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Full text of "J. Jacques Rousseau, citoyen de Généve, a Christophe de Beaumont, Archevêque de Paris ... Avec sa lettre au Conseil de Généve"

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A 


(E  U  VR  E  S 

D  É 

3.  JACQUES  ROUSSEAU 

CITOYEN  DE  GÉNEFE^ 


J.  JACQUES  ROUSSEAU, 

CITOYEN  DE    GÉNÉFE, 

A 

CHRISTOPHE  DE  BEAUMONT  , 

archevêque  de  Paris  y  Duc  de  S.  Cloud,  Pair 

de    France  ,  Commandeur  de  V Ordre  du  Saint 

Efpritj  Provifeur  de  Sorbonne ,  &c. 

Avec  fa  Lettre  au  Confeil  de  Genève. 


Da  veniam  fi  quid  liberius  dixi ,  non  ad  contu- 
meliam  tuam  ,  fed  ad  dcftnfionem  meam. 
Praefumpfi  enira  de  gravitate  &  prudentiâ 
tuâ  ,  quia  potes  confiderare  quantam  mihi 
rcfpondendi  necelTitatem  impofueris. 

Aug.  EpiJL  238.  r.d  P a/cent. 


A  AMSTERDAM, 
Chez    MARC- MICHEL    REY-^ 

M,  DCC.  LXVL        "  - 


E   T 

DE  L  A  CO  U  R 

DE   PARLEMENT. 

Qu  J  condamne  un  Imprimé,  ajyant  pour  titre  t 
Émiîe  ,  ou  de  rjêrucation,  par  J.  J.  Rouf- 
feau  ,  imprime  à  la  Haye ,   M.  DCC.  LXli.  à 

être  lacéré  G-  hrûlé  par  rExécuteur  de  la  Haute 

Jujlice. 

Extrait  des  Regiftres  du  Parlement. 

Du  ^.  Juin   ij6i, 

E  jour  ,  les  Gens  du  Roi  font  en- 
trés, &  Me.  Onier  JolydeFleury, 
Avocat  dudit  Seigneur  Roi  ,  por-. 
tant  la  parole  ,  ont  dit  : 
Qu'ils  déferoient  à  la  Cour  un  Imprimé  ,' 
en  quatre  volumes /n-Oc7<^vo,  intitulé  îi'mi- 
îe  ,  ou  de  r Education  ,  par  J,  J.  Roujfeau  , 
Citoyen  de  Genève,  dit  imprimé,  à  la  Haya^ 
en  M,  VCC.  LXLL 

A  iij 


vîij       ARRET  DE  LA  COUR 

Que  cet  ouvrage  ne  parole  compofé  que 
dans  la  vue  de  ramener  tout  à  la  Religion 
naturelle  ,  ôc  que  l'Auteur  s'occupe  ,  dans  le 
plan  de  l'Education  qu'il  prétend  donner  à 
îon  Elevé,  à  développer  ce  fyfléme  criminel. 
Qu'il  ne  prétend  inftruirc  cet  Elevé  que 
d'après  la  nature  qui  eft  Ton  unique  guide  , 
f)our  former  en  lui  l'hom.ne  moral  -,  qu  il 
regarde  toutes  les  Religions  comme  égale- 
ment bonnes ,  &  comme  pouvant  toutes  avoÏB 
leurs  raifons  dans  le  climat ,  dans  le  Gou- 
vernement,  dans  la  génie  du  Peuple,  oi* 
dans  quelque  "autre  caufe  locale  ,  qui  rend 
i'uue  préférable  à  l'autre  ,  (elon  les  temps  6c 
les  lieux. 

Qu'il  borne  l'homme  aux  connoifl'ancçs 
<jue  l'inftind  porte  à  chercher  ,  tiatte  lc,ç 
pafîions  comme  les  princtpaux  inftruments 
de  notre  confervation  ,  avance  qu'on  pcu6 
ctrc  fauve  fans  croire  en  Dieu  ,  parce  qu'il, 
admet  l'ignorance  invincible  de  la  Divi- 
nité qui  peut  excufer  l'homme-,  que,  félon 
les  principes  la  feule  raifon  cft  juge  dans 
le  choix  d'une  PveHgion  ,  lailfant  à  fa  difpo- 
iTition  la  nature  du  culte  que  l'homme  doit 
rendre  à  l'Etre  fuprcme  que  cet  Auteur 
croit  honorer  ,  en  parlant  avec  impiété  du 
culte  extérieur  qu'il  a  établi  dans  la  Reli- 
gion ,  ou  que  l'Èglife  a  prefcrit  fous  la  di- 
rection de  l'Efprit-Saint  qui  la  gouverne. 

Que  ,    conféquemment   à  ce  fyflcme  de 
«  aiiiieure  que  la  Religion  uaturçUe  ,  quelle 


DE  PARLEMENT.  ix 

qu'elle  foit  chez  les  diftérens  Peuples  ,  il  ofe 
ellayer  de  détruire  la  vente  de  l'Ecriture 
Sainte  ôc  des  Prophéties  ,  la  certitude  des 
iniracles  énoncés  dans  les  Livres  Saints,  l'in- 
faillibilité de  la  révélation  ,  l'autorité  de 
l'EgJife  ,  ôc  que  ramenant  tout  à  cette  Re- 
ligion naturelle  ,  dans  laquelle  il  n'admet 
qu'un  culte  &  des  loix  arbitraires;,  il  entre- 
,  prend  de  juPtifier  non-feulement  toutes  les 
Kcligions  ,  prétendant  qu'on  s'y  fauve  in- 
difl:ind;cment  j  mais  m.cme  l'infidciité  &  la 
réliftance  de  tout  homnie  à  qui  l'on  voudroîc 
prouver  la  divinité  de  J.  C.  &  l'exiftence  de 
la  Religion  Chrétienne  ,  qui  feule  a  Di£ii 
pour  Auteur  ,  &  à  l'égard  de  laquelle  i  l 
porte  la  blatphéme  jufques  à  la  donner 
pour  ridicule  ,  pour  concradiâoire  ,  ôc  h 
infpirer  une  indifférence  facrilege  pour  fes 
mylleres  &  pour  fes  dogmes  qu'il  voudroic 
pouvoir  anéantir. 

Que  tels  font  les  principes  impies  &  dé- 
tefîables  que  fe  propole  d'établir  dans  foti 
Ouvrage  :et  Ecrivain  qui  foumet  la  Reli- 
gion à  l'examen  de  la  raifon  ,  qui  n'établit 
qu'une  foi  purement  humaine  ,  (?c  qui  n'ad- 
met de  vérités  &  de  dogmes  en  matière  de 
Religion,  qu'autant  qu'il  plait  à  l'elprit  ,  li- 
vré à  fes  propres  lumières  ,  ou  plutôt- à  les 
cgaremens,  de  les  recevoir  ou  de  les  rcjetter. 

Qu'à  ces  impiétés  il  ajoute  des  détails  in- 
dccens  ,  df:s  explications  qui  bleilent  la 
bicnfçanct    ôc  la  pudeur  ,  des  pKipofitipns 

A  V 


s  ARRÊT  DE  LA  COUR 

qui  tendent  à  donner  un  caradere  faux  8c 
odieux  à  Tautorité  fouveraine  ,  à  détruire 
3e  principe  de  l'obéillance  qui  lui  eft  due, 
ôc  à  affoiblir  le  relpedt  Ôc  l'amour  des  peu- 
ples pour  leurs  Rois. 

Qu'ils  croient  que  ces  traits  fuffifent  pour 
<ionner  à  la  Cour  une  idée  de  l'Ouvrage 
qu'ils  lui  dénoncent  -,  que  les  maximes  qui 
y  font  répandues  forment  par  leur  réunion, 
un  fyftême  chimérique  ,  aufîî  impraticable 
dans  Ton  exécution  ,  qu'ablurde  &  condam- 
nable dans  Ton  projet.  Que  feroient  d'ail- 
leurs des  Sujets  élevés  dans  des  pareilles  ma- 
ximes ,  iînon  des  hommes  préoccupés  du 
icepticifme  d<:  de  la  tolérance  ,  abandonnés 
à  leurs  pniTions  ,  livrés  aux  plailïrs  des  feus  , 
concentrés  en  eux-mêmes  par  l'amour  pro- 
pre,  qui  ne  connoîiroient  d'autre  voix  que 
celle  de  la  nature ,  &  qui  ,  au  noble  delir  de 
la  folidc  gloire  ,  fubllitueroicnt  la  perni- 
cieufc  manie  de  la  fingularité  ?  Quelles  rè- 
gles pour  les  mœurs  !  Quels  hommes  pour 
la  Religion  &  pour  l'Etat  ,  que  des  enfans 
élevés  dans  les  principes  qui  tont  également 
horreur  au  Chrétien  .5.:  au  Citoyen  ! 

Que  l'Auteur  de  ce  livre  n'ayant  point 
craint  de  fe  nommer  lui-même  ,  ne  Içauroit 
ctre  «rop  prompiement  pourfuivi-,  qu'il  eft 
important  ,  puifquil  s'eft  (m^  connoître  , 
que  la  Jullice  Te  mette  à  portée  de  faire  un 
exemple  ,  tant  fur  l'Auteur  que  fur  ceux 
quonpourra  découvrir  avoir  concouru,  foii 


DE  PARLEMENT.  x/ 

^'■rimpreffion,  foit  à  la  diftribution  d'un  pa- 
reil Ouvrage  digne  comme  eux  de  toute  fa 
levente. 

Que  c'eft  l'objet  des  Conclufions  par 
écrit  qu'ils  l'aiflent  à  la  Cour  avec  un  Exem- 
plaire du  Livre  ,  &  fe  font  les  gens  du  ïloi 
retirés. 

Eux  retirés  .* 

Vu  le  Livre  en  quatre  Tomes  in-8^*,' 
intitulé  :  Emile  y. ou  de  V Education  ,  par 
J.  J.  Roujfeau  ,  Citoyen  de  Genève.  Sanabi- 
Jibus  argrotamus  malis  \  iplaque  nos  in  rec- 
tum ,  natura  genitos ,  fi  emendari  velimus 
juvat.  Senec.  de  ira.  Lib.  XL  cap.  XI IL 
tom.  I  ,  1 ,  J ,  Se  ^.  y4  la  Haye ,  chc^  Jean. 
Néaulme  ,  Libraire  ,  avec  Privilège  de  Naf- 
JeigJieurs  les  Etats  de  Hollande  O  de  Jf^ejî- 
frife.  Conclufions  du  Procureur-Général 
du  Roi  :  oui  le  rapport  de  Me.  Pierre- 
Français  Lenoir  ,  Confeiiler  :  la  matière 
mife  en  délibération  : 

•  La  Cour  ordonne  que  ledit  Livre  im< 
primé  ,  fera  lacéré  &  brûlé  en  la  Cour  du 
l^ilais  ,  au  pied  du  grand  Efcilier  d'icelui, 
par  l'Exécuteur  de  la  Haute- Juflice  ;  en- 
joint à  tous  ceux  qui  en  ont  des  Exem- 
plaires ,.  de  les  apporter  au  Greffe  de  la 
Cour  ,  pour  y  être  fupprimés  ;  /ait  très- 
expreflçs  iohii?Jiion5  ^  déteii.fes  à  tous  Lir 


xij         ARRET  DE  LA  COUR 

braires  d'imprimer,  venJre  6c  débiter  ledif 
Livre  ,  &  à  lous-Golportcurs,  Dillributeurs 
ou  autres,  de  le  colporter  ou  diftribuer  ,  à 
peine  d'être  pourluivis  extraordinairemcnt , 
&  punis  fuivant   la  rigueur  des  Ordonnan- 
ces. Ordonne  qu'à  la  requête  du  Procureur- 
Général  du  Roi  ,  il  fera  mformc  pardevant 
le    ConCeiller   Rapporteur  ,    pour   les    Té- 
moins qui  fe  trouveront  à  Paris,  &  parde- 
vant les  Lieutenants  Criminels  des  Bailliages 
Se  Sénéchauiïces  du  Reflort  ,  pour  les  Té- 
moins    qui   feroient  hors  de   ladite    Ville, 
contre  les  Auteurs  ,  Imprimeurs  ou  Diftri- 
buteurs  dudit  Livre  -,  pour  ,  les   informa- 
tions  faites  ,    rapportées  &   communiquées 
au  Procureur-Général  du  Roi  ,   être  par  lui 
requis,  &  par  la  Cour  ordonne  ce  qu'il  ap- 
partiendra j  &"   cependant    ordonne  que  le 
nommé  J.  J.  Rouft'eau  ,  dénommé  au  Fron- 
tifpice  dudit  Livre,  fera  pris  &  appréhendé 
au  corps  ,  &  amené  es    Prifons  de  la  Con- 
ciergerie du  Palais,  pour  être  oui  &  inter- 
rogé pavdsvant  ledit  Confedler  Rapporteur, 
fur  les  taits   dudit  Livre,  &   répondre  aux 
Conclurions  que  le  Procureur- Général    en- 
tend prendre  contre  lui  -,  5c  où  ledit  J.  J. 
RoulVeau   ne  pourroit    être    pris   8c  appré- 
hendé ,  après   pcrquifîtion  faite  de  (a  per- 
fonne  ,  aifigné  à  quinzaine  ,  Tes  Siens  failîs 
^'annotés,  6c  à  icejx  Commiilaires  établis, 
jufqu'à    ce  qu'il   ait  obéi    fuivant  l'Ordon- 
naaçe  :  6i  à  cet  effet  ordonne  qu'un  Exem- 


DE  PARLEMENT.  xiiî 

plaire  dudit  Livre  fera  dépoie  au  Greffe  de 
îa  Cour,  pour  fervir  à  I'inftru(5lion  du  Pro- 
cès. Ordonne  en  outre  que  le  préfent  Arrêt 
fera  imprimé,  publié  Ôc  atïichc  par-tout  où 
befoin  fera.  Fait  en  Parlement,  lej>  Juin 
mil  fept  cens  foixante-deux. 

Signe  ,  DUFRANC. 

Et  le  I^endredi  il  Juin  ij6i ,  ledit  Ecrie 
vientionné  ci-dejfus  a  été  lacéré  &  brûlé  au 
pied  du  grand  Efcalier  du  Palais  ,  par  /'£"- 
xécuteur  de  la  Haute- Jujîice  ,  en  préfence  de 
moi  Etienne- Dagobert  Yfabeau  Vun  des 
trohs  principaux  Commis  pour  la  Grand'' 
Chambre i  ajifijîé de  deux  HuiJJiers  delà  Cour» 

Signe,  Y  SA  BEAU. 


iiiiMgiiiiii>iiiiiiiiliii;MflK8!*aiiflgkJU«feig«^^ 

A  PARIS  ,  chez  P.  G.  Simon  ,  Impimeur 

du  Parlement ,  rue  de  la  Harpe ,  à 

l'Hercule,  ii^u 


, MANDEMENT 

DE  MONS  EIGNEUR 

L'ARCHEVESQUE 

DE     PARIS, 

Port  AN  t  condamnation  d'un  Livre  qui  a 
pour  titre  iÉMiLfc  ,  ou  de  L'Education  , 
par  J.  J.  Koujfeau  ,  Citoyen  de  Genève. 
A  Amfterdam  ,  chez  Jean  Neaulmc,  Lir 
braire  ,  1-762, 

HristophedeBeaumont,  par 
la  Miféricorde^Divine  ,  &  par  la 
grâce  du  Saint  Sié"ge  Apoftoli- 
cjue  ,  Archevêque  de  Paris,  Duc  de  Saint 
Cloud  ,  Pair  de  France,  Commandeur  de 
l'ordre  du  Saint  tfprit ,  Provifeur  de  Sor- 
bonne ,  &c.  A  tous  les  Fidèles  de  notre 
Dioccfe  :  Salut  et  Bénédiction. 

Saint  Paul  a  prédit  ,  Mes  TrÉs-CHER^ 
Treres  ,  qu'il  viendroit  des  jours  périlleux  3. 
cil  il  y  auroitdes  gens  amateurs  d'eux-même, 
Ji^rs  ,/uperbes  i  blajphe'matçur^  ^  impies  y  ca* 


XV)  M  A  N  D  E  M.  E  N  T. 

lomniateurs  i  en/les  d'orgueil,  amateurs  des 
voluptés  plutôt  que  de  Dieu  ;  des  hommes 
d  un  efprit  corrompu  ,  &  pervertis  dans  la. 
Foi  {a).  Et  dans  quels  temps  malheureux 
cette  prédiction  s'eft-elle  accomplie  plus  à 
la  lettre  que  dans  les  nôtres  1  L'incrédulité 
enhardie  par  toutes  les  paffions,  fe  préfentc 
fous  toutes  les  formes  ,  afin  de  le  propor- 
tionner en  quelque  forte  à  tous  les  âges  , 
à  tous  les  caraft^rcs ,  à  tous  les  états.  Tan- 
tôt,  pour  s'infinuer  dans  des  efprits  qu'elle 
trouve  déjà  enforcdUs  par  la  bagatelle  (b), 
elle  emprunte  un  ftyle  léger  ,  agréable  Sc 
frivole  :  de  là  tant  de  Romans  également 
obfcenes  Se  impies  ,  dont  le  but  ell  d'amu- 
fer  l'imagination  pour  féduire  Pefprit  ,  6c 
corrompre  le  cœur.  Tantôt  affcdant  un 
air  de  profondeur  &c  de  fublimité  dans  fes 
vues,  elle  feint  de  remonter  aux  premiers 
principes  de  nos  connoiilances  ,  Se  prétend 
s'en  autorifer  pou%  fecoucr  un  joug  qui, 
félon  elle  ,  deshonore  l'humanité  ,  la  Divi- 
nité même.  Tantôt  elle  déclame  en  furieufe 
contre  le  zèle  de  la  Religion  ,  &  prôcae  la 

(a)  In  novilTimis  diebus  inftabunt  tempora 
periculofa  :  erunt  homincs  feipfos  amantes — 
elati ,  fuperbi ,  blarphcmi  —  fcelelti—  crimina- 
tores— tumidi,  6c  voluptatum  amator.'S  magis 
<]uàm  Dei— homines  corrupti  mente ,  &  rt^probi 
circa  fidcm.  2.  Tim.  c,  5.  î^.  1 ,  4,  8. 

b  )  Fafcinatio  ûusaciptis  oblcwat  boua.  oap. 

t.  4.    V,     lÎ4 


MANDEMENT.  xvi7 

tolérance  univerfelle  avec  un  emportement. 
Tantôt  enfin  ,  réuniflant  tous  ces  divers 
langages,  elle  mêle  le  férieux  à  l'cnjoue- 
inent  ;  des  maximes  pures  à  des  obfcénités  ; 
<le  grandes  vérités  à  de  grandes  erreurs  j 
la  Foi  aa  Blafphême  :  elle  entreprend  ,  en 
un  mot ,  d'accorder  la  lumière  avec  les  té- 
jnébres  i  Jefus  Chrift  avec  Déliai.  Et  tel  eft 
fpécialement  ,  M.  ^T.  G.  F.  l'objet  qu'on 
paroît  s'être  propofé  dans  un  Ouvrage  ré- 
cent,  qui  a  pour  titre  :  EMILE  ,  ou  de 
x'Éducation.  Du  fein  de  l'erreur,  il  s'ell 
élevé  un  homme  plein  du  langage  de  la  phi- 
lofophie,  fans  être  véritablement  Philofo- 
phc  -y  efprit  doué  d'une  multitude  de  con- 
noiflfances  qui  ne  l'ont  pas  éclairé,  &  ouï 
ont  répandu  des  ténèbres  dans  ks  auffes 
efprits  ;  caradere  livré  aux  paradoxes  d'o- 
pinions Se  de  conduite  ,  alliant  la  fimplicitc 
des  mœurs  avec  le  tafte  des  penfées  j  le  zcle 
des  maximes  antiques  avec  la  fureur  d'éta- 
blir des  nouveautés  j  l'obfurité  de  la  re- 
uaite  avec  le  defir  d'être  connu  de  tout  le 
monde.  On  l'a  vu  invedivcr  contre  les  fcieti- 
ces  qu'il  cultivoif,  préconifer  l'excellence 
de  l'Evangile  ,  dont  il  détruifoit  les  dog- 
mes -,  peindre  la  beauté  des  vertus  qu'il 
cteignoit  dans  l'ame  de  Tes  Ledeurs.  II  s'eft 
.  tait  le  Précepteur  du  genre  humain  pour  le 
tromper  -,  le  Moniteur  public  pour  égarer 
tout  le  monde  -,  l'Oracle  du  liecle  pouc 
gcbsYçr  de  le    perdre.  Pans  ua   Ouvrage 


xvîii  ^  MANDEMENT, 
fur  l'inégalité  des  conditions,  il  avoit  abaiflc 
l'homme  jufqu'au  rang  des  bctes  :  dans  une 
autre  produdlion  plus  récente,  il  avoit  in- 
ilnué  le  poifon  de  la  volupté  ,  en  paroiirmt 
le  profcrire,  dans  celui-ci,  il  s'empare  des 
premiers  momens  de  l'homme  ,ahn  d'établir 
J'empire  d'irréligion. 

Quelle  entreprife,  M.  T.  C.  F.I  Pcdura- 
tion  de  la  jeuneiTe  eft  un»des  objets  les  plus 
importans  de  la  follicitude  ôc  du  zèle  des 
Pafteurs.  Nous  fçavonsqiie,  pour  rétormsr 
le  monde  ,  autant  que  le  permettent  la 
foiblelTe  ôc  la  corruption  de  notre  nature, 
il  fuffiroit  d'obferver,  fous  la  direction  ôc 
l'impreifion  de  la  grâce,  les  premiers  rayons 
<îela  raifon  humaine  ,  de  les  (aifiravec  foin, 
&*e  les  diriger  vers  la  route  qui  con- 
duit à  la  vérité.  Par-là  ces  efprits,  encore 
exempts  de  préjuges,  feroient  pour  tou- 
jours en  garde  contre  l'erreur -,  ces  cœurs  , 
encore  exempts  de  grandes  paflions ,  pren- 
droient  les  impreiîions  de  toutes  les  vertus. 
Mais  à  qui  convient-il  mieux  qu'à  nous, 
&  à  nos  Coopérateurs  dans  le  faint  Minif- 
îere  ,  de  veiller  ainlî  fur  les  premiers  mo- 
inens  de  la  jeunelTe  Chrétienne  ,  de  lui 
diftribuer  le  laie  fpirituel  de  la  Religion  , 
afin  qiiil  croijfe  pour  le  falut  (c);  de  pré- 
parer de  bonne  heure   ,    par  de    ialutaires 

(c)  Sicut  modo  geniti  infantes  ,  rationabile. 
fine  dolo  lac  concupifcite  :  ut  in  eo  crelcatis  in 
falutem  ,    i.  Petr.  6.  2, 


MANDEMENT.  xîx 

leçons,  des  Adorateurs  finceres  au  vrai 
Dieu  :  des  Sujets  fi  kles  au  Souverain  ,  des 
Hommes  dignes  d'ctre  la  reflburce  ôc  l'or- 
nement de  la  Patrie  ! 

Or  ,  M.  T.  C.  F.  l'Auteur  d  Emile  pro- 
pofe  un  plan  d'éducation  ,  qui  ,  loin  de 
s'accorder  avec  le  Chnliianifme,  n'eft  pas 
même  propre  à  former  des  Citoyens,  ni  des 
Hommes.  Sous  le  vain  prétexte  de  rendre 
l'homme  à  lui-même,  &  de  faire  de  fort 
élevé  l'élevé  de  la  nature,  il  met  en  prinr 
cipe  une  affertion  démentie,  non  feulement 
par  la  religion,  mais  encore  par  l'expérience 
de  tous  les  peuples  ôc  de  tous  les  tems, 
Fofons ^  dit-il,  pour  maxime  incontejlahle^ 
é}ue  les  premiers  momens  de  la  nature 
Jont  toujours  droits:  il  ny  a  point  de per- 
yerjité  originelle  dans  le  cœur  humain.  A 
ce  langage  on  ne  reconnoît  point  la  doc-, 
trine  des  faintes  écritures  Se  de  l'Eglife , 
louchant  la  révolution  qui  s'eft  faite  danj 
notre  nature.  On  perd  de  vue  le  rayoft 
de  lumière  qui  nous  fait  connoître  le  mys- 
tère de  notre  propre  cœur.  Oui,  M.  T.  C.  F., 
dl  fe  trouve  en  nous  un  mélange  frappant  dt 
grandeur  &  de  bafléde  ,  d'ardeur  pour  la 
vérité ,  &  de  goût  pour  l'erreur  ,  d'inclina- 
tion pour  la  vertu  ,  d>c  de  penchant  pour 
Je  vice  :  étonnant  contraflc  qui ,  en  dé- 
concertant la  Philofophie  Païenne  ,  la  laifTc 
errer  dans  de  vaines  fpéculations  !  contrafte 
dont  la  révélation   nous  4écouvre  la  foux- 


XX  MANDEMENT. 

ce  dans  la   chute  dépiorable  de  notre  pre- 
mier  Père  I  L'homme  fe  lent  entraîné   par 
une  pente  fanefle  ,  &    comment   fe   roidi- 
roit-il   contre    elle  ,  lî   Ton  enfance  n'étoic 
dirigée  par  des  Maîtres  pleins  de  vertus ,  de 
fagerte  ,  de  vigilance  :  &  fi  ,  durant  tout  le 
cours  de  fa  vie,  il  ne  fe    faifoit  lui-même  , 
fous  la  protecStion ,  Se  avec    les   grâces    de 
fon  Dieu  ,  des  efforts    puitlants    6c  conti- 
nuels? Hélas,  M.  T.  G.  F.  malgré  les  prin- 
cipes de  l'éducation  la  plus  faine  &  la  plus 
vertueufe  ,  malgré   les   promeilss    les    plus 
magnifiques  de  la  Religion ,  &  les  mena- 
ces les  plus  terribles ,  les  écarts  de   la  jeu- 
nelTe   ne   font  encore  que   trop   fréquents  , 
trop  multipliés  :  dans  quelles  erreurs  ,  dans 
quels  excès  ,   abandonnée  à  elle-mcme  ,  ne 
fe  précipiteroit-elle  donc  pas?  C'eft:  un  tor- 
rent qui  fe  déborde  malgré  les  digues  puif- 
fantes   qu'on   lui   avoit    oppofées  :  que  fé- 
roit-ce  donc  Ci  nul  obilacle  ne  kifpcndoit  Tes 
flots,  &  ne  romooit  les  efforts? 

L'Auteur  d'É  m  .'  l  e  ,  qui  ne  reconnoît 
aucune  Religion  ,  indique  néanmoins  ,  fans 
ypenrer,la  voie  qui  conduit  infaillible- 
•raent  à  la  vraie  Religion.  Nous,  dit-il  ,  qui 
ne  voulons  rien  donner  a  V autorité'',  nous  qui 
ne  voulons  rien  enfeigner  a  notre  Emile 
qiiil  ne  pût  comprendre  de  lui-même  par 
tout  pays ,  dans  quelle  Religion  V élèverons' 
nous?  à  quelle  fecte  agrégerons- nous  l'Elevé 
de  la  nature  î  Nous  ne  l'agrégerons ,  ni  à. 


MANDEMENT;  xxj 

lelle-ci ,  ni  à  celle-  là  ;  nous  h  mettrons  en  état 
de  choijtr  celle  ou  le  meilleur  ufage  de  la  rai- 
Jon  doit  le  conduire.  Plut  à  Dieu  ,  M.  T.  G.  F. 
que  cet  objet  eût  été  bien  rempli  !  Si  l'Au- 
teur   eût  réellement  mis  fon  Elevé  en  état 
de  choijir,  entre  toutes  les  Religions  ^  celle 
oii  le  meilleur  u/age  de  la  raifon  doit  con- 
duire ,    il  l'eût    immanquablement   préparé 
aux  leçons  du  Chriftianifme.  Car ,  M.  T.  C. 
F.  la  lumière  naturelle  conduit  à  la  lumière 
cvangélique  ;  Ôc  le  culte  chrétien  efl:  clTen- 
tiellement  un   culte  raifonnable  (d).   En  ef- 
fet ,  Ji  le  meilleur  ufage  de  notre  raifon  ne  de- 
voit  pas  nous  conduire  a  la  révélation  chré- 
tienne, notre  foi  feroit  vaine,  nos  efpéran- 
ces  feroient    chimériques.    Mais    comment 
ce   meilleur   ufage   de  la  raifon  nous  con- 
duit-il au  bien  ineflimable  de  la  Foi,  &:  de- 
là au  terme    précieux    du  falutî  C'efl:  à  la 
raifon  elle-même  que  nous   en  appelions. 
Des  qu'on  reconnoît   un    Dieu,  il  ne  s'agit 
plus  que  de  fçavoir  s'il  a  daigné  parler  aux 
hommes  autrement  que  par  les  impreflîons 
de  la  nature.    Il  faut  donc  examiner  fi  les 
faits   qui    confiaient    la  révélation  ne  font 
pas  fupéricurs  à  tous  les  eftorts  de  la  chi- 
cane  la  plus  artificieufe.  Cent  fois  l'incré- 
dulité a  tâché  de  les  détruire  ces  faits  ,  ou 
au  moins  d'en  affoiblir  les  preuves  j  &c  cent 

{à)  Rationabiie  obfcquium  vellrum.  Kom.  c. 

II.  V.   I-. 


xxij  ^    MANDEMENT, 

fois  fa  critiquera  été  convaincue  d'impuif- 
fance.  Dieu  ,  par  la  révélation ,  s'eft  rendu 
témoignage  à  lui-même  ;  &  ce  témoignage 
eft  évidemment  très  digne  de  foi  {e).  Que 
refte-il  donc  à  l'homme  qui  tait  le  meilleur 
u/age  de  fa  raifon ,  linon  d'acquiefcer  à  ce 
témoignage  ?  C'eft  votre  grâce  ,  b  mon 
Dieu  ,  qui  confomme  cette  œuvre  de  lu" 
miere  -,  c'eft  elle  qui  détermine  la  volonté, 
qui  forme  l'ame  chrétienne  -,  mais  le  déve- 
loppement des  preuves  ,  Se  la  force  des 
motifs,  ont  préalablement  occupé  ,  épuré 
k  raifon  :  Se  c'eft  dans  ce  travail  ,  aufîî  no- 
ble qu'indifpenfable  ,  que  confifte  ce  meil- 
leur ufage  de  la  raifon  ,  dont  l'Auteur  d'É- 
MILE  entreprend  de  parler  fans  en  avoir  une 
notion  fixe  Se  véritable. 
%-  Pour  trouver  la  jeunefte  plus  docile  aux 
leçons  qu'il  lui  prépare  ,  cet  Auteur  veut 
qu'elle  foit  dénuée  de  tout  principe  de  Rer 
ligion  :  Se  voilà  pourquoi  ,  félon  lui ,  coU" 
naître  le  bien  &  le  mal  ,  fentir  la  raifon 
des  devoirs  de  F  homme  ,  îiejl  pas  l'affaire 
d'un  enfant.../' aimerais  autant ,  ajoute-t-il, 
exiger  quun  enfant  eût  cinq  pieds  de  haut  y 
que  du  jugement  à  dix  ans. 

Sans  doute ,  M.  T.  C.  F.  que  le  juge- 
ment humain  a  fes  progrès  ,  5c  ne  fe  forme 
que  par  degrés.  Mais  s'enfuit-il  donc  qu'à 

(0  Tefiimonia  tua  crcdibilia  faâa  funt  nimis. 
Vfal.  92.  V.  5. 


MANDEMENT.  xxîïf 

l'âge  de  dix  ans  un  entant  ne  connoîfTe  poiot 
la  différence  du  bien  &  du  mal  ,  qu'il  con- 
fonde la  r^g-efle  avec  la  folie  ,  la  bonté 
avec  la  barbarie  ,  la  vertu  avec  le  vice? 
Puoi?  à  cet  âge  il  ne  fentira  pas  qu'obéir 
a  ton  Père  elT:  un  bien  ,  que  lui  dcfobéir 
efi:  un  mal?  Le  prétendre,  M.  T.  C.  F. 
c'eft  calomnier  la  nature  humaine  ,  en  lui 
attribuant  une  ftupidité  qu'elle  n'a  point. 

„  Tout  enfant  qui  croit  en  DÏQw,diten^. 
,,  core  cet  Auteur  ^  eft  idolâtre  ,  ou  Antro- 
pomorphite  „.  Mais  s'il  eil  Idolâtre,  il 
croit  donc  pludcuts  Dieux  :  il  attribue  donc 
la  nature  divine  à  des  Simulacres  infeniî- 
bles  ?  S'il  n'ell  qu'Antropomorphite,  enre- 
connoilTant  le  vrai  Dieu ,  il  lui  donne  un  corps. 
Or  on  ne  peut  fuppofer  ni  l'un  ni  l'autre 
dans  un  enhmt  qui  a  reçu  une  éducation 
chrétienne.  Que  ii  l'éducation  a  été  vicieufe 
à  cet  égard  ,  il  eft  fouverainement  injufte 
d'imputer  à  la  Religion  ce  qui  n'eft  que  la 
faute  de  ceux  qui  l'enfeignent  mal.  Au  fur- 
plus  ,  l'âge  de  dix  ans  n'eft  point  l'âge  d'un 
Philofophe  :  un  enfant  ,  quoique  bVen  inf- 
.truit  ,  peut  s'expliquer  mal  ;  mais  en  lui 
inculquant  que  la  Divinité  n'eft  rien  de  ce 
qui  tombe  ,  o.u  de  ce  qui  peut  tomber  fous  les 
fens  ,  que  c'eft  une  intelligence  infinie,  qui, 
douée  d'une  puiftânce  fuprême  ,  exécute 
tout  ce  qui  lui  plait;  on  lui  donne  de  Dieu 
ime  notion  alfortie  à  la  portée  de  fon  ju- 
gement.   Il  n'eft  pas  douteux  qu'un  Athée^ 


sxiv  MANDEMENT. 

par    fes    fophifmcs  ,    viendra  facilement  a 
bout  de  troubler    les    idées    de   ce    jeune 
Croyant:  mais  toute  l'adreffe    du    Sophilte 
ne  fera  certainement  pas  que    cet   entant  , 
lorfqu'il   croit   en    Dieu  ,    ioit    Idolâtre  ou 
Antropomorphite  ;.c'eft  à  dire,  qu'il  ne  croie 
que  l'exiftence  d'une  chimère.         ^     ^    ^i 
L'Auteur   va  pks  loin,   M.  T.  C.  F.  U 
n  accorde  pas  même    à  un  jeune  homme  de 
quinze   ans  la  capacité  de  croire  en  Dieu. 
L'homme  ne  fçaura  donc  pas  même  a  cet  agc 
s'il  y  a  un  Dieu,  ou  s'il  n'y  en  a  point  :  tou- 
te la  nature  aura  beau  annoncer  la  gloire  de 
(on  Créateur,  il  n'entendra  rien  à  Ton  langa- 
ge !  îl  exiftera  fans    fçavoir  à  quoi  il  doit 
fon  exiftence  !  Et   ce   fera  la  (aine   railon 
elle-même  qui  le  plongera    dans   ces    ténè- 
bres !  C'eft  ainfi,  M.    T.  CF.  que  Paveu- 
gle  impiété  voudroit  pouvoir  obfcurcir  de 
fes   noires  vapeurs    le    flambeau  que  la  Re- 
ligion préfente  à  tous  les  âges  de  la  vie  hu- 
niaine.   Saint   Auguftin  railonnoit  bien  fur 
d'autres  principes ,  quand  il  difoit ,  en  par- 
lant des  premières  années   de    fa   jeuneffe: 
„  Je   tombai    dès  ce  temps-là  ,    Seigneur  , 
entre*  les  mains  de  quelques-uns  de  ceux 
",  qui  ont  foin  de  vous  invoquer-,  &  je  com- 
pris ,  par  ce  qu'ils  me  difoient  de  vous, 
",  &:  félon  les  idées  que  j'étois    capable  de 
^^  m'en  former  à  cet  âge-  là  ,  que  vous  étiez 
^^   quelque    chofe  de   grand  ,  &    qu'encore 
que  vous  fulliez  invifible ,  &  hors  de  la 

portée 


MANDEMENT.  xxr 

;;  portée  de  nos  fens  ,  vous  pouviez  nous 
„  exiiicer  &  nous  fecourii-.  Ai.ffi  commen- 
„  çai-je  dès  mon  enfance  à  vous  prier  ,  6c 
„  vous  regarder  comme  mon  recours  ôc 
5,  mon  appui  ;  ôc  à  mefure  que  ma  langue 
5,  le  dcnouoit  ,  j'employois  Tes  premiers 
„  monvemens  à  vous  invoquer.  "  (  X/5 
I.  Confejf.    Chap.  IX.) 

Continuons,  M.  T.  C.  F.  de  relever  les 
paradoxes  étranges  de  J'Auteur  dÉMILE. 
Après  avoir  réduit  Jes  jeunes  gens  à  une 
Ignorance  fi  profonde  par  rapport  sux  attri- 
buts &  aux  droits  de  la  Divinité ,  leur  ac- 
cordera-t-il  du  moins  l'avantage  de  fe  co"n 
noitre  eux-mêmes  ?  Sçauront-ils  fi  leur  amê 
€lt  une  (ubitance  abrolument  diflinguée  de 
Ja  matière  ?  ou  fe  regarderont-ils  comme 
des  êtres  purement  matériels  oc  fournis  aux 

?'iMTTr"î.  ^"  Méchanifme  ,  L'Auteur 
dhMILE  doute  qu'à  dix-huit  ans  il  foie 
encore  temps  que  fon  eleve  apprenne  s'il  a 
vme  ame  :  il  penfe  que  sU  Vapprej.d plutôt, 
il  court  rifqiu  de  ne  U  fç avoir  jamais  •  ne 
veut-i  pas  du  moms  que  la  jeuncfiè  (oit  fuf- 
ceptible  de  la  connoillance  dtks  devoirs> 
non.  A  1  en  croire,  //  71  v  a  m-^  rl^.  i-  ' 
^UT  •       ■/-■        .     -y  "■  V^^  «<^>f  objets 

phifiques   qui  puijjent  intérejjer  les  erfans 
Jur-tout  ceux  dont  on  ri  a  pas  t'veïlle  lava- 
nue     &  cju  onn  a  pas  corrompus  d'avance 
parle  poifon  de   l  opinion.  Il  veut  en   con- 
Icquence,   que    tous  ks  foins' de  la    pre 

B 


XXV j  M  AN  DE  M  EN  T.^  , 

miere  éducation  foieni  apphqviés  a  ce  qu  il 
y  a  dans  l'homme  de  matériel  &  de  tei- 
teÇivc-.Exercei,  dn-'û,fon  corps  ,  fcs  orga- 
nes ,  fis  fensjes  forces;  mais  teneifon  amt 
cïfive  ,  autant  quU  fe  pourra.  C'elt  que 
cette  oifiveté  lui  a  paru  necellaire  pour 
difpofer  Tame  aux  erreurs  qu'il  (e  propo- 
foit  de  lui  inculquer.  Mais  ne  vouloir  en- 
feigner  la  fagelTc  à  Phomme  que  dans  le 
tcmos  où  il  fera  dominé  par  la  fougue  des 
paffions  naiflantes  ,  n'eft  ce  pas  la  lui  pre- 
fenter  danî  le  deaein  qu'il  la  rejette  ? 

Qu'une  femblable  éducation  ,  M.   i,^.V. 
eft  oppofée  à  celle  que  prefcrivent,  de  con- 
cert,  la  vrave  Religion  &c  la  faine  railon  . 
Toutes  deux  veulent   qu'un  Maître  lage  & 
vigilant  épie  en  quelque  forte  dans  lon-Lle- 
ve  les  premières    lueurs    de  1  intelligence  , 
pour  roccup.' r  dss  attraits  de  la  vente-,  les 
pemicrs   mouvemcns  du   cœur  ,  pour    Je  ti- 
xer   par    les  charmes  de' la  vertu,  combien 
en  effet  n'elVil  pas  plus  avantageux  de  pré- 
venir les  obftacles,  que  d'avoir   a  les    lur- 
monter  ?  Combien  n'elVil  pas  a  craindre  que 
fi  les  impreffions  du  vice  précèdent  les  leçons 
tie  la  vertu  ,  l'homme  parvenu  a  un  certain 
W,  ne  manque  de  courage   ou  de  volonté 
pour  rélifter  au  vice  ?  Une  heurcufe   expé- 
rience ne  prouve-t-elle  pas  tous  les  jours , 
qu'après    les     dérèglements   dune     )eunelle 
imprudente   èc  emportée  ,  on  revient  cnha 

Bij 


MANDEMENT,  xxvîi 
aux  bons  principes  qu'on  a  reçus  dans  l'en- 
rance  ? 

Au  refte  ,  M.  T.  C.  F.  ne  foyons  point 
iurpns    que    l'Auteur    d'EMILE    remette  à 
un  temps  fi  reculé  la  connoiflance  de  l'exif- 
tence  de  Dieu:  il  ne  ne  la  croit  pas  nécelTai- 
re  au  falut.  //  ejl  clair,  dJt-il  par  l'organe 
d  un  perfonnage  chimérique  ,  il  ejl  clair  nm 
tel  hoftime parvenu  jiifqu  à  U  vuilleffe ,  fans 
oroire  en  Dieu  ,  ne  fera  pas  pour  cela  privé 
de  ja  préfence  dans  t autre  ,fi  f on  aveugle- 
ment n'a  point  été  volontaire ,  &  je  dis  au  il 
lie    l  ejt  pas  toujours.  Remarquez  ,  M,    T. 
C.  F.  qu'i^ne  s'agit  point  ici  d'un  homme 
qui    feroit   dépourvu   de  l'ufage  de   fa  rai- 
Ipn,   mais  uniquement  de  celui  dont  Ja  rai- 
Ion  ne  ferou  point  aidée    de   l'inftrudion  • 
^t  ,    une    telle   prétention   cft  fouveraine- 
nient  ab(urde,  fur-tout  dans  le  fyftême  d'un 
Ecrivain  qui  foutient  que  laraifoneft  abfolu- 
ment  faine.  Saint  Paul   afll.re  qu'entre   les 
1  htlofophes   Païens  ,  plulîeurs   font  parve- 
nus ,  par  les  feules  forces  de  la  raifon,  àla 
connoiaance  du  vrai  Dieu.  Ce  qui  peut  être 
connu  de  Dieu  ,  dit  cet  Apôtre  ,  leur  a  été 
manifejlé.  Dieu  le  leur  ayant  fait  connaître  % 
la  confidération  des  cho/es  qui  ont  été  faites 
dès  la  création  du  monde ,  leur  ayant  renduvi- 
fiblece  qui  ejl  invifible  en  Dieu,  fa puiffan- 
ce  même  éternelle  ,   &  fa   divinité  ,  enforte. 
qii  ils  font  fans  excuje  ,  puif qu'ayant  connu 


xxviîj     MANDEMENT. 
D'un ,  ils  ne  l'ont  point  glorifié  comme  Dieu  y 
&  ne  lui  ont  point  rendu  grâces  ;  mais  ils  Je 
font  perdus  dans  la  vanité  de  leur  raifijime- 
ment ,  &  leur  efprit  infenfé  a  été  obfcurci  : 
en  Ce  dïfant  fages ,  ils  font  devenus  fus  (/). 
Or  ,  fi  tel  a  été  le  crime  de  ces  hornmes, 
lefqaels ,  bien  qu'alHijettis  par  les  préjugés 
de  leur  éducation  au  culte  des  Idoles  ,  n  ont 
pas   lailTé   d'atteindre  à  la    connoiilance    de 
Dieu-,  comment   ceux   qui   n'ont  point   de 
pareils  obllacles  à  vaincre,  Teroient-ils  inno- 
cens  ôc  juftes ,  au  point  de   mériter  de  jouir 
de   la  préfence   de   Dieu  dans   l'autre   vie? 
Comment  feroient  ils  excuf.ibles  *(  avec  une 
raifon  faine,  telle  que  l'Auteur  la  ruppofe?) 
d'avoir  joui  durant  cette  vie  du  grand  Ipec- 
tacle  de  la  nature  ,  ôc  d'avoir  cependant  mé- 
connu  celui   qui  l'a  créée  ,  qui  la  conler- 
ve  ôc  la  gouverne. 

Le  même  Ecrivain,  M.  T.  C.  F.  embraUe 
ouvertement  le  Sccpticifme  par  rapport  à 
la  création  ôc  à  l'unité  de  Dieu.  Je  Jcais , 

(/)  Q^^od notum  eftDei ,  manifeftum  eft  in il- 
lis  :  Deus  enim  illis  manircrtavit.Invifibiliaenim 
ipfius ,  à  crcaturâ  mundl  per  ca  qubC  fada  iunt  , 
intelkaaconfl.jiciuntur  :  lempitcrna  quoque  cjus 
vitus&divinitas ,  ita  ut  fuit  in«:xcuflibi!es;  quui 
cumcognoviflcnt  Deum ,  non  ficut  Deum  glori- 
fîcaverùnt,aut  gratias  egerunt:  led  evanuerunt 
in  cogi tationibus  iuis,  &  obfcuratum  eft  mhpicns 
cor  cofum;  dicentcs  enimfe  cffc  fapicutcs,  lUilti 
faaifuat.Ko/n.c.  i.  ^.  19,  22. 


MANDEMENT.        xxix 
fait-il    dire    encore    au    perfonage    ruppofé 
qui  lui  fert  d'organe  :  je  Jçais  que  le  monde 
tPi  gouverné  par  une  volonté  puijjante  &  Ja- 
ge  •,  je  le  vois  ,  ou  plutôt  je  lejens  ,  &  cela 
m'importe  à  fcavoir:  mais  ce  même  monde 
ejî-il  éternel  ôu  créé  ?    Y  a  t-il  un  principe 
unioue  des  chofes  ?   Y  en  a-t  il  deux  ou  plu- 
Jîeurs y  ^quelle  ejî  leur  naturel  Je  n'enfç'ais 
rien  ,  &  que  m'importe  ?...  Je  renonce  à  des 
quejlions  oifeufes  qui  peuvent  inquiéter  mon 
amour  propre  ;  mais  qui  font  inutdes  à  ma 
conduite^   &  fupérieures  à  ma   rai  [on.    Que 
veut   donc    dire  cet    Auteur    téméraire  ?  Il 
croit  que  le  monde  eft  gouverné    par  une 
volonté  puilTante  &  fage  :  il  avoue  que  cela 
lui  importe  à  fçavoir  \  Se  cependant  ,  //  ne 
Je  ait ,  dit' il  ,  s'il  ny  a  qiiun  fcul  principe 
des  chofes  ^   ou  s'il  y  en  a  plulîeurs  :   &  il 
prétend  qu'il  lui  importe  peu  de  le  fçavoir. 
S'il  y  a   une  volonté  puiiîante  &  fage  qui 
gouverne  le  monde  ,  eft-il  concevable  qu'elle 
ne    foit  pas   Tunique   principe  des   chofes  ? 
Et   peut-il    être  plus  important    de  fçavoir 
l'un  que  l'autre?  Quel  langage  contradictoi- 
re  .'    Il    ne   fçait    quelle    ejl  la    nature    de 
Dieu  ,    &  bientôt  après  il  reconnoît  que  cet 
Etre    fuprême    eft    doué    d'intelligence,   de 
puitfance  ,   de  volonté  &   de  bonté  \  n'eft- 
ce  donc  pas- là  avoir  une  idée  de  la  nature 
divine  î    L'unité   de    Dieu    lui    paroît    une 
queftion  oifeufe  <^  fupérieure  à  fa  raifonj^ 

B  iij 


xxx  MANDE  M  E  N  T. 
comme  lî  la  multiplicité  des  Dieux  n'étoit 
pas  la  plus  grande  de  toutes  les  abfurdités. 
La  pluralité  des  Dieux  ^  dit  énergiquement 
TertuUien  ,  ejl  une  nullité  de  Dieu  *.  Ad- 
mettre un  Dieu  ,  c'cft  admettre  un  Etre  fu^ 
prême  indépendant  ,  auquel  tous  les  au- 
tres ttres  foient  fubordonnés.  Il  implique 
donc  qu'iil  y  ait  plulîeurs  Dieux. 

I!  n'efl  pas  étonnant  ,  M.  T.  C.  F.  qu'un 
homme  qui  donne  dans  de  pareils  écarts 
touchant  la  Divinité  ,  s'élève  contre  la  Re- 
ligion qu'elle  nous  a  révélée.  A  l'entendre  , 
routes  les  révélations  en  général  ne  font  que 
dégrader  Dieu  y  en  lui  donnant  des  paJ]ionA 
humaines»  Loin  d'éclaircir  les  nations  du 
grand  Etre  ,  pour  fuit- il  ,  je  vois  que  les 
dogmes  particuliers  les  embrouillent  ;  qu* 
loin  de  les  ennoblir  ,  ils  les  avilijjent  ; 
qu'aux  myjîeres  inconcevables  qui  les  envi' 
ronnenty  ils  ajoutent  des  contradiclions  abfur- 
des.  G'eft  bien  plutôt  à  cet  Auteur,  M.  T. 
C.  F.  qu'on  peut  reprocher  l'inconfcquencc 
&  l'abfurdité.  G'eil:  bien  lui  qui  dégrade 
Dieu  ,  qui  embrouille  ,  &  qui  avilit  les  no- 
tions du  grand  Etre  ,  puifqu'il  attaque  di- 
rectement Ton  elTence ,  en  révoquant  en  dou- 
te Ton  unité. 

11  a  fenti  que  la  vérité  de  la  Révélation 

*  Deus  cùm  fummum  magnum  fît  redle  Veri- 
tas nolira  pronuntiavit:  Dcus  fi  non  unus  ell  , 
non  eft,  Tenull,  ahirf.  Murçionan,  !.  i. 


MANDEMENT.  xxxj 

clivcnenne    ctoit    prouvce    par    ^es   bus;, 
mais    les  mirages  formant   une  des  princi- 
pales preuves   de   cette  révélation  ,    &    ces 
miracles  nous  ayant  été  tranlmis  par  la  voie 
àts  témoignages,  il  s'écrie  :  Quoi  !  toujours 
des  témoignages  humains!  toujours  des  hom- 
mes qui  me  rapportent  ce  que  d'autres  hom- 
mes ont  rapporte  ?    Que  d'hommes  entre  JJieu 
&  moi.'  Pour  que  cette  plamte  hulenee, 
M.  T.  C.  F.  il  taudroit  pouvoir   conclure 
que  la'  Révélation  eft  fauffe    dès  qu'elle   n'a 
point  été    faite  à  chaque   homme  en  parti- 
culier -,  il  faudroit  pouvoir  dire  :    Dieu    ne 
peut  exiger  de  moi  que  je  croie  ce  qu  on 
m'alTure  qu'il  a  dit,  dès  que  ce  n'elt  pas  di- 
redemcnt  à  moi  qu'il   a  adreflé  ^(a  parole. 
Mais  n'eft-il  donc  pas  une  infimte  de  taits  , 
même    antérieurs  à   celui  de  la  Révélation 
chrétienne  ,  dont  il  fcroit  abfurde  lie  dou- 
ter ?  Par    quelle   autre    voie  que    par  celle 
des    témoignages    humains   ,    l'Auteur    lui- 
même  a-t-il  donc  coiinu  cette  Sparte  ,  cette 
•  Athènes,  cette  Rome  ,  dont  il  vante  ii  lou- 
vent  &  avec  tant  d'aiîurance  les    loix  ,  les 
mœurs  &  les  héros?  Que  d'hommes  entre 
lui    &   les  événements  qui    concernent  les 
origines  &:  la  fortune  de  ces  anciennes  Repu- 
bliques !  que  d'hommes    entre    lui    Se    les 
Hiftoriens ,  qui  ont  confervé  la  mémoire  de 
ces  événements!  Son  Scepticifnie  n'eft  donc 
ici  fondé  que  fur  l'intérêt   de   ion  incredu,-- 
lité. 


xxxîj  ^      MANDEMENT. 

Quun  homme,  ajoute- t-il  plus  loin,  vien- 
ne nous  tenir  ce  langage  :  Mortels,  je  vous 
annonce^  les  volontés  du  très-Haut  :  recon- 
noljjei  ^  "^^  'VOIX  celui  qui  m'envole.  J'or^ 
donne  au  Soleil  de  changer  fa  courfe  ,  aux 
Etudes  de  former  un  autre  arrange- 
f^ient ,  aux  Montagnes  de  s  applanlr ,  aux 
Flots  de  s  élever  y  à  la  terre  de  prendre  un 
autre  afpeâ\  à  ces  merveilles  qui  ne  recon^ 
noUra  pas  à  Vlnjlant  le  Maître  de  la  na-^ 
ture  ?  Qui  ne  cioiroir,  M.  T.  C.  F.  que 
celui  qui  s'exprime  de  la  forte  ,  ne  demande 
qu'à  voir  des  n)iracles  pour  être  Chrétien? 
Ecoutez  toutefois  ce  qu'il  ajoute  :  Refce 
enfin  ,  dic-il  ,  'C examen   le   plus    Important 

dans  la  Doctrine  annoncée Aprts  avoir 

frouvé  la  Doctrine  par  le    miracle,    il  faut 

prouver    le    miracle    par    la   Doctrine 

Or  ,  que  faire  en  pareil  cas  ?  Une  feule  cho- 
fe  :  revenir  au  raifonnement ,  d»  laljfer  là 
les  miracles.  Mieux  eût  II  valu  n'y  pas  re^ 
courir:  ced  à-dire,  qu'on  me  montre  des  mi- 
racles, ôc  je  croirai:  qu'on  me  montre  des 
miracles,  &  je  refuferai  encore  de  croire. 
Quelle  inconfcquence  ,  quelle  abfurdité  l 
Mais  apprenez  donc  une  bonne  fois,  M. 
T.  C.  F.  que  dans  la  qucftion  des  mira- 
cles on  ne  fe  permet  point  le  fopliifme  re- 
proché par  rAineur  du  livre  de  I'Edu- 
CATION.  Quand  une  Dodrine  efi:  reconnue 
vraie,  divine,  fondée  fur  une  révéiaiioa  cejr- 


MANDEMENT.       xxxiij 
taine  ,  on  s'en  fert  pour    juger   des  mira- 
cles, c'eft- à-dire,  pour  rejetier  les  préten- 
dus prodiges   que   que   des  impofteurs  vou- 
droient    oppofer    à  cette   doctrine.    Quand 
il  s'agit  d'une  Dodrine  nouvelle  qu'on  an- 
nonce comme  émanée  du  fein  de  Dieu  ,  les 
miracles  font   produits  en  preuves -,  c'eft- à- 
dire  ,  que  celui  qui  prend  la  qualité    d'En- 
voyé du  Très-Haut ,  confirme  fa  miflîon  , 
fa  prédication  par   des   miracles  qui  font  le 
témoignage  même  de   la  Divinité.  Ainfi   la 
Dotcrinc  &c  les  miracles  font  des  argumetis 
refpedifs  dont  on  fait  ufige,  félon  les  di- 
vers points  de   vue  où  l'on    fe   place    dans 
l'étude   6c  dans    l'enfeignement  de  la  Reli- 
gion. Il  ne  fe  trouve -là,  ni.  abus  du  rai- 
fonnement  ,  ni  fophifme  ridicule  ,  ni  cercle 
vicieux.   C'efl:    ce  qu'on    a    démontré    cent 
fois  i  &  il  elt   probable   que  l'Auteur  d'E- 
mile   n'ignore    point   ces    dcmonfiraiions  : 
mais  dans  le  plan  qu'il  s'eft  fait  d'envelop- 
per, de    nuages     toute    Religion    révélée, 
.toute    opération    furnaturelle  ,   il  nous  im- 
pute   malignement    des    procédés    qui    des- 
'honorent  la  raifon^  il  nous  rcpréfente  com- 
'me,  dv^s  Er«houlîail:ss  ,  qu'un  faux  zeîe  aveu- 
gle au"  point    de   trouver    deux   principes  , 
Vun  ,'par  l'autre  ,  fans   diverHté  d'c^bjets  ni 
de    méthode.   Où    eft   donc ,  M.  T.   C.  F. 
la   bonne    foi   philofophique  dont    fe  pare 
çii  Ecrivain  ? 

Bv 


xxxîv        M  A  N  D  E  M  E  N  T. 

On  croiroit  qu'après  les  plus  grands  ef- 
forts pour  décréjiter  les  témoignages  hu- 
mains qui  attedent  la  Révélation  chrétien- 
ne ,  le  même  Auteur  y  défère  cependant 
de  la  manière  la  plus  pofitive  ,  la  plus  fo- 
Jemnelle.  11  faut  ,  pour  vous  en  convaincre, 
M.  T.  G.  F.  &  en  même-  temps  pour  vous 
édifier  ,  mettre  fous  vos  yeux  cet  endroit 
de  Ton  Ouvrage  .•  J'avoue  que  la  majejîé  de 
VEcriture  m'étonne  :  la  faintété  de  ï Evan- 
gile parle  à  mon  cœur.  P^oye:^  les  livres  des 
Fhilofophes  ,  avec  toute  leur  pompe  ,  qu'ils 
Jont petits  près  celui-là  !  Se  peut- il  qu'un, 
livre  à  la  fois  Ji  fuhlime  Ô'  Ji  Jimple  ,  Joie 
L'ouvrage  des  hommes  1  Se  peut- il  que  celui 
dont  il  fait  l'-hijloire  ,  ne  foit  qu'un  homme  , 
lui-même  î  Ejl-ce-là  le  ton  dun  enthoujlajle 
ou  d'un  ambitieux  Sectaire.''.  Quelle  dou- 
ceur! quelle  pureté  dans  fes  mœurs!  Quelle 
grâce  touchante  dans  fes  injîruclions  !  Quelle 
élévation  dans  fes  maximes  !  Quelle  projon- 
de  fageffe  dans  fes  di [cours  !  Quelle  préfence 
d'efprit  ^  quelle  finejfe  &  quelle  ju/leffe  dans 
fes  réponfes  !  Quel  empire  fur  Jes  pajfions}. 
Oii  ejî  l'homme  ,  oii  cfl  le  f âge  quifçait  agir  y 
foufirir  ô"  mourir  fans  Joiblefje  ,  &  fans 
ojîentation  ?  . . .  .  Oui ,  Jî  la  vie  Ô*  la  mort 
de  Socrate  font  d\in  Sage  ,  la  vie  d*  la  mort 
de  Je  fus  font  d'un  Dieu.  Dirons -nous  que 
rhifloire  de  l' Evangilç  eft  inventée  à  pldi- 
Jîr  ? Ce  n'ejl  pas  ainjl  qu'on  inverv^ 


MANDEMENT.  xxxv 
t€  ,  &  les  faits  de  Socrate  ,  dont  perfojine  ne 
doute  ^  font  moins  attejlés  que  ceux  de  JefuS' 

Chrifl //  ferou  plus    inconcevable   que 

plufïeurs  hommes  d'accord  eujjent  fabriqué 
ce  Livre  j  quil  ne  t efl  qu'un  feul  en  ait 
fourni  le  Jujet.  Jamais  les  Auteurs  Juifs 
neuffent  trouvé  ce  ton  ni  cette  morale  ,  d» 
H Evangile  a  des  caractères  de  venté  Jî 
grands  ,  fi  frappans  ,  Ji parfaitement  inimi^ 
viitables  ,  que  t  Inventeur  en  f croit  plus  éton- 
nant que  le  Héros.  Il  feroit  difficile  ,  M.  T. 
C.  F.  de  rendre  un  plus  bel  hommage  à 
l'authenticité  de  l'Evangile.  Cependant  l'Au- 
teur ne  la  reconnoît  qu'en  confequence  Ats 
témoignages  humains.  Ce  font  toujours 
des  hommes  qui  lui  rapportent  ce  que  d  au- 
tres hommes  ont  rapporté.  Que  d'honmies 
entre  Dieu  &  lui!  Le  voilà  donc  bien  évi- 
demment en  contradiârion  avec  lui-mcme.* 
le  voilà  confondu  par  les  propres  aveux. 
Par  quel  étrange  aveuglement  a  t-il  donc 
pu  ajouter  :  Avec  tout  cela  ce  même  Evan~ 
gile  efl  plein  de  chofes  incroyables  ,  de  chofes 
qui  répugnent  à  la  raifon  ,  O'  qu'il  eft  im"^ 
pofflhle  à  tout  homme  fenfc  de  concevoir  ni 
d'admettre.  Que  faire  au  milieu  de  toutes 
ces  contradictions  ;   être    toujours  modefie   & 

circonfpecl refpcéhr  en  fdence  ce  quon 

ne  fçauroit  ni  rejetter  ni  comprendre  ,  d» 
s  humilier  devant  le  grand  Etre  qui  feul 
fcait  la  vérité,    ^oilà  le  Scepiicifme  inyo-t 

B  V 


îcxxvj  MANDEMENT. 
lontaire  où  je  fuis  refte.  Mais  le  Sceptr- 
cifme,  M.  T.  C.  F.  peut-il  donc  être  in- 
volontaire ,  lorfqu'on  rcfiife  de  fe  fou- 
mettre  à  la  Doctrine  d'un  Livre  qui  ne 
fçauroit  être  inventé  par  les  hommes  î  Lorf- 
que  ce  Livre  porte  des  Garaderes  de  vé- 
rité fi  grands  ,  li  t'rappans ,  h  partaitement 
inimitables  ,  que  l'Inventeur  en  feroit  plus 
étonnant  que  le  Héros  î  C'efl  bien  ici  qu'on 
peut  dire  que  t iniquité  a  menti  contre  elle- 
TJiêrne   (g). 

Il  femble  ,  M.  T.  C,  F.  que  cet  Auteur 
iVa  rejette  la  Révélation  que  pour  s'en  te- 
nir à  Ja  Religion  naturelle  :  Ce  que  Dieu 
y  eut  quun  homme  faffe  ,  dit-il  ,  il  ne  le  lui 
fait  pas  dire  par  un  autre  homme  ,  il  le  lui 
dit  à  Lui-même  ,  il  l'écrit  au  jond  de  fon 
cxur .  Quoi  donc  !  Dieu  n'a-t-il  pas  écrit 
au  fond  de  nos  cœurs  l'obligation  de  fe 
foumettre  à  lui  ,  des  que  nous  fommes  fûrs 
que  c'ell:  lui  qui  a  parlé  ?  Or  quelle  certi- 
tude n'avons-nous  pas  de  fa  divine  parole! 
Les  taits  de  Socrate  ,  dont  psrfonne  ne 
doute  ,  font  de  l'aveu  même  de  l'Auteur 
d'EMiLE  ,  moins  atteftés  que  ceux  de 
Jefus-Chrirt.  La  Religion  naturelle  con- 
duit donc  elle-même  à  la  Religion  révélée. 
Mais  eft  il  bien  certain  qu'il  admette  mcmc 
la  Religion  naturelle  ,  ou  que  du  moins  il 

)      Mentita  ell  iuiquitas  fibi.  ?fd,  26.  v,  ix-. 


M  AN  DE  M  E  N  T.  xxxvi/ 
en  reconnoifle  la  nécefïîté?Non,  M.  T.  CF. 
Si  je  me  trompe  ,  dit-il,  c'ert  de  bonne  foi, 
Cela  me  fujj:t ,  pour  que  mon  erreur  même 
ne  me  foit pas  imputée  à  crime.  Quand  vous 
vous  trompcriei  de  même  il  y  auroit  peu 
de  mal  à  cela  ;  c'ellà-dire,  que  félon  lui 
il  iutfit  de  fe  perfuader  qu'on  eft  en  pof- 
feffion  de  la  vérité  s  que  cette  perfuafion  , 
tut-elle  accompagnée  des  plus  monftrueufes 
erreurs  ,  ne  peut  jamais  être  un  fujet  de  re- 
proche ^  qu'on  doit  toujours  regarder  com- 
me un  homme  fage  &  religieux  celui  qui, 
adoptant  les  erreurs  mêmes  de  l'Athéifme  , 
dira  qu'il  eft  de  bonne  foi.  Or,  n'eft-ce 
pas-là  ouvrir  la  porte  à  toutes  les  fuperfti- 
tions,  à  tous  les  hftêmes  tinatiques,à  tous 
les  délires  de  refprit  humain  î  N'eft-ce  pas 
periT»ttre  qu'il  y  ait  dans  le  monde  autant 
de  Pveligions  ,  de  cultes  divins,  qu'on  y 
compte  d'Habicans  ?  Ah  !  M.  T.  C.  F.  ne 
prenez  point  le  change  fur  ce  point.  La 
bonne  foi  n'eft  eftimab'e,  que  quand  elle 
eft  éclairée  &  docile.  Il  nous  eft  ordonné 
d'étudier  notre  Religion  ,  &  de  croire  avec 
fïmpliciré.  Nous  avons  pour  garant  à&s  pro- 
mcftes  l'autorité  de  l'Eglife  :  apprenons  à 
la  bien  connoître ,  &  jeitons  nous  enfuite 
dans  fon  fein.  Alors  nous  pourrons  comp- 
ter fur  nntre  bonne  foi ,  vivre  dans  la  paix, 
&  attendre  ,  fans  trouble  j  le  moment  de  la 
lumière  étenielie. 


xxxviij    MANDEMENT. 

Quelle  infigne  mauvaife  toi  n'éclate  pas 
encore  dans  la  manière  dont  rincrcdule  , 
que  nous  réfutons,  fait  raifonner  le  Chré- 
tien &  le  Catholique  !  Quels  difcours  pleins 
d'inepties  ne  prête-t-il  pas  à  l'un  &  à  l'au- 
tre ,  pour  les  rendre  méprifables  !  Il  ima- 
gine un  Dialogue  entre  un  Chrétien  qu'il 
traite  à'Infpiré  ^  &  l'incrédullc  qu'il  quali- 
fie de  Raifonneur  i  &  voici  comme  il  fait 
parler  le  premier  :  La  raifon  vous  apprend 
que  le  tout  ejl  plus  grand  que  fa  partie  -,  mais 
moi  je  vous  apprends  ,  de  la  part  de  Dieu , 
que  cejl  la  partie  qui  ejl  plus  grande  que 
le  tout  ;  à  quoi  l'Incrédule  répond  j  Et  qui 
êtes  -  vous  pour  m'ofer  dire  que  Dieu  fe  con- 
tredit ,  &  à  qui  croirai  je  par  pre'jcrence  , 
de  lui  qui  rri  apprend  par  la  raijhn  des  vé- 
rités éternelles  j  ou  de  vous  qui  manitBnu:{_ 
de  fa  part  une  abfurdite'i 

Mais  de  quel  front  ,  M.  T.  C.  F.  ofe- 
t-on  prêter  au  Chrétien  un  pareil  langage  ? 
Le  Dieu  de  la  Raifon  ,  difons-nous  ,  ell 
auflî  le  Dieu  de  la  Révélation.  La  Raifon 
&  la  Révélation  font  les  deux  orgines  par 
lefquels  il  lui  a  plu  de  fe  faire  entendre  aux 
hommes ,  foit  pour  les  inftruire  de  la  vé- 
rité ,  foit  pour  leur  intimer  (es  ordres.  Si 
l'un  de  ces  deux  organes  étoit  oppofé  à 
l'autre,  il  efl:  confiant  que  Dieu  feroit  en 
contradidion  avec  lui  même.  Mais  Dieu 
ic  contredii-il ,  parce   qu'il  commande-  de 


M  AND  E  M  E  N  T.  xxxk 
croire  des  vérités  incompréhenfîbles }  Vous 
dites,  ô  impies,  que  les  Dogmes,  que  nous 
regardons  comme  revclés  ,  combattent  les 
vérités  éternelles  :  mais  il  ne  fuffit  pas  de  Je 
dire.  S'il  vous  étoit  poffible  de  le  prouver  , 
il  y  a  long-tems  que  vous  l'auriez  fait,  Ôc 
que  vous  auriez  pouffé  des  cris  de  vidoire. 
La  mauvaife  foi  de  l'Auteur  d'ÉM  i  le  , 
n'eft  pas  moins  révoltante  dans  le  langage 
qu'il  fait  tenir  à  un  Catholique  prétendu. 
Nos  Catholiques  ,  lui  fait-il  dite  ,  font  grani 
bruit  de  l'autorité  de  ïEgUfe  ;  mais  que  gag- 
nent-ils a  cela  ?  s  il  leur  faut  un  aujjl  grand 
appareil  de  preuves  pour  établir  cette  autori- 
té ^  quaux  autres  feclcs  ,  pour  établir  direc^ 
tement  leur  doctrine.  VEglife  décide  que  CE-  . 
glifc  a  droit  de  décider  ;  ne  voila-til  pas  une 
autorité  bien  prouvée  f  Qui  ne  croiroit,  M. 
T.  C.  F.  à  entendre  cet  impofteur  ,  que 
l'autorité  de  l'Eglife  n'eft  prouvée  que  par 
fes  propres  Décifions  ,  &  qu'elle  procède 
ainiî  .•  Je  décide  que  je  fuis  infaillible  ,  donc 
je  le  fuis.  Imputation  calomnicufe  ,  M.  T. 
C.  F.  La  Conftitution  du  Chnftianirme  , 
l'eiprit  de  TEvangile^  ,  les  erreurs  mêmes 
&  la  foibicffe  de  l'eTprit  humain  ,  tendent 
s.  démontrer  que  rEgiife  ,  établie  par  Jefus- 
Chrill  ,  eil:  une  Egiife  infaillible.  Nous  af- 
lurons  q^ie  ,  comme  ce  Divin  Légiflateur  a 
toujours  cnfcigné  la  vérité,  fon  Egiife  l'cn- 
feignc  auffi  toujours.  Nous  prouvons  donc 


xl         MANDEMENT, 
l'autorité  de  l'Eglife  ,  non  par  l'autorité  de 
TEglife  ,  mais  par  celle   de  Jelus  -  Chrift  : 
procédé  non  moins  exact  ,  que  celui  qu  on 
nous  reproche  eft  ridicule  &  infenfé. 

Ce  n'eft  pas  d'aujourd'hui  ,  M.  T.  CF. 
que  refprit  d'irréligion  eft   un  efprit  d'in- 
dépendance ôc  de  révolte.  Ec  comment ,  en 
effet  ,    ces  hommes  audacieux  ,  qui  rctufent 
de  fe    foumettre  à  l'autorité    de  Dieu  mê- 
me ,  refpeâ:eroient-ils  celles  des  Rois  ,  qui 
font  les  images  de  Dieu,  ou  celles  des  Ma- 
giftrats  q.ti  font  les  images  des  Pvois  ?  Son- 
ge, dit  l'Auteur  d^ExiiLE  à  fon  Elève  ,  (/«'^Z- 
le  (  TcTpéce  humaine  ,  )  eft  compofc'e  ejjentiel- 
lement  de    la   colleclion  des   Peuples  ;    que 
quand  tous  les  Rois  en  feraient  êtes  ,  il  ny 
paroîtroit  guéres ,  &  que  les  cho/es  nen  iraient 
pas  plus  mal,,.   Toujours,  dit-il  plus  loin  , 
la  multitude  fera  faaifiée  au  petit  nombre  , 
d*   l'intérêt  public  ,  à  r intérêt  particulier  , 
toujours  ces  noms  fpècieux  de  Jujîice  &  de 
fubordination  ferviront  d'injlrumensàla  vio- 
lence ,  &  d'armes  à  l'iniquité.  lypli  il  fuit , 
continue -t'il  ,   que  les  Ordres  difingués,  qui 
fe  prétendent  utiles  aux  autres. ,.  ne  font  ,  en 
effet ,  utiles  qu  à  eux— mêmes  aux  dépens  des 
autres.,  Par  oii  juger  de  la  co'nfidcration  qui 
leur  efl' due  ,  félon  lajufiicc  &C  la  ralfofh'i 
Ainfi  donc  ,  M.  T.  C.  F.J'impiecé  pfe  cri- 
tiquer les  intentions  de  celui  par  qui  regneiit 
les  Rois  [h]:  ainfi  elle  fe  plaît  à  empoifon- 
^'   LM  P<^i^  tt^^  R-'2<^^  r(;gaiiit.  Proy,  c.  8.  v.  15 


M  A  N  D  E  M  E  N  T.  xI; 
nef  les  fources  de  la  félicite  publique  ,  en 
fouillant  des  maximes  qui  ne  tendent  qu'à 
produire  l'anarchie  ,  &  tous  les  malheurs 
qui  en  font  la  fuite.  Mais  que  vous  dit  la 
Religion  î  Craignei  Dieu  ,  Refpecîei  le  Roi  u 
[i]  que  tout  homme  fait  fournis  aux  Puiff an- 
ces  Supérieures  ;  car  il  n'y  a  point  de  Puif- 
Jance  qui  ne  vienne  de  Dieu  \  &  c^ejl  lui  qui 
a  établi  toutes  celles  qui  font  dans  le  mon- 
de. Quiconque  rejîjîe  donc  aux  Puiffances  ^ 
T^'éffle  à  V ordre  de  Dieu  \  &  ceux  qui  y  ré- 
Jifent  ,  attirent  la  condamnation  fur  eux- 
mêmes.  [/(  ] 

Oui  ,  M.  T.  C.  F.  dans  tout  ce  qui  eft 
de  l'ordre  civil  ,  vous  devez  obéir  au  Prin-. 
ce,  &  à  ceux  qui  exercent  fon  autorité,  com- 
me à  Dieu  même.  Les  feuîs  intérêts  de  l'E- 
tre faprcme  peuvent  mettre  des  bornes  à  no- 
tre foumiiiîon  i  &■  h  on  vouloit  vous  punir 
de  votre  fidélité  à  fes  ordtes  ,  vous  devriez 
encore  fouffrir  avec  patience  &  fans  murmu* 
re.  Les  Néron  ,  les  Domitien  eux-mêmes, 
qui  aimèrent  mieux  être  les  fléaux  de  la  ter- 

[  ï  ]  Deum  tiraete  ^  Regem honorificate.  i. 

Perr.    c.   2.  v.  2. 

[  k  ]  Omnis  anima  potefîatibus  fublimiori- 
bus  fubdita  fit  :  non  cfi:  cn'm  poteiias  nifi  à 
Dec  :  quse  autcm  funt ,  à  Deo  ordinatne  funt. 
Itaque  ,  qui  rcfiflit  potirfiati ,  Dci  ordinationi 
refiftit.  Qui  autem  rtli/iunt  ,  ipfi  libi  daiiina- 
tionem  acqulrunt.  Kom,  c.  13.  v.  j.  z. 


xlij  MANDEMENT.  ^ 
re,  que  les  Pères  de  leurs  Peuples  ,  n'etoient 
compcables  qu'à  Dien  de  l'abus  de  leur  puiC- 
fance  Les  Chrétiens  ,  dit  Samc  Auguilin  , 
leur  ohéijfo'unt  dans  le  temps  ,  a  caufe  du 
Dieu  de  l Eternité,  {l) 

Nous  ne  vous  avons  pas  expolc ,  M.  T.  U. 
F.  qu'une  partie  des  impiétés  contenues  dans 
ce  Traité  de  l'Education  :  Ouvrage  cgale- 
nicnt  digne  des  anathcmes  de  TEglife,  &de 
la  feverité  des  Loix  .•  &  que  faut-il  de  p'us 
pour  vous    en   infpirer  une  Julie  horreur  ? 
Malheur  à  vous  ,  malheur  à.  la  Société  5   li 
vos  enfans  étoicnt  élevés  d'après  les  princi- 
pes de  l'Auteur  d'ÉMiLE.  Comme  il^  n'y  a 
que  la  Religion  qui  nous  ait  appris  à  con- 
noîcre  l'homme  \  fa  grandeur  ,  fa  misère  ,  fa 
deftinée  future  ,  il  n'appartient  auiu  qu'à  el- 
le feule  de  former  Gi  railon,  de  pcifecbion- 
ner   fes  mœurs  ,  de  lui  procurer  un  bonheur 
folide  dans  cette  Vie  &  dans  l'autre.   Nous 
fçavons  /  M.  T.  C.  F.  combien  une  éduca- 
tion vraiment  chrétienne  efk  délicate  &  la- 
borieufe  •'  que  de  lumières  &  de  prudence 
n'exige-t'elle  pas  1  Quel  admirable  mélange 
de  douceur  &:  de  fermeté  1  Qu.-lle  fagacitc 
pour  le  proportionner  à  la  ditierence    des 
conditions,  des  âges,  des  temperamens  6>: 
des  caradcres  ,  fans  s'écarter  jamais  en  rien 

(  /  )  Subditi  erant  propter  Dominum  aeter- 
num  ,  etiam  Domino  tempoiali.  Auguf,  htuiv 
Tat.  in  Pfal.  1 14. 


MANDEMENT,  v!;t| 
des  règles  du  devoir  !  Quel  zélé  ëc  quelle 
patience  ,  pour  faire  fru6tilier  dans  de  jeu- 
nes cœurs  le  germe  précieux  de  rismcccn- 
ce  ,  pour  en  déraciner,  autant  qu'il  eit  pof- 
fible  ,  ces  penchans  vicieux  ,  qui  font  les  tri- 
lles effets  de  notre  corruption  héréditaire  ", 
€n  un  mot  ,  pour  leur  apprendre  ,  fuivantla 
Morale  de  Saint  Paul  ,  à  vivre  en  ce  monde 
izvec  tempérance  ,  félon  la.  jufiice  ,  ^  avec 
pieté  ,  en  attendant  la  béatitude  que  nous  ef- 
perans.  (  m  )  Nous  di(ons  donc  à  tous  ceux 
qui  (ont  chargés  du  foin  également  pénible 
6c  honorable  d'élever  la  Jeuneile  :  Plantez 
&  arrofez  dans  la  ferme  efpérance  que  le 
Seigneur  ,  fécondant  votre  travail  ,  donne- 
ra l'accroilTement  >  injijlei  à  tems  y  à  contre- 
tems  ,  félon  le  confeil  du  même  Apôtre  : 
ufe^  de  reprimar^de  ,  d'exhortation,  de  paro- 
les ftveres  ,  fins  perdre  patle%ce  ,  &  fans 
cejfcr  d' inftruire.  (n)  Sur -tout  joignez  l'ex- 
emple à  l'inflrudlion  j  TinflruéVion  fans  l'ex- 
emple ,  ert:  un  opprobre  pour  celui  qui  la 
donne  ,  &  un  fujet  de  fcandale  pour  celui 
qui  la  reçoit.  Que  le  pieux  ôc  charitable  To- 

[  m  ]  Erudiens  nos  ,  ut  abnegantes  impie- 
tatem  Ôc  fjecularia  defîderia  ,  Tobriè  &  julit;  ôc 
piè  vivamus  in  hoc  feculo  ,  exptûantes  bca- 
tam  fpcm.   Tir.  c.  2,  v.  12.  13. 

(n)  Infta  opportunj  ,  importuné  j  argue ,  ob- 
fecra  ,  increpa  in  omni  patientiâ  ôi  doftrinâ. 
2.  Timoïk.  c.  4,  V.  I.  &  2. 


xUv  M  A  N  DE  MENT. 
bie  foit  votre  m oJéle  :  récontmandez  avec 
Join  à  vos  en/ans  ,  de  faire  des  œuvres  de 
jiijlice  j  &  des  aumônes  ,  de  fe  fouvenir  de 
Dieu  ^  ^  de  le  be  lir  en  tout  tems  dans  la 
vérité  ,  &  de  toutes  leurs  forces  ;  {  a  )  ôc 
votre  poftencé  ,  comme  celle  de  ce  Saint 
Patriarche  ,  fera  aimée  de  Dieu  &  des  houi' 
mes.   [p)  ^  _      ^ 

Mais  en  quel  tems  de  Peiucation  dou-Ci- 
le  commencer  î  Dès  les  premiers  rayons  de 
l'intelligence  -,  &  ces  rayons  (ont  quelque- 
fois prématsirés.  Formel  t enfant  à  feutrée 
de  fa  voye  ,  dit  le  Sage  ;  dans  fa  vieilleffe 
même  il  ne  s'en  écartera  point.  [</]  Tel  elt 
en  effet  le  cours  ordinaire  de  la  vie  humai- 
ne :  au  milieu  du  délire  des  p.ifiions,  &  dans 
le  feJn  du  libertinage  ,  les  principes  d'une 
éducation  chrétienne  ,  font  une  lumière  qui 
fe  ranime  lyr  intcrvaUcî  ,  pour  découvrir 
au  pécheur  toute  l'horr-fur  de  l'abyme  où  il 
eft  plongé,  &c  lui  en  montrer  les  illues.  Com- 
bien encore  une  fois ,  qui ,   après  les  écarts 

[o]  Filiis  veirris  mandate  ,  ut  iaciant  jufii- 
cias  &  eleemorinas  ,  ut  tint  memores  Dei ,  ^ 
benedicant  tum  in  ornai  tempore  ,  in  veritate 
&  in  tota  virtute  fuâ.  Toh.  c.  14.  y.  11. 

(p)  Omnis  autem  cognatio  ejus  ,  &  om- 
nis  gcneratio  ejus  ,  in  bona  vita  &  in  fanda 
convcrfatione  permanfit  ,  ita  ut  accepti  elllnt 
tam  Deo  quàm  hominibus  ,  &  cunâ;is  habita- 
toribus  in  terra.  "Ji/'ii.  v.  17. 

[  c;  ]  AdokTcens  juxta  viam  fuam  ,  etiam  c'un 
fcnueric  ,  non  recedet  ab  ea.  Fro'.  c.  z'-     -  ^^^ 


MANDEMENT.^  xlv 
d'une  jeunelle  licentieule  ,  font  rentrés,  par 
l'impreffi.^n  de  cette  lumière  ,  dans  les  rou- 
tes de  la  (agelle  ,  &  ont  honoré  ,  p.u  des 
vertus  tardives,  mais  lînceres ,  l'humanité, 
la  Patrie  ,  &  la  Religion! 

Il  nous  refte  en   faniilant  ,  M.    T.   C.  F. 
à  vous  conjurer  ,  par  les  entrailles  de  la  mi- 
fcricorde  de   Dieu,  de    vous    attacher    in- 
violablement  à  cette   Religion  fainte  ,  dans 
laquelle    vous   avez   eu   le   bonheur   d'être 
élevés;  de  vous    fouienir  contre  le  débor- 
dement d'une  Philofopliie  infenfée  ,  qui  ne 
fe  propofe   rien  de    moins   que    d'envahir 
l'héritage   de  Jefus-Chrill  ,   de    rendre    fes 
promeiTes  vaines  ,  Ôc  de   le  mettre  au    rang 
as    ces    Fondateurs     de   Religion ,  dont  la 
doctrine    frivole  ou    pernicieufe  a  prouvé 
rimpofture.  La   Foi  n'elT:  méprifée  ,  aban- 
donnée ,   infultée  ,  que  par   ceux  qui  ne  la 
connoiffent  pas  ,  ou  dont  elle  gcne  les  dé- 
fordres.  Mais  les  portes   de  l'Enfer  ne  pré- 
vaudront jamais    contr'elle.  L'Eglife  Chré- 
tienne &  Catholique  eft  le  commencement 
de  l'Empire  éternel   de    Jefus-Chrifl:.   Rien 
de  plus  fort   quelle  ,   s'écrie   S.    Jean   Da- 
mafne  j  c'eft  un  rocher  que  les  flots  ne   ren- 
yerfent  point  \  c'cjï  une  montagne  que  rien  ne 
peut  détruire  (r). 

(  r  )  Nihil  Ecckfia  vaV'nt'us  ,  rup»;  tbrtior 
eft  —  femper  vigtrt ,  cur  eam  fjriptura  monttm 
appelbvit.''  Uriquc  quia  evertinon  potell.  Dn- 
mafc.  Tome  2.  p.  461  ,    463. 


xlv)        MANDEMENT. 

À  CES  CAUSES ,  VU  le  Livre  qui  a  pour 
titre  :  Emile  ,  ou  de  VEducation  ,  par  J.  /. 
Koujfeau  ,  Citoyen  de  Genève,  yimjter- 
dam  y  chei  Jean  Neaulme  ,  Libraire.  17^2.. 
Après  avoir  pris  l'avis  de  plulieurs  psrfon- 
nes  distinguées  par  leur  piété  ôc  par  leur 
fçavoir  ,  le  faint  nom  de  Dieu  invoqué  , 
Nous  condamnons  ledit  Livre,  comme  con- 
tenant une  dodlrine  abominable  ,  propre 
à  renverfer  la  Loi  naturelle  ,  &  à  détruire 
\ts  fondemens  de  la  Religion  Chrétienne  \ 
étâbliffant  des  maximes  contraires  à  la  Mo- 
rale tvangeliquc  ,  tendant  à  troiibler  la 
paix  des  États  ,  à  révolter  les  Sujefs  con- 
tre l'autorité  de  leur  Souverain  .•  comme 
contenant  un  très-grand  nombre  de  pro- 
portions refpéélivemcnt  faulles ,  fcnndaleu- 
fes  .  pleines  de  haine  contre  l'Eglife  &  les 
Minières  ,  dérogeantes  au  refped:  dû  à  l'E- 
criture Sainte  ,  &  à  la  Tradition  de  l'E- 
glife ,  erronées  ,  impics  ,  blafphématoires 
&  hérétiques.  En  conféquence.  Nous  dé- 
fendons très-expreflcment  à  toutes  perfon- 
nes  de  notre  Diocefe  de  lire  ou  retenir  le- 
dit Livre  ,  fous  les  peines  de  droit.  Et  fe- 
ra notre  préfent  Mandement  lu  au  Prône 
des  Melles  Paroiffiales  des  Eglifes  de  la 
Ville  ,  Fanxbourgs  &:  Diocefe  de  Paris , 
publié  &  aifiché  par-tout  où  befoin  fera. 
Donné  à  Paris,  en  notre  Palais  Archié- 
pifcopal  ,  le  10.  Aoilt  1761. 
^/^/z^',  CHRISTOPHE,   Archev.  de  Paris. 


t 


J.  JACQUES  ROUSSEAU, 

CITOYEN    DE    GENEVE, 

A 

CHRISTOPHE   DEBEAUMONT, 

ARCHEVESQUE  D  E  PARIS, 

OuRQuoi  faut-il  ,  Monfei- 
gneur  ,  que  j'aie  quelque  chofc 
à  vous  dire?  Quelle  langue  com- 
mune pouvons- nous  parler  ,  com- 
menc  pouvons-nous  nous  entendre,  <Si:qu'y 
a-t-il  entre  vous  &   moi  ? 

Cependant,  il  faut  vous  répondre  -,  c'efl: 
vous-même  qui  m'y  forcez.  Si  vous  n'cuf- 
fîez  attaqué  que  mon  Livre  ,  je  vous  aurois 
lailTé  dire  ;  mais  vous  attaquez  aulTi  ma  per- 
fonne-,  &  ,  plus  vous  avez  d'autorité  par- 
mi ks  hommes  ,  moins  il  m'efl:  permis  de  me 
taire  ,  quand  vous  voulez  me  déshonorer. 

Je  ne  puis  m'empccher  ,  en  commen- 
çant cette  Lettre  ,  de  réfléchir  fur  les  bi- 
zarreries de  ma  dcftinée.  Elle  en  a  qui  n'ont 
été  que  pour  moi. 


t  LETTRE 

J'étois  né  avec  quelque  talent  i  le  pu- 
blic l'a  jugé  ainfi.  Cependant  fai  p  a  lié  ma 
jeuneflie  dans  une  heureufe  oblcurité  ,  dont 
je  ne  cherchois  point  à  (ortir.  Si  je  l'avois 
cherché  ,  cela  même  eût  été  une  bizarre- 
rie que  durant  tour  le  teu  du  premier  âge 
je  n'eulle  pu  réuflïr  ,  &  que  j'euffe  trop 
ïéufli  dans  la  fuite,  quand  ce  feu  commen- 
çoit  à  pafler.  J'approchois  de  ma  quaran- 
tième année  ,  5c  j'avois  ,  au  lieu  d'une  for- 
tune que  j'ai  toujours  méprifce  ,  ôc  d'un 
nom  qu'on  m'a  fait  payer  C\  cher,  le  repos 
&  des  amis  -,  les  deux  feuls  biens  dont  "mon 
cœur  foit  avide.  Une  miferable  queftion 
d'Académie  m'agitant  l'efprit  malgré  moi, 
ine  jetta  dans  un  métier  pour  lequel  je  n'é- 
tois  point  fait  -,  un  fuccès  inattendu  m'y 
montra  des  attraits  qui  me  féduilirent.  D^s 
foules  d'adverfaires  m'attaquèrent  fansm'en- 
tendre  ,  avec  une  étourderie  qui  me  donna 
de  l'humeur  ,  &  avec  un  orgueil  qui  m'en 
infpira  peut-être.  Je  me  détendis,  &,  de 
difpute  en  difpute,  je  me  fcntis  engagé  dans 
Ja  carrière  ,  prefque  fans  y  avoir  pcnfé.  Je 
me  trouvai  devenu,  pour  ainfi  dire,  Au- 
teur à  l'âge ,  où  Ton  celfc  de  l'ctre  ,  6c  hom- 
me de  Lettres  par  mon  mépris  mcrne  pour 
cet  état.  Dès-là  je  fus  dans  le  public  quel- 
que chofe  -,  mais  auflî  le  repos  &  les  amis 
difparurent.  Quels  maux  ne  (ou&ris-je 
point  avant  de  prendre  une  aflîette  plus  fixe, 
^  des  aicachemenis  plus  heureux  î  11  ^  fallut 

dévorer 


A  M.  DE  BEAUMÔNT.  3 

dévorer  mes  peines  j  il  ialut  qu'un  peu  de 
réputation  me  tint  lieu  de  tout.  Si  c'eft:  ua 
dédommagement  pour  ceux  qui  font  tou- 
jours loin  d'eux-mêmes ,  ce  n'en  fut  jamais 
un  pour  moi. 

Si  j'eufle  un  moment  compté  fur  un  bien, 
lî  frivole  ,  que  j'aurois  été  promptement 
défabufé  !  Quelle  inconftance  perpétuelle 
n'ai-je  pas  éprouvé  dans  les  jugem.ens  du  pu- 
blic fur  mon  compte  '  j'étois  trop  loin  de  lui  ; 
ne  me  jugeant  que  lur  le  caprice  ou  l'intérêc 
de  ceux  qui  le  mènent,  à  peine  deux  jours  de 
fuite  avoit-il  pour  moi  les  mêmes  yeux. 
Tantôt  j'étois  un  homme  noir,  ôc  tantôt  ua 
ange  de  lumière.  Je  me  fuis  vu  dans  la  mê- 
me année  vanté,  fêté ,  recherché ,  même  à  la 
Cour  j  puis  infulté,  menacé,  détefté  ,  mau- 
dit :  les  foirs  on  m'attendoit  pour  m'aiîaffiner 
dans  les  rues;  les  matins  on  m'annonçoit 
une  lettre  de  cachet.  Le  bien  Se  le  mal  cou- 
loient  à  peu  près  de  la  même  fource  :  le  tout 
me  venoit  pour  des  chanfons. 

J'ai  écrit  fur  divers  lujets  ,  mais  toujours 
dans  les  mêmes  principes  :  toujours  la  même 
morale,  la  même  croyance,  les  mêmes  ma- 
ximes, &,  f\  Ton  veut,  ks  mêmes  opinions. 
Cependant  on  a  porté  des  jugemens  oppofés 
de  mes  livres,  ou  plutôt ,  de  l'Auteur  de  mes 
livres  j  parce  qu'on  m'a  jugé  (ur  les  matières 
que  j'ai  traitées,  bien  plus  que  fur  mes  fenti- 
mens.  Après  mon  premier  difcours  ,  j'étois 
un  homme  à  paradoxes,  qui  le  faifoit  unieu 

G 


-4  LETTRE 

de  prouver  ce  qu'il  ne  penfoit  pas.  Après  rua 
lettre  fur  la  Mulîque  Françoife  ,  j'étois  l'en- 
nemi déclaré  de  la  Nation  j  il  s'en  talloit  peu 
qu'on  ne  m'y  traitât  en  confpirateur  -,  on  eût 
dit  que  le  fort  d'"  la  Monarchie  étoit  attaché 
à  la  gloire  de  l'Opéra:  après  mon  difcours 
fur  l'inégalité,  j'étois  Athée  &Z  Mifanthrope  : 
après  la  lettre  à  M.  d'Alembert ,  j'étois  le  dé- 
fenfeur  de  la  Morale  Chrétienne:  après l'Hé- 
loïTe,  j'étois  tendre  &  doucereux:  maintenant 
je  fuis  un  impie*,  bientôt  peut-être  lerai-je  un 
dévot. 

Aind  va  flottant  le  fort  public  fur  mon 
compte,  fçachant  auflî  peu  pourquoi  il  m'a- 
bhorre ,  que  pourquoi  il  m'aimoit  aupara- 
vant. Pour  moi,  je  fuis  toujours  demeuré  le 
même  i  plus  ardent  qu'éclairé  dans  mes  recher- 
ches ,  mais  luicere  en  tout  ,  même  contre 
moi-,  ilmple&:  bon, mais  renfible&  foible, 
faifant  fouvent  le  mal  &  toujours  aimant  le 
bien  •,  lié  par  l'amitié  ,  jamais  par  les  chofes  , 
&:  tenant  plus  à  mes  fentimens  qu'à  mes  in- 
térêts-, n'exigeant  rien  des  hommes,  Si.  n'en 
voulant  point  dépendre,  ne  cédant  pas  plus 
à  leurs  préjugés  qu'à  leurs  volontés,  &  gar- 
dant la  mienne  auffi  libre  que  ma  raifon: 
craignant  Dieu  fans  peur  de  l'Enter-,  raifon- 
nant  fur  la  Religion  (ans  libertinage:  n'ai- 
mant ni  l'impiété ,  ni  le  tanatifme  ;  mais  haïlr 
(ant  les  intolcrans  encore  plus  que  les  efprits 
forts:  ne  voulant  cacher  mes  taçons  de  pen- 
fcr  à  perfonne  ,  fans  tard,  ians  artifice  en 


A  M.  DE  BEAU  MONT.  y 
toute  choie,  difant  mes  fautes  à  mes  amis, 
mes  fentiments  à  tout  le  monde  ,  au  public  Tes 
vérités  /ans  flatterie  &  (ans  fiel,  ^mefoupanc 
tout  auffi  peu  de  le  fâcher  que  de  lui  plaire. 
.Voilà  mes  crimes,  &  voilà  mes  vertus. 

Enfin  lafic  d'une  vapeur  enivrante  qui  enfla 
lans ,  raliafier,  excédé  du  tracas  des  oififs  fur-, 
chargés  de  leur  temps  6c  prodigues  du  mien, 
loupirant  après  un  repos  fi  cher  à  mon  cœur, 
&  fi  néceflaire  à  mes  maux  ,  j'avois  pofé  la 
plume  avec  joie.  Conrent  de  ne  l'avoir  prifc 
que  pour  le  bien  de  mes  fcmblables ,  je  ne  leur 
demandois  pour  prix  de  mon  zèle,  que  de 
me  laifier  mourir  en  paix  dans  ma  retraite, 5c 
de  ne  m'y  point  faire  de  mal.  J'avois  tort ,  des 
Huiffiers  font  venus  me  l'apprendre,  &  c'eftà 
cette  époque  ,  où  j'efpéroisqu'aloient  finir  les 
ennuis  de  ma  vie,  qu'ont  commencé  mes  plus 
grands  malheurs.  Il  y  a  déjà  dans  tout  cela 
quelques  fingularités  j  ce  n'eft  rien  encore.  Je 
vous  demande  pardon  Monfeigneur,  d'abufer 
-de  votre  patience;  mais  avant  d'entrer  dans 
les  difcuflions  que  je  dois  avoir  avec  vous, 
il  faut  parler  de  ma  fituation  préfente,  ôc  des 
eau  (es  qui  m'y  ont  réduit. 

Un  Genevois  fair  imprimer  un  Livre  en 
Hollande,  &  par  Arrêt  du  Parlement  de  Pa- 
ris, ce  Livre  eft  brûlé  fans  refped  pour  Is 
Souverain  dont  il  porte  le  privilège.  Un  Pro- 
teflanr  propose  en  pays  protefl-ant  des  objec- 
tions contre  l'Eglife Romaine,  &  il  eft  Jécié- 
«c  par  le  Parlement  de  Paris.  Un  républicain 


i  LETTRE 

fait  dans  une  République  des  objections  coti'^ 

tre  l'Etat  monarchique ,  &  il  eft  décrété  par 

le  Parlement  de  Paris.  Il  faut  que  le  Parlement 

de  Paris  ait  d'étranges  idées  de  Ton  empire  , 

êc  qu'il  fe  croie  le  légitime  juge  du  genre  ha-. 

main. 

Ce  même  Parlement,  toujours  fi  foigneux 
pour  le  Fraçois  de  l'ordre  des  procédures ,  les 
néglige   toutes  dès  qu'il  s'agit   d'un  pauvre 
Etranger.  Sans  fçavoir  fi  cet  Etranger  eft  bien 
l'Auteur  du  Livre  qui  porte  Ton  nom,  s'il  le 
reconnoît  pour  fien ,  fi  c'eft  lui  qui  l'a  tait  im- 
primer i  fans  égard  pour  fiDn  trifte  état,  fans 
pitié  pour  les  maux  qu'il  foufFrc,  on  commen- 
ce par  le  décréter  de  prife  &  de  corps  j  on 
l'eût  arraché  de  Ton  lit  pour  le  traîner  dans  les 
mêmes  prifons  où  pourriflent  des  fcélérats  \  on 
l'eût  brûlé  peut-être  même  fans  l'entendre  \  car 
qui  fçait  fi  Ton  eût  pourfuivi  plus  régulière- 
ment des  procédures  fi  violemment  commen- 
cées, 5c  dont  on  trouveroit  à  peine  un  autre 
exemple,  même  en  pays  d'Inquifition?  Ainfi 
c'eft  pour  moi  feul  qu'un  Tribunal  î\  fiige  ou- 
blie fa  fagefle  \  c'eft  contre  moi  fi^ul ,  qui  cro- 
yois  y  être  aimé,  que  ce  peuple  ,  qui  vante 
fa  douceur  ,  s'arme  de  la  plus  étrange  barba- 
rie \  c'eft  ainfi  qu'il  juftihe  la  préférence  que 
je  lui  ai  donnée  fur  tant  d'afyles  que  je  pouvois 
choifir  au  même  prix.  Je  ne  fçais  comment 
cela  s'accorde  avec  le  droit  des  gens 3  mais  je 
fçais  bien  qu'avec  de  pareilles  pro.coures,  la 
liberté  de  tout  homme,  ^  peut  ctre  fa  vie  , 


'A  M.  DE  BEAUMONT.         -f 
îcfl:  à  la  merci  du  premcr  Imprimeur. 

Le  Citoyen  de  Genève  ne  doit  rien  à  des 
Magill:ratsinju{lcs&:incompétens,qui,riirun 
réquificoire  calomnieux  ,  ne  le  citent  pas  mais 
le  décrètent.  N'crant  pomt  (ommé  de  compa- 
roître,  il  n'y  eil  obligé.  L'on  n'em.ploie  con- 
tre lui  que  la  force,  &  il  s'y  {ouftrait.  Il  fe- 
coue  la  poudre  de  Tes  fouliers,  &  fort  de  cette 
terre  hofpitaliere  où  l'on  s'emprefle  d'oppri- 
iTier  le  toible ,  &  où  l'on  donne  des  ters  à  l'é- 
tranger avant  de  l'entendre,  avant  de  fçavoir 
il  rAd:e  dont  on  l'accu fe  eftpuniffable,  avant 
de  fçavoir  s'il  l'a  commis. 

Il  abandonne  en  foupiiant  fa  chère  folitu- 
de.  II  n'a  qu'un  (eul  bien,  mais  précieux,  des 
amisi  il  les  fuit.  Dans  fa  toiblelle  il  fuporte 
unlong  voyage  \  il  arrive  &  croit  refpirerdans 
une  terre  de  liberté',  il  s'approche  de  fa  Patrie, 
de  cette  Patrie  dont  il  s'ell  tant  vanté ,  qu'il 
a  chérie  &  honorée  :  refpoir  d'y  être  accueilli 

le  conlole  de  (es  diigraces Que  vais- je 

dire?  Mon  cœur  fe  ferre  ,  ma  main  tremble, 
la  plume  en  tombe  ••,  il  fliut  fe  taire ,  &  ne  pas 
imiter  le  crime  de  Cham.  Que  ne  puis-je  dé- 
vorer en  fecret  la  plus  amere  de  mes  douleurs! 

Et  pourquoi  tout  cela?  Je  ne  dis  pas  ,  fur 
quelle  raifon  ?  mais  fur  quel  prétexte?  On  ofe 
m'accufer  d'impiété  ,  fans  fonger  que  le  Livre 
où  l'on  la  cherche  efl:  entre  les  mains  de  tout 
le  monde.  Que  ne  donneroit-on  point  pour 
pouvoir  fupprimer  cette  pièce  jufliticative ,  & 
dire  qu'elle  contient  tout  ce  qu'on  a  feint  d'y 

C  4 


»  LETTRE^ 

trouver?  Mais  elle  reftera  quoi  qu'on  fafle,^ 
en  y  cherchant  les  crimes  reprochés  à  l'Auteur» 
la  poftéritc  n'y  verra  dans  Tes  erreurs  mêmes 
que  les  torts  d'un  ami  de  la  vertu. 

J'éviterai  de  parler  de  mes  contemporains  \ 
je  ne  veux  nuire  à  perfonnc.  Mais  l'Athée  Spi- 
fîofa  cnfeignoit  paihblement  (à  doélrine  i  il 
faifoit  (ans  obftacle  imprimer  Tes  Livres  j  on 
les  débitoit  publiquement  i  il  vint  en  France^ 
&  il  y  fut  bien  reçu  j  tous  les  Etats  lui  ctoient 
ouverts,  par  tout  il  trouvoit  protection  on  du 
jnoins  fureté  ^  les  Princes  lui  rendoient  de  s  hon- 
neurs, lui  ofFroient  des  chaires  i  il  vécut  & 
mourut  tranquille  ,  &  même  conhdéré.  Au- 
jourd'hui ,  dans  le  fiecle  tant  célébré  de  la  Phi- 
lofophie  ,  de  la  raifon  ,  de  l'humanité  ;  pouv 
avoir  propofc  avec  circonfpcdion  ,  mcmc 
avec  refpeâ:,  ôc  pour  l'amour  du  genre  hu- 
tnain  ,  quelques  doutes  fondes  fur  la  gloire 
Cïieme  de  PEtre  fuprémc  i  le  dctenfeur  de  la 
caufe  de  Dieu  ,  flétri,  profcrit,  pourfuivi  d'E- 
lat  en  Etat ,  d'afyle ,  en  afyle ,  fans  égard  pour 
fon  indigence  ,  (ans  pitié  pour  fes  infirmités, 
avec  un  acharnement  que  n'éprouva  jamais  au- 
cun maltaiteur,  &  qui  feroit  barbare,  même 
contre  un  homme  entante  ,  fe  voit  interdire 
le  feu  Se  l'eau  dans  l'Europe  prefque  entière'» 
onlechafle  du  milieu  des  bois:  il  tant  toute 
la  fermeté  d'un  protecteur  illuftre,  &  toute 
la  bonté  d'unPrince  éclairé  pour  le  laifTer  en 
paix  au  fein  des  montagnes.  Il  eut  patTc  le 
relie  de  fes  ipalheureux  jouvs  dans  k§  fers,  il 


A  M.  DE  BEAUMONT.  9 

eut  péri  peut'  être  dans  les  fupplices ,  fi  ,  durant 
le  premier  vertige  qui  gagnoit  les  Gouverne- 
mens ,  i!  Te  fût  trouve  à  la  merci  de  ceux  qui 
l'ont  perfécuté. 

Echappé  aux  Bourreaux,  il  tombe  dans  lei 
mains  des  Prêtres  -,  ce  n'ell:  pas-là  ce  que  je  don- 
ne pour  étonnant:  mais  un  homme  vertueux 
qui  a  l'ame  auilî  noble  que  la  naiffance  -,  un  il- 
luftre  Archevêque  qui  devroit  réprimer  leur 
lâcheté,  l'autorife-,  il  n'a  pas  honte  ,  lui  qui 
devroit  plaindre  les  opprimés,  d'en  accabler 
un  dans  le  fort  de  fes  difgraces;  il  lance,  lui 
Prélat  catholique  ,  un  Mandement  contre  un 
Auteur  proteftant  ^  il  monte  fur  Ton  Tribunal 
pour  examiner  comme  Juge  ladodrine  parti- 
culière d'an  Hérétique  j  &  ,  quoiqu'il  damne 
indiilindement  quiconque  n'efl  pas  de  fonE- 
glife,  fans  permettre  à  l'accufé  d'errer  à  fa  mo- 
de ,  il  lui  prefcrit  en  quelque  forte  la  route  par 
laquelle  il  doit  aller  en  Enfer.  Abflî-tôt  le  ref- 
te  de  Ion  Clergé  s'emprelié  ,  s'évertue ,  s'achar- 
ne autour  d'unenneini  qu'il  croit  terralîé.  Pe- 
tits &  grands,  tout  s'en  mêle  •■,  le  dernier  Cuif- 
tre  vient  trancher  du  capable-,  il  n'y  a  pas  un 
{bt  en  petit  collet,  pas  un  chétif  habitué  de  Pa- 
roilîe  ,  qui ,  bravant  à  plaifir  celui  contre  qui 
font  réunis  leur  Sénat  de  leur  Evéque  ne  veuil- 
le avoir  la  gloire  de  lui  porter  le  dernier  coup 
de  pied. 

Tout  cela,  Monfeigneur,  forme  un  con- 
cours dont  je  fuis  le  feul  exemple ,  ik  ce  n'eft 
pas  tout ....  Voici  peut-être  une  des  fiaiations 


■i&  LETTRE 

Jes  plus  diiEciles  de  ma  vlej  une  de  celles  où 
Ja  vengeance  ôc  l'amour  propre  font  les  plus 
aifés  à  facisfaire.  Se  permettent  le  moins  à 
l'homme  juRe  d'être  modéré.  Dix  lignes  feu- 
lement, &  je  couvre  mes  perfécuteurs  d'vm  ri- 
dicule ineflaçable.  Que  le  Public  ne  peut-il 
fçavoir  deux  anecdotes,  fans  que  je  les  dife! 
Que  ne  connoît-il  ceux  qui  ont  médité  ma  rui- 
ne, ôc  ce  qu'Us  ont  fait  pour  l'exécuter  !  Par 
quels  mcprifiblesinfedes,  par  quels  ténébreux 
moyens  il  verroii  s'émouvoir  les  Puiifancesî 
Quels  levains  il  verroit  s'échauffer  par  leur 
pourriture,  omettre  le  Parlement  en  fer- 
«lentation  !  Par  quelle  rilible  caufe  il  verroit 
les  Etats  de  l'Europe  fe  liguer  contre  le  fils 
d'un  Horloger  !  Que  je  jouirois  avec  pîailîr 
de  fi  furprife,  (i  jepouvoisn'en  être  pas  l'inf- 
trument  ! 

jufqu'ici  ma  plume  hardie  à  dire  la  vérité, 
tnais  pure  de  toute  fatyre,  n'a  jamais  compro- 
mis perfonne  ,  elle  a  toujours  refpedté  Thon- 
neur  des  autres,  même  en  défendant  le  mien. 
Irois-jejCn  la  quittant,  la  fouiller  de  médifan- 
ce,  &  la  teindre  des  noirceurs  de  mes  ennemis? 
Non:  laillons-leur  l'avantage  déporter  leurs 
coups  dans  les  ténèbres.  Pour  moi,  je  ne  veux 
me  défendre  qu'ouvertement ,  &  même  je  ne 
.veux  que  me  défendre.  Il  fuffit  pour  cela  de  ce 
qui  cil:  fçu  du  Public  ,  ou  de  ce  qui  peut  l'être 
/ans  que  perfonne  en  foit  offenfc. 

Une  chofe  étonnante  de  cette  efpecc  ,  de 
que  je  puis  dire,  qH  de  voir  l'intrépide  Chrif? 


A  M.  DE  BEAUMONT.  it 
tophe  de  BeaumoHt ,  qui  ne  fçait  plier  fous 
aucune  PuifTance,  ni  faiie  aucunne  paix  avec 
les  Janféniftcs,  devenir,  fans  le  fçavoir,  leur 
fatellite  &  rinllrument  de  leur  animofitéi  de 
voir  leur  ennemi  le  plus  irréconciliable  févir 
contre  moi  pour  avoir  refufé  d'cmbrail'er  leur 
parri ,  pour  n'avoir  point  voulu  prendre  la  plu- 
me contre  les  Jéfuites  que  je  n'aime  pas,  mais 
dont  je  n'ai  point  à  me  plaindre  ,  &  que  je  vois 
opprimés.  Daignez,  Monfeigneur,  jetterles 
yeux  fur  le  iîxieme  Tome  de  ia  nouvelle  Hé- 
îoïTc;  première  édition  -,  vous  trouverez  dans 
la  note  de  la  page  ijS  (*)  la  véritable  fourcc 
de  tous  mes  malheurs.  J'ai  prcdi;  dans  iiette 
note  (  car  je  me  mêle  auiîî  quelquefois  de  pré- 
dire) qu'aufli-tôt  que  les  Janféniftes  feroient 
les  maîtres  >  ils  feroient  plus  intolérans  &  plus 
durs  que  leurs  ennemis.  Je  ne  fçavois  pas  alors 
que  ma  propre  hifloire  vérifieroit  fî  bien  ma 
pi-édidion.  Le  fil  de  cette  trame  ne  feroit  pas 
difficile  à  fuivre  à  qui  fçauroit  comment  mon 
Livre  a  été  déféré,  je  n'en  puis  due  davanta- 
ge fans  en  trop  dire-,  mais  je  pouvois  au  moins 
vous  apprendre  par  quels  gens  vous  avez  été 
conduit  fans  vous  en  douter. 

Croira-t-on  que,  quand  mon  Livre  n'eût 
point  été  déi:cré  au  Parkmenr,  vous  nel'tuf- 
i\c.z  pas  moins  attaque?  D'autres  pourrcn:  le 
croire  ou  le  dire;  mais  vous  dont  la  co'.iici- 
ence ne  fçait  pointfouffrir  le  menfonge,  vous 

(  *  )  Page  282  de  la  ncu vcPc  Edii  ion ,  taifant  U 
Tome  VI.  d^s  Qfuvres;  note  du  Libraire. 

C  vj 


ji  L  E  T  T  R  E      ^^   ^     ^    . 

ne  le  direz  pas.  Mon  difcoiu-s  fur  l'inégalité  a 
couru  votre  Diocefe ,  &  vous  n'avez  poinc 
donné  de  Mandement.  Ma  lettre  à  M.  d'Alem- 
bert  a  couru  votre  Diocefe,  &  vous  n'avez 
point  donné  de  Mandement.  La  nouvelle  Hé- 
loïfe  a  couru  votre  Dîocefe,  &  vous  n'avez 
point  donné  de  Mandement.  Cependant  tous 
ces  Livres,  que  vous  avez  lus ,  puîfque  vous- 
les  jugez,  refpirent  les  mêmes  maximes  ;  les 
mêm-es  manières  de  pcnfer  n'y  font  pas  plus 
déguiféei.  Si  le  fujet  ne  les  a  pas  rendus  lut- 
ceptibles  du  même  développement ,  elles  gag- 
nent en  force  ce  qu'eles  perdent  en  étendue,  oc 
i'on/voitlaprofeiîîonde  foi  de  l'Auteur,  ex- 
primée avec  moins  de  réferve  que  celle  du  Vi- 
caire Savoyard.  Pourquoi  donc  n'avez  vous 
rien  dit  alors?  Monfeigncur,  votre  troupeau 
vous  étoit-il  moins  cher?  Me  lîfoit-il  m.oinsî 
Goûcoit-il  moins  mes  Livres?  Etoit-il  expofé 
à  l'erreur?  Non,  mais  il  n'yavoit  point  alors 
de  Jéfuites  à  profcrire;  des  traîtres  ne  m'a- 
voient  encore  enlacédansleurspiéges,  la  note 
fatale  n'ctoit  point  connue,  &  quand  elle  le 
fût,  le  public  avoii  déjà  donné  fonfuffragc  au 
Livie-,  il  ctoittrop  tard  pour  taire  du  bruit. 
On  aima  mieux  différer  j^  on  attendit  Tocca- 
fîon,  on  l'épia  ,  on  lafaiiit,  on  s'en  prévalut 
avec  la  fureur  ordinaire  aux  dévots  -,  on  ne  par- 
loir que  de  chaînes  (^  débuchers  ■-,  mon  Livre 
ctoit  le  tocfindc  l'Anarchie,  &  la  trompette 
de  l'Athéïfme  :  l' Auteur  étoit  un  monitre  à 
cto  ultcr ,  on  s'étonnoit  qu'on  l'eût  il  long  tems 


A  M.  DE  BEAUMONT.  i$ 
laiflc  vivre.  Dans  cette  rage univeiTelle,  vous 
eûces  honte  de  garder  le  iilence  :  vous  airiià- 
tes  mieux  taire  un  aéle  de  cruauté  que  d'être 
accufé  de  manquer  de  zèle  ,  &  fervir  vos  en- 
nemis, que  d'elïïiyer  leurs  reproches.  Voilà, 
Monfeigneur  ,  convenez-en  ,  le  vrai  motif  de 
votre  Mandement ,  &  voilà,  ce  me  femble  , 
tin  concours  de  taits  allez  hnguliers  pour  don- 
ner à  mon  fort  le  nom  de  bizarre. 

Ily  along-tems  qu'on  a  fubflitué  des  bien- 
séances d'état  à  la  Juftice.  Je  fçai  qu'il  efi:  des 
circonftances  malheureufes  qui  torcent  un 
homme  public  à  févir  malgré  lui  contre  un 
Citoyen.  Qui  veut  être  modéré  parmi  des  fu- 
rieux s'expofe  à  leur  iurie,  ôc  je  comprends 
que  dans  un  déchaînement  pareil  à  celui  dont 
je  fuislavitlime,  il  tant  hurler  avec  les  Loups, 
ou  rilquer'  d'être  dévoré.  Je  ne  me  plains 
donc  pas  que  vous  ayez  donné  un  Mandement 
contre  mon  Livre ,  mais  je  me  plains  que  vous 
1  ayez  donné  contre  ma  perfonne  ,  avec  auflî 
peu  d'honnêteté  que  de  vérité  5  je  me  plains 
qu'autorifant  par  votre  propre  langage  celui 
que  vous  me  reprochez  d'avoir  mis  dans  la 
bouche  de  l'infpiré,  vous  m'accabliez  d'inju- 
res qui,  fans  nuire  à  ma  caufe,  attaquent  mion 
honeur,  ou  plutôt  le  vôtre;  je  me  plains  que 
de  gaieté  de  cœur  ,  fansraifon,  fans  néceflî- 
té ,  (ans  refpeâ: ,  au  moins  pour  mes  malheurs, 
'VOUS  m'outragiez  d'un  ton  fi  peu  digne  de 
votre  caraéfere.  Et  que  vous  avois-je  donc 
faitp  moi  qui  parlois  toujours  de  vous  avec 


14  L  E  T  T  il  E 

quej'eftime  tanti  moi  qui  tant  defoisadmîraî 
votre  inébranlable  térmeté  ,  en  déplorant  , 
il  eft  vrai  ,  l'ulage  que  vos  préjugés  vous,  en 
faifoient  taire,  moi  qui  toujours  honorai  vos 
niœurs,  qui  toujours  refpedai  vos  vertus,  6c 
qui  les  refpedte  encore  aujourd'hui  que  vous 
rn'avez  déchiré  ? 

C'eft  ainfi  qu'on  fe  tire  d'affaire  quand  on 
veut  quereller,  &  qu'on  a  tort.  Ne  pouvant 
refondre  mes  objections,  vous  m'en  avez  tait 
des  crimes  :  vous  avez  cru  m'avilir  en  me  mal- 
traitant, &  vous  vous  êtes  trompé ^  fans  af- 
foiblir  mes  raifons  ,  vous  avez  intérellé  les 
cœurs  généreux  à  m>^s  difgraces  ;  vous  avez 
fait  croire  aux  gens  fenfés  qu'on  pouvoit  ne 
pas  bien  juger  du  livre,  quand  on  jugcoit  (î 
mal  de  l'Auteur. 

Monfcigncur ,  vous  n'avez  été  pour  moi  ni 
généreux  i  &  non-feulement  vous  pouviez  l'ê- 
tre fans  m'épargner  aucune  des  chofes  que 
vous  avez  dites  contre  mon  ouvrage ,  mais  el- 
les n'en  auroient  fait  que  mieux  leur  effet.  J'a- 
voue auffi  que  je  n'avois  pas  droit  d'exiger  de 
vous  ces  vertus,  ni  lieu  de  les  attendre  d'un, 
homme  d'Eglife.  Voyons  lî  vous  avez  été  du 
moins  équitable  Se  jufte  s  car  c'eft  un  devoir 
étroit  irapolé  à  tous  les  hommes,  &  les  faints 
mêmes  n'en  font  pas  difpenlés. 

Vous  avez  deux  objets  dans  votre  Mande- 
menti  l'un,  de  cenfurer  mon  Livrer  l'autre, 
de  décrier  ma  perfonnc.  Je  croirai  vous  avoic 
bien  répondu,  il  je  prouve  que,  par-tout  où 


A  M.  DE  BEAUMONT.  // 
vous  m'avez  réfute,  vous  avez  mal  raifonné, 
&que  par- tout  où  vous  m'avez  infulté,  vous 
m'avez  calomnié.  Mais  quand  on  ne  marche 
que  Ja  preuve  à  la  main,  quand  on  ell  forcé 
par  l'importance  dufujct,  &par  la  qualité  de 
l'adverlaire ,  à  prendre  une  marche  péfante  ; 
à  fuivre  toutes  (es  cenfures  ^  pour  chaque 
iriot  il  faut  des  pages;  tanJis  qu'une  courte 
latyre  amufe ,  une  langue  détente  ennuie.  Ce- 
pendant il  faut  que  je  me  défende,  ou  que  je 
refte  chargé  par  vous  des  plus  faulTes  imputa^ 
lions.  Je  me  détiendrai  donc,  mais  je  défen- 
drai mon  honneur  plutôt  que  mon  Livre.  Ce 
n'eft  point  la  profcflîonde  foi  du  Vicaire  Sa- 
voyard que  j'examme  ,  c'ell  le  Mandement  de 
l'Archevêque  de  Paris ,  &  ce  n'eft  c^ie  le  mal 
qu'il  dit  de  l'Editeur,  qui  ma  forcé  à  parler  de 
l'ouvrage.  Je  me  rendrai  ce  que  je  me  dois^ 
parce  que  )e  le  dois  ;  mais  fans  ignorer  que 
c'eft  une  polît?on  bien  tnfte  que  d'avoir  à  fe 
plaindre  d'un  homme  p'us  pui liant  que  foi 
ôc  que  c'c-ft  une  bien  fade  leClure  que  la  jufti* 
fication  d'un  innocent. 

Le  principe  fondamental  de  toute  morale; 
fur  lequel  j'ai  raifonné  dans  tous  mes  Ecrits , 
&  que  j'ai  développé  dan^  ce  dernier  avec  tou- 
te la  ciarté  dont  j  étois  capable  ,  eft  que  l'hom- 
me eft  un  être  naturellement  bon,  aimant  la 
juljije  &  l'ordre-,  qu'il  n'y  a  point  de  perver- 
iité  originelle  dans  le  cœur  humain ,  &  que  les 
premiers  mouvemens  de  la  nature  font  tou- 
jours droits.  Jai  fait  voir  que  l'unique  puffi^ 


iS  LETTRE 

on  qui  naît  avec  l'homme  ,  fçavoir  l'amoiir- 
propre ,  eft  une  paflîon  indiftérente  en  elle- 
même  au  bien  &  au  mal-,  qu'elle  ne  devient 
bonnelou  mauvaifeque  par  accideni,  6c  félon 
lescirconftances  dans  lefquelles  elle  le  déve- 
loppe. J'ai  montré  que  tous  les  vices  qu'on 
impute  au  cœur  humain  ne  lui  font  pomt  na- 
turels i  j'ai  dit  la  manière  dont  ils  naillent  ^  j'en 
ai  pour  ainfi  dire  fuivi  la  généalogie  ,  &  j'ai 
fait  voir  comment ,  par  l'altération  luccefiive 
de  leur  bonté  originelle ,  les  hommes  devien- 
nent enfin  ce  qu'ils  font. 

J'ai  encore  expliqué  ce  que  j'entendois  par 
cette  bonté  originelle  ,  qui  ne  femble  pas  (e 
déduire  de  l'indifférence  au  bien  &  au  mal  , 
naturelle'à  l'amour  de  foi.  L'homme  n'eft  pas 
un  être  iïmple  j  il  eft  compote  de  deux  lubL- 
tances.  Si  tout  le  monde  ne  convient  pas  de 
cela ,  nous  en  convenons  vous  de  moi ,  cS:  j  ai 
taché  de  le  prouver  aux  autres.  Cda  prouve, 
l'amour  de  foi  n^eft  plus  une  paiiion  (impie, 
mais  elle  a  deux  principes  ',  Tçavoir  l'etre^in- 
telligent  ,  Se  l'être  fonlit;t,  dont  le  bien  ctre 
n  ca  pas  le  même.  L'appétit  des  lens  tend  a 
celui  du  corps,  &  l'amour  de  l'ordre  à  celui 
del'ame.  Ce  dernier  amour  développé  &  ren- 
du idif,  porte  le  nom  deconlcience,  mais  la 
coufcience  ne  fe  développe  &  n'agit  qu'avec 
les  lumières  de  l'homme.  Ce  n'eft  que  par  ces 
lumières  qu'il  parvient  à  connoître  l'ordre  , 
&  ce  n'eft  que  quandil  le  connoît  que  fa  conl- 
cience  k  porte  à  l'aiiincr.  La  conlciencc  çil 


À  M.  DE  BEAUMONT.  17 
idonc  nulle  dans  l'homme  qui  n'a  rien  compa- 
ré ,  &  qui  n'a  point  vu  Tes  rapports.  Dana  cet 
état  l'homme  ne  connoît  que  kis  il  ne  voit 
fon  bien-être  oppofé  ni  conforme  à  celui  de 
perfonne ,  il  ne  hait  ni  n'aime  rien  ;  borné  au 
ieul  inftinâ:  phyiîque ,  il  elt  bête  •-,  c'efl:  ce  que 
j'ai  fait  voir  dans  mon  difcours  fur  l'inégalité. 

Quand  ,  par  un  développement  dont  j'ai 
montré  le  progrés,  les  hommes  commencent 
àjetterlesyeax  iur  leurs  fcmblables,  ils  com- 
mencent aulTia  voir  leurs  rapports  &  les  rap- 
ports des  choies  -,  à  prendre  des  idées  de  con- 
venance ,  de  juiVtce  &  d'ordre  ,  le  beau  moral 
commence  à  leuf  devenir  fcniible,  «5c  îaconf- 
cience  agit.  Alors  ils  ont  des  vertus,  &  s'ils 
ont  aulTi  des  vices,  c'eft  parce  que  leurs  inté- 
rêts fe  croifent,  &que  leur  ambition  s'éveil- 
le ,  à  meiure  que  leurs  lumières  s'étendent. 
Mais  tant  qu'il  y  a  moins  d'c^ppofiiion  d'in- 
térêts que  de  concours  de  lumières,  les  hom- 
mes font  ellêntiellement  bons.  Voilà  le  fécond 
ctat. 

Quand  enfin  tous  les  inrcrêts  particuliers 
agués  s'entrechoquent,  quand  ramour  de  foi, 
mis  en  iermeniation,  devient  amour  propre, 
que  l'opinion,  rendant  l'univers  entier  nécel- 
faire  à  chaque  homm'.-  ,  les  rend  tous  enemis 
nés  les  uns  des  auire.> ,  'k.  tait  que  nul  ne  trou- 
ve fon  bien  que  dan>  ic  mai  d'aucrui  :  alors  la 
conftience,  plus  S-oib/.  que  lespaiTi-nis  exal- 
tées, eft  ctoutfée  par  ciles  ,  &  ne  refte  plus 
dans  la  bouche  des  hcîr.mes  »iu'un  jîioi  tait 


fî^  LETTRE 

pour  fe  tromper  mutuellement.  Chacun  temt 
alors  de  vouloir  facrilîer  Tes  intérêts  à  ceux  du 
public,  &  tous  mentent.  Nul  ne  veut  le  bien 
public,  que  quand  il  s'accorde  avec  le  fien  jaul- 
ficet  accord  eft-il  l'objet  du  vrai  politique  qui 
cherche  à  rendre  les  peuples  heureux  &  bons. 
Mais  c'efl:  ici  que  je  commence  à  parler  une 
langue  étrangère,  aufli  peu  connue  des  Levu- 
res que  de  vous. 

Voilà,  Monfeigneur  ,  le  troifieme  &  ^der- 
nier terme  au  delà  duquel  rien  ne  refte  à  tai- 
re, &c  voilà  comment  l'homme  étant  bon, 
les    hommes    deviennent   méchans.   C'eft  à 
chercher    comment  il  faudroit  s'y    prendre 
pour  les  empêcher  de  devenir  tels ,  que  j'ai 
confacré  mon  Livre  Je  n'ai  pas  affirmé  que 
dans  l'ordre  aducl  la  chofe  tut  abiolumcnt 
poflîble,  mais  j'ai  bien  affirmé  &  j\vffirme 
encore  qu'il  n'y  a  ,  pour   en   venir  à  bout, 
d'autres  moyens  que  ceux  que  j'ai  propoles. 
Là-delVus  vous  dites  que  mon  plan  d'éduca- 
tion (i)  loin  de  s  accorder  avec  le  Chrifiianif- 
me ,  neji  pas  même  propre  a  faire  des  Citoyens 
ni  des  hommes;  &  votre  unique  preuve  ell 
de  m'oppofer  le  péché  originel.  Monfeigneur, 
il  n'y  a  d'autre  moyen  de   Ces  effets  ,  que  le 
baptême.  D'où  il  fuivroit ,  félon  vous,  qu'il 
n'y  auroit  jamais  eu  de  Citoyens  ni  d'hom- 
mes que  des  Chrétiens.  Ou  ,  niez  cette  con- 

(i)  Maniement  in-quarto  page  5.  in-douze  > 
page  six. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  19 

iequence,oii  convenez  que  vous  avez  trop 
prouvé. 

Vous  tirez  vos  preuves  de  fi  haut,  que  vous 
me  forcez  d'aller  auffi  chercher  loin  mes  ré- 
ponfes.  D'abord  il  s'en  faut  bien ,  félon  moi, 
que  ceîte  dodrine  du  péché  originel,  fujette 
a  des  diffijultés  il  terribles,  ne  foit  contenue 
dans  1  Ecriture,  ni  fi  clairement,  ni  fi  dure- 
ment qu'il  a  plu  au  Rhéteur    Auguftin  &  à 
nos  Théologiens  de  la  bâtir  ;  &  le  moyen  de 
concevoir  que  Dieu  crée  tant  d'ames  inno- 
centes &  pures,  tout  exprès  pour  les  joindre 
a  des  corps  coupables  pour  leur  y  faire  con- 
trader  Ja  corruption    morale,  &  pour   ks 
condamner  toutes  à  l'Enfer ,  fans  autre  cri- 
me que  tette  union  qui  efl:  fon  ouvrage.  Je 
ne  dirai  pas  fi  [comme  vous  vous  vantez  ] 
vous  cclaircifiez  par  ce  fifteme  le  myftere  de 
notre    cœur  ;  mais  je    vois  que  vous    obf- 
curcillez  beaucoup  la  juftice  ëc  Ja  bonté  de 
i'ctre  fupréme.  Si  vous  levez  une  objedion, 
cefl  pour  en    fubflituer  de    cent  fois   plus 
rortes. 

Mais  au  fond ,  que  fait  cette  doétrine  à 
J'Auteur  d'Emile?  Quoiqu'il  ait  cru  fon  livre 
utile  au  genre  humain ,  c'eft  à  des  Chrétiens 
qu'il  l'a  deftiné,  c' efl:  à  des  hommes  lavés  du 
péché  originel  &  de  fes  effets ,  du  moins 
quant  à  Tame  ,  par  le  Sacrement  établi  pour 
cela.  Selon  cette  même  dodrine  ,  nous  avons 
tous  dans  notre  entancç  recouvré  l'innocen- 
ce primitive  ;  nous  femmes  tous  fortis  du 


•^^  LETTRE 

baptême  aulTi  fams  de  cœur  qu  ^dam  lortit 
de  la  main  de  Dieu.   Nous  avons  ,   direz- 
vous ,  contradé  de  nouvelles  fouillures  :  mais 
puifque  nous  avons  commencé  par  en  être 
délivres  comment  les  avons-nous  dercchet 
contractées?  le  fmg  de  J.  Chrian'eft  il  donc 
ras  encore  allez  tort  pour  eft.icer  enneremenc 
la  tache  ,  ou  bien  feroit-elle    un  ettst  de  la 
corruption  naturelle  de    notre  chair  -,  com- 
me il ,  même  indépendamment  du  pèche  ori- 
ginel ,  Dieu  nous  eût  créés  corrompus  tout 
exprès  pour  avoir  le  plaihr  de  nous  punir  î 
Vous  attribuez  au  péché  originel  les  vices 
des  peuples  que  vous  avouez  avoir  ete  déli- 
vrés du  péché  originel ,  puis  vous  me  blâmez 
d'avoir  donné  une  autre  origine  à  ces  vices. 
Eft-il  jufte  de  me  faire  un  crime  de  n'avoir 
pas  auilî  mal  raifonné  que  vousî 

On  pourroit ,  il  e(l  vrai,  me  dire  que  ces 
effets  que  j'attribue  au  baptême  (2)  ne  pa- 

(2)  Si  l'on  difoit  ,  avec  le  Doreur    Thomas 
Burnet  ,  que  la  corruption  &  la  mortalité  de 
la  race  humaine  ,  fuite  du  péché  d'Adam  ,  tut 
un  effet  naturel  du  fruit  défendu  i  que  cet  ali- 
ment contenoit  des  fucs  venimeux  qui  déran- 
gèrent toute  réconomie  animale, qui  irritcrent 
les  paiTions ,  qui  affoiblirent  l'enfc-ndement ,  & 
qui  portèrent  par  tout  les  principes  du  vice  <x 
de  la  mort  j  alors  il  faudroit   convenir  que  la 
nature    du   remède  devant  fe  rapporter  à  celle 
du  mal,  le  baptême  devroit  agir  phyriquement 
fur  le  corps  de  rhommc ,  lui  rendre  la  conftitu- 


A  M.  DE  BEAUMONT.        2t 

rollTent  par  nul  ligne  extérieur  ;  qu'on  ne  voit 
pas  les  Chrétiens  moins  enclins  au  mal  que 
Jes  infidelles  *,  au  lieu  que  ,  félon  moi ,  la 
malice  infufe  du  péché  devroit  Te  marquer 
dans  ceux-ci  par  des  ditîérences  fenfibles. 
Avec  les  fecours  que  vous  avez%ans  la  mo- 
rale évangelique,  outre  le  baptême,  tous  les 
Chrétiens,  pourfuivroit-on,  devroient  être 
des  Anges  ;  ëc  les  infidèles ,  outre  leur  cor- 
ruption originelle,  livrés  à  leurs  cultes  erro- 
nés ,  devroient  être  des  Démons.  Je  conçois 
que  cette  difficulté  prelTée  pourroit  devenir 
embarrallante:  car  que  répondre  à  ceux  qui 
me  teroient  voir  que,  relativement  au  genre 
humain,  l'effet  de  la  rédemption  faite  h  G. 
haut  prix  ,  fe  réduit  à  peu  près  à  rien. 

Mais,  Monfeigneur  outre  que,  )e  ne  crofs 
point  qu'en  bonne  Théologie  on  n'ait  pas 
'quelque  expédient  pour  fortir  de  là  ;  quand 
je  conviendrois  que  le  baptême  ne  remédie 
point  à  la  corruption  de  notre  nature,  encor 
re  n'en  auriez- vous  pas  raifonné  plus  foli- 
dement.  Nous  fommes ,  dites-vous ,  pécheurs 
à  caufe  du  péché  de  notre  premier  père-,  mais 
notre  premier  père  pourquoi  fut- il  pécheur 
lui-même:  Pourquoi  la  même  raifon  paria- 
quelle  vous  expliquerez  fon  péché,  ne  fe- 
roit-elle  pas  applicable  à  fes  defcendans  fans 

tien  qu'il  avoit  dans  l'état  d'innocence  ,  &  fi- 
non  rimmortalité  qui  en  dépendoit ,  du  moins 
tous  les  effets  moraux  de  l'économie  animale 
^établie. 


12  LETTRE 

le  péché  originel,  -Se  pourquoi  faut-îl  que 
nous  impatiens  à  Dieu  une  injuftice ,  en 
nous  rendant  pécheurs  &  punillables  par  le 
vice  de  notre  nailTance  ,  tandis  que  notre  pre- 
mier père  fut  pécheur  Se  puni  comme  nous 
fans  cela?  LfpéLhé  originel  explique  tout  ex- 
cepté Ton  principe,  &c  c'efl:  ce  principe  qu'il 
s'agit  d'expliquer. 

Vous  avancez  que  par  mon  principe  à  moi 
(3),  ron  perd  de  vue  le  rayon  de  Lumière  qui 
nous  fait  connaître  le  myjlere  de  notre  pro- 
pre cœur;  &  vous  ne  voyez  pas  que  ce  prin- 
cipe, bien  plus  univerfel,  éclaire  même  la 
faute  du  premier  homme(4) ,  que  le  vôtre 

(3)  Mandement  in-quarto  ,  p.  5-  in-douze,  p. 
xix. 

(4)  Regimber  contre  une  détenfe  inutile  & 
arbitraire  eft  un  penchant  naturel  ',  maisqui  , 
loin  d'être  vicieux  en  lui-même  ,  ell  conforme 
à  l'ordre  des  chofes ,  &  à  la  bonne  conaitution 
de  l'homme  ;  puifqu'il  feroit  hors  dVnat  ^de  fe 
conferver  ,  s'il  n'avoir  un  amour  très-vit>our 
lui-même ,  ik  pour  le  maintient  de  tous  fes 
droits  ,  tels  qu'il  les  a  reçu?  d.^  la  nature.  Ce- 
lui qui  pourroit  tout  ne  voudroit  que  ce  qui  lui 
feroit  utile  ;  mais  un  Etre  tbible ,  dont  la  loi 
reftreint  ik  limite  encore  le  pouvoir,  perd  une 
partie  de  lui-même  ,  &  réclame  en  Ton  cœur  ce 
qui  lui  eft  ôté.  Lui  taire  un  crime  de  cela  ,  fe- 
roit lui  en  taire  un  d'être  lui  ,&i  non  pas  un 
autre  :  ce  feroit  vouloir  en  même-temps  qu'il 
fût  &  qu'il  ne  tut  pas.  Auili  l'ordre  enfreint  par 


A  M.  DE  BEAUMONT.  23 
laiue  dans  robfciu-ité.  Vous  ne  favez  voir 
que  l'homme  dans  les  mains  du  Diable  ,  &■ 
rnoi  je  vois  comment  il  y  eft  tombé;  la  cau- 
le  du  mal  eft  félon  vous  la  nature  corrom- 

Adam  me  paroît-il  moins  une  véritable  de'fenfe 
qu'un  avis  paternel ,  c'efl  un  avertiflTement  as 
s  abltenir  d'un  fruit  pernicieux  qui  donne  la 
mort.  Cette  idée  eft  aifurement  plus  conforme 
à  celle  qu'on  doit  avoir  de  la  bonté  de  Dieu  , 
&  même  au  texte  de  la  Genefe ,  que  celle  qu'il 
plaît  au  Dodeur  de  nous  prefcrire  :  car  quant  à 
la  menace  de  la  double  mort ,  on  a  fait  voir 
que  ce  mot  morte  morieris  n'a  pas  l'emphafe 
qu  ils  lui  prêtent ,  &  n'eil:  qu'un  hébraïfme  em- 
ployé en  d'autres  endroits  où  cette  emphafe  ne 
peut  avoit  lieu. 

Il  y  a  de  plus  un  motif  fi  naturel  d'indulgen- 
ce &  de  cominifération  dans  la  rufe  du  tenta- 
teur, dans  la  féduftion  de  la  femme ,  qu'à  con- 
férer dans  toutes  ks  circonfîances  le  péché 
d'Adam  ,  l'on  n'y  peut  trouver  qu'une  faute  des 
plus  légères.  Cependant ,  feîon  eux ,  qu'elle  ef- 
froyable punition  /  Il  eft  même  impoffible  d'en 
concevoir  une  plus  terrible  j  car  quel  châtiment 
€ut  pu  porter  Adam  pour  les  plus  grands  cri- 
mes ,  que  d'être  condamnés ,  lui  &  toute  fa  ra- 
ce ,  à  la  mort  en  ce  monde  ,  &  à  paiTer  l'éter- 
nité dans  l'autre  ,  dévorés  des  feux  de  l'enfer  ? 
Eft-ce  la  peine  impofée  par  le  Dieu  de  miféri- 
corde  à  un  pauvre  malheureux,  pour  s'être  lâif- 
fétromper  ?  Que  je  hais  la  décourageante  doc- 
trine de  nos  durs  Théologiens  !  fi  j'étois  un 
moment  tenté  de  l'admettre;  c'eil  alors  que  ie 
croirois  blafphtmcr. 


«,  LETTRE 

eue,  ^  <^ette  corruption  même  efl  un  wal 
Sont  il  falloir  chercher  la  caule.  L'homme 
fut  créé  bon,  nous  en  convenons,  3e  "ois 
ous  les  deux-,  mais  vous  dues  qu  il  eft  mé- 
chant ,  parce  qu'il  a  été  mcchant  moi  ,  a i 
montré  comment  il  a  ete  mecham.  Qui  do 
nous  à  votre  avis  remonte  le  mieux  au  prin- 

'' C'ependant  vous  ne  laiffez  pas  de  triom. 
pher  à  votre  aife  ,  comme  h  vous  m  aviez  ter 
raffé  Vous  m'oppofez  comme  un  ob,ecljon 
nfoiuble  (,)  ..  ''élan,,  frappant  de,r.^^^ 
^  de  baJfeP  ,  d'ardeur  pour  la  vente  ,0'dc 
goût  poiverreur^dmcUnation  pour  Uv^^^^^^ 
lu     &   de  penchant  pour  le  y  ice,qin  le  tiou 
te'  et  noul   Etonnant   contrafte,  ajoutez- 
vous,  qui  déconcerte  la  philofophie  païenne, 
TLlaiP  errer  dans  des  vaines  fpeculatwns 
Ce  n4  pas  une  vainc  fpéculanon  que  la 
Th^^rle'de^l-mme,  lorfqu'elle    e    onde 

fur  la  nature,  qu'elle  marche  a ^  K'T'JH 
taitspar  des  conféquences  bien  he  s  &  qu  ea 
nous  menant  à  la  fource  des  P^^^^^"^  '  f ^\^ 
nous  apprend  à  régler  leurs  cours.  Qu.  h 
vo  appeliez  philofophie  païenne  la  pro- 
feVon  de  toi  du  Vicaire  Savoyard  ,  ,e  ne  pu  s 
répondre  à  cette  imputation,  parce  que  e 
n'y  comprens  rien  (4)  /  mais  )e  trouve  plai- 

u\  A  moins  quelle  ne  fe  rapporte  à  ]  a^^"; 
fatiol  que  m'intlntc  M.  de  B.aumont  dans  la 
fuite  ,  d'avoir  admis  pluficurs  Dieux. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  2f 
fane  que  vous  empruntiez  prefquc  Tes  pro- 
pres termes  (6),  pour  dire  qu'il  n'explique 
pas  ce  qu'il  a  le  mieux  expliqué. 

Permettez,  Monfeigneur,  que  je  remet- 
te fous  vos  yeux  la  conclufion  que  vous  ti- 
rez d'une  objedion  fi  bien  difaitée,  ôc  fuc-. 
ceiîivement  toute  la  tirade  qui  s'y  rapporte. 

(  7  )  L'hommefefent  entraîné  par  une  peine 
funejiey  &  comment  fe  roidiroit-il  contre  elle, 
Jijon  enfance  n'étoit  dirigée  par  des  maîtres 
pleins  devenu:,  defagejfe^  de  vigilance,  &Jî, 
durant  tout  le  cours  de  fa  vie  ,  il  ne  faifoit 
lui- même ,  fous  la  proteUion  &  avec  les  grâces 
de  fin  Dieu^des  efforti  puiffans  &  continuels'i 

C'efl:-à-  dire  :  l^ous  voyons  que  les  hommes 
font  méchans,  quoiqu  inceffamment  tyrannl- 
Je's  dès  leur  enfance  \  fi  donc  on  ne  les  tyran' 
nifoit  pas  des  ce  tems  là,  comment  parviens 
droit- on  à  les  rendre  fages ,  puifque  ^  même  en 
les  tyrannifant  fans  cejfe ,  il  efl  impoffible  de 
les  rendre  tels  ? 

Nos  raifonnemens  fur  l'éducation  pour- 
ront devenir  plus  feniîbles,  en  les  appliquant 
à  un  autre  Tu  je  t. 

Suppofijns,  Monfeigneur,  que  quelqu'un 
"Vint  tenir  ce  difcours  aux  hommes. 

„  Vous  vous  tourmentez  beaucoup  pour 

[6]  Emile ,  Tome  III.  p.  68.  &  6q.  première 

Edition. 

(7)  ilik/z^eme/zf  iij-quarto,  p.  6,  in-iz.p.  xx. 


^  ef  L  E  T  T  R  E  ^     ^ 

„  chercher  des  Goavernemens  équitables ,  Ar 
„poLir  vous  donner  de  bonnes  loix.  Je  vais 
„  piomierement  vous  prouver  que  ce  font  vos 
5,  Gouvernemens  mêmes  qui  font  les  maux 
„  auxquels  vous  prétendez  remédier  parmi 
eux.  Je  vous  prouverai  de  plus  : 
5,  qu'il  eft  impoflïble  que  vous  ayez  jamais  ni 
j,  de  bonnes  loix  ni  de  Gouvernemens  équita- 
„  blés  i  ôc  je  vais  vous  montrer  enfuite  le  vrai 
5,  moyen  de  prévenir ,  fans  Gouvernemens  ôc 
„  fans  Loix,  tous  ces  maux  dont  vous  vous 
„  plaignez  ,, 

Suppofbns  qu'il  expliquât  après  cela  Ion  (yl- 
tême  ,  &  proposât  fon  moyen  prétendu.  Je 
n'examine  point  fi  ce  fyftême  fcroit  (olide,  & 
ce  moyen  praticable.  S'il  ne  Tctoit  pas ,  peut- 
être  fe  contenteroit-on  d'enfermer  l'Auteur 
avec  les  fous ,  6c  l'on  lui  rendroit  juftice  -,  mais 
£  malheureufement  il  Pétoit  ,  ce  feroit  bien 
pis ,  &  vous  concevez ,  Monfeigneur ,  ou  d'au- 
tres concevront  pour  vous,  qu'il  n'y  auroic 
pas  artez  de  bûchers  &c  de  roues  pour  punir 
l'infortuné  d'avoir  eu  raifon.  Ce  n'eft  pas  de 
cela  qu'il  s'agit  ici. 

Quel  que  fut  le  fort  de  cet  homme,  ilelt 
sûr  qu'un  déluge  d'écrits  viendroit  tondre  fur 
Je  lien.  11  n'yauroit  pas  un  Grimaud  quipour 
faire  faCour  aux  puillances,  &  tout  fier  d'im- 
primer avec  privilège  du  Roi,  ne  vînt  lancer 
fur  lui  fa  brochure  &  Tes  injures  ,  &  ne  fe 
ventât  d'avoir  réduit  au  àlence  celui  qui  n'aii- 
ïoit  pas  daigne  répondre  ,  ou  qu'on  auroit 


i 


^  A  M.  DE  BE-AUMONT,  57 
«empêché  de  parler.  Mais  ce  iVefl:  pas  enco- 
re de  cela  qu'il  s'agit. 

Suppofons  enfin,  qu'un  homme  grave; 
Se  qui  auroit  Ton  inccrct  à  la  chofe  ,  crut 
devoir  auffi  faire  comme  les  autres  ,  &  par- 
mi beaucoup  de  déclarations  &  d'injures  , 
s' avifât  d'argumenter  ainfi.  Quoi  ,  malheu- 
reux /  vous  vouie^  annèantir  les  Gouverne- 
mens  &  les  Loix  ?  Tandis  que  les  Gou- 
vernement &  les  Loix  ?  font  le  feul  frein  du 
vice  ;  &  ont  bien  de  la  peine  encore  à  le  con-- 
tenir.  Que  feroit-ce  ,  grand  Dieu  !  Jinous  m 
les  avions  plus  !  Vous  nous  ôtei  les  gibets 
e^  les  roues  ;  vous  voule^  établir  un  bri" 
gandage  public.  Vous  êtes  un  homme  abo". 
minable. 

Si  ce  pauvre  homme  ofoit  parler,  il  dî- 
roit  ,  fans  doute.,,  Très- Excellent  Stï" 
5,  gneur  ,  votre  Grandeur  fait  une  pétition 
„  de  principe.  Je  ne  dis  point  qu'il  ne  faut  pas 
5,  réprimer  le  vice  ,  mais  je  dis  qu'il  vaut 
5,  mieux  l'empêcher  de  naitre.  Je  veux 
„  pourvoir  à  l'infuffifance  des  Loix  ,  & 
„  vous  m'alléguez  l'infiiffifance  des  Loix  , 
5,  Vous  m'accufez  d'établir  les  abus  ,  parce 
5,  qu'au  lieu  d'y  remédier  j'aime  mieux 
,,  qu'on  les  prévienne.  Quoi  s'il  étoit  un 
5,  moyen  de  vivre  toujours  en  fanté  ,  fau- 
3,  droit-il  donc  le  profcrire  ,  de  peur  de 
5,  rendre  les  médecins  oififs?  Votre  Excel- 
„  Icnce  veut  toujours  voir  des  gibets  (S<  des 
„  roues,  6c  moi  je  voudrois  ne  plus  voir 

D 


iS  LETTRE       ■    ^ 

,,  de  malfaiteurs:  avec  tout  le  refpectque  je 
„  lui  dois  -,  je  ne  crois  pas  être  un  homme 
„  abominabie. 

Hélas,  M.  T.  CF.  malgré  Us  principes  de 
t  éducation  la  plus  faine  O  la  plus  venueu^ 
j€\  malgré  les  promejfes  les  plus  magnifiques 
de  la  Religion  ,  &  les  menaces  les,plus  terri^ 
hles  y  les  écarts  de  la  jeunejfe  ne  Jont  en^-^ 
core  que  trop  fréquens y  trop  multipliés.  J'ai 
prouvé  que  cette  éducation,  que  vous  ap- 
peliez la  plus  faine  ,   étoit  la  plus  in(en- 
fce  i  que    cette  éducation  ,  que    vous  ap- 
peliez la  plus  vertueufe  ,   donnoit  aux  en- 
lans  tous  leurs  vices  :  i'ai  prouvé  que  touti 
la  gloire  du  paradis  les  tentoit  moins  qu'un 
morceau    de   Gjcre  ,   &  qu'ils   craignoient 
beaucoup  plus  de  s'ennuyer  à  Vcpres ,  que 
de  brûler   en   enfer  -,  j'ai  prouvé  que    les 
écarts  de  la  jeunelle  ,  qu'on  (e  plaint  de  ï\z 
pouvoir    réprimer    par   ces    moyens  ,    en 
étoient    l'ouvrage.    Dans  quelles   erreurs  , 
dans  quels  excès  ,  aban.donnée  à  elle-même 
ne  fe  précipiterait- elle  .donc  P^^J'  La  jeu- 
nelle, ne.s'égare  jamais  d'elle-même:  toutes 
Tes  erreurs  lui  viennent  d'ctre  mal  condui- 
te.  Les   camarades  &z  les   maîtrelll-s  achè- 
vent ce  qu'ont  commencé  les  Prêtres  »Sc  les 
Précepteurs  -,    j'ai  prouvé    cela.    Cejl    un 
torrent    qui  fe    déborde    malgré  les   digues 
puijfantcs  qu'on  lui  avait  oppofécs\  que  fe- 
roit-ce  donc  fi  nul  ohjlacle  ne  fufpendoit  jes 
flots  y  &  ne  rompait  fis  efforts'i  Je  pourrois 


A  M.  DE  BEAUMONT.  i^ 
dire  ;  c'ejl  un  torrent  qui  renverfe  vos  ini- 
puijfantes  digues,  &  brifetom.  Elargljfeifon 
lit ,  (>  laij/^i  courir  fans  ohjlacle  :  il  ne 
fera  jamais  de  mal.  Mais  )'ai  honte  d'emplo- 
yer dans  un  fujet  auffi  fcrieux  ces  figures  de 
Collège,  que  chacun  applique  à  fa  Fantaifie, 
&  qui  ne  prouvent  rien  d'aucun  côte. 

Au  refte  ,  quoique  ,  félon  vous  ,  hs  écarts 
de  la  jeunelle  ne  foient  encore  que  trop 
h-équens,  trop  multipliés  ,  à  caufe  de  la 
pente  de  Phomme  au  mal,  il  paroû  qu'à 
tout  prendre  vous  n'êtes  pas  trop  mécon- 
tant  d'elle,  que  vous  vous  complaifez  aflez 
dans  l'éducation  faine  &  vertueufe  que  lui 
•donnent  aduellement  vos  maîtres  pleins  de 
vertus ,  de  fageflTs  &  de  vigilance  ,  que  fé- 
lon ^vous  ,  elle  perdroir  beaucoup  à  erre 
clévéc  d'une  autre  manière  ,  &  qu'au  fond 
vous  ne  penfez  pas  de  ce  lîécle  ,  la  lie  des 
fiécles  y  tout  le  mal  que  vous  affedez  d'en 
dire  à  la  tcte  de  vos  Mandemens. 

Je  conviens  qu'il  efl;  fuperflu  de  cher- 
cher de  nouveaux  plans  d'éducation  ,  quand 
on  efl:  il  content  de  celle  qui  exille:  mais 
convenez  auflî ,  Monfeigneur  ,  qu'en  ceci 
vous  n'êtes  pas  difficile.  Si  vous  euffiez  été 
aulfi  coulant  en  matière  de  dodrine  ,  vor 
tre  Diocèfe  eût  été  agité  de  moins  de  irou- 
bresj  l'orage  que  vous  avez  excité  ,  ne  tût 
point  retombé  fur  les  Jcfuites  j  je  n'en  au- 
rois  point  été  écrafé  par  compagnie  ;  vous 
fiilTu-z  refté  plus  tranquille,  &c  moi  aufîî. 

Dij 


30  LETTRE 

Vous  avouez  que  pour  réformer  le  mon- 
de, autant  que  le  permettent  la  foiblelTe  , 
Ôc  félon  vous,  la  corruption  de  notre  na- 
ture, il  fulHroit  d'obferver  fous   la  direc- 
tion <k  l'impreffuîn  de  la  grâce,  les  pre- 
miers rayons  de  la  raifon  humaine  ,  de  les 
failir  avec  foin  ,   ôc  de  les  diriger  vers  la 
route  qui  conduit  à  la  vérité.  (  8  )  Par  /r, 
continuez-vous,  ces -effrits  encore  exempts 
de  préjugés  jferoient  pour  toujours  en  garde 
contre  V erreur  ;    ces  cœurs  encore  exempts 
des  grandes pajîfions  prendraient  les  imprcf- 
jfîons  de  toutes  Les  vertus.  Nous  fommes  donc 
d'accord  fur  ce  point  ,  car  j'en  n'ai  pas  dic 
autre  chofe.  Je  n'ai  pas  ajouté  -,  j'en  con- 
viens qu'il    fallût   faire    élever    les  ent.ms 
par  des  Prêtres  \  même  je  ne  pêufois  pas 
que  cela  fut  nécetTaire   pour   en   faire  des 
Citoyens ,  &  des  hommes-,  &  cette  erreur 
fi  c'en   eft:   une,  commune   à  tant  de  Ca- 
tholiques, n'eft  pas  un  fî  grand  crime  à  un 
Protcllant.  Je  n'examine  pas  fi  dans  votre 
pays  les   Prêtres    eux-mêmes  palVent  pour 
de  fi  bons  Citoyens  -,  mais  comme  l'éduca- 
tion  de    la    génération    préfente    eft    leur 
ouvrage  ,  c'eft  entre  vous  d'un  côté  \Jk  vos 
anciens  Mandemens  de  l'autre  ,  qu'il  taut  dé- 
cider fi  leur  lait  fpirituel  lui  a  li  bien  pro- 
fité ,  s'il  en  a  fait  de  lî  grands  faints  ,  (  9  ) 
yrais  adorateurs  de  Dieu,  6c  de   li  grands 

(^  )  M.inàement  iu-quaito ,  p.  5  ,  in.  1 2.  p.lxviij. 
(;)  pa^.  xix. 


A  M.  DE  BEAUMONT.^      ji' 

hommes  ,  dig:.es  d  ctre  la  rr.Jjource  &  l'or' 
nement  de  La  pairie.  Je  puJS  ajouter  une 
obiervauuu  qui  devroit  trapper  tcais  les 
bons  François ,  &  vous-même  comme  tel; 
c'elt  que  de  tant  de  Rois*  qu'a  eus  votre  na- 
tion, le  meilleur,  ell  le  feul  que  n'ont  point 
élevé  les  Prêtres. 

Mais  qu'importe  tout  cela  ,  puisque  je 
ne  leur  ai  point  donné  l'excluhon  -,  qu'ils 
élèvent  la  jeunelTe  ,  s'ils  en  (ont  capables, 
je  ne  m'y  oppole  pas ,  &  ce  que  vous  dites 
la  delTus,  (lo)  ne  fait  rien  contre  mon  Livre. 
Prétendriez  vous  que  mon  plan  fût  mau- 
vais ,  par  cela  feul  qu'il  peut  convenir  à 
d'autres  qu'aux  gens  d'Eglife  ? 

Si  1  homme  eft  bon  par  fa  nature ,  com- 
me je  crois  l'avoir  démontré  '-,  il  s'enfuit 
qu'il  demeure  tel  tant  que  rien  d'étranger 
à  lui  ne  l'altère*,  ôc  fi  les  hommes  font  mé- 
chans,  comme  ils  ont  pris  peine  à  me  l'ap- 
prendre ,  il  s'enfuit  que  leur  méchanceté 
leur  vient  d'ailleurs*,  termez  donc  l'entrée 
au  vice,  &  le  cœur  humain  fera  toujours 
bon.  Sur  ce  principe  ,  j'établis  l'éducation 
négative  comme  la  meilleure  ,  ou  plutôt  la 
feule  bonne  :  )e  t^iis  voir  com.ment  toute 
éducation  pofitive  fuit  ,  comme  qu'on  s'y 
prene  ,  une  route  oppofce  à  (on  but ,  &C 
je  montre  comment  on  tend  au  même  but,  & 
comment  ony  arrive  par  le  chemin  que  j'ai 
iracé. 

(lo)  Municmcnt  in-quarto,  p.  5.  in  u.  p.  sviijî 


n  LETTRE 

J'appv?l!e  éuucatioii  pofitive  celle  qui 
tend  à  former  refprit  avant  Page  ,  &  adon- 
ner à  l'cnrant  la  connoiirancc  des  devoirs  de 
riiomme.  J'appelle  éducation  négative  celle 
qui  tend  à  petteclionner  les  organes  ,  inf- 
îrumens  de  nos  connoilTances,  &  avant  de 
nous  donner  ces  connoiflances  ,  qui  pré- 
parent à  la  raifon  par  Texercice  des  fens. 
L'éducation  négative  n'eft  pas  oifive,  tant 
s'en  taur.  Elle  ne  donne  pas  les  vertus  , 
mais  elle  prévient  les  vices  ,  elle  n'apprend 
pas  la-vérité,  mais  elle  prélerve  de  Terreur. 
Elle  dilpofe  l'enfant  à  tout  ce  qui  peut  le 
m?nerauvrai,  quand  il  ell:  en  état  de  i'cnten- 
dre,  &c  au  bien ,  quand  il  eft  en  état  de  l'aimer. 

Cette  marche  vous  déplait  Se  vous  cho- 
que*, il  eft  aifé  de  voir  pourquoi.  Vous 
commencez  par  calomnier  les  intentions  de 
celui  qui  la  propcfei  Selon  vous,  cette 
oiiiveté  de  l'ame  m'a  paru  nécefl'aire  pour 
la  difpofer  aux  erreurs  que  je  lui  voii- 
lois  inculquer.  On  ne  fçait  pourtant  pas 
trop  quelle  erreur  veut  donner  à  Ton  élevé 
celui  qui  ne  lui  apprend  rien  avec  plus  de 
loin  qu'à  fentirfon  ignorance,  5c  à  fçavoir 
qu'il  ne  fçait  rien.  Vous  convenez  que  le 
jugement  a  fes  progrès  ,  &  ne  fe  forme  que 
par  dégrés.  Mais  s' enfuit  il  (ii)  ajoutez- 
vous  ,  qu  à  Vàge  de  dix  ans,  un  enfant  ne 
connoijje  pas  la  difft'rencc  du  bien  &  du  mal  j 

(u)  Mandçinçnt  'm-4. ,  p.  7  ,  in-i:.  p.  sxiij. 


A  M.  DE  EEATJÎV5  0NT.  3^ 
qiiîL  confonie  lafas,e[}e  av^c  la.  folie ,  la 
honte'  avec  la  barbar  e  ,  la  venu  avec  le  vice  ! 
Tour  cela  s'enfiiit,  lan:-,  doute,  ti  à  cet  âge 
le  jugem.nt  n'ell  pas .  i-iéveloppc.  Quoi! 
pourfuivez-vous  ,  il  neJeiLtira  pas  qu'obéir 
à  fon  père  é^l  un  bien  ,  que  lui  dé f obéir  efi 
un  mal'i  Bien  loin  de-là-,  je  fôutiens  qu'il 
fentiiM  ,  au  contraire,  en  quittant  le  )eii 
pour  aller  étudier  fa  leçon,  qu'obéir  à  fon 
père  eft  un  mal  ,  &  que  lui  défobéir  eit 
un  bien.  En  volant  quelque  truie  détendu 
il  fentira  auflï,  j'en  conviens  ,  que  c'ell:  un 
mal  d'être  puni,  &  un  bien  d'être  récom- 
penfé,  &c  c'efi:  dans  la  balance  de  cqs  biens 
de  de  ces  maux  contradictoires  que  Çq.  rè- 
gle fa  prudc^nce  enfantine.  Je  crois  avoir 
démontre  cela  mille  fois  dans  n'iCS  deux  pre- 
miers volumes  ,  cc  fur- tout  dans  le  dia- 
logue du  maître  &  de  l'enfant  fur  ce  qui 
eft  mal  {12),  Pour  vous,  Monfeigneur , 
vous  réfutez  aies  deux  volumes  en  deux 
lignes ,  èC  les  voici  (  n  )•  -^^  prétendre  , 
M.  T.  C.  F.  cejl  calomnier  la  nature  hu- 
maine ^  en  lui  attribuant  une  Jlupidité  qu  elle 
71  a  point.  On  ne  fçauroit  employer  une  ré- 
futationplus  tranchante  ni  conçue  en  moins 
de  mots.  Mais  i.ette  ignorance,  qu'il  vous 
plait  d'appeller  ftupidité,  fe  trouve  conf- 
tamment  dans  tout  efprit  gêné  dans  des  or- 

(12)  Eiiiile  ,  Tom    i,  p.   189. 

(13)  Maniement,  in-4. ,  p.  7  ,  in- 12.  p.  :sxiij. 


3  A       ^  LETTRE 

ganes  imparfaits,  ou  qui  n'a  pas  été  culti- 
vé; c'ell  une  oblcrvation  tacile  à  tatre,  &z 
Tenlible  à  tout  le  monde.  Attribuer  cette 
ignorance  à  la  nature  humaine  n'ell:  donc 
pas  la  calomnier  ,  &  c'cll:  vous  qui  l'avez 
calomniée  en  lui  imputant  flne  malignité 
qu'elle  n'a  point. 

Vous  dîtes  encore-,  [14]  Ne  vouloir 
enfeigner  la  fagejje  à  V homme  que  dans  le 
temps  qu'il  fera  dominé  par  la  fougue  des 
pafjLons  naijfantes  y  riefi-ce  pas  la  lui  pré- 
fenter  dans  le  deffein  quil  la  rejette  î  Voilà 
de  rechef  une  intention  que  vous  avez  la 
bonté  de  me  prêter,  &c  qu'affurcment  nul 
autre  que  vous  ne  trouvera  dans  mon  Li- 
vre. J'ai  montré,  premièrement,  que  ce- 
lui qui  fera  élevé,  comme  je  veux,  ne  fera 
pas  dominé  par  les  piflions  dans  le  tems 
que  vous  dites.  J'ai  monti-é  encore  com- 
ment les  leçons  de  la  faifeire  pouvoient  re- 
tarder le  développement  de  cqs  mêmes  paf- 
fïons.  Ce  font  les  mauvais  effets  de  votra 
éducation  que  vous  imputez  à  la  mienne, 
&  vous  m'ob)e6lez  les  défauts  que  je  vous 
apprends^  prévenir.  Jufqu'à  l'adolefcence 
j'ai  garanti  des  pafiions  le  cœur  de  mon 
élevé,  &  quand  elles  font  prêtes  .à  naître, 
j'en  recule  encore  le  progrès  par  des  foins 
propres  à  les  réprimer.  Plus  tôt,  les  leçons 
de  la  fagelie  ne  fignitàent  rien  pour  l'entans 

[14]  Miindsment  in-4.  p.  9.  in-i2."p.  xxvi. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  îf 
hors  d'état  d'y  prendre  intérêt ,  &  de  les  en- 
tendre j  plus  tard  ,  elles  ne  prenent  plus 
fur  un  cœur  déjà  livré  aux  palTuns.  C  ell 
au  feul  moment  que  )'ai  choili  qu'elles  (ont 
utilles  i  fou  pour  l'armer  ou  pour  le  diftrai- 
re  ,  il  importe  également  qu'alors  le  jeune 
homme  en  loit  occupé. 

Vous  dites:  (  i^  )  Four  trouver  la  jeu- 
neffe  plus  docile  aux  leçons  qu'il  lui  prt'pa- 
re  ,  cet  Auteur  veut  quelle  Joit  dJfuée  de 
tout  prlicipe  de  Religion.  La  rai  Ton  en  clt 
lîmpie  ,  c'cil  ce  que  je  veux  qu'elle  ait  une 
Religion  ,  vl'  que  je  ne  lui  veux  rien  ap- 
prendre dont  fun  j  igemenr  ne  foit  en  crat 
de  Icntir  la  vérité.  Mais  m  •• .  M  n^rrgncur, 
fî  je  dif^is  :  Pour  trouver  laj^u..ejje  plus 
docile  aux  leçons  quon  lui  prépare ,  qu  on 
a  grand  foin  de  la  prendre  avar.t  l  âge  de 
rai/on  j  t'erois-je  un  raifonnemcnt  p:us  mau- 
vais que  le  vôtre,  &  feroii-.e  un  prc.u- 
gé  bien  favorable  à  ce  que  vous  taiics  ap- 
prendre aux  enhuis?  Selon  vous,)  choi- 
lïs  l'âge  de  rai(on  pour  inculquer  i'er-' 
reur  ,  ôc  vous  ,  vous  prévenez  (.et  âge 
pour  enfeigner  la  vérité.  Vous  vfvus  prcf- 
îez  d'inltruire  l'enfant  avant  qu'il  puille  dis- 
cerner le  vrai  du  taux ,  &  moi  )'atiends, 
pour  le  tromper  ,  qu'il  foit  en  état  de  le  con- 
noitre.  Ce  juganent  eft-il  naturel,  6c  le- 
quel  paroît.  chercher  à  léduue  ,  de   celui 

(iS)  Mandement  in-4.  p.  7  ,  in-iz.  p.  xxiij. 

D  V 


V.  LETTRE 

•qui  ne  veiu  parler  qu'à  des  hommes ,  ou  de 
celui  qui  s'adielk  aux  entansî 

Vous  me  cenfurez  d'avoir  dit  &  mon- 
tré que    tout  entant   qui  croit  en  Dieu  efl: 
-  idolâtre  ou  antropomorplîire  ,  &  vous  com- 
battez cela  en  difant    [i(î]  qu'on   ne  peut 
iuppofer  ni  l'un  ni  l'autre  d'un  entant  qui 
a  reçu  une  éducation  Chrétienne.  Voilà  ce 
qui  eft  en  queftion-,  refte  à  voir  la  preuve. 
La  mienne  eft  que  l'éducation  la  plus  Chré- 
tienne ne  fçauroit  donner  à  Tentant  l'enten- 
dement qu'il  n'ft  pas,  ni  détacher  (es  idées 
Ats  êtres  matériels,  au  delîus  delquels  tant 
d'hommes  ne   (auroient    élever    les    ieurs. 
J'en    appelle  ,   de    plus  ,  à    l'expérience  : 
j'exhorte  chacun    des  lecleurs  à   contulter 
ia  mémoire,  &   à  fe  rappeller  li,  lorfqu'il 
a  cru  en  Dieu,  étan^enfant,  il  ne  s'en  ell 
pas   toujours  tait    quelque  image.    Quand 
-vous  lui  dites  que  la  divinité  nejl  rien    de 
et  qui  peut  tomber  fous  les  Jens  ;  ou  ionel- 
-prit   iiO'iblé    f^'entend   rien  ,   ou  il   entend 
•qu'elle  iVell:  rien.  Quand  vous    lui   parlez 
dune  intetlig,cnce  infinie^  il  ne  fçait  ce  que 
-c'ell    qu'intelligence   ,    &  i!    fçiit     encore 
-moins  ce  que  c'eft  qxiinjini.  Mais  vous  lui 
,ferez  répéter  après  vous  les  mots  qu'il  vous 
plaira  de  lui  dire  ",  vous    lui    tcrcz    même 
ajouter  ,   s'il    le   tant  j    q'Til    les   entend  i 
car  cela  ne  coûte  guère*,  v?c  il  aime  encore 

.li6}^.ind;:n:;it  :n-4.  p.  7,  ia-12.  p.  xxiij. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  57 
mieux  dire  qu'il  les  entend  que  d'être 
gronde  ou  puni.  Tous  les  anciens  ,  ians 
excepter  les  Juifs,  ^e  font  rcprclcntcs  Dieu 
corporel-,  &    combien  de  Chrétiens,   iur- 

.tout  de  Catholiques,  font  encore  aujoui- 
d'iiui  danb  ce  cas-là?  Si  vos  enfans  parlent 
comme  des  hommes  ,   c'efl:  parce  que    le^ 
hommes -font  encore  entans.  Voilà  p^u 
quoi  les  mylieres   encaD?   ne   coûtent   ; 
rien  à  perfonne  ',  les   ternies   en    (v'.' 
aulïï  faciles  à  prononcer  que  J'aut: 
des  comoJiiés  du   Chnit  anifme  •-• 

-eft  de  s'être  fait  un  certain  /argon  . 
fans  idées,  avec  lefqaels  oii  iatistait  ^  ^ 
hors  à  la  raifon. 

Par  l'examen  de  l'intelligence  qui  mené 
à  la  connoitVance  de  Dieu  ,  je  tr;>uve  qu'il 
n'eft  pas  raifonnable  de  cro're  ce'.rc  con- 
noillance   (17)   toujours  neccfjaire  au  falut. 

Je  cite  en  exemple  les  infenfés  ,  les  entans, 
&  je  mets  dans  la  même  dalle  les  homjnes 
dont  l'efprit  n'a  pas  aquis  afiez  de  lumières 
pour  comprendre  l'exillence  de  Dieu.  Vous 

,  dites  là  défias:  (lô)  Ne  foyons  point  fur- 
pris  que  l'Auteur  d' Emile  remette  à  un  temps 

Jl  recule  la  connoijfance  de  texijtencede  Dieu\ 
il  ne  la.  croit  pas  nécejfaire  au  falut.  Vous 
commencez  ,   pour  rendre  ma  procolition 

.  plus  dure  ,   par    lupprimer  charitablement 

[17]  Emile,  Tome  11.   p.  352  >  353- 
[18]  hhnianir.î  -i-.'.  p.  9  ,iu-i2  ,  p.  :xm;. 


'52  LETTRE 

le  mot  toujours  i  qui  non-feulement  la  itwïï 
difie  ,  mais  qui  lui  aonne  un  autre  fens  , 
puilque  ,  félon  ma  phrafe,  cette  connoif- 
fance  ell:  ordinairement  néceliaire  au  lalut , 
&  qu'elle  ne  le  (eroit  jamais  ,  félon,  la 
la phif.fe  que  vous  me  prêtez.  Après  cette  pe- 
tite talhhcation  ,  vous  pourfu'vcz  ainii: 

,,  11  eft  clair  ,  dit- il ,  par  L'organe  d'urt 
5,  perfonnage  chimérique ^  il  elt  clair  que  tel 
5,  homme  ,  parvenu  jufqu'à  la  vielleille  fans 
„  croire  en  Dieu  ,  ne  (en  pas  pour  cela 
3,  privé  de  (a  prélen.e  dans  l'autre,  (vous 
5,  avez  omis  Icinot  de  vie)  lî  fon  aveugle- 
,,  ment  n  a  pas  été  volontaire  ,  i^  je  dis 
„  qu'il  ne  l'ell  pas  toujours  ,,. 

Avant  de  tranicrii-e  ici  votre  remarque, 
permettez  que  je  bile  la  mienne.  C'cll:  que 
ce  perfonnage  prétendu  chimériq'.e  ,  c'eft 
moi-même  ,  &  non  le  Vicaire  ;  que  ce  paf- 
lage  que  ,yous  avez  cru  être  dans  la  profef- 
lioti  de  toi ,  n'y  eft  point  ,  mais  dans  le  corps 
même  du  Livre.  Monleigneur,  vous  lifez 
bien  légèrement,  vous  citez  bien  négligem- 
ment les  Ecrits  que  vous  riétridez  lî  dure- 
ment \  je  trouve  qu'un  homme  en  place  ,  qui 
cenlure,  devroit  mettre  un  peu  plus  d'exa- 
men dans  (es  jwgemens.  Je  reprends  à  pré- 
fcnr  votre  texte. 

Remarque^  ,  M.  T.  C.  F.  quil  ne  s  agit 
pni  \t  ici  d  un  lio/nme  qui  ferait  dépourvu  de 
Vu^age  de.  fa  raifon  ,  mais  Uniquement  de 
celui  dont  la  rat/on  ,  ne  J croit  point  aidée  de 


A  M.  DE  BEAUMONT.         55/ 

Vlnjîruclion.  Voas  aifirnsiez  ciilaite  (  i^  )  » 
qu'une  telle  prétention  eji  f'^uver  aine  ment 
ah  fur  de.  Saint  Paul  ajfure  qu  entre  les  Phi- 
loJophespaienspLuJieursJoiit  parvenus  par  les 
Jiules  forces  de  lu.  raijon  alaconnoifjanct  du. 
yrai  Dieu  -,  ^  ià-deilus  vous  tianlcnvez 
fon  pallage. 

Moii'eignenr  ,  c'eft  fotrvent  un  petit  mal 
de  ne  pas  entendre  un  Auteur  qu'on  l;t» 
mais  ctn  efl:  un  grand  quand  on  le  rétute  , 
&  un  très-gran-i  quand  on  le  dift.ime.  Or, 
vous  n'avez  piint  cnten  lu  le  padage  de 
mon  Livre  que  vous  attnquez  ici,  de  même 
que  beaucoup  d'autres.  Le  le6tenr  )ugera 
Il  c'eft  ma  tante  ou  la  vôtre,  quand  j'aurai 
mis  le  palHige  entier  fcni?  (es  yeux. 

„  Nous  tenons  „  (  les  P\étorn-ics  )  ^,  que 
„  nul  enfalit  mort  avant  l'âge  de  raiion  ne 
j,  fera  privé  du  bbnbeur  éternel.  Les  Ca- 
5,  tboliq'.ics  croient  la  même  choie  de  tous 
j,  les  enfansquiont  recule  Baptême,  quoi- 
3,  qu'ils  n'aient  jamais  entendu  parler  de 
3,  Dieu.  Il  y  a  donc  des  cas  où  l'on  peut  être 
„  Hiiivc  Gns  croire  en  Dieu  \  Se  ces  cas  ont 
„  lieu  ,*  foit  dans  l'enfance ,  ioit  dans  la  dé- 
„  mence,  quand  l'eTprit  humain  eft  incapa- 
„  ble  des  opérations  néceiraires  pour  re- 
5,  connoître  la  Divinité.  Toute  la  différen- 
3,  ce  que  je  vois  ici  entre  vous  ôc  moi ,  eft 


(  19  )  Maniement  in-quarto ,  p.  10 ,  in-douze^ 
p.  xxvij. 


^40  LETTRE  ^ 

5,  que  vous  prccefidez  que  les  enbns  ont  a 
„  fept  ans  cette  capacité  ,  &  que  je  ne  la 
5,  leur  accorde  pas  mcrae  à  quinze.  Que 
5,  j'aie  tore  ou  raifon ,  il  ne  s'agit  pas  ici 
„  d'un  article  de  foi,  mais  d'une  lîmple  o|?- 
„  fervation  d'hidoire  naturelle. 

„  Par  le  mcme  principe  ,  il  cil  clair  que  tel 
55  aomme,  parvemi  jufqu'à  la  vieillelb  lans 
croire  en  Dieu,  ne  fera  pas  pour  celapri- 
vié  de  Cx  préfence  dans  l'autre  vie,  fi  ion 
aveuglement  n'a  pas  été  volontaire  •,  &  je 
dis  qu'jl  ne  relt  pas  toujours.  Vous  en- 
convenez  pour  les  infeiîfés  qu'une  maladie 
prive  de  leurs  facultés  fpirituelles,  mais 
non  de  leur  qualité  d'hommes,  ni  par  con- 
féquent  du  droit  aux  bientaits  de  leur 
l.  Créateur.  Pourquoi  donc  n'en  pas  con- 
„  venir  aullî  pour  ceux  qui,  iéqueftrés  de 
„  toute  fociété  dès  lein-  enfance  ,  auroient 
3,  mené  une  vie  abfolumcni  fauvage,  privés 
3,  des  lumières  qu'on  n'acquiert  que  dans  le 
,,  commerce  des  hommes?  Car  il  ell:  d'une 
5,  impoHibilité  démontrée  qu'un' pareil  fau- 
5,  vage  pût  jamais  élever  fcs  ré.^exions  juf- 
„  qu'à  la  connoiûance  du  vrai  Bien.  La 
„  raifon  nous  dit  qu'un  homme  n'efl:  punil- 
„  fable  que  pour  les  fiutes  de  fa  volonté  , 
3,  qu'une  ignorance  invincible  ne  lui  fçiu- 
„  roit  être  imputée  à  crime.  D'où  il  iùit 
5,  que  devant  la  Juftice  éternelle  tout  hcm- 
•„  me  qui  croiroit ,  s'il  avoit  les  lumières  né- 
„  ceffaires  ,  eft  réputé  croire ,  ic  qu'il  n'y 


A  M.  DE  BEAU  M  ONT.  4f 
5^  aura  d'incrédules  punis  que  ceux  dont  le 
j,  cœur  fe  terme  à  la  vérité,,.  jE/n//^,  T.  II, 
pnge  Jfi   &fuiv. 

Voilà  mon  pallage  entier,  fur  lequel  vo- 
tre erreur  faute  aux  yeux.  Elle  coniirte  en 
ce  que  vous  avez  entendu  ou  fait  entendre 
que  félon  moi  ,  il  falloit  avoir  été  indruit 
de  l'cxiilence  de  Dieu  pour  y  croire.  Ma 
penfce  eft  fort  différente.  Je  dis  qu'il  faut 
avoir  l'entendement  développé  ,  &  l'efpric- 
cultivé  jufqu'à  certain  point  pour  erre  en 
état  de  c'omprendre  les  preuves  de  l'exiftetl- 
ce  de  Dieu  ,  &  fur-tout  pour  les  trouver 
de  foi  même,  fans  en  avoir  jamais  entendu 
parler.  Je  parle  des  hommes  barbares  ou 
fiuvagcs."  vous  m'alléguez  des  Philofophes: 
je  dis  qu'il  taut  avoir  acquis  quelque  Philofo- 
phie  pour  s'élever  aux  notions  du  vrai  Dieu; 
vous  citez  Saint  Paul  qui  reconoît  que 
quelques  Philofophcs  païens  fe  font  élevés 
aux  notions  du  vrai  Dieu  :  je  dis  que  tel 
homme  groiTier  n'elf  pas  loujoursen  état  de 
fe  former  de  Uii-mcme  une  idée  jufte  de  la 
Divinité  \  vous  dites  que  les  hommes  inll'ruits 
font  en  état  de  fe  former  une  idée  jufte  de 
la  Divinité-,  «îk:  fur  cette  -unique  preuve  , 
mon  opinion  vous  paruît  fouverainemenc 
abfurde.  Quoi  !  parce  qu'un  Docteur  en 
Droit  doit  fçavoir  les  loix  de  fon  pays, 
eft-il  ablurde  de  fuppofer  qu'un  enfant  qui 
ne  fçiit  pas  lire  a  pu  les  ignorer  ? 

Quand  un  Auteur  ne  veut  pas  fe  répc-« 


\t  LETTRE 

ter  fans  cefle  ,  k.  qu'il  a  une  fois  établi 
clairem~nc  Ton  lentimsm  Uir  une  matière, 
il  n'elt  pas  tenu  de  raporcer  toujours  les 
mêmes  preuves  en  rationnant  (ur  le  même 
fcniiment.  Ses  Ecrits  s'expliquent  alors  les 
uns  par  les  autres  \  Se  les  derniers  ,  quand 
il  a  de  la  méthode,  TuppoTent  toujours  les 
premiers.  Voiià  ce  que  j'ai  toujours  tache 
de  taire.  Se  ce  que  j'ai  tait,  fur- tout  dans 
Toccalion  do.u  il  s'agit. 

Vous  fuppoilz  ,  ainli  que  ceux  qui  trai- 
tent <-!e  ces  matières  ,  que  l'hiMr.me  appor- 
te avec  lui  fa  railon  toute  formée  ,  Se  qu'il 
ne  s'agit  que  ie  la  mettre  en  œuvre.   Or 
cela  iVeH:  pas  vrai-,  car  l'une  des  acquittions 
de  l'homme,  &  même  des   plus  lentes,  eft 
la  raif^n.  L  homme  apprend  avoir  des  yeux 
de    l'elprit  ,  ainli  que  des  yeux  du    corps  •-, 
mais  le  premier  apprentilTage  eft  bien  plus 
long  que  l'autre  ,•  parce   que   les  rapports 
des  objets  intelieÂuels  ne  fe  mefuraiu  pas 
coiTime  l'étendue  ,  ne  fe  trouvent  que  par 
eftimation ,  &  que  nos  premiers  beloins  ',  nos 
befoins    phifiqucs  ,    ne    nous   rendent    pas 
l'examen  de  ces  mêmes  objets  lî  intcrellant 
Il  faut  apprendre  à  voir  deux  objets  àlatoisj 
il  faut  apprendre  à  les  comparer  entre  eux  -, 
îl  faut  apprendre  a  comparer  les  objets  en 
grand  nombre,  à  rem»  nter  par  de^^rés  aux 
caufes ,  à  les  fuivre  dans  leurs  effets;  il  taut 
avoir  combine  des  infinités  de  rapports  pour 
ac<jacni:  des  idées  de  convenance ,  de  gro- 


A  M.  DE  BEAUMONT.  4^ 
portion  ,  d'harmonie  &  d'ordre.  L'homme 
qui ,  privé  du  fecours  de  les  femblables  ,  ôc 
i'ans  ceffe  occupé  de  pourvoir  à  Tes  befoins  , 
eft'  réduit  en  toute  choie  à  la  leule  marche 
de  les  propres  idées,  fait  un  progrès  bien 
lent  de  ce  côté- là:  il  vieillit  &  meurt  avant 
d'être  forti  de  l'enfance  ,  de  la  raifon.  Pou- 
vez-vous  croire  de  bonne  foi  que  d'un  mil- 
lion d'hommes  élevés  de  cette  manière  ^ 
il  y  en  eût  un  feul  qui  vînt  à  penfer  à 
Dieu? 

L'ordre  de  l'Univers  ,  tout  admirable 
qu'il  eft  ne  frappe  pas  également  tous  les 
yeux.  Le  peuple  y  fait  peu  d'attention  , 
manquant  des  connoilTances  qui  rendent  cet 
ordre  fenlible,  Se  n'ayant  point  appris  à  ré- 
fléchir fur  ce  qu'il  apperçoit.  Ce  n'eft  ni 
cndurcilTement,  ni  mauvaife  volonté  ;  c'ell 
ignorance  ,  engourdilTement  d'efprit.  La 
moindre  méditation  fatigue  ces  gens- là  3 
comm.e  le  moindre  travail  des  bras  fati- 
gue un  homme  dé  cabinet.  Ils  ont  oui 
parler  des  œuvres  de  Dieu  ôc  des  nier- 
veilles  de  la  nature.  Ils  répètent  les  mêmes 
mots  fans  y  joindre  les  mêmes  idées  ,  de 
ils  font  peu  touchés  de  tout  ce  qui  peut 
élever  le  fage  à  fon  créateur.  Or  h  parmi 
nous  le. peuple  ,  à  portée  de  tant  d'inflruc- 
tions ,  efl:  encore  fi  ftupide  ,  que  feront  ces 
pauvres  gens  abandonnés  à  eux-mêmes  dès 
leur  enfance  ,  &  qui  n'ont  jamais  rien  ap- 
pris d'autrtii  î  Croyez-vous  ^u'uii  Gafre  oi, 


:44  LETTRE 

un  Lapon  philofophe 'beaucoup  fur  la  mar- 
che da  monde  ,  &  fur  la  génération  des 
chof-^s?  Encore  les  Lapons  ik  les  Catr.es  , 
vivant  en  corps  de  Nations,  ont  ils  des  mul- 
titudes d'idées  acquifes  Se  communiquées  , 
à  l'aide  deiqueîles  ils  acquièrent  quelques 
notions  groificres  d'une  Divmité:  ils  ont, 
en  quelque  taçon  ,  leur  Catcchilme  :  mais 
l'homme  fauvage,  errant  feul  dans  les  bois, 
n'en  a  point  du  tout.  Cet  homme  n'exillo 
pas,  direz-vous  j  Toit:  mais  il  peut  exiiler 
par  fuppoiîtion.  Il  exifte  certainement  des 
hommes  qui  n'ont  jamais  eu  d'entretien  phi- 
lofophique  en  leur  vie  ,  ëc  dont  tout  le 
temps  fe  confumeàcherher  leur  nourriture, 
la  dévorer  6c  dormir.  Que  terons-nous 
de  ces  hommes- là  ,  des  EsKiniaux  ,  pai* 
exemple?  En  terons-nous  des  Théologiens? 
Mon  feiitiment  elT:  donc  que  i'efprit  de 
l'homme  ,  fans  progrès  ,  fans  inftruclion  , 
fans  culture,  &  tel  qu'il  iort  des  mains  de 
la  nature  ,  ncd  pas  en  état  de  s'élever  d^ 
lui-même  aux  fublimes  notions  de  la  Divi- 
nité :  mais  que  ces  notions  (e  préfentenc 
à  nous  à  mefure  que  notre  elprit  le  cul- 
tive j  qu'aux  yeux  de  tout  homme  qui  a  pen- 
ré  ,  qui  a  réRéchi ,  Dieu  fe  manitefte  dans 
fes  ouvrages  ,  qu'il  fe  révèle  aux  gens^ 
éclairés  dans  le  fpedtacle  de  la  nature^  qu'il 
fiîut,  quand  on  a  les  yeux  ouverts  ,  les  ter- 
mer  pour  ne  Ty  pas  voir;  que  tout  Philo- 
Tophe  Athée  eft  un  raifonneur  de  mauvaife 


A  M.  DE  BEAUMONT.  4? 
foi  ,  ou  que  Ton  orgueil  aveugle  j  mais 
qu'aufll  tel  homme  ftupide  &  groiîier,  quoi- 
que funple  de  vrai,  tel  efpric  fans  erreur  &: 
(ans  vices,  peut,  par  une  ignorance  invo- 
lontaire, ne  pas  remonter  à  l'Auteur  de  Ton 
Etre,  de  ne  pas  concevoir  ce  que  c'efl:  que 
Dieu  ,  fans  que  cette  ignorance  le  rende 
puniflablc  d'un  défaut  auquel  Ton  cœur  n'a 
point  confcnti.  Celui-ci  n'eft  pas  éclairé, 
Se  l'autre  rcfufe  de  l'être  :  cela  me  paroît 
fort  diftcrent. 

Appliquez  à  ce  fentiment  votre  paflage 
de  S.  Paul,  &c  vous  venez  qu'au  lieu  de 
Je  combattre,  il  le  favoriic  ;  vous  verrez 
que  ce  pafl'age  tombe  uniquement  fur  ces 
fages  prétendus,  à  qui  ce  qui  peut  être  connu 
de  Dieu  a  été  manifejlé ^  à  qui  la  conf.déra.- 
tion  des  chofes  qui  ont  été  faites  des  la. 
création  du  monde  j  a  rendu  vijîble  ce  qui  ejl 
invifihle  enDieu\  mais  qui  ne  V  ayant  point 
glorifié  y  &  ne  lui  ayant  point  rendu  grâces  , 
fe  font  perdus  dans  la  vanité  de  leur  raifon^ 
nement  ^  &,  ainlî  demeurés  fans  excule,  en 
Je  difantfageSyfont  devenus  fous.  La  raifon 
fur  laquelle  l'Apôtre  réproche  aux  Philofo- 
phes  de  n'avoir  pas  gloriiié  le  vrai  Dieu, 
n'étant  point  applicable  à  ma  fupofition, 
forme  une  induction  toute  en  ma  tavcur  ; 
elle  confirme  ce  que  j'ai  dit  moi-  mêine,  que 
tout  (2.0)  Philojophe  qui  ne  croit t  pas  ^  & 

(20)  Emile,  Tome  II,  p.  35a, 


i^(î  LETTRE 

tort ,  parce  qu'il  ufe  mal  de  La  ra'ifon  quil  a 
cultivée  y  &  qu'il  ejl  en  état  d'ei. tendre  les 
ventés  quil  rejette  :  elle  montre  enfin ,  par 
le  pallage  même ,  que  vous  ne  m'avez  point 
entendu  \  &  quand  vous  m'imputez  d'a- 
voir dit  ce  que  je  n'ai  dit  ni  penfé  ,  fça- 
voir  que  l'on  ne  croit  en  Dieu  que  fur  l'au- 
torîté  d'autrui  (zi),  vous  avez  tellement 
torr  ,  qu'au  contraire  je  n'ai  fait  que  diftin- 
guer  les  cas  où  l'on  peut  connoiire  Dieu  par 
fôi-mcme,  &  les  cas  où  l'on  ne  le  peut  que 
par  le  fecours  d'autrui. 
.  Au  refte,  quand  vous  auriez  raifon  dans 
cette  critique  ,  quand  vous  auriez  (olidement 
réfuté  mon  opinion,  il  ne  s'enfuivroit  pas 
de  cela  feul  qu'elle  fût  fouverainement  ab- 
furdei  comm.e  il  vous  plaît  de  la  qualifier: 
on  peut  fe  tromper  fans  tomber  dans  l'ex- 
travagance ,  &  toute  erreur  n'eft  pas  une 
abfurdité.  Mon  refpedt  pour  vous  me  ren- 
dra moins  prodigue  d'épithetes,  &  ce  ne 
fera  pas  ma  faute  fi  le  kdeur  trouve  à  les 
placer. 

Toujours  avec  l'arrangement  de  cenfurer 
fans  entendre  ,  vous  pafiez  d'une  nnputa- 
tion  grave   &   huile  ,  à  une  autre  qui  l'eO: 

(  21  )  M.  de  Beaumont  ne  dit  pas  cela  en  pro- 
pres termes  ,•  mais  c'efl  le  k\\\  fens  pifonnable 
qu'on  puiflTe  donnera  fon texte,  appuyé  du  paf- 
fage  de  Saint  Paul  ;  &  je  ne  pu's  répondre  qu'à 
ce  que  j'entends.  Voye'^  Ton  Mandement  in-quar- 
to ,  pag.  10, in-douze,  pag.  xxyij. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  47 
encore  plus  j  6c  après  m'avou-  injuftement 
accLifé  de  nier  l'évidence  de  la  Divinité  , 
vous  m'accuiez  pius  injuftement  d'en  avoir 
révoque  i'unité  en  doute.  Vous  Lites  plus, 
vous  prenez  la  peine  d'entrer  là  delTus  en 
difcuffion ,  contre  votre  ordinaire  ^  &  le  feul 
endroit  de  votre  Mandement,  où  vous  avez 
raifon,  ell:  celui  où  vous  rétuiez  une  extra-, 
vagance  que  je  n'ai  pas  dite. 

Voici  le  partage  que  vous  attaquez,  ou 
plutôt  votre  patlage  où  vous  rapportez  le 
mien  ;  car  il  taut  que  le  ledeur  me  voie  en- 
tre vos  mains. 

„ (21  )  Je  fçi[s,jyfait-il dire auperjonnage 
Juppofé  qui  lui  ferf  d'organe  \  "  je  (çais  qiie 
„  le  monde  eft  gouverné  par  une  volonté 
5,  puillante  fage  j  je  le  vois,  ou  plutôt  je 
„  le  lens,&  cela  m'importe  àfçavoirj  mais 
„  ce  même  monde  eft-il  éternel  ou  créé? 
5,  Y  a-t-il  un  principe  unique  des  chofes? 
„  Y  en  a-t-il  deux  ou  plufîeurs  ,  &  quelle 
„  efl:  leur  nature  ?  Je  n'en  fçais  rien  ,  & 
„  que  m'importe  ?  .  . . .  (  23  )  je  renonce  à 
5,  des  queftions  oifeufes  ,  qui  peuvent  in- 
„  quiéter  mon  amour  propre,  mais  qui  font 

(22)  Mandement  in-quarto ,  page  10,  in-dou- 
ze, page  xxix, 

(23  )  Ces  points  indiquent  une  lacune  de  deux 

lignes ,  par  Icfquelles  le  paflagj  lÛ  teiitpété  , 
&que  M.  de  Beaumont  n'a  pas  voulu  tranfcri- 
re.  Vojei  Emile ,  Tome  III.  page  61. 


X%  LETTRE 

jj  inutiles  à  ma  conduite  ,  &  fiipcrieiirs  à 

„  ma  raifon.  ,, 

J'obfcrve,  en  palîint,  qne  voici  la  fécon- 
de tois  que  vous  qualifiez  le  Prêtre  Savoyard 
de  perfonnage  chimérique  ou  luppotc.  Com- 
ment êtes  vous  inftruit  de  cela,  je  vous  fup* 
plie  J  j'ai  affirmé  ce  que  je  fçavois  -,  vous 
niez  ce  que  vous  ne  fçavez  pas ,  qui  des  deux 
eft  le  téméraire  't  On  fçait  ,  j'en  conviens , 
qu'il  y  a  peu  de  Prêtres  qui  croient  en  Dieu  , 
mais  encore  n'ell:-il  pas  prouvé  qu'il  n'y  en 
ait  point  du  tout  1  Je  reprends  votre  texte. 

(24).  Que  veut  donc  dire  cet  Auteur  té- 

meraire  f Lhinité  de  Dieu   lui  paraît 

une  quejlion  oifeufe  &■  fupérieure  à  fa  raifojiy 
comme  Ji  la  multiplicité  des  Dieux  n  ctoit 
pas  la  plus  grande  des  ahfurdités.  "  La 
„  pluralité  des  Dieux  ,, ,  dit  energiqueme  nt 
Tertullien  "  eft  une  nullité  de  Dieu  ,»  > 
admettre  un  Dieu ,  c'ejl  admettre  un  Etre 
Juprème  &  indépendant,  auquel  tous  les  au- 
tres Etres  J oient  fuhordonnés  (  1^  ).  Il  im- 
plique donc  quil  y  ait  plujieurs  Dieux. 

(24)  Mz/zJe/ne/zt  in-quarto,  p.  11,  in-12  p.  xxix. 

[25]  Tertullien  fa't  ici  un  fophirne  très  fa- 
milier aux  Percs  deTEglile.  H  définit  le  mot  Di- 
eu félon  les  Cl^.ritiens ,  6c  puis  il  accule  les  Pa- 
ïens de  contradidLon  ,  parce  que ,  contre  ili  dé- 
finition ,  ils  admjttent  plufieurs  Dieux.  Ce  n'é- 
toit  pas  la  peine  de  m'imputer  une  erreur  que 
je  n'ai  pas  commife,  uniquement  pour  citer  II 
hors  de  propos  un  fophifme  de  Tertulien. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  49 
Mais  qui  ePc-ce  qui  dit  qu'il  y  a  plufieurs 
Di€ux  ?  Ah,  Mcnfeigneur  !  vous  voudriez 
bien  quej'eulls  dit  de  pareilles  follies  j  vous 
n'auriez  fûrement  pas  pris  la  peine  de  faire 
un  Mandement  centre  moi. 

Je  ne  fçais  ni  pourquoi  ni  comment  ce 
qui  eft,  eft-,  &  bien  d'autres,  qui  fepiquent 
de  le  dire,  nelefçavent  pas  mieux  que  moi. 
Mais  je  vois  qu'il  n>  a  qu'une  première 
caufe  motrice,  puifque  tout  concourt  fen- 
fiblement  aux  mêmes  hns.  Je  reconnois  donc 
une  volonté  unique  &  fuprême  qui  dirige 
tout  i  &  une  puiilance  unique  &  fuprême 
qui  exécute  tout.  J'attribue  cette  puiilan- 
ce 6c  cette  volonté  au  même  être  ,  à  cait- 
fe  de  leur  parfa-.t  accord  qui  fe  conçoit 
mieux  dans  un  que  dans  deux  ,  &  parce 
qu'il  ne  faut  pas  fans  raifon  multiplier  les 
Etre5  :  car  le  mal  même  que  nous  voyons 
a'efl:  point  un  mal  abfolu  ,  &  loin  de  com- 
battre direclcment  Is  bien  ,  il  concourt 
avec  lui  à  l'harmonie  univerfelle. 

Mais  ce  par  quoi^les  chofes  {ont,  fe  dif- 
tingue  trcs-ncttemcnt  fous  deux  idées  ',  fça- 
voir  ,  la  chofe  qui  fait  &  la  chofe  qui  eft 
faite  -,  même  ces  deux  idées  ne  fe  réunirent 
pas  dans  le  iirême  Etre  fans  quelque  effort 
d'efprit,  &  l'on  ne  conçoit  guère  une  cho- 
fe qui  agit  ,  fans  fuppoler  une  autre  fur 
laquelle  elle  agit.  De  plus ,  il  cft  certain  que 
nous  avons  l'idée  de  deux  fabftances  dif- 
lindbts  -,  fçavoir  l'efprit  ôc  la  matière  j  ce 


'^o  LETTRE 

qui  penfe  ,  de  ce  qui  eft  étendu-,  Se  ces  deux 

idées    fe    conçoivent   irès-bien   l'une    fans 

i'autre. 

Il  y  a  donc  deux  manières  de  concevoir 
l'origine  des  chofesj  fçavoir  ou  dans  deux 
caufes  diverfes ,  l'une  vive  &  l'autre  mor- 
te f  l'une  motrice  Se  l'autre  mue  ,  l'une  ac- 
tive &  l'autre  paflive  ,  l'une  efficiente  Se 
l'autre  inftrumentale  -,  ou  dans  une  caufe 
unique  qui  tire  d'elle  feule  tout  ce  qui  eft 
&  tout  ce  qui  fe  fait.  Chacun  de  ces  deux 
fentimens  débattus  par  les  Métaphyhciens 
depuis  tant  de  ficelés  ,  n'en  eft  pas  devenu 
plus  croyable  à  la  raifon  humaine  :  Se  li 
î'exiftence  éternelle  Se  nécelfaire  de  la  ma- 
tière a  pour  nous  fes  difficultés,  fa  création 
n'en  a  pas  de  moindres  -,  puifque  tant  d'hom- 
mes Se  de  Philofophes  ,  qui  dans  tous  les 
tems  ont  médité  fur  ce  fujet  ,  ont  tous 
unanimement  rejette  la  poflïbilité  de  la 
création  ,  excepte  peut-être  un  très-petit 
nombre  qui  paroilTent  avoir  finccrement  fou- 
rnis leur  raifon  à  l'autorité  ;  (incérité  que  les 
motifs  de  leur  intérêt  ,  de  leur  fureté  ,  de 
leur  repos  ,  rendent  fort  fulpecfce.  Se  dont 
il  fera  toujours  impoifible  de  s'allurcr,  tant 
que  l'on  rifquera  quelque  chofe  à  parler 
vrai. 

Suppofc  qu'il  y  ait  un  principe  éternel  Se 
unique  des  chofes,  ce  principe  étant  fimplc 
dans  fon  elïence  ,  n'cfl:  pas  compofé  de  ma- 
tière Se  d'efprit  ^  mais  il  efl  matière  ou  ef- 

prit 


'A  M.  DE  BEAUMONT.       u 
prit  feulement.  Sur  les  raifons  déduites  pac 
le  Vicaire ,  il  ne  fçauroit  concevoir  que  ce 
pincipe  foit  matière  i  ik  s'il  eft  efprit ,  il  ne 
fçauroit  concevoir   que  par  lui  la  matière 
ait  reçu  l'Etre  :   car  il  faudroit  pour  cela 
concevoir  la  création  -,  or  l'idée   de  créa- 
tion ,  l'idée  fous  laquelle  on  conçoit  que 
par  un  ùmple  acte  de  volonté  rien  devient 
quelque  chofe  ,  eft  de  toutes  les  idées  qui 
ne  font  pas  clairement  contradidoires ,  la 
îtioins  compréhenfible  à  l'efprit  humain. 

Arrêté  de  deux  côtés  par  ces  diffiaihés  , 
le  bon  Prctre  demeure  indécis  ,  &  ne  fe 
tourmente  point  d'un  doute  de  pure  fpécu- 
Jation ,  qui  n'influe  en  aucune  manière  fur 
fes  devoirs  en  ce  monde  -,  car  enfin  ,  que 
m'importe  d'expliquer  l'origine  des  êtres  , 
pourvu  que  je  fçache  comment  ils  fubfiftent, 
quelle  place  j'y  dois  remplir ,  ôc  en  vertu" 
de  quoi  cette  obligation  m'eft  impofée? 

Mais  fuppofer  deux  principes  (  2.6  )  des 
cbofes*,  fuppoiîtion  que  pourtant  le  Vicai- 
ne  fait  point ,  ce  n'ed  pas  pour  cela  fup- 
pofer deux  Dieux ,  à  moins  que ,  comme  les 
Manichéens  on  ne  fuppofe  aufli  ces  prin- 
cipes tous  deux  adifs  .•  dodrine  abfolument 

(26)  Celui  qui  ne  connoît  que  deux  fubf- 
tauces ,  ne  peut  non  plus  imaginer  que  deux 
principes  ,  &  le  terme ,  ou  plufieurs  ,  ajouté 
dins  l'endroit  cité  ,  n'efl-là  qu'une  efpece  d  ex- 
plétif fcrvant  tout  au  plus  à  faire  entendre  que 
le  nombre  de  ces  principes  n'importe  pas  plus 
à  connoître  que  leur  nature.  E 


51      ^     ^     L  E  T  T  R  E 
contraire  à  celle  du  Vicaire  ,  qui  très-po- 
htivcment  ,    n'admet    qu'une    inte'.l  gence 
première,  qu'un  feul  principe  a6lif ,  &  par 
conféquent  qu'un  feul  Dieu. 

J'avoue  bien  que  Ja  création  du  monde 
étant  clairement  énoncée  dans  nos  traduc- 
tions de  la  Génefe,  la  rejetter  po(uivement 
fcroit  à  cet  égard  rejetter  l'autorité  ,  fi  non 
des  Livres  facrés,  au  moins  des  traductions 
qu'on  nous  en  donne  -,  &  c'eft:  aulTi  ce  qui 
lient  le  Vicaire  dans  un  doute  qu'il  n'auroit 
peut-être  pas  (ans  cette  autorité:  car  d'ail- 
leurs la  coexiftance  des  deux  principes  (17) 
femble  expliquer  mieux  la  conftitution  de 
l'univers  ,  &c  lever  des  difficultés  qu'on  a 
peine  à  réfoudre  fans  elle,  comme  entre 
autres  celle  de  l'origine  du  mal.  De  plus, 
il  faudroit  entendre  parfaitement  l'Hébreu 
&même  avoir  été  contemporain  de  M oyfe, 

_  (  27  ).  Il  eiï  bon  de  reinarqUw=r  que  cette  quef- 
tion  de  réternité  de  la  matière  ,  qui  effarou- 
che n  fort  no;  Théologiens,  effarouchoit  aifez 
peu  les  Pères  de  TEglife  ,  moins  éloignés  des 
fentiments  de  Platon. Sans  parler  de  Jultin  Mar- 
tyr, d'Origine,  <S:  d'autres,  Clément  Ak-xan- 
drin  prend  fi  bien  l'affiraiative  dans  les  Hypo- 
potipofes  ,  que  Photiu-;  veut,  à  caule  décela, 
que  ce  Livre  ait  été  faîfifié.  Mais  le  même  fen- 
timect  reparoît  encore  dans  les  StrouT^tes,  où 
Clément  rapporte  celui  d'Heraclite  ians  l'im- 
prouver.  Ce"  Père  ,  Liv.  V.  tâche  à  la  vérité  d'e'- 
tablir  un  feul  principe ,  mais  c'eft  parcequ'il  re- 
fufe  ce  nom  à  la  matière,  même  eu  admettant 
une  éternité. 


1  M.  DE  BEAUMONT.       f^ 
Cour   fçavoir   certainement  quel  fens  il  a 
«lonné  au  mot  qu'on  nous  rend  par  le  mot 
£rea.  Ce  terme  eft  trop  philofophique  pour 
avoir  eu  dans  {on  origine  l'acception  con- 
nue   ik  populaire    que  nous    lui   donnons 
maintenant  (ur  la  foi  de  nos  dcdeurs.  Cet- 
te acception  a  pu  changer  &  tromper  mè- 
îne  les  Septante,  déjà  imbus  des  que/lions 
d-elaPhilofophie  Grecque.  Rien  n'eft  moins 
rare  que  des  mots  dont  le  fens  change  par 
traits  de  tems,  &  qui  font  attribuer  aux  an- 
ciens Auteurs  qui  s'en  font  fcrvis,  des  idées 
qu'ils  n'ont  point  eues.  Il  eft  très-douteux 
que  le  mot  Grec  ait  eu  le  Tens  qu'il  nous 
plaît  de  lui  donner  j  &  il  eft    très-certain, 
que    le  mot  Latin  n'a  point  eu   ce  même 
lens  ,  puifque  Lucrèce,  qui  nie  formelle- 
nient  la  poffibilité  de  toute   création  ,  ne 
hiih  pas  d'employer  fouvcnt  le  même  terme 
pour  exprimer  la  formation  de  l'Univers  ÔC 
de  Ces  parties.  Enfin  M.  Beaufobre  a  prou- 
vé (  18  )  que  la  notion  de   la  création  ne 
le  trouve    point   dans    l'ancienne   Théolo- 
gie Judaïque  -,   &  vous  êtes  trop  inftruit 
Monfcigneur,  pour  ignorer  que  beaucoup 
d'hommes  pleins  de  refpcâ:  pour  nos  Li- 
■  vres  facrés,  n'ont  cependant  point  reconnu 
dans  le  récit  de  Moyfe  l'abfolue  création  de 
rUnivers.  Ainfi  le  Vicaire,  à  qui.lc  Defpo- 
tifmedes  Théologiens  n'en  impofe  pas,  peut 
très-bien  ,  fans  en  être   moins  orthodoxe 
(28)  Hift.  du  Manichcifme,  Tome  II 

Eij 


çv  LETTRE 

douter  s'il  y  a  deux  principes  éternels  des 
choies ,  ou  s'il  n'y  en  a  qu'un.  C'eil  un  dé- 
bat purement  grammatical  ou  pliilolophi- 
que,  où  la  révélation  n'entre  pour  rien. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  ce  n'eft  pas  de  cela 
qu'U  s'agit  entre  nous  ^  &  Tans  (outenir  les 
fentimens  du  Vicaire  ,  je  n'ai  rien  a  taire 
ici  qu'à  montrer  ,  vos  torts.  _  ^ 

Or  vous  avez  tort  d'avancer  que  1  umte 
de  Dieu  me  paroit  une  queftton  oileule  c^ 
fiipévieure  à  la  raiCon  -,  puifque  dans  i  L- 
cnt  que  vous  cenfurez  ,  cette  umte  elt  éta- 
blie &  foutenue  par  le  raifonnement^  ëc 
vous  avez  tort  de  vous  étayer  d'un  paliage 
de  Tertullien  ,  pour  conclure  contre  moi 
qu^l  implique  qu'il  y  ait  plufieurs  Dieux  ; 
car  fans  avoir  befoin  de  Tertulien,  je  conclus 
auffi  de  mon  côté  qu'il  implique  qu  il  y  ait 
niufieurs  Dieux.  , 

Vous  aveî  tort  de  me  qualifier  pour  cela 
d'Auteur  téméraire,  puifqu'ou  il  n  7^  po^^^ 
d'allertion  ,  il  n'y  a  point  de  temerite.  On 
ne  peut  concevoir  qu'une  Auteur  foit  un  té- 
méraire ,  uniquement  pour  être  moins  hardi 

ûue  vous.  .  •    u-    , 

Enha  vous  avez  tort  de  croire  avoir  bien 
juftihé  les  dogmes  pariiculiers  qui  donnent 
à  Dieu  les  paiTions  humaines,  èc  qm,  loin 
d'cclaicir  les  notions  du  gr.nd  Etre ,  les 
embrouillent  &  les  aviliHent  en  m  at.u- 
fài    Li'T^ment  d'embrouiller  Se  d'avilir  moi- 


A  M.  DE  BEAUMONT.  n 
l'effence  divine  que  )e  n'ai  point  attaquée  , 
&  de  révoquer  en  doute  Ton  unité  que  je 
n'ai  point  révoquée  en  doute.  Si  je  Pavois 
fait,  que  s'enfuivroit-il  ?  Récriiraner  n'efl: 
pas  fe  juftifier/  mais  celui  qui ,  pour  toute 
défenfe  ,  ne  fçait  que  récriminer  à  faux  , 
a  bien  l'air  d'être  feul  coupable. 

La  contradidion  que  vous  me  reprochez 
dans  le  même  lieu  eft  tout  auffi  bien  fon- 
dée que  la  précédente  occafion.  IL  ne  fçait , 
dites- vous  ,  quelle  eft  lu  nature  de  Dieu  , 
C^  bientôt  après  il  reconnaît  que  cet  Etrefu- 
prême  ef  doue  d'intelligence  ,  de  puifance , 
de  volonté  &  de  bonté  ;  nef-ce  donc  pas-là 
avoir  une  idée  de  la  nature  divine  î 

Voici ,  Monfeigneur  ,  là  deflus  ,  ce  que 
j'ai  à  vous  dire. 

„  Dieu  eft  intelligent  ;  mais  comment 
5,  l'eft-il  î  L'homme  eft  intelligent  quand  il 
„  raifonne  ,  &:  la  fuprême  intelligence  n'a 
„  pas  befoin  deraifonner  i  il  n'y  a  pour  elle 
„  ni  prémices,  ni  conféquence,  il  n'y  a  pas 
5,  même  de  propoiîtion  ^  elle  eft  purement 
„  intuitive,  elle  voit  également  tout  ce  qui 
5,  eft  &  tout  ce  qui  peut  être  -,  toutes  les 
„  vérités  ne  font  pour  elle  qu'une  feule 
„  idée  ,  comme  tous  les  lieux  un  feul  point , 
,,  tous  les  tems  un  feul  moment.  La  puif- 
5,  fance  humaine  agit  par  des  moyens  ,  la 
„  puilTance  divine  agit  par  elle-même.  D[cu 
j,  peut  ,  parce  qu'il  veut  j  fa  volonté  tait 
„  fon  pouvoir.  Dieu  eft  bon,  rien n'eft  plus 

Eiij 


•f^  LETTRE 

,,.  mnnifeftc-,  mais  Li  bonté  dans  l'homme  > 

i  .imoLir  de  Tes  (emblables ,  ôc  la  bonté 

.,  de  Dieu,  ert  l'amour  de  l'ordre;  car  c'eft 

„  par  l'ordre  qu'il  maintient  ce  qui  exifte  , 

„  ôc  lie  chaque  partie  avec  le  tout.  Dieu 

„  eft    jufte  ,    j'en    fuis    convaincu  ,    c'eft 

j,  une  luite  de  (a  bonté  ;  rmjuflice  des  hora- 

j,  mes  eft  leur  œuvre  Se  non  pas  la  tienne  ;  . 

,,  le  dcfordre  moral  qui  dépofe  contre  la  pro- 

3,  vidence   aux  yeux  des  Philofophes  ,  ne 

,,  fait  que  la  démontrer  aux  miens.  Maisla 

„  juftice  de  l'homme  eft  de  rendre  à  cha- 

3,  cun  ce  qui  lui  appartient  ,  ôc  la  juftice 

„  de  Dieu  de  demander  compte  à  chacun 

.,,  de  ce  qu'il  lui  a  donné. 

,,  Que  i\  je  viens  à  découvrir  fucceflive- 
j,  ment  les  attributs  dont  je  n'ai  nulle  idée 
,,  abfolue  ,  c'eft  par  des  confequences  tor- 
j,  cées,  c'eft  par  le  bonufagede  ma  railon, 
„  mais  je  les  affirme  fans  les  comprendre  : 
,5  &  dans  le  tond  ,  c'eft  n'affirmer  rien.  J'ai 
yy  beau  me  dire  ,  Dieu  eft  ainfi  ;  je  le  fens,  je 
3,  me  le  prouve:  je  n'en  conçois  pas  mieux 
),   comment   Dieu  peut  être  ainfi, 

„  Enfin  ,  plus  je  m'eForce  de  contempler 
3,  fon  eftence  iniînie  ,  moins  je  la  conçois.* 
,,  mais  clic  eft ,  cela  me  fuffit  :  moins  je  la 
„  conçois, plus  je  l'adore.  Je  m'humilie,  6c 
„  lui  dis:  Etre  des  Etres,  je  fuis  parce  que 
3,  tu  es  ;  c'eft  m'clcver  à  ma  fource  que  de  te 
„  méditer  fans  cciTe.  Le  plus  digne  uGgc 
5,  de  maraifon  cft  de  s'anéantir  devanitoi; 


'A  M.  DE  BÊkVMONT.        sJ 

^,  c'efl;  mon  ravillcmcnr  d'efprif,  c'eft  le 
„  chnrmc^de  ma  toiblefle,  de  me  fentir  ac- 
„  cable  de  ta  grandeur,,. 

Voiiàmaréponfe,  &  jelacroispéremptoi- 
re.  Faut-il  vous  due  à  préfent  où  jeTaipri- 
feî  Je  l'ai  tirée  mot  à  mot  de  l'endroit  mê- 
ine  que  vous  accufez  de  contradid:ion  (  29  ). 
Vous  en  ufez  comme  tous  mes  adverfaires 
qui,  pour  me  réfuter,  ne  font  qu'écrire  \zs 
ob)ed;i"«ns  que  je  me  fuis  taites  ,  fuppri- 
mermes  folutions.  La  réponfe  eft  déjà  toute 
prête  j  c'eft  l'ouvrage  qu'ils  ont  rctuté. 

Nous  avançons ,  Monfeigneur  ,  vers  \z^ 
difcuflions  les  plus  importantes. 

Après  avoir  attaqué  mon  Syftéme  &  mon 
Livre,  vous  attaquez  auiîi  ma  Religion, 
&  parceque  le  Vicaire  Catholique  fait  des 
objedions  contre  Ton  Eglife,  vous  cherchez 
à  me  faire  paffer  pour  Ennemi  de  la  mienne  , 
com.me  fi  propofer  des  difficultés  fur  un 
fentiment  ,  c'ctoit  y  renoncer  \  comme  fi 
toute  connoillance  humaine  n'avoir  pas  les 
fiennes  \  comme  fi  la  Géométrie  elle-même 
n'en  avoir  pas  ,  ou  que  les  Géomètres  fe 
fillenr  une  loi  de  les  raire  pour  ne  pas  nuire 
à  la  certitude  de  leur  art. 

La  réponfe  que  j'ai  d'avance  à  vous  fai- 
re, eft  de  vous  déclarer  avec  ma  franchife 
ordinaire  mes  fentimens  en  matière  de  Re- 
ligion ,  tels  que  je  les  ai  profelTés  dans  tous 

£29]  Emile,  Tome  IIL  page  94  &  fuiv. 

Eiv 


^î?» 


58  ^         i:  E  T  T  R  E 

mes  Ecrits  ,  Se  tels  qu'ils  ont  toujours  étc 
dins  mi  bouchs  :k  dans  mon  cœur.  Je  vous 
dirai  de  plus  pourquoi  j'ai  public  la  profef- 
fîon  de  foi  du  Vicaire,  &  pourquoi  mal- 
gré tant  de  calmeurs ,  je  le  tiendrai  toujours 
pour  l'Ecrit  le  meilleur  &c  le  plus  utile  dans 
le  liecle  où  je  l'ai  publié.  Les  bûchers  ni  les 
décrets  ne  me  feront  point  changer  de  lan- 
gage*, les  Théologiens,  en  m'ordonnant  d'é- 
n-e  humble  ne  me  feront  point  être  faux  , 
ôc  les  Philofophes,  en  me  taxant  d'ypocri- 
fîe,  ne  me  feront  point  profefler  l'incrédulî- 
té.  Je  dirai  ma  P^eligion,  parce  que  j'en  ^i 
une  ,  ôc  )e  le  dirai  hautement ,  parce  que  j'ai 
le  courage  de  le  dire  ,  ôc  qu'il  feroit  à  dclirec 
pour  le  bien  des  hommes  que  ce  fut  celle 
du  genre  humain. 

Monfeigneur  ,  je  fuis  Chrétien  ,  Sc  fin- 
cerement  Chrétien  félon  la  dodlrine  de  l'E- 
vangile. Je  fuis  Chrétien  ,  non  comme  un 
difciple  des  Prêtres,  mais  comme  un  difci- 
ple  de  Jefus-Chrifl.  Mon  Maître  a  peu  fub- 
tilifé  fur  le  dogme,  de  beaucoup  infifté  fur 
les  devoirs  -,  il  prefcrivoit  moins  d'articles 
d  foi  que  de  bonnes  œuvres  •,  il  n'ordon- 
nait de  croire  que  ce  qui  étoit  nécclTaire 
pour  être  bon  ;  quand  il  réfumoit  la  Loi 
^  les  Prophètes ,  c'étoit  bien  plus  dans  des 
ades  de  vertu  que  dans  des  formules  de 
croyance  (io),  !^:  il  m'a  dit  par  lui-raê-: 

C3o]MAtth.  VIL  12. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  0 
me  Se  pac  Tes  Apôtres ,  que  celui  q^i  aime 
fon  trere  a  accompli  la  Loi  (31). 

Moi  de  mon   coté  ,  très-convamcit  des 
vérités   eQenvielles  du  Chriftiamlme  ,  lel- 
quelles  fervevu  de  fondement  à  toute  bon- 
ne morale,  cherchant  au  furplus  à  nourrir 
mon  cœur  de  l'efprit  de  l'Evangile  fans  tour- 
menter ma  raifon  de  ce  qui  m'y  paroît  obl- 
cur  -,    enfin   perfuadé  que  quiconque  aime 
Dieu  par  deflus  toutes  chofes,  &  Ton  pro- 
chain comme  foi-mcme ,  cil  un  vrai  Chré- 
tien-, je  m'efforce  de  l'être,  laiflant  a  part 
toutes  ces  fubtilités  de  doctrine,  tous  ces 
importans   galimathias    dont  les  Phariliens 
embrouillent  nos  devoirs,  &  ofFulquent  no- 
tre foi,  &  mettant  avec  Saint  Paul  la  toi 
même  au  deflous  de  la  charité  (31). 

Heureux  d'être  né  dans  la  Religion  la 
pins  raifonnable  &  la  plus  fainte  qui  (oit 
fur  la  terre,  je  refte  inviolablement  attache 
au  culte  de  mes  Pères  :  comme  eux  je 
prends  l'Ecriture  &  la  railon  pour  les  uni- 
qwes  règles  de  ma  croyance  -,  comme  eux  fe 
récufe  l'autorité  des  hommes  ,  &  n'f  u- 
tends  me  foumettre  à  leurs  formules  qu  au- 
tant que  l'en  apperçois  la  vérité  -,  comme 
eux  je  me  réunis  de  cœur  avec  les  vrais  ler- 
viteurs  de  Jefus-Chrift,  &  les  vrais  adora- 
teurs de  Dieu  j  pour  lui  offrir  dans  la  com- 


« 


(31)  Galnt.  V.  24. 
(32)  I.  Cor.  XIII.  2.  13. 

Ev 


^o  LETTRE 

liiunion  des  fidèles  les  hommages  de  Ton 
Eglile.  Il  m'eft  coniolani  &c  doux  d'être 
compté  parmi  fes  membres,  de  participer 
au  culte  public  qu'ils  rendent  à  la  Divinité  , 
&c  de  me  dire  au  milieu  d'eux:  je  fuis  avec 
mes  treres. 

Pénétré  de  reconnoiffance  pour  le  digne 
Palpeur  qui  ,  réliftant  au  torrent  de  l'exem- 
ple ,    &  jugeant   dans  la  vérité,  n'a  point 
exclu  de  l'Eglife  un   dél:enreur  de  la  caufe 
de  Dieu,  je  conlerverai   toute  ma  vie  un 
tendre  fouvenir  de  C\  charité  vraiment  chré- 
tienne. Je  me  terai  toujours  une  gloire  d'c- 
tre  compté   dans  Ton  troupeau  j  de  j'efpere 
n'en  point  fcandalifer  les  membres,  ni  par 
mes  feniimens ,  ni  par  ma  conduite.    Mais 
lorfque  d'injuftes    Prêtres  ,  s'arrogeant  des 
droits  qu'ils  n'ont  pas,  voudront  le  taire  les 
arbitres  de  ma  croyance ,  ôc  viendront  me 
dire  arrogament  :   rétradez-vous  ,   dégui- 
(ez-vous,  expliquez  ceci,  défavouez  cela; 
leurs  hauteurs  ne  m'en  impoferont  point  ^  Se 
ils  ne  me  teront  point  mentir  pour  être  or- 
thodoxe, ni  dire,  pour  leur  plaire,  ce  que 
je  ne  penfe  pas.  Que  fi  ma  véracité  les  oft'en- 
iSyÔc  qu'ils  veuillent  me  retrancher  de  l'E- 
glife ,  je  craindrai  peu  cette  menace  dont 
l'exécution  n'ell  pas  en  leur  pouvoir.  Ils  ne 
m'empêcheront  pas  d'être  uni  de  cœur  avec 
les  hdeles,  ils  ne  m'oteront  pas  du  rang  des 
Elus  lî  j'y  fuis  infcrif.  Ils  peuvent  m'en  ôcec 
les  confolations  dans  cette  vie,  mais  non  ref- 


AM.  DEBEAUMONT.  (?t 
poir  dans  celle  qui  doit  la  fuivre  &  c  elt  a 
que  mon  vœu  le  plus  ardent  &  le  plus  fui- 
cere ,  eft  d'avoir  Jefus-Chrift  même  pour  art 
bitre  &  pour  Juge  entr'eux  ik  mou 

Tels  font ,  Monfeigneur  .  mes  vrais  kn- 
timcns,   que    je   ne   donne  pour   règle   a 
perlonne  ,   mais    que  je   déclare    être    les 
Liens,  &  qui  reftcront  tels  tant  qui  plat 
ra,  non   aux  ^^ommes,  mais  a  Dieu,  le  l 
niaître  de  changer  mon  cœur  &  ma  lailon . 
car   auffi  long-tems  que  )e  ferai  ce  que  )e 
fuis,  &  que  je  penferai  comme   )e  P^nle  , 
e  pillerai  comme  je  parle.  Bien  diflerent , 
e  vous  l'avoue,  de  vos  Chrétiens  en    cft-. 
gie  ,  toujours  prêts  à    croire  ce  qu  il    taut 
Croire,  ou  à  dire  ce  quMltaut  dire   poiu- 

leur   intérêt   ou  pour  leur  repos  ,  cV  tou^ 
ours   fûrs    d'ccre   affez   bons    Chrétiens, 
pourvu  qu'on  ne  brûle  pas  leurs  Livres,  6c 
■  qu'ils  ne  foient  pas  décrétés    Ils  vivent   en 
gens  perfuadés    que  non-feulement  il  tai  c 
confelîer  tel  &  tel  article,  mais   que    cela 
fuffit  pour  aller  en  Paradis  ;  &  moi  )e?en- 
fe,  au  contraire,  que  lelTennel  de  la  Re- 
ligion confifte  en  pratique  i  que  non-leule- 
ment   il  faut    être  homme  de   bjen  ,   mi- 
féricordieux  ,    humain  ,    charitable  ;  .mais 
que  quiconque  eft  vraiment  tel ,  en  croit  al- 
hz  pour    être   fauve.    J'avoue  ,  au  rcftc  , 
que  leur  dodrine  eft  plus  commoae  que  ia 
nV.ennc  ,  &   qu'il    en  coûte    bien    moins 
de    fe    m.etir€    au    nomore     des     tidci.s 


^2.  LETTRE 

par  des  opiiîrorrs  que  par  des  vertirs. 

Que  fi  j'ai  du  garder  cç.s  fentimens  poor 
moi  feul,  comme  ils  ne  ceflenc  de  le  dire  ; 
11,  lorfque  j'ai  eu  le  courage  de  les  publier 
ic  de  me  nommer,  j'ai  attaque  les  Loix  , 
&   troublé    l'ordre    public  ,   c'efl:    ce   que 
^examinerai  tout-à-l'heure.  Mais  qu'il  me 
loit  permis    auparavant  de  vous  fupplier^ 
Monfeigneur  ,  vous  &   tous  ceux  qui  li- 
ront   cet   écrit  ,  d'ajouter  quelque  foi  aux 
déclarations  d'un  ami  de  la  vérité  ,  &  de 
he  pas  imiter  ceux  qui ,  fans  preuve  ,  fans 
vraifemblance  ,    de   fur  le  feul  témoignage 
de  leur  propre  cœur  ,  m'accufent  d'athéif- 
me  &  d'irréligion  contre  des  proteftations 
il  politives,  &  que  rien  de  ma  part  n'a  ja- 
mais démenties.  Je  n'ai  pas  trop ,   ce    me 
iemble  ,  Pair  d'un    homme  qui  fe  dcgui- 
.'^  i^  neft  pas  aifé   de  voir  quel  inté-'" 
rct  j'aurois  à  me  d^guifer  ainiï.  L'on  doit 
prcfumer  que  celui  qui  s'exprime  fî  librc- 
ment    fur   ce  qu'il  ne  croit  pas,  eft  fince- 
re  en  ce  qu'il  dit  croire,  &  quand  Ces  dif- 
cours,  fa  conduite  &  fes  Ecrits   font  toa- 
J01.U-S  d'accord  fur   ce  point ,  quiconque  ofe 
atnrmer  qu'il  ment  ,  &  n'eft  pas  un  Dieu, 
ment  infailliblement  lui-même. 

Je  n'ai  pas  toujours  eu  le  bonheur  de  vivre 
leul.  J'ai  tréqucntc  des  hommes  de  toute 
e.pece.  J'ai  vu  des  gcMis  de  tous  les  partis, 
desCi-oyans  de  toutes  les  fcdcs  ,  des  ef- 
pcits  torts  de  tous  les  iîyftèmes  :  j'ai  vu  des 


A  M.  DE  BEAUMONT.  ^^ 
■grands,  des  petits,  des  libertins  ,  des  phi- 
lofophes.  J'ai  eu  des  amis  fûrs ,  ôc  d'autres 
qui  rétoient  moins:  j'ai  été  environné 
d'efpions  &  demalveuillans  ,  ôc  le  monde 
efl:  plein  des  gens  qui  m^aï&ent  à  caufe  du 
mal  qu'ils  m'ont  tait.  Je  ks  abjure  taus, 
quels  qu'ils  puilTent  être  ,  de  déclarer  au 
public  ce  qu'ils  fçavent  de  ma  croyance  eiî 
matière  de  Religion;  fi  dans  le  commerce  le 
plusfuivi,  fi  dans  la  plus  étroite  familiaritéj 
n  dans  la  gaieté  des  repas  ,  fi  dans  les  con- 
fidences du  tête-à-téte  ,  ils  m'ont  jamais 
trouvé  différent  de  moi-même  ■■,  fi  lorfqu'ils 
ont  voulu  difputer  ou  plaifanter  ,  leurs 
argumens  ou  leurs  railleries  m'ont  un  mo* 
ment  ébranlé  -,  s'ils  m'ont  furpris  à  varier 
dans  mes  fentimens  ;  fi  dans  le  fecret  de 
mon  cœur,  ils  en  oKt  pénétré  que  je  ca- 
chois  ail  public,  fi  dans  quelque  tems  que 
ce  foit  ils  ont  trouvé  en  moi  une  ombre  de 
faulTété  ou  dhipocrihe,  qu'ils  le  difent 
qu'ils  révèlent  tout,  qu'ils  me  dévoilent  ; 
j'y  confens,  je  les  en  prie  ,  je  les  difpenfe 
du  fecret  de  l'amitié:  qu'ils  le  difent  hau- 
tement ,  non  ce  qu'ils  voudroient  que  je 
rufle,  mais  ce  qn'Hs  fçavent  que  je  fuis, 
qu'ils  me  jugent  félon  leur  confcience;  je 
leur  confie  mon  honneur  fans  crainte  ,  &  je 
promets  de  ne  les  point  récufer. 

Que  ceux  qui  m'accufent  d'être  fans 
Religion,  parce  qu'ils  ne  conçoivent  pas 
qu'on  en  puills  avoir  une,  s'accordent  au 


6-4  LETTRE 

moins   s'ils  peuvent   emr'eux.  Les  uns^  ne 
trouvent   dans   mes    Livres    qu'un   iiftême 
a'athéifme,  les    autres  difenc  que  je    rends 
gloire  à  Dieu  dans  mes  Livres  fans  y  croire 
au  tond  de  mot>j^cear.  Ils  taxent  mes  écrits 
d'impiété  ,  &c  mes  fentimens  d'hypocrilie. 
Mais  (i  je  prêche  en  public  l'aihéilme  ,^  je 
ne  fuis  donc  pas  un   hypocrite  ,  Se  fi  j'at- 
fede  une  foi  que  je  n'ai  point,  je  n  enfei- 
gne  donc    pas   l'impiété.   En  entallant  des 
imputations  contradidoires,  la  calomnie  le  - 
découvre  elle-même  ',    mais    la    malignité 
efl:  aveugle,  &  la  paffion  ne  raifonnepas. 

Je   n'ai  pas,  il  eft  vrai,  cette  foi  dont 
^'entends  le  vanter  tant  des  gens  d'une  pro- 
bité  fi  médiocre,  cette  foi  robulle  qui  ne 
doute   jamais  de  rien,  qui    croit  fans  ta- 
çon  tout  ce  qu'on  lui  prefente  à  croire,  & 
qui  met  à  part  ou  dilTimule  les   objcftions 
qu'elle  ne  fçiit    pas  refoudrc.   Je  n  ai^  pas 
le  bonheur  de  voir  dans  la  révélation  l'évi- 
dence qu'ils  y  trouvent,  &c ,  h  je  me  dé- 
termine pour   elle  ,   c'eft  parce    que  mou 
cœur  m'y  porte  -,  qu'elle  n'a  rien  que  de 
confolant  pour  moi,  &  qu'à  la  rejettcr  ,  les 
difficultés  ne  font  pas  moindres  i  mais^  ce 
n'eft  pas  psrce  que  je  la  vois  démontrée  ', 
car  très-furement  elle  ne  l'eft  pas  à  mes  yeux- 
Je  ne  fuis  pas   même  allez  iniiruit,  à  beau- 
coup près,  pour  qu'une  démonftration  qui 
demande  un  f\  profond  fçwoir   foit  jamais 
à  ma  portée.  N'eft-il  pas  plaifant  que  moi 


A  M.  DE  BEAUMONT.  ?f 
qui  propofe  ouvertement  mes  objeâ:ions 
ôc  mes  doutes,  je  fois  l'hypocrire,  ôc  que 
tous  ces  gens  Ci  décides,  qui  difenc  fans  ce{- 
fe  croire  fermement  ceci  &  cela  ;  que  ces 
gens  fi  fûrs  de  tout,  fans  avoir  pourtant 
de  meilleures  preuves  que  les  miennes,  que 
ces  gens  enfin,  dont  la  plupart  ne  font 
gueres  plus  fçavans  que  moi  ,  6c  qui, 
fans  lever  mes  difficAltés,  me  reprochent  de 
les  avoir  propofées,  foient  des  gens  de 
bonne  foi. 

Pourquoi  ferois-je  un  hypocrite,  Se  que 
gagnerois-je  à  l'être?  J'ai  attaqué  tous  les 
intérêts  particuliers  ,  j'ai  fufcité  contre 
moi  tous  les  partis  ,  je  n'ai  foutenu  que 
la  cau(e  de  Dieu  &  de  l'humanité ,  &  qui 
eft-ce  qui  s'en  foucieî  Ce  que  j'en  ai  die 
n'a  pas  même  fait  la  moindre  fenfation, 
ôc  pas  une  ame  ne  m'en  a  fçu  gré.  Si  je 
me  tulTe  ouvertement  déclaré  pour  rathéij[- 
me,  les  dévots  ne  m'auroient  pas  tait  pis  , 
Se  d'autres  ennemis  non  moins  dangereux 
ne  me  porteroient  point  leurs  coups  en  (e- 
crer.  Si  je  me  fufle  ouvertement  déclaré 
pour  rathéifme  ,  les  uns  m'eullent  atta- 
qué avec  plus  de  reierve  en  me  voyant  dé- 
fendu par  les  autres  ,  Se  difpolé  moi  même 
à  la  vengeance.*  mais  un  homme  qui  craint 
Dieu  n'eft  guère  à  craindre  i  Ton  parti  n'eft 
pas  redoutable,  il  efl;  feul  ou  à  peu  près, 
Se  l'on  cH:  fur  de  pouvoir  lui  faire  beaucoup 
de  mal  avant  qu'il  fongeàlc  rendre.  Si  je  me 


<r^  L  E  T  T  R  E       ^      ^ 

fufle  ouvertement  déclare  pour  l'athéifine; 
en   me   féparant  ainfi    de  l'Eglife  ,  j'aurois 
ôté  tout  d'un  coup  à  Tes  minières  le  moyen 
de  me  harceler  fans  celTe  ,  S<  de  me  faire 
endurer  toutes  leurs  petites    tyrannies  ■■,  je 
n'aurois  point  eduyé  tant  d'ineptes  cenfures, 
êc  au  lieu  de  me  blâmer  fi  aigrement  d'avoir 
écrit,  il  eût  fallu  me  réfuter,  ce  qui  n'cH: 
pas  tout-à-fait  Ci  facile.  Enfin,  li  je  me  fulle 
ouvertement  déclaré  pour  l'athéifme  ,  o«  eue 
d'abord  un  peu  clabaudé ,  mais  on    m'eût 
bientôt   lailTé  en  paix  comme  tous  les  au- 
tres: le  peuple  du  Seigneur  n'eût  point  pris 
infpeâiion  fur  moi,  ciiacun  n'eût  point  cru 
me  faire  grâce,  en  ne  me  traitant  pas  en  ex- 
communié -,  &c  j'eufle  été  quitte  à  quitte  avec 
tout  le  monde  :  les  faintes  en  ifrael  nem'au- 
roient   point  écrit  des    Lettres  anonymes, 
&  leur  charité  ne  fe  fut   point  exhalée  en 
dévotes  injures  ;  elles   n'eullent  point  pris 
la  peine  de  m'aiïurer  humblement  que  j'é- 
tois  un  fcélérat,  un,  monflre  exécrable  ,  8c 
que  le  monde  eût  été  trop  heureux  li  quel- 
que bonne    ame  eût  pris   le  loin  de  m'é- 
touffer  au  berceau.    D'honnêtes   gens  ,  de 
leur  côté  ,  me  regardant  alors  comme  un 
réprouvé,  ne  fe  tourmenteroient   &  ne  me 
tourmenteroient  point  pour    me  ramener 
dans  la  bonne  voie  .•  ils  ne  me  tiraillcroieni 
pas  à  droite  &  à  gauche  ,  ils  ne  m'étout- 
feroient  pas  fous  le  poids  de  leurs  fermons, 
ils  ne  me  brceroient  pas  de  bénir  leur  zcie 


A  M.  DE  BEAUMONT.  ^^7 
en  maudiflant  leur  importunlié,  &c  de  fen- 
tir  avec  reconnoiflance  qu'ils  font  appelles 
à  me  faire  périr  d'ennui. 

Monfeigneur,  lî   je  fuis  un  hypocrite, 
je  fuis  un  fou  ,  puifque  ,  pour    ce    que   )e 
demande    aux   hommes  ,  c'elt   une  grande 
folie  de  fe  mettre  en  frais  de  fauffeté  :  fi  je 
fuis  un  hypocrite  ,  je  fuis    un   fot  -,  car  ii 
faut  l'être  beaucoup  pour  ne  pas  voir  que 
le  chemin  que  fai  pris  ne  mené  qu'à   des 
malheurs   dans  cette  vie,  &  que  quand  j'y 
pourrois  trouver  quelque  avantage  ,  je  n'eii 
puis  profiter  fans  me  démentir^.  Il  efl:  vrai 
que  j'y  fuis  à  temps  encore  ;  je  n'ai  qu'à  vou- 
loir un  moment  tromper  les  hommes  \  &  je 
mets  à  mes  pieds  tous  mes  ennemis.  Je  n'ai 
point  encore  atteint  lavieillelfe  ,  je  puis  en- 
cor  avoir  long-temsà  fouffrir  ,)e  puis  voir 
changer  de  rechef  le  public  fur  mon  comp- 
te; mais  fi  jamais  j'arrive  aux  honneurs  & 
à  la  fortune  ,  par  quelque  route  que  j'y  par- 
vienne ,  alors  je   ferai   un  hypocrite  -,  cela 

eft  fur.  ,      ,       a      • 

La  gloire  de  l'ami  de  la  vente  n'eltpomt 
attachée  à  telle  opinion  plutôt  qu'à  telle 
autre  i  quoi  qu'il  dife  ,  pourvu  qu'il  le 
penfe ,  il  tend  à  fon  but.  Celui^  qui  n'a 
a'autre  intérêt  que  d'être  vrai ,  n'eft  point 
tenté  de  mentir  ,  ôc  il  n'y  a  nul  homme 
fenfé  qui  ne  préfère  le  moyen  leplusfim- 
pie,  quand  il  eft  auflî  le  plus  fur.  Mes  en- 
açmis  auront  beau  faire  avec  leurs  injures^ 


"es  ^^      LETTRE 

ils  ne  tn'ôteronr  point  l'honneur  d'ctre  iiiî 
homme  véri  ijqne  en  toute  chofe  ,  d'être 
le  feiil  Auteur  Je  mon  fîecle  ,  &  de  beau- 
coup d'autres  qui  ait  écrit  de  bonne  foi , 
ôc  qui  n'ait  dit  que  ce  qu'il  a  cru  :  ils  pour- 
ront un  moment  {ç:)uilier  ma  réputation  à 
force  de  rumeurs  &  de  calomnies  :  mais 
elle  en  triomphera  tôt  ou  tard.-  car  tandis 
qu'ils  varieront  dans  leurs  imputations  ri- 
dicules, je  refierai  toujours  le  même.,  Se 
fans  aiitre^  art  que  ma  franchife  ,  jai  de 
quoi  les  défoler  toujours. 

Mais  cette  franchife  eft  déplacée  avec  le 
public  ]  Mais  toute  vérité  n'ell  pas  bonne 
"à  dire  l  Mais  bien  que  tous  les  gens  fenfés 
penfent  comme  vous,  il  n'eft  pas  bon  que 
le  vulgaire  penfeainfi!  Voila  ce  qu'on  me 
crie  de  toutes  parts  j  voilà  ,  peut-être  ,  ce 
que  vous  me  diriez  vous-même  fi  nous 
étions  tête-à-tête  dans  votre  cabinet.  Tels 
font  les  hommes.  Ils  changent  de  langage 
comme  d'habit  ^  ils  ne  difentla  vérité  qu'en 
robe  de  chambre  -,  en  habit  de  parade  ils 
ne  fçavent  plus  que  mentir;  &  non- feule- 
ment ils  font  trompeurs  &  fourbes  à  la 
face  du  genre  humain  ,  mais  ils  n'ont  pas 
honte  de  punir  contre  leur  conf:icnce  qui- 
conque ofe  n'être  pas  fourbe  Se  trompeur 
public  comme  eux.  Mais  ce  principe  ell:-il 
bien  vrai  que  toute  vérité  n'cll:  pas  bonne 
à  dire  ?  Quand  il  le  feroit  ,  s'enfuivroit-il 
fltïç  nulle  erreur  ne  fiU  bonne  à  détruire  ^ 


A  M.  DE  BEAUMONT.  'è^ 
èc  toutes  les  folies  des  hommes  font-elles 
fi  faintes  qu'il  n'y  en  ait  aucune  qu'on  ne 
doive  refpe^ler  î  Voilà  ce  qu'il  convien- 
droit  d'examiner  avant  de  me  donner  pour 
loi  une  maxime  fufpeite  6c  vague  ,  qui  , 
fût-elle  vraie  en  elle  même  ,  peut  pécher 
par  fon  application. 

J'ai  grande  envie  ,  Monfeigneur  ,  de 
prendre  ici  ma  méthode  ordinaire  ,  Se  de 
donner  i'hiftoire  de  mes  idées  pour  toute 
réponfe  à  mes  accufatcurs.  Je  crois  ne 
pouvoir  mieux  juftitîer  tout  ce  que  j'ai 
ofé  dire  ,  qu'en  dilant  encore  tout  ce  que 
j'ai  penfé. 

Si- tôt  que  je  fus  en  état  d'obferver  les 
hommes  ,  je  les  regardois  faire ,  de  je  les 
écoutois  parler  -,  puis ,  voyant  que  leurs  ac- 
tions ne  reffembloient  point  à  leurs  dif- 
cours ,  je  cherchai  la  raifon  de  cette  dif- 
femblance  ,  Se  je  trouvai  qu'être  &  pa- 
roître  étant  pour  eux  deux  chofes  aufii  dif- 
férences qu'agir  Se  parler,  cette  deuxième 
différence  étoit  la  caufe  de  l'autre  ,  Se 
avoit  elle-même  une  caufe  qui  me  reftoit 
à  chercher. 

Je  la  trouvai  dans  notre  ordre  focial  ; 
qui ,  de  tout  point  contraire  à  la  nature  que 
rien  ne  détruit ,  la  tyrannife  fans  cefTc ,  Se 
lui  fait  fans  celle  reclamer  fes  droits.  Je  fui- 
vis  cette  contradiél:ion  dans  fes  conféquen- 
ces ,  &  je  vis  qu'elle  expliquoit  feule  tous 
iss  vices  des  honimes,  Si  tous  les  niaux  de 


'70  ^^  ^  LETTRE 
la  fociété.  D'où  je  conclus  qu'il  n'ctoît 
pas  néceflTàire  de  fuppofer  l'homme  mé- 
chant par  fa  nature,  lorfqu'on  pouvoit  mar- 
quer l'origine  &  le  progrès  de  fa  méchan- 
ceté. Ces  réflexions  me  conduifirent  à  de 
nouvelles  recherches  fur  l'efprit  humain 
confidéré  dans  l'état  civil,  &  je  trouvai 
qu'alors  le  développement  des  lumières  & 
des  vices  fe  faifoit  toujours  en  même  rai- 
fon,  non  dans  les  individus,,  mais  dans  les 
peuples,  diftinétion  que  j'ai  toujours  foi- 
gneufement  faite  ,  &  qu'aucun  de  ceux 
qui  m'ont  attaque  n'a  jamais  pu  conce- 
voir. 

J'ai  cherché  la  vérité  dans  les  Livres-,  je 
n'y  ai  trouvé  que  le  menfonge  &  l'erreur. 
J'ai  confulté  les  Autheurs  \  je  n'ai  trouve 
que  des  Charlatans  qui  fe  font  un  jeu  de 
tromper  les  hommes,  fans  autre  Loi  que 
leur  intérêt,  fans  autre  Dieu  que  leur  ré- 
putation j*  prompts  à  décrier  les  cheh  qui 
ne  les  traitent  pas  à  leur  gré,  plus  prompts 
à  louer  l'iniquité  qui  les  paie.  En  écoutant 
Jes  gens  à  qui  l'on  permet  de  parler  en 
public,  j'ai  compris  qu'ils  n'ofent  ou  ne 
veulent  dire  que  ce  qui  convient  à  ceux 
qui  commandent,  &  que  payés  par  le  fort 
pour  prêcher  le  toible,  ils  ne  fçavent  parler 
au  dernier  que  de  fes  devoirs ,  &  à  l'autre 
que  de  fes  droits.  Toute  l'inftrudion  pu- 
blique tendra  toujours  au  menfonge  ,  tant 
^ue  ceux  qui  la   dirigent  trouveront  leur 


A  M.  DE  BEAUMONT.         j^ 
intérêt  à  mentir ,  &  c'eft  pour    eux" feule- 
ment que  la  vérité  n'cfl:  pas  bonne  à  dire. 
Pourquoi  ferois- je  le  complice  de  ces  gens-là? 
Il  y  a  des  préjugés  qu'il  faut  refpeder; 
cela  peut  être:  mais  c'eft  quand   d'ailleurs 
tout  eft  dans  l'ordre,  &  qu'on  ne  peut  ôter 
ces   préjugés  fans   ôter  aufîî  ce  qui  les  ra- 
cheté \  on  laiffe  alors  le  mal  pour  l'amour 
du   bien.    Mais    lorfque    tel  eft  l'état    des 
chofes,  que  plus  rien  ne  fauroit   changer 
qu'en    mieux,  les  préjugés    font- ils  fi  ref- 
pedables  qu'il  l:aille  leur  facrifier  la  railon, 
la  vertu,  la  juftice  ,  &  tout  le  bien  que  la 
vérité  pourroit  faire  aux   hommes?  Pour 
moi,  j'ai  promis  de  la  dire  en  toute  chofe 
•utile  ,  autant  qu'il  feroit  en  moi,  c'eft  un 
engagement  que  j'ai  dû  rem.plir  (elon  mon 
talent ,  &  que  fûrement  un  autre  ne  rem- 
plira pas  à  m.a  place ,  puifque  chacun  fe  de-, 
vanta  tous,  nul  ne  peut  payer  pour   au- 
trui. La  divine  vérité^  dit  S.  Auguftin,  rî ejl 
ni  à  moi,  ni  à  vous,  ni  à  lui,  mais  à  nous 
tous  quelle  appelle  avec  force  à  la  publier 
de  concert,  fous  peine  d'être  inutile  à  nous* 
'    mêmes  ,  fi  nous  ne  la  communiquons  aux  au- 
tres: car  quiconque   s'approprie  aluifeul 
un  bien  dont  Dieu  veut  que  tous  jouiffent  y 
perd  par  cette  ufurpation  ce  qu'il  dérobe  au 
public,  &  ne  trouve  qu erreur  en  lui-même, 
pour  avoir  trahi  la  vérité  (o). 

(o)  Aug.  Coaf,;flr.  L.  XII.  c.  25- 


72     .  LETTRE 

Les  hommes  ne  doivent  point  ctre  înf- 
truits  à  demi.  S'ils  doivent  refter  dans  l'er- 
reur ,  que  ne  les  laiffiez-vous  dans  l'igno- 
rance? A  quoi  bon  tant  d'Ecoles  &  d'U- 
niverlités,  pour  ne  leur  apprendre  rien  de 
ce  qui  leur  importe  à  fçavoir  ?  Quel  eft 
donc  l'objet  de  vos  Collèges ,  de  vos  Aca- 
démies ,  de  tant  de  fondations  fçavances  î 
Eft-ce  de  donner  le  change  au  Peuple , 
d'altérer  fa  raifon  d'avance  ,  3c  de  l'empê- 
cher d'aller  au  vrai  ?  Profelîeurs  de  men- 
fonge ,  c'cft  pour  l'abufer  que  vous  feignez 
de  l'inftruire  ;  ëc  ,  comme  ces  brigands  qui 
mettent  des  fanaux  fur  des  ccueils  ,  vous 
J'éclairez  pour  le  perdre. 

Voilà  ce  que  je  penfois  en  prenant  la 
plume ,  &  en  la  quittant  je  n'ai  pas  lieu  de 
changer  de  fentiment ,  j'ai  toujours  vu  que 
l'inftrudion  publique  avoit  deux  défauts 
effentiels  qu'il  croit  impoflibie  d'en  ôter. 
L'un  ci\  h  mauvaife  foi  de  ceux  qui  la 
donnent ,  &  l'autre  l'aveuglement  de  ceux 
qui  la  reçoivent.  Si  des  hommes  fans  paf- 
fîons  inftruifoient  des  hommes  fans  prc|U- 
gés,  nos  connoillances  rerteroient  plus  bor- 
nées ,  mais  plus  (lires,  ôc  la  raifon  rcgneroic 
toujours.  Or,  quoi  qu'on  falTe,  l'intérêt  des 
hommes  publics  fera  toujours  le  même  : 
mais  les  préjuges  du  peuple  ,  n'ayant  au- 
cune bafe  fixe,  iont  plus  variables  ■■,  ils  peu- 
vent eue  altérés  ,  changés  ,  augmentes  ou 
diminués.   C'eft  donc  de  ce  côté  ieul  que 


'A  M.  DE  BEAUMONT.  zi 
rînftrudion  peut  avoir  quelque  prife  ,^  & 
c'eft  là  que  doit  tendre  l'ami  de  la  vérité.  Il 
peut  efpérer  de  rendre  le  peuple  plus  rai- 
fonnable  ,  mais  non  ceux  qui  le  mènent 
plus  honnêtes  gens. 

J'ai  vu  dans  la  Religion  la  même  fauf- 
feté  que  dans  la  politique  ,   ôc  j'en  ai  été 
beaucoup    plus   indigne  .•    car    le  vice    du 
Gouvernement   ne  peut   rendre   les    fujets 
malheureux  que  fur  la  terre:  mais  qui  fçaic 
jufqu'où  les  erreurs  de  la  confcience  peu- 
vent nuire  aux  infortunés  mortels?  J'ai  vu 
qu'on  avoir  des  proftflîons  de  foi  des  doc- 
trines, àcs  cultes  qu'on  fuivoit  fans  y  croi- 
re ,  &  que  rien  de  tout  cela,  ne  pénétrant 
ni  le  cœur  ni  la  raifon  ,  n'influoit  que  très- 
peu  fur  la  conduite.  Monfeigneur,  il  faut 
vous  parler  fans  détour.  Le  vrai  Croyant 
ne  peut  s'accommoder  de  toutes  ces  iïtna- 
grées:  il  fcnt  que  l'homme  eft  un  être  in-, 
telligent  auquel  il  f'^ut  un  culte   raifonna- 
h\e  ,  Se  un  être  fociablc  auquel  il  faut  une 
morale  faite  pour  l'humanité.  Trouvons  pre- 
mièrement ce  culte  &  cette  morale  ,  cela 
fera  de  tous  les  hommes  ^   &  puis  quand 
il  faudra  des    formules  nationales  ,  nous 
en  examinerons  les  fondements  ,  les   rap- 
ports ,  les  convenances  y  <k  après  avoir  dit 
ce  qui  eft  de  l'homme  ,  nous  dirons  enfuite 
ce  qui   eft  du   Citoyen.   Ne    LxCom    pas  , 
fur-tout  ,  comme  votre  Monfieur  Joli  de 
Fleuri,  qui,  pour  établir  Ton  Janfénifme  , 


74       ^  LETTRE 

veut  déraciner  toute  loi  naturelle  êc  toute 
obligation  qui  lie  entre  eux  les  humains  > 
de  forte  que  ,  félon  lui ,  le  Chrétien  &  l'infi- 
dèle qui  contractent  contre  eux ,  ne  font  tenus 
à  rien  du  tout  l'un  envers  l'autre ,  puifqu'il 
n'y  a  point  de  loi  commune  à  tous  les  deux. 

Je  vois  donc  deux  manières  d'examiner  Se 
comparer  les  Religions  diverfes^  l'une  félon 
le  vrai  &  le  faux  qui  s'y  trouvent,  foit  quant 
aux  faits  naturels  ou  furnaturels  fur  lefquels 
elles  font  établies ,  foit  quant  aux  notions 
que  la  raifon  nous  donne  de  l'être  fuprcme, 
ôc  du  culte  qu'il  veut  de  nous  :  l'autre  fé- 
lon leurs  effets  temporels  ôc  moraux  fur 
la  terre  ,  félon  le  bien  ou  le  mal  qu'elles 
peuvent  taire  à  la  fociété  ôc  au  genre  hu- 
main. Il  ne  faut  pas ,  pour  empêcher  ce 
double  examen  ,  commencer  par  décider 
que  ces  deux  chofes  vont  toujours  enfem- 
ble  ,  ôc  que  la  Religion  la  plus  vraie  eft 
auffi  la  plus  fociale"',  c'efl  précilément  ce 
qui  eft  en  queftion  i  &  il  ne  faut  pas  d'a- 
bord crier  que  celui  qui  traite  cette  quef 
tion  eft  un  impie  ,  un  Athée  i  puifque 
autre  chofe  eft  de  croire  ,  ôc  autre  chofe 
d'examiner  l'effet  dé  ce  que  l'on  croit. 

Il  paroît  pourtant  certain  ,  je  l'avoue , 
que  fi  l'homme  eft  fiit  pour  la  fociété ,  la 
Religion  le  plus  vraie  eft  auflî  la  plus  fa- 
ciale ôc  la  plus  humaine  ;  car  Dieu  veut  que 
nous  foyons  tels  qu'ils  nous  a  faits  ,  ôc  s'il 
ctoit  vrai  qu'il  nous  eût  faits  méchans ,  ce 

fcroit 


LETTRE  ,  7f1 
Teroît  lui  défobéir  que  de  vouloir  ceflec 
de  l'être.  De  plus  la  Religion  ,  confidérée 
comme  une  relation  entre  Dieu  &  l'homme, 
re  peut  aller  à  la  gloire  de  Dieu  que 
par  le  bien-être  de  l'homme,  puifque  l'au-^^ 
tre  terme  de  la  relation  qui  eft  Dieu  ,  elt 
par  fa  nature  au  delTus  de  tout  ce  que  peuc 
l'homme  pour  ou  contre  lui. 

Mais  ce  fentiment  ,  tout  probable  qu'il 
cfl:  ,  cil  fnjet  à  de  grandes  difficultés  ,  pas: 
l'hiftorique  Se  les  taits  qui  le  contrarient.  Les 
Juifs  étoient  les  ennemis  nés  de  tous  les 
autres  Peuples  ,  6c  ils  commencèrent  leuk* 
établiilement  par  détruire  fept  nations , 
félon  l'ordre  exprès  qu'ils  en  avoient  re- 
çu. Tous  les  Chrétiens  ont  eu  des  gueres 
de  Religion ,  &  la  guerre  eft  nuifibie  aux 
hommes  ;  tous  les  partis  ont  été  perfécu- 
teurs  &  perfécutés  ,  &  la  peifccution  e(t 
nuifibie  aux  hommes  -,  pluueurs  feâres  van- 
tent le  célibat ,  Se  le  célibat  eft  fi  nuifibie 
(33)  à  l'efpece  humaine,  que  s'il  étoit  fui- 
vi  par-tout,  elle  périroit.  Si  cela  ne  fait  pas 

{33  )  Lacontinenceîk  îa  pureté  ont  kurs  ufa- 
ges,  mêmes  pour  la  population*,  ileft  (orjorrs 
beau  de  fe  commander  à  loi  même ,  &  l'éfat  dâ 
virginité  eft,  par  fes  raifons,  très  digne  d'efli- 
me  ;  mais  il  ne  s'enfuit  pas  qu'il  foit  beau ,  ni 
bon  ,  ni  louable,  de  perfévérer  toute  la  vie  dans 
cet  état,  en  off enfant  la  nature  ,  Ôi  en  trom- 
pant fa  deftination.  L'on  a  plus  de  refpca  pour 
une  jeune  vierge  nubile  ,  que  pour  une  jeune 
femme  ;  mais  on  en  a  plus  pour  une  mère  de 
famille  ,  que  pour  une  vieille  tiue ,  &  cela  m.^ 


75       A  M.  DE  BEAUMONT. 
preuve  pour  décider,  cela  tait  raifon  pour 
examiner ,  ^'  je  ne  demandois  autre  choie 
lînon  qu'oa  permît  cet  examen. 

Je  ne  dis  ni  ne  penfe  qu'il  n'y  ait  aucune 
bonne  Religion  fur  la  terue-,  m.usf  je  dis  ,& 
il  eft  trop  vrai,  qu'il  n'y  en  a  aucune  par- 
mi celles  qui  font  ou  qui  ont  été  dominan- 
tes ,  qui  n'ait  tait  à  l'humanité  des  phies 
cruelles.  Tous  les  partis  ont  tous  leur  frè- 
res ,  tous  ont  offert  à  Dieu  des  facnlîces 
de  iang  humain.  Quelle  que  foit  la  fource 
de  ces  contradidions,  elles  ex iftent  -,  ell-ce 
un  crime  de  vouloir  les  ôter  ? 

La  charité  n'efl:  point  meurtrière.  L'a- 
tnour  du  prochain  ne  porte  pouit  à  le  maf- 
paroît  très  fenfé.  Comme  on  ne  fe  marie  pas  en 
naiffant,  &  qu'il  n'efl  pas  mcme  à  propos  de  fe 
marier  fort  jeune ,  la  virginité  que  tous  ont  dû 
porter  &  honorer,  a  fa  néceilité,  Ion  utilité, 
fon  prix  &  fa  gloire  ;  mais  c'ell  pour  aller  , 
quand  il  convient,  dépofer  toute  fa  pureté  dans 
le  mariage.  Quoi .'  difent-ils  de  leur  air  bête- 
ment triomphant,  des  célibataires  prêchent  le 
nœud  conjugal .'  pourquoi  ne  fe  marient  ils  pas  ? 
Ah  !  pourquoi  ?  Parce  qu'un  état  fi  faint  &  û 
doux  en  lui  mcme  eft  devenu  ,  par  vos  fottes 
inftitutions  ,  un  état  malheureux  &  ridicule  , 
dans  lequel  ileft  déformais  prefqueimpothble 
de  vivre  fins  être  un  fripon  ou  un  lot.  Sceptres 
de  fer ,  loix  infcnfées .'  c'ell  à  vous  que  nous  re- 
prochons de  n'avoir  pu  remplir  nos  devoirs  fur 
la  terre  :  &  c'ell  par  nous  que  le  cri  de  la  natu- 
re s'élève  contre  votre  barbarie.  Comment  olez- 
vous  la  repouiiér  jufqu'à  uous  reprocher  la  mi- 
fere  où  vous  nous  avez  réduits. 


A  M.  DE  BEAUMÔNT.  yf 
facrer.  Ainfi  le  zèle  du  falut  des  hommes 
n'eft  point  la  caufe  des  perfccutions  \  c'eft 
l'amour-propre  &  l'orgueil  qui  en  efl:  la 
caufe.  Moins  un  culte  eft  raifonnable,  plus 
on  cherche  à  l'établir  par  la  force  :  celui 
qui  profelTe  une  dodrine  infenfée  ne  peut 
fouffrir  qu'on  ofe  la  voir  telle  qu'elle  efl:  ; 
la  raifon  devient  alors  le  plas  grand  des  cri- 
mes j  à  quelque  prix  que  ce  foit ,  il  faut  l'ô- 
ter  aux  autres ,  parce  qu'on  a  honte  d'en 
inanquer  à  leurs  yeux.  Ainfi  l'intolérance 
&c  l'inconféquence  ont  la  même  fource.  Il 
faut  fans  cefle  intimider,  effrayer  les  hom- 
mes. Si  vous  les  livrez  un  moment  à  leun 
raifon  vous  êtes  perdus. 

De  cela  feul  il  fuit  que  c'efl  un  grand 
bien  à  faire  aux  peuples  dans  ce  délire , 
que  de  leur  apprendre  à  raifonner  fur  la. 
Religion  j  car  c'eft  les  rapprocher  des  de- 
voirs de  l'homme ,  c'eft  ôter  le  poignard  à 
l'intolérance,  c'eft  rendre  à  l'humanité  tous 
fes  droits.  Mais  il  faut  remonter  à  des 
principes  généraux  Se  communs  à  tous  les 
hommes  ;  car  fi ,  voulant  raifonner ,  vous 
laiflez  quelque  prife  à  l'autorité  des  Prêtres  ' 
vous  rendez  au  fanatifme  fon  aime,  &  vousï 
lui  fourniftcz  de  quoi  devenir  plus  cruel. 

Celui  qui  aime  la  paix  ne  doit  point  re- 
courir à  des  Livres;  c'eft  le  moyen  de  ne 
rien  finir.  Les  Livres  font  des  fources  de 
difputcs  intariflables  :  parcourez  l'Hiftoire 
des  Peuples  ;  ceux  qui  n'ont  point  de  Li- 

F  ij 


7l  LETTRE 

-vres  ne  difputent  point.  Voulez-vous  aller- 
vir  les  hommes  à  des  autorités  humaines? 
L'un  fera  plus  près,  l'autre  plus  loin  de 
•la  preuve  -,  ils  en  feront"  diverlement  attec- 
tés  j  avec  la  bonne  toi  la  plus  entière  ,  avec 
le  meilleur  jugement  du  monde,  il  e^  1,°^' 
pcfiîble  qu'ils  foient  jamais  d'accord.  N  ar- 
gumentez point  fur  des  arguments  ,  Se  nz 
■vous  tondez  point  fur  des  dilcours.  Le  lan- 
gage humain  n'eft  pas  allez  clair.  Dieu  ku- 
n/me  s'il  daignoit  nous  parler  dans  nos 
langues,  ne  nous  diroit  rien  fur  quoi  i  on 
ne  pût  difputer. 

Nos  langues  font  l'ouvrage  des  hommes, 
&  les  hommes  font  bornés.  Nos  langues 
font  l'ouvrage  des  hommes,  &  les  hommes 
font  menteurs.  Comme  il  n'y  a  point  de 
vérité  fi  clairem.ent  énoncée  ou  l'onnepuil- 
fe  trouver  quelque  chicane  à  taire,  il  ny  a 
pointdefigrcffiermenfonge  qu'on  ne  puil- 

fe  étayer  de  quelque  faude  raifon. 

Suppofons  qu'un  particulier  vienne  a 
minuit  nous  crier  qu'.l  eft  )our  -,  on  le 
moquera  de  lui  :  mais  laillez  a  ce  particu- 
lier le  temps  Se  les  moyens  de  fe  taire  une 
fecle,  tôt  où  tard  les  partifans  viendront  a 
bout  devons  prouver  qu'il  diloit  vrai.  Car 
enfin  ,  diroient-ils  ,  quand  il  prononce  qu  il 
étoit  )our  ,  il  étoit  jour  en  que.que  heu  de 
la  tnre:  rien  n'eft  plus  certaui.  D  autres 
av^nt  établi  qu'il  y  a  touiours  dans  1  air 
quelques  particules  de  lumicre  ,   loutienr 


A  M.  DE  BEAUMONT.       79 
ncnt  qu'en  un  autre  Cens  encore  ,  il  eft  tres- 
vrai  qu'il  eft  jour  la  nuit.  Pourvu  que   des 
gens  fubtils  s'en  mêlent ,  bientôt  on  vous 
fera  voir  le  Soleil  en  plein  minuit.  Tout  le 
monde  ne  fe  rendra  pas  à  cette  évidence. 
Il  y  aura  des  débats    qui  dégénéreront,  le- 
lon  l'ufage,  en  guerres  &  en  cruautés.  Les 
uns  voudront  des  explications  ,  les  autres 
n'en  voudront  poMit  :  Tun  voudra  prendre 
la  propofuion  au  hgurc ,  l'autre  au  propre. 
L'un  dira:  il  a  dit  à  minait  qu'il  etoit  jour, 
&  il  étoit  nuit  :  l'autre  dira.-  il  a  dit  a  mi- 
nuit qu'il  étoit  jour  ,  &  il  étoit  nuit.  Cha- 
cun taxera  de  mauvaife    toi  le  parti   coti- 
traire,  &  n'y  verra  que   des  obftincs.  On 
finira  par  fe  battre  ,  ie  mallacrer  -,  les  flots 
de  fan^  couleront  de  toutes  parts  i  &  il  la 
nouvelle  fecle  eft  enfin  vidorieufe,  ii  res- 
tera démontré  qu'il  eft  jour  la  nuit.  C  ext 
à  peu  près  l'hiftoire  de  toutes  les  querehes 
de  Religion.  '     ,, 

La  plupart  des  cultes  nouveaux  s  eia- 
bliiU-nt  par  le  fanatifme  ,  &  fe  maintiennent 
par  l'hvpocrilîei  de  là  vient  qu'ils  choquent 
la  raifon,  o^  ne  minent  point  à  la  vertu. 
L'enthoufiafme  &  le  délire  ne  raifonnent 
pas  -,  tant  qu'ils  durent ,  tout  pafle,  &  l'on 
marchande  peu  fur  les  dogmes.  Cela  eft 
d'ailleurs  fi  com.model  la  doctrine  coûte  h 
peu  à  fuivre  ,  &  la  m.orale  coûte  tant  à  pra- 
tiquer, qu'en  fe  jettant  du  coté  le  plus  ta- 
çiie,  on  rachette  ks  bonnes  œvres  parle 

r  iij 


sro  LETTRE 

ipérite  d'une  grande  foi.  Mais ,  quoi  qu'on 
taTe  ,  le  t.miurme  efl  un  état  de  ciifc  qui 
ne  peut  d  irer  toujours.  Il  a  Tes  accès  plus 
ou  moins  longs,  plus  ou  moins  fréquents, 
&  il  a  aulTi  Tes  relâches,  durant  lefquels  on 
efl:  de  fang  froid.  G'ert  alors  qu'en  revenant 
fur  foi- même  ,  on  efl  tout  furpris  de  fe 
voir  enchaîné  par  tant  d'aBfurdités.  Cepen- 
dant le  culte  eft  régl^,  les  formes  font  pref- 
crites  ,  les  loix  lont  établies  ,  les  tranf- 
grelTeurs  font  punis.  Ira-t-on  protefter  feul 
contre  tout  cela  ,  récufer  les  Loix  de  foi> 
pays  ,  &  renier  la  religion  de  fon  père  î 
Qui  l'oferoit  î  On  fe  foumet  en  filence  , 
l'intérêt  veut  qu'on  foit  de  l'avis  de  celui 
dont  on  hérite.  On  fait  donc  comme  les 
autres  ,  fauf  à  rire  à  fon  aife  en  particulier 
de  ce  qu'on  feint  de  refpeder  en  public. 
Voilà,  Monfeign?ur,  comme  penfe  le  gros 
des  hommes  dans  la  plupart  dts  Religions  , 
fur-tout  dans  la  vôtre  j  &  voilà  la  clef  des 
inconféqueces  qu'on  remarque  entre  leur 
morale  &  leurs  acfiions.  Leur  croyance  n'eft 
qu'apparence ,  (3c  leurs  mœurs  font  comme 
leur  foi. 

Pourquoi  un  homme  a  t-il  infpeflion  fur 
la  croyance  d'un  autre  ,  &  pourquoi  l'Etat 
a-t-il  infpedtion  fur  celle  des  Citoyens? 
C'eft  parce  qu'on  luppofc  que  la  croyance 
des  hommes  détermine  leur  morale,  &  que 
des  idées  qu'ils  ont  de  la  vie  avenir  dépend 
leur  conduite  en  celle-ci.  Quand  cela  n'eft 


A  M.  DE.BEAUMONT.       8i 
pas ,  qu'importe  ce  qu'ils  croient  ou  ce  qu'ils    . 
font  femblant  de  croire  î  L'apparence  de  la 
Religion  ne  fert  plus  qu'à  les  difpenler  d'en 
avoir  une.  . 

Dans  la  focicté  chacun  efl:  en   droit^  de 
s'informer  fi  un  autre  fe  croit  oblige  d'être 
jufte  ,  &  le  Souverain  eft  en  droit  d'exa- 
miner   les   raifons    fur    lefquelles    chacun 
fonde    cette  obligation.  De  plus  ,^  les  for- 
ces nationales  doivent  être  obfervées  -,  c'elt 
fur  quoi   j'ai  beaucoup  infifté.  Mais  quant 
aux    opinions    qui  ne  tiennent   point  à  la 
morale  ,  qui  n'inHuent  en  aucune  manière 
fur  les  adions ,  Se  qui  ne  tendent  point  a 
tranfgrcffer   les   Loix,  chacun  n'a  là-deflus 
que  fon  jugement  pour  maître  ,  &  nul  n'a 
ni  droit   ni  intérêt  de  prefcrire  à  d'autres 
fa  fiçon  de  penfer.  Si ,  par  exemple  ,  quel- 
qu'un ,  même  conftitué  en  autorité,  venoit 
me  demander  monfentiment  fur  la  fameufe 
queftion  de  Thypoftafe  dont  la  Bible  ne  dit 
pas  un  mot  ,  mais   pour  laquelle  tant  de 
grands  enfans  ont  tcnnu  de  Conciles,  &  tant 
d'homir.es  ont  été  tourmentes  -,  après    lui 
avoir  dit  que  je  ne  l'entends  point,  &  ne  me 
'  foucie  point  de  l'entendre ,  je  le  pricrois , 
le  plus  honnêtement  que  je  pourrois,  de  fe 
mêler  de  fes  affaires  i  ôc  s'il  infîftoit,  je  le 
lailTerois-là. 

Voilà  le  feul  principe  fur  lequel  on 
puiffe  établir  quelque  chofe  de  fixe  ôc  d'é- 
quitable fur  le5  difputes  de  la  Religion, 

F  Y 


S2  L  E  T  T  II  E 

fans  quoi  chacun  pofant  de  Ton  côté  ce  qui 
ell  cil  queition  ,  jamais  on  ne  conviendra 
de  lien  ,  l'on  ne  s'entendra  de  la  vie  ••>  ëc 
la  Religion  ,  qui  devroit  faire  le  bonheui' 
des  hommes,  tera  toujours  leurs  plus  grands 
tnaux. 

Mais  plus  les  Religions  vieillilTent  ,  plus 
Jeur  objet  fe  perd  de  vue  ;  les  fubiilitcs 
ie  multiplient  ,  on  veut  tout  expliquer, 
tout  décider  ,  tout  entendre  ,  incelTament 
la  dodrine  fe  rafine,  ôc  la  morale  dépérit 
toujours  plus.  AlTurémcnt  il  y  a  loin  de 
l'eTprit  du  Deutéronome  à  l'efprit  du  Tai- 
mud  &  de  la  Mifna  ,  &  de  refprit  de  l'E- 
vangile aux  querelles  fur  la  Conftitution  î 
Saint  Thomas  demande  (j^)  fiparla  fuc- 
ceflion  des  temps  les  articles  de  foi  fe  font 
inuîtipliés ,  6c  il  fe  dé:lare  pour  l'affirma- 
tive ;  c'cft-à-dire  ,  que  les  Dodleurs  ,  rcn- 
chérilTant  les  uns  fur  les  autres,  en  fçavem 
plus  que  n'en  ont  dit  les  Apôtres  ^  Jefus- 
Chriil.  Saine  Paul  avoue  ne  voir  qu'obfcii- 
rément,  &  ne  connaître  qu'en  partie  (  ?  0* 
Vraiment  nos  Théologiens  font  biens  plus 
avancés  que  cela  ;  ils  voient  tout ,  ils  fça- 
vent  tout.*  ils  nous  rendent  clair  ce  qui  ell 
obfcur  dans  l'Ecriture  :  ils  prononcent  fur 
ce  qui  croit  indécis:  ils  nous  font  fentir, 
ôvec    leur    modedie    ordinaire  ,  que    les 

(34)  Secundafecuniœ  y  Qu.-eji.  Art.  VU, 

C35)  I.  Cor.  aIII.  9.  10. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  î^ 
^Auteurs  Sacrés  avoient  grand  befoin  de 
leur  fecours  pour  fe  faire  entendre,  &  que 
le  S.  Efprit  n'eût  pas  fçu  s'expliquer  clai- 
rement fans  eux. 

Quand  on  perd  de  vue  les  devoirs  de 
J 'homme  pour  ne  s'occuper  que  des  opi- 
nions des  Prêtres  &  de  leurs  t"rivoles  dif-, 
pures,  on  ne  demande  plus  d'un  Chrétien 
s'il  craint  Dieuj  mais  s'il  effc  orthodoxe:  on 
lui  fait  ligner  des  formulaires  fur  les  qiief- 
tions  les  plus  inutiles,  &  fouvent  les  plus 
inintelligibles  \  &  quand  il  a  iïgné  tout  va 
bien  ,  l'on  ne  s'informe  plus  du  relie.  Pourvu 
qu'il  n'aille  pas  fe  taire  pendre,  il  peut  vi- 
vre au  furplus  comme  il  lui  plaira  ,  Tes 
mœurs  ne  tont  rien  à  l'aftaire  •,  la  dodrine  ell 
en  fureté.  Quand  la  Religion  en  eft-là  , 
quel  bien  fait  elle  à  la  foc'été  ,  de  quel 
avantage  eft-elle  aux  hommes;  Elle  ne  (ert 
qu'à  exciter  entr'eux  des  dilTentions  ,  des 
troubles,  des  guerres  de  toute  efpece  ,  à 
les  faire  entre-égorger  pour  des  Logogry- 
phes  :  il  vaudroit  mieux  alors  n'avoir  point 
de  Religion  que  d'en  avoir  une  fi  mal  en- 
tendue. Empcchons-îa  ,  s'il  fe  peut  ,  de 
dégénérer  z  ce  point  j  &  foyons  furs  , 
malgré  les  bikhers  &  les  chaînes  ,  d'avoir 
bien  mérité  du  genre  humain. 

Suppofons  que  ,  las  des  querelles  qui  le 
déchire,  il  s'alîemble  pour  les  terminer  & 
convenir  d'une  Religion  commune  à  tous 
Jcs  Peuples.  Chacun  commencera ,  cela  eft 

Fv 


84  LETTRE 

fur  ,  par  propofer  la  Tienne  comme  la  feule 
vraie  ,  la  feule  raifonnable  ôc  démontrée  , 
la  feule  agréable  à  Dieu,  &  utile  aux  honi- 
iries,  mais  fes  pauvres  ne  répondant  pas  là- 
deffus  à  fa  perfuafion  j  du  moins  au  gré  des 
autres  ferles,  chaque  parti  n'aura  de  voix 
que  la  fienne  ;  tous  les  autres  fe  réuniront 
contre  lui  •■,  cela  n'eft  pas  moins  (ûr.  La  dé- 
libération fera  le  tour  de  cette  manière, un 
feul  propofant,  &  tous  rejettant;  ce  n'eft 
pas  le  moyen  d'être  d'accord.  Il  eft  croya- 
ble qu'après  bien  du  temps  perdu  dans  ces 
altérations   puériles ,  les  hommes   de  fens 
chercheront  des  moyens  de  conciliation.  Ils 
propoferont,  pour  cela,  de  commencer  par 
chalïer  tous  les  Théologiens  de  Talfemblée, 
&  il  ne  leur  fera  pas  difficile  de  faire  voir 
combien  ce  préliminaire  ell  indilpenlable. 
Cette  bonne    œuvre  faite  ,  ils   diront   aux 
Peuples:  Tant  que  vous  ne  conviendrezpas 
de  quelque   prmcipe  ,  il  n'eft  pas  poifible 
même  que  vous  vous  entendiez ,  &  c'efl:  un 
argument  qui  n'a  jamais  convaincu  perfon- 
ne  ,  que  de  dire  :  vous  avez  tort  ,  car  j'ai 

raifon.  /  li     > 

„  Vous  parlez  de  ce  qui  eft  agréable  a 
„  Dieu.  Voilà  précifément  ce  qui  e/l  en 
„  queftion.  Si  nous  fçavions  quel  culte  lui 
„  eft  le  plus  agréable  ,  il  n'y  auroit  plus  de 
„  'difpute  entre  nous.  Vous  parlez  aufli  de 
,  ce  qui  eft  utile  aux  hommes  -,  c'eft  autre 
chofc  i  les  hommes  peuvent  juger  de  cela. 


-? 

» 


A  M.  DE  BEAUMONT.  Sj 
5,  Prenons  donc  cette  utilité  pour  règle',  & 
„  puis  écabliiTons  la  doctrine  qui  s'y  rap- 
5,  porte  le  plus.  Nous  pourrons  efpérer 
j,  d'approcher  ainfi  de  la  vérité  autant  qu'il 
5,  eft  poflîble  à  des  hommes  •,  car  il  eft  à  pré- 
j,  fumer  que  ce  qui  eft  le  plus  utile  aux  créa- 
„  turcs  ,  eft  le  plus  agréable  au  Créateur. 
„  Cherchons  d'abord  s'il  y  a  quelque  af- 
„  finité  naturelle  entre  nous;  fi  nous  fom- 
„  mes  quelque  chofe  les  uns  aux  autres, 
3,  Vous,  Jyifs  ,  que  penfez-vous  fur  l'ori- 
„  guiedu  genre  humain?  Nous  penfons  qu'il 
,,  eft  forti  d'un  même  Tere  -,  Se  vous ,  Chré- 
tiens? Nous  penfons  là-deffus  comme  les 
Juifs.  Et  vous  Turcs  ?  Nous  penfons 
5,  comme  les  Juifs  Se  les  Chrétiens.  Cela  eft 
„  déjà  bon  :  puifque  les  hommes  font  tous 
„  frères  ,  ils  doivent  s'aimer  comme  tels. 
„  Dites-nous  maintenant  de  qui  leur  Pe- 
5,  re  commun  avoit  reçu  l'être  j  car  il  ne 
„  s'étoit  pas  fait  tout  feul.  Du  Créateur 
5,  du  Ciel  &  de  la  Terre.  Juifs  ,  Chrétiens 
5,  &  Turcs  font  d'accord  anfîi  fur  cela  -,  c'efl 
5,  encore  un  très  grand  point. 

j,  Et  cet  homaie,  ouvrage  du  Créateur  , 
5,  eft-il  un  être  fimple  ou  mixte  ?  Eft- il 
3,  formé  d'une  fubftance  unique  ou  de  plu- 
3,  fieurs  ?  Chrétiens  répondez.  Il  eft  com- 
„  pofé  de  deux  fubftances ,  dont  f  une  tfl: 
5,  mortelle ,  Se  dont  l'autre  ne  peut  mourir. 
„  Et  vous  ,  Turcs  ?  Nous  penfons  de  me- 
„  me.  Et  vous,  Juifs î  Autrefois  nos  idées 


>> 


8cr  LETTRE 

„  là-defTus   étoient  fort  confu Tes  i  comme 


5î 


J> 


les  expreffions  de  nos  Livres  facrés;  mais 
les  Elïcniens  nous  ont  éclairés  -,  &  nous 
penfons  encore  fur  ce  point  comme  les 
,j  Chrétiens  ,». 

En  procédant  ainfî  d'interrogations  en 
interrogations  fur  la  Providence  Divine  , 
fur  l'économie  de  la  vie  à  venir  ,  &  fur 
toutes  les  queftions  ellentielles  au  bon  or- 
dre du  genre  humain,  ces  mêmes  hommes 
ayant  obtenu  de  tous  des  réponfes  prefque 
uniformes,  leur  diront  :  (on  fe  Convien- 
dra que  les  Théologiens  n'y  font  plus  ). 
5,  Mes  amis,  de  quoi  vous  tourmentez- 
j,  vous  ?  Vous  voilà  tous  d'accord  fur  ce 
5,  qui  vous  importe  i  quand  vous  différerez 
j,  de  fentiment  fur  le  reite  ,  j'y  vois  peu 
3,  d'inconvénient.  Formez  de  ce  petit  nom- 
„  bre  d'articles  une  Religion  univerfelle, 
5,  qui  foit  pour  ainfi  dire,  la  Religion  hu- 
„  maine  &  fociale  que  tout  homme  vivant 
„  en  (ociété  foit  obligé  d'admettre.  Si  qucl- 
„  qu'un  dogm.uifc  contre  elle,  qu'il  (oit  ban- 
„  ni  de  la  fociété  comme  ennemi  de  (es  Loix 
,,  fondamentales.  Quant  au  refte,  fur  quoi 
„  vous  n'êtes  pas  d'accord,  formez  chacun 
„  de  vos  croyances  particulières  autant  de 
„  Religion  nationales  ,  &  fuives  les  en 
„  fincérité  de  cœur.  Mais  n'allez  point 
s,  vous  tourmentant  pour  les  faire  admettre 
,;  aux  autres  Peuples  ,  &  foyez  allures 
„  que  Dieu  n'exige  pas  cela.  Gai"  Ueft  auiii 


i> 


'A  M.  DE  BEAUMONT.  Sy, 
*"  inJLifte  de  vouloir  les  foumettteàvosopi- 
"  nions  qu'à  vos  loix  ;  &  les  Miffionaires 
'/,  ne  me  femblent  guère  plus  fages  que  les 
„  Conquérans. 

5,  Enfuivant  vosdivcrfes  dodrines,  cel- 
',  fez  de  vous  les  figurer  fi  démontrées 
„  que  quiconque  ne  les  voit  pas  telles , 
„  foit  coupable  à  vos  yeux  de  mauvailc  toi. 
„  Ne  croyez  point  que  tous  ceux  qui  pe- 
'„  fent  vos  preuves  ,  &  les  jettent  ,  foienc 
„  pour  cela  des  obftinés  que  leur  mcredu- 
']  lité  rende  punitlables  :  ne  croyez  point 
",  que  la  raifon,  l'amour  du  vrai  ,  la  lincé- 
rité  foient  pour  vous  feuls.  Quoi  qu'on 
",  faffe,  on  fera  toujours  porté  à  traiter  en 
ennemis  ceux  qu'on  arcufera  de  le  retu- 
,  fer  à  l'évidence.  On  plaint  l'erreur,  mais 
"  on  hait  l'opiniâtreté.  Donnez  la  préte- 
''  rence  à  vos  raifons  ,  à  la  bonne  heure  : 
,"  mais  fçachez  que  ceux  qui  ne  s'y  rendent 
„  pas  ,  ont  les  leurs.  ,       r      , 

Honorez  en  général  tous  les  tonda- 
teurs  de  vos  cultes  refpedifs.  Que  cha- 
*'  cun  rende  au  Tien  ce  qu'il  croit  .lui  de- 
voir ,  mais  qu'il  ne  méprife  point  ceux 
'*  des  autres.  Ils  ont  eu  de  grands  génies 
'*  &  de  grandes  vertus  :  cela  eft  toujours 
"  eftimable.  Ils  fe  font  dits  les  envoyés  de 
"  Dieui  cela  peut  être  &:  n'être  pas  :  c'eft 
"  de  quoi  la  pluralité  ne  fçauroit  juger 
'*  d'une  manière  uniforme  -,  les  preuves  n'e- 
'„  tant  pas  également  à  fa  ponce.  Mais. 


«s  LETTRE 

„  quand  cela  ne  feroit  pas,  il  ne  faiitpoînC 
„  les  traiter  fi  légèrement  d'impofteurs. 
3,  Qui  fçait  jufqa'où  les  méditations  con- 
5,  tinuelles  fur  la  Divinité  -,  jufqu'où  l'en- 
5,  thoufiafme  de  la  vertu  ont  pu,  dans  leurs 
„  fublimesames,  troubler  l'ordre  didacli- 
„  que  &  rampant  des  idées  vulgaires  ? 
5,  Dans  une  trop  grande  élévation  la  tête 
5,  tourne,  de  l'on  ne  voit  plus  les  chofes 
5,  comme  elles  font.  Socrate  a  cru  avoir  uiî 
3,  efprit  tamilier,  &  l'on  n'a  point  ofé  l'ac- 
„  cufer  pour  cela  d'être  un  fourbe.  Trai- 
„  ferons  nous  les  fondateurs  des  Peuples, 
„  les  bienfaiteurs  des  Nations  avec  moins 
„  d'égard  qu'un  particulier? 

„  Du  refte,  plus  de  difpute  entre  vous 
,, fur  la  préférence  de  vos  cultes.  Ils  font 
„  tous  bons,  lorfqu'ils  font  prefcrits  par 
5,  les  Loix,  &z  que  la  Religion  eilentielle 
5,  s'y  trouve:  ils  font  mauvais  quand  elle 
„  ne  s'y  trouve  pas.  La  forme  du  culte  efl; 
,,  la  police  des  Religions  ,  &  non  leur 
5,  effencc  ;  &  c'ert:  au  Souverain  qu'il  appar- 
„  tient  de  régler  la  Police  dans  (on  pays,,. 

J'aipenfé,  Monfeigneur,  que  celui  qui 
raifonneroit  ainfi  ne  feroit  point  un  blafphé- 
mateur ,  un  impie  5  qu'il  propoferoit  un 
naoyen  de  paix  jufte  ,  raifonnable,  jatile  aux 
hommes:  &  que  celan'empêcheroit  pas  qu'il 
n'eût  fa  Religion  particulière,  ainli  que  les 
autres,  &  qu'il  n'y  fut  tout  auffi  fincerement 
attaché.  Le  vrai  croyant,  fçachaiu  que  i'inr 


A  M.  DE  BEAUMONT-      S9 
fidèle  eft  auffi  un  homme,  &  peut-être  un 
honnête  homme ,  peut  fans  crime  s  mtere  - 
fer  à   Ton   fort.   Qu'il    empêche  un    cul  e 
étranger  de  s'introduire  dans  fon  pays  ,  cela 
eftiufte-,  mais   qu'il   ne   damne  pas   pour 
cela  ceux  qui  ne  penfent  pas  comme  lui  :  car 
quiconque  prononce  un  jugement  U  témérai- 
re fe  rend  l'ennemi  du  relie  du  genre  humain. 
J'entends  dire  fans  ceffe  qu'il  faut  admettre 
la  tolérance  civile,  non  la  théologique -,  je 
penfetout  le  contraire.  Je  crois  qu'un  hom- 
me de  bien,  dans  quelque  Religion  qu  il  vi- 
ve  de  bonne  foi,  peut  être  fauve.  Mais  )e 
ne  crois  pas  pour  celaqu'on  puifle  légitime^ 
ment  introduire  en  un  pays  des  Rehgions 
étrangères  fans  la  permiflion  du  Souveram  i 
car  fi  ce  neft  pas  diredement  delobeir  a 
Dieu  ,  c'eft  défobéir  aux  loix-,  &  qui  delo- 
béit  aux  loix  ,  défobéit  à  Dieu.  ^ 

Quant  aux  Religions  une  fois  établies  ou 
tolérées  dans  un  pays  ,  je  crois  qu  il  elt  in- 
iufte  &  barbare  de  les  y  détruire  par  lavio; 
jence  ,  &  que  le  Souverain  fe  tait  tort  a 
lui-mcme  en  maltrauant  leurs  {e6tateurs.  II 
eft  bien  dificrent  d'embraffer  iine  Rejigion 
nouvelle  ,  ou  de  vivre  dans  celle  ou    on  eft 
•    né;  le  premier  cas  feul  eft  puniffable.  On 
ne  doit  ni  laiftcr  établir  une  diverlite  de  cul- 
tes ni  profcrire  ceux  qui  font  une  tois  éta- 
blis i  car  un  fils  n'a  jamais  tort  de  Uuvre  la 
Religion  de  fon  père.  La  raifon  de  la  tran- 
quilité  publique  eft  toute  contre  les  perle- 


^^  LETTRE' 

cuteurs.  La  Religion  n'excite  jamais  de  trou- 
bles dans  un  état  qne  quand  le  parti  domi- 
nant^ veut  tourmenter  le  parti  toib.le  ,   ou 
que  le  parti  Foible,  intolérant  par  principe, 
ne  peut  vivre  en  paix  avec  qui  que  ce  foit. 
Mais  tour  culte  légitime  ;  e'eft-à-dire,  touc 
culte  où  fe  trouve  la  Religion  effentielle  , 
&  dont ,  par  conféqueat ,  les  feétateurs  ne 
demandent  que  d'être  foufferts  6c  vivre  en 
paix,  n'a  jamais  caufé  ni  révoltes  ni  guér- 
ies civiles  ,  Cl  ce  n'eft  lorfqu'il  a  fallu  fe  dé- 
tendre de  repouiler  les  perfécuteurs.  Jamais 
ies  Proteftans  n'ont  pris  les  armes  en  France 
que  lorfqu'oH  les  y-apourfuivis.  Si  l'on  eût 
pu  fe  refoudre  à  les  lailTer  en  paix  ,  ils  y  fe- 
roient  demeurés.  Je  conviens,  fans  détour, 
qu'àfanaillance  la  Religion  réformée  n'avoit 
pas  droit  de  s'étiblir  en  France,  malgré  ks 
ioix.  Mais ,  lorfque ,  tranfoifc  des  pères  aux 
enfans,   cette  Religion    fut  devenue  celle 
d'une  partie  de  la  Nation  Françoifè  ,  &  que 
Je   Prince  eut  folemneilement   traité   avec 
cette  partie  par  l'Edit  de  Nantes  -,  cet  Edit  de- 
vint un  contrat  inviolable,  qui  ne  pouvoit 
plus  être  annullé  que  du  commun  confente- 
rnent  des  deux  parties,  &  depuis  ce  temps, 
Pexercicedela  Religion  Proteftante  eft,  fe-  ' 
4onmoi,  légitime  en  France. 
^    Quand  il  ne  le  feroit  pas,  il  refteroit  tou- 
jours aux  fujets   l'alternative   de  îbrtir   du 
Royaumeavecleursbiens,oud'yreftcr,fou- 
«îis  au  culte  domixiant.  Mais  les' contraindre 


A  M.  DE  BEAUMONT.  çf 
I  refler  fans  les  vouloir  tolérer,  vouloir  à 
la  fois  qu'ils  foient  &  qu'ils  ne  foient  pas  , 
les  priver  mcme  du  droitde  la  nature,  annul- 
Jer  leurs  mariages  (56)  ,  déclarer  leurs  en- 
fans  bâtards....  en  ne  difant  que  ce  qui  eft, 
j'en  dirois  trop  -,  il  faut  me  taire. 

Voici  du  moins  ce  que  je  puis  dire.  En 
confidérant  la  feule  raifon  d'Etat,  peut- 
ctrc  a  t-on  bien  fait  d'ôter  aux  Proteftans 
Pxançois  tous  leurs  chefs  .•  mais  il  falloit  s'ar- 

(36)  Dans  un  Arrêt  du  Parleinenî  de  Touloufe,  con- 
cernant i'aaaire  de  l'infortuné  Calas  ,  on  reproche  aux 
ï'roteflans  de  faire  entr'eux  des  mariages  qui  ,  fehn  les 
Froteftans  ,  m  font  fue  des  ABes  chils  ,  fc"  par  confé- 
Client  fournis    endéremeat  ,  jpour  la  form:  b"  les  effets  ,   à 

la  volonté  du  Roi.  .  .         _ 

Ainfi  de  ce  que ,  félon  les  ProteRans ,   le  mariage  eft 

un  Aâc  civil ,  il  s'enfuit  qu'ils   font  obligés  de  fe  fou- 

mettre  à  la  volonté  du  Roi  ,  qui  en  fait  un  Aâe  de  la 

Religion  Catholique.  Les    Proteftans  ,   pour  fe  marier  , 

font  légitimement  tenus  de  fe  faire  Catholiques ,  attendu 

que  ,  félon   eux,  le  mariage  eil  un  Afte  civil.  Telle   eft 

la  manière  de  raifonner  de  MefTieurs  du  Parlement  de 

Touloufe.  ^       r,  .       T?  • 

la  France  eft  un  Royaitme  fi  vafie  ,  que  les  trancou 

fc  font  mis  dans  l'efprit  que  le  genre  humain  ne  devoit 
point  avoir  d'auutreslûix  que  les  leurs.  Leurs  Parlemens 
&  leurs  Tribunaux  paroiffent  n'avoir  aucune  idée  du  droic 
naturel ,  ni  du  droit  des  gens  ;  &  il  eft  à  remarquer  que 
dans  tout  ce  grand  Royaume,  où  font  tant  d'Univerfités, 
tant  de  Collèges,  tant  d'Académies,  &  où  l'on  enfeigne, 
avec  tant  d'importance,  tant  d'inutilités  ,  il  n'y  a  pas  une 
feule  Chaire  de  Droit  naturel.  C'cft  le  feul  peuple  de  l'Eu- 
rope qui  ait  regardé  cette  étude  comme  n'étant  bonne  à 
ï.jen. 


-^%       ^  LETTRE 

rêter-là.  Les  maximes  politiques  ont  leurf 
applications  &:  leurs  dillmdions.  Pour  pré- 
venir les  diircnhons  qu'on  n'a  plus  à  crain- 
dre ,  on  s'ôte  des  reffources  dont  on  auroit 
grand  befoin.  Un  parti  qui  n'a  plus  ni 
Grands  ni  nobleiTe  à  fa  tête,  quel  mil  p»!ut- 
il  taire  dans  un  Royaume  tel  que  ia  Fran- 
ce î  Examinez  toutes  vos  précédentes  guer- 
res ;  appeliez  guerres  de  Religion  :  vous 
trouverez  qu'il  n'y  en  a  pas  une  qui  n'ait 
eu  facaufeàlaC  )ar  ,  &  dans  les  intérêts  des 
Grands.  Des  intrigues  de  Cabinet  brouil- 
loient  les  affaires,  &c  puis  les  Chefs  ameu- 
toient  les  peuples  au  nom  de  Dieu.  Mais 
quelles  intrigues,  quelles  cabales  pcuvenc 
former  des  Marchands  &  des  Payfans  r  Com- 
ment s'y  prendront-ils  pour  fufciter  un  par- 
ti dans  un  pays  où  Ton  ne  veut  que  des  Va- 
lets ou  des  Maîtres  ,  &  où  l'égalité  eft  in- 
connue ou  en  horreur  î  un  Marchand  ,  pro- 
pofant  de  lever  des  troupes,  peut  fc  taire 
écouter  en  Angleterre  ,  mais  il  fera  toujours 
rire  des  François  (  37). 

(  37  )  Lefeul  cas  qui  force  un  peuple  ainfi  dé- 
nué de  Chefs  à  prendre  les  arm^s,  c'cil  quand, 
réduit  au  défc;fpoir  par  fes  perfccuteurs,  il  voit 
qu'il  ne  lui  reite  plus  de  choix  que  dans  la  ma- 
nière de  périr.  Tel  fut,  au  commencement  de 
ce  fiecle,  la  guerre  des  Camifards.  Alors  on  ell 
tout  étonné  de  la  force  qu'un  parti  méprifé  tire 
defon  défefpoir  :  c'ell  ce  quejamais  les  perfecu- 
teurs  n'ont  fçu  calculer  d'avance.  Cependant,  de 
teles  gueres  coûtent  tant  de  fang ,  qu'ils  devroi- 
ent  bien  y  fonger  avant  de  les  rendre  inévitables. 


A  M.  DE  BEAUMONT.       pj 

Si  j'étois...  Roi?  non.  Miniftre  î  encore 
rsoinsi  mais  homme  puifl'ant  en  France,  je 
dirois  :  tout  tend  parmi  nous  aux  emplois, 
aux  charges  ■■,  tout  veut  acheter  le  droit  de 
mal  faire-,  Paris  &  la  Cour  engouffrent  tout. 
LaiflTons  ces  pauvres  gens  remplir  le  vuide 
des  Provinces-,  qu'ils  foient  marchands,  & 
toujours  marchands  j  laboureurs  ,  &c  tou- 
jours laboureurs.  Ne  pouvant  quitter  leur 
état ,  ils  en  tireront  le  meilleur  parti  pofli- 
ble  y  ils  remplaceront  les  nôtres  dans  les 
conditions  privées  ,  dont  nous  cherchons 
tous  à  fortir  -,  ils  fairont  valoir  le  commerce 
&  l'agriculture  questout  nous  fait  aban- 
donner ;  ils  alimenteront  notre  luxe  :  ils 
travailleront  ,  8c  nous  jouirons.  ^ 

Si  ce  projet  n'ctoitpas  plus  équitable  que 
ceux  qu'on  fuit,  il  feroit  du  moins  plus  hu- 
main ,  fûrement  il  feroit  plus  utile.  Ceft 
moins  la  tyrannie,  &  c'efl:  moins  Pambition 
des  Chefs ,  que  ce  ne  font  leurs  préjugés  & 
leurs  courtes  vues,  qui  font  le  malheur  des 
Nations. 

Je  finirai  par  tranfcrire  une  efpece  de  dif- 
cours  qui  a  quelque  rapport  à  mon  fujet,  ôc 
qui  ne  m'en  écartera  pas  long-temps.^ 

Un  Parfis  de  Surat  ayant  en  fecret  épou- 
fé  une  Mufulmane  ,  fut  découvert,  arrêté, 
Se  ayant  refufé  d'embrafler  le  Mahométif- 
me ,  il  fut  condamné  à  mort.  Avant  d'aller 
au  fupplice  ,  il  parla  ainfi  à  fes  juges. 

„  Quoi  1  vous  voulez  m'ôter  la  vie?  Eh J 


i94  .       LETTRE 

5,  de  quoi  me  puniirez-vousî  J'ai  tranrgre(- 


fé  ma  Loi  plutôt  que  la  vôtre  :  ma  Loi  par- 
5,  le  au  cœur,  ôc  ii'efl:  point  cruelle i  mon 
5,  crime  a  été  puni  par  ie  biàmede  mes  fre- 
j,  res.  Mais  que  vous  ai- je  tait  pour  mériter 
5,  de  mourir  î  Je  vous  ai  traités  comme  ma 
5,  famille ,  &  je  me  fuis  choifi  une  fœur  parmi 
,,  vous.  Je  l'ai  lailfée  libre  dans  fa  croyance, 
3,  «Scelle  a  refpetlé  la  mienne  pour  fon  propre 
5,  intérêt.  Borné  (ans  regret  à  elle  feule  , 
3,  je  l'ai  honorée  comme  l'inftrument  du  cul- 
5,  te  qu'exige  l'Auteur  de  mon  être  ■■,  )'ai 
„  payé  par  elle  le  tribut  que  tout  homme 
5,  doit  au  genre  humain:  l'amour  me  l'a 
3,  donnée,  Ôc  la  vertu  mêla  rendoit  chère: 
3,  elle  n'a  point  vécu  dans  la  fervitude,  elle 
5,  a  polTédé  fins  partage  le  cœur  de  fou 
5,  époux;  ma  faute  n'a  pas  moins  £iit  fou 
5,  bonheur  que  le  mien. 

j,  Pour  expier  une  faute  fi  pardonnable, 
'„  vousm'avezvoulu  renJrefouvbe  &  men- 
„  teur  ,  vous  m'avez  voulu  forcer  à  pro- 
3,  felfer  vos  fentimens  fms  les  aimer  &  (ans 
',,  y  croire  :  comme  li  le  transfuge  de  nos 
,,  loix  eût  mérité  de  p.iller  (ous  les  vôtres: 
5,  vous  m'avez  fait  opter  entre  le  parjure 
5,  &  la  mort ,  8c  j'ai  choilî  ;  car  je  ne  veux 
j,  pas  vous  tromper.  Je  meurs  donc,  puiL- 
5,  qu'il  le  faut:  mais  je  meurs  digne  de  re- 
5,  vivre  8c  d'animer  un  autre  homme  jufte. 
5,  Je  meurs  martyr  de  ma  Religion  ,  fans 
„  craindre  d'entrer  après  ma  mort  dans  la 


A  M.  DE  BEAUMONT.  9^, 
"^^  vôtre.  Puiflé-je  renaître  chez  les  Mufulr 
j,  mans  pour  leur  apprendre  à  devenir  hu- 
„  mains,  démens,  équitables  y  car  fervant 
5,  le  même  Dieu  que  nous  fervons  ,  puif-, 
„  qu'il  n'y  en  a  pas  deux  ,  vous  vous  aveu-, 
5,  glez  dans  votre  zèle,  en  tourmentant  fes 
„  ferviteurs,  &:  vous  n'êtes  cruels  &  fan- 
,,  guinaires  que  parce  que  vous  êtes  incon- 
„  fcquens. 

„  Vous  êtes  des   encans  qui ,   dans  vos 
„  yeux  ne    fçavez   que  taire  du  mal   aux 
„  hommes.  Vous  vous  croyez  fçavans,  ôc 
5,  vous  ne  fçavez  rien  de  ce  qui  eft  de  Dieu; 
„  Vos  dogmes  récens  font  ils  convenables 
à  celui  qui  elt  &  qui  veut  être  adoré  de 
tous  les  tems  ?  Peuples  nouveaux,  com- 
ment ofez  vous  parler  de  Religion  devant 
nous?  Nos  Rits  font  ai.lTi  vieux  que  les 
aftres  :  les  premiers  rayons  du  Soleil  ont 
éclairé  &  reçu  les  hommages  de  nos  Pè- 
res. Le  grand  Zerdull;  a  vu  l'enfance  du 
monde  j  il  y  a  prédit  &  marqué  l'ordre  de 
rUnivers:  Se  vous  hommes  d'hier  ,vous 
voulez  être  nos  Prophètes!  Vingt  fiecles 
avant  Mahomet ,  avant  la  naiffance  d'If- 
maël  &  de  fon  perc ,  les  Mages  étoient 
antiques.  Nos  livres  facrés  étoient  déjà 
ïa  Loi  de  l'Ahe  &  du  monde  ,  Se  trois 
glands  Empires  avoient   fucceirivement 
achevé  leur  fong  cours  fous  nos  ancêtres, 
avant  que  les   vôtres  fuffent  fortis  du 
j,  néant. 


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3) 


5 


^<î  LETTRE 

„  Voyez  ,  hommes  parvenus ,  la  dîtté-' 
rence  qui  eft  entre  vous  &  nous.  Vous 
vous  dites  Croyans ,  &  vous  vivez  en  bar- 
bares. Vos  Inftitutions ,  vos  Loix  ,  vos 
„  cultes ,  vos  vertus  mêmes  tourmentent 
^,  l'homme  ôc  le  dégradent.  Vous  n'avez 
„  que  de  triftes  devoirs  à  lui  prefcrire.  Des 
„  jeûnes,  des  privations ,  des  combats,  des 
j,  mutilations,  des  clôtures,  vous  ne  fça- 
,,  vez  lui  faire  un  devoir  que  de  ce  qui  peut 
l'affliger  &  le  contraindre.  Vous  lui  fai- 
j,  tes  haïr  la  vie  &  les  moyens  de  la  confer- 
',  ver  ••  vos  femmes  font  fans  hommes-,  vos 
j,  terres  font  fans  cultures  ;  vous  mangez 
j,  les  animaux,  &  vous  maffacrez  les  Hu- 
j,  mains  -,  vous  aimez  le  fang  des  meurtres; 
j,  tous  vos  établilîemens  choquent  la  natu- 
re, aviliffent  l'efpece  humaine:  <k,fous 
Il  le  double  joug  du  Defpotifme  Se  du  fa- 
']  natifme ,  vous  l'écrafez  de  fes  Rois  Se  de 
„  fes  Dieux. 

Pour  nous,  nous  forames  des  hommes 
de  paix  ,  nous  ne  faifons  ni  ne  voulons 
aucun  mal  à  rien  de  ce  qui  refpire  ,  non 
pas  même  à  nos  Tyrans  :  nous  leur  cé- 
dons fans  rrgret  le  fruit  de  nos  peines,' 
contens  de  leur  être  utiles,  &dc  remplir 
nos  devoirs.  Nos  nombreux  beftiaux 
couvrent  vos  pâturages  :  les  arbres  plan- 
tés par  vos  mains  vous  donnent  leurs 
fruits  ôc  leurs  ombres:  vos  terres  que 
,]  nous  cultivons  vous  nourrillent  par  nos 


A  M.  DE  BEAUMONT.  5>7 
;,  foins:  un  peuple  limple  ôc  doux  multi-« 
5,  plie  fous  vos  ouvrages  ,  &  tire  pour  vous 
„  la  vie  &c  l'abondance  du  fein  de  la  mère 
„  commune  où  vous  ne  fçavez  rien  trouver. 
3,  Le  Soieii,  que  nous  prenons  à  témoin  de 
,y  nos  œuvres  ,  éclaire  notre  patience  Sc 
„  vos  injuftices  ;  il  ne  fe  levé  point  fans 
j,  nous  trouver  occupés  à  bien  faire  ,  ôc  en 
5,  fe  couchant  il  nous  ramené  au  fein  de 
nos  familles  nous  préparer  à  de  nouveaux 
^,  travaux. 

„  Dieu  feul  fçait  la  vérité.  Si  malgré  tout 
5,  cela  nous  nous  trompons  dans  notre  cul- 
„  te  ,  il  eft  toujours  peu  croyable  que 
5,  nous  foyons  condamnés  à  l'Enfer  ,  nous 
„  qui  ne  taifons  que  du  bien  fur  la  terre  , 
„  îk  que  vous  foyez  les  Elus  de  Dieu,  vous 
3,  qui  n'y  faites  que  du  mal.  Quand  nous 
5,  ferions  dans  Terreur  ,  vous  devriez  la 
,,  refpeder  pour  votre  avantage.  Notre 
„  piété  vous  engraifle  ,  &  la  vôtre  nous 
„  confume,nous  réparons  le  mal  que  vous 
„  fait  une  Religion  deflruccive.  Groyez- 
„  moi  ,  laifïez-nous  un  culte  qui  vous  eft 
j,  utile-,  craignez  qu'un  jour  nous  n'adop- 
„  tions  le  votre  -,  c'eft  le  plus  grand  mal 
j,  qui  vous  puiffe  arriver  „. 

J'ai  taché,  Monfeigneur,  de  vous  faire 
entendre  dans  quel  efprit  a  été  écrite  la 
profelfion  de  foi  du  Vicaire  Savoyard ,  ôc 
les  confidérations  qui  m'ont  porté  à  la  pu- 
blier. Je  vous  demande  à  préfeni  à  quel 


e)"s  LETTRE 

égard  vous  pouvez  qualifier  fa  doArine  de 
blafphématoire ,  d'impie ,  d'abominable ,  Sc  , 
ce  que  vous  y  trouvez  de  fcandaleux  &c  de 
pernicieux  au  genre  humain.  J'en  dis  au- 
tant à  ceux  qui  m'accufent  d'avoir  dit  ce  \ 
qu'il  falloit  taire,  &  d'avoir  voulu  troubler 
l'ordre  public-,  imputation  vague  &  témé- 
raire ,  avec  laquelle  ceux  'qui  ont  le  moins 
réfléchi  fur  ce  qui  eft  utile  ou  nuifible, 
indifpofent  d'un  mot  le  public  crédule  con- 
tre une  Auteur  bien  intentionné.  Eft-ce  ap- 
prendre au  peuple  à  ne  rien  croire,  que  le 
rappeller  à  la  véritable  foi  qu'il  cujblie.  Eft- 
cetroublerl'ordre,  que  renvoyer  chacun  aux 
Loixde  Ton  pays?  Eft-ce  anéantir  tous  les 
cultes,  que  borner  chaque  peuple  au  hen? 
Eft-ce  ôter  celui  qu'on  a,  que  ne  vouloir 
pas  qu'on  en  change  î  Eft-ce  fe  jouer  de 
toute  Religion  ,  que  refpeder  toutes  les 
Religions.  Enfin  eft-il  donc  fi  elfentiel  à 
chacun  de  haïr  les  autres,  que,  cette  haine 
ôtée,  tout  foit  ôté? 

Voilà  pourtant  ce  qu'on  perfuade  au 
peuple  quand  on  veut  lui  faire  prendre  fon 
dcfenfeur  en  haine,  &  qu'on  a  la  force  en 
main.  Maintenant  ,  hommes  cruels, vos  Dé- 
crets ,  vos  Btichers ,  vos  Mandements ,  vos 
Journaux  le  troublent  &  l'abufent  fur  mon 
compte.  11  me  croit  unmonftre  furla  toi  de 
vos  clameurs  -,  mais  vos  clameurs  celléront 
enfin  -,  mes  Ecrits  refteront^  malgré  vous 
par   votre  honte.    Les  Chrétiens  ,  moins 


A  M.  DE  BEAUMONT.       ^^ 

prév-enus-,  y  chercheront  avec  (urprife  les 
horreurs  que  vous  prétendez  y  irouver-,  ils 
n'y  verront  ,  avec  la  morale  de  leur  divin 
Maître ,  que  des  leçons  de  paix ,  de  con- 
corde &  de  chanté.  Puilîent-ils  y  appren- 
dre à  être  plus  julK'S  que  leurs  Pères!  Puit- 
fent  les  vertus  qu'ils  y  auront  pnfcs  ,  me 
venger  un  jour  de  vos  maléd  étions  i 

A  l'égard  des  ohjeélions  fur  les  red:es 
particulières  dans  lerquelles  l'Univers  efl: 
divifé  ,  que  ne  puis- je  leur  donner  allez  de 
force  pour  rendre  chacun  moins  entêté  de 
lafienne,  &  moins  ennemi  des  autres,  pour 
porter  chaque  homme  à  l'mdulgence  ,  à  la 
douceur  ,  par  cette  conlîdéraiion  Ci  frappan- 
te &  fi  naturelle  ,  que ,  s'il  fût  né  dans  uti 
autre  pays  ,  dans  une  autre  Ccéke  ,  il  pren- 
droit  infailliblement  pour  l'erreur  ce  qu'il 
prend  pour  la  vérité  ,  &  pour  la  vérité  ce 
qu'il  prend  pour  l'erreur.  Il  importe  tant 
aux  hommes  de  tenir  moins  aux  opinions 
qui  les  divifent  qu'à  celles  qui  les  unillent. 
Et  au  contraire,  négligeant  ce  qu'ils  ont  de 
commun  ,  ils  s'acharnent  aux  fentimens  par- 
ticuliers avec  une  efpece  de  rage  i  ils  tien- 
nent d'autant  plus  à  ces  fentiments  qu'ils 
femblent  moins  raifonnables ,  ôc  chacun vou- 
droit  fuppléer  à  force  de  confiance  à  l'auto- 
rité que  la  railon  retule  à  Ton  parti.  Ainfi, 
d'accord  au  fond  fur  tout  ce  qui  nous  intc- 
refle,  &  dont  on  ne  tient  aucun  compte, 
on  palTela  Yieàdirputer,à  chicaner,  àtoui:- 

G 


100  ^        LE  T  T  R  E 

meiiter  ,  à  per(cciuer  à  fe  battre  ,  pour 
les  chofes  qu'on  entend  le  moins  ,  Se  qu'il 
eft  le  moins  néceilaire  d'entendre.  On 
entafle  en  vam  dccifions  fur  dccifions  •,  on 
plâtre  en  vain  leurs  contradictions  d'un  jar- 
gon inintelligible  ,  on  trouve  chaque  jour 
de  nouvelles  queftions  à  réfoudre,  chaque 
jour  de  nouveaux  fujets  de  querelles,  parce 
que  chaque  dodrine  a  des  branches  infinies, 
ëc  que  chacun  ,  entêté  de  fa  petite  idée  , 
croit  eflentiel  ce  qui  ne  l'efl:  point ,  <5<:  né- 
glige l'elfentiel  véritable.  Que  lion  leurpro- 
pofe  des  objections  qu'ils  ne  peuvent  rc(ou- 
dre,  ce  qui,  vu  l'échataudage  de  leurs  doc- 
trines ,  devient  plus  facile  de  jour  en  jour  j 
ils  fe  dépitent  comme  des  enfans  j  Ôc  parce 
qu'ils  font  plus  attachés  à  leur  prati  qu'à  la 
vérité,  Se  qu'ils  ont  plus  d'orgueil  que  de 
bonne  foi ,  c'ell:  fur  ce  qu'ils  peuvent  le 
moins  prouver  qu'ils  pardonnent  le  moins 
quelque  doute. 

Ma  propre  hiftoire  caracftérife  mieux 
qu'aucune  autre  le  jugement  qu'on  doit  por- 
ter des  Chrétiens  d'aujourd'hui-,  mais  coin- 
me  elle  en  dit  trop  pour  être  crue,  peut- 
être  un  jour  fera  i-elle  porter  un  jugement 
tout  contraire  \  un  jour  ,  peut-être  ,  ce  qui 
ù'n  aujourd'hui  l'opprobe  de  tnes  contem- 
porains fera  leur  gloire  ,  Se  les  lîmples  qui 
liront  mon  Livre,  diront  avec  admiration: 
Quels  tcms  angéliques  ce  dévoient  être  que 


A  M.  DE  BEAUMONT.  loi 
ceux  où  un  tel  Livre  a  été  brûlé  comme 
impie  ,  &  Ton  Auteur  pourfuivi  comme  un 
maltaiteur  1  fans  doute  alors  tous  les  Ecrits 
rclpiroient  la  dévotion  la  plus  fublime,  ôc 
Ja  terre  écoit  couverte  de  Saints  i 

Mais  d'autres  Livres  demeureront.  On 
faura  ,  par  exemple  ,  que  ce  même  fiécle 
a  produit  un  panégyrifte  de  Saint  Barthéle- 
mi  ,  Français ,  ôc  (  comme  on  peut  bien 
croire)  homme  d'Eglife,  fans  que  ni  Parle- 
ment ni  Prélat  ait  fongé  même  à  lui  chercher 
querelle.  Alors  ,  en  comparant  la  morale 
des  deux  livres  Se  le  tort  des  deux  Auteurs, 
on  pourra  changer  de  langage,  ôc  tirer  une 
autre  conclufion. 

Les  doélrines  abominables  font  celles  qui 
mènent  au  crime,  au  meurtre  ,  ôc  qui  font 
des  fanatiques.  Eh  1  qu'y  a-t-il  de  plus  abo- 
minable au  monde ,  que  de  mettre  rinjuftice 
&  la  violence  en  fyftcme,  &  de  les  faire  dé- 
couler de  la  clémenre  de  Dieu  î  Je  m'abf^ 
tiendrai  d'entrer  ici  dans  un  parallèle  qui 
pourroit  vous  déplaire.  Convenez  feule- 
ment ,  Monfeigneur ,  que  fî  la  France  eût  pro- 
fefl'é  la  Religion  du  Prêtre  favoyard,  cette 
Religion  fï  ilmple  ôc  fî  pure  ,qui  fait  crain- 
dre Dieu,  &  aimer  les  hommes,  des  fleuves 
defang  n'eulTcnt  point  fi  fouvent  inondé  les 
champs  Français  i  ce  peuple  Ci  doux  ôc  (i 
gai  n'eût  point  étonné  les  autres  de  fes  cruau- 
tés dans  tant  de  pcrlécutions  ôc  de  maP- 
facres  ,  depuis  rinquifuion    de  Touloufe 

G3 


îoî  LETTRE 

(j3  )  JLirqu'àla  Saint  Barthcleml  ,  Sc  depuis 
la  guerre  des  Albigeois  jufqu'aux  Dragon- 
nades i  le  Gonfeiller  Anne  du  Bourg  n'eût 
point  été  pendu  pour  avoir  opiné  à  la  dou- 
ceur envers  les  Réformés  -,  les  habitans  de 
Merindol  &c  de  Cabrieres  n'euflent  point  été 
inis  à  mort  par  Arrct  du  Parlement  d'Aix, 
&  fous  nos  yeux  l'innocent  Calas ,  torture 
par  les  bourreaux  ,  n'eût  point  péri  fur  la 
roue.  Revenons  à  préfent ,  Monfeigneur, 
à  vos  cenfures  ôc  aux  raifons  fur  lefquelles 
vous  les  fondez. 

Ce  font  toujours  des  hommes  ,  dit  le  Vi- 
caire ,  qui  nous  attellent  la  parole  de  Qieu , 
Ôc  qui  nous  l'atteftcnt  en  des  langues  qui  nous 
font  inconnues.  Souvent  ,  au  contraire  , 
nous  aurions  grand  befoin  que  Dieu  nous 
aiteftàtlaparole  deshommes;  ileft  bienfûr, 
aiimoins,  qu'il  eût  pu  nous  donner  la  Tienne , 

(58).  Il  eft  vrai  que  Dominique,  faint  Efpapol ,  y 
eut  grande  part.  Le  Saint ,  félon  un  Ecrivain  de  fon  Or- 
dre ,  eut  la  charité,  prêchant  contre  les  Albigeois ,  de 
s'adjoindre  des  dévotes  perfonnes  zélées  pour  la  foi  , 
lefquelles  priffent  le  foin  d'extirper  corporellement  iX. 
par  le  elaive  matériel  les  hérétiques  qu'il  n'auroit  pu 
vaincre  avec  le  glaive  de  la  parole  de  Dieu.  Ob  cha- 
rhateniy  prœdicans  contra  Albienjcs  ,  in  adjuionum  Jum- 
fic  quai  dam  dévot  js  perjonas ,  idantes  pro  fide ,  qux  cor- 
voraliter  illos  H^ereticos  gladio  marerali  expugnarenc  ,quos 
iple  gladio  verbi  Dei  amputare  non  pojjet.  Antonin.  in 
Chron.  P.  1  II.  tit  ij.  c.  14.  S.  i-  Cette  charité  neref- 
femble  guerre  à  celle  du  Vicaire;  aufTi  a-t-eUeun  priK 
bien  ditférent.  L'une  fait  décréter  »  &  l'autrC  canonifer 
jCeux  ^ui  U  profèrent* 


A  M.  DE  BÈAUMONT.  îo/ 
fans  fe  fervir  d'organes  fi  furpe<£tes.  Le  Vi- 
caire fe  plaint  qu'il  taille  tant  de  témoigna- 
ges humains  pour  certifier  la  parole  divine  : 
que  d'hommes  i  dit-il  ,  entre  Dieu  &  mol 

Vous  répondez.*  Pourvue  cette  plainie 
futfenfe'e,  M.  T.  CF.  il  jaudroït  pouvoir 
conclure  que  la  Révélation  ejl  fcLuJJe  des 
quelle  na  point  été  faite  à  chaque  homme 
en  particulier  ;  il  faudrait  pouvoir  dire  : 
Dieu  ne  peut  exiger  de  moi  que  je  croi  ce 
qu^on  m' ajfure  qu'il  a  dit  ,  des  que  ce  nefl 
pas  directement  à  moi  qu'il  a  adrejjé  Jiz 
parole  (  40  ). 

Et  tout  au  contraire  ,  cette  plainte  n'efl: 
ftnfée  qu'en  admettant  la  vérité  de  la  Révé- 
lation. Car  fi  vous  la  fuppofez  faulTe,  quelle 
plainte  avez  vous  à  faire  du  moyen  dont  Dieu' 
s'eft  fervi,  puifqu'il  ne  s'en  efl:  fervi  d'au- 
cun? Vous  doit-il  compte  des  tromperies 
d'un  importeur  i  Quand  vous  vous  laiflez 
duper  ,  c'efl:  votre  faute  Se  non  pas  la  hen- 
né. Mais  lorfque  Dieu  ,  maître  du  choix  de 
fes  moyens,  en  choifit  par  préférence  qui  exi- 
gent de  notre  part  tant  de  fçavoir  &  de  fi 
profondes  difcuflions  ,  le  Vicaire  a  t-il  tort 
de  dire  :  „  Voyons  toutefois  examinons  , 
„  comparons  ,  vérifions.  O  fi  Dieu  eût  dai- 
„  gné  medirpcnfcr  de  tout  ce  travail,  l'en 


(39)  Emile,  Tome  III.  p.  i-^i.     ^ 

(40)  Mandement  in-quarto,  p.  li,  in-'^  p«  xxxl. 


Gij 


*ï04  LETTRE 

3,    aurois-je    fervi  de    moins    bon  cœur  î 

(41  )  »; 

Monieigneur,  votre  Mineure  elt  .idmira- 

ble.  Il  faut  la  tranlcrire  ici  toute  entière  _; 

j'aime  à  rapporter  vos  propres  termes  ■,  c'eil 

ma  plus  grande  méchanceté. 

Mais  nefc-il  donc  pas  un  infinité  de 
faits ,  même  antérieurs  à  celui  de  la  Révé- 
lation chrétienne ,  dont  il  ferait  abfurde  de 
douter?  Par  quelle  autre  voie  que  celle  des 
témoignages  humains  ,  t auteur  lui  même 
a- t-il  donc  connu  cette  Sparte  ^  cette  Athènes  y 
cette  Rome  dont  il  vante  fi  fouvent  (>  avec 
tant  d'affurance  les  Loix ,  les  mœurs  &  les 
héros}  Que  d'hommes  entre  lui  &  les  HiJIo- 
riens  qui  ont  confervé  la  mémoire  de  ces 
evénemcns  ? 

Si  la  matière  étoit  moins  grave.  Se  que 
j'eulTe  moins  de  retpe6t  pour  vous  ,  cette 
manière  de  raifonner  me  tourniroit  peut- 
être  l'occalîon  d'égayer  un  peu  mes  lec- 
teurs*, mais  à  Dien  ne  plaife  que  j'oublie  le 
ton  qui  convient  au  (ujet  que  je  traite  ,  & 
à  l'homme  à  qui  je  parle.  Au  rifque  d'être 
plat  dans  ma  réponfe,  il  me  fuHit  de  mon- 
trer que  vous  vous  trompez. 

Conlidcrez  donc  ,  de  grâce,  qu'il  efl:  tout- 
à-fait  dans  l'ordre  que  des  taits  humains 
•foient  attelles  par  des  témoignages  humains. 
Ils  ne  peuvent  l'être  par  nulle  autre  voie  \ 
je  ne  puis  fçavoir  que  Sparte  <^  Rome  ont 

(41  )  Emile  ,  ubii  fup. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  loç 
exifté,  que  parce  que  des  Auteurs  contem- 
porains me  le  difent  ,  &  entre  moi  de  un 
autre  homme  qui  a  vécu  loin  de  moi,  il  raut 
nccedairement  des  intermédiaires  ,  mais 
pourquoi  en  faut-il  entre  Dieu  &  moi,  & 
pourquoi  en  taut-il  de  li  éloignes ,  qui  en  ont 
befoin  de  tant  d'autres  ?  Eft-il  iîmple ,  eft-il 
naturel  que  Dieu  ait  été  chercher  Moyfe 
pour  parler  à  Jean-Jacques  Roulleau  î 

D'ailleurs  nul  n'eft  obligé,  fous  peine  de 
damnation,  de  croire  que  Sparte  ait  exifte, 
nul,  pour  en  avoir  douté  ,  ne  fera  dévoré  des 
flammes  éternelles.  Tout  tait  dont  nous  ne 
fommes  pas  les  témoins  ,  n'eft  établi  pour 
nous  que  fur  des  preuves  morales,  ôc  toute 
preuve  morale  eft  fuCceptible  de  plus  &  de 
moins.  Croirai-je  que  la  jnftice  divine  me 
précipite  à  jamais  dans  l'Enfer,  uniquement 
pour  n'avoir  pas  fçu  marquer  bien  exacte- 
ment le  point  où  une  telle  preuve  devient 
invincible  ? 

S'il  y  a  dans  le  monde  une  hiftoire  attef- 
tce ,  c'ell:  celle  des  Wampris.  Rien  n  y 
manque  i  procès  verbaux  ,  certificats  de 
Notables  ,  de  Chirurgiens  ,  des  Curés  ,  de 
Magiftrats.  La  preuve  juridique  eft  des  plus 
complettes.  Avec  cela,  qui  eft -ce  qui  croit 
aux  Wampris  î  Serons -nous  tous  dam- 
nés pour  n'y  avoir  pas   cru? 

Quelque  atteftés  que  foient  ,  au  gré  mê- 
me de  l'incrédule  Ciceron  ,  plufieurs  des 
prodiges  rapportés  par  Titc-Live  ,  je  les 


loS  LETTRE 

regarde  comme  autant  de  tables  ,  8c  furc- 
ment  je  ne  fuis  pas  le  feul.  Mon  expérience 
conftante,  ôc  celle  de  tous  les  hon:!mes,  d\ 
plus  forte  ea  ceci  que  le  témoignage  de 
quelques-uns.  Si  Sparte  &  Rome  ont  été 
des  prodiges  elles-mêmes  ,  c'ctoient  des 
prodiges  dans  le  gendre  moral  *,  &  com- 
me on  s'abuieroit  en  Laponie  de  fixer  à  qua- 
tre pieds  laftatue  naturelle  de  Thomme,  od 
ne  s'abuferoit  pas  moins  parmi  nous  de  fi- 
xer la  mefure  des  âmes  humaines  fur  celles 
des  gens  que  l'on  voit  autour  de  foi. 

Vous  vous  fouviendrez,  s'il  vous  plaîf, 
que  je  continue  ici  d'examiner  vosraifonne- 
mens  en  eux-mêmes,  fans  foutenir  ceux  que 
vous  attaquez.  Aprco  ce  nicmoratit  nccellai- 
re ,  je  me  permettrai  fur  votre  manière  d'ar- 
gumenter encore  une  fuppofition. 

Un  habitant  de  la  rue  S.  Jacques  vient 
tenir  ce  difcours  à  Monfieur  l'Archevêque 
de  Paris.  „  Monfeigneur,  je  fçais  que  vous 
„  ne  croyez  ni  à  la  béatitude  de  S.  Jean  de 
5,  Paris,  ni  aux  miracles  qu'il  a  plu  à  Dieu 
„  d'opérer  en  public  fur  fa  tombe  ,  à  la  vue 
„  de  la  Ville  du  Monde  la  plus  éclairée  8c 
5,  la  plus  nombreufe.  Mais  je  crois  devoir 
j,  vous  attcfter  que  je  viens  de  voir  relfuf- 
j,  citer  le  Saint  en  perfonne  dans  le  lica 
5,   oii  fes  os  ont  été  dépofés  ,,. 

L'homme  de  la  rue  S.  Jacques  ajoute  à 
cela  le  détail  de  toutes  les  circonlianccs  qui 
peuvent  frapper  le  fp'"^       r  d  "•."•  p^ii-cil 


A  M.  DE  BEAU  M  ONT.  107" 
fait.  Je  fuis  perfuadé  qu'à  l'ouie  de  cette 
nouvelle,  avant  de  vous  expliquer  fur  la  foi 
que  vous  y  ajoutez,  vous  commencerez  par 
interroger  celui  qui  l'attefte,  fur  Ton  état, 
fur'fes  fentimens  ,  fur  Ton  Confeireur  ,  fur 
d'autres  articles  femblables  -,  ôc  lorfqu'à  fon 
air  comme  à  fes  di(cours  ,vous  aurez  com- 
pris que  c'efl:  un  pauvre  ouvrier,  <Sc  que 
n'ayant  point  à  vous  montrer  de  billet  de 
confeflion  ,  il  vous  confirmera  dans  l'opi- 
nion qu'il  eft  Janfénifte-,  ..  Ah,  ah!,,  lui  di- 
rez-vous  d'un  air  railleur,  «  vous  êtes  cori-* 
3j  vulHonnaire,  &  vous  avez  vu  refliifciter 
,i  Saint  Paris  ?  Cela  n'efl:  pas  fort  cton- 
,j  nanti  vous  avez  vu  tant  d'autres  mer-/ 
,j  veilles  „.  .  . 

Toujours  dans  ma  fuppofuion  ,  lans  dou- 
te,  il  infiftera  :  il  vous  dira  qu'il  n'a  point- 
vu  feul  le  miracle-,  qu'il  avoit  deux  ou  trois 
perfonnes  avec  lui  qui  ont  vu  la  même 
chofe,  &  que  d'autres  à  qui  il  l'a  voulu  ra- 
conter ,  difent  l'avoir  aulfi  vu  eux-mcmes* 
Là-delîus  vous  demanderez  fi  tous  fes  té- 
moins étoient  Janfcniftes.  ,t  Oui  ,  Mon- 
féigneur  ,  „  dira-t-il  j  ,,  mais  n'importe: 
,j  ils  font  en  nombre  fu  ffifant ,  gens  de  bon- 
,5  nés  mœurs  ,  de  bon  fens  ,  &  non  rccufa- 
55  blés  ,  la  preuve  efl:  complette  ,  ô:  rien 
5j  ne  manque  à  notre  déclaration  pour' 
jj.conftater  la  vérité  du  fait  „. 

D'autres  Ëvcques  moins  charitables  en-" 
.3f^rroiêrir>clK liber- un  Gcmmiifaire,  6t  Un- 

Gvj.^ 


loS  LETTRE 

configncroîent  le  bon  homme  honore  de 
la  viilon  glorieufe  ,  pour  en   aller    rendre 
grâces  à  Dieu   aux   Petites  Mailons.  Pour 
vous ,  Monfeigneur ,  plus  humain  ,  mais  non 
plus  crédule  ,  après  une  grave  réprimande  , 
vous    vous   contenteriez  de  lui  dire  :  „   Je 
5,  fçais  que  deux   ou  trois  rémoins  honnè- 
„  tes  gens  &  de  bon  fens,  peuvent  attelleu 
.„  la  vie  ou  la  mort  d'un  homme  j  mais  je 
,,  ne   fçais  pas    encore  con>bien  il  en  taut 
„  pour  conftater  laréfurretStion  d'un  J'anfé- 
„  nille.  En  attendant  que  je  l'apprenne,  al- 
,,  lez,  mon  entant,  tâchez  de  t".n-tiBer  votre 
„  cerveau  creux.  Je  vous  diipenfedu  jeiine  , 
„  de  voilà  de  quoi  vous  faire  de  bon  bouilon 
C'eft  à  peu  près,  Monfeigneur  ,  ce  que 
vous  diriez,  &  ce  que  diroit  tout  autre  hom- 
me fage,  à  votre  place.  D'où  je  conclue  que, 
même  félon  vous,  &  félon  tout  autre  hom- 
me fage  ,   les  preuves  morales  ,  fum(antes 
pour  condiater  les  faits  qui  font  d.ins  l'ordre 
des  poflîbilitcs  morales,  ne   fuiTiùnr    plus 
pour  conftatcr  des   hiits  d'un  autre  ordre, 
ôc  purcmnt   furnaturels,  fur  quoi  je  vous 
lailTe  juger  vous-même  de  la  jultcfle  de  vo- 
tre comparailon. 

Voici  pourtant  la  conclufion  triomphan- 
te que  vous  en  tirez  contre  moi:  Son  Scep' 
tic'ifnie  Jiejl  donc  ici  fondé  que  fur  tïutcrèe 
de  fan  incrédulité  [  41  ].    Monfeigneur  ,  il 

(41)  Mankmtni  in-<iiiarto  ,  p.  li  3  iu-ii?  P»  W^j, 


A  M.  DE  BEAUMONT.  lop 
jamais  elle  me  procure  un  Evêché  de  cent 
mille  livres  de  rente,  vous  pourrez  parler 
de  l'intérêt  de  mon  incrédulité. 

Continuons  maintenant  à  vous  tranfcri- 
re  ,  en  prenant  feulement  la  liberté  de  ref- 
tituer  au  befoîn  les  pallages  de  mon  Livre 
que  vous  tronquez. 

5,  Qu'un  homme,  ajoute- 1- il  plus  loin, 
„  vienne  nous  tenir  ce  langage:  Mortels, 
„  je  vous  annonce  les  volontés  du  Très- 
„  Haut  •■,  reconnoiirez  à  ma  voix  celui  qui 
5,  m'envoie.  J'ordonne  au  Soleil  de  chan- 
j,  ger  Ton  cours,  aux  étoilles  de  former  un 
,,  autre  arrangement ,  aux  montagnes  de 
s'applanir  ,  aux  lios  de  s'élever  ,  à  la  terre 
„  de  prendre  un  autre  afped  :  à  ces  mer- 
j,  veilles,  qui  ne  reconnoîtra  pas  à  l'indanc 
„  le  maître  de  la  nature  ?  Qui  ne  croirait, 
,,  A'I.  T,  C.  F.  que  celui  qui  s  exprime 
j,  de  la  forte  ,  ne  demande  qu  à  voir  des 
,,   miracles  pour  être  Chrétien. 

Bien  plus  que  cela  ,  Monleigneiir  *,  puif- 
que  je  n'ai  pas  même  befoin  des  miracles 
pour  être  Chrétien. 

Ecoute:^  toutefois  qiiil  ajoute  :  ,,  Pvefte 
5,  eniîn  ,  dit -il  ,  l'examen  le  plus  im-por- 
,,  tant  dans  la  dodlrine  annoncée  i  car  puif- 
j,  que  ceux  qui  difent  que  Dieu  tait  ici- bas 
,,  des  miracles ,  prétendent  que  le  Diable 
5,  les  imite  quelquetoi^  avec  les  prodiges 
,,  les  mieux  conftatés,  nous  ne  femmes  pas 
„  plus  avancés  qu'auparavant  \  ik.   puilqae 


no-  t  E  T  T  R  E 

„lés  Magiciens  de  Pharaon  ofoient,  en  pré- 
^.fence  même  de  Moyle ,  faire  les  mcmes^ 
„  fîgnes  qu'il  faifoit  par  l'ordre  exprès  de- 
„.Dieu,  pourquoi  dans  fon  abfcnce  n'euf- 
5,  Cent -il  pas  ,  aux  mêmes  titres ,  prétendu- 
j,  la  même  autorité  ?  Ainli  donc  ,  après  avoir 
j,  prouvé  la  doélrine  par  le  miracle,  il  fauf 
„  prouver  le  miracle  par  la  doctrine  ,  de 
„  peur  de  prendre  l'œuvre  du  Démon  pour. 
„i'œuvre  de  Dieu  (  45  ).  Que  faire  en  pa-- 
3,  reil  cas  pour  éviter  le  diable?  Une  fcu-^ 
„  le  chofe  i  revenir  au  raifonnement  ,  &C- 
3,  lailTer-là  les  miracles. -Mieux  eut  valu  n'y 
3,. pas  recourir  ,,. 

C*ejl  dire:  qu'on  me. montre  des  miracles ,- 
Ô"  je  croirai.  Oui ,  Monleigneur,  c'ell  dire,-, 
qu'on  me  montre  des  miracles  ,  &  je  croirai- 
aux.  miracles.  C'ejl  dire  :   quionme  montre, 
des  miracles  ,  &  je  refuferai  encore  de  croi' 
r^.-.Oui  ,  Monfeigneur  ,  c'eft  dire,  lelon  le. 
précepte  même  de  Moyfe  (  44  )  :  qu'on  me 
montre  des  miracles  ,  &  je  rétuferai  encore 
de  croire  une  dodlrine  abfurde  &.  dér-ufon-f 
nable  qu'on    voudroit  ctayer  par  eux.  Je' 
Ci-oirois  plutôt  àla  magie,  que  de  rcconnoî- 
tre  la  voix  de  Dieu  dans  des  leçons  contre' 
]à.:rairon. 


(  45  )  Je  fuis  forcé  de  confondre  ici  la  note  avec  le. 
texte  ,  a  limitation  de  M.  Bcauniont.  le  Leaem  pour- 
ra confuher  l'un  &  i  autre  dans  le  Livte-niÇiuet  T^. 
1 1  1  -,   p.    145.    &   l'uiv. 

(  L44  }  ;£)4uccrome».c.  XIII*> 


A  M.  DE  BEAUM'ONT.     ht 

Tai  dit  que  c'étoit-la  du  bon  fens  le  plus 
fimple  ,   qu'on  n'obfcurciroit  qu'avec    des 
diftindrions   tout   au    moins  très-fubtiles  :^- 
c'eft  encore  une   de  mes  prédidiions  •,  erï 
voici  l'accomplillement. 

Quand  une  doclrlne  ejl  reconnue  vraie  ,- 
divine  ,  fondée  Jur  une  révélation  certaine^-. 
on  senjert  pour  juger  des  miracles  y  cejî-a-^ 
dire  y  pour  rejetter  les  prétendus  prodiges 
que  des  impojieurs  voudroient  oppofer  à  cette 
doctrine.  Quand  il  s'assit  d'une  doÙrine  nou- 
velle  quon  annonce  comme  émanée  dujein 
de  Dieu  y  les  miracles  font  produits  en  preu-^ 
Ves  y  cefl-a-dire  ,  que  celui  qui  prend  la 
qualité  d'Envoyé  du  Très  Haut,  confirmé- 
fa  MiJJion  ,  fa  prédication  par  des  miracles 
qui  font  le  témoignage  même  de  la  Divinité. 
Ainfi  la  doctrine  &  les  miracles  font  des  ar" 
gumens  refpeciifs  don  t  on  fait  ufage ,  félon  les  : 
divers  points  de  vue  oii  Vonfe  place  dans  l'e' 
tude  &  dans  Venfeignement  de  la  Religion. 
Il  ne  fe  trouve  là  ni  abus  du  rafonnenient  yui 
fophifme  ridicule  ,  ni  cercles  vicieux  [45'  ].■ 

Le  Ledeur  en  pigera.  Pour  Kr<o\  je  n'ajou-* 
terai  pas  un  feul  mot-  J'.ii  quelque  fois  ré- 
pondu ci-devant  avec  mes  pallages  ^  mais 
c'eft  avec  le.  vôtre  que  je  veux  vous  répon*- 
dre  icii 

Oiiejî  donc  ,  M.    T.  C.  F.  la  bonne  foii 
f^hilofophique  dont  fe  pare  cet  Lcnvainf. 


m  LETTRE 

Monfeigneui-,  je  ne  me  Tais  jamais  pîqué 
d'une  bonne  foi  philofophiquc  •,  car  je  iVeii 
connois  pas  de  telle.  Je  n'oie  même  trop 
pailei'  de  la  bonne  foi  chrétienne  ,  depuis 
que  de  foi-difant  Chrétiens  de  nos  jours 
trouvent  ii  mauvais  qu'on  ne  fupprime  pas 
hs  objections  qui  les  embarradent.  Mais 
pour  la  bonne  toi  pure  &  imiplc,  je  deman- 
de laquelle  de  la  mienne  ou  delà  vôtre  eft 
la  plus  facile,  à  trouver  ici. 

Plus  j'avance  ,  plus  les  points  à  traiter  de- 
viennent intérelîans.  Il  faut  donc  continuer 
à  vous  tranfcrire.  Je  voudrois  dans  des  dif- 
culTions  de  cette  importance  ne  pas  omet- 
tre un  de  vos  mots. 

On  croirait  gu  après  les  plus  grands  efforts 
pour  décrcditcr  les  témoignages  luimains  qui 
attejlcnt  la  Révélation  Chrétien  ne ,  le  même 
Auteur  y  défère  cependant  de  la  manière  Ici 
plus  pcjitive  ,  la  plus  Jolemnelle. 

On  auroit  raifon  fans  doute  ,  puifque  je 
tiens  pour  révélée  toute  dodtrine  où  je  re- 
connois  l'efprit  de  Dieu.  Il  taut  feulement 
ôter  l'amphibologie  de  votre  phrafe  :  car 
Ç\  le  verbe  relatif  jy  défère  fe  rapporte  à  la 
Révélation  Chrétienne  ,  vous  avez  raifon  j 
mais  s'il  fe  rapporte  aux  témoignages  hu- 
mains, vo'is  avez  tort.  Quoi  qu'il  en  foit, 
je  prends  aCfe  de  votre  témoignage  contre 
ceux  qui  ofent  dire  que  je  rejette  toute 
révélation  ,  comme  fi  c'étoit  rejetter  une 
dodiine    que    de   la    reconnoitre    fujette 


A  M.  DE  BEAUMONT.  iij 
à  des  difficultés  infolubles  àTeTprit  humain: 
comme  lî  c'étoit  la  rejetter  que  de  ne  pas 
J'admettre  fur  le  tém.oignage  des  hommes 
rorfqu'on  a  d'autres  preuves  équivalentes 
ou  rupcrieurcs ,  qui  difpenfent  de  celle-là? 
Il  efl  vrai  que  vous  dites  conditionnellcmenr, 
on  croiroif-)  mais  on  cro/Voir figniiic  oncroit, 
lorlque  la  rai  Ton  d'exeption  pour  ne  pas 
croire  fe  réduit  à  rien  ,  comme  on  verra 
ci-aprcs  de  la  vôtre.  Commençons  par  la 
preuve  affirmative. 

IL  faut  pour  vous  en  convaincre  ^  M.  T, 
C.  F.  &  en' même- temps  pour  vous  édifier , 
mettre  Jous  vos  yeux  cet  endroit  dejon  ou- 
vrage. ,,  J'avoue  que  la  majefté  des  Ecntu- 
3,  res  m'étonne  i  la  fainteté  de  l'Evangile 
5,  (4<5')  parle  à  mon  cœur.  Voyez  les  Li- 
j,  vrcs  des  Philofophes ,  avec  toute  leur 
5,  pompe-,  qu'ils  font  petits  près  de  celui- 
j,  là  !  h;:  pvUt  il  qu'un  Livre  à  la  fois  fi  fu- 
„  blime  &:  fi  (impie  foit  l'ouvrage  des 
„  hommes)  Se  peut- il  que  celui  dont  il 
„  fait  rhiftoire  ne  foit  qu'un  homme  lui- 
„  même  ?  Eft-ce-là  le  ton  d'un  enthoulïafte 
„  ou  d'un  ambitieux  feâiaire  ?  Quelle  dou- 

(40;  La  néghgeace  veca  laquelle  M.  Beau- 
mont  m<  tranfcrit,  lui  a  Tait  faire  ici  deux  chan- 
gement dans  une  ligne.  11  a  nîis  la.  majejié  de 
VEcri^ure,  au  lieu  de  la  majfjié  des  Ecritures;  & 
il  a  mis  la  fainteté  de  récriture ,  au  lieu  de  la 
fainteté  de  l'Evangile.  Ce  n'eil  pas  à  la  vérité, 
me  Faire  dire  des  héréficsj  niuis  c'éft  me  faire 
parler  bitn  niiiilVn.icnt, 


ri4'  L  E  T  T  R  E 

j>,  ceur  ,  quelle  pureté  dans  Tes  mœurs î 
,»  Quelle  grâce  touchante  dans  ces  inftruc- 
5, tions  quelle  élévation  (Lms  fcs  maximes? 
5,  quelle  profonde  fagelTe  dans  Tes  difcours? 
,>  quelle  préfence  d'efprit  ,  quelle  finellè 
,>  &c  quelle  juftefle  dans  Tes  réponfes  ? 
,>  quel  empire  Cur  Tes  pâffions  !  Où  eîl 
5^  l'homme,  où  eft  le  fage  qui  fcait  agir,- 
5,  fouftiir  &  mourir  fans  toiblefle  ôc  fans 
5,  oOientation  (47)  î  Quand  Platon  peint 
5j  Ton  Jufte  imaginaire  ,  couvert  de  tout 
„  l'opprobre  du  crime  ,^  digne  de  tous 
5,  les  prix  de  la  venu  ,  il  peint  trait  pout' 
,y  trait  Jefus-Chrilt:  la  rellemblance  eft  h 
j,  frappante  ,  que  tous  les  Pères  l'ont  fen- 
3,  tie,  &  qu'il  n  eft  pas  poflîble  de  s'y  trom- 
j,  per.  Quels  préjuges,  quel  aveuglement 
„  ne  faut-il  point  avoir  pour  ofer  compa- 
„  rer  le  fils  de  Sophronifque  au  fils  de  Ma- 
3,  rie?  Quelle  diftance de  l'un  à  l'autre  ISocra- 
5,  te  mourant  fans  douleur ,  (ans  ignomi- 
5,  nie  ,  foutient  aifément  jufqu'au  bout  fon 
„  perfomiage  ,  ôc  li  cette  facile  mort  n'eût 

(47)  Je  remplis  ,  félon  ma  coutume  ,  les  la- 
cunes faites  par  M.  de  Beaumont ,  non  qu'ab- 
folumcnt  ccUls  qu'il  tait  ici  fuient  infidieiifes, 
comme  en  d'auiics  endioits-,  mais  parce  que 
lé  de.liut  de  fuite  c\  de  liailon  aHo.blit  le  pal- 
fâg  quand  il  eft  troiiqué  ;  ix  parce  que  mei, 
p^'rfécuteurs  fupprimant  avec  foin  tout  ce  que 
fai  dlv  de  fi  bon  ccéut  en  faveur  delà  Religion» 
il  eft  bon  de  le  rétablir  à-iïivfurê^qiiè-rocîafioîi' 


A  M.  DE  BEAUM'ONT.  rr/ 
j,  honoré  fa  vie  ,  on  douteroit  h  Socrate , 
j,  avec  tout  Ton  efprit  ,  fur  autre  chofe 
,i  qu'un  Sophifte.  11  inventa,  dit-on,  la 
„  morale.  D'autres  avant  lui  Tavoicnt  mife 
5,  en  pratique  y  il  ne  fit  que  dire  ce  qu'ils 
„  avoient  faif,  il  ne  fit  que  mettre  en  le- 
„  çons  leurs  exemples.  Ariftide  avoit  été 
„  jufte  avant  que  Socrate  eût  dit  ce  que 
„  c'étoit  que  juilice^  Léonidas  étoit  mort 
„  pour  fon  pays  avant  que  Socrate  eiit  fait 
„  un  devoir  d'aimer  la  patrie  v  Sparte 
„  étoit  fobre  avant  que  Socrate  eût  loue 
,y  la  (obriété  \  avarjt  qu'il  eût  défini  la  verr 
„  tu  ,  Sparte  abondoit  en  hommes  ver-. 
,a  tueux.  Mais  où  Jefus  avoit-il  pris  par- 
5,  mi  les  Tiens  cette  morale  élevée  &  pure, 
5,  dont  lui  feula  donné  les  leçons  â:  l'exem- 
3,  pie  î  Du  (ein  du  plus  turieux  fanatifme' 
„  la  plus  haute  fagefie  fe  fit  entendre , 
3,  &  la  fimplicité  des  plus  héroïques  ver-« 
3,  tus  honnora  le  plus  vil  de  tous  les  pcu- 
5,  pies.  La  mort  de  Socrate  philof:>phanr 
„  tranquillement  avec  fes  amis  eft  la  plus 
„  douce  qu'on  puifle  deiîrer  -,  celle  de  Je- 
„-  fus  expirant  dans  les  tourmens  ,  inju- 
„  rié,  raillé,  maudit  de  tout  un  peuple,^ 
,,  eft  la  plus  horrible  qu'on  puiffe  crain- 
„  dre.  Socrate  prenant  la  coupe  empoifon- 
„  née  bénit  celui  qui  la  lui  préfente,  ôc  qui: 
„  pleure.  Jefus,  au  milieu  d'un  fupplice  af- 
,,  freux,  prie  pour  fes  bourreaux  acharnés,. 
„  Oui ,  Cl  la  vie  ôc  la  mon  de  Sociale.  fouE. 


ïk;  lettre 

5,  d'un  Sage  ,  la   vie  îk  la  mort  de  Jefus 
„  font  d'un  D;eii.  Dirons-nous  que  i'hilloi- 
„  re  de  PEvangile   eft  inventée  à  plaihr  t 
,,  Non  ,  ce  n'ell:  pas  ainli  qu'on   invente  : 
,,  &  les    faits  de  Socrate  ,  djnt  perfonne 
„  ne  doute  ,   font  moins  attelles  que  cqvx 
„  de  Jcfus-Ghrill.  Aa  fond,  c'efl:  reculer  la 
„  difficulté  Gns  la  détruire.  11   feroit  plus 
5,  inconcevable  que  pludeurs  hommes  d'ac- 
5,  cord  eullent  fabriqué  ce  Livre  ,  qu'il  ne 
„    l'eft   qu'un   feul  en  ait  fourni   le    fujet. 
„  Jamais  des  Auteurs  Juits  n'eulîent  trûu- 
„  vé  ni  ce  ton,  ni  cette  morale,  &  l'Evan- 
„  gile  a  des  caractères  de  vérité  fi  grands, 
„  Il  trappans  ,  ii  parfiitcment  inimitables  , 
j,   que  l'inventeur  en  fetoit  plus  étonnant 
„  que  le  HéroS'f^48  )  „. 

(  45>  )  Il  ferait  difficile  ,  AL  T.  C.  F.  de 
rendre  un  plus  bel  hommage  à  V authenticité 
de  l'Evangile.  Je  vous  fcais  gré  ,  Monleig- 
iieur  ,  de  cet  aveu  j  c'cft  une  injultice  que 
vous  avez  de  moins  que  les  aurres.  Venons 
maintenant  à  la  preuve  négative  qui  vous 
fait  diic  ,  on  croirait,  au  lieu  d'an  croit. 

Cependant  l^ Auteur  ne  la  croit  qu'en  con- 

J~i'qucnce   des   témoignages   humains.    Vous 

vous  trompez,  Monfeigneur;  jelareconno's 

en  conféquence  de  l'Evangile  ,  6c  de  la  fu- 

(48)  Emile  ,  T.  II  L  p.  179  &  fuiv. 

(49)  M;/2ic7nf/2  fin  quarto,  page  14,  in  dou- 
ze ,  page  xxaÏy'. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  127 
blîmité  que  j'y  vois,  fans  qu'on  me  i'aitef- 
te.  Ji  n'ai  pas  befoin  qu'on  m'affirme  qu'il 
y  a  un  Evangile  lorfque  je  le  tiens.  Ce  font 
toujours  des  hommes  qui  lui  rapportent  ce 
que  d  autres  hommes  ont  rapporté.  Ec  point 
du  tout  i  on  ne  me  rapporte  ponit  que  l'E- 
vangile exifle  j  je  le  vois  de  mes  propres 
yeux  ,  S^-quand  tout  l'Univers  me  foutien- 
droii  qu'il  n'exiflie  pas,  je  fçaurois  très  bien 
que  tout  l'Univers  ment,  ou  fe  trompe.  Que 
d'hommes  entre  Dieu  &  lui}  Pas  un  feul. 
^'Evangile  efl;  la  pièce  qui  décide  *,  &  cette 
pièce  ert  entre  mes  mains.  De  quelque  ma- 
nière qu'elle  y  foit  venue  ,  &  quelque 
Auteur  qui  l'ait  écrite  ,  j'y  reconnois  i'ef- 
prit  divin  :  cela  eft  immédiat  autant  qu'il 
peut  l'être  \  il  n'y  a  point  d'hommes  entre 
cette  preuve  &  moi  ;  &  dans  le  fens  où  il 
yen  auroit  ,  l'hiflorique  de  ce  (aint  Livre, 
des  Tes  Auteurs  ,  du  temps  où  il  a  été  com- 
pofé,  dcc.  rentre  dans  les  difculTions  de  cri- 
tique où  la  preuve  morale  eft  admife.  Telle 
ell:  la  réponfe  du  Vicaire  Savoyard. 

Le  voilà  donc  bien  évidement  en  contra' 
diction  avec  lui- même:  le  voila  confondu 
par  fcs  propres  aveux.  Je  vous  laitle  jouir 
de  toute  ma  confufion.  Par  quel  étrange 
aveuglement  a-t-il  donc  pu  ajouter}  ,,  Avec 
5,  tout  cela  ce  même  Evangile  eft  plein  de 
,,  chofes.  qui  répugnent  à  la  raifon  ,  de  qu'il 
„  eft  impollible  à  tout  homme  fenfé  de 
,)  concevoir   ni  d'admettre.   Que    faut -il 


îrS  LETTRE 

,,  au  milieu  de  toutes  ces  contradi(n:ions  ? 
3,  Etre  toujours  moJefte  ôc  circonfpeâ:  ;  reT- 
5,  pecrer  en  hlence  (  50  )  ce  qu'on  ne  fçiuroit 
5,  ni  rejetcer  m  comprendre  ,  &  s'humi- 
„  lier  devant  le  grand  Etre  q-ii  ieul  fçaic 
„  la  vérité.  Voilà  le  fcepticihme  involori- 
5,  taire  où  je  fuis  rcdé  ,,.  Alais  le  fceptir 
cifme  y  M.  T.  C,  F.  peut  il  donc  être  in- 
volontaire  y  lorjqu'on  refufe  de  fe  fownettre 
à  la  doctrine  d'un  Livre  qui  ne  fçauroit  être 
inventé p-ii^  les  hommes  ?  Lorjque  ce  Livre 
porte  des  caractères  de  vérité  Ji  grands  ,  fi 

(  50  )  Pour  que  les  hommes  s'impofent  ce 
r-elrcft  &ce  ï\Q,-iZi  ,  il  faut  que  quelqu'un  Lur 
dift:  une  fois  les  raifôns  d'en  ufcr  ainfi.  Celui 
qui  connoit  ces  raifonspeut  le  dire,  mais  ccui 
qui  ccnfurent  &  n'en  difent  point  pourroient 
iè  taire.  Parler  au  public  avec  franchife  ,  avec 
fermeté  ,  eft  un  droit  commun  à  tous  les  hom- 
mes, (5<mtrae  un  devoir  en  toute  chofe  utile  : 
mais  il  n'efi  gueres  permis  à  un  particulier  d'en 
cenfurer  pupliquement  un  autre  :  c'efî  s'attri- 
buer une  trop  grande  fupsriorité  de  vertus,  de 
talents  ,  de  lumières.  \'oilà  pourquoi  je  ne  me 
fuis  jamais  ingéré  de  critiquer  ni  réprimander 
pefonne.  J'aiditàn^on  fiecle  des  vérités  dures, 
mai?  je  n'en  ai  dit  à  aucun  particulier  ,•  &  s'il 
m'eft  arrivé  d'attaquer  &  nommer  quelques  li- 
vres ,  je  n'ai  jamais  pailé  des  Auteurs  vivans 
qu'av-ec  toute  forte  de  bienféance  &  d'égardî. 
On  voit  comment  ils  me  les  rendent.  11  me 
femble  que  tous  cts  Mellieurs  ,  qui  fe  mettent 
fi  fièrement  en  avant  pour  m'enfeigner  l'hu- 
nf'lité  ,  trouvent  la  leçon  meilleure  à  donner 
qu'à  fuivre. 


A  M.  DE  BEAUMONT;     119 

Jrapa.ns ,  Ji  parfaitement  inimitables  ,  que 

l'inventeur   en  Jeroit  plus  étoruiaiu  que    It 

Héros  ?  C'^Ji   bien  ici    qiion  peut  dire  que 

l'iniquité   a  menti  contre  elle-même  (yi  j. 

Monfeigneur  ,  vous  me  taxez  d'iniquité 
fans  fujet  -,  vous  m'imputez  fouvent  des  men- 
fonges  ,  &c  vous  n'en  montrez  aucun.  Je 
îTî'impoCe  avec  vous  une  maxime  contraire, 
ôc  j'ai  quelquefois  lieu  d'en  ufer. 

Le  Scepticifme  du  Vicaire  eft  involon- 
taire par  la  raifon  même  qui  vous  tait  nier 
qu'il  le  foit.  Sur  les  toibles  autorités  qu'on 
veut  donner  à  l'Evangile,  il  le  rejetteroit 
par  les  raifons  déduites  auparavant ,  (ï  l'eP. 
prit  divin,  qui  brile  dans  la  morale  &  dans 
la  do6lrine  de  ce  Livre  ,  ne  lui  rendoit 
toute  la  force  qui  manque  au  témoignage 
des  hommes  fur  un  tel  point.  Il  admet  donc 
ce  Livre  Sacré  avec  toutes  les  chofes  ad- 
mirables qu'il  renterme,  Sc  que  l'efprit  hu, 
main  peut  entendre  ;  mais  quant  aux  chofes 
incroyables  qu'il  y  trouve  ,  le/quelles  ré- 
pugnent à  fa.  raifon ,  €5*  qiiil  efl  impojfible 
à  tout  homme  f en fé  de  concevoir  ni  d' admet- 
tre ,  il  les  refpecte  en  Jîlence  ,  fans  les  com-^ 
prendre  ni  les  rejetter  ,  d^  s'humilie  devant 
le  grand  Etre  qui  feul  fçait  la  vérité.  Tel 
eft  fon  fceptifcime  •,  &  ce  fceptifcime  eft; 
bien  involontaire  ,  puifqu'il  eft  fondé  fur 
des  preuves  invincibles  de  part  &  d'autre 
QUI  forcent  la  raifon  de  refter  en  fufpens, 

(ji  )  Mandement  in-4,  pt  14,  in-deme  >  page  xxxvij. 


/lo  LETTRE. 

Ce  fcepticifiTie  eft  celui  de.  tout  Chrctien 
raifonnable  ôc  de  bonne  foi,  qui  ne  veut 
fçavoir  des  chofes  du  Ciel  que  celles  qu'il 
peut  comprendre,  celles  qui  importent  à 
fa  conduite,  $c  qui  rejette,  avec  l'Apôtre, 
les  quejlions  peu  fenfées  qui  font  fans  in- 
Jlruciions  j  &  qui  n'' engendrent  que  des  corti' 
èats(s'i-). 

D'abord  vous  me  faites  rejetter  la  Révé- 
lation ,  pour  m'en  tenir  à  la  Religion  natu- 
relle, de  premièrement,  je  n'ai  point  re- 
jette Ja  Révélation.  Enfuite  vous  m'accu- 
fez  de  ne  pas  admettre  même  la  Religion 
naturelle  i  ou  du  moins  de  n'en  pas  recon^ 
noUre  la  nécejfité  ;  &c  votre  unique  preuve 
eft  dans  le  palîage  fuivant  que  vous  rap- 
pottez.  „  Si  je  me  trompe,  c'eft  de  bonne 
„  foi.  Cela  ruffit(/5)  pour  que  mon  er- 
„  reur  ne  me  foit  pas  imputée  à  crime, 
„  quand  vous  vous  tromperiez  de  même,  il 
5,  y  auroit  peu  de  mal  à  ce^a.  „  Ceft-a- 
dire  ,  continuez-vous ,  que  Jelon  lui ,  ilfiiffit 
de  fe  perfuader  quon  ejl  en  profejfion  de  la, 
vérité  ;  que  cette  perfuajîon  ,  jut-elle  ac- 
compagnée des  plus  monfrueufes  erreurs , 
on  ne  peut  jamais  être  un  fujet  de  repro- 
che 'j  qu'on  doit  toujours  regarder  comme  un 
homme  f âge  Ô' religieux  j  celui  qui  ^  adop- 
tant les  erreurs  mêmes  de  V Athéifme  ,  dira, 

[  52  ]    Timoth.    C.  I  I.    v.    23. 

(  5?  )  Emile,  Tom   III.   p.    21.   M.   de 

Bcauiuont  a   mis  ,  cela,  mefuffit. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  m 
qu'il  ejl  de  bonne  joi.  Or  ^  nefc-cepas  làou^ 
yr'ir  la  porte  a  toutes  les  Juperjtitions  ,  à. 
tous  les  fyjlêmesjanatiques  y  à  tous  les  dell' 
res  de  Vejprït  humain  {^a^Y' 

Pour  vous ,  Monfeigneur,  vous  ne  pour- 
rez pas  dire  ici  comme  le  Vicaire  j  Si  je 
me  trompe  y  cejî  de  bonne  foi:  car  c'efl:  bien 
évidament  à  detlein  qu'il  vous  plaît  de 
prendre  le  change  ,  &  de  le  donner  à  vos 
Ledeurs  j-  c'eft  ce  que  je  m'engage  à  prou- 
ver fans  réplique,  &  je  m'y  engage  aind 
d'avance,  afin  que  vous  y  regardiez  de  plus 
près. 

La  Profeflion  du  Vicaire  Savoyard  eft 
compofce  de  deux  parties.  La  première, 
qui  eft  la  plus  grande,  la  plus  importante, 
la  plus  remplie  des  vérités  frappantes  & 
neuves,  cfl:  deflinée  à  combattre  le  moderne 
matcrialifme  ,  à  établir  l'exiftence  de  Dieu 
&  la  Religion  naturelle  avec  toute  la  force 
dont  l'Auteur  eft  capable.  De  celle-là,  ni 
vous  ni  les  Prctrcs  n'en  parlez  point,  par- 
ce qu'elle  vous  eft  fort  indifférente,  6c 
qu'au  fond  la  caufe  de  Dieu  ne  vous  tou- 
che guère  ,  pourvu  que  celle  du  Clergé 
foit  en  fureté. 

La  féconde  ,  beaucoup  plus  courte  , 
moins  régulière,  moins  approfondie,  pro- 
pofe  des  doutes  &:  des  difficultés  fur  les 
révélations  en  général  ,  donnant  pourtant 
à  la  nôtre  fa  véritable  certitude  dans  lapu- 

(54)  Mandemeni  in-4.  p.  15.  in  12  p.  xxxvij. 


ïzi.  LETTRE, 

reté,  la  fainiété  de  fa  dodrine,  &  dans  îa 
/liblimitc  toute  divine  de  celui  qui  en  fut 
l'Auteur.  L'objet  de  cette  féconde  partie 
eft  de  rendre  chacun  plus  réfervc  dans  fa 
Religion  à  taxer  les  autres  de  mauvaife  toi 
dans  la  leur,  &c  de  montrer  que  les  preuves 
de  chacune  ne  font  pas  tellement  dcmonf- 
tratives  à  tous  les  yeux,  qu'il  faille  traiter 
en  coupables  ceux  qui  n'y  voient  pas  la  mê- 
me clarté  que  nous.  Cette  féconde  partie  , 
écrite  avec  toute  la  modeflie,  avec  tout  le 
refpe^t  convenables,  eft  la  feule  quiaitat- 
îiré  votre  attention  &  celle  des  Magiftrats. 
Vous  n'avez  eu  que  des  bûchers  &  des 
injures  pour  réfuter  mes  raifonnements. 
Vous  avez  vu  le  mal  dans  le  doute  de  ce 
qui  eft  douteux  ;  vous  n'avez  point  vu  le 
bien  dans  la  preuve  de  ce  qui  efl:  vrai. 

En  effet ,  cette  première  partie  ,  qui 
contient  ce  qui  eft  vraiment  eirentiel  à  la 
Keligion,  eft  décifive  &:  dogmatique.  L'au- 
teur ne  balance  pas,  n'héfite  pas.  Sa  con- 
fcience  &  fa  raifon  le  déterminent  d'une 
manière  invincible.  Il  croit ,  il  affiime  :  il 
eft  fortement  perfuadé. 

Il  commence  l'autre,  au  contraire  ,  par 
déclarer  que  t examen  qui  lui  refle  à  faire 
ejî  bien  différent  ;  qu'il  n'y  voit  qu  embarras , 
inyjlere  ,  obfcurité;  qu'il  n'y  porte  qu'incer- 
titude &  défiance  ;  qu'il  n'y  faut  donner  à 
Jes  difcours  que  l'autorité  de  la  raifon  i  qu'il 
ignore    lui-même  /il  eft  dam  l'erreur^  & 


A  M.  DE  BEAUMONm;  isj 
que  toutes  fes  affirmations  ne  font  ici  que 
des  ralfons  de  douter  (  /O-  ^}  pi'opofe  donc 
{(ts  objedions ,  (es  difficultés  ,  fes  doutes. 
Il  propofe  auiïî  fes  grandes  &  fortes  rai- 
fons  de  croire-,  &  de  toute  cette  dicuffion 
réfuke  la  certitude  des  dogmes  elTentiels  , 
(Ce  un  fceptlcifine  refpe(5tucux  fur  les  autres, 
'A  la  fin  de  cette  féconde  partie  il  infiRe  de 
nouveau  fur  la  circonfpeétion  néceflfaire  en 
l'écoutant.  Si  j  étois  plus  fur  de  moi,  j  au- 
rois  dit- il  ,  pris  un  ton  dogmatique  &  de-' 
ciftf  ;  mais  je  fuis  homme  ^  ignorant  ^fujet^ 
à  V erreur  :  que  pouvoisfe  faire  ?  Je  vous  ai 
cuvert  mon  cœur  fans  referve-,  ce  que  je  tiens 
j)Ourfùr,je  vous  L'ai  donné  pour  tel  :  je  vous 
ai  donné  mes  doutes  pour  des  doutes  y  mes 
opinions  pour  des  opinions  ,  je  vous  ai  die 
mes  raifons  de  douter  C^  de  croire.  Mainte^., 
nant  c'efl  à  vous  de  juger  {  ^6'). 

Lors  donc  que  dans  le  même  écrit  l'Aii-ï 
teur  dit  :  Si  je  me  trompe  y  cejl  de  bonne  fol 
cela  fuffit  pour  que  mon  erreur  ne  me  foie 
jpas  imputée  à,  crime  \  je  demande  a  tout 
lecteur  ,  qui  a  le  fens  commun  ,  &  quelque 
fîncérité ,  fi  c'eft  fur  la  première  ou  fur  \% 
féconde  partie  que  peut  tomber  ce  foup- 
çon  d'ctre  dans  l'erreur-,  fur  celle  où  l'Au- 
teur affirme,  ou  fur  celle  où  il  balancé?  Si 
ce  foupçon  marque  la  crainte  de  croire  ea 

(  55  ).  Emile  Tome  III.  page  131. 
t  5<5  J.  Ibid  page  192. 


'ï24  LETTRE 

Dieu  mal-à-propos,  ou  celle  d'avoîr  tart 
àQS  doutes  fur  révélation?  Vous  avez  pris 
le  premier  parti  contre  toute  raifon  ,  ôc 
dans  le  feul  defir  de  me  rendre  criminel  j  je 
vous  dehe  d'en  donner  aucun  autre  motif. 
Monleigneur,  ou  font,  je  ne  dis  pas  l'équi- 
té, la  chante  chrétienne ,  mais  le  hon  fens 
oc  rhumanite  î 

Quand  vous  auriez  pu  vous  tromper  fur 
robjet  de  la  crainte  du  Vicaire ,  le  texte 
feul  que  vous  rapportez  vous  eût  défabufé 
tnalgre  vous.  Car  lorfqu'ii  dit.-  cela  fuffie 
pour  que  mon  erreur  ne  me  foit  pas  imputée 
a  crime  ,  il  reconnoît  qu'une  pareille  erreuc 
pourroit  être  un  crime,  &  que  ce  crime 
lui  pourroit  être  imputé  ,  s'il  ne  procédoic 
pas  de  bonne  foi.  Mais  quand  il  n'y  auroit 
point  de  Dieu  ,  où  feroit  le  crime  de  croire 
qu'il  y  en  a  un?  Et  quand  ce  feroit  un  cri- 
me, qui  eft^ce  qui  le  pourroit  imputer» 
La  crainte  d'être  dans  l'erreur  ne  peut  donc 
ici  tomber  fur  la  Religion  naturelle,  &  le 
difcours  du  Vicaire  feroit  un  vrai  galima- 
thias  dans   le  fens  que  vous  lui  prêtez.  Il 
cft  donc  impofTiblc  de  déduire  du  paOagc 
que  vous  rapportez,   q\.\Q  je  n  admets  pas 
la  Religion  naturelle ,  ou  que  Je  nen  recon- 
noispas  lane'cejffîtéy  il  cft  encore  impofTiblc 
d'en  déduire  quon  doive  toujours  ,  ce  fonc 
vos  termes  ,  regarder  comme  un  homme fage 
^  religieux  celui  qui  y  adoptant  les  erreurs 
tft:  CAthéifme ,  <//r«  quU  ejl  de  bqnnc  /qI^ 


A  M.  DE  BEAUMONT.  iij 
êc  il  cfl:  même  impoffible  que  vous  ayez  cru 
cette  dcdudion  légitime.  Si  cela  n'eft  pas 
démontré,  rien  ne  fauroit  jamais  l'être  > 
ou  il  faut  que  je  fois  un  infenfé. 

Pour  montrer  qu'on  ne  peut  s'autorifer 
'cl'une  miffion  divine  pour  débner  des  abrur- 
dites,  le  Vicaire  met  auxprifes  un  Infpiré, 
qu'il  vouspiait  d'appeller  Chrétien,  &c  un 
Raifonneur  ,  qu'il  vous  plait  d'appeller  In- 
crédule, &  il  les  fait  difputer  chacun  dans 
leur   langage    qu'il    défaprouve ,   Ôc   qui  ^ 
très-fûrement,  n'eft  ni  le  iîen,  ni  le  mien 
(  f  7).  Là-deiTus  vous  me  taxez  d'une  injigne 
imauvaife  fol  (  58  ) ,  &  vous  prouvez  cela 
par  l'ineptie  des  difcours  du  premier.  Mais 
lî  Çqs  difcours  font  ineptes,  à  quoi  donc  le 
reconnoilTez-vous  pour   Chrétien  ?  &  fi  lo 
Raifonneur  ne   réfute  que    des   inepties  ^ 
quel  droit  avez-vous  de  le  taxer  d'incré- 
'dulité?  S'enfuit-il  des   inepties  que  débite 
un  Infpiré,  que  ce  foit  un  Catholique  -,  & 
de  celles  que  réfute  wn  Raifonneur,  que 
ce  foit  un  Mécréant  ?  Vous  auriez  bien  pu, 
Monfeigneur  ,   vous  difpenfer  de  vous  re- 
connoîire  à  un  langage  fi  plein  de  bile  ,  & 
de  déraifon-,  car  vous  n'aviez    pas   encore 
donné  votre  Mandement. 

Si  la  raifon  &  la  réyétation  étaient  opi 

iS7  ]  Emile,    Tome  III.  page  151, 
[  58  ]  Maniement  in-quarto  ,   page  15  ,    ÛÉ 
Il ,  page  xxxviij. 


itS      ^  LETTRE. 

pofd'es  tune  a  t autre  ^  il  ejî  confiant  y  dîtez- 
voLis,  que  Dieu  ferait  en  contradiction  avec 
lui-même  {  ^^).  Voilà  un  grand  aveu  que 
vous  nous  taites-là  j  car  il  eft  fur  que  Dieu 
ne  fe  contredit  point.  Vous  dites  ^  b  impies  y 
que  les  dogmes  que  nous  regardons  comme 
révélés  combattent  les  vérités  éternelles  c 
mais  il  ne  fujjfit  pas  de  le  dire*  J'en  con- 
tiens i  tachons  de  faire  plus. 

Je  fuis  fur  que  vous  preflentez  d'avance 
où  j'en  vais  venir.  On  voit  que  vouspalTez 
fur  cet  article  des  myfteres  comme  fur  des 
charbons  ardents  •■,  vous  ofez  à  peine  y  po- 
fer  le  pied.  Vous  me  forcez  pourtant  à  vous 
arrêter  un  moment  dans  cette  fituation  dou- 
ioureufe.  J'aurai  la  difcrétion  de  rendre  ce 
moment  le  plus  court  qu'il  fe  pourra. 

Vous  conviendrez  bien,  je  pcnfe,  qu'une 
de  ces  vérités  éternelles ,  qui  fervent  d'élc- 
mensàla  raifon  ,  eft  que  la  partie  eft  moin- 
dre que  le  tout,  &  c'eft  pour  avoir  affirme 
le  contraire ,  que  l'Infpiré  vous  paroit  te. 
nir  un  difcours  plein  d'inepties.  Or  ,  félon 
votre  doctrine  de  la  tranfubftantion  , 
lorfque  Jcfus  fit  la  dernière  Cène,  avec  (ts 
Difciples,  &  qu'ayant  rompu  le  pain  il 
donna  (on  corps  à  chacun  d'eux ,  il  eft  clair 
qu'il  tint  fon  corps  entier  dans  fa  main  j  &", 
s'il  mangea  lui-mêiiic  du  pain  confacré  » 

(S9)  Mandement   in-quarto  ,  p.   15  ,  i^i  in« 
12.  xxxviij. 


A  M.   DE    BEAUMONT.       117 
comme  il  put  le  faire,  il  mit  fa  tête  dans  fa 

bouche.  ,  . 

Voilà  donc  bien  clairement,  bien  preci- 
fément  la  partie  plus  grande  que  le  tout, 
&  le  contenant  moindre  que  le  contenu. 
Que  dites  -  vous  à  cela  ,  Monfeigneur  ? 
Pour  moi ,  je  ne  vois  que  M.  le  Chevalier 
de  Caufans  qui  puiffe  vous  tirer  d'affaire. 

Je  fçais  bien  que  vous  avez  encore  laref- 
fource  de  Saint  Auguftin,  mais  c'ell:  la  mê- 
me. Après  avoir  entaflé  fur  la  Trinité  force 
difcours  inintelligibles  ,  il  convient  qu'ils 
n'ont  aucun  fens;  mais^  dit  naïvement  ce 
Père  de  l'Eglife  ,  on  s  exprime  ainfi  ,  non 
pour  dire  quelque  chofe  ,  mais]pour  ne  pas 
rejler  muet  {60). 

Tout  bien  confidcré  ,  je  crois  Monfei- 
gneur ,  que  le  parti  le  plus  fur  que  vous 
ayez  à  prendre  fur  cet  article  &  fur  beaucoup 
d'autres  ,  eft  celui  que  vous  avez  pris  avec 
M.  de  Montazet ,  &c  pour  la  même  raifon. 

La  mauvaifefoi  de  V  Auteur  d'Emile  nejî 
pas  moins  révoltante  dans  le  langage  qiiil 
Jait  tenir  à  un  Catholique  prétendu  (  <fi  ). 
„  Nos  Catholiques  ,  <.  lui  fait- il^  dire  , 
„  font  grand  bruit  de  l'autorité  de  l'Eglife, 
„  mais  que  gagnent-ils  à  cela  ,  s'il  leur  faut 

[60]  Dl6lum  eft  tamen  très  perfonnœ  non  ut 
aliquid  àiceretur  ,fed  ut  tacereteur.  Aug.  de  Tri- 
nit.  L.  5.  c.  9. 

(61)  Maniement  in-4,  p.  15,  in- 12.  p.  xxxix. 


*ïi8  LETTRE 

„  un  auiïî  grand  appareil  de  preUVeS  pour 
jj  cette  autorité  qu'aux  autres  fedes  pour 
„  établir  diredement  leur  dodrine  ?  L'E- 
j,  glife  décide  que  l'Eglifea  droit  de  déci- 
3,  der.  Ne  voilà  t  il  pas  une  autorité  bien 
,,  prouvée?  „  Qui  ne  croirait ,  M.  T.  C.  F. 
à  entendre  cet  impojîeur  ,  que  t  autorité  de 
VE glife  nejl prouvée  que  par/es  propres  dé- 
cijions  ,  &  quelle  procède  ainfi  ?  Je  décide, 
que  je  fuis  infaillible  \  donc  je  le  fuis  \  Int" 
putation  caloinnieufe  y  M.  T.  C.  F.  Voilà 
Monfeigneur,  ce  que  vousaiïlirez:  il  nous 
refle  à  voir  vos  preuves.  En  attendant , 
oleriez  vous  bien  affirmer  que  les  Théo- 
logiens Catholiques  n'ont  jamais  établi  l'au- 
torité de  l'Eglife  par  l'autorité  de  l'Eglife  ; 
ut  in  fe  virtualiter  reflexam  î  S'ils  l'ont 
fait ,  je  ne  le  charge  donc  pas  d'une  im-, 
putation  calomnieufe. 

[  (S"!  ]  La  conftitution  du  Chrifiianifme  ; 
tefprit  de  V Evangile  ,  les  erreurs  mêmes  & 
lafoiblejfe  de  l'efprit  humain  ,  tendent  à  dé- 
montrer que  PE glife  établie  par  Jefus-Chrijl 
tjlune  Eglife  infaillible.  Monfeigneur,  vous 
commencez  par  nous  payer  -  là  de  mots 
qui  ne  nous  donnent  pas  le  change.  Les 
difcours  vagues  ne  font  jamais  preuves,  & 
toutes  CCS  chofes  qui  tendent  à  démontrer, 
ne  démontreut  rien.  Allons  donc  tout  d'ua 

(62  )  Maniement  in-4 ,  p.  1 5 ,  in- 1 2 ,  p.  xxxix. 


A  M.  DE  BEAUMONT.  119 
coup  au  corps  de  la  démonftration  :  le 
voici. 

Nous  ajfurons  que ,  comme  ce  divin  legijîa.' 
teur  a  toujours  enfeigné  la  vérité  ,  fort 
Eglife  r enfeigné  aufji  toujours  {6^). 

Mais  qui  êtes-vous  ,  vous  qui  nous  affu- 
rez  cela  pour  toute  preuve  î  Ne  feriez- 
vous  point  l'Eglife  ou  Tes  Chefs  ?  A  vos 
manières  d'argumenter  ,  vous  paroiflez 
compter  beaucoup  fur  l'affiftance  du  Saint 
Efprit.  Que  dites-vous  donc  ,  &  qu'a  dit 
l'impofteur  ?  De  grâce  voyez  cela  vous- 
-même :  car  je  n'ai  pas  le  courage  d'aller  juf- 
qu'au  bout. 

Je  dois  pourtant  remarquer  que  toute  la 
force  de  l'objedion  ,  que  vous  attaquez  fî 
bien,confifte  dans  cette  phrafe  que  vous 
avez  eu  foin  de  fupprimer  à  la  fin  du  pafTa-. 
ge  dont  il  s'agit.  Sortes  de  là  ,  vous  rentre^* 
rei  dans  nos  difcujfions  (64). 

En  effet  ,  quel  eft  ici  le  raifonnement  du 
Vicaire  ?  Pour  choifir  entre  les  Religions 
diverfes  ,  il  faut ,  dit-il  ,  de  deux  chofes 
l'une,  ou  entendre  les  preuves  de  chaque 
fede  &  les  comparer  ;  ou  s'en  rapporter  à 
l'autorité  de  ceux  qui  nous  inflruifent.  Or 
le  premier  moyen  fuppofe  des  connoiiTan- 
ces  que  peu  d'hommes  font  en  état  d'acqué- 

(  63  )  Ibid.  Cet  endroit  me'rite  d'être  lu  dans 
le  Mandement   même. 

C64]  Emile,  Tome  III  page  pag  165. 


*rie)  LETTRE 

rir  ,  &  le  fécond  juftifie  1a  croyance  de  cha- 
cun dans  quelque  Religion  qu'il  naiffe.  H 
cite  en  exemple  la  Religion  Catholique  où 
l'on  donne  pour  loi  l'autorité  de  TEglife  , 
Se  il  établit  là-delTus  ce  fécond  dilemme  : 
Ou  c'ed  TEglife  qui  s'attribue  à  elle-même 
cette  autorité,  &  qui  dit  :  Je  décide  quejs 
Jiùs  infaillible  i  donc  je  lejuis  :  6c  alors  elle 
tombe  dans  le  fophiîme  appelle  cercle  vi-. 
cieiix  \  ou  elle  prouve  qu'elle  a  reçu  cette 
autorité  de  Dieu  \  Se  alors  il  lui  faut  un 
aufii  grand  appareil  de  preuves  pour  mon-, 
trer  qu'en  effet  elle  a  reçu  cette  autorité,' 
qu'aux  autres  rc<51:e3  pour  établir  directe- 
ment leur  doctrine.  Il  n'y  a  donc  rien  à. 
gagner  pour  la  facilité  de  l'inPi^rucftion  ,  ÔC 
le  penr)'e  n'eil  pas  plus  en  ctat  d'examiner 
les  preuves  de  l'autorité  de  l'Eglife  c\v:z  les 
Catholiques,  que  la  vérité  de  la  Doctrine 
ihez  les  Proteftans.  Gomment  donc  fe  dé- 
terminera-t'il  d'une  manière  raifonnable  au- 
trement que  par  l'autorité  de  ceux  qui 
l'inftruifent  ?  Mais  alors  le  Turc  fe  détermi- 
nera de  même.  En  quoi  le  Turc  eft-il  plus 
coupable  que  nous  î  Voilà  ,  Monfcigneur  , 
le  raifonnement  auquel  vous  n'avez  pas  ré- 
pondu ,  Se  auquel  je  doute  qu'on  puille  ré- 
pondre (6)   }.  Votre  franchife  épifcopale 

(65)  C'eft  ici  une  de  ces  objeràons  terribles 
auxquelles  ceux  qui  m'attaquent  fe  gardent  bien 
de  toucher.  Il  n'y  a  rien  de  fi  commode  qi:e  de 
répondre  avec  des  injures  &  de  faintes  déclama- 


A  M.  DE  BEAUMONT.  i;t 
fe  tire  d'affaire  en  tronquant  le  paflagc  de 
l'Auteur  de  inauvaife  toi. 

Grâce  au  Ciel  !  J'ai  fini  cette  cnnuyeufe 
tâche.  J'ai  fuivi  pied  àpied  vos  raifons,  vos 
citations,  vos  cenfures  ;  Se  j'ai  tait  voir 
qu'autant  de  fois  que  vous  avez  attaqué 
mon  Livre  ,  autant  de  fois  vous  avez  evi 
tort.  Il  refte  le  fenl  article  du  Gouverne- 
ment dont  je  veux  bien  vous  faire  grâce  *, 
très- fur  que  quand  celui  qui  gémit  fur  hs 
miferes  du  Peuple,  ëc  qui  les  éprouve,  efi: 
accufé  par  vous  d'empoifonnec  les  fources 
de  la  félicité  publique  ,  ii  n'y  a  point  de 
Lecteur  qui  ne  fente  ce  que  vaut  un  pareil 
difcours.  Si  le  Traite  du  Contrat  Social 
n'exiftoit  pas  ,  ôc  qu'il  fallut  prouver  de 
nouveau  les  grandes  vérités  que  j'y^  déve- 
loppe ,  les  compliments  que  vous  laites  à 
^es  dépens  aux  Puiflances  ,  feroient  un  des 
faits  que  je  citerois  en   preuve ,  Se  le   fort 

tiens  ;  on  élude  aifément  tout  ce  qui  embarraffe. 
AuiTi  faut-il  avouer  qu'en  fe  chamaillant  entr'- 
eux,  les  Théologiens  ont  bien  des  reflources  quf 
leur  manquent  vis  à  vis  des  ignorans,&  auxqu'- 
elles  il  faut  alors  fuppléer  comme  ils  peuvent.  Ils 
fe  paient  réciproquement  de  mille  fuppofitions 
gratuites  qu'on  n'ofe  récufer,  quand  on  n'a  rien 
de  mieux  à  donner  foi-même.  Telle  eft  ici  l'in- 
vention de  je  ne  fçais  quelle  foi  infufe  qu'ils  obli- 
gent Dieu,  pour  les  tirer  d'affaire,  de  tranfmet- 
tredu  père  à  l'enfant.  Mais  ilsréfervent  cejar- 
gonpour  difputer  avec  les  Dofteursjs'ils  s'cli 
iervoient  avec  nous  autres  profanes,  ils  auroieut 
peur  qu'on  ne  fe  moquât  d'eux. 


lii  LETTRE 

de  l'Auteur  en  feroit  un  autre  encore  plut 
frappant.  Il  ne  me  refte  plus  rien  à  dire  à 
cet  égard  ;  mon  feul  exemple  a  tout  dit  , 
&  la  paflîon  de  l'intérêt  particulier  ne  doit 
point  louillcr  les  vérités  utiles.  C'eft  le  Dé- 
cret contre  ma  perfonne  •,  c'eft  mon  Livre 
brûlé  par  le  Bourreau  que  je  tranfmets  à 
la  poftérité  pour  pièces  juftihcatives.  Mes 
fentiments  font  moins  bien  établis  par  mes 
Ecrits  que  par  mes  malheurs. 

Je  viens ,  Monfeigneur  de  difcuter  tout 
ce  que  vous  alléguez  contre  mon  Livre.  Je 
n'ai  paslailVé  pader  une  de  vos  propofitions 
fans  examen",  j'ai  tait  voir  que  vous  n'avez 
raifon  dans  aucun  point-,  ôc  je  n'ai  pas  peur 
qu'on  réfute  mes  preuves  j  elles  font  au  del- 
fus  de  toute  réplique  où  règne  le  fens  com- 
mun. 

Cependant  quand  j'aurois  eu  tort  en 
quelques  endroits  ,  quand  j'aurois  eu  tou- 
jours tort  ,  quelle  indulgence  ne  mcritoic 
point  un  Livre  où  l'on  fent  par-tout,  même 
dans  les  erreurs,  même  dans  le  mal  qui  peut 
y  être,  le  fmcere  amour  du  bien,  le  zelc  de 
la  vérité  i  un  Livre  où  l'Auteur  prie  h  fouvent 
fes  ledeurs  de  Ce  délier  de  les  idées,  de  pe- 
fer  Ces  preuves  ,  de  ne  leur  donner  que  l'au- 
torité de  la  raifon  j  un  Livre  qui  ne  ref- 
pire  que  paix  ,  douceur  ,  patience  ,  amouc 
de  Tordre  ,  obéillance  aux  Loix  en  toute 
chofe ,  &mciiïe  en  matière  de  Religion^ 


A  M.  DE  BEAÛMONT.  r^f 
un  Livre  enfin  où  la  caufe  de  la  Divinité 
eûiï  bien  défendue,  l'utilité  delà  Religion 
fî  bien  établie,  où  les  mœurs  font  fi  refpec- 
tées,  où  l'arme  du  ridicule  efl:  fi  bien  ôtée 
au  vice  ,  où  la  méchanceté  eft  peinte  fi  peu 
fenfée  &  la  vertu  fi  aimable  ?  Eh  !  quand 
il  n'y  auroit  pas  un  mot  de  vérité  dans  cet 
Ouvrage  ,  on  en  devroit  honorer  &;  chérir 
les  rêveries,  comme  de  Chimjercs  ks  plus 
douces  qui  puilïént  flatter  &  nourrir  le 
coeur  d'un  homme  de  bien.  Oui  ,  je  ne 
crains  point  de  le  dire  -,  s'ils  exifloit  en  Eu- 
rope un  feul  Gouvernement  vraiment  éclai- 
ré ^  un  Gouvernement  dont  les  vues  fuflenc 
v4-aiment  utiles  ôc  faines  ,  il  eût  rendu  des 
honneurs  publics  à  l'Auteur  d'Emile,  il  lui 
eût  élevé  des  ftatues.  Je  connoiflois  trop 
Jcs  hommes  pour  attendre  d'eux  de  la  re- 
connoifl'ance  -,  je  ne  les  connoiffois  pas  affez, 
J€  l'avoue  ,  pour  attendre  ce  qu'ils  oiic 
tait. 

Après  avoir  prouvé  que  vous  avez  mal 
raifonné  dans  vos  cenfurcs  ,  il  me  refi:e  à 
prouver  que  vous  m'avez  calomnié  dans  vos 
injures.  Mais  puilque  vous  ne  m'injuriez 
qu'en  vertu  des  torts  que  vous  m'imputez 
dans  mon  Livre,  montrer  que  mes  préten- 
dus torts  ne  font  que  les  vôtres  ,  n'efl:-ce  pas 
dire  aflcz  que  les  injures  qui  les  fuivent  ne 
doivent  pas  être  pour  moi  ?  Vous  chargez 
saon  Ouvrage  des  épith^îes  les  plus  odieii- 
fes,  «5c  moi  je  fuis  ho;ii^ic  abominable,  ua 


r;4.    .         LETTRE 
téméraire,  un  impie  ,  un  impofteur.  Cha- 
rité Chrétienne  ,  que  vous  avez  un  étrange 
langage  dans  la  bouche  des  Miniftres  de  Je- 
fus-Chrift! 

Mais  vous,  qui  m'ofez  reprocher  des  blaf- 
phêmes,  que  faites-vous  quand  vous  prenez 
les  Apôtres  pour  complices  des  propos  ot- 
fenfants  qu'il  vous  plaît  de  tenir  fur  mon 
compte?  A  vous  entendre ,  on  croiroit  que 
Saint  Paul  m'a  fait  l'honneur  de  fonger  à 
moi ,  ôc  de  prédire  ma  venue  comme  celle 
del'Ante-chrift.Et  comment  l'a- 1- il  prédite, 
je  vous  prie  î  Le  voici  C'eft  le  début  de 
votre  Mandement. 

Saint  PauL  a  prédit ,  mes  très  chers  Fre-^ 
res  ^  qu'il  viendrait  des  jours  périlleux  ou. 
il  y  aurait  des  gens  amateurs  d'eux  mêmes  , 
fers  y  fuperbes,  blajphémateurs  ^  impies,  ca- 
lomniateurs ^  enjlés  d'orgueil ,  amateurs  des 
yoluptés  plutôt  que  de  Dieu  ,  des  hommes 
a  un  efprit  corrompu  ,  &  pervertis  dans  la. 
Foi  (  66  ). 

Je  n-e  contefte  alTurément  pas  que  cette 
prédiclion  de  Saint  Paul  ne  foit  très-bien  ac- 
complie i  mais  s'il  eût  prédit,  au  contraire, 
qu'il  viendroit  un  temps  où  l'on  ne  verroic 
point  de  ces  gens-là  ,  j'aurois  été  ,  je^  l'a- 
voue ,  beaucoup  plus  frappé  de  la  prédic- 
tion ,  &c  fur- tout  de  raccompUlIemenf. 

(65)  Mvnàem'.nî  iû-quarto,  page  4,  iû-12  j^ 
page  XV. 


À  M.  DE  BEAUMONT.  75f 
D'après  une  prophétie  fi  bien  appliquée, 
vous  avez  la  bonté  de  faire  de  moi  un  por- 
trait dans  lequel  la  gravité  épifcopale  s'e- 
gaie  à  des  amithefes  i  &  où  je  me  trouve 
un  perfonnage  fort  plaifant.  Cet  endroit, 
Monfeigneur  ,  m'a  paru  le  plus  joli  mor- 
ceau de  votre  Mandement.  On  ne  içauroit 
faire  une  fatyre  plus  agréable  ,  ni  diffamer 
un  homme  avec  plus  d'efprit.  ^  ^ 

Dufe'm  de  V  erreur ,   (il  eft  vrai  que  jai 
paflé  ma  jeunelTe  dans  votre  Eglife.  //  sefi 
élevé  (pas  fort  haut)   un  homme  plein  du 
langage  de  la  philofophie ,  (comment  pren- 
drois-je  un  langage  que  je  n'entends  pomti) 
fans   être  véritablement  philofophe:  (Oh  . 
d'accord.-  je  n'afpirai  jamais  à  ce  titre,  au- 
quel je  reconnois  n'avoir  aucun  droit  î  8c 
je  n'y  renonce  alTurément  pas  par  modelbe.) 
efprit  doué  d'une  multitude  de  connoijfances. 
(J'ai  appris  à  ignorer  des  multitudes  de  cho- 
fes  que  je  croyois  fçavoir  ,)  qui  ne  tontpas^ 
éclairé,  (  Elles  m'ont  apris  à  ne  pas  penler  a 
l'être,)  &qui  ont  répandu  les  ténèbres  dans 
les  autres  efprits  .•  (  Les  ténèbres  de  l'igno- 
rance valent  mieux  que  la  fauiïe  lumière  de 
l'erreur.  )    caractère  livré    aux  paradoxes 
d'opinions  &  de  conduite  ^  (  Y  a- 1-  il  beaucoup 
à  perdre  à  ne  pas  agir  &  penfer  comme  tout 
le  monde  ?   )  alliant  la  /implicite  de  mœurs 
avec  Ufafte  des  penfées  ;  (  La  hmplicite  des 
mœurs  eleve  l'ame  ;  quant  au  tafte  de  mes 
geofces,  je  ne  ce  que  fs-ùs  c'eit. }  le  ide  da 


ï3^  LETTRE 

maximes  antiques  avec  la  fureur  d' établit 
des  nouveautés ,  (  Rien  de  plus  nouveau 
pour  nous  que  des  maximes  antiques  :  il 
n'y  point  a  cella  d'alliage ,  &  je  n'y  ai  point 
mis  de  fureur.  )  Vobfcurité  de  la  retraite 
Avec  ie  dejïr  d'être  connu  de  tout  le  monde  : 
Monfeigneur,  vous  voilà  comme  les  faifeurs 
de  Romans,  qui  devinent  tout  ce  que  leur 
Héros  a  dit  &c  penfé  dans  fa  chambre.  Si 
c'cfl;  ce  defir  qui  m'a  mis  la  plume  à  la  main , 
expliquez  comment  il  m'eft  venu  fï  tard,  ou 
pourquoi  j'ai  tardé  fi  long- temps  à  le  fatis- 
laire  ).  On  Va  vu  invectiver  contre  les  fciences 
qui  il  cultivait;  (  cela  prouve  que  je  n'imi- 
te pas  vos  gens  de  Lettres  ,  &:  que  dans 
mes  écrits  l'mtérêt  de  la  vérité  marche 
avant  le  mien.  )  pre'conifer  t excellence  de 
l'Evangile^  (toujours  &  avec  le  plus  vrai 
zèle.)  dont  il  de'truifoit  les  dogmes  ;  (Non  ; 
mais  j'en  prcchois  la  charité  bien  détruite 
par  les  Prêtres.  )  peindre  la  beauté  des  ver- 
tus qu'il  éteignait  dans  t  ame  des /es  Lecteurs, 
(  Ames  honnêtes ,  eft-il  vrai  que  j'éteins  en 
vous  l'amour  des  vertus  ? 

//  s'^ejl  fait  le  Précepteur  du  genre  hu-^ 
main  pour  le  tromper  ;  le  Moniteur  public 
pour  égarer  tout  le  mx^nde  ;  l^ Oracle  dujïeclc 
pour  achever  de  le  perdre.  (Je  viens  d'exa- 
miner comment  vous  avez  prouvé  tout  et- 
la.  )  Dans  un  Ouvrage  fur  l'inégalité  des 
conditions  ,  (  Pourquoi  des  conditions  î^ 
Ce  n'eil-là  ni  mon  fujct,  ni  mon  ùire.j  // 


A  M.  DE  BEAUMONT.     157 

'AVo'ir  rabaijfé  Vhomme  jufqiC au  rang  des  bê- 
tes: (Lequel  de  nous  deux  l'élevé  ou  l'abaif- 
fe  dans  l'alternative  d'être  bête  ou  méchant  ?) 
dans  une  autre  production  plus  récente  il 
avoit  injînué le poifon  de  la  volupté  :  (En  . 
que  ne  puisje  aux  horreurs  de  la  débau- 
che fubftituer  le  charme  de  la  volupté  ? 
Mais  ralTurez-vous,  Monfeigneur^  vos  Prê- 
tres font  à  répreuve  de  l'HéloïTe  ,  ils  ont 
pour  préfervatif  TAloifia.  )  dans  celui  ci , 
il  s" empare  des  premiers  mo mens  de  rhomme,, 
afin  d'établir  r empire  de  V irreligion.  (  Cette 
imputation  a  déjà  été  examinée  ]. 

Voilà  Monfeigneur  ,  comment  vous  me 
traitez  ,  &  bien  plus  cruellement  encore  , 
moi  que  vous  ne  connoillez  point  ,  que 
vous  ne  jugez  que  fur  des  oui-dire.  Eft- 
ce  donc-là  la  morale  de  cet  Evangile  dont 
vous  vous  portez  pour  le  détenfeur  ?  Ac- 
cordons que  vous  voulez  préferver  votre 
troupeau  du  poifon  de  mon  Livre  .•  pour- 
quoi des  perfonnalités  contre  l'Auteur  ? 
J'ignore  quel  effet  vous  attendez  d'une 
conduite  fi  peu  chrétienne  ,  mais  je  fçais 
que  défendre  fa  Pveligion  par  de  telles  ar- 
mes ,  c'eft  la  rendre  fort  fufpede  aux  gens 
de  bien. 

Cependant  c'eft:  moi  que  vous  appeliez 
téméraire.  Eh  1  comment  ai-je  mérité  ce 
nom  ,  en  ne  propofant  que  des  doutes  ,  & 
même  avec  tant  de  réferve  j  en  n'avançant 
que  des  raifons  ,  ^  «içinç  «^Yec  i.anç  de 


15?  LETTRE 

refpeâ;  ;  en  n'attaquant  perfonne  *,  en  ne 
nommant  perfonne  î  Et  vous ,  Monfeigneur, 
comment  ofez-vous  traiter  ainlî  celui  dont 
vous  parlez  avec  Ci  peu  de  juftice  &  de 
bienféance,  avec  fi  peu  d'égard ,  avec  tant 
de  légèreté. 

Vous  me  traitez  d'impie  -,  &  de  quelle 
impiété  pouvez-vous  m'accufer,  moi  qui 
jamais  n'ai  parlé  de  l'Etre  fupréme  que 
pour  lui  rendre  la  gloire  qui  lui  eft  due  , 
ni  du  prochain  que  pour  porter  tout  le 
monde  à  l'aimer  î  Les  impies  font  ceux  qui 
profanent  indignement  la  caufe  de  Dieu  en 
la  faifant  fervir  aux  paffions  des  hommes. 
Les  impies  font  ceux  qui  ,  s'ofant  porter 
pour  interprètes  de  la  divinité  ,  pour  arbi- 
tres entre-elle  &  les  hommes,  exigent  pour 
eux-mêmes  les  honneurs  qui  lui  font  dus. 
Les  impies  font  ceux  qui  s'arrogent  le  droit 
d'exercer  le  pouvoir  de  Dieu  fur  la  terre, 
êc  veulent  ouvrir  &  fermer  le  Ciel  à  leur 
gré.  Les  impies  font  ceux  qui  font  lire  des 

Libelles  dans  ks  Lglifes A  cette  idée 

horrible  tout  mon  fang  s'allume  ,  &c  des 
larmes  d'indignation  coulent  de  mes  yeux. 
Prêtres  du  Dieu  de  paix  ,  vous  lui  rendrez 
compte  un  jo-nr  ,  n'en  doutez  pas ,  de  l'ufa- 
ge  que  vous  ofez  taire  de  fa  maifon. 

Vous  me  traitez  a  impofteur  ,  3c  pour- 
quoi î  Dans  votre  manière  de  penfer 
ferre  -,  mais  où  efl:  mon  impoflure  :-  Rai- 
ioirner  <!'  Te  iroinper ,  çll-  ce  en  iinporer] 


A  M.  DE  BEAUMONT.  i^i 
Un  Sophifte  même  qui  trompe  fans  fe  trom- 
per ,  n'eft  pas  un  impofteur  ,  encore  tant 
qu'il  fe  borne  à  l'autorité  de  la  raifon  j 
quoiqu'il  en  abufe.  Un  impofteur  veut  être 
cru  fur  fa  parole  ,  il  veut  lui-même  faire 
autorité.  Un  impofteur  eft  un  fourbe  qui 
veut  en  impoferaux  autres  pour  fon  profit  ; 
&0LI  eft,  je  vous  prie,  mon  profit  dans  cette 
affaire?  Les  impofteurs  font,  félon  Ulpien, 
ceux  qui  tout  des  preftiges ,  des  impréca- 
tions ,  des  exorcifmes  :  or  affurément  je 
n'ai  jamais  rien  fait  de  tout  cela. 

Que  vous  difcourez  à  votre  aife  ,  vous 
autres  hommes  conftitués  en  dignité  ?  Ne 
reconnoilTant  de  droits  que  les  vôtres  ,  ni 
de  Loix  que  celles  que  vous  impofez  rloiii 
de  vous  faire  un  devoir  d'être  jufles ,  vous 
ne  vous  croyez  pas  même  obligés  d'être 
humains.  Vous  accablez  fièrement  le  foible 
fans  répondre  de  vos  iniquités  à  perfonne  : 
les  outrages  ne  vous  coûtent  pas  plus  que 
les  violences  -,  fur  les  moindres  convenan- 
ces d'intérêt  ou  d'état ,  vous  nous  balayez 
devant  vous  comme  la  poufiîere.  Les  uns 
décrètent  &  brûlent  les  autres  diffament 
&  deshonorent  fans  droit ,  fans  raifon , 
fans  mépris  ,  même  fins  colère  ,  unique- 
ment parce  que  cela  les  arrange  ,  &  que 
l'infortuné  fe  trouve  fur  leur  chemin.  Quand 
vous  nous  infultez  impunément  ,  il  ne  nous 
eft  pas  même  permis  de  nous  plaindre  ,  Se 
fi  nous  montroHS  notre  innocence  ôc  vos 


140  LETTRE 

totts,  OH  nous  accufe  encore  de  vos  nun* 

quer  de  refpe^l, 

Monfeigneur  ,  vous  m'avez  infulté  pu- 
bliquement. Je  viens  de  prouver  que  vous 
m'avez  calomnié.  Si  vous  étiez  un  parti- 
culier comme  moi ,  que  je  pulTe  vous  citer 
devant  un  Tribunal  équitable,  &  que  nous 
■y  comparuflions  tous  deux ,  moi  avec  mon 
Livre  ,  ôc  vous  avec  votre  Mandement  .• 
vous  y  feriez  certainement  déclaré  coupa- 
ble ,  ôc  condamné  à  me  faire  une  répara- 
tion auflî  publique  que  l'offenfe  l'a  été.' 
Mais  vous  tenez  au  rang  où  l'on  eft  dif- 
penfé  d'être  jufte  -,  &  je  ne  fuis  rien.  Ce- 
pendant ,  vous  qui  profeffez  l'Evangille  -, 
vous  ,  Prélat  ,  fait  pour  apprendre  aux  au- 
tres leur  devoir,  vous  içavez  le  vôtre  en  pa- 
reil cas.  Pour  moi,  j'ai  fait  le  mien,  je  n'ai 
plus  rien  à  vous  dire  ,  &  je  ne  me  tais. 

Daignez,  Monfeigneur,  agréer  mon  pro- 
fond refped. 


J,  J.  ROUSSEAU. 


A  Môtiers  le  i8. 
Novembre   1761. 


LETTRE 

DE  J.  J.  ROUSSEAU, 

AU  PREMIER  SYNDIC 
DU  CONSEIL  DE  GENEVE, 


EUA 


Revenu  du  long  étonnemem  où  m'a  jet- 
te ,  de  la  part  du  magnifique  Confeil  ,  le 
procédé  que  j'en  devois  le  moins  attendre  , 
je  prends  enfin  le  parti  que  l'honneur  &  la 
raifon  me  prefcrivent  ,  quelque  cher  qui! 
en  coûte  à  mon  cœur. 

Je  vous  déclare  donc,  Monfieur,  6c  je 
vous  prie  de  déclarer  au  magnifique  Con- 
feil ,  que  j'abdique  à  perpétuité  mon  droit 
de  Bourgeoifie  &  de  Cité  dans  la  Ville  & 
République  de  Genève.  Ayant  rempli  de 
mon  mieux  les  devoirs  attachés  à  ce  titre, 
fans  jouir  d'aucun  de  Tes  avantages  ,  je  ne 
crois  point  être  en  refte  avec  l'Etat  en  le 
quittant.  J'ai  tâché  d'honnorer  le  nom  de 
Genevois  \  j'ai  tendrement  aimé  mes  com- 
patriotes j  je  n'ai  rieo  oublié  pour  inç  taire 


141  LETTRE, 

aimer  d'eux  :  on  ne  fçauroit  plus  mal  réuf- 
fîr  i  je  veux  leur  complaire  jufques  dans 
leur  haine.  Le  dernier  facrilice  qui  me  relie 
à  faire,  eft  celui  d'un  nom  qui  me  fut  li 
cher.  Mais  ,  Monfieur  ,  ma  Patrie  en  me 
devenant  étrangère  ne  peut  me  devenir  in- 
différente .•  je  lui  refte  attachç  par  un  ten- 
dre fouvenir,  &  Je  n'oulierai  d'elle  que 
fes  outrages.  Puifle-t-elle  profpérer  tou- 
jours, &  avoir  augmenter  fa  gloire!  Puilfe- 
t-elle  abonder  en  Citoyens  meilleurs  ,  ôc 
^ur-tout  plus  heureux  que  moi  i 

Recevés  ,  je  vous  ;prie  Monfieur  ,  leâ 
afllirances  de  mon  protond,  refpedt  Sec. 

3*  J.  R  o  u  s  s  E  A  vi 

Le  Confeil  s'étant  afTemblé  à  ce  fujet,^ 
quelques-uns  des  Membres  opinèrent  à  ce 
qu'on  févit  contre  cette  Lettre  comme  con- 
tenant les  expreffions  injurieufcs  à  la  Rér 
publique  '■,  mais  il  fut  réfolu  ,  à  la  plura- 
lité des  voix,  qu'on  accepteroit  purement 
&:  fimplemcnt  la  renonciation  du  ilcur  Rouf- 
fcau  aux  droits  de  Cité  &  de  Bourgeoi- 
se, Se  que  la  Lettre  feroit  inférée  dans  les 
Kegiflres, 


:fv. 


^' 


1^