ns : ir At
ee TRS de
LU 37
à
INTRODUCTION £
À LA GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
DES | ARACHNIDES ET DES INSECTES,
OU
DES CLIMATS PROPRES À CES ANIMAUX QG).
PAR P. A LATREILLE.
=
U, sujet des plus curieux et qui n’a pas encore été traité,
la détermination, du moins approximative, des climats pro-
pres aux races des arachnides et des insectes, se rattache à
celui qui a pour objet leur nutrition. En effet, puisque l’au-
teur de la nature a répandu, sur tous les points de la surface
de notre globe, susceptibles de les nourrir, les corps vivans,
puisque ces êtres ont dû varier avec les climats, il faut que
les substances alimentaires des animaux diffèrent pareille-
ment, à raicon des lieux où ils passent leur vie, et que dès
lors ces substances ainsi que ces animaux aient une même
circonscription géographique.
Indépendamment de cette considération, la température
qui convient au développement d’une espèce, n’est pas tou-
jours propre à celui d’une autre; ainsi l'étendue des pays
(1) Ce Mémoire a été lu à l’Académie des Sciences, en 1815.
\
d
Le
2 4
#
38 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
qu’occupent certaines espèces a nécessairement des bornes,
qu’elles ne peuvent franchir, du moins subitement, sans
cesser d'exister,
Ces principes amènent une autre conséquence : là où finit
l'empire de Flore, là se termine aussi le domaine de la
zoologie. Les animaux qui se nourrissent de végétaux ne
pourroient vivre dans des lieux tout-à-fait stériles, et ceux
qui sont carnassiers y seroient également privés de matières
alimentaires, ou des animaux dont ils font leur proie; ils ne
peuvent donc s’y établir.
L'observation nous apprend que les pays les plus féconds
en animaux à pieds articulés, en insectes surtout, sont ceux
dont la végétation est la plus riche et se renouvelle le plus
promptement. Tels sont les effets d’une chaleur forte et sou-
tenue, d’une humidité modérée et de la variété du sol. Plus,
au contraire, on s'approche de ce terme, où les neiges et les
glaces sont éternelles, soit en allant vers les pôles, soit en
s’élevant sur des montagnes, à un point de leur hauteur qui,
par l’affoiblissement du calorique, présente les mêmes phé-
nomènes, plus lenombre des plantes et des insectes diminue.
Aussi Othon Fabricius. qui a publié une bonne faune du
Groenland, n’y mentionne que 468 espèces d'animaux, et.
le nombre de celles des insectes, en y comprenant, à la ma-
nière de Linnæus, les crustacés et les arachnides, n’y est
porté qu'à 110 (1). Enfin, dès qu'on aborde ces régions que
(1) Cet auteur n’a probablement mentionné que les espèces les plus saillantes
et n’a point voulu donner une Entomologie complète de la partie du Groënland,
dont il a étudié les productions. Mais on n’en est pas moins en droit de conclure
que le nombre des insectes y est très-borné,
DES INSECTES. 39
l'hiver obsède sans cesse, les êtres vivans ont disparu, et la
nature n’a plus la force de produire. Les plaines qui avoi-
sinent les pôles, se trouvent, à cet égard, dans le même état
d'inertie, que les parties où commence la région des glaces
perpétuelles dans les montagnes de la Zone Torride, ou dans
celles des contrées les plus fécondes. Ces montagnes, envi-
sagées sous le rapport des végétaux et des animaux qui leur
sont propres, forment graduellement et par superposition,
des climats particuliers, dont la température et les produc-
tions sont semblables à celles des plaines des contrées plus
septentrionales. C’est ainsi que les Alpes sont l'habitation de
plusieurs espèces d'insectes, que l’on ne trouve ensuite qu'au
nord de l’Europe. Le prionus depsarius , qui sembloit, jus-
qu'ici, n'avoir d’autre patrie que la Suède, a été découvert
dans les montagnes de la Suisse. J’ai pris moi-même au
Cantal le Zycus minutus, qu’on ne reçoit que des provinces
les plus boréales de l'Europe. Ainsi encore le papillon nom-
mé apollon par Linnæus, très-commun dans les campagnes
et les jardins des environs d’Upsal, ainsi que dans d’autres
parties de la Suède, n’habite en France que les montagnes
dont l'élévation est au moins de 600 à 700 toises au-dessus
du niveau de la mer. Le carabus auratus (1), l'acrydium
£TOSSUIR , plüsieurs de nos papillons, la vipère commune
(coluber berus), etc., vivant ici dans nos plaines ou s’élevant
peu au-dessus de l'horizontalité du sol, ont dansle midi de
Re EE ENONCE SSSR ET EEE USENET ERREURS: 52
(1) Les carabes propres ont leur siége principal dans les zones tempérées,
en se räpprochant plus du Nord ou des parties élevées, que du Sud. On en trouve
en Espagne , en Barbarie ; mais les espèces de ce genre y sont en petit nombre.
4o GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
la France, en Italie, etc., leur domicile sur les montagnes
alpines ou sous-alpines. Là ces animaux retrouvent la même
température et les mêmes matières nutritives. L’entomolo-
giste éclairé tiendra compte de la hauteur, au-dessus de la
mer, des lieux où il prend des insectes, et il observera, avec
soin, leur température moyenne.
Ainsi que les géographes, les naturalistes ont partagé la
surface de la terre en divers climats. Ceux-là ont pris pour
base les différences progressives de la plus longue durée du
jour naturel; ceux-ci ont fondé leurs divisions sur la tem-
pérature moyenne des régions propres aux animaux et aux
végétaux, Dans la philosophie entomologique de Fabricius,
l’acception du mot de climat est générale et embrasse l’uni-
versalité des habitations des insectes, ou de tous les animaux
à pieds articulés. IL divise le climat en huit stations, ou en
autant de sous-climats particuliers, savoir : l’zxdien, V'aus-
tral, le méditerranéen , le boréal, l'oriental, l’occidental
et l’alpin. Mais il est aisé de voir, par l’énumération des
contrées qu'il rapporte à chacun d’eux, que ces divisions
ne sont pas toujours établies sur des documens positifs, et
qu'il faudroit, si l’on suit rigoureusement le principe sur le-
quel elles reposent, la chaleur moyenne, en supprimer quel-
ques-unes. Le sous-climat, qu'il appelle #2éd{erranéen, com-
prend les pays adjacens à la mer Méditerranée, et en outre
la Médie et l'Arménie. Le boréal s'étend depuis Paris jus-
qu’à la Laponie. L’orcental est composé du nord de l'Asie,
de la Sibérie et de la portion froide ou montagneuse de la
Syrie. L’occidental renferme le Canada, les États-Unis, le
Japon et la Chine. Ce simple exposé suflit pour nous con-
DES INSECTES. 4x
vaincre qu’il y a dans ces divisions beaucoup d’arbitraire,
Plusieurs de ces contrées peuvent avoir et ont réellement
une température moyenne identique; elles ne sont pas ce-
pendant rangées sous le même climat. Mais outre que ces
distinctions ne sont presque d’aucune utilité pour la science,
puisque des lieux où cette température est la même, ont des
animaux différens, il est impossible, dans l’état actuel de nos
connoïssances, d'assurer sur une base solide ces divisions
de climats. Les diverses élévations du sol au-dessus du ni-
veau de la mer, sa composition minéralogique, la quantité
variable des eaux qui l'arrosent, les modifications que les
montagnes, par leur étendue, leur hauteur et leur direction ;
produisent sur sa température, les forêts plus ou moins
grandes dont il peut être couvert, l'influence qu’exerce en-
core sur sa température celle des climats voisins, sont des
élémens qui compliquent ces calculs, et qui y jettent de lin
certitude, vu la difficulté où l’on est d’en apprécier la valeur,
soit isolément, soit réunis. Je considérerai les climats sous
un autre point de vue, celui qui nous offre les genres d'arach-
nides et d'insectes, exclusivement propres à des espaces dé-
terminés de la surface de la terre. Nos catalogues, relative-
ment aux espèces exotiques, sont trop imparfaits, pour qu’il
soit en notre pouvoir de suivre un autre plan; on n’a même
encore qu'ébauché l’entomologie européenne (1). Mais sup-
posé que nous n'eussions pas à nous plaindre de cette pé-
nurie de matériaux, irois-je vous fatiguer par d’ennuyeuses
(1) Eût-on tous les talens de M. de Humboldt, il seroit impossible de faire
sur la géographie des insectes ce qu’il vient d'exécuter relativement à celle des
végétaux.
Mém. du Muséum. t, 3. 6
42 | GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE |
nomenélatures d'espèces? par tous les petits détails où ce
sujet m’entraineroit ? Ne faudroit-il pas toujours se fixer à
quelques idées sommaires et générales et aux résultats les plus
importans ? Tel est le but que je dois me proposer; et quoi-
qu'avec plus de secours, je pusse mieux l’atteindre, j'espère
cependant qu’un bon emploi des foibles moyens que mes
études m'ont fournis me conduira à des vues nouvelles, et
que je crois dignes d'intérêt. Je vais, au reste, frayer la route,
ou plutôt je planterai le premier les jallons qui pourront
servir à la percer, et mes efforts, fussent-ils infructueux , mé-
riteroient, au moins, quelque indulgence.
On doit reprocher à plusieurs naturalistes voyageurs de
l'incurie ou de la négligence, au sujet de l'indication précise
des lieux, où ils ont pris les objets qui enrichissent nos
Musées. Cette première faute commise, on ne doit pas être
surpris qu'ils n'aient pas remarqué les qualités particulières
du sol, considéré physiquement et sous des aperçus minéra-
logiques. Ces détails sont cependant une partie essentielle de
l'histoire des animaux, Les Zcines, le papillon cléopâtre,
plusieurs dasytes, quelques lamies, etc. ,.ne se trouvent que.
dans les terreins calcaires. Jai observé que la pimélie 4z-
ponctuée, très-commune aux environs de Marseille, ne
s’éloignoit guère desbordsde la mer. Si l’intérieur desterres,
en Barbarie, en Syrie, en Egypte, etc., offre d’autres es-
pèces du même genre, c’est que le sol y est imprégné de
particules salines, ou abonde en plantes du genre soude,
salsola; ainsi ces pimélies habitent toujours un terrein ana-
logue à celui où vit la première. Les insectes des pays qui
bordent la Méditerranée, la mer Noire et la mer Caspienne,
DES INSECTES. 43
ont de grands rapports entre eux, et se tiennent pour la
plupart à terre ou sur des plantes peu élevées. Ces contrées
semblent être le siége principal des coléoptères 2éféromères,
des Zxes, des brachycères, des buprestes'à forme co-
rique , etc.; et quoique le. cap de Bonne -Espérance en soit
très-distant, beaucoup de ses insectes ont cependant encore,
avec les précédens, des traits de famille. Nous pouvons dé-
duire de ces faits que le terrein et les productions végétales
de ces diverses régions ont plusieurs caractères d’affinité na-
turelle. |
Il est facile de sentir qu’on doit porter les mêmes soins
dans l’observation locale, tant des espèces qui vivent dans les
eaux et dont il faut distinguer la nature, que de celles qui
sont littorales. Toutes ces connoissances accessoires peuvent
nous éclairer sur les habitudes particulières de ces animaux ,
ou faire naître, à leur sujet, des présomptions raisonnables,
Ayant ainsi réveillé l'attention des naturalistes voyageurs,
et présenté quelques observations préliminaires, je viens
directement à mon sujet.
Les propositions suivantes sont établies sur l'étude que
j'ai faite d’un des plus beaux Musées de l'Europe, des col-
lections privées de Paris, et sur les renseignemens que j'ai
pu acquérir, tant par les ouvrages, que par mes recherches
et une correspondance très-étendué.
0. La totalité, où un très-grand nombre des: arachnides:
et des insectes qui ont pour patrie des contrées dont latem-
pérature et le sol sont les mêmes, mais séparées par de très-
grands espaces, est composée, en général, d'espèces différentes,
ces contrées fussent-elles sous le même parallèle. Tous les
G*
44 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
insectes et arachnides qu’on a rapportés des parties les plus
orientales de PAsie, comme de la Chine, sont distincts de
ceux de l'Europe et de l'Afrique, quelles que soient les la-
ütudes et les températures de ces contrées asiatiques.
29. La plupart des mêmes animaux diffèrent encore spéci-
fiquement, lorsque les pays, oùils font leur séjour, ayant iden-
tité de sol et de température, sont séparés entre eux, n'im-
portent les différences en latitude, par des barrières natu-
relles, interrompant les communications de ces animaux, ow
les rendant très-difficiles, telles que des mers, des chaînes de
montagnestrès-élevées, de vastes déserts, etc. Dès lors lesarach--
nides, les insectes, les reptiles même, de l'Amérique, de la
Nouvelle-Hollande, ne peuvent être confondus avec les ani-
maux des mêmes classes qui habitent l’ancien continent. Les
insectes des États-Unis, quoique souvent très- “rapprochés.
des nôtres, s’en éloignent cependant par quelques caractères.
Ainsi ceux du royaume de la Nouvelle-Grenade, du Pérou,
contrées voisines de la Guiane: et pareillement équinoxiales,
diffèrent néanmoins, en grande partie, de ceux de la dernière,
les Cordilières divisant ces climats. Quand l’on passe ‘ du
Piémont en France par le col de Tende, on aperçoit aussi
un changement assez brusque. Ces règles peuvent souffrir
quelques exceptions, relativement aux espèces aquatiques.
Nous connoissons encore des insectes dont l'habitation s'étend
très-loin. Le papillon du chardon (carduë) ou la belle-dame,
si commun dans nos climats et même en Suède, se trouve
au cap de Bonne-Espérance. La Nouvelle- Hollande offre
aussi une espèce’qui en. est très- voisine. Le sphinx du 2ér1on.,
le sphinx ce/erio ont pour limites septentrionales notre climat,
DES 4, 3 1 du d à chti # Fr
DES INSECTES. 45
et pour bornes méridionales, l’Isle-de-France. Parmi ls à in-
sectes aquatiques, le dytiscus griseus, qui vit dans les eaux
de la ci-devant Provence, du Piémont, etc., n’est pas étranger
au Bengale. Je ne parle pas d’après les auteurs qui confondent
souvent des espèces de pays très-éloignées, lorsqu'elles ont
des rapports communs, mais d’après mes propres observa-
tions (1).
30. Beaucoup de genres d’insectes, et particulièrement
ceux qui se nourrissent de végétaux, sont répandus sur un
grand nombre de points des divisions principales du globe.
4°. Quelques autres sont exclusivement propres à une
certaine étendue de pays, soit de ancien, soit du nouveau
continent. On ne trouve point dans le dernier les suivans :
anthie, graphiptère, érodie, pimélie, scaure, cossyphe ,
mylabre, brachycère, nénoptère, abeille, anthophore ,
ni plusieurs autres de la famille des scarabéides , etc. Mais
————————— "|
(1) Quoique les animaux de la classe des crustacés soient exclus de mon sujet,
voici néanmoins quelques observations générales à leur égard et qui complètent
ce travail.
1°. Les genres Zfñode, coriste, galathée, homole et phronyme sont propres
aux mers d'Europe.
2°. Ceux d’£épateerdripps n'ont onco»0 été trouvés que ins l'Océan américain.
3°. Du même et des côtes de la Chine et des Moluques viennent les /imules.
4°. Les genres dorippe et leucosie habitent particulièrement la Méditerranée et
les mers des Indes orientales.
5°. Celles-ci nous donnent exclusivement les plagusies, les Or UMERS les ma
M" les ranines!, les albunées et les thalassines.
. Les autres genres sont communs à toutes les mers. Mais les ocypodes ne
se trouvent que dans les pays chauds. Les grapses les plus grands vieunent de
Amérique méridionale et de la Nouvelle-Hollande, Le genre rémipède n’a été
observé que sur les parages de cette dernière contrée,
-
46 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
cet hémisphère occidental en présente aussi qu'on ne ren-
contre pas ailleurs et dont voiciles principaux :-4gre, ga
dérite , rilion , tetraonyx, rutèle, doryphore , alurne , éro-
tyle, cupès, corydale, labide, pélécme, centris, euglosse,
héliconien , érycine , castnie, etc. Nos abeilles y sont rem-
placées par les mélipones et trigones. On n’a encore observé
les genres ranticore, graphiptère, pneurnore, masa-
ris, etc., qu'en Afrique; le premier et le troisième sont
même restreints à la colonie du cap-de Bonne-Espérance,
Les colliures sont propres aux Indes orientales. Les genres
lamprime , hélée, céraptère, paropside, panops, viennent
uniquement de la Nouvelle-Hollande ou de: quelques iles
voisines (1).
5o, Plusieurs espèces, dans leur pays natal, affectent ex-
clusivement certaines localités, soit dans les parties basses,
soit dans celles qui sont élevées. et à une hauteur constante.
Quelques papillons alpins sont toujours confinés près de la
région des neiges perpétuelles. Lorsqu'on s’élève sur des
montagnes à une hauteur, où la température , la végétation,
le sol, sont les mêmes que ceux d’une contrée bien plus
septentrionale, on y découvre plusieurs espèces qui sont
particulières à eelui-ei, et qu'on chercheroit en vain dans
les plaines et les vallons qui sont au pied de ces montagnes.
J'ai cité, plus baut, des exemples qui appuient cette règle. Si
dans le même pays, la température de quelques-unes de ses
parties basses, ou au niveau de l'horizon, est modifiée par
DA NU ON NET TORRENT DES CURE
(1) Les plus grandes espèces de cossus, de zeuzères, d'Aépiales , viennent de ces
contrées,
DES Insectes. 47
des circonstances locales, ces cantons ont aussi plusieurs es-
pèces que l'on trouve plus fréquemment, soit un peu plus
au Nord, si là température moyenne s’est abaissée, soit un
plus au Midi, dans le cas de son ascension. C’est ainsi que
nous commençons à voir au nord du département de la
Seine des insectes spécialement propres aux départemens
plus froids, à l'Allemagne, etc., et que les terreins chauds
et sablonneux situés au midi et à l’est de Paris, nous offrent
quelques espèces méridionales.
60. On divisera l’ancien et le nouveau continent en zones,
s'étendant successivement dans le sens des méridiens, et
dont la largeur est mesurée par une portion de cercle paral-
lèle à l'équateur. Les espèces propres à une de ces zones
disparoissent graduellement et font place à celles de la zone
suivante, de sorte que d'intervalle en intervalle , les espèces
dominantes, où même la totalité, ne sont plus les mêmes.
Je compare ces changemens à cette suite d’horizons que le
voyageur découvre, à proportion qu'il s'éloigne de son
premier point de départ.
La Suède à beaucoup d’espèces d'insectes qui lui sont par-
ticulières, et dont quelques-unes sont reléguées dans ses
provinces les plus boréales, comme la Lapponie. Mais son
midi, la Scanie, par exemple, offre, quoiqu’en petite quan-
tité, plusieurs insectes de l'Allemagne. La France, jusque .
vers le 45e. à 44e. degré de latitude, en a plusieurs que
l’on retrouve. dans ces mêmes contrées Mais il semble
que le Rhin et ses montagnes orientales forment, à l'égard
de quelques autres espèces, une sorte de frontière, qu’elles
n’ont point franchie. Les premières de celles qui sont propres
45 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
aux pays chauds de l’Europe occidentale, se montrent vers
le cours inférieur de la Seine, précisément au point où la
vigne commence à prospérer dans les terreins en plaine,
et sans le secours de quelques circonstances locales.
l'ateuchus flagellé , le mylabre de la chicorée, la mante
religieuse, la cigale hæmatode, Yascalaphe italique, ec.,
annoncent ce changement: Il est plus manifeste à Fontaine-
bleau, aux environs d'Orléans qui offrent, outre ces espèces,
le phasma Rossi, \a mantis pagana, le sphinx celerio, etc.
Mais ces insectes, si je puis m'exprimer ainsi, ne sont que
les avant-coureurs de ceux qui sont propres aux contrées
vraiment méridionales. On reconnoît le domaine des der-
niers, à l'apparition de quelques autres espèces de cigales,
de mantes; à celle des zonitis, des akis, des scaures, des
termès, elc., Mais ur à la présence du scorpion euro-
péen et de l'afeuchus sacré (1). La culture de l'olivier, la
croissance spontanée de l’arbousier, du grenadier, de la
lavande , parlent encore plus sensiblement aux yeux. Ce
changement est extrêmement remarquable, lorsqu’en allant
de Paris à Marseille, on atteint le territoire de Montélimart.
Les bords de la Méditerranée sont un peu plus chauds; les
mygales , les onitis, les cébrions, les brentes, les sca-
rites, etc., y paroissent pour la première fois. Si nous pé-
nétrons dans l’intérieur de l'Espagne, et si nous y visitons
les belles contrées de l'Est, où les orangers et les palmiers
viennent en pleine terre, un nouvel ordre d'espèces d’arach-
(1) Les papillons de la division des eguites ont aussi leur siége principal dans
des pays chauds, et surtout, entre les Tropiques,
DES INSECTES. 49
nides et d'insectes, entremélées de quelques-unes, déjà
observées dans le midi de la France, frappera nos regards.
Nous y voyons des érodies, des sépidies, des zygies, des
némoptères, des galéodes et beaucoup d’autres insectes
analogues à ceux de Barbarie et du Levant. La connoissance
* de ces espèces nous étant devenue familière, l’entomologie
des contrées atlantiques de l'Afrique, ou de celles qui sont
situées sur la Méditerranée , jusqu’à l'Atlas, ne nous causera
point une surprise extraordinaire. Nous y découvrirons ce-
pendant des genres d’insectes qui ont leur centre.de domi-
nation dans les régions comprises entre les Tropiques, comme
des anthies, des graphiptères, des stagones, ec.
Nous n'avons sur les insectes du sud-est de l'Europe que
des notions très-imparfaites. Je remarque seulement que le
papillon crysippus de Linnæus, commun en Égypte et aux
Indes orientales, paroït déjà dans le royaume de Naples.
La plupart des espèces d’ Égypte sont étrangères à l'Europe,
sans qu'elles sortent néanmoins des familles naturelles, où
se placent les nôtres. Son extrémité méridionale, en tirant
vers la Nubie, offre une de ces grandes sortes de bousier,
le r#idas, qui tels que le bwcephalus , Yantenor, le gigas,
n'habitent que les climats les plus chauds et rapprochés de
la ligne équinoxiale, de l’ancien continent,
. Transportés sur les rives du Sénégal, et gagnant de là les
contrées plus au midi, nous ne voyons plus aucun insecte
d'Europe, C'est de ces régions brülantes que viennent les
plus grandes espèces du genre gokath de M. de Lamarck;
les autres nous sont fournies par l'Amérique idiot
La colonie du cap de Bonne-Espérance abonde surtout en .
Mém. du Muséum. À. 3. 7
5o GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
espèces des genres anthue et brachycère. On y trouve en-
core les genres #anticore , pneumore , doryle et eurychore.
M. Savigny a découvert en Egypte une nouvelle espèce du
dernier, et dans les insectes recueillis au Bengale par Macé,
j'ai trouvé une espèce de celui de doryle. L'Afrique et les
Indes orientales nous offrent encore des sagres, des paus-
sus et des diopsis, L’Isle-de-France a même une espèce iné-
dite du premier de ces genres. M. Palisot de Beauvois a
rapporté du royaume de Benim celui qu'il a nommé peta-
locheirus, voisin des reduves, mais très-singulier par la
forme en bouclier où en rondache de ses deux jambes anté-
rieures. Celui d’ercelade est propre à la côte d’Angole. Quel
ques excursions que M. Désfontaines a faites sur le domaine de
l'entomologie, durant son voyage dansles états Barbaresques ,
et qui nous font regretter qu’il ne se soit pas livré plus long-
temps à la recherche des insectes de cette partie de l’Afrique,
nous ont procuré le genre masaris , dont le midi de l'Europe
et le Levant nous présentent l’analogue, celui de célonite.
Enfin cette grande division de l’ancien continent a ‘plusieurs
lépidoptères qui forment des coupes particulières, et beau-
coup d’autres insectes, qui resteront long-temps inconnus.
Toutes les successions d'espèces s’opèrent encore graduel-
lement de l'Ouest à l'Est, et réciproquement. Plusieurs de
celles que l’on trouve dans les ci-devant provinces de Nor-
mandie et de Bretagne habitent encore la partie méridionale
de l'Angleterre. Les départemens situés sur la rive gauche
du Rhin, au Nord, sont, à cet égard, en communauté de
bien avec les provinces voisines de l’Allemagne, mais pour
une simple portion. Quelques insectes du Levant, tels que
<
DES INsEcTEs. | Bt
la cantharide orientale , le mylabre crassicorne, une belle
variété du kanneton occidental, rapportée par M. Olivier,
des lépidoptères diurnes, semblent avoir voyagé au couchant
et s'être fixés dans le territoire de Vienne en Autriche. Il me
paroît, d’après la collection que ce célèbre naturaliste avoit
formée dans l'Asie mineure, en Syrie, en Perse, etc., que
les insectes de ces régions quoique très-affiliés à ceux du
midi de l'Europe, en sont cependant distincts, pour la plu-
part, d'une manière spécifique. Je porte le même jugement
sur ceux de la Russie méridionale et de la Crimée. Les arach=
nides et les insectes de la côte de Coromandel, du Bengale,
de la Chine méridionale, du Thibet même, dont quelques-
uns m'ont été communiqués par mon généreux ami, M. Mac-
Leay, secrétaire de la Société Linnéenne, ont de grands
rapports entre eux, mais ils sont absolument distincts de
ceux de l'Europe, quoiqu’ils puissent être classés, pour la
plupart, dans les mêmes genres et dans quelques-uns de ceux
de l'Afrique. On n’y trouve point de graphiptères, d'akis,
de scaures, de pimélies, de sépidies, d'érodies | genres
dont la nature paroît avoir accordé la propriété exclusive
aux parties méridionales et occidentales de l’ancien continent,
Fabricius donne, pour patrie, à quelques espèces de 4ra-
chycères, les Indes orientales; mais je n’en ai pas vu un seul
dans des collections nombreuses qui y ont été formées. Le
genre antlue se trouve au Bengale, et il est remplacé, dans
la Nouvelle-Hollande, par celui d’elluo.
L'ile de Madagascar se rapproche, sous quelques points,
quant aux familles naturelles des insectes, de l'Afrique (x).
(1) On y trouve des brachycères,
*
7
(AD,
54 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
Mais ses espèces sont très-distinctes, et plusieurs même n’ont
pas d’analogues. Les îles de France et de Bourbon offrent
aussi des vestiges de ces mêmes aflinités; les insectes de ces
colonies paroissent cependant, en général, tenir davantage de
ceux des Indes orientales : leur nombre est très-borné.
Quoique l’entomologie de la Nouvelle - Hollande forme
un type spécial, elle se compose néanmoins, en grande par-
tie, d'espèces analogues à celles des Moluques et du sud-
est des Indes (r). Le genre des mylabres, dont les espèces
sont si abondantes au midi de l'Europe, en Afrique et en:
‘Asie, sembleroit ne pas dépasser l’île de Timor. La Nouvelle-
Hollande auroit, à cet égard, des traits de similitude avec
l'Amérique. On ÿ trouve pareillement des passales, genre
sont les espèces habitent plus particulièrement le nouveau
monde. Je soupçonne que les productions naturelles de cet
hémisphère occidental, considérées sousle rapport desgroupes
génériques, se rapprochent plus de celles de l’est de l'Asie
que des nôtres. On sait que les animaux à bourse sont con-
finés dans les extrémités orientales de l’ancien continent, et
qu'on retrouve ensuite dans le nouveau. Je pourrois. allé-
guer d’autres exemples, et dont quelques-uns seroient pris
dans la classe des crustacés.
Les insectes de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-
Calédonie, et ceux probablement des îles circonvoisines, me
paroissent avoir beaucoup d’aflinité avec les insectes de la
Nouvelle-Hollande. Je présume qu'il en est de même de
(x) La Nouvelle-Hollande est moins riche, son sol , celui du moins des parties
connues , étant plus sec et moins boisé,
*
DES INSECTES. 53
ceux de quelques autres Archipels du grand Océan austral.
Ces îles, composées, en grande partie, d’aggrégations de
polypiers, forment une chaine qui les unit à l'Ouest aux pré-
cédentes, et ont pu recevoir d'elles leurs productions. Cette
communication, faute de tels moyens, n’a pu avoir lieu du
. côté de l'Amérique. Aïnsi plusieurs de ces îles sont améri-
caines par leur position géographique, et peuvent être asia-
tiques, quant aux productions animales et végétales de leur
sol.
Le nouveau continent présente une marche progressive
semblable, dans les changemens des espèces, relatifs aux
différences notables des latitudes et des longitudes. Notre
collègue, M. Bose, a recueilli dans la Caroliné. beaucoup
d'espèces qu'on ne trouve point en Pensylvanie, et encore
moins dans la province de New-Yorck. Les recherches
d’Abbot sur les lépidoptères de la Géorgie nous prouvent
qu'on y voit déjà quelques espèces de cet ordre, dont le
siége principal est aux Antilles. Les bords de la rivière de
Missouri, à une vingtaine de degrés, environ, à l’ouest de
Philadelphie, servent d'habitation à plusieurs insectes particu-
liers, et dont je dois encore la communication à M. Mac-
Leay. J'ai vu aussi une collection formée à la Louisiane, et
j'y ai remarqué d’autres mutations. L'éntomologie des An-
tilles, à quelques espèces près, contraste absolument avec
celle des. Etats-Unis. L’ile de la Trinité, à 10 degrés de lati-
tude Nord, a des espèces équatoriales, comme des papillons
de la division de ceux qu'on nomme menelaus, teucer, etc.
qu’on n’observe pas à St.-Domingue. Ici encore se trouvent
des fatous, quadrupèdes inconnus dans cette dernière île. Le
54 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
Brésil a des espèces que Cayenne offre également; mais ilen
possède une foule d’autres qui lui sont particulières.
Cependant si l’on compare les parallèles de l’ancien ‘et
du nouveau monde, sous le rapport de la température con=
venable aux diverses espèces d'insectes, l’on verra que ces
parallèles ne se correspondent point à cet égard. Les insectes |
méridionaux de l'hémisphère occidental neremontent pas si
haut que dans le nôtre. Ici, comme nous l'avons observé,
ils commencent à paroître, entre le 48e. et le 49e. degrés
de latitude nord; là ce n’est guère que vers le 43e. Les
scorpions , les cigales, les mantes, etc., sont toujours nos
signes indicateurs. Quand on réfléchit sur la constitution
physique de l'Amérique, quand on considère que son sol
est très-arrosé, considérablement montagneux, couvert de
grandes forêts, que son atmosphère est très-humide, l’on
conçoit sans peine que certains genres d'insectes de l’ancien
continent, qui aiment les lieux secs, sablonneux, très-chauds,
tels que les anthies, les pimélies, les érodies, les brachi-
cères, etc., n'auroient pu vivre sur le terrein gras, aqueux
et ombragé du nouveau monde. Aussi, proportions gardées,
le nombre des coléoptères carnassiers ÿ est-il moins consi-
dérable que dans l’ancien continent. La grandeur des insectes
ayant les mêmes habitudes est souvent inférieure à celle dés
nôtres. Les scorpions de Cayenne et des autres contrées
equinoxiales de l'Amérique ne sont guère plus gros que celui
du sud de l’Europe qu’on a nommé occitanus. Ils sont donc
bien loin d’égaler en volume le scorpion africain, afer, qui
est presque aussi grand que notre écrevisse fluviatile, Mais
aussi l'Amérique ne le cède point aux contrées les plus fé-
DES INSEGTEs. 55
condes de l’ancien monde, à l'égard des espèces qui se
nourrissent de végétaux, ét surtout en lépidoptères, en sca-
rabéides , en chrysomélines, en cérambycins, eic., parti-
culièrement en guépes, fourmis, orthoptères et aranéides.
Cependant la Chine méridionale et les Moluques semblent
. conserver une sorte de supériorité, en donnant naissance à
des lépidoptères tels que le papilio priamus, le bombyx
atlas, ete., dont les dimensions surpassent celles des lépi-
doptères de l'Amérique. Un fait que je ne dois point omettre
est que l'Europe, l’Afrique et l'Asie occidentale n’ont pres-
que pas d'insectes du genre phasme ou spectre, et que les
espèces qu’on y trouve sont petites, tandis que les Moluques
et l'Amérique méridionale nous en présentent d’une taille
très-remarquable. L’humidité atmosphérique et habituelle
du nouveau continent, sa forme étroite. et allongée, la vaste
étendue des mers qui l’environnent de toutes parts et la
nature de son sol, nous fournissent l'explication de la dis-
cordance que l'on observe entre ses climats et ceux de notre
hémisphère , considérés sous les mêmes parallèles. Lie nou-
veau monde est à l’ancien continent ce qu’est l'Angleterre
à une grande partie de l'Europe. La Normandie et la Bre-
tagne comparées aux provinces de la France situées à leur
levant, pourroient encore nous offrir des rapprochemens
analogues.
Nous avons dit que la distinction des climats donnée par
Fabricius étoit vicieuse et arbitraire sous plusieurs points.
Nous venons de le confirmer par nos observations générales
sur les localités propres aux genres des arachnides et des
insectes. Mais est-il possible d'établir avec les ressources de
L
56 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
la géographie des divisions qui se coordonnent avec nos
connoissances zoologiques actuelles, et même avec celles
que l’on acquerra dans la suite; c’est ce que je vais entre-
prendre.
Le Groënland a été pour les naturalistes le dernier terme
de leurs recherches, vers le pôle Arctique. D'après l'étude
qu'Othon Fabricius a faite de ses insectes, et qui avec les
arachnides, ne composent que 8r espèces, il paroit que ces
animaux sont, en totalité, les mêmes que ceux du Danemarck,
de la Suède, et surtout de la portion de la Lapponie qui re-
lève de ce dernier royaume. On peut considérer les extré-
mités septentrionales du Groënland et du Spitzherg, c'est-à-
dire, le 8re. degré de latitude nord, conume Îles points où
se termine la végétation. Mais pour obvier. à toute difficulté,
et pour l’établisement d’une division duodécimale qui sera
commode et s’accordera souvent avec mes observations, je
remonterai ce dernier terme de la végétation trois degrés
plus haut, ou au 84e. degré (x). |
Nous avons vu que la Lapponie avoit une faune spéciale;
que celles du midi de la Suède, du nord de la France jusque
vers le climat de Paris, et de la plus grande portion de
l'Allemagne offroient une grande ressemblance; que des in-
sectes méridionaux se montroient, pour la première fois, au
sud de Paris, et positivement dans les lieux où la vigne
commence à prospérer, par la seule influence de la tempé-
rature moyenne; nous avons dit que la culture de l'olivier,
La bone Eoglio pue pe
(1) On trouve encore au Spitzherg quelques plantes, comme des saxifrages ,
le cochlearia du Groënland, l’oie qui fouruit l’édredon, etc, Voyez les Mém. de
V Acad, de Stockholm. .
DES INSECTES. 57
qui commence en France, entre lé 45e. et 44e. degré de
latitude, annonçoit plus particulièrement le domaine de ces
insectes Vtt que des espèces encore plus australes
paroissoient deux ou trois degrés plus bas, vers les limites
septentrionales de ces contrées, où les orangers et les palmiers
réussissent en pleine terre. La Barbarie, où le dattier par-
vient à maturité, où l’on peut lives la canne à sucre,
lindigot, le hénnièr, etc., nous a offert quelques genres
d'insectes propres aux pays qui avoisinent l'équateur. Enfin
nous n'avons pu douter que nous en étions encore plus près,
à la vue des espèces du sud de l'Egypte, du Sénégal, etc. Or,
si nous partageons de douze en douze , et à commencer au
84e. degré de latitude nord, un mériter qui partiroit des par-
ties occidentales du Spitrbèrg , où les plus voisines du Groën-
land, nous aurons une suite de latitudes qui correspondront
successivement à celles des limites des pays, que nous ve-
nons d'examiner sous les rapports généraux de la zoologie
et de la botanique. Nous prolongerons les sections, et tou-
jours d’une manière duodéeimale, au-delà de l'équateur,
vers le Pôle Antarctique, et nous nous arrêterons au 6oe.
de latitude, sous le parallèle de la terre de Sandwich, qui
est, de Côté, le 00 plus fran des découvertes géographiques.
Ces intervalles peuvent être subdivisés par des parties ali-
quotes de leur différence, douze. Ainsi, par exemple, l'arc
compris entre le 48e. et le 36e de latitude, diminué successi-
vementde quelques-unes de ces parties, donnera les nombres :
45,42, 39, latitudes auxquelles se rattachent plusieurs de
mes observations précédentes. Toujours me paroit-il cons-
tant qu'un espace en latitude, mesuré par un arc de douze
Mém. du Muséum. 1. 3. 8
58 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
degrés, produit, abstraction faite de quelques variations
locales, un changement très-sensible dans la masse des es-
pèces, qu'il est même presque total, si cet are est double
ou de 24 degrés, comme du nord de la Suède, au nord de
l'Espagne. Ce changement a également lieu dans une direc-
tion perpendiculaire à la première ou dans le sens des longi-
tudes, mais d’une manière plus lente, et à une distance plus
grande, puisque la chaleur moyenne, sans des eauses parti-
culières et modifiantes, seroit uniforme sous le même paral-
lèle. À mesure qu’on approche des pôles, l'étendue des races
peut embrasser un plus grand nombre de divisions géogra-
phiques; car celle des parallèles de longitudes diminue pro-
gressivement, à partir de l'équateur. Mais aussi d’autres
circonstances tendent à en réduire le nombre.
Les insectes de l'Amérique, ceux même de ses provinces
septentrionales, du moins jusqu’au Canada, différant spécifi-
quement des nôtres, tandis que ceux du Groënland semblent
être européens, cette dernière contrée ou le Groënland sera,
pour notre géographie des insectes de l’ancien continent, le
point de départ de notre premier méridien. Elle seroit, dans
toute hypothèse, intermédiaire entre les deux hémisphères.
Les Canaries, les îles du Cap Vert, Madère, sont africaines,
par la nature de leurs productions. Notre méridien suivra
donc une direction mitoyenne entre ces iles et le Cap de
l'Amérique le plus avancé vers l'Est, celui de St.-Roch, près
de Rio-Grande, au Brésil, Il passera près des îles occidentales
de l’Archipel des Açores, de celle de l’'Ascension, et aboutira
jun-peu à l’ouest de la terre de Sandwich. Sa longitude sera
de 34 degrés, à l’ouest du méridien de Paris, D’après mes
DES INSECTES. 59
ébsërvations sur les insectes recueillis en Perse, par M. Oli-
vier, d’après les rapports qu'ils ont avec ceux du midi de
l'Europe, du nord de l'Afrique, et les différences essentielles
qu'ils présentent, dans leur comparaison avec ceux des Indes
orientales, je suis porté à croire que les plus grands chan-
gemens dans cés espèces ont lieu, au midi, vers les frontières
de la Perse et de l'Inde, et au nord, à peu de distance du
revers oriental des monts Oural, de la mer d’Aral, un pet
au-delà du méridien qui est au Goe. degré, à l’est de Paris.
Nous pouvons approximativement fixer cette limite auGe. (1),
un peu à l’ouest de l’Obi, de Balk, de Candahar, etc., cé
qui nous donnera le moyen de donner notre division duo-
décimale; car si nous ajoutons ce nombre de 62 à celui de 34,
différence de notre premier méridien et de celui de Paris,
nous aurons 96, quantité susceptible d’être divisée, sans frac-
tions, en huit parties, dont chacune égale la trentième por-
tion â cercle. Nous séparerons ainsi l’ancien continent, en
deux grandes bandes, dont l’une occidentale et l’autre orien-
tale. Si nous Aobheté à celle-ci la même étendue en longi-
tude, ou 96 degrés. Le méridien qui la terminera à l'Est,
sera % 158 degrés plus oriental que celui de Paris. I partira
du Rance se dirigera aux îles Carolines, et de là entre
la Nouvelle -Hollande et la Nouvéllé Zélande. Augmentée
d’un quart ou de 24 degrés, cette bande aura pour limite
orientale un autre méridien qui à 182, à l’est de Paris, passera
SRE LES ETS ON TERRES PE EE EE DE COR MESSE caen ONE
(x) À la chute occidentale des montagnes qui séparent le Makran , le Ségistan
de l’Indoustan , et de celles qui sont intermédiaires entre la grande Bucharie
et la petite, vers les sources du Jihon et du Gihon,
97
6o GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
à peu de distance du Cap-Est , sur le détroit de Béring, se |
prolongera au-delà des îles des Amis, et formera, sans
erreur importante pour notre objet (1), une ligne de dé
marcation, entre l'Asie et l'Amérique. Les autres 144 degrés
compléteront le cercle de l’équateur et seront l’étendue en
longitude de la grande zône propre aux insectes de l'Amé-
rique. Nous la partagerons également, et sous les mêmes
dénominations , en deux portions égales, de 72 degrés cha
cune. Ainsi le cercle de l'équateur sera divisé en quatre arcs,
dont les valeurs seront : 1e , 72, 96 et 120, ou dans les rap-
ports de &, de et de +. L’étendue en Fours de l’an-
cien continent NÉE degrés, et celle du nouveau
144; comparées avec la mesure entière de l'équateur, elles
nous donneront les rapports suivans : 35, +6 OU 7%; Tr
. Nos petites zônes ou nos climats seront arctiques ou an-
tarctiques, selon leur situation en deçà ou au delà de la
ligne équinoxiale. Le climat compris entre le 84e. degré de
latitude nord et le 72e. portera le nom de climat polarre.
(Viendront ensuite et jusqu'à l'équateur, et en continuant
toujours la division duodécimale, les climats suivans : sous-
polaire supérieur , intermédiaire , sur-tropical, tropical,
(x) Il est probable que les animaux et les végétaux des pays qui terminent
le nord-est de l’Asie et le nord-ouest de l'Amérique, ou qui sont adjacens au
détroit de Béring, ont beaucoup de rapports entre eux; ainsi ce détroit ne for+
meroit qu’une démarcation artificielle, comme celle que produit le détroit de,
Gibraltar, entre l’Europe et l’Afrique. Le méridien qui nous sert de limite
entre l'Asie et l'Amérique coupe en deux parties égales l’étendue moyenne de
l'Océan comprise entre les côtes maritimes de la province de Canton, et celles
de la Californie, qui sont sous le même parallèle, I] formeroit, aïnsi géographie
quement , une division plus naturelle,
1
DES Insectes. Oi
équatorial; mais comme j’ai coupé en deux grandes parties
chaque hémisphère, je. distinguerai les climats de chacune
d’elles, par l’épithète d’occidental ou d’oriental. Les cli-
mats antarctiques ne seront que de trois sortes, puisque
nous n’allons pas plus loin que le 60e. degré de latitude sud;
ceux que j'appelle polaire et sous-polaire sont par là sup-
primés, au pole sud. Les divisions et les dénominations seront
les mêmes pour les deux continens. Faisons sentir leur usage
par quelques applications à la partie septentrionale et occi-
dentale de notre continent, celle qui nous est plus connue.
Le climat polarre présentera les insectes de la plus grande
portion du Groënland, ceux de l'Islande et du Spitzberg.
Dans le climat sows-polaire nous trouverons ceux de la
Norwège, du nord de la Suède et de la Russie européenne
(Voilà les insectes des contrées les plus froides. Nous place-
rons dans le climat supérieur ceux de la Grande-Bretagne,
du midi de la Suède, du nord de la France, jusqu’au cours
inférieur de la Loire, de la Prusse, de lAllemagne.propre,
du midi de la Russie, jusqu'à la Crimée, exclusivement. Le
climat rtermédiaire, à égales distances du polaire et de
l’'équatorial, comprendra tous les autres insectes du midi de
l'Europe, et d’une portion occidontale de l'Asie, Ceux du
nord de l'Afrique, jusqu’à l'équateur , appartiendront aux
climats que j'ai désignés sous les noms de sur-tropical, tro-
pical et d'équatorial. Ces climats de l'Ouest peuvent être di-
visés, par un méridien, en deux parties égales, de 48 degrés
chaque (1). Ce méridien passeroit à 14 degrés à l’est de Paris,
PROTEIN EM EMEA 2 APE LEONE SRARROENL EE ME LR OBL ALORS
(1) Et ensuite de 24,
G2 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
près de Vienne en Autriche, réjeteroit, au Levant, la partie la
plus méridionaledel'Italie, la Turquie d'Europe, l'Egypte, etc.
Or, nous avons déjà observé que plusieurs des insectes des
environs de Vienne sé trouvoient aussi dans le Lévant, ét
que ceux du royaume de Naples, de l'Egypte et du sud-est
de l'Europe, paroissoient différer, pour la plupart, des es+
pèces méridionalés et occidentales de cette division de là
terré; nüus'poüvons done formér ici des sous-climats. Si on
coupe là partie orientale, dont l’étendue en longitude est.
de 150 degrés, en quatre sections égales, ou de trente degrés
chacune, par des méridiens, on aura des sous-climats dont
les bornes sont naturelles. Ainsi le premier comprendra lIn-
dostan, le Thibet, la petite Bucharie, la Sibérie, etc. Le
second détathera presque toutes les îles Philippines, la
Chine propre et les régions au Nord, jusqu'un peu au delà
de la rivière de Léna, La Corée, le Japon, le pays dés Mans
chous et des Tongouses, etc., séront dans le troisième, En-
fin le quatrième offrira le Kaämtchatska ét les autres contrées
qui terminent le nord-est de l'Asie. L'Amérique pourra aussi
être subdivisée de la même manière, ou en parties de 36 de-
grés (1).
(x) On pourroit adopter , pour l’uniformité, la division de 24°, soit pour l’an-
cien, soit pour le nouveau continent; où chaque climat auroit 12 degrés en la-
titudé ét le double en longitude. L'ancien continent renfermeroit , dans la partie
en decà de l'équateur, 63 climats, et le nouveau, toujours vers le même pôle, 42.
Si on distingue ces deux hémisphères par les lettres À et B, leur situation en
deçà ou au-delà de la ligne équinoxiale par » et s, ou nord et sud, l'étendue en
latitude par les premiers chiffres, et celle en Loéettude par les seconds, précédés
d’un point, l'expression suivante An. 5. 2. indiquera, par abréviation ,\le climat
supérieur arctique, qui comprend la Grande-Bretagne, le nord de la) France,
DES INSECTES. 63
Je sens bien que la nature, dans sa distribution des
localités propres aux espèces de.ces animaux, Sécarte sou-
vent de la marche régulière, r j'ai tracée; qué ces lignes
d'habitation forment des courbes, des sinuosités, et qui sont
même interrompues où croisées par d’autres. Mais j'ai sim-
plément voulu esquisser une sorte de carte géographique ;
j'ai tâché de la circonscrire aussi-bien qu’il étoit possible; de
la diviser, d’après Quelques principes fixes, en parties qui
fussent en harmonie avec mes observations, et de manière
que les vides ou les cases pussent être remplis, à mesure
que lon découvriroit les objets qui doivent y être placés.
J'ai fait abstraction des modifications particulières. Je me
suis proposé, en un mot, d'accorder la géographie avec l’en-
tomologie, d’une manière générale et qui n’étoit pas sus-
ceptible d’une extrême rigueur. Au reste, c’est ün essai,
ainsi que je l'ai dit, et qui a besoin de nouvelles médi-
tations. ;
La progression croissante de l’intensité et de la durée du
calorique, influe sur le volume, le développement du tissu
muqueux et sur les couleurs des arachnides et des insectes.
Plus, en général, on s avance sur les régions équinoxiales,
l'Allemagne, etc. Ce climat se termine au 48°. degré de longitude, à partir de
notre premier méridien ; si on.en retranche 34 degrés, on aura la différence en
longitude, 14° comprise entre le méridien de Paris et celui qui termine, à
YOrient , ce climat. On ajouteroit ce nombre 34, s'il s’agissoit d’un climat situé
dans la partie septentrionale du nouveau monde. On pourroit faire usage de ces
divisions, pour la commodité de la géographie. Aïnsi le climat: Az, 3, 6,
renferme la plus grande partie de la Chine, ou l’espace compris entre le 24 et
le 36°. degrés de latitude nord, et du 86°, au 120°. degrés de longitude, à l’est de
Paris. |
64, GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
plus l’on trouve d'espèces remarquables par leur taille, les
éminences et les PE leur corps, l'éclat et la variété
du coloris. Je crois pouvoir assurer que l'augmentation de
la lumière tend à convertir le jaune en rouge ou en orangé ;
et que sa déperdition fait passer ce jaune au blanc. Ce fait
s'applique aussi à des coquilles. L’helix nemoralis, ou la
livrée, qui dans nos climats a le fond jaune est rouge ou
rougeàtre, en Espagne, Dès qu’en allatt du nord au midi,
l'on arrive à l'île de Ténériffe, l’on s'aperçoit déjà que notre
papillon du chou (papitio chetranthi, Hübn.), et celui
qu'on nomme le pulcain (atalanta), ont éprouvé une
modification dans leurs couleurs, ‘Les papillons diurnes de
nos montagnes ont, ordinairement, le fond des ailes blanc,
ou d’un brun plus ou moins foncé. |
Ces observations sur les climats des insectes et des autres
corps vivans intéressent, non-seulement le naturaliste, mais
encore le géographe. Elles peuvent être utiles au dernier,
dans la détermination des limites naturelles de quelques
parties litigieuses, comme des îles situées entre deux conti=
nens, supposé toutefois que l’éloignement respectif de ces
îles soit assez grand, pour empêcher les végétaux et les ani-
maux de se propager des unes aux autres: Nous avons vu
que le Groënland, qu’on joint à l'Amérique, se rapproche
davantage, d’après la faune d'Othon Fabricius, de l'Europe,
ou peut du moins être regardé comme une terre mitoyenne,
que chaque continent peut revendiquer. Ainsi les îles Cana-
ries et de Madère doivent être associées à l'Afrique; car les
insectes qu'on y trouve sont parfaitement analogues à ceux
de la Barbarie et des contrées adjacentes. L'Amérique dif
DES INsEGTEs. 65
fère aussi, sous les mêmes rapports, des régions occidentales
de nôtre hémisphère, et il faut en conclure. qu’elle n’en a
point été détachée, dans la dernière révolution de notre
“planète. Enfin, lorsque je vois que les insectes des pays qui
circonscrivent le bassin de la Méditerranée, ceux de la mer
Noire et de la mer Caspienne se ressemblent singulièrement,
quant aux genres et aux familles, où ils se groupent; lorsque
je considère que la plupart d’entre eux vivent exclusivement
sur un terrein sablonneux, ordinairement salin, peu boisé;
que les végétaux de ces contrées présentent aussi de grands
rapports, 11 me vient aussitôt en pensée qu’elles sortirent les
dernières, du sein des eaux; mais j’appréhende de me laisser
entrainer, malgré moi, par un esprit de système. Je prierai
seulement les géologues, au jugement desquels je soumets
mes conjectures, de me permettre de leur exposer l'analyse
d’un passage curieux de Diodore de Sicile (Zv. >, art. 70),
qui semble nous conserver, sous le voile de l’allégorie, une
tradition relative aux changemens qu’ont subi ces contrées ;
il me semble qu’il s'applique très-bien à mon sujet.
La terre, enfanta l'ægide, monstre horrible, dont la gueule
vomissoit une épouvantable quantité de flammes. Il parut
d'abord en Phrygie, brüla cette contrée, qui prit son nom
dé ce désastre, suivit, jusqu'aux Indes, la chaîne du mont
Taurus, en réduisit tous les bois en cendres; puis se repliant
vers la Méditerranée, il entra dans la Phénicie, incendia les
forêts du Liban, traversa l'Egypte, porta ses ravages jusque
dans les parties occidentales de la Lybie, et changeant, en- -
core une fois, de direction, vint s'arrêter sur les monts Cérau-
niens. Il désola le pays, fit périr une portion de ses habitans,
Mém. du Muséum. 1. 3, 9
La
66 GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE
et força les autres à s’expatrier pour échapper à la mort.
Minerve, par sa prudence et son courage, tua ce monstre;
et depuis en porta toujours la peau, sur sa poitrine, comme
une arme défensive. La terre irritée de sa mort, donna
naissance aux géans, qui furent vaincus par Jupiter, aidé
de Minerve, de Bacchus et des autres dieux.
Ici, comme dans toutes lès mythologies de l'antiquité, les
divers agens de la puissance de la nature sont divinisés ou
personifés. L’action des feux souterrains et volcaniques est
représentée sous l’allégorie d’un monstre épouvantable’,
vomissant des torrens de feu, qui parcourt successive
ment les montagnes de l’Asie-Mineure, de l'Arménie, de la
Médie, de l'Hyreanie, le Liban, l'Atlas, et gagnant celles
de la Grèce, vient terminer sa course dévastatrice aux monts
de la Chimère ou Kimera, en face de l’Italie. Or ce sont
précisément les montagnes où les minéralogistes ont distin-
gué des traces de volcan.
Du temps même d’Homère, les connoissances géogra-:
phiques des Grecs, relatives au sud-ouest de l'Europe,
étoient très-obscures, et il n’est pas étonnant, qu'à une
époque bien plus ancienne, les traditions n’ayent pas em-
brassé une plus grande étendue de pays.
Le calme de la nature, le repos qu’elle accorda à ces ré-
gions malheureuses, par l'extinction de ces feux dévorans
et le rétablissement de l’ordre, furent attribués à une divi-
nité bienfaisante et consolatrice, à la sage Minerve, et telle
est, peut-être, l’origine primitive de la consécration que lui.
firent de leur ville les Athéniens.
Qu'on me pardonne cette digression. J'ai cru entrevoir’
DES Insecres. A | 67
que le souvenir des dernières éruptions volcaniques, dont
une partie occidentale de l’ancien continent a été le théâtre,
s’étoit perpétué; qu’on l’avoit revêtu, comme tous les pre-
miers faits historiques, des déguisemens de la fable; et j'ai
dû produire les motifs de mes soupçons, n'y attachant
d'autre intérêt que celui qu’inspire la recherche de la vérité,
Ha an