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Full text of "Pierre Bayen chimiste, étude biographique"

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PIERRE RAYEN, 

CHIMISTE. 





PIERRE RAYEN, 

CHIMISTE. 


ÉTUDE BIOGRAPHIQUE, 

Lue à la séance de rentrée de l’Éeole supérieure 
et de la Société de pharmacie de Paris 
réunies, le 9 novembre 1864- 


Par Paul Antoine CAP, 

MEMBRE ASSOCIÉ DE L’ACABÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECIHE, 

MEMBRE HONORAIRE DE l’aCADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE DE BELGIQUE, 

DES ACADÉMIES DES SCIENCES DE TURIN, DE FLORENCE, VENISE, LYON, ROUEN, 
CAEN, STANISLAS DE NANCY, ETC- 



PARIS. 

VICTOR MASSON ET FILS, LIBRAIRES, 

PLACE DE l’École de médecine. 


i863 



A MONSIEUR BOUTRON CHARLARD, 

MEMBRE DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE, 

DU CONSEIL DE SALUBRITÉ DD DÉPARTEMENT DE LA SEINE, 

■DE LA SOCIÉTÉ DE PHARMACIE DE PARIS , ETC., 

Son Collègue et son Ami, 


P. A. CAP 






PIERRE RAYEN, 

CHIMISTE. 

1725 — 1798 . 

BTUDK BIOGRAPHIQUE. 



« Les plus belles vies sont, à mon gré, celles 
« qui se rangent au modèle commun et humain, 

« avecques ordre, mais sans miracle et sans 
« extravagances. » 

(Montaigne, Essais, liv. I, chap. XIII.) 

I. 

A côté des savants oubliés ou méconnus, à côté des hommes 
dévoués et courageux qui moururent victimes de leur zèle pour 
la science, il faut placer les savants consciencieux et modestes 
qui, dédaigneux de la renommée ou satisfaits de leur humble 
gloire, surent se contenter de ces joies naïves, mais profondes, 
que donne à l’homme d’études la conquête de quelques vérités 
utiles. Toutefois, s’ils ne laissèrent après eux qu’une mémoire 
trop au-dessous de leurs mérites, si leurs découvertes n’eurent 
pas le retentissement qui leur était dû, ou si elles ont été fata¬ 
lement absorbées par l’éclat de travaux plus récents et plus cé¬ 
lèbres, il est du devoir de l’histoire scientifique de constater la 
part réelle qu’ils ont prise au développement général du savoir, 
de signaler ce que la science doit à leur initiative et d’établir 
nettement leurs di’oits à nos souvenirs reconnaissants. 

Cette justice, messieurs, j’essayerai de la rendre à un homme 
que quelques-uns de nous pourraient avoir connu, car il a vécu 
jusqu’à la fin du dernier siècle, mais que beaucoup d’autres ont 
oublié, bien qu’il ait fait faire à la chimie un pas considérable 



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ên portant les premiers coups à une doctrine qui avait dominé 
la science pendant près d’un siècle : doctrine ingénieuse, mais 
purement imaginaire, qui finit par céder à la toute-puissance de 
faits nouveaux, irrécusaWes, en un mot à la réforme de La¬ 
voisier qui en fut le lumineux corollaire, mais dont une décou¬ 
verte de Bayen fut évidemment le premier point de départ. 

On sait que la découverte de l’oxygène remonte aux trente der¬ 
nières années du XVIII® siècle, et que les chimistes de plusieurs 
nations concoururent, presqu’au même moment, à ce grand 
événement scientifique. Parmi eux on en distingue quatre ; 
1” Pierre Bayen^ qui, après avoir montré que l’on peut réduire 
les chaux métalliques sans ^intermédiaire du charbon, recueillit 
le premier un gaz qui n’était pas de l’air fixe, dont il mesura le' 
volume et dont il évalua le poids spécifique ; 2° Priestley^ qui 
obtint le même gai en faisant agir des étincelles électriques sur 
le minium, et le nomma air déphlogütiqué; 3“ Scheele^ qui,, 
l’ayant retiré du manganèse par l’acide sulfurique et par la cha¬ 
leur, reconnut qu’il activait la comhustion et le nomma air du 
feu; 4° enfin Lavoisier^ qui, en rapprochant tous ses caractères,- 
en tira des conséquences générales, applicables à la plupart des 
phénomènes chimiques, qui le nomma d’abord air vitaf et plus 
tard oxygène^ parce qu’il le regarda comme le principe de toute 
acidité. 

On comprend la haute importance d’une pareille découverte 
qui renouvela tout l’ensemble de la doctrine chimique, et tout 
l’intérêt que l’histoire de la science doit attacher a reconnaître â 
qui appartient sa priorité, comme à préciser les circonstances 
qui entourèrent sôn apparition. Tel est le point que j’ai essayé 
d’établir dans un travail que j’ai communiqué récemment à 
l’Académie des sciences (1). L’objet que je me propose aujour¬ 
d’hui est particulièrement de rappeler la mémoire du chimiste, 
du Français auquel on doit évidemment la première expérience 
qui conduisit à ce grand résultat, de Pierre Bayen qui souleva 
le premier contre la doctrinedu phlogistiquedes objections irré- 
l'utables, qui fut pendant quarante ans à la tête de notre phar- 


(1) Ce travail figure à la suite de cetie Étude biographique, à laquelle ii 
se rafîacliç naturellement. 



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macie militaire, mais süi tout d’éveiller le souvenir d’un homme 
de bien et d’honneur, aussi recommandable par son savoir que 
par ses vertus, par sa simplicité et sa modestie que par son inté¬ 
grité et son désintéressement. 

Pierre Bayen naquit à Châlons-sur-Marne en 1725. Il appar¬ 
tenait à une famille honnête et placée dans cette condition de 
fortune qui oblige, comme on l’a dit, à embrasser une profession, 
mais qui permet de la choisir (A). Il perdit ses parents de bonne 
heure. Après la mort de sa mèi-e, il resta sous la surveillance 
d’une sœur plus âgée que lui de quinze ans, qui exerça à son égard 
une tutelle aussi intelligente .que dévouée. Elle lui apprit à lire, 
à écrire, à coutpter, et déposa dans son âme le germe des vertus 
qu’elle possédait elle-même : Famour de l’ordre, le goût du tra¬ 
vail, le sentiment de la justice, la tempérance, l’économie, l’in¬ 
flexible probité. C’était une sorte de patrimoine, une propriété 
de famille qu’eUe voulut partager avec lui. Il se souvint tou- 
jours des soins dont il fut alors l’objet, et en conserva jusqu’à 
ses dernière moments la plus vive reconnaissance. Sa mémoire 
et son cœur ne furent jamais ingrats. 

Parvenu à l’âge où sa sœur ne pouvait pousser plus loin son 
éducation, il fut placé au collège de Troyes, où il suivit régu¬ 
lièrement et avec succès le coui-s complet des études classiques. 
Actif, laborieux, avide d’instruction, il s’initiait, durant les va¬ 
cances, aux travaux de la campagne, et faisait ainsi comme des 
coui'S pratiques d’agriculture. A la ville, dans ses joure de congé, 
il suivait les travaux des artisans. On le voyait tour à tour dans 
l’atelier du menuisier, du tourneur, du charron, du vannier, 
chez le fondeur ouïe potier, chez le teinturier ou le foigeron, 
se préparant ainsi à l’étude des sciences par l’apprentissage des 
métiere. Déjà, en observant cette multitude d’outils, d’engins, 
d’instruments et de procédés de toutes sortes qui composent le 
fond un peu confus des arts mécaniques et industriels, il son¬ 
geait à les simplitier, à les perlectionner ; pensée qui le préoccupa 
toute sa vie et qu’il mit souvent et heureusement à exécution. 

Enfin, il trouva dans la pharmacie une profession qui devait 
lui fournir les moyens de satisfaire son goût décidé pour les 
sciences, de mettre à profit son aptitude aux exercices manuels, 
niais surtout l’occasion de s’instruire et de se rendre utile. On 



sait que la vue d’une horloge éveilla le génie de Vaucanson, que 
l’examen attentif d’une plante inspira à Tournefort, comme à 
Plumier, -la passion de la botanique. Un couteau sur lequel un 
de ses camarades avait gravé son nom à l’aide d’un acide, sug¬ 
géra à Bayen le désir de devenir chimiste. Il alla demander de 
l’eau-forte à un apothicaire de Reims, nommé Faciot ; person¬ 
nage bizarre, fougueux, enthousiaste, sorte de Paracelse au petit 
pied, qui lui montra son jardin garni de plantes rares, son ca¬ 
binet plein de curiosités naturelles, et qui lui vanta la pharmacie 
comme la clef des belles sciences auxquelles il se montrait si ja¬ 
loux de se consacrer. Bayen entra comme élève chez Faciot, et 
c’est là qu’il acqpiit les premiers éléments de ses connaissances 
scientifiques. C’est là aussi qu’il commença à étudier les hommes, 
car tous les curieux du pays venaient visiter les collections de 
Faciot; les amateurs comme les intrigants y abondaient et, par 
la seule rectitude de son esprit, il ne tarda pas à apprécier la 
valeur de chaque individu, c’est-à-dire à distinguer l’ignorant 
et le fourbe du savant sérieux et intelligent. 

Après avoir tiré tout le parti possible de son séjour à Reims, 
Bayen vint à Paris en 1719, et entra dans la maison de Charas, 
l’un des descendants de ce Moïse Charas, si longtemps l’honneur 
de la profession et dont le nom conservait à cette officine une 
juste célébrité. 

A cette époque, l’illustre philanthrope Chamousset (B) venait 
d’établir son hôpital modèle, dans lequel se trouvait nécessaire¬ 
ment une pharmacie. Il demanda à Charas un élève capable 
de la diriger ; celui-ci désigna Bayen, qui saisit vivement cette 
occasion de se distinguer et de s’instruire, tout en se rendant 
utile aux malheureux. Il organisa l’établissement avec tant 
d’habileté, d’ordre et d’économie qu’il y trouva de nouvelles 
ressources pour le service des pauvres. C’est alors qu’il se mit à 
suivre les cours de Guillaume Rouelle, et qu’il se fit admettre 
dans l’intimité de ce chimiste savant. 

On ne possédcdt jusque-là aucune donnée certaine sur la com¬ 
position des eaux minérales, que l’on n’appréciait encore que par 
l’impression qu’elles causaient sur nos organes. Le ministre ayant 
désiré donner quelque impulsion à cette branche de la science 
medicale, Rayen et Venel, son condisciple dans le laboratoire de 



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Rouelle, furent chargés d’analyser les eaux minérales de la 
France. C’est à cette mission que l’on doit VAnalyse des eaux de 
Bagnères-de-Luclmn^ le premier et l’un des meilleurs ouvrages 
de Bayen. 

L’entreprise fut interrompue par diverses circonstances. Ve- 
nel, qui plus tard devint professeur à Montpellier, ne put con¬ 
tinuer à seconder Bayen dans les travaux commencés en com¬ 
mun. En 1765, Bayen lui-même fut nommé pharmacien en 
chef de l’expédition dirigée contre l’île de Minorque. Le jeune 
savant trouva bientôt dans ses nouvelles fonctions l’occasion de 
donner la mesure de son zèle et de sa capacité. Les eaux potables 
sont rares dans cette île; on ne trouvait autour du camp que des 
eaux sâumâtres ou de mauvaises citernes. Bayen découvrit et 
signala une source d’eau vive de la meilleure qualité, qui, sans 
être abondante, pouvait suffire aux besoins de l’année. Dans 
une autre circonstance, les officiers d’artiUerie s’aperçurent 
qu’ils allaient manquer de salpêtre pour les mèches destinées 
aux bombes. Bayen, qui l’apprend, demande de la poudre à ca¬ 
non; il en extrait le salpêtre par le moyen le plus simple et le 
plus rationnel. Le siège est repris aussitôt et la ville cissiégée ne 
tarde pas à se rendre. 

Après la campagne de Minorque, Bayen passa avec le même 
titre à l’année d’Allemagne, pendant la guerre de sept ans. On 
peut dire que c’est alors et surtout par ses soins que fut créée 
la pharmacie militaire qui a rendu de si nombreux services aux 
années françaises. L’ordre et l’économie furent la base de cette 
organisation. Bayen, modèle d’activité et de vigilance, établit 
partout la subordination, .la discipline, et excita le zèle de tous 
ses collaboratem’s en donnant l’exemple de l’exactitude à rem¬ 
plir ses devoirs. Il avait surtout l’art de profiter, dans les cas 
imprévus, de toutes les l’essources que pouvaient offrir les loca¬ 
lités, ainsi que des productions indigènes, et il en résultait pres¬ 
que toujours une conquête nouvelle pour la science et pour l’art 
médical. Ainsi, dans une occasion difficile, l’ipécacuanha étant 
venu à manquer, il imagina de le remplacer par l’émétique à 
petite dose, combiné avec la rhubai'be, et le résultat des expé¬ 
riences fut pleinement conforme à ses prévisions. 

A la paix de 1763, il fut nommé pharmacien en chef des 



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camps et années. Il vint alors à Paris où il retrouva avec bon¬ 
heur Rouelle, Venel, Bordeu, Cliamousset, Pia, Charlai'd et 
Darcet, ses amis les plus chers (C). 

Bayen n'avait presque rien publié avant l’âge de quarante ans. 
Sa modestie l'avait empêché jusque-là de se produire seul sur le 
théâtre de la science. Enfin, en 1766, il se décida à pubher son 
travail sur les eaux minérales de Bagnères-de-Luchon. C’est là 
une date remarquable, car c’est de ce moment que part l’aban¬ 
don progressif de la doctrine stahlienne, dont Bayen, dans cet 
ouvrage, donna le premier signal (1). 

II. 

Les mémoires de Bayen ont été recueillis et publiés par Ma- 
latret, son neveu, aussi pharmacien militaire, sous le titre d’O- 
puscules chimiques. Ils forment deux volumes in 8®, et renfer¬ 
ment notamment quatre ouvrages qui placent leur auteur au 
meilleur rang parmi ces chimistes sérieux et pratiques qui pré¬ 
cédèrent l’avénement de la nouvelle théorie et dont les noms 
furent en quelque sorte efï'acés par l’éclat de cette grande ré¬ 
forme. Son premier ouvrage eut pour sujet, comme nous l’avons 
dit, l’analyse des eaux minérales de Bagnères-de-Luchon (D). 
C’est dans la seconde partie de ce travail que l’on remarque la cu¬ 
rieuse expérience relative à la réduction des chaux métalliques 
parla seule chaleur sans intervention du charbon., découverte qui 
fut la première attaque contre la doctrine du phlogistique et la 
véritable origine de ce qu’on appela bientôt leTnouvelle chimie. 
Afin de constater de diverses manières la présence du soufre 
dans les eaux de Luchon, Bayen avait eu l’idée d’y verser une 
dissolution de mercure dans l’acide nitreux, dans l’espoir d’ob¬ 
tenir le sulfure de mercure connu sous le nom de cinabre. Sa 
prévision se réalisa. Il recueillit un précipité qu’il trouva com- 
\yosé de foie de soufre, de nitrate de soude et de cinabre ou ver- 


(1) Le mémoire de Bayen parut dans le numéro d’avril 1714 du Journal 
de Physique, p. 278, et celui de Lavoisier, dans les Mémoires de l'Aeadèmie 
des sciences, septembre 1777, p. 502. 



ûiillon. En faisant sublimer ce précipité, il remarqua dans le- 
col de la cornue, à côté des cristaux de cinabre, quelques glo¬ 
bules de mercure révivifié. Ce fut pour lui un trait de lumière, 
et il se proposa dès lors de reprendre ce travail qui lui parut 
devoir êtr e fécond en obser vations nouvelles ; mais il établit dès 
lors ce point important : que le précipité per se, se réduit par la 
chaleur, sans addition d’aucun corps, et que le poids du métal 
et celui du fluide élastique recueilli répondent au poids de la 
chaux métallique employée. 

Son second ouvrage eut en effet pour titre ; Essais d’expé¬ 
riences sur les précipités mercuriels, dam la vue de découvrir 
leur nature. Il se compose de quatre mémoires qui parurent 
successivement dans le Journal de physique, du mois de fé- 
viner 1774 au mois de décembre 1775. Dans le premier, après 
avoir répété l’expérience du précipité de mercure qui, dans 
l’eau de Ludion, lui avait procuré du cinabre, il remarqua que 
les chaux mercurielles mêlées d’un peu de soufre sont fulmi¬ 
nantes quand on les chauffe vivement, à vaisseaux ouverts; 
phénomène qu’il attribue au mouvement excité entre le mer¬ 
cure et le soufre au moment de leur combinaison. 

Dans le deuxième mémoire, qui parut deux mois après, il s’oc¬ 
cupa de l’augmentation du poids des métaux dans les chaux 
obtenues, non plus par calcination, mais par précipitation. Les 
chimistes de l’époque n’avaient pas encore établi de distinction 
bien nette entre les précipités et les chaux métalliques ; cepen¬ 
dant les premiei'S s’obtenaient d’ordinaire par précipitation 
de la dissolution d’un métal dans un acide, par l’intermède d’un 
alcali, et ils pensaient que ces produits pouvaient retenir quel¬ 
ques traces du dissolvant ou du précipitant. Les chaux ne s’ob¬ 
tenaient que par la calcination d’un métal dans des vaisseaux 
ouverts. On sait que la chimie moderne a réuni les uns et les au¬ 
tres sous la dénomination dioxydes. 

En réduisant les chaux métalliques par le charbon, Bayen 
avait recueilli un gaz plus lourd que l’air ordinaire, qui, pen¬ 
dant la nuit, s’était dissous dans l’eau de la cloche et l’avait 
rendue acide. C’était de l’air fixe ou acide carbonique. Dans les 
expériences suivantes, comme il ne se servit plus de charbon, 
dont il avait déclaré l’emploi inutile, il recueillit encore un 



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fluide élastique ; mais il constata que celui-ci n’était pas so¬ 
luble dans l’eau, par conséquent il lui fut facile d’en mesurer le 
volume. H s’assura aussi que son poids était supérieur à celui 
de l’air commun, bien qu’inférieur à celui de l’air fixe, et il 
établit ces conclusions : 1“ que les précipités de mercure sont 
réductibles par eux-mêmes ; 2° que l’emploi du charbon n’est 
point nécessaire pour cette réduction ; 3° que les conséquences 
qu’il avait d’abord tirées de ses recherches, pour les faire ca¬ 
drer avec la doctrine de Stahl, étaient fausses ; 4” enfin, que 
dans la chaux mercurielle, le mercure doit son état calcaire, non 
pas à une perte de phlogistique qu’il n’a point essuyée, mais à 
sa combinaison intime avec un fluide élastique dont le poids 
s’est ajouté à celui du métal. 

Dans le troisième mémoire, qui parut en février 1775, Bayen 
constata que, parmi les chaux de mercure, le précipité per se 
était le plus facile à réduire. Après avoir réduit de même les 
précipités obtenus du subhmé corrosif et du nitrate de mercure, 
il ajouta nettement que l’un et l’autre doivent leur état et l’aug¬ 
mentation de leur poids au fluide élastique qui, lors de leur ré¬ 
duction par la simple chaleur, a déplacé l’eau de son appareil 
chimico-pneumatique. Dans le dernier mémoire il examina le 
turbith minéral (sulfate mercuriel), dans lequel il démontra la 
présence de l’acide vitriohque. En le décomposant par la chaleur, 
il en retira de l’acide sulfureux et du mercure révivifié. A cette 
époque, on croyait encore généralement que l’acide vitriolique, 
en perdant son phlogistique, donnait naissance à du soufre. 
Bayen, qui avait rompu avec cette doctrine et qui affirmait que 
dans cette opération il n’y avait ni perte ni acquisition de phlo- 
gistiqpie, faisait ressortir la faiblesse des raisonnements de Stahl 
à ce sujet, a lesquels, dit-il, en dernière analyse, se réduisent à 
ceci : Le mercure en se changeant en turbith minéral augmente 
de poids, donc il a perdu du phlogistique ! » 

Lavoisier n’avait agi que sur les chaux de plomb et d’étain. 
Bayen eut l’heureuse idée d’opérer sur les chaux de mercure, 
bien plus facilement réductibles, mais il s’assura que les chaux 
de plomb se réduisent également par elles-mêmes. Lavoisier, 
qui n’avait pas encore recueilli l’oxygène, avait bien avancé que 
1 augmentation du poids des métaux était due à la fixation 



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d’une matière aérienne, mais il n’avait pas osé trancher la 
question du phlogistique, ce qu’il ne fit que dans son mé¬ 
moire de septembre 1777, c’est-à-dire trois ans et demi après 
Bayen (1). 

Celui-ci, dès le mois d’avril 1774, après avoir réduit les chaux 
imercurielles sans charbon, et tenu dans ses mains l’oxygène, à la 
vérité, sans en examiner la nature, admit dès lors comme dé¬ 
montrée la lumineuse hypothèse de Lavoisier (car c’est ainsi que 
ce dernier la caractérise lui-même), et repoussa résolument 
comme illogique, la doctrine de Stahl. Malheureusement, il ne 
compléta point sa découverte et l’on doit s’étonner qu’il se soit 
tellement approché du but sans l’atteindre tout à fait (2). 

L’idée qu’eut Priestley, et qu’il attribua au hasard, de plon¬ 
ger dans le gaz une bougie en ignition, ne se présenta pas plus à 
l’esprit de Lavoisier (ju’à celui de Bayen. Ce dernier en fut pro¬ 
bablement détourné, parce que, dans ses premières expériences, 
le gaz obtenu n’était que de l’adr fixe, mais surtout parce que 
ses recherches avaient un autre objet, à savoir : l’étude des 
précipités mercuriek et leur réduction par la simple chaleur. 


(1) Voici en quels termes Lavoisier exprimait son abandon de la doctrine de 
Stahl : « Je hasarde de proposer aujourd’hui à l’Académie une théorie nou- 
« Telle de la combustion, ou plutôt, pour parler avec la réserve dont je me suis 
« imposé la loi, une hypothèse à l’aide de laquelle on explique d’une ma- 
« nière très-satisfaisante tous les phénomènes de la combustion, de la cal- 
« cination, et même en partie ceux qui accompagnent la respiration des 
« animaux. J’ai déjà jeté les premiers fondements de cette hypothèse, 
« pages 279 et 280 du premier tome de mes Opuscules physiques et chi- 
« miques; mais j’avoue que, peu confiant dans mes propres lumières, je 
« n’osais pas alors mettre en avant une opinion qui pouvait paraître singu- 
« lière, et qui était directement contraire à la théorie de Stahl et à celle 
« de plusieurs hommes qui l’ont suivi. » ( Mémoires de l’Académie des 
sciences, année 1777, p. 592j Œuvres de Lavoisier, 1862, t. II, p. 226.) 

(2) Dès cette année 1774, Bayen se séparait de la doctrine stah l ienne dans 
les termes suivants Je ne tiendrai plus le langage des disciples de Stahl, 
« qui seront forcés de restreindre leur doctrine, ou d’avouer que les précipités 
« mercuriels dont je parle ne sont pas des chaux métalliques, quoique quel- 
« ques-uns de leurs plus célèbres chimistes l’aient cru ; ou enfin qu’il y a 
« des chaux qui peuvent se réduire sans le concours du phlogistique. » 
{Journal de physique, 1774, p. 278.) 



_ l/l __ 


ce qui, à ses yeux, impliquait la fausseté absolue de la doctrine 
de Stalil (E). 

Bayen avait longtemps habité le midi de la France. Il avait 
une vive prédilection pour les Pyrénées, dont il* parlait toujours 
avec enthousiasme. Aussi, après Texainen des eaux minérales de 
cette région, voulut-il s’appliquer à l’étude des pierres et des 
marbres les plus intéressants qui y sont répandus. Il consacra 
près de douze années à ce travail qu’il ne publia qu’en 1778 (F). 

Les recherches de Bayen sur les minéraux ont vivement éclairé 
la science au sujet des terres et des alcalis, surtout à l’égard de 
l’alumine, de la magnésie et de la silice. Il était tellement exercé 
à reconnaître la qualité des marbres, qu’à leur seule inspec¬ 
tion, il jugeait les veines susceptibles de sé décomposer rapide¬ 
ment et celles qui pouvaient résister aux agents extérieurs. C’est 
ainsi qu’il désigna à Déyeux, dans les marbres de Trianon et 
dans ceux de la statue de Louis XY, ceux qui devaient s’altérer 
les premiers. Trois ans après, sa prédiction s’était accomplie. 

Le dernier grand travail de Bayen eut pour sujet l'analyse de 
Vétain. Vers 1740, l’habile chimiste saxon, Henckel, avait an¬ 
noncé que l’étain contenait de l’arsenic. Quelques années après, 
un savant non moins célèbre, Marggraf, de Berlin, avait répété 
ses expériences et confirmé son assertion, ce qui alarma la société 
sur les dangers de l’emploi de ce métal (G). Le gouvernement 
s’en émut, et M. Lenoir, lieutenant général de police, chargea le 
collège de pharmacie d’approfondir la question- Une commis¬ 
sion de trois membres fut nommée. Elle se composait de Rouelle 
cadet (Hilaire Marin), deCharlard et de Bayen- Le travail était 
à peine commencé lorsque Rouelle vint à mourir. Charlard et 
Bayen n’en continuèi*ent pas moins les expériences entreprises. 
Le premier, homme habile et consciencieux, en prépara tous les 
matériaux, et Bayen se chargea du rapport, qui forma une mo¬ 
nographie complète de l’étain, au point de vue historique, mi¬ 
néralogique, chimique et même industriel. 

Cette monographie comprend quatre sections. EUe commence 
par une introduction relative à l’usage de l’étain depuis les 
temps les plus reculés : morceau d’érudition remarquable, tiré 
des prophètes, des poètes et des savants de l’antiquité. Bayen, 
qui lisait familièrement le Pentateuque, était très-versé dans 



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riiistoire et dans les langues anciennes, qui formaient l’une de 
ses études de prédilection. 

On sait que l etain est trop mou et trop fusible pour être em¬ 
ployé pur aux usages ordinaires. Il faut donc l’allier à d’autres 
métaux, comme le cuivre, le zinc, le bismuth ou l’antimoine, 
afin de lui donner plus de solidité sans le rendre cassant. Bayen 
traita l’étain pur, successivement par la calcination et par les 
acides énergiques, et il étudia les sels qui en résultent. En répé¬ 
tant les expériences des chimistes allemands, il s’assura que la 
poudre précipitée de la dissolution de l’étain dans l’éau régale 
n’était pas de l’arsenic, et que le léger sublimé obtenu par sa 
calcination en vase clos n’était autre chose qu’une chaux d’étain 
analogue aux fleurs de zinc ou pomphohx ; produit fort inof¬ 
fensif, car il en fit avaler à un petit chien d’assez fortes doses, 
sans qu’il en résultât aucun accident. Il forma ensuite un alliage 
d’étain et d’arsenic dans différentes proportions et il montra que 
la moindre quantité de ce dernier métal rendait l’étain si cassant 
qu’il ne pouvait plus servir aux emplois habituels; enfin, il re¬ 
connut que l’acide marin qui le dissout complètement, permet¬ 
trait d’y reconnaître la présence de la chaux arsenicale, même 
dans la proportion d’une partie sur 2,304. 

Dans l’étain de Cornouailles, il trouva 1 /763® d’arsenic métal¬ 
lique et quelque alliage de métaux divers sans inconvénients 
pour la salubrité. Quant à l’étain destiné à la fabrication des 
ustensiles, il indiqua les moyens d’y reconnaître la présence du 
cuivre, du zinc, du plomb et de l’antimoine, ainsi que les moyens 
d’en séparer tous ces métaux, même le bismuth et l’argent par 
l’eau régale et par l’acide marin. 

La dernière partie de ce travail contient les réponses aux ques¬ 
tions posées par l’administration, et qu’il résume ainsi t L’étain 
pur n’est nullement dangereux par lui-même. Le moins pur 
contient environ 1/700® d’arsenic. Il faudrait donc avaler une 
once d’étain pour absorber un grain d’arsenic métallique, le¬ 
quel d’ailleurs est moins vénéneux que la chaux arsenicale. Les 
expériences sur les animaux prouvent que l’étain allié à 1/64' et 
même à 1/16® d’arsenic, mêlé à lems aliments, ne nuit point à 
leur santé. La vaisselle d’étain perdant fort peu de son poids, 
même par un long usage, la proportion d’arsenic qui s’y trouve 



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mêlée naturellement serait si minime qu’elle ne saurait avoir 
aucune action sur l’estomac. Quant aux alliages nécessaires pour 
le rendre propre aux emplois usuels, le prix plus élevé du cuivre 
et de l’antimoine ne permettrait pas d’en ajouter au delà d’une 
petite proportion. Le zinc et le bismuth ne sont point délétères; 
mais il n’en est pas de même du plomb qu’on y mêle parfois 
jusqu’à la proportion de 25 pour cent: fraude coupable qui a 
rendu la consommation de l’étain de moins en moins étendue, 
car le plomb, d’ailleurs beaucoup moins cher, contient souvent 
de l’arsenic, et qui a augmenté l’emploi du verre, de la faïence 
et de la porcelaine, bien préférables sous tous les rapports. 

Les travaux scientifiques de Bayen ne sont pas nombreux, mais 
il n’en est aucun qui ne porte un caractère de nouveauté, de 
sincérité et d’utihté pratique. L’exactitude, la netteté, le laco¬ 
nisme des expériences rappellent la manière de Bergmann et de 
Scheele. L’analyse des eaux de Luchon est un modèle de re¬ 
cherches consciencieuses et complètes. La chimie analytique 
était encore au berceau; Bayen sentit la nécessité de lui ouvrir 
une voie nouvelle. Tout fut donc changé dans le plan qu’il 
adopta: instruments, appareils, réactifs, procédés et méthode. 
Sauf l’explication de certains phénomènes, encore empruntée 
parfois à la doctrine régnante, c’est l’ouvrage le plus neuf et le 
plus achevé du même genre qui ait paru à cette date. Le tra¬ 
vail sur les précipités de mercure fait époque dans les annales de 
la chimie moderne. Il porta les premiers coups à la doctrine du 
phlogistique; il est le germe de toutes les découvertes qui ont 
servi à étabhr les fondements de la nouvelle théorie. L’étude sur 
les marbres fit faire un pas considérable à la connaissance des 
minéraux ; elle introduisit l’analyse chimique dans cette matière 
et amena par la suite une réforme radicale dans la classification 
des espèces minérales; enfin, \es recherches sur Vétain^ en éclai¬ 
rant l’histoire de ce métal, rassurèrent le public sur son emploi 
et avancèrent l’analyse des métaux par la voie humide. Ce tra¬ 
vail fut regardé comme un chef-d’œuvre de docimasie. Aussitôt 
qu’il parut les inquiétudes cessèrent, et ce métal si utile reprit 
tous ses droits. 



17 


m. 

Si c’est là que s’arrêtent les services que Bayen rendit à la 
science, ce ne sont pas les seuls dont le pays lui soit redevable. 
Vers la fin de sa vie et jusqu’à son dernier jour, il ne cessa pas 
de travailler au perfectionnement du service de santé des ar¬ 
mées, l’un de ses meilleurs droits à la reconnaissance publique. 
Richard d’Hantesierk, premier médecin des camps et armées, 
l’avait connu et distingué à l’armée d’Allemagne. Il avait re¬ 
marqué son activité, son intcUigence, son esprit fertile en res¬ 
sources, mais surtout son humanité. Si un soldat était gisant 
sur le champ de bataille et si les chariots ou les brancards ve¬ 
naient à manquer, Bayen le chargeait sur ses épaules et le por¬ 
tait jusqu’à la première ambulance. Son exemple soutenait et 
animait ceux qui en étaient les témoins. Aussi^ Richard, devenu 
inspecteur général des hôpitaux militaires, s’empressa-t-il de 
nommer Bayen pharmacien en chef, et c’est aux travaux de ces 
deux hommes éminents que l’on doit l’organisation du service 
de santé des armées. 

Bien que le nom de Bayen n’ait pas obtenu autant d’éclat qpie 
celui des grands chimistes de la même époque, ses découvertes 
occupent dans l’histoire de la science un rang des plus distin¬ 
gués. Ses écrits sont des modèles de précision, de clarté et de 
méthode. Les devoirs officiels de sa place étaient si nombreux 
et si graves, qu’il ne put jamais consacrer à la science que de 
rares loisirs; c’est ce qui explique pourquoi il produisit si peu 
et à de si rares intervalles. Mais du moins les ouvrages qu’il a 
laissés sont-ils irréprochables. On a dit que la conscience dans 
les œuvres d’art était comme le sentiment du devoir dans la vie 
morale. Ces deux qualités se trouvent en effet souvent réunies 
dans le même individu: Bayen en est un heureux exemple. 

Appelé par son service à de fréquents voyaiges, il ne quittait 
jamais un pays sans l’avoir exploré complètement et sous les 
rapports les plus divers. Il en étudiait la topographie, le sol, la 
culture, les productions naturelles, les mœurs, les usages, et il 
se plaisait à indiquer aux industriels les sujets ainsi que les loca¬ 
lités qu’il jugeait propres à de nouvelles entreprises. 


2 



— 18 


Son ardeuv pour le travail et l’étude semblerait impliquer une 
certaine avidité pom’ la gloire, et pourtant personne n’étaitmoins 
que lui dominé par ce sentiment. Aussi, loin de réclamer la prio¬ 
rité de la découverte de l’oxygène, il appela le premier l’atten¬ 
tion des chimistes sur les vues de Lavoisier, auxquelles il s’em¬ 
pressa de rattacher les siennes, abandonnant dès lors la doctrine 
phlogistique, H revendiqua en faveur de Gosse et de Duhamel 
la découverte de l’existence de la potasse toute formée dans les 
végétaux. C’est lui qui découvrit, dans la bibliothèque de 
M. de ’Villiers, l’unique exemplaire de la brochure de Jean 
Rey, réimprimée depuis par Gobet, avec celle de Moitrel 
d’Elément. 

Doué d’une remarquable adresse et très^exercë aux manipu¬ 
lations, il construisait lui-même les instruments et les appareils 
dont il avait à se servir. D s’appliquait à simplifier les machines, 
les procédés industriels, et on lui doit, sans le savoir, une foule 
de perfectionnements de cette nature, aujourd’hui passés dans 
la pratique des laboratoires et des atehei's. D était toujoui-s prêt 
à faire valoir les travaux des autres, comme à faire bon marché 
des siens,, pensant qu’il n’avait aucun droit à la reconnais¬ 
sance juiblique, pour n’avoir fait, après tout, que lempEr son 
devoir. 

Simple et modéré dans ses goûts comme dans ses habitudes, 
Bayen n’attachait aucun prix au bien-être matériel. Content de 
son sort, il ne désirait rien de plus que ce qu’il avait acquis par 
son travail, et il communiquait volontiers ses idées et ses vues, 
même celles qui lui eussent été les plus profitables pour sa gloire 
ou sa fortune. On connaissait cette disposition généreuse et plus 
d’un homme peu délicat ne craignit pas d’en abuser. Voici ce 
qu’on rapporte à ce sujet r 

a Un deces hommes qui sont auxsavants ce que les frelons sont 
aux abeilles, avait puisé dans une conversation avec Bayen, des 
idées qu’il eut ensuite llmpudeur de s’approprier. Bayen le sut, 
en rit, et dédaigna de crier au larcin, comme eussent fait tant 
d’autres en pai'eil cas. Le thème homme, qui trouvait commode 
de moissonner sans avoir semé, revint pilier le champ fécond 
qu’il était difficile d’épuiser. Bayen se prêta à sa manœuvre et 
lui communiqua tout ce qu’il voulait savoir; mais à l’instant où 



-- 19 — 

le parasite, content de son butin, se confond en remerciements 
et se dispose à le quitter, Bayen, avec sa simplicité ordinaire, 
l’arrête et lui dit : Vous ne saviez donc rien de ce que je viens 
de vous dire?—Non, j’avoue que je l’ignorais complètement.— 
Dans ce cas, repartit Bayen, j’ai maintenant une grâce à vous 
demander; c’est qu’en descendant mon escalier, vous ne disiez 
pas à la porte que vous êtes monté pour me l’apprendre. » 

Le fond de son caractère était le courage, la droiture, la 
franchise et le désintéressement. Un sentiment rigoureux de 
justice le rendait inaccessible aux influenœs étrangères, et, dans 
la distribution des emplois qui dépendaient de lui, il ne se lais¬ 
sait jamais guider que par le mérite réel des candidats. 

Sa conversation était piquante et instructive. Il parlait bien, 
narrait avec charme et d’une manière pittoresque ; son esprit 
était varié, lumineux et solide. Sa mémoire était excellente. 
Il n’avait pas même oublié dans sa vieillesse ces vers barbares 
que les anciens instituteurs avaient imaginés pour fixer certaines 
règles élémentaires dans l’esprit des enfants. H. aimait à les citer 
et en faisait parfois des applications aussi ingénieuses que plai¬ 
santes. Sa première éducation dans la maison paternelle avait 
été sévère. Plus tard, il trouva chez fes instituteurs du college 
de Troyes, les princij«s de Port-Royal, qui proscrivaient les 
beaux-arts comme des aliments de sensualité, flattant la mol¬ 
lesse et altérant l’énergie de la vertu. Ces puritains sincères in¬ 
terdisaient la danse comme un exercice profane. Pour eux, la 
musique ne tendait qu’à amolhr les âmes ; le violon était un 
instrument immoral, et, pour régler les mouvements, la dé¬ 
marche et la contenance d’un jeune homme, ib ne trouvaient 
rien de mieux que l’usage des castagnettes. 

Heureusement, le jeune élève avait peu de penchant jK)ur la 
culture des beaux-arts, mais il annonçait une aptitude décidée 
pour l’étude des sciences, ce qui ne l’empêcha pas de se livrer 
toute sa vie au goût de la saine littérature. H avait surtout ce¬ 
lui des recherches de chronologie, d’étymologie et de gram¬ 
maire (1). C’était un linguiste fort distingué, et il est étonnant 


(1) Toutes les fois qu’il en trouve l’occasion, il redresse l’usage général, 
quand il s’écarte trop des étymologies. C’est ainsi qu’il s’élève en plusieurs 



— 20 — 

que les auteurs de la nouvelle nomenclature chimique ne Taienl 
point appelé à concourir avec eux à cette œuvre importante et 
difficile. 

Bayen avait une gaieté naturelle, expansive et douce, sans au¬ 
cune nuance de malignité ou de persiflage, cette plaie de la so¬ 
ciété de nos jours. Son humeur était d’une égalité parfaite (H). 
Sa philosophie, qui était sincère, se montrait dans ses actes 
comme dans ses discours. Il avait retenu de ses lectures et de 
ses voyages une multitude d’anecdotes qu’il contait d’une 
manière charmante. Il était aussi doux et placide dans le repos, 
que sérieux et austère dans le travail. « C’était, comme on l’a 
dit, la souplesse de l’arc détendu. » 

Cet excellent homme ne pouvait avoir et n’eut jamais d’en¬ 
nemi. Sur la fin de sa vie, un pamphlet misérable vint seul 
troubler un moment le calme de sa belle âme. Un jeune écri¬ 
vain avaitesé dire que « Bayen et son collègue étaient de vieilles 
têtes remplies des préjugés de l’ancien régime. » A l’audition de 
ce passage, il arrêta le lecteur, et lui dit avec une certaine viva¬ 
cité : cc Ecrivez en marge que ces vieilles têtes sont toujours 
« prêtes à communiquer à ceux qui y ont recours le fruit de 
« leurs lumières et de leur expérience. Quant aux préjugés, il 
te leur en reste deux qu’ils ont reçus en héritage de leurs parents 
« et dans lesquels ils persévéreront jusqu’à la mort : c’est d’ex- 
ft cuser les sots et de pardonner aux méchants. » 

Quoique la constitution physique de Bayen fut assez robuste, 
sa santé commença â s’altérer vers l’âge de soixante ans. Des 
voyages pénibles, la perte de ses meilleurs amis, quelques cha¬ 
grins domestiques et la fatigue de ses derniers travaux, aggra¬ 
vèrent son état; cependant, il ne mourut qu’en 1798, à l’âge 
de 73 ans, 

Bayen était membre de l’Institut, de la Société de médecine, 
de la Société d’agriculture de Paris, du collège de pharmacie, 
et l’un des inspecteurs généraux du service de santé des armées. 
Sa longue existence fut noblement remplie. Il fit avancer la 
science, il honora sa profession, il créa la pharmacie mihtaire 


endroits contre la dénomination de la magnésie. (_Opusc. chim., t. Il 
p. 209}. 



— 21 


et l’organisation si parfaite du service qui s’y rapporte-, enfin, 
il donna l’exemple d’un caractère irréprochable, ferme, bien¬ 
veillant et désintéressé. 

Messieurs, au moment où la statue de Parmentier, son suc¬ 
cesseur immédiat, et celle de Vauquelin, notre illustre direc¬ 
teur, vont s’élever dans le parvis de cette école, nous aimerions 
à voir consacrer au moins un modeste buste à la mémoire du 
savant et vertueux Bayen, non moins digne d’un tel honneur ; 
deBayen trop oublié, dont nous avons saisi avec bonheur l’occa¬ 
sion de rappeler les titres et le souvenir, en présence d’une as¬ 
semblée si capable de les apprécier (1). 


(I) L’administration municipale semble s’étre associée par avance à ce 
vœu, en donnant le nom de Bayen, à une rue nouvellement ouverte, dans 
t’ao des arrondissements de Paris. 





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KOTKS. 



IKf pa^ 7.)< Son père était boulanger et demeurait sur la paroisse Saint- 
Loup, dont il était marguillier. Sa mère se nommait Françoise Legentil. 
Pierre Bayeu était le plus jeune de leurs sept enfants. Il avait douze ans 
quand sa mère mourut {t2 mars 1737),- et près de dix-sept ans lorsqu il 
perdit son père (21 octobre 1741), ce qui contredit un peu les assertions 
de Parmentier, relativement à sa biographie et à celle de sa famille. C’est 
sans doute sa sœur aînée, Anne Bayen, née en 1710', qui se voua à remplacer 
sa mère, en commençant son éducation. Une autre de ses sœurs, Antoinette 
Bayen, née en 1714, épousa en 1742 Joseph Malatret, aussi boulanger, qui 
fut le père du pharmacien militaire Malatret, l’éditeur des Opuscules chi¬ 
miques de son oncle Pierre Bayen. 

Je dois ces détails à M. Hippolyte Faure, pharmacien à Châlons-sur-Marne, 
qui, sur ma demande, a bien voulu faire de longues recherches dans les ar¬ 
chives de cette ville, et a recueilli de nombreux documents à ce sujet. Il est 
même parvenu à découvrir la maison dans laquelle est né Pierre Bayen, et 
sa ville natale voudra sans- doute qu’un marbre commémoratif rappelle cette 
circonstance honorable pour lè chef-lieu du département de la Marne. 

(B, page 8.) Claude Humbert Pierron de Chamousset, né à Paris en 171 1 , 
mort en 1773, philanthrope éminent, consacra la plus- grande partie de sa 
fortune au désir d’améliorer le sort des ouvriers et de soulapr les pauvres 
et les infirmes. Il transforma sa maison en un hôpital modèle où Ion ac¬ 
cueillait et où l’on traitait les indigents malades- de tout âge, de tout sexe 


24 — 


et, à leur sortie, Us recevaient une somme pour les indemniser du temps 
que la maladie leur avait fait perdre. Chaque malade avait son lit séparé, 
les soins de propreté et les précautions hygiéniques y étaient très-perfec- 
tionnés, et les bons résultats de ces innovations amenèrent une heureuse ré¬ 
forme dans l’administration des hôpitaux publics. Chamousset uevint inten¬ 
dant général des hôpitaux militaires. 11 eut la première idée de l’association 
des secours mutuels entre ouvriers. C’est à lui que l’on doit la création de 
la petite poste de Paris, celle des compagnies d’assurance contre l’incendie, 
la fondation d’une maison de prêt, et une foule d’autres idées utiles sur divers 
points d’économie politique. 

(C, page 10.) L’amitié la plus vive unissait Bayen, Parmentier, Charlard, 
et Dareet, qui ne passaient jamais uue semaine sans s’asseoir à la même 
table. Parmentier lut son éloge à la société de médecine, Lassus à l’In¬ 
stitut et Sylvestre à la société d’agriculture. C’est dans ces diverses notices 
et dans celles de Malatret que nous avons puisé les principaux documents 
qui figurent dans cette étude. 


(D, page 10.) Obligé de réduire pour la lecture publique, l’analyse des Opus¬ 
cules chimiques de Bayen, nous donnons ici un peu plus d’étendue à l’ex¬ 
position des titres scientifiques de ce savant distingué. 

U analyse des eaux de Luchon parut pour la première fois, dans le pre¬ 
mier volume du Recueil d’observations de médecine des hôpitaux militaires, 
publié par Richard, inspecteur général des hôpitaux militaires j 1766, in-4. 
Ce travail avait exigé des expériences très-multipliées, car l’auteur l’avait 
entrepris d’après un plan entièrement nouveau. Il est encore excellent à étu¬ 
dier. Les traités récents d’eaux minérales placent toujours cette analyse au 
premier rang, bien qu’elle ait cent ans de date et qu’on l’ait refaite plu¬ 
sieurs fois, avec les nouveaux éléments que possède aujourd’hui la science. 

Dans la première partie, après la description fort bien faite des sources 
minérales de Luchon, l’auteur remarque qu’elles doivent contenir du soufre, 
à n’en juger que par l’odeurjqui s’en dégage; que ce soufre s’y trouve 
dissous à la faveur de leur température, puisqu’il s’en précipite par le 
refroidissement; enfin qu’on l’en sépare facilement par l’addition de quel¬ 
ques gouttes d’un acide quelconque. Il examina aussi la boue noire qui 
croupit dans certains dépôts, et ii la regarda comme le produit de la 
décomposition d’un schiste ferrugineux très-abondant dans le sol qui les 
entoure. Ces eaux déposent sur les pierres du ruisseau dans lequel elles 
se divisent et sur les conduits de bois qui les amènent aux différents fon¬ 
taines, des flocons blancs, soyeux et gélatineux. Cette matière se réduit 
beaucoup par la dessiccation. Elle devient grise et brûle avec une odeur 
sulfureuse. Chauffée dans un alambic, elle fournit un sublimé qui,, jeté 
sur les charbons ardents, brûle comme du soufre, avec une odeur qui 
décèle la présence d’une matière grasse organique. 

Dans la seconde partie, Bayen examina les résultats de l’évaporation des 



— 25 — 


eaux des différentes sources et de leur précipitation par une dissolution mer¬ 
curielle. Ce» produits constituaient, d’une part, les principes fixes des eaux de 
Ludion, c’est-à-dire les sels, qu’il obtint cristallisés des lavages et du traite¬ 
ment des résidus de l’opération, de l’autre, l’examen des précipités résultant 
de l’action de la solution mercurielle. U fit aussi l’examen des efflores¬ 
cences qu’il avait remarquées aux environs des sources, résultats de 
Faction de l’acide vitriolique qui se forme toujours près des eaux sulfureuses, 
par l’action de l’air sur les sulfures terreux ou alcalins qui les entourent. En 
traitant ces efflorescences par les réactifs, il reconnut qu’elles contenaient 
de la matière alumineuse (alumine), et que celles qui se montraient sur les 
schistes pouvaient fournir du sel de Sedlitz ou d’Epsom(sulfate de magnésie). 
Il examina aussi les incrustations recueillies sur les murailles du bâtiment 
des bains ; enfin, en étudiant certains éhoulemerds rapprochés des sources, 
ainsi que les fissures des roches d’où elles s’échappent, il reconnut partout la 
présence du fer, de l’alumine, de la magnésie et de la chaux. 

C’est dans ce premier travail que se trouve l’expérience qui devait lui 
fournir du cinabre, et qui lé conduisit à penser que toutes les chaux mé¬ 
talliques pouvaient être réduites par la seule chaleur, observation qu’il se 
proposa dès lors de reprendre et de développer. 

Ce fut en effet le sujet de son second ouvrage, ayant pouf titre : Essais 
d’expériences sur les précipités mercuriels, dans la vue de découvrir leur 
nature. Celui-ci se compose également de quatre mémoires qui parurent 
successivement dans le Journal de Physique, du mois de février 1774 au 
mois de décembre 1776. Dans le premier mémoire, après avoir répété l’expé¬ 
rience du précipité mercuriel sublimé avec du soufre dans une cornue, il 
montra que tous les précipités de mercure mêlés d’un peu de soufre sont 
fulminants, quand on les calcine à vaisseaux ouverts. Il remarqua aussi 
que les métaux, en se calcinant, absorbaient une certaine quantité d’air at¬ 
mosphérique, que lorsqu’on les réduisait en chaux par l’action des acides et 
qu’on les précipitait par les alcalis, ce n’était plus à l’air qu’ils empruntaient 
^e principe qui en augmentait le poids, mais à l’acide lui-même, et que, par 
conséquent, ce principe faisait partie de l’acide employé. Du reste, ce premier 
mémoire n’est qu’une sorte d’introduction. L’auteur ne prend encore aucun 
parti et ne fait que préparer les voies, remettant, dit-il, à un second mé- 
« moire la suite de ses expériences, qui ont un grand rapport avec celles 
« que Lavoisier vient de publier. » Quant au fluide élastique qui les préoc¬ 
cupait tous deux, il ajoute : « J’avoue que les connaissances que j’ai acquises 
« sur cet être sont encore trop bornées pour que j’ose me prononcer sur sa 
« nature. » 

Deux mois après la publication de ce premier mémoire (avril 1774) parut 
en effet le second, dans lequel il s’occupa de l’augmentation du poids des 
chaux métalliques obtenues par précipitation de leur dissolution acide à 
l’aide des alcalis. Il l’attribua d’abord à deux causes : 1® à l’adhérence d’une 
partie du dissolvant ou du précipitant ; 2° à la fixation d’un fluide élastique 
(suivant l’expression de Lavoisier), qui élève cette augmentation au huitième 
du métal employé. 



— 26 — 


Eu réduisant les chaux métalliques par le charbon, Bayen avait recueilli 
un gaz plus lourd que l’air atmosphérique qui, pendant la nuit, s’était dis¬ 
sous dans l’eau de la cloche. Cette eau avait acquis une saveur aigrelette et 
dissolvait la limaille de fer : c’était de l’air fl,xe. 

Dans les expériences suivantes, comme il ne se sert plus de charbon, dont 
il déclare l’emploi inutile, il recueille encore un fluide élastique, mais qui 
n’est plus soluble dans l’eau ; par conséquent son volume est plus facile à 
mesurer; son poids est moins lourd que celui de l’air fixe, mais supérieur à 
celui de l’air commun. Enfin, il tire de ses expériences les conclusions sui¬ 
vantes : 1» que les précipités de mercure sont réductibles par eux-mêmes • 
2° que l’emploi du charbon n’est point nécessaire pour la révivification du 
mercure ; 3* que les conséquences qu’il avait d’abord tirées de ses expé¬ 
riences, pour les faire cadrer avec la doctrine de Stahl, étaient fausses ; 
4“ que, dans la chaux mercurielle, le mercure doit son état, non à la perte 
du phlogistique, qu’il n’a point essuyée, mais à sa combinaison intime avec 
un fluide élastique, dont le poids s’est ajouté à celui du métal. 

« Pour rendre raison, dit-il, du changement que la calcination a fait subir 
« au vif-argent, dirons-nous, avec quelques disciples de Stahl, que le feu a 
'< fait perdre au métal un de ses principes constituants, le phlogistique, et 
« qu’il doit à cette perte son état de chaux? Non, sans doute, ce serait dire 
« une chose que l’expérience désavoue; n’est-il pas en effet démontré que, 
« loin d’avoir perdu un de ses principes, le mercure en a acquis un nou- 
« veau ; qu’il s’est combiné à un autre corps et que de cette combinaison 
« seule résulte la métamorphose sous laquelle nous le voyons après la cal- 
« cination? Et d’ailleurs, comment concilier l’augmentation de pesanteur 
« avec la perte de l’un des principes constituants? difficulté que depuis 
a longtemps les disciples de Stahl se sont faite à eux-mêmes, sans avoir 
« jamais pu la résoudre (1) ? » 

Dans le même travail, il annonça qu’il s’écarterait bientôt des principes 
de la doctrine stahilenne. « Mes expressions, dit-il, seront encore quelques 
« instants conformes à la doctrine de Stahl sur le phlogistique, mais je leur 
« en substituerai d’autres aussitôt que mes expériences l’exigeront. Je 
« cherche à tâtons la vérité, ajoute-t-il; je n’ai pas la présomption d’as- 
« surer que je l’ai trouvée, mais j’ai beaucoup fait, si, en évitant une erreur, 
« je peux en préserver les autres. » 

Le troisième mémoire ne parut qu’au mois de février 1775. Bayen y dé¬ 
crivit le précipité noir et cristallin obtenu de la décomposition lente du su¬ 
blimé corrosif par la potasse, précipité réductible spontanément en dégageant 
beaucoup de fluide élastique. Toutes les chaux de mercure lui donnèrent les 
mêmes résultats, mais il s’assura que le précipité per se était le plus facile à 
réduire. Il tira de toutes ces expériences la déduction suivante : « C’est donc 
« dans l’air que les métaux puisent le principe qui les calcine et qui en 
« augmente le poids. » 

Dans le mémoire suivant (décembre 1775), il examina le turbith minéral 


(1) Opusc. chm.,T. 1, p. 30b. 



— 27 


(sulfate mercuriel), dans lequel 11 démontra la présence de l’acide vitriolique, 
et qu’il réduisit avec un grand dégagement de fluide élastique. Il en conclut 
que ce gaz fait partie de l’acide, comme il l’avait montré pour l’acide ni¬ 
treux, et que, dans tous les cas, il n’y avait ni perte ni acquisition de phlogis- 
tique. C’est dans cette dernière partie qu’il exposa ses vues sur la cristalli¬ 
sation de l’alun, et sur ce qu’il appelle la vitriolisation, c’est-à-dire l’action 
prolongée de l’acide vitriolique sur certains minéraux (I). 

On voit que, dans ce travail approfondi, l’auteur n’a négligé aucun détail 
et qu’il s’est appliqué à constater la nature de chaque produit par le calcul, 
par la balance et par tous les procédés de l'art alors connus. Ces diverses 
opérations sont aujourd’hui familières à tous les chimistes; mais, à ce mo¬ 
ment, elles étaient nouvelles, et depuis lors, elles servirent de guide à tous 
ceux qui entreprirent des recherches analogues. A la vérité, l’œuvre se res¬ 
sent encore de l’influence des idées de Stahl, qui regardait le soufre comme 
le produit de l’acide vitriolique uni au phlogistique. Mais le moment n’était 
pas éloigné où Bayen, rejetant résolument cette doctrine, allait, dans un 
autre travail, lui porter les premiers coups, préludes des attaques plus rudes 
encore que lui réservait la théorie Lavoisienne, et dont elle ne devait plus se 
relever. 

Lavoisier n’avait agi jusque-là que sur les chaux de plomb et d’étain. 
Bayen eut l’heureuse idée d’opérer sur les précipités de mercure, bien plus 
facilement réductibles. Lavoisier, qui n’avait pas encore recueilli l’oxygène, 
avait bien établi théoriquement que l’augmentation du poids des métaux cal¬ 
cinés était due à une matière aérienne, mais il n’avait pas encore osé 
trancher la question du phlogistique. Bayen fut plus hardi ; après avoir réduit 
les précipités mercuriels sans l’intermède du charbon, il admit comme une 
vérité démontrée la lumineuse conjecture de Lavoisier en repoussant comme 
illogique la doctrine de Stahl. Malheureusement, il ne compléta pas sa 
découverte par l’examen du gaz et de sa nature. L’idée qu’eut Priestley, 
et qu’il attribue au hasard, de plonger dans ce gaz une bougie en ignition, 
ne se présenta pas plus à l’esprit de Lavoisier, qu’à celui de Bayen. Celui-ci 
en fut probablement détourné, 1° parce que, dans ses premières e.xpériences, 
l’eau du récipient lui avait montré que le fluide recueilli n’était autre chose 
que de l’air fixe, 2“ parce que ses recherches avaient un autre but spécial ; 
à savoir : l’étude des précipités mercuriels et de leur réduction par la seule 
chaleur, ce qui, à ses yeux, impliquait la fausseté absolue de la doctrine 
de Stahl. 

(E, p. 14). Le travail que Bayen avait annoncé dès l’année 1766 sur les 
précipités de mercure ne l’occupa point exclusivement pendant les huit années 
qui séparent ce dernier ouvrage de l’analyse des eaux de Luchon. Il se livra 


(l) La première sublimation lui avait donné un produit formé de mercure vif, de mer¬ 
cure doui, de turbith minéral (sulfate de mercure), de soufre, de matière vitrifiable (sUice) 
et d’un peu de matière bitumineuse. [Opusc. chitn., t. 1, p. 305.) 



— 28 


aussi dans cet intervalle à l’Examen d’une mine de fer apathique, dont il 
avait rapporté d’Allemagne quelques échantillons. Cette analyse qui com¬ 
mence le second volume de ses Opuscules chimiques n’était pas d’abord 
destinée à l’impression, mais ayant été lue à l’Académie des sciences 
{25 juin 1774) et fort bien accueillie, Bayen se décida à la publier. Elle con¬ 
tient, dans la première partie, la description d’un appareil chimico-pneuma¬ 
tique fort ingénieux dont il se servit dans son travail sur les précipités de 
mercure pour recueillir les gaz et en constater le volume; appareil qui a 
servi de modèle ou de point de départ à ceux plus perfectionnés que 
la science a adoptés depuis cette époque. 

Cette analyse fut exécutée avep tout le soin et l’exactitude qui sont le 
caractère de tous ses travaux. Après avoir traité successivement le mine¬ 
rai par la voie sèche et la voie humide, c’est-à-dire par la calcination et 
par les réactifs, il reconnut que cette mine était une combitiaison de fer 
et d’air fixe (acide carbonique), dans la proportion de trois parties de fer 
pour une de gaz, unis à une gangue composée de quartz, de spath cal¬ 
caire et d’un peu de zinc. Bergmann, qui répéta cette analyse, n’y reconnut 
point la présence du zinc, qu’il confondit avec le manganèse. 

L’étude approfondie qu’il avait faite des précipités de mercure fut aussi 
pour Bayen l’occasion d’examiner quelques remèdes alors en vogue, en¬ 
tre autres les Dragées ou pilules de Keyser, dont le gouvernement avait 
acheté le secret. Son analyse montra que la base de ce médicament n’était 
autre chose que du mercure dissous dans l’acide du vinaigre (acétate mer¬ 
curiel) mêlé à de la manne et à de la farine, La dissolution du mercure 
dans l’acide acétique n’avait pourtant rien de nouveau, car elle avait été 
annoncée, en 1613, dans le Théâtre chimique, imprimé à Strasbourg, ou¬ 
vrage de Bernard Penot, alchimiste de l’école de Paracelse, qui mourut 
dans la misère, à l’hôpilal de Bourg en Bresse, tandis que Keyser laissa une 
fortune considérable : constraste bizarre et déplorable qui remonte, comme 
on voit, à une date assez reculée. La formule de ce médicament aujourd’hui 
abandonné figure pourtant encore dans de récentes pharmacopées. 

Bayen examina aussi la fameuse Eau des nègres, employée comme ver¬ 
mifuge, Bien que l’eau distillée sur du mercure ne retienne pas un atome de 
ce métal, il ne constata pas moins que cette eau n’était point sans effi¬ 
cacité dans le traitement des affections vermineuses. 

Il s’occupa également du Sirop mercuriel de Belet. Il en fit le sujet de 
deux dissertations, publiées sous le nom de Dehorne, mais qui lui appar- 
iennent réellement, ainsi qu’il en fit l’aveu, et dans lesquelles d’ailleurs, 
comme le dit Parmentier, il est facile de reconnaître le cachet de l’auteur. 

Isaac Belet, médecin de Bordeaux, était inspecteur des eaux minérales de 
France. Il mourut en 1778. Son sirop antivénérien, qui fit beaucoup de bruit 
à la fin du 18* siècle, était composé d’acétate et de nitrate de mercure, 
mêlés à de l’alcool et du sucre. Sa préparation a été modifiée depuis, 
mais on l’emploie rarement. Selon la formule la plus récente, on fait 
dissoudre 5 centigrammes de deutochlorure de mercure dans 2 grammes 



20 


d’eau, que l’on mêle à 120 grammes de sirop simple, auquel on ajoute 
4 grammes d’éther nitrique alcoolisé. 

I. Belet publia en 1768 une brochure intitulée : Exposition des effets d’un 
nouveau remède dénommé Sirop mercuriel. Il en parut une deuxième édi¬ 
tion en 1770. 

(F, page 14.) L’ouvrage de Pott, intitulé : Lithogéognosie, publié 
en 1753, avait le premier jeté quelque lumière sur ce sujet, longtemps resté 
en dehors des études des chimistes. Bayen consacra près de douze années à 
ce beau travail qu’il ne publia qu’en 1778. Il le divisa, comme les précédents, 
en quatre parties, dont voici la rapide analyse. 

On avait jusque-là réparti les marbres en trois on quatre classes, fondées 
sur certaines analogies de couleur et de dureté, en attendant que l’analyse 
chimique perfectionnée permît d’établir sur leur composition une classifica¬ 
tion plus rationnelle. Bayen en forma trois groupes dans lesquels il répartit : 
l* les marbres blancs ou d’une seule couleur; 2“ les marbres de diverses 
couleurs; 3“ les marbres colorés et mêlés d’autres minéraux. Il examina 
d’abord les marbres vert et rouge de la vallée de Campan, ainsi que les 
pierres figurées de Florence. Il les traita par la voie humide, c’est-à-dire par 
les acides énergiques, et, aptes la dissolution de la chaux qui en forme la 
base, il y reconnut la présence de l’alumine, de diverses chaux métalliques 
qui les colorent en vert, en rouge, en jaune, ainsi qu’un peu de bitume qui 
les teint en noir. 

Dans la seconde partie il étudia les marbres cipolins de Rome, formés de 
lames blanches et vertes, Yamandola^ le cipolin antique noir et rouge, ainsi 
que le noir antique. Il s’assura que les veines blanches étaient formées de 
marbre pur mêlé de. quartz et que les veines colorées renferment des chaux 
de fer et du bitume en diverses proportions. La section suivante contient 
l’analyse des serpentines d’Allemagne et du Limousin, des stéatites du Li¬ 
mousin et de la Corse. Il les trouva composées de talc, de magnésie, de 
terre argileuse (alumine), de silice, de fer, et d’une petite quantité d’acide 
marin qui, toutefois, n’existe pas dans les stéatites. La grande proportion de 
magnésie qu’il y reconnut (H, ou un tiers), le confirma dans l’opinion, déjà 
émise dans l’analyse des eaux de Luchon, que l’on pouvait fabriquer en 
France les sels de Sedlitz et d’Epsom (sel cathartique amer) jusque-là tirés de 
l’étranger, trop souvent mélangés de sel marin, et auxquels on substituait 
quelquefois le sel de Glauber. C’est à cette occasion, et à propos de quelques 
autres pierres magnésiennes trouvées §ur les rives de la Moselle qu’ii cri¬ 
tique avec vivacité le nom de magnésie imposé par l’usage et par la nouvelle 
nomenclature, à ce qu’il persiste à appeler la base du sel cathartique 
amer. 

Enfin, dans la quatrième partie, il s’occupa de l’analyse des pierres sili¬ 
ceuses, dont il avait formé une classe spéciale sous le nom de vitrescibles 
mixtes. Ces pierres comprennent ; le porphyre ronge antique, à points 
blancs de quartz et de feldspath, agglomérés par un ciment ferrugineux 
rouge et vert; puis l’ophîte antique, le granit, le grès et les schorls, le gra- 



30 — 


nitelle vert de la vallée d’Âspe, les granits d’Autun et de Semur, dont les 
efflorescences accusent la présence de la sélénite, de l’alun, du vitriol 
vert et de la magnésie, les jaspes vert et rouge à base d'alumine et de fer, 
le feldspath formé de quartz et d’alumine, minéraux tous fusibles et vitri- 
fiables quand ils sont traités par les alcalis et soumis à une haute tempé¬ 
rature. 

C’est dans la dernière partie de ce travail que Bayen introduisit dans l’a¬ 
nalyse des minéraux le procédé qu’il appelle la vitrioUsation, c’est-à-dire 
l’action prolongée de l’acide vitriolique concentré; faisant ainsi intervenir 
le temps comme un élément précieux dans le traitement des minéraux jus¬ 
qu’alors regardés comme inattaquables par les agents ordinaires. Il joignit 
à cet écrit diverses notes, entre autres la description du procédé employé 
dans la forêt Noire pour la fabrication du sel d’oseille, et une lettre sur le 
pechstein de Ménilmontant, dans lequel il découvrit une assez grande pro¬ 
portion de magnésie. 

Quels que soient les rapports entre la minéralogie et la chimie, il est 
curieux de remarquer combien ces deux sciences ont été longues à s’appuyer 
l’une sur l’autre. La minéralogie avait sa langue à part, et ce n’est que tout 
récemment qu’elle en estvenue à se servir delà nomenclature chimique,comme 
à y subordonner sa classification. 


(G page 14.) Ces recherches avaient été provoquées par un écrit du doc¬ 
teur Schultz,- publié en 1722, sous ce litre ; Dissertatio qua mors tn alla; 
seu metallimm contagium in ciborum, potmm et medicamentorum prœ- 
paratione ac asservatione cavendum indicatur. Altdorff, m-4“. Cet ouvrage 
avait obtenu un grand retentissement en Allemagne. 


(H page 20.) Franklin disait que la mauvaise humeur étari la malpropreté 
de l’âme Charron, et après lui Saint-Simon, ont appelé Éqmmmdé cette 
sérénité heureuse que certaines âmes savent conserver au milieu de cir¬ 
constances difiiciles ou opposées. 




NOTE 


LA DÉCOlJAERTE DE L’OXYGÈNE, 


LDE A L’ACADÉMIE DES SCIEIiCES, 

Dans sa séance dn 17 octobre 1866. 


« L’étude du passé est le guide le plus sûr 
de l’avenir. » 

(J. Bertrand. ) 

Vers la fin du dernier siècle, plusieurs nations se disputèrent 
la gloire de la découverte de l’oxygène : gloire immense, en effet, 
car c’est là le fait capital, le trait le plus saillant de l’histoire de 
la science moderne, la vaste généralité qui vint élucider tout ce 
qui, jusque-là, avait été obscur ou contradictoire, et expliquer 
de la manière la plus simple et la plus naturelle les principaux 
phénomènes de la physique et de la chimie. 

Or bien des doutes existent encore à ce sujet. Quatre savants 
ont concouru séparément, mais presque à la même date, à ce 
grand événement scientifique : Bayen, Priestley, Scheele et La- 
voisieri Deux de ces éminents chimistes sont nos compatriotes, 
un troisième est Suédois et le quatrième est Anglais. On conçoit 
que l’importance d’un tel fait puisse élever la priorité de sa dé¬ 
couverte à la hauteur d’une question de gloire nationale; on 
comprend aussi tout l’intérêt que l’histoire de la science doit at¬ 
tacher à préciser les circonstances qui en ont préparé et déter¬ 
miné l’explosion. 

C’est sur ce point que je viens appeler un moment l’attention 
de l’Académie. J’espère établir que la France peut revendiquer 
la meilleure part de cette gloire; j’essayerai de prouver, à l’aide 



3-2 — 


des faits et de leurs dates, que si la théorie qui se fonde sur la 
démonstration de l’oxygène appartient sans conteste à notre La¬ 
voisier, les physiciens et les chimistes français ont, à diverses 
époques, contribué largement au développement des faits et des 
idées qui se rapportent à cette découverte. Je rappellerai surtout 
que la première expérience positive, incontestable, relative à 
l’existence de ce gaz, fut pratiquée par Pierre Bayen, savant mo¬ 
deste qui fut membre de l’Institut, chimiste tellement oublié au¬ 
jourd’hui que, parmi les historiens les plus récents delà science 
il en est plusieurs qui n’ont pas même prononcé son nom. 

Dès le commencement du XVIII® siècle, les physiciens et les 
chimistes dirigèrent leurs recherches sur un sujet qui, dans le 
siècle pi’écédent, avait beaucoup occupé Van Helmont, Robert 
Boyle, John Mayow et le célèbre Haies. Il s’agissait de l’étude de 
l’air et des émanations invisibles qui se dégageaient, soit dans 
certains phénomènes de la nature, soit dans les opérations des 
laboratoires: sujet nouveau, fécond, et sur lequel on ne possédait 
encore que des données vagues et fort incomplètes. En Angle¬ 
terre, en Hollande, en Allemagne, ces questions passionnaient les 
hommes de science, tandis .que les chimistes français ne sem¬ 
blaient point jusque-là disposés à y prendre une part très-active. 
Au début du même siècle, un médecin d’Edimbourg, Joseph 
Black, et un savant chirurgien irlandais, Mac Bride, ayant 
donné un nouvel élan à ce genre de recherches, un chimiste 
français, Venel, en fit à son tour le sujet de sérieuses études. 
Venel reprit et développa les expériences de Black sur le 
fluide que celui-ci avait appelé air fixe ou plutôt fixé {fixed air), 
que l’action du feu ou celle des réactifs dégageait de la combus¬ 
tion du charbon, des terres alcalines traitées par les acides, de 
la chaux vive, des fermentations, de certains 001^)5 dans lesquels 
il semblait s’être fixé ou concentré et dont il s’échappait sous la 
forme d’un fluide gazeux. 

A ce moment, Venel et Bayen, tous deux élèves de Rouelle, 
furent chargés par le gouvernement de faire l’analyse des eaux 
minérales de la France. Les deux jeunes gens se mirent à l’œuvre 
et publièrent ensemble leurs premiers travaux; mais Venel ayant 
été obligé de se livrer à d’autres recherches, Bayen résolut de se 
vouer seul à la continuation de cette œuvre. En 1765, après la 



campagne de Minorque, où il avait rempli les fonctions de phar¬ 
macien en chef, il s’appliqua à l’examen des eaux de Bagnères- 
de-Luckon. Il y procéda avec tout le soin dont il était capable 
et prépara de longue main un travail complet, conçu d’après 
un plan tout nouveau. Cet ouvrage, qu’il puhha en 1766 fut 
pour lui l’occasioq de plusieurs remarques d’un haut intérêt 
mais surtout d’une découverte dont la portée scientifique était 
considérable, car elle est la première origine de tous les travaux 
sur lesquels repose le système de la chimie de nos jours. 

En cherchant à constater dans les eaux de Luchon la pré¬ 
sence du soufre, Bayen eut l’idée de se servir, comme réactif, de 
ce qu’on appelait alom les chaux ou précipités de mercure^ afin 
d’obtenir un produit dans lequel il espérait trouver les éléments 
du cinabre. Sa prévision se réalisa : il recueillit un précipité 
qui, lavé et sublimé, lui fournit un sulfure de mercure magni¬ 
fique, accompagné de quelques globules de mercure révivifié. 
Frappé de ce résultat, il se réserva dès lors de reprendre cette 
expérience, ainsi que l’étude des précipités mercuriels, afin d’en 
déterminer la nature et les propriétés {Opuscules chimiques^ 1.1, 
p. 305). 

Ce sujet ne tarda pas en effet à devenir l’objet particulier de 
ses recherches. Il y consacra plusieurs années, car ce n’est qu’en 
1774 qu’il publia successivement les quatre mémoires qui s’y 
rapportent. Le premier parut dans le numéro de février du 
Journal de physique^ 1774, « ce qui, selon Fourcroy, ferait 
remonter ses expériences tout au moins à quelques années avant 
cette date (1). » L’auteur y annonçait la propriété fulminante 
des précipités mercuriels mêlés à un peu de soufre, mais il 
y signalait un fait bien plus grave, à savoir : la réduction 
des chaux métalliques par la simple chaleur, sans addition 
de charbon f avec dégagement d’un fluide élastique qu’il re¬ 
cueillit par l’appareil de Haies, qu’il mesura et dont il trouva 
le poids supérieur à celui de l’air atmosphérique. Malheu¬ 
reusement il n’alla pas plus loin, et, croyant n’avoir affaire 
qu’à de l’air fixe (acide carbonique), il négligea d’étudier ses 
autres Cctractères. 


(1) Art. Chimie, Encyclcypédie méthodique, t. IIÎ, p. 455 fan IV}. 

3 



— 34 — 


Lavoisier dut être vivement frappé d’un pareil résultat, qui 
se rapportait complètement aux idées qu’il avait déjà conçues 
et émises en 1772, dans un écrit cacheté déposé au secrétariat 
de l’Académie. Il est singulier qu’il n’ait pas fait mention de la 
découverte de Bayen dans son premier mémoire sur l’augmen¬ 
tation du poids des substances métalliques par la calcination, 
mémoire qui parut au mois de novembre de la même année 
(1774), ni même dans aucune des lectures qui servirent à dé¬ 
velopper sa nouvelle théorie. Il est vrai que tous ces écrits 
avaient été précédés par la note cachetée du l®*’ novembre 1772 ; 
mais cette note n’annonçait que ces deux faits très-importants, 
savoir : 1“ l’augmentation du poids du soufre et du phosphore 
par la combustion, résultat que l’auteur attribuait à la fixation 
d’une prodigieuse quantité d’air; 2° la persuasion où il était 
que l’augmentation du poids des métaux était due à la même 
cause, comme il s’en était assuré en réduisant de la litharge, par 
sa calcination avec du charbon, en vaisseaux clos (1). 

Priestley était à cette époque chapelain de lord Shelburne, 
marquis de Lansdown, amateru' zélé et éclairé des sciences 
physiques. Priestley, déjà membre de la Société royale de Lon¬ 
dres, quoique fort jeune, avait publié en 1772, ses premières 
Observations sur différentes espèces d^air. Il avait découvert Va- 
zote, annoncé d’importantes expériences sur l’air fixe, l’air ni¬ 
treux et divers autres gaz; mais, exclusivement imbu delà 
doctrine stahlienne, les conséquences de ses propres découvertes 
devaient lui échapper et, en effet, lui échappèrent toujours. En 
1744, il accompagna en France lord Shelburne et a il assistait à 
une séance de l’Académie des sciences, au moment où s’y livrait 
une discussion animée entre Cadet etBaumé sur les propriétés de 
l’oxyde rouge de mercure ; « discussion, ajoute M. Dumas, qui 
ne fut pas sans influence sur la découverte du gaz oxygène. » 

Priestley était également présent à la séance dans laquelle La¬ 
voisier lut son premier mémoire sur la calcination de l’étain 


(1) n n’est pas moins étonnant que, dans la première partie de ses Opus¬ 
cules physiques et chimiques (1777), Lavoisier n’ait pas prononcé le nom de 
Bayen parmi ceux des chimistes qui s’étaient occupés du même sujet, tandis 
qn’il parle fort en détail des travaux de Scheele et de Priestley. 




— 35 — 


dans des vaisseaux fermés (novenibre 1774). Priestley dit lui- 
même que, a se trouvant à Paris, et se disposant à répéter ces 
« expériences à son retour à Londres, il parla de ses recherches 
a à Lavoisier, à Leroy, à plusieurs autres chimistes, et qu’il alla 
a demander à Cadet une once de précipité per se, pour être sûr 
« de son point de départ. » 

Dès l’année 1772, comme nous l’avons dit, Priestley, en exa¬ 
minant les produits de la combustion du charbon, avait remar¬ 
qué qu’après l’absorption de l’air fixe (acide carbonique) par 
l’eau, il restait un résidu gazeux qui éteignait la flamme et 
tuait les animaux. C’était Y azote, qu’il appela air phlogistiqué ; 
mais cette découverte resta stérile entre ses mains, parce qu’il 
s’obstina à l’expliquer par une intervention du phlogistiqué. Il 
en fut de même lorsque, après avoir substitué les métaux au char¬ 
bon dans la combustion en vaisseaux clos, et constaté la dimi¬ 
nution du volume de l’air dans cette opération, il chercha l’ex- 
phcation du phénomène dans les principes de la même doctrine. 
Lavoisier, lui, ne fit pas le premier toutes ces expériences, mais 
après qu’il les eut répétées, étendues et perfectionnées, il en tira 
tout un système, par la seule puissance de son esprit généralisa¬ 
teur. Ainsi, chose remarquable, au moment où Priestley signa¬ 
lait et démontrait l’existence de l’oxygène, Lavoisier, qui n’avait 
fait en quelque sorte que le pressentir, en avait déjà calculé les 
principales conséquences, tandis que Priestley niait encore ces 
conséquences après l’avoir réellement découvert. Du reste, il 
était si loin d’être satisfait lui-même de ses explications théori¬ 
ques, qu’à l’occasion de sa découverte de l’air du nitre, il di¬ 
sait : a Tous ces faits me paraissent fort extraordinaires et im- 

portants, et, dans des mains habiles,, iis pourront conduire à 
et des découvertes considérables (1). » 

C’est le l®' août 1774 que Priestley essaya pour la première 
fois de tirer de l’air du mercure précipité per se, au moyen 
d’une forte lentille. « Le hasard,, dit-il, fit qu’ayant près de moi 
une chandelle allumée, je la plongeai dans le gaz, et je fus sur- 


(!) «TMs sériés of facts, relating to air extracted, seems very extraordinary 
« and important, and, in able hands, may lead to considérable diseoveries. » 
{Observations on di/ferent kinds of air, p. 84). 



— 3G —. 

pris, plus que je ne puis le dire, de voir qu’elle y brûlait avec 
une intensité remarquable. » Il répéta plus tard la même expé¬ 
rience avec l’air obtenu du précipité rouge et il eut le même ré¬ 
sultat. C’était bien Voxygène; mais il le confondit encore avec 
l’air du nitre ou le protoxyde d’azote qu’il avait recueilli l’année 
précédente, et dont il avait négligé d’examiner l’influence sur la 
combustion et la respiration. Il ne l’avait donc encore ni re¬ 
connu ni défini, et il avoue qu’il resta jusqu’au 8 mars 1775^ 
dans l’ignorance réelle de la nature de ce gaz. C’est alors seule¬ 
ment qu’il constata, au moyen d’une souris, qu’il était très- 
propre, meilleur peut-être que l’air atmosphérique, à entre¬ 
tenir la respiration. Il reconnut aussi qu’il était un peu plus 
lourd que l’air commun, attendu que le gaz restant était un peu 
plus léger; enfin il annonça que l’air inflammable formait unr 
mélange détonant avec le gaz qu’il appelait air dépklogistiqué. 
Mais déjà Lavoisier, poursuivant les conséquences de ses pro¬ 
pres recherches, complétait la démonstration rigoureuse de tous 
ces faits, et annonçait solennellement les rapports d’identité qui 
existent enti'e la combustion, la respiration animale et la calci¬ 
nation des métaux. 

Voyons maintenant quelle part l’illustre Scheele prit à cette 
découverte et l’époque probable où le chimiste de Kœping dut 
reconnaître ce gaz. 

Scheele déclare, dans la préface de son Traité de Vair et du 
feu^ publié en 1777, « que la plus grande partie en était achevée 
a quand les belles expériences de M. Priestley lui tombèrent 
« sous les yeux, » et Bergmann, dans l’avant-propos du même 
traité, affirme que cet ouvrage était terminé depuis près de deux 
ans. n ajoute que M. Priestley, sans avoir eu connaissance du 
travail de Scheele, avait décrit avant lui différentes nouvelles 
propriétés de l’air, mais que celui-ci les a confirmées d’une autre’ 
manière et reproduites dans un autre ordre. » Bergmann et 
Scheele ne cherchent donc ni l’un ni l’autre à dissimuler que 
c’est à Priestley qu’appartient la priorité relative de la décou¬ 
verte, bien qpi’il soit très-probable que Scheele l’ait faite « pres- 
qu’en même temps (1). » Scheele, en effet, découvrit évidem- 


(1) Dumas, Philosophie chimique, p. 94. 



ment l'oxygène le jour où il fit agir l’Luile de vitriol sur la 
magnésie noire ^ ainsi qu’il l’annonce si clairement dans son 
mémoire sur le manganèse, publié en 1774. Mais, comme le 
dit M. Dumas, a il le réserva en raison de son importance, pour 
« le soumettre à une étude particulière dans son Traité de Vair 
a et du feu. » 

C’est effectivevent dans cet ouvrage qu’il constata que l’air 
commun est composé de deux principes : Vair du feu (oxygène) 
etVair vicié ou corrompu (azote). Il montra que la combustion 
absorbe le premier et que la cbaleur suffit pour le dégager 
des cbaux métalliques. Il l’obtint de l’action de l’acide ni - 
treux sur la magnésie blanche, puis du nitre et du nitrate 
mercui’iel par la distillation, du nitrate d’argent par l’alcali du 
tartre (carbonate de potasse). Il analysa l’air par la combustion 
du phosphore à froid et à chaud, par celle d’une bougie allumée, 
par les charbons incandescents, par le soufre ; en un mot, sa sa¬ 
gacité active multiplia à l’infini les moyens de mettre en évi¬ 
dence le nouveau gaz ainsi que ses propriétés. 

Quant à Lavoisier, témoin attentif et judicieux des faits nou¬ 
veaux qui se produisaient de toutes parts, mais frappé de ce 
qu’il y avait d’incomplet et d’erroné dans les interprétations 
dont les accompagnaient les expérimentateurs; déjà fixé lui- 
même sur les principes qu’il voulait substituer à une doctrine 
généralement reconnue insuffisante, il répétait toutes les expé¬ 
riences, les critiquait ou les confirmait par ses propres recher¬ 
ches, et en soumettait incessamment les corollaires à l’apprécia¬ 
tion du monde savant par l’intermédiaire de l’Académie. Il ne 
s’agissait déjà plus pour lui de la découverte d’un nouveau gaz, 
d’un élément de plus à ajouter aux conquêtes de la chimie pneu¬ 
matique : il voulait, en le généralisant, trouver dans ce fait les 
bases d’une théorie destinée à renouveler tout l’ensemble des 
connaissances chimiques. Yoilà ce que fit Lavoisier, ouvrant 
ainsi une nouvelle et immense carrière aux progrès désormais 
illimités de la science, des arts et de l’industrie. 

On doit donc reconnaître que si nos chimistes sont entrés tai’- 
divement dans la voie de la chimie pneumatique, ils s’y sont 
avancés d’ime mamière si rapide qu’ils ont bientôt atteint et sur¬ 
passé les nations qui les y avaient précédés. Parmi ceux de nos 



33 — 


physiciens et chimistes qui ont le plus contribué aux dévelop¬ 
pements de cette branche de la science, nous pouvons en effet 
signaler : Jean Reyqai, auXVP siècle, trouva le premier dans 
la fixation de l’air la véritable cause de l’augmentation de poids 
qu’acquéraient les métaux par la calcination; Moitrel d'Elément 
qui, en 1719, inventa et enseigna les moyens de recueillir les 
fluides aériformes, de les mesurer, de les transvaser et de les 
rendre en quelque sorte visibles; Venel^ qui montra, vers 1750 
que Vair fixe (acide carbonique) diffère de l’air ordinaire, qui 
en indiqua les diverses sources, ainsi que les propriétés et les 
emplois; Tillet^ qui présenta à l’Académie, en 1763, c’est-à-dire 
dix ans avant Priestley, un mémoire sur la cause de l’augmen¬ 
tation de poids du plomb réduit en litharge. Enfin, parmi les 
quatre chimistes qui ont des droits certains à la découverte de 
l’oxygène, il en est deux qui appartiennent à la France : Bayen, 
qui le premier tint ce gaz dans ses mains, qui le mesura et en 
apprécia le poids relatif, et Lavoisier^ qui, après l’avoir pressenti 
par la force de son génie, en devina la portée générale, en étudia 
les caractères, les applications, et, par des efforts infatigables, 
en déduisit la vaste théorie sur laquelle s’appuya depuis lors 
tout le système de la science renouvelée. 

On a dit qu’une idée nouvelle était toujours fille de cent idées 
anciennes; on pourrait ajouter qu’à un moment donné, le fruit 
de la science, parvenu à sa maturité, semble parfois se détacher 
de lui-même, sans laisser connaître la main qui l’aurait cueilli. 
C’est ce qui est arrivé à l’oxygène, comme au phosphore, décou¬ 
vert en même temps par Brand et par Kunckel, comme au chlo¬ 
roforme, signalé la même a nn ée par Soubeiran et par Liebig (1), 
comme à tant d’autres découvertes qui ont éclaté presque à la 
fois sur plusieurs points. De 1770 à 1775, tous les physiciens et 
les chimistes avaient les yeux fixés sur les mêmes phénomènes •- 
sm' la combustion, la calcination des métaux, la composition 
de l’air, la production des gaz; questions dont chacun compre¬ 
nait instinctivement la haute importance, et sur lesquelles s’exer • 
çaient les efforts de tous les expérimentateurs. Les temps étaient 


(1) Les mémoires de ces deux savants parurent dans le même numéro des 
Annales de chimie (octobre 1831). 



— 39 — 

donc venus. Il n’est pas jusqu’aux faiblesses de l’huinaîne natme 
qui ne concourussent en même temps, et à leur manière, à hâter 
cette solution tant recherchée, soit par une controverse active, 
soit par des objections spécieuses, soit par tme opposition opi¬ 
niâtre et systématique. C’est du milieu de tous ces nuages, c’est 
du choc de tous ces éléments contradictoires que devait surgir 
cette œuvre grandiose, l’une de nos gloires scientifiques ; la ré¬ 
forme de la chimie, l’abandon de la doctrine stahhenne, la nou¬ 
velle nomenclature, mais surtout l’admirable théorie sortie 
tout entière du cerveau de Lavoisier, comme un éclair du 
génie, apportant à la fois la lumière et la vérité. 

Nous n’irons pas plus loin. Une voix élocpiente, qui déjà plus 
d’une fois a payé dignement son tribut à cette illustre mémoire, 
s’est réservé l’honneur d’acquitter envers elle la dette de la 
France tout entière. Ce savant, que vous avez tous nommé, 
ne faillira point à cette noble et heureuse tâche d’avoir à glo¬ 
rifier l’un des hommes dont la science et notre patrie ont le plus 
à s’enorgueillir. 


Nous devons répondre ici à certaines interprétations aux¬ 
quelles a donné lieu la note précédente. En étudiant avec scru¬ 
pule la vie de Bayen, nous avons été frappé du peu de reten¬ 
tissement qu’ont obtenu les travaux de ce savant ; silence qui 
n’est pas seulement dû à la modestie de leur auteur. Si quel¬ 
ques-uns de ses contemporains ont gardé à son égard un 
mutisme volontaire, d’auties lui ont rendu une justice écla¬ 
tante et méritée. Toutefois, nous le reconnaissons, Bayen n’a 
point découvert^ à proprement parler, l’oxygène, mais il l’a 
obtenu le premier, pendant la réduction des chaux métalhques ; 
le premier il a réduit les précipités mercuriels, sans l’interven¬ 
tion du charbon, il a signalé, dans la composition des acides, 
la présence du principe aérien qui intervient dans la calcination 
des métaux. Ces expériences dont, au témoignage de Four- 
croy (1), il s’occupait depuis 1772, et dont il avait conçu les 


(I) « Les expériences qu’il rapporte sont, en effet, entièrement contradic- 



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« premières idées six ans avant cette dernière époque, » ces 
expériences forment incontestablement les premiers coups portés 
à la doctrine du plilogistique. EUes datent du mois d’avril 177^ 
{Journal de physique^ p. 278). Voilà toute la priorité que nom 
revendiquons en faveur de Bayen. Cette revendication ne 
nous semble nullement de natui^ à soulever « des rivalités ja¬ 
louses ni à réveiller des susceptibilités nationales. » Elle n’a 
d’autre objet que de fournir des matériaux à l’histoire con¬ 
sciencieuse de la science, de signaler l’ingratitude trop ordi¬ 
naire des contemporains ou des rivaux, et d’appeler sur les 
savants oubliés ou méconnus le respect et la reconnaissance 
auxquels ils ont de justes droits. 


« tolres avec l’existence du phloglstique, et comme il s’en occupait depuis 
« 1772, et qu’il en avait même conçu les premières idées six ans avant cette 
« dernière époque, en s’occupant des moyens de démontrer par les dissolu- 
« tiens métalliques la présence du soufre dans plusieurs eaux des Pyrénées, 
« il est évident que c’est à lui qu’il faut faire remonter les premières atta- 
« ques faites à la doctrine du phlogistique, et en même temps la première 
« proposition de la doctrine pneumatique. Car Bayen a recueilli avec soin 
« l’air dégagé des chaux de mercure pendant leur réduction, il en a mesuré 
« la quantité, estimé le poids; il a fait voir qu’en se calcinant, les métaux 
« enlevolent de l’air à l’atmosphère ou aux acides; que ce n’étoit donc point 
« par la perte d’un principe, comme le prétendoient les stahliens, mais par 
!« une réelle acquisition d’un véritable principe aérien que la calcination 
« avoit lieu. Il a entrevu que le même principe de l’air qui calcinoit les 
« métaux étoit contenu dans les acides, et surtout dans ceux du nitre et du 
« soufre... Les expériences qui l’ont conduit à ces idées l’ont placé à la tête 
« des chimistes antiphlogisticiens, car il a manifestement à cet égard l’anté- 
« riorité sur Lavoisier, dont il trouva d’ailleurs les premiers travaux, qui 
« parurent à cette époque, très-ingénieux et dignes de la plus grande atten- 
« tion de la part des chimistes.» (Foureroy, Encyclopédie méthodique, ar¬ 
ticle Chimie, t. III, p. 455.) 


( Extrait du Journal de rharmacio et de Chimie. ) 


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