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A
(E U VR E S
D É
3. JACQUES ROUSSEAU
CITOYEN DE GÉNEFE^
J. JACQUES ROUSSEAU,
CITOYEN DE GÉNÉFE,
A
CHRISTOPHE DE BEAUMONT ,
archevêque de Paris y Duc de S. Cloud, Pair
de France , Commandeur de V Ordre du Saint
Efpritj Provifeur de Sorbonne , &c.
Avec fa Lettre au Confeil de Genève.
Da veniam fi quid liberius dixi , non ad contu-
meliam tuam , fed ad dcftnfionem meam.
Praefumpfi enira de gravitate & prudentiâ
tuâ , quia potes confiderare quantam mihi
rcfpondendi necelTitatem impofueris.
Aug. EpiJL 238. r.d P a/cent.
A AMSTERDAM,
Chez MARC- MICHEL REY-^
M, DCC. LXVL " -
E T
DE L A CO U R
DE PARLEMENT.
Qu J condamne un Imprimé, ajyant pour titre t
Émiîe , ou de rjêrucation, par J. J. Rouf-
feau , imprime à la Haye , M. DCC. LXli. à
être lacéré G- hrûlé par rExécuteur de la Haute
Jujlice.
Extrait des Regiftres du Parlement.
Du ^. Juin ij6i,
E jour , les Gens du Roi font en-
trés, & Me. Onier JolydeFleury,
Avocat dudit Seigneur Roi , por-.
tant la parole , ont dit :
Qu'ils déferoient à la Cour un Imprimé ,'
en quatre volumes /n-Oc7<^vo, intitulé îi'mi-
îe , ou de r Education , par J, J. Roujfeau ,
Citoyen de Genève, dit imprimé, à la Haya^
en M, VCC. LXLL
A iij
vîij ARRET DE LA COUR
Que cet ouvrage ne parole compofé que
dans la vue de ramener tout à la Religion
naturelle , ôc que l'Auteur s'occupe , dans le
plan de l'Education qu'il prétend donner à
îon Elevé, à développer ce fyfléme criminel.
Qu'il ne prétend inftruirc cet Elevé que
d'après la nature qui eft Ton unique guide ,
f)our former en lui l'hom.ne moral -, qu il
regarde toutes les Religions comme égale-
ment bonnes , & comme pouvant toutes avoÏB
leurs raifons dans le climat , dans le Gou-
vernement, dans la génie du Peuple, oi*
dans quelque "autre caufe locale , qui rend
i'uue préférable à l'autre , (elon les temps 6c
les lieux.
Qu'il borne l'homme aux connoifl'ancçs
<jue l'inftind porte à chercher , tiatte lc,ç
pafîions comme les princtpaux inftruments
de notre confervation , avance qu'on pcu6
ctrc fauve fans croire en Dieu , parce qu'il,
admet l'ignorance invincible de la Divi-
nité qui peut excufer l'homme-, que, félon
les principes la feule raifon cft juge dans
le choix d'une PveHgion , lailfant à fa difpo-
iTition la nature du culte que l'homme doit
rendre à l'Etre fuprcme que cet Auteur
croit honorer , en parlant avec impiété du
culte extérieur qu'il a établi dans la Reli-
gion , ou que l'Èglife a prefcrit fous la di-
rection de l'Efprit-Saint qui la gouverne.
Que , conféquemment à ce fyflcme de
« aiiiieure que la Religion uaturçUe , quelle
DE PARLEMENT. ix
qu'elle foit chez les diftérens Peuples , il ofe
ellayer de détruire la vente de l'Ecriture
Sainte ôc des Prophéties , la certitude des
iniracles énoncés dans les Livres Saints, l'in-
faillibilité de la révélation , l'autorité de
l'EgJife , ôc que ramenant tout à cette Re-
ligion naturelle , dans laquelle il n'admet
qu'un culte & des loix arbitraires;, il entre-
, prend de juPtifier non-feulement toutes les
Kcligions , prétendant qu'on s'y fauve in-
difl:ind;cment j mais m.cme l'infidciité & la
réliftance de tout homnie à qui l'on voudroîc
prouver la divinité de J. C. & l'exiftence de
la Religion Chrétienne , qui feule a Di£ii
pour Auteur , & à l'égard de laquelle i l
porte la blatphéme jufques à la donner
pour ridicule , pour concradiâoire , ôc h
infpirer une indifférence facrilege pour fes
mylleres & pour fes dogmes qu'il voudroic
pouvoir anéantir.
Que tels font les principes impies & dé-
tefîables que fe propole d'établir dans foti
Ouvrage :et Ecrivain qui foumet la Reli-
gion à l'examen de la raifon , qui n'établit
qu'une foi purement humaine , (?c qui n'ad-
met de vérités & de dogmes en matière de
Religion, qu'autant qu'il plait à l'elprit , li-
vré à fes propres lumières , ou plutôt- à les
cgaremens, de les recevoir ou de les rcjetter.
Qu'à ces impiétés il ajoute des détails in-
dccens , df:s explications qui bleilent la
bicnfçanct ôc la pudeur , des pKipofitipns
A V
s ARRÊT DE LA COUR
qui tendent à donner un caradere faux 8c
odieux à Tautorité fouveraine , à détruire
3e principe de l'obéillance qui lui eft due,
ôc à affoiblir le relpedt Ôc l'amour des peu-
ples pour leurs Rois.
Qu'ils croient que ces traits fuffifent pour
<ionner à la Cour une idée de l'Ouvrage
qu'ils lui dénoncent -, que les maximes qui
y font répandues forment par leur réunion,
un fyftême chimérique , aufîî impraticable
dans Ton exécution , qu'ablurde & condam-
nable dans Ton projet. Que feroient d'ail-
leurs des Sujets élevés dans des pareilles ma-
ximes , iînon des hommes préoccupés du
icepticifme d<: de la tolérance , abandonnés
à leurs pniTions , livrés aux plailïrs des feus ,
concentrés en eux-mêmes par l'amour pro-
pre, qui ne connoîiroient d'autre voix que
celle de la nature , & qui , au noble delir de
la folidc gloire , fubllitueroicnt la perni-
cieufc manie de la fingularité ? Quelles rè-
gles pour les mœurs ! Quels hommes pour
la Religion & pour l'Etat , que des enfans
élevés dans les principes qui tont également
horreur au Chrétien .5.: au Citoyen !
Que l'Auteur de ce livre n'ayant point
craint de fe nommer lui-même , ne Içauroit
ctre «rop prompiement pourfuivi-, qu'il eft
important , puifquil s'eft (m^ connoître ,
que la Jullice Te mette à portée de faire un
exemple , tant fur l'Auteur que fur ceux
quonpourra découvrir avoir concouru, foii
DE PARLEMENT. x/
^'■rimpreffion, foit à la diftribution d'un pa-
reil Ouvrage digne comme eux de toute fa
levente.
Que c'eft l'objet des Conclufions par
écrit qu'ils l'aiflent à la Cour avec un Exem-
plaire du Livre , & fe font les gens du ïloi
retirés.
Eux retirés .*
Vu le Livre en quatre Tomes in-8^*,'
intitulé : Emile y. ou de V Education , par
J. J. Roujfeau , Citoyen de Genève. Sanabi-
Jibus argrotamus malis \ iplaque nos in rec-
tum , natura genitos , fi emendari velimus
juvat. Senec. de ira. Lib. XL cap. XI IL
tom. I , 1 , J , Se ^. y4 la Haye , chc^ Jean.
Néaulme , Libraire , avec Privilège de Naf-
JeigJieurs les Etats de Hollande O de Jf^ejî-
frife. Conclufions du Procureur-Général
du Roi : oui le rapport de Me. Pierre-
Français Lenoir , Confeiiler : la matière
mife en délibération :
• La Cour ordonne que ledit Livre im<
primé , fera lacéré & brûlé en la Cour du
l^ilais , au pied du grand Efcilier d'icelui,
par l'Exécuteur de la Haute- Juflice ; en-
joint à tous ceux qui en ont des Exem-
plaires ,. de les apporter au Greffe de la
Cour , pour y être fupprimés ; /ait très-
expreflçs iohii?Jiion5 ^ déteii.fes à tous Lir
xij ARRET DE LA COUR
braires d'imprimer, venJre 6c débiter ledif
Livre , & à lous-Golportcurs, Dillributeurs
ou autres, de le colporter ou diftribuer , à
peine d'être pourluivis extraordinairemcnt ,
& punis fuivant la rigueur des Ordonnan-
ces. Ordonne qu'à la requête du Procureur-
Général du Roi , il fera mformc pardevant
le ConCeiller Rapporteur , pour les Té-
moins qui fe trouveront à Paris, & parde-
vant les Lieutenants Criminels des Bailliages
Se Sénéchauiïces du Reflort , pour les Té-
moins qui feroient hors de ladite Ville,
contre les Auteurs , Imprimeurs ou Diftri-
buteurs dudit Livre -, pour , les informa-
tions faites , rapportées & communiquées
au Procureur-Général du Roi , être par lui
requis, & par la Cour ordonne ce qu'il ap-
partiendra j &" cependant ordonne que le
nommé J. J. Rouft'eau , dénommé au Fron-
tifpice dudit Livre, fera pris & appréhendé
au corps , & amené es Prifons de la Con-
ciergerie du Palais, pour être oui & inter-
rogé pavdsvant ledit Confedler Rapporteur,
fur les taits dudit Livre, & répondre aux
Conclurions que le Procureur- Général en-
tend prendre contre lui -, 5c où ledit J. J.
RoulVeau ne pourroit être pris 8c appré-
hendé , après pcrquifîtion faite de (a per-
fonne , aifigné à quinzaine , Tes Siens failîs
^'annotés, 6c à icejx Commiilaires établis,
jufqu'à ce qu'il ait obéi fuivant l'Ordon-
naaçe : 6i à cet effet ordonne qu'un Exem-
DE PARLEMENT. xiiî
plaire dudit Livre fera dépoie au Greffe de
îa Cour, pour fervir à I'inftru(5lion du Pro-
cès. Ordonne en outre que le préfent Arrêt
fera imprimé, publié Ôc atïichc par-tout où
befoin fera. Fait en Parlement, lej> Juin
mil fept cens foixante-deux.
Signe , DUFRANC.
Et le I^endredi il Juin ij6i , ledit Ecrie
vientionné ci-dejfus a été lacéré & brûlé au
pied du grand Efcalier du Palais , par /'£"-
xécuteur de la Haute- Jujîice , en préfence de
moi Etienne- Dagobert Yfabeau Vun des
trohs principaux Commis pour la Grand''
Chambre i ajifijîé de deux HuiJJiers delà Cour»
Signe, Y SA BEAU.
iiiiMgiiiiii>iiiiiiiiliii;MflK8!*aiiflgkJU«feig«^^
A PARIS , chez P. G. Simon , Impimeur
du Parlement , rue de la Harpe , à
l'Hercule, ii^u
, MANDEMENT
DE MONS EIGNEUR
L'ARCHEVESQUE
DE PARIS,
Port AN t condamnation d'un Livre qui a
pour titre iÉMiLfc , ou de L'Education ,
par J. J. Koujfeau , Citoyen de Genève.
A Amfterdam , chez Jean Neaulmc, Lir
braire , 1-762,
HristophedeBeaumont, par
la Miféricorde^Divine , & par la
grâce du Saint Sié"ge Apoftoli-
cjue , Archevêque de Paris, Duc de Saint
Cloud , Pair de France, Commandeur de
l'ordre du Saint tfprit , Provifeur de Sor-
bonne , &c. A tous les Fidèles de notre
Dioccfe : Salut et Bénédiction.
Saint Paul a prédit , Mes TrÉs-CHER^
Treres , qu'il viendroit des jours périlleux 3.
cil il y auroitdes gens amateurs d'eux-même,
Ji^rs ,/uperbes i blajphe'matçur^ ^ impies y ca*
XV) M A N D E M. E N T.
lomniateurs i en/les d'orgueil, amateurs des
voluptés plutôt que de Dieu ; des hommes
d un efprit corrompu , & pervertis dans la.
Foi {a). Et dans quels temps malheureux
cette prédiction s'eft-elle accomplie plus à
la lettre que dans les nôtres 1 L'incrédulité
enhardie par toutes les paffions, fe préfentc
fous toutes les formes , afin de le propor-
tionner en quelque forte à tous les âges ,
à tous les caraft^rcs , à tous les états. Tan-
tôt, pour s'infinuer dans des efprits qu'elle
trouve déjà enforcdUs par la bagatelle (b),
elle emprunte un ftyle léger , agréable Sc
frivole : de là tant de Romans également
obfcenes Se impies , dont le but ell d'amu-
fer l'imagination pour féduire Pefprit , 6c
corrompre le cœur. Tantôt affcdant un
air de profondeur &c de fublimité dans fes
vues, elle feint de remonter aux premiers
principes de nos connoiilances , Se prétend
s'en autorifer pou% fecoucr un joug qui,
félon elle , deshonore l'humanité , la Divi-
nité même. Tantôt elle déclame en furieufe
contre le zèle de la Religion , & prôcae la
(a) In novilTimis diebus inftabunt tempora
periculofa : erunt homincs feipfos amantes —
elati , fuperbi , blarphcmi — fcelelti— crimina-
tores— tumidi, 6c voluptatum amator.'S magis
<]uàm Dei— homines corrupti mente , & rt^probi
circa fidcm. 2. Tim. c, 5. î^. 1 , 4, 8.
b ) Fafcinatio ûusaciptis oblcwat boua. oap.
t. 4. V, lÎ4
MANDEMENT. xvi7
tolérance univerfelle avec un emportement.
Tantôt enfin , réuniflant tous ces divers
langages, elle mêle le férieux à l'cnjoue-
inent ; des maximes pures à des obfcénités ;
<le grandes vérités à de grandes erreurs j
la Foi aa Blafphême : elle entreprend , en
un mot , d'accorder la lumière avec les té-
jnébres i Jefus Chrift avec Déliai. Et tel eft
fpécialement , M. ^T. G. F. l'objet qu'on
paroît s'être propofé dans un Ouvrage ré-
cent, qui a pour titre : EMILE , ou de
x'Éducation. Du fein de l'erreur, il s'ell
élevé un homme plein du langage de la phi-
lofophie, fans être véritablement Philofo-
phc -y efprit doué d'une multitude de con-
noiflfances qui ne l'ont pas éclairé, & ouï
ont répandu des ténèbres dans ks auffes
efprits ; caradere livré aux paradoxes d'o-
pinions Se de conduite , alliant la fimplicitc
des mœurs avec le tafte des penfées j le zcle
des maximes antiques avec la fureur d'éta-
blir des nouveautés j l'obfurité de la re-
uaite avec le defir d'être connu de tout le
monde. On l'a vu invedivcr contre les fcieti-
ces qu'il cultivoif, préconifer l'excellence
de l'Evangile , dont il détruifoit les dog-
mes -, peindre la beauté des vertus qu'il
cteignoit dans l'ame de Tes Ledeurs. II s'eft
. tait le Précepteur du genre humain pour le
tromper -, le Moniteur public pour égarer
tout le monde -, l'Oracle du liecle pouc
gcbsYçr de le perdre. Pans ua Ouvrage
xvîii ^ MANDEMENT,
fur l'inégalité des conditions, il avoit abaiflc
l'homme jufqu'au rang des bctes : dans une
autre produdlion plus récente, il avoit in-
ilnué le poifon de la volupté , en paroiirmt
le profcrire, dans celui-ci, il s'empare des
premiers momens de l'homme ,ahn d'établir
J'empire d'irréligion.
Quelle entreprife, M. T. C. F.I Pcdura-
tion de la jeuneiTe eft un»des objets les plus
importans de la follicitude ôc du zèle des
Pafteurs. Nous fçavonsqiie, pour rétormsr
le monde , autant que le permettent la
foiblelTe ôc la corruption de notre nature,
il fuffiroit d'obferver, fous la direction ôc
l'impreifion de la grâce, les premiers rayons
<îela raifon humaine , de les (aifiravec foin,
&*e les diriger vers la route qui con-
duit à la vérité. Par-là ces efprits, encore
exempts de préjuges, feroient pour tou-
jours en garde contre l'erreur -, ces cœurs ,
encore exempts de grandes paflions , pren-
droient les impreiîions de toutes les vertus.
Mais à qui convient-il mieux qu'à nous,
& à nos Coopérateurs dans le faint Minif-
îere , de veiller ainlî fur les premiers mo-
inens de la jeunelTe Chrétienne , de lui
diftribuer le laie fpirituel de la Religion ,
afin qiiil croijfe pour le falut (c); de pré-
parer de bonne heure , par de ialutaires
(c) Sicut modo geniti infantes , rationabile.
fine dolo lac concupifcite : ut in eo crelcatis in
falutem , i. Petr. 6. 2,
MANDEMENT. xîx
leçons, des Adorateurs finceres au vrai
Dieu : des Sujets fi kles au Souverain , des
Hommes dignes d'ctre la reflburce ôc l'or-
nement de la Patrie !
Or , M. T. C. F. l'Auteur d Emile pro-
pofe un plan d'éducation , qui , loin de
s'accorder avec le Chnliianifme, n'eft pas
même propre à former des Citoyens, ni des
Hommes. Sous le vain prétexte de rendre
l'homme à lui-même, & de faire de fort
élevé l'élevé de la nature, il met en prinr
cipe une affertion démentie, non feulement
par la religion, mais encore par l'expérience
de tous les peuples ôc de tous les tems,
Fofons ^ dit-il, pour maxime incontejlahle^
é}ue les premiers momens de la nature
Jont toujours droits: il ny a point de per-
yerjité originelle dans le cœur humain. A
ce langage on ne reconnoît point la doc-,
trine des faintes écritures Se de l'Eglife ,
louchant la révolution qui s'eft faite danj
notre nature. On perd de vue le rayoft
de lumière qui nous fait connoître le mys-
tère de notre propre cœur. Oui, M. T. C. F.,
dl fe trouve en nous un mélange frappant dt
grandeur & de bafléde , d'ardeur pour la
vérité , & de goût pour l'erreur , d'inclina-
tion pour la vertu , d>c de penchant pour
Je vice : étonnant contraflc qui , en dé-
concertant la Philofophie Païenne , la laifTc
errer dans de vaines fpéculations ! contrafte
dont la révélation nous 4écouvre la foux-
XX MANDEMENT.
ce dans la chute dépiorable de notre pre-
mier Père I L'homme fe lent entraîné par
une pente fanefle , & comment fe roidi-
roit-il contre elle , lî Ton enfance n'étoic
dirigée par des Maîtres pleins de vertus , de
fagerte , de vigilance : & fi , durant tout le
cours de fa vie, il ne fe faifoit lui-même ,
fous la protecStion , Se avec les grâces de
fon Dieu , des efforts puitlants 6c conti-
nuels? Hélas, M. T. G. F. malgré les prin-
cipes de l'éducation la plus faine & la plus
vertueufe , malgré les promeilss les plus
magnifiques de la Religion , & les mena-
ces les plus terribles , les écarts de la jeu-
nelTe ne font encore que trop fréquents ,
trop multipliés : dans quelles erreurs , dans
quels excès , abandonnée à elle-mcme , ne
fe précipiteroit-elle donc pas? C'eft: un tor-
rent qui fe déborde malgré les digues puif-
fantes qu'on lui avoit oppofées : que fé-
roit-ce donc Ci nul obilacle ne kifpcndoit Tes
flots, & ne romooit les efforts?
L'Auteur d'É m .' l e , qui ne reconnoît
aucune Religion , indique néanmoins , fans
ypenrer,la voie qui conduit infaillible-
•raent à la vraie Religion. Nous, dit-il , qui
ne voulons rien donner a V autorité'', nous qui
ne voulons rien enfeigner a notre Emile
qiiil ne pût comprendre de lui-même par
tout pays , dans quelle Religion V élèverons'
nous? à quelle fecte agrégerons- nous l'Elevé
de la nature î Nous ne l'agrégerons , ni à.
MANDEMENT; xxj
lelle-ci , ni à celle- là ; nous h mettrons en état
de choijtr celle ou le meilleur ufage de la rai-
Jon doit le conduire. Plut à Dieu , M. T. G. F.
que cet objet eût été bien rempli ! Si l'Au-
teur eût réellement mis fon Elevé en état
de choijir, entre toutes les Religions ^ celle
oii le meilleur u/age de la raifon doit con-
duire , il l'eût immanquablement préparé
aux leçons du Chriftianifme. Car , M. T. C.
F. la lumière naturelle conduit à la lumière
cvangélique ; Ôc le culte chrétien efl: clTen-
tiellement un culte raifonnable (d). En ef-
fet , Ji le meilleur ufage de notre raifon ne de-
voit pas nous conduire a la révélation chré-
tienne, notre foi feroit vaine, nos efpéran-
ces feroient chimériques. Mais comment
ce meilleur ufage de la raifon nous con-
duit-il au bien ineflimable de la Foi, &: de-
là au terme précieux du falutî C'efl: à la
raifon elle-même que nous en appelions.
Des qu'on reconnoît un Dieu, il ne s'agit
plus que de fçavoir s'il a daigné parler aux
hommes autrement que par les impreflîons
de la nature. Il faut donc examiner fi les
faits qui confiaient la révélation ne font
pas fupéricurs à tous les eftorts de la chi-
cane la plus artificieufe. Cent fois l'incré-
dulité a tâché de les détruire ces faits , ou
au moins d'en affoiblir les preuves j &c cent
{à) Rationabiie obfcquium vellrum. Kom. c.
II. V. I-.
xxij ^ MANDEMENT,
fois fa critiquera été convaincue d'impuif-
fance. Dieu , par la révélation , s'eft rendu
témoignage à lui-même ; & ce témoignage
eft évidemment très digne de foi {e). Que
refte-il donc à l'homme qui tait le meilleur
u/age de fa raifon , linon d'acquiefcer à ce
témoignage ? C'eft votre grâce , b mon
Dieu , qui confomme cette œuvre de lu"
miere -, c'eft elle qui détermine la volonté,
qui forme l'ame chrétienne -, mais le déve-
loppement des preuves , Se la force des
motifs, ont préalablement occupé , épuré
k raifon : Se c'eft dans ce travail , aufîî no-
ble qu'indifpenfable , que confifte ce meil-
leur ufage de la raifon , dont l'Auteur d'É-
MILE entreprend de parler fans en avoir une
notion fixe Se véritable.
%- Pour trouver la jeunefte plus docile aux
leçons qu'il lui prépare , cet Auteur veut
qu'elle foit dénuée de tout principe de Rer
ligion : Se voilà pourquoi , félon lui , coU"
naître le bien & le mal , fentir la raifon
des devoirs de F homme , îiejl pas l'affaire
d'un enfant.../' aimerais autant , ajoute-t-il,
exiger quun enfant eût cinq pieds de haut y
que du jugement à dix ans.
Sans doute , M. T. C. F. que le juge-
ment humain a fes progrès , 5c ne fe forme
que par degrés. Mais s'enfuit-il donc qu'à
(0 Tefiimonia tua crcdibilia faâa funt nimis.
Vfal. 92. V. 5.
MANDEMENT. xxîïf
l'âge de dix ans un entant ne connoîfTe poiot
la différence du bien & du mal , qu'il con-
fonde la r^g-efle avec la folie , la bonté
avec la barbarie , la vertu avec le vice?
Puoi? à cet âge il ne fentira pas qu'obéir
a ton Père elT: un bien , que lui dcfobéir
efi: un mal? Le prétendre, M. T. C. F.
c'eft calomnier la nature humaine , en lui
attribuant une ftupidité qu'elle n'a point.
„ Tout enfant qui croit en DÏQw,diten^.
,, core cet Auteur ^ eft idolâtre , ou Antro-
pomorphite „. Mais s'il eil Idolâtre, il
croit donc pludcuts Dieux : il attribue donc
la nature divine à des Simulacres infeniî-
bles ? S'il n'ell qu'Antropomorphite, enre-
connoilTant le vrai Dieu , il lui donne un corps.
Or on ne peut fuppofer ni l'un ni l'autre
dans un enhmt qui a reçu une éducation
chrétienne. Que ii l'éducation a été vicieufe
à cet égard , il eft fouverainement injufte
d'imputer à la Religion ce qui n'eft que la
faute de ceux qui l'enfeignent mal. Au fur-
plus , l'âge de dix ans n'eft point l'âge d'un
Philofophe : un enfant , quoique bVen inf-
.truit , peut s'expliquer mal ; mais en lui
inculquant que la Divinité n'eft rien de ce
qui tombe , o.u de ce qui peut tomber fous les
fens , que c'eft une intelligence infinie, qui,
douée d'une puiftânce fuprême , exécute
tout ce qui lui plait; on lui donne de Dieu
ime notion alfortie à la portée de fon ju-
gement. Il n'eft pas douteux qu'un Athée^
sxiv MANDEMENT.
par fes fophifmcs , viendra facilement a
bout de troubler les idées de ce jeune
Croyant: mais toute l'adreffe du Sophilte
ne fera certainement pas que cet entant ,
lorfqu'il croit en Dieu , ioit Idolâtre ou
Antropomorphite ;.c'eft à dire, qu'il ne croie
que l'exiftence d'une chimère. ^ ^ ^i
L'Auteur va pks loin, M. T. C. F. U
n accorde pas même à un jeune homme de
quinze ans la capacité de croire en Dieu.
L'homme ne fçaura donc pas même a cet agc
s'il y a un Dieu, ou s'il n'y en a point : tou-
te la nature aura beau annoncer la gloire de
(on Créateur, il n'entendra rien à Ton langa-
ge ! îl exiftera fans fçavoir à quoi il doit
fon exiftence ! Et ce fera la (aine railon
elle-même qui le plongera dans ces ténè-
bres ! C'eft ainfi, M. T. CF. que Paveu-
gle impiété voudroit pouvoir obfcurcir de
fes noires vapeurs le flambeau que la Re-
ligion préfente à tous les âges de la vie hu-
niaine. Saint Auguftin railonnoit bien fur
d'autres principes , quand il difoit , en par-
lant des premières années de fa jeuneffe:
„ Je tombai dès ce temps-là , Seigneur ,
entre* les mains de quelques-uns de ceux
", qui ont foin de vous invoquer-, & je com-
pris , par ce qu'ils me difoient de vous,
", &: félon les idées que j'étois capable de
^^ m'en former à cet âge- là , que vous étiez
^^ quelque chofe de grand , & qu'encore
que vous fulliez invifible , & hors de la
portée
MANDEMENT. xxr
;; portée de nos fens , vous pouviez nous
„ exiiicer & nous fecourii-. Ai.ffi commen-
„ çai-je dès mon enfance à vous prier , 6c
„ vous regarder comme mon recours ôc
5, mon appui ; ôc à mefure que ma langue
5, le dcnouoit , j'employois Tes premiers
„ monvemens à vous invoquer. " ( X/5
I. Confejf. Chap. IX.)
Continuons, M. T. C. F. de relever les
paradoxes étranges de J'Auteur dÉMILE.
Après avoir réduit Jes jeunes gens à une
Ignorance fi profonde par rapport sux attri-
buts & aux droits de la Divinité , leur ac-
cordera-t-il du moins l'avantage de fe co"n
noitre eux-mêmes ? Sçauront-ils fi leur amê
€lt une (ubitance abrolument diflinguée de
Ja matière ? ou fe regarderont-ils comme
des êtres purement matériels oc fournis aux
?'iMTTr"î. ^" Méchanifme , L'Auteur
dhMILE doute qu'à dix-huit ans il foie
encore temps que fon eleve apprenne s'il a
vme ame : il penfe que sU Vapprej.d plutôt,
il court rifqiu de ne U fç avoir jamais • ne
veut-i pas du moms que la jeuncfiè (oit fuf-
ceptible de la connoillance dtks devoirs>
non. A 1 en croire, // 71 v a m-^ rl^. i- '
^UT • ■/-■ . -y "■ V^^ «<^>f objets
phifiques qui puijjent intérejjer les erfans
Jur-tout ceux dont on ri a pas t'veïlle lava-
nue & cju onn a pas corrompus d'avance
parle poifon de l opinion. Il veut en con-
Icquence, que tous ks foins' de la pre
B
XXV j M AN DE M EN T.^ ,
miere éducation foieni apphqviés a ce qu il
y a dans l'homme de matériel & de tei-
teÇivc-.Exercei, dn-'û,fon corps , fcs orga-
nes , fis fensjes forces; mais teneifon amt
cïfive , autant quU fe pourra. C'elt que
cette oifiveté lui a paru necellaire pour
difpofer Tame aux erreurs qu'il (e propo-
foit de lui inculquer. Mais ne vouloir en-
feigner la fagelTc à Phomme que dans le
tcmos où il fera dominé par la fougue des
paffions naiflantes , n'eft ce pas la lui pre-
fenter danî le deaein qu'il la rejette ?
Qu'une femblable éducation , M. i,^.V.
eft oppofée à celle que prefcrivent, de con-
cert, la vrave Religion &c la faine railon .
Toutes deux veulent qu'un Maître lage &
vigilant épie en quelque forte dans lon-Lle-
ve les premières lueurs de 1 intelligence ,
pour roccup.' r dss attraits de la vente-, les
pemicrs mouvemcns du cœur , pour Je ti-
xer par les charmes de' la vertu, combien
en effet n'elVil pas plus avantageux de pré-
venir les obftacles, que d'avoir a les lur-
monter ? Combien n'elVil pas a craindre que
fi les impreffions du vice précèdent les leçons
tie la vertu , l'homme parvenu a un certain
W, ne manque de courage ou de volonté
pour rélifter au vice ? Une heurcufe expé-
rience ne prouve-t-elle pas tous les jours ,
qu'après les dérèglements dune )eunelle
imprudente èc emportée , on revient cnha
Bij
MANDEMENT, xxvîi
aux bons principes qu'on a reçus dans l'en-
rance ?
Au refte , M. T. C. F. ne foyons point
iurpns que l'Auteur d'EMILE remette à
un temps fi reculé la connoiflance de l'exif-
tence de Dieu: il ne ne la croit pas nécelTai-
re au falut. // ejl clair, dJt-il par l'organe
d un perfonnage chimérique , il ejl clair nm
tel hoftime parvenu jiifqu à U vuilleffe , fans
oroire en Dieu , ne fera pas pour cela privé
de ja préfence dans t autre ,fi f on aveugle-
ment n'a point été volontaire , & je dis au il
lie l ejt pas toujours. Remarquez , M, T.
C. F. qu'i^ne s'agit point ici d'un homme
qui feroit dépourvu de l'ufage de fa rai-
Ipn, mais uniquement de celui dont Ja rai-
Ion ne ferou point aidée de l'inftrudion •
^t , une telle prétention cft fouveraine-
nient ab(urde, fur-tout dans le fyftême d'un
Ecrivain qui foutient que laraifoneft abfolu-
ment faine. Saint Paul afll.re qu'entre les
1 htlofophes Païens , plulîeurs font parve-
nus , par les feules forces de la raifon, àla
connoiaance du vrai Dieu. Ce qui peut être
connu de Dieu , dit cet Apôtre , leur a été
manifejlé. Dieu le leur ayant fait connaître %
la confidération des cho/es qui ont été faites
dès la création du monde , leur ayant renduvi-
fiblece qui ejl invifible en Dieu, fa puiffan-
ce même éternelle , & fa divinité , enforte.
qii ils font fans excuje , puif qu'ayant connu
xxviîj MANDEMENT.
D'un , ils ne l'ont point glorifié comme Dieu y
& ne lui ont point rendu grâces ; mais ils Je
font perdus dans la vanité de leur raifijime-
ment , & leur efprit infenfé a été obfcurci :
en Ce dïfant fages , ils font devenus fus (/).
Or , fi tel a été le crime de ces hornmes,
lefqaels , bien qu'alHijettis par les préjugés
de leur éducation au culte des Idoles , n ont
pas lailTé d'atteindre à la connoiilance de
Dieu-, comment ceux qui n'ont point de
pareils obllacles à vaincre, Teroient-ils inno-
cens ôc juftes , au point de mériter de jouir
de la préfence de Dieu dans l'autre vie?
Comment feroient ils excuf.ibles *( avec une
raifon faine, telle que l'Auteur la ruppofe?)
d'avoir joui durant cette vie du grand Ipec-
tacle de la nature , ôc d'avoir cependant mé-
connu celui qui l'a créée , qui la conler-
ve ôc la gouverne.
Le même Ecrivain, M. T. C. F. embraUe
ouvertement le Sccpticifme par rapport à
la création ôc à l'unité de Dieu. Je Jcais ,
(/) Q^^od notum eftDei , manifeftum eft in il-
lis : Deus enim illis manircrtavit.Invifibiliaenim
ipfius , à crcaturâ mundl per ca qubC fada iunt ,
intelkaaconfl.jiciuntur : lempitcrna quoque cjus
vitus&divinitas , ita ut fuit in«:xcuflibi!es; quui
cumcognoviflcnt Deum , non ficut Deum glori-
fîcaverùnt,aut gratias egerunt: led evanuerunt
in cogi tationibus iuis, & obfcuratum eft mhpicns
cor cofum; dicentcs enimfe cffc fapicutcs, lUilti
faaifuat.Ko/n.c. i. ^. 19, 22.
MANDEMENT. xxix
fait-il dire encore au perfonage ruppofé
qui lui fert d'organe : je Jçais que le monde
tPi gouverné par une volonté puijjante & Ja-
ge •, je le vois , ou plutôt je lejens , & cela
m'importe à fcavoir: mais ce même monde
ejî-il éternel ôu créé ? Y a t-il un principe
unioue des chofes ? Y en a-t il deux ou plu-
Jîeurs y ^quelle ejî leur naturel Je n'enfç'ais
rien , & que m'importe ?... Je renonce à des
quejlions oifeufes qui peuvent inquiéter mon
amour propre ; mais qui font inutdes à ma
conduite^ & fupérieures à ma rai [on. Que
veut donc dire cet Auteur téméraire ? Il
croit que le monde eft gouverné par une
volonté puilTante & fage : il avoue que cela
lui importe à fçavoir \ Se cependant , // ne
Je ait , dit' il , s'il ny a qiiun fcul principe
des chofes ^ ou s'il y en a plulîeurs : & il
prétend qu'il lui importe peu de le fçavoir.
S'il y a une volonté puiiîante & fage qui
gouverne le monde , eft-il concevable qu'elle
ne foit pas Tunique principe des chofes ?
Et peut-il être plus important de fçavoir
l'un que l'autre? Quel langage contradictoi-
re .' Il ne fçait quelle ejl la nature de
Dieu , & bientôt après il reconnoît que cet
Etre fuprême eft doué d'intelligence, de
puitfance , de volonté & de bonté \ n'eft-
ce donc pas- là avoir une idée de la nature
divine î L'unité de Dieu lui paroît une
queftion oifeufe <^ fupérieure à fa raifonj^
B iij
xxx MANDE M E N T.
comme lî la multiplicité des Dieux n'étoit
pas la plus grande de toutes les abfurdités.
La pluralité des Dieux ^ dit énergiquement
TertuUien , ejl une nullité de Dieu *. Ad-
mettre un Dieu , c'cft admettre un Etre fu^
prême indépendant , auquel tous les au-
tres ttres foient fubordonnés. Il implique
donc qu'iil y ait plulîeurs Dieux.
I! n'efl pas étonnant , M. T. C. F. qu'un
homme qui donne dans de pareils écarts
touchant la Divinité , s'élève contre la Re-
ligion qu'elle nous a révélée. A l'entendre ,
routes les révélations en général ne font que
dégrader Dieu y en lui donnant des paJ]ionA
humaines» Loin d'éclaircir les nations du
grand Etre , pour fuit- il , je vois que les
dogmes particuliers les embrouillent ; qu*
loin de les ennoblir , ils les avilijjent ;
qu'aux myjîeres inconcevables qui les envi'
ronnenty ils ajoutent des contradiclions abfur-
des. G'eft bien plutôt à cet Auteur, M. T.
C. F. qu'on peut reprocher l'inconfcquencc
& l'abfurdité. G'eil: bien lui qui dégrade
Dieu , qui embrouille , & qui avilit les no-
tions du grand Etre , puifqu'il attaque di-
rectement Ton elTence , en révoquant en dou-
te Ton unité.
11 a fenti que la vérité de la Révélation
* Deus cùm fummum magnum fît redle Veri-
tas nolira pronuntiavit: Dcus fi non unus ell ,
non eft, Tenull, ahirf. Murçionan, !. i.
MANDEMENT. xxxj
clivcnenne ctoit prouvce par ^es bus;,
mais les mirages formant une des princi-
pales preuves de cette révélation , & ces
miracles nous ayant été tranlmis par la voie
àts témoignages, il s'écrie : Quoi ! toujours
des témoignages humains! toujours des hom-
mes qui me rapportent ce que d'autres hom-
mes ont rapporte ? Que d'hommes entre JJieu
& moi.' Pour que cette plamte hulenee,
M. T. C. F. il taudroit pouvoir conclure
que la' Révélation eft fauffe dès qu'elle n'a
point été faite à chaque homme en parti-
culier -, il faudroit pouvoir dire : Dieu ne
peut exiger de moi que je croie ce qu on
m'alTure qu'il a dit, dès que ce n'elt pas di-
redemcnt à moi qu'il a adreflé ^(a parole.
Mais n'eft-il donc pas une infimte de taits ,
même antérieurs à celui de la Révélation
chrétienne , dont il fcroit abfurde lie dou-
ter ? Par quelle autre voie que par celle
des témoignages humains , l'Auteur lui-
même a-t-il donc coiinu cette Sparte , cette
• Athènes, cette Rome , dont il vante ii lou-
vent & avec tant d'aiîurance les loix , les
mœurs & les héros? Que d'hommes entre
lui & les événements qui concernent les
origines &: la fortune de ces anciennes Repu-
bliques ! que d'hommes entre lui Se les
Hiftoriens , qui ont confervé la mémoire de
ces événements! Son Scepticifnie n'eft donc
ici fondé que fur l'intérêt de ion incredu,--
lité.
xxxîj ^ MANDEMENT.
Quun homme, ajoute- t-il plus loin, vien-
ne nous tenir ce langage : Mortels, je vous
annonce^ les volontés du très-Haut : recon-
noljjei ^ "^^ 'VOIX celui qui m'envole. J'or^
donne au Soleil de changer fa courfe , aux
Etudes de former un autre arrange-
f^ient , aux Montagnes de s applanlr , aux
Flots de s élever y à la terre de prendre un
autre afpeâ\ à ces merveilles qui ne recon^
noUra pas à Vlnjlant le Maître de la na-^
ture ? Qui ne cioiroir, M. T. C. F. que
celui qui s'exprime de la forte , ne demande
qu'à voir des n)iracles pour être Chrétien?
Ecoutez toutefois ce qu'il ajoute : Refce
enfin , dic-il , 'C examen le plus Important
dans la Doctrine annoncée Aprts avoir
frouvé la Doctrine par le miracle, il faut
prouver le miracle par la Doctrine
Or , que faire en pareil cas ? Une feule cho-
fe : revenir au raifonnement , d» laljfer là
les miracles. Mieux eût II valu n'y pas re^
courir: ced à-dire, qu'on me montre des mi-
racles, ôc je croirai: qu'on me montre des
miracles, & je refuferai encore de croire.
Quelle inconfcquence , quelle abfurdité l
Mais apprenez donc une bonne fois, M.
T. C. F. que dans la qucftion des mira-
cles on ne fe permet point le fopliifme re-
proché par rAineur du livre de I'Edu-
CATION. Quand une Dodrine efi: reconnue
vraie, divine, fondée fur une révéiaiioa cejr-
MANDEMENT. xxxiij
taine , on s'en fert pour juger des mira-
cles, c'eft- à-dire, pour rejetier les préten-
dus prodiges que que des impofteurs vou-
droient oppofer à cette doctrine. Quand
il s'agit d'une Dodrine nouvelle qu'on an-
nonce comme émanée du fein de Dieu , les
miracles font produits en preuves -, c'eft- à-
dire , que celui qui prend la qualité d'En-
voyé du Très-Haut , confirme fa miflîon ,
fa prédication par des miracles qui font le
témoignage même de la Divinité. Ainfi la
Dotcrinc &c les miracles font des argumetis
refpedifs dont on fait ufige, félon les di-
vers points de vue où l'on fe place dans
l'étude 6c dans l'enfeignement de la Reli-
gion. Il ne fe trouve -là, ni. abus du rai-
fonnement , ni fophifme ridicule , ni cercle
vicieux. C'efl: ce qu'on a démontré cent
fois i & il elt probable que l'Auteur d'E-
mile n'ignore point ces dcmonfiraiions :
mais dans le plan qu'il s'eft fait d'envelop-
per, de nuages toute Religion révélée,
.toute opération furnaturelle , il nous im-
pute malignement des procédés qui des-
'honorent la raifon^ il nous rcpréfente com-
'me, dv^s Er«houlîail:ss , qu'un faux zeîe aveu-
gle au" point de trouver deux principes ,
Vun ,'par l'autre , fans diverHté d'c^bjets ni
de méthode. Où eft donc , M. T. C. F.
la bonne foi philofophique dont fe pare
çii Ecrivain ?
Bv
xxxîv M A N D E M E N T.
On croiroit qu'après les plus grands ef-
forts pour décréjiter les témoignages hu-
mains qui attedent la Révélation chrétien-
ne , le même Auteur y défère cependant
de la manière la plus pofitive , la plus fo-
Jemnelle. 11 faut , pour vous en convaincre,
M. T. G. F. & en même- temps pour vous
édifier , mettre fous vos yeux cet endroit
de Ton Ouvrage .• J'avoue que la majejîé de
VEcriture m'étonne : la faintété de ï Evan-
gile parle à mon cœur. P^oye:^ les livres des
Fhilofophes , avec toute leur pompe , qu'ils
Jont petits près celui-là ! Se peut- il qu'un,
livre à la fois Ji fuhlime Ô' Ji Jimple , Joie
L'ouvrage des hommes 1 Se peut- il que celui
dont il fait l'-hijloire , ne foit qu'un homme ,
lui-même î Ejl-ce-là le ton dun enthoujlajle
ou d'un ambitieux Sectaire.''. Quelle dou-
ceur! quelle pureté dans fes mœurs! Quelle
grâce touchante dans fes injîruclions ! Quelle
élévation dans fes maximes ! Quelle projon-
de fageffe dans fes di [cours ! Quelle préfence
d'efprit ^ quelle finejfe & quelle ju/leffe dans
fes réponfes ! Quel empire fur Jes pajfions}.
Oii ejî l'homme , oii cfl le f âge quifçait agir y
foufirir ô" mourir fans Joiblefje , & fans
ojîentation ? . . . . Oui , Jî la vie Ô* la mort
de Socrate font d\in Sage , la vie d* la mort
de Je fus font d'un Dieu. Dirons -nous que
rhifloire de l' Evangilç eft inventée à pldi-
Jîr ? Ce n'ejl pas ainjl qu'on inverv^
MANDEMENT. xxxv
t€ , & les faits de Socrate , dont perfojine ne
doute ^ font moins attejlés que ceux de JefuS'
Chrifl // ferou plus inconcevable que
plufïeurs hommes d'accord eujjent fabriqué
ce Livre j quil ne t efl qu'un feul en ait
fourni le Jujet. Jamais les Auteurs Juifs
neuffent trouvé ce ton ni cette morale , d»
H Evangile a des caractères de venté Jî
grands , fi frappans , Ji parfaitement inimi^
viitables , que t Inventeur en f croit plus éton-
nant que le Héros. Il feroit difficile , M. T.
C. F. de rendre un plus bel hommage à
l'authenticité de l'Evangile. Cependant l'Au-
teur ne la reconnoît qu'en confequence Ats
témoignages humains. Ce font toujours
des hommes qui lui rapportent ce que d au-
tres hommes ont rapporté. Que d'honmies
entre Dieu & lui! Le voilà donc bien évi-
demment en contradiârion avec lui-mcme.*
le voilà confondu par les propres aveux.
Par quel étrange aveuglement a t-il donc
pu ajouter : Avec tout cela ce même Evan~
gile efl plein de chofes incroyables , de chofes
qui répugnent à la raifon , O' qu'il eft im"^
pofflhle à tout homme fenfc de concevoir ni
d'admettre. Que faire au milieu de toutes
ces contradictions ; être toujours modefie &
circonfpecl refpcéhr en fdence ce quon
ne fçauroit ni rejetter ni comprendre , d»
s humilier devant le grand Etre qui feul
fcait la vérité, ^oilà le Scepiicifme inyo-t
B V
îcxxvj MANDEMENT.
lontaire où je fuis refte. Mais le Sceptr-
cifme, M. T. C. F. peut-il donc être in-
volontaire , lorfqu'on rcfiife de fe fou-
mettre à la Doctrine d'un Livre qui ne
fçauroit être inventé par les hommes î Lorf-
que ce Livre porte des Garaderes de vé-
rité fi grands , li t'rappans , h partaitement
inimitables , que l'Inventeur en feroit plus
étonnant que le Héros î C'efl bien ici qu'on
peut dire que t iniquité a menti contre elle-
TJiêrne (g).
Il femble , M. T. C, F. que cet Auteur
iVa rejette la Révélation que pour s'en te-
nir à Ja Religion naturelle : Ce que Dieu
y eut quun homme faffe , dit-il , il ne le lui
fait pas dire par un autre homme , il le lui
dit à Lui-même , il l'écrit au jond de fon
cxur . Quoi donc ! Dieu n'a-t-il pas écrit
au fond de nos cœurs l'obligation de fe
foumettre à lui , des que nous fommes fûrs
que c'ell: lui qui a parlé ? Or quelle certi-
tude n'avons-nous pas de fa divine parole!
Les taits de Socrate , dont psrfonne ne
doute , font de l'aveu même de l'Auteur
d'EMiLE , moins atteftés que ceux de
Jefus-Chrirt. La Religion naturelle con-
duit donc elle-même à la Religion révélée.
Mais eft il bien certain qu'il admette mcmc
la Religion naturelle , ou que du moins il
) Mentita ell iuiquitas fibi. ?fd, 26. v, ix-.
M AN DE M E N T. xxxvi/
en reconnoifle la nécefïîté?Non, M. T. CF.
Si je me trompe , dit-il, c'ert de bonne foi,
Cela me fujj:t , pour que mon erreur même
ne me foit pas imputée à crime. Quand vous
vous trompcriei de même il y auroit peu
de mal à cela ; c'ellà-dire, que félon lui
il iutfit de fe perfuader qu'on eft en pof-
feffion de la vérité s que cette perfuafion ,
tut-elle accompagnée des plus monftrueufes
erreurs , ne peut jamais être un fujet de re-
proche ^ qu'on doit toujours regarder com-
me un homme fage & religieux celui qui,
adoptant les erreurs mêmes de l'Athéifme ,
dira qu'il eft de bonne foi. Or, n'eft-ce
pas-là ouvrir la porte à toutes les fuperfti-
tions, à tous les hftêmes tinatiques,à tous
les délires de refprit humain î N'eft-ce pas
periT»ttre qu'il y ait dans le monde autant
de Pveligions , de cultes divins, qu'on y
compte d'Habicans ? Ah ! M. T. C. F. ne
prenez point le change fur ce point. La
bonne foi n'eft eftimab'e, que quand elle
eft éclairée & docile. Il nous eft ordonné
d'étudier notre Religion , & de croire avec
fïmpliciré. Nous avons pour garant à&s pro-
mcftes l'autorité de l'Eglife : apprenons à
la bien connoître , & jeitons nous enfuite
dans fon fein. Alors nous pourrons comp-
ter fur nntre bonne foi , vivre dans la paix,
& attendre , fans trouble j le moment de la
lumière étenielie.
xxxviij MANDEMENT.
Quelle infigne mauvaife toi n'éclate pas
encore dans la manière dont rincrcdule ,
que nous réfutons, fait raifonner le Chré-
tien & le Catholique ! Quels difcours pleins
d'inepties ne prête-t-il pas à l'un & à l'au-
tre , pour les rendre méprifables ! Il ima-
gine un Dialogue entre un Chrétien qu'il
traite à'Infpiré ^ & l'incrédullc qu'il quali-
fie de Raifonneur i & voici comme il fait
parler le premier : La raifon vous apprend
que le tout ejl plus grand que fa partie -, mais
moi je vous apprends , de la part de Dieu ,
que cejl la partie qui ejl plus grande que
le tout ; à quoi l'Incrédule répond j Et qui
êtes - vous pour m'ofer dire que Dieu fe con-
tredit , & à qui croirai je par pre'jcrence ,
de lui qui rri apprend par la raijhn des vé-
rités éternelles j ou de vous qui manitBnu:{_
de fa part une abfurdite'i
Mais de quel front , M. T. C. F. ofe-
t-on prêter au Chrétien un pareil langage ?
Le Dieu de la Raifon , difons-nous , ell
auflî le Dieu de la Révélation. La Raifon
& la Révélation font les deux orgines par
lefquels il lui a plu de fe faire entendre aux
hommes , foit pour les inftruire de la vé-
rité , foit pour leur intimer (es ordres. Si
l'un de ces deux organes étoit oppofé à
l'autre, il efl: confiant que Dieu feroit en
contradidion avec lui même. Mais Dieu
ic contredii-il , parce qu'il commande- de
M AND E M E N T. xxxk
croire des vérités incompréhenfîbles } Vous
dites, ô impies, que les Dogmes, que nous
regardons comme revclés , combattent les
vérités éternelles : mais il ne fuffit pas de Je
dire. S'il vous étoit poffible de le prouver ,
il y a long-tems que vous l'auriez fait, Ôc
que vous auriez pouffé des cris de vidoire.
La mauvaife foi de l'Auteur d'ÉM i le ,
n'eft pas moins révoltante dans le langage
qu'il fait tenir à un Catholique prétendu.
Nos Catholiques , lui fait-il dite , font grani
bruit de l'autorité de ïEgUfe ; mais que gag-
nent-ils a cela ? s il leur faut un aujjl grand
appareil de preuves pour établir cette autori-
té ^ quaux autres feclcs , pour établir direc^
tement leur doctrine. VEglife décide que CE- .
glifc a droit de décider ; ne voila-til pas une
autorité bien prouvée f Qui ne croiroit, M.
T. C. F. à entendre cet impofteur , que
l'autorité de l'Eglife n'eft prouvée que par
fes propres Décifions , & qu'elle procède
ainiî .• Je décide que je fuis infaillible , donc
je le fuis. Imputation calomnicufe , M. T.
C. F. La Conftitution du Chnftianirme ,
l'eiprit de TEvangile^ , les erreurs mêmes
& la foibicffe de l'eTprit humain , tendent
s. démontrer que rEgiife , établie par Jefus-
Chrill , eil: une Egiife infaillible. Nous af-
lurons q^ie , comme ce Divin Légiflateur a
toujours cnfcigné la vérité, fon Egiife l'cn-
feignc auffi toujours. Nous prouvons donc
xl MANDEMENT,
l'autorité de l'Eglife , non par l'autorité de
TEglife , mais par celle de Jelus - Chrift :
procédé non moins exact , que celui qu on
nous reproche eft ridicule & infenfé.
Ce n'eft pas d'aujourd'hui , M. T. CF.
que refprit d'irréligion eft un efprit d'in-
dépendance ôc de révolte. Ec comment , en
effet , ces hommes audacieux , qui rctufent
de fe foumettre à l'autorité de Dieu mê-
me , refpeâ:eroient-ils celles des Rois , qui
font les images de Dieu, ou celles des Ma-
giftrats q.ti font les images des Pvois ? Son-
ge, dit l'Auteur d^ExiiLE à fon Elève , (/«'^Z-
le ( TcTpéce humaine , ) eft compofc'e ejjentiel-
lement de la colleclion des Peuples ; que
quand tous les Rois en feraient êtes , il ny
paroîtroit guéres , & que les cho/es nen iraient
pas plus mal,,. Toujours, dit-il plus loin ,
la multitude fera faaifiée au petit nombre ,
d* l'intérêt public , à r intérêt particulier ,
toujours ces noms fpècieux de Jujîice & de
fubordination ferviront d'injlrumensàla vio-
lence , & d'armes à l'iniquité. lypli il fuit ,
continue -t'il , que les Ordres difingués, qui
fe prétendent utiles aux autres. ,. ne font , en
effet , utiles qu à eux— mêmes aux dépens des
autres., Par oii juger de la co'nfidcration qui
leur efl' due , félon lajufiicc &C la ralfofh'i
Ainfi donc , M. T. C. F.J'impiecé pfe cri-
tiquer les intentions de celui par qui regneiit
les Rois [h]: ainfi elle fe plaît à empoifon-
^' LM P<^i^ tt^^ R-'2<^^ r(;gaiiit. Proy, c. 8. v. 15
M A N D E M E N T. xI;
nef les fources de la félicite publique , en
fouillant des maximes qui ne tendent qu'à
produire l'anarchie , & tous les malheurs
qui en font la fuite. Mais que vous dit la
Religion î Craignei Dieu , Refpecîei le Roi u
[i] que tout homme fait fournis aux Puiff an-
ces Supérieures ; car il n'y a point de Puif-
Jance qui ne vienne de Dieu \ & c^ejl lui qui
a établi toutes celles qui font dans le mon-
de. Quiconque rejîjîe donc aux Puiffances ^
T^'éffle à V ordre de Dieu \ & ceux qui y ré-
Jifent , attirent la condamnation fur eux-
mêmes. [/( ]
Oui , M. T. C. F. dans tout ce qui eft
de l'ordre civil , vous devez obéir au Prin-.
ce, & à ceux qui exercent fon autorité, com-
me à Dieu même. Les feuîs intérêts de l'E-
tre faprcme peuvent mettre des bornes à no-
tre foumiiiîon i &■ h on vouloit vous punir
de votre fidélité à fes ordtes , vous devriez
encore fouffrir avec patience & fans murmu*
re. Les Néron , les Domitien eux-mêmes,
qui aimèrent mieux être les fléaux de la ter-
[ ï ] Deum tiraete ^ Regem honorificate. i.
Perr. c. 2. v. 2.
[ k ] Omnis anima potefîatibus fublimiori-
bus fubdita fit : non cfi: cn'm poteiias nifi à
Dec : quse autcm funt , à Deo ordinatne funt.
Itaque , qui rcfiflit potirfiati , Dci ordinationi
refiftit. Qui autem rtli/iunt , ipfi libi daiiina-
tionem acqulrunt. Kom, c. 13. v. j. z.
xlij MANDEMENT. ^
re, que les Pères de leurs Peuples , n'etoient
compcables qu'à Dien de l'abus de leur puiC-
fance Les Chrétiens , dit Samc Auguilin ,
leur ohéijfo'unt dans le temps , a caufe du
Dieu de l Eternité, {l)
Nous ne vous avons pas expolc , M. T. U.
F. qu'une partie des impiétés contenues dans
ce Traité de l'Education : Ouvrage cgale-
nicnt digne des anathcmes de TEglife, &de
la feverité des Loix .• & que faut-il de p'us
pour vous en infpirer une Julie horreur ?
Malheur à vous , malheur à. la Société 5 li
vos enfans étoicnt élevés d'après les princi-
pes de l'Auteur d'ÉMiLE. Comme il^ n'y a
que la Religion qui nous ait appris à con-
noîcre l'homme \ fa grandeur , fa misère , fa
deftinée future , il n'appartient auiu qu'à el-
le feule de former Gi railon, de pcifecbion-
ner fes mœurs , de lui procurer un bonheur
folide dans cette Vie & dans l'autre. Nous
fçavons / M. T. C. F. combien une éduca-
tion vraiment chrétienne efk délicate & la-
borieufe •' que de lumières & de prudence
n'exige-t'elle pas 1 Quel admirable mélange
de douceur &: de fermeté 1 Qu.-lle fagacitc
pour le proportionner à la ditierence des
conditions, des âges, des temperamens 6>:
des caradcres , fans s'écarter jamais en rien
( / ) Subditi erant propter Dominum aeter-
num , etiam Domino tempoiali. Auguf, htuiv
Tat. in Pfal. 1 14.
MANDEMENT, v!;t|
des règles du devoir ! Quel zélé ëc quelle
patience , pour faire fru6tilier dans de jeu-
nes cœurs le germe précieux de rismcccn-
ce , pour en déraciner, autant qu'il eit pof-
fible , ces penchans vicieux , qui font les tri-
lles effets de notre corruption héréditaire ",
€n un mot , pour leur apprendre , fuivantla
Morale de Saint Paul , à vivre en ce monde
izvec tempérance , félon la. jufiice , ^ avec
pieté , en attendant la béatitude que nous ef-
perans. ( m ) Nous di(ons donc à tous ceux
qui (ont chargés du foin également pénible
6c honorable d'élever la Jeuneile : Plantez
& arrofez dans la ferme efpérance que le
Seigneur , fécondant votre travail , donne-
ra l'accroilTement > injijlei à tems y à contre-
tems , félon le confeil du même Apôtre :
ufe^ de reprimar^de , d'exhortation, de paro-
les ftveres , fins perdre patle%ce , & fans
cejfcr d' inftruire. (n) Sur -tout joignez l'ex-
emple à l'inflrudlion j TinflruéVion fans l'ex-
emple , ert: un opprobre pour celui qui la
donne , & un fujet de fcandale pour celui
qui la reçoit. Que le pieux ôc charitable To-
[ m ] Erudiens nos , ut abnegantes impie-
tatem Ôc fjecularia defîderia , Tobriè & julit; ôc
piè vivamus in hoc feculo , exptûantes bca-
tam fpcm. Tir. c. 2, v. 12. 13.
(n) Infta opportunj , importuné j argue , ob-
fecra , increpa in omni patientiâ ôi doftrinâ.
2. Timoïk. c. 4, V. I. & 2.
xUv M A N DE MENT.
bie foit votre m oJéle : récontmandez avec
Join à vos en/ans , de faire des œuvres de
jiijlice j & des aumônes , de fe fouvenir de
Dieu ^ ^ de le be lir en tout tems dans la
vérité , & de toutes leurs forces ; { a ) ôc
votre poftencé , comme celle de ce Saint
Patriarche , fera aimée de Dieu & des houi'
mes. [p) ^ _ ^
Mais en quel tems de Peiucation dou-Ci-
le commencer î Dès les premiers rayons de
l'intelligence -, & ces rayons (ont quelque-
fois prématsirés. Formel t enfant à feutrée
de fa voye , dit le Sage ; dans fa vieilleffe
même il ne s'en écartera point. [</] Tel elt
en effet le cours ordinaire de la vie humai-
ne : au milieu du délire des p.ifiions, & dans
le feJn du libertinage , les principes d'une
éducation chrétienne , font une lumière qui
fe ranime lyr intcrvaUcî , pour découvrir
au pécheur toute l'horr-fur de l'abyme où il
eft plongé, &c lui en montrer les illues. Com-
bien encore une fois , qui , après les écarts
[o] Filiis veirris mandate , ut iaciant jufii-
cias & eleemorinas , ut tint memores Dei , ^
benedicant tum in ornai tempore , in veritate
& in tota virtute fuâ. Toh. c. 14. y. 11.
(p) Omnis autem cognatio ejus , & om-
nis gcneratio ejus , in bona vita & in fanda
convcrfatione permanfit , ita ut accepti elllnt
tam Deo quàm hominibus , & cunâ;is habita-
toribus in terra. "Ji/'ii. v. 17.
[ c; ] AdokTcens juxta viam fuam , etiam c'un
fcnueric , non recedet ab ea. Fro'. c. z'- - ^^^
MANDEMENT.^ xlv
d'une jeunelle licentieule , font rentrés, par
l'impreffi.^n de cette lumière , dans les rou-
tes de la (agelle , & ont honoré , p.u des
vertus tardives, mais lînceres , l'humanité,
la Patrie , & la Religion!
Il nous refte en faniilant , M. T. C. F.
à vous conjurer , par les entrailles de la mi-
fcricorde de Dieu, de vous attacher in-
violablement à cette Religion fainte , dans
laquelle vous avez eu le bonheur d'être
élevés; de vous fouienir contre le débor-
dement d'une Philofopliie infenfée , qui ne
fe propofe rien de moins que d'envahir
l'héritage de Jefus-Chrill , de rendre fes
promeiTes vaines , Ôc de le mettre au rang
as ces Fondateurs de Religion , dont la
doctrine frivole ou pernicieufe a prouvé
rimpofture. La Foi n'elT: méprifée , aban-
donnée , infultée , que par ceux qui ne la
connoiffent pas , ou dont elle gcne les dé-
fordres. Mais les portes de l'Enfer ne pré-
vaudront jamais contr'elle. L'Eglife Chré-
tienne & Catholique eft le commencement
de l'Empire éternel de Jefus-Chrifl:. Rien
de plus fort quelle , s'écrie S. Jean Da-
mafne j c'eft un rocher que les flots ne ren-
yerfent point \ c'cjï une montagne que rien ne
peut détruire (r).
( r ) Nihil Ecckfia vaV'nt'us , rup»; tbrtior
eft — femper vigtrt , cur eam fjriptura monttm
appelbvit.'' Uriquc quia evertinon potell. Dn-
mafc. Tome 2. p. 461 , 463.
xlv) MANDEMENT.
À CES CAUSES , VU le Livre qui a pour
titre : Emile , ou de VEducation , par J. /.
Koujfeau , Citoyen de Genève, yimjter-
dam y chei Jean Neaulme , Libraire. 17^2..
Après avoir pris l'avis de plulieurs psrfon-
nes distinguées par leur piété ôc par leur
fçavoir , le faint nom de Dieu invoqué ,
Nous condamnons ledit Livre, comme con-
tenant une dodlrine abominable , propre
à renverfer la Loi naturelle , & à détruire
\ts fondemens de la Religion Chrétienne \
étâbliffant des maximes contraires à la Mo-
rale tvangeliquc , tendant à troiibler la
paix des États , à révolter les Sujefs con-
tre l'autorité de leur Souverain .• comme
contenant un très-grand nombre de pro-
portions refpéélivemcnt faulles , fcnndaleu-
fes . pleines de haine contre l'Eglife & les
Minières , dérogeantes au refped: dû à l'E-
criture Sainte , & à la Tradition de l'E-
glife , erronées , impics , blafphématoires
& hérétiques. En conféquence. Nous dé-
fendons très-expreflcment à toutes perfon-
nes de notre Diocefe de lire ou retenir le-
dit Livre , fous les peines de droit. Et fe-
ra notre préfent Mandement lu au Prône
des Melles Paroiffiales des Eglifes de la
Ville , Fanxbourgs &: Diocefe de Paris ,
publié & aifiché par-tout où befoin fera.
Donné à Paris, en notre Palais Archié-
pifcopal , le 10. Aoilt 1761.
^/^/z^', CHRISTOPHE, Archev. de Paris.
t
J. JACQUES ROUSSEAU,
CITOYEN DE GENEVE,
A
CHRISTOPHE DEBEAUMONT,
ARCHEVESQUE D E PARIS,
OuRQuoi faut-il , Monfei-
gneur , que j'aie quelque chofc
à vous dire? Quelle langue com-
mune pouvons- nous parler , com-
menc pouvons-nous nous entendre, <Si:qu'y
a-t-il entre vous & moi ?
Cependant, il faut vous répondre -, c'efl:
vous-même qui m'y forcez. Si vous n'cuf-
fîez attaqué que mon Livre , je vous aurois
lailTé dire ; mais vous attaquez aulTi ma per-
fonne-, & , plus vous avez d'autorité par-
mi ks hommes , moins il m'efl: permis de me
taire , quand vous voulez me déshonorer.
Je ne puis m'empccher , en commen-
çant cette Lettre , de réfléchir fur les bi-
zarreries de ma dcftinée. Elle en a qui n'ont
été que pour moi.
t LETTRE
J'étois né avec quelque talent i le pu-
blic l'a jugé ainfi. Cependant fai p a lié ma
jeuneflie dans une heureufe oblcurité , dont
je ne cherchois point à (ortir. Si je l'avois
cherché , cela même eût été une bizarre-
rie que durant tour le teu du premier âge
je n'eulle pu réuflïr , & que j'euffe trop
ïéufli dans la fuite, quand ce feu commen-
çoit à pafler. J'approchois de ma quaran-
tième année , 5c j'avois , au lieu d'une for-
tune que j'ai toujours méprifce , ôc d'un
nom qu'on m'a fait payer C\ cher, le repos
& des amis -, les deux feuls biens dont "mon
cœur foit avide. Une miferable queftion
d'Académie m'agitant l'efprit malgré moi,
ine jetta dans un métier pour lequel je n'é-
tois point fait -, un fuccès inattendu m'y
montra des attraits qui me féduilirent. D^s
foules d'adverfaires m'attaquèrent fansm'en-
tendre , avec une étourderie qui me donna
de l'humeur , & avec un orgueil qui m'en
infpira peut-être. Je me détendis, &, de
difpute en difpute, je me fcntis engagé dans
Ja carrière , prefque fans y avoir pcnfé. Je
me trouvai devenu, pour ainfi dire, Au-
teur à l'âge , où Ton celfc de l'ctre , 6c hom-
me de Lettres par mon mépris mcrne pour
cet état. Dès-là je fus dans le public quel-
que chofe -, mais auflî le repos & les amis
difparurent. Quels maux ne (ou&ris-je
point avant de prendre une aflîette plus fixe,
^ des aicachemenis plus heureux î 11 ^ fallut
dévorer
A M. DE BEAUMÔNT. 3
dévorer mes peines j il ialut qu'un peu de
réputation me tint lieu de tout. Si c'eft: ua
dédommagement pour ceux qui font tou-
jours loin d'eux-mêmes , ce n'en fut jamais
un pour moi.
Si j'eufle un moment compté fur un bien,
lî frivole , que j'aurois été promptement
défabufé ! Quelle inconftance perpétuelle
n'ai-je pas éprouvé dans les jugem.ens du pu-
blic fur mon compte ' j'étois trop loin de lui ;
ne me jugeant que lur le caprice ou l'intérêc
de ceux qui le mènent, à peine deux jours de
fuite avoit-il pour moi les mêmes yeux.
Tantôt j'étois un homme noir, ôc tantôt ua
ange de lumière. Je me fuis vu dans la mê-
me année vanté, fêté , recherché , même à la
Cour j puis infulté, menacé, détefté , mau-
dit : les foirs on m'attendoit pour m'aiîaffiner
dans les rues; les matins on m'annonçoit
une lettre de cachet. Le bien Se le mal cou-
loient à peu près de la même fource : le tout
me venoit pour des chanfons.
J'ai écrit fur divers lujets , mais toujours
dans les mêmes principes : toujours la même
morale, la même croyance, les mêmes ma-
ximes, &, f\ Ton veut, ks mêmes opinions.
Cependant on a porté des jugemens oppofés
de mes livres, ou plutôt , de l'Auteur de mes
livres j parce qu'on m'a jugé (ur les matières
que j'ai traitées, bien plus que fur mes fenti-
mens. Après mon premier difcours , j'étois
un homme à paradoxes, qui le faifoit unieu
G
-4 LETTRE
de prouver ce qu'il ne penfoit pas. Après rua
lettre fur la Mulîque Françoife , j'étois l'en-
nemi déclaré de la Nation j il s'en talloit peu
qu'on ne m'y traitât en confpirateur -, on eût
dit que le fort d'" la Monarchie étoit attaché
à la gloire de l'Opéra: après mon difcours
fur l'inégalité, j'étois Athée &Z Mifanthrope :
après la lettre à M. d'Alembert , j'étois le dé-
fenfeur de la Morale Chrétienne: après l'Hé-
loïTe, j'étois tendre & doucereux: maintenant
je fuis un impie*, bientôt peut-être lerai-je un
dévot.
Aind va flottant le fort public fur mon
compte, fçachant auflî peu pourquoi il m'a-
bhorre , que pourquoi il m'aimoit aupara-
vant. Pour moi, je fuis toujours demeuré le
même i plus ardent qu'éclairé dans mes recher-
ches , mais luicere en tout , même contre
moi-, ilmple&: bon, mais renfible& foible,
faifant fouvent le mal & toujours aimant le
bien •, lié par l'amitié , jamais par les chofes ,
&: tenant plus à mes fentimens qu'à mes in-
térêts-, n'exigeant rien des hommes, Si. n'en
voulant point dépendre, ne cédant pas plus
à leurs préjugés qu'à leurs volontés, & gar-
dant la mienne auffi libre que ma raifon:
craignant Dieu fans peur de l'Enter-, raifon-
nant fur la Religion (ans libertinage: n'ai-
mant ni l'impiété , ni le tanatifme ; mais haïlr
(ant les intolcrans encore plus que les efprits
forts: ne voulant cacher mes taçons de pen-
fcr à perfonne , fans tard, ians artifice en
A M. DE BEAU MONT. y
toute choie, difant mes fautes à mes amis,
mes fentiments à tout le monde , au public Tes
vérités /ans flatterie & (ans fiel, ^mefoupanc
tout auffi peu de le fâcher que de lui plaire.
.Voilà mes crimes, & voilà mes vertus.
Enfin lafic d'une vapeur enivrante qui enfla
lans , raliafier, excédé du tracas des oififs fur-,
chargés de leur temps 6c prodigues du mien,
loupirant après un repos fi cher à mon cœur,
& fi néceflaire à mes maux , j'avois pofé la
plume avec joie. Conrent de ne l'avoir prifc
que pour le bien de mes fcmblables , je ne leur
demandois pour prix de mon zèle, que de
me laifier mourir en paix dans ma retraite, 5c
de ne m'y point faire de mal. J'avois tort , des
Huiffiers font venus me l'apprendre, & c'eftà
cette époque , où j'efpéroisqu'aloient finir les
ennuis de ma vie, qu'ont commencé mes plus
grands malheurs. Il y a déjà dans tout cela
quelques fingularités j ce n'eft rien encore. Je
vous demande pardon Monfeigneur, d'abufer
-de votre patience; mais avant d'entrer dans
les difcuflions que je dois avoir avec vous,
il faut parler de ma fituation préfente, ôc des
eau (es qui m'y ont réduit.
Un Genevois fair imprimer un Livre en
Hollande, & par Arrêt du Parlement de Pa-
ris, ce Livre eft brûlé fans refped pour Is
Souverain dont il porte le privilège. Un Pro-
teflanr propose en pays protefl-ant des objec-
tions contre l'Eglife Romaine, & il eft Jécié-
«c par le Parlement de Paris. Un républicain
i LETTRE
fait dans une République des objections coti'^
tre l'Etat monarchique , & il eft décrété par
le Parlement de Paris. Il faut que le Parlement
de Paris ait d'étranges idées de Ton empire ,
êc qu'il fe croie le légitime juge du genre ha-.
main.
Ce même Parlement, toujours fi foigneux
pour le Fraçois de l'ordre des procédures , les
néglige toutes dès qu'il s'agit d'un pauvre
Etranger. Sans fçavoir fi cet Etranger eft bien
l'Auteur du Livre qui porte Ton nom, s'il le
reconnoît pour fien , fi c'eft lui qui l'a tait im-
primer i fans égard pour fiDn trifte état, fans
pitié pour les maux qu'il foufFrc, on commen-
ce par le décréter de prife & de corps j on
l'eût arraché de Ton lit pour le traîner dans les
mêmes prifons où pourriflent des fcélérats \ on
l'eût brûlé peut-être même fans l'entendre \ car
qui fçait fi Ton eût pourfuivi plus régulière-
ment des procédures fi violemment commen-
cées, 5c dont on trouveroit à peine un autre
exemple, même en pays d'Inquifition? Ainfi
c'eft pour moi feul qu'un Tribunal î\ fiige ou-
blie fa fagefle \ c'eft contre moi fi^ul , qui cro-
yois y être aimé, que ce peuple , qui vante
fa douceur , s'arme de la plus étrange barba-
rie \ c'eft ainfi qu'il juftihe la préférence que
je lui ai donnée fur tant d'afyles que je pouvois
choifir au même prix. Je ne fçais comment
cela s'accorde avec le droit des gens 3 mais je
fçais bien qu'avec de pareilles pro.coures, la
liberté de tout homme, ^ peut ctre fa vie ,
'A M. DE BEAUMONT. -f
îcfl: à la merci du premcr Imprimeur.
Le Citoyen de Genève ne doit rien à des
Magill:ratsinju{lcs&:incompétens,qui,riirun
réquificoire calomnieux , ne le citent pas mais
le décrètent. N'crant pomt (ommé de compa-
roître, il n'y eil obligé. L'on n'em.ploie con-
tre lui que la force, & il s'y {ouftrait. Il fe-
coue la poudre de Tes fouliers, & fort de cette
terre hofpitaliere où l'on s'emprefle d'oppri-
iTier le toible , & où l'on donne des ters à l'é-
tranger avant de l'entendre, avant de fçavoir
il rAd:e dont on l'accu fe eftpuniffable, avant
de fçavoir s'il l'a commis.
Il abandonne en foupiiant fa chère folitu-
de. II n'a qu'un (eul bien, mais précieux, des
amisi il les fuit. Dans fa toiblelle il fuporte
unlong voyage \ il arrive & croit refpirerdans
une terre de liberté', il s'approche de fa Patrie,
de cette Patrie dont il s'ell tant vanté , qu'il
a chérie & honorée : refpoir d'y être accueilli
le conlole de (es diigraces Que vais- je
dire? Mon cœur fe ferre , ma main tremble,
la plume en tombe ••, il fliut fe taire , & ne pas
imiter le crime de Cham. Que ne puis-je dé-
vorer en fecret la plus amere de mes douleurs!
Et pourquoi tout cela? Je ne dis pas , fur
quelle raifon ? mais fur quel prétexte? On ofe
m'accufer d'impiété , fans fonger que le Livre
où l'on la cherche efl: entre les mains de tout
le monde. Que ne donneroit-on point pour
pouvoir fupprimer cette pièce jufliticative , &
dire qu'elle contient tout ce qu'on a feint d'y
C 4
» LETTRE^
trouver? Mais elle reftera quoi qu'on fafle,^
en y cherchant les crimes reprochés à l'Auteur»
la poftéritc n'y verra dans Tes erreurs mêmes
que les torts d'un ami de la vertu.
J'éviterai de parler de mes contemporains \
je ne veux nuire à perfonnc. Mais l'Athée Spi-
fîofa cnfeignoit paihblement (à doélrine i il
faifoit (ans obftacle imprimer Tes Livres j on
les débitoit publiquement i il vint en France^
& il y fut bien reçu j tous les Etats lui ctoient
ouverts, par tout il trouvoit protection on du
jnoins fureté ^ les Princes lui rendoient de s hon-
neurs, lui ofFroient des chaires i il vécut &
mourut tranquille , & même conhdéré. Au-
jourd'hui , dans le fiecle tant célébré de la Phi-
lofophie , de la raifon , de l'humanité ; pouv
avoir propofc avec circonfpcdion , mcmc
avec refpeâ:, ôc pour l'amour du genre hu-
tnain , quelques doutes fondes fur la gloire
Cïieme de PEtre fuprémc i le dctenfeur de la
caufe de Dieu , flétri, profcrit, pourfuivi d'E-
lat en Etat , d'afyle , en afyle , fans égard pour
fon indigence , (ans pitié pour fes infirmités,
avec un acharnement que n'éprouva jamais au-
cun maltaiteur, & qui feroit barbare, même
contre un homme entante , fe voit interdire
le feu Se l'eau dans l'Europe prefque entière'»
onlechafle du milieu des bois: il tant toute
la fermeté d'un protecteur illuftre, & toute
la bonté d'unPrince éclairé pour le laifTer en
paix au fein des montagnes. Il eut patTc le
relie de fes ipalheureux jouvs dans k§ fers, il
A M. DE BEAUMONT. 9
eut péri peut' être dans les fupplices , fi , durant
le premier vertige qui gagnoit les Gouverne-
mens , i! Te fût trouve à la merci de ceux qui
l'ont perfécuté.
Echappé aux Bourreaux, il tombe dans lei
mains des Prêtres -, ce n'ell: pas-là ce que je don-
ne pour étonnant: mais un homme vertueux
qui a l'ame auilî noble que la naiffance -, un il-
luftre Archevêque qui devroit réprimer leur
lâcheté, l'autorife-, il n'a pas honte , lui qui
devroit plaindre les opprimés, d'en accabler
un dans le fort de fes difgraces; il lance, lui
Prélat catholique , un Mandement contre un
Auteur proteftant ^ il monte fur Ton Tribunal
pour examiner comme Juge ladodrine parti-
culière d'an Hérétique j & , quoiqu'il damne
indiilindement quiconque n'efl pas de fonE-
glife, fans permettre à l'accufé d'errer à fa mo-
de , il lui prefcrit en quelque forte la route par
laquelle il doit aller en Enfer. Abflî-tôt le ref-
te de Ion Clergé s'emprelié , s'évertue , s'achar-
ne autour d'unenneini qu'il croit terralîé. Pe-
tits & grands, tout s'en mêle •■, le dernier Cuif-
tre vient trancher du capable-, il n'y a pas un
{bt en petit collet, pas un chétif habitué de Pa-
roilîe , qui , bravant à plaifir celui contre qui
font réunis leur Sénat de leur Evéque ne veuil-
le avoir la gloire de lui porter le dernier coup
de pied.
Tout cela, Monfeigneur, forme un con-
cours dont je fuis le feul exemple , ik ce n'eft
pas tout .... Voici peut-être une des fiaiations
■i& LETTRE
Jes plus diiEciles de ma vlej une de celles où
Ja vengeance ôc l'amour propre font les plus
aifés à facisfaire. Se permettent le moins à
l'homme juRe d'être modéré. Dix lignes feu-
lement, & je couvre mes perfécuteurs d'vm ri-
dicule ineflaçable. Que le Public ne peut-il
fçavoir deux anecdotes, fans que je les dife!
Que ne connoît-il ceux qui ont médité ma rui-
ne, ôc ce qu'Us ont fait pour l'exécuter ! Par
quels mcprifiblesinfedes, par quels ténébreux
moyens il verroii s'émouvoir les Puiifancesî
Quels levains il verroit s'échauffer par leur
pourriture, omettre le Parlement en fer-
«lentation ! Par quelle rilible caufe il verroit
les Etats de l'Europe fe liguer contre le fils
d'un Horloger ! Que je jouirois avec pîailîr
de fi furprife, (i jepouvoisn'en être pas l'inf-
trument !
jufqu'ici ma plume hardie à dire la vérité,
tnais pure de toute fatyre, n'a jamais compro-
mis perfonne , elle a toujours refpedté Thon-
neur des autres, même en défendant le mien.
Irois-jejCn la quittant, la fouiller de médifan-
ce, & la teindre des noirceurs de mes ennemis?
Non: laillons-leur l'avantage déporter leurs
coups dans les ténèbres. Pour moi, je ne veux
me défendre qu'ouvertement , & même je ne
.veux que me défendre. Il fuffit pour cela de ce
qui cil: fçu du Public , ou de ce qui peut l'être
/ans que perfonne en foit offenfc.
Une chofe étonnante de cette efpecc , de
que je puis dire, qH de voir l'intrépide Chrif?
A M. DE BEAUMONT. it
tophe de BeaumoHt , qui ne fçait plier fous
aucune PuifTance, ni faiie aucunne paix avec
les Janféniftcs, devenir, fans le fçavoir, leur
fatellite & rinllrument de leur animofitéi de
voir leur ennemi le plus irréconciliable févir
contre moi pour avoir refufé d'cmbrail'er leur
parri , pour n'avoir point voulu prendre la plu-
me contre les Jéfuites que je n'aime pas, mais
dont je n'ai point à me plaindre , & que je vois
opprimés. Daignez, Monfeigneur, jetterles
yeux fur le iîxieme Tome de ia nouvelle Hé-
îoïTc; première édition -, vous trouverez dans
la note de la page ijS (*) la véritable fourcc
de tous mes malheurs. J'ai prcdi; dans iiette
note ( car je me mêle auiîî quelquefois de pré-
dire) qu'aufli-tôt que les Janféniftes feroient
les maîtres > ils feroient plus intolérans & plus
durs que leurs ennemis. Je ne fçavois pas alors
que ma propre hifloire vérifieroit fî bien ma
pi-édidion. Le fil de cette trame ne feroit pas
difficile à fuivre à qui fçauroit comment mon
Livre a été déféré, je n'en puis due davanta-
ge fans en trop dire-, mais je pouvois au moins
vous apprendre par quels gens vous avez été
conduit fans vous en douter.
Croira-t-on que, quand mon Livre n'eût
point été déi:cré au Parkmenr, vous nel'tuf-
i\c.z pas moins attaque? D'autres pourrcn: le
croire ou le dire; mais vous dont la co'.iici-
ence ne fçait pointfouffrir le menfonge, vous
( * ) Page 282 de la ncu vcPc Edii ion , taifant U
Tome VI. d^s Qfuvres; note du Libraire.
C vj
ji L E T T R E ^^ ^ ^ .
ne le direz pas. Mon difcoiu-s fur l'inégalité a
couru votre Diocefe , & vous n'avez poinc
donné de Mandement. Ma lettre à M. d'Alem-
bert a couru votre Diocefe, & vous n'avez
point donné de Mandement. La nouvelle Hé-
loïfe a couru votre Dîocefe, & vous n'avez
point donné de Mandement. Cependant tous
ces Livres, que vous avez lus , puîfque vous-
les jugez, refpirent les mêmes maximes ; les
mêm-es manières de pcnfer n'y font pas plus
déguiféei. Si le fujet ne les a pas rendus lut-
ceptibles du même développement , elles gag-
nent en force ce qu'eles perdent en étendue, oc
i'on/voitlaprofeiîîonde foi de l'Auteur, ex-
primée avec moins de réferve que celle du Vi-
caire Savoyard. Pourquoi donc n'avez vous
rien dit alors? Monfeigncur, votre troupeau
vous étoit-il moins cher? Me lîfoit-il m.oinsî
Goûcoit-il moins mes Livres? Etoit-il expofé
à l'erreur? Non, mais il n'yavoit point alors
de Jéfuites à profcrire; des traîtres ne m'a-
voient encore enlacédansleurspiéges, la note
fatale n'ctoit point connue, & quand elle le
fût, le public avoii déjà donné fonfuffragc au
Livie-, il ctoittrop tard pour taire du bruit.
On aima mieux différer j^ on attendit Tocca-
fîon, on l'épia , on lafaiiit, on s'en prévalut
avec la fureur ordinaire aux dévots -, on ne par-
loir que de chaînes (^ débuchers ■-, mon Livre
ctoit le tocfindc l'Anarchie, & la trompette
de l'Athéïfme : l' Auteur étoit un monitre à
cto ultcr , on s'étonnoit qu'on l'eût il long tems
A M. DE BEAUMONT. i$
laiflc vivre. Dans cette rage univeiTelle, vous
eûces honte de garder le iilence : vous airiià-
tes mieux taire un aéle de cruauté que d'être
accufé de manquer de zèle , & fervir vos en-
nemis, que d'elïïiyer leurs reproches. Voilà,
Monfeigneur , convenez-en , le vrai motif de
votre Mandement , & voilà, ce me femble ,
tin concours de taits allez hnguliers pour don-
ner à mon fort le nom de bizarre.
Ily along-tems qu'on a fubflitué des bien-
séances d'état à la Juftice. Je fçai qu'il efi: des
circonftances malheureufes qui torcent un
homme public à févir malgré lui contre un
Citoyen. Qui veut être modéré parmi des fu-
rieux s'expofe à leur iurie, ôc je comprends
que dans un déchaînement pareil à celui dont
je fuislavitlime, il tant hurler avec les Loups,
ou rilquer' d'être dévoré. Je ne me plains
donc pas que vous ayez donné un Mandement
contre mon Livre , mais je me plains que vous
1 ayez donné contre ma perfonne , avec auflî
peu d'honnêteté que de vérité 5 je me plains
qu'autorifant par votre propre langage celui
que vous me reprochez d'avoir mis dans la
bouche de l'infpiré, vous m'accabliez d'inju-
res qui, fans nuire à ma caufe, attaquent mion
honeur, ou plutôt le vôtre; je me plains que
de gaieté de cœur , fansraifon, fans néceflî-
té , (ans refpeâ: , au moins pour mes malheurs,
'VOUS m'outragiez d'un ton fi peu digne de
votre caraéfere. Et que vous avois-je donc
faitp moi qui parlois toujours de vous avec
14 L E T T il E
quej'eftime tanti moi qui tant defoisadmîraî
votre inébranlable térmeté , en déplorant ,
il eft vrai , l'ulage que vos préjugés vous, en
faifoient taire, moi qui toujours honorai vos
niœurs, qui toujours refpedai vos vertus, 6c
qui les refpedte encore aujourd'hui que vous
rn'avez déchiré ?
C'eft ainfi qu'on fe tire d'affaire quand on
veut quereller, & qu'on a tort. Ne pouvant
refondre mes objections, vous m'en avez tait
des crimes : vous avez cru m'avilir en me mal-
traitant, & vous vous êtes trompé ^ fans af-
foiblir mes raifons , vous avez intérellé les
cœurs généreux à m>^s difgraces ; vous avez
fait croire aux gens fenfés qu'on pouvoit ne
pas bien juger du livre, quand on jugcoit (î
mal de l'Auteur.
Monfcigncur , vous n'avez été pour moi ni
généreux i & non-feulement vous pouviez l'ê-
tre fans m'épargner aucune des chofes que
vous avez dites contre mon ouvrage , mais el-
les n'en auroient fait que mieux leur effet. J'a-
voue auffi que je n'avois pas droit d'exiger de
vous ces vertus, ni lieu de les attendre d'un,
homme d'Eglife. Voyons lî vous avez été du
moins équitable Se jufte s car c'eft un devoir
étroit irapolé à tous les hommes, & les faints
mêmes n'en font pas difpenlés.
Vous avez deux objets dans votre Mande-
menti l'un, de cenfurer mon Livrer l'autre,
de décrier ma perfonnc. Je croirai vous avoic
bien répondu, il je prouve que, par-tout où
A M. DE BEAUMONT. //
vous m'avez réfute, vous avez mal raifonné,
&que par- tout où vous m'avez infulté, vous
m'avez calomnié. Mais quand on ne marche
que Ja preuve à la main, quand on ell forcé
par l'importance dufujct, &par la qualité de
l'adverlaire , à prendre une marche péfante ;
à fuivre toutes (es cenfures ^ pour chaque
iriot il faut des pages; tanJis qu'une courte
latyre amufe , une langue détente ennuie. Ce-
pendant il faut que je me défende, ou que je
refte chargé par vous des plus faulTes imputa^
lions. Je me détiendrai donc, mais je défen-
drai mon honneur plutôt que mon Livre. Ce
n'eft point la profcflîonde foi du Vicaire Sa-
voyard que j'examme , c'ell le Mandement de
l'Archevêque de Paris , & ce n'eft c^ie le mal
qu'il dit de l'Editeur, qui ma forcé à parler de
l'ouvrage. Je me rendrai ce que je me dois^
parce que )e le dois ; mais fans ignorer que
c'eft une polît?on bien tnfte que d'avoir à fe
plaindre d'un homme p'us pui liant que foi
ôc que c'c-ft une bien fade leClure que la jufti*
fication d'un innocent.
Le principe fondamental de toute morale;
fur lequel j'ai raifonné dans tous mes Ecrits ,
& que j'ai développé dan^ ce dernier avec tou-
te la ciarté dont j étois capable , eft que l'hom-
me eft un être naturellement bon, aimant la
juljije & l'ordre-, qu'il n'y a point de perver-
iité originelle dans le cœur humain , & que les
premiers mouvemens de la nature font tou-
jours droits. Jai fait voir que l'unique puffi^
iS LETTRE
on qui naît avec l'homme , fçavoir l'amoiir-
propre , eft une paflîon indiftérente en elle-
même au bien & au mal-, qu'elle ne devient
bonnelou mauvaifeque par accideni, 6c félon
lescirconftances dans lefquelles elle le déve-
loppe. J'ai montré que tous les vices qu'on
impute au cœur humain ne lui font pomt na-
turels i j'ai dit la manière dont ils naillent ^ j'en
ai pour ainfi dire fuivi la généalogie , & j'ai
fait voir comment , par l'altération luccefiive
de leur bonté originelle , les hommes devien-
nent enfin ce qu'ils font.
J'ai encore expliqué ce que j'entendois par
cette bonté originelle , qui ne femble pas (e
déduire de l'indifférence au bien & au mal ,
naturelle'à l'amour de foi. L'homme n'eft pas
un être iïmple j il eft compote de deux lubL-
tances. Si tout le monde ne convient pas de
cela , nous en convenons vous de moi , cS: j ai
taché de le prouver aux autres. Cda prouve,
l'amour de foi n^eft plus une paiiion (impie,
mais elle a deux principes ', Tçavoir l'etre^in-
telligent , Se l'être fonlit;t, dont le bien ctre
n ca pas le même. L'appétit des lens tend a
celui du corps, & l'amour de l'ordre à celui
del'ame. Ce dernier amour développé & ren-
du idif, porte le nom deconlcience, mais la
coufcience ne fe développe & n'agit qu'avec
les lumières de l'homme. Ce n'eft que par ces
lumières qu'il parvient à connoître l'ordre ,
& ce n'eft que quandil le connoît que fa conl-
cience k porte à l'aiiincr. La conlciencc çil
À M. DE BEAUMONT. 17
idonc nulle dans l'homme qui n'a rien compa-
ré , & qui n'a point vu Tes rapports. Dana cet
état l'homme ne connoît que kis il ne voit
fon bien-être oppofé ni conforme à celui de
perfonne , il ne hait ni n'aime rien ; borné au
ieul inftinâ: phyiîque , il elt bête •-, c'efl: ce que
j'ai fait voir dans mon difcours fur l'inégalité.
Quand , par un développement dont j'ai
montré le progrés, les hommes commencent
àjetterlesyeax iur leurs fcmblables, ils com-
mencent aulTia voir leurs rapports & les rap-
ports des choies -, à prendre des idées de con-
venance , de juiVtce & d'ordre , le beau moral
commence à leuf devenir fcniible, «5c îaconf-
cience agit. Alors ils ont des vertus, & s'ils
ont aulTi des vices, c'eft parce que leurs inté-
rêts fe croifent, &que leur ambition s'éveil-
le , à meiure que leurs lumières s'étendent.
Mais tant qu'il y a moins d'c^ppofiiion d'in-
térêts que de concours de lumières, les hom-
mes font ellêntiellement bons. Voilà le fécond
ctat.
Quand enfin tous les inrcrêts particuliers
agués s'entrechoquent, quand ramour de foi,
mis en iermeniation, devient amour propre,
que l'opinion, rendant l'univers entier nécel-
faire à chaque homm'.- , les rend tous enemis
nés les uns des auire.> , 'k. tait que nul ne trou-
ve fon bien que dan> ic mai d'aucrui : alors la
conftience, plus S-oib/. que lespaiTi-nis exal-
tées, eft ctoutfée par ciles , & ne refte plus
dans la bouche des hcîr.mes »iu'un jîioi tait
fî^ LETTRE
pour fe tromper mutuellement. Chacun temt
alors de vouloir facrilîer Tes intérêts à ceux du
public, & tous mentent. Nul ne veut le bien
public, que quand il s'accorde avec le fien jaul-
ficet accord eft-il l'objet du vrai politique qui
cherche à rendre les peuples heureux & bons.
Mais c'efl: ici que je commence à parler une
langue étrangère, aufli peu connue des Levu-
res que de vous.
Voilà, Monfeigneur , le troifieme & ^der-
nier terme au delà duquel rien ne refte à tai-
re, &c voilà comment l'homme étant bon,
les hommes deviennent méchans. C'eft à
chercher comment il faudroit s'y prendre
pour les empêcher de devenir tels , que j'ai
confacré mon Livre Je n'ai pas affirmé que
dans l'ordre aducl la chofe tut abiolumcnt
poflîble, mais j'ai bien affirmé & j\vffirme
encore qu'il n'y a , pour en venir à bout,
d'autres moyens que ceux que j'ai propoles.
Là-delVus vous dites que mon plan d'éduca-
tion (i) loin de s accorder avec le Chrifiianif-
me , neji pas même propre a faire des Citoyens
ni des hommes; & votre unique preuve ell
de m'oppofer le péché originel. Monfeigneur,
il n'y a d'autre moyen de Ces effets , que le
baptême. D'où il fuivroit , félon vous, qu'il
n'y auroit jamais eu de Citoyens ni d'hom-
mes que des Chrétiens. Ou , niez cette con-
(i) Maniement in-quarto page 5. in-douze >
page six.
A M. DE BEAUMONT. 19
iequence,oii convenez que vous avez trop
prouvé.
Vous tirez vos preuves de fi haut, que vous
me forcez d'aller auffi chercher loin mes ré-
ponfes. D'abord il s'en faut bien , félon moi,
que ceîte dodrine du péché originel, fujette
a des diffijultés il terribles, ne foit contenue
dans 1 Ecriture, ni fi clairement, ni fi dure-
ment qu'il a plu au Rhéteur Auguftin & à
nos Théologiens de la bâtir ; & le moyen de
concevoir que Dieu crée tant d'ames inno-
centes & pures, tout exprès pour les joindre
a des corps coupables pour leur y faire con-
trader Ja corruption morale, & pour ks
condamner toutes à l'Enfer , fans autre cri-
me que tette union qui efl: fon ouvrage. Je
ne dirai pas fi [comme vous vous vantez ]
vous cclaircifiez par ce fifteme le myftere de
notre cœur ; mais je vois que vous obf-
curcillez beaucoup la juftice ëc Ja bonté de
i'ctre fupréme. Si vous levez une objedion,
cefl pour en fubflituer de cent fois plus
rortes.
Mais au fond , que fait cette doétrine à
J'Auteur d'Emile? Quoiqu'il ait cru fon livre
utile au genre humain , c'eft à des Chrétiens
qu'il l'a deftiné, c' efl: à des hommes lavés du
péché originel & de fes effets , du moins
quant à Tame , par le Sacrement établi pour
cela. Selon cette même dodrine , nous avons
tous dans notre entancç recouvré l'innocen-
ce primitive ; nous femmes tous fortis du
•^^ LETTRE
baptême aulTi fams de cœur qu ^dam lortit
de la main de Dieu. Nous avons , direz-
vous , contradé de nouvelles fouillures : mais
puifque nous avons commencé par en être
délivres comment les avons-nous dercchet
contractées? le fmg de J. Chrian'eft il donc
ras encore allez tort pour eft.icer enneremenc
la tache , ou bien feroit-elle un ettst de la
corruption naturelle de notre chair -, com-
me il , même indépendamment du pèche ori-
ginel , Dieu nous eût créés corrompus tout
exprès pour avoir le plaihr de nous punir î
Vous attribuez au péché originel les vices
des peuples que vous avouez avoir ete déli-
vrés du péché originel , puis vous me blâmez
d'avoir donné une autre origine à ces vices.
Eft-il jufte de me faire un crime de n'avoir
pas auilî mal raifonné que vousî
On pourroit , il e(l vrai, me dire que ces
effets que j'attribue au baptême (2) ne pa-
(2) Si l'on difoit , avec le Doreur Thomas
Burnet , que la corruption & la mortalité de
la race humaine , fuite du péché d'Adam , tut
un effet naturel du fruit défendu i que cet ali-
ment contenoit des fucs venimeux qui déran-
gèrent toute réconomie animale, qui irritcrent
les paiTions , qui affoiblirent l'enfc-ndement , &
qui portèrent par tout les principes du vice <x
de la mort j alors il faudroit convenir que la
nature du remède devant fe rapporter à celle
du mal, le baptême devroit agir phyriquement
fur le corps de rhommc , lui rendre la conftitu-
A M. DE BEAUMONT. 2t
rollTent par nul ligne extérieur ; qu'on ne voit
pas les Chrétiens moins enclins au mal que
Jes infidelles *, au lieu que , félon moi , la
malice infufe du péché devroit Te marquer
dans ceux-ci par des ditîérences fenfibles.
Avec les fecours que vous avez%ans la mo-
rale évangelique, outre le baptême, tous les
Chrétiens, pourfuivroit-on, devroient être
des Anges ; ëc les infidèles , outre leur cor-
ruption originelle, livrés à leurs cultes erro-
nés , devroient être des Démons. Je conçois
que cette difficulté prelTée pourroit devenir
embarrallante: car que répondre à ceux qui
me teroient voir que, relativement au genre
humain, l'effet de la rédemption faite h G.
haut prix , fe réduit à peu près à rien.
Mais, Monfeigneur outre que, )e ne crofs
point qu'en bonne Théologie on n'ait pas
'quelque expédient pour fortir de là ; quand
je conviendrois que le baptême ne remédie
point à la corruption de notre nature, encor
re n'en auriez- vous pas raifonné plus foli-
dement. Nous fommes , dites-vous , pécheurs
à caufe du péché de notre premier père-, mais
notre premier père pourquoi fut- il pécheur
lui-même: Pourquoi la même raifon paria-
quelle vous expliquerez fon péché, ne fe-
roit-elle pas applicable à fes defcendans fans
tien qu'il avoit dans l'état d'innocence , & fi-
non rimmortalité qui en dépendoit , du moins
tous les effets moraux de l'économie animale
^établie.
12 LETTRE
le péché originel, -Se pourquoi faut-îl que
nous impatiens à Dieu une injuftice , en
nous rendant pécheurs & punillables par le
vice de notre nailTance , tandis que notre pre-
mier père fut pécheur Se puni comme nous
fans cela? LfpéLhé originel explique tout ex-
cepté Ton principe, &c c'efl: ce principe qu'il
s'agit d'expliquer.
Vous avancez que par mon principe à moi
(3), ron perd de vue le rayon de Lumière qui
nous fait connaître le myjlere de notre pro-
pre cœur; & vous ne voyez pas que ce prin-
cipe, bien plus univerfel, éclaire même la
faute du premier homme(4) , que le vôtre
(3) Mandement in-quarto , p. 5- in-douze, p.
xix.
(4) Regimber contre une détenfe inutile &
arbitraire eft un penchant naturel ', maisqui ,
loin d'être vicieux en lui-même , ell conforme
à l'ordre des chofes , & à la bonne conaitution
de l'homme ; puifqu'il feroit hors dVnat ^de fe
conferver , s'il n'avoir un amour très-vit>our
lui-même , ik pour le maintient de tous fes
droits , tels qu'il les a reçu? d.^ la nature. Ce-
lui qui pourroit tout ne voudroit que ce qui lui
feroit utile ; mais un Etre tbible , dont la loi
reftreint ik limite encore le pouvoir, perd une
partie de lui-même , & réclame en Ton cœur ce
qui lui eft ôté. Lui taire un crime de cela , fe-
roit lui en taire un d'être lui ,&i non pas un
autre : ce feroit vouloir en même-temps qu'il
fût & qu'il ne tut pas. Auili l'ordre enfreint par
A M. DE BEAUMONT. 23
laiue dans robfciu-ité. Vous ne favez voir
que l'homme dans les mains du Diable , &■
rnoi je vois comment il y eft tombé; la cau-
le du mal eft félon vous la nature corrom-
Adam me paroît-il moins une véritable de'fenfe
qu'un avis paternel , c'efl un avertiflTement as
s abltenir d'un fruit pernicieux qui donne la
mort. Cette idée eft aifurement plus conforme
à celle qu'on doit avoir de la bonté de Dieu ,
& même au texte de la Genefe , que celle qu'il
plaît au Dodeur de nous prefcrire : car quant à
la menace de la double mort , on a fait voir
que ce mot morte morieris n'a pas l'emphafe
qu ils lui prêtent , & n'eil: qu'un hébraïfme em-
ployé en d'autres endroits où cette emphafe ne
peut avoit lieu.
Il y a de plus un motif fi naturel d'indulgen-
ce & de cominifération dans la rufe du tenta-
teur, dans la féduftion de la femme , qu'à con-
férer dans toutes ks circonfîances le péché
d'Adam , l'on n'y peut trouver qu'une faute des
plus légères. Cependant , feîon eux , qu'elle ef-
froyable punition / Il eft même impoffible d'en
concevoir une plus terrible j car quel châtiment
€ut pu porter Adam pour les plus grands cri-
mes , que d'être condamnés , lui & toute fa ra-
ce , à la mort en ce monde , & à paiTer l'éter-
nité dans l'autre , dévorés des feux de l'enfer ?
Eft-ce la peine impofée par le Dieu de miféri-
corde à un pauvre malheureux, pour s'être lâif-
fétromper ? Que je hais la décourageante doc-
trine de nos durs Théologiens ! fi j'étois un
moment tenté de l'admettre; c'eil alors que ie
croirois blafphtmcr.
«, LETTRE
eue, ^ <^ette corruption même efl un wal
Sont il falloir chercher la caule. L'homme
fut créé bon, nous en convenons, 3e "ois
ous les deux-, mais vous dues qu il eft mé-
chant , parce qu'il a été mcchant moi , a i
montré comment il a ete mecham. Qui do
nous à votre avis remonte le mieux au prin-
'' C'ependant vous ne laiffez pas de triom.
pher à votre aife , comme h vous m aviez ter
raffé Vous m'oppofez comme un ob,ecljon
nfoiuble (,) .. ''élan,, frappant de,r.^^^
^ de baJfeP , d'ardeur pour la vente ,0'dc
goût poiverreur^dmcUnation pour Uv^^^^^^
lu & de penchant pour le y ice,qin le tiou
te' et noul Etonnant contrafte, ajoutez-
vous, qui déconcerte la philofophie païenne,
TLlaiP errer dans des vaines fpeculatwns
Ce n4 pas une vainc fpéculanon que la
Th^^rle'de^l-mme, lorfqu'elle e onde
fur la nature, qu'elle marche a ^ K'T'JH
taitspar des conféquences bien he s & qu ea
nous menant à la fource des P^^^^^"^ ' f ^\^
nous apprend à régler leurs cours. Qu. h
vo appeliez philofophie païenne la pro-
feVon de toi du Vicaire Savoyard , ,e ne pu s
répondre à cette imputation, parce que e
n'y comprens rien (4) / mais )e trouve plai-
u\ A moins quelle ne fe rapporte à ] a^^";
fatiol que m'intlntc M. de B.aumont dans la
fuite , d'avoir admis pluficurs Dieux.
A M. DE BEAUMONT. 2f
fane que vous empruntiez prefquc Tes pro-
pres termes (6), pour dire qu'il n'explique
pas ce qu'il a le mieux expliqué.
Permettez, Monfeigneur, que je remet-
te fous vos yeux la conclufion que vous ti-
rez d'une objedion fi bien difaitée, ôc fuc-.
ceiîivement toute la tirade qui s'y rapporte.
( 7 ) L'hommefefent entraîné par une peine
funejiey & comment fe roidiroit-il contre elle,
Jijon enfance n'étoit dirigée par des maîtres
pleins devenu:, defagejfe^ de vigilance, &Jî,
durant tout le cours de fa vie , il ne faifoit
lui- même , fous la proteUion & avec les grâces
de fin Dieu^des efforti puiffans & continuels'i
C'efl:-à- dire : l^ous voyons que les hommes
font méchans, quoiqu inceffamment tyrannl-
Je's dès leur enfance \ fi donc on ne les tyran'
nifoit pas des ce tems là, comment parviens
droit- on à les rendre fages , puifque ^ même en
les tyrannifant fans cejfe , il efl impoffible de
les rendre tels ?
Nos raifonnemens fur l'éducation pour-
ront devenir plus feniîbles, en les appliquant
à un autre Tu je t.
Suppofijns, Monfeigneur, que quelqu'un
"Vint tenir ce difcours aux hommes.
„ Vous vous tourmentez beaucoup pour
[6] Emile , Tome III. p. 68. & 6q. première
Edition.
(7) ilik/z^eme/zf iij-quarto, p. 6, in-iz.p. xx.
^ ef L E T T R E ^ ^
„ chercher des Goavernemens équitables , Ar
„poLir vous donner de bonnes loix. Je vais
„ piomierement vous prouver que ce font vos
5, Gouvernemens mêmes qui font les maux
„ auxquels vous prétendez remédier parmi
eux. Je vous prouverai de plus :
5, qu'il eft impoflïble que vous ayez jamais ni
j, de bonnes loix ni de Gouvernemens équita-
„ blés i ôc je vais vous montrer enfuite le vrai
5, moyen de prévenir , fans Gouvernemens ôc
„ fans Loix, tous ces maux dont vous vous
„ plaignez ,,
Suppofbns qu'il expliquât après cela Ion (yl-
tême , & proposât fon moyen prétendu. Je
n'examine point fi ce fyftême fcroit (olide, &
ce moyen praticable. S'il ne Tctoit pas , peut-
être fe contenteroit-on d'enfermer l'Auteur
avec les fous , 6c l'on lui rendroit juftice -, mais
£ malheureufement il Pétoit , ce feroit bien
pis , & vous concevez , Monfeigneur , ou d'au-
tres concevront pour vous, qu'il n'y auroic
pas artez de bûchers &c de roues pour punir
l'infortuné d'avoir eu raifon. Ce n'eft pas de
cela qu'il s'agit ici.
Quel que fut le fort de cet homme, ilelt
sûr qu'un déluge d'écrits viendroit tondre fur
Je lien. 11 n'yauroit pas un Grimaud quipour
faire faCour aux puillances, & tout fier d'im-
primer avec privilège du Roi, ne vînt lancer
fur lui fa brochure & Tes injures , & ne fe
ventât d'avoir réduit au àlence celui qui n'aii-
ïoit pas daigne répondre , ou qu'on auroit
i
^ A M. DE BE-AUMONT, 57
«empêché de parler. Mais ce iVefl: pas enco-
re de cela qu'il s'agit.
Suppofons enfin, qu'un homme grave;
Se qui auroit Ton inccrct à la chofe , crut
devoir auffi faire comme les autres , & par-
mi beaucoup de déclarations & d'injures ,
s' avifât d'argumenter ainfi. Quoi , malheu-
reux / vous vouie^ annèantir les Gouverne-
mens & les Loix ? Tandis que les Gou-
vernement & les Loix ? font le feul frein du
vice ; & ont bien de la peine encore à le con--
tenir. Que feroit-ce , grand Dieu ! Jinous m
les avions plus ! Vous nous ôtei les gibets
e^ les roues ; vous voule^ établir un bri"
gandage public. Vous êtes un homme abo".
minable.
Si ce pauvre homme ofoit parler, il dî-
roit , fans doute.,, Très- Excellent Stï"
5, gneur , votre Grandeur fait une pétition
„ de principe. Je ne dis point qu'il ne faut pas
5, réprimer le vice , mais je dis qu'il vaut
5, mieux l'empêcher de naitre. Je veux
„ pourvoir à l'infuffifance des Loix , &
„ vous m'alléguez l'infiiffifance des Loix ,
5, Vous m'accufez d'établir les abus , parce
5, qu'au lieu d'y remédier j'aime mieux
,, qu'on les prévienne. Quoi s'il étoit un
5, moyen de vivre toujours en fanté , fau-
3, droit-il donc le profcrire , de peur de
5, rendre les médecins oififs? Votre Excel-
„ Icnce veut toujours voir des gibets (S< des
„ roues, 6c moi je voudrois ne plus voir
D
iS LETTRE ■ ^
,, de malfaiteurs: avec tout le refpectque je
„ lui dois -, je ne crois pas être un homme
„ abominabie.
Hélas, M. T. CF. malgré Us principes de
t éducation la plus faine O la plus venueu^
j€\ malgré les promejfes les plus magnifiques
de la Religion , & les menaces les,plus terri^
hles y les écarts de la jeunejfe ne Jont en^-^
core que trop fréquens y trop multipliés. J'ai
prouvé que cette éducation, que vous ap-
peliez la plus faine , étoit la plus in(en-
fce i que cette éducation , que vous ap-
peliez la plus vertueufe , donnoit aux en-
lans tous leurs vices : i'ai prouvé que touti
la gloire du paradis les tentoit moins qu'un
morceau de Gjcre , & qu'ils craignoient
beaucoup plus de s'ennuyer à Vcpres , que
de brûler en enfer -, j'ai prouvé que les
écarts de la jeunelle , qu'on (e plaint de ï\z
pouvoir réprimer par ces moyens , en
étoient l'ouvrage. Dans quelles erreurs ,
dans quels excès , aban.donnée à elle-même
ne fe précipiterait- elle .donc P^^J' La jeu-
nelle, ne.s'égare jamais d'elle-même: toutes
Tes erreurs lui viennent d'ctre mal condui-
te. Les camarades &z les maîtrelll-s achè-
vent ce qu'ont commencé les Prêtres »Sc les
Précepteurs -, j'ai prouvé cela. Cejl un
torrent qui fe déborde malgré les digues
puijfantcs qu'on lui avait oppofécs\ que fe-
roit-ce donc fi nul ohjlacle ne fufpendoit jes
flots y & ne rompait fis efforts'i Je pourrois
A M. DE BEAUMONT. i^
dire ; c'ejl un torrent qui renverfe vos ini-
puijfantes digues, & brifetom. Elargljfeifon
lit , (> laij/^i courir fans ohjlacle : il ne
fera jamais de mal. Mais )'ai honte d'emplo-
yer dans un fujet auffi fcrieux ces figures de
Collège, que chacun applique à fa Fantaifie,
& qui ne prouvent rien d'aucun côte.
Au refte , quoique , félon vous , hs écarts
de la jeunelle ne foient encore que trop
h-équens, trop multipliés , à caufe de la
pente de Phomme au mal, il paroû qu'à
tout prendre vous n'êtes pas trop mécon-
tant d'elle, que vous vous complaifez aflez
dans l'éducation faine & vertueufe que lui
•donnent aduellement vos maîtres pleins de
vertus , de fageflTs & de vigilance , que fé-
lon ^vous , elle perdroir beaucoup à erre
clévéc d'une autre manière , & qu'au fond
vous ne penfez pas de ce lîécle , la lie des
fiécles y tout le mal que vous affedez d'en
dire à la tcte de vos Mandemens.
Je conviens qu'il efl; fuperflu de cher-
cher de nouveaux plans d'éducation , quand
on efl: il content de celle qui exille: mais
convenez auflî , Monfeigneur , qu'en ceci
vous n'êtes pas difficile. Si vous euffiez été
aulfi coulant en matière de dodrine , vor
tre Diocèfe eût été agité de moins de irou-
bresj l'orage que vous avez excité , ne tût
point retombé fur les Jcfuites j je n'en au-
rois point été écrafé par compagnie ; vous
fiilTu-z refté plus tranquille, &c moi aufîî.
Dij
30 LETTRE
Vous avouez que pour réformer le mon-
de, autant que le permettent la foiblelTe ,
Ôc félon vous, la corruption de notre na-
ture, il fulHroit d'obferver fous la direc-
tion <k l'impreffuîn de la grâce, les pre-
miers rayons de la raifon humaine , de les
failir avec foin , ôc de les diriger vers la
route qui conduit à la vérité. ( 8 ) Par /r,
continuez-vous, ces -effrits encore exempts
de préjugés jferoient pour toujours en garde
contre V erreur ; ces cœurs encore exempts
des grandes pajîfions prendraient les imprcf-
jfîons de toutes Les vertus. Nous fommes donc
d'accord fur ce point , car j'en n'ai pas dic
autre chofe. Je n'ai pas ajouté -, j'en con-
viens qu'il fallût faire élever les ent.ms
par des Prêtres \ même je ne pêufois pas
que cela fut nécetTaire pour en faire des
Citoyens , & des hommes-, & cette erreur
fi c'en eft: une, commune à tant de Ca-
tholiques, n'eft pas un fî grand crime à un
Protcllant. Je n'examine pas fi dans votre
pays les Prêtres eux-mêmes palVent pour
de fi bons Citoyens -, mais comme l'éduca-
tion de la génération préfente eft leur
ouvrage , c'eft entre vous d'un côté \Jk vos
anciens Mandemens de l'autre , qu'il taut dé-
cider fi leur lait fpirituel lui a li bien pro-
fité , s'il en a fait de lî grands faints , ( 9 )
yrais adorateurs de Dieu, 6c de li grands
(^ ) M.inàement iu-quaito , p. 5 , in. 1 2. p.lxviij.
(;) pa^. xix.
A M. DE BEAUMONT.^ ji'
hommes , dig:.es d ctre la rr.Jjource & l'or'
nement de La pairie. Je puJS ajouter une
obiervauuu qui devroit trapper tcais les
bons François , & vous-même comme tel;
c'elt que de tant de Rois* qu'a eus votre na-
tion, le meilleur, ell le feul que n'ont point
élevé les Prêtres.
Mais qu'importe tout cela , puisque je
ne leur ai point donné l'excluhon -, qu'ils
élèvent la jeunelTe , s'ils en (ont capables,
je ne m'y oppole pas , & ce que vous dites
la delTus, (lo) ne fait rien contre mon Livre.
Prétendriez vous que mon plan fût mau-
vais , par cela feul qu'il peut convenir à
d'autres qu'aux gens d'Eglife ?
Si 1 homme eft bon par fa nature , com-
me je crois l'avoir démontré '-, il s'enfuit
qu'il demeure tel tant que rien d'étranger
à lui ne l'altère*, ôc fi les hommes font mé-
chans, comme ils ont pris peine à me l'ap-
prendre , il s'enfuit que leur méchanceté
leur vient d'ailleurs*, termez donc l'entrée
au vice, & le cœur humain fera toujours
bon. Sur ce principe , j'établis l'éducation
négative comme la meilleure , ou plutôt la
feule bonne : )e t^iis voir com.ment toute
éducation pofitive fuit , comme qu'on s'y
prene , une route oppofce à (on but , &C
je montre comment on tend au même but, &
comment ony arrive par le chemin que j'ai
iracé.
(lo) Municmcnt in-quarto, p. 5. in u. p. sviijî
n LETTRE
J'appv?l!e éuucatioii pofitive celle qui
tend à former refprit avant Page , & adon-
ner à l'cnrant la connoiirancc des devoirs de
riiomme. J'appelle éducation négative celle
qui tend à petteclionner les organes , inf-
îrumens de nos connoilTances, & avant de
nous donner ces connoiflances , qui pré-
parent à la raifon par Texercice des fens.
L'éducation négative n'eft pas oifive, tant
s'en taur. Elle ne donne pas les vertus ,
mais elle prévient les vices , elle n'apprend
pas la-vérité, mais elle prélerve de Terreur.
Elle dilpofe l'enfant à tout ce qui peut le
m?nerauvrai, quand il ell: en état de i'cnten-
dre, &c au bien , quand il eft en état de l'aimer.
Cette marche vous déplait Se vous cho-
que*, il eft aifé de voir pourquoi. Vous
commencez par calomnier les intentions de
celui qui la propcfei Selon vous, cette
oiiiveté de l'ame m'a paru nécefl'aire pour
la difpofer aux erreurs que je lui voii-
lois inculquer. On ne fçait pourtant pas
trop quelle erreur veut donner à Ton élevé
celui qui ne lui apprend rien avec plus de
loin qu'à fentirfon ignorance, 5c à fçavoir
qu'il ne fçait rien. Vous convenez que le
jugement a fes progrès , & ne fe forme que
par dégrés. Mais s' enfuit il (ii) ajoutez-
vous , qu à Vàge de dix ans, un enfant ne
connoijje pas la difft'rencc du bien & du mal j
(u) Mandçinçnt 'm-4. , p. 7 , in-i:. p. sxiij.
A M. DE EEATJÎV5 0NT. 3^
qiiîL confonie lafas,e[}e av^c la. folie , la
honte' avec la barbar e , la venu avec le vice !
Tour cela s'enfiiit, lan:-, doute, ti à cet âge
le jugem.nt n'ell pas . i-iéveloppc. Quoi!
pourfuivez-vous , il neJeiLtira pas qu'obéir
à fon père é^l un bien , que lui dé f obéir efi
un mal'i Bien loin de-là-, je fôutiens qu'il
fentiiM , au contraire, en quittant le )eii
pour aller étudier fa leçon, qu'obéir à fon
père eft un mal , & que lui défobéir eit
un bien. En volant quelque truie détendu
il fentira auflï, j'en conviens , que c'ell: un
mal d'être puni, & un bien d'être récom-
penfé, &c c'efi: dans la balance de cqs biens
de de ces maux contradictoires que Çq. rè-
gle fa prudc^nce enfantine. Je crois avoir
démontre cela mille fois dans n'iCS deux pre-
miers volumes , cc fur- tout dans le dia-
logue du maître & de l'enfant fur ce qui
eft mal {12), Pour vous, Monfeigneur ,
vous réfutez aies deux volumes en deux
lignes , èC les voici ( n )• -^^ prétendre ,
M. T. C. F. cejl calomnier la nature hu-
maine ^ en lui attribuant une Jlupidité qu elle
71 a point. On ne fçauroit employer une ré-
futationplus tranchante ni conçue en moins
de mots. Mais i.ette ignorance, qu'il vous
plait d'appeller ftupidité, fe trouve conf-
tamment dans tout efprit gêné dans des or-
(12) Eiiiile , Tom i, p. 189.
(13) Maniement, in-4. , p. 7 , in- 12. p. :sxiij.
3 A ^ LETTRE
ganes imparfaits, ou qui n'a pas été culti-
vé; c'ell une oblcrvation tacile à tatre, &z
Tenlible à tout le monde. Attribuer cette
ignorance à la nature humaine n'ell: donc
pas la calomnier , & c'cll: vous qui l'avez
calomniée en lui imputant flne malignité
qu'elle n'a point.
Vous dîtes encore-, [14] Ne vouloir
enfeigner la fagejje à V homme que dans le
temps qu'il fera dominé par la fougue des
pafjLons naijfantes y riefi-ce pas la lui pré-
fenter dans le deffein quil la rejette î Voilà
de rechef une intention que vous avez la
bonté de me prêter, &c qu'affurcment nul
autre que vous ne trouvera dans mon Li-
vre. J'ai montré, premièrement, que ce-
lui qui fera élevé, comme je veux, ne fera
pas dominé par les piflions dans le tems
que vous dites. J'ai monti-é encore com-
ment les leçons de la faifeire pouvoient re-
tarder le développement de cqs mêmes paf-
fïons. Ce font les mauvais effets de votra
éducation que vous imputez à la mienne,
& vous m'ob)e6lez les défauts que je vous
apprends^ prévenir. Jufqu'à l'adolefcence
j'ai garanti des pafiions le cœur de mon
élevé, & quand elles font prêtes .à naître,
j'en recule encore le progrès par des foins
propres à les réprimer. Plus tôt, les leçons
de la fagelie ne fignitàent rien pour l'entans
[14] Miindsment in-4. p. 9. in-i2."p. xxvi.
A M. DE BEAUMONT. îf
hors d'état d'y prendre intérêt , & de les en-
tendre j plus tard , elles ne prenent plus
fur un cœur déjà livré aux palTuns. C ell
au feul moment que )'ai choili qu'elles (ont
utilles i fou pour l'armer ou pour le diftrai-
re , il importe également qu'alors le jeune
homme en loit occupé.
Vous dites: ( i^ ) Four trouver la jeu-
neffe plus docile aux leçons qu'il lui prt'pa-
re , cet Auteur veut quelle Joit dJfuée de
tout prlicipe de Religion. La rai Ton en clt
lîmpie , c'cil ce que je veux qu'elle ait une
Religion , vl' que je ne lui veux rien ap-
prendre dont fun j igemenr ne foit en crat
de Icntir la vérité. Mais m •• . M n^rrgncur,
fî je dif^is : Pour trouver laj^u..ejje plus
docile aux leçons quon lui prépare , qu on
a grand foin de la prendre avar.t l âge de
rai/on j t'erois-je un raifonnemcnt p:us mau-
vais que le vôtre, & feroii-.e un prc.u-
gé bien favorable à ce que vous taiics ap-
prendre aux enhuis? Selon vous,) choi-
lïs l'âge de rai(on pour inculquer i'er-'
reur , ôc vous , vous prévenez (.et âge
pour enfeigner la vérité. Vous vfvus prcf-
îez d'inltruire l'enfant avant qu'il puille dis-
cerner le vrai du taux , & moi )'atiends,
pour le tromper , qu'il foit en état de le con-
noitre. Ce juganent eft-il naturel, 6c le-
quel paroît. chercher à léduue , de celui
(iS) Mandement in-4. p. 7 , in-iz. p. xxiij.
D V
V. LETTRE
•qui ne veiu parler qu'à des hommes , ou de
celui qui s'adielk aux entansî
Vous me cenfurez d'avoir dit & mon-
tré que tout entant qui croit en Dieu efl:
- idolâtre ou antropomorplîire , & vous com-
battez cela en difant [i(î] qu'on ne peut
iuppofer ni l'un ni l'autre d'un entant qui
a reçu une éducation Chrétienne. Voilà ce
qui eft en queftion-, refte à voir la preuve.
La mienne eft que l'éducation la plus Chré-
tienne ne fçauroit donner à Tentant l'enten-
dement qu'il n'ft pas, ni détacher (es idées
Ats êtres matériels, au delîus delquels tant
d'hommes ne (auroient élever les ieurs.
J'en appelle , de plus , à l'expérience :
j'exhorte chacun des lecleurs à contulter
ia mémoire, & à fe rappeller li, lorfqu'il
a cru en Dieu, étan^enfant, il ne s'en ell
pas toujours tait quelque image. Quand
-vous lui dites que la divinité nejl rien de
et qui peut tomber fous les Jens ; ou ionel-
-prit iiO'iblé f^'entend rien , ou il entend
•qu'elle iVell: rien. Quand vous lui parlez
dune intetlig,cnce infinie^ il ne fçait ce que
-c'ell qu'intelligence , & i! fçiit encore
-moins ce que c'eft qxiinjini. Mais vous lui
,ferez répéter après vous les mots qu'il vous
plaira de lui dire ", vous lui tcrcz même
ajouter , s'il le tant j q'Til les entend i
car cela ne coûte guère*, v?c il aime encore
.li6}^.ind;:n:;it :n-4. p. 7, ia-12. p. xxiij.
A M. DE BEAUMONT. 57
mieux dire qu'il les entend que d'être
gronde ou puni. Tous les anciens , ians
excepter les Juifs, ^e font rcprclcntcs Dieu
corporel-, & combien de Chrétiens, iur-
.tout de Catholiques, font encore aujoui-
d'iiui danb ce cas-là? Si vos enfans parlent
comme des hommes , c'efl: parce que le^
hommes -font encore entans. Voilà p^u
quoi les mylieres encaD? ne coûtent ;
rien à perfonne ', les ternies en (v'.'
aulïï faciles à prononcer que J'aut:
des comoJiiés du Chnit anifme •-•
-eft de s'être fait un certain /argon .
fans idées, avec lefqaels oii iatistait ^ ^
hors à la raifon.
Par l'examen de l'intelligence qui mené
à la connoitVance de Dieu , je tr;>uve qu'il
n'eft pas raifonnable de cro're ce'.rc con-
noillance (17) toujours neccfjaire au falut.
Je cite en exemple les infenfés , les entans,
& je mets dans la même dalle les homjnes
dont l'efprit n'a pas aquis afiez de lumières
pour comprendre l'exillence de Dieu. Vous
, dites là défias: (lô) Ne foyons point fur-
pris que l'Auteur d' Emile remette à un temps
Jl recule la connoijfance de texijtencede Dieu\
il ne la. croit pas nécejfaire au falut. Vous
commencez , pour rendre ma procolition
. plus dure , par lupprimer charitablement
[17] Emile, Tome 11. p. 352 > 353-
[18] hhnianir.î -i-.'. p. 9 ,iu-i2 , p. :xm;.
'52 LETTRE
le mot toujours i qui non-feulement la itwïï
difie , mais qui lui aonne un autre fens ,
puilque , félon ma phrafe, cette connoif-
fance ell: ordinairement néceliaire au lalut ,
& qu'elle ne le (eroit jamais , félon, la
la phif.fe que vous me prêtez. Après cette pe-
tite talhhcation , vous pourfu'vcz ainii:
,, 11 eft clair , dit- il , par L'organe d'urt
5, perfonnage chimérique ^ il elt clair que tel
5, homme , parvenu jufqu'à la vielleille fans
„ croire en Dieu , ne (en pas pour cela
3, privé de (a prélen.e dans l'autre, (vous
5, avez omis Icinot de vie) lî fon aveugle-
,, ment n a pas été volontaire , i^ je dis
„ qu'il ne l'ell pas toujours ,,.
Avant de tranicrii-e ici votre remarque,
permettez que je bile la mienne. C'cll: que
ce perfonnage prétendu chimériq'.e , c'eft
moi-même , & non le Vicaire ; que ce paf-
lage que ,yous avez cru être dans la profef-
lioti de toi , n'y eft point , mais dans le corps
même du Livre. Monleigneur, vous lifez
bien légèrement, vous citez bien négligem-
ment les Ecrits que vous riétridez lî dure-
ment \ je trouve qu'un homme en place , qui
cenlure, devroit mettre un peu plus d'exa-
men dans (es jwgemens. Je reprends à pré-
fcnr votre texte.
Remarque^ , M. T. C. F. quil ne s agit
pni \t ici d un lio/nme qui ferait dépourvu de
Vu^age de. fa raifon , mais Uniquement de
celui dont la rat/on , ne J croit point aidée de
A M. DE BEAUMONT. 55/
Vlnjîruclion. Voas aifirnsiez ciilaite ( i^ ) »
qu'une telle prétention eji f'^uver aine ment
ah fur de. Saint Paul ajfure qu entre les Phi-
loJophespaienspLuJieursJoiit parvenus par les
Jiules forces de lu. raijon alaconnoifjanct du.
yrai Dieu -, ^ ià-deilus vous tianlcnvez
fon pallage.
Moii'eignenr , c'eft fotrvent un petit mal
de ne pas entendre un Auteur qu'on l;t»
mais ctn efl: un grand quand on le rétute ,
& un très-gran-i quand on le dift.ime. Or,
vous n'avez piint cnten lu le padage de
mon Livre que vous attnquez ici, de même
que beaucoup d'autres. Le le6tenr )ugera
Il c'eft ma tante ou la vôtre, quand j'aurai
mis le palHige entier fcni? (es yeux.
„ Nous tenons „ ( les P\étorn-ics ) ^, que
„ nul enfalit mort avant l'âge de raiion ne
j, fera privé du bbnbeur éternel. Les Ca-
5, tboliq'.ics croient la même choie de tous
j, les enfansquiont recule Baptême, quoi-
3, qu'ils n'aient jamais entendu parler de
3, Dieu. Il y a donc des cas où l'on peut être
„ Hiiivc Gns croire en Dieu \ Se ces cas ont
„ lieu ,* foit dans l'enfance , ioit dans la dé-
„ mence, quand l'eTprit humain eft incapa-
„ ble des opérations néceiraires pour re-
5, connoître la Divinité. Toute la différen-
3, ce que je vois ici entre vous ôc moi , eft
( 19 ) Maniement in-quarto , p. 10 , in-douze^
p. xxvij.
^40 LETTRE ^
5, que vous prccefidez que les enbns ont a
„ fept ans cette capacité , & que je ne la
5, leur accorde pas mcrae à quinze. Que
5, j'aie tore ou raifon , il ne s'agit pas ici
„ d'un article de foi, mais d'une lîmple o|?-
„ fervation d'hidoire naturelle.
„ Par le mcme principe , il cil clair que tel
55 aomme, parvemi jufqu'à la vieillelb lans
croire en Dieu, ne fera pas pour celapri-
vié de Cx préfence dans l'autre vie, fi ion
aveuglement n'a pas été volontaire •, & je
dis qu'jl ne relt pas toujours. Vous en-
convenez pour les infeiîfés qu'une maladie
prive de leurs facultés fpirituelles, mais
non de leur qualité d'hommes, ni par con-
féquent du droit aux bientaits de leur
l. Créateur. Pourquoi donc n'en pas con-
„ venir aullî pour ceux qui, iéqueftrés de
„ toute fociété dès lein- enfance , auroient
3, mené une vie abfolumcni fauvage, privés
3, des lumières qu'on n'acquiert que dans le
,, commerce des hommes? Car il ell: d'une
5, impoHibilité démontrée qu'un' pareil fau-
5, vage pût jamais élever fcs ré.^exions juf-
„ qu'à la connoiûance du vrai Bien. La
„ raifon nous dit qu'un homme n'efl: punil-
„ fable que pour les fiutes de fa volonté ,
3, qu'une ignorance invincible ne lui fçiu-
„ roit être imputée à crime. D'où il iùit
5, que devant la Juftice éternelle tout hcm-
•„ me qui croiroit , s'il avoit les lumières né-
„ ceffaires , eft réputé croire , ic qu'il n'y
A M. DE BEAU M ONT. 4f
5^ aura d'incrédules punis que ceux dont le
j, cœur fe terme à la vérité,,. jE/n//^, T. II,
pnge Jfi &fuiv.
Voilà mon pallage entier, fur lequel vo-
tre erreur faute aux yeux. Elle coniirte en
ce que vous avez entendu ou fait entendre
que félon moi , il falloit avoir été indruit
de l'cxiilence de Dieu pour y croire. Ma
penfce eft fort différente. Je dis qu'il faut
avoir l'entendement développé , & l'efpric-
cultivé jufqu'à certain point pour erre en
état de c'omprendre les preuves de l'exiftetl-
ce de Dieu , & fur-tout pour les trouver
de foi même, fans en avoir jamais entendu
parler. Je parle des hommes barbares ou
fiuvagcs." vous m'alléguez des Philofophes:
je dis qu'il taut avoir acquis quelque Philofo-
phie pour s'élever aux notions du vrai Dieu;
vous citez Saint Paul qui reconoît que
quelques Philofophcs païens fe font élevés
aux notions du vrai Dieu : je dis que tel
homme groiTier n'elf pas loujoursen état de
fe former de Uii-mcme une idée jufte de la
Divinité \ vous dites que les hommes inll'ruits
font en état de fe former une idée jufte de
la Divinité-, «îk: fur cette -unique preuve ,
mon opinion vous paruît fouverainemenc
abfurde. Quoi ! parce qu'un Docteur en
Droit doit fçavoir les loix de fon pays,
eft-il ablurde de fuppofer qu'un enfant qui
ne fçiit pas lire a pu les ignorer ?
Quand un Auteur ne veut pas fe répc-«
\t LETTRE
ter fans cefle , k. qu'il a une fois établi
clairem~nc Ton lentimsm Uir une matière,
il n'elt pas tenu de raporcer toujours les
mêmes preuves en rationnant (ur le même
fcniiment. Ses Ecrits s'expliquent alors les
uns par les autres \ Se les derniers , quand
il a de la méthode, TuppoTent toujours les
premiers. Voiià ce que j'ai toujours tache
de taire. Se ce que j'ai tait, fur- tout dans
Toccalion do.u il s'agit.
Vous fuppoilz , ainli que ceux qui trai-
tent <-!e ces matières , que l'hiMr.me appor-
te avec lui fa railon toute formée , Se qu'il
ne s'agit que ie la mettre en œuvre. Or
cela iVeH: pas vrai-, car l'une des acquittions
de l'homme, & même des plus lentes, eft
la raif^n. L homme apprend avoir des yeux
de l'elprit , ainli que des yeux du corps •-,
mais le premier apprentilTage eft bien plus
long que l'autre ,• parce que les rapports
des objets intelieÂuels ne fe mefuraiu pas
coiTime l'étendue , ne fe trouvent que par
eftimation , & que nos premiers beloins ', nos
befoins phifiqucs , ne nous rendent pas
l'examen de ces mêmes objets lî intcrellant
Il faut apprendre à voir deux objets àlatoisj
il faut apprendre à les comparer entre eux -,
îl faut apprendre a comparer les objets en
grand nombre, à rem» nter par de^^rés aux
caufes , à les fuivre dans leurs effets; il taut
avoir combine des infinités de rapports pour
ac<jacni: des idées de convenance , de gro-
A M. DE BEAUMONT. 4^
portion , d'harmonie & d'ordre. L'homme
qui , privé du fecours de les femblables , ôc
i'ans ceffe occupé de pourvoir à Tes befoins ,
eft' réduit en toute choie à la leule marche
de les propres idées, fait un progrès bien
lent de ce côté- là: il vieillit & meurt avant
d'être forti de l'enfance , de la raifon. Pou-
vez-vous croire de bonne foi que d'un mil-
lion d'hommes élevés de cette manière ^
il y en eût un feul qui vînt à penfer à
Dieu?
L'ordre de l'Univers , tout admirable
qu'il eft ne frappe pas également tous les
yeux. Le peuple y fait peu d'attention ,
manquant des connoilTances qui rendent cet
ordre fenlible, Se n'ayant point appris à ré-
fléchir fur ce qu'il apperçoit. Ce n'eft ni
cndurcilTement, ni mauvaife volonté ; c'ell
ignorance , engourdilTement d'efprit. La
moindre méditation fatigue ces gens- là 3
comm.e le moindre travail des bras fati-
gue un homme dé cabinet. Ils ont oui
parler des œuvres de Dieu ôc des nier-
veilles de la nature. Ils répètent les mêmes
mots fans y joindre les mêmes idées , de
ils font peu touchés de tout ce qui peut
élever le fage à fon créateur. Or h parmi
nous le. peuple , à portée de tant d'inflruc-
tions , efl: encore fi ftupide , que feront ces
pauvres gens abandonnés à eux-mêmes dès
leur enfance , & qui n'ont jamais rien ap-
pris d'autrtii î Croyez-vous ^u'uii Gafre oi,
:44 LETTRE
un Lapon philofophe 'beaucoup fur la mar-
che da monde , & fur la génération des
chof-^s? Encore les Lapons ik les Catr.es ,
vivant en corps de Nations, ont ils des mul-
titudes d'idées acquifes Se communiquées ,
à l'aide deiqueîles ils acquièrent quelques
notions groificres d'une Divmité: ils ont,
en quelque taçon , leur Catcchilme : mais
l'homme fauvage, errant feul dans les bois,
n'en a point du tout. Cet homme n'exillo
pas, direz-vous j Toit: mais il peut exiiler
par fuppoiîtion. Il exifte certainement des
hommes qui n'ont jamais eu d'entretien phi-
lofophique en leur vie , ëc dont tout le
temps fe confumeàcherher leur nourriture,
la dévorer 6c dormir. Que terons-nous
de ces hommes- là , des EsKiniaux , pai*
exemple? En terons-nous des Théologiens?
Mon feiitiment elT: donc que i'efprit de
l'homme , fans progrès , fans inftruclion ,
fans culture, & tel qu'il iort des mains de
la nature , ncd pas en état de s'élever d^
lui-même aux fublimes notions de la Divi-
nité : mais que ces notions (e préfentenc
à nous à mefure que notre elprit le cul-
tive j qu'aux yeux de tout homme qui a pen-
ré , qui a réRéchi , Dieu fe manitefte dans
fes ouvrages , qu'il fe révèle aux gens^
éclairés dans le fpedtacle de la nature^ qu'il
fiîut, quand on a les yeux ouverts , les ter-
mer pour ne Ty pas voir; que tout Philo-
Tophe Athée eft un raifonneur de mauvaife
A M. DE BEAUMONT. 4?
foi , ou que Ton orgueil aveugle j mais
qu'aufll tel homme ftupide & groiîier, quoi-
que funple de vrai, tel efpric fans erreur &:
(ans vices, peut, par une ignorance invo-
lontaire, ne pas remonter à l'Auteur de Ton
Etre, de ne pas concevoir ce que c'efl: que
Dieu , fans que cette ignorance le rende
puniflablc d'un défaut auquel Ton cœur n'a
point confcnti. Celui-ci n'eft pas éclairé,
Se l'autre rcfufe de l'être : cela me paroît
fort diftcrent.
Appliquez à ce fentiment votre paflage
de S. Paul, &c vous venez qu'au lieu de
Je combattre, il le favoriic ; vous verrez
que ce pafl'age tombe uniquement fur ces
fages prétendus, à qui ce qui peut être connu
de Dieu a été manifejlé ^ à qui la conf.déra.-
tion des chofes qui ont été faites des la.
création du monde j a rendu vijîble ce qui ejl
invifihle enDieu\ mais qui ne V ayant point
glorifié y & ne lui ayant point rendu grâces ,
fe font perdus dans la vanité de leur raifon^
nement ^ &, ainlî demeurés fans excule, en
Je difantfageSyfont devenus fous. La raifon
fur laquelle l'Apôtre réproche aux Philofo-
phes de n'avoir pas gloriiié le vrai Dieu,
n'étant point applicable à ma fupofition,
forme une induction toute en ma tavcur ;
elle confirme ce que j'ai dit moi- mêine, que
tout (2.0) Philojophe qui ne croit t pas ^ &
(20) Emile, Tome II, p. 35a,
i^(î LETTRE
tort , parce qu'il ufe mal de La ra'ifon quil a
cultivée y & qu'il ejl en état d'ei. tendre les
ventés quil rejette : elle montre enfin , par
le pallage même , que vous ne m'avez point
entendu \ & quand vous m'imputez d'a-
voir dit ce que je n'ai dit ni penfé , fça-
voir que l'on ne croit en Dieu que fur l'au-
torîté d'autrui (zi), vous avez tellement
torr , qu'au contraire je n'ai fait que diftin-
guer les cas où l'on peut connoiire Dieu par
fôi-mcme, & les cas où l'on ne le peut que
par le fecours d'autrui.
. Au refte, quand vous auriez raifon dans
cette critique , quand vous auriez (olidement
réfuté mon opinion, il ne s'enfuivroit pas
de cela feul qu'elle fût fouverainement ab-
furdei comm.e il vous plaît de la qualifier:
on peut fe tromper fans tomber dans l'ex-
travagance , & toute erreur n'eft pas une
abfurdité. Mon refpedt pour vous me ren-
dra moins prodigue d'épithetes, & ce ne
fera pas ma faute fi le kdeur trouve à les
placer.
Toujours avec l'arrangement de cenfurer
fans entendre , vous pafiez d'une nnputa-
tion grave & huile , à une autre qui l'eO:
( 21 ) M. de Beaumont ne dit pas cela en pro-
pres termes ,• mais c'efl le k\\\ fens pifonnable
qu'on puiflTe donnera fon texte, appuyé du paf-
fage de Saint Paul ; & je ne pu's répondre qu'à
ce que j'entends. Voye'^ Ton Mandement in-quar-
to , pag. 10, in-douze, pag. xxyij.
A M. DE BEAUMONT. 47
encore plus j 6c après m'avou- injuftement
accLifé de nier l'évidence de la Divinité ,
vous m'accuiez pius injuftement d'en avoir
révoque i'unité en doute. Vous Lites plus,
vous prenez la peine d'entrer là delTus en
difcuffion , contre votre ordinaire ^ & le feul
endroit de votre Mandement, où vous avez
raifon, ell: celui où vous rétuiez une extra-,
vagance que je n'ai pas dite.
Voici le partage que vous attaquez, ou
plutôt votre patlage où vous rapportez le
mien ; car il taut que le ledeur me voie en-
tre vos mains.
„ (21 ) Je fçi[s,jyfait-il dire auperjonnage
Juppofé qui lui ferf d'organe \ " je (çais qiie
„ le monde eft gouverné par une volonté
5, puillante fage j je le vois, ou plutôt je
„ le lens,& cela m'importe àfçavoirj mais
„ ce même monde eft-il éternel ou créé?
5, Y a-t-il un principe unique des chofes?
„ Y en a-t-il deux ou plufîeurs , & quelle
„ efl: leur nature ? Je n'en fçais rien , &
„ que m'importe ? . . . . ( 23 ) je renonce à
5, des queftions oifeufes , qui peuvent in-
„ quiéter mon amour propre, mais qui font
(22) Mandement in-quarto , page 10, in-dou-
ze, page xxix,
(23 ) Ces points indiquent une lacune de deux
lignes , par Icfquelles le paflagj lÛ teiitpété ,
&que M. de Beaumont n'a pas voulu tranfcri-
re. Vojei Emile , Tome III. page 61.
X% LETTRE
jj inutiles à ma conduite , & fiipcrieiirs à
„ ma raifon. ,,
J'obfcrve, en palîint, qne voici la fécon-
de tois que vous qualifiez le Prêtre Savoyard
de perfonnage chimérique ou luppotc. Com-
ment êtes vous inftruit de cela, je vous fup*
plie J j'ai affirmé ce que je fçavois -, vous
niez ce que vous ne fçavez pas , qui des deux
eft le téméraire 't On fçait , j'en conviens ,
qu'il y a peu de Prêtres qui croient en Dieu ,
mais encore n'ell:-il pas prouvé qu'il n'y en
ait point du tout 1 Je reprends votre texte.
(24). Que veut donc dire cet Auteur té-
meraire f Lhinité de Dieu lui paraît
une quejlion oifeufe &■ fupérieure à fa raifojiy
comme Ji la multiplicité des Dieux n ctoit
pas la plus grande des ahfurdités. " La
„ pluralité des Dieux ,, , dit energiqueme nt
Tertullien " eft une nullité de Dieu ,» >
admettre un Dieu , c'ejl admettre un Etre
Juprème & indépendant, auquel tous les au-
tres Etres J oient fuhordonnés ( 1^ ). Il im-
plique donc quil y ait plujieurs Dieux.
(24) Mz/zJe/ne/zt in-quarto, p. 11, in-12 p. xxix.
[25] Tertullien fa't ici un fophirne très fa-
milier aux Percs deTEglile. H définit le mot Di-
eu félon les Cl^.ritiens , 6c puis il accule les Pa-
ïens de contradidLon , parce que , contre ili dé-
finition , ils admjttent plufieurs Dieux. Ce n'é-
toit pas la peine de m'imputer une erreur que
je n'ai pas commife, uniquement pour citer II
hors de propos un fophifme de Tertulien.
A M. DE BEAUMONT. 49
Mais qui ePc-ce qui dit qu'il y a plufieurs
Di€ux ? Ah, Mcnfeigneur ! vous voudriez
bien quej'eulls dit de pareilles follies j vous
n'auriez fûrement pas pris la peine de faire
un Mandement centre moi.
Je ne fçais ni pourquoi ni comment ce
qui eft, eft-, & bien d'autres, qui fepiquent
de le dire, nelefçavent pas mieux que moi.
Mais je vois qu'il n> a qu'une première
caufe motrice, puifque tout concourt fen-
fiblement aux mêmes hns. Je reconnois donc
une volonté unique & fuprême qui dirige
tout i & une puiilance unique & fuprême
qui exécute tout. J'attribue cette puiilan-
ce 6c cette volonté au même être , à cait-
fe de leur parfa-.t accord qui fe conçoit
mieux dans un que dans deux , & parce
qu'il ne faut pas fans raifon multiplier les
Etre5 : car le mal même que nous voyons
a'efl: point un mal abfolu , & loin de com-
battre direclcment Is bien , il concourt
avec lui à l'harmonie univerfelle.
Mais ce par quoi^les chofes {ont, fe dif-
tingue trcs-ncttemcnt fous deux idées ', fça-
voir , la chofe qui fait & la chofe qui eft
faite -, même ces deux idées ne fe réunirent
pas dans le iirême Etre fans quelque effort
d'efprit, & l'on ne conçoit guère une cho-
fe qui agit , fans fuppoler une autre fur
laquelle elle agit. De plus , il cft certain que
nous avons l'idée de deux fabftances dif-
lindbts -, fçavoir l'efprit ôc la matière j ce
'^o LETTRE
qui penfe , de ce qui eft étendu-, Se ces deux
idées fe conçoivent irès-bien l'une fans
i'autre.
Il y a donc deux manières de concevoir
l'origine des chofesj fçavoir ou dans deux
caufes diverfes , l'une vive & l'autre mor-
te f l'une motrice Se l'autre mue , l'une ac-
tive & l'autre paflive , l'une efficiente Se
l'autre inftrumentale -, ou dans une caufe
unique qui tire d'elle feule tout ce qui eft
& tout ce qui fe fait. Chacun de ces deux
fentimens débattus par les Métaphyhciens
depuis tant de ficelés , n'en eft pas devenu
plus croyable à la raifon humaine : Se li
î'exiftence éternelle Se nécelfaire de la ma-
tière a pour nous fes difficultés, fa création
n'en a pas de moindres -, puifque tant d'hom-
mes Se de Philofophes , qui dans tous les
tems ont médité fur ce fujet , ont tous
unanimement rejette la poflïbilité de la
création , excepte peut-être un très-petit
nombre qui paroilTent avoir finccrement fou-
rnis leur raifon à l'autorité ; (incérité que les
motifs de leur intérêt , de leur fureté , de
leur repos , rendent fort fulpecfce. Se dont
il fera toujours impoifible de s'allurcr, tant
que l'on rifquera quelque chofe à parler
vrai.
Suppofc qu'il y ait un principe éternel Se
unique des chofes, ce principe étant fimplc
dans fon elïence , n'cfl: pas compofé de ma-
tière Se d'efprit ^ mais il efl matière ou ef-
prit
'A M. DE BEAUMONT. u
prit feulement. Sur les raifons déduites pac
le Vicaire , il ne fçauroit concevoir que ce
pincipe foit matière i ik s'il eft efprit , il ne
fçauroit concevoir que par lui la matière
ait reçu l'Etre : car il faudroit pour cela
concevoir la création -, or l'idée de créa-
tion , l'idée fous laquelle on conçoit que
par un ùmple acte de volonté rien devient
quelque chofe , eft de toutes les idées qui
ne font pas clairement contradidoires , la
îtioins compréhenfible à l'efprit humain.
Arrêté de deux côtés par ces diffiaihés ,
le bon Prctre demeure indécis , & ne fe
tourmente point d'un doute de pure fpécu-
Jation , qui n'influe en aucune manière fur
fes devoirs en ce monde -, car enfin , que
m'importe d'expliquer l'origine des êtres ,
pourvu que je fçache comment ils fubfiftent,
quelle place j'y dois remplir , ôc en vertu"
de quoi cette obligation m'eft impofée?
Mais fuppofer deux principes ( 2.6 ) des
cbofes*, fuppoiîtion que pourtant le Vicai-
ne fait point , ce n'ed pas pour cela fup-
pofer deux Dieux , à moins que , comme les
Manichéens on ne fuppofe aufli ces prin-
cipes tous deux adifs .• dodrine abfolument
(26) Celui qui ne connoît que deux fubf-
tauces , ne peut non plus imaginer que deux
principes , & le terme , ou plufieurs , ajouté
dins l'endroit cité , n'efl-là qu'une efpece d ex-
plétif fcrvant tout au plus à faire entendre que
le nombre de ces principes n'importe pas plus
à connoître que leur nature. E
51 ^ ^ L E T T R E
contraire à celle du Vicaire , qui très-po-
htivcment , n'admet qu'une inte'.l gence
première, qu'un feul principe a6lif , & par
conféquent qu'un feul Dieu.
J'avoue bien que Ja création du monde
étant clairement énoncée dans nos traduc-
tions de la Génefe, la rejetter po(uivement
fcroit à cet égard rejetter l'autorité , fi non
des Livres facrés, au moins des traductions
qu'on nous en donne -, & c'eft: aulTi ce qui
lient le Vicaire dans un doute qu'il n'auroit
peut-être pas (ans cette autorité: car d'ail-
leurs la coexiftance des deux principes (17)
femble expliquer mieux la conftitution de
l'univers , &c lever des difficultés qu'on a
peine à réfoudre fans elle, comme entre
autres celle de l'origine du mal. De plus,
il faudroit entendre parfaitement l'Hébreu
&même avoir été contemporain de M oyfe,
_ ( 27 ). Il eiï bon de reinarqUw=r que cette quef-
tion de réternité de la matière , qui effarou-
che n fort no; Théologiens, effarouchoit aifez
peu les Pères de TEglife , moins éloignés des
fentiments de Platon. Sans parler de Jultin Mar-
tyr, d'Origine, <S: d'autres, Clément Ak-xan-
drin prend fi bien l'affiraiative dans les Hypo-
potipofes , que Photiu-; veut, à caule décela,
que ce Livre ait été faîfifié. Mais le même fen-
timect reparoît encore dans les StrouT^tes, où
Clément rapporte celui d'Heraclite ians l'im-
prouver. Ce" Père , Liv. V. tâche à la vérité d'e'-
tablir un feul principe , mais c'eft parcequ'il re-
fufe ce nom à la matière, même eu admettant
une éternité.
1 M. DE BEAUMONT. f^
Cour fçavoir certainement quel fens il a
«lonné au mot qu'on nous rend par le mot
£rea. Ce terme eft trop philofophique pour
avoir eu dans {on origine l'acception con-
nue ik populaire que nous lui donnons
maintenant (ur la foi de nos dcdeurs. Cet-
te acception a pu changer & tromper mè-
îne les Septante, déjà imbus des que/lions
d-elaPhilofophie Grecque. Rien n'eft moins
rare que des mots dont le fens change par
traits de tems, & qui font attribuer aux an-
ciens Auteurs qui s'en font fcrvis, des idées
qu'ils n'ont point eues. Il eft très-douteux
que le mot Grec ait eu le Tens qu'il nous
plaît de lui donner j & il eft très-certain,
que le mot Latin n'a point eu ce même
lens , puifque Lucrèce, qui nie formelle-
nient la poffibilité de toute création , ne
hiih pas d'employer fouvcnt le même terme
pour exprimer la formation de l'Univers ÔC
de Ces parties. Enfin M. Beaufobre a prou-
vé ( 18 ) que la notion de la création ne
le trouve point dans l'ancienne Théolo-
gie Judaïque -, & vous êtes trop inftruit
Monfcigneur, pour ignorer que beaucoup
d'hommes pleins de refpcâ: pour nos Li-
■ vres facrés, n'ont cependant point reconnu
dans le récit de Moyfe l'abfolue création de
rUnivers. Ainfi le Vicaire, à qui.lc Defpo-
tifmedes Théologiens n'en impofe pas, peut
très-bien , fans en être moins orthodoxe
(28) Hift. du Manichcifme, Tome II
Eij
çv LETTRE
douter s'il y a deux principes éternels des
choies , ou s'il n'y en a qu'un. C'eil un dé-
bat purement grammatical ou pliilolophi-
que, où la révélation n'entre pour rien.
Quoi qu'il en foit , ce n'eft pas de cela
qu'U s'agit entre nous ^ & Tans (outenir les
fentimens du Vicaire , je n'ai rien a taire
ici qu'à montrer , vos torts. _ ^
Or vous avez tort d'avancer que 1 umte
de Dieu me paroit une queftton oileule c^
fiipévieure à la raiCon -, puifque dans i L-
cnt que vous cenfurez , cette umte elt éta-
blie & foutenue par le raifonnement^ ëc
vous avez tort de vous étayer d'un paliage
de Tertullien , pour conclure contre moi
qu^l implique qu'il y ait plufieurs Dieux ;
car fans avoir befoin de Tertulien, je conclus
auffi de mon côté qu'il implique qu il y ait
niufieurs Dieux. ,
Vous aveî tort de me qualifier pour cela
d'Auteur téméraire, puifqu'ou il n 7^ po^^^
d'allertion , il n'y a point de temerite. On
ne peut concevoir qu'une Auteur foit un té-
méraire , uniquement pour être moins hardi
ûue vous. . • u- ,
Enha vous avez tort de croire avoir bien
juftihé les dogmes pariiculiers qui donnent
à Dieu les paiTions humaines, èc qm, loin
d'cclaicir les notions du gr.nd Etre , les
embrouillent & les aviliHent en m at.u-
fài Li'T^ment d'embrouiller Se d'avilir moi-
A M. DE BEAUMONT. n
l'effence divine que )e n'ai point attaquée ,
& de révoquer en doute Ton unité que je
n'ai point révoquée en doute. Si je Pavois
fait, que s'enfuivroit-il ? Récriiraner n'efl:
pas fe juftifier/ mais celui qui , pour toute
défenfe , ne fçait que récriminer à faux ,
a bien l'air d'être feul coupable.
La contradidion que vous me reprochez
dans le même lieu eft tout auffi bien fon-
dée que la précédente occafion. IL ne fçait ,
dites- vous , quelle eft lu nature de Dieu ,
C^ bientôt après il reconnaît que cet Etrefu-
prême ef doue d'intelligence , de puifance ,
de volonté & de bonté ; nef-ce donc pas-là
avoir une idée de la nature divine î
Voici , Monfeigneur , là deflus , ce que
j'ai à vous dire.
„ Dieu eft intelligent ; mais comment
5, l'eft-il î L'homme eft intelligent quand il
„ raifonne , &: la fuprême intelligence n'a
„ pas befoin deraifonner i il n'y a pour elle
„ ni prémices, ni conféquence, il n'y a pas
5, même de propoiîtion ^ elle eft purement
„ intuitive, elle voit également tout ce qui
5, eft & tout ce qui peut être -, toutes les
„ vérités ne font pour elle qu'une feule
„ idée , comme tous les lieux un feul point ,
,, tous les tems un feul moment. La puif-
5, fance humaine agit par des moyens , la
„ puilTance divine agit par elle-même. D[cu
j, peut , parce qu'il veut j fa volonté tait
„ fon pouvoir. Dieu eft bon, rien n'eft plus
Eiij
•f^ LETTRE
,,. mnnifeftc-, mais Li bonté dans l'homme >
i .imoLir de Tes (emblables , ôc la bonté
., de Dieu, ert l'amour de l'ordre; car c'eft
„ par l'ordre qu'il maintient ce qui exifte ,
„ ôc lie chaque partie avec le tout. Dieu
„ eft jufte , j'en fuis convaincu , c'eft
j, une luite de (a bonté ; rmjuflice des hora-
j, mes eft leur œuvre Se non pas la tienne ; .
,, le dcfordre moral qui dépofe contre la pro-
3, vidence aux yeux des Philofophes , ne
,, fait que la démontrer aux miens. Maisla
„ juftice de l'homme eft de rendre à cha-
3, cun ce qui lui appartient , ôc la juftice
„ de Dieu de demander compte à chacun
.,, de ce qu'il lui a donné.
,, Que i\ je viens à découvrir fucceflive-
j, ment les attributs dont je n'ai nulle idée
,, abfolue , c'eft par des confequences tor-
j, cées, c'eft par le bonufagede ma railon,
„ mais je les affirme fans les comprendre :
,5 & dans le tond , c'eft n'affirmer rien. J'ai
yy beau me dire , Dieu eft ainfi ; je le fens, je
3, me le prouve: je n'en conçois pas mieux
), comment Dieu peut être ainfi,
„ Enfin , plus je m'eForce de contempler
3, fon eftence iniînie , moins je la conçois.*
,, mais clic eft , cela me fuffit : moins je la
„ conçois, plus je l'adore. Je m'humilie, 6c
„ lui dis: Etre des Etres, je fuis parce que
3, tu es ; c'eft m'clcver à ma fource que de te
„ méditer fans cciTe. Le plus digne uGgc
5, de maraifon cft de s'anéantir devanitoi;
'A M. DE BÊkVMONT. sJ
^, c'efl; mon ravillcmcnr d'efprif, c'eft le
„ chnrmc^de ma toiblefle, de me fentir ac-
„ cable de ta grandeur,,.
Voiiàmaréponfe, & jelacroispéremptoi-
re. Faut-il vous due à préfent où jeTaipri-
feî Je l'ai tirée mot à mot de l'endroit mê-
ine que vous accufez de contradid:ion ( 29 ).
Vous en ufez comme tous mes adverfaires
qui, pour me réfuter, ne font qu'écrire \zs
ob)ed;i"«ns que je me fuis taites , fuppri-
mermes folutions. La réponfe eft déjà toute
prête j c'eft l'ouvrage qu'ils ont rctuté.
Nous avançons , Monfeigneur , vers \z^
difcuflions les plus importantes.
Après avoir attaqué mon Syftéme & mon
Livre, vous attaquez auiîi ma Religion,
& parceque le Vicaire Catholique fait des
objedions contre Ton Eglife, vous cherchez
à me faire paffer pour Ennemi de la mienne ,
com.me fi propofer des difficultés fur un
fentiment , c'ctoit y renoncer \ comme fi
toute connoillance humaine n'avoir pas les
fiennes \ comme fi la Géométrie elle-même
n'en avoir pas , ou que les Géomètres fe
fillenr une loi de les raire pour ne pas nuire
à la certitude de leur art.
La réponfe que j'ai d'avance à vous fai-
re, eft de vous déclarer avec ma franchife
ordinaire mes fentimens en matière de Re-
ligion , tels que je les ai profelTés dans tous
£29] Emile, Tome IIL page 94 & fuiv.
Eiv
^î?»
58 ^ i: E T T R E
mes Ecrits , Se tels qu'ils ont toujours étc
dins mi bouchs :k dans mon cœur. Je vous
dirai de plus pourquoi j'ai public la profef-
fîon de foi du Vicaire, & pourquoi mal-
gré tant de calmeurs , je le tiendrai toujours
pour l'Ecrit le meilleur &c le plus utile dans
le liecle où je l'ai publié. Les bûchers ni les
décrets ne me feront point changer de lan-
gage*, les Théologiens, en m'ordonnant d'é-
n-e humble ne me feront point être faux ,
ôc les Philofophes, en me taxant d'ypocri-
fîe, ne me feront point profefler l'incrédulî-
té. Je dirai ma P^eligion, parce que j'en ^i
une , ôc )e le dirai hautement , parce que j'ai
le courage de le dire , ôc qu'il feroit à dclirec
pour le bien des hommes que ce fut celle
du genre humain.
Monfeigneur , je fuis Chrétien , Sc fin-
cerement Chrétien félon la dodlrine de l'E-
vangile. Je fuis Chrétien , non comme un
difciple des Prêtres, mais comme un difci-
ple de Jefus-Chrifl. Mon Maître a peu fub-
tilifé fur le dogme, de beaucoup infifté fur
les devoirs -, il prefcrivoit moins d'articles
d foi que de bonnes œuvres •, il n'ordon-
nait de croire que ce qui étoit nécclTaire
pour être bon ; quand il réfumoit la Loi
^ les Prophètes , c'étoit bien plus dans des
ades de vertu que dans des formules de
croyance (io), !^: il m'a dit par lui-raê-:
C3o]MAtth. VIL 12.
A M. DE BEAUMONT. 0
me Se pac Tes Apôtres , que celui q^i aime
fon trere a accompli la Loi (31).
Moi de mon coté , très-convamcit des
vérités eQenvielles du Chriftiamlme , lel-
quelles fervevu de fondement à toute bon-
ne morale, cherchant au furplus à nourrir
mon cœur de l'efprit de l'Evangile fans tour-
menter ma raifon de ce qui m'y paroît obl-
cur -, enfin perfuadé que quiconque aime
Dieu par deflus toutes chofes, & Ton pro-
chain comme foi-mcme , cil un vrai Chré-
tien-, je m'efforce de l'être, laiflant a part
toutes ces fubtilités de doctrine, tous ces
importans galimathias dont les Phariliens
embrouillent nos devoirs, & ofFulquent no-
tre foi, & mettant avec Saint Paul la toi
même au deflous de la charité (31).
Heureux d'être né dans la Religion la
pins raifonnable & la plus fainte qui (oit
fur la terre, je refte inviolablement attache
au culte de mes Pères : comme eux je
prends l'Ecriture & la railon pour les uni-
qwes règles de ma croyance -, comme eux fe
récufe l'autorité des hommes , & n'f u-
tends me foumettre à leurs formules qu au-
tant que l'en apperçois la vérité -, comme
eux je me réunis de cœur avec les vrais ler-
viteurs de Jefus-Chrift, & les vrais adora-
teurs de Dieu j pour lui offrir dans la com-
«
(31) Galnt. V. 24.
(32) I. Cor. XIII. 2. 13.
Ev
^o LETTRE
liiunion des fidèles les hommages de Ton
Eglile. Il m'eft coniolani &c doux d'être
compté parmi fes membres, de participer
au culte public qu'ils rendent à la Divinité ,
&c de me dire au milieu d'eux: je fuis avec
mes treres.
Pénétré de reconnoiffance pour le digne
Palpeur qui , réliftant au torrent de l'exem-
ple , & jugeant dans la vérité, n'a point
exclu de l'Eglife un dél:enreur de la caufe
de Dieu, je conlerverai toute ma vie un
tendre fouvenir de C\ charité vraiment chré-
tienne. Je me terai toujours une gloire d'c-
tre compté dans Ton troupeau j de j'efpere
n'en point fcandalifer les membres, ni par
mes feniimens , ni par ma conduite. Mais
lorfque d'injuftes Prêtres , s'arrogeant des
droits qu'ils n'ont pas, voudront le taire les
arbitres de ma croyance , ôc viendront me
dire arrogament : rétradez-vous , dégui-
(ez-vous, expliquez ceci, défavouez cela;
leurs hauteurs ne m'en impoferont point ^ Se
ils ne me teront point mentir pour être or-
thodoxe, ni dire, pour leur plaire, ce que
je ne penfe pas. Que fi ma véracité les oft'en-
iSyÔc qu'ils veuillent me retrancher de l'E-
glife , je craindrai peu cette menace dont
l'exécution n'ell pas en leur pouvoir. Ils ne
m'empêcheront pas d'être uni de cœur avec
les hdeles, ils ne m'oteront pas du rang des
Elus lî j'y fuis infcrif. Ils peuvent m'en ôcec
les confolations dans cette vie, mais non ref-
AM. DEBEAUMONT. (?t
poir dans celle qui doit la fuivre & c elt a
que mon vœu le plus ardent & le plus fui-
cere , eft d'avoir Jefus-Chrift même pour art
bitre & pour Juge entr'eux ik mou
Tels font , Monfeigneur . mes vrais kn-
timcns, que je ne donne pour règle a
perlonne , mais que je déclare être les
Liens, & qui reftcront tels tant qui plat
ra, non aux ^^ommes, mais a Dieu, le l
niaître de changer mon cœur & ma lailon .
car auffi long-tems que )e ferai ce que )e
fuis, & que je penferai comme )e P^nle ,
e pillerai comme je parle. Bien diflerent ,
e vous l'avoue, de vos Chrétiens en cft-.
gie , toujours prêts à croire ce qu il taut
Croire, ou à dire ce quMltaut dire poiu-
leur intérêt ou pour leur repos , cV tou^
ours fûrs d'ccre affez bons Chrétiens,
pourvu qu'on ne brûle pas leurs Livres, 6c
■ qu'ils ne foient pas décrétés Ils vivent en
gens perfuadés que non-feulement il tai c
confelîer tel & tel article, mais que cela
fuffit pour aller en Paradis ; & moi )e?en-
fe, au contraire, que lelTennel de la Re-
ligion confifte en pratique i que non-leule-
ment il faut être homme de bjen , mi-
féricordieux , humain , charitable ; .mais
que quiconque eft vraiment tel , en croit al-
hz pour être fauve. J'avoue , au rcftc ,
que leur dodrine eft plus commoae que ia
nV.ennc , & qu'il en coûte bien moins
de fe m.etir€ au nomore des tidci.s
^2. LETTRE
par des opiiîrorrs que par des vertirs.
Que fi j'ai du garder cç.s fentimens poor
moi feul, comme ils ne ceflenc de le dire ;
11, lorfque j'ai eu le courage de les publier
ic de me nommer, j'ai attaque les Loix ,
& troublé l'ordre public , c'efl: ce que
^examinerai tout-à-l'heure. Mais qu'il me
loit permis auparavant de vous fupplier^
Monfeigneur , vous & tous ceux qui li-
ront cet écrit , d'ajouter quelque foi aux
déclarations d'un ami de la vérité , & de
he pas imiter ceux qui , fans preuve , fans
vraifemblance , de fur le feul témoignage
de leur propre cœur , m'accufent d'athéif-
me & d'irréligion contre des proteftations
il politives, & que rien de ma part n'a ja-
mais démenties. Je n'ai pas trop , ce me
iemble , Pair d'un homme qui fe dcgui-
.'^ i^ neft pas aifé de voir quel inté-'"
rct j'aurois à me d^guifer ainiï. L'on doit
prcfumer que celui qui s'exprime fî librc-
ment fur ce qu'il ne croit pas, eft fince-
re en ce qu'il dit croire, & quand Ces dif-
cours, fa conduite & fes Ecrits font toa-
J01.U-S d'accord fur ce point , quiconque ofe
atnrmer qu'il ment , & n'eft pas un Dieu,
ment infailliblement lui-même.
Je n'ai pas toujours eu le bonheur de vivre
leul. J'ai tréqucntc des hommes de toute
e.pece. J'ai vu des gcMis de tous les partis,
desCi-oyans de toutes les fcdcs , des ef-
pcits torts de tous les iîyftèmes : j'ai vu des
A M. DE BEAUMONT. ^^
■grands, des petits, des libertins , des phi-
lofophes. J'ai eu des amis fûrs , ôc d'autres
qui rétoient moins: j'ai été environné
d'efpions & demalveuillans , ôc le monde
efl: plein des gens qui m^aï&ent à caufe du
mal qu'ils m'ont tait. Je ks abjure taus,
quels qu'ils puilTent être , de déclarer au
public ce qu'ils fçavent de ma croyance eiî
matière de Religion; fi dans le commerce le
plusfuivi, fi dans la plus étroite familiaritéj
n dans la gaieté des repas , fi dans les con-
fidences du tête-à-téte , ils m'ont jamais
trouvé différent de moi-même ■■, fi lorfqu'ils
ont voulu difputer ou plaifanter , leurs
argumens ou leurs railleries m'ont un mo*
ment ébranlé -, s'ils m'ont furpris à varier
dans mes fentimens ; fi dans le fecret de
mon cœur, ils en oKt pénétré que je ca-
chois ail public, fi dans quelque tems que
ce foit ils ont trouvé en moi une ombre de
faulTété ou dhipocrihe, qu'ils le difent
qu'ils révèlent tout, qu'ils me dévoilent ;
j'y confens, je les en prie , je les difpenfe
du fecret de l'amitié: qu'ils le difent hau-
tement , non ce qu'ils voudroient que je
rufle, mais ce qn'Hs fçavent que je fuis,
qu'ils me jugent félon leur confcience; je
leur confie mon honneur fans crainte , & je
promets de ne les point récufer.
Que ceux qui m'accufent d'être fans
Religion, parce qu'ils ne conçoivent pas
qu'on en puills avoir une, s'accordent au
6-4 LETTRE
moins s'ils peuvent emr'eux. Les uns^ ne
trouvent dans mes Livres qu'un iiftême
a'athéifme, les autres difenc que je rends
gloire à Dieu dans mes Livres fans y croire
au tond de mot>j^cear. Ils taxent mes écrits
d'impiété , &c mes fentimens d'hypocrilie.
Mais (i je prêche en public l'aihéilme ,^ je
ne fuis donc pas un hypocrite , Se fi j'at-
fede une foi que je n'ai point, je n enfei-
gne donc pas l'impiété. En entallant des
imputations contradidoires, la calomnie le -
découvre elle-même ', mais la malignité
efl: aveugle, & la paffion ne raifonnepas.
Je n'ai pas, il eft vrai, cette foi dont
^'entends le vanter tant des gens d'une pro-
bité fi médiocre, cette foi robulle qui ne
doute jamais de rien, qui croit fans ta-
çon tout ce qu'on lui prefente à croire, &
qui met à part ou dilTimule les objcftions
qu'elle ne fçiit pas refoudrc. Je n ai^ pas
le bonheur de voir dans la révélation l'évi-
dence qu'ils y trouvent, &c , h je me dé-
termine pour elle , c'eft parce que mou
cœur m'y porte -, qu'elle n'a rien que de
confolant pour moi, & qu'à la rejettcr , les
difficultés ne font pas moindres i mais^ ce
n'eft pas psrce que je la vois démontrée ',
car très-furement elle ne l'eft pas à mes yeux-
Je ne fuis pas même allez iniiruit, à beau-
coup près, pour qu'une démonftration qui
demande un f\ profond fçwoir foit jamais
à ma portée. N'eft-il pas plaifant que moi
A M. DE BEAUMONT. ?f
qui propofe ouvertement mes objeâ:ions
ôc mes doutes, je fois l'hypocrire, ôc que
tous ces gens Ci décides, qui difenc fans ce{-
fe croire fermement ceci & cela ; que ces
gens fi fûrs de tout, fans avoir pourtant
de meilleures preuves que les miennes, que
ces gens enfin, dont la plupart ne font
gueres plus fçavans que moi , 6c qui,
fans lever mes difficAltés, me reprochent de
les avoir propofées, foient des gens de
bonne foi.
Pourquoi ferois-je un hypocrite, Se que
gagnerois-je à l'être? J'ai attaqué tous les
intérêts particuliers , j'ai fufcité contre
moi tous les partis , je n'ai foutenu que
la cau(e de Dieu & de l'humanité , & qui
eft-ce qui s'en foucieî Ce que j'en ai die
n'a pas même fait la moindre fenfation,
ôc pas une ame ne m'en a fçu gré. Si je
me tulTe ouvertement déclaré pour rathéij[-
me, les dévots ne m'auroient pas tait pis ,
Se d'autres ennemis non moins dangereux
ne me porteroient point leurs coups en (e-
crer. Si je me fufle ouvertement déclaré
pour rathéifme , les uns m'eullent atta-
qué avec plus de reierve en me voyant dé-
fendu par les autres , Se difpolé moi même
à la vengeance.* mais un homme qui craint
Dieu n'eft guère à craindre i Ton parti n'eft
pas redoutable, il efl; feul ou à peu près,
Se l'on cH: fur de pouvoir lui faire beaucoup
de mal avant qu'il fongeàlc rendre. Si je me
<r^ L E T T R E ^ ^
fufle ouvertement déclare pour l'athéifine;
en me féparant ainfi de l'Eglife , j'aurois
ôté tout d'un coup à Tes minières le moyen
de me harceler fans celTe , S< de me faire
endurer toutes leurs petites tyrannies ■■, je
n'aurois point eduyé tant d'ineptes cenfures,
êc au lieu de me blâmer fi aigrement d'avoir
écrit, il eût fallu me réfuter, ce qui n'cH:
pas tout-à-fait Ci facile. Enfin, li je me fulle
ouvertement déclaré pour l'athéifme , o« eue
d'abord un peu clabaudé , mais on m'eût
bientôt lailTé en paix comme tous les au-
tres: le peuple du Seigneur n'eût point pris
infpeâiion fur moi, ciiacun n'eût point cru
me faire grâce, en ne me traitant pas en ex-
communié -, &c j'eufle été quitte à quitte avec
tout le monde : les faintes en ifrael nem'au-
roient point écrit des Lettres anonymes,
& leur charité ne fe fut point exhalée en
dévotes injures ; elles n'eullent point pris
la peine de m'aiïurer humblement que j'é-
tois un fcélérat, un, monflre exécrable , 8c
que le monde eût été trop heureux li quel-
que bonne ame eût pris le loin de m'é-
touffer au berceau. D'honnêtes gens , de
leur côté , me regardant alors comme un
réprouvé, ne fe tourmenteroient & ne me
tourmenteroient point pour me ramener
dans la bonne voie .• ils ne me tiraillcroieni
pas à droite & à gauche , ils ne m'étout-
feroient pas fous le poids de leurs fermons,
ils ne me brceroient pas de bénir leur zcie
A M. DE BEAUMONT. ^^7
en maudiflant leur importunlié, &c de fen-
tir avec reconnoiflance qu'ils font appelles
à me faire périr d'ennui.
Monfeigneur, lî je fuis un hypocrite,
je fuis un fou , puifque , pour ce que )e
demande aux hommes , c'elt une grande
folie de fe mettre en frais de fauffeté : fi je
fuis un hypocrite , je fuis un fot -, car ii
faut l'être beaucoup pour ne pas voir que
le chemin que fai pris ne mené qu'à des
malheurs dans cette vie, & que quand j'y
pourrois trouver quelque avantage , je n'eii
puis profiter fans me démentir^. Il efl: vrai
que j'y fuis à temps encore ; je n'ai qu'à vou-
loir un moment tromper les hommes \ & je
mets à mes pieds tous mes ennemis. Je n'ai
point encore atteint lavieillelfe , je puis en-
cor avoir long-temsà fouffrir ,)e puis voir
changer de rechef le public fur mon comp-
te; mais fi jamais j'arrive aux honneurs &
à la fortune , par quelque route que j'y par-
vienne , alors je ferai un hypocrite -, cela
eft fur. , , a •
La gloire de l'ami de la vente n'eltpomt
attachée à telle opinion plutôt qu'à telle
autre i quoi qu'il dife , pourvu qu'il le
penfe , il tend à fon but. Celui^ qui n'a
a'autre intérêt que d'être vrai , n'eft point
tenté de mentir , ôc il n'y a nul homme
fenfé qui ne préfère le moyen leplusfim-
pie, quand il eft auflî le plus fur. Mes en-
açmis auront beau faire avec leurs injures^
"es ^^ LETTRE
ils ne tn'ôteronr point l'honneur d'ctre iiiî
homme véri ijqne en toute chofe , d'être
le feiil Auteur Je mon fîecle , & de beau-
coup d'autres qui ait écrit de bonne foi ,
ôc qui n'ait dit que ce qu'il a cru : ils pour-
ront un moment {ç:)uilier ma réputation à
force de rumeurs & de calomnies : mais
elle en triomphera tôt ou tard.- car tandis
qu'ils varieront dans leurs imputations ri-
dicules, je refierai toujours le même., Se
fans aiitre^ art que ma franchife , jai de
quoi les défoler toujours.
Mais cette franchife eft déplacée avec le
public ] Mais toute vérité n'ell pas bonne
"à dire l Mais bien que tous les gens fenfés
penfent comme vous, il n'eft pas bon que
le vulgaire penfeainfi! Voila ce qu'on me
crie de toutes parts j voilà , peut-être , ce
que vous me diriez vous-même fi nous
étions tête-à-tête dans votre cabinet. Tels
font les hommes. Ils changent de langage
comme d'habit ^ ils ne difentla vérité qu'en
robe de chambre -, en habit de parade ils
ne fçavent plus que mentir; & non- feule-
ment ils font trompeurs & fourbes à la
face du genre humain , mais ils n'ont pas
honte de punir contre leur conf:icnce qui-
conque ofe n'être pas fourbe Se trompeur
public comme eux. Mais ce principe ell:-il
bien vrai que toute vérité n'cll: pas bonne
à dire ? Quand il le feroit , s'enfuivroit-il
fltïç nulle erreur ne fiU bonne à détruire ^
A M. DE BEAUMONT. 'è^
èc toutes les folies des hommes font-elles
fi faintes qu'il n'y en ait aucune qu'on ne
doive refpe^ler î Voilà ce qu'il convien-
droit d'examiner avant de me donner pour
loi une maxime fufpeite 6c vague , qui ,
fût-elle vraie en elle même , peut pécher
par fon application.
J'ai grande envie , Monfeigneur , de
prendre ici ma méthode ordinaire , Se de
donner i'hiftoire de mes idées pour toute
réponfe à mes accufatcurs. Je crois ne
pouvoir mieux juftitîer tout ce que j'ai
ofé dire , qu'en dilant encore tout ce que
j'ai penfé.
Si- tôt que je fus en état d'obferver les
hommes , je les regardois faire , de je les
écoutois parler -, puis , voyant que leurs ac-
tions ne reffembloient point à leurs dif-
cours , je cherchai la raifon de cette dif-
femblance , Se je trouvai qu'être & pa-
roître étant pour eux deux chofes aufii dif-
férences qu'agir Se parler, cette deuxième
différence étoit la caufe de l'autre , Se
avoit elle-même une caufe qui me reftoit
à chercher.
Je la trouvai dans notre ordre focial ;
qui , de tout point contraire à la nature que
rien ne détruit , la tyrannife fans cefTc , Se
lui fait fans celle reclamer fes droits. Je fui-
vis cette contradiél:ion dans fes conféquen-
ces , & je vis qu'elle expliquoit feule tous
iss vices des honimes, Si tous les niaux de
'70 ^^ ^ LETTRE
la fociété. D'où je conclus qu'il n'ctoît
pas néceflTàire de fuppofer l'homme mé-
chant par fa nature, lorfqu'on pouvoit mar-
quer l'origine & le progrès de fa méchan-
ceté. Ces réflexions me conduifirent à de
nouvelles recherches fur l'efprit humain
confidéré dans l'état civil, & je trouvai
qu'alors le développement des lumières &
des vices fe faifoit toujours en même rai-
fon, non dans les individus,, mais dans les
peuples, diftinétion que j'ai toujours foi-
gneufement faite , & qu'aucun de ceux
qui m'ont attaque n'a jamais pu conce-
voir.
J'ai cherché la vérité dans les Livres-, je
n'y ai trouvé que le menfonge & l'erreur.
J'ai confulté les Autheurs \ je n'ai trouve
que des Charlatans qui fe font un jeu de
tromper les hommes, fans autre Loi que
leur intérêt, fans autre Dieu que leur ré-
putation j* prompts à décrier les cheh qui
ne les traitent pas à leur gré, plus prompts
à louer l'iniquité qui les paie. En écoutant
Jes gens à qui l'on permet de parler en
public, j'ai compris qu'ils n'ofent ou ne
veulent dire que ce qui convient à ceux
qui commandent, & que payés par le fort
pour prêcher le toible, ils ne fçavent parler
au dernier que de fes devoirs , & à l'autre
que de fes droits. Toute l'inftrudion pu-
blique tendra toujours au menfonge , tant
^ue ceux qui la dirigent trouveront leur
A M. DE BEAUMONT. j^
intérêt à mentir , & c'eft pour eux" feule-
ment que la vérité n'cfl: pas bonne à dire.
Pourquoi ferois- je le complice de ces gens-là?
Il y a des préjugés qu'il faut refpeder;
cela peut être: mais c'eft quand d'ailleurs
tout eft dans l'ordre, & qu'on ne peut ôter
ces préjugés fans ôter aufîî ce qui les ra-
cheté \ on laiffe alors le mal pour l'amour
du bien. Mais lorfque tel eft l'état des
chofes, que plus rien ne fauroit changer
qu'en mieux, les préjugés font- ils fi ref-
pedables qu'il l:aille leur facrifier la railon,
la vertu, la juftice , & tout le bien que la
vérité pourroit faire aux hommes? Pour
moi, j'ai promis de la dire en toute chofe
•utile , autant qu'il feroit en moi, c'eft un
engagement que j'ai dû rem.plir (elon mon
talent , & que fûrement un autre ne rem-
plira pas à m.a place , puifque chacun fe de-,
vanta tous, nul ne peut payer pour au-
trui. La divine vérité^ dit S. Auguftin, rî ejl
ni à moi, ni à vous, ni à lui, mais à nous
tous quelle appelle avec force à la publier
de concert, fous peine d'être inutile à nous*
' mêmes , fi nous ne la communiquons aux au-
tres: car quiconque s'approprie aluifeul
un bien dont Dieu veut que tous jouiffent y
perd par cette ufurpation ce qu'il dérobe au
public, & ne trouve qu erreur en lui-même,
pour avoir trahi la vérité (o).
(o) Aug. Coaf,;flr. L. XII. c. 25-
72 . LETTRE
Les hommes ne doivent point ctre înf-
truits à demi. S'ils doivent refter dans l'er-
reur , que ne les laiffiez-vous dans l'igno-
rance? A quoi bon tant d'Ecoles & d'U-
niverlités, pour ne leur apprendre rien de
ce qui leur importe à fçavoir ? Quel eft
donc l'objet de vos Collèges , de vos Aca-
démies , de tant de fondations fçavances î
Eft-ce de donner le change au Peuple ,
d'altérer fa raifon d'avance , 3c de l'empê-
cher d'aller au vrai ? Profelîeurs de men-
fonge , c'cft pour l'abufer que vous feignez
de l'inftruire ; ëc , comme ces brigands qui
mettent des fanaux fur des ccueils , vous
J'éclairez pour le perdre.
Voilà ce que je penfois en prenant la
plume , & en la quittant je n'ai pas lieu de
changer de fentiment , j'ai toujours vu que
l'inftrudion publique avoit deux défauts
effentiels qu'il croit impoflibie d'en ôter.
L'un ci\ h mauvaife foi de ceux qui la
donnent , & l'autre l'aveuglement de ceux
qui la reçoivent. Si des hommes fans paf-
fîons inftruifoient des hommes fans prc|U-
gés, nos connoillances rerteroient plus bor-
nées , mais plus (lires, ôc la raifon rcgneroic
toujours. Or, quoi qu'on falTe, l'intérêt des
hommes publics fera toujours le même :
mais les préjuges du peuple , n'ayant au-
cune bafe fixe, iont plus variables ■■, ils peu-
vent eue altérés , changés , augmentes ou
diminués. C'eft donc de ce côté ieul que
'A M. DE BEAUMONT. zi
rînftrudion peut avoir quelque prife ,^ &
c'eft là que doit tendre l'ami de la vérité. Il
peut efpérer de rendre le peuple plus rai-
fonnable , mais non ceux qui le mènent
plus honnêtes gens.
J'ai vu dans la Religion la même fauf-
feté que dans la politique , ôc j'en ai été
beaucoup plus indigne .• car le vice du
Gouvernement ne peut rendre les fujets
malheureux que fur la terre: mais qui fçaic
jufqu'où les erreurs de la confcience peu-
vent nuire aux infortunés mortels? J'ai vu
qu'on avoir des proftflîons de foi des doc-
trines, àcs cultes qu'on fuivoit fans y croi-
re , & que rien de tout cela, ne pénétrant
ni le cœur ni la raifon , n'influoit que très-
peu fur la conduite. Monfeigneur, il faut
vous parler fans détour. Le vrai Croyant
ne peut s'accommoder de toutes ces iïtna-
grées: il fcnt que l'homme eft un être in-,
telligent auquel il f'^ut un culte raifonna-
h\e , Se un être fociablc auquel il faut une
morale faite pour l'humanité. Trouvons pre-
mièrement ce culte & cette morale , cela
fera de tous les hommes ^ & puis quand
il faudra des formules nationales , nous
en examinerons les fondements , les rap-
ports , les convenances y <k après avoir dit
ce qui eft de l'homme , nous dirons enfuite
ce qui eft du Citoyen. Ne LxCom pas ,
fur-tout , comme votre Monfieur Joli de
Fleuri, qui, pour établir Ton Janfénifme ,
74 ^ LETTRE
veut déraciner toute loi naturelle êc toute
obligation qui lie entre eux les humains >
de forte que , félon lui , le Chrétien & l'infi-
dèle qui contractent contre eux , ne font tenus
à rien du tout l'un envers l'autre , puifqu'il
n'y a point de loi commune à tous les deux.
Je vois donc deux manières d'examiner Se
comparer les Religions diverfes^ l'une félon
le vrai & le faux qui s'y trouvent, foit quant
aux faits naturels ou furnaturels fur lefquels
elles font établies , foit quant aux notions
que la raifon nous donne de l'être fuprcme,
ôc du culte qu'il veut de nous : l'autre fé-
lon leurs effets temporels ôc moraux fur
la terre , félon le bien ou le mal qu'elles
peuvent taire à la fociété ôc au genre hu-
main. Il ne faut pas , pour empêcher ce
double examen , commencer par décider
que ces deux chofes vont toujours enfem-
ble , ôc que la Religion la plus vraie eft
auffi la plus fociale"', c'efl précilément ce
qui eft en queftion i & il ne faut pas d'a-
bord crier que celui qui traite cette quef
tion eft un impie , un Athée i puifque
autre chofe eft de croire , ôc autre chofe
d'examiner l'effet dé ce que l'on croit.
Il paroît pourtant certain , je l'avoue ,
que fi l'homme eft fiit pour la fociété , la
Religion le plus vraie eft auflî la plus fa-
ciale ôc la plus humaine ; car Dieu veut que
nous foyons tels qu'ils nous a faits , ôc s'il
ctoit vrai qu'il nous eût faits méchans , ce
fcroit
LETTRE , 7f1
Teroît lui défobéir que de vouloir ceflec
de l'être. De plus la Religion , confidérée
comme une relation entre Dieu & l'homme,
re peut aller à la gloire de Dieu que
par le bien-être de l'homme, puifque l'au-^^
tre terme de la relation qui eft Dieu , elt
par fa nature au delTus de tout ce que peuc
l'homme pour ou contre lui.
Mais ce fentiment , tout probable qu'il
cfl: , cil fnjet à de grandes difficultés , pas:
l'hiftorique Se les taits qui le contrarient. Les
Juifs étoient les ennemis nés de tous les
autres Peuples , 6c ils commencèrent leuk*
établiilement par détruire fept nations ,
félon l'ordre exprès qu'ils en avoient re-
çu. Tous les Chrétiens ont eu des gueres
de Religion , & la guerre eft nuifibie aux
hommes ; tous les partis ont été perfécu-
teurs & perfécutés , & la peifccution e(t
nuifibie aux hommes -, pluueurs feâres van-
tent le célibat , Se le célibat eft fi nuifibie
(33) à l'efpece humaine, que s'il étoit fui-
vi par-tout, elle périroit. Si cela ne fait pas
{33 ) Lacontinenceîk îa pureté ont kurs ufa-
ges, mêmes pour la population*, ileft (orjorrs
beau de fe commander à loi même , & l'éfat dâ
virginité eft, par fes raifons, très digne d'efli-
me ; mais il ne s'enfuit pas qu'il foit beau , ni
bon , ni louable, de perfévérer toute la vie dans
cet état, en off enfant la nature , Ôi en trom-
pant fa deftination. L'on a plus de refpca pour
une jeune vierge nubile , que pour une jeune
femme ; mais on en a plus pour une mère de
famille , que pour une vieille tiue , & cela m.^
75 A M. DE BEAUMONT.
preuve pour décider, cela tait raifon pour
examiner , ^' je ne demandois autre choie
lînon qu'oa permît cet examen.
Je ne dis ni ne penfe qu'il n'y ait aucune
bonne Religion fur la terue-, m.usf je dis ,&
il eft trop vrai, qu'il n'y en a aucune par-
mi celles qui font ou qui ont été dominan-
tes , qui n'ait tait à l'humanité des phies
cruelles. Tous les partis ont tous leur frè-
res , tous ont offert à Dieu des facnlîces
de iang humain. Quelle que foit la fource
de ces contradidions, elles ex iftent -, ell-ce
un crime de vouloir les ôter ?
La charité n'efl: point meurtrière. L'a-
tnour du prochain ne porte pouit à le maf-
paroît très fenfé. Comme on ne fe marie pas en
naiffant, & qu'il n'efl pas mcme à propos de fe
marier fort jeune , la virginité que tous ont dû
porter & honorer, a fa néceilité, Ion utilité,
fon prix & fa gloire ; mais c'ell pour aller ,
quand il convient, dépofer toute fa pureté dans
le mariage. Quoi .' difent-ils de leur air bête-
ment triomphant, des célibataires prêchent le
nœud conjugal .' pourquoi ne fe marient ils pas ?
Ah ! pourquoi ? Parce qu'un état fi faint & û
doux en lui mcme eft devenu , par vos fottes
inftitutions , un état malheureux & ridicule ,
dans lequel ileft déformais prefqueimpothble
de vivre fins être un fripon ou un lot. Sceptres
de fer , loix infcnfées .' c'ell à vous que nous re-
prochons de n'avoir pu remplir nos devoirs fur
la terre : & c'ell par nous que le cri de la natu-
re s'élève contre votre barbarie. Comment olez-
vous la repouiiér jufqu'à uous reprocher la mi-
fere où vous nous avez réduits.
A M. DE BEAUMÔNT. yf
facrer. Ainfi le zèle du falut des hommes
n'eft point la caufe des perfccutions \ c'eft
l'amour-propre & l'orgueil qui en efl: la
caufe. Moins un culte eft raifonnable, plus
on cherche à l'établir par la force : celui
qui profelTe une dodrine infenfée ne peut
fouffrir qu'on ofe la voir telle qu'elle efl: ;
la raifon devient alors le plas grand des cri-
mes j à quelque prix que ce foit , il faut l'ô-
ter aux autres , parce qu'on a honte d'en
inanquer à leurs yeux. Ainfi l'intolérance
&c l'inconféquence ont la même fource. Il
faut fans cefle intimider, effrayer les hom-
mes. Si vous les livrez un moment à leun
raifon vous êtes perdus.
De cela feul il fuit que c'efl un grand
bien à faire aux peuples dans ce délire ,
que de leur apprendre à raifonner fur la.
Religion j car c'eft les rapprocher des de-
voirs de l'homme , c'eft ôter le poignard à
l'intolérance, c'eft rendre à l'humanité tous
fes droits. Mais il faut remonter à des
principes généraux Se communs à tous les
hommes ; car fi , voulant raifonner , vous
laiflez quelque prife à l'autorité des Prêtres '
vous rendez au fanatifme fon aime, & vousï
lui fourniftcz de quoi devenir plus cruel.
Celui qui aime la paix ne doit point re-
courir à des Livres; c'eft le moyen de ne
rien finir. Les Livres font des fources de
difputcs intariflables : parcourez l'Hiftoire
des Peuples ; ceux qui n'ont point de Li-
F ij
7l LETTRE
-vres ne difputent point. Voulez-vous aller-
vir les hommes à des autorités humaines?
L'un fera plus près, l'autre plus loin de
•la preuve -, ils en feront" diverlement attec-
tés j avec la bonne toi la plus entière , avec
le meilleur jugement du monde, il e^ 1,°^'
pcfiîble qu'ils foient jamais d'accord. N ar-
gumentez point fur des arguments , Se nz
■vous tondez point fur des dilcours. Le lan-
gage humain n'eft pas allez clair. Dieu ku-
n/me s'il daignoit nous parler dans nos
langues, ne nous diroit rien fur quoi i on
ne pût difputer.
Nos langues font l'ouvrage des hommes,
& les hommes font bornés. Nos langues
font l'ouvrage des hommes, & les hommes
font menteurs. Comme il n'y a point de
vérité fi clairem.ent énoncée ou l'onnepuil-
fe trouver quelque chicane à taire, il ny a
pointdefigrcffiermenfonge qu'on ne puil-
fe étayer de quelque faude raifon.
Suppofons qu'un particulier vienne a
minuit nous crier qu'.l eft )our -, on le
moquera de lui : mais laillez a ce particu-
lier le temps Se les moyens de fe taire une
fecle, tôt où tard les partifans viendront a
bout devons prouver qu'il diloit vrai. Car
enfin , diroient-ils , quand il prononce qu il
étoit )our , il étoit jour en que.que heu de
la tnre: rien n'eft plus certaui. D autres
av^nt établi qu'il y a touiours dans 1 air
quelques particules de lumicre , loutienr
A M. DE BEAUMONT. 79
ncnt qu'en un autre Cens encore , il eft tres-
vrai qu'il eft jour la nuit. Pourvu que des
gens fubtils s'en mêlent , bientôt on vous
fera voir le Soleil en plein minuit. Tout le
monde ne fe rendra pas à cette évidence.
Il y aura des débats qui dégénéreront, le-
lon l'ufage, en guerres & en cruautés. Les
uns voudront des explications , les autres
n'en voudront poMit : Tun voudra prendre
la propofuion au hgurc , l'autre au propre.
L'un dira: il a dit à minait qu'il etoit jour,
& il étoit nuit : l'autre dira.- il a dit a mi-
nuit qu'il étoit jour , & il étoit nuit. Cha-
cun taxera de mauvaife toi le parti coti-
traire, & n'y verra que des obftincs. On
finira par fe battre , ie mallacrer -, les flots
de fan^ couleront de toutes parts i & il la
nouvelle fecle eft enfin vidorieufe, ii res-
tera démontré qu'il eft jour la nuit. C ext
à peu près l'hiftoire de toutes les querehes
de Religion. ' ,,
La plupart des cultes nouveaux s eia-
bliiU-nt par le fanatifme , & fe maintiennent
par l'hvpocrilîei de là vient qu'ils choquent
la raifon, o^ ne minent point à la vertu.
L'enthoufiafme & le délire ne raifonnent
pas -, tant qu'ils durent , tout pafle, & l'on
marchande peu fur les dogmes. Cela eft
d'ailleurs fi com.model la doctrine coûte h
peu à fuivre , & la m.orale coûte tant à pra-
tiquer, qu'en fe jettant du coté le plus ta-
çiie, on rachette ks bonnes œvres parle
r iij
sro LETTRE
ipérite d'une grande foi. Mais , quoi qu'on
taTe , le t.miurme efl un état de ciifc qui
ne peut d irer toujours. Il a Tes accès plus
ou moins longs, plus ou moins fréquents,
& il a aulTi Tes relâches, durant lefquels on
efl: de fang froid. G'ert alors qu'en revenant
fur foi- même , on efl tout furpris de fe
voir enchaîné par tant d'aBfurdités. Cepen-
dant le culte eft régl^, les formes font pref-
crites , les loix lont établies , les tranf-
grelTeurs font punis. Ira-t-on protefter feul
contre tout cela , récufer les Loix de foi>
pays , & renier la religion de fon père î
Qui l'oferoit î On fe foumet en filence ,
l'intérêt veut qu'on foit de l'avis de celui
dont on hérite. On fait donc comme les
autres , fauf à rire à fon aife en particulier
de ce qu'on feint de refpeder en public.
Voilà, Monfeign?ur, comme penfe le gros
des hommes dans la plupart dts Religions ,
fur-tout dans la vôtre j & voilà la clef des
inconféqueces qu'on remarque entre leur
morale & leurs acfiions. Leur croyance n'eft
qu'apparence , (3c leurs mœurs font comme
leur foi.
Pourquoi un homme a t-il infpeflion fur
la croyance d'un autre , & pourquoi l'Etat
a-t-il infpedtion fur celle des Citoyens?
C'eft parce qu'on luppofc que la croyance
des hommes détermine leur morale, & que
des idées qu'ils ont de la vie avenir dépend
leur conduite en celle-ci. Quand cela n'eft
A M. DE.BEAUMONT. 8i
pas , qu'importe ce qu'ils croient ou ce qu'ils .
font femblant de croire î L'apparence de la
Religion ne fert plus qu'à les difpenler d'en
avoir une. .
Dans la focicté chacun efl: en droit^ de
s'informer fi un autre fe croit oblige d'être
jufte , & le Souverain eft en droit d'exa-
miner les raifons fur lefquelles chacun
fonde cette obligation. De plus ,^ les for-
ces nationales doivent être obfervées -, c'elt
fur quoi j'ai beaucoup infifté. Mais quant
aux opinions qui ne tiennent point à la
morale , qui n'inHuent en aucune manière
fur les adions , Se qui ne tendent point a
tranfgrcffer les Loix, chacun n'a là-deflus
que fon jugement pour maître , & nul n'a
ni droit ni intérêt de prefcrire à d'autres
fa fiçon de penfer. Si , par exemple , quel-
qu'un , même conftitué en autorité, venoit
me demander monfentiment fur la fameufe
queftion de Thypoftafe dont la Bible ne dit
pas un mot , mais pour laquelle tant de
grands enfans ont tcnnu de Conciles, & tant
d'homir.es ont été tourmentes -, après lui
avoir dit que je ne l'entends point, & ne me
' foucie point de l'entendre , je le pricrois ,
le plus honnêtement que je pourrois, de fe
mêler de fes affaires i ôc s'il infîftoit, je le
lailTerois-là.
Voilà le feul principe fur lequel on
puiffe établir quelque chofe de fixe ôc d'é-
quitable fur le5 difputes de la Religion,
F Y
S2 L E T T II E
fans quoi chacun pofant de Ton côté ce qui
ell cil queition , jamais on ne conviendra
de lien , l'on ne s'entendra de la vie ••> ëc
la Religion , qui devroit faire le bonheui'
des hommes, tera toujours leurs plus grands
tnaux.
Mais plus les Religions vieillilTent , plus
Jeur objet fe perd de vue ; les fubiilitcs
ie multiplient , on veut tout expliquer,
tout décider , tout entendre , incelTament
la dodrine fe rafine, ôc la morale dépérit
toujours plus. AlTurémcnt il y a loin de
l'eTprit du Deutéronome à l'efprit du Tai-
mud & de la Mifna , & de refprit de l'E-
vangile aux querelles fur la Conftitution î
Saint Thomas demande (j^) fiparla fuc-
ceflion des temps les articles de foi fe font
inuîtipliés , 6c il fe dé:lare pour l'affirma-
tive ; c'cft-à-dire , que les Dodleurs , rcn-
chérilTant les uns fur les autres, en fçavem
plus que n'en ont dit les Apôtres ^ Jefus-
Chriil. Saine Paul avoue ne voir qu'obfcii-
rément, & ne connaître qu'en partie ( ? 0*
Vraiment nos Théologiens font biens plus
avancés que cela ; ils voient tout , ils fça-
vent tout.* ils nous rendent clair ce qui ell
obfcur dans l'Ecriture : ils prononcent fur
ce qui croit indécis: ils nous font fentir,
ôvec leur modedie ordinaire , que les
(34) Secundafecuniœ y Qu.-eji. Art. VU,
C35) I. Cor. aIII. 9. 10.
A M. DE BEAUMONT. î^
^Auteurs Sacrés avoient grand befoin de
leur fecours pour fe faire entendre, & que
le S. Efprit n'eût pas fçu s'expliquer clai-
rement fans eux.
Quand on perd de vue les devoirs de
J 'homme pour ne s'occuper que des opi-
nions des Prêtres & de leurs t"rivoles dif-,
pures, on ne demande plus d'un Chrétien
s'il craint Dieuj mais s'il effc orthodoxe: on
lui fait ligner des formulaires fur les qiief-
tions les plus inutiles, & fouvent les plus
inintelligibles \ & quand il a iïgné tout va
bien , l'on ne s'informe plus du relie. Pourvu
qu'il n'aille pas fe taire pendre, il peut vi-
vre au furplus comme il lui plaira , Tes
mœurs ne tont rien à l'aftaire •, la dodrine ell
en fureté. Quand la Religion en eft-là ,
quel bien fait elle à la foc'été , de quel
avantage eft-elle aux hommes; Elle ne (ert
qu'à exciter entr'eux des dilTentions , des
troubles, des guerres de toute efpece , à
les faire entre-égorger pour des Logogry-
phes : il vaudroit mieux alors n'avoir point
de Religion que d'en avoir une fi mal en-
tendue. Empcchons-îa , s'il fe peut , de
dégénérer z ce point j & foyons furs ,
malgré les bikhers & les chaînes , d'avoir
bien mérité du genre humain.
Suppofons que , las des querelles qui le
déchire, il s'alîemble pour les terminer &
convenir d'une Religion commune à tous
Jcs Peuples. Chacun commencera , cela eft
Fv
84 LETTRE
fur , par propofer la Tienne comme la feule
vraie , la feule raifonnable ôc démontrée ,
la feule agréable à Dieu, & utile aux honi-
iries, mais fes pauvres ne répondant pas là-
deffus à fa perfuafion j du moins au gré des
autres ferles, chaque parti n'aura de voix
que la fienne ; tous les autres fe réuniront
contre lui •■, cela n'eft pas moins (ûr. La dé-
libération fera le tour de cette manière, un
feul propofant, & tous rejettant; ce n'eft
pas le moyen d'être d'accord. Il eft croya-
ble qu'après bien du temps perdu dans ces
altérations puériles , les hommes de fens
chercheront des moyens de conciliation. Ils
propoferont, pour cela, de commencer par
chalïer tous les Théologiens de Talfemblée,
& il ne leur fera pas difficile de faire voir
combien ce préliminaire ell indilpenlable.
Cette bonne œuvre faite , ils diront aux
Peuples: Tant que vous ne conviendrezpas
de quelque prmcipe , il n'eft pas poifible
même que vous vous entendiez , & c'efl: un
argument qui n'a jamais convaincu perfon-
ne , que de dire : vous avez tort , car j'ai
raifon. / li >
„ Vous parlez de ce qui eft agréable a
„ Dieu. Voilà précifément ce qui e/l en
„ queftion. Si nous fçavions quel culte lui
„ eft le plus agréable , il n'y auroit plus de
„ 'difpute entre nous. Vous parlez aufli de
, ce qui eft utile aux hommes -, c'eft autre
chofc i les hommes peuvent juger de cela.
-?
»
A M. DE BEAUMONT. Sj
5, Prenons donc cette utilité pour règle', &
„ puis écabliiTons la doctrine qui s'y rap-
5, porte le plus. Nous pourrons efpérer
j, d'approcher ainfi de la vérité autant qu'il
5, eft poflîble à des hommes •, car il eft à pré-
j, fumer que ce qui eft le plus utile aux créa-
„ turcs , eft le plus agréable au Créateur.
„ Cherchons d'abord s'il y a quelque af-
„ finité naturelle entre nous; fi nous fom-
„ mes quelque chofe les uns aux autres,
3, Vous, Jyifs , que penfez-vous fur l'ori-
„ guiedu genre humain? Nous penfons qu'il
,, eft forti d'un même Tere -, Se vous , Chré-
tiens? Nous penfons là-deffus comme les
Juifs. Et vous Turcs ? Nous penfons
5, comme les Juifs Se les Chrétiens. Cela eft
„ déjà bon : puifque les hommes font tous
„ frères , ils doivent s'aimer comme tels.
„ Dites-nous maintenant de qui leur Pe-
5, re commun avoit reçu l'être j car il ne
„ s'étoit pas fait tout feul. Du Créateur
5, du Ciel & de la Terre. Juifs , Chrétiens
5, & Turcs font d'accord anfîi fur cela -, c'efl
5, encore un très grand point.
j, Et cet homaie, ouvrage du Créateur ,
5, eft-il un être fimple ou mixte ? Eft- il
3, formé d'une fubftance unique ou de plu-
3, fieurs ? Chrétiens répondez. Il eft com-
„ pofé de deux fubftances , dont f une tfl:
5, mortelle , Se dont l'autre ne peut mourir.
„ Et vous , Turcs ? Nous penfons de me-
„ me. Et vous, Juifs î Autrefois nos idées
>>
8cr LETTRE
„ là-defTus étoient fort confu Tes i comme
5î
J>
les expreffions de nos Livres facrés; mais
les Elïcniens nous ont éclairés -, & nous
penfons encore fur ce point comme les
,j Chrétiens ,».
En procédant ainfî d'interrogations en
interrogations fur la Providence Divine ,
fur l'économie de la vie à venir , & fur
toutes les queftions ellentielles au bon or-
dre du genre humain, ces mêmes hommes
ayant obtenu de tous des réponfes prefque
uniformes, leur diront : (on fe Convien-
dra que les Théologiens n'y font plus ).
5, Mes amis, de quoi vous tourmentez-
j, vous ? Vous voilà tous d'accord fur ce
5, qui vous importe i quand vous différerez
j, de fentiment fur le reite , j'y vois peu
3, d'inconvénient. Formez de ce petit nom-
„ bre d'articles une Religion univerfelle,
5, qui foit pour ainfi dire, la Religion hu-
„ maine & fociale que tout homme vivant
„ en (ociété foit obligé d'admettre. Si qucl-
„ qu'un dogm.uifc contre elle, qu'il (oit ban-
„ ni de la fociété comme ennemi de (es Loix
,, fondamentales. Quant au refte, fur quoi
„ vous n'êtes pas d'accord, formez chacun
„ de vos croyances particulières autant de
„ Religion nationales , & fuives les en
„ fincérité de cœur. Mais n'allez point
s, vous tourmentant pour les faire admettre
,; aux autres Peuples , & foyez allures
„ que Dieu n'exige pas cela. Gai" Ueft auiii
i>
'A M. DE BEAUMONT. Sy,
*" inJLifte de vouloir les foumettteàvosopi-
" nions qu'à vos loix ; & les Miffionaires
'/, ne me femblent guère plus fages que les
„ Conquérans.
5, Enfuivant vosdivcrfes dodrines, cel-
', fez de vous les figurer fi démontrées
„ que quiconque ne les voit pas telles ,
„ foit coupable à vos yeux de mauvailc toi.
„ Ne croyez point que tous ceux qui pe-
'„ fent vos preuves , & les jettent , foienc
„ pour cela des obftinés que leur mcredu-
'] lité rende punitlables : ne croyez point
", que la raifon, l'amour du vrai , la lincé-
rité foient pour vous feuls. Quoi qu'on
", faffe, on fera toujours porté à traiter en
ennemis ceux qu'on arcufera de le retu-
, fer à l'évidence. On plaint l'erreur, mais
" on hait l'opiniâtreté. Donnez la préte-
'' rence à vos raifons , à la bonne heure :
," mais fçachez que ceux qui ne s'y rendent
„ pas , ont les leurs. , r ,
Honorez en général tous les tonda-
teurs de vos cultes refpedifs. Que cha-
*' cun rende au Tien ce qu'il croit .lui de-
voir , mais qu'il ne méprife point ceux
'* des autres. Ils ont eu de grands génies
'* & de grandes vertus : cela eft toujours
" eftimable. Ils fe font dits les envoyés de
" Dieui cela peut être &: n'être pas : c'eft
" de quoi la pluralité ne fçauroit juger
'* d'une manière uniforme -, les preuves n'e-
'„ tant pas également à fa ponce. Mais.
«s LETTRE
„ quand cela ne feroit pas, il ne faiitpoînC
„ les traiter fi légèrement d'impofteurs.
3, Qui fçait jufqa'où les méditations con-
5, tinuelles fur la Divinité -, jufqu'où l'en-
5, thoufiafme de la vertu ont pu, dans leurs
„ fublimesames, troubler l'ordre didacli-
„ que & rampant des idées vulgaires ?
5, Dans une trop grande élévation la tête
5, tourne, de l'on ne voit plus les chofes
5, comme elles font. Socrate a cru avoir uiî
3, efprit tamilier, & l'on n'a point ofé l'ac-
„ cufer pour cela d'être un fourbe. Trai-
„ ferons nous les fondateurs des Peuples,
„ les bienfaiteurs des Nations avec moins
„ d'égard qu'un particulier?
„ Du refte, plus de difpute entre vous
,, fur la préférence de vos cultes. Ils font
„ tous bons, lorfqu'ils font prefcrits par
5, les Loix, &z que la Religion eilentielle
5, s'y trouve: ils font mauvais quand elle
„ ne s'y trouve pas. La forme du culte efl;
,, la police des Religions , & non leur
5, effencc ; & c'ert: au Souverain qu'il appar-
„ tient de régler la Police dans (on pays,,.
J'aipenfé, Monfeigneur, que celui qui
raifonneroit ainfi ne feroit point un blafphé-
mateur , un impie 5 qu'il propoferoit un
naoyen de paix jufte , raifonnable, jatile aux
hommes: & que celan'empêcheroit pas qu'il
n'eût fa Religion particulière, ainli que les
autres, & qu'il n'y fut tout auffi fincerement
attaché. Le vrai croyant, fçachaiu que i'inr
A M. DE BEAUMONT- S9
fidèle eft auffi un homme, & peut-être un
honnête homme , peut fans crime s mtere -
fer à Ton fort. Qu'il empêche un cul e
étranger de s'introduire dans fon pays , cela
eftiufte-, mais qu'il ne damne pas pour
cela ceux qui ne penfent pas comme lui : car
quiconque prononce un jugement U témérai-
re fe rend l'ennemi du relie du genre humain.
J'entends dire fans ceffe qu'il faut admettre
la tolérance civile, non la théologique -, je
penfetout le contraire. Je crois qu'un hom-
me de bien, dans quelque Religion qu il vi-
ve de bonne foi, peut être fauve. Mais )e
ne crois pas pour celaqu'on puifle légitime^
ment introduire en un pays des Rehgions
étrangères fans la permiflion du Souveram i
car fi ce neft pas diredement delobeir a
Dieu , c'eft défobéir aux loix-, & qui delo-
béit aux loix , défobéit à Dieu. ^
Quant aux Religions une fois établies ou
tolérées dans un pays , je crois qu il elt in-
iufte & barbare de les y détruire par lavio;
jence , & que le Souverain fe tait tort a
lui-mcme en maltrauant leurs {e6tateurs. II
eft bien dificrent d'embraffer iine Rejigion
nouvelle , ou de vivre dans celle ou on eft
• né; le premier cas feul eft puniffable. On
ne doit ni laiftcr établir une diverlite de cul-
tes ni profcrire ceux qui font une tois éta-
blis i car un fils n'a jamais tort de Uuvre la
Religion de fon père. La raifon de la tran-
quilité publique eft toute contre les perle-
^^ LETTRE'
cuteurs. La Religion n'excite jamais de trou-
bles dans un état qne quand le parti domi-
nant^ veut tourmenter le parti toib.le , ou
que le parti Foible, intolérant par principe,
ne peut vivre en paix avec qui que ce foit.
Mais tour culte légitime ; e'eft-à-dire, touc
culte où fe trouve la Religion effentielle ,
& dont , par conféqueat , les feétateurs ne
demandent que d'être foufferts 6c vivre en
paix, n'a jamais caufé ni révoltes ni guér-
ies civiles , Cl ce n'eft lorfqu'il a fallu fe dé-
tendre de repouiler les perfécuteurs. Jamais
ies Proteftans n'ont pris les armes en France
que lorfqu'oH les y-apourfuivis. Si l'on eût
pu fe refoudre à les lailTer en paix , ils y fe-
roient demeurés. Je conviens, fans détour,
qu'àfanaillance la Religion réformée n'avoit
pas droit de s'étiblir en France, malgré ks
ioix. Mais , lorfque , tranfoifc des pères aux
enfans, cette Religion fut devenue celle
d'une partie de la Nation Françoifè , & que
Je Prince eut folemneilement traité avec
cette partie par l'Edit de Nantes -, cet Edit de-
vint un contrat inviolable, qui ne pouvoit
plus être annullé que du commun confente-
rnent des deux parties, & depuis ce temps,
Pexercicedela Religion Proteftante eft, fe- '
4onmoi, légitime en France.
^ Quand il ne le feroit pas, il refteroit tou-
jours aux fujets l'alternative de îbrtir du
Royaumeavecleursbiens,oud'yreftcr,fou-
«îis au culte domixiant. Mais les' contraindre
A M. DE BEAUMONT. çf
I refler fans les vouloir tolérer, vouloir à
la fois qu'ils foient & qu'ils ne foient pas ,
les priver mcme du droitde la nature, annul-
Jer leurs mariages (56) , déclarer leurs en-
fans bâtards.... en ne difant que ce qui eft,
j'en dirois trop -, il faut me taire.
Voici du moins ce que je puis dire. En
confidérant la feule raifon d'Etat, peut-
ctrc a t-on bien fait d'ôter aux Proteftans
Pxançois tous leurs chefs .• mais il falloit s'ar-
(36) Dans un Arrêt du Parleinenî de Touloufe, con-
cernant i'aaaire de l'infortuné Calas , on reproche aux
ï'roteflans de faire entr'eux des mariages qui , fehn les
Froteftans , m font fue des ABes chils , fc" par confé-
Client fournis endéremeat , jpour la form: b" les effets , à
la volonté du Roi. . . _
Ainfi de ce que , félon les ProteRans , le mariage eft
un Aâc civil , il s'enfuit qu'ils font obligés de fe fou-
mettre à la volonté du Roi , qui en fait un Aâe de la
Religion Catholique. Les Proteftans , pour fe marier ,
font légitimement tenus de fe faire Catholiques , attendu
que , félon eux, le mariage eil un Afte civil. Telle eft
la manière de raifonner de MefTieurs du Parlement de
Touloufe. ^ r, . T? •
la France eft un Royaitme fi vafie , que les trancou
fc font mis dans l'efprit que le genre humain ne devoit
point avoir d'auutreslûix que les leurs. Leurs Parlemens
& leurs Tribunaux paroiffent n'avoir aucune idée du droic
naturel , ni du droit des gens ; & il eft à remarquer que
dans tout ce grand Royaume, où font tant d'Univerfités,
tant de Collèges, tant d'Académies, & où l'on enfeigne,
avec tant d'importance, tant d'inutilités , il n'y a pas une
feule Chaire de Droit naturel. C'cft le feul peuple de l'Eu-
rope qui ait regardé cette étude comme n'étant bonne à
ï.jen.
-^% ^ LETTRE
rêter-là. Les maximes politiques ont leurf
applications &: leurs dillmdions. Pour pré-
venir les diircnhons qu'on n'a plus à crain-
dre , on s'ôte des reffources dont on auroit
grand befoin. Un parti qui n'a plus ni
Grands ni nobleiTe à fa tête, quel mil p»!ut-
il taire dans un Royaume tel que ia Fran-
ce î Examinez toutes vos précédentes guer-
res ; appeliez guerres de Religion : vous
trouverez qu'il n'y en a pas une qui n'ait
eu facaufeàlaC )ar , & dans les intérêts des
Grands. Des intrigues de Cabinet brouil-
loient les affaires, &c puis les Chefs ameu-
toient les peuples au nom de Dieu. Mais
quelles intrigues, quelles cabales pcuvenc
former des Marchands & des Payfans r Com-
ment s'y prendront-ils pour fufciter un par-
ti dans un pays où Ton ne veut que des Va-
lets ou des Maîtres , & où l'égalité eft in-
connue ou en horreur î un Marchand , pro-
pofant de lever des troupes, peut fc taire
écouter en Angleterre , mais il fera toujours
rire des François ( 37).
( 37 ) Lefeul cas qui force un peuple ainfi dé-
nué de Chefs à prendre les arm^s, c'cil quand,
réduit au défc;fpoir par fes perfccuteurs, il voit
qu'il ne lui reite plus de choix que dans la ma-
nière de périr. Tel fut, au commencement de
ce fiecle, la guerre des Camifards. Alors on ell
tout étonné de la force qu'un parti méprifé tire
defon défefpoir : c'ell ce quejamais les perfecu-
teurs n'ont fçu calculer d'avance. Cependant, de
teles gueres coûtent tant de fang , qu'ils devroi-
ent bien y fonger avant de les rendre inévitables.
A M. DE BEAUMONT. pj
Si j'étois... Roi? non. Miniftre î encore
rsoinsi mais homme puifl'ant en France, je
dirois : tout tend parmi nous aux emplois,
aux charges ■■, tout veut acheter le droit de
mal faire-, Paris & la Cour engouffrent tout.
LaiflTons ces pauvres gens remplir le vuide
des Provinces-, qu'ils foient marchands, &
toujours marchands j laboureurs , &c tou-
jours laboureurs. Ne pouvant quitter leur
état , ils en tireront le meilleur parti pofli-
ble y ils remplaceront les nôtres dans les
conditions privées , dont nous cherchons
tous à fortir -, ils fairont valoir le commerce
& l'agriculture questout nous fait aban-
donner ; ils alimenteront notre luxe : ils
travailleront , 8c nous jouirons. ^
Si ce projet n'ctoitpas plus équitable que
ceux qu'on fuit, il feroit du moins plus hu-
main , fûrement il feroit plus utile. Ceft
moins la tyrannie, & c'efl: moins Pambition
des Chefs , que ce ne font leurs préjugés &
leurs courtes vues, qui font le malheur des
Nations.
Je finirai par tranfcrire une efpece de dif-
cours qui a quelque rapport à mon fujet, ôc
qui ne m'en écartera pas long-temps.^
Un Parfis de Surat ayant en fecret épou-
fé une Mufulmane , fut découvert, arrêté,
Se ayant refufé d'embrafler le Mahométif-
me , il fut condamné à mort. Avant d'aller
au fupplice , il parla ainfi à fes juges.
„ Quoi 1 vous voulez m'ôter la vie? Eh J
i94 . LETTRE
5, de quoi me puniirez-vousî J'ai tranrgre(-
fé ma Loi plutôt que la vôtre : ma Loi par-
5, le au cœur, ôc ii'efl: point cruelle i mon
5, crime a été puni par ie biàmede mes fre-
j, res. Mais que vous ai- je tait pour mériter
5, de mourir î Je vous ai traités comme ma
5, famille , & je me fuis choifi une fœur parmi
,, vous. Je l'ai lailfée libre dans fa croyance,
3, «Scelle a refpetlé la mienne pour fon propre
5, intérêt. Borné (ans regret à elle feule ,
3, je l'ai honorée comme l'inftrument du cul-
5, te qu'exige l'Auteur de mon être ■■, )'ai
„ payé par elle le tribut que tout homme
5, doit au genre humain: l'amour me l'a
3, donnée, Ôc la vertu mêla rendoit chère:
3, elle n'a point vécu dans la fervitude, elle
5, a polTédé fins partage le cœur de fou
5, époux; ma faute n'a pas moins £iit fou
5, bonheur que le mien.
j, Pour expier une faute fi pardonnable,
'„ vousm'avezvoulu renJrefouvbe & men-
„ teur , vous m'avez voulu forcer à pro-
3, felfer vos fentimens fms les aimer & (ans
',, y croire : comme li le transfuge de nos
,, loix eût mérité de p.iller (ous les vôtres:
5, vous m'avez fait opter entre le parjure
5, & la mort , 8c j'ai choilî ; car je ne veux
j, pas vous tromper. Je meurs donc, puiL-
5, qu'il le faut: mais je meurs digne de re-
5, vivre 8c d'animer un autre homme jufte.
5, Je meurs martyr de ma Religion , fans
„ craindre d'entrer après ma mort dans la
A M. DE BEAUMONT. 9^,
"^^ vôtre. Puiflé-je renaître chez les Mufulr
j, mans pour leur apprendre à devenir hu-
„ mains, démens, équitables y car fervant
5, le même Dieu que nous fervons , puif-,
„ qu'il n'y en a pas deux , vous vous aveu-,
5, glez dans votre zèle, en tourmentant fes
„ ferviteurs, &: vous n'êtes cruels & fan-
,, guinaires que parce que vous êtes incon-
„ fcquens.
„ Vous êtes des encans qui , dans vos
„ yeux ne fçavez que taire du mal aux
„ hommes. Vous vous croyez fçavans, ôc
5, vous ne fçavez rien de ce qui eft de Dieu;
„ Vos dogmes récens font ils convenables
à celui qui elt & qui veut être adoré de
tous les tems ? Peuples nouveaux, com-
ment ofez vous parler de Religion devant
nous? Nos Rits font ai.lTi vieux que les
aftres : les premiers rayons du Soleil ont
éclairé & reçu les hommages de nos Pè-
res. Le grand Zerdull; a vu l'enfance du
monde j il y a prédit & marqué l'ordre de
rUnivers: Se vous hommes d'hier ,vous
voulez être nos Prophètes! Vingt fiecles
avant Mahomet , avant la naiffance d'If-
maël & de fon perc , les Mages étoient
antiques. Nos livres facrés étoient déjà
ïa Loi de l'Ahe & du monde , Se trois
glands Empires avoient fucceirivement
achevé leur fong cours fous nos ancêtres,
avant que les vôtres fuffent fortis du
j, néant.
îj
il
î>
5>
5J
5J
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3)
5
^<î LETTRE
„ Voyez , hommes parvenus , la dîtté-'
rence qui eft entre vous & nous. Vous
vous dites Croyans , & vous vivez en bar-
bares. Vos Inftitutions , vos Loix , vos
„ cultes , vos vertus mêmes tourmentent
^, l'homme ôc le dégradent. Vous n'avez
„ que de triftes devoirs à lui prefcrire. Des
„ jeûnes, des privations , des combats, des
j, mutilations, des clôtures, vous ne fça-
,, vez lui faire un devoir que de ce qui peut
l'affliger & le contraindre. Vous lui fai-
j, tes haïr la vie & les moyens de la confer-
', ver •• vos femmes font fans hommes-, vos
j, terres font fans cultures ; vous mangez
j, les animaux, & vous maffacrez les Hu-
j, mains -, vous aimez le fang des meurtres;
j, tous vos établilîemens choquent la natu-
re, aviliffent l'efpece humaine: <k,fous
Il le double joug du Defpotifme Se du fa-
'] natifme , vous l'écrafez de fes Rois Se de
„ fes Dieux.
Pour nous, nous forames des hommes
de paix , nous ne faifons ni ne voulons
aucun mal à rien de ce qui refpire , non
pas même à nos Tyrans : nous leur cé-
dons fans rrgret le fruit de nos peines,'
contens de leur être utiles, &dc remplir
nos devoirs. Nos nombreux beftiaux
couvrent vos pâturages : les arbres plan-
tés par vos mains vous donnent leurs
fruits ôc leurs ombres: vos terres que
,] nous cultivons vous nourrillent par nos
A M. DE BEAUMONT. 5>7
;, foins: un peuple limple ôc doux multi-«
5, plie fous vos ouvrages , & tire pour vous
„ la vie &c l'abondance du fein de la mère
„ commune où vous ne fçavez rien trouver.
3, Le Soieii, que nous prenons à témoin de
,y nos œuvres , éclaire notre patience Sc
„ vos injuftices ; il ne fe levé point fans
j, nous trouver occupés à bien faire , ôc en
5, fe couchant il nous ramené au fein de
nos familles nous préparer à de nouveaux
^, travaux.
„ Dieu feul fçait la vérité. Si malgré tout
5, cela nous nous trompons dans notre cul-
„ te , il eft toujours peu croyable que
5, nous foyons condamnés à l'Enfer , nous
„ qui ne taifons que du bien fur la terre ,
„ îk que vous foyez les Elus de Dieu, vous
3, qui n'y faites que du mal. Quand nous
5, ferions dans Terreur , vous devriez la
,, refpeder pour votre avantage. Notre
„ piété vous engraifle , & la vôtre nous
„ confume,nous réparons le mal que vous
„ fait une Religion deflruccive. Groyez-
„ moi , laifïez-nous un culte qui vous eft
j, utile-, craignez qu'un jour nous n'adop-
„ tions le votre -, c'eft le plus grand mal
j, qui vous puiffe arriver „.
J'ai taché, Monfeigneur, de vous faire
entendre dans quel efprit a été écrite la
profelfion de foi du Vicaire Savoyard , ôc
les confidérations qui m'ont porté à la pu-
blier. Je vous demande à préfeni à quel
e)"s LETTRE
égard vous pouvez qualifier fa doArine de
blafphématoire , d'impie , d'abominable , Sc ,
ce que vous y trouvez de fcandaleux &c de
pernicieux au genre humain. J'en dis au-
tant à ceux qui m'accufent d'avoir dit ce \
qu'il falloit taire, & d'avoir voulu troubler
l'ordre public-, imputation vague & témé-
raire , avec laquelle ceux 'qui ont le moins
réfléchi fur ce qui eft utile ou nuifible,
indifpofent d'un mot le public crédule con-
tre une Auteur bien intentionné. Eft-ce ap-
prendre au peuple à ne rien croire, que le
rappeller à la véritable foi qu'il cujblie. Eft-
cetroublerl'ordre, que renvoyer chacun aux
Loixde Ton pays? Eft-ce anéantir tous les
cultes, que borner chaque peuple au hen?
Eft-ce ôter celui qu'on a, que ne vouloir
pas qu'on en change î Eft-ce fe jouer de
toute Religion , que refpeder toutes les
Religions. Enfin eft-il donc fi elfentiel à
chacun de haïr les autres, que, cette haine
ôtée, tout foit ôté?
Voilà pourtant ce qu'on perfuade au
peuple quand on veut lui faire prendre fon
dcfenfeur en haine, & qu'on a la force en
main. Maintenant , hommes cruels, vos Dé-
crets , vos Btichers , vos Mandements , vos
Journaux le troublent & l'abufent fur mon
compte. 11 me croit unmonftre furla toi de
vos clameurs -, mais vos clameurs celléront
enfin -, mes Ecrits refteront^ malgré vous
par votre honte. Les Chrétiens , moins
A M. DE BEAUMONT. ^^
prév-enus-, y chercheront avec (urprife les
horreurs que vous prétendez y irouver-, ils
n'y verront , avec la morale de leur divin
Maître , que des leçons de paix , de con-
corde & de chanté. Puilîent-ils y appren-
dre à être plus julK'S que leurs Pères! Puit-
fent les vertus qu'ils y auront pnfcs , me
venger un jour de vos maléd étions i
A l'égard des ohjeélions fur les red:es
particulières dans lerquelles l'Univers efl:
divifé , que ne puis- je leur donner allez de
force pour rendre chacun moins entêté de
lafienne, & moins ennemi des autres, pour
porter chaque homme à l'mdulgence , à la
douceur , par cette conlîdéraiion Ci frappan-
te & fi naturelle , que , s'il fût né dans uti
autre pays , dans une autre Ccéke , il pren-
droit infailliblement pour l'erreur ce qu'il
prend pour la vérité , & pour la vérité ce
qu'il prend pour l'erreur. Il importe tant
aux hommes de tenir moins aux opinions
qui les divifent qu'à celles qui les unillent.
Et au contraire, négligeant ce qu'ils ont de
commun , ils s'acharnent aux fentimens par-
ticuliers avec une efpece de rage i ils tien-
nent d'autant plus à ces fentiments qu'ils
femblent moins raifonnables , ôc chacun vou-
droit fuppléer à force de confiance à l'auto-
rité que la railon retule à Ton parti. Ainfi,
d'accord au fond fur tout ce qui nous intc-
refle, & dont on ne tient aucun compte,
on palTela Yieàdirputer,à chicaner, àtoui:-
G
100 ^ LE T T R E
meiiter , à per(cciuer à fe battre , pour
les chofes qu'on entend le moins , Se qu'il
eft le moins néceilaire d'entendre. On
entafle en vam dccifions fur dccifions •, on
plâtre en vain leurs contradictions d'un jar-
gon inintelligible , on trouve chaque jour
de nouvelles queftions à réfoudre, chaque
jour de nouveaux fujets de querelles, parce
que chaque dodrine a des branches infinies,
ëc que chacun , entêté de fa petite idée ,
croit eflentiel ce qui ne l'efl: point , <5<: né-
glige l'elfentiel véritable. Que lion leurpro-
pofe des objections qu'ils ne peuvent rc(ou-
dre, ce qui, vu l'échataudage de leurs doc-
trines , devient plus facile de jour en jour j
ils fe dépitent comme des enfans j Ôc parce
qu'ils font plus attachés à leur prati qu'à la
vérité, Se qu'ils ont plus d'orgueil que de
bonne foi , c'ell: fur ce qu'ils peuvent le
moins prouver qu'ils pardonnent le moins
quelque doute.
Ma propre hiftoire caracftérife mieux
qu'aucune autre le jugement qu'on doit por-
ter des Chrétiens d'aujourd'hui-, mais coin-
me elle en dit trop pour être crue, peut-
être un jour fera i-elle porter un jugement
tout contraire \ un jour , peut-être , ce qui
ù'n aujourd'hui l'opprobe de tnes contem-
porains fera leur gloire , Se les lîmples qui
liront mon Livre, diront avec admiration:
Quels tcms angéliques ce dévoient être que
A M. DE BEAUMONT. loi
ceux où un tel Livre a été brûlé comme
impie , & Ton Auteur pourfuivi comme un
maltaiteur 1 fans doute alors tous les Ecrits
rclpiroient la dévotion la plus fublime, ôc
Ja terre écoit couverte de Saints i
Mais d'autres Livres demeureront. On
faura , par exemple , que ce même fiécle
a produit un panégyrifte de Saint Barthéle-
mi , Français , ôc ( comme on peut bien
croire) homme d'Eglife, fans que ni Parle-
ment ni Prélat ait fongé même à lui chercher
querelle. Alors , en comparant la morale
des deux livres Se le tort des deux Auteurs,
on pourra changer de langage, ôc tirer une
autre conclufion.
Les doélrines abominables font celles qui
mènent au crime, au meurtre , ôc qui font
des fanatiques. Eh 1 qu'y a-t-il de plus abo-
minable au monde , que de mettre rinjuftice
& la violence en fyftcme, & de les faire dé-
couler de la clémenre de Dieu î Je m'abf^
tiendrai d'entrer ici dans un parallèle qui
pourroit vous déplaire. Convenez feule-
ment , Monfeigneur , que fî la France eût pro-
fefl'é la Religion du Prêtre favoyard, cette
Religion fï ilmple ôc fî pure ,qui fait crain-
dre Dieu, & aimer les hommes, des fleuves
defang n'eulTcnt point fi fouvent inondé les
champs Français i ce peuple Ci doux ôc (i
gai n'eût point étonné les autres de fes cruau-
tés dans tant de pcrlécutions ôc de maP-
facres , depuis rinquifuion de Touloufe
G3
îoî LETTRE
(j3 ) JLirqu'àla Saint Barthcleml , Sc depuis
la guerre des Albigeois jufqu'aux Dragon-
nades i le Gonfeiller Anne du Bourg n'eût
point été pendu pour avoir opiné à la dou-
ceur envers les Réformés -, les habitans de
Merindol &c de Cabrieres n'euflent point été
inis à mort par Arrct du Parlement d'Aix,
& fous nos yeux l'innocent Calas , torture
par les bourreaux , n'eût point péri fur la
roue. Revenons à préfent , Monfeigneur,
à vos cenfures ôc aux raifons fur lefquelles
vous les fondez.
Ce font toujours des hommes , dit le Vi-
caire , qui nous attellent la parole de Qieu ,
Ôc qui nous l'atteftcnt en des langues qui nous
font inconnues. Souvent , au contraire ,
nous aurions grand befoin que Dieu nous
aiteftàtlaparole deshommes; ileft bienfûr,
aiimoins, qu'il eût pu nous donner la Tienne ,
(58). Il eft vrai que Dominique, faint Efpapol , y
eut grande part. Le Saint , félon un Ecrivain de fon Or-
dre , eut la charité, prêchant contre les Albigeois , de
s'adjoindre des dévotes perfonnes zélées pour la foi ,
lefquelles priffent le foin d'extirper corporellement iX.
par le elaive matériel les hérétiques qu'il n'auroit pu
vaincre avec le glaive de la parole de Dieu. Ob cha-
rhateniy prœdicans contra Albienjcs , in adjuionum Jum-
fic quai dam dévot js perjonas , idantes pro fide , qux cor-
voraliter illos H^ereticos gladio marerali expugnarenc ,quos
iple gladio verbi Dei amputare non pojjet. Antonin. in
Chron. P. 1 II. tit ij. c. 14. S. i- Cette charité neref-
femble guerre à celle du Vicaire; aufTi a-t-eUeun priK
bien ditférent. L'une fait décréter » & l'autrC canonifer
jCeux ^ui U profèrent*
A M. DE BÈAUMONT. îo/
fans fe fervir d'organes fi furpe<£tes. Le Vi-
caire fe plaint qu'il taille tant de témoigna-
ges humains pour certifier la parole divine :
que d'hommes i dit-il , entre Dieu & mol
Vous répondez.* Pourvue cette plainie
futfenfe'e, M. T. CF. il jaudroït pouvoir
conclure que la Révélation ejl fcLuJJe des
quelle na point été faite à chaque homme
en particulier ; il faudrait pouvoir dire :
Dieu ne peut exiger de moi que je croi ce
qu^on m' ajfure qu'il a dit , des que ce nefl
pas directement à moi qu'il a adrejjé Jiz
parole ( 40 ).
Et tout au contraire , cette plainte n'efl:
ftnfée qu'en admettant la vérité de la Révé-
lation. Car fi vous la fuppofez faulTe, quelle
plainte avez vous à faire du moyen dont Dieu'
s'eft fervi, puifqu'il ne s'en efl: fervi d'au-
cun? Vous doit-il compte des tromperies
d'un importeur i Quand vous vous laiflez
duper , c'efl: votre faute Se non pas la hen-
né. Mais lorfque Dieu , maître du choix de
fes moyens, en choifit par préférence qui exi-
gent de notre part tant de fçavoir & de fi
profondes difcuflions , le Vicaire a t-il tort
de dire : „ Voyons toutefois examinons ,
„ comparons , vérifions. O fi Dieu eût dai-
„ gné medirpcnfcr de tout ce travail, l'en
(39) Emile, Tome III. p. i-^i. ^
(40) Mandement in-quarto, p. li, in-'^ p« xxxl.
Gij
*ï04 LETTRE
3, aurois-je fervi de moins bon cœur î
(41 ) »;
Monieigneur, votre Mineure elt .idmira-
ble. Il faut la tranlcrire ici toute entière _;
j'aime à rapporter vos propres termes ■, c'eil
ma plus grande méchanceté.
Mais nefc-il donc pas un infinité de
faits , même antérieurs à celui de la Révé-
lation chrétienne , dont il ferait abfurde de
douter? Par quelle autre voie que celle des
témoignages humains , t auteur lui même
a- t-il donc connu cette Sparte ^ cette Athènes y
cette Rome dont il vante fi fouvent (> avec
tant d'affurance les Loix , les mœurs & les
héros} Que d'hommes entre lui & les HiJIo-
riens qui ont confervé la mémoire de ces
evénemcns ?
Si la matière étoit moins grave. Se que
j'eulTe moins de retpe6t pour vous , cette
manière de raifonner me tourniroit peut-
être l'occalîon d'égayer un peu mes lec-
teurs*, mais à Dien ne plaife que j'oublie le
ton qui convient au (ujet que je traite , &
à l'homme à qui je parle. Au rifque d'être
plat dans ma réponfe, il me fuHit de mon-
trer que vous vous trompez.
Conlidcrez donc , de grâce, qu'il efl: tout-
à-fait dans l'ordre que des taits humains
•foient attelles par des témoignages humains.
Ils ne peuvent l'être par nulle autre voie \
je ne puis fçavoir que Sparte <^ Rome ont
(41 ) Emile , ubii fup.
A M. DE BEAUMONT. loç
exifté, que parce que des Auteurs contem-
porains me le difent , & entre moi de un
autre homme qui a vécu loin de moi, il raut
nccedairement des intermédiaires , mais
pourquoi en faut-il entre Dieu & moi, &
pourquoi en taut-il de li éloignes , qui en ont
befoin de tant d'autres ? Eft-il iîmple , eft-il
naturel que Dieu ait été chercher Moyfe
pour parler à Jean-Jacques Roulleau î
D'ailleurs nul n'eft obligé, fous peine de
damnation, de croire que Sparte ait exifte,
nul, pour en avoir douté , ne fera dévoré des
flammes éternelles. Tout tait dont nous ne
fommes pas les témoins , n'eft établi pour
nous que fur des preuves morales, ôc toute
preuve morale eft fuCceptible de plus & de
moins. Croirai-je que la jnftice divine me
précipite à jamais dans l'Enfer, uniquement
pour n'avoir pas fçu marquer bien exacte-
ment le point où une telle preuve devient
invincible ?
S'il y a dans le monde une hiftoire attef-
tce , c'ell: celle des Wampris. Rien n y
manque i procès verbaux , certificats de
Notables , de Chirurgiens , des Curés , de
Magiftrats. La preuve juridique eft des plus
complettes. Avec cela, qui eft -ce qui croit
aux Wampris î Serons -nous tous dam-
nés pour n'y avoir pas cru?
Quelque atteftés que foient , au gré mê-
me de l'incrédule Ciceron , plufieurs des
prodiges rapportés par Titc-Live , je les
loS LETTRE
regarde comme autant de tables , 8c furc-
ment je ne fuis pas le feul. Mon expérience
conftante, ôc celle de tous les hon:!mes, d\
plus forte ea ceci que le témoignage de
quelques-uns. Si Sparte & Rome ont été
des prodiges elles-mêmes , c'ctoient des
prodiges dans le gendre moral *, & com-
me on s'abuieroit en Laponie de fixer à qua-
tre pieds laftatue naturelle de Thomme, od
ne s'abuferoit pas moins parmi nous de fi-
xer la mefure des âmes humaines fur celles
des gens que l'on voit autour de foi.
Vous vous fouviendrez, s'il vous plaîf,
que je continue ici d'examiner vosraifonne-
mens en eux-mêmes, fans foutenir ceux que
vous attaquez. Aprco ce nicmoratit nccellai-
re , je me permettrai fur votre manière d'ar-
gumenter encore une fuppofition.
Un habitant de la rue S. Jacques vient
tenir ce difcours à Monfieur l'Archevêque
de Paris. „ Monfeigneur, je fçais que vous
„ ne croyez ni à la béatitude de S. Jean de
5, Paris, ni aux miracles qu'il a plu à Dieu
„ d'opérer en public fur fa tombe , à la vue
„ de la Ville du Monde la plus éclairée 8c
5, la plus nombreufe. Mais je crois devoir
j, vous attcfter que je viens de voir relfuf-
j, citer le Saint en perfonne dans le lica
5, oii fes os ont été dépofés ,,.
L'homme de la rue S. Jacques ajoute à
cela le détail de toutes les circonlianccs qui
peuvent frapper le fp'"^ r d "•."• p^ii-cil
A M. DE BEAU M ONT. 107"
fait. Je fuis perfuadé qu'à l'ouie de cette
nouvelle, avant de vous expliquer fur la foi
que vous y ajoutez, vous commencerez par
interroger celui qui l'attefte, fur Ton état,
fur'fes fentimens , fur Ton Confeireur , fur
d'autres articles femblables -, ôc lorfqu'à fon
air comme à fes di(cours ,vous aurez com-
pris que c'efl: un pauvre ouvrier, <Sc que
n'ayant point à vous montrer de billet de
confeflion , il vous confirmera dans l'opi-
nion qu'il eft Janfénifte-, .. Ah, ah!,, lui di-
rez-vous d'un air railleur, « vous êtes cori-*
3j vulHonnaire, & vous avez vu refliifciter
,i Saint Paris ? Cela n'efl: pas fort cton-
,j nanti vous avez vu tant d'autres mer-/
,j veilles „. . .
Toujours dans ma fuppofuion , lans dou-
te, il infiftera : il vous dira qu'il n'a point-
vu feul le miracle-, qu'il avoit deux ou trois
perfonnes avec lui qui ont vu la même
chofe, & que d'autres à qui il l'a voulu ra-
conter , difent l'avoir aulfi vu eux-mcmes*
Là-delîus vous demanderez fi tous fes té-
moins étoient Janfcniftes. ,t Oui , Mon-
féigneur , „ dira-t-il j ,, mais n'importe:
,j ils font en nombre fu ffifant , gens de bon-
,5 nés mœurs , de bon fens , & non rccufa-
55 blés , la preuve efl: complette , ô: rien
5j ne manque à notre déclaration pour'
jj.conftater la vérité du fait „.
D'autres Ëvcques moins charitables en-"
.3f^rroiêrir>clK liber- un Gcmmiifaire, 6t Un-
Gvj.^
loS LETTRE
configncroîent le bon homme honore de
la viilon glorieufe , pour en aller rendre
grâces à Dieu aux Petites Mailons. Pour
vous , Monfeigneur , plus humain , mais non
plus crédule , après une grave réprimande ,
vous vous contenteriez de lui dire : „ Je
5, fçais que deux ou trois rémoins honnè-
„ tes gens & de bon fens, peuvent attelleu
.„ la vie ou la mort d'un homme j mais je
,, ne fçais pas encore con>bien il en taut
„ pour conftater laréfurretStion d'un J'anfé-
„ nille. En attendant que je l'apprenne, al-
,, lez, mon entant, tâchez de t".n-tiBer votre
„ cerveau creux. Je vous diipenfedu jeiine ,
„ de voilà de quoi vous faire de bon bouilon
C'eft à peu près, Monfeigneur , ce que
vous diriez, & ce que diroit tout autre hom-
me fage, à votre place. D'où je conclue que,
même félon vous, & félon tout autre hom-
me fage , les preuves morales , fum(antes
pour condiater les faits qui font d.ins l'ordre
des poflîbilitcs morales, ne fuiTiùnr plus
pour conftatcr des hiits d'un autre ordre,
ôc purcmnt furnaturels, fur quoi je vous
lailTe juger vous-même de la jultcfle de vo-
tre comparailon.
Voici pourtant la conclufion triomphan-
te que vous en tirez contre moi: Son Scep'
tic'ifnie Jiejl donc ici fondé que fur tïutcrèe
de fan incrédulité [ 41 ]. Monfeigneur , il
(41) Mankmtni in-<iiiarto , p. li 3 iu-ii? P» W^j,
A M. DE BEAUMONT. lop
jamais elle me procure un Evêché de cent
mille livres de rente, vous pourrez parler
de l'intérêt de mon incrédulité.
Continuons maintenant à vous tranfcri-
re , en prenant feulement la liberté de ref-
tituer au befoîn les pallages de mon Livre
que vous tronquez.
5, Qu'un homme, ajoute- 1- il plus loin,
„ vienne nous tenir ce langage: Mortels,
„ je vous annonce les volontés du Très-
„ Haut •■, reconnoiirez à ma voix celui qui
5, m'envoie. J'ordonne au Soleil de chan-
j, ger Ton cours, aux étoilles de former un
,, autre arrangement , aux montagnes de
s'applanir , aux lios de s'élever , à la terre
„ de prendre un autre afped : à ces mer-
j, veilles, qui ne reconnoîtra pas à l'indanc
„ le maître de la nature ? Qui ne croirait,
,, A'I. T, C. F. que celui qui s exprime
j, de la forte , ne demande qu à voir des
,, miracles pour être Chrétien.
Bien plus que cela , Monleigneiir *, puif-
que je n'ai pas même befoin des miracles
pour être Chrétien.
Ecoute:^ toutefois qiiil ajoute : ,, Pvefte
5, eniîn , dit -il , l'examen le plus im-por-
,, tant dans la dodlrine annoncée i car puif-
j, que ceux qui difent que Dieu tait ici- bas
,, des miracles , prétendent que le Diable
5, les imite quelquetoi^ avec les prodiges
,, les mieux conftatés, nous ne femmes pas
„ plus avancés qu'auparavant \ ik. puilqae
no- t E T T R E
„lés Magiciens de Pharaon ofoient, en pré-
^.fence même de Moyle , faire les mcmes^
„ fîgnes qu'il faifoit par l'ordre exprès de-
„.Dieu, pourquoi dans fon abfcnce n'euf-
5, Cent -il pas , aux mêmes titres , prétendu-
j, la même autorité ? Ainli donc , après avoir
j, prouvé la doélrine par le miracle, il fauf
„ prouver le miracle par la doctrine , de
„ peur de prendre l'œuvre du Démon pour.
„i'œuvre de Dieu ( 45 ). Que faire en pa--
3, reil cas pour éviter le diable? Une fcu-^
„ le chofe i revenir au raifonnement , &C-
3, lailTer-là les miracles. -Mieux eut valu n'y
3,. pas recourir ,,.
C*ejl dire: qu'on me. montre des miracles ,-
Ô" je croirai. Oui , Monleigneur, c'ell dire,-,
qu'on me montre des miracles , & je croirai-
aux. miracles. C'ejl dire : quionme montre,
des miracles , & je refuferai encore de croi'
r^.-.Oui , Monfeigneur , c'eft dire, lelon le.
précepte même de Moyfe ( 44 ) : qu'on me
montre des miracles , & je rétuferai encore
de croire une dodlrine abfurde &. dér-ufon-f
nable qu'on voudroit ctayer par eux. Je'
Ci-oirois plutôt àla magie, que de rcconnoî-
tre la voix de Dieu dans des leçons contre'
]à.:rairon.
( 45 ) Je fuis forcé de confondre ici la note avec le.
texte , a limitation de M. Bcauniont. le Leaem pour-
ra confuher l'un & i autre dans le Livte-niÇiuet T^.
1 1 1 -, p. 145. & l'uiv.
( L44 } ;£)4uccrome».c. XIII*>
A M. DE BEAUM'ONT. ht
Tai dit que c'étoit-la du bon fens le plus
fimple , qu'on n'obfcurciroit qu'avec des
diftindrions tout au moins très-fubtiles :^-
c'eft encore une de mes prédidiions •, erï
voici l'accomplillement.
Quand une doclrlne ejl reconnue vraie ,-
divine , fondée Jur une révélation certaine^-.
on senjert pour juger des miracles y cejî-a-^
dire y pour rejetter les prétendus prodiges
que des impojieurs voudroient oppofer à cette
doctrine. Quand il s'assit d'une doÙrine nou-
velle quon annonce comme émanée dujein
de Dieu y les miracles font produits en preu-^
Ves y cefl-a-dire , que celui qui prend la
qualité d'Envoyé du Très Haut, confirmé-
fa MiJJion , fa prédication par des miracles
qui font le témoignage même de la Divinité.
Ainfi la doctrine & les miracles font des ar"
gumens refpeciifs don t on fait ufage , félon les :
divers points de vue oii Vonfe place dans l'e'
tude & dans Venfeignement de la Religion.
Il ne fe trouve là ni abus du rafonnenient yui
fophifme ridicule , ni cercles vicieux [45' ].■
Le Ledeur en pigera. Pour Kr<o\ je n'ajou-*
terai pas un feul mot- J'.ii quelque fois ré-
pondu ci-devant avec mes pallages ^ mais
c'eft avec le. vôtre que je veux vous répon*-
dre icii
Oiiejî donc , M. T. C. F. la bonne foii
f^hilofophique dont fe pare cet Lcnvainf.
m LETTRE
Monfeigneui-, je ne me Tais jamais pîqué
d'une bonne foi philofophiquc •, car je iVeii
connois pas de telle. Je n'oie même trop
pailei' de la bonne foi chrétienne , depuis
que de foi-difant Chrétiens de nos jours
trouvent ii mauvais qu'on ne fupprime pas
hs objections qui les embarradent. Mais
pour la bonne toi pure & imiplc, je deman-
de laquelle de la mienne ou delà vôtre eft
la plus facile, à trouver ici.
Plus j'avance , plus les points à traiter de-
viennent intérelîans. Il faut donc continuer
à vous tranfcrire. Je voudrois dans des dif-
culTions de cette importance ne pas omet-
tre un de vos mots.
On croirait gu après les plus grands efforts
pour décrcditcr les témoignages luimains qui
attejlcnt la Révélation Chrétien ne , le même
Auteur y défère cependant de la manière Ici
plus pcjitive , la plus Jolemnelle.
On auroit raifon fans doute , puifque je
tiens pour révélée toute dodtrine où je re-
connois l'efprit de Dieu. Il taut feulement
ôter l'amphibologie de votre phrafe : car
Ç\ le verbe relatif jy défère fe rapporte à la
Révélation Chrétienne , vous avez raifon j
mais s'il fe rapporte aux témoignages hu-
mains, vo'is avez tort. Quoi qu'il en foit,
je prends aCfe de votre témoignage contre
ceux qui ofent dire que je rejette toute
révélation , comme fi c'étoit rejetter une
dodiine que de la reconnoitre fujette
A M. DE BEAUMONT. iij
à des difficultés infolubles àTeTprit humain:
comme lî c'étoit la rejetter que de ne pas
J'admettre fur le tém.oignage des hommes
rorfqu'on a d'autres preuves équivalentes
ou rupcrieurcs , qui difpenfent de celle-là?
Il efl vrai que vous dites conditionnellcmenr,
on croiroif-) mais on cro/Voir figniiic oncroit,
lorlque la rai Ton d'exeption pour ne pas
croire fe réduit à rien , comme on verra
ci-aprcs de la vôtre. Commençons par la
preuve affirmative.
IL faut pour vous en convaincre ^ M. T,
C. F. & en' même- temps pour vous édifier ,
mettre Jous vos yeux cet endroit dejon ou-
vrage. ,, J'avoue que la majefté des Ecntu-
3, res m'étonne i la fainteté de l'Evangile
5, (4<5') parle à mon cœur. Voyez les Li-
j, vrcs des Philofophes , avec toute leur
5, pompe-, qu'ils font petits près de celui-
j, là ! h;: pvUt il qu'un Livre à la fois fi fu-
„ blime &: fi (impie foit l'ouvrage des
„ hommes) Se peut- il que celui dont il
„ fait rhiftoire ne foit qu'un homme lui-
„ même ? Eft-ce-là le ton d'un enthoulïafte
„ ou d'un ambitieux feâiaire ? Quelle dou-
(40; La néghgeace veca laquelle M. Beau-
mont m< tranfcrit, lui a Tait faire ici deux chan-
gement dans une ligne. 11 a nîis la. majejié de
VEcri^ure, au lieu de la majfjié des Ecritures; &
il a mis la fainteté de récriture , au lieu de la
fainteté de l'Evangile. Ce n'eil pas à la vérité,
me Faire dire des héréficsj niuis c'éft me faire
parler bitn niiiilVn.icnt,
ri4' L E T T R E
j>, ceur , quelle pureté dans Tes mœurs î
,» Quelle grâce touchante dans ces inftruc-
5, tions quelle élévation (Lms fcs maximes?
5, quelle profonde fagelTe dans Tes difcours?
,> quelle préfence d'efprit , quelle finellè
,> &c quelle juftefle dans Tes réponfes ?
,> quel empire Cur Tes pâffions ! Où eîl
5^ l'homme, où eft le fage qui fcait agir,-
5, fouftiir & mourir fans toiblefle ôc fans
5, oOientation (47) î Quand Platon peint
5j Ton Jufte imaginaire , couvert de tout
„ l'opprobre du crime ,^ digne de tous
5, les prix de la venu , il peint trait pout'
,y trait Jefus-Chrilt: la rellemblance eft h
j, frappante , que tous les Pères l'ont fen-
3, tie, & qu'il n eft pas poflîble de s'y trom-
j, per. Quels préjuges, quel aveuglement
„ ne faut-il point avoir pour ofer compa-
„ rer le fils de Sophronifque au fils de Ma-
3, rie? Quelle diftance de l'un à l'autre ISocra-
5, te mourant fans douleur , (ans ignomi-
5, nie , foutient aifément jufqu'au bout fon
„ perfomiage , ôc li cette facile mort n'eût
(47) Je remplis , félon ma coutume , les la-
cunes faites par M. de Beaumont , non qu'ab-
folumcnt ccUls qu'il tait ici fuient infidieiifes,
comme en d'auiics endioits-, mais parce que
lé de.liut de fuite c\ de liailon aHo.blit le pal-
fâg quand il eft troiiqué ; ix parce que mei,
p^'rfécuteurs fupprimant avec foin tout ce que
fai dlv de fi bon ccéut en faveur delà Religion»
il eft bon de le rétablir à-iïivfurê^qiiè-rocîafioîi'
A M. DE BEAUM'ONT. rr/
j, honoré fa vie , on douteroit h Socrate ,
j, avec tout Ton efprit , fur autre chofe
,i qu'un Sophifte. 11 inventa, dit-on, la
„ morale. D'autres avant lui Tavoicnt mife
5, en pratique y il ne fit que dire ce qu'ils
„ avoient faif, il ne fit que mettre en le-
„ çons leurs exemples. Ariftide avoit été
„ jufte avant que Socrate eût dit ce que
„ c'étoit que juilice^ Léonidas étoit mort
„ pour fon pays avant que Socrate eiit fait
„ un devoir d'aimer la patrie v Sparte
„ étoit fobre avant que Socrate eût loue
,y la (obriété \ avarjt qu'il eût défini la verr
„ tu , Sparte abondoit en hommes ver-.
,a tueux. Mais où Jefus avoit-il pris par-
5, mi les Tiens cette morale élevée & pure,
5, dont lui feula donné les leçons â: l'exem-
3, pie î Du (ein du plus turieux fanatifme'
„ la plus haute fagefie fe fit entendre ,
3, & la fimplicité des plus héroïques ver-«
3, tus honnora le plus vil de tous les pcu-
5, pies. La mort de Socrate philof:>phanr
„ tranquillement avec fes amis eft la plus
„ douce qu'on puifle deiîrer -, celle de Je-
„- fus expirant dans les tourmens , inju-
„ rié, raillé, maudit de tout un peuple,^
,, eft la plus horrible qu'on puiffe crain-
„ dre. Socrate prenant la coupe empoifon-
„ née bénit celui qui la lui préfente, ôc qui:
„ pleure. Jefus, au milieu d'un fupplice af-
,, freux, prie pour fes bourreaux acharnés,.
„ Oui , Cl la vie ôc la mon de Sociale. fouE.
ïk; lettre
5, d'un Sage , la vie îk la mort de Jefus
„ font d'un D;eii. Dirons-nous que i'hilloi-
„ re de PEvangile eft inventée à plaihr t
,, Non , ce n'ell: pas ainli qu'on invente :
,, & les faits de Socrate , djnt perfonne
„ ne doute , font moins attelles que cqvx
„ de Jcfus-Ghrill. Aa fond, c'efl: reculer la
„ difficulté Gns la détruire. 11 feroit plus
5, inconcevable que pludeurs hommes d'ac-
5, cord eullent fabriqué ce Livre , qu'il ne
„ l'eft qu'un feul en ait fourni le fujet.
„ Jamais des Auteurs Juits n'eulîent trûu-
„ vé ni ce ton, ni cette morale, & l'Evan-
„ gile a des caractères de vérité fi grands,
„ Il trappans , ii parfiitcment inimitables ,
j, que l'inventeur en fetoit plus étonnant
„ que le HéroS'f^48 ) „.
( 45> ) Il ferait difficile , AL T. C. F. de
rendre un plus bel hommage à V authenticité
de l'Evangile. Je vous fcais gré , Monleig-
iieur , de cet aveu j c'cft une injultice que
vous avez de moins que les aurres. Venons
maintenant à la preuve négative qui vous
fait diic , on croirait, au lieu d'an croit.
Cependant l^ Auteur ne la croit qu'en con-
J~i'qucnce des témoignages humains. Vous
vous trompez, Monfeigneur; jelareconno's
en conféquence de l'Evangile , 6c de la fu-
(48) Emile , T. II L p. 179 & fuiv.
(49) M;/2ic7nf/2 fin quarto, page 14, in dou-
ze , page xxaÏy'.
A M. DE BEAUMONT. 127
blîmité que j'y vois, fans qu'on me i'aitef-
te. Ji n'ai pas befoin qu'on m'affirme qu'il
y a un Evangile lorfque je le tiens. Ce font
toujours des hommes qui lui rapportent ce
que d autres hommes ont rapporté. Ec point
du tout i on ne me rapporte ponit que l'E-
vangile exifle j je le vois de mes propres
yeux , S^-quand tout l'Univers me foutien-
droii qu'il n'exiflie pas, je fçaurois très bien
que tout l'Univers ment, ou fe trompe. Que
d'hommes entre Dieu & lui} Pas un feul.
^'Evangile efl; la pièce qui décide *, & cette
pièce ert entre mes mains. De quelque ma-
nière qu'elle y foit venue , & quelque
Auteur qui l'ait écrite , j'y reconnois i'ef-
prit divin : cela eft immédiat autant qu'il
peut l'être \ il n'y a point d'hommes entre
cette preuve & moi ; & dans le fens où il
yen auroit , l'hiflorique de ce (aint Livre,
des Tes Auteurs , du temps où il a été com-
pofé, dcc. rentre dans les difculTions de cri-
tique où la preuve morale eft admife. Telle
ell: la réponfe du Vicaire Savoyard.
Le voilà donc bien évidement en contra'
diction avec lui- même: le voila confondu
par fcs propres aveux. Je vous laitle jouir
de toute ma confufion. Par quel étrange
aveuglement a-t-il donc pu ajouter} ,, Avec
5, tout cela ce même Evangile eft plein de
,, chofes. qui répugnent à la raifon , de qu'il
„ eft impollible à tout homme fenfé de
,) concevoir ni d'admettre. Que faut -il
îrS LETTRE
,, au milieu de toutes ces contradi(n:ions ?
3, Etre toujours moJefte ôc circonfpeâ: ; reT-
5, pecrer en hlence ( 50 ) ce qu'on ne fçiuroit
5, ni rejetcer m comprendre , & s'humi-
„ lier devant le grand Etre q-ii ieul fçaic
„ la vérité. Voilà le fcepticihme involori-
5, taire où je fuis rcdé ,,. Alais le fceptir
cifme y M. T. C, F. peut il donc être in-
volontaire y lorjqu'on refufe de fe fownettre
à la doctrine d'un Livre qui ne fçauroit être
inventé p-ii^ les hommes ? Lorjque ce Livre
porte des caractères de vérité Ji grands , fi
( 50 ) Pour que les hommes s'impofent ce
r-elrcft &ce ï\Q,-iZi , il faut que quelqu'un Lur
dift: une fois les raifôns d'en ufcr ainfi. Celui
qui connoit ces raifonspeut le dire, mais ccui
qui ccnfurent & n'en difent point pourroient
iè taire. Parler au public avec franchife , avec
fermeté , eft un droit commun à tous les hom-
mes, (5<mtrae un devoir en toute chofe utile :
mais il n'efi gueres permis à un particulier d'en
cenfurer pupliquement un autre : c'efî s'attri-
buer une trop grande fupsriorité de vertus, de
talents , de lumières. \'oilà pourquoi je ne me
fuis jamais ingéré de critiquer ni réprimander
pefonne. J'aiditàn^on fiecle des vérités dures,
mai? je n'en ai dit à aucun particulier ,• & s'il
m'eft arrivé d'attaquer & nommer quelques li-
vres , je n'ai jamais pailé des Auteurs vivans
qu'av-ec toute forte de bienféance & d'égardî.
On voit comment ils me les rendent. 11 me
femble que tous cts Mellieurs , qui fe mettent
fi fièrement en avant pour m'enfeigner l'hu-
nf'lité , trouvent la leçon meilleure à donner
qu'à fuivre.
A M. DE BEAUMONT; 119
Jrapa.ns , Ji parfaitement inimitables , que
l'inventeur en Jeroit plus étoruiaiu que It
Héros ? C'^Ji bien ici qiion peut dire que
l'iniquité a menti contre elle-même (yi j.
Monfeigneur , vous me taxez d'iniquité
fans fujet -, vous m'imputez fouvent des men-
fonges , &c vous n'en montrez aucun. Je
îTî'impoCe avec vous une maxime contraire,
ôc j'ai quelquefois lieu d'en ufer.
Le Scepticifme du Vicaire eft involon-
taire par la raifon même qui vous tait nier
qu'il le foit. Sur les toibles autorités qu'on
veut donner à l'Evangile, il le rejetteroit
par les raifons déduites auparavant , (ï l'eP.
prit divin, qui brile dans la morale & dans
la do6lrine de ce Livre , ne lui rendoit
toute la force qui manque au témoignage
des hommes fur un tel point. Il admet donc
ce Livre Sacré avec toutes les chofes ad-
mirables qu'il renterme, Sc que l'efprit hu,
main peut entendre ; mais quant aux chofes
incroyables qu'il y trouve , le/quelles ré-
pugnent à fa. raifon , €5* qiiil efl impojfible
à tout homme f en fé de concevoir ni d' admet-
tre , il les refpecte en Jîlence , fans les com-^
prendre ni les rejetter , d^ s'humilie devant
le grand Etre qui feul fçait la vérité. Tel
eft fon fceptifcime •, & ce fceptifcime eft;
bien involontaire , puifqu'il eft fondé fur
des preuves invincibles de part & d'autre
QUI forcent la raifon de refter en fufpens,
(ji ) Mandement in-4, pt 14, in-deme > page xxxvij.
/lo LETTRE.
Ce fcepticifiTie eft celui de. tout Chrctien
raifonnable ôc de bonne foi, qui ne veut
fçavoir des chofes du Ciel que celles qu'il
peut comprendre, celles qui importent à
fa conduite, $c qui rejette, avec l'Apôtre,
les quejlions peu fenfées qui font fans in-
Jlruciions j & qui n'' engendrent que des corti'
èats(s'i-).
D'abord vous me faites rejetter la Révé-
lation , pour m'en tenir à la Religion natu-
relle, de premièrement, je n'ai point re-
jette Ja Révélation. Enfuite vous m'accu-
fez de ne pas admettre même la Religion
naturelle i ou du moins de n'en pas recon^
noUre la nécejfité ; &c votre unique preuve
eft dans le palîage fuivant que vous rap-
pottez. „ Si je me trompe, c'eft de bonne
„ foi. Cela ruffit(/5) pour que mon er-
„ reur ne me foit pas imputée à crime,
„ quand vous vous tromperiez de même, il
5, y auroit peu de mal à ce^a. „ Ceft-a-
dire , continuez-vous , que Jelon lui , ilfiiffit
de fe perfuader quon ejl en profejfion de la,
vérité ; que cette perfuajîon , jut-elle ac-
compagnée des plus monfrueufes erreurs ,
on ne peut jamais être un fujet de repro-
che 'j qu'on doit toujours regarder comme un
homme f âge Ô' religieux j celui qui ^ adop-
tant les erreurs mêmes de V Athéifme , dira,
[ 52 ] Timoth. C. I I. v. 23.
( 5? ) Emile, Tom III. p. 21. M. de
Bcauiuont a mis , cela, mefuffit.
A M. DE BEAUMONT. m
qu'il ejl de bonne joi. Or ^ nefc-cepas làou^
yr'ir la porte a toutes les Juperjtitions , à.
tous les fyjlêmesjanatiques y à tous les dell'
res de Vejprït humain {^a^Y'
Pour vous , Monfeigneur, vous ne pour-
rez pas dire ici comme le Vicaire j Si je
me trompe y cejî de bonne foi: car c'efl: bien
évidament à detlein qu'il vous plaît de
prendre le change , & de le donner à vos
Ledeurs j- c'eft ce que je m'engage à prou-
ver fans réplique, & je m'y engage aind
d'avance, afin que vous y regardiez de plus
près.
La Profeflion du Vicaire Savoyard eft
compofce de deux parties. La première,
qui eft la plus grande, la plus importante,
la plus remplie des vérités frappantes &
neuves, cfl: deflinée à combattre le moderne
matcrialifme , à établir l'exiftence de Dieu
& la Religion naturelle avec toute la force
dont l'Auteur eft capable. De celle-là, ni
vous ni les Prctrcs n'en parlez point, par-
ce qu'elle vous eft fort indifférente, 6c
qu'au fond la caufe de Dieu ne vous tou-
che guère , pourvu que celle du Clergé
foit en fureté.
La féconde , beaucoup plus courte ,
moins régulière, moins approfondie, pro-
pofe des doutes &: des difficultés fur les
révélations en général , donnant pourtant
à la nôtre fa véritable certitude dans lapu-
(54) Mandemeni in-4. p. 15. in 12 p. xxxvij.
ïzi. LETTRE,
reté, la fainiété de fa dodrine, & dans îa
/liblimitc toute divine de celui qui en fut
l'Auteur. L'objet de cette féconde partie
eft de rendre chacun plus réfervc dans fa
Religion à taxer les autres de mauvaife toi
dans la leur, &c de montrer que les preuves
de chacune ne font pas tellement dcmonf-
tratives à tous les yeux, qu'il faille traiter
en coupables ceux qui n'y voient pas la mê-
me clarté que nous. Cette féconde partie ,
écrite avec toute la modeflie, avec tout le
refpe^t convenables, eft la feule quiaitat-
îiré votre attention & celle des Magiftrats.
Vous n'avez eu que des bûchers & des
injures pour réfuter mes raifonnements.
Vous avez vu le mal dans le doute de ce
qui eft douteux ; vous n'avez point vu le
bien dans la preuve de ce qui efl: vrai.
En effet , cette première partie , qui
contient ce qui eft vraiment eirentiel à la
Keligion, eft décifive &: dogmatique. L'au-
teur ne balance pas, n'héfite pas. Sa con-
fcience & fa raifon le déterminent d'une
manière invincible. Il croit , il affiime : il
eft fortement perfuadé.
Il commence l'autre, au contraire , par
déclarer que t examen qui lui refle à faire
ejî bien différent ; qu'il n'y voit qu embarras ,
inyjlere , obfcurité; qu'il n'y porte qu'incer-
titude & défiance ; qu'il n'y faut donner à
Jes difcours que l'autorité de la raifon i qu'il
ignore lui-même /il eft dam l'erreur^ &
A M. DE BEAUMONm; isj
que toutes fes affirmations ne font ici que
des ralfons de douter ( /O- ^} pi'opofe donc
{(ts objedions , (es difficultés , fes doutes.
Il propofe auiïî fes grandes & fortes rai-
fons de croire-, & de toute cette dicuffion
réfuke la certitude des dogmes elTentiels ,
(Ce un fceptlcifine refpe(5tucux fur les autres,
'A la fin de cette féconde partie il infiRe de
nouveau fur la circonfpeétion néceflfaire en
l'écoutant. Si j étois plus fur de moi, j au-
rois dit- il , pris un ton dogmatique & de-'
ciftf ; mais je fuis homme ^ ignorant ^fujet^
à V erreur : que pouvoisfe faire ? Je vous ai
cuvert mon cœur fans referve-, ce que je tiens
j)Ourfùr,je vous L'ai donné pour tel : je vous
ai donné mes doutes pour des doutes y mes
opinions pour des opinions , je vous ai die
mes raifons de douter C^ de croire. Mainte^.,
nant c'efl à vous de juger { ^6').
Lors donc que dans le même écrit l'Aii-ï
teur dit : Si je me trompe y cejl de bonne fol
cela fuffit pour que mon erreur ne me foie
jpas imputée à, crime \ je demande a tout
lecteur , qui a le fens commun , & quelque
fîncérité , fi c'eft fur la première ou fur \%
féconde partie que peut tomber ce foup-
çon d'ctre dans l'erreur-, fur celle où l'Au-
teur affirme, ou fur celle où il balancé? Si
ce foupçon marque la crainte de croire ea
( 55 ). Emile Tome III. page 131.
t 5<5 J. Ibid page 192.
'ï24 LETTRE
Dieu mal-à-propos, ou celle d'avoîr tart
àQS doutes fur révélation? Vous avez pris
le premier parti contre toute raifon , ôc
dans le feul defir de me rendre criminel j je
vous dehe d'en donner aucun autre motif.
Monleigneur, ou font, je ne dis pas l'équi-
té, la chante chrétienne , mais le hon fens
oc rhumanite î
Quand vous auriez pu vous tromper fur
robjet de la crainte du Vicaire , le texte
feul que vous rapportez vous eût défabufé
tnalgre vous. Car lorfqu'ii dit.- cela fuffie
pour que mon erreur ne me foit pas imputée
a crime , il reconnoît qu'une pareille erreuc
pourroit être un crime, & que ce crime
lui pourroit être imputé , s'il ne procédoic
pas de bonne foi. Mais quand il n'y auroit
point de Dieu , où feroit le crime de croire
qu'il y en a un? Et quand ce feroit un cri-
me, qui eft^ce qui le pourroit imputer»
La crainte d'être dans l'erreur ne peut donc
ici tomber fur la Religion naturelle, & le
difcours du Vicaire feroit un vrai galima-
thias dans le fens que vous lui prêtez. Il
cft donc impofTiblc de déduire du paOagc
que vous rapportez, q\.\Q je n admets pas
la Religion naturelle , ou que Je nen recon-
noispas lane'cejffîtéy il cft encore impofTiblc
d'en déduire quon doive toujours , ce fonc
vos termes , regarder comme un homme fage
^ religieux celui qui y adoptant les erreurs
tft: CAthéifme , <//r« quU ejl de bqnnc /qI^
A M. DE BEAUMONT. iij
êc il cfl: même impoffible que vous ayez cru
cette dcdudion légitime. Si cela n'eft pas
démontré, rien ne fauroit jamais l'être >
ou il faut que je fois un infenfé.
Pour montrer qu'on ne peut s'autorifer
'cl'une miffion divine pour débner des abrur-
dites, le Vicaire met auxprifes un Infpiré,
qu'il vouspiait d'appeller Chrétien, &c un
Raifonneur , qu'il vous plait d'appeller In-
crédule, & il les fait difputer chacun dans
leur langage qu'il défaprouve , Ôc qui ^
très-fûrement, n'eft ni le iîen, ni le mien
( f 7). Là-deiTus vous me taxez d'une injigne
imauvaife fol ( 58 ) , & vous prouvez cela
par l'ineptie des difcours du premier. Mais
lî Çqs difcours font ineptes, à quoi donc le
reconnoilTez-vous pour Chrétien ? & fi lo
Raifonneur ne réfute que des inepties ^
quel droit avez-vous de le taxer d'incré-
'dulité? S'enfuit-il des inepties que débite
un Infpiré, que ce foit un Catholique -, &
de celles que réfute wn Raifonneur, que
ce foit un Mécréant ? Vous auriez bien pu,
Monfeigneur , vous difpenfer de vous re-
connoîire à un langage fi plein de bile , &
de déraifon-, car vous n'aviez pas encore
donné votre Mandement.
Si la raifon & la réyétation étaient opi
iS7 ] Emile, Tome III. page 151,
[ 58 ] Maniement in-quarto , page 15 , ÛÉ
Il , page xxxviij.
itS ^ LETTRE.
pofd'es tune a t autre ^ il ejî confiant y dîtez-
voLis, que Dieu ferait en contradiction avec
lui-même { ^^). Voilà un grand aveu que
vous nous taites-là j car il eft fur que Dieu
ne fe contredit point. Vous dites ^ b impies y
que les dogmes que nous regardons comme
révélés combattent les vérités éternelles c
mais il ne fujjfit pas de le dire* J'en con-
tiens i tachons de faire plus.
Je fuis fur que vous preflentez d'avance
où j'en vais venir. On voit que vouspalTez
fur cet article des myfteres comme fur des
charbons ardents •■, vous ofez à peine y po-
fer le pied. Vous me forcez pourtant à vous
arrêter un moment dans cette fituation dou-
ioureufe. J'aurai la difcrétion de rendre ce
moment le plus court qu'il fe pourra.
Vous conviendrez bien, je pcnfe, qu'une
de ces vérités éternelles , qui fervent d'élc-
mensàla raifon , eft que la partie eft moin-
dre que le tout, & c'eft pour avoir affirme
le contraire , que l'Infpiré vous paroit te.
nir un difcours plein d'inepties. Or , félon
votre doctrine de la tranfubftantion ,
lorfque Jcfus fit la dernière Cène, avec (ts
Difciples, & qu'ayant rompu le pain il
donna (on corps à chacun d'eux , il eft clair
qu'il tint fon corps entier dans fa main j &",
s'il mangea lui-mêiiic du pain confacré »
(S9) Mandement in-quarto , p. 15 , i^i in«
12. xxxviij.
A M. DE BEAUMONT. 117
comme il put le faire, il mit fa tête dans fa
bouche. , .
Voilà donc bien clairement, bien preci-
fément la partie plus grande que le tout,
& le contenant moindre que le contenu.
Que dites - vous à cela , Monfeigneur ?
Pour moi , je ne vois que M. le Chevalier
de Caufans qui puiffe vous tirer d'affaire.
Je fçais bien que vous avez encore laref-
fource de Saint Auguftin, mais c'ell: la mê-
me. Après avoir entaflé fur la Trinité force
difcours inintelligibles , il convient qu'ils
n'ont aucun fens; mais^ dit naïvement ce
Père de l'Eglife , on s exprime ainfi , non
pour dire quelque chofe , mais]pour ne pas
rejler muet {60).
Tout bien confidcré , je crois Monfei-
gneur , que le parti le plus fur que vous
ayez à prendre fur cet article & fur beaucoup
d'autres , eft celui que vous avez pris avec
M. de Montazet , &c pour la même raifon.
La mauvaifefoi de V Auteur d'Emile nejî
pas moins révoltante dans le langage qiiil
Jait tenir à un Catholique prétendu ( <fi ).
„ Nos Catholiques , <. lui fait- il^ dire ,
„ font grand bruit de l'autorité de l'Eglife,
„ mais que gagnent-ils à cela , s'il leur faut
[60] Dl6lum eft tamen très perfonnœ non ut
aliquid àiceretur ,fed ut tacereteur. Aug. de Tri-
nit. L. 5. c. 9.
(61) Maniement in-4, p. 15, in- 12. p. xxxix.
*ïi8 LETTRE
„ un auiïî grand appareil de preUVeS pour
jj cette autorité qu'aux autres fedes pour
„ établir diredement leur dodrine ? L'E-
j, glife décide que l'Eglifea droit de déci-
3, der. Ne voilà t il pas une autorité bien
,, prouvée? „ Qui ne croirait , M. T. C. F.
à entendre cet impojîeur , que t autorité de
VE glife nejl prouvée que par/es propres dé-
cijions , & quelle procède ainfi ? Je décide,
que je fuis infaillible \ donc je le fuis \ Int"
putation caloinnieufe y M. T. C. F. Voilà
Monfeigneur, ce que vousaiïlirez: il nous
refle à voir vos preuves. En attendant ,
oleriez vous bien affirmer que les Théo-
logiens Catholiques n'ont jamais établi l'au-
torité de l'Eglife par l'autorité de l'Eglife ;
ut in fe virtualiter reflexam î S'ils l'ont
fait , je ne le charge donc pas d'une im-,
putation calomnieufe.
[ (S"! ] La conftitution du Chrifiianifme ;
tefprit de V Evangile , les erreurs mêmes &
lafoiblejfe de l'efprit humain , tendent à dé-
montrer que PE glife établie par Jefus-Chrijl
tjlune Eglife infaillible. Monfeigneur, vous
commencez par nous payer - là de mots
qui ne nous donnent pas le change. Les
difcours vagues ne font jamais preuves, &
toutes CCS chofes qui tendent à démontrer,
ne démontreut rien. Allons donc tout d'ua
(62 ) Maniement in-4 , p. 1 5 , in- 1 2 , p. xxxix.
A M. DE BEAUMONT. 119
coup au corps de la démonftration : le
voici.
Nous ajfurons que , comme ce divin legijîa.'
teur a toujours enfeigné la vérité , fort
Eglife r enfeigné aufji toujours {6^).
Mais qui êtes-vous , vous qui nous affu-
rez cela pour toute preuve î Ne feriez-
vous point l'Eglife ou Tes Chefs ? A vos
manières d'argumenter , vous paroiflez
compter beaucoup fur l'affiftance du Saint
Efprit. Que dites-vous donc , & qu'a dit
l'impofteur ? De grâce voyez cela vous-
-même : car je n'ai pas le courage d'aller juf-
qu'au bout.
Je dois pourtant remarquer que toute la
force de l'objedion , que vous attaquez fî
bien,confifte dans cette phrafe que vous
avez eu foin de fupprimer à la fin du pafTa-.
ge dont il s'agit. Sortes de là , vous rentre^*
rei dans nos difcujfions (64).
En effet , quel eft ici le raifonnement du
Vicaire ? Pour choifir entre les Religions
diverfes , il faut , dit-il , de deux chofes
l'une, ou entendre les preuves de chaque
fede & les comparer ; ou s'en rapporter à
l'autorité de ceux qui nous inflruifent. Or
le premier moyen fuppofe des connoiiTan-
ces que peu d'hommes font en état d'acqué-
( 63 ) Ibid. Cet endroit me'rite d'être lu dans
le Mandement même.
C64] Emile, Tome III page pag 165.
*rie) LETTRE
rir , & le fécond juftifie 1a croyance de cha-
cun dans quelque Religion qu'il naiffe. H
cite en exemple la Religion Catholique où
l'on donne pour loi l'autorité de TEglife ,
Se il établit là-delTus ce fécond dilemme :
Ou c'ed TEglife qui s'attribue à elle-même
cette autorité, & qui dit : Je décide quejs
Jiùs infaillible i donc je lejuis : 6c alors elle
tombe dans le fophiîme appelle cercle vi-.
cieiix \ ou elle prouve qu'elle a reçu cette
autorité de Dieu \ Se alors il lui faut un
aufii grand appareil de preuves pour mon-,
trer qu'en effet elle a reçu cette autorité,'
qu'aux autres rc<51:e3 pour établir directe-
ment leur doctrine. Il n'y a donc rien à.
gagner pour la facilité de l'inPi^rucftion , ÔC
le penr)'e n'eil pas plus en ctat d'examiner
les preuves de l'autorité de l'Eglife c\v:z les
Catholiques, que la vérité de la Doctrine
ihez les Proteftans. Gomment donc fe dé-
terminera-t'il d'une manière raifonnable au-
trement que par l'autorité de ceux qui
l'inftruifent ? Mais alors le Turc fe détermi-
nera de même. En quoi le Turc eft-il plus
coupable que nous î Voilà , Monfcigneur ,
le raifonnement auquel vous n'avez pas ré-
pondu , Se auquel je doute qu'on puille ré-
pondre (6) }. Votre franchife épifcopale
(65) C'eft ici une de ces objeràons terribles
auxquelles ceux qui m'attaquent fe gardent bien
de toucher. Il n'y a rien de fi commode qi:e de
répondre avec des injures & de faintes déclama-
A M. DE BEAUMONT. i;t
fe tire d'affaire en tronquant le paflagc de
l'Auteur de inauvaife toi.
Grâce au Ciel ! J'ai fini cette cnnuyeufe
tâche. J'ai fuivi pied àpied vos raifons, vos
citations, vos cenfures ; Se j'ai tait voir
qu'autant de fois que vous avez attaqué
mon Livre , autant de fois vous avez evi
tort. Il refte le fenl article du Gouverne-
ment dont je veux bien vous faire grâce *,
très- fur que quand celui qui gémit fur hs
miferes du Peuple, ëc qui les éprouve, efi:
accufé par vous d'empoifonnec les fources
de la félicité publique , ii n'y a point de
Lecteur qui ne fente ce que vaut un pareil
difcours. Si le Traite du Contrat Social
n'exiftoit pas , ôc qu'il fallut prouver de
nouveau les grandes vérités que j'y^ déve-
loppe , les compliments que vous laites à
^es dépens aux Puiflances , feroient un des
faits que je citerois en preuve , Se le fort
tiens ; on élude aifément tout ce qui embarraffe.
AuiTi faut-il avouer qu'en fe chamaillant entr'-
eux, les Théologiens ont bien des reflources quf
leur manquent vis à vis des ignorans,& auxqu'-
elles il faut alors fuppléer comme ils peuvent. Ils
fe paient réciproquement de mille fuppofitions
gratuites qu'on n'ofe récufer, quand on n'a rien
de mieux à donner foi-même. Telle eft ici l'in-
vention de je ne fçais quelle foi infufe qu'ils obli-
gent Dieu, pour les tirer d'affaire, de tranfmet-
tredu père à l'enfant. Mais ilsréfervent cejar-
gonpour difputer avec les Dofteursjs'ils s'cli
iervoient avec nous autres profanes, ils auroieut
peur qu'on ne fe moquât d'eux.
lii LETTRE
de l'Auteur en feroit un autre encore plut
frappant. Il ne me refte plus rien à dire à
cet égard ; mon feul exemple a tout dit ,
& la paflîon de l'intérêt particulier ne doit
point louillcr les vérités utiles. C'eft le Dé-
cret contre ma perfonne •, c'eft mon Livre
brûlé par le Bourreau que je tranfmets à
la poftérité pour pièces juftihcatives. Mes
fentiments font moins bien établis par mes
Ecrits que par mes malheurs.
Je viens , Monfeigneur de difcuter tout
ce que vous alléguez contre mon Livre. Je
n'ai paslailVé pader une de vos propofitions
fans examen", j'ai tait voir que vous n'avez
raifon dans aucun point-, ôc je n'ai pas peur
qu'on réfute mes preuves j elles font au del-
fus de toute réplique où règne le fens com-
mun.
Cependant quand j'aurois eu tort en
quelques endroits , quand j'aurois eu tou-
jours tort , quelle indulgence ne mcritoic
point un Livre où l'on fent par-tout, même
dans les erreurs, même dans le mal qui peut
y être, le fmcere amour du bien, le zelc de
la vérité i un Livre où l'Auteur prie h fouvent
fes ledeurs de Ce délier de les idées, de pe-
fer Ces preuves , de ne leur donner que l'au-
torité de la raifon j un Livre qui ne ref-
pire que paix , douceur , patience , amouc
de Tordre , obéillance aux Loix en toute
chofe , &mciiïe en matière de Religion^
A M. DE BEAÛMONT. r^f
un Livre enfin où la caufe de la Divinité
eûiï bien défendue, l'utilité delà Religion
fî bien établie, où les mœurs font fi refpec-
tées, où l'arme du ridicule efl: fi bien ôtée
au vice , où la méchanceté eft peinte fi peu
fenfée & la vertu fi aimable ? Eh ! quand
il n'y auroit pas un mot de vérité dans cet
Ouvrage , on en devroit honorer &; chérir
les rêveries, comme de Chimjercs ks plus
douces qui puilïént flatter & nourrir le
coeur d'un homme de bien. Oui , je ne
crains point de le dire -, s'ils exifloit en Eu-
rope un feul Gouvernement vraiment éclai-
ré ^ un Gouvernement dont les vues fuflenc
v4-aiment utiles ôc faines , il eût rendu des
honneurs publics à l'Auteur d'Emile, il lui
eût élevé des ftatues. Je connoiflois trop
Jcs hommes pour attendre d'eux de la re-
connoifl'ance -, je ne les connoiffois pas affez,
J€ l'avoue , pour attendre ce qu'ils oiic
tait.
Après avoir prouvé que vous avez mal
raifonné dans vos cenfurcs , il me refi:e à
prouver que vous m'avez calomnié dans vos
injures. Mais puilque vous ne m'injuriez
qu'en vertu des torts que vous m'imputez
dans mon Livre, montrer que mes préten-
dus torts ne font que les vôtres , n'efl:-ce pas
dire aflcz que les injures qui les fuivent ne
doivent pas être pour moi ? Vous chargez
saon Ouvrage des épith^îes les plus odieii-
fes, «5c moi je fuis ho;ii^ic abominable, ua
r;4. . LETTRE
téméraire, un impie , un impofteur. Cha-
rité Chrétienne , que vous avez un étrange
langage dans la bouche des Miniftres de Je-
fus-Chrift!
Mais vous, qui m'ofez reprocher des blaf-
phêmes, que faites-vous quand vous prenez
les Apôtres pour complices des propos ot-
fenfants qu'il vous plaît de tenir fur mon
compte? A vous entendre , on croiroit que
Saint Paul m'a fait l'honneur de fonger à
moi , ôc de prédire ma venue comme celle
del'Ante-chrift.Et comment l'a- 1- il prédite,
je vous prie î Le voici C'eft le début de
votre Mandement.
Saint PauL a prédit , mes très chers Fre-^
res ^ qu'il viendrait des jours périlleux ou.
il y aurait des gens amateurs d'eux mêmes ,
fers y fuperbes, blajphémateurs ^ impies, ca-
lomniateurs ^ enjlés d'orgueil , amateurs des
yoluptés plutôt que de Dieu , des hommes
a un efprit corrompu , & pervertis dans la.
Foi ( 66 ).
Je n-e contefte alTurément pas que cette
prédiclion de Saint Paul ne foit très-bien ac-
complie i mais s'il eût prédit, au contraire,
qu'il viendroit un temps où l'on ne verroic
point de ces gens-là , j'aurois été , je^ l'a-
voue , beaucoup plus frappé de la prédic-
tion , &c fur- tout de raccompUlIemenf.
(65) Mvnàem'.nî iû-quarto, page 4, iû-12 j^
page XV.
À M. DE BEAUMONT. 75f
D'après une prophétie fi bien appliquée,
vous avez la bonté de faire de moi un por-
trait dans lequel la gravité épifcopale s'e-
gaie à des amithefes i & où je me trouve
un perfonnage fort plaifant. Cet endroit,
Monfeigneur , m'a paru le plus joli mor-
ceau de votre Mandement. On ne içauroit
faire une fatyre plus agréable , ni diffamer
un homme avec plus d'efprit. ^ ^
Dufe'm de V erreur , (il eft vrai que jai
paflé ma jeunelTe dans votre Eglife. // sefi
élevé (pas fort haut) un homme plein du
langage de la philofophie , (comment pren-
drois-je un langage que je n'entends pomti)
fans être véritablement philofophe: (Oh .
d'accord.- je n'afpirai jamais à ce titre, au-
quel je reconnois n'avoir aucun droit î 8c
je n'y renonce alTurément pas par modelbe.)
efprit doué d'une multitude de connoijfances.
(J'ai appris à ignorer des multitudes de cho-
fes que je croyois fçavoir ,) qui ne tontpas^
éclairé, ( Elles m'ont apris à ne pas penler a
l'être,) &qui ont répandu les ténèbres dans
les autres efprits .• ( Les ténèbres de l'igno-
rance valent mieux que la fauiïe lumière de
l'erreur. ) caractère livré aux paradoxes
d'opinions & de conduite ^ ( Y a- 1- il beaucoup
à perdre à ne pas agir & penfer comme tout
le monde ? ) alliant la /implicite de mœurs
avec Ufafte des penfées ; ( La hmplicite des
mœurs eleve l'ame ; quant au tafte de mes
geofces, je ne ce que fs-ùs c'eit. } le ide da
ï3^ LETTRE
maximes antiques avec la fureur d' établit
des nouveautés , ( Rien de plus nouveau
pour nous que des maximes antiques : il
n'y point a cella d'alliage , & je n'y ai point
mis de fureur. ) Vobfcurité de la retraite
Avec ie dejïr d'être connu de tout le monde :
Monfeigneur, vous voilà comme les faifeurs
de Romans, qui devinent tout ce que leur
Héros a dit &c penfé dans fa chambre. Si
c'cfl; ce defir qui m'a mis la plume à la main ,
expliquez comment il m'eft venu fï tard, ou
pourquoi j'ai tardé fi long- temps à le fatis-
laire ). On Va vu invectiver contre les fciences
qui il cultivait; ( cela prouve que je n'imi-
te pas vos gens de Lettres , &: que dans
mes écrits l'mtérêt de la vérité marche
avant le mien. ) pre'conifer t excellence de
l'Evangile^ (toujours & avec le plus vrai
zèle.) dont il de'truifoit les dogmes ; (Non ;
mais j'en prcchois la charité bien détruite
par les Prêtres. ) peindre la beauté des ver-
tus qu'il éteignait dans t ame des /es Lecteurs,
( Ames honnêtes , eft-il vrai que j'éteins en
vous l'amour des vertus ?
// s'^ejl fait le Précepteur du genre hu-^
main pour le tromper ; le Moniteur public
pour égarer tout le mx^nde ; l^ Oracle dujïeclc
pour achever de le perdre. (Je viens d'exa-
miner comment vous avez prouvé tout et-
la. ) Dans un Ouvrage fur l'inégalité des
conditions , ( Pourquoi des conditions î^
Ce n'eil-là ni mon fujct, ni mon ùire.j //
A M. DE BEAUMONT. 157
'AVo'ir rabaijfé Vhomme jufqiC au rang des bê-
tes: (Lequel de nous deux l'élevé ou l'abaif-
fe dans l'alternative d'être bête ou méchant ?)
dans une autre production plus récente il
avoit injînué le poifon de la volupté : (En .
que ne puisje aux horreurs de la débau-
che fubftituer le charme de la volupté ?
Mais ralTurez-vous, Monfeigneur^ vos Prê-
tres font à répreuve de l'HéloïTe , ils ont
pour préfervatif TAloifia. ) dans celui ci ,
il s" empare des premiers mo mens de rhomme,,
afin d'établir r empire de V irreligion. ( Cette
imputation a déjà été examinée ].
Voilà Monfeigneur , comment vous me
traitez , & bien plus cruellement encore ,
moi que vous ne connoillez point , que
vous ne jugez que fur des oui-dire. Eft-
ce donc-là la morale de cet Evangile dont
vous vous portez pour le détenfeur ? Ac-
cordons que vous voulez préferver votre
troupeau du poifon de mon Livre .• pour-
quoi des perfonnalités contre l'Auteur ?
J'ignore quel effet vous attendez d'une
conduite fi peu chrétienne , mais je fçais
que défendre fa Pveligion par de telles ar-
mes , c'eft la rendre fort fufpede aux gens
de bien.
Cependant c'eft: moi que vous appeliez
téméraire. Eh 1 comment ai-je mérité ce
nom , en ne propofant que des doutes , &
même avec tant de réferve j en n'avançant
que des raifons , ^ «içinç «^Yec i.anç de
15? LETTRE
refpeâ; ; en n'attaquant perfonne *, en ne
nommant perfonne î Et vous , Monfeigneur,
comment ofez-vous traiter ainlî celui dont
vous parlez avec Ci peu de juftice & de
bienféance, avec fi peu d'égard , avec tant
de légèreté.
Vous me traitez d'impie -, & de quelle
impiété pouvez-vous m'accufer, moi qui
jamais n'ai parlé de l'Etre fupréme que
pour lui rendre la gloire qui lui eft due ,
ni du prochain que pour porter tout le
monde à l'aimer î Les impies font ceux qui
profanent indignement la caufe de Dieu en
la faifant fervir aux paffions des hommes.
Les impies font ceux qui , s'ofant porter
pour interprètes de la divinité , pour arbi-
tres entre-elle & les hommes, exigent pour
eux-mêmes les honneurs qui lui font dus.
Les impies font ceux qui s'arrogent le droit
d'exercer le pouvoir de Dieu fur la terre,
êc veulent ouvrir & fermer le Ciel à leur
gré. Les impies font ceux qui font lire des
Libelles dans ks Lglifes A cette idée
horrible tout mon fang s'allume , &c des
larmes d'indignation coulent de mes yeux.
Prêtres du Dieu de paix , vous lui rendrez
compte un jo-nr , n'en doutez pas , de l'ufa-
ge que vous ofez taire de fa maifon.
Vous me traitez a impofteur , 3c pour-
quoi î Dans votre manière de penfer
ferre -, mais où efl: mon impoflure :- Rai-
ioirner <!' Te iroinper , çll- ce en iinporer]
A M. DE BEAUMONT. i^i
Un Sophifte même qui trompe fans fe trom-
per , n'eft pas un impofteur , encore tant
qu'il fe borne à l'autorité de la raifon j
quoiqu'il en abufe. Un impofteur veut être
cru fur fa parole , il veut lui-même faire
autorité. Un impofteur eft un fourbe qui
veut en impoferaux autres pour fon profit ;
&0LI eft, je vous prie, mon profit dans cette
affaire? Les impofteurs font, félon Ulpien,
ceux qui tout des preftiges , des impréca-
tions , des exorcifmes : or affurément je
n'ai jamais rien fait de tout cela.
Que vous difcourez à votre aife , vous
autres hommes conftitués en dignité ? Ne
reconnoilTant de droits que les vôtres , ni
de Loix que celles que vous impofez rloiii
de vous faire un devoir d'être jufles , vous
ne vous croyez pas même obligés d'être
humains. Vous accablez fièrement le foible
fans répondre de vos iniquités à perfonne :
les outrages ne vous coûtent pas plus que
les violences -, fur les moindres convenan-
ces d'intérêt ou d'état , vous nous balayez
devant vous comme la poufiîere. Les uns
décrètent & brûlent les autres diffament
& deshonorent fans droit , fans raifon ,
fans mépris , même fins colère , unique-
ment parce que cela les arrange , & que
l'infortuné fe trouve fur leur chemin. Quand
vous nous infultez impunément , il ne nous
eft pas même permis de nous plaindre , Se
fi nous montroHS notre innocence ôc vos
140 LETTRE
totts, OH nous accufe encore de vos nun*
quer de refpe^l,
Monfeigneur , vous m'avez infulté pu-
bliquement. Je viens de prouver que vous
m'avez calomnié. Si vous étiez un parti-
culier comme moi , que je pulTe vous citer
devant un Tribunal équitable, & que nous
■y comparuflions tous deux , moi avec mon
Livre , ôc vous avec votre Mandement .•
vous y feriez certainement déclaré coupa-
ble , ôc condamné à me faire une répara-
tion auflî publique que l'offenfe l'a été.'
Mais vous tenez au rang où l'on eft dif-
penfé d'être jufte -, & je ne fuis rien. Ce-
pendant , vous qui profeffez l'Evangille -,
vous , Prélat , fait pour apprendre aux au-
tres leur devoir, vous içavez le vôtre en pa-
reil cas. Pour moi, j'ai fait le mien, je n'ai
plus rien à vous dire , & je ne me tais.
Daignez, Monfeigneur, agréer mon pro-
fond refped.
J, J. ROUSSEAU.
A Môtiers le i8.
Novembre 1761.
LETTRE
DE J. J. ROUSSEAU,
AU PREMIER SYNDIC
DU CONSEIL DE GENEVE,
EUA
Revenu du long étonnemem où m'a jet-
te , de la part du magnifique Confeil , le
procédé que j'en devois le moins attendre ,
je prends enfin le parti que l'honneur & la
raifon me prefcrivent , quelque cher qui!
en coûte à mon cœur.
Je vous déclare donc, Monfieur, 6c je
vous prie de déclarer au magnifique Con-
feil , que j'abdique à perpétuité mon droit
de Bourgeoifie & de Cité dans la Ville &
République de Genève. Ayant rempli de
mon mieux les devoirs attachés à ce titre,
fans jouir d'aucun de Tes avantages , je ne
crois point être en refte avec l'Etat en le
quittant. J'ai tâché d'honnorer le nom de
Genevois \ j'ai tendrement aimé mes com-
patriotes j je n'ai rieo oublié pour inç taire
141 LETTRE,
aimer d'eux : on ne fçauroit plus mal réuf-
fîr i je veux leur complaire jufques dans
leur haine. Le dernier facrilice qui me relie
à faire, eft celui d'un nom qui me fut li
cher. Mais , Monfieur , ma Patrie en me
devenant étrangère ne peut me devenir in-
différente .• je lui refte attachç par un ten-
dre fouvenir, & Je n'oulierai d'elle que
fes outrages. Puifle-t-elle profpérer tou-
jours, & avoir augmenter fa gloire! Puilfe-
t-elle abonder en Citoyens meilleurs , ôc
^ur-tout plus heureux que moi i
Recevés , je vous ;prie Monfieur , leâ
afllirances de mon protond, refpedt Sec.
3* J. R o u s s E A vi
Le Confeil s'étant afTemblé à ce fujet,^
quelques-uns des Membres opinèrent à ce
qu'on févit contre cette Lettre comme con-
tenant les expreffions injurieufcs à la Rér
publique '■, mais il fut réfolu , à la plura-
lité des voix, qu'on accepteroit purement
&: fimplemcnt la renonciation du ilcur Rouf-
fcau aux droits de Cité & de Bourgeoi-
se, Se que la Lettre feroit inférée dans les
Kegiflres,
:fv.
^'
1^