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Full text of "Occident"

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Occident 


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4 


Tous droits de traduction et de reproduction réserves, 
même pour les pays Scandinaves. 


« 


II a été tiré à part 

trois exemplaires sur papier du Japonlnumérotés à la presse de i à 3 
et dix exemplaires sur papier de Hollande , numérotés à la presse 
de 4 à '13. 


I 



I 


JUSTIFICATION DU TIRAGE : 



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LUCIE DELARUE-MARDRUS 

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Occident 




PARIS 

ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE •' 

25, BOULEVARD DES ITALIENS, 23 

» 

1 9° 1 


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■ 

Q(adU-r~ 

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XÏ3S& 



Cette AME qui dans la virginité 
d’hier ainsi parla et chanta loin 

DES PAROLES ET DES CHANTS HU¬ 
MAINS, JE LA DÉDIE TOUTE AVEC SES 
POÈMES — DIVERSIFIÉS SELON UNE 
LENTE INSPIRATION D’ÉCLECTIQUE 
FORME SPONTANÉE .— A CELUI-LA 
QUI POUR LE FUTUR L’A SITUÉE 
DANS LA VIE, 


LE DOCTEUR J. C. MARDRUS, 

MON MAKI. 

L. D.-M. 


1 


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EN PLEIN VENT 


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HYMNE PRINTANIER 


Bonne nature, as-tu des baisers pour les lèvres? 

Des épaules pour les fronts lourds ? 

Des fleurs pour la beauté?des fraîcheurs pour les fièvres? 

Et, pour les membres restés gourds 
De sortir de l’hiver aux froides fantaisies, 

Ton printemps répand-il d’étiranles tiédeurs? 

As-tu des coins cachés pour les chagrins en pleurs? 
La narine béante avide d’ambroisies 
Fleurera-t-elle en toi sa satisfaction ? 

As-tu pour le rire et la joie 
Des pourpres dont l’ampleur magnifique s’éploie, 

Et des deuils pour l’affliction? 


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10 


OCCIDENT 


Ces baisers, ces tiédeurs, ces fraîcheurs, ces corolles, 
Ces recoins secrets pleins d’accueil, 

Ces parfums aussi doux que de bonnes paroles 
Et cette pourpre et ce grand deuil, 

Si vraiment tu les as, Nature, ô maternelle. 

Si ce n’est pas un songe, à moi donc tous ces biens ! 
Le printemps tout entier gonfle mon cœur ; je viens 
A ta coupe qu’emplit la jeunesse éternelle, 

Et j’y veux étancher la soif que je ressens, 

Et j’y veux, oubliant mes peines, 

Sentir le renouveau m’envahir jusqu’aux veines 
De grands espoirs adolescents. 


Enveloppe ma joie avec les belles robes 
Que sur moi développeront 
Le rouge des couchants et le clair bleu des aubes ; 

Voile ma douleur, si mon front 
Persiste à conserver ses tristesses inertes, 

Dans les grands crêpes noirs de tes nuits sans clartés. 

Ah! je m’enivrerai des pétales jetés, 

Et je me baignerai parmi les ombres vertes 
Des grands arbres qui font, ainsi que des doigts gais, 
Choir leur floraison sur les faces, 

Et, comme des amis, je presserai leurs masses 
Entre mes deux bras fatigués ! 


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EN PLEIN YENT 


11 


Laisse-moi me coucher ainsi que joue à joue, 

Calme comme à l’heure où l’on dort, 

Dans l’herbe où des blancheurs d’ombelles font la roue. 
Lourdes du poids d’un bourdon d’or ; 
Laisse-moi respirer ton haleine champêtre 
Où passe la douceur de quelque souffle humain; 
Laisse-moi me pencher, un bouquet à la main, 

Sur les étangs profonds où je ris d’apparaltre, 

Pour boire à plein gosier leur liquide cristal. 

Tendre à tes sources mes deux paumes. 
Écouter tous tes chants, goûter tous tes arômes, 

O Sève! ô Printemps triomphal! 




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STROPHES ESTIVALES 


Je veux aller là-bas, je veux aller très loin, 

Dans la campagne où l’air garde le goût du foin, 

A travers les grands prés où sont les marguerites 
Qui balancent au vent le sommeil des bourdons, 

Où sont les vols, les cris, où sont tous les fredons 
Et les grillons discrets crissant leurs menus rites- 
Je veux aller là-bas, je veux aller très loin, 

Dans la campagne où l’air garde le goût du foin. 

Je veux aller là-bas où sont les chansons bleues 
Que la mer à la grève apporte de cent lieues, 

Au bord du flot tranquille où l’on puise en chemin, 
Parmi les cailloux durs et les roches cabrées 
Que monte chaque soir la fureur des marées, 

Un peu d’immensité dans le creux de la main... 

Je veux aller là-bas où sont les chansons bleues 
Que la mer à la grève apporte de cent lieues. 




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EN PLEIN VENT 


13 


Je veux aller là-bas sous les arbres géants 
Où semble haleter la voix des océans 
Et qui laissent tomber sur le sourd de la mousse 
Comme des gouttes d'eau leurs pétales muets, 
Tandis que leurs oiseaux ont des hymnes fluets 
En l’honneur du ciel pur et de la brise douce... 
Je veux aller là-bas sous les arbres géants 
Où semble haleter la voix des océans. 

Je veux aller partout où vont les folles courses. 
Cueillir toutes les fleurs et rire dans les sources, 
Suivre tous les sentiers, chanter tous les refrains, 
Et, pour te réciter ma laude quotidienne, 

Et pour t’adorer toute, ô nature païenne, 

Seule, le cœur en joie et les cheveux aux reins, 

Je veux aller partout où vont les folles courses, 
Cueillir toutes les fleurs et rire dans les sources ! 


1. 


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AU MATIN 


Parmi la pureté du matin triomphant, 

Je vais, le souvenir encor si frais dans l’àme 
Du temps où je n’étais qu’un embryon de femme, 

Qu’il me semble donner la main à quelque enfant. 

L’herbe est froide à mes pieds comme de l’eau qui coule, 
La mer au bout des prés vient chanter son bruit clair 
Et la falaise aussi déferle dans la mer 
De tout le terrain jaune et mou qui s’en éboule. 

Les troupeaux comme au long d’un poème latin 
Paissent avec des ronds de soleil sur leurs croupes, 

Et les oiseaux de mer ont abattu des groupes 
Que chaque vague berce à son rythme incertain. 


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EN PLEIN VENT 


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Et la prée et les eaux également étales 
Sourient si bien à mes matineux errements 
Que je voudrais pouvoir entre mes bras normands 
Prendre en pleurant ma mer et ma terre natales, 

Tout ce coin de nature en qui j’épancherais, 
Comme en l’asile offert de quelque sein de femme, 
Càlinement, les yeux fermés, toute mon âme 
Si lourde de tristesse et de mauvais secrets. 


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LE RETOUR 


Rôde à pas lents au parc mystérieux 
Où tes deux yeux profonds s’étaient remplis d’automne, 
Et où à présent tu t’étonnes 
De ne plus piétiner ton rêve soucieux 
Parmi le froissement jaune des feuilles mortes, 

Et de voir que partout triomphe l’été vert. 

Puis tu t’en iras par les grands prés vers la mer; 

Puis tu t’en reviendras par la petite porte 
Hanter les potagers lourds de légumes gras, 

Gais de leur symétrie étroite et maraîchère, 

Et le mignard jardin aux flores d’apparat 
Aussi riches que des joyaux, 

Strictement répété à rebours dans les eaux 
De l’étang clair où choit la source : 

Afin qu’en ta première course 


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EN PLEIN VENT 


17 


Tu puisses sourire à tous ces coins qui t’accueillent, 
Qui te saluent avec leurs feuilles. 

Avec leurs fleurs des champs, avec leurs fleurs de serre, 
Avec les vagues de la mer, 

Avec les buis naïfs et crus des potagers, — 

Pour, après, revenir à la maison âgée 

Qui est un peu une grand’mère 

Et où tu sentiras tant d’intime douceur 

Que tu croiras tout bas avec des larmes claires 

Que quelqu'un au retour te presse sur son cœur. 


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STRUGGLE FOR LIFE 


Sous le frôlement doux des iris violets, 

Le chaume rit, peuplé par les gais triolets 
Des pigeons amoureux abattus dans sa paille. 

Voici venir l’instant de la grande ripaille, 

Et tous les animaux, au soleil, attroupés, 

Attendent à la place ordinaire, campés 
Qui sur le fumier, qui sous la porte normande, 

En foule bigarrée, inquiète et gourmande. 

Et lorsque la fermière arrive, relevant 
Son tablier rempli de grain, la coiffe au vent, 

Tous l’entourent, criant, volant, remplis de haine 
L’un pour l'autre ; et bientôt les grospourceaux sans gêne 
Bousculent du grouin la volaille, éveillant 
Un émoi d’un instant dans le fouillis grouillant. 

Mais vite l’on revient au grain. Inassouvie, 

Chaque bête soutient sa lutte pour la vie, 


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EN PLEIN VENT 


19 


Et tant pis pour le faible : on lui marche dessus ! 

Les gros dindons ventrus, imposants et cossus, 

Les pigeons blancs du toit, les oiseaux du ciel même, 
La troupe accourt, s’empresse, approche, se parsème 
Et, de l’endroit où gît l’amas des grains dorés, 
Onn’aperçoit plus rien que des dos affairés. 

Les voraces canards, d’allure disloquée. 

Fouillent le tas épais d’une brusque becquée, 

Et, tout en s’étouffant la panse, par surcroît 
Allongent de grands coups aux poules. Comme un roi, 
La crête reluisante et la queue en panache, 

Le coq, dressant sa tète avec un air bravache, 

Répond par un appel roulant et guttural 
Si, dans le bruit que fait cet émoi général, 

Il reconnaît le cri d’une poule offusquée. 

Et, pendant que, pillant la pitance attaquée, 

Les bêtes au soleil achèvent leur repas, 

La fermière, proprette et ronde, à petits pas 
S’en retourne à travers la rustique avenue. 

Calme et sans se presser, comme elle était venue. 


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LES POULES 


J’arpente bien souvent l'honnête basse-cour 
Pour en rire à part moi. Comme des gens de Cour, 
Les poules, au soleil, s’en vont en caravane. 

Parmi les boutons d’or chacune se pavane, 

Jacasse, met son mot au bruyant hourvari, 

Et, soulevant le chef d’un geste renchéri, 

Guette d’un œil tout rond, prête à prendre l’alarme, 
Le gros coq qui s’avance à grands pas de gendarme. 
Lui, secouant au vent ses plumes camaïeu, 

En maître de sérail se plante au beau milieu, 

Courtise tour à tour chaque dame touffue 
Et, frappant le sol dur de sa patte griffue, 

Lance le fier appel de son cokei iko. 

A son côté, lissant sa robe rococo, 

La favorite cherche une graine oubliée ; 

Baissant piteusement sa tête humiliée, 


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OCCIDENT 


21 


Un poulet, qu’un essai trouva trop jeune encor, 
Admire le pacha qu’il fixe d’un œil d’or 
Et cherche quel moyen la nature vous prête 
Pour se faire pousser très vivement la crête. 

Une mère, affairée à ce rôle tout neuf, 

Suit ses poussins encor ronds du moule de l’œuf, 
Tandis qu’avec cent tours, cent courses insensées, 
Cou tordu, bec ouvert, deux poules hérissées 
Cherchent à se reprendre une croûte de pain 
Qu’une d’elles vola dans la niche au lapin. 

Et le soleil, luisant sur tout ce petit monde, 

Gambade par les prés, s’étalecomme une onde, 

Et, tout en entraînant après soi l’univers, 

Garde de chauds rayons aux moindres recoins verts. 


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LE VENT DANS LES ROSEAUX 


Le vent chante à mi-voix des chansons bucoliques 
Dans les roseaux mélancoliques. 

Les roseaux au passage ont pris sa grande voix, 
Un par un et tous à la fois. 

Et l’un succède à l’un qui tremblote et déclame 
Et tient sa place dans la gamme. 

Goutte de bruit, son pur, son frais, chaque roseau 
Imite une gorge d’oiseau ; 

Mais au loin fait l’envol de leurs notes furtives 
Un chœur de flûtes primitives. 


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EN PLEIN VENT 


23 


Chantez l’heure qui passe, aube, vesprée et nuit, 
Bleu frôlement de l’aube au bord du lointain sombre, 
La vesprée au ciel pur, taches d’or, taches d’ombre, 
Et la paix des couchants où la pourpre reluit ; 

Chantez l’idylle assise ou bien agenouillée 
Qui sourit, couple heureux du geste qui le tient, 

Et les bouquets cueillis et le baiser païen 
Simple, pudique et clos comme une fleur mouillée ; 

Chantez la pastorale agreste, les troupeaux 
Assoupis parmi l’herbe où crissent les cigales, 

Les bergers, célébrant de leurs flûtes égales. 

Deux à deux, trois à trois, la torpeur du repos ; 

Chantez les vieillards lents assis au seuil des portes, 
L’enfance et la jeunesse et le rire et les pleurs ; 
Chantez les cheveux blonds et noirs où sont les fleurs, 
Chantez les cheveux blancs coiffés de feuilles mortes, 

Un par un et tous à la fois, 

Frôlement sous le vent au loin, mi-bruit, mi-voix, 
Roseaux dont fait l’envol de vos notes furtives 
Un chœur de flûtes primitives... 


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COUCHANT 


Des taches de couchant tombent à travers bois 
Comme des larmes d’or sur les troncs ; et les voix 
D’eau claire des oiseaux se taisent goutte à goutte. 
Cependant qu’on entend s’éloigner sur la route 
Un dernier pas humain, un dernier bruit d’essieux 
Et que, traînant encor des cloches dans lescieux 
Comme des oraisons lointaines et des plaintes, 
L’existence s’endort au fond des demi-teintes... 

Oh ! la dévotion profonde, la grandeur 
Du rêve qui nous monte alors du fond du cœur, 
Comme si notre soif allait boire le monde, 

Ou comme si, perdant pendant une seconde 
Conscience du temps, de l’espace, du lieu, 

Notre raison humaine allait comprendre Dieu ! 


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PANEM NOSTRUM 


It faut, dans la tiédeur estivale des jours, 

Aimer le blé nouveau sorti des bons labours 
Dont les épis égaux penchent leurs têtes mûres. 
Houle ou repos ; silence ou concert de murmures ; 
Marée où disparaît la motte et le lopin, 

Autour de qui le vent fleure déjà le pain 
De par la floraison en masse des fécules, 

Sous les ciels envahis du sang des crépuscules, 

Des gris troubles de l'aube ou du bleu des midis ; 
Puis aimer l’homme, alors prêtre auguste, tandis 
Qu’il courbe jusqu’au sol son échine asservie 
Et mêle sa besogne au grand œuvre de vie 
Dans l’étreinte du geste intime qui l’unit 
A pleins bras, à plein corps, à ce froment béni, 

A cette toison d’or dont frissonne la plaine 
D’où naît, pour assouvir l’immense faim humaine, 
Refaire chastement et saintement la chair, 

Le pain quotidien qu’enseigna le Pater ! 


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RIMES SEPTEMBRALES 


Belle, voici venir les heures lentes, lentes... 

Pose ton front rêveur au glauque des carreaux 
Et dilate bien tes prunelles vigilantes. 

Que tes yeux voient roussir dans les sentiers ruraux 
La branche folle qui, triste que l’été meure, 

Balance au vent un vol posé de passereaux. 

Voici le temps où l’arbre avec ses feuilles pleure 
Des pleurs larges tombés par les pâles midis 
Et par les minuits clairs qu’un rai de lune effleure ; 

Pleurs larges, neige jaune aux ornières, tandis 
Qu’y mettront tes pas lents un frôlement de soie 
Dont fuira l’essaim noir des corbeaux alourdis ; 


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EN PLEIN VENT 


'27 


Pleurs larges reparus dans l’or des feux de joie 
Que brûlent à la fois trois bûches de Noël 
Quand la famille au soir près de l’àtre s’éploie ; 

Pleurs larges effarés quand la rage du ciel 
Hurlant aux volets clos et dans la cheminée 
Interrompt l’aïeul dans son conte habituel... 

Que tes yeux voient déjà la campagne fanée, 

L’aube retardataire et les soirs attristants 
Vite venus, disant qu’agonise l’année ; 

Puis prépare-toi pour les songes mal contents 

Que t’apporte le froid comme aux vieilles branlantes 

Malgré ta joue où luit le rouge des vingt ans, 

Car voici s’avancer les heures lentes, lentes... 


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PAR LES PRÉS 


J’aime cheminer par mes prés normands, 

Le long des talus et dans l’herbe drue ; 

Un vol abattu de moineaux gourmands 
S’échappe aussitôt ma tête apparue ; 

L’arbre craque au vent comme fait un mât 
Et, sous les pommiers où plus rien ne bouge, 
La branche me jette une pomme rouge 
Qui tombe à mes pieds avec un bruit mat. 
L’automne a rongé la campagne immense, 

Un gros corbeau noir passe sur les houx ; 

Les cieux sont plus bleus, les sentiers plus roux 
Et, le long des eaux du ruisseau qui danse, 
L’herbe humide fait un liseré vert. 

J’aime errer aux prés avant que l’hiver 
Ait tout englouti dans sa grande hermine, 
Seule, me sentant un cœur de gamine, 

Sans soucis, au gré des chemins tentants 
Et causant tout bas avec mes vingt ans. 


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HEURE AUTOMNALE 


Je me suis accoudée à voir mourir l’automne 
A mon petit mur bas, près du bruit monotone 
De la source tombant dans le vert de l’étang, 

Et d’où je vois les prés au bout desquels s’étend 
La clarté de la mer entre les branches rousses. 

Les oiseaux ont encor quelques notes très douces 
Et remplissent tout seuls avec leur petit chant 
La campagne où le jour traîne comme un couchant, 
Tant y stagne d’ennui morne et de léthargie ; 

Et, près de moi, l’été parti se réfugie 
Tout entier dans le cœur d’une dernière fleur 
Que pousse un dahlia simple, comme vainqueur 
D’être, seule fraîcheur du dehors en désastre, 

Plus rouge qu’une bouche, éclatant comme un astre. 


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HAIES D’OCTOBRE 


Premier frisson de jaune aux verdures; les haies 
Sont riches d’avoir fait éclore tant de baies, 

Rouges de baies 

Et rouges d’oiseaux roux hôtes nombreux des haies. 

Rouges-gorges tachés de rouge sous les cous, 
Moineaux cuivrés parmi le sorbier et le houx, 
Rouge le houx 

Et rouges ces oiseaux tachés de rouge aux cous. 


Sureaux aussi, régal des becs gourmands, et mûres 
En grappes, et traînant, trempant dans les murmures, 
Sureaux et mûres, 

Des ruisselets courants pleins de menus murmures. 


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EN PtœiN VENT 


31 


Eau qui clapote, envols et petits cris piquants, 
Arbrisseaux, ruisselets, oiseaux, petits cancans 
En cris piquants, 

Grains dispersés du bec, poursuites et cancans, 

Détournement du sombre où le rêve se plonge, 
Tout le long de la haie en tumulte qu’on longe 
Et qu'on relonge, 

Ce petit monde intime et naïf où l’œil plonge !... 


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BEAU JOUR 


Cet automne est si doux qu’on porte de la toile 
Encor. Dans mes cheveux j’ai mis comme une étoile 
Un chrysanthème, l’un des tout premiers éclos ; 

Puis je me suis penchée au petit mur du clos 
En face des beaux prés que baise la mer bleue, 

Les tempes dans les poings, avec ma robe à queue 
Enroulée à mes pieds, à voir, à pas très lents 
Paître, sans relever leurs gros yeux indolents, 

Les vaches aux deux pis gonflés comme des outres, 

Les taureaux s’agacer les cornes dans les poutres 
Et les gaules qu’on range aux portes des pressoirs, 

Et, redoutant la hâte automnale des soirs, 

Sans bruit, rentrer au port parmi le roux des branches, 
Lepapillonnement sans fin des voiles blanches. 

Et, seule, j’ai vécu dans la simplicité 
Des choses, oubliant notre modernité 
Complexe, détraquée, étrange, psychologue, 

Une heure de soleil calme comme une églogue. 


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CONSEILS 


Si tu viens à hanter le parc atteint d’automne, 

Passe les yeux mi-clos sans chercher le détail 

De chaque feuille chue ouverte en éventail 

Sous les lourds marronniers où plus rien ne chantonne. 

Ne suis pas du profond de l’œil, sous d’autres troncs, 
D’autres envols muets dans les clairières tues, 

Ni l’arabesque au ciel des branches dévêtues, 

Ni it’entends les corbeaux crier aux environs ; 

Ne te retourne pas vers l’allée où peut-être 
Ta traîne fit parmi les feuilles un sillon, 

Et ne t’attarde pas en quelque station 

Trop pensive à graver ton chiffre sur un hêtre ; 

Puis, ne te penche pas à voir dans les étangs 
T'apparaître à rebours le spectre de toi-même 
Dans l’eau menteuse où dort un paysage blême 
Que dérange le vent par coups intermittents ; 


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34 


OCCIDENT 


Même, n’allonge pas vers les dernières roses 
Ta main qui les voudrait à ta bouche ou ton cœur, 
Plus douces d’avoir fait éclater leur fraîcheur 
Quand le dehors n’a plus que des choses décloses; 


Et quand tu reviendras t’asseoir au coin du feu. 
N’y reste pas songeuse et la tête pendante ; 
Rouvre le tome clos sur la page pédante, 

Et que tout ton esprit s’y plonge peu à peu. 


Car si ton pas s’attarde et si tu te reposes, 
Sites prunelles voient, si ton oreille entend, 
Si ta face se penche au-dessus de l’étang 
Et si ton geste va vers les dernières roses, 


Et si, près du foyer où le silence dort, 

Tu restes le front bas et les mains désœuvrées 
A voir l’allusion dans les flammes zébrées 
Des feuilles de novembre aux larges chutes d’or. 


Tu sentiras la fin s’achever dans ton âme 
De tout ce qui se meurt au dehors : le beau temps, 
La verdure, les chants, le chaud et tes vingt ans 
Plus pesants à ton cœur qu’âgé de vieille femme ; 


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EN PLEIN VENT 


35 


Et vers la lune à l’heure où sans bruit elle sort 
Du bois que'lentement le lent automne oxyde, 
Tu lèveras des yeux remplis de suicide 
Et des bras déjà fous du geste de la mort. 


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I re AUTOMNALE 


Le soir tiède gémit aux gorges des chats-huants, 

Du fond des bois fanés où chaque arbre détaille, 

Sur un coin de couchant resté, toute sa taille. 

Un gouffre simulé s’ouvre au fond des étangs 
Où le ciel à rebours mire ses altitudes. 

Les chutes de l’automne hantent les solitudes. 

Or sur roux, roux sur jaune, il pleut légèrement. 

Les marronniers y ont joint leurs feuilles plus larges, 
Comme des éventails intacts, le long des marges... 

Mais parmi l’ombre, ainsi qu’une bouche d’amant, 
S’offre au baiser qui passe une dernière rose, 

Pour ta caresse humide et doucement déclose. 


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II e AUTOMNALE 


Ta robe a épousé ton corps souple et pudique 
Et sculpte de drapés tes moindres mouvements ; 
Tant, qu’une allusion à quelque bucolique 
Nous fait rêver en toi celle que des amants 
Poursuivent par le bois automnal où tu erres, 

Et qui rit et se cache au profond des clairières 
Tout en laissant tomber une à une ses fleurs 
Afin qu’ainsi, la découvrant, calme ses peurs 
Le plus hardi de ceux que le désir talonne 
De l’étreindre parmi les rousseurs de l’automne, 
Eclatante de chair sans voile et de beauté... 

Car, malgré l’étoffe où ton allure est tenue, 

De n’avoir que ta robe aux hanches, tu es nue. 


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III e AUTOMNALE 


L'automne, bouquet mort qui s’effeuille sur nous, 
Chante au luth des roseaux comme un refrain d’aède. 
Le souffle d’un amant passe dans son vent tiède, 
Rudoyeur d’arbres d’or à même les ciels fous. 

Des feuilles choient ; la mer en roule dans ses vagues 
Celles des marronniers rouent parmi les chemins ; 

La journée est un long crépuscule... Ah ! des mains ! 
Tendre des mains de rêve opulentes de bagues 
Vers on ne sait quel songe immense ; et en sentir 
Qui vous prennent; et fuir dans leur force qui noue 
Vers là-bas, vers très loin, à jamais joue à joue 
Avec quelqu’un qui soupirait dans ce soupir 
Des roseaux, dont le souffle en la brise était tiède 
Et qui hantait les bois de cette âme d’aède !... 


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PROMENADE 


Lentement, vers l’automne artiste qui dévêt 
Une nature fine et architecturale 
Dont depuis si longtemps notre regard rêvait, 
Courte en midis et si longuement vespérale, 
Lentement, nous irons bien loin de nos maisons. 

Les feuilles cherront une à une ou à poignées. 
Nous suivrons, jusqu’à la clarté des horizons, 
Eclaboussés du sang des arrière-saisons, 

Les prés où furent nos plus chères promenées. 

Energique de la torsade des troncs forts, 

Les uns encor feuillus, les autres déjà morts, 
L’automne flamboiera dans des couchants féroces 
De rouges et de noirs contredits durement 
A travers le détail de son ramifiement. 


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OCCIDENT 


Il neige d’or au vent qui frissonne ; et les cosses 
Eclatent sous les pieds d’où roulent les marrons ! 
Dans l’herbe, vont tomber quand nous y marcherons 
Au fond des prés, avec un choc, les pommes grasses. 

Mais le long de la source, à sentir que tu passes, 

Les roseaux vont frémir tous ensemble et chanter 
Comme aux mains d’un berger une harpe rustique ; 
Car l’âme de l’automne, ô triste ! à ta beauté 
Donne ce rendez-vous pastoral et pudique... 


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PRINTEMPS 


Je voudrais évoquer à cause du printemps 
Quelque rêve fleurant la joie et la tendresse 
Où flâneraient des pas d’amant et de maltresse 
Ivres de leur amour et de leurs beaux vingt ans. 

Car voici sur le bleu des ciels les aubépines, 

Roses bouquets perdant au vent par millions 
Leurs pétales mêlés au vol des papillons 
Légers plus follement qu’un pas de ballerines. 

Car voici susurrer les sursauts clapotants 
Des ruisseaux clairs en qui ne dort aucune lie, 

Et se mirer déjà quelque longue ancolie 
Comme une étoile au fond du glauque des étangs. 

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OCCIDENT 


Car voici les pigeons aux saluts réciproques, 

Le cou gonflé d’amour et de roucoulement, 

Et, comme un éventail étalé largement, 

Ouvrir leur roue énorme et riche, les paons rauques. 

Car les échos moqueurs aux gorges des coucous 
Et les rires aigus d’hirondelles alertes 
Et les cris des gibiers au sein des ombres vertes, 
Tous les refrains qui sont au fond de tous les cous, 

Tout ceci, tout cela, l’eau qui court, ce qui passe, 

Le vent et la nuée en haut et le sous-bois • 

Et les champs et la route et les fleurs et les voix, 
Toute cette harmonie et toute cette grâce, 

C’est l’accompagnement haut et bas tour à tour 
Qui soutient le duo de l’homme et de la femme, 

C’est tout le renouveau chantant l’épithalame 
Pour l’auguste union d’un couple dans l’amour ! 


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L AME ET LA MER 


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SALUT 


Je te salue, ô mer, éternelle fantasque. 

Caressante et brutale ensemble ou tour à tour. 

Qui sait chanter le calme et hurler la bourrasque, 

Être comme en fureur et puis comme en amour! 

Tandis que jusqu’à moi qui te vois seule à seule, 
Avec le rythme doux de quelque immense luth 
Tu roules des rochers fracassés sous ta meule, 
Mystérieuse, belle et puissante, salut ! 

O trouble ! ô double! ô charme enjôleur, grande glauque 
Attirante à jamais par tes complexités, 

Enveloppe-moi toute avec ton souffle rauque 
Dont les visages sont baisés et souffletés, 

Amène à mon assaut ta brise qui m’éreinte 
Et te fait follement écumer aux brisants : 


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OCCIDENT 


Je veux te quitter lasse ainsi qu’après l'étreinte 
La maîtresse s’arrache aux bras trop épuisants ; 

Surtout, allonge-toi jusque sur ma semelle, 

Car, ô perverse ! il faut me rendre mes saluts, 

Parce qu’en moi je porte une âme, ta jumelle, 

Capable comme toi de flux et de reflux. 

Une âme comme toi variée et profonde 
Et riche comme toi de trésors ignorés 
En qui, croyant pouvoir y jeter une sonde, 

Beaucoup sont ou seront à jamais chavirés. 

Car, vierge, me voilà devant toi, grande vierge, 
Vierge sur qui le ciel est toujours suspendu, 

Miré par toi, roulé par tes eaux sur ta berge. 

Mais qui jamais en toi pourtant n est descendu. 

Car je t’aime, et, sentant, pleine de ressemblances, 

Ta marée envahir tout mon être béant, 

Je veux mêler ma voix aux éclats que tu lances, 

Le geste de mes bras à ton spasme géant. ' 

Viens! que m’importe au fond que ta surface mente, 
Que ton flot monte à moi gonflé de trahisons? 

J’ai de l’énigme en moi plus, ô mer! mon amante. 

Qu’il n’en pourrait tenir dans tes quatre horizons ! 


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OMBRES SUR LA MER 


Les nuages sereins stagnant au-dessus d’elle 
L’ont couverte, la mer, tout le long de ses eaux : 

Là, d’une ombre de citadelle, 

Plus loin, de mille toits, tours, temples et châteaux ; 
Et la mer, qu’elle soit basse, haute ou étale, 

Berce une ville capitale 

En ombre et que jamais les yeux ne pourront voir. 

Et les grands peupliers ont une ombre si grande 
Dans l’herbe où va ton nonchaloir, 

Qu’elle suit tout le pré de son étroite bande, 
Descend la falaise et s’allonge dans la mer 
Où tremble ainsi, eux si lointains, leur faite vert. 

Et ton ombre est couchée aussi parmi les vagues,' 
Sirène noire et qui tend à tes bras tendus, 

Comme une allusion aux baisers défendus, 
L’impossible plaisir de ses étreintes vagues... • ■ 




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BERCEUSE MARINE 


Mer, je t’entends monter du fond de l’horizon, 
Comme pour engloutir le monde; 

Mer, je t’entends monter du fond de l’horizon ! 

Grosse de la fureur que chaque lame gronde, 
Ta grande voix nocturne a franchi la maison, 
Grosse de la fureur que chaque lame gronde. 

Tandis que le sommeil vient pire qu’un poison 
M’apporter ses plus affreux rêves ; 

Tandis que le sommeil vient pire qu’un poison, 

O toi ! hurle plus fort encore sur les grèves, 
Que je t’entende même au fond de l’oreiller, 

O toi! hurle plus fort encore sur les grèves! 

Car moi je vais dormir et toi tu vas veiller, 
Chantant de toute ta marée, 

Car moi je vais dormir et toi tu vas veiller. 


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l’ame et la mer 


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Ta berceuse sera rude et désespérée ; 

Soufflant l’horreur sans trêve et sans rémissions, 
Ta berceuse sera rude et désespérée, 

Racontant les Saphos sanglotant leurs Phaons 
Du haut de Leucades farouches, 

Racontant les Saphos sanglotant leurs Phaons, 

Les veuvages en deuil criant par mille bouches, 
Les croix de mort le long de tes rivages roux, 

Les veuvages en deuil criant par mille bouches, 

Les naufrages et les dégâts, tous tes courroux, 
Toute ta sombre souvenance, 

Les naufrages et les dégâts, tous tes courroux ! 

Chante et je dormirai comme au temps de l’enfance 
Avec ton chant barbare enflant l’obscurité, 

Chante et je dormirai comme au temps de l’enfance, 

Avec l’illusion d’une âme à mon côté. 


3 . 


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PAX 


Arrêtée, accoudée à te voir, mer nocturne. 

Tandis que traîne au ciel un reste de couchant, 

Je t’écoute rouler ton flux ainsi qu’un chant 
Vers ma pose immobile et mon front taciturne. 

Au fond du parc, les fleurs ferment leurs encensoirs. 
Mais dans l’obscurité qui s’avance avec l’heure, 

O claire ! à l’horizon ta lumière demeure, 

Comme une grande perle entre les arbres noirs. 

Et, tout l’être baigné de nuit, seule, invisible, 
Oubliant les présents, les hiers, les demains. 
J’adore, alors le front tombé dans mes deux mains, 
L’Infini que, là-bas, clame ta voix paisible... 


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RÉPLIQUE 


Je promène au dehors mon exaltation 

A grands yeux, à grands bras lyriques, 

A grandes ailes chimériques 
Par lesquelles je sais plus d’une assomption. 

Robe ample au vent collée à ma beauté charnelle, 
Cape qui claque autour de moi, 

Toute ma vêture en émoi 
Met autour de mon corps le battement d’une aile. 

Je viens à des brisants lourds à même la mer ; 

Elle y monte, bat, bave, mouille, 

Y plaque ses varechs gluants, comme une rouille, 
Y crache son embrun amer. 


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OCCIDENT 


J’y reste seule en sa présence, 

Infime qu’une vague emporterait si bien ! 

A voir, plus docile qu’un chien, 

Se rouler à mes pieds celte toute-puissance. 

Chaque lame prend son élan. 

Grince aux galets, recule à trois pas, se recrée 
Aussi forte qu’une marée, 

Et remonte à l’assaut de mon socle tremblant. % 

C’est une éternelle magie 
Où la mer, en cadence ou par coups furibonds, 

Pleure et chante à la fois dans son calme et ses bonds 
Sa mollesse et son énergie. 

Mais moi, les poings crispés à mes deux flancs raidis 
Sous l’étoffe qui les enlace, 

Devant toute la mer qui monte et qui menace, 

La bouche ouverte, je le dis, 

Je le hurle, je le déclame 
Dans-le vacarme affreux que font ces flots vivants, 
Dans la rage des quatre vents : 

Le tourment de la mer est au fond de mon àmc! 


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SUPPLIQUE 


Quand le couchant se meurt dans tes eaux vespérales. 
Mer, en passant le long de tes vagues, j’entends 
Rôder en toi le chœur des âmes ancestrales 
Qui, de même que moi, te hantèrent longtemps, 

Les poétesses et immortelles maîtresses 
A qui pesèrent trop leurs cœurs gros de tendresses, 
Ames païennes, âme étrange de Sapho 
Hurlant d’amour et de génie avec ton flot... 

Mer ! mer ! je sens aussi que mon âme en démence 
Grandit en moi pareille à ta marée immense ; 

J’ai mal de me sentir semblable à toi ! Mer ! Mer ! 
Prends-moi donc ! Roule-moi dans ta force, âme et chair, 
Pour que je puisse aussi par tes sombres vesprées 
Crier comme Sapho dans la voix des marées ! 


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LA VOIX DE LA MER 


Je ne peux plus rester les paumes à la tempe, 
Philosophe au front clair dont traînent les cheveux 
Sur l’in-folio grave et le tome poudreux, 

Dans le silence où tremble et crépite la lampe ; 

Je ne peux plus forcer ma pensée à veiller, 

Fleur humide tombée aux pages du grimoire, 

Ni lasser ma raison, ni forcer ma mémoire 
Fiévreuse, bien après l’heure de l’oreiller. 

Que les feuilles au loin se meurent une à une, 

Choient toutesdans l’étangtrouble, glauque etsans cours, 
Ou que les chats-huants appellent au secours 
Dans le chien-et-loup triste où naît déjà la lune, 


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i/ame et la mer 


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Que le dehors atteint se fane lentement 
Sous le ciel qu'envahit l’émeute des nuages, 
Je ne lèverai pas le chef de sur les pages 
Ni ne m’interromprai de mon raisonnement ; 


Mais tu houles là-bas en proie à l’équinoxe, 
Et ta voix furieuse a franchi la maison, 

Et, mieux que les beautés de l’arrière-saison, 
M’arrache du dilemme âpre et du paradoxe. 


O toi ! mer désolée et sœur de mon tourment, 

Mer que contient en soi ma faiblesse de femme, 

Mer qui me fais trop ample et trop lourde mon âme 
Où tu bats tout entière inguérissablement. 


Oui, je refermerai le livre, mer natale, 

Manche grise ! Et j’irai vers tes cris et tes chants, 
Vers les falaises, vers tes tragiques couchants, 
Seule et le front baissé comme une ombre fatale. 


Je ne regretterai la lampe ni le toit ; 

Le vent fera claquer ma robe monastique, 
Je mêlerai ma voix à ta voix emphatique 
Et j’ouvrirai mes bras inassouvis vers toi. 


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OCCIDENf 


Et les lames du bord qui se dressent en barre 
Et ton large en désastre et ton grand souffle amer 
Gourmanderont mon âme et calmeront ma chair 
Mieux que le livre et mieux que l’étude, ô barbare! 

Ah ! chante, chante-moi tes rythmes violents ! . 

Chasse tout ce qu’en moi je hais et j’abomine, 

Ces rêves de baisers où l’àme s’effémine, 

Ces tendresses qui font les esprits indolents ! 

Ah ! cingle, frappe, mords de ta saine rudesse 
L’adulte chair qui songe à de la volupté, 

Car je me veux pudique en ma virginité, 

Moi ta folle, orgueilleuse et sombre poétesse ! 


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★ 


Je suis la hanteuse des mers fatales 
Où s’échevèlent les couchers sanglants. 
Des mers basses ou hautes ou étales 
Vers qui je crie du profond de mes flancs. 

Ma solitude orageuse s’y mêle 
Au désert du sable vierge de pas 
Et où, sans craindre d’oreille, je hèle 
Je ne sais quel être qui ne vient pas... 

Oh, la mer! la mer ! Toi qui es une âme, 
Sois bonne à cette triste au manteau noir, 
Et de toute ta voix qui s’enfle et clame, 
Hurle ta berceuse à son désespoir ! 


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HYMNE MARIN 


Que ta toute-puissance en colère déferle 
Ou se meure en pâleur dans les couchants éteints, 
Laiteuse dans les soirs comme une grande perle 
Ou bleue ou noire au cœur des midis et matins, 

O Toi matinale ! ô vespérale ! ô nocturne ! 

Quelle que tu sois, flux qui monte ou redescend, 

Toi que j’ai mariée à mon cœur taciturne, 

A tout ce qui me bat dans l’âme et dans le sang, 

Manche française, mer normande, mer natale ! 
Grisaille coutumière au bout des horizons, 

Douce à la chair et douce à l’âme occidentale, 

Chère à nos prés verts, souffle et voix de nos maisons, 


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U’AME ET LA MER 


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Je t’aime dans ta grande et mystérieuse œuvre 
De houle et de repos alternants, et je viens. 

Je cours à toi qui loin, qui près m’attires, pieuvre ! 
Glauque étreinte qui veux nos corps pour tes liens ! 


J’aime en la flore dont ta profondeur regorge . 

La sirène des clairs et froids- septentrions. 
Etrange et toute prête à nous prendre à la gorge. 
Qui rit à fleur des eaux pour que nous y courions. 


J'aime l’existence aime et grouillante et si chaste 
Dont tu vis chastement, pudique qui te fonds, 

Gaie ou mineure, en chants, dans le registre vaste 
De cette sphinge occulte au guet sous tes tréfonds. 


Je t’aime, âme des yeux, regard clair des prunelles, 
Comme j’aime les yeux, comme j’aime des yeux 
Féminins que j’ai vus, dans des faces charnelles, 
Ruisseler tous tes verts, tous tes gris, tous tes bleus. 


Et tu es belle, ampleur rude et préhistorique, 

Pareil spectacle aux sens modernes qu’aux anciens, 
Splendeur invariée, incorruptible rite, 

Caprice que n’a pu l'homme plier aux siens. 


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OCCIDENT 


Primordiale, libre, ô libre! et toujours vierge. 

Je veux t’aimer, je veux te hanter pour t’aimer 
Et coucher mollement le rêve, sur ta berge, 

Que tu sais si bien mettre en musique et rythmer! 

0 toi qui nous endors du sommeil hypnotique 
Des iris large ouverts parmi tes mouvements, 

O toi flot de l’enfance, ô loi berceuse antique 
Où raüque sourdement l’âme des éléments ! 


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INGUÉRISSABLEMENT 


Silencieuse et seule avec mon rêve amer, 

Au fond de mon âme démente, 
J'entends que se lamente 
Toute la mer. 

Elle y souffre le mal de ne pouvoir se taire, 

D’être changement, mouvement, 
Anxiété, tourment, 

Horreur, mystère ! 

Elle y pleure qu’elle est insondable et sans bords, 
Qu’elle roule, étrange et perverse, 

Sous sa face diverse, 

Tous les remords. 


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OCCIDENT 


Elle y hurle que c’est en vain qu’elle fascine, 
Que l’on devrait en avoir peur, 

Que son charme est trompeur, 
Qu'elle assassine! 

Et cet appel, surtout, de tous ses rythmes fous 
Vers le ciel qu’elle ne peut prendre, 
Se mirant sans descendre 
En son remous ! 

Ah ! cette plainte égale et double qui déclame ! 
Ce semblable, flux de sanglots ! 

Ah ! tous les tristes flots. 

Toute mon âme ! 


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L’ÉTREINTE MARINE 


Une voix sous-marine enfle l’inflexion • 

De ta bouche et la mer est glauque tout entière 
De rouler ta chair pâle en son remous profond. 

Et la queue enroulée à ta stature altière 

Fait rouer sa splendeur au ciel plein de couchant, 

Et, parmi les varechs où tu fais ta litière, 

Moi qui passe Je long des eaux, j’ouïs ton Chant 
Toujours, et, sans te voir jamais, je te suppose 
Dans ton hybride grâce et ton geste alléchant. 

Je sais l’eau qui ruisselle à ta nudité rose, 
Visqueuse et te salant journellement ta chair 
Où une flore étrange et vivante est éclose ; 


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Tes dix doigts dont chacun pèse du chaton clair 
Que vint y incruster l’aigue ou le coquillage 
Et ta tête coiffée au hasard de la mer ; 

La blanche bave dont bouillonne ton sillage, 
L’astérie à ton front et tes flancs gras d’oursins 
Et la perle que prit ton oreille au passage ; 

Et comment est plaquée en rond entre tes seins 
La méduse ou le poulpe aux grêles tentacules, 

Et tes colliers d’écume humides et succincts. 

Je te sais, ô sirène occulte qui circules 
Dans le flux et reflux que hante mon loisir 
Triste et grave, les soirs, parmi les crépuscules, 

Jumelle de mon âme austère et sans plaisir, 

Sirène de ma mer natale et quotidienne, 

O sirène de mon perpétuel désir ! 

O chevelure ! ô hanche enflée avec la mienne, 

Seins arrondis avec mes seins au va-et-vient 
De la mer, ô fards clairs, ô toi, chair neustrienne ! 

Quand pourrai-je sentir ton cœur contre le mien 
Battre sous ta poitrine humide de marée 
Et fermer mon manteau lourd sur ton corps païen, 


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l’axie et la mer 


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Pour t’avoir nue ainsi qu’une ■anguille effarée 
A moi, dans le frisson mouillé des goémons, 

Et posséder enfin ta bouche désirée ? 

Ou quel soir, descendue en silence des monts 
Et des forêts vers toi, dans tes bras maritimes 
Viendras-tu m’emporter pour, d’avals en amonts, 

Balancer notre étreinte au remous des abîmes?... 


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L’AME FIDÈLE 


Le faste ni l’attrait des villes et des terres 
Ne me feront, ô mer lointaine ! t’oublier: 

Car, tout entier, j’entends, par bonds ou régulier, 
Ton flot capricieux battre dans mes artères ; 

Car je sens fulgurer encor mes larges yeux 
D’avoir tant contemplé.tes horizons en flamme ; 
Car tes rythmes me sont restés au fond de l’àme ; 
Car ton souffle a laissé du vent dans mes cheveux. 

Et, par les minuits noirs, assise sur ma couche, 
Lorsque je songe à toi tout bas, seule en éveil 
Parmi l’universel silence du sommeil, 

Mon âme sort de moi comme un spectre farouche, 

Et ce spectre s’en va rôder dans ton fracas 
Et, tel qu’une Sapho hantant quelque Leucade, 
Dans des mots furieux que le sanglot saccade 
Se plaint de sa souffrance en se tordant les bras. 


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L’AMIE 


Mon âme vit en moi comme un dieu solitaire, 

Sans espoir désormais et doublement banni 

Pour avoir vainement crié vers l’Infini 

Sans que l’aient consolé les bonheurs de la terre. 

Et mon âme parfois plus qu’à d’autres moments 
Souffre de s’être ainsi close sans rien connaître 
Des piétés en qui. s’abreuve tout notre être 
Ou du profane amour dont pâment les amants. 

Je ressuscite alors de très vieilles chimères, 

Rêvant de je ne sais quel être à qui m’unir, 

De je ne sais quel sein bon et tendre où venir 
Sangloter je ne sais quelles peines amères. 

Mais la prière expire à mes lèvres ; mes bras 
Elevés vers le ciel se tordent dans le vide 
Et l’àrne humaine n’offre à mon regard avide 
Qu’un lieu fermé portant ces mots : « On n’entre pas! » 


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OCCIDENT 


Ah j’étouffe ! Le poids de cette solitude 
M’écrase et me meurtrit malgré tous mes efforts, 
Malgré le rythme en qui je me berce et m’endors, 
Malgré le livre ouvert, malgré l’art et l’étude. 

Et je t’évoque, toi si lointaine aujourd’hui, 

Mer natale, ô ma belle et grandiose amie 
Qui seule fis parfois mon angoisse endormie. 

Vers qui toujours mon cœur douloureux me conduit ! 

Toute seule devant ton flot pendant des heures, 

Je voudrais promener mon silence anxieux 

Et, puisqu’il n’est jamais de larmes dans mes yeux, 

M’écouter longuement pleurer lorsque tu pleures, 

Ou bien, parmi la nuit, le fracas et le vent, 

A l’heure où ta tempête est à son apogée, 

Crier en toi, sauvage, affolée, enragée, 

Les cheveux dénoués et les poings en avant. 


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PAROLES 


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LE BÉBÉ 


Laisse-moi, le regard sur toi, t’apostropher, 

Bébé vers qui se tend ma poigne qui frissonne 
Songeant que mes dix doigts sur ta frêle personne 
Ne mettraient que,si peu de temps à l’étouffer. 

Masse qui vit, tu n’es pour d'aucuns, pour d’aucunes 
Surtout, qu’une pelote amusante de chair. 

Petit corps à manger de baisers, être cher. 

Être exquis! Et jamais tu ne les importunes. 

Que de lèvres iront frôler ta joue en fleur! 

Que de cajôlerie et que de pomponnage, 

Que d’attendrissements entoureront ton âge, 

Que de regards luisants d’un maternel bonheur! 


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11 


OCCIDENT 


Tout le monde viendra, bouche en cœur, pâmant d’aisc, 
Dans ta véture blanche aux douceurs de sachet, 
Poupine idole ayant pour sceptre ton hochet, 

A tes pieds en chaussons faire sa cour niaise. 


Voici pour la caresse et l’admiration 
Ton minois puéril, rond de sa bouche ronde. 

De la rondeur du nez et des yeux, tête blonde 
Ou brune, tout en rond au fond du bonnet rond. 


Voici les pieds à deux dans une seule paume, 
Les minuscules mains qu’on baise doigt à doigt, 
Te voilà tout entier, joujou vivant, ô roi 
Qui ne te doutes pas encor de ton royaume! 


Mais moi, ce n’est qu’avec une immense stupeur, 
Quand mon geste t’endort, quand mon pas te promène, 
Que du profond des yeux je te vois, larve humaine, 
Car, tandis que mon bras te tient, tu me fais peur! 


Je toucherai du doigt tes deux vagues prunelles 
Que le caméléon du regard n’emplit pas ; 

Ta bouche, fleur mouillée, ignorant les repas 
Carnassiers où plus tard mordent nos faims charnelles. 


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PAROLES 


73 


Ta bouche en qui surtout le futur verbe dort, 
Tes oreilles qui n’ont entendu nulle chose, 

Et ton front sans pensée et tout ton masque rose 
Où n’a pas grimacé la vie humaine encor. 


Ah! quel mystère es-tu, fraîcheur, candeur, enfance 
Molle en ta rondeur prise à quelque œuf primitif 
Et tout inerte encor du néant productif 
Où s’engendre à jamais l’éternelle existence ! 


Ah ! de songer tout bas, petit inconscient, * 
Qu’un jour, de cette bouche étalée en corolle, 
Naîtra ce monde énorme, effrayant : la Parole; 
Qu’une âme habitera ton regard innocent; 


Que les deux bras ballants exprimeront le geste. 
Que tes deux petits pieds multiplieront des pas, 
Que tu verras, ouïras, retiendras, rediras, 

Petit infirme, quand l’âge t’aura fait leste : 


De penser tout cela devant ton front qui dort, 

Ame à souffrance et chair à souffrance accouplées, 
Enfance qui détiens en tes lèvres scellées 
Un secret aussi noir que celui de la mort, 


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74 


OCCIDENT 


O bébé! C’est cela qui fait mon épouvante 
Au moment où-je t’ai tout vivant dans més bras ; 
C’est tout cela qui fait que je ne t’aime pas 
Quand chacun.près de moi te dorlote et te vante. 

Car, devant le poupon aux charmes éternels 
Pour lequel à jamais s’extasieront les mères, 

Mon sombre cœur de femme en ses fibres amères 
Ignore le frisson des amours maternels; 

C’est que je hais la vie avant de la connaître 
Et que, dans cet enfant, posé sur le pavois 
Pour l’adoration féminine, je vois 
La reproduction détestable de l’être... 

Pauvre petit bébé! dans ton nid ouaté, 

Quelle pitié voudrait, d’une main inconnue, 
Serrer un peu trop fort ta petite chair nue, 

O germe, à lendemain, future humanité? 


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L’OFFRANDE 


Le grand Tout le Monde, et ces mains qui le travaillent 
Comme une glaise informe où l’œuvre surgira. 

Les oisifs et ceux-là qui taillent et retaillent, 

Tous, des noms les plus hauts jusqu’aux et cætera, 
L’intégral Aujourd’hui, science, art, rêve farouche, 
Laborieusement pour le demain accouche. 

Nous voici donc, nous la ténèbre et le rayon ! 

Vanités, nullités, vous, misère, ignorance, 

Égoïsme, mal, vice, immense bataillon, 

Toute la brute humaine horrible de souffrance, 
Horrible de bassesse, horrible de laideur, 

Porte son faix et prend sa part du dur labeur 

Car, à les grands meneurs, ô les fronts de lumière 
Et vous, l’habileté subtile des dix doigts, 


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76 


OCCIDENT 


C’est dans, par cette énorme et stupide matière 
Que flamboient vos cheveux et que clament vos voix ; 
Artistes, c’est parmi ces tourbes dégoûtantes 
Que se tordent vos fleurs, les plus exorbitantes. 

Le creuset de l’Idée est empli jusqu’au bord, 

La substance y bouillonne, inconsciente, et s’y moule, 
Le joaillier y met sa perle; et de l’effort 
De nous tous, contenant l’àme de notre foule. 

Monument orgueilleux et commémoratif 
Sort: le vase brillant, serti, définitif, 

Le calice d’or pur gemmé de pierrerie, 

Métal de la pensée et du progrès fécond, 

Joyaux luisants de l’art et de la rêverie 
Tirés du minerai de la masse sans nom 
Et que nous te léguons afin qu’il te souvienne 
Que nous fûmes, ô toi! pérennité humaine! 

Car notre siècle tend les mains pour te l’offrir, 
Voulant que l’avenir penché sur ce ciboire 
S’enseigne, y apprenant — devant vivre et mourir 
A son tour — quelle fut notre façon d’y boire 
Le breuvage obligé fait de miel et de fiel 
De notre part de vie humaine sous le ciel. 


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TROIS TRILOGIES 


TRILOGIE DE LA. VIE ET DE LA MORT 

I 

Je crisperais aux draps mes poignes refermées 
Et,pleurant par ma chair la dernière sueur. 
J’expirerais, l’œil plein de la suprême peur, 

La bouche ouverte encor par les affres pâmées. 

La pâleur scûlpturale et calme des camées, , 
Alors, envahirait mon masque sans chaleur; 

Et, sans âme, sans plus jamais de rythme au cœur, 
Je dormirais parmi les cires allumées. 

Ah, mourir!... Si mon corps sous le marbre poli 
Se reposait, tout jeune, avec la fleur d’oubli 
Vite poussée au coin de la croix protectrice. 

Où serait l’être? vers quel lointain Quelque part, 
Lorsque se referait la terre productrice 
Avec ce qui fut voix, attitude et regard?... 

5 


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78 


OCCIDENT 


II 

Pas de mort tôt venue et de cierge qui brille, 
Lent et chaste au côté de la vierge qui dort; 
Mais le dos que le poids de l’existence tord, 

Mais la face où le temps marque son estampille. 

Débris que tient debout la canne et la béquille, 
La vieillesse, en un mot, plus triste que la mort, 
Peut me faire, à la fin de ce suprême effort, 

La vie, aïeule blanche ou bien très vieille fille. 

Et j’irais par le siècle, égarée et sans lot, 
Gardant la peine au cœur, le dégoût, le sanglot 
D’avoir perdu la vie et d’être encor sur terre ; 

Avec le navrement des désespoirs vécus 
Dans les yeux, je serais l’ambulante misère, 

La laide, qu’à sa mort nul ne pleurerait plus. 


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PAROLES 


79 


III 


Vieillesse vacillante et triste ou fin hâtive, 

L’une d’elles doit donc m’atteindre sûrement, 

Et je me sens le cœur pris d’épouvantement 
A songer qu’il faudra que je meure ou je vive. 

Fantômes dont chacun à mon côté se rive, 

Ces deux destins me font horreur également, 

Tous deux étant l’atroce et lent dépouillement 
Qui nous prend morts ou'bien à môme la chair vive. 

N’existe-t-il aucun Refuge où s’échapper? 

Nulle épaule où pleurer? nulle porte où frapper 
Quand le cœur est tordu par la détresse noire? 

... Être et ne pas savoir ce qu’on est; ni pourquoi 
L’angoisse d’exister quand le suprême effroi, 

Le Peut-être ,est au bout du chemin... Croire,oh croire !... 


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80 


OCCIDENT 


TRILOGIE DU SIGNE DE CROIX 


Le Père. 

L’Innomable, le seul, leternel, l’Absolu 
Reste immuablement le sommet et la base 
De l’être, n’attendant nulle future phase, 

Pour qui le temps, jamais, ne sera révolu. 

Et, vers le grouillement d’êtres qu’il a voulu, 

Mal vivant qui parmi l’univers s’extravase,. 

Il ne peut se pencher que par une hypostase 
Qu’entrevoit seulement quelque sublime élu. 

Cependant que, sans fin, la meute s’exaspère 
Des foules qui, devant celte énigme du Père, 
Hurlent de désespoir, de doute et de terreur, 

Et que les piétés se taisent, infécondes, 

De crainte que l’appel infime de leur cœur 
Ne se perde à jamais dans le remous des mondes. 


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PAROLES, 


81 


Le Fils. 

Mais voici que, parmi l’horrible bacchanal, 

Le Père engendre un Fils infiniment auguste 
Dans le but de laisser à l’humanité fruste 
L’exemple de son être aimable et virginal. 

Les yeux levés,' au cours de son chemin banal, 

Au ciel d’où semble choir chaque hasard injuste, 

II travaille, ridant ses mains, ployant son buste 
Voués pour récompense au supplice, final, 

Voulant, hôte du monde haineux, vil, triste, obscène, 
Traversant, os et chair, sa scandaleuse scène. 

Douer d’âme et de cœur ses vivants mannequins 

En leur montrant, par sa douceur à leur souffrance, 
La part docile prise à leurs labeurs mesquins, 
Comment vivre en courage, en bien, en espérance. 


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82 


OCCIDENT 


L’Esprit. 


Mais ensuite, parmi la foule qui proteste, 

Raillé sans fin, non cru sauf des douze et honni. 
Tout l’être illuminé d’un reflet d’infini, 

Le Fils dit l’ère neuve au monde impie, et teste. 

Et, joignant à jamais le ciel à l’homme, reste 
— Ce pourquoi son époque entière l’a puni, — 
L’éclair qui fit divin l’être du rabboni 
En passant par sa voix, son regard et son geste, 

L’Esprit (prière, extase, appel), assomption 
De l’âme avant le temps de résurrection 
Vers la source promise à la Samaritaine, 

Dont elle redescend prête à mieux obéir, 

Ayant renouvelé dans sa course lointaine 
Le vouloir effrayant de vivre sans faillir. 


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PAROLES 


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TRILOGÎE DU PARTI A PRENDRE 

I 


Un jour, tu sentiras ton âme fiancée 
Au grand, avec l’instinct dès lors jamais ôté 
D’aller se consoler au sein de la beauté 
De tout ce qui la fit douloureuse et lassée. 

Or, tu verras le monde autour de toi ; poussée 

Coude à coude, cohue où la banalité 

Domine, où l’implacable et froide vanité 

Finit par pervertir toute haute pensée. 

/ 

Alors tu rêveras de quelque grand lointain 
Tranquille, grave, purd’ambitions pareilles, 

Où fuir les yeux fermés, les paumes aux oreilles, 

Pour, heureux du Refuge à tout jamais atteint, 
Y reposer ton cœur et ton âme amoureuse 
De calme, hors du bruit de l’existence creuse. 


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84 


OCCIDENT 


II 

Ton àme cherchera l’issue où s’en aller. 

Alors, et, prise encor dans le chaos des choses, 

Avide de monter vers des apothéoses, 

Ses ailes s’ouvriront larges pour y voler ; 

Et tu croiras, ainsi qu’un souffle, t’exhaler 
Et, comme un aigle plane au fond des couchants roses, 
Tu croiras t’élever jusques aux portes closes 
De l’Au delà pour toi prêt à se desceller. 

Mais tu redescendras de tes grands crépuscules ; 

Mais tu renonceras aux luttes ridicules 
De ton infimité contre l’éternité. 

Haïssant encor plus ton humaine atmosphère, 

Haïssant l'Infini pour t’y être heurté, 

Tu resteras béant à ne savoir que faire. 


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i 



PAROLES 


. 85 


III 


Oublie alors l’instinct dont ton âme est ia proie ; 
Brise la force en toi qui s’en va vers l’aimant ; 

Et que l'extérieur des choses seulement 
Suffise désormais à te donner la joie. 

Sois heureux du couchant splendide qui flamboie 
Sans vouloir marier ton âme au firmament ; 

Tâche d’aimer le Beau sans être son amant, 

Sans te laisser troubler des charmes qu’il déploie. 

Donne tout ton effort pour prendre ce parti ; 
Renoncé à ce projet qui n’a point abouti, 

De trouver un asile où ton âme s’isole ; 

Renonce à t’obstiner dans ton rêve; sinon, 

Après quelques essais, tends à la camisole 

Tes deux poings impuissants, et meurs au cabanon ! 

5 . 


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LA PROMISE 


Léviathans de pierre aux cœurs vivants, ô villes ! 
Œuvres d’orgueil qu’attend l’effondrement final, 
Hors de votre tumulte et de vos choses viles, 

Hors de vos longues nuits noires et sans fanal, 

A jamais est offerte à l’àme solitaire 
Qui n’a pas pu trouver l’épaule où sangloter. 

Tel qu’un giron humain, la douce et bonne terre 
Ouvrant ses bras à qui veut s’y précipiter. 

Ah ! donne-nous tes fleurs à presser sur nos bouches 
Comme des baisers frais pour nos baisers fiévreux ; 
Laisse-nous manier dans nos poignes farouches 
Tes foins rudes qui font songer à des cheveux ; 


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PAROLES 


87 


Emplis de tes parfums la narine béante ; 

Revêts d’ombre le corps qui veut porter le deuil, 
Livre-toi tout entière à nos deux bras, géante 
A la taille de qui nous grandit notre orgueil ! 

Patiente qui sais sans en être lassée 
Attendre nuit et jour le tribut qu’on te doit, 

Toi qui ne nous mens point, ô notre fiancée ! 

Nous voulons t’embrasser et nous coucher sur toi, 

Pour, d’avance évoquant nos siestes éternelles, 
Versant comme en amour des pleurs en océan, 
Dans un spasme profond des poussières charnelles 
Nous tordre de désir vers ton prochain néant ! 


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CEUX-CI ET CEUX-LA 


Ceux-là, tous ceux-là, gros d’écœurantes essences, 
Pesants de leur banalité coupable ; aux yeux 
Arrondis salement sur les concupiscences, 
Langues lasses d’avoir médit, cerveaux terreux 
Bondés d’horreurs : plaisir médiocre, facile 
Vanité, bas trafic, égoïsme imbécile, 

Ceux-là, le Tout le Monde, en un mot, actuel, 
Farandole du jour le jour, foule asservie 
Au culte des conventions, au rituel 
Du préjugé, bigots des routines, leur vie 
A ceux-là, n’a pour but et pour combinaison 
Qu’elle-même d’un bout à l’autre... Ils ont raison. 


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PAROLES 


89 


Nous ne sommes que des fous parmi ces lucides, 

Ils vivent l’existence humaine comme elle est, 

Ils ne lèveront pas leurs prunelles placides 
En haut, ne souffriront ni du mal, ni du laid, 

Ne demanderont pas pourquoi tourne la roue ; 

Mais, contents de marcher les deux pieds dans la boue, 

Ils suivront leur chemin terrestre sans écart, 

Ne cherchant jamais plus en l’être que la vie, 

Et c’est nous, les grands bras tendus, nous le regard 
Toujours en l’air et vers ce qui nous fait envie, 

Nous, les amants de l’impossible, nous, ces fous, 

Qui perdrons l’équilibre et cherrons dans les trous. 


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HYMNE A LA MORT 


Toi qui, dans les ébats de la mauvaise joie, 
Qui, dans la vanité des vanités, descends 
Rôdes, flairant, guettant en silence la proie, 
A toi l’hommage, ô mort! le salut et l’encens. 


Je veux fêter sans fin ton masque épouvantable 
Qui sans bouche ricane et sans yeux voit ; tes mains 
Si maigres, maniant la faulx inévitable 
Dans l’ébaudissement stupide des humains : 


Car je t’aime en songeant qu’un jour, bonne passante. 
Tu viens nous délivrer de l’ennemi de chair 
Qui fait ramper, dans la besogne avilissante 
D’exister ici-bas, notre esprit pur et clair; 


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PAROLES 


91 - 


En songeant que tu viens l’assassiner, le prendre 
Au col, ce corps qui tient notre essence en prison, 
Et que ta poigne alors l’oblige de s’étendre 
Muet enfin, sans phrase et sans bonne raison, 


Lui par qui fut notre âme, ainsi qu’un aigle en cage. 
Incapable de vol vers le suprême Beau, 

La dépouille l’ayant en soi, comme un otage. 

Gardé jalousement jusqu’au jour du tombeau. 


Viens nous en arracher de cette triste écorce. 
Viens libérer le dieu que son étau meurtrit, 
Prononcer à jamais le bienheureux divorce 
De cet accouplement de matière et d’esprit, 

O toi la fiancée éternelle et sans joues, 

Toi la promise à tous, l’Amante, qui permets 
Que nous sortions enfin de nos infâmes boues, 
Et vers la vie, ô mort ! nous portes à jamais ! 


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L’AME 


L’àme de ceux qui sont ou seront, l’àme étrange 
Et hautaine en qui couve un terrible avenir, 

Naît dansdes cœurs amers, sous des fronts qu’elle mange, 
Et dans des corps déjà las de la contenir. 

Elle est pesante d’utopie et de chimère, 

Soulevée en l'effort immense de ces temps 
Vers de la vérité vraie et de la lumière, 

Et hurle dans le vide en pourquois haletants. 

L’art y est convulsé dans l’horreur du symbole, 

Tordant le geste fou de ses deux grands bras nus, 

Pleinà de menace et de haineuse parabole, 

Sur un sinistre fond d’horizons inconnus. 


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PAROLES 


93 


La musique y prolonge un sanglot, y détonne 
Sa dissonance rauque et son chaos puissant, 

Et la poésie âpre y dresse sa gorgone 
Furieuse, aux deux yeux qui ruissellent de sang. 

La volontaire, la cruelle Idée y forge 
Sa logique féroce et pure, et, de ses mains, 

Cherche comment serrer le vieux monde à la gorge, 
Vivant qui barre encor la ropte des demains. 

L’humanité, le poing au drapeau des révoltes. 

Ainsi toute levée en l’âme d’à présent, 

Court, grosse des fureurs de sa raison, les voltes 
Multiples de son pas tragiquement pesant. 

Mais nous, lourds de cette âme ample qui s’évertue 
Pour accoucher du songe énorme qui l’emplit, 
Rêvons, ayant jeté son fardeau qui nous tue. 

Au dormir éternel de notre dernier lit... 


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LA SPHINGE 


Notre pensée intime est un vaste royaume 
Dont le drame profond se déroule tout bas. 

Toute chair emprisonne un ignoré fantôme, 

Toute âme est un secret qui ne se livre pas. 

Et c’est en vain, ô front ! que tu cherches l’épaule, 
Refuge en qui pleurer, aimer ou confesser ; 

L’être vers l’être va comme l’aimant au pôle, 

Mais l’obstacle aussitôt vient entre eux se dresser. 


Car, au fond de nous tous, ennemie et maltresse, 
La sphinge s’accroupit sur son dur piédestal 
Et tout épanchement de cœur, toute caresse 
Soudain se pétrifie à son aspect fatal. 


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PAROLES 


95 


Sa présence toujours aux nôtres se mélange, 

Sa croupe désunit les corps à corps humains ; 

Au fond de tous les yeux vit son regard étrange. 
Ses griffes sont parmi les serrements de mains. 


Et lorsque nous voulons regarder en nous-môme 
Pour nous y consoler et nous y reposer, 

La sphinge est là, tranquille en sa froideur suprême, 
L’énigme aux dents et prête à nous la proposer. 


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LITANIES FÉMININES 


0 Dame souveraine, 0 Vierge entre les vierges, 

Pudique aux bras croisés chastement sur les seins, 
Triomphante aux cheveux glorieusement ceints 
Vers qui montent l’encens et le frisson des cierges ! 

Puisque tant, les doigts joints et les genoux ployants, 
Viennent pleurer leur mal aux plis de votre robe, 

Moi je ne serai pas qui raille et se dérobe, 

Je lèverai vers vous mes regards incroyants, 

Afin de vous prier, ô refuge des âmes, 

O source ! aube ! vesprée et mystère des nuits, 

— Pour que Dieu veille mieux le sexe dont je suis — 
D’avoir des oraisons spéciales aux femmes. 


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Paroles 


97 


i- 


O Dame ! Regardez tout ce monde si cher, 
Cette féminité dont vous fîtes partie 
Et voyez son enfance honteuse et pervertie 
Déjà frôlée aux sens et péchant en sa chair; 


O Dame ! regardez la prime adolescence,, 

Les vierges aux pensers troubles, aux cils menteurs, 
Chastement abaissés sur de faqsses pudeurs, 

Et qui savent déjà la presque jouissance ; 


O Dame ! regardez celles qui tournent mal, 

Les épouses en qui la chair ne peut se taire, 

Qui trahissent sans honte et pour qui l’adultère 
Finit par n’être plus qu’un passe-temps normal ; 


O Dame ! regardez ces reines captieuses 

Qui dans leurs manteaux d’or emportent les raisons, 

Les courtisanes dont absorbent les poisons 

Tous ceux qu’ont pris aux nerfs leurs lèvres vicieuses; 


O Dame ! Regardez au fond des lupanars 
Ces rebuts de pavé dites filles de joie, 

Marchandant au passant que le hasard envoie 
Leur peau triste et fanée où luisent tous les fards ; 


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98 


OCCIDENT 


O Dame ! regardéz ënfin ces raffinées, 

Celles qui vont fuyant les baisers masculins, 

Pour entre elles unir par des gestes câlins, 

Leurs féminines chairs de l’homme détournées... 

Regardez ! Et qu’un peu de votre chasteté 
Tombe de votre front étoilé de couronnes 
Sur ce monde d’enfants, de femmes, de matrones 
Qui vivent dan» le mal et dans l’impureté ! 

O Dame souveraine, ô Vierge entre les vierges, 
Pudique aux' bras croisés chastement sur les seins, 
Triomphante aux cheveux glorieusement ceints 
Vers qui monlent l’encens et le frisson des cierges ! 



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LE COUPLE 


La chair : pourriture vaniteuse 

Qui étale de jour et de nuit 

Tous ses fards et leur fraîcheur menteuse 

Et sa traîne d’orgueil qui la suit. 


L’Esprit : sentencieux personnage 
Au doigt levé dans des thèses d’art, 
Poète, musicien et sage 
Rhéteur, Hamlet au profond regard. 


La chair, courtisane, est à ses trousses 
Et cherchant comment le faire choir 
Baise ses mains de ses lèvres douces 
Et le tire par son manteau noir. 


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100 


OCCIDENT 


Et, bien qu’austère comme un bon prêtre 
Et renvoyant la gouge aux tripots 
Sans vouloir l’entendre ni connaître, 
L’Esprit se trouble de ces propos. 

Ah ! ne plus traîner cette dépouille ! 

Ah ! n’étre plus qu’un fantôme clair 
Qui pense en paix, qui cherche et fouille 
Loin des yeux mendieurs de la chair, 

A travers les villes tentatrices 
Et la flore des perversités , 

Verseuses d’essences corruptrices 
Qui morphinisent les volontés ! 


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LA CITÉ DE JUSTICE 


Les voyants, par delà les générations, 

Sur le couchant tragique et sur l’aube rieuse 
Regardent se dresser la Babel fabuleuse 
Où grouillera le pas pesant des nations. 

Son air a le parfum de toutes les contrées 
Et ses mois le trésor de toutes les saisons, 

Car il y aboutit du fond des horizons 

Tous les chemins du monde et toutes ses marées. 

La paix y établit sa continuité 
Perpétuelle afin, sous cette égide calme, 

Qu’y vive le labeur terrestre — fort, pur, aime, — 
Tout son vrai, tout son bien et toute sa beauté. 

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102 


OCCIDENT 


La aftiftnc.pi aux deux mains paisiblement utiles 
Et la charité douce avec ses tendres-doigts 
Y soignent la misère humaine à qui la voix 
Consolante de l’art dit ses chansons subtiles. 


L’Idée unique offrant sa compréhension 
Claire y retend les nerfs et relève les faces 
Et vers Elle, de pair, marchent toutes les races, 
Dans leur force charnelle et leur réflexion. 


Et pas un cri de faim , ne sort du sein des couches 
Profondes de ce peuple heureux, car les blés lourds 
Ont poussé leur pain blond à même les labours 
Féconds, pour l’appétit qu’ouvrent toutes les bouches, 

Comme ont crû les moissons du rêve et du savoir 
Au labour du génie humain, les moissons dues, 

Les moissons dès alors largement répandues 
A toute noble faim d’écouter et de voir. 

Et cette cité s’offre au pays qui s’éloigne 
Et s’embrume sans fin d’un tardif avenir. 

Mais les temps passeront et le jour doit surgir 
Où cédera sa porte au choc de quelque poigne, 



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PAROLES 


103 


Lorsque l’humanité rêveuse aura compris 
Le but déjà montré du geste par les braves, 

Et que les forts venus après nous, sûrs et gravés, 
Auront su terminer les travaux entrepris. 


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LE POÈME DE LA VIE ET DE 
LA MORT 


L’Être. 

Je me suis éveillé dans l’aurore naissante 
Qui luit au ciel son joyau clair ; 

Je me suis éveillé dans la tiédeur de l’air 
Qui sans cesse refait la terre adolescente ; 

Je me suis éveillé dans l’aurore naissante, 

Dans les flocons d’avril qui fleurissent la sente 
Et dans la beauté de ma chair. 

Et je tends mes deux bras lyriques vers les choses, 
Car mon âme, de l’aube au soir, 

Pour ses torrents de vie appelle un déversoir ; 

Car l’exaltation gonfle mes lèvres closes 

Et je tends mes deux bras lyriques vers les choses, 


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PAROLES 


105 


Avide de brûler dans des apothéoses 
Ainsi qu’un vivant encensoir. 

J’ai soif de la beauté, j’ai soif de la lumière 
Et de la force et de l’ampleur 
Assez pour contenir l’univers dans mon cœur ; 
Voulant plus que la joie humaine coutumière 
J’ai soif de la beauté, j’ai soif de la lumière, 

Et je vais les saisir dans l’étreinte première, 

De ma belle jeunesse en fleur. 

Mon âme s’ouvre à tous, profonde et fraternelle, 
Ma chair s’offre à la volupté. 

Ah ! que viennent l’amour, la beauté, la bonté ! 
Car, pour participer à la joie éternelle, 

Mon âme s’ouvre à tous profonde et fraternelle, 
Car je sens palpiter comme un aigle son aile 
L’espoir dont mon être est hanté ! 

Le premier spectre. 


Je suis là. 


Je suis là. 


Le second spectre. 


c. 


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106 


OCCIDENT 


L’Être. 

Quelles sont ces deux ombres ? 

Elles s’asseoient ainsi que deux visiteurs sombres 
Et muets, toutes deux à ma porte. L’une a, 

A même la figure, un masque d’incarnat 
Et qui rit ; et sa robe est d’étoffe fleurie ; 

Une couronne prise à travers champs marie 
Le vif de ses couleurs au noir de ses cheveux. 

Et l’autre a répandu sur ses membres nerveux 
Une étoffe de lin imiteuse de lange, 

Pendant que rien ne luit sur son visage étrange 
Qui n’a ni yeux, ni nez, ni bouche, que ses dents ; 

Elle semble cacher dans ses drapés prudents 
Quelque arme à tranchant cl air dont j e ne me rends compte. 

Le premier spectre. 

Nous sommes là tous deux pour te conter un conte. 
Mais, avant que nos voix te parlent tour à tour, 

Lève la belle robe oü se fond mon contour, 

Fleure les belles fleurs dont ma tête se noue, 

Ecarte le beau masque appliqué sur ma joue 
Et, sous ma robe, vois mes blessures saigner, 

Tous mes calices frais prêts à t’empoisonner • 


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PAROLES 


107 


Et sous mon masque gai sangloter ma figure. 
Je suis la Vie. 


Le second spectre. 

Et moi, soulève ma vêture 
Pauvre qui ferait croire un corps sous ses plis faux ; 
Tu n’y vois qu’un squelette étriqué ; mais la faulx 
Que j’y cachais t’éclate aux yeux, arme qui reste 
Terriblement rivée au hasard de mon geste. 

Je suis la Mort. 


L’Être. 

O couple affreux ! Spectres jumeaux ! 

Quelle histoire d’horreur va sortir de vos mots ! 

Le premier spectre. 

Vois ! Des cortèges vont sans but ; ah les cortèges. 
Les mornes, les pareils toujours ! 

Par villes et par champs, par les nuits, par les jours. 
Par les printemps et par les neiges ! 

Vois ! Ce sont des bras fous tragiquement tordus 
Et des bouches d’où le cri monte, 

Cri de révolte et cri de deuil, misère et honte, 

Désirs et doutes éperdus. 


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108 OCCIDENT 

Vois ! la faim râle au fond des taudis, et le vice 
Emplit bouges et lupanars, 

Et la maladie âpre aux mille cauchemars 
Grouille et déborde de l’hospice ; 

Vois ! Les adieux, l’orgueil à bas, l’amour trahi 
Hurlent, poussés vers les suicides, 

Vers le plaisir tueur de mémoires lucides, 

Vers l’alcool recéleur d’oubli ; 

Les refuges cherchés gardent leurs portes closes, 
L’amour est un leurre et l’art ment, 

La musique et les vers sont un nouveau tourment 
Où resanglotent les névroses, 

Et l’Idéal, idole au geste solennel, 

Debout et le chef dans les nues, 

Répond aux piétés des foules accourues 
Par un « à quoi bon ? » éternel ! 

L’Être. 

Au secours ! Au secours !... 

Le spectre 

Ecoute ta sentence 
Epouvantable jusqu’au bout : 


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PAROLES 


109 


Tu resteras toujours vivant, toujours debout 
Malgré l’enfer de l’existence, 

Marqué tout à la fois dans ta chair et ton cœur 
Par la grande misère humaine, 

Rides du lourd péché, de l’espérance vaine 
Et de l’inutile labeur, 

Et, flagellé, rempli d’horreur et d’anémie, 

Dans le silence et l’abandon, 

Sombre, tu couveras une haine sans nom 
Pour ton ambiance ennemie ! 

Et maintenant, adieu ! Vers l’avenir maudit 
Dont 1’efîroi déjà te trépane, 

Déambule, pantin ! navigue, barque en panne ! 
Pour moi, je me rassieds. J’ai dit ! 

L’Être. 

O bonne mort ! ô mort douce et pleine de grâce, 
C’est vers toi, dans l’horreur folle qui me terrasse 
Que, les yeux ruisselants de trop d’affliction, 

Je tends mes bras chercheurs de consolation, 
Eternelle présence à qui mon pas se rive, 

Seul but où diriger mon atroce dérive, 


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OCCIDENT 


O toi l’unique, ô toi l’immanquable, la sœur, 
Prends-moi comme un enfant qui pleure sur ton cœur 
Et conte-moi tout bas la croyance future ; 

Car, puisque rien n’a pu dans toute la nature 
Assouvir le désir dont j’étais dévoré, 

Puisque je reste en deuil de mon espoir doré, 

Puisque pour cette soif dont mon âme dessèche 
Je n’ai pu nulle part trouver de source fraîche, 

A moi l’espoir qui fait renaître les cœurs morts ! 

A moi la bonne paix hanteuse d’âmes veuves ! 

A moi le baume en qui les esprits et les corps 
Se guérissent du mal profond de trop d'épreuves ! 

A moi la joie après la mort, remplacement 
Du bonheur que cherchait mon âme printanière, 

Seule source où pourra boire éternellement 
Mon éternelle soif de Vie et de Lumière ! 

Ah ! puisqu’il faut connaître ici-bas la douleur, 
Puisque la loi fatale est pour nous tous la même, 
Donne-moi la douleur où l’on met tout son cœur, 
Donne-moi la douleur au fond de qui l’on aime: 

Fais que mon désespoir se fonde en piété, 

Fais qu'àme et chair je sois une double victime 


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PAROLES 


111 


D’un holocauste fait à la Divinité 

Grand d’être volontaire, énergique, anonyme ; 

Que je serve d’enclume à ce divin marteau, 

Que mon infimité se grandisse et rehausse 
D’obéir tout entière à l’Infini, plutôt 
Qu’à cette vanité terrestre, inepte et fausse, 

Et parmi le chagrin, la souffrance et l’ennui, 

Dans ce cortège humain qui languit et qui pleure, 

S’il faut vivre, je vis ! Mais que ce soit pour lui, 

Dieu ! Dieu ! mon seul espoir, mon but et ma demeure ! 


Le second spectre. 

Clame ton impuissance ou prie humble et tout bas, 
Le muet Infini ne te répondra pas. 

Le suprême dédain de cette offre sublime 
De sacrifice auguste, austère, entier, intime, 

Tombe, avec ce silence implacable, sur toi. 

11 n’y a ni l’espoir, ni le but, ne le toit . . 

Derrière le secret de la voûte infinie. 

Pour moi, je t’apprendrai la peur de l’agonie, 

Le remords de la fin, la terreur de l’après, 

Toutes ces affres qui, soit de loin, soit de près 
Te guettent, puisqu’il faut que tout être succombe ; 


l 


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112 


OCCIDENT 


Je t’apprendrai l’horreur de l’oubli sur ta tombe, 
Seconde mort à qui nul n’échappe ici-bas. 

Mais, où ton âme ira, tu ne le sauras pas. 

Que le monde sur toi laisse tomber sa porte, 

Je ne te dirai pas les lieux où je t’emporte. 
Maintenant, tends au ciel ton bras désespéré ; 
Cherches-y le prétexte et la raison; muré, 

Lève sur cet espace ouvert ton œil avide, 

Et tu n’y verras rien qu’un formidable vide, 
Cependant qu’à tes pieds monte le mauvais bruit 
Du monde qu’à présent toute ton âme fuit, 
Hideux de sa douleur et de sa gaîté pire 
Comme un sanglot noyé dans un éclat de rire ! 


L’Être. 

L’horreur de ton discours est plus profonde encor... 

Au secours ! Au secours!... Ah la vie et la mort !... 

Ah ! spectres !... Où vous fuir ? Où cacher ma détresse, 
O vide en qui ma tête impuissante se dresse?... 

Rien!... Rien!... nuit, solitude et silence... O mon cœur, 
Quelle épouvante !. .Où fuir?. .J’ai peur! J’ai peur! J'ai peur! 


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PAROLES 


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7 


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L’ORGUEILLEUX PRESSENTIMENT 


Mon génie est en moi, profond et solitaire, 

Emplissant ma journée et ma veille npbturne 
Comme une flamme dont, vestale taciturne, 

J’attise le foyer dans l’ombre et le mystère. 

Il est le dieu jaloux, le gardien soucieux 
Qui me dit dans mes maux qu’il ne faut pas mourir, 
Dans mes tentations qu’il ne faut pas faillir 
Et dans mes vanités qu’il faut le servir mieux. 

Il est le dieu plus grand et plus beau que moi-même 
Dont mon coeur est l’autel, dont mon corps est le temple ; 
Mon être, trop étroit pour ce souffle trop ample, 

Est las de contenir sa présence suprême. 


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116 


OCCIDENT 


C’est un dieu qu’on ignore et qui me survivra 
Peut-être, ainsi qu’à toi, foule où s’en vont mes pas, 
O foule d’aujourd’hui qui ne me connais pas, 

Grande brute à qui nul alors ne pensera ! 



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POUR D’AUTRES 


Calmes élus aU front de qui la gloire noue 
Sous les regards publics ses lauriers honoraires, 
Parmi l’encens banal de vos thuriféraires, 

Etalez votre orgueil comme le paon sa roue ! 

Moi, je suis la passante inconnue aux pieds lents 
Qui marche dans la foule en agitation, 

Hautaine et sans désir de sa laudation 

Qui fait tant de cœurs battre et haleter de flancs. 

Ma Muse m’a prêté son envergure d’ange 
Et je sens frissonner mes épaules de femme 
Pour des envols si hauts qu’ils emportent mon âme 
A jamais loin du monde où clame la louange ; 


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118 


OCCIDENT 


Ma Muse a mis en moi quelque chose de plus 
Que des chansons d’enfant ou des soupirs éclos 
Pour l’hommage de ceux qui, rires ou sanglots, 
Bercent tout de pareils hosannas superflus. 

Ma Muse a mis en moi la plainte inassouvie 
D’une amante qui veut un dieu pour son étreinte, 
Qui pour sa passion folle et jamais éteinte 
Cherche plus que l’amour humain et que la vie, 

Le cri d’horreur, le cri mental, le cri charnel 
D’une qui hait la terre et r furieusement, 

Menant son cœur lassé vers l’impassible Aimant, 
Pleure, les bras tordus parle doute éternel. 


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I 


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Pourquoi, toi qui viens au miroir à ma rencontre, 

Qui te revêts de noir comme d’un deuil d’ennui, 
Pourquoi toi qui viens au miroir à ma rencontre, 
Pourquoi, triste avec tes grands yeux remplis de nuit 
Et ta bouche enfantine close, trop bien close, 

Sans rire adolescent qui pouffe malgré lui, 

Pourquoi, triste avec tes grands yeux remplis de nuit 
Venir à moi muette et le front si morose? 

Si jeune!.. Te faut-il pour consoler ton mal 
Un bouquet? Un bijou d’enfant qui te décore ? 
k Si jeune !.. Te faut-il pour consoler ton mal 

Un jeu, toi que le jeu doit faire rire encore, 

Que, presque, bercerait le geste maternel, 

Qui ne dois pas savoir, bouche en fleur, yeux d’aurore ? 
Un bouquet, un bijou d’enfant qui te décore, 

Est-ce là ce qu’il faut à ce deuil solennel ? 


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120 


OCCIDENT 


...Ah ! dis-Ieque ta bouche est fleur empoisonnée 
Pour avoir déjà ri gouaille et cruauté ; 

Ah ! dis-le que ta bouche est fleur empoisonnée ! 

Toi qu’on juge espérance et puérilité, 

Dis-le que tes grands yeux étonnés ne s’étonnent 
Plus de rien pour avoir trop vu l’humanité ; 

Toi qu’on juge espérance et puérilité, 

Dis, dis, ah ! dis tes mains dans le noir qui tâtonnent ! 

Dis que ton deuil est deuil de tout ce qui n’est plus, 
Espoir, illusion, candeur, charme de vivre. 

Dis que ton deuil est deuil de tout ce qui n’est plus ! 
Toujours en mains, jamais fermé, toujours ce livre, 
Dis qu’il est un dernier asile au cœur très vieux 
Attendant en lisant que la mort le délivre, 

Toujours en mains, jamais fermé, toujours ce livre . 
Où se penche ton front lourd de jeunes cheveux ! 


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A QUELQU’UNE 


Si vous aimez encore une petite âme 
• Que vous avez eue en mains au temps passé, 
Qui n’était alors qu’un embryon de femme 
Mais dont le regard était déjà lassé, 

Si vous aimez encore une petite âme, 


Laissez-la quelquefois revenir encor 
A vous, que charmaient ses yeux mélancoliques. 
Vous vouliez, songeant déjà sa bonne mort 
La refaçonner dans vos doigts catholiques, 
Laissez-la quelquefois revenir encor. 

7 . 


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122 


OCCIDENT 


Elle n’est pas devenue une chrétienne, 

Elle est même à présent, comme qui dirait, 
Sans foi, ni loi, ni joie, une âme païenne 
Des temps de décadence où tout s'effondrait. 
Elle n’est pas devenue une chrétienne. 


Sa fantaisie a la bride sur le cou. 

C’est un bel hippogriffe qu’elle chevauche, 
Qui de terre en ciel la promène partout 
Sans plus s’arrêter au bien qu’à la débauche. 
Sa fantaisie a la bride sur le cou. 


Elle a l’œil triste et la bouche taciturne 
Et quoique parfois ses essors soient très beaux, 
Comme elle a bu-le temps présent à pleine urne, 
Elle se meurt de spleen, lambeaux par lambeaux. 
Elle a l’œil triste et la bouche taciturne. • 


Son dos jeune a le poids du siècle à porter 
Gomme une mauvaise croix, sans cœur d’apôtre 
Et sans assomption future à monter. 

Voilà ce qu’elle est devenue et rien d’autre. 

Son dos jeune a le poids du siècle à porter.. 


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PAROLES 


123 


Mais le souvenir parmi d’autres lui reste 
De vos mains qui la soignaient comme une fleur; 
Et si vous vouliez lui rendre votre geste, 

Elle pleurerait son mal sur votre cœur, 

Car le souvenir parmi d’autres lui reste. 

Laissez-la quelquefois revenir encor 
A vous que charmaient ses yeux mélancoliques. 
Vous vouliez, songeant déjà sa bonne mort 
La refaçonner dans vos doigts catholiques, 
Laissez-la quelquefois revenir encor. 


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POUR PLUSIEURS ABOLIS 


Des midis d’ombre et d’or aux crépuscules roses, 

De la gaieté de l’aube à l’horreur de la nuit, 

Au cours des jours passés où traîna mon ennui, 

J’ai donné mon cœur vierge à la beauté des choses. 


J’ai crié mon amour aux paysages fous, 

Au vent paroxysmal, aux fureurs des marées, 
Et je l’ai dit tout bas aux placides soirées 
Dont la sérénité fait plier les genoux. 


Mon cœur s’est répandu sur la splendeur des villes, 
Mon cœur s’est répandu sur les livres ouverts ; 

Les sciences, les arts, la musique, les vers 
L'ont pris et l’ont repris dans leurs trames subtiles ; 


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PAROLES 


125 


Des voix l’ont pris; il s’est noyé parmi les eaux 
Troublantes qui stagnaient en d’étranges prunelles, 

Et le contour du marbre ou des lignes charnelles 
Et l’âme des parfums l’ont eu dans leurs réseaux. 

Si tu le veux, mon cœur, cherche-le parmi l’œuvre 
Multiple que créa sur terre la Beauté, 

Dans sa toute-puissance et sa subtilité, 

Et qui par mille bras me tient comme une pieuvre... 

Ou plutôt, si tu veux ce cœur toujours fermé, 

Au lieu de le chercher parmi tout ce que j’aime, 

Toi que je n’aime pas, sois la Beauté toi-même, 

Sois le dieu ! tu seras aussi le bien-aimé. 


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POUR UNE 


Le désir des amants hante les solitudes 

Où se complaît ton rêve impossible et hautain, 

Avide de capter ainsi qu’un aigle atteint 
Ton grand cœur désailé tombé des altitudes. 

Dans ta grâce rythmique et dans ta volupté 

Ils détestent la route isolée où tu rôdes 

Sans que tiennent leurs doigts tes mains mateset chaudes, 

Sans que fasse leur force escorte à la beauté. 

Ils regrettent ta joue offerte toute nue 
Comme une pêche ronde où rosit le duvet, 

Cette bouche d’enfant dont leur baiser rêvait 
Et qui ne leur tend point sa belle fleur charnue. 


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PAROLES 


127 


Ils regrettent tes yeux qui brûlent le regard 
Loin d’eux sous l’écrin lourd de tes paupières moites, 
Ton geste absent du leur, tes inflexions coites 
Et tes poses vivant leur souplesse à l’écart... 

Ah ! pourquoi ta ,fraîcheur, puisque tu te dérobes 
Dans ta haute pensée et ton mal soucieux, 

Et pourquoi, sur ce cœur sombre et sentencieux, 

Ces seins vivants claustrés aux plis prudes des robes? 


Pourquoi ces cheveux fous où tout l’automne dort, 
Ces bras tièdes berceurs de tendresses nocturnes, 
Ces hanches où revit la courbe ample des urnes, 
Tant de jeunesse prête à l’amour jeune et fort, 

Puisque, te reniant en ta chair tentatrice, ; 

Le mépris de la vie humaine et de sa loi 
Te fait vivre déjàcomme un fantôme froid 
Avant que n’ait sonné l’heure libératrice ? , 


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OFFERTOIRE 


Je donne ce qui reste en moi grave et pudique 
Malgré tout mon péché de pensée et de chair, 
Le cœur pieux, le cœur chaste et mélancoliquo 
Qui prie à travers ma gouaille au rire amer, 

Je donne ce cœur-là, cette chair-là, ces choses 
Dont j’ai fait en moi un spécial encensoir 
A toute la mer, à tous les couchants, aux roses, 
Aux clairs de lune bleus dont ruisselle le soir, 
A toutes ces splendeurs vivantes de la terre 
En qui pâme de joie mon âme solitaire. 


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A JAMAIS 


Les amants sont venus à moi pour m’adorer 
Et j’ai cru que chacun allait être mon rêve 
Et que j’allais enfin connaître l’heure brève 
Où vibrer tout entière et prier et pleurer. 

Mais, hélas ! les amants n’ont pas compris mon âme 
Et j’ai vu choir tous leurs prestiges tour à tour. 

Ils n’ont pas su m’aimer, ils n’ont pas su l’amour, 
Ils n’ont pas su l’amante, ils n’ont pas su la femme. 

Et je les ai punis de n’avoir pas compris : 

J’ai détourné loin d’eux ma bouche et mes caresses, 
Je les ai déchirés dans mes mains vengeresses, 

Je les ai chassés tous, sanglants et plus épris. 


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130 


OCCIDENT 


Et je veux demeurer de chair et d’àme vierge ; 
Et les amants viendront à moi pour m’adorer ; 
Mais implacablement je les ferai pleurer 
Et s’en aller, vaincus, de ma hautaine berge. 


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LE MASQUE 


Mon temps, mon temps, pourquoi 
Ai-je absorbé ton âme immense jusqu’aux moelles 
Avec toute sa boue et toutes ses étoiles ? 

Je souffre dans j&m sens 
Où croit avec le lys de mon plus chaste songe 
Une fleur de mauvais désir et de mensonge ; 

En l’àpre cruauté 

Qui rugit dans mon cœur comme un tigre des jungles 

Pendant que ma pitié hait le sang de mes ongles ; 

* 

En l’égoïsme fou 

Qui fait indifférents tous les maux hors ma peine 
Quand ruissellent mes yeux sur la misère humaine ; 


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132 


OCCIDENT 


En le lâche abandon 

Qui me fait par la vie indécise et flottante 
Alors que mon sang bout d’audace militante ; 

J’ai peur de moi, j’ai peur 

Que les autres ne voient vivre en mon regard trouble 
Le disparate affreux de ma nature double, 

Et je veux recouvrir 

Le drame insoupçonné de cette horreur intime 
D’hypocrisie ainsi que d’un masque de mime, 

Pour qu’ils ignorent tous 
Si mon cœur vrai sanglote ou rit sous la grimace 
Factice qui toujours me cachera la face, 

Car je redoute autant, 

Tous deux devant blesser quelque chose en mon âme, 

Le regard qui m’approuve et celui qui me blâme. 


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TENTATIVES 


Qui me donnerait l’abrutissement ? 

Je rêve des coussins de mollesse où s’étale, 

Fardée aux quatre coins, la chair orientale ; 

Je suis de l’œil, les poings aux hanches, gorge lâche, 
Gros rire, une gothon qui va traire sa vache ; 

Voici le pot qui bout, le timbre qui dégoise, 

Une province, une cuisine, une bourgeoise ; 

Voici, dans la tiédeur d’une intimité fine, 

La dolente qu’endort sa morbide morphine ; 

Voici les fronts blafards forgés aux mêmes moules, 
Lourdsde discours pâteux aux dents desfemmes saoules ; 


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134 


OCCIDENT 


Voici le geste en croix, la faim qui débilite, 
Le silence, l’orante en deuil, la carmélite ; 

Voici l’amante aussi, déchirée et têtue, 

Qui s’agrippe à l’amour disparu qui la tue... 

Ah qui me donnerait l’abrutissement, 
Qui me donnera l’abrutissement ? 


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SCHOLA 'CANTORU^t 


A ma sœur Georgina. 


Je demeurerai tête basse et doigts joints 

A te recueillir en mon cœur solitaire 

Et qui souffre et qui se meurt du terre à terre, 

O toi par qui les fronts se sentent comme oints, 

Béatifiante musique chrétienne 
Mariée aux rouges et bleus des vitraux 
Et qui fais revivre en tes bas et hauts 
La si séculaire âme grégorienne. 

Ton charme hypnotique endort au fond de nous 
Ce qui s’y hérisse en chagrin, vice ou haine, 
Comme un mauvais Satil sous la harpe amène 
Et fait tomber notre orgueil à deux genoux. 


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136 


OCCIDENT 


Et nous oublions tout ce qui nous attaque 
Et notre fatigante.lutte en,champ clos 
Et nos secrets et nos peurs et nos sanglots 
Au rythme de ta voix paradisiaque... 

Ah ! viens me faire croire à l’éternité ! 
Pénètre jusqu'à ce cœur par cette ouïe 
Pour lui verser, ô toi ! source de Samarie, 
Un peu de ta fraîcheur et de ta pureté ! 



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Grand ange désailé qui rôdes dans la vie, 

Ame, mon âme ! 

Violon sans archet, triste barque sans rame, 

Ame, ô mon âme inassouvie ! 

Toi qui voudrais aller autre part qu’où te mène 
Mon impuissante chair humaine, 

O mon âme, âme trouble, âme en peine, 

Fardeau trop lourd comment te laisser en arrière 
Puisque la route est longue à suivre ? 
Comment t’assassiner, monstrueuse chimère, 
Puisque tu m’empéches de vivre ?... 


8 


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REQUIEM 


Requiescat sur toi, mon enfance morte. 

Je t’ai couverte de mes pleurs 
Et de mes fleurs 

Comme fait au petit que la fièvre emporte 
Quelque mère au cœur percé des sept douleurs. 

Repose en paix, ô petite silhouette 

Mourante avec seuls deux grands yeux 
Très malheureux 

Ouverts dans ta pâleur candide et fluette 
Pour qui tout était terrible ou merveilleux. 

Petite âme ne comprenant rien aux choses, 
Voyant la vie ainsi qu’un vrai conte bleu, 
Simplette un peu, 

Faible de son enfance et de ses chloroses, 

Mais couvant déjà ses songes comme un feu, 


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PAROLES 


139 


Ouvrant ces deux grands iris visionnaires 
Sur des rêves si fous, si beaux d’ombre et d’or 
Dans un tel décor ! 

Puis jamais du goût de ces pensionnaires 
Godiches, mais naïve, humble plus encor. 

Petite âme se sentant comme à la gêne 
Avec déjà, 6 mes peurs ! de la terreur. 

Sans âme sœur, 

En défiance d’on ne sait quelle haine, 

Avec surtout cette terreur plein le cœur... 

Requiescat sur toi, petit mausolée 
Que j’élève aujourd’hui dans mon cœur lassé 
In pace! 

Puissé-je sur ma jeunesse désolée, 

Un jour, en bâtir un pur comme ce passé ! 


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L AME DES RUES 



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PLAGES 

A M lu Marie Bengesco . 


i. 

J’aime que sur la place où traîne le couchant - 
Monte, parmi le bruit des foules, le doux chant 
Des eaux claires sonnant au bronze des fontaines 
Et que, centre au rempart des églises hautaines,. 
Dont le fleuve en passant fait ruisseler le seuil, 

Et des lourds monuments et des arches d’orgueil, 

L’obélisque fluet s’érige sous l’égide 

Des huit villes siégeant dans leur robe rigid,e. 

Qui, sur le crépuscule où meurent les contours,. 
Profilent en vigueur leurs chefs coiffés de tours; 

Et qu’auprès, scintillant comme un ballet d’étoiles, 
Tournoie en titubant, névrosé jusqu’aux moelles, 
Génial, amer, gai, charmant, terrible, gris, 

Le grand léviathan écaillé d’or, Paris! 


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144 


OCCIDENT 


II 


L’ample courbe des arcs de triomphe anguleux 
Dont les ornements durs crèvent le ciel houleux, 
Encadre le couchant qui monte et qui flamboie 
Au loin comme un énorme et muet feu de joie, 

Fond pur où les troncs noirs détachent leurs profils 
Avec tous leurs rameaux fluets comme des fils, 
Atmosphère dorée où s’élancent les flèches 
Des clochers et que boit la pierre à pleines brèches, 

Où les carreaux de vitre et la clarté des eaux 
Redisent la splendeur du ciel, où les oiseaux 
Laissent, portant aux nids leur butin minuscule, 

Au travers de leur vol passer le crépuscule... 

O pureté des cieux! ôsilence! ô douceur! 

Immense calme où peut se retremper le cœur, 
Mourir la chair, l’esprit revenir à la règle 
Et l’âme déployer son envergure d’aigle ! 


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REFLETS 


Je t'ai dans mes regards, la ville! ample grisaille 
Que j’ai vue, accoudée aux ponts monumentaux, 
Les soirs que mon cœur las de n’étre rien qui vaille 
Pesait tant vers l’horreur tentatrice des eaux. 

Mes iris sont encor large ouverts sur ton fleuve 
Qui noyait, renversés, trop d’édifices lourds, 

Où, fantôme ambigu traînant des deuils de veuve, 
Je me savais passer lentement à rebours, 

Parmi tes tours d’orgueil et tes arches famées, 
Alors que le couchant éclos comme un matin 
Ne flambait plus le ciel factice des fumées, 

Calmé dans les douceurs d’un crépuscule éteint ; 


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146 


OCCIDENT 


Alors qu’en gouttes d’or tombant une par une, 

Dardant la vie étrange et sourde des reflets, 

De toutes ses lueurs pleurait ta masse brune 
A même l’eau profonde et ses remous muets 

Et qu’en étirements de lumière mouillée, 

Grouillement d'astres morts tristement submergés. 

Flore d’algues de feu fictive et détaillée, 

Spirales de phosphore aux rythmes dérangés, 

Ainsi cette harmonie animale et qui bouge 
Luisait et redoublait lorsque, crevant les eaux, 

Traînant leur chevelure en flamme, verte et rouge, 

Dans un flot de clartés s’avançaient des bateaux, * 


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GRISAILLE 


Le ciel gris au vent court s’effilocher 
A la pointe des clochers. 

Les arbres transis font leur triste roue 
Sur les trottoirs gras de boue. 

Que le mauvais temps pèse lourd aux cœurs 
Qui promènent des rancœurs! 

Oh ! marcher sans but ! Oh ! marcher quand houle 
L’hiver terne sur la foule. 

Seul, bâillant sa peine aux nuages fous 
Qui s’en vont on ne sait où!... 


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BROUILLARD 


Lorsque, brume d’hiver, ô brume qui t’étales 
Sur la ville et ses silhouettes colossales, 

La vie en toi est un fantôme qui s’enfuit, 

Que perdent les clochers leur pointe dans ta nuit 
Où, sans pourpre, un couchant invisible défaille, 

Sur le fleuve apparaît, joyau de ta grisaille, 

La lanterne subite, unique d’un bateau, 

Laquelle, entre le ciel triste et l’horreur de l’eau, 
Tout à coup pique aux yeux son étrange point rouge 
Qui bouge. 


/ 


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SILHOUETTE 


Pour qu’encore la Ville offre le divin Gœur 
En expiation de son immense faute, 

Haut de sa place et haut d’architecture haute, 
Comme un défi de pierre au blasphème moqueur, 
Montmartre dresse au ciel son profil catholique... 

Noyé déjà du gris des évocations 
Pour avoir exhaussé son désir ironique 
De monter sur ce siècle-ci ses factions ; 

Cerné d’humanité qui se plie et replie, 
Montmartre! et son « sursum corda » perpétuel, 
Que contredit l’horreur de la rue en folie, 
Montmartre! encens et carillons! Ce rituel 
Au cœur des carrefours que la ville échelonne! 
Montmartre... Cet espoir sur cette Babylone! 


9 


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BRUME 


Le givre sculpte, issu de l’arrière-saison, 

Les arbres du trottoir grêles de frondaison 
Effeuillée. 

Dans la brume, un flonflon mille fois répété 
D’orgue de Barbarie, égrène sa gaieté 
Éraillée. 

Oh! le geste tremblant de froid et dont, sans fin, 
L’être caché qui joue ainsi berce la faim 
Qui le serre ! 

Voix dans la brume, voix que l’on n’écoute pas, 
Dans laquelle sanglote en quadrilles, là-bas, 

La misère... 


V 


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MARDI GRAS 


Le Mardi gras passant, falot comme un fantoche, 
Met son faux-nez à l’huis, fait briller ses galons, 
Siffle un air, et chacun, sautant sur ses talons, 
Bâille ët s'éveille avec une âme de gavroche. 

Enflons de confetti quelque énorme sacoche; 

Le labeur de demain paiera les violons ; 

Pendant trois jours entiers, vive la vie! allons 
Déambuler avec la bonne humeur en poche ! 

Les masques ont au bras les dominos fleuris 
Et, sur l’arlequinade immense qu’est Paris, 

Une neige en papier tombe, multicolore. 

Cependant qu’imitant quelque souffle estival 
Les serpentins fluets, comme une étrange flore, 
Font aux arbres d’hiver flotter le carnaval. 


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VISION 


Visages où reluit l’œil assommé de noir 
Dans le blême du fard piqué de fausses mouches 
Et que barre le rouge exaspéré des bouches. 

Elles traînent à deux dans l’ombre d’un trottoir. 

Elles vont avec un canaille nonchaloir 
Et le parler trop près des intimités louches ; 

Et des plumes de coq, silhouettes farouches, 

Sur leurs chapeaux baissés tremblent au vent du soir.. 

Et, cependant qu’au loin ces figures de vice 
Bras dessus, bras dessous, font l’agent de service 
Cligner un regard dur sous un sourcil matois. 

Une procession d’étoiles, aux cieux vastes 
S’égrène par delà l’océan fou des toits 
Pour les rêves émus et les prunelles chastes... 


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SPECTRES... 


Le fantôme de notre désir 
A noyé dans les eaux fluviales 
Combien de fois ! son corps sans plaisir, 
Son cœur gros de peines capitales, 

Las de les compter et ressasser, 

Sa tête lourde de trop penser? 

Que de cadavres imaginaires 
Flottent entre les quais surchargés 
En qui nous nous voyons, submergés, 
Dormir le repos à deux paupières 
D’un front libre de ton poids ôté, 
Fatigante personnalité ! 


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COUP D’ŒIL 


J’ai regardé la ville au loin de tous mes yeux, 
Lourde de dômes roûds, lourde d’arcs orgueilleux, 
Légère de son trop de flèches, 

Crever le couchant rouge avec ses pointes sèches. 

De la pierre!... Le.fleuve en passant sous les ponts 
Redisait cette pierre en ses fonds et tréfonds, 

Ah ! de la pierre, ah ! de la pierre! 

Toute ta pierre, étau géant et tumulaire, 

Tombale ville, étau des rêves qui s’enfuient 
Dans les couchants avec les regards qui s’ennuient 
Des enfances mélancoliques, 

Songeant des jardins verts sous des ciels bucoliques 


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RONDELS 

A ma mère. 


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LES OMBELLES 


Le vent balance les ombelles 

i 

En de petits saluts exquis. 
Blanches comme autant de marqui 
Elles meuvent leurs ribambelles. 

Un bourdon, sur chacune d’elles. 
Se prélasse en pays conquis. 

Le vent balance les ombelles 
En de petits saluts exquis. 

Avec un doux battement d’ailes. 
Pour visiter leur fin maquis, 

Les papillqns bleus sont requis. . 
Toutes rondes et toutes belles, 

Le vent balance les ombelles. 



LES CRABES 


Avec leurs pinces en avant, 

Trois crabes sortent d’une flaque. 
La vase luit comme une laque 
Dans l’éclat rose du Levant. 

Un gros galet fait paravent 
Sous le goémon qui le plaque ; 
Avec leurs pinces en avant. 

Trois crabes sortent d’une flaque. 

Et, tachant de sable mouvant 
Leur carapace âpre qui claque, 

Us vont vers un autre cloaque, 
Humides, boueux et rêvant 
Avec leurs pinces en avant. 


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LES PAPILLONS DE NUIT 


Chacun renaît au crépuscule, 

L’aile terne et le ventre roux ; - 
Et, dans le vent qui les bouscule, 

Ils sortent sans bruit des vieux trous. 

Leur quadrille va, vient, recule, • 
S’accroche à la haie en courroux. 
Chacun renaît au crépuscule. 

L’aile terne et le ventre roux ; 

Et, lorsque le soleil bascule 
Et meurt derrière les grands houx, 
Lourd, à l’heure des loups-garous, 
Comme un revenant minuscule. 
Chacun renaît au crépuscule. 


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LE COCHON D’INDE 


Aussi gentil qu’un bibelot, 

Le cochon d’Inde erre et trottine, 
Entre un vieux débris de tartine 
Et quatre épluchures pour lot. 

On le décore d’un grelot, 

Un revers de main le satine ; 
Aussi gentil qu’un bibelot, 

Le cochon d’Inde erre et trottine. 

On rit de son menu galop 
Et de voir, lorsqu’il se mutine, 
Son œil en bouton de bottine 
Luire dans son minois falot, 
Aussi gentil qu’un bibelot, 


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^ ■ - yja. 



LES PETITS SOULIERS 


Les petits souliers longs d’un pouce, 
Pleins de joujoux, rangés en rond, 
Bâillent dans l’âtre où se trémousse 
Le criquet au menu ronron. 

Oh ! la curieuse frimousse 
Des bébés qui découvriront 
Les petits souliers longs d’un pouce 
Pleins de joujoux, rangés en rond t 

Pour ceux que le temps chasse et pousse, 
Les noëls aussi reviendront ; 

Mais jamais plus ne chausseront 
— Le cœur baigné de candeur douce — 
Les petits souliers longs d’un pouce... 


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LES HIBOUX 


Quand Minuit lentement tocsine, 

Les hiboux, ouvrant leurs yeux ronds, 
S’élancent du sein des vieux troncs 
Vers la lune qui les fascine. 

Avec leur sanglot qui lancine 
Ils nous rendraient presque poltrons, 
Quand Minuit lentement tocsine 
Les hiboux ouvrant leurs yeux ronds ! 

Mais aux heures où se dessine 
Un rêve de mort sous les fronts, 

Qu’on aime entendre aux environs 
Ce cri d’enfant qu’on assassine, 

Quand Minuit lentement tocsine ! 


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LES BOURDONS 


Les bourdons meurent dans’les fleurs 
Aux mignonnes architectures, 

Pour jusqu’aux époques futures 
Où les raniment les chaleurs. 

Oh ! combien ces petits voleurs 
Eurent sur elles d’aventures! 

Les bourdons meurent dans les fleurs 
Aux mignonnes architectures. 

Et voici que les vents frôleurs . 
Bercent ces frêles sépultures 
Et que, glissant aux ouvertures, 

La rosée y verse des pleurs... 

Les bourdons meurent dans les fleurs* 


I 

1 


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LES SOURIS 


La pendule bat comme un cœur 
Dans son armature de cuivre, 

Seul bruit le soir quand je me livre 
Au travail, du somme vainqueur. 

Vers de joie ou vers de rancœur. 
Rythmant la strophe qui m’enivre, 
La pendule bal comme un cœur 
Dans son armature de cuivre. 

Et, tandis que viennent en chœur ■ 
Les souris grises se poursuivre 
Et danser autour de mon livre 
Leur ballet muet et moqueur, 

La pendule bat comme un cœur; 


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LES CHANSONS D’AUTREFOIS 


Les chansons d’autrefois, mineures et gentilles, 
Longuement, tristement, chantent près des berceaux 
Ouatés et tout ronds comme des nids d’oiseaux, 

Pour les petits garçons et les petites filles. 

Voix rauque de l’aïeule où tremblotent les trilles. 

Voix pure de la mère où jasent des ruisseaux, 

Les chansons d’autrefois, mineures et gentilles. 
Longuement, tristement, chantent près des berceaux. 

Sous les doigts patients, sous les lentes chevilles 
Qui les meuvent ainsi que le flot ses vaisseaux. 

Ils dorment, ignorant la vie et ses assauts, 

Les petits pour qui sont — dorures ou guenilles — 

Les chansons d’autrefois mineures et gentilles. 


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L’ENCENSOIR 


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HÉROICA 


O belle ! je voudrais comme quelqué Athéné 
Te voir surgir du fond de mes rimes guerrières, 
Tout l’être d’un atour héroïque adorné. 

Car il siérait fort bien à tes grandes manières, 

A ce port belliqueux que fuient les nonchaloirs 
De vêtir l’appareil des époques premières ; 

Car nul chef, redressé pour de rudes vouloirs, 

Ne te vaudrait coiffant du casque des batailles 
Le casque ténébreux de tes longs cheveux noirs ; 

Car ton torse vivrait à l’aise dans les mailles 
De la cotte moulant la gloire de tes seins - • 
Parmi le chatoiement poissonneux des écailles; 


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170 


Car Umt est «t<fe ceux qui pourraient être ceints 

PSaar le quadruple tour des colliers de Palmyre 

Que, sans ployer, portait la reine aux grands desseins ; 

Car enfin, comme au temps que notre rêve admire, 

Au front de quelque horde op te voit aisément 
Étinceler ainsi qu’un vivant point de mire. 


Ah ! pendant qu’attiré comme par un aimant 
Mon regard obstiné te suit et te contemple. 

Laisse mon fol esprit s’abuser ün'moméntl / ’ ’ 

Laisse-moi remplir l’air avec ton appel ample 
Menant tes escadrons aux sauvages refrains 
Vers la destruction de la ville et du temple ; 

Laisse-moi, cependant que se cambrent tes reins, ) 
Mêler le cliquetis de tes armes brandies * 

Au choc des joyaux lourds sortis ie tes éerins; - 


J’allume tes yeux noirs au feu des incendies, 
J’étale la blancheur férocé de tes dents 
Dans un rire annonçant de proches tragédies, 


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l’encensoir 


171 


Je mets derrière toi des horizons ardents, 
Devant toi le butin qu’indique ton grand geste 
A qui répond le chœur de mille cris stridents, 

Pour, parmi ce décor fictif de plaine agreste 
Que foulent au galop les pieds des étalons 
A la suite desquels nulle moisson ne reste, 

Terrible, frémissant detenuque aux talons, 

La poigne exaspérée au mancbe de l’épée, . 

La course déployant au vent tes cheveux longs, 

Animer de toi seule une immense épopée ! 



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BUSTE 


Ce marbre dormait, brut, depuis l’antiquité 
Et les temps étaient loin des dieux et des érèbes, 
Qu’il attendait encore, enfoui dans les glèbes, 
Qu’un maître en fit jaillir quelque divinité. 

Et les siècles, passant sur lui, l’ont respecté 
Afin qu’un jour, livrée à l’amour des éphèbes, 

Des mûrs et des vieillards et dominant les plèbes, 
L’art y pétrifiât pour toujours ta beauté. 

Et le temps qui détruit la splendeur des visages 
Peut, sur ton effigie, entasser tous ses âges : 

De même que la gloire au socle des héros 

L’hommage ira toujours, ainsi qu’une corolle 
Fleurir et caresser cette chair de Paros 
Où demeure à jamais ton sourire d’idole. 


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HOMMAGE 


Magistrale Sarah, tu passés et repasses 

Sous nos regards ainsi qu’un paon 
Que suit, en imitant les écrins et les châsses, 
La traîne énorme qu’il répand. 


Et la chère personne en notre esprit perplexe 
Jette trouble et charme à la fois, 

Car nous y percevons celte essence complexe 
Que met en musique ta voix, 


Laquelle fait rêver reliquaire et musée, 
La Madone et Sammouramit, 
L’idole égyptienne et l’affiche irisée 

Où tant, l’art moderne te mit, 


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174 


OCCIDENT 


Qui mêle la classique à l’actuelle idée, 

Qui fait en toi s’épanouir 
La symétrique acanthe et la folle orchidée 
Et le tout pour nous éblouir. 


Muse, hétaïra, reine, amante, sphinge, guivre 
Vers qui vont les désirs-humains ; 
Féminine présence en qui viennent revivre 
Tous les cortèges féminins ; 


Réincarnation des époques finies, 

Spectre de Celles qui. seront, ; 

Aube et couchant, espoirs et pâles agonies, ' 

Clartés.et tristesses du front, ' . ' 

O Sarah ! dont la voix a le timbre des lyres, 

En toi, prestige de nos yeux, 

Nous voyons et touchons tout ce qu’en ses délires 
Notre songe inventa de mieux. 


Car Sarah c’est vraiment un monde qui palpite, 
Tout un monde de rêve èt d’art 
Dont l’âme, vérité toujours unie au mythe, 

Vit au gouffre de son regard ; 


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l’encensoir 


175 


Sarah, c’est celle dont, sans fin, le geste sème 
De frais calices ignorés 

Et Rythme, Son,. Couleur, de son style suprême 
Naissent tels que des lys dorés, 


De ce style sorti de ses cordes profondes, 

Qui vit jusqu’au bout de ses doigts, 

Qui marche dans son pas, flambe à ses boucles blondes 
Et tremble aux noies de sa voix ; 


De ce style imposant ses rituels étranges 
Du vêtement jusqu’au décor, 

Réglant tout, le parfum, les bagues des phalanges, 
Le fard, l’ampleur des colliers d’or. 


Sarah, c’est celle qui, dans une vie unique, 
En vécut dix en même temps, 
Comme si la jeunesse aux plis de sa tunique 
Ramenait toujours le printemps ; 


C’est celle qui sut prendre à l’existence humaine 
Ce qu’elle contient d’idéal, 

Dans le banal jardin où le destin nous mène 
Cueillir un bouquet triomphal ; 


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176 


OCCIDENT 


C’est celle qui connut le fond de toute gloire 
De tout amour, pieux ou fou, 

Celle qui prit la coupe où tant ne peuvent boire 
Et qui la vida jusqu’au bout. 


Sarah c’est toi, Sarah ! puissante génitrice 
Autour de qui naissent toujours 
Créés par tes beaux yeux de Muse inspiratrice 
Tous les talents, tous les amours ; 

C’est toi Figure, toi Silhouette, ô Camée ! 

Toi qui donnes et qui reçois, 

Toi qui, modèle, artiste, aimant bien, bien aimée, 
Idole et prêtresse à la fois, 


Sais faire, aux yeux ravis de la foule anonyme, 

Mimant, vivant, vivant, mimant, ' 
Ruisseler ton vrai cœur sur ton masque de mime, 
Réellement, fictivement. 


C’est toi qui sens le dieu vivre au fond de ton âme, 
Mais pour achever ta beauté 
C’est aussi toi qu’auguste et sage et douce, ô femme! 
Consacra la maternité. 


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l’encensoir 


177 


Et toute ainsi de rêve et de réel ; croyante 
A tout culte donnant ta foi, 
Royale tu t’en vas par cette terre où chante 
Tout ce qui peut chanter en toi. 

* 

Et tu demeureras à jamais inouïe 
Comme joue à joue à côté 
De ce que cisela la triste humanité 

En masques d’art et de génie. 


10. 


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A UNE- 


Proie un soir de mon rêve, ô ma pâleur, ma brune, 

Ma grande ! Je me veux encor dans des demains 
Le coude à tes genoux rejoints pour, une à une, 
Compter à tes dix doigts les bagues de tes mains 
Dont les chatons changeants couvent des clairs de lune. 
Ta robe d’or pompeuse et lourde de son tour 
Fleurira largement ses corolles d’étoffe 
Et ton chef balanceur de strophe et d’antistrophe 
Secouera ta coiffure haute comme une tour; 

Et tu te lèveras aussi parmi la foule 
Banale, tout à moi qui seule comprendrai, 

Avec ton regard noir hautainement filtré 
Sur cette foule, et lourd du mépris de sa houle. 

Tu parleras avec le souffle de ton cœur, 

Et de ton art à fleur de tes lèvres, à fleur 


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l'encensoir 


179 


De ta beauté, flûtant en mots de calme et d’ombre 
Et souriant un rire attendri de bonté, 

Et tremblant de tendresse et t'enflant d’àme sombre 
Comme un violoncelle où pleure un andanté, 

Et t’amplifiant plus en voix qui monte et gronde 
Et clame des vers gros d’appels et do fureurs 
Et hurle !... Et dans ton geste et cette voix profonde, 
Il y aura des cris de haine avant-coureurs ; 

La Liberté farouche agitant dans ses voltes 
A bout de bras, le grand drapeau fou des révoltes, 

La Marseillaise plein la poitrine ; et encor 
Il y aura Sapho brisant sa lyre d’or, 

Il y aura Carmen blême de tragédie 
Intime, les deux yeux dévorés d’incendie. 

Tout le sanglot, tout le sursaut, tous les frissons 
Et le vent furieux rebroussant les moissons 
Et des serpentements de sirène mêlée 
A la marée avec son geste large ouvert 
Frémissant jusqu’au .bout de la traîne étalée, 

Terrible et rauque en toi comme toute la mer ! 


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RONDEAU POUR SES MAINS 


Vos belles mains de race, aux lignes souveraines, 
Construites pour mener la vie à grandes rênes 
Et dont le geste noble et le rare contour 
Évoquent le vieux temps des dames à leur tour, 
Pourraient faire blêmir l’orgueil de bien des reines. 

Que le lourd chapelet y déroule ses graines, 

Qu’y mettent les chatons leurs reflets de murènes, 
Rien ne vaut, chapelet, bague, pompeux atour, 

Vos belles mains. 

Pour moi, que prit toujours le charme des sirènes. 
Je voudrais, respirant à l’ombre de vos traînes, 
Qu'une caresse au moins me payât de retour 
Lorsque dévotement je serre tour à tour, 

— Si pâles dans mes doigts et froidement sereines, 
Vos belles mains ! , 


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★ 


0 Dame ! Béatrix pour les versets de Dante, 

Belle à la bouche mince où dort le contralto 
Au geste pur drapant tes lignes d’un manteau 
Mais au charme pervers de Muse décadente ; 

O Dame, masque blême où brûlent tes grands yeux, 

O Dame’, fresque, affiche artiste, silhouette 
Au pas sans bruit à fleur de scène, ombre fluette 
Que fatigue le poids du chignon orgueilleux, 

Psalmodiant les vers étranges et les proses, 

Lève-toi devant nous comme un fantôme clair 
Et que ta voix d’or monte à tes lèvres décloses, 

Afin qu’en t’écoutant, droite et le doigt en l’air 
Toute pâle parmi la pâleur des écharpes, 

Noscœurs vibrent en nous comme un concert de harpes. 


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OPALES 


Dites, la chaîne d’or qu’entre vos doigts artistes 
Vous maniez et balancez, 

S’il y pend ces opales tristes 
Est-ce lorsque vos yeux sont laissés 
Baissés 

Pour quand même un rappel de vos prunelles chères 
Si claires ? 

Contre vous ces bijoux, où revit, croirait-on, 

Dans le très peu qu’est un chaton 
L’immense qu’est un crépuscule, 

Comme une goutte minuscule 
Bascule, 

Tremblent comme pour choir avec un point brûlant 
Au flanc. 


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l’encensoir 


183 


Et la lutte s'engage en reluisances vagues 
Entre elles et vos glauques bagues 
Et vos très fantasques iris 
Verts, gris, 

Ou bleus suivant l’instant ainsi que l’onde étrange 
Qui; change. 

Mais, lorsque le chagrin mouille votre regard 
Ou bien quelque émotion d’art, 

Quelle allusion saisissante ! 

- Chaque opale phosphorescente, 

Glissante, 

Figure l’un des pleurs que distillaient en eux 
Ces yeux. 

Et, presque, l’on voudrait tendre une main ouverte 
A la prunelle bleue et verte 
Quand les larmes vont y monter 
Pour à ses paumes emporter 
' Hâté, 

Un peu de ces beaux yeux verseurs, flambants et pâles, 
D’opales. 


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SONNET 


Parmi le carilllon tombeur de grosses notes. 
Monseigneur, apposez, plus blanche que du lait, 
La dextre où l’anneau met son éclair violet 
Sur les fronts puérils et les bouches dévotes. 

Notre bonne cité baisera votre anneau 
Et fera bel accueil et fera belle fête 
Au passant tout en or avec sa mitre en tête 
En qui revit un peu du divin chemineau. 

Car nous voyons en vous se mirer Son image, 

O Prince ! et si c’est là le plus sensible hommage 
Que nous sachions offrir à votre dignité, 

N’est*ce pas votre joie intime et principale 
Que puisse d'un revers la paume épiscopale, 
Oindre les fronts humains d’un peu de Sa bonté? 


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PETITS PIEDS 


Petits pieds andalous , 

Parmi l’intimité des fins dessous si flous 
Qu’emmène aux quatre points l’allure féminine 
Tout ce trotte-menu 

Qui dans le cuir luisant et dans le bas ténu 
Mord l’asphalte poudreux ou le pavé chenu, 
Flâne, court ou gamine ; 

Parmi l’intimité des fins dessous si flous, 

Petits pieds andalous ; 

• Petits pieds andalous 
Dans l’entrecroisement des faces et des loups 
Au bruit des carnavals et des bals, bruits de fêtes 
Pris comme en des sachets 
Au satin du soulier lourd de colifichets 
Valsant, sautant, tournant ainsi que des hochets, 

11 


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186 OCCIDENT 

Tournant comme les têtes ; 

Dans l’entrecroisement des faces et des loups, 

Petits pieds andalous ; 

Petits pieds andalous 

Faits pour être gardés parmi les doigts jaloux, 

Pieds juste à la mesure étreignante des paumes, 
Appeleurs de baisers, 

Chauds et vivants ainsi que des oiseaux posés, 

Jolis comme des mains d’être blancs et rosés; 

Dans la plume douillette et de précieux baumes 
Faits pour être gardés parmi des doigts jaloux. 

Petits pieds andalous ; 

Petits pieds andalous, 

Vous qui ne courez point où vont les guilledous, 

Je vous aime, petits petons d’honnête femme 
Parce qu’en vous s’affirme et s’achève l’attrait 
Tout ensemble discret 
Spirituel et fin qu’ainsi qu’un doux secret 
Garde dans tout son port celte perle : la Dame, 

Vous qui ne courez point où vont les guilledous, 

Petits pieds andalous ! 


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MYSTÉRIEUSEMENT 


La lenteur de tes pas que suivent les étoffes, 

Au sol jonché ramasse une à une des fleurs 
Et l’épode te montre au bout des antistrophes 
Droite et debout, drapant ta souplesse aux ampleurs 
De ta robe en qui meurt toute une gamme bleue 
Fraîche de tant de fleurs dans les plis de sa queue. 

Et les mille parfums doucement en allés 
De ces calices, vont à ta gorge plénière, 

Vont à la nudité de tes bras étalés 
S’unir à la senteur de ta chair printanière : 

Et le désir humain qui rôde tout autour 
De toi son rêve fou d’enlacement farouche 
Confie à chaque fleur le baiser d’une bouche 
Et dans chaque parfum met un aveu d’amour. 


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SALUT 


Hélène, je n’ai pas comme vous dans ma vie 
La Muse en noir des amours morts ; 

Jamais nulle hantise encor ne m’a suivie, 

Ni le regret, ni le remords ; 

Mon cœur est vierge en moi comme ma chair est vierge, 
Il ne porte aucun secret deuil, 

L’amour en passant frappe à cette tour d’orgueil 
Qui ne se livre ni n’héberge ; 

Si je hurle d'angoisse et clame de désir, 

C’est que l’existence est méchante, 

C’est, devant l’infini que l’on ne peut saisir, 

Que je suis toujours impuissante. 


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l’encensoir 


189 


Et mes rythmes n’étant pour aucun bien-aimé 
S’en vont vers la beauté des choses, 

Vers la mer, versles bois, vers les grands couchants roses 
En qui seuls vit mon cœur fermé; 

Et ma Muse nourrie à la même mamelle 
Ignorante du tendre émoi 
Marche violemment le même pas que moi 
Comme une farouche jumelle. 

Mais la virilité de ce souffle me fait 

Aimer justement la tendresse 
Le charme féminin, la douceur, la caresse 
Que contient votre œuvre à souhait 

Et comme au temps jadis s’inclinait jusqu’à terre 
Pour la dame le chevalier, 

Incliner devant vous ma tête volontaire 
Que l’amour ne sut point plier. 


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vtiéi 


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VESPÉRALES 


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VESPER 


Ce jour d’été qui ne finissait pas 
Sombre enfin dans un crépuscule magnifique, 

Ce jour d’été qui ne finissait pas. 

Viens ma camarade mélancolique, 

Mon âme ! Et hantons les campagnes pas à pas. 
Viens ma camarade mélancolique ! 

La crudité des matins et midis 
Eclaboussait de trop de soleil notre rêve, 

La crudité des matins et midis. 

Mais voici qu’une aube étrange se lève 
Au cœur de l’horizon où le soleil descend ; 

Mais voici qu’une aube étrange se lève ! 

Son jour est une allusion au sang ; 

C’est une pourpre douce et tiède qui nous baigne ; 
Son jour est une allusion au sang. 

11. 


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194 


OCCJDENT 


C’est de l’ombre qui s’étale et qui saigne, 

Où s’éveille le chœur de tous les lamentos ; 

C’est de l’ombre qui s’étale et qui saigne. 

Les revenants y traînent leurs manteaux, 

On y entend un frôlement de bêtes tristes ; 

Les revenants y traînent leurs manteaux. 

Oh ! les crapeaux et leurs goitres flûtistes 
Et les chats-huants y appelant au secours ! 

Oh ! les crapauds et leurs goitres flûtistes ! 

C’est le réveil des bizarres amours, 

Des sourds repentirs, des solitaires suicides, 

C’est le réveil des bizarres amours. 

L’aube inverse des rêveurs illucides 
Pleurant des chagrins faux avec des sanglots vrais, 
L’aube inverse des rêveurs illucides. 

Et nous, nous y crierons, qui tordons vers l’Après 
Dans un geste impuissant nos poignes déicides ; 

Et nous, nous y crierons, qui tordons vers l’Après 

Notre cœur gros d’angoisse et de mauvais secrets. 


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LES LITANIES DE LA LUNE 


A ma sœur Charlotte 


Pleine lune qui fais les beaux minuits d’argent, 
Glabre qu’aime le soir toute une pauvre gent, 

0 voyageuse taciturne! 

Rôdant sur la grisaille immense des cités 
Pour, face à face, y luire aux songeurs attristés 
Le front à leur vitre nocturne, 

Lune des parcs, des eaux, des fleurs, des chênes tors, 
Donne une illusion d’air libre et de dehors 
A ceux qui pleurent la campagne ; 

Viens, amante pâlotte au regard singulier, 

Côte à côte et sans bruit partager l’oreiller 

De ceux qui n’ont pas de compagne ; 


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196 


OCCIDENT 


Coiffe d’une couronne à flambloyants fleurons, 

Un instant arrêtée en ta fugue, les fronts 
Des stériles chercheurs de gloire; 

Sois une allusion aux galettes des rois 
Et la coupe de vin qui tremble dans lés doigts 
De ceux qui n’ont manger ni boire; 

Surgis dans ta pâleur de cap guillotiné 
Grimaçante d’horreur à l’œil halluciné 

De ceux qui rêvent de revanches; 

Vêts du voile de noce issu de ta clarté ' 

Celles qui n’auront pas leur part de volupté ; 

Et que tente la robe blanche; 

Jette aux vieilles beautés avides de butin 
Et si veuves! l’argent furtif et clandestin 
De tes taches capricieuses; 

Brille pour les petits apeurés dans leurs lits 
Et dont les rideaux ont des bêtes pleins leurs plis 
— Comme font les bonnes veilleuses; 

Puis, offre l’hostie aime et lumineuse à ceux 
Qui gardèrent l’espoir de paradis fameux 
Tout au fond de leur âme pie; 


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VESPÉRALES 


197 


Et lorsque, visitant ces veilleurs du désir 
Tu leur auras ainsi versé de ton plaisir 
A même la ville assoupie, 

O lune! garde encore un rayon pour le toit 
Où les cbats miauleurs ouvrant, clairs Comme toi, 
Leurs yeux ronds vers- ta plénitude 

Dans l’équilibre sûr de leur pas de velours 
Te prennent à témoin de leurs folles amours 
Et sanglotent leur lassitude. 


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ÉPITAPHE 


Ci-glt, sans trop s’y résigner, 
Une qui battit la campagne. 

Son noir cercueil fut le dernier 
De tous ses châteaux en Espagne. 

Et, dans ce logis exigu, 

Elle dort, toute jeune encore, 

Se reposant d’avoir vécu 
Pendant l’espace d’une aurore. 


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POUR D’AUCUNS 


A la chasse d’un espoir fou 
On ne sait où. 

Nos âmes! barques en allées, 
Barques ailées, 

Quand vous saisit l’orage errant 
Ou que vous prend 
L’ennui morne où l’effort expire 
Dans son gris pire, 

Nos âmes! Vous n’entrerez pas 
Ranger là-bas 
Parmi le vert des paysages 
Vos voiles sages, 


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OCCIDENT 


Aux hâvres des simplicités, 

Des piétés, 

Des résignations mûrées 
Loin des marées, 

Offrant, blancs de blanche bonté, 
Leur sûreté 

Sans que vos fatigues prodigues 
Hantent ces digues ; 

Car l’angoisse, hors les abris, 

Vers les temps gris, 

Vers l’orage glauque qui passe 
Toujours vous chasse, 

L’angoisse du désir dément 
L’attrait qui ment 

Du Large, O barques, troupe insane, 
Ames en panne! 


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PARFUM AIMÉ 


A ma sœur Alice . 


Parfum évocateur d’absents 
En qui l’étre bien loin qu’on appelle repasse 
Comme un fantôme plein de grâce 
Et noue reprend d’un coup notre esprit et nos sens, 

Parfum, d’une seule fleurée 
Redisant tout, regard, voix, geste, allure, pas, 

Et ce qui ne s’exprime pas 
Du charme qu’émanait sa personne adorée, 

Parfum, perle en laquelle tient 
Mieux encore que ce quelqu’un, son ambiance, 
Toute l’époque d’existence 
Qu’on y vécut, passé concentré qui revient, 


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202 


OCCIDENT 


Parfum, goutte sur la vêture, 

Tiédeur d’une présence, haleine d’un baiser, 

O toi qui sais nous abuser, 

Rends-nous pour un instant la chère créature, 

Parfum, bonheur qui te promets 
Aux cœurs heureux pour qui l’absence sera brève. 
Parfum, hélas! qui parachève 
Le lourd regret des cœurs séparés à jamais ! 


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Les beaux jours qui se meurent si lard 
Dans les couchants mélancoliques, 

Ah ! ces après-midi bucoliques 
Où nous traînons notre regard 
Et notre pas et notre geste 
Et notre contenance et le reste, 

La marionnette et tout son fard ! 

Les beaux jours qui se meurent si tard, 
Ces jours d’été, toute leur joie 
Est pour les purs et simples cœurs, 
Pour les croyances et les vigueurs ; 

Mais pas pour nous que l’angoisse noie, 
Mais pas pour nous que l’angoisse noie! 

... Et parce qu’en nous rien n’est pareil 
A cette fête du beau soleil, 

Lfr fleur si triste de nos névroses 
N’épousera jamais la chair fraîche des roses. 


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li , ' 


FREDON TRISTE 


Pour l’âme en panne point de rive 
Où l’on arrive ; 

Pour le cœur en deuil 
Point d’accueil. 

Il faut garder son âme tue 
Sombre et têtue 
Et son cœur trop gros 
De sanglots. 


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CRÉPUSCULE 


Ce soir, passant le long de la mer retirée 
Morne, avec un couchant pâle à son horizon 
Et des arbres fanés par l’arrière-saison 
Roux aux troncs noirs, tordus sur sa rive effondrée, 

En écoutant le bruit monotone et mineur 
Des eaux dans les cailloux, il m’est venu ce rêve 
De passer avec toi sur cette même grève 
Grave et le cœur serré par un vague bonheur. 

Je nous voulais marchant auprès des chansons bleues 
Du flot, les bras unis avec tous les reflets 
Du crépuscule aux yeux, et, parmi les galets, 
Traînant derrière nous nos deux robes à queues, 


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206 


occnrawr 


A pas lents, inclinant l’un vers l’autre nos fronts. 

Moi toute jeune encor, toi matrone hautaine, 

Et sentant, au travers de l’étoffe incertaine, 

Côte à côte nos cœurs battre dans nos girons. 

Et, regardant au sol marcher l’ombre jumelle 
De notre enlacement, pâle, devant la mer, 

Je t’aurais confié tout bas mon cœur amer 
Troublé, changeant, étrange, insondable comme elle. 


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BERCEUSE PUÉRILE 


A ma sœur Suzanne. 


Dormez, bébé ; la nuit est sombre. 
Voici rôder, passant dans l’ombre, 
Les grands loups au pelage noir. 
Avec leur voix étrange et forte 
Ils viendront crier à la porte, 

Si bébé ne dort pas ce soir. 

Dormez, bébé; le temps fait rage. 
Voici passer un grand orage, 

On l’entend tout là-bas gémir. 

Sur son aile le vent l’apporte, 

Il viendra secouer la porte 
Si bébé ne veut pas dormir. 


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208 


OCCIDENT 


Dormez, bébé ; l’ange vous veille. 
Quand l’enfant doucement sommeille 
Il lui dit sa chanson tout bas ; 

Mais il serait triste et, sur l'heure, 
S’envolerait de sa demeure, 

Si bébé ne s’endormait pas. 



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FREDONS 


Fredonnez, les deux mains traînant au piano 
Et les yeux noyés dans le vague, 

Si vagues vos grands yeux vagues comme la vague 
Et si vagues vos doigts libres de tout anneau ! 
Fredonnez, les deux mains traînant au piano. 

Caresse aux doigts, d’ivoire, et de charme à vos lèvres, 
Musicale frôlée au cœur, 

Chant tout bas, si majeur, si mineur, si moqueur, 
Menuet et sanglot perlé de notes mièvres, 

Caresse aux doigts, d’ivoire, et de timbre à vos lèvres ; 

Charme comme d’entendre à travers la cloison 
Chanter une voix inconnue, 

Charme d’une chanson on ne sait d’où venue 
Par qui sont dans les yeux les larmes sans raison, 
Charme comme d’entendre à travers la cloison ; 

12 


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210 


OCCIDENT 


Trouble d’un baiser pris et dont on ne regoûte, 
Enervement de l’incomplet, 

Fantôme comme aux eaux les choses en reflet, 
Volupté du regret, du souvenir, du doute, 
Trouble d’un baiser pris et dont on ne regoûte. 

Fredons où l’àme écoute en cherchant à saisir, 

, Vos fredons si légers, si tristes! 

A cause du mystère en eux fredons artistes, 
Fredons chers pour laisser après eux un désir, 
Fredons où l’âme écoute en cherchant à saisir. 


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POUR DES BELLES 


Vivantes roses de bel âge 
Qui hantez la maison du clair de vos visages, 

Du roux occidental de vos rudes toisons 
Où toujours fait sa roue une fleur de saison ; 

Vous, croupes de sirènes ; 

Vous, majestés que suit l’arrogance des traînes ; 

Vous, idoles, avec les étoiles fugaces 
Des colliers de vos cous, de l'or de vos oreilles ; 
Vousfards,fraîcheursd’emprunt sur lafraîcheurdes faces 
Où sous vos sourcils longs s’allongent vos prunelles, 

O princesses, ô demoiselles ! 

Songez-vous que, les jours ayant suivi les jours, 

Dans la maison, déjà si vieille avec autour 
Son parc mystérieux qui verdit tour à tour 
Ses étés et s’effeuille en ses automnes d’or, 

Toutes vous passerez le long des corridors 


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212 


OCCIDENT 


Les nuits que le vent crie aux portes comme un loup. 
Esprits clairs revenus en rang on ne sait d’où 
Pour, sans contours ainsi que la brume des soirs, 
Grimacer vos beautés au profond des miroirs?... 


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SPECTRE 


Ce soir, Hamlet en deuil sort de l’encrier noir. 

Il vient, me regardant jusqu’au fond des prunelles, 
Mettre dans mes deux mains ses paumes solennelles 
Et s’asseoir près de moi blême de désespoir. 

Doux prince,j’aime bien mes mains dans vos mains pâles, 
Le glauque de vos yeux pensifs d’homme du Nord, 
Votre grand manteau noir frère des manteaux d’or 
Où l’améthyste a mis ses fleurs épiscopales. 

Un souvenir lointain erre dans votre deuil, 

Pareil à la senteur des choses qu’on exhume ; 

La Légende ineffable a laissé de sa brume 
En vous qui la quittez pour paraître à mon seuil. 

12 . 


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214 


OCCIDENT 


Je baiserai vos mains ce soir inoccupées 
Où l’encre mit d’abord son stigmate innocent, 
Dont ensuite le sort tacha les doigts de sang, 
Eux manieurs de plume et non porteurs d’épées. 


Je poserai mon front contre votre front lourd 
Car tous deux, ennemis du faste et du tapage, 
Nous nous sommes penchés sur une même page, 
Avec la même angoisse, avec le même amour. 


Nous avons tous les deux songé les mêmes songes, 
Nos faces ont pâli sur les mêmes labeurs 
Et nous avons aussi versé les mêmes pleurs 
Sur les mêmes humains et leurs mêmes mensonges. 


Vous me raconterez votre spectre anxieux, 

Je vous dirai le mien qui me suit à la piste 
Car je suis folle aussi d’entendre sa voix triste 
Et de sentir toujours ses deux yeux dans mes yeux. 


Car, comme votre père aux injonctions brèves, 
Impérieux et froid le Suicide est là ; 

Car tous deux, inquiets d’un semblable au delà, 
Nous n’obéissons pas à cause de nos rêves ! 


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VESPÉRALES 


215 


Ah les rêves !... Toujours toujours réver en vain 
Et toujours agrandir ses deux yeux dans le vide 
Et toujours revenir à sa pensée avide 
Gomme l’ivrogne affreux qui retourne à son vin ! 


Toujours l’atroce mort quand le corps va s’étendre 
Mêlant l’allusion du néant au sommeil 
Toujours le même sombre et soucieux réveil 
Où l’horreur d’exister encor vient vous reprendre ! 


Ah vivre !... vivre en paix, vivre en simplicité 
Sans chercher à sonder notre propre mystère, 

Sans cris vers l’Infini qui persiste à se taire ; 

Ah vivre !... vivre !... Ou bien alors n’avoir jamais été ! 

Doux Prince, approchez-vous. Vous n’êtes qu’un fantôme 
Mais puisque, comme vous j’ai rêvé quelquefois, 
Puisque aussi sous mon front ma pensée a le poids 
D’un monde dont le faix tiendrait dans un atome, 


J’aime le manteau noir frère des manteaux d’or 
Où l’améthyste a mis ses fleurs épiscopales 
Et contempler longtemps,les mains dans vosmains pâles 
Le glauque de vos yeux pensifs d’homme du Nord... 


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DES YEUX 


A ma sœur Marguerite. 


L’écrin nocturne des yeux bizarres 
S’est répandu à même la nuit. 

Vaguement, c’est autour des écrins et des mares 
L’écrin nocturne des yeux bizarres. 

Les yeux ouverts vers on ne sait où, 

Ronds de clarté, cligneurs de félinerie, 

Aigus d’or, larges de rêverie ; 

Grands yeux en promenade du hibou 
Et du chat miauleur d’hystérie 
Et du somnambule en équilibre et du fou 
Ballant sa frôleuse vespérie 


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VESPÉRALES 


217 


Et dans l’éloquence à mi-voix de la nuit, 

— Goutte à goutte qui choit à petit bruit — 

Une note unique et monotone détonne 

Du fond de la laideur squammeuse des crapauds, 

Les crapauds au pas qui tâtonne, 

Riches de deux yeux d’or dans l’horreur de leurs peaux. 

Ah les yeux ! Les yeux fous des bêtes une à une 
Dardés immensément vers le ciel bleu de nuit 
Qui sur leur rondeur arrondit 
L’œil ouvert de la pleine lune ! 


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OMBRE 


Sans qu’on t’ait entendue, ombre, comme un félin 
Qui s’avance au pas sourd de ses pieds hypocrites, 

Tu t’approches, berçant tes hanches sybarites 
Et plonges dans mes yeux ton regard opalin. 

Le léger mouvement de strophe et d’antistrophe 
Dont tremble ta coiffure haute comme une tour 
Fait se dissimuler et pointer tour à tour 
Les deux fleurs de tes seins sous les fleurs de l’étoffe ; 

De lourds chatons ont fait tes doigts exorbitants, 

Ton cou porte en colliers des ampleurs de rosaires, 
Et des calices nés dans d’improbables serres 
Ornent tes cheveux noirs d’un bizarre printemps. 


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VESPÉRALES 219 

Le cerne de tes yeux s’étend et s’accentue 
Et meurtrit largement ta morbide pâleur 
Où, fraîche, vénéneuse et tentatrice fleur, 

Eclate la rougeur de ta bouche ambiguë. 


Que veux-tu? Tu répands des baumes et des nards 
Et ton geste m’enlace ainsi qu’une couleuvre ; 

Dans tes iris changeants toujours guette une pieuvre 
Qui m’a déjà tentée au fond d’autres regards. 


Tes lèvres m’ont souri sur celles d’autres femmes 
Et d’autres bras tendus m’ont montré le chemin 
Mystérieux et noir que m’indique ta main, 

Toi que je ne suis pas comme tu le réclames. 


C’est un chemin étroit qui longe inversement 
La grande route droite où cheminent les couples ; 
Il s’étale et sinue entre les tiges souples 
De fleurs qui ne sont pas pour des bouquets d’amant. 


C’est un chemin étroit tentant pour qui s’ennuie, 
A qui tout le banal humain est en dégoût, 

Et l’âme vagabonde y respire partout 
Un ignoré parfum d’aventure inouïe... 


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220 


OCCIDENT 


Mais je ne suivrai point ton pas silencieux ; 

Je n’ai rien écouté d’une voix plus puissante, 

Je n’entends pas non plus ta voix pervertissante 
Et le Livre aura seul mon cœur sentencieux. 


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I er NOCTURNE 


Que d’heures qui s’en vont au passé pas à pas 
Où, nés pour être à deux, seule chair et seule âme, 
N’ayant ni noces ni divin épithalame, 

Ceux qui devraient s’aimer ne se connaissent pas ! 


Que d’heures ne laissant de parfum ni d’annales, 

Et, faites pour l’extase et le néant d’amour, 

Que de nuits, que de nuits se perdent sans retour, 
Que de splendides nuits banales ou vénales ! 


Ah ! de songer aux mots qui les auraient grisés • 
Parmi le clair de lune écoutés bouche à bouche ! 

De songer qu’ils vivront sans que leur main se touche 
Et que, pour eux, ces nuits passeront sans baisers ! 

13 


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II e NOCTURNE 


Je rêve par les nuits à l’amour qui sanglote, 
Amours non sus, amours trahis, 
Amants qu’on n’aime pas, ou, pire, amants haïs, 
Pleurs de paria, pleurs d’ilote. 


Je rêve à vous, cheveux blanchissant sur les fronts, 
Poings qu’on enfonce dans les bouches, 
Détresses sans secours qui pâmez sur des couches, 
Cœurs qui saignez dans des girons. 


A toi, lente insomnie ouvreuse de prunelles 
Dans la muette obscurité. 

Où la mort qui sourit tend ses mains fraternelles 
Et tout bas parle du Léthé ! 


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VESPÉRALES 


223 


Et telle que serait quelque oraison nocturne 
Sans signe de croix et sans mots, 

Ma’ pitié ya rôder à l’entour de ces maux 
Comme un fantôme taciturne. 

... Ah! qu'au moins, ah! qu’au moins dans leur être béant 
Où le glas de la mort bourdonne, 

Le sommeil un instant descende, puisqu’il donne 
Comme un avant goût du néant ! 


* 


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III e NOCTURNE 

f 


Mon âme s'ouvre au soir comme une fleur bizarre 
Qui s’épanouirait à l’heure du couchant, 

Et, quittant le tombeau du corps, heureux Lazare, 
Monte à Dieu comme y vont l’encens et le plain-chant. 

Je ne voudrais alors le baiser sur ma bouche, 
L’étreinte me pressant l’épaule dans le noir, 

Que pour me figurer un instant que je touche 
L’au delà que j’adore et que je ne puis voir, 

L’amant n’étant pour moi, dans cette heure suprême, 
Que mon rêve éternel subitement fait chair, 

Qu’un être me donnant, l’espace d’un éclair, 

L’illusion de dire à l’Infini : « Je t’aime ! » 


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IV e . NOCTURNE 


Ta patience a lui sur d’inouïs passés, 

Face morte et nocturne au firmament qui sais 
Le mystère- profond des foules disparues, 

0 lune des champs et des rues ! 

Et quand le ciel s’argente à ton ascension, 

Notre âme où s’est levée aussi ta plénitude 
Ouvre sur loi deux yeux d’interrogation 

Ronds d’angoisse et d’inquiétude. 

Songeant ces regards-là qui virent tes soirs purs. 
Et ceux-ci qui luiront ta lumière mouillée, 

Alors que dormira notre race oubliée 

Sous l’amas des siècles futurs. ■ 


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PETIT JOUR 


Tristesse du petit jour, 

Frôlement aux carreaux mornes, morne filtrée ; 
Aux volets joints clarté, comme de lune, entrée 
Sans luisance à travers les fentes du bois lourd ; 

Tristesse du petit jour, 

Lueur sans charme au fond de l’inerte campagne 
Et qui, dans le silence, en silence aussi stagne, 
Faible, laissant encor les choses sans contour ; 

Tristesse du petit jour 

Sur les villes sans bruit que le repos fait mortes, 
Le sommeil n’ayant pas relâché leurs cohortes 
Passantes, par la rue et par le carrefour; 


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VESPÉRALES 


227 


Tristesse du petit jour 

Dans la chambre où vacille une lutte ennuyeuse 
D’ombre burlesque avec la dolente veilleuse 
Comme, au plafond, un ciel clair et noir tour à tour ; 

Tristesse du petit jour 

Sur les sommeils, néants dans les oreillers souples, 
Sombres, naïfs, vénals, malades, ceux des couples, 
Rideaux fermés, sommeils lassés, sommeils d’amour ; 

Tristesse du petit jour 

Sur la mer grise et large et largement étale... 

Oh l’appel ! Oh! le cri, parmi le brouillard pâle, 
Trouble, double, que jette un bateau de retour ! 

Oh ! l’horreur de sortir des bons rêves mythiques, 
D’avoir à vivre encore une fois tout un jour, 

O tristesse du petit jour 

Sur l’ennui, large ouvert, de deux yeux spleenitiques ! 


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L’INDIFFÉRENTE 


Puisque tu ne veux plus m’aimer, indifférente, 

Et puisque rien ne peut, froide, te réchauffer, . 

Je veux, quand tu viendras, crisper ma main errante 
A ton beau cou d’ivoire afin de t’étouffer. 

Ou plutôt, comme la pitié pourrait me prendre 
A voir ta bouche blême et tes bras débattus 
Et qu’une horreur viendrait me saisir à t’entendre 
Râler des mots d’effroi graduellement tus, 

Je veux, ainsi qu’après une étreinte donnée, 

Et me penchant sur toi comme pour un serment, 
T’enfoncer dans le cœur l’épingle empoisonnée 
Qui sans geste et sans cris tue hypocritement. 


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• ifes.tr.'. 



VESPÉRALES 


229 


Où plutôt, ou plutôt, adorée, adorée!... 

Si tu daignes, sans cris, sans discours, sans assauts, 
Épanchant sur tes mains ma tristesse pleurée, 

J’y laisserai couler mes larmes en ruisseaux. 


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LE SOMMEIL 


I 

Gomme une que berça la viole d’amour, 

La belle tout en pâleur dort, 

Les volets joints avec, dessus, les rideaux lourds 
Pour empêcher sur sa tranquillité de mort 
Qui ne vienne jouer l’estival clair de lune. 

Mais des gouttes de lune ont chu une par une 
Aux fentes de ces volets joints 
Et luisent sur sa couche aux draps finement oints. 
Comme si les colliers de sa parure pâle 
Avaient dans la ténèbre égrené des opales. 

Et, sur ses seins quiets où se croisent les paumes, 
Sur ses pieds sages réunis, 

Sur tout le luxe prude et raffiné du lit 
Où elle se coucha sans bagues et sans baumes, 
corps sans robe 4’or et sans huppe à la t$te f 


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VESPÉRALES 


231 


Contempteur de la vie un lourd crucifix jette, 
D’un grand geste mélancolique, 

La sombre allusion de la mort catholique, 
Tandis qu’ainsi la nuit y verse ses écrins 
Et fleurit ce sommeil de ses bijoux païens. 


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LE SOMMEIL 


il 

Les pierres des colliers s’éteignent une à une 
Dans cette nuit fatale où ne luit pas la lune. 

Endors-toi longue sur ta couche 
Avec tous tes colliers éteints autour du cou, 

Avec l’àme on ne sait où, 

Avec une fleur à la bouche, 

Avec tes bagnes d’art jusqu’au bout des phalanges. 

La veilleuse a forgé des fantômes étranges 
De son vacillement qui rampe par la chambre 
Et fleurit le plafond de grands astres muets 
Et remue, aux recoins, des ombres qui dormaient. 
Repose jusqu’au jour ; à moins que, pour te voir, 

Dans tout ce clair obscur en agitation, 

Ne vienne sur tes seins tout doucement s’asseoir 
Le chat noir inquiet de ton sommeil profond 
Qui fixera sur toi, dans la tiédeur des plumes, 

Ses deux yeux ronds et clairs comme deux pleines lunes... 


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VILLE DU SOIR 


La ville s’illumine au lointain à fleur d’eau 
Tout au bout de la mer nocturne ; 

Lève ta tête basse, ô triste, ô taciturne I 

Le couchant furieux s’apaise à l’horizon 
Au-dessus de la mer éteinte ; 

Regarde, ô cœur gonflé de plaintes ! 

Lève la tête, vois! Ainsi qu’un long collier 
La ville brille dans le soir. 

Contredite dans l’eau comme dans un miroir. 

Les tours luisent, voici les châteaux qui s’allument, 
Voici les palais qui flamboient ; 

Ah ! de la joie, ah ! de la joie !... 


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234 


OCCIDENT 


C’est la ville du bout du monde, c’est Thulé, 

C’est le conte bleu, c’est le rêve ; 

Appareillons! Partons vers ces lointaines grèves! 

Puisque notre vaisseau tourne déjà sa proue 

Et comme pour un vol gonfle déjà ses voiles 
Vers ce là-bas riche d’étoiles, 

Monte et partons ! Tes yeux pleureront de bonheur 
En grosses larmes sur la mer. 

Nous avons tant souffert, nous avons tant souffert ! 

Mais nous aborderons la Ville où nous attendent 
Nos désirs irréalisés 
Et nos pauvres espoirs brisés. 

Nous allons vivre !... Ah dis, lève-toi, chante-moi 
Quelque hymne les deux bras ouverts 

Dans ton manteau de deuil qui traîne dans la mer ; 

Car yoici qu’on peut voir déjà monter la tour 
Où l’être te fait signe enfin 
Dont tu eus si soif et si faim ; 

Toute.puissance d’homme et tendresse de femme, 
Voici sa bouche pour ta bouche, 

Ë>es deux bras insensés pour ton amour farouche. 


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VESPÉRALES 


235 


Sa bonne épaule pour ton front lourd de pensée, 
Son coeur pour ton cœur gros de sève, 
Ses deux yeux profonds pour tes rêves; 

Sa voix parle, son œil voit, son oreille entend, 

, . Toute une âme compréhensive 
Veillé, attendant ton âme, en sa beauté pensive ; 

Et c’est ta paix et c’est ton amour, c’est ta joie, 

Ah ! de la joie, ah ! de la joie !... 

Cette cité qui met ton désir sur la mer, 

O cœur pudique, ô cœur pervers, ô cœur amer!... 


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LA BERCEUSE RÉTROSPECTIVE 


A jamais ainsi qu’une petite morte, 

Mon enfance dort dans la ville qui dort. 

A jamais ainsi qu’une petite morte, 

Elle dort au clapotis des eaux du port 
Berçant les mâts des barques dans les étoiles. 

Elle dort au claquement rude des voiles 
De vaisseaux revenus de lieux inouïs. 

Elle dort au claquement rude des voiles 
Qui parle des plus ignorés pays, 

El son sommeil en est plein de belles fables. 

Elle dort de ses deux grands yeux misérables 
Gardant comme un souvenir du paradis. 

Elle dort de ses deux grands yeux misérables 
Et qui s'étonnent peu à peu agrandis 
Sur la laideur des choses de la terre. 


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VESPÉRALES 


237 


Elle dort déjà complexe et solitaire, 

Inquiète à travers sa naïveté, 

Elle dort déjà complexe et solitaire. 

Le monstre dont son cœur fou sera hanté 
L’impossible désir est dans l’œuf encore... 

Elle dort !... Ah dors, dors! candeur, fraîcheur, aurore! 


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DÉFILÉ 


Les clochers ont perdu leurs pointes dans la nuit. 

Des princesses en rang s’avanceront sans bruit, 

Ombres passant dans l’ombre, 

Hautes de bonnets hauts sur des chefs clairs ou sombres. 


La lente extinction de leurs yeux mal cachés 
Tremblera sur leur joue en longs cils catholiques; 
Leur mutisme fera leurs bouches hermétiques ; 

Leurs doigts prudes seront contre leurs seins vivants, 
Claustrés sous la lourdeur des robes hibernales, 
(Spectres pointus parmi les pointes des clochers, 

Défilé sans couleur qui s’allonge en rêvant.) 


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VESPÉRALES 


230 


Et seuls sur leurs cous nus — violets, jaunes, rouges, 
"Terts et ikleus — frémiront dans l’ombre générale 
Leurs colliers co n t r e di t » éam ém lueurs qui bougent. 
Quand aussi tremblera, lointain, en haut, si'haut! 

En l’immensité vespérale, 

Le premier diamant (Tune petite étoile... 



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★ 


Du fond de notre cœur accablé de beauté, 

Nos admirations sourdes et solitaires 
Montent dévotement leurs muettes prières 
Vers nous ne savons pas quelle immortalité. 

Et c’est trop de grandeur pour notre infimité 
Lorsque les couchants fous qui saignent sur les villes 
Ou sur l’ampleur des mers ou les monts immobiles 
Ou la forêt tragique ou les blés inclinés 
Nous tordent malgré nous nos bras passionnés.,. 

Ah ! le mal de frémir jusqu’aux dernières fibres ! 
Ouvrir les yeux trop grands sur les choses qui sont ! 
Défaillir et qu’en soi croulent des équilibres 
Parce qu’un beau jour meurt à même un ciel profond ! 


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L’APAISEMENT 


Nous laisserons au gris des pages refermées 
Du Livre où s’obstinaient nos fronls sentencieux 
Tout le désir et tout l’effort, les soucieux 
Songes et l’ennui lourd des heures enfumées. 

Lasses de chair en qui se meurent des avrils, 
Lasses de regards fous de rêve et d’insomnie, 
Lasses d’âmes où trop de raison cherche et nie, 
Nous voulons gaspiller des moments puérils. • 

Lentes de par le faix maladif de nos têtes, 
Hanteuses des jardins dans leurs tours et détours, 
Nous irons, de l’étable aux bonnes bassas-cours, 
Respirer la torpeur bien portante des bêtes. 


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242 


OCCIDENT 


La couleur saine a peint aux pigeons l’éventail 
De leur queue, a fardé les poules promenées. 

Et nous guérit un peu des nuances mort-nées ; 

La simplesse regarde aux grands yeux du bétail ; 

L’herbage réservé pour les vaches laitières 
A de l’herbe et des fleurs qui vont jusqu’aux genoux ; 
Toute la vie heureuse au soleil-monte à nous 
De la senteur féconde et chaude des litières. 

Myopes, bougonnant entre eux, viennent nous voir 
Les porcs bouffis groupés sur le seuil de leur bouge : 
L’ombre des cages luit tout à coup de l’œil rouge 
Des placides lapins de neige au museau noir ; 

Le vieux mur berce au vent toutes ses giroflées, 

Le toit, sous son chapeau de lierre captieux, 

Nous voit par ses carreaux, dardés comme des yeux, 

Et rit par ses moineaux aux joyeuses volées, 

Et, d’avoir tant menti dans un monde qui ment, 

Fera nos cils noyés sous des larmes de joie 

Quand le chien, dont vers nous la bonne humeur aboie, 

Accourra nous lécher les mains, naïvement. 


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SOLEILS DU SOIR 


Quand les soirs furieux stagnent leurs mornes flammes 
A même l’horizon des villes ou des champs, 

Alors sont arrondis sur les soleils couchants 
Les yeux humains remplis du mystère des âmes. 

Ils pleurent le regard triste des exilés 
Songeant les nords et les midis de leur enfance 
Et des soleils pareils versant leur abondance 
De pourpre à des lointains autrement profilés ; 

Ils pleurent le regard des amours terminées, 

Le regret des amants autrefois abattus 
Longtemps contre l’épaule offerte à l’heure où, tus, 
Leurs couples venaient voir se mourir les journées ; 


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244 


OCCIDENT 


Ils jettent le coup d’œil d’incompréhension 
Des passantes banalités indifférentes 
Et le coup d’œil aussi des misères errantes 
Qui n'ont plus de regard pour l’admiration. 


Ils clignent le plaisir paisiblement artiste 
Qui s’attarde aux chaos changeants de la couleur 
Et la mélancolie émue en sa pâleur 
De ceux que la beauté divinement attriste. 


Us fixent le regard des orgueils inspirés . 

Des poètes drapés dans l’ampleur de leurs poses 
Et qui tendent les bras vers les apothéoses 
Fictives qu’offre l’heure à leurs désirs outrés. 


Ils luisent de l’espoir des grandes tragédies, 

Les yeux, les deux yeux fous qu’ouvrent les révoltés 
Vers l’allusion rouge aux deux ensanglantés 
De leur rêve flambant déjà ses incendies ; 


Et les deux yeux aussi de la dévotion 
Lèvent sur les couchants leur douceur extatique 
Et déjà voient brûler l’heure apocalyptique 
Où s’éploiera l’essor de notre assomption. 


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VESPÉRALES 


245 


Du fond des champs, du fond des palais et des bouges, 
Gomme ceux des hiers, comme ceux des demains, 

Ah! cequ’ilsvoient'! tout cequ’ilsvoient,cesyeuxhumains 
Dardés sur la splendeur des larges soleils rouges ! 


i 





14 


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SOUVENIR PUÉRIL 


Le refrain lamentable et long 1 d’une berceuse 
Balançait le dolent roulis de mon sommeil. 

Voix de femme qu’ennuie un chant toujours pareil ; 
Et les rideaux étant fermés et la veilleuse 
Fantasque dandinant des ombres aux recoins, 

Moi, petit être au fond du nid, fermant les poings, 
Aux yeux où la candeur puérile s’étonne, 

Dans ce demi-jour vague et ce chant monotone 
Je m’éveillais avec la détresse, la peur 
De la veilleuse folle et du refrain pleureur. 

Comme souffrant, au fond d’une âme déjà triste, 
Le lent mal d’exister que personne n’assiste... 


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L’enfance gardera le secret de ses songes. 

Son petit cœur profond qui ne s’explique pas ; 
L’enfance ne sait point les mots et leurs mensonges, 
Elle sent, elle écoute, et regarde tout bas. 

Quan4 les yeux puérils éteignent leur lumière 
Bous Je voile rusé des cils adolescents, 

L’enfepce morte emporte au passé funéraire 
Son trésor ignoré dans ses doigts innocents. 

Mais J'adulte rancœur de la vie hypocrite 
Se souvient en pleurant de ces rêves partis 
Connue font, sanglotant leur douleur émérite, 

Les mères qui s’en vont aux tombeaux des petits... 


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BELLE NUIT 


L 


La lune était aux. cieux à l’heure de minuit 
Comme une grande perle au front noir de la nuit. 
Tout dormait et j’étais comme seule sur terre. 

J’ai regardé la lune étrange et solitaire 
Sur laquelle, Sapho, se sont fixés tes yeux 
Aux temps antiques quand, de ton pas orgueilleux, 
Tu hantais par. les nuits l’ile coloniale, 

Toute seule, levant ta tête géniale 
Vers le ciel où mettait l’astre son pâle jour. 

C’est alors qu’à ta lyre, ô Muse de l’amour! 

O Muse du désir et des folles tendresses, 
Frissonnaient tes beaux doigts habiles aux caresses 
Et que chantait parmi la marée et les vents. 

Ta bouche ivre aux baisers complexes et savants... 
Oh ! de songer tout bas qu’à cette lune blême 
Tes yeux s’étaient rivés, grande Sapho, de même 


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VESPÉRALES 


249 


Que les miens quand, parmi le sommeil de la nuit, 
Je veillais seule avec mon éternel ennui ! 

Prêtresse de l’amour qu’ils appellent infâme, 

O Sapho ! qu’a donc pu devenir ta grande âme ? 
Sous la lune qui vit ta joie et ta douleur, 

Je t’ai chantée, aimée, admirée en mon cœur, 

Moi poétesse vierge, ô toi la poétesse 
Courtisane, Ô toi l’aigle orgueilleuse, l’Altesse ! 


14 . 


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: CLOCHES D’AUTOMNE 


Des cloches pleurent dans la brume. 

II pleut des feuilles d’or qu’un rai furtif allume. 

Des cloches pleurent sans finir 
Pour tout ce qui s’en va sans jamais revenir. 

Quelle agonie immense et triste que l’automne ! 

La mer entre les arbres las 
Monte au loin sa marée exacte et monotone, 

Mêlée au rythme de ce glas. 

% 

Demain les morts; demain la fête de la tombe... 

Oh ! ce glas lugubre qui tombe 
A coups sourds dans mon cœur solitaire et béant J 
Qh ! pj’en aller ! Oh le néant !... 


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BÉÀU JOUR 


Le-croyant Contemplant la beauté d’un beau jour 
Sent du fond dé son cœür montet* un chant d’amour • * 

A sa bouche, èt ses mains instinctives se joignent, ‘ 
Car les émotions profondes qui l’empoignent : 

Font son âme voler en admiration 
Au ciel oü vit lè Dieu de sa dévotion: ’ ' 

Et l’amant, contemplant un beau jour, sent de même 
De son cœur à sa voix monter le nom qu’il aime ' ’ 
Et son âme, aussi, vole en adoration. / ; 

Vers là divinité de sa dévotion. 

t . • ■ 

... Moi, je nè suis ni la croyante, ni l’amante, ■■■■■'; 
Hélas ! Vers aucun but mon âme ne s’aimante ' ” 

Et le trouble qu’éveille en moi quelque splendeur 
^ait ma voix plus muette et plus triste mon cœur. 


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TOUTE SEULE 


Mon cœur pleure et mes yeux ne veulent pas pleurer.. 
Oh ! sentir mon chagrin ruisseler sur ma joue, 

Ma bouche se crisper d’une suprême moue 
Et, sur mes mains, le froid de mes larmes errer 1 

Mais pendant que je vais par les bois toute seule 
De corps et d’âme, avec ma face sèche, veule, 

Le sein gonflé du mal de n’avoir pas d’espoir 
Ni présent, ni futur; du mal de ne rien voir 
De bon dans le monde et de ne pouvoir comprendre 
Ce qui viendra lorsqu’il sera réduit en cendre, 

Du mal de ne. savoir que croire et qu’adorer. 

Mon cœur pleure et mes yeux ne veulent pas pleurer. 


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SPLEEN 


Ainsi qu'un revenant pâle et vêtu de noir, 

Le spleen lent près de moi s’est assis à ma table ; 
Et j’ai pris à deux mains ma tète lamentable, 

Ne pouvant plus rêver, espérer ni vouloir. 


Rien ne peut m’en guérir, rien ne peut m’en distraire, 
Tout mon être est en proie au morne compagnon ; 

Qu’on m’offre d’exister ma plus belle chimère. 

Sans force pour parler, mon geste dira : « Non ! » 


Ah! puisque je ne peux inventer la musique 
Lugubre en qui chanter ce mal quotidien, 

Je voudrais le hurler longuement comme un chien 
Sous la lune, perdu, maigre, transi, phtisique, 


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254 


OCCIDENT 


Et puisque je ne peux le mourir, je voudrais 
Le dormir nuit et jour dans mon oreiller moite, 
Silencieusement, volets clos, sans arrêts, 

Pour une allusion à la dernière boite. 


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CLOCHES D’ÉTÉ 


Cloches folles au loin dans le bleu des midis. 
Grondeuses d’angelus à l’oreille incroyante, 
Quelle mémoire vient en nos cœurs engourdis 
Réveiller le regret que votre voix nous mente ? 

Quel souvenir d’exact, lent cérémonial 
Soudain lève un passé d’enfance catholique 
Et troue avec un vieux clocher mélancolique 
Le blanc pur et les bleus d’un ciel provincial ? 

Oh ! fuir hors ton enfer où brûle la pensée, 

Paris ! parce qu’il chante à travers la croisée 
Un peu de carillon avec du vent entré, 

Et retourner sans bruit vers la messe naïve, 
Portant un livre lourd où le doigt sage suive, 
Sans comprendre, un latin barbare de curé!... 


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Mes vices sont venus me prendre par les mains, 
Iis m’ont fait voir de bizarres chemins, 

Des routes où cueillir des heures inouïes, 

Mais je ne les ai pas suivies. 

Mes vertus m’ont fait voir des routes qui s’en vont. 
Montant toujours avec, au bout du mont, . 
L’incroyable clarté de splendeurs infinies, . 
Mais je ne les ai pas suivies. 



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SUR LE SEUIL 


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SUR LE SEUIL 


J’attends que vienne en moi le rire de mon âge 
Pour te donner tous mes fruits mûrs, plus savoureux 
Que les pêches tombant sans effort au passage 
De la paume qui veut leur rondeur à son creux, 
Lourde de chair jutant à fleur de leur peau moite. 

Car déjà, quoique bien vierge, chaste et benoîte, 

J’ai la mélancolie au fond de mes iris 
D’avoir longtemps suivi la route et d’avoir pris 
Une à une ses fléurs dans mes mains enrichies 
Qui ont tenu dans des bouquets tout le printemps 
Et tout l'automne roux de feuilles défraîchies. 

Et puis la mer rythmique, où j’ai rêvé longtemps, 
A chanté toute sa signifiance profonde 


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260 


OCCIDENT 


En moi, et ses couchants furieux ont grandi 
Dans mon àme toujours plus ample, et j’ai redit 
Sa douceur qui chuchote et sa houle qui gronde. 


J’ai senti jusqu’au fond mon cœur, et jusqu’au fond 
Mes sens dans les douleurs, les calmes et les joies; 
J’ai fait prier l’amour, geindre la passion; 

Mes doigts ont déchiré des cœurs comme des proies 
Et mon oreille fut le confessionnal 
Où parla haut le bien et parla bas le mal. 


Et parce que j’ai eu toute l’Intention 

Bonne ou perverse au bord de mes instincts perplexes, 

Et que toute la vie aux canevas complexes 

A livré son secret à ma réflexion. 

Aucun étonnement n’atteint mes équilibres. 


Mes nerfs se sont comptés jusqu’aux dernières fibres 
Sous l’archet frissonnant de la sensivité ; 

La musique et les vers et l’art et la beauté 
Et le baiser qui passe à fleur d’âme et de bouche 
Ont gonflé leurs sanglots au profond de mon cœur. 
Et, tour à tour, de l’aube au soleil qui se couche, 
J’ai couru mon désir et flâné ma rancœur. 


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SUR LE SEUIL 


261 


L’abstraction aride a creusé ma pensée 

D’un bout à l’autre et sans répit, comme un labour, 

Et- j’ai grandi les yeux de mon âme angoissée 
Dans l’horreur du mystère humain, et, tour à tour, 
Fait rire vers le ciel et sangloter mon doute. 

Et maintenant je suis celle qui vient à toi 
Qui me montres au doigt le jardin et le toit, 

Ami aux bras ouverts en travers de la route 
Où nous allons marcher, lents de geste pâmé. 

Je suis celle qui, pour n’avoir jamais aimé, 

Ne peut encore pas se connaître soi-même, 

Et qui veut dans tes bras savoir comment elle aime, 

Celle dont les vingt ans font flamboyer les yeux, 

Mais dont l’àme, ainsi qu’un violon douloureux, 

A senti s’en aller et revenir en elle 

Comme un rythme incessant la vie universelle, 

Et qui va sur ton cœur mesurer son contour 
Toujours fuyant, chercher où sont ses propres bornes, 
Sonder son être tel qu’un océan d’eaux mornes, 
L’espace d’un bonheur, l’espace d’un amour! 


15 . 


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TABLE 


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Goôgl 







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EN PLEIN VENT 


Pages 

Hymne printanier. 9 

Strophes estivales.• 12 

Au matin. 14 

Le retour... 16 

Struggle for life. 18 

Les poules. 20 

Le vent dans les roseaux... 22 

Couchant....,. 24 

Panem nostrum..». 25 

Rimes septembrales.. 26 

Par les prés.... 28 

Heure automnale. 29 

Haies d'octobre....... :... 30 

Beau jour. 32 

Conseils. 33 

P• automnale.. 36 

II* automnale. 37 

x III* automnale. 38 

Promenade. 39 

Printemps... 41 


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266 


TABLE DES MATIÈRES 


L’AME ET LA MER 

Salut..... 45 

Ombres sur la mer. 47 

Berceuse marine. 48 

Pax... 50 

Réplique. 51 

Supplique. 53 

La voix de la mer. 54 

Je suis la hanteuse . 57 

Hymne marin.... 58 

Inguérissablement.|... 61 

L’étreinte marine. 63 

L’âme fidèle. 66 

L'amie. 67 

PAROLES , 

I 

Le’bébé.... Il 

L’offrande. 75 

Trilogie de la vie et de la mort. 77 

Trilogie du signe de croix. £0 

Trilogie du parti à prendre.. 83 

La promise. . 86 

Ceux-ci et ceux-là. 88 

Hymne à la mort. 90 

L’âme... 92 

La sphinge. 94 

Litanies féminines. 96 

Le couple. 99 

La cité de justice.^. 101 

Le poème de la vie et de la mort. 104 


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TABLE DES MATIÈRES 


2G7 


PAROLES 

II 

L’orgueilleux pressentiment. 115 

Pour d’autres....'. 117 

Pourquoi, toi qui viens . 119 

A quelqu’une. 121 

Pour plusieurs abolis.. 124 

Pour une..-... 126 

Offertoire. 128 

A jamais. 129 

Le masque. 131 

Tentatives... 133 

Schola cantorum. 135 

Grand ange désailé, qui . 137 

Requiem.*.... 138 

L’AME DES RUES 

Places .. 143 

Reflets.... 145 

Grisaille. 147 

Brouillard. 148 

Silhouette.... 149 

Brume. 150 

Mardi gras. 151 

Vision. 152 

Spectres.... 153 

Coup d’œil. 154 

RONDELS 

Les ombelles. 157 

Les crabes....* 158 

Les papillons de nuit. 159 

Le cochon d’Inde.!. 160 

Les petits souliers. 161 


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268 


TABLE DES MATIÈRES 


Les hiboux. 162 

Les bourdons. 163 

Les souris. 164 

Les chansons d'autrefois. 165 

L’ENCENSOIR 

Héroïca. 169 

Buste.../_ 172 

Hommage. 173 

Aune. 178 

Rondeau pour ses mains. 180 

O Dame , Béatrix pour .... 181 

Opales. 182 

Sonnet. 184 

Petits pieds. 185 

Mystérieusement. 187 

Salut. 188 

VESPÉRALES 

Vesper. 193 

Les litanies de la lune... R 5 

Epitaphe. 198 

Pour d’aucuns. 199 

Parfum aimé. 201 

Les beaux jours qui se meurent . 203 

Frcdon triste. 204 

Crépuscule.. 205 

Berceuse puérile. 207 

Fredons. 209 

Pour les belles. 211 

Spectre. 213 

Des yeux. 216 

Ombre . 218 

I er nocturne. 221 

II 8 nocturne. 222 

III e nocturne. 224 

IV* nocturne. 225 


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TABLE DES MATIÈRES 


269 


Petit jour. 226 

L'indifférente. 228 

Le sommeil. I. 230 

Le sommeil. II. 232 

Ville du soir. 233 

La berceuse rétrospective. 236 

Défilé. 238 

Du fond de notre cœur . 240 

L’apaisement. 241 

Soleils du soir. 243 

Souvenir puéril. 246 

L'enfance gardera . 247 

Belle nuit. 248 

Cloches d’automne. 250 

Beau jour. 251 

Toute seule. 252 

Spleen. 253 

Cloches d’été. 255 

Mes vices sont venus . 256 

SUR LE SEUIL 

Sur le seuil. 259 


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MELLOTTÉE, IMPRIMEUR 
A CHATEAU ROUX, INDRE 


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