. 11 leur a donné un Ef-
prir capable de raifonner , fans qu'ils ayent befoin d'ap-
prendre les formes des Syllogifmes. Ce n'eft point, dis-jc,
par les Régies du Syllogifme que l'Efprit humain apprend
à raifonner. Il a une Faculté naturelle d'appercevoir la
convenanceouladifconvenance de fes Idées, &: il peut les
mettre en bon ordre fans toutes ces répétitions embarraflan-
tes. Jenedis point ceci pour rabaiflér en aucune manière yf-
riftote que je regarde comme un des plus grands hommes
de l'Antiquité, que peu ont égalé en étendue, en fubtilité,
en pénétration d'Efprit, & par la force du Jugement, Se
qui en cela même qu'il a inventé ce petit Syftême des For-
mes de l'Argumentation , par oîi l'on peut faire voir que
la Conclufion d'un Syllogifme eft jufte &: bien fondée ,
a rendu un grand fervice aux Savans contre ceux
qui n'avoient pas honte de nier tout , èc je conviens fans
peine que tous les bons raifonnemcns peuvent être réduits
à ces formes Syllogiftiques. Mais cependant je croy pou-
voir dire avec vente , &c fans rabaifl'er Anjlote , que ces
formes d'Argumentation ne font ni le feul ni le meilleur
moyen de raifonner, pour amener i la Connoiflance de
la Vérité ceux qui délirent de la trouver , Se qui louhai-
tent de faire le meilleur ufage qu'ils peuvent de leur Kaifon
pour parvenir à cette Connoiflance. Et il eft vifiblequ'y^-
rifiote luy-méme trouva que certaines Formes étcie-n.t con-
cluantes, 6v' que d'autres ne l'étoientpasjnon par le moyen
. des Formes mêmes,mais par la voye originale de la Connoif-
fance, c'eft-à-dire par la convenance mr;iiifcfte des lôiéçs.
Dites à une Dame de campagne que le vent eft fud-oueft,
& le temps couvert &: tourné à la pi'.iye ; elle compren-
dra fans peine qu'il n'eft pas fur pour elle de fortir , par
im tel jour , légèrement vêtue après avoir eu la fièvre j
elle voit fort nettement la liaifon <ie toutes ces chofcs,
veuijud-oucjlf nuages , ^luye , biiMidite , pre?idre froid ,
re-
De la Rai/on. Lrv. IV. 869
rechute Se danger de mort^ flms les lier enfemble par une Chap.
chaine artificielle & embarraflante de divers Syllogifnies XVIl.
qui ne fervent qu'à embrouiller 6c retarder l'Efprit , qui
fans leur fecours va plus vite 6c plus nettement d'une par-
tie à l'autre j de forte que la probabilité que cette perfon-
ne apperçoit aifément dans les chofes mêmes ainfi placées
dans leur ordre naturel , feroit tout-à-fait perdue à fon
égard, fi cet Argument étoit traité favamment 6c réduit
aux formes du Syllogifme. Car cela confond très-fouvent
la connexion des Idées j 6c je croy que chacun reconnoî-
tra fans peine dans les Démonftrations Mathematiaues ,
que la connoiflance qu'on acquiert par cet ordre naturel,
paroît plutôt 6c plus clairement fans le fecours d'aucun
Syllogifme.
L'Acte de la Faculté Raifonnable qu'on regarde com-
me le plus confiderable eft celui à'inferer , 6c il l'eft elîx-
ctivement lorfque la conféquence eft bien tirée. Mais
i'Efprit eft fi fort porte à tirer des conféquences, foitpar
le Violent delir qu'il a d'étendre fos connoiflanccs, ou par
un grand penchant qui l'entraine à favorifer les fentimens
dont il a été une fois imbu , que fouvent il fe hâte trop ,
d'inférer avant que d'avoir apperçu la connexion des I-
dées qui doivent lier enfemble les deux extrêmes.
Inférer n'cft autre chofe que déduire une Fropofition
comme véritable , en vertu d'une Propoiltion qu'on a
déjà avancée comme véritable, c'eft-à-dire , voir ou fup-
pofer une connexion de certaines Idées moyennes qui
montrent la connexion de deux Idées dont eft compofée
la Propofition inférée. Par exemple , fuppofons qu'on
avance Cette Propofttion , Les hommes Jet ont pions dans
Vautre Monde , <k que de )à on veuille en inférer cette
auîre, .Do7iC les ho?nmes peuvent fe déterminer evx-mèmes ;
laQiieftion tft prefentement de fivoir fi I'Efprit a bien ou
mal fait cette interence. S'il l'a faite en trouvant des Idées
moyennes 6c en confiderant leur connexion dans leur ve^
ritable ordre , il s'eft conduit raifbnnabiement, èz a tiré
une jufte conféquence. S il l'a faite fans une telle veûë,
Krrrr 5 bier^
8 /o ^e ^^ Raifon.
Chap. bien loin d'avoir tiré une conféquence folide & fondée
XVII. ^n raifon , il a montré feulement le defir qu'il avoit qu'el-
le le fût ou qu'on la reçût en cette qualité. Mais ce n'eft
pas le Syllogifme qui dans l'un ou l'autre de ces cas dé-
couvre ces Idées ou fait voir leur connexion } car il faut
que l'Efprit les ait trouvées, & qu'il ait apperçu la con-
nexion de chacune d'elles avant qu'il puilTe s'en fervirrai-
fonnablement à former" des Syllogifmes ; à moins qu'on
ne dife, que toute Idce qui fe préfente à l'Efprit, peut
afléz bien entrer dans un Syllogifme fans qu'il foit nécef-
faire de confidérer quelle liaifon elle a avec les deux aii-
tres i !k qu'elle peut fervir à tout hazard de terme moyen
pour prouver quelque conclufion que ce foit. C'eft ce
que perfonne ne dira jamais, parce que c'eft en vertu de
la convenance qu'on apperçoit entre une idée moyen ne ôc
les deux extrêmes, qu'on conclut que les extrêmes con-
viennent entr'eux ; d'où il s'enfuit que chaque idée mo-
yenne doit être telle que dans toute la chaine elle ait une
connexion vifible avec les deux Idées entre lefquelles elle
efl- placée, fans quoy la conclufion ne peut être déduite
par fon entremife. Car par tout où un anneau de cette
chaine vient à fe détacher & à n'avoir aucune liaifon avec
i le refte , dès-là il perd toute fa force , èc ne peut plus
contribuer à attirer ou inférer quoy que ce foit. Ainfî ,
dans l'exemple que je viens de propofer, quelle autre cho-
fe montre la force &: par conféquent la juflefle de la con-
féquence , que la veûc de la connexion de toutes les I-
dées moyennes qui attirent la conclufion ou la Propofi-
tion inférée i comme. Les hommes feront punis -m
Dieu ceha qui punit La punition jn/ie
Lf puni coupable // auroit pâ faire autre-
ment Liberté Vinffance de fe déternti-
%er foy-mème ? Par cette vifible enchainure d'Idées , ainfi
jointes enfemble tout de fuite, en forte que chaque idée
moyenne s'accorde de chaque côté , avec les deux Idées
entre lefquelles elle eft immédiatement placée , les idées
A' hommes i ^àcpui(fance de fe déterminer foy-méme , pa-
roifTent
DtWRaifon. Liv. IV. 871
roiflent jointes enfemble , c'eft-à-dire que cette Propoiî- C h a p
tion , Les hommes peuvent fe déterminer eux-mêmes , eft XVII.
attirée ou inférée par celle-ci Q\i' ils feront punis dans l'au-
tre Monde. Car pur là l'Efprk voyant la connexion qu'il
y a entre l'idée de la punition des hommes dans Vautre
Monde i èc l'idée de Dieu qui punit ; entre Dieu qui punit
èc lajiiftice de la punition; entre lajujlue de la punition &c
la coulpe-, entre la coulpe Se la puiffance de faire autrement;
entre la puiffance de faire autrement &c la liberté ; entre la
liberté &c la puiffance defe déterminer foy-même ; l'Efprit,
dis-je, appercevant la liaifon que toutes ces Idées ont l'u-
ne avec l'autre , voit par même moyen la connexion qu'il
y a entre les hommes èc la puiffance de fe déterminer foy-
même.
Je demande préfentement fi la connexion des Extrêmes
ne fe voit pas plus clairement dans cette difpofition fim-
ple & naturelle que dans des répétitions perplexes &: em-
brouillées de cinq ou fix Syllogifmes. On doit me par-
donner le terme d" embrouillé , jufqu'à ce que quelqu'un
ayant réduit ces Idées en autant de Syllogifmes, ofeafTû-
rer que ces Idées font moins embrouillées , &; que leur
connexion eft plus vifible lorfqu'elles font ainfi tranfpo-
iées , répétées, & enchaffées dans ces formes artificielles,
que lorfqu'elles font préfentes à l'Efprit dans cet ordre
court, fimple 6c naturel, dans lequel on vient de les pro-
pofer, où chacun peut les voir, & félon lequel elles doi-
vent être veiiés avant qu'elles puifitnt former une chaine
de Syllogifmes. Car l'ordre naturel des Idées qui fervent
à lier d'autres Idées, doit régler l'ordre des Syllogifmes,
de forte qu'un homme doit voir la connexion que chaque
Idée moyenne a avec celles qu'il joint enfemble avant
qu'il puiffe s'en fervir avec railonà former un Syllogifme.
Et quand tous ces Syllogifmes font faits , ceux qui font
Logiciens & ceux qui ne le font pas, ne voyentpas mieux
qu'auparavant la force de l'Argumentation , c'eft-à-dire,
la connexion des Extrêmes. Car ceux qui ne font pas
Logiciens de profelHon , ignorant les véritables formes
du
S/i De la Raifon. ■•
C H A p. du Syllogifme auflî bien que les fondemens de ces formes,
XVIÎ. ne fauroient connoître fi les Syllogifmes font réguliers ou
non, dans des Modes vc des Figures qui concluent juftcj
6c ainfi ils ne font point aidez par les Formes félon lef-
quelles on range ces Idées -, ôc d'ailleurs l'ordre naturel
dans lequel l'Efprit pourroit juger de leurs connexions
refpeftivcs étant troublé par ce^ formes fyllogiftiques , il
arrive de là que la conféquence eft beaucoup plus uicer-
taine, que fins leur entremife. Et pour ce qui eft des
Logiciens eux-mêmes 5 ils voyentla connexion que chaque
Idée moyenne a avec celles entre lefquelles elle eft placée
(d'oii dépend toute la force de la conféquence) ils la
voyent j dis-je, tout aufli bien avant qu'après que le Syl-
logifme eft fait i ou bien ils ne la voyent point du tout.
Car un Syllogifme ne contribué en rien à montrer ou à
fortifier la connexion de deux Idées jointes immédiate-
ment enfemble; il montre feulement par la connexion qui
a été déjà découverte entr'elles , comment les Extrêmes
font liez l'un à l'autre. Mais s'agit-il de favoir quelle
connexion une Idée moyenne a avec aucun des Extrêmes
dans ce Syllogifme, c'eft ce que nul Syllogifme ne mon-
tre ni ne peut jamais montrer. C'eft l'Efprit feulement
qui apperçoit ou qui peut appercevoir ces Idées placées
ainfi dans une efpéce âe jjixta-po/ùion, & cela par fa pro-
pre Veûé qui ne reçoit abfolument aucun fecoursni aucu-
ne lumière de la forme Syllogiftique qu'on leur donne.
Cette forme fert feulement à montrer que fi l'idée moyen-
ne convient avec celles auxquelles elle eft immédiatement
appliquée de deux cotez, les deux Idées éloignées, ou,
comme parlent les Logiciens , les Extrêmes conviennent
certainement enfemble ; & par confequent la liaifon im-
médiate que chaque Idée a avec celle à laquelle elle eft
appliquée de deux cotez, d'où dépend toute la force du
Raifonnement, paroit aufli bien avant qu'après la con-
ftrudion du Syllogifme > ou bien celui qui forme le Syl-
logifme ne le verra jamais. Cette connexion d'Idées ne fe
voit, comme nous avons déjà dit , que par la Faculté
per-
De la Raifon. Liv. IV. 873
perceptive de l'Efprit qui les découvre jointes enfemble Chap.
dans une cfpéce de jiixta-pofldon , &: cela, lorfque les XVll.
deux Idées font jointes enfemble dans une Propoiîrion ,
foit que cette Propofition conllituë ou non la Majeure ou
la Mineure d'unSyll(>gifme.
A quoy fert d(^nc le Syllogifme ? Je répons, qu'il eil
principalement d'ufagc dans les Ecoles , ou l'on n'a pas
honte de nier la convenance des Idées qui conviennent
vifiblement enfemble, ou bien hors des Ecoles à l'égard
de ceux qui 5 a l'occalion &: à l'exemple de ce que les Do-
ftes n'ont pas honte de faire, ont appris auffi à nier fans
pudeur la connexion des Idées qu'ils ne peuvent s'empê-
cher de voir eux-mêmes. Pour celui qui cherche fincere-
ment la Vérité & qui n'a d'autre but que de la trouver , il
n'a aucun befoinde ces formes Syllogiftiques pour être for-
cé à reconnoître la conféquencedont la vérité Se la judef-
fe paroiflent bien mieux en mettant les Idées dans un ordre
fimple & naturel. De là vient que les hommes ne font
jamais des Syllogifmes en eux-mêmes , lorfqu'ils cher-
chent la Vérité , ou qu'ils l'enfeignent à des gens qui dé-
firent fincerement de la connoître; parce qu'avant quede
pouvoir mettre leurs penfées en forme Syllogiftique , il
faut qu'ils voyent la connexion qui eft entre l'Idée mo-
yenne & les deux autres idées entre lefquelles elle eft
placée, & auxquelles elle eft appliquée pour faire voir
leur convenance ; & lorfqu'ils voyent une fois cela , ils
voyent fi la confequence eft bonne ou mauvaife , 8c par
conféquent le Syllogifme vient trop tard pour l'établir.
Car, pour me fervir encore de l'exemple qui a été pro-
pofé cy-deftus, je demande fi l'Efprit venant àconfidcrer
l'idée de Jvjlice, placée comme une idée moyenne entre
la punition des hommes & lacoulpe decelui qui eftpuni,
(idée que l'Efprit ne peut employer comme un terme
moyen avant qu'il l'ait confiderce dans ce rapport} je de-
mande fi dès-lors il ne voit pas la force &z la validité de
la confequence, aufll clairement que lorfqu'on forme un
Syllogifme de ces Idées. Et pour faire voir la mêmecho-
Sffff fe
874- DelaRaifon.
Chap. fe dans un exemple tout-à-faic fimple &: aifé à comprend
XVII. dre, fuppofons que le mot Animal foit l'Idée moyenne,
ou , comme on parle dans les Ecoles , le tertne moyen que
l'Efprit employé pour montrer la connexion à'homo &de
vivens, je demande fi l'Efprit ne voit pas cette liaifon
aulli promptement Se auili nettement lorfque l'Idée qui
lie ces deux termes efl: placée au milieu dans cet arrange-
ment fimple & naturel
Homo — Animal ■ Vivcnsy
que dans cet autre plus embarrafie ,
Animal — Vivens — Homo — Animal;
ce qui eft la pofition qu'on donne à ces Idées dans un Syl-
Icgifine , pour faire voir la connexion qui eft entre homo
êc l'ivens par l'intervention du mot Animal.
On croit à la vérité que le Syllogifme eft néceflaire à
ceux mêmes qui aiment fincerement la Vérité pour leur
faire voir les Sophifmes qui font fouvent cachez fous des
difcours fleuris, pointilleux ou embrouillez. Mais on fe
trompe en cela , comme nous verrons fans peine fi nous
confiderons que la raifon pourquoy ces fortes de difcours
vagues Se fans liaifon , qui ne font pleins que d'une vaine
Rhétorique, impofent quelquefois à des gens qui aiment
fincerement la Vcrite , c'eft que leur Imagination étant
frappée par quelques Métaphores vives fie brillantes, ils
négligent d'examiner quelles font les véritables Idées d'où
dépend la conféqucnce du Difcours , ou bien éblouis de
l'éclat de ces Figures ils ont de la peine à découvrir ces
Idées. Mais pour leur faire voir la foiblefle de ces fortes
de Raifonnemens , il ne faut que les dépouiller des idées-
fuperflues qui mêlées fie confondues avec celles d'oii dé-
pend la conféquence, femblent faire voir une connexion
où il n'y en a aucune, ou qui du moins empêchent qu'on
ne découvre qu'il n'y a point de connexion ; après quoy
il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nues d'où
dépend la force de l'Argumentation j fie l'Efprit venant à
les Gonfiderer en elles-mêmes dans une telle pofition,,
voit bientôt q^uelles connexions elles ont entr'clles fie peut
par
DeîaRaifon. Liv. IV. 87^
par ce moyen juger de la conféquence fans avoir be- Chap-
foin du fecours d'aucun Syllogifme. XVII.
Je conviens qu'en de tels cas on fe fert communément
des Modes &c des Figures , comme fi la découverte de
Vmcohérence de ces fortes de Difcours étoit entièrement
due à la forme Syllogiftique. J'ai été moy-méme dans
ce fentiment, jufqu'à ce qu'après un plus févére examen
j'ai trouvé qu'en rangeant les Idées moyennes toutes nues
dans leur ordre naturel , on voit mieux Vmcohérence de
l'Argumentation que par le moyen d'un Syllogifme j non
feulement à caufe que cette première Méthode expofe
immédiatement à l'Efprit chaque anneau de la chaine
dans fa véritable place, par où l'on en voit mieux la liai-
fon, mais auflî parce que k Syllogifme ne montre l'inco-
hérence qu'à ceux qui entendent parfaitement les formes
Syllogiftiques 6c les fondemens furlefquels elles font éta-
blies j Se ces perfonnes ne font pas un entre mille j'au lieu que
l'arrangement naturel des Idées , d'où dépend la confé-
quence d'un raifonnement , fulîit pour faire voir à tout
homme le défaut de connexion dans ce raifonnement èc
l'abfurdité de la conféquence , foit qu'il foit Logicien
pu non ; pourvu qu'il entende les termes &: qu'il ait la
faculté d'appercevoir la convenance ou la difconvenance
de ces Idées, fins laquelle faculté il ne pourroit jamais
reconnoître la force ou la foiblefle, la cohérence ou Vm-
cohérence d'un Difcours par l'entremife ou fous le fecourç
du Syllogifme.
Ainfi j j'ai connu un homme à qui les régies du Syllo-
gifme étoient entièrement inconnues , qui appercevoit
d'abord la foiblefle 6c les faux raifonnemens d'un long
Difcours, artificieux & plaufible , auquel d'autres gens
exercez à toutes les finefles de la Logique fe font laifle
attraper} 6c je croy qu'il y aura peu de mes Le£teurs qui
ne connoiflént de telles perfonnes. Et en effet fi cela
u'étoit ainfi , les Difputes qui s'elevent dans les Confeils
de la plupart des Princes , 6c les affaires qui fe traitent
dans les Affemblées Publiques feroient en dangçr d'être
Sffff 2 mal
876 T>e la Raifon.
C H A p. mal ménagées, puifque ceux qui y ont le plus d'autorité
XVII. & qui d'ordinaire contribuent le plus aux décilîons qu'on
y prend, ne font pas toûiours des gens qui aycnt eu le
bonheur d'être parfiutement inftruits dans l'Art de faire
des Syllogifmes en fc^rine. Qiie il le Syllogifme étoit le
feul,oumême le plus fur moyen de découvrir les fauifetez
d'un Difcours artificieux , je ne croy pas que l'Erreur fie
la Faufleté foient fi fort du goût de tout le Genre Hu-
main 5c particulièrement des Princes dans des matières
qui intérefient leur couronne 6c leur dignité , que par
tout ils eufîent voulu négliger de faire entrer le Syllogif-
me dans des difcuflions importantes , ou regardé comme
une chofe fi ridicule de s'en fervir dans des affaires de
conféquence: Preuve évidente à mon égard que les gens
de bon fens &c d'un Efprit folide fie pénétrant , qui au lieu
de perdre leur temps à difputer à leur aife , ont dû agir
félon le refultat de leurs décifions, fie fouvent payer leurs
mêpnfes de leur vie ou de leurs biens, ont trouvé que ces
formes Scholaftiqucs n'étoient pas d'un grand ufage pour
découvrir la vérité ou la faufleté , tandis qu'on pouvoit
faire voir l'une ^ l'autre fans leur entremife , Se même
plus diftinftement, à quiconque ne refuferoit pas de voir
ce qui luy feroit montré vifiblement.
En fécond lieu , une autre raifon qui me fait douter
que le Syllogifme foit le véritable Inflrument de la Rjii-
fon dans la découverte de la \^erité , c'elt que de quelque
ufage qu'on ait jamais prétendu que les Modes fie les Fi-
i^ures pufl'ent être pour découvrir la fallacc d'un Argu-
ment (ce qui a été examiné cy-deflus) il fe trouve dans
Je fonds que ces formes Scholaftiques qu'on donne au
difcours , ne font pas moins fujettes à tromper l'Efpric
que des manières d'argumenter plus fimples ; fur quoy
j'en appelle à l'Expérience qui a toujours fait voir que
ces Méthodes artificielles étoient plus propres à furpren-
dre fie à embrouiller l'Efpritqu'à l'mrtruirc fie à l'éclairer.
Delà vient que les gens qui font battus fie réduits au filen-
ce par cette méthode Scholaftique, font rarement ou plû-
.* tôt
T)e la Raifon. L i v. IV. 877
tôr ne font jamais convaincus S: attirez par là dans le C h a p.
parti du vainqueur. Us reconnoifient peut-être que leur XVII.
adverfaire eft plus adroit dans la difpure} mais ils ne laif-
ient pas d'être perfuadez de la jullice de leur propre cau-
le; & tout vaincus qu'ils font, ils fe retirent avec la mê-
me opinion qu'ils avoicnt auparavant ; ce qu'ils ne pour-
roient faire, li cette manière d'argumenter portoit la lu-
mière & la conVi£lion avec elle, en forte qu'elle fit voir
aux hommes ou eft la Vérité. Auili a-t-on regardé le Syl-
logifme comme plus propre à faire obtenir la victoire dans
la Difpute, qu'à découvrir ou à confirmer la Vérité dans
les recherches fincéres qu'on en peut fliire. Et s'il eft cer-
tain-, comme on n'en peut douter, qu'on puifle envelop-
per des raifonnemens fallacieux dans des Syllogifmes, il
faut que la fallace puiflé être découverte par quelque au-
tre moyen que celui du Syllogifme.
J'ai vu par expérience , que , lorfqu'on ne reconnoit
pas dans une chofe tous les ufagcs que certaines gens ont
été accoutumez de luy attribuer , ils s'eciient d'abord
que je voudrois qu'on en négligeât entièrement l'ufage.
Mais pour prévenir des imputations fi injuftes (ï^c li dcfti-
tuées de fondement, je leur déclare ici que je ne fuis point
d'avis qu'on fe prive d'aucun moyen capable d'aider l'En-
tendement dans l'acquifirion de la ConnoifTance > & Ci
des perfonnes ftilées de accoutumées aux formes Syllogi-
ftiques les trouvent propres à aider leur Raifon dans \x
découverte de la Vérité, je croy qu'ils doivent s'en fer-
vir. Tout ce que j'ai en veîiè dans ce que je viens dédire
du Syllogifme, c'eft de leur prouver qu'ils ne devraient
pas donner plus de poids à ces formes qu'elles n'en méri-
tent, ni fe figurer que fms leurs fecours les hommes ne
font aucun ufage, ou du moins qu'ils ne font pas un ufa-
ge fi parfait de leur Faculté de raifonner. Il y a des
Yeux qui ont befoin de Lunettes pour voir clairement 6c
diftinârement les Objets -, mais ceux qui s'en fervent, ne
doivent pas dire à caufe de cela que perfonne ne peut
bien voir fans lunettes. On aura raifon de juger de ceux
Sffff 3 qui
878 De la R a if on.
C H A P. qui en ufent ainfi , qu'ils veulent un peu trop rabaifler U
XVII. nature en faveur d'un Art auquel ils font peut-être redcr
vables. Lorfque la Raifon eft ferme &; accoutumée à
s'exercer, elle voit plus promptement £c plus nettement
par fa propre pénétration fans le fecours du Syllogifme,
que par fon entremife. Iviais Ci l'ufage de cette efpéce
de Lunettes a fi fort offufqué la veûé d'un Logicien qu'il
ne puiffe voir fans leur fecours , les conféquences ou les
inconféquences d'un Raifonnement , je ne fuis pas fi dé-
raifonnable pour le blâmer de ce qu'il s'en ferc Chacun
connoit mieux qu'aucune autre perfonne ce qui convient
le mieux à fa veùë; mais qu'il ne conclue pas de là que
tous ceux qui n'employent pasîjuftement les mêmes fe-
cours, qu'il trouve luy être néceflaires , font dans les
ténèbres.
le Syllogifme §• 5- Mais quel que foit l'ufage du Syllogifme dans ce
n'cft pas "d'un qui regarde la ConnoifTance , je croy pouvoir dire avec
iins*^ h°Dl '^^^^^^ l'-i''^ C/^ beaucoup moins utile , ou plutôt qu'il n'eft
rêoiiaration , abfoliimeilt d'aucun ufage dans les Probabilités; , car l'afl'en-
moins encore fiment devant être déterminé dans les chofes probables
dans les Proba- , , j • j j ^11
bihiez. P^^ le plus grand poids des preuves , après qu on les a
dûement examinées de part & d'autre dans toutes leurs
circonftances , rien n'eft moins propre à aider l'Efprit
dans cet examen que le Syllogifme , qui muni d'une îeu-
Je probabilité ou d'un feul argument topique fe donne car-
rière, &c pouffe cet Argument dans fes derniers confins ,
jufqu'àce qu'il ait entraîné l'Efprit hors de la veûë de la
chofe en queftion > de forte que le forçant , pour ainû
dire , à la faveur de quelque difficulté éloignée , il le
tient là fortement attaché , & peut-être même em-
brouillé 6c entrelaffé dans une chaine de Syllogifmes ,
ians luy donner la liberté de confiderer de quel côté fe
trouve la plus grande probabilité , après que toutes ont
•été dùemcnt examinées j tant s'en faut qu'il luy fournifle
les fecours capables de s'en inftruire.
Il ne fert point §. 6. Qii'on fuppofc enfin , fi l'on veut, qne le Syl-
à ausn.cnier logifme cft de quclquc fecours pour convaincre les hom-
mes
De la Raifon. Liv. IV. 879
mes de leurs erreurs ou de leurs méprifes , comme on Chap.
peut le dire peut-être, quoy que je n'aye encore vu XVII.
perfonne qui ait été forcé par le Syllogifme à quitter "'-mais à châ-
les opinions, il eft du moins certain que le Syllogifme ^|^i'„",^^'^Qy5
n'eft d'aucun ufage à nôtre Raifon dans cette partie qui avons déjà,
confifte .1 trouver des preuves (^ a faire de nouvelles décou-
vertes, laquelle fi elle n'ell pas la qualité la plus parfaite
de l'Efprit, eft fans contredit f; plus pénible fonétion ,
& celle dont nous tirons le plus d'utilité. Les régies du
Syllogifme ne fervent en aucune manière à fournir à l'Ef-
prit des idées moyennes qui puifTent montrer la conne-
xion de celles qui font éloignées. Cette méthode de rai-
fonner ne découvre point de nouvelles preuves j c'eft feu-
lement l'Art d'arranger Celles que nous avons déjà. La
47'"*. Propofition du Premier Livre d'Euclide eft très< vé-
ritable, mais je ne croy pas que la découverte en foit due
à aucunes Régies de la Logique ordinaire. Un homme
f(7««(?// premièrement, êc il eft enfiiite capable de prou-
ver en forme Syllogiftique ; de forte que le Syllogifme
vient après la Connoiflance, &: alors on n'en a que fort
peu ou point du tout de bcfoin. Mais c'elt principale-
ment par la découverte des Idées qui montrent la con-
nexion de celles qui font éloignées , que le fonds cies
Connoilfances s'augmente & que les Arts 6v les Sciences
utiles fe pcrfecl'ionnent. Le Syllogifme n'eft tout au plus
que l'Art de faire valoir en difputant le peu de connoif-
fance que nous avons, fans y rien ajouter; de forte qu'un-
homme qui employeroit entièrement fa Raifon de cette
manière, n'en feroit pas un meilleur ufage que celui qui
ayant tiré quelques Lingots de fer des entrailles de la
Terre , n'en feroit forger que des épées qu'il mettroit
entre les mains de fes Valets pour fe battre &: fe tuer les
uns les autres. Si le Roy d'Efpagne eut employé de cet-
fe manière le Fer qu'il avoir dans fon Royaume , &: les
mains de fon Peuple , il n'auroit pu tirer de la Terre
qu'une très-petite quantité de ces Thréfors qui avoient
été cachez fi long-temps dans les Mines de V Amérique,
De
88o VeURâifon.
C H A p. De même, je fuis tenté de croire, que quiconque confu-
XVll. ni^ra toute la force de fa Haifon à mettre des Àrgumens
en forme, ne pénétrera pas fort avant dans ce fonds de.
ConnoilTances qui refte encore caché dans les fecrets re-
coins de la Nature, êc vers où je m'imagine que le pur
bon fens d-ins fa fimplicité naturelle eft beaucoup plus
propre à nous tracer un chemin , pour augmenter par là
le fonds dc:, Connoiiïanccs humaines, que cette réduction
du Raifonnenicnt aux Modes Se aux Figures dont on don-
ne des régies fi précifes dans les Ecoles.
§. 7. Je m'imagine pourtant qu'on peut trouver des
voyes d'aider la Raifon dans cette partie qui eft d'un fi
grand ufagej & ce qui m'encourage à le dire c'eft le ju-
dicieux Hooker qui parle ainfi dans fon Livre intitulé
La Police Eccléfia[iique , Liv. I. §.6. Si l'on pouvait
fournir les vrais fecours du Savoir & de l'Art de raifon-
ner (car je ne ferai pas difficulté de dire que dans ce fiécle
qui paf^e pour éclaire on ne les connoit pas beaucoup cr
quen général on ne s'en met pas fort en peine') il y aurait
(ans doute prefqu'autant de différence par rapport à. la foli-
dité du Jugement entre les hommes qui s'en fervirotent , à^
ce que les hommes font préfentement , qu'entre les hommes
d'à préfenî ér des Imbecilles. je ne prétens pas avoir trou-
vé ou découvert aucun de ces vrais fecours de V Art ^àont
parle ce grand homme qui avoit l'Efprit fi pénétrant ;
mais il eft vifible que le Syllogifme & la Logique qui
eft prcfcntement en ufige, 6c qu'on connoiflbit aullibien
de fon temps qu'aujourd'huy , ne peuvent être du nom-
bre de ceux qu'il avoit dans l'Efprit. C'eft afléz pour
moy fi dans un Difcours qui eft peut-être un peu éloigné
du chemin battu , qui n'a point été emprunté d'ailleurs,
&: qui à mon égard eft adurement tout-à-fait nouveau ,
je donne occafion à d'autres de s'appliquer à faire de nou-
velles découvertes &: à chercher en eux-mêmes ces vrais
fecours de l'Art , que je crains bien que ceux qui fe
foûmcttcnt fervilcment aux ciécifions d'autruy, ne pour-
ront jamais trouver , car les chemins battus conduifcnt
:.■'.- cette
DeURaifon. Liv. IV. 88 1
cette efpéce de Bétail (c'eft ainfi qu'un judicieux * Ro- C h a p.
main les a nommez) dont toutes les penfées ne tendent XVII.
qu'à l'imitation , non où il faut aller mais où l'on va , * //'"■'«f<'> Epift-
îion quo eundvm eft, fed quo itur. Mais j'ofe dire qu'il y ^^ ; ^ f^„^,\g.
a dans ce fiécle quelques perfonnes d'une telle force dcres, jervitm^e-
jugement & d'une fi grande étendue d'Efprit , qu'ils""-
pourroient tracer pour l'avancement de la Connoiflance
des chemins nouveaux &: qui n'ont point encore été dé-
couverts, s'ils vouloient prendre la peine de tourner leurs
penfées de ce côté-là.
§. 8. Après avoir eu occafion de parler dans cet en- nchs raifon-
droit du Syllogifme en général 6c de fes ufages dans le "°"s % ^^
Raifonnement 6c pour la perfeftion de nos Connoiflan- J^ig^j" ^^"'"*
ces, il ne fera pas hors de propos , avant que de quitter
cette matière, de prendre connoiflance d'une mêprife vi-
fible qu'on commet dans les R.égles du Syllogifme, c'eil
que nul Raifonnement Syllogijlique ne peut être jujteô' con-
cluant ^ s'il ne contient au moins une Propojltion générale:
comme fi nous ne pouvions point raifonner 6c avoir des
connoiflances fur des chofes particulières. Au lieu que
dans le fonds on trouvera tout bien confideré qu'il n'y a
que les chofes particulières qui foient l'objet immédiat
de tous nos Raifonnemens 6c de toutes nos Connoiflan-
ces. Le raifonnement S^ la connoiflance de chaque hom-
me ne roule que fur les Idées qui exifl:ent dans fon Ef-
prit, defquelles chacune n'efl: efl:e£tivement qu'une exi-
ftence particulière ; 6c les autres chofes ne font l'objet de
nos Connoiflances ôc de nos Raifonnemens qu'entant
qu'elles font conformes à ces Idées particulières que nous
a^^ons dans l'Efprit. De forte que la perception de la
convenance ou de la difconvenance de nos Idées particu-
lières eft le fonds 6c le total de nôtre Connoiflance. L'Ù-
niverfalité n'eft qu'un accident à fon égard , èc confille
uniquement en ce que les Idées particulières qui en font
le fujet , font telles que plus d'une chofe particulière peut
leur être conforme 6c être repréfentée par elles. Mais la
perception de la convenance ou difconvenance de deux
Ttttt Idées,
882 De la Raifon.
Chap. Idées, & par conféquent nôtre Connoiflance eft égale-
XVII. ment claire 6c certaine , foit que l'une d'elles ou toutes
deux foient capables de repréfenter plus d'un Etre réel
ou non, ou que nulle d'elles ne le Ibit. Une autre chofe
que je prens la liberté de propofer fur le Syllogifme , a-
vant que de finir cet article, c'eft fi l'on n'auroit pas fii-
jet d'examiner, fi la forme qu'on donne préfentement au
Syllogifme eft telle qu'elle doit être raifonnablement.
Car le terme moyen étant dcftiné à joindre les Extrêmes,
c'eft-à-dire les Idées moyennes pour faire voir par fonen-
trcmife la convenance ou la difconvenance des deux Idées
• , en queftion , la pofition du terme moyen ne feroit-elle
pas plus naturelle , &: ne montreroit-elle pas mieux &c
d'une manière plus claire la convenance ou la difconve-
nance des Extrêmes, s'il étoit placé au milieu entredeux?
Ce qu'on pourroit faire fans peine en rranfpofant les Pro-
pofitions éc en faifant que le terme moyen fut l'attribut
du premier Se le fujet du fécond , comme dans ces deux
exemples ,
Omnis hotno efi animal ^
Omne aniMûl efi vivens ,
Ergo omnis homo efi vivens.
Omhe Corpus efi extenfum ^folidum,
Nullnm extenfum c^ folidum efi pura extenfio ,
Ergo Corpus non efi pura extenfio.
Il n'eft pas néceflaire que j'importune monLe£teur par
des exemples de Syllogifmes dont la Conclufion foit par-
ticulière. La même raifon autorife aufli bien cette forme
à l'égard de ces derniers Syllogifmes qu'à l'égard de ceux
dont la Conclufion eft générale.
Poutqiioy la §• 9- Pour dire préfentement un mot de l'étendue de
Raiion vient a n^Q-Q Raifou i quov qu'elle pénétre dans les abvmes de
nous manquer , , , o J i -n ^ 11 si ri r -i
en certaines la Mcr Cv uc u i circ , qu elle s eleve juiqu aux Etoiles
rencontres. ^
DelaRaifon. Liv. IV. 883
& nous conduife dans les vaftcs Efpaces & les apparte- C h A p.
mens immenfes de ce prodigieux Edifice qu'on nomme XVII.
le Monde j il s'en faut pourtant beaucoup qu'elle com-
prenne même l'étendue réelle des Etres Corporels,
ôc il y a bien des rencontres où elle vient à nous man-
quer.
Et premièrement elle nous manque abfolument par i- Parce que i«
tout où les Idées nous manquent. Elle ne s'étend pas ^'^"^ "°"*
,,. Ti' n/- • ^ r- ■ ^ ^ '^^ manquent.
plus lom que ces Idées, & ne lauroit le faire. C eftpour-
quoy par tout où nous n'avons point d'Idées, nôtre Rai-
fonnement s'arrête , èc nous nous trouvons au bout de
nos comptes. Qiie fi nous raifonnons quelquefois fur des
mots qui n'emportent aucune idée, c'eft uniquement fur
ces fons que roulent nos raifonnemens 6c non fur aucune
autre chofe.
§. 10. En fécond lieu, nôtre Raifon eft fouvent em- "• ^s''" q"é
barrairée 8c hors de route , à caufe de l'obfcurité , de la ^bfJref & Sa".
confufion ou de l'imperfeftion des Idées fur lefquelles parfaites,
elle s'exerce } ik c'eft alors que nous nous trouvons em-
barraflez dans des contradictions 6c des difficultez infur-
montables. Ainfi , parce que nous n'avons point d'idée
parfaite de la plus petite extenfion de la Matière ni de
l'Infinité, nôtre Raifon eft à bout fur le fujet de la divi-
fibilité de la Matière > au lieu qu'ayant des idées parfai-
tes , claires 6c diftin6tes du Nombre , nôtre Raifon ne
trouve dans les Nombres aucune de ces difficultez infur-
montables , èz ne tombe dans aucune contradiction fur
leur fujet. Ainfi , les idées que nous avons des opérations
de nôtre Efprit 8c du commencement du Mouvement ou
de la Penfée, 8c de la manière dont l'Efprit produit l'u-
ne &c l'autre en nous , ces idées , dis-je, étant imparfai-
tes, 8c celles que nous nous formons de l'opération de
Dieu l'étant encore davantage , elles nous jettent dans
de grandes difficultez fur les Agens créez , douez de li-
berté, defquelles la Raifon ne peut guère fe dèbarrafiler.
§. II. En troifiéme lieu , nôtre Raifon eft fouvent m. Parfeqie
pouflee à bout j parce qu'elle n'appercoit pas les idées '" ^"^"^
*" »'*_'-«-j.r . moyennes
^Wl manquent.
qp "■ "■ •= ■^ ^^^_. moyemicsnous
FiS^j. De la Raifort.
Chap. qui pourroient fervir à luy montrer une convenance oit
XVIL difconvenance certaine ou probable de deux autres Idées:
& dans ce point , les Facultez de certains hommes l'em-
portent de beaucoup fur celles de quelques autres. Juf-
qu'à ce que V Algèbre ■> ce grand inftrument & cette preu-
ve inllgne de la fagacité de l'homme , eût été découver-
te , les hommes regardoient avec étonnement plufieurs
Démonftrations des Anciens Mathématiciens , «Se pou-
voicnt à peine s'empêcher de croire que la découverte de
quelques-unes de ces Preuves ne fut au deflus des forces
humaines.
IV. Parce que §. 12. En quatrième licu , l'Efprit venant à bâtir fur
V°^ ^TT" ^^ ^^"^ Principes , fe trouve fouvent engagé dans des ab-
Piiiicipes. furditez, &" des difficultez infurmontables, dans de fâ-
cheux défilez £v de pures contradictions, fans favoir com-
ment s'en tirer. Et dans ce cas il ell inutile d'implorer
le fecours de la Raifon , à moins que ce ne foit pour dé-
couvrir la faufleté 6c fecouér le joug de ces Principes.
Bien loin que la Raifon éclaircifTe les difficultez dans Icf-
quelles un homme s'engage en s'appuyant fur de mauvais
fondemens, elle l'embrouille davantage Se le jette toù-
* jours plus avant dans l'embarras.
V. A caufe des §• ^3- En cinquième lieu , comme les Idées obfcures
termes douteux & imparfaites embrouillent fouvent la Raifon, fur lemê-
scuiccttaïus. nie fondement il arrive fouvent que dans les Difcours &
dans les Raifonnemens des hommes, leur Raifon eft con-
fondue èz poufTée à bout par des mots équivoques , êc
des fignes douteux & incertains , lors qu'ils ne font pas
exactement fur leur garde. Mais quand nous venons à
tomber dans ces deux derniers égaremens , c'eft nôtre
faute, 6c non celle de la Raifon. Cependant les confc-
quences n'en font pas moins communes , 6c l'on voit par
tout les embarras ou les erreurs qu'ils produifent dans l'Ef-
prit des hommes.
LepiusLautdc- §• 14- Entre Ics Idécs que nous avons dans l'Efprit , il
^tc de nôtre y en a qui peuvent être immédiatement comparées par
î'ïinSott elles-m^mes, l'une avec l'autre.i 6c à l'cgard de ces Idées
l'Ef*
DeîaRaifofî. Lrv. IV. 885
rEfprit eft capable d'appercevoir qu'elles conviennent ou C h a p.
difconviennent aulli clairement qu'il voit qu'il les a en XVII.
luy-même. Ainfi l'Efprit apperçoit aufli clairement que f"^'" raifoiint-
l'Arc d'un Cercle eft plus petit que tout le Cercle, qu'il ™^"^'
apperçoit l'idée même d'un Cercle : &: c'eft ce que j'ap-
pelle à caufe de cela une Comioiffance intuiti've , comme
j'ai déjà dit: ConnoifTance certaine, à l'abri de tout dou-
te, qui n'a befoin d'aucune preuve & ne peut en recevoir
aucune, parce que c'eft le plus haut point de toute la
Certitude humaine. C'eft en cela que confifte l'évidence
de toutes ces Maximes fur lefquelles perfonne n'a aucun
doute , de forte que non feulement chacun leur donne
fon confentement , mais les reconnoit pour véritables dès
qu'elles font propofées à fon Entendem.ent. Pour dé-
couvrir Se embraffer ces veritez, il n'eft pas néceflaire
de faire aucun ufage de la Faculté de difcourir , on n'a
pas befoin du Raifonnement , car elles font connues
dans un plus haut degré d'évidence ; degré que je fuis
tenté de croire (s'il eft permis de hazarder des conje£tu-
res fur des chofes inconnues} tel que celui que les An-,^
ges ont préfentement & que les Efprits des hommes
juftes parvenus à la perfection auront dans l'Etat-à-venir,
fur mille chcfes qui à préfent échappent tout-à-fait à nô-
tre Entendement &: defquelles nôtre Raifon dont la veûë
eft fi bornée, ayant découvert quelques foibles rayons,
tout le refte démeure enfeveli dans les ténèbres à nôtre
égard.
§. 15-. Mais quoy que nous voyions çà & là quelque i.e ruiVant ed
lueur de cette pure Lumière, quelques étincelles de cet- '^ Dcmonftra-
te éclatante ConnoifTance > cependant la plus grande par- [â°fonnemcu/^
tie de nos Idées font de telle nature que nous ne faurions
difcerner leur convenance ou leur difconvenance en les
comparant immédiatement enfemble. Et à l'égard de tou-
tes ces Idées nous avons befoin du Raifonnement , &:fom-
mes obligez de faire nos découvertes par le moyen du dif-
cours &: des déductions. Or ces Idées font de deux fortes,
que je prendrai la liberté d'expofer encore aux yeux démon
Lecteur. Ttttt ; IL
886 V-e la Raifon.
C H A p. 11 y a premièrement, les Idées dont on peut découvrir
XVII. la convenance ouladifconvenance par l'intervention d'au-
tres Idées qu'on compare avec elles,quoyqu'onnepuiflela
voir en joignant enfemble ces premières Idées. Et en ce
cas-là, lorTque la convenance ou la difconvenance des I-
dées moyennes avec celles auxquelles nous voulons les
comparer, fe montrent vifiblement à nous, cela fait une
Démonftration qui emporte avec foy une vraye connoif-
fance, mais qui, bien que certaine, n'eft pourtant pas fi
aifée à acquérir ni tout-à-fait fi claire que la ConnoifTan-
ce Intuitive. Parce qu'en celle-ci il n'y a qu'une feule
intuition , pure Se fimple , fur laquelle on ne fiuroit fe
méprendre ni avoir la moindre apparence de doute , la
vérité y paroiflant tout à la fois dans fa dernière perfe-
£tion. 11 eft vray que l'intuition fe trouve aufli dans la
Démonftration, mais ce n'eft pas tout à la fois j car il
faut retenir dans fa Mémoire l'intuition de la convenance
que l'Idée moyenne a avec celle à laquelle nous l'avons
comparée auparavant , lorfque nous venons à la compa-
rer avec l'Idée fuivante , & plus il y a d'Idées moyennes
-dans une Démonftration , plus on eft en danger de fe
tromper, car il faut remarquer fie voir d'une connoiflance
de fimple veùë chaque convenance ou difconvenance des
Idées qui entrent dans la Démonftration, en chaque de-
gré de la déduârion , & retenir cette liaifon dans la Mé-
moire, juftement comme elle eft, de forte que l'Efprit
doit être aflùré que nulle partie de ce qui eft néceffaire
pour former la Démonftration, n'a été omife ou négligée.
C'eft ce qui rend certaines Démonftrations longues, em-
barraflees, 6c trop difficiles pour ceux qui n'ont pasaflcz
de force Se d'étendue d'Efpntpour appercevoir diftincle-
ment, &: pour retenir exactement Ss. en bon ordre tant
d'articles particuliers. Ceux mêmes qui font capables de
débrouiller dans leur tête ces fortes de fpéculation s com-
pliquées, font obligez quelquefois de les faire pafler
' plus d'une fois en reveûë avant que de pouvoir parvenir
à une connoifTance certaine. Mais du refte , lorfque
l'Efprit
De la Ralfofi. Liv. IV. 887
l'Efprit retient nettement Se d'une connoiflance de fim Chap.
pie veûë le fouvenir de la convenance d'une Idéeavec une XVII.
autre, cc de celle-ci avec une troifiémej &: de cette troi-
fiéme avec une quatrième , c^c. alors la convenance de la
première &: de la quatrième eft une Démonftration , &
produit une connoiflance certaine qu'on peut appeller
Connoijfance raifonnée , comme l'autre eft une Connoiflan-
ce intuitive.
§. 16. Il y a , en fécond lieu , d'autres d'Idées dont on Pour fuppiéer
ne peut juger qu'elles conviennent oudifconviennentjau- ^ "' ^'"'■'"^^
^ ^ '^ ij • -r j» TJ ' • > • étroites de la
trement que par 1 entremiie a autres Idées quin ont point Raifon, ii ne
de convenance certaine avec les Extrêmes , mais feule- "°"^ '■='^« q"c
ment une convenance ordinaire ou vraifemblable, & c'eft fondd"fj^j"j
fur ces Idées qu'il y a occafion d'exercer le Jugement qui raifontiemens
eft cet acquiefcement de l'Efprit par lequel on fuppofe P^°'^*'^'"-
que certaines Idées conviennent entr'elles en les compa-
rant avec ces fortes de Moyens probables. Qiioy que cela
ne s'élève jamais jufqu'à la Connoiflance , ni jufqu'à ce
qui en fait le plus bas degré ; cependant ces Idées moyen-
nes lient quelquefois les Extrêmes d'une manière fi inti-
me; &: la Probabilité eft fi claire & fi forte, que l'Aflèn-
timentle fuit auflî nécefl^iirement que la Connoiflance
fuit la Démonftration. L'excellence & l'ufage du Juge-
ment confifte à obferver exactement la force &; le poids
de chaque Probabilité &: à en faire une jufte eftimation;
& enfuite après les avoir , pour ainfi dire , toutes fom-
mées exaftement à fe déterminer pour le côté qui empor-
te la balance.
§. 17. La Connoijfance intuitive eft la perception de la intuition, Dc'-
convenance ou difconvenance certaine de deux Idées com- mo"itration ,
parées immédiatement enfemble. Jugemeur.
La Connoijfance raifonnée eft la perception de la con-
venance ou difionvenance certaine de deux Idées , par
l'intervention d'une ou de plufieurs autres Idées.
Le Jugement eft la penfèe ou la fuppofition que deux
Idées conviennent ou difconviennent , par l'intervention
d'une ou de plufieurs Idées dont l'Efprit ne voit pas la
con-
S88 Ve la Raifon.
C H A p. convenance ovi la difconvenance certaine avec ces deux
XVlî. Idées 5 mais qu'il a obfervé être fréquente ce ordinai-
re.
Coiifc'quences §. i8. Qiioy qu'une grande partie des fondions de la
déduites des pa- Raifon , & ce qui en fait le fujet ordinaire, ce foit dedé-
lïquenccs'^de'- duitc une Propofition d'une autre, ou de tirer des confé-
dmtcs des idc'cs.qucnces par des paroles > cependant le principal a«3:e du
Kaifonnement confifte à trouver la convenance ou la dif-
convenance de deux Idées par l'entremife d'une troifié-
me, comme un homme trouve par le moyen d'une Aune
que la même longueur convient à deux Maifons qu'on
ne fauroit joindre enfemble pour en mefurer l'égalité par
une juxta-pofitiov. Les Mots ont leurs conféquences en-
tant qu'ils font fignes de telles ou telles Idées -, &z lescho-
fcs conviennent ou difconviennent félon ce qu'elles font
réellement , mais nous ne pouvons le découvrir que par
les Idées que nous en avons.
Quatre fortes §• 19- Avant quc de finir cette matière, il ne fera pas
4Argumcns, inutile de faire quelques reflexions fur quatre fortes d'Ar-
gumens dont les hommes ont accoutumé de fe fervir en
raifonnant avec les autres hommes , pour les entraîner dans
leurs propres fentimens, ou du moins pour les tenir dans
ime efpéce de refpeft qui les empêche de contredire.
Le premier aj I- Le premier eft de citer les opinions des perfonnes
vemuNJi.mi. qui par Icur Efprit , par leur favoir , par l'éminence de
leur rang, par leur puifllince ou par quelque autre raifon,
fe font fait un nom &: ont établi leur réputation fur l'efti-
me commune avec une certaine efpéce d'autorité. Lorf-
que les hommes font élevez à quelque dignité ; on croit
qu'il ne fied pas bien à d'autres de les contredire en quoy
que ce foit, èc c'eft blefler la modeftie de mettre en que-
ilion l'Autorité de ceux qui en font déjà en poflellion.
Xorfqu'un homme ne fe rend pas promptemcnt à des dé-
cifions d'Auteurs approuvez que les autres embraflent a-
vec foùmilîlon &: avec refpeft, on eft porté à le ccnfurer
comme vn homme trop plein de vanité : ^' l'on regarde
comme l'eftet d'une grande infolence qu'un homme ofe
éta-
DelaRaifon. Liv. IV. 889
établir un fentiment particulier 8c le foûtenir contre le Chap,
torrent de l'Antiquité, ou le mettre en oppofition avec XVII.
celui de quelque favant Dofteur, ou de quelque ftuîieux
Ecrivain. C'eftpourquoy celui qui peut appuyer fes opi-
nions fur une telle autorité, croit dès-là être en droit de
prétendre la viftoire, & il ell: tout prêt à taxer d'impru-
dence quiconque ofera les attaquer. C'eft ce qu'on peut
appeller, à mon avis, un Argument ad verecnndiam.
§. 20. Un (econd moyen dont les hommes fe fervent Le fécond ad
pour porter Se forcer, pour ainfi dire, les autres à foù- ^^"'"''"""""•
mettre leur Jugement aux décilions qu'ils ont prononcé
eux-mêmes fur l'opinion dont on difpute , c'eft d'exiger
de leur Adverfaire qu'il admette la preuve qu'ils mettent
en avant , ou qu'il en afligne une meilleure. C'eft ce que
j'appelle un Argument ad Ignorantiam.
§. 21. Un troifiéme moyen c'eft de prefler un homme Le troinemc
par les conféquences qui découlent de fes propres Princi- '"^ '"">"""»■
pes, ou de ce qu'il accorde luy-même. C'eft un Argu-
ment déjà connu fous le titre d'Argument ad hommem.
§.22. Le quatrième coniifte à employer des preuves Le quatrième
tirées de quelqu'une des Sources de la Connoiffance ou "' ^"''"■'"'""
de la Probabilité. C'eft ce que j'appelle un ylrgument ad
Jîidicium. Et c'eft le feul de tous les quatre qui foit ac-
compagné d'une véritable inftruftion fie qui nous avance
dans le chemin de la Connoiflance. Car I. de ce que je
ne veux pas contredire un homme par refpect ou par quel-
que autre confideration que celle de la conviiStion , il ne
s'enfuit point que fon opinion foit raifonnable. II. Ce
n'eft pas à dire qu'un autre homme foit dans le bon che-
min, ou que je doive entrer dans le même chemin que
luy par la raifon que je n'en connois point de meilleur.
III. Dès-là qu'un homme m'a fait voir que ')'■:[ tort, il
ne s'enfuit pas qu'il ait raifon luy-même. Je puis être
modefte , & par cette raifon ne point attaquer l'opinion
d'un autre homme. Je puis être ignorant, & n'être pas
capable d'en produire une meilleure. Je puis être dans
l'Erreur, ôc un autre peut me faire voir que je me trom-
Vvvvv pe.
890 De la Raifon.
Chap. pe. Tout cela peut me difpofer peut-être à recevoir la
XVII. Vérité, mais il ne contribue en rien à m'en donner la
connoifl'ance j cela doit venir des preuves , des Argu-
mens fie d'une Lumière qui naifle de la nature des chofes
mêmes, 6c non de ma timidité, de mon ignorance ou de
mes égaremens.
Ce que c'cft §• 23. Par ce que nous venons de dire de la Raifon,
que , srioii la nous pouvous être en état de former quelque conjefture
fuid'ia?'ii- f'J'' cette diftinftion des Chofes, entant qu'elles font y^/o«
foih'iLCsuuùre l^^ 'Wallon i au dejfus de la Raifon &c contraires à la Rai-
« h Raifon. r^^^
I. Par celles qui (ont félon la Raifon j'entens ces Pro-
pofitions dont nous pouvons découvrir la vérité en exa-
minant Se en fuivant les Idées qui nous viennent parvoye
de Senfation &c de Réflexion , Se que nous trouvons véri-
tables ou probables par des déductions naturelles.
II. J'appelle au de fus de la Raifon les Propofitions
dont nous ne voyons pas que la vérité ou la probabilité
puiflé être déduite de ces Principes par le fecours de la
Raifon.
m. Enfin les Propofitions contraires à la Raifon font
celles qui ne peuvent confifter ou compatir avec nos Idées
claires 6c diftinftes. Ainil , l'exiftence d'un Dieu eft
félon la Raifon ; l'exiftence de plus d'un Dieu eft con-
traire à la Raifon > 6c la Refurreftion des Morts eft au
deflus de la Raifon. De plus , comme ces mots au de (fus
de la Raifon peuvent être pris dans un double fens , fa-
voir pour ce qui eft hors de la fphere de la Probabilité
ou de la Certitude, je croy que c'eft aufli dans ce fens é-
tendu qu'on dit quelquefois qu'une chofe eft contraire x
la Raifon.
La Raifon & la §. 24 Le mot de R^//^« eft encore employé dans un
Foy ne lont^^^ autrc ufagc , par oii il eft oppofe à la Foy : &c quoy que
Ces oppofécs. ce foit là une manière de parler fort impropre en elle-
même, cependant elle eft fi fort autonfée par l'ufage or-
dinaire, que ce fcroit une folie de vouloir s'oppofcr ou
remédier à cet inconvénient. Je croy feulement qu'il ne
fera
De la Raifon. L i v. IV. '69 1
fera pas mal à propos de remarquer que, de quelque ma- Chap,
niére qu'on oppofe la Fdy à la tiaifon , la Foy n'cfl: au- XVIL
tre chofe qu'un ferme Airennment de l'Efprit , lequel
aflentiment étant réglé comme il doit être , ne peut être
donné à aucune choie que fur de bonne? raifons. Se par
conféquent il ne fauroit être oppofé à la iiailbn. Celui
qui croit, fans avoir aucune raifon de croire, peut être
amoureux de fes propres fantaifies; mais il n'ert pas vray
qu'il cherche la Vérité dans l'efprit qu'il la doit cher-
cher, ni qu'il rende une obeïflance légitime à fon Maî-
tre qui voudroit qu'il fit ufage des Facultez de difcerner
les Objets, defquelles il l'a enrichi pour le préferver des
meprifes & de l'Erreur. Celui qui ne les employé pas à
cet ufage autant qu'il eft en fa puiflance , a beau voir
quelquefois la Vérité , il n'eft dans le bon chemin que
par hazard, Se je ne fai fi le bonheur de cet accident ex-
cufera l'irrégularité de fa conduite. Ce qu'il y a de cer-
tain , au moins, c'eft qu'il doit être comptable de toutes
les fautes où il s'engage -, au lieu que celui qui fait ufage
de la Lumière èc des Facultez que Dieu luy a données,
&: qui s'applique fincerement à découvrir la Vérité , par
les fecours 6c l'habileté qu'il a , peut avoir cette fatisfa-
6lion en faifant fon devoir comme une Créature raifonna-
ble, qu'encore qu'il vint à ne pas rencontrer la Vérité, fa
recherche ne lailîera pas d'être récompenfée. Car celui-là
régie toujours bien fon Aflentiment 6c le place comme il
doit, lorfqu'en quelque cas ou fur quelque matière que
ce foit , il croit ou refufe de croire félon que fa Raifon
l'y conduit. Celui qui fait autrement , pèche contre fes
propres Lumières &c abufe de ces Facultez qui ne luy ont ^
été données pour aucune autre fin que pour chercher ^
fuivre la plus claire évidence &: la plus grande probabili-
té. Mais parce que la Raifon ôc la Foy font nules en op-
pofition par certaines perfonnes , nous allons les confidé-
rer fous ce rapport dans le Chapitre fuivant.
Vvvvv 2 CHA-
$9 2 Delà Foy ér àe la Raifon-,
CHAPITRE XVIII.
De la Foy ér àe la Raifon; cr de leurs bornes
àiflm^îes.
Il cft nca-flàire §, i. XTOus avons montré cy-deiïlis , i. Qiie nous
ÈrnerafTa' " iN fommes néceffairement dans l'Ignorance , 6c
eoy&iàthKM- que toute forte de Connoiflance nous manque , là où les
(en. Idées nous manquent. 2. Qiie nous fommes dans l'igno-
rance & deftituez de Connoilfance raifonnée , dès que les
preuves nous manquent. 3. Qiie la Connoiflance géné-
rale &: la certitude nous manquent , jufqu'oii les Idées
fpécifiques , claires &; déterminées viennent à nous man-
quer. 4. Et enfin , Que la Probabilité nous manque
pour diriger nôtre AflTentiment dans des matières où nous
n'avons ni connoiiTance par nous-mêmes , ni témoignage
de la part des autres hommes fur quoy nôtre Raifon puifle
fe fonder.
De ces quatre chofes préfuppofées , on peut venir , je
penfe , à établir les bornes qui font entre la Foy & la Rai-
fon : connoiflance dont le défaut a certainement produit
dans le Monde de grandes difputes 6c peut-être bien des
méprifesj fi tant eft qu'il n'y ait pas caufé auflî de grands
défordres. Carjufqu'à ce qu'on ait déterminé jufqu'où
nous fommes guidez par la Raifon, 6c jufqu'où nous fom-
mes conduits par la Foy , c'ell en vain que nous difpute-
rons i^. que nous tacherons de nous convaincre l'un l'autre
fur des Matières de Religion.
Cequec'eftque §. 2. Jc trouve quc chaquc Sefte fe fert avec plaifirde
laFoy&ijRai- j,^ t^^jfon autant qu'elle en peut tirer quelque fecours, 6c
Ion , entant i n r ■ ^ i -i ■> ■
qu'elles font di- que, dès quc laRauon vient a leur manquer ils s écrient,
ftindiesTunede^'^/^ «« article de Foy a- au defjus de la Raifon. Mais je
1 autre. ■' . " -1
ne vois pas comment ils peuvent argumenter contre une
perfonne d'un autre Parti, ou convaincre un Antagonifte
qui fe fert de la même défaite j fans pofer des bornes pré-
cifes
é- de hnrs bornes âipnEîes. Liv. IV. 89-»
cifes entre la Foy & la Railbn ; ce qui devroit être le C h a p.
premier point établi dans toutes les Qiieftions où la Foy XVIII.
a quelque part.
Confiderant donc ici la Raifon comme diftindte de la
Foy, je fuppofe que c'eft la découverte de la certitude
ou de la probabilité des Propoiltions ou Véritez que
l'Efpnt vient à connoître par des deduftions tirées d'I-
dées qu'il a acquifes par l'uiage de fes Facultez naturel-
les, c'eft-à-dire, par Senfation ou par Reflexion.
La Foy d'un autre côté, eft l'afléntiment qu'on donne
à toute Propofition qui n'eft pas ainli fondée fur des dé-
ductions de la Raifon, mais fur le crédit de celui qui les
propofe comme venant de la part de Dieu par quelque
communication extraordinaire. Cette manière de décou-
vrir des véritez aux hommes, c'eft ce que nous appelions
Révélation.
§.3. Premièrement donc je dis que nul homme infpi- Nulle nouvelle
ré de Dieu ne peut par aucune Révélation communiquer i''" l^'upic ne
aux autres hommes aucune nouvelle/^/^/w/)/^ qu'ils n'euf- d une dans ï'Er.
fent auparavant par voye de Senfation ou de Réflexion.- pnr prune Re-
Car quelque impreflion qu'il puifle recevoir immédiate- ^Y'^",°" ^"'^''
ment kiy-même de la mam de Dieu, fi cette Révélation
eft compofée de nouvelles Idées fimples , elle ne peut
être introduite dans l'Efprit d'un autre homme par des
paroles ou par aucun autre figne ; parce que les paroles ne
produifent point d'autres idées par leur opération immé-
diate fur nous que celles de leurs fons naturels : 6c c'eft
par la coutume que nous avons pris de les employer com-
me fignes qu'ils excitent & reveillent dans nôtre Efprit
des idées qui y ont été auparavant, &: non d'autres. Car
des mots vus ou entendus ne rappellent dans nôtre Efpnt
que les Idées dont nous avons accoutumé de les prendre
pour fignes, fie nefauroient y introduire aucune idée fim-
ple parfaitement nouvelle èc auparavant inconnue. 11 en
eft de même à l'égard de tout autre figne qui ne peutnous
donner à connoître des chofes dont nous n'avons jamais eu
auparavant aucune idée.
Vvvvv 3 Ainfi,
894 De la Fey & de la Raifon ;
C H A p. Ainfi , quelques chofes qui euflenc été découvertes à
XVIII. S.Paul lorlqu'il fut ravi d:ms le troiiiéme Ciel , quelque
nouvelles idées que Ton Efprit y eût reçu , toute la def-
cription qu'il peut faire de ce Lieu aux autres hommes
c'eft que ce font des chofes que fOevil n'a point veûés , que
l'Oreille ri' a point ornes é^ qui ne font jamais entrées dans
le cœur de l'Homme. Et iuppofé que Dieu fit connoitre
furnaturellement à un homme une Efpéce de Créatures
qui habite par exemple dans Jupiter ou dans Saturne ^
pourvue de fix Sens, (car pafonnc ne peut nier qu'il ne
puifié y avoir de telles Créatures dans ces Planètes} Se
qu'il vint à imprimer dans fon Efprit les idées qui font
introduites dans l'Efprit de ces Habitans de Jupiter ou
de Saturne par ce fixieme Sens , fet homme ne pourroit
non plus faire naître par des parole dans l'Efprit des au-
tres hommes les idées produites par ce fixiéme Sens, qu'un
de nous pourroit , par le fon de certains mots , introduire l'i-
dée d'une Couleur dans l'Efprit d'unhommequi poflédant
les quatre autres Sens dans leur perfection auroit toù)ours
été privé de celui de la veûe. Par conféquent, c'eft uni-
quement de nos Facultez naturelles que nous pouvons re-
cevoir nos Idées Jimples qui font le fondement Se la feule
matière de toutes nos Notions Se de toute nôtre Connoif-
fancc; Se nous n'en pouvons abfolument recevoir aucune
par une Révélation iradittonale , fi j'ofe me fcrvir de ce
terme. Je dis une Révélation Traditionale pour la diitin-
guer d'une Révélation Originale. J'entens par cette der-
nière la première imprefllon qui eft faice immédiatement
par le doigt de Dieu fur l'Efprit d'un homme j imprefllon
à laquelle nous ne pouvons fixer aucunes bornes j Se par
l'autre j'entens ces imprefllons propofées à d'autres par
des paroles Se par les voyes ordinaires que nous avons de
nous communiquer nos conceptions les uns aux autres.
La Revciition §. 4. Je dis en fécond lieu , que les mêmes Véritez
Tradinoiiaie ç.^^ç. j^ous Douvous dccouvrir par la Kaifon, peuvent nous
peut nous hire l r., r>i-nj--i
connoître des ctrc communiquecs par une Kevelanon 1 raditionale.
Propofirions Aiufi Dicu pouttoit avoir communiqué aux hommes,
qu'on peut con- *■ ■*■
•' ^ par
c^ de leurs bornes dijlin^es. L i v. lY, 895
par le moyen d'une telle Révélation, la connoiflance de C h a p.
la vérité d'une Propofition d'£«r//<!/^, toutde même que XVIII.
les hommes viennent à la découvrir eux-mêmes par l'u- "o'^c par le
fage naturel de leurs Facultez. Mais dans toutes les cho- RaXn, mais
fes de cette efpéce , la Révélation n'eft pas fort néccflUi- non pjs avec
re, ni d'un grand ufage ; parce que Dieu nous a donné (""^'"^ç """
des moyens naturels 6c plus fûrs pour arriver à cette con- dernier moyen.
noillance. Car toute vérité que nous venons à découvrir
clairement par la connoiflance & par la contemplation de
nos propres idées , fera toujours plus certaine à nôtre é-
gard que celles qui nous feront enfeignées par une Révé-
lation Traditionale. Car la connoiflfance que nous avons
que cette Révélation eft venue premièrement de Dieu,
ne peut jamais être fi fûre que la Connoiflfance que pro-
duit en nous la perception claire 6c diflin£te que nous
avons de la convenance ou de la difconvenance de nos
propres Idées. Par exemple, s'il avoir été révélé depuis
quelques fiécles que les trots Angles d'un Triangle font c-
gaux à, deux Droits , je pourrois donner mon confente-
ment à la vérité de cette Propofition fur la foy de la Tra-
dition qui afllire qu'elle a été révélée j mais cela ne par-
viendroit jamais à un fi haut degré de certitude que la
connoiflfance même que j'en aurois en comparant 6c me-
furant mes propres idées de deux Angles Droits, 6c les
trois Angles d'un Triangle. Il en eft même à l'égard
d'un Fait qu'on peut connoitre par le moyen des Sens :
par exemple , l'Hiftoire du Déluge nous ell communi-
quée par des Ecrits qui tirent leur origine de la Révéla-
tion; cependant perfonne ne dira , je penfe , qu'il a une
connoiflfance aufll certaine ^ auflî claire du Déluge que
Noé qui le vit , ou qu'il en auroit eii luy-même s'il eût
été alors en vie ôc qu'il l'eut vu. Car l'airûrance qu'il a
que cette Hiftoire eft écrite dans un Livre qu'on fuppofo
écrit par Moyfe Auteur in(piré, n'eft pas plus grande que
celle que fes Sens peuvent luy fournir j mais l'aflurance
qu'il a que c'eft Moyfe qui a écrit ce Livre, n'eft pas fi
grande, que s'il avoit vu Moyfe qui l'écrivoit aduelle-
ment 5
896 De la Foy & de la Raifort;
C H A p. ment} &: par conféquent l'alTûrance qu'il a que cette Hi-
XVllI. ftoire efl: une Révélation eft toujours moindre que l'afTù-
rance qui luy vient des Sens.
La Rcv^iatiou §. 5. Alnlî, à l'égard des Propofitions dont la certi-
nepcut ctrc re- j.^^^^ ^^ fondée fur la perception claire de la convenance
çiic courre une jij- iii • n
claire évidence OU de la dilconvcnancc de nos Idées qui nous eft connue
de laRa.ion. qu par une intuition immédiate comme dans les Propofi-
tions évidentes par elles-mêmes , ou par des deduftions
évidentes de la Kaifon comme dans les Démonftrations ,
nous n'avons pas befoin du fecours de la Révélation com-
me néceflaire pour gagner nôtre Afléntiment Se pour in-
troduire ces Propofitions dans nôtre Efprit. Parce que
les voyes naturelles par oîi nous vient la ConnoifTance,
peuvent les y établir , ou l'ont déjà fait ; ce qui eft la
plus grande aflYirance que nous puiilions peut-être avoir
de quoy que ce foit , hormis lorfque Dieu nous le révèle
immédiatement) 6c dans cette occafion même nôtre aflu-
rance ne (auroit être plus grande que la connoiflance que
nous avons que c'eft une Révélation qui vient de Dieu.
Mais je ne croy pourtant pas que fous ce titre rien puiffe
ébranler ou renverfer une connoiflance évidente 6c enga-
ger raifonnablement aucun homme à recevoir pour vray
ce qui eft direârement contraire à une chofe qui fe mon-
tre ù fon Entendement avec une parfaite évidence. Car
nulle évidence dont puifiTent être capables les Facultez
par oii nous recevons de telles Révélations , ne pouvant
fiirpafler la certitude de nôtre Connoiflance mtuitive , fi
tant eft qu'elle puiffe l'égaler, il s'enfuit de là que nous
ne pouvons jamais prendre pour vérité aucune chofe qui
foit direftement contraire à nôtre Connoiflance claire 6c
diftinfte. Parce que l'évidence que nous avons , prétnic-
r(m:ut, que nous ne nous trompons point en attribuant
une telle chofe à D i e u , Sz en fécond lieu , que nous en
comprenons le vray fcns , ne peut jamais être Ci grande
que l'évidence de nôtre propre Connoifl!ance Intuitive par
où nous appercevons qu'il eft impofllble que deux Idées
dont nous voyons intuitivement la difconvenance , doi-
vent
^ de leurs bornes diftinEtes. L i v. IV. 897
vent être regardées ou admifes comme ayant une parfaite C a a p.
convenance entr'elles. Et par conféquent, nulle Propo- XVIII.
fition ne peut être reçue pour Révélation divine , ou ob-
tenir l'ailentiment qui eft dû à toute Révélation émanée
de Dieu , fi elle eft contradidtoirement oppofée à nôtre
Connoiflance claire ^ de fimple veûë ; parce que ce fe-
roit renverfer les Principes & les' fondemens de toute
Connoiffance 6c de tout aflentimcnt ; de forte qu'il ne rc-
fteroit plus de difterence dans le Monde entre la Vérité
ôc la Fauflété , nulles mefures du Croyable & de l'In-
croyable , fi des Propofitions douteufes dévoient prendre
place devant des Propofitions évidentes par elles-mêmes,
& que ce que nous connoifTons certainement , dût céder
le pas à ce fur quôy nous fommes peut-être dans l'erreur.
Il eft donc inutile de prefler comme articles de Foy des
Propofitions contraires à la perception claire que nous a-
vons de la convenance ou de la difconvenance d'aucune
de nos Idées. Elles ne fauroient gagner nôtre affentiment
fous ce titre ou fous quelque autre que ce foit. Car la
Foy ne peut nous convaincre d'aucune chofe qui foit con-
traire à nôtre Connoiffancej parce qu'encore que la Foy
foit fondée fur le témoignage de Dieu, qui ne peut men-
tir 6c par qui telle ou telle Propofition nous eft révélée,
cependant nous ne faurions être affûrez qu'elle eft vérita-
blement une Révélation divine , avec plus de certitude
que nous le fommes de la vérité de nôrre propre Con-
noiflance) puifque toute la force de la Certitude dépend
de la connoiffance que nous avons que c'eft Dieu qui a
révélé cette Propofition -, de forte que dans ce cas où
l'on fuppofe que la Propofition révélée eft contraire à nô-
tre Connoiffance ou à nôtre Raifon, elle fera toujours en
butte à cette Objection , Qiie nous ne faurions dire com-
ment il eft pofllble de concevoir qu'une chofe vienne de
Dieu, ce bienfaifint Auteur de nôtre Etre, laquelle
étant reçue pour véritable , doit renverfer tous les Princi-
pes 6c tous les fondemens de Connoiflance , qu'il nous a
donnez , rendre toutes nos Facultez inutiles , détruire
X X X X X ab-
898 De la Foy ér delaRaifon;
Chap. abfolument la plus excellente partie de fon Ouvrage, je
XVIII. veux dire nôtre Entendement , êc réduire l'Homme dans
un état où il aura moins de lumière 6c de moyens de fe
conduire que les Bêtes qui perilîent. Car fi l'Efprit de
l'Homme ne peut jamais avoir une évidence plus claire,
ni peut-être fi claire qu'une chofe eft: de Révélation divi-
ne 5 que celle qu'il a des Principes de fa propre Raifon ,
il ne peut jamais avoir aucun fondement de renoncer à la
pleine évidence de fa propre Raifon pour recevoir à la
place une Propofirion dont la révélation n'eft pas ac-
compagnée d'une plus grande évidence que cts Princi-
pes.
Moins encore §. 6. Jufqucs-là un homme a droit de faire ufage de fa
Tadf'^'^'lc"" ^^i^°" ^ ^^ obligé de l'écouter , même à l'égard d'une
Révélation originale &: immédiate qu'on fuppofe avoir
été faite à luy-méme. Mais pour tous ceux qui ne pré-
tendent pas à une Révélation immédiate 6c de qui l'on
exige qu'ils reçoivent avec foûmifiîon des Véritez , révé-
lées à d'autres hommes , qui leur font communiquées par
des Ecrits que la Tradition a fait pafler entre leurs mains,
ou par des Paroles forties de la bouche d'une autre per-
fonne , ils ont beaucoup plus à faire de la Raifon , èc il
n'y a qu'elle qui puifle nous engager à recevoir ces fortes
de véritez. Car ce qui eft matière de Foy étant feulement
une Révélation divine, èc rien autre chofe -, la Foy, à
prendre ce mot pour ce que nous appelions communé-
ment Foy divine , n'a rien à faire avec aucune autre Pro-
poficion que celles qu'on fuppofe divinement révélées.
De forte que je ne vois pas comment ceux qui tiennent
que la feule Révélation eft l'unique objet de la Foy , peu-
vent dire, que c'eft une matière de Foy 6c non de Rai-
fon , de croire que telle ou telle Proportion qu'on peut
trouver dans tel ou tel Livre eft d'infpirarion divine , à
moins qu'ils ne fâchent par révélation que cette Propofi-
tion ou toutes celles qui Ibnt dans ce Livre, ont été com-
muniquées par une Infpiration divine. Sans une telle ré-
vélation y croire ou ne pas croire que cette Proportion
ou
ér de leurs bornes diJlinBes. L i v. IV. 899
ou ce Livre ait une autorité divine , ne peut jamais être C H a p.
une matière de Foy, mais de Raifon , jufques-là que je XVIIL
ne puis venir à y donner mon confentement que par l'u-
fage de ma Raifon , qui ne peut jamais exiger de moy ,
ou me mettre eu état de croire ce qui eft contraire à elle-
même, étant impofîlble à la Raifon de porter jamais l'Ef-
prit â donner fon afl'entiment à ce qu'elle même trouve
déraifonnable.
Par conféquent dans toutes les chofes où nous recevons
une claire évidence par nos propres Idées Ce par les Prin-
cipes de Connoiflance dont j'ai parlé cy-deffus , la Rai-
fon eft le vray Juge compétent > &: quoy que la Révéla-
tion en s'accordant avec elle puifle confirmer fes déci-
fions , elle ne fauroit pourtant y dans de tels cas , invali-
der fes décrets ; &c par tout oii nous avons une décifion
claire &; évidente de la Raifon , nous ne pouvons être
obligez d'y renoncer pour embrafler l'opinion contraire,
fous prétexte que c'eft une Matière de Foy ; car la Foy
ne peut avoir aucune autorité contre des décifions claires
ôc exprefTes de la Raifon.
§. 7. Mais en troifiéme lieu , comme il y a plufieurs Us chofes qui
chofes fur quoy nous n'avons que des notions fort impar- ^?"^ TJçI^
faites ou fur quoy nous n'en avons abfolument point ; 8c
d'autres dont nous ne pouvons point connoitre l'exiften-
ce paffée, préfente ou avenir, par l'ufage naturel de nos
FaculteZj comme, dis-je, ces chofes font au delà de ce
que nos Facultez naturelles peuvent découvrir èc au def-
fus de la Raifon , ce font de propres Matières de Foy
lorfqu'elles font révélées. Ainfi, qu'une partie des Anges
fe foient rebellez contre Dieu , Se qu'à caufe de cela ils
ayent été privez du bonheur de leur premier état ; 6c
que les Morts refliifciteront 6c vivront encore > ces cho-
fes 5c autres femblables étant au delà de ce que la Raifon
peut découvrir, font purement des Matières de Foy avec
lefquelles la Raifon n'a rien à voir direftement.
§. 8. Mais parce que Dieu en nous accordant k Lu- Ounoncon-
miére de la Raifon, ne s'eft pas ôté par là la liberté de J-^'^^J/^'^^^'^j
Xxxxx 2 nous
900 De la Foy c^ de la Raifon;
Chap. nous donner, lorfqu'il le juge à propos , le fecours de la
XVIII. Révélation fur les matières où nos Facilitez naturelles
rcveiées, font font Capables de nous déterminer par des raifons proba-
d.j Matières de j^^^^ . ^^^^^ ^^ ^^^ lorfqu'il a plû à Dieu de nous fournir
ce fecours extraordinaire , la Révélation doit l'emporter
fur les conjectures probables de la Raifon. Parce que
l'Efprit n'étant pas certain de la vérité de ce qu'il necon-
noit pas évidemment, mais fclaiflant feulement entraîner
à la probabilité qu'il y découvre, eft obligé de donner fon
aflentiraent à un témoignage qu'il fiit venir de Celui qui
ne peut tromper ni être trompé. Mais pourtant il appar-
tient toujours à la Raifon de juger fi c'eft véritablement
une Révélation , & d'examiner la fignifîcation des paro-
les dans lefquelles elle eft propofée. A la vérité , fi l'on
veut faire pafler pour Révélation une chofe contraire aux
Principes évidens de la Raifon Se à la connoifllmce mani-
fefte que l'Efprit a de fes propres Idées claires &c diftin-
&es, il faut alors écouter la Raifon fur cela comme fur
une matière qui eft de fon refl'ort ; puifqu'un homme ne
peut jamais connoître l\ certamement, qu'une Propofition
contraire aux Principes clairs & évidens de fes Connoif-
fanccs naturelles , eft révélée , ou qu'il entend bien les
mots dans lefquels elle luy eft propofée , qu'il connoit
que la Propofition contraire eft véritable > & par confé-
quent il eft obligé de confiderer cette Propofition, êc
d'en juger comme d'une Matière qui appartient à la
Raifon, & non de la recevoir fans examen comme une
Matière de Foy.
Il ùat ccoiitct §-9. Premièrement donc toute Propofition révélée, de
la Révélation ^ yetité de laquelle l'Efprit ne fauroit juger par fes Fa-
leTciiîaRrifon cultcz & Notions naturelles, eft pure matière de Foy 6c
ne fauioit jrga au deffus de la Raifon.
pe"uf portîque ^" ^'^^^^'^ ^'^" ' ^°"'^^^ ^^^ Propofitions fur lefquelles
des )ugemciis l'Efprit pcut fc déterminer, avec le fecours de fesFacul-
piobabies. ^.g^ naturelles , par des déductions tirées des idées qu'il a
acquifes naturellement , font du reftbrt de la Raifon ,
mais toujours avec cette diftcrence qu'à l'égard de celles
fur
M
^ de leurs homes dijlin^îes. L i v. IV. 90 1
fur lefquelles il n'a qu'une évidence incertaine $ de forte C h a p.
qu'il n'eft perfuadé de leur vérité que fur des fondemens XVIIL
probables , qui n'empêchent point que le contraire ne
puifTe être vray fans faire violence à l'évidence certaine
de fes propres Connoiflances , &c fans détruire les Princi-
pes de tout Raifonnement} à l'égard, dis-je, decesPro-
pofitions probables, une Révélation évidente doit déter-
miner nôtre aflentiment &c même contre la probabilité.
Car lorfque les Principes de la Raifon n'ont pas fait voir
évidemment qu'une Propofition eft certainement vrayc
ou faufle, en ce cas-là une Révélation manifefte, comme
un autre Principe de vérité , Se un autre fondement d'af-
fentiment, a lieu de déterminer l'Efprit, & ainfi la Pro-
pofition appuyée de la Révélation devient matière de Foy
& au defltis de la Raifon. Parce que dans cet article par-
ticulier la Raifon ne pouvant s'élever au delTus de la Pro-
babilité, la Foy a déterminé l'Efpnt où la Raifon eft ve-
nue à manquer , la Révélation ayant découvert de quel
côté fe trouve la Vérité.
§. 10. Jufques-là s'étend l'Empire de la Foy, 8c cela il fautccontcr
fans faire aucune violence ou aucun obftacle à la Raifon, Jf^s'^^à'^-^rcfoS
qui n'eft point bleffée ou troublée, mais afliftée &c perfe- dic pem four-
ftionnée par de nouvelles découvertes de la Vérité, éma-
nées de la fource éternelle de toute Connoiflance. Tout
ce que Dieu a révélé, eft certainement véritable, on n'en
fauroit douter. Et c'eft là le propre objet de la Foy. Mais
pour favoir fi c'eft une Révélation ou non , il faut que la
Raifon en juge , elle qui ne peut jamais permettre à l'Ef-
prit de rejetter une plus grande évidence pour embraflér
ce qui eft moins évident , ni fe déclarer pour la probabi-
lité par oppofition à la Connoiflance 6c à la Certitude.
On ne peut avoir aucune évidence , qu'une Révélation
connue par Tradition vient de Dieu dans les termes que
nous la recevons 6c dans le fens que nous l'entendons,
qui foit fi claire 6c fi certaine que celle des Principes delà
Raifon. C'eftpourquoy nulle chofe contraire ou incompatt-
bk avec des decijions de la Raifon , claires é' évidentes par
Xxxxx 3 «//«-
une Coii-
noillanec cer-
taine.
c)oa Ve la Foy é' de la Raifon ;
Chap. elles-mcmes, n'a droit d'être prejfee ou reçue comme une
XVIII. Matière de Foy a. laquelle la Raijon n'ait rien à voir. Tout
ce qui efl: Révélation divine, doit prévaloir fur nos opi-
nions, fur nos préjugez &: nos intérêts, Se eft en droit
d'exiger de l'Efprit un parfait afientiment. Mais une tel-
le foûmiiîion de nôtre Raifon à la Foy ne renverfe pas les
limites de la connoiflance, 8c n'ébranle pas les fondemens
de la Raifon , mais nous laiffe la liberté d'employer nos
Facultez à l'ufage pour lequel elles nous ont été don-
nées.
Si Ton n'établit §• II- Si l'on n'a pas foiu de diftinguer les différentes
pas des bornes juriftii^tions dc la Foy & de la Raifon par le moyen de
h Raifon. i7n> ^^^ bomcs , la Raifou n'aura abfolument point de lieu en
a rien Je fi fana- matière de Religion, Se l'on n'aura aucun droit de blâ-
ti(]uc ou de h j ooinious & les cérémonies extravagantes qu'on re-
cxtravagant en r juf- jtv^j
niatiL-tc de Re- marquc dans la plupart des Religions du Monde -, car
i.gionquipuiifc ^.'gf^ ^ ccttc coûtumc d'en appeller à la Foy par oppofi-
tion à la Raifon qu'on peut , je penfe , attribuer , en grand'
partie, ces abfurditez dont la plupart des Religions qui
divifent le Genre Humain , font remplies. Les hommes
ayant été une fois imbus de cette opinion , Qii'ils ne doi-
vent pas confulter la Raifon dans les chofes qui regardent
la Religion quoy que vifiblement contraires au fens com-
mun & aux Principes de toute leur Connoiflance, ils ont
lâché la bride à leurs fantaifies 6c au penchant qu'ils ont
naturellement vers la Superftition, par où ils ont été en-
traînez dans des opinions fi étranges éc dans des pratiques
Il extravagantes en fait de Religion qu'un homme raifon-
nable ne peut qu'être furpris de leurs folies , fie les regar-
der comme des chofes fi éloignées d'être agréables à Dieu,
cet Etre fuprême qui ell: la Sageffe même, qu'il ne peut
s'empêcher de croire qu'elles paroifl^ent ridicules 6c cho-
quantes à tout homme qui a l'efprit fie le cœur bien fait.
De forte que dans le fonds la Religion qui devroit nous
diftinguer le plus des Bêtes Sz contribuer plus particuliè-
rement à nous élever comme des Créatures raifonnables
au dcflus des Brutes , eft la chofc en quoy les hommes
pa-
Del'EnîhouJiafme. Liv. IV. 903
paroiflent fouvent le plus déraifonnables , ôcplus infenfez C h a p.
que les Bèces mêmes. Credo quia impojfibile eji, ]e le cvoy XVIII.
parce qu'il efl: impoffible, eftune maxime qui peutpafler
dans un homme de bien pour un emportement de zéle>
mais ce feroit une fort méchante régie pour déterminer
les hommes dans le choix de leurs opmions ou de leur
Religion.
CHAP ITRE XIX.
De l'Enthotifiafme. C h a p,
§. I. /'^ U I C G N QU E veut chercher lerieufement la Combien il efl
V/ Vérité , doit avant toutes chofes concevoir ""f'p''e fai-
^^^^ 1 1 > r- 1 1 /o 1 ■ 15- mer la Vente.
^^de 1 amour pour Jille. Car celui qui ne l ai-
me point , ne fauroit fe tourmenter beaucoup pour l'ac-
quérir, ni être beaucoup en peine lorfqu'il manque de la
trouver. Il n'y a perfonnc dans la Répubhque des Let-
tres qui ne fafle profeflîon ouverte d'être amateur de la
Vérité, Se il n'y a point de Créature raifonnable qui ne
prit en mauvaife part de paifTer dans l'Efpnt des autres
pour avoir une inclination contraire. Mais avec tout ce-
la, l'on peut dire fans fe tromper, qu'il y a fort peu de
gens qui aiment la Vérité pour l'amour de la Vérité parmi ^
ceux-là même qui croyent être de ce nombre. Sur quoy
il vaudroit la peine d'examiner comment un homme peut
connoître qu'il aime fincerement la Vérité. Pour moy,
je croy qu'en voici une preuve infaillible , c'eft de ne pas
recevoir une Propofition avec plus d'ajpîrance , que les preu-
ves fur lefquelles elle efl fondée ne le permettent. Il etl
villble que quiconque va au delà de cette mcfure , n'em-
braflé pas la Vérité par l'amour qu'il a pour elle , qu'il
n'aime pas la Vérité pour l'amour d'elle-même, maispour
quelque autre fin indiredte Car l'évidence qu'une Fro-
pofition eft véritable (excepté celles qui font évidentes
par elles-mêmes) confiftant uniquement d.ias les preuves
qu'un
904 De VEnthoufiafme.
C H A p. qu'un homme en a , il eft clair que quelques dégrez d'af-
XIX. fentimcnt qu'il luy donne au delà des dégrez de cette é-
vidence, tout ce iiirplus d'affûrance eft dû à quelque au-
tre pafîion èc non à l'amour de la Vérité. Parce qu'il eft
auili impofîible que l'amour de la Vérité emporte mon
nflentiment au deffus de l'évidence que j'ai , qu'une telle
Propolltion eft véritable, qu'il eft impollible que l'amour
delà Vérité me fafle donner mon confentement à unePro-
pofition en confideration d'une évidence qui ne me fait pas
voir que cette Propofition foit véritable ; ce qui eft en
effet embraller cette Propofition comme une vérité, par-
ce qu'il eft poflible ou probable qu'elle ne foit pas véritable.
Dans toute vérité qui ne s'établit pas dans nôtre Efprit
*ront tn Note' par la lumière irrefiftible d'une * évidence immédiate , ou
?'"'/''' '"Mî'' par la force d'une Démonftration, les argumens qui cn-
VJr'l°"q„',r traînent fon aflentiment , font les garants &c le gage de fa
faut entendre probabilité à nôtte égard , 8c nous ne pouvons la recevoir
f'^j"" '''F'/- qye pour ce que ces Argumens la font voir à nôtre En-
tendement ; de forte que quelque autorité que nous don-
nions à une Propofition, au delà de ce qu'elle reçoit des
Principes Se des preuves fur quoy elle eft appuyée , on
en doit attribuer la caufe au penchant qui nous entraîne
de ce côté-là i &c c'eft déroger d'autant à l'amour de la
"S'hérite, qui ne pouvant recevoir aucune évidence de nos
paflions, n'en doit recevoir non plus aucune teinture.
*> où vient k §. 2. Une fuite conftante de cette mauvaife difpofition
fcnchmi que d'Efprit , c'eft de s'attribuer l'autorité de prefcrire aux
diniporcr hurs •'^'■ItreS UOS proprCS opuiions. t^ar le moyen qu il puifle
opinions aii'c prcfquc arriver autrement, finon que celui qui a dejaim-
^"""" pofé à fa propre Croyance , foit prêt d'impofer à la
Croyance d'aurruy.' Qiii peut attendre raifonnablement ,
qu'un hom.me employé des Argumens 6c des preuves con-
vaincantes auprès des autres hommes, fi fon Entendement
n'cft pas accoutumé à s'en fcrvir pour luy-même ; s'il
fait violence à fcs propres Facultez , s'il tyrannife fon
Efprit &: ufurpe une prérogative uniquement due à la
Vérité , qui eft d'exiger raflentiment de l'Efprit par fa
feule
T>e l'EnthonJiafme. Ltv. IV. 905-
feule autorité , c'eft-à-dire à proportion de l'évidence que C h a p.
la Vérité emporte avec elle. XIX.
§. 3. A cette occafion je prendrai la liberté de conll- La force de
derer un troifiéme fondement d'afléntimcnt , auquel cer-' ^"''°"''^^-
taines gens attribuent la même autorité qu'à la Foy ou à
la Raiion,& fur lequel ils s'appuyentavec une auiîi gran-
deconfiancejje veux parler de V Etithovflafme iÇ\i\i\-:iii[ant
la Raifon à quartier, voudroit établir la Révélation fans
elle, mais qui par là détruit en effet la Raifon 6c la Ré-
vélation tout à la fois, ôc leur fubftituë de vaines fantai-
fies , qu'un homme a forgées luy-méme, 6c qu'il prend
pour un fondement folide de créance &c de conduite.
§. 4. La i?<î//o« efl: une Révélation naturelle, par où Cequcc'eft
le Père de Lumière , la fource éternelle de toute Con- ^"'^,3'''j^g^ç|^°"
noiflance communique aux hommes cette portion de vé- tion.
rite qu'il a mis à la portée de leurs Facultez naturelles.
Et la Re-velation cfl: la Raifon naturelle augmentée par un
nouveau fonds de découvertes émanées immédiatement
de Dieu, 6c dont la Raifon établit la vérité par le témoi-
gnage 6c les preuves qu'elle employé pour montrer qu'el-
les viennent effectivement de Dieu ; de forte que celui
qui profcrit la Raifon pour faire place à la Révélation ,
éteint ces deux Flambeaux tout à la fois, 6c fait la même
chofe que s'il vouloit perfuader à un homme de s'arracher
les yeux pour mieux recevoir par le moyen d'un Telefco-
pe , la lumière éloignée d'une Etoile qu'il ne peut voir
par le fecours de fes yeux.
§. 5. Mais les hommes trouvant qu'une Révélation Source de I'Eh-
immediate eftun moyen plus facile pour établir leurs opi- ''^°"''*^™'"
nions èc pour régler leur conduite que le travail de raifon-
ner jullej travail pénible, ennuyeux &c qui n'eft pas tou-
jours fuivi d'un heureux fuccès , il ne faut pas s'étonner
qu'ils ayent été fort fujets à prétendre avoir des Révéla-
tions 6c à fe perfuader à eux-mêmes qu'ils font fous la di-
rection particulière du Ciel par rapport à leurs a£tions 8c
à leurs opinions, fur tout à l'égard de celles qu'ils ne peu-
vent juftifier par les Principes de la Raifon 6c par les
Y y y y y voyes
9o6 Ve VEnîhoîtfiâfrne.
Chap. voyes ordinaires de parvenir à la Connoiiïance. Auffi
XIX. voyons-nous que dans tous les fiécles les hommes en qui
la melancholie a été mêlée avec la dévotion , ôc dont la
bonne opinion d'eux-mêmes leur a fait accroire qu'ils
avoient une plus étroite familiarité avec Dieu Se plus de
part à fa Faveur que les autres hommes , fe font fouvent
flattez d'avoir un commerce immédiat avec la Divinité
Se de fréquentes communications avec l'Efprit divin. On
ne peut nier que Dieu ne puifle illuminer l'Entendement
par un rayon qui vient immédiatement de cette fource de
Lumière. Ils s'imaginent que c'eft là ce qu'il a promis de
faire; & cela pofé, qui peut avoir plus de droit de pré-
tendre à cet avantage que ceux qui font fon Peuple par-
ticulier, choifi de fa main & foûmis à fes ordres?
Ce que c'eft §. 6. Lcurs Efprits ainfi prévenus , quelque opinion
^àfmc ^" frivole qui vienne à s'établir fortement dans leur fautai-
fie, c'eft une illumination qui vient de l'Efprit de Dieu>
& qui eft en même temps d'une autorité divine j & à
quelque a£tion extravagante qu'ils fe fentent portez par
une forte inclination , ils concluent que c'eft une voca-
tion ou une dire£tion du Ciel qu'ils font obligez de fui-
vre. C'eft un ordre d'enhaut, ils ne fauroient errer en
l'exécutant.
§.7. Je fuppofe que c'eft là ce qu'il faut entendre
proprement par Enthoufiafme , qui fans être fondé fur
la Raifon ou fur la Révélation divine, mais procédant de
l'imagination d'un Efprit échauffé ou plein de luy-mê-
me, n'a pas plutôt pris racine quelque part qu'il a plus
d'influence fur les Opinions Se les A£tions des hommes
que la Raifon ou la Révélation , prifes feparément ou
jointes enfemble ; car les hommes ont beaucoup de pen-
chant à fuivre les impulfioas qu'ils reçoivent d'eux-mê-.
mes ; 8c il eft fur que tout homme agit plus vigoureufe-
jnent lorfque c'eft un mouvement naturel qui l'entraîne
tout entier. Une forte imagination s'étant une fois em-
parée de l'Efprit fous l'idée d'un nouveau Principe, em-
porte aifement tout avec elle , lorf qu'élevée au deflus du
fens
De VEnthoufafme. LiV. IV. 907
îêns commun 6c délivrée du joug de la Raifon &: de l'im- C h a p.
portunité des Reflexions elle eft parvenue à une autorité XIX.
divine ôc foûtenuë en même temps par nôtre inclination
& par nôtre propre tempérament.
§. 8 . Qiioy que les Opinions èc les Aftions extravagantes L'Entlioufiaf.
où l'Enthoufiafmeaengagé les hommes, duflentfuffirepour menrpourunc
les précautionner contre ce faux Principe qui eft fi propre à veûe & uufeu-
les jetter dans l'égarement, tant à l'égard de leur croyance ""'*''^-
qu'à l'égard de leur conduite j cependant l'amour que les
hommes ont pour ce qui eft extraordinaire, la commodité
& la gloire qu'il y a d'être infpiré &i: élevé au defïïis des
voyes ordinaires & communes de parvenir à la Connoif-
fance, flattent (1 fort la parefl'e , l'ignorance 6c la vanité
de quantité de gens, que lorfqu'ils font une fois entêtez
de cette manière de Révélation immédiate, de cette efpe-
ce d'illumination fans recherche , de certitude fans preu-
ves S>i fans examen , il eft diflicile de les tirer de là. La
Raifon eft perdue pour eux. „ Ils fe font élevez au defl'lis
„ d'elle} ils voyent la Lumière infufe dans leur Entende-
„ment, èc ne peuvent fe tromper. Cette Lumière y pa-
„ roît vifiblement : femblable à l'éclat d'un beau Soleil ,
„elle fe montre elle-même , 6c n'a befoin d'autre preuve
,, que de fa propre évidence. Ils fentent , difent-ils, la
„ main de Dieu qui les poufle intérieurement j ils fentent
5, les impulfions de l'Efprit, èc ils ne peuvent fe tromper
„fur ce qu'ils fentent. C'eft par là qu'ils fe défendent,
6c qu'ils fe perfuadent que la Raifon n'a rien à faire à ce
qu'ils voyent 6c fentent en eux-mêmes. „ Ce font des
,,chofes dont ils ont une expérience fenfible, ^ qui font
5, par conféquent au defliis de tout doute &c n'ont befoin
, , d'aucune preuve. Ne feroit-on pas ridicule d'exiger
„d'un homme qu'il eût à prouver que la Lumière brille
ii^ qu'il la voit ? Elle eft elle-même une preuve de fon
„ éclat, 6c n'en peut avoir d'autre. Lorfque l'Efprit di-
„vin porte la lumière dans nos Ames, il en écarte les tè-
„nèbres, 6c nous voyons cette lumière comme nous
„ voyons celle du Soleil en plein Midi, fans avoir befoin
Yyyyy 2 „que
90 8 T>e l'Enthoufiafme.
Chap. ,, que le Crcpu feule de la Raifon nous la montre. Cette-
XIX. j, lumière qui vient du Ciel eft vive, claire Se pure, elle
3, emporte fa propre démonftration avec elle , & nous
„ pouvons avec autant de raifon prendre un ver luifanr
j, pour nous aider à voir le Soleil, qu'à examiner ce rayon
,,célelle à la faveur de nôtre Raifon qui n'eft qu'un foi-
j, ble &: obfcur lumignon.
§. 9. C'eft le Langage ordinaire de ces gens-là. Ils
font aflVirez, parce qu'ils font affùrcz ; & leurs perfua-
fions font droites, parce qu'elles font fortement établies
dans leur Efprit. Car c'eft à quoy fe réduit tout ce qu'ils-
difent, après qu'on l'a détaché des métaphores prifes de
la. veâe &c du fèntiment , dont ils l'enveloppent. Cepen-
dant ce Langage figuré leur impofe fi fort , qu'il leur tient
lieu de certitude pour eux-mêmes & de démonftration à
l'égard des autres.
Comment on §. 10. Mais pouT examiner avec un peu d'exa£titude
rEnthodur-"^ cette lumière intérieure & ce fentiment fur quoy ces
me. perfonnes font tant de fonds. Il y a, difent-ils, une lu-
mière claire au dedans d'eux, &c ils la voyent. Ils ont
un fentiment vif, & ils le fentent. Ils en font affùrez , &
ne voyent pas qu'on puifte le leur difputer. Car lorf-
qu'un homme dit qu'il voit ou qu'il fent , perfonne ne
peut luy nier qu'il voye ou qu'il fente. Mais qu'ils me
permettent à mon tour de leur faire ici quelques Qiie-
flions. Cette vcûé , eft-elle la perception de la venté
d'une Propofition , ou de ceci , que c'cjl une Révélation
qui vient de Dieu ? Ce fentiment , eft-il une perception
d'une inclination ou fantaifie de faire quelque chofe , ou
bien de l'Efprit de Dieu qui produit en eux cette incli-
nation ? Ce font là deux perceptions fort différentes, &:
que nous devons diftinguer foigneufement , fi nous ne
voulons pas nous abufer nous-mêmes. Je puis apperce-
voir la vérité d'une Propofition , &; cependant ne pas ap-
percevoir que c'eft une Révélation immédiate de Dieu.
Je puis appercevoir dans Euclide la vérité d'une Propo-
lîtion , fans qu'elle foit ou que j'appcrçoive qu'elle ibic
une
I
De l'Enthou^afme. Liv. ÎV. 909
une Révélation. Je puis appercevoir auflî que je n'en ai Ghap;
pas acquis la connoifTance par une voye naturelle ; d'où XIX.
je puis conclurre qu'elle m'eft révélée , fans appercevoir
pourtant que c'efb une Révélation qui vient de Dieu;
parce qu'il y a des Efprits qui fans en avoir reçu la com-
milîîon de la part de Dieu , peuvent exciter ces idées en»
moy,' &■ les prélénter à mon Efprit dans un tel ordre que
j'en puifle appercevoir la connexion. De forte que la:
eonnoiflance d'une Propofition qui vient dans mon Efprit
je ne fai comment , n'eft pas une perception qu'elle vien-
ne de Dieu. Moins encore une forte perfuafion que cet-
te Propofition eft véritable, efir-elle une perception qu'el-
le vient de Dieu, ou même qu'elle eft véritable. Mais
quoy qu'on donne à une telle penfée le nom de lumière
Se de veûé , je croy que ce n'eft tout au plus que croyan-
ce 6c confiance: èc la Propofition qu'ils fuppofent être
une Révélation, n'eft pas une Propofition qu'ils connoif-
fent véritable, mais qu'ils préfument véritable. Car lorf-
qu'cn connoit qu'une Propofition eft véritable , la Révé-
lation eft inutile. Et il eft difficile de concevoir com-
ment un homme peut avoir une révélation de ce qu'il
connoit déjà. Si donc c'eft une Propofition de la venté.
de laquelle ils foient perfuadez , fans connaître qu'elle
foit véritable , ce n'eft pas voir, mais croire j quel que
foit le nom qu'ils donnent à une telle perfuafion. Car
ce font deux voyes par où la Vérité entre dans l' Efprit ,
tout-à-fait diftin£tes, de forte que l'une n'eft pas l'autre.
Ce que je vois,je connois qu'il eft tel que je le vois, par
l'évidence de la chofe même. Et ce que je croy , je le
fuppofe véritable par le témoignage d'autruy. Mais je
dois connoître que ce témoignage a été rendu : autre-
ment, quel fondement puis-je avoir de croire? Je dois
voir que c'eft Dieu qui me révèle cela, ou bien je ne vois
rien. La queftion fe réduit donc à favoir comment je
connois, que c'eft Dieu qui me révèle cela , que cette
impreflîon eft faite fur mon Ame par fon Saint Efprit , 6c
que je fuis par conféquent obligé, de la fu ivre. Si je ne
Yyyyy 3 con=.
5IO DeVEnthoufîafme.
C H A p. connois pas cela , mon aflurance eft fans fondement j quel-
XIX. que grande qu'elle foit, & toute la lumière dont je pré-
tens être éclairé , n'eft qu'Enthoufiafme. Car foit que
la Propofition qu'on fuppofe révélée foit en elle-même
évidemment véritable, ou vifiblement probable , ou in-
certaine, à en juger par les voyes ordinaires de la Con-
noiflance , la vérité qu'il faut établir folidement & prou-
ver évidemment, c'eft que Dieu a révélé cette Propofi-
tion, 6c que ce que je prens pour Révélation a été mis
certainement dans mon Efprit par luy-même , & que ce
n'eft pas une illulîon qui y ait été infinuée par quelque
autre Efprit, ou excitée par ma propre fantaifie. Car,
fi je ne me trompe, ces gens-là prennent une telle chofc
pour vraye, parce qu'ils preliiment que Dieu l'a révélée.
Cela étant , ne leur eft-il pas de la dernière importance
d'examiner fur quel fondement ils préfument que c'eft
une Révélation qui vient de Dieu ? Sans cela , leur con-
fiance ne fera que pure préfomption } Se cette lumière
dont ils font fi fort éblouis , ne fera autre chofe qu'en
Feu follet qui les promènera fans cefle autour de ce cercle,
C'eft une Révélation parce que je le croy fortement i & je
le croy parce que c'eft une Révélation.
L'EmlioufijC- §. 1 1. A l'égard de tout ce qui eft de révélation divi-
nie ne lauroi: ^^^ [\ j^>£{|- p^^ neceflairc de le prouver autrement qu'en
prouver <iu une r r ■ jn. -ri ir-
Propoiitioii railant voir que c elt véritablement une Inlpiration qui
vient de uicu. vient de Dieu , car cet Etre qui eft tout bon 8c tout fagc
ne peut ni tromper ni être trompé. Mais comment pour-
rons-nous connoître qu'une Propofition que nous avons
dans l'Efprit , eft une vérité que Dieu nous a infpirée,
qu'il nous a révélée, qu'il expofc luy-même à nos yeux,&
que pour cet effet nous devons croirePC'eft ici que VEtithau-
ftajme manque d'avoir l'évidence àlaquelleil prétend. Car
les perfonnes prévenues de cette imagination fe glorifient
d'une lumière qui les éclaire, à ce qu'ils difent,&cqui leur
communique latonnoiflancede telle ou telle vérité. Mais
s'ils connoiflent que c'eft une vérité , ils doivent le con-
noître ou par fa propre évidence, ou par les preuves na-
tu-
DeVEnthoufiafme. Liv. IV. 911
turelles qui le démontrent vifiblement. S'ils voyent & Chap,
connoiflent que c'eft une vérité par l'une de ces deux XIX.
voyes, ils fuppofent en vain que c'eft une Révélation;
car ils connoiflent que cela eft vray par la même voye que
tout autre homme le peut connoître naturellement fans le
fecours de la Révélation, puifque c'eft efFeftivementain-
fî que toutes les veritez que des hommes non-infpirez
viennent à connoître, entrent dans leurs Efprits & s'y é-
tablifl^ent de quelque efpéce qu'elles foient. S'ils difent
qu'ils favent que cela eft vray, parce que c'eft une Révé-
lation émanée de Dieu , la raifon eft bonne : mais alors
on leur demandera , comment ils viennent à connoître
que c'eft une Révélation qui vient de Dieu. S'ils difent
qu'ils le connoiflent par la lumière que la chofe porte a-
Vec elle -, lumière qui brille , qui éclatte dans leur Ame
fie à laquelle ils ne fauroient refifter, je les prierai decou-
fiderer fi cela fignifie autre chofe que ce que nous aVons
déjà remarqué , favoir , Qiie c'eft une Révélation parce
qu'ils croyent fortement qu'il eft véritable -, toute la lu-
mière dont ils parlent , n'étant qu'une perfuafion forte-
ment établie dans leur Efprit , mais fans aucun fondement
que c'eft une vérité. Car pour des fondemens raifonna-
bles, tirez de quelque preuve qui montre que c'eft une
vérité, ils doivent recounoître qu'ils n'en ont point ; par-
ce que, s'ils en ont, ils ne le reçoivent plus comme une
Révélation , mais fur les fondemens ordinaires fur lefquels
on reçoit d'autres veritez : &: s'ils croyent qu'il eft vray
parce que c'eft une Révélation , & qu'ils n'ayent point
d'autre raifon pour prouver que c'eft une Révélation iînon
qu'ils font pleinement perfuadez qu'il eft véritable fans
aucun autre fondement que cette même perfuafion, ils
croyentque c'eft une Révélation feulement parce qu'ils
croyent fortement que c'eft une Révélation ; ce qui eft
rm fondement très-peu fur pour s'y appuyer , tant à l'é-
gard de nos opinions qu'à l'égard de nôtre conduite. Et
je vous prie, quel autre moyen peut être plus propre à
nous précipiter dans les erreurs Se dans les méprifes les
plus
9 la Dei'EnihouJîafMe. '
C H A p. plus extravagantes , que de prendre ainfi nôtre propre
XIX. Fantaifie pour nôtre fuprcme&: unique guide, èç de croi-
re qu'une Propofition ciï véritable , qu'une a£tion eft
droite, feulement parce que nous le croyons ? La force
de nos perfuafions n'ell nullement une preuve de leur re-
ftitude. Les chofes courbées peuvent être auHI roides Se
difficiles à plier que celles qui font droites ; fie les hom-
mes peuvent être aufli decihfs à l'égard de l'Erreur qu'à
l'égard de la Vérité. Et comment lé formeroient autre-
ment ces Zélez intraitables dans des Partis differensSc di-
rectement oppofez ? En efïet , Il la lumière que chacun
croit être dans fon Efprit, &: qui dans ce cas n'cft autre
chofe que la force de fa propre perfuafion , fi cette lu-
mière, dis-je, elt une preuve que la chofe dont on eft
• perfuadé , vient de Dieu , des opinions contraires peu-
vent avoir le même droit de palier pour des Lifpirations ,
.&: Dieu ne fera pas feulement lePérc de la Lumière, mais
de Lumières diamétralement oppofées qui conduifent les
hommes dans des routes contraires > de forte que desPro-
pofitions contradictoires feront des «véritez divines, li la
force de l'affurance, quoy que dellituée de fondement ,
peut prouver qu'une Propolîtion elt une Révélation di-
vine.
la ffircc <!eia §. 12. Cela ne fauroit être autrement , tandis que la
pcriuahoti ne force de la perfuafion eft établie pour caufe de croire, &
prouve point , * , , ^ j> ■ r
ciu'une Propo- qn o" regarde la conhance d avoir railon comme une
lîtion vienne de preuve de la vérité de ce qu'on veut foùtenir. S. Faiti
'^"" luy-même croyoit bien faire , & être appelle à faire ce
qu'il faifoit quand il perfecutoit les Chrétiens , croyant
fortement qu'ils avoient tort. Cependant c'étoit luy qui
fe trompoit &: non pas les Chrétiens. Les gens de bien
font toujours hommes , fujets à fe méprendre , Se fouvent
fortement engagez dans des erreurs qu'ils prennent pour
autant de veritez divines qui brillent dans leur Efprit
avec le dernier éclat.
Une lumière §. i^. Dans l'Efprit la lumièrc , la vrayc lumière n'cft
quTc'dt'" ' " °" "^ P^'^^ ^^'■^ autre chofe que l'évidence de la vérité
de
De l'Efîthou/iafme. L i v. IV- 913
de quelque Propofition que ce foit, & fi ce n'eft pas une C h a p,
Propolîtion évidente par elle-même , route la lumière XIX.
qu'elle peut avoir , vient de la clarté & de la validité des
preuves fur lefquelles on la reçoit. Parler d'aucune
autre lumière dans l'Entendement , c'eil s'abandon-
ner aux ténèbres ou à la puiflance du Prince des ténèbres
& fe livrer fo y- même à l'illufion , de nôtre propre con-
fentement, pour croire le menfonge. Car fila force de
la perfuafion eft: la lumière qui nous doit fervir de guide,
je demande comment on pourra diftinguer entre les illu-
fions de Sathan Se les infpirations du S. Efprit. Ceux qui
font conduits par ce Feu follet , le prennent auill ferme-
ment pour une vraye illumination, c'efi-ù-dire , fontauiïï
fortement perfuadez qu'ils font éclairez par l'Efprit de
Dieu, que ceux que l'Efprit divin éclaire véritablement.
Ils acquiefcent à cette fau (Te lumière, ils y prennent plai-
fir, ils la fuivent par tout où elle les entraîne 5 &: perfon-
ne ne peut être ni plus afiuré , ni plus dans le parti de la
Raifon qu'eux , i\ l'on s'en rapporte à la force de leur
propre perfuafion.
§. ijf. Parconféquent, celui qui ne voudra pas don- Ceft la' Raifon
ner tête baiflée dans toutes les extravagances de l'illufion T\ ^°^^ }^,^^
rju 1- VU' 1 , ■ , de la vente delà
ce de 1 erreur, doit mettre a 1 épreuve cette lumière mte- Révélation.
ricnre qui fe préfente à luy pour luy fervir de guide. Dieu
ne détruit pas l'homme en faifant un Prophète. Il luy
laifle toutes fes Facultez dans leur état naturel, pour qu'il
puifie juger fi les Infpirations qu'il fenten luy-même font
d'une origine divine , ou non. Dieu n'éteint point la
lumière naturelle d'une perfonne lorfqu'il vient à éclai-
rer fon Efprit d'u.ie lumière furnaturelle. S'il veut nous
porter à recevoir In vérité d'une Propofition , ou il nous
fait voir- cette vérité par les voyes ordinaires de la Raifon
naturelle , ou bien 1! nous donne à connoître que c'eft
une vérité que fon Autorité nous doit faire recevoir , 8c
il nous convainc qu'elle vient de luy , 6c cela par certai-
nes marques auxquelles la Raifon ne fauroit fe méprendre.
Ainfi , la Raifon doit être nôtre dernier Juge & nôtre
Z z z z z der-
e)i4, DeVEnthoufiafmf,
C H A p. dernier guide en toute chofe. Je ne veux pas dire pat là
XIX. que nous devions confulter la Railon èc examiner fi une
Propofition que Dieu a révélée, peut être démontrée p.it
des Principes naturels, &c que fi elle ne peut l'être, nous
foyons en droit de la rejetter > mais je dis que nous devons
confulter la Railbn pour examiner par fon moyen fi c'eft
une Révélation qui vient de Dieu , ou non. Et fi la Rai-
fon trouve que c'eft une Révélation divine , dès-lors la Rai-
fonfc déclare aulli fortement pour elle que pour aucune au-
tre vérité, Se en fait une de fes Régies. Durefteil faut que
chaque imagination qui frappe vivement nôtre fantaifie
paffe pour une infpiration , fi nous ne jugeons de nos
perfuafions que par la forte impreflîon qu'elles font fur
nous. Si, dis-je, nous ne laiflTons point à la Raifon le
foin d'en examiner la vérité par quelque chofe d'extérieur
à l'égard de ces perfuafions mêmes , les Infpirations 6c les
Illufions , la Vérité & la FaufTeté n'auront pas une même
mefure , 6c il ne fera pas poflible de les diftinguer.
LaCroyâticene §. i^. Si Cette lumière intérieure OU quelque Propo-
prouve pas la {j{-{on quc ce foit , oui fous ce titre pafl^e pour infpirée
dans notre blprit , le trouve conforme aux Principes de
la Raifon ou à la Parole de Dieu, qui eft une Révélation
atteftée j en ce cas-là nous avons la Raifon pour garant 6c
nous pouvons recevoir cette lumière pour véritable 6c la
prendre pour guide tant à l'égard de nôtre croyance qu'à
l'égard de nos allions. Mais fi elle ne reçoit ni témoigna-
ge ni praive d'aucune de ces Régies , nous ne pouvons
point la prendre pour une Révélation ni même pour une
vérité, jufqu'à ce que quelque autre marque différente
de la créance où nous fommes que c'eft une Révélation ,
nous aflïïre que c'eft effectivement une Révélation. Ainfi
nous voyons que les Saints hommes qui recevoient des
révélations de Dieu , avoient quelque autre preuve que
là lumière intérieure qui éclattoit dans leurs Efprits,
pour les affûrer que ces Révélations venoient de la part
de Dieu. Ib n'étoient pas abandonnez à la feule perfua-
fiori que leurs perfuafions venoient de Dieu > mais ils a-
voient
T>eVEnthouJiafme. Liv. IV. 91^
voient des fignes extérieurs qui les afTûroit que Dieu étoit C h a p.
l'Auteur de ces Révélations > &c lorfqu'ils dévoient en con- XIX.
vaincre les autres , ils recevoient un pouvoir particulier
pour juftifîer la vérité de la comniilîîon qui leur avoit
été donnée du Ciel , & pour certifier par des fignes vifi-
bles l'autorité du mefTage dont ils avoient été chargez de
la part de Dieu. Moyje vit un Buiflbn qui brûloir fans fe
confumer &: entendit une voix du milieu du Buiflbn.
C'étoit là quelque chofe de plus qu'un fentiment inté-
rieur d'une impulfion qui l'entraînoit vers Pharaon pour
pouvoir tirer fcs frères hors de V Egypte -, cependant il ne
crut pas que cela fiiffit pour aller en Egypte avec cet or-
dre de la part de Dieu , jufqu'à ce que par un autre Mi-
racle de fa Verge changée en Serpent, Dieu l'eût afluré
du pouvoir de confirmer fa milfion par le même miracle
répété devant ceux auxquels il étoit envoyé. Gedeon fut
envoyé par un Ange pour délivrer le Peuple dilfrael du
joug des Madianttes ; cependant il demanda un fignepour
être convaincu que cette commifîion luy étoit donnée de
la part de Dieu. Ces exemples & autres femblables qu'on
peut remarquer à l'égard des Anciens Prophètes , fuffifent
pour faire voir qu'ils ne croyoient pas qu'une vcûë intérieu-
re ou une perfuafion de leur Efprit, fans aucune autre preuve,
fut une afléz bonne raifon pour les convaincre que leur per-
fuafion venoit de Dieu, quoy que l'Ecriture ne remarque
pas partout qu'ils ayent demandé ou reçu de telles preuves.
§. 16. Au refte, dans tout ce que je viens de dire, j'ai
été fort éloigné de nier que Dieu ne puifTe illuminer ou
qu'il n'illumine même quelquefois T Efprit des hommes
pour leur faire comprendre certaines veritez ou pour les
porter à de bonnes aftions par l'influence & l'afliftance
immédiate du Saint Efprit, îans aucuns fignes extraordi-
naires qui accompagnent cette influence. Mais aufli dans
ces cas nous avons la Raifon &: l'Ecriture , deux Régies
infaillibles, pour connoître fi ces illuminations viennent
de Dieu ou non. Lorfque la vérité que nous embrafifons ,
fe trouve conforme à la Révélation écrite , ou que l'a-
Zzzzz 2 ftion
9i5 De l'Erreur.
G H A p, ftion que nous voulons faire , s'accorde avec ce que nous
^IX. difte la droite Raifon ou l'Ecriture Sainte , nous pouvons
être alTùrez que nous ne courons aucun rifque de la re-
garder comme infpirée de Dieu , parce qu'encore que ce
ne foit peut-être pas une Révélation immédiate, inftillée
dans nosEfprlts par une opération extraordinaire de Dieu,
nous fonimes pourtant fûrs qu'elle eft authentique par fa
conformité avec la vérité que nous avons reçu de Dieu.
Mais ce n'eft point la force de la perfuafion particulière
que nous fentons en nous-mêmes qui peut prouver que
e'eft une lumière ou un mouvement qui vient du Ciel.
Rien ne peut le faire que la Parole de Dieu écrite, ou la
Raifon, cette régie qui nous eft commune avec tous les
hommes. Lors donc qu'ime opinion ou une action eft
autoriféc expreflement par la Raifon ou par l'Ecriture ,
nous pouvons la regarder comme, fondée fur une autorité
divine ; mais jamais la force de nôtre perfuafion ne pour-
ra par elle-même luy donner cette empreinte. L'inclina-
tion de nôtre Efprit peut favorifer cette perfuafion autant
qu'il luy plairra, ôc faire voir que c'eft l'objet particulier
de nôtre tendrefle , mais elle ne fauroit prouver que ce
fbit une produdiondu Ciel & d'une origme divine.
CHAPITRE XX,
C H A p. De V Erreur:
XX.
Les Caufes de §. i. ^^ Omme la Connoiflance ne regarde que les vé-
ircur, \^^ ritez vifibles &; certaines , l'Erreur n'eft pas
une faute de nôtre Connoiflance , mais une méprife de
nôtre Jugement qui donne fon confentemcnt à ce qui n'eft
pas véritable.
Mais fi l'AfTentiment eft fondé fiirla vrayfembîance, fi
la Probabilité eft le propre objet ^ le motif de nôtre af-
fentimcnt , 6c que la Probabilité confifte dans ce qu'on'
vient de propofer dans les Chapitres précedens , on de-
j nian-
De l'Erreur. L i y. IV. 91/
mandera comment les hommes viennent à donner îeur af- C h a p^
fentiment d'une manière oppofée à la Probabilité, car rien XX.
n'eft plus commun que la contrariété des fentimens ; rien-
de plus ordinaire que de voir un homme qui ne croit en
aucune manière ce dont un autre fe contente de douter,
&: qu'un autre croit fermement, faifant gloire d'y adhérer
avec une confiance inébranlable. Qiioy que les raifons
de cette conduite puiflent être fort différentes j je croy
pourtant qu'on peut les réduire à ces quatre,
1. Le manque de preuves.
2. Le peu d'habileté à s'en fervir.
3. Le manque de volonté d'en faire ufage-
4. Les faufies régies de Probabilité.
§. 2. Premièrement par le manque de preuves je n'en" i. lêmant]!!»
tens pas feulement le défaut des preuves qui ne font nulle P'^"""-
part, & que par confèquent on ne fauroit trouver, mais
le défaut même des preuves qui exiftent ou qu'on peut
découvrir. Ainfi, un homme manque de preuves lorf-
qu'il n'a pas la commodité ou l'opportunité de faire les
expériences & les obfervations qui fervent à prouver une
Propofîtion , ou qu'il n'a pas la commodité de ramalTer
les témoignages des autres hommes Se d'y faire les refle-
xions qu'il faut. Et tel efl l'état de la plus grande partie
des hommes qui fe trouvent engagez au travail, oc affer-
vis à la nécefîlté d'une baflé condition , fie dont toute la
vie fe pafTe uniquement à chercher dequoy fubfifler. La
commodité que ces fortes de gens peuvent avoir d'acqué-
rir des connoifTances & de faire des recherches , efl: ordi-
nairement r^lferrée dans des bornes aufTi étroites que leur
fortune. Comme ils employent tout leur temps fie tous
leurs foins à appaifer leur faim ou celle de leurs Enfans,
leur Entendement ne fe remplit pas de beaucoup d'inftru-
dlion. Un homme qui confume toute fa vie dans un Mé-
tier pénible ne peut non plus s'inftruire de cette diverfité
de chofes qui fe font dans le Monde , qu'un Cheval de
fomme qui ne va jamais qu'au Marché par un chemin é-
troit fie bourbeux peut devenir habile dans la Carte du'
Zzzzz 3 Pais.
9 1 8 De V Erreur.
Çhap. Pais, Iln'eftpaSj dis-je, plus poflible qu'un homme qai
XX. ignore les Langues , qui n'a ni loifir ni Livres ni la commo-
dité de converfer avec différentes perfonnes , foit en état de
ramaffer les témoignages & les obfervations qui exiftent
aftuellement fie qui font néceffaires pour prouver plufieurs
Propofitions ou plutôt la plupart des Propofitions qui
paflTent pour les plus importantes dans les différentes So-
ciétez des hommes , ou pour découvrir des fondemens
d'affûrance auffi folides, que la créance des articles qu'il
voudroit bâtir deffus eft jugée néceffaire. De forte que
dans l'état naturel 6c inaltérable où fe trouvent les chofes
dans ce Monde, 5c félon la conftitution des affaires hu-
maines, une grande partie du Genre Humain eft inévita-
blement engagée dans une ignorance invincible des preu-
ves fur lefquelles d'autres fondent ces Opinions 6c qui
font effe£livement néceffaircs pour les établir. La plu-
part des hommes, dis-jc, ayant affez à faire à trouver les
moyens de foùtenir leur vie , ne font pas en état de s'ap-
pliquer à ces favantes & laborieufes recherches.
oi;V.7)0H , que §. ^. Dirons-nous donc , que la plus grande partie des
icvicndroiit hommcs font livrez par la néceffité de leur condition , à
quent de preu- unc ignorancc inévitable des chofes qu'il leur importe le
\<:s'.R''Me. plus de fa voir? car c'eft fur celles-là qu'on eft naturelle-
ment porté à faire cette Queftion. Elt-ce que le gros des
hommes n'eft conduit au Bonheur ou à la Mifére que par
un hazard aveugle? Eft-ce que les Opinions courantes 6c
les Guides autorifez dans chaque Pais font à chaque hom-
me une preuve 6c une affùrance fuffifante pour rifquer,
fur leur foy, fes plus chers intérêts 6c même fon Bonheur
ou fon Malheur éternel? Ou bien faudra-t-il prendre pour
Oracles certains &c infaillibles4c la Vérité ceux qui enfe>
gnent une chofe dans la Chrétienté , 8c une autre en Turquie ?
Ou, eft-ce C[u'un pauvre Paifan fera éternellement heu-
reux pour avoir eu l'avantage de naître en Italie ; 6c un
homme de journée, perdu fans reffource, pour avoir eu le
malheur de naître en Angleterre ? Je ne veux pas recher-
cher ici combien certaines gens peuvent être prêts à
avan-
De l'Erreur. Liv. IV. 919
avancer quelques-unes de ces chofes ; ce que je fai certai- C h af,
nement , c'eft que les hommes doivent reconnoître pour XX,
véritable quelqu'une de ces Suppofitions ( qu'ils choifif-
fent celle qu'ils voudront} ou bien tomber d'accord que
Dieu a donné aux hommes desFacultez qui fuffifentpour
les conduire dans le chemin qu'ils devroient prendre s'ils
les employoicnt ferieufément à cet. ufage , lorfque leurs
occupations ordinaires leur en donnent le loifir. Perfonne
n'eft fi fort occupé du foin de pourvoir à fa fubfiftance
qu'il n'ait aucun temps de refte pour penfer à fon Ame ^
pour s'inftruire de ce qui regarde la Religion : & fi les
hommes écoient autant appliquez à cela qu'ils le font à
des chofes moins importantes , il n'y en a point de (i
prefle par la neceflîté qui ne pût trouver le moyen d'em-
ployer plufieurs intervalles de loifir à fe perfectionner dans
cette efpéce de connoiflance.
§. 4. Outre ceux que la petiteffc de leur fortune em-
pêche de cultiver leur Efprit, il y en a d'autres qui font
aflez riches pour avoir des Livres & les autres commodi-
tez néceflaires pour éclaircir leurs doutes ?>c leur faire voir
la Vérité ; mais ils font détournez de cela par des obfta-
cles pleins d'artifice qu'il eft aflez facile d'appercevoir,
fans qu'il foit nécefilaire de les étaler en cet endroit.
§. 5. En fécond lieu , ceux qui manquent d'habileté "• Caufc de
pour faire valoir les preuves qu'ils ont, pour ainfi dire , j ^jj^^îf-g p^"'
fous la main , qui ne fauroient retenir dans leur Efprit une faire vaiwr ks
fuite de conféquences m pefer exaârement de combien les l'^^"^"*
preuves & les témoignages l'emportent les uns fur les au-
tres, après avoir aflîgné à chaque circonftancefa jufte va-
leur , tous ceux-là , dis-je , qui ne font pas capables d'en-
trer dans cette difcuflîon peuvent être aifément entraînez
à recevoir des pofitions qui ne font pas probables. Il y
a des gens d'un feul Syllogifme, &c d'autres de deux feu-
lement. D'autres font capables d'avancer encore d'un
pas, mais vous attendrez en vain qu'ils aillent plus avant}
leur comprehenfion ne s'étend point au delà. Ces fortes
de gens ne peuvent pas toujours diftinguer de quel côté
fç
920 De l'Erreur.
Ch A p. fe trouvent les plus fortes preuves, ni par conféquentfui-
XX. vre conftamment l'opinion qui eft en elle-même la plus
probable. Or qu'il y ait une telle différence entre les
hommes par rapport à leur "Entendement , c'eft ce que je
ne crcy pas qui foit mis en queftion par qui que ce foit
qui ait eu quelque -converfation avec fes voifms , quoy
qu'il n'ait jamais été, d'un càtéi au Palais &: à la Bour-
fe, ou de l'autre dans des Hôpitaux &: aux Petites-Mai-
Ibns. Soit que cette différence qu'on remarque dans l'In-
telligence des hommes vienne de quelque défaut dans les
organes du Corps, particulièrement formez' pour la Pen-
fée, ou de ce que leurs Facultez font groffvéres ou intrai-
tables faute d'ufage, ou comme croyent quelques-uns, de
la différence naturelle des Ames mêmes des hommes , ou
de quelques-unes de ces chofes ou de toutes prifes enfem-
ble , c'eft ce qu'il n'eft pas néceffaire d'examiner en cet
endroit. Mais ce qu'il y a d'évident , c'eft qu'il fe ren-
contre dans les divers Entendemens , dans les conceptions
& les raifonnemens des hommes une différence de degrez,
d'une Çi vafte étendue, qu'on peut affûrer, fuis faire au-
cun tort au Genre Humain , qu'il y a une plus grande
différence à cet égard entre certains hommes & d'autres
hommes , qu'entre certains hommes Sf certaines Bêtes.
Mais de fa voir d'où vient cela , c'eft une Qiieftion fpe-
culative qui, bien que d'une grande conlcquence, ne fait
pourtant rien à mon préfent deffein.
ni-Caiife, de'- §. 6. En troifieme lieu , il y a une autre forte de gens
£*ut de volonté. ^^^- ^djii^^içyit ^Q preuves , non qu'elles foient au delà de
leur portée, mais parce qu'ils ne veulent pas en faire iipige.
Qiioy qu'ils ayent affez de bien Sz de loifir , & qu'ils ne
manquent ni de talens ni d'autres fecours , ils n'en font
jamais mieux pour tout cela. Un violent attachement au
Plaifir, ou une confiante application aux affaires détour-
nent ailleurs les penfees de quelques-uns , une PareffeSc
une Négligence générale , ou bien une averfion particu-
lière pour les Livres, pour l'Etude 6c la Méditation em-
pêche d'autres d'avoir abfolunient aucuae penfée ferieufe:
&
De l'Erreur. Liv. IV. 921
Se quelques-uns craignans qu'une recherche exempte de C h a p.
toute partialité ne fiit point favorable à ces opinions qui XX.
s'accommodent le mieux avec leurs Préjugez , leur ma-
nière de vivre Se leurs defleins , fe contentent de recevoir
fans examen & fur la foy d'autruy ce qu'ils trouvent qui
leur convient le mieux &: qui eft autorifé par la Mode.
Ainfi , quantité de gens , même de ceux qui pourroient
faire autrement, paflent leur vie fans s'informer des pro-
babilitez qu'il leur importe de connoître , tant s'en faut
qu'ils en faifent l'objet d'un aflentiment fondé en raifouj
quoy que ces Probabilitez foient fi près d'eux qu'ils n'ont
qu'à tourner les yeux vers elles pour en être frappez. On
connoit des perfonnes qui ne veulent pas lire une Lettre
qu'on fuppofe porter de méchantes nouvelles i 6c bien des
gens évitent d'arrêter leurs comptes , ou de s'mformer
même de l'état de leur Bien , parce qu'ils ont fujet de
craindre que leurs affaires ne foient en fort mauvaife po-
fture. Pour moy , je ne faurois dire comment des perfon-
nes à qui de grandes richefles donnent le loifir de perfe-
dlionner leur Entendement, peuvent s'accommoderd'une
molle &c lâche ignorance , mais il me femble que ceux-là
ont une idée bien baife de leur Ame, qui employeur tous
leurs revenus à des provifions pour le Corps , fans fonger
à en employer aucune partie à fe procurer les moyens d'ac-
quérir de la connoiflance, qui prennent un grand foin de
paroître toujours dans un équipage propre 6c brillant , 6c
fe croiroient malheureux avec des habits d'étoffe grolTié-
re ou avec un jufte-au-corps rapiécé , 6c qui pourtant
foufFrent fans peine que leur Ame paroiffe avec une Li-
vrée toute ufée, couverte de méchans haillons, telle qu'el-
le luy a été préfentée par le Hazard ou par le Tailleur de
fon Pais, c'eft-à-dire pour quitter la figure , imbuë des
opinions ordinaires que ceux qu'ils ont fréquentez , leur
ont inculquées. Je n'infifterai point ici à faire voir com-
bien cette conduite eft déraifonnable dans des perfonnes
qui penfent à un Etat-à-venir, 6c à l'intérêt qu'ils y ont,
Tce qu'un homme raifonnable ne peut s'empêcher de faire
Aaaaaa quel-
92 2 T>e l'Erreur,
Ch AP. quelquefois) je ne remarquerai pas non plus quelle hoir-
XX. te c'elT: à ces gens qui méprffent fi. fort la Connoiflance,
de fe trouver ignorans dans des chofes qu'ils font interef-
fez de connoître. Mais uncchofe au moins qui vaut la
peine d'être confiderée par ceux qui fe difent Gentilshom-
mes & de bonne Maifon, c'eft qu'encore qu'ils regardent
le Crédit, le Refpeft , la PuifTance 6c l'Autorité comme
des appanages de leur Naiflance &: de leur Fortune , ils
trouveront pourtant que tous ces avantages leur feront en-
levez par des gens d'une plus baffe condition qui les fur-
paffent en connoiffance. Ceux qui font aveugles, feronc
toujours conduits par ceux qui voyent , ou bien ils tom-
beront dans la Foffe ; &z celui dont l'Entendement cù
ainfi plongé dans les ténèbres, eft fins doute le plusefcla-
ve 6c le plus dépendant de tous les hommes. Nous a>
vons montré dans les Exemples précedens quelques-unes
des caufcs de l'Erreur où s'engagent les homir.es, 6c com-
ment il arrive que des Doctrines probables ne font pas
toujours reçues avec un Affentiment proportionné aux
raifons qu'on peut avoir de leur probabilité ; du refte
nous n'avons confideré jufqu'ici que les Probabilitez dont
on peut trouver les preuves , mais qui ne fe préfentent
point à l'Efprit de ceux qui embraffent l'Erreur.
rv.Caufe.fauf- §. j. Il y a , en quatrième à" dernier lieû, une autre
fc n eCares de forte de rrens qui , lors même que les Probabilitez réelles
font clairement expolees a leurs yeux, ne le rendent pour-
tant pas aux raifons manifelles fur lefquelles ils les voyent
établies, mais fufpendent leur affentiment, ou le donnent
à l'opinion la moins probable. Les perfonnes expofées à
ce danger, font celles qui ont pris de fauffes mefurcs de
probabilité , que l'on peut réduire à ces quatre :
1. Ties Propojïtions qui ne font m certames ni éviden-
tes en elles-mêmes i jnais doutctifes &fauljes, prifcs-
pour Principes.
2. Des Hypothefes reçues.
5 . Des Pûjjîons ou des Inclinations dominantes.
4. L' Autorité.
§. 8.
De l'Erreur. Liv. IV. 923
§, 8. Le premier & le plus ferme fondement de la Pro- "Ce a p.
babilké , c'eft la conformité qu'une chofe a avec nôtre XK.
Connoiflance, 5c fur tout avec cette partie de nôtre Con- '• l'iopofuions
F.oiflance que nous avons reçu &: que nous continuons de po^j^^p^",^.^'"
regarder comme autant de Principes. Ces fortes de Prin-
cipes ont une H grande influence fur nos Opinions , que
c'eft ordinairement par eux que nous jugeons de la Vérité j
&: ils deviennent à tel point la niefure de la Probabilité
que ce qui ne peut s'accorder avec nos Principes , eft 11
éloigné de paOér pour probable dans nôtre Efprit , que
nous refufons de le regarder comme poflible. Le refpect
qu'on porte à ces Principes, eft fi grand, Se leur autori-
té fi fort au deffus de toute autre autorité , que non feu-
lement nous rejettons le témoignage des hommes , mais
Blême l'évidence de nos propres Sens, lorfqu'ils viennent
à dépofer quelque chofe de contraire à ces Régies déjà
établies. Je n'examinerai point ici <:ombien la Doctrine
qtti pefe des Principes irinez , & que les Principes ne doivent
point être prouve:::: ou mis en quefiion a contribué à cela }
mais ce que je ne ferai pas difficulté de foûtenir c'eft qu'u-
ne vérité ne fauroit être contraire à une autre vérité, d'oii
je prendrai la liberté de conclurre que chacun devroit être
foigneufement fur fes gardes lorfqu'il s'agit d'admettre
quelque chofe en qualité de Principe} qu'il devroit l'exa-
miner auparavant avec la dernière exactitude , S<. voir s'il
connoit certainement que ce foit une chofe véritable par
elle-même & par fa propre évidence , ou bien fi la forte
aflùrance qu'il a qu'elle eft véritable , eft uniquement
fondée fur le témoignage d'autruy. Car dès qu'un hom-
me a pris de flmx Principes &: qu'il s'eft livré aveuglé-
ment à l'autorité d'une opinion qui n'eft pas en elle mê-
me évidemment véritable , fon Entendement eft entraî-
né par un contrepoids qui le fait tomber inévitablement
dans l'Erreur.
§. 9. Il eft généralement établi par la coutume , que
les Enfans reçoivent de leurs Pérès & Mères , de leurs
Nourrices ou des perfonnes qui fe tiennent autour d'eux,
Aaaaaa 2 cer-
924. J^e l'Erreur.
C H A p, ' certaines Propofitions (& fur tout fur le fujet de la Relî-
XX. gion) lefquelles étant une fois inculquées dans leur En-
tendement qui eft fans précaution auiîî bien que fans pré-
vention , y font fortement empreintes , èc foit qu'elles
foient vrayes ou fauffes , y prennent à la fin de fi fortes
racines par le moyen de l'Education & d'une longue ac-
coutumance qu'il eft tout- à-fait impofÏÏble de les en arra-
cher. Car après qu'ils font devenus hommes faits , venant
à réfléchir fur leurs opinions , &: trouvant celles de cet-
te efpéce aufli anciennes dans leur Efprit qu'aucune chofe
dont ils fe puiflent reflbuvenir, fans avoir obfervé quand
elles ont commencé d'y être introduites ni par quel moyen
ils les ont acquifes> ils font portez à les refpeder comme
des chofes facrées , ne voulant pas permettre qu'elles foient
profanées , attaquées ^ ou mifes en queftion , mais les
regardant plutôt comme VUrim &: le Thummim que Dieu
a mis luy-même dans leur Ame , pour être les Arbitres
fouverains & infaillibles de la Vérité ôc de la FaufTeté,
& autant d'Oracles auxquels ils doivent en appeller dans
toutes fortes de Controverfes.
§. 10. Cette opinion qu'un homme a conçu de ce qu'il
appelle fes Principes (quoy qu'ils puilTent être) étant une
fois établie dans fcn Efprit , il eft aifé de fe figurer com-
ment il recevra une Propofition , prouvée aulli clairement
qu'il eft poflîble , fi elle tend à afFoiblir l'autorité de ces
Oracles mterncs ou qu'elle leur foit tant foit peu contrai-
re j tandis qu'il digère fans peine les chofes les moins
probables ^ les abfurditez les plus grolTiéres , pourvu
qu'elles s'accordent avec ces Principes favoris. L'extrê-
me obftination qu'on remarque dans les hommes à croire
fortement des opinions direftement oppofées , quoy que
fort fouvent également abfurdes , parmi les différentes
Religions qui partagent le Genre Humain; cette obftina-
tion , dis-ie, eft une preuve évidente auffi bien qu'une
conféquence inévitable de cette manière de raifonner fur
des Principes reçus par tradition ; jufque-là que les hom-
mes viennent à défavoùër leurs propres yeux , à renoncer
De l'Erreur. Liv. IV. 925
à l'évidence de leurs Sens , & à donner un démenti à leur C h a p.
propre Expérience, plutôt que d'admettre quoy que ce XX.-
fbit d'incompatible avec cts facrez dogmes. Prenez un
Luthérien de bon fens à qui l'on ait conftamment incul-
qué ce Principe , (éks que fon Entendement a commen-
cé de recevoir quelques notions} G^u' il doit croire ce que
croyent ceux deja Communion y de forte qu'il n'ait jamais
entendu mettre en queftion ce Principe , jufqu'à ce que
parvenu à l'âge de quarante ou cinquante ans , il trouve
quelqu'un qui ait des Principes tout difFérens ; quelle
difpofition n'a-t-il pas à recevoir fans peine la Doàrine
de la Confubftantiation , non feulement contre toute pro-
babilité, mais même contre l'évidence manifefte de fes
propres Sens ? Ce Principe a une telle influence fur fon
Efprit qu'il croira qu'une chofe eil Chair ôcPain tout à la
fois, quoy qu'il foit impoffible qu'elle foit autre chofe
que l'un des deux : & quel chemin prendrez-vous pour
convaincre un homme de l'abfurdité d'une opinion qu'il
s'eft mis en tête de foùtenir, s'il a pofé pour Principe de
Raifonnement, avec quelques Philofophes , Qii'il doit
croire fa Raifon (car c'efl: ainfi que les hommes appellent
improprement les Argumens qui découlent de leurs Prin-
cipes} contre le témoignage des Sens. Qii'un Fanatique
prenne pour Principe que luy ou fon Dofteur eft infpiré
& conduit par une direâtion immédiate du Saint Efprit ^
c'eft en vain que vous attaquez fes Dogmes par les raifons
les plus évidentes. Et par conféquent tous ceux qui ont
été imbus de faux Principes ne peuvent être touchez des
Probabilitez les plus apparentes &: les plus convaincan-
tes, dans des chofes qui font incompatibles avec ces Prin-
cipes, jufqu'à ce qu'ils en foient venus à agir avec eux-
mêmes avec une candeur &: une ingénuité qui les porte à
examiner ces fortes de Principes , ce que plufieurs ne fe
permettent jamais.
§. 1 1 . Après ces gens-là viennent ceux dont V Entendement i- Embr«ffer
ejl comme jette au moule d'une Hyfothefe reçue , c'eft leur""^'"" ^1'
fphére > ils y font, renfermez &: ne vont jamais au delà,
Aaaaaa 3 La.
9^6 De l'Erreur.
C H A p. La différence qu'il y a entre ceux-ci & les autres dont je
XX. viens de parler , c'eft que ceux-ci ne font pas difficulté
de recevoir un point de fait , & conviennent fans peine
fur cela avec tous ceux qui le leur prouvent , defquels ils
ne différent que fur les raifons de la Chofe &: fur la ma-
nière d'en expliquer l'opération. Ils ne fe d.éfient pas ou-
vertement de leurs Sens, comme les premiers; ils peuvent
écouter plus patiemment les inltruclions qu'on leur don-
ne, mais ils ne veulent faire aucun fonds fur les rapports
qu'on leur fait pour expliquer les chofes autrement qu'ils
ne les expliquent, ni fe laiffer toucher par des Probabili-
tez qui les convaincroient que les chofes ne vont pas ju-
llement de la même manière qu'ils l'ont déterminé en
eux-mêmes. Et en effet , ne feroit-çe pas une chofe in-
fupportable à un favant Profeffcur de voir fon autorité
rcnverfée en un inftant par un Nouveau-venu , jufqu'a-
lors inconnu dans le Monde , fon autorité , dis-je , qui
eft en vogue depuis trente ou quarante ans , foûtenuë par
quantité de Grec Ôc de Latin, acquife par bien des fueurs
éz des veilles, &: confirmée par une tradition générale 6c
par une Barbe vénérable ? Qiii peut jamais efpérer de ré-
duire ce Profcffeur à confefferque tout ce qu'il a enfeigné
à fes Ecoliers pendant trente années ne contient que des
erreurs &: des mêprifes , & qu'il leur a vendu bien cher
de l'ignorance & de grands mots qui ne fignifioient rien?
Qiielles probabilitez , dis-je, pourroient être aflez confi-
derables pour produire un tel effet ? Et qui efh-ce qui
pourra jamais être porté par ks Argumens les plus pref-
fans à fe dépouiller tout d'un coup de toutes fes ancien-
nes opinions 5c de ics prétenfions à un Savoir à l'acquifi-
tion duquel il a donné tout fon temps avec une applica-
tion infatigable, 6c à prendre des notions toutes nouvel-
les après avoir entièrement renoncé à tout ce qui luy fai-
foit le plus d'honneur dans le Monde ? Tous les Argu-
mens qu'on peut employer pour l'engager à cela , feront
fans doute auflî peu capables de prévaloir fur fon Efprit
que les efforts que fit Borà pour obliger le Voyageur à
quit-
T>e l'Erreur. L i v. IV. 927
quitter fon Manteau qu'il tint d'autant plus ferme que le C h A p.
Vent fouffloit avec plus de violence. On peut rapporter XX.
à cet abus qu'on fait de fajijfes Hypothefes t les Erreurs qui
viennent d'une Hypothefe véritable ou de Principes rai-
fonnables j mais qu'on n'entend pas dans leur vray fens.
Les exemplefdeceux qui foùtiennent différentes opinions
mais qu'ils fondent tous fur la vérité infaillible des faintes
Ecritures , font une preuve inconteftable de cette efpéce
d'erreurs. Tous ceux qui fe difent Chrétiens, reconnoif-
fent que le Texte de l'Evangile qui dit, utlAvcûn, obli-
ge à un devoir fort important. Cependant combien fera
erronnée la pratique de l'un des deux qui n'entendant
que le François, fuppofera que cette Régie eft félon une
Traduftion> Repentez-vous, ou félon l'autre , Faites pé-
nitence ?
§. 12. En troifiéme lieu, les Probabilitez qui font 5. Despafïïons
contraires aux defirs èc aux pallions dominantes des hom- dominâmes^
mes, courent le même danger d'être rejettées. Que la
plus grande Probabilité qu'on puiiTe imaginer, fe préfen-
te d'un côté à l'Efprit d'un Avare pour luy faire voir l'in-
juftice 8c la folie de fa paffion , & que de l'autre il voye
de l'argent à gagner , il eft aifé de prévoir de quel côté
panchera la balance. Ces Ames de boûé femblables à des
remparts de terre refiftcnt aux plus fortes batteries j ëc
quoy que peut-être la force de cpelque Argument évi-
dent faffe quelque irapreiîion fur elles en certaines rencon-
tres , cependant elles demeurent fermes 8c tiennent bon
contre la Vérité leur Ennemie, quivoudroit les captiver
ou les traverfer dans leurs deHcins. Dites à un homme
paffionnément amoureux, qu'il eft duppéj apportez luy
vingt témoins de l'infidélité de fa Maîtreffe , il y a à pa-
rier dix. contre un , que trois paroles obligeantes de cette
Infidelle renverferont en un mot tous leurs témoignages.
* Nous croyons facilement ce que nous dejirons ; c'eft une *çH,od-voinmt^
vérité dontje croy que chacun a fait l'épreuve plus d'une/'^'^'^ cndimusi,
fois: èz quoy que les hommes ne puiflent pas toujours fe
déclarer ouvertement contre des Probabilitez manifeftes
93B De r Erreur.
C H A p. qui font contraires à leurs fentimens , & qu'ils ne puif-
XX. fent pas en éluder la force , ils n'avouent pourtant pas la
conféquence qu'on en tire. Ce n'eft pas à dire que l'En-
tendement ne foit porté de fa nature à fuivre conftam-
ment le parti le plus probable > mais c'eft que l'homme a
la puiflance de fufpendre Se de reprimer fes recherches èc
d'empêcher fon Efprit de s'engager dans un examen ab-
folu èc fatisfaifant , auill avant que la matière en queftion
en ell capable, 8c le peut permettre. Or jufqu'à ce qu'on
en vienne là, il reiïerâ toujours ces deux moyens d'echaper
aux prababiUtez les pins apparentes.
Moyensd'cciia- §■ 13. Le premier eft, que les Argumens étant expri-
pcr aux Proba- j^^j: par dcs parolcs , comme font la plupart , // peut y
phiftiqiîeriê avoiï quelquc fophijliqmrie cachée dans les termes , &que,
fuppofec. sil y a plufieurs confequences de fuite , il peut y en avoir
quelqu'une m.al liée. En elfet,il y a fort peudedifcours,
qui foicnt fi ferrez, fi clairs & fi juftes qu'ils ne puiffent
fournir à la plupart des gens un prétexte afTez plaufible
de former ce doute , & de s'empêcher d'y donner leur
confentement fans avoir à fe reprocher d'agir contre la
fincerité ou contre la Raifon , par le moyen de cette an-
cienne réplique , Non perfnadebis etiamfi perfnaferts ,
3, Quoy que je ne puiffe vous répondre , je ne me ren-
jjdrai pourtant pas.
n Ar"umms §• ^4- En (ccond lieu, je puis échaper aux Probabi-
fuppofeipour Htez manifeftes Se fufpendre mon confentement, fur ce
k Paru contni- fQ^^jei^e^f q^g je ne fai pas encore tout ce qui peut être
dit en faveur du parti contraire. C'eftpourquoy bien que
je fois battu, il n'eft pas necefiaire que je me rende, ne
connoiilant pas les forces qui font en rcferve. C'eft un
refuge contre la conviftion qui eft fi ouvert Se d'une fi
vafte étendue qu'il eft difficile de déterminer quimd un
homme en eft tout-à-fiit exclus.
Quelles ptoKi- §. 15. Cependant il a fes bornes j &: lorfqu'un homme
biiitezaetermi- ^ rechcrchc foigneufcment tous les fondemens de Proba-
Ai .iiti- ^^^^^^, ^ d'ImprobabiUtéi lorfqu'il a fait tout fon poflible
pour s'informer fincerement de toutes les particularitez
de
nicnr
De l'Erreur. Liv. IV. .c^ic)
de la Qiieftion , & qu'il a aflemblé exa£tement toutes les . C HÀ>,
raifons qu'il a pu découvrir des deux cotez, dans la plu- .XX.
♦part des cas il peut venir à connoître fur le tout de quel
côté fe trouve la probabilité j car fur certaines matières
de raifonnement il y a des preuves qui étant des fuppofi-
tions fondées fur une expérience univerfelle , font li for-
tes & i\ claires, 6c fur certaines matières de fait , les té-
moignages font fi univerfels qu'il ne peut leur refufer fou
confentement. De forte que nous pouvons conclurre , à
mon avis, qu'à l'égard des Propofitions , où encore que
les Preuves qui fe préfentent à nous foient fort coniidera-
bles, il y a pourtant des raifons fuffîfantes de foupçonner
qu'il y a de la fophiftiquerie dans les termes , ou qu'on
peut produire des preuves d'un aulTi grand poids en faveur
du parti contraire, alors l'aflentiment , la fufpcnfion ou le
diflèntiment font fouvent des aftcs volontaires. Mais lorf-
que les preuves font de nature à rendre la chofe en que-
ftion extrêmement probable, fans avoir un fondement fuf-
fifant de foupçonner qu'il y ait rien de fophiftique dans les
termes Çce qu'on peut découvrir avec un peu d'applica-
tion} ni des preuves également fortes de l'autre côté, qui
n'ayent pas encore été découvertes , (ce qu'en certains cas
la nature de la chofe peut encore montrer clairement à un
homme attentif) je croy, dis-je, que dans cette occafion
un homme qui a confideré mûrement ces preuves, ne peut
gueres refufer fon confentement au côté de la Qiieftion
qui paroît avoir le plus de probabilité. S'agit-il par exem-
ple de favoir fi des carafteres d'imprimerie mêlez confufé-
ment enfemble pourront fe trouver fouvent rangez de tel-
le manière qu'ils tracent fur le Papier un Difcours fuivi ,
ou fi un concours fortuit d'Atomes, qui ne font pas con-
duits par un Agent intelligent , pourra former plufieurs
fois des Corps d'une certame efpéce d'Animaux > dans ces
cas & autres femblables, il n'y a perfonne, qui, s'il y fait
quelque reflexion, puifle douter le moins du monde quel
parti prendre ou être dans la moindre incertitude à cet é-
gard. Enfin lorfque la chofe étantindifterentede fa nature
Bbbbbb &:
9 jo De r Erreur.
Cftap. 6c entièrement dépendante des Témoins qui en atteftent
XX. i^ vérité , il ne peut y avoir aucun lieu de fuppofer qu'il
y a tm témoignage aulîî fpecieux contre que pour le fait
atteilé, duquel on ne peut s'inftruire que par voye de re-
cherche, comme eft par exemple de favoir s'il y avoit à
Rome, il y a 1700. ans un homme tel que Jules Céfar ;
dans tous les cas de cette cfpéce je ne croy pas qu'il foie
au pouvoir d'un homme railbnnable de refufer fon aflen-
.tiraent & d'éviter de fe rendre à de telles Probabilitez. Je
croy au contraire que dans d'autres cas moins évidens il efl
au pouvoir d'im homme raifonnable de fufpendre fun af-
fentiment, & peut-être même de fe contenter des preuves
qu'il a, fi elles favorifent l'opinion qui convientlemicux
avec fon inclination ou fon intérêt , &c d'arrêter là fes re-
cherches. Mais qu'un homme donne fon confentement au
.côté où il voit le moins de probabilité , c'elt une chofa
qui meparoit tout-à-fait impraticable, 6c auilî impoflible
qu'il l'eft de croire qu'une même chofe foit tout, à la fois
probable S>c non-probable.
Quand c'efi §. i6. Comme la Connoiflance n'cft non plus arbitrai^
<]uii eft en iiô- j-e q^g j^ Perception , je ne croy pas que rAOéntiment
fijQfendre'uôtre foit plus cu nôtre pouvoir que la Connoilfance. Lorfque
Aflcntiracnt. la convenancc de deux Idées fe montre à mon Efprif , ou
immédiatement, ou par le fecours de la Raifon,jenepuis
non plus refufer de l'appercevoir ni éviter de la connoîtrc
- que je puis éviter de voir les Objets vers lefquels je tourne
les yeux 6c que je regarde en plein midi j 6c ce que je trou-
ve le plus probable après l'avoir pleinement examiné , je
jie puis refufer d'y donner mon confentement. Mais quoy
que nous ne puillions pas nous empêcher de connoître la
convenance de deux Idées, lorfque nous venons à l'apper-
cevoir, ni de donner nôtre aiïentiment à une Probabilité
dès qu'elle fe montre vifiblement à nous après un légitime
examen de tout ce qui concourt à l'établir , nous pouvons
pourtant arrêter les progrès de nôtre Connoiflance 6c de
nôtre Afléntiment, en arrêtant nos perquifirions Se en cef-
£ant d'employer nos Facultez à la redierche de la Vérité.
Si
De V Erreur. Liv. IV. 951
Si cela tfétoit ainfi, l'Ignorance, l'Erreur ou l'Infidélité ChAp,
ne pourroit être un péché en aucun cas. Nous pouvons XX,
donc en certaines rencontres prévenir ou fufpendre nôtre
aHentiinent. Mais un homme verie dans l'Hiftoire mo-
derne ou ancienne peut-il douter s'il y a un Lieu tel que
Rome , ou s'il y a jamais eu un homme tel que Jules Ce-
far ? Du relie , il eft confiant qu'il y a un million de ve-
ritez qu'un homme n'a aucun intérêt de connoirre , ou
dont il peut ne Te pas croire interefle de s'mllruire, com-
me Il * Richard III. étoit boliu ou non , fi Roger Bacon * Roy d'An-
étoit Mathématicien ou Magicien, crc. Dans ces cas & §'""'*=•
autres femblableSj où perfonne n'a aucun intérêt à fe dé-
terminer d'un côté ou d'autre , nulle de fes a£tions ou de
ies defleins ne dépendant d'une telle détermination, il n'y
a pas heu de s'étonner que l'Efpritembrafle l'opinion com-
mune ou fe range dans le fentiment du premier venu. Ces
fortes d'opinions font de fi peu d'importance que fembla-
bles à de petits Moucherons, voltigeans dans l'air, on ne
s'avife guère d'y faire aucune attention. Elles font dans
l'Efprit comme par hazard. Se on les y laifle flotteren li-
berté. Mais lorfque l'Efprit juge que la Propofîtion ren-
ferme quelque chofe à quoy il prend intérêt , lorfqu'il
croit que les conféquences qui fuivent de ce qu'on la re-
çoit ou qu'on la rejette, font importantes, ôc que le Bon-
heur ou le Malheur dépendent de prendre ou de refufer le
bon parti, de forte qu'il s'applique ferieufement à en re»
chercher & examiner la Probabilité ,je penfe qu'en ce cas-
la nous n'avons pas le choix de nous déterminer pour le
côté que nous voulons , s'il y a entr'eux des différences
tout-à-fait vifibles. Dans ce cas la plus grande Probabi-
lité déterminera, je croy, nôtre affentiment; car un hom-
me ne peut non plus éviter de donner fon aflentiment j
ou de prendre pour véritable , le côté oii il apperçoit
une plus grande probabilité , qu'il peut éviter de re-
connoître une Propofîtion pour véritable, lorfqu'il ap-
perçoit la convenance ou la difconvenance des deux I-
dées qui la compofent.
Bbbbbb t Si
932 De l'Erreur,
Cii AI», Si cela eft ainfi , le fondement de l'Erreur doit confi-
XX. lier dans de faufles mefures de Probabilité, comme le fon-
dement du vice dans de faufles mefures du Bien.
^.Faufscmcfa- g_ j^ L^ quatrième &c dernière faufle mefure de Pro-
r'jvmotvI babilite que j'ai deflein de remarquer & qui retient plus-
de gens dans l'Ignorance Se dans l'Erreur , que toutes les
autres enfemble, c'eft ce que j'ai déjà avancé dans le Cha-
pitre précèdent , qui eil de prendre pour régie de nôtre
afléntiment les Opinions communément reçues parmi nos
Amis, ou dans nôtre Parti, entre nos Voifms , ou dans
nôtre Pais. Combien de gens qui n'ont point d'autre fon-
dement de leurs opinions que l'honnêteté fuppofée , ou
le nombre de ceux d'une même Profellion : Comme fi un
honnête homme ou un favant de profellion ne pouvoir
point errer , ou que la Vérité dut être établie par le fuf-
frage de la Multitude. Cependant la plupart n'en deman-
dent pas davantage pour fe déterminer. Un tel fentiment
a été attefté par la Vénérable Antiquité , il vient à moy
fous le paiïeport des fiécles précedens , c'eflpourquoy je
fuis à l'abri de l'erreur en le recevant. D'autres perfonnes
ont été 6c font dans la même Opinion (car c'eft là tout ce
qu'on dit pour l'autorifer ) Se par conféquent j'ai raifon
de l'embraflér. Un homme feroit tout aullî bien fondé à
jetter à croix ou à pile pour favoir quelles opinions il de-
vroit embraffer , qu'à les choifir fur de telles régies. Tous
les hommes font fujets à l'Erreur, 6c plufieurs font expo-
fez à y tomber, en plufieurs rencontres , par paillon ou
par intérêt. Si nous pouvions voir les fecrets motifs qui
fdiit agir les perfonnes de nom , les Savans , 6c les Chefs
de Parti, nous ne trouverions pas toiijours que ce foit le
pur amour de la Vérité qui leur a fliit recevoir les Do£bri-
nes qu'ils profeflént 6c foùtiennent publiquement. Une
thofe du moins fort certaine, c'eft qu'il n'y a point d'O-
pinion fi abfurde qu'on ne puiflé embrailcr fur ce fonde-
ment dont )e viens de parler ^ car on ne peut nommer au-
cune Erreur qui n'ait eu fes Partifans ; de forte qu'un
hon^me ne manquera jamais de fentiers tortus , s'il croit
De l'Erreur. Liv. IV. 933'
être dans le bon chemin par tout où il découvre des fen- C h a p.
tiers que d'autres ont tracé. XX.
§. 18. Mais malgré tout ce grand bruit qu*on fait dans Les Hommes
le Monde fur les Erreurs 6c les diverfes Opinions des hom- "'-' '"'"pas en-
. **^^cz Qsns iiii
mes, je fuis oblige de dire, pour rendre juftice au Genre ri^rand nom-
Humain, Qli'iI n'y a pas tant de gens engagez dans l'Er- ^^f« <i"Etreurs
reur & dans de faufies opinions qu'on le fuppofe ordinai- g"je. ^'™*'
rement ."non que je croye qu'ils embraffent la Vérité, mais
parce qu'en effet fur ces doctrines dont on fait tant de
bruit , ils n'ont abfolument point d'opinion ni aucune
penfée pofitive. Car fi quelqu'un prenoit la peine de ca-
techifer un peu la plus grande partie des Partifans de la
plupart des Seâres qu'on voit dans le Monde, il ne trou-
veroit pas qu'ils ayent en eux-mêmes aucun fentimentab-
folu fur ces Matières qu'ils foùriennent avec tant d'ar-
deur: moins encore auroit-il fujet de penfer qu'ils ayent
pris tels ou tels fentimens fur l'examen des preuves £c fur
l'apparence des Probabilitez fur lefquelles ces fentimens
font fondez. Ils font réfolus de fe tenir attachez au Parti
dans lequel l'Education ou l'Intérêt les a engagez ; èc là
comme les fimples foldats d'une Armée , ils font éclater
leur chaleur &c leur courage félon qu'ils font dirigez par
leurs Capitaines fans jamais examiner la caufe qu'ils dé-
fendent ni même en prendre aucune connoiflance. Si la
vie d'un homme fait voir qu'il n'a aucun égard fincére
pour la Religion, quelle raifon pourrions-nous avoir de
penfer qu'il fe rompt beaucoup la tête à étudier les Opi-
nions de fon Eglife, &c à examiner les fondemens dételle
ou telle Doârrine? Il fufîit à un tel homme d'obeïr à (es
Gondufteurs, d'avoir toujours la main &: la langue prête
à foûtenir la caufe commune , ôc de fe rendre par là re-
commandable à ceux qui peuvent le mettre en crédit,
luy procurer des Emplois ou de l'appuy dans la Société.
Et voilà comment les hommes deviennent Partifans &c
Défenfeurs des Opinions dont ils n'ont jamais été con- •
vaincus ou inftruits , 6c dont ils n'ont même jamais eu ■
dans la tète les idées les plus fuperfîcielles 3 de forte qu'en- -
Bbbbbb z core
934 2?i? la Vivi/ion des Sciences'.
C H A p. corc qu'on ne puifle point dire qu'il y ait dans le Monde
XX. moins d'Opinions abfurdes ou erronées qu'il n'y en a , il
eft pourtant certain qu'il y a moins de perfonnes qui y
donnent un afl'entinient acVuel , & qui les prennent fauf-
fement pour des veniez , qu'on ne s'imagine communé-
ment.
CHAPITRE XXL
vi;ci< tn ttois
F.lp^ccs.
C H A P. De la Divifîon des Sciences.
XXI.
LcsScicnccs.ii- §. I. ^TT^OuT cc qui pcut entrer dans la fphére de
X l'Entendement Humain , étant en premier
lieu, ou la nature des Chofes telles qu'elles font en el-
les-mêmes, leurs relations 6c leur manière d'opérer ; ou
en fécond lieu , ce que l'Homme luy-même eft obli-
gé de faire en qualité d'Agent raifonnable & volontaire
pour parvenir à quelque fin &: particulièrement à la Fé-
licité} ou en troifiéme lieu , les moyens par où l'on peut
acquérir la connoifî'ance de ces chofes èc la communiquer
aux autres i je croy qu'on peut divifer proprement la j'a^w-
ce en ces trois Efpeccs.
§. 2. La première eft la connoiflance des chofes com-
me elles font dans leur propre exiftence , dans leurs con-
ftitutions , propriétez 6c opérations , par où je n'entens
pas feulement la Matière &c le Corps , mais aulli les Ef-
prits,qui ont leurs natures, leurs conftitutions, leurs ope-
rations particulières aulTi bien que les Corps. C'eftceque
j'appelle * Phyjîque ou Philofophie naturelle , en prenant
ce mot dans un fens un peu plus étendu qu'on ne fait or-
dinairement, La fin de cette Science n'eft que la fimplc
fpeculation ; & tout ce qui peut en fournir le fujet à l'Ef-
prit de l'homme, eft de fon diftri£t, foit Dieu luy-même,
les Anges, les Efpnts ; les Corps ou quelqu'ime de leurs
Affeftions, comme le Nombre, &c la Figure, 6cc.
n. Pratique. g 2^ i,^ féconde que je nomme * Pra6fique,, enfeignc
î. rhyficjix.
fifcix;.
De la Drvijîon des Sciences. L i v. IV. 9 3.5
les moyens de bien appliquer nos propres PuifTances 8c A- C H A p,
ftions , pour obtenir des chofes bonnes &: utiles. Ce qu'il XXL
y a de plus confidcrable fous ce chef , c'etl la Morale ,
qui confifte à découvrir les régies &: les mefures des A-
ftions humaines qui ccnduifent au Bonheur ,& les moyens
de mettre ces régies en pratique. Cette faconde Science.
fe propofe pour lîn , non la {impie fpeculation & la con-
noiflance de la Vérité, mais ce qui eft jufte, ôc une con-
duite qui y foit conforme.
§. 4. Enfin la troifiéme peut être appelléeCT(tt«a)7î)t}i ou l"- ^°"""''-
la connoiffance desjïgnes ; & comme les Mots en font la ^"" " """'
plus ordinaire partie , elle eft auflî nommée affez propre-
ment * Logique : fon employ confifte à confiderer la na- *A.y„t,; d,i
ture des ficnes dont l'Efprit fe fert pour entendre Icscho- "'"' ,^'''<^,î"'
les, ou pour communiquer la connoiilance aux autres. Car
puifqu'entre les chofes que l'Efprit contemple il n'y en a
aucune, excepté luy-même t qui foit prél'ente à l'Enten-
dement, il eft néceflaire que quelque autre chofe fe pré-
fente à luy comme figne ou repréfentation de la chofe qu'il
confidérc} & ce font les Idées. Mais parce que la fccne
des Idées qui conftitué les penfées d'un homme , ne peut
pas paroître immédiatement à la veûë d'un autre homme,
ni être confervée ailleurs que dans la Mémoire , qui n'eft
pas un refervoir fort afluré , nous avons befoin de fignes
de nos Idées pour pouvoir nous entre-communiquer nos
penfées auHi bien que pour les enregîtrer pour nôtre pro-
pre ufage. Les fignes que les hommes ont trouvé les plus
commodes & dont ils ont fait par conféquent un ufage
plus général, ce font les fons articulez. C'eftpourquoy
la confideration des Idées &: des Mots , entant qu'ils font
les grands Inftrumens de la Connoiffance , fait une partie
afiez importante de leurs contemplations , s'ils veulent
envifager la connoiflance humaine dans toute fon étendue.
Et peut-être que fi l'on confideroit diftinftement 6c avec
tout le foin poflible cette dernière efpéce de Science qui
roule fur les Idées ^ les Mots , elle produiroit une Logi-
que v;c i^ne Critique difféientes de celles qu'onaveiiësjuf- ^
qu/àpicfent, §- 5>.
Ch AP.
XXI.
C'tft là la prc
niie're divifioti
iâiicc,
936 De la Vivijîon des Sciences. Liv.IV.
§. 5. Voilà, ce me femble , la première , la plus gé-
nérale , èc la plus naturelle divifion des Objets de nôtre
Entendement. Car les feules chofes à quoy l'homme puif-
dcs'ob)ètTd°" fe employer fes penfées, c'eft ou à la contemplation des
nôtre ComoiC- chofes mêmes pour découvrir la Vérité, ou aux chofes qui
font en fa puillance , c'eft à dire fes propres avions pour
parvenir à fes fins; ou auKfgnes dont TEfprit fe fert dans
l'une &■ l'autre de ces recherches , &: dans le jufte arran-
gement de ces fign es mêmes pour s'inftruire plus nettement
luy-même. Or comme ces trois articles, (je veux dire
les Chofes entant qu'elles peuvent être connues en elles-
mêmes, les ji£îions entant qu'elles dépendent de nous par
rapport à nôtre Bonheur, &; Vnfage légitime desjignespom
parvenir à la Connoiflance} font tout-à-fait difFérens , il
me femble aufli que ce font comme trois grandes Provin-
ces dans le Monde Intelleftuel , entièrement feparées Se
diftindes l'une de l'autre.
FIN du çinatriéme à' fermer Livre.
TABLE
T A B L
DES
PRINCIPALES MATIERES.
Is TRACTION, ce que
c'eft. 169. § 9.
Elle met une parfaite
dirtance entre les hom-
mes & les Bêtes, ibid.
§. 10.
Idées ïî^/?n»'ffj- comment formées. 354.
§•6,7,8.
Les termes abjlraits ne fauroient être
affirmez l'un de l'autre. 595. §. i.
Accident cs(\ncc't{}i. 351. %. z.
Aéîinns , rien ne découvre mieux les Prin-
cipes des hommes que leurs aârions. 4 5 .
§.7.
Il n'y a que deux fortes A'aâions. ^74.
§. 4.
Une Aàion désagréable peut devenir
agréable ,& comment. 330, 3 31. §.69.
Nulles aÛions confiderées en diftérens
temps ne peuvent être les mêmes. 398.
§. 1.
/?<3yo»; confiderées comme des Modes ,
ou par rapport à ce qu'elles ont de mo-
ral. 455. §. 15.
Adoration , l'idée à'Adtratio» n'efi: pas
innée. 70. §. 7.
Affirm ittoKs , elles ne roulent que fur des
idées concrètes. 595. §.1.
Algèbre, (bnufage 838. §. i{.
Alteration^cz c^xxzz'^^. 391. §.1.
Ame, elle ne penfe pas toujours. 99. §.9,
Elle ne penfe pas dans un profond
fommeil. loi. §. ii,c5'f.
Son immatérialité nous eft inconnue.
688. §.6.
la Religion n'eft pas interefTée dans
l'immatérialité de \' Ame. tbid.
Nôtre ignorance fur la nature de \'A-
wt. 4ii. §. 27.
Combien les aftions de VAwe font fu-
bites. 153- §• 10'
Amour, cequec'efl:. x66. §.4.
A>i.ilogie, combien utile dans la Phyfique.
859. § II.
A/itipathii &- Sympathie, quelle en eftia
fource. 488. §. 7.
Si elles font naturelles ou acciuifes. ib.
§,7,8.
Elles font caufées quelquefois par ia
connexion des Idées, ib.
Argumens , il y en a de quatre fortes.
l. Ad verecundiam . 888. $(.19.
!.. Ad iznoranliam. 889. §. zo.
3 Ad loominem. ib. §.21.
i^.Ad judicium. ib. §. 22.
Arithmétique, l'ufage des Chiffres dans
l'Arithmétique. 699. ^. 19.
les chofes Artificteùes font la plupart
des Idées colledtives. 383. §.3.
Ponrquoy nousfommes moins fujets à
tomber dans la confufion à l'égard des
chofes Artificielles que des Naturelles.
581. § 40.
Il y a des Efpéces diftindes de chofeî
artificielles. 582. <J.4i.
AJfe/ttiment qu'on donne aux Maximes.
16. §. 10.
Dès qu'on les entend & qu'on com-
prend les termes qu'on employé pour
les exprimer. 22. §.17,18.
L'Enthoufiafme pafle pour un fonde-
ment d'aflentiment. 905-. §. 3.
C'eft un figne que ces Propoiitions font
évidentes par elles-mêmes. 25. §. 18.
Et non pas qu'elles font innées. 2 3 . §. 1 8.
25. §. 19, 20. 82. §. 10.
l'AfTcntiment tombc'fur des Propoii-
tions. 842 §. 3.
Ce que c'eft. 845. §.3.
11 doit être proportionne aux preuves.
848. §. I.
Il dépend fouvent de la Mémoire, ik
§. I, 2.
En quelles rencontres il eft volontaire
Ccccce de
TABLE
derefufer ou de fufpendre fon confen-
tement , & en quelles occafions il eft
néceflaiie. 918, §. if, 16.
AJàcialio» d'Idées. 485.
Comment elle fe tait. 487. ^.6.
Ses mauvais efets, comme à l'égard
des Antipathies. 488. §. 7,8- 49' •§■ « 5-
A l'égard des Erreurs de l'Efpiit. 489.
§. 9, 10.
Et cela dans desSedes de Philofophie
âc de Religion. 495. §. 18.
Le temps remédie quelquefois à ces in-
convenic! s , & comment. 490. $.13.
Exemples du mauvais effet deraflbcia-
tion des Idées. 491. <:. 14, y«"-
Les dangereufes influences qu'elle a
fur les Habitudes intellectuelles. 495.
§. 17.
Mura»ce, quand on y eft parvenu. 853.
§. 6.
yf//j////»<r dans le Monde. 70. §.8.
Atome, ce que c'eft. 599. §.3.^
Aveugle , fi un A veugle venoit à voir , ii
ne connoitroit pas par le moyen de la
veûë un Globe d'avec un Cube, quoy
qu'il les diftinguàt par l'attouchement.
151. § 8.
ÂHtorité: fuivre lesfentimens des autres
hommes , grande fource d'Erreur. 9 3 1.
§■ 17-
Axiomes , ne font pas les fondemens des
Sciences. 756. §. i,^c.
BEtes Brutes Elles n'ont pas des
idée? univerfelles. 170. §. 10, 11.
Ni des idées abftraites. 170. §. 10.
BieuSc mal, cequec'eft. 166. §.i. 305.
§.41.
Le plus grand Bie» ne détermine pas
la Volonté 197. §. 35> 38,44.
Pourquoy. 307. §. 44. 46. 511.$. 59,
60, 64, 65,68.
Il y a deux fortes de C/>«/. 313- § 61.
Le Bief> n'agit fur la Volonté que par
leDefir. 309. $.46.
Comment on peut exciter le defir du
Biea. 309. §.46,47.
Souverain Bieft , en quoy il confifte.
3.8. §.5Î-
Bmhcttr, cequec'eft. 305. §.41.
Quel honbeur les hommes recherchent.
ib. $.43.
Comment il arrive que nous nous con-
tentons d'un bonheur peu étendu. 311.
§. 5-9.
C.
CAPACITE'. 180. (J. 3.
Il eft utile deconnoitre l'étendue
de nos CapncitcZ:. 3. §.4. Cette con-
noiiTance eft propre à guérir du Scepti-
cifme & delaParefle. 6. S. 6.
Nos capacitez, font proportionnées à
nôtre Etat prélent. 4. $.5.
Caufe, ce que c'eft. 39-. §. 1.
Ce qui eft , eft; Maxime qui n'eftpas re-
çue avec un confentement général,
il. §.4.
Certu.'id: : elle dépend de l'Intuition.
673. §■!•
En quoy elle confifte. 731. Ç. 18.
Certitude deVeùté. 740. f. 3.
Certitude deConnoiffance. ibid. à l'é-
gard desSubftances, on ne peut trou-
ver de certitude (\\.\t dans un tort petit
nombre de Propofitions générales. 751.
§.13. Et pourquoy. 754. §. m.
Où l'on peut trouver la terttt.-ide. 756.
§. 16.
Certitude verbale. 789. §. 8. Réelle.
ibid.
Connoiflance fenfible, la plus grande
certitude que nous ayions de l'cxiften-
ce. 812. §.2.
Chaud & froid , comment la fenfation de
ces deux chofes eft produite par la
même eau dans le même temps. 141.
Cheveu, comment il paroit a travers un
Microfcope. 359. §. 11.
Citatiofis, combien peu l'on doit s'y fier.
8J-8. §. II.
Clirté: Elle feule empêche la confufion
des Idées. 166. § 3.
Ce que c'eft qu'Idées Claires 8i obfcures,
441. §.z. „ „ r
CohibitioM , ce que c eft. iS i . § • i ■ .
CoAre, cequec'eft. 169. §. iz.
CommefiCt'.ires fur les Loix , pourquoy in-
finis 604. §.9.
Idées CotKpIexes, comment on les forme.
168. §.6. 175-5-I-
A
I
DES MATIERES.
A l'égard de ces Idées l'Efpritefl: plus
quepaflif. 175. §. i, i.
Elles' peuvent être réduites à ces trois
fortes , Modes , Subjlames 8c Relatio-zis.
■Ï77. §-3-
Comparer des Idées, ce que c'eft. 167.54.
En cela les Hommes furpaflènt les Bê-
tes, il'. §.5.
Idées Citfsp/etcs. 4^7. ^c. Nous n'a-
vons point d'idées complètes d'aucune
EfpécedeSubftances. 461. $.6.
Compofer des Idées, ce que c'elî. 168. § 6.
Il y a parla une grande d4fFérence en-
tre les hommes & les bêtes, ib. %. 7.
Compter; cequec'eft. 154. ^ 5.
Les noms font néceflaires pour compter,
ibtd.
Et l'ordre. 137- §• 7-
Pourquoy les Enfans ne font pas ca-
pables de compter de bonne heure , &
pourquoy quelques-uns ne peuvent ja-
mais le faire, tb.
Confiance. 855. §.6.
Idées confufes. 441. 6. 4.
Confufon d'Idées en quoy elle confifte.
441. $ 5,6,7.
Caufe de cette confulion. 443. §.7^8,
Elle eft fondée fur un rapport aux
noms qu'on donne auxidées 446. § 10.
Moyen de remédiera cette confulion.
447. § li.
Con/ioijfance : elle a une grande liaifon
avec les mots. 614. §.2.1.
Ce que c'eft que la Cannoijj'ance.ôô 5 .§ 1.
Combien elle dépend de nos Sens. 658.
§ ^3-
Connoijfance a&aeWs. 66ç §.8.
Habituelle. ibiJ.
La Cunnoijjame habituelle eft double.
670. §. 9.
Con»oij[arjce intuitive. 673. §. i. Eft
lapins claire, tbtd. Et irrefiftible. ib.
CoKHoipince démonftrarive. 674. §. z.
TînUeConiioilfance desvéritez géné-
rales eft ou intuitive ou démonftratire.
681. § 14.
Celle des e^ifterces particulières eft
fer-fitive. 683. § 14.
Les Idées r' aires re produifent pas tou-
jours une C'o;r/ioijfawe claire, ib. §.15.
Quelle forte de Cùnfioijjànce nous avons
de la Nature. 359 §. li.
Les commencemens &. les progrès de
la CoriHoiJj'imce. 10. §. 15, 16. 175.
§. 15, 16, 17.
Où elle doit commencer. 199. §• 2.?.
Elle nous eft donnée dans les Facultez
propi es à l'obtenir. -5. 5-ii-
La Co:'i^oiJj':»ce des hommes répond à
Vuhnc qu'ils font de leurs Facultez.
87 § .1.
Nous ne pouvons l'acquérir que par
l'application de nos propres Penfées à
la contemplation des chofes mêmes.
«9- §-i3.
Etendue de la Connoijfance humaine.
684. f.i.es'.-.
Nôtre Connoiflancene s'étend pas aii
del .H de nos Idées, ibid.
Ni au delà de la perception de leur
convenance ou difconvenance. tb. %. ^.
Elle ne s'étend pas à toutes nos I-
àéss. ib. §. 3.
Moins encore à la réalité des chofes.
685. §6.
Elle eft pourtant fort capable d'accroif-
fement, fi l'on prenoit de bons che-
mins, ib
Nôtre connoijfance d'Identité ScdeDi-
verfité eftaullî étendue que nos Idées.
691. § 8.
Nôtre connoijjlmce de coëxiftence eft
fort bornée, ib. § 9,10,11.
Et par confequent celle des Subftances
l'eft aulfi 695. §. 14, 15, 16
La counoijpince des autres relations ne
peut être déterminée 697 §. 18.
Qjielle eft la conn»iJJa»ce àsV exigence.
703. §. zi.
Où c'eft qu'on peut avoir une anneif-
fance certaine & univerfelle. 711. 5-^9 •
756. §. 16.
Le mauvais ufage des Mots, grand
obftacle à la Connoiffince, 714 '\ jo.
Où le trouve la cunnoijj'aice générale.
71Ç. §.31.
Elle ne fe trouve que dans nos penfées.
751. 5.15.
Rea'ité de nôtre connoijjlince. 716.
('ombien eft réelle la connoijfance que
nous avons des ver irez Mathématiques.
719.5.6. Cccccc i Cel-
TABLE
Celle que nous avons de la Morale eft
réelle. 71^- §-7- , , „
Jufqu'où s'étend la réalite de relie que
nous avons des Subftances. 7 ^4- §•,' -•
Ce qui fait nôtre Comotffanct réelle.
7,7. §.}.&8.
Confiderer les chofes &non les noms
des chofes , moyen de parvenir à la
connoijfance. 715. §-15.
Omnotffatice des Subftances en quoy
elle confifte. 746. §■ 10.
Ce qui eft néceflaire pour parvenir à
une cofimijfaace paflable des Subftan-
ces. /^iî. §. 14.
Comoijfanct évidente par elle-même.
756. §. 1.
La counoiffance de l'Identité & de la
Diverfité eft aiiffi étendue que nos
Idées. 757. §.4. En quoy elle confi-
fte. ib.
Celle delaCoëxiftenceeft fort bornée.
760, §.5. Celledes Relations des Mo-
des nel'eft pastant. 761. §.6.
Nous n'avons aucune connoij^mce de
i'exiftence réelle, excepté nôtre pro-
pre exiftence & celle de Dieu. /i. §.7.
La connoiffùTice communes par desclio-
fes particulières. 774. §. n.
Nous avons une connoijfance intuitive
de nôtre propre exiftence. 794. §• 5.
& une connoiflance démonftrative de
l'exiftencedeDieu. 795. §. i-
La ConnoiJJhnie ijue nous avons par le
moyen des Sens mérite le nom de con-
noillànce. 813. §.5.
Comment on peut augmenter la con-
■Miffance. 8^4. Ce n'eft point par le fe-
cours des Maximes, ib. §. 1 . Pourquoy
on s'eft figuré cela. ib.%. 2..
On ne peut augmenter la ConnoifTance
qu'en déterminant & comparant les I-
dées. 8i8. §.6. 856. §.14.
Et en trouvant leurs rapports. 8 3 o. §. 9.
Par des Idées moyennes. 836. §.14.
Comment la ConnoiiTance peut être
perfedionnée à l'égard des Subftances.
850. §. 9.
La Conmijjance eft en partie néceflaire,
& en partie volontaire. 838. §. i, z.
Pourquoy nôtre Connoiflance eft fi
petite: 841. §. z.
CoKfcie;ice y c'eft l'opinion que nou9 a-
vons nous-mêmes de ce que nous fai-
fbns. 44. §. 8.
Con-fcience fait qu'une perfonne eft la
mîme. 411. §. 16. Ce que c'eft. 109.
%. 19.
Il eft probable qu'elle eft attachée à la
même Subftance individuelle, imma-
térielle. 419. §.15-
Elle eft néceflaire pour penfer. loc.
§. 10, 1 1. 109. %. 19.
ContempUtion , 156. § . i .
Convinance & difconvenance de nos I-
dées divifce en quatre efpéces.666.§.5.
Cor^s , nous n'avons pas plus d'idées ori-
ginales du .Corps que del'Efprit. 36 j.
§. 16.
Quelles font ces Idées originales du
Corps. 565. §. 17.
L'étendue ou la cohéfiondes Corps eft
auill difficile à concevoir que la pen-
fée dans l'Efprit. 568. §. 13, 14, 15,
2.6, 17.
Le mouvement d'un Corps par un au-
tre Corps , aufll difficile à concevoir
que le mouvement d'un Corps par le
moyen de la penfée. 371. §.18.
Le Corps n'agit que par impulfion. 1 36.
§. II.
Ce que c'eft que Cor/i;. 186. §. n.
Couleurs, Modesdes couleurs. 1^9. §-4.
Ce que c'eft que la Couleur. 530.5. 16.
Crainte, ce que c'eft:. 169. §. 10.
Création., ce que c'eft. 391. §. i.
Elle ne doit pas être niée parce que
nous n'en faurions concevoir la ma-
nière. 810. §. 19.
Croyance, cequeceft. 84^. §.3.
Croire fans raifon c'eft: agir contre fon
devoir. 890. §. 14.
D.
DECISIF. Les plus habiles gens font
les moins dccififs. 851. §.4.
Définition , pourquoy l'on fe fert du
Genre dans la Définition. 511. §. lo.
Cequec'eftquela Z?fj';»;r/ô». 511- § 6.
Définir les mots termineroit une gran-
de partie des Difputes. 6^9. §.15.
DéiKc-riftration , ce que c'eft. 6 - 5 . §• 3 . 88 5 .
§.1;.
Elle
DES MATIERES.
Elle n'efl: pas fi claire quelaConnoif-
fance intuitive. 675. §.4,6,7.
La connoiflance intuitive eft néceflaire
dans chaque degré d'une Démonjîra-
tion. 677. §. 7.
La Démonftration n'efl: pas bornée à la
Quantité. 678. §.9.
Pourquoy on a fuppofé cela. 679.5.10.
Il ne faut pas attendre une démonftra-
tion en toutes fortes de cas. 819. §. lo.
Defcfpoir, ce que c'eff. 169. §. 11.
Defir, ce que c'eft. 167. §.6.
C'eft un état où l'Efprit n'efl pas à fon
aife. 194. §. 31, 51-
Le Defir n'eft excité que par le Bon-
heur. 304. §.41.
Jufques où. 335. §.43.
Comment il peut être excité. 3 09. §.46.
Il s'égare par un faux Jugement. 310.
§. 58.
DiéîioHaires , comment ils devroient être
faits. 660. §.25.
Dieu y immobile parce qu'il eft infini.
367. §. II.
Il remplit l'Immenfité auiTi bien que
l'Eternité. 213. §.3.
Sa durée n'eft pas femblable à celle des
Créatures. 131. §.12..
L'Idée de Dien n'cll: pas innée. 70. §. 8.
L'exiftence de Dien eft évidente & fe
préfentefans peine à la Raifon. 7 1. §.g.
La notion de Dieu une fois acquife , il
eft fort apparent qu'elle doit fe répan-
dre & fe conferver dans l'Efprit \ des
hommes. 73. §. 10.
L'Idée de Dien vient tard & eft im-
parfaite. 76. §.15.
Combien étrange & incompatible dans .
l'Efprit de certains hommes. 77. §.15.
Les meilleures notions de la Divinité
peuvent êtreacquifes par l'application
de l'Efprit. 79. §. 16.
Les Notions qu'on fe forme de Dieie
font ibuvent indignes de luy. 77. §.
1 5, 16.
L'exiftence d'un Dieu certaine. 80.
§. 16.
Elle eftaufTi évidente qu'il eft évident
que les trois Angles d'un Triangle font
égaux à deux Droits. tÈ>.
L'exiftence d'un Dieit peut être dé-
montrée. 79c. §. 1, 6.
Elle eft plus certaine qu'aucune autre
exiftence hors de nous. 797. §. 6.
L'Idée de Dieu n'eft pas la feule preu-
ve de fon exiftence. 799. §.7.
L'exiftence de Dtete eft le fondement
de la Morale & de la Théologie. il>.
Dieu n'eft pas matériel. 804. §. ij.
Comment nous formons nôtre idée de
Dieu. 377. §.3,3,34.
Faculté de diJcernerXts Idées. 164. §.i.
Elle eft le fondement de quelques Ma-
ximes générales, ib.
Dtfceurs, ne peut être entre deux hom-
mes qui ont difîérens noms pour défi-
gner la même idée, ou qui défignent
différentes idées par un même nom.
124. §. ç.
DifpoJuioK. 348. §. 10.
Difputer: l'art de difputer eft nuifible à
la Connoiflance. 645. §.6,7.
Il détruit l'ufage du Langage. 624.
§. 10, II.
Diffrites., d'où elles viennent. 198. §.18.
La multiplicité des Difputes doit être
attribuée à l'abus des mots. 634. §. 22.
Elles roulent prefque toutes fur la figni-
fication des mots. 646. §.7.
Moyen de diminuer le nombre des
Difputes. 793. §.13. Quand c'eft que
nous difputonsfurdes mots. ib.
DtJÎMnce. 180. §. 3.
Idées diflindes. 442. §. 4.
Divilibilité delà Matière, eft incompre-
henfible. 376. §.31.
Douleur: la Douleur préfente agit forte-
ment fur nous. 326. §.64.
Ufage de la ZJaa/e«r. 128. §.4.
Durée. 199. §. I, 2.
D'où nous vient l'idée de la Durée,
200. §. j,4, î-
Ce n'eft pas du mouvement. 207.5. i^-
Mefure de la Durée. 208. §. 17, iR.
Toute apparence périodique réguliè-
re. 209. §. 19. 20.
Nulle de ces mefures n'eft connue
pour être parfaitement exade. 211.
§. II.
' Nous conjeârurons feulement qu'elles
font égales par la fuite de nos Idées.
§. 21.
Cccccc 3
Les
TABLE
LesMinnt-cs, les Jours, & lesAnntes
Çs'f . ne font pas néceflaires à la Durée.
113. §. 13.
Le changement des mefures de la D;'.'
rée ne change pas la notion que nous
en avons. 114. §• i?-
Les niefurcs cic la Durée prifes pour
des Révolutions du Soleil , peuvent
être appliquées à la Durie avant que
le Soleil exiftàt. 114. §• 14-
Durie Hins commencement. 2.16. 5. 27.
Comment nous mefurons la Durée.
Z17. §. 18, 19, 50.
De quelle efpéce d'Idées fimples eft
compolée l'idée que nous avons de la
Durée. 12.8. §.9.
Recipituiation des Idées que nous a-
vons de la Durée, du Temps, & de
l'Eternité. 119. §. 31.
La Durée & l'Expanfion comparées,
iii.
La Durée & l'Expanfion font renfer-
mées l'une dans l'autre. 131. §. li.
1.3. Durée confideréé comme une ligne.
130. §. II.
Nous ne pouvons la confiderer fans
fuccefllon. 151. §. n.
Z);/rif//, cequec'eft. nz. §.4.
ECOLES , en quoy elles manquent.
6ii. §.6. es'f.
Ecriture, les interprétations de l'Ecritu-
re Sainte ne doivent pas être impofées
aux autres. 617. §. 13.
Ecrits des Anciens, combien il eft diffi-
cile d'en comprendre exaftement le
fens. 616. §.12..
Edncntion , caule en partie du peu de
raifon des gens. 485. §. 3.
Effet, cequec'eft. 390. §• i-
EntendcmiHt , ce que c'eft. 176. §. ç.
Semblable à une Chambre obfcure.
174. §. 17. Quand on en fait un bon
ufage. 5. 5. 5. C'eft le pouvoir de
penfer. 176. §. 1. Il eft entièrement
pa!lif à l'égard delà réception des I-
d:cs iimples. 115. §.15.
Enthofijiafm'. 903. Décrit. 906.5.6,7.
Son Origine. 905- §.5. Le fondement
de la perfuafion que nous avons d'ê-
tre infpirez doit être examiné & com-
mert. 908. §. 10.
La force de cette perfuafion n'eft pas
une preuve fuflifante. 911. §. n, 13.
EnthouliAfr/te ne parvient point à l'évi-
dence à laquelle il prétend. 910.^.11.
Envie, cequec'eft. 2.69. §.13.
Erreur, cequec'eft. 916. §. 1.
Caufesde V Erreur, th.
I. Le manque de preuves. 917.5.1.
z. Le défaut d'habileté à s'en fervir.
9' 9- §• V
3 . Le défaut de volonté pour les faire
valoir. 910. §.6.
4. De faufles règles de probabilité.
92.1. §.7.
Il y a moins de gens qui donnent leur
afléntiment à des Erreurs qu'on ne
croit ordinairement. 953. §. 18.
Efpace: on en acquiert l'idée par laveîic
& par hattouchement. 180. §. z.
Modifications del'Efpace. ;^. §.4.
Il n'ert pas Corps. 186. §.11,11,13.
Ses parties font infeparables. 187.
§• lî-
L'Efpace eft immobile. 188. §.14.
S'il eft Corps ou Efprit. 189. §. 16.
S'i! eftSubilance ou Accident./^. §.17.
h' Efpace ell: infini. 191. §. 11. 140.
§. 4.
Les Idées deV Efpace & du Corps font
diftinétes. 195. §.14. 196.5.17.
L'Efpace coiifideré comme un folide.
130. §. II.
Il eft difficile da concevoir aucun Etre
réel vuide d'Efp.tce. ibid.
Efpéce, pourquoy dans une Idée com-
plexe le cliangement d'une feule ide'e
ilmple eft jugé changer l'Efpece dans
les Modes , & non pas dans les Sub-
ftances. 651. §.19.
VEfpéi.e des Ariimaux & des Végétaux
eft diftinguée le plus fuuvent par la
Figure. 656. §.19- Et celle des autres
cliofes par la Couleur. jA. & 57i.§.i9.
L'Efpécc eft un ouvrage que l'Enten-
dement de l'homme forme pour s'en-
tierenir avec les autres Jiorames. 539.
§.9.
Il n'y a point d efpéce de Modes Mix-
tes
DES MATIERES.
tes fans un nom. H'^- §• h-
Celle àes Subftances eft déterminée
par l'Eflence nominale. 551. §. 7, 8.
55c. §. II, 15.
Non par les Formes Subftantielles. 55^.
§. 10.
Ni par l'Eiîènce réelle. 560. §. i8.
565. §.!,-.
VEfpéce des Efprits comment peut
être diftinguée 5^5. §. 11.
il y a plus d'Efpéu's de Créatures au
deflus denousqu'audedbus. 558. §.12.
Les Efpe'ces des Créatures vont par dé-
grez infenfibles. $57. §. 11.
Ce qui eft néceffaire pour faire des
Efp/ces par des EfTences réelles. 5 59.
Ç. 14, M- ^''^
Les Efpe'ces des Animaux ne fauroient
être diftinguées par la propagation.
563. §.15.
L'Ejpece n'eft qu'une conception par-
tiale de ce qui eft dans les Individus.
575. §.52.
C'eft ridée complexe , fignifiee par
un certain nom , qui forme VEfpc'ce.
!(77- §-5f-, ^^ ,
L'homme tait les Efpeces ou fortes, ib.
Mais le fondement eft dans la fimili-
tude qui fe trouve dans les chofes.
578. §. ,6,57.
Chaque Idée abftraite diftinde confti-
tuë uneEfpéce diftinfte. 5-9. §.38.
Efprit : l'exiftence des Efprits ne peut
être cori-fiuè. 811. §. 11.
On ne fauroit concevoir l'opération des
Efprits furies Corps. 711. §.2,8.
Quelle connoiflance \es Efprits ont des
Coi'ps. 658. §.15.
Comment la connoifTance des Efprits
feparez peut furpaffer la nôtre. 161.
§■ 9-
Nous avons une notion aulfi claire de
la fubftance des Efprits que de celle
du Corps. 553. §. 5.
Conjecture fur une manière de connoî-
tre par où les Efprits l'emportent fur
nous. 361. §. 13.
Quelles idées nous avons des Efprits.
564. §.15.
Idées originales qui appartiennent aux
Efprits. 365. §. 18,
Les Efprits fe meuvent. ~^<'>6.^.. 19,20.
Idées que nous avons deV Efprit &du
Corps, comparées. 367. §.22,. 375.
L'exiftence des Efprits aufll aifée à
recevoir que celle des Corps. 575.
§• 51-
Nous ne concevons pas comment les
Efprits s'entre -communiquent leurs
penfées. 380. §. 36.
Jufques ou nous ignorons l'exiftence,
les Efpeces & les propriétez des Ef-
prits. 709. §. 27.
VEfprit & le Jugement en quoy ils dif-
férent. 165. §.2.
Efperaace, ce que c'eft. 269. §.9.
Epnce, réelle & nominale. %iG. §.55.
La fuppofition que les Efpeces font
diftinguées par des Efjemes réelles in-
comprehenfibles, eft inutile. 5 17. §.17,
VEjfeme réelle & nominale toujours
la mémedans les Idées fimples&dans
les Modes; & toujours différente dans
les fubftances. 518. §. 18.
Ejfeaces comment ingenerables & in-
corruptibles. 519. %. 19.
Les Efîènces Spécifiques des Modes
mixtes /ont un Ouvrage de l'Homme
& comment. 553. §.4,5,6.
Qtïoy qu'elles Ibient arbitraires elles
ne font pourtant pas formées au ha-
zard. 536. §. 7.
EJfeiues des Modes mixtes pourquoy 3
appelléesiVo/io»;. 541. «j. 12.
Ce que c'eft que ces Eflences. 542.
§■13, 14. Elles ne fe rapportent qu'aux ■
Efpeces. 548. §. 4.
Ce que c'eft que les Epnces réelles.
550. §.6. Nousnelesconnoiflbnspas.
5 5j- §-9-
Nôtre Effence fpecifique des Subftan-
ces n'eft qu'une coUeition d'Idées
fenfibles. 561. §. 21.
Les Effèuces nominales formées par
l'E.rprit. 565. §.25
Mais non pas tout-à-fait arbitraire-
ment. 569. §. 28.
Elles font d ifiérentec en differens hom-
mes. <j66. §. 26.
Effences nominales des Subftances com-
ment formées. 569. §.28, 29. Fort -
dit--
T AELE
différentes, 575. Ç. ji,
L'Ejjl'Uce desÉfpéces eft l'idée abftr.ii-
te dc'fignée pav un certain nom. 513.
§. II. ^60. i 19.
C'eft l'Homme qui en eft l'Auteur.
515. §. 14. Elle eft pourtant fondée
fur la convenance des chofes. 514.
Lsc isj/i'»fe; réelles ne déterminent pas
r.oi ECpéces. il>.
Chaque Idée abftraite diftinde, avec
un nom , eft Vcffence diftinéte d'ur.e
Efpéce diftinéte. 51?. §.14-
Les ejJcKce; réelles des Subftances ne
peuvent être connue». 751. §.12..
Ep>!tiel, ce que c'eft. 546. §. 1. 549.
§. j.
Rien n'eft cfjentiel aux Individus. 548.
§.4. Mais aux Efpéces. 550. %.6.
Ce que c'eft qu'une différence eflen-
tJelle. 549. §. ?.,
Etendue ^ nous n'avons point d'idée di-
ftinfte de la plus grande ou de la plus
petite étendue. 4^0. §. i6.
L'Etendue du Corps eft incomprehcn-
fible. 568. §.15, ^c.
Xa plupart des dénominations prifes
du Lieu&der£?f«^«<r font Relatives.
594. §. ^.
V Etendue &le corps n'eft pas la mê-
me chofe. i8f>. §. II. ijfc.
La Définition de \' Etendue ne fignific
rien. 188. §. 15.
'L'Etendue du Corps & de l'Efpace
comment diftinguée. 115. §.5.
Veritez éternelles. 811. §. 14.
Eternité , d'où vient que nous fonimes
fujets à nous embarrafler dans nos
raifonnemens iur l'Eternité. 450. §.15.
D'où nous vient l'idée de XEternité.
116. §. 17.
On démontre que quelque chofcexifte
de toute éternité. 116. §. 17.
Etres : Il n'y en a que de deux fortes.
800. §. 9.
"L'Etre Eternel doit être penfant. ib.
Evident: Propofitions évidentes par el-
les-mêmes , où l'on peut les trouver.
7^7. §.4.
Elles n'ont pas befoin de preuve &
n'en reçoivent aucune. 780. §.19.
E.rijJeitce , idée qui noua vient par Scn-
fation Se par Reflexion. 130. §.7.
Nous connoifTons nôtre propre exi-
flcMce intuitivement. 794. §. 3. Et
nous n'en faurions douter. 796. %. t..
Vexijhnce des chofes créées ne peut
être connue que par nos Sens. 8 ii . '). i .
L'cxi^'ît'ai.tf pafTée n'eft connue que par
le moyen delaMemoire. 810. §. 11.
Expa'.Jion eft fans bornes. 2.2.1. %. 2..
V Expérience nous aide fou vent dans des
rencontres où nous ne penfons point
qu'elle nous foit d'aucun fecours. i^i-
5.8.
Extafe , ce que c'eft. 16 1- §. i .
F.
FAcULTF.z de l'Eforit, les premières
exercées. 171. §. 14.
Elles nç font que des Puiflances. 2.85.
§. 7- ^
Elles n'opèrent pas l'une fur l'autre.
184. §. 18. 18,-. §. 2.0.
Faire ^ ce que c'eft. 391. §. 1.
fauf'té. 757. §-9.
Eer, de quelle utilité il eft au Genre Hu-
main. 835' §. II.
Flaire. 181. §.5. Elle peut être variée
àl'infini. i8z. §.6.
Difcoursjîg.'^r/, abus du Langage. 641.
§• 34-
Fini & infini , Modes de la Quantité.
259. §. i.
Toutes les Idées pofitives de la Qann-
tité font finies. 144. §.8.
Formes : les firmes fubftantielles ne di-
ftinguent pas l'Efpéce. 564. §. 14.
Foy & Opinion , entant que diftinguées
de la connoiflance , ce que c'eft. 3.5.3.
Comment la Foy & la Connoiifance
différent. 845. §.5.
Ce que c'eft que la Foy. 861. §. 14.
Elle n'eft pas oppofée à laRaifon.8gD.
§. 14.
LoiFcrdc laRaifon. 891.
La Fo\ confiderée par oppofition à la
Raifon ce que c'etE lè. §. 2..
La Fov ne fauroit nous convaincre de
quoy que ct* foit qui foit contraire à
nôtre Railbn. 896. §. j,6,8.
Ce
i
DES MATIERES.
Ce qui eft Révélation divine eft la
feule cliofequifoitane matière de /è/-
»98, §.6.
Les choies au defTiis de la Raifon font
les feules qili appartiennent propre-
ment à la Foy. 899. §. 7.
Proporitions/r^Ww. 781.
Difcours/r«W«. 790. §.9,10,11.
GENERAL, Connoiflance genérak ,
ceqiiec'eft. 715. §. 51.
On ne peut lavoir il les Propofitior.s
générales font véritables qu'on ne con-
noilîèl'eflencedel'Efpéce. 740 §.4.
Comment fe font les termes généraux.
^08. §.6 7,8.
La généralité appartient feulement aux
lignes. 511. §. II.
Génération ^ ee que c'eft. 391. §. 1.
Genre & Efpéce , Ce que c'eft. 515.
§. I..
Ce ne font que des mots dérivez du
Latin qui lignifient ce que nous appel-
ions vulgairement /wY«. 546.15. i.
LeGt'^rf n'eft qu'une conception par-
tiale de ce qui eQ dans les Efpéces.
Î7Î- $• 52-
Le Genre & l'Efpece font des idées
adoptées au but du Langage. 576.
§• 33- ,
On n'a formé des Genres & des Efpé-
ces que pour avoir des noms généraux.
579. §. 59.
Genti/hmmes , ne devroientpas être igno-
rans. 910. §.6.
G/ace Se Eau fi ce font des Efpéces diftin-
ftes. 558. §. 15.
Goût, fesModes. 159. §.5.
H
H.
A'B I T u D E , ce que c'eft. 548. §.
Les aftions habituelles fe font fouvent
en nous fans que nous y prenions gar-
de. 153. §. 10.
Haine, ce que c'eft. 2.67. §.5,
Hijloire , quelle hiftoire a plus d'autori-
té. 850, §. II.
Homme , il n'eft pas la produdioB d'un
hazard aveugle. 797. Ç. 6.
L'Eflènce de Y homme eft placée dans
fa figure. 72.9. ,§. 16.
Noas ne connoiflons pas fon eflence
réelle. 547. §.5. 561. §. 22.. 266. §.
2.6.
Les bornes de l'Efpece humaine ne
H^nt pas déterminées. 568. $.2.7.
Ce qui fait le même HoMme Indivi-
duel. 415. i^. iî. 41^ §. 29.
Le même hortinse peut 'être différentes
perfonnes. 415. §. 21.
Honte ^ cecuec'ert. 270. Ç. 17.
Hypothefes , leurufage. 8 3 5. §.15.
NIauvaifes conféquences des faufles
Hypothefes. 925. §. 11.
Les Hypothèses doivent être fondées fur
des points de fait. 'loo. §. 10.
I.
IDe'e. Les Idées particulières font les
premières dansl'Efprit. 762. §. 9.
Les Idées générales Ibnt imparfaites,
ibid.
Idée, ce qne c'eft. 8. Ç. 8. i34.§ 8.
Origine des Idées dans les Énfans. 67.
•§.2. 76. §.13.
Nulle idée n'eft innée. 80. §. 17. Par-
ce qu'on n'en a aucun fouvenir. 83.
.§. 20.
Toutes les Idées viennent de laSenfa-
tion & de la Reflexion. 94. §. 2.
Moyen de les acquérir qui peut être
oblèrvé dans les Enfans. 96. §.6.
Pourquoy quelques-uns ont plus d'/'-
dées, & d'antres moins. 97. §.7.
Idées acquifes par Reflexion viennent
tard, & en certaines gens fort impar-
faitement. 98. §. 8.
Comment elles commencent & aug-
mentent dans les Enfans. III. §. 21,
22, 23, 24.
Idées qui nous viennent par les Sens. 117.
§ I-
Elles manquent de noms. 118. §. 2.
Idées qui nous viennent par plus d'un
Sens. 125.
Celles qui viennentpar Reflexion. 1 25.
■ «. I. Par Senfation & par Réflexion.
126.
Dddddd Idé^
TABLE
Tdc'ei doivent être diftinguées entant
qu'elles font dans l'Efprit & dans les
chofes. 134. §. 7.
Quilles fontles premières Idées qui fe
prcfententà l'Efprit, cela eft acciden-
tel. & il n'importe pas deleconnoître.
150- §.7- ^ , ,
Idt'cs de Senfation fouvent altérées par
le Jugement. 1 5 2. § 8. Particulièrement
celles delà veùe. 151. §.9,
idc'cs de Fveflexion. 171 5. 14.
Les hommes conviennent fur les Idées
fimples. 198. § iS.
Les Idées fe fucce.ient dans nôtre Ef-
prit drnis un certain degré de viceflc.
a.04. §. 9-
Elles ont des digrez qui manquent de
. noms. 2.59. §. 6.
Pourc,uoy quelqnes-unesontdes noms,
& d'autres n'en ont pas. i6o. §. 7.
/■:'/« originales. 35S. §-75-
Toutes les Idées complexes peuvent
Êtrereduites à dea Idées fimples. 345.
5 9-
Quelles Idées fimples ont é:e le plus
modifiées. 347- §• 10.
Nôtre idée complexe de Dieu & des
Efprits commune en chaque chofe ex-
cepté l'Infinité. 379. §-36
Jticcs claires &' obfcures. 441 . §. i. Di-
ftipaes &cûnfufes. 442. §.4.
Des Idt'cs peuvent être claires d'un cô-
té & obfeures de l'autre. 448. §. 15.
/iî/âv réelles & cb.imeriques. 454. §.i.
Les Idées iiniples font toutes réelles,
ih. §. 1. Et complètes. 4'i8. §. 2..
Quelles idées de Modes mi.xtes font
chimériques 456. §.4.
Quelles idées de Subftauces le font aufîi.
4W § ^ , „ , .,
Des Idées complètes & incomplètes, lu.
§.i.
Comment on dit que les idées font
, dans les chcfes. 458. §. i.
Les Modes font tous des idées complè-
tes. 459. § 3.
Hormis quand on les confidére par rap-
port aux noms qu'on leur donne. 461.
§•4-
Les Idées des Subftances font incom-
plètes. 461. §.6. I. Entant qu'elles
fe rapportent à des cfTences réelles.
465. «^.7. II. Entant qu'elles fe rap-
portent à une colleétion d'Idée; fim-
ples. 461^. §. 8.
Les Idées fimples font des copies par-
faites 4(^9. §. II.
Les Idées des Subfiances font des copies
imparfaites. 469. §. ij. Celles des
Modes font de parfaits Archétypes.
ii^. §. 14.
Idées vrayesou faufles. 471. §..i. Quand
elles font faufiès. 481. ^. zi, zt, 13,
Confiderées comme de fimples appa-
rences dans l'Efprit , elles ne font ni
vrayes ni faufles. 471. §.3. Confide-
rées par rapport aux Idées des autres
h.ommes , ou à une exifcence réelle , ou
à des Eflénces réelles , elles peuvent
être vrayes ou faufles. 471. §.4, 5.
Raifon d'un tel rapport. 475.5.6.
Les Idées iimples rapportées aux Idées
des autres hommes !bnt le moir.s fu-
jettes à être faufiès. 474. §. 9. Les
complexes font à cet égard plus lu-
jettes à être faufles, & fur tout celles
des Modes Mixtes. 475. §. 10, 11..
Les Idées fimples rapportées à l'exi-
ftence fonttoutes véritables. 476. § 14.
Quand bien elles feroient différentes
en difterentesperfonnes. 477. % i^.
Les Idées complexes des Modes font
toutes véritables. 479. §. 17. Celles
des Subllances quand faufles. 48e.
§ 18.
Quand c'eft que les Idées font jufies
ou fautives. 484. § i6
Idées qui nous manquent abfolument.
7C4. §.15. D'autres que nous ne pou-
vons acquerirà caufe de leur éloigne-
ment 705. §• 24. Oa à caufe de leur
petitefTe. 707. §, if.
Les Idées fimples ont une conformité
réelle avec les chofes. 718 §.4. Et
toutes les autres Idées excepté celles
des SubRances. 718. §.5.
Les Idées fimples ne peavent point
s'acquérir par des mots & des défini-
tions. 516. §. II. Mais feulemeiit par
expérience. 519. §• 14-
Idées des Modes mixtes , ponrquoy
les
les plus complexes, h-- §• i?-
Idées fpecifiques des Modes mixtes,
comment formées au commencement ;
exemple dans les mots Kmneah Se
NioHpb. 584. §. 44, 45. Celles des
Subftances comm'?H formées , exem-
ple pris du mot Za^^^. 586. §.46.
Les Idées (impies & les Modes ont
toutes des noms abftraits auffi bien
que concrets. 596. §. 1.
Les Idées des Stibllances ont à peine
aucuns noms concrets. 596. §.1. El-
les font différentes en différentes per-
fonnes. 607. §.15.
Nos Idées font prefque toutes relati-
ves. 175. §.5.
Comment de caufes privatives on peut
avoir des Idées pofitives. 155. §.4.
Identique : Les Propofitions Identiques
n'enfeignent rien. 781. §. z.
Identité n'eft pas une Idée innée. 67. §. 5 ,
4 ï-
/i^Ki/fo' & diverfité. 596.
Enquoy confiite V Identité ô^\\xiQ Plan-
te. 399. §.4.
Celle des Animaux. 400. %.<,.
Celle d'un îiomme. 401. §.6.
Unité de lubftance ne conftituë pas
toujours la même idée. 401. §. 7. 406.
§. II.
Identité perfonnelle. 40;. §. 9. Elle
dépend delamème Con-lcience. 405.
§. 10.
Une exiftence continuée fait l'Identi-
té. 425. §. 19.
Identité & diverfité dans les Idées,
c'en la première perception del'Efprit.
666. §.4.
Ignorance: nôtre Ignorance furpaflè infi-
niment nôtre Connoiflance. 703. §.11.
Caufes de l'Ignorance. 704. %. 1.1.
I. Manquer d'Idées, ib. %. 13.
i. Ne pas découvrirla connexion qui
efi: entre les Idées que nous avons. 710.
§. i8.
}. Ne pas fuivre les Idées que nous
avons. 71 }. §.50.
Imaginât ton. 162.. §.8.
Imbeci/les Se Fous. 171. §.11,15.
Itfimeujité. i8i. §.4. Comment nous
vient cette Id&. 140. §. 3.
DES MATIERES.
Immoralitez. de Nations entières. 44. §.
9,10.
Immortalité: elle n'eft pas attachée à au-
cune forme extérieure. 717. §. 15.
Impénétrabilité. 119. §. i.
Impojition d'opinions déraifonnable.851.
^ §-4-
// efl Impossible qu'une même chofe fait
^ne foit pas ; ce n'eft pas la prémiéra
chofe connue. 31. %■ 2.^.
Impiijft/'ihté, ce n'eft pas une idée innée.
67. §. ,.
Imprcffion rurl'Efprit,cequec'eft.ri.§. •{.
Incompatibilité, jufqu'oû peut être con-
nue. 69J. §. I j.
Idées incomplètes. 4^7. §. i.
Individitatioais Principmm , fon exiften.»
ce. 398. §. 5.
Inférer., cequec'eft. 863. §. i.
/^jÇ«;, pourquoy l'Idée de l'Infini ne peut
être appliquée à d'autres Idées audi
bien qu'à celles de la Quantité, puif-
qu'elles peuvent être répétées aulu fou-
vent. 241. §.'6.
Il faut diftinf^^uer entre l'idée de l'In-
finité de l'Efpjce ou du Nombre, &
celle d'un Efpace ou d'un Nombre in-
fini. 245. ^§.7.
Nôtre Idée de V Infini eft fortobfcure.
244. j. 8.
Le Nombre nous fournit les Idées les
plus claires que nous puilTions avoir de
l'Infini. 146. §.9.
Nôtre Idée de l'Infini eft une Idée qui
grofllt toujours. 148.5. 12.
Elle eft en partie pofitive , en partie
comparative & en partie négative.
250. §. i^.
Pourquoy certaines gens croyent avoir
une idée d'une Durée i>?finie, & non
d'un Efpace mfini. 255. §.20.
Pourquoy les Difputes fur I'/»/?»/ font
ordinairement embarraflées. 257.5. 21.
4<o- §-i5-
Nôtre Idée de V Infinité a fon orio-ine
dans laSenfation & dans la Reflexion.
257. §. 22.
Nous n'avons point d'Idée pofitive de
VInfini. 248. §.13. 450. §. 16.
Infinité, pourquoy plus Communément
attribuée à la Durée qu'à l'Expanfion.
i2}.§. 4. Dddddd 2 Corn-
T A B
Comment nous l'appliquons à Dieu.
z-38. §. 1.
Comment uous acquerocs cette iciee.
ibid.
L'Infinité du Nombie, de la Durée &
de l'Efpace confiderée en différentes
manières. 146. §. 10, 11.
Veritez /aa/w doivent être les premières
connues. '■,}■%■ 2.6.
Principes lymcz^ font inutiles il les hom-
mes peuvent les ignorer ou les révo-
quer en doute. 50. §. I}.
Principez tune-::, que propofe Mylord
Herbert^ ex.iminez. 54. §. i5,^f.
Régies de Morale mnecs Ibnt inutiles ,
Jî elles peuvent être effacées ou alté-
rées. 59. §. iO.
Propoiîtions in::c:s doivent être diftin-
guées des autres par leur clarté & par
leur utilité. 86. §. n.
La Dodrine des Principes inncu eft
d'une dangereufe conféquence. 90.
§■ -4-
injHtétuds détermine feule la volonté a
une nouvelle aition. 292.. §. 19, 31,
Pourquoy elle détermine la Volonté.
199. §. 36, 57.
Caufes de cette Inquiétude. 319. §• 5'",
hjlant, cequec'eft. 205. §. 10.
Intuitif: ConnoiiTance intuitive. 673.
§•1.
Ne reçoit aucun doute. 675. §. 4.
Elle conftituë nôtre plus grande cer-
titude. 884. §. 14.
Joye. 268. §;7.
Juî^ement, en quoy il confiHe principa-
lement. 165. §.2. 887.^.16.
Faux Jugemcus des hommes par rap-
port au bien &au mal. 322.5.60.
Jtigc:ncKt droit. 843. §.4.
Une Caufe des faux Jugemc/is des hom-
mes. 850. §. 3.
F Angages, pourquoy ils changent.
J/ 544- §-7- , ■,
En quoy conhUe le Langage. 496.
§•1,1,3.
L E
Son ufage. 556. §.7. Double ufagç.
598. §. I.
Ses Imper feârions. 597. §.i.
L'utilité du Langage détruite par la
fubtilitédesDifputes. 624. §. 10, n.
Enquoyconllftelafin ùnLintgage. 6^-j.
§. 23. 501.5.2.
Il n'eft pas aifé de remédier à fes dé-
fauts. 643. §. 2.
Ilferoit néceflaire de le faire pour phi-
lofopher. 644. §. 3,4, 5,6.
N'employer aucun mot lans y attacher
une idée claire & dilbnifte eft un des
remèdes aix irnperfedions du La/igage.
647. §. 8 9.
Se fervirdes mots dans leurufage pro-
pre, autre remède. 649. §. n.
Faire connoitre le fens que nous don-
nons à nos paroles 5 autre remède 6 jo.
§. I2.
On peut faire connoitre le fens des
mots à l'égard des Idées limples en
montrant ces Idées. 651. ^.13. Dans
les Modes mixtes en définiflant les
mots. 652. §.J5. EtdanslesS'jbftan-
ces en montrant les chofes & en dé-
finiffant les noms qu'on leur donne.
655. §.19,21.
Langage ■ÇïO^ïS. 505. §.8.
Langage intelligible, ibid.
Liberté' , ce que c'eft. 277. §. 8, 9, to,
II, 1 2.
Elle n'appartient pas à la Volonté.
281. §. 14.
Ls Liberté n'eft pas contrainte lorf-
qu'elle eft déterminée par le refultat
de nos propres délibérations. 311.
§•47-48. 49' 'î^-
Elle eft fondée iur un pouvoir de fuf-
pendre nos dellrs particuliers. ii>. §.47,
La L iberte n'appartient qu'aux Agents .
285. §.19.
En quoy elleconfifte. 191. §. 27.
Libre ^ julqu'où un homme eft libre. 287.
§.21.
L'Homme n'eft pas libre de vouloir
ou de ne pas vouloir. 287. §. 22, 25,
24.
Libre arbitre , la Liberté n'appartient pas
à la Volonté. 281. §• 14-
En
DES MATIERES.
f,n quoy confiée ce qu'on nomme L/-
bre Arbitre. 310. §.47.
Lieu. 182.. %. 7, 8.
Ufage du Lieu. 184. §.9.
Ce n'eft qu'une pofition relative. 185.
§. 10.
On le prend qnelquefois pourl'Efpace
que remplit un Corps, ib.
Le Lieu pris en deux fens. 1^5. §.6,7.
Lorsque a introduit l'obfcurité dans le
Langage. 62.2. §. 6. Et a arrêté le
progrès delà ConnoiiFance. 611. §.7,
Loy de la Nature généralement recon-
nue. 41. §. 6.
Il y a une telle Loy, quoy qu'elle ne
foit pas innée. 52.. §.1?.
Ce qui la tait valoir. 42.8. §.6.
Lumière : Détinition abiurde de la Lur
miére. 52.4. §• 10.
M.
M Al, ce que c'eft. 305. §.42..
Marti» ÇAhbé de S.) 567. §.16.
Mathématiques , quelle en eft la Métho-
de. 8x9.5.7.
Comment elles fe perfeftionnent. 837.
Matière incomprehenfible dans fa colie-
fion &dans fadivifibilité. 368. §.23,
^c.
Ce que e'eft que la Matière. 6 18. §. 1 5 .
Si ellepenfe,c'eiT: ce qu'on ne fait pas.
686. §.6.
Elle ne fauroit produire du mouve-
ment , ni aucune autre ctofe. Soi.
§. 10.
La Matière & le Mouvement ne fau-
roient produire la penfée. ib.
La Matière n'eft pas éternelle. 8c8.
§. 18.
Maximes. 756. §. r, i3c.
Ne font pas feules évidentes parelles-
' mêmes. 757. §.3.
Ce ne font pas les Veritez les premiè-
res connues. 762. §.9.
Ni le fondement de nôtre Connoiiîan-
ce. 763. §. 10.
Comment'formées. 82.4. §.3.
En quoy confifte leur évidence. 765,
§. 10. 885. §. 14.
Pourquoy les plus générales PropoC-
tions évidentes par elles-mêmes paf-
fent pour des /17rfjr»^»«. 766. %.\\.
Elles ne fervent ordinairement de
preuve que dans les rencontres où l'on
n'a aucun befoin de preuve. 777,
§• M-
Les Maximes font depeud'ufage lorf-
que les termes font clairs. 778. §. 16.
19. Et d'un ufage dangereux lorfque
les termes font équivoques. 77 j. §,
12,^ lO.
Qiiand les Maximes commencent d'ê-
tre connues. 15. §. 9, 12,, 13. p. i,^.
§. 14. p. 2.1. §. 16.
Comment elles fe font recevoir. 2.C.
%. 2.1, Zl.
Elles font faites fur des Obfervations
particulières. 2-. §.2.1.
Elles ne ibnt pas dans l'Entendement
avant que d'être aftuellement connues .
z8. %. zz.
Ni les termes ni les idées qui les com-
pofenf ne font innées. z8. §. Z5.
Elles font moins connues aux Enfans
& aux gens fans lettres. 34. §.17.
Ce qui nous paroit meilleur n'eft pas'
une Régie pour les aétions de Dieu
75. §.IZ.
MerKoire. 157. §. z.
L'Attention, la Répétition, le Plai-
fir , & la Douleur mettent des Idées
dans la mémoire. 158. §.3.
Différence qu'il y a dans la durée des -
idées gravées dans la Mémoire. 158-
§-4'5-
Dans le reffouvenir l'Efprit efl queî-
qnefois adif , & quelquefois paifif.
160. §.7.
NécelFité de la Mémoire. 161. §. 8. fes
défauts, ib. §. 8. 9.
Mémoire dars les Bêtes. i6j. §. 10.
Menagiana cité. ^67. §- z6.
Metaphyji-jue & Théologie de l'Ecole,
font pleines de Propofitions qui n'in--
ftruifent de rien. 791. §.9.
MdiM'ie qu'on employé dans les Mathé-
matiques. 8z8. §. 7.
Minutes, heuies, jours ne font pas né-
ceflaires à la durée. Z13. %: ix.
Miracles, fur qoel fondement on dofme-
Dddddd -^ foo'
A
86:
BLE
•fon corfentemcnt aux Miracles.
§.15.
Mifere, ce que c'eft. 505. §.41.
Modes: Modes mixtes. 340. §. i.
Ils font formez par l'Efpiit. 341. §.1.
On en acquiert quelquefois les idées
par l'explication de leurs noms. 341.
§•?•
D'où c'eft qu'un Mode Mixte tire fon
unité. 341. §. 4.
Occafion des Modes mixtes. 3 4 5 . §• 5 •
MoJ'.s mixtes , leurs idées comment
acquifes. 345. §. 9.
Modts fimples & complexes. 177.
Modes Ç\mp'<ef,. 179. §. i.
Modes du Mouvement. 158. §. z.
Moral : ce que c'eft que le bien & le
Mal moral. 417. §. 5.
Trois Régies par 011 les hommes ju-
gent de la ReAitude Morale. 42.8. §. 6.
Etres wo?-i7».v comment fondez fur des
Idées fmiples de Senfation ou de Re-
flexion. 454. §. 14, 1 V
Régies Morales ne font pas évidentes
par elles-mêmes. 41. §4.
Diverfité d'opinions fur les Régies de
Morale, d'où vient. 41. §.5,6.
Règles Morales , ii elles font innées,
ne peuvent être violées avec l'appro-
bation publique. 47. §. ir, 12, 13.
Morale : la Morale eft capable de Dé-
monftration. 653. §. 16.
La Morale eft la véritable étude des
hommes. 855. §. lï.
Ce qu'il y a de moral dans les Aârions
iConlifte dans leur conformité à une
certaine Régie. 435. §.15.
Fautes qu'on commet dans la .Morale
doivent être rapportées aux mots. 436.
§. 16.
Si les difcours de Morale ne font pas
clairs, c'eft la faute de celui qui par-
le. 654. §. 17.
Ce qui empêche qu'on ne traite la Mo-
rale par des argumens démonftratils.
î . Le défaut de fignes. 2.. Leur trop
grande compofition. 699.5. 19. 3. L'in-
térêt. 701. §. iO.
Dans la Morale le changement des
noms ne change pa« la nature des
■chofes. 711. 5. 9j II.
Il eft bien difficile d'allier la Morale
avec la nécellité d'agir en Machine.
54. ■§. 14.
Malgré les faux Jugemens des hommes
la ^iorale doit prévaloir. 331. §.70.
M»ts , le mauvais ufage des Mots eft un
grand obftacle à la Connoifi'ance. 713.
§.50.
Abus des mots. 61 r.
Des Sedes introduifent des mots C^ns
leur attacher aucune lignification. 618.
§. z.
Les Ecoles ont fabriqué quantité de
tKots qui ne lignifient rien, tliid. Et en
ont obfcarci d'aunes. 62.1. ■^. 6.
Qui font fuuvent employez fans au-
cune lignification. 619. §.3.
Inconftance dans l'ufage des mots eft
un abus des mots. 610. §. j.
L'obfcurité, autre abus des wc//. 6ii.
§. 6.
Prendre les jvots pour deschofes, au-
tre abus. 616. §. 14.
Qui font les plusfujets à cet abus des
Mots. il;.
Cet abus des Mots eft une caufe de
l'obftination dans l'Erreur. 629. §. 16.
Faire lignifier aux wnts des tflènces
réelles que nous ne connoiffons pas,
cil: unabus des mots, il/id. §. 17, 18. •
Suppofer qu'ils ont une fignification
certaine & évidente, autre abus. 634.
§. 22.
L 'Ufage des Nîots eft, i.defairecon-
noitie nos Idées aux autres ; 1. prom-
ptemcnt ; 5. fie de donner par là la
connoifTancedesciiofes. 636 §.25.
Qi^tand c'eft que les Mots manquent à
remplir ces trois fins. lùid. i^c. Com-
ment à l'égard des Subftances. 639.
§. 32. Comment à l'égard des Mode*
& des Relations. 640. '§.33.
L'abus des mots caule de grandes er-
reurs. 644. §.4.
Comme l'Opiniâtreté. ii>id. §. j. Les
Difputes. 645. §. 6.
Les Mots fignifient autre chofe dans
les Recherchas & autre chofe dans
les Difputes. 646. §.7.
Le fens des Mots eft donné à connoî-
tre
DES MATIERES.
tre dans les Idées fimplescn montrant.
6^1. ^.14. Dans les Modes mixtes en
définiiïànt. 651. §.15- Etdans lesSub-
ftances en montrant & en définiflànt.
655. §. 19, ît, il.
Conféquence dangereufe d'apprendre
prémiéiemer.t les Mots & enfuite leur
(ignification. 66 d. §.14.
Il n'y a aucun fujet de bonté à de-
mander aux hommes le fens de leurs
mots lorrqu'ils font douteux. 661.
§. 25.
Il faut employer conflamment les
mots dans le même fens. 665. §. 2.6.
Ou du moins les expliquer lorfque la
difpute ne les détermine pas. ib.^. 17.
Comment \csniots font faits généraux.
497. §. ?.
Mots qui fignifient des chofes qui ne
tombent pas fous les fens , dérivez de
noms d'idées fenfibles. 498. §. ç.
Les Mots n'ont point de lignification
naturelle. 500. §.1.
Mais par impofition. 504.5. 8.
lis fignifient immédiatement les idées
de celui qui parle. 500. §. i, i, 3. Ce-
pendant avec un double rapport , i . aux
Idées qui font dans l'Efprit de celui
qui écoute : 2. à la réalité des chofes.
5-01. §.4,5.
tes Mots font propres par l'accoutu-
mance àexciter des Idées. 503. §6.
On les employé fouventfans lignifica-
tion. 504. §. 7.
La plupart des mots (ont généraux.
505. §. I.
Pourquoy certains Mots d'une Langue
ne peuvent point être traduits en ceux
d'une autre. 537. §. 8.
Pourquoy je me fuis 11 fort étendu fur
les Mots. 544. §. 16.
Il faut être fort circonfpeéfc à employer
de nouveaux mots ou dans des fignifi-
cations nouvelles. 590. §.51.
Ufage civil des Mots. 598. §.3. Ufa-
ge Philofophique. il>. Sont fort dift'é-
lens. 609. §.15.
'Lts Mots manquent leur but quand ils
n'excitent pas dans l'Efprit de celui
qui écoute , la mêms idée que dans
i'E'lprit de ceiai qui parle. ^99. §. 4.
Quels mots font les plus dcJUteux, &
pourquoy. 599 §. 5. i:fc.
Les Mots ont été formez pour l'ufage
de la vie commune. 4i5.§. z.
Alots qu'on ne peut traduire. 343. §.6.
Mouvement , lent ou fort prompt , pour-
quoy imperceptible. 203.1^.7.
Monvemc/it volontaire inexplicable.
Si-^. %. 19.
Définitions abfurdes du IShHvement.
523. 5.8,9.
N.
NECESSITE'. 281. §. 13.
Négatif. Termes négatifs. 497.
§. 4.
Noms négatifs fignifient l'abfence d'I-
dées politives. 1 33. §. {.
"i^i. Neivton. -67. §. II.
A''»;»; donnez aux Idées. 169. §. 8.-
Notns d'idées morales , établis par une
Loy , ne doivent pas être changez.
791. §. 10.
Noms de Subfiancés, fignifiansdesEf-
fences réelles ne font pas capables de
porter la certitude dans l'Entende-
ment. 742. §. 5.
Lorfqu'ih fignifient des cflènces nomi-
nales jlspeuveiit faire quelques Propo-
rtions certaines , mais en fort petit:
nombre. 74 3 . $. G.
Pourquoy les hommes mettent les'
noms à la place des Eflences réelles
qu'ils ne connoiflênt pas. 632. §.19.
Deux fajfles fuppofitions dans cet ulâ-
ge des noms. 633. §.21.
il ell" impolllble d'avoir un nom parti-
culier pour chaque chofe particulière, -
%oG. §.2. Et inutile, ib. §.3.
Quand c'eft qu'on employé des noms '
propres. 507. §.4,5.
Les noms fpecifiques lont attachez à
l'eflence nominale. 517.5. 16.
Les noms dès Idées fiiriples, dès Mo-
des, & des Snbîfynces ont tous quel-
que chofe depaiticu'ier. 521. §. i.
Ceux des Idées fimples&des Subftàn-
ces fe rapportent aux chofes.- 522. 5.2,
Ceux des Idées fimples-Sc des-Modes-
fonr employez pour défigr.er l'éiTence-
îéelle..-
TABLE
rcelTe 8c1a nominale. 511. §.3.
Noms d'Idées fimples ne peuvent être
définis. çii.§.4. Pourquoy. 515^.7.
Ils font les moins douteux. 5 19. §. 1 5 •
Ont très-peu de fubordinations dans
ce que les Logiciens appellent Linciz
prx.iunmcntahs-. 530. §. 16.
Les noms des Idées complexes peuvent
être définis. 5x7- §. 1 1-
Les «wwi dis Modes mixtes fignifient
des l'Jifs aibitraires. 551.5.1.5. 584.
§.44. Ils lient enfemble les parties de
leurs Itlécs complexes. 539-^. lo. Us
lignifient toujours l'efTeuceréel'e. 545.
§. 14. Pourquoy appris ordinairement
avant que les Idées qu'ils fignifient
Ibieiit connues, ib. §.15.
No!K< des Relations compris fous ceux
des Modes mixtes. 544. §. 16.
Les mms généraux des Subftances
fianifient les fortes 546. §. i.
Nécefiaires pour deilgner les Efpéces.
579- §• 59-
Les mms propres appartiennent uni-
<]uement aux Subftances. fSi. §.4i.
Noms des Modes conliJerez dans leur
première application. 584. §.44, 45.
Ceux des Subllances confinerez de mê-
me. 586. §.46.
Les !7oms fpecifiques fignifient différen-
tes chofes en dift'érens hommes. 588.
SS. 48.
Ils font mis à la place de la chofe
qu'on fuppofe avoir l'efiênce réelle de
l'Efpéce. 588. §.49.
Noms des Modes mixtes fouvent dou-
teux à caufe de la grande compofition
des Idées qu'ils fignifient. 6co. §.6.
Parce qu'ils n'ont point de modelle
dans la Nature. 6ni,§. 7. Parcequ'on
apprend le fon avant la fignification.
603. %.^.
Noms des Subllances douteux , parce
qu'ils fe rapportent à des modelles
qu'on ne peut'connoitre ou du moins
que d'une manière imparfaite. 605.
11 ert difficile que ces noms ayent des
fignifications déterminées dans des re-
cherches philofophiques. 609. §. 15.
Exemple fur le nom de liqueur. 610.
§. 16.
Le fiom d'or.' 6o8. §. 13. & 61 r.
Noms d'Idées fimples pourquoy les
moins douteux, en. §. 18.
Les Idées les moins conipofées ont les »
noms les moins douteux- 614.5. i9-
Nombre. 131. §. i.
Modes de Nombres font les Idées les
plus diftinftes. 151. §. 5.
Démonilrations fur les Nombres font
les plus déterminées. 135. §.4.
Le Nombre eft une meluie générale.
z^^. §.8.
. Il nous fournit 1 idée la plus claire de
l'Infinité, ib. & 148.5. 13.
Notions. 341. §. 1.
O.
OBscoPviTF.' inévitable dans les An-
ciens Auteurs. 635. §. 10.
Quelle eft la caufe de Vobfcunté c\\i\ fe
rencontre dans nos Idées. 441. §. ;.
ObfiiKez,, ceux qui ont le moins exami-
né les chofes font les plus obUinez-
850. §.3.
Opiiion , ce que c'eft. 84^, §.3. 931,
§.17-
Comment les Opinions deviennent des
Principes. 61. §. it, 15, 14, 15,
2.6.
Les Opinions des autres font un faux
fondement d'affentiment. 847.^.6.
On prend fouvent (XesOpimoas lànsde
bonnes preuves. 850. §. 3.
VOr cj} fixe, différentes fignifications de
cette Propolltion. 589. §. 50.
L'Eau pafie à travers l'Or. 113.5.4.
Organes. Nos Organes font proportion-
nez à nôtre état dans ce Monde. 359.
§.11,13.
Oîi & Q^and, ce que c'eft. 217. 5- 8.
P.
PArticulfs joignent enfemble les
parties du difcours ou les fenten-
ces entières. 591. §. i.
C'eft des particules que dépend la
beauté du Langage, ib. §. 2.
Com-
DES MATIERES.
Comment on en peut connoitie l'ufa-
ge. 591. §. }.
£Iles expriment certaines adtions ou
Gifpofitions de l'Efprit. ib. §. 4.
Mr. Pafcal avoit une excellente mémoi-
re. i6i §. 9.
PajJioK. 548. §. II.
Comment les PaJJions nous entraînent
dans l'Erreur. 917. §. 11.
Elles roulent fur le Plaifir & la Dou-
leur. 166. §. }.
Rarement une P^/j7(o»exifle toute feu -
le. 503. §. 59.
Péchc , chez différentes perfonnes fignifie
des aûions différentes. 58. §. 19.
Penfle. C'cft une opération & non l'ef-
fence de l'Ame. 99 §. 10. 165. §.4.
Modes de penferT 2.61. §. i, 2. Ma-
nière ordinaire dont les hommes pen-
fent. 755. §. 4. La penfée i'ans mé-
moire eft inutile. 105. §. 15.
Perception àt trois efpéces. 176. §. 5.
Dans la Perception l'Efprit ell: pour
l'ordinaire paiiif. 147. §. i.
C'eft une imprefllon faite fur l'Efprit.
147. §. 1, 3. Dans le ventre de nos
Mères. 149. §. 5.
Différence entre la perception & les I-
dées innées, ih. § 6.
La Perception met de la différence en-
tre les Animapx & les Végétaux.
154- §- II-
Les differens dégrez de la Perception
montrent la fageflèSc la bonté de ce-
lui qui nous a fait. 154. §. li.
La Perception appartient à tous les A-
nimaux. 155. %. 14.
C'eft la première entrée à la connoif-
fance. 156. %. ij.
Perfonne ce cjue c'eft. 403. §.9. Terme
du barreau. 411. §. 16.
La même con-jiience feule fait la mê-
me perfunahté. 408. §. 13. 417. §.
^3- . , „
La même Ame fans la même Con-
fcience ne fait pas la même perfo-
nalité. 411. §. 15.
La Recompcnfe & la Punition fuivent
l'Identité perfonnelle. 414. §. 18.
Phyfique. La Phyfique n'eft pas capable
d'eue une Science. 708. § i6. 831.$.
10. Elle eft pourtant fort utile. 834.
§. li. comment elle peut être per-
feétionnée. ib. ce qui en a empêché
les progrès tb.
Plaifir & douleur. i6j. §. i, 270. §,
iç, 16.
Se joignent à la plupart de nos Idées.
116. §.2.
Pûurquoy ils font attachez à diffiren-
tes aftions. 1 27. §. j.
Preui'es. 675. §. 3.
Principes praSttques ne font pas innez.
37. §. I. ni reçus avec un confente-
ment univerfel. 38. § .2. Ils tendent
à l'adrion. 59. §. 3. Tout le monde
ne convient pa? fur leur fujet. f2. §.
14. Ils font diffeiens. 61. §. 21.
Principes ,ns doivent pas être reçus fans
un fevére examen 826. §. 4. 925.
§. 8.
Mau vaifcs conféquences des faux Prin-
cipes, ib. $. 9, 10.
Nul Principe n'eft inné- 9. §. i. Ni
reçu avec un confentement univerfel.
10. §. 2, 3. ^c.
Comment on acquiert ordinairement
les Principes. 61. §. 22. ^c.
Ils doivent être examinez. 65. §. 17.
Ils ne font pas innez , fi les Idées dont
ils font compolez , ne font pas innées.
66. §. I.
Termes privatifs, 497 §. 4,
Probabilité', ce que c'eft. 845 §. i. j.
Les irbndemens de la Probabilité. 846.
§.4
Sur des matières de fait. 853. §.6.
Comment nous devons juger dans des
Probabilités. 846. §. 5.
Difficultez dans les Probahilitei.. 8j6.
§. 9.
Fondemens de Probabilité à^^mX^^^t"
culntion. 859. §. 12.
FaufTes régies de Prr>babiliti. 92^.
§• 7-
Comment des Efprits prévenus évi-
tent deferendreà hi. Probabilité. 928.
§. 13.
Propriétez. des Eflences fpecifiques ne
font pas connues. ^Go. §. 19.
Les Propriétés, des chofes font en fort
grand nombre. 468.§. 10, 48). §.24.
Eeeeee Pra-
TABLE
Propojîtlofis Identiques , n'enfeignent
rien. 781. §. z. Ni les génériques.
786. V 4. 13.
Les Propojitions où une partie de la
Définition eft affirmée du fujet, n'ap-
prennent rien. 786. §. 5, 6. Sinon
la fignification de ce mot. 789. §. 7.
Les PiypofitiOfis générales qui regar-
dent les fubflances font en général
ou frivoles ou incertaines. 793. Ç. 9.
Ptopojitions purement verbales com-
ment peuvent être connues. 791. §.
1 1.
Termes abftraits affirmez l'un de l'au-
tre ne produifent que des Propo/i-
tioiis verbales, ib. Comme aufll lors
qu'une partie d'une Idée complexe
eti affirmée du tout. 795. §. 15.
Il y a plus de Propjjitwis purement
verbales qu'on ne croit, ib.
Les PropofUioijs univerfelles n'appar-
tiennent pas à l'exiflence. 795. §. i.
Quelles Propojitions appartiennent à
l'exiflence. ib.
Certaines Propojitions concernant l'exi-
flence font particulières , & d'autres
qui appartiennent à des Idées abilrai-
tes, peuvent être générales. 8zi. §.
13-
Propofitions mentales. 731. §. 3 & 5.
Verbales, ibid.
Il eft difficile de traiter des Piopofi-
tiof.'s mentales. 731. §. 3, 4.
Piuffance , comment nous venons à en
acquérir l'idée. 171. §. i.
Puiflance aétive & pallive. 171. §. 1.
Nulle pHifj'iiicc paflîve en Dieu , nulle
puiflance aébive dans la Matière ; a-
£bive & paffive dans les Efprits. 2.-12..
§. i. .
Nôtre plus claire Idée de Puiflance
aftive nous vient par Réflexion. 2.-5.
§• 4- ^
Les Puiflances n'opèrent pas fur des
Puiflànces. 184. §. 18.
Elles conftituent une grande partie
des Idées des Sublfai:ces. 355. §. 7.
Pourquoy. ^s(>- §■ S.
Puiflance efl: une idée qui vient par
Senfation & par Retîexion. 150.
%. 8.
Punition, ce que c'eft. 417. §. ç.
La Punition & la Recompenfe font
attachées à la Con-fcience. 414. §. 18.
411. ^. 2.6.
Un homme yvre qui n'a aucun fenti-
ment de ce qu'il fait , pourquoy pu-
ni. 417. §. li.
r\ U A L I T e' : fécondes Qualitez ,
^■^.^leur connexion ou leur incompa-
tibilité inconnue. 692.. §. II.
Qualitex, desSubftances peuvent à pei-
ne être connues que par expérience.
693. § 14. 16.
Celles des Subftances fpirituelles moins
que celles des Subflances corporelles.
697. §. 17.
Les fécondes Qjialitez, n'ont aucune
liaifon concevable entre les premières
Qualité? qui les produifent, 691. §.
li, 13.&18.
Les Qualitez des Subfiances dépendent
de eau les éloignées. 747. §. 11. El-
les ne peuvent être connues par des
Del'criptions. 657. §. ii.
Les fécondes Qualitez jufqu'où capa-
bles de démotiftration. 679. §. u,
II, 13. Ce que c'etl. 134. §. 8. 530.
§. 16.
Comment on dit qu'elles font dans
les Chofes. 458. §. 2.
Les fécondes Qualitez feroient autres
qu'elles ne paroifiént ti l'on pouvoit
découvrir les petites parties des Corps.
3 58. §. II.
Premières Qualitez. 155. §, 9. Com-
ment elles produifent des Idées en
nous. 1 36. §. 1 1.
Secondes Qualitez. 137. §. 13, 14,
15.
Les Premières Qualitez redèmblent à
nos Idées, & non les fécondes. 138.
§. 15, 16, i^c.
Trois fortes de Qualitez dans les
Corps. 143. §. 13. & 147. §. 16.
Les fécondes Qualitez font de iim-
ples puiflànces. 143. ^. 23. 24, 25.
Elles n'ont aucune liaiion vifibleavec
les premières Qualitez. 145. §. 25.
R.
DES MATIERES.
R.
"p Ai SON , différentes lignifications
•'^ de ce mot. 865. §. i.
Ce que c'eft que la Raifon. ib. §. 1.
Elle a cjuatre parties. 865. Ç. j.
Oh. c'eft que la Raifon nous manque.
885. §. 9.
Elle ell: nécelTaire par tout hormis
dans l'intuition. 885. §. 15.
Ce que c'eft que félon la Kaifon , con-
traire Il h Raifon , & atc dcffus de la
Raifon. 890. §. 23.
Considérée en oppofition à la Foy,
ce que c'eft. 891. §. 1.
Elle doit avoir lieu dans les matières
de Religion. 902. §. 11.
Elle ne nous fert de rien pour nous
faire connoitre des veritez innées.
M- §• 9-
L'acquifition des Idées générales , des
termes généraux , & la Raifon
croiflènt ordinairement enfemble. 20.
^. 15.
Recompenfe y ce que c'eft. 427. §. Ç.
Recueillement, ce que c'eft. 262. §. i.
Réel. Idées réelles. 454.
Reflexion. 95. §. 4.
Relatif 584. §. I.
Quelques termes Relatifs pris pour
des dénominations externes. 385. §.
2. Quelques-uns pour des termes ab-
folus. 585. §. 3.
Comment on peut les connoitre. 389.
§. 10.
Plufieurs Mots quoy qu'abfolus en
apparence font relatit's. 395. §. 6.
Relation. 178. §. 7. 383. %. 1.
Relation proportionnelle. 414. §. i.
Naturelle, ib. §. 2.
D'inftitution. 425. §. 3. Morale.426.
§• 4- -
Il y a quantité de Relations, i^^y. §.
17-
Elles fe terminent à des Idées Am-
ples. 437. §. 18.
Nôti-e Idée de la Relation eft claire.
458. §. 19.
Noms de Relations douteux. 439. §.
19.
Les Relations qui n'ont pas de termes
coirelatit-s ne font pas li communé-
ment obfervées- 384. §. 2.
La Relation eft difféier.te des cho-
fes qui en font le fujet. 385. §. 4.
Les Relations ch:<wgQnt fans qu'il arri-
ve aucun changement dans le fujet.
386. §. î.
La Relation eft toujours entre deux
chofes. ib. §. 6.
Toutes chofes font capables de Rek'
tion. 387. §. 7.
L'Idée de la Relation fouvent plus
claire que celle des chofes qui en font
le fujet. 58S. §. 8.
Les Relations fe terminent toutes à
des Idées fimples venues par Senfa-
tion ou par Reflexion. 389. §. 9.
Religion. Tous les hommes ont du temps
pour s'en informer. 918. §. 3.
Les Préceptes de la Religion Natu-
relle font évidens. 617. § 23.
Reminifcence. 8;. §. 20. & 161. §. 7.
Reptitation : elle a beaucoup de pouvoir
dans la vie ordinaire. 432. §. iz.
Révélation , fondement d'afientiment
qu'on ne peut mettre en queftion.
86i. §. 14.
La Révélation Traditiomile ne peut in-
troduire dans l'Efprit aucune nouvel-
le Idée. 893. ^. 3. Elle n'eft pas fi
certaine que nôtre Raifon ou nos
Sens. 894. §. 4.
Dans des matières de raifonnement
nous n'avons pas befoin de Révéla-
tion. 896. §. 5.
La Révélation ne doit pas prévaloir
fur ce que nous connoifibns claire-
ment. 896. §. 5. 10.
Elle doit prévaloir fur les Probabili-
tez de la Raifon. 899. §. 8, 9.
Rhétorique , c'eft l'Art de tromper les
hommes. 642. §. 34.
Rien: c'eft une démonftration que Rien
ne peut produire aucune chofe. 796.
A B L E , blanc à l'œuil \ pellucide
dans un Microfcope. 559. §. n.
Eeeeee i Sa-
T A
Sagacité, ce que c'eft. 86;. §. i.
Sang , comment il paroit dans un Mi-
crofcope. 359. §. ii-
Savoir ,ma\i'va.\s état du Savoir dans ces
derniers fifcles. 6 m. §. 7. cj'f-
LeSavoir des Ecoles confifte principa-
lement dans l'abus des termes. '622.
§. 8. y.-.
Un tel Savoir eft d'une dangereufe
conféquence. 615. §. iz.
Seepliq/ie, perfonne n'ell aflez fceptique
pour douter de fa propre exiilence.
796. 15. 2.
Science : divifion des Sciences par rap-
port aux chofes de la Nature , à nos
Adtions , & aux fignes dont nous nous
lervons pournous entre-communiquer
nos penlees. 934. §. i- b^c-
Il n'y a point de .5iV»>»r^ des Corps na-
turels. 712. §. 29.
Seits , pourquoy nous ne pouvons con-
cevoir d'autres Qualitez que celles qui
font les objets de nos Sens. 116. §. 3.
Les Sens apprennent à diicerner les
Objets par l'exercice. 657. §. 21.
Ils ne peuvent être afFeâ^cz que par
contadt. 679. §. 1,1..
Des Sens^Aas vifs ne nous feroientpas
avantageux. 360. §. 12.
Les Organes de nos Sens proportion-
nez à nôtre Etat. 360. §. 12.
Stnfation. 94. §. 3- Peut être diftinguée
des autres perceptions. 6&1. §. 14.
Expliquée. 156. §. 12, ij, 14,15,115,
&t.
Ce que c'eft. 262. §. i-
ÇonnoifTance/c'^Ai'/*' auili certaine qu'il
kfaut. 827. §. 8.
Ne va pas au delà de lafte prcfent.
81 g. §. 9.
l^écsfimples. 114. §• i-
N,e fort pas formées par l'Efprit. il^
§2.
Sont les matériaux de toutes nos Con-.
nQiiTgaces- 131. §. 10.
Sont toutes polltives. 131. §. 1.
Fort différentes de leurs Caufes. 1 5 1.
% -. 3-
■^hdité, 119. §. I. Infeparable du Corps.
1^0. §>-ï, Par elle le Corps rempliî.
IjEÎpaqÇi.'i^p. %y i. on ep açquiçrt.
BLE
ridée par l'attoucliemept. ibid.
Comment diftinguéedel'Efpace. 120,
§. 3. Et de la dureté. 122. §. 4.
Son, fes Modes. 258. §. 3.
S'jy , ce qui le conftitue. 41;. §. 17.
415. §. 10. ^ 417. §. 23, 24, 25.
Stupidité. 161. §. 8.
Si'.bflanie. 350. §. i.
Nous n'en avons aucune idée. 81. §. 18.
Elle ne peut guère être connue. 602.
Nôtre certitude touchant les fubftan-
ces ne s'étend pas fort loin. 743.§. 7.
754- §• M-
Dans les fubftances nous devons recti-
fier la fignification de leurs noms par
les chofes plutôt que par des défini-
tions. 659. §. 24.
Leurs idées iont lîngulieres ou coUe-
étives. 178. §. 6.
Nous n'avons point d'idée diftinâe
delà Suhjlance. 189. §. 18, 19.
Nous n'avons aucune idée d'une pure
fubftance. 350. §. 2.
Quelles font nos Idées des diflerentes
fortes de fubftances. 351. §. 3,4.6.
Ce qui eft à obferver dans nos Idées
des fubftances. 380. §. 37.
Idées coUeârives des fubftances. j8i.
font des Idées fingulicres. 582. §.
2.
Trois fortes de fubftances. 397. §. 2.
Les Idées des Jiéftiinces ont un double
rapport dans l'Efprit. 462. §.6.
Les propriétez des fubjlancei font en
fort grand nombre , & ne fauroient
être toutes connues. 467. §. 9^ 10.
La plus parfaite idée des fubllances.
H5- §-7- , n
Trois Ibrtes d'Idées conftituent nôtre
Idée complexe des fpbftances. 557.
Subtilité, ce que ceft. 622. §. 8.
S/iccejJion ,\àés qui nous vient principa-
lement par la fuite de nos Idées, i ;o.
§. 9. & 202. §. 6. Et cette fuite d'I-
dées en eft la mefure. 206. §. 11.
Syllogifme , n'eft d'aucun fecours po.ur
raifonner. 865. §. 4,
Son ufage. ib.
Ipconvcniens qu'il produit, ié.
DES MATIERES.
11 n'eft d'aucun ufage dans les Proba-
bilitez. 878. §. 5.
N'aide point à taire de nouvelles dé-
couvertes, ib. %. 6.
Gu à avancer nos Connoiflânces. 8S0.
. §. 7.
\ On peut faire des Çyllogifmti fur des
choies particulières. 881. §. 8.
T.
TE'mo IGNACE, Comment (es
forces viennent à s'affoiblir. 856.
§■ 10-
Temps, ce que c'cft. 108. §. 17.
11 n'eft pas la mefure du Mouvement.
il}. §. il.
Le Temps & le Lieu font des portions
diftinâres de la Durée & de l'Expau-
fion infinies. iz4. ^. 5, 6.
Deux fortes de temps. iiç.§. 6, 7.
Les dénominations prifes du temps font
relatives. 391. §. 5.
Tolérance néccfTaire dans l'état où eft
nôtre Connoiflance. 851. §. 4.
Le Tout eji plus grand que [es parties , U-
fage de cet Axiome. 791. §. ii.
Toat 8i Partie ne, font pas des Idées
innées. 69. §. 6.
Tradition, la plus ancienne eil la moins
croyable. 856. §. 10.
Trijiejje, ce que c'eft. 169. §. 8.,
VA R 1 F, T e' dans les pourfuites des
hommes, d'où vient. 517. §.54.
Venté ce que c'eft. 731. §. i. 5. 9. Vé-
rité de penfée. 731. §. 3. 6. De pa-
roles, th. §. }. Vérité verbale & réel-
le. 734. %■ 8, 9. MoraJe &Metapliy~
fique. 738.5. II. Générale rarement
«omprife qu'entant qu'elle cft expri-
mée par des paroles. 739. §. i. Ea
quoy elle confifte. 481. §. 19.
Vertu , ce que c'eft réellement. 56. §. 18,
Ce que c'eft dans l'application com-
mune de ce mot. 419. §. lo, ii-,
La Vertu eft préférable au vice, fup-
pofé feulement une fimple pofllbilité
d'un Etat à venir. 333. §. 70.
Vice, il confifte dans de faufles mefurcs
du Bien. 931. §. 16.
Vtjihle, le moins vifible. 119. §. 9.
Unité: idée qui vient par Senfation &
par Reflexion. 130. §. 7.
Suggérée pour chaque chofe. i3i.§. i.
Uaiverfalite'n'cû que dans les fignes. j 1 1.
$. II.
Univerfaux comment faits. 169. §. g. ''
Vo/itiofi, ce que c'eft. 175. §.5.^181.
§. iç.
Mieux connue par reflexion que par
des mots. 193. §. 30.
Volontaire, ce que c'eft. z-j6. §. 5.. 179.
§. II. ^ 191. §. z8.
Volume, ce que c'eft. 17$. §. j. i8i.§.
15. 191. §. 19. ce qui détermine la
J olonté. i()z. §. ig.
Elle eft fouvent confondue avec le Dé-
fit. 193. § 30.
Elle n'influe que fur nos propres a-
dbions. il>.
C'eft à elles qu'elle fe termine. 304.
§• 40-
La Volonté' cft déterminée par la plus
grande mqnie'tude préfente , & capa-r
ble d'être éloignée. 303. §. 40.
La Volonté ei\ la Puiflànce de vouloir.
liÇ. §. i.
Vuide; il eft poffible. 191. §. ii.
Le Mouvement prouve le VMtde. ipj.
§. li.
Nous avons une idée du Vnide. lUé
§. 3.^^ «13. §. 5.
£ ï. N.
PRIVILEGIE.
DE Statcii van Holland cnde Wert-Vrieflaud : Doen te wectcn. xMzoo 0ns
vertoont is by IIENDRIK SCHELTE, Boekverkooper tôt Amfterdam ; hoe dzt hy
Suppliant had giJrukt , en cerlt daags ftont uyt te geven , 2eker Boek geintitiileert Effu^
ThîùfophKiïiccaitccriiMii VEnîendimcnt'HHt/iain , par Mr. Locke , Traduit d: V j^n£lûis par V terre CcOe,
in ^, Endeaixooden Suppliant bekommcrd was, dat hemdito Boek .dooranderebaatzockenie menfchcn,
tnochtc naargcdrukt werdcn , cnde hy daar door merkelyke fchade zoude koœcn te lydtn , Zoo was 'c,
dat den Suppliant zich kecrde tôt On? , oocmoediglijk verfoekende , dat Vy hem Suppliant gehefde
te verlccnen Oîlroy van vyftien eerllkomende Jaren , om in dien tyd hct voorfz. Boek in foodanigen
formaat en taal als hy 70\ide goet vinden , allcen in Onzcn Landen te mogen drucken en verkoopcn.
Met interdidie van aile andere om het voornoemde Boek te mogen drukken , ofte elders gedrukt zijn-
deindeezc Onzen LanJcn te mogen inbrengcn ofte verkoopcn, op zeckcre pœne en confifcatie van aile
7oodanige Exemplaren tecgens de Contraventcurs ce ftellen ; ZOO IS'T , dat Wy de faakc en 't ver-
ïoekvooifz. overgemcrkt hebbende , ende genegen wezcnde icr bcde van de Suppliant , uyt Onze rech.
te wctenfchap, zouveraine macht en authoriteyt , den felve Suppliant geconfcnteert , geaccordecrt en-
de geoftroyeert hebben , confenteren , accotderen en oftroyeren hem mits defen , dat hy , gedurcnde
4en tyd van vyftien eerft achter een volgende Jaren, het voorfz- Boek, %e'ininu]ecrd Ejjay Phihf»ph:qi:e
concernant rEnîcndcmcnt Humain , pAr lïr. Locke , Traduit de VAv^lois par Pierre Cojie , in 4. bin-
ncn den voorfz. Onfen Landen allcen fal mogen drucken, doen d'ucken ,uytgeven en verkopen; Ver-
biedende daarom allcn en cen iegelyk het zelve Boek, in 't geheel ofte ten dcel, naar te drucken,
ofte elders naargedrukt zynde , binnen defclve Onfen Landen te brengen , uyt te gevea ofte te verko-
pen , op verbeurte van aile de naargedruktc , ingebrachte ofte verkochte Exemplaren, ende een bocte
van drie honderd guldens daar en boven te verbcuren, te appliceren een derde part voor den Officier
die de calange doen zal , cen derde part voor d'Armcn ter plaatze daar het cafus voorvallen zal, en.
de het relterende derde part voor den Suppliant. Ailes in dicn verftande, dat W'y, den Suppliant
met defen Onfen Oilroye alleen willende gratifïceren , tôt verhoedingc van zijne fchade door het naar-
drucken van het voorfz. Boek, daar door in geenigeh deele verftaan, den inhoud van dicn te autho-
rifcren ofte te advoucren , cnde vcel min het zclvc ondcr Onze protectie ende befcherminge ecnig
tneerder crédit, aanficn , ofte reputacie te geven ; nemaar den Suppliant, in cas daar inné iets onbe-
hoorlijks zoude mogen influercn , aile hct zelve rot zijnen lafte zal gehouden wezen te vcrantwoorden :
tût dien cyndc wcl exprenclijk begerendc , dat byaldien hy dezen Onzen Oflroy voor het zelve Boek
zal willcn itellen , daar van gcene geabbrevieerde ofte gecontraheerde mcntie zal mogen maken ; nemaar
gehouden zal wczon , het zelve Oftroy m 't geheel ende zondcr eenige omiilîe daar voor te drucken,
ofte te doen drucken, ende dat hy gehouden zal zijn, een Exemplair van het voorfz. Boek , gebon-
dtn en wel geconditioneert , te brengen in de Bibliotlieecq van Onze Univerfiteyt tôt Lcydcn , ende
daar van behoorlyk te doen blyken , ailes op pœne van het effed van dien te vcrliczcn. Ende ten
«ynde den Suppliant , defe Onfen confente ende oilroye mogen genieten als naar behooren , lalten
VTy allcn ende een iegelyk dien *t aangaan mag , dat zy den Suppliant van den inhouden van dezen
doen, cnde laten gedogen, ruftelyk, vreeJelyk , ende volkomentlyk genieten ende gebruyken , cefle-
rende aile belet ter contrarie. Gedaan in den Hage ondcr Onzen grooten Zegelc, hier aan gehangen
op den vijfilcD May iil 'c Jaar OnzesHeeren en Zaligmakers zevencicn hondect.
ti'ai ^eteekend ,
A. HEINSIUS, vt.
Onder ftont,
Tir Ordmnantic yan Je Staitn
En was geteekent,
Simon vas IIeaumoht.
i
t